PHYSIOLOGIE COMPARÉE.
Ouvrages du méssic Auteur.
MEMOIRE SUR Lk CONFORMITE ORGANIQUE DANS L'ECHELLE
ANIMALE. - In-It" fijj. Montpellier, 1832.
RECHERCHES SUR L'OSTEOLOGIE ET LA MYOLOGIE DES BATRA-
CIENS, A LEURS DIFFÉRENTS AGES. — Ouvrage couronné par
l'Académie royale des sciences, in-^t" lig. Paris, 4854.
ESSAI PHYSIOLOGICO -PATHOLOGIQUE SUP^ LA NATURE DE LA
FIÈVRE, DE L'INFLA^MMATION ET DES PRINCIPALES NEVROSES.
— 2 vol. in-S°. Paris, 1823.
MANUEL D'OBSTÉTPiIQUE , OU TRAITE DE LA SCIENCE ET DE
L'ART DES ACCOUCHEMENTS. - 2*= édit. , in-18, fig. Paris, 1830.
TRAITÉ PRATIQUE DES MALADIES DE L'UTÉRUS ET DE SES AN-
NEXES. (Conjoinlement avec M™* BoiyiN. ) — 2 volumes in-8", atlas
colorié. Paris, 1835.
PRATIQUE DES ACCOUCHEMENTS, OU MÉMOIRES ET OBSERVA-
TIONS CHOISIES SUPv LES POINTS LES PLUS IMPORTANTS DE
L'Art, par M"^ Lachapelle ; rédigée et publiée par Akt. DdgÈs , son
neveu, — 5 vol. in-8°. Paris, 1821, 1823.
ÉLOGE DE MÉJAN , POUTINGON, MONTABRÉ ET PAGES. - In-8°.
Montpellier, 1836.
BIONTP£I.t,IEIi 5 J. MARTEL AIXE , IMPROIECR DE LA FACCLTÉ DE MÉDSCI\£ .
RUE DE LA pnÉrr.cTunE , lo.
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,- ^. i !-j i ■. L ± lJ -L i ^-j J_.j .
J^iuven-S c(?i_
■ M/n-tmufL- l.itJi-'
'/ ^« -'A ^ ^^ftr.y^,^ir^ //irn^/-ci^t'!'
TRAITÉ
DE
PHYSIOLOGl
COMPARÉE
DE L'HOMME ET DES ANIMAUX,
PAR AIVT. DUGÈS9
PKOFESSEtR A LA FACILTÉ DE !»lÉl)ECI\E DE MO^TPELHEH ,
MEMBRE CORRESPOXDANT DE L'aCADÉMIE ROYALE DES SCIEXCES DE PARIS
ET DE CELLE DE BERLIN ,
DE l'académie royale DE MÉDECIXE . KTC.
A^ec planclies litliograplftîéefs.
TOME PREMIER.
MONTPELLIER,
CHEZ LOUIS CASTEL, LIBRAIRE-ÉdITEUR, GRAND' RUE , 32.
&ERMER BAILLIÈRE. 1 CROCHARD ET C^
J.-B. BAILLIÈRE. | BÉCHET JEUNE.
STRASBOURG, LEVRAOtT. LYON, CH. SAVY.
1858.
<
qJXd l oJyDiiï&iw
de ui 2/ nUodoÂÂce cyonaùomiaue ,
riNE
E- GEOFFROY-S 'HIIAIRE.
C'est à vous , mon cher Maître , qu'appartient le
premier hommage de ce livre auquel un mot de vous a
donné naissance : me juger capable de cette entreprise _,
n était-ce pas me la prescrire P Puisse le résultat
de mes travaux vous paraître digne de Vhonorahle
appel que vous dicta la bienveillance / Puisse-t-il vous
prouver que je sais mettre à profit vos conseils et vos
exemples/ Qu'il soit du moins un témoignage de
l'inestimable prix que j'attache à votre amitié.
Ai&t. DUGËi».
ïïssTrïE®iD)iîi(S^n®Ma
« Je ne puis douter , a dît un illustre
anatomiste , que la physiologie ne prenne
bientôt une marche plus élevée , en essayant
d'embrasser la théorie de tous les corps
vivants, en s'attachant surtout à chercher,
dans les plus simples de ces corps , la solution
de ses principaux problêmes, portés à leur
expression la plus générale. » Plus de trente
ans se sont écoulés depuis que ces paroles
ont été émises , et l'étaî de la science n'avait
point permis encore de réaliser complètement
la prédiction du grand homme. Des vues géné-
rales publiées en Allemagne par Tréviranus
et Tiedemann , en France par le professeur
de Blainville, semblaient témoigner de l'im-
possibilité d'entrer dans les détails d'une
1J INTRODUCTION.
physiologie comparative ; et l'ouvrage de
notre estimable condisciple Isidore Bourdon,
abandonné par Fauteur , venait à l'appui de
cette pensée. Mais les étonnants progrès des
sciences naturelles ont rapidement comblé
ces nombreuses lacunes, et le Conseil royal
de l'instruction publique paraît avoir jugé que
les temps étaient accomplis ; il a doublement
glorifié la mémoire de Guvier, en créant une
chaire dont il avait de si loin pressenti la
nécessité, et en désignant/ pour l'occuper
l'héritier de son nom.
Déjà , d'ailleurs , les traités classiques de
Richerand et Bérard aîné , de Magendie ,
d'Adelon , avaient manifesté cette tendance à
étendre le domaine de la physiologie : le pro-
fesseur du collège de France, en appuyant
tous ses dogmes sur des expérimentations
dont les animaux seuls pouvaient être le sujet,
et ceux de l'école de médecine , en adjoignant
aux détails de la physiologie humaine tous
les faits d'anatomie comparée qu'ils pouvaient
accueillir, sans sortir pourtant de leur cercle
accoutumé. Naturaliste et médecin à la fois ,
J. Millier empruntait bien davantage encore
à l'étude des animaux pour éclairer celle de
l'homme , si j'en juge du moins par un aperçu
€|ue les difficultés d'une langue étrangère ne
m'ont pas permis d'approfondir. Mais il y a
IlNïnODUCTION. iij
loin de ces applications partielles à un corps
de science , à une physiologie véritablement
comparative.
L'esprit même dans lequel est conçu, le
plan sur lequel est ordonné le grand ouvrage
du vénérable Burdach , dont nous posséderons
bientôt sans doute la traduction complète ,
grâce au zèle infatigable du D*^ Jourdan , ne
m'ont point paru satisfaire aux besoins du
moment, qui réclament un traité méthodique ^
clair et concis à la fois. L'étendue de ce vaste
répertoire est par elle-même un obstacle à la
facilité de l'étude, et l'on s'aperçoit trop aisé-
ment j à la lecture de ces nombreux volumes ,
combien la distribution bizarre des sujets en
rend l'ensemble difficile à saisir : on y voit
trop souvent la place des faits , tout abondants
qu'ils sont, usurpée, en dépit du titre même
de l'ouvrage, par des théories philosophiques
dont on ne sent nullement le prix parmi
nous, et dont même on commence aussi à se
dégoûter en Allemagne. Ce n'est pas chez nous
qu'on peut prendre au sérieux une philo-
sophie qui fait profession d'admettre comme
réel tout ce que l'imagination de l'homme
peut concevoir , et qui vante l'hypothèse à
priori comnxe moyen de faire avancer les
sciences.
La publication de ce précieux recueil d'ob-
tV INTRODUCTION.
servalions , d'opinions dont un grand nombre
sont inconnues à nos compatriotes , m'a paru
sans doute un grand service rendu à la science
physiologique; mais elle m'a aussi semblé
insuffisante pour atteindre le but le plus
essentiel , l'instruction des jeunes gens qui
se dévouent à l'étude de la zoonomie et surtout
de l'art de guérir : tout en mettant donc à
profit cette heureuse circonstance , j'ai cru
néanmoins devoir mettre au jour la rédaction
déjà terminée des leçons orales que, depuis
six ans , j'ai faites bénévolement , chaque été ,
pour les Elèves de notre Ecole.
Transplanté , pour ainsi dire , par des cir-
constances inattendues , du nord au midi de
la France, l'aspect des productions naturelles
de ce nouveau climat excita vivement ma cu-
riosité , et m'entraîna vers une étude qui fit
bientôt mes délices. D'observations en obser-
vations , de monographies en monographies ,
je me trouvai porté à des considérations plus
générales. De plus en plus attrayants, à mesure
qu'ils embrassaient un horizon plus vaste, ces
travaux reçurent une impulsion plus puissante
que jamais quand je voulus en faire partager
les fruits à nos jeunes gens. A combien de
recherches et d'expériences ne me suis-je pas
vu dès-lors presque involontairemententraîné!
Combien de discussions intéressantes n'ont
INTRODUCTION. V
point soulevées ces conférences publiques !
Que de fois mon collègue Lallemand , et quel-
ques autres personnes qu'attirait, comme lui,
l'intérêt inhérent à de pareilles matières , ne
m'ont-ils pas mis sur la voie de rectifications
importantes ou de nouvelles vérifications !
Combien d'ailleurs ne me fallait-il pas réflé-
chir aux moyens d'épargner, à la fois, à mes
auditeurs les incertitudes de l'hypothèse et
celles des assertions sans preuves , les ennuis
d'une inintelligible concision et ceux d'une
prolixité fatigante !
Grâce à ces circonstances favorables , je ne
crois pas trop présumer de mon ouvrage ,
en assurant qu'il offre, et pour la forme et
pour le fond , beaucoup de choses qu'on cher-
cherait vainement ailleurs. Je citerai en parti-
culier ce qui concerne les sens , les opérations^
intellectuelles , la contraction musculaire , la
respiration, les sécrétions. Partout j'ai tâché
de parler d'après moi-même, ou plutôt d'après
la nature ; et partout j'ai cherché la méthode
la plus lucide et la mieux appropriée à chaque
sujet en particulier, sans vouloir adopter à
priori un cadre systématique où tout dût se
caser , s'entasser , ou s'étaler de gré ou de
force.
De même que dans mes leçons verbales
j'avais pris l'habitude déparier aux yeux par
VJ IMUODUCTION.
des dessins improvisés , de même il m'a paru
indispensable d'éclairer, par de nombreuses
ligures, le texte de cet ouvrage ; non-seulement
elles facilitent l'intelligence des faits, mais
encore elles en abrègent l'exposition et en
rendent le souvenir plus durable : on se con-
vaincra aisément de leur nécessité, en jetant
les yeux sur les deux planches relatives au
sens de la vue. Je dirai de ces dessins ce que je
pourrais dire de mon style ; j'ai cherché avant
tout la clarté, l'exactitude; ce n'est pas ici un
ouvrage d'agrément mais d'instruction ; j'y
donne , au figuré comme au propre, des expli-
cations et non des peintures. Cette partie de
mon travail n'a pas été la moins fatigante, et
je ne saurais taire combien ma patience avait
besoin des encouragements que me prodiguait
l'amitié d'un artiste du premier mérite , et qui
lui-même a voulu doter mon livre de quelques
échantillons de son beau talent.
Je ne regrette point ces soins minutieux ,
les peines et le temps qu'ils m'ont coûté ou
qu'ont absorbé les recherches d'érudition ; ils
ont été payés déjà par des satisfactions bien
douces, et j'en serai récompensé par-delà mes
désirs , si j'ai réussi à inspirer à mes lecteurs
le goût de cette science à la fois si belle et
si utile. Pour le médecin en particulier , qui
ne sait que la physiologie est un élément
INTRODUCTION. VÎj
indispensable dans toutes ses études ! La pa-
thologie , la thérapeutique , que seraient-elles
pour celui qui ignoreraitcomnieotnos organes
fonctionnent à l'état sain, comment ils répon-
dent aux agents qu'on met en rapport avec
eux? Et, en effet, toutes les théories médicales
ont été fondées sur des théories physiologi-
ques. Si les erreurs de celles-ci ont entraîné
les déviations de celles-là, et si la théorie
influe si puissamment sur la pratique , il
est évident que perfectionner la physiologie ,
c'est travailler à l'agrandissement, à la cer-
titude de la médecine. Or , quel plus sûr
moyen d'y parvenir , que d'accumuler les
observations , d'éclairer celles que l'homme
ne nous permet pas de faire par celles que les
animaux nous offrent si aisément , si claire-
ment, d'étudier dans des organismes plus
simples les éléments divers et isolés, pour
ainsi dire, de ces fonctions si complexes et
partant si obscures dans ceux qui occupent
le haut de l'échelle organique?
Cette marche va devenir, nous n'en doutons
point, celle de l'enseignement physiologique;
l'impulsion est donnée à Paris ; un jeune et
brillant professeur va l'imprimer à l'Ecole de
Strasbourg ; et nous augurons bien , pour la
nôtre, del'accueil fait à nos précédentes leçons.
Toutefois, à Montpellier plus qu'ailleurs, cette
Vîij INTRODUCTION.
doctrine pourra rencontrer des obstacles : des
hommes d'un grand mérite ont conservé leurs
préventions contre l'étude comparative des
animaux et de l'homme , leur mépris pour les
détails minutieux de l'organisation et pour les
conséquences qui s'en déduisent; ils ont con-
servé leur goût pour les conceptions abstrai-
tes; et l'organicisme est à leurs yeux, ce que
le matérialisme est à ceux du théolosfien. Nous
ne désespérons pas de leur prouver que rien
n'est plus facile qu'une fusion entre ces deux
doctrines si antipathiques ; car, nous aussi ,
nous admettons l'existence d'un principe vital.
Nous espérons rassurer mieux encore les
consciences timorées qui pourraient croire
que notre organicisme , en ce qui concerne
les facultés intellectuelles , porte atteinte à
leurs croyances et se confond avec le maté-
rialisme absolu. Que le principe qui met en
jeu les organes soit un principe immatériel,
est-ce une raison pour craindre d'étudier leur
action ? En expliquer le mécanisme, ce n'est
pas en renier la cause. Je dis plus : cette étude
est plus propre à ramener les esprits qu'à les
éloigner des principes fondamentaux de la reli-
gion. En méditant sur ces innombrables mer-
veilles qu'il passe chaque jour en revue , sur
ces phénomènes si mathématiquement enchaî-
nés entre eux , sur ces effets si admirablement
INTRODUCTION. ix
liés à leurs causes que l'un de ces deux élé-
ments suffit le plus souvent à la connaissance
de l'autre , comment le physiologiste pourrait-
il méconnaître l'influence créatrice d'une m^e/-
ligence suprême? Comment repousserait-il la
doctrine des causes finales, quelque dépréciée
qu'elle soit par l'abus ridicule qu'on en a pu
faire? Diderot ne voulait que l'aile d'un pa-
pillon pour convaincre un athée , et cet argu-
ment dans sa bouche n'avait certes pas la force
qu'il aurait dans celle d'un naturaliste con-
sommé. Mais que sera-ce, si l'on porte son
attention sur les organes mêmes qui sont prin-
cipalement mis en cause dans cette grande
discussion, sur ceux que l'intelligence de
l'homme met en exercice ? Les incommensu-
rables produits de cette miraculeuse organi-
sation permettront-ils de la regarder comme
simple et grossière, comme l'ouvrage fortuit
d'une aveugle attraction , d'une affinité com-
parable à celle qui réunit en cristaux l'acide
sulfurique et la soude ? Et s'il lui faut recon-
naître dans l'univers une puissance éminem-
ment intelligente et pourtant inaperçue ,
inconnue, incompréhensible dans son essence,
le matérialiste même ne se sent-il pas disposé
à admettre quelque chose d'analogue dans
son propre intellect, dont l'anatomie lui rend
si imparfaitement raison?
X INTRODUCTION.
Ainsi considérée , la physiologie cessera
d'être en guerre avec la religion ; ainsi s'opé-
rera cette alliance naguère proclamée par
l'homme respectable à qui cet ouvrage est
dédié. Si cette conciliation exige le sacrifice
de quelques formes , de quelques mots , qu'on
se rappelle que le langage de la religion a été
mis , par ses premiers promoteurs , à la portée
des populations auxquelles ils s'adressaient ;
ce langage peut donc se modifier avec les
connaissances humaines et en suivre le pro-
grès, sans danger pour les vérités fondamen-
tales : n'eùt-il pas mieux valu le faire avancer
d'un pas avec l'astronomie, que d'arracher
à Galilée un désaveu d'un jour? Nùmquid Deiis
indiget vestro mendacio, ut pro illo loquamini
dolos? (Job).
Bien que fondée entièrement sur des études
analytiques, c'est-à-dire marchant du parti-
culier au général, notre physiologie, comme
toute science constituée, présente les objets
sous forme synthétique ; et si nos cadres des-
criptifs ne sont point uniformes , nos divisions
sont du moins régulières. Chaque partie se
divise en chapitres, chaque chapitre en articles,
chaque article en paragraphes , et ceux-ci
en alinéas selon les exigences du sujet. J'ai
rejeté dans des notes les objets qui ne se
liaient pas suffisamment au reste , ou qui
IINTKODUCTION. xj
auraient interrompu la filiation des dogmes ,
et jeté sur la rédaction un décousu tolérable
dans une monographie, un mémoire, mais
bien nuisible à l'étude dans un traité didac-
tique.
Ces notes ne sont souvent aussi que des
citations ; et ceci me conduit à dire que
j'ai tâché de rapporter à chaque auteur ce
que je lui avais emprunté , soit comme acte
de justice pour des découvertes utiles , soit
comme garantie pour des points douteux ,
soit enfin pour mettre le lecteur à même de re-
courir aux originaux. Toutefois, on se sou-
viendra que ce n'est pas une histoire , mais
un traité que j'avais entrepris; que le néces-
saire seul a dû , par conséquent , trouver
place dans mon travail. Qui pourrait, en effet,
prétendre à relater , à discuter aujourd'hui
toutes les doctrines , les opinions , les faits
même qui se multiplient chaque jour , enri-
chissant parfois , et parfois aussi encombrant ,
obscurcissant les sciences naturelles ! Jamais
pareille activité n'a régné dans la république
des lettres, et surtout dans celle des sciences;
et jamais l'étude de la nature , qui semblait
devoir être si promptement épuisée, ne s'est
montrée si féconde en découvertes. Nous nous
sommes fait un devoir d'indiquer aux tra-
vailleurs les points €|ui réclament encore de
xi) INTRODUCTION.
nouvelles recherches ; nous nous sommes
efforcé de les guider dans ces travaux hono-
rables , comme nous l'avons été nous-même
par d'illustres maîtres. Qu'ils se hâtent donc
de remplir ces vides ; qu'ils se persuadent
surtout que , dans cette immense carrière ,
on ne cherche point sans trouver, et qu'on
trouve souvent plus et mieux qu'on ne cher-
che, quand on procède avec zèle et loyauté.
DES MATIÈRES COISTEISUES BAISS LE TOME I.^'
I^e pAaTïE, - «iënéralitëfs.
CHAPITRE I". De la vie et des corps vivants.
— Tableau des régions homologues 1
CHAPITRE II. Classification du règne animal.
— Tableau des familles, ordres, classes et sous-
règnes 11
CHAPITRE III. Histoire naturelle de la vie
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. — J. Phases
essentielles; âges ; mort; durée de la vie. — B. Pé-
riodes : irrégulières , maladies ; régulières, saisons ,
jours et nuits 50
CHAPITRE IV. Analyse de la vie chez les ani-
maux, OU division de la physiologie COaiPARÉE.
Division des fonctions. — Inutilité des propriétés
dites vitales 48
II*" PARTIE. - Kes causes imméclîates
de la vie.
CHAPITRE I". Du principe ou agent vital. —
J, Solidisme. — B. Vilalisme. — C. JNervisme.
— a. L'électricité considérée comme agent vital;
arguments; réponses. _ b. L'agent vital analogue
mais non identique à l'électricité. — Note sur le
magnétisme animai S5
œiV TABLE
CHAPITRE II. De l'innervation et de ses diver-
sités DANS l'Échelle organique. — A, Origine
de l'agent nerveux ou vital ; épuisement ; réparalion ;
sédation ; réaction ; modifications. — B. Diversités
du système nerveux. — a. Dans les végétaux. —
b. Dans les animaux à tissu neuromyaire. — c. Fila-
ments des elminthes. — d. Ganglions des articulés;
analogies supposées; réelles. — e. Animaux ver-
tébrés ; système cérébro - spinal ; trisplanchnique ;
névrartères; sympathies; vitalité des humeurs 6S
CHAPITRE III. Des variations de l'innervation
DANS LE MÊME INDIVIDU. — A. Modifications géné-
rales. — B. Modifications partielles innées. —
C, Modifications partielles acquises : i° habitude;
2° exaltation , torpeur 88
III^ PARTIE. - Fonctions de sensation.
CHAPITRE I". Généralités. Définitions et divi-
sions ; sensations internes , externes ; centrales. —
Définition des sens ; leur nombre 97
CHAPITRE II. Du toucher.
Article i". Notions générales 110
Article ii. Vertébrés. — J. Chez l'homme. — B, Chez
les autres mammifères. — C. Chez les oiseaux. —
D. Les reptiles. — E. Les poissons 115
Article m. Invertébrés. — Â, Articulés. — B. Mol-
lusques , etc 121
CHAPITRE III. Du goôt.
Article i^^ Notions générales. Définition ; relations
du goût avec l'odorat ; conditions organiques ,
bouche, langue, papilles , nerfs 127
Article ii. Vertébrés. — A. Homme et mammifères.
— B. Oiseaux. — C, Reptiles 155
Article m. Poissons et invertébrés 159
DES MATIERES. œV
CHAPITRE IV. De l'odorat.
Article l". Notions générales. Définition , nerfs 145
Article ii. Vertébrés. — y:/. Homme et mammifères;
nez, sinus, cornets. — B. Oiseaux 148
Article m. Invertébrés. Antennes des insectes , fos-
settes des crustacés, etc 156
CHAPITRE V. De l'ouïe.
Article i^"^. Notions générales. Définition de l'ouïe ,
du bruit , du son ; transmission 165
Article ii. Ferlébrés. — A. Notions d'ensemble. —
B. Surface extérieure de la tête. — C. Oreille ex-
terne et conduit auditif. — D. Tympan et osselets.
— E, Vestibule et canaux demi -circulaires. —
F. Trompe , air du tympan , limaçon , périlymphe ,
ruban cochléen ; limaçon des oiseaux. — G. Nerfs. 167
Article m. Invertébrés. Résumé de la disposition de
l'appareil auditif dans les différentes classes de ver-
tébrés; — ouïe des crustacés, — des mollusques,
— des insectes et des arachnides 205
CHAPITRE VI. De la vue.
Article i^^ Notions préliminaires. Définitions ; lois
principales de la marche des rayons lumineux et de
leurs déviations. 216
Article ii. Vertébrés.
§ I". Généralités 219
§ II. Protection extérieure 220
§ m. Lubrifaction 225
§ IV. Direction ; muscles; changements de forme. . .. 226
§ V. Revêtement. — A. Cornée et sclérotique. — B. Cho-
roïde et ruyschienne ; procès , peigne , tapis. —
C. Iris; mouvements, fibrilles contractiles, auto-
matisme, vision distincte, formes de la pupille. . .. 252
XVJ TABLE
§ VI. Réfraction. — À. Organisation et fonctions qui
en dépendent. — a. Cornée. — b. \ itré, humeur
aqueuse. — c. Cristallin; capsule; vaisseaux et
nerfs; fibrilles contractiles; vision distincte; théories
diverses. — B, Forme et courbures des organes
réfracteurs et fonctions qui en dépendent. — a. Cor-
née. — b. Cristallin. — c. Corps vitré et fond de
l'œil. — Relations de ces courbures entre elles et
usages ; note sur le strabisme 2o2
§ VII. Sensation. — A. Nerf optique et 5*^ paire; œil
et vision de la taupe ; décussalion des nerfs optiques.
— B. Rétine ; origine , structure , filaments du
cristallin; centres et axes visuels, axe optique, axe
géométrique; strabisme normal des animaux 289
§ VIII. Récapitulation comparative 511
Article III. Mollusques, OEil des céphalopodes; autres
mollusques 514
Article iv. Articulés, Stemmates; yeux composés;
analogies , mécanisme de la vision 510
CHAPITRE YIL Des sensations centrales con-
sidérées DANS LES DIVERS CENTRES DU SYSTÈME
NERVEUX ET DANS LES NERFS QUI EN ÉMANENT.
Article i^^. Généralités. Animaiux à tissu neuromyaire. 555
Article ii. Invertébrés. Fonctions des ganglions et
des cordons conducteurs. — Expériences 555
Article m. Vertébrés,
§ 1^'. Prolégomènes. Vertèbres rachidiennes et cépha-
liques 545
§ II. Moelle épinière ; ses faisceaux ; racines des nerfs. 546
§ m. Moelle allongée et cervelet. — A, Cervelet et
protubérance annulaire ; fonctions des lobes laté-
raux , médian. — B, Pyramides antérieures et pédon-
cules cérébraux; olives et tubercules quadrijumeaux
postérieurs. — C Nerfs 5o5
DES MATIERKS. XVIJ
S IV. Lobes optiques ou tubercules quadrijumeaux. .. 564
§ V. Lobes olfactifs 567
§ VI. Lobes cérébraux. — A. Volume, masse , men-
suration du cerveau. — B. Expériences 567
§ VII. Mécanisme général des fonctions nerveuses cen-
trales. — A. Théories. — B. Conséquences ; centra-
lisation ; répétitions identiques 575
§ VIII. Spécialité d'action dans les divisions principales
du système nerveux, et spécialités particulières
localisées dans quelques parties du cerveau 579
§ IX. De la liaison transversale des centres nerveux et
du croisement des faisceaux conducteurs. —v^. Com-
missures. — B, Décussation 588
CHAPITRE VIIL Des sensations centrales étu-
diées EN ELLES-MÊMES.
Article l^"". Considérations générales, — Tableau.. * ., 592
Article ll. Des opérations intellectuelles ou de la pensée,
§ 1^"^. Des opérations immédiates de l'entendement. —
-^, Des idées ou notions; perception, mémoire,
association , caténation , combinaisons et modifica-
tions. — a. Chez l'homme. — b. Chez les animaux,
— B. Des volitions , désirs, besoins, etc., chez
l'homme et les animaux 402
§ II. Des opérations réfléchies ou médiates , volon-
taires. — A, Des actes de réflexion chez l'homme.
— a. Attention. — b. Réminiscence , récollection ,
récognition. — c. Comparaison. — B, Des produits
de la réflexion chez l'homme. — a» Jugement;
évidence, conviction, probabilités, certitude , in-
décision, préférence, répugnance; bien, mal;
délibération, choix, raison, liberté morale. —
b. Raisonnement , ellipse , axiomes , termes géné-
raux, abstractions, langage, logique, connaissance
ou intuition, conscience, moi. Dieu. — C. Des
Xviij TABLE DES MATIERES.
Opérations réfléchies chez les animaux. — a. Inver-
tébrés. — d. Vertébrés 416
Article III. Des modifications dues à des causes inter-
mittentes ou passagères dans les opérations mentales. 44^
§ l^^ Du sommeil. — À. Sommeil ordinaire. B. Som-
meil partiel ou incomplet ; songes, somnambulisme.
— C. Sommeil superflu, cauchemar. — Z). Sommeil
hibernal. Engourdissement par la chaleur; par le
froid. — 1® Animaux à sang froid. — 2° Animaux à
sang chaud 446
§ II. Des passions 471
Article IV. Des modijicaiions dans les opérations men-
tales par causes permanentes ou habituelles,
§ 1^". Des aptitudes intellectuelles. — i° Aptitudes
mentales; capacité. — 2" Aptitudes morales; pen-
chants, caractère. 478
§ II. Des instincts. — A. Instinct vital ou splanchnique.
— B, Instinct animal. — C Instinct encéphalique. 484
Explication des figures dl5
Fin de la Table des matières du tome premier.
DE
PHYSIOLOGIE COMPAREE,
PREMIERE PARTIE,
GÉNÉRALITÉS.
CHAPITRE I".
DE LA VIE ET DES CORPS VIVANTS.
C'est sans doute une idée grande et belle , une
idée bien propre à entraîner les esprits , que celle
qui nous présente l'univers entier comme animé,
vivant et composé d'êtres isolés en apparence , mais
réunis en réalité par des forces communes, et cons-
tituant en quelque sorte les organes de ce grand
corps, organes participant tous à la vie de l'en-
semble, tous animés aussi, quoique à des degrés
différents et avec des modifications nombreuses ;
aussi la doctrine de la vie universelle a-t-elle été
imaginée dès l'enfance de la philosophie , et trouve-
t-elle aujourd'hui encore des partisans d'un grand
nom , qui l'appuient de toute l'autorité des sciences
1
2 DE LA VIE
modernes et de toute la puissance de leur dialec-
tique. Nul doute, eu effet, que tous les corps de la
nature ne soient doués de qualités actives ^ ou qui
tendent à le devenir dans des circonstances favo-
rables; nul doute que cette activité ne dérive des
mêmes causes , des mêmes principes dans les corps
organisés et dans les corps inorganiques, c'est-à-
dire dans le règne animal, végétal et le minéral.
De ce que les effets d'une excitation paraissent,
dans les premiers , être hors de proportion avec la
cause qui les a déterminés, il ne résulte pas que ces
effets soient spontanés et qu'on puisse établir, en
conséquence , la spontanéité d'action comme carac-
tère propre des corps vivants ; car le mouvement de
la détente d'une arme à feu n'est pas plus propor-
tionné aux effets qui s'ensuivent, et s'il n'y a pas
spontanéité dans ce cas , elle n'existe pas davantage
chez l'homme qui s'emporte en recevant un outrage.
Mais ce qui n'est pas moins incontestable , c'est que ,
dans les animaux et les végétaux, s'observent des
phénomènes bien distincts de tous ceux que les corps
bruts nous présentent , que la complexité de leur
structure modifie considérablement les agents uni-
versels et les lois auxquelles ils obéissent , et opère ,
entre ces agents et leurs divers modes, des combinai-
sons tout-à-fait particulières ; de sorte que ce n'est
pas sans raison que le plus grand nombre des légis-
lateurs de la science a cru devoir séparer totalement
ce qui concerne les corps organisés de ce qui con-
cerne les inorganiques.
Sans rejeter l'identité fondamentale et élémentaire
des forces et des principes qui déterminent l'activité
ET DES CORPS VIVANTS. 3
des uns et des autres , on peut se reconnaître dans la
nécessité d'étudier séparément les manifestations ,
le mécanisme de ces forces et de ces principes dans
des corps oii les choses se passent d'une manière si
différente (i), et réserver le nom de vie^our Vactwité
spéciale des corps organisés. Tel est effectivement
le sens que nous croyons devoir attacher à ce mot
parce qu'il est généralement ainsi compris , et telle
est la définition que nous donnons de la vie , qu'on
a si souvent et vainement cherché à définir d'une
manière plus précise et plus significative.
La vie suppose donc V organisation j c'est-à-dire
un agencement ordinairement très-complexe de ma-
tières hétérogènes et souvent nombreuses , agen-
cement régulier , mais tout différent de la cristalli-
sation des corps bruts ; constituant des filaments , des
lames, des réseaux souples, flexibles, perméables
aux liquides abondants qui les arrosent. Cet arran-
gement, non moins spécial que l'activité dont il est la
première condition, ne jouit pourtant de son activité,
c'est-à-dire de la vie , que quand il est placé dans
les circonstances convenables; et il est susceptible
de la perdre avec beaucoup de facilité, souvent
même par suite d'altérations moléculaires bien réel-
les sans doute aux yeux de la raison , mais inappré-
(1) ■' Cependant, sous un certain rapport, il paraîtra utile de conserver
comme classification , les faits en deux groupes, les uns qui sont maintenus à
l'étal simple..., les autres à Tétat composé, etc. etc. » (Geoffroy Saint-Hilaire,
Etudes 'progressives. )
« Ainsi, quoique, dans un sens très-général, la manifestation entière de
l'univers, ou, suivant l'expression vulgaire, la nature , soit un ensemble par-
tout organique et vivant, cependant certaines parties de cet organisme général
nous apparaissent comme des êtres à part ; or, ce sont elles que nous embras-
sons dans ridée du monde végétal, du monde animal et de l'homme. •> (Carus,
Tr. élém. d'anat. comp. \
4 DE LA ViË
ciables à nos sens. Le cadavre récenl notis paraît
effectivement différer à peine de ranimai en repos,
mais bientôt ces altérations se manifestent plus sen-
siblement , et s'accroissent de plus en plus par la
fermentation ou la dessiccation qui s'opèrent dans les
substances mortes ^ en vertu des lois ordinaires ou
simples de la physique et de la chimie , auxquelles
kur activité spéciale les faisait résister quand elleâ
étaient vivantes.
Cette dernière particularité prouve qu'il n'existe
point , dans la nature , ainsi que l'ont voulu quel-
ques savants, Buffon , Treviranus en particulier,
une m,atière organique à part , dont les décomposi-
tions ne seraient que des transformations en d'autres
êtres organisés ; car , si la fermentation d'une subs-
tance animale ou végétale donne souvent naissance
à d'innombrables animalcules infusoires, elle pro-
duit aussi des substances purement minérales ou
brutes , presque toutes gazeuses , acide carbonique,
hydrogène carboné, sulfuré, eau, ammoniaque, etc.
C'est donc, selon la judicieuse observation de
Lamarck , comme corps vivants , que les corps orga-
nisés méritent surtout une étude à part (i) , et cette
(1) Presque tous les physiologistes modernes se sont eru obligés de débuter
par un long parallèle entre les corps inorganiques et les corps organisés,
comme si l'on ne pouvait étudier l'homme vivant sans avoir passé en revue
tout l'univers. Nous n'avons pas cru devoir nous soumettre à cette abusive su-
perfluité , non-seulement parce que nous croyons en avoir assez dit pour bien
circonscrire et déterminer le sujet de notre élude, mais encore parce que ce
parallèle copié , sans examen , de livre en livre , est en grande partie erroné.
On n'a pas fait attention , en comparant les corps inorganiques aux organisés,
qu'on mettait en présence des types, c'est-à-dire des créations idéales et abs-
traites pour ce qui concernait les premiers (à tel point que I.amarck ne leur
accorde l'individualité que dans leur molécule intégrante) , avec des inAiviàus ,
c'est-à-dire avec des objets déterminés, pour ce qui était des seconds. Sans
doute, on peut invoquer, comme caractères dislinclifs, et l'homogénéité de
ET DES CORPS VIVANTS. 5
étude j si elle s'attache surtout à la vie même et à
tous les phénomènes qui en dépendent ^ porte le nom
de physiologie. Ce mot, équivoque peut-être quant à
son étymologie , ne Fest aujourd'hui pour personne
quant à sa signification réelle ; il n'en est pas ainsi
de celui de biologie ^ adopté par quelques écrivains
modernes. Ce dernier a surtout le désavantage de
porter l'esprit à considérer la vie comme isolée,
indépendante des organes, ou du moins à en parler
comme si l'on pensait ainsi ; à dire , avec Burdach ,
que « la matière n'est que l'accident de l'organisme ,
dont l'activité est au contraire la substance. « Si ce
savant, malgré la tendance que signale cette phrase,
a cru devoir conserver le mot de physiologie , à plus
forte raison le conserverons-nous , nous qui pensons
que la matière est la substance de l'organisme , et
l'activité l'accident. Mais comme cette expression a
été communément appliquée à l'une des branches
de la médecine, et par conséquent restreinte à ce
qui concerne l'homme , au mot physiologie nous
joindrons une épithète propre à faire éviter toute
incertitude , et à bien fixer l'extension que nous
avons cru devoir donner à cette science.
La physiologie comparée sera pour nous la science
de la vie , considérée dans son ense^ible et ses
texlure, el la disposition anguleuse des surfaces, et la constance géométrique
des formes pour les types silice, carbonate de chaux, etc. , représentés par un
échantillon de laboratoire; mais ces caractères, que deviennent-ils si l'on veut
les appliquer à telle terre, tel rocher, caillou, géode ou montagne considérés
en particulier, et tels que la nature nous les présente? Ce serait bien pis, si
nous voulions faire intervenir ici les produits de l'art, une statue, un édifice.
Certes , dans aucun de ces cas on ne peut dire qu'il est possible de séparer une
partie du tout sans détruire l'individualité , si individualité il y a ; et certaine-
ment aussi on ne peut parler de l'homogénéité dan» un poudingue, une brè-
che , un porphyre , un marbre coquillicr.
V
6 DE LA VIE
détails chez tous les êtres vivants , mais principale-
ment chez les animaux , c'est-à-dire les êtres qui
vivent j sentent et se meuvent j selon la définition de
Linnée. Les végétaux, en effet, c'est-à-dire les êtres
qui vivent purement et simplement , ne nous offri-
ront que quelques considérations comparatives , sur
lesquelles nous insisterons peu ; car bien souvent il
y a , du végétal à l'animal , trop de disparate pour
pouvoir réunir convenablement, dans un même
cadre , l'histoire des uns et des autres.
Les végétaux nous fourniront principalement ,
pour les propriétés vitales, le premier point de
départ, comme se rapprochant du dernier degré de
Véchelle animale que nous parcourrons successive-
ment, tantôt dans un sens et tantôt dans l'autre,
selon les convenances du sujet que nous aurons à
traiter. Nous marcherons ainsi , tantôt du simple au
composé, tantôt du composé au simple, et pour
rendre cette marche plus facile à suivre et plus
fructueuse au lecteur , nous donnerons ici quelques
détails sur la série des êtres vivants et animés;
détails qui, d'ailleurs, nous fourniront l'occasion
de signaler des particularités importantes dans l'étude
même de la vie , envisagée sous un point de vue
très-général.
Dans la plupart des classifications modernes , la
pensée dominante du nomenclateur a été de former
une série naturelle , en suivant les dégradations de
la complexité et delà perfection dans l'organisation,
et tout à la fois , par une conséquence facile à saisir,
celles des manifestations de la vie. On y a réussi
quant à la masse sinon quant aux détails , et il est
ET DES CORPS VIVANTS. 7
évident qu'en parcourant les groupes principaujt ,
en descendant de Fhomnie au zoophyte, on trouve
l'activité vitale successivement décroissante, et qu'on
passe par tous les degrés intermédiaires , entre le
point suprême , caractérisé par une existence intel-
lectuelle d'un immense développement, et le dernier
échelon où la vie , toute nutritive , se confond avec
celle du végétal.
Tout en tenant compte de cette vue, tout en
reconnaissant que l'organisation se complique et se
perfectionne de plus en plus, et que les fonctions de-
viennent plus nombreuses et plus complètes, comme
la vie devient plus intense et plus vaste à mesure
qu'on s'élève dans l'échelle animale telle qu'elle a
été construite , avec des variations plus ou moins
importantes, depuis les jours de Linnée jusqu'à nos
jours , nous avons cru devoir aussi faire usage d'une
autre considération non moins physiologique et qui
nous a paru plus importante encore , pour établir ,
sur des données plus solides et plus positives, une
nomenclature du reste peu différente de celles que
le principe précédemment énoncé avait dirigées ,
de celle de Cuvier particulièrement. Cette considé-
ration , c'est que la vie se centralise de plus en plus,
en passant des animaux inférieurs aux plus élevés ,
à mesure qu'elle se développe davantage , c'est que
l'animal s^indwidualùe de plus en plus , selon qu'il
occupe un échelon plus élevé. Qui ne sait, en effet,
d'une part, que la vie est disséminée au même
degré dans toutes les parties d'un polype , de sorte
qu'un fragment peut être séparé du reste sans mou-
rir et sans causer la mort du tout auquel il a été
8 DE LA VIE
soustrait; tandis qu'un mammifère mutilé périt im-
médiatement, si on lui enlève quelque partie centrale
importante , et que les fragments qu'on détache de
sa périphérie périssent plus instantanément encore !
Qui ne sait , d'autre part , que tous les segments
d'un teenia vivent , pour ainsi dire , chacun de leur
vie propre, soit réunis ensemble, soit isolés! C'est
l'étude des animaux appartenant aux dernières clas-
ses du règne , qui nous a conduit à admettre , avec
Moquin , que , chez tous les animaux articulés ,
chaque anneau ou segment , ou plutôt chaque moitié
latérale d'un segment, représente un animal élé-
mentaire, une zoonite (Moquin), un organisme _,
c'est-à-dire un ensemble d'organes propres à compléter
plus ou moins bien une vie particulière , vie plus
ou moins liée à celle des organismes voisins, et
constituant avec eux un autre ensemble qui jouit
à son tour d'une vie générale ; comme on voit des
animaux déjà complexes eux-mêmes, des polypes,
s'agréger, se souder pour vivre en masse et d'une
vie commune sans cesser de jouir chacun de leur vie
privée ; comme encore les bourgeons , les rameaux
d'un arbre ont aussi une existence jusqu'à un cer-
tain point indépendante de l'existence du tout,
ainsi que le prouvent chaque jour les boutures ,
marcottes , etc. ( Darwin , Goethe , Dupetit-Thouars,
Lamarck. )
Mais nous avons bientôt reconnu aussi que cette
composition n'était pas exclusive aux animaux arti-
culés, aux radiaires, aux elminthes, etc.; qu'elle
pouvait , au contraire , être étendue à l'universalité
du règne animal, aux vertébrés même. Nos preuves
ET DES CORPS VIVANTS. 9
ont été longuement exposées dans un autre ouvrage ,
et nous y avons fait voir que les zoonites ou organis-
mes tendent à se souder, à se fondre en une masse
commune, et à confondre leurs vies particulières en
une seule ; que Têtre qu elles composent tend à
s'individualiser davantage , en passant des annélides
et des myriapodes aux crustacés et aux insectes, et
plus encore en montant des invertébrés aux poissons,
des poissons aux reptiles, des reptiles aux oiseaux et
aux mammifères. Nous avons prouvé que le passage,
entre des termes aussi éloignés que la monade et
l'homme , s'opère par une gradation insensible dans
la théorie que nous avons adoptée ; que la coales-
cence des organismes et leur harmonisation se mon-
trent déjà, même extérieurement, au thorax des in-
sectes et des crustacés ; qu'elle se montre dans leurs
ganglions nerveux et leur influence sur les parties
auxquelles ils distribuent des nerfs, ainsi qu'on le
verra plus loin; que, au contraire, chez les ver-
tébrés , les vertèbres même sont encore une trace
évidente de la segmentation primordiale , et que les
différents points de la longueur de l'axe cérébro-
spinal même montrent encore chez plusieurs, no-
tamment les reptiles et les poissons , quelque chose
de l'indépendance que l'on reconnaît aux ganglions
détachés des insectes , puisque la queue seule d'un
lézard ou le tronc décapité d'un serpent , d'une
grenouille , conservent leur sensibilité , leurs mou-
vements , comme le tronc , ou même le corselet seul
d'un insecte mutilé (mante).
Nous nous sommes cru bien fondé, en conséquence,
à donner le principe de la multiplicité des organismes j
10 DE LA VIE
comme un des plus propres à la démonstration de
cette grande vérité , que tous les animaux sont cons-
truits sur un plan uniforme, et nous avons seulement
restreint cette loi importante dans ses justes limites ,
en l'intitulant : conformité organique. Et, en effet,
nul autre principe ne pouvait faire aisément franchir
la barrière qui semble séparer les animaux verté-
brés des invertébrés ; nul autre ne pouvait fournir
une aussi complète démonstration de Vhomologie des
régions et des appendices du corps chez des animaux
différents. C'est en considérant chaque segment élé-
mentaire d'un animal , comme pouvant se modifier
dans sa forme , et jusqu'à un certain point dans ses
usages , comme pouvant se développer outre mesure
ou s'annihiler tout-à-fait, que nous avons pu tracer
un plan commun pour la détermination des régions,
et les mettre en regard dans un même tableau pour
des êtres qu'on avait crus jusqu'ici tout-à-fait dis-
parates , et simplifier ainsi considérablement l'in-
telligence de la structure des uns et des autres.
C'est ce dont on peut se convaincre en jetant les
yeux sur le tableau ci-joint, où l'on voit assimilées
des parties dont la ressemblance avait déjà frappé
les yeux de divers savants , celle de la mâchoire
supérieure des vertébrés avec la mandibule des
invertébrés , de la mâchoire inférieure avec leur
maxille , bien qu'ils s'opiniâtrassent encore à cher-
cher entre elles des dissemblances propres à faire
rejeter une identité si évidente ; on y trouvera
d'autres rapprochements naoins faciles à prévoir,
celui du membre antérieur des mammifères avec les
cinq pieds thoraciques des crustacés, représentés
TABLEAU DES SEGMEI^ITS ET REGIONS HOMOLOGUES.
N03IENCLATURE
COniMUNE
ou PHILOSOPHIQUE.
Prolocéplialo ,
olfaclioii, respiialion ,
1 préhension.
^ . Dciitocôpliale,
>-i Ifision , iiiaslication.
"j^ Triloroplialc,
jaudltion , mastication.
Têtartocéplialo. ...
i gustation , déglutition.
Proloflère,
, rcii) ira lion , phonation ,
Idéglutilion.
Deutodcre,
Jd,.m.
Tritodère,
Idem,
SlyotJiorax,
l locomotion, respiration
y idéglutition.
Splanebnotliorax,
lespiration , circulation,
déglutition.
liigeslion , dépuration.
itSyogastre,
locomotion, génération,
iléiécalion.
t'erqiie,.
locomotion.
NOMENCLATURES PARTICULIERES.
ANIMAUX VERTEBRES
OU HOMINIAIRES.
Vertèbre olfactive, ou fronto-
ethmo-incisive.
Vertèbre oculaire, ou pariéto-
pré-sphéno-sus-maxillaire
j Vertèbre auditive, ou teni-
poro-posl-sphéno-ma.xiilaire.
Vertèbre gustative, ou occi-
pito-slyl-hyoïdienne.
'Atlas et rératohyal ( i" arc
branchial des poissons).
lAxis et partie supérieure du
larynx (2' arc branchial).
O \^ Troisième vertèbre cervicale
et par tie inférieure du larynx
(3' arc).
[Cinq vertèbres (*), trachée-
artère ( 4-' arc et pharyngien
inférieur), un membre à cinq
doigts.
Vertèbres dorsales , côtes ,
sternum.
'A^ertèbres lombaires.
1 Bassin , cinq vertèbres (**),
membre à cinq doigts.
CRUSTACES DECAPODES
ou ASTACIENS.
Vertèbres coccygiennes et 0;
en V .
Rostre et antennes antérieures
ou internes, labre.
Mandibules, yeux.
Antennes externes , oreilles
maxilles.
iLanguette, et 2*^ paire de ma-
] choires.
/i" paire de pieds-mâchoires .
vertèbre rudimentaire.
2' paire de pieds-màcbolres .
vertèbre rudimentaire.
3*^ paire de pieds-màchoires
vertèbre rudimentaire.
Cinq paires de pieds am-
bulatoires, et vertèbres
communément nommées
sternum.
|Cinq segments abdominaux
avec quatre ou cinq paires
de fausses pattes.
Dernier segment sans fausses
pattes et nageoire terminale.
CRUSTACÉS ISOPODES, etc
OU ONISCIENS.
/Labre, antennes internes.
[Mandibules, yeu.t.
^ /Antennes externes, maxilles.
jLèvre, et 2° paire de mâchoi-
res.
Pieds - mâchoires ( une seule
paire ).
Sept segments et sept paires
de pieds ambulatoires.
3 Ja
c^ -a
■H
ARACHNIDES
OU ARANISTES.
'Bandeau, épistome.
Mandibules, yeux.
IMaxilles, palpes.
'Lèvre, et i" paire de pieds
( palpiformes aux phrynes,
ihélyphones et galéodes).
Plastron et trois paires de
pieds ambulatoires.
Ventre à segments et à
stigmates des scorpions,
un ou deux segments pul-
monés des araignées, etc.
Queue des scorpions, ven-
\ tre et filières des arai-
" I gnees, derniers segments
des faucheurs, etc.
INSECTES
OU CULICISTES.
Labre , antennes, cliaperon.
jCrâne , mandibules , yeux.
1 Maxilles, palpes.
^ Lèvre, palpes.
'Corselet et i''^ paire de pattes
(mal-à-propos prolhorax).
Mésolhorax ( mal-à-propos ) ,
2' p. de pattes, 1'' p. d'ailes,
org. vocaux des grillons, etc.
(Métathorax ( mal-à-propos ),
3*^ paire de pattes, 2' paire
d'ailes , organes vocaux des
cigales, etc.
" S
w <
O a
(S B
il
H S
'Segments, quelquefois avec
appendices (chenilles, lépis-
mes) , à stigmates, contenant
les organes respiratoires et
circulatoires principaux, les
digestifs et les génitaux.
n La première dorsale donne \i
(") Une verlèbre lombaire joinle
nerf au ],Ie;ius brachial, el paraît ;
ux quatre sacrées , pour la même ri
i devoir faire partie du myolhorax.
n , du moins chez les :
TO.ME !■■, r.ioi; n.
ET DES CORPS VIVANTS. 1 1
par les cinq doigts de riiomme , soudés , confon-
dus d'une manière de plus en plus intime , à me-
sure qu'on se rapproche davantage du tronc, etc. ;
objets qui , sans doute , demanderaient plus de
détails et plus de preuves que n'en comporte une
simple exposition , telle qu'elle nous est ici permise.
(^ Voyez les fg. \ et 2 , avec leur explication. J
Nous l'avons dit plus haut, la nomenclature à
laquelle nous nous sommes arrêté diffère peu de
celle de Cuvier, surtout quant aux groupes prin-
cipaux. Les groupes secondaires ne doivent point
nous occuper ici, et nous nous contenterons de
donner un aperçu comprenant les divisions princi-
pales disposées dans l'ordre qui nous a paru le plus
convenable et le plus naturel.
CHAPITRE H.
DE LA CLASSIFICATION DU REGNE ANIMAL.
Les connexités qui lient ensemble tels et tels
animaux ne sont pas simples, mais multiples; de
sorte qu'elles laissent souvent dans l'embarras du
choix sur la place que doit occuper une espèce,
et même un genre ou un ordre entier. On s'est,
disions - nous , attaché , dans ces derniers temps ,
depuis Jussieu en botanique et Cuvier en zoologie ,
à coordonner les végétaux et les animaux en une
série ou chaîne continue, où ils sont liés par la
proximité de leurs ressemblances mutuelles ; mais
ce que je viens de dire prouve assez que cet assem-
blage, que cet enchaînement doit être susceptible
12 DE LA CLASSIFICATION
d'incertitudes et de variations , suivant que l'on
préfère tel ou tel genre de rapport entre les êtres
vivants qu'on veut classer. Ce qu'on a cherché sur-
tout à faire , avons - nous ajouté , c'est de les dis-
poser dans une série dont les degrés répondissent
aux degrés de complication dans l'organisation des
animaux, marchant soit du simple au compliqué,
soit du compliqué au simple ; mais on n'échappe
pas ainsi à toute incertitude ; car , dans tel animal
c'est tel appareil de fonctions , le circulatoire et le
respiratoire, par exemple, chez les annélides, qui
se montre plus complexe et plus parfait , tandis que
tel autre , le sensitif, le locomoteur, est rudimen-
taire ; et tel autre animal , comme les insectes ,
offrira une disposition tout-à-fait inverse. Dès-lors il
dépendra certainement du nomenclateur, et sinon de
son caprice, au moins de ses opinions particulières,
de donner la prééminence à l'un ou à l'autre groupe.
Ce qu'il faudrait surtout chercher dans la cons-
titution d'une chaîne des êtres animés, ce serait
de les rattacher l'un à l'autre par les rapports les
plus nombreux possibles , et nous pensions y être
parvenu en les disposant en deux cercles contigus
par un point de leur circonférence , le cercle des
invertébrés et celui des vertébrés ; d'autres ont pré-
féré former une sorte de réseau (Hermann) , ou
d'arbre à ramifications latérales (Strauss) ; mais ni
l'une ni l'autre de ces manières de lier les animaux
ensemble ne peut convenir , quand il s'agit , comme
dans le présent ouvrage , d'établir une liste qu'on
puisse parcourir avec facilité , tantôt dans un sens
ascendant , tantôt en sens inverse , pour passer en
SÉRIE I\ATURELLE ET MÉTUODIQUE DES SOUS-RÈGÎVES , CLASSES ET ORDRES D'AI>JIMAUX.
)••■
1"/W,,V„5 (bimanes).
11. Simiens ( quad
III. Muriem ( rongeurs )
IV. Didciphiens ( niarsupiaus)
V. Vrsprriilifns ( chciroplèrcs). . . . :
Al. Talpiens ( inseclivorcs ) ]
VII. Caniens ( carnivores ) i
VIII. Cètieiis (cclùcés) 1
IX . Purriens (pacliydermes à 4 dolgis) i
X. iV/mMsCrmninanls) <
XI. A',„/,„-™Csolipe,les)
XII . FJrphaulkns (pacli. à dolgis imp.) i
XIII . DasypiŒS ( cJenlés ) ,
lui ordre.
I"^" Sous-Kèg
/ III' Claîse.
HOMINIAIRES / pasH^TIslcv
(f'erléhrésj
I" Ansérîens ( palmipèdes ).
11 . CironieiiS ( échassiers ~)
III. Gn/&M( gallinacés)
IV. Motadl/iens ( lénuiroslres ). .
y. liiiuiiJmiens ( fisslroslres).. .
^ I • Passérieiis ( conirostres ). . . .
Vlj. ft,-«aaV-«s( grimpeurs)....
VIII. Aquihens ( rapaces )
OBDRK
I*' Larertiens ( partie des sauriei
Il . CohMcns ( ophidiens )
III. Crocoilillens (partie
l^'- Trsiudifilens ( chéloniens).
V. Runiens ( batraciens ). . . .
3r, l^rd,
mpliHlièiie
aehrc^pliale (5) ,
I" Cypriniens ( niaiaCOplérygicnS ).*. Gymnomurcnc , anGUiUc, broctict,
II. PfmfM (acanthoplérygiens).. . Ptrchc, - laudroin ici.
III. Orlho^urisrienS ( pleCtOgnathcs). BalîHe, mole, diodon.
1> . PrgOSirns ( ioplioliranchcs) régase, hippocampe, syngnallic.
V. SturionienS (cllOndropl, à br. lib.) Eiturgeon, polyodon, chlmèrv.
yi. Si/iia/ieilS (cllOndrOpt. à br. fixes) miuoialc, raie, icgualine, squale.
VII. PétrOmyZ.!enS (Cycloslomes). . . . Lamproie, ammoeèle, niyslnc.
I" Classe.
KiOinbricf litcs (
ïh' Sniis-I\i'fxtie.
ASTACAIRES
(ArlieuUs).
II' Classe.
InllHics
III' Classe.
CnllciNt«s
IV' Classe.
Aranlsletii
A ■ CIasi,e.
Asiaciittcs
( CnilSTACHS 1
I" Hiruilmens (^ ahranches apodes). .
II. Lombrinens ( abr. séligC-res) f
III. Strpuliens ( lubicolcs) !
IV. y/rcniW/fns (dorsibr. acérés). .. (
V. NrréïJiens (ilorsib. antennes ).. . l
VI. Aphmlilicns (dorsib. pomatobr.) i
slplo.lon,.
Un seul ordre
ôudre
1" Lépismirns (gnathaplères ) Lépism
11. /><■'</;. u/;«/s ( rhinaplères ) p„„.
m. CiroiUens ( lidmiptères) punai..
IV . Papilittnietis ( lépidoptères) PapiUn
V . CulirUm ( diptères ) p.,.rt„
y I . Pulhlens ( siphonaptères ) p„e«,
yil . Xéftoiliens ( i lilpiptères ) xéhos
Mil. r«^isns (hyménoptères) Abeille
IX. Libtllalicns (névroplères ) Piorioc
X. LorusUens ( orthoptères ) Pl.a»m.
oléopléres ) Moiorç
( part, des ar. Iracli.). Gai™,i
(acarldes) iw.iie
(pan. des trachéen.) Trojui
(fileuscs) Pi,oi,„
(pcdipalpes) Pbryn
. Polr»Jnc, iule, oloi
, tUilypbo
(lamellipèd.àbouclicr) Liinuk-, apus.
II. B™m/«^Kn.!(lamcll. ibr.nues). Bra„ci„pc, irn„i
III. Uiiisrlem ( télradécapodes) Cyamc, lemfc,
( slomapodcs ) Squiik-, phyiio.»
( décapodes ) h-tbaiic, my*»,
(filipèdeS Univalves). Cyelopc. aroule
(flllpèdes bivalves).. D.,,b„ie. e,p,l.
IV. Squiln.
V. yhlaci
VI. CyclupU
VII. LapI,
1" Classe.
Lpllglstcs
III« Sons-Règne.
HÉLIGAIRES
(iVolhisquesJ.
III' Classe.
Ili^llclstets
Ci.VSTÉKOPOUES).
IV' Classe.
Osiréistcs
ACÉ!'11\LES BIVALVES)
V Classe.
Lliiiiulïtsttes
lllUACllIOPODES).
VI' Classe.
AscMIstcs
!¥■= Sous-I\i'-no.
DIPHYAIRES
i/tca/, /lydrosf(itiques).
I 1" Classe.
V"^ Sous-Ri'gnc. I Téntstcs
TENIAIRES II' Classe.
(ElmmthesJ. ( ^''.^.^v'^'t'S'**
VI'' Soiis-Ri'fîiip.
AGXINIAIRES
(Radiaires) .
I" Classe.
AMtél'ISitCti
( ÉCllINUDEUMES)
II' Classe.
lli(5iln!)l!iles
III' Classe.
.%ctlnîsfCN
VI^ Sous-Règne.
MONADAIRES
I" Clas.se.
Ilydristcs.
,, r ■ \ 1 11' Clisse.
(liiliisoircv. [ Moiiaillstcs.
1" Lol/gi-ens ( .n deux branchies ).. . .
II. Naun'ticns (à quatre branchies).
: unique.
1'^ FîroUens (nucléobranches) Aiiame, .
II. G/auafn5 (nudibranches) oiaucu»,
III. ylplysiens (tectibrancbcs) Bullée, a
IV . IléUcicns ( pulmonés ) TcsiaecUc
V. iJiicc/niVns ( pcctinibrancbes). . . paiodinc,
VI. Haltotidiens ( scutihranches).. . . cabocbon
VII. Ancyl!ens{{\ br. latérales) siphonaie
VIII. Pa(^/&ns (cyclobr. cl inférobr.). PUyllidie
ORDRE
1" Ostrèens (inéquivalvcs) Peicnc, i
II. Myliltens ( érpiivalves) Areb., n,
III. Térédtniens ( lubicolcs ) pb„i.de.
\" AsciJiensiixts)...
II. lîotryi/iens (à^ré^és)
m. Salpiem ( (lollanls ).
I"7>>/,,r«s(sub-cartllaglneuO..
II. Physiillem (vésiculeus)
III. Rh'uophysiens (sub-rayonnés)..
1" r,
II. Pk
( intestin douteux) cœnurc
(inlestin cœcal) Lieuie,
eul ordre (Inlest. à 2 ouvertures).
I" Iluluthunrns (cylindriques). .
II. Âsléiiens (stelliformes )
III. Echlnieiis (sphéroïdaus)
\"Bèroéens { inlestin lubuleux). .
I" Jcliniei
11. Curullk
! ( intestin 1
i (nombreux t
s (huit tenta
I" Ihdnf,,
H. r'l,é//,yi
I'. Spangle,
II. Monadii
r ( isolés ou rameux ) .
Kn
i (sans gangue).
! gangue ) Aicj
KOTES.
ippÎQ^rc de Coel«au, via
, des ajiopliyscs Iraiwvor
nduliUnbl
muni dca
subdiviïlo
drdcr ici t
et coupe!
qui ne .e
dm pour 1
( poUtoii
.ptw<iu«
DU RÈGKE Ar<IMAL. 13
revue les fonctions et leurs modes dans les diffé-
rents groupes. En conséquence , nous nous sommes
efforcé de placer tous ces êtres sur une seule ligne ,
conservant entre eux, c'est-à-dire de chacun avec ses
voisins, le plus de rapports d'organisation possible;
et, en même temps , nous avons fait concorder cette
liaison naturelle avec une marche progressive dans
la complication de l'organisation , nous l'avons fait
concorder surtout avec la disposition des zoonites
ou des organismes élémentaires, qui n'est pas à
beaucoup près toujours subordonnée aux mêmes
règles , au même genre de symétrie , ni portée au
même degré de coalescence. Le tableau ci -joint
donnera d'un coup-d'œil l'ensemble et les particu-
larités de cette liste , sur laquelle nous offrirons
pourtant encore quelques éclaircissements. Nos dis-
tributions sont identiques à celles communément
admises ; nous divisons le règne animal en sous-
règnes ^ expression empruntée à de Blainville , et
qui remplace celle de grandes divisions adoptée par
Cuvier. Ces sous-règnes se divisent en classes j et les
classes en ordres/ les ordres en familles _, celles-ci
en genres j qui se résolvent en espèces.
Avant d'arrêter le lecteur sur la distribution qui
nous a paru préférable, fixons avec un peu plus
de précision la valeur qu'il faut attacher aux
expressions dont nous venons de nous servir , et
qui ne sont que trop souvent employées de la ma-
nière la plus arbitraire. Et d'abord, le mot espèce
représente-t-il quelque chose de fixe et de positif?
Non sans doute , car le positif ne peut s'appliquer
qu'à chaque individu pris à part , et l'on a eu
14 DE LA CLASSIFICATION
raison de dire, en ce sens, qu'il n'y a dans la
nature que des individus. Dira-t-on, avec Buffon,
que l'espèce est la collection des individus qui peu-
vent s'accoupler et se reproduire ensemble? C'est
tomber dans une foule d'indécisions pour les ani-
maux faciles à observer , de problèmes presque
insolubles pour ceux qui sont soustraits habituelle-
ment à nos regards. Sera-ce, comme le veutCuvier,
îa réunion des individus descendus l'un de l'autre
ou de parents communs , et de ceux qui leur res-
semblent autant qu'ils se ressemblent entre eux? Cet
exposé est fautif, tout en posant assez bien les
conditions de la chose. L'espèce n'est pas un assem-
blage d'individus, mais un assemblage de carac-
tères distincts ; c'est un type idéal de forme j d^or-
ganisation j, de mœurs j auquel on peut rapporter
tous les individus qui se ressemblent beaucoup et se
propagent avec les mêmes formes. On divise quel-
quefois l'espèce en variétés ^ en races ; quelques
caractères peu importants , quelques nuances cons-
tantes et héréditaires , ou bien accidentelles , mais
fréquemment reproduites, s'ajoutant aux caractères
du type spécifique. C'est en réunissant ensemble
par groupes les espèces qui présentent quelques
traits communs bien saillants, que l'on constitue
par l'exposé de ces caractères communs le type idéal
du genre; c'est en groupant de même les genres que
l'on construit les familles. Quant aux ordres, aux
classes , aux sous-règnes , c'est communément sur
quelque condition commune et importante de l'or-
ganisation intérieure qu'on les établit. Ceci posé ,
revenons à notre classification.
DU RÈGKE ANIMAL. 15
Tout en adoptant la plupart des divisions et sous-
divisions admises dans Fensemble des animaux, en
les établissant toutefois bien souvent sur d'autres
bases et en plus grand nombre , nous avons aussi
préféré un système de dénominations qui nous sem-
blaient plus rationnelles. Déjà beaucoup de familles
en botanique ou en zoologie portaient le nom du
genre principal avec une désinence particulière ;
nous avons cru devoir en agir de même pour les or-
dres , les classes et les sous-règnes , en distinguant
chaque sorte de division par une désinence spéciale,
comme on le verra sans peine dans notre tableau ,
et mieux dans celui que nous avions précédemment
publié dans un traité sur la conformité organique.
Nous établissons dans le règne animal , au lieu des
quatre grandes divisions de Cuvier, les sept sous-
règnes suivants placés par ordre en descendant de
l'organisation la plus complexe à la plus simple ,
de l'individualisation et de la centralisation à l'in-
dépendance , au dégagement , à l'isolement graduel
des organismes: hominiaires, astacaires, héîicaires,
diphyaires , téniaires , actiniaires et monadaires.
Le premier sous-eÈgine , celui des hominiaires ,
correspond aux vertébrés de Lamarck , de Cuvier ,
de tous les nomenclateurs modernes. Ce sont des
animaux à organisation très-complexe , à fonctions
nombreuses et compliquées, à symétrie binaire,
c'est-à-dire semblables dans leurs deux moitiés
latérales, et composés élémentairement d'un grand
nombre de zoonites , mais soudées , confondues ,
individualisées ; de sorte que les rudiments de leur
division fondamentale n'apparaissent plus guère que
16 DE LA. CLASSIFICATION
dans la segmentation de la colonne vertébrale. Ce
qui les caractérise encore , c'est surtout leurs mem-
bres ou appendices» généralement au nombre de
quatre seulement ou de cinq, y compris la queue ;
c'est la présence d'un squelette intérieur complet,
et un système nerveux à masse continue , à renfle-
ments marqués seulement d'une manière très-sen-
sible vers son extrémité cépbalique , et occupant
la région supérieure du tronc (postérieure chez
l'homme ).
L'homme constitue le prototype de ce sous-règne
auquel il donne son nom , et se distingue , à l'exté-
rieur, des autres animaux qui le composent, par
son attitude droite qui lui a fait donner la qualifica-
tion de bipède , par sa nudité presque complète , par
le raccourcissement, l'aplatissement de la face, etc.
A l'intérieur , il se fait remarquer, en particulier,
par l'énorme prédominance des masses nerveuses
contenues dans la tête , marque certaine de sa
supériorité intellectuelle, et par la forme de son
larynx , qui lui donne le moyen de communiquer
plus facilement ses pensées aux autres hommes,
en raison de la prodigieuse variété des sons que cet
organe peut produire. L'homme donne aussi son
nom à l'une des cinq classes dont ce sous-règne se
compose , et dans cette première classe il établit
aussi un ordre particulier , comme on peut le voir
dans notre tableau. A cet ordre succède naturel-
lement celui des singes j qui conduit, par l'inter-
médiaire de l'aye-aye, à celui des rongeurs/ parmi
ceux-ci l'helamys , par sa ressemblance avec les
kanguroos, fait le passage aux marsupiaux ^ dont
DU REGNE ANIMAL. 17
plusieurs ont beaucoup d'affinité avec les insecti-
vores. La transition n'est pas moins naturelle, dans
la filiation que nous avons suivie , entre les insec-
tivores et les carnassiers par les ours, entre ceux-ci
et les cétacés par les phoques : un peu moins
graduées peut - être du lamantin à Ffiippopotame ,
pour amener au groupe des pachydermes à quatre
doigts j les transitions reprennent tout leur liant
entre les autres ordres qui terminent cette classe ,
savoir : les ruminants , les solipèdes qu'on pourrait
fondre en un seul ordre avec les pachydermes à
doigts impairs j et enfin les édentés qui conduisent
si naturellement à la classe suivante , celle des
monotrèmes. Nous en avons assez dit pour faire
sentir de quelle manière on peut tirer parti du
tableau méthodique , et il nous faudrait entrer dans
des détails inutiles , pour justifier les innovations
que nous avons apportées dans la distribution des
ordres pour chacune des autres classes de ce sous-
règne, savoir: celle des oiseaux ^ celle des reptiles
et celle des poissons. Signalons seulement le pas-
sage des oiseaux aux reptiles par les ptérodactyles ,
espèces perdues dont nous ne connaissons plus que
le squelette à l'état fossile ; celui des reptiles aux
poissons anguilliformes par les sirènes et les céci-
lies; et enfin, celui des poissons aux annélides,
appartenant au sous-règne suivant , par les poissons
suceurs , les myxines en particulier , que Linné
avait classés parmi les vers.
On sait que la reproduction vivipare , la station
quadrupède , une peau garnie de poils , des pou-
mons proprement dits , caractérisent surtout la
9
1 8 DE LA CLASSIFICATION
classe des mammifères que j'appelle hommistes. Les
monotrèmes ou échidnistes laissent encore aujour-
d'hui du doute sur leur mode de reproduction ,
quoiqu'ils paraissent pourvus de mamelles vérita-
bles. Ils ont encore des poils comme les mammi-
fères , mais ressemblent aux oiseaux par le bec ,
l'ergot, etc., et aux reptiles par quelques particu-
larités du squelette ; ils ont, du reste, comme les
précédents et les suivants , des poumons à air. La
troisième classe ou celle des oiseaux f^passeristesj
a en outre une génération ovipare , des plumes, et
le vol comme moyen de translation. Celle des rep-
tiles ou lacertistes a bien encore des poumons à air ,
mais vésiculeux, et ne recevant qu'une partie du
sang lancé par le cœur ; ils sont généralement
ovipares et couverts d'une peau durcie en replis
écailleux ou unie. Enfin , les vertébrés de la cin-
quième classe , poissons ou cyprinistes ^ ont de véri-
tables écailles , des membres conformés en nageoi-
res, et vivent effectivement dans l'eau; aussi leurs
organes respiratoires sont-ils lamelleux , ils portent
le nom de branchies.
Le deuxième sous-rÈgne , celui des astacaîres
dans ma nomenclature , animaux articulés dans
celle de Cuvier , comprend aussi des animaux binai-
res , ou dont le côté droit est semblable au gauche.
Leur corps toujours segmenté visiblement , môme
au -dehors, leur a fait donner le nom à'insecta j,
evTO'j.oLy et l'on appelle anneaux les segments que
séparent des sillons transverses avec amincissement
et diminution dans la consistance des téguments , le
plus souvent durs, qui les enveloppent. Cette dureté
DU RÈGNE ANIMAL. 19
de la peau a rendu inutile un squelette intérieur ,
dont on retrouve à peine quelques rudiments ; les
membres sont ordinairement nombreux , grêles et
segmentés de la même manière à peu près que le
tronc. Le système nerveux se compose essentiel-
lement de renflements nommés ganglions j unis
ensemble par des cordons plus ou moins longs , et
disposés en double série longitudinale sur la ligne
médiane et vers la face inférieure du corps , à part
la première paire qui est toujours du côté supérieur.
Dans ce sous - règne , nous établissons six classes
qui diffèrent peu de celles généralement admises.
1® Les lomhnctstes ou annélides sont caractérisés
par un corps loDg, à anneaux nombreux et dont la
plupart se ressemblent, par des membres très-rudi-
mentaires ; ils vivent dans la terre humide (lombrics),
la boue (iiaïdes), l'eau douce (sangsues) ou marine
(néréides). Ils respirent par des branchies extérieures
ou intérieures , et ont une circulation complète de
sang blanc (clepsines) ou rouge (la plupart).
2° Les ndùtes ou myriapodes ont aussi le corps
annelé et vermiforme , à part quelques exceptions
(glomérides); mais leur tête est tout-à-fait distincte
et porte des jeux bien complets : les autres anneaux
portent des membres articulés comme ceux des in-
sectes, et terminés par un ongle. Ces membres sont
toujours par conséquent fort nombreux. Leur res-
piration se fait par des trachées ; leur circulation
n'est pas aussi complète que celle des annélides.
3» Les culicistes ou insectes n'ont que six pattes
ambulatoires fixées aux trois segments qui snivent
la tête , et ces trois segments diffèrent beaucoup des
20 DE LA CLASSIFICATION
suivants; on a donné à leur ensemble le nom de
thorax , c'est le cou (dère) selon nous ; et ce qu'on
nomme chez eux ventre ou abdomen , est pour
nous la réunion de la poitrine et de l'abdomen
' tlioracO'gastre) des autres animaux. Les insectes
sont pourvus aussi, le plus souvent, d'ailes à l'état
parfait; ils n'en ont point dans le jeune âge, ou état
de larve , et alors ils ressemblent d'autant plus aux
myriapodes , que la plupart de leurs segments sont
moins dissemblables , et que souvent ( chenilles ) le
plus grand nombre porte des pieds , à la vérité tem-
poraires seulement.
Les insectes peuvent se diviser en broyeurs et en
suceurs , selon que leurs mandibules et leurs mâ-
choires sont courtes, tranchantes, ou bien allongées
et piquantes ; ils vivent dans l'air pour la plupart,
tantôt aux dépens des autres animaux , tantôt sur
les végétaux qu'ils sucent ou qu'ils dévorent ; il en
«st qui vivent dans les eaux, d'autres sous terre, etc.
Rien de plus varié que leurs habitudes , et jusqu'à
un certain point , que leurs formes ; le nombre de
leurs espèces est immense. Tous respirent par des
trachées ; leur circulation est imparfaite , du moins
quant à ses organes.
4" Les aranistes ou arachnides n'ont pas d'anten-
nes à la tète comme les insectes , les myriapodes ,
les crustacés et plusieurs anuélides ; ils sont d'ail-
leurs surtout caractérisés par leurs huit pieds am-
bulatoires , répondant , selon nous , aux six pieds
des insectes et à leurs palpes labiaux. Ici la tête
est toujours confondue avec le cou, thorax des natu-
ralistes modernes, corselet des anciens; le reste du
DU bègne animal. 2î
corps, quekjuefois soudé aussi au cou (acariens),
en est ordinairement assez distinct, parfois même
pédicule (araignées) ; et comme il porte les orga-
nes respiratoires en avant, nous le regardons, aussi
bien que le prétendu ventre des insectes, comme
untlioraco-gastre. (^Tableau des régionsliomologues.J
Chez plusieurs arachnides , comme chez une parti©
des insectes , les organes de la manducation sont
allongés en suçoirs (acariens) ; chez les autres, ils
sont au contraire en forme de membres articulés ,
de pinces , comme les mandibules des faucheurs ,
des nymphons, les mandibules et les palpes maxil-
laires des scorpions , ou en forme de griffe comme
les mandibules des araignées, les palpes du phryne ,
etc. Le thoraco-gastre de plusieurs (scorpions) est
parfaitement divisé en une partie élargie contenant
les organes respiratoires et circulatoires , véritable-
ment thoracique , et une abdominale, rétrécie en
forme de queue, ne renfermant qu'un prolongement
du tube digestif , ce qui rapproche singulièrement
ces animaux des crustacés.
Presque tous les aranistes sont terrestres , mais
nocturnes et aimant l'humidité , habitant les caves ,
les creux enterre, sous les pierres; peu vivent
dans les eaux douces (hydracne, argyronète) ou
salées (nymphon). Le plus grand uombre vit de
lïiatières animales et surtout d'humeurs sucées ou
exprimées ; quelques-uns sucent les végétaux (tétra-
nyque). Leur circulation et leur respiration ne sont
pas les mêmes pour tous, car il en est qui respirent
par des trachées , d'autres par des poumons lamel-
îcux , quelques-uns même des deux manières à la fois.
22 DE LA CLASSIFICATION
5" Les astacùtes ou crustacés ont des pieds plus
nombreux que les arachnides et les insectes, mais
( à part les apus et quelques autres) moins que les
myriapodes et les annélides. Ce qui les distingue
surtout de tous les autres astacaires ou articulés ,
c'est que ces pieds sont de forme très-différente dans
les différentes régions du même animal , et que la
tète est toujours soudée pour le moins au premier
article du cou, et souvent avec le thorax tout entier.
Les squilles , les phyllosomes font à peu près la
seule exception à cette dernière règle. Pour ce qui
concerne les pieds, on nomme pieds-màchoires ceux
qui appartiennent au cou et avoisinent le plus la
bouche; vrais pieds, les pieds thoraciques, ceux
qui sont ambulatoires ; et fausses pattes ou pieds
abdominaux, ceux qui se trouvent sous la partie
postérieure et rétrécie du corps , vulgairement nom-
mée queue. ( Tableau des homologues. J
Ces animaux sont presque tous broyeurs , il en
est pourtant de suceurs qui vivent en parasites ;
tous sont habitants des eaux qu'ils ne quittent qu9
momentanément , et plus volontiers pendant la nuit ;
tous respirent par des branchies extérieures ou inté-
rieures , cotonneuses , filamenteuses ou lamelleuses
comme celles des arachnides , qu'on ne nomme des
poumons que parce qu'elles respirent l'air en nature
et sont enfermées dans une poche à ouverture étroite.
6° Les halanistes ou cirrliipèdes , rangés par Cuvier
au nombre des mollusques, ont été ramenés par
nous déjà, dans un autre ouvrage, à la classe des
articulés, et depuis, d'une manière plus complète
et plus positive encore , par Martin Saint- Ange ,
DU REGNE ANIMAL. 23
Burmeister , Wagner. En effet , leur système ner-
veux est le même que celui des crustacés , et s'ils
manquent d'antennes , d'yeux , etc. , on peut du
moins leur reconnaître un thorax portant des pieds
nombreux et à nombreuses articulations , filiformes,
rappelant ceux des cyclopes , lymnadies, argules,
etc. , et un abdomen caudiforme. Le tout est mou
sans doute , étant enfermé dans une coquille à deux
battants, qui ressemble, malgré ses brisures mul-
tiples , au têt bivalve des daphnies , cypris et lym-
nadies. D'un autre côté , on ne peut nier que les
balanistes n'aient d'intimes points de contact avec les
mollusques , que leur coquille et leur pédicule ne
ressem.bîent à ce que nous olYre la lingule anatine ,
que surtout la disposition courbée et gibbeuse de
leur corps, le rapprochement de leurs pieds poussés
contre la bouche , et le prolongement conoïde de
leur portion terminale , ne se rapprochent beaucoup
de ce qu'on voit dans les céphalopodes.
3^ SOLIS-RIEGNE. HÉLIGAIRES OU MOLLUSQUES, tel
est le nom qu'on donne à des animaux raccourcis ,
non sensiblement segmentés, souvent recourbés ou
reployés soit dans le sens vertical , ce qui leur
conserve la symétrie binaire, soit dans un sens
latéral, ce qui détruit cette symétrie. Ces animaux
sont , pour la plupart , dépourvus de membres , du
moins de membres articulés, et leur tête n'est bien
distincte que dans un assez petit nombre ; leurs
centres nerveux ou ganglions sont peu nombreux ,
mais toujours il y en a une paire au-dessus de la
bouche , et une ou plusieurs autres au-dessous du
canal alimentaire ou sur ses côtés. Plusieurs de
24 DE LA CLASSIFICATION
leurs sens , leurs organes circulatoires , digestifs et
sécréteurs sont plus complexes , plus parfaits que
dans le sous-règne précédent , et rappellent davan-
tage ce qu'on remarque dans le premier.
Les loligistes ou céphalopodes ont même paru à
Meckel devoir être placés fort près des vertébrés,
en raison des portions cartilagineuses qui leur for-
ment une sorte de crâne , mais dont on retrouve
exactement l'analogue chez les crustacés et les
insectes ( entocéphale ). Latreille s'était fondé sur
d'autres raisons pour les comparer aux poissons et
notamment aux cartilagineux , mais ils ne s'y lient
pas d'une manière naturelle. Leurs membres longs ,
charnus, garnis de suçoirs, sont groupés vers la tête,
plus encore que dans les balanistes auxquels ils res-
semblent aussi par la courbure ou le ploiement de
leur corps, qui rapproche singulièrement la bouche
et l'anus. Tous sont aquatiques et marins , ils respi-
rent par des branchies placées dans une sorte de sac.
Les lujaïistes ou ptéropodes n'ont plus que des
membres rudimentaires ou nuls , groupés aussi ,
quand ils existent , vers la bouche dont l'anus est
également voisin ; leurs branchies sont extérieures
et souvent en forme d'ailes ou de nageoires.
Parmi les hélicistes ou gastéropodes ^ certains ont
des branchies , d'autres un sac aérien garni d'un
lacis vasculaire ; il en est de terrestres et d'aquati-
ques; presque tous ont une coquille extérieure,
tandis que les précédents , à part peu d'exceptions
( argonaute , nautile ) , n'en ont qu'à l'intérieur , et
souvent même que des rudiments ; presque tous sont
repliés latéralement , de sorte que l'anus s'ouvre vers
DU REGINE ANIMAL. 25
le côté droit de la tête ; leur foie est contourné en
spirale aussi Lien que la coquille qui le contient et
qui peut, au besoin, recevoir le reste du corps;
leur tête encore distincte ne porte que de courts et
peu nombreux appendices sur lesquels les yeux sont
souvent portés , et leur corps rampe sur un épaissis-
sement musculaire qu'on nomme le pied.
La tête n'existe plus , à proprement parler , chez
les ostréistes ou acéphales hivalves. Le pied est réduit
à des proportions telles , qu'on lui a donné le nom
de langue et qu'il manque même souvent. Deux
valves calcaires protègent l'animal qui vit toujours
dans l'eau , et respire par des branchies en forme de
lames membraneuses.
La classe suivante (^lingulistes ou hrachwpodesj
a beaucoup de ressemblance avec celle des bival-
ves , et pour la coquille et pour les branchies , et
se rapproche aussi de quelques-uns de ces mollus-
ques par le pédicule qui supporte l'animal.
Ce pédicule existe aussi chez plusieurs ascidistes
ou acéphales sans coquilles _, qui sont fixés aux
rochers sous-marins ; d'autres s'y fixent également ,
mais en famille (synoïques, plumatelles, escarres);
d'autres encore flottent dans les mers, soit en masses
véritablement agrégées , soudées (pyrosomes), soit
en chaînes où les individus sont simplement accolés
( biplîores ) : ceux-ci conduisent naturellement au
quatrième sous-règne.
Ce quatrième sous-rÈgne est celui des diphyaires,
animaux rangés par Cuvier parmi les rayonnes, quoi-
que la plupart d'entre eux offrent plutôt une disposi-
tion bisériale, mais alterne et non parallèle, de leurs
26 DE LA CLASSIFICATION
organismes. Aussi constituent-ils ou des bouquets ou
des grappes , des guirlandes de zoonites , fixées sou-
vent sur une tige commune ; de là , le nom de racé-
miaires que j'avais cru d'abord devoir leur assigner.
Leur organisation est au reste très-incomplétement
connue , et leurs appendices d'une nature fort dou-
teuse encore , aussi bien que l'intimité de leur
assemblage. Les vésicules qu'ils portent en nombre
variable, la consistance demi -cartilagineuse et la
transparence cristalline de plusieurs de leurs pièces
principales, leurs couleurs vives, l'àcreté de l'en-
duit qui les recouvre au milieu des eaux marines
où ils nagent, leur donnent un aspect très-singulier,
les font ressembler aux fleurs des végétaux , et les
rapproclient surtout de certains animaux vraiment
rayonnes (méduses) ; mais , pour établir une filiation
régulière , nous sommes obligé de les en séparer
par des êtres qui offrent, comme les diplijaires,
un mélange de la disposition bisériale et de la
radiée , et dont plusieurs aussi affectent la forme
vésicuîeuse : tels sont les premiers genres de vers
intestinaux.
Ceux-ci constituent le cinquième sous-rÈgne,
que nous désignons par le nom de téjniaîres ou
ELMiNTHES , et qui comprend aussi une partie des
animaux rayonnes de Cuvier ; ce sont les entozoaires
ou vers intestinaux des autres naturalistes. Ils ont
reçu ces dernières dénominations , parce que le plus
grand nombre vit en parasite dans les viscères des
autres animaux. On leur trouve , tantôt une pulpe
homogène oîi le système nerveux est combiné , mo-
lécule à molécule , avec Je musculaire , et des intes-
DU REGNE ANIMAL. 27
tins vasciiliformes simples ou rameux , adhérents à
la pulpe constitutive (^ténisîesjj tantôt des muscles
et des filaments nerveux distincts mais peu ou point
de centres gangliformes , et des organes digestifs
tuLuleux et flottants (^ascaridistesj . Parmi les pre-
miers, il en est de yésiculeux qui rappellent les
physalies et les rhizophyses du sous-règne précé-
dent, et dont la tête offre quatre suçoirs et une
couronne de crochets, disposition tout-à-fait radiée
(cysticerques) ; chez d'autres (ténia) , ces mêmes
traces de rayonnement coexistent avec un corps
allongé à l'extérieur, et composé de segments très-
nomhreux et très-distincts , articulés hout à hout.
Les seconds rappellent la forme des annélides ,
mais le rayonnement s'y démontre aussi par l'oppo-
sition parallèle de deux filaments nerveux, l'un
dorsal , l'autre ventral , alternant avec deux vais-
seaux latéraux , ce qui les rapproche beaucoup
des actiniaires à forme allongée , qui commencent
la division suivante.
Le sixième sous - rÈgne comprend la majeure
partie des animaux rayonnes ou zoophytes de Cuvier,
les vrais radiaires , que je nomme actiniaires. Ici ,
en effet, les organismes sont disposés sur un plan
circulaire ou stelliforme, c'est-à-dire en directions
divergentes. L'organisation n'est pas généralement
très complexe , mais elle l'est néanmoins beaucoup
plus qu'on ne l'avait cru pour beaucoup de ces êtres,
trompé que l'on était par la translucidité des parties
intérieures ; l'existence d'un système nerveux dis-
tinct a été révoquée en doute ; d'autres l'ont décrit
comme disposé en couronne. Quelques-uns de ces
28 DE LA CLASSIFICATION
animaux se rapprochent pourtant de la disposition
binaire , les janires , les cestes , les spatangues ;
d'autres se rapprochent bien intimement de quel-
ques monadaires , des hydres ou polypes d'eau
douce ; ils en diffèrent surtout, comme ils diffèrent
aussi des ascidistes agrégés , par la multiplicité de
leurs intestins en nombre égal à celui de leurs
appendices rayonnes; du reste, on les trouve éga-
lement agrégés , réunis en un ensemble arborisé ,
qui leur a valu le nom de zoophytes ou plantes
animales , donné aussi , par extension , à d'autres
animaux auxquels il convient beaucoup moins. Le
système numérique des organismes ou zoonites ,
chez les actiniaires , offre quelques différences assez
remarquables ; ainsi , dans la première classe de ce
sous-règne , chez les holothuries , les oursins , les
étoiles de mer {^astéristes ou éclnnodennesjj c'est par le
nombre cinq et ses combinaisons qu'ils se comptent ;
c'est par quatre et ses multiples dans les deux autres
fmédusistes ou acalèphes et actinistes ou pohjpesj.
Enfin , le dernier sous-rÈgne est celui des mona-
daires , appartenant encore aux zoophytes dans
d'autres nomenclatures. Ici se retrouvent seulement
des êtres à une seule zoonite, mais qui peuvent
quelquefois s'agréger comme les animaux des sous-
règnes précédents ; ainsi , des monades accolées
constituent les pectoralins , les uvelles , les antho-
physes de Bory-S^-Vincent; des hydres réunies sur
un polypier commun composent , et les sertulaires
dont les polypes sont pourvus d'un intestin , d'une
bouche et de tentacules comme les hydres propre-
ment dites, et certains alcyons regardés comme
DU RÈGNE ANIMAL. 29
plantes par beaucoup de naturalistes , tel Valcyonmm
bursa de Linné f'haUcarpus hursa^ nobisj dont les
polypes ont un intestin et un suçoir discoïde , mais
point de tentacules. Les théthyes , les éponges pour-
raient bien n'être aussi que des agrégats d'animal-
cules qu'on a pris pour leurs œufs , et qui se déga-
gent parfois de la gangue filamenteuse ou siliceuse
qui fait la masse principale de ces agrégats.
De ces monadaires quelques-uns n'offrent point
de bouche apparente (yolvoce , acéplialocyste^ etc.);
chez d'autres (monades , etc. ) elle est admise seu-
lement depuis les recherches d'Ehrenberg , ainsi
que la multiplicité de leurs poches intestinales ; car
on ne les a long-temps considérés que comme des
molécules organisées (Buffon) et à peine vivantes.
C'était là ce qu'on nommait les animalcules infu-
soireSj parmi lesquels , il est vrai , on a rangé une
multitude d'animaux appartenant à d'autres sous-
règnes, comme les rotifères et les genres voisins,
qu'il faut probablement rapporter aux mollusques;
les brachions, kérones , etc. , qui semblent se rap-
procher beaucoup des cyclopes et autres entomos-
tracés; les vibrions dont plusieurs sont de vrais
ascarides, et d'autres , aussi bien que les paramécies
et genres annexes , ne sont que de petites espèces
de planaires ou de dérostomes ( i ).
(1) Je pense que l'appareil décrit par Ehrenberg sous le nom d'appareil
dentaire, et qu'il figure en couronne ou en godet cylindroïde chez ses genres
nassule, chilodon, loxodes, prorodon, et chez les paramécies, n'est autre chose
qu'un suçoir comparable à celui des planaires et des dérostomes ; son aspect
cristallin et sa consistance , assez grande déjà dans les espèces non microscopi-
ques, peuvent lui avoir fait croire qu'il s'agissait d'une pièce cartilagineuse,
et des stries longitudinales peuvent avoir simulé les fascicules de longues dents
parallèles et soudées qu'il a cru reconnaître de même ; au reste, dans un autre
travail, il attribue aux paramécies xme petite trompe.
30 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
Les monadaires font le passage entre les animaux
et les végétaux, et la limite entre les deux règnes est
fort indécise. En effet, les filaments des oscillaires
exécutent des mouvements évidents de raccourcisse-
ment , d'allongement ; les bacillaires exécutent des
inflexions lentes ; les diatomes se déplacent sensi-
blement ; les zoocarpées de Bory-St-Yincent , néma-
zoones de Gaillon, sont composées de filaments d'ap-
parence végétale , mais constituées par la réunion de
corpuscules qui , à l'état libre ou d'isolement , sem-
blent animés, changent de lieu et même de forme.
Un jour viendra , peut-être, où l'on réunira la glo-
buline aux monades les plus simples , les bacillaires
aux bactrelles de Morren , les fragillaires aux lamel-
lines, les plantes de la famille des chaodinées aux
animaux de celle des spongiés , les palmelles ,
héliérelles aux uvelles , aux pectoralins, etc. On doit
se contenter aujourd'hui de les mettre en regard.
CHAPITRE IIÏ.
HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE CONSIDEREE DANS CHAQUE INDIVIDU.
Ce chapitre est destiné à l'énarration des phases
et des périodes par lesquelles passe chaque individu
des différentes espèces d'êtres vivants, depuis le
commencement de sa vie jusqu'à sa terminaison.
^. Plusieurs de ces espaces , ceux que nous
nommons phases de la vie^ se succèdent sans se
ressembler , et constituent chacun une partie notable
de la durée totale de l'existence , dont ils sont des
divisions essentielles et subordonnées seulement , ou
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 31
presque seulement, à Forganisation , indépendantes
ou peu dépendantes des circonstances extérieures :
ce sont les âges. Il en est quatre bien distincts, dont
nous traiterons successiTement en peu de mots,
aussi bien que de la mort j qui en forme la conclu-
sion définitive.
1 o ,^ge fœtal. Portion de la vie qui se passe dans
l'œuf , vie intra-utérine des mammifères ; état du-
rant lequel un germe d'abord mou , gélatineux ,
très-imparfait et d'une extrême petitesse , acquiert
graduellement consistance , grandeur et perfection-
nement dans sa structure, soit que de nouveaux
organes se forment et s'ajoutent les uns aux autres,
soit que des organismes primitivement éloignés se
rapprochent et se confondent pour un service com-
mun : phase durant laquelle la vie se complique
par degrés, devient par degrés plus manifeste et
plus active; où la nutrition est, à peu près, la
seule fonction énergique ; où cette nutrition , toute
d'imbibition d'abord, s'opère ensuite par des pro-
cédés plus complexes , et ce avec une rapidité qui
n'a rien de pareil dans le reste de l'existence : phase
dans laquelle, enfin, subordonnée d'abord à la vie
de la mère , la vie du nouvel être tend à devenir
de plus en plus indépendante , et l'est même presque
de prime abord chez beaucoup d'animaux (ovipares).
Nous verrons ailleurs (^générationj ^ avec les détails
convenables, en quoi consistent ces particularités
qui ne doivent être énoncées ici que d'une manière
superficielle.
2^ Enfance. Phase d'accroissement et d'éducation,
durant laquelle le corps de l'animal reçoit plus de
32 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
matériaux qu'il n'en laisse échapper. L'animal , à
cet âge , a moins de consistance et de force que dans
les âges suivants, mais il jouit encore d'une activité
nutritive, qui rappelle en partie celle de la vie
fœtale , dont l'enfance diffère par l'activité animale j
c'est-à-dire par l'aptitude à exécuter les actes qui
modifient les corps environnants et à recevoir , de
ces corps, des impressions variées. L'enfant ne dif-
fère pas seulement de l'adulte par les conditions
que nous venons d'énumérer, et par une taille d'au-
tant moindre qu'il est moins éloigné du moment
de la naissance ; il y a souvent aussi , entre l'un et
l'autre , des différences de forme, de proportion, de
couleurs (livrée des faons, des marcassins, des jeunes
oiseaux); mais ces différences sont surtout consi-
dérables chez quelques animaux qui sembleraient
appartenir à des ordres et même à des classes diffé-
rentes, considérés à deux âges divers : ce sont les
animaux à métamorphose , comme les batraciens
parmi les vertébrés, les insectes, les cirrhipèdes,
certaias crustacés et certaines arachnides parmi les
invertébrés. L'enfance de ces animaux, ou leur
état de larve j comme on l'appelle, est, en quelque
sorte , une prolongation de l'état fœtal , mais avec
l'activité caractéristique de la vie hors de l'œuf, et
qui doit suffire pour faire regarder comme une
métaphore, l'assertion des naturalistes qui ont voulu
appeler la larve un œuf susceptible d'accroissement
et de mouvement.
B** ^ge adulte ou état parfait. Ici, pour l'ordinaire,
l'animal a acquis et sa forme définitive et sa taille
complète ; il s'entretient, pendant un temps variable
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 33
selon les espèces , dans un état stationnaire , per-
dant autant de matériaux qu'il en assimile à sa
substance. Quelques animaux pourtant continuent
à s'accroître , s'ils se trouvent dans les conditions con-
venables , pendant toute la durée de leur vie ; on ne
leur connaît pas , du moins , de véritable vieillesse :
tels sont les poissons, la plupart des reptiles. L'âge
adulte est celui de la force , dé la puissance , de la
solidité ; c'est aussi celui où une partie du superflu
de la nutrition sert à la reproduction de nouveaux
êtres; il commence donc, à proprement parler, à
la puberté et s'étend jusqu'à la stérilité sénile, bien
que , chez l'homme surtout , la nubilité commence
avant que le corps ait pris tout son développement,
et que la reproduction puisse être encore opérée ,
de la part du mâle en particulier, à une époque où
déjà l'organisation offre cette décadence qui carac-
térise la phase suivante. D'ailleurs, ce moyen de
délimiter l'âge adulte serait évidemment inapplicable
aux animaux qui ne sont pas aptes à se reproduire ,
comme les mulets et les individus qui, dans les gran-
des réunions de certains insectes (abeilles, fourmis,
termes ), sont essentiellement chargés du travail et
ont été nommés ouvrières par les naturalistes.
4" Vieillesse, Cet âge , où l'animal perd plus de
matériaux qu'il ne s'en approprie par l'alimentation,
et qui se caractérise par l'amaigrissement, l'atro-
phie, la flétrissure, le dessèchement, l'endurcisse-
ment, l'affaiblissement et la torpeur, commence, chez
certains animaux , aussitôt qu'ils ont pourvu à l'entre-
tien de l'espèce par un ou plusieurs accouplements.
L'éphémère, à l'état parfait, n'a pas même d'organes
3
34 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
de manducation ; elle meurt le jour ou le lendemain
de ses amours et de son enfantement, après avoir vécu
deux ou trois ans sous les eaux à l'état d'enfance,
c'est-à-dire sous forme de larve. Beaucoup de mâles,
chez les insectes , périssent peu après le coït ; et la
femelle périt souvent sur ses œufs comme les gal-
linsectes, ou bien après les avoir couvés, protégés
jusqu'à leur éclosion comme beaucoup d'araignées.
Chez d'autres animaux , l'homme par exemple , la
décrépitude marche par degrés bien plus lents ; et
c'est encore une assez longue vie que celle de la
femme qui a passé le temps critique , c'est-à-dire celui
oii elle a perdu la fécondité.
5° La mort est en quelque sorte une cinquième
phase de la vie ; elle est comme la conséquence de
la décrépitude qui n'est souvent qu'une mort lente
et partielle. Quelle que soit même la manière dont
elle arrive , qu'elle suive un accident, une maladie,
elle n'est pas instantanément complète ; il y a un
temps où certains organes , certaines parties ont déjà
cessé de vivre, que d'autres jouissent encore de leur
activité spéciale, et nous verrons plus loin ( contracti-
lité ) que la mort n'est vraiment totale que quand la
putréfaction commence. La fermentation putride est,
en effet , le mode de destruction le plus ordinaire de
l'animal àe\emi cadavre ; elle volatilise la majeure
partie de ses éléments, réduit les autres en terreau,
et dissémine , en les dissociant , les parties qui résis-
tent à son influence (os , téguments cornés , etc.), et
qui bientôt céderont à l'action mécanique de l'air,
des pluies , à celle du soleil et de la gelée , et sou-
vent encore à la dent des autres animaux vivants.
CONSIDÉRÉE DAKS CHAQUE INDIVIDU. 35
Cette dernière cause de destruction agit puissam-
ment aussi sur les parties mollis et charnues , et c'est
une chose miraculeuse que de voir avec quelle rapi-
dité les larves de diptères, les dermestes, houcliers,
nécrophores et autres font disparaître des cadavres
même d'animaux volumineux; de là, la rareté de
leurs déhris dont les parties les plus compactes ne
se conservent même pendant long-temps qu'à l'aide
de circonstances particulières, comme l'enfouisse-
ment qui les fossilise j, etc. La dessiccation ne pro-
duit pas des effets aussi durables , quoiqu'elle con-
serve , pendant d'innombrables années , les cada-
vres des végétaux, bien moins fermentescibles , il
est vrai, que ceux des animaux.
Les phases que nous venons de parcourir peuvent
avoir, chacune en particulier , une durée variable,
et cette durée n'est proportionnelle, entre quel-
qu'une de ces parties et leur ensemble, que chez
certains animaux. Si, chez les mammifères, on a pu
dire , avec quelque raison , que la durée totale de la
vie était en rapport avec celle de l'enfance , cette
règle , déjà sujette à des irrégularités assez fortes,
ne serait plus applicable aux autres classes du même
sous-règne ni aux sous-règnes suivants. On ne peut
guère non plus établir de rapport constant entre la
durée de la vie et la complexité de l'organisation ;
bien que, en général, les animaux à organisation
complexe^ à individualisation et centralisation plus
intenses, vivent plus que les autres : mêmes incer-
titudes relativement à la taille, quoique, généra-
lement, les grands animaux vivent plus que les
petits. D'ailleurs, c'est une chose fort difficile à établir
36 HISTOIRE NATURELLE Ï)E LA VIE
que cette durée chez les animaux sauvages ; conten-
tons-nous donc de donner ici , à ce sujet , quelques
aperçus comparatifs. Les deux points extrêmes de
l'échelle animale pourraient, jusqu'à un certain
point, nous offrir aussi les deux extrêmes sous le
rapport qui nous occupe : en effet , c'est certaine-
ment une des plus courtes existences vivantes que
celle des infusoires qui , dans une matière en fer-
mentation , se produisent par milliers et se transfor-
ment, d'un jour à l'autre, en nouvelles espèces,
comme l'avait observé Euffon , tout en leur donnant
le nom de molécules organiques. Quelques-uns de
ces animaux monadaires ne semblent , il est vrai ,
perdre que leur animalité , mais non leur vie ; ce
sont ceux qui , par leur agrégation , constituent des
conferves et autres productions d'apparence végétale;
les plus complexes d'entre eux , appartenant, à la
vérité , à des classes supérieures dans lesquelles il
faudra bien les ranger plus tard, ont aussi une vie
plus durable et plus variée (i) ; il en est même qui
semblent susceptibles de la perdre et de la repren-
dre à diverses reprises. Le rotifère , qu'il faut rap-
procher des mollusques ptéropodes , a joui sous ce
rapport d'une grande célébrité , grâce aux remar-
ques de Spallanzani et d'autres ; desséché dans le
sable ou la vase où il prend naissance , il semble
mort, etpeut être ainsi conservé des années entières,
puis reprendre sa forme et son activité quand cette
vase est humectée, délayée dans de l'eau nouvelle;
mais Morren et de Blainville ont bien constaté qu'il
(1) Ehrenberg estime à dix-huit jours la vie des infusoires rotateurs ; mais il
dit que celle des polygastriques est encore plus longue.
CONSIDEREE DAINS CHAQUE INDITIDU. 37
ne recouvre point la vie quand il est desséché à
nu , et les observations de plusieurs micrographes
modernes, les nôtres propres , se trouvent ainsi
conciliées avec celles de Spallanzani ; il en résulte
qu'une dessiccation absolue tue irrévocablement
l'aoîmal; et sans doute il en serait de même du
vîbrio tritici sur lequel on a fait des remarques du
même genre (Bauer). Quant aux branchipes , aux
apus, aux daphnies, etc., qui se montrent subitement
dans les eaux pluviales et bourbeuses, il n'est pas cer-
tain qu'ils se conservent dans la vase desséchée, et
l'on pourrait supposer que cette conservation n'est
réelle que pour leurs œufs, chose à peu près prou-
vée d'ailleurs pour les œufs de poissons.
Nul doute que les polypes à polypier , considérés
en masse , ne jouissent d'une longue existence; mais
il est peu probable que chaque individu , pris en par-
ticulier , soit dans le même cas : la formation même
des récifs et des lies que leur amas constitue , prouve
que la portion vivante est bientôt étouffée par la
portion calcaire ; c'est une famille qui se perpétue ,
mais dont les nouveaux rejetons concourent, par
leur développement , à faire périr leurs ascendants.
Les énormes dimensions auxquelles parviennent
certaines méduses semblent prouver, chez elles, une
assez longue vie; Rolando dit qu'il en existe, vers les
côtes de Sardaigne , dont la circonférence est telle
que deux hommes pourraient à peine l'embrasser.
Quant aux vers intestinaux, la longueur et la téna-
cité de leur vie ne sont que trop connues par l'incom-
modité qu'ils occasionnent à l'animal chez lequel ils
séjournent. Certains elminthes ( ceux des poissons
38 HISTOIÎIE NATURELLE DE LA VIE
en particulier ) peuvent même survivre aux animaux
qui les recèlent dans leurs entrailles, soit qu'ils
s'établissent en parasites chez l'animal vorace qui a
fait sa proie de leur premier hôte , soit que , flottants
dans les eaux , ils s'attachent à une nouvelle victime.
Ce n'est guère que d'après la grandeur à laquelle
ils parviennent qu'on peut juger de la durée de la
vie chez les mollusques : il faudrait, par conséquent,
accorder une longue existence à ces énormes poulpes
dont parlent divers auteurs , si leurs récits romanes-
ques n'étaient évidemment empreints d'exagération.
Les stries d'accroissement que portent les coquilles
de la plupart des mollusques pourraient fournir,
à ce sujet, des données plus positives encore, en
s'attachant aux principales, à celles qui semblent
devoir être la marque d'un travail annuel, celles
qui reproduisent les mêmes éminences et sinuosités,
le même évasement que la bouche d'une coquille de
gastéropode par exemple , les cloisons d'un nautile ,
les trous d'une haliotide , les franges épineuses d'un
murex, etc. etc. Or, les nombreuses saillies de cette
nature et des articulations auxquelles elles répon-
dent , aussi bien que l'énorme dimension de tout le
disque de certaines ammonites , prouvent la longé-
vité des animaux qu'elles ont renfermés jadis ; ou
en peut dire autant du tridacne bénitier, tandis que
la ténuité , l'aspect lisse de la coquille des ambrettes ,
et le petit nombre de ses tours de spire semblent
ne leur devoir faire accorder qu'une existence an-
nuelle. Des cultivateurs estiment à 3 ou à 4 ans la
durée de la vie chez les grandes espèces d'hélix,
et c'est en eiîet ce que semble aussi dénoter le nom-
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 39
bre des sillons principaux qui s'observent, assez peu
distinctement il est vrai , sur des points à peu près
également distants de la spire d'une coquille adulte.
Parmi les animaux articulés , ceux qui continuent
à croître à l'état parfait témoignent assez de leur
âge par la taille à laquelle ils arrivent : tels ces cra-
bes gigantesques par lesquels un navigateur anglais
fut, dit-on , vaincu et dévoré dans une lie de l'Amé-
rique septentrionale. La plupart des collections
d'histoire naturelle en montrent qui ont entre un et
deux pieds de diamètre transversal : on pèche , plus
fréquemment encore , d'énormes langoustes , des
squilles , des homards de très-grande taille et certai-
nement assez âgés. Au reste, on assure , d'après des
observations peut-être assez vagues, que les écre-
visses vivent jusqu'à vingt ans ; au contraire , les
bianchipes, lesapus, etc. , ne vivent qu'une saison et
meurent dès que les fossés qu'ils habitent , perdent
par évaporation les eaux que les pluies y avaient
apportées. Des animaux très-petits sont quelquefois
mieux partagés sous ce rapport; beaucoup d'aca-
rides passent l'hiver sous les pierres ou dans la terre,
de même qu'un certain nombre d'araignées et quel-
ques insectes; beaucoup aussi des uns et des autres
naissent au printemps et meurent à la fin de l'au-
tomne ; certains passent l'hiver à l'état de larve ou de
chrysalide. Nous n'avons pas besoin de faire ressortir
les conséquences à tirer de la grandeur de quelques
néréides qui atteignent plusieurs pieds de longueur;
nous ferons seulement remarquer le nombre con-
sidérable de leurs anneaux , qui prouve également
leur longévité puisque ce nombre croit avec l'âge.
40 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
Indépendamment de ce genre d'argument, très-
applicable aux poissons dont l'accroissement paraît
être perpétuel, on a, pour quelques-uns de ces
animaux, des faits plus positifs et qui ont constaté,
pour des carpes par exemple , une existence de 1 50
à 200 ans. La taille immense de certains squales ,
comparée à leur petitesse primitive ( 100 fois, Lacé-
pède ) , doit leur faire supposer un âge bien plus
avancé encore. La même réflexion peut s'appliquer
aux boas , aux crocodiles , aux tortues et autres
reptiles à grandes dimensions. On a vu des serpents
à sonnette ,^crofa/M5 horridus J qui portaient à la
queue 40 à 50 de ces grelots cornés dont chacun
atteste un an d'existence , puisqu'il s'en forme un
nouveau chaque année. Ces animaux avaient de huit
à dix pieds de longueur (Bory- S* -Vincent). Nous
avons vu une tortue bordée ( Duméril et Bibron )
qui vit depuis 53 ans au moins chez des personnes
connues; et l'on ignore quel était son âge à l'époque
où l'on en a fait l'acquisition. Bonaterre parle d'un
lézard vert qui fut vu 20 ans dans le même ter-
rier. Et sans parler de ces crapauds enfouis à de
grandes profondeurs, enfermés dans la maçonnerie ,
dans des troncs d'arbres sans ouverture extérieure ,
ou même dans des roches , faits dont la plupart sont
évidemment controuvés(tJOî/. Vart. (ie /a respiration) ,
on peut citer le crapaud dont parle Pennant , et qui
a familièrement vécu, pendant 37 ans, dans la
même maison. C'est aussi d'après des observations
semblables qu'on sait que la vie du corbeau , celle
du perroquet , de la cigogne peuvent presque égaler
et dépasser quelquefois la moitié de la vie humaine.
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 41
De petits oiseaux chanteurs vivent en domesticité
parfois autant que le chien ( 14 à 15 ans) : nous en
connaissons assez d'exemples pour ne pas les croire
exceptionnels , comme plusieurs de ceux qu'ont cités
Buffon et autres. A l'état libre , leur vie doit être
fréquemment abrégée par le danger des voyages
pour les émigrants , par la disette et le froid pour les
sédentaires, et chez tous, par les pièges et la vio-
lence de leurs nombreux ennemis.
De nombreuses variations se font remarquer
parmi les mammifères relativement à la longévité ,
et quoique , en général , les plus grands vivent plus
long-temps que les petits, il n'y a point de propor-
tion exacte à établir sous ce rapport , surtout si on
les compare à l'homme chez lequel le terme de la
vie peut être approximativement fixé à 80 ans ; puis-
que le cheval, le bœuf ne vivent que de 20 à 25
ans, le chameau de 40 à 50, l'éléphant de 120 à
200 tout au plus, tandis que le chien, le chat peu-
vent aller jusqu'à 1 5 ans environ ; qu'un ours a vécu,
dit-on, 47 ans dans les fossés de Berne où il était né.
Peut-être la règle serait-elle plus exacte en mettant
à part l'homme , sur lequel la civilisation a plus d'in-
fluence que sur les autres mammifères ; mais il est
impossible de ne pas tenir compte de ce qui a lieu
sous cette condition , vu la difliculté d'observer les
animaux Jibres. De là , en effet , l'incertitude où nous
sommes sur Vk^e auquel parvient la baleine ; car c'est
d'une manière tout-à-fait conjecturale que Buffon a
pensé qu'elle pouvait parcourir plus de dix siècles ;
il n'avait même pas ici , pour en juger , le moyen
de faire une juste application de la règle , assez vraie
42 HISTOIRE NATURELLE DE L.V VIE
du reste , qu'il a établie , pour les mammifères en
général ; savoir, que la durée de leur vie est propor-
tionnelle au temps qu'ils mettent à prendre leur
complet développement.
B. Outre les phases dont il vient d'être question ,
la vie des animaux est soumise encore à des oscil-
lations que nous nommerons périodes , en raison de
leurs retours plus ou moins réguliers à des reprises
plus ou moins nombreuses. Ces périodes offrent
d'ailleurs ceci de particulier, qu'elles sont plutôt
subordonnées aux circonstances extérieures qu'à la
constitution même de l'être vivant , bien que , à la
longue , cette constitution se soit tellement harmo-
nisée avec les influences externes , qu'elle repro-
duise, même en leur absence, le même ordre de phé-
nomènes. C'est ainsi , par exemple , que , pendant
quelque temps du moins , le sommeil reviendrait la
nuit et le réveil au jour, chez un animal qu'on sous-
trairait alternativement à la lumière ou à l'obscurité
naturelle , à la chaleur ou à la fraîcheur de ces deux
périodes astronomiques.
Les influences extérieures peuvent même amener,
dans la vie , des variations très - puissantes , mais
irrégulières et accidentelles comme elles-mêmes , et
nous en dirons d'abord ici quelques mots , parce que
la durée de la vie , dont il vient d'être question, s'y
trouve fréquemment subordonnée. Malpighi observe
que la chaleur de la saison abrège la vie des pa-
pillons du ver-à-soie ; dans les fortes chaleurs ils ne
vivent pas plus de cinq jours à l'état parfait; ils vont
jusqu'à un mois au commencement de l'hiver. C'est ,
au contraire , un fait de notoriété vulgaire que la
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 43
destruction amenée par le froid pour beaucoup
d'insectes el d'animaux sauvages. Bien des accidents
résultent d'ailleurs de leur vie libre et aventureuse ;
beaucoup se noient ou se blessent et périssent malgré
la ténacité de leur vie ; on en trouve d'empalés acci-
dentellement sur une épine , quelques-uns périssent
par l'ingestion d'aliments vénéneux , cas rare toute-
fois, car ils s'abstiennent, pour la plupart, des subs-
tances malfaisantes, et un bon nombre d'aliments
délétères pour l'homme ne le sont pas pour d'autres
animaux. Les ruminants , d'après les expériences de
Dunal , avalent sans danger d'énormes doses de noix
vomique , pourvu que l'intérieur de leur estomac ne
soit point excorié ; on sait, au contraire, que cette
substance tue promptement les animaux carnassiers
et agit aussi très-violemment sur l'homme. Les chiens
n'éprouvent quelquefois qu'une purgation par l'in-
gestion de l'arsenic à haute dose , et les oiseaux insec-»
tivores mangent sans inconvénient les cantharides ;
enfin, il n'est presque pas de plante vénéneuse, même
la plus acre , qui ne nourrisse , comme l'euphorbe ,
le liseron , les champignons , quelque chenille ou
quelque larve de coléoptère ou de diptère (i). Aussi
c'est la faim qui fait, dans la mauvaise saison, lapins
grande quantité de victimes ; on dit qu'une alimen-
tation insuffisante peut amener , même chez les inver-
tébrés , des affections tuberculeuses , mais c'est le
plus souvent le marasme qui en est la suite. La des-
truction de la majeure partie des animaux sauvages
est due encore à la voracité d'animaux plus forts ou
(1) Voy., pour plus de détails à ce sujet , Anglada , Toxicoloçjie <jéntrale, , i>. 58
et suivantes.
44 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
mieux armés , ou gratifiés par la nature de quel-
que industrie meurtrière, de quelque poison éner-
gique. 11 en est aussi qui deviennent victimes d'enne-
mis faibles, mais protégés par leur petitesse même ,
et cachés dans les productions épidermiques qui re-
vêtent les animaux dont ils sucent les humeurs. C'est
sous les plaques, les élytres des gros insectes , sous
les écailles des serpents , entre les plumes des oiseaux
et les poils des mammifères que s'abritent ces aca-
rides , souvent peu nuisibles , mais aussi parfois
assez multipliés pour causer un épuisement mortel.
D'autres parasites échappent plus souvent encore
aux eiforts que leur proie pourrait tenter pour s'en
défaire ; ils l'attaquent à l'intérieur : telles sont les
larves d'ichneumon , d'œstres , les vers intestinaux ;
les premiers, déposés à l'état d'œuf par leurs parents
ailés sous la peau ou dans les cavités viscérales des
insectes , des mammifères même ; les derniers , nés
spontanément ou produits par la réunion sexuelle
d'individus déjà existants dans le même séjour.
Quant aux animaux domestiques , à l'homme ,
moins exposés à ces accidents qui abrègent la vie
des animaux sauvages , ils ne le sont pas moins à
l'attaque des parasites; ils le sont davantage aux
maladies. Celles de l'homme , celles des animaux
domestiques font l'objet de sciences spéciales, en
raison de l'intérêt direct dont leur connaissance est
pour nous(i) , en raison aussi de leur grand nombre
(1) Outre ce qui concerne les bestiaux, les chevaux, les chiens, etc. , et qui
constitue l'art vétérinaixe, on a fait quelques observations sur divers autres ani-
maux : ainsi on sait que les carpes sont sujettes à diverses maladies cutanées,
plusieurs oiseaux à l'épilepsie , maladie que nous avons vue nous-même chez
le cobaie. On dit que le rossignol est sujet à la goutte ; la linotte à la phthisie ,
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU. 45
et de leur fréquence. Les animaux sauvages éprou-
vent peut-être , plus souvent que nous ne pouvons îe
savoir, des maladies analogues à celles des animaux
qui vivent dans notre voisinage ; mais nous n'en avons
la certitude que dans de grandes épizooties où l'on
voit frappés simultanément , quoique en proportion
bien différente il est vrai , par des circonstances
atmosphériques sensibles ( chaleur , froid excessifs )
ou inconnues , les quadrupèdes domestiques et les
sauvages, les oiseaux de nos volières, de nos basses-
cours et ceux de nos bois , les poissons de nos étangs
avec les batraciens qui s'y trouvent. On sait aussi ,
d'une manière générale , que certains moments sont,
pour tous les animaux, des moments de crise , quel-
quefois de vraies maladies , où leur vie est plus ex-
posée qu'en tout autre temps : telle est l'époque de
la naissance, celle des changements de peau chez les
larves d'insectes ( vers-à-soie ) , les crustacés , celle
de la métamorphose, de la ponte , de la mue , etc.
On n'ignore pas d'ailleurs que les animaux inverté-
brés, surtout ceux qui sont le plus distinctement
segmentés , résistent d'autant mieux à des lésions
graves que ces segments jouissent d'une vie plus iso-
lée ; que , par conséquent , ils doivent être moins
disposés à des maladies d'ensemble que les animaux
supérieurs les plus centralisés; quelques-uns de
ceux-ci jouissent, en outre , d'une susceptibilité toute
spéciale ; c'est ainsi qu'on assure que les moindres
lésions deviennent promptement funestes à la baleine,
si commune chez les singes réduits en esclavage dans nos climats froids. Le rat
est sujet à la gravelle ; le pécari aux anévrismes de l'aorte, d'après Daubenton ;
le loup prend spontanément la rage comme le chien, etc. L'éléphant mort à
Paris il y a quelques années avait succombé, disait-on , à une apoplexie.
46 HISTOIRE NATURELLE DE LA VIE
au phoque à trompe , par suite de riiil! animation
gangreneuse qui s'y manifeste et dont les effets géné-
raux sont promptement ressentis par toute féconomie.
Les Yériidihles périodes j ou périodes régulières de
la vie, sont celles qui la subordonnent aux saisons
et à la succession des nuits et des jours.
1° C'est un fait de notoriété vulgaire que l'acti-
vité générale , la vivacité que ranime, à chaque prin-
temps, le retour d'une température plus douce dans
nos climats tempérés. Muets durant l'hiver, les oiseaux
reprennent leurs chants , ils changent leur plumage
sombre et grisâtre contre un vêtement plus éclatant;
les reptiles, à part les crocodiles et la tortue, quittent
leur vieil épiderme et se montrent revêtus de brillan-
tes couleurs ; les mammifères même dépouillent une
partie de leurs vêtements d'hiver , et tous se livrent
à l'acte de la propagation et au soin de leur progé-
niture. A cette même époque, des œufs d'insectes,
d'arachnides, pondus avant l'hiver, éclosent à la
faveur d'un soleil plus ardent; des chrysalides qui ont
passé la mauvaise saison dans la torpeur, achèvent
leur métamorphose. Cette activité dure et les effets
se renouvellent pendant toute la saison chaude , à
quelques exceptions près ; la chaleur excessive en-
gourdit , par exemple , les caïmans et les boas sous
les tropiques, au témoignage de Humboldt ; mais,
dans nos climats , c'est l'hiver que les reptiles tom-
bent dans la torpeur et que certains mammifères
passent à une sorte de sommeil particulier , sommeil
hibernal dont nous traiterons ailleurs , comparative-
ment avec le sommeil proprement dit.
2" Alors aussi nous entrerons dans tous les dé-
CONSIDÉRÉE DANS CHAQUE INDIVIDU, 47
tails convenables relativement au repos nocturne ,
au vrai sommeil : ce que nous devons seulement
faire remarquer ici , c'est Finiluence des alternatives
d'apparition et de disparition du soleil sur l'activité
des animaux. Le plus grand nombre dort la nuit
et s'éveille au jour, c'est-à-dire qu'il subit l'in-
fluence de la lumière , de la chaleur, excitants bien
propres à tenir leurs sens et par suite tous leurs
organes en action ; mais , de même que l'été de la
zone torride jette dans la stupeur quelques reptiles,
de même les excitants diurnes fatiguent certaines
espèces appartenant à des classes et même à des sous-
règnes ditTérents ; aussi dorment-elles durant le jour
et préfèrent-elles ]a nuit pour pourvoir à leurs be-
soins ou se livrer à leurs ébats. En effet, le nombre
des animaux nocturnes est si grand , qu'on peut dire
qu'au coucher du soleil un nouveau monde appa-
raît sur l'horizon ; une nouvelle activité commence ,
quoique moins bruyante et moins tumultueuse que la
diurne. Ceci n'est pas moins vrai de la vaste sur-
face de l'Océan que de celle des terres élevées au-
dessus de son niveau ; là même , selon les curieuses
remarques de d'Orbigny, c'est véritablement le jour
qui est le temps du repos, la nuit celui de l'agitation.
Chez beaucoup de ces animaux nocturnes , c'est l'or-
gane de la vue qui est conformé de manière à leur
rendre difficilement supportable un éclat trop vif,
soit en raison de sa sensibilité propre, soit parce
qu'il manque des enduits noirs ou colorés destinés
à absorber une lumière superflue ; tels sont beau-
coup d'insectes , d'arachnides , de crustacés , les
oiseaux de nuit , les chauve -souris, les loris , les
48 ANALYSE DE LA VIE
carnassiers du genre chat , les crocodiles, les geckos ,
plusieurs poissons qu'on ne pèche fructueusement
que la nuit à Faide d'un appât. Chez d'autres , on
reconnaît surtout la crainte de la chaleur et de la
sécheresse ; aussi paraissent-ils hors de leur retraite
dans les temps humides , même au milieu du jour :
tels les lombrics , les limaces , la plupart des ba-
traciens , les anguilles lorsqu'elles sortent de Feau ;
beaucoup de petites arachnides fort molles ( acari-
des ) et même de plus grandes ( scorpions , lycoses,
etc. ) sont dans le même cas. D'autres ne semblent
guidés que par l'espérance d'échapper plus facile-
ment à leurs ennemis dans l'obscurité des nuits ,
comme certaines chenilles qui , durant le jour, se
cachent sous la terre , la taupe quand elle veut se
montrer à l'air libre , le hérisson , la souris et une
foule d'autres animaux timides. D'autres, enfin , sont
alors plus sûrs de trouver leur proie et de la sur-
prendre durant son sommeil : c'est le cas de beau-
coup d'animaux parasites ( cousins, punaises , etc. ),
c'est en partie celui de la fouine, du renard, du loup,
de l'hyène , etc.
CHAPITRE IV.
ANALYSE DE LA VIE CHEZ LES ANIMAUX, OU DIVISIONS
DE LA PHYSIOLOGIE COMPAREE.
Ainsi définie et appréciée dans son ensemble , ]a
vie des animaux nous offrira, en outre, à étudier des
détails soit d'observation soit d'induction extrême-
ment étendus quelque soin que nous puissions mettre
CHEZ LES ANIMAUX. 49
à nous restreindre au juste nécessaire. Classer ces
détails de manière à en faciliter Fétude et le sou-
venir, c'est un point essentiel dans un ouvrage régu-
lier et dogmatique comme celui-ci ; présenter d'abord
les aperçus les plus généraux , les plus élémentaires;
passer ensuite, par gradation , aux plus spéciaux et
aux plus complexes; enchaîner en même temps les
objets par le moyen de leurs rapports naturels les
plus évidents , les plus importants et les plus nom-
breux , soit en fait de ressemblance, d'analogie , soit
en fait de connexité : voilà la métlicrde qui nous a
servi de règle dans la constitution du plan que nous
avons adopté, et qui, au reste, diffère médiocrement
de celui qui a été suivi dans de bons traités de phy-
siologie humaine, avantage qui n'est pas non plus
à dédaigner, puisqu'il en résulte moins de perturba-
tion dans les éludes.
1*^ Considérant d'abord le moteur universel qui
met en jeu tous les organes, anime toutes les fonc-
tions , la cause prochaine de la vie , le principe vital,
comme on l'a appelé, nous discuterons brièvement
diverses opinions établies à ce sujet, et nous donne-
rons celle qui nous semble , par le raisonnement ,
être en plus parfaite concordance avec le mécanisme
connu des corps vivants.
2° Nous nous occuperons ensuite des fonctions j
dont l'exposé fera, comme on le pense bien, la masse
essentielle de ce travail. Par ce mot nous désignons
tout acte ( fonctions simples ou élémentaires (i) ) ou
toute série d'actes ( fonctions complexes ) exécutés
(1) Fondions générales de Bordeu. Cette distinction n'entre pour rien dans
la distribution ultérieure des fonctions, comme on le verra plus loin.
50' ANALYSE DE LA VIE
par les corps vivants , tendant à un but commun
( pour ces dernières ) et utile à Tindividu. La dis-
tribution que nous avons préférée dans leurs descrip-
tions est à la fois rationnelle et naturelle, et non ex-
clusivement l'un ou l'autre ; toutes les fonctions se
lient, toutes ont quelques points de ressemblance
ou quelque cbose de commun ; et l'on serait embar-
rassé de choisir parmi ces connexités celles qui sem-
bleraient les plus importantes pour établir une filia-
tion régulière; ce que nous avons surtout cherché,
c'est la comuïodité de l'étude et la clarté du plan.
Nous avions d'abord ( leçons orales ) adopté la di-
vision de Cuvier en fonctions vitales , c'est-à-dire
communes à tous les corps vivants , et fonctions ani-
males ou exclusivement propres aux animaux; c'était
à peu près la division de Bichat en vie organique et
vie animale. Mais l'idée caractéristique de cette di-
vision nous a paru , depuis , peu exacte ; la diges-
tion n'est point commune à tous les corps organisés ;
les végétaux ne digèrent point. D'ailleurs, même en
changeant les expressions, comme l'a fait Richerand
( fonctions de nutrition , fonctions de relation , plus
celles relatives à la reproduction de l'espèce ) , on
réunit , dans un groupe commun , des choses hétéro-
gènes. Pour éviter, autant que possible, cet incon-
vénient, sans trop nous écarter de ces divisions
, devenues pour ainsi dire classiques, nous avons
établi quatre groupes disposés dans l'ordre suivant
et de manière à faire , pour l'ordinaire , précéder
l'étude des effets par celle des causes , le composé
par le simple : 1^*^ division, fonctions de sensation;
2^ division , fonctions de manifestation : 3*^ division ,
CHEZ LES ANIMAUX. 51
fonctions de nutrition ; 4^ division ^ fonctions de 'pro-
pagation.
Dans cette distribution , nous ne faisons plus en-
trer , comme nous l'avions fait premièrement , les
propriétés ou facultés vitales. En y réfléchissant, en
effet , nous avons fini par reconnaître, avec Magendie,
que plusieurs de ces prétendues propriétés n'étaient
que des fonctions simples ^ mais qui n'en rentraient
pas moins dans les catégories où l'on casait les fonc-
tions complexes : nous avons reconnu aussi que plu-
sieurs autres , comme la sensibilité , n'étaient autre
chose que la condition fondamentale de la vie ,
qu'elles se confondaient, par conséquent, avec le
principe vital lui-même , et que c'était perdre fort
inutilement son temps , son attention et son travail ,
que de prendre ainsi à part quelque j)omt de vue d'un
objet qu'on pouvait plus fructueusement, plus clai-
rement surtout aborder dans son ensemble. La même
réflexion nous a fait rejeter toutes ces autres pro-
priétés vitales que Gerdy en particulier a cru devoir
multiplier au point d'en compter dix-huit en tout ,
nombre que nous avions cru beaucoup restreindre
et trop restreint en effet, en le portant à sept ou
huit seulement. Si les propriétés vitales ne sont que
Vaptitude à exécuter tel ou tel acte physiologique
simple, le savant professeur que nous venons de
nommer était bien fondé à élever le chifl*re adopté par
ses prédécesseurs (i) : peut-être même ne les a-t-il
(1) Brown et Broussais n'en admellenl qu'une seule: l'incilabilité, l'irri-
tation; Bichat, Richerand en comptent deux: sensibilité et contractililé ;
Griinaud deux aussi: force motrice et force digestive ; Cliaussier en porte le
nombre à trois : sensibilité, contractililé et caloricilé ; Dumas va jusqu'à
quatre: faculté de sentir, de se mouvoir, force d'assimilation, résistance vitale.
L'expansibililé a été jointe à d'autres, soit implicitement, soit explicitement,
52 ANALYSE DE LA VIE CHEZ LES ANIMAUX.
pas suffisamment multipliées encore ; mais il n'est
pas moins évident que l'acte suppose l'aptitude , et
qu'il est fort inutile de parler de celle-ci, quand
on doit décrire et apprécier celui-là; c'est embar-
rasser la science sans aucun avantage , à moins
qu'on ne veuille faire en physiologie ce que Bichat
a fait en anatomie , faire une physiologie générale ;
mais alors c'est en quelque sorte une science à
part (i). Dans la physiologie descriptive, on peut se
contenter des généralités qui précèdent naturellement
chaque division principale , ou des explications qui
se présentent lors de l'exposition ou de l'analyse des
fonctions particulières. N'est-il pas évident que ce
serait s'exposer à des répétitions dont le moindre
inconvénient serait l'inutilité , ou bien à la sépa-
ration d'objets intimement liés ensemble , que de
parler ici de la contractilité , là de la contraction
musculaire : nous pouvons bien nous dispenser d'un
article sur l'expansibilité , sur la caloricité , etc. ,
puisque nous parlerons en leur temps de l'expan-
sion et de la chaleur animale , etc. etc. Nous y
gagnerons sous tous les rapports , en brièveté , en
régularité, en opportunité.
par Grimaud , Sprengel , Prus ; et voici celles que dénombre le professeur
Gerdy : faculté de sentir, — de la transmission sensoriale , — de la perception ,
— de l'émotion de rame, — de l'innervation, la contractilité, l'expansibilité,
les facultés de l'absorption , de la sécrétion , de l'assimilation, de la décompo-
sition nutritive, de la calorification , de la fécondation, de l'animation, de
l'accroissement , de la résistance vitale , de l'électrification.
(1) C'est ainsi qu'il faut considérer la première partie de la pbysiologie de
Gerdy et surtout les deux volumes de Tiedeœann , dont on nous a donné la
traduction française.
DEUXIEME PARTIE.
DES CAUSES IMMÉDIATES DE LA VIE.
CHAPITRE r\
DU PPJNCIPE OU AGENT VITAL.
« Rallier autour d'un principe commun les élé-
ments d'une science d'observation , c'est le meilleur
moyen de la constituer , d'en faire un tout facile à
saisir par l'intelligence, à retenir par la mémoire. »
Cette vérité n'est pas moins applicable à la physio-
logie qu'à toute autre science , et on l'a sentie long-
temps avant que nous l'eussions ainsi formulée ; et,
en effet, ce n'est pas seulement le désir d'expli-
quer, mais aussi celui de coordonner, qui a engagé
bien des physiologistes à faire dériver tous les phé-
nomènes des corps vivants d'un principe unique et
spécial , d'une force sut generis j d'une cause pro-
cliaine de la vie ^ principe vital ou force vitale. Nous
ne donnerons point ici une histoire chronologique
des diverses opinions qui se sont succédé à cet égard;
il nous paraît préférable d'énoncer , dans un ordre
logique , les principales d'entre elles.
u^. Pensant ne rien préjuger sur la nature des
choses, et réduire seulement en lois les faits obser-
vables, les solidistes ou plutôt organicistes ont cherché
à expliquer les phénomènes de la vie , en accordant
aux corps vivants une ou i^]\isieuYS propriétés j comme
54 DU PUINCIPE OU AGENT VITAL.
on en a accordé à la matière brute pour expliquer
les phénomènes de l'astronomie , de la physique et
de la chimie. 1® Les uns s'en sont tenus à une
seule propriété générale des corps vivants, telle
l'irritabilité de Glisson , l'incitabilité de Brown , l'ex-
citabilité de Rolando ; mais eux - mêmes ont senti
l'insuffisance de cette conception, et tantôt ils l'ont
matérialisée , individualisée , à l'instar des vitalistes
ou des nervistes , la rendant susceptible d'accumu-
lation, d'épuisement, etc.; tantôt ils l'ont sous-
divisée en modes secondaires , dont l'hétérogénéité
les expose à de perpétuellescontradictions avec l'idée
qu'on doit s'en faire, d'après le nom qu'ils ont donné
à la propriété générale. 2^D'autres, procédant avec
plus de prudence, marchant à j}05fenon et non à
pnortj comme les précédents , c'est-à-dire remontant
des faits particuliers aux lois les plus générales qu'il
leur fût possible d'établir , Bordeu , Haller, Bicliat ,
par exemple, sont arrivés à reconnaître des pro-
priétés vitales du premier ordre , mais multiples et
hétérogènes , telles la sensibilité et la contractilité ;
ils se sont arrêtés là sans pouvoir rationnellement
les rallier à un principe homogène , et n'ont point
admis de principe vital. Cette conduite était plus sage
peut-être que celle des physiologistes qui , arrivés
au même point, ont néanmoins admis ce principe
en paroles et comme par manière d'acquit , sans en
déduire aucune conséquence , sans en tirer aucun
parti dans l'interprétation des phénomènes de la vie ;
c'est ce qu'on trouve dans l'ouvrage si répandu de
Richerand. Il faut même ranger ici la manière de
voir de Chaussier qui , admettant et précisant trois
DU PRINCIPE OU AGENT VITAL. 55
propriétés fondamentales dans les corps vivants , la
motilité , la sensibilité et la caloricité , pouvait très-
bien se passer de les subordonner hypothétiquement
à une force vitale j dont il n'explique nullement la
liaison avec ces trois propriétés.
B, Il n'en est pas ainsi des vitalistes vrais , soit
que, sous le nom à! animistes (Stahl) , ils subordon-
nent à l'àme raisonnable tous les actes même les
plus cachés de la vie organique , soit qu'ils les attri-
buent à un être à part, VcVQp^LrùV^ leTrvsuwades Grecs,
spiritus des Latins, Vanimus de Lucrèce, Varcliée de
Van Helmont, le principe vital de Barthez. Cet être,
dont on ne détermine point la nature , dont on dé-
clare même volontiers l'existence douteuse , mais
seulement commode à reconnaître pour tout expli-
quer, est le seul qui mette en jeu la machine ani-
male ; c'est en lui que résident toutes les aptitudes,
tous les pouvoirs et même toutes les altérations véri-
tablement morbides.
Il est un certain nombre de philosophes qui , sans
donner des notions plus positives sur ce principe
de vie , le conçoivent d'une manière encore plus
générale , le croient universellement répandu , et
animant chacun à leur manière les différents corps
minéraux , végétaux ou animaux de la nature entière ,
comme , dans chaque animal en particulier, il anime
chacun dans son genre les différents organes qui
le composent. Cette doctrine de la vie universelle _,
adoptée par les plus anciens philosophes (i) , trans-
(1) Frincipib cœlum ac terras , camposque liquentes t
Lucentemque globum lunœ , titaniaque astra,
Sfiriiiis intùs alit , totam que infusa per artus
Mens agitât molem , et magno se corpore miscet. (Yirçil., G&org.)
56 DU PRINCIPE OU AGENT VITAL.
formée dans les systèmes de Mallebrauche et de
Spinosa, à laquelle Barthez se montrait assez fa-
vorable (i), est aujourd'hui remise en honneur,
avec quelques restrictions et modifications (2) , par
GeoffroY'St-Hilaire , par plusieurs naturalistes alle-
mands (3), et par un de nos collègues à la Faculté
de médecine de Montpellier (Ribes). Nous ne nous
arrêterons pas pour le moment sur les inconvé-
nients et les avantages de cette dernière doctrine ,
en ce qui concerne sa généralisation même , devant
nous en occuper ci-après à l'occasion de quelques
doctrines analogues, mais qui précisent davantage
la nature de leur principe universel ; parlons seule-
ment du vitalisme pur dont nous venons de nous
occuper.
Il est clair que le vitalisme est plus scientifique ,
qu'il présente la physiologie en un corps de science
plus régulier , plus compacte que ne peut faire l'or-
ganicisme ou solidisme de Bichat et autres; il offre
également cet avantage , qu'il empêche de se livrer
au grossier mécanicisme , au chimicisme tout hypo-
thétique , qui ont , à diverses reprises , envahi la
physiologie ; il force d'étudier l'homme et non de
(1) Nil vetat conjicere qubd principium i>itale hominis emanet ex quodam principio
«niversali quo Deus naturam jussit agitari. (Barthez, de princip. vit.)
(2) En effet, les modernes que nous citons ici ne snpposent pas tous, pour
cela, un principe de vie distinct de la matière universelle, mais ils supposent
des propriétés , des forces; ou bien, c'est à Félectricilé qu'ils rapportent tout,
rentrant ainsi ou dans la catégorie des solidistes dont il a été question déjà, ou
dans celle des nervistes dont il sera question plus loin.
(5) « Nous voyons que la vie appartient , non à telle ou telle des parties or-
ganiques, mais à leur ensemble, en tant qu'elles forment un tout par leur
réunion ; noiis devons donc présumer aussi que les parties de la planète ne
paraissent privées de vie et inorganiques qu'à l'état de séparation ou d'isole-
ment, qu'au contraire l'univers est un tout organique et vivant. " (Burdach,
Phys. tom.i, pag. hOl.)
DU PRINCIPE OU AGENT VITAL. 1)1
Finventer, comme Descartes et autres fondateurs de
systèmes à priori/ mais il a malheureusement aussi
de grands désavantages. Le premier , c'est d'être
hors de la portée des intelligences communes , si
l'on veut le tenir dans des limites judicieuses ; en
effet, nous l'avons dit plus haut , ne précisant aucu-
nement la nature , ni même l'existence du principe
vital , le vitaliste vrai ne le donne que comme une
abstraction, une inconnue, l'X algébrique ; or, il
est peu commode de raisonner sur une base aussi
métaphysique , et il arrive même souvent que ceux
qui ont commencé par définir ainsi leur principe de
vie, finissent par le matérialiser (i), le traiter en
être distinct et bien réel ; ce sera métaphoriquement
si l'on veut, mais dans les sciences on doit être sobre
de métaphores , le figuré s'y confond trop aisément
avec le propre. Un second désavantage , qui n'est
en partie que la conséquence du précédent, c'est que
ce principe vague et sans attributs déterminés , si
une fois l'esprit l'a personnifié , sert à l'explication
de tous les phénomènes vrais ou supposés , clairs ou
obscurs , parce qu'on le doue , à volonté , de toutes
les qualités, qu'on le munit arbitrairement de tous
les pouvoirs nécessaires ; mais par cela même on ne
rend raison de rien d'un manière satisfaisante , tout
dès-lors dans l'économie s'opère comme par miracle ,
et sous l'influence d'un démon mystérieux. Dès-lors
aussi l'esprit s'arrête aux plus superficielles appa-
(1) C'est ce qu'a fort bien reconnu l'un des partisans les plus zélés du vita-
lisme, le professeur Lordat notre collègue à Montpellier. Une pareille difficulté
n'arrête point sans doute un esprit aussi exercé et d'une portée aussi haute que
le sien, mais les sciences sont Lien assez vastes et assez difficiles pour qu'on en
rende les abords plus aisés aux néophytes, et qu'on épargne le travail, sxirlout
le danger de l'errexir , aux capacités ordinaires.
58 DU PRINCIPE ou AGENT VITAL,
rences , admet sans examen tous les faits , et n'ap-
profondit aucun mécanisme , puisque tout doit se
dénouer par l'intervention d'une puissance en quel-
que sorte surnaturelle, ou du moins au-dessus de
notre intelligence.
C. On évite à la fois et ces écarts et cette paresse
de l'esprit en admettant, comme cause de la vie, un
principe unique , mais défini , restreint et dont les
attributs sont connus , sinon son essence. On n'en
conserve pas moins les avantages susdits , et l'on
donne de plus à l'intelligence un suhstratum j à la
mémoire un point de repère , en même temps qu'on
empêche l'imagination de s'égarer dans des créations
tout arbitaires et sans circonscription positive. Telle
est la doctrine qui rapporte à Vagent nerveux et à
son influence , c'est-à-dire à Vinnervatiorij les lois de
la vie, aussi bien que toutes les propriétés qui ne
s'expliquent point par le seul fait d'un mode spécial
d'organisation. Cet agent vital est l'équivalent des
esprits animaux , conception un peu trop matérielle
de nos aïeux, du fluide nerveux de Cullen, de
l'esprit d'animation de Darwin , et l'on peut donner
aux partisans de cette doctrine le nom de nervistes.
Cet agent n'est pas toutefois envisagé de la même
manière par tous ceux qui l'admettent et le con-
fondent avec Vagent nerveux; tous y voient un agent
impondérable , mais identique pour les uns, analogue
seulement pour les autres à l'agent électro-magné-
tique, tel que le manifestent les corps inorganiques:
de là, deux opinions qui peuvent constituer chacune
une doctrine à part.
a. En admettant V identité j on a l'avantage , comme
DU PRIINCIPE OU AGENT VITxVL. 59
dans la théorie de la vie universelle , de rattacher
facilement l'un à l'autre tous les corps naturels ,
de n'en faire qu'une série et d'en réduire l'étude
presque à une seule science; c'est à peu près ainsi
qu'un illustre zoologiste , Geoffroy-S^-Hilaire , a
conçu l'ensemble de la nature , et en a formulé le
principe et la loi générale sous les noms à\mité de
composition organique et d'attraction de soi pour soi.
Telle est bien évidemment aussi la manière de voir
de Prochaska et autres ; telle est la doctrine de la
polarité très-répandue en Allemagne , etc. etc.
Voici les arguments sur lesquels on peut appuyer
cette opinion.
1^ Le galvanisme établit, dans le mercure, des
mouvements de translation ou courants circulaires
(Serrulas), ou des palpitations (Nobili), courants
fort analogues à ceux que paraissent suivre les mo-
lécules constituantes et les globules du sang, lors
de la formation du poulet et de l'établissement de
la circulation ( Delpech et Coste), palpitations qui
rappellent celles du cœur ( Geoffroy - S* - Hilaire j.
2^ L'électricité de nos machines hâte singulièrement
la germination et même la végétation; donc elle
augmente l'activité vitale en augmentant la dose de
l'agent qui la produit. 3° La rapidité de la trans-
mission est la même pour les phénomènes électri-
ques, et les phénomènes nerveux et vitaux. 4° Les
causes d'excitation sont fort ressemblantes , les fric-
tions , les percussions , les combinaisons chimiques ,
les contacts de matières hétérogènes , la chaleur ,
etc. , mettent enjeu également l'électricité et l'agent
vital. 5° Plusieurs phénomènes directs se produisent
60 DU PRINCIPE OU AGENT VITAL.
également sous l'influence de l'un et Tautre agent ,
comme l'élévation de température , l'expansion , la
décomposition de certains produits , la recomposi-
tion de certains autres. 6« L'électricité, appliquée
au corps vivant, produit plusieurs effets qui sem-
blent exclusivement sous la dépendance du système
nerveux , les commotions , les contractions mus-
culaires même des membres paralysés. 7^ Sur le
cadavre, l'électricité semble suppléer l'agent ner-
veux , soit en augmentant l'endomose et l'exosmose
(Dutrochet, Fodéré), soit en faisant contracter les
muscles (Galvani, etc. ). 8« Dutrochet a formé,
sous l'influence d'un courant galvanique , une sorte
de fibre musculaire onduleusement contractée, dans
une émulsion de jaune d'œuf ; et Wilson Pbilip a
fait digérer des aliments dans l'estomac d'un animal
dont on avait coupé les nerfs pneumo-gastriques , en
remplaçant l'action de ces nerfs par celle d'un cou-
rant galvanique. 9® Ce qui est plus parlant encore ,
c'est ce qu'on observe chez les poissons électriques ,
dont un organe particulier produit une partie des
plus évidents effets de la machine électrique ou de
la pile galvanique , et se trouve toutefois si bien
sous la dépendance de l'innervation , que la section
des nerfs qui s'y rendent , ou l'ablation du cerveau,
détruisent toute sa puissance électrique. 10° Vassali
Eandi et Bellingeri ont constaté dans le sang,
l'urine , la bile de divers animaux vertébrés , de
l'électricité libre , de manière à pouvoir déterminer ,
à l'aide de conducteurs , des contractions dans une
cuisse de grenouille. 11** Enfin , à Faide du galvano-
mètre , Donné a pu constater, dans le corps vivant
DU PRINCIPE OU AGENT VITAL. 61
( et Matteiici s'est assuré qu^il n'en était point ainsi
pour le cadavre ), des courants électriques allant de
la peau aux membranes muqueuses , du foie à l'esto-
mac; et déjà l'on avait expliqué l'efficacité de l'acu-
puncture par de semblables courants mutuellement
neutralisés , comme l'électricité atmosphérique par
le paratonnerre.
Aucun de ces arguments n'est susceptible de rester
sans réponse ; les quatre premiers ne prouvent que
de la ressemblance entre l'agent vital et l'électrique,
et démontrent, dans ce dernier, un puissant exci-
tant du premier. Les commotions et les contrac-
tions musculaires prouvent aussi que l'électricité est
un vigoureux stimulant qui pénètre aisément , et
traverse les ramifications nerveuses et le système
musculaire , et qui peut y mettre en jeu une sensi-
bilité, une contractiîité diminuées, mais non abso-
lument éteintes ; car d'autres excitants produisent
des effets semblables dans les mêmes circonstances.
Voita , puis Mariannini , ont observé que , quand
une portion de grenouille a cessé de contracter ses
muscles par l'action d'un courant galvanique , elle
exécute de vifs mouvements quand on établit le cou-
rant en sens inverse en changeant les deux pôles.
En serait-il ainsi , dans le cas où l'électricité serait
le véritable agent de ces mouvements musculaires ?
Qui ne voit , au contraire , qu'il n'y a là qu'un chan-
gement d'excitant ? Epuisés par un stimulant , les
nerfs sont encore susceptibles de répondre à un ex-
citant de nature différente , quel qu'il soit , chimi-
que, mécanique ou physique. L'endosmose est un
phénomène presque tout physique , et où l'électri-
62 DU PRIINCIPE OU AGENT VITAL.
cité peut suppléer, en effet, l'agent nerveux sans
être nécessairement le même que lui. L'expé-
rience de Dutrochet ne paraît pas être autre chose
qu'une simple coagulation ; celle de Wilson Philip
a été répétée avec des modifications qui ont prouvé
que la simple irritation mécanique du hout infé-
rieur des nerfs coupés, produisait le même effet que
l'électricité appliquée à ces nerfs ( Breschet , Milne
Edwards et Vavasseur). Les expériences de Vassali
Eandi , celles de Bellingeri , celles de Donné , ne
prouvent point l'identité de l'électricité qu'ils ont
découverte avec l'agent vital ; et il est à remarquer
qu'en effet les courants observés par le dernier ne
suivent nullement le trajet des nerfs. Les secousses
que donne , dans les articulations, une décharge
électrique , prouvent bien aussi que c'est plutôt le
long des os ( conducteurs interrompus par des sur-
faces arrondies ) que le fluide circule ; et Person a
constaté , sur des grenouilles , que le courant galva-
nique suivait le trajet des chairs musculaires de
préférence aux nerfs , quand celles-là lui offraient
un plus court trajet que ceux-ci. On a d'ailleurs
vainement cherché à constater l'existence d'un cou-
rant électrique à travers les nerfs dans l'état de vie ,
bien qu'on l'ait reconnu ( Nobili , contesté par
Pouillet) dans les expériences galvaniques faites sur
le cadavre récent. Remarquez que , même dans le
cadavre , l'aptitude des muscles à se contracter s'é-
puise et a besoin de quelque repos pour se réparer ,
ce qui ne devrait pas être , si le courant galvanique
qu'on établit et renouvelle à volonté était la vraie
cause efficiente des contractions. Quant à l'état de
DU PRINCIPE OU AGENT VITAL. 63
vie, c'est vainement, nous venons de le dire , qu'on
a cherché des signes d'électricité entre les deux
bouts d'un nerf coupé et ensuite excité d'une ma-
nière quelconque. Person n'a obtenu de tentatives
semblables, faites à l'aide du galvanomètre, que des
résultats négatifs ; Matteuci qui croyait d'abord avoir,
au contraire , obtenu des résultats affirmatifs , a plus
tard reconnu son erreur. Folchi avait cru observer
des courants galvaniques entre les substances grise
et blanche de la moelle épinière; ces mêmes expé-
riences , répétées et variées à l'aide du galvano-
mètre , par Esquirol et Leuret , ont prouvé que ces
courants étaient tout- à-fait indépendants de l'action
nerveuse , et du même genre que ceux dont il a été
question plus haut (Donné). Enfin , si la singulière
faculté des poissons électriques était uniquement un
fait d'innervation , elle devrait être bien plus géné-
rale qu'elle ne Test, et c'est dans le volumineux
encéphale des mammifères qu'on en devrait surtout
observer les phénomènes : les premiers sont pourvus,
au contraire , d'un organe spécial dont les fonctions
sont en conséquence aussi toutes spéciales. Concluons
de tout cela qu'il n'y a pas identité , mais seulement
analogie prochaine entre les deux agents qui vien-
nent de nous occuper.
6. La conclusion qui termine le précédent para-
graphe , savoir que l'agent vital ou nerveux est ana-
logue et non identique à l'électricité , est conforme à
l'opinion de plusieurs savants distingués (i). Peut-
(1) Il y a loin de cette analogie admise par nous , à celle qu'ont imaginée les
partisans du magnétisme anitnal pour expliquer certains faits dont plusieurs ne
sont que des effets de l'imagination analogues à la fascination des animaux
faibles , par les serpents, les chien s-d'arrêt, etc., ou bien d'éblouissemenl ej
64 DU PRINCIPE OU AGENT VITAL.
être est-il vrai de dire , avec certains d'entre eux ,
qu'il n'en est qu'une modification (Lamarck, Cabanis,
Sprengel ) , comme le galvanisme , le magnétisme ,
l'électricité du verre et de la résine , ne sont que
des modifications d'un même agent; mais , s'il faut
en venir à reconnaître ici une modification toute
spéciale , des lois toutes particulières , autant vaut
considérer l'agent vital comme sut generis et seule-
ment ressemblant à l'électrique , et ne se servir des
notions que la science possède sur ce dernier , que
pour éclairer analogiquement la manière d'agir du
premier. Au reste , on ne doit attacher d'importance
à cette théorie que parce qu'elle se montre d'accord
avec l'interprétation la plus directe et la plus ration-
nelle des faits physiologiques, et l'on doit se tenir
prêt à l'abandonner pour une meilleure , si quelque
bon esprit en présente une plus claire à la fois et
plus complètement applicable aux faits observables.
Une rapide exposition dans le genre de celle dont
Cuvier a fait un des chapitres préliminaires de son
règne animal , prouverait aisément que du moins la
doctrine à laquelle nous donnons la préférence ,
peut rendre raison des principaux actes vitaux , en
même temps qu'elle fait mieux comprendre l'unité
de la vie et la coordination de ses nombreux phé-
nomènes , chez les animaux supérieurs, l'homme en
de faligiie ; le plus grand nomire et les plus miraculeux sans doute de ces
faits doivent être mis au rang des fables, ou attribués au charlatanisme et à la
fraude. L'agent vital coercé , et nécessairement coercé , dans le système ner-
veux, l'est, à plus forte raison, dans l'individu, et ne peut, comme rélectricilé ,
passer de l'un à l'autre. En le supposant transmissible au contact, il ne pourrait
transporter avec lui des sensations , des idées toutes faites , des notions com-
plexes. Dans le même individu , il ne saurait expliquer la transposition des
sens, car ce n'est pas l'agent vital qui sent, qui apprécie ; il ne sert évidemment
que de moyen d'action aux organes sensoriaux.
DU PRINCIPE OU AGENT VITAL. 65
particulier ; c^est ce qu'on verra bien assez dans le
chapitre suivant, et la rapide énarration qu'il ren-
ferme suffira pour répondre à ceux qui refusent
aux nerfs la prérogative de présider au mécanisme
de tous les détails de la vie , et même seulement à la
sensibilité. On y verra comment les variations des
phénomènes vitaux sont en rapport avec celles de l'or-
ganisation des diverses parties du système nerveux ,
des organes eux-mêmes dans les phases diverses qu'ils
sont destinés à parcourir naturellement, ou que des
accidents leur apportent ; on y verra aussi comment
ces phénomènes se montrent à différents degrés
d'intensité , et avec des conditions différentes , dans
des animaux diversement partagés sous le rapport
du système nerveux ; et l'on reconnaîtra que , nulle
part où il y a vie animale , il n'y a absence de matière
nerveuse ; nous trouverons dans cette démonstration
un autre avantage , puisque nous aurons , en quelque
sorte , une physiologie comparée du principe vital
dans l'échelle animale tout entière, en jetant ainsi
un coup-d'œil rapide sur les formes les plus essen-
tielles du système organique qui en est la source et
le réceptacle.
CHAPITRE II.
DE L'INNERVATION ET DE SES DIVERSITES DANS L'ECHELLE
ORGANIQUE.
A, Uagent vital j considéré comme un agent
impondérable , est formé non -seulement dans les
centres , dans les masses principales du système ner-
veux, mais aussi dans les moindres parcelles de ce
5
66 DE l'inînervation et de ses diversités
système(i), qui lui sert de cohibant tant qu'il n'y a
pas nécessité qu'il agisse vivement sur les autres
organes , et de conducteur dans le cas contraire. On
sait qu'il le parcourt alors avec la rapidité de l'éclair,
comme le prouve l'instantanéité des sensations , des
mouvements volontaires , etc. Sans doute , c'est de
toute la superficie de ses filets qu'il s'échappe alors,
et c'est ainsi qu'il faut interpréter Vatmosphère sen-
suive que Reil établissait autour des nerfs. Suivant
Cuvier, c'est par une véritable sécrétion que ce
fluide nerveux est séparé du sang comme tous les
autres produits (2) ; ce qu'il y a de certain , c'est que
l'abord du sang artériel , dans les grands animaux ,
est nécessaire à l'exercice des fonctions nerveuses ,
que le sang artériel répare l'agent nerveux épuisé ,
etc. ; mais est-ce en fournissant des matériaux en
nature ? N'est - ce pas plutôt en remettant l'organe
dans des conditions favorables , comme le fait le
renouvellement de l'eau acidulée d'une pile galva-
nique ? L'agent vital n'est -il pas produit par les
contacts hétérogènes, soit entre tous les organes
( Prochaska) , soit entre les diverses substances dont
se composent les organes nerveux (Reil, Rolando) ,
soit encore entre les nerfs et les autres parties du
corps ? Cette opinion est peut-être la plus rationnelle.
Ce qu'il y a de positif, c'est que l'agent en
question s'épuise par l'exercice , d'où résultent l'in-
sensibilité , la fatigue ; qu'il se renouvelle par le
repos , et donne d'autant plus d'intensité aux phéno-
(1) Une patte de grenouille, séparée du corps, reprend, par le repos , la sen-
sibilité , la eonlraclililé que des slimulalions répétées lui avaient fait perdre.
(2) Toutefois, dans la nouvelle édition de Tanalomie comparée, il semble
jdisposé à en assimiler le mode d'origine à celui de l'électricité par contact.
DAISS L^ÉCHELLE ORGA>:iQUE. Cu
mènes de réaction c|ue la sédation antécédente a
été plus profonde. C'est pour cela qu'un air tempéré
paraîtra chaud à tel individu préalablement refroidi,
et froid à tel autre qui sort d'un endroit échauffé.
C'est pour cela aussi que le jour vous éblouit au
sortir de l'obscurité , et que vous n'y voyez pas si
d'un lieu éclairé vous passez dans un plus sombre.
Regardez une tache noire sur un papier blanc , puis
reportez vos regards sur un autre point du même
papier , et vous y verrez une tache très-blanche :
ce point de la rétine s'est reposé et est devenu plus
sensible à la lumière ; aussi le clignotement des pau-
pières a-t-il un avantage très-réel quoique peu connu,
celui de reposer la rétine et de lui conserver un cer-
tain degré de sensibilité. Les objets peu apparents ,
au microscope ou dans l'obscurité , se distinguent
mieux s'ils sont mis en mouvement , parce qu'ils im-
pressionnent successivement des points nouveaux et
non fatigués du centre de la rétine.
Il n'est pas moins certain que cet agent est mis en
jeu par les excitants naturels ou accidentels , et qu'il
semble quelquefois modifié dans son essence même.
Du moins il est possible que , dans l'homme en parti-
culier, il se présente avec des différences très-réelles
dans différentes parties du corps , dans différentes
fonctions (Rolando), dans des circonstances diffé-
rentes aussi , les maladies par exemple , de même que
le fluide électro -magnétique se diversifie selon les
conditions dans lesquelles il est manifesté. C'est en
partie là ce qu'il faut entendre par les altérations
chimiques dont Cuvier croit le fluide nerveux sus-
ceptible , expression qui pourrait donner des idées
68 DE l'iivîservatio?^ et de ses diversités
fausses sur sa nature , et faire penser que ce savant
zoologiste le regardait comme une humeur, s'il ne
s'était nettement expliqué sur sa nature impondé-
rable. Ces altérations semblent , au reste , bien
prouvées par cette remarque , que quand un exci-
tant semble avoir épuisé l'agent vital (i), un autre
excitant peut néanmoins encore agir avec presque
autant d'énergie que le premier : c'est ce qui se voit
même dans les expériences sur des parties fraiche-
ment séparées du corps d'un animal vivant. De
quelque manière que ces changements s'opèrent ,
il parait qu'ils peuvent aller jusqu'à une annihi-
lation complète , et c'est ainsi , sans doute , que tuent
subitement l'action de la foudre , l'acide hydrocya-
nique concentré , une terreur soudaine et profonde,
enfin certains agents morbifiques, connus seulement
par leurs effets prompts et funestes dans les grandes
épidémies.
B. Ces diversités sont d'autant plus nombreuses et
plus tranchées que l'animal est plus compliqué dans
sa structure ; aussi le système nerveux offre-t-il alors
des particularités de distribution , de forme et d'or-
ganisation en proportion avec les besoins des autres
organes, et l'on doit sous ce rapport établir entre
les animaux quatre divisions principales : 1 " animaux
à système nerveux combiné molécule à molécule
avec le système musculaire ; 2*^ animaux à système
nerveux centralisé en filaments ; o^ centra-
lisé en masses réunies seulement par des cordons de
communication; 4° en masses continues.
(1) L'œi] fatigué du rouge ne l'aperçoit plus dans ses combinaisons (Darwin),
le pourpre paraît bleu, Torangé jaune , etc. :
" L'ennui naquit xin jour de runiformité. >>
DANS L^ÉGHELLE ORGANIQUE. 69
Dans chacune de ces formes , nous jetterons un
coup -d'oeil non-seulençient sur la disposition anato-
mique , mais encore sur l'aptitude des parties prin-
cipales du système nerveux à remplir , avec plus ou
moins d'énergie , leurs trois destinations communes,
celles 1^ de recevoir des impressions , 2° de réagir,
et 3<^ de transmettre soit les impressions reçues , soit
les réactions opérées.
Avant de parler des animaux appartenant à la
première de nos quatre séries, nous dirons un mot
des végétaux.
a. Les i;egetatfj) possèdent-ils un système analogue
à la trame nerveuse des animaux ? Cette question
pourrait être résolue par la négative , si l'on ne tenait
compte que de l'influence de cette trame sur les
fonctions sensitives et locomotrices ; il n'en est plus
ainsi quand on réfléchit à sa participation aux actes
nutritifs et reproductifs. La position de la moelle
des plantes , sa couleur ordinairement hlanche ,
sa consistance molle ont servi, plus peut-être que
toute autre considération, à la faire comparer aux
centres nerveux des animaux; et tout récemment
cette opinion a été amplement développée , plutôt
que prouvée , par Brachet qui compare spéculative-
ment la moelle au nerf trisplanchnique. Dutrochet
a pensé que l'analogue du système nerveux consis-
tait, chez les plantes, dans des globules adhérents
aux cellules de la moelle plutôt que dans la moelle
même. Sans discuter longuement ces diverses ma-
nières de voir, nous nous contenterons de faire
observer que la moelle pénétrant à travers toutes les
tronches des végétaux ligneux (rayons médullaires),
70 DE L^IISINERVATION ET DE SES DIVERSITES
établissant communication de l'intérieur à l'extérieur
(tissu cellulaire de l'écorce), et se propageant dans
toutes les branches, les rameaux, etc., sert évi-
demment du moins à individualiser le végétal qu'on
pourrait, sans elle, considérer, avec plus de raison,
comme un simple agrégat de bourgeons entés les uns
sur les autres. Nous ajouterons qu'on n'a nullement
infirmé son importance en faisant remarquer l'inno-
cuité de sa destruction au centre des vieux arbres,
puisque alors elle n'en est pas moins répandue dans
les couches ligneuses même de leur tronc, dans leur
écorce et dans leurs branches.
Au reste , si la moelle est comparable à la substance
nerveuse des animaux , ce n'est pas aux formes les
plus relevées de celle-ci qu'elle peut être assimilée ,
à eu juger du moins par les phénomènes dont elle
favorise l'apparition. En effet, à peine voit-on, dans
un si grand nombre de plantes, quelques espèces
offrir des mouvements plus ou moins comparables à
ceux des zoophytes , tels que l'épanouissement et la
clôture des fleurs diurnes ou nocturnes , le ploiement
vespéral des feuilles ( légumineuses), celui des folioles
de la sensitive et des lobes de la dionœa muscipula
par l'effet d'un léger contact ou d'une secousse , d'une
irritation chimique , enfin , le mouvement gyratoire
des folioles d'un hedysarum. La plupart du temps ,
toute l'influence de l'innervation se borne ici aux
phénomènes moléculaires de la nutrition , ou bien
de quelques déviations du type régulier, qui déno-
tent une certaine sensibilité; comme quand quelque
plante laiteuse , la laitue par exemple , fait sourdre
des gouttelettes de son suc gommo - résineux par
DANS L^ÉCHELLE ORGANIQUE* 7 1
suite d'une simple friction exercée sur son écorce ;
quand d'autres le font jaillir à la moindre piqûre ;
quand la présence d'un insecte ou de son œuf, l'irri-
tation produite par ses picotements déterminent une
exubérance de nutrition , un gonflement ( galles ,
bédeguar, etc. etc.) qui rappellent les gonflements
morbides si souvent observés dans l'homme lui-
même, et qui prouvent évidemment un certain degré
de ce qui existe chez lui dans toutes les parties du
système nerveux, l'aptitude à recevoir des impres-
sions et à réagir à leur occasion.
Il faut ajouter encore à ces considérations celles
de l'action analogue , sinon identique , sur les ani-
maux et les végétaux, de l'étincelle électrique qui a
détruit instantanément l'excitabilité des étamines de
l'épine-vinette (Humboldt) , et tué complètement les
euphorbes soumis à son action (Yan Marum) ; de
l'opium qui agit de même sur l'épine-vinette et sur
la sensitive ; et enfin , d'une foule de poisons narco-
tiques et autres , connus pour agir spécialement sur
le système nerveux , comme la noix vomique , l'acide
hydro-cyanique , l'alcool, les éthers, etc. etc., qui
stupéfient d'abord, et font bientôt périr les végétaux
qu'on force à les absorber (i).
6. Les animaux à molécules nerveuses disséminées
et combinées aux tissus locomoteurs, sécréteurs, etc.,
se rapprochent un peu des végétaux sous ce rapport
et sous quelques autres, tels que ceux de la forme
(polypiers, etc.). Aussi ce ne sont pas les plus nom-
breux ni les plus parfaits en organisation , ils occu-
pent les derniers degrés de l'échelle animale : tels
(1) Voy. de Candolle, Pliys. vcgét. , lom, m.
72 DE L^INNERVATION ET DE SES DIVERSITES
sont les monadaires proprement dits , les polypes et
les acalèphes de Cuvier ou radiaires mous, compre-
nant et les médusistes et les actinistes (i), et les
dyphiaires de notre classification ; il faut y joindre
aussi une partie des elminthes, et probablement
tous ceux qu'on nomme parenchymateux , nos té-
niens et planariens. Ces derniers jouissent d'une
structure assez complexe et d'une taille assez grande,
pour qu'on puisse facilement étudier leur pulpe
sensible et contractile à la fois, que nous appelons
tissu neuro-myaire. Cette pulpe est molle comme son
nom l'indique (2), assez semblable à celle du cerveau
des animaux vertébrés, et se montre, au micros-
cope , composée de globules réunis par une visco-
sité incolore. L'alcool concrète le tout; l'eau, quand
l'animal est mort , semble dissoudre ou plutôt dé-
layer la matière visqueuse qui pénètre ces animaux ,
comme elle les enduit à l'extérieur, et qui sans doute
est albumineuse ; quant aux globules , ils y restent
suspendus en flocons ou en nuage lactescent.
Les molécules dont il s'agit semblent parfois dis-
posées en séries longitudinales, mais sans consti-
tuer des fibres proprement dites ; elles se montrent
néanmoins en stries fort semblables à des fibrilles ,
mais qu'il est impossible de dissocier, dans quelques
organes plus blancs, plus denses, et qui jouissent
(1) Toutefois , on croyait avoir vu quelques ganglions distincts chez les
actinies, et nous leur avons trouvé nous-même non des fibres, mais des fibrilles
musculaires.
(2) Si les observations de Dujardin se confirment , il faudra admettre que ce
tissu peut se présenter même à Tétat liquide ; ses rbizopodes étant essentielle-
ment formés d'une viscosité vivante, contractile, susceptible de prendre toute
sorte de formes , de se séparer en filaments , en gouttes , et de se réunir de
même.
DAINS L^ÉCHELLE ORGANIQUE. 73
d'une contractilité presque miraculeuse , dans les
portions membraneuses des actinies et le suçoir des
planaires par exemple.
Chez un certain nombre des animaux qui nous
occupent, et dont quelques-uns parviennent même à
une taille considérable , la substance albumineuse ,
incolore , semble exister seule ou presque seule ; les
méduses n'offrent qu'une substance cristalline , dont
l'aspect , il est vrai , peut bien tenir à l'énorme pro-
portion d'eau dont elle est imprégnée.
Au reste , quel que soit l'aspect de la substance
neuro-myaire , elle n'en offre pas moins , dans tous
ses points , cette extrême aptitude aux changements
de forme , et en même temps une sensibilité portée
au plus haut degré ; les polypes , les protées ou
amibes , les planaires , les elminthes parenchyma-
teux en fournissent de remarquables exemples , soit
dans leurs mouvements , soit dans l'impression que
produit sur eux la lumière, etc. Chez ces animaux,
toutes les parties du corps sentent et se meuvent ,
toutes aussi transmettent aux autres et leurs impres-
sions et leurs mouvements, avec une grande faci-
lité ; c'est pour cela qu'ils peuvent exécuter, aussi
facilement , aussi régulièrement , de grands mouve-
ments d'ensemble que les animaux des autres séries.
Une expérience facile prouve qu en effet toutes les
molécules du corps participent à ces déterminations
générales ; coupez transversalement une planaire ,
la moitié antérieure et la postérieure continueront
à marcher dans le même sens qu'auparavant. La
queue n'a plus de chef qui la dirige , et pourtant
elle marche toujours en portant sa plaie en avant :
74 DE L'iNNERVATION ET DE SES DIVERSITES
c'est que l'animal est tout cerveau comme il est tout
muscle; c'est que, si l'on veut une comparaison phy-
sique, chaque molécule est polarisée comme le tout:
on sait , en effet , que c'est en admettant la polari-
sation pour chaque molécule , qu'on explique la
polarité d'un aimant considéré en masse. Toutefois
la vie est , en raison de cette organisation , plus
également, plus uniformément répartie dans toutes
les portions de leur corps ; aussi peut-on les couper
dans tous les sens , et les réduire en morceaux
moindres quelquefois que la vingtième partie du
tout , sans que la vie leur échappe : au contraire ,
on crée ainsi artificiellement autant d'individus que
de lambeaux ; et , dans plusieurs espèces du moins ,
les hydres d'eau douce et les planaires , on a expé-
rimenté que ces lambeaux pouvaient acquérir, par
une reproduction rapide dans les jours chauds de
l'été , plus lente à d'autres époques , et les organes
qui leur manquent, et la forme convenable pour re-
présenter un animal plus petit , mais parfaitement
semblable à celui dont il a été détaché.
c. Des filaments à peine renflés en quelques points
gangîiformes ont été représentés par Spix au fond
des actinies ou anémones de mer (i) , animaux bien
voisins des polypes , mais beaucoup plus complexes
que les hydres ; Ehrenberg en soupçonne même
chez les méduses ; Spix , Meckel , Tiedemann ,
Ehrenberg, ont vu plus distinctement encore, autour
de labouche des astéries, des filets et des renflements ;
(1) De Blainville les a vainement cherchés , et je n'ai pas été plus heureux.
Cuvier les passe sous silence , et délie Chiaje les nie ; il est vrai qu'il les refuse
aussi aux échinodermes et n'accorde qu'au siponcle des ganglions qui le rap-
prochent des mollusques acéphales.
DANS lMgHKLLE ORGANIQUE. 75
Tiedemann y indique cinq ganglions d'où partent
autant de longs filets nerveux (voy. fig. b) ; Cuvier
parle d'un cordon nerveux très -délié qui entoure
l'œsophage dans les holothuries ; de Blainville croit
l'avoir aperçu dans les oursins.
Mais c'est surtout chez les elminthes arrondis, les
ascaridiens, que la centralisation du système nerveux
en filaments est facile à démontrer; l'ascaride lom-
hricoïde , par exemple , nous fait voir deux cordons
hlancs et flexueux sur la ligne médiane , un dorsal
et un ventral , offrant parfois de petits renflements
très-espaces. Ces filets communiquent ensemble vers
l'extrémité antérieure de l'animal par un collier
complet ; à l'extrémité postérieure , ils se divisent
chacun en deux filaments plus fins qui s'écartent au
devant de l'anus pour le ventral , au bout du corps
pour le dorsal , viennent côtoyer les vaisseaux laté-
raux et les suivent ainsi jusqu'à la tête, où ils se
portent de nouveau vers les deux filets nerveux
médians et s'y anastomosent : c'est ce qui résulte de
dissections très-attentives et répétées plusieurs fois
avec le même soin. Ce système est donc plus com-
plexe qu'on ne le pense ordinairement , et il ne serait
pas irrationnel de voir dans les fils médians l'ana-
logue du système cérébro-spinal des grands animaux,
et dans les filets latéraux qui côtoient le système
vasculaire , l'analogue du nerf trisplanchnique ( ( },
Au reste, les filets secondaires partent transversa-
lement de ces cordons principaux , ils sont à la vérité
si ténus qu'il faut , pour les apercevoir, une dissec-
(1) On avait pensé que, des deux filels principaxix, le ventral représentait le
cordon principal des insectes, tandis que le dorsal était l'analogue de leur nerl
récurrent. ( Olto. )
76 DE l'innervation et de ses diversités
tion des plus délicates ; mais, pas plus ici qu'ailleurs ,
on ne peut supposer que les muscles soient animés
uniquement par influence , par VatmospJière nerveuse
de Reil , dont il faudrait considérablement étendre
les limites, si l'existence des rameaux transverses
n'était pas certaine comme elle l'est. Ce qui est
d'une évidence moins contestable encore , c'est la
parfaite séparation du système musculaire et du ner-
veux, confirmant cette remarque très-judicieuse de
Lamarck et de Meckel, que l'un de ces tissus ne
peut se manifester , se dégager, sans que l'autre en
fasse autant ; on doit donc supposer des nerfs isolés
là où l'on voit des muscles , et en repousser l'ad-
mission là où l'on ne voit qu'un tissu pulpeux et
contractile : aussi , bien que nous n'ayons pu voir
avec certitude les fils nerveux du gordius , n'en som-
mes-nous pas moins persuadé qu'on les lui trouve-
rait comme à l'ascaride , car ses muscles sont peut-
être encore plus distincts ; et , au contraire , c'est à
tort , selon nous , qu'on a décrit et figuré des nerfs
chez les distomes ou fascioles et quelques autres
elmintbes. Meblis a bien prouvé que les filaments
admis comme nerveux par Ramdhor dans la douve
du foie appartiennent aux organes génitaux ; mais
ce que lui-même a cru des nerfs , ce sont deux troncs
vasculaires longitudinaux tout semblables à ceux des
planaires , chez lesquelles Quoy et Gaymard pour
une espèce, F. Schulze pour d'autres , les ont aussi
cru nerveux. Des observations attentives sur l'ani-
mal vivant , des recherches minutieuses sur le
mort , nous ont prouvé , chez les uns et les autres de
ces animaux , la nature vasculaire de ces organes ,
DANS L^ÉGHELLE ORGANIQUE. 77
que nous décrirons au reste plus amplement par la
suite. J'incline fort à porter le même jugement sur
le prétendu système nerveux que Bojanus a dessiné
d'après Y amplnstoma suhtnquetrum j et sur celui du
pentastoma iœmoïdes _, admis par Cuvier et figuré
par Miram.
d. Chez les animaux imertébrés dont l'organisa-
tion s'est compliquée et perfectionnée davantage , le
système nerveux s'est formé des centres plus ou moins
nombreux , des masses médullaires communiquant
les unes avec les autres par des cordons fibreux j et
émettant des branches également fibreuses qui se
répandent dans tous les organes : c'est ce qu'on
nomme ganglions. La plupart de ces animaux possè-
dent des organes de sens plus nombreux et plus par-
faits , des appendices locomoteurs détachés en forme
démembres à plusieurs articulations. Sous ce dernier
rapport, les mollusques ou hélicaires sont le moins
bien partagés ; aussi leur chaîne ganglionnaire est-elle
bien moins étendue que celle des animaux articulés
ou astacaires, soit que les éléments de nombreux
ganglions se soient soudés et confondus , soit que
(et ceci est plus probable) les centres nerveux soient
réellement en plus petit nombre , virtuellement
comme en apparence. On n'a trouvé qu'un ganglion
dans les biphores (de Blainville, Meyen) , dans les
ascidies (Cuvier, Meckel), deux dans les gastéro-
podes ou hélicistes, mais impairs et plus ou moins
bilobés (^fig. Qjj, trois ou cinq chez d'autres mollus-
ques ; un nombre à peu près semblable , mais dif-
ficile à déterminer, chez les infusoires rotateurs
(Ehrenberg) ; tandis que, chez les animaux ârti-
78 DE l'innervation et de ses diversités
culés , on trouve toujours une longue chaîne de
ganglions impairs et biloLés à divers degrés , dou-
bles même quelquefois , et réunis seulement par
une commissure médiane (cloporte , talitre , fig. 7 );
disposés tantôt en chapelet serré , tantôt tenus à
distances considérables par des cordons de commu-
nication , toujours doubles , ou du moins offrant un
sillon médian si le cordon est impair. Ces gan-
glions sont aussi nombreux que les anneaux du corps
dans les annélides, même dans les nais (Gruithuisen
et nous-même ) , les sabelles ( délie Chiaje ) , aux-
quelles ont avait à tort dénié un système nerveux
(Lamarck, Schweigger, Meckel). Il y en a treize
chez beaucoup de larves , moins chez les insectes
parfaits. Dans tous les cas, le premier ganglion,
celui qui anime les yeux , les antennes , est situé
dans la tête et au-dessus de l'œsophage , les autres
au-dessous du canal alimentaire.
La comparaison de ce système nerveux avec celui
des animaux vertébrés, que nous examinerons ci-
après , a été diversement envisagée par divers ana-
tomistes , et il est important de fixer notre opinion
à cet égard : la discussion achèvera d'ailleurs de
faire connaître les usages et la distribution des sys-
tèmes dont nous venons de donner un aperçu.
1** L'aspect de cet ensemble de ganglions consti-
tuant les centres nerveux , chez les animaux inver-
tébrés , l'a fait regarder par Ackermann comme
l'analogue du nerf trisplanchni que ou grand sympa-
thique des vertébrés ; il s'appuyait encore sur la pré-
dominance de l'instinct chez ces animaux. Nous
ferons voir ailleurs qu'il y a parité d'instinct et d'in-
DAKS L^ÉCHELLE ORGANIQUE. 79
telligence , à peu de chose près , entre les vertébrés
et les invertébrés, et nous remarquerons ici seule-
ment que le ganglion sous-œsophagien, vrai cerveau,
fournissant les nerfs optiques, etc. , ne peut être
comparé à aucun des ganglions du grand sympathi-
que , à moins qu^on n'adopte les explications sans
vraisemblance d'Ampère , qui le comparait au gan-
glion naso palatin.
D'ailleurs, il est positif que l'analogue du tri-
spîanchnique ou nerf ^dscéral existe chez les inver-
tébrés, conjointement avec la chaîne ganglionnaire
principale dont il est bien distinct. L'appareil nerveux
splanchnique de certains mollusques tels que l'aplysie
(Cuvier), des crustacés (Audouin et Edwards, delîe
Chiaje , Erandt), des insectes (Lyonet , Cuvier,
Brandt), est bien connu sous le nom de nerf récurrent /
nous l'avons trouvé aussi chez les araignées : il part
du ganglion céphalique , et porte lui-même plusieurs
autres ganglions secondaires; d'ailleurs, c'est aux
organes digestifs qu'il se distribue principalement.
Tréviranus en représente un chez les scorpions ,
qui , se distribuant surtout aux organes respiratoires ,
et n'ayant pas de ganglions propres , se rapporterait
plutôt à la huitième paire ou nerf pneumo-gastrique
des vertébrés : c'est dire qu'il n'en peut être ain^i de
celui dont nous venons de parler, et qui est du reste
également donné par Mûller, Carus et autres , pour
le véritable analogue du trisplanchnique.
Ce n'est qu'en envisageant cet ensemble, mais
non en le restreignant à la chaîne principale , qu'on
pourrait dire , avec Lobstein et Tréviranus , que le
système nerveux des animaux articulés est à la fois
80 DE l'innervation et de ses diversités
le représentant de l'appareil cérébro-spinal, et du
grand sympathique des animaux à vertèbres.
2^ Weber et Serres ont comparé les ganglions des
animaux articulés, aux ganglions intervertébraux
des vertébrés et de Thomme. Serres se fonde sur ce
que ces derniers se montrent de très -bonne heure
dans Fembryon , qui, inférieur en développement au
vertébré adulte , peut être en quelque sorte assimilé
à l'invertébré inférieur en organisation. C'est là, on
en conviendra, un argument bien faible. Ce savant
académicien voit, dans le cerveau des articulés, l'ana-
logue du ganglion crânien de la cinquième paire , à
laquelle il fait jouer un grand rôle dans les fonctions
sensoriales. Ceci ne fournirait encore qu'une proba-
bilité , qu'une preuve conjecturale et bien faible,
selon nous , auprès des arguments contraires. Ces
arguments les voici. D'abord, les racines motrices
des nerfs vertébraux ne concourent point à la for-
mation des ganglions intervertébraux , et cependant
les ganglions des insectes émettent aussi bien les
nerfs moteurs que les sensitifs, car on paralyse ins-
tantanément les muscles dont on coupe les nerfs à
leur sortie de ces centres médullaires. En second
lieu , il n'y a pas de communication d'un ganglion
intervertébral à un autre , comme il y en a , chez
les insectes, dans la longueur de leur chaîne ner-
veuse; cette communication n'est établie que par
la moelle épinière , et l'admettre , c'est admettre
l'analogie qui va maintenant nous occuper.
3® L'identité des usages et des connexions (sens
et membres } est déjà une forte preuve en faveur
de l'identité de la chaîne ganglionnaire des animaux
DAKS l'Échelle orgainique. 81
articulés et du système cérébro-spinal des vertébrés,
identité admise par Gall , qui ne regarde la moelle
épinière de ces derniers que comme une série de
ganglions soudés , et par Cuvier, qui a toujours
donné le nom de cerveau au premier ganglion des
insectes. On peut effectivement adopter cette défini-
tion , et regarder comme cervelet et mésocéphale
le deuxième ganglion, c'est-à-dire le premier sous-
œsophagien qui , chez les insectes , est encore con-
tenu dans la tète , et fournit des filets aux appareils
de la gustation et de la mastication : les autres
répondent évidemment à la moelle rachidienne.
Il n'est pas étonnant que les centres nerveux se
montrent plus détachés dans des animaux si nette-
ment segmentés à l'extérieur; et il est de remarque
qu'en effet la coalescence des ganglions correspond
généralement à celle des segments du corps. Ainsi,
chez la chenille, les treize ganglions sont à distance;
dans le papillon , le onzième , le douzième et le trei-
zième n'en font qu'un , rétréci seulement vers son
milieu ; le deuxième et le troisième sont également
confondus ; le cinquième et le sixième , le quatrième
même , ne constituent plus qu'une masse perforée
et légèrement étranglée. Voilà donc des ganglions
soudés en portions de moelle épinière , et ceci est plus
sensible encore chez certains crustacés décapodes
macroures (fig, 8 }. L'écrevisse même , qui dans
le très-jeune âge a au thorax une chaîne de ren-
flements nerveux séparés , n'a dans l'âge adulte
qu'une masse médullaire cylindroïde et continue ; au
contraire , la larve des coléoptères lamellicornes et
de plusieurs diptères (Swammerdam, Serres, etc.)
6
82 DE l'innervation et de ses diversités
constitue ime moelle épinière continue à renflements
courts et pressés , tandis que les ganglions sont dis-
sociés et à distance, pour un certain nombre du
moins , chez l'animal parfait. Enfin, chez le lombric
terrestre , dont les anneaux sont très-courts et très-
nombreux, le système nerveux central ressemble
plus à une moelle épinière noueuse qu'à une série
de ganglions ; le premier seul , qui est composé de
deux lobes latéraux bien distincts , ne communique
avec les autres qu'à l'aide de deux cordons assez
longs qui environnent l'œsophage , comme chez tous
les animaux articulés , et que , pour cette raison, on
nomme le collier œsophagien.
Toutefois une objection très-spécieuse pourrait
être tirée de la position ventrale ou inférieure de la
chaîne ganglionnaire , tandis que la moelle épinière
est toujours à la région dorsale ou supérieure des
animaux à vertèbres. Cette objection tombe, si l'on
admet, avec GeofTroy-St-Hilaire, que le ventre de
l'invertébré est le représentant du dos chez le ver-
tébré : et , en effet , la position et les rapports mutuels
du cœur ou vaisseau dorsal, du canal alimentaire
et du système nerveux autorisent cette comparaison.
CVoij. pg. 3 et A.J On trouve même, à la face
inférieure du thorax et de la tête des insectes et
des crustacés, de véritables vertèbres (i) nommées
entocéphale et entothorax par Audouin. La diff'érence
entre le vertébré et l'invertébré se réduit dès -lors à
(1) Mém. sur la conformité organique, pag. 9S et 96.— Nous y établissons une
preuve de plus surJa situation du vitellus dans Tœuf ; il est en rapport avec ce
qu'on nomme le ventre chez le vertébré , avec ce qu*on nomme le dos chez
rinvertébré (Rathkc, Heroldt), vérités que noiis avons constatées par l'obser-
valioH directe.
DANS l'Échelle orga^jique. 83
une différence d'attitude fort peu diffîciie à con-
cevoir ; et la seule difficulté réelle qui subsiste ,
c'est d'expliquer comment l'œsophage des animaux
articulés et des mollusques traverse le collier susdit ,
et pourquoi le cerveau ne se trouve pas à la même
face du corps que la moelle épinière. C'est un pro-
blème que nous chercherons ailleurs à résoudre
fEmhnjogénieJ.
e. Des renflements continus et un cordon fibreux et
médullaire à la fois , d'où partent des nerfs à doubles
racines (sensitives et motrices) , même dans les ser-
pents (d'après nos observations) et la lamproie (Carusj,
auxquels Desmoulins n'accordait qu'un seul ordre
de racines nerveuses : telle est la disposition carac-
téristique du système nerveux principal des animaux
vertébrés f^fig. dj. Les lobes olfactifs , les lobes ou
hémisphères cérébraux, les lobes optiques et le
cervelet , voilà les principaux de ces renflements ;
la moelle épinière constitue le cordon mentionné
ensuite. Mais, indépendamment de cet appareil ou
système dit cérébro - spinal , il en existe un autre
essentiellement viscéral, système ganglionnaire ou
trisplanchnique , ou encore nerf grand sympathique
des anatomistes,
1° Le premier de ces deux systèmes reçoit les
impressions des excitants extérieurs par des organes
spéciaux nommés senSj qui communiquent avec les
centres par des nerfs ^ c'est-à-dire des conducteurs
fibreux, dont les filaments visibles et parallèles sont
composés d'une enveloppe membraneuse ou névri-
îème , et d'une pulpe blanche à globules micros-
copiques, disposés en séries linéaires ou filaments
84 DE l'iîninervation et de ses diversités
élémentaires excessivement ténus (i). D'autres nerfs
vont des centres aux muscles pour eu mettre enjeu
la contractilité. Ce système est donc entièrement
destiné aux relations de l'animal avec le monde exté-
rieur ; il embrasse toutes les fonctions de sensaiion
et de manifestation , telles que nous les définirons
par la suite. Toutefois le nerf pneumo - gastrique ,
qui naît de la moelle allongée ou de l'origine de la
moelle épinière , est d'un grand secours à certaines
fonctions de la vie nutritive, la circulation, la respi-
ration et la digestion. Ceci n'est pas plus étonnant
que de voir naître du cerveau le nerf récurrent des
insectes et des crustacés.
2^ Au reste , le système trisplanchnique a égale-
ment de nombreuses communications avec le céré-
bro-spinal , soit dans le crâne par le moyen de
plusieurs nerfs cérébraux , soit tout le long du racliis
par le moyen d'un double filet fourni à chaque gan-
glion par les racines antérieures et les postérieures
des nerfs spinaux (2).
Mais ce système éminemment dévolu aux fonctions
nutritives j consacré au service des viscères et des
vaisseaux artériels, distribué au cœur, aux poumons,
(1) Suivant Prévost et Dumas, un nerf de 1 millimètre carré en épaisseur
contiendrait 22,500 filaments élémentaires ; il y en aurait 16,000 dans un nerf
cylindrique de i millimètre d'épaisseur, comme celui du membre postérieur
d'une grenouille.
(2> Scarpa, qui avait d'abord admis cette double union , l'a niée depuis; il
pense qu'il n'en vient que des racines postérieures ; mais Amussat en a vu sortir
aussi des antérieures: on peut seulement croire que ces derniers sont plus
faibles, plus rares; de là vient que les viscères transmettent mieux à l'encéphale
leurs sensations quand elles sont vives, qu'ils n'en reçoivent l'influx dans les
passions. Toutefois, les palpitations du cœur , les coliques, les vomissements
produits par des impressions morales instantanées démontrent bien que la con-
traction n'est pas soustraite à celte communication entre les deux systèmes. Les
fonctions ordinaires suffisent aussi pour prouver contre une nouvelle opinion
de Scarpa, savoir que les nerfs ganglionnaires sont uniquement sensilifs.
DANS l'Échelle organique. 85
à Testomac , aux intestins , au foie , à la rate , aux
reins, aux testicules et aux ovaires, aux artères
principales des membres , ne reçoit plus que bien
rarement des impressions venues du debors : il est
impressionné par tes organes sur lesquels il réagit à
son tour ; mais le tout se fait obscurément, lente-
ment. Gela tient à la faiblesse de sa propriété con-
ductrice ; les ganglions ou renflements pulpeux, qui
se trouvent disséminés en grand nombre dans cet
appareil, entravent les communications; aussi faut-il
de violentes commotions du système cérébro-spinal
(passions) , pour qu'elles se propagent au trisplan-
chnique, et faut-il des désordres bien rapides et bien
intenses dans les viscères , pour que la sensation en
soit transmise aux organes intellectuels. 11 semble
que chaque ganglion soit un foyer particulier , un
centre où s'arrêtent et s'achèvent partiellement les
opérations d'une innervation toute locale. Cet état
de choses a l'avantage de conserver plus facilement
le calme et l'équilibre dans les fonctions de la vie
végétative, ou fonctions vitales proprement dites.
Il y a , de cette manière , moins d'oscillations à
craindre , plus de stabilité et de continuité dans les
phénomènes fonctionnels.
Ceci nous explique les résultats singuliers qu'ont
obtenus , de la lésion du grand sympathique , divers
observateurs. Les uns n'ont vu aucun effet sensible
résulter dans les mouvements du cœur, etc. , par
l'irritation ou l'ablation des premiers ganglions du
système trisplanchnique ( Haller , Senac , Bichat ,
Magendie). D'autres ont trouvé qu'en soumettant ces
ganglions à l'action du galvanisme , les mouvements
86 DE l'innervation et de ses diversités
du cœur étaient notablement accélérés (Humboldt,
Bîirdacli ). Burdacli même a vu Fammomaque ap-
pliquée sur le nerf grand sympathique exciter les
battements du cœur, et il s'est convaincu crue c'est
ainsi que la même opération augmente les pulsa-
tions de la carotide, fait noté par Everard Home.
Les expériences de Legaliois , qui a vu, en détrui-
sant la moelle épinière , les mouvements du cœur
s'arrêter, ne peuvent s'expliquer que par l'influence
médiatement exercée , par cette opération , sur le
nerf trisplancbnique (i). Enfin, Pourfour du Petit et
Dupuy ont vu que la section de ce nerf au cou pro-
duisait la suppuration , la perte de l'œil , et de plus
un amaigrissement, un dépérissement bientôt mortel.
Ce dernier effet prouve assez l'importance de cet
appareil nerveux ; et cette importance , aussi bien
que son action sur les organes sécréteurs , sur l'ex-
halation , l'absorption , la nutrition , l'inilammation
même dans les cas morbides, se conçoit mieux si l'on
admet, avec Lancisi, Ciiaussier,Wrisberg, que les
filaments de ce vaste réseau se jettent sur toutes les
artères et les suivent j usqu'à leur terminaison ; mieux
encore si l'on adopte l'opinion de Lobstein , c'est-à-
dire qu'ils se combinent avec les tuniques artériel-
les. Telle est aussi notre pensée, et nous aurons
fréquemment occasion , par la suite , de revenir sur
la sensibilité , l'activité , la vitalité que cette combi-
naison bien probable donne aux vaisseaux capillaires
(I) Toutefois, il n'en faudrait pas conclure contre ce que nous avons dit plus
haut, savoir, que les ganglions étaient en quelque sorte indépendants l'un de
l'autre et des centres cérébro-spinaux. Cette indépendance se prouve assez par
la conservation de la vie, durant la pcTiode intra-ulérine , cliez des monstres
privés de cerveau et de moelle épinière (Lallemand et autres), et même d'une
partie plus ou moins considérable du tronc.
DANS l'Échelle organique. 87
que, en raison de cette texture , nous avons nommés
névrartères. Cette supposition , à laquelle l'anatomie
même conduit assez directement , aide , autant que
la connaissance des nombreuses relations entre les
deux systèmes nerveux que nous avons signalées
plus haut, à Fexplication de certaines corrélations
de sensibilité ou d'action entre des parties éloignées ,
et que l'on connaît sous le nom de sympathies ; elle
y aide surtout , si l'on admet des anastomoses entre
les névrartères et les derniers filaments du système
cérébro-spinal. Ces sympathies jouent un grand rôle
dans la physiologie et la pathologie de l'homme ; elles
ont beaucoup moins d'importance en physiologie
comparée , et il est à remarquer que le système du
nerf grand sympathique est, en effet, d'autant moins
développé que l'animal vertébré occupe un rang
plus bas dans l'échelle organique. Sa complexité
va décroissant, de l'homme aux autres mammifères,
de ceux-ci aux oiseaux , aux reptiles , aux poissons ,
chez lesquels il devient presque rudimentaire.
Cette observation nous fournira un argument de
plus contre l'identité supposée de la chaîne ganglion-
naire des invertébrés avec le système trisplanchnique
des vertébrés : n'est-il pas évident que si c'était la
même chose , et si chez ces derniers le système
cérébro-spinal était d'apparition nouvelle et sans
analogue avec ce que possèdent les premiers, le nerf
trisplanchnique devrait être d'autant plus développé
qu'on se rapprocherait davantage de ceux-ci , et par
conséquent bien plus parfait chez les poissons que
chez l'homme , où il devrait être au minimum de
développement?
88 DES VARIATIOISS DE l'iNNERVATION
La manière dont nous avons envisagé ce système
dans ses relations avec les vaisseaux sanguins, nous
permet de concevoir , mieux que dans toute autre
supposition, Finfluence de l'agent nerveux sur les
humeurs mêmes. Nul doute, pour nous, que le sang
ne doive , en partie , sa fluidité, son expansion et ses
qualités excitantes ( sang artériel) à l'agent vital qui
le pénètre et qui ne l'abandonne que dans certaines
maladies (choléra) , dans l'agonie ou après la mort ,
quand ce liquide a été extrait des vaisseaux, quand il
a été mêlé avec un agent délétère qui tantôt en dé-
termine la coagulation, comme le venin de la vipère
selon Fontana et Laurenti, ou au contraire en dé-
truit la cohésion , comme les miasmes putrides et
pestilentiels, etc. Nul doute aussi que le sperme ne
doive à la même cause l'agitation de ses globules,
dont la vie individuelle , l'animalité est au moins fort
douteuse ; peut-être même doit-il cette merveilleuse
faculté fécondante, son principal attribut, à l'accumu-
lation de l'agent nerveux qui s'y fixe et s'y concentre
dans l'acte de la copulation , par une sorte de choc
électrique comparable à celui que reçoit un corps
mis en contact avec la bouteille de Leyde ou l'élec-
trophore : question que toutefois nous nous propo-
sons d'agiter ailleurs (^Fécondation J,
CHAPITRE m.
DES VARIATIONS DE L'INNERVATION DANS LE MEME INDIVIDU.
Nous avons vu, dans le précédent chapitre, l'in-
nervation acquérir un degré d'intensité et surtout
DANS LE MEME INDIVIDU. 89
de complexité de plus en plus élevé, en passant de
la plante et du zoophyte à l'homme ; et chez ce
dernier même , nous aurions pu reconnaître des dif-
férences bien réelles selon les circonstances dans les-
quelles sont placés des individus différents. En effet,
l'homme civilisé , comparé à l'homme sauvage ;
l'homme aisé , avec toutes les jouissances du luxe
et les passions d'un haut état social , comparé à l'ar-
tisan , n'offrent- ils pas à l'observateur des phéno-
mènes vitaux et nerveux mille fois plus diversifiés
et plus raffinés en même temps ? Mais ces modifica-
tions appartiennentplutôt à l'étude morale de l'homme
qu'à la physiologie ; celles qui peuvent se ranger
sous ce dernier titre se divisent d'abord en générales
et en partielles.
A. 3Iodifications générales. Bien que les circons-
tances extérieures , comme le climat , l'habitation ,
la profession puissent agir sur toute l'économie , de
manière à changer plus ou moins la sensibilité , l'acti-
vité du système nerveux universel (acclimatement ,
maladies générales, etc.), ce genre de causes pro-
duit bien plus souvent des modifications partielles,
et il en sera plus amplement question ci-après. 11 est
d'autres modifications générales de l'activité vitale
qui dépendent, au contraire , de la première orga-
nisation du sujet et des phases par lesquelles elle doit
nécessairement passer : ce sont celles des sexes, de
l'âge , des variétés dans chaque espèce , du tempé-
rament, de la constitution. Ces objets, comme on
voit , concernent plus spécialement la physiologie
humaine que la physiologie comparée ; car on a dit
à peu près tout ce qu'il y a à en dire sous ce dernier
90 DES VARIATIONS DE l'iNNEIWATION
point de vue , en rappelant que , à part quelques
exceptions, il y a plus d'énergie , de force, de soli-
dité chez le mâle , chez l'adulte ; plus de sensibilité ,
de mobilité chez la femelle et dans le jeune âge;
que certains individus montrent plus de vigueur ou
plus de vivacité , de souplesse que d'autres : modi-
fications de vitalité souvent traduites au dehors par
des formes plus robustes ou plus sveltes, quelquefois
même par des colorations différentes , comme on le
sait fort bien pour les chevaux et autres animaux
domestiques. U albinisme, cet état caractérisé par la
blancheur des poils de la peau , la décoloration de la
choroïde de l'œil et de l'iris , en fournit la preuve ,
puisqu'il est ordinairement lié avec la faiblesse et
l'apathie.
B. Modifications partielles innées. De même que
les dernières dont nous venons de parler, celles-ci
tiennent à l'organisation native ou primordiale des
parties dont se compose le corps vivant. La sensibi-
lité et les opérations réactives qui s'observent , à des
degrés et avec des formes si diverses, dans les organes
différents , peuvent se rapporter à plusieurs circons-
tances d'organisation : la première c'est le genre de
nerfs dont cet organe est pourvu ; la deuxième est
relative à la quantité de matière nerveuse qu'il ren-
ferme ; la troisième , enfin , à sa structure propre qui
le rend apte à telle ou telle opération.
l"" Il doit nous suffire, quant au premier chef,
de rappeler ce qui a été dit plus haut des trois
dispositions principales de la substance nerveuse
chez les animaux supérieurs ; les névrartères, moins
sensibles aux impressions et moins bons conducteurs
DANS LE MEME INDIVIDU. 91
de leurs excitations, ne donneront anx organes dont
ils seront les seuls animateurs , qu'une sensibilité
toute locale , toute de nutrition, et une grande apti-
tude à l'expansion, aux exhalations : tels les mem-
Lranes séreuses, le tissu cellulaire, les ganglions
lymphatiques, etc. Si des filets du trisplanchnique ,
plus isolés, plus purement nerveux, se mêlent aux
névrartères , comme dans les membranes muqueuses,
les glandes, les viscères musculeux, les excitations
seront plus vivement ressenties , les fonctions moins
simples ; il y aura des sécr Liions , des contractions ;
celles-ci seront surtout énergiques dans les viscères
qui recevront aussi quelques nerfs cérébraux, comme
les poumons, l'estomac j la matrice. Enfin, dans les
sens, la peau, les muscles dont les nerfs sont ceux
du système cérébral , la sensibilité , la propagation
des impressions , les contractions seront portées au
plus haut point de puissance et de diversité.
2^ Sous le deuxième point de vue , on aurait
mauvaise grâce à répéter, avec certains vitalistes,
que si les os , les cartilages devaient , dans l'état
sain, leur peu de sensibilité à l'absence presque
totale des nerfs dans leur tissu, ils ne pourraient
point acquérir, dans l'état de maladie, cette exces-
sive sensibilité qu'on leur connaît. C'est évidemment
confondre deux états fort différents, comme nous
le prouverons bientôt, et c'est une vérité patente
que là où il y a plus grande abondance de matière
nerveuse , toutes choses égales d'ailleurs , là aussi
il y a plus de sensibilité et d'activité vitale : témoin
l'oeil, la langue, etc. , et témoin aussi, en sens
inverse , les ongles , les cornes , les poils , les plumes,
92 DES YABIATIONS DE L^lîNNERVATlON
les têts ou coquilles , et même l'épiderme , produc-
tions , pour ainsi dire , excrétées , dépourvues de
tout nerf sous quelque forme que ce soit , et par-
tant totalement insensibles et incapables de réactions
vitales.
30 En ce qui concerne la structure particulière
des organes , il est par trop évident qu'elle ne peut
manquer de modifier considérablement l'innervation,
quant à ses actes et à leurs manifestations : l'œil
est fait de manière à voir, et l'oreille de manière à
entendre ; le muscle est apte à se raccourcir , la
glande à sécréter sous l'influence de l'agent vital.
C'est encore à la structure des organes qu'il faut
rapporter leur aptitude à répondre à certains agents
spéciaux , l'estomac à Témétique , les organes géni-
taux aux cantbarides ; ou à être impressionnés par
certaines violences plutôt que par d'autres , les liga-
ments par la distension, le testicule par la compres-
sion. La même théorie peut expliquer comment
certaines parties de l'encéphale , organe si éminem-
ment nerveux, se montrent insensibles ou inertes
sous certaines influences : c'est qu'elles ont leur des-
tination , à laquelle il a été pourvu par une struc-
ture et des relations convenables ; ce n'est point
l'affaire des hémisphères cérébraux que de sentir
des contacts immédiats; ce n'est point celle des
faisceaux postérieurs de la moelle épinière que de
faire contracter des muscles, etc., etc. Si nos sens
ne nous soumettent pas ici immédiatement les con-
ditions matérielles des actes auxquels ces portions
président , le raisonnement y supplée en s'appuyant
sur leurs connexions anatomiques.
DANS LE MÊME INDIVIDU. 93
C. Modifications partielles acquises ou acciden-
telles. C'est ici le cas surtout de distinguer ce qui
se passe daus l'état sain et dans l'état morbide ;
quoique l'explication de l'un conduise très-ration-
nellement à celle de l'autre , ils n'en présentent pas
moins des différences très-essentielles.
1^ Nous avons vu déjà que, dans l'état sain,
l'innervation , excitée par un stimulus, réagit avec
une intensité proportionnée à la vivacité de l'im-
pression et au repos antécédent ; que , après un
certain temps d'activité , l'innervation faiblit et peut
même s'éteindre par épuisement partiel ou total de
l'agent nerveux ; que le repos semble accumuler
cet agent, au point de rendre , après cela, les organes
trop impressionnables et les réactions trop fortes.
Que de pareils effets se reproduisent fréquem-
ment dans un organe déterminé , cet organe s^accou-
tume peu à peu à l'état dans lequel il est le plus
souvent placé; la nutrition j sans cesse agissante _, le
façonne (\^ peu à peu j de manière à le mettre en
harmonie avec les impressions les plus fréquentes,
à les lui rendre moins vives , et au contraire à le
rendre plus apte aux réactions le plus fréquemment
sollicitées : c'est là tout le mystère de ce qu'on
nomme habitude j mémoire j éducation j acclimatement.
La peau se met en équilibre physiologique avec la
température la plus ordinaire au climat de la con-
trée qu'habite Fanimal; il ne la sent plus , pour
(!) Il y a certes, dans l'assuéfaclion , des changements matériels, physiques,
de texture; cela est prouvé par la résistance de la peau du forgeron ou du
cuisinier à la rôtissure , par celle du cavalier à l'excoriation; idem de tout
travail qui exige beaucoup de frottement ou de pression , dans la paume des
mains par exemple.
94 DES VARIATIONS DE l'iNNERVATION
ainsi dire; il s'y habitue y comme à ses vêtements
l'homme civilisé , et ne s'aperçoit que des variations
en plus ou en moins du degré habituel : voilà pour-
quoi l'on a pu dire , avec raison , que l'habitude
ëmousse le setitiment. Mais les effets de cette accou-
tumance ne se bornent pas à la peau et à des
sensations externes ; il y a une modification interne ,
générale , qui fait que tel animal ne peut vivre que
difficilement dans d'autres pays que ceux où son
espèce est naturalisée ; il en est de même des peu-
plades humaines (i).
Que l'encéphale s'habitue à reproduire certains
actes dits intellectuels dans certaines occasions,
ce sera de la mémoire ; mais cette mémoire peut
siéger aussi bien dans toutes les autres parties du
système nerveux que dans l'encéphale : l'œil de
l'artiste reconnaît instantanément les détails qui
échappent à l'homme le plus attentif dans l'examen
d'un tableau; l'oreille du musicien distingue parfai-
tement la multitude des sons simultanés qui se con-
fondent dans l'ouïe du vulgaire : c'est " que les sens
de l'homme exercé connaissent ces objets et s'en
souviennent ; et ceci justifie la seconde partie de
la proposition de Bichat, dont nous avons énoncé
plus haut la moitié , savoir , que l'habitude perfec-
tionne le jugement. Nous pourrions en dire autant
des doigts du pianiste, des jambes du danseur, rela-
tivement à la facilité avec laquelle ils répètent les
mouvements qu'ils ont appris; et ici remarquons seu-
lement que cette mémoire siège principalement dans
(1) A ces parlicularités se rattacherait Tctude de la géographie des animaux,
c'est-à-dire la distribution des espèces sur le gloLe ; mais c'est un sujet tout
d'histoire naturelle et non de physioloijic.
DANS LE MÊME IINDIVIDU. 95
les nerfs et les centres nerveux , et non dans les mus-
cles mêmes (i); car les muscles sont isolés l'un de
l'autre , et les mouvements d'ensemble ou de succession
qu'ils exécutent si régulièrement , ne peuvent être
harmonisés que par les nerfs qui leur sont communs.
Il n'y a pas jusqu'aux viscères qui ne se souviennent
de certains actes, de certaines impressions, et ne
reproduisent plus facilement les premiers à l'occa-
sion des secondes : c'est ainsi , au reste , que l'har-
monie s'établit dans les fonctions, soit internes, soit
externes. Et pour celles-ci en particulier, il est évi-
dent qu'elles sont perpétuellement sous l'influence
de ces modifications de l'innervation produites par
le fréquent exercice , puisque c'est en cela que
consiste V éducation , sans laquelle rien ne pourrait
s'exécuter, au physique ni au moral , chez l'animal
ni chez l'homme. La marche et ses modes divers ,
le vol , la chasse , la natation , la fuite , tout s'ap-
prend comme les langues et les sciences, et appren-
dre ce n'^st autre chose , à coup sûr , que modifier
son organisation de façon à lui faire reproduire
avec plus d'aisance ce qu'elle a déjà exécuté. Nous
verrons ailleurs que cette facilité peut devenir telle,
(1) VV'^inslow observe que nous exécutons assez aisément de la main gauche
et sans aucun exercice préalable , mais en sens inverse, les caractères que nous
sommes habitués à tracer de la droite : c'est là un effet d'éducation encéijhaliqueet
non musculaire. Toutefois , la modification qui constitue l'habitude , l'éducation ,
est aussi très-réelle dans les muscles même : on ne peut le nier physiulogiquement
en ce qui concerne chaque mouvement partiel; le muscle, par l'effet de
l'exercice et de l'habitude, répond plus vivement et plus activement à l'influx
nerveux; ses contractions sont plus promptes et plus fortes, plus sûres; il
résiste bien davantage à la fatigue; mais d'ailleurs, anatowtijMement môme, cette
modification se démontre par l'augmentation de volume des muscles exercés ,
chose bien connue pour les danseurs, les lutteurs, les maîtres d'escrime, etc. etc.
Par analogie même , on peut se servir de ce fait pour prouver que les change-
ments dus à l'habitude, à l'éducation , sont bien des changcjnea Is or^ajuV^wes ,
quoiqu'ils ne soient pas toujours perceptibles à nos yeux.
96 DES VARIATIONS DE l'iNNERVATION
que l'exécution a lieu sans la conscience, sans la
volonté même de l'animal. Cette aptitude des corps
vivants à s'harmoniser ainsi avec ce qui les entoure
et à se modifier pour leur plus grand avantage , est
si importante en physiologie , si générale d'ailleurs ,
que d'ahord nous en avions cru devoir faire aussi une
propriété vitale sous le nom à^éducahilité _, expression
qui mérite peut être d'être conservée comme celle
de sensibilité , de contractilité , etc. , pour la com-
modité du langage.
2" Si la surexcitation d'un organe est par trop
forte , ou forcément soutenue au-delà d'une durée
convenable ; si , au contraire , toute stimulation est
soustraite pendant long-temps à un organe , il tend ,
en vertu de l'éducabilité , à se constituer en perma-
nence dans cet état de surexcitation ou de torpeur;
il y a exaltation dans le premier cas , hyposthénie
dans le second. Quand l'action est très -violente, elle
peut produire instantanément les mêmes effets; c'est
ainsi que la chaleur enflamme rapidement la peau
dans l'accident connu sous le nom de brûlure. Dans
ce cas, comme dans tous ceux où Tinflammation
s'est établie , l'organe est devenu si sensible que la
température ordinaire du milieu ambiant , et celle
du sang qui circule dans les vaisseaux , produisent
la sensation d'une chaleur ardente , et souvent même
une douleur insupportable. C'est ainsi qu'on expli-
que comment un os, une membrane séreuse, insen-
sibles dans l'état sain , deviennent , étant enflammés ,
le siège de vives douleurs et d'une extrême sensi-
bilité au moindre contact , c'est que les névrartères
exaltés se sont mis au niveau fet l'ont même dépassé)
DAKS LE MÊME IjXDIVIDU. 97
des nerfs encéphaliques , pour la sensibilité et la
faculté conductrice. On conçoit aisément combien
ces nerfs eux-mêmes doivent accroître également
leur sensibilité dans les cas d'inflammation où ils
partagent l'exaltation des névrartères ; aussi l'in-
flammation du doigt , du globe de l'œil , où ces nerfs
sont volumineux, constitue-t-elle des maladies exces-
sivement douloureuses. De même aussi, ce sont les
animaux les plus nerveux j si l'on peut parler ainsi,
qui sont les plus sujets à souffrir de ces exaltations
nées sous l'influence de stimulations trop fortes :
l'inflammation est d'autant plus rare et moins intense
qu'on descend plus bas dans l'échelle animale.
TROISIEME PARTIE.
FONCTIOIVS DE SENSATION.
CHAPITRE r\
GÉNÉRALITÉS.
Pour la majeure partie des physiologistes , la sen-
sation est une fonction passive, qui consiste à recevoir
l'impression d'un excitant, et c'est tout autre chose
que la réaction qui la suit ; pour la plupart des
idéologistes modernes au contraire, la sensation se
confond avec la réaction, ou plutôt c'est la même
chose , et les différents actes d'innervation auxquels
on a donné des noms différents, ne sont que des
modes particuliers de la sensation ; connaître c'est
sentir des impressions , juger c'est sentir des rap-
ports , vouloir c'est sentir des désirs. 11 y a du vrai
dans l'une et l'autre opinion , des analogies et des
différences entre toutes les opérations nerveuses ou
sensoriales , et l'emharras de ces questions d'iden-
tité disparait, dès que , au lieu de traiter de ces sujets
par forme d'ahstraclion , on se contente de les exa-
miner dans les actes mêmes. Ainsi, sans rechercher
si la sensibilité est passive ou non , problème dont
la solution ne dépend en réalité que du sens qu'on
veut attacher aux mots, nous dirons que la sensation
est une opération _, qu'elle a par conséquent quel-
que chose d'actif, tout aussi bien que la pensée , la
FONCTIONS DE SENSATION, GÉNÉRALITÉS. 99
volition , la contraction musculaire ; nous ajouterons
dès lors que l'innervation , toujours active, est, jus-
qu'à un certain point, partout identique , et ne varie
que selon les portions du système où on l'observe ,
et selon les excitants qui la mettent en jeu; mais
rien n'empêchera de considérer chacune de ces va-
riations comme une fonction à part , et de lui con-
server sa dénomination spéciale tout en donnant à
leur ensemble une qualification commune , comme
nous l'avons fait en les réunissant sous le titre de
fonctions de sensation. Partout, en effet, nous au-
rons à examiner , dans leurs degrés divers et leurs
modes particuliers, ces trois choses inséparables :
impression j réaction j transmission. Je dis insépa-
rables , car que serait l'impression sans réaction ?
Y a-t-il impression là où un contact est sans résul-
tat? S'il en était ainsi, ce ne serait pas la peine de
s'en occuper. Quant à la réaction, elle ne saurait
être spontanée ; il n'y a pas d'effet sans cause , et la
réaction, c'est-à-dire l'état actif, est incontestable
même dans les cas de sensation proprement dite j
dans ceux qu'on a crus le plus évidemment passifs
et qu'on réduisait au simple rôle d'impression.
Ceci vaut la peine d'être prouvé. Une fusée vo-
lante vous fait l'effet d'une longue tige lumineuse ,
parce que l'impression dure encore au point où elle a
commencé , quoique l'objet qui l'a produite ait déjà
parcouru beaucoup d'espace dans l'air, comme son
image sur votre rétine. Regardez le soleil , fermez
les yeux ensuite ; vous verrez , pendant assez long-
temps , l'image de cet astre ; cependant l'excitant
n'est plus là : si la sensation n'était qu'une impres-
100 FONCTIONS DE SENSATION,
sion , elle devrait disparaître aussitôt que l'impres-
sion cesse. Mais il y a plus; au lieu de s^arrèter,
la sensation change ; l'image se modifie par la seule
réaction de l'organe mis en jeu ; elle parait tantôt
vivement, tantôt faiblement colorée, tantôt d'une
couleur et tantôt d'une autre (couleurs complémen-
taires) : certes, c'est là de l'activité , et Darwin
n'était pas trop mal fondé à comparer la rétine à un
muscle agité par des contractions fibrillaires. En
second lieu, nous avons fait entendre plus haut que
l'habitude, l'éducation donnaient aux organes la
facilité de reproduire certains actes ; ils le font quel-
quefois sans l'intervention des impressions directes :
la mémoire , l'imagination , les rêves reproduisent
des perceptions ou sensations internes en l'absence
des objets qu'ils représentent ; il y a donc alors
activité dans l'encéphale , puisque la sensation qui
s'y produit n'a plus de rapport matériel avec la
cause qui l'excite : la voix d'une personne rappelle
les traits de son visage, et certes il n'y a rien de
commun entre des sons et des images. Donc nous
pouvons donner, de la sensation proprement dite ^
celte définition : c^^est un acte qui s'opère en nous par
suite d'une impression ^ et nous donne des notions sur
cette impression et sur le corps dont elle émane.
Or, cet acte nous offre ceci de bien remarquable ,
qu'il peut se transmettre ou se répéterj, avec toutes ses
qualités particulières j à travers une étendue plus ou
moins considérable du système nerveux : si l'œil ou
l'oreille ont transmis au sensorium commune les
mille nuances et les innombrables notes qu'ils ont
reçues à l'occasion d'un paysage ou d'un morceau
GÉJNÉRALIIÉS. 10 1
de musique , n'a-t-il pas fallu que toutes ces sensa-
tions se répétassent , avec toutes leurs différences,
le long du nerf optique ou de l'auditif et d'une cer-
taine portion de Fencéphale même? Car l'impression
n'a pas été portée sur le centre nerveux , qui ne
saurait même la sentir si elle lui était directement
appliquée. Or, il résulte de ceci deux choses,
l'une que la transmission est une réaction toute
pareille à celle qui est née sous l'impression des
excitants extérieurs , l'autre qu'une réaction donnée
est partout analogue; elle est, dans le nerf, ana-
logue à ce qu'elle a été dans l'organe du sens , et
dans l'encéphale à ce qu'elle a été successivement
dans l'un et dans l'autre. Que cette réaction ne soit
pas partout 'identique; qu'elle se modifie dans les
différents organes qu'elle traverse ; que la sensation
morale ou perception ne soit pas, à proprement
parler, la même chose que la sensation primitive;
cela doit être , et les modifications seront plus grandes
encore quand , dans d'autres portions autrement
organisées des centres nerveux , la sensation se
transformera en jugements , en volitions , en com-
mandements d'exécution musculaire ( i ) , de même
que la sensation n'était pas du tout la même chose
dans la langue , dans l'oreille ou dans l'œil. Il n'en
ressort pas moins de là une liaison intime entre
toutes les fonctions comprises dans cette troisième
partie de notre Physiologie comparée.
Nous avons dit qu'il fallait , dans la division des
sensations , tenir compte de l'organe et du stimulant ;
(1) C'est ainsi que le professeur Lordat a pu dire, avec raison , que l'irrita-
bililé est une sorte de sensibilité, (Leçons de phys.J
102 FONCTIONS DE SENSATION ,
c'est ce que nous ferons mieux voir dans les détails
qui vont suivre.
Depuis Cabanis, on est dans l'usage d'assigner
deux ordres de sources principales aux sensations ,
les internes et les externes. Nous croyons devoir y
joindre une troisième division , celle des sensations
centrales.
1" Les sensations 'internes ou viscérales ont été
long - temps confondues avec le tact , et cepen-
dant elles méritent d'en être distinguées sous plu-
sieurs rapports; en raison des moyens par lesquels
elles s'exécutent , en raison de leur nature même ,
et enfin de leurs effets consécutifs. C'est aux nerfs
splancliniques , aux rameaux et aux ganglions du
grand sympathique, ou bien aux névrartères qu'elles
se rattachent; de-là , d'après ce qui a été dit déjà
dans la partie précédente , réactions plus bornées ,
circonscrites , transmises uniquement peut-être jus-
qu'au ganglion le plus voisin, ou seulement daus
les cas de violence extrême (coliques intestinales,
tranchées utérines, pression du testicule, etc.),
jusqu'à l'encéphale. Dans ce dernier cas même ,
c'est , pour rordinaire , obscurément que la trans-
mission est perçue, et cela tient à la nature des
conducteurs plus qu'à l'assuéfaction à laquelle on a
voulu attribuer cette inscience des mouvements qui
se passent dans nos viscères ; cette assuéfaction ou
habitude y est pour quelque chose , mais non pour
tout à beaucoup près. Enfin, de ces sensations con-
fuses , obscures et d'une nature spéciale , résultent
souvent , dans l'encéphale , des mouvements dont
l'origine semble ainsi cachée et mystérieuse ; mou-
GÉNÉRALITÉS. 103
vements tantôt sensitifs ( imagination , rêves, cau-
chemar, incube), tantôt exécutoires (instincts),
tantôt consistant seulement en modifications d'inten-
sité, de rapidité dans les actes intellectuels ordi-
naires (passions), objets qui seront plus amplement
traités dans la suite. Mais une singularité , dont
personne, ce me semble, ne s'est occupé jusqu'ici,
mérite de nous arrêter encore un instant.
Lorsque les sensations internes, que nous venons de
signaler comme généralement obscures, deviennent
plus vives , plus manifestes , nous savons communé-
ment fort bien les rapporter à leur véritable siège ,
au moins quant à la région , souvent même à la
profondeur. D'où peut nous venir ce sentiment de
la position des parties ? On le comprend pour le tact
extérieur à chaque instant contrôlé par la vue , par
les expériences même du toucher ; mais quoi de
commun entre telle partie du cerveau et la peau du
crâne , telle partie du poumon , du foie , des intes-
tins et les parois du thorax et du ventre ? Pourquoi
n'en restons-nous pas au même point que l'enfant
qui souffre et se plaint sans pouvoir montrer le siège
de ses douleurs ? 11 me paraît qu'ici il y a égale-
ment une éducation faite par le toucher ; des pres-
sions qui augmentent ou diminuent les douleurs ,
des mouvements qui produisent le même effet ,
comme quand on hoche la tête , quand on fait un
effort d'inspiration , de défécation , nous accoutu-
ment à reconnaître le vrai siège de ces sensations
pénibles; mais la profondeur même de ce siège,
autant que le peu de netteté des sensations internes,
nous exposent à de fréquentes erreurs, comme on
104 FONCTIONS DE SENSATION,
le sait bien en pathologie ; fort souvent ce qu'on
appelle des douleurs sympathiques, il faudrait l'ap-
peler douleurs erronées par inexpérience et défaut
de guides ou de point de repère. Dans la luxation
spontanée on souffre au genou , pour cette raison ,
sans doute , que la profondeur de l'articulation
malade ne nous permet pas d'en contrôler, par le
toucher, les sensations.
2^ On pourrait, jusqu'à un certain point, ratta-
cher aux sensations internes la perception des opé-
rations intellectuelles, le sens intime , la conscience ,
en prenant ce mot dans une acception toute physio-
logique. Mais ce genre de sensation se lie si intime-
ment aux sensations externes , il en est si commu-
nément la suite que l'on pourrait tout aussi naturel-
lement le leur annexer; le mieux nous parait être
de le considérer comme faisant un ordre à part
auquel nous avons déjà assigné ci-dessus la déno-
mination de sensations centrales.
o^ Les sensations externes sont celles auxquelles
s'appliquent surtout la définition et les démonstra-
tions données ci-dessus : elles ont pour source les
organes des sens. Qu'est-ce qu'un sens? Quel en est
le nombre réel chez l'homme et les animaux les
mieux partagés ? Voilà deux questions auxquelles
il faut répondre avec quelque détail.
Un sens est un appareil de sensations spéciales ,
composé 1° de pièces propres à recueillir, renforcer,
régulariser, prolonger quelquefois les impressions
d'un stimulus extérieur , et d'organes propres à le
diriger vers ces impressions , à le mettre en har-
monie avec elles, ou bien à le soustraire à leur action
GÉiVÉH ALITES. 105
quand elle devient dangereuse ou fatigante ; 2^ de
membranes , de houppes ou papilles nerveuses et
sentantes ; S"* de nerfs ou conducteurs qui répètent
jusqu'au sensonum commune j c'est à-dire jusque dans
l'encéphale , les sensations éprouvées , pour en faire
des sensations centrales ou perçues, des perceptions.
Ici, comme dans toute partie du système nerveux,
il y a donc impression , réaction et transmission.
La réaction consiste ici dans un double ordre de
phénomènes , ceux de sensation et ceux d'attention ;
car il y a attention dans le sens , de même que dans
l'encéphale, soit qu'on la suppose immédiatement pro-
duite parle stimulus (attention spontanée), soit qu'on
admette une transmission rétrograde d'une partie
de la réaction encéphalique (attention volontaire).
Même en l'absence de toute stimulation actuelle , il
peut y avoir des piiénomènes semblables par le seul
effet de la mémoire ou de l'habitude, mais ils ont
alors ordinairement quelque chose de morbide : la
réaction sensitive existe-t-elle dans l'organe même
du sens, elle produit les hallucmalions ; existe-t-elle
dans l'encéphale, pour se transmettre au sens par voie
rétrograde , il en résulte , selon le degré de vivacité
qu'elle atteint et selon l'état du reste de l'encéphale ,
des imaginations fantastiques, des rêves, des visions,
la folie.
Quant à la transmission , la preuve qu'elle est due
à une propagation des réactions du sens vers l'en-
céphale, se tirerait aussi de certaines illusions, de
celles, par exemple , où tombent les amputés qui,
impressionnés sur un tronçon de nerf, accusent des
douleurs dans un membre qu'ils n'ont plus, parce
106 FONCTIONS DE SENSATION,
que l'opération est la même dans l'encéphale que celle
que l'habitude et l'expérience leur avaient appris à
rapporter à ce membre.
Ceci nous apprend de plus que c'est surtout dans
l'encéphale que les sensations prennent leur valeur
réelle , deviennent des notions ; c'est encore ce que
prouvent des erreurs d'un autre genre : après la
rhinoplastie , l'opéré croit qu'on lui touche le front
quand c'est au nez nouveau qu'on s'adresse. Le sens
a changé de place, mais le sensorium a conservé
l'ancienne topographie qui lui avait été imprimée par
l'éducation naturelle , que nous venons de désigner
par les mots d'habitude et d'expérience.
Tenons -nous -en à ces généralités sur les sens
externes , et parlons de leur nombre réel ou de con-
vention. On sait que , de tout temps , on en a compté
cinq; mais ce nombre a paru insuffisant à quelques
écrivains : BufTon en voulait faire admettre un
sixième pour la sensation voluptueuse que donnent
les actes vénériens ; Ch.Bell en veut un particulier
pour les notions de poids , de consistance , de résis-
tance en général ; Carus veut également séparer
les sensations de température de celles qui ont trait
aux autres qualités tactiles des corps ; Spallanzani
est tenté d'en accorder un surnuméraire aux
chauves-souris pour la connaissance de leurs routes
aériennes; Jacobson suppose à certains animaux une
faculté spéciale pour discerner les poisons; beaucoup
d'autres écrivains se contentent de séparer le tact
général du toucher proprement dit. Mais ces auteurs
ont mal apprécié la valeur du mot qu'ils employaient :
en effet , ce n'est pas sur la nature des sensations
GÉNÉRALITÉS. 107
seulement , sur le genre et l'espèce d'excitant auquel
elles répondent, que leur distinction, leur dénombre-
ment se base ; c'est plutôt sur la disposition de l'ap-
pareil propre à les mettre à profit, et la définition
que nous avons donnée du mot sens est entièrement
basée sur ce principe; ôtez les sensations internes dont
il a été question d'abord , et vous n'avez évidem-
ment que cinq appareils propres à recueillir les sen-
sations, cinq sens par conséquent : le toucher, le
goût, l'odorat , l'ouïe et la vue. Je sais que les sen-
sations que nous rapporterons au sens du "toucher
sont très-variées ; mais celles de la vue , de l'ouïe ,
de l'odorat, du goût sont -elles donc identiques?
L'éblouissement par un éclat quelconque est-il la
même chose que la notion des couleurs , et celle-ci
est-elle la même chose que la notion des contours ? Le
timbre , le ton et la force du son constituent-ils une
seule et même qualité ? Et , d'un autre coté , n'y a-t-il
pas une bien prochaine analogie entre une saveur
chaude ou fraîche éprouvée par la langue, et la sensa-
tion du chaud et du froid ressentie par la peau ; entre
une saveur acre , une odeur piquante et la cuisson
qu'une liqueur acide produit sur la conjonctive, ou
qu'une vapeur irritante produit sur les bronches ;
entre l'àpreté d'un astringent et le frottement d'un
corps rude? Donc, dissemblances et ressemblances
vous prouvent que ce n'est pas sur la sensation , mais
sur l'appareil qui la reçoit et l'utilise , que doit se
baser la division qui nous occupe. S'il en était
autrement , où vous arrêteriez-vous dans la multi-
plicité des sens qu'il vous faudrait admettre ? Où
ranger les douleurs , les chatouillements auxquels
108 FONCTIONS DE SENSATION,
se viennent tout naturellement annexer les sensa-
tions vénériennes? Ne vous faudra-t-il pas un sens
des idées, comme un sens des températures et des
résistances , etc. etc. ? Un mot donc seulement de
ces additions dont nous avons parlé d'abord , et
qu'on a voulu faire à l'énumération généralement
admise. \ ° Nous venons de voir à quoi se réduisaient
les secousses sensitives de l'union des sexes ; le
point de départ est une portion de la peau, organe
du toucher j et l'orgasme se propage au reste du
système nerveux comme dans le chatouillement.
2" Le sens musculaire de Cli. Bell n'est autre chose
que la notion produite par un effort intellectuel ; il
faut le ranger, si l'on veut, parmi les sensations
centrales , et le réunir avec la conscience qui accom-
pagne la plupart des opérations mentales , comme
la réminiscence, l'attention, le désir, etc. Certes,
ce n'est pas au muscle qui se contracte pour soutenir
un poids ou presser un corps dur que nous rappor-
tons la sensation éprouvée , ce n'est pas dans la
région occupée par ce muscle que nous faisons
siéger la résistance à vaincre ; c'est là où notre main
touche le corps que nous la supposons par un véri^
table raisonnement , autant que par la sensation
directe de la pression exercée sur la main même ( i).
3° La sensation de la chaleur ou du froid est évi-
demment reçue et transmise par les mêmes organes
que les autres qualités tactiles ; une partie enflam-
mée supporte difficilement la chaleur et aussi les
contacts un peu rudes; les dents dénudées de leur
(1) Ce qui le prouve, c'est que, dans les rêves, mouvements tout encépha-
liques, nous croyons exécuter des mouvements ; nous éprouvons la môme
sensation que si ces mouvements étaient réellement exécutés.
GÉNÉRALITÉS. 109
émail sont excessivement sensibles aux changements
de température et aussi aux attouchements, comme
l'ont surtout prouvé les expériences de Duval , qui
attribue cette sensibilité à une substance intermé-
diaire à l'émail et à l'ivoire , substance à laquelle
il donne le nom de dictiodonte. 4° Le prétendu sens
conducteur des chauves-souris n'est qu'un toucher
délicat. 5° Le sens distinctif des poisons n'a été in-
venté que pour trouver des usages à un organe nou-
vellement découvert. 6« Enfin , pour ce qui concerne
un tact général ou universel, sensus commums de
Sprengel, sens général selon de Elainville, sensibilité
tactile pour Mil ne Edwards, on peut aisément se con-
vaincre qu'il ne comprend rien de plus ni de moins
que le toucher spécial des auteurs même qui veulent
établir cette distinction. Que la main de l'homme
ait plus de délicatesse et une forme plus favorable
aux explorations tactiles, est-ce une raison pour
vouloir séparer les sensations qu'elle peut recueillir
de celles que les lèvres , les pieds , les bras , tout
le corps enfin peuvent recevoir ? Ne jugerez-vous
pas , d'une manière au moins approximative , et de
la température, et de la dureté, et du volume, et
de la forme en supprimant l'usage des mains ? Dire ,
avec certains physiologistes , que le tact est passif
et le toucher actif, c'est uniquement vouloir em-
ployer deux mots pour les mêmes sensations , selon
que l'attention et la volonté les accompagnent ou non,
et tous les autres sens devraient dès-lors réclamer
une division pareille ; mais , du reste , elle existe
du moins dans le langage : regarder et voir sont
deux choses sans doute, mais on n'a pas pensé, en
! 10 FONCTIOISS DE SENSATION, GENERALITES.
admettant ces deux acceptions de mots comme dis-
tinctes , devoir pour cela scinder en deux le sens de
la vue. Toutefois, comme le toucher est évidemment
le sens le plus universellement répandu, comme
c'est aussi celui dont le mécanisme est le plus simple
et, pour ainsi dire , le plus grossier, c'est par là
que nous commencerons l'étude des cinq sens pris
chacun en particulier. Nous compléterons ainsi l'ex-
position des sensations externes; après quoi nous
aurons à étudier les sensations centrales et les opé-
rations qui s'y rattachent : quant aux internes , le
peu que nous en avons dit fait assez voir que leur
étude minutieuse ne saurait offrir d'intérêt qu'autant
qu'on en lie les détails à ceux des autres fonctions
viscérales ou des opérations intellectuelles.
CHAPITRE II.
DU TOUCHER.
ARTieiiE I.^^ - IVotions gpénérales*
Nous avons dit qu'il était peu rationnel de séparer
le tact général du toucher manuel , et la physiologie
comparée fait ressortir l'inopportunité de cette divi-
sion , en montrant que , dans des animaux différents ,
le toucher actif et volontaire s'exerce par des points
différents de la surface cutanée. L'anatomie vient
d'ailleurs prouver l'impossibilité de ces distinctions,
puisqu'elle démontre , dans la peau , une structure
identique à peu près partout. En effet, Malpighi ,
DU TOUCHER. \\{
Gauthier, et plus récemment Breschet et Roussel de
Vauzème, ont été chercher au talon la structure
présumahle de la peau des doigts chez l'homme ;
et les derniers de ces anatomistes se sont aidés beau-
coup des observations qu'ils ont pu faire indifférem-
ment sur tous les points de la peau chez la baleine.
Ils ont pu reconnaître ainsi l'existence universelle
de papilles ou mamelons exhaussés à la surface du
derme , enchâssés dans des gaines épidermiques et
recevant, par leur base, des filaments nerveux;
mais ils ont vu aussi que ces papilles étaient plus
prononcées , plus longues chez certains animaux et
dans certaines régions , là surtout où Fépiderme
offre des stries parallèles, indice des rangées de ces
mamelons ordinairement élevés deux à deux et for-
mant ainsi des séries sillonnées sur leur lonaueur
aussi bien qu'en travers f^fig. \0j. Celles de la
baleine ont plusieurs lignes de longueur et sont ren-
flées à leur extrémité ; celles de l'homme sont infi-
niment plus petites et coniques , et les auteurs cités
en dernier lieu pensent, sans pouvoir l'afQrmer bien
positivement, que les filaments nerveux se terminent,
dans les unes comme dans les autres , en formant
des anses concentriques f^fig. 1 ly*.
C'est du moins une chose bien connue que la
vive sensibilité dont jouissent les papilles ; on sait
combien la douleur est vive par le contact le plus
doux , lorsqu'elles ont été dépouillées de leur coiffe
épidermique par l'action d'unvésicatoire. Que si l'on
s'étonnait qu'elles passent conserver une délicatesse
tactile assez grande sous cette enveloppe membra-
neuse et cornée , nous pourrions opposer à ce doute
W^ DU TOUCHFR.
des faits péremptoires et qui trouveront place plus
loin ; ici seulement nous ferons observer que les
dents , bien que peu nerveuses en elles-mêmes , bien
que revêtues d'un enduit épais et dur et certainement
dépourvu de vie , cristallisé à leur surface , l'émail
enfin, sentent néanmoins avec plus de délicatesse
qu'on ne l'imagine communément ; nous avons
constaté qu'elles peuvent donner une sensation bien
réelle par suite d'une percussion modérée exercée
avec un simple ruban de fil tenu par une de ses extré-
mités : certes , c'est là pourtant un clioc bien léger.
Chacun peut également s'assurer que les ongles,
productions cornées , servent à reconnaître certaines
qualités des corps soumis à l'exploration tactile , leurs
rugosités , leur consistance ; les poils , les cheveux
sentent, ou mieux transmettent à la peau l'impres-
sion d'un contact souvent fort léger , et ce sentiment
n'est pas sans volupté quand il est produit par une
main familière ; il ne faut donc pas trouver surpre-
nant que l'épiderme puisse aussi transmettre , aux
papilles qu'il enveloppe , des impressions même
très-subtiles. Aussi n'est-ce pas , comme on le répète
ridiculement sans examen , là oii l'épiderme est le
plus fin que le toucher est le plus délicat ; l'épiderme
est très -épais au bout des doigts, et il est facile
de le traverser là avec une épingle sans attaquer
le corps papillaire , ce qu'on ne saurait faire assu-
rément sur le dos de la main , à l'avant-bras , etc.
Le toucher est plus délicat là oii il y a plus de déve-
loppement dans les papilles et une plus grande abon-
dance de nerfs , avec plus de facilité à s'appliquer
aux surfaces qu'il s'agit d'explorer. C'est d'après ces
DU TOUCHER. 1 13
donuées que nous allons jeter un coup-d'oeil sur les
principaux modes que nous offrira la série des êtres
animés, quant à Texercice du toucher volontaire.
A. Chez Fhomme , personne n'ignore que c'est
à la main, aux doigts que le sens du toucher offre
le plus de perfection , et nous avons fait une petite
série de recherches qui confirment ce que l'anatomie,
d'une part, et l'observation , de l'autre , avaient déjà
appris à cet égard. Nous avons voulu savoir à quelle
distance devaient s'opérer , dans les diverses régions
du corps , deux impressions simultanées , pour être
distinctes et non confondues en une seule (i) : il est
clair que plus la peau d'une région recevra de filets
nerveux , plus il y aura de rapprochement entre les
points isolément sentant, et par suite aussi plus il y
aura, pour une égale superficie, de vivacité et de
jugement dans la sensation. Or, la peau du crâne,
celle des joues, des bras, des jambes, piquée simul-
tanément avec deux épingles, ne donnait qu'une
seule sensation de piqûre tant que les deux pointes
ne portaient pas au moins à deux lignes l'une de
l'autre : avec cet écartement on sentait deux piqûres :
au front, au dos de la main, la distance voulue,
pour deux sensations distinctes quoique simultanées,
était d'une ligne et demie ; à la paume de la main ,
d'une ligne ; au bout des doigts , d'une demi-ligne ;
et au bout de la langue , d'un quart de ligne seule-
ment: ce dernier organe aurait donc l'avantage,
(1) Le professeur VVeber a fait des recherclies du même genre, et probable-
ment plus étendues ; je regrette de n'en avoir pu recevoir qu'une simple
informalion de la part du docteur Windischmann,
8
114 DU TOUCHER.
mais on sait qu'il est destiné à d'autres fonctions,
et c'est , quant aux diverses régions de la peau , à
l'extrémité des doigts que reste la supériorité. La
mobilité des doigts , l'opposition du pouce , la liberté
des membres supérieurs en raison de la station
bipède , donnent d'ailleurs à la main de l'homme
tant d'avantages , que certains philosophes ont voulu
y voir la seule cause de sa suprématie sur les autres
animaux : exagération souverainement ridicule , car
la main de la grenouille est beaucoup mieux fournie
de muscles et de phalanges ; celle du singe ne le
cède ffuère à celle de l'homme , et l'on ne saurait
même lui refuser plus d'adresse , de précision et
d'agilité qu'à nous. La main est plus utile à l'homme
comme organe d'industrie que comme instrument
du toucher; mais ce serait tomber dans le même
abus que d'y attacher , sous ce rapport , une im-
portance trop grande : autant vaudrait dire , avec
des penseurs superficiels , que l'éléphant ne doit
qu'à sa trompe sa capacité intellectuelle , et que le
castor n'est redevable qu'à sa queue de son admi-
rable industrie. L'homme sait suppléer , en cas
d'accident , aux mains qui lui manquent ; il sait de
même , au besoin, remplacer, par d'autres moyens
de communication , le langage vocal auquel d'autres
personnes attachent aussi une importance radicale :
c'est que sa supériorité provient d'une autre source ,
de la perfection de son intelligence et de la prépon-
dérance des organes consacrés à son exercice.
B. Les autres mammifères ayant généralement la
peau couverte deL_poils , on peut rappeler , à leur
sujet, ce que nous avons dit dans les généralités
DU TOUCHER. 115
de ce chapitre , pour la transmission du contact
qui s'exerce par le moyen de ces poils jusqu'aux
papilles nerveuses même. L'épiderme épais et dur
des grands animaux obscurcit davantage , sans
doute , la sensibilité tactile , mais sans l'annihiler
tout-à-fait, et il en reste toujours d'ailleurs, pour
ainsi dire , trop encore dans les gerçures où se logent
les insectes qui tourmentent parfois l'éléphant et le
rhinocéros.
On peut mettre au rang des organes spéciaux du
toucher quelques-unes de ces annexes cornées de
la peau , les moustaches , auxquelles Cuvier avait
déjà assigné cet usage. Andral a fait remarquer,
il y a quelques années , que ces grands et gros
poils reçoivent des nerfs volumineux dans leur bulbe
chez les rats ; il en est de même chez les carnas-
siers en général , et surtout chez les phoques où
les moustaches acquièrent de grandes dimensions
et sont mues par le muscle constricteur des narines
(Rosenthal). Chez les autres carnassiers , elles sont
mues aussi par les muscles des lèvres et du nez ,
et leur usage , comme organe du toucher, est con-
firmé par leur analogie de situation avec les palpes
des animaux articulés et les barbillons des poissons.
Le vulgaire pense que les chats dont on a brûlé les
moustaches perdent leur odorat; peut-être cette
opinion, évidemment erronée, tient-elle à quelque
remarque positive sur une diminution d'adresse et
de sensibilité dans leurs chasses. Des parties fort
voisines des moustaches peuvent les remplacer effi-
cacement chez les animaux qui en manq?ient, et ce
d'autant mieux qu'elles sont ordinairement molles ,
116 DU TOtCHEh.
parfois muqueuses et toujours dépourvues de poils.
Je veux parler du nez et des lèvres. Le premier sert
évidemment à ^exploration des objets chez le
chien , qui les pousse , les roule , les frotte de son
nez humide et nu ; la chose est plus positive encore
chez les animaux à grouin, le cochon, la taupe
( surtout celle à museau étoile , condylurus cristatus)
et la musaraigne ; aussi trouve-t-on là, sous un épi-
derme solide , un derme épais et garni de fortes
papilles. Le plus souvent , Torgane principalement
tactile est en même temps un organe de préhen-
sion : c'est ce qui a lieu pour le nez de l'éléphant
prolongé en trompe et terminé par un doigt charnu ;
des papilles très-développées garnissent l'extrémité
de cette trompe : il en est de même à la face infé-
rieure de la queue chez la plupart des mammifères
qui l'ont préhensile , les sapajous , les sarigues , etc.
Les lèvres servent au toucher et à la préhension
des objets, principalement chez les ruminants et les
solipèdes, chez quelques pachydermes aussi ; le
cheval et l'àne, le rhinocéros et plus encore la
girafe , en donnent des exemples ; mais les pattes et
surtout les pattes antérieures sont encore, de même
que chez l'homme, le plus essentiel instrument
tactile chez beaucoup de mammifères, comme on
le voit chez les singes , les chats , les ours , les écu-
reuils, etc. Le pied du cheval même, tout enve-
loppé dans un épais sabot de corne , lui sert souvent
à explorer le terrain quand il le gratte ouïe frappe,
en même temps qu'il l'examine de la vue et de
l'odorat, j^lais qu'il y a loin , et pour l'organe et pour
la sensation , de ce toucher grossier à l'excessive
mi TOUCHER. 117
délicatesse des sensations que les chauves - sourie
peuvent éprouver sur les membranes légères de leurs
vastes ailes ! Ces toiles si minces et si larges, suscep^
tibles de vibrations^ d'oscillations lorsqu'elles sont
tendues, peuvent aisément palper l'air, juger de la
liberté des passages, de la proximité des obstacles,
et expliquer comment ces animaux , privés de la
vue , ne s'en conduisaient pas moins bien dans les
détours des souterrains ^ ou à travers les trous d'une
toile que Sp^llanzani opposait à leur passage. Les
membranes auriculaires et nasales participent indu-
bitablement, chez les rhinolophes, etc. , de cette
faculté de palper l'air, et ajoutent ainsi beaucoup
aux services que peut leur rendre la finesse de l'ouïe
et de l'odorat.
C. Oiseaux. Chez ces vertébrés , on ne trouve
guère de surface libre et dénuée de plumes qu'aux
pattes et au bec; c'est là que le toucher s'exerce en
effet presque exclusivement. Le dessous des doigts
surtout parait garni de fortes papilles recouvertes
d'un épidémie qui ne leur fait pas perdre leur uti-
lité ; celle-ci se manifeste principalement chez les
animaux qui saisissent avecles pattes les objets qu'ils
portent au bec , les perroquets , les oiseaux de proie.
Quant au bec , son enveloppe cornée ne lui ôte pas
non plus la sensibilité; il suffît de voir, chez le
canard, l'énorme volume du faisceau nerveux de la
cinquième paire qui s'épaaouit dans le bec supé-
rieur entre l'os et la corne , pour être convaincu
qu'il donne à l'animal des notions tactiles très-
minutieuses, lorsqu'il fouille dans la boue des ruis-
seaux ou des marécages. Assurément il en est ainsi
118 DU TOUCHER.
du bec long et flexible des huppes, des avocettes ,
des bécasses et bécassines : quW se rappelle, à
ce sujet, ce que nous avons dit de la sensibilité
des dents malgré leur émail. La langue des oiseaux
sert aussi au toucher, et sans parler de celle du
pic , où elle remplit un autre office en même temps
que celui du toucher, on observera aisément , chez
les granivores, que la langue joue un rôle actif dans
Fexploration d^une graine nouvelle ou d'un corps
graniforme que l'animal saisit avec son bec.
/>. Reptiles, Nous ne ferons que rappeler, à leur
sujet, ce que nous venons de dire du bec des oiseaux;
le museau des lézards et des serpents est tout aussi
nerveux et un peu moins corné , aussi sert-il évi-
demment de moyen explorateur ; c'est du museau
que ces reptiles frottent tous les recoins des prisons
où on les enferme et dont ils cherchent à s'échapper.
La langue est ici , bien plus évidemment encore
que chez les oiseaux, organe de tact; ce n'est pas
pour prendre des insectes que le lézard ou la couleu-
vre dardent si fréquemment leur langue au-dehors ;
cette langue, chez la dernière surtout, est sèche,
non visqueuse ; elle est néanmoins molle et flexible ;
c'est un organe de tact très-délicat ( fig. 12), qui est
sans cesse mis en activité dans la progression comme
les antennes des insectes. La queue du caméléon et
du boa , tout le corps même des serpents , entourent
et touchent les corps où ces animaux se suspendent;
mais est-ce là exercer un véritable toucher ? Les
pieds des caméléons, des geckos, des lézards sont
papilles en dessous , et peuvent être considérés
comme vrais organes tactiles ; le ventre des batra-
DU TOUCHER. 1 19
ciens est généralement grenu , c'est-à-dire hérissé
de petites saillies blanchâtres ; sont-ce des papilles
ou des glandes sébacées ? Il y a probablement l'un
et Fautre. La paume des mains, la plante des pieds
sont, au contraire, couvertes de papilles excessive-
ment fines et courtes, mais assez peu serrées;
d'ailleurs , la main en particulier est composée
d'osselets nombreux et très -mobiles , de doigts à
phalanges plus multipliées que chez l'homme et de
muscles bien plus diversifiés , ce qui devrait donner
à ce membre une grande perfectioo : chez le pipa ,
il y a quelque chose de plus ; chaque doigt est sub-
divisé, au bout, en quatre petites lanières molles
et sans doute propres à exercer le toucher avec
plus de finesse.
Chez les batraciens d'ailleurs la peau est nue ,
et le tact universel semble devoir être plus délicat
que chez les autres reptiles ; mais cette peau con-
tient beaucoup de phosphate de chaux et d'autres
sels, plus même que la peau écailleuse des reptiles
sauriens et ophidiens. Néanmoins , la grande sensi-
bilité qu'elle démontre à l'action des irritants, doit
lui faire supposer des qualités tactiles très-émi-
nentes ; on sait que les substances acres , le tabac ,
etc. , dont on saupoudre un crapaud ou une gre-
nouille , leur causent de vives douleurs et finissent
même par les faire périr. Toutefois, il ne faudrait
pas croire que la dureté et la sécheresse de la peau
des serpents et des lézards lui ôtàt toute sensibilité ;
ce que nous avons dit de leur museau , du bec ,
des dents , nous disposera à voir sans étonnement
un lézard , une couleuvre , souffrir impatiemment le
120 DU TOlCIlERt
contact d'une mouche , et chasser vivement cet
insecte importun. Il en est de même des tortues pour
leur tête écailleuse , mais non pour leur carapace
qui ne parait jouir que d'une sensibilité très-obtuse.
E, Poissons. Leurs habitudes sont en général
peu connues, et ce n'est guère que par conjecture
que l'on regarde comme organe du toucher les bar-
billons , en forme de moustaches , qui avoisinent la
bouche des cyprins , et ceux qui se trouvent , au
nombre de quatre, rangés transversalement devant
la bouche de l'esturgeon; on voit, tous les jours ,
les carpes heurter avec le museau le pain qu'on
leur jette ; et Cuvier dit que leurs barbillons re-
çoivent des filets nerveux de la cinquième paire.
Les nageoires latérales auraient-elles quelque usage
relatif au toucher ? Les carpes semblent s'en servir
ainsi sur la vase des eaux peu profondes, où l'on
peut les examiner ; mais ceci est bien plus probable
encore pour les trigles qui ont, à chaque nageoire
pectorale , de trois à cinq rayons libres et charnus ,
véritables doigts auxquels viennent se rendre de gros
nerfs partis de renflements spéciaux de la moelle
épinière. Les tiges mobiles et terminées par une
petite feuille membraneuse , que porte la baudroie
sur la tête , lui servent-elles à reconnaître l'arrivée
d'une victime imprudente ? Les appendices du scor-
pène antenne et de quelques autres poissons leur
rendraient-ils le même service ? On ne peut répondre
à ces questions qu'avec doute.
Quant au tact universel , nul doute qu'il ne doive
être plus délicat chez les poissons à peau molle
comme les murènes , que chez ceux à larges écailles
DU TOUCHER. 121
comme les cyprins , ou à peau dure et presque
osseuse comme les roussettes, les lépisostées, etc.
AMTICI^E IIÏ. - Inverfêîïrés,
j4. Animaux articulés ou astacaires. Un coup-
d'œil général, jeté sur ce groupe d'animaux, nous
fait apercevoir , dans leurs enveloppes extérieures ,
des différences notables. Le plus grand nombre ,
comme les crustacés, les insectes, les myriapodes,
beaucoup d'arachnides , sont couverts d'un tégu-
ment corné ou calcaire et qui semble devoir être
peu sensible aux contacts ; chez les cirrhipèdes,
ce tégument devient une véritable coquille fort
semblable à celle des mollusques. Mais l'élasticité
même et la vibratilitéj si l'on peut ainsi dire, de
cette enveloppe la rendent susceptible de trans-
mettre, aux parties sous-jacentes, des impressions
assez légères ; aussi s'en faut-il de beaucoup que le
tact général des animaux articulés soit très-obtus; la
plus faible percussion suffit pour les faire fuir ou se
pelotonner. Ces impressions sont rendues plus vives
encore par la présence, presque constante chez
les insectes et les arachnides , de poils élastiques ,
roides et vibrants , dont l'effet est bien facile à com-
prendre d'après ce que nous avons dit de ceux des
mammifères et en particulier des moustaches.
D'autres articulés, les larves d'insectes, les aca-
riens ont une peau plus flexible ; celle du ventre
des araignées est aussi assez molle , mais celle des
annélides offre surtout ce haut degré de mollesse
jointe à une constante humidité qui doit la rendre
très-impressionnable aux contacts. Aussi les vçrs
122 DU TOUCHER.
de terre et les sangsues jouissent-ils d'une grande
susceptibilité sous ce rapport, à tel point que le
contact des substances acres est pour eux un supplice
qui peut devenir mortel; on force les sangsues de
rendre tout le sang qu elles ont pris en les roulant
dans la cendre , en les mouillant d'eau vinaigrée ;
on les force de lâcher prise avec un peu de sel ou de
tabac posé sur leur corps , on les tue dans le vinaigre
ou l'alcool. Quelques annélides portent aussi des
soies roides , isolées ou en touffes, comme les nais;
les apbrodites ont , en même temps , de longs poils
qui les font ressembler aux chenilles les plus velues et
doivent leur rendre les mêmes services qu'à celles-ci ,
comme moyen de défense et d'avertissement à la
fois; touchez légèrement les poils de la chenille
marte , elle se roule en boule aussitôt.
Des appendices tactiles spéciaux se retrouvent
chez presque tous les animaux de ce sous-règne :
ce sont les pieds, les palpes, les antennes. Les pieds
des insectes, des arachnides, portent souvent, entre
leurs griffes , une ou plusieurs caroncules destinées
à la locomotion , mais assurément aptes aussi à
toucher. Il est des conformations spéciales plus
évidemment destinées à cet objet : beaucoup d'aca-
riens ont les pieds de la première paire très-allongés
( genres mégamère , dermanysse , gamase ) , et s'en
servent pour palper le terrain qu'ils parcourent;
les tbélyphones , les galéodes ont ces mêmes pieds
privés d'ongles et réduits au rôle de palpe ; ceux
des plirynes sont allongés , finement moniliformes ,
et représentent des antennes dont sans doute ils ont
également les usages ; enfin, chez les cirrhipèdes.
DU TOUCHER. 123
les pieds articulés ne peuvent sortir de la coquille
que pour servir d'instrument d'exploration, puisque
l'animal est fixé invariablement sur son pédicule ou
sur sa base dès qu'il est adulte. Les pieds ou rames
des annélides marines , néréides , eunices , cirrlia-
tules, etc. , portent fréquemment des appendices
ou charnus ou articulés et néanmoins assez mous
( syllis moniliforme ) , qui ressemblent autant à des
antennes qu'à des branchies , et servent sans doute
au toucher aussi bien qu'à la respiration : c'est
ce qu'on a nommé des cirrhes ; ils sont fort longs
surtout dans les cirrhatules, et nous avons reconnu
qu'ils se meuvent long-temps comme des vers après
avoir été séparés de l'animal qui les porte .
Ces mêmes cirrhes , avec quelques faibles modi-
fications de volume et de position , garnissent , en
nombre varié de sept à deux seulement , la tète de
plusieurs de ces annélides et prennent le nom à'an-
tennes ou cirrhes antennaires ; ils ressemblent alors
en effet aux antennes des crustacés , des insectes et
des myriapodes, qui manquent aux arachnides. Les
crustacés en ont souvent quatre , subdivisées même
en plusieurs filets , et généralement elles ont la forme
sétacée , c'est-à-dire qu'elles s'amincissent par degrés
de manière à se terminer en filament ténu , quoique
assez épaisses à la base; dans leur longueur elles
sont d'ailleurs divisées en innombrables anneaux.
Les insectes et les myriapodes n'en ont que deux ;
et , chez les premiers surtout , la forme de ces
appendices est extrêmement variée ; aussi verrons-
nous que leurs usages présumables ne se bornent
point au toucher; et nous ne devons considérer
124 DU ToucHi:u.
comme vraiment tactiles que ceux dont la figure
se rapproche de ce que nous avons décrit chez les
crustacés, c'est-à-dire en soie ou en fil, ou encore
en massue, toujours composés d'ailleurs d'articles
plus ou moins multipliés. Quand on voit marcher
une sauterelle aux longues antennes sétacées, une
scolopendre aux antennes moniliformes , on se
convainc aisément de l'usage qu'elles font de ces
organes en mouvement perpétuel pour reconnaître
les dangers, les obstacles, les changements d'incli-
naison du terrain. D'autres insectes à antennes plus
courtes, les fourmis, les abeilles, ne s'en servent
que pour explorer un corps déterminé , pour se
reconnaître d'individu à individu, peut-être aussi
pour se communiquer quelques idées, ainsi que
nous le verrons plus tard.
Les palpes sont généralement aussi trop courts
pour servir à conduire la marche, mais ils sont
efficacement employés surtout à l'exploration des
aliments dont ils aident aussi l'ingestion , la tritu-
ration. Ce sont, en effet , des appendices toujours
voisins de la bouche; il y en a deux seulement chez
les arachnides , et quoiqu'ils aient fréquemment la
forme de pieds , qu'ils soient même armés de fortes
pinces chez les scorpions , ils n'en servent pas moins
au toucher, comme le prouve l'usage journalier
qu'en font les animaux que nous venons de nommer;
ils s'en servent comme d'antennes. Les insectes en
ont quatre , deux attachés aux maxilles , deux à la
lèvre : quelquefois même (coléoptères carnassiers)
la maxille se termine par deux articles palpiformes ;
tous agissent vivement dans l'exploration des ma-
DU TOUCHER. 125
tières alimentaires. Les crustacés manquent à peu
près complètement de palpes labiaux et maxillaires,
mais en revanche ils en portent une paire sur les
mandibules et sur chacune des trois paires de pieds-
mâchoires. Les six palpes de ces derniers membres
sont fort semblables à des antennes sétacées , et par
conséquent très-aptes à exercer le toucher.
B. La peau humide et souple des mollusques se
montre aussi sensible que celle des batraciens et des
annélides, là où elle n'est pas protégée par une
coquille épaisse et tout-à-fait inorganique. Indépen-
damment de ce tact général , il y a sans doute explo-
ration tactile chez tous ceux de ces animaux qui
portent des expansions particulières de la peau, du
corps, de la tête. Nul doute qu'il n'en soit ainsi des
longs bras des céphalopodes, organes qui servent
en même temps à la locomotion, à la préhension:
autant en dirons-nous du pied linguiforme des bival-
ves, moule, moulette, venus, vénéricarde, etc. etc.
Quand on fait quelques essais sur le limaçon , on
s'aperçoit aisément que ses tentacules lui sont plus
utiles comme organes de toucher qu'en qualité
d'organes de la vue , car il n'évite les obstacles que
quand son oeil les a heurtés. Ce serait, du reste, se
perdre inutilement en détails fondés sur de simples
probabilités , que de parler ici de l'expansion du
manteau ou du pied qui recouvre la coquille dans les
porcelaines et les cyprées, des lanières et festons
qui entourent l'animal et bordent la coquille de
î'haliotide , etc.
Ce sont aussi des organes de toucher , sans
doute, que les filaments tentaculaires , les franges
120 DU TOUCHER.
OU appendices variés des acalèphes de Cuvier, qui
comprennent et les méduses et les physalies , c'est-
à-dire les radiaires à corps mou et les diphyaires;
autant on en peut dire pour les tentacules des
polypes et des hydres, les nombreux appendices
des actinies , des hotothuries , les pieds tubulaires
des oursins , des astéries. Au reste , beaucoup de
ces animaux ont aussi la peau nue et mince et le
corps généralement très -sensible, de sorte que le
toucher est chez eux universel : cette sensibilité est
telle qu'ils peuvent, certains du moins, palper
même la lumière par tous les points de leur corps.
C'est ce que Dicquemare a observé pour les actinies,
Trembley pour les hydres , et c'est en particulier ce
dont nous nous sommes assuré pour les planaires :
un rayon de lumière , même sans chaleur , autant
que possible, projeté sur un point quelconque de
leur surface pendant le repos, les met en mouvement
sur-le-champ, et les fait ou rétrograder ou avancer
plus vite quand elles sont en marche.
Enfin , nous pourrions ajouter ici quelques mots
sur les monadaires qui fuient également la lumière
et la chaleur, comme on s'en aperçoit dans les inves-
tigations microscopiques ; puis nous rappellerions
les phénomènes offerts par la sensitive et autres
végétaux, la promptitude avec laquelle les plantes
volubiles entourent les corps qu'elles ont touchés ;
mais une simple mention suffit pour ces exemples
d'un toucher, ou douteux , ou qui n'a rien qu'on ne
retrouve dans ce qui a été dit plus haut.
CHAPITRE III.
DU GOÛT.
Tout spécialisé qu'est ce sens, il se rapproche
néanmoins beaucoup encore du toucher, et il faut
convenir, en effet, que les animaux à peau molle
et humide , qui se montrent si sensibles à l'impres-
sion des substances acres , semblent pouvoir faire ,
de toute leur surface extérieure , ce que l'homme
fait de sa langue. Aussi, comme on le verra plus
bas, les nerfs gustatifs sont-ils bien moins spécia-
lisés que ceux des trois sens suivants, et un appareil
purement tactile se joint-il souvent , sur la langue
même, au dégustateur. Pveconnaitre des saveurs _, et
par conséquent les différencier ^ c'est toutefois un
attribut exclusif des organes du goût , et qui sufiit
pour établir une démarcation bien intelligible entre
eux et la peau dénudée par un vésicatoire. Touchez
cette surface avec le vinaigre ou l'alcool, avec le
bois ou le fer, rien ne vous indiquera de différence,
si la température , la concentration , le poli sont
semblables ; la langue , au contraire , reconnaîtra
même le métal quoiqu'il soit assurément insoluble
dans la salive. Toutefois, la plupart du temps, il
faut au moins qu'un corps soit soluble pour être
sapide ( i ) ; il l'est directement s'il est liquide , bien
(d) Il y a même quelquefois action chimique entre cette humeur et les corps
solubles ; selon Pvaspail, la saveur urineuse des alcalis tient à un dégagement
d'ammoniaque.
128 DU GOUT.
qu'insoluble dans l'eau , comme les huiles essen-
tielles ; et l'état gazeux peut aussi en lui-même être
une condition de sapidité , comme le prouve l'intro-
duction , dans la bouche , de la fumée de tabac , du
gaz oxidule d'azote.
Cette dernière circonstance établit quelque ana-
logie entre le goût et l'odorat , et ces deux sens ont
des liaisons effectivement très -intimes , tous deux
servent à l'exploration des aliments , et sont ainsi les
sentinelles avancées de l'appareil digestif; tous deux
siègent dans des organes fort voisins, et dont les
rapports directs et sympathiques sont nécessairement
très -nombreux. Les rapports directs ont lieu du
côté de l'arrière - bouche , où la base de la langue
est si près des arrière -narines ; les sympathiques
tiennent sans doute à la communauté d'origine d'une
partie des nerfs qui se rendent à la langue et au
palais, et d'une partie de ceux qui se jettent dans la
pituitaire , les uns et les autres partant de la branche
moyenne du nerf trifacial ; ils peuvent tenir aussi en
partie à la communication des nerfs palatins avec le
naso- palatin de Scarpa , dans le ganglion de même
nom décrit par Hippolyte Cloquet, et placé selon
lui à l'oriiice inférieur des canaux incisifs. Là aussi
d'ailleurs est, chez les ruminants, les rongeurs,
peut-être même chez l'homme , une autre communi-
cation très-directe entre le palais et les fosses nasales ;
les conduits incisifs ou de Stenon sont assez larges chez
les premiers , très-étroits chez le dernier (Santorini )
on même oblitérés tout-à-fait (Morgagni, Heister ,
Albinus, Scarpa). Dans plusieurs mammifères, ces
conduits de communication entre le nez et la bouche
DU GOUT. 129
sont accompagnés d'une autre disposition , sur
laquelle Jacobson a appelé le premier l'attention
des anatomistes ; nous avons bien vu , chez le mou-
ton , deux cauaux cartilagineux tapissés par une
membrane muqueuse, et qui, s'ouvrant dans ceux de
Stenon , se portaient un peu en haut et en arrière
sur les côtés de la cloison du nez, entre les rameaux
fournis par la portion ethmoïdale et la sphéno-
palatine de la cinquième paire. Jacobson dit que
ce sinus communique toujours au moins avec les
fosses nasales, lorsque, comme chez l'homme et le
cheval, l'orifice inférieur du canal de Stenon est
fermé. Voir dans ces particularités anatomiques la
cause d'une synergie des deux sens , qui favorise le
discernement des aliments de bonne et de mauvaise
nature , qui permette ainsi aux animaux herbi-
vores d'éviter les plantes pernicieuses , c'est la seule
manière rationnelle d'admettre l'opinion de Jacobson
sans admettre un sixième sens à cet effet. De cette
liaison naturelle dépend l'influence qu'un de ces
sens exerce sur l'autre , comme quand un coryza
fait perdre le goût , ou du moins le goût des arômes.
Chevreul a fait remarquer qu'on annuité un grand
nombre de saveurs, toutes celles des substances
aromatiques , celles des métaux même , de l'étain
par exemple , celle des substances ammoniacales , si
on les goûte en fermant les narines. Moi-même ayant
perdu depuis long- temps l'odorat, je ne distingue
nullement dans les ragoûts ou les liqueurs l'arôme
des truffes, de la rose, de la vanille, etc. Ici donc
il y aurait évidemment synergie , c'est-à-dire action
simultanée et fusion des deux sens. Au reste , l'ana-
9
1 30 mi Go^T.
logie et la fusion dont il s'agit sont plus faciles à
concevoir encore , quand on sait que la langue , bien
qu'elle soit le principal siège , n'est pas le siège
exclusif du goût. Sans entrer ici dans des détails
déplacés , nous pouvons dire que , en particulier, le
haut du pharynx et la partie postérieure et molle du
palais reçoivent très-bien les impressions de sapidité;
aussi les gourmets roulent -ils dans toute l'étendue
de la bouche , le vin qu'ils veulent bien déguster.
La langue est , disions-nous , Forgane principal
de la gustation , du moins chez l'homme et les
mammifères auxquels s'appliquent plus spécialement
ces généralités; les papilles dont elle est hérissée
servent , non-seulement à sentir , mais encore à re-
tenir la substance savoureuse; elles s'en imbibent,
et quelquefois d'une manière très -opiniâtre , soit
que la saveur persiste telle qu'elle était d'abord ,
soit qu'elle change de nature ( arrière-goûts). C'est
à une véritable imbibition de salive amère ou acide
que sont dus ces mauvais goûts dont se plaignent
les malades ; sensations qu'on croirait idéales , si
l'état de la Lingue ne démontrait visiblement le con-
traire; d'ailleurs, quelques recherches chimiques
de Donné ont prouvé que l'état acide ou alcalin de
la salive , dans diverses indispositions, n'était rien
moins qu'imaginaire ; et nous connaissons des faits
cil une expérience plus directe encore a donné des
notions très-positives à cet égard. La nécessité de
cette imbibition pour que la gustation s'opère est
facile à prouver : mettez une goutte d'eau sucrée
sur le milieu de la langue , vous n'en sentirez le
goût qu'au bout d'une demi-rninute ou même davan-
DU GOUT. 131
tage ; il faut moins de temps à la pointe ou à la base,
et c'est ce qui a fait croire à Yernière que la partie
moyenne de la langue était insensible aux saveurs.
Le plus souvent, cette imbibition n'empêclie pas
qu'un nouveau corps ne soit apprécié, et souvent
même ne soit apprécié plus vivement que si son im-
pression n'eût pas été précédée par une autre ; le vin
parait aigre après le sucre et fade après le vinaigre ;
c'est l'effet d'un contraste tout-à-fait vital , et une
conséquence facile à déduire de ce que nous avons
dit plus haut sur les modifications accidentelles de
l'agent nerveux.
Les papilles sont de plusieurs sortes; il en est de
cornées , crochues , représentant des dents rudimea-
taires ; elles ne sont point gustatives , mais servent
à pousser les aliments vers le gosier ou à d'autres
usages du même genre ; on a nommé calicinales
celles qui , toujours grosses mais peu nombreuses ,
représentent un petit globe charnu , pédicule et
contenu dans une cavité cupuîiforme. Mais les plus
nombreuses et les plus utiles à la gustation sont
les fongueuses, ordinairement rouges et arrondies,
et les coniques ou cylindriques, très -fines, assez
longues et blanchâtres qui donnent à la langue un
aspect velouté et souvent la rendent très -douce
au toucher ( fiq, 19). Sont-elles érectiles ? Quelques
physiologistes l'ont cru, et les fongueuses sont
assez vasculaires pour cela; Magendie le nie , et
pourtant il est certain qu'elles ne sont pas toujours
proéminentes au même degré, et quun aliment dé
haut goût en augmente la rougeur et la saillie.
Breschet et Roussel de Yauzème ont trouvé la tex-
132 DU GÔÛï.
ture nerveuse des papilles cylindriques du bœuf,
comparable à celle des papilles de la peau cbez la
baleine; et beaucoup d'autres anatomistes ont pu,
comme nous-même , soit chez l'homme, soit chez
le mouton , etc. , suivre les filaments du nerf lingual
jusque dans la membrane muqueuse et papillaire
de la langue et même dans les papilles ( Gerdy) ;
tandis qu'on voit l'hypoglosse et une bonne partie du
gîosso-pharyngien se perdre dans les muscles.
C'est donc le rameau lingual de la cinquième
paire qui paraît spécialement chargé de la gustation ;
toutefois , à la base de la langue , où la sensibilité
gustative n'est certainement point douteuse, on voit
se distribuer plus particulièrement les filets du nerf
glosso - pharyngien , portion de la huitième paire;
mais là , il se trouve évidemment plus de glandes
muqueuses que de véritables papilles , et l'opinion de
Panizza , qui attribue à ce nerf la faculté gustative
et ne laisse au lingual que des qualités tactiles , nous
paraît , pour ne rien dire de plus , beaucoup trop
exclusive. Quant au nerf hypoglosse ou neuvième
paire des anciens anatomistes, il se perd dans les
muscles de la langue et paraît uniquement moteur.
Richerand a cherché à confirmer cette distribution
d'usages spéciaux par le galvanisme ; mais le galva-
nisme ne pourrait-il pas traverser des nerfs sensitifs
et arriver aux muscles à travers leur substance , tout
aussi bien qu'à travers un fil quelconque , bien que
les derniers filaments ne se perdissent pas dans la
fibre musculaire ? L'agent électrique , nous l'avons
dit, n'est pas, comme l'agent nerveux, coercé par le
névrilème ; aussi a-t-onpu obtenir au moins quelques
DU GOUT. 133
frémissements en faisant passer le courant électrique
par l'artère linguale ( Magistel ). Ces ingénieuses
tentatives laissent donc beaucoup d'incertitude, et il
en est de même des expériences faites sur des ani-
maux vivants à l'aide de substances sapides ; car
s'il n'est pas difficile de couper le nerf lingual sur
un chien, il l'est davantage de s'assurer qu'il a
perdu la sensation des saveurs. Ajoutons que même
cette perte ne saurait être complète , puisque le
reste de la bouche n'est pas étranger à ce genre de
sensations. Tenons -nous-en donc aux probabilités
que l'anatomie nous donne et qui nous semblent du
reste assez satisfaisantes.
ABTICIii: II. - VertèBîrés,
j4» Uhomme et les mammifères , après tout ce cxue
nous venons de dire, ne doivent pas nous arrêter
longuement; nous nous bornerons à signaler quelques
particularités anatomiques dont les conséquences
physiologiques seront faciles à saisir.
La langue de l'homme, molle, musculeuse et mu-
queuse, susceptible d'allongement , d'élargissement,
libre complètement dans une bonne partie de son
étendue , et baignée par une abondante salive , est
un organe favorablement construit pour la gustation,
et ses nombreuses papilles villeuses ou cylindroïdes ,
ses papilles fongueuses disséminées ça et là en assez
grand nombre , lui donnent la facilité de s'imbiber
et de sentir vivement. On n'a pas encore décidé si
les deux genres de papilles qui garnissent sa surface
sont destinés à des usages différents , quoiqu'on
ait reconnu que des régions différentes de la langue
1 34 DU GOUT.
sont plus sensibles à telles ou à telles saveurs ; la
pointe sent mieux le sucre , et la base apprécie
mieux l'amertume , etc. etc.
Nous trouvons une langue plus longue et plus
mobile encore cbezla plupart des mammifères, sans
parler même de ceux qui , comme les fourmiliers ,
Foryctérope , et comme aussi , du reste , l'echidné
parmi les monotrèmes , les pics , les colibris parmi
les oiseaux, ont cet organe très- long , visqueux,
sans papilles , et destiné seulement à la préhension
des aliments. La langue des singes , des chiens est
plus mince que la nôtre , mais pourvue des mêmes
papilles ; les chauves-souris ont ces papilles plus
longues, plus villeuses encore; et chez les roussettes
elles sont pointues, multifides et cornées. Je les
trouve aussi multiîides , presque palmées, dures,
plates et imbriquées, en rangées obliques et très-
régulières chez la belette. Le vampire a , sur la
langue, un cercle de verrues munies chacune d'un
tendon, pouvant se rapprocher en forme de cupule,
comme le disque des sangsues, pour exercer la suc-
cion du sang après qu'une des dents canines apercé la
peau d'un animal endormi , ou peut-être même sans
cette blessure préliminaire (GeofFroy-St-Hilaire).
Les papilles villeuses et fongueuses des chats
sont entremêlées de papilles cornées et crochues
dirigées en arrière, et qui peuvent, dans les grandes
espèces, râper et entamer la peau par la simple
action de lécher ; du reste , leur langue aussi lon-
gue , plate et mince leur sert , comme aux chiens
la leur, à lapper les liquides en même temps qu'à
les déguster. Les ruminants ont aussi, mais seule-
-&"
DU GOUT. 135
ment sur la moitié postérieure et relevée de la lan-
gue , de grosses papilles coniques ou hémisphériques
revêtues d'un épiderme corné ; ils en ont , sur l'in-
térieur des joues , d'aussi volumineuses mais plus
pointues, recourhées en arrière en forme de griffe,
et hien évidemment destinées, de même que les
rides du palais , à aider à la déglutition des herbages
dont ils se nourrissent : les vraies papilles gustatives
couvrent, du moins chez le mouton, la majeure
partie de la langue ; il y en a, comme chez Thomme ,
de lenticulaires ou fongueuses et de coniques, et
nous avons remarqué que les dernières sont héris-
sées de plusieurs pointes, mais toutes assez molles,
et que, d'ailleurs, leur volume et leur consistance
sont bien loin de permettre de les assimiler à celles
dont nous avons parlé d'abord ; elles ne se distin-
guent bien qu'à la loupe ; leur usage n'est point
aussi mécanique que celui des premières , auxquel-
les il faut assimiler les écailles dentelées qu'on
trouve chez le porc-épic.
Les papilles commencent à disparaître chez les
phoques, il n'y en a plus chez les cétacés au dire
de Cuvier ,* selon Breschet et Roussel de Vauzème
elles sont seulement très-courtes , d'un blanc mat ,
terminées en bouton et solidement encapuchonnées
par une gaîne de couleur grise. En somme , leur
langue petite (Ravin), graisseuse et fixe, doit dif-
ficilement distinguer les saveurs , et c'est peut-être
pour ces animaux un avantage que de ne point
déguster l'eau salée et plus ou moins altérée dans
laquelle ils vivent : cette réflexion concorde avec
une remarque judicieuse faite par de Blainville ,
136 DU GOUT.
savoir que les organes du goût se montrent très-
imparfaits en général chez les animaux aquatiques.
B. Cependant les oiseaux _, même les plus aériens,
sont loin d'èîre avantageusement partagés en ce qui
concerne cette fonction ; en effet, à part les oiseaux
de proie , surtout les nocturnes , plusieurs palmi-
pèdes (fig. 18), quelques gallinacés et les perro-
quets, presque partout on trouve une langue carti-
lagineuse et portant à peine quelques papilles à sa
base : encore sont-elles , le plus souvent , dures et
comparables à des dents rudimentaires. Chez les
oiseaux même qui ont la langue la plus charnue ,
les perroquets , l'absence d'une salive suffisante ou
son extrême viscosité la rendent peu propre à la
gustation : sur un amazone, je ne vois que des plis
à sa portion la plus épaisse ( fig. 17), mais il
est vrai de dire qu'il s'y rend de très-gros nerfs •
elle semble véritablement plutôt tactile et préhen-
sile que guslative. Celle du coq , veloutée en
dessus , offre , en dessous , vers la pointe , une sorte
d'ongle mou, comparable à celui qui garnit l'extré-
mité de nos doigts et propre à faciliter l'exercice
du toucher (^fig, \^J, L'étui corné est aussi épais,
aussi lisse en dessus qu'en dessous à toute la portion
avancée en fer de flèche chez la plupart des autres
oiseaux (^fig. l&J , qui ne peuvent goûter les sa-
veurs que par la portion basilaire , la plus humide,
la plus molle et que garnissent des papilles et non
des dents cornées. C'est, au reste , un sens à peu
près inutile aux oiseaux qui se nourrissent de graines
sèches et les avalent sans les écraser : mais les coli-
bris, les oiseaux-mouches sentent indubitablement la
DU GOIJPT. l;n
saveur du miel qu'ils sucent ; les oiseaux carnassiers
et ceux qui vivent de fruits peuvent aussi , à défaut
d'une langue bien sensible , déguster au moyen du
palais et même du gosier, et la préférence qu'ils
donnent à tel ou tel aliment en est la preuve.
C, Les reptiles ont du moins la langue générale-
ment plus molle et une salive plus abondante , mais
non chez tous au même degré. Celle des crocodiles
est fixe ; il en est de même du pipa , des salamandres :
de là vient qu'on l'a crue absente chez certains de
ces animaux ; elle est effectivement à peu près nulle
chez le pipa, mollasse et muqueuse chez les autres.
Elle est aussi charnue , molle , mais plus suscepti-
ble d'avancement chez les tortues , notamment les
terrestres; elle est encore molle , humide , mais très-
exsertile chez les batraciens anoures qui s'en servent
pour saisir leurs aliments , comme nous le dirons
ailleurs ; chez tous aussi elle est couverte de papilles
assez grosses et longues, mais très-molles, serrées et
comme incorporées l'une à l'autre par une mucosité
très-visqueuse , de sorte qu'on lésa presque toujours
méconnues. La langue , en effet, semble lisse à l'état
frais ; mais on en reconnaît facilement, à l'oeil nu, et
mieux encore à la loupe, les mamelons allongés quand
elle a macéré dans l'alcool. Les lézards ^^. IS^enont
de plus saillantes encore , lamellées, régulièrement
imbriquées et saillantes sur les bords de la langue , si
bien que Needham les a prises pour des dentelures
cornées ; mais elles sont charnues , et c'est seulement
aux deux pointes de leur langue bicuspidée, qu'on
trouve en dessous un épaississement en fer de pique ,
de consistance presque cartilagineuse, tout-à-fait
1S8 DU GO^T.
comparable à ce que nous avons vu chez le coq , et
destiné uniquement au toucher ; mais le goût doit être
chez eux très-développé à en juger par le volume
de leurs papilles ; aussi les lézards mâchent -ils,
écrasent-ils au moins les insectes qu'ils ont pris,
tandis que les serpents (^fig. {2j avalent leur proie
tout entière. La majeure partie des ophidiens est
effectivement dépourvue d'une langue gustative;
cachée sous la gorge dans une gaine ouverte très-près
de la symphyse du menton, cette langue bifide,
très-mince et cylindroïde , est sèche et ne peut servir
que d'organe tactile.
Une langue plus singulière encore , plus exsertile
et spécialement destinée à saisir une proie éloignée,
est celle du caméléon fjig, 14 J; à ce dernier titre
elle ne devrait pas nous occuper ici , puisque nous
aurons à en parler ailleurs ; mais nous y avons re-
connu une partie gustative qui parait avoir échappé
jusqu'ici aux. naturalistes : dans l'ouvrage même , si
savant et si exact du reste , de Duméril et Bibron ,
ce relief est indiqué mais non apprécié pour ce
qu'il est réellement. Le renflement qui termine cette
langue en forme de massue , est formé d'une portion
de membrane muqueuse en forme de bourse peu
profonde, susceptible de se renverser totalement et de
mettre en dehors sa surface excessivement visqueuse,
quand la langue elle-même est projetée en avant.
C'est là ce qui englue l'insecte ; mais arrivée dans la
bouche , la hourse rentre dans le renflement lingual
et dégage la proie que les dents saisissent alors : des
deux bords de l'ouverture de cette bourse rentrée ,
l'inférieur est un peu allongé, presque comme le
DU GOUT. ï o9
doigt qui termine la trompe de l'éléphant, tactile et
préhensile comme lui ; le supérieur semhle pourvu
d'un prolongement triangulaire plus long et plus
large encore , mais qui serait renversé en arrière de
manière à avoir la pointe tournée vers le gosier, et
fixé dans cette position par une adhérence intime ;
ce prolongement , cette sorte de relief est épais ,
charnu, piqué de points noirs et garni de papilles
nombreuses et bien distinctes ; c'est la langue gusta-
tive j renversée comme chez les batraciens anoures ,
ayant sa base portée plus en avant encore que chez
eux, mais non libre comme la leur. Le caméléon
mâche et déguste évidemment les insectes qu'il a
saisis.
ARTICIiEI III. - Poissons» et îii^erfëbrés.
S'il est difficile, d'homme à homme , de juger des
sensations d'autrui par les siennes propres , combien
ne doit-il pas l'être quand on veut établir la compa-
raison entre ce qui se passe en nous et ce qu'éprou-
vent des animaux d'une organisation très-différente?
Aussi ne perdrons-nous pas le temps à établir des
conjectures relativement à l'existence et au siège du
goût chez les monadaire s _, les radiairesj leseïminthes.
Le polype rejette le corps qu'il a saisi s'il n'est pas
propre à le nourrir; est-ce affaire du goût ou du
tact? Les mollusques nous laissent dans la même in-
certitude ; toutefois , les espèces terrestres semblent
rechercher certaines plantes de préférence à d'autres ;
mais ce ne saurait être à l'aide de ce renflement ou
appendice charnu ou cartilagineux qu'on a nommé
langue, chez les céphalopodes et les gastéropodes,
140 DU GOÛT.
que la gustation s'exécute ; car , le plus souvent
(seiches, patelles, buccins, etc.), il est armé de
pointes, de dents cornées. De même , chez les
poissons , nous voyons la langue nulle , ou remplacée
par une simple saillie de l'hyoïde que souvent encore
garnissent des dents bien osseuses , de véritables
dents; cette langue est un peu plus molle dans les
cyprins , qui d'ailleurs ont au palais une épaisse
garniture charnue qu'on nomme aussi langue de carpe
en langage culinaire; mais rien ne prouve que ce
palais soit apte à déguster, comme l'a soutenu Des-
moulins; car si la carpe choisit ses aliments, le
brochet choisit aussi les siens, et la condition d'ani-
maux herbivores, carnivores, insectivores, etc.,
tient à beaucoup de particularités instinctives autres
que celles du goût. Toutefois rien n'empêche non
plus d'admettre l'opinion susdite , et ce ne serait pas
une raison à faire valoir en opposition, que la na-
ture des nerfs qui pénètrent ce palais charnu; ils
viennent de la huitième paire, et cette paire en
donne aussi à la langue et au pharynx de l'homme
et des mammifères.
Parmi les animaux articulés, les annélides nous
prouvent aussi l'existence du sens du goût, du moins
dans plusieurs ; les sangsues aiment la saveur du lait ,
de l'eau sucrée, du sang; et c'est en humectant de
ces liquides la peau de l'homme qu'on les détermine
à mordre quand elles y montrent peu de propension.
Morren a observé que les lombrics mangeaient de
préférence la terre saupoudrée de sucre : c'est la
bouche tout entière , sans doute , qui exerce cette
gustation.
DU GOPT. 141
On ne peut rien dire de plus, si l'on veut s'en
tenir aux probabilités les plus valables, en ce qui
concerne les cirrhipèdes, les crustacés, les arach-
nides, les insectes et les myriapodes. Le seos du
goût ne peut leur être refusé; telle chenille ne
mange que la feuille de tel arbre , telle autre peut
se contenter de trois à quatre végétaux différents ,
mais pas davantage; chaque espèce d'ichneumon
attaque un insecte particulier, il en est de même des
sphex, etc.; les mouches communes préfèrent les
aliments sucrés à tous les autres ; enfin , presque
tous les insectes nous démontreraient ainsi , par leur
choix, la spécialité de leur goût.
Dans la bouche ou l'entrée du pharynx de tous
ces animaux articulés^ nous trouvons une surface
molle , humide , souvent baignée de salive et très-
propre à savourer les sucs et même les aliments
pulpeux; en serait-il de même des autres organes
auxquels on a voulu assigner la faculté gustative ?
Mettons en première ligne la langue : celle des
crustacés (languette) est cornée ; celle de la ma-
jeure partie des insectes (lèvre et languette) Test
également; elle est sèche et hérissée de poils roides
chez les coléoptères : à la vérité les orthoptères ont
un renflement charnu sur la lèvre , et la languette
des hyménoptères est très-allongée, villeuse et molle,
de façon que les abeilles peuvent sans doute goûter,
dans le nectaire même des fleurs, le miel qu'elles
recèlent. Ce sont là des exceptions peu nombreuses;
car, là même où la languette est distincte du menton
ou lèvre proprement dite, elle est souvent sèche et
cornée; celle des hémiptères (punaise) et des dip-
1 42 DU GOUT.
tères (cousiu, taon) est dans ce cas: ces insectes
goûtent cependant , car ils piquent et sucent plus
volontiers certaines personnes que certaines autres.
Ceci nous fait présumer que les papillons ne goûtent
point non plus par le bout de leur trompe en spirale
et composée de deux mandibules fortement allongées,
mais que c'est dans la bouche proprement dite , où
ces mandibules conduisent le suc des fleurs , que la
gustation s'opère ; notons d'ailleurs que la gustation
est, chez eux, bien réelle quoique la langue leur
manque complètement. Les bourrelets charnus qui
forment l'empâtement de la trompe des mouches et
appartiennent à leur lèvre inférieure , ont passé éga-
lement pour servir à la gustation; mais ils manquent
à riiippobosque , au stomoxe , au cousin , à la puce
et à tous les hémiptères. Les arachnides n'ont pas
non plus de langue véritablement digne de ce nom,
quoiqu'on l'ait donné parfois à quelques renflements
avoisinant l'ouverture du pharynx; nous avons trouvé
aux araignées une langue et un palais simplement
membraneux et appliqués assez étroitement l'un
contre l'autre : rien n'empêche de croire que, dans
ce trajet , les sucs avalés ne donnent des sensations
gustatives ; mais c'est en revenir à l'opinion énoncée
ci-dessus.
Enfin , les palpes seraient, selon Knox et autres,
les vrais organes de la gustation ; mais ni leur po-
sition , ni leur structure ne permettent d'adopter une
pareille supposition. Les palpes des crustacés , des
arachnides , des insectes , placés hors de la bouche ,
durs 5 cornés , articulés souvent par grands segments
qui laissent peu de parties molles à nu dans leurs
DU GOÛT. t4Z
intervalles, ou bien composés de petits segments
si serrés que la peau membraneuse ne se montre
pas entre eux (crustacés) , ne sauraient servir à une
fonction qui exige, par -dessus tout, mollesse et
humidité ; ils servent à palper, à conduire même les
aliments, mais point à en apprécier la saveur.
J'appuierai cette opinion sur un dernier fait : je
trouve leur extrémité renflée assez molle (i), au
point de se flétrir dans l'alcool et de laisser un creux
à bords arrondis chez plusieurs sauterelles qui ne
vivent que de feuilles assez sèches, tandis que la
mante , insecte Carnivore , qui mâche une proie
succulente, a ses quatre palpes terminés par une
extrémité conique et toute cornée.
CHAPITRE IV.
DE L'ODORAT.
ARTICIii: I." - ]%'otions sénërales.
Ce que le goût est à la digestion, Fodorat Test à
la respiration; il explore Tair que les poumons doi-
vent admettre; mais nous avons déjà vu aussi que,
conjointement avec le goût, il sert fréquemment à
l'exploration des matières alimentaires.
Nous ne devons pas nous arrêter longuement
sur la nature du sens et des qualités qu'il apprécie
dans les objets; de longues discussions sur les odeurs
seraient surtout ici déplacées ; toutefois, nous devons
(1) Je la trouve aussi telle à l'extrémité des^ quatre jjrands palpes du pro-
cruste fcarabug coriacevsj.
144 DE l'odorat.
rappeler que leur excessive ténuité n'empêche pas
qu'elles n'aient toujours quelque chose de matériel :
on sait les calculs qui ont été faits relativement à
l'odeur du musc , qui, sans perdre sensiblement de
son poids , répand au loiu ses effluves; mais le cam-
phre , corps aussi fort odorant , nous donne , par sa
complète volatilisation lorsqu'il est long-temps en
contact avec l'air, la preuve qu'il s'agit, en pareil
cas, d'une vaporisation réelle. Plusieurs métaux ont
aussi une odeur qu'on pourrait croire dynamique j
galvanique j en un mot immatérielle en raison de la
fixité de ces corps (cuivre, etc. ); mais ce qui prouve
qu'il y a là de la matière en mouvement , c'est que
l'odeur du métal s'attache aux doigts qui le frottent
ou le tiennent pendant quelque temps. Ces émana-
tions subtiles sont probablement sous l'empire d'une
loi plus générale qu'on ne l'imagine communément;
car il s'en faut bien que toutes frappent nos sens
d'uue manière perceptible. Combien de miasmes que
l'odorat ne nous décèle pas! Combien d'odeurs per-
dues pour nous , sensibles pour des animaux mieux
partagés sous ce rapport ! Au reste , il faut se rappeler
aussi que ces qualités oléfiantes ne sont pas unique-
ment liées à l'état gazeux; un liquide odorant,
aspiré par le nez , produit sur la pituitaire son im-
pression spéciale ; il en est de même d'une poudre,
comme le tabac en fournit la preuve.
Chez tous les animaux dont l'olfaction est bien
connue à cause de leur ressemblance avec nous-
mêmes, cette fonction s'exerce par le passage de
l'air ou de l'eau chargés d'arôme à travers une
cavité à parois anfractueuses , garnies d'une mem-
DE l'odorat. 145
brane villeuse et enduits de mucosités tenaces et
abondantes. On ne doute même pas que cette der-
nière condition ne soit de rigueur, et, en effet, la
sécheresse de la membrane ou la qualité séreuse
de sa sécrétion contribuent beaucoup sans doute à
Fanosmie qui accompagne le coryza. De même
que les saveurs imbibent la surface papilleuse de la
langue , de même les villosités extrêmement fines et
serrées , transparentes , conoïdes ou en massue , que
le microscope démontre à la surface de la pituitaire ,
et surtout les mucosités tenaces dont l'enduisent
perpétuellement ses cryptes muqueux , absorbent et
conservent les particules odorantes pour donner le
temps aux nerfs de les reconnaître. Les sinus, qui
généralement accompagnent les fosses nasales , pas-
sent aussi pour conserver Tair odorant et le laisser
échapper peu à peu de manière à prolonger la sen-
sation; on ne se débarrasse pas toujours, en effet,
aussi vite qu'on le voudrait , d'une mauvaise odeur,
quoiqu'on y parvienne souvent en se mouchant ou
en provoquant la sécrétion d'un nouveau mucus par
l'emploi d'une poudre irritante.
Chez les mêmes animaux, c'est-à-dire les vertébrés,
on a, pres^que dès l'origine de l'anatomie , attribué
au nerf olfactif ou de la première paire la préro-
gative de sentir les odeurs. Effectivement , ce nerf
ou processus cérébral répand et incorpore ses fiiets
nombreux, mous et grisâtres dans la membrane de
la cloison des fosses nasales et des cornets supérieur
et moyen, mais non sur l'inférieur (Scarpa). D'un
autre coté , la membrane pituitaire reçoit aussi
presque partout des filets plus blancs et plus fermes
^0
I i() DK l'odoïiât.
d'un autre nerf sensitif , de celui même dont un
rameau paraît être le principal agent de la gustation;
la cinquième paire ou nerf trijumeau donne, de sa
branche ophthalmique un filet nasal vers la voûte,
et de sa branche sus -maxillaire un filet sphéno-
palatin , aux deux parois , et notamment sur le cornet
inférieur recouvert d'une portion de membrane
moins spongieuse , moins molle et moins veloutée
que celle qui revêt les deux autres f^fig. 20y'. Quel est
l'usage de ces derniers nerfs? Une expérience de
Magendie semblerait prouver qu'ils peuvent suppléer
le nerf olfactif , ou même qu'ils réduisent à néant
ses prérogatives; mais que de chances d'erreur dans
de tels essais ! Un chien dont le nerf olfactif était
coupé a pris la viande enfermée dans du papier,
n'aurait-il pas pris le papier même, affamé qu'il
était et privé d'odorat comme on doit le supposer?
II était sensible à l'impression de l'ammoniaque, etc. ,
je le crois; mais c'est là justement qu'il faut établir
la distinction. Le sens de l'odorat , chez le chien et
beaucoup d'autres animaux , est , par sa finesse et
l'immense variété des sensations, des notions qu'il
procure à l'animal , un sens de premier oindre et
bien supérieur au goût ; il est sur la même ligne
d'importance que le sens de la vue ; aussi non-seule-
ment a-t-il des cornets admirablement subdivisés en
innombrables canaux cylindroïdes, une membrane
pituitaire d'une immense étendue , mais encore un
nerf olfactif si volumineux que les anciens n'avaient
pu y méconnaître un vrai prolongement du cerveau ;
c'est un processus plutôt qu'un nerf : chez les vertébrés
inférieurs, c'est un lobe tout entier qui est destiné à
DE l'odorat. 147
recevoir les impressions olfactives et à réagir sur
elles ; c'est évidemment là le véritable agent de
l'olfaction proprement dite. Quant aux filets de la
cinquième paire, ils ne sontpresque que tactiles; car
plusieurs venant des mêmes rameaux se distribuent
à la peau du nez, au palais, etc. : en fait d'odeurs,
ils ne sentiront que celles des vapeurs acres , irri-
tantes; ils opéreront sur la pituitaire une sorte de
gustation assez analogue à celle de la langue , ou
mieux encore peut-être à la sensation que fait
éprouver à la peau excoriée l'apposition d'un acide ,
de l'alcool , de l'ammoniaque : la conjonctive est
dans le même cas ; on sait ce que la fumée y pro-
duit, et il est à remarquer qu'elle doit aussi sa sen-
sibilité à des filets de la cinquième paire. J'ai depuis
long-temps perdu l'odorat , mais le vinaigre , l'am-
moniaque , l'alcool rectifié , l'étlier, le tabac occa-
sionnent chez moi l'éteruuement comme chez tout
autre , excitent également le larmoiement , et tout
cela par suite seulement d'un picotement plus ou
moins vif selon la concentration et la volatilité de la
matière, mais toujours à peu près identique. Le nerf
olfactif est, je n'en doute point, paralysé chez moi,
mais tout me prouve que la cinquième paire a con-
servé la parfaite intégrité de ses fonctions. En résumé,
la cinquième paire aide à l'olfaction ; mais elle ne
suppléerait que très-imparfaitement le nerf olfactif,
de même qu'elle ne supplée que très-imparfaitement
le nerf optique chez certains animaux, dont nous
parlerons plus tard.
148 DEL*ODOBAT.
AUTICîiE II. - VeriéSdrëis.
A, Homme et mammifères ffig. 20y. L'homme
est bien loin d'avoir un nerf olfactif comparable à
celui de la plupart des quadrupèdes , et ses cornets
rudimentaires ne sont qu'une ébauche des leurs ;
les nègres, les sauvages de l'Amérique sont, selon
Sœmmering et Blumenbach , mieux partagés que
l'Européen ; leurs fosses nasales sont plus vastes , et
aussi leur odorat plus fin. Toutefois, cette finesse
d'odorat et la variété des notions qui en proviennent,
tiennent peut-être chez l'homme plus encore à l'édu-
cation du sens qu'à la structure de l'organe ; des
aveugles, cherchant ainsi à suppléer à la vue qui
leur manquait, ont su tirer un parti étonnant de leur
odorat , et les parfumeurs renouvellent chaque jour,
sous nos yeux , cette preuve des effets surprenants
de l'exercice réfléchi. Les cétacés offrent une orga-
nisation bien plus défavorable au sens de l'odorat ,
telle même qu'on doute de son existence chez ces
animaux ; car on conteste encore pour savoir s'il
y a chez eux quelques filaments rudimentaires du
nerf olfactif ( Jacobson , Blainville , Treviranus,
Desmoulins ) , ou s'il n'y a rien de semblable
(Rudolphi, Otto, Tiedemann); et d'ailleurs , leurs
fosses nasales sont si peu favorablement disposées à
l'olfaction , que Cuvier a cru pouvoir admettre que
cette fonction s'opérait dans une cavité particulière
communiquant avec les sinus frontaux d'une part,
et d'autre part avec l'arrière -bouche par la trompe
d'Eustache. Le reste des fosses nasales n'est qu'un
passage pour l'eau rejetée en jet rapide après avoir
DE l'odorat. 149
inondé la bouche ; des sacs muscnleux servent à
cette éjection , et ne peuvent avoir d'autre usage ; le
nez , réduit à un trou fort reculé sur le chanfrein ,
n'est nullement conformé non plus de manière à
recueillir des odeurs ; et pourtant quelques faits
semblent prouver que les cétacés ne sont pas dé-
pourvus d'odorat: on dit qu'on a fait fuir les baleines,
en jetant à la mer des eaux chargées de matières
putrides , faits difficiles à constater et plus encore à
apprécier à leur juste valeur. Après cette digression
sur des conformations exceptionnelles , donnons
quelques vues comparées sur les usages des princi-
pales portions de l'appareil olfactif dans différents
mammifères.
1° Le nez ou partie extérieure, ordinairement
raccourci , mais situé à l'extrémité d'une face allon-
gée et dont il est la partie la plus saillante, est fré-
quemment aussi dépourvu de poils et enduit d'une
humidité muqueuse ; ces conditions en font un
organe de toucher assez utile , comme nous l'avons
vu déjà ; il l'est surtout , quand aux avantages de
sa situation se joignent ceux d'un allongement et
surtout d'une mobilité considérables : le grouin du
hérisson , du tenrec , du coati , de la musaraigne ,
du condylure, de la taupe, l'extrémité discoïde de
celui du cochon , sont dans un mouvement perpétuel
pour palper les objets, chez la taupe surtout, qui
est privée de la vue. Mais cette mobilité et cette
longueur ne servent pas moins à l'olfaction : voyez
la taupe chercher les vers qu'elle dévore avec tant
d'avidité ; son nez se meut vivement, s'allonge dans
tous les sens pour en aspirer les émanatî/)i]s (îu'elle
1 50 DE l'odorat.
recounait à la distaace de quatre à cinq pouces. Il
en est de même , à plus forte raison, de la trompe
du desman , de celle du tapir, du macrorrhin ou
plîoque à trompe. Celle de l'éléphant, bien plus
longue encore , n'est pas peut-être aussi favorable
à l'odoration ; elle est spécialement utilisée pour la
préhension des aliments et des boissons. Au con-
traire , le nez de la souris , du rat , de l'ours , médio-
crement développé , celui du chien , moins saillant
encore , se tournent évidemment vers les objets à
flairer et aident ainsi à l'olfaction. C'est, sans doute,
aussi dans le même but que le lapin et d'autres
rongeurs impriment au leur des mouvements conti-
nuels d'élévation et d'abaissement; au contraire,
l'immobilité complète du nez de l'homme et de la
guenon nasique , si l'on excepte , pour le premier,
quelques mouvements de ses ailes , le rend peu
propre , tout saillant qu'il est , à favoriser beaucoup
l'opération du flaire; toutefois, on sait que son
ablation diminue singulièrement l'aptitude à sentir
les odeurs. Nous doutons aussi de l'utilité, comme
organes olfactifs , des feuilles membraneuses qui
environnent et surmontent le nez du rhinolophe ou
chauve-souris fer-à-cheval ; c'est seulement comme
organe de tact aérien que nous en concevons les
avantages. Enfin, une dernière disposition toute spé-
ciale , qui mérite d'être indiquée , et dont le but est
probablement de rendre plus facilement supportable
le séjour sous les eaux, c'est celle des narines chez
les phoques ; entourées de muscles puissants , elles
peuvent se fermer tout-à-fait à la volonté de l'animal ,
et ceci prouve qu'ils ne flairent point comme les
DE l'oIXÏRAT. 151
poissons au moyen d^un véhicule liquide , mais que
leur odorat est tout aérien quelle qu'en soit d'ailleurs
la finesse , point sur lequel les observateurs sont loin
de s'accorder entre eux.
2" Simis, Médiocres chez l'homme et tapissés par
une membrane fort mince , ils prennent chez d'autres
mammifères une grande extension, et, si j'en juge
par le mouton , sont revêtus , au contraire , d'une
membrane muqueuse d'une épaisseur considérable.
L'éléphant, le cochon ont les deux tables des os du
crâne dédoublées jusqu'à l'occiput par le prolonge-
ment des sinus frontaux; chez les bœufs et les
moutons , ils s'étendent dans les cornes , mais à
quelques pouces seulement de profondeur chez
ceux-ci , beaucoup plus loin dans ceux-là , dans le
buffle surtout, dont la corne est large et courte;
aussi, selon Bailly, le buffle court toujours le nez au
vent comme pour permettre à l'air d'arriver tout d'un
coup jusque dans ses vastes sinus frontaux et mieux
éventer l'approche de ses ennemis.
3° Cornets. L'homme n'en a que de petits et
simplement courbés en coquille; ils sont compara-
tivement énormes chez les ruminants , qui d'ailleurs
ofî'rent leurs lames subdivisées dichotomiquemenî
en un certain nombre de lamelles ; mais c'est surtout
aux cornets des animaux carnassiers qu'on trouve
cette sous-division portée à l'extrême , et leur masse
constituée par une sorte d'épongé tubuleuse dont
tous les tuyaux sont dirigés d'avant en arrière;
c'est, par conséquent, sur une immense surface que
la pituitaire se déploie , et le sens de l'odorat acquiert
un degré de linesse dont nous ne pouvons nous faire
1 /)2 DE l'odorat.
une idée. Qui ne sait que les chiens suivent à la
piste les hommes et les animaux, et reconnaissent
même les individus, leur maître surtout, à ces traces
imperceptibles pour nos sens ! Mais si l'anatomie
explique la délicatesse de leur olfaction , elle ne
saurait expliquer leurs préférences ou leurs aversions
qui parfois nous paraissent assez singulières : telle
est, par exemple, la prédilection des chiens pour
Fodeur du fumier ou des charognes dont ils se par-
fument à plaisir, tandis qu'ils fuient, avec une sorte
d'horreur, les odeurs qui nous semblent les plus
suaves ; tel est aussi le goût des chats pour le nepeta^
pour la racine de valériane , sur lesquels ils se rou-
lent de même, comme pour charger leur fourrure
de ces odeurs pour nous si rebutantes.
B. Oiseaux. Ce n'est pas sans raison que Scarpa
fait observer l'ampleur de la cavité nasale chez la
majeure partie des oiseaux; mais il y a une grande
différence entre leurs cornets cartilagineux et pres-
que aussi simples que ceux de l'homme, et ceux des
mammifères carnassiers. A la vérité, leur nerf
olfactif est très-volumineux; mais d'ailleurs la vue,
ordinairement chez eux très-perçante , aide beau-
coup sans doute , ainsi que la facilité des investi-
gations par le moyen du vol, à la découverte des
substances alimentaires que l'on a trop exclusive-
ment peut-être attribuée à l'odorat chez les oiseaux
rapaces , les corbeaux, etc. Pour ces derniers, il
parait indubitable que c'est la vue seule et une dé-
fiance naturelle, mais non pas Vodeur de la poudre
qui leur fait fuir le chasseur.
Toutefois , l'odorat jouit d'une finesse dont les
DE l'odorat. 153
degrés sont très - différents chez différents ordres
d'oiseaux , et Scarpa trouve cette graduation propor-
tionnelle à celle des grandeurs du nerf olfactif et du
cornet supérieur qui seul en reçoit les rameaux.
Voici , sous ce rapport , dans quel ordre il dispose
les grands groupes de cette classe de vertébrés :
1^ les gallinacés que, dans d'ingénieuses expérien-
ces , il a vu n'être rebutés par aucune odeur que
celle de l'ammoniaque liquide; 2^ les passereaux
qui refusent les aliments imprégnés de camphre ,
d'assa-fœtida , etc. ; S® les oiseaux de proie qui
craignent la plupart des odeurs que nous trouvons
suaves et aromatiques; 4^ les palmipèdes qui mon-
trent plus de susceptibilité encore (i) , à tel point
qu'un canard n'a avalé du pain parfumé qu'après
l'avoir lavé dans un étang voisin ; 5^ enfin , les
échassiers qui paraissent avoir une sensibilité olfac-
tive supérieure à tous les autres oiseaux. A part ces
différences et celles qui dépendent de la forme du bec
et de son volume , les fosses nasales des oiseaux sont
à peu près toutes semblables ; toutes sont ouvertes
par des narines immobiles; toutes, selon Scarpa,
communiquent , par leur cornet supérieur, avec une
poche sous - orbitaire qui fait saillie sous la peau
quand elle est remplie d'air, et leur tient lieu des
sinus dont ils manquent en général. Une seule parti-
cularité mérite d'être notée , c'est l'ample perforation
de la cloison chez les palmipèdes , comme si la nature
avait voulu suppléer à l'occlusion d'une des narines
par la boue dans laquelle ils barboltent si souvent.
(1) Celle règle esij-elle applicable au pélican dont les narines sont si étroites,
au cormoran qui semble les avoir imperforées ? Ce serait alors par les arrière-
narines que rolfaction s'exercerait chez eux.
154 DE l'odoiut.
C. Reptiles, On ne trouve ici, non plus, que des
cornets assez simples , quelquefois nuls , de façon
que la fosse nasale ne représente plus qu'une sorte
de boîte ou un court canal tapissé par une pituitaire
souvent colorée en noir. Si l'on en excepte les
crocodiles en effet, les arrière -narines s'ouvrant
au palais ne permettent point aux fosses nasales
de se prolonger aussi loin en arrière que chez les
mammifères et même les oiseaux ; cependant le
nerf olfactif, véritable lobe, souvent de moitié aussi
volumineux que l'hémisphère cérébral , suppose des
sensations assez fortes et assez variées; mais nous
possédons peu d'observations propres à nous éclairer
sur ce poiat. Scarpa assure que , si l'on a manié des
grenouilles ou crapauds femelles , et qu'on plonge
les mains dans l'eau , les mâles accourent d'assez
loin et les embrassent d'une amoureuse étreinte. Ce
fait nous parait au moins singulier; car les batra-
ciens anoures adultes n'attirent point l'eau par leurs
narines , ils en seraient bientôt suffoqués; ils les fer-
ment au contraire en plongeant , et sont à cet effet
pourvus de valvules cutanées qu'on retrouve égale-
ment chez les sauriens et les ophidiens. Il n'en est
pas ainsi des larves ou têtards et des batraciens à
branchies permanentes, qui aspirent l'eau comme
les poissons ; le protée a même déjà, dans les cavités
nasales, des feuillets membraneux tels que ceux
dont il sera parlé dans le paragraphe suivant , et
offre aussi cette particularité que les arrière-narines
s'ouvrent en dehors des arcades dentaires et fort
en avant.
D. Fumons. Ici les arrière-narines sont, quand
DE l'oDOIUT. I5r>
elles existent , sur le même plan que les narines
antérieures ; les fosses nasales , situées en dessus
du museau chez les poissons osseux , en dessous
chez les cartilagineux , sont formées d'une cavité
ouverte extérieurement par un ou par deux orifices
qui, dans ce cas, ne sont séparés que par une bride
plus ou moins large. L'antérieur est contractile,
le postérieur toujours béant ; l'eau passe de l'un à
l'autre par les mouvements du premier : chemin
faisant , elle se met en contact avec de nombreux
feuillets de la membrane pituitaire disposés en dou-
ble peigne (carpe fig. 21), ou en rayons (estur-
geon), dans lesquels s'épanouissent les filets d'un
énorme nerf ou mieux lobe olfactif, lobe effective-
ment aussi volumineux, quelquefois même plus que
l'hémisphère cérébral qui lui fait suite. Cette orga-
nisation, appropriée au milieu dans lequel vivent
ces animaux, leur donne des sensations souvent
très-délicates ; on ne saurait douter que ce ne soit
par l'odorat que le requin et autres squales sont
attirés souvent en foule autour d'un cadavre jeté à
la mer; chez ces poissons, d'ailleurs, la cavité olfac-
tive est vaste, les lamelles membraneuses larges,
surchargées de feuillets secondaires ; et le lobe
olfactif forme un gros cordon terminé par un bulbe
considérable. Au reste, je trouve aussi la cavité
nasale fort grande chez le pagel : deux larges et
longs sinus membraneux communiquant avec le fond
de chaque narine s'étendent, l'un en dedans , l'autre
en dehors, vers le bout du museau.
Jusqu'ici nous avons vu toujours les organes
olfactifs cachés dans la tête et en forme de cavité ;
1 56 DE l'odorat.
nous trouverons désormais une disposition tout op-
posée, et nous y arrivons par une transition frap-
pante en rappelant la remarquable structure de ceux
de la baudroie. Scarpa les a , le premier , reconnus;
il les décrit et les ligure, sous forme de deux petites
coupes cylindroïdes, portées sur un pédicule de plu-
sieurs lignes de longueur et implanté sur le devant
de la tête ; l'intérieur de ces cupules offre les mêmes
feuillets que cbez les autres poissons et reçoit les
filets du même nerf.
AMTïCIiE lïl, - Invertébrés.
Nous ne nous arrêterons pas sur les raisons qui
peuvent faire croire à l'existence de l'odorat cbez
les mollusques , lesannélides, etc. , comme le cboix
des plantes dont se nourrit la limace , l'arrivée des
sangsues vers un animal dont l'agitation , il est vrai,
leur a d'abord décelé la présence ; et nous insisterons
moins encore sur les probabilités qui pourraient faire
attacher ce sens à telle ou telle partie , comme les
tentacules inférieurs des limaçons (i), qui manquent
à d'autres gastéropodes, etc. etc. En fait de conjec-
tures, tenons-nous-en aux plus curieuses et aux plus
vraisemblables , comme celles que nous permettront
les crustacés, les insectes et les myriapodes.
1® Si l'on regarde comme identiques les nerfs
qui , chez les vertébrés et les invertébrés , naissent
du cerveau au-devant des optiques , ce sont ceux
des antennes qu'on devra regarder comme olfactifs
(1) Owen regarde comme organes olfactifs, dans le nautile, une série de
lamelles membraneuses serrées parallèlement au-devant de la bouche , et
recevant des nerfs fournis par de petits ganglions en rapport avec les sous-
œsophagiens. Il compare ces lamelles à celles qu'on trouve aux narines des
poissons.
DE l'odorat. 157
chez ces derniers , ainsi raisonnent de Blainviîîe et
Robineau; Reaumur, Rœsel , Carus se sont fondés
sur d'autres raisons pour attribuer l'olfaction aux
antennes. Mais les antennes sont si évidemment des
organes de tact chez les grands crustacés et chez
beaucoup d'insectes ! A cette objection répondons en
rappelant que , dans l'organe olfactif des animaux
supérieurs, se distribuent un nerf d'odorat et un
nerf de tact , et que le nez proprement dit est souvent
organe de toucher : nous ne nous étonnerons plus ,
dès-lors, de voir la partie tactile l'emporter quelque-
fois sur la partie olfactive , et même cette dernière
être tout -à- fait sacrifiée à l'autre. Ainsi l'antenne
en fil du criquet, celle en soie de la sauterelle,
ne serviront plus guère à percevoir des odeurs et ne
feront que toucher , tandis que Tantenne courte mais
feuiîletée(i) du hanneton f^fig. 2d et oOjj celle plus
longue et pectinée de la phalène (^fig. 2SJ , seront
l'instrument d'une olfaction pure et simple , et par
conséquent se montreront avec un développement
considérable chez le mâle pour l'aider à trouver la
femelle autour de laquelle il vient voler, même sans
la voir, quand elle est enfermée , par exemple , dans
la boîte du naturaliste.
Dans d'autres antennes , on trouverait à la fois
l'un et l'autre. Ainsi, les antennes antérieures ou
internes , nommées aussi petites antennes de l'écre-
visse , terminées chacune par deux filaments arti-
culés , certainement tactiles , et qui , selon Scarpa,
(1) Chaque feuillet se montre garni de très-petites Yesicules, comparables
aux glandes de la feuille d'un hypericum; cette disposilion Cfîg. oOj a sans doute
quelque utilité pour rolfaclion ; elle n'existe pas à la surface lilire dxi premier
feuillet , qui ne peut pas emprisonner l'air comme les autres.
ir)B DE l'odorat.
reçoivent de la partie postérieure du cerveau un
nerf probablement analogue à la cinquième paire ,
offrent , à leur article basilaire , un organe dans
lequel Rosenthal a vu se perdre un autre nerf parti
de la régioQ antérieure du cerveau. Cet organe
est, d'après nos observations, une cavité ,^7^^. 24j
membraneuse ou plutôt cartilagineuse en forme de
coquille, ouverte assez largement à la face supérieure
de l'article susdit , et au point même où il est en
contact avec l'œil qu'il faut soulever pourvoir l'entrée
de ce cornet olfactif ^^^f. 2 3J. Cette entrée est d'ail-
leurs entièrement couverte par un grillage de poils
parallèles, serrés, que le microscope montre eux-
mêmes hérissés de villosités secondaires f^'fig. 2i>J:
c'est là sans doute ce que Rosenthal a pris pour
un organe pectiniforme ou hranchiforme ; mais on
trouve , dans beaucoup d'autres régions du même
animal, des poils tout pareils. C'est un appareil
plus semblable à celui des poissons qu'à celui des
mammifères ; aussi reçoit-il uniquement, de l'eau,
les émanations odorantes : on sait avec quelle
promptitude les écrevisses se portent sur les appâts
qu'on jette dans les ruisseaux qu'elles habitent.
Nous trouverons également deux parties dans l'an-
tenne du mâle, chez le sphinx atrop os (^fig. 21 J,
et mieux encore dans celle d'insectes plus évidem-
ment pourvus d'odorat , tels que les mouches ,
dont beaucoup d'espèces recherchent, pour leurs
larves , les corps d'animaux en putréfaction : on sait
qu'elles vont même s'insinuer dans les linges qui
enveloppent les cadavres ; qu'elles pondent sur les
tissus qui les recouvrent , si elles ne peuvent les tra-
DE l'oborat. 159
Térser ; qu'elles se méprennent à l'odeur, et dépo-
sent leurs œufs sur quelques plantes fétides. Or, leur
antenne présente une pièce volumineuse , épaisse ,
charnue, discoïdale ou prismatique, et une autre en
forme de soie,très-îine et composée de plusieurs arti-
cles allongés; la première est, selon nous, la portion
olfactive , mais elle n'est point revêtue de ce mucus
qui arrête et fixe les particules odorantes sur la
pituitaire des animaux vertébrés , et n'est pas non
plus disposée de manière à permettre à l'animal
d'attirer sur elle un courant d'air chargé de molé-
cules oléfiantes. A la première objection nous répon-
drons par l'inspection microscopique , qui nous fait
voir cette pièce toute couverte d'un duvet serré
comme un velours bien fourni (^fig. 2Gj : or, on sait
que les poils réunis, et les tissus qui en sont faits,
absorbent et retiennent l'air; c'est ainsi qu'ils se
chargent de miasmes malfaisants, et les gardent sou-
vent pendant un temps considérable ; c'est en vertu
de cette propriété que l'argyronète et tant d'animaux
aquatiques , d'insectes en particulier , plongent et
vivent sous les eaux sans cesser d'être environnés
d'air, une couche étant toujours retenue à leur sur-
face veloutée , à laquelle elle donne l'aspect de l'ar-
gent ou de la nacre. Quant à la seconde objection,
nous remarquerons que les insectes ailés suppléent,
par la rapidité de leur vol, au courant d'air qu'ils
n'excitent pas en eux-mêmes , et c'est effectivement
en se balançant dans les airs qu'ils découvrent les
émanations qui les guident ; c'est ainsi que les bou-
siers reconnaissent les excréments dont ils se nour-
rissent eux et leur progéniture , que îesnécrophores
IGO DE l'odorat.
éventent les cadavres des petits animaux qu'ils en-
terrent pour leur future famille ; et remarquez que
tous ont des antennes lameîleuses, flabelliformes ou
perfoliées, qu'ils étalent et épanouissent dans leur
vol (i) : chez d'autres, les antennes sont plumeuses
comme chez les papillons de nuit , les cousins , les
tipules ; chez beaucoup d'autres encore , quoique
sétacées, elles sont molles et velues surtout à leur
extrémité (cérambyx, fig. oi), et peuvent rem-
plir, en conséquence, le même office. On les voit
d'ailleurs souvent agitées de vifs mouvements oscil-
latoires (ichneumons, sphex, etc.) qui les mettent
continuellement en rapport avec de nouvelles por-
tions d'air.
J'ai fait diverses expériences, médiocrement con-
cluantes il est vrai, mais que je ne crois pas devoir
néanmoins passer sous silence. J'exposai au goulot
d'une fiole contenant de l'alcool , de la térébenthine ,
de l'éther , la tête d'une scolopendre ; les antennes
à l'instant se contractèrent, se roulèrent en spirale.
Je pris , dans la campagne , deux mâles du homhyx
(1) L'hydrophile, qui fait servir ses antennes feuilletées à îa respiration,
comme nous le dirons ailleurs, les lient, lanl qu'il nage, repliées dans la couche
d'air qui tapisse sa surface inférieure. Le dylisque, au contraire, tient toujours
étendues en nat^eanl ses antennes sélacées; celles-ci serviraient-elles plutôt à
l'odoralion dans l'eau ? Voici une expérience qui semble prouver qu'elles
servent aussi à cel office dans l'air même : dans une boite métallique à deux
compartiments, sans autre communication qu'un très-petit écartement entre le
hord de la cloison et le verre qui couvrait le tout, j'ai placé d'un côté une
grosse araignée maçonne, de l'autre deux petits grillons des bois : l'un , qui
avait ses antennes entières, exécutait des gesticulations bizarres, des soubre-
sauts, lançait des ruades ; tout cela cessait quand on ôlait l'araignée qu'il ne
pouvait voir pourtant en aucune manière; trois fois les mêmes phénomènes
se sont reproduits ainsi; l'autre grillon avait les antennes coupées, il ne
paraissait se douter en rien de ce dangereux voisinage ; mais mis en présence
de l'araignée, c'est-à-dire dans le même compartiment, il donnait les mêmes
signes de malaise et d'inquiétude que le premier.
DE l'odorat. î(Jl
pavonia mmor_, qui vinrent successivement voltiger
autour d'une femelle déjà accouplée avec un troi-
sième ; je leur coupai les antennes et les laissai libres
dans mou cabinet, oii je tins aussi la femelle dans un
cornet de papier assez inexactement clos ; ni Fun ni
l'autre , durant trois jours que je la conservai ainsi,
ne vinrent à sa rechercbe. J'ai coupé aussi les an-
tennes à un assez grand nombre de mouches bleues
fhmscavomitoriaj qu'avait attirées l'odeur de viandes
en putréfaction commençante ; aucune ne s'en est
approchée ensuite ; elles ne cherchaient qu'à sortir
du cabinet où je les avais abandonnées. Une grosse
mouche vivipare f31. carnan'ajj mise sous un verre
avec un nouet de linge rempli de viande, y a jeté
une douzaine de vers ; après la section des antennes
elle n'en a plus jeté aucun , bien qu'elle en eût
encore dans le ventre au moins six tout près de
naître. Il est vrai qu'après l'opération, qui du reste
ne semble nullement affecter ces insectes, j'avais mis
ce dernier dans un vase plus grand qu'auparavant ,
et que la viande était enfermée dans une petite tasse
couverte d'une gaze.
2° Les palpes ont été regardés comme organes
d'odorat par Lyonnet , Marcel de Serres, etc. ; mais
nous les avons déjà présentés Comme organes de tact.
Dans les palpes labiaux, nous ne pouvons voir
autre chose qu'un dédoublement de la langue et de
l'hyoïde des vertébrés en organe gustatif et tactile ;
le premier est constitué quelquefois par une langue
véritable, comme on l'a vu plus haut, ou bien les
parois de la bouche seules goûtent les saveurs , et
si les palpes s'agitent dans la gustation , ce n'est pas
11
162 del'odouat.
une preuve qu'ils soient le siège de la sensation. Ce
raisonnement doit s'appliquer à ce que nous avons
vu dans plusieurs de nos expériences : la tète de quel-
ques coléoptères carnassiers , comme le staphylin ,
le dytisque bordé , celle de divers orthoptères,
même séparée du tronc , étant exposée à la vapeur
de l'alcool ou de l'éther, a remué les palpes. Tout
ce qu'on peut conclure de là , c'est que la bouche
sent les fortes odeurs ou plutôt les vapeurs très-
odorantes et par cela même , jusqu'à un certain
point, sapides.
3° Enfin, spéculativement et par analogie, on a
cru aussi devoir placer l'odoration des crustacés
dans l'expansion membraneuse qui accompagne
leurs branchies, et celle des insectes à l'entrée des
stigmates qui servent à la respiration ( Cuvier ,
Duméril, etc. ). On ne voit pas qu'il soit possible
d'expliquer autrement l'odorat dont paraissent jouir
de petites arachnides privées d'yeux , et qui savent
pourtant bien rencontrer leurs victimes quoique
agiles et souvent même ailées: je parle des gamases
et des dermanysses ; ces derniers surtout abandon-
nent fréquemment, durant le jour, les petits oiseaux
conservés en cage pour les assaillir de nouveau
durant la nuit. J'ai fait une expérience qui paraît au
premier abord assez parlante , sur des scolopendres
décapitées et même sur des tronçons d'un géophile.
En approchant du flanc, sans le toucher, une des
substances fortement odorantes que nous avons men-
tionnées ci-dessus , l'animal ou le tronçon se recour-
bait pour s'éloigner, et s'infléchissait ainsi tantôt à
droite, tantôt à gauche, selon le côté où nous lui
DE l'odokat. 163
présentions l'effluve spiritueux ; il y a donc là aussi
quelque chose; mais parce que les vapeurs acres
nous font tousser, ou nous excitent, dans les bron-
ches et la trachée, Une sensation désagréable, s'en-
suit-il que l'olfaction siège pour nous dans la poitrine?
40 Je ne dirai qu'un mot de l'opinion de Trévi-
ranus, qui croit l'œsophage siège du flaire chez les
insectes ; il y a bien peu de probabilités théoriques
et encore moins d'observations en faveur de cette
opinion qui n'a guère de partisans.
CHAPITRE V.
DE L'ouik.
Le mouvement des masses dans les corps qui
nous entourent est ordinairement accompagné d^un
mouvement moléculaire désigné par le mot de vibra-
tion, mouvement plus susceptible encore que le
premier de se transmettre d'un corps à un autre ,
susceptible surtout de se propager à travers des
corps de nature fort diverse et d'arriver ainsi jusqu'à
nous, de manière à nous donner connaissance de ce
qui se passe au loin, l.e sens qui reçoit ces vibra-
tions, c'est l'ouïe. Si ces vibrations sont irrégulières,
confuses, il en résulte du hruit; le son proprement
dit ne peut se rapporter qu'à des vibrations rhythmi-
ques, c'est-à-dire régulières. Attribuer le son à m\
fluide spécial (Lamarck), à une polarisation de l'air
164 DE L*OLÏE.
(Geoffroy-S*-Hilaire) , c'est oublier qu*il peut se
produire et se transmettre sans l'intervention de ce
fluide, comme le prouvent les expériences faites sous
l'eau , et comme on en acquiert facilement la certi-
tude en appuyant sur un piano le front , l'occiput
ou les dents, et fermant exactement les oreilles.
Pour que le son se propage d'un corps à un autre ,
une condition nécessaire est la contiguïté immédiate
ou médiate ; un timbre placé sous le récipient
de la machine pneumatique vibre sans transmettre
le son au -dehors quand on a fait le vide; le son
devient au contraire perceptible , quoique le timbre
reste enfermé sous la cloche , dès qu'on y a laissé
rentrer l'air. Au sujet des résultats de cette dernière
expérience, nous ferons deux remarques essentielles :
la première , c'est que le son se propage du corps
solide où il a pris naissance à un corps gazeux , de
celui-ci à un autre corps solide, la paroi de verre du
récipient , et enfin de cette paroi à l'air extérieur
qui l'apporte à l'oreille. L'autre remarque a trait à
la propagation du son à travers ces corps différents
avec ses qualités fondamentales j savoir : la force, le
Ion et le timbre , qualités qui peuvent néanmoins
trouver, à leur conservation et à leur transmission,
des facilités ou des obstacles plus ou moins puissants,
selon la nature des corps conducteurs.
En ce qui concerne la première remarque , il est
important d'observer qu'une paroi membraneuse ,
même quand elle n'est que peu tendue, de même
qu'une paroi solide , une muraille par exemple ,
pourvu qu'elle soit peu épaisse et composée d'élé-
ments élastiques, n'empêchent pas l'air de mettre
DE l'ouïe. 165
ses vibrations à Timissondes deux côtés. Il faut noter
encore qu'un liquide, l'eau par exemple, peut égale-
ment recevoir les vibrations sonores par son contact
avec un corps solide ou avec Fair animés de ce mou-
vement moléculaire , qu'elle peut aussi transmettre
ses vibrations à un corps solide ou gazeux, et qu'enfin
des corps mous , des chairs peuvent être , jusqu'à un
certain point , soumises aux mêmes lois , surtout
si une contraction spontanée ou une compression
étrangère les rapprochent de la consistance et de
l'élasticité des corps solides proprement dits. Mais
c'est toujours par ces derniers que la propagation se
fait avec plus de force et de rapidité , comme le
prouve l'expérience de la poutre qui transmet , d'un
bout à l'autre , jusqu'à l'oreille , le bruit du frotte-
ment d'une épingle , etc.
Nous devons encore rappeler ici une des lois
principales de la transmission du son , c'est qu'il se
propage en tous sens , en suivant des règles fort
semblables à celles de l'équilibre des fluides : aussi
est-ce surtout dans l'air qu'il se transmet ainsi selon
des directions très-variées , puisqu'on peut très-bien
se parler sans se voir^ quelque épaisseur qu'ait la
cloison de séparation si elle est incomplète; néan-
moins, l'impulsion vibratoire est- certainement plus
forte en ligne droite qu'en ligne brisée , et la pro-
pagation plus complète dans un sens parallèle aux
frottements ou à la percussion qui ont fait résonner
le corps d'où part le son , que dans tout autre sens ,
même dans les corps les plus solides. De là, ce que ,
dans l'air principalement, on nomme en physique
rayons sonores , lignes idéales , qui du point choqué
1 GC) DE l'ouïe.
partent comme d'un centre commun pour se perdre
ou divergeant dans l'espace , à moins que quelque
obstacle ne les arrête. On sait que, dans ce dernier
cas, ils ne se bornent pas toujours à communiquer
leur mouvement oscillatoire à l'objet qu'ils rencon-
trent, mais qu'ils sont réfléchis sous un angle égal à
celui d'incidence , et peuvent ainsi revenir tout près
de leur point de départ, en produisant le phénomène
connu sous le nom d'écho.
Un mot encore relativement à la deuxième des
remarques que nous avons énoncées plus haut,
savoir : que le ton et, ce qui est plus étonnant, le
timbre se propagent , en général , à travers un corps
quelconque. C'est un fait aujourd'hui bien connu
en physique pour ce qui concerne la propagation
du son par l'air ; mais on a cru long-temps que les
vibrations transmises par ce milieu ne se répétaient ,
dans un corps solide , que quand celui-ci était tendu
à l'unisson ou de manière à pouvoir reproduire des
tons harmoniques du son primitif ; et l'on s'expli-
quait la chose en voyant , dans ce dernier cas , une
corde , ainsi animée , se partager en plusieurs ventres
par des nœuds spontanés : or, la raison dit que , si
ce partage peut se faire en deux , trois , cinq por-
tions, rien ne doit le rendre impossible pour des
nombres bien plus variés encore , et pour ainsi dire
infinis. De même, en ce qui concerne les masses, il
est évident qu'elles peuvent recevoir tous les genres
d'oscillations moléculaires, et se sous-diviser en
portions et portioncules proportionnelles aux tons à
reproduire ; c'est aussi ce que l'observation a prouvé
rSavart).
DE l'ouïe. 1()7
Ces brèves notions, dont la physique fournit bien
plus d'exemples et de plus amples démonstrations ,
suffisent pour notre objet actuel ; de plus longs dé-
tails ne serviraient qu'à nous le faire perdre de vue.
AUTiCTiM II. - Verîëferés.
Passer en revue les différentes parties de l'appa-
reil auditif, et en apprécier le mode d'action pro-
bable , ce sera faire l'histoire de la fonction entière
autant qu'il est possible de la tracer, et nous aurons
ainsi toute facilité pour discuter les problèmes dont
elle se compose , et qu'ont trop négligés les ouvrages
consacrés à la physiologie de l'homme. Jetons ce-
pendant d'abord un coup-d'œil rapide sur l'ensemble
de l'appareil auditif chez les animaux vertébrés
1° Constamment double, situé sur les parties laté-
rales et inférieures du crâne et faisant partie de la
troisième vertèbre céphalique , cet appareil tire de
cette situation plusieurs avantages en ce qui concerne
la réception des ondes sonores. Communément il les
reçoit et les concentre au moyen d'un pavillon plus
ou moins évasé, et dont le fond ou conque proprement
dite offre l'embouchure d'un tube , partie cartilagi-
neux , partie osseux , dit conduit auditif: c'est là ce
qui constitue V oreille externe, U oreille motjenne ou
caisse du tympan est une cavité séparée du conduit par
une membrane sèche et élastique , contenant de l'air
qui lui vient de l'arrière -bouche le long d'un autre
canal nommé trompe d^Eustache j et agrandie par
des cellules dites mastoïdiennes , creusées dans l'os
temporal et quelquefois dans plusieurs autres os du
1G8 DK l'ouïk.
crâne. Daas celte cavité est suspendue une chaiue de
quatre osselets articulés ensemble, marteau j, enclume,
lenticulaire et étrierj que meuvent quatre muscles,
l'antérieur , l'interne et l'externe du marteau et le
postérieur de l'étrier. Uoreille interne ou labyrinthe
est un assemblage de cavités sinueuses , savoir : le
vestibule , qui communique avec le tympan par la
fenêtre ovale quand on a enlevé l'étrier qui la bou-
che; les canaux demi - circulaires / le limaçon, qui
d'ordinaire communique aussi avec le tympan par
l'intermédiaire d'une ouverture dite fenêtre ronde,
et fermée par une membrane. Dans le labyrinthe est
contenu un appareil membraneux , enfermant une
lymphe particulière et recevant les expansions du
nerf auditif. Telle est sommairement la disposition
de l'appareil de l'ouïe le plus complet , de celui , par
exemple , de la plupart des mammifères. Passons
aux détails.
2° Surface extérieure de la tête. Ce qui étonne le
plus en physiologie , c'est de reconnaître que la
vision existe chez des êtres dont la rétine semble
voilée par un enduit noir et opaque , et que l'audi-
tion n'est pas moins réelle chez des animaux privés
de toute communication apparente entre l'air exté-
rieur et les organes internes de l'ouïe. Nous exami-
nerons plus loin le premier de ces deux problêmes;
quant au second , nous en allons trouver sur-le-champ
la solution, d'après l'observation de l'homme même.
Fermez exactement les conduits auditifs externes;
évitez seulement de comprimer, par une forte pres-
sion , l'air contenu dans ces conduits, et de violenter
ainsi la membrane du tympan , et il vous sera facile
DE l'ouïe. 169
de vous coûvaincre que les sons peuvent encore
arriver au nerf auditif avec toutes leurs qualités ,
pourvu qu'ils aient une force suffisante. La parole
humaine , proférée à voix haute , est ainsi parfaite-
ment entendue , surtout quand on la dirige vers
la région latérale de la tète du sujet qui se met en
expérience. Donc, conformément à l'une des lois
signalées plus haut , Fair transmet ses vibrations
au crâne , même couvert de chairs et de peau , et
celui-ci les reporte à l'organe auditif. Cette obser-
vation de Scarpa , confirmée par Esser , nous en
avons constaté l'exactitude ; nous avons remarqué
qu'on entend alors moins bien si l'on ferme la bouche
et les narines , moins bien aussi quand on tient le
pavillon de l'oreille entre les doigts au lieu de le
laisser libre; mais la sensation n'est qu'atTaiblie et
non annihilée. C'est ainsi qu'entendait un homme
présenté par Larrey à l'Académie des sciences , et
qui , disait-on , exerçait l'audition par des cicatrices
au crâne , accidentellement privé d'une partie de ses
parois osseuses. C'est évidemment de cette manière
qu'entendent la baleine , le cachalot, dont le conduit
auditif n'est point ouvert à la surface de la peau;
de même pour les tortues, les serpents, l'ophisaure ,
l'orvet, le caméléon, chez lesquels il n'y a point
de conduit auditif ni de membrane tympanique
libre ; les sons ne pouvant être transmis , en consé-
quence , au nerf acoustique que par l'intermédiaire
des parois crâniennes et de l'osselet en forme de
trompette , fixé par son manche dans les chairs sous-
cutanées, et par son évasement sur la fenêtre ovale.
Ce dernier mode de transmission ne saurait même
170 i>E l'olïe.
avoir lieu chez les LatracieDS urodèles, salamandre,
protée, sirène, amphiume, cécilie, et les batraciens
anoures du genre homhmator j l'osselet étant réduit
chez eux à une calotte cartilagineuse collée sur
l'ouverture vestihulaire et masquée par les chairs et
la peau. Peut-être, pour les tortues, le caméléon,
l'orvet, pourrait- on croire que l'air, véhicule du
son, passe par les narines et les trompes d'Eustache ,
pour aller frapper l'intérieur de la cavité tympa-
nique et la membrane de la fenêtre ronde ; cela ne
serait plus admissible chez les serpents, les batraciens
urodèles et les sonneurs , qui n'ont pas plus de
fenêtre ronde , de cavité t) mpanique , de trompe
d'Eustache, que de conduit auditif externe.
11 en est de même des poissons , auxquels l'eau
transmet, il est vrai, des vibrations plus puissantes,
et dont le crâne est généralement plus nu que chez
les mammifères, les oiseaux et même les reptiles.
Les poissons cartilagineux ont, de plus, une portion
de leur labyrinthe bien rapprochée de l'extérieur,
un des angles du vestibule venant se placer immé-
diatement sous la peau. Chez les mammifères et les
oiseaux, ce mode de réception des sons n'est , au
contraire , qu'accessoire ; mais il est favorisé par une
augmentation d'élasticité , de sonoréité dans les os
du crâne , surtout au voisinage de l'oreille : je veux
parler de l'homogénéité , de la compacité du rocher,
entièrement dépourvu de moelle , et surtout du dé-
veloppement des cellules dites mastoïdiennes qui,
dans les oiseaux de nuit en particulier, envahissent
toute la périphérie du crâne.
S« Oreille externe et conduit auditif. Ces parties
DE l'ouïe. 171
extérieures Je Fappareil acoustique maiiqueut, non-
seulement dans les animaux dont il a été question
ci-dessus, mais encore dans plusieurs autres où la
membrane du tympan effleure la peau, dont elle
prend plus ou moins l'aspect et l'épaisseur ; tels
sont les batraciens anoures , et en particulier, les
crapauds. Les lézards, les seps n'ont qu'une fossette
peu profonde , où l'on voit aisément la membrane
du tympan mince, sèche, noirâtre. Les crocodiles
ont cette fosse recouverte par un opercule cutané ,
mais poin de conque ou cornet auriculaire. Les
oiseaux ont un véritable conduit , mais cutané ,
court et large , et ressemblant assez à la fossette des
lézards avec plus de profondeur; il est générale-
ment grillagé par de petites plumes qui n'empêchent
pas le passage des sons , mais ne sauraient le favo-
riser; celles qui se disposent en rayons au pourtour
de l'œil , chez les oiseaux de proie nocturnes , ne
peuvent servir à la concentration des rayons sonores ;
et les aigrettes en forme d'oreilles , qu'on voit dans
plusieurs genres ,^6m&o^5co&^^ ne peuvent pas avoir,
sous ce rapport, des avantages plus réels; au con-
traire même , un large tragus , situé au-devant de
l'oreille , semble être , chez l'effraie , destiné à
fermer, au besoin, les abords d'un organe trop
sensible (i). Enfin les monotrèmes, et parmi les
mammifères, les cétacés, les phoques (à part le
genre otarie), manquent d'oreille externe et ne pos-
sèdent que le conduit. A ce conduit s'adjoint, chez
la taupe , un évasement cartilagineux , rudiment de
(1) Il en esl de même de plusieurs écliassîers et palmipèdes, selon Breschct.
Ici , sans doute , ce trsfjus empêche l'enlrée de l'eau ilans l'orcillo.
1 72 DE l'ouïe.
conque caché par les poils. Voilà bien des animaux
qui pourtant jouissent d'une ouïe non douteuse et
chez plusieurs même très -délicate : la conclusion
à tirer de là , c'est que les organes du dehors ne
sont pas indispensables à l'audition, et l'expérience
a prouvé , pour l'homme même , qu'effectivement
l'ablation du pavillon de l'oreille était médiocre-
ment nuisible à la perfection de ce sens. Que
deviennent, d'après cela, ces subtils calculs où l'on
a cru trouver la démonstration mathématique d'une
utilité positive de chaque relief de ce pavillon,
pour diriger dans le conduit les rayons sonores?
A-t-on remarqué , chez les chiens , que ceux à
oreilles pendantes ou écourtées fussent plus sourds
que les autres? L'àne entend-il beaucoup mieux
que le cheval, le lapin que le chat?
Cependant, en réduisant les prérogatives attri-
buées à l'oreille externe , nous ne prétendons pas en
nier totalement l'utilité. Déjà plus haut nous avons
reconnu , avec Savart et Esser, qu'elle augmente l'in-
tensité du son en vibrant et propageant à l'intérieur
ses vibrations ; les petits muscles qu'on découvre à
la surface de son cartilage ont, sans doute, pour
objet d'en augmenter la tension et l'élasticité; mais
il n'y a guère que la conque ou cavité centrale du
pavillon qui puisse , chez l'homme , faire converger
les sons ; le tragus et l'antitragus nuiraient plutôt à cet
effet qu'ils ne lui seraient avantageux. L'antitragus
même peut fermer presque complètement l'orifice
du méat auditif chez les chauves -souris, chez les
chats lorsqu'ils couchent l'oreille en arrière et de
côté ; il en est de même du galago , qui , selon
DE l'ouïe. 1 7B
Geoffroy- s* - Hilaire , fronce et efface ses amples
cornets durant le sommeil ; la musaraigne , selon
le même savant, ne se sert que de son antitragus
pour fermer aussi Feutrée du conduit. Scarpa avait,
à tort selon nous , accordé le même office au tragus
des chauves -souris; s'il est incapable de réfléchir
utilement pour l'audition les rayons sonores , il
nous paraît du moins constituer une lame vibrante
propre à produire l'effet de renforcement dont il a
été question ci-dessus. Sous ce rapport, il concourt
à augmenter l'effet de ces vastes conques (nyctère ,
oreillard) , qui parfois se réunissent même sur le
vertex (mégaderme) et présentent aux vibrations
aériennes une étendue, une ténuité et une forme
concave des plus propres à les recueillir, les répéter
et les transmettre aux parties profondes de l'appareil
auditif. Moins favorablement disposé , incapable
déjouer le rôle de cornet acoustique, le pavillon
large et pendant de l'éléphant, et surtout de l'espèce
africaine , n'offre qu'une partie de ces avantages ;
aussi ne pourrait-on dire de lui rien de pareil à ce
qu'on affirme de l'oreillard, qui, dans l'obscurité ,
se dirige , dit-on , par l'ouïe seulement sur la trace
des insectes qui voltigent dans l'air.
Chez beaucoup d'autres mammifères , indépen-
damment de la grandeur, le cornet auriculaire , ce
grand déploiement de l'hélix, offre encore l'avantage
de la mobilité. Le conduit même est susceptible de
s'allonger ou de se raccourcir par l'emboîtement de
ses pièces cartilagineuses; et quant au pavillon,
généralement plus ample dans les espèces timides ,
il tourne à volonté sa large ouverture vers le point
174 DE l'ouïe.
d'où l'animal peut avoir à craindre ou à espérer
quelque chose. Un cheval qui voit quelque objet qui
l'effraie, tourne les oreilles en avant; frappez -le
sur la croupe, il les tourne en arrière. Mais la
direction du conduit ne varie pas à volonté ; elle
est fixe, quoique différente d'un animal à un autre.
A peu près transversal et horizontal chez l'homme ,
le chien , il a son orifice externe un peu tourné en
avant dans le chat; beaucoup dans le putois, la
belette ; en arrière et en haut dans le lapin et les
rongeurs en général ; en bas et en dehors , un peu
en avant même chez les ruminants. Ces variations
sont, jusqu'à un certain point, en rapport avec les
besoins de l'espèce ; les carnassiers vermiformes
poursuivent souvent leur proie dans un terrier, et
cette proie fuit devant eux; l'un a intérêt à entendre
en avant, l'autre en arrière. Le lapin, tapi contre
terre , dresse l'oreille vers le haut ; le ruminant ,
élevé sur de longues jambes, n'a à reconnaître que
des ennemis situés plus bas que sa tête relevée
encore par un long cou , et s'il veut se défendre ,
c'est en avant , c'est sur le front qu'il porte les seules
armes puissantes que la nature lui ait données.
Pour terminer ce qui a rapport à l'oreille ex-
terne , disons que quelques-uns de ses mouvements
sont sans rapports réels avec l'audition ; ainsi l'ha-
bitude de coucher les oreilles , qu'on remarque sur
le chat menacé d'un coup , n'est qu'un phénomène
d'expression; elle tient au même instinct qui lui
fait fermer les yeux, serrer la queue, retirer les
pattes, etc. Quant à l'abaissement qui tient à la mol-
lesse des conques auriculaires , à leur forme pendante
BE l'oîjïe. 1 7 5
chez les chiens , elle pourrait être rangée dans le
même ordre de phénomènes , si on Fadmettaii avec
BufFon comme signe de domesticité. Cette signifi-
cation peut être admise pour le chien , puisque
l'oreille se redresse chez ceux qui dans les déserts
de l'Amérique ont repris la vie sauvage ; mais il
faut convenir qu'elle est du moins hien restreinte ,
car l'oreille n'est que médiocrement abaissée dans
le cochon et les ruminants , si l'on en excepte
quelques races de chèvre ; l'âne ne nous en offre
qu'un premier degré ; le cheval ne présente rien de
semblable.
4^* Tympati et osselets. On se rappelle que la
membrane du tympan n'existe pas chez les serpents ,
les tortues , certains batraciens qui pourtant ne sont
point sourds; il est, par cela même, évident que
cette membrane n'est pas nécessaire à l'ouïe ; mais
il n'en reste pas moins probable qu'elle concourt pour
beaucoup à la perfection de ce sens. Selon Esser, elle
ne servirait qu'à tempérer la force des impressions
acoustiques ; les chiens sur lesquels il en avait opéré
la perforation témoignant d'une excessive sensibilité,
donnant des signes de vive douleur quand on pro-
duisait près d'eux des sons aigus : mais on sait que le
simple contact d'un corps dur sur la membrane du
tympan est fort douloureux ; que ne doit -on pas
attendre d'une déchirure récente? C'est la membrane
blessée, et non les parties profondes de l'oreille qui
étaient devenues plus sensibles. Flourens , au con-
traire, détruit totalement cette membrane sur des
pigeons sans observer cette exquise sensibilité , parce
qu'il n'en laisse que des lambeaux désunis , sans
17G DE l'olïe.
tension, sans vibrations possibles. L'ouïe ne lui en a
pas paru affaiblie non plus ; mais comment s'en bien
assurer sur ces animaux ? On en juge mieux chez
les hommes qui ont eu accidentellement cette mem-
brane perforée ou détruite ; tous ont au moins l'ouïe
très-affaiblie sinon perdue , et nous en avons observé
plusieurs exemples , qui ne sauraient être infirmés
par quelques cas contraires. Dans celui qu'a cité
A. Cooper , on peut assurément soupçonner un peu
d'exagération ou d'illusion de la part de l'individu
même. Nous aussi, nous avons connu une personne
très-sourde , qui s'occupait volontiers de musique ,
quoiqu'elle ne perçût assurément que la moindre
partie des sons de l'instrument sur lequel elle
aimait à s'exercer. Recevant les ondulations de l'air
extérieur , la membrane du tympan les répète avec
bien plus de facilité et de délicatesse que les parois
osseuses et charnues du crâne. Elle les répète et
les communique, d'une part, à l'air contenu dans le
tympan, pour être transmises, avec tous leurs modes j
à la membrane de la fenêtre ronde qui nous occu-
pera plus loin , et d'autre part , aux osselets de l'ouïe,
pour être transmises au vestibule par la fenêtre ovale
que ferme l'étrier : et , d'après ce qui a été dit
plus haut, il n'est pas besoin pour cela de tant
de raisons que les physiciens ou les physiolo-
gistes en ont cherché; car si une verge métallique ,
un fil même , tenus entre les dents , peuvent trans-
mettre aux organes de l'ouïe toutes les modulations
d'un morceau de musique exécuté sur un seul ins-
trument ( piano ) auquel ils sont fixés par un bout ;
si l'air qui nous environne répète et nous apporte
DE l/oiÏE. n7
ainsi les milliers de sons différents qui se mêlent dans
l'exécution d'un orchestre, pourquoi n'en serait-il pas
de même d'une membrane ? Le fait est admirable !
soit ; mais tout autant en ce qui concerne les corps
bruts que les corps vivants. Pour ces derniers même ,
le problême offre quelques adjuvants à son interpré-
tation : ainsi , la membrane du tympan renferme ,
selon Home , des iibres musculaires , qu'il a vues du
moias dans celle de la baleine ; on dit qu'il en est de
même de l'éléphant : ce qu'il y a de plus certain ,
c'est que , chez tous les animaux qui en ont une ,
à l'exception de ]a baleine , elle est soutenue par
l'osselet nommé marteau ou par quelque autre de la
chaîne , et peut se tendre ou se relâcher selon les
mouvements que cet osselet exécute.
Pour l'homme , lorsque le muscle interne du
marteau se contracte , il enfonce , vers la cavité du
tympan, le centre naturellement déprimé de cette
membrane et en augmente la tension, comme on peut
s'en assurer sur le cadavre. Il y a relâchement, au
contraire , si c'est le muscle externe qui agit , muscle
fort petit, mais que nous avons trouvé conforme
aux figures doimées par LSœmmering. Si , enfin ,
il y a contraction du muscle antérieur , le marteau
entraîne en avant la membrane dont la partie anté-
rieure se relâche , tandis que la postérieure se tend;
de manière qu'elle offre, dans son étendue, toute
restreinte qu'elle est, des portions à divers degrés
d'élasticité , et qui peuvent plus aisément , en consé-
quence, se mettre en harmonie avec des tons variés ,
simultanément portés à Toreille ; effectivement , bien
que tous les tons puissent être répétés par un corps
12
1/8 DE L^OUÏE.
élastique , il est manifeste que ceux-là seront plus
énergiquement reproduits qui se trouveront en har-
monie avec son degré de tension , d'élasticité.
Chez les oiseaux, dont la membrane tympanique
est saillante en dehors (i), la pyramide à quatre
ou cinq pans et très -déprimée qu'elle représente,
n'est mue que par un seul muscle (fig. 36 , d) : l'os
carré ne l'entraîne pas dans ses mouvements , car
elle ne s'y attache pas , et le touche seulement par
un bord épaissi et ligamenteux. Son seul moteur est
le muscle postérieur de Scarpa : attaché , près du
bord postérieur de la membrane , au cartilage qui la
soutient, il la tend nécessairement d'une manière
fort inégale ; on peut , en le tiraillant , s'assurer qu'il
y fait naître des rides , et qu'il n'agit directement
que sur la bande du milieu.
Résulte-t-il quelque avantage du même genre de
la disposition généralement infondibuliforme de la
membrane tympanique, et de la grande obliquité du
plan représenté par son cadre relativement au conduit
auditif, dont elle semble chez l'homme (fig, 32, f),
les mammifères et la plupart des oiseaux, continuer
la paroi supérieure plutôt que couper la direction ?
C'est ce dont on ne saurait guère douter ; car , outre
que cette double circonstance permet, dans le même
espace , une étendue de surface plus considérable ,
selon la remarque de Cuvier , l'influence de cette
obliquité ressort encore des expériences de Savart,
qui a vu l'ordre des vibrations changer suivant qu'on
exposait, perpendiculairement ou parallèlement au
(1) C'est, dit-on, la mémo chose chez la baleine , et l'inversïï duns tous les
autres mammifères.
DE l'guïe. 1 79
corps résonnant , la surface d'une membrane. Il
est à noter que, véritablement, l'obliquité est sur-
tout très -grande , ainsi que le fait aussi observer
l'auteur des Leçons d'anatomie comparée , cbez des
animaux dont, pour la plupart , Fouïe est très-Gne ,
la taupe , le hérisson , le lièvre , le mouton parmi les
mammifères , la chouette parmi les oiseaux. Chez
la taupe, la grande obliquité du plan compense
l'aplatissement de la surface qui est très-peu enfoncée
dans la caisse.
Quant à la forme de cette membrane eu égard à
la circonférence , elle varie du cercle à l'ellipse : la
figure presque circulaire paraît appartenir à ceux
dont l'ouïe est plus délicate , la taupe , les rongeurs ,
l'homme ; car, pour la taupe , c'est bien à tort que
Esser prétend qu'elle a l'ouïe obtuse , surtout hors
de terre.
La grandeur absolue ou relative nous offrira des
conditions plus importantes et plus faciles à déduire :
Savart remarque judicieusement que, chez les grands
animaux , la perception des tons graves doit être
plus facile , plus naturelle ; aussi, ajouterons-nous,
ces animaux ont-ils également la voix plus basse et
plus sourde (éléphant , bœuf ) , par cela même que le
larynx est plus grand , tandis que les petits quadru-
pèdes ont la voix aigûe pour une raison contraire.
C'est aussi aux sons aigus que les souris se montrent
surtout sensibles ; le petit bruit qu'on produit , par
une sorte de succion , en fronçant les lèvres , les
fait tressaillir vivement : leur ouïe est donc en
harmonie avec leur voix. Sans doute , il faut aussi
tenir compte de la tension que les animaux, petits
] 80 DE l'ouïe.
ou grands , peuvent donner à leur membrane ; celle
du veau est, selon Savart, deux fois aussi grande
que celle de l'homme ; elle s'harmonisera aux
mêmes tons en se tendant au double; mais il faut
remarquer que cette aptitude à des changements
de tension est assez limitée , que d'ailleurs elle ne
peut être mise enjeu que secondairement, et qu'elle
devient nulle pour les sons qui surprennent l'animal
avant que son attention soit éveillée ; il y a donc une
autre condition qui rend les tympans les plus larges
capables de recevoir des tons du moins assez aigus
encore ; nous la trouvons dans la présence même
du marteau ou de tout autre osselet dans l'épaisseur
de la membrane : il est clair, en effet , que , tout
près de cette adhérence , il y a moins d'aptitude à
d'amples oscillations, plus d'harmonie avec les tons
aigus; cette qualité manque, par conséquent, au
tympan de la baleine et des cétacés , dont la mem-
brane n'a pas , avec l'osselet en question , les rap-
ports ordinaires. Quant aux tympans de petite
dimension, ils doivent, au contraire, êtrepeuharmo-
niques aux sons graves , quel que soit le degré de
relâchement dont on les suppose capables; il est
même évident que , à un certain degré de petitesse ,
les tons les plus aigus que nous connaissions ne
sauraient plus être appréciés distinctement ; voilà
pourquoi on ne trouve point les organes auditifs
réduits à l'extrême; pourquoi ils sont toujours pro-
portionnellement bien plus grands chez les petits
animaux : le tympan de la poule est moitié aussi
grand que celui de l'homme. Il ne faut donc pas
exagérer la vérité de cette assertion, que plus l'en-
DE L^OLÏE. 1 8 l
semble de l'appareil auditif est développé, proportion
gardée au reste du corps , plus l'ouïe est parfaite ;
il faut encore faire entrer en ligne de compte les
particularités du volume absolu et celles de la forme ,
de la disposition des organes de recueillement, de
renforcement et de sensation ; presque toutes ces
conditions , par exemple , se trouvent réunies cliez
les chauves-souris.
Nous avons indiqué déjà l'un des usages de l'os-
selet adhérent à la membrane ; il en est un autre
qui lui appartient en propre et qui , soupçonné anté-
cédemment , a été réduit en théorie régulière par
Savart. Une règle solide attachée à une membrane
en partage les vibrations, et par conséquent les
transmet aux autres parties solides qui lui font
suite : tel est le rôle essentiel des quatre osselets de
l'ouïe , d'autant plus aptes à produire cet effet qu'ils
sont généralement compactes ; ils sont même creux
et comme soufflés chez la taupe. On les connaît
sous les noms de marteau, d'enclume , de lenticulaire
et d'étrier ( fig, 32 , g ); le premier formant l'extré-
mité externe, etle dernier l'extrémité interne d'une
chaîne comme suspendue dans la cavité tyrapanique,
chez les mammifères, par la grosse branche de l'en-
clume qui adhère à sa voûte. Nous connaissons déjà
les connexions de l'extrémité externe de cette chaîne ;
l'interne, formée par la base de l'étrier, bouche la
fenêtre ovale du vestibule auquel elle transmet ainsi
les vibrations de la membrane du tympan. Indépen-
damment de son élasticité , cette chaîne peut être
aussi tendue ou du moins tiraillée par ses muscles.
Le muscle interne du marteau pourrait être supposé
182 DE L^OliÏE.
capable d'agir sur la fenêtre ovale en y enfonçant
l'étrier, si l'articulation de l'enclume avec ce dernier
osselet n'était très-mobile , surtout quand le lenticu-
laire n'est point soudé encore : cet enfoncement de
l'étrier, favorisé par l'action du muscle propre à cet
os, ne saurait, au reste, êlre considérable; et tel
qu'il a lieu , il ne peut que donner un peu plus de
tension aux parties qui constituent le labyrinthe. On
Fa même révoqué en doute : un jeune médecin de
Montpellier, Teule , dans un travail estimable sur
l'oreille , émet l'opinion que le muscle de l'étrier sert
à relâcher la fenêtre ovale. Il est bien certain que ce
muscle ne peut que faire basculer l'osselet , en tirant
sa tête en arrière , et ce mouvement de bascule est
en rapport avec la conformation de sa base , dont le
contour est mince à ses bords supérieur et inférieur,
épais au contraire à l'extrémité antérieure et à la
postérieure ; mais ce mouvement fait -il saillir en
dehors l'extrémité antérieure , ou enfonce -t- il la
postérieure en dedans ? Cette dernière opinion est
rendue probable par cette remarque , que l'étrier
est plus facile à enfoncer dans le vestibule qu'à
extraire du coté du tympan ; que le bord de son disque
oiTre souvent un biseau et parfois même une petite
languette qui peuvent bien empêcher les mouvements
d'abduction mais non ceux d'adduction.
Au reste , les muscles tenseurs , c'est~à dire celui
de Féiiier et Finterne du marteau , sont , à ce qu'il
paraît, les seuls qui subsistent dès qu'on s'éloigne
de la forme humaine , et il en est ainsi déjà chez
les singes, selon Magendie. D'après cet habile ob-
servateur, les autres mammifères même n'auraient
DE l'ouïe. 1 83
plus , au lieu de muscles , que des corps élastiques
d'un blanc nacré; cependant il leur reconnaît des
tendons , dans lesquels se trouve même quelquefois
une petite concrétion sésamoïde (bœuf, cheval) ,
et les considère comme équivalent à des muscles
en contraction permanente. Nous avons étudié ces
corps chez un certain nombre de mammifères , et
nous avons , en effet , reconnu qu'il nj a point en
eux de fibre musculaire proprement dite ; tandis que
celui de la poule ne diffère pas de tout autre muscle.
Mais s'il n'y a pas dans ceux-là comme dans celui-ci de
vraies fibres ^ il y a du moins des filaments parallèles
et selon nous contractiles; ce sont des faisceaux de
fibrilles telles que nous en retrouverons dans l'iris
et le cristallin ; ils ont donc identité suffisante avec
des muscles pour être supposés soumis à l'action de
la volonté ; et c'est sans doute dans Vattention qu'ils
s'emploient, comme le font , chez les quadrupèdes,
ceux de la conque auditive (^arrkjere auresj. Mais
par leur contraction augmentent-ils la susceptibilité
de l'organe, ainsi qu'on l'a assez généralement pensé
de nos jours? Savart croit le contraire en ce qui
concerne les muscles tenseurs et de la membrane
tympanique et de la fenêtre ovale ; il se fonde sur
des expériences faites sur l'animal mort ou sur
des machines. En voici une , à l'appui de son opi-
nion, bien facile à répéter sur l'homme vivant :
appuyez le pulpe du doigt sur l'orifice du conduit
auditif, de manière à fouler Fair et à presser forte-
ment en dedans la membrane du tympan et sans
doute , consécutivement , la chaîne des osselets
et le vestibule ; vous affaiblirez la perception des
1 84 DE l'ouïe.
sons propagés même par les parois de la tête ou
par les dents ; vous cesserez d'entendre le balancier
d'une montre serrée entre les mâchoires, etc. etc.
Mais rien ne prouve qu'à un degré modéré cette
tension ne soit utile ; surtout quand des sons multi-
pliés frappent simultanément l'oreille , et que les
plus forts étoufferaient, sans cela, les plus faibles.
Les oiseaux , outre le muscle dont il a été parlé ,
en ont un autre petit qui même n'est peut-être qu'un
ligament ( Scarpa et de Blainville ) attaché à l'étrier ;
et il y a, de même, dans les reptiles, ou un mus-
cle ou plutôt un ligament ( Windischmann ) propre
à maintenir un certain degré de tension dans la
chaîne; l'attention serait donc , chez eux, perma-
nente en tant que siégeant dans le sens ; car il faut
se rappeler qu'elle siège aussi , en grande partie ,
dans l'encéphale.
Bien que les considérations anatomiques ne
soient que secondaires dans un ouvrage comme
celui-ci , nous ne saurions passer sous silence la
détermination des osselets de l'ouïe ou de ceux qui
leur correspondent, dans les deux classes que nous
venons de mentionner et dans celle des poissons ;
nous verrons qu'on peut croire les usages de plu-
sieurs , ou même de tous , totalement changés , et
c'est certainement là une vue toute physiologique.
Et d'abord , dans les oiseaux , les reptiles , on voit
évidemment changer l'os tympanique ou de la caisse ;
immobile et le plus souvent ampulliforme chez les
mammifères, oii il forme à lui seul le cadre du
tympan , cet os , chez les ovipares mentionnés , n'en
constitue plus que la partie antérieure , devient
DE l'ouïe. 185
mobile , fait , pour ainsi dire , partie de la mâchoire
inférieure et sert à ses mouvements. Chez les ser-
pents même , il est tout-à-fait étranger à Toreille ;
comme Test, chez les poissons, celui ou ceux qui
en tiennent la place. On l'a nommé os carré chez
les oiseaux.
Quant aux osselets, chez les mêmes animaux
( oiseaux et reptiles, voy. ^^.36, 40, 41 ), celui
qui ferme la fenêtre ovale par sa partie élargie, soit
que la platine y suffise, soit qu'elle s'accompagne
d'un petit opercule accessoire ( ad-stapéal ) , est
évidemment l'étrier ; un cartilage coudé, hranchu,
qui vient ensuite , précédé quelquefois ( sauriens )
d'un petit lenticulaire aussi cartilagineux, ne peut
être que l'enclume ; mais il est en connexion avec
la membrane du tympan ; que serait donc devenu le
marteau ? Cet osselet n'est plus dans la cavité du
tympanique (i), dont il a imité en quelque sorte la
désertion. Déjà , dans les cétacés , le marteau ne
touche plus la membrane ; il est posé sur le bord
du tympan ; il en est presque tout sorti dans les
tatous ( de Blainville ), chez l'oryctérope (Cuvier).
Dans les oiseaux, il sert à joindre l'os tympanique
au sus-maxillaire , constituant une sorte de zygoma
inférieur au zygoma véritable , ce qui l'a fait prendre
pour un jugal. 11 en est exactement de même chez
les batraciens où il n'a , comme chez les oiseaux ,
que de petites dimensions qui lui conservent de la
ressemblance avec ce qu'il était chez les mammifères.
Mais, chez le crocodile, les lézards, les tortues, il
(1) Breschet adopte une tout autre division pour retrouver les quatre osselets
dans la chaîne des oiseaux ; elle m'a paru tout arbitraire , malgré la sagacité et
l'exaclilude bien connues de ce savant analomisle.
186 DE l'olïe.
15'est élargi, s'est emboîté parmi les os du crâne , et a
^té déterminé sous le nom de temporal écailleux par
Cuvier et autres. Je renvoie pour les preuves et les
détails aux ouvrages spéciaux (i), et je me borne
à ajouter que ces déterminations rigoureuses d'un
osselet sorti du tympan, parvenu à d'autres destina-
tions , à d'autres formes, donnent un haut degré de
vraisemblance à l'hypothèse, si téméraire au premier
abord, de GeoiTroy-S^-Hilaire qui a cru devoir
chercher , dans les quatre osselets des mammifères ,
l'analogue des quatre pièces principales de l'opercule
respiratoire des poissons, situé, comme on sait,
derrière l'articulation de la mâchoire inférieure avec
le crâne.
5® p^estihule et canaux demi-circulaires (fig . 32, h, ij.
De toutes les parties dont se compose l'appareil
auditif chez les vertébrés, celles-ci sont les plus
générales , les plus constantes , et il est à remarquer
même qu'on les trouve à un degré de développement
d'autant plus remarquable, soit proportionnellement,
soit même absolument parlant , que le reste est plus
imparfait ; c'est eifectivement chez les poissons que
les canaux demi -circulaires et les sacs du vestibule
acquièrent les proportions les plus considérables,
et que ces derniers renferment des concrétions de
carbonate de chaux souvent très- volumineuses et
très-dures (^fig. 43, A4j.
Les travaux de Scarpa, Breschet et autres ont
bien fait connaître la grande ressemblance , la pres-
que identité qui existe , sur ce point d'organisation ,
(d) Voyez en particulier les reclierches sur l'ostéoloffie et la myolojie des
l)alraciens à Isiirs dificrenls ;'ige.;, pa<j- 20, 29 et siiiv. , 197 et suiv.
DE l'ouïe. 187
dans toute la série des vertébrés ; si partout il n^y
a pas une enveloppe osseuse, moulée sur les parties
membraneuses , ces dernières sont soutenues par
leur consistance sub - cartilagineuse , quelquefois
même par une croûte saline, mince et cristallisée ( i j ,
et conservent leurs directions réciproques. C'est à
Ereschet qu'on doit surtout les investigations les plus
récentes et les plus délicates à ce sujet; il a con-
firmé , rectifié , accru ce que ses devanciers avaient
fait; il a prouvé la plénitude des cavités labyrinthi-
ques due à une humeur séreuse (périlymplie ou
lymphe de Cotugno) qui baigne extérieurement le
labyrinthe membraneux; il a fait ressortir, avec de
Elainville , l'analogie de cette humeur et de l'humeur
aqueuse de l'œil, de même que l'analogie qui existe
entre la matière vitrée contenue dans les canaux
et le vestibule membraneux (vitrine auditive), et
celle du corps hyaloïde ; il a mieux précisé ce qui
a rapport aux trois ampoules ou renflements de ces
canaux , et à plusieurs sacs distincts (2) dans le vesti-
bule (^fig. o3yV, tous recevant des nerfs particuliers
fournis par l'auditif ; il a fait remarquer surtout
que l'épanouissement de ces nerfs dans les sacs du
vestibule répond, même chez les mammifères, à
une concrétion tantôt amylacée, tantôt pierreuse,
connue seulement jusqu'alors chez les poissons et
les reptiles. Ces concrétions, comparées déjà par
de Elainville au cristallin de l'œil , doivent , selon
(1) Chez les oiseaux , d'après Huschke et Carus.
(2) D'après la baudroie, il établir l'existence: i'^ d'un sinus médian recevant
les emboucliures des canaux demi-circulaires; 2° d'une utricule attachée à l'ex-
trémité antérieure de ce sinus; 3° d'un sac veslibulaire suivi d'un cyslicula
et placé au-dessous du mémo sinus. L'utricule, le sac elle cysiiculc reiifermeiit
di)s concrétions; celle du sac est la plus considérable (pg. lihj.
188 DE l'ouïe.
Breschet , remplir le rôle à^étouffoir pour arrêter
les vibrations sonores ; nous pencherions plutôt vers
l'opinion de Cagniard-Latour, qui les regarde comme
propres à rendre ces vibrations plus efficaces dans
leur action sur les pinceaux nerveux. Les oscillations
moléculaires des organes auditifs sont trop resser-
rées, trop brèves pour avoir besoin d'être étouffées
comme celles des longues cordes d'une harpe ou d'un
forte-piano.
Considérée en masse , la portion du labyrinthe ,
dont il est ici question, offre donc une disposition
très-avantageuse pour recevoir les oscillations qui
lui sont transmises : 1° parles parois solides du crâne ;
2® par la chaîne des osselets de l'ouïe, avec l'ex-
trémité desquels la périlymphe est en contact à la
fenêtre ovale; 3° par le limaçon dont nous parlerons
plus loin. Mais ne peut-on pas, conjecturalement,
tirer quelques conséquences de plus , d'une confor-
mation si complexe et néanmoins si constante? Une
cavité sphérique n'eùt-elle pas suffi pour la fonction
générale que nous venons d'envisager ?
Ce que nous venons de dire des concrétions con-
tenues dans les sacs vestibulaires nous autorise,
jusqu'à un certain point , à regarder cette portion
du labyrinthe comme propre à recueillir le bniû
en général , à en mesurer Vinlensité , et par con-
séquent à faire juger de la distance. Aussi trou-
verons-nous que c'est la seule partie qui subsiste
évidemment chez les invertébrés , dont l'ouïe est
bornée sans doute à l'appréciation de ce mode des
mouvements sonores ; et il ne doit pas nous paraître
surprenant que l'oreille des poissons contienne les
DE l'ouïe. 1 89
concrétions les plus grosses , les plus dures et partant
les plus propres à renforcer le bruit des chocs opérés
sous les eaux.
Quant aux canaux demi-circulaires, cette cons-
tance dans leur nombre et leur direction, cette
direction mutuelle dont chaque plan correspond si
évidemment aux trois dimensions des corps, largeur,
longueur, hauteur (un horizontal, un longitudinal,
un transversal); ne sont-ce pas là des preuves favo-
rables à l'opinion d'Autenrieth et Kœrner, celle de
leur utilité pour instruire l'animal de la direction
du son , et par conséquent de la situation du corps
d'où il est parti. En effet, bien que les vibrations se
propagent en tous sens, les expériences de Savart
ont prouvé qu'elles ont surtout de la tendance à se
transmettre dans le sens de l'impulsion primitive ,
dans le sens du mouvement suivi par l'instrument
frappant ou frottant (archet); et nous avons vu
que, dans l'air même, c'est à cette particularité
qu'il faut attribuer l'existence des rayons sonores.
Or, remarquez, quant aux nerfs, qu'il en existe
ici trois seulement comme trois ampoules , un
pour chaque canal demi-circulaire f^fig, ooj. Sans
doute, la force de la sensation, plus grande dans
l'une des oreilles que dans l'autre , nous aide dans
la détermination dont il s'agit ici ; mais ce signe ne
peut indiquer que le côté vers lequel est le point de
départ des ondulations sonores ; il ne nous appren-
drait rien sur le haut, le bas , l'avant ou l'arrière de
sa position ; Savart l'a si bien senti qu'il a cherché à
expliquer ces distinctions par la différence des mou-
vements moléculaires excités dans la membrane du
1 90 DE l'ouïe.
tympan selon l'inclinaison des rayons sonores. Mais,
sans relever ce que cette explication a d'hypothéti-
que , voici une expérience qui prouve tout-à-fait
contre elle : bouchez hermétiquement, mais sans
compression , les deux oreilles, et faites exciter au-
tour de vous quelque bruit assez fort pour être ainsi
entendu ; vous en distinguerez parfaitement le point
de départ; c'est donc par l'intermédiaire des parois
du crâne que les canaux demi-circulaires reçoivent
les éléments de la fonction spéciale que nous leur
assignons. A ces arguments, en faveur de l'opinion
vers laquelle j'incline , je n'ajoute qu'en hésitant les
résultats des expériences de Flourens : la section du
canal horizontal sur un pigeon produisait des mouve-
ments de la tête dans le sens horizontal ; celle du
canal vertical antérieur en produisait du haut vers
le bas ; celle enfin du canal postérieur, du bas vers
le haut. Je ne sais jusqu'à quel point ces remarques
seraient applicables à l'audition ; et d'ailleurs on a
jeté quelques doutes sur la cause de ces phénomènes :
Mùller et Windischmann paraissent croire que , dans
ces expériences, on a blessé le lobule du cervelet
qui s'engage dans une excavation circonscrite par
les trois canaux et surtout par l'antérieur.
Qo j^fompe d^Eustache j air du tympan _, limaçon.
Voici la liaison physiologique qui nous a fait rap-
procher, dans un même article , les fonctions de ces
trois portions de l'appareil auditif : la caisse du
tympan est remplie d'air qui lui est amené par son
conduit guttural ffg. 32 , e^, et cet air ne sert pas
seulement de support à la membrane tympanique ; il
en partage les ébranlements et les transmet aux parois
DE l'oiÏE. I9l
de la cavité , mais surtout à la fenêtre roade , ouver-
ture de la rampe tympanique du limaçon, bouchée
par une membrane qui constitue un tympan secon-
daire, comme l'a appelée Scarpa f^/îg. 34 et 37, cy.
La dénomination de tympan lui conviendrait plus
directement encore , si les sons y pouvaient arriver
d'emblée , eu passant avec l'air par la trompe d'Eus-
tache; mais, en ce qui concerne les mammifères,
bien que Esser ait vu ce tube habituellement un peu
entr'ouvert (i), il ne saurait l'être assez pour servir
à un pareil usage. Nous en avons trouve les parois
en contact dans les cadavres humains ; et , chez le
mouton, les bords de son orifice, loin d'être évasés
en pavillon cartilagineux comme chez l'homme , sont
mous et si bien collés l'un sur l'autre , qu'au premier
abord il échappe à la vue, et qu'on le cherche,
tout à côté , dans un enfoncement conoïde et aveugle
que présente, à droite et à gauche, la voûte du
pharynx. 11 est facile d'observer sur soi même que,
pour pousser de l'air dans la cavité du tympan en
fermant la bouche et les narines, il faut employer un
certain effort ; qu'il y arrive avec explosion , quel-
que ménagement qu'on y mette ; et c^est la même
chose , en sens inverse , quand on fait un effort
d'inspiration, les narines et la bouche fermées.
Qu'on mette une montre dans la bouche ouverte ,
sans lui faire toucher les dents, on n'en entendra
plus le balancier ou même la sonnerie , si l'on s'est
(1) Les cétacés seraient-ils dans un cas différent? Je ne connais pas assez la
structure de leur trompe d'Eustache pour répondre h celte question. Quaj;t
aux reptiles qui les ont fort larges et fort courtes (grenouilles, lézards), les
narines sont, chez eux, si étroites, qu'elles leur feraient perdre tout l'avaTitagsr
de la largeur de leur conduit gxitturo-lyinpanique.
1 92 DE L^OLÏE.
fermé les oreilles. De même, ainsi que l'observe
Esser, qu'on applique la montre sur la joue soulevée
par l'air accumulé dans la bouche , on n'entendra
rien absolument (les oreilles bouchées), tandis qu'on
entendra à merveille dès qu'on la pressera sur l'os
malaire ou sur les arcades dentaires , à travers la
joue affaissée. On sait, d'ailleurs, que le conduit
gutturo-tympanique est pourvu de muscles dilata-
teurs, les péristaphylins externes : on peut s'exercer
à les mettre volontairement en mouvement ; on entend
alors une sorte de craquement intérieur, et aussitôt
on peut faire bourdonner dans l'oreille sa propre
voix ou seulement un souffle renforcé, ce qui n'avait
pas lieu auparavant. Si, durant cette expérience,
on ouvre la bouche devant un miroir, on verra
que, dans les efforts destinés à ouvrir le conduit
dont il s'agit, la partie la plus antérieure du voile du
palais s'élève , se creuse d'une double fossette; c'est
le lieu qui répond à l'insertion des muscles susdits ,
qui en partie attachés à l'os ne peuvent prendre là un
point d'appui que pour agir en arrière sur la trompe
d'Eustache : c'est donc à tort que Boyer révoque en
doute cette fonction du muscle péristaphylin externe ,
qui nous prouve que les sons ne peuvent habituelle-
ment pénétrer dans le tympan par cette voie. Il est
une expérience du même genre qui pourrait sembler
contraire à nos assertions , mais qui , loin de là , va
nous conduire à d'autres considérations physiologi-
ques. Sans faire l'effort dont il vient d'être parlé ,
sans ouvrir la trompe d'Eustache , si l'on bouche
les deux oreilles, on entend également sa propre voix
résonner dans la caisse du tympan ; mais cet effet se
DE l'ouïe. 193
soutient , bien qu'à un moindre degré ,. lors même
que , soulevant fortement tout le voile du palais , on
en fait une cloison transversale qui intercepte toute
communication directe entre la glotte et le haut du
pharynx où sont les pavillons des trompes d'Euslache.
Ce n'est donc plus la même chose que dans le cas
précédent , c'est une résonnance dont il a déjà été
question dans l'un des précédents paragraphes, un
retentissement dû aux surfaces caverneuses de la
bouche et du nez ; mais pourquoi a-t-il lieu quand
on a obturé l'oreille et non auparavant? C'est qu'au-
paravant il se confondait avec le son pénétrant par
la voie ordinaire , et c'est aussi parce que , lors
de l'expérience, on a emprisonné dans le conduit
une masse d'air qui ajoute beaucoup à la sonorité
du rocher.
Ainsi , cette expérience nous explique , tout d'un
coup, l'utilité de l'air contenu dans la caisse du tympan
et dans les cellules mastoïdiennes (^ji(j. 22, diVjj
indépendamment même de ce qui concerne la fenêtre
ronde ou codiléennej comme l'appelle Cuvier. On
a donc eu raison de dire que ces cellules renforcent
les sons. C'est pour cela , en partie , qu'elles sont
si développées chez les oiseaux de nuit ; de même
que , chez les mammifères nocturnes , la caisse du
tympan est renflée en une bulle osseuse à plusieurs
enfoncements ( chat , lion, etc.). Chez le tarsier,
les deux caisses sont si grandes qu'elles se touchent
sous la base du crâne ; elles sont fort grandes
aussi chez les loris , les nycticèbes , selon GeofFroy-
St-Hilaire. Nul doute que ce ne soit là le véritable
usage des rapports que l'oreille des poissons osseux
- 1 *)
194 del'oiÏe.
a manifestement avec la vessie natatoire , d'après
les observations de Weber , de Breschet et autres.
Donc aussi Treviranus s'est trompé en donnant pour
fonction aux cellules mastoïdiennes de détourner,
d'absorber les sons pour prévenir Véclio dans les
cavités auditives. Mais , au reste , Esser n'était pas
mieux fondé à croire la trompe d'Eustacbe destinée
à dériver cet écho imaginaire : on comprendra sans
peine qu'il ne saurait y avoir écho , ou répétition de
son , là où les oscillations sont si courtes en raison
de l'étroitesse des lieux : il faut de l'espace pour que
l'écho se produise ; sinon les vibrations répercutées
se confondent et s'identifient.
En résumé , la trompe d'Eustacbe a pour usage
unique de donner de l'air au tympan ; mais lente-
ment, par portions, lorsqu'il en a été absorbé ou
chassé une partie. On a cru nécessaire qu'il existât
une grande liberté dans le passage de cet air ; l'ex-
périence démontre tous les jours le contraire ; des
angines ou des coryzas , dans lesquels l'inûammation
s'est étendue à la trompe , comme le prouvent la
douleur d'oreille , les explosions quand on se mou-
che, etc. , ne sont que bien rarement accompagnés
de dureté d'ouïe : pour que la surdité ait lieu par
une cause de ce genre , il faut que le tube soit
entièrement oblitéré ou bouché , de telle façon que
l'air ne puisse plus pénétrer, même de loin en loin,
dans la caisse du tympan. L'élasticité de cet air
intérieur doit , selon la plupart des physiologistes ,
varier parallèlement à celle de l'air extérieur ;
selon Savart, il faudrait, au contraire, qu'elle fût
constamment la même ; et la membrane du tympan
DE l'oiïe. 195
compterait ainsi , parmi ses fonctions les plus essen-
tielles, celle (le conserver à cet air une température
constante. Eh bien! remplissez ou videz en partie la
caisse par les procédés indiqués plus haut, et vous
entendrez, avec la même facilité, les mêmes sons.
C'est donc bulle à bulle , et selon le besoin , que l'air
entre dans la cavité tympanique , probablement à
chaque déglutition de la salive qui provoque la con-
traction des muscles de l'arrière-bouche. Le renfor-
cement des sons est un premier effet de sa présence :
il est réel , car il est le seul chez les grenouilles
et crapauds (i), puisqu'ils n'ont point de fenêtre
cochléenne. Le deuxième effet, c'est la mise en
branle de cette fenêtre ou tympan secondaire (2) et
du limaçon chez les animaux qui en sont pourvus.
La membrane de la fenêtre ronde ou cochléenne
répond à l'une des rampes du limaçon seulement , à
la rampe tympanique. Une cloison , partie osseuse ,
partie membraneuse ou cartilagineuse, sépare effec-
tivement, dans toute sa longueur, la cavité spirale
du limaçon en deux rampes, dont l'autre est nommée
veslibulaire ; toutes deux communiquent au sommet
de l'hélice par une absence de la cloison ; toutes
deux sont remplies d'une humeur limpide et ténue
la même qui entoure les sacs et les canaux mem-
braneux du labyrinthe. Il suit de là que , d'une
part , les trémoussements du tympan secondaire
(1) n en serait de même du pipa, d'après Mayer, quoique sa membrane
lympanique soit recouverte d'une peau épaisse. Selon de BlainviUe, la trompe
n'irait pas jusqu'au pharynx ; il parait du moins qu'elle est singulièrement
rétrécie chez cet animal.
(2) C'est, avons-nous dit, le nom que donne Scarpa à la membrane de la
fenêtre cochléenne ; Breschet dit avoir trouvé, plus loin, chez les oiseaux, une
seconde membrane qui sépare, de la rampe interne du limaçon, un espace
rempli de liquide; disposition qui ne change rien aux usages de cette partie.
196 DE l'ouïe.
peuvent être propagés en partie au vestibule , aux
canaux demi-circulaires , et se confondre avec ceux
que ces parties reçoivent d'ailleurs par la chaîne des
osselets et la fenêtre ovale ; et , d'autre part , qu'il
peut y avoir réciprocité, non -seulement pour les
vibrations, mais aussi pour la compression que le
vestibule reçoit de la base de l'étrier, et qui , refou-
lant le liquide dans tout le labyrinthe , peut et doit
tendre le tympan secondaire chaque fois que le tym-
pan proprement dit est tendu lui-même , c'est-à-dire
enfoncé de dehors en dedans. Tel est le double usage
du liquide que Cotugno a, le premier, signalé à
l'attention des anatomistes : harmoniser, dans tout
le labyrinthe , et les tensions et les ondulations;
faire que toutes les qualités d'un même son soient
simultanément senties , quoique dans des organes
multiples.
Mais le limaçon n'a-t-il pas des usages spéciaux
comme les canaux demi-circulaires et le vestibule ?
La forme singulière de cette partie , si bien rappelée
par son nom chez les mammifères, a dû frapper
naturellement tous ceux qui se sont occupés de
l'audition : aussi , soit qu'on y supposât contenu de
l'air, comme Lecat et autres, soit qu'on y eût reconnu
de l'eau , comme Cotugno , on n'en était pas moins
disposé à voir, surtout dans sa cloison en forme de
longue bande graduellement étrécie , une série de
cordes ou de filets osseux de grandeur successivement
décroissante , propres , en conséquence , à vibrer à
l'unisson de tous les tons possibles , et aptes à com-
muniquer leurs secousses aux filaments nerveux qui
s'épanouissent sur toute Fétendue de cette bande
DE L^OLÏE. 197
osseuse. Sans admettre cette théorie, que l'anatomie
comparée repousse , j'admettrais volontiers le corol-
laire avec quelques additions, et le limaçon serait
pour moi le principal organe appréciateur des tonSj
et surtout l'organe propre à recevoir les sons formés
dans l'air, ayant un timbre aérien et des modifica-
tions que l'air seul comporte bien ; en un mot , les
voix et les articulations. Ma théorie différerait de
celle dont il vient d'être question en ceci , que j'ac-
corderais la faculté vibratile , et par conséquent
l'aptitude à impressionner les nerfs , plutôt à la
portion membraneuse de la cloison qu'à la portion
osseuse ; celle-ci ne pouvant vibrer que comme le
reste de l'os. Quant à la bandelette molle , tendue
entre la cloison osseuse et la lame des contours
(^fig, 33, fy*^ je remarque qu'elle est partout d'une
largeur à peu près égale , et non rétrécie de la base
au sommet de l'hélice , où elle s'élargit au con-
traire (Breschet); c'est donc selon qu'elle vibrera
dans une plus ou moins grande longueur (i), et se
partagera par des nœuds plus ou moins rapprochés ,
qu'elle produira, sur telle ou telle étendue de la
frange nerveuse, telle ou telle impression qui nous
donnera l'idée de tel ton musical ; les tons les plus
bas et les plus graves devront seuls la faire vibrer
dans toute sa longueur, qu'on peut estimer chez
(1) Un de nos confrères, aussi savant musicien que savant physiologiste, le
docteur Seidlilz, deTélershourg , avait remarqué que ses deux oreilles n'étaient
point montées au même ton ; il lui était impossible d'accorder un instrument
quoiqu'il sût très-bien s'en servir quand on lui avait rendu ce bon office, et
qu'il pût faire sa partie dans un orchestre ; les deux oreilles étant sans doute en
proportion harmonique, à la quinte par exemple. Comment expliquer ce fait
sans une théorie d'oscillations intérieures en rapport mathématique avec celles
du dehors ?
198 DE l'ouïe.
rhomme à près de deux pouces. Remarquons que
ce ruban cochléeti commence tout près du tympan
secondaire ; qu'il le touche , et que ses ondulations
pourront fort bien reproduire , en conséquence ,
celles des deux membranes tympaniques que l'air a
mises en mouvement. C'est donc là que se feront
surtout sentir les particularités du chant et de la
déclamation , l'accent , la prosodie , toutes qualités
que le son vocal perdrait en se transmettant à travers
des corps durs. Car, si tous les corps peuvent, plus
ou moins bien _, comme nous l'avons dit plus haut ,
propager le son pourvu de toutes ses qualités , il est
certain aussi que telle de ces qualités est plus pure-
ment transmise que telle autre par telle nature,
telle consistance , dans le corps conducteur : par
exemple , si , étant couché , je couvre mes oreilles et
du bonnet et de la couverture à la fois , je ne distingue
plus ni le ton ni le timbre de ma pendule , j'en
compte pourtant fort bien les coups; mais ce n'est
plus qu'un bruit sourd , grave , tel que le produirait
le choc de deux morceaux de bois volumineux; le
son n'a rien perdu de sa force ou n'en a perdu que
fort peu , en perdant ses autres qualités à travers des
tissus épais et mous.
Achevons de prouver que le limaçon est favo-
rablement disposé pour recevoir les modifications
aériennes, en ajoutant, à ce qui précède, quelques
arguments empruntés de l'anatomie comparée.
D'après nos propres observations , le limaçon est
grand, et les canaux demi - circulaires médiocres
chez les chauves-souris , dont la vie est presque toute
aérienne , et dont le cornet acoustique est très-déve-
DE l'olïe. 199
îoppé ; il est petit , comparativement aux canaux ,
chez la taupe qui vit dans la terre , et dont l'oreille
externe ne fait aucune saillie. D'après les figures de
Scarpa, le limaçon l'emporte chez le chat f^fig. 2>4j
qui vit à l'air et grimpe volontiers , comme on sait ;
ce sont les canaux chez le lièvre (^fig. Z^J. Yeut-on
d'ailleurs une mesure comparative , qu'on prenne la
proportion des deux fenêtres, comme l'a fait Cuvier;
elle donne des rapports exacts entre le limaçon et le
reste du labyrinthe ; aussi est-ce la fenêtre cochléenne
qui est plus grande chez les chauves-souris , les chats
et les carnassiers en général ; la vestihulaire chez la
taupe et le lapin. 11 est juste d'avouer qu'on tirerait
difficilement des conséquences pour ou contre cette
opinion de ce qui se voit chez d'autres quadrupèdes,
et qu'on trouverait même des faits jusqu'à un certain
point contradictoires, puisque le cochon, l'hippo-
potame et les cétacés ont la fenêtre cochléenne plus
grande que la vestihulaire.
Mais une objection bien plus grave , à laquelle
nous aurons à répondre , est celle-ci : les oiseaux ,
qui certainement entendent et distinguent les tons et
les voix, puisqu'ils apprennent à répéter des airs et
des paroles, n'ont qu'un limaçon rudimentaire. Ceci
n'est vrai que sur le squelette , et encore doit-on
remarquer que le limaçon conoïde et peu courbé ,
découvert par Scarpa , est proportionnellement assez
volumineux ; puisque , dans la poule , je lui trouve à
peu près le tiers , en diamètre , de celui de l'homme
(^fig. 37, h); et nous ajouterons, tout de suite, qu'il
est bien plus allongé chez les oiseaux chanteurs
que chez les autres. Quand on l'examine à l'état
200 DE l'ouïe.
frais , comme nous l'avons fait après Tréviranus et
Windischmann, on reconnaît bientôt que cet organe
n'est nullement imparfait, pour être construit sur
un plan un peu différent de celui de l'homme. Une
longue ellipse cartilagineuse f^fig. 38, a^ (i) sert de
cadre à une membrane fine et régulière sur laquelle
se répandent parallèlement les filets du nerf acousti-
que ; elle se termine dans une ampoule membraneuse
(^fig. 38 , by' contenant une concrétion amylacée , et
où s'épanouissent, avec une merveilleuse régularité ,
d'autres filets du même nerf; elle commence contre
le tympan secondaire. L'origine et la terminaison se
rapprochent donc beaucoup de ce qu'on voit chez les
mammifères , le sommet de leur limaçon offrant une
ca^dté qui représente l'ampoule susdite. Seulement
ici le ruhancochïéen est plus court et proportionnelle-
ment plus large , mais aussi plus mince ; c'est donc
là un instrument qui parait être aussi parfait , dans
son genre , que celui de l'homme ; et s'il a moins de
longueur, il a aussi moins de tons à reproduire : les
airs qu'apprennent les oiseaux , comme leurs chants
naturels , sont toujours dans un ton assez élevé , et
les instruments dont on se sert pour les instruire ne
portent pas plus d'une octave , c'est-à-dire douze ou
treize notes , y compris les demi-tons.
Le limaçon se montre bien moins parfait chez les
reptiles, qui généralement ont la voix beaucoup plus
réduite que les oiseaux ; toutefois , cette imper-
(1) Cuvier n'avait vu que deux bandes cartilagineuses; Geoffroy- S* -Hilaire
a cru l'ellipse incomplète : c'est l'étrier selon la manière de voir de ce célèbre
zoologiste ; mais nous n'avons pas été convaincu par les raisons qui l'ont porté
à cette détermination , malgré notre confiance dans la sagacité d'un aussi
profond observateur.
DE LOL'ÏE. 201
fection est moins prononcée chez les crocodiles dont
l'oreille externe et la moyenne sont aussi plus rap-
prochées de celles des oiseaux, que chez les tortues
et les lézards (^fig- 39 y"/ les premières surtout
ayant la memhrane du tympan couverte par la peau,
aussi leur limaçon est-il tout- à-fait rudimentaire
(Comparetti, Cuvier, Windischm.ann). Plusieurs
batraciens sont dans le même cas sous les deux
rapports , et chez ceux même qui ont la membrane
du tympan presque libre et doublée seulement par
la peau, le limaçon n'est pas annulé comme on
l'a cru (ï), mais très -réduit aussi, et la fenêtre
cochléenne ou ronde est confondue avec la fenêtre
ovale ou vestibulaire ; un cartilage annexé à la base
de l'étrier (ad-stapéal) remplace la membrane du
tympan secondaire : on sait que ces animaux ne
profèrent guère , pour toute voix , qu'un cri uni-
forme. Mais l'atrophie est plus complète encore chez
les serpents, qui sont presque muets, et qui n'ont
(1) Voici ce que nous ont appris des préparations faites avec soin et que nous
avons pu mettre sous les yeux de"Windischmann même ; elles ont été fournies par
le Bomh. fuscus et le Rana escul. 1° Les trois canaux demi-circulaires grands et
tien distincts, sans étui osseux dans quelques endroits , finissent chacim par
une ampoule dans laquelle se rend un faisceau nerveux; 2° un sinus commun
ou vestibulaire reçoit leurs embouchures, et porte, en arrière et en dehors,
c'est-à-dire près de l'ampoule postérieure, deux petits sacs aplatis pourvus de
nerfs, et contenant une matière crétacée , molle ; 5° un grand sac, en dehors
et en avant des précédents, est en contact avec les ampoules antérieures ; c'est
l'analogue du limaçon ici fort développé , mais caché intérieurement. Dans
ce sac on trouve, au voisinage de la fenêtre commune dont il est parlé dans le
texte , une grosse concrétion calcaire , tout-à-fait pierreuse ; plus profondément
une lame cartilagineuse, ovale (fig. k^J , adhérente seulement par sa hase
aux parois du sac, et recevant sur sa face interne un gros nerf épanoui
en éventail et qui fait environ la moitié de l'acoustique. Cette dernière pièce
est évidemment analogue à l'appareil cartilagineux du limaçon des oiseaux et
des lézards; elle sert sans doute à la réception des sons aériens, tandis que la
concrétion pierreuse doit, comme chez les poissons, faciliter celle du bruit
dans l'eau.
2ô2 DE l'ouïe.
pas de tympan, ni de fenêtre cochléeune, ni de
trompe d'Eustache, si j'en juge d'après mes propres
observations (i). Enfin les poissons, dont le mu-
tisme est passé en proverbe , n'ont également ni
tympan, ni osselets, ni fenêtre cochléenne, et l'on
peut à peine reconnaître un représentant de limaçon
dans l'un ou l'autre des trois renflements vestibulaires
que Brescbet leur a assignés avec des déterminations
dont quelques-unes pourraient être contestées, mais
qu'il serait oiseux de discuter ici.
Malgré les rapprocbements que nous venons de
faire , il ne faut pas croire pourtant qu'il y ait pro-
portion infaillible entre la voix et l'audition d'un
même animal : les exceptions seraient assurément
bien nombreuses si l'on voulait descendre des som-
mités aux détails. Une foule de mammifères se
rangerait aisément dans cette catégorie exception-
nelle; ainsi, le chien, l'éléphant, le cheval, qui
ne peuvent imiter la voix humaine , témoignent
pourtant par leurs démonstrations d'obéissance, de
(1) De Blainvillc leur accorde une communication de la fenêtre ovale à
l'arrière-bouche , et donne l'oreille interne comme semblable à celle des
lézards ; Windisclimann , élève de Millier, décrit , d'après le dipsas , une fenêtre
cochléenne et un lima^-on dont il donne môme la figure. Voici ce que nous ont
appris la couleuvre à collier , celle d'Agassiz et surtout celle de Montpellier.
L'osselet est, de tous côtés, environné i)ar les chairs ; son extrémité externe,
Cartilagineuse, est attachée, par un ligament, à l'os tympanique ; son extré-
mité interne ou platine ferme la fenêtre vestibulaire, et il n'y a pas d'autre
trou , à son voisinage, que le trou de la huitième paire qui n'a rien de commun
avec le labyrinthe. Les canaux demi-circulaires , tout osseux, offrent un trou
de communication entre l'horizontal et le verlical postérieur à leur point de
contact. La partie antérieure du vestibule forme un enfoncement conique séparé
du reste par une crête osseuse, et là se loge un sac ovale soutenu intérieurement
par une ellipse cartilagineuse : c'est bien un limaron rudimentaire comme aux
lézards, mais plus isolé du dehors et sans fenêtre ronde. Une partie du nerf
auditif, se jette sur cette plaque ovale , l'autre va dans le vestibule ; c'est bien
ce que Windischmann a figuré, mais il en attribue à tort les deux portions au
limaçon du dipsas, quoiqu'il ait bien reconnu leur divergence.
DE l'ouïe. 203
joie ou de crainte , de leur aptitude à nous entendre :
on sait quels effets produit , sur le cheval , une
musique militaire ; comment les bœufs , les cha-
meaux sont attentifs aux airs que chante ou siffle
leur conducteur. Parmi les reptiles mêmes , l'ana-
tomie doit nous faire penser que le crocodile , si
peu favorisé pour la voix , entend cependant à peu
près comme les oiseaux, dont il a presque le limaçon
(Windischmann), et ceux-ci varient assurément
plus entre eux par le ramage que par l'ouïe.
En résumé , la structure du limaçon des oiseaux
n'a rien qui répugne à notre opinion , et si les lois
connues de Tacoustique n'en expliquent point par-
faitement les usages, peut-être est-ce faute de
notions suffisantes. Savart a obtenu des résultats
tout nouveaux en imitant , autant que possible , le
tympan; il faudrait étudier, avec la même sagacité
que lui, les effets produits par des imitations du
limaçon de l'homme et de l'oiseau. Et si néanmoins
on s'étonne par trop de la dissemblance de ces deux
formes de limaçon, nous ferons observer que, sans
doute , elles sont nécessitées par celles qu'offrent et
la membrane du tympan et les osselets de l'ouïe ;
peut-être aussi y a-t-il plus de rapport entre telle
forme des organes auditifs et des organes vocaux si
disparates d'une classe à l'autre, comme nous le
verrons plus tard ; on peut présumer que le ruban
cochléen ne reçoit que les tons susceptibles d'être
reproduits par la voix de l'oiseau, et que l'ampoule
terminale sert à distinguer ceux qui sont trop
graves , et n'ont , pour l'animal , rien de vraiment
musical.
204 DE L^OLÏE.
1^ Nerfs acoustiques. Nous n'insisterons pas lon-
guement sur ce qui concerne le nerf auditif, portion
molle de la septième paire , et sur sa naissance du
plancher du quatrième ventricule et du cervelet ;
sa distribution immédiate au labyrinthe , aux trois
ampoules des canaux demi-circulaires, aux deux sacs
du vestibule , au limaçon ou à Tutricule , sa division
en filets nombreux et régulièrement parallèles ou en
éventail dans toutes ses parties , sont des circonstances
communes à tous les vertébrés à quelques variations
près. Nous nous bornerons à faire remarquer que ces
filets se tamisent , pour ainsi dire , d'autant plus à
travers l'os^ avant de se rendre aux parties molles, que
l'animal est plus élevé dans l'échelle organique; d'où
il résulte que le trou auditif interne percillé , criblé
dans son fond, chez les mammifères et l'homme,
communique largement avec le labyrinthe chez les
oiseaux et les reptiles , et que la cavité auditive finit
par se confondre , pour ainsi dire , avec celle du
crâne chez les poissons.
Le nerf facial , ou portion dure de la septième
paire , traversant l'os pétreux après avoir côtoyé le
nerf auditif, et donnant même des filets à l'oreille
externe , semblerait avoir, avec l'audition , quelques
rapports ; il en aurait de très-réels s'il fournissait,
comme le croyaient les anciens anatomistes, les
filets nerveux des muscles du marteau et de l'étrier,
et la corde du tympan : en rapportant ces filets à la
cinquième paire , qu'on les attribue ou non au gan-
glion otique d'Arnold, on explique l'importance
que Magendie est tenté d'accorder, avec doute il est
vrai , d'après quelques expériences, au nerf trijumeau
DE l'olïe. 205
pour Fexercice de l'audition ; il en est du moins
un utile auxiliaire. L'anastomose de ces filaments
avec le nerf glosso-pharyugien et le grand sympa-
thique (Jacobson), peut donner la clef de quelques
phénomènes morbides ou sympathiques; mais il
nous paraît que les anatomistes modernes ont exa-
géré l'importance de ces particularités en ce qui
concerne la fonction à l'état normal. Présider à la
tension ou au relâchement des membranes auditives,
à Fampliation de la trompe d'Eustache , c'est à cela
que se borne leur rôle ; mais il est tout-à-fait impos-
sible qu'ils suppléent lenerf auditif , qu'ils entendent
à proprement parler. On doit supposer seulement
qu'ils donnent de plus au conduit , à la membrane
du tympan, etc., une sensibilité tactile j mais non
spéciale, comme nous l'avons vu déjà pour les organes
de l'olfaction. Cette sensibilité va- telle jusqu'à leur
permettre d'entrer directement en activité , et de
produire les contractions musculaires sous l'influence
des vibrations de l'os ou de l'air qu'il renferme ?
Ces trémoussements ne pourraient guère agiter nota-
blement que la corde du tympan (Sœmmerringj
suspendue entre les osselets dans la caisse même;
mais il est plus probable d'ailleurs que les mouve-
ments musculaires en question s'opèrent automati-
quement sous l'infiux cérébral , comme ceux de l'iris
auxquels on les a comparés. Nous entrerons, à
l'occasion de ces derniers, dans quelques détails
qu'ici par conséquent nous pouvons omettre.
Entraîné par des discussions que rendait indis-
pensables l'état actuel de la science , nous n'avons
206 DE l'ouïe.
pu donner un tableau comparatif et régulier des
organes de l'ouïe dans les différentes classes et
ordres des vertébrés ; nous y suppléerons ici en
quelques mots , et nous arriverons , par une gra-
dation ménagée , aux dispositions anatomiques et
physiologiques propres aux animaux sans vertèbres.
De l'homme aux autres mammifères ^ il n'y a que
des variations tantôt à l'avantage de l'un , tantôt des
autres (surtout chez les animaux nocturnes ) ; par-
tout, à quelques exceptions près , on trouve un pa-
villon auriculaire , un conduit auditif externe , une
membrane tympanique concave en dehors , une ca-
vité du tympan avec son conduit guttural ou trompe
d'Eustache , quatre osselets de l'ouïe , une fenêtre
cochléenne et un limaçon turbiné , un vestibule et
trois canaux demi-circulaires.
La conque manque déjà aux mammifères aquati-
ques ; elle est toujours nulle chez les monotrèmes et
les oiseaux; mais ils ont encore un conduit auditif, une
membrane du tympan convexe en dehors, une cavité
tympanique avec sa trompe, deux osselets seulement,
dont le plus externe est cartilagineux , une fenêtre
cochléenne et un limaçon court et légèrement courbé,
un vestibule et des canaux demi-circulaires.
La conformation est presque la même chez les
crocodiles. Les lézards n'ont plus de conduit auditif,
le tympan est presque à fleur de peau , et le limaçon
est ovale; mais il y a encore une fenêtre cochléenne;
du reste , même nombre d'osselets, même labyrinthe
que chez les oiseaux; la trompe d'Eustache est large
aussi bien que la cavité tympanique. Les tortues en
diffèrent peu , mais leur membrane du tympan est
DE l'ouïe. 207
couverte d'une peau épaisse , écailleuse ; il en est de
même au caméléon. Vlusienrs batraciens (grenouille?,
crapaud, rainette) ont le tympan doublé d'une peau
un peu amincie ; leur cavité tympanique est étroite ,
l'é trier en grande partie caché dans les chairs ; la
trompe d'Eustache est large , mais il n'y a point de
fenêtre cochléenne distincte de la vestibulaire : il y
a deux osselets , plus un opercule cartilagineux sur
cette fenêtre commune ; un limaçon volumineux
oblong, mais renfermé dans le vestibule avec les
sacs et les canaux demi -circulaires du labyrinthe.
D'autres batraciens (sonneurs, urodèles) diffèrent
de ceux-ci en ce qu'ils n'ont pas d'osselets, mais
seulement l'opercule cartilagineux ; pas de cavité ni
de membrane tympanique ; et pourtant , chez plu-
sieurs encore (sonneurs) il y a une trompe d'Eus-
tache terminée en cul-de-sac contre le rocher. Au
contraire , chez les serpents , il n'y a pas plus de
trompe que de cavité ou de membrane tympanique ,
mais il y a un osselet appliqué à la fenêtre vestibu- ,
laire, suivi d'un cartilage caché sous la peau; le tout
au milieu des chairs ; limaçon intérieur et rudimen-
taire sans fenêtre cochléenne.
Les poissons chondroptérygiens n'ont pas non plus
de conduit, soit extérieur, soit guttural , en rapport
avec les organes de l'ouïe , et ce n'est que par
hypothèse qu'on peut regarder, comme représentant
ces deux canaux abouchés, Vévent qui s'étend de la
gorge aux parties supérieures et latérales de la tête ;
une communication du vestibule jusque sous la
peau non perforée rappelle la fenêtre vestibulaire ;
point d'osselets ; rien enfin de l'oreille externe et
208 DE l'olïe.
de Toreille moyenne ; mais une oreille interne am-
plement développée , à l'exception du limaçon que
remplacent probablement le grand sac vestibulaire et
son cysticule : l'utricuîe , représentant le sac vestibu-
laire des vertébrés , est très-petite , mais les canaux
demi-circulaires très-amples. C'est la même chose
chez les poissons osseux , où les concrétions vesti-
buîaires sont très-volumineuses et très-dures (oto-
lithes de Breschet), et dont l'oreille interne est en-
core plus complètement séparée du dehors et n'a,
pour rappeler ce genre de relations , que des com-
munications médiates avec la vessie natatoire chez
certaines espèces (cyprins). On trouve encore un
degré de réduction plus marqué chez les lamproies_,
le myxine j etc. , dont l'organe auditif ne diffère
guère de celui des mollusques céphalopodes et le
cède par conséquent à celui même des crustacés.
Chez ces animaux, en effet, du moins chez les
macroures _, l'écre visse, le homard, la langouste, etc.
(^flg. 45 et 46j, la base de l'antenne externe, grande
antenne ou antenne postérieure , offre une petite
saillie cylindroïde , percée d'un trou arrondi , fermé
par une membrane que Scarpa a cru plane et entière;
elle est , en réalité , perforée d'une fente ou d'une
ouverture oblongue , à laquelle fait suite un cul-de-
sac intérieur, à ce qu'il nous a paru. Cet enfonce-
ment , selon Audouin et Milne Edwards , aurait
plus de profondeur que nous ne lui en avons trouvé,
et servirait à l'olfaction. Quoi qu'il en soit de ce
dernier détail , il paraît constant que , dans le creux
de la saillie cylindroïde susdite , se porte un nerf
dont le tronc représente à la fois les deux parties
DE l'olïe* 209
de la septième paire des vertébrés . Une partie est
destinée à l'organe dont il s'agit ici , une autre à
l'antenne même. Nul doute qu'il n'y ait là, non un
tympan, comme le pensaient Fabrice d'Aquapen-
dente et Minasi , mais un labyrinthe rudimentaire ,
un sac vestibulaire avec sa fenêtre ovale, selon la
détermination de Scarpa. On peut surtout comparer
cet appareil au vestibule des poissons cartilagineux,
qui , par un conduit plus ou moinâ long , vient tou-
cher la peau souvent déprimée et amincie au point
de contact. Plusieurs décapodes brachyures , comme
le cancer menas, n'ont point de membrane à la
saillie cylindroïde ; chez eux , le vestibule est tout
intérieur comme chez les poissons osseux. D'autres
ont un appareil un peu plus compliqué, le maia,
par exemple, d'après Milne Edwards : l'ouverture
existe , mais fermée par un opercule mobile , dont
un prolongement caché porte une membrane suscep-
tible de tension et de relâchement. On ne saurait ,
au reste , douter que les crustacés décapodes n'en-
tendent aussi bien que les poissons; le silence n'est
pas moins recommandé dans la pêche des uns que
des autres ; cette membrane , qui du moins res-
semble à celle du tympan cochléen , donne même aux
premiers une aptitude à recevoir les sons aériens
qui ne peut guère exister pour les seconds ; l'expé-
rience en a donné la preuve : des crabes , enfermés
dans un vase et grattant , frottant pour tâcher d'en
sortir , restaient immobiles chaque fois qu'on agitait
une petite sonnette comme pour leur imposer silence
(Minasi).
Une circonstance bien frappante dans la disposi-
14
210 DE l'ouïe.
tion anatomique dont nous venons de donner l'es-
quisse , c'est cette ressemblance entre l'organe de
l'audition et celui de l'olfaction des crustacés : tous
deux en forme d'antenne dont la base porte l'organe
spécial, tandis que le reste n'a plus que des fonctions
tactiles; et faudra-t-il rappeler encore les disposi-
tions analogues qu'on retrouve chez les vertébrés ?
Mêmes relations , chez eux , entre l'appendice ex-
terne et le véritable organe sensitif, entre l'oreille
externe quelquefois si longue et le tympan, le laby-
rinthe ; mêmes relations entre le nerf auditif et le
facial, auquel il faut ajouter aussi une portion de
la cinquième paire.
De tous les invertébrés , après ceux qui vien-
nent de nous occuper, les mollusques céphalopodes
(^fig. 41 J sont les seuls qui portent de vrais organes
d'ouïe, découverts par Hunter, décrits et figurés
ensuite par Scarpa. Le cartilage céphalique des
seiches, des poulpes, des calmars est creusé, en
dessous et en arrière , de deux cavités ovalaires où
se perd un nerf, et qui renferment aussi une petite
concrétion pierreuse chez les uns (^fig. 48^^ farineuse
chez les autres. Owen n'a point découvert d'organe
auditif chez le nautile, peut-être faute d'avoir pu
faire des recherches suffisantes. Au reste, ces mol-
lusques ne peuvent jouir que d'une ouïe semblable
à celle des poissons , puisque leur oreille est toute
intérieure.
Dans la nombreuse classe des insectes , on trouve
beaucoup d'animaux pourvus d'une sorte de voix
qui ne semble destinée qu'à leur servir de moyen
d'appel ; on ne peut même méconnaître l'entraîne-
DE l'oLÏE. 2 i 1
ment que décide, chez un grand nombre d'individus,
Je chant d'une seule cigale; il en est de ces insectes
comme des rainettes et des grenouilles d'un étang,
qui se mettent toutes à crier dès qu'une seule s'est
hasardée à rompre le silence que l'arrivée d'un pro-
meneur avait causé. Nous avons constaté , de la
manière la plus positive , que la grosse sauterelle à
front Liane est douée de l'ouïe ; car des individus
renfermés dans une boîte de bois se taisaient , à
l'instant, si l'on froissait un papier à peu de dis-
tance ; un simple chut I produisait , de plus loin ,
le même effet. On a cru observer aussi que les
abeilles se communiquaient quelques idées à l'aide
de bourdonnements particuliers ; on a remarqué
souvent que toute une ruche répétait le bruissement
émis d'abord par un seul individu. Aussi est-ce sur les
insectes chantants ou bourdonnants qu'on a cherché
surtout l'organe de l'audition. Nous ne reproduirons
point les descriptions de Comparetti , qui nous sem-
blent appuyées sur des observations insuffisantes, et
nous ne mentionnerons que pour mémoire certaines
indications données , un peu à la légère , par des
hommes de mérite , comme celle des membranes
qui unissent les antennes à la tète (Carus), celle
de prétendues vésicules ou d'enfoncements vers les
mâchoires (condyle ou cavité articulaire), etc. Sur
les cigales, de Blainville a vu deux petits trous en
forme de stigmates à la partie postérieure de la tète,
et ce savant zoologiste se demande si ce ne serait
point là un organe d'audition, Latreiile a vu aussi ces
trous ; nous avons aisément retrouvé , sur plusieurs
espèces , ces faux stigmates, et nous avons pris la
2 1 2 DE l'ouïe.
peine de constater que ce ne sont point des perfora-
tions mais seulement des dépressions , et qu'il ne se
trouve intérieurement , sur ce point , ni vésicule , ni
tronc de trachée, ni épanouissement de nerf; une
membrane , commune à tout le crâne , tapisse cette
région comme les autres, sans saillie, sans ouverture.
Tréviranus a trouvé, derrière l'insertion des antennes
de la hlatta ortentalù j un espace membraneux ,
blanc , ovale ; nous ne l'avons pas examiné sur
cet insecte ; mais Vacrydium lineolaj grande espèce
d'orthoptères , nous a fait voir, entre l'antenne et le
stemmate latéral , un espace membraneux , linéaire,
transversal et terminé en dehors par un élargissement
ovalaire , le tout offrant une couleur blanchâtre;
rien de pareil ne s'est offert à nos yeux chez les
lociista alhifrons , viridis et epliippigerj espèces aussi
grandes et qui ont une sorte de voix , tandis que le
criquet linéole ne produit aucune sorte de son , pas
même la strideur des petites espèces du genre auquel
il appartient; la blatte n'est pas moins muette : or,
c'est toujours non une certitude négative, mais une
conjecture peu favorable à l'admission de l'ouïe, que
ce mutisme , comme nous l'avons dit précédemment.
C'est sur des conjectures plus hasardées encore qu'on
a placé , dans les antennes ou dans des vésicules
intérieures, le siège de l'ouïe des insectes.
Remarquons à ce sujet que presque tous les
prétendus organes acoustiques, ainsi attribués aux
insectes , ont des dimensions si petites que , même en
les admettant pour tels , on ne devrait leur accorder
que la faculté de percevoir le bruit , mais sans distin-
guer les sons , du moins les sons appréciables pour
DE l'ouïe. *21o
notre oreille ; car ils ne pourraient être vraiment
harmoniques d'aucun ton connu. Il n'en est pas de
l'ouïe comme de la vue : la lumière est infiniment
subtile ; les corps solides qui tantôt produisent, tantôt
reçoivent les vibrations sonores, sont matériels et
grossiers, leurs oscillations ont des limites assez res-
treintes , comme il a déjà été dit , et nous ne saurions
supposer une véritable oreille microscopique. Dès-lors
nous écartons , pour ces animaux , la question de la
spécialité sensoriale; l'ouïe se réduira, chez eux, au
tact des vibrations moléculaires telles que nous per-
cevons celles que produit, dans le sol qui nous porte,
le roulement d'une voiture , celles encore qui , pro-
pagées par l'air , ébranlent notre poitrine au bruit
d'un tambour ; dès-lors aussi , nous pouvons cher-
cher le siège de l'audition partout ailleurs qu'à la
tête. Nous avons pu par quelques mutilations nous
assurer, sur la mante, sur des chenilles, que l'im-
pression des sons bruyants était indépendante des
antennes ; mais la décapitation entraine trop de trou-
bles pour pouvoir procéder ainsi à la détermination
du sens, c'est donc uniquement sur des conjectures
que se base ce que nous allons dire.
L'organe de la voix, chez les cigales, a certaine-
ment des parties bien propres à recevoir et répéter
les sons : telle est la membrane transparente ,
irisée, qui se présente la première sous les opercules
écailleux, et que je retrouve, quoique moins déve-
loppée, chez la femelle même. Et, par induction,
les grands stigmates à boîte , bien figurés par Léon
Dufour et que Marcel de Serres a nommés trémaëres,
ne peuvent-ils pas remplir l'office d'un tympan ? Je
214 DE l'ouïe.
note principalement celui de la base de l'abdomen
( tboraco-gastre ) chez les criquets (i), du prothorax
(protodère) chez les locustes ou sauterelles proprement
dites. Je vois, dans la larve des grands coléoptères,
chaque stigmate garni d'une lame cornée , plate ,
tournée en cercle presque complet, sous-tendue par
une membrane dont le centre n'offre qu'une très-
étroite boutonnière. Cette forme rappelle le limaçon
des lézards , et mieux encore la membrane auditive
externe du homard, de la langouste. Remarquez
toutefois que ces organes ne sauraient manquer de
propager les vibrations sonores à tout l'intérieur, en
raison de leur communication avec les trachées , et
qu'ils ne peuvent ainsi servir qu'à une sensation,
pour ainsi dire, universelle. Aussi sommes-nous
fortement porté à partager, avec cette condition,
l'opinion des zoologistes qui attribuent beaucoup
d'importance aux vésicules aériennes , aux grandes
cavités pneumatiques qui soufflent en quelque sorte
le corps de beaucoup d'insectes. }l est bien probable
aussi que les ailes , les antennes , les appendices
caudiformes , les grands poils , en un mot , toutes les
parties membraneuses et filamenteuses de l'extérieur,
servent à percevoir les vibrations aériennes. Chez
les sauterelles dont nous parlions plus haut, le
souffle dirigé sur la boite, le mouvement imprimé
à l'air de l'appartement en ouvrant une porte dans
une chambre éloignée , suffisaient pour produire
instantanément le silence.
C'est aussi à un trémoussement général que nous
(l) Signalé comme organe spécial d'ouïe par Millier ; mais il n'exisle ni chez
les grillons , ni chez les locustes , espèces hien plus bruyantes el auxquelles on
devrait plutôt supposer une oreille.
DE l'olÏe. 215
rapporterons les apparences d'audition qu'on peut
observer chez les arachnides , et qui suffisent pour
les avertir de quelque grand danger que la vue ne
leur aurait pas fait découvrir , ou de quelque mou-
vement voisin intéressant pour elles. Ainsi la mygale
maçonne, en embuscade à l'entrée de son terrier,
sans autres embûches que sa sensibilité aux moindres
oscillations du sol et que sa promptitude à en tirer
parti, sait se jeter à propos sur la fourmi qui passe
à son voisinage : et ce n'est pas la vue qui lui pro-
cure cet avertissement , car elle en fait de même si
on frotte légèrement la terre avec une paille au
pourtour de son nid. Pour achever de prouver qu'il
n'y a point là véritable ouïe, nous avons fait quelques
remarques sur un scorpion d'Europe : le son d'une
montre à répétition , quelque près qu'on l'approchât
de l'animal , n'excitait aucun mouvement ; le siffle-
ment le plus fort et le plus aigu ne l'agitait pas
davantage , mais le moindre frottement du doigt sur
le sol le faisait tressaillir ; de même une vive secousse
de tous ses membres témoignait assez de sa sensibilité
aux vibrations de l'air, quand on tendait brusque-
ment une feuille de papier , quand on frappait cette
feuille d'une chiquenaude , quand on faisait claquer
les doigts l'un sur l'autre , tout cela à distance assez
grande , et même quelquefois derrière un écran ,
pour qu'on ne put pas crcire que le vent seul agis-
sait sur lui. Il est évident , d'après cela , que ces
animaux ne sentent le bruit que comme une personne
privée d'odorat sent l'ammoniaque et autres odeurs
aussi acres , aussi pénétrantes ; l'ouïe , chez eux ,
n'est plus qu'une dépendance du tact. Les anecdotes
21 G BE l'olïe.
racontées par diverses personnes au sujet du goût
des araignées pour la musique , ne prouvent autre
chose sinon que ces animaux ressentent , avec quel-
que plaisir, les vibrations que leur communique
l'air mis en vibration par une harpe , comme dans
lé cas rapporté par Walckenaër , ou que leur im-
prime plus directement encore la table d'un piano
comme pour l'araignée de Grétry ; c'est une sorte
de chatouillement.
CHAPITRE \h
DE LA VUE.
ABTlCIiE I.'' - ]%'of ioiisi préliniiiiaireis.
La vue ne doit pas être confondue avec une dou-
teuse appréciation de la lumière et de l'obscurité
f^voy. TouclierJ ; la vue est le sens par le moyen
duquel la lumière donne aux animaux la connais-
sance des objets dont ils sont entourés ; la vision
est l'exercice de ce sens , Vœil en est l'organe : c'est
un appareil généralement composé d'un nerf pour
sentir la lumière, de lentilles pour la concentrer,
la régulariser, et de matière opaque pour en absor-
ber le superflu.
Les corps dont il peut apprécier la situation , la
forme , la grandeur, doivent donc de toute nécessité
être ou lumineux ou éclairés. Les corps lumineux
émettent des rayons, c'est-à-dire des séries de molé-
cules lumineuses marchant avec une excessive rapi-
dité en ligne parfaitement droite , ou bien ( dans
DE LA VUE. 2J7
une autre hypothèse) des oscillations, des vibrations
en ligne droite à travers un fluide lumineux univer-
sellement répandu. Les corps éclairés , s'ils sont
opaques et dépolis , réfléchissent les rayons qu'ils
ont reçus; et chaque point des uns et des autres
r fig» 49 y* peut être considéré comme un centre
d^où émanent, par scintillation dans tous les sens,
des rayons divergents et qu'on peut idéalement
séparer en autant de pinceaux ou de cônes qu'on
supposera d'écrans disposés aux alentours pour les
recevoir ; de même , on peut idéalement diviser en
faisceaux la masse des rayons parallèles qui éma-
nent des divers points d'une surface lumineuse ou
éclairée. Les pinceaux lumineux vont en s'élargis-
sant et en s'afîaiblissant à mesure qu'ils s'éloignent
de leur source. Les faisceaux et les rayons isolément
considérés, quel que soit leur point de départ, sont
soumis également, dans des circonstances particu-
lières, à des lois de déviation, dont nous devons
rappeler les plus essentielles.
P A la rencontre d'une surface régulière et trans-
parente , tout faisceau lumineux y entre en totalité
s'il est perpendiculaire , en partie s'il est oblique.
Dans ce dernier cas , la partie pénétrante se dévie ,
se réfracte en s'écartant d'une ligne perpendiculaire
à cette surface si le milieu nouveau est moins dense
que le milieu précédent , en s'en rapprochant dans
le cas contraire (^fig. 49 , A'J , et faisant ainsi un
angle de réfraction, plus grand dans le premier cas,
plus petit dans le second , que l'angle d'incidence ,
avec la même ligne perpendiculaire. L'eff'et des sur-
faces courbes sur les faisceaux lumineux fjlg. 49, By
218 DE LA VUE.
s'explique aisément d'après ce qui vient d'être dit,
en se rappelant que chacun de leurs points a pour
perpendiculaire le rayon du cercle dont la courbe
ferait partie. Un coup-d'œil jeté sur la figure suffira
pour faire voir comment une lentille fait converger
des rayons parallèles ou divergents , etc.
2® Si la surface de rencontre est polie (miroirs),
le faisceau oblique est en partie réfléchi , et la
quantité réfléchie est d'autant plus grande que l'an^
gle d'incidence est plus grand (^fig. 49, kjj si on
le mesure entre la ligne de direction du faisceau
et la perpendiculaire à la surface réfléchissante.
L'angle de réflexion est toujours égal à celui d'inci-
dence (^fig. 49, A'jj, par rapport au point de la sur-
face où la réflexion s'opère ; et les rayons réfléchis
par un miroir plan le sont avec toutes leurs qualités ,
vivacité, coloration, disposition mutuelle.
3° Si la surface de rencontre est inégale, dépolie,
le faisceau lumineux, soit direct, soit oblique, ren-
contrant une foule de saillies , et par conséquent de
petites surfaces dirigées , pour ainsi dire , en tous
sens, est disséminé dans l'espace sous tous les angles
possibles (^fig. 49, Cj ; aussi les corps ternes ne
reproduisent-ils pas , comme les précédents, l'image
des objets qui leur ont envoyé des faisceaux lumi-
neux ( I ) ; seulement leurs divers points renvoient
de toutes parts d'autant plus de lumière qu'ils en
reçoivent davantage , et c'est de ces intensités diff'é-
(1) Un faisceau de rayons solaires, passant par le trou d'un volet et tombant
sur un miroir, ira donner, dans l'œil d'un seul assistant convenablement
placé, l'image du soleil, et rien ne sera vu sur le miroir par tous les autres
assistants, s'il est parfaitement poli ; au contraire , si ce faisceau tombe sur un
papier blanc, il fera voir à tous un espace circulaire Irès-éclairé , mais non une
vérilable imarje du soleil.
DE LA VUF. 21^
rentes que résulteDt, pour nos yeux, les apparences
à^omhre et de clair j et par suite celles de relief et
de forme,
A^ En se réfléchissant ainsi irrégulièrement sur
une surface terne, de même qu'en traversant des
lames minces de matière transparente, ou bien des
prismes à surfaces très inclinées l'une sur l'autre ,
la lumière subit des modifications (décomposition
newtonniene ; flg, 49, D) d'où résultent les couleurs.
5° Il y a encore déviation et décomposition quand
un faisceau lumineux rase un bord , un biseau
appartenant à un corps opaque ; mais ceci ne peut
avoir lieu que dans des limites très -restreintes et
peu applicables aux phénomènes de la vision.
Ce petit nombre de lois nous suffira pour l'intel-
ligence des faits physiologiques dont nous allons
nous occuper.
ARTICIii: II. - VertèlJPés.
§ P*". Généralités,
Chez tous les animaux de ce sous-règne , l'œil ,
lorsqu'il n'est pas atrophié comme chez la taupe ,
le zemni, le protée, les cécilies, etc., consiste en
une chambre sub-globuleuse , transparente en avant ,
opaque en arrière , mue par des muscles assez nom-
breux, lubrifiée par des organes sécréteurs, pro-
tégée par des rideaux mobiles (paupières) , qui
peuvent la soustraire momentanément à l'action de
la lumière et de l'air (^fig, 5 \J. On peut le considérer
comme essentiellement formé, quant à son méca-
nisme général , des parties suivantes (^fig, bOj :
1" une membrane nerveuse (rétine) qui en tapisse
220 DE LA VUE.
le fond et reçoit l'impression des images ou repré-
sentations des objets extérieurs ; 2° un diaphragme
(iris) percé d'une petite ouverture (pupille) qui
ne permet aux pinceaux lumineux , simultanément
envoyés à l'œil par les divers points d'une surface
éclairée , d'arriver au fond de cet organe , qu'en se
croisant et peignant ainsi sur la rétine des images
renversées , comme cela a lieu dans une chambre
obscure ordinaire ; 3° une surface convexe et trans-
parente (cornée) et une lentille convexe (cristallin) ,
l'une et l'autre assez denses et servant, comme dans
la chambre obscure des physiciens , à convertir, par
la réfraction et la convergence que produisent ces
sortes d'appareils , les cônes ou pinceaux envoyés
par chaque point d'une surface éclairée (cônes objec-
tifs) en cônes ou pinceaux intérieurs (cônes visuels),
de manière à reproduire sur la rétine un point tout
semblable à celui d'émission. Voilà l'ensemble ;
mais chaque partie de l'appareil visuel prête à des
considérations de détail si intéressantes et si peu
connues ou si mal connues pour la plupart, que
nous nous voyons forcé de nous en occuper ici avec
une étendue presque monographique.
§ II. Protection extérieure.
Le globe oculaire est contenu dans une cavité
généralement osseuse , nommée orbite , qui sert à
la fois à le garantir des chocs extérieurs et à le sou-
tenir dans tous ses mouvements. Cette cavité est, à
cet effet , ordinairement remplie d'une graisse abon-
dante ; chez les raies et les squales seulement , son
fond s'élève en un pédicule cartilagineux sur lequel
DE LA VUE. 22 (
s'articule et se meut l'œil , dont l'enveloppe a aussi
beaucoup de consistance. La situation, la direction
des orbites détermine celle des yeux : dirigés en
avant et rapprochés dans la face des singes , du
tarsier , plus écartés et un peu plus divergents chez
l'homme , les yeux sont bien plus déjetés encore
chez les mammifères carnassiers; ils sont presque
absolument latéraux dans les ruminants, les soli-
pèdes ; ils le sont tout-à-fait chez les rongeurs , les
cétacés, chez presque tous les oiseaux, les reptiles
et les poissons. Beaucoup de ces animaux peuvent
néanmoins voir encore des deux yeux à la fois un
objet situé devant eux ; plusieurs le font même
habituellement , comme les chouettes et autres
oiseaux de nuit. Il en est dont les yeux sont dirigés
tous deux à la fois aussi dans le même sens , mais
en dessus : tels l'uranoscope , les raies et autres
chondroptérygiens; c'est d'un seul et même côté du
corps chez les pleuronectes à face tordue. Plusieurs,
au contraire, ne peuvent absolument voir, ou du
moins bien voir, que d'un seul œil un objet déterminé ;
certains même meuvent isolément l'un et l'autre œil
dans des directions différentes , comme le caméléon
parmi les reptiles, l'hippocampe parmi les poissons
(Lyonnet); et peut -être beaucoup d'autres reptiles
ou d'oiseaux seraient-ils dans le même cas , si leurs
paupières et leur pupille ne s'ouvraient bien plus
largement que celle du saurien cité tout- à- l'heure.
On pourrait s'étonner que , dans le sensorium de
ces animaux, il n'y ait point conflit ou confusion
perpétuelle des deux tableaux difl'érents contemplés
par l'un et l'autre œil; mais il en est de ces deux
222 DE LA VUE.
tableaux comme des deux moitiés de celui que nos
yeux nous permettent d'embrasser, et l'attention
peut se fixer sur l'une ou sur l'autre partie de la
représentation , à la volonté de l'animal.
Au-dessus de l'orbite est une saillie garnie de
poils , très-proéminente chez les singes , moins chez
l'homme dans l'état de repos , moins encore , et même
tout-à-fait nulle , chez la majeure partie des autres
vertébrés : beaucoup néanmoins portent encore au
sourcil quelques poils longs et roides ; ils ne peuvent
leur servir, comme à nous, à tempérer l'éclat éblouis-
sant d'une lumière trop vive, mais peut-être aver-
tissent-ils l'œil de l'approche d'un corps étranger,
et décident-ils l'animal à fermer instantanément ses
paupières.
Celles-ci sont le plus souvent au nombre de trois :
une supérieure, une inférieure, une interne. Cette der-
nière, nommée aussi membrane clignotante, paupière
verticale , paupière nasale , n'est jamais cutanée ,
toujours muqueuse et sous-jacente aux deux autres.
Elle est rudimentaire chez l'homme : les ruminants ,
le cheval , l'éléphant , le lamantin , le lapin ont un
cartilage assez large dans son épaisseur. Elle est
grande mais membraneuse chez beaucoup d'autres
mammifères; plusieurs et surtout les premiers y
montrent des fibres charnues, aussi peut-elle couvrir
toute la cornée transparente , pour peu que celle-ci
se tourne en dedans. Celle des oiseaux est bien
connue , parce que c'est à elle qu'on attribue le
pouvoir qu'a l'aigle , dit-on , de fixer ses regards
sur le soleil. S'il en était ainsi, la pie, le corbeau
jouiraient de la même prérogative ; car ils tirent
DE LA VUE. 223
souvent au-devant de la cornée leur rideau interne ,
qui parait alors d'un blanc bleuâtre. Tous les oiseaux
ont d'ailleurs un muscle spécial à deux corps , des-
tiné à opérer ^e mouvement ; mais la plupart ne
semblent s'en servir que quand les paupières exté-
rieures sont closes : il en est de même des lézards.
Cbez les batraciens anoures, cette paupière interne
est transparente, et se continue directement avec le
bord ordinairement libre de l'inférieure , de sorte
que l'animal y voit presque aussi bien l'œil demi-
fermé que l'œil ouvert, sans qu'il soit exposé au
dessèchement. La paupière supérieure est la plus
grande et la plus mobile chez les mammifères; elle
est grande aussi chez les oiseaux de nuit, l'autruche ,
mais bien réduite chez les autres , de même que
chez les reptiles ; celle des lézards est grande sans
doute , mais presque toute osseuse , et ne fait guère
que compléter la voûte orbitaire. L'inférieure est
alors la plus considérable , la seule vraiment mobile,
et l'on y trouve ordinairement un disque cartilagi-
neux. L'homme et les mammifères peuvent, au con-
traire , à peine la mouvoir, si ce n'est pour la serrer
contre la supérieure à l'aide du muscle orbiculaire ;
elle n'a point , comme sa congénère , un muscle
particulier; elle est néanmoins susceptible d'abais-
sement , chez l'homme surtout , par exemple quand
nous dirigeons en bas la cornée transparente. Ce
n'est point , à notre avis , la saillie de cette cornée
qui pousse la paupière , comme l'a pensé Gerdy;
c'est la conjonctive {^fig. 51 , Cy"^ membrane muqueuse
réfléchie de l'hémisphère antérieur du globe sur la
paupière , qui entraîne celle-ci dans les mouvements
224 DE LA VUE.
de celui - là. Quelques expériences faciles à com-
prendre nous en ont donné la certitude ; il ne faut
pour cela que pincer la peau de cette paupière , la
tirer un peu en avant et regarder en bas ; on la sent
alors tiraillée dans ce sens , quoiqu'elle ne touche
plus la face antérieure du globe.
Quelques animaux offrent une conformation par-
ticulière qu'il nous suffira de mentionner, les détails
à ce sujet appartenant plutôt à l'anatomie ou à la
zoologie. Ainsi le caméléon n'a, pour ainsi dire,
qu'une seule paupière adhérente à l'hémisphère
antérieur de l'œil et percée d'une petite fente hori-
zontale ; les serpents , les geckos ont une paupière
unique aussi et sans ouverture , mais immobile ,
transparente, semblable à un verre de montre et
tapissée en dedans par la conjonctive. La plupart
des poissons manquent en réalité de paupières ; le
poisson-lune aurait seul , selon Cuvier, une paupière
susceptible de constriction complète. Quelques
autres , le muge par exemple , ont un repli cutané
irrégulièrement circulaire , qui ne leur en tient lieu
qu'imparfaitement, car il est immobile et largement
ouvert; mais, chez tous, la peau, prenant une trans-
parence parfaite , passe au-devant de Tœil et repré-
sente ainsi une épaisse conjonctive : circonstance
bien propre à prouver que cette membrane, chez
les autres vertébrés, existe aussi au-devant de la
cornée ou se confond avec elle ; ce qui semble con-
firmé par la difficulté qu'on éprouve à les séparer,
même à l'aide du scalpel , chez les mammifères.
DE LA VUE. 225
§ llî. Luhrifaction»
Pour entretenir la transparence el le poli de la
surface antérieure de Tœil , et pour faciliter le glis-
sement des paupières , des humeurs plus ou moins
visqueuses sont perpétuellement versées entre leurs
surfaces. Les larmes en constituent la majeure partie;
elles sont sécrétées par une glande ordinairement
volumineuse, située en dehors ou en arrière de
l'œil , et versées par plusieurs canaux, un seul chez
le lapin selon Cuvier, six ou sept Lien visibles chez
le mouton et le bœuf. Elles sont reprises ensuite et
portées dans les fosses nasales par deux oscules , un
à chaque paupière , chez Thomme et la plupart des
mammifères ; par une fente assez large , chez les
rongeurs, les lézards ; par une ou deux fentes sem-
blables , chez les oiseaux. Les serpents ont une
grosse glande lacrymale qui verse Son fluide entre
la cornée et la paupière transparente ; un conduit
le porte ensuite dans la fosse nasale (Cloquet). Les
cétacés , les poissons manquent d'appareil lacrymal ,
et il est facile de comprendre qu'ils peuvent aisé-
ment s'en passer : on n'en a pas trouvé non plus chez
les batraciens anoures , peut-être faute de recher-
ches suffisantes (i) : l'éléphant n'a également point
de glande lacrymale ni de conduits lacrymaux , mais
il a du moins une glande interne dite de Harderus ,
qui se retrouve aussi chez presque tous les autres
mammifères , à l'exception de Thomme et des singes,
et chez tous les oiseaux (2) ; d'ailleurs, les follicules
(1) La région antérieure de l'orbite offre un petit trou chez le crapaud brun
(iomhinator fuscusj ; il n'y en a pas chez les autres anoures.
(2) On compte en sus une glande nasale chez les mammifères (Jacobson), les
oiseaux (Nitzsch), les serpents (Millier).
15
22 G Dr LA VUE.
sébacés des paupières, dits glandes de Meibomius,
ne manquent non plus à peut-être aucun vertébré.
C'en est bien assez pour remplir les usages dont
nous avons parlé plus haut, et pourtant on trouve
encore , chez les ruminants , un organe de plus , un
larmier, comme on l'appelle , cavité sous-cutanée,
située vers le grand angle de l'œil et sécrétant une
humeur grasse.
Les larmes sont sécrétées surabondamment dans
l'œil de l'homme , et se répandent extérieurement
sous l'influence d'un vif chagrin : quelques mammi-
fères seulement sont dans le même cas; on l'observe
parfois pour le chien , on le dit du cerf aux abois.
§ IV. Direction,
Le globe de l'œil n'est parfaitement fixe chez
aucun vertébré ; aussi est-il constamment pourvu
de muscles, et celui même de la taupe, tout rudi-
mentaire qu'il est , sert encore de point d'attache à
quelques faisceaux musculaires; mais cette mobi-
lité , si grande chez presque tous les mammifères ,
si prononcée en particulier chez le caméléon qui ,
sans changer d'attitude , peut tourner ses regards
sur tous les points de l'espace qui l'environne, direc-
tement en arrière, comme directement en avant;
cette mobilité, dis-je, diminue considérablement,
sans néanmoins s'annihiler tout-à-fait, chez les oiseaux
et les poissons , dont l'œil large et aplati remplit
assez exactement son orbite. Les premiers y sup-
pléent par l'excessive mobilité de leur tête portée
sur un cou long et flexible , susceptible de torsion ,
comme le prouvent si bien en particulier les mou-
DE LA VUE. 227
vements des oiseaux de niiit^ dont l'œil, selon
Sœmmerring le fils , est presque absolument fixe
aussi bien que celui de l'aigle. Pour les seconds ,
suspendus dans un milieu d'une excessive mobilité ,
et où le moindre mouvement fait varier leur position ,
c'est tout le corps qui change de direction avec
autant d'aisance et de promptitude que la tète d'un
oiseau , que l'œil d'un mammifère.
J'ai dit que nul vertébré n'avait l'œil immobile ;
on peut , en effet , reconnaître , par l'observation sur
des animaux captifs , les mouvements assez bornés , il
est vrai , de celui des serpents sous leur paupière im-
mobile et cornée, de celui des poissons sous l'épaisse
conjonctive qui le couvre et qu'il entraîne dans ses
faibles oscillations. Comme il est facile de l'imaginer,
la force des muscles de l'œil est en rapport avec les
effets à produire : on connaît les quatre muscles
droits de l'homme (^fig. o y ^ bien suffisants pour im-
primer à l'axe du globe oculaire des mouvements dans
toutes les directions imaginables, soit qu'ils agissent
isolément comme élévateur, abaisseur, adducteur,
ou abducteur de la cornée transparente , soit qu'ils
combinent leur action pour produire des mouve-
ments en diagonale : aussi ces muscles ne manquent-
ils jamais qu'aux vertébrés dont l'œil est atrophié.
Chez tous les vertébrés aussi il y a deux muscles
obliques , un supérieur et un inférieur, dont l'usage
nous semble avoir été inexactement indiqué ; ils rou-
lent évidemment le globe sur son axe , soit que l'un
d'entre eux soit réfléchi , comme le grand oblique
de l'homme f^fig. 51 et hlj et des mammifères,
dans une anse ligamenteuse, à l'angle interne de
228 DE LA VUE.
l'orbite, soit qu'il parte immédiatement de ce point,
comme celui des oiseaux et des reptiles. Il nous
paraît certain que leur fonction réelle est de main-
tenir l'axe de l'œil dans une direction constante eu
égard aux objets qu'il contemple, malgré les oscil-
lations , les balancements du corps et de la tète en
particulier; aussi ces objets semblent-ils osciller
eux-mêmes dès que les mouvements de la tête sont
trop forts, trop rapides , ou trop imprévus pour être
compensés par l'action des muscles obliques ; et
cette liaison d'habitude est telle , que la rotation de
l'œil ne saurait être opérée seule et sans les balan-
cements de la tête.
Les muscles obliques peuvent encore aider à la
vision comme antagonistes des muscles droits, en
tirant le globe en dedans et en avant , tandis que
ceux-ci le tirent en arrière ; mais ce n'est que
pour fixer cet organe , quand nous regardons avec
attention quelque objet très-menu. Le fait prouve
même que , en pareil cas , c'est le muscle droit
interne qui fatigue le plus , parce que , pour voir
de près, il faut diriger en dedans les deux axes
optiques : delà, la fatigue qu'on ressent vers l'angle
interne de l'orbite , après une observation longue et
minutieuse. Veut-on la preuve de cette action du
muscle droit interne? Qu'on fixe bien un seul œil
sur un objet placé à huit ou dix pouces ; qu'on ouvre
ensuite l'autre œil ; et constamment on apercevra
tout d'abord une deuxième image de l'objet, image
située du coté opposé à l'œil qu'on vient d'ouvrir,
mais qui se reporte rapidement sur la première pour
n'en faire plus qu'une seule ; il y a strabisme mo-
DE LA VUE. 2 '2 9
mentané. Cesi que l'œil fermé , et conséquemmeiit
en repos ^ est toujours dirigé tout-à-fait en avant par
l'antagonisme de ses muscles , et qu'il faut un effort
du droit interne pour porter en dedans l'axe opti-
que et le mettre en rapport direct avec l'objet qu'on
regarde.
L'antagonisme des muscles droits et obliques peut
bien aussi tendre la cornée , lui donner toute la régu-
larité de courbure nécessaire au parfait exercice de
ses fonctions; mais il ne nous paraît pas qu'il puisse
changer cette courbure , en augmenter la convexité ,
ou comprimer l'œil de manière à en allonger l'axe
antéro- postérieur. C'est de cette manière pourtant
qu'on a voulu expliquer l'aptitude de l'organe de la
vue à s'accommoder aux distances des objets qu'il
aperçoit, à voir distinctement à des éloignements si
différents que le foyer des rayons qu'ils émettent ne
saurait être à la même profondeur pour tous. Cette
question, qui se représentera de nouveau dans les
paragraphes suivants , ne nous arrêtera ici qu'autant
qu'il le faudra pour prouver l'insuffisance de la
théorie dont il s'agit. Une première preuve se tire-
rait des contradictions auxquelles a donné lieu cette
prétendue influence des muscles; pour les uns, les
obliques seuls servaient à l'élongation du globe , et
les droits à son raccourcissement; pour d'autres, il
fallait l'action simultanée des droits et des obliques ,
et l'allongement qui en résultait suffisait pour tout
expliquer. Cette dernière interprétation est celle qui
se présente avec le plus de vraisemblance , et mérite
du moins quelque examen. On prouve aisément,
par des expériences toutes physiques, qu'un objet
2o0 DE LA VUE,
lointain produit une image nette derrière une len-
tille de verre , à une distance bien plus courte que
si cet objet est très -rapproché; donc, si notre
oeil s'allongeait pour regarder un objet très-voisin
(Lecat), il pourrait eu recevoir nettement l'image
sur sa rétine , mise ainsi au foyer des rayons les
plus divergents ; et en se raccourcissant par son
élasticité naturelle , il ramènerait son fond au foyer
des rayons peu divergents ou parallèles émanés d'un
objet éloigné; mais il faudrait pour cela que les
variations en longueur fussent d'une ligne et même
plus, d'après la force réfringente approximative-
ment connue de la cornée et du cristallin (i). Or, cet
allongement, équivalent à un sixième de la longueur
de l'œil, comme l'a estimé Dulong, serait certai-
nement appréciable pour un observateur attentif , et
l'expérimentation ne démontre rien de pareil. D'un
autre côté , la sclérotique osseuse ou presque osseuse
des poissons , celle des oiseaux et des reptiles , garnie
d'un cadre de pièces osseuses ^gf. i^) -5, h Jj, incapables
de glissement j parle hautement contre cette théorie.
Mais si du moins la compression pouvait rendre
la cornée plus convexe , donnant plus de force ré-
fringente à cet organe , elle le rendrait apte à
ramener sur la rétine le foyer des rayons diver-
gents émanés d'un objet voisin ( Olbers ) : or,
on a attribué cet effet, comme le précédent , non-
seulement aux muscles dont nous avons déjà parlé ,
mais encore à de prétendus muscles situés entre la
choroïde et la sclérotique chez le rhinocéros ( H.
Leigli Thomas), entre la sclérotique et la cornée
(1) Voyez plus loin , § VI, A, c.
DE LA VUE. 231
chez les oiseaux de nuit (Crampton, Carus), dans
l'épaisseur même de la sclérotique chez la haleine
(Ramsome); mais il paraît qu'on s'en est laissé
imposer par des nerfs et des vaisseaux qu'on a con-
fondus avec des fihres musculaires , et l'iris est trop
faible pour agir de la même manière, ainsi que
l'ont voulu quelques personnes. Conjecture pour
conjecture , j'aimerais mieux encore attribuer à une
contraction de la cornée même ses changements de
forme , s'ils étaient réels , puisque Berzélius y a
trouvé de la fibrine. Mais les observations d'Young,
et celles moins minutieuses que nous avons faites
nous-mèmesurdes personnes douées d'une vue excel-
lente , ont prouvé que les images réfléchies par la
cornée ne changent point de dimension quand on
regarde près ou loin , ce qui devrait être si sa con-
vexité variait d'intensité. Young a poussé le soin
jusqu'à examiner, au microscope , la distance entre
les images produites par deux bougies , il n'a pu
reconnaître la moindre variation ; et il a répété l'ex-
périence sur la sclérotique pour prouver aussi
qu'elle ne change pas de forme , et que l'œil , en
conséquence , ne s'allonge ni ne se raccourcit. Enfin ,
on peut , par des pressions artificielles , essayer de
produire , sur ses propres yeux , des effets ana-
logues à ceux qu'on suppose dans cette théorie ;
mais on ne fera que troubler ainsi la vision, quel-
que circonspection qu'on y mette. J'ai également
tenté d'observer l'influence de ces compressions laté-
rales sur des yeux de lapins albinos ; je n'en ai vu
résulter aucune variation quand les membranes de
l'œil étaient suffisamment tendues ; mais , était-il
2o2 DE LA VIE.
flétri , la tension rendait aux images une netteté due
uniquement à la régularité de la courbe réfringente
(cornée) et de celle qui recevait l'image (rétine).
Outre des muscles droits et obliques pareils à
ceux de l'bomme , la plupart des mammifères en
ont d'autres qui se retrouvent encore chez plusieurs
reptiles : souvent (ruminants, solipèdes, etc. ) c'en
est un très-considérable qui , en forme d'entonnoir,
environne le nerf optique et la partie postérieure du
globe ; c'est le suspenseur ou choanoïde : d'autres fois
(carnivores), partagé en quatre portions, il double
les muscles droits. Les batraciens en ont un de plus
encore ; c'est une sorte de sangle musculaire qui sou-
lève l'œil , lorsque , dans un effort violent de déglu-
tition , il a été enfoncé vers la bouche , dont l'orbite
n'est séparée que par des parties molles assez minces.
Ces muscles sont animés par des nerfs spéciaux, nés
de la masse encéphalique , la troisième , la quatrième
et la sixième paire ; c'est une preuve de leur grande
importance , et l'on peut faire entrer cette particu-
larité en ligne de compte pour l'explication du rôle
important qu'ils jouent, et dans l'exploration du
monde ambiant, et dans l'expression des sentiments
qui agitent le moral.
§ V. Revêtement.
A, Nous avons dit quelque chose déjà des usages
attribués à la sclérotique ou cornée opaque , et à la
cornée transparente/ nous ne les considérerons ici
que comme servant d'enveloppe extérieure aux autres
parties du globe de l'œil , et nous n'en dirons même
que quelques mots , devant revenir sur ce qui con-
D£ LA VUE. 23B
cerne leur forme, leur courbure, au sujet de l'ap-
pareil de réfraction et de ses modifications tant
organiques que fonctionnelles. Quoique formant
ensemble la coque extérieure de Foeil, ces deux
membranes ne doivent pas pourtant être considérées
comme une seule qui aurait subi , dans une de ses
parties , quelque changement de contexture ; on a
reconnu , depuis long-temps , que ce sont deux pièces
distinctes et que la macération peut , même chez
l'homme, séparer dans leur suture, quoiqu'elle ait
plus de largeur que les deux membranes ne sont
épaisses , en raison de la coupe oblique des bords
par lesquels elles se touchent. A l'état frais , chez
l'homme et mieux chez le bœuf , on distingue
parfaitement les limites de l'une et de l'autre par
leur différence d'organisation, la sclérotique n'étant
qu'un feutrage de fibres albuginées , disposées pour
la plupart longitudinalement surtout en avant ; tandis
que la cornée est lamelleuse, au point même que
la membrane préaqueuse (membr. deDescemet),
qui s'en détache toutefois bien aisément dans l'œil
du bœuf , du chat , de l'homme , ne semble en
être qu'une lamelle plus dense , plus parcheminée ,
une sorte d'épiderme intérieur (^^gf. ^Ij. Cette dif-
férence de structure devient plus sensible après
quelque temps de macération dans l'eau, la cornée
se gonflant beaucoup alors et la sclérotique fort
peu. On sait d'ailleurs que , indépendamment de sa
transparence , la cornée conserve toujours une cer-
taine souplesse (i), tandis que la sclérotique, déjà
(1) Elle esl Irès-molle chez les serpenls; ce qui est dur el poli , au-dehors de
l'œil, c'est une paupiùre sans ouverlure.
234 DE LA VUE.
si épaisse et fibro-carîilagineuse chez les cétacés ,
devient dure et souvent osseuse chez les poissons,
et s'ossifie , du moins en partie , chez les oiseaux et
les reptiles; car c'est bien dans son épaisseur que
siège Tanneau de pièces osseuses qu'on observe près
de son union avec la cornée.
Si donc Ja sclérotique est un prolongement de la
dure-mère , il n'en saurait être ainsi de la cornée ;
et loin qu'elles soient une membrane continue et se
présentant seulement sous deux aspects différents,
on peut croire que ce sont deux organes séparés
par d'autres. Chez le bœuf, le mouton, il y a ,
dans l'enchevêtrement des fibres qui constitue leur
suture , infiltration de la même matière noirâtre
qui colore la conjonctive autour de la cornée et qui
est si abondamment imbibée dans le tissu de la
choroïde ; il semble donc qu'il y ait continuité
entre cette dernière et la membrane muqueuse , qui
est si évidemment une continuation de la peau ; et
cette continuité serait incontestable , d'après Cuvier,
dans le squale miîandre. On pourrait admettre , en
conséquence, que la conjonctive s'enfonce entre la
cornée et la sclérotique pour constituer la choroïde
et l'iris , dont la ruyschienne et l'uvée constituent
seulement une doublure analogue au corps muqueux
•de la peau et contenant aussi les organes sécréteurs
du pigment coloré. Il est à remarquer, en effet,
que le pigment manque à la fois dans l'œil et à la
peau chez les albinos. Ce que nous avons dit de la
continuité de la conjonctive à la surface antérieure
de l'œil , semblerait prouver aussi que la cornée est
du moins une production des couches les plus super-
DE LA \VE. 235
fîcielles de la peau , le système choroïdien en repré-
sentant les couches les plus profondes.
B. La cJioroïde et la ruyschienne sont deux feuillets
Lien distincts , sinon chez l'homme , du moins chez
lehœuf ,^^g. 57, f, gjj Féléphant, la haleine, les
oiseaux, les poissons, etc. La première offre ceci
de remarquable, qu'elle est resplendissante , imbibée
d'un vernis nacré chez les poissons, et séparée de la
deuxième par un corps vasculaire très -épais (rj;
que , chez les oiseaux , elle est cartilagineuse , et a
toujours été confondue avec la sclérotique fibreuse
et en partie osseuse , dont il est pourtant bien facile
de la détacher : elle semble , chez les poissons et
les reptiles , se continuer immédiatement avec le
feuillet antérieur de l'iris, également orné d'un
vernis brillant et d'aspect métallique. La ruyschienne
se continue, au contraire , avec l'uvée, et sécrète de
même un vernis opaque , foncé en couleur, ordi-
nairement noir et destiné à absorber un superflu de
lumière qui apporterait du trouble dans la vision.
C'est à elle qu'appartiennent plusieurs productions
particulières : tels sont d'abord les plis nommés
procès ciliaireSj et qu'il vaudrait mieux appeler jjrocè^
ruyschiens f^fig. 57, hjj formant, autour du cris-
tallin, une couronne simple chez l'homme et la
plupart des mammifères , double chez d'autres
comme le bœuf, et se continuant avec les plis radiés
de l'iris; plis très -peu saillants chez les oiseaux,
moins encore chez les poissons. Les procès ruyschiens
sont uniquement vasculaire s et n'ont rien de con-
(1) (Fig. S6J C'est la glande choroïdienne ; elle manque aux cliondro-
plcrygiens.
236 DE LA VUE.
tractile , rien qui leur permette , comme on l'a cru ,
d'avancer ou reculer le cristallin (Brewster); nous
nous en sommes bien assuré après Zinn , Sœmmer-
ring , etc. On peut croire , en conséquence , que
ces sortes d'épiploons en miniature servent à l'ab-
sorption et peut-être aussi à l'exbalation de l'humeur
vitrée ; ils s'enfoncent effectivement dans le corps
liyaloïde dont la partie membraneuse est bien déliée
et bien peu apte , en apparence du moins , à des
fonctions tant soit peu actives.
2° Cette opinion est rendue plus probable par la
présence d'un repli en forme de peigne j de bourse ,
d'éventail (oiseaux), ou de cloche (poissons), quel-
quefois de fil (caméléon, muge, etc.), formé dans le
fond de l'œil par la ruyschienne (^fig. 55jj comme
pour suppléer à la faible saillie des procès ciliaires
chez ces animaux. Nous ne saurions , du moins ,
attribuer d'autre usage à cette expansion plissée,
toujours teinte en noir, et qui s'élève de l'insertion
du nerf optique pour se diriger vers le centre du
cristallin. Comme le peigne est bien loin d'atteindre
à cette lentille chez la majeure partie des animaux
qui le possèdent , et n'a d'ailleurs rien de muscu-
laire , il ne saurait servir à la tirer en arrière pour
rapprocher son foyer de la rétine , bien qu'on lui
ait attribué cet usage : toutefois , comme il adhère
fortement au corps vitré , il peut contribuer à la
fixité, à la tension des parties intérieures de l'œil,
et Magendie observe , en effet , que l'œil des oiseaux
se fronce moins vite , que la cornée s'affaisse moins ,
malgré la transsudation de l'humeur aqueuse après
la mort , quand ce processus est coupé que quand
DE LA VUE. 237
il est dans son intégrité complète. Desmoulins le
croit destiné à soustraire une portion de la rétine
à l'impression des objets situés devant l'animal et à
mieux isoler les deux yeux ; mais , si on l'examine
en ouvrant l'œil encore placé dans l'orbite et dé-
couvert par en haut , on voit que sa direction n'est
nullement favorable à l'idée de ce physiologiste;
l'insertion du peigne , comme celle du nerf optique ,
représente une ligne dirigée d'arrière en avant et
un peu en bas , située hors du centre par consé-
quent , et son plan répond assez bien à l'axe de
l'œil, de façon à faire croire qu'il n'intercepte aux
faisceaux lumineux qu'un espace égal à son épais-
seur : il doit ainsi fort peu nuire à la vision ; car,
chez l'homme même , l'insensibilité du point où le
nerf optique s'insère , ne nuit pas à la netteté de la
vue. Toutefois, on peut croire que c'est pour sup-
pléer au trouble qu'apporterait sa présence lors d'un
examen attentif de quelque objet voisin, que les
oiseaux , en pareil cas , inclinent la tète en divers
sens, avec cet air de vivacité et de curiosité qu'on
leur connaît.
3" Beaucoup de mammifères ont une partie de la
ruyschienne dépourvue du pigment noir, et brillante
au contraire comme la choroïde des poissons ; cette
portion , ordinairement opposée à la pupille , située
par conséquent au fond de l'œil , porte le nom de
tapis. Elle est tantôt d'un blanc d'argent, tantôt
jaunâtre, bleuâtre, rougeâtre même (i). C'est en
(1) Ces colorations ne doivent pas produire plus d'effet , sur la vision , que
l'usage des lunettes bleues ou vertes chez une personne tout-à-fait accoutumée
à leur emploi. Il en est de même de la coloration du vitré , jaunâtre chez
beaucoup d'animaux, surtout de poisons ; l'un de mes yeux sans doute a été
238 DE LA VUE.
quelque sorte uu miroir concave légèremeut terni
par la rétine , mais qui peut pourtant réfléchir la
lumière si l'animal en reçoit beaucoup étant placé
en face d'un lieu éclairé ; il en résulte alors un éclat
d'autant plus vif qu'il sera environné , de tout autre
côté , d'une obscurité plus profonde : de là, la i^ré-
ienàue phosphorescence des yeux du chat sur laquelle
nous reviendrons ailleurs. Les ruminants , les soli-
pèdes ne sont pas moins bien partagés , sous ce rap-
port, que les carnassiers; le chien ne l'est guère
moins que le chat. Tous ces animaux voient mieux
que l'homme dans l'obscurité , et l'on peut penser ,
avec Monro et Desmoulins, que le tapis ajoute à la
force des impressions visuelles qu'ils peuvent rece-
voir, puisque la rétine est traversée deux fois parles
mêmes faisceaux ; il n'en saurait résulter de trouble
ou de confusion , puisque ces faisceaux , réfléchis en
avant , traverseront la pupille pour se jeter au-
dehors , ou se perdront sur l'uvée et les procès
ciliaires toujours garnis d'une épaisse couche de
vernis noir. Ainsi tombent les déclamations des
écrivains qui ont voulu trouver là une cause d'infé-
riorité entre les quadrupèdes et l'homme; certes ce
n'est pas ici qu'il faut en chercher.
C. l'iris est un diaphragme dont l'ouverture ne
permette passage qu'aux faisceaux lumineux propres
àproduire une vision régulière, et qui arrête , absorbe
tous les autres. A cet effet , il est pourvu d'une assez
grande épaisseur et doublé d'une couche de vernis
dans le même cas pendant quelque temps; je voyais alors la couleur jaune
beaucoup plus pâle de l'œil gauche que de l'œil droit ; mais je ne m'en aper-
cevais qu'en étudiant celle circonstance par iine comparaison très-attentive.
DE LA VUE. 239
noir qui ne manque que chez les albinos; aussi,
chez ces derniers , la vue est-elle rendue confuse et
péniblement affectée par l'éclat du jour, qui tra-
verse en partie les parois de l'iris comme il traverse
aussi l'épaisseur des paupières (i). L'uvée, c'est-à-
dire la lame postérieure de l'iris , continuation évi-
dente de la ruyschienne, offre presque constamment
des plis radiés qui en augmentent l'épaisseur , sans
gêner les mouvements qui nous occuperont tout-à-
l'heure (^fig. 57, iy'. La lame antérieure de ce
diaphragme, continuation de la choroïde (j), est
quelquefois épaisse et colorée comme elle (poissons,
reptiles ) , plus souvent elle est très-fine et si trans-
parente qu'on pourrait douter de son existence sans
les reflets qu'elle donne , même après avoir été bien
abstergée; elle se plisse d'ailleurs en rides concentri-
ques, du reste fort peu saillantes, quand la pupille
ou prunelle s'élargit , et cette souplesse , aussi bien
que les raisons déjà données de sa continuité avec
la choroïde et même la conjonctive, prouvent que
ce n'est pas une continuation de la membrane pré-
aqueuse , qui s'arrête manifestement vers la circon-
férence de la cornée.
La transparence de la lame antérieure de l'iris ,
chez les mammifères et l'homme, permet de voir,
comme à nu , un lacis admirable de vaisseaux et de
(1) On voit les éclairs même les yeux fermés, et l'on distingue parfaitement
ainsi l'obscurité des ténèbres; la lumière du soleil, quand elle traverse ainsi
les paupières, prend une couleur rouge comme quand elle traverse le bord des
doigts réunis : c'est la couleur du sang dont ces parties sont pénétrées : de là,
la couleur rouge que semblent prendre les caractères noirs d'un livre quand on
lit au soleil; l'image de ces caractères, tracés en noir, c'est-à-dire sans couleur
aucune, sur la rétine, est colorée en rouge par la lumière qui traverse et les
paupières et même la sclérotique et la choroïde : on comprend qu'il faut pour
cela qu'elle soit bien vive, bien intense.
240 DE LA VI K.
nerfs blanchâtres les uns et les autres, et qui con-
stituent ces dessins filamenteux, irrégulièrement
rayonnes, que tout le monde connaît; s'ils conservent
leur blancheur, laissant seulement paraître la nuance
foncée du pigment de Tuvée , ils donnent à l'iris une
couleur bleue ou grise ; si du pigment est disséminé
entre leurs filaments entrelacés, il en résulte des
yeux bruns , verdàtres , rougeàtres , comme on les
voit chez divers oiseaux et quadrupèdes, chez divers
individus de Fespèce humaine. Les nerfs nommés
ciliaires ou iriens partent , dans l'homme et les
mammifères, du ganglion ophthalmique, dépendance
du moteur commun et d'une branche de la cinquième
paire. Selon Desmoulins , les oiseaux , et notamment
l'aigle , ne reçoivent de nerfs ciliaires ( et ils sont
d'un très-grand volume chez celui ci surtout) que
de la troisième paire ou moteur commun ; il n'y en
a pas, dit-il, chez les poissons. Nous reviendrons ,
dans un instant , sur l'importance physiologique de
ces particularités anatomiques : finissons , en rap-
pelant que c'est Un véritable plexus très-serré et
à filaments très-fins, une sorte de ganglion, que
ces nerfs forment tout autour de l'iris et des procès
ciliaires en dehors delà choroïde; cette structure du
corps ou prétendu ligament ciliaire ne saurait être
révoquée en doute chez l'homme , pas plus que chez
le bœuf , le chat, le lapin surtout ; Scarpaet d'autres
anatomistes ont été certes bien fondés à le considérer
comme un ganglion.
Jusqu'à présent nous ne voyons dans l'iris que
des plis de membranes , que des stries vasculaires
et nerveuses qu'on a crues, bien à tort, les unes ou
DE LA VUF* 241
les autres, douées de contractilité ; cependant la
pupille s'élargit et se rétrécit ; donc l'iris contient
quelque organe de raccourcissement ou d'amplia-
tion ; l'augmentation des flexuosités dans les stries
susdites lorsque l'iris se rétrécit en agrandissant son
ouverture , selon la rémarque de Cuvier, prouve assez
qu'elles ne sont que passives dans ce mouvement ;
d'un autre coté , la vivacité des oscillations de la
pupille , la manière dont elles s'opèrent quand on les
observe de près , et surtout à la loupe , ne peuvent
en aucune façon être rapportées à une érectilité
comparable à celle de la verge , comme le voulait
Bichat ; on y reconnaît évidemment la soudaineté
des oscillations musculaires : l'écartemeht obtenu ,
dans des opérations exécutées sur l'homme même
( pupille artificielle j , lorsqu'on coupait l'iris dans
tel ou tel sens (Maunoir, Faure , etc. }, puis encore
l'action paralysante de la belladona appliquée sur la
conjonctive , et les mouvements décidés par l'appli-
cation du galvanisme sur l'iris d'un animal ou d'un
homme récemment mort, sur la tête d'un supplicié
par exemple ( Nysten } , ne permettent aucun doute
à l'égard de cette opinion , à laquelle sont favorables
encore les faits de contraction par irritation directe
ou presque directe durant la vie : ainsi , la cautéri-
sation de la cornée transparente chez l'homme
resserre la pupille ( Serre d'xilais); on a vu le même
effet produit en touchant avec un corps dur l'œil
d'une grenouille ( Petit ) , en portant sur la face
antérieure de l'iris une aiguille à cataracte chez
des chiens et des lapins (Carus). Et, en effet, il existe
dans l'iris un tissu contractile masqué par ceux dont
16
242 DE LA VUE.
il a été question jusqu'à présent et qui Font dérobé
aux recherches des anatomistes : ce tissu médiocre-
ment épais chez l'homme , le singe , le lapin , Test
beaucoup au contraire chez les ruminants : chez
tous, on peut le découvrir, l'étudier au microscope
en déchirant l'iris avec la pointe d'une aiguille ; et
même , sur celui du lapin , on peut découvrir les
fibrilles dont il se compose sans déchirement préli-
minaire , pourvu qu'on ait bien nettoyé les membra-
nes ou qu'elles se trouvent naturellement décolorées
(albinos). Le plus grand nombre de ces fibrilles est
disposé en rayons , et sans flexuosités ; des faisceaux
circulaires entourent la pupille (^fig, 58^ et lui for-
ment un sphincter dont la largeur égale à peu près la
cinquième partie de l'iris. Parmi les premières , les
plus antérieures , dans l'œil du bœuf , du mouton ,
sont attachées par petits faisceaux distincts et séparés
à la suture cornéo-scléroticienne , et représentent
une foule de cordages très-courts et très-rapprochés,
servant à tendre le diaphragme irien : les plus posté-
rieures remontent en arrière jusque sous le corps
ciliaire (^fig., 57, \lJ_, et peuvent ainsi donner beau-
coup plus d'ampleur à la pupille que ne le compor-
terait leur étendue , si elle était bornée à celle de
la face visible de l'iris.
J'ai parlé de fibrilles _, et , en effet , ce ne sont
point des fibres musculaires. Celles-ci, aussi grosses
au moins qu'un cheveu, sont toujours formées d'un
faisceau de nombreuses fibrilles que nous avons
pu souvent isoler par l'écrasement. Ces fibrilles,
transparentes et extrêmement déliées (^fig. ^9J j se
montrent tantôt linéaires, tantôt transversalement
DE LA VUE. 2^3
striées , élargies , crénelées sur les bords , tantôt
enfin ressemblant à un chapelet de globules : ces
apparences , la même fibrille les offre dans plusieurs
points de son étendue, du moins après la mort;
elles dépendent évidemment de leur contraction, mé-
diocre dans le dernier cas, très-considérablo dans le
deuxième, nulle dans le premier. Telles se présen-
tent les fibrilles de l'iris, telles nous les retrouverons
bientôt dans une autre portion de Torgane visuel , le
cristallin ; telles aussi nous les avons trouvées dans
la matrice de la femme hors l'état de grossesse , dans
les muscles des ascarides et même des lombrics et
des mollusques. On ne doit donc pas s'étonner que
Berzélius ait reconnu de la fibrine dans l'iris.
Non-seulement nous tenons à prouver ici que les
mouvements de l'iris sont musculaires , mais encore
qu'ils sont volontaires (r). Remarquons d'abord,
avec Desmoulins , qu'il reçoit ses nerfs , en tout
ou en partie , du même tronc qui anime la plupart
des muscles de l'œil , si évidemment soumis à l'em-
pire de la volonté ; que la section de ce tronc sur
un oiseau ou un chien paralyse Tiris et laisse la
prunelle largement ouverte ; que si ce nerf, enfin,
n'envoie point de filets à l'iris des poissons , la
pupille est sans mouvements chez ces animaux (2) ;
Cuvier le dit, et Sœmmerring le fils a exposé aux
rayons du soleil , concentrés à l'aide d'une lentille ,
l'œil d'un brochet vivant, sans déterminer aucun
(1) " Et ohservandum est , hune motum voluntarium esse dicendum , licet utplurimùm
à nobis ignorantibus peragatur ; neque enim ob hoc minus dependet , aut minus sequitiir
ex voluntate quam hahemus henè videndi. » Descartes, Dioplr. , cap. m.
(2) Les raies ont à l'iris une sorte de soupape qui peut être conçue comme
s'abaissant quelquefois sur la pupille ; ce fait n'a pas , que nous sachions , été
constaté sur le vivant.
244 DE LA VUE.
mouvement de l'iris. Cette membrane se montre éga-
lement peu et lentement contractile chez la plupart
des reptiles ; elle jouit, au contraire , d'une grande
mobilité chez la plupart des oiseaux, et l'on a tou-
jours cru que les perroquets la meuvent à volonté j,
parce qu9 , chez eux, les oscillations de la pupille
sont sans relation évidente avec les variations de la
lumière autour d'eux. Monro dit aussi que le chat
ouvre et ferme sa pupille à sa volonté ; ici du moins
ce n'est pas sans nécessité que ces mouvements
s'opèrent. Suivant Kieser , la prunelle d'un animal
dont on a coupé les paupières se contracte chaque
fois qu'il fait un effort inutile pour fermer l'œil.
Nous avons constaté plusieurs fois , sur des enfants
(et Cuvier le dit d'une manière générale), que la
pupille est resserrée , comme les paupières sont
fermées , durant le sommeil ; et cette remarque avait
été faite aussi sur la rainette par Petit. Pour l'homme
même, on ne peut du moins méconnaître que les
mouvements de l'iris ne sont pas d'irritabilité pure
et toute locale, puisque la lumière projetée sur lui
seul , et non sur la rétine , le laisse immobile : ce
n'est pas non plus un effet de sympathie directe et
immédiate , car il n'y a aucune relation anatomique
entre l'iris et la rétine ; nous nous en sommes minu-
tieusement assuré , et d'ailleurs voici des faits qui
prouvent que la contraction ou la dilatation de la
pupille sont des mouvements cérébraux , c'est-à-dire
influencés par le centre sensitif. 1" On sait que les
narcotiques agissent sur l'encéphale et en paralysent
les fonctions ; or, ils dilatent la pupille en soustrayant
l'iris à l'influence de la volonté et l'abandonnant à
DE LA VUE. 245
la seule élasticité de ses fibrilles , dont les rayonnées
sont les plus fortes , étant les plus nombreuses (i).
2" Observez avec soin l'une de vos prunelles, en
laissant l'œil toujours dans les mêmes conditions de
lumière , près d'un miroir par exemple ; couvrez et
découvrez alternativement l'autre œil , et vous verrez
les oscillations , déterminées par ces alternatives dans
l'œil qui y est exposé, se répéter aussi dans l'iris de
l'œil que vous tenez cependant à l'abri de toute va-
riation directe de la lumière : c'est que la volonté ne
saurait agir sur l'un sans agir sur l'autre , pas plus
que mouvoir simultanément les deux yeux dans deux
sens différents.
Ces mouvements de l'iris s'observent dans deux
circonstances distinctes où l'influence de la volonté
se manifeste également pour peu qu'on y réfléchisse.
1" La pupille s'ouvre dans l'obscurité pour saisir plus
de faisceaux lumineux; elle se resserre au grand
jour pour éviter l'éblouissement. Nous n'avons nulle-
ment la conscience de ce mouvement; notre attention
n'est pas indispensable pour qu'il s'opère , et l'on
croirait que la volonté y est étrangère ; mais n'en
est- il pas de même du froncement des sourcils,
de l'élévation des joues , du rapprochement des
paupières quand nous sommes exposés à un soleil
éclatant, à des réverbérations éblouissantes ? Faut-il
l'intervention d'une volonté nette et d'une conscience
attentive, pour cligner les paupières dans ce mouve-
ment perpétuel par lequel nous étendons les larmes
sur la cornée ? Certes , ces mouvements , la volonté
(1) Ce semblerait être le contraire chez les lapins et les coLaies , puisque,
d'après Desmoulins, la section du nerf optique produit chez eux, en même
temps que l'immobilité de l'iris , le resserrement de la prunelle.
246 DE LA VUE.
peut les exécuter; mais, à la longue, ils deviennent
automatiques ( i ) comme tant d'autres , ceux de
l'équilibre , de la marche , de la respiration , de la
déglutition pour la salive , etc. etc. ; ils nous sont
devenus insensibles par l'habitude : il en est de même
de ceux de l'iris ; et si ces derniers ne sont pas
appréciés par nous, c'est qu'ils produisent si peu de
frottements qu'il n'en saurait résulter aucune sensa-
tion distincte ou appréciable. 2° Si l'influence de la
volonté n'est ici que conjecturale, elle est incontes-
table (2) du moins quand nous regardons attentive-
ment un objet éloigné ou rapproché, dilatant la
prunelle dans le premier cas, la resserrant dans
le deuxième. Cette vérité est si bien connue, que
Lahire , Haller , Sabatier , Magendie , ont pensé
que c'était en cela seul que consistait le mécanisme
de la vision distincte à des distances différentes. Pour
nous , nous ne trouverons là qu'un phénomène tout
semblable à celui dont nous parlions tout-à-l'heure;
nous ouvrons la pupille pour les objets éloignés,
parce qu'ils envoient peu de rayons lumineux à notre
œil; tandis que, pour les objets très-voisins, une
ouverture beaucoup plus petite en reçoit tout autant
et davantage encore.
Quant à la manière dont l'œil s'accommode vérita-
(1) La présence d'un ganglion à l'origine des nerfs iriens peul-elle rendre cet
automatisme plus complet? Nous ne le pensons pas, puisque nous avons prouvé
plus haut que l'intervention de Tencéphale est constante dans la production
des mouvements de l'iris. C'est en confondant les mouvements automatiques
avec les mouvements involontaires, que Ch. Bell a pu croire que les mouve-
ments du grand oblique de l'œil rentraient dans celte dernière classe.
(2) De là des contradictions singulières dans le langage des physiologistes.
<" Les mouvements que la branche ciliaire de la troisième paire imprime à l'iris
sont involuntaù-es. ■• " Comnfie notre pupille se dilate ou se rétrécit
selon que nous regardons le même objet de près ou de loin , il faut bien que
noire volonté s'exerce , dans ce cas, àTiotreinsu. » (Desmoulins, p. 693 eiOdk.)
DE LA VUE. 247
blement aux distances, nous tenterons de l'expliquer
plus loin ; réfutons seulement ici la théorie qui fait
tout consister dans les mouvements de la pupille.
Invoquons successivement la théorie et l'expérience.
Un point très-voisin de l'œil , a-t-on dit , lance , sur
un espace donné du cristallin , des rayons bien plus
divergents que ne le fait un point éloigné , puisqu'à
un certain degré d'éloignement , les rayons peuvent
être considérés comme parallèles ; donc ces rayons
seront plus difficilement rapprochés par la lentille
cristalline dans le premier cas , plus facilement dans
le second ; le cône objectif ou extérieur sera moins
aisément converti en cône visuel ou intérieur dans
celui-là que dans celui-ci : rien n'est plus vrai.
Voici l'erreur: donc, ajoute-t-on , pour compenser
ces différences , il ne s'agit que d'intercepter, dans le
premier cas, les rayons les plus extérieurs , qui sont
les plus divergents et qui se réuniraient le plus loin
en cône visuel ; de les admettre , au contraire ,
dans le deuxième, et c'est ce que fait l'iris en se
fermant pour les uns et s'ouvrant pour les autres.
Mais la forme du cristallin, comme on le verra plus
loin , est telle que , au contraire , la réfraction est
bien plus considérable pour la périphérie que pour
les régions centrales , et même en considérant ses
surfaces comme sphériques, Vaherration de sphéricité j
loi d'optique bien connue , nous amènerait à des
résultats tout opposés à ceux qui viennent d'être
énoncés. Il est bien positif, en effet, que , parmi les
rayons partis d'un même point et qui tombent sur
une lentille, ce sont, non les plus centraux, les
moins divergents , mais au contraire les plus excen-
248 DE LA VUE.
triques qui éprouvent la plus forte réfraction, qui
se réunissent le plus tôt en cône derrière la lentille
(^fig. Qf6jj parce qu'ils tombent sur une partie plus
oblique de sa surface ; tandis que ceux du centre , y
tombant presque parallèlement à la perpendiculaire,
n'ont presque point de réfraction à subir ; aussi ces
derniers , Tnaïs ces derniers seulement j se comportent-
ils indifféremment de la même manière , qu'ils vien-
nent d'un objet lointain ou procbe : ainsi , un trou
d'épingle au travers d'une carte , permet , même à
un myope , de voir distinctement ce qui est très-
près et ce qui est très -loin de lui ; c'est pour cela
que les myopes rapprochent fortement les bords
ciliés de leurs paupières pour regarder au loin sans
lunettes , manœuvre dont le résultat est en partie ,
comme on voit , contradictoire à la théorie dont il est
ici question , et selon laquelle les myopes auraient le
plus grand avantage à ouvrir largement les yeux et
les pupilles. Ceci répond surabondamment à l'inter-
prétation que Mile a voulu tirer de l'expérience
susdite , en la rapprochant des phénomènes de dif-
fraction par les biseaux , phénomènes d'un ordre
d'ailleurs tout différent.
Voici d'autres observations non moins parlantes :
j'ai observé que la pupille change moins notable-
ment de dimensions dans de bons yeux que dans des
yeux myopes, et je ne sache pas qu'on ait jamais
attribué la presbytie et la myopie proprement dites,
à la dilatation ou à la constriction des pupilles ; ne
devrions-nous pas , dans la théorie de Lahire , être
myopes le jour et presbytes la nuit ? Chez des malades
opérés de la synezizis (oblitération de la pupille), et
DE LA VUE. 249
dont la pupille artificielle offrait trop de largeur, il
y avait trop grande sensibilité de Fœil à la lumière ;
mais des lunettes opaques, percées d'un trou mé-
diocre , ont rendu à cet organe toutes ses facultés
(Janin, Lallemand). J'ai vu un cas de mydriasis
( dilatation morbide de la prunelle ) d'un côté seule-
ment ; l'œil malade avait la même portée que celui du
coté opposé. SiMagendie a observé des changements
dans la portée des yeux dont la belladona avait dilaté
la prunelle , on peut se demander si la paralysie
n'avait frappé que sur l'iris (i); rien n'empêche de
croire que le cristallin aussi , et même la rétine ,
ressentent l'influence de cette application toxique
sur l'œil ; la section du nerf optique sur un animal
produit, comme celle de la troisième paire , l'immobi-
lité de la pupille (Mayo , Desmouîins, Flourens) , et
cette immobilité est un des symptômes de l'amaurose
ou paralysie de la rétine.
Quelques faits encore : dans une chambre peu
éclairée , la pupille se dilate , et pourtant il faut
approcher beaucoup les objets de l'œil pour les bien
voir. Je regarde une de mes prunelles dans une glace ;
l'autre œil est alternativement exposé et soustrait au
jour; par sympathie, l'œil que je regarde éprouve
des oscillations très-marquées dans la grandeur de
la pupille, et cependant je ne cesse pas de voir l'iris
avec la même netteté ; le foyer de réfraction n'a pas
changé. Enfin, un assistant observe les mouvements
de ma prunelle, tandis que je regarde d'abord une
(1) On pourrait même conclure des expériences dont parle Carus, que la
dilatation de la pupille n'a point alors pour cause une paralysie directe de
l'iris ; car il peut encore se contracter si on le touche par-devanl avec une
ajjuille à cataracte sur les chiens et les lapins mis en expérience.
250 DE LA VUE.
campagne très-éclairée mais lointaine , puis ( sans
presque changer de direction) un objet tout voisin
mais de couleur sombre; la prunelle augmente dans
ce dernier cas , ou tout au moins conserve les mêmes
dimensions.
Terminons ce qui concerne l'iris par quelques
remarques sur la forme de la pupille : arrondie pour
le plus grand nombre des vertébrés, elle est allongée
chez plusieurs, et cette forme nous paraît lui donner
plus d'aptitude au resserrement, à l'occlusion pres-
que complète , de même qu'à une ampliation consi-
dérable; aussi la rencontre-t-on notamment sur des
animaux nocturnes ou du moins qui , la nuit , voient
bien mieux que l'homme; leur prunelle s'élargit
alors à un point étonnant, et ajoute beaucoup ainsi
à cette faculté qu'ils doivent plus essentiellement à
la grande sensibilité de la rétine : de même , au grand
jour, cette sensibilité les exposerait à l'éblouis-
sement sans la réduction de l'ouverture destinée à
donner passage à la lumière ; on la voit effective-
ment alors devenir linéaire et s'effacer presque
entièrement ( chats , geckos , etc. ). Voilà pourquoi ,
sans doute , les oiseaux de nuit , les chauves-souris ,
les makis , etc. , dont la prunelle est ronde , ne peu-
vent pas, comme les chats, supporter l'éclat du
jour , car un cercle ne se ferme pas aussi facilement
qu'une fente ; sous ce rapport , les plus favorisés
seront évidemment ceux qui auront une prunelle
non-seulement allongée, mais terminée par des extré-
mités anguleuses comme les chats , et non arrondies
comme le cheval et les ruminants ; ceux-ci , et le
cheval surtout, ont, à la vérité, au bord supérieur
DE LA VUE. 251
de la pupille , des appendices imprégnés de vernis
choroïdien, bien propres à en diminuer la largeur.
D'ailleurs, ils ont moins besoin peut-être que beau-
coup d'autres de bien clore leur pupille, et ils
diffèrent effectivement des animaux essentiellement
nocturnes par la direction du grand diamètre de
cette ouverture. On sait qu'elle est verticale dans
l'œil des chats et de tous les animaux du genre felis,'
elle l'est chez le loup , le renard , les crocodiles ,
les geckos, les sonneurs (i) et accoucheurs ; elle
est transversale à l'œil des ruminants, du cheval,
de la baleine , des grenouilles , rainettes et crapauds.
Ces deux genres de forme , si singulièrement opposés,
peuvent- ils s'expliquer physiologiquement ? Nous
nous contenterons de faire observer que les chats ,
les crocodiles ont l'insertion du nerf optique , centre
visuel de l'œil , presque géométriquement centrale ;
qu'elle est très- écartée du centre géométrique do
l'œil chez les ruminants. La grande étendue trans-
versale de la pupille doit corriger en partie cette
excentricité ; elle doit permettre d'autant mieux
aux faisceaux lumineux de tomber au voisinage de
cette insertion, que la plus grande largeur de la
fente pupillaire est située en dedans , tandis que le
nerf s'insère en dehors ; nous reconnaîtrons plus
loin en quoi cette particularité est importante , et le
terme de centre visuel que nous venons d'employer
l'indique suffisamment déjà. En outre , les chats ont
les yeux moins latéraux que les ruminants et les
(1) Le iomhinator igneus l'a triangulaire ; celle du gecko mauritanicus est
crénelée ; celle du crocodile subrhomboïdale. Il y a de pareilles Variations de
forme dans les pupilles transversales : celle du nar^'^'al et du dauphin esl
réniforme ; celle des grenouilles, rrdneltes el crapauds , en losange.
^52 DE LA VUE.
solipèdes ; ceux-ci ne verraient point devant eux si
la pupille était ronde (i); et l'on conçoit que cette
disposition transversale augmente beaucoup le champ
visuel dans le même sens ; disposition bien utile à
des espèces timides et qui ont besoin d'une grande
surveillance pour échapper aux atteintes des ani-
maux rapaces : ceux-ci ont besoin de voir en avant
dans la poursuite, ceux-là de voir à la fois en
arrière et en avant pour surveiller l'ennemi , tout
en se dirigeant dans leur fuite.
§ VI, Réfraction.
L'appareil qui fait véritablement de l'œil un ins-
trument d'optique, celui qui dispose les faisceaux
lumineux venus du dehors de telle manière qu'ils
puissent faire , sur la rétine , des impressions régu-
lières et distinctes , est composé de parties de forme
et de densité différentes qui ont chacune leur utilité,
mais qui , concourant à un même but , ne doivent
pas être étudiées trop isolément. Les usages parti-
culiers de chacune d'elles ressortiront assez de leur
examen en commun , et nous verrons par là que les
avantages de leur multiplicité ne sont pas aussi bornés
que l'ont cru les auteurs qui n'ont vu là que celui
d'obtenir l'achromatisme , comme on l'obtient dans
les arts en disposant, dans un instrument d'optique,
des verres de densité différente. La cornée , l'hu-
meur aqueuse , le cristallin , le corps vitré , consti-
tuent, avec leurs annexes, l'appareil dont nous
allons nous occuper ici , et que nous envisagerons
successivement sous deux points de vue anatomiques
(1) Il en esl ainsi effeclivemenl pour le lapin.
DE LA VIE. 253
et physiologiques à la fois ; savoir, l'organisation et
la forme , avec les conséquences fonctionnelles qui
se rattachent à Tune et à l'autre.
A. Organisation^ et fonctions qui en dépendent. —
a. La cornée n'est point d'une nature épidermique ,
comme son nom semblerait l'indiquer ; bien qu'on
n'y voie point de vaisseaux dans l'état ordinaire , la
facilité avec laquelle se cicatrisent ses blessures
prouve assez qu'elle vit et se nourrit avec activité :
du reste, ce que nous en avons dit plus haut (pro-
tection ) nous dispense de plus amples détails sur sa
structure lamelleuse (i), sur la conjonctive qui se
confond avec elle en avant , sur la membrane pré-
aqueuse qui en constitue la surface postérieure.
6. Le corps vitré ou hyaloide est cette substance
transparente qui remplit le fond de l'œil et lai donne
la majeure partie de son volume. On constate aisé-
ment que c'est un organe formé d'une membrane
mince , pellucide , cloisonnée de manière à repré-
senter une sorte d'épongé. Les compartiments inté-
rieurs , prouvés par la consistance de ce corps qui
ne s'affaisse point quand on le coupe, ne sont pas
aussi visibles que l'enveloppe extérieure, plus épaisse
et que l'alcool rend promptement louche , opaque ,
tandis qu'elle ne produit que très-lentement le même
effet sur le reste de l'organe. Dans cette membrane
externe ainsi traitée , on voit à la loupe , et en
variant l'éclairage , des vaisseaux blancs , rameux
comme les capillaires sanguins , mais dont Ribes a
(1) C'est à cette structure que Peclet rapporte rapparence de raies parallèles
à une fente que traverse la lumière. Je crois que l'on pourrait plus raisonna-
tlement attribuer cet effet au cristallin , qui est parfois comme taillé à facettes
en raison de sa structure naturelle.
^54 DE LA VUE.
cru devoir nier Texistence parce qu'ils ne reçoivent
point de sang, et que ses injections n'ont pu y
entrer. Ces vaisseaux incolores sont , à notre avis ,
les véritables sources de riiumeur vitrée , et partant
de l'humeur aqueuse , que , d'accord eu cela avec
l'anatomiste parisien cité tout - à - l'heure , nous ne
croyons pas pouvoir être exhalée par la membrane
préaqueuse , où l'on ne trouve rien de semblable
à une membrane séreuse , ni par l'iris aussi peu
favorablement organisé pour de telles fonctions que
le reste du système choroïdien dont il fait partie.
L'anatomie nous apprendra aisément par quelles
voies l'humeur aqueuse peut passer du corps vitré
au-devant du cristallin, devant et derrière l'iris
(chambre antérieure et postérieure des anatomistes).
En effet, la membrane hyaloïdienne se dédouble
à la partie antérieure du vitré ; une portion plus
mince s'accolle à la partie postérieure de la capsule
cristalline , dont la dissection la détache néanmoins
avec facilité; l'autre, plus résistante, va se con-
fondre avec la partie antérieure de la même capsule,
dont elle augmente ainsi la force et la consistance.
Cette portion , plus externe et plus antérieure , s'ap-
pelle la couronne de Zinn ; entre elle et la première
existe , au pourtour du cristallin , un vide à coupe
triangulaire , c'est le canal de Petit que l'insufflation
peut distendre quand le vitré a été mis à découvert ;
mais cette opération apprend aussi que ce prétendu
canal est bosselé , plissé , et que , dans sa position
et avec ses rapports naturels chez l'homme et les
mammifères , il est véritablement partagé par des
plis nombreux et profonds dans chacun desquels est
DE L\ VUE. 255
logé un de^ procès ciliaires, ou plis épiploïques de la
ruyschienne ; si bien même qu'après la séparation
forcée de ces parties , il reste , sur la couronne de
Zinn et jusque dans le vitré , des traces de l'enduit
noir qu'y ont laissé ces procès ruyschiens ; de là, les
prétendus procès hyaloïdiens de Ribes , attribués
par de Blainville à une expansion de la rétine. Il
résulte de tout ceci : 1^ que les procès ciliaires ou
ruyschiens plongent dans le corps hyaloïde et peuvent
y repomper l'humeur surabondante ; comme le peut
faire , de son côté , le peigne des ovipares ; comme
le peut faire aussi , pour l'humeur aqueuse , la sur-
face postérieure , ordinairement plissée , de l'iris ou
uvée , qui contient des veines abondantes ; 2® que
le prétendu canal de Petit, ainsi partagé perpendi-
culairement à sa longueur, ne représente plus qu'un
assemblage de petits conduits parallèles très-courts
et dirigés d'avant en arrière , comme les procès
ciliaires qui les séparent. C'est par là que coule ,
selon nous, l'humeur aqueuse (^fig, 77, hj. Ribes,
ayant coupé la cornée d'un œil de bœuf, le sus-
pendit par le nerf optique ; toute l'humeur du vitré
s'écoula goutte à goutte par l'ouverture naturelle de
l'iris. Jacobson avait déjà reconnu que le prétendu
canal de Petit est percé en avant d'une multitude de
petits trous ; nous nous sommes assuré qu'en effet,
chez le bœuf, au point d'adhérence de la couronne
de Zinn avec la capsule cristalline , la première
semble s'effiler en une multitude de petites lanières
fort courtes, et dont les intervalles ne laissent passer
qu'avec quelque difficulté les bulles d'air , dans
l'insufflation dont il a été question plus haut.
556 DE LA VUE.
D'après ce qui vient d'être exposé , Fliumeiir
aqueuse et le corps vitré doivent jouir d'une puis-
sance de réfraction à peu près égale et de Lien peu
supérieure à celle de l'eau (Descartes); car la légère
viscosité de la matière limpide que laisse écouler le
corps hyaloïde n'en augmente guère la densité (i).
Toutefois , cette densité est bien supérieure à celle
de l'air , et cette réflexion est d'une haute impor-
tance quand on veut préciser, aussi rigoureusement
que possible , les usages de chacune des parties inté-
rieures de l'œil, du cristallin en particulier. Plongée
dans un milieu de cette nature , la lentille cristal-
line , dont le pouvoir réfringent est presque celui
du verre (Descartes ) , n'agit pas , à beaucoup près,
sur les faisceaux lumineux, comme elle le ferait
dans l'air atmosphérique ; sa force réfringente com-
parée à ce quelle serait dans ce fluide élastique se
trouve ici considérablement diminuée, son foyer
s'éloigne , et les images qu'elle produit sur la rétine
s'agrandissent d'autant. Il y a des cristallins si con-
vexes , si épais et si denses à la fois , que , dans l'air,
leur foyer ne sort point de leur épaisseur même ,
tandis que , dans l'eau (2) , ce foyer se trouve à plu-
sieurs lignes de la surface postérieure. Monro donne
pour les foyers d'un cristallin de morue pris alter-
nativement dans l'air et dans l'eau , les proportions
(1) D'après Monro , la pesanteur spécifique de l'humeur aqueuse est égale à
celle de l'eau distillée , et celle de l'humeur vitrée est à celle-ci comme 1,016
(bœuf) ou 1,015 (morue) est à 1,000. Mais Cuvier observe que l'humeur est
filante et visqueuse chez les poissons ; il est probable que l'apparence de visco-
sité , qu'on trouve au vitré des mammifères , tient , en grande partie , à son
réseau membraneux ; pressé entre les doigts, il les mouille comme ferait de
l'eau , ou tout au plus de l'eau très-faiblement gommée.
(2) Densité du cristallin , d'après Monro; :; 1114 : 1000 pour le bœuf;
" lI6o ; 1000 pour la morue.
DE LA VUE. 257
de : : o : 16. Pour celui d'un lapin, dont les foyers
ont été appréciés au moyen de Firnage du soleil ou
d'une fenêtre reçue sur un papier ou sur les parois
d'un vase de porcelaine , j'ai trouvé dans l'air une dis-
tance d'une ligne ^ji^ entre la lentille et l'écran destiné
à recevoir l'image ; dans l'eau, cette distance était de
six lignes : voilà des faits plus faciles à appliquer
au vrai mécanisme de la vision que des calculs abs-
traits qui conduisent si facilement à des applications
fausses ou exagérées. 11 y a, en effet, exagération
dans l'assertion des physiciens ou physiologistes qui
mettent presque de niveau les pouvoirs réfringents
de tous les milieux transparents de l'œil , de sorte
qu'une vésicule remplie d'eau devrait produire , à
peu près , les mêmes résultats que cet organe si
complexe dans sa structure. Est-il besoin d'avertir
le lecteur , qu'en attribuant ainsi au vitré et à l'hu-
meur aqueuse des effets atténuants , et en attri-
buant la force réfringente au cristallin seul , nous
employons le langage le plus propre à simplifier le
problême , à faciliter l'interprétation des faits ? Sans
doute, la réfraction est due aussi bien à la face pos-
térieure de l'humeur aqueuse , à la face antérieure
du corps vitré qu'aux surfaces correspondantes du
cristallin , puisque c'est au passage de l'un à l'autre
milieu que le phénomène s'opère ; mais , parler
ainsi, c'est comme si le physicien voulait expliquer
les effets d'un verre lenticulaire, en les rapportant
non au verre , mais à l'air qui le touche ; c'est cepen-
dant ce qu'on fait journellement dans les traités de
physiologie , du moins en ce qui concerne le corps
hyaloide.
17
258 DE LxV VUE.
c. Cristallin, Ce corps lenticulaire est contenu
dans une capsule aussi transparente que lui , et dont
la consistance , soit en avant soit en arrière , est
sub-cartilagineuse , comparable à celle de la pré-
aqueuse selon l'observation de Ribes; toutefois, nous
avons dit pourquoi , en avant , elle offrait plus
d'épaisseur , confondue avec la couronne de Zinn ,
comme le prouve Fassertion de Winslow qui dit
Tavoir séparée en deux lames. Il y a, au reste , con-
tinuité de substance entre la moitié antérieure et la
postérieure, et la gouttière circulaire que représente
leur réunion ne m'a rien offert de semblable aux
trous que Ribes a cru y voir , trompé, sans doute ,
par ceux de la couronne de Zinn; là seulement j'ai
vu, chez le bœuf, en retournant la capsule ouverte
et l'essuyant avec soin , des rides parallèles , très-
fines , suivant la longueur de cette gouttière , et
paraissant indiquer là des mouvements dont elles
étaient la trace. Chez le même animal , la demi-
capsule antérieure paraît peu ou point vasculeuse ;
la postérieure fait voir, au microscope, des rameaux
de substance granuleuse et diaphane, plus larges et
plus opaques vers la circonférence qu'en s'appro-
chant du centre ; je les crois nerveux , et je dirai
plus loin d'où ils viennent. Cette demi- capsule
postérieure reçoit aussi des vaisseaux blancs chez
l'adulte, souvent injectés de sang chez le fœtus,
comme nous l'avons maintes fois constaté , après
Ruysch , Zinn , Sœmmerring qui ont vu , décrit et
représenté une branche de l'artère centrale de la
rétine traversant le corps vitré et s'épauouissant der-
rière le cristallin. Ribes n'a pas pu l'injecter chez
DE LA VUE. 259
Tadulte ; c'est , sans doute, parce qu'alors elle n'admet
plus que des fluides blancs et partant très-ténus.
Dans le sparus erythnnus (fSigel) je vois une grosse
branche artérielle contourner le vitré , en rampant
sur la rétine , pour se jeter sur la demi-capsule pos-
térieure. Je n'ai pu, malgré tous mes soins, voir
passer dans cette capsule aucun rameau vasculaire
ou nerveux venant des procès ruyscbiens , bien que
Walter se porte garant de la première et que Young
conjecture l'existence de la seconde de ces disposi-
tions anatomiques ; bien que , d'ailleurs , il m'ait été
facile de distinguer, même sans injection, les grosses
anses flexueuses représentées par les vaisseaux de
ces replis, et que j'aie suivi, dans leur épaisseur,
des lilets assez volumineux partis des nerfs dits iriens
ou ciliaires avant leur arrivée dans le ganglion circu-
laire dont il a été parlé plus haut.
La demi-capsule postérieure n'en est pas moins
nerveuse et vasculaire , comme nous venons de le
voir; mais le cristallin en reçoit -il des nerfs et des
vaisseaux ? Young parle hypothétiquement des pre-
miers ; Zinn , Winslow , Meckel croient seulement
à Fexistence des seconds ; et la plupart des autres
anatomistes modernes semblent prendre le cristallin
pour une concrétion , une sorte de calcul flottant
dans Fhumeur de Morgagni. Cette humeur, qui le
baigne eff'ectivement, nous n'en avons reconnu l'exis-
tence qu'en avant, soit chez l'homme, soit chez
divers autres vertébrés , des poissons même. Il est
facile de s'en assurer en faisant baigner , une demi-
heure, dans l'alcool, un cristallin encore garni de
sa capsule ; les corpuscules albumineux que contient
260 DE LA VUE.
cette humeur prenant alors de l'opacité , on en dis-
tingue bien les fluctuations au moindre mouvement.
Ces mêmes corpuscules , dont les globules se réunis-
sent en filaments moniliformes , sont cause , durant la
vie , de ces apparences de rubans ou séries de petits
cercles comme imbriqués, de ces bandelettes de gaze
contournées en mille manières , qui semblent monter
et descendre devant l'œil quand il regarde les nuages
ou quelque autre surface blanche. Ces corpuscules
descendent par leur propre poids , et leur image nous
paraît aussi descendre , preuve certaine qu'ils sont
au-devant du cristallin dans lequel se croisent les
faisceaux lumineux envoyés dans l'œil par les divers
points d'un objet étendu : derrière le cristallin , ils
produiraient, sur la rétine , leurs impressions succes-
sives en sens inverse de celles des objets extérieurs,
et paraîtraient remonter (i). Il y a donc contact
médiat du cristallin avec la capsule en avant , contact
immédiat en arrière : mais il y a quelque chose de
plus ; en prolongeant la macération alcoolique et
procédant sous l'eau à la dissection , on voit qu'il y
a adhérence. Cette adhérence est filamenteuse, plus
forte vers le centre de la demi-capsule , d'où partent ,
en divergeant , des filets qui s'enfoncent si bien dans
la lentille qu'ils en décliirent quelquefois les couches
superficielles quand ou écarte les parties. Zinn avait
(d) Demours ayant fait sorlir, par ponction , toute Thumeur aqueuse , celle
4iume\ir se reproduisit promplement , et alors l'opéré revit exactement les
mêmes guirlandes, les mêmes dessins qu'auparavant : donc ces imaginations ,
comme il les appelle , n'ont pas leur cause dans l'humeur aqueuse , ainsi que
l'ont pensé quelques personnes. 11 est plus facile encore de se convaincre
qu'elles ne dépendent pas des stries formées par les larmes sur la cornée ,
comme semble l'avoir cru le savant Bre-vvster. D'après les recherches récentes
de Donné , les globules de l'humeur de Morgagni sont solubles dans l'ammo-
niaque ; il leur -attribue de 1/200 à d/100 de millimètre en diamètre.
DE LA VUE. 2G1
VU déjà une injection heureuse, sur un veau, péné-
trer, par deux ramuscules, jusque dans le cris-
tallin. Cet organe est donc, comme tous les autres,
pourvu de moyens de nutrition et d'animation : une
expérience curieuse m'a prouvé qu'il est effective-
ment susceptible de cicatrisation. A l'aide d'une
aiguille bien fine, je l'ai partagé en fragments sur
un lapin vivant, et l'aiguille est sortie de l'œil encore
enduite de la substance cristalline qu'elle avait
labourée en divers sens , en respectant , autant que
possible, la capsule. Le cristallin s'est complètement
cicatrisé; il était entier et transparent quelques
semaines après l'opération. Je ne parle pas des traces
d'inflammation , opacité , fausses membranes , etc. ,
que , dans d'autres expériences , j'ai fait naître et
dans le vitré et dans la capsule cristalline, preuve
de plus de leur vascularité révoquée en doute aussi
par d'habiles anatomistes.
Non - seulement le cristallin est vivant j mais il
jouit encore d'une organisation bien remarquable et
bien propre à expliquer des phénomènes autrement
inexplicables. On connaît depuis long - temps sa
structure lamelleuse et fibreuse ( ( ) , mais personne
n'a bien connu la disposition des lames et des fibres
qui le composent; et de là viennent les différences
qu'on remarque entre les descriptions de Zinn , de
(1) Leeuw enhoeck avait connu quelques-unes de ces singuTarilés oubliées
depuis, parce qu'on n'en sentait pas l'importance. Young avait entrevu les
sutiires dont il sera question plus loin. Brewster, observant, sans doute, des
cristallins desséchés, a publié aussi quelques observations exactes mais mêlées
d'erreurs sur celui de la morue, qu'il croit formé de bandelettes dentelées.
Enfin, Donné , postérieurement à nos remarques lues en J83o à rAcadémie des
sciences, a aussi fait connaître à la Société pliilomalique quelques recherches
du même genre.
2G2 DE LA VUE.
Pvuysch, de Young et d'autres encore. Chez VJiomme
(^fig. G2j j après un commencement d'opacité produit
par quelques instants d'immersion dans l'alcool , le
cristallin laisse voir , à sa surface , seize sutures
rayonnantes que la loupe et le microscope démon-
trent formées par la rencontre anguleuse des fibrilles
constituant l'organe ; il est à remarquer que ces seize
sutures ne se correspondent pas , mais alternent au
contraire sur les deux faces de la lentille , et l'on
peut s'assurer que chaque fibrille passe d'une face à
l'autre en se ployant sur la circonférence de cette
lentille ; que de plus elle se contourne un peu
en forme d'S , et se termine d'autant plus près du
centre à l'une des sutures , qu'elle commence , à
l'autre , plus loin de ce centre , et réciproquement.
En conséquence, l'assemblage de ces fibrilles ne
constitue pas des secteurs réguliers comme on l'a
cru, mais représente plutôt une lame ou tunique
continue. On se fera une idée de la constitution de
cette lame , si l'on imagine une ceinture divisée
en seize grandes pointes alternes sur chacun des
bords ; ces pointes étant inclinées l'une vers l'autre
et réunies par des sutures. Ces tuniques se répètent ,
avec la même forme , dans la profondeur de l'or-
gane ; mais elles m'ont paru diminuer le nombre
de leurs pointes et de leurs sutures à mesure qu'elles
deviennent plus intérieures ; près du centre , je
n'en ai plus compté que trois. C'est aussi de trois
secteurs que Jules Cloquet a trouvé composé le
cristallin de l'embryon ; Donné dit avoir observé un
pareil nombre à celui d'un fœtus de sept mois ; et ces
remarques sont bien propres à prouver que le cris-
DE LA VUE. 263
tallin s'accroît couche par couche ( i } , mais ne prou-
vent nullement contre la vitalité de cet organe , du
moins quant à ses portions les plus molles et les
plus extérieures.
Le hœuf et le mouton n'ont , à chaque face du
cristallin , que trois sutures également alternes
d'une face à l'autre : le lapin n'en a qu'une seule ;
elle est longitudinale, et la direction de celle de
devant croise la direction de celle de derrière : chez
plusieurs poissons _, quoique le cristallin paraisse
globuleux , il a aussi cette dernière structure ; mais
les sutures sont fort courtes, et les fibrilles sem-
blent , au premier abord , décrire des méridiens
régulièrement émanés de deux points polaires: cette
apparence est la réalité pour les couches intérieures
seulement. Cet organe, chez le poulet, offre une
structure non moins singulière; son noyau est longi-
tudinalement ovale , la superficie lenticulaire au
contraire : elle doit , en partie , cette forme à une
ceinture composée de fibrilles courtes et perpendicu-
laires comme celles qui constituent l'émail des dents.
Il sera curieux de poursuivre ces recherches , assez
faciles du reste , et peut-être en viendra-ton à des
résultats piquants sur les corrélations de la structure
avec les habitudes des animaux. Quant à l'homme ,
nous ne doutons pas que ces sutures ne soient,
(1) Quelques faits recueillis i)ar Sœmmerring le fils sur l'homme , par
Mayer, Leroy d'Etiolés et Cocteau sur le lapin , sembleraient prouver que le
cristallin est sécrété par sa capsule, et que , enlevé , il se reproduit de la cir-
conférence au centre; mais, dans ces expériences ou ces observations, s'est-on
bien assuré que le croissant , l'anneau ou la lentille informe qu'on a retrouvés
dans la capsule avaient la structure d'un cristallin ? Si c'était un produit
irrégulièrement organisé, s'ensuil-il que le cristallin ne soit aussi qu'una
concrétion presque inorijanique?
26i DE LA VUE.
comme Young l'a pensé , la cause des irradiations
que nous présente un point lumineux vu à de gran-
des distances , les étoiles par exemple : aussi , quand
on expose au soleil le cristallin du lapin , obtient-on
une lueur allongée si l'on place l'écran au-delà du
foyer principal. La disposition en languettes ou
pointes, des couches ou tuniques de la lentille qui
nous occupe, explique aussi certains phénomènes
de la myopie ; elle peut faire du cristallin une lentille
à facettes comme l'avait conjecturé Prévost. Ce phy-
sicien voyait , jusqu'à sept fois en même temps ,
l'image d'un point noir placé à quelque distance de
l'œil. Le même phénomène a été observé par le
docteur Mile, et je suis sujet moi-même à l'incon-
vénient produit par la multiplicité et l'incomplète
superposition des images, quand je regarde, sans
mes lunettes concaves, un objet quelque peu éloi-
gné : est-ce un trou de volet, le croissant de la lune,
la flamme d'une bougie, je puis compter jusqu'à
seize de ces images qui se débordent sur un plan
circulaire. Ce genre de myopie, si j'en juge par
moi-même , n'est point congénial ; il est dû au trop
fréquent emploi et à l'emploi forcé de l'œil dans
l'examen d'objets très-menus, dans les investigations
microscopiques surtout; c'est une première raison
pour croire le cristallin susceptible de contraction
puisqu'il peut se déformer ainsi ; mais c'est sur
des preuves plus parlantes encore que nous allons
appuyer cette opinion.
Nous avons, à plusieurs reprises, parlé àes fibrilles
dont l'assemblage régulier constitue les lames du
cristallin ; comme on peut aisément le penser,
DE LA VUE. 265
ces fibrilles sont transparentes , mais le microscope
les montre tantôt linéaires , tantôt , et plus souvent ,
moniliformes , telles enfin que nous avons déjà décrit
celles de l'iris fjîg. 59;. Ce sont donc , sans équivoque
et sans incertitude, des fibrilles contractiles qui doivent
donner à cette lentille la faculté de changer de forme ,
de devenir plus convexe en diminuant de largeur,
en se ramassant vers son centre , et de prendre alors
aussi une densité beaucoup plus considérable. Cette
opinion s'appuie sur ce que nous avons dit déjà des
vaisseaux et des nerfs qui se rendent à cet organe ,
et nous nous croyons mieux fondé à l'admettre
que Descartes , Home , Young , Arago et autres
qui l'ont adoptée sur parole , ou appuyée sur des
conjectures bien moins solides, ce semble, que les
nôtres. Cette contractilité ne saurait, en effet, être
appuyée que sur des probabilités ; on ne peut la
mettre enjeu d'une manière sensible à la vue d'un
observateur. Hunter , Young ont vainement tenté
de résoudre ce problême par l'application de l'élec-
tricité sur des animaux récemment morts : c'est que,
en effet, les changements de forme peuvent être peu
considérables , ceux de densité devant être comptés
pour beaucoup dans ces contractions. D'ailleurs,
il est de fait que , quand on regarde un objet très-
rapproché de l'œil, Firis devient plus saillant en
avant (Ribes): cela ne semble-t-il pas dépendre de
ce que le cristallin , devenu plus convexe , pousse
davantage en avant le bourrelet postérieur de la
pupille , bourrelet que , par parenthèse , Sœmmer-
ring a eu tort de figurer comme occupant la partie
antérieure du limbe de cette ouverture ? L'aspect
266 DE LA VUE.
même de la substance du cristallin , et surtout de ses
couches extérieures , rendues opaques par l'alcool ,
est , d'une part , si semblable à la chair musculaire
des poissons ou des crustacés blanchie par la coction ;
les analyses chimiques n'ont trouvé , d'autre part ,
entre cette substance et la fibrine, que des diffé-
rences si douteuses (Berzélius) , que l'on peut croire
à l'identité.
C'est à la faculté d'accommoder l'œil à la distance
des objets que cette contractilité de la lentille cristal-
line paraît être destinée , et les arguments que nous
apporterons à fappui de cette théorie ne seront
qu'une suite de ceux dont nous venons de parler.
L^invraisemblance déjà démontrée des autres théories
proposées à ce sujet, la facilité avec laquelle tout
s'explique en admettant que le cristallin devient
plus convexe, plus épais d'avant en arrière et plus
dense, pour l'inspection des objets très -voisins ,
qu'il se rétablit à l'état normal par sa seule élasticité
ou par celle de sa capsule (Young) s'il s'agit d'objets
éloignés , ne sont pas , sans doute , des preuves dé-
monstratives , mais sont du moins des conditions bien
favorables à l'adoption de ces idées. On explique
aisément aussi , de cette manière , la facilité que
donnent l'exercice et l'habitude pour observer, soit
de près, soit de loin, soit des objets très-menus; car
il en est alors du cristallin comme des autres muscles
du corps (Descartes): on explique également ainsi
la myopie acquise des horlogers, des graveurs , dont
le cristallin , perpétuellement contracté , finit par
rester trop convexe ou recevoir des dépressions dans
le sens de ses languettes principales. Ceci est d'au-
DE LA VUE. 267
tant plus probable que cette myopie peut n'être que
momentanée ; après avoir lu des caractères très-
menus , on se trouvera souvent incapable , pour
quelque temps, de bien distinguer les objets lointains.
La presbytie, au contraire , s'explique par la perte
de la contractilité qui survient avec l'âge dans le
muscle cristallin comme dans les autres : on a trop
exclusivement attribué la vue longue des vieillards
à l'aplatissement de la cornée ; l'opacité de son limbe
(arc sénile) a pu souvent faire prendre le cbange à
cet égard, en eiTaçant, pour ainsi dire, les limites
de la cornée et de la sclérotique. Enfin, ce qui est
bien plus positif encore , ce qui peut être regardé
comme fournissant un argument péremptoire , c'est
le résultat de Vopératîon dite de la cataracte. On a
dit hardiment, et Cuvier lui-même a cru que cette
soustraction du cristallin n'empêchait pas l'opéré de
voir à des distances différentes; mais ce n'était pas
là la question ; il s'agissait de savoir s'il voyait
nettement j et des expériences soignées ont prouvé
tout le contraire; à celles de Young et de Ware , de
Porterfield , je puis ajouter mes propres observa-
tions , et certifier que la faculté de voir nettement de
petits objets , de lire des caractères délies , n'existe
point ordinairement sans lunettes à verres convexes ;
qu'avec ce secours , elle est bornée , chez ces sujets ,
dans d'étroites limites , et que la vision distincte est
fixe et invariable quant à la distance où elle s'exerce.
C'est qu'en effet la lentille de verre , qui supplée
alors le cristallin absent, n'est pas, comme lui,
susceptible de varier dans sa forme à la volonté de
son possesseur. Dans un cas précisé par Janin ,
268 DE LA VUE.
l'opérée pouvait lire sans lunettes , mais seulement
à quinze ou seize pouces de distance , ni plus près ,
ni plus loin. A cette occasion , il est vrai , le même
oculiste parle d'un jeune homme qui, après l'opé-
ration, voyait à toute distance ; mais la lentille
cristalline n'avait pas été enlevée , on n'avait extrait
qu'une partie de la capsule congénialement ossifiée :
on sait (Morgagni, etc.), et nous l'avons constaté
nous-même , que la moitié antérieure de la capsule
est seule endurcie dans les cataractes dites osseuses
ou pierreuses; aussi affectent - elles la forme d'une
cupule concave en arrière. Nous laisserions cette
démonstration bien imparfaite , si nous négligions
de répondre aux objections qu'elle peut susciter.
1° Dulong, trouvant des difficultés dans toutes
les théories de la vision distincte j a fini par croire
que la netteté absolue des images peintes sur la
rétine n'était pas nécessaire pour la vision. La finesse
et la netteté même des détails que nous pouvons
aisément découvrir à l'œil nu , prouvent assez qu'il
n'en saurait être ainsi; le trouble qu'apporte, dans
la vision , un verre de lunette d'un numéro plus fort
ou plus faible , quoique d'une quantité très-petite ,
à moins qu'un effort intérieur , souvent difficile et
fatigant, ne puisse en compenser les effets, achève
de prouver la faiblesse de cette théorie avancée, pour
ainsi dire, en désespoir de cause. On peut voir sans
doute passablement , mais non nettement , si les
conditions d'optique ne sont pas exactement rem-
plies ; c'est une distinction sur laquelle Arago a
judicieusement insisté à propos d'un travail de
Maunoir sur cet objet.
DE LA VUE. 269
2° Deux savants distingués , le physiologiste
Magendie et le physicien Biot, ont fait ensemble,
sur l'oeil des lapins albinos , des expériences d'où il
résulterait que Fimage des objets placés à diverses
distances est toujours la même quoique l'on ne fasse
subir à cet œil aucun changement. J'ai répété ces
expériences avec tout le soin possible , en comparant
les images ainsi obtenues avec celles que donnait,
sur du papier gélatine , une loupe d'un foyer égal
à celui de cet œil (quatre lignes et demie) : j'ai
ainsi constaté que l'œil ne donnait jamais que des
images troubles , à cause de l'épaisseur et de la
demi-opacité du fond de l'œil ; un papier ordinaire
un peu mouillé m'en donnait de pareilles avec la
loupe ; et alors on ne distinguait plus , que bien
difficilement , les degrés de netteté des images , si
faciles à apprécier avec le papier gélatine ou le verre
dépoli.
D'ailleurs , ces images deviennent si petites , pour
peu qu'on éloigne l'objet (r), que cette appréciation
est presque impossible , à moins qu'on n'agisse sur
de grandes masses fort éclairées , qu'on n'observe
par exemple une campagne , des maisons exposées
au soleil et comparées avec des objets placés à quatre
pouces de distance environ. C'est ce que n'ont pro-
bablement pas fait ces savants dont l'autorité aurait
entraîné mon suffrage , s'il n'avait été pour moi de
toute évidence qu'en agissant alors sur des distances
(d) Un objet de cinq lifjnes de diamètre , à trois pouces devant l'œil de
lapin , donnait, sur son fond, une image de demi-ligne ; à quatre pouces , elle
était d'un quart seulement; àtrois ou quatre pieds, elle n'était plus perceptible
si l'objet ^lait opaque , même en la cherchant à la loupe ; et si c'était un objet
lumineux, il ne représentait plus ^u'ixn point.
270 DE LA VUE.
considérablement différentes , les différences de net-
teté, et par conséquent de foyer, devenaient con-
sidérables , même malgré les défavorables conditions
dont il a été question plus haut.
3^ Outre ces expériences, l'habile physiologiste
nommé ci-dessus appuyait encore , sur l'autorité
d'un astronome russe , son opinion que l'œil n'avait
pas besoin de faire varier sa force réfringente pour
voir à toute distance. Simonoff a dit, en effet, que,
depuis un demi-mètre , c'est-à-dire un pied et demi
environ , jusqu'à l'infini , les variations de foyer,
nécessaires pour conserver la netteté des images
dans un appareil de la force de l'œil humain , sont
si petites, qu'on peut les regarder comme nulles.
Mais d'abord il s'ensuivrait que , du moins depuis
cinq décimètres jusqu'à un décimètre , il pourrait
y avoir des variations considérables (i); or, l'œil ne
s'accommode pas moins bien à ces changements de
distance qu'à ceux des objets lointains. En second
lieu, il n'est pas vrai qu'après un demi-mètre, c'est-
à-dire un pied et demi , les variations de foyer seront
insensibles , surtout dans un organe aussi délicat
que notre œil : toute personne douée d'une bonne
vue peut s'assurer que le même œil qui voit deux
objets placés sur la même ligne, dans la direction
de son axe , à des distances différentes , n'a qu'une
image trouble du plus voisin s'il regarde le plus
éloigné, et une image confuse de ce dernier si
c'est le premier qu'il regarde ; cette expérience
(1) Entre trois pouces et dix-liuil pouces de dislance au-devant d'une lentille
de force égale à celle de l'œil humain , la différence du foyer est de sept lignes
à six.
DE LA VUE. 271
réussira aussi bien dans le cas où Tun des objets
serait placé à trois pieds et l'autre à douze , que si
l'un est à huit pouces seulement et l'autre à dix-huit
ou vingt-quatre. Ce fait bien connu , et de Lecat, et
l'on pourrait dire de tout le monde , suffit , à lui
seul , pour détruire tous les arguments des trois
objections précédentes.
4" Il en est de même de l'interprétation qu'a
donnée un physicien non moins réputé. Le cris-
tallin , dit Pouillet , étant composé ( et cela est vrai)
de couches dont les plus profondes sont les plus
courbes et les plus épaisses (^fig. 68^^ au point
que son noyau est presque globuleux, il doit avoir
un nombre infini de foyers pour toutes les zones
qui le composent du centre à la circonférence ; et
selon que la pupille se resserrera plus ou moins,
ce sera tel ou tel foyer qui donnera des images
nettes sur la rétine. Le savant auteur de cette hypo-
thèse n'a pas réfléchi que si cette théorie était appli-
cable à la vision des corps très-voisins , elle ne l'est
nullement à celle des corps éloignés ; la pupille ,
dilatée alors, laissant tous les foyers se confondre
et leurs images diffuses couvrir et brouiller celle ,
bien faible , du foyer convenable à la distance de
l'objet. Dans une lentille à courbures sphériques ,
jamais vous ne sauriez avoir l'image nette de la
flamme d'une bougie , au foyer des zones les plus
rapprochées de la circonférence , parce qu'elle est
offusquée , masquée par les rayons qui passent près
du centre , et ne doivent se réunir que plus loin :
cela est si vrai que j'ai obtenu cette image à un
foyer beaucoup plus court que le foyer principal ,
^272 DE LA VUE.
en couvrant la majeure partie de la lentille avec
un corps opaque, et ne laissant de libre qu'un
limbe étroit à son pourtour. D'ailleurs , nous avons
prouvé plus haut que les mouvements de Tiris ne
sont pas indispensables à la vision nette des corps
lointains ou voisins. Quant au cristallin , comment
concevoir que des couches exactement contiguës ,
quoique de courbure différente , agissent autrement
qu'un tout à substance continue ? Et ne sait-on pas
que c'est la forme des surfaces extérieures , de
celles où se touchent des milieux de nature ou de
densité différentes , qui agit essentiellement dans la
réfraction? Youdrait-on tirer parti de la différence
dans la densité des couches mêmes du cristallin,
qui va croissant de l'extérieur à l'intérieur ? Cette
dégradation insensiblement nuancée peut bien influer
sur la marche des rayons dans la lentille , mais non
lui donner des foyers multiples. Enfin , supposer au
cristallin des foyers nombreux , c'est évidemment lui
refuser un foyer principal; et pourtant il suffit
d'expérimenter avec un peu de soin sur des cris-
tallins frais et non déformés de divers animaux , pour
leur reconnaître un foyer principal constant et qui
n'est pas sensiblement changé par les dimensions
de divers diaphragmes apposés à sa surface. Les
variations qu'on produirait ainsi seraient même
indubitablement inverses de celles que Pouillet
suppose.
B, Forme en courbure des organes réfracteurs _, et
fonctions qui en dépendent. — 1° Cornée. Depuis
que l^etit a cherché à déterminer le rayon des
courbures dans les diverses parties transparentes de
r>E LA VUE 273
Fœiî (i), il a paru comme mathématiquement établi
que ces courbures étaient toutes de nature sphéri-
que , et c'est en partant de là qu'on a disserté
sur leurs fonctions. Toutefois , Demours avait déjà
reconnu qu'il n'en était pas ainsi pour la cornée
de l'homme , dont la courbure , selon lui , serait
hyperbolique ; Chossat accorde aussi cette forme
à la cornée de l'éléphant , mais dans le boeuf il a
déterminé , par des procédés rigoureux de physique
et de mathématique , le genre de courbure propre
à cette membrane ; la forme qu'il lui assigne est
celle d'un segment d'ellipsoïde de révolution autour
du grand axe de l'ellipse , ayant sa partie la plus
saillante un peu plus en dedans que le centre appa-
rent de la cornée même , de sorte que Vaxe physique
n'est pas identique avec Vaxe apparent , c'est-à-dire
celui qui traverse par le milieu toutes les parties
constituantes de l'œil, sans égard pour leurs courbes
particulières ffiq. 54^". J'ai reconnu la même forme
et la même obliquité à la cornée du mouton , à celle
du lapin ; toujours le sommet de l'ellipsoïde est un
peu plus en dedans (c'est-à-dire du côté du nez)
qu'en dehors. La même forme m'a paru celle de
Ja cornée du poulet, de la tourterelle que j'ai en
ce moment sous la main (2). Par l'inspection la
plus attentive , je crois pouvoir accorder aussi la
(U Voici les mesures que donne Cuvier , pour l'homme , d'après les obser-
vations de Petit et les siennes propres : rayon de la courbure de la cornée
O^jOl? ; de la courbure antérieure du cristallin 0™,016 ; de la courbure
postérieure du cristallin O^jOlS ; mais ces mesures ne doivent être considérées
que comme donnant une idée approximative de la plus ou moins grande con-
vexité de ces surfaces.
(2) Dans l'effraie, je trouve la cornée très-saillante , mais sa courbure est
«asses régulièrement spbéroïdale.
18
274 DE LA VIE.
forme ellipsoïdale à la cornée humaine ; c'est au
gros bout d'un œuf de poule que je la comparerais
(fig» 53 ); elle n'est point aussi voisine de la forme
conique que le ferait croire la détermination de
Demours (i) , mais il est facile de prouver qu'elle
n'est point sphéroïdale , rien qu'en considérant la
saillie si marquée qu'elle forme au-devant du globe
oculaire , et la pente douce et presque insensible par
laquelle néanmoins elle s'unit à la sclérotique : ce
qui prouve assez que sa courbure, très-intense vers
le milieu que nous nommerons le sommet j tend à
s'effacer de plus en plus du centre à la circonférence.
Voici une expérience qui le prouvera à ceux que
l'examen direct n'aurait pu convaincre : observez
sur le milieu ou le sommet de la cornée d'un homme
placé convenablement , l'image d'une fenêtre ou la
flamme d'une bougie qu'il regarde (2) ; commandez-
lui ensuite de tourner lentement ses yeux d'un autre
côté , de manière que cette image se rapproche peu
à peu du limbe ou base de la cornée ; vous la verrez
grandir peu à peu aussi , jusqu'à près de deux fois
en diamètre : or , on sait que plus un miroir courbe
est convexe, plus sont petites les images qu'il reflète.
J'ai constaté la même chose sur la coruQ^e du chat.
(1) Ce n'est que chez quelques individus qu'on observe un état de choses encore
plus A'oisin de la forme conique. La cornée est pointue chez certains sujets:
Scarpa en cite un exemple , et Williams Adams en a observé plusieurs ; il en
résulte toujours ufi troul)le de la vue , et le plus souvent une excessive myopie ;
à tel point que ce dernier praticien a conseillé d'enlever le cristallin pour
diminuer l'excès de force convergente de l'œil. Nous avons vu une femme chez
laquelle cette opération , faite pour une cataracte ordinaire , n'avait point
diminué l'excessive myopie à laquelle toute sa vie elle avait été sujette en raison
d'une pareille conicilé de la cornée transparente.
(2) Il n'est ici question que de l'image la plus vive , et non de celles qui
peuvent être produites par la face postérieure de la cornée et par la capsule du
cristallin peut-être.
DE LA TL'E. 275
Le principal effet de celte saillie de la cornée
est évidemment d'augmenter le champ yisuel , non-
seulement en avançant la surface destinée à recevoir
la première les rayons lumineux , mais encore en
présentant aux objets les plus périphériques un plan
de réfraction plus oblique et plus propre à les
incliner vers l'axe de l'œil, à les faire passer à travers
la pupille (fig. 63). C'est grâce à cette disposition
que nous voyons à nos pieds , à nos côtés et un peu
derrière nous , en haut et en avant , sans que l'œil
change de place : chez les oiseaux qui vivent au
milieu des airs et ont intérêt à découvrir simultané-
ment un grand espace , la cornée est portée fortement
au -dehors , surtout chez les oiseaux de haut vol
et les rapaces en général ; l'anneau osseux de la
sclérotique forme, chez eux, un cône tronqué quel-
quefois plus long que le reste du globe et portant
la cornée sur son extrémité : nul, sous ce rapport,
n'est mieux partagé que le grand duc dont l'œil,
dans son profil , représente presque une cloche dont
la culasse serait figurée par la cornée transparente
( Sœmmerring fils).
Les poissons , au contraire , vivant au sein d'un
liquide dont la transparence douteuse ne permet pas
à la vue de s'étendre bien loin , ont la cornée plus
ou moins aplatie ; moins pourtant qu'on ne Ta dit
généralement , parce qu'on l'a trop souvent examinée
après la mort de l'animal et avec un commencement
d'affaissement.
La forme ellipsoïde et presque parabolique de la
cornée a aussi son avantage, c'est de diminuer l'aber-
ration dite de sphéricité , comme l'a si bien démontré
276 DE LA VUE.
Descartes , objet sur lequel nous reviendrons bientôt
au sujet du cristallin.
2® Cristallin. Il est plus facile encore ici , que
pour la cornée , de reconnaître que la courbure des
surfaces n'appartient point à la sphère, et dans beau-
coup de figures même , les dessinateurs , forcés par
l'évidence, se sont mis en contradiction avec le texte.
La plus simple inspection , pour peu qu'on ait le
coup -d'oeil juste, démontre que le cristallin de
l'homme ressemble à un glohe comprimé _, comme l'a
dit Galien, c'est-à-dire qu'il aune coupe elliptique
(^fig, ôSy*/ mais les ellipsoïdes de révolution auxquels
appartiennent ses deux faces ne sont pas du même
genre que celui de la cornée ; bien loin de se rap-
procher de la forme parabolique ou hyperbolique ,
suivant l'opinion de Maitre-Jan et Sœmmerring fils ,
elles sont méplates j ou en goutte de suifj et on peut
les déterminer mathématiquement , comme l'a fait
Chossat pour le bœuf, des portions d'ellipsoïdes de
révolution autour du petit axe de l'ellipse. La courbe
est donc d'autant plus prononcée , plus convexe ,
qu'on se rapproche davantage de la circonférence où
elle se termine en constituant le bord arrondi de la
lentille cristalline. Le mouton, le lapin offrent évi-
demment des courbures du même genre , et je trouve,
chez plusieurs poissons, le cristallin, quoique d'appa-
rence globuleuse, un peu aplati d'avant en arrière;
beaucoup semblent toutefois l'avoir réellement sphé-
rique , et il en est de même d'un bon nombre de
reptiles (tortues, serpents). Sa surface antérieure au
moins a encore une forme méplate chez la plupart
des oiseaux que j'ai examinés , bien qu'il n'en soit pas
DE LA VUE. 277
de même de la postérieure. Voyons, aussi brièvement
que possible , ce qui doit résulter de cette forme
si générale , et dont on a jusqu'ici tenu si peu de
compte, même en physique.
Personne n'ignore aujourd'hui que les faisceaux
lumineux, partis d'une surface éclairée, se croisent
dans l'œil comme dans une chambre obscure , et que
l'image se peint renversée sur la rétine ; il suffît de
présenter l'œil d'un lapin blanc à une bougie allu-
mée pour en acquérir la conviction la plus complète:
on attribue avec raison cet effet à la pupille qui
agit à la manière du trou d'une chambre obscure
(flg. 60), mais il faut y ajouter l'action du cristallin
qui complète et régularise ce renversement comme
le font toutes les lentilles convexes, c'est ce qu'on n'a
pas assez fait remarquer. On n'a pas observé non
plus une autre particularité bien importante : c'est
que, dans l'expérience susdite, l'image n'est pas
moins nette quand l'objet est présenté obliquement
à l'œil que quand il lui est opposé face à face ,
quand l'image se peint vers le pourtour, que quand
c'est vers le centre du fond de l'œil ; qu'elle ne
devient même moins éclairée que tout près du bord
antérieur de la rétine, parce qu'alors la pupille ne
représente plus , pour des faisceaux lumineux très-
obliques, qu'une fente étroite au lieu d'une ouverture
circulaire , et n'en laisse passer qu'une quantité peu
considérable. Ce n'est donc pas à une diffusion des
pinceaux obliques , qu'il faut attribuer cette inap-
titude à bien voir les objets qui ne sont pas dans
l'axe de l'œil ; cette moindre sensibilité , que chacun
peut remarquer dans tous les points de la rétine autres
278 DE LA Y^E.
que le centre, nous en rendrons raison plus loin;
remarquons seulement ici qu'elle ne s'expliquerait
point par l'aberration de sphéricité , en supposant
les courbures du cristallin de nature spliérique. En
effet, si, pour des lentilles à courbures de ce genre,
il y a diffusion des pinceaux qui tombent oblique-
ment sur leur surface ( fig, 64 ) , ce n'est que quand
l'inclinaison est de dix à quinze degrés au moins
( Pouillet ) sur l'axe de la lentille : dans une certaine
étendue par conséquent , et non dans un 'point seu-
lement j les images sont régulières et nettes ; au-delà
de cette étendue limitée , elles né peuvent plus être
que troubles, même aufoyer principal: nous venons
de voir qu'il n'en est pas ainsi du cristallin. En expé-
rimentant dans l'eau ou dans l'air sur cette lentille
à coupe elliptique , après l'avoir extraite de l'œil
d'animaux divers, j'ai confirmé les résultats de l'ex-
périence ci-dessus notée ; j'ai vu que l'on obtenait
des images nettes , quelle que fut l'obliquité de la
ligne partant de l'objet éclairé ou lumineux pour se
rendre à la surface de l'organe. Un raisonnement
bien facile , et qui n'a pas besoin de s'appuyer de
calculs et démonstrations mathématiques suffit pour
faire concevoir cette particularité : la courbure va
croissant d'intensité vers la circonférence du cris-
tallin ; donc les pinceaux obliques à l'axe de la len-
tille tomberont toujours sur une partie de sa surface
presque perpendiculaire à leur ligne moyenne de
direction. Si, en raison de l'étroitesse de l'ouverture
pupillaire, les pinceaux obliques ne peuvent tou-
cher, sur la face antérieure du cristallin , une portion
très-convexe et dont le rayon soit parallèle à leur
DE LA VUE. 279
axe y ils trouveront cet avantage à la face postérieure
{fg» 65 ), et c'est pour cela que la face postérieure
a toujours plus de convexité que l'antérieure , si
l'on en excepte les chats (i) , dont la pupille fendue
de haut en bas est susceptible d'une énorme élar-
gissement qui met à nu presque toute la face anté-
rieure du cristallin. Une sphère complète, ou à peu
près, surtout si elle est assez petite pour offrira
une grande pupille presque la moitié de sa surface,
comme le cristallin des poissons , doit nécessai-
rement produire aussi des effets semblables, puisque,
dans tous les sens possibles , elle pourra recevoir
des rayons perpendiculaires à sa surface , parallèles
à ses axes qui sont innombrables ; mais alors il lui
faut un fond très-rapproché, et elle ne produit que
des images excessivement petites et peu propres à
donner des notions minutieuses sur des objets tant
soit peu éloignés.
Le grand avantage de VeUiptkité du cristallin
est donc d'augmenter le champ de la vision nette ,
et nous avons déjà vu que la forme conoïde de la
cornée offrait aussi , d'une autre manière , le même
avantage. Mais cet avantage est compensé par quel-
ques inconvénients , en apparence du moins. On sait
que l'aberration de sphéricité n'est point exclusive
aux cônes lumineux très-obliques , ceux-ci ne peu-
vent avoir un foyer régulier/ mais , même pour des
cônes lumineux parallèles à l'axe d'une lentille à
surface sphérique, il ne saurait exister de foyer
complet j c'est-à-dire rassemblant tous les rayons en
(1) Je trouve aussi la face postérieure plus convexe chez le caméléon et
plusieurs oiseaux. Ceux-ci ont généralement la pupille fort grande.
280 1>£ LA VUE.
un même point : cela vient de ce que , comme nous
avons eu déjà occasion de le dire , les rayons les
plus écartés du centre , tombant sur une partie de
surface dont la perpendiculaire est très-inclinée sur
l'axe de la lentille, seront fortement déviés , inclinés
vers cet axe , et convergeant avec plus de force que
ceux qui sont voisins du centre , se réuniront plus
promptement en foyer (i). Or, la disparate doit être
encore exagérée par la forme ellipsoïdale que nous
avons reconnue au cristallin , et Faberration devrait
être , sous ce dernier rapport , prononcée à l'extrême
dans Tœil des animaux vertébrés ; mais cet effet
défavorable est corrigé et singulièrement amoindri ,
1^ par la densité décroissante du cristallin, très-
dur à son centre , très-mou à sa circonférence (2) ;
2*^ par la présence de Virïs qui intercepte les rayons
les plus éloignés du centre ( fig. 66 ) ; 3® par la
nature de la courbure propre à la cornée transpa-
rente qui est plus convexe au milieu qu'alentour,
tandis que celle du cristallin est plus convexe à la
circonférence qu'au centre (fig. 67). Cette dernière
cause de compensation est très-efficace , mais on ne
l'appliquerait, à la vérité, bien justement qu'aux
(1) Démonstration: à une distance fixe de la flamme d'une bougie , placez
une lentille d'abord nue , ensuite garnie d'un diaphragme qui n''ea laisse de
libre que la région centrale , puis couverte , au milieu , d'un disque qui n'en
laisse libre que le limbe ; vous, trouverez que l'image de la bougie se formera
nettement, sur un verre dépoli, plus loin de la lentille dans le deuxième cas,
et plus près dans le troisième que dans le premier (fig.. 6iJ. Le foyer principal
est donc une moyenne résultant de la prépondérance numérique des rayons
intermédiaires aux centraux et aux extrêmes, et qui tombent seasihlement au
même point. ^. '
(2) Cette cause d'atténuation est peu puissante ; un cristallin délaché de l'œil
du lapin et laissé même dans sa capsule, montre, au soleil, une irès-forle
aberration de sphéricité , c'est-à-dire beaucoup de lumière diffuse autour de
l'image du foyer principal.
DE LA VUE. 281
mammifères. Achevons ce qui les concerne , en com-
mençant par eux pour ce qui a trait à la forme du
corps vitré et du fond de Fœil, ou du globe propre-
ment dit.
3° Corps vitré et fond de Vo^l. Chez les animaux
dont il vient d'être question , l'appareil cornéo-cris-
tallin, ou réfracteur proprement dit, n'a pas une
force de convergence aussi grande que chez les
autres vertébrés , aussi le globe de l'œil est-il géné-
ralement plus arrondi , proportionnellement moins
large et plus profond; on peut remarquer , au reste,
que nulle part ce genre de conformation n'est plus
prononcé que chez Thomme , et que, chez les autres
animaux mammifères , l'œil est d'autant moins pro-
fond que la cornée est plus saillante , le cristallin
plus épais, plus coovexe , parce que, en effet, le
foyer principal est alors plus rapproché de sa face
postérieure ([j. Indépendamment de ces particu-
(1) Comparez, pour preuve de ce , les figures de la table II dans Sœmmerring
fils fBe oculi sectione horizontnlij , quoiqu'on y doive soup(;onner bien des
inexactitudes; car il n'est pas facile de conserver les parties en place après une
section horizontale. Ce n'est aussi qu'approximativement qu'il faut admettre les
mesures suivantes , d'après Cuvier, pour les proportions en épaisseur , d'avant en
arrière , 1° de l'humeur aqueuse , 2" du cristallin , S" du vilré :
Homme 0,4,1a. Chien 5, 8, 8. Bœuf S, lit , 18. Mouton 2t, 11 , 12.
Cheval 9, 16, 18. Chouette 8 , 11 , 8. Hareng 1 , 5, 1.
Nous avons mesuré , pour l'homme, deux lignes deux tiers d'épaisseur sur
quatre de largeur au cristallin; on le figure, en général, trop mince;
Sœmmerring père et fils lui donnent à peine deux lignes, Zinn lui en accorde
trois. Chez le lapin , l'œil a sept lignes et demie d'un côté à l'autre, sept d'avant
en arrière ; le cristallin a trois lignes et un tiers d'épaisseur sur quatre lignes et
demie de large ; le vitré n'a que deux lignes et demie ; reste un peu plus d'une
ligne pour la cornée et l'humeur aqueuse , dont les chambres sont fort rétré-
cies , vu la grande convexité de l'iris poussé en avant par le cristallin. Il est à
remarquer que le fond de l'œil a ici beaucoup moins d'épaisseur que l'appareil
réfracteur ; c'est tout le contraire chez l'homme. Ce qui n'est pas moins remar-
quable , c'est la coïncidence du résultat de mes expériences avec la disposition
anatomique. L'appareil cornéo-crislallin du lapin , détaché avec précaution ,
m'adonne, dans l'air, son foyer principal à moins d'une ligne; mais dans
282 DE LA VUE.
larités de dimensions, et pour ainsi dire de masse,
l'œil des mammifères , et surtout de l'homme , oîfre
ceci de remarquable , que la distance entre la face
postérieure du cristallin et la rétine qui tapisse le
fond du globe , va graduellement en diminuant du
centre à la circonférence , diminution d'autant plus
rapide qu'on s'approche davantage des régions anté-
rieures ( fig. 53 ) : ceci concorde parfaitement avec
la courbure ellipsoïdale du cristallin, dont le foyer
principal est d'autant plus court qu'il correspond à
une partie plus convexe de sa surface. Il est évident,
en effet, que ce foyer sera fort loin de la lentille
pour son milieu aplati , fort près pour son pourtour
très -convexe. De là vient que le fond de l'œil
humain semble une sphère dans la paroi antérieure
de laquelle serait enchâssé et à peine enfoncé l'appa-
reil réfracteur essentiel ou cornéo -cristallin; tandis
que, chez le mouton, la face postérieure du cris-
tallin étant presque sphéroïdale , les foyers sont
presque de même longueur au pourtour qu'au
centre; delà, l'élargissement, l'aplatissement an téro-
postérieur de son œil , plus éloigné encore que celui
du bœuf de la forme globuleuse. Les animaux du
l'eau c'était à deux lignes et un quart , distance juste du fond de l'œil dans son
intégrité. Yoici d'autres proportions relatives à la forme extérieure de l'œil ,
d'aijrès Cuvier ; elles sont afférentes à ce qui a été dit dans le texte. Le diamètre
antéro-poslérieur est an iransverse :
Homme
, .. 157 : 156.
Singe
Chien :: 2!j- : 2S.
Bœuf :: 20 : 21.
Cheval :: 2Jj. : 23.
(En dedans ( Baleine :: 6 : 11.
d» la sclérotique.) ( Mai-souiii :: 2 : 5.
Chouette :: 13 : 12.
Autruche :: 4 : 5.
Vautour :: 13 : 16.
DÉ LA VUE. 283
genre cliàt ont l'œil plus globuleux , bien que leur
cristallin soit très-convexe; mais, à en juger du
moins par la figure de l'œil du lynx , donnée par
Sœmmerring le fils, leur rétine ne tapisse que la
partie postérieure de la sclérotique , pas même la
moitié ; elle ne peut donc recevoir que des faisceaux
réunis en foyers d'égale longueur, ce qui doit faire
présumer à leurs organes de réfraction des cour-
bures à peu près sphériques : tout ce que j'en ai
pu constater, c'est que l'aberration de sphéricité
produite par le cristallin du chat domestique est
très-considérable, même dans l'eau (i).
Ces variations , offertes par divers mammifères ,
nous préparent à ce que vont nous présenter les
oiseaux et les poissons. Chez les premiers (^fig. 55^^
une cornée très-saillante et très-convexe , et un cris-
tallin généralement plus épais , plus convexe que
celui des mammifères , constituent un appareil de
réfraction très-puissant, aussi l'œil est-il très-peu
profond, très-élargi. La sclérotique représente une
calotte de sphère creuse dont le bord est soutenu par la
grande circonférence d'un cadre osseux assez large,
un peu incliné en avant et dont l'ouverture antérieure
supporte la cornée. Ainsi le fond de l'œil, et par
conséquent la rétine , sont maintenus à peu près à
égale distance de tous les points de la face postérieure
du cristallin , au lieu de s'en rapprocher au pourtour
comme chez l'homme ; cette particularité s'explique
par la forme de cette face postérieure qui , loin d'être
(1) Avec ces courbures sphéroïdales , il y aurait eu inévitablement aberralioh
de sphéricité pour des faisceaux très-obliques , si la rétine n'eût été assez réduite
dans ses dimensions pour n'en pouvoir pas recevoir. Il s'ensuit seulement que
le champ visuel doit être peu étendu chez les fclis.
284 DE LA VUE.
aplatie vers son centre , comme l'est sa face anté-
rieure , se montre ( du moins dans le coq) conoïde ,
presque hyperbolique; il y a donc compensation
d'une face à l'autre , pour la longueur des foyers.
Il y a plus , cette compensation n'étant pas complète,
les foyers périphériques étant plus longs que ceux
voisins du centre , le fond de la rétine est nécessai-
rement un peu plus éloigné du cristallin vers le
contour de l'œil que vers son milieu. La figure de
l'œil du grand duc, donnée par Sœmmerring fils,
semble indiquer , chez lui , des courbures sphériques
à l'appareil cornéo-cristallin ; aussi a-t-il le fond de
l'œil et la rétine très-bornés comme dans les mam-
mifères du genre felis.
La disposition relative des parties et leur forme
nécessaire sont maintenues , dans l'œil des oiseaux,
en partie par le peigne ruyscliien dont nous avons
déjà parlé ailleurs, en partie par le cercle osseux
de la sclérotique et par la consistance cartilagineuse
de la choroïde ; une telle consistance était inutile
à l'homme , dont l'œil sphérique se soutient assez de
lui-même malgré la mollesse de ses enveloppes; elle
devenait plus nécessaire au bœuf, au mouton, au
cheval , aux cétacés , dont , effectivement , la scléro-
tique s'épaissit à mesure que le fond de Fœil s'aplatit
davantage ; elle ne l'était pas moins aux poissons
ffig. h^J y dont Fœil plat est, à cette fin, pourvu
d'une sclérotique osseuse ou presque osseuse. Chez
eux, la forte convexité du cristallin est tempérée,
dans ses effets de réfraction et de convergence , par
l'aplatissement de la cornée et par l'épaisseur plus
grande au pourtour qu'au milieu de cette membrane
DE LA VUE. 285
(chez le brochet surtout) , qui en fait une lentille
concave ou divergente. La forme sphéroïdale du
cristallin suppose un fond sphéroïdal aussi , pour
soutenir la rétine à distances égales dans toute son
ampleur ; c'est effectivement ce qui a lieu. Nous ne
devons pas entrer ici dans le détail des exceptions ,
et de celles que présenteraient surtout les reptiles qui
tiennent le milieu entre les oiseaux et les poissons ,
et se rapprochent tantôt des uns, tantôt des autres ;
il nous suffit d'avoir montré que l'on peut, aujour-
d'hui, donner la raison physiologique de toutes ces
diversités de forme et de structure , qui n'avaient
été, jusqu'à présent, l'objet que d'un étonnement
stérile.
D'après ce qui a été dit plus haut, on voit que,
quels que soient le volume et la convexité de l'œil ,
l'aplatissement ou la rondeur du cristallin , la con-
formité réciproque de ses parties n'en fait pas moins
un ensemble aussi parfait dans un cas que dans
l'autre; on a dit que le raton était myope (Kieser),
on a pu le penser du lapin; mais nous avons vu,
pour ce dernier , qu'il n'en devait pas être ainsi ,
puisque le fond de l'œil se trouve au foyer des
parallèles relativement à l'appareil cornéo - cris-
tallin. Sans doute il y a différentes portées de vue ,
et nous en avons dit quelque chose plus haut, il y
a surtout des différences dans l'étendue du champ
visuel; mais, malgré des configurations si diffé-
rentes , il ne parait pas qu'aucun vertébré , à l'état
normal , puisse être dit véritablement ou myope , ou
presbyte : ces deux états opposés , si fréquemment
observés chez l'homme , sont anormaux.
280 DE LA VIE.
La myopie , ou vue basse , peut être de première
conformation , tenir à une trop grande convexité
de la cornée , ou plutôt encore , ce qui n'a pas été
remarqué jusqu'ici, à un trop fort volume de Foeil
qui éloigne son fond du foyer des parallèles de
l'appareil cornéo- cristallin : en effet, les myopes
ont souvent les yeux gros , leur globe entier à feur
de lête j ce qui ne suppose pas nécessairement que
la cornée soit plus bombée. Ce vice de la vue peut
aussi dépendre, comme il a été dit plus haut, d'une
contracture habituelle du cristallin.
Quant à la presbytie, ou vue longue j nous avons
dit qu'elle paraissait devoir être attribuée à la rigi-
dité sénile et à l'impuissance du cristallin , très-dur
chez les vieillards , très-mou et comme gélatineux
chez les enfants. Si cette altération de la vue tenait,
comme on le pense , à l'aplatissement de la cornée ,
on ne voit pas pourquoi elle se bornerait à réduire
l'œil à la vision nette des objets éloignés ; elle devrait
finir par rendre ceux-ci impossibles à distinguer.
Il est évident , au contraire , que la presbytie ne fait
que changer l'œil en une chambre obscure invariable/
elle lui ôte seulement la faculté de voir à toute
distance , et en réduit la portée à celle du foyer des
parallèles.
On peut penser qu'il existe quelque chose de
pareil , d'un côté seulement , dans les cas de stra-
bisme où l'individu néglige l'œil impuissant et l'aban-
donne , pour ainsi dire , au caprice de ses muscles ( i ).
(1) Le strahisme n'est pas toujours dû à la même cause ; l'étude que nous
avons faite de cet état , considéré comme morhide, nous a conduit à en établir
quatre genres différents. 1'^ Les deux yeux conservant une égale portée quant à
rétendue peuvent être inéjjatix en sensibilité , en réceptivité , corairae disent
DE LA. VUE. 287
Si Tinégalité est peu considérable , comme il arrive
assez fréquemment aux personnes qui approchent
de la vieillesse et ont déjà un commencement de
presbytie , il en résultera une autre habitude non
signalée encore par les physiologistes , celle de re-
garder de côté, établissant ainsi une plus grande
distance entre l'objet et l'œil le plus affaibli. On ne
saurait attribuer cet état , ni le vrai strabisme , à une
obliquité du cristallin , comme l'a pensé Pravaz ,
puisque nous avons vu que cette lentille donnait des
images aussi parfaites obliquement que directement
présentée aux objets.
Quant à la portée différente de la vue chez diffé-
rents animaux, sans revenir sur ce qui a été dit
comparativement des oiseaux et des poissons , nous
ajouterons ici que, généralement, les animaux noc-
les Allemands ; alors il arrive souvent que l'œil faible est négligé , abandonné à
l'action prépondérante du muscle droit interne plus exercé que les autres,
ainsi qu'il a été dit ailleurs. C'est là l'espèce observée par Buffon , et donnée
pour la plus ordinaire , sinon la seule. 2° Les deux yeux peuvent avoir une
portée différente , l'un être myope et l'autre presbyte. Je connais plusieurs
personnes qui sont dans cette condition sans strabisme : une autre est affectée
de cette déviation ; mais aussi l'inégalité est portée chez elle à l'extrême ; l'œil
gauche est si myope qu'il ne sert de rien pour la vision des objets éloignés ; en
pareil cas il se tourne en dedans, tandis que l'œil droit regarde directement;
l'œil droit, en revanche , est presbyte , au point qu'il ne peut servir pour voir
de près, et se tourne , à son tour, en dedans quand l'œil gauche regarde un
objet voisin. Et cette alternative est devenue avec l'âge si naturelle, que, bien
que des verres convenables corrigent le défaut de l'un ou de l'autre œil , le
strabisme n'en a pas moins lieu de l'œil opposé ; l'habitude de ne porter l'allenlion
que sur les sensations d'un seul œil est telle, que la personne même, douée
d'un vrai talent d'observation, a érigé ce fait en principe contrairement à ce
que tout autre individu peut observer sur lui-même. 5° J'ai vu un autre sujet
affecté de strabisme , parce que l'un des deux yeux portait un nuage au centre
de la cornée ; et il y avait , dans ce cas , ceci de remarquable , que l'individu ne
louchait que quand il regardait un objet avec attention ; alors seulement il
sentait la nécessité de dévier l'œil imparfait ; il le négligeait pour l'ordinaire.
^1^° Enfin , il est un strabisme qui dépend du déplacement congénial ou forcé-
ment acquis du centre sensitif de la rétine et des points homologues de l'une ou
de l'autre de ces expansions nerveuses ; il en sera question plus loin , et nous
renvoyons, à cet égard, à une axitre note {roycz Rétine).
288 DE LA VFE.
tunies ont la vue moins étendue que les diurnes.
La raison dit qu'il en doit être ainsi , et l'anatomie
le prouve ; on a pu remarquer déjà , dans les détails
précédents, que le champ visuel des chats, des
oiseaux de nuit est peu large ; leur appareil réfrac-
teur est, au contraire, très-puissant, et doit plus
facilement s'accommoder à la vision hien nette des
objets très-rapprochés, chose essentielle dans l'obs-
curité durant laquelle ils agissent. L'œil de ces
animaux offre d'ailleurs une direction plus anté-
rieure , une ampleur générale et surtout une gran-
deur considérable de la cornée et du cristallin, bien
propres à recueillir une grande quantité de rayons
lumineux, cause essentielle de la difficulté avec
laquelle ils supportent la lumière du jour. La diffé-
rence est considérable, sous ces divers rapports,
entre l'œil du grand duc et celui de l'aigle , et plus
encore de l'autruche (Sœmmerring fils). Chez le
porc-épic et chez le rat, la cornée transparente
fait, à elle seule , la moitié du globe de l'œil (Blu-
menbach, Carus); il en est presque de même de
plusieurs autres rongeurs , le castor, l'écureuil ;
c'est une chose frappante que la largeur et de l'œil
et de la cornée chez le tarsier , les makis , les
geckos; les chauves-souris , qui ont l'œil petit, sem-
blent faire exception à cette règle , mais leur cornée
est aussi large à peu près que le globe même , et le
cristallin remplit presque le tiers de sa capacité.
Au reste , il est de remarque qu'ici , comme pour
l'oreille jusqu'à un certain point , l'organe n'est pas
en proportion de grandeur avec la taille de l'animal;
on sait que les grands animaux ont l'œil propor-
DE LA VUE. 289
tionnellement fort petit ; celui de la girafe est le
plus grand de tous ; mais la baleine et Téléphant
Font moins grand que le bœuf, et le bœuf le cède
au cheval. Toutefois Forgane de la vue devient,
absolument parlant, bien plus petit que celui de
l'audition , surtout chez les invertébrés : c'est qu'ef-
fectivement les rayons lumineux sont d'une tout
autre ténuité que les rayons sonores; et cette ténuité
explique aussi comment un œil de grandeur médiocre
peut très - convenablement suffire aux besoins du
plus gigantesque vertébré.
§ VIT. Sensation.
De même que le sens de l'ouïe , de l'odorat , dtt
goût, celui de la vue est animé par des nerfs
accessoires , outre celui auquel il doit son aptitude
réelle aux fonctions dont il est l'organe. Les nerfs
moteurs de la troisième paire se distribuent au
muscle élévateur de la paupière supérieure , à l'obli-
que inférieur ou externe de l'œil, à trois de ses
muscles droits , l'interne , l'inférieur et le supérieur,
et à l'iris , par Fiotermédiaire ou sans l'intermé-
diaire du ganglion ophthalmique. La quatrième
paire est destinée à l'oblique supérieur ou interne ;
la sixième paire au droit interne. Il faut compter de
plus les filets que le nerf facial donne au muscle
constricteur des paupières; et nous retrouvons en
outre ici encore une branche de la cinquième paire,
douant de la sensibilité tactile les paupières , le
globe de l'œil même , et présidant à l'activité sécré-
toire de la glande lacrymale. Il n'y a pas jusqu'au
nerf grand sympathique dont l'influence ne se fasse
19
290 DE LA VUE.
sentir sur l'œil , comme nous l'expliquerons ailleurs,
en raison de ses communications anastomotiques
avec ceux dont il vient d'être question. Mais le
véritable nerf de la vision, c'est celui de la deuxième
paire ou nerf optique , nerf oculaire proprement dit,
et dont la rétine n'est qu'une dépendance. Toutefois
nous examinerons successivement et séparément ces
deux parties , quant à leur disposition et à leurs
usages.
^. Nerf optique. Avant d'entrer dans les détails
de ses particularités anatomiques et des particula-
rités physiologiques qui s'y rattachent, commençons
par résoudre ce problême : Le nerf optique existe-t-il
toujours quand l'œil existe, et son existence est-elle
indispensable à l'exercice de la vue ?
Plus d'une fois déjà nous avons eu occasion de
parler de l'importance accordée au nerf trijumeau
(cinquième paire) par Serres, Desmoulins, Ma-
gendie ; les observations pathologiques du premier,
les expériences du dernier sur des animaux vivants,
prouvent effectivement que l'intégrité de la branche
ophthalmique de ce nerf est indispensable à l'inté-
grité de l'organe visuel et à l'exercice complet de
ses fonctions. Nous nous sommes suffisamment ex-
pliqué ailleurs, à ce sujet, pour pouvoir nous con-
tenter de dire que , de la nécessité de ces auxiliaires,
ne résulte pas leur aptitude à suppléer le vrai nerf
visuel, et le célèbre expérimentateur déjà cité nous
fournirait assez de preuves que la fonction fonda-
mentale appartient ici au nerf optique. Nul médecin
n'ignore que la destruction, l'altération d'une partie
quelconque de ce nerf entraîne la cécité , et que la
DE LA VUE. 291
cécité , produite par d'autres causes , entrame Fatro-
pliie du nerf. Magendie a même reconnu que son
ramollissement, sa profonde altération dans toute sa
longueur suivaient de bien près, chez les oiseaux,
la destruction du globe de l'œil.
Mais une autorité imposante , s'ajoutant à celle
des noms déjà cités, est venue appuyer cette opinion
que, dans certains cas du moins _, le nerf de la cin-
quième paire pouvait servir à la vision en l'absence
du nerf optique. Geoffroy-St-Hilaire a établi comme
positifs les faits suivants: 1^ la taupe, si souvent
réputée aveugle , bien qu'on ait de tout temps
connu ses yeux et l'ouverture extérieure des pau-
pières , la taupe y voit réellement , et son petit
œil offre en effet tout ce qu'on trouve dans l'œil le
mieux développé; 2° cependant la taupe n'a pas de
nerf optique , et c'est un rameau du nerf ophthaîmi-
que, branche de la cinquième paire, qui s'insère
au fond de l'œil.
Ce problême important, auquel Se rattache une
question générale grave en physiologie, celle de la
spécialité des nerfs, a dû nous occuper aussi, dési-
reux que nous sommes de ne donner à nos lecteurs
aucun fait appuyé seulement in verha magistrij
toutes les fois qu'il nous est possible de le vérifier.
Quelle que soit , d'ailleurs , notre conviction au
sujet de la haute capacité de pareils observateurs ,
voici notre opinion d'après des investigations répétées
de toutes les manières, avec patience et sans pré-
vention.
1« Des mouvements menaçants, exécutés sans
exciter de courant d'air bien sensible , n'épouvantent
292 DE LA VUE.
la taupe ni à un jour vif, ni à un jour médiocre , ni
à la lumière artificielle ; des obstacles posés sur sa
route Tarrêtent de front; elle s'y heurte. Si on lui
présente , à quelque distance , lorsqu'elle est affamée,
un lombric terrestre, elle ne l'aperçoit nullement;
si on l'approche à moins d'un pouce de son museau,
l'odorat l'avertit de la présence d'une proie pour
laquelle elle montre beaucoup d'avidité ; son grouin
s'agite vivement en tous sens, elle tâte et cherche à
droite , à gauche , en haut , en bas , et n'ouvre la
gueule pour saisir le ver à belles dents que quand
elle l'a touché de son museau long et mobile , ou lors-
qu'il est tellement près d'elle que l'odorat ne peut
lui laisser aucun doute sur sa position. Si, durant
ces manœuvres , on examine attentivement les yeux,
on ne les voit point s'ouvrir. Cependant, exposées à
l'air dans une caisse découverte , les taupes que j'ai
nourries semblaient rechercher les points les plus
obscurs; elles enfonçaient leur tète dans les angles,
tournant le dos au jour, et il m'a paru que cette
manœuvre ne tenait pas seulement à leur habitude
de fouïr, à leur grande sensibilité au froid (i) , mais
aussi au désir d'éviter la lumière qui, sans doute,
suffit pour les avertir qu'elles sont exposées à des
dangers auxquels elles étaient soustraites dans leurs
demeures souterraines (2).
J'ai disséqué l'œil avec tout le soin possible [voyez
fig. 69, 70, 71), et j'ai vu que l'ouverture des
paupières était fort petite relativement même aux
dimensions du globe de l'œil ; qu'aucun muscle diduc-
(1) Elles IremWaient à une tempéralure de 10 à 12° R.
(2) Des observations semblables viennent d'être publiées par Gabriel Pellelan.
DE LA VUE. 293
teur ne pouvait écarter les bords de cette ouverture ,
mais que la pointe de la cornée de l'œil pourrait
s'y engager si le globe était poussé en avant. Ce der-
nier mouvement m'a paru possible à exécuter au
moyen d'un petit muscle oblique interne : des autres
muscles de l'œil, il n'existe qu'un choanoïde mince
et propre à le tirer en arrière. Des glandes de
Meibomius , eu grappes aux deux paupières , indi-
quent une lubrifaction suffisante à d'aussi petits
mouvements. La cornée est bien transparente, pres-
que conique, et tellement convexe qu'elle suppo-
serait une myopie bien intense , si l'absence du
cristallin ne diminuait les effets de cette grande
puissance convergente. Geoffroy- S* -Hilaire croit à
l'existence de cette lentille que je n'ai pu apercevoir;
mais j'ai reconnu un corps vitré, une cboroïde, une
rétine. L'iris surtout a une largeur proportionnelle et
une régularité de forme qui supposent des fonctions
véritables.
En résumé, donc, je crois pouvoir dire que la
taupe y voit , mais de si près et si mal que ce sens
ne lui sert véritablement qu'à distinguer la lumière
des ténèbres. Il s'en faut donc de bien peu qu'elle
ne soit exactement dans les mêmes conditions que
les animaux dont l'œil est recouvert par la 'peau
amincie comme la clirysochlore , dont elle est d'ail-
leurs si voisine , ou conservant son épaisseur comme
le zemni ou mus iyphlus j le protée , la cécilie , le
typblops, l'amphisbène , l'acontias et même la taupe
des Apennins qui , quant au reste , diffère à peine
de la nôtre f^talpa coBca^ Saviy*.
2« Tout imparfaite qu'elle est, cette vue n'en
29^ I^î^ I-^ VLE.
est pas moins sous la dépendance du nerf optique.
Tous les anatomisies ont connu la portion de ce
nerf qui adhère à la base du cerveau et son cîiiasma,
représentant ensemble une sorte de commissure
transversale; beaucoup ont vu partir du cliiasma
des filaments , mais que quelques-uns ont dits cellu-
laires ou vasculaires (Serres). En disséquant sous
Feau et avec de grands ménagements, on ne peut
méconnaître que ces filaments , assez fins mais bien
visibles , ne soient les nerfs optiques , comme Font
pensé plusieurs savants d'x^llemagne (Kocli , Car us)
et de France (Cuvier, lîèg. an.). Je les ai parfaite-
ment suivis dans leur marche presque transversale
jusqu'à un trou assez étroit mais constant, situé,
comme de coutume, dans l'épaisseur de l'ingrassial
ffig. 72 , ccy". Ces trous optiques ont pu échapper
souvent aux investigations anatomiques, à cause du
grand écartement qui existe ici entre eux en raison
de la grande largeur de la selle turcique , à cause
aussi de leur petitesse et surtout de leur obliquité
considérable. Je n'ai point suivi le nerf à travers ce
trou jusqu'à l'œil, comme l'a fait Koch, mais j'en
ai vu assez pour être convaincu qu'il s'y rend. Déjà,
chez l'ours , le castor, le hérisson, les chéiroptères,
nous voyons diminuer à la fois le volume de l'œil et
celui du nerf optique. D'ailleurs, le rameau de la
cinquième paire ne s'enfonce point dans l'œil en
masse comme le nerf optique doit le faire , mais bien
en se disséminant en filets qui représentent évi-
demment les nerfs dits ciliaires ou iriens. Nous ne
doutons pas qu'en opérant les mêmes recherches
avec les mêmes soins , on ne put suivre les nerfs
DE LA VUE. 295
optiques avec plus de facilité dans tout leur cours
chez le rat-taupe du Cap , qui , au témoignage de
Serres (d'après Delalande), jouit d'une vue assez
étendue , et dont les yeux sont aussi bien plus grands
que ceux de la taupe de nos contrées : peut-être ,
avec de l'attention , arriverait-on au même résultat
sans de très-grandes difficultés sur les musaraignes ,
malgré leur petite taille , puisque Serres assure éga-
lement que leur vision n^est point douteuse.
Nés presque exclusivement des tubercules qua-
drijumeaux ou lobes optiques chez tous les vertébrés,
les nerfs de ce nom ne se comportent pas dans tous
de la même manière: chez les poissons, les deux
nerfs optiques se croisent par superposition (^fig. 74^
pure et simple : les reptiles ont , à la partie posté-
rieure du croisement, une arcade ou commissure
transversale, et la portion essentielle de chaque
nerf s'enchevêtre avec celle de son congénère , de
telle sorte qu'une portion de l'un traverse une bou-
tonnière de l'autre f^fig^ IQj : chez le caméléon
même , le nerf gauche semble traverser tout entier
celui du côté droit. La décussation est donc encore
ici bien évidente. Elle a pu sembler plus douteuse
pour les oiseaux et les mammifères ; mais des faits
d'atrophie propagée diagonalement de l'œil perdu
aux tubercules cérébraux du côté opposé (Sœm-
merring, Ebel, etc.), une anatomie minutieuse
chez de jeunes embryons (Serres), plusieurs oiseaux
(Petit), le cheval (Cuvier), divers mammifères
carnassiers (Desmoulins), le singe vert(Tréviranus),
et même l'homme ( Caldani , Wenzel , Mùller ,
Walker ) , nous forcent à reconnaître et la décussa-
296 DE LA VUE.
tion et la commissure transversale , et de plus , des
fibres marchant directement d^avant en arrière et
sans croisement {^fig. IbJ. Si Fusage particulier de
ces diverses portions n'est pas facile à conjecturer,
on verra ailleurs qu'il n'en est pas absolument ainsi
des divers points d'origine d'oii partent les racines de
ce nerf ; disons ici , en deux mots , qu'il ne paraît
rien emprunter à la couche optique (i), malgré
l'ancienne opinion et quelques apparences de pure
contiguité; disons que les tubercules quadrijumeaux
ou lobes optiques en sont les principales sources
(^^9- "^'^/j et que les pédoncules cérébraux, ou la partie
du cerveau quiavoisine leur insertion , peuvent aussi
leur donner quelques filaments : on sait , en eîTet ,
que le nerf optique adhère fortement à cette région
de l'encéphale avant sa décussation et à l'endroit
même encore où elle s'opère ; d'où l'erreur de Carus ,
qui pense que les petits nerfs optiques , observés
chez la taupe, naissent du plancher du troisième
ventricule plutôt que de la décussation des parties
postérieures.
Ce qui ressort le plus évidemment de tout ceci ,
c'est que , chez les vertébrés , le nerf optique
ayant des racines multiples dans différents points de
l'encéphale , nous pourrons sans invraisemblance
attribuer, à quelques-unes de ses productions, des
influences locomotrices ou relatives à la contractilité ;
on concevra aisément ainsi qu'elles ne sont pas plus
incompatibles avec les fonctions sensitives que dans
(1) Wrolik a rapporté l'observalion d'un enfant avengle , dans le cadavre
duquel on trouva une atroptie des nerfs optiques, des tubercules quadri-
jumeaux et des couches optiques; mais cel enfant était idiot et difforme depuis
les premiers temps de son existence.
DE LA VUE. 297
le nerf trijumeau , ou dans tout autre nerf sorti du
prolongement rachidien de l'encéphale.
Quant à la décussation, ou chtasmaj comme on
l'appelle en anatomie , deux avantages peuvent lui
être attribués phjsiologiquement parlant ; mais nous
allons voir qu'ils offrent bien des points douteux.
1" Cette fusion des nerfs optiques aide-t-elle à
confondre en une seule les sensations des deux yeux P
Une seule remarque suffit pour prouver l'inutilité
d'une pareille disposition anatomique pour obtenir
cet effet ; les deux oreilles ne croisent point leurs
nerfs et n'en apprécient pas moins l'unité d'un sou ;
c'est une opération intellectuelle que cette fusion.
D'ailleurs , quand nous voyons double pour peu que
les nerfs optiques soient dérangés, nous avons bien la
preuve que les sensations des deux yeux ne sont point
organiquement confondues dans le cliiasma, etc. etc.
2^ De ce que la décussation est partielle et non totale
dans les vertébrés supérieurs, il résulte évidemment
que chaque œilj même isolément impressionné j intéresse
dans ses opérations les deux moitiés de l'encéphale ^
et que , dans leurs sensations simultanées , ils doivent
doubler ou à peu près l'intensité des perceptions ,
en rendre l'appréciation plus vive , plus rapide , en
même temps que la fusion des deux impressions
reçues à la fois est plus facile. De là, sans doute, la
grande importance du sens de la vue dans la vie
intellectuelle de l'homme , importance telle que ,
chez l'homme sain et entier, presque toutes les
opérations mentales s'effectuent à l'aide des idées
ou images que ce sens fournit ou a fournies à l'in-
tellect. C'était une conception bien plus étroite et
298 DK LA VUE.
d'ailleurs fausse, que Wollaston avait tirée de ce fait
anatomique qu'il n'admettait même que par hypo-
thèse. Wollaston avait été sujet à Vhémîopsie j et
tin autre savant non moins distingué , Arago , en a
éprouvé passagèrement aussi les atteintes : dans cet
état , comme le savent bien les pathologistes , on ne
voit plus que la moitié des objets ,- du moins c'est
ainsi que s'expriment les malades, et c'est le plus
souvent une moitié latérale qui est ainsi soustraite
à la sensation : or , comme la même moitié d'un
objet visible qui frappe le coté externe d'une des
rétines, frappe nécessairement l'interne de la rétine
opposée, \Yollaston, pensant que dans l'hémiopsie
il y a affection d'un des nerfs en arrière de l'entre-
croisement , en concluait que chacun d'eux se divi-
sait dans le chiasma en deux parties égales , l'une
allant directement former la moitié externe de la
rétine de son côté , l'autre marchant obliquement au
contraire vers la moitié interne de la rétine du côté
opposé. De là vient, ajoutait-il, que nous voyons
comme simple , parce que nous le voyons par un
seul nerf, tout objet qui frappe à la fois ces deux
moitiés héléronymes des deux yeux , comme cela
doit naturellement arriver pour tous les objets visi-
bles d'après les lois de l'optique. L'œil du lapin où
le nerf optique se divise en deux bandelettes laté-
rales pour former la rétine ; le partage en deux
moitiés que Serres dit avoir observées dans l'embryon
très -jeune de plusieurs oiseaux et mammifères,
pour le nerf même , appuieraient celte opinion ingé-
nieuse ( i) ; disons ce qui nous a empêché de l'adopter.
(i) Yoki encore un fait qu'on pourrait ciler en sa faveur; mais il est facile
DE LA VUE. 299
Déviez , par une pression latérale , un des axes
optiques , et les objets vous paraîtront doubles ; vous
diriez, avec Wolïaston , que, par cette déviation,
vous avez mis en rapport avec l'objet deux moitiés
de rétine provenant des deux nerfs et non d'un seul;
mais, si la déviation est peu considérable, il est
clair qu'elle ne suffit pas pour empêcher l'image
d'un même objet de tomber sur deux portions de
rétine supposées émanées de la même souche , et
pourtant vous y voyez double. Il y a plus , opérez
la pression en haut ou en bas de l'un des deux yeux,
vous y verrez double également sans avoir aucune-
ment changé les rapports des deux moitiés latérales
de l'œil avec celles de l'autre œil; donc, ce n'est pas
à cause d'une division organique en deux moitiés que
nous voyons simples les objets peints dans les deux
} eux , c'est en raison de Vhahitude qu'ont certains
points de la rétine de sentir ensemble : ces points
sy nés ihé tiques se sont , aussi bien que ceux qui leur
correspondent dans le sensorium j harmonisés en-
semble par l'effet de l'éducation ( j ) , qui nous a
appris que , toutes les fois que la même image se
produit à la fois sur ces points , elle répond à un seul
objet et équivaut à une seule image. J'ai d'ailleurs
moi-même éprouvé l'hémiopsie nerveuse et passa-
de scnur, ixmr peu qu'on y réfléchisse , qu'il n'est pas concluant. Une dame
de Lcaucoup d'esprit et de sens, devenue aveugle par suite d'un double glau-
come, me disait voir constamment (dans l'obscurité comme au jour) une
lueur blanche en dehors de l'œil gauche et une barre noire en dehors aussi à
l'œil droit.
(1) Ce qui a déterminé cette synesthcsie , c'est la nécessité où nous sommes de
fixer toujours le même point, le point central des deux rétines , sur l'objet
que nous voulons examiner; la fixation de ces deux points détermine la
fixation simultanée de tous les autres , et parlant leur habitude de sentir en-
semble.
300 DE LA VUE.
gère dont il a été question plus haut ; mais il ne m'a
nullement paru rationnel d'en déduire les mêmes
conséquences que le savant physicien anglais ([).
B, Rétine. Le nerf optique n'est nullement diffé-
rent de la plupart des autres ; c'est , dans beaucoup
de poissons et d'oiseaux , un écheveau de filets bien
distincts ; d'autres fois ils sont réunis en une sorte
de nappe longitudinalement plissée ( Malpighi ,
Desmoulins, etc.) : chez les mammifères, ce n'est pas,
comme l'ont dit P\eil et Cuvier , une masse perforée
de canaux parallèles , remplis de substance nerveuse ;
c'est un assemblage de filets nerveux un peu adhérents
entre eux au moyen d'une cellulosité pourtant assez
lâche , et l'œil nu le reconnaît très-bien chez le bœuf;
mais le microscope apprend que chacun de ces filets
est formé d'une réunion de filaments bien plus fins
et composés eux-mêmes d'une série de globules ner-
veux. Cet assemblage est , au reste , entouré d'un
double névrilème ; le plus épais , suite de la dure-
mère , se confond avec la sclérotique ; le plus fin est
une continuation de la pie-mère et peut-être de la
choroïde; en effet, il est un peu noirci aux approches
de l'œil , et on trouve aussi du pigment noir entre
(J) Il y avait en même temps une hémicrânie (migraine) assez forte. Je
commençai par ne point voir la lettre que je traçais en exécutant ma signature,
puis à -peu près la moitié du champ visuel à ma gauche cessa d'être visible , l'œil
droit paraissait être seul affecté ; il y avait douleur profonde dans l'orbite de
ce côté-là ; toutefois , en regardant de l'œil gauche , l'obscurité couvrait encore la
moitié du champ visuel , mais à un moindre degré ; et , ce qui est à remarquer,
l'œil droit, ainsi clos , voyait comme en feu et en mouvement tout l'espace mal
distingué par l'œil ouvert. J'en ai conclu qu'il n'y avait de malade qu'une
partie du côté externe de la rétine droite , et que l'œil droit ne troublait la vision
du gauche qu'en reportant au sensoriuiu ses sensations morbides avec les
sensations normales de son congénère. Je m'en suis assuré plus lard par l'expé-
rience ; car j'obtenais les mêmes effets en dirigeant , sur la même partie de la
rétine, le reflet brillant d'un miroir.
DE LA VUE. SOI
les principaux filets qui cri!)leî)t la sclérotique et la
choroïde pour s'épanouir dans l'œil en formant la
rétine.
Ce n'est pas par conjecture , mais d'après l'in-
spection directe que nous établissons la continuité
du nerf et de la membrane médullaire de l'œil, bien
que le premier se resserre notablement au moment
de traverser les enveloppes du globe oculaire. Les
filaments de l'un sont clairement la suite des fila-
ments de l'autre : nous l'avons reconnu facilement
chez le bœuf, plus facilement chez le lapin, qui
avait fourni la même remarque à bien d'autres ana-
tomistes ; et nous verrons bientôt jusqu'à quel point
l'analogie fournie par les animaux invertébrés est
favorable à cette assertion et contraire à celle de
Desmoulins, qui ne veut voir, dans la rétine, qu'un
organe à part , une membrane pulpeuse , et seule-
ment soudée au bouton terminal du nerf optique.
Cette opinion concordait assez bien avec celle d'une
forme purement membraneuse , d'une agrégation
irrégulière de globules disposés sans ordre , attri-
buée à la rétine par beaucoup d'anatomistes , et
récemment encore par Lauth. Cependant Valsalva,
Morgagni , Haller avaient reconnu l'état fibreux de
la rétine dans l'œil des poissons, du héron, de la
chouette , du cochon. Cuvier en dit aussi quelques
mots pour les mammifères. Quelques jours de ma-
cération dans l'alcool nous ont permis de bien voir,
à l'aide d'une forte loupe , les filaments de la rétine
chez l'homme , le macaque , le bœuf, le mouton , les
oiseaux, les poissons; nous avons pu même les
suivre jusqu'à la partie antérieure de cette mem-
302 DE LA VUE.
brane, c'est-à-dire au niveau de la naissance des
procès ciliaires. Là une partie de ces filaments
semble s'arrêter ; une autre partie , celle peut-être
qui a ses racines à la base du cerveau, ou dans les
tubercules quadrijumeaux postérieurs , se continue
en languettes pour se porter au cristallin et lui
donner l'activité vitale , la faculté contractile dont
nous le croyons doué et dont il a déjà été question
plus haut.
C'est chez l'homme surtout f^fig, 11 J que nous
avons bien vu ces languettes rétinales , soit à travers
le vitré coupé par son milieu et les laissant distin-
guer entre les procès ciliaires de la ruyschienne,
soit sur la couronne de Zinn dont elles recouvrent
les saillies : nous les avons vues , quoique moins
facilement, dans l'œil du bœuf, du mouton, où elles
ne constituent que des fascicules de filaments presque
isolés et imbibés souvent du pigment ruyschien qui
les masque ; Wagner paraît les avoir exactement
observées sur le lapin albinos : les oiseaux, ks
poissons ne nous ont montré , à leur place , qu'une
expansion membraniforme, continuation de la rétine
très-amincie et surtout très-facile à déchirer et bien
souvent rompue , dans toute son étendue , si l'on n'a
pas opéré sous l'eau et avec de minutieuses précau-
tions. C'est sur la demi-capsule postérieure du cris-
tallin que ces filaments se portent et se divisent ,
comme il a été dit précédemment. Ce sont ces lan-
guettes qui ont été connues imparfaitement et sous
des noms divers : Brewster y a vu des tendons à
l'aide desquels les procès ciliaires, supposés con-
tractiles , reculeraient le cristallin ; Jules Cloquet
DE LÀ VUE. 303
ne leur attribue d'autre usage que de fixer cette len*
tille ; Ribes les a prises pour des canaux conduisant ,
dans les deux chambres de l'œil , l'humeur aqueuse
sécrétée par le vitré ; Young, Walter et Meckel les
ont crues vasculaires ; de Blainville n'a vu là qu'un
dédoublement de la rétine qu'il a confondu avec la
couronne de Zinn , production de la membrane
hyaloïde , et qui n'a rien de nerveux. Tl ne faut pas
considérer non plus comme nerveuse la membrane^r)
qui , chez l'homme et chez beaucoup d'autres ver-
tébrés, double, en dehors, la rétine ; membrane
amorphe , qui s'ossifie dans certains cas de cécité ,
mais qui n'a d'autre usage apparent que d'empêcher
les filaments rétiniens de s'imbiber du pigment ruys-
chien, dont on a voulu aussi faire une membrane à
part quand il se détachait en une couche continue ,
comme cela arrive quelquefois.
Dans la rétine même , ces innombrables filaments
sont très-régulièrement étendus côte à côte et rayon-
nant dans tous les sens , de leur point de départ
( insertion du nerf ) vers la circonférence (2); nulle
division réelle , nulle anastomose ne s'y fait remar-
quer, et tout nous porte à croire qu'une impression
faite sur un de ces filaments est directement pro-
pagée , par continuité de substance , jusqu'à l'encé-
(1) Je n'ai point vu, du côté du corps vitré, la lame vasculaire , dite
arachnoïde , de certains analomisles , mais seulement un réseau de vaisseaux
sanguins très-fins , continus sans doute à des vaisseaux incolores et qui parais-
sent nourrir à la fois la rétine et le vitré : de là, la propagation de l'inflammation
de l'un à l'autre dans le glaucome qui détruit à la fois la limpidité du vitré et
la sensibilité de la rétine , après y avoir causé de vives douleurs
(2) Au microscope, la rétine du mouton m'offre des points ronds, blancs,
disséminés peu régulièrement et surtout trop écartés pour qu'on puisse les
croire des terminaisons de filets nerveux propres à recevoir directement faction
de la lumière.
o04 BE 7A YIE.
phale ; circonstance qui , jointe à leur excessive
ténuité, à leur nombre immense, est bien propre à
expliquer la netteté des impressions si complexes
que nous donne simultanément le sens de la vue, et
la ténuité des images qu'il nous permet d'apprécier,
surtout quand l'éducation en a perfectionné l'exer-
cice. Mais, de cette disposition même, résulte iné-
vitablement que les filaments, parallèles au pourtour
de l'oeil , se superposent à mesure qu'ils se rappro-
chent du centre commun ; que la rétine est d'autant
plus épaisse qu'on la considère plus près de l'inser-
tion du nerf optique rfid- l^J- La conséquence
physiologique de cet état de choses est que les fila-
ments diaphanes de la rétine doivent être , presque
tous à la fois , pénétrés par les images lumineuses
peintes vers leur centre d'origine, puisque là ils sont
réunis , superposés , serrés les uns sur les autres.
Les objets qui se peignent dans cette partie du fond
de l'œil sont donc les mieux vus , parce qu'ils im-
pressionnent un plus grand nombre de fibrilles ner-
veuses à la fois , et qu'ils les impressionnent plus
près du point de transmission à l'encéphale, effaçant
ainsi , en partie , les impressions reçues dans des
points plus excentriques. Ainsi s'explique ce fait que
nous ne voyons bien clairement que les objets situés
dans l'axe de l'œil. Déjà nous avons prouvé , à l'oc-
casion des courbures du cristallin, que cette faiblesse
des impressions périphériques ne saurait être attri-
buée à une diffusion physique , à une aberration de
dioptrique ; et un examen attentif suffit pour nous
prouver que les objets qui nous entourent sont vus
faiblement j mais nettement j c'est-à-dire sans trouble
DE LA VUr. 305
et sans confusion (i), quoique l'œil soit dirigé vers
les objets situés devant nous. L'expérience sur l'œil
de lapin albinos a démontré cette netteté des images
périphériques : donc c'est dans la rétine et ses fonc-
tions qu'il faut chercher l'interprétation du fait;
Young l'avait senti sans l'expliquer; il se contente
d'admettre , dans cette membrane , une sensibilité
moindre à la circonférence qu'au centre, et de dire
que tel a été le vœu de la nature. Ne pouvant nous
en tenir à ces données générales, nous devons d'abord
préciser notre langage : ce point central plus puis-
sant, plus sensible, nous l'appellerons centre visuel
Oïl physiologique j et Vaxe visuel sera la ligne qui de
ce point s'élèvera à travers les centres de réfraction
du cristallin et de la cornée transparente ; nous évi-
terons ainsi de confondre ce dernier avec Vaœe
ajp^arenf^ c'est-à-dire avec une ligne qui traverserait
l'œil par le milieu de la cornée et du globe consi-
déré en masse, ou même avec Vaxe physique ou
optique j axe de réfraction, qui n'est pas toujours
identique avec le visuel , bien qu'il s'en rapproche
beaucoup en général. La différence est souvent au
contraire fort grande entre Faxe apparent et le
visuel, et cela ressort d'une particularité bien
connue , l'insertion plus ou moins latérale du nerf
optique au fond de l'œil fvoy. fig, bA.J Le genre felis
(lynx, lion, chat, etc.) et les phoques ont cette
insertion à peu près centrale; aussi, chez eux, l'axe
visuel , l'axe optique , l'axe apparent se confondent-ils
(1) Cette expérience réussit mieux vers le soir ou à une lumière faible , parce
qu'alors la pupille est plus dilatée; elle offre des résultats plus sensibles si le=
objets vus de côlé sont en mouvement, parce que les impressions n'ont pas le
temps de s'atténuer par épuisement ou fatigue.
20
306 DE LA VUE.
à peu près en un seul, et de là vient la douceur,
l'air d'intelligence qu'on trouve dans leur regard.
Mais presque tous les autres mammifères et surtout
les ruminants f^fig. 54y , les solipèdes , les oiseaux,
les reptiles , les poissons (i) ont l'insertion fortement
déviée en bas et en dehors , ou plutôt en arrière ,
quand les yeux sont très -latéralement placés ; il
s'ensuit que l'axe visuel est dirigé bien plus en dedans
ou en avant que l'axe apparent : cette direction con-
corde avec celle de l'axe physique , la cornée ayant
son sommet plus en dedans que le centre : c'est aussi
du côté interne que la cornée est plus large et la
pupille plus ouverte chez les ruminants. Tout cela
peut compenser l'inconvénient de la position latérale
de l'œil ; mais il s'ensuit que , quand ces divers
animaux veulent voir devant eux un objet des deux
yeux à la fois ( ce qui est possible au plus grand
nombre , quoiqu'on ait souvent dit le contraire),
ils nous paraissent loucher fortement en dehors et
un peu en bas. Ce strabisme divergent, nous l'avons
constaté directement et à de nombreuses reprises ,
sur le bœuf, le cheval, le mouton, la gazelle, la
girafe, le chien, l'autruche, l'aigle, etc. Chez les
premiers, il est si fort qu'il doit contribuer beaucoup
à leur donner cette étrangeté dans le regard, cet air
farouche ou stupide qui n'est jamais plus frappant
que quand on les regarde en face. Pour le chien,
(1) On a souvent parlé de cette excentricité sans déterminer le côté où elle a
lieu; Haller a même déterminé faussement ce côté pour plusieurs espèces,
sans doute parce qu'il examinait les yeux enlevés de l'orbite. Sœmmerring fils,
de Blainville , Desmoulins , ont mieux précisé le fait pour un certain nombre
d'animaux. Nous pouvons donner, comme règle générale , que , à part l'homme
et les singes qui ont l'insertion interne, tous les vertébrés l'ont plus ou moins
externe ou postérieure ( yeux très-latéraux ).
DE LA VU£. 307
au contraire , il est si faible qu'on ne s'en aperçoit
pas au premier abord, bien qu'il soit très-réel (rj :
l'écartement des yeux , modéré chez ceux-ci , consi-
dérable chez ceux-là , est en partie , sans doute , la
cause de cette différence , due aussi , en partie , au
degré d'excentricité du nerf optique. Ces effets
pourraient être diminués dans le mouton , par un
faisceau de filaments plus serrés qui se dirige vers
le centre de l'œil ; dans le lapin et le lièvre , par
la division du nerf en deux bandelettes horizontales
d'où partent toutes les fibrilles nerveuses; dans les
oiseaux, par les plis larges et multipliés de leur
rétine, si remarquables surtout sur les oiseaux de
haut vol (Desmoulins). Ces plis augmentant, en
divers points, l'épaisseur de la membrane, renforcent
la sensation dans une plus grande étendue, diminuent
la prépondérance du centre visuel et expliquent en
partie pourquoi les oiseaux même qui peuvent voir
devant eux , comme l'aigle , préfèrent regarder d'un
seul œil , en tournant la tête de coté , lorsque quel-
que geste menaçant excite fortement leur attention.
C'est à peu près la seule manière dont regardent
les gallinacés, les palmipèdes, les passereaux,
les perroquets, les lézards, les lièvres, etc. , qui,
quoique voyant des deux yeux deux tableaux diffé-
rents, ne les en voient pas moins distincts, ainsi
que nous l'avons dit plus haut, selon qu'ils dirigent
leur attention sur l'un ou sur l'autre , de même que
nous pouvons le faire en plaçant entre nos yeux un
écran qui cache à l'un ce qui est visible à l'autre :
(1) Le plan des deux iris regarde en dehors au lieu de regarder en dedans ;
on peut s'en assurer ïans peine.
308 DE LA VUE.
c'est ce que le caméléon nous prouve par les mou-
vements indépendants qu'il imprime à ses deux yeux,
tandis que les nôtres se suivent si régulièrement par
l'effet de l'éducation et de l'habitude (i).
Chez Vhomme et (suivant Sœmmerring fils) chez
les singes j, l'insertion du nerf optique se fait plus en
dedans que le centre du fond de l'œil ; ils devraient
donc, d'après ce quia été dit précédemment, loucher
en dedans ; et ce strabisme convergent (2) n'est effec-
tivement pas rare , soit pour un œil , soit pour tous
deux : sans doute , alors le centre visuel est bien
réellement à l'insertion du nerf optique ou s'en rap-
proche beaucoup ; mais c'est un état anormal , car,
dans la conformation ordinaire , le centre visuel est
à quelques lignes plus en dehors que cette insertion,
il répond exactement au centre géométrique de
l'hémisphère postérieur du globe oculaire ; de sorte
que, Vaxe visuel étant le même que Vaxe apparent _, il
n'y a pas de strabisme. On connaît la tache jaune
de Sœmmerring, c'est là le centre en question; on
sait qu il est facile , par distension , de faire paraître
une dépression , un trou au milieu de cette tache ,
(1) La preuve que celte liaison des mouvemenis est un effet de la volonté
devenu automatique , c'est que Faccord des deux yeux n'est plus complet quand
l'un est fermé et l'autre ouvert , puisque , quand on rouvre le premier, on voit
double, les deux axes visuels n'étant plus en rapport.
(2) Ce slraLisme doit être nommé sensîtif pour le distinguer du stralisme de
réfraction dont nous avons parlé plus liaut. Celui dont il s'agit ici avait êlé
admis, d'une manière moins précise, parles médecins qui l'ont défini une
déviation des points honaologues (syn esthétiques) des deux rétines. Dans le cas
où un état convulsif ou paralytique des muscles de l'œil change les axes opti-
ques, on a remarqué que l'individu voit d'abord les objets doubles, mais que,
à la longue, il s'accoutume à les voir simples, le strabisme étant devenu
parfait. Certes , alors le centre visuel ne saurait avoir changé , mais l'attention a
pris l'habitude de se porter sur un autre point dans l'œil dévié , ou bien de
n'en pas tenir compte , comme dans le strabisme par réfraction.
DE LA VUE. 309
c'est le point de divergence des fibrilles nerveuses
qui s'en échappent en rayonnant de toutes parts ; on
.a noté aussi Tépaississement ou pli qui se trouve
entre l'insertion du nerf et la tache , c'est un gros
faisceau qui reporte immédiatement la masse ( i ) des
filaments nerveux au centre visuel , d'où ils s'épa-
nouissent en tous sens (fig. 77, a). Les détails que
nous venons de formuler , nous les avons reconnus ,
chez l'homme , par une inspection attentive et réité-
rée à des grossissements assez forts; car les filaments
rétinaux sont ici plus fins que dans l'œil du bœuf,
quoique tout aussi régulièrement agencés. Sur l'œil
du macaque nous avons vu le pli offrant beaucoup
d'épaisseur et s'enroulant en forme de crosse d'évé-
quc autour de la tache jaune.
Quant à l'insensibilité de l'insertion même du nerf
optique , qu'on a cru démontrer par l'expérience de
Mariotte (2), nous croyons qu'elle ne prouve autre
chose que l'insensibilité du point par lequel l'artère
centrale de la rétine entre dans l'œil; on n'en saurait
(1) D'après cela, c'est peut-être sur ce faisceau qu'il faudrait supposer le
centre \isuel, qui serait ainsi un peu plus en dedans que le centre géomé-
trique ; s'il en était ainsi, la déviation serait si peu sensible qu'il n'y aurait
pas strabisme apparent ; nous avons déjà vu que, pour le chien , on ne s'aperçoit
qu'à peine du strabisme divergent qui lui est naturel, bien qu'il soit assez
considérable : d'ailleurs, chez l'homme même, cette déviation est rendue
moins nécessaire , vu la forme de l'iris dont l'ouverture pupillaire est plus
rapprochée du côté interne que de l'externe. Il semble aussi que la position
transversale de l'épaississement ou pli de la rétine , doit amener quelques effets
particuliers ; nous y rattachons ceux qu'a récemment signalés Plateau de
Bruxelles. De diverses expériences il conclut qu'il y a dans la vision quelque
(Chose qui altère la symétrie et élablifune différence notable , selon qu'un même
objet est vu dans un sens vertical ou horizontal.
(2) Placez deux pains à cacheter de couleur vive sur une muraille à un demi-
pied de dislance et celui de droite un peu plus élevé que celui de gauche ,
regardez celui-ci de l'œil droit en reculant peu à peu; arrivé à la dislance de
deux pieds vous cesserez de voir l'autre, dont l'image doit effectivement tomber
alors au centre de rinsertion du nerf optique.
3!0 DK LA VUF.
donc tirer aucune conséquence contre la sensibilité
de la rétine même avec Mariotte etLecat, ou contre
la dépendance , la continuité bien réelle entre cette
membrane et le nerf.
Ainsi, tout nous démontre que le centre visuel
est au point le plus épais de la rétine ; aussi le diri-
geons-nous constamment vers les objets que nous
voulons examiner. Toutefois, la vision moins claire
des corps environnants ne nous en est pas moins
utile , puisqu'elle nous avertit , vaguement sans
doute, mais suffisamment, de l'approcbe de quelque
ennemi , de la présence de quelque objet de désir,
de tous les mouvements notables qui s'exécutent
autour de nous , et qu'elle nous détermine , en con-
séquence , à diriger plus positivement nos regards
vers les points qui excitent plus puissamment notre
curiosité (Descartes).
Nous n'arrêterons pas le lecteur sur d'autres
faits relatifs aux fonctions de la rétine , tels que le
jugement qu'elle nous permet de porter au sujet
de la situation absolue et relative des objets , de
leur forme , de leur couleur , de leurs mouvements ;
tout cela est évidemment en rapport avec la situa-
tion, la grandeur , les nuances et les teintes , le chan-
gement de place des images peintes au fond de l'œil,
et la connaissance pratique que nous avons de la
marche en ligne droite des rayons lumineux ; toutes
circonstances que l'éducation et l'habitude appren-
nent à apprécier, tant aux animaux qu'à l'homme.
Pour ce qui est de la durée des impressions sur la
rétine , de la transmutation des spectres oculaires
dans l'œil fermé, etc. , ce sont des faits dont nous
DE LA VUE. 311
avons tiré parti pour résoudre certains problèmes
des sensations en général ; il serait donc superflu
d'y revenir encore.
§ VIIÎ. Récapitulation compaj'utiQe»
En prenant Vhomme pour type et basant l'histoire
des fonctions sur celle des organes , nous avons
vu les yeux un peu plus écartés chez lui que
chez les singes , plus rapprochés au contraire et
plus antérieurs que ceux de presque tous les autres
vertébrés; renfermés dans une cavité osseuse,
garnis de paupières et de voies lacrymales , pourvus
de muscles propres à les mouvoir dans toutes les
directions, à les rouler même sur leur axe : nous
les avons vus affecter la forme globuleuse et une
mollesse qui pourtant ne leur permet de changer
notablement ni de dimensions ni de forme. Nous
avons reconnu que Tiris exécute des mouvements
automatiques , sans être le véritable organe qui
accommode la vision aux distances ; que le cristallin
est contractile , animé par des filaments nerveux
émanés de la rétine , et préposé à cette importante
harmonisation entre nos besoins et nos sensations ;
que sa faible convexité se lie avec la profondeur
du globe oculaire ; que ses courbures et celles de
la cornée ne sont nullement de nature sphérique,
mais ellipsoïdales et bien mieux accommodées à leur
destination ; que le vitré soutient le fond de l'œil à
la distance convenue , et sécrète l'humeur aqueuse
qui soutient également la saillie de la cornée trans-
parente ; qu'enfin le nerf optique s'insère en dedans
du centre géométrique du fond de l'œil , mais que le
312 DE LA VUE.
vrai centre visuel , centre d'émanation des fila-
ments nerveux dont se compose la rétine , est
néanmoins en rapport avec ce dernier, soit sur la
tache jaune , soit sur le pli qui la joint à l'insertion
susdite.
Quant aux autres mammifères j, à part les singes
qui diffèrent bien peu de l'homme , une véritable
paupière interne ou clignotante ; plus d'épaisseur et
de fermeté dans leur sclérotique qui n'est plus sou-
tenue par une forme exactement sphérique , mais qui
est plus ou moins élargie ; un globe oculaire moins
profond , mais aussi des appareils de réfraction plus
aptes aux effets de convergence ; souvent un tapis
ruyschien; l'insertion du nerf optique et le centre
visuel plus en dehors, et donnant lieu à un strabisme
divergent qu'on peut appeler normal : voilà les dif-
férences générales qu'on peut établir entre eux et
l'homme.
Aux oiseaux on peut assigner : une paupière cli-
gnotante fort étendue et très-mobile ; un œil grand ,
large et aplati , forme soutenue par un anneau de
squames osseuses au bord antérieur de la sclérotique
et par la consistance cartilagineuse de la choroïde ;
une cornée , un cristallin proportionnellement petits,
mais à réfraction puissante ; un éventail ou peigne
ruyschien ; des procès ciliaires peu saillants ; une
rétine souvent large et plissée.
Aux reptiles _, à peu près mêmes caractères ; tran-
sition entre les oiseaux et les poissons : ainsi, cercle
osseux à la sclérotique des sauriens , nul chez les
batraciens et les serpents ; rudiment de peigne ruys-
chien; cristallin souvent globuleux. Ce qui leur est
DE LA vue: 313
particulier, c'est le croisement des nerfs optiques
traversés l'un par l'autre-
Enfin aux poissons j paupières et voies lacrymales
communément nulles ou rudimentaires ; œil grand
et plat ; sclérotique osseuse ou presque osseuse sans
segmentation ; choroïde argentée , séparée de la
ruyschienne par un ganglion vasculaire dont l'usage
est inconnu ; rudiment de peigne et de procès
ciliaires; iris immobile; cornée peu saillante; cris-
tallin spliéroïdal ; nerfs optiques croisés sans adhé-
rence : tels sont les caractères distinctifs de leurs
organes visuels.
Mais parmi tous ces vertébrés de classes diffé-
rentes , il en est qui se trouvent dans des conditions
analogues , et présentent quelques dispositions com-
munes essentiellement physiologiques.
1® Les animaux nocturnes j à part quelques excep-
tions ( comme les chauves-souris , chez lesquelles
l'ouïe et le toucher suppléent à l'imperfection de la
vue), ont l'œil très -grand, dirigé en avant, bien
ouvert ( ex. tarsier, grand duc, etc.) ; la cornée
proportionnellement fort large ; le cristallin volu-
mineux , et par une conséquence nécessaire , le vitré
peu abondant ; la ruyschienne pourvue d'un tapis
brillant; les procès ciliaires très-grands , et la rétine
d'une médiocre étendue , ce qui peut lui donner
une sensibilité plus grande, la masse restant la
même. Ceux qui doivent aussi voir dans le jour ont
la pupille allongée et susceptible d'un resserrement
considérable.
La vision nocturne est , dans quelques cas , favo-
risée par V albinisme ; décoloration de la peau , des
314 DE LA VUE.
poils et de la ruyschienne , qui fait paraître l'iris
blanchâtre et la pupille rouge , couleur du sang
qui remplit les vaisseaux choroïdiens.
2° Les animaux souterrains j au contraire, des-
tinés à vivre dans des ténèbres complètes, comme
la taupe , la chr} soclilore , le zemni parmi les mam-
mifères , le protée, la cécilie , l'ampliisbène parmi
les reptiles , les ammocètes et myxines parmi les
poissons , ont l'œil , ou tout-à-fait nul , ou caché sous
la peau , ou réduit à des dimensions si minimes que
ses usages sont presque nuls.
3^ Les animaux agwaa'gfi/e^ sont souvent dépourvus
de paupières et de voies lacrymales ; plus générale-
ment encore , leur cornée est peu saillante , mais
leur cristallin épais et convexe , globuleux ou sub-
globuleux : c'est le cas des poissons , de beaucoup de
reptiles , des phoques , des oiseaux plongeurs , etc.
4° Enfin, les animaux aériens par excellence,
les oiseaux de haut vol par exemple , ont la cornée
saillante, le cristallin petit, mais non mince comme
on l'a, trop spéculativement , prétendu. Ce qui
les distingue surtout, c'est une rétine dontl'épaisseur
est au moins triplée par les plis imbriqués qu'on y
remarque , et qui nous semblent , comme le pensait
Desmoulins, expliquer suffisamment cette puissance
visuelle qu'on a, de tous temps, admirée chez l'aigle
et le faucon , mais que l'amour du merveilleux a
souvent empreinte d'une exagération poétique.
ARTICIiE: III. - Mollusques.
Ce n'est pas seulement en raison de ses singula-
rités que l'œil des mollusques céphalopodes, du
DE LA VUE. 315
calmar , de la seiche, mérite de nous occuper; c'est
surtout en raison des applications que sa structure
peut offrir à celle de l'œil des yertébrés et des
animaux articulés , et de la transition qu'il mani-
feste de l'une à l'autre de ces formes si différentes
au premier abord. Des discussions minutieuses sur
les déterminations données de ses diverses parties
par divers anatomistes , par Cuvier surtout , nous
entraîneraient hors des bornes de la physiologie;
nous indiquerons brièvement ce que nous ont appris
des dissections délicates et des observations micros-
copiques.
Que la peau amincie (seiche commune , etc. )
passe au-devant de l'œil comme chez les serpents , ou
qu'elle y soit ouverte (calmar sagitté , poulpe, etc.),
on n'en trouvera pas moins , dans une sorte d'orbite
à plancher cartilagineux , une masse piriforme ,
mue par six petits muscles , quatre droits et deux
obliques. La sclérotique revêt cette masse ( voy,
V explication de la fig. 79); mais en avant ou en
dehors elle est ouverte , la cornée semble manquer ,
on croirait voir le cristallin saillir dans le vide
qu'elle laisse : c'est une demi-lentille transparente ,
assez petite , qu'on aperçoit ainsi collée sur la face
antérieure du vrai cristallin. Cette demi-lentille
antérieure est, pour de Blainville , une cornée
détachée de la sclérotique et comme suspendue aux
procès ciliaires, circonstance qui serait très propre
à prouver l'indépendance des membranes que je
viens de nommer. Cette indépendance, au reste,
ne serait pas moins manifeste encore , en rejetant
l'opinion émise par de Blainville , puisqu'il y aurait
316 DE LA VUE.
absence de la cornée transparente , bien que la scléro-
tique ne manque pas.
La partie postérieure ou interne de la sclérotique
renferme des pelotons graisseux , un nerf optique
bientôt renflé en ganglion , puis sous - divisé en
nombreux filets, et enfin le globe de Toeil, dont la
forme extérieure est déterminée par une choroïde
épaisse , de consistance cartilagineuse , doublée exté-
rieurement d'une couche concrète de pigment nacré ,
percée dans sa moitié postérieure par les nombreux
filets du nerf optique qui s'entrecroisent de haut en
bas avant d'y atteindre , fait curieux , signalé déjà
par délie Chiaje.
Cette choroïde a été souvent prise pour la scléro-
tique , et telle a été particulièrement l'erreur de
Cuvier ; une épaisse ruyschienne la tapisse en de-
dans , forme une couronne de procès ciliaires , à
laquelle est suspendu le cristallin; entre les deux
hémisphères de cette lentille s'enfonce une pro-
duction membraneuse, diaphane, qui se dissémine
par feuillets entre les lames de l'hémisphère anté-
rieur comme du postérieur , ce qui semble éloigner
l'idée que le premier est une cornée transparente
déplacée de ses connexions ordinaires. Non-seule-
ment , en effet, cette demi-lentille n'a avec la sclé-
rotique aucun rapport , mais elle se trouve même
placée derrière l'iris.
Ce diaphragme constitue effectivement l'ouver-
ture pupillaire par laquelle on peut apercevoir la
demi-lentille susdite , et si la détermination de cet
iris pouvait laisser au premier abord quelque incer-
titude j parce que extérieurement la sclérotique y
DE LA VUÈ.^ SI 7
adhère en s'amincissant , le vernis noir qui en tapisse
la faqe postérieure (uvée), et la continuité évidente
de ses deux feuillets avec la rujschienne et la cho-
roïde, ne laisseraient plus aucun doute.
La ruyscîiienne a été communément prise pour
la rétine ; épaissie , dans la majeure partie de son
étendue, parles filets nerveux qui la pénètrent après
avoir traversé la choroïde , elle devait effectivement
paraître une combinaison de la rétine et de la vraie
ruyschienne qui ne reprend sa minceur et ses autres
caractères qu'au voisinage de la couronne ciliaire.
Mais la rétine existe en réalité , indépendamment
de la ruyschienne. Une couche épaisse de substance
comme pulpeuse a été signalée par tous les anato-
mistes à la surface interne de celle-ci ; en la soumettant
par fragments à l'inspection microscopique , nous
l'avons reconnue formée , non comme le pensait
Cuvier, par un pigment opaque et qui rendrait
impossible l'abord des rayons lumineux jusqu'à la
membrane nerveuse , mais bien par un assemblage
d'innombrables filaments nerveux eux-mêmes , per-
pendiculaires au plan de la membrane fragile mais
épaisse que constitue leur ensemble , serrés comme
les filaments du plus fin velours, et séparés seulement
par une petite quantité de pigment coloré qui ne
peut empêcher la lumière de frapper sur leur extré-
mité fjig, 80y'. Au moment où nous nous disposions
à publier cette découverte dont nous avions rendu
témoin le savant Windischmann , nous l'avons vu
publier par un anatomiste anglais (Warthon Jones)
arrivé , de son côté , aux mêmes résultats. La vision
des céphalopodes n'est donc plus un problême inso-
SI 8 DE LA VUE.
lubie comme quand on ne voyait là qu'un tapis de
matière colorante , et il n'est plus nécessaire , pour
échapper à cette difficulté, d'attribuer, avec délie
Cliiaje , le nom de rétine à une dernière tunique
mince , pellucide et qui n'est autre que le sac d'un
vitré totalement liquide. On peut s'étonner que cet
assemblage de filaments nerveux se détache si aisé-
ment des filets dont est pénétrée la ruyscliienne et
qui pourtant leur donnent évidemment naissance (i);
c'est qu'il y a, à leur jonction, une sorte d'articulation
par une substance plus molle , comme nous voyons,
dans divers faisceaux encéphaliques, les fibres blan-
ches interrompues par des amas de substance grise,
et comme le nerf optique même de la seiche en
offre un exemple : entre son renflement gangliforme
et le tronc qui vient de l'encéphale , il y a une inter-
section grise bien manifeste. Nous retrouverons ,
dans les animaux articulés , l'analogue de cette dis-
position et de cette constitution de la rétine assez
différente de ce que nous avions vu précédemment
chez les vertébrés , à l'œil desquels celui des cépha-
lopodes ressemble sous tant d'autres rapports. C'est
avec l'œil composé des crustacés et des insectes que
celui de ces mollusques offrira des analogies ; d'au-^
très mollusques vont nous présenter des yeux com-
parables aux ocelles ou stemmates des mêmes ani-
maux et des arachnides.
D'après les intéressantes observations de Swam-
merdam rectifiées par J. Mùller, le limaçon aurait,
à l'extrémité de son tentacule supérieur {^fig, S\J,
(1) On en voît flotter les débris en observant dans l'eau , au microscope ,
une portion de ruyschienne ainsi dépouillée.
DE LA VUE. 319
un œil véritable , composé d'une choroïde trans-
parente en avant , noire en arrière , et contenant un
fluide vitré dans lequel est suspendu un cristallin
lenticulaire et très-mou. Cet œil reçoit un nerf très-
fin, émanation du gros tronc qui donne au tentacule
sa sensibilité tactile. Cet organe, probablement très-
myope , ne paraît pas être d'une très-grande utilité
à l'animal , qui ne le relire guère , comme on sait ,
dans l'intérieur du corps, que quand on l'a touché
ou du moins approché de bien près.
D'autres mollusques gastéropodes ont l'œil sessile ,
inséré à la base du tentacule et plus imparfait
encore ; on trouve aussi un cristallin , mais volu-
mineux , dur et peu régulier dans le murex trùoms
(Muller) , remplissant presque tout l'œil dans le
vohUa cymhium ( de Elainville), la ptérotrachée et
la carinaire (délie Chiaje ) : la choroïde y forme,
en avant , une couronne noire qui rappelle ou l'iris
ou les procès ciliaires. Au reste , quelqu'insuffisants
que soient ces organes de vision, ils peuvent encore
guider l'animal dans sa marche.
Un tel secours devenait inutile à la plupart des
mollusques acéphales, qui ne quittent point le lieu
de leur naissance; aussi sont-ils tout à-fait aveugles ,
de même que les cirrhipèdes , animaux articulés
qui vivent également immobiles au sein des eaux.
ARTlCIiE IV. - Animaux articulés
ou astacaireSf etc.
Un caractère presque général des yeux de ces
animaux, c'est la rigidité de leur enveloppe exté-
rieure que nous avons vue déjà chez les serpents et
3^0 DE LA VUE.
les geckos; c'est aussi leur immobilité. Les crustacés
décapodes seuls (astaciens) ont un œil porté , comme
celui des limaçons , sur un appendice mobile , mais
corné , et dont nous trouvons déjà l'analogue dans
l'œil des raies et des squales qui , bien que renfermé
dans un orbite , n'en est pas moins articulé sur un
pédicule cartilagineux ; les diopsis parmi les insec-
tes , les trombidions parmi les arachnides , ont aussi
î'œil pédicule , mais immobile.
Nous avons déjà fait entendre que les organes de
vision dont il nous reste à nous occuper , sont de
deux ordres : simples ou composés.
A. Les yeux simples nommés aussi yeux lisses j
ocelles j stemmateSj coexistent avec les composés chez
quelques crustacés , le cyame , l'apus , le limule
(Milne Edwards) , chez les insectes orthoptères ,
névroptères , hémiptères, hyménoptères, diptères
à l'état parfait , et le plus souvent il y en a trois
placés en triangle sur le front. On ne trouve
que deux stemmates latéraux chez les puces et les
poux ; ils sont plus nombreux chez les myriapodes ;
pour les arachnides , ils sont au nombre de deux
(faucheurs, beaucoup d'acarides ( i ) ) , de quatre
ordinairement plus ou moins confluents (trombidions,
érythrées, bdelles et quelques autres acariens,
obisies , nymphons ) , de six (ségestrie , dysdère,
scythode), de huit (la plupart des autres arachnides),
parfois même de dix et de douze peut-être (certains
genres de scorpions). Variables dans leur grandeur
proportionnelle , dans leur situation qui fournit
(1) Beaucoup d'acariens parasites sont totalement privés d'yeux ; il en est de
même pour la puce des chauves-souris , et pour la nyctérihie.
DE LA Vî Î-. 3^ 1
d'importants caractères zoologiqiics , dans leur forme
tantôt ronde , tantôt ovale , ils offrent aussi des
directions souvent très-difTérentes , trop peu remar-
quées , et telles qu'ils peuvent faire découvrir à
l'animal ce qui se passe autour de lui dans presque
tous les sens à la fois : c'est ce que Lyonnet a bien
représenté dans ses planches pour l'araignée domes-
tique en particulier. Nous donnons ici la figure de
ceux de la mygale maçonne f^fig. S2j.
Chacun de ces ocelles (^fig. 83^" est composé,
1^ d'une cornée lisse, transparente et fort con-
vexe (i); 2° d'un cristallin dense, sphérique ou
lenticulaire , collé derrière la cornée ; 3® d'un corps
vitré beaucoup moins dense , mais plus large et plus
épais que cette lentille , environné par l'expansion
rétinale du nerf optique que recouvre elle-même
une épaisse couche d'enduit choroïdien. La décou-
verte de ce vitré appartient à J. Mùller; Sœmmerring
fils n'avait vu qu'une rétine dans cette masse sous-
jacente au cristallin ; l'alcool , en effet , la rend
opaque et pulpeuse, comme nous l'ont montré les
grands scorpions , la mygale aviculaire et même la
mygale maçonne. Cette structure est exactement la
même dans les stemmates des insectes (Sœmmerring,
Mûller); nous donnons comme exemple la figure de
ceux de la cigale plébéienne,
Yoilà donc un puissant appareil de réfraction,
appareil à foyer très-court et peut-être invariable ,
vu la grande dureté du cristallin , ce qui peut faire
penser que de tels yeux ne sont bons qu'à voir des
(1) Elle Test fort peu, et même tout - à - fait plate chez les grillons, les
locustes.
21
322 DM LA VUK.
objets très-voisius : on conçoit d'ailleurs que quand
il en existe plusieurs de grandeur , de profondeur
et de conYexité diverses , comme chez la plupart des
araignées, comme chez les scorpions, il y aura
aussi des portées de vue assez diversifiées pour le
même animal. Les grands yeux médians du scorpion
d'Afrique ont une divergence d^axe (Mûller) qui
prouve assez qu'ils sont destinés à voir au loin ; et
leur situation, au milieu de la face supérieure du
céphalo-thorax , démontre qu'ils ne peuvent servir,
comme les marginaux , à découvrir les petits objets
gisants sur le sol. Les quatre gros yeux des saltiques,
araignées qui poursuivent une proie ailée, sont tout-
à-fait dirigés en avant ; les quatre autres sont tout-à-
fait latéraux ; ils ne sauraient voir que confusément
de loin , et non assez pour apprécier aujuste comme
les premiers, dont le développement est souvent
énorme eu égard à la taille de l'animal. Les autres
arachnides n'ont pas généralement besoin de voir de
bien loin ; celles mêmes dont les yeux sont les plus
développés, comme les saltiques, ne poursuivent
leur proie qu'à la distance de quelques pouces; et
si une araignée rentre dans son trou à l'approche de
l'homme , même quand il est encore éloigné de près
d'une toise , il n'est pas besoin , pour expliquer ce
fait , de lui supposer une vision distincte jusqiik cette
distance , mais seulement la perception des masses.
Quant aux insectes , j'ai reconnu , par des expé-
riences , comme Réaumur et Marcel de Serres , qu'ils
se passaient beaucoup mieux de leurs stemmates
que de leurs yeux composés; je n'ai pu en déduire
aucune autre conclusion certaine si ce n'est qu'il leur
DE r.\ VUE. Zr2?i
restait, avec les premiers, la distinction des ténèbres
et de la lumière. Les mantes qui, seules parmi les
insectes, tournent le devant de leur tête vers les
objets propres à fixer leur attention , continuent à
exécuter ce mouvement lors même qu'on a détruit
ou couvert les yeux lisses; les guêpes , les sauterelles
volent ou sautent comme avant l'opération. En un
mot , ces yeux paraissent destinés , comme ceux des
limaçons , à faciliter seulement la recherche directe
des aliments , la manducation ; ils sont effectivement
les seuls organes de vision des larves, qui n'ont
autre chose à faire que de se nourrir : exemple , les
chenilles. Beaucoup d'autres larves sont totalement
aveugles.
Ces animaux , aussi bien que les aptères parasites,
les myriapodes et les arachnides , ont d'autant moins
besoin d'yeux à longue portée qu'ils vivent commu-
nément dans l'obscurité ; on sait que la plupart des
araignées sont nocturnes ; beaucoup ont même une
partie au moins de leurs yeux à fond brillant, blanc ,
nacré comme le tapis des mammifères du genre
chat ; c'est ce qui a fait dire que les yeux de la
tarentule luisaient dans les ténèbres. Sur l'œil com-
posé de l'atropos, ou papillon tête de mort, j'ai
reconnu que cette couche brillante est formée par
des filaments rétinaux courts , parallèles , perpendi-
culaires au bulbe du nerf optique ; y a-t-il quelque
chose de semblable dans les stcmmates brillants ?
Les espèces diurnes ont souvent une sorte d'iris soit
noir , soit vert , comme certains saltiques , mais nous
ne pensons pas qu'il y ait là aucune contractilité.
Les yeux de quelques annélides sont encore moins
S24 DK LA vit:,
grands et moins parfaits que les précédents ; Mûller
a trouvé ceux des néréides composés d'un nerf épa-
noui derrière un globule de substance blancbe mais
non transparente, entouré pourtant de pigment foncé
en couleur, et recouvert d'un épiderme très-mince.
Ceux des sangsues sont, d'après Weber, des corps
cylindroïdes assez longs , mais transparents seule-
ment à leur extrémité saillante. On sait que ces
ocelles sont souvent nombreux (deux à quatre dans
diverses néréides , jusqu'à dix dans les sangsues ) ,
et l'on voit qu'ils ne peuvent guère servir à l'animal
que pour distinguer la clarté de Fobscurité. Quant
aux plaques noirâtres , brunes, rouges qui se remar-
quent sur la tète des rotifères et même sur le corps
de quelques méduses , astéries et de plusieurs mona-
daires(Ehrenberg) , ce ne sont tout au plus que des
rudiments d'organe de vision, qui rappellent à peine
les yeux véritables des animaux supérieurs , et ne
méritent guère d'autre nom que celui de points
oculiformes qui leur est généralement donné. Ceux
des planaires sont certainement formés d'un pigment
choroïdien caché sous un épiderme pellucide , mais
je n'y ai pas vu le corps vitré et la cornée transpa-
rente dont parle Fréd. Schulze.
B. Les yeux composés ^jeuxa. facettes ou à réseau,
appartiennent presque exclusivement aux crustacés
et aux insectes ; il faut y joindre seulement les
scutigères et peut-être les galéodes. Au reste, l^le
rapprochement, le groupement de tous les ocelles
chez certaines araignées (mygales); 2" la confluence
de quelques-uns d'entre eux chez d'autres arachnides
( épéires , hydracnés , érythrées et trombidions ) ;
DE LA VUE. 325
3° la contiguité des stemmates de grandeur et de
forme diverses chez les scolopendres, si voisines des
scutigères; 4° cette considération, plus remarquable
encore , que la chenille n'a qu'une couronne de sept
à huit stemmates là où le papillon aura un œil à
réseau; 5° la transformation (^fig. 87, 88, 89^ suc-
cessive de l'un de ces groupes dans l'autre , que nous
avons observée dans la chrysalide où les stemmates
pullulent à mesure que le nerf optique se forme
comme un prolongement fibreux de l'encéphale,
et que les filaments rétinaux qui en partent se rac-
courcissent et se multiplient: voilà assez de preuves
de la prochaine analogie, ou pour mieux dire de
l'identité des stemmates et des yeux composés. Elle
se manifeste plus nettement encore chez les crustacés :
déjà , depuis long-temps, on a signalé les yeux des
cloportes comme composés chacun d'un groupe de
onze à douze stemmates représentant vraiment un
œil à réseau. Les branchipes (Burmeister) ont l'œil
évidemment composé d'un groupe d'ocelles complets
réunis seulement en faisceau ou en masse. Milne
Edwards a trouvé , chez les callianasses , des yeux
à réseau, dont chaque facette, représentant une
petite cornée , offre , à son centre , un épaississement
lenticulaire évidemment formé par un cristallin tel
que celui des yeux lisses , mais soudé avec la cornée.
Lyonnet dit la même chose au sujet du cossus/ et les
rhipiptères nous ont paru être exactement dans le
même cas.
Chez la plupart des autres insectes , chez la
majeure partie des crustacés, la cornée commune
de l'œil à réseau , dont les facettes sont innombra-
320 DE LA VIJK.
bles pour la plupart , semble donc être formée de la
réunion dWe multitude de cornéules particulières ,
et d'une multitude égale de cristallins soudés et
presque confondus ensemble (i); aussi trouve-t-on ,
à cette portion transparente de l'œil f fig. SiJ^
une grande épaisseur , et peut-on en séparer assez
constamment la lame externe ou épidermique.
Sous cette couche dure et sèche , on trouve ,
dans l'œil à réseau, en nombre égal à celui des
cornéules , des corps hyalins f^fig. SôJ le plus
souvent coniques, rangés parallèlement entre la
cornée et le renflement du nerf optique ou le gan-
glion qui le coiffe (langouste, fig. 84), et perpen-
diculaires aux surfaces de l'un et de l'autre , la partie
la plus épaisse toujours tournée en dehors : on ne
peut voir là que des corps vitrés. Ils avaient été bien
vus, bien figurés dans l'abeille par Swammerdam,
dans le papillon du cossus ligniperda ^^ly Lyonnet,
dans la blatte orientale parTréviranus , les crustacés
par Cavolini, etc. J. Millier les a mieux connus
encore chez beaucoup d'insectes et de crustacés , et
nous les avons décrits ailleurs d'après les libellules
(^fig. dOj , qui les ont fort longs et cylindriques :
ils sont prismatiques et à coupe carrée chez la
langouste.
De leur extrémité interne , toujours amincie , part
un filament nerveux qui se porte directement sur le
gros renflement optique.
Dans les interstices de ces organes est répandu un
pigment choroïdien plus ou moins abondant , coloré
(4) Ces facettes ou cornéules sont le plus souAcnt hexagonales ; beaucoup de
eiustacés les ont carrées , tels récrcvissc , la langouste, etc.
DE LA VlIK. 357
de diverses manières ( i) , et dont la teinte , combinée
avec celle des parties qu^il environne , forme , sur la
coupe de Fœil, et même quelquefois extérieurement,
des zones , des taches , des marbrures variées selon
l'espèce, le genre de vie, etc. Ces zones, sur la
tranche de Vœ'û , sont aussi dues en partie à des
changements dans la disposition des filets nerveux ,
des masses dont ils partent, et des intersections plus
molles qui assez souvent les divisent en plusieurs
couches , comme nous Favons dit des céphalopodes.
Une couche épaisse et opaque de l'enduit clio-
roïdien revêt la face interne de la cornée ; on l'a
crue continue parce qu'elle n'est communément
perforée que d'ouvertures assez petites ^fig. 86y,
et qui disparaissent toujours quand on dissèque les
parties sans attention suffisante ; ces ouvertures ,
admises mais non démontrées par Marcel de Serres
et Mûller , niées par Cuvier bien que la vision devint
alors inexplicable, nous les avons vues chez tous
les insectes où nous les avons cherchées. On les
découvre en plongeant dans l'eau la cornée débar-
rassée des corps vitrés , mais non de son pigment ;
et l'inclinant, en divers sens, sous le microscope ,
pour faire flotter les petites cloisons choroïdiennes
qui , sans cette précaution , se couchent sur les
ouvertures en question et les font disparaître. Ces
ouvertures, par la réunion de celles qui se pré-
sentent à peu près perpendiculairement à l'œil de
l'observateur , constituent cette tache obscure et
mobile , cette sorte de pupille complexe qu'on voit
(1) Il est rouge chez les mouches; c'est lui ({ue le vulyairt: prend poui: du
sang quand il en écrase la tête.
?)28 m: la vie.
sur l'œil composé des sauterelles , des mantes , des
libellules, etc.
Avant d'entrer dans l'explication des fonctions de
cet œil qui semble si singulièrement construit compa-
rativement au nôtre , faisons comprendre au lecteur
que cette différence est , en réalité , peu considé-
rable : supposez tous ces cônes vitrés réunis sans
pigment intermédiaire , détachez idéalement de la
cornée ces cristallins déjà soudés ensemble, effacez
en esprit les facettes de la cornée commune, et
n'aurez-vous pas un œil de vertébré ? Or, une partie
de ces conditions est en effet remplie dans la nature.
Les nymphes des hémiptères, des cigales, ont les
gros yeux de Finsecte parfait , mais la cornée en est
lisse ( { ) : une cornée lisse recouvre aussi l'œil com-
posé de l'apus : sous cette même cornée lisse , le
groupe des cristallins et des vitrés se meut, chez
les daphnies, comme l'œil du serpent sous sa pau-
pière transparente. Quant à la complexité , nous
avons déjà vu combien elle était variable , et les
daphnies nous en offrent un exemple de plus, puis-
que leurs deux yeux , d'abord isolés , se confondent
en un œil impair chez l'adulte. Et les animaux pré-
cédemment examinés ne présentent-ils donc aucune
trace de division? Les céphalopodes n'ont-ils pas
aussi un gros nerf optique , coiffé d'un ganglion qui
émet de sa surface une foule de filets finalement
disposés en une couche à fibres perpendiculaires? Les
vertébrés eux-mêmes u'ont-ils pas des filaments ner-
veux innombrables , émanés du nerf optique , pour
(i) Elle est à facéties dans les nymplies des libellules. Celles dos cigales vivent
sous terre et ne se servent pas de leurs yeux.
DE LA VLE. 329
constituer la rétine ? Il y a plus , en faisant congeler
les humeurs d'un œil de bœuf, on a remarqué que
le vitré se partageait en glaçons prismatiques , paral-
lèles et dirigés perpendiculairement à la surface
du cristallin. C'en est bien assez pour nous faire
voir qu'il n'y a , chez les arachnides , les crustacés,
les insectes, que partage et dissémination d'éléments
plus serrés, mieux confondus chez les vertébrés,
comme on en a tant d'autres exemples, soit dans
leurs centres nerveux, soit dans les segments mêmes
dont leur corps se compose (»).
Mais cet œil fonctionnera - 1 - il comme celui de
l'homme ? Chose évidemment impossible. Il en pou-
vait être ainsi des stemmates, mais non des yeux
composés. Y aura-t-il, dans ces derniers, répétition
du même mécanisme autant de fois qu'il y a de cor-
néules représentant des stemmates , des ocelles ? On
ne peut le supposer, malgré les analogies ci-dessus
rapportées; car ces ocelles, dont se compose l'œil
à réseau, ont une forme particulière ; ils sont tou-
jours pyramidaux ou coniques et allongés, tandis
que les vrais stemmates sont toujours sub globuleux
et courts. Il ne saurait donc y avoir ici aucun effet
analogue à celui de la chambre obscure , aucun
croisement de faisceaux parvenant au fond de chaque
(1) Une autre analogie moins importante et moins certaine mérite pourtant
d'être mentionnée ; nous avons représenté la cornée et la choroïde des
vertébrés comme des dépendances et des modifications de la peau chez les
vertébrés ; or, voici ce que dit ^3ilne Edwards pour les crustacés : <> La tunique
externe se continue avec les téguments, et constitue une cornée transparente.
Derrière la masse formée par les diverses parties intérieures de
l'œil , on trouve une tunique membraneuse percée dans son milieu pour livrer
passage au nerf, et qui n'est qu'un prolongement de la membrane tégumentaire
moj'cnne , de sorle que c'est entre les deux couches externes de la peau qu'est
creusée la chambre oculaire. ><
330 m: la vuk.
ocelle ; car ce foud a'est qu'un point pour ainsi dire
géométrique ; et tout faisceau croisé , tombant sur
les parois du cône vitré , serait absorbé par le pigment
clioroïdien. Chaque ocelle d'un œil composé ne peut
donc admettre qu'un pinceau direct, un cône objectif
dont l'axe est perpendiculaire à la cornéule , et qui
devient, en vertu de la réfraction opérée par la
convexité généralement très-faible de ces cornéules,
un cône visuel. Ce cône serait même souvent trop
court pour porter son sommet sur le filament ner-
veux qui s'insère à l'extrémité du corps vitré, si
celui-ci , dont la densité est bien moindre que celle
de la cornéule , ne servait à en réduire la conver-
gence au degré convenable (fig. 91). De cette façon,
on peut concevoir que tout objet visible peint sur
Vensemhle des filaments rétinauXj sur cette sorte de
houppe qui s'élève du ganglion du nerf optique ,
une image directe j en faisant passer directement,
ou presque en regard de chacun des points de la
surface (^fig. 90jj les faisceaux lumineux qu'il envoie
à travers les ocelles. Cette image ponctuée se peint,
comme celle de toutes les lentilles, au foyer principal ;
mais aucun appareil ou instrument de physique ne
peut nous donner une idée juste de ce qui se passe
alors , parce qu'aucun n'a été conçu et exécuté sur
de pareils principes.
J'ai dit que la convexité de chaque cornéule est
généralement faible ; elles sont presque plates chez
beaucoup d'orthoptères, de névroptères (i), etc.,
(1) C'est un point qui mériterait d'être étudié comparativement aux habitudes
el à la structure interne. Je trouve ces facettes 4rès-plates chez la manie ; l'œil
est presque lisse chez le hanneton foulon ; elles sont très-coiivcxo5 chez le
cerantlrx héros , la /aon commun.
DE LA VUt. «^31
et la faiblesse de convergence qui en résulte est
parfaitement d'accord, et avec la longueur des
cônes ou cylindres vitrés, et avec la destination pré-
sumée , pour les yeux à réseau , de voir les objets
éloignés, les stemmates étant destinés aux plus voi-
sins. Il est une autre convexité dont il faut tenir
compte , c'est celle de la cornée générale , c'est la
saillie et la rondeur de tout l'œil : elle ne représente
pas , à beaucoup près , toujours une courbe uniforme ;
elle est plus prononcée dans certains points , moins
dans d^autres ; et ces différences en amènent quelque-
fois dans la grandeur des cornéules ; ainsi , celles
de la partie antérieure et inférieure de l'œil sont de
moitié plus petites que les autres chez les libellules :
le pigment y est aussi d'une autre couleur, ce qui
indique d'autres usages. Cette saillie, qui renfle géné-
ralement les deux cotés de la tète , permet le plus
souvent à l'animal de voir , autour de lui , presque
dans tous les sens, et supplée efficacement ainsi à
l'immobilité de l'œil et de la tète ; elle étend consi-
dérablement le champ visuel dont l'ampleur lui est
évidemment subordonnée. Quant à la netteté de la
vision , elle est liée , au contraire , avec une convexité
moindre et une surface plus étendue , qui suppose
d'ailleurs un nombre plus considérable de cornéules;
l'œil reçoit alors un plus grand nombre de faisceaux
lumineux partant du même objet. La même cause
diminue encore la myopie , parce que plus l'œil est
gros , plus les cônes transparents sont longs ; aussi
les insectes ailés ont-ils généralement des yeux très-
amples, tels les libellules, les papillons, les taons,
les mouches ; tandis que ceux qui vivent à terre ou
332 DE LA vni-.
dans (les trous , comme beaucoup de coléoptères, les
fourmis, etc. , les ont peu yolumineux. C'est aussi ,
généralement 5 le cas des insectes nocturnes/ mais
si leurs yeux sont petits, leurs cornéules ou facettes
sont grandes et par conséquent peu nombreuses ; le
cbamp visuel est ainsi peu vaste , et la vue assez
courte, comme chez les vertébrés nocturnes; de
plus , le fond de chaque ocelle est resplendissant
comme celui de quelques stemmates, de sorte que
la tache mobile et en forme de pupille , dont il a
été question plus haut , au lieu d'être obscure , est
au contraire brillante; il y a d'ailleurs peu de
pigment choroïdien , circonstance reconnue déjà par
Marcel de Serres ; il y en a peu aussi chez les
crustacés, la langouste en particulier.
On pourrait trouver encore quelques autres modi-
fications en rapport avec le genre de vie des insectes ,
dire que l'œil des carnassiers est très - convexe
( Marcel de Serres ) , parce qu'il leur faut explorer
un plus grand champ de recherches (Mûller), etc. ;
mais ce sont des objets plus afférents à l'étude
extérieure ou zoologique de ces animaux qu'à leur
étude intérieure ou physiologique ; nous terminerons
donc ces détails en rappelant que l'œil composé des
insectes diffère surtout en ceci de celui des vertébrés ,
relativement à ses fonctions : 1 ^ que l'image des objets
s'y peint sans renversement; 2^ que cette image est
ordinairement peu éclairée , parce qu'il y a beau-
coup de lumière perdue sur le pigment choroïdien ;
3° qu'il n'y a point, chez eux, de centre visuel;
et que, de tous les objets qui entourent l'animal,
aucun ne peut être plus particulièrement apprécié
DK LA vn:. 333
que par rallention qui se fixe sur lui , si Ton en
excepte peut-êîre le cas où l'insecte s'arrange (la
mante , par exemple) pour que l'objet qui l'intéresse
frappe les deux yeux à la fois et en même temps les
stemmates.
CHAPITRE VIL
DES SENSATIONS CENTRALES CONSIDEREES DANS LES DIVERS CENTRES
DU SYSTÈME NERVEUX ET DANS LES NERFS QUI EN EMANENT.
ARTICBLE I," - Ciéaîéraîâfés,
Nous a\ons précédemment dit quelques mots des
sensations internes; soit dans les généralités qui
servent d'introduction à notre troisième partie , soit
à l'occasion du système ganglionnaire , du nerf tri-
splanchnique dans la deuxième ; nous venons d'étu-
dier en détail les sensations externes ; il nous reste
maintenant à analyser les opérations centrales ,
autrement dit intellectuelles ou mentales , qui résul-
tent du transport des sensations internes et externes
jusqu'aux masses principales du système nerveux ,
et notamment à l'encéphale des vertébrés et de
l'homme : c'est supposer que nous n'allons parler
que des animaux à système nerveux centralisé ; et
en effet , qu'aurions-nous à dire de ceux dont toutes
les molécules paraissent également nerveuses , sen-
tantes et voulantes, s'il est permis de s'exprimer
ainsi? Chez eux, il y a évidemment ces trois
éléments fondamentaux des fonctions sensoriales,
impression j réaction. ei transmission , puisque l'en-
334 DES SENSAÏIOÎNS CENTRALES
semble participe aux sensations d'une partie, puis-
que le tout prend des déterminations universelles à
propos d'une excitation partielle. Nous avons expli-
qué dans la deuxième partie comment ce phénomène
pouvait se concevoir ; nous y renvoyons le lecteur,
en ajoutant seulement ici que cette diffusion est un
signe d'imperfection organique , puisque , avec l'in-
dividualisation , la centralisation des organes , mar-
chent de front la perfection, la complication dans
leur structure et dans leur office : il va sans dire
que chaque organe remplit mieux une fonction spé-
ciale , exclusive , quand il est revêtu de formes et
doué d'une composition à lui propre , que des fonc-
tions multiples avec une organisation mélangée et
semblable à celle du reste du corps. Aussi, bien
que le polype sente sa proie , veuille s'en saisir et se
mette en mouvement à cet effet , quand il a jugé
qu'elle convient à sa nourriture, ce sont là des
opérations bien élémentaires, des sensations bien
obscures, des volontés et des jugements réduits à
leur plus simple expression.
Ces opérations deviennent bien autrement variées
et parfaites dès que la matière nerveuse s'isole de la
musculaire ; mais il y a , sous ce rapport, de grandes
différences encore entre les animaux qui jouissent
de cet avantage ; et nous serons du moins forcé de
jeter d'abord un coup-d'œil sur ceux où la coales-
cence des centres nerveux est imparfaite ou nulle ,
avant de parler des autres : cette distinction nous
acheminera vers une interprétation plus facile de ce
qui se passe chez les animaux à centres confondus
en une seule masse. Je désigne ainsi ceux qui,
DAKS LES DIVKRS CENTRES. 335
placés au premier rang dans l'échelle, occuperont en
conséquence la plus grande place dans ce chapitre ,
où nous donnerons le peu que la science possède
sur les fonctions de chaque portion notable de l'ap-
pareil encéphalique. Dans un chapitre subséquent
nous présenterons l'exposé complet des opérations
mentales qu'il nous serait impossible , dans l'état
présent de nos connaissances , de rattacher , avec
quelque exactitude , à la distribution anatomique
qui doit ici nous servir de guide.
ARTICliEIT. - iBivertfélïrës.
Si , chez les animaux vertébrés on peut révoquer
en doute cette opinion , que toutes les parties quel-
conques du système nerveux sont douées des mêmes
facultés j et que les fonctions spéciales dévolues à
certaines d'entre elles tiennent , non à des propriétés
spéciales , mais à des particularités de masse , de
configuration et de rapports, cette vérité ne saurait
être méconnue quand on en cherche la preuve chez
les animaux à texture neuromyaire et encore dans
ceux qui vont faire l'objet de cet article.
Ici nous trouvons , pour centres nerveux , une
chaîne de ganglions plus ou moins éloignés , mais
toujours associés par des communications directes
{^fig- 6 , 7 ef 8y'. Les cordons de communication ,
essentiellement filamenteux dans leur contexture
microscopique , paraissent doués à un haut degré de
la faculté de transmission/ tandis que les ganglions
pulpeux, globulaires, souvent colorés en jaune , en
brun , même en rouge à leur centre , entourés d une
substance blanche et filamenteuse aussi (^fig. d2jj
33n DES SENSATIONS CENTHAtES
paraissent plus particulièrement aptes à recevoir les
impressions , à les élaborer et à exercer les réactions
diverses qui constituent la sensation , la volition^ et dé-
terminent les mouvements musculaires. L'expérience
prouve Lien aisément en effet que , dans chaque gan-
glion (i) d'un insecte , d'une annélide , etc. , siègent
également ces aptitudes que nous sommes accoutumés
à n'accorder qu'aux masses céphaliques , d'après ce
que nous montrent les vertébrés supérieurs. Sans
doute , elles y sont réduites encore à peu de compli-
cation, et pourtant on peut y observer même des
actes, jusqu'à un certain point, raisonnes. C'est sur
cette vérité , aussi bien que sur la segmentation exté-
rieure qui répond à la segmentation nerveuse , que
nous avons principalement basé notre doctrine de la
conformité organique, dans laquelle on considère
tout animal articulé (astacaire) et tout vertébré
( bominiaire ) comme composé d'animaux simples
soudés ensemble. Aristote connaissait déjà la faculté
qu'ont los segments des insectes et des scolopendres
de conserver la vie et le mouvement , quoique séparés
du tout; Latreille(2), Marcel de Serres, Carus ont
plus ou moins explicitement parlé de cette vie par-
ticulière à chaque anneau d'un invertébré ; Moquin
l'a fait bien nettement ressortir pour les hirudinés ;
il a répété les expériences que j'avais précédemment
faites sur des insectes , et il en a confirmé le résultat.
J'enlève rapidement , avec des ciseaux , le protho-
(1) Quoique souvent je parle au singulier du ganglion appartenant à chaque
segment, on ne doit pas oublier qu'il est en réalité composé d'une paire de
ganglions plus ou moins intimement confondus.
(2) « Chaque ganglion semble être lui-même , pour ces parties , un cerveau
spécial. » (Mém mus. , t. V, ■p. iil . )
DANS LES DIVÉr.S CENTRES. 33 /
râx ou protodère de la mantis religiosa ; le tronçon
postérieur resté appuyé sur ses quatre pattes , résiste
aux impulsions par lesquelles on cherche à le ren-
verser , se relève et reprend son équilibre si on
force cette résistance , et en même temps témoigne ,
par la trépidation des ailes et des élytres , d'un vif
sentiment de colère , comme il le faisait , pendant
l'intégrité de l'animal, quand on l'agaçait par des
attouchements ou des menaces. Mais ce tronçon
postérieur contient une bonne partie de la chaîne des
ganglions; on peut poursuivre l'expérience d'une
manière plus parlante : le long corselet ( prothorax
ou protodère), qu'on a détaché des autres segments ^
contient un ganglion bilohé (^fig, 9^Jj qui envoie
des nerfs aux bras , ou pattes antérieures armées de
crochets puissants (pattes ravisseuses) ; qu'on en
détache encore la tète , et ce segment isolé vivra
pendant près d'une heure avec son seul ganglion; il
agitera ses longs bras , et saura fort bien les tourner
contre les doigts de l'expérimentateur qui tient
le tronçon, et j imprimer douloureusement leur
crochet. Donc ce seul ganglion thoracique ou déri-
que sent les doigts qui pressent le âegment auquel
il appartient , recomiait le point par lequel il est
serré , veut s'en débarrasser et y dirige les membres
qu'il anime.
J'ai dit que les cordons intermédiaires étaient
chargés de la transmission; on conçoit qu'ils doivent
ainsi harmoniser les fonctions de tous ces centres de
sensation et d'action, individualiser cet ensemble.
Mais laissons là les conjectures, voici les faits:
coupez , sur une mante , le double cordon de com-
22
338 DES SENSATIONS CENTRALES
miinicatîoii entre la première paire de pattes et la
deuxième ; plus d'harmonie dans les mouvements ;
impossibilité d'une progression suivie, malgré la
vive agitation de tous les membres à la fois. Même
opération sur une grande sauterelle , sur Vacrydium
îineola par exemple , même irrégularité des mouve-
ments ; prenez l'insecte par la tête , il ne saura pas
reculer ; il ne se défendra que des pattes anté-
rieures , tandis que , à l'état d'intégrité , il sait fort
bien diriger de ce coté ses pattes postérieures armées
de fortes épines : mais touchez - le vers l'anus , à
l'instant il débandera ses deux grandes pattes , soit
pour frapper vos doigts , soit pour s'élancer en
avant avec la même vigueur qu'avant l'expérience.
On peut varier diversement ces essais, enlever une
paire de ganglions au lieu de couper simplement les
cordons intermédiaires; toujours on aura des résul-
tats analogues. D'autres faits viennent prouver que
la transmission des réactions nerveuses d'un bout de
la chaîne à l'autre , bien que pouvant s'opérer dans
les deux sens, est néanmoins un peu plus facile
d'avant en arrière que d'arrière en avant. On con-
çoit qu'il en doit être ainsi d'après ce qui se passe
chez les vertébrés: le cerveau, moins prépondérant
ici , n'en est pas moins le centre le mieux partagé ,
comme nous le verrons tout-à-l'heure, et certaine-
ment il est plus à même de donner aux autres gan-
glions que d'en recevoir; aussi, même chez des
animaux dont la tête n'est que rudimentaire , les
lombrics terrestres , voit-on , après une solution de
continuité instantanée, le tronçon postérieur donner
par ses contorsions de violents signes d'irritation,
Ï>ANS LES DIVERS CÉ^XTRÊS. ooQ
tandis que le tronçon antérieur n'exécute guère que
(les mouvements de progression ordinaire, seulement
plus hâtifs.
La transmission s'opère aussi , d'un côté à l'autre
du corps , à travers la commissure qui réunit les deux
ganglions de chaque paire. On en acquiert la preuve
par une expérience assez délicate , et qui consiste à
ne couper qu'un des cordons de communication entre
la première paire de pattes et la deuxième ; nous
l'avons fait souvent sur ïacrydmm Imeoïaj après avoir
enlevé préalahlement une petite partie du plastron
pour mettre ces cordons à découvert. On ohserve
alors que toute relation entre la tète et les membres
répondant au cordon coupé, n'est pas pour cela
détruite comme elle le serait , chez un vertébré ,
par la section d'une moitié de la moelle épinière ;
seulement il y a ralentissement dans les communi-
cations : attaquez la tète de l'insecte , pincez les
antennes , il se défendra d'abord avec la grande patte
épineuse , c'est-à-dire la troisième patte, du côté sain ;
mais bientôt il y emploiera aussi celle du côté blessé.
Si la section a été faite entre la deuxième et la troi-
sième patte , la lenteur sera bien plus grande encore,
et l'animal ne portera même que rarement vers la
tète la patte du côté opéré , bien qu'elle jouisse de
toute son énergie, de toute sa promptitude quand
il s'agit de défendre les ailes , l'abdomen , ou de
sauter en avant. Dans ces mêmes expériences, on
peut aussi remarquer que , si l'on touche légèrement
l'anus ou les ailes , les pattes antérieures se mettent
en mouvement aussi vite que les autres pour faire
avancer l'insecte. Il y a donc là des conditions
B40 DES SENSATIONS CENTRALES
organiques suffisantes pour expliquer l'hariuome et
l'ensemble des actes de sensation centrale chez les
invertébrés; mais c'est surtout l'habitude et l'instinct
héréditaire qui rendent cette harmonie , cette indi-
vidualité plus complète : les frères siamois , réunis
ventre à ventre , avaient appris spontanément à coor-
donner tous leurs mouvements , comme un homme
coordonne ceux du coté droit et du côté gauche ; il
en est de même d'un invertébré composé de nom-
breux serments.
Terminons cet article par quelques remarques
sur chaque centre ou ganglion considéré en parti-
culier. J'ai déjà dit que le volume et les rapports
constituaient en grande partie l'importance et la
spécialité de chacun de ces centres; c'est donc un
perfectionnement réel que la fusion de deux masses
ganglionnaires ou davantage en une seule , et c'est
là en partie ce qui constitue la supériorité des ver-
tébrés sur les invertébrés (i). Chez ceux-ci nous
voyons déjà les plus industrieux , les araignées par
exemple , nous offrir une coalescence de toutes les
masses ganglionnaires en trois masses (2), une au-
(1) La centralisalion qui en résulte offre , en effet , cet avantage que chaque
partie , au lieu d'être oLlijîée de produire toutes les fonctions d'innervation ,
peut n'en exéciiter qu'une seule toute spéciale , et par conséquent plus parfaite-
ment exercée. De l'ensemble de toutes ces actions spéciales résulte nécessaire-
ment un tout bien plus complexe et bien plus varié. La vie commune y gagne
donc en perfection, en vivacité. Sous ce rapport , on peut comparer chaque
ganglion de la chaîne d'un invertébré à un homme isolé , obligé dejjourvoir par
lui-même à tous ses besoins , et chaque portion des centres nerveux d'un
vertébré , à l'habitant d'un pays policé qui livre aux autres les produits de son
industrie spéciale , et jouit de tous ceux que lui procurent les nombreuses
professions qu'exerce chacun de ses concitoyens. C'est une application
naturelle du principe de la division du travail si souvent rappelé par Milne
Edwards.
(2) Les mollusques n'en ont pas communément davantage ; mais ce ne sont
pas des animaux élémentairemenl composés de nombreux segments, comme
DANS LKS DIVERS CEINTRES. 341
dessus de l'œsophage , une autre au centre de Tori-
gine des pattes , la troisième à l'entrée de ce qu'on
nomme l'abdomen. Chez les insectes , la larve con-
tient, le plus souvent, autant de renflements gangli-
formes qu'il y a de segments au corps (treize), tandis
que , dans l'animal parfait , plusieurs coalescences
se sont opérées.
Nous les avons constatées dans quatre points , en
suivant les métamorphoses de la chenille en papillon.
1° La masse nerveuse la plus postérieure est, chez
l'insecte parfait, l'une des plus volumineuses ; trois
des ganglions de la chenille y sont confondus; mais,
chez elle , les organes génitaux étaient comme nuls ;
ils ont acquis , chez l'adulte , un énorme déve-
loppement et une activité , une importance telle que
la vie même est bientôt totalement sacrifiée à leur
exercice. 2^ Dans la région qui porte les appendices
locomoteurs , le thorax , ou mieux le dère , deux et
quelquefois trois ganglions s'approchent, se soudent,
se renflent, tandis qu'un des suivants s'atrophie
presque complètement (^comparez les fig-^A et 95^/
aussi, chez l'animal parfait, cette région acquiert-
elle une tout autre importance que chez la larve;
c'est l'origine des ailes qui manquaient absolument
à cette dernière ; la totalité de cette région a acquis
aussi un développement général , proportionné à
son importance nouvelle , au nombre et à la gran-
deur des muscles qu'elle contient, et il est à noter
que plus le papillon a les ailes développées (diurnes,
le sont évidemment les araijînées, si voisines des scorpions , etc. Les crabes,
assez peu industrieux, ont aussi une coaleseence assez grande des ganglions
antérieurs , mais ceux de Fabdomen sont loxijours en chapelet.
3^2 DES SENSATIONS CENTRALES
paon de nuit), plus la soudure des trois ganglions
est coKiplète ; le premier des trois reste fort éloigné
des autres dans le bombyx écaille. B® Enfin , deux
ganglions encore se sont soudés pour n'en faire
qu'un seul , représentant le cervelet et la moelle
allongée des vertébrés , situé à la partie inférieure
et postérieure du crâne , et qui s'est d'ailleurs rap-
proché beaucoup du premier renflement de tous,
le sus-œsophagien ou cerveau , par le raccourcisse-
ment du collier œsophagien, que nous comparons
aux pédoncules cérébraux. Ce rapprochement et
une notable augmentation de volume annoncent des
usages plus parfaits , des fonctions plus importantes :
toutes les parties de la bouche ont changé de la
chenille au papillon , tant dans leur forme que dans
leurs fonctions; et c'est de la masse inférieure de
cet encéphale imparfait que naissent les nerfs qui se
rendent à ces organes gustatifs et masticateurs (i).
Mais, par -dessus tout, les yeux et les antennes
montrent un accroissement , un perfectionnement
merveilleux; aussi la partie sus-œsophagienne des
centres céphaliques a-t-elle pris une ampleur con-
sidérable (^fig. 87, 88, 89y/ les nerfs antennaires
ou olfactifs offrent parfois, à leur origine, un renfle-
ment bulbeux qui peut être comparé au lobe olfactif
des vertébrés , tandis que la masse principale de ce
premier ganglion représente , à la fois, l'hémisphère
cérébral et le lobe optique , portant d'ailleurs quel-
quefois (2) des lobules accessoires qu'on pourrait
assimiler à d'autres tubercules encéphaliques.
(1) Il f»ul 3' joimlre les auditifs cliez les cririirucs.
{-) D;iJi5 le liaiiiicloM , <r;<pr<';s Slr;ni:jS.
DANS LES DIVERS CENTRES. 343
Mais, nous Favons déjà fait comprendre, c^est
surtout en raison de ses relations que ce premier
centre nerveux des invertébrés a, sur les autres, une
influence prépondérante ; c'est comme présidant à
la vision, au jeu des antennes, comme conduisant
toute cette cohorte aveugle , qu'il prend une plus
haute importance ; importance bien moindre pourtant
que chez les vertébrés, où il acquiert de nouvelles
prérogatives par son volume et la complication de sa
structure. Lorsqu'il n'existe ni yeux , ni antennes ,
comme dans certaines larves et dans les lombrics ,
le cerveau perd beaucoup de sa prépondérance ;
on peut , chez ces derniers , l'enlever, même avec
quelques-uns des renflements qui le suivent , et voir
l'animal, non -seulement survivre à cette mutila-
tion , mais encore reproduire et les centres nerveux
détruits, et les segments du corps enlevés avec eux.
Il n'en est pas autrement de ceux de la région
postérieure , seulement on peut impunément sup-
primer et voir renaître un bien plus grand nombre
des derniers que des premiers.
ARTICEiË lîl. - Vertébrés,
§ \". Prolégomènes.
Bien qu'il ne soit pas permis de méconnaître
l'identité des centres nerveux chez les invertébrés
et chez les vertébrés , nous devons convenir que
leur segmentation est ici masquée , d'un côté , par
leur centralisation , leur coalescence , et de l'autre ,
par les grandes différences qui s'observent, sous
le rapport de la forme et du volume , entre ceux
qui appartiennent à des régions différentes : c'en
3 14 DES SEINSATIONS CENTUALES
est assez pour expliquer l'erreur des physiologistes
qui ont cru toute comparaison impossible de l'une
à l'autre des deux grandes divisions du règne
animal. Ce défaut de segmentation marquée , cette
grande prépondérance des centres antérieurs sur
les postérieurs s'observent, au reste, à l'extérieur
même du corps des vertébrés aussi bien que dans
leurs parties nerveuses ; mais , de même que des
renflements séparés par des étranglements plus ou
moins profonds rappellent , dans celles-ci, une seg-
mentation en partie effacée , de même le brisement
de la colonne vertébrale par des articulations en
nombre égal à celui des origines nerveuses , ou en
d'autres termes , la séparation de l'étui osseux de la
moelle épinière en vertèbres distinctes , rappelle la
disposition annelée du squelette extérieur des inver-
tébrés , et il n'y a pas jusqu'à la tète même où l'on
ne puisse retrouver les traces de cette segmentation.
Duméril avait comparé la tête à une vertèbre
hypertrophiée ; Oken et de Blainville en ont compté
quatre , Spix trois seulement , Geoffroy-St-Hilaire
sept. S^ns insister longuement sur ces détails , nous
dirons qu'il nous parait rationnel d'admettre quatre
vertèbres céphaliques (^fig. 96 Jj auxquelles corres-
pondent plus ou moins directement les renflements
principaux des centres nerveux , les sens et des
appendices mobiles. La première , olfactive ou
ethmoïdale , comprend le front , le nez et les os
incisifs , qui répondent au labre des animaux arti-
culés. La deuxième , vertèbre oculaire ou proto-
sphénale , comprend les pariétaux , les orbites , les
yeux et les os maxillaires supérieurs qui répondent
DANS LES DIVERS CEINTllES. 345
aux mandibules. La troisième , auditive ou deuto-
sphénale , comprend les temporaux , les oreilles , la
mâchoire inférieure , représentée ailleurs par les
maxilles. La quatrième enfin , gustative ou occipitale,
a pour annexes l'hyoïde et la langue ; c'est par la
lèvre inférieure qu'elle est figurée chez les insectes,
comme on peut le voir dans le tableau annexé à notre
première partie. Quant aux renflements encéphali-
ques fondamentaux, lobes olfactifs, lobes optiques
et moelle allongée , ils correspondent plutôt phy-
siologiquement qu anatomiquement à cette division
du squelette et des appendices , surtout chez les
vertébrés supérieurs dont le cerveau et le cervelet,
qui ne répondent précisément à aucune de nos quatre
vertèbres , acquièrent sur le reste une énorme pré-
dominance.
La moelle épinière , la moelle allongée , le cerve-
let, les lobes optiques, les hémisphères du cerveau
et les lobes olfactifs , telles sont les masses centrales
dont nous aurons successivement à nous occuper
quant à leurs fonctions , en y joignant ce qui concerne
les nerfs qui en dépendent , mais sans tenir compte
davantage de leurs moyens de protection ; qu'il nous
suffise de dire que la première est seule contenue
dans l'étui à articulations mobiles, nommé rachis ou
colonne vertébrale , et toutes les autres dans le crâne.
Partout , au reste , nous retrouverons les deux
substances déjà mentionnées pour les invertébrés.
Nous avons vu , chez eux , la substance pulpeuse
rassemblée au centre des ganglions , et la fibrillaire
allongée en cordons de communication ; ici nous les
trouverons tantôt mélangées , tantôt accolées. La
3i6 DES SENSATIONS CENTRALES
première , dite aussi substance grise ou corticale ,
est extérieure au cerveau et au cervelet, intérieure
dans la moelle épinière et la moelle allongée ; tandis
qu'au contraire la substance conductrice , dite aussi
blanclie ou médullaire , occupe le centre des grands
renflements susdits et la superficie des lobes opti-
ques , de la moelle allongée et de la moelle épinière.
Ceci suffirait pour indiquer, dans ces deux ordres
d'organes , deux genres de fonctions tout différents , et
c'est ce que prouveront les remarques suivantes.
§ II. Moelle épinière.
C'est la portion la plus longue et la plus étroite
de l'agrégat qui nous occupe , mais les proportions
sont bien loin d'être les mêmes entre elle et les ren-
flements céplialiques dans les diverses classes des
vertébrés: les poissons (^j^^. ^Ijj, les reptiles mêmes,
et surtout les batraciens, les ophidiens, ont l'encé-
phale à peine une fois plus large que le bulbe de la
moelle épinière; la disproportion est un peu plus
forte chez les lézards fp.g. 98^"^ les tortues et les
crocodiles; bien davantage chez les oiseaux ffig. 99^
et les mammifères fp.g. 100^':, surtout les singes;
mais nul animal n'offre une prépondérance aussi
grande des parties céphaliques sur les rachidiennes
que l'homme ffig. 101^ (i). De là on a conclu,
(1) Le dauphin ferait exception à cette règle , à De considérer que la largeur
du cerveau ; elle est effectivement comnxe 13:1 conaparativement à celle du
hulbe de la moelle rachidienne , tandis que Tliomme n'offre que les proportions
de 1 : 7 (Cuvier) ; mais ce cerveau si large est aussi fort court ; son diamètre
antéro -postérieur est presque moitié moindre que le transversal; c'est tout
l'opposé chez l'homme. Pour le macaque , la proportion entre la largeur du
iulbe rachidien et celle du cerveau est:: 1 : 5 ; pour le chien elle varie beau-
coup ; la plus forte différence est de 1 : 2 ^y'^. C'est à peu près la même chose
pour plusieurs autres mammifères et oiseaux, le dindon, la chouette, le
moineau franc ( Cu^ier ),
DANS LES DIVERS CEISTP.ES. 347
avec quelque raison , que plus la différence est
grande , plus Tanimal est intelligent ; mais, bien que
cette opinion ait été celle d'hommes très-recomman-
dables, Sœmmerring, Ebel, Cuvier, elle ne doit
être admise qu'avec beaucoup de restrictions , puis-
que les proportions qu'elle semble établir mettraient
au même niveau le chien, le lapin et les oiseaux,
et placeraient même le dindon plus avantageusement
que la chouette et le faucon (i). Il faut tenir compte
aussi de la complication des formes , et surtout du
nombre et de la profondeur des circonvolutions qui
sont nulles ou presque nulles chez les rongeurs et
les oiseaux.
Au reste , il ne résulte pas moins de ces observa-
tions , que les renllements encéphaliques sont les
principaux centres d'innervation , et que la moelle
épinière est plutôt destinée à conduire qu'à élaborer
les impressions ou les déterminations mentales;
toutefois , elle n'est pas incapable de tout acte de
centralité , s'il est permis de s'exprimer ainsi (2) ; et
ces actes seront d'autant plus faciles, plus prononcés,
que la prépondérance de l'encéphale sera moindre,
que la moelle offrira plus d'analogie avec le chapelet
des invertébrés , et surtout avec celui des lombrics
(1) De même on a voulu expliquer physiolo{jiquemenl les différences de
longueur et de volume de la moelle épinière sur différents animaux ; Desnioulins
s'esl livré à cet égard à des conjectures bien souvent en contradiction l'une avec
l'autre : ce qui nous a semblé de plus positif à cet égard, c'est 1° que , assez
généralement , la moelle est d'autant plus longue que la forme de l'animal est
plus effilée ; 2° que plus elle est longue, plus elle est étroite ; ce qui lui con-
serve à peu lires la même masse relativement à la masse générale du corps.
Comparez , sous ce rapport , les batraciens anoures aux urodèles , les raies , la
baudroie aux poissons allongés, etc.
(2) C'est ce que Marsliall llail vient de dési^jncr comme une force spéciale ^
qu'il nomme excilo motrice.
348 DES SENSATIONS CENTEALES
et des néréides , dont les ganglions sont tout-à-fait
contigus (^fig. 1 02. J Cette analogie se montre dans les
renflements qu'elle offre yers les origines des nerfs
dans les serpents, les lézards f^fig. iO^J : aussi
voit-on la queue de ces derniers, séparée du eorps,
s'agiter vivement, et la décapitation d'une tortue, d'un
lézard , d'un serpent , d'une grenouille , laisse-t-elle
encore , dans ce corps mutilé , une vie qui peut se
prolonger plusieurs jours; l'animal s'agite , retire ses
pattes si on le pince , saute ou marche si on l'excite
fortement. Legallois , répétant les expériences de
Chirac, a remarqué le même phénomène chez de
jeunes lapins décapités dont il entretenait artificiel-
lement la respiration , après avoir lié les artères caro-
tides. Les mêmes mouvements ont été ohservés sur
des fœtus anencéphales, comme l'a plus particulière-
ment rapporté et expliqué notre collègue Lallemand ;
et l'on a dit que la même chose avait eu lieu, pendant
hien peu de temps il est vrai, dans les membres d'in-
dividus adultes de l'espèce humaine décapités par la
main du bourreau. Les oiseaux, d'après ce que nous
avons pu voir, tiennent, sous ce rapport, le milieu
entre les mammifères et les reptiles. Parmi ces
derniers, de même que parmi les poissons, les plus
allongés peuvent être coupés eu plusieurs tronçons
vivants , qui se meuvent avec régularité (couleuvre ,
anguille), et qui semblent même tenter d'échapper
à la main qui les presse, comme l'avait observé un
de nos collègues, ravi de trop bonne heure aux
sciences médicales, le professeur F. Bérard. On ne
s'étonnera pas, d'après cela, de voir des mouvements
s'exercer dans la queue ou les membres postérieurs
DANS LES DIVERS CENTRES. 349
d'un animal dont la moelle épinière est divisée dans
un point quelconque , comme m'a dit l'avoir expéri-
menté un autre de nos collègues (Rech). On expli-
quera assez bien , de la même manière , comment
des paralytiques ont pu momentanément se soutenir
et même marcher ; et l'on trouvera dès-lors aussi ,
peut-être, assez rationnelle l'explication que nous
avions donnée , ily a long-temps déjà , du mécanisme
de certains mouvements automatiques j, à l'exécution
desquels la conscience semble momentanément étran-
gère , comme la marche et autres exercices hahùuels.
L'encéphale nous parait n'y être pour rien une fois
que le mouvement est commencé, et n'intervenir
que pour l'arrêter, le diriger. Quant à la mécanique
du mouvement même , c'est la moelle épinière,
peut-être la masse globulaire grise de son centre
qui la dirige , comme le ganglion correspondant à
chaque paire de pattes en dirige le mouvement chez
l'insecte. C'est aussi une action toute locale qui nous
fait retirer instantanément un membre qui reçoit
quelque impression douloureuse. Cette centralité
rachidienne semble également prouvée par ce fait que
la moelle épinière est renflée en fuseau, là où naissent
des nerfs plus volumineux , communiquant avec des
parties très-acîives et très-sensibles , comme à l'ori-
gine des nerfs destinés aux membres supérieurs et
aux membres inférieurs : chez les oiseaux {^fig. 101 Jj
le renflement lombaire offre même un ventricule
pareil à celui du bulbe rachidien; c'est ce qu'on
nomme sinus rhomboïdal. Plus parlante encore est
la disposition présentée par les trigles , poissons
osseux qui ont, à la moelle épinière , autant de ren-
350 DES SENSATIONS CENTRALES
flements globuleux et grisâtres que de doigts libres
au-devant de leur nageoire humérale.
Si Ton s'en rapportait même à Legallois , il fau-
drait admettre dans la moelle épinière une puissance
Tiyifiante et une influence directe sur l'activité du
cœur : en détruisant la portion cervicale et dorsale
de l'une , il diminuait et anéantissait enfin les mou-
vements de l'autre. Mais ces expériences n'ont pas
eu toujours les mêmes résultats sur des animaux à
sang chaud (Wilson, Mayer, Flourens), et à plus
forte raison sur des animaux à sang froid (Haller,
Spallanzani } , surtout quand la destruction était
graduelle ; de plus , les battements du cœur ont pu
durer un certain temps chez des fœtus anencéphales
et sans cordon rachidien, séparés totalement de la
mère (Lallemand et autres) : on peut donc croire
que les résultats obtenus par Clift , Wilson et
Wedemeyer ( cités par Burdach) , d'une destruction
subite , ne prouvent autre chose , aussi bien que
les expériences de Legallois , sinon que la moelle
épinière, comme masse nerveuse assez considérable,
aide , par son influence , à l'action des ganglions du
grand sympathique , source des nerfs cardiaques et
qui reçoivent des filets de communication de toutes les
paires cervicales et des premières dorsales, La moelle
influe SUT ces ganglions auxiliairement _, soit par sa
propre puissance , soit comme leur transmettant
même l'influence des autres masses encéphaliques,
ainsi que cela a lieu dans les passions violentes.
Elle est , nous l'avons dit tout-à-l'heure , eîFective-
ment douée, surtout chez les mammifères et l'homme,
de propriétés éminemment conductrices ; c'est ce que
DANS LES DIVERS CENTRES. 35 1
prouvent les paralysies produites par les lésions de sa
continuité , dans toutes les parties qui reçoivent leurs
nerfs du tronçon ainsi séparé de l'encéphale. Mais
ceci est vrai surtout de la substance fibreuse qui
en fait la masse principale , et qui se trouve placée
à l'extérieur ; on peut croire que la substance grise
centrale a plus de rapport avec ses fonctions locales
et immédiates. Cette substance grise existe, à son
centre, chez tous les vertébrés; on Fa bien connue
chez l'homme (^^. 106) et les mammifères; mais
on l'a déniée à tort aux reptiles et aux poissons , en
déclarant que leur moelle épinière est fistuleuse.
Cette substance (^^. 104, lOôy'y est si molle, qu'elle
se détruit et laisse un canal à sa place après quelques
malaxations; mais je n'y ai vu de vrai tube fistuleux
que dans une courte étendue après le quatrième
ventricule et avec des dimensions très-étroites ; c'est
du moins ce que m'ont offert évidemment les cou-
leuvres, lézards et grenouilles que j'ai disséqués.
Occupons - nous de la substance blanche ou exté-
rieure , eu égard aux fonctions différentes qu'on a
cru pouvoir assigner à ses différentes portions.
Selon Chaussier , Gall et Ch. Bell , chaque
moitié latérale du cordon rachidien serait formée de
trois faisceaux , un antérieur, un postérieur, un la-
téral , six en tout; il n'y en aurait que quatre d'après
Rolando, Magendie et autres; ce total serait double ,
c'est-à-dire de huit, selon Hygmore et Baillie. En
réalité , chez l'homme et les mammifères , on trouve
huit faisceaux , quatre de chaque côté , à la partie
supérieure seulement de la moelle; et l'on n'en
distingue plus que quatre , deux de chaque côté , à
352 DES SENSATIOINS CENTRALES
quelque distance de son union avec le cervelet; les
pyramides postérieures s'étant confondues avec les
corps restiformes pour constituer les faisceaux pos-
térieurs (supérieurs chez les quadrupèdes , ou autre-
ment sur-spinaux), et les faisceaux des éminences
olivaires étant également réunis avec ceux des pyra-
mides antérieures pour former les faisceaux anté-
rieurs communs (inférieurs ou sous-spinaux). Chez
les couleuvres et les lézards, nous en avons décou-
vert deux de plus : ce sont deux rubans latéraux ,
fibreux , interrompus par une suture transversale à
chaque origine de nerf (^fig. 103 et 104 , Ny"/ ils se
terminent en constituant le nerf spinal, portion de
la huitième paire (ancienne nomenclature); durant
leur trajet , ils sont comme incrustés dans l'épaisseur
des faisceaux sous-spinaux ou inférieurs. Cette struc-
ture particulière de la moelle épinière des reptiles
allongés semblerait autoriser l'opinion de Ch. Bell ,
savoir qu'il y a des faisceaux latéraux respiratoires ;
opinion que nous réfuterons dans le paragraphe
qui va suivre. Il va être question ici seulement des
faisceaux sur et sous-spinaux, et des racines de nerfs
qui s'y implantent.
Bellingeri croit que les faisceaux sous-spinaux pré-
sident aux mouvements de flexion, les sur-spinaux
à ceux d'extension ; opinion que rien ne prouve.
Ch. Bell, réveillant l'ancienne distinction des nerfs
du sentiment et de ceux du mouvement ( i ) , a trouvé ,
dans des expériences bientôt confirmées par celles de
(1) Galien pensait que les nerfs sensilifs naissaient de l'encéphale et les loco-
moteurs de ses membranes. Cette dernière erreur, due sans doute à des tiraille-
ments inconsidérés, a été en partie renouvelée par Desmoulins.
DANS LES DIVERS CENTRES. 353
Magendie , puis mieux encore par celles de J. Mûller,
que les faisceaux postérieurs ou supérieurs jouissent
d'une vive sensibilité , que les racines des nerfs qui
en émanent ne peuvent être tiraillées sans causer
de vives douleurs ; tandis que les faisceaux antérieurs
ou inférieurs , et les racines nerveuses qui en sortent ,
provoquent, quand on les irrite, de vives contrac-
tions. Le dernier de ces physiologistes a mis surtout
hors de doute cette propriété sensitive des faisceaux
et des racines sur-spinales j, et locomotive des fais-
ceaux et des racines sous-spinales (i). On sait que
ces racines ne tardent pas à se réunir et à se mêler en
fascicules , nommés nerfs, qui vont se distribuer aux
membres, aux parois du ventre et de la poitrine,
au diaphragme , etc ; mais on sait aussi que les
sur -spinales seules forment, avant de s'unir aux
sous - spinales , un ganglion piriforme (^fig. 106^',
qui sans doute n'est pas sans influence sur l'exercice
de leur propriété sensitive , bien qu'il ne soit pas
facile de dire en quoi consiste celte influence.
§ III. De la moelle oîîongée , du ceiveîet et de leurs nerfs»
/ Le bulbe rachidien est si intimement lié au cer-
velet par les pyramides postérieures et les corps
restiformes , le cervelet est si naturellement attaché
à ses pédoncules et à la protubérance annulaire qui
lui servent de commissure , et font la partie princi-
pale de cet assemblage nommé moelle allongée ou
(1) Cette division en deux ordres de racines existe chez tous les vertébrés;
Desmoulins l'a , Lien à tort, déniée aux serpents ; elle n'existe pas visiblement
chez les invertébrés , dont les filaments nerveux sont m^élangés dès leur départ
même de la masse centrale. La division des ganglions en deux couches super-
posées (Newporl) nous paraît être plutôt une hypothèse qu'un fait d'observation.
23
354 DES SENSATIONS CENTRALES
mésocéphale (Chaussier), qu'il serait déraisonnable
de les séparer dans une étude physiologique.
Nous avons dit précédemment que le premier
ganglion sous-œsophagien des astacaires ou arti-
culés, souvent composé évidemment de deux ren-
flements séparés dans la larve , réunis dans l'adulte ,
représentait la moelle allongée et le cervelet des
vertébrés, fournissant les mêmes nerfs à peu de
chose près. On peut remarquer que , de ces animaux
invertébrés jiisqu'à l'homme , la progression est
assez ménagée pour prouver encore cette analogie :
un simple renflement de la moelle épinière repré-
sente ce ganglion chez les batraciens, dont le cervelet
est réduit à une petite bandelette transversale ; il y
a un bulbe , et de plus un lobe cérébelleux impair
chez les poissons, les autres reptiles, les oiseaux
(^fig. 97, 98, 99y'/ seulement le cervelet montre des
plis et des rides profondes chez les poissons cartilagi-
neux et les oiseaux; mais ce n'est qu'en passant aux
mammifères qu'on lui voit , outre son lobule central
(^vermisjj deux hémisphères latéraux (^fig. 100^/
et alors seulement apparaît la protubérance annu-
laire , et se montrent les éminences olivaires , dont
la présence indique aussi une complication de plus
dans la structure du bulbe rachidien.
C'est surtout d'après ces considérations analogi-
ques, d'après la marche des faisceaux constituants,
et d'après l'origine des nerfs à fonctions bien connues
qu^on peut déterminer celles des portions diverses,
comprises sous le titre de ce paragraphe. Que nous
ont appris , en effet , les expérimentateurs ? Pour
Rolando , le cervelet est un électro-moteur entière-
DANS LES DIVERS CENTRES. B55
ment destiné à l'action musculaire ; ce n'en est que
le régulateur selon Flourens : le premier a cru yoir
l'activité des muscles anéantie par l'ablation de cet
organe ; le deuxième ne l'a trouvée qu'affaiblie et
désordonnée : Magendie a vu qu'en pareil cas l'ani-
mal reculait opiniâtrement, comme si le cervelet
était essentiellement destiné à la production d'un
ordre particulier de mouvements, ceux de progression
en avant. Le même savant a vu la lésion des pédon-
cules du cervelet et du pont de Varole déterminer
une volutation du corps sur son axe , effet que nous
avons reproduit aussi sur des lapins mis en expé-
rience : il a observé qu'en lésant les corps olivaires ,
on faisait exécuter à l'animal un mouvement de
gyration ou de manège. S'ensuit-il que ces parties ne
sont destinées qu'à entretenir des courants antéro-
postérieurs et supéro-inférieurs , dont on détruirait
ainsi l'équipollence , et qui n'auraient d'autre objet
que de diriger la locomotion ? Ce serait assuré-
ment trop restreindre le rôle auquel sont appelés
ces organes dans diverses circonstances. Voyons si
l'on ne peut pas arriver, par une autre voie , à des
conséquences plus satisfaisantes.
A, Poumons , considérant que le cervelet reçoit,
dans ses hémisphères , les faisceaux sur-spinaux de
la moelle réunis aux pyramides sur-spinales , nous
le regardons , avec Foville et Pinel-Grandchamp ,
comme éminemment préposé à la sensibilité. Nous
croyons aussi qu'il préside à la gustation et à Vau-
ditiouj 1° par ses rapports avec le nerf glosso-pha-
ryngien qui s'insère au bulbe rachidien tout près du
cervelet, et avec le nerf trijumeau ou trifacial qui
356 DES SENSATIONS CENTIULKS
traverse le pont de Varole ou protubérance annu-
laire , commissure des hémisphères cérébelleux , et
se plonge dans les faisceaux postérieurs de la moelle,
non loin du quatrième ventricule ; 2° par ses relations
encore plus évidentes avec le nerf auditif qui naît du
plancher même de ce ventricule commun au cervelet
et au bulbe rachidien , entre lesquels la continuité
s'établit là sans équivoque.
D'un autre côté , considérant que le nerf pneumo-
gastrique s'enfonce dans le bulbe rachidien, bien
près du cervelet , nous attribuons à cet organe aussi
quelque influence sur la respiration pulmonaire et
la digestion gastrique, auxquelles ce nerf donne
l'activité; mais nous ne le croyons ici qu'adjuvant,
renforçant les effets par l'influence de la masse et du
voisinage ; car les expériences de Legallois et de
Magendie prouvent que le centre, le point radical
du nerf pneumo - gastrique , est un peu plus bas
que le quatrième ventricule , là même où ce nerf
s'insère visiblement à la moelle , et où l'on trouve
dans plusieurs poissons (carpe, congre) des lobes
accessoires.
En conséquence , le cervelet , ainsi lié aux phé-
nomènes de la respiration , de la digestion , de la
gustation , du toucher facial et de l'audition , pourra
et devra intervenir dans les phénomènes instinctifs
complexes j dans les actes industriels relatifs à V en-
tretien de la vie j à la nutrition ^ aux appétits , au
besoin de respirer.
Quant à la génération , le cervelet , quoi qu'en
aient dit Gall et ses partisans , n'a sur elle qu'une
influence très -indirecte par l'intermédiaire de la
DANS LES DIVEllS CENTRES. 357
moelle , et quelques observations à nous connues de
coïncidence réelle entre des symptômes d'irritation
ou de sub-inflammation cérébelleuse et des érections
du pénis , des propensions libidineuses , de même
que les remarques de Serres sur la coexistence d'apo-
plexies cérébelleuses avec une sorte de priapisme ,
n'infirment nullement l'assertion qui précède.
Avant d'abandonner cet organe important, voyons
encore à quelles déterminations , partielles ou com-
munes, peuvent conduire d'autres études d'anatomie
comparée et pathologique. Tréviranus observe que
la réduction de l'organe de l'ouïe , et surtout du
limaçon , marche de front avec celle des lobes laté-
raux du cervelet : remarquons , en effet , que ces
lobes ne sont que rudimentaires chez les oiseaux ,
et enfoncés dans une cavité du rocher où ils sont
restés long- temps inaperçus des anatomistes ; que
non - seulement on n'en trouve plus , mais que le
lobe médian est rudimentaire chez les serpents, dont
l'oreille est cachée dans les chairs , et les batraciens
dont plusieurs sont dans le même cas ; les uns et
les autres étant privés de fenêtre ronde ou tympan
secondaire. Nous avons bien constaté qu'un bruit
léger n'effraie pas les grenouilles , les rainettes ,
la couleuvre , et que la vue seule les avertit de la
présence d'un ennemi. Les poissons, privés aussi
d'oreille externe , ont un cervelet plus grand mais
sans lobes latéraux , et leur oreille interne est
d'ailleurs énormément développée. Les volumineux
hémisphères cérébelleux du dauphin coexistent avec
un nerf auditif très-considérable , et Ton peut en
dire autant de la taupe et même de l'homme. On
358 DES SENSATIONS CENTRALES
peut donc croire , avec Tréviranus , que les lobes
latéraux appartiennent plus particulièrement à l'éla-
boration des sensations auditives.
Le vermis ou lobe moyen sert sans doute plutôt
aux fonctions de la cinquième paire ; il se montre
assez généralement en rapport de volume avec le
nerf trijumeau , et c'est à cette portion médiane qu'il
faudrait rattacher surtout les industries instinctwes ^
les hémisphères présidant plutôt aux élaborations
inteïlectueUes. Nous voyons,- en effet, la première
acquérir une grande prépondérance chez les castors
et les autres rongeurs dont on connaît les habitudes
si remarquables, mais si uniformes (construction
de cabanes, de bauges, de terriers, provisions de
bouche), et qui ont des circonvolutions au cervelet
et point au cerveau. Il en est de même des oiseaux
passereaux, constructeurs par excellence , imitateurs
du chant et de la voix selon des modes invariables.
Les mammifères carnassiers ont , au contraire ,
les hémisphères cérébelleux très - prépondérants
(Tréviranus); aussi donnent-ils plus à l'intelligence
et moins à l'instinct (renard, chien).
Que les hémisphères du cervelet soient en même
temps plus appropriés à l'audition et à l'intelligence
à la fois , c'est une coïncidence très -rationnelle,
surtout en ce qui concerne notre espèce ; mais il faut
ajouter, et nos premières assertions l'indiquaient
déjà , que leur travail intellectuel est fort restreint ,
qu'il a besoin d'être perfectionné dans le cerveau,
comme nous le dirons plus loin. D'après cela , on doit
peu s'étonner de voir le cervelet , considéré en masse
et comparé au cerveau, se montrer d'autant plus in-
Dans les divers ceintres. 359
férieur, que , chez l'animal , rintelligence l'emporte
davantage sur l'instinct, et vice versa. Chez l'homme ,
le cervelet est au cerveau comme 1 est à 9 ; comme
1 : 7 chez le magot ; comme 1 : 3 chez le castor
(Cuvier). Il y a du vrai, mais il y a du faux aussi
dans cette assertion de Reil , que plus les circonvo-
lutions du cervelet sont nombreuses et plus l'animal
est intelligent ; les ruminants ont ces circonvolutions
aussi nombreuses que le chien. Le développement
pour les circonvolutions du cervelet est plus précoce
que pour celles du cerveau (Tiedemannj; c'est une
raison pour le regarder encore comme plus propre
aux actes d'instinct que d'intelligence ; et de même ,
quoi qu'en ait dit Malacarne , le cervelet des idiots
a fréquemment beaucoup d'ampleur , tandis que
leur cerveau est fort réduit : c'est à la prépondé-
rance du premier que Gall attribue le penchant des
crétins à l'onanisme. Nous trouvons également ici
la confirmation d'une de nos assertions précédentes
dans le grand goût et même l'aptitude qu'ont mon-
trée beaucoup d'idiots pour la musique, circonstance
qui a bien souvent excité Tétonnement des curieux
et même des physiologistes. Enfin, nous rattacherons
encore, comme preuve de plus à ce que nous venons
d'avancer, cette remarque de notre collègue Dubrueil,
que , dans les races humaines , plus l'intelligence est
développée et plus le trou auditif est voisin de l'occi-
put, indice certain d'une réduction proportionnelle
du cervelet, eu égard au reste de l'encéphale.
B. Les pyramides postérieures , les corps resti-
formes , continuation des cordons sur-spinaux de la
moelle, la protubérance annulaire, se rattachaient
3 GO DES SENSATIONS CENTRALES
immédiatement à l'étude du cervelet ; il n'en est pas
aussi directement de même des pyramides anté-
rieures et des émineuces olivaires f^fig. 108. y" Les
premières, continuation des faisceaux sous-spinaux,
motrices comme ceux-ci , traversent, chez les mam-
mifères, la protubérance annulaire, et constituent les
pédoncules cérébraux. Dans ce trajet , elles donnent
naissance à des nerfs de mouvement, qui sont l'hypo-
glosse , l'oculo - moteur externe, l'oculo- moteur
commun , et probablement la portion musculaire et
non ganglionnée du trijumeau.
Les olives offrent un degré d'intérêt de plus ,
comme centre nerveux particulier ; le singulier
kyste formé de substance ferme et grisâtre qui leur
sert de noyau ( corps rhomboïde ) , tout semblable
à celui qu'on trouve au milieu de chaque hémisphère
du cervelet , semble indiquer des fonctions spéciales.
Nousnous sommes figuré que son aptitude particulière
pourrait bien se rapporter à l'exercice de la voix ,
comme moyen d'expression des idées et surtout de
celles que l'ouïe aurait formulées dans les centres
cérébelleux ; la ressemblance des uns et des autres,
chez l'homme en particulier, est entrée pour quelque
chose dans cette conjecture ; elle nous a paru expli-
quer la répétition facile des sons entendus, de quelque
manière (soit directement , soit à travers l'encéphale)
que la transmission ait lieu de l'un à l'autre de ces
corps festonnés. Il est bon de noter, à ce sujet, que
les olives sont plus volumineuses chez l'homme que
chez tout autre animal, que les nerfs du larynx,
de la langue et du pharynx naissent des faisceaux
olivaires , que le facial en sort également.
DANS LES DIVERS CENTRES. 361
Une de ces origines, celle du pneumo- gastrique ,
a fait dire à Charles Bell , que les faisceaux oiivaires
étaient destinés à la respiration ; opinion insoutenable
pour quiconque veut un instant y réfléchir. Ne
voyons-nous pas en effet les nerfs intercostaux , le
diaphragmatique , sortir des mêmes points que les
nerfs des membres, des muscles, de la peau? Le
trijumeau n'est- il pas en partie respiratoire chez
les poissons ? Est-il bien certain même que l'olive
serve , en entier du moins , à l'origine du pneumo-
gastrique? C'est dans le sillon qui la sépare du corps
restiforme que ce nerf prend naissance. Pour nous ,
le faisceau latéral ou olivaire est un démembrement
du sous-spinal; il est également moteur; il entre
également dans la composition du pédoncule céré-
bral , et remontant en dessus chez les mammifères ,
il va se porter jusqu'aux turbercules quadrijumeaux
( Tiedemann , Serres ).
On s'explique ainsi comment le nerf oculo-moteur
interne jouit de la propriété locomotive , quoique
naissant entre les tubercules quadrijumeaux et le
cervelet. Chez les oiseaux , nous voyons ces tuber-
cules s'écarter, se rapprocher de la base du cerveau;
chez les poissons les postérieurs sont tout-à-fait en
dessous, et l'origine des nerfs en question a subi
le même déplacement; elle est devenue inférieure
comme l'a reconnu Desmoulins , et s'est mise ainsi en
rapport évident avec les faisceaux sous-spinaux; mais
ce qu'il n'avait pas soupçonné , c'est la nature des
éminences dont ils sont restés les compagnons fidèles,
et que leur déplacement a fait méconnaître par tous
les anatomistes : pour les uns, ce sont des éminences
362 DES SENSATIONS CENTRALES
lîiamill aires ; pour d'autres , des démembrements
du corps pituitaire; pour d'autres encore, et en
particulier pour l'illustre Cuvier, ce 5ont des couches
optiques.
C. Par forme de résumé , nous reviendrons un
moment sur chacun des nerfs mentionnés dans 'ce
paragraphe ,afin de récapituler ce qui concerne leur
origine et leurs usages, aussi hicn que ceux de leur
point de départ. 1» L'hypoglosse , moteur de la
langue, vient des faisceaux sous-spinaux et peut-être
des olives qui agiraient , par leur intermédiaire , sur
la langue comme organe de prononciation : c'est la
neuvième paire des anciens anatomistes, la douzième
des modernes. 2" Le spinal, le pneumo- gastrique
et le glosso-pharyngien , qui constituent ensemble
la huitième paire des anciens, la onzième, la dixième
et la neuvième des modernes , laissent des doutes
sur leurs origines , qui seraient particulières et laté-
rales selon Ch. Bell, comme leur usage serait tout
respiratoire. Il est probable qu'une partie de leurs
filets vient des faisceaux sous-spinaux et surtout des
olives , une autre des sur-spinaux : de là leurs fonc-
tions à la fois motrices, sensitives et chimico -vitales,
leurs usages dans la déglutition et l'élocution( spinal
et glosso-pharyngien), dans la vocification, la respi-
ration et la digestion (pneumo-gastrique ), comme
nous le verrons plus amplement ailleurs ; de là encore
cette remarque deMagendie, que tantôt le nerf vague
ou pneumo-gastrique se montre très-sensible, et tantôt
insensible aux stimulants. 3^ Le nerf auditif consti-
tuant , avec le facial , la septième paire des anciens
anatomistes , est encore la septième des modernes ;
DANS LES DIVERS CENTRES. 363
il vient de la superficie du quatrième ventricule ,
adhère aux faisceaux et aux pyramides sur-spinales
pour se plonger avec elles dans le cervelet , et peut-
être aller aux corps rhomboïdaux : on se rappelle
qu'il est exclusivement destiné au labyrinthe. 4" Le
facial, ou sixième paire des modernes, serait dans le
même cas ; son origine est évidemment au faisceau
venu de l'olive et remontant vers la protubérance
annulaire; il est respiratoire selon Bell, et Bourjot-
S*-Hilaire a appuyé cette opinion de quelques nou-
veaux faits d'après sa distribution aux évents chez les
cétacés; mais il est aussi nerf d'expression selon Bell,
opinion que nous adoptons exclusivement comme
il a été dit ci-dessus. 5° Le nerf oculo-moteur ex-
terne (sixième paire) sort évidemment des faisceaux
sous-spinaux avant ou pendant leur passage sous la
protubérance annulaire, comme le moteur commun
(troisième paire) en sort aussi, mais après ce passage.
Quant au moteur interne (quatrième paire) , il a sa
source dans la portion olivaire des mêmes faisceaux,
qui remonte vers les tubercules quadrijumeaux ;
il ne fait donc pas exception à la règle qui sépare ,
d'après leur origine , les nerfs en locomoteurs et en
sensoriaux. 6° Enfin , le trijumeau , ou nerf de la
cinquième paire , nait en partie du pont de Varole
(protub. annul. ) ou plutôt des faisceaux sous-spinaux
qui le traversent ; et en majeure partie , par de pro-
fondes racines , il s'implante dans le corps restiforme
( Niemeyer , Rolando ). La première portion* est
motrice ; elle va aux muscles temporal , buccina-
teur , etc. , et ne se confond point avec la seconde
qui forme seule un ganglion , dit de Gîaser , pareil
364 DES SENSATIONS CENTRALES
à celui des nerfs vertébraux. Cette dernière portion
est sensitive, et donne aux yeux, aux narines, à la
peau de la face la sensibilité tactile , et à la langue,
en grande partie du moins , son aptitude à la gus-
tation; sensation dont le siège central est sans doute
dans quelque partie du cervelet , peut-être dans
quelque lobule de la périphérie.
§ IV. Des tubercules quaârijumeaux ou lobes optiques.
Ces tubercules , proportionnellement si petits
chez l'homme et la plupart des mammifères , sont
au contraire fort volumineux chez les oiseaux , les
reptiles, et plus encore chez les poissons ; là, en effet,
on leur trouve un volume au moins égal à celui des
hémisphères cérébraux , et de plus une grande com-
plication de structure , un ventricule particulier
contenant des rendements secondaires. On a dit , il
est vrai , que les lobes optiques n'étaient plus alors
qu'au nombre de deux seulement, tandis qu'il y en
a quatre dans les vertébrés supérieurs ; mais nous
venons de voir que cette diminution de nombre n'est
qu'apparente et qu'il y a seulement changement de
situation dans les deux plus postérieurs. Chez les
reptiles, la réduction considérable du volume de ces
derniers a pu en faire aussi méconnaître l'existence.
Dans les oiseaux, il est quelquefois possible de recon-
naître , à chacun de ces lobes , deux lobules inégaux
qui , plus souvent , se confondent en un seul.
Û a été dit ailleurs comment les différentes por-
tions du nerf optique pouvaient être fournies par
différents points d'origine. Les lobules postérieurs
des poissons étant les plus inférieurs aussi , peuvent
DANS LES DIVLRS CENTRES. 365
être considérés comme en rapport avec les faisceaux
sous- spinaux et fournissant la portion motrice du
nerf optique , celle qui, parvenue dans Tœil, se
continue en filaments jusque cristallin pour lui
donner la contractilité volontaire que nous lui
avons reconnue. Remarquons encore que les tuber-
cules quadrijumeaux postérieurs sont également plus
volumineux que les antérieurs chez les animaux
carnassiers , qui ont tant besoin de bien juger des
distances pour arriver à leur proie ; tandis que c'est
le contraire pour les herbivores, les ruminants par
exemple (i), à qui cette faculté est moins nécessaire
pour se procurer leurs aliments. La partie sensitive
du nerf optique , née des tubercules quadrijumeaux
antérieurs , a été aussi attribuée à la couche optique
par la plupart des anatomistes , et le nom de cette
éminence l'indique assez; Gall avait bien reconnu
pourtant qu'il n'en est rien ; mais c'est surtout sur les
animaux à tubercules antérieurs très-volumineux ,
comme le mouton , le lapin , l'écureuil , que nous
avons constaté le fait ; on voit, chez eux, bien nette-
ment, que l'élargissement du nerf couvre et embrasse
le renflement postérieur de la couche optique , en
se contournant sur elle pour se porter entièrement
dans le tubercule susdit ( fig. 73 ).
Nous n'avons ici encore invoqué que l'anatomie
pour établir nos conjectures ; voici ce que l'on peut
résumer des expériencestentées dans lesmêmes vues.
Rolando, Flourens , Magendie ont observé que la
lésion des lobes optiques faisait tourner en rond l'ani-
(1) La glande pinéale est aussi plus volumineuse chez ceux-ci ; quelle raison
en donner? quel usage lui assigner , quel au corps dit piluilaire , étalant
d'autres reliefs extérieurs ou intéiiems de l'encépLalc ???
o66 DES SENSATIONS CENTRALES
mal, de même que le dernier de ces expérimen-
tateurs l'a vu pour les éminences olivaires : nous en
tirons seulement cette conséquence, que la relation
anatomique est bien réelle entre ces organes, et qu'ils
ont un rapport physiologique avec la locomotion ;
mais on a noté qu'il fallait , pour obtenir ces effets ,
attaquer les lobes optiques un peu profondément ;
leur superficie serait seulement sensitive, ou du moins
se montrerait sensible aux contacts, selon Magendie ;
elle est formée par l'expansion venue du cervelet, et
désignée par Yicq-d'Azyr sous le nom de colonnes
de la valvule de Vieussens.
On comprendra aisément alors pourquoi les
mêmes physiologistes ont vu la cécité survenir à
l'occasion des lésions opérées sur les organes dont
nous parlons ici. La perte de la vue s'est manifestée
du côté opposé à la blessure (à part les grenouilles
selon Desmoulins) ; Magendie et Desmoulins disent
que l'altération de l'œil , chez les pigeons , produit
l'atrophie du lobe optique du côté opposé et de toute
la longueur du nerf(i) ; l'une de ces expériences est
comme la contre-épreuve de l'autre , elles prouvent
que ces tubercules servent à la vision , et c'est à tort
que Desmouiins lui-même a infirmé cette assertion,
en prétendant que les lobes optiques de la taupe
n'étaient nullement réduits malgré la grande réduc-
tion de leurs nerfs ; nous nous sommes bien assuré
qu'ils sont, au contraire , extrêmement aplatis et font
fort peu de saillie à la face supérieure de la moelle
allongée.
(1) Chez les mammifères , ils n'ont vu l'alrophie marcher que depuis l'œil
jusqu'au chiasma ; nous avons dit ailleurs qu'on connaît des cas d'atrophie
poussée plus loin , et prouvant la décussalion des nerfs optiques.
DANS LES DIVERS CENTRES. 367
§ V. Des lohes olfactifs.
Ce que nous avons dit ailleurs en parlant de Fol-
faction , nous dispense de détails minutieux sur ce
sujet; rappelons seulement que ce qu'on nomme
nerf olfactif sur l'homme est , sur les mammifères ,
un fort renflement attaché au-devant du cerveau,
souvent creux et communiquant avec les ventricules
latéraux près des corps striés. Ceux de la taupe sont
des plus volumineux; ils sont toujours aussi assez
grands et constituent une expansion , ou prolonge-
ment du cerveau , dans les oiseaux , les reptiles.
Chez les poissons, chacun d'eux égale souvent en
volume le lohe céréhral qui lui fait suite ; il est
même double pour quelques-uns, l'anguille par
exemple , allongé , renflé en massue chez d'autres ,
comme les squales: nul doute, en conséquence,
qu'il n'y ait en lui aptitude à recevoir et apprécier,
élaborer, jusqu'à un certain point, les sensations
olfactives.
§ VI. Des lobes cérébrauoo,
A. Volume j masse _, mensuration. Ces lobes ou
hémisphères qui, dans l'anguille par exemple , ne
font qu'une paire du double chapelet de renflements
à peu près égaux constituant l'encéphale dont nous
venons d'examiner successivement les autres parties,
prennent graduellement , dans les reptiles , les
oiseaux et les mammifères , une prépondérance qui
devient énorme chez les espèces les plus intelli-
gentes, l'homme en particulier. Graduellement aussi
elle se complique dans sa structure , se creuse d'un
368 DES SENSATIONS CENTRALES
ventricule dans lequel on remarque plusieurs saillies
notables. Déjà reconnaissables chez les oiseaux,
mais remarquables surtout chez les mammifères ,
deux de ces saillies méritent une mention spéciale ,
la couche optique et le corps strié f^fig. 108 , d, e,J.
On doit y signaler aussi des parties communes aux
deux lobes ou hémisphères et servant à les réunir,
à en harmoniser les opérations ; ce sont diverses
commissures , dont la plus remarquable est le corps
calleux avec la voûte à trois piliers qui n'en est qu'un
prolongement replié en dessous. Ces commissures ne
se trouvent bien complètes que chez les mammifères;
les autres vertébrés n'en ont que des rudiments :
on dit même que le corps calleux manque chez les
marsupiaux , tels que kanguroo, wombat, phalanger,
dasyure, opossun (Owen). N'oublions pas non plus
que, tout en devenant plus volumineux chez les
mammifères , le cerveau semble surtout amplifier sa
surface , au point d'être forcé de se replier en mille
manières pour pouvoir être contenu dans le crâne ,
ce qui l'a fait considérer, aussi bien que le cervelet,
et non sans quelque raison , par Gall et Rolando ,
comme une épaisse membrane médullaire chiffonnée
ou reployée pour occuper moins d'espace.
Cette ampleur de superficie paraît donner surtout
la mesure de l'étendue de l'intelligence. 1° En effet,
on voit les circonvolutions devenir plus nombreuses
et leurs intervalles se creuser plus profondément,
à mesure que l'animal est plus intelligent. Les
rongeurs , dont le cerveau est proportionnellement
si volumineux dans certaines espèces , n'ont point
de circonvolutions notables ; les singes même en
DANS LES DIVERS CEiNTRES. 369
ont assez peu comparativement à Fhomme : 2® chez
celui-ci , les circonvolutions ne se prononcent que
quand Fenfant est prêt à naître ; elles s'accroissent
avec l'âge jusqu'à l'état adulte , et l'on a observé
que des individus illustrés par leur vaste savoir, leur
aptitude aux plus hautes conceptions , avaient un
cerveau remarquable à la fois par son volume et par
la multiplicité des circonvolutions, la profondeur des
anfractuosités : tel fut celui que fit découvrir l'au-
topsie du célèbre Cuvier. Desmouiins remarque que
le cerveau du chien offre beaucoup plus de circon-
volutions à sa surface que celui du chat, et même
qu'il y a , sous ce rapport , une prépondérance
marquée du barbet sur le matin , comme elle existe
de l'une à l'autre de ces variétés de l'espèce canine ,
en ce qui concerne l'intelligence et l'éducabilité.
A la vérité , Tréviranus observe que le mouton en
a tout autant que le chien, et l'on voit dans les
figures données par Serres (^j4nat, camp, du cerveau J
que ce ruminant l'emporte même , à cet égard, sur
les quadrumanes et surtout sur le castor; mais , pour
ce dernier, il est à remarquer que ses industries
sont plus instinctives qu'intellectuelles; et quant aux
quadrumanes (comme , au reste, aussi pour le castor),
c'est ici le cas de revenir aux considérations rela-
tives à la masse des hémisphères cérébraux comparés
à celle des autres organes et de la totalité du corps ;
cette masse proportionnelle est de beaucoup supé-
rieure chez les singes à celle du mouton, d'après les
tables de Cuvier. C'est encore ainsi que le cerveau
du dauphin , très-garni de circonvolutions , à la vé-
rité peu profondes, se montre peu considérable
24
370 DES SENSATIONS CENTKALES
comparé à la niasse du corps chez l'adulte , quoique
ayant , en poids absolu , l'avantage même sur celui
de l'homme (i).
Ce n'est donc qu'en tenant compte de ces deux
conditions , volume et complexité de structure avec
augmentation de superficie, qu'on peut établir un
parallèle valable entre la prépondérance du cerveau
et la prééminence des facultés intellectuelles ; ne
tenir compte que du volume , c'est ne saisir que la
moitié des éléments du problême. Parchappe observe
bien que le cerveau est moins pesant et moins volu-
mineux chez la femme que chez l'homme , mais il
fait remarquer aussi que cela peut être du à la pré-
pondérance de taille et de poids total chez ce dernier.
Il remarque que l'encéphale des idiots est proportion-
nellement moindre que celui des hommes sains , et
que la différence porte plus sur le cerveau que sur
le cervelet (observation favorable à notre opinion
sur le compte de ce dernier organe); mais il donne ,
comme maximum du poids de l'encéphale chez des
hommes à faculté ordinaire (2) , un chiffre de beau-
coup supérieur à celui qu'on a trouvé à l'encéphale
de Dupuytren , et inférieur seulement d'un gros à
celui de Cuvier.
Par des mesures appliquées au crâne ou à toute
la tête à la fois , on ne peut s'assurer , tout au plus ,
(1) Ces proporlions varient singulièrement selon l'embonpoint du sujet ; c'est
au squelette sec qu'il vaudrait mieux comparer le poids de l'encéphale. On
pourrait même se contenter du poids de la tête osseuse ou seulement de la
mâchoire inférieure.
(2) 1 kilogramme 829 gr. , le cervelet seul pesant 0 k. 208 , ce qui représente ,
à quelques grammes près, les trois livres, dix onces, quatre gros et demi
trouvés à celui de Cuvier. On donne généralement , il est vrai, vm peu moins
de trois livres pour terme moyen.
DAIVS LKS DIVERS CENTRAS. 371
que (les conditions relatives au volume ; mais il s'y
en joint quelques-unes aussi qui ont rapport à la
forme, à la disposition réciproque des parties, et
qui donnent à ces méthodes de mensuration quel-
ques légers avantages de plus. La première de ces
méthodes est celle dite de Vcmgle facial j établie par
Camper (i).
Deux lignes (^fig, 401 , A B, G D) partaat,
Tune du front, l'autre du trou occipital, pour se
couper à l'extrémité des dents incisives de la mâ-
choire supérieure , forment un angle qui sera d'autant
plus ouvert que le crâne sera plus ample, plus
avancé , la face plus petite et moins saillante ; aussi
le voit-on presque droit (85 degrés environ) dans
l'européen , taudis qu'il devient déjà assez aigu chez
le nègre, le hottentot, le caraïbe, davantage encore
sur les singes adultes, très -aigu sur les rongeurs
(^fig. 96y', les ruminants, les solipèdes, les cétacés,
les oiseaux , et qu'il cesse même d'être appréciable
chez les reptiles et les poissons.
La méthode de Daubenton , fondée sur la position
du trou occipital , d'autant plus reculé que l'animai
est doué d'une masse encéphalique moindre et d'une
moindre intelligence , est fondée sur les mêmes
circonstances , car l'avancement du trou occipital
n'est dii qu'à l'augmentation non-seulement du cerve-
let, mais encore des lobules postérieurs du cerveau;
circonstance qui détermine l'abaissement de la ligne
inférieure de l'angle facial , en même temps que
(1) Voyez, comme application frappante de cette ntéthode , les fijjures très-
eurieuses données par Fr. Cuvier, pour diverses races de cliiens , dans les
Annales du Muséum , et comparez surtout le barbet au chien de la Nouvelle-
IlT>llande.
372 DES SENSATIONS CENTRALES
le développement des lobules aDtérieurs produit le
redressement de la ligne antérieure dans la méthode
de Camper.
Celle-ci est donc encore plus complète que celle-
là , quoique sujette aussi à Lien des inexactitudes
qu'on évite , jusqu'à un certain point , en mettant
en parallèle les aires de la face et du crâne sur une
tête sciée verticalement. Ce perfectionnement est de
Cuvier, et l'on peut en chercher les détails dans ses
Leçons d'anatomie comparée (i). fV- lafig. 101 , EF
«îVe de la face; EG aire du crâne. J
B. Expériences, Yoilà des faits bien propres à
faire conjecturer que les lobes cérébraux sont les
organes essentiels de Fintellect ; c'était l'opinion ,
toujours conjecturale il est vrai, de Sœmraerring,
d'Ebel, de Gall, de Vicq-d'Azyr , etc.; c'était éga-
lement celle de Rolando, qui se fondait sur des
expérimentations plus directes. Flourens, s'appuyant
aussi sur les siennes , y place les volitions , les sen-
sations, la mémoire. Selon Tréviranus, c'est le
centre des nerfs du sentiment et du mouvement ,
l'organe principal delà vie sensitive. PourMagendie
et Desmouîins, il n'est que le siège de la volonté.
Passons aux faits mêmes.
Parmi les expérimentateurs qui, dans ces der-
niers temps , ont agi sur le^ hémisphères cérébraux,
nul n'a présenté des faits plus intéressants et mieux
(1) On peut , avec Blumenbach , objecter à toutes ces méthodes , qu'elles ne
tiennent pas compte de la largeur du crâne et du front en particulier. On leur
trouve d'ailleurs des exceptions frappantes ; ainsi, dans la proportion des aires
de la face et du crâne , le hérisson et l'aye-aye sont très-favorablement partagés,
malgré la faiblesse de leur intelligence : le cheval l'est fort mal, au contraire ,
malgré sa remarquable éducabilité ; l'aire du crâne égale celle de la face dans
les premiers, elle n'en éjale que le quart chez le dernier.
DAiNS LES DIVERS CENTRES. 373
suivis que Flourens; il a pu conserver long-temps
vivante , et après complète cicatrisation , une pouîe
à laquelle les lobes cérébraux avaient été enlevés :
elle était habituellement plongée dans un état sopo-
reux, dont on la tirait aisément, sans pouvoir hii
rendre l'aptitude à ses mouvements habituels ; elle
n'avalait que quand on lui ingurgitait les aliments ,
et paraissait privée de Fodorat, de l'ouïe , de la vue,
mais elle pouvait marcher, voler, sauter si on l'y
forçait.
Les expériences de Rolando, de Magendie et
Desmoulins ont donné des résultats analogues ; seu-
lement ces derniers ont prouvé qu'il y avait encore
une audition telle quelle, même après la mutilation
susdite.
Nous avons aussi tenté cette expérience sur plu-
sieurs reptiles. Un lézard vert piqueté a vécu ainsi
pendant plus de quinze jours dans un état de som-
meil perpétuel : les yeux étaient fermés , mais l'ani-
mal les ouvrait quand on le touchait ; il ne paraissait
pas voir pourtant, du moins il ne tirait aucun parti
de la vue; le bruit ne produisait aucun effet sur lui,
mais des attouchements le déterminaient à fuir un
instant pour retomber aussitôt dans la torpeur ;
il avalait, mais avec peine , les liquides versés dans
la gueule. Un individu de l'espèce coluher agassizii
(Wagler) , très-vif , très-méchant , devint inoffensif
après l'ablation des lobes cérébraux ; il rampait len-
tement, parvenait à sortir d'une boîte mal fermée,
paraissant éviter les obstacles avant de les toucher ,
surtout s'ils étaient d'une couleur éclatante ou très-
éclairés ; des gestes menaçants n'excitaient plus en lui^
'M 4 m s SENSATIONS CENTRALES
comnie auparavant , ni peur ni colère , mais seulement
quelques légers mouvements pour détourner la tète :
il semblait donc jouir encore d'une vue courte,
imparfaite ; les yeux se mouvaient, les pupilles se
resserraient à la lumière : si Ton posait quelques
gouttes d'eau sur le bout du museau , Tanimal
s'essuyait contre terre ; mais si on l'abandonnait au
repos , il paraissait bientôt plongé dans un profond
sommeil. Cette couleuvre mourut au bout de trois
semaines ; elle avait vomi une rainette et deux œufs
(le lézard poussés de force dans son estomac ; trois
autres œufs y étaient restés pendant plus de quinze
jours sans éprouver aucune altération.
Ne résulte-t-il pas évidemment de ces faits, que le
sommeil semble établir principalement son empire
dans les lobes cérébraux, et que ces lobes concourent
à l'exercice de toutes les sensations, sans posséder
exclusivement la faculté de les recevoir ? Si Ton n'a
pas toujours tiré cette conclusion des expériences
dont nous venons de parler , c'est que tantôt on a
dénié à ces renflements toute influence directe et
positive sur une sensation qui semblait conservée
après leur destruction, bien qu'aflaiblie notablement;
que tantôt, au contraire, on leur a tout attribué parce
qu'on a pris cet affaiblissement pour un anéantisse-
ment complet. La vue n'est pas plus dans ce cas
que les autres sensations , comme le prouvait notre
couleuvre ; et déjà Desmoulins avait observé qu'une
grenouille ainsi mutilée dirige encore ses sauts vers
le seul côté qui n'oppose pas d'obstacles à sa fuite.
Je remarquerai à ce sujet que, pour de semblables
opérations , les reptiles offrent sur les mammifères ,
DA^'S LES DIVERS CENTRES. 375
et même les oiseaux, cet avantage , que la segmen-
tation chez eux est plus prononcée et Tindépendance
physiologique pluâ grande , la vie d'ailleurs plus
tenace ; ce qui rend les opérations plus faciles , les
effets plus distincts et l'observation plus durable.
§ VII. Mécanisme général des fonctions nerveuses centrales.
A, Théorie, Les lobes cérébraux , sans nerfs
qui en partent directement , sans corrélation directe
avec la segmentation du squelette , semblent donc,
ainsi que le cervelet, un auxiliaire commun ajouté
aux parties fondamentales des centres nerveux encé-
phaliques, et Ton peut, en conséquence, facilement
les concevoir l'un et l'autre comme un centre où
toutes ces parties renvoient leurs impressions ou
dont elles reçoivent secondairement l'influx : passons
rapidement en revue les détails de ce mécanisme
des fonctions cérébrales proprement dites , nous y
trouverons une sorte de résumé des fonctions senso-
riales dont il a été question dans les paragraphes
précédents.
Le système nerveux , dit Béclard , forme un sys-
tème unique dont toutes les parties concourent à
l'action de l'ensemble ; et nous savons que chacune
de ses parties jouit de ces trois aptitudes communes,
l'impression , la réaction et la transmission. L'organe
du sens proprement dit , pour le toucher , le goût ,
l'ouïe , reçoit , élabore et transmet les impressions
tactiles, sapides, acoustiques ; le nerf les reçoit et les
reproduit à son tour avec toutes leurs modifications ,
leurs variations, leurs spécialités ; il les répète
jusqu'à son insertion à la moelle allongée ou aux
B76 DES SENSATIONS CENTRALES
cordons sur -spinaux de la moelle épinière : là ,
élaboration nouvelle , et quelquefois réaction directe,
immédiate (i) sur les faisceaux sous-spinaux et les
racines nerveuses qui en naissent (mouvements auto-
matiques ) , mais plus ordinairement , transmission
vers des centres plus volumineux et plus parfaits
en organisation , le cerselet par exemple , auquel
aboutissent les cordons sur - spinaux . Aussi Favons-
nous reconnu comme le principal réceptacle des
sensations tactiles, auditives et gustatives, et comme
le point de départ des influences nerveuses sur la
digestion et la respiration ; c'est un organe de perfec-
tionnement , de renforcement pour toutes les fonctions
nerveuses attribuées , par Magendie et Desmoulins ,
à la région du quatrième ventricule. Les expériences
de ces physiologistes prouvent que cette région
reçoit encore les sensations acoustiques , etc. , lors
même que le cervelet et le cerveau sont détruits ,
mais assurément elle ne les transforme pas en idées/
c'est, nous le croyons, le rôle du cervelet. Toutefois,
cet organe lui-même ne paraît capable que d'opé-
rations intellectuelles obscures , mstinctwes pour la
plupart, et d'ailleurs il ne saurait organiquement
réagir sur l'appareil locomoteur : il faut donc que ,
par les faisceaux nommés piliers de la valvule de
Vieussens , ou processus à cerehello ad tester j, il trans-
mette au cerveau ses impressions, ses déterminations.
{^Suivez ce mécanisme sur la figure WS.J
Le cerveau reçoit, en même temps, les sensations
(1) Sur un animal jelé dans l'état tétanique par la slriclinine , Fodéré faisait
cesser la contraction dans les muscles qui l'ecevaient leurs nerfs du point de la
moelle épinière qu'il lui plaisait de comprimer, et non dans les autres.
DANS LES DIVERS CEÎNTRES. 377
visuelles qui , de la rétine et du uei f optique , ont
passé dans les tubercules quadrijumeaux antérieurs :
il reçoit également , d'un autre coté , les sensations
des lobes olfactifs ; et c'est lui qui combine les unes
et les autres. C'est dans les lobes cérébraux que ces
sensations se cliangent en déterminations définitives,
en jugements , en volitions qui se répètent dans les
corps striés, les couches optiques, les pédoncules
cérébraux, les faisceaux sous-spinaux, les racines
nerveuses qui en émanent, jusqu'aux muscles qu'elles
mettent en jeu , soit pour l'expression des sentiments
(faisceaux olivaires surtout), soit pour l'expression
des actes de locomotion proprement dite ( faisceaux
des pyramides j.
B. En conséquence de ce mécanisme , nous établi-
rons, en premier lieii^ que le cerveau est l'organe
de la centralisation dernière et principale et la
condition organique j matérielle _, de l'unité psycho-
logique ; conclusion parfaitement d'accord avec cette
remarque , que , dans l'échelle animale , sa prépon-
dérance est toujours proportionnelle au degré de
coalescence des centres nerveux et à la suprématie
de l'intelligence. Cette doctrine donne aisément la
clef de beaucoup de phénomènes pathologiques,
la suspension de certaines facultés pouvant s'expli-
quer aussi bien par la lésion des faisceaux centri-
pètes ou centrifuges que par celle du centre même :
on peut en dire autant du désaccord qui règne parfois
dans leur exercice , à la suite de certaines attaques
d'apoplexie ; c'est ainsi que tel individu peut avoir
perdu la parole quoiqu'il pense nettement, et le
mouvement quoiqu'il veuille l'exécuter. Ce que
378 DES SENSATIONS CEINTRALES
nous avons dit de l'harmonisation chez les inverté-
brés, fournit ici une analogie frappante de clarté.
En second lieu y nous remarquerons que , dans
cet ensemble , il se produit, à la fois, des réactions
susceptibles d'être reproduites , conduites par toutes
les parties qui le composent , et des élaborations ,
des permutations spéciales ; nous reviendrons tout-
à- l'heure sur ce dernier sujet ; mais quant au
premier, nous ferons observer, outre ce qui déjà
a été dit ailleurs f III^ ^ariie , chap, 1^^.), que
les nerfs reproduisent bien évidemment et les sen-
sations qu'ils ont reçues des sens, et les volitions que
leur a imprimées le cerveau. En effet, l'irritation
d'un cordon nerveux envoie à l'encéphale une dou-
leur si bien semblable à celle que causerait la
lésion des parties où ses filets se répandent , que
l'illusion est parfois complète ; et cette même irri-
tation cause aussi des contractions dans les muscles ,
comme celles que commande l'encéphale. D'un
autre côté, quand un halluciné entend des voix
mystérieuses , quand un malade en délire voit des
spectres , les parties encéphaliques qui sont le siège
de ces sensations erronées réagissent , en pareil cas ,
tout comme la partie nerveuse du sens qui , dans
l'état normal aurait perçu et leur aurait transmis des
sensations pareilles. Delpech injecta du vin alcoolisé
dans les veines d'un homme dont il voulait oblitérer
les varices ; cet homme en perçut la saveur, non sans
doute par la langue , mais par l'encéphale auquel le
sang avait porté des particules alcooliques. Il ne
suit pas de là que toute partie du système nerveux
puisse , au besoin , se substituer indifféremment à
DANS LES DIVERS CENTRES. 379
toute autre , et qu'il n'y ait point de spécialiiés exclu-
sives dans certaines parties de ce système ; nous avons
déjà fait pressentir le contraire, et nous allons donner
à cet intéressant sujet quelque développement.
§ VIll, De la spécialité d'action dans les divisions principales
du système neiveuv , et des spécialités particulières loca-'
Usées dans quelques parties du cerveau,
A. La spécialité des fonctions nerveuses paraît
tenir simultanément ou séparément à deux circon-
stances particulières ; rapports ou connexions d'une
part; structure, organisation sut generts, d'autre
part. Ainsi la rétine, le nerf et le lobe optiques
sont aptes à recevoir les sensations lumineuses et
non d'autres , tant en raison de leurs connexions
avec l'appareil optique de l'œil , qu'à cause d'une
disposition moléculaire à elles propres; et la néces-
sité de ces deux conditions à la fois nous parait
telle, que nous nous croirions en droit d'assurer que
la taupe ne saurait voir avec un nerf de la cin-
quième paire , quand même l'anatomie ne nous
apprendrait pas qu'en effet elle est pourvue d'un
nerf optique. La rétine est insensible aux contacts
immédiats, d'après les expériences de Magendie,
tandis que la cinquième paire s'y montre très sen-
sible ; et ce que nous venons de dire de la rétine
peut se dire du nerf auditif, d'après le même obser-
vateur : donc , ce ne sont pas seulement les con-
nexions qui déterminent ici les aptitudes. Assuré-
ment aussi les faisceaux sur-spinaux ne sont pas
sensitifs seulement parce que leurs filets originaires
sont en rapport avec les papilles cutanées et qu'ils
380 DES SEINSATIONS CEINTRALES
se reiideut au cervelet , ni les sous-spinaux destinés
à la locomotion seulement parce qu'ils sont en rela-
tion avec les muscles : la plus simple inspection
suffit pour faire remarquer que les premiers sont
( surtout chez les reptiles ) plus brillants , plus
fibreux et plus petits que les seconds , bien que les
racines sur-spinales des nerfs soient communément
plus nombreuses et plus volumineuses que les sous-
spinales. Remarquons également que ces dernières
ne forment pas , comme les premières , un ganglion
plexiforme destiné sans doute à modifier leurs dis-
positions organiques. Les anatomistes connaissent,
depuis long-temps aussi, la différence de structure
qui existe entre la portion dure ( facial ) et la por-
tion molle (auditif) de la septième paire, l'une
motrice et l'autre sensilive , la première née des
faisceaux olivaires , la deuxième des faisceaux sur-
spinaux à leur épanouissement dans le cervelet.
Autant en dirions-nous, quant aux connexions et
à la texture en même temps des nerfs olfactifs et
de l'optique, comparés aux moteurs de l'œil.
Ces considérations suffisent pour prouver la com-
plète impossibilité de ces phénomènes célébrés par
la crédulité ou le charlatanisme , sous le titre de
transposition des sens : certes l'œil ne peut entendre,
ni l'oreille voir; la physique seule suffit à démon-
trer l'absurdité d'une assertion contraire ; mais il y
a plus , le nerf auditif ne saurait éprouver ni trans-
mettre , les faisceaux sur-spinaux ne sauraient rece-
voir et adresser au cervelet des sensations visuelles.
La seule transposition possible , c'est celle du sens
au point sensitif qui lui correspond normalement
DANS LES DIVERS CENTRES. 381
dans les centres , mais on conçoit qu'il ne peut même
en résulter des sensations vraies et régulières et
seulement des hallucinations : or , ce n'était pas
ainsi que l'entendaient les narrateurs de ces histoires
merveilleuses , qui ont trouvé de l'écho même parmi
les hommes du premier mérite.
Pour que la spécialité d'action changeât, il ne
suffirait pas d'un léger changement dans la texture :
l'œil enflammé supporte difficilement la lumière;
un nerf légèrement enflammé exalte , au passage ,
les impressions tactiles reçues par le memhre dont
il est une dépendance , et fait croire à un excès de
sensibilité dans ce membre (Bichat) ; en partie
désorganisé par l'inflammation ou par une lésion
quelconque , il le rend moins sensible et y fait sup-
poser l'engourdissement dont lui seul est le siège.
Mais ce ne sont pas là des transformations , des trans-
positions de sensations spéciales : il faudrait, pour
cela , outre un changement normal dans la texture du
nerf, un changement pareil dans l'organe nerveux
central où il arrive , et dans l'organe sensorial externe
d'où il part. Or , de tels changements ne peuvent
être que primordiaux et tels que ceux qu'on observe
d'espèce à espèce , ou plutôt de classe à classe ,
dans le règne animal. Ainsi, le nerf olfactif devien-
dra tactile , en tout ou en partie , dans l'antenne du
crustacé et de l'insecte. Le nerf optique jouera
presque le même rôle chez l'escargot. La cinquième
paire des batraciens servira à la respiration en se
rendant aux organes dévolus, chez eux, à cette
fonction, et en s'assimilant, très-probablement,
les éléments de la huitième paire ou nerf pneumo-
382 DES SKNSATIONS CENTRALES
gastrique qui leur manque en apparence. Ce dernier
nerf est gustatif chez certains poissons, les cyprins
( Desmoulins) ; il est électro-moteur avec la cin-
quième paire chez certains autres , la torpille ; le
tout , en raison ou de leur texture , ou de celle de
leurs renflements d'origine et de leur terminaison
dans des organes spéciaux.
Si l'on voulait , au reste , inférer de ces faits ,
que , dans les nerfs ou conducteurs , la spécialité
tient plutôt aux connexions qu'à l'organisation , cela
ne saurait être supposé des centres encéphaliques;
car là les difl'érences de forme et d'organisation sont
par trop évidentes et trop bien connues. Mais nous
ne trouvons pas , ici comme dans beaucoup d'autres
parties du corps, l'explication des phénomènes par
la conformation , ce qui tient à la nature même de
ces phénomènes presque étrangers à la matière. Il ne
faut donc pas s'étonner des incertitudes que laisse
cette partie de la physiologie. Nous en avons présenté
déjà les données , quant aux masses principales et
quant aux fonctions primaires ; nons la compléterons
ici, autant qu'on peut le faire, en entrant, relative-
ment au cerveau surtout , dans quelques détails plus
circonscrits , anatomiquement et physiologiquement
parlant.
B. Pour les àéierminditions partielles dont il s'agit
ici , comme pour les masses , trois moyens d'investi-
gation rationnelle ont été mis en usage : les résultats
de Tanatomie pathologique , ceux des mutilations
artificielles , l'observation des prépondérances orga-
niques et fonctionnelles chez divers individus ou
diverses espèces d'animaux.
DANS LES EIVEES CENTRES. o83
Malgré des espérances en apparence bien fondées ,
Tanatomie pathologique a peu fait jusqu'ici sous ce
rapport. Nous avons vu , comme d'autres , l'idiotie
dépendre de l'atrophie des circonvolutions céré-
brales; dans d'autres cas, on l'a rapportée à la
lésion , à l'absence même du cervelet ( Combette -
et Magendie), à celle dn corps calleux (Reil), à
la dimioution de tout l'encéphale (Willis). Ailleurs
à des lésions plus restreintes on a vu correspondre
des altérations fonctionnelles très-variables; et, le
plus souvent , on n'a noté que des paralysies , soit
que le siège de la lésion fût dans le cerveau même ,
soit dans les corps striés , les couches optiques , le
cervelet. Plusieurs circonstances tendent, en effet,
à infirmer des observations qui sembleraient devoir
être significatives : la première est la complexité des
lésions si rarement simples et uniques ; la deuxième
est l'insuffisance des notes prises du vivant de l'in-
dividu , ou des souvenirs recueillis après sa mort ;
une troisième cause d'erreurs ou d'indécisions, c'est
l'incertitude de la date pour certaines lésions. On
a cru , par exemple , prouver que la continuité de
substance de la moelle épinière n'était pas nécessaire
à la transmission de l'innervation, pourvu que ses
membranes restassent intactes; on se fondait sur
des ramollissements , des désorganisations achevées
sans doute dans les derniers jours ou l'agonie du
malade , sur des séparations opérées par des vio-
lences imprimées au cadavre dans des cas de frac-
ture du rachis , comme celui du journal de Desault ,
ou produites sur le vivant par des opérations incon-
sidérées dans les tentatives d'extraction d'un corps
384 DES SEINS ATiONS CENTRALES
étranger long-temps fixé au voisinage, comme dans
le cas relaté par Ferrein. Enfin, une quatrième cir-
constance , judicieusement signalée par Tréviranus,
c'est la dualité des organes encéphaliques qui fait
que, sous le rapport des opérations mentales, ceux
du côté sain peuvent souvent sans doute suppléer
ceux du coté malade. Parcourez les nombreuses
observations rassemblées dans le précieux recueil de
notre collègue Lallemand , comparez-en les résultats
énoncés avec un soin si scrupuleux et une sagacité
si lumineuse , et vous reconnaîtrez aisément l'in-
certitude où nous laissent , quant à la physiologie
intellectuelle , tant de faits curieux et d'une impor-
tance majeure en pathologie.
Les expériences sont encore plus illusoires, vu
l'imperfection des facultés chez les animaux sur
lesquels il est permis d'opérer , et l'impossibilité
d'en apprécier les altérations en ce qui concerne des
nuances et des détails. Aussi qu'ont appris les muti-
lations opérées par Magendie? que les animaux dont
le cerveau est maltraité ont une tendance irrésistible
à s'élancer en avant. Qu'ont appris les observations
médicales de Foville et Pinel - Grandchamp , de
Serres , de Eouilîaud ? que le corps strié préside
aux mouvements de la jambe, et la couche optique
à ceux du bras ; que les lobules antérieurs sont le
siège de la faculté de parler : et les faits contra-
dictoires à ce peu de données même surgiraient
en foule. Je ne parle pas du fait isolé sur lequel
s'appuyait Lapeyronie pour faire du corps calleux
le siège de Tàme; des conjectures d'après lesquelles
Descartes la plaçait dans la glande pinéale, ni de
DANS LES DIVERS CENTRES. 385
celles qui déterminaient la distribution que faisait
arbitrairement Willis des facultés mentales aux par-
ties les plus marquantes des organes encéphaliques.
L^aualomie comparée des individus et des espèces,
jointe à l'étude comparée des aptitudes , pourra
fournir des lumières plus certaines, et déjà cette
voie a été frayée avec quelque succès par Serres,
Leuret, et avant eux par Gall et Spurzheim. Mais il
faudra s'étayer à la fois, et sur des observations
plus minutieuses et plus positives qu'on ne l'a fait
jusqu'ici, et sur une analyse vraiment rationnelle
des opérations et des facultés mentales. Sur ces
deux points le système de Gall est resté insuffisant
et partant infidèle.
1 ° Sans doute , Gall a rendu de grands services à la
science en perfectionnant la dissection des faisceaux
médullaires dans l'encéphale , travail ébauché par
Willis et Vieussens, et poussé assez loin ensuite par
Pourfour-du-Petit ; mais il faut aujourd'hui quelque
chose de plus pour aider à l'étude d'une fonction
aussi complexe que celle de l'intelligence ; il faut en
venir à une anatomie fibrillaire , telle que celle dont
Rolando a commencé la poursuite dans l'encéphale
de l'homme; et il faut la pousser jusque dans toutes
les classes, ordres , genres principaux des vertébrés ,
chez les invertébrés même , travail immense et
minutieux , mais qui promet des résultats précieux
au bon esprit qui saura s'y livrer avec les soins
convenables. Sans doute , aussi , Gall a procédé
d'une manière prudente en examinant la forme du
crâne et les diverses proéminences chez des animaux
de caractères différents, chez des hommes à aptitudes
25
386 DES SENSATIONS CENTRALES
îrès-proîioncées, etc. Mais est-ce donc seulement dans
le renflement de telle ou telle partie de la surface
extérieure du cerveau que peut consister la prédomi-
nance de telle ou telle faculté ? La forme extérieure
du crâne est -elle d'ailleurs une traduction fidèle
de celle de l'encéphale ? Cruveilhier proclame ,
au contraire, entre les deux tables du crâne une
sorte d'indépendance , rattachant l'une à l'appareil
nerveux qu'elle revêt immédiatement , et l'autre au
système musculaire. Mille expériences contradic-
toires à celles de Gall ont prouvé l'incertitude de
ses principes , l'inexactitude des résultats qu'il a
cru pouvoir déduire de l'observation : c'est ce qu'a
démontré tout récemment l'examen du crâne de
plusieurs personnages célèbres , Napoléon, Fieschi,
Lacenaire , Avril , etc. Les uns n'étaient pas plus
parlants que les autres en faveur de leurs spécialités
de qualités ou de vices. C'est d'ailleurs à nu, sur
le cadavre, qu'il faut étudier le cerveau; c'est dans
la forme, la position, les contours, la profondeur,
la longueur et la structure intérieure des circonvo-
lutions , comme l'a tenté récemment Leuret ; c'est
^îus encore peut-être dans l'épaisseur , la direction
des fascicules émanés des renflements centraux;
c'est dans l'abondance de la matière grise interposée,
le volume des renflements gangliformes ou corps
rhomboïdaux du cervelet, des éminences olivai-
res, etc., etc., qu'il faut chercli-^r la solution de
ces problêmes qui exigeraient la vie d'un homme ,
seulement peut-être pour le mettre sur la voie de la
vérité qu'il laisserait à développer à ses successeurs.
2° Gall a pu donner d'utiles notions sur la dis-
DAIN'S LES DIVERS CENTRES. B87
tinction à établir entre les penchants ou aptitudes
et les facultés mentales , etc. ; mais il s'en faut qu'il
ait été lui-même toujours fidèle à ses principes dans
l'application , et l'on peut dire que cette application
même était tout-à-fait erronée dans son point de
départ. En effet, qu'est-ce qu'un penchant , sinon
UKe tendance à certains actes , due à une modifi-
cation particulière de toutes les facultés intellec-
tuelles ? N'est-ce pas une perversion dans la manière
de sentir, de juger et de vouloir qui produira le
penchant au vol; et peut-on admettre dans l'encé-
phale un organe particulier pour celte perversion?
Qu'est-ce que la sagacité , sinon une grande liberté,
une grande étendue dans l'exercice de toutes les
facultés intellectuelles? Qu'est-ce que la théosophie,
sinon une aptitude à se complaire dans certaines idées,
à traiter certaines questions abstraites pour lesquelles
il faut nécessairement le concours de toutes les
facultés mentales ? etc. , etc. Et où s'arrêterait- on
dans l'admission de ces organes particuliers , s'il en
fallait supposer autant que d'aptitudes diverses? Où
serait la limite du penchant simple au penchant com-
posé ? Et si l'on en admet de cette dernière nature ,
pourquoi ne pas les regarder tous comme tels ? Si
donc il y a , dans l'encéphale , comme nous le pen-
sons, des organes multiples et à fonctions spéciales ,
c'est pour les facultés élémentaires et générales de
l'esprit, peut-être aussi pour les instincts principaux
qu'il ne faut pas confondre , ainsi que l'a fait le
docteur Gall, avec des penchants moraux; sujet sur
lequel , au reste , nous reviendrons plus loin.
En résumé , la crânioscopie nous parait, non-
388 DES SENSATIONS CENTRALES
seulement ne pas tenir ce qu'elle promet , mais
encore engager les esprits studieux dans une voie
fausse et par conséquent stérile.
§ IX. De la liaison transversale des centres neroeux^
et de la déciissation des faisceaux conducteurs.
Afin de ne pas nuire à la clarté du mécanisme
exposé précédemment pour l'enchaînement des fonc-
tions et la centralisation des effets dans le système
cérébro-spinal , nous avons négligé à dessein ce qui
concerne les moyens de communication , de liaison
et d'harmonie entre les organes d'un côté et ceux
de l'autre : c'est par leur étude que nous terminerons
le présent chapitre, (^f^oijez à ce sujet la fig, 109 et
son explication, J
A, Commissures, On sait que la plupart des
centres nerveux sont pairs chez les vertébrés, et
l'on ne pourrait guère compter comme impairs et
médians que le cervelet des poissons, reptiles et
oiseaux, son lobule médian ouvemmpour les mam-
mifères, plus le corps pinéal et le corps pituitaire,
jadis nommés glandes , parce qu'on leur supposait
des fonctions sécrétoires. Toutefois il faut, selon
nous , considérer aussi comme impaire la substance
pulpeuse ou grise de la moelle épinière : les vraies
commissures sont toujours fibreuses; et rien dans
cette moelle n'en mérite le nom, si ce n'est les
filaments transverses qu'on voit au fond de ses sillons
longitudinaux.
Pour le cerveau des mammifères, la commissure
la plus considérable est le corps calleux avec le
trigone ou la voûte qui en est la continuation : pour
DANS LES DIVERS CENTRES. 389
le cervelet, chez les mêmes animaux, c'est la piotubé-
raDce amiulaire. Celle-ci manque à tous les vertébrés
dont le cervelet est impair, les oiseaux, etc. , et le
corps calleux , ou plutôt le trigone qui subsiste seul
chez ceux-ci , se trouve divisé en deux portions laté-
rales disposées verticalement en forme d'éventail.
Cette remarque peut être opposée à Tréviranus ,
qui pense que les opérations de comparaison men-
tale se passent dans les commissures : les oiseaux
comparent certainement leurs sensations tout autant
que les mammifères. D'ailleurs , ce n'est pas entre
deux idées venant Tune de droite et l'autre de gauche,
mais entre deux idées successives , que nous établis-
sons des comparaisons : un borgne juge très-bien
des couleurs , etc. Qu'elles soient purement trans-
versales , ou bien avec croisement de fibres envoyées
d'un côté à l'autre , les commissures n'en servent
pas moins à compléter l'unité psychologique dans
ses conditions matérielles, et c'est là sans doute le
véritable butdeladécussation des faisceaux nerveux
dont nous allons parler maintenant.
B. Le croisement des faisceaux fibrillaires d'un
côté à l'autre se décèle chaque jour à nos yeux ,
dans l'espèce humaine , par des faits pathologiques
auxquels on oppose en vain quelques observations
négatives, dont, sans doute, toutes les conditions
n'ont pas été suffisamment appréciées. Toute lésion
grave d'un hémisphère cérébral, d'un des corps striés,
d'une des couches optiques, amène une paralysie des
membres du côté opposé ; tandis que les lésions des
parties médianes , du corps calleux par exemple ,
n'offrent que des efîets universels ( Lallemand ) , et
390 DES SENSATIONS CENTRALES
que toute lésion de la moelle épiuière porte son
influence sur le côté du corps directement corres-
pondant. L'anatomie explique , en grande partie ,
ces singularités.
Chez les mammifères, on connaît depuis long-
temps ( Mistichelli j l'entrecroisement des pyramides
antérieures, nié bien àtortparMorgagni, Sabatier,
Vicq-d'Azyr, Chaussier, Gordon , Rolando , qui ont
sans doute procédé avec trop peu de ménagement à sa
recherche, ou ont agi sur des encéphales ramollis.
Quant aux faisceaux olivaires, je pense quils
n'opèrent leur décussation que dans le corps calleux,
oii il m'a paru qu'on pouvait les suivre et les voir
entrecroiser leurs fascicules. Chez l'écureuil et le
lapin en particulier , il y a au corps calleux deux
couches évidentes , l'une qui remonte vers les circon-
volutions, l'autre qui descend dans la couche optique ;
elles sont confondues , et sans doute entrecroisées ,
au raphé. C'est ainsi , et ainsi seulement , qu'on
peut expliquer comment , dans les hémiplégies , il
y a aussi croisement pour la paralysie de la face ,
animée , comme on sait , par le nerf facial et le
trijumeau.
Pour les lobes optiques, nous avons exposé com-
ment c'est dans les nerfs qui en partent que le
croisement s'effectue.
Enfin , pour les faisceaux sur - spinaux de la
moelle , il m'a paru que leur croisement avait lieu
dans la protubérance annulaire ou pont de Varole ,
avant qu'ils se développassent dans les hémisphères
cérébelleux, dont les circonvolutions donnent ensuite
directement origine aux piliers de la valvule de
DÂINS LIS DIVERS GE?<TP.KS. oO 1
Vieusseiis. Aussi, dans beaucoup cVobservatioos ,
voit-on les lésions du cervelet causer des paralysies
croisées; mais il faut convenir qu'on n'a presque
jamais , dans ces narrations , fait Ja part de la sensi-
bilité et de la contractilité : nous avions même
autrefois admis conjectura]ement qu'il devait y avoir
décussation pour celle-ci seulement par Fintermé-
diaire du cerveau ; une observa tioii curieuse de
Casauviell (une seule) viendrait à l'appui de cette opi-
nion, puisque son malade avait perdu le mouvement
dans les membres du coté opposé, et le sentiment
dans ceux du coté même de l'altération du cervelet.
Une partie de ces entrecroisements subsiste cbez
les oiseaux ; peut-être en existe-t-il dans les deux
commissures transverses qu'on voit, l'une au-devant
du troisième ventricule et des couches optiques,
l'autre entre les lobes optiques ou tubercules quadri-
jumeaux ; mais Tentrecroisement est plus évident
encore aux pyramides, comme l'attestent les figures
données par Serres dans son Anatomie comparée du
cerveau. Aussi les expériences de Flourens et autres
ont-elles montré des effets croisés après diverses
lésions de leur encéphale.
Les reptiles et les poissons n'ont plus rien de
semblable ; et nous nous sommes bien assuré , sur
des lézards, des poissons (anguille, muge), des
batraciens (rainette), que l'irritation d'un des côtés
de l'encéphale produit des convulsions du même
côté : déjà Desmoulins l'avait noté soigneusement.
Ce mode d'expérimentation est ici le seul valable ;
on ne saurait compter sur des paralysies à la suite
des lésions cérébrales ; la moelle épinière a trop de
392 DES SEIN'SATIONS CENTRALES
puissance propre pour le permettre ; et , à plus forte
raison , en est-il de même chez les animaux inver-
tébrés. Nous avons pu enlèvera une sauterelle l'œil
et le lobe sus-œsophagien d'un côté seulement, sans
nuire en rien à la régularité des mouvements et des
autres fonctions de Fanimal. On ne s'en étonnera
pas , en se rappelant l'indépendance des masses ner-
veuses que nous avons signalée plus haut chez tous
les animaux sans vertèbres. L'expérience dont il
est ici question avait été faite dans la vue d'obtenir
quelques données sur une décussation que Swam-
merdam a fait figurer, d'imagination peut-être, dans
les cordons nerveux d'un crustacé à travers son
deuxième ganglion ; l'anatomie ne nous a rien appris
de plus à cet égard , et les investigations si soignées
d'Audouin et Milne Edwards ne paraissent pas non
plus leur avoir fait retrouver cet entrecroisement.
CHAPITRE VIII.
DES SENSATIONS CENTRALES ETUDIEES EN ELLES-MEMES.
AI&TI€Ij1: I." - CoR!i$i€lcratîons g^énérales*
Un caractère essentiel à toutes les réactions qui
s'opèrent dans les organes centraux du système
nerveux, ou du moins dans leur organe le plus
central, dans le réceptacle commun des opérations
déjà effectuées par les autres , en un mot , dans le
cerveau proprement dit , c'est d'être accompagnées
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 393
de sentiment ou seîis intime /de là , le nom de sensa-
tions centrales que nous leur avons assigné , et celui
de sensorium commune qu'on a depuis long -temps
donné à leur siège, quel qu'il fut supposé. Ce senti-
ment intérieur que chacun connaît , est assez défini
par son nom même , et c'est par sa coexistence avec
elles que les opérations dont nous allons nous occuper
se distinguent des sensations externes et des internes,
qui ne sont que des préliminaires obligés et conmae
les matériaux des centrales.
Cette qualité , inséparable de l'essence de ces der-
nières , est envisagée par les matérialistes comme
appartenant à une disposition spéciale de la matière,
à l'organisation même des centres nerveux : elle est,
au contraire , rattachée par les spiritualistes à un
principe immatériel , à une âme incorruptible , mais
intimement unie et mariée aux organes. 11 n'entre
point dans nos attributions , ni dans nos devoirs , de
discuter ces questions qui veulent être éclairées par
d'autres lumières que celles de la physiologie ; et nous
abandonnerons d'autant plus volontiers nos lecteurs
à leurs croyances , que tout ce qui va suivre est éga-
lement acceptable aux unes et aux autres. Tout ce
que nous avons dit dans le chapitre précédent , tout
ce qui fera l'objet de celui-ci concorde parfaitement
avec cet axiome , que « l'homme est une intelligence
servie par des organes» (de Bonald) ; et l'on peut
admettre tout ce qu'ils renferment, sans se croire
obligé de professer , avec Cabanis , que « pour se
faire une idée juste de la pensée , il faut considérer
le cerveau comme un organe particulier, destiné
spécialement à la produire. »
394 DES SENSATIONS CENTRALES
Ayant reconnu rinsuffisance de l'anatomie pour
expliquer les phénomènes intellectuels et pour les
classer convenablement, convaincu ainsi de la néces-
sité da les étudier et de les exposer abstractivement,
nous avons mis simultanément en usage les pro-
cédés d'investigation et les méthodes de classement
adoptées , trop exclusivement , d'un coté , par les
jJsycJiologisles ou partisans de Vidéalisme ^ de l'autre,
par les idéoïogistes partisans an sensualisme (i).
Les premiers , procédant , pour ainsi dire , de l'in-
térieur à l'extérieur, ne croient pouvoir étudier les
fonctions de l'àme qu'en se repliant en eux-mêmes ,
en contemplant dans une réflexion attentive leur nioij
leur sens intime,' ils veulent remonter de la nature
des idées vers leur cause , et il leur arrive trop
souvent de ne tenir compte que de ce qu'ils sentent ,
en oubliant la manière dont ils en sont venus à le
sentir. « A force d'habiter dans les profondeurs de
la pensée , ils l'ont prise pour le seul monde réel «
(Cousin). Nul doute qu'ils n'aient raison de dire que
c'est dans notre sentiment seul que nous trouvons
quelque chose de certain et de positif. « Je pense ,
donc je suis » (Descartes) : rien de plus vrai ; mais ,
dit Condillac , ce n'est pas une raison pour s'en tenir
là : quand ce sentiment bien apprécié , bien étudié ,
quand le témoignage de tous les sens , bien reconnu
pour tel , nous a convaincus de l'existence des choses
extérieures à nous et de la liaison de causalité que
les phénomènes du dehors ont avec ceux du dedans ,
(1) On peut , malgré une foule de ntiances dans les détails , ranger parmi les
premiers , Platon , Descarlcs , Spinosa , Leibnilz , Clarke , Wolf , Sîallebranche ,
Kant , Reid , Cousin ; el parmi les seconds, Àristote , Bacon, Gassendi,
liobbes , Collins , Locke, Condillac, Cabanis, DcBtuLl-Tracy , Broussais.
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 395
nous pouvons , avec certitude , établir la science
idéologique sur d'autres bases , la distribuer sur un
autre plan que n'en pourrait fournir le sens intime
à lui seul. « Descartes, parti de l'observation inté-
rieure, aboutit à l'hypotbèse; celui qui avait rejeté
toute autre autorité que celle de la pensée, est em-
barrassé de trouver dans la pensée seule , dans la
seule conscience , parce qu'il ne l'avait pas suffisam-
ment interrogée , la raison de l'existence du monde
extérieur qui nous entoure » (Cousin).
Les idéologistes , au contraire , procédant du
dehors au dedans , de la cause des idées vers leur
nature, adoptant comme fondement de la science cet
ancien et fameux adage : Nihil est in intellectu quin
pnùs fuerit in sensu (i), font des sensations la base
et l'essence de toute opération mentale ; comme
Condillac , Destutt -Tracy , ils ne voient partout
que des sensations modifiées. Cette doctrine offre
surtout l'avantage d'une marche plus méthodique,
plus facile à saisir et à suivre , et qui prête moins
aux divagations ; mais elle se montre évidemment
toute factice à force de simplicité. Qu'on prenne les
sensations pour point de départ ; rien de mieux ;
mais l'étude réfléchie du sens intime , qui seule a
(1) Cabanis observe qu'on ne trouve nulle part, en toutes lettres, dans les
écrits d'Arislote , ce corollaire qui lui est généralement attribué , tandis
qu Hippocrale a dit , avec bien plus d'exactitude et de netteté : ■■ Avant que
la pensée se produise , les sens ont éprouvé tout ce qui doit la former , et ce
sont eux qui en font parvenir les matériaux à l'entendement. >■ De Gerando
attribue à Zenon la formule que nous donnons dans le texte. Voici , au
contraire, les opinions que prête, au cbef des stoïciens, Diogène Laerce :
.. linimverb pliantasiarum aliœ sensihiles sunt , aliœ non. Sensibiles quidein quœ per
sensus sive sensum accipiuntur, JS'on sensihiles auteni illœ sûnt quœ percipiuntur animo ,
veluti incorporalium rcrum , et eorum quœ raiione tantùm aecipiuiitur. >> Manière
de raisonner toute semblable à celle de La Romiguière , que nous retrouverons
plus loin.
396 DES SENSATIONS CENTRALES
pu d'abord nous apprendre à apprécier nos sensa-
tions externes , devient encore nécessaire ensuite
pour nous faire connaître la nature des opérations
subséquentes. On s'assure ainsi bientôt, que si le
sentiment accompagne la volonté , il n'en constitue
pas l'essence ; vouloir, ce n'est pas seulement sentir
des désirs; pas plus que marcher n'est sentir le mou-
vement des jambes. « Je ne suis pas simplement un
être sensitif et passif, mais un être actif et intelli-
gent Je suis actif quand je juge » , dit , avec
raison, J. J. Rousseau. Cette étude intérieure est
bien essentielle quand elle est jointe à une bonne
méthode de classification , à une logique claire et
rigoureuse , quand on l'aide aussi de l'observation
des choses extérieures et de leurs rapports avec les
opérations intérieures telles qu'on les sent en soi et
qu'on les reconnaît, à l'expression , chez les autres.
« Il faut étudier soi et les autres » , a dit un savant
académicien ( Broussais ). La première de ces deux
études ne l'emporte pas effectivement sur la deuxième
autant qu'on serait tenté de le croire ; se sentir
penser, n'est pas un moyen péremptoire et surtout
infaillible d'apprendre comment on pense , pas plus
que sentir qu'on tourne les yeux ou qu'on ouvre la
bouche n'apprend le mécanisme de ces mouvements ,
dont on prend même une idée plus exacte en les
voyant exécuter par un autre.
Nous nous en tiendrons à ces brèves remarques;
nous dispensant d'un historique général, au moins
inutile pour une branche de la physiologie que la
philosophie revendique de son côté, et dont on a
fait même une science à part : nous n'insisterons
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 397
d'ailleurs sur la partie dogmatique qu'autant qu'il le
faudra pour présenter au lecteur un ensemble bien
net , et pour lui faciliter le parallèle entre ce qui
se passe chez l'homme et ce qui s'opère chez les
autres animaux , parallèle qui constituera la physio-
logie comparée des sensations centrales. Sous ce
rapport on trouvera plus convenable , sans doute ,
que nous entrions ici dans quelques détails histo-
riques sur les opinions diverses qu'on a professées
relativement à la source et à la portée de l'intelli-
gence des bêtes, c'est-à-dire de tous les animaux
autres que l'homme.
La doctrine de la métempsycose impliquait l'ad-
mission d'une àme semblable dans les animaux et
dans Thomme , opinion reproduite , mais torturée et
subtilisée , comme de raison , dans les dogmes vapo-
reux de l'école platonicienne. Epicure, d'après ce
que nous voyons dans Lucrèce , attribuait aux bètes,
comme à l'homme , une àme , mais également maté-
rielle et mortelle. Les stoïciens refusaient une âme
raisonnable aux animaux, etPlutarque les en blâme,
observant qu'ils mettent leurs actes en contradiction
avec leurs principes quand ils corrigent leurs chiens
ou leurs chevaux. «Si les animaux, dit cet écrivain
philosophe , discourent plus lourdement et plus
grossement que ne fait l'homme , ce n'est pas à dire
pourtant qu'ils n'aient , de tout point , de discours
ni de raison naturelle.» Anaxagore admet, entre
l'homme et les bêtes , cette importante différence ,
que le premier peut seul expliquer ses raisonne-
ments. D'après Aristote , « un seul animal est capable
de réfléchir et de délibérer; c'est l'homme; plu-
398 DES SENSATIONS CENTRALES
sieurs partagent avec lui la faculté de la mémoire
et celle d'apprendre; aucun, excepté lui, n'a la
faculté de la réminiscence. » Nous aurons plus tard
occasion de rappeler cette déclaration et d'examiner
dans quelles bornes il faut en restreindre la portée.
Plus près de nos temps, nous voyons Descartes et
ses adhérents , le cardinal poëte Polignac , l'illustre
BufFon et autres , malgré les ingénieux plaidoyers
du naïf Lafontaine , déclarer que les animaux sont
de pures machines, qu'ils n'agissent que par un
aveugle instinct et sans véritable intelligence. Willis
avait discuté davantage la question; par concession,
sans doute , aux théologiens d'alors , il ne donnait
qu'à l'homme une àme rationnelle ; celle des bêtes
était toute corporelle; il leur accordait toutefois la
connaissance , l'imagination , la mémoire , l'expé-
rience , le jugement fhrutorum syllogismi J .
Locke , sans entrer , plus que nous ne voulons le
faire, dans le fond de la question, refuse aux bêtes
la faculté de comparer et d'abstraire. Condiilac leur
refuse seulement cette dernière faculté , tout en leur
accordant la comparaison, le jugement, les idées,
la mémoire , les passions , et en somme l'entende-
ment et la volonté.
Il y a quelques années que, dans un mémoire
fort intéressant, Bureau de la Malle a établi, sur
l'observation des faits, « qu'il y a, chez les ani-
maux , mais dans des limites que nous ne pouvons
pas encore déterminer, qualités instinctives, facultés
d'imitation , mémoire et réminiscence , volonté , déli-
bération et jugement. »
Selon le sévère et judicieux Cuvier, « on aperçoit ,
ETUDIEES EN ELLES-MEMES.
dans les animaux supérieurs , un certain degré de
raisonnement avec tous ses effets , bons et mauvais,
et qui paraît être , à peu près , le même que celui des
enfants lorsqu'ils n'ont pas encore appris à parler.
A mesure qu'on descend à des animaux plus éloignés
de l'homme , les facultés s'affaiblissent , et dans les
dernières classes , elles finissent par se réduire à
quelques signes, encore quelquefois équivoques , de
sensibilité , c'est-à-dire à quelques mouvements peu
énergiques pour échapper à la douleur. Les degrés
entre ces deux extrêmes sont infinis. » C'est, à notre
avis, ce qu'on peut, sur ce sujet, dire de plus sage
et de plus juste , en thèse générale : nous n'y ajoute-
rons qu'un mot , c'est que l'intelligence prédomine
d'autant plus que les masses nerveuses centrales se
compliquent et se diversifient , que la tète se détache
et se renfle (surtout le front) proportionnellement
davantage ; tandis que l'instinct prend le dessus à
mesure que le système nerveux se simplifie et tend à
se réduire à des portions uniquement conductrices.
Il y a loin de cette formule à celle de Lamarck , qui
divise nettement les animaux en trois ordres: 1» les
Oj}a^/i/</t<^5 qui ne jouissent que de l'irritabilité; 2oles
sensibles qui ont le sentiment sans l'intelligence , ce
qui équivaut à l'instinct seul ; 3° les intelUgents.
Nous ne saurions admettre avec lui cette division
tranchée ; et nous ne pouvons accorder davantage à
Yirey et à Serres que l'instinct seul reste aux inver-
tébrés , sous prétexte qu'ils n'ont plus , en fait de
centre nerveux, que l'analogue du grand sympa-
thique des animaux à vertèbres. Nous avons précé-
demment combattu cette erreur anatomique, et nous
400 DES SENSATIONS CENTRALES
avons assez démontré , dans les prolégomènes , la
filiation naturelle et non interrompue qui conduit
des organismes les plus simples aux plus complexes;
elle conduit également, par d'innombrables degrés
de perfectionnement , de l'animal le plus brut au
plus raisonnable, à l'bomme.
Cette accession graduelle, et l'affinité qu'elle
établit entre nous et les espèces voisines , ne saurait
choquer qu'un orgueil peu philosophique. N'ob-
serve-t-on pas des dégradations successives , sous ce
rapport même , dans les diverses races de l'espèce
humaine ; et la distance n'est-elle pas presque aussi
grande entre le citadin d'Europe et le boschisman
du Cap , qu'entre celui-ci et le singe ? N'exagérons
point toutefois ce parallèle , et convenons qu'il y a
réellement entre ces deux derniers termes une limite
infranchissable ; l'orang-outang n'arrivera jamais de
lui-même ou par tradition , par enseignement de ses
pareils , à la grossière civilisation des peuplades les
plus sauvages ; le hottentot, le pesserai de l'Ile de
Noël ont un langage tel quel ; ils savent se servir du
feu, dompter et dresser des bœufs, des chiens,
fabriquer diverses armes, des arcs et même des
canots. Les Diemenois, les moins policés de tous les
sauvages jusqu'ici découverts, n'avaient ni embar-
cations , ni d'autres armes qu'une sorte de lance ;
mais ils parlaient, ils se tatouaient le corps et
savaient allumer du feu. Toute l'industrie des singes
à l'état sauvage se réduit , pour ce qui ressemble à
la nôtre , à la construction d'une cabane et à l'usage
du bâton.
ETUDIEES EN ELLES-MEMES.
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26
402 DES SENSATIONS CENTRALES
ARTlCîiE II. - Des opérations intellectuelles
on de la pensée»
Nous n'avons pas cru devoir nous occuper isolé-
ment des facultés intellectuelles plus que des pro-
priétés vitales, mais seulement des opérations dont
ces facultés ne représenteraient que la possibilité
et non Fessence ni le mécanisme ; aussi ne nous
en servirons-nous que comme de termes propres à
faciliter le discours , mais non comme d'objets parti-
culiers. Une chose ne peut exister sans les conditions
de son existence; quand ces conditions ne sont plus
que des modalités inconnues dans leur essence, c'est
perdre son temps que de les étudier à part ; c'est
argumenter sur des mots auxquels on finit par
accorder une existence réelle, tandis qu'ils n'en
ont qu'une nominale ; c'est tomber dans Terreur des
réalistes. Si l'observateur s'épuise en méditations
sur des propriétés , sur des forces considérées indé-
pendamment des organes ou des corps de la nature
qui ont sur eux de l'action , il manquera son but ,
dit avec raison un médecin philosophe (Broussais).
Les opérations qui vont nous occuper ici sont
rangées en deux groupes : opérations immédiates ou
primitives , et opérations réfléchies ou consécutives.
Dans le premier, se rangent les notions ou idées
et les volitions ; dans le deuxième, l'attention, la
réminiscence, la comparaison, le jugement, le rai-
sonnement et leurs nuances.
§ P^. Des opérations immédiates de V entendement.
Ce sont celles qui se lient le plus immédiatement
aux autres fonctions du svstème nerveux, celles
ÉTUDIÉKS EN ELLES-MEMES. 403
qui existent le plus généralement dans l'échelle
animale; savoir, les idées et les volitions.
j4. Des idées ou notions : perception ^ mémoire _,
association j caténationSj combinaisons et modifications,
— a. Chez lliomme. On n'a pas toujours été d'ac-
cord sur la valeur de ces mots , et il en a été mal-
heureusement de même de presque tous les autres
termes idéologiques ; nous nous attacherons , en con-
séquence , à hien préciser la signification que nous
leurs donnons. L'idée ou notion est le produit im-
médiat de la sensation centrale ; c'est la sensation
avec sentiment, avec douleur ou plaisir si elle est un
peu vive.
Nous distinguons deux ordres principaux d'idées
relativement à leur mode de production; les unes
sont directes j c'est-à-dire nées sous l'influence d'une
stimulation nouvelle et venue directement des sens
ou des viscères, ce sont les perceptions, ou mieux
percepts[i); les autres sont indirectes j c'est-à-dire
nées ou plutôt reproduites à l'occasion d'une per-
ception nouvelle qui réveille une perception plus
ancienne , ce sont les souvenirs.
A quelque ordre qu'elles appartiennent , les
idées peuvent être considérées comme toujours sim-
ples : lors même qu'elles représentent à notre esprit
des objets très-complexes, c'est toujours sous une
forme simple, unique. Dans ce dernier cas, on les
nomme idées concrètes j, parce qu'elles n'offrent que
l'ensemble, la masse de toutes les qualités de l'objet
ou de l'accident qu'elles déterminent : on les a
(1) Pour la sévérité du langage, la perception doit être considérée comme
l'acte qui amène un percêpl , et la notion comme l'acte qui produit une idée.
404 DES SENSATIONS CENTBÂLES
appelées abstraites ou générale s ^ au contraire , quand
elles représentent une qualité simple , élémentaire,
mais qui peut être commune à beaucoup d'accidents
ou d'objets.
Les idées concrètes sont souvent présentes à
l'esprit sous la forme d'une sensation visuelle; les
abstraites le sont communément sous la forme d'un
son , d'un mot de convention , qui ne les traduit
que comme une lettre , en algèbre , représente une
valeur arithmétique arbitraire : il en est de même
de certains résultats d'opérations intellectuelles anté-
cédentes , concrétées sous une formule simple , celle
d'un mot. Il suit de là qu'une chose très-complexe ,
une science par exemple , peut s'offrir à l'esprit
comme une notion simple , exprimée par son nom ,
et sur laquelle l'intelligence opérera comme sur la
représentation d'un objet matériel. C'est ainsi que
les mots deviennent des idées et servent de maté-
riaux à la plupart des opérations mentales , et sur-
tout des plus compliquées. Cette valeur des mots,
si bien démontrée par Condillac , a été la vraie cause
de la grande querelle des réalistes et des nominaux,
dans laquelle tout l'avantage devait naturellement
rester du côté des derniers qui soutenaient que les
unwersauXj c'est-à-dire les généralités , les abstrac-
tions , ont une existence vraie sans doute , mais seu-
lement eu tant que motSj dans notre esprit comme
dans un livre.
Il nous paraît superflu d'entrer sur ce sujet dans de
plus longs détails , non plus que sur les différences
des idées selon leur source, c'est-à-dire selon l'organe
qui les fournit (visuelles, auditives, faim, soif,
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 405
etc. j, ni sur les conséquences qui en résultent ; ce
dernier point rentrera d^aiîleurs dans Fétude des
opérations subséquentes. Arrêtons-nous maintenant
sur les souvenirs et la condition ou faculté sous le
nom de laquelle on les généralise , je veux dire la
mémoire.
La mémoire n'est autre chose que cette faculté ,
que nous avons reconnue dans toutes les parties du
corps, de reproduire des actes déjà exécutés, et ce
d'autant plus facilement qu'ils l'ont été plus sou-
vent et d'une manière plus énergique ; mais le mot
mémoire s'applique préférablement aux organes de
la pensée , et celui d'habitude aux autres organes.
L'éducation morale , comme l'éducation physique ,
est entièrement fondée sur cette aptitude , qui fait
aussi l'une des conditions fondamentales du raison-
nement et de toutes les sciences. Le secours qu'elle
leur prête ne consiste pas seulement dans les repro-
ductions isolées et éventuelles des anciennes idées;
mais bien plutôt dans la facilité avec laquelle ces
idées anciennes s'associent et s'enchaînent pour se
rappeler mutuellement au besoin , se combiner entre
elles ou avec des idées nouvelles, et se modifier
l'une par l'autre.
1^ Les associations d'idées ou de souvenirs sont
quelquefois de convention , comme entre la plupart
des noms et les objets qu'ils indiquent, entre la
lettre et le son qu'elle exprime , la note de musique
et le ton qu'elle représente : c'est par la fréquente
coïncidence et répétition de l'un en présence de
l'autre , que l'enfant apprend à les lier ensembk ,
à les figurer l'un par l'autre ; c'est là le secret de
406 DES SENSATIONS CENTRALl-S
toutes les langues : c'est aussi par la coïncidence
qu'une date rappelle un événement et sert souvent
à le désigner ( 10 août, 29 juillet, etc.). D'autres
associations naissent de l'analogie des objets entre
eux , de leurs rapports physiques ou moraux, de leur
succession naturelle , et quelquefois aussi de leur
opposition que l'expérience nous démontre : c'est
là-dessus que se fonde la mnémonique.
2® Les caténations sont des associations successives
et multiples, des séries d'associations fondées sur
quelqu'un des principes précédents ; tantôt sur la
coïncidence et la fréquente répétition, comme quand
les enfants récitent un discours qu'ils ne comprennent
nullement ; tantôt et plus souvent , sur les rapports
et la liaison naturelle ou logique des idées, comme
quand on répète un raisonnement, un théorème bien
compris , une pièce de vers , un morceau de musique
dont on sent la mesure et l'harmonie.
C'est dans ces caténations de souvenirs plus ou
moins irrégulièrement mises en jeu que l'on trouve
l'explication des rêves et de Vimagination : la diffé-
rence entre ces deux actes consiste seulement dans
la rectification qu'apportent , de temps à autre ,
aux écarts de la mémoire , les sens tenus en éA eil
dans le deuxième cas , tandis qu'ils sont assoupis
dans le premier , et laissent vagabonder les souve-
nirs en séries imparfaites , irrégulières , entrecou-
pées, et par conséquent plus ou moins bizarres.
Dans le délire j et surtout dans cette forme de
folie qu'on nomme démence j ce sont encore des
caténations irréguîières , entrecoupées , et qui ne
peuvent être rectifiées à cause de l'état maladif de
ÉTUDIÉES EIN ELLES-MEMES. 407
reucéphale même. En pareil cas , la maladie , comme
le sommeil dans les rêves , empêche de reconnaître
(à part quelques rares exceptions) que les idées
actuelles ne sont que des souvenirs et non des percepts.
Ces deux ordres de choses seraient effectivement
faciles à confondre , puisqu'il y a identité dans les
actes de réaction nerveuse qui les produisent ; mais ,
dans l'état sain , la liberté des sens et l'intégrité
de l'encéphale permettent de distinguer l'ancien du
nouveau, le passé du présent. En général, un sou-
venir se caractérise surtout par une moindre vivacité
que dans le percept dont il est la reproduction
(Hobhes); les impressions fort anciennes finissent
par s'effacer tout -à- fait, et le sentiment qui les
accompagne s'émousse de plus en plus , comme
chacun l'a éprouvé. Il est aussi, nous le verrons
bientôt, quelques souvenirs volontaires ; ceux-ci
portent avec eux le sentiment de l'effort qui les a
fait renaître et qui suffit pour les spécialiser.
3® Non-seulement des notions anciennes peuvent
s'appeler l'une l'autre , après avoir été rappelées
par des idées nouvelles , mais elles peuvent encore
se combiner, se modifier l'une par l'autre et con-
duire à des désirs , à des volontés fort différentes de
celles qu'un seul de ces éléments eût produites. 11
ne faut pas confondre ces combinaisons inaperçues ,
ces modifications spontanées , avec la comparaison
et le jugement qui appartiennent aux opérations
réfléchies ; c'est la faute qu'ont commise la plupart
des matérialistes , et cette confusion ne pouvait
manquer de rendre leur doctrine insuffisante à l'ex-
plication des problèmes relatifs à la liberté morale , à
408 I>ES SENSATIONS CENTRALES
la conscience et antres points sur lesquels insistaient
avec raison les spiritualistes. Les combinaisons dont
nous parlons ici peuvent se concevoir aisément par
cette formule : deux raisons valent mieux qu'une;
mais dès qu'il y a recherche , examen du pour et
du contre , délibération, en un mot, c'est un tout
autre ordre d'opérations. Nous avons à peine besoin
d'ajouter que ce que nous disons de la combinaison
des souvenirs entre eux ou avec des notions ré-
centes , peut s'appliquer également à ces dernières
seules , quand elles se présentent simults^nément ou
presque simultanément à notre esprit.
b. Après ces détails applicables plus particulière-
ment à l'intelligence humaine, voyons jusqu'à quel
point les animaux jouissent des mêmes prérogatives.
A commencer même par les prétendus apathiques
de Lamarck , il nous est facile de montrer , dans tout
animal, quelque chose de plus qu'une irritabilité
aveugle, quelque chose qui suppose la coexistence
du sentiment avec la sensation , et par conséquent
des perceptions. Certainement on ne peut mettre
de pair le muscle d'une grenouille qui se raccourcit
uniformément quand on le pique , et le polype en-
laçant vivement dans ses bras subitement repliés
en sens divers et appropriés à son but , et attirant
uniformément vers sa bouche l'imprudente naïde
qui a touché l'un de ces tentacules. Il est inutile ,
d'après cela , de chercher à prouver qu'il existe de
véritables perceptions chez les animaux plus par-
faits, chez tous ceux à système nerveux centralisé;
la réalité du fait ressortira trop bien d'ailleurs de tout
ce que nous dirons , à leur sujet , des autres actes
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES 409
intellectuels , puisque la perception est l'élément
indispensable de toutes les opérations mentales.
Les souvenirs j par exemple, sont-ils autre chose
qu'une nouvelle exhibition de percepts antérieurs ?
Là où il y a mémoire il y a donc eu perception.
Toutefois, la mémoire semble presque nulle et les
perceptions toutes momentanées et passagères, ou
du moins sans trace bien durable chez les zoophytes,
les annélides, les mollusques, dont les actes sembla-
bles ne paraissent se reproduire qu'à l'occasion
d'impressions semblables, soitexternes, soit internes.
Aussi ces animaux ne sont-ils susceptibles d'aucune
sorte d'éducation et même d'habitudes acquises;
ils ne possèdent , en fait de caténations , que celles
de l'instinct, toujours natif.
La mémoire est faible encore , mais pourtant
susceptible de démonstration , chez la plupart des
autres animaux articulés. Unmyriapode, un insecte,
uncrustacé, une arachnide que vous provoquerez du
doigt, fuira d'abord avec assez peu d'empressement;
une seconde attaque , sans être plus vive , excitera
des mouvements plus précipités ; une troisième dé-
terminera une agitation bien plus manifeste encore
et plus prolongée. Arrêtez-vous devant le trou d'un
grillon , il s'y enfoncera à l'instant , mais pour se
montrer bientôt après ; poursuivez-le vivement , et il
restera quelquefois plus de dix minutes au fond de
sa retraite, quoique tout reste en repos autour de
lui : c'est à peu près la même chose si vous excitez
une grosse araignée,; une mante , qui prenne le parti
de se défendre au lieu de fuir ; la susceptibilité
et la violence des actes iront croissant, parce que
410 DES SENSATIOiNS CENTRALES
à Tattaque actuelle se joint le souvenir récent des
antécédentes ; mais un quart d'heure , une demi-
heure après , l'animal a tout oublié.
Il est pourtant des souvenirs plus durables , soit
qu'ils proviennent d'une perception très-vive , soit
que la fréquente répétition ait, à la longue, pro-
duit une sorte d'expérience ou d'éducation , soit
enfin qu'une prédisposition organique rende l'ani-
mal plus susceptible d'un certain ordre de réminis-
cences. Au bout de quelques jours l'abeille connaît
parfaitement la nouvelle ruche qu'on lui a donnée
pour habitation : la fourmi , qui a découvert une
voie pour pénétrer dans quelque armoire fournie
de provisions de bouche , sait en retrouver la route
et la montrer à ses compagnes : le sphex , qui a pré-
paré un trou, le retrouve à merveille quand il a
rencontré la victime qu'il veut y renfermer avec
ses œufs. 11 en est de même des mégachiles , des
xylocopes, etc. (abeilles coupeuses , maçonnes,
perce-bois ) , et de tous les insectes à terriers , à re-
traites qu'ils abandonnent momentanément et retrou-
vent sans peine : l'instinct ne peut pas ici leur don-
ner la connaissance des localités; la mémoire seule
peut la leur fournir. L'expérience seule préside à
l'établissement de certaines habitudes , et prouve la
réalité des associations d'idées chez les animaux
articulés. Les abeilles reconnaissent, dit-on, la
personne qui les soigne : des araignées ont pu être
apprivoisées , et Pelisson a depuis long-temps rendu
célèbre celle dont la société adoucissait les ennuis
de sa prison : une ségestrie ( araignée à six yeux ,
dite araignée des caves ) qui n'a point eu affaire à
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 411
la fourmi, s'en défie peu ; elle la tàte pourtant du
bout de la patte comme tout animal inconnu ; tandis
qu'elle se précipite sans hésiter sur la mouche dont
le bourdonnement lui est familier ; mais celle qui a
eu la patte serrée entre les mandibules aiguës d'une
fourmi , la redoute au point d'abandonner précipi-
tamment son trou , comme l'a dit Walckenaër , si
Ton y pousse un de ces insectes courageux , qu'elle
écrase pourtant sans peine entre ses robustes cro-
chets quand on lui rend la fuite impossible. Voilà,
sans doute, des exemples d'as^ocmt/ow^ véritables,
mais elles ne forment jamais, il faut en convenir,
des caténations bien étendues.
Les animaux vertébrés doivent naturellement être
supposés mieux partagés que les précédents ; aussi
les poissons même évitent-ils les pièges auxquels ils
ont échappé : on sait que , dans les viviers , ils
viennent au bord de l'eau chercher leur nourriture ,
et que parfois même le son d'une cloche leur sert
d'avertissement à cet effet. La mémoire et l'éduca-
bilité des reptiles offrent un peu plus de dévelop-
pement encore : nous ne pouvons dire jusqu'à quel
point les prêtres de l'Egypte savaient adoucir , par
l'habitude et l'éducation , la férocité du crocodile ;
mais on apprivoise sans beaucoup de peine, on
familiarise du moins par l'accoutumance ( véritable
conséquence de la mémoire ) diverses espèces de
couleuvres (^C. domiceUaj natrixj monspeltensù ^
etc.Jj de lézards fmuralis , oceUataJj, de crapauds
(^B. vulgarisj. Ils se laissent alors approcher,
manier, et prennent leur nourriture dans les mains
qu'ils connaissent. Je vois une tortue grecque se
412 DES SENSATIONS CENTRALES
rendre, depuis quelque temps, tous les matins,
dans une cheminée où on lui a , pendant plusieurs
jours, jeté régulièrement des feuilles de laitue;
c'est une sorte d'éducation qu'elle s'est faite d'elle-
même dans peu de temps , et qui prouve , sinon de
l'intelligence, du moins de la mémoire.
La mémoire des oiseaux se montre bien autre-
ment développée; c'est chez eux qu'on commence
à voir , non-seulement des associations d'idées , mais
encore des caténations très-suivies. Sans parler de
l'éducahilité , qui suppose un certain degré d'in-
telligence , les airs qu'apprennent et répètent les
oiseaux chanteurs, les phrases entières que les
oiseaux parleurs savent retenir et réciter, viennent
assez à l'appui de l'assertion qui précède. L'hiron-
delle qui retrouve si bien , six mois plus tard , les
lieux habités précédemment par elle et quittés en-
suite pour des contrées lointaines, prouve assez que
la mémoire est durahle chez les oiseaux. Inexpérience
qu'acquièrent , même en pleine liberté , ceux dont
l'âge a permis des observations suffisamment répé-
tées , rentre encore dans les attributions de notre sujet
actuel : on connaît la défiance des vieux oiseaux , et
l'on sait que ce sont presque toujours les plus jeunes
qui restent à la portée du fusil ou se livrent aux filets
de l'oiseleur.
A plus forte raison retrouverons-nous les mêmes
facultés chez les mammifères , mais à un degré très-
variable , parfois inférieur même à ce que certains
oiseaux nous présentent, bien que l'encéphale de
ces derniers semble devoir toujours rester inférieur
en puissance comme il l'est en structure. Mais c'est
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES* 413
que la mémoire et ses conséquences ne sont point
la fonction de tel ou tel organe encéphalique en
particulier; c'est qu'elle est répandue partout, pro-
portionnellement aux masses et aux surfaces, et
peut-être aussi à des conditions moléculaires à nous
peu connues , mais non à des formes spéciales ,
quoi qu'en aient voulu dire les phrénologistes. Les
mammifères édentés, les ruminants sauvages, les
rongeurs pour la plupart , ne donnent guère d'autre
preuve de mémoire que de reconnaître leur gîte ,
leurs abreuvoirs : en domesticité , le mouton recon-
naît la main qui le soigne et le caresse , mais son
éducabiîité est des plus bornées, sa mémoire des
plus courtes : le bœuf, le buffle, le cheval, l'àne , le
chameau, le lama, le chat, plus susceptibles d'édu-
cation , profitant davantage des leçons et des correc-
tions qu'on leur donne , montrent plus de mémoire,
des associations plus nombreuses. L'éducation peut
même, avec quelques soins, asservir le phoque,
l'ours , le loup , le lion , le tigre , l'hyène , et la
curiosité publique a pu, de nos jours, se satisfaire
à cet égard par d'assez nombreux exemples ; mais
l'éducation acquiert son plus haut degré d'influence
chez l'éléphant, le chien, le singe.
De cette progression proportionnelle à celle de
l'intelligence , il ne suit pas que le souvenir soit une
opération à part, une fonction ^m^e/iem^ mais bien,
au contraire , qu'elle n'est qu'une condition sur-
ajoutée aux autres, une aptitude à la reproduction
des phénomènes intellectuels , qui doit nécessaire-
ment s'amplifier comme ces phénomènes eux-mêmes.
Toutefois , il est une circonstance dont il faut tenir
414 DES SKNSATIOî\S CENTRALES
compte, relativement à l'éducabilité et aux richesses
mentales dont elle dote tels ou tels animaux; non-
seulement il y a des limites prescrites à la mémoire
et à l'instruction par l'organisation encéphalique,
par la portée de l'intelligence ; il en est aussi qui
dépendent de la durée de l'accroissement physique.
Il est de remarque , en effet , que c'est surtout
dans l'enfance que les associations d'idées , que les
caténations s'impriment dans l'encéphale ; une fois
adulte, cet organe , comme tous les autres, a pris sa
consistance , sa structure , ses conditions organiques
définitives , il en change difficilement et faiblement,
ou ses changements sont passagers, momentanés. Les
vieux animaux sauvages sont souvent indomptables,
toujours du moins bien indociles, c'est-à-dire réfrac-
taires à de nouvelles habitudes; il n'en est pas ainsi
des jeunes. Donc, la mémoire aura le temps de
faire des provisions d'autant plus amples , l'animal
sera d'autant plus éducable , que l'enfance sera plus
longue, la maturité plus tardive. Nul doute que
l'éléphant , l'orang-outang ne doivent , en partie , à
cette circonstance leur supériorité mentale , et que
l'homme n'ait à la mettre aussi en ligne de compte
parmi les nombreuses conditions qui lui donnent
tant d'avantages sur tous les êtres animés.
B, Des volitîons : désirs _, besoins , etc. , chez
Vhomme et les animaux. On nomme volition , l'opéra-
tion intellectuelle qui suit l'idée , précède et déter-
mine nos actes physiques , nos mouvements , et que
caractérise un sentiment de désir plus ou moins
prononcé. La volonté c'est l'aptitude à vouloir, ou
avoir des volitions. La volition est une réaction
ÉTUDiÉrS EN ELLES-MÊMES. 4 1 5
encéphalique différente de l'idée : peut-être s'opère-
t-elle, par transmission, dans une autre partie de
l'encéphale ; peut-être , dans la même partie , la
réaction change-t-elle de nature , comme l'image du
soleil imprimée sur la rétine change successivement
de nuances dans notre œil fermé , passe du jaune
au rouge, au vert, etc. (Darwin). Sans nous arrêter
à ces conjectures, nous nous contenterons de prou-
ver, en peu de mots , que la volonté suit souvent im-
médiatement la notion , comme l'acte suit la volonté.
On retire la main qui se brûle , on tourne les yeux
vers un objet agréable sans faire de longs raisonne-
ments, le plus souvent sans aucune réflexion , sans
comparaison , sans jugements préalables. Nul doute
qu'il n'en soit ainsi primilivement pour la majeure
partie des mouvements volontaires chez les animaux
inférieurs; mais, chez l'homme, cette liaison sans
intermédiaire de la notion à la volonté , tient souvent
hV association j c'est-à-dire à la mémoire qui a joint,
j^ar hahilude j ces deux choses immédiatement l'une
à l'autre , quoiqu'elles n'eussent été liées , dans le
principe , que par l'intermédiaire d'un raisonnement
complet qui , à la longue , est devenu inutile et que
nous supprimons comme tel : cela est si vrai que la
volonté même peut être supprimée sans que l'acte
en soit moins constamment lié à sa cause occasion-
nelle , et c'est ce qui a lieu dans tous les mouvements
dits automatiques.
Quel que soit le mode de relation entre la cause
et l'effet, si nous en jugeons par ce dernier, nous
avons assez de preuves de l'intensité des volitions
chez les animaux articulés , et plus encore chez
4 1 6 DES SENSATIONS CENTRALES
les vertébrés , pour n'avoir pas besoin d'y insister
davantage. On peut remarquer seulement que la
plupart des actes de ces animaux , et surtout de
ceux qui sont le plus bas placés dans l'échelle , se
rapportant principalement à un but de nutrition ou
de reproduction , on peut dire qu'il existe chez eux
plus de besoins que de désirs.
Les uns et les autres influent sur la volonté ,
mais ne doivent point être confondus entre eux ni
avec elle ; le besoin est splanchnique , le désir est
intellectuel : on peut, par sensualité, désirer une
friandise sans avoir ni faim ni soif. Les désirs peuvent
être en opposition avec les besoins , comme dans les
combats entre l'esprit et la chair , selon l'expression
des théologiens. Des désirs multiples peuvent se com-
biner entre eux, se renforcer ou se contredire, et
le principe fondamental de toute éducation morale ,
de toute législation rationnelle , c'est d'encourager
les désirs utiles à la société , et d'arrêter les désirs
contraires par la crainte ou la honte qui ne sont que
des désirs négatifs.
Ces dernières expressions nous prouvent assez
que désirs et volitions ne sont pas toujours la même
chose : le désir est un sentiment , la volition n'est
que Tintention d'exécuter un acte. « Le désir est
passif et impersonnel , dit Cousin , la volonté est le
type même de l'activité et de la personnalité. «
§ IL Des opérations refléchies ou médiates.
Les expressions dont nous nous servons dans ce
titre, et l'étendue, la multiplicité des opérations
auxquelles elles s'appliquent , doivent donner à
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 417
penser que nous ne regardons pas , à Timitation de
beaucoup d'idéologistes , la réflexion comme un acte
particulier, simple ou restreint, mais bien comme
une condition inhérente à un grand nombre d'actes
divers : la réflexion , c'est pour nous la volonté
dirigée sur les opérations mentales mêmes; de sorte
que l'épithète de réfléchies aurait pu être remplacée
par celle de volontaires , dans le titre de ce para-
graphe , si nous n'eussions eu à craindre quelques
équivoques. De même, en efî'et, que la volition
née des notions primitives précède certains mou-
vements musculaires , elle précède aussi les actes
et les produits réfléchis de l'intelligence ; et nous
pourrions , sous ce rapport , dire , comme Locke et
LaRomiguière, mais dans un esprit moins exclusif,
que les idées ont deux sources principales, la sen-
sation et la réflexion. Pour apporter plus de clarté
dans l'étude de ce qui concerne les produits susdits,
nous les sous-diviserons de même méthodiquement
et aussi nettement que possible , au risque d'intro-
duire un peu de sécheresse dans un sujet où la con-
fusion nous parait être le principal écueil à éviter.
j4. Des actes de réflexion chez lliomme, — a. Le
premier de tous est V attention j ou l'application de
la volonté aux sensations et aux percepts , c'est-à-
dire aux idées nées sous l'influence de sensations
actuelles. L'attention, dit Maine de Biran, est émi-
nemment volontaire. Comme son étymologie l'indi-
que (i), l'attention consiste à tendre les sens ou les
(1) L'attente n'est autre chose que l'attention accompagnée de désir: attendre
et espérer s'expriment par le même mot dans certains idiomes , celui du midi
de la France , par exemple. Définir l'attention , comme certains idéologistes ,
une plus grande cK'«ctfé de sensaiion , c'est confondre l'effet avec la cause.
27
'418 DES SENSATIONS CENTRALES
organes centraux pour en rendre les fonctions plus
actives, arrigere auresj intendere animum. On entend,
on voit sans le vouloir ; c'est volontairement qu'on
écoute ou qu'on regarde. C'est ici surtout que se
remarque cette unité morale dont nous avons parlé
précédemment : l'attention ne peut se porter conve-
nablement dans un temps donné que sur un organe ,
ou une partie d'organe sentant; et c'est une grande
différence qu'on peut établir entre la sensation et la
perception brutes, d'une part , la sensation et la
perception réfléchies, d'autre part. En elTet, nous
voyons simultanément toute l'étendue de l'horizon
dont notre rétine peut recevoir les images , mais
nous ne pouvons regarder que successivement chacun
des points de ce tableau ; et qu'on ne dise pas que
c'est parce que le centre visuel seul peut donner des
sensations vives , car rien n'est plus facile que de
fixer son attention sur des objets placés hors de
l'axe de l'œil , en négligeant ceux qui sont dans la
direction la plus favorable à l'énergie de la vision.
L'attention a pour eff'et, non -seulement de nous
donner des 'perceptions plus vives , mais encore de
les graver plus profondément dans la mémoire : il
y a des choses dont on ne veut se souvenir que
quelques instants , il en est qu'on ne veut jamais
oublier , et l'eifet suit assez bien l'intention : ceux
qui ne veulent pas écrire , sur un agenda , le pro-
• gramme de leurs occupations , y manquent souvent
moins que ceux qui ont mieux aimé le confier au
papier qu'à leur mémoire.
h. Rechercher et retrouver quelqu'une de ces
notions antécédentes et devenues des souvenirs,
ÉTUDIÉES EN ELLES-MÊBIES. 419
c^esf là une autre sorte d'attention que l'on appelle
réminiscence. Fouiller dans sa mémoire n'est pas
seulement se souvenir , c'est faire un acte volontaire
et partant réfléchi. Veut-on arriver à son but d'une
manière plus sûre et plus méthodique , on passe en
revue tous les chaînons de la caténation à laquelle
appartient le souvenir cherché ; c'est la récollection
de Darwin. La réminiscence ne consiste donc pas
seulement, comme on le dit dans la traduction de
Hobbes , a reconnaître , à vérifier des souvenirs
fortuits ou non fortuits ; opération qui mériterait
mieux le nom de récognition, employé aussi par
quelques écrivains.
c. L'attention portée et reportée successivement
sûr plusieurs idées, soit actuelles, soit de mémoire ,
établit entre elles une comparaison qui peut être
considérée comme une modification ou combinaison
volontaires. C'est surtout ici qu'il peut y avoir
conflit entre des notions disparates ou contraires,
correction ou annihilation de l'une par l'autre ; c'est
ici qu'il faut rapporter ces combats intérieurs entre
des impulsions nées de sources difl'érentes , les unes
provenant des sensations internes ou splanchniques
(besoins) , les autres des sensations externes ou de la
mémoire , de l'éducation surtout. S'il fallait donner
une image de ce qui se passe dans l'encéphale lors
de ces combinaisons ou de ces combats intellectuels,
en présentant des exemples de faits analogues obser-
vables dans les sensations externes , nous rappelle-
rions comment deux tons simultanés ou successifs se
marient agréablement ou présentent une discordance
désagréable ; comment le contraste d'une couleur
420 DES SENSATIONS CENTRALES
avec une autre , soit successivement présentées à
l'œil , soit simultanément apposées à sa portée ,
produit des modifications visuelles si bien analysées
par Mirbel , dans son mémoire sur les couleurs.
Dans le cas de simultanéité, la combinaison se
conçoit à merveille ; elle n'est pas moins réelle dans
le cas de succession, l'impression première subsistant
encore (mémoire plus ou moins durable) quand la
seconde vient opérer sur le même point.
B. Des produits de la réflexion chez Vhomme. —
a. L'idée consécutive qui résulte d'une comparaison
s'appelle jugement. Le mécanisme mental par lequel
s'obtient ce résultat , et dont nous avons cherché
tout- à -l'heure à donner, par analogie , une image
toute physiologique , se démontre assez clairement
dans l'énoncé d'une équation algébrique , ou d'un
syllogisme , réduits à la plus grande simplicité
possible ; la conséquence se dégage de l'une des deux
propositions modifiée par l'autre.
Lorsque cette conséquence est nette et positive, il
y a pour nous évidence: si l'opération , sans être aussi
claire , ne permet pas d'autre combinaison , il y a
conviction : mais il n'y a que probabilité^ quand plu-
sieurs combinaisons peuvent s'établir entre des pro-
positions multiples et donner des produits différents.
La certitude existe dans le premier et le deuxième
cas , Vindécision dans le troisième ; mais il y a le
plus souvent préférence pour le jugement qui satisfait
le plus ou notre esprit ou nos penchants. Cette pré-
férence ^ ou la répugnance qui en est l'inverse , nous
déterminent à agir ou dans un sens ou dans un autre;
ce sont les règles de notre conduite , et nous faisons
ÉTUDIÉES EK ELLES-MEMES. 421
le bien ou le malj selon que nous avons été bien ou
mal conseillés par nos sensations , nos réflexions et
quelques autres éléments intellectuels dont il sera
question ci-après.
Si la comparaison a été attentive et surtout mul-
tiple , on dit qu'il y a eu délibération / et le cJioix
est déclaré conforme à la raison ^ quand il a été
déterminé par les opérations régulières et lucides
d'une intelligence heureuse et d'une mémoire avan-
tageusement meublée de bons principes. L'homme
n'est donc le libre arbitre de sa conduite que d'une
manière très -conditionnelle. Sa liberté morale est
subordonnée , sans doute , à sa volonté ; mais cette
volonté est mise en jeu elle-même par des per-
ceptions venues accidentellement (i) du dehors ou
de l'intérieur , et plus ou moins fructueusement
élaborées par des organes plus ou moins heureu-
sement constitués , plus ou moins avantageusement
pourvus par l'éducation. L'éducation peut beaucoup
en effet; et le meilleur moyen d'augmenter la liberté
morale , c'est assurément d'éclairer et d'instruire :
en augmentant ainsi la masse des éléments propres
à intervenir dans la délibération , on écarte , de plus
en plus , de leurs premiers mobiles , les détermina-
tions de l'homme , au point de lui faire croire à son
(1) " Je ne prévoyais pas que j'aurais d'autres idées , dit quelque pari
J. J. Rousseau ; elles viennent quand il leur plait , non quand il me plaît ;
elles ne viennent point ou elles viennent en foule. " Inventer, selon Condillac ,
ce n'est pas créer; c'est trouver, c'est arriver, être conduit sur quelque
chose d'existant. Le hasard est le père des découvertes ; seulement les bons
esprits suivent plus aisément les bonnes routes , remarquent mieux les choses
importantes, et ont seuls le moyen de les faire fructifier. Ils n'ont pas la
science infuse , mais ils sont aptes à l'acquérir parla seule observation, à
laquelle les convient les phénomènes de la nature ; leur principal mérite est
de savoir répondre à ses appels et interpréter son langage.
422 DES SEiSSATIONS CENTRALES
indépendance , à sa spontanéité : et cependant il reste
toujours évident qu'on ne peut dire je veux vouloir.
C'est néanmoins sur la croyance à cette prétendue
spontanéité qu'on a généralement établi les bases de
la morale religieuse : on a voulu inspirer à l'homme
des craintes salutaires, en le rendant responsable,
pour l'éternité, de ses actions durant la vie. C'est
un but qu'on peut atteindre aussi par une législation
rigoureuse ; mais ne vaut - il pas mieux encore le
conduire à la vertu en lui inculquant , par une ins-
truction à sa portée , les matériaux de jugements
justes et sages? C'est aux moralistes à décider cette
question.
b. Bien qu'on puisse supposer que tous les actes
dont il \ient d'être parlé complètent leur série
par un seul jugement, il est rare pourtant qu'une
délibération ne soit pas composée d'une suite de
jugements liés entre eux comme les équations d'un
problême de mathématiques, de manière à ne con-
duire à un résultat définitif qu'après avoir combiné
préalablement d'autres résultats de combinaisons
plus ou moins nombreuses : un pareil enchaînement
de comparaisons et de jugements constitue ce que
les idéologistes appellent raisonnement (i). Il y a
donc des caténations de jugements et même de rai-
sonnements comme de souvenirs, avec cette seule
différence qu'il n'y a que rappel dans ce dernier
cas , élaboration dans le premier. Mais quand ces
caténations se sont plusieurs fois répétées , elles
(1) C'est ce qu'on Romme communément réflexion quand les opérations sont
faciles, intérieures; c'est l'imagination soumise et dirijjée par l'attention, et
conséquemmenl par la volonté.
ÉTLDIÉES EN ELLES-MEMES. 423
rentrent totalement dans la catégorie des faits de
mémoire : alors il peut y avoir association immédiate
des prémisses avec la conséquence, sans nécessité de
l'opération intermédiaire ; il y a ellipse j c'est-à-dire
passage direct d'une proposition aux résultats que l'ex-
périence nous a accoutumés à lui reconnaître après de
longues investigations : nous admettons ces résultats
comme positifs et vrais sans un nouvel examen , et
c'est là ce qu'on désigne sous le nom à^ axiomes. De là
vient l'excessive rapidité avec laquelle on réfléchit ,
avec laquelle , pour peu qu'on en ait l'habitude , ou
porte des jugements très-compliqués en apparence ;
de même qu'avec de l'exercice on parvient à faire , de
tête et avec une prestesse extrême , des calculs qui
nécessiteraient , sur le papier, de longues opérations
arithmétiques. Cette rapidité n'est point , à beaucoup
près , incommensurable , et n'étonne d'ailleurs que
ceux qui n'en connaissent pas la cause , comme ceux
qui s'imagineraient , par exemple , qu'un musicien
répète mentalement toute la gamme pour sauter plus
sûrement d'un ton à son octave. Nous avons même
souvent la preuve positive du contraire ; il est des
hommes qui , au premier coup-d'œil , prennent un
parti , décident d'une affaire , sans pouvoir rendre un
compte exact des motifs qui les font agir, quoique
leur calcul soit juste. C'est là, sans doute, ce que
Cousin appelle des jugements intuitifs ou primitifs ,
c'est-à-dire sans opération comparative ou préalable.
Le langage ordinaire et celui des sciences ne sont
qu'un corps de formules toutes faites , représentées
par des signes simples , apprises à force d'usage ou
d'étude, et dont la justesse est acceptée comme
424 DES SENSATIONS CENTRALES
positive pour l'usage journalier. Chaque mot repré-
sente un jugement fait à l'avance par celui qui l'a.
le premier employé et mis en circulation ; et ceci
est vrai surtout de ces termes généraux qui repré-
sentent des collections d'individus ou de choses ,
homme , livre ; ou de ceux qui désignent quelque
qualité soit spéciale, soit commune, mais isolément
considérée , d'où le nom à^ ahstr action qu'on leur
donne, blancheur, vie, sagesse. Au moyen de ces
formules nominales , de ces signes , de longs raison-
nements se trouvent représentés par un seul mot ;
d'autres opérations , d'une complexité toujours crois-
sante, deviennent non -seulement possibles mais
aussi faciles que les plus simples jugements, pourvu
qu'on y mette la méthode convenable , et c'est là ce
qui constitue la vraie logique.
C'est ainsi que nous pouvons élever ces immenses
monuments de la puissance de notre intellect , ces
assemblages de faits et de théories qu'on nomme les
sciences ; c'est ainsi que nous parvenons à l'appré-
ciation intime , à la vraie connaissance ou intuition
des choses, connaissance réfléchie qui consiste à
comprendre et non seulement à sentir; bien diffé-
rente par conséquent des notions brutes dont il
a été question au paragraphe précédent. Ce n'est
qu'avec le secours de ces formules , de ces signes
et des raisonnements qu'elles facilitent , des longues
méditations qu'elles permettent, que nous acquérons
la conscience raisonnée de notre existence, ou ce
que les métaphysiciens modernes ont entendu par
ce moij sur lequel ils ont tant insisté , le confondant
pour la plupart avec le sentiment que nous avons
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 425
dit précédemment caractériser toutes les opérations
intellectuelles. C'est ainsi , enfin , que nous pouvons
nous livrer à des conjectures sur les choses même
dont l'existence ne se révèle à nous que par des effets
indirects, et conclure des merveilles de Funiversàla
toute-puissance et à la profonde intelligence de son
Créateur, sans en connaître ni même en comprendre
l'essence (i).
Telles sont les facultés par lesquelles l'homme
l'emporte sur les autres animaux : la réflexion et
tous les actes qui s'y rattachent, les résultats qui en
découlent sont ou nuls ou minimes pour la plupart
d'entre eux, comme nous le verrons dans la dis-
cussion qui va suivre.
C, Des ojjéralions réfléchies chez les animaux,
— a. Invertébrés. Nous avons vu que tous les ani-
maux sentent, perçoivent, se souviennent et veulent,
hien qu'à des degrés très-ohscurs et très-bornés dans
les derniers rangs de l'échelle. Il n'existe certaine-
ment rien autre chose chez les vrais monadaires , les
diphyaires , les actiniaires ou radiaires et les elmin-
thes ou téniaires ; il serait même difficile de recon-
naître quelque chose de plus chez les annélides ,
les myriapodes et les mollusques , si l'on en excepte
peut-être les céphalopodes dont les mœurs ne nous
sont pas bien connues ; et nous en sommes au même
point pour la plupart des crustacés. Si un ver pressé
(1) Parmi les choses réputées incompréhensibles , il en est qui le sont par
leur nature même , et que nous n'admettons que comme négations de choses
intelligibles pour nous : tel est l'infini en tout genre. Il en est d'autres que
nous ne comprenons pas faute de renseignements suffisants , d'intermédiaires
sensibles entre l'effet et la cause par exemple , mais que nous admettons comme
liosilives et nécessaires , vu l'impossibilité d'expliquer autrement des phéno-
mènes sensibles : l'exislence de Dieu est dans celle catégorie.
426 DES SENSATIONS CENTRALES
à la queue cherche à fuir en avant , s'il recule
quand la tète est pressée à son tour , certes il n'y a
là ni réflexion , ni choix, ni délibération; c'est un
acte volontaire immédiatement produit par la dou-
leur. A la vérité , si le contact n'est point doulou-
reux , on peut croire que le mouvement par lequel
s^y soustrait l'animal est dû à la crainte d'un danger,
ce qui supposerait réflexion ; mais il semble que
cela ne suppose guère que souvenir de douleurs pro-
duites par des contacts antécédents , ou bien instinct ,
et partant association native entre la perception du
contact et l'acte volontaire de la fuite.
Mais les insectes et les arachnides nous donneront
des preuves manifestes de l'existence des opérations
réfléchies , dans un assez bon nombre de leurs actes
trop généralement attribués à l'instinct : on trouve
des preuves de jugement au milieu de leurs actes
instinctifs , et leurs erreurs mêmes peuvent quel-
quefois servir à en donner la preuve. Au reste,
pour tous les animaux, il est fort difficile de savoir
au juste ce qui se passe dans leur intérieur, et ce
n'est que par l'observation de certains faits que nous
l'établissons conjecturalement. Que les insectes et
les arachnides soient susceptibles d'attention, c'est
ce dont nous jugeons aisément , dans certains cas ,
par leurs attitudes. La mante religieuse tourne la
tête vers l'homme qui s'approche , le regarde , et
quelquefois lève une patte ou s'incline , prête à fuir
si l'on s'approche davantage : les saltiques tournent
de même leurs gros yeux frontaux vers la main qui
les menace , vers la proie qui s'approche ou passe à
quelque distance : la mouche commune se soulève
ÉTUDIÉES EIN ELLES-MEMES. 427
sur ses pattes , et se tient prête à partir si quelque
mouvement brusque éveille en elle le soupçon d'un
danger ; la sauterelle ramène sous elle les tarses de
ses longues pattes, et se dispose à en faire jouer les
ressorts si le danger devient plus imminent.
Les mêmes insectes et beaucoup d'autres , les
papillons par exemple, donnent certainement des
preuves de jugement , de raisonnement même , par
suite de comparaisons, de délibérations réelles. Ne
jugent-ils pas des distances , quand ils s'envolent à
l'approcbe d'un ennemi qu'ils ne craignent point à
distance double ? Ne choisissent-ils pas le côté qui
offrira plus de sécurité , de liberté à leur fuite ? Dans
un appartement clos, c'est toujours vers la fenêtre
que les insectes ailés prennent leur vol , et l'opi-
niâtreté avec laquelle ils se heurtent contre une vitre
diaphane , prouve assez qu'ils jugent que la liberté
est pour eux là d'où vient la lumière : toutefois , il
en est qui, comme la mouche bleue de la viande
(musca vomûoriajj comprennent bientôt que là aussi
est un obstacle insurmontable , et cherchent ailleurs
une issue. Aucun insecte ne s'alarme des mou-
vements souvent violents que l'air imprime aux ra-
meaux qui le portent ; agitez-les avec la main , et une
prompte fuite vous prouvera que ces animaux savent
distinguer les nuances et prévoir les suites ultérieures
d'un phénomène , dont les résultats immédiats sont
pourtant les mêmes dans l'un et l'autre cas. Quand
l'araignée émeraude (^micrommata smaragdïnajj la
cigale plébéienne, le grand criquet linéole se cachent
derrière une branche d'arbre , et tournent à l'entour
à mesure que vous tournez vous - même , ne vous
428 DES SENSATIONS CENTRALES
donDGiit-ils pas une preuve incontestable de discer-
nement? N^en doit-on pas dire autant de l'araignée
qui s'enfuit quand une force majeure ébranle ou
déchire ses rets , reste immobile et se résigne à son
sort quand elle est saisie par un ennemi puissant de
manière à ne pouvoir pas se défendre , se sert de
ses armes dans le cas contraire , garrotte avec pré-
caution une proie dangereuse et la saisit vers le dos
pour la sucer à son aise , sans avoir à redouter
les atteintes d'un aiguillon ou de mâchoires formi-
dables ? Je me suis amusé à jeter, dans la toile de
notre grande épéïre fasciée , tantôt une mante reli-
gieuse armée de bras robustes, dentelés et tran-
chants, tantôt un grand criquet à jambes épineuses.
Dans le premier cas , certaine d'être bientôt mutilée
et mise hors de combat, elle laissait tranquillement
l'insecte rompre ses fils et se dégager de ses liens ;
dans le deuxième , elle s'approchait avec précau-
tion de son prisonnier, jetait à la hâte un gros fil
sur ses jambes fortes et bien armées, et se laissait
à l'instant même tomber brusquement hors de la
portée de ses dangereuses ruades : le même manège
recommençait dès que l'insecte se tenait en repos ;
à mesure que les mouvements étaient mieux bridés,
l'araignée devenait plus hardie , mais ne se décidait
pourtant à manier sa victime que quand elle était
évidemment dans l'impuissance de nuire. Que de
fois n'ai-je pas vu ces grosses araignées occupées à
sucer une proie , courir sur celle qui venait se
prendre encore à leur piège , Femprisonner dans un
maillot de soie , la suspendre à leur toile, retourner
alors à leur première victime et la sucer entièrement
ÉTU1>1ÉES EN ELLES-MEMES. 429
avant de revenir à leur nouvelle conquête ! Une de
ces araignées qui se tiennent en embuscade sur les
fleurs ( thomise tronqué ) , m'a rendu témoin d'une
manœuvre à laquelle l'industrie avait certes autant
de part que l'instinct. Elle avait saisi par le dos une
abeille dont les ailes se trouvaient ainsi paralysées,
mais les pieds étaient libres et l'insecte entraînait ,
bon gré mal gré , l'arachnide , jusqu'à ce que celle-ci
fût parvenue à se précipiter , avec sa proie , se tenant
suspendue au moyen d'un fil attaché à la fleur qui
avait servi de champ de bataille; ainsi, privée de
point d'appui, l'abeille agitait inutilement ses mem-
bres , et son ennemie eut tout le loisir d'attendre que
son venin l'eût mise à mort ; remontant alors le long
du même fil , sans lâcher sa victime , elle revint sur
la fleur achever plus commodément son repas.
J'ai vu cent fois des bourdons et des abeilles
donner aussi la preuve d'une sorte de raisonnement
et de calcul , lorsqu'ils s'adressaient aux fleurs
des balsamines dont le nectaire représente un long
cornet , ou à celles des mirabilis dont le tube est fort
allongé : ne pouvant plonger jusqu'au fond le bout
de leur trompe, ils perçaient extérieurement, non
loin de son extrémité , cette portion de la corolle à
l'aide de leurs fortes mandibules , et faisaient passer
leur trompe par cette ouverture artificielle.
Ces produits de la réflexion sont bien imparfaits
sans doute , et l'on peut ne les considérer que comme
une ébauche du jugement, du raisonnement de
l'homme; mais ils n'en sont pas moins réels et moins
identiques avec les siens. C'est dans la tête , au
reste , qu'ils paraissent siéger , comme chez lui ,
^30 DES SENSATIONS CENTRALES
comme chez tous les vertébrés ; car , après la déca-
pitation, les autres ganglions conservent bien et
perceptions et volitions, mais rien davantage, autant
du moins qu'on puisse en juger par les apparences.
6. Vertébrés. Le développement plus considérable
de la partie céphalique des centres nerveux dans les
vertébrés doit naturellement faire supposer , chez
eux, plus d'intelligence encore et plus d'ensemble
dans les opérations mentales ainsi centralisées d'une
manière presque exclusive ; et en effet , si Ton ne
leur trouve pas des industries aussi admirables ,
c'est qu'elles sont , eu grande partie , du ressort de
l'instinct ; mais on trouve bien moins d'uniformité et
en conséquence bien plus d'arbitraire , de liberté ,
dans leurs actes journaliers.
Nous savons peu de choses des poissons; mais
nous en savons assez pour ne leur attribuer qu'un
discernement fort restreint : ceux que nos bassins
contiennent , et qui viennent si familièrement de-
mander leur nourriture, ne manquent pas aussi
de s'éloigner brusquement au moindre geste de
menace, ou si quelque secousse imprimée au sol
leur donne l'idée d'un danger. On connaît la circon-
spection d'un grand nombre qui ne se prennent qu'à
des appâts déguisés : plusieurs même savent s'élan-
cer hors des eaux et sauter par-dessus les filets des
pêcheurs, reconnaissant et jugeant sans doute que
c'est la seule voie de salut qui leur reste. La carpe ,
si défiante à la surface des eaux dont elle ne s'ap-
proche volontiers qu'à une assez grande distance de
la rive , se laisse prendre à la main , par les plon-
geurs, dans les creux où elle se retire au fond des
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 431
rivières , parce que là elle se juge à l'abri de toute
poursuite. Il en est de même de la grenouille qui
se cache dans la vase ou sous les touffes de plantes
aquatiques , et qui parfois se croit bien cachée parce
que , sa tète étant à couvert , elle n'aperçoit plus
l'ennemi et juge en conséquence qu'il ne la voit
pas davantage. Lanèpe cendrée, insecte aquatique,
montre , dans les mêmes circonstances , un peu plus
de perspicacité ; si la couche de vase est peu épaisse ,
elle cherche à s'en couvrir en la poussant sur son
dos à l'aide de ses pattes de derrière.
Qu'un lézard ocellé vous voie venir de loin , étant
lui-même à quelque distance de son terrier , il lève
la tête , se dresse sur ses pattes de devant et mani-
feste ainsi l'attention qu'il porte à vos mouvements :
le péril s'approche davantage , vous n'êtes plus qu'à
quinze ou vingt pas , il s'élance , traverse la route
devant vous ; mais votre marche est devenue plus
rapide , vous le gagneriez de vitesse , vous le croi-
seriez évidemment avant qu'il eût pu gravir le talus
du côté opposé ; c'est ce qu'il calcule à merveille ;
il s'arrête et rétrograde au plus vite. Que si , au con-
traire , il a pu gagner son trou , le voilà tranquille ; il
reste au voisinage , ou tout au plus il y entre si l'on
passe trop près de lui ; mais il s'y cache à peine
tout entier et la queue reste parfois en partie au-
dehors ; vient- on à l'inquiéter davantage , à toucher
cette queue qui passe , il se précipite brusquement
au fond du boyau souterrain. Enfin , si , pris au dé-
pourvu ou poursuivi dans un coin sans issue, la
fuite lui devient impossible , c'est dans ses forces
seules qu'il met son espérance ; la gueule ouverte ,
432 DES SENSATIONS CENTRALES
il tâche d'effrayer l'homine ou le chien qui le serre
de près; et si la menace ne suffit pas, ce n'est qu'à
la dernière extrémité qu'il s'élance et mord avec
force, soit que sa colère ait été peu à peu excitée par
des provocations prolongées , soit qu'il ne lui reste
aucun autre moyen d'échapper à la poursuite dont
il est l'ohjet. Que l'instinct ait sa part dans toutes
ces manœuvres , cela se peut ; mais on ne saurait
disconvenir qu'il ne s'y trouve aussi du calcul , du
jugement; le tout, il est vrai , accommodé et modifié
par des circonstances tout actuelles et présentes.
Telle parait être aussi la position des oiseaux j
quoique doués , et d'un encéphale hien plus volu-
mineux, et certainement d'une dose d'intelligence
plus considérable. Ils en profitent pour mieux tirer
parti des circonstances actuelles , pour les mieux
juger ; mais leurs raisonnements sont hien courts,
leurs délibérations presque nulles : tout entiers au
moment présent, ils sont, ajuste raison, réputés
étourdis et inconstants : leur légèreté est caracté-
ristique , comme la stupidité des poissons et des rep-
tiles. Il semblerait que l'absence du corps calleux
diminuant, annulant presque les communications
d'un hémisphère cérébral à l'autre , ne permette
pas aussi bien ces balancements , ces pondérations
alternatives qui constituent la délibération. Leur
éducabilité prouve et plus de mémoire et plus d'ap-
titude à des actes complexes et raisonnes; mais,
le plus souvent, ils n'ont pas été raisonnes par eux,
mais bien par leurs maîtres. Bureau de la Malle
parle , il est vrai , d'une autruche d'Amérique qui ,
sans y avoir été dressée , sonnait la cloche du diner
ETUDIEES EN ELLES-MEMES. 433
quand on tardait trop à le servir : le chardonneret
apprend aisément, et presque de lui-même, à tirer
la chaîne à laquelle est suspendu le petit yase dans
lequel il doithoire; mais ces exemples ne supposent
pas des comparaisons, des calculs hien multipliés ; il
y a là discernement , jugement réel , mais par associa-
tion pour ainsi dire fortuite et non par rémifmcencej,
méditation, ou appréciation des véritables rapports
entre la cause et l'effet; car, pour que l'autruche eût
raisonné son manège, n'aurait-il pas fallu qu'elle fut au
courant de nos usages, au niveau de notre civilisation ?
Que la voix du coq soit comprise par ses poules ,
celle de la poule par ses poussins, c'est une preuve
d'intelligence ; que les uns et les autres se tiennent
attentifs au cri d'alarme , qu'ils accourent au cri
d'appel , ce sont des preuves d'opérations réfléchies
mais tout actuelles, toutes passagères et fort simples
d'ailleurs dans leur mécanisme. Quant aux oiseaux
qui imitent la voix humaine , on sait hien qu'ils n'at-
tachent aux sons qu'ils reproduisent aucune valeur
métaphysique , quoique quelques jongleurs leur
en aient donné l'apparence , en établissant dans leur
mémoire des associations comparables à toutes celles
qui constituent les éducations factices de la plupart
des animaux vertébrés. Nous porterions le même
jugement de bien d'autres actions que l'observation
des mœurs des oiseaux pourrait nous fournir : ainsi
des tourterelles, des cailles demi-privées ne font
point de mouvement si j'approche mon visage ;
est-ce une main qui s'avance , je les vois fuir brus-
quement ou frapper de l'aile. Ici c'est l'expérience
qui leur a appris à redouter les mains de l'homme,
28
434 DES SENSATIONS CENTRALES
plutôt que le raisonnement ne leur enseigne la ma-
nière dont il sait s'en servir. C'est de la même façon
que les oiseaux sauvages , les corneilles , etc. ,
fuient, dit-on, de beaucoup plus loin le chasseur
armé d'un fusil que le paysan désarmé. Les oiseaux
pris adultes et enfermés dans une cage cherchent
d'abord à s'échapper; pendant plusieurs jours ils se
heurtent aux barreaux , passent leur bec dans tous
les intervalles , et prouvent, par cela même, combien
leur raisonnement est court ; car un chien , un chat ,
une souris même auraient bientôt reconnu l'ob-
stacle , et chercheraient , par la vue ou par l'odorat,
une voie libre, ou bien tacheraient de ronger, d'en-
lever les barreaux. Au bout de quelques jours,
l'expérience a convaincu ces oiseaux de l'inutilité
de leurs tentatives ; l'habitude leur a si bien établi
dans l'imagination les parois de leur prison comme
infranchissables , que la porte reste souvent ou-
verte sans qu'ils s'en aperçoivent. Quelque hasard
vient-il diriger leur attention de ce côté, ils hési-
tent un instant encore , puis se hâtent de profiter
de l'occasion : à cela se borne toute leur délibéra-
tion. Pourtant j'ai vu la chouette parvenir à arra-
cher des barreaux cloués en dedans, et le dindon,
réputé si stupide , m'a fourni une fois la preuve d'un
véritable raisonnement. Un de ces oiseaux habituel-
lement mis en fuite et parfois cruellement maltraité
par un coq , accourut , au plus vite , pour le plumer
sans danger entre les mains de la ménagère qui le
livrait à sa vengeance.
Les mammifères sont , comme nous l'avons vu
déjà, très-inégalement partagés quant à leur intel-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MÊMES, 435
ligence; mais nous n'allons pas ici les passer en
revue sous ce rapport : nous nous contenterons de
citer les exemples les plus remarquables , ceux qui
permettent d'établir quelque rapprochement entre
eux et l'homme , afin de mieux fixer en quoi con-
sistent surtout les prérogatives particulières de
celui-ci. Nous n'irons pas pour cela, néanmoins,
rechercher toutes ces anecdotes de chiens ou de
dauphins célèbres , ni toutes ces histoires de ruses ,
de calculs , de prévisions observées , dit-on , chez
des animaux domestiques ou sauvages ; narrations
que le bon Plutarque étale avec complaisance dans
ses dialogues , sans paraître toujours bien convaincu
lui-même de la vérité des faits qu'il met dans la
bouche de ses interlocuteurs , et qui pourtant ont
été reproduits comme articles de foi dans maint et
maint livre , soit ancien , soit moderne. Contentons-
nous de quelques faits plus authentiques.
L'attention se manifeste trop nettement chez tous
ces animaux au moindre effroi, chez le chien au
moindre signe de son maître , pour avoir besoin
d'être longuement démontrée. La réminiscence ,
au contraire, n'existe assurément en eux qu'à un
faible degré , et encore n'est-ce que chez les plus
intelligents : il y a réminiscence , c'est-à-dire re-
cherche d'anciens souvenirs , dans le chien qui voit
son maître sous un costume nouveau , doute de
son identité , avance , recule , flairant et examinant
jusqu'à ce que la voix, le fumet ou l'expression
du visage lui ôtent toute incertitude : c'est ainsi
encore qu'il hésite à reconnaître une ancienne con-
naissance à demi - oubliée , qu'il gronde et flatte
436 DES SENSATIONS CENTRALES
alternativement, s'approchant , flairant, cherchant
dans le présent de quoi aider à la représentation du
passé. Nul doute qu'il ne se fasse souvent aussi
dans son esprit une véritable récollection , quand il
retrouve une route qu'il a parcourue une seule fois ;
et l'on sait que les chats en font autant : aussi a-t-on
soin de leur cacher la vue du trajet qu'ils parcourent ,
lorsqu'on cherche à les égarer loin du logis où ils
se sont rendus importuns. Quant à la récognition , on
ne peut douter qu'elle n'existe chez le chien , lors-
que , s'éveillant en sursaut lors d'un rêve qui l'agitait
vivement , il reconnaît à l'instant son erreur et se
recouche tranquillement.
La comparaison et ses conséquences se montrent
assez chez le même animal et chez beaucoup d'au-
tres , dans le cas d'indécision , de délibération appré-
ciable ; déjà il y a comparaison et choix dans plu-
sieurs des faits signalés plus haut : quand un animal
cherche et trouve sa route; quand il hésite à
s'avancer ou à reculer, selon qu'on le menace ou
qu'on le flatte. Un chat peu familier , auquel je jette
un morceau de viande , accourt et s'en saisit si je
suis à quelque distance ; il n'ose venir le prendre
à mes pieds ; à une distance médiocre il hésite ,
il allonge la patte , tire à lui son butin en s'avançant
le moins possible ; il compare donc les distances et
juge des cas où il est , ou non , à la portée d'une
insulte. N'est-ce point une comparaison et un juge-
ment positifs qui font que le lapin , le lièvre fuient
en rase campagne et se tiennent en repos dans un
trou , dans une écurie, au milieu d'un troupeau de
moutons , comme on dit Favoir vu assez souvent?
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 437
N'est-ce point un jugement même complexe, que
celui du tigre qui dirige toutes ses attaques vers la
trompe de Téléphant ? N'est-ce point un jugement
motivé , que celui du cheval qui presse le pas quand
il rentre au gîte par un chemin bien connu , qui
refuse de retourner en arrière, ou du moins montre,
par sa lenteur , toute la répugnance que lui inspire
la prévision d'une nouvelle fatigue ? Assurément
c'était une suite de jugements bien simples sans
doute , mais aussi bien régulièrement enchaînés, qui
faisait agir un cheval quej'observais il y a quelque
temps sur la route : absorbé par une conversation
animée , le maître avait ralenti son pas , et l'animal
conservait au contraire son allure habituelle ; de
temps en temps il tournait la tête en arrière , et se
voyant en grande avance , il s'arrêtait , se tournait
vers le retardataire , jusqu'à ce que , le voyant enfin
près de lui , il reprenait sa marche , pour recom-
mencer encore à l'attendre un peu plus loin.
Sans doute , dans la plupart de ces circonstances ,
l'animal a bien une connaissance réelle de ce qu'il
fait et des motifs qui l'y déterminent , du but auquel
il tend. En voici d'autres où cela est peut-être plus
évident encore. Qu'un chien soit frappé par son
maître en jouant, en riant; loin de se plaindre, il
saute , il gronde d'une manière moqueuse , il feint
de vouloir se venger ou simule une fuite momen-
tanée pour revenir provoquer à l'instant même de
nouvelles attaques : que le maître prenne un ton
de colère , un visage menaçant , et des coups sembla-
bles , souvent même bien plus légers , arracheront
au pauvre animal des cris de douleur ; il a donc
438 DES SENSATIONS CENTRALES
pris les uns pour un bien, les autres pour un mal.
Et quand lui-même a commis quelque méfait , n'en
moutre-t-il pas du regret , de la honte , ou de la
crainte ? Ne fuit-il pas après un vol ? Ne se caclie-
t-il pas après avoir mordu quelqu'un ? Et pour l'or-
dinaire , ne voyons-nous pas que le chien comprend
la faiblesse des enfants, et leur pardonne bien des
mauvais traitements qu'il ne souffrirait pas d'un
adulte. Le chat n'est pas si patient parce qu'il n'est
pas aussi intelligent , et ici se rattache la question
de la liberté morale discutée ci-dessus : nous voyons
que, pour les animaux comme pour l'homme, la
liberté est d'autant plus grande que l'intellect est
plus puissant , les connaissances plus vastes. L'élé-
phant pourrait être cité en preuve , car c'est un des
animaux les plus intelligents et dont le libre arbitre
montre aussi le plus de spontanéité apparente.
Donnons encore quelques exemples de cette com-
préhension qu'on est si facilement tenté de refuser
aux bêtes. Si le chien fuit devant la menace d'un
coup de pierre, devant le geste seul qu'on fait pour
la jeter, la ramasser même, s'il craint également
le fouet, si au contraire il se jette sur le bâton,
n'est-ce point qu'il comprend que , dans les deux
premiers cas , il peut être frappé de loin et non
combattre à armes aussi égales que dans le dernier?
Bureau de la Malle , à qui nous pourrions emprun-
ter bien des faits de cette nature , rapporte qu'un
singe ( cynocephalus porcanus ) d'une grande féro-
cité , auquel on n'osait reprendre un chapeau qu'il
avait saisi , le jeta au nez de son maître aussitôt que
celui-ci se fut fait apporter son fusil de chasse;
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 439
aucune autre menace n'avait pu vaincre son opi-
niâtreté. On racontait dernièrement que Forang-
outanor de la ménaoferie de Paris avait montré autant
de connaissance et plus de justice , en refusant une
canne à son gardien et la rendant de lui-même à la
personne qui la lui avait prêtée. Un autre animal de
la même espèce , celui de la Malmaison , remontait
aussi des effets aux causes, lorsqu'il voulait arra-
cher les griffes du petit chat qui l'avait égratigné.
Le cochon même donne des preuves de réflexion et
d'appréciation (i). Un de ces animaux, libre dans
la basse-cour d'une auberge , cherchait vainement à
profiter de nos libéralités; chaque morceau de pain
qu'il parvenait à saisir lui valait un coup de dents de
la part d'un matin qui sollicitait aussi nos faveurs ;
mais cette insulte était bientôt vengée , la ruse venait
en aide à la faiblesse : quand il voyait le mâtin bien
attentif à nos gestes , le cochon , arrivant doucement
par derrière , lui rendait sur la croupe la morsure
qu'il avait reçue à l'oreille , et tâchait d'éluder, par
une prompte fuite, le châtiment de sa témérité.
Quatre à cinq fois nous obtînmes la répétition de
cette scène , en semant entre ces deux animaux les
mêmes éléments de discorde.
Il ne faut donc pas prendre à la lettre , et d'une ma-
nière absolue, les assertions d'Aristote et d'Anaxagore
qui refusent aux bêtes, l'un la réminiscence , l'autre la
compréhension ; ces opérations sont seulement très-
obscures et très-faibles comparativement à celles de
(1) Selon DarNvin , cet animal aurait beaucoup de sagacité , et il surpasserait
peut-êlre le chien , s'il était élevé de même. Il paraît certain du moins que les
chiens nourris et engraissés uniquement comme provision de bouche , dans les
îles de l'Océanie , ne montrent pas plus d'intelligence que nos porcs.
440 DES SENSz\.T10î\S CENTRALES
I^homme. On en peut dire autant de l'observation,
de l'étude, dont on ne peut citer que quelques
exemples isolés , qui suffisent toutefois pour faire
voir que ce ne sont point là des propriétés exclusives
(dans toute la force du mot) à l'espèce humaine (i).
On sait que des chiens , des chats , une autruche
ont appris, par l'observation et sans autre leçon que
l'exemple , à sonner pour se faire ouvrir une porte ou
apporter à diner. Un chien de ville avait été dressé à
sauter pour obtenir sa pitance : témoin de ce fait, un
chien campagnard se mit un jour à sauter de même.
Des personnes dignes de foi se sont portées garants
du fait suivant : un lapin est signalé dans une prairie ,
un chasseur s'y rend, et son chien s'élance à la pour-
suite du fuyard. Celui-ci décrit un grand cercle,
revient près de son point de départ , et s'enfonce entre
les grosses racines d'un vieil olivier où il s'était creusé
une retraite inaccessible à tout autre qu'à lui. Le
lendemain , on revient à la prairie ; le lapin recom-
mence à décrire sa grande courbe ; mais le chien ,
au lieu de le suivre , vient en droite ligne l'attendre
au pied de son arbre , et l'étrangle à son arrivée ,
sans que le chasseur fût intervenu dans toute cette
lutte d'intelligence et de ruse. Le renard fait plus;
on l'a vu, au clair de la lune , répéter ses exercices,
s'élancer plusieurs fois du même point où il était en
embuscade et d'où il avait manqué quelque lapin pas-
sant à distance. Il semblait , disent les chasseurs qui
l'observaient , cachés eux-mêmes dans le feuillage ,
(1) Il ne faiil voir toutefois dans les chiens savants, écrivant, calculant,
jouanl , etc. , que des espèces d'automates dirigés par quelque artifice dissimula
au public.
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 441
vouloir étudier les causes de son insuccès pour les
mieux éviter à l'avenir.
Ce sont là , nous venons de le dire , quelques faits
isolés et qui n'empêchent pas qu'on ne soit forcé de
reconnaître la faiblesse de l'intelligence chez les
animaux même les plus favorisés. Guislain dit , avec
raison, du singe (i), et l'on peut dire également du
chien, qu'ils connaissent le feu, qu'ils en aiment
la chaleur , en craignent la brûlure , qu'ils voient
perpétuellement qu'on l'entretient avec du bois,
sans avoir pourtant l'esprit d'y mettre une bûche
quand il est près de s'éteindre. C'est un raisonne-
ment trop fort pour eux que celui-ci : la chaleur
est agréable , elle vient du feu , le feu s'entretient
avec du bois, donc il faut mettre du bois au feu
pour jouir de la chaleur. Il y a donc, convenons-en,
une infériorité bien réelle des mammifères par rap-
port à l'homme , et la transition , quoique ménagée
par des gradations très-véritables en descendant de
l'européen au diemenois, et en montant de la brebis
à l'orang-outang, n'est cependant pas insensible. Ce
qui paraît surtout établir la ligne de démarcation ,
c'est l'aptitude d'abstraire , de généraliser et de
représenter par des signes de convention ces abs-
tractions , ces généralisations. C'est faute de pouvoir
formuler mentalement ces idées générales , que ces
animaux ne peuvent ou peuvent à peine s'en servir
comme de base à des raisonnements suivis , et c'est
pour la même raison qu'ils ne savent point trans-
(1) On dit que les pongos se chauffent volontiers aux feux allumés par les
hommes , mais les laissent éteindre. J. J. Roiisseau dit avoir vu un singe
pousser les tisons a^^ feu ; mais il avoue qu'il regarde Cela comme un acte
d'imitation sans motif raisonné. (Note àv. Discours sur V inérj alité , etc. )
442 HES SENSATIONS CENTRALES
mettre à leurs pareils des connaissances un peu
complexes. On peut dire , sans doute , qu'un chat ,
un chien généralisent quand ils reconnaissent de la
viande , du gibier, et non tel morceau de viande , tel
oiseau en particulier. On peut dire qu'ils savent
abstraire les idées de chaleur et de bonté , quand ils
attendent qu'un bon morceau soit refroidi et en aban-
donnent un mauvais : ce sont là des opérations dont
sont capables les enfants qui ne parlent pas encore
( Cuvier ) ; la plupart des abstractions qu'on peut
leur supposer sont des sentiments qui se confondent
avec Vinstinct , et leurs signes d'expression se bor-
nent également à des manifestations qui bien souvent
peuvent passer pour instinctives : aussi les idées de
frayeur , de danger qu'éveillent en eux tout grand
bruit , tout grand mouvement , toute circonstance
insolite, s'expriment par des cris spéciaux, mais
invariables comme l'espèce et natifs comme ses
formes. Un chat, complètement sourd de naissance,
que j'ai journellement sous les yeux, exprime tous
ses besoins, ses sentiments de faim, d'amour, d'en-
nui , parles mêmes miaulements caractéristiques que
les autres animaux de son espèce qu'il n'a pourtant
jamais pu entendre.
On a dit que c'était faute de pouvoir exprimer
leurs idées par des signes , par des paroles , que les
animaux ne pouvaient se transmettre leurs obser-
vations et pousser bien loin leurs recherches ; ici
l'erreur ou du moins l'exagération nous paraissent
évidentes ; car si la parole leur manque en raison
de la conformation de leur larynx (ce qui n'est
pas vrai même pour les oiseaux) , n'ont -ils pas les
ÉTUDIÉES EN ELLES-MÊMES. 443
gestes ? Un sourd- muet ne sait -il pas comprendre
et se faire comprendre même sans avoir reçu d'édu-
cation spéciale dans une institution ad hoc_, et ne
trouve-t-il pas, dans sa propre imagination, les
moyens de représenter des actions, de figurer des
objets, de rappeler des couleurs, de reproduire des
nombres (i) , de simuler des quantités, etc. etc. ?
N'y a-t-il pas des idiots qui peuvent parler sans en
avoir plus d'esprit ? Et les animaux eux-mêmes,
comme nous venons de le voir , ne savent-ils pas
transmettre aux autres le peu qu'ils sont capables
de formuler ? Un chien ne comprend , de la voix de
l'homme, que cinq à six mots qu'on est parvenu,
par une éducation soutenue , à lier dans sa mémoire
avec les actes qu'on lui prescrit; quant à lui-même,
il saura très-bien exprimer ses désirs , ses craintes ,
sa joie , soit par la voix, soit par les gestes. Le chat
saura, de son propre mouvement, vous tirer par la
manche pour vous avertir de ses besoins; il saura
gratter à la porte pour se la faire ouvrir ; donc il
exprimerait , par la mimique ou la voix , bien
d'autres idées s'il en possédait davantage. Les cari-
caturistes, qui nous mettent sous les yeux des
scènes expressives de la vie humaine jouées par des
bêtes , ne nous prouvent-ils pas quel parti celles ci
pourraient tirer de la pantomime , si leur pensée
avait un domaine aussi étendu que la nôtre ? Entre
(1) On a supposé , bien à tort , que les animaux comptaient leurs petits ou leurs
œufs parce qu'ils s'apercevaient d'une soustraction. Pour leurs petits, ils les
connaissent individuellement , et s'aperçoivent que tel manque comme ils
s'apercevraient de l'absence de tous. Quant aux œufs, c'est la niasse , l'ensemble
qu'ils reconnaissent. Cela est si vrai, qu'il suffit quelquefois de les déranger un
peu pour en causer l'abandon , surtout s'ils ne sont pas en grand nombre ; car,
dans le cas contraire , l'absence d'un seul n'est nullement reconnue.
^44 dî:s sensatioins ceintrales
eux , les animaux se comprennent à merveille
pour le peu d'idées générales qu'ils possèdent , et
cela sans s'exprimer autrement que par quelques
actes , quelques gestes , parce que les actions pour
lesquelles ils se communiquent ainsi leurs pensées,
ont toujours aussi quelque chose d'instinctif qui leur
en facilite et l'intelligence et l'exécution. C'est ainsi
qu'ils se rassemblent pour exécuter en commun des
actes de défense et surtout d'attaque plus ou moins
ingénieux , plus ou moins compliqués. Ou dit que la
louve attire à sa poursuite les chiens et les bergers ,
tandis que le loup son associé fond, d'un autre côté,
sur le troupeau sans défense. Les renards s'associent
de même , l'un jappant et poursuivant le gibier , que
l'autre attend au passage. Les chacals en Afrique
et en Asie , les chiens devenus sauvages dans les
déserts de l'Amérique , les loups de la Caroline et
quelquefois ceux d'Europe, chassent en meute et
pour un profit commun. Enfin , beaucoup de singes
se rassemblent pour la maraude , se disposent en
ligne , et se jettent les fruits de main en main;
tandis que des sentinelles veillent à la sécurité de
la troupe. Certes, tous ces animaux ont compris
l'objet commun de leur réunion , et se sont entendus
dans la distribution des rôles , sans avoir besoin de
la parole pour cela ; les plus forts , les plus agiles se
sont placés les premiers et ont fait ranger les autres ,
comme on voit certaines fourmis surveiller le travail,
et les vieux castors morigéner et dresser les jeunes.
Cette entente muette, fondée sur des convenances
réciproques et sur des besoins communs, s'observe
même entre individus d'espèce différente : l'appel de
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 445
la poule est compris fort bien par les jeunes canards
dont on lui a confié le soin : l'association du lion et
du caracal , celle du requin et du poisson pilote ,
prouvent que ces animaux se comprennent et appré-
cient Futilité dont ils sont l'un à l'autre : il faut en
dire autant des rapports qui s'établissent entre le
crocodile et le petit pluvier qui le débarrasse des
insectes parasites dont sa bouche est remplie. Ces
associations semblent, jusqu'à un certain point, rai-
sonnées et fondées sur une concordance appréciée
de part et d'autre : il en est de plus aveugles , de
tout instinctives , qui ne doivent pas nous occuper ici.
En résumé donc , nous pouvons conclure que les
bêtes savent exprimer, de manière ou d'autre, ce
qui se passe dans leur intellect ; et que , si elles ne
nous manifestent pas plus de connaissances et de
raison, c'est qu'il n'en existe pas davantage en elles;
que néanmoins elles participent , à certains degrés ,
de toutes les facultés intellectuelles de l'homme.
ARTîCîii: II ff. - I>es modiâicattoiis dues à Aes
caiises înterfuittentes on passag^èreis clans
les opérations mentales*
Sous ce titre, je comprends les variations qui se
rapportent principalement au degré d'activité des
centres nerveux , au degré d'énergie de leurs opé-
rations. Le mot variation que je viens d'employer,
indique assez qu'il ne s'agit ici que de modifications
momentanées et non permanentes comme celles qui
nous occuperont dans l'article suivant. Les premières
sont plus essentiellement fonctionnelles, les secondes
plus essentiellement organiques ; dans les premières ,
446 DES SENSATIONS CENTRALES
la cause est momentanée comme l'effet, et se confond
avec lui; elle est toute efficiente; dans les secondes,
la cause subsiste toujours , mais n'agit que dans cer-
taines occasions ; c'est une cause prédisposante pour
parler le langage des médecins.
Des modifications passagères dont il va être ques-
tion , les unes sont périodiques , ce sont les alterna-
tives régulières d'activité et de repos, la veille ei le
sommeil/ les autres sont accidentelles , irrégulières ,
ce sont les passions. Tout ce qui a été dit précédem-
ment se rapportant évidemment à l'état de veille ,
nous n'avons à nous occuper que de l'état opposé et
de ses divers modes.
§ P^. Du sommeil.
Le repos de l'intellect , l'interruption des opé-
rations mentales et, par suite, de tous les mouve-
ments volontaires, de toutes les sensations externes,
constituent le sommeil proprement dit ; mais il y a
bien des circonstances intéressantes à observer dans
ses phénomènes normaux et dans ses anomalies :
nous nous y arrêterons quelque peu; moins à cause
de ce qu'il y a de curieux dans ces particularités ,
qu'à cause des interprétations physiologiques aux-
quelles elles conduisent, et dont plusieurs sont d'une
haute importance.
JÉ. Sommeil ordinaire. Nous avons défini le som-
meil un état de repos , de relâche ; et il est effective-
ment considéré comme un état passif par beaucoup
d'écrivains, entre autres Sanctorius, Gullen, Cuvier,
Tommasini, qui ont fait remarquer le ralentissement
du pouls , le refroidissement des pieds qui l'accom-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 447
pagnent souvent. Mais, tout au contraire , Barthez,
Dumas et Cabanis y veulent voir un état actif, et
basent leur assertion sur la force du pouls , la rou-
geur de la face, la cbaleur générale , les rêves, etc.
Ces contradictions disparaissent, quand on distingue ,
dans le sommeil , deux périodes principales, comme
nous l'avons fait il y a long-temps.
|re Période ou jjériode vespérale. Fatigué par
Texercice du jour , l'encépbaîe tombe dans l'épuise-
ment; au contraire , le système viscéral tout entier ,
plus tardivement excité, plus lent dans ses réactions,
entre alors dans une activité plus grande, ainsi que
le prouvent les exaspérations fébriles dans les ma-
ladies. iS'omnns lahor viscerihus ^ a dit Hippocrate;
et, en effet, le pouls est plus plein, plus fort, plus
fréquent; il y a rougeur de la face, injection des
conjonctives, pesanteur de tête , sueur au front , en
un mot, congestion vers l'encépbaîe et compression
des centres nerveux qui le composent ; il y a sopeur
comme lors de l'ingestion de l'opium ou de l'alcool,
ou dans les cas de compression accidentelle du cer-
veau, d'apoplexie, etc. On conçoit, d'après cela,
comment une forte cbaleur , un repas copieux dis-
posent au sommeil ; c'est ce que nous montrent
non-seulement l'bomme , mais aussi la plupart des
animaux.
2me période ou matutinale. Le système viscéral se
fatigue à son tour, se repose , et ses actions se dépri-
ment; le pouls est lent, la face peu colorée, les
pieds souvent refroidis : c'est alors le moment de la
rémission des maladies inflammatoires. L'encépbaîe
n'est plus comprimé ; mais il reste dans la torpeur
448 DES SENSATIONS CENTRALES
jusqu'à ce que , complètement refait des fatigues
antécédentes , il se réveille à la moindre excitation ,
à l'apparition du jour et du bruit.
Le sommeil parait nécessaire à tous les animaux;
les polypes nous offrent des alternatives évidentes
d'activité et d'engourdissement, d'expansion et de
rétraction : il en est de même des autres invertébrés ,
soit que , comparables aux fleurs des convolvulus ,
aux feuilles pinnées des légumineuses qui ne s'épa-
nouissent, ne se redressent qu'à l'apparition du
soleil, ils se mettent en mouvement durant le jour;
soit que , pareils aux mirabilis , leur activité soit
toute nocturne. Nous renvoyons , pour ces détails ,
à ce que nous avons dit déjà dans l'bistoire naturelle
de la vie considérée en général ; qu'il nous suffise
de citer comme exemples , la mouche commune , les
papillons proprement dits, pour les insectes diurnes;
les phalènes , les blattes, pour les nocturnes. Les
mollusques , les annélides sont généralement noc-
turnes, et l'on sait qu'il en est ainsi de certains
poissons, de la plupart des reptiles batraciens, de
plusieurs oiseaux et mammifères ; d'autres , au con-
traire , comme les lézards , les serpents , la grande
majorité des oiseaux et des quadrupèdes vivipares,
dorment la nuit seulement. Accoutumés que nous
sommes à leur voir fermer les paupières , nous croi-
rions aisément que les serpents, les poissons ne
dorment jamais, si leur immobilité complète, leur
insensibilité à des excitations modérées , dans cer-
tains moments, ne nous donnaient la preuve du
contraire. Nous l'avons bien remarqué chez les ser-
pents, et quant aux poissons, Cuvier assure qu'ils
ÉTUDIÉES EIN ELLES-MEMES. 449
s'endorment souvent dans les filets où ils sont pris ,
et ne s'éveillent que quand on les agite.
Les attitudes que prennent, dans le Sommeil,
différents animaux, méritent une courte mention :
presque tous se pelotonnent plus ou moins, flé-
chissent les membres et les rapprochent du tronc
comme pour se préserver du refroidissement ; l'oiseau
enferme son bec et sa tête dans les plumes du dos
et sous les couvertures de l'aile {Jig, lAOj; le chien,
lé chat se couchent en rond , un peu comme les
serpents qui se roulent en spirale ; ces quadrupèdes
se couchent sur le flanc , parce que la forme com-
primée du thorax leur rend cette attitude plus
commode ; d'autres cependant , les ruminants par
exemple , s'appuient sur le ventre et le sternum ,
mais latéralement arc-boutés par leurs membres
fléchis ; d'autres enfin, comme le cheval (i), dor-
ment debout , conservant encore dans leur sommeil
assez d'énergie musculaire pour prévenir la flexion
des membres. Cette remarque confirme celle de
Gerdy, qui attribue également à une contraction
musculaire , et non pas à un tiraillement mécanique
comme le disait Borelli, la constriction que les
petits oiseaux exercent sur la branche qui les sup-
porte durant leur sommeil; l'équilibre dans lequel
ils se placent , le poids de leur corps employé à
fléchir les membres, à couder et allonger ainsi les
leviers sur lesquels passent les tendons fléchisseurs
/fig.lAlJ: ce sont là tout autant d'explications
qui tombent devant ce seul fait, que souvent les
(1) Un éléphant du Muséum dormait aussi debout» mais en se soutenant à
Faide de ses défenses enfoncées dans le mur de son écurie.;
29
450 DES SENSATIONS CENTRALES
chardonnerets, les serins, dorment suspendus aux
fils de fer de leur cage , quand quelque accident les
a pendant la nuit débusqués de leur perchoir. Ni cet
équilibre , ni l'engrenage du tibia et du métatarsien
ne sont pas non plus les seules causes qui permettent
aux échassiers de dormir debout , car la cuisse reste
toujours flexible et demi-fléchie sur le bassin, et la
jambe demi-fléchie sur la cuisse (^figA'^d>J.
B. Sommeil 'partiel ou incomplet, — 1^ Si quelque
excitation mentale antécédente un peu trop forte
a vivement ébranlé l'encéphale ; si son repos est
troublé par une digestion pénible , un état maladif
quelconque , une mauvaise position dans le lit , des
excitations extérieures insuffisantes pour amener le
réveil complet, des excitations intérieures (Hobbes)
provenant des besoins , de l'orgasme génital ; enfin ,
si le sang est devenu plus stimulant par l'ingestion
de l'alcool , du café , il s'établit des rêves ou songes.
Le songe a plus ou moins de rapport avec la cause
qui l'a fait naître : ainsi on rêve de l'objet dont on
a été préoccupé durant la veille ; on rêve de repas
quand l'estomac travaille; d'orage ou d'incendie
si une vive lumière frappe sur les paupières closes;
de blessures si quelque douleur persiste obscurément
dans un membre ; on joue un rôle dans des scènes
lascives , si les organes génitaux sont la source de
l'excitation. Les songes lascifs ne reviennent qu'avec
la vigueur des organes sexuels , chez les individus
affectés d'impuissance guérissable ( Lallemand ).
On voit bien que , dans ces circonstances , il y a
un réveil partiel ; et l'on conçoit aisément que les
caténations de percepts mises en réserve par la mé-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 461
moire entrent en scène , mais d'une manière peu
suivie et peu régulière. Je compare un homme qui
rêve 5 à un voyageur qui relit au hasard , dans son
journal, des notes décousues, et qui hâtit là-dessus
des châteaux en Espagne. Le rêve est l'exercice de
l'imagination sans guide , sans ordre et sans suite ;
car, d'une part, les sens assoupis ne peuvent rectifier
les illusions (Hobbes}([); et d'autre part, les
caténations sont rompues par l'engourdissement des
points qui pourraient les lier raisonnablement entre
elles. Voilà pourquoi , d'un côté , les illusions des
rêves nous semblent des réalités ( absence de toute
comparaison avec des sensations directes }; pourquoi^
d'un autre côté , les rêves du matin sont , de tous ,
les plus suivis et les moins déraisonnables ; car
alors l'encéphale est presque tout éveillé. Il y a
effectivement tels rêves où le sommeil est presque
nul : ce sont les rêveries. On comprend bien ,
d'après tout cela, comment les rêves sont rarement
suivis de jugements et de volitions , et Darwin a
eu seulement le tort d'être trop exclusif en disant
jamais , pour ces dernières : on comprend comment
ils n'excitent en nous que peu ou point d'étonnement
au milieu de toutes leurs bizarreries : on comprend
enfin comment certaines sensations acquièrent , dans
cet état , une vivacité qu'elles n'auraient point dans
l'état de veille. Si rien ne rectifie alors nos erreurs ,
rien ne nous distrait non plus de ces sensations iso-
lées ; nulle autre ne les trouble ou ne les affaiblit par le
(1) C'est pour cela que , même sans soïnmeil , le jugement est quelquefois
moins juste la nuit que le jour, et que l'on se dispose singulièrement à la rêverie
en fermant les yeux.
452 DES SENSATIONS CENTRALES
partage de rattention(r): aussi les pensées erotiques
sont-elles souvent portées jusqu'à leur dernier ternie
dans les rêves. C'est pour la même raison qu'on
revoit fréquemment en songe, et très-nettement,
très-distinctement , des physionomies qu'on ne sau-
rait se figurer durant la veille , parce que leur sou-
venir a été effacé par des impressions plus récentes :
ce n'est guère que de cette façon ( en dormant )
qu'on peut se représenter nettement les traits que
portait, dans le jeune âge, une personne qu'on a vu
vieillir près de soi. Enfin , on s'explique encore
aisément pourquoi les membres ne se meuvent pas ,
bien que nous nous imaginions les mouvoir dans nos
songes : c'est que l'influx mental n'arrive pas jusqu'à
eux , arrêté en route par l'engourdissement de la
moelle épinière et de ses nerfs; l'ordre est donné,
mais non exécuté.
2® Il est des cas , plus singuliers encore , où il
n'en est pas tout-à-fait ainsi : les ordres sont émis ,
portés et exécutés ; il y a des mouvements , des actes
extérieurs; c'est là ce qui constitue le somnambu-
lisme. Ici la moelle épinière veille (2), les mouve-
ments automatiques s'exécutent avec aisance, mais le
cerveau dort. Souvent il ne dort qu'en partie ; cer-
taines caténations s'opèrent avec une suite qui prouve
que cet organe n'y reste pas étranger : un morceau
de musique , par exemple , est chanté ou exécuté
sur un instrument. Parfois même quelqu'un des sens
(1) C'est aussi là un des avantages de la méditation solitaire ; et de là rient
que, comme J. J. Rousseau le dit de lui-même, beaucoup de choses nous
échappent dans l'actualité , qui nous arrivent ensuite avec plus de netteté , et
donnent lieu à des jugements plus positifs dans le silence de la retraite.
(2) Voyez ci-après quelques faits qui axitorisent à croire qu'elle dort toujours
moins que le cerveau.
ÉTUDIÉES EN ELLES-îtfEMES. 453
est éveillé , le reste dormant d'un sommeil profond ;
l'individu entend des paroles , y répond , voit même
quelques objets , peut se conduire , et pourtant le
réveil ne se complète que si l'on excite une violente
sensation, une surprise, une secousse quelconque.
Bien souvent , il est vrai , la supercherie a simulé ,
exagéré ce que le somnambulisme avait de plus sin-
gulier, surtout dans ce qu'on a nommé somnambu-
lisme magnétique ; mais il y a du vrai dans beau-
coup d'histoires extraordinaires qu'on a seulement
un peu embellies.
On pourrait s'étonner que les rêves , et ceux du
somnambulisme surtout, soient si aisément, si facile-
ment oubliés; ce fait s'explique en raison de leur
nature même : c'est, avons-nous dit, la mémoire qui
est mise en jeu durant le sommeil , mais elle ne
change point pour cela , elle n'acquiert rien de nou-
veau, seulement elle rafraîchît des notions déjà un
peu anciennes , et c'est par cela seul que nous pouvons
au premier moment les reconnaître et les raconter.
Nous avons fait entendre , plus haut , que l'étude
des songes pouvait rendre des services à l'idéologie :
en voici quelques échantillons.
1® Cette circonstance qu'un rêve rafraîchit les
souvenirs, prouve la nature active des sensations
centrales , puisque la réitération a laissé une em-
preinte plus forte ; cette reproduction même est , à
elle seule, une preuve d'activité.
2° Les rêves et le somnambulisme, étant des
sommeils j)art^e/5^ indiquent assez que les opérations
mentales ne s'opèrent point dans un lieu indivisible,
mais dans une étendue susceptible d'être diverse-
454 DES SENSATIONS CENTRALES
ment affectée au même moment dans des points
différents. Ils concourent donc à prouver, conjoin-
tement avec la diversité des opérations intellectuelles
et les conjectures fournies par l'anatomie , la multi-
plicité des organes dont l'ensemble est nécessaire à
^intelligence.
3° Ils prouvent l'identité des mots et des idées
qu'ils représentent; car on rêve souvent qu'on lit
une histoire , et bientôt, ou plutôt en même temps,
les mots se transforment en objets et en actions.
4° Ils démontrent que les souvenirs sont la répé-
tition complète des actes sensoriaux, tels qu'ils se
sont opérés à l'aide du sens; car on voit les fantômes
durant le sommeil, comme on voit les objets durant
la veille.
5° Ils énoncent clairement ce fait, que le sentiment
obscur du moi (moi brut) accompagne toutes les
opérations intellectuelles ; car , dans les rêves , on
devient le héros de presque toutes les scènes, même
de celles qu'on croit lire , et c'est ainsi que de très-
honnêtes personnes ont pu rêver qu'elles commet-
taient un crime assurément bien éloigné de leur
caractère et de leurs habitudes : aussi la conduite
de Denis-le-Tyran , qui, dit-on, fit mourir un homme
coupable seulement d'avoir rêvé qu'il l'assassinait ,
fut-elle aussi déraisonnable que cruelle , si toutefois
cette histoire n'est pas un conte.
6° On y trouve encore la preuve de ^hérédité de
certaines dispositions mentales , bien propres à faire
comprendre l'hérédité des instincts encéphaliques.
Dans certaines familles on rêve souvent des mêmes
objets ; plusieurs personnes de la mienne et moi-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 455
même avons été souvent fatigués par des songes dans
lesquels les chats jouaient un grand rôle : or, plu-
sieurs de mes parents avaient , pour ces animaux ,
une horreur dont je n'ai pourtant hérité que dans
mes rêves, et qui, même sous ce rapport, a disparu
chez moi avec l'âge.
70 Ce que nous avons dit du conflit entre les
penchants et la raison , entre certains raisonnements
même, est encore justifié par les songes; des per-
sonnes fort pieuses et religieuses observatrices de la
continence dans l'état de veille , se sont , bien des
fois , idéalement abandonnées , en rêve , à des actes
erotiques que la raison endormie ne corrigeait plus,
et dont elles étaient toutes honteuses à leur réveil.
8*^ Enfin, on y trouve encore une preuve de
l'action sympathique des viscères sur les organes de
l'intelligence, lors même que ceux-ci ne sont pas
dans un état de maladie apparente. Je me suis plus
d'une fois éveillé au milieu d'un rêve pénible , sans
d'abord rien sentir de gêné dans mes fonctions ; mais
des coliques qui survenaient bientôt m'apprenaient
que l'influence des viscères abdominaux sur l'encé-
phale s'était exercée durant mon sommeil , quoique
le malaise de ces viscères fut assez faible pour
échapper à mon attention , même après le réveil.
Nous dirons peu de choses des rêves dans les
animaux ; on sent combien il est difficile de juger
de leur existence chez la plupart d'entre eux. Le
chien, le chat nous la prouvent par des mouvements
irréguliers , des éclats de voix sans motifs et souvent
un réveil en sursaut. C'en serait assez pour nous
prouver que la mémoire et l'imagination , dont les
-^56 DES SEINSATIONS CENTRALES
rêves sont une conséquence, ne sont nullement exclu-
sives à l'homme , et que les animaux ne le lui cèdent,
sous ce rapport comme pour tout ce qui concerne
les autres opérations mentales , qu'en étendue et en
perfection.
C. Sommeil superflu. J'appelle ainsi l'engourdis-
sement soporeux qui, de l'encéphale, se propage
non-seulement à la moelle épinière et à la moelle
allongée , mais encore aux nerfs et surtout au
pneumo - gastrique et au trisplanchnique. C'est du
moins de cette manière que j'explique le cauchemar
proprement dit. Il ne faut pas entendre par ce
mot, avec le vulgaire , tout rêve pénible ; mais
seulement tout sommeil durant lequel les organes
respiratoires s'embarrassent, s'arrêtent même, non
sans angoisses pour le patient. Ordinairement le
malaise qui en résulte détermine un réveil partiel
dans d'autres parties de l'encéphale ; il y a songe et
songe pénible ; on va même , dans les efforts qu'on
fait pour échapper à la souffrance et aux dangers
imaginaires qui nous assiègent alors , jusqu'à recon-
naître l'impossibilité de faire franchir à l'agent ner-
veux l'obstacle opposé par les nerfs engourdis ; on
sent qu'on ne peut fuir ni crier. Bien des fois j'ai
pu étudier , sur moi-même , ces phénomènes du
cauchemar; sa fréquence m'avait familiarisé avec
lui et guéri de l'effroi qui l'accompagne d'ordinaire :
j'ai pu l'analyser au moment où le réveil était assez
complet pour me laisser la liberté de raisonner,
quoique je ne pusse encore mouvoir aucun membre,
ni parler, ni respirer librement : après bien des
efforts inutiles , un monosvllabe , un son inarticulé
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 457
m'échappait enfin ; ou bien un mouvement du doigt
seulement pouvait être opéré , et au moment même
la barrière était franchie , la liberté des mouvements
se rétablissait instantanément (i).
C'est dans cet état que quelques malades ont pu
voir, bien que très-obscurément sans doute, faire les
apprêts de leur sépulture , entendre les lamentations
de leurs proches (2) , sans avoir , de long-temps , la
possibilité de leur faire comprendre que la vie n'était
en eux nullement éteinte. Dans ces cas maladifs
(hystérie, léthargie), le cœur même participait à
la torpeur ; le pouls était devenu insensible comme
il le devient si souvent dans le choléra-morbus ; la
circulation n'avait probablement pas cessé totalement
non plus que la respiration , mais ces fonctions ne
s'exécutaient plus que d'une manière inappréciable
pour les assistants. On le voit, ces cas rentrent dans
le domaine de la pathologie, mais ils concouraient
trop bien , avec les rêves , à l'explication de notre
théorie du sommeil , pour ne pas mériter au moins
d'être mentionnés.
Au reste , on peut dire que , même dans le som-
meil régulier, bien souvent une partie des organes
internes s'engourdit également : en premier lieu,
les sécrétions sont le plus souvent diminuées , sinon
suspendues ; en second lieu, il est des personnes,
(1) N'est-ce point une sorte de cauchemar que ce sommeil lourd et comme
léthargique atiquel les chats seraient sujets , à en juyer par une des additions
que Buffon a jointes à l'histoire de cet animal ?
(2) Une jeune personne tomhée en catalepsie , et à laquelle je prodiguais à
haute voix des consolations qui pouvaient paraître ridicules, tant elle semblait
peu capable de les entendre, déclara ensuite qu'elles avaient contribué beaucoitp
à diminuer son effroi , bien qu'elle ne les eût entendues que d'une manière
un peu obtuse.
458 DES SENSATIONS CENTRALES
sans doute , qui digèrent parfaitement quoique en-
dormies ; mais d'autres , et je suis du nombre ,
reprennent le matin leur digestion au point où elles
l'ont laissée la veille ; c'est ce dont m'avertissent
ordinairement des borborygmes , de petites coliques,
preuves certaines que les intestins se réveillent et
recommencent un travail suspendu; car la même
chose m'arrive si , au milieu de la nuit , mon som-
meil est interrompu pendant plus d'un quart d'heure.
On a pensé que la compression des nerfs pneumo-
gastrique et grand sympathique , par le poids des
viscères , était cause de leur engourdissement dans
le décubitus dorsal; cette théorie n'a rien qui ne
concorde avec ce que nous avons dit déjà ; c'est un
puissant auxiliaire à la propagation de la torpeur
encéphalique ; et , en effet , c'est le plus souvent
dans une semblable attitude qu'on est surpris par le
cauchemar.
Terminons par une réflexion que cet état , comparé
au sommeil normal, nous inspire. La continuation
de la respiration, durant ce dernier, n'indique-t-elle
pas que les nerfs intercostaux, le diaphragmatique ,
jouissent d'une certaine activité ? Le nerf vague ou
pneumo-gastrique , né du bulbe rachidien , conserve
aussi son influence sur les mouvements respira-
toires ; les sphincters conservent généralement leur
énergie : ce n'est guère que chez les enfants qu'il
y a incontinence d'urine, etc. , durant le sommeil;
encore, à un certain âge , ces évacuations nocturnes
sont-elles souvent provoquées par des illusions som-
niales. Ne semble -t- il pas qu'en conséquence la
moelle épinière soit beaucoup moins aff'ectée , dans
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 459
le sommeil ordinaire , que les centres encéphaliques?
Cette opinion est singulièrement renforcée par ce
que nous avons dit plus haut de ^attitude des oiseaux
durant le sommeil. Ajoutez que Ton dort à cheval,
que quelques personnes , Galien même , ont dormi
en marchant, et j'ai connu quelqu'un qui fit un jour
environ deux lieues de cette manière : enfin , c'est
bien aussi un acte de volonté obscure, automatique,
un mouvement dépendant de la moelle allongée, qui
nous fait tenir la bouche ouverte quand les narines
sont bouchées. On peut faire rentrer dans la même
catégorie l'occlusion comme spasmodique des yeux
dans le sommeil ordinaire , par suite de la contrac-
tion des muscles palpébraux externes, animés par
le nerf facial qui naît du point le plus avancé de la
moelle épinière , c'est-à-dire de la base même du
bulbe rachidien ; tandis que le releveur de la paupière
supérieure serait relâché par l'engourdissement de
son nerf (moteur commun), sorti d'un point de la
moelle allongée beaucoup plus rapproché du cer-
veau. Encore peut -on croire qu'il n'y a ici que
paralysie relative et non absolue , puisque la pupille,
qui reçoit à la vérité quelques filets de la cinquième
paire , mais surtout de la troisième , est resserrée
durant le sommeil.
D, Sommeil hibernal. Dans l'histoire naturelle
et générale de la vie , nous avons parlé de cette
période d'inaction , d'engourdissement dans laquelle
une partie de l'année se passe pour certains ani-
maux. Cet état , sans doute , n'est point un sommeil
tout semblable à celui qui vient de nous occuper;
mais il lui ressemble j du moins, dans ses phéno-
4 GO I)i:S SENSATIONS CENTRALES
mènes essentiels, la suspension des opérations men-
tales et des mouvements qui en dépendent.
On pourrait aussi considérer la vie intra-utérine
ou fœtale , comme un état de sommeil où les organes
des sens , de l'intelligence et de la locomotion sont
dans une inaction presque complète; où quelques
actes instinctifs , sans idées bien réelles , puisque
l'enfant est soustrait à presque toutes les impressions
extérieures à part celle du toucher , sans souvenirs
puisqu'il n'y a pas d'antécédents, sans rêves par
conséquent , s'exécutent à peine sous l'influence des
fonctions internes ou nutritives, seules en activité.
Encore, ces fonctions internes se réduisent-elles à la
circulation, à la nutrition proprement dite, puisqu'il
n'y a ni vraie respiration, ni vraie digestion. Sous
ce rapport, la torpeur des animaux hibernants se
rapprocherait plus de l'état fœtal que du sommeil
ordinaire; mais la nature même des phénomènes
nous en donnera une idée plus complète que des
analogies toutes plus ou moins éloignées.
J'ignore jusqu'à quel point on peut en rapprocher
l'état de mort apparente dans lequel subsistent quel-
quefois, durant un temps considérable, certains
animaux susceptibles de se dessécher incomplète-
ment, de se roidir au milieu de la vase solidifiée
mais non totalement aride dont ils sont environnés :
c'est là, comme déjà nous l'avons fait entendre
ailleurs (^ Hist. nat, de la viej, tout le secret de la
résurrection du rotifère , du vibrion qu'on trouve
dans les grains du blé rachitique et même dans ses
tiges: c'est encore ainsi queles apus, les daphnies,
les cypris, les branchipes qui apparaissent, pour
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 461
ainsi dire brusquement, et avec une taille d'adulte ,
dans les eaux pluviales , semblent avoir séjourné dans
la vase desséchée des fosses où on ne les avait vus que
l'année précédente. 11 faudrait que Faccroissement,
du moins des plus grands d'entre eux , fut bien rapide
(brancbipes et apus) pour qu'on put attribuer cette
conservation à leurs œufs seuls , comme cela a lieu ,
dit-on, pour ceux des poissons. Les planaires, les
sangsues , les naïdes se cachent également dans le
fond vaseux de leurs marécages lorsqu'ils viennent à
se dessécher ; peut-être y périssent-elles si la dessic-
cation est trop considérable ; mais il est certain qu'on
les trouve du moins vivantes au milieu d'une terre soli-
difiée. Au reste , ce ne sont pas là les seuls animaux
que la chaleur et la sécheresse jetteraient dans l'en-
gourdissement et l'inaction complète : l'escargot de
nos jardins reste immobile et collé contre un mur ou
une branche d'arbre pendant tout le temps que dure
la sécheresse , quelquefois pendant trois mois de suite
(Gaspard) : les nèpes fiiepa cinereajj, les salamandres
se cachent sous les pierres ou dans des trous , soit au
fond des mares mises à sec, soit à leur voisinage ,
mais peut-être pour en sortir pendant la nuit.
Cette torpeur estivale a été donnée comme plus
certaine encore pour plusieurs reptiles et mammi-
fères, et il est assez remarquable que ces derniers
appartiennent à des genres ou familles , comme les
premiers à une classe où se trouvent des espèces plus
ou moins nombreuses soumises au sommeil hibernal.
Ainsi, les tenrecs de Madagascar, si voisins de nos
hérissons , passent , dit Bruguière , les trois mois
des plus grandes chaleurs dans un état léthargique ;
4G2 DES SENSATIONS CENTRALES
Desjardins dit que c'est depuis juin jusqu'à novembre,
ce qui comprend toute la durée de la saison sèche.
On en dit autant des gerboises de l'Afrique australe.
Quant aux reptiles, c'est pour les plus grandes espèces
que le fait a été particulièrement constaté. « Quel-
quefois , dit de Humboldt , si l'on en croit les récits
des naturels (i) (Amérique méridionale) , on voit,
sur les bords des marais, la glaise humide s'élever
en forme de mottes ; puis on entend un bruit violent
comme celui de l'explosion de petits volcans vaseux;
la terre soulevée est lancée en l'air. Celui à qui ce
phénomène est connu fuit dès qu'il s'annonce ; car
un monstrueux serpent aquatique ou un crocodile
cuirassé sort de son tombeau , aux premières ondées
de pluie, et se réveille de sa mort apparente. »
«L'extrême sécheresse, ajoute-t-il, produit, dans les
animaux et dans les plantes , les mêmes phénomènes
que l'absence de la chaleur. Pendant la sécheresse ,
plusieurs plantes de la zone torride se dépouillent
de leurs feuilles ; les crocodiles et d'autres amphibies
(boa) se cachent dans la glaise ; ils y restent morts
en apparence, de même que dans le nord de l'Afrique ,
où le froid les engourdit pendant l'hiver. »
Pour ce qui est de ce dernier genre d'engourdis-
sement , il en est ainsi , et plus certainement peut-
être , des caïmans ou des crocodiles dans l'Amérique
septentrionale. Pline dit que le crocodile d'Egypte
passe quatre mois de l'hiver dans des cavernes et
sans nourriture : quant à ceux de la Louisiane et
de la Caroline , qui paraissent devoir être rapportés
à l'espèce du crocodilus luciuSj Cuv. , selon Catesby
(1) Ce fail est aussi donné pour certain par Lacordaire.
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 463
et Lacoudrenière , ces reptiles tomberaient , dès les
premiers froids , dans un sommeil léthargique porté
quelquefois au point qu'on peut les couper par mor-
ceaux sans les en tirer. C'est là le véritable sommeil
hibernal, et nous nous trouvons ainsi conduits à
parler de cet état remarquable.
1° Dans les animaux à sang froid, La faible calori-
cité de ces animaux rend, parmi eux, ce phénomène
très-commun , et Ton pourrait même le dire général
pour tous ceux à qui le froid ne donne pas la mort :
tous , en effet , sont loin d'en supporter les consé-
quences au même degré et avec la même résistance
vitale. Pour continuer ce qui a rapport aux reptiles,
on peut observer aisément que , de même que leur
température suit les variations de celle de l'atmo-
sphère, de même leur activité est subordonnée à
l'une et à l'autre. Aussi voit-on les serpents les plus
irascibles et les plus dangereux, les lézards les plus
agiles , se mouvoir avec lenteur et se montrer inno-
cents dès que le froid se prononce , tomber dans la
somnolence si le thermomètre baisse encore , s'as-
soupir complètement et même arriver à la léthargie ,
c'est-à-dire à la mort apparente , si le froid devient
considérable. Les mêmes gradations s'observent, en
sens inverse, dès que la température s'élève. En
Amérique, les crocodiles se réveillent dans les jours
chauds de l'hiver ou dès les premiers jours du
printemps : dans le midi de la France , le lézard des
murailles parait au bord de son trou , et fait même
quelques excursions au -dehors quand une belle
journée d'hiver permet au soleil d'agir, dans toute sa
force , sur les murs et sur les talus oii sont creusées
464 DES SENSATIONS CENTRALES
ses retraites. Le degré de froid que peuvent supporter
ces animaux une fois engourdis est parfois très-
considérable. On a vu des salamandres aquatiques,
prises dans la glace des étangs , revivre quand cette
glace était mise en fusion. Des grenouilles gelées au
point que leurs pattes étaient cassantes ont repris vie
par le dégel (Bory, d'après Hearne). Nous avons vu ,
nous-même , en 1 830 , plusieurs crapauds communs
saisis par le froid , roidis et congelés au point que
leurs membres étaient durs et cassants comme le
bois, que leurs yeux, transformés en grêlon, se
présentaient avec une couleur d'opale , revenir à
la vie par un réchauffement lent et graduel. Une
grenouille moins volumineuse resta morte en repre-
nant sa flexibilité , sans doute parce que le sang avait
été congelé jusque dans le cœur ; ceci , du moins ,
fut constaté pour les crapauds , dans une deuxième
expérience qui leur devint funeste.
On a constaté l'hibernation pour quelques pois-
sons : la loche fcohitis fossilisj conserve la vie dans
la vase desséchée et gelée (Cuvier). Le salmo rivalis
hiverne dans le limon au Groenland ( Fabricius ).
« Les esturgeons hivernent dans la mer et les golfes.
On remarque , dans les endroits peu profonds , qu'ils
sont rassemblés en groupes considérables et dans un
sommeil léthargique. Cet état d^hibernation de l'es-
turgeon commun permet d'en faire , sous la glace ,
une pêche très-productive , à l'aide de crocs ou de
harpons fixés à des perches.» (Lovetski.)
Tous ces animaux ressemblent donc aux plantes
ligneuses des zones tempérées, qui perdent, chaque
hiver, toute apparence de vie réelle.
ÉTUDIÉIS i:iS' ELLES-MEMES. 465
La torpeur est, à ce qu'il m'a généralement parii ,
moins complète pour les hydres qui passent Fliiver
contractées et collées sur quelque corps submergé •
pour les sangsues, les naïdes , les lombrics mil
s'ensevelissent dans la vase , ou s'enfoncent profondé-
ment en terre. Beaucoup d'insectes et d'arachnides
s'engourdissent également dans un terrier, sous les
pierres , sous les écorces ; mais beaucoup périssent
dans les fortes gelées. On sait que cet événement
fâcheux arrive parfois aux abeilles dans leurs ruches
même où elles hivernent engourdies. Les fourmis,
les araignées terricoles s'enfoncent d'autant plus
que les premiers froids sont plus rudes. Quant aux
lépidoptères, si quelques-uns échappent au froid à
l'état parfait , il sont peu nombreux, et c'est surtout
à l'état de chrysalide , dans une vie toute de torpeur
en elle-même , et entourés souvent alors d'une bourre
soyeuse ou enfoncés dans la terre , qu'ils écliapnent
plutôt aux rigueurs de la mauvaise saison (i). Les
agriculteurs ne savent aussi que trop bien comment
les insectes destructeurs de la vigne s'abritent , disraiit
l'hiver, sous les écorces , dans les fentes de murailles ,
dans les fissures de la terre autour de la souche.
Enfin, parmi les mollusques, les différentes espèces
d'hélice propres aux contrées septentrionales , se
garantissent aussi contre le froid extérieur en se
retirant dans de petites cavernes souterraines, et en
fermant , par plusieurs opercules ou épiphragmes
superposés, l'ouverture de leurs coquilles : toujours
(1) Les insecles dont la larve se nourrit de plantes annuelles hivernent à l'état
de cliiysalide ; ceux des plantes vivaces passent Fliiver à l'élat d'œuf. Les chrysa-
lides {;elées peuvent revivre après le dégel ; on en dit agitant même des chenilles
( Lister, Lacordaire ).
30
^66 DES SENSATIONS CENTRALES
plus OU moins calcaires , ces épiphragmes peuvent
acquérir une dureté égale à celle de la coquille dans
certaines espèces. Sous cet abri, Fanimal reste im-
mobile tout Fhiver ; son cœur cesse de battre , et
il n'absorbe plus Foxigène ambiant. Il y supporte
un froid même de — 7° ; mais il gèle et périt si le
thermomètre descend à — 8° ou — 9° dans l'air
qui l'environne. Tenus dans une chambre chauffée,
ces mollusques ne s'enferment ni ne s'engourdissent
(Gaspard).
2« Animaux à sang chaud. Un froid très-violent
peut amener un engourdissement soporeux de même
nature, chez des animaux doués pourtant d'une calori-
cité bien plus grande et d'une bien plus grande force
de résistance au froid, l'homme par exemple ; mais ce
sommeil est mortel pour peu qu'il se prolonge. Banks
et Solander, au détroit de Magellan, l'éprouvèrent
d'une manière qui faillit leur devenir funeste; on n'en
a eu que trop d'exemples dans l'armée française ,
lors de la désastreuse campagne de 1813. On a cru
qu'alors il y avait reflux du sang vers le cerveau :
cette théorie est peu rationnelle ; il y a là torpeur
par annihilation des fonctions nerveuses, comme
chez les animaux hibernants.
Ceux auxquels ce nom convient plus particulière-
ment sont en nombre assez peu considérable parmi les
mammifères, moins encore parmi les oiseaux. Des
observations imparfaites ont seules pu faire prendre
des hirondelles noyées pour des hirondelles volontai-
rement ensevelies dans les marécages ; et l'histoire
du coucou trouvé sans plumes dans un creux d'arbre
en hiver, paraît aussi fondée sur quelque fait mal vu
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 467
et mal interprété. Mais il est bien certain que des
quadrupèdes dont la chaleur s'élève habituellement
au même degré que celle de l'homme , ont , en vertu ,
sans doute , d'une organisation particulière de leur
système nerveux, peu d'aptitude à la conserver, et
perdent, comme les reptiles, leur activité en per-
dant de leur chaleur. W. Edwards les compare,
sous ce rapport, aux très-jeunes animaux à sang
chaud, qui se refroidissent avec une extrême facilité.
L'ours d'Europe s'engourdit quand l'hiver devient
rigoureux; il vit de ses graisses dans une retraite
qui le préserve des injures de l'air, quand cette saison
est assez douce. Pour l'ours blanc il faut des froids
très-intenses : en janvier et février , dans les régions
glaciales qu'il habite , il subit l'influence de l'hiver
et s'endort d'un sommeil léthargique entre des
glaçons ou dans des trous de rocher, se laissant
ensevelir sous les neiges après s'être préparé un lit
de mousse ou de feuilles : chez nous , le blaireau
s'engourdit parfois seulement ( Prunelle ) dans son
terrier; mais les chauves -souris suspendues aux
parois des souterrains , des cavernes ; le hérisson ,
la musaraigne , le hamster, la marmotte couchés
dans leurs retraites creusées au-dessous du sol; le
castor dans sa cabane ; l'écureuil , le loir , le mus-
cardin, le lérot dans leur bouge bien clos, s'endor-
ment sous l'influence d'un froid dont ils ont cherché
à amortir la force.
En elTet , Saissy a reconnu que , bien que la
température de ces animaux suivît les variations
de l'atmosphère en restant seulement plus élevée de
4° à 5^, ils ne peuvent continuer à vivre quand
468 DES SKNSATIO^'S CEÎNTRALES
leur température interne est descendue à 0** ou
très-près de ce terme ; mais il faut, pour cela, un
froid extérieur très-considérable, — 10" ou — 12°
selon plusieurs observateurs. Ils peuvent, au con-
traire , reprendre leur activité quand leur tempéra-
ture intérieure , comme cela a lieu avec le froid de
la plupart de nos hivers, n'a pas baissé au-dessous
de + 3°. En cas de refroidissement excessif, quel-
quefois un réveil momentané précède la mort (Spal-
lanzani , Prunelle , etc.). Tous ces animaux d'ailleurs
ne s'engourdissent pas au même degré : la marmotte,
selon Saissy, ne s'engourdit que quand le thermo-
mètre descend, dans l'air, à — 5^; le lérot à + 4°
ou 5« ; le hérisson et la chauve-souris à + 6° et
même 7». Tous ne s'éveillent pas non plus avec la
même difficulté : l'écureuil, le loir, le hamster,
le castor font des provisions pour leurs réveils passa-
gers , tandis que d'autres ne vivent qu'aux dépens
des graisses ordinairement surabondantes à la fin
de l'automne, surtout dans leurs épiploons (i) ;
encore, les mouvements nutritifs sont- ils tellement
affaiblis chez ceux-ci , que l'amaigrissement est fort
peu considérable : c'est ce qu'ont noté , pour la
marmotte , Spalianzani et Mangili. L'absorption est
si peu active chez le hérisson engourdi , que la noix
vomique , insérée sous la peau, ne cause point d'ac-
cidents (Gaspard). L'engourdissement est, en effet,
si profond chez la marmotte et le hérisson , qu'il
faut à la première de huit à neuf heures , et au
deuxième de cinq à six , pour que le retour à leur
(4) Les épiploons n'ont pas cette importance chez l'ours, le lérot , U
muscardin .
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 469
température ordinaire soit complet : la chauve-souris
y revient en trois ou quatre , et le lérot récupère en
deux heures son maximum de température , selon
Saissy.
Voici, d'après cet observateur , les principaux
caractères de la torpeur hibernale.
a. Engourdissement modéré. Peau froide ; sensi-
bilité très - obtuse ; des incisions n'excitent que de
légers mouvements ; le galvanisme, l'irritation directe
des nerfs déterminent des mouvements plus violents,
font pousser quelques cris ; respiration très-lente ;
sept à huit inspirations par minute chez la marmotte,
quatre à cinq chez le hérisson : la consommation
d'oxigène diminue dans la proportion du ralentis-
sement de la respiration : rareté considérable des
battements du cœur ; dans la marmotte , il bat
quatre-vingt-dix fois par minute à Fétat normal ,
vingt à vingt- cinq fois seulement dans la torpeur;
pour les chauves-souris , Prunelle donne deux cents
pulsations normales , cinc^uante à cinquante-cinq en
état d'hibernation.
h. Engourdissement profond. Ici la respiration est
tout- à-fait suspendue , aussi n'y a t-il plus aucune
consommation d'oxigène , ni possibilité de tuer
l'animal par l'immersion dans des gaz délétères ; le
cœur ne bat que neuf à dix fois par minute ; le sang-
est stagnant dans les vaisseaux ; il distend surtout
ceux de l'abdomen : plus de contractions musculaires
par l'irritation des nerfs et le galvanisme appliqué
à ces cordons; les chauves souris seules répondent ,
quoique bien faiblement , à ces vives excitations ;
dans les autres hibernants , c'est aux muscles mêmes
470 BES SENSATIONS CENTRALES
qu'il faut s'adresser pour y produire quelques légères
contractions.
Disons un mot maintenant des causes auxquelles
on a attribué cette disposition au refroidissement et à
la torpeur, que nous avons hypothétiquement placée
dans le système nerveux (i) ; nous verrons qu'elles
sont bien peu satisfaisantes. Remarquons pourtant
d'abord qu'on n'a pas toujours attribué au froid seul
ces effets remarquables : l'immobilité volontaire,
l'absence de la lumière et du bruit dans des demeures
souterraines y entrent certainement pour quelque
chose. Hunter y fait intervenir le défaut de nour-
riture , Daubenton et Geoffroy le défaut d'oxigène.
En ce qui concerne cette dernière cause , Saissy et
Prunelle donnent des faits qui lui sont favorables :
les marmottes s'engourdissent difficilement à l'air
libre ; bien plus vite , au contraire , dans des vases
clos; des courants d'air font cesser l'engourdisse-
ment; mais il ne suit pas de tout cela que la gêne
de la respiration , par un excès d'embonpoint ou par
le grand volume du thymus , soit la vraie cause de
la faiblesse des animaux hibernants à lutter contre
le froid. Saissy a noté , chez ces mammifères :
1° peu de fibrine et partant de coagulabilité dans le
sang ; à + 3° il ne se coagule point : 2® une bile
douceâtre , albumineuse : o*^ une graisse onctueuse
et difficile à concréter. Ce sont là des conditions
favorables au sommeil hibernal , mais non des causes
déterminantes; il trouve ces dernières dans la peti-
(1) •■ Cela est tellement dans leur nature , dit Cuvier, qu'un loir du Sénégal
fmus CoupeiiJ , qui n'avait probablement jamais éprouvé de léthargie dans son
pays nakil , y est tombé en Europe , dès qu'on Fa exposé au froid. ■•
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 471
tesse des poumons , l'ampleur du cœur et des gros
vaisseaux , la petitesse des vaisseaux extérieurs ,
la grosseur des nerfs distribués à la peau. La plupart
de ces circonstances anatomiques manquent d'exac-
titude , du moins quand on veut en faire des appli-
cations générales; c'est ce qu'a bien démontré Otto.
Mangili a trouvé que les animaux liibernants man-
quaient de carotide interne ; de là , selon lui , une
moindre activité de l'encéphale, une plus grande
aptitude à l'engourdissement : mais Otto a prouvé ,
par d'intéressantes recherches, l^' que la carotide
interne ne manque pas ; qu'elle est petite, il est vrai,
dans l'écureuil et autres rongeurs ; qu'elle traverse
l'oreille moyenne, souvent cachée dans un canal
osseux qui parfois enfile l'étrier , comme cela a lieu
chez la taupe (i) et chez divers rongeurs non hiber-
nants ; 2" que ce vaisseau suit le trajet ordinaire
dans l'ours et le blaireau.
^ II. Des passions.
De même que tous les autres phénomènes intel-
lectuels, les passions, ces modifications passagères
et irrégulières de l'intellect, ont été diversement et
bien diversement définies par les écrivains qui s'en
sont occupés. Pour l'un , ce n'est autre chose qu'une
sensation forte et continue (Buffon) ; pour un autre ,
c'est un désir dominant , tourné en habitude ( Con-
dillac); pour un troisième, c'est le plus haut degré
d'activité du moi (Bérard). On sent, au premier
abord , ce que de telles définitions ont d'incomplet ,
(1) La taupe ne s'engourdit pas , à moins peut-être d'un froid très-vioJent ; on
m'en a apporté de très-vives au milieu d'un hiver à la vérité assez doux.
Spallaiiiani observe yuc , en Italie , elles travaillent hiver comme élé.
412 DES SENSATIONS CENTRALES
crinexact ou de vague : nous éviterons ces défauts ,
ce nous semble, et nous satisferons à toutes les
exigences de leur étude , en les décaissant des exagé-
rations ou des dépressions momentanées du sentiment
inséparahle des opérations mîeUectuelîes . Aussi pour-
rons-nous établir ici une division des passions exac-
tement en rapport avec celle que nous avons adoptée
pour ces opérations même ; et sans cliercber à la
jusiiiier par de longs détails, ni même à la rendre
aussi complète qu'elle pourrait l'être, nous nous
contenterons d'en donner un aperçu.
Aux opérations immédiates se rattachent tous les
sentiments exagérés mais simples et non raisonnes;
aux perceptions se rapportent l'émotion, la surprise ,
l'étonnement, la joie , la dooleur, l'ennui ; à la
mémoire , les regrets, les distractions ; à la volonté,
l'entêtement, l'indécision, l'abnégation de soi-même ,
la colère. Pour ce qui concerne les opérations réflé-
chies , l'attention est la souche de la curiosité , de
l'impatience , de l'apathie ; la réminiscence est celle
de la rancune et de la reconnaissance ; la comparaison
celle de la jalousie, de l'envie, de l'émulation, de
la prédilection. Les jugements et raisonnements,
tantôt justes, tantôt exagérés, tantôt même déviés,
sont l'origine de passions nombreuses et qu'on peut
partager suivant leur objet. S'agit-il de choses maté-
rielles , ils enfantent le goût , l'aversion , l'avarice :
s'appliduent-ils à certains actes ou événements, il en
résulte la satisfaction , l'admiration, l'enthousiasme ,
l'espérance, rambition, le chagrin, le désespoir,
la honte, l'indignation : quant aux personnes, ces
jugements portés à l'extrême produisent la haine,
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 473
le mépris , la pitié , la confiance , l'amitié , le
respect , le dévouement, et l'amour quand il s'y
mêle quelque influence de l'instinct : se concentrent-
ils sur le moi , ils amènent le courage , l'orgueil ,
l'humiliation spontanée , la peur , le décourage-
ment : enfin , s'ils se reportent vers l'auteur de toutes
choses , ils enfantent la componction , l'extase , la
ferveur, le fanatisme.
On a le plus souvent confondu, avec les pas-
sions, les aptitudes qui les font naître et qu'elles-
mêmes renforcent ou produisent par leur fréquente
répétition; et il est en effet souvent difficile de les
séparer: l'irascibilité tient de bien près à la colère;
l'avarice est une aptitude à ressentir des accès
d'amour pour l'argent, et ce sont ces accès qui
constituent la passion telle qu'on la voit se mani-
fester dans le goût effréné du jeu. Ce dernier néan-
moins offre encore d'autres éléments , et on pourrait
le citer en preuve de la difficulté d'établir une
nomenclature complète des passions. On y trou-
verait, comme on peut la trouver parfaitement aussi
dans les considérations précédentes, la preuve du
peu de fondement de cette opinion de Piicberand et
deMagendie, que les passions dépendent de l'instinct.
Cette opinion rappelle celle de divers physiolo-
gistes et que Bichat a voulu développer , préciser
davantage ; savoir, que les passions ont leur source
dans les viscères qui président aux fonctions nutri-
tives. Cette opinion, excusable dans la poésie, où
le cœur pue un si grand rôle, n'est fondée, en phy-
siologie , que sur des observations erronées. Kul
doute qu'il n'y ait du trouble dans les viscères quand
47 4 DES SENSATIOiNS CEïNTRALES
les passions sont violentes, parce que les centres
nerveux, violemment excités, réagissent sur les
n^rfs splanchniques : dans la colère il y a souvent
volubilité excessive ( i ) , les forces musculaires sont
décuplées, et à cette suractivité encéphalique se
joignent la plénitude du pouls , la rougeur de la
face et quelquefois l'apoplexie. De même, en sens
inverse , dans la frayeur , il y a débilitation , trem-
blement , refroidissement , et de même il y a aussi
pâleur, précipitation des mouvements du cœur,
quelquefois suspension de ses battements , lipothy-
mies , syncope mortelle. Le foie, les intestins par-
tagent cette influence ; il y a ictère , borborygmes ,
indigestion, diarrhée. Que ces dérangements secon-
daires réagissent à leur tour sur l'encéphale , que
la congestion cérébrale porte la colère jusqu'au
délire, cela peut se concevoir; mais certainement
c'est dans l'encéphale qu'a eu lieu le premier mou-
vement , à l'occasion d'une sensation venue du de-
hors ; c'est là que les premiers dérangements auront
lieu si la passion est forte ; et, sans autre influence,
il pourra fort bien en résulter, en certain cas, un
désordre réel dans les caténations d'idées et de
jugements : c'est ainsi que la passion pervertira
momentanément l'intellect, et entraînera le malheu-
reux à des actes ridicules ou qui pis est criminels.
Dans ces cas fâcheux, où les portions de l'enten-
dement non lésées n'ont pas eu le pouvoir de sub-
juguer celles qui le sont , où l'individu ne peut ,
comme on dit , rester maître de lui-même , il y a une
véritable folie momentanée ; et l'on pourrait assuré-
(1) Facil indifjualio var&um. Ji'v.
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 475
ment reconnaître , en effet , autant de monomanies
que de passions différentes ; mais les monomanies
sont ordinairement accompagnées aussi d'un trouble
général de Fintellect qui , pour les passions , ne se
montre que dans les cas heureusement assez rares
dont il vient d'être question. Notez encore comme
point de ressemblance , que , dans la folie , l'influence
des organes nutritifs , s'ils sont malades , se fait aussi
souvent sentir d'une manière très-manifeste , quoi-
qu'elle ne puisse jamais déterminer une folie com-
plète si l'encéphale n'est pas malade en lui-même.
Toutes ces perturbations se traduisent extérieure-
ment par des attitudes et des changements dans les
traits dans la face , qui nous entraîneraient bien loin
de la physiologie , et surtout de la physiologie com-
parée , si nous voulions les étudier en détail , et qui
d'ailleurs se représenteront encore à notre étude
dans les chapitres subséquents ; nous n'en parlerons
donc pas en ce qui concerne l'homme , et quant aux
animaux , nous n'en dirons que ce qui est nécessaire
pour prouver qu'ils partagent avec nous ces agita-
tions morales , comme les opérations qui en sont la
source.
Si les passions ne sont que l'exagération ou
l'affaiblissement du sentiment lié aux opérations
mentales , il est évident qu'on doit les retrouver
partout où ces opérations ont lieu, et dans les mêmes
proportions. Qui pourrait douter que la peur , c'est-
à-dire le sentiment qui accompagne l'exagération
du danger (jugement dont le produit simple est la
crainte ) ne saisisse les animaux , même des rangs
inférieurs, lors d'une vive douleur, d'une com-
476 DES SENSATIONS CENTRALES
motion violente , d'une secousse insolite ? N'a-t-on
pas, de tout temps, parlé de la colère des abeilles
et des guêpes assiégées dans leur citadelle ! Toute
araignée de grande taille, excitée du bout du doigt
dans un lieu où elle ne peut fuir , se met d'abord
en défense ; mais bientôt c'est avec une fureur ma-
nifeste qu'elle menace l'ennemi et se précipite sur
lui les mandibules écartées, les crochets redressés.
Le mantis religiosa^ excité de même , non-seulement
frappe de ses griffes ravisseuses le doigt qui provoque
sa colère ; mais encore témoigne du sentiment qui
l'anime en déployant , agitant et faisant bruire ses
ailes comme le coq de combat. Il est même remar-
quable que cette manifestation subsiste et redouble
encore après l'ablation de la tête , après celle même
du corselet , preuve que la passion n'a pas dans le
cerveau son sieste exclusif.
Les serpents , les lézards , les oiseaux de proie ,
le taureau , le chat , le chien , le tigre , le lion ,
parlent assez éloquemment à notre intelligence,
lorsque , la gueule béante , le bec entr'ouvert ou le
front incliné , le poil ou la plume hérissés , ils
sifflent, grondent, frémissent, beuglent ou rugissent,
dressés sur leurs pieds et prêts à s'élancer sur l'im-
prudent qui les irrite. Il n'y a pas jusqu'à la douce
colombe qui ne frappe de l'aile et du bec; au faible
cobaie qui n'avertisse , par le claquement de ses
dents, de la fureur qui l'agite.
Les animaux domestiques surtout paraissent plus
disposés à partager nos sentiments et nos passions.
L'amitié entre des individus, même d'espèce diffé-
rente , a été souvent observée chez des animaux
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 477
naturellement féroces, mais adoucis par la captivité ,
du lion et du tigre au chien par exemple. Le chien
et le chat fraternisent bien souvent malgré leur
naturelle antipathie ; le chien et le cheval se lient
plus fréquemment d'amitié ; et j'en observais tout
récemment un trait remarquable entre un àne et un
cheval : le premier, dételé d'abord , s'était approché
d'une auge , mais il ne voulut y boire que quand le
second put s'en approcher à son tour, et ce fut tète
contre tète qu'ils apaisèrent leur soif; jusqu'alors
l'àne avait attendu avec patience , tournant toutefois
fréquemment la tète du coté de son compagnon pour
voir s'il était enfin libre de ses entraves. La jalousie
n'est pas moins commune parmi les animaux domes-
tiques. La curiosité, si marquée chez les singes,
l'est beaucoup aussi dans les chiens , et chacun sait
combien ils s'empressent de prendre rang à une
fenêtre où se placent leurs maîtres. Le chat en montre
aussi beaucoup quand il aperçoit quelque objet nou-
veau, quelque animal inconnu. Mais c'est surtout le
chien qui nous fournirait les plus frappants exemples
de toute sorte de passions ; sa j oie va souvent j usqu'au
délire , sa tristesse jusqu'aux larmes , au désespoir,
son dévouement jusqu'à la mort. L'ennui même, cette
passion négative qui naît de l'habitude et du besoin
de sensations renouvelées sans cesse , et dont les ani-
maux sauvages ne donnent des signes (bâillements,
tristesse, dépérissement, mort même ) que quand
ils ont perdu leur liberté, le chien l'éprouve souvent
au contraire, ^omme nous , à un très-haut degré.
Si l'on cite dtFi faits remarquables d'attachement ,
de rancune , de reconiiaissance de la part de l'élé-
478 DES SENSATIONS CENTRALES
pliant, si Ton conserve la mémoire du lion d'Andro-
clès , que ne pourrait-on pas dire du chien ! Sans
fouiller dans les vieilles histoires, chaque jour nous
en offrirait des exemples saillants ; et chaque jour
aussi nous donnerait la preuve qu'il est susceptible
d'orgueil ou de pitié en présence des faibles , comme
il s'humilie en présence des forts. Quelques animaux
sauvages passent aussi pour doués de ces sentiments
de générosité ou de mépris , quoiqu'on ait beaucoup
exagéré la magnanimité et la clémence du lion , dont
les prétendues marques paraissent pouvoir se réduire
à des actes de prudence ou d'indifférence.
ARTICIiS IV. - Hem modifications dans les
opérations mentales qui sont dues à, des
causes permanentes ou liabituelles.
Ces modifications qui tiennent elles-mêmes à une
modification de l'organisme , à une disposition native
ou acquise , spécifique ou individuelle des organes
qui servent aux fonctions dites de l'entendement, nous
les divisons en deux groupes , aptitudes , instincts.
§ l". Des aptitudes intellectuelles.
Ce sont des dispositions individuelles , assez défi-
nies d'ailleurs par leur nom même , et qui peuvent
être innées ou acquises. Quoi qu'en ait dit Helvétius
qui voit tous les hommes doués de la même capacité ,
rien n'est plus connu que cette vérité , que chacun
nait avec des dispositions spéciales. On sait même
que , bien souvent , ces dispositions so^* ijéréditaires ;
certaines qualités , certains talents semblent devenir
ainsi un bien de famille. Gall n'a pas eu beaucoup
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES 419
de peine à en trouver des preuves ; mais il a eu le
mérite de bien distinguer ces aptitudes originelles, des
idées innées, admises, depuisPlaton jusqu'à Descartes
et Leibnitz , sans doute à la faveur d'une confusion
entre choses de nature aussi différente , et rejelées
unanimement par les idéologistes modernes marchant
sur les traces de Locke. Mais Gall , à son tour, nous
parait être tombé dans une erreur d'un autre genre ,
en voulant assigner à chaque aptitude un organe
spécial , comme s'il y avait autant de fonctions , ou
plutôt de systèmes de fonctions intellectuelles qu'il
y a d'aptitudes, et si elles n'avaient rien de com-
mun , rien de général. Comment n^a-t-il pas senti
que le calcul des temps et des nombres qui préside
aux compositions musicales , était le même qui ré-
sout les problèmes de mécanique , d'optique etc. ;
que la mise en jeu de toute aptitude morale, de la
bonté , de la méchanceté , peut s'exercer sur tous
les genres de perceptions, visuelles, auditives, tac-
tiles , se traduire par des actes de toutes les parties
du système nerveux et du corps , par un changement
dans les traits du visage , par la voix , les gestes ,
les mouvements ; qu'en un mot tout l'ensemble des
fonctions intellectuelles est modifié par une aptitude
quelconque , et que le siège de cette aptitude est ,
en conséquence, dans toute l'étendue des centres
nerveux et même des systèmes nerveux périphé-
riques ? L'aptitude à danser est autant dans les jam-
bes que dans Tencéphale ; celle à juger des localités
est autant dans l'œil que dans le cerveau.
Ces dernières considérations s'appliquent aussi bien
d'ailleurs aux aptitudes acquises qu'aux originelles ;
480 DES SENSATIONS CENTRALES
et c'est surtout pour celles-là qu'il est ridicule d'ad-
mettre des organes spéciaux dans l'encéphale. Ne
connaît-on pas les puissants effets de Vexercicej de
Véducatîon j de Vhahitude pour créer des aptitudes
qui n'existaient pas auparavant ? De même que
l'exercice de la danse développe la force et l'agilité
des jambes et des pieds; de même l'exercice de telles
ou telles opérations intellectuelles en augmente la
puissance et la facilité. Tel individu est doué, par
la nature, d'une grande aptitude aux mathématiques ;
c'est Pascal qui en invente les premiers principes :
tel autre l'a acquise par l'exercice , et a pu devenir
un mathématicien supérieur à Pascal. Combien ne
voit-on pas d'exemples de ces enfants miraculeux
qui ne font que des hommes médiocres , de ces
météores de collège qui sont plus tard éclipsés
par le moins brillant de leurs condiciples ! Tel est
naturellement paresseux, qui devient, par raison,
un travailleur assidu. C'est en considérant ainsi
les aptitudes, non comme des produits d'organes
à part , mais comme celui de modifications dans les
organes communs aux opérations mentales , que l'on
peut concevoir un système d'éducation convenable ,
tenter d'enrichir un esprit pauvre , de perfectionner
un esprit heureusement doté par la nature, de cor-
riger une mauvaise tête et même un mauvais cœur.
Cette double métaphore représente les bases de
la division qu'on pourrait adopter pour une étude
plus approfondie de ce sujet, qu'il doit nous suffire
d'effleurer. 1» H est des aptitudes mentales qui com-
prennent ce qu'on appelle communément les qualités
de Vesprit ou capacités. Elles pourraient se sous-diviser
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 481
aisément en prenant pour base les opérations dont
nous nous sommes précédemment occupé ; mais leur
création étant toute empirique , il en est beaucoup
qui se rapportent à la fois à plusieurs fonctions
intellectuelles , et souvent encore c'est à des nuances
plus ou moins fugitives que l'usage a consacré des
dénominations particulières ; ainsi nous disons qu'un
homme a de la sagacité si l'on parle de sciences ,
du jugement quand il s'agit d'affaires , du tact quand
il est question de rapports sociaux , du goiit si Fon
pense à des objets d'agrément. De même on désigne
assez généralement sous le nom de facultés les apti-
tudes aux sciences , de talents celles qui s'appliquent
aux beaux-arts , àliabileté en général celles qui ont
trait aux arts mécaniques.
2® Les aptitudes morales sont celles qu'on nomme
ordinairement qualités du cœur. Spécialement rela-
tives à notre conduite sociale, elles dirigent nos
rapports avec nos semblables et avec les objets qui
nous entourent ; elles modifient aussi notre manière
de sentir, et se rapportent, en conséquence , fré-
quemment aux passions, dont elles ne sont même
bien souvent , pour ainsi dire , que la généralisation :
une passion invétérée devient inhérente à l'homme ,
et se change en aptitude parfois irrésistible. Quand
les aptitudes modifient nos rapports avec les hommes,
elles constituent le caractère/ avec les choses , ce sont
des goûts j des penchants. Au caractère, aux goiits,
aux penchants diversement combinés, se rapportent
les vertus et les vices.
L'identité des phénomènes intellectuels entre
l'homme et les animaux ( dans les bornes tracées
31
482 DES SENSATIONS CENTRALES
ailleurs ) ne nous abandonnera pas plus ici que
dans les articles précédents. Un des secrets qu'on
emploie pour réussir dans l'éducation des animaux,
c'est d'en étudier auparavant les qualités et les
facultés , les talents naturels , les goûts , les pen-
chants, le caractère. Les chasseurs choisissent leurs
chiens , et les écuyers leurs chevaux autant, et sou-
vent plus, sous ces divers rapports que sous ceux
de la conformation extérieure. Tous les jours ne
parle-t-on pas de chevaux vicieux, ombrageux,
fougueux, entêtés, lâches, ou au contraire belli-
queux , patients , intelligents ? Ne voit - on pas par-
tout des chiens indociles ou paresseux, des chats
gourmands et voleurs ? Ne reconnaît-on pas , parmi
les perroquets , divers degrés d'aptitude à retenir et
répéter les paroles , comme chez les oiseaux chan-
teurs , à retenir et répéter des airs ?
Et quant au caractère , tel bœuf , tel âne , tel
cheval , tel mouton est connu pour méchant ; tel
chien est réputé hargneux , querelleur. L'éducation
ne peut même pas toujours modifier ces aptitudes
natives : « il y a des faucons lâches et paresseux ; il
y en a de si fiers qu'ils s'irritent contre tous les
moyens de les apprivoiser : il faut abandonner les
uns et les autres » (Leroy). Deux barbets du même
âge , élevés dans des conditions à peu près sembla-
bles , caressés également , se montrèrent d'un carac-
tère entièrement opposé ; l'un devint grave , sérieux,
grondeur et méchant au point qu'un jour il sauta
au visage de son maître et lui fit des blessures pro-
fondes; l'autre resta gai, caressant et docile. Un
gardien d'animaux féroces me disait d'une hvène :
KTUDIÉES EN ELLES-MÊMES. 483
«yen ferais aisément ce que Martin fait de la sienne,
si je ne craignais de m'exposer à quelque caprice
accidentel ; elle n^est point méchante comme celle
que j'avais auparavant. » Sans doute , c'est en choi-
sissant les individus les plus doux que l'on est par-
venu à dompter d'une manière si étonnante le lion ,
le tigre et l'hyène , indépendamment du jeune et
des privautés impudiques qu'on dit aussi avoir été
mises en usage à cet effet. L'espèce du loup a pré-
senté des individus , et surtout des femelles , d'une
grande douceur, très-sociahles et très-caressants,
quoique pris à Tétat adulte (Fr. Cuvier) : on donne
cependant les animaux de cette espèce pour tout-à-
fait réfractaires à la vie domestique , et l'on cite
de nombreux exemples de loups redevenus féroces ,
quoique pris en bas âge et élevés avec autant de soin
que nos chiens.
On en peut dire autant des oiseaux de proie , des
plus petits oiseaux même : Buffon raconte , avec
complaisance , ce que plusieurs observateurs lui ont
communiqué des différents caractères des serins
élevés en cage. Les lézards, les couleuvres, surtout
du sexe féminin, s'apprivoisent parfois très-aisément
et par le seul fait de la familiarité qui s'établit entre
le maître qui donne la nourriture et l'esclave qui
la reçoit : il est des individus qui restent toujours
féroces.
Ces nuances s'affaiblissent chez les animaux inver-
tébrés qui sont davantage sous l'empire de l'instinct ;
aussi les différences de caractère et d'aptitudes en
général ne sont-elles ici bien appréciables que dans
leurs rapports avec les sexes. Que telle mouche soit
484 DES SENSATIONS CENTRALES
plus importune que telle autre , telle araignée plus
irascible, telle fourmi plus courageuse, etc. , c'est
ce qui parait souvent bien réel, mais il faudrait
les observer plus minutieusement pour acquérir la
certitude que ces variations tiennent à l'individu et
non aux circonstances accidentelles dans lesquelles
il se trouve.
§ IL Des instincts,
La confusion , les contradictions , les incertitudes
sont ici peut-être portées plus loin , dans les écrivains
idéologistes , que pour toute autre partie des sensa-
tions centrales. Attribuant tout à l'instinct chez les
animaux, certains auteurs ont dû confondre avec
lui une multitude d'autres phénomènes intellectuels;
de même que rattachant tout, dans l'homme , à une
âme spirituelle et essentiellement raisonnable , ils
mettaient au compte de l'intellect beaucoup de phé-
nomènes instinctifs. D'autres ont été induits en
erreur par de fausses définitions , des analogies
trompeuses; Condillac lui-même prend pour ins-
tinctifs les mouvements automatiques nés de l'habi-
tude et de l'association. Lamarck est plus excusable
quand il confond, avec l'instinct, les talents naturels
et les penchants : ici , en effet , la ressemblance est
plus grande, et nous commencerons, en conséquence,
par bien poser la limite précise qui les sépare , avant
de formuler une définition de l'instinct.
La première différence , la différence fondamen-
tale , c'est que les aptitudes sont individuelles et les
instincts spécifiques,, c'est-à-dire attachés à l'espèce ;
aussi ces derniers sont-ils toujours innés et hérédi-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 485
tawes j ianàis que les aptitudes sont souvent acquises.
Il est vrai que , quand elles sont innées et de famille,
elle commencent à se rapprocher beaucoup des
instincts ; ces cas , assez rares , établissent alors une
de ces transitions que la nature nous offre partout ,
d'un groupe de phénomènes ou d'objets à un autre
groupe.
Une deuxième différence considérable , c'est que
les aptitudes ne font , à proprement parler , naître
que des désirs j tandis que les instincts excitent, la
plupart du temps, des besoins; l'organisation des
centres nerveux étant plus profondément modifiée
ou plus fortement influencée par les viscères dans le
deuxième cas que dans le premier. Toutefois, il ne
faut pas dire , avec Magendie , qu'instinct et besoins
sont la même chose , le besoin n'est qu'un des
éléments de l'instinct. Il suit de ce que nous venons
de dire, que l'intellect n'est que sollicité par les
aptitudes, et qu'il est le plus souvent subjugué par les
instincts; parfois aussi les actes instinctifs s'opèrent
sans la participation de l'intelligence, ce qui ne
saurait être pour les aptitudes , même dans les plus
fortes ellipses. Il y a tendance dans celles-ci, déter-
mination dans ceux-là. Mais ici encore se trouvent
des intermédiaires : ce sont les penchants exagérés
qui maîtrisent et forcent l'intelligence , et les ins-
tincts combattus , soumis par une volonté énergique
ou par une sensation violente (frayeur).
Résumons en peu de mots la définition de l'instinct
qui se trouve en grande partie disséminée dans la
discussion qui précède. L'instinct est une disposition
organique tenant à la conformation ( interne comme
'486 DES SENSATIONS CENTRALES
externe) de l'espèce, et produisant des actes régu-
liers, mais non raisonnes et souvent irrésistibles,
involontaires même , quoique exécutés par des mus-
cles ordinairement soumis à l'empire de la volonté.
Les phénomènes iastinctifs sont si nombreux , si
variés , qu'il est impossible d'étudier avec fruit ce
sujet si vaste à la fois et si obscur, sans y établir
des divisions fondées elles-mêmes sur des données
rationnelles et physiologiques ; telles sont les trois
suivantes que nous allons successivement parcourir:
instincts vitaux ou splanchniques, instincts animaux,
instincts encéphaliques. Nous ne séparerons pas ce
qui appartient à l'homme de ce qui est propre aux
animaux ; ces derniers devant nous fournir les prin-
cipaux matériaux de cette étude.
A. Instincts vitaux on splanchniques. Ainsi nom-
més parce qu'ils excitent , dans les viscères , des
besoins naturels qui deviennent ultérieurement la
cause d'actes plus ou moins complexes. Il faut ici
mettre de côté les besoins factices ou d'habitude , qui
n'ont de rapport qu'avec les aptitudes dont il a été
ci-dessus question , et qui comprennent tous ces
asservissements volontaires que s'impose l'homme, et
que partagent souvent avec lui les animaux domes-
tiques, depuis le besoin de distraction, d'amuse-
ments et toutes les jouissances du luxe , des caprices
et de la sensualité , jusqu'au besoin de la chaleur,
qui , considérablement modifié par l'habitude , se
rapproche néanmoins assez des besoins naturels.
Ceux-ci peuvent se diviser, comme les fonctions
auxquelles ils se rattachent, et nous en donnerons
ici seulement quelques échantillons.
ETUDIEES EN ELLES-MICMES. 487
A la digestion se rapportent comme besoins,
la faim et la soif : de là des actes qui s'éloignent
ou se rapprochent , à des degrés divers , de ceux
que la volonté dirige ; ainsi , chez le mammifère
nouveau -né, le sentiment de la faim excite des
mouvements dans les membres et la tête pour la
recherche des mamelles maternelles , puis des mou-
vements de succion et de déglutition ; c'est-à-dire
un enchaînement , une succession d'actions dans les
lèvres , la langue , le voile du palais et le larynx.
Chez beaucoup de petits oiseaux , c'est par une
liaison non moins naturelle que le bec s'ouvre à l'ap-
proche des parents porteurs de la nourriture ; pour
d'autres oiseaux, de même que pour les reptiles,
déjà à la sortie de l'œuf l'enchaînement naturel
des mouvements existe , comme chez l'adulte , pour
faire becqueter la graine ou l'insecte découvert ou
présenté par la mère. La plus grande partie des
oiseaux et des mammifères adultes n'exécute, pour
la préhension des aliments , que des mouvements de
la tête et de la bouche ; il en est , comme les oiseaux
de proie , les perroquets , les rongeurs , les singes ,
l'homme, qui s'accoutument de bonne heure à se
servir aussi des membres à cet effet : l'habitude se
joint ici, et se confond avec l'instinct originel, en
vertu duquel l'enfant en bas âge porte à la bouche
tous les corps qu'il peut saisir. Tous ces actes, de
même que le choix des aliments , tiennent si bien
à la conformation des organes, à leur agencement
réciproque et particulier, qu'on les voit changer par
les effets de la maladie (i), de l'âge, et surtout par
(1) L'inappétence , l;i soif, peuTcnt êlrc considérées commo tmosorlc d'iaslinct
"iSS DES SENSATIONS CENTRALES
ceux des métamorphoses. Ainsi, la chenille pourvue
d'yeux myopes et rudimentaires , de fausses pattes
courtes et peu agiles , mais en même temps de
mâchoires robustes et tranchantes, d'un vaste et
musculeux appareil digestif, cherchait des aliments
végétaux faciles à trouver en grande abondance; et
sans avoir besoin de les découvrir de loin , elle les
trouvait dans des substances dures , des feuilles , du
bois même. Devenue papillon, son estomac ne saurait
digérer de pareils aliments, sa bouche ne saurait
les saisir et les avaler; tout est conformé, harmonisé
dans le nouvel animal pour lui donner d'autres goûts,
et le porter vers d'autres objets : ce n'est plus que
le miel des nectaires qu'il recherche et qu'il est apte
à digérer; ses yeux composés lui permettent de voir
de loin les fleurs nombreuses sur lesquelles, rapide-
ment porté par des ailes nouvellement acquises , il
va recueillir ce rare butin. Cet ensemble de condi-
tions organiques se montre encore dans la liaison
naturelle des organes du goût et de l'odorat avec
ceux de la digestion.
Le besoin de respirer et les mouvements qu'il
excite , les cris naturels ou instinctifs que la douleur,
le danger arrachent à l'homme et aux animaux,
tiennent aussi à cette harmonie d'organisation , à
cette corrélation entre les organes internes et les
externes , à cette synergie dont nous chercherons
tout-à-Fheure à donner la théorie.
Disons-en autant des besoins d'excréter, et de l'en-
accidenle], de même que quelques autres désirs non raisonriés des malades. Les
animaux mêmies appèlent alors certains remèdes ; il n'est pas étonnant qu'ils en
obtiennent de Favanlaije , puisque c'est l'étal même de leurs organes qui sollicilo
ce Ciioix.
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 489
semble des contractions qu'ils déterminent dans des
muscles nombreux et plus ou moins éloignés les uns
des autres , comme ceux du périnée , de Fabdomen ,
du larynx dans les efforts d'expulsion , ceux des
membres inférieurs et des lombes dans la singulière
attitude que prennent les chiens, quand la défécation
est difficile.
Autant encore en faut-il dire des contractions mus-
culaires excitées par l'orgasme de l'union des sexes,
mouvements spasmodiques, involontaires quelque-
fois : tels ceux de la région lombaire et l'agitation
du bassin chez le mâle , ainsi qu'on peut facilement
l'observer sur l'animal dont nous venons de parler.
Les mouvements sont encore automatiques , mais
plus faciles à confondre avec ceux de la volonté ,
chez la femme qui serre son nourrisson dans ses bras,
chez la femelle quadrupède qui écarte ses membres
postérieurs et abaisse le tronc pour mettre à la portée
de son petit ses mamelles inguinales ; un même
besoin excite ces mouvements , c'est celui de l'éva-
cuation du lait : ce qui me semble le prouver , c'est
l'adoption d'un nourrisson étranger par une femelle
laitière; on a vu des chattes privées de leurs petits,
allaiter un levraut, de jeunes lapins (Darwin) ; une
autre adopta des écureuils , et chose plus étrange !
abandonna pour eux sa propre géniture , au rapport
de personnes instruites (i).
L'art peut intervenir de manière à prouver com-
bien tous ces actes sont sous l'influence de l'orga-
nisation; il peut changer celle-ci, changer par
(1) De Gleielien dit avoir observé une perversion plus singulière cliez une
challc , qui donnail à des poussins ses soinsiualernelsaprèsavoir dévore ses iJelils.,
490 DES SENSATIONS CENTRALES
conséquent les besoins elles actes : ainsi , en privant
un coq de ses testicules, on lui ôte une partie des
errements de son sexe, et on peut lui inculquer
plusieurs de ceux du sexe opposé. Qu'on enflamme
la peau du ventre en la frottant d'orties , qu'on y
crée ainsi momentanément des réseaux vasculaires ,
tels que ceux qu'on dit naturellement exister chez
la poule couveuse, et dès -lors le chapon aura,
comme elle , l'instinct de couver des oeufs ; il ira jus-
qu'à conduire , avec une affection toute maternelle,
les poussins éclos, mêlant, dès ce moment, beaucoup
d'actes intellectuels aux actes instinctifs. Ce mélange
a été plus direct encore dans le fait suivant qu'on
m'a donné comme vrai : un chapon adopta instan-
tanément des poussins dont la mère venait d'être
étranglée sous ses yeux par un chien de basse-cour.
Quant à l'influence des organes internes , elle se ma-
nifeste encore notablement chez les vieilles femelles
d'oiseaux qui prennent les allures du mâle et même
une partie de sa robe , lorsque leurs organes géni-
taux sont atrophiés et devenus stériles ( Isidore
Geoffroy- S* -Hilaire). C'est donc à la différence
de ces organes spéciaux que tiennent celles qu'on
observe, et dans les apparences extérieures, et dans
les goûts , les habitudes , entre la fille et le garçon ,
l'homme et la femme , pour notre espèce même.
La théorie des phénomènes de l'instinct vital ne
diffère pas, autant qu'on serait tenté de le croire,
de celle des opérations directes de l'intelligence. En
raison de la structure et des usages des viscères , le
besoin s'y établit, soit par manque d'un stimulant
nécessaire ( faim , besoin de respirer } , soit par
ÉTUDIÉES EÎN ELLES-MEMES. 191
la présence d'un stimulant superflu ( excrétions ,
sperme , etc. ). Voilà l'équivalent de la sensation qui
s'opère dans les organes externes. De même que
cette sensation externe est conduite du sens à l'en-
céphale par des nerfs , de même celle du besoin est
transmise à d'autres centres nerveux , d'abord aux
ganglions du trisplanchnique ou grand sympathique,
et de là à la moelle épinière, ou bien, par le pneumo-
gastrique, directement à la moelle allongée, au
cervelet, et enfin, dans certains cas, au cerveau
même par une propagation secondaire : de là , des
réactions difl'érentes selon le centre qui réagit.
La réaction s'opère-t-elle immédiatement et seule-
ment dans les ganglions du grand sympathique , il y
a acte involontaire , mouvements sans conscience ,
mouvements intérieurs, splancliniques , inaperçus
à l'extérieur, et que, en conséquence , on ne range
pas parmi ceux de l'instinct , qui suppose toujours
la participation du système cérébro-spinal.
Si l'impression transmise s'est arrêtée à la moelle
épinière (i), à la moelle allongée , il y a des mou-
vements extérieurs, mais qui sont plus ou moins
soustraits à l'empire de la volonté , que la volonté
même ne saurait que difficilement imiter sans la
présence de l'excitant naturel (défécation, dégluti-
tion ) ; toutefois une volonté forte les modifie , com-
bine d'autres mouvements avec les leurs , ou même
les supprime tout - à - fait. C'est ainsi qu'une vive
impression morale, une frayeur fait cesser les actes
(1) On voit des insectes continuer, après la décapilalion , les actes de la
copiilalion , de la ponte , exécuter môme des mouvements de locoiaoîion suivie,
mais toujours auxiliaire de ces actes splancliniques.
492 DrS SENSATIONS CENTRALES
de défécation , d'accouplement , supprime même
quelquefois la contraction de la matrice chez la
femme ; c'est ainsi que la poule , qui pond indéfini-
ment sans couver tant qu'on lui enlève ses œufs,
cesse volontairement de pondre , et couve quand
elle en a conservé un nombre suffisant. Dans les
cas où la sensation instinctive consomme son plein
et entier effet sur la moelle épinière et la moelle
allongée , alors , en raison des nombreuses commu-
nications des ganglions du grand sympathique avec
la moelle , il s'établit des synergies _, c'est-à-dire des
enchaînements de mouvements coordonnés , dans un
but commun , entre des muscles fort différents les
uns des autres, synergies la plupart du temps innées ,
en partie acquises ou du moins perfectionnées par
l'habitude et l'exercice, et tout-à-fait comparables
avec les aptitudes et les caténations d'actions qui en
dépendent. Dans les organes entièrement soustraits
à l'empire de la volonté et de la perception , ces
corrélations se nomment sympathies ; elles n'appar-
tiennent aussi que fort indirectement à l'instinct.
Enfin , il est des cas où l'instinct vital détermine
des actes plus décidément volontaires en apparence
comme en réalité , c'est quand l'impression ou sen-
sation du besoin a été transmise au cervelet et au
cerveau : quelquefois alors le mouvement est encore
machinal , comme celui du chat qui creuse la terre
pour y déposer ses excréments et les recouvrir
ensuite ; d'autres fois il est plus raisonné , comme
quand un animal cherche sa proie pour satisfaire à
un appétit violent; quand un certain nombre d'indi-
vidus se réunissent , tant pour procéder plus aisé-
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 493
ment à la reproduction de l'espèce que pour trouver
ensemble les moyens de soutenir et défendre leur
existence : tels les chevaux sauvages, les bisons,
les pécaris, les gazelles, les morues, harengs,
maquereaux, et les oiseaux de passage. Dans ces
circonstances encore, il peut y avoir un mélange
tel des opérations intellectuelles dont la source est
toute extérieure , avec celles qui dépendent de ces
impulsions instinctives, qu'il devienne fort difficile
de distinguer ce qui appartient a l'un et à l'autre
ordre de phénomènes : on en peut donner comme
exemple, dans l'espèce humaine, la passion-instinct
qu'on nomme amour. Combien de conflits doit-il en
résulter dans notre esprit! combien la liberté morale
doit-elle en être influencée 1 II est aisé de le concevoir ;
il n'est pas difficile non plus de reconnaître , d'après
cela, pourquoi l'instinct semble comme étoufl'é chez
l'homme par l'éducation , la morale , les lois; tandis
que les animaux , de même que l'enfant et l'idiot ,
s'y abandonnent si aisément ; pourquoi encore on a
pu dire , avec vérité mais peut-être avec peu de
justesse dans les termes , que l'instinct se pervertit
par la domesticité , et n'a son développement complet
que chez l'animal très -jeune ou à l'état sauvage.
«L'instinct, dit Bufl*on, est d'autant plus sur qu'il
est plus machinal , et pour ainsi dire , plus inné :
le jeune agneau cherche lui-même, dans un nom-
breux troupeau, trouve et saisit la mamelle de sa
mère sans jamais se méprendre. »
B, Instincts animaux. Dans l'exercice des fonc-
tions instinctives dont le point de départ est intérieur
et viscéral, il y a nécessairement des modifications
494 DES SENSATIOISS Cl'.JNTlULES
relatives aussi à la conformation externe , et ce sont
des points de contact entre l'instinct vital et l'instinct
animal ; celui - ci , considéré isolément , dépend
entièrement de cette conformation spécifique des
organes externes, des armes, des instruments de
locomotion ou d'actions particulières; il dépend
encore de la force et de l'agilité des membres en
général , ou de quelqu'un d'eux plus spécialement.
Tout le monde conçoit, à la première vue, que,
si le serpent rampe , si le cerf court , si la gerboise
s'élance au loin , si le phoque nage , si la chauve-
souris vole , si la taupe s'enfonce dans la terre , si le
perroquet se suspend à l'aide de son bec et le sapajou
de sa queue, c'est en vertu de leur conformation
tant partielle que générale ; car tout , en eux , est
harmonisé pour le but définitif: la forme allongée
du corps , le poil couché , dur et luisant , l'élargis-
sement de la queue coexistent, chez le phoque, avec
la projection des membres postérieurs en arrière,
la brièveté de ceux de devant , la palmure des uns
et des autres. Que ne dirions-nous pas des poissons
envisagés sous les mêmes rapports ? Mais voyez
certaines espèces s^élancer dans les airs uniquement
parce que leurs nageoires sont beaucoup plus longues
et plus larges, leur corps un peu moins pesant, et
vous aurez encore une démonstration de l'influence
de la conformation extérieure sur les déterminations
instinctives.
Le besoin de la propreté , fondé sur une gêne facile
à comprendre, se satisfait de diverses façons, selon la
conformation de l'animal : les mouches , les araignées
se servent des brosses, des peignes, des étrilles dont
ÉTUDIÉES 1:N ELLES-MEMES. 495
la nature a pourvu leurs pattes , et ces pattes sont
ensuite nettoyées par les mâchoires ; les oiseaux
lissent leurs plumes avec le bec ; le chat se lèche là
où sa langue peut atteindre, il se sert de sa patte
mouillée de salive pour nettoyer la face et le dessus
de la tête ; le chien se secoue , se frotte , se gratte ,
se mord ; le cheval se sert , en outre , de sa queue ,
et l'éléphant de sa trompe , pour chasser les insectes
parasites ; tous agissant ainsi selon que leur confor-
mation les y porte.
De même que nous frappons de l'arme que le
hasard nous fournit, et mieux encore que l'habitude
nous rend familière , de même le cheval frappe du
pied de derrière , le bœuf, le mouton , le bouc de la
tête : si le chien se sert de sa gueule , le chat de sa
griffe, l'oiseau de son bec ou de ses serres , la baleine
de sa queue ; si la mante blesse avec ses pattes ravis-
seuses, le criquet linéole avec ses jambes épineuses,
la larve d'œshne avec ses pointes caudales, l'abeille,
le scorpion avec leur aiguillon venimeux, n'est-ce
pas encore en raison de la confiance qu'ils ont dans
la puissance de ces parties? On a voulu, bien gra-
tuitement , infirmer cette opinion et creuser dans le
vague pour dépasser les faits et arriver à une cause
occulte et inconnue : on a parlé du veau frappant l'air
de sa tête inerme ; c'est ce que fait aussi le mouton
sans cornes; mais l'un et l'autre se sentent du moins
un front dur et un cou robuste : l'éléphant sent dans
ses pieds la puissance de son poids , et cherche à
s'en servir contre des ennemis trop agiles pour ne
pas éviter ses défenses, le tigre en particulier. C'est
cette conscience , en sens inverse , qui rend poltrons
490 DES SENSATIONS CENTRALES
les chiens les plus forts quand ils ont perdu leurs
dents ( Eustachi ); et c'est parce qu'ils ont des mà-
clioires robustes et tranchantes , que les grillons et
les locustes à front blanc livrent , à leurs pareils , des
combats à mort et dévorent en partie leur ennemi ,
quoiqu'ils ne se nourrissent habituellement que de
végétaux. Si l'oiseau bat des ailes avant de savoir
voler , quoi d'étonnant qu'il agite ses membres , et
qu'il s'en serve dès qu'il se sent , par leur moyen ,
soutenu et transporté dans les airs , comme le quadru-
pède use de ses pieds dès qu'il leur sent assez de
force pour le soutenir et le transporter sur le sol!
Beaucoup d'industries instinctives sont en grande
partie fondées sur ce principe: le fourmilion avec
sa tète en pelle , les philanthes avec leurs tarses
pourvus de grosses épines en forme de râteau , la
mygale maronne avec ses mandibules armées de
pointes encore plus solides , les courtilières avec
leurs pattes antérieures larges , tranchantes , den-
telées, les fourmiliers, les tatous avec leurs ongles
énormes , sont évidemment conformés pour fouiller
la terre. Mais cela ne suffit pas toujours, et des
instincts vitaux ou encéphaliques bien prononcés se
passent même de ces conformations spéciales, ou se
contentent, pour produire des effets semblables, des
formes ordinaires : ainsi , le chien sauvage se creuse
des terriers, quoiquesses pattes ne soient que médio-
crement propres à cet usage; toutefois ses doigts
roides , ses ongles non rétractiles y conviennent
mieux que ceux du chat par exemple ; et l'hyène ,
qui est conformée comme le chien, sait fouir aussi
la terre pour découvrir les cadavres ; niais quelle
ÉTUDIÉES EN ELLES-MÊmeS. 4^1
différence y a-t-il entre le lapin et le lièvre,
autre qu'une différence d'instinct encéphalique ? Le
sphex , qui n'a point les tarses du philanthe , creuse
pourtant , comme lui , le sable et la terre ; le lézard
a des ongles très-pointus, assez délicats et peu ro-
bustes, et cependant il se creuse aussi des terriers.
11 y a plus , ces actes de l'instinct animal se mélan-
gent souvent, bien plus encore que ceux de l'instinct
vital , avec des actes d'intelligence proprement dits ;
ils se modifient par l'éducation que donnent les
parents à leurs petits , même chez les animaux sau-
vages , comme l'a prouvé Bureau de la Malle pour
les oiseaux de proie , et comme on le savait déjà de
beaucoup d'autres en ce qui concerne la chasse , la
pêche , la natation , le vol , etc. De là Client , en effet ,
qu'un animal élevé en captivité dès sa naissance est
si maladroit quand il est rendu à la liberté , tellement
même qu'il finit par périr, faute de savoir se procurer
sa subsistance ou se garantir des dangers. Il serait
bien difficile de dire où s'arrête l'intelligence et
où commence l'instinct dans certaines manœuvres ,
dans celle des bœufs , qui , dit-on , se rassemblent
en cercle pour résister au loup , lui offrant , de tous
côtés, un rempart hérissé de cornes* Quelle est la
part de l'instinct et celle du raisonnement dans le
partage des fonctions qui se fait chez les termites et
les fourmis entre les mâles , les femelles , les ouvrières
et les soldats ; car les fourmis aussi ont leurs soldats
à grosse tête , à fortes mandibules , chargés de la
direction des travailleurs et de la défense de la
colonie ? Si l'on peut regarder comme purement
animal le mouvement du hérisson , du tatou , du
32
498 DES SENSATIONS CENTRALES
cloporte , de mainte chenille épineuse ou velue ,
lorsqu'ils se roulent en boule , celui de la tortue qui
s'enferme dans sa carapace , du coléoptère qui retire
ses pattes dans les creux de sa peau cornée , n'y a-t-il
pas quelque chose de plus quand le porc-épic se
précipite sur son ennemi , quand le coléoptère fait
le mort en roidissant ses membres allongés ( trichie ,
etc. ) , ou quand il se laisse rouler et s'envole avant
de toucher la terre ?
Que l'on attribue à l'instinct animal les émissions
d'humeurs acres et odorantes que le bombardier et
d'autres carabiques lancent par l'anus , de celles que
plusieurs fausses chenilles , le méloé , la coccinelle ,
plusieurs batraciens font sortir de leur peau ; qu'on
y rapporte l'expulsion des urines innocentes que les
rainettes, grenouilles et crapauds font jaillir dans la
main qui les saisit, celle de l'encre des mollusques
céphalopodes pour troubler l'eau qui les entoure ,
celle des matières fétides que lâchent les renards ,
les mouffettes (^mephitisj serrées de près ; soit , mais
ces actes ne sont-ils pas provoqués par la connais-
sance d'un danger et le désir d'y échapper? La chose
est évidente, et nous en dirons tout autant de la
chenille ou de l'araignée , qui se laissent tomber à
terre en filant un câble de sûreté , le long duquel
elles remontent dès que le danger a disparu : même
réflexion pour ces autres araignées , qui , profitant
de leur conformation grêle, étirée, se collent en
s'ailongeant contre les tiges ou les feuilles des gra-
minées; pour ces chenilles arpenteuses, pour ces
phasmes qui se dressent , immobiles et en forme de
rameau, sur une branche d'arbre de leur couleur, etc.
ÉTLDIÉES EN ELLES-MEMES. 499
C'est aussi à l'instinct animal , à un besoin produit
par une conformation extérieure évidente que se
rattache , en partie du moins , l'habitude des pagures
qui logent dans une coquille vide leur abdomen
mollasse , celle des teignes et autres insectes qui se
fabriquent un fourreau. Il en est un plus général
et dont les causes sont moins faciles à préciser, c'est
celui qui porte tous les animaux , à peu d'exceptions
près , à reprendre constamment la même attitude ,
la même direction eu égard au sol : un mammifère ,
un oiseau , un reptile , un poisson , un insecte , une
annélide , cherchent à se replacer sur le ventre quand
on les a renversés sur le dos; sans doute leurs pieds ,
leurs organes de sens sont alors seulement disposés
pour un libre usage ; mais n'y a-t-il pas quelque
chose de plus dans ce besoin qu'a la tête d'être
élevée , etc. ? Il est certain qu'un sentiment tout
particulier différencie pour nous, très-notablement,
la rectitude ou l'horizontalité en supination ou en
pronation; et ce n'est pas à l'influence de la pesanteur
sur le sang ou sur les organes encéphaliques qu'il faut
l'attribuer en totalité ; car on s'assurera facilement
que tout animal résiste au changement de direction ,
même dans le sens horizontal , au moins pour la
tête. Cela est surtout sensible quant aux reptiles :
tenus dans la main et transportés circulairement
sans secousses, on les voit tourner toujours le
museau vers le point du départ, comme si une sorte
d'orientation de l'encéphale s'opposait à un change-
ment de direction. Ceci se lie indubitablement avec
la production des vertiges par le tournoiement, phé-
nomène que nous expliquerons ailleurs.
600 DES SENSATIONS CENTRALES
C. Instincts encéphaliques. Bien que combinés
plus ou moins intimement avec certains actes d'in-
telligence proprement dits , avec des actes d'instinct
vital et animal , il est d'autres phénomènes qu'on ne
saurait rapporter à aucun de ces trois genres , et qui
réclament , en conséquence , une théorie particu-
lière. Ainsi nous avons vu déjà que ni la disposition
des viscères, ni la conformation extérieure, n'expli-
quaient suffisamment pourquoi le lapin se creuse des
terriers ; et ce qui démontre aussi que ce n'est pas là
un phénomène de pure intelligence , c'est la persis-
tance de ce penchant à creuser la terre , même chez
les individus nés dans des prisons bien pavées. De
même un oiseau , une hirondelle par exemple , qui
n'a pu recevoir de sa mère aucune leçon sur l'art de
construire un nid de mortier, le bâtira pourtant de
la même façon , quoique ses organes extérieurs ne
soient pas absolument conformés de manière à la
guider dans cette opération. Où donc est le moteur
qui dirige ces manœuvres, sinon dans les centres
nerveux , dans l'encéphale ? Evidemment il y est
gravé dès la première origine de l'animal ; l'instinct
encéphalique est indubitablement inné; l'uniformité
des produits de ces travaux instinctifs pour tous les
individus de la même espèce, quoique totalement
isolés , le prouve suffisamment. Voyons s'il faut
absolument renoncer à s'en rendre raison , ou si l'on
ne peut pas , au contraire , en donner des explica-
tions plausibles.
Lors même qu'une conformation externe rend
raison des actes instinctifs , il faut bien supposer que
la structure de l'encéphale est en harmonie avec celle
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 501
des membres, comme tout l'est dans un corps vivant,
les ressorts étant nécessairement accommodés aux
rouages. Cette structure , cette disposition particu-
lière qui met l'encéphale dans le cas de produire des
influences constantes et déterminées , nous pouvons
nous en faire une idée , indépendamment de la confor-
mation extérieure. Assurément on est bien forcé de
l'admettre dans les cas où elle est tout individuelle ,
quand elle dépend de l'habitude , de l'éducation ,
quand il y a une aptitude acquise : certes cette apti-
tude , de même que tous les souvenirs profonds , est
gravée fortement dans l'encéphale , elle est devenue
organique. Nous avons vu que des jugements tout
formulés restaient ainsi empreints dans la mémoire ou
mieux dans l'encéphale , de façon à produire , dans
l'occasion , leur résultat ordinaire immédiatement
et sans nécessité d'une nouvelle ratiocmation. Eh
bien ! ces dispositions organiques , qui empêche de
les regarder comme transmissibles par hérédité (i) ?
Supposez ces jugements tout faits, imprimés dans
l'encéphale de tous les individus d'une même espèce;
passant , comme les formes extérieures , d'un individu
à un autre; devenus, par conséquent, spécifiques; et
vous aurez les instincts encéphaliques. La notion de
l'eau passe au jeune canard , comme la forme pal-
mée de ses pattes ; et ces deux conditions également
héréditaires lui ont bientôt appris , par leur réunion
simultanée , à suivre les errements de parents qu'il
(1) L'encéphale du clieval et son volume proporlionnel, son angle facial, elc. ,
le placeraient beaucoup au-dessous du rang que lui assignent sa docilité , son
intelligence réelle. Nous ne doutons pas que, dans nos individus domestiques,
cet avantage ne provienne d'une transmission héréditaire des dispositions, pro-
duites par Tcducalion.
•502 DES SENSATIONS CEiNTRALES
n'a pas même connus , quand l'œuf a été couvé par
une poule.
Faut-il prouver la possibilité de semblables trans-
missions ? Ne sait-on pas que , dans l'espèce bumaine ,
dans celle du cliien , les aptitudes , le caractère , les
pencliants se propagent par génération comme les
traits du visage , les formes , la taille, les couleurs?
Le génie des langues est, en partie , transmissible de
cette façon; j'en ai la preuve cbez mes enfants, qui
n'ont pu saisir les tournures et la prononciation du
patois méridional , quoique élevés par des nourrices
et soignés par des domestiques languedociennes.
Bon chien chasse de race , c'est un proverbe bien
connu et bien vrai, au figuré comme au propre.
La réalité du fait étant incontestable , remontons
maintenant à son origine. Ce que nous venons de
dire, en dernier lieu, prouve assez que cette spécia-
lité d'organisation peut être le résultat d'une expé-
rience acquise par les parents , confirmée et perfec-
tionnée de génération en génération par de nouvelles
expériences , en sorte que l'on peut dire, avec raison,
des animaux à instincts remarquables , qu'ils naissent
avec la science infuse. Voici d'autres faits qui met-
tront, selon nous, cette théorie hors de doute.
L'instinct des jeunes dindonneaux est, dit BufFon ,
d'aimer mieux à prendre leur nourriture dans la
main que de toute autre manière; assurément c'est
bien là un instinct factice. Toutes les fois que les
navigateurs ont pénétré dans des contrées nouvelles
et isolées , les oiseaux se laissaient approcher et
même saisir sans témoigner de crainte; mais bientôt,
avertis par le massacre de leurs compagnons , par
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 503
leurs propres blessures, ils ont appris à redouter
l'homme , à le fuir ; et cette crainte s'est naturelle-
ment transmise à leur postérité : de telle sorte que ,
dans ces pays comme dans les nôtres , sans avoir
jamais vu d'homme , un oiseau, tout jeune encore ,
est saisi de frayeur à son aspect. Les éléphants
d'Afrique ne redoutent nullement les nègres qui
n'ont pas su les réduire en servitude ; ceux d'Asie
vivent loin des lieux habités. C'est là le secret de
l'antipathie , de l'horreur des petits oiseaux pour la
chouette , le renard , les serpents ; de l'effroi stupé-
fiant qui les paralyse en présence de ceux-ci. De
même s'explique l'instinct de la conservation, la
crainte de la douleur imminente chez des animaux
trop peu pourvus d'intelligence pour pouvoir rai-
sonner un danger. C'est assurément de la même
manière aussi qu'on peut se rendre raison de l'hor-
reur qu'un de nos chiens témoigne à la vue, à
l'odeur seule du cadavre de son semblable , la pre-
mière fois qu'il en rencontre ; tandis que , au con-
traire , un chien de la Nouvelle-Zélande , reçu très-
jeune à bord du vaisseau de Cook, et n'ayant pu
manger encore ni chair humaine ni celle de ses
pareils , avait cependant si bien reçu par hérédité
ces habitudes , qu'il mangea les os d'un chien rôti ,
dévora un petit chien mort, et saisit avec avidité le
doigt qu'un matelot venait de s'abattre. L'aboiement
n'est pas , à ce qu'il paraît , naturel au chien ; car
les chiens redevenus sauvages perdent ce genre de
cri ; ceux de la Nouvelle-Hollande ne l'ont pas , et
il n'existait pas non plus chez ceux de l'Amérique
lors de la découverte de cette partie du monde : c'est
504 DES SENSATIONS CENTRALES
une habitude transmise d'individu à individu , puis-
qu'une louve élevée avec des chiens avait appris
à aboyer (Desmoulins), et que le chien de Waigiou ^
gardé par Quoy, avait aussi contracté ce talent en
compagnie d'une chienne européenne : cependant
nos chiens domestiques aboient, jappent, lors même
qu'ils ont été élevés dans le plus complet isolement,
comme tant de chiens d'appartement nous le prou-
vent. J'ai déjà cité un chat sourd et qui possède
tous les cris instinctifs de son espèce , et de plus
ceux qui semblent aussi tenir à quelques habitudes
sociales; il miaule, par exemple, pour se faire ouvrir
une porte. D'après Buffon, les serins venus directe-
ment des Canaries ne chantent pas; ceux du Tyrol
imitent le rossignol, et ceux d'Angleterre la farlouse,
parce que leurs parents ont appris le chant de ces
oiseaux , et l'ont transmis à leurs descendants , non
pas par éducation seulement , mais aussi par géné-
ration; car un serin chante fort bien sans avoir
entendu son père et quoiqu'on l'ait même séparé
fort jeune de sa mère. Cuvier dit que les rossignols
pris jeunes ne chantent pas bien , si on ne les met à
même d'entendre les sauvages; j'ai eu très-positive-
ment la preuve du contraire.
Je ne craindrai pas de fatiguer le lecteur en citant
de nouveaux exemples , car cette théorie me paraît
mériter, vu son importance , d'être appuyée sur une
masse de preuves aussi imposante que possible. Sans
avoir reçu aucune éducation, les chiens de Santa-Fé
n'attaquent jamais un cerf que par le ventre ; un chien
récemment venu d'Europe l'attaque de front, et sou-
vent est renversé mort sur la place avec les vertèbres
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 505
du COU luxées par la violence du choc (Roulin). Il en
est de même de la chasse du pécari : certains chiens ,
nés de parents exercés, savent, dès la première fois
qu'on les mène au hois , tenir en échec un troupeau
entier de ces pachydermes en tournant à Tentour;
tandis qu'un chien d'autre race se lance tout d'ahord,
est environné et dévoré en un instant, quelle que soit
sa force (^c^emy. Les chiens et les chevaux originaires
d'Europe ont appris à la longue , et savent aujour-
d'hui, dès leur premier âge , attirer le crocodile en
ahoyant ou hattant l'eau , et s'en aller prestement
hoire dans un autre endroit du fleuve (Humholdt).
Les mulets qui voyagent aujourd'hui dans les steppes
du Nouveau-Monde savent instinctivement se rafraî-
chir en dépouillant de ses longues épines, et coupant,
à l'aide de leurs pieds de devant, le cactus melocactus
rempli d'un suc abondant et frais fidemj. Leurs
ancêtres européens ne possédaient certainement pas
cet instinct né de circonstances toutes locales. N'est-
ce pas ainsi qu'a pris naissance , chez les rennes et
les chevaux sauvages , celui d'écarter la neige qui
couvre l'herbe ou la mousse ?
En adoptant cette manière d'interpréter les faits ,
on ne s'étonnera plus de cette grande finesse qu'ac-
quiert l'instinct chez certains animaux , puisqu'il
pourra être le résultat , la tradition mentale , de
nombreuses expériences accumulées d'une géné-
ration à l'autre et aidées de tous les secours de
l'instinct animal , seul capable de produire tant
d'ouvrages d'une excessive délicatesse en raison de
la ténuité, de l'heureuse conformation des instru-
ments dont il dispose. De là vient que l'homme ne
500 DES SENSATIONS CENTRALES
peut approcher de l'admirable perfection d'une foule
de produits dus à des animaux qui le lui cèdent
sous tant d'autres rapports. La multiplicité même
des opérations intellectuelles de l'homme rend, pour
lui , la transmission héréditaire impossible sinon
d'une manière très- restreinte et très -conf lise : la
limitation d'une industrie en facilite , au contraire ,
singulièrement le passage , des parents aux descen-
dants. On conçoit même que certaines prévisions
soient ainsi devenues instinctives : objet dominant de
l'attention des individus , en rapport avec les besoins
etla conformation de l'espèce, certaines observations,
se liant à certaines pratiques, ont pu se perfectionner
et donner leur cachet à l'encéphale de manière à
devenir transmissibles : telle serait, en particulier,
l'observation des changements météorologiques et
les prévisions qui s'y rattachent , relativement à la
migration des oiseaux de passage.
Les instincts encéphaliques sont d'ailleurs sus-
ceptibles de perfectionnement par un autre mode de
tradition, soit des pères aux enfants par l'éducation
dans chaque famille , soit des vieux individus aux
jeunes dans les associations grégeaires. C'est pour
cela que les espèces dont l'industrie est la plus
admirable sont celles qui vivent en république , les
castors , les abeilles, les fourmis; que les oiseaux de
passage qui voyagent en troupe , savent se disposer
en ligne droite , en chevron , en cercle pour mieux
rompre le vent ou résister à l'oiseau de proie : de là
encore la précaution de poser des sentinelles pour
veiller à la sûreté commune (singes, marmotte, grue,
flammant , etc. ). L'intelligence proprement dite est
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 507
ici mise en commun et se confond avec riustinct.
C'est, au reste, ce qui ne saurait manquer d'arriver,
même pour les espèces qui vivent individuellement
isolées, l'instinct encéphalique siégeant dans l'organe
même de l'intelligence. Beaucoup d'actes assurément
raisonnes se remarquent dans la conduite habituelle
ou accidentelle des fourmis ; on connaît leurs pro-
visions de graines disposées dans de larges galeries
superposées par étages ; là le grain se trouve nu ,
la balle a été laissée à la porte, comme inutile et
gênante à voiturer dans d'étroits boyaux. Deux partis
de fourmis se disputaient , sous mes yeux , un ver-
misseau, et le tiraient en sens contraire ; une d'elles
se détacha, saisit par derrière une de ses antago-
nistes, et ne pouvant lui faire lâcher la proie en
litige , la ramena, bon gré mal gré , dans une direc-
tion opposée à celle selon laquelle elle tirait d'abord,
neutralisant ainsi tout d'un coup sa résistance. J'ai
suivi la manœuvre d'un couple de gymnopleurus j
sorte de bousier, roulant une boule de fiente pour
aller l'enterrer au loin ; le mâle dirigeait les évolu-
tions, poussant à reculons la boule avec ses longues
pattes postérieures , tandis que la femelle , reculant
aussi, la tirait à elle avec les pattes de devant. Le
terrain paraissant favorable , le mâle s'y enfonça ,
laissant le précieux dépôt à la garde de la femelle
qui l'attendait immobile ; bientôt il sortit, la femelle
s'enfonça un instant , reparut aussitôt , et tous deux
recommencèrent leur voyage : une pierre assez volu-
mineuse se trouvait à peu de distance de la surface
du sol , et les avait forcés de chercher un lieu plus
favorable à leur dessein. N'y a-t-il pas là mélange des
508 DES SENSATIONS CENTRALES
trois sortes d'instinct et actes d'intelligeoce , commu-
nication même de pensées? Illiger rapporte qu'un de
ces coléoptères ayant laissé tomber sa boule dans un
trou, alla réclamer, au fumier voisin, l'aide de trois
camarades qui l'aidèrent à la relever. Les araignées
ne savent-elles pas disposer diversement leur toile
selon les localités ? Un oiseau n'accommode-t-il pas
la fabrication de son nid aux circonstances , tant en
ce qui concerne les matériaux que la forme ? Des
chenilles qui , instinctivement, bâtiraient leur cocon
dans des feuilles, le fileront, en cas de nécessité ,
entre des lambeaux de papiers. J'ai vu faire la même
chose à une araignée ( micrommate ) qui se sert
ordinairement des trois folioles de la ronce cousues
bord à bord , mais qui , au besoin , sait aussi rouler
en cornet les feuilles de verbascum ou de rumex.
Celle-ci fait plus ; le cocon dans lequel elle est
enfermée avec ses œufs ayant été détaché du buisson
avec les feuilles qui l'entourent , elle sort pendant
la nuit de cette demeure trop peu stable , et la fixe,
de toutes parts , au moyen de cordages attachés à
tous les objets d'alentour. La clubione nourrice en
fait autant : l'une et l'autre rentre ensuite dans sa
retraite et en recoud l'ouverture.
Non-seulement le raisonnement se mélange souvent
à l'instinct , mais il finit par le remplacer tout-à-fait
et remplacer même l'instinct vital chez les mammi-
fères et chez l'homme en particulier ; jugeons- en
seulement par la diff*érence des manifestations aux
différents âges. De ces actes instinctifs de préhension ,
de succion qui constituaient l'alimentation de l'enfant
nouveau-né , que reste-t-il à l'adulte? la spontanéité
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 509
de la déglutition des aliments arrivés dans le pharynx.
De ses vagissements continuels et spontanés , il ne
reste que quelques cris involontaires dans la surprise
et la douleur, ou les sanglots d'un violent chagrin :
ce qui seul a subsisté en entier, c'est la toux , l'éter-
nuement, le bâillement. On voit , de même, le
piaulement des poulets , le sifflement des pigeon-
neaux, celui du canneton, le croassement du jeune
rossignol, le miaulement des jeunes chiens , faire
place à une voix toute différente et plus directement
placée sous l'empire de l'intellect.
De ces modifications, de ces combinaisons doivent
souvent résulter des incertitudes dans la détermi-
nation des attributions de chaque élément; aussi
a-t-on fréquemment rapporté surtout à l'instinct
encéphalique des phénomènes tout intellectuels , et
l'on a eu beau jeu pour s'extasier alors sur la singu-
larité des faits. Ainsi, quand on a paru surpris que
le cheval et le chien d'Europe éprouvassent un trem-
blement qui leur ôtait toute force , tout moyen de
fuir , montrant d'ailleurs tous les autres symptômes
d'une vive frayeur , lorsqu'ils entendaient pour la
première fois le rugissement du lion, on a oublié
que ce cri terrible produit le même effet sur l'homme
comme tout bruit retentissant , surtout dans le silence
des bois et les ténèbres de la nuit; le tonnerre ne
produit il pas de pareilles impressions sur une foule
d'animaux domestiques ?
Il y a tel cas , au contraire , où l'on pourrait
croire à des actes d'intelligence comparable à celle
de l'homme , là où il n'y a pourtant qu'une aveugle
déviation de l'instinct ; ainsi , on a accusé de malice
510 DKS SENSATIONS CENTRALES
et de vols prémédités certains oiseaux , les corbeaux ,
les pies, qui ayant, comme beaucoup d'autres ani-
maux (cbien , loup , couguar , renard ) , Tinstinct de
cacher les restes de leur nourriture , en font autant
de tous les objets qui piquent leur curiosité dans
l'état domestique. En effet, il n'est pas toujours bien
difficile de donner le change à l'instinct , malgré ce
qu'on a dit de la perspicacité , de l'espèce de divi-
nation qui l'accompagne ; et remarquez que cela est
vrai surtout de l'instinct vital , le plus mystérieux de
tous , celui qui donnerait à supposer plus aisément
des sympathies occultes et comme surnaturelles.
L'agneau , l'enfant nouveau-né sucent le doigt porté
dans leur bouche : un œuf de craie suffit pour
décider une poule à pondre et à couver. J'ai trompé
non moins lourdement une de ces araignées qui
portent leurs œufs avec elles dans une coque de soie;
une boule de coton, substituée à celle-ci, devint
l'objet de ses soins affectueux: une chenille, dont
le corps vient d'être déchiré par des larves d'ichneu-
mon , s'éprend pour elles d'une affection toute mater-
nelle , et vient tendrement revêtir de ses fils les
cocons dans lesquels se sont abrités les parasites, et
près desquels elle meurt épuisée.
Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent de
l'instinct cérébral , pouvait seul nous donner la clef
de ce qui se passe dans certains cas de déterminations
non moins aveugles mais bien plus complexes , dans
certains actes d'industrie merveilleuse où l'éduca-
tion , l'expérience même des ascendants ne peut plus
être invoquée. Quand nous voyons, par exemple,
chaque individu dans les espèces du genre sphex,
ÉTUDIÉES EN ELLES-MEMES. 511
de l'abeille percebois , de la maçonae , de la cou-
peuse de feuilles , né d'une larve qui n'a jamais vu
manœuvrer sa mère , trouver néanmoins , à son
tour, les matériaux nécessaires à ses constructions ,
creuser, fabriquer une habitation à sa géniture à
venir, y colloquer, avec chaque œuf, la nourriture
nécessaire au développement complet de la larve et
sans varier jamais dans le choix des victimes qu'il
lui dévoue (pour les sphex); quand on songe à la
prévision du papillon, qui va déposer ses œufs sur le
végétal propre à nourrir sa chenille et dont lui-
même ne fait plus aucun cas ; quand on examine
ces coques ingénieuses , ces étuis ou fourreaux dont
Réaumur s'est complu à nous décrire les construc-
tions diverses, et dont quelques-unes surtout offrent
une issue facile , ménagée à l'avance , au papillon ,
ou au névroptère (frigane) qui doit en sortir, tandis
qu'elles s'opposent à l'introduction de tout hôte
dangereux ; on peut bien , sans doute , rapporter
une partie de ces faits à l'instinct vital comme le
besoin de pondre, une partie à l'instinct animal
comme l'aptitude à couper , à percer , à filer ; mais,
pour Vesprtt qui a présidé à ces ouvrages , il faut
supposer quelque chose de plus; c'est une aptitude
encéphalique bien certainement innée , et qui plus
est , primordiale , en ce sens qu'elle n'a pu com-
mencer qu'avec l'espèce, et remonte en conséquence
jusqu'à sa création.
C'est là ce que Cuvier concevait obscurément
comme un patron intellectuel , une sorte de fantôme
perpétuellement présent à l'imagination de ces ani-
maux; ce n'est, en réalité, qu'une disposition orga-
512 DES SENSATIONS CENTRALES, ETC.
nique particulière de Tencépliale. Mais cette explica-
tion n'en rend pas le fait moins admirable et moins
concluant en faveur de l'existence d'une intelligence
créatrice. N'est-ce pas, en effet, une des preuves
les plus frappantes de la sagesse qui a tout dispensé
dans l'univers , que de voir des espèces trop faibles
et trop peu raisonnables pour se conserver par elles-
mêmes, être préservées d'une destruction inévitable
par le don de quelques prérogatives toutes spéciales,
toutes restreintes au seul but de leur conservation,
et portant néanmoins le cachet d'une méditation
profonde, d'une appréciation lumineuse des effets
et des causes. Cette réflexion importante ne saurait,
je l'espère, paraître ici déplacée; je l'ai puisée dans
une conversation des plus instructives avec l'un des
premiers savants de notre époque , un de nos aca-
démiciens les plus laborieux et les plus éclairés,
W. F. Edwards.
FIN DU TOMK PREMIER.
EXPLICATION DES FIGURES
DU TOME PREMIER.
PLANCHE I^e. _ GÉNÉRALITÉS.
1. Squelette d'un mammifère {^plioca vitulina) ^ vu de
profil : c céphale ou tête ; d dère ou cou ; m i myothorax ;
s t splanchnolhorax ; s g splanchnogastre; m g myogastre ;
q cerque ou queue.
2. Un crustacé (peneus i>iUosus , Guérin); c t céphalo-
thorax; g gastre; d 3^ pied- mâchoire et espace où sont
cachés les deux premiers. Ces lettres et les autres ont la
même signification que dans la figure précédente.
5. Coupe horizontale du thorax de l'homme : v vertèbre ;
s sternum ; c cœur ; d tube digestif; r organes respiratoires ,
poumons; c' côtes; o coupe des omoplates.
4. Coupe du thorax de l'écrevisse {d'ap. nat.) : v ver-
tèbre ; c cœur ; s sternum Ou carapace ; d tube digestif;
r organes respiratoires , branchies ; c' côtes ; o ouvertures
pour l'insertion des pattes.
^. Centres nerveux d'une astérie.
6. Centres nerveux d'un limaçon.
7. Une partie des centres nerveux d'un crustacé à qua-
torze pattes ( lalilre).
33
514 EXPLICATION DES FIGURES
8. Centres nerveux d'un cruslacé à dix patles (palémon).
9, Centres nerveux d'un poisson (cyprin).
PLANCHE II. — TOUCHER, goût, odorat.
10. Coupe d'une portion de peau humaine à un gros=-
sisseKient considérable, d'après lirescbet : a chorion; b
papilles; c nerfs qui s'y rendent; d épiderme.
11. Coupe d'une papille cutanée de baleine très-grossie ,
pour faire voir la terminaison présumée en anse de ses
filets nerveux.
12. Langue tactile d'une couleuvre tirée hors de la
bouche {nat.^ : a bord libre de la mâchoire inférieure; b os
sous-maxillaire ; c larynx et glotte situés derrière l'ouver-
ture de la gaine linguale,
15. Langue de lézard ocellé vue en-dessous {nat,) :
a pointes tactiles ; b papilles lamelleuses ; c partie adhé-
rente ; d trachée-artère.
14. Extrémité de la langue du caméléon {nat.) : a lan-
guette libre , tactile et préhensile ; b partie papillée et
gustative , adhérente.
15. Langue du coq vue en-dessous (wa/.) : a plaque épi-
dermique et tactile ; b papilles en forme de dents; c partie
adhérente.
16. Langue du merle vue en-dessus (tzûi^.): a partie épider-
mique et tactile ; b partie papillée , crypteuse , gustative ;
c glotte bordée de papilles en forme de dents.
17. Langue charnue, lisse, d'un perroquet amazone,
tactile , préhensile ? vue en-dessus {nat.\
18. Langue du canard vue en-dessus, demi-grandeur
DU TOME PREMIER. 515
naturelle {nai.) : a bout épidermîque et tactile ; l> partie
revêtue de soies ou papilles sétiformes transversales ;
c partie crypteuse bordée de sept dents cornées et de
soies roides ; J partie charnue, gustative ; e papilles en
fornne de dents; y larynx.
19. Coupe de différentes papilles de la langue humaine
très-grossies {nai.) : a a papilles coniques et cylindriques ;
h papilles fongueuses ; c papilles à calice.
20. Paroi externe des fosses nasales de l'homme , demi-
grandeur naturelle : a cornet inférieur; l cornet moyen ;
c cornet supérieur ; J sinus frontal ; e sinus sphénoïdal ;
/ canal incisif ou naso-palalin ; g orifice de la trompe
d'Eustache; h nerf olfactif dont les rameaux traversent la
Jame criblée ; i ganglion de Meckel provenant de la cin-
quième paire ; j rameau nasal venant de la cinquième
paire ; k rameau naso-palatin venant du ganglion de Meckel
le long de la cloison ici enlevée.
21. Le fond de la narine d'une carpe mis à découvert,
22. Narine pédiculée de la baudroie.
25. Les deux premiers articles de l'antenne intermédiaire
de l'écrevisse , très-grossis (««/.) ; a cavité olfactive natu-
rellement ouverte à la face supérieure du premier article,
24. Même antenne vue par-dessous {nat^ : a l'organe
olfactif mis à découvert par l'ablation d'une partie des
téguments crustacés ; b h deuxième et troisième articles
basilaires ; ce partie tentaculaire ou tactile ; dd parties
membraneuses,
25. Une des soies composées qui grillent l'ouverture de
l'organe olfactif (jiat.),
26. Antenne de la mouche bleue très-grossie {nat.) i
a partie olfactive ; b partie tactile.
27. Bout (le l'antenne de Fatropos («a/.) : «houppes ou
516 EXPLICATION DES FIGURES
coquilles de poils vues de face ; a les mêmes de profil sur
l'autre face; h partie tactile.
28. Portion de l'antenne du saiurnia pavonia mâle , très-
grossie {naL),
29. Antenne du hanneton foulon mâle, grandeur natu-
relle {naQ*
50. Une partie d'un des feuillets très-grossie {nai.).
51. Le bout de Vanlenne au ceraml/yj[} héros, triplé, pour
en faire voir le velouté {nat,).
PLANCHE IIL — OUÏE.
52. Appareil auditif de l'homme vu par-devant : « pa-
villon; 6 conque ; c conduit; d d circonscription ponctuée
de la caisse du tympan ; d' situation de l'ouverture des
cellules mastoïdiennes ; e trompe d'Eustache ; /"cadre et
membrane du tympan ; g chaîne des osselets , l'enclume en
partie cachée par le marteau ; h partie vestibulaire du
Jabyrinlhe hij, dont i'étrier ferme l'ouverture ou fenêtre
ovale ; î canaux demi-circulaires ; j limaçon.
55. Parties membraneuses du labyrinthe de l'homme
très-grossies : a canaux ; b ampoule antérieure; ^'ampoule
externe ; c ampoule postérieure ; d sinus médian ; e sac
vestibulaire, représentant selon Breschet le sac principal
des poissons , analogue selon nous à leur utricule;yiame
cartilagineuse ou bandelette molle de la cloison du limaçon.
54. Labyrinthe osseux du chat: a canaux; h limaçon;
c fenêtre ronde ou cochléenne ; d fenêtre ovale ou vesti-
bulaire.
DU TOME PREMIER, 51 7
55. Labyrinthe du lièvre : a canaux ; h limaçon ; c petite
caverne qui conduit à la fenêtre ronde; J fenêtre ovale.
56. Osselets et muscle de la poule, figure grossie d'après
Scarpa : a élrier ; h ligament; c enclume cartilagineuse avec
ses apophyses étendues dans la membrane du tympan ; d
muscle.
57. Labyrinthe de l'oie {nai^ : a cariaux ; h limaçon ;
c fenêlre cochléenne ; d fenêlre vestibulaire.
58. Parties intérieures du limaçon des oiseaux: a ellipse
cartilagineuse; h élargissement répondant à un renflement
du sac ; c nerf,
59. Limaçon du lézard vert , d'après W^indischmann :
a cercle cartilagineux; h ampoule; c nerf.
40. Osselels de la grenouille verte très-grossis {nat^ :
a opercule ou ad-stapéal; h étrier; c enclume.
41. L'enclume vue de face , entourée de la membrane
du tympan {nat^.
43. Plaque du limaçon rudimentaire des batraciens (/?âfif.).
45. Labyrinthe de la baudroie , d'après Breschet :
a canaux ; h ampoule antérieure ; ^' ampoule externe ;
c ampoule postérieure ; d sinus médian; e sac ; é otolilhe
ou pierre du sac ; y cysticule contenant une petite pierre ;
g utricule avec sa pierre. Le sac et son cysticule nous
paraissent l'analogue du limaçon des mammifères.
44. Ololithe du sac du merlus , grandeur naturelle {nai\).
43. Antenne externe d'une écrevisse, vue en-dessous,
très-grossie {nat\) : a commencement de la partie tactile ;
h partie auditive , portant le vestibule avec sa fenêlre
membraneuse.
46. Organe auditif d'une langouste très-grossi («a/.) :
a membrane vestibulaire : h la fente ou boutonnière que
suit un petit cul-de-sac.
518 EXPLICATION DES FIGURES
47. Cavilé auditive de la seiche ; coupe : a le nerf.
48. Goncrélion calcaire contenue dans le sac de cette
oreille.
PLxVNCHE IV. — VUE.
49. Rayonnement d'un corps lumineux:
A Surface polie et transparente, plane, réfléchissant
et réfractant les rayons en quantité proportionnelle à leur
obliquité ; A' portion réservée pour l'observation d'un
seul faisceau a, dont une partie h est réfractée, et l'autre
partie c réfléchie ; d perpendiculaire servant à mesurer
les angles de réfraction, de réflexion et d'incidence.
B Coupe d'une lentille transparente réunissant en foyer
e les faisceaux parallèles y, et en un autre foyer g les
rayons divergents /?,
C Surface opaque et dépolie, montrant comment ses
aspérités réfléchissent en tous sens les rayons d'émission ;
toujours pourtant sous des angles égaux à ceux d'incidence.
D Coupe d'un prisme décomposant un faisceau lumi-
neux en sept rayons colorés: / rayon rouge ; j rayon violet.
50. Mécanisme général de la vision chez l'homme : celte
figure est parlante.
^1. Muscles de l'œil chez l'homme, figure réduite à
moitié: a sourcil; b paupière supérieure; c paupière infé-
rieure; d cils; e pli de la conjonctive; /"cornée , à travers
laquelle on voit l'iris; g globe de l'œil portant une portion
du muscle droit externe coupé; h nerf optiquej<avec l'autre
exlrémilé du même muscle ; au-dessus est le muscle droit
interne ; i droit inférieur;/ trois muscles qui sont, de bas
DU TOME PREMIER, 519
en haut, le droit supérieur, le releveur de la paupière,
l'oblique inlerne ou supérieur ; k l'oblique externe ou
inférieur,
52. Le globe de l'œil vu de face avec ses deux muscles
obliques, dont deux flèches indiquent le mouvement rota-
teur,— Pour l'oblique supérieur on n'a figuré que la portion
ultérieure à sa poulie de renvoi.
55, Coupe horizontale de l'œil humain, grandeur natu-
relle; toutes les parties en situation naturelle et avec leurs
dimensions et courbures normales {nai.). — Trois lignes
ponctuées montrent que la profondeur diminue graduelle-
ment du centre à la circonférence. Ces lignes traversent
successivement la cornée , la chambre antérieure , la
pupille , le petit espace de la chambre postérieure , le
cristallin , le vitré, et tombent sur la rétine qui touche à la
choroïde, comme celle-ci à la sclérotique.
54, Profil très-réduit d'un œil de ruminant («a/.), pour
faire voir la courbe de la cornée , et les trois axes distincts :
aaxe apparent ou géométrique ; // axe optique ou physique ;
c axe visuel ou sensilif.
55. Coupe d'un œil d'oiseau Çnaf.) : a le peigne ; ù écailles
osseuses delà sclérotique. — Deux lignes ponctuées montrent
l'égalité de profondeur en tous sens , à peu de chose près,
56. Il en est de même ici de l'œil de poisson {hai.). Un
corps charnu, épais, sépare la sclérotique de la choroïde.
57, Portion grossie d'une coupe des membranes de l'œil
du bœuf (/2û/.) : a conjonctive; If sclérotique; c cornée;
d préaqueuse ; e corps ou cercle ciliaire ; f choroïde ;
g' ruyschienne; h procès ciliaires ; i un des plis de l'uvée ;
y feuillet iitérieur de l'iris ; k espace à coupe triangulaire
se continuant entre les deux lames de l'iris et contenant
aussi >h'-tJl}>i-^'!£5 contractiles.
520 EXPLICATION DES FIGURES
o3. Fibrilles radiées et circulaires de l'iris.
o9. Fibrilles Irès-grossies de l'iris et du cristallin.
60. Représenlaliondu mécanisme de la chambre obscure
qui ne saurait produire que des images renversées ; pour
donner une idée des usages de l'iris,
61. a Lentille avec un diaphragme h qui intercepte les
rayons externes , et permet aux autres d'opérer leur réunion
au foyer principal//) ; en c est figuré , par un trait ponctué ,
un corps opaque qui, masquant la région centrale delà
lentille , ne laisserait passer que les rayons externes, dont
le foyer est en/: sans l'un ou sans l'autre de ces deux obsta-
cles, il y aurait aberration de sphéricité.
62. Figure du cristallin de l'homme, dimensions doubles;
pour faire voir l'arrangement de ses fibrilles.
65. Courbe idéale, représentant celle de la cornée, pour
montrer qu'un faisceau a rapproché de la perpendiculaire
p traverse la pupille ; tandis que, si la courbure était sphé-
rique comme celle du trait intérieur, le même faisceau a'
tomberait sur l'iris.
64. Lentille recevant un pinceau oblique ; réfraction
inégale , aberration de sphéricité.
65. Cristallin de l'homme montrant comment l'obliquité
d'un pinceau lumineux n'entraîne pas, pour lui, aberra-
tion ; à cause de l'ellipticité de ses courbures.
66. Comment l'iris prévient l'aberration par divergences
inégales.
67. Comment la courbe de la cornée corrige, à cet
égard, les effets de celle du cristallin.
68. Figure idéale d'une coupe du cristallin , pour en
montrer les couches de plus en plus courbes — pour la
théorie de Pouillet.
DU TOME PREMIER. 52 l
PLANCHE V. -— SUITE de la vue.
69. L'œil de la taupe uq peu grossi, les poUs écarlés à
son pourtour (^nui.).
70. Le globe vu de profil , très-grossi (nat.),
71. Le même vu par-devapt, montrant l'iris et la pu-
pille {nat^,
72. Partie antérieure de la base du crâne d'une taupe ,
grossie au double (jiat.) : a fosses elhmoïdales ; b sphénoïde
antérieur ; c c trous optiques un peu plus que doublés en
grandeur.
73. Origine des nerfs optiques chez l'écureuil , vue par
la face supérieure de la moelle allongée {nut^ : a couches
optiques ; d commissure de la glande pinéale ; c gros
faisceaux naissant des tubercules quadrijumeaux antérieurs
(lobes optiques), et se contournant sur les couches
optiques ; d d commencement du nerf proprement dit ;
ee tubercules postérieurs avec le faisceau qui en part et
qui offre un deuxième renflement.
74. Origine et décussalion dans la morue ; encéphale
vu en-dessous : a lobe cérébral ; h lobe optique ou tuber-
cule quadrijumeau antérieur et supérieur j c tubercule
quadrijumeau inférieur et postérieur ; d nerfs croisés ; e
corps piluitaire ; /moelle épinière.
73. Décussalion fasciculaire du nerf optique chez
l'homme: a commissure ou arcade ; h portion croisée; c
portion directe.
76, Décussation dans une couleuvre {nai.),
77. Rétine de l'homnie, enveloppant le corps vitré (««/.):
a fibres concentriques formant le p!i qui va à la lâche jaune ;
522 EXPLICATION DF.S FIGURES
a point central de celle tache; h couronne des languettes
rélinales qui vont au cristallin , et dont les intervalles
laissent couler Thunicur aqueuse. Ces objets ont été un
peu forces dans la figure pour les rendre plus visibles.
78. Coupe de la rétine pour en montrer les épaisseurs.
79. Coupe de l'œil du calmar commun {nai.): a portion
de la sclérotique qui double la choroïde pour former l'iris ;
«'sclérotique isolée ; h choroïde formant Firis et l'enveloppe
immédiate du globe ; c ruyschienne formant les procès
ciliaires appliqués sur le cristallin ; d les procès de la mem-
brane vitrée ; e cette membrane enveloppant le corps vitré
liquide; entre elle et la ri^yschienne est la rétine, c'est-à-
dire la troisième des membranes superposées au fond de
l'œil, toutes nécessairement plus épaisses ici que dans la
nature ; y^ portion postérieure du cristallin, séparée de la
portion antérieure^ par une production des procès ciliai-
res ; // ganglion du nerf optique émettant des filets croisés ;
/ le nerf comme greffé sur ce ganglion ; j corps graisseux
flottant.
80. Coupe d'une portion des parois du globe de cet œil ,
Irès-grossie : a membrane du vilré ; h rétine composée de
filaments verticaux ; c ruyschienne pénétrée par les houppes
nerveuses qui font corps avec elle ; d choroïde traversée
par les filets non décomposés.
81. Extrémité du tentacule supérieur d'un limaçon : a
partie tactile ; «' nerf commun ; 1/ le globe de l'œil avec son
nerf optique. (D'après Millier.)
82. Les yeux de la mygale maçonne grossis , pour faire
voir leurs différences de direction {naf,).
85. Un stemmate de cigale très-grossi («a/.) : a coupe
de la cornée qui fait suite aux téguments et couvre le cris-
tallin ; b corps vilré entourant le cristallin et entouré lui-
DU TOME PREMIER. 523
même (l'une couche de pigment; c les nerfs des trois ocelles
réunis dans une nie me gaine.
84. Coupe d'un œi! composé de langouste, grandeur natu-
relle («a/.): «cornée faisant suite aux téguments crustacés «';
la zone b est formée de corps vitrés suivis de filets nerveux
constituant une rétine décomposée , analogue à celle des
céphalopodes; c zone formée par un ganglion semblable à
celui de ces mollusques; c? renflement du nerf optique greffé
sur ce ganglion.
8^. Un corps vitré avec son filet nerveux , d'après un
coléoptère.
80. Portion de la cornée d'un œil composé, revêtue
encore du pigment choroïdien, qui offre un trou au centre
de chaque facette ou cornéule (/?«/.).
87. D'après la chenille (zzo/.) : a cerveau ; h stemmates
au nombre de sept recevant chacun un nerf; c collier
œsophagien ; J premier ganglion sous-œsophagien.
88. Mêmes parties d'après lachrysalide(7ïa^):fl cerveau;
h tubercules formés par la rétraction des nerfs et ocelles
de la chenille , qui déjà se sont multipliés davantage ; d
ganglion formé par la réunion des deux premiers sous-œso-
phagiens de la chenille.
89. Mêmes parties chez le papillon avec les deux yeux
composes, arrivés à leur étal parfait (jiat.^.
90. Portion Irès-grossiede l'œil composé d'une libellule,
pour montrer le mécanisme de la vision : a cornée ; ^ zone
de pigment perforée; c zones des corps vitrés; c? zone des
filets nerveux; e ganglion coiffant le nerf optique \fffh\s-
ceaux qui peuvent pénétrer jusqu'au fond de chaque ocelle ,
pour constituer une image directe sur l'ensemble des fila-
ments émanés du ganglion optique; g g faisceaux perdus à
cause de leur obliquité.
624 EXPLICATION DES FIGURES
91. Coupe d'une cornéule a et d'un vitré b\ pour faire
voir coniinenl un pinceau d, réfracté et rendu trop con-
vergent par la première, diminue sa convergence dans le
deuxième, de manière à porter son sommet sur l'insertion
du filet nerveux c.
■-Tî€<ni
PLANCHE VI. SENSATIONS CENTRALES.
92. Un des ganglions de la chaîne nerveuse d'une che-
nille, très-grossi (jiat.') : on y distingue les deux noyaux
pulpeux, jaunâtres, confondus en un seul et entourés de
substance fibreuse , blanche , comme celle des cordons et
des nerfs.
95. Mante religieuse dans le corps de laquelle un trait
ponctué figure le système nerveux: a ganglion du protodère
ou prolhorax; b celui du deulodère ou mésothorax; c le
sus et le sous-œsophagien de la tête.
94. Quatrième, cinquième et sixième ganglions de la
chenille {nat,\
9o. Ces trois ganglions soudés dans le papillon {naf.) ;
d'après le grand paon de nuit.
96. Tête osseuse d'écureuil ,réduiteàmoilié(72«/.): i ver-
tèbre nasale ou elhmoïdale ; 2. vertèbre oculaire ou prolo-
sphénale ; 3 auditive ou deulo-sphénale ; 4 gustative ou
occipitale, La ligne A B donne une idée de l'acuité de
l'angle facial.
97. Encéphale de l'anguille : a moelle épinière; b cer-
velet ; c lobes optiques ; d lobes cérébraux ; e lobes olfactifs
étranglés.
98. Encéphale du lézard ocellé , un peu plus grand que
nature (««/.) ; même valeur des lettres,
DU TOME PREMIER. 525
99. Encéphale du pigeon ; mêmes désignations.
100. Encéphale de la taupe , plus que doublé : a moelle :
b lobe médian du cervelet ou vermîs ; c lobes ou hémi-
sphères latéraux ; d lobes cérébraux ; e lobes ou nerfs
olfactifs.
101. Coupe du crâne et de la face d'une tête humaine
contenant encore le cerveau, le cervelet et le commence-
ment de la moelle épinière : A B , CD angle facial ; E E ,
F F aire de la face agrandie un peu par un léger abaisse-
ment de la mâchoire inférieure; E E , G G aire du crâne.
102. Fragment très-grossi de la chaîne ganglionnaire
du lombric presque transformée en moelle épinière {nai.').
103. Portion de la moelle épinière d'un lézard , très-
grossie (nat.) ^ vue en-dessus : c faisceaux ou cordons sur-
spinaux ; s racines sur-spinales; / racines sous-spinales;
n cordon ou nerf spinal.
104. Coupe transversale de la même; mêmes désigna-
lions.
103. Coupe de la moelle d'une grenouille verte {nat.) :
au milieu est la substance grise.
106. Coupe de la moelle de l'homme : /sillon antérieur;
s sillon postérieur; a racines antérieures; p racines posté-
rieures ; g ganglion de ces dernières.
107. Ventricule lombaire , dit rhomboïdal , des oiseaux.
108. Figure idéale , donnant une idée de la marche des
principaux faisceaux fibreux dans l'encéphale des mammi-
fères : a faisceau sous-spinal ; b le même après la décussa-
tion ijîg' log); c le même s'élargissant après avoir traversé
la protubérance annulaire , et arrivant jusque dans le corps
strié d et la couche optique e ; y faisceau olivaire;^ le
même , après avoir traversé le corps festonné de l'olive,
allant en partie aux tubercules quadrijumeaux h i et à la
,526 EXPLICATION DES FIGURES, ETC.
couche optique; y faisceau sur-spinal allant au corps fes-
tonné du cervelet A', d'où part le processus / qui va aux .
tubercules quadrijumeaux ; m protubérance annulaire ,
formée par un faisceau parti du cervelet; n nerf optique.
109. Figure idéale pour faire comprendre les croise-
ments qui s'opèrent dans les faisceaux de l'encéphale des
mammifères: a a faisceaux sous-spinaux entrecroisés au
sommet des pyramides h b' , dont les fibres traversent la
protubérance annulaire f f pour se rendre aux couches
optiques o \ c c' faisceaux olivaires; dd' les mêmes, après
les olives, remontant en-dehors des couches optiques et
des corps striés pour se rendre au corps calleux x \ e e' les
mêmes faisceaux qui, après s'être croisés dans le corps
calleux, se relèvent dans les hémisphères cérébraux;//
fibres de la protubérance annulaire entrecroisées sur la ligne
médiane.
ri\ riE l'explicatiox des plaxches i>i' tome premier.
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Aaclor d^i.
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Touclier, Goût, Odorat
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