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Full text of "Traité de physiologie comparée de l'homme et des animaux"

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PHYSIOLOGIE  COMPARÉE. 


Ouvrages  du  méssic  Auteur. 


MEMOIRE  SUR  Lk  CONFORMITE  ORGANIQUE  DANS  L'ECHELLE 
ANIMALE.  -  In-It"  fijj.  Montpellier,  1832. 

RECHERCHES  SUR  L'OSTEOLOGIE  ET  LA  MYOLOGIE  DES  BATRA- 
CIENS,  A  LEURS  DIFFÉRENTS  AGES.  —  Ouvrage  couronné  par 
l'Académie  royale  des  sciences,  in-^t"  lig.  Paris,  4854. 

ESSAI  PHYSIOLOGICO -PATHOLOGIQUE  SUP^  LA  NATURE  DE  LA 
FIÈVRE,  DE  L'INFLA^MMATION  ET  DES  PRINCIPALES  NEVROSES. 

—  2  vol.  in-S°.  Paris,  1823. 

MANUEL  D'OBSTÉTPiIQUE ,  OU  TRAITE  DE  LA  SCIENCE  ET  DE 
L'ART  DES  ACCOUCHEMENTS.    -  2*=  édit. ,  in-18,  fig.  Paris,  1830. 

TRAITÉ  PRATIQUE  DES  MALADIES  DE  L'UTÉRUS  ET  DE  SES  AN- 
NEXES. (Conjoinlement  avec  M™*  BoiyiN.  )  —  2  volumes  in-8",  atlas 
colorié.   Paris,  1835. 

PRATIQUE  DES  ACCOUCHEMENTS,  OU  MÉMOIRES  ET  OBSERVA- 
TIONS CHOISIES  SUPv  LES  POINTS  LES  PLUS  IMPORTANTS  DE 
L'Art,  par  M"^  Lachapelle  ;  rédigée  et  publiée  par  Akt.  DdgÈs  ,  son 
neveu,    —  5  vol.  in-8°.  Paris,  1821,  1823. 

ÉLOGE  DE  MÉJAN  ,  POUTINGON,  MONTABRÉ  ET  PAGES.  -  In-8°. 

Montpellier,   1836. 


BIONTP£I.t,IEIi  5    J.    MARTEL  AIXE  ,  IMPROIECR  DE  LA  FACCLTÉ   DE    MÉDSCI\£  . 

RUE  DE  LA  pnÉrr.cTunE ,  lo. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/traitdephysiol01dug 


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J^iuven-S    c(?i_ 


■  M/n-tmufL-  l.itJi-' 


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TRAITÉ 


DE 


PHYSIOLOGl 

COMPARÉE 

DE  L'HOMME  ET  DES  ANIMAUX, 

PAR    AIVT.    DUGÈS9 

PKOFESSEtR   A    LA   FACILTÉ   DE    !»lÉl)ECI\E    DE   MO^TPELHEH  , 

MEMBRE     CORRESPOXDANT     DE     L'aCADÉMIE     ROYALE    DES      SCIEXCES     DE     PARIS 
ET  DE   CELLE    DE    BERLIN  , 

DE   l'académie    royale    DE    MÉDECIXE  .     KTC. 

A^ec  planclies  litliograplftîéefs. 


TOME    PREMIER. 


MONTPELLIER, 

CHEZ  LOUIS  CASTEL,    LIBRAIRE-ÉdITEUR,  GRAND' RUE ,  32. 

&ERMER  BAILLIÈRE.      1     CROCHARD  ET  C^ 
J.-B.  BAILLIÈRE.  |     BÉCHET  JEUNE. 

STRASBOURG,  LEVRAOtT.  LYON,  CH.  SAVY. 

1858. 


< 


qJXd  l  oJyDiiï&iw 


de  ui  2/ nUodoÂÂce  cyonaùomiaue , 


riNE 


E-  GEOFFROY-S  'HIIAIRE. 


C'est  à  vous ,  mon  cher  Maître ,  qu'appartient  le 
premier  hommage  de  ce  livre  auquel  un  mot  de  vous  a 
donné  naissance  :  me  juger  capable  de  cette  entreprise  _, 
n  était-ce  pas  me  la  prescrire  P  Puisse  le  résultat 
de  mes  travaux  vous  paraître  digne  de  Vhonorahle 
appel  que  vous  dicta  la  bienveillance  /  Puisse-t-il  vous 
prouver  que  je  sais  mettre  à  profit  vos  conseils  et  vos 
exemples/  Qu'il  soit  du  moins  un  témoignage  de 
l'inestimable  prix  que  j'attache  à  votre  amitié. 


Ai&t.  DUGËi». 


ïïssTrïE®iD)iîi(S^n®Ma 


«  Je  ne  puis  douter ,  a  dît  un  illustre 
anatomiste  ,  que  la  physiologie  ne  prenne 
bientôt  une  marche  plus  élevée ,  en  essayant 
d'embrasser  la  théorie  de  tous  les  corps 
vivants,  en  s'attachant  surtout  à  chercher, 
dans  les  plus  simples  de  ces  corps ,  la  solution 
de  ses  principaux  problêmes,  portés  à  leur 
expression  la  plus  générale.  »  Plus  de  trente 
ans  se  sont  écoulés  depuis  que  ces  paroles 
ont  été  émises ,  et  l'étaî  de  la  science  n'avait 
point  permis  encore  de  réaliser  complètement 
la  prédiction  du  grand  homme.  Des  vues  géné- 
rales publiées  en  Allemagne  par  Tréviranus 
et  Tiedemann  ,  en  France  par  le  professeur 
de  Blainville,  semblaient  témoigner  de  l'im- 
possibilité   d'entrer   dans   les   détails  d'une 


1J  INTRODUCTION. 

physiologie  comparative  ;  et  l'ouvrage  de 
notre  estimable  condisciple  Isidore  Bourdon, 
abandonné  par  Fauteur ,  venait  à  l'appui  de 
cette  pensée.  Mais  les  étonnants  progrès  des 
sciences  naturelles  ont  rapidement  comblé 
ces  nombreuses  lacunes,  et  le  Conseil  royal 
de  l'instruction  publique  paraît  avoir  jugé  que 
les  temps  étaient  accomplis  ;  il  a  doublement 
glorifié  la  mémoire  de  Guvier,  en  créant  une 
chaire  dont  il  avait  de  si  loin  pressenti  la 
nécessité,  et  en  désignant/  pour  l'occuper 
l'héritier  de  son  nom. 

Déjà  ,  d'ailleurs  ,  les  traités  classiques  de 
Richerand  et  Bérard  aîné ,  de  Magendie , 
d'Adelon ,  avaient  manifesté  cette  tendance  à 
étendre  le  domaine  de  la  physiologie  :  le  pro- 
fesseur du  collège  de  France,  en  appuyant 
tous  ses  dogmes  sur  des  expérimentations 
dont  les  animaux  seuls  pouvaient  être  le  sujet, 
et  ceux  de  l'école  de  médecine ,  en  adjoignant 
aux  détails  de  la  physiologie  humaine  tous 
les  faits  d'anatomie  comparée  qu'ils  pouvaient 
accueillir,  sans  sortir  pourtant  de  leur  cercle 
accoutumé.  Naturaliste  et  médecin  à  la  fois  , 
J.  Millier  empruntait  bien  davantage  encore 
à  l'étude  des  animaux  pour  éclairer  celle  de 
l'homme  ,  si  j'en  juge  du  moins  par  un  aperçu 
€|ue  les  difficultés  d'une  langue  étrangère  ne 
m'ont  pas  permis  d'approfondir.  Mais  il  y  a 


IlNïnODUCTION.  iij 

loin  de  ces  applications  partielles  à  un  corps 
de  science ,  à  une  physiologie  véritablement 
comparative. 

L'esprit  même  dans  lequel  est  conçu,  le 
plan  sur  lequel  est  ordonné  le  grand  ouvrage 
du  vénérable  Burdach ,  dont  nous  posséderons 
bientôt  sans  doute  la  traduction  complète , 
grâce  au  zèle  infatigable  du  D*^  Jourdan ,  ne 
m'ont  point  paru  satisfaire  aux  besoins  du 
moment,  qui  réclament  un  traité  méthodique  ^ 
clair  et  concis  à  la  fois.  L'étendue  de  ce  vaste 
répertoire  est  par  elle-même  un  obstacle  à  la 
facilité  de  l'étude,  et  l'on  s'aperçoit  trop  aisé- 
ment j  à  la  lecture  de  ces  nombreux  volumes , 
combien  la  distribution  bizarre  des  sujets  en 
rend  l'ensemble  difficile  à  saisir  :  on  y  voit 
trop  souvent  la  place  des  faits ,  tout  abondants 
qu'ils  sont,  usurpée,  en  dépit  du  titre  même 
de  l'ouvrage,  par  des  théories  philosophiques 
dont  on  ne  sent  nullement  le  prix  parmi 
nous,  et  dont  même  on  commence  aussi  à  se 
dégoûter  en  Allemagne.  Ce  n'est  pas  chez  nous 
qu'on  peut  prendre  au  sérieux  une  philo- 
sophie qui  fait  profession  d'admettre  comme 
réel  tout  ce  que  l'imagination  de  l'homme 
peut  concevoir  ,  et  qui  vante  l'hypothèse  à 
priori  comnxe  moyen  de  faire  avancer  les 
sciences. 

La  publication  de  ce  précieux  recueil  d'ob- 


tV  INTRODUCTION. 

servalions ,  d'opinions  dont  un  grand  nombre 
sont  inconnues  à  nos  compatriotes ,  m'a  paru 
sans  doute  un  grand  service  rendu  à  la  science 
physiologique;  mais  elle  m'a  aussi  semblé 
insuffisante  pour  atteindre  le  but  le  plus 
essentiel ,  l'instruction  des  jeunes  gens  qui 
se  dévouent  à  l'étude  de  la  zoonomie  et  surtout 
de  l'art  de  guérir  :  tout  en  mettant  donc  à 
profit  cette  heureuse  circonstance ,  j'ai  cru 
néanmoins  devoir  mettre  au  jour  la  rédaction 
déjà  terminée  des  leçons  orales  que,  depuis 
six  ans ,  j'ai  faites  bénévolement ,  chaque  été  , 
pour  les  Elèves  de  notre  Ecole. 

Transplanté  ,  pour  ainsi  dire ,  par  des  cir- 
constances inattendues ,  du  nord  au  midi  de 
la  France,  l'aspect  des  productions  naturelles 
de  ce  nouveau  climat  excita  vivement  ma  cu- 
riosité ,  et  m'entraîna  vers  une  étude  qui  fit 
bientôt  mes  délices.  D'observations  en  obser- 
vations ,  de  monographies  en  monographies  , 
je  me  trouvai  porté  à  des  considérations  plus 
générales.  De  plus  en  plus  attrayants,  à  mesure 
qu'ils  embrassaient  un  horizon  plus  vaste,  ces 
travaux  reçurent  une  impulsion  plus  puissante 
que  jamais  quand  je  voulus  en  faire  partager 
les  fruits  à  nos  jeunes  gens.  A  combien  de 
recherches  et  d'expériences  ne  me  suis-je  pas 
vu  dès-lors  presque  involontairemententraîné! 
Combien  de  discussions  intéressantes  n'ont 


INTRODUCTION.  V 

point  soulevées  ces  conférences  publiques  ! 
Que  de  fois  mon  collègue  Lallemand ,  et  quel- 
ques autres  personnes  qu'attirait,  comme  lui, 
l'intérêt  inhérent  à  de  pareilles  matières  ,  ne 
m'ont-ils  pas  mis  sur  la  voie  de  rectifications 
importantes  ou  de  nouvelles  vérifications  ! 
Combien  d'ailleurs  ne  me  fallait-il  pas  réflé- 
chir aux  moyens  d'épargner,  à  la  fois,  à  mes 
auditeurs  les  incertitudes  de  l'hypothèse  et 
celles  des  assertions  sans  preuves ,  les  ennuis 
d'une  inintelligible  concision  et  ceux  d'une 
prolixité  fatigante  ! 

Grâce  à  ces  circonstances  favorables ,  je  ne 
crois  pas  trop  présumer  de  mon  ouvrage  , 
en  assurant  qu'il  offre,  et  pour  la  forme  et 
pour  le  fond ,  beaucoup  de  choses  qu'on  cher- 
cherait vainement  ailleurs.  Je  citerai  en  parti- 
culier ce  qui  concerne  les  sens ,  les  opérations^ 
intellectuelles ,  la  contraction  musculaire ,  la 
respiration,  les  sécrétions.  Partout  j'ai  tâché 
de  parler  d'après  moi-même,  ou  plutôt  d'après 
la  nature  ;  et  partout  j'ai  cherché  la  méthode 
la  plus  lucide  et  la  mieux  appropriée  à  chaque 
sujet  en  particulier,  sans  vouloir  adopter  à 
priori  un  cadre  systématique  où  tout  dût  se 
caser ,  s'entasser  ,  ou  s'étaler  de  gré  ou  de 
force. 

De  même  que  dans  mes  leçons  verbales 
j'avais  pris  l'habitude  déparier  aux  yeux  par 


VJ  IMUODUCTION. 

des  dessins  improvisés ,  de  même  il  m'a  paru 
indispensable  d'éclairer,  par  de  nombreuses 
ligures,  le  texte  de  cet  ouvrage  ;  non-seulement 
elles  facilitent  l'intelligence  des  faits,  mais 
encore  elles  en  abrègent  l'exposition  et  en 
rendent  le  souvenir  plus  durable  :  on  se  con- 
vaincra  aisément  de  leur  nécessité,  en  jetant 
les  yeux  sur  les  deux  planches  relatives  au 
sens  de  la  vue.  Je  dirai  de  ces  dessins  ce  que  je 
pourrais  dire  de  mon  style  ;  j'ai  cherché  avant 
tout  la  clarté,  l'exactitude;  ce  n'est  pas  ici  un 
ouvrage  d'agrément  mais  d'instruction  ;  j'y 
donne ,  au  figuré  comme  au  propre,  des  expli- 
cations et  non  des  peintures.  Cette  partie  de 
mon  travail  n'a  pas  été  la  moins  fatigante,  et 
je  ne  saurais  taire  combien  ma  patience  avait 
besoin  des  encouragements  que  me  prodiguait 
l'amitié  d'un  artiste  du  premier  mérite ,  et  qui 
lui-même  a  voulu  doter  mon  livre  de  quelques 
échantillons  de  son  beau  talent. 

Je  ne  regrette  point  ces  soins  minutieux , 
les  peines  et  le  temps  qu'ils  m'ont  coûté  ou 
qu'ont  absorbé  les  recherches  d'érudition  ;  ils 
ont  été  payés  déjà  par  des  satisfactions  bien 
douces,  et  j'en  serai  récompensé  par-delà  mes 
désirs ,  si  j'ai  réussi  à  inspirer  à  mes  lecteurs 
le  goût  de  cette  science  à  la  fois  si  belle  et 
si  utile.  Pour  le  médecin  en  particulier  ,  qui 
ne   sait  que  la  physiologie  est  un   élément 


INTRODUCTION.  VÎj 

indispensable  dans  toutes  ses  études  !  La  pa- 
thologie ,  la  thérapeutique ,  que  seraient-elles 
pour  celui  qui  ignoreraitcomnieotnos  organes 
fonctionnent  à  l'état  sain,  comment  ils  répon- 
dent aux  agents  qu'on  met  en  rapport  avec 
eux?  Et,  en  effet,  toutes  les  théories  médicales 
ont  été  fondées  sur  des  théories  physiologi- 
ques. Si  les  erreurs  de  celles-ci  ont  entraîné 
les  déviations  de  celles-là,  et  si  la  théorie 
influe  si  puissamment  sur  la  pratique  ,  il 
est  évident  que  perfectionner  la  physiologie , 
c'est  travailler  à  l'agrandissement,  à  la  cer- 
titude de  la  médecine.  Or ,  quel  plus  sûr 
moyen  d'y  parvenir ,  que  d'accumuler  les 
observations  ,  d'éclairer  celles  que  l'homme 
ne  nous  permet  pas  de  faire  par  celles  que  les 
animaux  nous  offrent  si  aisément ,  si  claire- 
ment, d'étudier  dans  des  organismes  plus 
simples  les  éléments  divers  et  isolés,  pour 
ainsi  dire,  de  ces  fonctions  si  complexes  et 
partant  si  obscures  dans  ceux  qui  occupent 
le  haut  de  l'échelle  organique? 

Cette  marche  va  devenir,  nous  n'en  doutons 
point,  celle  de  l'enseignement  physiologique; 
l'impulsion  est  donnée  à  Paris  ;  un  jeune  et 
brillant  professeur  va  l'imprimer  à  l'Ecole  de 
Strasbourg  ;  et  nous  augurons  bien ,  pour  la 
nôtre,  del'accueil  fait  à  nos  précédentes  leçons. 
Toutefois,  à  Montpellier  plus  qu'ailleurs,  cette 


Vîij  INTRODUCTION. 

doctrine  pourra  rencontrer  des  obstacles  :  des 
hommes  d'un  grand  mérite  ont  conservé  leurs 
préventions  contre  l'étude  comparative  des 
animaux  et  de  l'homme ,  leur  mépris  pour  les 
détails  minutieux  de  l'organisation  et  pour  les 
conséquences  qui  s'en  déduisent;  ils  ont  con- 
servé leur  goût  pour  les  conceptions  abstrai- 
tes; et  l'organicisme  est  à  leurs  yeux,  ce  que 
le  matérialisme  est  à  ceux  du  théolosfien.  Nous 
ne  désespérons  pas  de  leur  prouver  que  rien 
n'est  plus  facile  qu'une  fusion  entre  ces  deux 
doctrines  si  antipathiques  ;  car,  nous  aussi , 
nous  admettons  l'existence  d'un  principe  vital. 
Nous  espérons  rassurer  mieux  encore  les 
consciences  timorées  qui  pourraient  croire 
que  notre  organicisme ,  en  ce  qui  concerne 
les  facultés  intellectuelles  ,  porte  atteinte  à 
leurs  croyances  et  se  confond  avec  le  maté- 
rialisme absolu.  Que  le  principe  qui  met  en 
jeu  les  organes  soit  un  principe  immatériel, 
est-ce  une  raison  pour  craindre  d'étudier  leur 
action  ?  En  expliquer  le  mécanisme,  ce  n'est 
pas  en  renier  la  cause.  Je  dis  plus  :  cette  étude 
est  plus  propre  à  ramener  les  esprits  qu'à  les 
éloigner  des  principes  fondamentaux  de  la  reli- 
gion. En  méditant  sur  ces  innombrables  mer- 
veilles qu'il  passe  chaque  jour  en  revue  ,  sur 
ces  phénomènes  si  mathématiquement  enchaî- 
nés entre  eux ,  sur  ces  effets  si  admirablement 


INTRODUCTION.  ix 

liés  à  leurs  causes  que  l'un  de  ces  deux  élé- 
ments suffit  le  plus  souvent  à  la  connaissance 
de  l'autre ,  comment  le  physiologiste  pourrait- 
il  méconnaître  l'influence  créatrice  d'une m^e/- 
ligence  suprême?  Comment  repousserait-il  la 
doctrine  des  causes  finales,  quelque  dépréciée 
qu'elle  soit  par  l'abus  ridicule  qu'on  en  a  pu 
faire?  Diderot  ne  voulait  que  l'aile  d'un  pa- 
pillon pour  convaincre  un  athée  ,  et  cet  argu- 
ment dans  sa  bouche  n'avait  certes  pas  la  force 
qu'il  aurait  dans  celle  d'un  naturaliste  con- 
sommé. Mais  que  sera-ce,  si  l'on  porte  son 
attention  sur  les  organes  mêmes  qui  sont  prin- 
cipalement mis  en  cause  dans  cette  grande 
discussion,  sur  ceux  que  l'intelligence  de 
l'homme  met  en  exercice  ?  Les  incommensu- 
rables produits  de  cette  miraculeuse  organi- 
sation permettront-ils  de  la  regarder  comme 
simple  et  grossière,  comme  l'ouvrage  fortuit 
d'une  aveugle  attraction ,  d'une  affinité  com- 
parable à  celle  qui  réunit  en  cristaux  l'acide 
sulfurique  et  la  soude  ?  Et  s'il  lui  faut  recon- 
naître dans  l'univers  une  puissance  éminem- 
ment intelligente  et  pourtant  inaperçue  , 
inconnue,  incompréhensible  dans  son  essence, 
le  matérialiste  même  ne  se  sent-il  pas  disposé 
à  admettre  quelque  chose  d'analogue  dans 
son  propre  intellect,  dont  l'anatomie  lui  rend 
si  imparfaitement  raison? 


X  INTRODUCTION. 

Ainsi  considérée  ,  la  physiologie  cessera 
d'être  en  guerre  avec  la  religion  ;  ainsi  s'opé- 
rera cette  alliance  naguère  proclamée  par 
l'homme  respectable  à  qui  cet  ouvrage  est 
dédié.  Si  cette  conciliation  exige  le  sacrifice 
de  quelques  formes ,  de  quelques  mots ,  qu'on 
se  rappelle  que  le  langage  de  la  religion  a  été 
mis ,  par  ses  premiers  promoteurs ,  à  la  portée 
des  populations  auxquelles  ils  s'adressaient  ; 
ce  langage  peut  donc  se  modifier  avec  les 
connaissances  humaines  et  en  suivre  le  pro- 
grès, sans  danger  pour  les  vérités  fondamen- 
tales :  n'eùt-il  pas  mieux  valu  le  faire  avancer 
d'un  pas  avec  l'astronomie,  que  d'arracher 
à  Galilée  un  désaveu  d'un  jour?  Nùmquid  Deiis 
indiget  vestro  mendacio,  ut  pro  illo  loquamini 
dolos?  (Job). 

Bien  que  fondée  entièrement  sur  des  études 
analytiques,  c'est-à-dire  marchant  du  parti- 
culier au  général,  notre  physiologie,  comme 
toute  science  constituée,  présente  les  objets 
sous  forme  synthétique  ;  et  si  nos  cadres  des- 
criptifs ne  sont  point  uniformes  ,  nos  divisions 
sont  du  moins  régulières.  Chaque  partie  se 
divise  en  chapitres,  chaque  chapitre  en  articles, 
chaque  article  en  paragraphes  ,  et  ceux-ci 
en  alinéas  selon  les  exigences  du  sujet.  J'ai 
rejeté  dans  des  notes  les  objets  qui  ne  se 
liaient  pas   suffisamment  au  reste  ,  ou  qui 


IINTKODUCTION.  xj 

auraient  interrompu  la  filiation  des  dogmes , 
et  jeté  sur  la  rédaction  un  décousu  tolérable 
dans  une  monographie,  un  mémoire,  mais 
bien  nuisible  à  l'étude  dans  un  traité  didac- 
tique. 

Ces  notes  ne  sont  souvent  aussi  que  des 
citations  ;  et  ceci  me  conduit  à  dire  que 
j'ai  tâché  de  rapporter  à  chaque  auteur  ce 
que  je  lui  avais  emprunté ,  soit  comme  acte 
de  justice  pour  des  découvertes  utiles ,  soit 
comme  garantie  pour  des  points  douteux , 
soit  enfin  pour  mettre  le  lecteur  à  même  de  re- 
courir aux  originaux.  Toutefois,  on  se  sou- 
viendra que  ce  n'est  pas  une  histoire ,  mais 
un  traité  que  j'avais  entrepris;  que  le  néces- 
saire seul  a  dû  ,  par  conséquent ,  trouver 
place  dans  mon  travail.  Qui  pourrait,  en  effet, 
prétendre  à  relater ,  à  discuter  aujourd'hui 
toutes  les  doctrines  ,  les  opinions ,  les  faits 
même  qui  se  multiplient  chaque  jour  ,  enri- 
chissant parfois ,  et  parfois  aussi  encombrant , 
obscurcissant  les  sciences  naturelles  !  Jamais 
pareille  activité  n'a  régné  dans  la  république 
des  lettres,  et  surtout  dans  celle  des  sciences; 
et  jamais  l'étude  de  la  nature  ,  qui  semblait 
devoir  être  si  promptement  épuisée,  ne  s'est 
montrée  si  féconde  en  découvertes.  Nous  nous 
sommes  fait  un  devoir  d'indiquer  aux  tra- 
vailleurs les  points  €|ui  réclament  encore  de 


xi)  INTRODUCTION. 

nouvelles  recherches  ;  nous  nous  sommes 
efforcé  de  les  guider  dans  ces  travaux  hono- 
rables ,  comme  nous  l'avons  été  nous-même 
par  d'illustres  maîtres.  Qu'ils  se  hâtent  donc 
de  remplir  ces  vides  ;  qu'ils  se  persuadent 
surtout  que ,  dans  cette  immense  carrière , 
on  ne  cherche  point  sans  trouver,  et  qu'on 
trouve  souvent  plus  et  mieux  qu'on  ne  cher- 
che, quand  on  procède  avec  zèle  et  loyauté. 


DES  MATIÈRES    COISTEISUES   BAISS  LE  TOME  I.^' 


I^e  pAaTïE,  -  «iënéralitëfs. 

CHAPITRE  I".  De  la  vie  et  des  corps  vivants. 

—  Tableau  des  régions  homologues 1 

CHAPITRE  II.  Classification  du  règne  animal. 

—  Tableau  des  familles,  ordres,  classes  et  sous- 
règnes 11 

CHAPITRE  III.   Histoire  naturelle  de  la  vie 

CONSIDÉRÉE  DANS  CHAQUE  INDIVIDU.   —    J.  Phases 

essentielles;  âges  ;  mort;  durée  de  la  vie.  —  B.  Pé- 
riodes :  irrégulières  ,  maladies  ;  régulières,  saisons  , 
jours  et  nuits 50 

CHAPITRE  IV.  Analyse  de  la  vie  chez  les  ani- 
maux, OU  division  de  la  physiologie  COaiPARÉE. 
Division  des  fonctions.  —  Inutilité  des  propriétés 
dites  vitales 48 

II*"  PARTIE.  -  Kes  causes  imméclîates 
de  la  vie. 

CHAPITRE  I".  Du  principe  ou  agent  vital.  — 
J,   Solidisme.  —  B.  Vilalisme.   —    C.  JNervisme. 

—  a.  L'électricité  considérée  comme  agent  vital; 
arguments;  réponses.  _  b.  L'agent  vital  analogue 
mais  non  identique  à  l'électricité.  —  Note  sur  le 
magnétisme  animai S5 


œiV  TABLE 

CHAPITRE  II.  De  l'innervation  et  de  ses  diver- 
sités DANS  l'Échelle  organique.  —  A,  Origine 
de  l'agent  nerveux  ou  vital  ;  épuisement  ;  réparalion  ; 
sédation  ;  réaction  ;  modifications.  —  B.  Diversités 
du  système  nerveux.  —  a.  Dans  les  végétaux.  — 
b.  Dans  les  animaux  à  tissu  neuromyaire.  —  c.  Fila- 
ments des  elminthes.  —  d.  Ganglions  des  articulés; 
analogies  supposées;  réelles.  —  e.  Animaux  ver- 
tébrés ;  système  cérébro  -  spinal  ;  trisplanchnique  ; 
névrartères;  sympathies;  vitalité  des  humeurs 6S 

CHAPITRE  III.  Des  variations  de  l'innervation 
DANS  LE  MÊME  INDIVIDU.  —  A.  Modifications  géné- 
rales.  —   B.  Modifications    partielles    innées.   — 

C,  Modifications  partielles  acquises  :  i°  habitude; 

2°  exaltation ,  torpeur 88 

III^  PARTIE.  -  Fonctions  de  sensation. 

CHAPITRE  I".  Généralités.  Définitions  et  divi- 
sions ;  sensations  internes ,  externes  ;  centrales.  — 
Définition  des  sens  ;  leur  nombre 97 

CHAPITRE  II.  Du  toucher. 

Article  i".  Notions  générales 110 

Article  ii.  Vertébrés.  —  J.  Chez  l'homme.  —  B,  Chez 
les  autres  mammifères.  —  C.  Chez  les  oiseaux.  — 

D.  Les  reptiles.  —  E.  Les  poissons 115 

Article  m.  Invertébrés.  —  Â,  Articulés.  —  B.  Mol- 
lusques ,  etc 121 

CHAPITRE  III.  Du  goôt. 

Article  i^^  Notions  générales.  Définition  ;  relations 
du  goût  avec  l'odorat  ;  conditions  organiques  , 
bouche,  langue,  papilles  ,  nerfs 127 

Article  ii.  Vertébrés.  —  A.  Homme  et  mammifères. 
—  B.  Oiseaux.  —  C,  Reptiles 155 

Article  m.  Poissons  et  invertébrés 159 


DES  MATIERES.  œV 

CHAPITRE  IV.  De  l'odorat. 

Article  l".  Notions  générales.  Définition  ,  nerfs 145 

Article  ii.  Vertébrés.  —  y:/.  Homme  et  mammifères; 
nez,  sinus,  cornets.  —  B.  Oiseaux 148 

Article  m.  Invertébrés.  Antennes  des  insectes ,  fos- 
settes des  crustacés,  etc 156 

CHAPITRE  V.  De  l'ouïe. 

Article  i^"^.  Notions  générales.  Définition  de  l'ouïe , 
du  bruit ,  du  son  ;  transmission 165 

Article  ii.  Ferlébrés.  —  A.  Notions  d'ensemble.  — 

B.  Surface  extérieure  de  la  tête.  —  C.  Oreille  ex- 
terne et  conduit  auditif.  —  D.  Tympan  et  osselets. 

—  E,  Vestibule  et  canaux  demi -circulaires.  — 
F.  Trompe ,  air  du  tympan  ,  limaçon  ,  périlymphe  , 
ruban  cochléen  ;  limaçon  des  oiseaux.  —  G.  Nerfs.  167 

Article  m.  Invertébrés.  Résumé  de  la  disposition  de 
l'appareil  auditif  dans  les  différentes  classes  de  ver- 
tébrés; —  ouïe  des  crustacés,  —  des  mollusques, 

—  des  insectes  et  des  arachnides 205 

CHAPITRE  VI.  De  la  vue. 

Article  i^^  Notions  préliminaires.  Définitions  ;  lois 
principales  de  la  marche  des  rayons  lumineux  et  de 
leurs  déviations. 216 

Article  ii.  Vertébrés. 

§  I".  Généralités 219 

§  II.  Protection  extérieure 220 

§  m.  Lubrifaction 225 

§  IV.  Direction  ;  muscles;  changements  de  forme. . ..  226 

§  V.  Revêtement. — A.  Cornée  et  sclérotique. — B.  Cho- 
roïde   et   ruyschienne  ;  procès ,   peigne ,   tapis.  — 

C.  Iris;  mouvements,  fibrilles  contractiles,  auto- 
matisme, vision  distincte,  formes  de  la  pupille. . ..  252 


XVJ  TABLE 

§  VI.  Réfraction.  —  À.  Organisation  et  fonctions  qui 
en  dépendent.  —  a.  Cornée.  —  b.  \  itré,  humeur 
aqueuse.  —  c.  Cristallin;  capsule;  vaisseaux  et 
nerfs; fibrilles  contractiles;  vision  distincte;  théories 
diverses.  —  B,  Forme  et  courbures  des  organes 
réfracteurs  et  fonctions  qui  en  dépendent.  —  a.  Cor- 
née. —  b.  Cristallin.  —  c.  Corps  vitré  et  fond  de 
l'œil.  —  Relations  de  ces  courbures  entre  elles  et 
usages  ;  note  sur  le  strabisme 2o2 

§  VII.  Sensation.  —  A.  Nerf  optique  et  5*^  paire;  œil 
et  vision  de  la  taupe  ;  décussalion  des  nerfs  optiques. 
—  B.  Rétine  ;  origine ,  structure  ,  filaments  du 
cristallin;  centres  et  axes  visuels,  axe  optique,  axe 
géométrique;  strabisme  normal  des  animaux 289 

§  VIII.  Récapitulation  comparative 511 

Article III.  Mollusques,  OEil  des  céphalopodes;  autres 
mollusques 514 

Article  iv.  Articulés,  Stemmates;  yeux  composés; 
analogies  ,  mécanisme  de  la  vision 510 

CHAPITRE  YIL  Des  sensations  centrales  con- 
sidérées DANS  LES  DIVERS  CENTRES  DU  SYSTÈME 
NERVEUX  ET  DANS  LES  NERFS  QUI  EN  ÉMANENT. 

Article  i^^.  Généralités.  Animaiux  à  tissu  neuromyaire.  555 

Article  ii.  Invertébrés.  Fonctions  des  ganglions  et 
des  cordons  conducteurs.  —  Expériences 555 

Article  m.  Vertébrés, 

§  1^'.  Prolégomènes.  Vertèbres  rachidiennes  et  cépha- 
liques 545 

§  II.  Moelle  épinière  ;  ses  faisceaux  ;  racines  des  nerfs.  546 

§  m.  Moelle  allongée  et  cervelet.  —  A,  Cervelet  et 
protubérance  annulaire  ;  fonctions  des  lobes  laté- 
raux ,  médian.  —  B,  Pyramides  antérieures  et  pédon- 
cules cérébraux;  olives  et  tubercules  quadrijumeaux 
postérieurs.  —  C  Nerfs 5o5 


DES  MATIERKS.  XVIJ 

S  IV.  Lobes  optiques  ou  tubercules  quadrijumeaux. ..  564 

§  V.  Lobes  olfactifs 567 

§  VI.  Lobes  cérébraux.  —  A.  Volume,  masse  ,  men- 
suration du  cerveau.  —  B.  Expériences 567 

§  VII.  Mécanisme  général  des  fonctions  nerveuses  cen- 
trales. —  A.  Théories.  —  B.  Conséquences  ;  centra- 
lisation ;  répétitions  identiques 575 

§  VIII.  Spécialité  d'action  dans  les  divisions  principales 
du  système  nerveux,  et  spécialités  particulières 
localisées  dans  quelques  parties  du  cerveau 579 

§  IX.  De  la  liaison  transversale  des  centres  nerveux  et 
du  croisement  des  faisceaux  conducteurs. —v^.  Com- 
missures. —  B,  Décussation 588 

CHAPITRE  VIIL  Des  sensations  centrales  étu- 
diées EN  ELLES-MÊMES. 

Article  l^"".  Considérations  générales,  — Tableau..  * .,  592 

Article  ll.  Des  opérations  intellectuelles  ou  de  la  pensée, 

§  1^"^.  Des  opérations  immédiates  de  l'entendement. — 
-^,  Des  idées  ou  notions;  perception,  mémoire, 
association  ,  caténation  ,  combinaisons  et  modifica- 
tions. —  a.  Chez  l'homme.  —  b.  Chez  les  animaux, 

—  B.  Des  volitions  ,  désirs,  besoins,  etc.,  chez 
l'homme  et  les  animaux 402 

§  II.  Des  opérations  réfléchies  ou  médiates  ,  volon- 
taires. —  A,  Des  actes  de  réflexion  chez  l'homme. 

—  a.  Attention.  —  b.  Réminiscence  ,  récollection  , 
récognition.  —  c.  Comparaison.  —  B,  Des  produits 
de  la  réflexion  chez  l'homme.  —  a»  Jugement; 
évidence,  conviction,  probabilités,  certitude ,  in- 
décision, préférence,  répugnance;  bien,  mal; 
délibération,  choix,  raison,  liberté  morale.  — 
b.  Raisonnement ,  ellipse  ,  axiomes  ,  termes  géné- 
raux, abstractions,  langage,  logique,  connaissance 
ou  intuition,  conscience,  moi.  Dieu.  —   C.  Des 


Xviij  TABLE  DES  MATIERES. 

Opérations  réfléchies  chez  les  animaux.  —  a.  Inver- 
tébrés. —  d.  Vertébrés 416 

Article  III.  Des  modifications  dues  à  des  causes  inter- 
mittentes ou  passagères  dans  les  opérations  mentales.  44^ 

§  l^^  Du  sommeil.  —  À.  Sommeil  ordinaire.  B.  Som- 
meil partiel  ou  incomplet  ;  songes,  somnambulisme. 

—  C. Sommeil  superflu,  cauchemar. —  Z).  Sommeil 
hibernal.  Engourdissement  par  la  chaleur;  par  le 
froid.  —  1®  Animaux  à  sang  froid.  —  2°  Animaux  à 
sang  chaud 446 

§  II.  Des  passions 471 

Article  IV.  Des  modijicaiions  dans  les  opérations  men- 
tales par  causes  permanentes  ou  habituelles, 

§  1^".  Des  aptitudes  intellectuelles.  —  i°  Aptitudes 
mentales;  capacité.  — 2"  Aptitudes  morales;  pen- 
chants, caractère. 478 

§  II.  Des  instincts.  —  A.  Instinct  vital  ou  splanchnique. 

—  B,  Instinct  animal.  —  C  Instinct  encéphalique.  484 

Explication  des  figures dl5 


Fin  de  la  Table  des  matières  du  tome  premier. 


DE 


PHYSIOLOGIE  COMPAREE, 


PREMIERE    PARTIE, 

GÉNÉRALITÉS. 


CHAPITRE  I". 

DE  LA  VIE  ET  DES  CORPS  VIVANTS. 

C'est  sans  doute  une  idée  grande  et  belle ,  une 
idée  bien  propre  à  entraîner  les  esprits ,  que  celle 
qui  nous  présente  l'univers  entier  comme  animé, 
vivant  et  composé  d'êtres  isolés  en  apparence ,  mais 
réunis  en  réalité  par  des  forces  communes,  et  cons- 
tituant en  quelque  sorte  les  organes  de  ce  grand 
corps,  organes  participant  tous  à  la  vie  de  l'en- 
semble, tous  animés  aussi,  quoique  à  des  degrés 
différents  et  avec  des  modifications  nombreuses  ; 
aussi  la  doctrine  de  la  vie  universelle  a-t-elle  été 
imaginée  dès  l'enfance  de  la  philosophie ,  et  trouve- 
t-elle  aujourd'hui  encore  des  partisans  d'un  grand 
nom  ,  qui  l'appuient  de  toute  l'autorité  des  sciences 

1 


2  DE  LA  VIE 

modernes  et  de  toute  la  puissance  de  leur  dialec- 
tique. Nul  doute,  eu  effet,  que  tous  les  corps  de  la 
nature  ne  soient  doués  de  qualités  actives  ^  ou  qui 
tendent  à  le  devenir  dans  des  circonstances  favo- 
rables; nul  doute  que  cette  activité  ne  dérive  des 
mêmes  causes ,  des  mêmes  principes  dans  les  corps 
organisés  et  dans  les  corps  inorganiques,  c'est-à- 
dire  dans  le  règne  animal,  végétal  et  le  minéral. 
De  ce  que  les  effets  d'une  excitation  paraissent, 
dans  les  premiers ,  être  hors  de  proportion  avec  la 
cause  qui  les  a  déterminés,  il  ne  résulte  pas  que  ces 
effets  soient  spontanés  et  qu'on  puisse  établir,  en 
conséquence ,  la  spontanéité  d'action  comme  carac- 
tère propre  des  corps  vivants  ;  car  le  mouvement  de 
la  détente  d'une  arme  à  feu  n'est  pas  plus  propor- 
tionné aux  effets  qui  s'ensuivent,  et  s'il  n'y  a  pas 
spontanéité  dans  ce  cas  ,  elle  n'existe  pas  davantage 
chez  l'homme  qui  s'emporte  en  recevant  un  outrage. 
Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  incontestable ,  c'est  que , 
dans  les  animaux  et  les  végétaux,  s'observent  des 
phénomènes  bien  distincts  de  tous  ceux  que  les  corps 
bruts  nous  présentent ,  que  la  complexité  de  leur 
structure  modifie  considérablement  les  agents  uni- 
versels et  les  lois  auxquelles  ils  obéissent ,  et  opère , 
entre  ces  agents  et  leurs  divers  modes,  des  combinai- 
sons tout-à-fait  particulières  ;  de  sorte  que  ce  n'est 
pas  sans  raison  que  le  plus  grand  nombre  des  légis- 
lateurs de  la  science  a  cru  devoir  séparer  totalement 
ce  qui  concerne  les  corps  organisés  de  ce  qui  con- 
cerne les  inorganiques. 

Sans  rejeter  l'identité  fondamentale  et  élémentaire 
des  forces  et  des  principes  qui  déterminent  l'activité 


ET  DES  CORPS  VIVANTS.  3 

des  uns  et  des  autres ,  on  peut  se  reconnaître  dans  la 
nécessité  d'étudier  séparément  les  manifestations  , 
le  mécanisme  de  ces  forces  et  de  ces  principes  dans 
des  corps  oii  les  choses  se  passent  d'une  manière  si 
différente  (i),  et  réserver  le  nom  de  vie^our  Vactwité 
spéciale  des  corps  organisés.  Tel  est  effectivement 
le  sens  que  nous  croyons  devoir  attacher  à  ce  mot 
parce  qu'il  est  généralement  ainsi  compris ,  et  telle 
est  la  définition  que  nous  donnons  de  la  vie ,  qu'on 
a  si  souvent  et  vainement  cherché  à  définir  d'une 
manière  plus  précise  et  plus  significative. 

La  vie  suppose  donc  V organisation  j  c'est-à-dire 
un  agencement  ordinairement  très-complexe  de  ma- 
tières hétérogènes  et  souvent  nombreuses ,  agen- 
cement régulier ,  mais  tout  différent  de  la  cristalli- 
sation des  corps  bruts  ;  constituant  des  filaments ,  des 
lames,  des  réseaux  souples,  flexibles,  perméables 
aux  liquides  abondants  qui  les  arrosent.  Cet  arran- 
gement, non  moins  spécial  que  l'activité  dont  il  est  la 
première  condition,  ne  jouit  pourtant  de  son  activité, 
c'est-à-dire  de  la  vie ,  que  quand  il  est  placé  dans 
les  circonstances  convenables;  et  il  est  susceptible 
de  la  perdre  avec  beaucoup  de  facilité,  souvent 
même  par  suite  d'altérations  moléculaires  bien  réel- 
les sans  doute  aux  yeux  de  la  raison ,  mais  inappré- 

(1)  ■'  Cependant,  sous  un  certain  rapport,  il  paraîtra  utile  de  conserver 
comme  classification  ,  les  faits  en  deux  groupes,  les  uns  qui  sont  maintenus  à 
l'étal  simple...,  les  autres  à  Tétat  composé,  etc.  etc.  »  (Geoffroy  Saint-Hilaire, 
Etudes  'progressives.  ) 

«  Ainsi,  quoique,  dans  un  sens  très-général,  la  manifestation  entière  de 
l'univers,  ou,  suivant  l'expression  vulgaire,  la  nature  ,  soit  un  ensemble  par- 
tout organique  et  vivant,  cependant  certaines  parties  de  cet  organisme  général 
nous  apparaissent  comme  des  êtres  à  part  ;  or,  ce  sont  elles  que  nous  embras- 
sons dans  ridée  du  monde  végétal,  du  monde  animal  et  de  l'homme.  •>  (Carus, 
Tr.  élém.  d'anat.  comp.  \ 


4  DE  LA  ViË 

ciables  à  nos  sens.  Le  cadavre  récenl  notis  paraît 
effectivement  différer  à  peine  de  ranimai  en  repos, 
mais  bientôt  ces  altérations  se  manifestent  plus  sen- 
siblement ,  et  s'accroissent  de  plus  en  plus  par  la 
fermentation  ou  la  dessiccation  qui  s'opèrent  dans  les 
substances  mortes ^  en  vertu  des  lois  ordinaires  ou 
simples  de  la  physique  et  de  la  chimie ,  auxquelles 
kur  activité  spéciale  les  faisait  résister  quand  elleâ 
étaient  vivantes. 

Cette  dernière  particularité  prouve  qu'il  n'existe 
point ,  dans  la  nature ,  ainsi  que  l'ont  voulu  quel- 
ques savants,  Buffon ,  Treviranus  en  particulier, 
une  m,atière  organique  à  part ,  dont  les  décomposi- 
tions ne  seraient  que  des  transformations  en  d'autres 
êtres  organisés  ;  car ,  si  la  fermentation  d'une  subs- 
tance animale  ou  végétale  donne  souvent  naissance 
à  d'innombrables  animalcules  infusoires,  elle  pro- 
duit aussi  des  substances  purement  minérales  ou 
brutes ,  presque  toutes  gazeuses ,  acide  carbonique, 
hydrogène  carboné,  sulfuré,  eau,  ammoniaque,  etc. 

C'est  donc,  selon  la  judicieuse  observation  de 
Lamarck ,  comme  corps  vivants ,  que  les  corps  orga- 
nisés méritent  surtout  une  étude  à  part  (i)  ,  et  cette 

(1)  Presque  tous  les  physiologistes  modernes  se  sont  eru  obligés  de  débuter 
par  un  long  parallèle  entre  les  corps  inorganiques  et  les  corps  organisés, 
comme  si  l'on  ne  pouvait  étudier  l'homme  vivant  sans  avoir  passé  en  revue 
tout  l'univers.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir  nous  soumettre  à  cette  abusive  su- 
perfluité ,  non-seulement  parce  que  nous  croyons  en  avoir  assez  dit  pour  bien 
circonscrire  et  déterminer  le  sujet  de  notre  élude,  mais  encore  parce  que  ce 
parallèle  copié ,  sans  examen  ,  de  livre  en  livre ,  est  en  grande  partie  erroné. 
On  n'a  pas  fait  attention  ,  en  comparant  les  corps  inorganiques  aux  organisés, 
qu'on  mettait  en  présence  des  types,  c'est-à-dire  des  créations  idéales  et  abs- 
traites pour  ce  qui  concernait  les  premiers  (à  tel  point  que  I.amarck  ne  leur 
accorde  l'individualité  que  dans  leur  molécule  intégrante) ,  avec  des  inAiviàus , 
c'est-à-dire  avec  des  objets  déterminés,  pour  ce  qui  était  des  seconds.  Sans 
doute,  on  peut  invoquer,  comme  caractères  dislinclifs,  et  l'homogénéité  de 


ET  DES  CORPS  VIVANTS.  5 

étude  j  si  elle  s'attache  surtout  à  la  vie  même  et  à 
tous  les  phénomènes  qui  en  dépendent ^  porte  le  nom 
de  physiologie.  Ce  mot,  équivoque  peut-être  quant  à 
son  étymologie  ,  ne  Fest  aujourd'hui  pour  personne 
quant  à  sa  signification  réelle  ;  il  n'en  est  pas  ainsi 
de  celui  de  biologie  ^  adopté  par  quelques  écrivains 
modernes.  Ce  dernier  a  surtout  le  désavantage  de 
porter  l'esprit  à  considérer  la  vie  comme  isolée, 
indépendante  des  organes,  ou  du  moins  à  en  parler 
comme  si  l'on  pensait  ainsi  ;  à  dire ,  avec  Burdach , 
que  «  la  matière  n'est  que  l'accident  de  l'organisme , 
dont  l'activité  est  au  contraire  la  substance.  «  Si  ce 
savant,  malgré  la  tendance  que  signale  cette  phrase, 
a  cru  devoir  conserver  le  mot  de  physiologie ,  à  plus 
forte  raison  le  conserverons-nous ,  nous  qui  pensons 
que  la  matière  est  la  substance  de  l'organisme ,  et 
l'activité  l'accident.  Mais  comme  cette  expression  a 
été  communément  appliquée  à  l'une  des  branches 
de  la  médecine,  et  par  conséquent  restreinte  à  ce 
qui  concerne  l'homme  ,  au  mot  physiologie  nous 
joindrons  une  épithète  propre  à  faire  éviter  toute 
incertitude  ,  et  à  bien  fixer  l'extension  que  nous 
avons  cru  devoir  donner  à  cette  science. 

La  physiologie  comparée  sera  pour  nous  la  science 
de  la  vie ,  considérée  dans    son    ense^ible   et    ses 

texlure,  el  la  disposition  anguleuse  des  surfaces,  et  la  constance  géométrique 
des  formes  pour  les  types  silice,  carbonate  de  chaux,  etc. ,  représentés  par  un 
échantillon  de  laboratoire;  mais  ces  caractères,  que  deviennent-ils  si  l'on  veut 
les  appliquer  à  telle  terre,  tel  rocher,  caillou,  géode  ou  montagne  considérés 
en  particulier,  et  tels  que  la  nature  nous  les  présente?  Ce  serait  bien  pis,  si 
nous  voulions  faire  intervenir  ici  les  produits  de  l'art,  une  statue,  un  édifice. 
Certes  ,  dans  aucun  de  ces  cas  on  ne  peut  dire  qu'il  est  possible  de  séparer  une 
partie  du  tout  sans  détruire  l'individualité  ,  si  individualité  il  y  a  ;  et  certaine- 
ment aussi  on  ne  peut  parler  de  l'homogénéité  dan»  un  poudingue,  une  brè- 
che ,  un  porphyre ,  un  marbre  coquillicr. 


V 


6  DE  LA  VIE 

détails  chez  tous  les  êtres  vivants ,  mais  principale- 
ment chez  les  animaux ,  c'est-à-dire  les  êtres  qui 
vivent  j  sentent  et  se  meuvent  j  selon  la  définition  de 
Linnée.  Les  végétaux,  en  effet,  c'est-à-dire  les  êtres 
qui  vivent  purement  et  simplement ,  ne  nous  offri- 
ront que  quelques  considérations  comparatives ,  sur 
lesquelles  nous  insisterons  peu  ;  car  bien  souvent  il 
y  a ,  du  végétal  à  l'animal ,  trop  de  disparate  pour 
pouvoir  réunir  convenablement,  dans  un  même 
cadre  ,  l'histoire  des  uns  et  des  autres. 

Les  végétaux  nous  fourniront  principalement , 
pour  les  propriétés  vitales,  le  premier  point  de 
départ,  comme  se  rapprochant  du  dernier  degré  de 
Véchelle  animale  que  nous  parcourrons  successive- 
ment, tantôt  dans  un  sens  et  tantôt  dans  l'autre, 
selon  les  convenances  du  sujet  que  nous  aurons  à 
traiter.  Nous  marcherons  ainsi ,  tantôt  du  simple  au 
composé,  tantôt  du  composé  au  simple,  et  pour 
rendre  cette  marche  plus  facile  à  suivre  et  plus 
fructueuse  au  lecteur  ,  nous  donnerons  ici  quelques 
détails  sur  la  série  des  êtres  vivants  et  animés; 
détails  qui,  d'ailleurs,  nous  fourniront  l'occasion 
de  signaler  des  particularités  importantes  dans  l'étude 
même  de  la  vie ,  envisagée  sous  un  point  de  vue 
très-général. 

Dans  la  plupart  des  classifications  modernes ,  la 
pensée  dominante  du  nomenclateur  a  été  de  former 
une  série  naturelle  ,  en  suivant  les  dégradations  de 
la  complexité  et  delà  perfection  dans  l'organisation, 
et  tout  à  la  fois ,  par  une  conséquence  facile  à  saisir, 
celles  des  manifestations  de  la  vie.  On  y  a  réussi 
quant  à  la  masse  sinon  quant  aux  détails ,  et  il  est 


ET  DES  CORPS  VIVANTS.  7 

évident  qu'en  parcourant  les  groupes  principaujt , 
en  descendant  de  Fhomnie  au  zoophyte,  on  trouve 
l'activité  vitale  successivement  décroissante,  et  qu'on 
passe  par  tous  les  degrés  intermédiaires  ,  entre  le 
point  suprême ,  caractérisé  par  une  existence  intel- 
lectuelle d'un  immense  développement,  et  le  dernier 
échelon  où  la  vie ,  toute  nutritive ,  se  confond  avec 
celle  du  végétal. 

Tout  en  tenant  compte  de  cette  vue,  tout  en 
reconnaissant  que  l'organisation  se  complique  et  se 
perfectionne  de  plus  en  plus,  et  que  les  fonctions  de- 
viennent plus  nombreuses  et  plus  complètes,  comme 
la  vie  devient  plus  intense  et  plus  vaste  à  mesure 
qu'on  s'élève  dans  l'échelle  animale  telle  qu'elle  a 
été  construite  ,  avec  des  variations  plus  ou  moins 
importantes,  depuis  les  jours  de  Linnée  jusqu'à  nos 
jours ,  nous  avons  cru  devoir  aussi  faire  usage  d'une 
autre  considération  non  moins  physiologique  et  qui 
nous  a  paru  plus  importante  encore ,  pour  établir , 
sur  des  données  plus  solides  et  plus  positives,  une 
nomenclature  du  reste  peu  différente  de  celles  que 
le  principe  précédemment  énoncé  avait  dirigées  , 
de  celle  de  Cuvier  particulièrement.  Cette  considé- 
ration ,  c'est  que  la  vie  se  centralise  de  plus  en  plus, 
en  passant  des  animaux  inférieurs  aux  plus  élevés , 
à  mesure  qu'elle  se  développe  davantage ,  c'est  que 
l'animal  s^indwidualùe  de  plus  en  plus ,  selon  qu'il 
occupe  un  échelon  plus  élevé.  Qui  ne  sait,  en  effet, 
d'une  part,  que  la  vie  est  disséminée  au  même 
degré  dans  toutes  les  parties  d'un  polype ,  de  sorte 
qu'un  fragment  peut  être  séparé  du  reste  sans  mou- 
rir et  sans  causer  la  mort  du  tout  auquel  il  a  été 


8  DE   LA  VIE 

soustrait;  tandis  qu'un  mammifère  mutilé  périt  im- 
médiatement, si  on  lui  enlève  quelque  partie  centrale 
importante  ,  et  que  les  fragments  qu'on  détache  de 
sa  périphérie  périssent  plus  instantanément  encore  ! 
Qui  ne  sait ,  d'autre  part ,  que  tous  les  segments 
d'un  teenia  vivent ,  pour  ainsi  dire  ,  chacun  de  leur 
vie  propre,  soit  réunis  ensemble,  soit  isolés!  C'est 
l'étude  des  animaux  appartenant  aux  dernières  clas- 
ses du  règne ,  qui  nous  a  conduit  à  admettre ,  avec 
Moquin ,  que ,  chez  tous  les  animaux  articulés  , 
chaque  anneau  ou  segment ,  ou  plutôt  chaque  moitié 
latérale  d'un  segment,  représente  un  animal  élé- 
mentaire, une  zoonite  (Moquin),  un  organisme _, 
c'est-à-dire  un  ensemble  d'organes  propres  à  compléter 
plus  ou  moins  bien  une  vie  particulière ,  vie  plus 
ou  moins  liée  à  celle  des  organismes  voisins,  et 
constituant  avec  eux  un  autre  ensemble  qui  jouit 
à  son  tour  d'une  vie  générale  ;  comme  on  voit  des 
animaux  déjà  complexes  eux-mêmes,  des  polypes, 
s'agréger,  se  souder  pour  vivre  en  masse  et  d'une 
vie  commune  sans  cesser  de  jouir  chacun  de  leur  vie 
privée  ;  comme  encore  les  bourgeons ,  les  rameaux 
d'un  arbre  ont  aussi  une  existence  jusqu'à  un  cer- 
tain point  indépendante  de  l'existence  du  tout, 
ainsi  que  le  prouvent  chaque  jour  les  boutures , 
marcottes ,  etc.  (  Darwin ,  Goethe ,  Dupetit-Thouars, 
Lamarck.  ) 

Mais  nous  avons  bientôt  reconnu  aussi  que  cette 
composition  n'était  pas  exclusive  aux  animaux  arti- 
culés, aux  radiaires,  aux  elminthes,  etc.;  qu'elle 
pouvait ,  au  contraire ,  être  étendue  à  l'universalité 
du  règne  animal,  aux  vertébrés  même.  Nos  preuves 


ET   DES  CORPS  VIVANTS.  9 

ont  été  longuement  exposées  dans  un  autre  ouvrage , 
et  nous  y  avons  fait  voir  que  les  zoonites  ou  organis- 
mes tendent  à  se  souder,  à  se  fondre  en  une  masse 
commune,  et  à  confondre  leurs  vies  particulières  en 
une  seule  ;  que  Têtre  qu  elles  composent  tend  à 
s'individualiser  davantage ,  en  passant  des  annélides 
et  des  myriapodes  aux  crustacés  et  aux  insectes,  et 
plus  encore  en  montant  des  invertébrés  aux  poissons, 
des  poissons  aux  reptiles,  des  reptiles  aux  oiseaux  et 
aux  mammifères.  Nous  avons  prouvé  que  le  passage, 
entre  des  termes  aussi  éloignés  que  la  monade  et 
l'homme ,  s'opère  par  une  gradation  insensible  dans 
la  théorie  que  nous  avons  adoptée  ;  que  la  coales- 
cence  des  organismes  et  leur  harmonisation  se  mon- 
trent déjà,  même  extérieurement,  au  thorax  des  in- 
sectes et  des  crustacés  ;  qu'elle  se  montre  dans  leurs 
ganglions  nerveux  et  leur  influence  sur  les  parties 
auxquelles  ils  distribuent  des  nerfs,  ainsi  qu'on  le 
verra  plus  loin;  que,  au  contraire,  chez  les  ver- 
tébrés ,  les  vertèbres  même  sont  encore  une  trace 
évidente  de  la  segmentation  primordiale ,  et  que  les 
différents  points  de  la  longueur  de  l'axe  cérébro- 
spinal même  montrent  encore  chez  plusieurs,  no- 
tamment les  reptiles  et  les  poissons ,  quelque  chose 
de  l'indépendance  que  l'on  reconnaît  aux  ganglions 
détachés  des  insectes ,  puisque  la  queue  seule  d'un 
lézard  ou  le  tronc  décapité  d'un  serpent ,  d'une 
grenouille ,  conservent  leur  sensibilité ,  leurs  mou- 
vements ,  comme  le  tronc ,  ou  même  le  corselet  seul 
d'un  insecte  mutilé  (mante). 

Nous  nous  sommes  cru  bien  fondé,  en  conséquence, 
à  donner  le  principe  de  la  multiplicité  des  organismes j 


10  DE   LA   VIE 

comme  un  des  plus  propres  à  la  démonstration  de 
cette  grande  vérité ,  que  tous  les  animaux  sont  cons- 
truits sur  un  plan  uniforme,  et  nous  avons  seulement 
restreint  cette  loi  importante  dans  ses  justes  limites , 
en  l'intitulant  :  conformité  organique.  Et,  en  effet, 
nul  autre  principe  ne  pouvait  faire  aisément  franchir 
la  barrière  qui  semble  séparer  les  animaux  verté- 
brés des  invertébrés  ;  nul  autre  ne  pouvait  fournir 
une  aussi  complète  démonstration  de  Vhomologie  des 
régions  et  des  appendices  du  corps  chez  des  animaux 
différents.  C'est  en  considérant  chaque  segment  élé- 
mentaire d'un  animal ,  comme  pouvant  se  modifier 
dans  sa  forme  ,  et  jusqu'à  un  certain  point  dans  ses 
usages ,  comme  pouvant  se  développer  outre  mesure 
ou  s'annihiler  tout-à-fait,  que  nous  avons  pu  tracer 
un  plan  commun  pour  la  détermination  des  régions, 
et  les  mettre  en  regard  dans  un  même  tableau  pour 
des  êtres  qu'on  avait  crus  jusqu'ici  tout-à-fait  dis- 
parates ,  et  simplifier  ainsi  considérablement  l'in- 
telligence de  la  structure  des  uns  et  des  autres. 
C'est  ce  dont  on  peut  se  convaincre  en  jetant  les 
yeux  sur  le  tableau  ci-joint,  où  l'on  voit  assimilées 
des  parties  dont  la  ressemblance  avait  déjà  frappé 
les  yeux  de  divers  savants ,  celle  de  la  mâchoire 
supérieure  des  vertébrés  avec  la  mandibule  des 
invertébrés ,  de  la  mâchoire  inférieure  avec  leur 
maxille ,  bien  qu'ils  s'opiniâtrassent  encore  à  cher- 
cher entre  elles  des  dissemblances  propres  à  faire 
rejeter  une  identité  si  évidente  ;  on  y  trouvera 
d'autres  rapprochements  naoins  faciles  à  prévoir, 
celui  du  membre  antérieur  des  mammifères  avec  les 
cinq  pieds  thoraciques  des  crustacés,  représentés 


TABLEAU  DES  SEGMEI^ITS  ET  REGIONS  HOMOLOGUES. 


N03IENCLATURE 

COniMUNE 
ou   PHILOSOPHIQUE. 


Prolocéplialo , 

olfaclioii,  respiialion , 
1  préhension. 

^    .  Dciitocôpliale, 

>-i    Ifision ,  iiiaslication. 

"j^      Triloroplialc, 

jaudltion  ,  mastication. 


Têtartocéplialo.  ... 

i  gustation  ,  déglutition. 

Proloflère, 

,  rcii)  ira  lion  ,  phonation  , 
Idéglutilion. 

Deutodcre,  

Jd,.m. 

Tritodère, 

Idem, 


SlyotJiorax, 

l  locomotion,  respiration 
y   idéglutition. 


Splanebnotliorax, 

lespiration  ,  circulation, 
déglutition. 

liigeslion  ,  dépuration. 

itSyogastre, 

locomotion,  génération, 
iléiécalion. 


t'erqiie,. 

locomotion. 


NOMENCLATURES  PARTICULIERES. 


ANIMAUX  VERTEBRES 

OU  HOMINIAIRES. 


Vertèbre  olfactive,  ou  fronto- 
ethmo-incisive. 

Vertèbre  oculaire,  ou  pariéto- 
pré-sphéno-sus-maxillaire 

j Vertèbre  auditive,  ou  teni- 
poro-posl-sphéno-ma.xiilaire. 

Vertèbre  gustative,  ou  occi- 
pito-slyl-hyoïdienne. 

'Atlas  et  rératohyal  (  i"  arc 
branchial  des  poissons). 

lAxis  et  partie  supérieure  du 
larynx  (2'  arc  branchial). 

O  \^  Troisième  vertèbre  cervicale 
et  par  tie  inférieure  du  larynx 
(3'  arc). 

[Cinq  vertèbres  (*),  trachée- 
artère  (  4-'  arc  et  pharyngien 
inférieur),  un  membre  à  cinq 
doigts. 

Vertèbres  dorsales  ,  côtes  , 
sternum. 


'A^ertèbres  lombaires. 


1  Bassin  ,  cinq  vertèbres  (**), 
membre  à  cinq  doigts. 


CRUSTACES  DECAPODES 

ou  ASTACIENS. 


Vertèbres  coccygiennes  et  0; 
en  V . 


Rostre  et  antennes  antérieures 
ou  internes,  labre. 

Mandibules,  yeux. 


Antennes  externes  ,    oreilles 
maxilles. 

iLanguette,  et  2*^  paire  de  ma- 
]  choires. 

/i"  paire  de  pieds-mâchoires  . 
vertèbre  rudimentaire. 


2'  paire  de  pieds-màcbolres  . 
vertèbre  rudimentaire. 


3*^  paire  de  pieds-màchoires 
vertèbre  rudimentaire. 


Cinq  paires  de  pieds  am- 
bulatoires, et  vertèbres 
communément  nommées 
sternum. 


|Cinq  segments  abdominaux 
avec  quatre  ou  cinq  paires 
de  fausses  pattes. 


Dernier  segment  sans  fausses 
pattes  et  nageoire  terminale. 


CRUSTACÉS  ISOPODES,  etc 
OU  ONISCIENS. 


/Labre,  antennes  internes. 


[Mandibules,  yeu.t. 


^  /Antennes  externes,  maxilles. 


jLèvre,  et  2°  paire  de  mâchoi- 
res. 

Pieds  -  mâchoires  (  une  seule 
paire  ). 


Sept  segments  et  sept  paires 
de  pieds  ambulatoires. 


3  Ja 


c^  -a 

■H 


ARACHNIDES 

OU  ARANISTES. 


'Bandeau,  épistome. 


Mandibules,  yeux. 


IMaxilles,  palpes. 


'Lèvre,  et  i"  paire  de  pieds 
(  palpiformes  aux  phrynes, 
ihélyphones  et  galéodes). 


Plastron  et  trois  paires  de 
pieds  ambulatoires. 


Ventre  à  segments  et  à 
stigmates  des  scorpions, 
un  ou  deux  segments  pul- 
monés  des  araignées,  etc. 


Queue  des  scorpions,  ven- 
\   tre  et  filières  des  arai- 
"  I       gnees,  derniers  segments 
des  faucheurs,  etc. 


INSECTES 

OU  CULICISTES. 


Labre  ,  antennes,  cliaperon. 


jCrâne  ,  mandibules  ,  yeux. 


1  Maxilles,  palpes. 


^  Lèvre,  palpes. 


'Corselet  et  i''^  paire  de  pattes 
(mal-à-propos  prolhorax). 

Mésolhorax  (  mal-à-propos  )  , 
2'  p.  de  pattes,  1''  p.  d'ailes, 
org.  vocaux  des  grillons,  etc. 

(Métathorax  (  mal-à-propos  ), 
3*^  paire  de  pattes,  2'  paire 
d'ailes  ,  organes  vocaux  des 
cigales,  etc. 


"  S 

w  < 

O  a 

(S    B 

il 

H    S 


'Segments,  quelquefois  avec 
appendices  (chenilles,  lépis- 
mes) ,  à  stigmates,  contenant 
les  organes  respiratoires  et 
circulatoires  principaux,  les 
digestifs  et  les  génitaux. 


n  La  première  dorsale  donne  \i 
(")  Une  verlèbre  lombaire  joinle 


nerf  au  ],Ie;ius  brachial,  el  paraît  ; 
ux  quatre  sacrées  ,  pour  la  même  ri 


i  devoir  faire  partie  du  myolhorax. 
n  ,  du  moins  chez  les  : 


TO.ME  !■■,  r.ioi;  n. 


ET  DES  CORPS  VIVANTS.  1  1 

par  les  cinq  doigts  de  riiomme  ,  soudés ,  confon- 
dus d'une  manière  de  plus  en  plus  intime ,  à  me- 
sure qu'on  se  rapproche  davantage  du  tronc,  etc.  ; 
objets  qui  ,  sans  doute  ,  demanderaient  plus  de 
détails  et  plus  de  preuves  que  n'en  comporte  une 
simple  exposition ,  telle  qu'elle  nous  est  ici  permise. 
(^ Voyez  les  fg.  \  et  2  ,  avec  leur  explication.  J 

Nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  nomenclature  à 
laquelle  nous  nous  sommes  arrêté  diffère  peu  de 
celle  de  Cuvier,  surtout  quant  aux  groupes  prin- 
cipaux. Les  groupes  secondaires  ne  doivent  point 
nous  occuper  ici,  et  nous  nous  contenterons  de 
donner  un  aperçu  comprenant  les  divisions  princi- 
pales disposées  dans  l'ordre  qui  nous  a  paru  le  plus 
convenable  et  le  plus  naturel. 


CHAPITRE  H. 

DE  LA  CLASSIFICATION  DU  REGNE  ANIMAL. 

Les  connexités  qui  lient  ensemble  tels  et  tels 
animaux  ne  sont  pas  simples,  mais  multiples;  de 
sorte  qu'elles  laissent  souvent  dans  l'embarras  du 
choix  sur  la  place  que  doit  occuper  une  espèce, 
et  même  un  genre  ou  un  ordre  entier.  On  s'est, 
disions  -  nous  ,  attaché ,  dans  ces  derniers  temps  , 
depuis  Jussieu  en  botanique  et  Cuvier  en  zoologie , 
à  coordonner  les  végétaux  et  les  animaux  en  une 
série  ou  chaîne  continue,  où  ils  sont  liés  par  la 
proximité  de  leurs  ressemblances  mutuelles  ;  mais 
ce  que  je  viens  de  dire  prouve  assez  que  cet  assem- 
blage, que  cet  enchaînement  doit  être  susceptible 


12  DE  LA  CLASSIFICATION 

d'incertitudes  et  de  variations  ,  suivant  que  l'on 
préfère  tel  ou  tel  genre  de  rapport  entre  les  êtres 
vivants  qu'on  veut  classer.  Ce  qu'on  a  cherché  sur- 
tout à  faire  ,  avons  -  nous  ajouté  ,  c'est  de  les  dis- 
poser dans  une  série  dont  les  degrés  répondissent 
aux  degrés  de  complication  dans  l'organisation  des 
animaux,  marchant  soit  du  simple  au  compliqué, 
soit  du  compliqué  au  simple  ;  mais  on  n'échappe 
pas  ainsi  à  toute  incertitude  ;  car ,  dans  tel  animal 
c'est  tel  appareil  de  fonctions ,  le  circulatoire  et  le 
respiratoire,  par  exemple,  chez  les  annélides,  qui 
se  montre  plus  complexe  et  plus  parfait ,  tandis  que 
tel  autre  ,  le  sensitif,  le  locomoteur,  est  rudimen- 
taire  ;  et  tel  autre  animal ,  comme  les  insectes , 
offrira  une  disposition  tout-à-fait  inverse.  Dès-lors  il 
dépendra  certainement  du  nomenclateur,  et  sinon  de 
son  caprice,  au  moins  de  ses  opinions  particulières, 
de  donner  la  prééminence  à  l'un  ou  à  l'autre  groupe. 
Ce  qu'il  faudrait  surtout  chercher  dans  la  cons- 
titution d'une  chaîne  des  êtres  animés,  ce  serait 
de  les  rattacher  l'un  à  l'autre  par  les  rapports  les 
plus  nombreux  possibles  ,  et  nous  pensions  y  être 
parvenu  en  les  disposant  en  deux  cercles  contigus 
par  un  point  de  leur  circonférence  ,  le  cercle  des 
invertébrés  et  celui  des  vertébrés  ;  d'autres  ont  pré- 
féré former  une  sorte  de  réseau  (Hermann)  ,  ou 
d'arbre  à  ramifications  latérales  (Strauss)  ;  mais  ni 
l'une  ni  l'autre  de  ces  manières  de  lier  les  animaux 
ensemble  ne  peut  convenir ,  quand  il  s'agit ,  comme 
dans  le  présent  ouvrage  ,  d'établir  une  liste  qu'on 
puisse  parcourir  avec  facilité  ,  tantôt  dans  un  sens 
ascendant ,  tantôt  en  sens  inverse ,   pour  passer  en 


SÉRIE  I\ATURELLE  ET  MÉTUODIQUE  DES  SOUS-RÈGÎVES ,    CLASSES  ET  ORDRES  D'AI>JIMAUX. 


)••■ 


1"/W,,V„5  (bimanes). 
11.  Simiens  (  quad 

III.  Muriem  (  rongeurs  ) 

IV.  Didciphiens  (  niarsupiaus) 

V.  Vrsprriilifns  (  chciroplèrcs). .  .  .  : 

Al.  Talpiens  (  inseclivorcs ) ] 

VII.  Caniens  (  carnivores  ) i 

VIII.  Cètieiis  (cclùcés) 1 

IX .  Purriens  (pacliydermes  à  4  dolgis)  i 

X.  iV/mMsCrmninanls) < 

XI.  A',„/,„-™Csolipe,les) 

XII .  FJrphaulkns  (pacli.  à  dolgis  imp.)  i 
XIII .  DasypiŒS  (  cJenlés  ) , 


lui  ordre. 


I"^"  Sous-Kèg 

/       III'  Claîse. 

HOMINIAIRES  /  pasH^TIslcv 

(f'erléhrésj 


I"  Ansérîens  (  palmipèdes  ). 

11 .  CironieiiS  (  échassiers  ~) 

III.  Gn/&M( gallinacés) 

IV.  Motadl/iens  (  lénuiroslres  ).  . 
y.  liiiuiiJmiens  (  fisslroslres)..  . 

^  I  •  Passérieiis  (  conirostres  ). . . . 

Vlj.  ft,-«aaV-«s(  grimpeurs).... 

VIII.  Aquihens  (  rapaces  ) 

OBDRK 

I*'  Larertiens  (  partie  des  sauriei 

Il .  CohMcns  (  ophidiens  ) 

III.  Crocoilillens  (partie 

l^'-  Trsiudifilens  (  chéloniens). 

V.  Runiens  (  batraciens  ).  . . . 


3r,  l^rd, 
mpliHlièiie 


aehrc^pliale  (5) , 


I"  Cypriniens  (  niaiaCOplérygicnS  ).*.   Gymnomurcnc ,  anGUiUc,  broctict, 

II.  PfmfM  (acanthoplérygiens).. .  Ptrchc,  -  laudroin  ici. 

III.  Orlho^urisrienS  (  pleCtOgnathcs).    BalîHe,  mole,  diodon. 

1>  .  PrgOSirns  (  ioplioliranchcs) régase,  hippocampe,  syngnallic. 

V.  SturionienS  (cllOndropl,  à  br.  lib.)  Eiturgeon,  polyodon,  chlmèrv. 

yi.  Si/iia/ieilS  (cllOndrOpt.  à  br.  fixes)  miuoialc,  raie,  icgualine,  squale. 

VII.  PétrOmyZ.!enS  (Cycloslomes).  .  .  .   Lamproie,  ammoeèle,  niyslnc. 


I"  Classe. 

KiOinbricf  litcs  ( 


ïh'  Sniis-I\i'fxtie. 
ASTACAIRES 

(ArlieuUs). 


II'  Classe. 
InllHics 


III'  Classe. 
CnllciNt«s 


IV'  Classe. 

Aranlsletii 


A  ■  CIasi,e. 

Asiaciittcs 


(  CnilSTACHS  1 


I"  Hiruilmens  (^  ahranches  apodes).  . 
II.  Lombrinens  (  abr.  séligC-res) f 

III.  Strpuliens  (  lubicolcs) ! 

IV.  y/rcniW/fns  (dorsibr.  acérés).  ..  ( 
V.  NrréïJiens  (ilorsib.  antennes  ).. .  l 

VI.  Aphmlilicns  (dorsib.  pomatobr.)  i 


slplo.lon,. 


Un  seul  ordre 

ôudre 

1"  Lépismirns  (gnathaplères  ) Lépism 

11.  /><■'</;.  u/;«/s  (  rhinaplères  ) p„„. 

m.  CiroiUens  (  lidmiptères) punai.. 

IV  .  Papilittnietis  (  lépidoptères) PapiUn 

V .  CulirUm  (  diptères  ) p.,.rt„ 

y I .   Pulhlens  (  siphonaptères  ) p„e«, 

yil .  Xéftoiliens  (  i  lilpiptères  ) xéhos 

Mil.   r«^isns  (hyménoptères) Abeille 

IX.  Libtllalicns  (névroplères  ) Piorioc 

X.  LorusUens  (  orthoptères  ) Pl.a»m. 

oléopléres  ) Moiorç 

(  part,  des  ar.  Iracli.).  Gai™,i 

(acarldes) iw.iie 

(pan.  des  trachéen.) Trojui 
(fileuscs) Pi,oi,„ 

(pcdipalpes) Pbryn 


.    Polr»Jnc,  iule,  oloi 


,  tUilypbo 


(lamellipèd.àbouclicr)  Liinuk-,  apus. 
II.  B™m/«^Kn.!(lamcll.  ibr.nues).  Bra„ci„pc,  irn„i 

III.   Uiiisrlem  (  télradécapodes) Cyamc,  lemfc, 

(  slomapodcs  ) Squiik-,  phyiio.» 

(  décapodes  ) h-tbaiic,  my*», 

(filipèdeS  Univalves).    Cyelopc.  aroule 
(flllpèdes  bivalves)..    D.,,b„ie.  e,p,l. 


IV.  Squiln. 
V.  yhlaci 
VI.  CyclupU 
VII.  LapI, 


1"  Classe. 
Lpllglstcs 


III«  Sons-Règne. 
HÉLIGAIRES 

(iVolhisquesJ. 


III'  Classe. 

Ili^llclstets 

Ci.VSTÉKOPOUES). 


IV'  Classe. 
Osiréistcs 

ACÉ!'11\LES  BIVALVES) 

V  Classe. 

Lliiiiulïtsttes 

lllUACllIOPODES). 

VI'  Classe. 
AscMIstcs 


!¥■=  Sous-I\i'-no. 
DIPHYAIRES 

i/tca/,  /lydrosf(itiques). 


I  1"  Classe. 

V"^  Sous-Ri'gnc.    I      Téntstcs 


TENIAIRES  II'  Classe. 

(ElmmthesJ.     (  ^''.^.^v'^'t'S'** 


VI''  Soiis-Ri'fîiip. 
AGXINIAIRES 

(Radiaires) . 


I"  Classe. 

AMtél'ISitCti 

(  ÉCllINUDEUMES) 

II'  Classe. 

lli(5iln!)l!iles 

III'  Classe. 

.%ctlnîsfCN 


VI^  Sous-Règne. 
MONADAIRES 


I"  Clas.se. 
Ilydristcs. 


,,   r       ■       \        1         11' Clisse. 
(liiliisoircv.      [  Moiiaillstcs. 


1"  Lol/gi-ens  (  .n  deux  branchies  )..  . . 
II.  Naun'ticns  (à  quatre  branchies). 


:  unique. 


1'^  FîroUens  (nucléobranches) Aiiame,  . 

II.  G/auafn5  (nudibranches) oiaucu», 

III.  ylplysiens  (tectibrancbcs) Bullée,  a 

IV .  IléUcicns  (  pulmonés  ) TcsiaecUc 

V.  iJiicc/niVns  (  pcctinibrancbes). . .  paiodinc, 

VI.  Haltotidiens  (  scutihranches).. . .  cabocbon 

VII.  Ancyl!ens{{\  br.  latérales) siphonaie 

VIII.  Pa(^/&ns  (cyclobr.  cl  inférobr.).  PUyllidie 

ORDRE 

1"  Ostrèens  (inéquivalvcs) Peicnc,  i 

II.  Myliltens  (  érpiivalves) Areb.,  n, 

III.  Térédtniens  (  lubicolcs  ) pb„i.de. 


\"  AsciJiensiixts)... 
II.  lîotryi/iens  (à^ré^és) 
m.  Salpiem  (  (lollanls  ). 


I"7>>/,,r«s(sub-cartllaglneuO.. 

II.  Physiillem  (vésiculeus) 

III.  Rh'uophysiens  (sub-rayonnés).. 


1"  r, 
II.  Pk 


(  intestin  douteux) cœnurc 

(inlestin  cœcal) Lieuie, 


eul  ordre  (Inlest.  à  2  ouvertures). 


I"  Iluluthunrns  (cylindriques).  . 

II.  Âsléiiens  (stelliformes  ) 

III.  Echlnieiis  (sphéroïdaus) 

\"Bèroéens  {  inlestin  lubuleux). . 


I"  Jcliniei 
11.  Curullk 


!  (  intestin  1 


i  (nombreux  t 
s  (huit  tenta 


I"  Ihdnf,, 
H.   r'l,é//,yi 


I'.  Spangle, 
II.  Monadii 


r  (  isolés  ou  rameux  )  . 


Kn 


i  (sans  gangue). 


!  gangue  )  Aicj 


KOTES. 


ippÎQ^rc  de  Coel«au,  via 
,  des  ajiopliyscs  Iraiwvor 


nduliUnbl 

muni  dca 

subdiviïlo 

drdcr  ici  t 

et  coupe! 

qui  ne  .e 

dm  pour  1 

(  poUtoii 

.ptw<iu« 

DU  RÈGKE  Ar<IMAL.  13 

revue  les  fonctions  et  leurs  modes  dans  les  diffé- 
rents groupes.  En  conséquence  ,  nous  nous  sommes 
efforcé  de  placer  tous  ces  êtres  sur  une  seule  ligne  , 
conservant  entre  eux,  c'est-à-dire  de  chacun  avec  ses 
voisins,  le  plus  de  rapports  d'organisation  possible; 
et,  en  même  temps ,  nous  avons  fait  concorder  cette 
liaison  naturelle  avec  une  marche  progressive  dans 
la  complication  de  l'organisation ,  nous  l'avons  fait 
concorder  surtout  avec  la  disposition  des  zoonites 
ou  des  organismes  élémentaires,  qui  n'est  pas  à 
beaucoup  près  toujours  subordonnée  aux  mêmes 
règles ,  au  même  genre  de  symétrie  ,  ni  portée  au 
même  degré  de  coalescence.  Le  tableau  ci -joint 
donnera  d'un  coup-d'œil  l'ensemble  et  les  particu- 
larités de  cette  liste  ,  sur  laquelle  nous  offrirons 
pourtant  encore  quelques  éclaircissements.  Nos  dis- 
tributions sont  identiques  à  celles  communément 
admises  ;  nous  divisons  le  règne  animal  en  sous- 
règnes  ^  expression  empruntée  à  de  Blainville  ,  et 
qui  remplace  celle  de  grandes  divisions  adoptée  par 
Cuvier.  Ces  sous-règnes  se  divisent  en  classes j  et  les 
classes  en  ordres/  les  ordres  en  familles _,  celles-ci 
en  genres  j  qui  se  résolvent  en  espèces. 

Avant  d'arrêter  le  lecteur  sur  la  distribution  qui 
nous  a  paru  préférable,  fixons  avec  un  peu  plus 
de  précision  la  valeur  qu'il  faut  attacher  aux 
expressions  dont  nous  venons  de  nous  servir  ,  et 
qui  ne  sont  que  trop  souvent  employées  de  la  ma- 
nière la  plus  arbitraire.  Et  d'abord,  le  mot  espèce 
représente-t-il  quelque  chose  de  fixe  et  de  positif? 
Non  sans  doute ,  car  le  positif  ne  peut  s'appliquer 
qu'à  chaque  individu  pris  à  part  ,    et  l'on  a   eu 


14  DE    LA   CLASSIFICATION 

raison  de  dire,  en  ce  sens,  qu'il  n'y  a  dans  la 
nature  que  des  individus.  Dira-t-on,  avec  Buffon, 
que  l'espèce  est  la  collection  des  individus  qui  peu- 
vent s'accoupler  et  se  reproduire  ensemble?  C'est 
tomber  dans  une  foule  d'indécisions  pour  les  ani- 
maux faciles  à  observer  ,  de  problèmes  presque 
insolubles  pour  ceux  qui  sont  soustraits  habituelle- 
ment à  nos  regards.  Sera-ce,  comme  le  veutCuvier, 
îa  réunion  des  individus  descendus  l'un  de  l'autre 
ou  de  parents  communs ,  et  de  ceux  qui  leur  res- 
semblent autant  qu'ils  se  ressemblent  entre  eux?  Cet 
exposé  est  fautif,  tout  en  posant  assez  bien  les 
conditions  de  la  chose.  L'espèce  n'est  pas  un  assem- 
blage d'individus,  mais  un  assemblage  de  carac- 
tères distincts  ;  c'est  un  type  idéal  de  forme  j  d^or- 
ganisation  j,  de  mœurs  j  auquel  on  peut  rapporter 
tous  les  individus  qui  se  ressemblent  beaucoup  et  se 
propagent  avec  les  mêmes  formes.  On  divise  quel- 
quefois l'espèce  en  variétés  ^  en  races  ;  quelques 
caractères  peu  importants  ,  quelques  nuances  cons- 
tantes et  héréditaires ,  ou  bien  accidentelles  ,  mais 
fréquemment  reproduites,  s'ajoutant  aux  caractères 
du  type  spécifique.  C'est  en  réunissant  ensemble 
par  groupes  les  espèces  qui  présentent  quelques 
traits  communs  bien  saillants,  que  l'on  constitue 
par  l'exposé  de  ces  caractères  communs  le  type  idéal 
du  genre;  c'est  en  groupant  de  même  les  genres  que 
l'on  construit  les  familles.  Quant  aux  ordres,  aux 
classes  ,  aux  sous-règnes ,  c'est  communément  sur 
quelque  condition  commune  et  importante  de  l'or- 
ganisation intérieure  qu'on  les  établit.  Ceci  posé  , 
revenons  à  notre  classification. 


DU   RÈGKE    ANIMAL.  15 

Tout  en  adoptant  la  plupart  des  divisions  et  sous- 
divisions  admises  dans  Fensemble  des  animaux,  en 
les  établissant  toutefois  bien  souvent  sur  d'autres 
bases  et  en  plus  grand  nombre ,  nous  avons  aussi 
préféré  un  système  de  dénominations  qui  nous  sem- 
blaient plus  rationnelles.  Déjà  beaucoup  de  familles 
en  botanique  ou  en  zoologie  portaient  le  nom  du 
genre  principal  avec  une  désinence  particulière  ; 
nous  avons  cru  devoir  en  agir  de  même  pour  les  or- 
dres ,  les  classes  et  les  sous-règnes ,  en  distinguant 
chaque  sorte  de  division  par  une  désinence  spéciale, 
comme  on  le  verra  sans  peine  dans  notre  tableau , 
et  mieux  dans  celui  que  nous  avions  précédemment 
publié  dans  un  traité  sur  la  conformité  organique. 
Nous  établissons  dans  le  règne  animal ,  au  lieu  des 
quatre  grandes  divisions  de  Cuvier,  les  sept  sous- 
règnes  suivants  placés  par  ordre  en  descendant  de 
l'organisation  la  plus  complexe  à  la  plus  simple , 
de  l'individualisation  et  de  la  centralisation  à  l'in- 
dépendance ,  au  dégagement ,  à  l'isolement  graduel 
des  organismes:  hominiaires,  astacaires,  héîicaires, 
diphyaires ,  téniaires  ,  actiniaires  et  monadaires. 

Le  premier  sous-eÈgine  ,  celui  des  hominiaires  , 
correspond  aux  vertébrés  de  Lamarck  ,  de  Cuvier , 
de  tous  les  nomenclateurs  modernes.  Ce  sont  des 
animaux  à  organisation  très-complexe  ,  à  fonctions 
nombreuses  et  compliquées,  à  symétrie  binaire, 
c'est-à-dire  semblables  dans  leurs  deux  moitiés 
latérales,  et  composés  élémentairement  d'un  grand 
nombre  de  zoonites  ,  mais  soudées  ,  confondues  , 
individualisées  ;  de  sorte  que  les  rudiments  de  leur 
division  fondamentale  n'apparaissent  plus  guère  que 


16  DE  LA.  CLASSIFICATION 

dans  la  segmentation  de  la  colonne  vertébrale.  Ce 
qui  les  caractérise  encore  ,  c'est  surtout  leurs  mem- 
bres ou  appendices»  généralement  au  nombre  de 
quatre  seulement  ou  de  cinq,  y  compris  la  queue  ; 
c'est  la  présence  d'un  squelette  intérieur  complet, 
et  un  système  nerveux  à  masse  continue ,  à  renfle- 
ments marqués  seulement  d'une  manière  très-sen- 
sible vers  son  extrémité  cépbalique ,  et  occupant 
la  région  supérieure  du  tronc  (postérieure  chez 
l'homme  ). 

L'homme  constitue  le  prototype  de  ce  sous-règne 
auquel  il  donne  son  nom  ,  et  se  distingue  ,  à  l'exté- 
rieur, des  autres  animaux  qui  le  composent,  par 
son  attitude  droite  qui  lui  a  fait  donner  la  qualifica- 
tion de  bipède ,  par  sa  nudité  presque  complète ,  par 
le  raccourcissement,  l'aplatissement  de  la  face,  etc. 
A  l'intérieur ,  il  se  fait  remarquer,  en  particulier, 
par  l'énorme  prédominance  des  masses  nerveuses 
contenues  dans  la  tête  ,  marque  certaine  de  sa 
supériorité  intellectuelle,  et  par  la  forme  de  son 
larynx  ,  qui  lui  donne  le  moyen  de  communiquer 
plus  facilement  ses  pensées  aux  autres  hommes, 
en  raison  de  la  prodigieuse  variété  des  sons  que  cet 
organe  peut  produire.  L'homme  donne  aussi  son 
nom  à  l'une  des  cinq  classes  dont  ce  sous-règne  se 
compose  ,  et  dans  cette  première  classe  il  établit 
aussi  un  ordre  particulier  ,  comme  on  peut  le  voir 
dans  notre  tableau.  A  cet  ordre  succède  naturel- 
lement celui  des  singes j  qui  conduit,  par  l'inter- 
médiaire de  l'aye-aye,  à  celui  des  rongeurs/  parmi 
ceux-ci  l'helamys  ,  par  sa  ressemblance  avec  les 
kanguroos,  fait  le  passage  aux  marsupiaux  ^  dont 


DU   REGNE    ANIMAL.  17 

plusieurs  ont  beaucoup  d'affinité  avec  les   insecti- 
vores. La  transition  n'est  pas  moins  naturelle,  dans 
la  filiation  que  nous  avons  suivie ,    entre  les  insec- 
tivores et  les  carnassiers  par  les  ours,  entre  ceux-ci 
et   les   cétacés  par  les    phoques  :   un    peu   moins 
graduées  peut  -  être  du  lamantin  à  Ffiippopotame  , 
pour  amener  au  groupe  des  pachydermes  à  quatre 
doigts  j  les  transitions   reprennent  tout  leur  liant 
entre  les  autres  ordres  qui  terminent  cette  classe , 
savoir  :  les  ruminants ,  les  solipèdes  qu'on  pourrait 
fondre  en  un    seul  ordre  avec  les  pachydermes  à 
doigts  impairs  j  et  enfin  les  édentés  qui  conduisent 
si   naturellement  à  la   classe   suivante  ,    celle  des 
monotrèmes.    Nous  en  avons  assez  dit  pour  faire 
sentir  de  quelle  manière   on  peut  tirer   parti  du 
tableau  méthodique ,  et  il  nous  faudrait  entrer  dans 
des  détails  inutiles ,   pour  justifier  les  innovations 
que  nous  avons  apportées  dans  la  distribution  des 
ordres  pour  chacune  des  autres  classes  de  ce  sous- 
règne,   savoir:  celle  des  oiseaux ^  celle  des  reptiles 
et  celle  des  poissons.   Signalons  seulement  le  pas- 
sage des  oiseaux  aux  reptiles  par  les  ptérodactyles  , 
espèces  perdues  dont  nous  ne  connaissons  plus  que 
le  squelette  à  l'état  fossile  ;  celui  des  reptiles  aux 
poissons  anguilliformes  par  les  sirènes  et  les  céci- 
lies;   et  enfin,  celui  des  poissons  aux  annélides, 
appartenant  au  sous-règne  suivant ,  par  les  poissons 
suceurs  ,  les   myxines  en  particulier ,    que  Linné 
avait  classés  parmi  les  vers. 

On  sait  que  la  reproduction  vivipare  ,  la  station 
quadrupède ,  une  peau  garnie  de  poils ,  des  pou- 
mons   proprement    dits  ,   caractérisent   surtout    la 

9 


1  8  DE  LA  CLASSIFICATION 

classe  des  mammifères  que  j'appelle  hommistes.  Les 
monotrèmes  ou  échidnistes  laissent  encore  aujour- 
d'hui du  doute  sur  leur  mode  de  reproduction  , 
quoiqu'ils  paraissent  pourvus  de  mamelles  vérita- 
bles. Ils  ont  encore  des  poils  comme  les  mammi- 
fères ,  mais  ressemblent  aux  oiseaux  par  le  bec  , 
l'ergot,  etc.,  et  aux  reptiles  par  quelques  particu- 
larités du  squelette  ;  ils  ont,  du  reste,  comme  les 
précédents  et  les  suivants ,  des  poumons  à  air.  La 
troisième  classe  ou  celle  des  oiseaux  f^passeristesj 
a  en  outre  une  génération  ovipare  ,  des  plumes,  et 
le  vol  comme  moyen  de  translation.  Celle  des  rep- 
tiles ou  lacertistes  a  bien  encore  des  poumons  à  air , 
mais  vésiculeux,  et  ne  recevant  qu'une  partie  du 
sang  lancé  par  le  cœur  ;  ils  sont  généralement 
ovipares  et  couverts  d'une  peau  durcie  en  replis 
écailleux  ou  unie.  Enfin  ,  les  vertébrés  de  la  cin- 
quième classe  ,  poissons  ou  cyprinistes  ^  ont  de  véri- 
tables écailles ,  des  membres  conformés  en  nageoi- 
res,  et  vivent  effectivement  dans  l'eau;  aussi  leurs 
organes  respiratoires  sont-ils  lamelleux  ,  ils  portent 
le  nom  de  branchies. 

Le  deuxième  sous-rÈgne  ,  celui  des  astacaîres 
dans  ma  nomenclature ,  animaux  articulés  dans 
celle  de  Cuvier ,  comprend  aussi  des  animaux  binai- 
res ,  ou  dont  le  côté  droit  est  semblable  au  gauche. 
Leur  corps  toujours  segmenté  visiblement ,  môme 
au -dehors,  leur  a  fait  donner  le  nom  à'insecta  j, 
evTO'j.oLy  et  l'on  appelle  anneaux  les  segments  que 
séparent  des  sillons  transverses  avec  amincissement 
et  diminution  dans  la  consistance  des  téguments ,  le 
plus  souvent  durs,  qui  les  enveloppent.  Cette  dureté 


DU  RÈGNE  ANIMAL.  19 

de  la  peau  a  rendu  inutile  un  squelette  intérieur , 
dont  on  retrouve  à  peine  quelques  rudiments  ;  les 
membres  sont  ordinairement  nombreux  ,  grêles  et 
segmentés  de  la  même  manière  à  peu  près  que  le 
tronc.  Le  système  nerveux  se  compose  essentiel- 
lement de  renflements  nommés  ganglions  j  unis 
ensemble  par  des  cordons  plus  ou  moins  longs ,  et 
disposés  en  double  série  longitudinale  sur  la  ligne 
médiane  et  vers  la  face  inférieure  du  corps ,  à  part 
la  première  paire  qui  est  toujours  du  côté  supérieur. 
Dans  ce  sous  -  règne  ,  nous  établissons  six  classes 
qui  diffèrent  peu  de  celles  généralement  admises. 

1®  Les  lomhnctstes  ou  annélides  sont  caractérisés 
par  un  corps  loDg,  à  anneaux  nombreux  et  dont  la 
plupart  se  ressemblent,  par  des  membres  très-rudi- 
mentaires  ;  ils  vivent  dans  la  terre  humide  (lombrics), 
la  boue  (iiaïdes),  l'eau  douce  (sangsues)  ou  marine 
(néréides).  Ils  respirent  par  des  branchies  extérieures 
ou  intérieures ,  et  ont  une  circulation  complète  de 
sang  blanc  (clepsines)  ou  rouge  (la  plupart). 

2°  Les  ndùtes  ou  myriapodes  ont  aussi  le  corps 
annelé  et  vermiforme ,  à  part  quelques  exceptions 
(glomérides);  mais  leur  tête  est  tout-à-fait  distincte 
et  porte  des  jeux  bien  complets  :  les  autres  anneaux 
portent  des  membres  articulés  comme  ceux  des  in- 
sectes, et  terminés  par  un  ongle.  Ces  membres  sont 
toujours  par  conséquent  fort  nombreux.  Leur  res- 
piration se  fait  par  des  trachées  ;  leur  circulation 
n'est  pas  aussi  complète  que  celle  des  annélides. 

3»  Les  culicistes  ou  insectes  n'ont  que  six  pattes 
ambulatoires  fixées  aux  trois  segments  qui  snivent 
la  tête  ,  et  ces  trois  segments  diffèrent  beaucoup  des 


20  DE  LA  CLASSIFICATION 

suivants;  on  a  donné  à  leur  ensemble  le  nom  de 
thorax  ,  c'est  le  cou  (dère)  selon  nous  ;  et  ce  qu'on 
nomme  chez  eux  ventre  ou  abdomen  ,  est  pour 
nous  la  réunion  de  la  poitrine  et  de  l'abdomen 
'  tlioracO'gastre)  des  autres  animaux.  Les  insectes 
sont  pourvus  aussi,  le  plus  souvent,  d'ailes  à  l'état 
parfait;  ils  n'en  ont  point  dans  le  jeune  âge,  ou  état 
de  larve  ,  et  alors  ils  ressemblent  d'autant  plus  aux 
myriapodes ,  que  la  plupart  de  leurs  segments  sont 
moins  dissemblables  ,  et  que  souvent  (  chenilles  )  le 
plus  grand  nombre  porte  des  pieds ,  à  la  vérité  tem- 
poraires seulement. 

Les  insectes  peuvent  se  diviser  en  broyeurs  et  en 
suceurs  ,  selon  que  leurs  mandibules  et  leurs  mâ- 
choires sont  courtes,  tranchantes,  ou  bien  allongées 
et  piquantes  ;  ils  vivent  dans  l'air  pour  la  plupart, 
tantôt  aux  dépens  des  autres  animaux  ,  tantôt  sur 
les  végétaux  qu'ils  sucent  ou  qu'ils  dévorent  ;  il  en 
«st  qui  vivent  dans  les  eaux,  d'autres  sous  terre,  etc. 
Rien  de  plus  varié  que  leurs  habitudes  ,  et  jusqu'à 
un  certain  point ,  que  leurs  formes  ;  le  nombre  de 
leurs  espèces  est  immense.  Tous  respirent  par  des 
trachées  ;  leur  circulation  est  imparfaite  ,  du  moins 
quant  à  ses  organes. 

4"  Les  aranistes  ou  arachnides  n'ont  pas  d'anten- 
nes à  la  tète  comme  les  insectes  ,  les  myriapodes , 
les  crustacés  et  plusieurs  anuélides  ;  ils  sont  d'ail- 
leurs surtout  caractérisés  par  leurs  huit  pieds  am- 
bulatoires ,  répondant ,  selon  nous ,  aux  six  pieds 
des  insectes  et  à  leurs  palpes  labiaux.  Ici  la  tête 
est  toujours  confondue  avec  le  cou,  thorax  des  natu- 
ralistes modernes,  corselet  des  anciens;  le  reste  du 


DU  bègne  animal.  2î 

corps,  quekjuefois  soudé  aussi  au  cou  (acariens), 
en  est  ordinairement  assez  distinct,  parfois  même 
pédicule  (araignées)  ;  et  comme  il  porte  les  orga- 
nes respiratoires  en  avant,  nous  le  regardons,  aussi 
bien  que  le  prétendu  ventre  des  insectes,  comme 
untlioraco-gastre.  (^Tableau des  régionsliomologues.J 

Chez  plusieurs  arachnides ,  comme  chez  une  parti© 
des  insectes  ,  les  organes  de  la  manducation  sont 
allongés  en  suçoirs  (acariens)  ;  chez  les  autres,  ils 
sont  au  contraire  en  forme  de  membres  articulés , 
de  pinces  ,  comme  les  mandibules  des  faucheurs , 
des  nymphons,  les  mandibules  et  les  palpes  maxil- 
laires des  scorpions ,  ou  en  forme  de  griffe  comme 
les  mandibules  des  araignées,  les  palpes  du  phryne , 
etc.  Le  thoraco-gastre  de  plusieurs  (scorpions)  est 
parfaitement  divisé  en  une  partie  élargie  contenant 
les  organes  respiratoires  et  circulatoires ,  véritable- 
ment thoracique  ,  et  une  abdominale,  rétrécie  en 
forme  de  queue,  ne  renfermant  qu'un  prolongement 
du  tube  digestif ,  ce  qui  rapproche  singulièrement 
ces  animaux  des  crustacés. 

Presque  tous  les  aranistes  sont  terrestres  ,  mais 
nocturnes  et  aimant  l'humidité ,  habitant  les  caves , 
les  creux  enterre,  sous  les  pierres;  peu  vivent 
dans  les  eaux  douces  (hydracne,  argyronète)  ou 
salées  (nymphon).  Le  plus  grand  uombre  vit  de 
lïiatières  animales  et  surtout  d'humeurs  sucées  ou 
exprimées  ;  quelques-uns  sucent  les  végétaux  (tétra- 
nyque).  Leur  circulation  et  leur  respiration  ne  sont 
pas  les  mêmes  pour  tous,  car  il  en  est  qui  respirent 
par  des  trachées  ,  d'autres  par  des  poumons  lamel- 
îcux ,  quelques-uns  même  des  deux  manières  à  la  fois. 


22  DE  LA  CLASSIFICATION 

5"  Les  astacùtes  ou  crustacés  ont  des  pieds  plus 
nombreux  que  les  arachnides  et  les  insectes,  mais 
(  à  part  les  apus  et  quelques  autres)  moins  que  les 
myriapodes  et  les  annélides.  Ce  qui  les  distingue 
surtout  de  tous  les  autres  astacaires  ou  articulés , 
c'est  que  ces  pieds  sont  de  forme  très-différente  dans 
les  différentes  régions  du  même  animal ,  et  que  la 
tète  est  toujours  soudée  pour  le  moins  au  premier 
article  du  cou,  et  souvent  avec  le  thorax  tout  entier. 
Les  squilles  ,  les  phyllosomes  font  à  peu  près  la 
seule  exception  à  cette  dernière  règle.  Pour  ce  qui 
concerne  les  pieds,  on  nomme  pieds-màchoires  ceux 
qui  appartiennent  au  cou  et  avoisinent  le  plus  la 
bouche;  vrais  pieds,  les  pieds  thoraciques,  ceux 
qui  sont  ambulatoires  ;  et  fausses  pattes  ou  pieds 
abdominaux,  ceux  qui  se  trouvent  sous  la  partie 
postérieure  et  rétrécie  du  corps ,  vulgairement  nom- 
mée queue.  (  Tableau  des  homologues. J 

Ces  animaux  sont  presque  tous  broyeurs ,  il  en 
est  pourtant  de  suceurs  qui  vivent  en  parasites  ; 
tous  sont  habitants  des  eaux  qu'ils  ne  quittent  qu9 
momentanément ,  et  plus  volontiers  pendant  la  nuit  ; 
tous  respirent  par  des  branchies  extérieures  ou  inté- 
rieures ,  cotonneuses ,  filamenteuses  ou  lamelleuses 
comme  celles  des  arachnides ,  qu'on  ne  nomme  des 
poumons  que  parce  qu'elles  respirent  l'air  en  nature 
et  sont  enfermées  dans  une  poche  à  ouverture  étroite. 

6°  Les  halanistes  ou  cirrliipèdes ,  rangés  par  Cuvier 
au  nombre  des  mollusques,  ont  été  ramenés  par 
nous  déjà,  dans  un  autre  ouvrage,  à  la  classe  des 
articulés,  et  depuis,  d'une  manière  plus  complète 
et  plus  positive  encore  ,   par   Martin  Saint- Ange  , 


DU   REGNE   ANIMAL.  23 

Burmeister  ,  Wagner.  En  effet  ,  leur  système  ner- 
veux est  le  même  que  celui  des  crustacés ,  et  s'ils 
manquent  d'antennes ,  d'yeux ,  etc. ,  on  peut  du 
moins  leur  reconnaître  un  thorax  portant  des  pieds 
nombreux  et  à  nombreuses  articulations ,  filiformes, 
rappelant  ceux  des  cyclopes  ,  lymnadies,  argules, 
etc.  ,  et  un  abdomen  caudiforme.  Le  tout  est  mou 
sans  doute  ,  étant  enfermé  dans  une  coquille  à  deux 
battants,  qui  ressemble,  malgré  ses  brisures  mul- 
tiples ,  au  têt  bivalve  des  daphnies ,  cypris  et  lym- 
nadies. D'un  autre  côté ,  on  ne  peut  nier  que  les 
balanistes  n'aient  d'intimes  points  de  contact  avec  les 
mollusques  ,  que  leur  coquille  et  leur  pédicule  ne 
ressem.bîent  à  ce  que  nous  olYre  la  lingule  anatine , 
que  surtout  la  disposition  courbée  et  gibbeuse  de 
leur  corps,  le  rapprochement  de  leurs  pieds  poussés 
contre  la  bouche  ,  et  le  prolongement  conoïde  de 
leur  portion  terminale ,  ne  se  rapprochent  beaucoup 
de  ce  qu'on  voit  dans  les  céphalopodes. 

3^  SOLIS-RIEGNE.  HÉLIGAIRES  OU  MOLLUSQUES,  tel 

est  le  nom  qu'on  donne  à  des  animaux  raccourcis , 
non  sensiblement  segmentés,  souvent  recourbés  ou 
reployés  soit  dans  le  sens  vertical ,  ce  qui  leur 
conserve  la  symétrie  binaire,  soit  dans  un  sens 
latéral,  ce  qui  détruit  cette  symétrie.  Ces  animaux 
sont ,  pour  la  plupart ,  dépourvus  de  membres  ,  du 
moins  de  membres  articulés,  et  leur  tête  n'est  bien 
distincte  que  dans  un  assez  petit  nombre  ;  leurs 
centres  nerveux  ou  ganglions  sont  peu  nombreux  , 
mais  toujours  il  y  en  a  une  paire  au-dessus  de  la 
bouche ,  et  une  ou  plusieurs  autres  au-dessous  du 
canal  alimentaire  ou  sur  ses   côtés.   Plusieurs  de 


24  DE  LA  CLASSIFICATION 

leurs  sens  ,  leurs  organes  circulatoires ,  digestifs  et 
sécréteurs  sont  plus  complexes ,  plus  parfaits  que 
dans  le  sous-règne  précédent ,  et  rappellent  davan- 
tage ce  qu'on  remarque  dans  le  premier. 

Les  loligistes  ou  céphalopodes  ont  même  paru  à 
Meckel  devoir  être  placés  fort  près  des  vertébrés, 
en  raison  des  portions  cartilagineuses  qui  leur  for- 
ment une  sorte  de  crâne  ,  mais  dont  on  retrouve 
exactement  l'analogue   chez   les   crustacés    et  les 
insectes  (  entocéphale  ).    Latreille  s'était  fondé   sur 
d'autres  raisons  pour  les  comparer  aux  poissons  et 
notamment  aux  cartilagineux ,  mais  ils  ne  s'y  lient 
pas  d'une  manière  naturelle.  Leurs  membres  longs , 
charnus,  garnis  de  suçoirs,  sont  groupés  vers  la  tête, 
plus  encore  que  dans  les  balanistes  auxquels  ils  res- 
semblent aussi  par  la  courbure  ou  le  ploiement  de 
leur  corps,  qui  rapproche  singulièrement  la  bouche 
et  l'anus.  Tous  sont  aquatiques  et  marins  ,  ils  respi- 
rent par  des  branchies  placées  dans  une  sorte  de  sac. 
Les  lujaïistes  ou   ptéropodes  n'ont  plus  que  des 
membres  rudimentaires  ou  nuls  ,    groupés   aussi , 
quand  ils  existent ,   vers  la  bouche  dont  l'anus  est 
également  voisin  ;   leurs  branchies  sont  extérieures 
et  souvent  en  forme  d'ailes  ou  de  nageoires. 

Parmi  les  hélicistes  ou  gastéropodes  ^  certains  ont 
des  branchies  ,  d'autres  un  sac  aérien  garni  d'un 
lacis  vasculaire  ;  il  en  est  de  terrestres  et  d'aquati- 
ques; presque  tous  ont  une  coquille  extérieure, 
tandis  que  les  précédents ,  à  part  peu  d'exceptions 
(  argonaute ,  nautile  ) ,  n'en  ont  qu'à  l'intérieur ,  et 
souvent  même  que  des  rudiments  ;  presque  tous  sont 
repliés  latéralement ,  de  sorte  que  l'anus  s'ouvre  vers 


DU  REGINE  ANIMAL.  25 

le  côté  droit  de  la  tête  ;  leur  foie  est  contourné  en 
spirale  aussi  Lien  que  la  coquille  qui  le  contient  et 
qui  peut,  au  besoin,  recevoir  le  reste  du  corps; 
leur  tête  encore  distincte  ne  porte  que  de  courts  et 
peu  nombreux  appendices  sur  lesquels  les  yeux  sont 
souvent  portés ,  et  leur  corps  rampe  sur  un  épaissis- 
sement  musculaire  qu'on  nomme  le  pied. 

La  tête  n'existe  plus ,  à  proprement  parler ,  chez 
les  ostréistes  ou  acéphales  hivalves.  Le  pied  est  réduit 
à  des  proportions  telles ,  qu'on  lui  a  donné  le  nom 
de  langue  et  qu'il  manque  même  souvent.  Deux 
valves  calcaires  protègent  l'animal  qui  vit  toujours 
dans  l'eau ,  et  respire  par  des  branchies  en  forme  de 
lames  membraneuses. 

La  classe  suivante  (^lingulistes  ou  hrachwpodesj 
a  beaucoup  de  ressemblance  avec  celle  des  bival- 
ves ,  et  pour  la  coquille  et  pour  les  branchies ,  et 
se  rapproche  aussi  de  quelques-uns  de  ces  mollus- 
ques par  le  pédicule  qui  supporte  l'animal. 

Ce  pédicule  existe  aussi  chez  plusieurs  ascidistes 
ou  acéphales  sans  coquilles  _,  qui  sont  fixés  aux 
rochers  sous-marins  ;  d'autres  s'y  fixent  également , 
mais  en  famille  (synoïques,  plumatelles,  escarres); 
d'autres  encore  flottent  dans  les  mers,  soit  en  masses 
véritablement  agrégées  ,  soudées  (pyrosomes),  soit 
en  chaînes  où  les  individus  sont  simplement  accolés 
(  biplîores  )  :  ceux-ci  conduisent  naturellement  au 
quatrième  sous-règne. 

Ce  quatrième  sous-rÈgne  est  celui  des  diphyaires, 
animaux  rangés  par  Cuvier  parmi  les  rayonnes,  quoi- 
que la  plupart  d'entre  eux  offrent  plutôt  une  disposi- 
tion bisériale,  mais  alterne  et  non  parallèle,  de  leurs 


26  DE  LA  CLASSIFICATION 

organismes.  Aussi  constituent-ils  ou  des  bouquets  ou 
des  grappes ,  des  guirlandes  de  zoonites ,  fixées  sou- 
vent sur  une  tige  commune  ;  de  là ,  le  nom  de  racé- 
miaires  que  j'avais  cru  d'abord  devoir  leur  assigner. 
Leur  organisation  est  au  reste  très-incomplétement 
connue ,  et  leurs  appendices  d'une  nature  fort  dou- 
teuse encore ,  aussi  bien  que  l'intimité  de  leur 
assemblage.  Les  vésicules  qu'ils  portent  en  nombre 
variable,  la  consistance  demi -cartilagineuse  et  la 
transparence  cristalline  de  plusieurs  de  leurs  pièces 
principales,  leurs  couleurs  vives,  l'àcreté  de  l'en- 
duit qui  les  recouvre  au  milieu  des  eaux  marines 
où  ils  nagent,  leur  donnent  un  aspect  très-singulier, 
les  font  ressembler  aux  fleurs  des  végétaux ,  et  les 
rapproclient  surtout  de  certains  animaux  vraiment 
rayonnes  (méduses)  ;  mais ,  pour  établir  une  filiation 
régulière  ,  nous  sommes  obligé  de  les  en  séparer 
par  des  êtres  qui  offrent,  comme  les  diplijaires, 
un  mélange  de  la  disposition  bisériale  et  de  la 
radiée  ,  et  dont  plusieurs  aussi  affectent  la  forme 
vésicuîeuse  :  tels  sont  les  premiers  genres  de  vers 
intestinaux. 

Ceux-ci  constituent  le  cinquième  sous-rÈgne, 
que  nous  désignons  par  le  nom  de  téjniaîres  ou 
ELMiNTHES  ,  et  qui  comprend  aussi  une  partie  des 
animaux  rayonnes  de  Cuvier  ;  ce  sont  les  entozoaires 
ou  vers  intestinaux  des  autres  naturalistes.  Ils  ont 
reçu  ces  dernières  dénominations ,  parce  que  le  plus 
grand  nombre  vit  en  parasite  dans  les  viscères  des 
autres  animaux.  On  leur  trouve ,  tantôt  une  pulpe 
homogène  oîi  le  système  nerveux  est  combiné ,  mo- 
lécule à  molécule ,  avec  Je  musculaire ,  et  des  intes- 


DU  REGNE  ANIMAL.  27 

tins  vasciiliformes  simples  ou  rameux ,  adhérents  à 
la  pulpe  constitutive  (^ténisîesjj  tantôt  des  muscles 
et  des  filaments  nerveux  distincts  mais  peu  ou  point 
de  centres  gangliformes  ,  et  des  organes  digestifs 
tuLuleux  et  flottants  (^ascaridistesj .  Parmi  les  pre- 
miers, il  en  est  de  yésiculeux  qui  rappellent  les 
physalies  et  les  rhizophyses  du  sous-règne  précé- 
dent, et  dont  la  tête  offre  quatre  suçoirs  et  une 
couronne  de  crochets,  disposition  tout-à-fait  radiée 
(cysticerques)  ;  chez  d'autres  (ténia)  ,  ces  mêmes 
traces  de  rayonnement  coexistent  avec  un  corps 
allongé  à  l'extérieur,  et  composé  de  segments  très- 
nomhreux  et  très-distincts ,  articulés  hout  à  hout. 
Les  seconds  rappellent  la  forme  des  annélides , 
mais  le  rayonnement  s'y  démontre  aussi  par  l'oppo- 
sition parallèle  de  deux  filaments  nerveux,  l'un 
dorsal ,  l'autre  ventral ,  alternant  avec  deux  vais- 
seaux latéraux  ,  ce  qui  les  rapproche  beaucoup 
des  actiniaires  à  forme  allongée  ,  qui  commencent 
la  division  suivante. 

Le  sixième  sous  -  rÈgne  comprend  la  majeure 
partie  des  animaux  rayonnes  ou  zoophytes  de  Cuvier, 
les  vrais  radiaires ,  que  je  nomme  actiniaires.  Ici , 
en  effet,  les  organismes  sont  disposés  sur  un  plan 
circulaire  ou  stelliforme,  c'est-à-dire  en  directions 
divergentes.  L'organisation  n'est  pas  généralement 
très  complexe ,  mais  elle  l'est  néanmoins  beaucoup 
plus  qu'on  ne  l'avait  cru  pour  beaucoup  de  ces  êtres, 
trompé  que  l'on  était  par  la  translucidité  des  parties 
intérieures  ;  l'existence  d'un  système  nerveux  dis- 
tinct a  été  révoquée  en  doute  ;  d'autres  l'ont  décrit 
comme  disposé  en  couronne.  Quelques-uns  de  ces 


28  DE  LA  CLASSIFICATION 

animaux  se  rapprochent  pourtant  de  la  disposition 
binaire  ,  les  janires  ,  les  cestes ,  les  spatangues  ; 
d'autres  se  rapprochent  bien  intimement  de  quel- 
ques monadaires  ,  des  hydres  ou  polypes  d'eau 
douce  ;  ils  en  diffèrent  surtout,  comme  ils  diffèrent 
aussi  des  ascidistes  agrégés ,  par  la  multiplicité  de 
leurs  intestins  en  nombre  égal  à  celui  de  leurs 
appendices  rayonnes;  du  reste,  on  les  trouve  éga- 
lement agrégés ,  réunis  en  un  ensemble  arborisé , 
qui  leur  a  valu  le  nom  de  zoophytes  ou  plantes 
animales  ,  donné  aussi ,  par  extension ,  à  d'autres 
animaux  auxquels  il  convient  beaucoup  moins.  Le 
système  numérique  des  organismes  ou  zoonites , 
chez  les  actiniaires ,  offre  quelques  différences  assez 
remarquables  ;  ainsi ,  dans  la  première  classe  de  ce 
sous-règne ,  chez  les  holothuries  ,  les  oursins  ,  les 
étoiles  de  mer  {^astéristes  ou  éclnnodennesjj  c'est  par  le 
nombre  cinq  et  ses  combinaisons  qu'ils  se  comptent  ; 
c'est  par  quatre  et  ses  multiples  dans  les  deux  autres 
fmédusistes  ou  acalèphes  et  actinistes  ou  pohjpesj. 

Enfin ,  le  dernier  sous-rÈgne  est  celui  des  mona- 
daires ,  appartenant  encore  aux  zoophytes  dans 
d'autres  nomenclatures.  Ici  se  retrouvent  seulement 
des  êtres  à  une  seule  zoonite,  mais  qui  peuvent 
quelquefois  s'agréger  comme  les  animaux  des  sous- 
règnes  précédents  ;  ainsi ,  des  monades  accolées 
constituent  les  pectoralins ,  les  uvelles ,  les  antho- 
physes  de  Bory-S^-Vincent;  des  hydres  réunies  sur 
un  polypier  commun  composent ,  et  les  sertulaires 
dont  les  polypes  sont  pourvus  d'un  intestin  ,  d'une 
bouche  et  de  tentacules  comme  les  hydres  propre- 
ment dites,    et  certains   alcyons  regardés   comme 


DU  RÈGNE  ANIMAL.  29 

plantes  par  beaucoup  de  naturalistes ,  tel  Valcyonmm 
bursa  de  Linné  f'haUcarpus  hursa^  nobisj  dont  les 
polypes  ont  un  intestin  et  un  suçoir  discoïde ,  mais 
point  de  tentacules.  Les  théthyes ,  les  éponges  pour- 
raient bien  n'être  aussi  que  des  agrégats  d'animal- 
cules qu'on  a  pris  pour  leurs  œufs  ,  et  qui  se  déga- 
gent parfois  de  la  gangue  filamenteuse  ou  siliceuse 
qui  fait  la  masse  principale  de  ces  agrégats. 

De  ces  monadaires  quelques-uns  n'offrent  point 
de  bouche  apparente  (yolvoce  ,  acéplialocyste^  etc.); 
chez  d'autres  (monades  ,  etc.  )  elle  est  admise  seu- 
lement depuis  les  recherches  d'Ehrenberg  ,  ainsi 
que  la  multiplicité  de  leurs  poches  intestinales  ;  car 
on  ne  les  a  long-temps  considérés  que  comme  des 
molécules  organisées  (Buffon)  et  à  peine  vivantes. 
C'était  là  ce  qu'on  nommait  les  animalcules  infu- 
soireSj  parmi  lesquels ,  il  est  vrai ,  on  a  rangé  une 
multitude  d'animaux  appartenant  à  d'autres  sous- 
règnes,  comme  les  rotifères  et  les  genres  voisins, 
qu'il  faut  probablement  rapporter  aux  mollusques; 
les  brachions,  kérones  ,  etc. ,  qui  semblent  se  rap- 
procher beaucoup  des  cyclopes  et  autres  entomos- 
tracés;  les  vibrions  dont  plusieurs  sont  de  vrais 
ascarides,  et  d'autres ,  aussi  bien  que  les  paramécies 
et  genres  annexes ,  ne  sont  que  de  petites  espèces 
de  planaires  ou  de  dérostomes  (  i  ). 

(1)  Je  pense  que  l'appareil  décrit  par  Ehrenberg  sous  le  nom  d'appareil 
dentaire,  et  qu'il  figure  en  couronne  ou  en  godet  cylindroïde  chez  ses  genres 
nassule,  chilodon,  loxodes,  prorodon,  et  chez  les  paramécies,  n'est  autre  chose 
qu'un  suçoir  comparable  à  celui  des  planaires  et  des  dérostomes  ;  son  aspect 
cristallin  et  sa  consistance  ,  assez  grande  déjà  dans  les  espèces  non  microscopi- 
ques, peuvent  lui  avoir  fait  croire  qu'il  s'agissait  d'une  pièce  cartilagineuse, 
et  des  stries  longitudinales  peuvent  avoir  simulé  les  fascicules  de  longues  dents 
parallèles  et  soudées  qu'il  a  cru  reconnaître  de  même  ;  au  reste,  dans  un  autre 
travail,  il  attribue  aux  paramécies  xme  petite  trompe. 


30  HISTOIRE  NATURELLE  DE  LA  VIE 

Les  monadaires  font  le  passage  entre  les  animaux 
et  les  végétaux,  et  la  limite  entre  les  deux  règnes  est 
fort  indécise.  En  effet,  les  filaments  des  oscillaires 
exécutent  des  mouvements  évidents  de  raccourcisse- 
ment ,  d'allongement  ;  les  bacillaires  exécutent  des 
inflexions  lentes  ;  les  diatomes  se  déplacent  sensi- 
blement ;  les  zoocarpées  de  Bory-St-Yincent ,  néma- 
zoones  de  Gaillon,  sont  composées  de  filaments  d'ap- 
parence végétale ,  mais  constituées  par  la  réunion  de 
corpuscules  qui ,  à  l'état  libre  ou  d'isolement ,  sem- 
blent animés,  changent  de  lieu  et  même  de  forme. 
Un  jour  viendra  ,  peut-être,  où  l'on  réunira  la  glo- 
buline  aux  monades  les  plus  simples ,  les  bacillaires 
aux  bactrelles  de  Morren ,  les  fragillaires  aux  lamel- 
lines,  les  plantes  de  la  famille  des  chaodinées  aux 
animaux  de  celle  des  spongiés  ,  les  palmelles , 
héliérelles  aux  uvelles ,  aux  pectoralins,  etc.  On  doit 
se  contenter  aujourd'hui  de  les  mettre  en  regard. 


CHAPITRE  IIÏ. 

HISTOIRE  NATURELLE  DE  LA  VIE  CONSIDEREE  DANS  CHAQUE  INDIVIDU. 

Ce  chapitre  est  destiné  à  l'énarration  des  phases 
et  des  périodes  par  lesquelles  passe  chaque  individu 
des  différentes  espèces  d'êtres  vivants,  depuis  le 
commencement  de  sa  vie  jusqu'à  sa  terminaison. 

^.  Plusieurs  de  ces  espaces ,  ceux  que  nous 
nommons  phases  de  la  vie^  se  succèdent  sans  se 
ressembler ,  et  constituent  chacun  une  partie  notable 
de  la  durée  totale  de  l'existence ,  dont  ils  sont  des 
divisions  essentielles  et  subordonnées  seulement ,  ou 


CONSIDÉRÉE  DANS  CHAQUE  INDIVIDU.  31 

presque  seulement,  à  Forganisation ,  indépendantes 
ou  peu  dépendantes  des  circonstances  extérieures  : 
ce  sont  les  âges.  Il  en  est  quatre  bien  distincts,  dont 
nous  traiterons  successiTement  en  peu  de  mots, 
aussi  bien  que  de  la  mort  j  qui  en  forme  la  conclu- 
sion définitive. 

1  o  ,^ge  fœtal.  Portion  de  la  vie  qui  se  passe  dans 
l'œuf ,  vie  intra-utérine  des  mammifères  ;  état  du- 
rant lequel  un  germe  d'abord  mou  ,  gélatineux  , 
très-imparfait  et  d'une  extrême  petitesse ,  acquiert 
graduellement  consistance ,  grandeur  et  perfection- 
nement dans  sa  structure,  soit  que  de  nouveaux 
organes  se  forment  et  s'ajoutent  les  uns  aux  autres, 
soit  que  des  organismes  primitivement  éloignés  se 
rapprochent  et  se  confondent  pour  un  service  com- 
mun :  phase  durant  laquelle  la  vie  se  complique 
par  degrés,  devient  par  degrés  plus  manifeste  et 
plus  active;  où  la  nutrition  est,  à  peu  près,  la 
seule  fonction  énergique  ;  où  cette  nutrition  ,  toute 
d'imbibition  d'abord,  s'opère  ensuite  par  des  pro- 
cédés plus  complexes ,  et  ce  avec  une  rapidité  qui 
n'a  rien  de  pareil  dans  le  reste  de  l'existence  :  phase 
dans  laquelle,  enfin,  subordonnée  d'abord  à  la  vie 
de  la  mère  ,  la  vie  du  nouvel  être  tend  à  devenir 
de  plus  en  plus  indépendante ,  et  l'est  même  presque 
de  prime  abord  chez  beaucoup  d'animaux  (ovipares). 
Nous  verrons  ailleurs  (^générationj  ^  avec  les  détails 
convenables,  en  quoi  consistent  ces  particularités 
qui  ne  doivent  être  énoncées  ici  que  d'une  manière 
superficielle. 

2^ Enfance.  Phase  d'accroissement  et  d'éducation, 
durant  laquelle  le  corps  de  l'animal  reçoit  plus  de 


32  HISTOIRE   NATURELLE   DE  LA  VIE 

matériaux  qu'il  n'en  laisse  échapper.   L'animal ,  à 
cet  âge ,  a  moins  de  consistance  et  de  force  que  dans 
les  âges  suivants,  mais  il  jouit  encore  d'une  activité 
nutritive,  qui  rappelle   en  partie  celle   de  la  vie 
fœtale ,  dont  l'enfance  diffère  par  l'activité  animale j 
c'est-à-dire  par  l'aptitude  à  exécuter  les  actes  qui 
modifient  les  corps  environnants  et  à  recevoir ,  de 
ces  corps,  des  impressions  variées.  L'enfant  ne  dif- 
fère pas    seulement  de  l'adulte  par  les  conditions 
que  nous  venons  d'énumérer,  et  par  une  taille  d'au- 
tant moindre  qu'il   est  moins   éloigné  du  moment 
de  la  naissance  ;  il  y  a  souvent  aussi ,  entre  l'un  et 
l'autre  ,  des  différences  de  forme,  de  proportion,  de 
couleurs  (livrée  des  faons,  des  marcassins,  des  jeunes 
oiseaux);  mais  ces  différences  sont  surtout  consi- 
dérables chez  quelques  animaux  qui  sembleraient 
appartenir  à  des  ordres  et  même  à  des  classes  diffé- 
rentes, considérés  à  deux  âges  divers  :  ce  sont  les 
animaux   à   métamorphose  ,  comme    les  batraciens 
parmi  les  vertébrés,    les  insectes,  les  cirrhipèdes, 
certaias  crustacés  et  certaines  arachnides  parmi  les 
invertébrés.    L'enfance  de  ces   animaux,   ou  leur 
état  de  larve j  comme  on  l'appelle,  est,  en  quelque 
sorte  ,  une  prolongation  de  l'état  fœtal ,  mais  avec 
l'activité  caractéristique  de  la  vie  hors  de  l'œuf,  et 
qui  doit  suffire  pour  faire    regarder   comme  une 
métaphore,  l'assertion  des  naturalistes  qui  ont  voulu 
appeler  la  larve  un  œuf  susceptible  d'accroissement 
et  de  mouvement. 

B**  ^ge  adulte  ou  état  parfait.  Ici,  pour  l'ordinaire, 
l'animal  a  acquis  et  sa  forme  définitive  et  sa  taille 
complète  ;  il  s'entretient,  pendant  un  temps  variable 


CONSIDÉRÉE  DANS  CHAQUE  INDIVIDU.  33 

selon  les  espèces  ,   dans  un  état  stationnaire  ,  per- 
dant autant  de  matériaux   qu'il  en  assimile   à   sa 
substance.   Quelques  animaux  pourtant  continuent 
à  s'accroître ,  s'ils  se  trouvent  dans  les  conditions  con- 
venables ,  pendant  toute  la  durée  de  leur  vie  ;  on  ne 
leur  connaît  pas ,  du  moins ,  de  véritable  vieillesse  : 
tels  sont  les  poissons,  la  plupart  des  reptiles.  L'âge 
adulte  est  celui  de  la  force ,  dé  la  puissance ,  de  la 
solidité  ;  c'est  aussi  celui  où  une  partie  du  superflu 
de  la  nutrition  sert  à  la  reproduction  de  nouveaux 
êtres;  il  commence  donc,  à  proprement  parler,  à 
la  puberté  et  s'étend  jusqu'à  la  stérilité  sénile,  bien 
que ,  chez  l'homme  surtout ,  la  nubilité  commence 
avant  que  le  corps  ait  pris  tout  son  développement, 
et  que  la  reproduction  puisse  être  encore  opérée  , 
de  la  part  du  mâle  en  particulier,  à  une  époque  où 
déjà  l'organisation  offre  cette  décadence  qui  carac- 
térise la  phase  suivante.  D'ailleurs,  ce  moyen  de 
délimiter  l'âge  adulte  serait  évidemment  inapplicable 
aux  animaux  qui  ne  sont  pas  aptes  à  se  reproduire , 
comme  les  mulets  et  les  individus  qui,  dans  les  gran- 
des réunions  de  certains  insectes  (abeilles,  fourmis, 
termes  ),   sont  essentiellement  chargés  du  travail  et 
ont  été  nommés  ouvrières  par  les  naturalistes. 

4"  Vieillesse,  Cet  âge ,  où  l'animal  perd  plus  de 
matériaux  qu'il  ne  s'en  approprie  par  l'alimentation, 
et  qui  se  caractérise  par  l'amaigrissement,  l'atro- 
phie, la  flétrissure,  le  dessèchement,  l'endurcisse- 
ment, l'affaiblissement  et  la  torpeur,  commence,  chez 
certains  animaux ,  aussitôt  qu'ils  ont  pourvu  à  l'entre- 
tien de  l'espèce  par  un  ou  plusieurs  accouplements. 
L'éphémère,  à  l'état  parfait,  n'a  pas  même  d'organes 

3 


34  HISTOIRE  NATURELLE  DE  LA  VIE 

de  manducation  ;  elle  meurt  le  jour  ou  le  lendemain 
de  ses  amours  et  de  son  enfantement,  après  avoir  vécu 
deux  ou  trois  ans  sous  les  eaux  à  l'état  d'enfance, 
c'est-à-dire  sous  forme  de  larve.  Beaucoup  de  mâles, 
chez  les  insectes ,  périssent  peu  après  le  coït  ;  et  la 
femelle  périt  souvent  sur  ses  œufs  comme  les  gal- 
linsectes,  ou  bien  après  les  avoir  couvés,  protégés 
jusqu'à  leur  éclosion  comme  beaucoup  d'araignées. 
Chez  d'autres  animaux  ,  l'homme  par  exemple  ,  la 
décrépitude  marche  par  degrés  bien  plus  lents  ;  et 
c'est  encore  une  assez  longue  vie  que  celle  de  la 
femme  qui  a  passé  le  temps  critique ,  c'est-à-dire  celui 
oii  elle  a  perdu  la  fécondité. 

5°  La  mort  est  en  quelque  sorte  une  cinquième 
phase  de  la  vie  ;  elle  est  comme  la  conséquence  de 
la  décrépitude  qui  n'est  souvent  qu'une  mort  lente 
et  partielle.  Quelle  que  soit  même  la  manière  dont 
elle  arrive  ,  qu'elle  suive  un  accident,  une  maladie, 
elle  n'est  pas  instantanément  complète  ;  il  y  a  un 
temps  où  certains  organes ,  certaines  parties  ont  déjà 
cessé  de  vivre,  que  d'autres  jouissent  encore  de  leur 
activité  spéciale,  et  nous  verrons  plus  loin  (  contracti- 
lité  )  que  la  mort  n'est  vraiment  totale  que  quand  la 
putréfaction  commence.  La  fermentation  putride  est, 
en  effet ,  le  mode  de  destruction  le  plus  ordinaire  de 
l'animal  àe\emi  cadavre  ;  elle  volatilise  la  majeure 
partie  de  ses  éléments,  réduit  les  autres  en  terreau, 
et  dissémine  ,  en  les  dissociant ,  les  parties  qui  résis- 
tent à  son  influence  (os ,  téguments  cornés  ,  etc.),  et 
qui  bientôt  céderont  à  l'action  mécanique  de  l'air, 
des  pluies ,  à  celle  du  soleil  et  de  la  gelée ,  et  sou- 
vent encore  à  la  dent  des  autres  animaux  vivants. 


CONSIDÉRÉE  DAKS  CHAQUE  INDIVIDU.  35 

Cette  dernière  cause  de  destruction  agit  puissam- 
ment aussi  sur  les  parties  mollis  et  charnues ,  et  c'est 
une  chose  miraculeuse  que  de  voir  avec  quelle  rapi- 
dité les  larves  de  diptères,  les  dermestes,  houcliers, 
nécrophores  et  autres  font  disparaître  des  cadavres 
même  d'animaux  volumineux;  de  là,  la  rareté  de 
leurs  déhris  dont  les  parties  les  plus  compactes  ne 
se  conservent  même  pendant  long-temps  qu'à  l'aide 
de  circonstances  particulières,  comme  l'enfouisse- 
ment qui  les  fossilise  j,  etc.  La  dessiccation  ne  pro- 
duit pas  des  effets  aussi  durables ,  quoiqu'elle  con- 
serve ,  pendant  d'innombrables  années  ,  les  cada- 
vres des  végétaux,  bien  moins  fermentescibles ,  il 
est  vrai,  que  ceux  des  animaux. 

Les  phases  que  nous  venons  de  parcourir  peuvent 
avoir,  chacune  en  particulier  ,  une  durée  variable, 
et  cette  durée  n'est  proportionnelle,  entre  quel- 
qu'une de  ces  parties  et  leur  ensemble,  que  chez 
certains  animaux.  Si,  chez  les  mammifères,  on  a  pu 
dire  ,  avec  quelque  raison  ,  que  la  durée  totale  de  la 
vie  était  en  rapport  avec  celle  de  l'enfance ,  cette 
règle  ,  déjà  sujette  à  des  irrégularités  assez  fortes, 
ne  serait  plus  applicable  aux  autres  classes  du  même 
sous-règne  ni  aux  sous-règnes  suivants.  On  ne  peut 
guère  non  plus  établir  de  rapport  constant  entre  la 
durée  de  la  vie  et  la  complexité  de  l'organisation  ; 
bien  que,  en  général,  les  animaux  à  organisation 
complexe^  à  individualisation  et  centralisation  plus 
intenses,  vivent  plus  que  les  autres  :  mêmes  incer- 
titudes relativement  à  la  taille,  quoique,  généra- 
lement, les  grands  animaux  vivent  plus  que  les 
petits.  D'ailleurs,  c'est  une  chose  fort  difficile  à  établir 


36  HISTOIRE  NATURELLE  Ï)E  LA  VIE 

que  cette  durée  chez  les  animaux  sauvages  ;  conten- 
tons-nous donc  de  donner  ici ,  à  ce  sujet ,  quelques 
aperçus  comparatifs.  Les  deux  points  extrêmes  de 
l'échelle  animale  pourraient,  jusqu'à  un  certain 
point,  nous  offrir  aussi  les  deux  extrêmes  sous  le 
rapport  qui  nous  occupe  :  en  effet ,  c'est  certaine- 
ment une  des  plus  courtes  existences  vivantes  que 
celle  des  infusoires  qui ,  dans  une  matière  en  fer- 
mentation ,  se  produisent  par  milliers  et  se  transfor- 
ment, d'un  jour  à  l'autre,  en  nouvelles  espèces, 
comme  l'avait  observé  Euffon ,  tout  en  leur  donnant 
le  nom  de  molécules  organiques.  Quelques-uns  de 
ces  animaux  monadaires  ne  semblent ,  il  est  vrai  , 
perdre  que  leur  animalité ,  mais  non  leur  vie  ;  ce 
sont  ceux  qui ,  par  leur  agrégation  ,  constituent  des 
conferves  et  autres  productions  d'apparence  végétale; 
les  plus  complexes  d'entre  eux  ,  appartenant,  à  la 
vérité ,  à  des  classes  supérieures  dans  lesquelles  il 
faudra  bien  les  ranger  plus  tard,  ont  aussi  une  vie 
plus  durable  et  plus  variée  (i)  ;  il  en  est  même  qui 
semblent  susceptibles  de  la  perdre  et  de  la  repren- 
dre à  diverses  reprises.  Le  rotifère  ,  qu'il  faut  rap- 
procher des  mollusques  ptéropodes  ,  a  joui  sous  ce 
rapport  d'une  grande  célébrité  ,  grâce  aux  remar- 
ques de  Spallanzani  et  d'autres  ;  desséché  dans  le 
sable  ou  la  vase  où  il  prend  naissance ,  il  semble 
mort,  etpeut  être  ainsi  conservé  des  années  entières, 
puis  reprendre  sa  forme  et  son  activité  quand  cette 
vase  est  humectée,  délayée  dans  de  l'eau  nouvelle; 
mais  Morren  et  de  Blainville  ont  bien  constaté  qu'il 

(1)  Ehrenberg  estime  à  dix-huit  jours  la  vie  des  infusoires  rotateurs  ;   mais  il 
dit  que  celle  des  polygastriques  est  encore  plus  longue. 


CONSIDEREE   DAINS   CHAQUE  INDITIDU.  37 

ne  recouvre  point  la  vie  quand  il  est  desséché  à 
nu ,  et  les  observations  de  plusieurs  micrographes 
modernes,  les  nôtres  propres  ,  se  trouvent  ainsi 
conciliées  avec  celles  de  Spallanzani  ;  il  en  résulte 
qu'une  dessiccation  absolue  tue  irrévocablement 
l'aoîmal;  et  sans  doute  il  en  serait  de  même  du 
vîbrio  tritici  sur  lequel  on  a  fait  des  remarques  du 
même  genre  (Bauer).  Quant  aux  branchipes ,  aux 
apus,  aux  daphnies,  etc.,  qui  se  montrent  subitement 
dans  les  eaux  pluviales  et  bourbeuses,  il  n'est  pas  cer- 
tain qu'ils  se  conservent  dans  la  vase  desséchée,  et 
l'on  pourrait  supposer  que  cette  conservation  n'est 
réelle  que  pour  leurs  œufs,  chose  à  peu  près  prou- 
vée d'ailleurs  pour  les  œufs  de  poissons. 

Nul  doute  que  les  polypes  à  polypier ,  considérés 
en  masse  ,  ne  jouissent  d'une  longue  existence;  mais 
il  est  peu  probable  que  chaque  individu ,  pris  en  par- 
ticulier ,  soit  dans  le  même  cas  :  la  formation  même 
des  récifs  et  des  lies  que  leur  amas  constitue ,  prouve 
que  la  portion  vivante  est  bientôt  étouffée  par  la 
portion  calcaire  ;  c'est  une  famille  qui  se  perpétue  , 
mais  dont  les  nouveaux  rejetons  concourent,  par 
leur  développement ,  à  faire  périr  leurs  ascendants. 

Les  énormes  dimensions  auxquelles  parviennent 
certaines  méduses  semblent  prouver,  chez  elles,  une 
assez  longue  vie;  Rolando  dit  qu'il  en  existe,  vers  les 
côtes  de  Sardaigne ,  dont  la  circonférence  est  telle 
que  deux  hommes  pourraient  à  peine  l'embrasser. 
Quant  aux  vers  intestinaux,  la  longueur  et  la  téna- 
cité de  leur  vie  ne  sont  que  trop  connues  par  l'incom- 
modité qu'ils  occasionnent  à  l'animal  chez  lequel  ils 
séjournent.   Certains  elminthes  (  ceux  des  poissons 


38  HISTOIÎIE  NATURELLE  DE  LA  VIE 

en  particulier  )  peuvent  même  survivre  aux  animaux 
qui  les  recèlent  dans  leurs  entrailles,  soit  qu'ils 
s'établissent  en  parasites  chez  l'animal  vorace  qui  a 
fait  sa  proie  de  leur  premier  hôte ,  soit  que  ,  flottants 
dans  les  eaux ,  ils  s'attachent  à  une  nouvelle  victime. 
Ce  n'est  guère  que  d'après  la  grandeur  à  laquelle 
ils  parviennent  qu'on  peut  juger  de  la  durée  de  la 
vie  chez  les  mollusques  :  il  faudrait,  par  conséquent, 
accorder  une  longue  existence  à  ces  énormes  poulpes 
dont  parlent  divers  auteurs ,  si  leurs  récits  romanes- 
ques n'étaient  évidemment  empreints  d'exagération. 
Les  stries  d'accroissement  que  portent  les  coquilles 
de  la  plupart  des  mollusques  pourraient  fournir, 
à  ce  sujet,  des  données  plus  positives  encore,  en 
s'attachant  aux  principales,  à  celles  qui  semblent 
devoir  être  la  marque  d'un  travail  annuel,  celles 
qui  reproduisent  les  mêmes  éminences  et  sinuosités, 
le  même  évasement  que  la  bouche  d'une  coquille  de 
gastéropode  par  exemple ,  les  cloisons  d'un  nautile , 
les  trous  d'une  haliotide  ,  les  franges  épineuses  d'un 
murex,  etc.  etc.  Or,  les  nombreuses  saillies  de  cette 
nature  et  des  articulations  auxquelles  elles  répon- 
dent ,  aussi  bien  que  l'énorme  dimension  de  tout  le 
disque  de  certaines  ammonites  ,  prouvent  la  longé- 
vité des  animaux  qu'elles  ont  renfermés  jadis  ;  ou 
en  peut  dire  autant  du  tridacne  bénitier,  tandis  que 
la  ténuité ,  l'aspect  lisse  de  la  coquille  des  ambrettes , 
et  le  petit  nombre  de  ses  tours  de  spire  semblent 
ne  leur  devoir  faire  accorder  qu'une  existence  an- 
nuelle. Des  cultivateurs  estiment  à  3  ou  à  4  ans  la 
durée  de  la  vie  chez  les  grandes  espèces  d'hélix, 
et  c'est  en  eiîet  ce  que  semble  aussi  dénoter  le  nom- 


CONSIDÉRÉE    DANS  CHAQUE  INDIVIDU.  39 

bre  des  sillons  principaux  qui  s'observent,  assez  peu 
distinctement  il  est  vrai ,  sur  des  points  à  peu  près 
également  distants  de  la  spire  d'une  coquille  adulte. 
Parmi  les  animaux  articulés ,  ceux  qui  continuent 
à  croître  à  l'état  parfait  témoignent  assez  de  leur 
âge  par  la  taille  à  laquelle  ils  arrivent  :  tels  ces  cra- 
bes gigantesques  par  lesquels  un  navigateur  anglais 
fut,  dit-on  ,  vaincu  et  dévoré  dans  une  lie  de  l'Amé- 
rique septentrionale.  La  plupart  des  collections 
d'histoire  naturelle  en  montrent  qui  ont  entre  un  et 
deux  pieds  de  diamètre  transversal  :  on  pèche ,  plus 
fréquemment  encore ,  d'énormes  langoustes  ,  des 
squilles ,  des  homards  de  très-grande  taille  et  certai- 
nement assez  âgés.  Au  reste,  on  assure  ,  d'après  des 
observations  peut-être  assez  vagues,  que  les  écre- 
visses  vivent  jusqu'à  vingt  ans  ;  au  contraire ,  les 
bianchipes,  lesapus,  etc. ,  ne  vivent  qu'une  saison  et 
meurent  dès  que  les  fossés  qu'ils  habitent ,  perdent 
par  évaporation  les  eaux  que  les  pluies  y  avaient 
apportées.  Des  animaux  très-petits  sont  quelquefois 
mieux  partagés  sous  ce  rapport;  beaucoup  d'aca- 
rides  passent  l'hiver  sous  les  pierres  ou  dans  la  terre, 
de  même  qu'un  certain  nombre  d'araignées  et  quel- 
ques insectes;  beaucoup  aussi  des  uns  et  des  autres 
naissent  au  printemps  et  meurent  à  la  fin  de  l'au- 
tomne ;  certains  passent  l'hiver  à  l'état  de  larve  ou  de 
chrysalide.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  faire  ressortir 
les  conséquences  à  tirer  de  la  grandeur  de  quelques 
néréides  qui  atteignent  plusieurs  pieds  de  longueur; 
nous  ferons  seulement  remarquer  le  nombre  con- 
sidérable de  leurs  anneaux ,  qui  prouve  également 
leur  longévité  puisque  ce  nombre  croit  avec  l'âge. 


40  HISTOIRE  NATURELLE  DE  LA  VIE 

Indépendamment  de  ce  genre  d'argument,  très- 
applicable  aux  poissons  dont  l'accroissement  paraît 
être  perpétuel,   on  a,  pour   quelques-uns  de  ces 
animaux,  des  faits  plus  positifs  et  qui  ont  constaté, 
pour  des  carpes  par  exemple ,  une  existence  de  1 50 
à  200  ans.  La  taille  immense  de  certains  squales  , 
comparée  à  leur  petitesse  primitive  (  100  fois,  Lacé- 
pède  )  ,  doit  leur  faire  supposer  un  âge  bien  plus 
avancé  encore.  La  même  réflexion  peut  s'appliquer 
aux  boas ,  aux  crocodiles ,  aux  tortues   et  autres 
reptiles  à  grandes  dimensions.  On  a  vu  des  serpents 
à  sonnette  ,^crofa/M5  horridus  J  qui  portaient  à  la 
queue  40  à  50  de   ces  grelots  cornés  dont  chacun 
atteste  un  an  d'existence ,    puisqu'il  s'en  forme   un 
nouveau  chaque  année.  Ces  animaux  avaient  de  huit 
à  dix  pieds  de  longueur  (Bory- S* -Vincent).  Nous 
avons  vu   une  tortue  bordée  (  Duméril  et  Bibron  ) 
qui  vit  depuis  53  ans  au  moins  chez  des  personnes 
connues;  et  l'on  ignore  quel  était  son  âge  à  l'époque 
où  l'on  en  a  fait  l'acquisition.  Bonaterre  parle  d'un 
lézard  vert   qui  fut  vu  20  ans  dans  le  même  ter- 
rier.   Et  sans  parler  de  ces  crapauds  enfouis  à  de 
grandes  profondeurs,  enfermés  dans  la  maçonnerie  , 
dans  des  troncs  d'arbres  sans  ouverture  extérieure , 
ou  même  dans  des  roches  ,  faits  dont  la  plupart  sont 
évidemment  controuvés(tJOî/.  Vart.  (ie /a  respiration) , 
on  peut  citer  le  crapaud  dont  parle  Pennant ,  et  qui 
a  familièrement  vécu,   pendant  37  ans,    dans  la 
même  maison.  C'est  aussi  d'après  des  observations 
semblables  qu'on  sait  que  la  vie  du  corbeau ,   celle 
du  perroquet ,  de  la  cigogne  peuvent  presque  égaler 
et  dépasser  quelquefois  la  moitié  de  la  vie  humaine. 


CONSIDÉRÉE   DANS   CHAQUE  INDIVIDU.  41 

De  petits  oiseaux  chanteurs  vivent  en  domesticité 
parfois  autant  que  le  chien  (  14  à  15  ans)  :  nous  en 
connaissons  assez  d'exemples  pour  ne  pas  les  croire 
exceptionnels ,  comme  plusieurs  de  ceux  qu'ont  cités 
Buffon  et  autres.  A  l'état  libre ,  leur  vie  doit  être 
fréquemment  abrégée  par  le  danger  des  voyages 
pour  les  émigrants ,  par  la  disette  et  le  froid  pour  les 
sédentaires,  et  chez  tous,  par  les  pièges  et  la  vio- 
lence de  leurs  nombreux  ennemis. 

De    nombreuses  variations   se    font    remarquer 
parmi  les  mammifères  relativement  à  la  longévité  , 
et  quoique  ,  en  général ,  les  plus  grands  vivent  plus 
long-temps  que  les  petits,  il  n'y  a  point  de  propor- 
tion exacte  à  établir  sous  ce  rapport ,  surtout  si  on 
les  compare  à  l'homme  chez  lequel  le  terme  de  la 
vie  peut  être  approximativement  fixé  à  80  ans  ;  puis- 
que le  cheval,  le  bœuf  ne  vivent  que  de  20  à   25 
ans,  le  chameau  de  40  à  50,  l'éléphant  de  120  à 
200  tout  au  plus,  tandis  que  le  chien,  le  chat  peu- 
vent aller  jusqu'à  1  5  ans  environ  ;  qu'un  ours  a  vécu, 
dit-on,  47  ans  dans  les  fossés  de  Berne  où  il  était  né. 
Peut-être  la  règle  serait-elle  plus  exacte  en  mettant 
à  part  l'homme  ,  sur  lequel  la  civilisation  a  plus  d'in- 
fluence que  sur  les  autres  mammifères  ;  mais  il  est 
impossible  de  ne  pas  tenir  compte  de  ce  qui  a  lieu 
sous  cette  condition  ,  vu  la  difliculté  d'observer  les 
animaux  Jibres.  De  là ,  en  effet ,  l'incertitude  où  nous 
sommes  sur  Vk^e  auquel  parvient  la  baleine  ;  car  c'est 
d'une  manière  tout-à-fait  conjecturale  que  Buffon  a 
pensé  qu'elle  pouvait  parcourir  plus  de  dix  siècles  ; 
il  n'avait  même  pas  ici ,  pour  en  juger ,   le  moyen 
de  faire  une  juste  application  de  la  règle ,  assez  vraie 


42  HISTOIRE   NATURELLE  DE  L.V  VIE 

du  reste  ,  qu'il  a  établie ,  pour  les  mammifères  en 
général  ;  savoir,  que  la  durée  de  leur  vie  est  propor- 
tionnelle au  temps  qu'ils  mettent  à  prendre  leur 
complet  développement. 

B.  Outre  les  phases  dont  il  vient  d'être  question  , 
la  vie  des  animaux  est  soumise  encore  à  des  oscil- 
lations que  nous  nommerons  périodes  ,  en  raison  de 
leurs  retours  plus  ou  moins  réguliers  à  des  reprises 
plus  ou  moins  nombreuses.  Ces  périodes  offrent 
d'ailleurs  ceci  de  particulier,  qu'elles  sont  plutôt 
subordonnées  aux  circonstances  extérieures  qu'à  la 
constitution  même  de  l'être  vivant ,  bien  que ,  à  la 
longue  ,  cette  constitution  se  soit  tellement  harmo- 
nisée avec  les  influences  externes  ,  qu'elle  repro- 
duise, même  en  leur  absence,  le  même  ordre  de  phé- 
nomènes. C'est  ainsi ,  par  exemple  ,  que  ,  pendant 
quelque  temps  du  moins ,  le  sommeil  reviendrait  la 
nuit  et  le  réveil  au  jour,  chez  un  animal  qu'on  sous- 
trairait alternativement  à  la  lumière  ou  à  l'obscurité 
naturelle  ,  à  la  chaleur  ou  à  la  fraîcheur  de  ces  deux 
périodes  astronomiques. 

Les  influences  extérieures  peuvent  même  amener, 
dans  la  vie ,  des  variations  très  -  puissantes  ,  mais 
irrégulières  et  accidentelles  comme  elles-mêmes ,  et 
nous  en  dirons  d'abord  ici  quelques  mots ,  parce  que 
la  durée  de  la  vie ,  dont  il  vient  d'être  question,  s'y 
trouve  fréquemment  subordonnée.  Malpighi  observe 
que  la  chaleur  de  la  saison  abrège  la  vie  des  pa- 
pillons du  ver-à-soie  ;  dans  les  fortes  chaleurs  ils  ne 
vivent  pas  plus  de  cinq  jours  à  l'état  parfait;  ils  vont 
jusqu'à  un  mois  au  commencement  de  l'hiver.  C'est , 
au  contraire ,  un  fait  de  notoriété  vulgaire  que  la 


CONSIDÉRÉE    DANS    CHAQUE  INDIVIDU.  43 

destruction  amenée  par  le  froid  pour  beaucoup 
d'insectes  el  d'animaux  sauvages.  Bien  des  accidents 
résultent  d'ailleurs  de  leur  vie  libre  et  aventureuse  ; 
beaucoup  se  noient  ou  se  blessent  et  périssent  malgré 
la  ténacité  de  leur  vie  ;  on  en  trouve  d'empalés  acci- 
dentellement sur  une  épine ,  quelques-uns  périssent 
par  l'ingestion  d'aliments  vénéneux ,  cas  rare  toute- 
fois, car  ils  s'abstiennent,  pour  la  plupart,  des  subs- 
tances malfaisantes,  et  un  bon  nombre  d'aliments 
délétères  pour  l'homme  ne  le  sont  pas  pour  d'autres 
animaux.  Les  ruminants ,  d'après  les  expériences  de 
Dunal ,  avalent  sans  danger  d'énormes  doses  de  noix 
vomique ,  pourvu  que  l'intérieur  de  leur  estomac  ne 
soit  point  excorié  ;  on  sait,  au  contraire,  que  cette 
substance  tue  promptement  les  animaux  carnassiers 
et  agit  aussi  très-violemment  sur  l'homme.  Les  chiens 
n'éprouvent  quelquefois  qu'une  purgation  par  l'in- 
gestion de  l'arsenic  à  haute  dose ,  et  les  oiseaux  insec-» 
tivores  mangent  sans  inconvénient  les  cantharides  ; 
enfin,  il  n'est  presque  pas  de  plante  vénéneuse,  même 
la  plus  acre ,  qui  ne  nourrisse ,  comme  l'euphorbe  , 
le  liseron ,  les  champignons ,  quelque  chenille  ou 
quelque  larve  de  coléoptère  ou  de  diptère (i).  Aussi 
c'est  la  faim  qui  fait,  dans  la  mauvaise  saison,  lapins 
grande  quantité  de  victimes  ;  on  dit  qu'une  alimen- 
tation insuffisante  peut  amener ,  même  chez  les  inver- 
tébrés ,  des  affections  tuberculeuses ,  mais  c'est  le 
plus  souvent  le  marasme  qui  en  est  la  suite.  La  des- 
truction de  la  majeure  partie  des  animaux  sauvages 
est  due  encore  à  la  voracité  d'animaux  plus  forts  ou 

(1)   Voy.,  pour  plus  de  détails  à  ce  sujet ,  Anglada  ,  Toxicoloçjie  <jéntrale, ,  i>.  58 
et  suivantes. 


44  HISTOIRE   NATURELLE  DE  LA  VIE 

mieux  armés ,  ou  gratifiés  par  la  nature  de  quel- 
que industrie  meurtrière,  de  quelque  poison  éner- 
gique. 11  en  est  aussi  qui  deviennent  victimes  d'enne- 
mis faibles,  mais  protégés  par  leur  petitesse  même , 
et  cachés  dans  les  productions  épidermiques  qui  re- 
vêtent les  animaux  dont  ils  sucent  les  humeurs.  C'est 
sous  les  plaques,  les  élytres  des  gros  insectes  ,  sous 
les  écailles  des  serpents ,  entre  les  plumes  des  oiseaux 
et  les  poils  des  mammifères  que  s'abritent  ces  aca- 
rides ,  souvent  peu  nuisibles  ,  mais  aussi  parfois 
assez  multipliés  pour  causer  un  épuisement  mortel. 
D'autres  parasites  échappent  plus  souvent  encore 
aux  eiforts  que  leur  proie  pourrait  tenter  pour  s'en 
défaire  ;  ils  l'attaquent  à  l'intérieur  :  telles  sont  les 
larves  d'ichneumon ,  d'œstres ,  les  vers  intestinaux  ; 
les  premiers,  déposés  à  l'état  d'œuf  par  leurs  parents 
ailés  sous  la  peau  ou  dans  les  cavités  viscérales  des 
insectes ,  des  mammifères  même  ;  les  derniers ,  nés 
spontanément  ou  produits  par  la  réunion  sexuelle 
d'individus  déjà  existants  dans  le  même  séjour. 

Quant  aux  animaux  domestiques ,  à  l'homme  , 
moins  exposés  à  ces  accidents  qui  abrègent  la  vie 
des  animaux  sauvages ,  ils  ne  le  sont  pas  moins  à 
l'attaque  des  parasites;  ils  le  sont  davantage  aux 
maladies.  Celles  de  l'homme ,  celles  des  animaux 
domestiques  font  l'objet  de  sciences  spéciales,  en 
raison  de  l'intérêt  direct  dont  leur  connaissance  est 
pour  nous(i) ,  en  raison  aussi  de  leur  grand  nombre 


(1)  Outre  ce  qui  concerne  les  bestiaux,  les  chevaux,  les  chiens,  etc. ,  et  qui 
constitue  l'art  vétérinaixe,  on  a  fait  quelques  observations  sur  divers  autres  ani- 
maux :  ainsi  on  sait  que  les  carpes  sont  sujettes  à  diverses  maladies  cutanées, 
plusieurs  oiseaux  à  l'épilepsie ,  maladie  que  nous  avons  vue  nous-même  chez 
le  cobaie.  On  dit  que  le  rossignol  est  sujet  à  la  goutte  ;  la  linotte  à  la  phthisie , 


CONSIDÉRÉE  DANS  CHAQUE    INDIVIDU.  45 

et  de  leur  fréquence.  Les  animaux  sauvages  éprou- 
vent peut-être ,  plus  souvent  que  nous  ne  pouvons  îe 
savoir,  des  maladies  analogues  à  celles  des  animaux 
qui  vivent  dans  notre  voisinage  ;  mais  nous  n'en  avons 
la  certitude  que  dans  de  grandes  épizooties  où  l'on 
voit  frappés  simultanément ,  quoique  en  proportion 
bien  différente  il  est  vrai ,  par  des  circonstances 
atmosphériques  sensibles  (  chaleur ,  froid  excessifs  ) 
ou  inconnues ,  les  quadrupèdes  domestiques  et  les 
sauvages,  les  oiseaux  de  nos  volières,  de  nos  basses- 
cours  et  ceux  de  nos  bois ,  les  poissons  de  nos  étangs 
avec  les  batraciens  qui  s'y  trouvent.  On  sait  aussi , 
d'une  manière  générale  ,  que  certains  moments  sont, 
pour  tous  les  animaux,  des  moments  de  crise ,  quel- 
quefois de  vraies  maladies ,  où  leur  vie  est  plus  ex- 
posée qu'en  tout  autre  temps  :  telle  est  l'époque  de 
la  naissance,  celle  des  changements  de  peau  chez  les 
larves  d'insectes  (  vers-à-soie  ) ,  les  crustacés  ,  celle 
de  la  métamorphose,  de  la  ponte ,  de  la  mue  ,  etc. 
On  n'ignore  pas  d'ailleurs  que  les  animaux  inverté- 
brés, surtout  ceux  qui  sont  le  plus  distinctement 
segmentés ,  résistent  d'autant  mieux  à  des  lésions 
graves  que  ces  segments  jouissent  d'une  vie  plus  iso- 
lée ;  que ,  par  conséquent ,  ils  doivent  être  moins 
disposés  à  des  maladies  d'ensemble  que  les  animaux 
supérieurs  les  plus  centralisés;  quelques-uns  de 
ceux-ci  jouissent,  en  outre ,  d'une  susceptibilité  toute 
spéciale  ;  c'est  ainsi  qu'on  assure  que  les  moindres 
lésions  deviennent  promptement  funestes  à  la  baleine, 

si  commune  chez  les  singes  réduits  en  esclavage  dans  nos  climats  froids.  Le  rat 
est  sujet  à  la  gravelle  ;  le  pécari  aux  anévrismes  de  l'aorte,  d'après  Daubenton  ; 
le  loup  prend  spontanément  la  rage  comme  le  chien,  etc.  L'éléphant  mort  à 
Paris  il  y  a  quelques  années  avait  succombé,  disait-on  ,  à  une  apoplexie. 


46  HISTOIRE  NATURELLE  DE   LA  VIE 

au  phoque  à  trompe ,  par  suite  de  riiil! animation 
gangreneuse  qui  s'y  manifeste  et  dont  les  effets  géné- 
raux sont  promptement  ressentis  par  toute  féconomie. 

Les  Yériidihles  périodes  j  ou  périodes  régulières  de 
la  vie,  sont  celles  qui  la  subordonnent  aux  saisons 
et  à  la  succession  des  nuits  et  des  jours. 

1°  C'est  un  fait  de  notoriété  vulgaire  que  l'acti- 
vité générale  ,  la  vivacité  que  ranime,  à  chaque  prin- 
temps, le  retour  d'une  température  plus  douce  dans 
nos  climats  tempérés.  Muets  durant  l'hiver,  les  oiseaux 
reprennent  leurs  chants  ,  ils  changent  leur  plumage 
sombre  et  grisâtre  contre  un  vêtement  plus  éclatant; 
les  reptiles,  à  part  les  crocodiles  et  la  tortue,  quittent 
leur  vieil  épiderme  et  se  montrent  revêtus  de  brillan- 
tes couleurs  ;  les  mammifères  même  dépouillent  une 
partie  de  leurs  vêtements  d'hiver ,  et  tous  se  livrent 
à  l'acte  de  la  propagation  et  au  soin  de  leur  progé- 
niture. A  cette  même  époque,  des  œufs  d'insectes, 
d'arachnides,  pondus  avant  l'hiver,  éclosent  à  la 
faveur  d'un  soleil  plus  ardent;  des  chrysalides  qui  ont 
passé  la  mauvaise  saison  dans  la  torpeur,  achèvent 
leur  métamorphose.  Cette  activité  dure  et  les  effets 
se  renouvellent  pendant  toute  la  saison  chaude ,  à 
quelques  exceptions  près  ;  la  chaleur  excessive  en- 
gourdit ,  par  exemple ,  les  caïmans  et  les  boas  sous 
les  tropiques,  au  témoignage  de  Humboldt  ;  mais, 
dans  nos  climats ,  c'est  l'hiver  que  les  reptiles  tom- 
bent dans  la  torpeur  et  que  certains  mammifères 
passent  à  une  sorte  de  sommeil  particulier ,  sommeil 
hibernal  dont  nous  traiterons  ailleurs ,  comparative- 
ment avec  le  sommeil  proprement  dit. 

2"  Alors  aussi  nous  entrerons  dans  tous  les  dé- 


CONSIDÉRÉE   DANS   CHAQUE  INDIVIDU,  47 

tails  convenables  relativement  au  repos  nocturne , 
au  vrai  sommeil  :  ce  que  nous  devons  seulement 
faire  remarquer  ici ,  c'est  Finiluence  des  alternatives 
d'apparition  et  de  disparition  du  soleil  sur  l'activité 
des  animaux.  Le  plus  grand  nombre  dort  la  nuit 
et  s'éveille  au  jour,  c'est-à-dire  qu'il  subit  l'in- 
fluence de  la  lumière  ,  de  la  chaleur,  excitants  bien 
propres  à  tenir  leurs  sens  et  par  suite  tous  leurs 
organes  en  action  ;  mais ,  de  même  que  l'été  de  la 
zone  torride  jette  dans  la  stupeur  quelques  reptiles, 
de  même  les  excitants  diurnes  fatiguent  certaines 
espèces  appartenant  à  des  classes  et  même  à  des  sous- 
règnes  ditTérents  ;  aussi  dorment-elles  durant  le  jour 
et  préfèrent-elles  ]a  nuit  pour  pourvoir  à  leurs  be- 
soins ou  se  livrer  à  leurs  ébats.  En  effet,  le  nombre 
des  animaux  nocturnes  est  si  grand  ,  qu'on  peut  dire 
qu'au  coucher  du  soleil  un  nouveau  monde  appa- 
raît sur  l'horizon  ;  une  nouvelle  activité  commence  , 
quoique  moins  bruyante  et  moins  tumultueuse  que  la 
diurne.  Ceci  n'est  pas  moins  vrai  de  la  vaste  sur- 
face de  l'Océan  que  de  celle  des  terres  élevées  au- 
dessus  de  son  niveau  ;  là  même  ,  selon  les  curieuses 
remarques  de  d'Orbigny,  c'est  véritablement  le  jour 
qui  est  le  temps  du  repos,  la  nuit  celui  de  l'agitation. 
Chez  beaucoup  de  ces  animaux  nocturnes ,  c'est  l'or- 
gane de  la  vue  qui  est  conformé  de  manière  à  leur 
rendre  difficilement  supportable  un  éclat  trop  vif, 
soit  en  raison  de  sa  sensibilité  propre,  soit  parce 
qu'il  manque  des  enduits  noirs  ou  colorés  destinés 
à  absorber  une  lumière  superflue  ;  tels  sont  beau- 
coup d'insectes ,  d'arachnides ,  de  crustacés  ,  les 
oiseaux  de  nuit ,  les  chauve -souris,  les  loris  ,  les 


48  ANALYSE  DE  LA  VIE 

carnassiers  du  genre  chat ,  les  crocodiles,  les  geckos , 
plusieurs  poissons  qu'on  ne  pèche  fructueusement 
que  la  nuit  à  Faide  d'un  appât.  Chez  d'autres ,  on 
reconnaît  surtout  la  crainte  de  la  chaleur  et  de  la 
sécheresse  ;  aussi  paraissent-ils  hors  de  leur  retraite 
dans  les  temps  humides ,  même  au  milieu  du  jour  : 
tels  les  lombrics ,  les  limaces ,  la  plupart  des  ba- 
traciens ,  les  anguilles  lorsqu'elles  sortent  de  Feau  ; 
beaucoup  de  petites  arachnides  fort  molles  (  acari- 
des  )  et  même  de  plus  grandes  (  scorpions  ,  lycoses, 
etc.  )  sont  dans  le  même  cas.  D'autres  ne  semblent 
guidés  que  par  l'espérance  d'échapper  plus  facile- 
ment à  leurs  ennemis  dans  l'obscurité  des  nuits , 
comme  certaines  chenilles  qui ,  durant  le  jour,  se 
cachent  sous  la  terre ,  la  taupe  quand  elle  veut  se 
montrer  à  l'air  libre ,  le  hérisson ,  la  souris  et  une 
foule  d'autres  animaux  timides.  D'autres,  enfin ,  sont 
alors  plus  sûrs  de  trouver  leur  proie  et  de  la  sur- 
prendre durant  son  sommeil  :  c'est  le  cas  de  beau- 
coup d'animaux  parasites  (  cousins,  punaises  ,  etc.  ), 
c'est  en  partie  celui  de  la  fouine,  du  renard,  du  loup, 
de  l'hyène ,  etc. 


CHAPITRE  IV. 

ANALYSE  DE  LA  VIE  CHEZ  LES  ANIMAUX,  OU  DIVISIONS 
DE  LA  PHYSIOLOGIE  COMPAREE. 

Ainsi  définie  et  appréciée  dans  son  ensemble ,  ]a 
vie  des  animaux  nous  offrira,  en  outre,  à  étudier  des 
détails  soit  d'observation  soit  d'induction  extrême- 
ment étendus  quelque  soin  que  nous  puissions  mettre 


CHEZ   LES  ANIMAUX.  49 

à  nous  restreindre  au  juste  nécessaire.  Classer  ces 
détails  de  manière  à  en  faciliter  Fétude  et  le  sou- 
venir, c'est  un  point  essentiel  dans  un  ouvrage  régu- 
lier et  dogmatique  comme  celui-ci  ;  présenter  d'abord 
les  aperçus  les  plus  généraux ,  les  plus  élémentaires; 
passer  ensuite,  par  gradation ,  aux  plus  spéciaux  et 
aux  plus  complexes;  enchaîner  en  même  temps  les 
objets  par  le  moyen  de  leurs  rapports  naturels  les 
plus  évidents ,  les  plus  importants  et  les  plus  nom- 
breux ,  soit  en  fait  de  ressemblance,  d'analogie  ,  soit 
en  fait  de  connexité  :  voilà  la  métlicrde  qui  nous  a 
servi  de  règle  dans  la  constitution  du  plan  que  nous 
avons  adopté,  et  qui,  au  reste,  diffère  médiocrement 
de  celui  qui  a  été  suivi  dans  de  bons  traités  de  phy- 
siologie humaine,  avantage  qui  n'est  pas  non  plus 
à  dédaigner,  puisqu'il  en  résulte  moins  de  perturba- 
tion dans  les  éludes. 

1*^  Considérant  d'abord  le  moteur  universel  qui 
met  en  jeu  tous  les  organes,  anime  toutes  les  fonc- 
tions ,  la  cause  prochaine  de  la  vie ,  le  principe  vital, 
comme  on  l'a  appelé,  nous  discuterons  brièvement 
diverses  opinions  établies  à  ce  sujet,  et  nous  donne- 
rons celle  qui  nous  semble ,  par  le  raisonnement , 
être  en  plus  parfaite  concordance  avec  le  mécanisme 
connu  des  corps  vivants. 

2°  Nous  nous  occuperons  ensuite  des  fonctions  j 
dont  l'exposé  fera,  comme  on  le  pense  bien,  la  masse 
essentielle  de  ce  travail.  Par  ce  mot  nous  désignons 
tout  acte  (  fonctions  simples  ou  élémentaires  (i)  )  ou 
toute  série  d'actes  (  fonctions  complexes  )  exécutés 

(1)  Fondions  générales  de  Bordeu.  Cette  distinction  n'entre  pour  rien  dans 
la  distribution  ultérieure  des  fonctions,  comme  on  le  verra  plus  loin. 


50'  ANALYSE  DE  LA  VIE 

par  les  corps  vivants  ,  tendant  à  un  but  commun 
(  pour  ces  dernières  )  et  utile  à  Tindividu.  La  dis- 
tribution que  nous  avons  préférée  dans  leurs  descrip- 
tions est  à  la  fois  rationnelle  et  naturelle,  et  non  ex- 
clusivement l'un  ou  l'autre  ;  toutes  les  fonctions  se 
lient,  toutes  ont  quelques  points  de  ressemblance 
ou  quelque  cbose  de  commun  ;  et  l'on  serait  embar- 
rassé de  choisir  parmi  ces  connexités  celles  qui  sem- 
bleraient les  plus  importantes  pour  établir  une  filia- 
tion régulière;  ce  que  nous  avons  surtout  cherché, 
c'est  la  comuïodité  de  l'étude  et  la  clarté  du  plan. 
Nous  avions  d'abord  (  leçons  orales  )  adopté  la  di- 
vision de  Cuvier  en  fonctions  vitales ,  c'est-à-dire 
communes  à  tous  les  corps  vivants ,  et  fonctions  ani- 
males ou  exclusivement  propres  aux  animaux;  c'était 
à  peu  près  la  division  de  Bichat  en  vie  organique  et 
vie  animale.  Mais  l'idée  caractéristique  de  cette  di- 
vision nous  a  paru ,  depuis ,  peu  exacte  ;  la  diges- 
tion n'est  point  commune  à  tous  les  corps  organisés  ; 
les  végétaux  ne  digèrent  point.  D'ailleurs,  même  en 
changeant  les  expressions,  comme  l'a  fait  Richerand 
(  fonctions  de  nutrition ,  fonctions  de  relation ,  plus 
celles  relatives  à  la  reproduction  de  l'espèce  ) ,  on 
réunit ,  dans  un  groupe  commun  ,  des  choses  hétéro- 
gènes. Pour  éviter,  autant  que  possible,  cet  incon- 
vénient, sans  trop  nous  écarter  de  ces  divisions 
,  devenues  pour  ainsi  dire  classiques,  nous  avons 
établi  quatre  groupes  disposés  dans  l'ordre  suivant 
et  de  manière  à  faire ,  pour  l'ordinaire ,  précéder 
l'étude  des  effets  par  celle  des  causes ,  le  composé 
par  le  simple  :  1^*^  division,  fonctions  de  sensation; 
2^  division ,  fonctions  de  manifestation  :  3*^  division , 


CHEZ  LES  ANIMAUX.  51 

fonctions  de  nutrition  ;  4^  division  ^  fonctions  de 'pro- 
pagation. 

Dans  cette  distribution  ,  nous  ne  faisons  plus  en- 
trer ,   comme  nous  l'avions  fait  premièrement ,  les 
propriétés  ou  facultés  vitales.  En  y  réfléchissant,  en 
effet ,  nous  avons  fini  par  reconnaître,  avec  Magendie, 
que  plusieurs  de  ces  prétendues  propriétés  n'étaient 
que  des  fonctions  simples  ^  mais  qui  n'en  rentraient 
pas  moins  dans  les  catégories  où  l'on  casait  les  fonc- 
tions complexes  :  nous  avons  reconnu  aussi  que  plu- 
sieurs autres ,  comme  la  sensibilité  ,  n'étaient  autre 
chose   que  la  condition  fondamentale  de  la   vie , 
qu'elles  se  confondaient,  par  conséquent,  avec  le 
principe  vital  lui-même ,  et  que  c'était  perdre  fort 
inutilement  son  temps ,  son  attention  et  son  travail , 
que  de  prendre  ainsi  à  part  quelque  j)omt  de  vue  d'un 
objet  qu'on  pouvait  plus  fructueusement,  plus  clai- 
rement surtout  aborder  dans  son  ensemble.  La  même 
réflexion  nous  a  fait  rejeter  toutes  ces  autres  pro- 
priétés vitales  que  Gerdy  en  particulier  a  cru  devoir 
multiplier  au  point  d'en  compter  dix-huit  en  tout , 
nombre  que  nous  avions  cru  beaucoup  restreindre 
et  trop  restreint   en  effet,  en  le  portant  à  sept  ou 
huit  seulement.  Si  les  propriétés  vitales  ne  sont  que 
Vaptitude  à   exécuter  tel  ou  tel  acte  physiologique 
simple,  le  savant  professeur  que  nous  venons  de 
nommer  était  bien  fondé  à  élever  le  chifl*re  adopté  par 
ses  prédécesseurs  (i)  :  peut-être  même  ne  les  a-t-il 

(1)  Brown  et  Broussais  n'en  admellenl  qu'une  seule:  l'incilabilité,  l'irri- 
tation; Bichat,  Richerand  en  comptent  deux:  sensibilité  et  contractililé  ; 
Griinaud  deux  aussi:  force  motrice  et  force  digestive  ;  Cliaussier  en  porte  le 
nombre  à  trois  :  sensibilité,  contractililé  et  caloricilé  ;  Dumas  va  jusqu'à 
quatre:  faculté  de  sentir,  de  se  mouvoir,  force  d'assimilation,  résistance  vitale. 
L'expansibililé  a  été  jointe  à  d'autres,   soit  implicitement,  soit  explicitement, 


52     ANALYSE  DE  LA  VIE  CHEZ  LES  ANIMAUX. 

pas  suffisamment  multipliées  encore  ;  mais  il  n'est 
pas  moins  évident  que  l'acte  suppose  l'aptitude ,  et 
qu'il  est  fort  inutile  de  parler  de  celle-ci,  quand 
on  doit  décrire  et  apprécier  celui-là;  c'est  embar- 
rasser la  science  sans  aucun  avantage ,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  faire  en  physiologie  ce  que  Bichat 
a  fait  en  anatomie ,  faire  une  physiologie  générale  ; 
mais  alors  c'est  en  quelque  sorte  une  science  à 
part  (i).  Dans  la  physiologie  descriptive,  on  peut  se 
contenter  des  généralités  qui  précèdent  naturellement 
chaque  division  principale ,  ou  des  explications  qui 
se  présentent  lors  de  l'exposition  ou  de  l'analyse  des 
fonctions  particulières.  N'est-il  pas  évident  que  ce 
serait  s'exposer  à  des  répétitions  dont  le  moindre 
inconvénient  serait  l'inutilité ,  ou  bien  à  la  sépa- 
ration d'objets  intimement  liés  ensemble ,  que  de 
parler  ici  de  la  contractilité ,  là  de  la  contraction 
musculaire  :  nous  pouvons  bien  nous  dispenser  d'un 
article  sur  l'expansibilité ,  sur  la  caloricité ,  etc. , 
puisque  nous  parlerons  en  leur  temps  de  l'expan- 
sion et  de  la  chaleur  animale ,  etc.  etc.  Nous  y 
gagnerons  sous  tous  les  rapports ,  en  brièveté ,  en 
régularité,  en  opportunité. 

par  Grimaud ,  Sprengel ,  Prus  ;  et  voici  celles  que  dénombre  le  professeur 
Gerdy  :  faculté  de  sentir,  —  de  la  transmission  sensoriale ,  —  de  la  perception  , 
—  de  l'émotion  de  rame,  —  de  l'innervation,  la  contractilité,  l'expansibilité, 
les  facultés  de  l'absorption  ,  de  la  sécrétion  ,  de  l'assimilation,  de  la  décompo- 
sition nutritive,  de  la  calorification ,  de  la  fécondation,  de  l'animation,  de 
l'accroissement ,  de  la  résistance  vitale  ,   de  l'électrification. 

(1)  C'est  ainsi  qu'il  faut  considérer  la  première  partie  de  la  pbysiologie  de 
Gerdy  et  surtout  les  deux  volumes  de  Tiedeœann  ,  dont  on  nous  a  donné  la 
traduction  française. 


DEUXIEME    PARTIE. 
DES  CAUSES  IMMÉDIATES  DE  LA  VIE. 


CHAPITRE  r\ 

DU  PPJNCIPE  OU  AGENT  VITAL. 

«  Rallier  autour  d'un  principe  commun  les  élé- 
ments d'une  science  d'observation  ,  c'est  le  meilleur 
moyen  de  la  constituer ,  d'en  faire  un  tout  facile  à 
saisir  par  l'intelligence,  à  retenir  par  la  mémoire.  » 
Cette  vérité  n'est  pas  moins  applicable  à  la  physio- 
logie qu'à  toute  autre  science  ,  et  on  l'a  sentie  long- 
temps avant  que  nous  l'eussions  ainsi  formulée  ;  et, 
en  effet,  ce  n'est  pas  seulement  le  désir  d'expli- 
quer, mais  aussi  celui  de  coordonner,  qui  a  engagé 
bien  des  physiologistes  à  faire  dériver  tous  les  phé- 
nomènes des  corps  vivants  d'un  principe  unique  et 
spécial ,  d'une  force  sut  generis  j  d'une  cause  pro- 
cliaine  de  la  vie  ^  principe  vital  ou  force  vitale.  Nous 
ne  donnerons  point  ici  une  histoire  chronologique 
des  diverses  opinions  qui  se  sont  succédé  à  cet  égard; 
il  nous  paraît  préférable  d'énoncer  ,  dans  un  ordre 
logique ,  les  principales  d'entre  elles. 

u^.  Pensant  ne  rien  préjuger  sur  la  nature  des 
choses,  et  réduire  seulement  en  lois  les  faits  obser- 
vables, les  solidistes  ou  plutôt  organicistes  ont  cherché 
à  expliquer  les  phénomènes  de  la  vie  ,  en  accordant 
aux  corps  vivants  une  ou  i^]\isieuYS  propriétés j  comme 


54  DU  PUINCIPE  OU  AGENT  VITAL. 

on  en  a  accordé  à  la  matière  brute  pour  expliquer 
les  phénomènes  de  l'astronomie ,  de  la  physique  et 
de  la  chimie.  1®  Les  uns  s'en  sont  tenus  à  une 
seule  propriété  générale  des  corps  vivants,  telle 
l'irritabilité  de  Glisson ,  l'incitabilité  de  Brown ,  l'ex- 
citabilité de  Rolando  ;  mais  eux  -  mêmes  ont  senti 
l'insuffisance  de  cette  conception,  et  tantôt  ils  l'ont 
matérialisée  ,  individualisée ,  à  l'instar  des  vitalistes 
ou  des  nervistes ,  la  rendant  susceptible  d'accumu- 
lation, d'épuisement,  etc.;  tantôt  ils  l'ont  sous- 
divisée  en  modes  secondaires ,  dont  l'hétérogénéité 
les  expose  à  de  perpétuellescontradictions  avec  l'idée 
qu'on  doit  s'en  faire,  d'après  le  nom  qu'ils  ont  donné 
à  la  propriété  générale.  2^D'autres,  procédant  avec 
plus  de  prudence,  marchant  à  j}05fenon  et  non  à 
pnortj  comme  les  précédents ,  c'est-à-dire  remontant 
des  faits  particuliers  aux  lois  les  plus  générales  qu'il 
leur  fût  possible  d'établir ,  Bordeu ,  Haller,  Bicliat , 
par  exemple,  sont  arrivés  à  reconnaître  des  pro- 
priétés vitales  du  premier  ordre  ,  mais  multiples  et 
hétérogènes  ,  telles  la  sensibilité  et  la  contractilité  ; 
ils  se  sont  arrêtés  là  sans  pouvoir  rationnellement 
les  rallier  à  un  principe  homogène  ,  et  n'ont  point 
admis  de  principe  vital.  Cette  conduite  était  plus  sage 
peut-être  que  celle  des  physiologistes  qui ,  arrivés 
au  même  point,  ont  néanmoins  admis  ce  principe 
en  paroles  et  comme  par  manière  d'acquit ,  sans  en 
déduire  aucune  conséquence  ,  sans  en  tirer  aucun 
parti  dans  l'interprétation  des  phénomènes  de  la  vie  ; 
c'est  ce  qu'on  trouve  dans  l'ouvrage  si  répandu  de 
Richerand.  Il  faut  même  ranger  ici  la  manière  de 
voir  de  Chaussier  qui ,  admettant  et  précisant  trois 


DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL.  55 

propriétés  fondamentales  dans  les  corps  vivants ,  la 
motilité  ,  la  sensibilité  et  la  caloricité ,  pouvait  très- 
bien  se  passer  de  les  subordonner  hypothétiquement 
à  une  force  vitale  j  dont  il  n'explique  nullement  la 
liaison  avec  ces  trois  propriétés. 

B,  Il  n'en  est  pas  ainsi  des  vitalistes  vrais ,  soit 
que,  sous  le  nom  à! animistes  (Stahl) ,  ils  subordon- 
nent à  l'àme  raisonnable  tous  les  actes  même  les 
plus  cachés  de  la  vie  organique ,  soit  qu'ils  les  attri- 
buent à  un  être  à  part,  VcVQp^LrùV^  leTrvsuwades  Grecs, 
spiritus  des  Latins,  Vanimus  de  Lucrèce,  Varcliée  de 
Van  Helmont,  le  principe  vital  de  Barthez.  Cet  être, 
dont  on  ne  détermine  point  la  nature ,  dont  on  dé- 
clare même  volontiers  l'existence  douteuse  ,  mais 
seulement  commode  à  reconnaître  pour  tout  expli- 
quer, est  le  seul  qui  mette  en  jeu  la  machine  ani- 
male ;  c'est  en  lui  que  résident  toutes  les  aptitudes, 
tous  les  pouvoirs  et  même  toutes  les  altérations  véri- 
tablement morbides. 

Il  est  un  certain  nombre  de  philosophes  qui ,  sans 
donner  des  notions  plus  positives  sur  ce  principe 
de  vie  ,  le  conçoivent  d'une  manière  encore  plus 
générale  ,  le  croient  universellement  répandu  ,  et 
animant  chacun  à  leur  manière  les  différents  corps 
minéraux ,  végétaux  ou  animaux  de  la  nature  entière , 
comme ,  dans  chaque  animal  en  particulier,  il  anime 
chacun  dans  son  genre  les  différents  organes  qui 
le  composent.  Cette  doctrine  de  la  vie  universelle _, 
adoptée  par  les  plus  anciens  philosophes  (i) ,  trans- 

(1)  Frincipib  cœlum  ac  terras  ,  camposque  liquentes  t 
Lucentemque  globum  lunœ ,  titaniaque  astra, 
Sfiriiiis  intùs  alit ,  totam que  infusa  per  artus 
Mens  agitât  molem  ,  et  magno  se  corpore  miscet.  (Yirçil.,  G&org.) 


56  DU  PRINCIPE   OU  AGENT  VITAL. 

formée  dans  les  systèmes  de  Mallebrauche  et  de 
Spinosa,  à  laquelle  Barthez  se  montrait  assez  fa- 
vorable (i),  est  aujourd'hui  remise  en  honneur, 
avec  quelques  restrictions  et  modifications  (2)  ,  par 
GeoffroY'St-Hilaire  ,  par  plusieurs  naturalistes  alle- 
mands (3),  et  par  un  de  nos  collègues  à  la  Faculté 
de  médecine  de  Montpellier  (Ribes).  Nous  ne  nous 
arrêterons  pas  pour  le  moment  sur  les  inconvé- 
nients et  les  avantages  de  cette  dernière  doctrine , 
en  ce  qui  concerne  sa  généralisation  même  ,  devant 
nous  en  occuper  ci-après  à  l'occasion  de  quelques 
doctrines  analogues,  mais  qui  précisent  davantage 
la  nature  de  leur  principe  universel  ;  parlons  seule- 
ment du  vitalisme  pur  dont  nous  venons  de  nous 
occuper. 

Il  est  clair  que  le  vitalisme  est  plus  scientifique , 
qu'il  présente  la  physiologie  en  un  corps  de  science 
plus  régulier  ,  plus  compacte  que  ne  peut  faire  l'or- 
ganicisme  ou  solidisme  de  Bichat  et  autres;  il  offre 
également  cet  avantage ,  qu'il  empêche  de  se  livrer 
au  grossier  mécanicisme  ,  au  chimicisme  tout  hypo- 
thétique ,  qui  ont ,  à  diverses  reprises  ,  envahi  la 
physiologie  ;  il  force  d'étudier  l'homme  et  non  de 

(1)  Nil  vetat  conjicere  qubd  principium  i>itale  hominis  emanet  ex  quodam  principio 
«niversali  quo  Deus  naturam  jussit  agitari.  (Barthez,  de  princip.  vit.) 

(2)  En  effet,  les  modernes  que  nous  citons  ici  ne  snpposent  pas  tous,  pour 
cela,  un  principe  de  vie  distinct  de  la  matière  universelle,  mais  ils  supposent 
des  propriétés  ,  des  forces;  ou  bien,  c'est  à  Félectricilé  qu'ils  rapportent  tout, 
rentrant  ainsi  ou  dans  la  catégorie  des  solidistes  dont  il  a  été  question  déjà,  ou 
dans  celle  des  nervistes  dont  il  sera  question  plus  loin. 

(5)  «  Nous  voyons  que  la  vie  appartient ,  non  à  telle  ou  telle  des  parties  or- 
ganiques, mais  à  leur  ensemble,  en  tant  qu'elles  forment  un  tout  par  leur 
réunion  ;  noiis  devons  donc  présumer  aussi  que  les  parties  de  la  planète  ne 
paraissent  privées  de  vie  et  inorganiques  qu'à  l'état  de  séparation  ou  d'isole- 
ment,  qu'au  contraire  l'univers  est  un  tout  organique  et  vivant.  "  (Burdach, 
Phys.  tom.i,  pag.  hOl.) 


DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL.  1)1 

Finventer,  comme  Descartes  et  autres  fondateurs  de 
systèmes  à  priori/  mais  il  a  malheureusement  aussi 
de  grands  désavantages.  Le  premier  ,  c'est  d'être 
hors  de  la  portée  des  intelligences  communes  ,  si 
l'on  veut  le  tenir  dans  des  limites  judicieuses  ;  en 
effet,  nous  l'avons  dit  plus  haut ,  ne  précisant  aucu- 
nement la  nature  ,  ni  même  l'existence  du  principe 
vital ,  le  vitaliste  vrai  ne  le  donne  que  comme  une 
abstraction,  une  inconnue,  l'X  algébrique  ;  or,  il 
est  peu  commode  de  raisonner  sur  une  base  aussi 
métaphysique  ,  et  il  arrive  même  souvent  que  ceux 
qui  ont  commencé  par  définir  ainsi  leur  principe  de 
vie,  finissent  par  le  matérialiser  (i),  le  traiter  en 
être  distinct  et  bien  réel  ;  ce  sera  métaphoriquement 
si  l'on  veut,  mais  dans  les  sciences  on  doit  être  sobre 
de  métaphores ,  le  figuré  s'y  confond  trop  aisément 
avec  le  propre.  Un  second  désavantage  ,  qui  n'est 
en  partie  que  la  conséquence  du  précédent,  c'est  que 
ce  principe  vague  et  sans  attributs  déterminés ,  si 
une  fois  l'esprit  l'a  personnifié ,  sert  à  l'explication 
de  tous  les  phénomènes  vrais  ou  supposés ,  clairs  ou 
obscurs ,  parce  qu'on  le  doue ,  à  volonté ,  de  toutes 
les  qualités,  qu'on  le  munit  arbitrairement  de  tous 
les  pouvoirs  nécessaires  ;  mais  par  cela  même  on  ne 
rend  raison  de  rien  d'un  manière  satisfaisante ,  tout 
dès-lors  dans  l'économie  s'opère  comme  par  miracle , 
et  sous  l'influence  d'un  démon  mystérieux.  Dès-lors 
aussi  l'esprit  s'arrête  aux  plus  superficielles  appa- 

(1)  C'est  ce  qu'a  fort  bien  reconnu  l'un  des  partisans  les  plus  zélés  du  vita- 
lisme,  le  professeur  Lordat  notre  collègue  à  Montpellier.  Une  pareille  difficulté 
n'arrête  point  sans  doute  un  esprit  aussi  exercé  et  d'une  portée  aussi  haute  que 
le  sien,  mais  les  sciences  sont  Lien  assez  vastes  et  assez  difficiles  pour  qu'on  en 
rende  les  abords  plus  aisés  aux  néophytes,  et  qu'on  épargne  le  travail,  sxirlout 
le  danger  de  l'errexir ,  aux  capacités  ordinaires. 


58  DU  PRINCIPE  ou  AGENT  VITAL, 

rences ,  admet  sans  examen  tous  les  faits ,  et  n'ap- 
profondit aucun  mécanisme  ,  puisque  tout  doit  se 
dénouer  par  l'intervention  d'une  puissance  en  quel- 
que sorte  surnaturelle,  ou  du  moins  au-dessus  de 
notre  intelligence. 

C.  On  évite  à  la  fois  et  ces  écarts  et  cette  paresse 
de  l'esprit  en  admettant,  comme  cause  de  la  vie,  un 
principe  unique  ,  mais  défini ,  restreint  et  dont  les 
attributs  sont  connus  ,  sinon  son  essence.  On  n'en 
conserve  pas  moins  les  avantages  susdits  ,  et  l'on 
donne  de  plus  à  l'intelligence  un  suhstratum  j  à  la 
mémoire  un  point  de  repère  ,  en  même  temps  qu'on 
empêche  l'imagination  de  s'égarer  dans  des  créations 
tout  arbitaires  et  sans  circonscription  positive.  Telle 
est  la  doctrine  qui  rapporte  à  Vagent  nerveux  et  à 
son  influence ,  c'est-à-dire  à  Vinnervatiorij  les  lois  de 
la  vie,  aussi  bien  que  toutes  les  propriétés  qui  ne 
s'expliquent  point  par  le  seul  fait  d'un  mode  spécial 
d'organisation.  Cet  agent  vital  est  l'équivalent  des 
esprits  animaux ,  conception  un  peu  trop  matérielle 
de  nos  aïeux,  du  fluide  nerveux  de  Cullen,  de 
l'esprit  d'animation  de  Darwin ,  et  l'on  peut  donner 
aux  partisans  de  cette  doctrine  le  nom  de  nervistes. 
Cet  agent  n'est  pas  toutefois  envisagé  de  la  même 
manière  par  tous  ceux  qui  l'admettent  et  le  con- 
fondent avec  Vagent  nerveux;  tous  y  voient  un  agent 
impondérable ,  mais  identique  pour  les  uns,  analogue 
seulement  pour  les  autres  à  l'agent  électro-magné- 
tique, tel  que  le  manifestent  les  corps  inorganiques: 
de  là,  deux  opinions  qui  peuvent  constituer  chacune 
une  doctrine  à  part. 

a.  En  admettant  V identité  j  on  a  l'avantage ,  comme 


DU  PRIINCIPE  OU  AGENT  VITxVL.  59 

dans  la  théorie  de  la  vie  universelle ,  de  rattacher 
facilement  l'un  à  l'autre  tous  les  corps  naturels , 
de  n'en  faire  qu'une  série  et  d'en  réduire  l'étude 
presque  à  une  seule  science;  c'est  à  peu  près  ainsi 
qu'un  illustre  zoologiste ,  Geoffroy-S^-Hilaire  ,  a 
conçu  l'ensemble  de  la  nature ,  et  en  a  formulé  le 
principe  et  la  loi  générale  sous  les  noms  à\mité  de 
composition  organique  et  d'attraction  de  soi  pour  soi. 
Telle  est  bien  évidemment  aussi  la  manière  de  voir 
de  Prochaska  et  autres  ;  telle  est  la  doctrine  de  la 
polarité  très-répandue  en  Allemagne ,  etc.  etc. 

Voici  les  arguments  sur  lesquels  on  peut  appuyer 
cette  opinion. 

1^  Le  galvanisme  établit,  dans  le  mercure,  des 
mouvements  de  translation  ou  courants  circulaires 
(Serrulas),  ou  des  palpitations  (Nobili),  courants 
fort  analogues  à  ceux  que  paraissent  suivre  les  mo- 
lécules constituantes  et  les  globules  du  sang,  lors 
de  la  formation  du  poulet  et  de  l'établissement  de 
la  circulation  (  Delpech  et  Coste),  palpitations  qui 
rappellent  celles  du  cœur  (  Geoffroy  -  S*  -  Hilaire  j. 
2^  L'électricité  de  nos  machines  hâte  singulièrement 
la  germination  et  même  la  végétation;  donc  elle 
augmente  l'activité  vitale  en  augmentant  la  dose  de 
l'agent  qui  la  produit.  3°  La  rapidité  de  la  trans- 
mission est  la  même  pour  les  phénomènes  électri- 
ques, et  les  phénomènes  nerveux  et  vitaux.  4°  Les 
causes  d'excitation  sont  fort  ressemblantes ,  les  fric- 
tions ,  les  percussions ,  les  combinaisons  chimiques , 
les  contacts  de  matières  hétérogènes  ,  la  chaleur , 
etc. ,  mettent  enjeu  également  l'électricité  et  l'agent 
vital.  5°  Plusieurs  phénomènes  directs  se  produisent 


60  DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL. 

également  sous  l'influence  de  l'un  et  Tautre  agent , 
comme  l'élévation  de  température  ,  l'expansion ,  la 
décomposition  de  certains  produits  ,  la  recomposi- 
tion de  certains  autres.  6«  L'électricité,  appliquée 
au  corps  vivant,  produit  plusieurs  effets  qui  sem- 
blent exclusivement  sous  la  dépendance  du  système 
nerveux ,  les  commotions  ,  les  contractions  mus- 
culaires même  des  membres  paralysés.  7^  Sur  le 
cadavre,  l'électricité  semble  suppléer  l'agent  ner- 
veux ,  soit  en  augmentant  l'endomose  et  l'exosmose 
(Dutrochet,  Fodéré),  soit  en  faisant  contracter  les 
muscles  (Galvani,  etc.  ).  8«  Dutrochet  a  formé, 
sous  l'influence  d'un  courant  galvanique ,  une  sorte 
de  fibre  musculaire  onduleusement  contractée,  dans 
une  émulsion  de  jaune  d'œuf  ;  et  Wilson  Pbilip  a 
fait  digérer  des  aliments  dans  l'estomac  d'un  animal 
dont  on  avait  coupé  les  nerfs  pneumo-gastriques ,  en 
remplaçant  l'action  de  ces  nerfs  par  celle  d'un  cou- 
rant galvanique.  9®  Ce  qui  est  plus  parlant  encore , 
c'est  ce  qu'on  observe  chez  les  poissons  électriques , 
dont  un  organe  particulier  produit  une  partie  des 
plus  évidents  effets  de  la  machine  électrique  ou  de 
la  pile  galvanique ,  et  se  trouve  toutefois  si  bien 
sous  la  dépendance  de  l'innervation ,  que  la  section 
des  nerfs  qui  s'y  rendent ,  ou  l'ablation  du  cerveau, 
détruisent  toute  sa  puissance  électrique.  10°  Vassali 
Eandi  et  Bellingeri  ont  constaté  dans  le  sang, 
l'urine  ,  la  bile  de  divers  animaux  vertébrés  ,  de 
l'électricité  libre ,  de  manière  à  pouvoir  déterminer , 
à  l'aide  de  conducteurs ,  des  contractions  dans  une 
cuisse  de  grenouille.  11**  Enfin ,  à  Faide  du  galvano- 
mètre ,  Donné  a  pu  constater,  dans  le  corps  vivant 


DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL.  61 

(  et  Matteiici  s'est  assuré  qu^il  n'en  était  point  ainsi 
pour  le  cadavre  ),  des  courants  électriques  allant  de 
la  peau  aux  membranes  muqueuses ,  du  foie  à  l'esto- 
mac; et  déjà  l'on  avait  expliqué  l'efficacité  de  l'acu- 
puncture par  de  semblables  courants  mutuellement 
neutralisés ,  comme  l'électricité  atmosphérique  par 
le  paratonnerre. 

Aucun  de  ces  arguments  n'est  susceptible  de  rester 
sans  réponse  ;  les  quatre  premiers  ne  prouvent  que 
de  la  ressemblance  entre  l'agent  vital  et  l'électrique, 
et  démontrent,  dans  ce  dernier,  un  puissant  exci- 
tant du  premier.  Les  commotions  et  les  contrac- 
tions musculaires  prouvent  aussi  que  l'électricité  est 
un  vigoureux  stimulant  qui  pénètre  aisément ,  et 
traverse  les  ramifications  nerveuses  et  le   système 
musculaire  ,  et  qui  peut  y  mettre  en  jeu  une  sensi- 
bilité, une  contractiîité  diminuées,  mais  non  abso- 
lument éteintes  ;   car  d'autres  excitants  produisent 
des  effets  semblables  dans  les  mêmes  circonstances. 
Voita ,  puis  Mariannini  ,   ont  observé   que  ,  quand 
une  portion  de  grenouille  a  cessé  de  contracter  ses 
muscles  par  l'action  d'un  courant  galvanique  ,  elle 
exécute  de  vifs  mouvements  quand  on  établit  le  cou- 
rant en  sens  inverse  en  changeant  les  deux  pôles. 
En  serait-il  ainsi ,  dans  le  cas  où  l'électricité  serait 
le  véritable  agent  de  ces  mouvements  musculaires  ? 
Qui  ne  voit ,  au  contraire ,  qu'il  n'y  a  là  qu'un  chan- 
gement d'excitant  ?  Epuisés  par  un  stimulant ,   les 
nerfs  sont  encore  susceptibles  de  répondre  à  un  ex- 
citant de  nature  différente  ,  quel  qu'il  soit ,  chimi- 
que,  mécanique  ou  physique.    L'endosmose  est  un 
phénomène  presque  tout  physique  ,  et  où  l'électri- 


62  DU  PRIINCIPE  OU  AGENT  VITAL. 

cité  peut  suppléer,  en  effet,  l'agent  nerveux  sans 
être   nécessairement  le   même    que   lui.    L'expé- 
rience de  Dutrochet  ne  paraît  pas  être  autre  chose 
qu'une  simple  coagulation  ;   celle  de  Wilson  Philip 
a  été  répétée  avec  des  modifications  qui  ont  prouvé 
que  la  simple  irritation  mécanique  du  hout  infé- 
rieur des  nerfs  coupés,  produisait  le  même  effet  que 
l'électricité  appliquée  à  ces  nerfs  (  Breschet ,  Milne 
Edwards  et  Vavasseur).  Les  expériences  de  Vassali 
Eandi ,  celles  de  Bellingeri ,  celles  de  Donné  ,    ne 
prouvent  point  l'identité  de  l'électricité  qu'ils  ont 
découverte  avec  l'agent  vital  ;  et  il  est  à  remarquer 
qu'en  effet  les  courants  observés  par  le  dernier  ne 
suivent  nullement  le  trajet  des  nerfs.  Les  secousses 
que  donne  ,   dans   les  articulations,  une  décharge 
électrique ,  prouvent  bien  aussi  que  c'est  plutôt  le 
long  des  os  (  conducteurs  interrompus  par  des  sur- 
faces arrondies  )  que  le  fluide  circule  ;  et  Person  a 
constaté ,  sur  des  grenouilles ,  que  le  courant  galva- 
nique suivait  le  trajet  des  chairs  musculaires  de 
préférence  aux  nerfs ,  quand  celles-là  lui  offraient 
un  plus   court  trajet  que  ceux-ci.   On  a  d'ailleurs 
vainement  cherché  à  constater  l'existence  d'un  cou- 
rant électrique  à  travers  les  nerfs  dans  l'état  de  vie , 
bien   qu'on  l'ait  reconnu  (  Nobili  ,    contesté   par 
Pouillet)  dans  les  expériences  galvaniques  faites  sur 
le  cadavre  récent.  Remarquez  que ,  même  dans  le 
cadavre ,  l'aptitude  des  muscles  à  se  contracter  s'é- 
puise et  a  besoin  de  quelque  repos  pour  se  réparer , 
ce  qui  ne  devrait  pas  être ,  si  le  courant  galvanique 
qu'on  établit  et  renouvelle  à  volonté  était  la  vraie 
cause  efficiente  des  contractions.  Quant  à  l'état  de 


DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL.  63 

vie,  c'est  vainement,  nous  venons  de  le  dire ,  qu'on 
a  cherché  des  signes  d'électricité  entre  les  deux 
bouts  d'un  nerf  coupé  et  ensuite  excité  d'une  ma- 
nière quelconque.  Person  n'a  obtenu  de  tentatives 
semblables,  faites  à  l'aide  du  galvanomètre,  que  des 
résultats  négatifs  ;  Matteuci  qui  croyait  d'abord  avoir, 
au  contraire  ,  obtenu  des  résultats  affirmatifs ,  a  plus 
tard  reconnu  son  erreur.  Folchi  avait  cru  observer 
des  courants  galvaniques  entre  les  substances  grise 
et  blanche  de  la  moelle  épinière;  ces  mêmes  expé- 
riences ,  répétées  et  variées  à  l'aide  du  galvano- 
mètre ,  par  Esquirol  et  Leuret ,  ont  prouvé  que  ces 
courants  étaient  tout- à-fait  indépendants  de  l'action 
nerveuse  ,  et  du  même  genre  que  ceux  dont  il  a  été 
question  plus  haut  (Donné).  Enfin ,  si  la  singulière 
faculté  des  poissons  électriques  était  uniquement  un 
fait  d'innervation ,  elle  devrait  être  bien  plus  géné- 
rale qu'elle  ne  Test,  et  c'est  dans  le  volumineux 
encéphale  des  mammifères  qu'on  en  devrait  surtout 
observer  les  phénomènes  :  les  premiers  sont  pourvus, 
au  contraire  ,  d'un  organe  spécial  dont  les  fonctions 
sont  en  conséquence  aussi  toutes  spéciales.  Concluons 
de  tout  cela  qu'il  n'y  a  pas  identité ,  mais  seulement 
analogie  prochaine  entre  les  deux  agents  qui  vien- 
nent de  nous  occuper. 

6.  La  conclusion  qui  termine  le  précédent  para- 
graphe ,  savoir  que  l'agent  vital  ou  nerveux  est  ana- 
logue et  non  identique  à  l'électricité ,  est  conforme  à 
l'opinion  de  plusieurs  savants  distingués  (i).   Peut- 

(1)  Il  y  a  loin  de  cette  analogie  admise  par  nous  ,  à  celle  qu'ont  imaginée  les 
partisans  du  magnétisme  anitnal  pour  expliquer  certains  faits  dont  plusieurs  ne 
sont  que  des  effets  de  l'imagination  analogues  à  la  fascination  des  animaux 
faibles  ,  par  les  serpents,  les  chien s-d'arrêt,  etc.,  ou  bien  d'éblouissemenl  ej 


64  DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL. 

être  est-il  vrai  de  dire  ,  avec  certains  d'entre  eux , 
qu'il  n'en  est  qu'une  modification  (Lamarck,  Cabanis, 
Sprengel  ) ,  comme  le  galvanisme ,  le  magnétisme  , 
l'électricité  du  verre  et  de  la  résine ,  ne  sont  que 
des  modifications  d'un  même  agent;  mais  ,  s'il  faut 
en  venir  à  reconnaître  ici  une  modification  toute 
spéciale  ,   des  lois  toutes  particulières  ,  autant  vaut 
considérer  l'agent  vital  comme  sut  generis  et  seule- 
ment ressemblant  à  l'électrique  ,  et  ne  se  servir  des 
notions  que  la  science  possède  sur  ce  dernier ,  que 
pour  éclairer  analogiquement  la  manière  d'agir  du 
premier.  Au  reste  ,  on  ne  doit  attacher  d'importance 
à  cette  théorie  que  parce  qu'elle  se  montre  d'accord 
avec  l'interprétation  la  plus  directe  et  la  plus  ration- 
nelle des  faits  physiologiques,  et  l'on  doit  se  tenir 
prêt  à  l'abandonner  pour  une  meilleure ,  si  quelque 
bon  esprit  en  présente  une  plus  claire  à  la  fois  et 
plus  complètement  applicable  aux  faits  observables. 
Une  rapide  exposition  dans  le  genre  de  celle  dont 
Cuvier  a  fait  un  des  chapitres  préliminaires  de  son 
règne  animal ,  prouverait  aisément  que  du  moins  la 
doctrine  à  laquelle  nous   donnons  la  préférence , 
peut  rendre  raison  des  principaux  actes  vitaux ,  en 
même  temps  qu'elle  fait  mieux  comprendre  l'unité 
de  la  vie  et  la  coordination  de  ses  nombreux  phé- 
nomènes ,  chez  les  animaux  supérieurs,  l'homme  en 

de  faligiie  ;  le  plus  grand  nomire  et  les  plus  miraculeux  sans  doute  de  ces 
faits  doivent  être  mis  au  rang  des  fables,  ou  attribués  au  charlatanisme  et  à  la 
fraude.  L'agent  vital  coercé ,  et  nécessairement  coercé  ,  dans  le  système  ner- 
veux, l'est,  à  plus  forte  raison,  dans  l'individu,  et  ne  peut,  comme  rélectricilé , 
passer  de  l'un  à  l'autre.  En  le  supposant  transmissible  au  contact,  il  ne  pourrait 
transporter  avec  lui  des  sensations ,  des  idées  toutes  faites ,  des  notions  com- 
plexes. Dans  le  même  individu ,  il  ne  saurait  expliquer  la  transposition  des 
sens,  car  ce  n'est  pas  l'agent  vital  qui  sent,  qui  apprécie  ;  il  ne  sert  évidemment 
que  de  moyen  d'action  aux  organes  sensoriaux. 


DU  PRINCIPE  OU  AGENT  VITAL.  65 

particulier  ;  c^est  ce  qu'on  verra  bien  assez  dans  le 
chapitre  suivant,  et  la  rapide  énarration  qu'il  ren- 
ferme suffira  pour  répondre  à  ceux  qui  refusent 
aux  nerfs  la  prérogative  de  présider  au  mécanisme 
de  tous  les  détails  de  la  vie  ,  et  même  seulement  à  la 
sensibilité.  On  y  verra  comment  les  variations  des 
phénomènes  vitaux  sont  en  rapport  avec  celles  de  l'or- 
ganisation des  diverses  parties  du  système  nerveux , 
des  organes  eux-mêmes  dans  les  phases  diverses  qu'ils 
sont  destinés  à  parcourir  naturellement,  ou  que  des 
accidents  leur  apportent  ;  on  y  verra  aussi  comment 
ces  phénomènes  se  montrent  à  différents  degrés 
d'intensité  ,  et  avec  des  conditions  différentes ,  dans 
des  animaux  diversement  partagés  sous  le  rapport 
du  système  nerveux  ;  et  l'on  reconnaîtra  que  ,  nulle 
part  où  il  y  a  vie  animale ,  il  n'y  a  absence  de  matière 
nerveuse  ;  nous  trouverons  dans  cette  démonstration 
un  autre  avantage ,  puisque  nous  aurons ,  en  quelque 
sorte  ,  une  physiologie  comparée  du  principe  vital 
dans  l'échelle  animale  tout  entière,  en  jetant  ainsi 
un  coup-d'œil  rapide  sur  les  formes  les  plus  essen- 
tielles du  système  organique  qui  en  est  la  source  et 
le  réceptacle. 


CHAPITRE  II. 

DE  L'INNERVATION  ET  DE  SES  DIVERSITES  DANS  L'ECHELLE 
ORGANIQUE. 

A,  Uagent  vital  j  considéré  comme  un  agent 
impondérable  ,  est  formé  non -seulement  dans  les 
centres ,  dans  les  masses  principales  du  système  ner- 
veux, mais  aussi  dans  les  moindres  parcelles  de  ce 

5 


66  DE  l'inînervation  et  de  ses  diversités 
système(i),  qui  lui  sert  de  cohibant  tant  qu'il  n'y  a 
pas  nécessité  qu'il  agisse  vivement  sur  les  autres 
organes ,  et  de  conducteur  dans  le  cas  contraire.  On 
sait  qu'il  le  parcourt  alors  avec  la  rapidité  de  l'éclair, 
comme  le  prouve  l'instantanéité  des  sensations ,  des 
mouvements  volontaires ,  etc.  Sans  doute  ,  c'est  de 
toute  la  superficie  de  ses  filets  qu'il  s'échappe  alors, 
et  c'est  ainsi  qu'il  faut  interpréter  Vatmosphère  sen- 
suive  que  Reil  établissait  autour  des  nerfs.  Suivant 
Cuvier,  c'est  par  une  véritable  sécrétion  que  ce 
fluide  nerveux  est  séparé  du  sang  comme  tous  les 
autres  produits  (2)  ;  ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que 
l'abord  du  sang  artériel ,  dans  les  grands  animaux , 
est  nécessaire  à  l'exercice  des  fonctions  nerveuses , 
que  le  sang  artériel  répare  l'agent  nerveux  épuisé , 
etc.  ;  mais  est-ce  en  fournissant  des  matériaux  en 
nature  ?  N'est  -  ce  pas  plutôt  en  remettant  l'organe 
dans  des  conditions  favorables ,  comme  le  fait  le 
renouvellement  de  l'eau  acidulée  d'une  pile  galva- 
nique ?  L'agent  vital  n'est -il  pas  produit  par  les 
contacts  hétérogènes,  soit  entre  tous  les  organes 
(  Prochaska) ,  soit  entre  les  diverses  substances  dont 
se  composent  les  organes  nerveux  (Reil,  Rolando) , 
soit  encore  entre  les  nerfs  et  les  autres  parties  du 
corps  ?  Cette  opinion  est  peut-être  la  plus  rationnelle. 
Ce  qu'il  y  a  de  positif,  c'est  que  l'agent  en 
question  s'épuise  par  l'exercice  ,  d'où  résultent  l'in- 
sensibilité ,  la  fatigue  ;  qu'il  se  renouvelle  par  le 
repos ,  et  donne  d'autant  plus  d'intensité  aux  phéno- 

(1)  Une  patte  de  grenouille,  séparée  du  corps,  reprend,  par  le  repos ,  la  sen- 
sibilité ,  la  eonlraclililé  que  des  slimulalions  répétées  lui  avaient  fait  perdre. 

(2)  Toutefois,  dans  la  nouvelle  édition  de  Tanalomie  comparée,  il  semble 
jdisposé  à  en  assimiler  le  mode  d'origine  à  celui  de  l'électricité  par  contact. 


DAISS  L^ÉCHELLE  ORGA>:iQUE.  Cu 

mènes  de  réaction  c|ue  la  sédation  antécédente  a 
été  plus  profonde.  C'est  pour  cela  qu'un  air  tempéré 
paraîtra  chaud  à  tel  individu  préalablement  refroidi, 
et  froid  à  tel  autre  qui  sort  d'un  endroit  échauffé. 
C'est  pour  cela  aussi  que  le  jour  vous  éblouit  au 
sortir  de  l'obscurité  ,  et  que  vous  n'y  voyez  pas  si 
d'un  lieu  éclairé  vous  passez  dans  un  plus  sombre. 
Regardez  une  tache  noire  sur  un  papier  blanc  ,  puis 
reportez  vos  regards  sur  un  autre  point  du  même 
papier ,  et  vous  y  verrez  une  tache  très-blanche  : 
ce  point  de  la  rétine  s'est  reposé  et  est  devenu  plus 
sensible  à  la  lumière  ;  aussi  le  clignotement  des  pau- 
pières a-t-il  un  avantage  très-réel  quoique  peu  connu, 
celui  de  reposer  la  rétine  et  de  lui  conserver  un  cer- 
tain degré  de  sensibilité.  Les  objets  peu  apparents , 
au  microscope  ou  dans  l'obscurité ,  se  distinguent 
mieux  s'ils  sont  mis  en  mouvement ,  parce  qu'ils  im- 
pressionnent successivement  des  points  nouveaux  et 
non  fatigués  du  centre  de  la  rétine. 

Il  n'est  pas  moins  certain  que  cet  agent  est  mis  en 
jeu  par  les  excitants  naturels  ou  accidentels ,  et  qu'il 
semble  quelquefois  modifié  dans  son  essence  même. 
Du  moins  il  est  possible  que ,  dans  l'homme  en  parti- 
culier, il  se  présente  avec  des  différences  très-réelles 
dans  différentes  parties  du  corps ,  dans  différentes 
fonctions  (Rolando),  dans  des  circonstances  diffé- 
rentes aussi ,  les  maladies  par  exemple ,  de  même  que 
le  fluide  électro -magnétique  se  diversifie  selon  les 
conditions  dans  lesquelles  il  est  manifesté.  C'est  en 
partie  là  ce  qu'il  faut  entendre  par  les  altérations 
chimiques  dont  Cuvier  croit  le  fluide  nerveux  sus- 
ceptible ,  expression  qui  pourrait  donner  des  idées 


68  DE  l'iivîservatio?^  et  de  ses  diversités 
fausses  sur  sa  nature ,  et  faire  penser  que  ce  savant 
zoologiste  le  regardait  comme  une  humeur,  s'il  ne 
s'était  nettement  expliqué  sur  sa  nature  impondé- 
rable. Ces  altérations  semblent ,  au  reste  ,  bien 
prouvées  par  cette  remarque ,  que  quand  un  exci- 
tant semble  avoir  épuisé  l'agent  vital  (i),  un  autre 
excitant  peut  néanmoins  encore  agir  avec  presque 
autant  d'énergie  que  le  premier  :  c'est  ce  qui  se  voit 
même  dans  les  expériences  sur  des  parties  fraiche- 
ment  séparées  du  corps  d'un  animal  vivant.  De 
quelque  manière  que  ces  changements  s'opèrent , 
il  parait  qu'ils  peuvent  aller  jusqu'à  une  annihi- 
lation complète ,  et  c'est  ainsi ,  sans  doute ,  que  tuent 
subitement  l'action  de  la  foudre ,  l'acide  hydrocya- 
nique  concentré ,  une  terreur  soudaine  et  profonde, 
enfin  certains  agents  morbifiques,  connus  seulement 
par  leurs  effets  prompts  et  funestes  dans  les  grandes 
épidémies. 

B.  Ces  diversités  sont  d'autant  plus  nombreuses  et 
plus  tranchées  que  l'animal  est  plus  compliqué  dans 
sa  structure  ;  aussi  le  système  nerveux  offre-t-il  alors 
des  particularités  de  distribution ,  de  forme  et  d'or- 
ganisation en  proportion  avec  les  besoins  des  autres 
organes,  et  l'on  doit  sous  ce  rapport  établir  entre 
les  animaux  quatre  divisions  principales  :  1  "  animaux 
à  système  nerveux  combiné  molécule  à  molécule 
avec  le  système  musculaire  ;  2*^  animaux  à  système 
nerveux  centralisé  en  filaments  ;  o^ centra- 
lisé en  masses  réunies  seulement  par  des  cordons  de 
communication;  4° en  masses  continues. 

(1)  L'œi]  fatigué  du  rouge  ne  l'aperçoit  plus  dans  ses  combinaisons  (Darwin), 
le  pourpre  paraît  bleu,  Torangé  jaune  ,  etc.  : 

"  L'ennui  naquit  xin  jour  de  runiformité.  >> 


DANS  L^ÉGHELLE  ORGANIQUE.  69 

Dans  chacune  de  ces  formes ,  nous  jetterons  un 
coup -d'oeil  non-seulençient  sur  la  disposition  anato- 
mique ,  mais  encore  sur  l'aptitude  des  parties  prin- 
cipales du  système  nerveux  à  remplir ,  avec  plus  ou 
moins  d'énergie ,  leurs  trois  destinations  communes, 
celles  1^  de  recevoir  des  impressions ,  2°  de  réagir, 
et  3<^  de  transmettre  soit  les  impressions  reçues ,  soit 
les  réactions  opérées. 

Avant  de  parler  des  animaux  appartenant  à  la 
première  de  nos  quatre  séries,  nous  dirons  un  mot 
des  végétaux. 

a.  Les  i;egetatfj)  possèdent-ils  un  système  analogue 
à  la  trame  nerveuse  des  animaux  ?  Cette  question 
pourrait  être  résolue  par  la  négative ,  si  l'on  ne  tenait 
compte  que  de  l'influence  de  cette  trame  sur  les 
fonctions  sensitives  et  locomotrices  ;  il  n'en  est  plus 
ainsi  quand  on  réfléchit  à  sa  participation  aux  actes 
nutritifs  et  reproductifs.  La  position  de  la  moelle 
des  plantes  ,  sa  couleur  ordinairement  hlanche  , 
sa  consistance  molle  ont  servi,  plus  peut-être  que 
toute  autre  considération,  à  la  faire  comparer  aux 
centres  nerveux  des  animaux;  et  tout  récemment 
cette  opinion  a  été  amplement  développée ,  plutôt 
que  prouvée ,  par  Brachet  qui  compare  spéculative- 
ment  la  moelle  au  nerf  trisplanchnique.  Dutrochet 
a  pensé  que  l'analogue  du  système  nerveux  consis- 
tait, chez  les  plantes,  dans  des  globules  adhérents 
aux  cellules  de  la  moelle  plutôt  que  dans  la  moelle 
même.  Sans  discuter  longuement  ces  diverses  ma- 
nières de  voir,  nous  nous  contenterons  de  faire 
observer  que  la  moelle  pénétrant  à  travers  toutes  les 
tronches  des  végétaux  ligneux  (rayons  médullaires), 


70  DE  L^IISINERVATION  ET  DE  SES  DIVERSITES 

établissant  communication  de  l'intérieur  à  l'extérieur 
(tissu  cellulaire  de  l'écorce),  et  se  propageant  dans 
toutes  les  branches,  les  rameaux,  etc.,  sert  évi- 
demment du  moins  à  individualiser  le  végétal  qu'on 
pourrait,  sans  elle,  considérer,  avec  plus  de  raison, 
comme  un  simple  agrégat  de  bourgeons  entés  les  uns 
sur  les  autres.  Nous  ajouterons  qu'on  n'a  nullement 
infirmé  son  importance  en  faisant  remarquer  l'inno- 
cuité de  sa  destruction  au  centre  des  vieux  arbres, 
puisque  alors  elle  n'en  est  pas  moins  répandue  dans 
les  couches  ligneuses  même  de  leur  tronc,  dans  leur 
écorce  et  dans  leurs  branches. 

Au  reste ,  si  la  moelle  est  comparable  à  la  substance 
nerveuse  des  animaux  ,  ce  n'est  pas  aux  formes  les 
plus  relevées  de  celle-ci  qu'elle  peut  être  assimilée , 
à  eu  juger  du  moins  par  les  phénomènes  dont  elle 
favorise  l'apparition.  En  effet,  à  peine  voit-on,  dans 
un  si  grand  nombre  de  plantes,  quelques  espèces 
offrir  des  mouvements  plus  ou  moins  comparables  à 
ceux  des  zoophytes ,  tels  que  l'épanouissement  et  la 
clôture  des  fleurs  diurnes  ou  nocturnes ,  le  ploiement 
vespéral  des  feuilles  (  légumineuses),  celui  des  folioles 
de  la  sensitive  et  des  lobes  de  la  dionœa  muscipula 
par  l'effet  d'un  léger  contact  ou  d'une  secousse ,  d'une 
irritation  chimique ,  enfin ,  le  mouvement  gyratoire 
des  folioles  d'un  hedysarum.  La  plupart  du  temps  , 
toute  l'influence  de  l'innervation  se  borne  ici  aux 
phénomènes  moléculaires  de  la  nutrition ,  ou  bien 
de  quelques  déviations  du  type  régulier,  qui  déno- 
tent une  certaine  sensibilité;  comme  quand  quelque 
plante  laiteuse  ,  la  laitue  par  exemple  ,  fait  sourdre 
des  gouttelettes  de  son  suc  gommo  -  résineux  par 


DANS  L^ÉCHELLE  ORGANIQUE*  7  1 

suite  d'une  simple  friction  exercée  sur  son  écorce  ; 
quand  d'autres  le  font  jaillir  à  la  moindre  piqûre  ; 
quand  la  présence  d'un  insecte  ou  de  son  œuf,  l'irri- 
tation produite  par  ses  picotements  déterminent  une 
exubérance  de  nutrition ,  un  gonflement  (  galles , 
bédeguar,  etc.  etc.)  qui  rappellent  les  gonflements 
morbides  si  souvent  observés  dans  l'homme  lui- 
même,  et  qui  prouvent  évidemment  un  certain  degré 
de  ce  qui  existe  chez  lui  dans  toutes  les  parties  du 
système  nerveux,  l'aptitude  à  recevoir  des  impres- 
sions et  à  réagir  à  leur  occasion. 

Il  faut  ajouter  encore  à  ces  considérations  celles 
de  l'action  analogue  ,  sinon  identique  ,  sur  les  ani- 
maux et  les  végétaux,  de  l'étincelle  électrique  qui  a 
détruit  instantanément  l'excitabilité  des  étamines  de 
l'épine-vinette  (Humboldt) ,  et  tué  complètement  les 
euphorbes  soumis  à  son  action  (Yan  Marum)  ;  de 
l'opium  qui  agit  de  même  sur  l'épine-vinette  et  sur 
la  sensitive  ;  et  enfin ,  d'une  foule  de  poisons  narco- 
tiques et  autres ,  connus  pour  agir  spécialement  sur 
le  système  nerveux ,  comme  la  noix  vomique  ,  l'acide 
hydro-cyanique ,  l'alcool,  les  éthers,  etc.  etc.,  qui 
stupéfient  d'abord,  et  font  bientôt  périr  les  végétaux 
qu'on  force  à  les  absorber  (i). 

6.  Les  animaux  à  molécules  nerveuses  disséminées 
et  combinées  aux  tissus  locomoteurs,  sécréteurs,  etc., 
se  rapprochent  un  peu  des  végétaux  sous  ce  rapport 
et  sous  quelques  autres,  tels  que  ceux  de  la  forme 
(polypiers,  etc.).  Aussi  ce  ne  sont  pas  les  plus  nom- 
breux ni  les  plus  parfaits  en  organisation  ,  ils  occu- 
pent les  derniers  degrés  de  l'échelle  animale  :  tels 

(1)  Voy.  de  Candolle,  Pliys.  vcgét.  ,  lom,  m. 


72  DE  L^INNERVATION  ET  DE  SES  DIVERSITES 

sont  les  monadaires  proprement  dits ,  les  polypes  et 
les  acalèphes  de  Cuvier  ou  radiaires  mous,  compre- 
nant et  les  médusistes  et  les  actinistes  (i),  et  les 
dyphiaires  de  notre  classification  ;  il  faut  y  joindre 
aussi  une  partie  des  elminthes,  et  probablement 
tous  ceux  qu'on  nomme  parenchymateux ,  nos  té- 
niens  et  planariens.  Ces  derniers  jouissent  d'une 
structure  assez  complexe  et  d'une  taille  assez  grande, 
pour  qu'on  puisse  facilement  étudier  leur  pulpe 
sensible  et  contractile  à  la  fois,  que  nous  appelons 
tissu  neuro-myaire.  Cette  pulpe  est  molle  comme  son 
nom  l'indique  (2),  assez  semblable  à  celle  du  cerveau 
des  animaux  vertébrés,  et  se  montre,  au  micros- 
cope ,  composée  de  globules  réunis  par  une  visco- 
sité incolore.  L'alcool  concrète  le  tout;  l'eau,  quand 
l'animal  est  mort ,  semble  dissoudre  ou  plutôt  dé- 
layer la  matière  visqueuse  qui  pénètre  ces  animaux , 
comme  elle  les  enduit  à  l'extérieur,  et  qui  sans  doute 
est  albumineuse  ;  quant  aux  globules  ,  ils  y  restent 
suspendus  en  flocons  ou  en  nuage  lactescent. 

Les  molécules  dont  il  s'agit  semblent  parfois  dis- 
posées en  séries  longitudinales,  mais  sans  consti- 
tuer des  fibres  proprement  dites  ;  elles  se  montrent 
néanmoins  en  stries  fort  semblables  à  des  fibrilles , 
mais  qu'il  est  impossible  de  dissocier,  dans  quelques 
organes  plus  blancs,  plus  denses,  et  qui  jouissent 

(1)  Toutefois ,  on  croyait  avoir  vu  quelques  ganglions  distincts  chez  les 
actinies,  et  nous  leur  avons  trouvé  nous-même  non  des  fibres,  mais  des  fibrilles 
musculaires. 

(2)  Si  les  observations  de  Dujardin  se  confirment ,  il  faudra  admettre  que  ce 
tissu  peut  se  présenter  même  à  Tétat  liquide  ;  ses  rbizopodes  étant  essentielle- 
ment formés  d'une  viscosité  vivante,  contractile,  susceptible  de  prendre  toute 
sorte  de  formes ,  de  se  séparer  en  filaments  ,  en  gouttes ,  et  de  se  réunir  de 
même. 


DAINS  L^ÉCHELLE  ORGANIQUE.  73 

d'une  contractilité  presque  miraculeuse  ,  dans  les 
portions  membraneuses  des  actinies  et  le  suçoir  des 
planaires  par  exemple. 

Chez  un  certain  nombre  des  animaux  qui  nous 
occupent,  et  dont  quelques-uns  parviennent  même  à 
une  taille  considérable  ,  la  substance  albumineuse  , 
incolore ,  semble  exister  seule  ou  presque  seule  ;  les 
méduses  n'offrent  qu'une  substance  cristalline ,  dont 
l'aspect ,  il  est  vrai ,  peut  bien  tenir  à  l'énorme  pro- 
portion d'eau  dont  elle  est  imprégnée. 

Au  reste ,  quel  que  soit  l'aspect  de  la  substance 
neuro-myaire ,  elle  n'en  offre  pas  moins ,  dans  tous 
ses  points ,  cette  extrême  aptitude  aux  changements 
de  forme ,  et  en  même  temps  une  sensibilité  portée 
au  plus  haut  degré  ;  les  polypes  ,  les  protées  ou 
amibes ,  les  planaires ,  les  elminthes  parenchyma- 
teux  en  fournissent  de  remarquables  exemples ,  soit 
dans  leurs  mouvements ,  soit  dans  l'impression  que 
produit  sur  eux  la  lumière,  etc.  Chez  ces  animaux, 
toutes  les  parties  du  corps  sentent  et  se  meuvent , 
toutes  aussi  transmettent  aux  autres  et  leurs  impres- 
sions et  leurs  mouvements,  avec  une  grande  faci- 
lité ;  c'est  pour  cela  qu'ils  peuvent  exécuter,  aussi 
facilement ,  aussi  régulièrement ,  de  grands  mouve- 
ments d'ensemble  que  les  animaux  des  autres  séries. 
Une  expérience  facile  prouve  qu  en  effet  toutes  les 
molécules  du  corps  participent  à  ces  déterminations 
générales  ;  coupez  transversalement  une  planaire , 
la  moitié  antérieure  et  la  postérieure  continueront 
à  marcher  dans  le  même  sens  qu'auparavant.  La 
queue  n'a  plus  de  chef  qui  la  dirige  ,  et  pourtant 
elle  marche  toujours  en  portant  sa  plaie  en  avant  : 


74  DE  L'iNNERVATION  ET  DE  SES  DIVERSITES 

c'est  que  l'animal  est  tout  cerveau  comme  il  est  tout 
muscle;  c'est  que,  si  l'on  veut  une  comparaison  phy- 
sique, chaque  molécule  est  polarisée  comme  le  tout: 
on  sait ,  en  effet ,  que  c'est  en  admettant  la  polari- 
sation pour  chaque  molécule  ,  qu'on  explique  la 
polarité  d'un  aimant  considéré  en  masse.  Toutefois 
la  vie  est ,  en  raison  de  cette  organisation  ,  plus 
également,  plus  uniformément  répartie  dans  toutes 
les  portions  de  leur  corps  ;  aussi  peut-on  les  couper 
dans  tous  les  sens  ,  et  les  réduire  en  morceaux 
moindres  quelquefois  que  la  vingtième  partie  du 
tout ,  sans  que  la  vie  leur  échappe  :  au  contraire , 
on  crée  ainsi  artificiellement  autant  d'individus  que 
de  lambeaux  ;  et ,  dans  plusieurs  espèces  du  moins  , 
les  hydres  d'eau  douce  et  les  planaires ,  on  a  expé- 
rimenté que  ces  lambeaux  pouvaient  acquérir,  par 
une  reproduction  rapide  dans  les  jours  chauds  de 
l'été  ,  plus  lente  à  d'autres  époques  ,  et  les  organes 
qui  leur  manquent,  et  la  forme  convenable  pour  re- 
présenter un  animal  plus  petit ,  mais  parfaitement 
semblable  à  celui  dont  il  a  été  détaché. 

c.  Des  filaments  à  peine  renflés  en  quelques  points 
gangîiformes  ont  été  représentés  par  Spix  au  fond 
des  actinies  ou  anémones  de  mer  (i) ,  animaux  bien 
voisins  des  polypes  ,  mais  beaucoup  plus  complexes 
que  les  hydres  ;  Ehrenberg  en  soupçonne  même 
chez  les  méduses  ;  Spix  ,  Meckel  ,  Tiedemann  , 
Ehrenberg,  ont  vu  plus  distinctement  encore,  autour 
de  labouche  des  astéries,  des  filets  et  des  renflements  ; 

(1)  De  Blainville  les  a  vainement  cherchés ,  et  je  n'ai  pas  été  plus  heureux. 
Cuvier  les  passe  sous  silence ,  et  délie  Chiaje  les  nie  ;  il  est  vrai  qu'il  les  refuse 
aussi  aux  échinodermes  et  n'accorde  qu'au  siponcle  des  ganglions  qui  le  rap- 
prochent des  mollusques  acéphales. 


DANS  lMgHKLLE  ORGANIQUE.  75 

Tiedemann  y  indique  cinq  ganglions  d'où  partent 
autant  de  longs  filets  nerveux  (voy.  fig.  b)  ;  Cuvier 
parle  d'un  cordon  nerveux  très -délié  qui  entoure 
l'œsophage  dans  les  holothuries  ;  de  Blainville  croit 
l'avoir  aperçu  dans  les  oursins. 

Mais  c'est  surtout  chez  les  elminthes  arrondis,  les 
ascaridiens,  que  la  centralisation  du  système  nerveux 
en  filaments  est  facile  à  démontrer;  l'ascaride  lom- 
hricoïde ,  par  exemple ,  nous  fait  voir  deux  cordons 
hlancs  et  flexueux  sur  la  ligne  médiane ,  un  dorsal 
et  un  ventral ,  offrant  parfois  de  petits  renflements 
très-espaces.  Ces  filets  communiquent  ensemble  vers 
l'extrémité  antérieure  de  l'animal  par  un  collier 
complet  ;  à  l'extrémité  postérieure ,  ils  se  divisent 
chacun  en  deux  filaments  plus  fins  qui  s'écartent  au 
devant  de  l'anus  pour  le  ventral ,  au  bout  du  corps 
pour  le  dorsal ,  viennent  côtoyer  les  vaisseaux  laté- 
raux et  les  suivent  ainsi  jusqu'à  la  tête,  où  ils  se 
portent  de  nouveau  vers  les  deux  filets  nerveux 
médians  et  s'y  anastomosent  :  c'est  ce  qui  résulte  de 
dissections  très-attentives  et  répétées  plusieurs  fois 
avec  le  même  soin.  Ce  système  est  donc  plus  com- 
plexe qu'on  ne  le  pense  ordinairement ,  et  il  ne  serait 
pas  irrationnel  de  voir  dans  les  fils  médians  l'ana- 
logue du  système  cérébro-spinal  des  grands  animaux, 
et  dans  les  filets  latéraux  qui  côtoient  le  système 
vasculaire ,  l'analogue  du  nerf  trisplanchnique  (  ( }, 
Au  reste,  les  filets  secondaires  partent  transversa- 
lement de  ces  cordons  principaux ,  ils  sont  à  la  vérité 
si  ténus  qu'il  faut ,  pour  les  apercevoir,  une  dissec- 

(1)  On  avait  pensé  que,  des  deux  filels  principaxix,  le  ventral  représentait  le 
cordon  principal  des  insectes,  tandis  que  le  dorsal  était  l'analogue  de  leur  nerl 
récurrent.  (  Olto.  ) 


76  DE  l'innervation  et  de  ses  diversités 
tion  des  plus  délicates  ;  mais,  pas  plus  ici  qu'ailleurs , 
on  ne  peut  supposer  que  les  muscles  soient  animés 
uniquement  par  influence ,  par  VatmospJière  nerveuse 
de  Reil ,  dont  il  faudrait  considérablement  étendre 
les  limites,  si  l'existence  des  rameaux  transverses 
n'était  pas  certaine  comme  elle  l'est.  Ce  qui  est 
d'une  évidence  moins  contestable  encore ,  c'est  la 
parfaite  séparation  du  système  musculaire  et  du  ner- 
veux, confirmant  cette  remarque  très-judicieuse  de 
Lamarck  et  de  Meckel,  que  l'un  de  ces  tissus  ne 
peut  se  manifester ,  se  dégager,  sans  que  l'autre  en 
fasse  autant  ;  on  doit  donc  supposer  des  nerfs  isolés 
là  où  l'on  voit  des  muscles ,  et  en  repousser  l'ad- 
mission là  où  l'on  ne  voit  qu'un  tissu  pulpeux  et 
contractile  :  aussi ,  bien  que  nous  n'ayons  pu  voir 
avec  certitude  les  fils  nerveux  du  gordius ,  n'en  som- 
mes-nous pas  moins  persuadé  qu'on  les  lui  trouve- 
rait comme  à  l'ascaride ,  car  ses  muscles  sont  peut- 
être  encore  plus  distincts  ;  et ,  au  contraire  ,  c'est  à 
tort ,  selon  nous ,  qu'on  a  décrit  et  figuré  des  nerfs 
chez  les  distomes  ou  fascioles  et  quelques  autres 
elmintbes.  Meblis  a  bien  prouvé  que  les  filaments 
admis  comme  nerveux  par  Ramdhor  dans  la  douve 
du  foie  appartiennent  aux  organes  génitaux  ;  mais 
ce  que  lui-même  a  cru  des  nerfs ,  ce  sont  deux  troncs 
vasculaires  longitudinaux  tout  semblables  à  ceux  des 
planaires ,  chez  lesquelles  Quoy  et  Gaymard  pour 
une  espèce,  F.  Schulze  pour  d'autres ,  les  ont  aussi 
cru  nerveux.  Des  observations  attentives  sur  l'ani- 
mal vivant  ,  des  recherches  minutieuses  sur  le 
mort ,  nous  ont  prouvé ,  chez  les  uns  et  les  autres  de 
ces  animaux ,   la  nature  vasculaire  de  ces  organes , 


DANS  L^ÉGHELLE  ORGANIQUE.  77 

que  nous  décrirons  au  reste  plus  amplement  par  la 
suite.  J'incline  fort  à  porter  le  même  jugement  sur 
le  prétendu  système  nerveux  que  Bojanus  a  dessiné 
d'après  Y amplnstoma  suhtnquetrum  j  et  sur  celui  du 
pentastoma  iœmoïdes  _,  admis  par  Cuvier  et  figuré 
par  Miram. 

d.  Chez  les  animaux  imertébrés  dont  l'organisa- 
tion s'est  compliquée  et  perfectionnée  davantage ,  le 
système  nerveux  s'est  formé  des  centres  plus  ou  moins 
nombreux ,  des  masses  médullaires  communiquant 
les  unes  avec  les  autres  par  des  cordons  fibreux  j  et 
émettant  des  branches  également  fibreuses  qui  se 
répandent  dans  tous  les  organes  :  c'est  ce  qu'on 
nomme  ganglions.  La  plupart  de  ces  animaux  possè- 
dent des  organes  de  sens  plus  nombreux  et  plus  par- 
faits ,  des  appendices  locomoteurs  détachés  en  forme 
démembres  à  plusieurs  articulations.  Sous  ce  dernier 
rapport,  les  mollusques  ou  hélicaires  sont  le  moins 
bien  partagés  ;  aussi  leur  chaîne  ganglionnaire  est-elle 
bien  moins  étendue  que  celle  des  animaux  articulés 
ou  astacaires,  soit  que  les  éléments  de  nombreux 
ganglions  se  soient  soudés  et  confondus  ,  soit  que 
(et  ceci  est  plus  probable)  les  centres  nerveux  soient 
réellement  en  plus  petit  nombre ,  virtuellement 
comme  en  apparence.  On  n'a  trouvé  qu'un  ganglion 
dans  les  biphores  (de  Blainville,  Meyen) ,  dans  les 
ascidies  (Cuvier,  Meckel),  deux  dans  les  gastéro- 
podes ou  hélicistes,  mais  impairs  et  plus  ou  moins 
bilobés  (^fig.  Qjj,  trois  ou  cinq  chez  d'autres  mollus- 
ques ;  un  nombre  à  peu  près  semblable  ,  mais  dif- 
ficile à  déterminer,  chez  les  infusoires  rotateurs 
(Ehrenberg)  ;  tandis  que,  chez  les  animaux  ârti- 


78  DE  l'innervation  et  de  ses  diversités 
culés ,  on  trouve  toujours  une  longue  chaîne  de 
ganglions  impairs  et  biloLés  à  divers  degrés  ,  dou- 
bles même  quelquefois ,  et  réunis  seulement  par 
une  commissure  médiane  (cloporte  ,  talitre ,  fig.  7  ); 
disposés  tantôt  en  chapelet  serré ,  tantôt  tenus  à 
distances  considérables  par  des  cordons  de  commu- 
nication ,  toujours  doubles ,  ou  du  moins  offrant  un 
sillon  médian  si  le  cordon  est  impair.  Ces  gan- 
glions sont  aussi  nombreux  que  les  anneaux  du  corps 
dans  les  annélides,  même  dans  les  nais  (Gruithuisen 
et  nous-même  ) ,  les  sabelles  (  délie  Chiaje  )  ,  aux- 
quelles ont  avait  à  tort  dénié  un  système  nerveux 
(Lamarck,  Schweigger,  Meckel).  Il  y  en  a  treize 
chez  beaucoup  de  larves  ,  moins  chez  les  insectes 
parfaits.  Dans  tous  les  cas,  le  premier  ganglion, 
celui  qui  anime  les  yeux ,  les  antennes ,  est  situé 
dans  la  tête  et  au-dessus  de  l'œsophage  ,  les  autres 
au-dessous  du  canal  alimentaire. 

La  comparaison  de  ce  système  nerveux  avec  celui 
des  animaux  vertébrés,  que  nous  examinerons  ci- 
après  ,  a  été  diversement  envisagée  par  divers  ana- 
tomistes ,  et  il  est  important  de  fixer  notre  opinion 
à  cet  égard  :  la  discussion  achèvera  d'ailleurs  de 
faire  connaître  les  usages  et  la  distribution  des  sys- 
tèmes dont  nous  venons  de  donner  un  aperçu. 

1**  L'aspect  de  cet  ensemble  de  ganglions  consti- 
tuant les  centres  nerveux ,  chez  les  animaux  inver- 
tébrés ,  l'a  fait  regarder  par  Ackermann  comme 
l'analogue  du  nerf  trisplanchni que  ou  grand  sympa- 
thique des  vertébrés  ;  il  s'appuyait  encore  sur  la  pré- 
dominance de  l'instinct  chez  ces  animaux.  Nous 
ferons  voir  ailleurs  qu'il  y  a  parité  d'instinct  et  d'in- 


DAKS  L^ÉCHELLE   ORGANIQUE.  79 

telligence ,  à  peu  de  chose  près ,  entre  les  vertébrés 
et  les  invertébrés,  et  nous  remarquerons  ici  seule- 
ment que  le  ganglion  sous-œsophagien,  vrai  cerveau, 
fournissant  les  nerfs  optiques,  etc.  ,  ne  peut  être 
comparé  à  aucun  des  ganglions  du  grand  sympathi- 
que ,  à  moins  qu^on  n'adopte  les  explications  sans 
vraisemblance  d'Ampère ,  qui  le  comparait  au  gan- 
glion naso  palatin. 

D'ailleurs,   il  est  positif  que  l'analogue  du  tri- 
spîanchnique  ou  nerf  ^dscéral  existe  chez  les  inver- 
tébrés, conjointement  avec  la  chaîne  ganglionnaire 
principale  dont  il  est  bien  distinct.  L'appareil  nerveux 
splanchnique  de  certains  mollusques  tels  que  l'aplysie 
(Cuvier),  des  crustacés  (Audouin  et  Edwards,  delîe 
Chiaje  ,    Erandt),   des  insectes  (Lyonet ,    Cuvier, 
Brandt),  est  bien  connu  sous  le  nom  de  nerf  récurrent  / 
nous  l'avons  trouvé  aussi  chez  les  araignées  :  il  part 
du  ganglion  céphalique ,  et  porte  lui-même  plusieurs 
autres  ganglions  secondaires;  d'ailleurs,  c'est  aux 
organes  digestifs  qu'il  se  distribue  principalement. 
Tréviranus   en  représente  un  chez  les  scorpions  , 
qui ,  se  distribuant  surtout  aux  organes  respiratoires , 
et  n'ayant  pas  de  ganglions  propres ,  se  rapporterait 
plutôt  à  la  huitième  paire  ou  nerf  pneumo-gastrique 
des  vertébrés  :  c'est  dire  qu'il  n'en  peut  être  ain^i  de 
celui  dont  nous  venons  de  parler,  et  qui  est  du  reste 
également  donné  par  Mûller,  Carus  et  autres ,  pour 
le  véritable  analogue  du  trisplanchnique. 

Ce  n'est  qu'en  envisageant  cet  ensemble,  mais 
non  en  le  restreignant  à  la  chaîne  principale  ,  qu'on 
pourrait  dire ,  avec  Lobstein  et  Tréviranus  ,  que  le 
système  nerveux  des  animaux  articulés  est  à  la  fois 


80        DE  l'innervation  et  de  ses  diversités 

le  représentant  de  l'appareil  cérébro-spinal,  et  du 

grand  sympathique  des  animaux  à  vertèbres. 

2^  Weber  et  Serres  ont  comparé  les  ganglions  des 
animaux  articulés,  aux  ganglions  intervertébraux 
des  vertébrés  et  de  Thomme.  Serres  se  fonde  sur  ce 
que  ces  derniers  se  montrent  de  très -bonne  heure 
dans  Fembryon  ,  qui,  inférieur  en  développement  au 
vertébré  adulte ,  peut  être  en  quelque  sorte  assimilé 
à  l'invertébré  inférieur  en  organisation.  C'est  là,  on 
en  conviendra,  un  argument  bien  faible.  Ce  savant 
académicien  voit,  dans  le  cerveau  des  articulés,  l'ana- 
logue du  ganglion  crânien  de  la  cinquième  paire ,  à 
laquelle  il  fait  jouer  un  grand  rôle  dans  les  fonctions 
sensoriales.  Ceci  ne  fournirait  encore  qu'une  proba- 
bilité ,  qu'une  preuve  conjecturale  et  bien  faible, 
selon  nous ,  auprès  des  arguments  contraires.  Ces 
arguments  les  voici.  D'abord,  les  racines  motrices 
des  nerfs  vertébraux  ne  concourent  point  à  la  for- 
mation des  ganglions  intervertébraux  ,  et  cependant 
les  ganglions  des  insectes  émettent  aussi  bien  les 
nerfs  moteurs  que  les  sensitifs,  car  on  paralyse  ins- 
tantanément les  muscles  dont  on  coupe  les  nerfs  à 
leur  sortie  de  ces  centres  médullaires.  En  second 
lieu ,  il  n'y  a  pas  de  communication  d'un  ganglion 
intervertébral  à  un  autre  ,  comme  il  y  en  a ,  chez 
les  insectes,  dans  la  longueur  de  leur  chaîne  ner- 
veuse; cette  communication  n'est  établie  que  par 
la  moelle  épinière ,  et  l'admettre ,  c'est  admettre 
l'analogie  qui  va  maintenant  nous  occuper. 

3®  L'identité  des  usages  et  des  connexions  (sens 
et  membres }  est  déjà  une  forte  preuve  en  faveur 
de  l'identité  de  la  chaîne  ganglionnaire  des  animaux 


DAKS  l'Échelle  orgainique.  81 

articulés  et  du  système  cérébro-spinal  des  vertébrés, 
identité  admise  par  Gall ,  qui  ne  regarde  la  moelle 
épinière  de  ces  derniers  que  comme  une  série  de 
ganglions  soudés ,  et  par  Cuvier,  qui  a  toujours 
donné  le  nom  de  cerveau  au  premier  ganglion  des 
insectes.  On  peut  effectivement  adopter  cette  défini- 
tion ,  et  regarder  comme  cervelet  et  mésocéphale 
le  deuxième  ganglion,  c'est-à-dire  le  premier  sous- 
œsophagien  qui ,  chez  les  insectes ,  est  encore  con- 
tenu dans  la  tète ,  et  fournit  des  filets  aux  appareils 
de  la  gustation  et  de  la  mastication  :  les  autres 
répondent  évidemment  à  la  moelle  rachidienne. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  les  centres  nerveux  se 
montrent  plus  détachés  dans  des  animaux  si  nette- 
ment segmentés  à  l'extérieur;  et  il  est  de  remarque 
qu'en  effet  la  coalescence  des  ganglions  correspond 
généralement  à  celle  des  segments  du  corps.  Ainsi, 
chez  la  chenille,  les  treize  ganglions  sont  à  distance; 
dans  le  papillon ,  le  onzième ,  le  douzième  et  le  trei- 
zième n'en  font  qu'un ,  rétréci  seulement  vers  son 
milieu  ;  le  deuxième  et  le  troisième  sont  également 
confondus  ;  le  cinquième  et  le  sixième ,  le  quatrième 
même ,  ne  constituent  plus  qu'une  masse  perforée 
et  légèrement  étranglée.  Voilà  donc  des  ganglions 
soudés  en  portions  de  moelle  épinière ,  et  ceci  est  plus 
sensible  encore  chez  certains  crustacés  décapodes 
macroures  (fig,  8  }.  L'écrevisse  même  ,  qui  dans 
le  très-jeune  âge  a  au  thorax  une  chaîne  de  ren- 
flements nerveux  séparés  ,  n'a  dans  l'âge  adulte 
qu'une  masse  médullaire  cylindroïde  et  continue  ;  au 
contraire  ,  la  larve  des  coléoptères  lamellicornes  et 
de  plusieurs  diptères  (Swammerdam,  Serres,  etc.) 

6 


82  DE  l'innervation  et  de  ses  diversités 
constitue  ime  moelle  épinière  continue  à  renflements 
courts  et  pressés ,  tandis  que  les  ganglions  sont  dis- 
sociés et  à  distance,  pour  un  certain  nombre  du 
moins ,  chez  l'animal  parfait.  Enfin,  chez  le  lombric 
terrestre  ,  dont  les  anneaux  sont  très-courts  et  très- 
nombreux,  le  système  nerveux  central  ressemble 
plus  à  une  moelle  épinière  noueuse  qu'à  une  série 
de  ganglions  ;  le  premier  seul ,  qui  est  composé  de 
deux  lobes  latéraux  bien  distincts ,  ne  communique 
avec  les  autres  qu'à  l'aide  de  deux  cordons  assez 
longs  qui  environnent  l'œsophage  ,  comme  chez  tous 
les  animaux  articulés ,  et  que ,  pour  cette  raison,  on 
nomme  le  collier  œsophagien. 

Toutefois  une  objection  très-spécieuse  pourrait 
être  tirée  de  la  position  ventrale  ou  inférieure  de  la 
chaîne  ganglionnaire ,  tandis  que  la  moelle  épinière 
est  toujours  à  la  région  dorsale  ou  supérieure  des 
animaux  à  vertèbres.  Cette  objection  tombe,  si  l'on 
admet,  avec  GeofTroy-St-Hilaire,  que  le  ventre  de 
l'invertébré  est  le  représentant  du  dos  chez  le  ver- 
tébré :  et ,  en  effet ,  la  position  et  les  rapports  mutuels 
du  cœur  ou  vaisseau  dorsal,  du  canal  alimentaire 
et  du  système  nerveux  autorisent  cette  comparaison. 
CVoij.  pg.  3  et  A.J  On  trouve  même,  à  la  face 
inférieure  du  thorax  et  de  la  tête  des  insectes  et 
des  crustacés,  de  véritables  vertèbres  (i)  nommées 
entocéphale  et  entothorax  par  Audouin.  La  diff'érence 
entre  le  vertébré  et  l'invertébré  se  réduit  dès -lors  à 


(1)  Mém.  sur  la  conformité  organique,  pag.  9S  et  96.— Nous  y  établissons  une 
preuve  de  plus  surJa  situation  du  vitellus  dans  Tœuf  ;  il  est  en  rapport  avec  ce 
qu'on  nomme  le  ventre  chez  le  vertébré ,  avec  ce  qu*on  nomme  le  dos  chez 
rinvertébré  (Rathkc,  Heroldt),  vérités  que  noiis  avons  constatées  par  l'obser- 
valioH  directe. 


DANS  l'Échelle  orga^jique.  83 

une  différence  d'attitude  fort  peu  diffîciie  à  con- 
cevoir ;  et  la  seule  difficulté  réelle  qui  subsiste , 
c'est  d'expliquer  comment  l'œsophage  des  animaux 
articulés  et  des  mollusques  traverse  le  collier  susdit , 
et  pourquoi  le  cerveau  ne  se  trouve  pas  à  la  même 
face  du  corps  que  la  moelle  épinière.  C'est  un  pro- 
blème que  nous  chercherons  ailleurs  à  résoudre 
fEmhnjogénieJ. 

e.  Des  renflements  continus  et  un  cordon  fibreux  et 
médullaire  à  la  fois ,  d'où  partent  des  nerfs  à  doubles 
racines  (sensitives  et  motrices) ,  même  dans  les  ser- 
pents (d'après  nos  observations)  et  la  lamproie  (Carusj, 
auxquels  Desmoulins  n'accordait  qu'un  seul  ordre 
de  racines  nerveuses  :  telle  est  la  disposition  carac- 
téristique du  système  nerveux  principal  des  animaux 
vertébrés  f^fig.  dj.  Les  lobes  olfactifs ,  les  lobes  ou 
hémisphères  cérébraux,  les  lobes  optiques  et  le 
cervelet ,  voilà  les  principaux  de  ces  renflements  ; 
la  moelle  épinière  constitue  le  cordon  mentionné 
ensuite.  Mais,  indépendamment  de  cet  appareil  ou 
système  dit  cérébro  -  spinal ,  il  en  existe  un  autre 
essentiellement  viscéral,  système  ganglionnaire  ou 
trisplanchnique  ,  ou  encore  nerf  grand  sympathique 
des  anatomistes, 

1°  Le  premier  de  ces  deux  systèmes  reçoit  les 
impressions  des  excitants  extérieurs  par  des  organes 
spéciaux  nommés  senSj  qui  communiquent  avec  les 
centres  par  des  nerfs ^  c'est-à-dire  des  conducteurs 
fibreux,  dont  les  filaments  visibles  et  parallèles  sont 
composés  d'une  enveloppe  membraneuse  ou  névri- 
îème ,  et  d'une  pulpe  blanche  à  globules  micros- 
copiques, disposés  en  séries  linéaires  ou  filaments 


84  DE  l'iîninervation  et  de  ses  diversités 
élémentaires  excessivement  ténus  (i).  D'autres  nerfs 
vont  des  centres  aux  muscles  pour  eu  mettre  enjeu 
la  contractilité.  Ce  système  est  donc  entièrement 
destiné  aux  relations  de  l'animal  avec  le  monde  exté- 
rieur ;  il  embrasse  toutes  les  fonctions  de  sensaiion 
et  de  manifestation ,  telles  que  nous  les  définirons 
par  la  suite.  Toutefois  le  nerf  pneumo  -  gastrique  , 
qui  naît  de  la  moelle  allongée  ou  de  l'origine  de  la 
moelle  épinière ,  est  d'un  grand  secours  à  certaines 
fonctions  de  la  vie  nutritive,  la  circulation,  la  respi- 
ration et  la  digestion.  Ceci  n'est  pas  plus  étonnant 
que  de  voir  naître  du  cerveau  le  nerf  récurrent  des 
insectes  et  des  crustacés. 

2^  Au  reste  ,  le  système  trisplanchnique  a  égale- 
ment de  nombreuses  communications  avec  le  céré- 
bro-spinal ,  soit  dans  le  crâne  par  le  moyen  de 
plusieurs  nerfs  cérébraux ,  soit  tout  le  long  du  racliis 
par  le  moyen  d'un  double  filet  fourni  à  chaque  gan- 
glion par  les  racines  antérieures  et  les  postérieures 
des  nerfs  spinaux  (2). 

Mais  ce  système  éminemment  dévolu  aux  fonctions 
nutritives  j  consacré  au  service  des  viscères  et  des 
vaisseaux  artériels,  distribué  au  cœur,  aux  poumons, 

(1)  Suivant  Prévost  et  Dumas,  un  nerf  de  1  millimètre  carré  en  épaisseur 
contiendrait  22,500  filaments  élémentaires  ;  il  y  en  aurait  16,000  dans  un  nerf 
cylindrique  de  i  millimètre  d'épaisseur,  comme  celui  du  membre  postérieur 
d'une  grenouille. 

(2>  Scarpa,  qui  avait  d'abord  admis  cette  double  union  ,  l'a  niée  depuis;  il 
pense  qu'il  n'en  vient  que  des  racines  postérieures  ;  mais  Amussat  en  a  vu  sortir 
aussi  des  antérieures:  on  peut  seulement  croire  que  ces  derniers  sont  plus 
faibles,  plus  rares;  de  là  vient  que  les  viscères  transmettent  mieux  à  l'encéphale 
leurs  sensations  quand  elles  sont  vives,  qu'ils  n'en  reçoivent  l'influx  dans  les 
passions.  Toutefois,  les  palpitations  du  cœur ,  les  coliques,  les  vomissements 
produits  par  des  impressions  morales  instantanées  démontrent  bien  que  la  con- 
traction n'est  pas  soustraite  à  celte  communication  entre  les  deux  systèmes.  Les 
fonctions  ordinaires  suffisent  aussi  pour  prouver  contre  une  nouvelle  opinion 
de  Scarpa,  savoir  que  les  nerfs  ganglionnaires  sont  uniquement  sensilifs. 


DANS  l'Échelle  organique.  85 

à  Testomac ,  aux  intestins ,  au  foie  ,  à  la  rate  ,  aux 
reins,  aux  testicules  et  aux  ovaires,  aux  artères 
principales  des  membres  ,  ne  reçoit  plus  que  bien 
rarement  des  impressions  venues  du  debors  :  il  est 
impressionné  par  tes  organes  sur  lesquels  il  réagit  à 
son  tour  ;  mais  le  tout  se  fait  obscurément,  lente- 
ment. Gela  tient  à  la  faiblesse  de  sa  propriété  con- 
ductrice ;  les  ganglions  ou  renflements  pulpeux,  qui 
se  trouvent  disséminés  en  grand  nombre  dans  cet 
appareil,  entravent  les  communications;  aussi  faut-il 
de  violentes  commotions  du  système  cérébro-spinal 
(passions) ,  pour  qu'elles  se  propagent  au  trisplan- 
chnique,  et  faut-il  des  désordres  bien  rapides  et  bien 
intenses  dans  les  viscères ,  pour  que  la  sensation  en 
soit  transmise  aux  organes  intellectuels.  11  semble 
que  chaque  ganglion  soit  un  foyer  particulier ,  un 
centre  où  s'arrêtent  et  s'achèvent  partiellement  les 
opérations  d'une  innervation  toute  locale.  Cet  état 
de  choses  a  l'avantage  de  conserver  plus  facilement 
le  calme  et  l'équilibre  dans  les  fonctions  de  la  vie 
végétative,  ou  fonctions  vitales  proprement  dites. 
Il  y  a  ,  de  cette  manière ,  moins  d'oscillations  à 
craindre ,  plus  de  stabilité  et  de  continuité  dans  les 
phénomènes  fonctionnels. 

Ceci  nous  explique  les  résultats  singuliers  qu'ont 
obtenus ,  de  la  lésion  du  grand  sympathique ,  divers 
observateurs.  Les  uns  n'ont  vu  aucun  effet  sensible 
résulter  dans  les  mouvements  du  cœur,  etc. ,  par 
l'irritation  ou  l'ablation  des  premiers  ganglions  du 
système  trisplanchnique  (  Haller ,  Senac  ,  Bichat , 
Magendie).  D'autres  ont  trouvé  qu'en  soumettant  ces 
ganglions  à  l'action  du  galvanisme  ,  les  mouvements 


86  DE  l'innervation  et  de  ses  diversités 
du  cœur  étaient  notablement  accélérés  (Humboldt, 
Bîirdacli  ).  Burdacli  même  a  vu  Fammomaque  ap- 
pliquée sur  le  nerf  grand  sympathique  exciter  les 
battements  du  cœur,  et  il  s'est  convaincu  crue  c'est 
ainsi  que  la  même  opération  augmente  les  pulsa- 
tions de  la  carotide,  fait  noté  par  Everard  Home. 
Les  expériences  de  Legaliois  ,  qui  a  vu,  en  détrui- 
sant la  moelle  épinière ,  les  mouvements  du  cœur 
s'arrêter,  ne  peuvent  s'expliquer  que  par  l'influence 
médiatement  exercée ,  par  cette  opération ,  sur  le 
nerf  trisplancbnique  (i).  Enfin,  Pourfour  du  Petit  et 
Dupuy  ont  vu  que  la  section  de  ce  nerf  au  cou  pro- 
duisait la  suppuration  ,  la  perte  de  l'œil ,  et  de  plus 
un  amaigrissement,  un  dépérissement  bientôt  mortel. 
Ce  dernier  effet  prouve  assez  l'importance  de  cet 
appareil  nerveux  ;  et  cette  importance ,  aussi  bien 
que  son  action  sur  les  organes  sécréteurs ,  sur  l'ex- 
halation ,  l'absorption  ,  la  nutrition  ,  l'inilammation 
même  dans  les  cas  morbides,  se  conçoit  mieux  si  l'on 
admet,  avec  Lancisi,  Ciiaussier,Wrisberg,  que  les 
filaments  de  ce  vaste  réseau  se  jettent  sur  toutes  les 
artères  et  les  suivent  j  usqu'à  leur  terminaison  ;  mieux 
encore  si  l'on  adopte  l'opinion  de  Lobstein  ,  c'est-à- 
dire  qu'ils  se  combinent  avec  les  tuniques  artériel- 
les. Telle  est  aussi  notre  pensée,  et  nous  aurons 
fréquemment  occasion ,  par  la  suite ,  de  revenir  sur 
la  sensibilité ,  l'activité ,  la  vitalité  que  cette  combi- 
naison bien  probable  donne  aux  vaisseaux  capillaires 

(I)  Toutefois,  il  n'en  faudrait  pas  conclure  contre  ce  que  nous  avons  dit  plus 
haut,  savoir,  que  les  ganglions  étaient  en  quelque  sorte  indépendants  l'un  de 
l'autre  et  des  centres  cérébro-spinaux.  Cette  indépendance  se  prouve  assez  par 
la  conservation  de  la  vie,  durant  la  pcTiode  intra-ulérine ,  cliez  des  monstres 
privés  de  cerveau  et  de  moelle  épinière  (Lallemand  et  autres),  et  même  d'une 
partie  plus  ou  moins  considérable  du  tronc. 


DANS  l'Échelle  organique.  87 

que,  en  raison  de  cette  texture ,  nous  avons  nommés 
névrartères.  Cette  supposition  ,  à  laquelle  l'anatomie 
même  conduit  assez  directement ,  aide ,  autant  que 
la  connaissance  des  nombreuses  relations  entre  les 
deux  systèmes  nerveux  que  nous  avons  signalées 
plus  haut,  à  Fexplication  de  certaines  corrélations 
de  sensibilité  ou  d'action  entre  des  parties  éloignées , 
et  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de  sympathies  ;  elle 
y  aide  surtout ,  si  l'on  admet  des  anastomoses  entre 
les  névrartères  et  les  derniers  filaments  du  système 
cérébro-spinal.  Ces  sympathies  jouent  un  grand  rôle 
dans  la  physiologie  et  la  pathologie  de  l'homme  ;  elles 
ont  beaucoup  moins  d'importance  en  physiologie 
comparée ,  et  il  est  à  remarquer  que  le  système  du 
nerf  grand  sympathique  est,  en  effet,  d'autant  moins 
développé  que  l'animal  vertébré  occupe  un  rang 
plus  bas  dans  l'échelle  organique.  Sa  complexité 
va  décroissant,  de  l'homme  aux  autres  mammifères, 
de  ceux-ci  aux  oiseaux ,  aux  reptiles ,  aux  poissons  , 
chez  lesquels  il  devient  presque  rudimentaire. 

Cette  observation  nous  fournira  un  argument  de 
plus  contre  l'identité  supposée  de  la  chaîne  ganglion- 
naire des  invertébrés  avec  le  système  trisplanchnique 
des  vertébrés  :  n'est-il  pas  évident  que  si  c'était  la 
même  chose  ,  et  si  chez  ces  derniers  le  système 
cérébro-spinal  était  d'apparition  nouvelle  et  sans 
analogue  avec  ce  que  possèdent  les  premiers,  le  nerf 
trisplanchnique  devrait  être  d'autant  plus  développé 
qu'on  se  rapprocherait  davantage  de  ceux-ci ,  et  par 
conséquent  bien  plus  parfait  chez  les  poissons  que 
chez  l'homme ,  où  il  devrait  être  au  minimum  de 
développement? 


88  DES  VARIATIOISS  DE  l'iNNERVATION 

La  manière  dont  nous  avons  envisagé  ce  système 
dans  ses  relations  avec  les  vaisseaux  sanguins,  nous 
permet  de  concevoir ,  mieux  que  dans  toute  autre 
supposition,  Finfluence  de  l'agent  nerveux  sur  les 
humeurs  mêmes.  Nul  doute,  pour  nous,  que  le  sang 
ne  doive  ,  en  partie ,  sa  fluidité,  son  expansion  et  ses 
qualités  excitantes  (  sang  artériel)  à  l'agent  vital  qui 
le  pénètre  et  qui  ne  l'abandonne  que  dans  certaines 
maladies  (choléra) ,  dans  l'agonie  ou  après  la  mort , 
quand  ce  liquide  a  été  extrait  des  vaisseaux,  quand  il 
a  été  mêlé  avec  un  agent  délétère  qui  tantôt  en  dé- 
termine la  coagulation,  comme  le  venin  de  la  vipère 
selon  Fontana  et  Laurenti,  ou  au  contraire  en  dé- 
truit la  cohésion ,  comme  les  miasmes  putrides  et 
pestilentiels,  etc.  Nul  doute  aussi  que  le  sperme  ne 
doive  à  la  même  cause  l'agitation  de  ses  globules, 
dont  la  vie  individuelle ,  l'animalité  est  au  moins  fort 
douteuse  ;  peut-être  même  doit-il  cette  merveilleuse 
faculté  fécondante,  son  principal  attribut,  à  l'accumu- 
lation de  l'agent  nerveux  qui  s'y  fixe  et  s'y  concentre 
dans  l'acte  de  la  copulation  ,  par  une  sorte  de  choc 
électrique  comparable  à  celui  que  reçoit  un  corps 
mis  en  contact  avec  la  bouteille  de  Leyde  ou  l'élec- 
trophore  :  question  que  toutefois  nous  nous  propo- 
sons d'agiter  ailleurs  (^Fécondation J, 


CHAPITRE  m. 

DES  VARIATIONS  DE  L'INNERVATION  DANS  LE  MEME  INDIVIDU. 

Nous  avons  vu,  dans  le  précédent  chapitre,  l'in- 
nervation acquérir  un  degré  d'intensité  et  surtout 


DANS  LE  MEME  INDIVIDU.  89 

de  complexité  de  plus  en  plus  élevé,  en  passant  de 
la  plante  et  du  zoophyte  à  l'homme  ;  et  chez  ce 
dernier  même  ,  nous  aurions  pu  reconnaître  des  dif- 
férences bien  réelles  selon  les  circonstances  dans  les- 
quelles sont  placés  des  individus  différents.  En  effet, 
l'homme  civilisé  ,  comparé  à  l'homme  sauvage  ; 
l'homme  aisé ,  avec  toutes  les  jouissances  du  luxe 
et  les  passions  d'un  haut  état  social ,  comparé  à  l'ar- 
tisan ,  n'offrent- ils  pas  à  l'observateur  des  phéno- 
mènes vitaux  et  nerveux  mille  fois  plus  diversifiés 
et  plus  raffinés  en  même  temps  ?  Mais  ces  modifica- 
tions appartiennentplutôt  à  l'étude  morale  de  l'homme 
qu'à  la  physiologie  ;  celles  qui  peuvent  se  ranger 
sous  ce  dernier  titre  se  divisent  d'abord  en  générales 
et  en  partielles. 

A.  3Iodifications  générales.  Bien  que  les  circons- 
tances extérieures  ,  comme  le  climat ,  l'habitation , 
la  profession  puissent  agir  sur  toute  l'économie ,  de 
manière  à  changer  plus  ou  moins  la  sensibilité ,  l'acti- 
vité du  système  nerveux  universel  (acclimatement , 
maladies  générales,  etc.),  ce  genre  de  causes  pro- 
duit bien  plus  souvent  des  modifications  partielles, 
et  il  en  sera  plus  amplement  question  ci-après.  11  est 
d'autres   modifications  générales  de  l'activité  vitale 
qui  dépendent,  au  contraire  ,   de  la  première  orga- 
nisation du  sujet  et  des  phases  par  lesquelles  elle  doit 
nécessairement  passer  :  ce  sont  celles  des  sexes,  de 
l'âge  ,  des  variétés  dans  chaque  espèce ,  du  tempé- 
rament, de  la  constitution.  Ces  objets,  comme  on 
voit ,    concernent  plus  spécialement  la  physiologie 
humaine  que  la  physiologie  comparée  ;  car  on  a  dit 
à  peu  près  tout  ce  qu'il  y  a  à  en  dire  sous  ce  dernier 


90  DES  VARIATIONS  DE  l'iNNEIWATION 

point  de  vue  ,  en  rappelant  que  ,  à  part  quelques 
exceptions,  il  y  a  plus  d'énergie  ,  de  force,  de  soli- 
dité chez  le  mâle ,  chez  l'adulte  ;  plus  de  sensibilité , 
de  mobilité  chez  la  femelle  et  dans  le  jeune  âge; 
que  certains  individus  montrent  plus  de  vigueur  ou 
plus  de  vivacité ,  de  souplesse  que  d'autres  :  modi- 
fications de  vitalité  souvent  traduites  au  dehors  par 
des  formes  plus  robustes  ou  plus  sveltes,  quelquefois 
même  par  des  colorations  différentes ,  comme  on  le 
sait  fort  bien  pour  les  chevaux  et  autres  animaux 
domestiques.  U albinisme,  cet  état  caractérisé  par  la 
blancheur  des  poils  de  la  peau ,  la  décoloration  de  la 
choroïde  de  l'œil  et  de  l'iris ,  en  fournit  la  preuve , 
puisqu'il  est  ordinairement  lié  avec  la  faiblesse  et 
l'apathie. 

B.  Modifications  partielles  innées.  De  même  que 
les  dernières  dont  nous  venons  de  parler,  celles-ci 
tiennent  à  l'organisation  native  ou  primordiale  des 
parties  dont  se  compose  le  corps  vivant.  La  sensibi- 
lité et  les  opérations  réactives  qui  s'observent ,  à  des 
degrés  et  avec  des  formes  si  diverses,  dans  les  organes 
différents ,  peuvent  se  rapporter  à  plusieurs  circons- 
tances d'organisation  :  la  première  c'est  le  genre  de 
nerfs  dont  cet  organe  est  pourvu  ;  la  deuxième  est 
relative  à  la  quantité  de  matière  nerveuse  qu'il  ren- 
ferme ;  la  troisième ,  enfin ,  à  sa  structure  propre  qui 
le  rend  apte  à  telle  ou  telle  opération. 

l""  Il  doit  nous  suffire,  quant  au  premier  chef, 
de  rappeler  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  des  trois 
dispositions  principales  de  la  substance  nerveuse 
chez  les  animaux  supérieurs  ;  les  névrartères,  moins 
sensibles  aux  impressions  et  moins  bons  conducteurs 


DANS   LE  MEME   INDIVIDU.  91 

de  leurs  excitations,  ne  donneront  anx  organes  dont 
ils  seront  les  seuls  animateurs ,  qu'une  sensibilité 
toute  locale  ,  toute  de  nutrition,  et  une  grande  apti- 
tude à  l'expansion,  aux  exhalations  :  tels  les  mem- 
Lranes  séreuses,  le  tissu  cellulaire,  les  ganglions 
lymphatiques,  etc.  Si  des  filets  du  trisplanchnique  , 
plus  isolés,  plus  purement  nerveux,  se  mêlent  aux 
névrartères ,  comme  dans  les  membranes  muqueuses, 
les  glandes,  les  viscères  musculeux,  les  excitations 
seront  plus  vivement  ressenties ,  les  fonctions  moins 
simples  ;  il  y  aura  des  sécr Liions ,  des  contractions  ; 
celles-ci  seront  surtout  énergiques  dans  les  viscères 
qui  recevront  aussi  quelques  nerfs  cérébraux,  comme 
les  poumons,  l'estomac  j  la  matrice.  Enfin,  dans  les 
sens,  la  peau,  les  muscles  dont  les  nerfs  sont  ceux 
du  système  cérébral ,  la  sensibilité ,  la  propagation 
des  impressions ,  les  contractions  seront  portées  au 
plus  haut  point  de  puissance  et  de  diversité. 

2^  Sous  le  deuxième  point  de  vue  ,  on  aurait 
mauvaise  grâce  à  répéter,  avec  certains  vitalistes, 
que  si  les  os ,  les  cartilages  devaient ,  dans  l'état 
sain,  leur  peu  de  sensibilité  à  l'absence  presque 
totale  des  nerfs  dans  leur  tissu,  ils  ne  pourraient 
point  acquérir,  dans  l'état  de  maladie,  cette  exces- 
sive sensibilité  qu'on  leur  connaît.  C'est  évidemment 
confondre  deux  états  fort  différents,  comme  nous 
le  prouverons  bientôt,  et  c'est  une  vérité  patente 
que  là  où  il  y  a  plus  grande  abondance  de  matière 
nerveuse ,  toutes  choses  égales  d'ailleurs ,  là  aussi 
il  y  a  plus  de  sensibilité  et  d'activité  vitale  :  témoin 
l'oeil,  la  langue,  etc.  ,  et  témoin  aussi,  en  sens 
inverse ,  les  ongles ,  les  cornes ,  les  poils ,  les  plumes, 


92  DES  YABIATIONS  DE  L^lîNNERVATlON 

les  têts  ou  coquilles ,  et  même  l'épiderme ,  produc- 
tions ,  pour  ainsi  dire  ,  excrétées ,  dépourvues  de 
tout  nerf  sous  quelque  forme  que  ce  soit ,  et  par- 
tant totalement  insensibles  et  incapables  de  réactions 
vitales. 

30  En  ce  qui  concerne  la  structure  particulière 
des  organes ,  il  est  par  trop  évident  qu'elle  ne  peut 
manquer  de  modifier  considérablement  l'innervation, 
quant  à  ses  actes  et  à  leurs  manifestations  :  l'œil 
est  fait  de  manière  à  voir,  et  l'oreille  de  manière  à 
entendre  ;  le  muscle  est  apte  à  se  raccourcir ,  la 
glande  à  sécréter  sous  l'influence  de  l'agent  vital. 
C'est  encore  à  la  structure  des  organes  qu'il  faut 
rapporter  leur  aptitude  à  répondre  à  certains  agents 
spéciaux ,  l'estomac  à  Témétique ,  les  organes  géni- 
taux aux  cantbarides  ;  ou  à  être  impressionnés  par 
certaines  violences  plutôt  que  par  d'autres ,  les  liga- 
ments par  la  distension,  le  testicule  par  la  compres- 
sion. La  même  théorie  peut  expliquer  comment 
certaines  parties  de  l'encéphale ,  organe  si  éminem- 
ment nerveux,  se  montrent  insensibles  ou  inertes 
sous  certaines  influences  :  c'est  qu'elles  ont  leur  des- 
tination ,  à  laquelle  il  a  été  pourvu  par  une  struc- 
ture et  des  relations  convenables  ;  ce  n'est  point 
l'affaire  des  hémisphères  cérébraux  que  de  sentir 
des  contacts  immédiats;  ce  n'est  point  celle  des 
faisceaux  postérieurs  de  la  moelle  épinière  que  de 
faire  contracter  des  muscles,  etc.,  etc.  Si  nos  sens 
ne  nous  soumettent  pas  ici  immédiatement  les  con- 
ditions matérielles  des  actes  auxquels  ces  portions 
président ,  le  raisonnement  y  supplée  en  s'appuyant 
sur  leurs  connexions  anatomiques. 


DANS  LE  MÊME  INDIVIDU.  93 

C.  Modifications  partielles  acquises  ou  acciden- 
telles. C'est  ici  le  cas  surtout  de  distinguer  ce  qui 
se  passe  daus  l'état  sain  et  dans  l'état  morbide  ; 
quoique  l'explication  de  l'un  conduise  très-ration- 
nellement à  celle  de  l'autre ,  ils  n'en  présentent  pas 
moins  des  différences  très-essentielles. 

1^  Nous  avons  vu  déjà  que,  dans  l'état  sain, 
l'innervation  ,  excitée  par  un  stimulus,  réagit  avec 
une  intensité  proportionnée  à  la  vivacité  de  l'im- 
pression et  au  repos  antécédent  ;  que ,  après  un 
certain  temps  d'activité ,  l'innervation  faiblit  et  peut 
même  s'éteindre  par  épuisement  partiel  ou  total  de 
l'agent  nerveux  ;  que  le  repos  semble  accumuler 
cet  agent,  au  point  de  rendre ,  après  cela,  les  organes 
trop  impressionnables  et  les  réactions  trop  fortes. 

Que  de  pareils  effets  se  reproduisent  fréquem- 
ment dans  un  organe  déterminé ,  cet  organe  s^accou- 
tume  peu  à  peu  à  l'état  dans  lequel  il  est  le  plus 
souvent  placé;  la  nutrition j  sans  cesse  agissante _,  le 
façonne  (\^  peu  à  peu j  de  manière  à  le  mettre  en 
harmonie  avec  les  impressions  les  plus  fréquentes, 
à  les  lui  rendre  moins  vives  ,  et  au  contraire  à  le 
rendre  plus  apte  aux  réactions  le  plus  fréquemment 
sollicitées  :  c'est  là  tout  le  mystère  de  ce  qu'on 
nomme  habitude  j  mémoire  j  éducation  j  acclimatement. 
La  peau  se  met  en  équilibre  physiologique  avec  la 
température  la  plus  ordinaire  au  climat  de  la  con- 
trée qu'habite  Fanimal;    il   ne  la  sent  plus  ,  pour 


(!)  Il  y  a  certes,  dans  l'assuéfaclion ,  des  changements  matériels,  physiques, 
de  texture;  cela  est  prouvé  par  la  résistance  de  la  peau  du  forgeron  ou  du 
cuisinier  à  la  rôtissure ,  par  celle  du  cavalier  à  l'excoriation;  idem  de  tout 
travail  qui  exige  beaucoup  de  frottement  ou  de  pression  ,  dans  la  paume  des 
mains  par  exemple. 


94  DES  VARIATIONS  DE  l'iNNERVATION 

ainsi  dire;  il  s'y  habitue  y  comme  à  ses  vêtements 
l'homme  civilisé ,  et  ne  s'aperçoit  que  des  variations 
en  plus  ou  en  moins  du  degré  habituel  :  voilà  pour- 
quoi l'on  a  pu  dire  ,  avec  raison ,  que  l'habitude 
ëmousse  le  setitiment.  Mais  les  effets  de  cette  accou- 
tumance ne  se  bornent  pas  à  la  peau  et  à  des 
sensations  externes  ;  il  y  a  une  modification  interne , 
générale ,  qui  fait  que  tel  animal  ne  peut  vivre  que 
difficilement  dans  d'autres  pays  que  ceux  où  son 
espèce  est  naturalisée  ;  il  en  est  de  même  des  peu- 
plades humaines  (i). 

Que  l'encéphale  s'habitue  à  reproduire  certains 
actes  dits  intellectuels  dans  certaines  occasions, 
ce  sera  de  la  mémoire  ;  mais  cette  mémoire  peut 
siéger  aussi  bien  dans  toutes  les  autres  parties  du 
système  nerveux  que  dans  l'encéphale  :  l'œil  de 
l'artiste  reconnaît  instantanément  les  détails  qui 
échappent  à  l'homme  le  plus  attentif  dans  l'examen 
d'un  tableau;  l'oreille  du  musicien  distingue  parfai- 
tement la  multitude  des  sons  simultanés  qui  se  con- 
fondent dans  l'ouïe  du  vulgaire  :  c'est  "  que  les  sens 
de  l'homme  exercé  connaissent  ces  objets  et  s'en 
souviennent  ;  et  ceci  justifie  la  seconde  partie  de 
la  proposition  de  Bichat,  dont  nous  avons  énoncé 
plus  haut  la  moitié ,  savoir ,  que  l'habitude  perfec- 
tionne le  jugement.  Nous  pourrions  en  dire  autant 
des  doigts  du  pianiste,  des  jambes  du  danseur,  rela- 
tivement à  la  facilité  avec  laquelle  ils  répètent  les 
mouvements  qu'ils  ont  appris;  et  ici  remarquons  seu- 
lement que  cette  mémoire  siège  principalement  dans 

(1)  A  ces  parlicularités  se  rattacherait  Tctude  de  la  géographie  des  animaux, 
c'est-à-dire  la  distribution  des  espèces  sur  le  gloLe  ;  mais  c'est  un  sujet  tout 
d'histoire  naturelle  et  non  de  physioloijic. 


DANS  LE   MÊME  IINDIVIDU.  95 

les  nerfs  et  les  centres  nerveux ,  et  non  dans  les  mus- 
cles mêmes  (i);  car  les  muscles  sont  isolés  l'un  de 
l'autre ,  et  les  mouvements  d'ensemble  ou  de  succession 
qu'ils  exécutent  si  régulièrement ,  ne  peuvent  être 
harmonisés  que  par  les  nerfs  qui  leur  sont  communs. 
Il  n'y  a  pas  jusqu'aux  viscères  qui  ne  se  souviennent 
de  certains  actes,  de  certaines  impressions,  et  ne 
reproduisent  plus  facilement  les  premiers  à  l'occa- 
sion des  secondes  :  c'est  ainsi ,  au  reste ,  que  l'har- 
monie s'établit  dans  les  fonctions,  soit  internes,  soit 
externes.  Et  pour  celles-ci  en  particulier,  il  est  évi- 
dent qu'elles  sont  perpétuellement  sous  l'influence 
de  ces  modifications  de  l'innervation  produites  par 
le  fréquent  exercice ,  puisque  c'est  en  cela  que 
consiste  V éducation ,  sans  laquelle  rien  ne  pourrait 
s'exécuter,  au  physique  ni  au  moral ,  chez  l'animal 
ni  chez  l'homme.  La  marche  et  ses  modes  divers  , 
le  vol ,  la  chasse ,  la  natation  ,  la  fuite  ,  tout  s'ap- 
prend comme  les  langues  et  les  sciences,  et  appren- 
dre ce  n'^st  autre  chose ,  à  coup  sûr ,  que  modifier 
son  organisation  de  façon  à  lui  faire  reproduire 
avec  plus  d'aisance  ce  qu'elle  a  déjà  exécuté.  Nous 
verrons  ailleurs  que  cette  facilité  peut  devenir  telle, 

(1)  VV'^inslow  observe  que  nous  exécutons  assez  aisément  de  la  main  gauche 
et  sans  aucun  exercice  préalable  ,  mais  en  sens  inverse,  les  caractères  que  nous 
sommes  habitués  à  tracer  de  la  droite  :  c'est  là  un  effet  d'éducation  encéijhaliqueet 
non  musculaire.  Toutefois  ,  la  modification  qui  constitue  l'habitude  ,  l'éducation , 
est  aussi  très-réelle  dans  les  muscles  même  :  on  ne  peut  le  nier  physiulogiquement 
en  ce  qui  concerne  chaque  mouvement  partiel;  le  muscle,  par  l'effet  de 
l'exercice  et  de  l'habitude,  répond  plus  vivement  et  plus  activement  à  l'influx 
nerveux;  ses  contractions  sont  plus  promptes  et  plus  fortes,  plus  sûres;  il 
résiste  bien  davantage  à  la  fatigue;  mais  d'ailleurs,  anatowtijMement  môme,  cette 
modification  se  démontre  par  l'augmentation  de  volume  des  muscles  exercés , 
chose  bien  connue  pour  les  danseurs,  les  lutteurs,  les  maîtres  d'escrime,  etc.  etc. 
Par  analogie  même ,  on  peut  se  servir  de  ce  fait  pour  prouver  que  les  change- 
ments dus  à  l'habitude,  à  l'éducation  ,  sont  bien  des  changcjnea Is  or^ajuV^wes  , 
quoiqu'ils  ne  soient  pas  toujours  perceptibles  à  nos  yeux. 


96  DES  VARIATIONS  DE  l'iNNERVATION 

que  l'exécution  a  lieu  sans  la  conscience,  sans  la 
volonté  même  de  l'animal.  Cette  aptitude  des  corps 
vivants  à  s'harmoniser  ainsi  avec  ce  qui  les  entoure 
et  à  se  modifier  pour  leur  plus  grand  avantage ,  est 
si  importante  en  physiologie ,  si  générale  d'ailleurs  , 
que  d'ahord  nous  en  avions  cru  devoir  faire  aussi  une 
propriété  vitale  sous  le  nom  à^éducahilité  _,  expression 
qui  mérite  peut  être  d'être  conservée  comme  celle 
de  sensibilité ,  de  contractilité ,  etc.  ,  pour  la  com- 
modité du  langage. 

2"  Si  la  surexcitation  d'un  organe  est  par  trop 
forte ,  ou  forcément  soutenue  au-delà  d'une  durée 
convenable  ;  si ,  au  contraire ,  toute  stimulation  est 
soustraite  pendant  long-temps  à  un  organe ,  il  tend , 
en  vertu  de  l'éducabilité ,  à  se  constituer  en  perma- 
nence dans  cet  état  de  surexcitation  ou  de  torpeur; 
il  y  a  exaltation  dans  le  premier  cas  ,  hyposthénie 
dans  le  second.  Quand  l'action  est  très -violente,  elle 
peut  produire  instantanément  les  mêmes  effets;  c'est 
ainsi  que  la  chaleur  enflamme  rapidement  la  peau 
dans  l'accident  connu  sous  le  nom  de  brûlure.  Dans 
ce  cas,  comme  dans  tous  ceux  où  Tinflammation 
s'est  établie ,  l'organe  est  devenu  si  sensible  que  la 
température  ordinaire  du  milieu  ambiant ,  et  celle 
du  sang  qui  circule  dans  les  vaisseaux ,  produisent 
la  sensation  d'une  chaleur  ardente ,  et  souvent  même 
une  douleur  insupportable.  C'est  ainsi  qu'on  expli- 
que comment  un  os,  une  membrane  séreuse,  insen- 
sibles dans  l'état  sain ,  deviennent ,  étant  enflammés , 
le  siège  de  vives  douleurs  et  d'une  extrême  sensi- 
bilité au  moindre  contact ,  c'est  que  les  névrartères 
exaltés  se  sont  mis  au  niveau  fet  l'ont  même  dépassé) 


DAKS  LE   MÊME  IjXDIVIDU.  97 

des  nerfs  encéphaliques ,  pour  la  sensibilité  et  la 
faculté  conductrice.  On  conçoit  aisément  combien 
ces  nerfs  eux-mêmes  doivent  accroître  également 
leur  sensibilité  dans  les  cas  d'inflammation  où  ils 
partagent  l'exaltation  des  névrartères  ;  aussi  l'in- 
flammation du  doigt ,  du  globe  de  l'œil ,  où  ces  nerfs 
sont  volumineux,  constitue-t-elle  des  maladies  exces- 
sivement douloureuses.  De  même  aussi,  ce  sont  les 
animaux  les  plus  nerveux j  si  l'on  peut  parler  ainsi, 
qui  sont  les  plus  sujets  à  souffrir  de  ces  exaltations 
nées  sous  l'influence  de  stimulations  trop  fortes  : 
l'inflammation  est  d'autant  plus  rare  et  moins  intense 
qu'on  descend  plus  bas  dans  l'échelle  animale. 


TROISIEME    PARTIE. 

FONCTIOIVS    DE    SENSATION. 


CHAPITRE  r\ 

GÉNÉRALITÉS. 

Pour  la  majeure  partie  des  physiologistes ,  la  sen- 
sation est  une  fonction  passive,  qui  consiste  à  recevoir 
l'impression  d'un  excitant,  et  c'est  tout  autre  chose 
que  la  réaction  qui  la  suit  ;  pour  la  plupart  des 
idéologistes  modernes  au  contraire,  la  sensation  se 
confond  avec  la  réaction,  ou  plutôt  c'est  la  même 
chose ,  et  les  différents  actes  d'innervation  auxquels 
on  a  donné  des  noms  différents,  ne  sont  que  des 
modes  particuliers  de  la  sensation  ;  connaître  c'est 
sentir  des  impressions  ,  juger  c'est  sentir  des  rap- 
ports ,  vouloir  c'est  sentir  des  désirs.  11  y  a  du  vrai 
dans  l'une  et  l'autre  opinion  ,  des  analogies  et  des 
différences  entre  toutes  les  opérations  nerveuses  ou 
sensoriales  ,  et  l'emharras  de  ces  questions  d'iden- 
tité disparait,  dès  que ,  au  lieu  de  traiter  de  ces  sujets 
par  forme  d'ahstraclion ,  on  se  contente  de  les  exa- 
miner dans  les  actes  mêmes.  Ainsi,  sans  rechercher 
si  la  sensibilité  est  passive  ou  non ,  problème  dont 
la  solution  ne  dépend  en  réalité  que  du  sens  qu'on 
veut  attacher  aux  mots,  nous  dirons  que  la  sensation 
est  une  opération  _,  qu'elle  a  par  conséquent  quel- 
que chose  d'actif,  tout  aussi  bien  que  la  pensée ,  la 


FONCTIONS  DE  SENSATION,   GÉNÉRALITÉS.  99 

volition ,  la  contraction  musculaire  ;  nous  ajouterons 
dès  lors  que  l'innervation ,  toujours  active,  est,  jus- 
qu'à un  certain  point,  partout  identique  ,  et  ne  varie 
que  selon  les  portions  du  système  où  on  l'observe , 
et  selon  les  excitants  qui  la  mettent  en  jeu;  mais 
rien  n'empêchera  de  considérer  chacune  de  ces  va- 
riations comme  une  fonction  à  part ,  et  de  lui  con- 
server sa  dénomination  spéciale  tout  en  donnant  à 
leur  ensemble  une  qualification  commune ,  comme 
nous  l'avons  fait  en  les  réunissant  sous  le  titre  de 
fonctions  de  sensation.  Partout,  en  effet,  nous  au- 
rons à  examiner ,  dans  leurs  degrés  divers  et  leurs 
modes  particuliers,  ces  trois  choses  inséparables  : 
impression j  réaction j  transmission.  Je  dis  insépa- 
rables ,  car  que  serait  l'impression  sans  réaction  ? 
Y  a-t-il  impression  là  où  un  contact  est  sans  résul- 
tat? S'il  en  était  ainsi,  ce  ne  serait  pas  la  peine  de 
s'en  occuper.  Quant  à  la  réaction,  elle  ne  saurait 
être  spontanée  ;  il  n'y  a  pas  d'effet  sans  cause  ,  et  la 
réaction,  c'est-à-dire  l'état  actif,  est  incontestable 
même  dans  les  cas  de  sensation  proprement  dite  j 
dans  ceux  qu'on  a  crus  le  plus  évidemment  passifs 
et  qu'on  réduisait  au  simple  rôle  d'impression. 

Ceci  vaut  la  peine  d'être  prouvé.  Une  fusée  vo- 
lante vous  fait  l'effet  d'une  longue  tige  lumineuse , 
parce  que  l'impression  dure  encore  au  point  où  elle  a 
commencé  ,  quoique  l'objet  qui  l'a  produite  ait  déjà 
parcouru  beaucoup  d'espace  dans  l'air,  comme  son 
image  sur  votre  rétine.  Regardez  le  soleil ,  fermez 
les  yeux  ensuite  ;  vous  verrez  ,  pendant  assez  long- 
temps ,  l'image  de  cet  astre  ;  cependant  l'excitant 
n'est  plus  là  :  si  la  sensation  n'était  qu'une  impres- 


100  FONCTIONS  DE  SENSATION, 

sion ,  elle  devrait  disparaître  aussitôt  que  l'impres- 
sion cesse.  Mais  il  y  a  plus;  au  lieu  de  s^arrèter, 
la  sensation  change  ;  l'image  se  modifie  par  la  seule 
réaction  de  l'organe  mis  en  jeu  ;  elle  parait  tantôt 
vivement,  tantôt  faiblement  colorée,  tantôt  d'une 
couleur  et  tantôt  d'une  autre  (couleurs  complémen- 
taires) :  certes,  c'est  là  de  l'activité ,  et  Darwin 
n'était  pas  trop  mal  fondé  à  comparer  la  rétine  à  un 
muscle  agité  par  des  contractions  fibrillaires.  En 
second  lieu,  nous  avons  fait  entendre  plus  haut  que 
l'habitude,  l'éducation  donnaient  aux  organes  la 
facilité  de  reproduire  certains  actes  ;  ils  le  font  quel- 
quefois sans  l'intervention  des  impressions  directes  : 
la  mémoire  ,  l'imagination ,  les  rêves  reproduisent 
des  perceptions  ou  sensations  internes  en  l'absence 
des  objets  qu'ils  représentent  ;  il  y  a  donc  alors 
activité  dans  l'encéphale  ,  puisque  la  sensation  qui 
s'y  produit  n'a  plus  de  rapport  matériel  avec  la 
cause  qui  l'excite  :  la  voix  d'une  personne  rappelle 
les  traits  de  son  visage,  et  certes  il  n'y  a  rien  de 
commun  entre  des  sons  et  des  images.  Donc  nous 
pouvons  donner,  de  la  sensation  proprement  dite ^ 
celte  définition  :  c^^est  un  acte  qui  s'opère  en  nous  par 
suite  d'une  impression  ^  et  nous  donne  des  notions  sur 
cette  impression  et  sur  le  corps  dont  elle  émane. 

Or,  cet  acte  nous  offre  ceci  de  bien  remarquable , 
qu'il  peut  se  transmettre  ou  se  répéterj,  avec  toutes  ses 
qualités  particulières  j  à  travers  une  étendue  plus  ou 
moins  considérable  du  système  nerveux  :  si  l'œil  ou 
l'oreille  ont  transmis  au  sensorium  commune  les 
mille  nuances  et  les  innombrables  notes  qu'ils  ont 
reçues  à  l'occasion  d'un  paysage  ou  d'un  morceau 


GÉJNÉRALIIÉS.  10 1 

de  musique ,  n'a-t-il  pas  fallu  que  toutes  ces  sensa- 
tions se  répétassent ,  avec  toutes  leurs  différences, 
le  long  du  nerf  optique  ou  de  l'auditif  et  d'une  cer- 
taine portion  de  Fencéphale  même?  Car  l'impression 
n'a  pas  été  portée  sur  le  centre  nerveux ,  qui  ne 
saurait  même  la  sentir  si  elle  lui  était  directement 
appliquée.  Or,  il  résulte  de  ceci  deux  choses, 
l'une  que  la  transmission  est  une  réaction  toute 
pareille  à  celle  qui  est  née  sous  l'impression  des 
excitants  extérieurs  ,  l'autre  qu'une  réaction  donnée 
est  partout  analogue;  elle  est,  dans  le  nerf,  ana- 
logue à  ce  qu'elle  a  été  dans  l'organe  du  sens  ,  et 
dans  l'encéphale  à  ce  qu'elle  a  été  successivement 
dans  l'un  et  dans  l'autre.  Que  cette  réaction  ne  soit 
pas  partout  'identique;  qu'elle  se  modifie  dans  les 
différents  organes  qu'elle  traverse  ;  que  la  sensation 
morale  ou  perception  ne  soit  pas,  à  proprement 
parler,  la  même  chose  que  la  sensation  primitive; 
cela  doit  être ,  et  les  modifications  seront  plus  grandes 
encore  quand ,  dans  d'autres  portions  autrement 
organisées  des  centres  nerveux ,  la  sensation  se 
transformera  en  jugements ,  en  volitions ,  en  com- 
mandements d'exécution  musculaire  (  i  ) ,  de  même 
que  la  sensation  n'était  pas  du  tout  la  même  chose 
dans  la  langue  ,  dans  l'oreille  ou  dans  l'œil.  Il  n'en 
ressort  pas  moins  de  là  une  liaison  intime  entre 
toutes  les  fonctions  comprises  dans  cette  troisième 
partie  de  notre  Physiologie  comparée. 

Nous  avons  dit  qu'il  fallait ,  dans  la  division  des 
sensations ,  tenir  compte  de  l'organe  et  du  stimulant  ; 

(1)   C'est  ainsi  que  le  professeur  Lordat  a  pu  dire,  avec  raison  ,  que  l'irrita- 
bililé  est  une  sorte  de  sensibilité,  (Leçons  de  phys.J 


102  FONCTIONS  DE  SENSATION  , 

c'est  ce  que  nous  ferons  mieux  voir  dans  les  détails 
qui  vont  suivre. 

Depuis  Cabanis,  on  est  dans  l'usage  d'assigner 
deux  ordres  de  sources  principales  aux  sensations , 
les  internes  et  les  externes.  Nous  croyons  devoir  y 
joindre  une  troisième  division ,  celle  des  sensations 
centrales. 

1"  Les  sensations  'internes  ou  viscérales  ont  été 
long  -  temps  confondues  avec  le  tact ,  et  cepen- 
dant elles  méritent  d'en  être  distinguées  sous  plu- 
sieurs rapports;  en  raison  des  moyens  par  lesquels 
elles  s'exécutent ,  en  raison  de  leur  nature  même , 
et  enfin  de  leurs  effets  consécutifs.  C'est  aux  nerfs 
splancliniques ,  aux  rameaux  et  aux  ganglions  du 
grand  sympathique,  ou  bien  aux  névrartères  qu'elles 
se  rattachent;  de-là  ,  d'après  ce  qui  a  été  dit  déjà 
dans  la  partie  précédente ,  réactions  plus  bornées , 
circonscrites ,  transmises  uniquement  peut-être  jus- 
qu'au ganglion  le  plus  voisin,  ou  seulement  daus 
les  cas  de  violence  extrême  (coliques  intestinales, 
tranchées  utérines,  pression  du  testicule,  etc.), 
jusqu'à  l'encéphale.  Dans  ce  dernier  cas  même  , 
c'est ,  pour  rordinaire ,  obscurément  que  la  trans- 
mission est  perçue,  et  cela  tient  à  la  nature  des 
conducteurs  plus  qu'à  l'assuéfaction  à  laquelle  on  a 
voulu  attribuer  cette  inscience  des  mouvements  qui 
se  passent  dans  nos  viscères  ;  cette  assuéfaction  ou 
habitude  y  est  pour  quelque  chose  ,  mais  non  pour 
tout  à  beaucoup  près.  Enfin,  de  ces  sensations  con- 
fuses ,  obscures  et  d'une  nature  spéciale ,  résultent 
souvent ,  dans  l'encéphale ,  des  mouvements  dont 
l'origine  semble  ainsi  cachée  et  mystérieuse  ;  mou- 


GÉNÉRALITÉS.  103 

vements  tantôt  sensitifs  ( imagination ,  rêves,  cau- 
chemar, incube),  tantôt  exécutoires  (instincts), 
tantôt  consistant  seulement  en  modifications  d'inten- 
sité, de  rapidité  dans  les  actes  intellectuels  ordi- 
naires (passions),  objets  qui  seront  plus  amplement 
traités  dans  la  suite.  Mais  une  singularité  ,  dont 
personne,  ce  me  semble,  ne  s'est  occupé  jusqu'ici, 
mérite  de  nous  arrêter  encore  un  instant. 

Lorsque  les  sensations  internes,  que  nous  venons  de 
signaler  comme  généralement  obscures,  deviennent 
plus  vives  ,  plus  manifestes ,  nous  savons  communé- 
ment fort  bien  les  rapporter  à  leur  véritable  siège , 
au  moins  quant  à  la  région ,  souvent  même  à  la 
profondeur.  D'où  peut  nous  venir  ce  sentiment  de 
la  position  des  parties  ?  On  le  comprend  pour  le  tact 
extérieur  à  chaque  instant  contrôlé  par  la  vue  ,  par 
les  expériences  même  du  toucher  ;  mais  quoi  de 
commun  entre  telle  partie  du  cerveau  et  la  peau  du 
crâne  ,  telle  partie  du  poumon ,  du  foie ,  des  intes- 
tins et  les  parois  du  thorax  et  du  ventre  ?  Pourquoi 
n'en  restons-nous  pas  au  même  point  que  l'enfant 
qui  souffre  et  se  plaint  sans  pouvoir  montrer  le  siège 
de  ses  douleurs  ?  11  me  paraît  qu'ici  il  y  a  égale- 
ment une  éducation  faite  par  le  toucher  ;  des  pres- 
sions qui  augmentent  ou  diminuent  les  douleurs , 
des  mouvements  qui  produisent  le  même  effet  , 
comme  quand  on  hoche  la  tête ,  quand  on  fait  un 
effort  d'inspiration  ,  de  défécation  ,  nous  accoutu- 
ment à  reconnaître  le  vrai  siège  de  ces  sensations 
pénibles;  mais  la  profondeur  même  de  ce  siège, 
autant  que  le  peu  de  netteté  des  sensations  internes, 
nous  exposent  à  de  fréquentes  erreurs,  comme  on 


104  FONCTIONS  DE  SENSATION, 

le  sait  bien  en  pathologie  ;  fort  souvent  ce  qu'on 
appelle  des  douleurs  sympathiques,  il  faudrait  l'ap- 
peler douleurs  erronées  par  inexpérience  et  défaut 
de  guides  ou  de  point  de  repère.  Dans  la  luxation 
spontanée  on  souffre  au  genou  ,  pour  cette  raison , 
sans  doute ,  que  la  profondeur  de  l'articulation 
malade  ne  nous  permet  pas  d'en  contrôler,  par  le 
toucher,   les  sensations. 

2^  On  pourrait,  jusqu'à  un  certain  point,  ratta- 
cher aux  sensations  internes  la  perception  des  opé- 
rations intellectuelles,  le  sens  intime  ,  la  conscience , 
en  prenant  ce  mot  dans  une  acception  toute  physio- 
logique. Mais  ce  genre  de  sensation  se  lie  si  intime- 
ment aux  sensations  externes  ,  il  en  est  si  commu- 
nément la  suite  que  l'on  pourrait  tout  aussi  naturel- 
lement le  leur  annexer;  le  mieux  nous  parait  être 
de  le  considérer  comme  faisant  un  ordre  à  part 
auquel  nous  avons  déjà  assigné  ci-dessus  la  déno- 
mination de  sensations  centrales. 

o^  Les  sensations  externes  sont  celles  auxquelles 
s'appliquent  surtout  la  définition  et  les  démonstra- 
tions données  ci-dessus  :  elles  ont  pour  source  les 
organes  des  sens.  Qu'est-ce  qu'un  sens?  Quel  en  est 
le  nombre  réel  chez  l'homme  et  les  animaux  les 
mieux  partagés  ?  Voilà  deux  questions  auxquelles 
il  faut  répondre  avec  quelque  détail. 

Un  sens  est  un  appareil  de  sensations  spéciales , 
composé  1°  de  pièces  propres  à  recueillir,  renforcer, 
régulariser,  prolonger  quelquefois  les  impressions 
d'un  stimulus  extérieur ,  et  d'organes  propres  à  le 
diriger  vers  ces  impressions ,  à  le  mettre  en  har- 
monie avec  elles,  ou  bien  à  le  soustraire  à  leur  action 


GÉiVÉH  ALITES.  105 

quand  elle  devient  dangereuse  ou  fatigante  ;  2^  de 
membranes ,  de  houppes  ou  papilles  nerveuses  et 
sentantes  ;  S"*  de  nerfs  ou  conducteurs  qui  répètent 
jusqu'au  sensonum  commune j  c'est  à-dire  jusque  dans 
l'encéphale ,  les  sensations  éprouvées ,  pour  en  faire 
des  sensations  centrales  ou  perçues,  des  perceptions. 
Ici,  comme  dans  toute  partie  du  système  nerveux, 
il  y  a  donc  impression ,  réaction  et  transmission. 

La  réaction  consiste  ici  dans  un  double  ordre  de 
phénomènes  ,  ceux  de  sensation  et  ceux  d'attention  ; 
car  il  y  a  attention  dans  le  sens  ,  de  même  que  dans 
l'encéphale,  soit  qu'on  la  suppose  immédiatement  pro- 
duite parle  stimulus  (attention  spontanée),  soit  qu'on 
admette  une  transmission  rétrograde  d'une  partie 
de  la  réaction  encéphalique  (attention  volontaire). 
Même  en  l'absence  de  toute  stimulation  actuelle ,  il 
peut  y  avoir  des  piiénomènes  semblables  par  le  seul 
effet  de  la  mémoire  ou  de  l'habitude,  mais  ils  ont 
alors  ordinairement  quelque  chose  de  morbide  :  la 
réaction  sensitive  existe-t-elle  dans  l'organe  même 
du  sens,  elle  produit  les  hallucmalions  ;  existe-t-elle 
dans  l'encéphale,  pour  se  transmettre  au  sens  par  voie 
rétrograde ,  il  en  résulte  ,  selon  le  degré  de  vivacité 
qu'elle  atteint  et  selon  l'état  du  reste  de  l'encéphale , 
des  imaginations  fantastiques,  des  rêves,  des  visions, 
la  folie. 

Quant  à  la  transmission ,  la  preuve  qu'elle  est  due 
à  une  propagation  des  réactions  du  sens  vers  l'en- 
céphale, se  tirerait  aussi  de  certaines  illusions,  de 
celles,  par  exemple  ,  où  tombent  les  amputés  qui, 
impressionnés  sur  un  tronçon  de  nerf,  accusent  des 
douleurs  dans  un  membre  qu'ils  n'ont  plus,  parce 


106  FONCTIONS  DE  SENSATION, 

que  l'opération  est  la  même  dans  l'encéphale  que  celle 
que  l'habitude  et  l'expérience  leur  avaient  appris  à 
rapporter  à  ce  membre. 

Ceci  nous  apprend  de  plus  que  c'est  surtout  dans 
l'encéphale  que  les  sensations  prennent  leur  valeur 
réelle ,  deviennent  des  notions  ;  c'est  encore  ce  que 
prouvent  des  erreurs  d'un  autre  genre  :  après  la 
rhinoplastie ,  l'opéré  croit  qu'on  lui  touche  le  front 
quand  c'est  au  nez  nouveau  qu'on  s'adresse.  Le  sens 
a  changé  de  place,  mais  le  sensorium  a  conservé 
l'ancienne  topographie  qui  lui  avait  été  imprimée  par 
l'éducation  naturelle ,  que  nous  venons  de  désigner 
par  les  mots  d'habitude  et  d'expérience. 

Tenons -nous -en  à  ces  généralités  sur  les  sens 
externes  ,  et  parlons  de  leur  nombre  réel  ou  de  con- 
vention. On  sait  que ,  de  tout  temps ,  on  en  a  compté 
cinq;  mais  ce  nombre  a  paru  insuffisant  à  quelques 
écrivains  :  BufTon  en  voulait  faire  admettre  un 
sixième  pour  la  sensation  voluptueuse  que  donnent 
les  actes  vénériens  ;  Ch.Bell  en  veut  un  particulier 
pour  les  notions  de  poids  ,  de  consistance  ,  de  résis- 
tance en  général  ;  Carus  veut  également  séparer 
les  sensations  de  température  de  celles  qui  ont  trait 
aux  autres  qualités  tactiles  des  corps  ;  Spallanzani 
est  tenté  d'en  accorder  un  surnuméraire  aux 
chauves-souris  pour  la  connaissance  de  leurs  routes 
aériennes;  Jacobson  suppose  à  certains  animaux  une 
faculté  spéciale  pour  discerner  les  poisons;  beaucoup 
d'autres  écrivains  se  contentent  de  séparer  le  tact 
général  du  toucher  proprement  dit.  Mais  ces  auteurs 
ont  mal  apprécié  la  valeur  du  mot  qu'ils  employaient  : 
en  effet ,  ce  n'est  pas  sur  la  nature  des  sensations 


GÉNÉRALITÉS.  107 

seulement ,  sur  le  genre  et  l'espèce  d'excitant  auquel 
elles  répondent,  que  leur  distinction,  leur  dénombre- 
ment se  base  ;  c'est  plutôt  sur  la  disposition  de  l'ap- 
pareil propre  à  les  mettre  à  profit,  et  la  définition 
que  nous  avons  donnée  du  mot  sens  est  entièrement 
basée  sur  ce  principe;  ôtez  les  sensations  internes  dont 
il  a  été  question  d'abord ,   et  vous  n'avez  évidem- 
ment que  cinq  appareils  propres  à  recueillir  les  sen- 
sations, cinq  sens  par  conséquent  :  le  toucher,  le 
goût,  l'odorat ,  l'ouïe  et  la  vue.  Je  sais  que  les  sen- 
sations que  nous  rapporterons  au  sens  du  "toucher 
sont  très-variées  ;  mais  celles  de  la  vue ,  de  l'ouïe , 
de   l'odorat,   du  goût  sont -elles  donc  identiques? 
L'éblouissement  par  un  éclat  quelconque  est-il  la 
même  chose  que  la  notion  des  couleurs  ,  et  celle-ci 
est-elle  la  même  chose  que  la  notion  des  contours  ?  Le 
timbre ,  le  ton  et  la  force  du  son  constituent-ils  une 
seule  et  même  qualité  ?  Et ,  d'un  autre  coté ,  n'y  a-t-il 
pas  une  bien  prochaine  analogie  entre  une  saveur 
chaude  ou  fraîche  éprouvée  par  la  langue,  et  la  sensa- 
tion du  chaud  et  du  froid  ressentie  par  la  peau  ;  entre 
une  saveur  acre ,  une  odeur  piquante  et  la  cuisson 
qu'une  liqueur  acide  produit  sur  la  conjonctive,  ou 
qu'une  vapeur  irritante  produit  sur  les  bronches  ; 
entre  l'àpreté  d'un  astringent  et  le  frottement  d'un 
corps  rude?  Donc,  dissemblances  et  ressemblances 
vous  prouvent  que  ce  n'est  pas  sur  la  sensation ,  mais 
sur  l'appareil  qui  la  reçoit  et  l'utilise ,  que  doit  se 
baser  la  division  qui  nous  occupe.    S'il   en   était 
autrement ,  où  vous  arrêteriez-vous  dans  la  multi- 
plicité des  sens  qu'il  vous  faudrait  admettre  ?   Où 
ranger  les  douleurs  ,  les  chatouillements  auxquels 


108  FONCTIONS  DE  SENSATION, 

se  viennent  tout  naturellement  annexer  les  sensa- 
tions vénériennes?  Ne  vous  faudra-t-il  pas  un  sens 
des  idées,  comme  un  sens  des  températures  et  des 
résistances  ,  etc.  etc.  ?  Un  mot  donc  seulement  de 
ces  additions  dont  nous  avons   parlé   d'abord  ,   et 
qu'on  a  voulu  faire  à  l'énumération  généralement 
admise.  \  °  Nous  venons  de  voir  à  quoi  se  réduisaient 
les   secousses    sensitives  de   l'union   des  sexes  ;  le 
point  de  départ  est  une  portion  de  la  peau,  organe 
du  toucher  j  et  l'orgasme  se  propage    au  reste   du 
système  nerveux   comme  dans  le   chatouillement. 
2"  Le  sens  musculaire  de  Cli.  Bell  n'est  autre  chose 
que  la  notion  produite  par  un  effort  intellectuel  ;  il 
faut  le  ranger,   si  l'on  veut,   parmi  les  sensations 
centrales ,  et  le  réunir  avec  la  conscience  qui  accom- 
pagne la  plupart  des  opérations  mentales  ,  comme 
la  réminiscence,  l'attention,   le  désir,  etc.  Certes, 
ce  n'est  pas  au  muscle  qui  se  contracte  pour  soutenir 
un  poids  ou  presser  un  corps  dur  que  nous  rappor- 
tons la  sensation  éprouvée ,   ce   n'est   pas   dans  la 
région   occupée   par   ce  muscle   que   nous   faisons 
siéger  la  résistance  à  vaincre  ;  c'est  là  où  notre  main 
touche  le  corps  que  nous  la  supposons  par  un  véri^ 
table   raisonnement ,    autant  que   par  la  sensation 
directe  de  la  pression  exercée  sur  la  main  même  (  i). 
3°  La  sensation  de  la  chaleur  ou  du  froid  est  évi- 
demment reçue  et  transmise  par  les  mêmes  organes 
que  les  autres  qualités  tactiles  ;  une  partie  enflam- 
mée supporte   difficilement  la  chaleur  et  aussi  les 
contacts  un  peu  rudes;    les  dents  dénudées  de  leur 

(1)  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que,  dans  les  rêves,  mouvements  tout  encépha- 
liques, nous  croyons  exécuter  des  mouvements  ;  nous  éprouvons  la  môme 
sensation  que  si  ces  mouvements  étaient  réellement  exécutés. 


GÉNÉRALITÉS.  109 

émail  sont  excessivement  sensibles  aux  changements 
de  température  et  aussi  aux  attouchements,  comme 
l'ont  surtout  prouvé  les  expériences  de  Duval ,  qui 
attribue  cette  sensibilité  à  une  substance  intermé- 
diaire à  l'émail  et  à  l'ivoire  ,  substance  à  laquelle 
il  donne  le  nom  de  dictiodonte.  4°  Le  prétendu  sens 
conducteur  des  chauves-souris  n'est  qu'un  toucher 
délicat.  5°  Le  sens  distinctif  des  poisons  n'a  été  in- 
venté que  pour  trouver  des  usages  à  un  organe  nou- 
vellement découvert.  6«  Enfin  ,  pour  ce  qui  concerne 
un  tact  général  ou  universel,  sensus  commums  de 
Sprengel,  sens  général  selon  de  Elainville,  sensibilité 
tactile  pour  Mil  ne  Edwards,  on  peut  aisément  se  con- 
vaincre qu'il  ne  comprend  rien  de  plus  ni  de  moins 
que  le  toucher  spécial  des  auteurs  même  qui  veulent 
établir  cette  distinction.  Que  la  main  de  l'homme 
ait  plus  de  délicatesse  et  une  forme  plus  favorable 
aux  explorations  tactiles,  est-ce  une  raison  pour 
vouloir  séparer  les  sensations  qu'elle  peut  recueillir 
de  celles  que  les  lèvres  ,  les  pieds ,  les  bras  ,  tout 
le  corps  enfin  peuvent  recevoir  ?  Ne  jugerez-vous 
pas ,  d'une  manière  au  moins  approximative  ,  et  de 
la  température,  et  de  la  dureté,  et  du  volume,  et 
de  la  forme  en  supprimant  l'usage  des  mains  ?  Dire , 
avec  certains  physiologistes  ,  que  le  tact  est  passif 
et  le  toucher  actif,  c'est  uniquement  vouloir  em- 
ployer deux  mots  pour  les  mêmes  sensations ,  selon 
que  l'attention  et  la  volonté  les  accompagnent  ou  non, 
et  tous  les  autres  sens  devraient  dès-lors  réclamer 
une  division  pareille  ;  mais ,  du  reste ,  elle  existe 
du  moins  dans  le  langage  :  regarder  et  voir  sont 
deux  choses  sans  doute,  mais  on  n'a  pas  pensé,  en 


!  10        FONCTIOISS  DE  SENSATION,  GENERALITES. 

admettant  ces  deux  acceptions  de  mots  comme  dis- 
tinctes ,  devoir  pour  cela  scinder  en  deux  le  sens  de 
la  vue.  Toutefois,  comme  le  toucher  est  évidemment 
le  sens  le  plus  universellement  répandu,  comme 
c'est  aussi  celui  dont  le  mécanisme  est  le  plus  simple 
et,  pour  ainsi  dire  ,  le  plus  grossier,  c'est  par  là 
que  nous  commencerons  l'étude  des  cinq  sens  pris 
chacun  en  particulier.  Nous  compléterons  ainsi  l'ex- 
position des  sensations  externes;  après  quoi  nous 
aurons  à  étudier  les  sensations  centrales  et  les  opé- 
rations qui  s'y  rattachent  :  quant  aux  internes ,  le 
peu  que  nous  en  avons  dit  fait  assez  voir  que  leur 
étude  minutieuse  ne  saurait  offrir  d'intérêt  qu'autant 
qu'on  en  lie  les  détails  à  ceux  des  autres  fonctions 
viscérales  ou  des  opérations  intellectuelles. 


CHAPITRE  II. 

DU  TOUCHER. 


ARTieiiE  I.^^  -  IVotions  gpénérales* 

Nous  avons  dit  qu'il  était  peu  rationnel  de  séparer 
le  tact  général  du  toucher  manuel ,  et  la  physiologie 
comparée  fait  ressortir  l'inopportunité  de  cette  divi- 
sion ,  en  montrant  que ,  dans  des  animaux  différents , 
le  toucher  actif  et  volontaire  s'exerce  par  des  points 
différents  de  la  surface  cutanée.  L'anatomie  vient 
d'ailleurs  prouver  l'impossibilité  de  ces  distinctions, 
puisqu'elle  démontre ,  dans  la  peau  ,  une  structure 
identique  à  peu  près  partout.   En  effet,  Malpighi , 


DU  TOUCHER.  \\{ 

Gauthier,  et  plus  récemment  Breschet  et  Roussel  de 
Vauzème,  ont  été  chercher  au  talon  la  structure 
présumahle  de  la  peau  des  doigts  chez  l'homme  ; 
et  les  derniers  de  ces  anatomistes  se  sont  aidés  beau- 
coup des  observations  qu'ils  ont  pu  faire  indifférem- 
ment sur  tous  les  points  de  la  peau  chez  la  baleine. 
Ils  ont  pu  reconnaître  ainsi  l'existence  universelle 
de  papilles  ou  mamelons  exhaussés  à  la  surface  du 
derme ,  enchâssés  dans  des  gaines  épidermiques  et 
recevant,  par  leur  base,  des  filaments  nerveux; 
mais  ils  ont  vu  aussi  que  ces  papilles  étaient  plus 
prononcées  ,  plus  longues  chez  certains  animaux  et 
dans  certaines  régions  ,  là  surtout  où  Fépiderme 
offre  des  stries  parallèles,  indice  des  rangées  de  ces 
mamelons  ordinairement  élevés  deux  à  deux  et  for- 
mant ainsi  des  séries  sillonnées  sur  leur  lonaueur 
aussi  bien  qu'en  travers  f^fig.  \0j.  Celles  de  la 
baleine  ont  plusieurs  lignes  de  longueur  et  sont  ren- 
flées à  leur  extrémité  ;  celles  de  l'homme  sont  infi- 
niment plus  petites  et  coniques ,  et  les  auteurs  cités 
en  dernier  lieu  pensent,  sans  pouvoir  l'afQrmer  bien 
positivement,  que  les  filaments  nerveux  se  terminent, 
dans  les  unes  comme  dans  les  autres  ,  en  formant 
des  anses  concentriques  f^fig.  1  ly*. 

C'est  du  moins  une  chose  bien  connue  que  la 
vive  sensibilité  dont  jouissent  les  papilles  ;  on  sait 
combien  la  douleur  est  vive  par  le  contact  le  plus 
doux ,  lorsqu'elles  ont  été  dépouillées  de  leur  coiffe 
épidermique  par  l'action  d'unvésicatoire.  Que  si  l'on 
s'étonnait  qu'elles  passent  conserver  une  délicatesse 
tactile  assez  grande  sous  cette  enveloppe  membra- 
neuse et  cornée ,  nous  pourrions  opposer  à  ce  doute 


W^  DU   TOUCHFR. 

des  faits  péremptoires  et  qui  trouveront  place  plus 
loin  ;  ici  seulement  nous  ferons  observer  que  les 
dents ,  bien  que  peu  nerveuses  en  elles-mêmes ,  bien 
que  revêtues  d'un  enduit  épais  et  dur  et  certainement 
dépourvu  de  vie  ,  cristallisé  à  leur  surface  ,  l'émail 
enfin,  sentent  néanmoins  avec  plus  de  délicatesse 
qu'on   ne    l'imagine    communément  ;    nous    avons 
constaté  qu'elles  peuvent  donner  une  sensation  bien 
réelle  par  suite  d'une  percussion  modérée  exercée 
avec  un  simple  ruban  de  fil  tenu  par  une  de  ses  extré- 
mités :  certes ,  c'est  là  pourtant  un  clioc  bien  léger. 
Chacun  peut  également  s'assurer  que  les  ongles, 
productions  cornées ,  servent  à  reconnaître  certaines 
qualités  des  corps  soumis  à  l'exploration  tactile ,  leurs 
rugosités ,  leur  consistance  ;  les  poils ,  les  cheveux 
sentent,  ou  mieux  transmettent  à  la  peau  l'impres- 
sion d'un  contact  souvent  fort  léger ,  et  ce  sentiment 
n'est  pas  sans  volupté  quand  il  est  produit  par  une 
main  familière  ;  il  ne  faut  donc  pas  trouver  surpre- 
nant que  l'épiderme  puisse  aussi  transmettre ,  aux 
papilles   qu'il  enveloppe  ,  des   impressions  même 
très-subtiles.  Aussi  n'est-ce  pas ,  comme  on  le  répète 
ridiculement  sans  examen ,  là  oii  l'épiderme  est  le 
plus  fin  que  le  toucher  est  le  plus  délicat  ;  l'épiderme 
est  très -épais  au  bout  des  doigts,   et  il  est  facile 
de  le  traverser  là  avec  une  épingle  sans  attaquer 
le  corps  papillaire ,   ce  qu'on  ne  saurait  faire  assu- 
rément sur  le  dos  de  la  main ,  à  l'avant-bras ,  etc. 
Le  toucher  est  plus  délicat  là  oii  il  y  a  plus  de  déve- 
loppement dans  les  papilles  et  une  plus  grande  abon- 
dance de  nerfs  ,  avec  plus  de  facilité  à  s'appliquer 
aux  surfaces  qu'il  s'agit  d'explorer.  C'est  d'après  ces 


DU  TOUCHER.  1  13 

donuées  que  nous  allons  jeter  un  coup-d'oeil  sur  les 
principaux  modes  que  nous  offrira  la  série  des  êtres 
animés,  quant  à  Texercice  du  toucher  volontaire. 

A.  Chez  Fhomme ,  personne  n'ignore  que  c'est 
à  la  main,  aux  doigts  que  le  sens  du  toucher  offre 
le  plus  de  perfection ,  et  nous  avons  fait  une  petite 
série  de  recherches  qui  confirment  ce  que  l'anatomie, 
d'une  part,  et  l'observation ,  de  l'autre  ,  avaient  déjà 
appris  à  cet  égard.  Nous  avons  voulu  savoir  à  quelle 
distance  devaient  s'opérer ,  dans  les  diverses  régions 
du  corps ,  deux  impressions  simultanées ,  pour  être 
distinctes  et  non  confondues  en  une  seule  (i)  :  il  est 
clair  que  plus  la  peau  d'une  région  recevra  de  filets 
nerveux ,  plus  il  y  aura  de  rapprochement  entre  les 
points  isolément  sentant,  et  par  suite  aussi  plus  il  y 
aura,  pour  une  égale  superficie,  de  vivacité  et  de 
jugement  dans  la  sensation.  Or,  la  peau  du  crâne, 
celle  des  joues,  des  bras,  des  jambes,  piquée  simul- 
tanément avec  deux  épingles,  ne  donnait  qu'une 
seule  sensation  de  piqûre  tant  que  les  deux  pointes 
ne  portaient  pas  au  moins  à  deux  lignes  l'une  de 
l'autre  :  avec  cet  écartement  on  sentait  deux  piqûres  : 
au  front,  au  dos  de  la  main,  la  distance  voulue, 
pour  deux  sensations  distinctes  quoique  simultanées, 
était  d'une  ligne  et  demie  ;  à  la  paume  de  la  main , 
d'une  ligne  ;  au  bout  des  doigts ,  d'une  demi-ligne  ; 
et  au  bout  de  la  langue ,  d'un  quart  de  ligne  seule- 
ment: ce  dernier  organe  aurait  donc  l'avantage, 

(1)  Le  professeur  VVeber  a  fait  des  recherclies  du  même  genre,  et  probable- 
ment plus  étendues  ;  je  regrette  de  n'en  avoir  pu  recevoir  qu'une  simple 
informalion  de  la  part  du  docteur  Windischmann, 

8 


114  DU   TOUCHER. 

mais  on  sait  qu'il  est  destiné  à  d'autres  fonctions, 
et  c'est ,  quant  aux  diverses  régions  de  la  peau ,  à 
l'extrémité  des  doigts  que  reste  la  supériorité.  La 
mobilité  des  doigts ,  l'opposition  du  pouce ,  la  liberté 
des  membres  supérieurs  en  raison  de  la  station 
bipède  ,  donnent  d'ailleurs  à  la  main  de  l'homme 
tant  d'avantages  ,  que  certains  philosophes  ont  voulu 
y  voir  la  seule  cause  de  sa  suprématie  sur  les  autres 
animaux  :  exagération  souverainement  ridicule ,  car 
la  main  de  la  grenouille  est  beaucoup  mieux  fournie 
de  muscles  et  de  phalanges  ;  celle  du  singe  ne  le 
cède  ffuère  à  celle  de  l'homme ,  et  l'on  ne  saurait 
même  lui  refuser  plus  d'adresse ,  de  précision  et 
d'agilité  qu'à  nous.  La  main  est  plus  utile  à  l'homme 
comme  organe  d'industrie  que  comme  instrument 
du  toucher;  mais  ce  serait  tomber  dans  le  même 
abus  que  d'y  attacher ,  sous  ce  rapport ,  une  im- 
portance trop  grande  :  autant  vaudrait  dire ,  avec 
des  penseurs  superficiels  ,  que  l'éléphant  ne  doit 
qu'à  sa  trompe  sa  capacité  intellectuelle ,  et  que  le 
castor  n'est  redevable  qu'à  sa  queue  de  son  admi- 
rable industrie.  L'homme  sait  suppléer ,  en  cas 
d'accident ,  aux  mains  qui  lui  manquent  ;  il  sait  de 
même  ,  au  besoin,  remplacer,  par  d'autres  moyens 
de  communication ,  le  langage  vocal  auquel  d'autres 
personnes  attachent  aussi  une  importance  radicale  : 
c'est  que  sa  supériorité  provient  d'une  autre  source , 
de  la  perfection  de  son  intelligence  et  de  la  prépon- 
dérance des  organes  consacrés  à  son  exercice. 

B.  Les  autres  mammifères  ayant  généralement  la 
peau  couverte  deL_poils  ,  on  peut  rappeler ,  à  leur 
sujet,  ce   que  nous  avons  dit  dans  les  généralités 


DU  TOUCHER.  115 

de  ce  chapitre  ,  pour  la  transmission  du  contact 
qui  s'exerce  par  le  moyen  de  ces  poils  jusqu'aux 
papilles  nerveuses  même.  L'épiderme  épais  et  dur 
des  grands  animaux  obscurcit  davantage  ,  sans 
doute ,  la  sensibilité  tactile ,  mais  sans  l'annihiler 
tout-à-fait,  et  il  en  reste  toujours  d'ailleurs,  pour 
ainsi  dire ,  trop  encore  dans  les  gerçures  où  se  logent 
les  insectes  qui  tourmentent  parfois  l'éléphant  et  le 
rhinocéros. 

On  peut  mettre  au  rang  des  organes  spéciaux  du 
toucher  quelques-unes  de  ces  annexes  cornées  de 
la  peau  ,  les  moustaches ,  auxquelles  Cuvier  avait 
déjà  assigné  cet  usage.  Andral  a  fait  remarquer, 
il  y  a  quelques  années  ,  que  ces  grands  et  gros 
poils  reçoivent  des  nerfs  volumineux  dans  leur  bulbe 
chez  les  rats  ;  il  en  est  de  même  chez  les  carnas- 
siers en  général ,  et  surtout  chez  les  phoques  où 
les  moustaches  acquièrent  de  grandes  dimensions 
et  sont  mues  par  le  muscle  constricteur  des  narines 
(Rosenthal).  Chez  les  autres  carnassiers ,  elles  sont 
mues  aussi  par  les  muscles  des  lèvres  et  du  nez , 
et  leur  usage ,  comme  organe  du  toucher,  est  con- 
firmé par  leur  analogie  de  situation  avec  les  palpes 
des  animaux  articulés  et  les  barbillons  des  poissons. 
Le  vulgaire  pense  que  les  chats  dont  on  a  brûlé  les 
moustaches  perdent  leur  odorat;  peut-être  cette 
opinion,  évidemment  erronée,  tient-elle  à  quelque 
remarque  positive  sur  une  diminution  d'adresse  et 
de  sensibilité  dans  leurs  chasses.  Des  parties  fort 
voisines  des  moustaches  peuvent  les  remplacer  effi- 
cacement chez  les  animaux  qui  en  manq?ient,  et  ce 
d'autant  mieux  qu'elles  sont  ordinairement  molles , 


116  DU  TOtCHEh. 

parfois  muqueuses  et  toujours  dépourvues  de  poils. 
Je  veux  parler  du  nez  et  des  lèvres.  Le  premier  sert 
évidemment    à   ^exploration   des    objets    chez    le 
chien ,  qui  les  pousse ,  les  roule  ,  les  frotte  de  son 
nez  humide  et  nu  ;  la  chose  est  plus  positive  encore 
chez   les  animaux  à   grouin,  le   cochon,  la  taupe 
(  surtout  celle  à  museau  étoile ,  condylurus  cristatus) 
et  la  musaraigne  ;  aussi  trouve-t-on  là,  sous  un  épi- 
derme  solide ,  un  derme   épais  et   garni  de  fortes 
papilles.   Le  plus  souvent ,  Torgane  principalement 
tactile  est  en  même  temps  un  organe   de  préhen- 
sion :  c'est  ce  qui  a  lieu  pour  le  nez  de  l'éléphant 
prolongé  en  trompe  et  terminé  par  un  doigt  charnu  ; 
des  papilles  très-développées  garnissent  l'extrémité 
de  cette  trompe  :  il  en  est  de  même  à  la  face  infé- 
rieure de  la  queue  chez  la  plupart  des  mammifères 
qui  l'ont  préhensile ,  les  sapajous ,  les  sarigues ,  etc. 
Les  lèvres  servent  au  toucher  et  à  la  préhension 
des  objets,  principalement  chez  les  ruminants  et  les 
solipèdes,    chez   quelques  pachydermes    aussi  ;   le 
cheval  et  l'àne,  le   rhinocéros    et   plus   encore   la 
girafe ,  en  donnent  des  exemples  ;  mais  les  pattes  et 
surtout  les  pattes  antérieures  sont  encore,  de  même 
que   chez  l'homme,   le   plus   essentiel   instrument 
tactile  chez  beaucoup  de  mammifères,  comme  on 
le  voit  chez  les  singes ,  les  chats ,  les  ours ,  les  écu- 
reuils, etc.   Le  pied  du  cheval  même,  tout  enve- 
loppé dans  un  épais  sabot  de  corne ,  lui  sert  souvent 
à  explorer  le  terrain  quand  il  le  gratte  ouïe  frappe, 
en  même  temps    qu'il  l'examine  de  la  vue  et  de 
l'odorat,  j^lais  qu'il  y  a  loin ,  et  pour  l'organe  et  pour 
la  sensation  ,  de  ce  toucher  grossier  à  l'excessive 


mi  TOUCHER.  117 

délicatesse  des  sensations  que  les  chauves  -  sourie 
peuvent  éprouver  sur  les  membranes  légères  de  leurs 
vastes  ailes  !  Ces  toiles  si  minces  et  si  larges,  suscep^ 
tibles  de  vibrations^  d'oscillations  lorsqu'elles  sont 
tendues,  peuvent  aisément  palper  l'air,  juger  de  la 
liberté  des  passages,  de  la  proximité  des  obstacles, 
et  expliquer  comment  ces  animaux ,  privés  de  la 
vue ,  ne  s'en  conduisaient  pas  moins  bien  dans  les 
détours  des  souterrains  ^  ou  à  travers  les  trous  d'une 
toile  que  Sp^llanzani  opposait  à  leur  passage.  Les 
membranes  auriculaires  et  nasales  participent  indu- 
bitablement, chez  les  rhinolophes,  etc.  ,  de  cette 
faculté  de  palper  l'air,  et  ajoutent  ainsi  beaucoup 
aux  services  que  peut  leur  rendre  la  finesse  de  l'ouïe 
et  de  l'odorat. 

C.  Oiseaux.  Chez  ces  vertébrés ,  on  ne  trouve 
guère  de  surface  libre  et  dénuée  de  plumes  qu'aux 
pattes  et  au  bec;  c'est  là  que  le  toucher  s'exerce  en 
effet  presque  exclusivement.  Le  dessous  des  doigts 
surtout  parait  garni  de  fortes  papilles  recouvertes 
d'un  épidémie  qui  ne  leur  fait  pas  perdre  leur  uti- 
lité ;  celle-ci  se  manifeste  principalement  chez  les 
animaux  qui  saisissent avecles  pattes  les  objets  qu'ils 
portent  au  bec ,  les  perroquets  ,  les  oiseaux  de  proie. 
Quant  au  bec ,  son  enveloppe  cornée  ne  lui  ôte  pas 
non  plus  la  sensibilité;  il  suffît  de  voir,  chez  le 
canard,  l'énorme  volume  du  faisceau  nerveux  de  la 
cinquième  paire  qui  s'épaaouit  dans  le  bec  supé- 
rieur entre  l'os  et  la  corne  ,  pour  être  convaincu 
qu'il  donne  à  l'animal  des  notions  tactiles  très- 
minutieuses,  lorsqu'il  fouille  dans  la  boue  des  ruis- 
seaux ou  des  marécages.  Assurément  il  en  est  ainsi 


118  DU  TOUCHER. 

du  bec  long  et  flexible  des  huppes,  des  avocettes  , 
des  bécasses  et  bécassines  :  quW  se  rappelle,  à 
ce  sujet,  ce  que  nous  avons  dit  de  la  sensibilité 
des  dents  malgré  leur  émail.  La  langue  des  oiseaux 
sert  aussi  au  toucher,  et  sans  parler  de  celle  du 
pic ,  où  elle  remplit  un  autre  office  en  même  temps 
que  celui  du  toucher,  on  observera  aisément ,  chez 
les  granivores,  que  la  langue  joue  un  rôle  actif  dans 
Fexploration  d^une  graine  nouvelle  ou  d'un  corps 
graniforme  que  l'animal  saisit  avec  son  bec. 

/>.  Reptiles,  Nous  ne  ferons  que  rappeler,  à  leur 
sujet,  ce  que  nous  venons  de  dire  du  bec  des  oiseaux; 
le  museau  des  lézards  et  des  serpents  est  tout  aussi 
nerveux  et  un  peu  moins  corné  ,  aussi  sert-il  évi- 
demment de  moyen  explorateur  ;  c'est  du  museau 
que  ces  reptiles  frottent  tous  les  recoins  des  prisons 
où  on  les  enferme  et  dont  ils  cherchent  à  s'échapper. 
La  langue  est  ici ,  bien  plus  évidemment  encore 
que  chez  les  oiseaux,  organe  de  tact;  ce  n'est  pas 
pour  prendre  des  insectes  que  le  lézard  ou  la  couleu- 
vre dardent  si  fréquemment  leur  langue  au-dehors  ; 
cette  langue,  chez  la  dernière  surtout,  est  sèche, 
non  visqueuse  ;  elle  est  néanmoins  molle  et  flexible  ; 
c'est  un  organe  de  tact  très-délicat  (  fig.  12),  qui  est 
sans  cesse  mis  en  activité  dans  la  progression  comme 
les  antennes  des  insectes.  La  queue  du  caméléon  et 
du  boa  ,  tout  le  corps  même  des  serpents ,  entourent 
et  touchent  les  corps  où  ces  animaux  se  suspendent; 
mais  est-ce  là  exercer  un  véritable  toucher  ?  Les 
pieds  des  caméléons,  des  geckos,  des  lézards  sont 
papilles  en  dessous  ,  et  peuvent  être  considérés 
comme  vrais  organes  tactiles  ;  le  ventre  des  batra- 


DU  TOUCHER.  1  19 

ciens  est  généralement  grenu ,  c'est-à-dire  hérissé 
de  petites  saillies  blanchâtres  ;  sont-ce  des  papilles 
ou  des  glandes  sébacées  ?  Il  y  a  probablement  l'un 
et  Fautre.  La  paume  des  mains,  la  plante  des  pieds 
sont,  au  contraire,  couvertes  de  papilles  excessive- 
ment fines  et  courtes,  mais  assez  peu  serrées; 
d'ailleurs  ,  la  main  en  particulier  est  composée 
d'osselets  nombreux  et  très -mobiles  ,  de  doigts  à 
phalanges  plus  multipliées  que  chez  l'homme  et  de 
muscles  bien  plus  diversifiés ,  ce  qui  devrait  donner 
à  ce  membre  une  grande  perfectioo  :  chez  le  pipa , 
il  y  a  quelque  chose  de  plus  ;  chaque  doigt  est  sub- 
divisé, au  bout,  en  quatre  petites  lanières  molles 
et  sans  doute  propres  à  exercer  le  toucher  avec 
plus  de  finesse. 

Chez  les  batraciens  d'ailleurs  la  peau  est  nue  , 
et  le  tact  universel  semble  devoir  être  plus  délicat 
que  chez  les  autres  reptiles  ;  mais  cette  peau  con- 
tient beaucoup  de  phosphate  de  chaux  et  d'autres 
sels,  plus  même  que  la  peau  écailleuse  des  reptiles 
sauriens  et  ophidiens.  Néanmoins ,  la  grande  sensi- 
bilité qu'elle  démontre  à  l'action  des  irritants,  doit 
lui  faire  supposer  des  qualités  tactiles  très-émi- 
nentes  ;  on  sait  que  les  substances  acres ,  le  tabac , 
etc. ,  dont  on  saupoudre  un  crapaud  ou  une  gre- 
nouille ,  leur  causent  de  vives  douleurs  et  finissent 
même  par  les  faire  périr.  Toutefois,  il  ne  faudrait 
pas  croire  que  la  dureté  et  la  sécheresse  de  la  peau 
des  serpents  et  des  lézards  lui  ôtàt  toute  sensibilité  ; 
ce  que  nous  avons  dit  de  leur  museau ,  du  bec , 
des  dents ,  nous  disposera  à  voir  sans  étonnement 
un  lézard ,  une  couleuvre  ,  souffrir  impatiemment  le 


120  DU  TOlCIlERt 

contact  d'une  mouche  ,   et  chasser    vivement   cet 
insecte  importun.  Il  en  est  de  même  des  tortues  pour 
leur  tête  écailleuse ,    mais  non  pour  leur  carapace 
qui  ne  parait  jouir  que  d'une  sensibilité  très-obtuse. 
E,    Poissons.    Leurs   habitudes  sont  en  général 
peu  connues,  et  ce  n'est  guère  que    par  conjecture 
que  l'on  regarde  comme  organe  du  toucher  les  bar- 
billons ,  en  forme  de  moustaches ,  qui  avoisinent  la 
bouche  des  cyprins ,  et  ceux  qui  se  trouvent ,   au 
nombre  de  quatre,  rangés  transversalement  devant 
la  bouche  de  l'esturgeon;  on  voit,    tous  les  jours  , 
les  carpes  heurter  avec  le  museau  le  pain   qu'on 
leur  jette  ;    et  Cuvier  dit  que  leurs  barbillons  re- 
çoivent des  filets  nerveux  de  la  cinquième  paire. 
Les  nageoires  latérales  auraient-elles  quelque  usage 
relatif  au  toucher  ?  Les  carpes  semblent  s'en  servir 
ainsi  sur  la  vase  des  eaux  peu  profondes,  où  l'on 
peut  les  examiner  ;  mais  ceci  est  bien  plus  probable 
encore  pour  les  trigles  qui  ont,  à  chaque  nageoire 
pectorale ,  de  trois  à  cinq  rayons  libres  et  charnus , 
véritables  doigts  auxquels  viennent  se  rendre  de  gros 
nerfs  partis   de  renflements  spéciaux  de  la  moelle 
épinière.    Les  tiges  mobiles  et  terminées  par  une 
petite  feuille  membraneuse ,  que  porte  la  baudroie 
sur  la  tête ,  lui  servent-elles  à  reconnaître  l'arrivée 
d'une  victime  imprudente  ?  Les  appendices  du  scor- 
pène   antenne  et  de  quelques  autres  poissons  leur 
rendraient-ils  le  même  service  ?  On  ne  peut  répondre 
à  ces  questions  qu'avec  doute. 

Quant  au  tact  universel ,  nul  doute  qu'il  ne  doive 
être  plus  délicat  chez  les  poissons  à  peau  molle 
comme  les  murènes ,  que  chez  ceux  à  larges  écailles 


DU    TOUCHER.  121 

comme  les  cyprins ,   ou   à  peau  dure  et  presque 
osseuse  comme  les  roussettes,  les  lépisostées,  etc. 

AMTICI^E  IIÏ.  -  Inverfêîïrés, 

j4.  Animaux  articulés  ou  astacaires.  Un  coup- 
d'œil  général,  jeté  sur  ce  groupe  d'animaux,  nous 
fait  apercevoir ,  dans  leurs  enveloppes  extérieures , 
des  différences  notables.  Le  plus  grand  nombre  , 
comme  les  crustacés,  les  insectes,  les  myriapodes, 
beaucoup  d'arachnides  ,  sont  couverts  d'un  tégu- 
ment corné  ou  calcaire  et  qui  semble  devoir  être 
peu  sensible  aux  contacts  ;  chez  les  cirrhipèdes, 
ce  tégument  devient  une  véritable  coquille  fort 
semblable  à  celle  des  mollusques.  Mais  l'élasticité 
même  et  la  vibratilitéj  si  l'on  peut  ainsi  dire,  de 
cette  enveloppe  la  rendent  susceptible  de  trans- 
mettre, aux  parties  sous-jacentes,  des  impressions 
assez  légères  ;  aussi  s'en  faut-il  de  beaucoup  que  le 
tact  général  des  animaux  articulés  soit  très-obtus;  la 
plus  faible  percussion  suffit  pour  les  faire  fuir  ou  se 
pelotonner.  Ces  impressions  sont  rendues  plus  vives 
encore  par  la  présence,  presque  constante  chez 
les  insectes  et  les  arachnides ,  de  poils  élastiques  , 
roides  et  vibrants ,  dont  l'effet  est  bien  facile  à  com- 
prendre d'après  ce  que  nous  avons  dit  de  ceux  des 
mammifères  et  en  particulier  des  moustaches. 

D'autres  articulés,  les  larves  d'insectes,  les  aca- 
riens ont  une  peau  plus  flexible  ;  celle  du  ventre 
des  araignées  est  aussi  assez  molle ,  mais  celle  des 
annélides  offre  surtout  ce  haut  degré  de  mollesse 
jointe  à  une  constante  humidité  qui  doit  la  rendre 
très-impressionnable  aux  contacts.   Aussi   les  vçrs 


122  DU    TOUCHER. 

de  terre  et  les  sangsues  jouissent-ils  d'une  grande 
susceptibilité  sous  ce  rapport,  à  tel  point  que  le 
contact  des  substances  acres  est  pour  eux  un  supplice 
qui  peut  devenir  mortel;  on  force  les  sangsues  de 
rendre  tout  le  sang  qu  elles  ont  pris  en  les  roulant 
dans  la  cendre ,  en  les  mouillant  d'eau  vinaigrée  ; 
on  les  force  de  lâcher  prise  avec  un  peu  de  sel  ou  de 
tabac  posé  sur  leur  corps ,  on  les  tue  dans  le  vinaigre 
ou  l'alcool.  Quelques  annélides  portent  aussi  des 
soies  roides ,  isolées  ou  en  touffes,  comme  les  nais; 
les  apbrodites  ont ,  en  même  temps ,  de  longs  poils 
qui  les  font  ressembler  aux  chenilles  les  plus  velues  et 
doivent  leur  rendre  les  mêmes  services  qu'à  celles-ci , 
comme  moyen  de  défense  et  d'avertissement  à  la 
fois;  touchez  légèrement  les  poils  de  la  chenille 
marte ,  elle  se  roule  en  boule  aussitôt. 

Des  appendices  tactiles  spéciaux  se  retrouvent 
chez  presque  tous  les  animaux  de  ce  sous-règne  : 
ce  sont  les  pieds,  les  palpes,  les  antennes.  Les  pieds 
des  insectes,  des  arachnides,  portent  souvent,  entre 
leurs  griffes  ,  une  ou  plusieurs  caroncules  destinées 
à  la  locomotion  ,  mais  assurément  aptes  aussi  à 
toucher.  Il  est  des  conformations  spéciales  plus 
évidemment  destinées  à  cet  objet  :  beaucoup  d'aca- 
riens ont  les  pieds  de  la  première  paire  très-allongés 
(  genres  mégamère ,  dermanysse ,  gamase  ) ,  et  s'en 
servent  pour  palper  le  terrain  qu'ils  parcourent; 
les  tbélyphones ,  les  galéodes  ont  ces  mêmes  pieds 
privés  d'ongles  et  réduits  au  rôle  de  palpe  ;  ceux 
des  plirynes  sont  allongés ,  finement  moniliformes , 
et  représentent  des  antennes  dont  sans  doute  ils  ont 
également  les  usages  ;  enfin,  chez  les  cirrhipèdes. 


DU    TOUCHER.  123 

les  pieds  articulés  ne  peuvent  sortir  de  la  coquille 
que  pour  servir  d'instrument  d'exploration,  puisque 
l'animal  est  fixé  invariablement  sur  son  pédicule  ou 
sur  sa  base  dès  qu'il  est  adulte.  Les  pieds  ou  rames 
des  annélides  marines  ,  néréides ,  eunices ,  cirrlia- 
tules,  etc.  ,  portent  fréquemment  des  appendices 
ou  charnus  ou  articulés  et  néanmoins  assez  mous 
(  syllis  moniliforme  ) ,  qui  ressemblent  autant  à  des 
antennes  qu'à  des  branchies  ,  et  servent  sans  doute 
au  toucher  aussi  bien  qu'à  la  respiration  :  c'est 
ce  qu'on  a  nommé  des  cirrhes  ;  ils  sont  fort  longs 
surtout  dans  les  cirrhatules,  et  nous  avons  reconnu 
qu'ils  se  meuvent  long-temps  comme  des  vers  après 
avoir  été  séparés  de  l'animal  qui  les  porte . 

Ces  mêmes  cirrhes ,  avec  quelques  faibles  modi- 
fications de  volume  et  de  position ,  garnissent ,  en 
nombre  varié  de  sept  à  deux  seulement ,  la  tète  de 
plusieurs  de  ces  annélides  et  prennent  le  nom  à'an- 
tennes  ou  cirrhes  antennaires  ;  ils  ressemblent  alors 
en  effet  aux  antennes  des  crustacés ,  des  insectes  et 
des  myriapodes,  qui  manquent  aux  arachnides.  Les 
crustacés  en  ont  souvent  quatre ,  subdivisées  même 
en  plusieurs  filets ,  et  généralement  elles  ont  la  forme 
sétacée ,  c'est-à-dire  qu'elles  s'amincissent  par  degrés 
de  manière  à  se  terminer  en  filament  ténu ,  quoique 
assez  épaisses  à  la  base;  dans  leur  longueur  elles 
sont  d'ailleurs  divisées  en  innombrables  anneaux. 
Les  insectes  et  les  myriapodes  n'en  ont  que  deux  ; 
et ,  chez  les  premiers  surtout ,  la  forme  de  ces 
appendices  est  extrêmement  variée  ;  aussi  verrons- 
nous  que  leurs  usages  présumables  ne  se  bornent 
point   au  toucher;   et  nous  ne    devons  considérer 


124  DU  ToucHi:u. 

comme  vraiment  tactiles  que  ceux  dont  la  figure 
se  rapproche  de  ce  que  nous  avons  décrit  chez  les 
crustacés,  c'est-à-dire  en  soie  ou  en  fil,  ou  encore 
en  massue,  toujours  composés  d'ailleurs  d'articles 
plus  ou  moins  multipliés.  Quand  on  voit  marcher 
une  sauterelle  aux  longues  antennes  sétacées,  une 
scolopendre  aux  antennes  moniliformes  ,  on  se 
convainc  aisément  de  l'usage  qu'elles  font  de  ces 
organes  en  mouvement  perpétuel  pour  reconnaître 
les  dangers,  les  obstacles,  les  changements  d'incli- 
naison du  terrain.  D'autres  insectes  à  antennes  plus 
courtes,  les  fourmis,  les  abeilles,  ne  s'en  servent 
que  pour  explorer  un  corps  déterminé ,  pour  se 
reconnaître  d'individu  à  individu,  peut-être  aussi 
pour  se  communiquer  quelques  idées,  ainsi  que 
nous  le  verrons  plus  tard. 

Les  palpes  sont  généralement  aussi  trop  courts 
pour  servir  à  conduire  la  marche,  mais  ils  sont 
efficacement  employés  surtout  à  l'exploration  des 
aliments  dont  ils  aident  aussi  l'ingestion ,  la  tritu- 
ration. Ce  sont,  en  effet ,  des  appendices  toujours 
voisins  de  la  bouche;  il  y  en  a  deux  seulement  chez 
les  arachnides ,  et  quoiqu'ils  aient  fréquemment  la 
forme  de  pieds ,  qu'ils  soient  même  armés  de  fortes 
pinces  chez  les  scorpions ,  ils  n'en  servent  pas  moins 
au  toucher,  comme  le  prouve  l'usage  journalier 
qu'en  font  les  animaux  que  nous  venons  de  nommer; 
ils  s'en  servent  comme  d'antennes.  Les  insectes  en 
ont  quatre ,  deux  attachés  aux  maxilles ,  deux  à  la 
lèvre  :  quelquefois  même  (coléoptères  carnassiers) 
la  maxille  se  termine  par  deux  articles  palpiformes  ; 
tous  agissent  vivement  dans  l'exploration  des  ma- 


DU  TOUCHER.  125 

tières  alimentaires.  Les  crustacés  manquent  à  peu 
près  complètement  de  palpes  labiaux  et  maxillaires, 
mais  en  revanche  ils  en  portent  une  paire  sur  les 
mandibules  et  sur  chacune  des  trois  paires  de  pieds- 
mâchoires.  Les  six  palpes  de  ces  derniers  membres 
sont  fort  semblables  à  des  antennes  sétacées ,  et  par 
conséquent  très-aptes  à  exercer  le  toucher. 

B.  La  peau  humide  et  souple  des  mollusques  se 
montre  aussi  sensible  que  celle  des  batraciens  et  des 
annélides,  là  où  elle  n'est  pas  protégée  par  une 
coquille  épaisse  et  tout-à-fait  inorganique.  Indépen- 
damment de  ce  tact  général ,  il  y  a  sans  doute  explo- 
ration tactile  chez  tous  ceux  de  ces  animaux  qui 
portent  des  expansions  particulières  de  la  peau,  du 
corps,  de  la  tête.  Nul  doute  qu'il  n'en  soit  ainsi  des 
longs  bras  des  céphalopodes,  organes  qui  servent 
en  même  temps  à  la  locomotion,  à  la  préhension: 
autant  en  dirons-nous  du  pied  linguiforme  des  bival- 
ves, moule,  moulette,  venus,  vénéricarde,  etc.  etc. 
Quand  on  fait  quelques  essais  sur  le  limaçon ,  on 
s'aperçoit  aisément  que  ses  tentacules  lui  sont  plus 
utiles  comme  organes  de  toucher  qu'en  qualité 
d'organes  de  la  vue ,  car  il  n'évite  les  obstacles  que 
quand  son  oeil  les  a  heurtés.  Ce  serait,  du  reste,  se 
perdre  inutilement  en  détails  fondés  sur  de  simples 
probabilités ,  que  de  parler  ici  de  l'expansion  du 
manteau  ou  du  pied  qui  recouvre  la  coquille  dans  les 
porcelaines  et  les  cyprées,  des  lanières  et  festons 
qui  entourent  l'animal  et  bordent  la  coquille  de 
î'haliotide ,  etc. 

Ce  sont   aussi  des   organes    de  toucher  ,    sans 
doute,  que  les  filaments  tentaculaires ,  les  franges 


120  DU  TOUCHER. 

OU  appendices  variés  des  acalèphes  de  Cuvier,  qui 
comprennent  et  les  méduses  et  les  physalies  ,  c'est- 
à-dire  les  radiaires  à  corps  mou  et  les  diphyaires; 
autant  on  en  peut  dire  pour  les  tentacules  des 
polypes  et  des  hydres,  les  nombreux  appendices 
des  actinies ,  des  hotothuries ,  les  pieds  tubulaires 
des  oursins ,  des  astéries.  Au  reste ,  beaucoup  de 
ces  animaux  ont  aussi  la  peau  nue  et  mince  et  le 
corps  généralement  très -sensible,  de  sorte  que  le 
toucher  est  chez  eux  universel  :  cette  sensibilité  est 
telle  qu'ils  peuvent,  certains  du  moins,  palper 
même  la  lumière  par  tous  les  points  de  leur  corps. 
C'est  ce  que  Dicquemare  a  observé  pour  les  actinies, 
Trembley  pour  les  hydres ,  et  c'est  en  particulier  ce 
dont  nous  nous  sommes  assuré  pour  les  planaires  : 
un  rayon  de  lumière ,  même  sans  chaleur ,  autant 
que  possible,  projeté  sur  un  point  quelconque  de 
leur  surface  pendant  le  repos,  les  met  en  mouvement 
sur-le-champ,  et  les  fait  ou  rétrograder  ou  avancer 
plus  vite  quand  elles  sont  en  marche. 

Enfin ,  nous  pourrions  ajouter  ici  quelques  mots 
sur  les  monadaires  qui  fuient  également  la  lumière 
et  la  chaleur,  comme  on  s'en  aperçoit  dans  les  inves- 
tigations microscopiques  ;  puis  nous  rappellerions 
les  phénomènes  offerts  par  la  sensitive  et  autres 
végétaux,  la  promptitude  avec  laquelle  les  plantes 
volubiles  entourent  les  corps  qu'elles  ont  touchés  ; 
mais  une  simple  mention  suffit  pour  ces  exemples 
d'un  toucher,  ou  douteux  ,  ou  qui  n'a  rien  qu'on  ne 
retrouve  dans  ce  qui  a  été  dit  plus  haut. 


CHAPITRE  III. 

DU  GOÛT. 


Tout  spécialisé  qu'est  ce  sens,  il  se  rapproche 
néanmoins  beaucoup  encore  du  toucher,  et  il  faut 
convenir,  en  effet,  que  les  animaux  à  peau  molle 
et  humide ,  qui  se  montrent  si  sensibles  à  l'impres- 
sion des  substances  acres  ,  semblent  pouvoir  faire  , 
de  toute  leur  surface  extérieure ,  ce  que  l'homme 
fait  de  sa  langue.  Aussi,  comme  on  le  verra  plus 
bas,  les  nerfs  gustatifs  sont-ils  bien  moins  spécia- 
lisés que  ceux  des  trois  sens  suivants,  et  un  appareil 
purement  tactile  se  joint-il  souvent  ,  sur  la  langue 
même,  au  dégustateur.  Pveconnaitre  des  saveurs _,  et 
par  conséquent  les  différencier  ^  c'est  toutefois  un 
attribut  exclusif  des  organes  du  goût ,  et  qui  sufiit 
pour  établir  une  démarcation  bien  intelligible  entre 
eux  et  la  peau  dénudée  par  un  vésicatoire.  Touchez 
cette  surface  avec  le  vinaigre  ou  l'alcool,  avec  le 
bois  ou  le  fer,  rien  ne  vous  indiquera  de  différence, 
si  la  température  ,  la  concentration ,  le  poli  sont 
semblables  ;  la  langue  ,  au  contraire  ,  reconnaîtra 
même  le  métal  quoiqu'il  soit  assurément  insoluble 
dans  la  salive.  Toutefois,  la  plupart  du  temps,  il 
faut  au  moins  qu'un  corps  soit  soluble  pour  être 
sapide  (  i  )  ;  il  l'est  directement  s'il  est  liquide ,  bien 

(d)  Il  y  a  même  quelquefois  action  chimique  entre  cette  humeur  et  les  corps 
solubles  ;  selon  Pvaspail,  la  saveur  urineuse  des  alcalis  tient  à  un  dégagement 
d'ammoniaque. 


128  DU  GOUT. 

qu'insoluble  dans  l'eau ,  comme  les  huiles  essen- 
tielles ;  et  l'état  gazeux  peut  aussi  en  lui-même  être 
une  condition  de  sapidité ,  comme  le  prouve  l'intro- 
duction ,  dans  la  bouche  ,  de  la  fumée  de  tabac ,  du 
gaz  oxidule  d'azote. 

Cette  dernière  circonstance  établit  quelque  ana- 
logie entre  le  goût  et  l'odorat ,  et  ces  deux  sens  ont 
des  liaisons  effectivement  très -intimes  ,  tous  deux 
servent  à  l'exploration  des  aliments ,  et  sont  ainsi  les 
sentinelles  avancées  de  l'appareil  digestif;  tous  deux 
siègent  dans  des  organes  fort  voisins,  et  dont  les 
rapports  directs  et  sympathiques  sont  nécessairement 
très -nombreux.  Les  rapports  directs  ont  lieu  du 
côté  de  l'arrière  -  bouche  ,  où  la  base  de  la  langue 
est  si  près  des  arrière -narines  ;  les  sympathiques 
tiennent  sans  doute  à  la  communauté  d'origine  d'une 
partie  des  nerfs  qui  se  rendent  à  la  langue  et  au 
palais,  et  d'une  partie  de  ceux  qui  se  jettent  dans  la 
pituitaire  ,  les  uns  et  les  autres  partant  de  la  branche 
moyenne  du  nerf  trifacial  ;  ils  peuvent  tenir  aussi  en 
partie  à  la  communication  des  nerfs  palatins  avec  le 
naso- palatin  de  Scarpa  ,  dans  le  ganglion  de  même 
nom  décrit  par  Hippolyte  Cloquet,  et  placé  selon 
lui  à  l'oriiice  inférieur  des  canaux  incisifs.  Là  aussi 
d'ailleurs  est,  chez  les  ruminants,  les  rongeurs, 
peut-être  même  chez  l'homme  ,  une  autre  communi- 
cation très-directe  entre  le  palais  et  les  fosses  nasales  ; 
les  conduits  incisifs  ou  de  Stenon  sont  assez  larges  chez 
les  premiers  ,  très-étroits  chez  le  dernier  (Santorini  ) 
on  même  oblitérés  tout-à-fait  (Morgagni,  Heister  , 
Albinus,  Scarpa).  Dans  plusieurs  mammifères,  ces 
conduits  de  communication  entre  le  nez  et  la  bouche 


DU   GOUT.  129 

sont  accompagnés  d'une  autre  disposition ,  sur 
laquelle  Jacobson  a  appelé  le  premier  l'attention 
des  anatomistes  ;  nous  avons  bien  vu ,  chez  le  mou- 
ton ,  deux  cauaux  cartilagineux  tapissés  par  une 
membrane  muqueuse,  et  qui,  s'ouvrant  dans  ceux  de 
Stenon ,  se  portaient  un  peu  en  haut  et  en  arrière 
sur  les  côtés  de  la  cloison  du  nez,  entre  les  rameaux 
fournis  par  la  portion  ethmoïdale  et  la  sphéno- 
palatine  de  la  cinquième  paire.  Jacobson  dit  que 
ce  sinus  communique  toujours  au  moins  avec  les 
fosses  nasales,  lorsque,  comme  chez  l'homme  et  le 
cheval,  l'orifice  inférieur  du  canal  de  Stenon  est 
fermé.  Voir  dans  ces  particularités  anatomiques  la 
cause  d'une  synergie  des  deux  sens ,  qui  favorise  le 
discernement  des  aliments  de  bonne  et  de  mauvaise 
nature ,  qui  permette  ainsi  aux  animaux  herbi- 
vores d'éviter  les  plantes  pernicieuses ,  c'est  la  seule 
manière  rationnelle  d'admettre  l'opinion  de  Jacobson 
sans  admettre  un  sixième  sens  à  cet  effet.  De  cette 
liaison  naturelle  dépend  l'influence  qu'un  de  ces 
sens  exerce  sur  l'autre ,  comme  quand  un  coryza 
fait  perdre  le  goût ,  ou  du  moins  le  goût  des  arômes. 
Chevreul  a  fait  remarquer  qu'on  annuité  un  grand 
nombre  de  saveurs,  toutes  celles  des  substances 
aromatiques ,  celles  des  métaux  même ,  de  l'étain 
par  exemple ,  celle  des  substances  ammoniacales ,  si 
on  les  goûte  en  fermant  les  narines.  Moi-même  ayant 
perdu  depuis  long- temps  l'odorat,  je  ne  distingue 
nullement  dans  les  ragoûts  ou  les  liqueurs  l'arôme 
des  truffes,  de  la  rose,  de  la  vanille,  etc.  Ici  donc 
il  y  aurait  évidemment  synergie ,  c'est-à-dire  action 
simultanée  et  fusion  des  deux  sens.  Au  reste  ,  l'ana- 

9 


1 30  mi  Go^T. 

logie  et  la  fusion  dont  il  s'agit  sont  plus  faciles  à 
concevoir  encore  ,  quand  on  sait  que  la  langue ,  bien 
qu'elle  soit  le  principal  siège ,  n'est  pas  le  siège 
exclusif  du  goût.  Sans  entrer  ici  dans  des  détails 
déplacés ,  nous  pouvons  dire  que ,  en  particulier,  le 
haut  du  pharynx  et  la  partie  postérieure  et  molle  du 
palais  reçoivent  très-bien  les  impressions  de  sapidité; 
aussi  les  gourmets  roulent -ils  dans  toute  l'étendue 
de  la  bouche ,  le  vin  qu'ils  veulent  bien  déguster. 

La  langue  est ,  disions-nous ,  Forgane  principal 
de  la  gustation  ,  du  moins  chez  l'homme  et  les 
mammifères  auxquels  s'appliquent  plus  spécialement 
ces  généralités;  les  papilles  dont  elle  est  hérissée 
servent ,  non-seulement  à  sentir ,  mais  encore  à  re- 
tenir la  substance  savoureuse;  elles  s'en  imbibent, 
et  quelquefois  d'une  manière  très -opiniâtre ,  soit 
que  la  saveur  persiste  telle  qu'elle  était  d'abord , 
soit  qu'elle  change  de  nature  (  arrière-goûts).  C'est 
à  une  véritable  imbibition  de  salive  amère  ou  acide 
que  sont  dus  ces  mauvais  goûts  dont  se  plaignent 
les  malades  ;  sensations  qu'on  croirait  idéales ,  si 
l'état  de  la  Lingue  ne  démontrait  visiblement  le  con- 
traire; d'ailleurs,  quelques  recherches  chimiques 
de  Donné  ont  prouvé  que  l'état  acide  ou  alcalin  de 
la  salive ,  dans  diverses  indispositions,  n'était  rien 
moins  qu'imaginaire  ;  et  nous  connaissons  des  faits 
cil  une  expérience  plus  directe  encore  a  donné  des 
notions  très-positives  à  cet  égard.  La  nécessité  de 
cette  imbibition  pour  que  la  gustation  s'opère  est 
facile  à  prouver  :  mettez  une  goutte  d'eau  sucrée 
sur  le  milieu  de  la  langue ,  vous  n'en  sentirez  le 
goût  qu'au  bout  d'une  demi-rninute  ou  même  davan- 


DU  GOUT.  131 

tage  ;  il  faut  moins  de  temps  à  la  pointe  ou  à  la  base, 
et  c'est  ce  qui  a  fait  croire  à  Yernière  que  la  partie 
moyenne  de  la  langue  était  insensible  aux  saveurs. 
Le  plus  souvent,  cette  imbibition  n'empêclie  pas 
qu'un  nouveau  corps  ne  soit  apprécié,  et  souvent 
même  ne  soit  apprécié  plus  vivement  que  si  son  im- 
pression n'eût  pas  été  précédée  par  une  autre  ;  le  vin 
parait  aigre  après  le  sucre  et  fade  après  le  vinaigre  ; 
c'est  l'effet  d'un  contraste  tout-à-fait  vital ,  et  une 
conséquence  facile  à  déduire  de  ce  que  nous  avons 
dit  plus  haut  sur  les  modifications  accidentelles  de 
l'agent  nerveux. 

Les  papilles  sont  de  plusieurs  sortes;  il  en  est  de 
cornées ,  crochues ,  représentant  des  dents  rudimea- 
taires  ;  elles  ne  sont  point  gustatives ,  mais  servent 
à  pousser  les  aliments  vers  le  gosier  ou  à  d'autres 
usages  du  même  genre  ;  on  a  nommé  calicinales 
celles  qui ,  toujours  grosses  mais  peu  nombreuses  , 
représentent  un  petit  globe  charnu  ,  pédicule  et 
contenu  dans  une  cavité  cupuîiforme.  Mais  les  plus 
nombreuses  et  les  plus  utiles  à  la  gustation  sont 
les  fongueuses,  ordinairement  rouges  et  arrondies, 
et  les  coniques  ou  cylindriques,  très -fines,  assez 
longues  et  blanchâtres  qui  donnent  à  la  langue  un 
aspect  velouté  et  souvent  la  rendent  très -douce 
au  toucher  (  fiq,  19).  Sont-elles  érectiles  ?  Quelques 
physiologistes  l'ont  cru,  et  les  fongueuses  sont 
assez  vasculaires  pour  cela;  Magendie  le  nie ,  et 
pourtant  il  est  certain  qu'elles  ne  sont  pas  toujours 
proéminentes  au  même  degré,  et  quun  aliment  dé 
haut  goût  en  augmente  la  rougeur  et  la  saillie. 
Breschet  et  Roussel  de  Yauzème  ont  trouvé  la  tex- 


132  DU  GÔÛï. 

ture  nerveuse  des  papilles  cylindriques  du  bœuf, 
comparable  à  celle  des  papilles  de  la  peau  cbez  la 
baleine;  et  beaucoup  d'autres  anatomistes  ont  pu, 
comme  nous-même ,  soit  chez  l'homme,  soit  chez 
le  mouton ,  etc. ,  suivre  les  filaments  du  nerf  lingual 
jusque  dans  la  membrane  muqueuse  et  papillaire 
de  la  langue  et  même  dans  les  papilles  (  Gerdy)  ; 
tandis  qu'on  voit  l'hypoglosse  et  une  bonne  partie  du 
gîosso-pharyngien  se  perdre  dans  les  muscles. 

C'est  donc  le  rameau  lingual  de  la  cinquième 
paire  qui  paraît  spécialement  chargé  de  la  gustation  ; 
toutefois ,  à  la  base  de  la  langue ,  où  la  sensibilité 
gustative  n'est  certainement  point  douteuse,  on  voit 
se  distribuer  plus  particulièrement  les  filets  du  nerf 
glosso  -  pharyngien  ,  portion  de  la  huitième  paire; 
mais  là ,  il  se  trouve  évidemment  plus  de  glandes 
muqueuses  que  de  véritables  papilles ,  et  l'opinion  de 
Panizza ,  qui  attribue  à  ce  nerf  la  faculté  gustative 
et  ne  laisse  au  lingual  que  des  qualités  tactiles ,  nous 
paraît ,  pour  ne  rien  dire  de  plus ,  beaucoup  trop 
exclusive.  Quant  au  nerf  hypoglosse  ou  neuvième 
paire  des  anciens  anatomistes,  il  se  perd  dans  les 
muscles  de  la  langue  et  paraît  uniquement  moteur. 
Richerand  a  cherché  à  confirmer  cette  distribution 
d'usages  spéciaux  par  le  galvanisme  ;  mais  le  galva- 
nisme ne  pourrait-il  pas  traverser  des  nerfs  sensitifs 
et  arriver  aux  muscles  à  travers  leur  substance ,  tout 
aussi  bien  qu'à  travers  un  fil  quelconque ,  bien  que 
les  derniers  filaments  ne  se  perdissent  pas  dans  la 
fibre  musculaire  ?  L'agent  électrique  ,  nous  l'avons 
dit,  n'est  pas,  comme  l'agent  nerveux,  coercé  par  le 
névrilème  ;  aussi  a-t-onpu  obtenir  au  moins  quelques 


DU   GOUT.  133 

frémissements  en  faisant  passer  le  courant  électrique 
par  l'artère  linguale  (  Magistel  ).  Ces  ingénieuses 
tentatives  laissent  donc  beaucoup  d'incertitude,  et  il 
en  est  de  même  des  expériences  faites  sur  des  ani- 
maux vivants  à  l'aide  de  substances  sapides  ;  car 
s'il  n'est  pas  difficile  de  couper  le  nerf  lingual  sur 
un  chien,  il  l'est  davantage  de  s'assurer  qu'il  a 
perdu  la  sensation  des  saveurs.  Ajoutons  que  même 
cette  perte  ne  saurait  être  complète ,  puisque  le 
reste  de  la  bouche  n'est  pas  étranger  à  ce  genre  de 
sensations.  Tenons -nous-en  donc  aux  probabilités 
que  l'anatomie  nous  donne  et  qui  nous  semblent  du 
reste  assez  satisfaisantes. 

ABTICIii:  II.  -  VertèBîrés, 

j4»  Uhomme  et  les  mammifères ,  après  tout  ce  cxue 
nous  venons  de  dire,  ne  doivent  pas  nous  arrêter 
longuement;  nous  nous  bornerons  à  signaler  quelques 
particularités  anatomiques  dont  les  conséquences 
physiologiques  seront  faciles  à  saisir. 

La  langue  de  l'homme,  molle,  musculeuse  et  mu- 
queuse, susceptible  d'allongement ,  d'élargissement, 
libre  complètement  dans  une  bonne  partie  de  son 
étendue ,  et  baignée  par  une  abondante  salive  ,  est 
un  organe  favorablement  construit  pour  la  gustation, 
et  ses  nombreuses  papilles  villeuses  ou  cylindroïdes  , 
ses  papilles  fongueuses  disséminées  ça  et  là  en  assez 
grand  nombre ,  lui  donnent  la  facilité  de  s'imbiber 
et  de  sentir  vivement.  On  n'a  pas  encore  décidé  si 
les  deux  genres  de  papilles  qui  garnissent  sa  surface 
sont  destinés  à  des  usages  différents  ,  quoiqu'on 
ait  reconnu  que  des  régions  différentes  de  la  langue 


1  34  DU  GOUT. 

sont  plus  sensibles  à  telles  ou  à  telles  saveurs  ;  la 
pointe  sent  mieux  le  sucre ,  et  la  base  apprécie 
mieux  l'amertume  ,  etc.  etc. 

Nous  trouvons  une  langue  plus  longue  et  plus 
mobile  encore  cbezla  plupart  des  mammifères,  sans 
parler  même  de  ceux  qui ,  comme  les  fourmiliers  , 
Foryctérope ,  et  comme  aussi ,  du  reste  ,  l'echidné 
parmi  les  monotrèmes  ,  les  pics ,  les  colibris  parmi 
les  oiseaux,  ont  cet  organe  très- long  ,  visqueux, 
sans  papilles ,  et  destiné  seulement  à  la  préhension 
des  aliments.  La  langue  des  singes  ,  des  chiens  est 
plus  mince  que  la  nôtre ,  mais  pourvue  des  mêmes 
papilles  ;  les  chauves-souris  ont  ces  papilles  plus 
longues,  plus  villeuses  encore;  et  chez  les  roussettes 
elles  sont  pointues,  multifides  et  cornées.  Je  les 
trouve  aussi  multiîides ,  presque  palmées,  dures, 
plates  et  imbriquées,  en  rangées  obliques  et  très- 
régulières  chez  la  belette.  Le  vampire  a ,  sur  la 
langue,  un  cercle  de  verrues  munies  chacune  d'un 
tendon,  pouvant  se  rapprocher  en  forme  de  cupule, 
comme  le  disque  des  sangsues,  pour  exercer  la  suc- 
cion du  sang  après  qu'une  des  dents  canines  apercé  la 
peau  d'un  animal  endormi ,  ou  peut-être  même  sans 
cette  blessure  préliminaire  (GeofFroy-St-Hilaire). 

Les  papilles  villeuses  et  fongueuses  des  chats 
sont  entremêlées  de  papilles  cornées  et  crochues 
dirigées  en  arrière,  et  qui  peuvent,  dans  les  grandes 
espèces,  râper  et  entamer  la  peau  par  la  simple 
action  de  lécher  ;  du  reste ,  leur  langue  aussi  lon- 
gue ,  plate  et  mince  leur  sert ,  comme  aux  chiens 
la  leur,  à  lapper  les  liquides  en  même  temps  qu'à 
les  déguster.  Les  ruminants  ont  aussi,  mais  seule- 


-&" 


DU   GOUT.  135 

ment  sur  la  moitié  postérieure  et  relevée  de  la  lan- 
gue ,  de  grosses  papilles  coniques  ou  hémisphériques 
revêtues  d'un  épiderme  corné  ;  ils  en  ont ,  sur  l'in- 
térieur des  joues ,  d'aussi  volumineuses  mais  plus 
pointues,  recourhées  en  arrière  en  forme  de  griffe, 
et  hien  évidemment  destinées,  de  même  que  les 
rides  du  palais ,  à  aider  à  la  déglutition  des  herbages 
dont  ils  se  nourrissent  :  les  vraies  papilles  gustatives 
couvrent,  du  moins  chez  le  mouton,  la  majeure 
partie  de  la  langue  ;  il  y  en  a,  comme  chez  Thomme  , 
de  lenticulaires  ou  fongueuses  et  de  coniques,  et 
nous  avons  remarqué  que  les  dernières  sont  héris- 
sées  de  plusieurs  pointes,  mais  toutes  assez  molles, 
et  que,  d'ailleurs,  leur  volume  et  leur  consistance 
sont  bien  loin  de  permettre  de  les  assimiler  à  celles 
dont  nous  avons  parlé  d'abord  ;  elles  ne  se  distin- 
guent bien  qu'à  la  loupe  ;  leur  usage  n'est  point 
aussi  mécanique  que  celui  des  premières  ,  auxquel- 
les il  faut  assimiler  les  écailles  dentelées  qu'on 
trouve  chez  le  porc-épic. 

Les  papilles  commencent  à  disparaître  chez  les 
phoques,  il  n'y  en  a  plus  chez  les  cétacés  au  dire 
de  Cuvier  ,*  selon  Breschet  et  Roussel  de  Vauzème 
elles  sont  seulement  très-courtes ,  d'un  blanc  mat , 
terminées  en  bouton  et  solidement  encapuchonnées 
par  une  gaîne  de  couleur  grise.  En  somme ,  leur 
langue  petite  (Ravin),  graisseuse  et  fixe,  doit  dif- 
ficilement distinguer  les  saveurs  ,  et  c'est  peut-être 
pour  ces  animaux  un  avantage  que  de  ne  point 
déguster  l'eau  salée  et  plus  ou  moins  altérée  dans 
laquelle  ils  vivent  :  cette  réflexion  concorde  avec 
une  remarque  judicieuse  faite  par  de  Blainville , 


136  DU   GOUT. 

savoir  que  les  organes  du  goût  se  montrent  très- 
imparfaits  en  général  chez  les  animaux  aquatiques. 
B.  Cependant  les  oiseaux _,  même  les  plus  aériens, 
sont  loin  d'èîre  avantageusement  partagés  en  ce  qui 
concerne  cette  fonction  ;  en  effet,  à  part  les  oiseaux 
de  proie ,  surtout  les  nocturnes  ,   plusieurs  palmi- 
pèdes (fig.  18),   quelques  gallinacés  et  les  perro- 
quets, presque  partout  on  trouve  une  langue  carti- 
lagineuse et  portant  à  peine  quelques  papilles  à  sa 
base  :  encore   sont-elles  ,   le  plus  souvent ,  dures  et 
comparables  à  des  dents  rudimentaires.    Chez  les 
oiseaux  même  qui  ont  la  langue  la  plus  charnue , 
les  perroquets ,  l'absence  d'une  salive  suffisante  ou 
son  extrême  viscosité  la  rendent  peu  propre  à  la 
gustation  :  sur  un  amazone,  je  ne  vois  que  des  plis 
à   sa  portion  la   plus  épaisse   (  fig.  17),    mais  il 
est  vrai  de  dire  qu'il  s'y  rend  de  très-gros  nerfs  • 
elle  semble  véritablement  plutôt  tactile  et  préhen- 
sile   que    guslative.    Celle   du   coq  ,    veloutée    en 
dessus ,  offre ,  en  dessous  ,  vers  la  pointe ,  une  sorte 
d'ongle  mou,  comparable  à  celui  qui  garnit  l'extré- 
mité  de  nos  doigts  et  propre  à  faciliter  l'exercice 
du  toucher  (^fig,  \^J,  L'étui  corné  est  aussi  épais, 
aussi  lisse  en  dessus  qu'en  dessous  à  toute  la  portion 
avancée  en  fer  de  flèche  chez  la  plupart  des  autres 
oiseaux  (^fig.  l&J ,    qui  ne  peuvent  goûter  les  sa- 
veurs que  par  la  portion  basilaire  ,  la  plus  humide, 
la  plus  molle  et  que  garnissent  des  papilles  et  non 
des  dents  cornées.  C'est,  au  reste  ,  un  sens  à  peu 
près  inutile  aux  oiseaux  qui  se  nourrissent  de  graines 
sèches  et  les  avalent  sans  les  écraser  :  mais  les  coli- 
bris, les  oiseaux-mouches  sentent  indubitablement  la 


DU   GOIJPT.  l;n 

saveur  du  miel  qu'ils  sucent  ;  les  oiseaux  carnassiers 
et  ceux  qui  vivent  de  fruits  peuvent  aussi ,  à  défaut 
d'une  langue  bien  sensible ,  déguster  au  moyen  du 
palais  et  même  du  gosier,  et  la  préférence  qu'ils 
donnent  à  tel  ou  tel  aliment  en  est  la  preuve. 

C,  Les  reptiles  ont  du  moins  la  langue  générale- 
ment plus  molle  et  une  salive  plus  abondante ,  mais 
non  chez  tous  au  même  degré.  Celle  des  crocodiles 
est  fixe  ;  il  en  est  de  même  du  pipa ,  des  salamandres  : 
de  là  vient  qu'on  l'a  crue  absente  chez  certains  de 
ces  animaux  ;  elle  est  effectivement  à  peu  près  nulle 
chez  le  pipa,  mollasse  et  muqueuse  chez  les  autres. 
Elle  est  aussi  charnue ,  molle ,  mais  plus  suscepti- 
ble d'avancement  chez  les  tortues ,  notamment  les 
terrestres;  elle  est  encore  molle ,  humide  ,  mais  très- 
exsertile  chez  les  batraciens  anoures  qui  s'en  servent 
pour  saisir  leurs  aliments ,   comme  nous  le  dirons 
ailleurs  ;  chez  tous  aussi  elle  est  couverte  de  papilles 
assez  grosses  et  longues,  mais  très-molles,  serrées  et 
comme  incorporées  l'une  à  l'autre  par  une  mucosité 
très-visqueuse  ,  de  sorte  qu'on  lésa  presque  toujours 
méconnues.  La  langue ,  en  effet,  semble  lisse  à  l'état 
frais  ;  mais  on  en  reconnaît  facilement,  à  l'oeil  nu,  et 
mieux  encore  à  la  loupe,  les  mamelons  allongés  quand 
elle  a  macéré  dans  l'alcool.  Les  lézards  ^^.  IS^enont 
de  plus  saillantes  encore ,  lamellées,  régulièrement 
imbriquées  et  saillantes  sur  les  bords  de  la  langue ,  si 
bien  que  Needham  les  a  prises  pour  des  dentelures 
cornées  ;  mais  elles  sont  charnues ,  et  c'est  seulement 
aux  deux  pointes  de  leur  langue  bicuspidée,   qu'on 
trouve  en  dessous  un  épaississement  en  fer  de  pique , 
de  consistance  presque  cartilagineuse,  tout-à-fait 


1S8  DU  GO^T. 

comparable  à  ce  que  nous  avons  vu  chez  le  coq ,  et 
destiné  uniquement  au  toucher  ;  mais  le  goût  doit  être 
chez  eux  très-développé  à  en  juger  par  le  volume 
de  leurs  papilles  ;  aussi  les  lézards  mâchent -ils, 
écrasent-ils  au  moins  les  insectes  qu'ils  ont  pris, 
tandis  que  les  serpents  (^fig.  {2j  avalent  leur  proie 
tout  entière.  La  majeure  partie  des  ophidiens  est 
effectivement  dépourvue  d'une  langue  gustative; 
cachée  sous  la  gorge  dans  une  gaine  ouverte  très-près 
de  la  symphyse  du  menton,  cette  langue  bifide, 
très-mince  et  cylindroïde  ,  est  sèche  et  ne  peut  servir 
que  d'organe  tactile. 

Une  langue  plus  singulière  encore ,  plus  exsertile 
et  spécialement  destinée  à  saisir  une  proie  éloignée, 
est  celle  du  caméléon  fjig,  14 J;  à  ce  dernier  titre 
elle  ne  devrait  pas  nous  occuper  ici ,  puisque  nous 
aurons  à  en  parler  ailleurs  ;  mais  nous  y  avons  re- 
connu une  partie  gustative  qui  parait  avoir  échappé 
jusqu'ici  aux.  naturalistes  :  dans  l'ouvrage  même ,  si 
savant  et  si  exact  du  reste ,  de  Duméril  et  Bibron , 
ce  relief  est  indiqué  mais  non  apprécié  pour  ce 
qu'il  est  réellement.  Le  renflement  qui  termine  cette 
langue  en  forme  de  massue ,  est  formé  d'une  portion 
de  membrane  muqueuse  en  forme  de  bourse  peu 
profonde,  susceptible  de  se  renverser  totalement  et  de 
mettre  en  dehors  sa  surface  excessivement  visqueuse, 
quand  la  langue  elle-même  est  projetée  en  avant. 
C'est  là  ce  qui  englue  l'insecte  ;  mais  arrivée  dans  la 
bouche  ,  la  hourse  rentre  dans  le  renflement  lingual 
et  dégage  la  proie  que  les  dents  saisissent  alors  :  des 
deux  bords  de  l'ouverture  de  cette  bourse  rentrée , 
l'inférieur  est  un  peu  allongé,  presque  comme  le 


DU  GOUT.  ï  o9 

doigt  qui  termine  la  trompe  de  l'éléphant,  tactile  et 
préhensile  comme  lui  ;  le  supérieur  semhle  pourvu 
d'un  prolongement  triangulaire  plus  long  et  plus 
large  encore ,  mais  qui  serait  renversé  en  arrière  de 
manière  à  avoir  la  pointe  tournée  vers  le  gosier,  et 
fixé  dans  cette  position  par  une  adhérence  intime  ; 
ce  prolongement ,  cette  sorte  de  relief  est  épais , 
charnu,  piqué  de  points  noirs  et  garni  de  papilles 
nombreuses  et  bien  distinctes  ;  c'est  la  langue  gusta- 
tive  j  renversée  comme  chez  les  batraciens  anoures , 
ayant  sa  base  portée  plus  en  avant  encore  que  chez 
eux,  mais  non  libre  comme  la  leur.  Le  caméléon 
mâche  et  déguste  évidemment  les  insectes  qu'il  a 
saisis. 

ARTICIiEI  III.  -  Poissons»  et  îii^erfëbrés. 

S'il  est  difficile,  d'homme  à  homme ,  de  juger  des 
sensations  d'autrui  par  les  siennes  propres ,  combien 
ne  doit-il  pas  l'être  quand  on  veut  établir  la  compa- 
raison entre  ce  qui  se  passe  en  nous  et  ce  qu'éprou- 
vent des  animaux  d'une  organisation  très-différente? 
Aussi  ne  perdrons-nous  pas  le  temps  à  établir  des 
conjectures  relativement  à  l'existence  et  au  siège  du 
goût  chez  les  monadaire s  _,  les  radiairesj  leseïminthes. 
Le  polype  rejette  le  corps  qu'il  a  saisi  s'il  n'est  pas 
propre  à  le  nourrir;   est-ce  affaire  du  goût  ou  du 
tact?  Les  mollusques  nous  laissent  dans  la  même  in- 
certitude ;  toutefois ,  les  espèces  terrestres  semblent 
rechercher  certaines  plantes  de  préférence  à  d'autres  ; 
mais  ce  ne  saurait  être  à  l'aide  de  ce  renflement  ou 
appendice  charnu  ou  cartilagineux  qu'on  a  nommé 
langue,  chez  les  céphalopodes  et  les  gastéropodes, 


140  DU   GOÛT. 

que  la  gustation  s'exécute  ;  car ,  le  plus  souvent 
(seiches,  patelles,  buccins,  etc.),  il  est  armé  de 
pointes,  de  dents  cornées.  De  même  ,  chez  les 
poissons ,  nous  voyons  la  langue  nulle ,  ou  remplacée 
par  une  simple  saillie  de  l'hyoïde  que  souvent  encore 
garnissent  des  dents  bien  osseuses ,  de  véritables 
dents;  cette  langue  est  un  peu  plus  molle  dans  les 
cyprins  ,  qui  d'ailleurs  ont  au  palais  une  épaisse 
garniture  charnue  qu'on  nomme  aussi  langue  de  carpe 
en  langage  culinaire;  mais  rien  ne  prouve  que  ce 
palais  soit  apte  à  déguster,  comme  l'a  soutenu  Des- 
moulins; car  si  la  carpe  choisit  ses  aliments,  le 
brochet  choisit  aussi  les  siens,  et  la  condition  d'ani- 
maux herbivores,  carnivores,  insectivores,  etc., 
tient  à  beaucoup  de  particularités  instinctives  autres 
que  celles  du  goût.  Toutefois  rien  n'empêche  non 
plus  d'admettre  l'opinion  susdite ,  et  ce  ne  serait  pas 
une  raison  à  faire  valoir  en  opposition,  que  la  na- 
ture des  nerfs  qui  pénètrent  ce  palais  charnu;  ils 
viennent  de  la  huitième  paire,  et  cette  paire  en 
donne  aussi  à  la  langue  et  au  pharynx  de  l'homme 
et  des  mammifères. 

Parmi  les  animaux  articulés,  les  annélides  nous 
prouvent  aussi  l'existence  du  sens  du  goût,  du  moins 
dans  plusieurs  ;  les  sangsues  aiment  la  saveur  du  lait , 
de  l'eau  sucrée,  du  sang;  et  c'est  en  humectant  de 
ces  liquides  la  peau  de  l'homme  qu'on  les  détermine 
à  mordre  quand  elles  y  montrent  peu  de  propension. 
Morren  a  observé  que  les  lombrics  mangeaient  de 
préférence  la  terre  saupoudrée  de  sucre  :  c'est  la 
bouche  tout  entière ,  sans  doute ,  qui  exerce  cette 
gustation. 


DU   GOPT.  141 

On  ne  peut  rien  dire  de  plus,  si  l'on  veut  s'en 
tenir  aux  probabilités  les  plus  valables,  en  ce  qui 
concerne  les  cirrhipèdes,  les  crustacés,  les  arach- 
nides, les  insectes  et  les  myriapodes.  Le  seos  du 
goût  ne  peut  leur  être  refusé;  telle  chenille  ne 
mange  que  la  feuille  de  tel  arbre ,  telle  autre  peut 
se  contenter  de  trois  à  quatre  végétaux  différents , 
mais  pas  davantage;  chaque  espèce  d'ichneumon 
attaque  un  insecte  particulier,  il  en  est  de  même  des 
sphex,  etc.;  les  mouches  communes  préfèrent  les 
aliments  sucrés  à  tous  les  autres  ;  enfin ,  presque 
tous  les  insectes  nous  démontreraient  ainsi ,  par  leur 
choix,  la  spécialité  de  leur  goût. 

Dans  la  bouche  ou  l'entrée  du  pharynx  de  tous 
ces  animaux  articulés^  nous  trouvons  une  surface 
molle ,  humide ,  souvent  baignée  de  salive  et  très- 
propre  à  savourer  les  sucs  et  même  les  aliments 
pulpeux;  en  serait-il  de  même  des  autres  organes 
auxquels  on  a  voulu  assigner  la  faculté  gustative  ? 
Mettons  en  première  ligne  la  langue  :  celle  des 
crustacés  (languette)  est  cornée  ;  celle  de  la  ma- 
jeure partie  des  insectes  (lèvre  et  languette)  Test 
également;  elle  est  sèche  et  hérissée  de  poils  roides 
chez  les  coléoptères  :  à  la  vérité  les  orthoptères  ont 
un  renflement  charnu  sur  la  lèvre ,  et  la  languette 
des  hyménoptères  est  très-allongée,  villeuse  et  molle, 
de  façon  que  les  abeilles  peuvent  sans  doute  goûter, 
dans  le  nectaire  même  des  fleurs,  le  miel  qu'elles 
recèlent.  Ce  sont  là  des  exceptions  peu  nombreuses; 
car,  là  même  où  la  languette  est  distincte  du  menton 
ou  lèvre  proprement  dite,  elle  est  souvent  sèche  et 
cornée;  celle  des  hémiptères  (punaise)  et  des  dip- 


1  42  DU    GOUT. 

tères  (cousiu,  taon)  est  dans  ce  cas:  ces  insectes 
goûtent  cependant ,  car  ils  piquent  et  sucent  plus 
volontiers  certaines  personnes  que  certaines  autres. 
Ceci  nous  fait  présumer  que  les  papillons  ne  goûtent 
point  non  plus  par  le  bout  de  leur  trompe  en  spirale 
et  composée  de  deux  mandibules  fortement  allongées, 
mais  que  c'est  dans  la  bouche  proprement  dite ,  où 
ces  mandibules  conduisent  le  suc  des  fleurs ,  que  la 
gustation  s'opère  ;  notons  d'ailleurs  que  la  gustation 
est,  chez  eux,  bien  réelle  quoique  la  langue  leur 
manque  complètement.  Les  bourrelets  charnus  qui 
forment  l'empâtement  de  la  trompe  des  mouches  et 
appartiennent  à  leur  lèvre  inférieure ,  ont  passé  éga- 
lement pour  servir  à  la  gustation;  mais  ils  manquent 
à  riiippobosque  ,  au  stomoxe ,  au  cousin ,  à  la  puce 
et  à  tous  les  hémiptères.  Les  arachnides  n'ont  pas 
non  plus  de  langue  véritablement  digne  de  ce  nom, 
quoiqu'on  l'ait  donné  parfois  à  quelques  renflements 
avoisinant  l'ouverture  du  pharynx;  nous  avons  trouvé 
aux  araignées  une  langue  et  un  palais  simplement 
membraneux  et  appliqués  assez  étroitement  l'un 
contre  l'autre  :  rien  n'empêche  de  croire  que,  dans 
ce  trajet ,  les  sucs  avalés  ne  donnent  des  sensations 
gustatives  ;  mais  c'est  en  revenir  à  l'opinion  énoncée 
ci-dessus. 

Enfin ,  les  palpes  seraient,  selon  Knox  et  autres, 
les  vrais  organes  de  la  gustation  ;  mais  ni  leur  po- 
sition ,  ni  leur  structure  ne  permettent  d'adopter  une 
pareille  supposition.  Les  palpes  des  crustacés ,  des 
arachnides ,  des  insectes ,  placés  hors  de  la  bouche , 
durs  5  cornés ,  articulés  souvent  par  grands  segments 
qui  laissent  peu  de  parties  molles  à  nu  dans  leurs 


DU   GOÛT.  t4Z 

intervalles,  ou  bien  composés  de  petits  segments 
si  serrés  que  la  peau  membraneuse  ne  se  montre 
pas  entre  eux  (crustacés)  ,  ne  sauraient  servir  à  une 
fonction  qui  exige,  par -dessus  tout,  mollesse  et 
humidité  ;  ils  servent  à  palper,  à  conduire  même  les 
aliments,  mais  point  à  en  apprécier  la  saveur. 
J'appuierai  cette  opinion  sur  un  dernier  fait  :  je 
trouve  leur  extrémité  renflée  assez  molle  (i),  au 
point  de  se  flétrir  dans  l'alcool  et  de  laisser  un  creux 
à  bords  arrondis  chez  plusieurs  sauterelles  qui  ne 
vivent  que  de  feuilles  assez  sèches,  tandis  que  la 
mante ,  insecte  Carnivore ,  qui  mâche  une  proie 
succulente,  a  ses  quatre  palpes  terminés  par  une 
extrémité  conique  et  toute  cornée. 


CHAPITRE    IV. 

DE  L'ODORAT. 


ARTICIii:  I."  -  ]%'otions  sénërales. 

Ce  que  le  goût  est  à  la  digestion,  Fodorat  Test  à 
la  respiration;  il  explore  Tair  que  les  poumons  doi- 
vent admettre;  mais  nous  avons  déjà  vu  aussi  que, 
conjointement  avec  le  goût,  il  sert  fréquemment  à 
l'exploration  des  matières  alimentaires. 

Nous  ne  devons  pas  nous  arrêter  longuement 
sur  la  nature  du  sens  et  des  qualités  qu'il  apprécie 
dans  les  objets;  de  longues  discussions  sur  les  odeurs 
seraient  surtout  ici  déplacées  ;  toutefois,  nous  devons 

(1)  Je  la  trouve  aussi  telle  à  l'extrémité  des^  quatre  jjrands  palpes  du  pro- 
cruste  fcarabug  coriacevsj. 


144  DE  l'odorat. 

rappeler  que  leur  excessive  ténuité  n'empêche  pas 
qu'elles  n'aient  toujours  quelque  chose  de  matériel  : 
on  sait  les  calculs  qui  ont  été  faits  relativement  à 
l'odeur  du  musc ,  qui,  sans  perdre  sensiblement  de 
son  poids  ,  répand  au  loiu  ses  effluves;  mais  le  cam- 
phre ,  corps  aussi  fort  odorant ,  nous  donne  ,  par  sa 
complète  volatilisation  lorsqu'il  est  long-temps  en 
contact  avec  l'air,  la  preuve  qu'il  s'agit,  en  pareil 
cas,  d'une  vaporisation  réelle.  Plusieurs  métaux  ont 
aussi  une  odeur  qu'on  pourrait  croire  dynamique  j 
galvanique  j  en  un  mot  immatérielle  en  raison  de  la 
fixité  de  ces  corps  (cuivre,  etc.  );  mais  ce  qui  prouve 
qu'il  y  a  là  de  la  matière  en  mouvement ,  c'est  que 
l'odeur  du  métal  s'attache  aux  doigts  qui  le  frottent 
ou  le  tiennent  pendant  quelque  temps.  Ces  émana- 
tions subtiles  sont  probablement  sous  l'empire  d'une 
loi  plus  générale  qu'on  ne  l'imagine  communément; 
car  il  s'en  faut  bien  que  toutes  frappent  nos  sens 
d'uue  manière  perceptible.  Combien  de  miasmes  que 
l'odorat  ne  nous  décèle  pas!  Combien  d'odeurs  per- 
dues pour  nous  ,  sensibles  pour  des  animaux  mieux 
partagés  sous  ce  rapport  !  Au  reste ,  il  faut  se  rappeler 
aussi  que  ces  qualités  oléfiantes  ne  sont  pas  unique- 
ment liées  à  l'état  gazeux;  un  liquide  odorant, 
aspiré  par  le  nez ,  produit  sur  la  pituitaire  son  im- 
pression spéciale  ;  il  en  est  de  même  d'une  poudre, 
comme  le  tabac  en  fournit  la  preuve. 

Chez  tous  les  animaux  dont  l'olfaction  est  bien 
connue  à  cause  de  leur  ressemblance  avec  nous- 
mêmes,  cette  fonction  s'exerce  par  le  passage  de 
l'air  ou  de  l'eau  chargés  d'arôme  à  travers  une 
cavité  à  parois  anfractueuses ,   garnies  d'une  mem- 


DE  l'odorat.  145 

brane  villeuse  et  enduits  de  mucosités  tenaces  et 
abondantes.  On  ne  doute  même  pas  que  cette  der- 
nière condition  ne  soit  de  rigueur,  et,  en  effet,  la 
sécheresse  de  la  membrane  ou  la  qualité  séreuse 
de  sa  sécrétion  contribuent  beaucoup  sans  doute  à 
Fanosmie  qui  accompagne  le  coryza.  De  même 
que  les  saveurs  imbibent  la  surface  papilleuse  de  la 
langue ,  de  même  les  villosités  extrêmement  fines  et 
serrées ,  transparentes ,  conoïdes  ou  en  massue ,  que 
le  microscope  démontre  à  la  surface  de  la  pituitaire , 
et  surtout  les  mucosités  tenaces  dont  l'enduisent 
perpétuellement  ses  cryptes  muqueux ,  absorbent  et 
conservent  les  particules  odorantes  pour  donner  le 
temps  aux  nerfs  de  les  reconnaître.  Les  sinus,  qui 
généralement  accompagnent  les  fosses  nasales ,  pas- 
sent aussi  pour  conserver  Tair  odorant  et  le  laisser 
échapper  peu  à  peu  de  manière  à  prolonger  la  sen- 
sation; on  ne  se  débarrasse  pas  toujours,  en  effet, 
aussi  vite  qu'on  le  voudrait ,  d'une  mauvaise  odeur, 
quoiqu'on  y  parvienne  souvent  en  se  mouchant  ou 
en  provoquant  la  sécrétion  d'un  nouveau  mucus  par 
l'emploi  d'une  poudre  irritante. 

Chez  les  mêmes  animaux,  c'est-à-dire  les  vertébrés, 
on  a,  pres^que  dès  l'origine  de  l'anatomie ,  attribué 
au  nerf  olfactif  ou  de  la  première  paire  la  préro- 
gative de  sentir  les  odeurs.  Effectivement ,  ce  nerf 
ou  processus  cérébral  répand  et  incorpore  ses  fiiets 
nombreux,  mous  et  grisâtres  dans  la  membrane  de 
la  cloison  des  fosses  nasales  et  des  cornets  supérieur 
et  moyen,  mais  non  sur  l'inférieur  (Scarpa).  D'un 
autre  coté  ,  la  membrane  pituitaire  reçoit  aussi 
presque  partout  des  filets  plus  blancs  et  plus  fermes 

^0 


I  i()  DK  l'odoïiât. 

d'un  autre  nerf  sensitif ,  de  celui  même  dont  un 
rameau  paraît  être  le  principal  agent  de  la  gustation; 
la  cinquième  paire  ou  nerf  trijumeau  donne,  de  sa 
branche  ophthalmique  un  filet  nasal  vers  la  voûte, 
et  de  sa  branche  sus -maxillaire  un  filet  sphéno- 
palatin ,  aux  deux  parois ,  et  notamment  sur  le  cornet 
inférieur  recouvert  d'une  portion  de  membrane 
moins  spongieuse  ,  moins  molle  et  moins  veloutée 
que  celle  qui  revêt  les  deux  autres  f^fig.  20y'.  Quel  est 
l'usage  de  ces  derniers  nerfs?  Une  expérience  de 
Magendie  semblerait  prouver  qu'ils  peuvent  suppléer 
le  nerf  olfactif ,  ou  même  qu'ils  réduisent  à  néant 
ses  prérogatives;  mais  que  de  chances  d'erreur  dans 
de  tels  essais  !  Un  chien  dont  le  nerf  olfactif  était 
coupé  a  pris  la  viande  enfermée  dans  du  papier, 
n'aurait-il  pas  pris  le  papier  même,  affamé  qu'il 
était  et  privé  d'odorat  comme  on  doit  le  supposer? 

II  était  sensible  à  l'impression  de  l'ammoniaque,  etc. , 
je  le  crois;  mais  c'est  là  justement  qu'il  faut  établir 
la  distinction.  Le  sens  de  l'odorat ,  chez  le  chien  et 
beaucoup  d'autres  animaux ,  est ,  par  sa  finesse  et 
l'immense  variété  des  sensations,  des  notions  qu'il 
procure  à  l'animal ,  un  sens  de  premier  oindre  et 
bien  supérieur  au  goût  ;  il  est  sur  la  même  ligne 
d'importance  que  le  sens  de  la  vue  ;  aussi  non-seule- 
ment a-t-il  des  cornets  admirablement  subdivisés  en 
innombrables  canaux  cylindroïdes,  une  membrane 
pituitaire  d'une  immense  étendue ,  mais  encore  un 
nerf  olfactif  si  volumineux  que  les  anciens  n'avaient 
pu  y  méconnaître  un  vrai  prolongement  du  cerveau  ; 
c'est  un  processus  plutôt  qu'un  nerf  :  chez  les  vertébrés 
inférieurs,  c'est  un  lobe  tout  entier  qui  est  destiné  à 


DE  l'odorat.  147 

recevoir  les  impressions  olfactives  et  à  réagir  sur 
elles  ;  c'est  évidemment  là  le  véritable  agent  de 
l'olfaction  proprement  dite.  Quant  aux  filets  de  la 
cinquième  paire,  ils  ne  sontpresque  que  tactiles;  car 
plusieurs  venant  des  mêmes  rameaux  se  distribuent 
à  la  peau  du  nez,  au  palais,  etc.  :  en  fait  d'odeurs, 
ils  ne  sentiront  que  celles  des  vapeurs  acres  ,  irri- 
tantes; ils  opéreront  sur  la  pituitaire  une  sorte  de 
gustation  assez  analogue  à  celle  de  la  langue ,  ou 
mieux  encore  peut-être  à  la  sensation  que  fait 
éprouver  à  la  peau  excoriée  l'apposition  d'un  acide , 
de  l'alcool ,  de  l'ammoniaque  :  la  conjonctive  est 
dans  le  même  cas  ;  on  sait  ce  que  la  fumée  y  pro- 
duit, et  il  est  à  remarquer  qu'elle  doit  aussi  sa  sen- 
sibilité à  des  filets  de  la  cinquième  paire.  J'ai  depuis 
long-temps  perdu  l'odorat ,  mais  le  vinaigre ,  l'am- 
moniaque ,  l'alcool  rectifié ,  l'étlier,  le  tabac  occa- 
sionnent chez  moi  l'éteruuement  comme  chez  tout 
autre ,  excitent  également  le  larmoiement ,  et  tout 
cela  par  suite  seulement  d'un  picotement  plus  ou 
moins  vif  selon  la  concentration  et  la  volatilité  de  la 
matière,  mais  toujours  à  peu  près  identique.  Le  nerf 
olfactif  est,  je  n'en  doute  point,  paralysé  chez  moi, 
mais  tout  me  prouve  que  la  cinquième  paire  a  con- 
servé la  parfaite  intégrité  de  ses  fonctions.  En  résumé, 
la  cinquième  paire  aide  à  l'olfaction  ;  mais  elle  ne 
suppléerait  que  très-imparfaitement  le  nerf  olfactif, 
de  même  qu'elle  ne  supplée  que  très-imparfaitement 
le  nerf  optique  chez  certains  animaux,  dont  nous 
parlerons  plus  tard. 


148  DEL*ODOBAT. 

AUTICîiE  II.  -  VeriéSdrëis. 

A,  Homme  et  mammifères  ffig.  20y.  L'homme 
est  bien  loin  d'avoir  un  nerf  olfactif  comparable  à 
celui  de  la  plupart  des  quadrupèdes ,  et  ses  cornets 
rudimentaires  ne  sont  qu'une  ébauche  des  leurs  ; 
les  nègres,  les  sauvages  de  l'Amérique  sont,  selon 
Sœmmering  et  Blumenbach ,  mieux  partagés  que 
l'Européen  ;  leurs  fosses  nasales  sont  plus  vastes ,  et 
aussi  leur  odorat  plus  fin.  Toutefois,  cette  finesse 
d'odorat  et  la  variété  des  notions  qui  en  proviennent, 
tiennent  peut-être  chez  l'homme  plus  encore  à  l'édu- 
cation du  sens  qu'à  la  structure  de  l'organe  ;  des 
aveugles,  cherchant  ainsi  à  suppléer  à  la  vue  qui 
leur  manquait,  ont  su  tirer  un  parti  étonnant  de  leur 
odorat ,  et  les  parfumeurs  renouvellent  chaque  jour, 
sous  nos  yeux ,  cette  preuve  des  effets  surprenants 
de  l'exercice  réfléchi.  Les  cétacés  offrent  une  orga- 
nisation bien  plus  défavorable  au  sens  de  l'odorat , 
telle  même  qu'on  doute  de  son  existence  chez  ces 
animaux  ;  car  on  conteste  encore  pour  savoir  s'il 
y  a  chez  eux  quelques  filaments  rudimentaires  du 
nerf  olfactif  (  Jacobson  ,  Blainville  ,  Treviranus, 
Desmoulins  )  ,  ou  s'il  n'y  a  rien  de  semblable 
(Rudolphi,  Otto,  Tiedemann);  et  d'ailleurs ,  leurs 
fosses  nasales  sont  si  peu  favorablement  disposées  à 
l'olfaction ,  que  Cuvier  a  cru  pouvoir  admettre  que 
cette  fonction  s'opérait  dans  une  cavité  particulière 
communiquant  avec  les  sinus  frontaux  d'une  part, 
et  d'autre  part  avec  l'arrière -bouche  par  la  trompe 
d'Eustache.  Le  reste  des  fosses  nasales  n'est  qu'un 
passage  pour  l'eau  rejetée  en  jet  rapide  après  avoir 


DE  l'odorat.  149 

inondé  la  bouche  ;  des  sacs  muscnleux  servent  à 
cette  éjection  ,  et  ne  peuvent  avoir  d'autre  usage  ;  le 
nez ,  réduit  à  un  trou  fort  reculé  sur  le  chanfrein , 
n'est  nullement  conformé  non  plus  de  manière  à 
recueillir  des  odeurs  ;  et  pourtant  quelques  faits 
semblent  prouver  que  les  cétacés  ne  sont  pas  dé- 
pourvus d'odorat:  on  dit  qu'on  a  fait  fuir  les  baleines, 
en  jetant  à  la  mer  des  eaux  chargées  de  matières 
putrides ,  faits  difficiles  à  constater  et  plus  encore  à 
apprécier  à  leur  juste  valeur.  Après  cette  digression 
sur  des  conformations  exceptionnelles  ,  donnons 
quelques  vues  comparées  sur  les  usages  des  princi- 
pales portions  de  l'appareil  olfactif  dans  différents 
mammifères. 

1°  Le  nez  ou  partie  extérieure,  ordinairement 
raccourci ,  mais  situé  à  l'extrémité  d'une  face  allon- 
gée et  dont  il  est  la  partie  la  plus  saillante,  est  fré- 
quemment aussi  dépourvu  de  poils  et  enduit  d'une 
humidité  muqueuse  ;  ces  conditions  en  font  un 
organe  de  toucher  assez  utile ,  comme  nous  l'avons 
vu  déjà  ;  il  l'est  surtout ,  quand  aux  avantages  de 
sa  situation  se  joignent  ceux  d'un  allongement  et 
surtout  d'une  mobilité  considérables  :  le  grouin  du 
hérisson ,  du  tenrec ,  du  coati ,  de  la  musaraigne , 
du  condylure,  de  la  taupe,  l'extrémité  discoïde  de 
celui  du  cochon ,  sont  dans  un  mouvement  perpétuel 
pour  palper  les  objets,  chez  la  taupe  surtout,  qui 
est  privée  de  la  vue.  Mais  cette  mobilité  et  cette 
longueur  ne  servent  pas  moins  à  l'olfaction  :  voyez 
la  taupe  chercher  les  vers  qu'elle  dévore  avec  tant 
d'avidité  ;  son  nez  se  meut  vivement,  s'allonge  dans 
tous  les  sens  pour  en  aspirer  les  émanatî/)i]s  (îu'elle 


1 50  DE  l'odorat. 

recounait  à  la  distaace  de  quatre  à  cinq  pouces.  Il 
en  est  de  même  ,  à  plus  forte  raison,  de  la  trompe 
du  desman  ,  de  celle  du  tapir,  du  macrorrhin  ou 
plîoque  à  trompe.  Celle  de  l'éléphant,  bien  plus 
longue  encore ,  n'est  pas  peut-être  aussi  favorable 
à  l'odoration  ;  elle  est  spécialement  utilisée  pour  la 
préhension  des  aliments  et  des  boissons.  Au  con- 
traire ,  le  nez  de  la  souris ,  du  rat ,  de  l'ours ,  médio- 
crement développé ,  celui  du  chien ,  moins  saillant 
encore ,  se  tournent  évidemment  vers  les  objets  à 
flairer  et  aident  ainsi  à  l'olfaction.  C'est,  sans  doute, 
aussi  dans  le  même  but  que  le  lapin  et  d'autres 
rongeurs  impriment  au  leur  des  mouvements  conti- 
nuels d'élévation  et  d'abaissement;  au  contraire, 
l'immobilité  complète  du  nez  de  l'homme  et  de  la 
guenon  nasique  ,  si  l'on  excepte  ,  pour  le  premier, 
quelques  mouvements  de  ses  ailes ,  le  rend  peu 
propre ,  tout  saillant  qu'il  est ,  à  favoriser  beaucoup 
l'opération  du  flaire;  toutefois,  on  sait  que  son 
ablation  diminue  singulièrement  l'aptitude  à  sentir 
les  odeurs.  Nous  doutons  aussi  de  l'utilité,  comme 
organes  olfactifs ,  des  feuilles  membraneuses  qui 
environnent  et  surmontent  le  nez  du  rhinolophe  ou 
chauve-souris  fer-à-cheval  ;  c'est  seulement  comme 
organe  de  tact  aérien  que  nous  en  concevons  les 
avantages.  Enfin,  une  dernière  disposition  toute  spé- 
ciale ,  qui  mérite  d'être  indiquée ,  et  dont  le  but  est 
probablement  de  rendre  plus  facilement  supportable 
le  séjour  sous  les  eaux,  c'est  celle  des  narines  chez 
les  phoques  ;  entourées  de  muscles  puissants  ,  elles 
peuvent  se  fermer  tout-à-fait  à  la  volonté  de  l'animal , 
et  ceci  prouve  qu'ils  ne  flairent  point  comme  les 


DE  l'oIXÏRAT.  151 

poissons  au  moyen  d^un  véhicule  liquide ,  mais  que 
leur  odorat  est  tout  aérien  quelle  qu'en  soit  d'ailleurs 
la  finesse ,  point  sur  lequel  les  observateurs  sont  loin 
de  s'accorder  entre  eux. 

2"  Simis,  Médiocres  chez  l'homme  et  tapissés  par 
une  membrane  fort  mince ,  ils  prennent  chez  d'autres 
mammifères  une  grande  extension,  et,  si  j'en  juge 
par  le  mouton ,  sont  revêtus ,  au  contraire ,  d'une 
membrane  muqueuse  d'une  épaisseur  considérable. 
L'éléphant,  le  cochon  ont  les  deux  tables  des  os  du 
crâne  dédoublées  jusqu'à  l'occiput  par  le  prolonge- 
ment des  sinus  frontaux;  chez  les  bœufs  et  les 
moutons ,  ils  s'étendent  dans  les  cornes ,  mais  à 
quelques  pouces  seulement  de  profondeur  chez 
ceux-ci ,  beaucoup  plus  loin  dans  ceux-là  ,  dans  le 
buffle  surtout,  dont  la  corne  est  large  et  courte; 
aussi,  selon  Bailly,  le  buffle  court  toujours  le  nez  au 
vent  comme  pour  permettre  à  l'air  d'arriver  tout  d'un 
coup  jusque  dans  ses  vastes  sinus  frontaux  et  mieux 
éventer  l'approche  de  ses  ennemis. 

3°  Cornets.  L'homme  n'en  a  que  de  petits  et 
simplement  courbés  en  coquille;  ils  sont  compara- 
tivement énormes  chez  les  ruminants ,  qui  d'ailleurs 
ofî'rent  leurs  lames  subdivisées  dichotomiquemenî 
en  un  certain  nombre  de  lamelles  ;  mais  c'est  surtout 
aux  cornets  des  animaux  carnassiers  qu'on  trouve 
cette  sous-division  portée  à  l'extrême ,  et  leur  masse 
constituée  par  une  sorte  d'épongé  tubuleuse  dont 
tous  les  tuyaux  sont  dirigés  d'avant  en  arrière; 
c'est,  par  conséquent,  sur  une  immense  surface  que 
la  pituitaire  se  déploie ,  et  le  sens  de  l'odorat  acquiert 
un  degré  de  linesse  dont  nous  ne  pouvons  nous  faire 


1  /)2  DE  l'odorat. 

une  idée.  Qui  ne  sait  que  les  chiens  suivent  à  la 
piste  les  hommes  et  les  animaux,  et  reconnaissent 
même  les  individus,  leur  maître  surtout,  à  ces  traces 
imperceptibles  pour  nos  sens  !  Mais  si  l'anatomie 
explique  la  délicatesse  de  leur  olfaction  ,  elle  ne 
saurait  expliquer  leurs  préférences  ou  leurs  aversions 
qui  parfois  nous  paraissent  assez  singulières  :  telle 
est,  par  exemple,  la  prédilection  des  chiens  pour 
Fodeur  du  fumier  ou  des  charognes  dont  ils  se  par- 
fument à  plaisir,  tandis  qu'ils  fuient,  avec  une  sorte 
d'horreur,  les  odeurs  qui  nous  semblent  les  plus 
suaves  ;  tel  est  aussi  le  goût  des  chats  pour  le  nepeta^ 
pour  la  racine  de  valériane ,  sur  lesquels  ils  se  rou- 
lent de  même,  comme  pour  charger  leur  fourrure 
de  ces  odeurs  pour  nous  si  rebutantes. 

B.  Oiseaux.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  Scarpa 
fait  observer  l'ampleur  de  la  cavité  nasale  chez  la 
majeure  partie  des  oiseaux;  mais  il  y  a  une  grande 
différence  entre  leurs  cornets  cartilagineux  et  pres- 
que aussi  simples  que  ceux  de  l'homme,  et  ceux  des 
mammifères  carnassiers.  A  la  vérité,  leur  nerf 
olfactif  est  très-volumineux;  mais  d'ailleurs  la  vue, 
ordinairement  chez  eux  très-perçante  ,  aide  beau- 
coup sans  doute  ,  ainsi  que  la  facilité  des  investi- 
gations par  le  moyen  du  vol,  à  la  découverte  des 
substances  alimentaires  que  l'on  a  trop  exclusive- 
ment peut-être  attribuée  à  l'odorat  chez  les  oiseaux 
rapaces ,  les  corbeaux,  etc.  Pour  ces  derniers,  il 
parait  indubitable  que  c'est  la  vue  seule  et  une  dé- 
fiance naturelle,  mais  non  pas  Vodeur  de  la  poudre 
qui  leur  fait  fuir  le  chasseur. 

Toutefois  ,   l'odorat  jouit  d'une  finesse  dont  les 


DE  l'odorat.  153 

degrés  sont  très  -  différents    chez  différents   ordres 
d'oiseaux  ,  et  Scarpa  trouve  cette  graduation  propor- 
tionnelle à  celle  des  grandeurs  du  nerf  olfactif  et  du 
cornet  supérieur   qui  seul  en  reçoit  les  rameaux. 
Voici ,  sous  ce  rapport ,  dans  quel  ordre  il  dispose 
les  grands  groupes  de  cette  classe  de  vertébrés  : 
1^  les  gallinacés  que,  dans  d'ingénieuses  expérien- 
ces ,  il  a  vu  n'être  rebutés  par  aucune  odeur  que 
celle  de  l'ammoniaque  liquide;   2^  les  passereaux 
qui  refusent  les  aliments  imprégnés   de  camphre , 
d'assa-fœtida  ,   etc.  ;    S®  les  oiseaux   de  proie  qui 
craignent  la  plupart  des  odeurs  que  nous  trouvons 
suaves  et  aromatiques;  4^  les  palmipèdes  qui  mon- 
trent plus  de  susceptibilité   encore  (i)  ,  à  tel  point 
qu'un  canard  n'a  avalé  du  pain  parfumé  qu'après 
l'avoir  lavé   dans  un   étang  voisin  ;    5^  enfin ,  les 
échassiers  qui  paraissent  avoir  une  sensibilité  olfac- 
tive supérieure  à  tous  les  autres  oiseaux.  A  part  ces 
différences  et  celles  qui  dépendent  de  la  forme  du  bec 
et  de  son  volume ,  les  fosses  nasales  des  oiseaux  sont 
à  peu  près  toutes  semblables  ;  toutes  sont  ouvertes 
par  des  narines  immobiles;    toutes,  selon  Scarpa, 
communiquent ,  par  leur  cornet  supérieur,  avec  une 
poche  sous  -  orbitaire   qui  fait  saillie  sous  la  peau 
quand  elle  est  remplie  d'air,    et  leur  tient  lieu  des 
sinus  dont  ils  manquent  en  général.  Une  seule  parti- 
cularité mérite  d'être  notée ,  c'est  l'ample  perforation 
de  la  cloison  chez  les  palmipèdes ,  comme  si  la  nature 
avait  voulu  suppléer  à  l'occlusion  d'une  des  narines 
par  la  boue  dans  laquelle  ils  barboltent  si  souvent. 

(1)  Celle  règle  esij-elle  applicable  au  pélican  dont  les  narines  sont  si  étroites, 
au  cormoran  qui  semble  les  avoir  imperforées  ?  Ce  serait  alors  par  les  arrière- 
narines  que  rolfaction  s'exercerait  chez  eux. 


154  DE  l'odoiut. 

C.  Reptiles,  On  ne  trouve  ici,  non  plus,  que  des 
cornets  assez  simples ,  quelquefois  nuls ,  de  façon 
que  la  fosse  nasale  ne  représente  plus  qu'une  sorte 
de  boîte  ou  un  court  canal  tapissé  par  une  pituitaire 
souvent    colorée   en   noir.    Si  l'on   en  excepte   les 
crocodiles  en  effet,  les   arrière -narines   s'ouvrant 
au  palais  ne  permettent  point  aux  fosses  nasales 
de  se  prolonger  aussi  loin  en  arrière  que  chez  les 
mammifères    et  même   les  oiseaux  ;   cependant   le 
nerf  olfactif,  véritable  lobe,  souvent  de  moitié  aussi 
volumineux  que  l'hémisphère  cérébral ,  suppose  des 
sensations  assez  fortes  et  assez  variées;  mais  nous 
possédons  peu  d'observations  propres  à  nous  éclairer 
sur  ce  poiat.  Scarpa  assure  que ,  si  l'on  a  manié  des 
grenouilles  ou  crapauds  femelles  ,    et  qu'on  plonge 
les  mains  dans  l'eau ,  les  mâles  accourent  d'assez 
loin  et  les  embrassent  d'une  amoureuse  étreinte.  Ce 
fait  nous  parait  au  moins  singulier;  car  les  batra- 
ciens anoures  adultes  n'attirent  point  l'eau  par  leurs 
narines ,  ils  en  seraient  bientôt  suffoqués;  ils  les  fer- 
ment au  contraire  en  plongeant ,  et  sont  à  cet  effet 
pourvus  de  valvules  cutanées  qu'on  retrouve  égale- 
ment chez  les  sauriens  et  les  ophidiens.   Il  n'en  est 
pas  ainsi  des  larves  ou  têtards  et  des  batraciens  à 
branchies  permanentes,   qui  aspirent  l'eau  comme 
les  poissons  ;  le  protée  a  même  déjà,  dans  les  cavités 
nasales,   des  feuillets  membraneux  tels  que   ceux 
dont  il  sera  parlé  dans  le  paragraphe  suivant ,    et 
offre  aussi  cette  particularité  que  les  arrière-narines 
s'ouvrent  en  dehors  des  arcades  dentaires  et  fort 
en  avant. 

D.  Fumons.  Ici  les  arrière-narines  sont,  quand 


DE  l'oDOIUT.  I5r> 

elles  existent ,  sur  le  même  plan  que  les  narines 
antérieures  ;  les  fosses  nasales  ,  situées  en  dessus 
du  museau  chez  les  poissons  osseux  ,  en  dessous 
chez  les  cartilagineux ,  sont  formées  d'une  cavité 
ouverte  extérieurement  par  un  ou  par  deux  orifices 
qui,  dans  ce  cas,  ne  sont  séparés  que  par  une  bride 
plus  ou  moins  large.  L'antérieur  est  contractile, 
le  postérieur  toujours  béant  ;  l'eau  passe  de  l'un  à 
l'autre  par  les  mouvements  du  premier  :  chemin 
faisant ,  elle  se  met  en  contact  avec  de  nombreux 
feuillets  de  la  membrane  pituitaire  disposés  en  dou- 
ble peigne  (carpe  fig.  21),  ou  en  rayons  (estur- 
geon), dans  lesquels  s'épanouissent  les  filets  d'un 
énorme  nerf  ou  mieux  lobe  olfactif,  lobe  effective- 
ment aussi  volumineux,  quelquefois  même  plus  que 
l'hémisphère  cérébral  qui  lui  fait  suite.  Cette  orga- 
nisation, appropriée  au  milieu  dans  lequel  vivent 
ces  animaux,  leur  donne  des  sensations  souvent 
très-délicates  ;  on  ne  saurait  douter  que  ce  ne  soit 
par  l'odorat  que  le  requin  et  autres  squales  sont 
attirés  souvent  en  foule  autour  d'un  cadavre  jeté  à 
la  mer;  chez  ces  poissons,  d'ailleurs,  la  cavité  olfac- 
tive est  vaste,  les  lamelles  membraneuses  larges, 
surchargées  de  feuillets  secondaires  ;  et  le  lobe 
olfactif  forme  un  gros  cordon  terminé  par  un  bulbe 
considérable.  Au  reste,  je  trouve  aussi  la  cavité 
nasale  fort  grande  chez  le  pagel  :  deux  larges  et 
longs  sinus  membraneux  communiquant  avec  le  fond 
de  chaque  narine  s'étendent,  l'un  en  dedans ,  l'autre 
en  dehors,  vers  le  bout  du  museau. 

Jusqu'ici  nous    avons  vu  toujours   les   organes 
olfactifs  cachés  dans  la  tête  et  en  forme  de  cavité  ; 


1  56  DE  l'odorat. 

nous  trouverons  désormais  une  disposition  tout  op- 
posée, et  nous  y  arrivons  par  une  transition  frap- 
pante en  rappelant  la  remarquable  structure  de  ceux 
de  la  baudroie.  Scarpa  les  a ,  le  premier ,  reconnus; 
il  les  décrit  et  les  ligure,  sous  forme  de  deux  petites 
coupes  cylindroïdes,  portées  sur  un  pédicule  de  plu- 
sieurs lignes  de  longueur  et  implanté  sur  le  devant 
de  la  tête  ;  l'intérieur  de  ces  cupules  offre  les  mêmes 
feuillets  que  cbez  les  autres  poissons  et  reçoit  les 
filets  du  même  nerf. 

AMTïCIiE  lïl,  -  Invertébrés. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  les  raisons  qui 
peuvent  faire  croire  à  l'existence  de  l'odorat  cbez 
les  mollusques  ,  lesannélides,  etc.  ,  comme  le  cboix 
des  plantes  dont  se  nourrit  la  limace ,  l'arrivée  des 
sangsues  vers  un  animal  dont  l'agitation  ,  il  est  vrai, 
leur  a  d'abord  décelé  la  présence  ;  et  nous  insisterons 
moins  encore  sur  les  probabilités  qui  pourraient  faire 
attacher  ce  sens  à  telle  ou  telle  partie ,  comme  les 
tentacules  inférieurs  des  limaçons  (i),  qui  manquent 
à  d'autres  gastéropodes,  etc.  etc.  En  fait  de  conjec- 
tures, tenons-nous-en  aux  plus  curieuses  et  aux  plus 
vraisemblables ,  comme  celles  que  nous  permettront 
les  crustacés,  les  insectes  et  les  myriapodes. 

1®  Si  l'on  regarde  comme  identiques  les  nerfs 
qui ,  chez  les  vertébrés  et  les  invertébrés ,  naissent 
du  cerveau  au-devant  des  optiques  ,  ce  sont  ceux 
des  antennes  qu'on  devra  regarder  comme  olfactifs 

(1)  Owen  regarde  comme  organes  olfactifs,  dans  le  nautile,  une  série  de 
lamelles  membraneuses  serrées  parallèlement  au-devant  de  la  bouche ,  et 
recevant  des  nerfs  fournis  par  de  petits  ganglions  en  rapport  avec  les  sous- 
œsophagiens.    Il  compare  ces  lamelles  à  celles  qu'on  trouve  aux  narines  des 

poissons. 


DE  l'odorat.  157 

chez  ces  derniers  ,  ainsi  raisonnent  de  Blainviîîe  et 
Robineau;  Reaumur,  Rœsel ,  Carus  se  sont  fondés 
sur  d'autres  raisons  pour  attribuer  l'olfaction  aux 
antennes.  Mais  les  antennes  sont  si  évidemment  des 
organes  de  tact  chez  les  grands  crustacés  et  chez 
beaucoup  d'insectes  !  A  cette  objection  répondons  en 
rappelant  que ,  dans  l'organe  olfactif  des  animaux 
supérieurs,  se  distribuent  un  nerf  d'odorat  et  un 
nerf  de  tact ,  et  que  le  nez  proprement  dit  est  souvent 
organe  de  toucher  :  nous  ne  nous  étonnerons  plus  , 
dès-lors,  de  voir  la  partie  tactile  l'emporter  quelque- 
fois sur  la  partie  olfactive ,  et  même  cette  dernière 
être  tout -à- fait  sacrifiée  à  l'autre.  Ainsi  l'antenne 
en  fil  du  criquet,  celle  en  soie  de  la  sauterelle, 
ne  serviront  plus  guère  à  percevoir  des  odeurs  et  ne 
feront  que  toucher ,  tandis  que  Tantenne  courte  mais 
feuiîletée(i)  du  hanneton  f^fig.  2d  et  oOjj  celle  plus 
longue  et  pectinée  de  la  phalène  (^fig.  2SJ ,  seront 
l'instrument  d'une  olfaction  pure  et  simple ,  et  par 
conséquent  se  montreront  avec  un  développement 
considérable  chez  le  mâle  pour  l'aider  à  trouver  la 
femelle  autour  de  laquelle  il  vient  voler,  même  sans 
la  voir,  quand  elle  est  enfermée  ,  par  exemple ,  dans 
la  boîte  du  naturaliste. 

Dans  d'autres  antennes ,  on  trouverait  à  la  fois 
l'un  et  l'autre.  Ainsi,  les  antennes  antérieures  ou 
internes ,  nommées  aussi  petites  antennes  de  l'écre- 
visse ,  terminées  chacune  par  deux  filaments  arti- 
culés ,  certainement  tactiles  ,   et  qui ,  selon  Scarpa, 

(1)  Chaque  feuillet  se  montre  garni  de  très-petites  Yesicules,  comparables 
aux  glandes  de  la  feuille  d'un  hypericum;  cette  disposilion  Cfîg.  oOj  a  sans  doute 
quelque  utilité  pour  rolfaclion  ;  elle  n'existe  pas  à  la  surface  lilire  dxi  premier 
feuillet ,  qui  ne  peut  pas  emprisonner  l'air  comme  les  autres. 


ir)B  DE  l'odorat. 

reçoivent  de  la  partie  postérieure  du  cerveau  un 
nerf  probablement  analogue  à  la  cinquième  paire , 
offrent ,  à  leur  article  basilaire  ,  un  organe  dans 
lequel  Rosenthal  a  vu  se  perdre  un  autre  nerf  parti 
de  la  régioQ  antérieure  du  cerveau.  Cet  organe 
est,  d'après  nos  observations,  une  cavité  ,^7^^.  24j 
membraneuse  ou  plutôt  cartilagineuse  en  forme  de 
coquille,  ouverte  assez  largement  à  la  face  supérieure 
de  l'article  susdit ,  et  au  point  même  où  il  est  en 
contact  avec  l'œil  qu'il  faut  soulever  pourvoir  l'entrée 
de  ce  cornet  olfactif  ^^^f.  2 3J.  Cette  entrée  est  d'ail- 
leurs entièrement  couverte  par  un  grillage  de  poils 
parallèles,  serrés,  que  le  microscope  montre  eux- 
mêmes  hérissés  de  villosités  secondaires  f^'fig.  2i>J: 
c'est  là  sans  doute  ce  que  Rosenthal  a  pris  pour 
un  organe  pectiniforme  ou  hranchiforme  ;  mais  on 
trouve ,  dans  beaucoup  d'autres  régions  du  même 
animal,  des  poils  tout  pareils.  C'est  un  appareil 
plus  semblable  à  celui  des  poissons  qu'à  celui  des 
mammifères  ;  aussi  reçoit-il  uniquement,  de  l'eau, 
les  émanations  odorantes  :  on  sait  avec  quelle 
promptitude  les  écrevisses  se  portent  sur  les  appâts 
qu'on  jette  dans  les  ruisseaux  qu'elles  habitent. 

Nous  trouverons  également  deux  parties  dans  l'an- 
tenne du  mâle,  chez  le  sphinx  atrop os  (^fig.  21 J, 
et  mieux  encore  dans  celle  d'insectes  plus  évidem- 
ment pourvus  d'odorat  ,  tels  que  les  mouches , 
dont  beaucoup  d'espèces  recherchent,  pour  leurs 
larves ,  les  corps  d'animaux  en  putréfaction  :  on  sait 
qu'elles  vont  même  s'insinuer  dans  les  linges  qui 
enveloppent  les  cadavres  ;  qu'elles  pondent  sur  les 
tissus  qui  les  recouvrent ,  si  elles  ne  peuvent  les  tra- 


DE  l'oborat.  159 

Térser  ;  qu'elles  se  méprennent  à  l'odeur,  et  dépo- 
sent leurs  œufs  sur  quelques  plantes  fétides.  Or,  leur 
antenne  présente  une  pièce  volumineuse  ,  épaisse  , 
charnue,  discoïdale  ou  prismatique,  et  une  autre  en 
forme  de  soie,très-îine  et  composée  de  plusieurs  arti- 
cles allongés;  la  première  est,  selon  nous,  la  portion 
olfactive  ,  mais  elle  n'est  point  revêtue  de  ce  mucus 
qui   arrête  et  fixe  les  particules  odorantes  sur  la 
pituitaire  des  animaux  vertébrés ,  et  n'est  pas  non 
plus  disposée   de  manière    à  permettre  à  l'animal 
d'attirer  sur  elle  un  courant  d'air  chargé  de  molé- 
cules oléfiantes.  A  la  première  objection  nous  répon- 
drons par  l'inspection  microscopique  ,  qui  nous  fait 
voir  cette  pièce  toute   couverte   d'un   duvet   serré 
comme  un  velours  bien  fourni  (^fig.  2Gj  :  or,  on  sait 
que  les  poils  réunis,  et  les  tissus  qui  en  sont  faits, 
absorbent  et  retiennent  l'air;  c'est  ainsi  qu'ils  se 
chargent  de  miasmes  malfaisants,  et  les  gardent  sou- 
vent pendant  un  temps  considérable  ;  c'est  en  vertu 
de  cette  propriété  que  l'argyronète  et  tant  d'animaux 
aquatiques ,  d'insectes  en  particulier  ,  plongent  et 
vivent  sous  les  eaux  sans  cesser  d'être  environnés 
d'air,  une  couche  étant  toujours  retenue  à  leur  sur- 
face veloutée ,  à  laquelle  elle  donne  l'aspect  de  l'ar- 
gent ou  de  la  nacre.  Quant  à  la  seconde  objection, 
nous  remarquerons  que  les  insectes  ailés  suppléent, 
par  la  rapidité  de  leur  vol,  au  courant  d'air  qu'ils 
n'excitent  pas  en  eux-mêmes ,  et  c'est  effectivement 
en  se  balançant  dans  les  airs  qu'ils  découvrent  les 
émanations  qui  les  guident  ;  c'est  ainsi  que  les  bou- 
siers reconnaissent  les  excréments  dont  ils  se  nour- 
rissent eux  et  leur  progéniture  ,  que  îesnécrophores 


IGO  DE  l'odorat. 

éventent  les  cadavres  des  petits  animaux  qu'ils  en- 
terrent pour  leur  future  famille  ;  et  remarquez  que 
tous  ont  des  antennes  lameîleuses,  flabelliformes  ou 
perfoliées,  qu'ils  étalent  et  épanouissent  dans  leur 
vol  (i)  :  chez  d'autres,  les  antennes  sont plumeuses 
comme  chez  les  papillons  de  nuit ,  les  cousins ,  les 
tipules  ;  chez  beaucoup  d'autres  encore  ,  quoique 
sétacées,  elles  sont  molles  et  velues  surtout  à  leur 
extrémité  (cérambyx,  fig.  oi),  et  peuvent  rem- 
plir, en  conséquence,  le  même  office.  On  les  voit 
d'ailleurs  souvent  agitées  de  vifs  mouvements  oscil- 
latoires (ichneumons,  sphex,  etc.)  qui  les  mettent 
continuellement  en  rapport  avec  de  nouvelles  por- 
tions d'air. 

J'ai  fait  diverses  expériences,  médiocrement  con- 
cluantes il  est  vrai,  mais  que  je  ne  crois  pas  devoir 
néanmoins  passer  sous  silence.  J'exposai  au  goulot 
d'une  fiole  contenant  de  l'alcool ,  de  la  térébenthine , 
de  l'éther ,  la  tête  d'une  scolopendre  ;  les  antennes 
à  l'instant  se  contractèrent,  se  roulèrent  en  spirale. 
Je  pris ,  dans  la  campagne  ,   deux  mâles  du  homhyx 

(1)  L'hydrophile,  qui  fait  servir  ses  antennes  feuilletées  à  îa  respiration, 
comme  nous  le  dirons  ailleurs,  les  lient,  lanl  qu'il  nage,  repliées  dans  la  couche 
d'air  qui  tapisse  sa  surface  inférieure.  Le  dylisque,  au  contraire,  tient  toujours 
étendues  en  nat^eanl  ses  antennes  sélacées;  celles-ci  serviraient-elles  plutôt  à 
l'odoralion  dans  l'eau  ?  Voici  une  expérience  qui  semble  prouver  qu'elles 
servent  aussi  à  cel  office  dans  l'air  même  :  dans  une  boite  métallique  à  deux 
compartiments,  sans  autre  communication  qu'un  très-petit  écartement  entre  le 
hord  de  la  cloison  et  le  verre  qui  couvrait  le  tout,  j'ai  placé  d'un  côté  une 
grosse  araignée  maçonne,  de  l'autre  deux  petits  grillons  des  bois  :  l'un  ,  qui 
avait  ses  antennes  entières,  exécutait  des  gesticulations  bizarres,  des  soubre- 
sauts, lançait  des  ruades  ;  tout  cela  cessait  quand  on  ôlait  l'araignée  qu'il  ne 
pouvait  voir  pourtant  en  aucune  manière;  trois  fois  les  mêmes  phénomènes 
se  sont  reproduits  ainsi;  l'autre  grillon  avait  les  antennes  coupées,  il  ne 
paraissait  se  douter  en  rien  de  ce  dangereux  voisinage  ;  mais  mis  en  présence 
de  l'araignée,  c'est-à-dire  dans  le  même  compartiment,  il  donnait  les  mêmes 
signes  de  malaise  et  d'inquiétude  que  le  premier. 


DE  l'odorat.  î(Jl 

pavonia  mmor_,  qui  vinrent  successivement  voltiger 
autour  d'une  femelle  déjà  accouplée  avec  un  troi- 
sième ;  je  leur  coupai  les  antennes  et  les  laissai  libres 
dans  mou  cabinet,  oii  je  tins  aussi  la  femelle  dans  un 
cornet  de  papier  assez  inexactement  clos  ;  ni  Fun  ni 
l'autre  ,  durant  trois  jours  que  je  la  conservai  ainsi, 
ne  vinrent  à  sa  rechercbe.  J'ai  coupé  aussi  les  an- 
tennes à  un  assez  grand  nombre  de  mouches  bleues 
fhmscavomitoriaj  qu'avait  attirées  l'odeur  de  viandes 
en  putréfaction  commençante  ;  aucune  ne  s'en  est 
approchée  ensuite  ;  elles  ne  cherchaient  qu'à  sortir 
du  cabinet  où  je  les  avais  abandonnées.  Une  grosse 
mouche  vivipare  f31.  carnan'ajj  mise  sous  un  verre 
avec  un  nouet  de  linge  rempli  de  viande,  y  a  jeté 
une  douzaine  de  vers  ;  après  la  section  des  antennes 
elle  n'en  a  plus  jeté  aucun  ,  bien  qu'elle  en  eût 
encore  dans  le  ventre  au  moins  six  tout  près  de 
naître.  Il  est  vrai  qu'après  l'opération,  qui  du  reste 
ne  semble  nullement  affecter  ces  insectes,  j'avais  mis 
ce  dernier  dans  un  vase  plus  grand  qu'auparavant , 
et  que  la  viande  était  enfermée  dans  une  petite  tasse 
couverte  d'une  gaze. 

2°  Les  palpes  ont  été  regardés  comme  organes 
d'odorat  par  Lyonnet ,  Marcel  de  Serres,  etc.  ;  mais 
nous  les  avons  déjà  présentés  Comme  organes  de  tact. 
Dans  les  palpes  labiaux,  nous  ne  pouvons  voir 
autre  chose  qu'un  dédoublement  de  la  langue  et  de 
l'hyoïde  des  vertébrés  en  organe  gustatif  et  tactile  ; 
le  premier  est  constitué  quelquefois  par  une  langue 
véritable,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  ou  bien  les 
parois  de  la  bouche  seules  goûtent  les  saveurs  ,  et 
si  les  palpes  s'agitent  dans  la  gustation ,  ce  n'est  pas 

11 


162  del'odouat. 

une  preuve  qu'ils  soient  le  siège  de  la  sensation.  Ce 
raisonnement  doit  s'appliquer  à  ce  que  nous  avons 
vu  dans  plusieurs  de  nos  expériences  :  la  tète  de  quel- 
ques coléoptères  carnassiers ,  comme  le  staphylin , 
le  dytisque  bordé  ,  celle  de  divers  orthoptères, 
même  séparée  du  tronc ,  étant  exposée  à  la  vapeur 
de  l'alcool  ou  de  l'éther,  a  remué  les  palpes.  Tout 
ce  qu'on  peut  conclure  de  là ,  c'est  que  la  bouche 
sent  les  fortes  odeurs  ou  plutôt  les  vapeurs  très- 
odorantes  et  par  cela  même  ,  jusqu'à  un  certain 
point,  sapides. 

3°  Enfin,  spéculativement  et  par  analogie,  on  a 
cru  aussi  devoir  placer  l'odoration  des  crustacés 
dans  l'expansion  membraneuse  qui  accompagne 
leurs  branchies,  et  celle  des  insectes  à  l'entrée  des 
stigmates  qui  servent  à  la  respiration  (  Cuvier , 
Duméril,  etc.  ).  On  ne  voit  pas  qu'il  soit  possible 
d'expliquer  autrement  l'odorat  dont  paraissent  jouir 
de  petites  arachnides  privées  d'yeux ,  et  qui  savent 
pourtant  bien  rencontrer  leurs  victimes  quoique 
agiles  et  souvent  même  ailées:  je  parle  des  gamases 
et  des  dermanysses  ;  ces  derniers  surtout  abandon- 
nent fréquemment,  durant  le  jour,  les  petits  oiseaux 
conservés  en  cage  pour  les  assaillir  de  nouveau 
durant  la  nuit.  J'ai  fait  une  expérience  qui  paraît  au 
premier  abord  assez  parlante ,  sur  des  scolopendres 
décapitées  et  même  sur  des  tronçons  d'un  géophile. 
En  approchant  du  flanc,  sans  le  toucher,  une  des 
substances  fortement  odorantes  que  nous  avons  men- 
tionnées ci-dessus ,  l'animal  ou  le  tronçon  se  recour- 
bait pour  s'éloigner,  et  s'infléchissait  ainsi  tantôt  à 
droite,  tantôt  à  gauche,  selon  le  côté  où  nous  lui 


DE  l'odokat.  163 

présentions  l'effluve  spiritueux  ;  il  y  a  donc  là  aussi 
quelque  chose;  mais  parce  que  les  vapeurs  acres 
nous  font  tousser,  ou  nous  excitent,  dans  les  bron- 
ches et  la  trachée,  Une  sensation  désagréable,  s'en- 
suit-il  que  l'olfaction  siège  pour  nous  dans  la  poitrine? 
40  Je  ne  dirai  qu'un  mot  de  l'opinion  de  Trévi- 
ranus,  qui  croit  l'œsophage  siège  du  flaire  chez  les 
insectes  ;  il  y  a  bien  peu  de  probabilités  théoriques 
et  encore  moins  d'observations  en  faveur  de  cette 
opinion  qui  n'a  guère  de  partisans. 


CHAPITRE  V. 

DE  L'ouik. 

Le  mouvement  des  masses  dans  les  corps  qui 
nous  entourent  est  ordinairement  accompagné  d^un 
mouvement  moléculaire  désigné  par  le  mot  de  vibra- 
tion, mouvement  plus  susceptible  encore  que  le 
premier  de  se  transmettre  d'un  corps  à  un  autre  , 
susceptible  surtout  de  se  propager  à  travers  des 
corps  de  nature  fort  diverse  et  d'arriver  ainsi  jusqu'à 
nous,  de  manière  à  nous  donner  connaissance  de  ce 
qui  se  passe  au  loin,  l.e  sens  qui  reçoit  ces  vibra- 
tions, c'est  l'ouïe.  Si  ces  vibrations  sont  irrégulières, 
confuses,  il  en  résulte  du  hruit;  le  son  proprement 
dit  ne  peut  se  rapporter  qu'à  des  vibrations  rhythmi- 
ques,  c'est-à-dire  régulières.  Attribuer  le  son  à  m\ 
fluide  spécial  (Lamarck),  à  une  polarisation  de  l'air 


164  DE  L*OLÏE. 

(Geoffroy-S*-Hilaire)  ,  c'est  oublier  qu*il  peut  se 
produire  et  se  transmettre  sans  l'intervention  de  ce 
fluide,  comme  le  prouvent  les  expériences  faites  sous 
l'eau ,  et  comme  on  en  acquiert  facilement  la  certi- 
tude en  appuyant  sur  un  piano  le  front ,  l'occiput 
ou  les  dents,  et  fermant  exactement  les  oreilles. 

Pour  que  le  son  se  propage  d'un  corps  à  un  autre , 
une  condition  nécessaire  est  la  contiguïté  immédiate 
ou  médiate  ;  un  timbre  placé  sous  le  récipient 
de  la  machine  pneumatique  vibre  sans  transmettre 
le  son  au -dehors  quand  on  a  fait  le  vide;  le  son 
devient  au  contraire  perceptible ,  quoique  le  timbre 
reste  enfermé  sous  la  cloche ,  dès  qu'on  y  a  laissé 
rentrer  l'air.  Au  sujet  des  résultats  de  cette  dernière 
expérience,  nous  ferons  deux  remarques  essentielles  : 
la  première ,  c'est  que  le  son  se  propage  du  corps 
solide  où  il  a  pris  naissance  à  un  corps  gazeux ,  de 
celui-ci  à  un  autre  corps  solide,  la  paroi  de  verre  du 
récipient ,  et  enfin  de  cette  paroi  à  l'air  extérieur 
qui  l'apporte  à  l'oreille.  L'autre  remarque  a  trait  à 
la  propagation  du  son  à  travers  ces  corps  différents 
avec  ses  qualités  fondamentales j  savoir  :  la  force,  le 
Ion  et  le  timbre ,  qualités  qui  peuvent  néanmoins 
trouver,  à  leur  conservation  et  à  leur  transmission, 
des  facilités  ou  des  obstacles  plus  ou  moins  puissants, 
selon  la  nature  des  corps  conducteurs. 

En  ce  qui  concerne  la  première  remarque ,  il  est 
important  d'observer  qu'une  paroi  membraneuse , 
même  quand  elle  n'est  que  peu  tendue,  de  même 
qu'une  paroi  solide ,  une  muraille  par  exemple , 
pourvu  qu'elle  soit  peu  épaisse  et  composée  d'élé- 
ments élastiques,  n'empêchent  pas  l'air  de  mettre 


DE  l'ouïe.  165 

ses  vibrations  à  Timissondes  deux  côtés.  Il  faut  noter 
encore  qu'un  liquide,  l'eau  par  exemple,  peut  égale- 
ment recevoir  les  vibrations  sonores  par  son  contact 
avec  un  corps  solide  ou  avec  Fair  animés  de  ce  mou- 
vement moléculaire ,  qu'elle  peut  aussi  transmettre 
ses  vibrations  à  un  corps  solide  ou  gazeux,  et  qu'enfin 
des  corps  mous  ,  des  chairs  peuvent  être ,  jusqu'à  un 
certain  point ,  soumises  aux  mêmes  lois ,  surtout 
si  une  contraction  spontanée  ou  une  compression 
étrangère  les  rapprochent  de  la  consistance  et  de 
l'élasticité  des  corps  solides  proprement  dits.  Mais 
c'est  toujours  par  ces  derniers  que  la  propagation  se 
fait  avec  plus  de  force  et  de  rapidité ,  comme  le 
prouve  l'expérience  de  la  poutre  qui  transmet ,  d'un 
bout  à  l'autre ,  jusqu'à  l'oreille ,  le  bruit  du  frotte- 
ment d'une  épingle  ,  etc. 

Nous  devons  encore  rappeler  ici  une  des  lois 
principales  de  la  transmission  du  son ,  c'est  qu'il  se 
propage  en  tous  sens ,  en  suivant  des  règles  fort 
semblables  à  celles  de  l'équilibre  des  fluides  :  aussi 
est-ce  surtout  dans  l'air  qu'il  se  transmet  ainsi  selon 
des  directions  très-variées ,  puisqu'on  peut  très-bien 
se  parler  sans  se  voir^  quelque  épaisseur  qu'ait  la 
cloison  de  séparation  si  elle  est  incomplète;  néan- 
moins, l'impulsion  vibratoire  est- certainement  plus 
forte  en  ligne  droite  qu'en  ligne  brisée ,  et  la  pro- 
pagation plus  complète  dans  un  sens  parallèle  aux 
frottements  ou  à  la  percussion  qui  ont  fait  résonner 
le  corps  d'où  part  le  son ,  que  dans  tout  autre  sens  , 
même  dans  les  corps  les  plus  solides.  De  là,  ce  que  , 
dans  l'air  principalement,  on  nomme  en  physique 
rayons  sonores ,  lignes  idéales ,  qui  du  point  choqué 


1 GC)  DE  l'ouïe. 

partent  comme  d'un  centre  commun  pour  se  perdre 
ou  divergeant  dans  l'espace  ,  à  moins  que  quelque 
obstacle  ne  les  arrête.  On  sait  que,  dans  ce  dernier 
cas,  ils  ne  se  bornent  pas  toujours  à  communiquer 
leur  mouvement  oscillatoire  à  l'objet  qu'ils  rencon- 
trent, mais  qu'ils  sont  réfléchis  sous  un  angle  égal  à 
celui  d'incidence ,  et  peuvent  ainsi  revenir  tout  près 
de  leur  point  de  départ,  en  produisant  le  phénomène 
connu  sous  le  nom  d'écho. 

Un  mot  encore  relativement  à  la  deuxième  des 
remarques  que  nous  avons  énoncées  plus  haut, 
savoir  :  que  le  ton  et,  ce  qui  est  plus  étonnant,  le 
timbre  se  propagent ,  en  général ,  à  travers  un  corps 
quelconque.  C'est  un  fait  aujourd'hui  bien  connu 
en  physique  pour  ce  qui  concerne  la  propagation 
du  son  par  l'air  ;  mais  on  a  cru  long-temps  que  les 
vibrations  transmises  par  ce  milieu  ne  se  répétaient , 
dans  un  corps  solide ,  que  quand  celui-ci  était  tendu 
à  l'unisson  ou  de  manière  à  pouvoir  reproduire  des 
tons  harmoniques  du  son  primitif  ;  et  l'on  s'expli- 
quait la  chose  en  voyant ,  dans  ce  dernier  cas ,  une 
corde ,  ainsi  animée ,  se  partager  en  plusieurs  ventres 
par  des  nœuds  spontanés  :  or,  la  raison  dit  que ,  si 
ce  partage  peut  se  faire  en  deux ,  trois ,  cinq  por- 
tions, rien  ne  doit  le  rendre  impossible  pour  des 
nombres  bien  plus  variés  encore ,  et  pour  ainsi  dire 
infinis.  De  même,  en  ce  qui  concerne  les  masses,  il 
est  évident  qu'elles  peuvent  recevoir  tous  les  genres 
d'oscillations  moléculaires,  et  se  sous-diviser  en 
portions  et  portioncules  proportionnelles  aux  tons  à 
reproduire  ;  c'est  aussi  ce  que  l'observation  a  prouvé 
rSavart). 


DE  l'ouïe.  1()7 

Ces  brèves  notions,  dont  la  physique  fournit  bien 
plus  d'exemples  et  de  plus  amples  démonstrations , 
suffisent  pour  notre  objet  actuel  ;  de  plus  longs  dé- 
tails ne  serviraient  qu'à  nous  le  faire  perdre  de  vue. 

AUTiCTiM  II.  -  Verîëferés. 

Passer  en  revue  les  différentes  parties  de  l'appa- 
reil auditif,  et  en  apprécier  le  mode  d'action  pro- 
bable ,  ce  sera  faire  l'histoire  de  la  fonction  entière 
autant  qu'il  est  possible  de  la  tracer,  et  nous  aurons 
ainsi  toute  facilité  pour  discuter  les  problèmes  dont 
elle  se  compose  ,  et  qu'ont  trop  négligés  les  ouvrages 
consacrés  à  la  physiologie  de  l'homme.  Jetons  ce- 
pendant d'abord  un  coup-d'œil  rapide  sur  l'ensemble 
de   l'appareil   auditif  chez  les   animaux  vertébrés 

1°  Constamment  double,  situé  sur  les  parties  laté- 
rales et  inférieures  du  crâne  et  faisant  partie  de  la 
troisième  vertèbre  céphalique  ,  cet  appareil  tire  de 
cette  situation  plusieurs  avantages  en  ce  qui  concerne 
la  réception  des  ondes  sonores.  Communément  il  les 
reçoit  et  les  concentre  au  moyen  d'un  pavillon  plus 
ou  moins  évasé,  et  dont  le  fond  ou  conque  proprement 
dite  offre  l'embouchure  d'un  tube ,  partie  cartilagi- 
neux ,  partie  osseux ,  dit  conduit  auditif:  c'est  là  ce 
qui  constitue  V oreille  externe,  U oreille  motjenne  ou 
caisse  du  tympan  est  une  cavité  séparée  du  conduit  par 
une  membrane  sèche  et  élastique ,  contenant  de  l'air 
qui  lui  vient  de  l'arrière -bouche  le  long  d'un  autre 
canal  nommé  trompe  d^Eustache  j  et  agrandie  par 
des  cellules  dites  mastoïdiennes ,  creusées  dans  l'os 
temporal  et  quelquefois  dans  plusieurs  autres  os  du 


1G8  DK  l'ouïk. 

crâne.  Daas  celte  cavité  est  suspendue  une  chaiue  de 
quatre  osselets  articulés  ensemble,  marteau j,  enclume, 
lenticulaire  et  étrierj  que  meuvent  quatre  muscles, 
l'antérieur ,  l'interne  et  l'externe  du  marteau  et  le 
postérieur  de  l'étrier.  Uoreille  interne  ou  labyrinthe 
est  un  assemblage  de  cavités  sinueuses  ,  savoir  :  le 
vestibule ,  qui  communique  avec  le  tympan  par  la 
fenêtre  ovale  quand  on  a  enlevé  l'étrier  qui  la  bou- 
che; les  canaux  demi  -  circulaires  /  le  limaçon,  qui 
d'ordinaire  communique  aussi  avec  le  tympan  par 
l'intermédiaire  d'une  ouverture  dite  fenêtre  ronde, 
et  fermée  par  une  membrane.  Dans  le  labyrinthe  est 
contenu  un  appareil  membraneux ,  enfermant  une 
lymphe  particulière  et  recevant  les  expansions  du 
nerf  auditif.  Telle  est  sommairement  la  disposition 
de  l'appareil  de  l'ouïe  le  plus  complet ,  de  celui ,  par 
exemple ,  de  la  plupart  des  mammifères.  Passons 
aux  détails. 

2°  Surface  extérieure  de  la  tête.  Ce  qui  étonne  le 
plus  en  physiologie ,    c'est    de    reconnaître  que  la 
vision  existe  chez  des  êtres  dont  la  rétine  semble 
voilée  par  un  enduit  noir  et  opaque ,  et  que  l'audi- 
tion n'est  pas  moins  réelle  chez  des  animaux  privés 
de  toute  communication  apparente  entre  l'air  exté- 
rieur et  les  organes  internes  de  l'ouïe.  Nous  exami- 
nerons plus  loin  le  premier  de  ces  deux  problêmes; 
quant  au  second ,  nous  en  allons  trouver  sur-le-champ 
la  solution,  d'après  l'observation  de  l'homme  même. 
Fermez  exactement  les  conduits  auditifs  externes; 
évitez  seulement  de  comprimer,  par  une  forte  pres- 
sion ,  l'air  contenu  dans  ces  conduits,  et  de  violenter 
ainsi  la  membrane  du  tympan ,  et  il  vous  sera  facile 


DE  l'ouïe.  169 

de  vous  coûvaincre  que  les  sons  peuvent  encore 
arriver  au  nerf  auditif  avec  toutes  leurs  qualités , 
pourvu  qu'ils  aient  une  force  suffisante.  La  parole 
humaine ,  proférée  à  voix  haute ,  est  ainsi  parfaite- 
ment entendue ,  surtout  quand  on  la  dirige  vers 
la  région  latérale  de  la  tète  du  sujet  qui  se  met  en 
expérience.  Donc,  conformément  à  l'une  des  lois 
signalées  plus  haut ,  Fair  transmet  ses  vibrations 
au  crâne ,  même  couvert  de  chairs  et  de  peau ,  et 
celui-ci  les  reporte  à  l'organe  auditif.  Cette  obser- 
vation de  Scarpa ,  confirmée  par  Esser ,  nous  en 
avons  constaté  l'exactitude  ;  nous  avons  remarqué 
qu'on  entend  alors  moins  bien  si  l'on  ferme  la  bouche 
et  les  narines ,  moins  bien  aussi  quand  on  tient  le 
pavillon  de  l'oreille  entre  les  doigts  au  lieu  de  le 
laisser  libre;  mais  la  sensation  n'est  qu'atTaiblie  et 
non  annihilée.  C'est  ainsi  qu'entendait  un  homme 
présenté  par  Larrey  à  l'Académie  des  sciences ,  et 
qui ,  disait-on ,  exerçait  l'audition  par  des  cicatrices 
au  crâne  ,  accidentellement  privé  d'une  partie  de  ses 
parois  osseuses.  C'est  évidemment  de  cette  manière 
qu'entendent  la  baleine ,  le  cachalot,  dont  le  conduit 
auditif  n'est  point  ouvert  à  la  surface  de  la  peau; 
de  même  pour  les  tortues,  les  serpents,  l'ophisaure  , 
l'orvet,  le  caméléon,  chez  lesquels  il  n'y  a  point 
de  conduit  auditif  ni  de  membrane  tympanique 
libre  ;  les  sons  ne  pouvant  être  transmis  ,  en  consé- 
quence ,  au  nerf  acoustique  que  par  l'intermédiaire 
des  parois  crâniennes  et  de  l'osselet  en  forme  de 
trompette ,  fixé  par  son  manche  dans  les  chairs  sous- 
cutanées,  et  par  son  évasement  sur  la  fenêtre  ovale. 
Ce  dernier  mode  de  transmission  ne  saurait  même 


170  i>E  l'olïe. 

avoir  lieu  chez  les  LatracieDS  urodèles,  salamandre, 
protée,  sirène,  amphiume,  cécilie,  et  les  batraciens 
anoures  du  genre  homhmator  j  l'osselet  étant  réduit 
chez  eux  à  une  calotte  cartilagineuse  collée  sur 
l'ouverture  vestihulaire  et  masquée  par  les  chairs  et 
la  peau.  Peut-être,  pour  les  tortues,  le  caméléon, 
l'orvet,  pourrait- on  croire  que  l'air,  véhicule  du 
son,  passe  par  les  narines  et  les  trompes  d'Eustache , 
pour  aller  frapper  l'intérieur  de  la  cavité  tympa- 
nique  et  la  membrane  de  la  fenêtre  ronde  ;  cela  ne 
serait  plus  admissible  chez  les  serpents,  les  batraciens 
urodèles  et  les  sonneurs ,  qui  n'ont  pas  plus  de 
fenêtre  ronde  ,  de  cavité  t)  mpanique ,  de  trompe 
d'Eustache,  que  de  conduit  auditif  externe. 

11  en  est  de  même  des  poissons ,  auxquels  l'eau 
transmet,  il  est  vrai,  des  vibrations  plus  puissantes, 
et  dont  le  crâne  est  généralement  plus  nu  que  chez 
les  mammifères,  les  oiseaux  et  même  les  reptiles. 
Les  poissons  cartilagineux  ont,  de  plus,  une  portion 
de  leur  labyrinthe  bien  rapprochée  de  l'extérieur, 
un  des  angles  du  vestibule  venant  se  placer  immé- 
diatement sous  la  peau.  Chez  les  mammifères  et  les 
oiseaux,  ce  mode  de  réception  des  sons  n'est  ,  au 
contraire ,  qu'accessoire  ;  mais  il  est  favorisé  par  une 
augmentation  d'élasticité ,  de  sonoréité  dans  les  os 
du  crâne  ,  surtout  au  voisinage  de  l'oreille  :  je  veux 
parler  de  l'homogénéité ,  de  la  compacité  du  rocher, 
entièrement  dépourvu  de  moelle ,  et  surtout  du  dé- 
veloppement des  cellules  dites  mastoïdiennes  qui, 
dans  les  oiseaux  de  nuit  en  particulier,  envahissent 
toute  la  périphérie  du  crâne. 

S«   Oreille  externe  et  conduit  auditif.  Ces  parties 


DE   l'ouïe.  171 

extérieures  Je  Fappareil  acoustique  maiiqueut,  non- 
seulement  dans  les  animaux  dont  il  a  été  question 
ci-dessus,  mais  encore  dans  plusieurs  autres  où  la 
membrane  du  tympan  effleure  la  peau,  dont  elle 
prend  plus  ou  moins  l'aspect  et  l'épaisseur  ;  tels 
sont  les  batraciens  anoures ,  et  en  particulier,  les 
crapauds.  Les  lézards,  les  seps  n'ont  qu'une  fossette 
peu  profonde ,  où  l'on  voit  aisément  la  membrane 
du  tympan  mince,  sèche,  noirâtre.  Les  crocodiles 
ont  cette  fosse  recouverte  par  un  opercule  cutané , 
mais  poin  de  conque  ou  cornet  auriculaire.  Les 
oiseaux  ont  un  véritable  conduit ,  mais  cutané , 
court  et  large ,  et  ressemblant  assez  à  la  fossette  des 
lézards  avec  plus  de  profondeur;  il  est  générale- 
ment grillagé  par  de  petites  plumes  qui  n'empêchent 
pas  le  passage  des  sons ,  mais  ne  sauraient  le  favo- 
riser; celles  qui  se  disposent  en  rayons  au  pourtour 
de  l'œil ,  chez  les  oiseaux  de  proie  nocturnes  ,  ne 
peuvent  servir  à  la  concentration  des  rayons  sonores  ; 
et  les  aigrettes  en  forme  d'oreilles ,  qu'on  voit  dans 
plusieurs  genres  ,^6m&o^5co&^^  ne  peuvent  pas  avoir, 
sous  ce  rapport,  des  avantages  plus  réels;  au  con- 
traire même ,  un  large  tragus ,  situé  au-devant  de 
l'oreille  ,  semble  être  ,  chez  l'effraie  ,  destiné  à 
fermer,  au  besoin,  les  abords  d'un  organe  trop 
sensible  (i).  Enfin  les  monotrèmes,  et  parmi  les 
mammifères,  les  cétacés,  les  phoques  (à  part  le 
genre  otarie),  manquent  d'oreille  externe  et  ne  pos- 
sèdent que  le  conduit.  A  ce  conduit  s'adjoint,  chez 
la  taupe ,  un  évasement  cartilagineux ,  rudiment  de 

(1)  Il  en  esl  de  même  de  plusieurs  écliassîers  et  palmipèdes,  selon  Breschct. 
Ici  ,    sans  doute  ,  ce  trsfjus  empêche  l'enlrée  de  l'eau  ilans  l'orcillo. 


1 72  DE  l'ouïe. 

conque  caché  par  les  poils.  Voilà  bien  des  animaux 
qui  pourtant  jouissent  d'une  ouïe  non  douteuse  et 
chez  plusieurs  même  très -délicate  :  la  conclusion 
à  tirer  de  là ,  c'est  que  les  organes  du  dehors  ne 
sont  pas  indispensables  à  l'audition,  et  l'expérience 
a  prouvé  ,  pour  l'homme  même ,  qu'effectivement 
l'ablation  du  pavillon  de  l'oreille  était  médiocre- 
ment nuisible  à  la  perfection  de  ce  sens.  Que 
deviennent,  d'après  cela,  ces  subtils  calculs  où  l'on 
a  cru  trouver  la  démonstration  mathématique  d'une 
utilité  positive  de  chaque  relief  de  ce  pavillon, 
pour  diriger  dans  le  conduit  les  rayons  sonores? 
A-t-on  remarqué ,  chez  les  chiens ,  que  ceux  à 
oreilles  pendantes  ou  écourtées  fussent  plus  sourds 
que  les  autres?  L'àne  entend-il  beaucoup  mieux 
que  le  cheval,  le  lapin  que  le  chat? 

Cependant,  en  réduisant  les  prérogatives  attri- 
buées à  l'oreille  externe ,  nous  ne  prétendons  pas  en 
nier  totalement  l'utilité.  Déjà  plus  haut  nous  avons 
reconnu ,  avec  Savart  et  Esser,  qu'elle  augmente  l'in- 
tensité du  son  en  vibrant  et  propageant  à  l'intérieur 
ses  vibrations  ;  les  petits  muscles  qu'on  découvre  à 
la  surface  de  son  cartilage  ont,  sans  doute,  pour 
objet  d'en  augmenter  la  tension  et  l'élasticité;  mais 
il  n'y  a  guère  que  la  conque  ou  cavité  centrale  du 
pavillon  qui  puisse  ,  chez  l'homme ,  faire  converger 
les  sons  ;  le  tragus  et  l'antitragus  nuiraient  plutôt  à  cet 
effet  qu'ils  ne  lui  seraient  avantageux.  L'antitragus 
même  peut  fermer  presque  complètement  l'orifice 
du  méat  auditif  chez  les  chauves -souris,  chez  les 
chats  lorsqu'ils  couchent  l'oreille  en  arrière  et  de 
côté  ;   il  en  est  de   même   du   galago ,  qui ,    selon 


DE  l'ouïe.  1  7B 

Geoffroy- s*  - Hilaire  ,  fronce  et  efface  ses  amples 
cornets  durant  le  sommeil  ;  la  musaraigne ,  selon 
le  même  savant,  ne  se  sert  que  de  son  antitragus 
pour  fermer  aussi  Feutrée  du  conduit.  Scarpa  avait, 
à  tort  selon  nous ,  accordé  le  même  office  au  tragus 
des  chauves -souris;  s'il  est  incapable  de  réfléchir 
utilement  pour  l'audition  les  rayons  sonores  ,  il 
nous  paraît  du  moins  constituer  une  lame  vibrante 
propre  à  produire  l'effet  de  renforcement  dont  il  a 
été  question  ci-dessus.  Sous  ce  rapport,  il  concourt 
à  augmenter  l'effet  de  ces  vastes  conques  (nyctère , 
oreillard) ,  qui  parfois  se  réunissent  même  sur  le 
vertex  (mégaderme)  et  présentent  aux  vibrations 
aériennes  une  étendue,  une  ténuité  et  une  forme 
concave  des  plus  propres  à  les  recueillir,  les  répéter 
et  les  transmettre  aux  parties  profondes  de  l'appareil 
auditif.  Moins  favorablement  disposé  ,  incapable 
déjouer  le  rôle  de  cornet  acoustique,  le  pavillon 
large  et  pendant  de  l'éléphant,  et  surtout  de  l'espèce 
africaine  ,  n'offre  qu'une  partie  de  ces  avantages  ; 
aussi  ne  pourrait-on  dire  de  lui  rien  de  pareil  à  ce 
qu'on  affirme  de  l'oreillard,  qui,  dans  l'obscurité  , 
se  dirige ,  dit-on  ,  par  l'ouïe  seulement  sur  la  trace 
des  insectes  qui  voltigent  dans  l'air. 

Chez  beaucoup  d'autres  mammifères ,  indépen- 
damment de  la  grandeur,  le  cornet  auriculaire ,  ce 
grand  déploiement  de  l'hélix,  offre  encore  l'avantage 
de  la  mobilité.  Le  conduit  même  est  susceptible  de 
s'allonger  ou  de  se  raccourcir  par  l'emboîtement  de 
ses  pièces  cartilagineuses;  et  quant  au  pavillon, 
généralement  plus  ample  dans  les  espèces  timides , 
il  tourne  à  volonté  sa  large  ouverture  vers  le  point 


174  DE  l'ouïe. 

d'où  l'animal  peut  avoir  à  craindre  ou  à  espérer 
quelque  chose.  Un  cheval  qui  voit  quelque  objet  qui 
l'effraie,  tourne  les  oreilles  en  avant;  frappez -le 
sur  la  croupe,  il  les  tourne  en  arrière.  Mais  la 
direction  du  conduit  ne  varie  pas  à  volonté  ;  elle 
est  fixe,  quoique  différente  d'un  animal  à  un  autre. 
A  peu  près  transversal  et  horizontal  chez  l'homme , 
le  chien ,  il  a  son  orifice  externe  un  peu  tourné  en 
avant  dans  le  chat;  beaucoup  dans  le  putois,  la 
belette  ;  en  arrière  et  en  haut  dans  le  lapin  et  les 
rongeurs  en  général  ;  en  bas  et  en  dehors ,  un  peu 
en  avant  même  chez  les  ruminants.  Ces  variations 
sont,  jusqu'à  un  certain  point,  en  rapport  avec  les 
besoins  de  l'espèce  ;  les  carnassiers  vermiformes 
poursuivent  souvent  leur  proie  dans  un  terrier,  et 
cette  proie  fuit  devant  eux;  l'un  a  intérêt  à  entendre 
en  avant,  l'autre  en  arrière.  Le  lapin,  tapi  contre 
terre ,  dresse  l'oreille  vers  le  haut  ;  le  ruminant , 
élevé  sur  de  longues  jambes,  n'a  à  reconnaître  que 
des  ennemis  situés  plus  bas  que  sa  tête  relevée 
encore  par  un  long  cou ,  et  s'il  veut  se  défendre , 
c'est  en  avant ,  c'est  sur  le  front  qu'il  porte  les  seules 
armes  puissantes  que  la  nature  lui  ait  données. 

Pour  terminer  ce  qui  a  rapport  à  l'oreille  ex- 
terne ,  disons  que  quelques-uns  de  ses  mouvements 
sont  sans  rapports  réels  avec  l'audition  ;  ainsi  l'ha- 
bitude de  coucher  les  oreilles ,  qu'on  remarque  sur 
le  chat  menacé  d'un  coup ,  n'est  qu'un  phénomène 
d'expression;  elle  tient  au  même  instinct  qui  lui 
fait  fermer  les  yeux,  serrer  la  queue,  retirer  les 
pattes,  etc.  Quant  à  l'abaissement  qui  tient  à  la  mol- 
lesse des  conques  auriculaires ,  à  leur  forme  pendante 


BE  l'oîjïe.  1  7  5 

chez  les  chiens  ,  elle  pourrait  être  rangée  dans  le 
même  ordre  de  phénomènes  ,  si  on  Fadmettaii  avec 
BufFon  comme  signe  de  domesticité.  Cette  signifi- 
cation peut  être  admise  pour  le  chien ,  puisque 
l'oreille  se  redresse  chez  ceux  qui  dans  les  déserts 
de  l'Amérique  ont  repris  la  vie  sauvage  ;  mais  il 
faut  convenir  qu'elle  est  du  moins  hien  restreinte  , 
car  l'oreille  n'est  que  médiocrement  abaissée  dans 
le  cochon  et  les  ruminants  ,  si  l'on  en  excepte 
quelques  races  de  chèvre  ;  l'âne  ne  nous  en  offre 
qu'un  premier  degré  ;  le  cheval  ne  présente  rien  de 
semblable. 

4^*  Tympati  et  osselets.  On  se  rappelle  que  la 
membrane  du  tympan  n'existe  pas  chez  les  serpents , 
les  tortues  ,  certains  batraciens  qui  pourtant  ne  sont 
point  sourds;  il  est,  par  cela  même,  évident  que 
cette  membrane  n'est  pas  nécessaire  à  l'ouïe  ;  mais 
il  n'en  reste  pas  moins  probable  qu'elle  concourt  pour 
beaucoup  à  la  perfection  de  ce  sens.  Selon  Esser,  elle 
ne  servirait  qu'à  tempérer  la  force  des  impressions 
acoustiques  ;  les  chiens  sur  lesquels  il  en  avait  opéré 
la  perforation  témoignant  d'une  excessive  sensibilité, 
donnant  des  signes  de  vive  douleur  quand  on  pro- 
duisait près  d'eux  des  sons  aigus  :  mais  on  sait  que  le 
simple  contact  d'un  corps  dur  sur  la  membrane  du 
tympan  est  fort  douloureux  ;  que  ne  doit -on  pas 
attendre  d'une  déchirure  récente?  C'est  la  membrane 
blessée,  et  non  les  parties  profondes  de  l'oreille  qui 
étaient  devenues  plus  sensibles.  Flourens ,  au  con- 
traire, détruit  totalement  cette  membrane  sur  des 
pigeons  sans  observer  cette  exquise  sensibilité ,  parce 
qu'il  n'en  laisse  que  des  lambeaux  désunis ,   sans 


17G  DE  l'olïe. 

tension,  sans  vibrations  possibles.  L'ouïe  ne  lui  en  a 
pas  paru  affaiblie  non  plus  ;  mais  comment  s'en  bien 
assurer  sur  ces  animaux  ?  On  en  juge  mieux  chez 
les  hommes  qui  ont  eu  accidentellement  cette  mem- 
brane perforée  ou  détruite  ;  tous  ont  au  moins  l'ouïe 
très-affaiblie  sinon  perdue  ,  et  nous  en  avons  observé 
plusieurs  exemples ,  qui  ne  sauraient  être  infirmés 
par    quelques   cas  contraires.  Dans  celui  qu'a  cité 
A.  Cooper ,  on  peut  assurément  soupçonner  un  peu 
d'exagération  ou  d'illusion  de  la  part  de  l'individu 
même.  Nous  aussi,  nous  avons  connu  une  personne 
très-sourde ,  qui  s'occupait  volontiers  de  musique , 
quoiqu'elle    ne   perçût  assurément  que  la  moindre 
partie    des   sons    de    l'instrument    sur  lequel   elle 
aimait  à  s'exercer.  Recevant  les  ondulations  de  l'air 
extérieur ,  la  membrane  du  tympan  les  répète  avec 
bien  plus  de  facilité  et  de  délicatesse  que  les  parois 
osseuses  et   charnues  du  crâne.  Elle  les  répète  et 
les  communique,  d'une  part,  à  l'air  contenu  dans  le 
tympan,  pour  être  transmises,  avec  tous  leurs  modes  j 
à  la  membrane  de  la  fenêtre  ronde  qui  nous  occu- 
pera plus  loin ,  et  d'autre  part ,  aux  osselets  de  l'ouïe, 
pour  être  transmises  au  vestibule  par  la  fenêtre  ovale 
que   ferme  l'étrier  :   et ,    d'après  ce  qui  a  été  dit 
plus   haut,   il   n'est  pas  besoin  pour  cela  de  tant 
de    raisons    que    les    physiciens  ou  les   physiolo- 
gistes en  ont  cherché;  car  si  une  verge  métallique  , 
un  fil  même ,  tenus  entre  les  dents ,  peuvent  trans- 
mettre aux  organes  de  l'ouïe  toutes  les  modulations 
d'un  morceau  de  musique  exécuté  sur  un  seul  ins- 
trument (  piano  )  auquel  ils  sont  fixés  par  un  bout  ; 
si  l'air  qui  nous  environne  répète  et  nous  apporte 


DE    l/oiÏE.  n7 

ainsi  les  milliers  de  sons  différents  qui  se  mêlent  dans 
l'exécution  d'un  orchestre,  pourquoi  n'en  serait-il  pas 
de  même  d'une  membrane  ?  Le  fait  est  admirable  ! 
soit  ;  mais  tout  autant  en  ce  qui  concerne  les  corps 
bruts  que  les  corps  vivants.  Pour  ces  derniers  même , 
le  problême  offre  quelques  adjuvants  à  son  interpré- 
tation :  ainsi ,  la  membrane  du  tympan  renferme , 
selon  Home ,  des  iibres  musculaires ,  qu'il  a  vues  du 
moias  dans  celle  de  la  baleine  ;  on  dit  qu'il  en  est  de 
même  de  l'éléphant  :  ce  qu'il  y  a  de  plus  certain , 
c'est  que ,  chez  tous  les  animaux  qui  en  ont  une , 
à  l'exception  de  ]a  baleine ,  elle  est  soutenue  par 
l'osselet  nommé  marteau  ou  par  quelque  autre  de  la 
chaîne ,  et  peut  se  tendre  ou  se  relâcher  selon  les 
mouvements  que  cet  osselet  exécute. 

Pour  l'homme  ,  lorsque  le  muscle  interne  du 
marteau  se  contracte ,  il  enfonce ,  vers  la  cavité  du 
tympan,  le  centre  naturellement  déprimé  de  cette 
membrane  et  en  augmente  la  tension,  comme  on  peut 
s'en  assurer  sur  le  cadavre.  Il  y  a  relâchement,  au 
contraire ,  si  c'est  le  muscle  externe  qui  agit ,  muscle 
fort  petit,  mais  que  nous  avons  trouvé  conforme 
aux  figures  doimées  par  LSœmmering.  Si ,  enfin , 
il  y  a  contraction  du  muscle  antérieur ,  le  marteau 
entraîne  en  avant  la  membrane  dont  la  partie  anté- 
rieure se  relâche  ,  tandis  que  la  postérieure  se  tend; 
de  manière  qu'elle  offre,  dans  son  étendue,  toute 
restreinte  qu'elle  est,  des  portions  à  divers  degrés 
d'élasticité ,  et  qui  peuvent  plus  aisément ,  en  consé- 
quence, se  mettre  en  harmonie  avec  des  tons  variés , 
simultanément  portés  à  Toreille  ;  effectivement ,  bien 
que  tous  les  tons  puissent  être  répétés  par  un  corps 

12 


1/8  DE  L^OUÏE. 

élastique ,  il  est  manifeste  que  ceux-là  seront  plus 
énergiquement  reproduits  qui  se  trouveront  en  har- 
monie avec  son  degré  de  tension ,  d'élasticité. 

Chez  les  oiseaux,  dont  la  membrane  tympanique 
est  saillante  en  dehors  (i),  la  pyramide  à  quatre 
ou  cinq  pans  et  très -déprimée  qu'elle  représente, 
n'est  mue  que  par  un  seul  muscle  (fig.  36  ,  d)  :  l'os 
carré  ne  l'entraîne  pas  dans  ses  mouvements ,  car 
elle  ne  s'y  attache  pas ,  et  le  touche  seulement  par 
un  bord  épaissi  et  ligamenteux.  Son  seul  moteur  est 
le  muscle  postérieur  de  Scarpa  :  attaché ,  près  du 
bord  postérieur  de  la  membrane ,  au  cartilage  qui  la 
soutient,  il  la  tend  nécessairement  d'une  manière 
fort  inégale  ;  on  peut ,  en  le  tiraillant ,  s'assurer  qu'il 
y  fait  naître  des  rides ,  et  qu'il  n'agit  directement 
que  sur  la  bande  du  milieu. 

Résulte-t-il  quelque  avantage  du  même  genre  de 
la  disposition  généralement  infondibuliforme  de  la 
membrane  tympanique,  et  de  la  grande  obliquité  du 
plan  représenté  par  son  cadre  relativement  au  conduit 
auditif,  dont  elle  semble  chez  l'homme  (fig,  32,  f), 
les  mammifères  et  la  plupart  des  oiseaux,  continuer 
la  paroi  supérieure  plutôt  que  couper  la  direction  ? 
C'est  ce  dont  on  ne  saurait  guère  douter  ;  car ,  outre 
que  cette  double  circonstance  permet,  dans  le  même 
espace ,  une  étendue  de  surface  plus  considérable  , 
selon  la  remarque  de  Cuvier ,  l'influence  de  cette 
obliquité  ressort  encore  des  expériences  de  Savart, 
qui  a  vu  l'ordre  des  vibrations  changer  suivant  qu'on 
exposait,  perpendiculairement  ou  parallèlement  au 

(1)  C'est,   dit-on,  la  mémo  chose  chez  la  baleine ,  et  l'inversïï  duns  tous  les 
autres  mammifères. 


DE  l'guïe.  1  79 

corps  résonnant ,  la  surface  d'une  membrane.  Il 
est  à  noter  que,  véritablement,  l'obliquité  est  sur- 
tout très -grande  ,  ainsi  que  le  fait  aussi  observer 
l'auteur  des  Leçons  d'anatomie  comparée  ,  cbez  des 
animaux  dont,  pour  la  plupart ,  Fouïe  est  très-Gne  , 
la  taupe ,  le  hérisson ,  le  lièvre ,  le  mouton  parmi  les 
mammifères ,  la  chouette  parmi  les  oiseaux.  Chez 
la  taupe,  la  grande  obliquité  du  plan  compense 
l'aplatissement  de  la  surface  qui  est  très-peu  enfoncée 
dans  la  caisse. 

Quant  à  la  forme  de  cette  membrane  eu  égard  à 
la  circonférence ,  elle  varie  du  cercle  à  l'ellipse  :  la 
figure  presque  circulaire  paraît  appartenir  à  ceux 
dont  l'ouïe  est  plus  délicate  ,  la  taupe  ,  les  rongeurs , 
l'homme  ;  car,  pour  la  taupe  ,  c'est  bien  à  tort  que 
Esser  prétend  qu'elle  a  l'ouïe  obtuse ,  surtout  hors 
de  terre. 

La  grandeur  absolue  ou  relative  nous  offrira  des 
conditions  plus  importantes  et  plus  faciles  à  déduire  : 
Savart  remarque  judicieusement  que,  chez  les  grands 
animaux ,  la  perception  des  tons  graves  doit  être 
plus  facile  ,  plus  naturelle  ;  aussi,  ajouterons-nous, 
ces  animaux  ont-ils  également  la  voix  plus  basse  et 
plus  sourde  (éléphant ,  bœuf  ) ,  par  cela  même  que  le 
larynx  est  plus  grand ,  tandis  que  les  petits  quadru- 
pèdes ont  la  voix  aigûe  pour  une  raison  contraire. 
C'est  aussi  aux  sons  aigus  que  les  souris  se  montrent 
surtout  sensibles  ;  le  petit  bruit  qu'on  produit ,  par 
une  sorte  de  succion ,  en  fronçant  les  lèvres ,  les 
fait  tressaillir  vivement  :  leur  ouïe  est  donc  en 
harmonie  avec  leur  voix.  Sans  doute ,  il  faut  aussi 
tenir  compte  de  la  tension  que  les  animaux,  petits 


]  80  DE  l'ouïe. 

ou  grands ,  peuvent  donner  à  leur  membrane  ;  celle 
du  veau  est,  selon  Savart,  deux  fois  aussi  grande 
que  celle  de  l'homme  ;  elle  s'harmonisera  aux 
mêmes  tons  en  se  tendant  au  double;  mais  il  faut 
remarquer  que  cette  aptitude  à  des  changements 
de  tension  est  assez  limitée ,  que  d'ailleurs  elle  ne 
peut  être  mise  enjeu  que  secondairement,  et  qu'elle 
devient  nulle  pour  les  sons  qui  surprennent  l'animal 
avant  que  son  attention  soit  éveillée  ;  il  y  a  donc  une 
autre  condition  qui  rend  les  tympans  les  plus  larges 
capables  de  recevoir  des  tons  du  moins  assez  aigus 
encore  ;  nous  la  trouvons  dans  la  présence  même 
du  marteau  ou  de  tout  autre  osselet  dans  l'épaisseur 
de  la  membrane  :  il  est  clair,  en  effet ,  que ,  tout 
près  de  cette  adhérence ,  il  y  a  moins  d'aptitude  à 
d'amples  oscillations, plus  d'harmonie  avec  les  tons 
aigus;  cette  qualité  manque,  par  conséquent,  au 
tympan  de  la  baleine  et  des  cétacés  ,  dont  la  mem- 
brane n'a  pas ,  avec  l'osselet  en  question ,  les  rap- 
ports ordinaires.  Quant  aux  tympans  de  petite 
dimension,  ils  doivent,  au  contraire,  êtrepeuharmo- 
niques  aux  sons  graves ,  quel  que  soit  le  degré  de 
relâchement  dont  on  les  suppose  capables;  il  est 
même  évident  que  ,  à  un  certain  degré  de  petitesse  , 
les  tons  les  plus  aigus  que  nous  connaissions  ne 
sauraient  plus  être  appréciés  distinctement  ;  voilà 
pourquoi  on  ne  trouve  point  les  organes  auditifs 
réduits  à  l'extrême;  pourquoi  ils  sont  toujours  pro- 
portionnellement bien  plus  grands  chez  les  petits 
animaux  :  le  tympan  de  la  poule  est  moitié  aussi 
grand  que  celui  de  l'homme.  Il  ne  faut  donc  pas 
exagérer  la  vérité  de  cette  assertion,  que  plus  l'en- 


DE  L^OLÏE.  1  8  l 

semble  de  l'appareil  auditif  est  développé,  proportion 
gardée  au  reste  du  corps  ,  plus  l'ouïe  est  parfaite  ; 
il  faut  encore  faire  entrer  en  ligne  de  compte  les 
particularités  du  volume  absolu  et  celles  de  la  forme , 
de  la  disposition  des  organes  de  recueillement,  de 
renforcement  et  de  sensation  ;  presque  toutes  ces 
conditions  ,  par  exemple ,  se  trouvent  réunies  cliez 
les  chauves-souris. 

Nous  avons  indiqué  déjà  l'un  des  usages  de  l'os- 
selet adhérent  à  la  membrane  ;  il  en  est  un  autre 
qui  lui  appartient  en  propre  et  qui ,  soupçonné  anté- 
cédemment ,  a  été  réduit  en  théorie  régulière  par 
Savart.  Une  règle  solide  attachée  à  une  membrane 
en  partage  les  vibrations,  et  par  conséquent  les 
transmet  aux  autres  parties  solides  qui  lui  font 
suite  :  tel  est  le  rôle  essentiel  des  quatre  osselets  de 
l'ouïe ,  d'autant  plus  aptes  à  produire  cet  effet  qu'ils 
sont  généralement  compactes  ;  ils  sont  même  creux 
et  comme  soufflés  chez  la  taupe.  On  les  connaît 
sous  les  noms  de  marteau,  d'enclume  ,  de  lenticulaire 
et  d'étrier  (  fig,  32 ,  g  );  le  premier  formant  l'extré- 
mité externe,  etle dernier  l'extrémité  interne  d'une 
chaîne  comme  suspendue  dans  la  cavité  tyrapanique, 
chez  les  mammifères,  par  la  grosse  branche  de  l'en- 
clume qui  adhère  à  sa  voûte.  Nous  connaissons  déjà 
les  connexions  de  l'extrémité  externe  de  cette  chaîne  ; 
l'interne,  formée  par  la  base  de  l'étrier,  bouche  la 
fenêtre  ovale  du  vestibule  auquel  elle  transmet  ainsi 
les  vibrations  de  la  membrane  du  tympan.  Indépen- 
damment de  son  élasticité ,  cette  chaîne  peut  être 
aussi  tendue  ou  du  moins  tiraillée  par  ses  muscles. 
Le  muscle  interne  du  marteau  pourrait  être  supposé 


182  DE  L^OliÏE. 

capable  d'agir  sur  la  fenêtre  ovale  en  y  enfonçant 
l'étrier,  si  l'articulation  de  l'enclume  avec  ce  dernier 
osselet  n'était  très-mobile ,  surtout  quand  le  lenticu- 
laire n'est  point  soudé  encore  :  cet  enfoncement  de 
l'étrier,  favorisé  par  l'action  du  muscle  propre  à  cet 
os,  ne  saurait,  au  reste,  êlre  considérable;  et  tel 
qu'il  a  lieu ,  il  ne  peut  que  donner  un  peu  plus  de 
tension  aux  parties  qui  constituent  le  labyrinthe.  On 
Fa  même  révoqué  en  doute  :  un  jeune  médecin  de 
Montpellier,  Teule ,  dans  un  travail  estimable  sur 
l'oreille ,  émet  l'opinion  que  le  muscle  de  l'étrier  sert 
à  relâcher  la  fenêtre  ovale.  Il  est  bien  certain  que  ce 
muscle  ne  peut  que  faire  basculer  l'osselet ,  en  tirant 
sa  tête  en  arrière ,  et  ce  mouvement  de  bascule  est 
en  rapport  avec  la  conformation  de  sa  base ,  dont  le 
contour  est  mince  à  ses  bords  supérieur  et  inférieur, 
épais  au  contraire  à  l'extrémité  antérieure  et  à  la 
postérieure  ;  mais  ce  mouvement  fait -il  saillir  en 
dehors  l'extrémité  antérieure  ,  ou  enfonce -t- il  la 
postérieure  en  dedans  ?  Cette  dernière  opinion  est 
rendue  probable  par  cette  remarque ,  que  l'étrier 
est  plus  facile  à  enfoncer  dans  le  vestibule  qu'à 
extraire  du  coté  du  tympan  ;  que  le  bord  de  son  disque 
oiTre  souvent  un  biseau  et  parfois  même  une  petite 
languette  qui  peuvent  bien  empêcher  les  mouvements 
d'abduction  mais  non  ceux  d'adduction. 

Au  reste  ,  les  muscles  tenseurs ,  c'est~à  dire  celui 
de  Féiiier  et  Finterne  du  marteau ,  sont ,  à  ce  qu'il 
paraît,  les  seuls  qui  subsistent  dès  qu'on  s'éloigne 
de  la  forme  humaine ,  et  il  en  est  ainsi  déjà  chez 
les  singes,  selon  Magendie.  D'après  cet  habile  ob- 
servateur, les  autres  mammifères  même  n'auraient 


DE  l'ouïe.  1  83 

plus ,  au  lieu  de  muscles ,  que  des  corps  élastiques 
d'un  blanc  nacré;  cependant  il  leur  reconnaît  des 
tendons  ,  dans  lesquels  se  trouve  même  quelquefois 
une  petite  concrétion  sésamoïde  (bœuf,  cheval)  , 
et  les  considère  comme  équivalent  à  des  muscles 
en  contraction  permanente.  Nous  avons  étudié  ces 
corps  chez  un  certain  nombre  de  mammifères  ,  et 
nous  avons  ,  en  effet  ,  reconnu  qu'il  nj  a  point  en 
eux  de  fibre  musculaire  proprement  dite  ;  tandis  que 
celui  de  la  poule  ne  diffère  pas  de  tout  autre  muscle. 
Mais  s'il  n'y  a  pas  dans  ceux-là  comme  dans  celui-ci  de 
vraies  fibres ^  il  y  a  du  moins  des  filaments  parallèles 
et  selon  nous  contractiles;  ce  sont  des  faisceaux  de 
fibrilles  telles  que  nous  en  retrouverons  dans  l'iris 
et  le  cristallin  ;  ils  ont  donc  identité  suffisante  avec 
des  muscles  pour  être  supposés  soumis  à  l'action  de 
la  volonté  ;  et  c'est  sans  doute  dans  Vattention  qu'ils 
s'emploient,  comme  le  font ,  chez  les  quadrupèdes, 
ceux  de  la  conque  auditive  (^arrkjere  auresj.  Mais 
par  leur  contraction  augmentent-ils  la  susceptibilité 
de  l'organe,  ainsi  qu'on  l'a  assez  généralement  pensé 
de  nos  jours?  Savart  croit  le  contraire  en  ce  qui 
concerne  les  muscles  tenseurs  et  de  la  membrane 
tympanique  et  de  la  fenêtre  ovale  ;  il  se  fonde  sur 
des  expériences  faites  sur  l'animal  mort  ou  sur 
des  machines.  En  voici  une ,  à  l'appui  de  son  opi- 
nion, bien  facile  à  répéter  sur  l'homme  vivant  : 
appuyez  le  pulpe  du  doigt  sur  l'orifice  du  conduit 
auditif,  de  manière  à  fouler  Fair  et  à  presser  forte- 
ment en  dedans  la  membrane  du  tympan  et  sans 
doute ,  consécutivement  ,  la  chaîne  des  osselets 
et  le  vestibule  ;  vous  affaiblirez  la  perception  des 


1 84  DE  l'ouïe. 

sons  propagés  même  par  les  parois  de  la  tête  ou 
par  les  dents  ;  vous  cesserez  d'entendre  le  balancier 
d'une  montre  serrée  entre  les  mâchoires,  etc.  etc. 
Mais  rien  ne  prouve  qu'à  un  degré  modéré  cette 
tension  ne  soit  utile  ;  surtout  quand  des  sons  multi- 
pliés frappent  simultanément  l'oreille  ,  et  que  les 
plus  forts  étoufferaient,  sans  cela,  les  plus  faibles. 

Les  oiseaux ,  outre  le  muscle  dont  il  a  été  parlé  , 
en  ont  un  autre  petit  qui  même  n'est  peut-être  qu'un 
ligament  (  Scarpa  et  de  Blainville  )  attaché  à  l'étrier  ; 
et  il  y  a,  de  même,  dans  les  reptiles,  ou  un  mus- 
cle ou  plutôt  un  ligament  (  Windischmann  )  propre 
à  maintenir  un  certain  degré  de  tension  dans  la 
chaîne;  l'attention  serait  donc  ,  chez  eux,  perma- 
nente en  tant  que  siégeant  dans  le  sens  ;  car  il  faut 
se  rappeler  qu'elle  siège  aussi ,  en  grande  partie  , 
dans  l'encéphale. 

Bien    que    les    considérations   anatomiques    ne 
soient  que    secondaires  dans  un  ouvrage    comme 
celui-ci ,    nous   ne  saurions    passer  sous  silence  la 
détermination  des  osselets  de  l'ouïe  ou  de  ceux  qui 
leur  correspondent,  dans  les  deux  classes  que  nous 
venons  de  mentionner  et  dans  celle  des  poissons  ; 
nous  verrons  qu'on  peut  croire  les  usages   de  plu- 
sieurs ,  ou  même  de  tous ,    totalement  changés  ,  et 
c'est  certainement  là  une  vue  toute  physiologique. 
Et  d'abord ,   dans  les  oiseaux ,  les  reptiles  ,  on  voit 
évidemment  changer  l'os  tympanique  ou  de  la  caisse  ; 
immobile  et  le  plus  souvent  ampulliforme  chez  les 
mammifères,   oii  il  forme  à  lui  seul  le  cadre  du 
tympan  ,  cet  os ,  chez  les  ovipares  mentionnés ,  n'en 
constitue  plus  que   la  partie  antérieure  ,    devient 


DE  l'ouïe.  185 

mobile ,  fait ,  pour  ainsi  dire ,  partie  de  la  mâchoire 
inférieure  et  sert  à  ses  mouvements.  Chez  les  ser- 
pents même  ,  il  est  tout-à-fait  étranger  à  Toreille  ; 
comme  Test,  chez  les  poissons,  celui  ou  ceux  qui 
en  tiennent  la  place.  On  l'a  nommé  os  carré  chez 
les  oiseaux. 

Quant  aux  osselets,  chez  les  mêmes  animaux 
(  oiseaux  et  reptiles,  voy.  ^^.36,  40,  41  ),  celui 
qui  ferme  la  fenêtre  ovale  par  sa  partie  élargie,  soit 
que  la  platine  y  suffise,  soit  qu'elle  s'accompagne 
d'un  petit  opercule  accessoire  (  ad-stapéal  )  ,  est 
évidemment  l'étrier  ;  un  cartilage  coudé,  hranchu, 
qui  vient  ensuite  ,  précédé  quelquefois  (  sauriens  ) 
d'un  petit  lenticulaire  aussi  cartilagineux,  ne  peut 
être  que  l'enclume  ;  mais  il  est  en  connexion  avec 
la  membrane  du  tympan  ;  que  serait  donc  devenu  le 
marteau  ?  Cet  osselet  n'est  plus  dans  la  cavité  du 
tympanique  (i),  dont  il  a  imité  en  quelque  sorte  la 
désertion.  Déjà ,  dans  les  cétacés ,  le  marteau  ne 
touche  plus  la  membrane  ;  il  est  posé  sur  le  bord 
du  tympan  ;  il  en  est  presque  tout  sorti  dans  les 
tatous  (  de  Blainville  ),  chez  l'oryctérope  (Cuvier). 
Dans  les  oiseaux,  il  sert  à  joindre  l'os  tympanique 
au  sus-maxillaire  ,  constituant  une  sorte  de  zygoma 
inférieur  au  zygoma  véritable ,  ce  qui  l'a  fait  prendre 
pour  un  jugal.  11  en  est  exactement  de  même  chez 
les  batraciens  où  il  n'a ,  comme  chez  les  oiseaux , 
que  de  petites  dimensions  qui  lui  conservent  de  la 
ressemblance  avec  ce  qu'il  était  chez  les  mammifères. 
Mais,  chez  le  crocodile,  les  lézards,  les  tortues,  il 

(1)  Breschet  adopte  une  tout  autre  division  pour  retrouver  les  quatre  osselets 
dans  la  chaîne  des  oiseaux  ;  elle  m'a  paru  tout  arbitraire ,  malgré  la  sagacité  et 
l'exaclilude  bien  connues  de  ce  savant  analomisle. 


186  DE  l'olïe. 

15'est élargi,  s'est  emboîté  parmi  les  os  du  crâne ,  et  a 
^té  déterminé  sous  le  nom  de  temporal  écailleux  par 
Cuvier  et  autres.  Je  renvoie  pour  les  preuves  et  les 
détails  aux  ouvrages  spéciaux  (i),  et  je  me  borne 
à  ajouter  que  ces  déterminations  rigoureuses  d'un 
osselet  sorti  du  tympan,  parvenu  à  d'autres  destina- 
tions ,  à  d'autres  formes,  donnent  un  haut  degré  de 
vraisemblance  à  l'hypothèse,  si  téméraire  au  premier 
abord,  de  GeoiTroy-S^-Hilaire  qui  a  cru  devoir 
chercher ,  dans  les  quatre  osselets  des  mammifères , 
l'analogue  des  quatre  pièces  principales  de  l'opercule 
respiratoire  des  poissons,  situé,  comme  on  sait, 
derrière  l'articulation  de  la  mâchoire  inférieure  avec 
le  crâne. 

5®  p^estihule  et  canaux  demi-circulaires  (fig .  32,  h,  ij. 
De  toutes  les  parties  dont  se  compose  l'appareil 
auditif  chez  les  vertébrés,  celles-ci  sont  les  plus 
générales ,  les  plus  constantes ,  et  il  est  à  remarquer 
même  qu'on  les  trouve  à  un  degré  de  développement 
d'autant  plus  remarquable,  soit  proportionnellement, 
soit  même  absolument  parlant ,  que  le  reste  est  plus 
imparfait  ;  c'est  eifectivement  chez  les  poissons  que 
les  canaux  demi -circulaires  et  les  sacs  du  vestibule 
acquièrent  les  proportions  les  plus  considérables, 
et  que  ces  derniers  renferment  des  concrétions  de 
carbonate  de  chaux  souvent  très- volumineuses  et 
très-dures  (^fig.  43,  A4j. 

Les  travaux  de  Scarpa,  Breschet  et  autres  ont 
bien  fait  connaître  la  grande  ressemblance ,  la  pres- 
que identité  qui  existe ,  sur  ce  point  d'organisation , 

(d)  Voyez  en  particulier  les  reclierches  sur  l'ostéoloffie  et  la  myolojie  des 
l)alraciens  à  Isiirs  dificrenls  ;'ige.;,  pa<j-  20,  29  et  siiiv. ,  197  et  suiv. 


DE  l'ouïe.  187 

dans  toute  la  série  des  vertébrés  ;  si  partout  il  n^y 
a  pas  une  enveloppe  osseuse,  moulée  sur  les  parties 
membraneuses ,  ces  dernières  sont  soutenues  par 
leur  consistance  sub  -  cartilagineuse  ,  quelquefois 
même  par  une  croûte  saline,  mince  et  cristallisée  (  i  j , 
et  conservent  leurs  directions  réciproques.  C'est  à 
Ereschet  qu'on  doit  surtout  les  investigations  les  plus 
récentes  et  les  plus  délicates  à  ce  sujet;  il  a  con- 
firmé ,  rectifié ,  accru  ce  que  ses  devanciers  avaient 
fait;  il  a  prouvé  la  plénitude  des  cavités  labyrinthi- 
ques  due  à  une  humeur  séreuse  (périlymplie  ou 
lymphe  de  Cotugno)  qui  baigne  extérieurement  le 
labyrinthe  membraneux;  il  a  fait  ressortir,  avec  de 
Elainville ,  l'analogie  de  cette  humeur  et  de  l'humeur 
aqueuse  de  l'œil,  de  même  que  l'analogie  qui  existe 
entre  la  matière  vitrée  contenue  dans  les  canaux 
et  le  vestibule  membraneux  (vitrine  auditive),  et 
celle  du  corps  hyaloïde  ;  il  a  mieux  précisé  ce  qui 
a  rapport  aux  trois  ampoules  ou  renflements  de  ces 
canaux ,  et  à  plusieurs  sacs  distincts  (2)  dans  le  vesti- 
bule (^fig.  o3yV,  tous  recevant  des  nerfs  particuliers 
fournis  par  l'auditif  ;  il  a  fait  remarquer  surtout 
que  l'épanouissement  de  ces  nerfs  dans  les  sacs  du 
vestibule  répond,  même  chez  les  mammifères,  à 
une  concrétion  tantôt  amylacée,  tantôt  pierreuse, 
connue  seulement  jusqu'alors  chez  les  poissons  et 
les  reptiles.  Ces  concrétions,  comparées  déjà  par 
de  Elainville  au  cristallin  de  l'œil ,  doivent ,  selon 

(1)  Chez  les  oiseaux ,  d'après  Huschke  et  Carus. 

(2)  D'après  la  baudroie,  il  établir  l'existence:  i'^  d'un  sinus  médian  recevant 
les  emboucliures  des  canaux  demi-circulaires;  2°  d'une  utricule  attachée  à  l'ex- 
trémité antérieure  de  ce  sinus;  3°  d'un  sac  veslibulaire  suivi  d'un  cyslicula 
et  placé  au-dessous  du  mémo  sinus.  L'utricule,  le  sac  elle  cysiiculc  reiifermeiit 
di)s  concrétions;  celle  du  sac  est  la  plus  considérable  (pg.  lihj. 


188  DE  l'ouïe. 

Breschet ,  remplir  le  rôle  à^étouffoir  pour  arrêter 
les  vibrations  sonores  ;  nous  pencherions  plutôt  vers 
l'opinion  de  Cagniard-Latour,  qui  les  regarde  comme 
propres  à  rendre  ces  vibrations  plus  efficaces  dans 
leur  action  sur  les  pinceaux  nerveux.  Les  oscillations 
moléculaires  des  organes  auditifs  sont  trop  resser- 
rées, trop  brèves  pour  avoir  besoin  d'être  étouffées 
comme  celles  des  longues  cordes  d'une  harpe  ou  d'un 
forte-piano. 

Considérée  en  masse ,  la  portion  du  labyrinthe , 
dont  il  est  ici  question,  offre  donc  une  disposition 
très-avantageuse  pour  recevoir  les  oscillations  qui 
lui  sont  transmises  :  1°  parles  parois  solides  du  crâne  ; 
2®  par  la  chaîne  des  osselets  de  l'ouïe,  avec  l'ex- 
trémité desquels  la  périlymphe  est  en  contact  à  la 
fenêtre  ovale;  3°  par  le  limaçon  dont  nous  parlerons 
plus  loin.  Mais  ne  peut-on  pas,  conjecturalement, 
tirer  quelques  conséquences  de  plus ,  d'une  confor- 
mation si  complexe  et  néanmoins  si  constante?  Une 
cavité  sphérique  n'eùt-elle  pas  suffi  pour  la  fonction 
générale  que  nous  venons  d'envisager  ? 

Ce  que  nous  venons  de  dire  des  concrétions  con- 
tenues dans  les  sacs  vestibulaires  nous  autorise, 
jusqu'à  un  certain  point ,  à  regarder  cette  portion 
du  labyrinthe  comme  propre  à  recueillir  le  bniû 
en  général ,  à  en  mesurer  Vinlensité ,  et  par  con- 
séquent à  faire  juger  de  la  distance.  Aussi  trou- 
verons-nous que  c'est  la  seule  partie  qui  subsiste 
évidemment  chez  les  invertébrés  ,  dont  l'ouïe  est 
bornée  sans  doute  à  l'appréciation  de  ce  mode  des 
mouvements  sonores  ;  et  il  ne  doit  pas  nous  paraître 
surprenant  que  l'oreille  des  poissons  contienne  les 


DE  l'ouïe.  1 89 

concrétions  les  plus  grosses ,  les  plus  dures  et  partant 
les  plus  propres  à  renforcer  le  bruit  des  chocs  opérés 
sous  les  eaux. 

Quant  aux  canaux  demi-circulaires,  cette  cons- 
tance dans  leur  nombre  et  leur  direction,  cette 
direction  mutuelle  dont  chaque  plan  correspond  si 
évidemment  aux  trois  dimensions  des  corps,  largeur, 
longueur,  hauteur  (un  horizontal,  un  longitudinal, 
un  transversal);  ne  sont-ce  pas  là  des  preuves  favo- 
rables à  l'opinion  d'Autenrieth  et  Kœrner,  celle  de 
leur  utilité  pour  instruire  l'animal  de  la  direction 
du  son ,  et  par  conséquent  de  la  situation  du  corps 
d'où  il  est  parti.  En  effet,  bien  que  les  vibrations  se 
propagent  en  tous  sens,  les  expériences  de  Savart 
ont  prouvé  qu'elles  ont  surtout  de  la  tendance  à  se 
transmettre  dans  le  sens  de  l'impulsion  primitive , 
dans  le  sens  du  mouvement  suivi  par  l'instrument 
frappant  ou  frottant  (archet);  et  nous  avons  vu 
que,  dans  l'air  même,  c'est  à  cette  particularité 
qu'il  faut  attribuer  l'existence  des  rayons  sonores. 
Or,  remarquez,  quant  aux  nerfs,  qu'il  en  existe 
ici  trois  seulement  comme  trois  ampoules ,  un 
pour  chaque  canal  demi-circulaire  f^fig,  ooj.  Sans 
doute,  la  force  de  la  sensation,  plus  grande  dans 
l'une  des  oreilles  que  dans  l'autre  ,  nous  aide  dans 
la  détermination  dont  il  s'agit  ici  ;  mais  ce  signe  ne 
peut  indiquer  que  le  côté  vers  lequel  est  le  point  de 
départ  des  ondulations  sonores  ;  il  ne  nous  appren- 
drait rien  sur  le  haut,  le  bas ,  l'avant  ou  l'arrière  de 
sa  position  ;  Savart  l'a  si  bien  senti  qu'il  a  cherché  à 
expliquer  ces  distinctions  par  la  différence  des  mou- 
vements moléculaires  excités  dans  la  membrane  du 


1  90  DE  l'ouïe. 

tympan  selon  l'inclinaison  des  rayons  sonores.  Mais, 
sans  relever  ce  que  cette  explication  a  d'hypothéti- 
que ,  voici  une  expérience  qui  prouve  tout-à-fait 
contre  elle  :  bouchez  hermétiquement,  mais  sans 
compression ,  les  deux  oreilles,  et  faites  exciter  au- 
tour de  vous  quelque  bruit  assez  fort  pour  être  ainsi 
entendu  ;  vous  en  distinguerez  parfaitement  le  point 
de  départ;  c'est  donc  par  l'intermédiaire  des  parois 
du  crâne  que  les  canaux  demi-circulaires  reçoivent 
les  éléments  de  la  fonction  spéciale  que  nous  leur 
assignons.  A  ces  arguments,  en  faveur  de  l'opinion 
vers  laquelle  j'incline  ,  je  n'ajoute  qu'en  hésitant  les 
résultats  des  expériences  de  Flourens  :  la  section  du 
canal  horizontal  sur  un  pigeon  produisait  des  mouve- 
ments de  la  tête  dans  le  sens  horizontal  ;  celle  du 
canal  vertical  antérieur  en  produisait  du  haut  vers 
le  bas  ;  celle  enfin  du  canal  postérieur,  du  bas  vers 
le  haut.  Je  ne  sais  jusqu'à  quel  point  ces  remarques 
seraient  applicables  à  l'audition  ;  et  d'ailleurs  on  a 
jeté  quelques  doutes  sur  la  cause  de  ces  phénomènes  : 
Mùller  et  Windischmann  paraissent  croire  que ,  dans 
ces  expériences,  on  a  blessé  le  lobule  du  cervelet 
qui  s'engage  dans  une  excavation  circonscrite  par 
les  trois  canaux  et  surtout  par  l'antérieur. 

Qo  j^fompe  d^Eustache  j  air  du  tympan  _,  limaçon. 
Voici  la  liaison  physiologique  qui  nous  a  fait  rap- 
procher, dans  un  même  article ,  les  fonctions  de  ces 
trois  portions  de  l'appareil  auditif  :  la  caisse  du 
tympan  est  remplie  d'air  qui  lui  est  amené  par  son 
conduit  guttural  ffg.  32 ,  e^,  et  cet  air  ne  sert  pas 
seulement  de  support  à  la  membrane  tympanique  ;  il 
en  partage  les  ébranlements  et  les  transmet  aux  parois 


DE  l'oiÏE.  I9l 

de  la  cavité  ,  mais  surtout  à  la  fenêtre  roade  ,  ouver- 
ture de  la  rampe  tympanique  du  limaçon,  bouchée 
par  une  membrane  qui  constitue  un  tympan  secon- 
daire, comme  l'a  appelée  Scarpa  f^/îg.  34  et  37,  cy. 
La  dénomination  de  tympan  lui  conviendrait  plus 
directement  encore ,  si  les  sons  y  pouvaient  arriver 
d'emblée  ,  eu  passant  avec  l'air  par  la  trompe  d'Eus- 
tache;  mais,  en  ce  qui  concerne  les  mammifères, 
bien  que  Esser  ait  vu  ce  tube  habituellement  un  peu 
entr'ouvert  (i),  il  ne  saurait  l'être  assez  pour  servir 
à  un  pareil  usage.  Nous  en  avons  trouve  les  parois 
en  contact  dans  les  cadavres  humains  ;  et ,  chez  le 
mouton,  les  bords  de  son  orifice,  loin  d'être  évasés 
en  pavillon  cartilagineux  comme  chez  l'homme ,  sont 
mous  et  si  bien  collés  l'un  sur  l'autre ,  qu'au  premier 
abord  il  échappe  à  la  vue,  et  qu'on  le  cherche, 
tout  à  côté ,  dans  un  enfoncement  conoïde  et  aveugle 
que  présente,  à  droite  et  à  gauche,  la  voûte  du 
pharynx.  11  est  facile  d'observer  sur  soi  même  que, 
pour  pousser  de  l'air  dans  la  cavité  du  tympan  en 
fermant  la  bouche  et  les  narines,  il  faut  employer  un 
certain  effort  ;  qu'il  y  arrive  avec  explosion ,  quel- 
que ménagement  qu'on  y  mette  ;  et  c^est  la  même 
chose ,  en  sens  inverse  ,  quand  on  fait  un  effort 
d'inspiration,  les  narines  et  la  bouche  fermées. 
Qu'on  mette  une  montre  dans  la  bouche  ouverte , 
sans  lui  faire  toucher  les  dents,  on  n'en  entendra 
plus  le  balancier  ou  même  la  sonnerie  ,  si  l'on  s'est 


(1)  Les  cétacés  seraient-ils  dans  un  cas  différent?  Je  ne  connais  pas  assez  la 
structure  de  leur  trompe  d'Eustache  pour  répondre  h  celte  question.  Quaj;t 
aux  reptiles  qui  les  ont  fort  larges  et  fort  courtes  (grenouilles,  lézards),  les 
narines  sont,  chez  eux,  si  étroites,  qu'elles  leur  feraient  perdre  tout  l'avaTitagsr 
de  la  largeur  de  leur  conduit  gxitturo-lyinpanique. 


1  92  DE  L^OLÏE. 

fermé  les  oreilles.  De  même,  ainsi  que  l'observe 
Esser,  qu'on  applique  la  montre  sur  la  joue  soulevée 
par  l'air  accumulé  dans  la  bouche ,    on  n'entendra 
rien  absolument  (les  oreilles  bouchées),  tandis  qu'on 
entendra  à  merveille  dès  qu'on  la  pressera  sur  l'os 
malaire  ou  sur  les  arcades  dentaires ,   à  travers  la 
joue  affaissée.    On  sait,  d'ailleurs,  que  le  conduit 
gutturo-tympanique  est  pourvu  de  muscles  dilata- 
teurs, les  péristaphylins  externes  :  on  peut  s'exercer 
à  les  mettre  volontairement  en  mouvement  ;  on  entend 
alors  une  sorte  de  craquement  intérieur,  et  aussitôt 
on  peut  faire  bourdonner  dans  l'oreille  sa  propre 
voix  ou  seulement  un  souffle  renforcé,  ce  qui  n'avait 
pas  lieu  auparavant.  Si,  durant  cette  expérience, 
on  ouvre   la  bouche  devant  un  miroir,    on  verra 
que,  dans  les  efforts  destinés  à  ouvrir  le  conduit 
dont  il  s'agit,  la  partie  la  plus  antérieure  du  voile  du 
palais  s'élève  ,  se  creuse  d'une  double  fossette;  c'est 
le  lieu  qui  répond  à  l'insertion  des  muscles  susdits , 
qui  en  partie  attachés  à  l'os  ne  peuvent  prendre  là  un 
point  d'appui  que  pour  agir  en  arrière  sur  la  trompe 
d'Eustache  :  c'est  donc  à  tort  que  Boyer  révoque  en 
doute  cette  fonction  du  muscle  péristaphylin  externe , 
qui  nous  prouve  que  les  sons  ne  peuvent  habituelle- 
ment pénétrer  dans  le  tympan  par  cette  voie.  Il  est 
une  expérience  du  même  genre  qui  pourrait  sembler 
contraire  à  nos  assertions ,  mais  qui ,  loin  de  là ,  va 
nous  conduire  à  d'autres  considérations  physiologi- 
ques.  Sans  faire  l'effort  dont  il  vient  d'être  parlé , 
sans  ouvrir  la  trompe  d'Eustache  ,    si  l'on  bouche 
les  deux  oreilles,  on  entend  également  sa  propre  voix 
résonner  dans  la  caisse  du  tympan  ;  mais  cet  effet  se 


DE  l'ouïe.  193 

soutient ,  bien  qu'à  un  moindre  degré ,.  lors  même 
que ,  soulevant  fortement  tout  le  voile  du  palais ,  on 
en  fait  une  cloison  transversale  qui  intercepte  toute 
communication  directe  entre  la  glotte  et  le  haut  du 
pharynx  où  sont  les  pavillons  des  trompes  d'Euslache. 
Ce  n'est  donc  plus  la  même  chose  que  dans  le  cas 
précédent ,  c'est  une  résonnance  dont  il  a  déjà  été 
question  dans  l'un  des  précédents  paragraphes,  un 
retentissement  dû  aux  surfaces  caverneuses  de  la 
bouche  et  du  nez  ;  mais  pourquoi  a-t-il  lieu  quand 
on  a  obturé  l'oreille  et  non  auparavant?  C'est  qu'au- 
paravant il  se  confondait  avec  le  son  pénétrant  par 
la  voie  ordinaire ,  et  c'est  aussi  parce  que ,  lors 
de  l'expérience,  on  a  emprisonné  dans  le  conduit 
une  masse  d'air  qui  ajoute  beaucoup  à  la  sonorité 
du  rocher. 

Ainsi ,  cette  expérience  nous  explique ,  tout  d'un 
coup,  l'utilité  de  l'air  contenu  dans  la  caisse  du  tympan 
et  dans  les  cellules  mastoïdiennes  (^ji(j.  22,  diVjj 
indépendamment  même  de  ce  qui  concerne  la  fenêtre 
ronde  ou  codiléennej  comme  l'appelle  Cuvier.  On 
a  donc  eu  raison  de  dire  que  ces  cellules  renforcent 
les  sons.  C'est  pour  cela ,  en  partie ,  qu'elles  sont 
si  développées  chez  les  oiseaux  de  nuit  ;  de  même 
que ,  chez  les  mammifères  nocturnes ,  la  caisse  du 
tympan  est  renflée  en  une  bulle  osseuse  à  plusieurs 
enfoncements  ( chat ,  lion,  etc.).  Chez  le  tarsier, 
les  deux  caisses  sont  si  grandes  qu'elles  se  touchent 
sous  la  base  du  crâne  ;  elles  sont  fort  grandes 
aussi  chez  les  loris ,  les  nycticèbes  ,  selon  GeofFroy- 
St-Hilaire.  Nul  doute  que  ce  ne  soit  là  le  véritable 

usage  des  rapports  que  l'oreille  des  poissons  osseux 
-  1  *) 


194  del'oiÏe. 

a  manifestement  avec  la  vessie  natatoire ,  d'après 
les  observations  de  Weber ,  de  Breschet  et  autres. 
Donc  aussi  Treviranus  s'est  trompé  en  donnant  pour 
fonction  aux  cellules  mastoïdiennes  de  détourner, 
d'absorber  les  sons  pour  prévenir  Véclio  dans  les 
cavités  auditives.  Mais ,  au  reste  ,  Esser  n'était  pas 
mieux  fondé  à  croire  la  trompe  d'Eustacbe  destinée 
à  dériver  cet  écho  imaginaire  :  on  comprendra  sans 
peine  qu'il  ne  saurait  y  avoir  écho ,  ou  répétition  de 
son ,  là  où  les  oscillations  sont  si  courtes  en  raison 
de  l'étroitesse  des  lieux  :  il  faut  de  l'espace  pour  que 
l'écho  se  produise  ;  sinon  les  vibrations  répercutées 
se  confondent  et  s'identifient. 

En  résumé ,  la  trompe  d'Eustacbe  a  pour  usage 
unique  de  donner  de  l'air  au  tympan  ;  mais  lente- 
ment,  par  portions,  lorsqu'il  en  a  été  absorbé  ou 
chassé  une  partie.  On  a  cru  nécessaire  qu'il  existât 
une  grande  liberté  dans  le  passage  de  cet  air  ;  l'ex- 
périence démontre  tous  les  jours  le  contraire  ;  des 
angines  ou  des  coryzas ,  dans  lesquels  l'inûammation 
s'est  étendue  à  la  trompe ,  comme  le  prouvent  la 
douleur  d'oreille ,  les  explosions  quand  on  se  mou- 
che, etc. ,  ne  sont  que  bien  rarement  accompagnés 
de  dureté  d'ouïe  :  pour  que  la  surdité  ait  lieu  par 
une  cause  de  ce  genre  ,  il  faut  que  le  tube  soit 
entièrement  oblitéré  ou  bouché ,  de  telle  façon  que 
l'air  ne  puisse  plus  pénétrer,  même  de  loin  en  loin, 
dans  la  caisse  du  tympan.  L'élasticité  de  cet  air 
intérieur  doit ,  selon  la  plupart  des  physiologistes , 
varier  parallèlement  à  celle  de  l'air  extérieur  ; 
selon  Savart,  il  faudrait,  au  contraire,  qu'elle  fût 
constamment  la  même  ;  et  la  membrane  du  tympan 


DE  l'oiïe.  195 

compterait  ainsi ,  parmi  ses  fonctions  les  plus  essen- 
tielles, celle  (le  conserver  à  cet  air  une  température 
constante.  Eh  bien!  remplissez  ou  videz  en  partie  la 
caisse  par  les  procédés  indiqués  plus  haut,  et  vous 
entendrez,  avec  la  même  facilité,  les  mêmes  sons. 
C'est  donc  bulle  à  bulle ,  et  selon  le  besoin ,  que  l'air 
entre  dans  la  cavité  tympanique ,  probablement  à 
chaque  déglutition  de  la  salive  qui  provoque  la  con- 
traction des  muscles  de  l'arrière-bouche.  Le  renfor- 
cement des  sons  est  un  premier  effet  de  sa  présence  : 
il  est  réel ,  car  il  est  le  seul  chez  les  grenouilles 
et  crapauds  (i),  puisqu'ils  n'ont  point  de  fenêtre 
cochléenne.  Le  deuxième  effet,  c'est  la  mise  en 
branle  de  cette  fenêtre  ou  tympan  secondaire  (2)  et 
du  limaçon  chez  les  animaux  qui  en  sont  pourvus. 

La  membrane  de  la  fenêtre  ronde  ou  cochléenne 
répond  à  l'une  des  rampes  du  limaçon  seulement ,  à 
la  rampe  tympanique.  Une  cloison ,  partie  osseuse , 
partie  membraneuse  ou  cartilagineuse,  sépare  effec- 
tivement, dans  toute  sa  longueur,  la  cavité  spirale 
du  limaçon  en  deux  rampes,  dont  l'autre  est  nommée 
veslibulaire  ;  toutes  deux  communiquent  au  sommet 
de  l'hélice  par  une  absence  de  la  cloison  ;  toutes 
deux  sont  remplies  d'une  humeur  limpide  et  ténue 
la  même  qui  entoure  les  sacs  et  les  canaux  mem- 
braneux du  labyrinthe.  Il  suit  de  là  que  ,  d'une 
part  ,    les   trémoussements   du  tympan    secondaire 

(1)  n  en  serait  de  même  du  pipa,  d'après  Mayer,  quoique  sa  membrane 
lympanique  soit  recouverte  d'une  peau  épaisse.  Selon  de  BlainviUe,  la  trompe 
n'irait  pas  jusqu'au  pharynx  ;  il  parait  du  moins  qu'elle  est  singulièrement 
rétrécie  chez  cet  animal. 

(2)  C'est,  avons-nous  dit,  le  nom  que  donne  Scarpa  à  la  membrane  de  la 
fenêtre  cochléenne  ;  Breschet  dit  avoir  trouvé,  plus  loin,  chez  les  oiseaux,  une 
seconde  membrane  qui  sépare,  de  la  rampe  interne  du  limaçon,  un  espace 
rempli  de  liquide;  disposition  qui  ne  change  rien  aux  usages  de  cette  partie. 


196  DE  l'ouïe. 

peuvent  être  propagés  en  partie  au  vestibule  ,  aux 
canaux  demi-circulaires ,  et  se  confondre  avec  ceux 
que  ces  parties  reçoivent  d'ailleurs  par  la  chaîne  des 
osselets  et  la  fenêtre  ovale  ;  et ,  d'autre  part ,  qu'il 
peut  y  avoir  réciprocité,  non -seulement  pour  les 
vibrations,  mais  aussi  pour  la  compression  que  le 
vestibule  reçoit  de  la  base  de  l'étrier,  et  qui ,  refou- 
lant le  liquide  dans  tout  le  labyrinthe ,  peut  et  doit 
tendre  le  tympan  secondaire  chaque  fois  que  le  tym- 
pan proprement  dit  est  tendu  lui-même ,  c'est-à-dire 
enfoncé  de  dehors  en  dedans.  Tel  est  le  double  usage 
du  liquide  que  Cotugno  a,  le  premier,  signalé  à 
l'attention  des  anatomistes  :  harmoniser,  dans  tout 
le  labyrinthe  ,  et  les  tensions  et  les  ondulations; 
faire  que  toutes  les  qualités  d'un  même  son  soient 
simultanément  senties  ,  quoique  dans  des  organes 
multiples. 

Mais  le  limaçon  n'a-t-il  pas  des  usages  spéciaux 
comme  les  canaux  demi-circulaires  et  le  vestibule  ? 
La  forme  singulière  de  cette  partie  ,  si  bien  rappelée 
par  son  nom  chez  les  mammifères,  a  dû  frapper 
naturellement  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  de 
l'audition  :  aussi ,  soit  qu'on  y  supposât  contenu  de 
l'air,  comme  Lecat  et  autres,  soit  qu'on  y  eût  reconnu 
de  l'eau ,  comme  Cotugno ,  on  n'en  était  pas  moins 
disposé  à  voir,  surtout  dans  sa  cloison  en  forme  de 
longue  bande  graduellement  étrécie ,  une  série  de 
cordes  ou  de  filets  osseux  de  grandeur  successivement 
décroissante ,  propres ,  en  conséquence ,  à  vibrer  à 
l'unisson  de  tous  les  tons  possibles ,  et  aptes  à  com- 
muniquer leurs  secousses  aux  filaments  nerveux  qui 
s'épanouissent  sur  toute  Fétendue  de  cette  bande 


DE  L^OLÏE.  197 

osseuse.  Sans  admettre  cette  théorie,  que  l'anatomie 
comparée  repousse  ,  j'admettrais  volontiers  le  corol- 
laire avec  quelques  additions,  et  le  limaçon  serait 
pour  moi  le  principal  organe  appréciateur  des  tonSj 
et  surtout  l'organe  propre  à  recevoir  les  sons  formés 
dans  l'air,  ayant  un  timbre  aérien  et  des  modifica- 
tions que  l'air  seul  comporte  bien  ;  en  un  mot ,  les 
voix  et  les  articulations.  Ma  théorie  différerait  de 
celle  dont  il  vient  d'être  question  en  ceci ,  que  j'ac- 
corderais la  faculté  vibratile  ,  et  par  conséquent 
l'aptitude  à  impressionner  les  nerfs ,  plutôt  à  la 
portion  membraneuse  de  la  cloison  qu'à  la  portion 
osseuse  ;  celle-ci  ne  pouvant  vibrer  que  comme  le 
reste  de  l'os.  Quant  à  la  bandelette  molle ,  tendue 
entre  la  cloison  osseuse  et  la  lame  des  contours 
(^fig,  33,  fy*^  je  remarque  qu'elle  est  partout  d'une 
largeur  à  peu  près  égale  ,  et  non  rétrécie  de  la  base 
au  sommet  de  l'hélice ,  où  elle  s'élargit  au  con- 
traire (Breschet);  c'est  donc  selon  qu'elle  vibrera 
dans  une  plus  ou  moins  grande  longueur  (i),  et  se 
partagera  par  des  nœuds  plus  ou  moins  rapprochés  , 
qu'elle  produira,  sur  telle  ou  telle  étendue  de  la 
frange  nerveuse,  telle  ou  telle  impression  qui  nous 
donnera  l'idée  de  tel  ton  musical  ;  les  tons  les  plus 
bas  et  les  plus  graves  devront  seuls  la  faire  vibrer 
dans  toute  sa  longueur,   qu'on  peut  estimer  chez 

(1)  Un  de  nos  confrères,  aussi  savant  musicien  que  savant  physiologiste,  le 
docteur  Seidlilz,  deTélershourg  ,  avait  remarqué  que  ses  deux  oreilles  n'étaient 
point  montées  au  même  ton  ;  il  lui  était  impossible  d'accorder  un  instrument 
quoiqu'il  sût  très-bien  s'en  servir  quand  on  lui  avait  rendu  ce  bon  office,  et 
qu'il  pût  faire  sa  partie  dans  un  orchestre  ;  les  deux  oreilles  étant  sans  doute  en 
proportion  harmonique,  à  la  quinte  par  exemple.  Comment  expliquer  ce  fait 
sans  une  théorie  d'oscillations  intérieures  en  rapport  mathématique  avec  celles 
du  dehors  ? 


198  DE  l'ouïe. 

rhomme  à  près  de  deux  pouces.  Remarquons  que 
ce  ruban  cochléeti  commence  tout  près  du  tympan 
secondaire  ;  qu'il  le  touche ,  et  que  ses  ondulations 
pourront  fort  bien  reproduire ,  en  conséquence  , 
celles  des  deux  membranes  tympaniques  que  l'air  a 
mises  en  mouvement.  C'est  donc  là  que  se  feront 
surtout  sentir  les  particularités  du  chant  et  de  la 
déclamation ,  l'accent ,  la  prosodie ,  toutes  qualités 
que  le  son  vocal  perdrait  en  se  transmettant  à  travers 
des  corps  durs.  Car,  si  tous  les  corps  peuvent,  plus 
ou  moins  bien  _,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut , 
propager  le  son  pourvu  de  toutes  ses  qualités ,  il  est 
certain  aussi  que  telle  de  ces  qualités  est  plus  pure- 
ment transmise  que  telle  autre  par  telle  nature, 
telle  consistance ,  dans  le  corps  conducteur  :  par 
exemple ,  si ,  étant  couché ,  je  couvre  mes  oreilles  et 
du  bonnet  et  de  la  couverture  à  la  fois ,  je  ne  distingue 
plus  ni  le  ton  ni  le  timbre  de  ma  pendule ,  j'en 
compte  pourtant  fort  bien  les  coups;  mais  ce  n'est 
plus  qu'un  bruit  sourd ,  grave ,  tel  que  le  produirait 
le  choc  de  deux  morceaux  de  bois  volumineux;  le 
son  n'a  rien  perdu  de  sa  force  ou  n'en  a  perdu  que 
fort  peu ,  en  perdant  ses  autres  qualités  à  travers  des 
tissus  épais  et  mous. 

Achevons  de  prouver  que  le  limaçon  est  favo- 
rablement disposé  pour  recevoir  les  modifications 
aériennes,  en  ajoutant,  à  ce  qui  précède,  quelques 
arguments  empruntés  de  l'anatomie  comparée. 

D'après  nos  propres  observations ,  le  limaçon  est 
grand,  et  les  canaux  demi  -  circulaires  médiocres 
chez  les  chauves-souris ,  dont  la  vie  est  presque  toute 
aérienne ,  et  dont  le  cornet  acoustique  est  très-déve- 


DE  l'olïe.  199 

îoppé  ;  il  est  petit ,  comparativement  aux  canaux  , 
chez  la  taupe  qui  vit  dans  la  terre ,  et  dont  l'oreille 
externe  ne  fait  aucune  saillie.  D'après  les  figures  de 
Scarpa,  le  limaçon  l'emporte  chez  le  chat  f^fig.  2>4j 
qui  vit  à  l'air  et  grimpe  volontiers ,  comme  on  sait  ; 
ce  sont  les  canaux  chez  le  lièvre  (^fig.  Z^J.  Yeut-on 
d'ailleurs  une  mesure  comparative ,  qu'on  prenne  la 
proportion  des  deux  fenêtres,  comme  l'a  fait  Cuvier; 
elle  donne  des  rapports  exacts  entre  le  limaçon  et  le 
reste  du  labyrinthe  ;  aussi  est-ce  la  fenêtre  cochléenne 
qui  est  plus  grande  chez  les  chauves-souris ,  les  chats 
et  les  carnassiers  en  général  ;  la  vestihulaire  chez  la 
taupe  et  le  lapin.  11  est  juste  d'avouer  qu'on  tirerait 
difficilement  des  conséquences  pour  ou  contre  cette 
opinion  de  ce  qui  se  voit  chez  d'autres  quadrupèdes, 
et  qu'on  trouverait  même  des  faits  jusqu'à  un  certain 
point  contradictoires,  puisque  le  cochon,  l'hippo- 
potame et  les  cétacés  ont  la  fenêtre  cochléenne  plus 
grande  que  la  vestihulaire. 

Mais  une  objection  bien  plus  grave ,  à  laquelle 
nous  aurons  à  répondre ,  est  celle-ci  :  les  oiseaux , 
qui  certainement  entendent  et  distinguent  les  tons  et 
les  voix,  puisqu'ils  apprennent  à  répéter  des  airs  et 
des  paroles,  n'ont  qu'un  limaçon  rudimentaire.  Ceci 
n'est  vrai  que  sur  le  squelette ,  et  encore  doit-on 
remarquer  que  le  limaçon  conoïde  et  peu  courbé , 
découvert  par  Scarpa ,  est  proportionnellement  assez 
volumineux  ;  puisque ,  dans  la  poule ,  je  lui  trouve  à 
peu  près  le  tiers ,  en  diamètre ,  de  celui  de  l'homme 
(^fig.  37,  h);  et  nous  ajouterons,  tout  de  suite,  qu'il 
est  bien  plus  allongé  chez  les  oiseaux  chanteurs 
que  chez  les  autres.  Quand  on  l'examine  à  l'état 


200  DE  l'ouïe. 

frais ,  comme  nous  l'avons  fait  après  Tréviranus  et 
Windischmann,  on  reconnaît  bientôt  que  cet  organe 
n'est  nullement  imparfait,  pour  être  construit  sur 
un  plan  un  peu  différent  de  celui  de  l'homme.  Une 
longue  ellipse  cartilagineuse  f^fig.  38,  a^  (i)  sert  de 
cadre  à  une  membrane  fine  et  régulière  sur  laquelle 
se  répandent  parallèlement  les  filets  du  nerf  acousti- 
que ;  elle  se  termine  dans  une  ampoule  membraneuse 
(^fig.  38  ,  by'  contenant  une  concrétion  amylacée  ,  et 
où  s'épanouissent,  avec  une  merveilleuse  régularité  , 
d'autres  filets  du  même  nerf;  elle  commence  contre 
le  tympan  secondaire.  L'origine  et  la  terminaison  se 
rapprochent  donc  beaucoup  de  ce  qu'on  voit  chez  les 
mammifères ,  le  sommet  de  leur  limaçon  offrant  une 
ca^dté  qui  représente  l'ampoule  susdite.   Seulement 
ici  le  ruhancochïéen  est  plus  court  et  proportionnelle- 
ment plus  large ,  mais  aussi  plus  mince  ;  c'est  donc 
là  un  instrument  qui  parait  être  aussi  parfait ,  dans 
son  genre ,  que  celui  de  l'homme  ;  et  s'il  a  moins  de 
longueur,  il  a  aussi  moins  de  tons  à  reproduire  :  les 
airs  qu'apprennent  les  oiseaux ,  comme  leurs  chants 
naturels  ,  sont  toujours  dans  un  ton  assez  élevé ,  et 
les  instruments  dont  on  se  sert  pour  les  instruire  ne 
portent  pas  plus  d'une  octave ,  c'est-à-dire  douze  ou 
treize  notes  ,   y  compris  les  demi-tons. 

Le  limaçon  se  montre  bien  moins  parfait  chez  les 
reptiles,  qui  généralement  ont  la  voix  beaucoup  plus 
réduite  que  les  oiseaux  ;   toutefois ,   cette  imper- 

(1)  Cuvier  n'avait  vu  que  deux  bandes  cartilagineuses;  Geoffroy- S* -Hilaire 
a  cru  l'ellipse  incomplète  :  c'est  l'étrier  selon  la  manière  de  voir  de  ce  célèbre 
zoologiste  ;  mais  nous  n'avons  pas  été  convaincu  par  les  raisons  qui  l'ont  porté 
à  cette  détermination  ,  malgré  notre  confiance  dans  la  sagacité  d'un  aussi 
profond  observateur. 


DE  LOL'ÏE.  201 

fection  est  moins  prononcée  chez  les  crocodiles  dont 
l'oreille  externe  et  la  moyenne  sont  aussi  plus  rap- 
prochées de  celles  des  oiseaux,  que  chez  les  tortues 
et  les  lézards  (^fig-  39 y"/  les  premières  surtout 
ayant  la  memhrane  du  tympan  couverte  par  la  peau, 
aussi  leur  limaçon  est-il  tout- à-fait  rudimentaire 
(Comparetti,  Cuvier,  Windischm.ann).  Plusieurs 
batraciens  sont  dans  le  même  cas  sous  les  deux 
rapports ,  et  chez  ceux  même  qui  ont  la  membrane 
du  tympan  presque  libre  et  doublée  seulement  par 
la  peau,  le  limaçon  n'est  pas  annulé  comme  on 
l'a  cru  (ï),  mais  très -réduit  aussi,  et  la  fenêtre 
cochléenne  ou  ronde  est  confondue  avec  la  fenêtre 
ovale  ou  vestibulaire  ;  un  cartilage  annexé  à  la  base 
de  l'étrier  (ad-stapéal)  remplace  la  membrane  du 
tympan  secondaire  :  on  sait  que  ces  animaux  ne 
profèrent  guère ,  pour  toute  voix ,  qu'un  cri  uni- 
forme. Mais  l'atrophie  est  plus  complète  encore  chez 
les  serpents,   qui  sont  presque  muets,   et  qui  n'ont 


(1)  Voici  ce  que  nous  ont  appris  des  préparations  faites  avec  soin  et  que  nous 
avons  pu  mettre  sous  les  yeux  de"Windischmann  même  ;  elles  ont  été  fournies  par 
le  Bomh.  fuscus  et  le  Rana  escul.  1°  Les  trois  canaux  demi-circulaires  grands  et 
tien  distincts,  sans  étui  osseux  dans  quelques  endroits ,  finissent  chacim  par 
une  ampoule  dans  laquelle  se  rend  un  faisceau  nerveux;  2°  un  sinus  commun 
ou  vestibulaire  reçoit  leurs  embouchures,  et  porte,  en  arrière  et  en  dehors, 
c'est-à-dire  près  de  l'ampoule  postérieure,  deux  petits  sacs  aplatis  pourvus  de 
nerfs,  et  contenant  une  matière  crétacée  ,  molle  ;  5°  un  grand  sac,  en  dehors 
et  en  avant  des  précédents,  est  en  contact  avec  les  ampoules  antérieures  ;  c'est 
l'analogue  du  limaçon  ici  fort  développé ,  mais  caché  intérieurement.  Dans 
ce  sac  on  trouve,  au  voisinage  de  la  fenêtre  commune  dont  il  est  parlé  dans  le 
texte  ,  une  grosse  concrétion  calcaire  ,  tout-à-fait  pierreuse  ;  plus  profondément 
une  lame  cartilagineuse,  ovale  (fig.  k^J  ,  adhérente  seulement  par  sa  hase 
aux  parois  du  sac,  et  recevant  sur  sa  face  interne  un  gros  nerf  épanoui 
en  éventail  et  qui  fait  environ  la  moitié  de  l'acoustique.  Cette  dernière  pièce 
est  évidemment  analogue  à  l'appareil  cartilagineux  du  limaçon  des  oiseaux  et 
des  lézards;  elle  sert  sans  doute  à  la  réception  des  sons  aériens,  tandis  que  la 
concrétion  pierreuse  doit,  comme  chez  les  poissons,  faciliter  celle  du  bruit 
dans  l'eau. 


2ô2  DE  l'ouïe. 

pas  de  tympan,  ni  de  fenêtre  cochléeune,  ni  de 
trompe  d'Eustache,  si  j'en  juge  d'après  mes  propres 
observations  (i).  Enfin  les  poissons,  dont  le  mu- 
tisme est  passé  en  proverbe ,  n'ont  également  ni 
tympan,  ni  osselets,  ni  fenêtre  cochléenne,  et  l'on 
peut  à  peine  reconnaître  un  représentant  de  limaçon 
dans  l'un  ou  l'autre  des  trois  renflements  vestibulaires 
que  Brescbet  leur  a  assignés  avec  des  déterminations 
dont  quelques-unes  pourraient  être  contestées,  mais 
qu'il  serait  oiseux  de  discuter  ici. 

Malgré  les  rapprocbements  que  nous  venons  de 
faire ,  il  ne  faut  pas  croire  pourtant  qu'il  y  ait  pro- 
portion infaillible  entre  la  voix  et  l'audition  d'un 
même  animal  :  les  exceptions  seraient  assurément 
bien  nombreuses  si  l'on  voulait  descendre  des  som- 
mités aux  détails.  Une  foule  de  mammifères  se 
rangerait  aisément  dans  cette  catégorie  exception- 
nelle; ainsi,  le  chien,  l'éléphant,  le  cheval,  qui 
ne  peuvent  imiter  la  voix  humaine  ,  témoignent 
pourtant  par  leurs  démonstrations  d'obéissance,   de 

(1)  De  Blainvillc  leur  accorde  une  communication  de  la  fenêtre  ovale  à 
l'arrière-bouche ,  et  donne  l'oreille  interne  comme  semblable  à  celle  des 
lézards  ;  Windisclimann  ,  élève  de  Millier,  décrit ,  d'après  le  dipsas  ,  une  fenêtre 
cochléenne  et  un  lima^-on  dont  il  donne  môme  la  figure.  Voici  ce  que  nous  ont 
appris  la  couleuvre  à  collier ,  celle  d'Agassiz  et  surtout  celle  de  Montpellier. 
L'osselet  est,  de  tous  côtés,  environné  i)ar  les  chairs  ;  son  extrémité  externe, 
Cartilagineuse,  est  attachée,  par  un  ligament,  à  l'os  tympanique  ;  son  extré- 
mité interne  ou  platine  ferme  la  fenêtre  vestibulaire,  et  il  n'y  a  pas  d'autre 
trou  ,  à  son  voisinage,  que  le  trou  de  la  huitième  paire  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  le  labyrinthe.  Les  canaux  demi-circulaires ,  tout  osseux,  offrent  un  trou 
de  communication  entre  l'horizontal  et  le  verlical  postérieur  à  leur  point  de 
contact.  La  partie  antérieure  du  vestibule  forme  un  enfoncement  conique  séparé 
du  reste  par  une  crête  osseuse,  et  là  se  loge  un  sac  ovale  soutenu  intérieurement 
par  une  ellipse  cartilagineuse  :  c'est  bien  un  limaron  rudimentaire  comme  aux 
lézards,  mais  plus  isolé  du  dehors  et  sans  fenêtre  ronde.  Une  partie  du  nerf 
auditif,  se  jette  sur  cette  plaque  ovale ,  l'autre  va  dans  le  vestibule  ;  c'est  bien 
ce  que  Windischmann  a  figuré,  mais  il  en  attribue  à  tort  les  deux  portions  au 
limaçon  du  dipsas,  quoiqu'il  ait  bien  reconnu  leur  divergence. 


DE  l'ouïe.  203 

joie  ou  de  crainte ,  de  leur  aptitude  à  nous  entendre  : 
on  sait  quels  effets  produit ,  sur  le  cheval ,  une 
musique  militaire  ;  comment  les  bœufs  ,  les  cha- 
meaux sont  attentifs  aux  airs  que  chante  ou  siffle 
leur  conducteur.  Parmi  les  reptiles  mêmes ,  l'ana- 
tomie  doit  nous  faire  penser  que  le  crocodile ,  si 
peu  favorisé  pour  la  voix ,  entend  cependant  à  peu 
près  comme  les  oiseaux,  dont  il  a  presque  le  limaçon 
(Windischmann),  et  ceux-ci  varient  assurément 
plus  entre  eux  par  le  ramage  que  par  l'ouïe. 

En  résumé ,  la  structure  du  limaçon  des  oiseaux 
n'a  rien  qui  répugne  à  notre  opinion ,  et  si  les  lois 
connues  de  Tacoustique  n'en  expliquent  point  par- 
faitement les  usages,  peut-être  est-ce  faute  de 
notions  suffisantes.  Savart  a  obtenu  des  résultats 
tout  nouveaux  en  imitant ,  autant  que  possible  ,  le 
tympan;  il  faudrait  étudier,  avec  la  même  sagacité 
que  lui,  les  effets  produits  par  des  imitations  du 
limaçon  de  l'homme  et  de  l'oiseau.  Et  si  néanmoins 
on  s'étonne  par  trop  de  la  dissemblance  de  ces  deux 
formes  de  limaçon,  nous  ferons  observer  que,  sans 
doute  ,  elles  sont  nécessitées  par  celles  qu'offrent  et 
la  membrane  du  tympan  et  les  osselets  de  l'ouïe  ; 
peut-être  aussi  y  a-t-il  plus  de  rapport  entre  telle 
forme  des  organes  auditifs  et  des  organes  vocaux  si 
disparates  d'une  classe  à  l'autre,  comme  nous  le 
verrons  plus  tard  ;  on  peut  présumer  que  le  ruban 
cochléen  ne  reçoit  que  les  tons  susceptibles  d'être 
reproduits  par  la  voix  de  l'oiseau,  et  que  l'ampoule 
terminale  sert  à  distinguer  ceux  qui  sont  trop 
graves ,  et  n'ont ,  pour  l'animal ,  rien  de  vraiment 
musical. 


204  DE  L^OLÏE. 

1^  Nerfs  acoustiques.  Nous  n'insisterons  pas  lon- 
guement sur  ce  qui  concerne  le  nerf  auditif,  portion 
molle  de  la  septième  paire ,  et  sur  sa  naissance  du 
plancher  du  quatrième  ventricule  et  du  cervelet  ; 
sa  distribution  immédiate  au  labyrinthe ,  aux  trois 
ampoules  des  canaux  demi-circulaires,  aux  deux  sacs 
du  vestibule  ,  au  limaçon  ou  à  Tutricule ,  sa  division 
en  filets  nombreux  et  régulièrement  parallèles  ou  en 
éventail  dans  toutes  ses  parties ,  sont  des  circonstances 
communes  à  tous  les  vertébrés  à  quelques  variations 
près.  Nous  nous  bornerons  à  faire  remarquer  que  ces 
filets  se  tamisent ,  pour  ainsi  dire ,  d'autant  plus  à 
travers  l'os^  avant  de  se  rendre  aux  parties  molles,  que 
l'animal  est  plus  élevé  dans  l'échelle  organique;  d'où 
il  résulte  que  le  trou  auditif  interne  percillé ,  criblé 
dans  son  fond,  chez  les  mammifères  et  l'homme, 
communique  largement  avec  le  labyrinthe  chez  les 
oiseaux  et  les  reptiles ,  et  que  la  cavité  auditive  finit 
par  se  confondre ,  pour  ainsi  dire ,  avec  celle  du 
crâne  chez  les  poissons. 

Le  nerf  facial ,  ou  portion  dure  de  la  septième 
paire ,  traversant  l'os  pétreux  après  avoir  côtoyé  le 
nerf  auditif,  et  donnant  même  des  filets  à  l'oreille 
externe ,  semblerait  avoir,  avec  l'audition ,  quelques 
rapports  ;  il  en  aurait  de  très-réels  s'il  fournissait, 
comme  le  croyaient  les  anciens  anatomistes,  les 
filets  nerveux  des  muscles  du  marteau  et  de  l'étrier, 
et  la  corde  du  tympan  :  en  rapportant  ces  filets  à  la 
cinquième  paire ,  qu'on  les  attribue  ou  non  au  gan- 
glion otique  d'Arnold,  on  explique  l'importance 
que  Magendie  est  tenté  d'accorder,  avec  doute  il  est 
vrai ,  d'après  quelques  expériences,  au  nerf  trijumeau 


DE  l'olïe.  205 

pour  Fexercice  de  l'audition  ;  il  en  est  du  moins 
un  utile  auxiliaire.  L'anastomose  de  ces  filaments 
avec  le  nerf  glosso-pharyugien  et  le  grand  sympa- 
thique (Jacobson),  peut  donner  la  clef  de  quelques 
phénomènes  morbides  ou  sympathiques;  mais  il 
nous  paraît  que  les  anatomistes  modernes  ont  exa- 
géré l'importance  de  ces  particularités  en  ce  qui 
concerne  la  fonction  à  l'état  normal.  Présider  à  la 
tension  ou  au  relâchement  des  membranes  auditives, 
à  Fampliation  de  la  trompe  d'Eustache ,  c'est  à  cela 
que  se  borne  leur  rôle  ;  mais  il  est  tout-à-fait  impos- 
sible qu'ils  suppléent  lenerf  auditif ,  qu'ils  entendent 
à  proprement  parler.  On  doit  supposer  seulement 
qu'ils  donnent  de  plus  au  conduit ,  à  la  membrane 
du  tympan,  etc.,  une  sensibilité  tactile  j  mais  non 
spéciale,  comme  nous  l'avons  vu  déjà  pour  les  organes 
de  l'olfaction.  Cette  sensibilité  va- telle  jusqu'à  leur 
permettre  d'entrer  directement  en  activité  ,  et  de 
produire  les  contractions  musculaires  sous  l'influence 
des  vibrations  de  l'os  ou  de  l'air  qu'il  renferme  ? 
Ces  trémoussements  ne  pourraient  guère  agiter  nota- 
blement que  la  corde  du  tympan  (Sœmmerringj 
suspendue  entre  les  osselets  dans  la  caisse  même; 
mais  il  est  plus  probable  d'ailleurs  que  les  mouve- 
ments musculaires  en  question  s'opèrent  automati- 
quement sous  l'infiux  cérébral ,  comme  ceux  de  l'iris 
auxquels  on  les  a  comparés.  Nous  entrerons,  à 
l'occasion  de  ces  derniers,  dans  quelques  détails 
qu'ici  par  conséquent  nous  pouvons  omettre. 

Entraîné  par  des  discussions  que  rendait  indis- 
pensables l'état  actuel  de  la  science ,  nous  n'avons 


206  DE  l'ouïe. 

pu  donner  un  tableau  comparatif  et  régulier  des 
organes  de  l'ouïe  dans  les  différentes  classes  et 
ordres  des  vertébrés  ;  nous  y  suppléerons  ici  en 
quelques  mots ,  et  nous  arriverons ,  par  une  gra- 
dation ménagée  ,  aux  dispositions  anatomiques  et 
physiologiques  propres  aux  animaux  sans  vertèbres. 
De  l'homme  aux  autres  mammifères  ^  il  n'y  a  que 
des  variations  tantôt  à  l'avantage  de  l'un ,  tantôt  des 
autres  (surtout  chez  les  animaux  nocturnes ) ;  par- 
tout, à  quelques  exceptions  près  ,  on  trouve  un  pa- 
villon auriculaire ,  un  conduit  auditif  externe  ,  une 
membrane  tympanique  concave  en  dehors ,  une  ca- 
vité du  tympan  avec  son  conduit  guttural  ou  trompe 
d'Eustache ,  quatre  osselets  de  l'ouïe  ,  une  fenêtre 
cochléenne  et  un  limaçon  turbiné ,  un  vestibule  et 
trois  canaux  demi-circulaires. 

La  conque  manque  déjà  aux  mammifères  aquati- 
ques ;  elle  est  toujours  nulle  chez  les  monotrèmes  et 
les  oiseaux;  mais  ils  ont  encore  un  conduit  auditif,  une 
membrane  du  tympan  convexe  en  dehors,  une  cavité 
tympanique  avec  sa  trompe,  deux  osselets  seulement, 
dont  le  plus  externe  est  cartilagineux ,  une  fenêtre 
cochléenne  et  un  limaçon  court  et  légèrement  courbé, 
un  vestibule  et  des  canaux  demi-circulaires. 

La  conformation  est  presque  la  même  chez  les 
crocodiles.  Les  lézards  n'ont  plus  de  conduit  auditif, 
le  tympan  est  presque  à  fleur  de  peau  ,  et  le  limaçon 
est  ovale;  mais  il  y  a  encore  une  fenêtre  cochléenne; 
du  reste ,  même  nombre  d'osselets,  même  labyrinthe 
que  chez  les  oiseaux;  la  trompe  d'Eustache  est  large 
aussi  bien  que  la  cavité  tympanique.  Les  tortues  en 
diffèrent  peu  ,  mais  leur  membrane  du  tympan  est 


DE  l'ouïe.  207 

couverte  d'une  peau  épaisse ,  écailleuse  ;  il  en  est  de 
même  au  caméléon.  Vlusienrs  batraciens  (grenouille?, 
crapaud,  rainette)  ont  le  tympan  doublé  d'une  peau 
un  peu  amincie  ;  leur  cavité  tympanique  est  étroite , 
l'é trier  en  grande  partie  caché  dans  les  chairs  ;  la 
trompe  d'Eustache  est  large ,  mais  il  n'y  a  point  de 
fenêtre  cochléenne  distincte  de  la  vestibulaire  :  il  y 
a  deux  osselets ,  plus  un  opercule  cartilagineux  sur 
cette  fenêtre  commune  ;  un  limaçon  volumineux 
oblong,  mais  renfermé  dans  le  vestibule  avec  les 
sacs  et  les  canaux  demi -circulaires  du  labyrinthe. 
D'autres  batraciens  (sonneurs,  urodèles)  diffèrent 
de  ceux-ci  en  ce  qu'ils  n'ont  pas  d'osselets,  mais 
seulement  l'opercule  cartilagineux  ;  pas  de  cavité  ni 
de  membrane  tympanique  ;  et  pourtant ,  chez  plu- 
sieurs encore  (sonneurs)  il  y  a  une  trompe  d'Eus- 
tache terminée  en  cul-de-sac  contre  le  rocher.  Au 
contraire  ,  chez  les  serpents ,  il  n'y  a  pas  plus  de 
trompe  que  de  cavité  ou  de  membrane  tympanique , 
mais  il  y  a  un  osselet  appliqué  à  la  fenêtre  vestibu-  , 
laire,  suivi  d'un  cartilage  caché  sous  la  peau;  le  tout 
au  milieu  des  chairs  ;  limaçon  intérieur  et  rudimen- 
taire  sans  fenêtre  cochléenne. 

Les  poissons  chondroptérygiens  n'ont  pas  non  plus 
de  conduit,  soit  extérieur,  soit  guttural ,  en  rapport 
avec  les  organes  de  l'ouïe ,  et  ce  n'est  que  par 
hypothèse  qu'on  peut  regarder,  comme  représentant 
ces  deux  canaux  abouchés,  Vévent  qui  s'étend  de  la 
gorge  aux  parties  supérieures  et  latérales  de  la  tête  ; 
une  communication  du  vestibule  jusque  sous  la 
peau  non  perforée  rappelle  la  fenêtre  vestibulaire  ; 
point  d'osselets  ;  rien  enfin  de  l'oreille  externe  et 


208  DE  l'olïe. 

de  Toreille  moyenne  ;  mais  une  oreille  interne  am- 
plement développée  ,  à  l'exception  du  limaçon  que 
remplacent  probablement  le  grand  sac  vestibulaire  et 
son  cysticule  :  l'utricuîe ,  représentant  le  sac  vestibu- 
laire des  vertébrés ,  est  très-petite ,  mais  les  canaux 
demi-circulaires  très-amples.  C'est  la  même  chose 
chez  les  poissons  osseux  ,  où  les  concrétions  vesti- 
buîaires  sont  très-volumineuses  et  très-dures  (oto- 
lithes  de  Breschet),  et  dont  l'oreille  interne  est  en- 
core plus  complètement  séparée  du  dehors  et  n'a, 
pour  rappeler  ce  genre  de  relations ,  que  des  com- 
munications médiates  avec  la  vessie  natatoire  chez 
certaines  espèces  (cyprins).  On  trouve  encore  un 
degré  de  réduction  plus  marqué  chez  les  lamproies_, 
le  myxine  j  etc.  ,  dont  l'organe  auditif  ne  diffère 
guère  de  celui  des  mollusques  céphalopodes  et  le 
cède  par  conséquent  à  celui  même  des  crustacés. 

Chez  ces  animaux,  en  effet,  du  moins  chez  les 
macroures _,  l'écre visse,  le  homard,  la  langouste,  etc. 
(^flg.  45  et  46j,  la  base  de  l'antenne  externe,  grande 
antenne  ou  antenne  postérieure  ,  offre  une  petite 
saillie  cylindroïde ,  percée  d'un  trou  arrondi ,  fermé 
par  une  membrane  que  Scarpa  a  cru  plane  et  entière; 
elle  est ,  en  réalité ,  perforée  d'une  fente  ou  d'une 
ouverture  oblongue ,  à  laquelle  fait  suite  un  cul-de- 
sac  intérieur,  à  ce  qu'il  nous  a  paru.  Cet  enfonce- 
ment ,  selon  Audouin  et  Milne  Edwards ,  aurait 
plus  de  profondeur  que  nous  ne  lui  en  avons  trouvé, 
et  servirait  à  l'olfaction.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce 
dernier  détail ,  il  paraît  constant  que ,  dans  le  creux 
de  la  saillie  cylindroïde  susdite ,  se  porte  un  nerf 
dont  le  tronc  représente  à  la  fois  les  deux  parties 


DE  l'olïe*  209 

de  la  septième  paire  des  vertébrés .  Une  partie  est 
destinée  à  l'organe  dont  il  s'agit  ici ,  une  autre  à 
l'antenne  même.  Nul  doute  qu'il  n'y  ait  là,  non  un 
tympan,  comme  le  pensaient  Fabrice  d'Aquapen- 
dente  et  Minasi ,  mais  un  labyrinthe  rudimentaire , 
un  sac  vestibulaire  avec  sa  fenêtre  ovale,  selon  la 
détermination  de  Scarpa.  On  peut  surtout  comparer 
cet  appareil  au  vestibule  des  poissons  cartilagineux, 
qui ,  par  un  conduit  plus  ou  moinâ  long ,  vient  tou- 
cher la  peau  souvent  déprimée  et  amincie  au  point 
de  contact.  Plusieurs  décapodes  brachyures ,  comme 
le  cancer  menas,  n'ont  point  de  membrane  à  la 
saillie  cylindroïde  ;  chez  eux ,  le  vestibule  est  tout 
intérieur  comme  chez  les  poissons  osseux.  D'autres 
ont  un  appareil  un  peu  plus  compliqué,  le  maia, 
par  exemple,  d'après  Milne  Edwards  :  l'ouverture 
existe ,  mais  fermée  par  un  opercule  mobile ,  dont 
un  prolongement  caché  porte  une  membrane  suscep- 
tible de  tension  et  de  relâchement.  On  ne  saurait , 
au  reste ,  douter  que  les  crustacés  décapodes  n'en- 
tendent aussi  bien  que  les  poissons;  le  silence  n'est 
pas  moins  recommandé  dans  la  pêche  des  uns  que 
des  autres  ;  cette  membrane ,  qui  du  moins  res- 
semble à  celle  du  tympan  cochléen ,  donne  même  aux 
premiers  une  aptitude  à  recevoir  les  sons  aériens 
qui  ne  peut  guère  exister  pour  les  seconds  ;  l'expé- 
rience en  a  donné  la  preuve  :  des  crabes ,  enfermés 
dans  un  vase  et  grattant ,  frottant  pour  tâcher  d'en 
sortir ,  restaient  immobiles  chaque  fois  qu'on  agitait 
une  petite  sonnette  comme  pour  leur  imposer  silence 
(Minasi). 

Une  circonstance  bien  frappante  dans  la  disposi- 

14 


210  DE  l'ouïe. 

tion  anatomique  dont  nous  venons  de  donner  l'es- 
quisse ,  c'est  cette  ressemblance  entre  l'organe  de 
l'audition  et  celui  de  l'olfaction  des  crustacés  :  tous 
deux  en  forme  d'antenne  dont  la  base  porte  l'organe 
spécial,  tandis  que  le  reste  n'a  plus  que  des  fonctions 
tactiles;  et  faudra-t-il  rappeler  encore  les  disposi- 
tions analogues  qu'on  retrouve  chez  les  vertébrés  ? 
Mêmes  relations  ,  chez  eux ,  entre  l'appendice  ex- 
terne et  le  véritable  organe  sensitif,  entre  l'oreille 
externe  quelquefois  si  longue  et  le  tympan,  le  laby- 
rinthe ;  mêmes  relations  entre  le  nerf  auditif  et  le 
facial,  auquel  il  faut  ajouter  aussi  une  portion  de 
la  cinquième  paire. 

De  tous  les  invertébrés ,  après  ceux  qui  vien- 
nent de  nous  occuper,  les  mollusques  céphalopodes 
(^fig.  41 J  sont  les  seuls  qui  portent  de  vrais  organes 
d'ouïe,  découverts  par  Hunter,  décrits  et  figurés 
ensuite  par  Scarpa.  Le  cartilage  céphalique  des 
seiches,  des  poulpes,  des  calmars  est  creusé,  en 
dessous  et  en  arrière ,  de  deux  cavités  ovalaires  où 
se  perd  un  nerf,  et  qui  renferment  aussi  une  petite 
concrétion  pierreuse  chez  les  uns  (^fig.  48^^  farineuse 
chez  les  autres.  Owen  n'a  point  découvert  d'organe 
auditif  chez  le  nautile,  peut-être  faute  d'avoir  pu 
faire  des  recherches  suffisantes.  Au  reste,  ces  mol- 
lusques ne  peuvent  jouir  que  d'une  ouïe  semblable 
à  celle  des  poissons ,  puisque  leur  oreille  est  toute 
intérieure. 

Dans  la  nombreuse  classe  des  insectes ,  on  trouve 
beaucoup  d'animaux  pourvus  d'une  sorte  de  voix 
qui  ne  semble  destinée  qu'à  leur  servir  de  moyen 
d'appel  ;  on  ne  peut  même  méconnaître  l'entraîne- 


DE  l'oLÏE.  2  i  1 

ment  que  décide,  chez  un  grand  nombre  d'individus, 
Je  chant  d'une  seule  cigale;  il  en  est  de  ces  insectes 
comme  des  rainettes  et  des  grenouilles  d'un  étang, 
qui  se  mettent  toutes  à  crier  dès  qu'une  seule  s'est 
hasardée  à  rompre  le  silence  que  l'arrivée  d'un  pro- 
meneur avait  causé.  Nous  avons  constaté  ,  de  la 
manière  la  plus  positive ,  que  la  grosse  sauterelle  à 
front  Liane  est  douée  de  l'ouïe  ;  car  des  individus 
renfermés  dans  une  boîte  de  bois  se  taisaient ,  à 
l'instant,  si  l'on  froissait  un  papier  à  peu  de  dis- 
tance ;  un  simple  chut  I  produisait ,  de  plus  loin , 
le  même  effet.  On  a  cru  observer  aussi  que  les 
abeilles  se  communiquaient  quelques  idées  à  l'aide 
de  bourdonnements  particuliers  ;  on  a  remarqué 
souvent  que  toute  une  ruche  répétait  le  bruissement 
émis  d'abord  par  un  seul  individu.  Aussi  est-ce  sur  les 
insectes  chantants  ou  bourdonnants  qu'on  a  cherché 
surtout  l'organe  de  l'audition.  Nous  ne  reproduirons 
point  les  descriptions  de  Comparetti ,  qui  nous  sem- 
blent appuyées  sur  des  observations  insuffisantes,  et 
nous  ne  mentionnerons  que  pour  mémoire  certaines 
indications  données ,  un  peu  à  la  légère ,  par  des 
hommes  de  mérite ,  comme  celle  des  membranes 
qui  unissent  les  antennes  à  la  tète  (Carus),  celle 
de  prétendues  vésicules  ou  d'enfoncements  vers  les 
mâchoires  (condyle  ou  cavité  articulaire),  etc.  Sur 
les  cigales,  de  Blainville  a  vu  deux  petits  trous  en 
forme  de  stigmates  à  la  partie  postérieure  de  la  tète, 
et  ce  savant  zoologiste  se  demande  si  ce  ne  serait 
point  là  un  organe  d'audition,  Latreiile  a  vu  aussi  ces 
trous  ;  nous  avons  aisément  retrouvé ,  sur  plusieurs 
espèces  ,  ces  faux  stigmates,   et  nous  avons  pris  la 


2 1 2  DE  l'ouïe. 

peine  de  constater  que  ce  ne  sont  point  des  perfora- 
tions mais  seulement  des  dépressions ,  et  qu'il  ne  se 
trouve  intérieurement ,  sur  ce  point ,  ni  vésicule ,  ni 
tronc  de  trachée,  ni  épanouissement  de  nerf;  une 
membrane ,  commune  à  tout  le  crâne ,  tapisse  cette 
région  comme  les  autres,  sans  saillie,  sans  ouverture. 
Tréviranus  a  trouvé,  derrière  l'insertion  des  antennes 
de  la  hlatta  ortentalù  j  un   espace  membraneux  , 
blanc ,    ovale  ;    nous  ne  l'avons  pas   examiné  sur 
cet  insecte  ;    mais  Vacrydium  lineolaj  grande  espèce 
d'orthoptères ,  nous  a  fait  voir,  entre  l'antenne  et  le 
stemmate  latéral ,  un  espace  membraneux ,  linéaire, 
transversal  et  terminé  en  dehors  par  un  élargissement 
ovalaire  ,  le  tout  offrant  une  couleur  blanchâtre; 
rien  de  pareil  ne  s'est  offert  à  nos  yeux  chez  les 
lociista  alhifrons ,  viridis  et  epliippigerj  espèces  aussi 
grandes  et  qui  ont  une  sorte  de  voix  ,  tandis  que  le 
criquet  linéole  ne  produit  aucune  sorte  de  son  ,  pas 
même  la  strideur  des  petites  espèces  du  genre  auquel 
il  appartient;  la  blatte  n'est  pas  moins  muette  :  or, 
c'est  toujours  non  une  certitude  négative,  mais  une 
conjecture  peu  favorable  à  l'admission  de  l'ouïe,  que 
ce  mutisme  ,  comme  nous  l'avons  dit  précédemment. 
C'est  sur  des  conjectures  plus  hasardées  encore  qu'on 
a  placé ,  dans  les  antennes  ou  dans  des  vésicules 
intérieures,  le  siège  de  l'ouïe  des  insectes. 

Remarquons  à  ce  sujet  que  presque  tous  les 
prétendus  organes  acoustiques,  ainsi  attribués  aux 
insectes ,  ont  des  dimensions  si  petites  que ,  même  en 
les  admettant  pour  tels ,  on  ne  devrait  leur  accorder 
que  la  faculté  de  percevoir  le  bruit ,  mais  sans  distin- 
guer les  sons ,  du  moins  les  sons  appréciables  pour 


DE  l'ouïe.  *21o 

notre  oreille  ;  car  ils  ne  pourraient  être  vraiment 
harmoniques  d'aucun  ton  connu.  Il  n'en  est  pas  de 
l'ouïe  comme  de  la  vue  :  la  lumière  est  infiniment 
subtile  ;  les  corps  solides  qui  tantôt  produisent,  tantôt 
reçoivent  les  vibrations  sonores,  sont  matériels  et 
grossiers,  leurs  oscillations  ont  des  limites  assez  res- 
treintes ,  comme  il  a  déjà  été  dit ,  et  nous  ne  saurions 
supposer  une  véritable  oreille  microscopique.  Dès-lors 
nous  écartons ,  pour  ces  animaux ,  la  question  de  la 
spécialité  sensoriale;  l'ouïe  se  réduira,  chez  eux,  au 
tact  des  vibrations  moléculaires  telles  que  nous  per- 
cevons celles  que  produit,  dans  le  sol  qui  nous  porte, 
le  roulement  d'une  voiture ,  celles  encore  qui ,  pro- 
pagées par  l'air ,  ébranlent  notre  poitrine  au  bruit 
d'un  tambour  ;  dès-lors  aussi ,  nous  pouvons  cher- 
cher le  siège  de  l'audition  partout  ailleurs  qu'à  la 
tête.  Nous  avons  pu  par  quelques  mutilations  nous 
assurer,  sur  la  mante,  sur  des  chenilles,  que  l'im- 
pression des  sons  bruyants  était  indépendante  des 
antennes  ;  mais  la  décapitation  entraine  trop  de  trou- 
bles pour  pouvoir  procéder  ainsi  à  la  détermination 
du  sens,  c'est  donc  uniquement  sur  des  conjectures 
que  se  base  ce  que  nous  allons  dire. 

L'organe  de  la  voix,  chez  les  cigales,  a  certaine- 
ment des  parties  bien  propres  à  recevoir  et  répéter 
les  sons  :  telle  est  la  membrane  transparente  , 
irisée,  qui  se  présente  la  première  sous  les  opercules 
écailleux,  et  que  je  retrouve,  quoique  moins  déve- 
loppée, chez  la  femelle  même.  Et,  par  induction, 
les  grands  stigmates  à  boîte ,  bien  figurés  par  Léon 
Dufour  et  que  Marcel  de  Serres  a  nommés  trémaëres, 
ne  peuvent-ils  pas  remplir  l'office  d'un  tympan  ?  Je 


214  DE  l'ouïe. 

note  principalement  celui  de  la  base  de  l'abdomen 
(  tboraco-gastre  )  chez  les  criquets  (i),  du  prothorax 
(protodère)  chez  les  locustes  ou  sauterelles  proprement 
dites.  Je  vois,  dans  la  larve  des  grands  coléoptères, 
chaque  stigmate  garni  d'une  lame  cornée  ,  plate , 
tournée  en  cercle  presque  complet,  sous-tendue  par 
une  membrane  dont  le  centre  n'offre  qu'une  très- 
étroite  boutonnière.  Cette  forme  rappelle  le  limaçon 
des  lézards ,  et  mieux  encore  la  membrane  auditive 
externe  du  homard,  de  la  langouste.  Remarquez 
toutefois  que  ces  organes  ne  sauraient  manquer  de 
propager  les  vibrations  sonores  à  tout  l'intérieur,  en 
raison  de  leur  communication  avec  les  trachées ,  et 
qu'ils  ne  peuvent  ainsi  servir  qu'à  une  sensation, 
pour  ainsi  dire,  universelle.  Aussi  sommes-nous 
fortement  porté  à  partager,  avec  cette  condition, 
l'opinion  des  zoologistes  qui  attribuent  beaucoup 
d'importance  aux  vésicules  aériennes  ,  aux  grandes 
cavités  pneumatiques  qui  soufflent  en  quelque  sorte 
le  corps  de  beaucoup  d'insectes.  }l  est  bien  probable 
aussi  que  les  ailes ,  les  antennes ,  les  appendices 
caudiformes ,  les  grands  poils ,  en  un  mot ,  toutes  les 
parties  membraneuses  et  filamenteuses  de  l'extérieur, 
servent  à  percevoir  les  vibrations  aériennes.  Chez 
les  sauterelles  dont  nous  parlions  plus  haut,  le 
souffle  dirigé  sur  la  boite,  le  mouvement  imprimé 
à  l'air  de  l'appartement  en  ouvrant  une  porte  dans 
une  chambre  éloignée  ,  suffisaient  pour  produire 
instantanément  le  silence. 

C'est  aussi  à  un  trémoussement  général  que  nous 

(l)  Signalé  comme  organe  spécial  d'ouïe  par  Millier  ;  mais  il  n'exisle  ni  chez 
les  grillons ,  ni  chez  les  locustes ,  espèces  hien  plus  bruyantes  el  auxquelles  on 
devrait  plutôt  supposer  une  oreille. 


DE  l'olÏe.  215 

rapporterons  les  apparences  d'audition  qu'on  peut 
observer  chez  les  arachnides ,  et  qui  suffisent  pour 
les  avertir  de  quelque  grand  danger  que  la  vue  ne 
leur  aurait  pas  fait  découvrir ,  ou  de  quelque  mou- 
vement voisin  intéressant  pour  elles.  Ainsi  la  mygale 
maçonne,  en  embuscade  à  l'entrée  de  son  terrier, 
sans  autres  embûches  que  sa  sensibilité  aux  moindres 
oscillations  du  sol  et  que  sa  promptitude  à  en  tirer 
parti,  sait  se  jeter  à  propos  sur  la  fourmi  qui  passe 
à  son  voisinage  :  et  ce  n'est  pas  la  vue  qui  lui  pro- 
cure cet  avertissement ,  car  elle  en  fait  de  même  si 
on  frotte  légèrement  la  terre  avec  une  paille  au 
pourtour  de  son  nid.  Pour  achever  de  prouver  qu'il 
n'y  a  point  là  véritable  ouïe,  nous  avons  fait  quelques 
remarques  sur  un  scorpion  d'Europe  :  le  son  d'une 
montre  à  répétition ,  quelque  près  qu'on  l'approchât 
de  l'animal ,  n'excitait  aucun  mouvement  ;  le  siffle- 
ment le  plus  fort  et  le  plus  aigu  ne  l'agitait  pas 
davantage  ,  mais  le  moindre  frottement  du  doigt  sur 
le  sol  le  faisait  tressaillir  ;  de  même  une  vive  secousse 
de  tous  ses  membres  témoignait  assez  de  sa  sensibilité 
aux  vibrations  de  l'air,  quand  on  tendait  brusque- 
ment une  feuille  de  papier ,  quand  on  frappait  cette 
feuille  d'une  chiquenaude ,  quand  on  faisait  claquer 
les  doigts  l'un  sur  l'autre ,  tout  cela  à  distance  assez 
grande ,  et  même  quelquefois  derrière  un  écran , 
pour  qu'on  ne  put  pas  crcire  que  le  vent  seul  agis- 
sait sur  lui.  Il  est  évident ,  d'après  cela ,  que  ces 
animaux  ne  sentent  le  bruit  que  comme  une  personne 
privée  d'odorat  sent  l'ammoniaque  et  autres  odeurs 
aussi  acres ,  aussi  pénétrantes  ;  l'ouïe ,  chez  eux , 
n'est  plus  qu'une  dépendance  du  tact.  Les  anecdotes 


21 G  BE  l'olïe. 

racontées  par  diverses  personnes  au  sujet  du  goût 
des  araignées  pour  la  musique  ,  ne  prouvent  autre 
chose  sinon  que  ces  animaux  ressentent ,  avec  quel- 
que plaisir,  les  vibrations  que  leur  communique 
l'air  mis  en  vibration  par  une  harpe  ,  comme  dans 
lé  cas  rapporté  par  Walckenaër ,  ou  que  leur  im- 
prime plus  directement  encore  la  table  d'un  piano 
comme  pour  l'araignée  de  Grétry  ;  c'est  une  sorte 
de  chatouillement. 


CHAPITRE    \h 

DE  LA  VUE. 


ABTlCIiE  I.''  -  ]%'of  ioiisi  préliniiiiaireis. 

La  vue  ne  doit  pas  être  confondue  avec  une  dou- 
teuse appréciation  de  la  lumière  et  de  l'obscurité 
f^voy.  TouclierJ  ;  la  vue  est  le  sens  par  le  moyen 
duquel  la  lumière  donne  aux  animaux  la  connais- 
sance des  objets  dont  ils  sont  entourés  ;  la  vision 
est  l'exercice  de  ce  sens ,  Vœil  en  est  l'organe  :  c'est 
un  appareil  généralement  composé  d'un  nerf  pour 
sentir  la  lumière,  de  lentilles  pour  la  concentrer, 
la  régulariser,  et  de  matière  opaque  pour  en  absor- 
ber le  superflu. 

Les  corps  dont  il  peut  apprécier  la  situation ,  la 
forme ,  la  grandeur,  doivent  donc  de  toute  nécessité 
être  ou  lumineux  ou  éclairés.  Les  corps  lumineux 
émettent  des  rayons,  c'est-à-dire  des  séries  de  molé- 
cules lumineuses  marchant  avec  une  excessive  rapi- 
dité en  ligne  parfaitement  droite  ,  ou  bien  (  dans 


DE  LA  VUE.  2J7 

une  autre  hypothèse)  des  oscillations,  des  vibrations 
en  ligne  droite  à  travers  un  fluide  lumineux  univer- 
sellement répandu.  Les  corps  éclairés ,  s'ils  sont 
opaques  et  dépolis  ,  réfléchissent  les  rayons  qu'ils 
ont  reçus;  et  chaque  point  des  uns  et  des  autres 
r  fig»  49  y*  peut  être  considéré  comme  un  centre 
d^où  émanent,  par  scintillation  dans  tous  les  sens, 
des  rayons  divergents  et  qu'on  peut  idéalement 
séparer  en  autant  de  pinceaux  ou  de  cônes  qu'on 
supposera  d'écrans  disposés  aux  alentours  pour  les 
recevoir  ;  de  même ,  on  peut  idéalement  diviser  en 
faisceaux  la  masse  des  rayons  parallèles  qui  éma- 
nent des  divers  points  d'une  surface  lumineuse  ou 
éclairée.  Les  pinceaux  lumineux  vont  en  s'élargis- 
sant  et  en  s'afîaiblissant  à  mesure  qu'ils  s'éloignent 
de  leur  source.  Les  faisceaux  et  les  rayons  isolément 
considérés,  quel  que  soit  leur  point  de  départ,  sont 
soumis  également,  dans  des  circonstances  particu- 
lières, à  des  lois  de  déviation,  dont  nous  devons 
rappeler  les  plus  essentielles. 

P  A  la  rencontre  d'une  surface  régulière  et  trans- 
parente ,  tout  faisceau  lumineux  y  entre  en  totalité 
s'il  est  perpendiculaire ,  en  partie  s'il  est  oblique. 
Dans  ce  dernier  cas ,  la  partie  pénétrante  se  dévie  , 
se  réfracte  en  s'écartant  d'une  ligne  perpendiculaire 
à  cette  surface  si  le  milieu  nouveau  est  moins  dense 
que  le  milieu  précédent ,  en  s'en  rapprochant  dans 
le  cas  contraire  (^fig.  49 ,  A'J ,  et  faisant  ainsi  un 
angle  de  réfraction,  plus  grand  dans  le  premier  cas, 
plus  petit  dans  le  second  ,  que  l'angle  d'incidence  , 
avec  la  même  ligne  perpendiculaire.  L'eff'et  des  sur- 
faces courbes  sur  les  faisceaux  lumineux  fjlg.  49,  By 


218  DE  LA  VUE. 

s'explique  aisément  d'après  ce  qui  vient  d'être  dit, 
en  se  rappelant  que  chacun  de  leurs  points  a  pour 
perpendiculaire  le  rayon  du  cercle  dont  la  courbe 
ferait  partie.  Un  coup-d'œil  jeté  sur  la  figure  suffira 
pour  faire  voir  comment  une  lentille  fait  converger 
des  rayons  parallèles  ou  divergents ,  etc. 

2®  Si  la  surface  de  rencontre  est  polie  (miroirs), 
le  faisceau  oblique  est  en  partie  réfléchi ,  et  la 
quantité  réfléchie  est  d'autant  plus  grande  que  l'an^ 
gle  d'incidence  est  plus  grand  (^fig.  49,  kjj  si  on 
le  mesure  entre  la  ligne  de  direction  du  faisceau 
et  la  perpendiculaire  à  la  surface  réfléchissante. 
L'angle  de  réflexion  est  toujours  égal  à  celui  d'inci- 
dence (^fig.  49,  A'jj,  par  rapport  au  point  de  la  sur- 
face où  la  réflexion  s'opère  ;  et  les  rayons  réfléchis 
par  un  miroir  plan  le  sont  avec  toutes  leurs  qualités , 
vivacité,  coloration,  disposition  mutuelle. 

3°  Si  la  surface  de  rencontre  est  inégale,  dépolie, 
le  faisceau  lumineux,  soit  direct,  soit  oblique,  ren- 
contrant une  foule  de  saillies ,  et  par  conséquent  de 
petites  surfaces  dirigées ,  pour  ainsi  dire ,  en  tous 
sens,  est  disséminé  dans  l'espace  sous  tous  les  angles 
possibles  (^fig.  49,  Cj  ;  aussi  les  corps  ternes  ne 
reproduisent-ils  pas  ,  comme  les  précédents,  l'image 
des  objets  qui  leur  ont  envoyé  des  faisceaux  lumi- 
neux (  I  )  ;  seulement  leurs  divers  points  renvoient 
de  toutes  parts  d'autant  plus  de  lumière  qu'ils  en 
reçoivent  davantage ,  et  c'est  de  ces  intensités  diff'é- 

(1)  Un  faisceau  de  rayons  solaires,  passant  par  le  trou  d'un  volet  et  tombant 
sur  un  miroir,  ira  donner,  dans  l'œil  d'un  seul  assistant  convenablement 
placé,  l'image  du  soleil,  et  rien  ne  sera  vu  sur  le  miroir  par  tous  les  autres 
assistants,  s'il  est  parfaitement  poli  ;  au  contraire  ,  si  ce  faisceau  tombe  sur  un 
papier  blanc,  il  fera  voir  à  tous  un  espace  circulaire  Irès-éclairé ,  mais  non  une 
vérilable  imarje  du  soleil. 


DE  LA  VUF.  21^ 

rentes  que  résulteDt,  pour  nos  yeux,  les  apparences 
à^omhre  et  de  clair  j  et  par  suite  celles  de  relief  et 
de  forme, 

A^  En  se  réfléchissant  ainsi  irrégulièrement  sur 
une  surface  terne,  de  même  qu'en  traversant  des 
lames  minces  de  matière  transparente,  ou  bien  des 
prismes  à  surfaces  très  inclinées  l'une  sur  l'autre , 
la  lumière  subit  des  modifications  (décomposition 
newtonniene  ;  flg,  49,  D)  d'où  résultent  les  couleurs. 

5°  Il  y  a  encore  déviation  et  décomposition  quand 
un  faisceau  lumineux  rase  un  bord  ,  un  biseau 
appartenant  à  un  corps  opaque  ;  mais  ceci  ne  peut 
avoir  lieu  que  dans  des  limites  très -restreintes  et 
peu  applicables  aux  phénomènes  de  la  vision. 

Ce  petit  nombre  de  lois  nous  suffira  pour  l'intel- 
ligence des  faits  physiologiques  dont  nous  allons 
nous  occuper. 

ARTICIii:  II.  -  VertèlJPés. 

§  P*".   Généralités, 

Chez  tous  les  animaux  de  ce  sous-règne ,  l'œil , 
lorsqu'il  n'est  pas  atrophié  comme  chez  la  taupe , 
le  zemni,  le  protée,  les  cécilies,  etc.,  consiste  en 
une  chambre  sub-globuleuse  ,  transparente  en  avant , 
opaque  en  arrière  ,  mue  par  des  muscles  assez  nom- 
breux, lubrifiée  par  des  organes  sécréteurs,  pro- 
tégée par  des  rideaux  mobiles  (paupières) ,  qui 
peuvent  la  soustraire  momentanément  à  l'action  de 
la  lumière  et  de  l'air  (^fig,  5  \J.  On  peut  le  considérer 
comme  essentiellement  formé,  quant  à  son  méca- 
nisme général ,  des  parties  suivantes  (^fig,  bOj  : 
1"  une  membrane  nerveuse  (rétine)  qui  en  tapisse 


220  DE  LA  VUE. 

le  fond  et  reçoit  l'impression  des  images  ou  repré- 
sentations des  objets  extérieurs  ;  2°  un  diaphragme 
(iris)  percé  d'une  petite  ouverture  (pupille)  qui 
ne  permet  aux  pinceaux  lumineux ,  simultanément 
envoyés  à  l'œil  par  les  divers  points  d'une  surface 
éclairée  ,  d'arriver  au  fond  de  cet  organe ,  qu'en  se 
croisant  et  peignant  ainsi  sur  la  rétine  des  images 
renversées ,  comme  cela  a  lieu  dans  une  chambre 
obscure  ordinaire  ;  3°  une  surface  convexe  et  trans- 
parente (cornée)  et  une  lentille  convexe  (cristallin) , 
l'une  et  l'autre  assez  denses  et  servant,  comme  dans 
la  chambre  obscure  des  physiciens ,  à  convertir,  par 
la  réfraction  et  la  convergence  que  produisent  ces 
sortes  d'appareils ,  les  cônes  ou  pinceaux  envoyés 
par  chaque  point  d'une  surface  éclairée  (cônes  objec- 
tifs) en  cônes  ou  pinceaux  intérieurs  (cônes  visuels), 
de  manière  à  reproduire  sur  la  rétine  un  point  tout 
semblable  à  celui  d'émission.  Voilà  l'ensemble  ; 
mais  chaque  partie  de  l'appareil  visuel  prête  à  des 
considérations  de  détail  si  intéressantes  et  si  peu 
connues  ou  si  mal  connues  pour  la  plupart,  que 
nous  nous  voyons  forcé  de  nous  en  occuper  ici  avec 
une  étendue  presque  monographique. 

§  II.  Protection  extérieure. 

Le  globe  oculaire  est  contenu  dans  une  cavité 
généralement  osseuse ,  nommée  orbite  ,  qui  sert  à 
la  fois  à  le  garantir  des  chocs  extérieurs  et  à  le  sou- 
tenir dans  tous  ses  mouvements.  Cette  cavité  est,  à 
cet  effet ,  ordinairement  remplie  d'une  graisse  abon- 
dante ;  chez  les  raies  et  les  squales  seulement ,  son 
fond  s'élève  en  un  pédicule  cartilagineux  sur  lequel 


DE   LA  VUE.  22  ( 

s'articule  et  se  meut  l'œil ,  dont  l'enveloppe  a  aussi 
beaucoup  de  consistance.  La  situation,  la  direction 
des  orbites  détermine  celle  des  yeux  :  dirigés  en 
avant  et  rapprochés  dans  la  face  des  singes  ,  du 
tarsier ,  plus  écartés  et  un  peu  plus  divergents  chez 
l'homme ,  les  yeux  sont  bien  plus  déjetés  encore 
chez  les  mammifères  carnassiers;  ils  sont  presque 
absolument  latéraux  dans  les  ruminants,  les  soli- 
pèdes  ;  ils  le  sont  tout-à-fait  chez  les  rongeurs  ,  les 
cétacés,  chez  presque  tous  les  oiseaux,  les  reptiles 
et  les  poissons.  Beaucoup  de  ces  animaux  peuvent 
néanmoins  voir  encore  des  deux  yeux  à  la  fois  un 
objet  situé  devant  eux  ;  plusieurs  le  font  même 
habituellement ,  comme  les  chouettes  et  autres 
oiseaux  de  nuit.  Il  en  est  dont  les  yeux  sont  dirigés 
tous  deux  à  la  fois  aussi  dans  le  même  sens ,  mais 
en  dessus  :  tels  l'uranoscope  ,  les  raies  et  autres 
chondroptérygiens;  c'est  d'un  seul  et  même  côté  du 
corps  chez  les  pleuronectes  à  face  tordue.  Plusieurs, 
au  contraire,  ne  peuvent  absolument  voir,  ou  du 
moins  bien  voir,  que  d'un  seul  œil  un  objet  déterminé  ; 
certains  même  meuvent  isolément  l'un  et  l'autre  œil 
dans  des  directions  différentes ,  comme  le  caméléon 
parmi  les  reptiles,  l'hippocampe  parmi  les  poissons 
(Lyonnet);  et  peut -être  beaucoup  d'autres  reptiles 
ou  d'oiseaux  seraient-ils  dans  le  même  cas ,  si  leurs 
paupières  et  leur  pupille  ne  s'ouvraient  bien  plus 
largement  que  celle  du  saurien  cité  tout- à- l'heure. 
On  pourrait  s'étonner  que ,  dans  le  sensorium  de 
ces  animaux,  il  n'y  ait  point  conflit  ou  confusion 
perpétuelle  des  deux  tableaux  difl'érents  contemplés 
par  l'un  et  l'autre  œil;  mais  il  en  est  de  ces  deux 


222  DE  LA  VUE. 

tableaux  comme  des  deux  moitiés  de  celui  que  nos 
yeux  nous  permettent  d'embrasser,  et  l'attention 
peut  se  fixer  sur  l'une  ou  sur  l'autre  partie  de  la 
représentation ,  à  la  volonté  de  l'animal. 

Au-dessus  de  l'orbite  est  une  saillie  garnie  de 
poils ,  très-proéminente  chez  les  singes ,  moins  chez 
l'homme  dans  l'état  de  repos ,  moins  encore ,  et  même 
tout-à-fait  nulle  ,  chez  la  majeure  partie  des  autres 
vertébrés  :  beaucoup  néanmoins  portent  encore  au 
sourcil  quelques  poils  longs  et  roides  ;  ils  ne  peuvent 
leur  servir,  comme  à  nous,  à  tempérer  l'éclat  éblouis- 
sant d'une  lumière  trop  vive,  mais  peut-être  aver- 
tissent-ils l'œil  de  l'approche  d'un  corps  étranger, 
et  décident-ils  l'animal  à  fermer  instantanément  ses 
paupières. 

Celles-ci  sont  le  plus  souvent  au  nombre  de  trois  : 
une  supérieure,  une  inférieure,  une  interne.  Cette  der- 
nière, nommée  aussi  membrane  clignotante,  paupière 
verticale  ,  paupière  nasale  ,  n'est  jamais  cutanée , 
toujours  muqueuse  et  sous-jacente  aux  deux  autres. 
Elle  est  rudimentaire  chez  l'homme  :  les  ruminants , 
le  cheval ,  l'éléphant ,  le  lamantin ,  le  lapin  ont  un 
cartilage  assez  large  dans  son  épaisseur.  Elle  est 
grande  mais  membraneuse  chez  beaucoup  d'autres 
mammifères;  plusieurs  et  surtout  les  premiers  y 
montrent  des  fibres  charnues,  aussi  peut-elle  couvrir 
toute  la  cornée  transparente ,  pour  peu  que  celle-ci 
se  tourne  en  dedans.  Celle  des  oiseaux  est  bien 
connue ,  parce  que  c'est  à  elle  qu'on  attribue  le 
pouvoir  qu'a  l'aigle ,  dit-on ,  de  fixer  ses  regards 
sur  le  soleil.  S'il  en  était  ainsi,  la  pie,  le  corbeau 
jouiraient  de  la  même  prérogative  ;  car  ils  tirent 


DE  LA  VUE.  223 

souvent  au-devant  de  la  cornée  leur  rideau  interne , 
qui  parait  alors  d'un  blanc  bleuâtre.  Tous  les  oiseaux 
ont  d'ailleurs  un  muscle  spécial  à  deux  corps ,  des- 
tiné à  opérer  ^e  mouvement  ;  mais  la  plupart  ne 
semblent  s'en  servir  que  quand  les  paupières  exté- 
rieures sont  closes  :  il  en  est  de  même  des  lézards. 
Cbez  les  batraciens  anoures,  cette  paupière  interne 
est  transparente,  et  se  continue  directement  avec  le 
bord  ordinairement  libre  de  l'inférieure ,  de  sorte 
que  l'animal  y  voit  presque  aussi  bien  l'œil  demi- 
fermé  que  l'œil  ouvert,  sans  qu'il  soit  exposé  au 
dessèchement.  La  paupière  supérieure  est  la  plus 
grande  et  la  plus  mobile  chez  les  mammifères;  elle 
est  grande  aussi  chez  les  oiseaux  de  nuit,  l'autruche , 
mais  bien  réduite  chez  les  autres ,  de  même  que 
chez  les  reptiles  ;  celle  des  lézards  est  grande  sans 
doute  ,  mais  presque  toute  osseuse  ,  et  ne  fait  guère 
que  compléter  la  voûte  orbitaire.  L'inférieure  est 
alors  la  plus  considérable ,  la  seule  vraiment  mobile, 
et  l'on  y  trouve  ordinairement  un  disque  cartilagi- 
neux. L'homme  et  les  mammifères  peuvent,  au  con- 
traire ,  à  peine  la  mouvoir,  si  ce  n'est  pour  la  serrer 
contre  la  supérieure  à  l'aide  du  muscle  orbiculaire  ; 
elle  n'a  point ,  comme  sa  congénère ,  un  muscle 
particulier;  elle  est  néanmoins  susceptible  d'abais- 
sement ,  chez  l'homme  surtout ,  par  exemple  quand 
nous  dirigeons  en  bas  la  cornée  transparente.  Ce 
n'est  point ,  à  notre  avis ,  la  saillie  de  cette  cornée 
qui  pousse  la  paupière ,  comme  l'a  pensé  Gerdy; 
c'est  la  conjonctive  {^fig.  51 ,  Cy"^  membrane  muqueuse 
réfléchie  de  l'hémisphère  antérieur  du  globe  sur  la 
paupière ,  qui  entraîne  celle-ci  dans  les  mouvements 


224  DE  LA  VUE. 

de  celui  -  là.  Quelques  expériences  faciles  à  com- 
prendre nous  en  ont  donné  la  certitude  ;  il  ne  faut 
pour  cela  que  pincer  la  peau  de  cette  paupière ,  la 
tirer  un  peu  en  avant  et  regarder  en  bas  ;  on  la  sent 
alors  tiraillée  dans  ce  sens ,  quoiqu'elle  ne  touche 
plus  la  face  antérieure  du  globe. 

Quelques  animaux  offrent  une  conformation  par- 
ticulière qu'il  nous  suffira  de  mentionner,  les  détails 
à  ce  sujet  appartenant  plutôt  à  l'anatomie  ou  à  la 
zoologie.  Ainsi  le  caméléon  n'a,  pour  ainsi  dire, 
qu'une  seule  paupière  adhérente  à  l'hémisphère 
antérieur  de  l'œil  et  percée  d'une  petite  fente  hori- 
zontale ;  les  serpents ,  les  geckos  ont  une  paupière 
unique  aussi  et  sans  ouverture ,  mais  immobile , 
transparente,  semblable  à  un  verre  de  montre  et 
tapissée  en  dedans  par  la  conjonctive.  La  plupart 
des  poissons  manquent  en  réalité  de  paupières  ;  le 
poisson-lune  aurait  seul ,  selon  Cuvier,  une  paupière 
susceptible  de  constriction  complète.  Quelques 
autres ,  le  muge  par  exemple  ,  ont  un  repli  cutané 
irrégulièrement  circulaire  ,  qui  ne  leur  en  tient  lieu 
qu'imparfaitement,  car  il  est  immobile  et  largement 
ouvert;  mais,  chez  tous,  la  peau,  prenant  une  trans- 
parence parfaite ,  passe  au-devant  de  Tœil  et  repré- 
sente ainsi  une  épaisse  conjonctive  :  circonstance 
bien  propre  à  prouver  que  cette  membrane,  chez 
les  autres  vertébrés,  existe  aussi  au-devant  de  la 
cornée  ou  se  confond  avec  elle  ;  ce  qui  semble  con- 
firmé par  la  difficulté  qu'on  éprouve  à  les  séparer, 
même  à  l'aide  du  scalpel ,  chez  les  mammifères. 


DE  LA  VUE.  225 

§  llî.    Luhrifaction» 

Pour  entretenir  la  transparence  el  le  poli  de  la 
surface  antérieure  de  Tœil ,  et  pour  faciliter  le  glis- 
sement des  paupières  ,  des  humeurs  plus  ou  moins 
visqueuses  sont  perpétuellement  versées  entre  leurs 
surfaces.  Les  larmes  en  constituent  la  majeure  partie; 
elles  sont  sécrétées  par  une  glande  ordinairement 
volumineuse,  située  en  dehors  ou  en  arrière  de 
l'œil ,  et  versées  par  plusieurs  canaux,  un  seul  chez 
le  lapin  selon  Cuvier,  six  ou  sept  Lien  visibles  chez 
le  mouton  et  le  bœuf.  Elles  sont  reprises  ensuite  et 
portées  dans  les  fosses  nasales  par  deux  oscules ,  un 
à  chaque  paupière ,  chez  Thomme  et  la  plupart  des 
mammifères  ;  par  une  fente  assez  large ,  chez  les 
rongeurs,  les  lézards  ;  par  une  ou  deux  fentes  sem- 
blables ,  chez  les  oiseaux.  Les  serpents  ont  une 
grosse  glande  lacrymale  qui  verse  Son  fluide  entre 
la  cornée  et  la  paupière  transparente  ;  un  conduit 
le  porte  ensuite  dans  la  fosse  nasale  (Cloquet).  Les 
cétacés ,  les  poissons  manquent  d'appareil  lacrymal , 
et  il  est  facile  de  comprendre  qu'ils  peuvent  aisé- 
ment s'en  passer  :  on  n'en  a  pas  trouvé  non  plus  chez 
les  batraciens  anoures ,  peut-être  faute  de  recher- 
ches suffisantes  (i)  :  l'éléphant  n'a  également  point 
de  glande  lacrymale  ni  de  conduits  lacrymaux ,  mais 
il  a  du  moins  une  glande  interne  dite  de  Harderus , 
qui  se  retrouve  aussi  chez  presque  tous  les  autres 
mammifères ,  à  l'exception  de  Thomme  et  des  singes, 
et  chez  tous  les  oiseaux  (2)  ;  d'ailleurs,  les  follicules 

(1)  La  région  antérieure  de  l'orbite  offre  un  petit  trou  chez  le  crapaud  brun 
(iomhinator  fuscusj  ;  il  n'y  en  a  pas  chez  les  autres  anoures. 

(2)  On  compte  en  sus  une  glande  nasale  chez  les  mammifères  (Jacobson),  les 
oiseaux  (Nitzsch),  les  serpents  (Millier). 

15 


22 G  Dr  LA  VUE. 

sébacés  des  paupières,  dits  glandes  de  Meibomius, 
ne  manquent  non  plus  à  peut-être  aucun  vertébré. 
C'en  est  bien  assez  pour  remplir  les  usages  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut,  et  pourtant  on  trouve 
encore ,  chez  les  ruminants ,  un  organe  de  plus  ,  un 
larmier,  comme  on  l'appelle ,  cavité  sous-cutanée, 
située  vers  le  grand  angle  de  l'œil  et  sécrétant  une 
humeur  grasse. 

Les  larmes  sont  sécrétées  surabondamment  dans 
l'œil  de  l'homme  ,  et  se  répandent  extérieurement 
sous  l'influence  d'un  vif  chagrin  :  quelques  mammi- 
fères seulement  sont  dans  le  même  cas;  on  l'observe 
parfois  pour  le  chien ,  on  le  dit  du  cerf  aux  abois. 

§  IV.  Direction, 

Le  globe  de  l'œil  n'est  parfaitement  fixe  chez 
aucun  vertébré  ;  aussi  est-il  constamment  pourvu 
de  muscles,  et  celui  même  de  la  taupe,  tout  rudi- 
mentaire  qu'il  est ,  sert  encore  de  point  d'attache  à 
quelques  faisceaux  musculaires;  mais  cette  mobi- 
lité ,  si  grande  chez  presque  tous  les  mammifères , 
si  prononcée  en  particulier  chez  le  caméléon  qui , 
sans  changer  d'attitude  ,  peut  tourner  ses  regards 
sur  tous  les  points  de  l'espace  qui  l'environne,  direc- 
tement en  arrière,  comme  directement  en  avant; 
cette  mobilité,  dis-je,  diminue  considérablement, 
sans  néanmoins  s'annihiler  tout-à-fait,  chez  les  oiseaux 
et  les  poissons ,  dont  l'œil  large  et  aplati  remplit 
assez  exactement  son  orbite.  Les  premiers  y  sup- 
pléent par  l'excessive  mobilité  de  leur  tête  portée 
sur  un  cou  long  et  flexible  ,  susceptible  de  torsion  , 
comme  le  prouvent  si  bien  en  particulier  les  mou- 


DE  LA  VUE.  227 

vements  des  oiseaux  de  niiit^  dont  l'œil,  selon 
Sœmmerring  le  fils ,  est  presque  absolument  fixe 
aussi  bien  que  celui  de  l'aigle.  Pour  les  seconds  , 
suspendus  dans  un  milieu  d'une  excessive  mobilité  , 
et  où  le  moindre  mouvement  fait  varier  leur  position , 
c'est  tout  le  corps  qui  change  de  direction  avec 
autant  d'aisance  et  de  promptitude  que  la  tète  d'un 
oiseau  ,  que  l'œil  d'un  mammifère. 

J'ai  dit  que  nul  vertébré  n'avait  l'œil  immobile  ; 
on  peut ,  en  effet ,  reconnaître ,  par  l'observation  sur 
des  animaux  captifs  ,  les  mouvements  assez  bornés ,  il 
est  vrai ,  de  celui  des  serpents  sous  leur  paupière  im- 
mobile et  cornée,  de  celui  des  poissons  sous  l'épaisse 
conjonctive  qui  le  couvre  et  qu'il  entraîne  dans  ses 
faibles  oscillations.  Comme  il  est  facile  de  l'imaginer, 
la  force  des  muscles  de  l'œil  est  en  rapport  avec  les 
effets  à  produire  :  on  connaît  les  quatre  muscles 
droits  de  l'homme  (^fig.  o  y  ^  bien  suffisants  pour  im- 
primer  à  l'axe  du  globe  oculaire  des  mouvements  dans 
toutes  les  directions  imaginables,  soit  qu'ils  agissent 
isolément  comme  élévateur,  abaisseur,  adducteur, 
ou  abducteur  de  la  cornée  transparente ,  soit  qu'ils 
combinent  leur  action  pour  produire  des  mouve- 
ments en  diagonale  :  aussi  ces  muscles  ne  manquent- 
ils  jamais  qu'aux  vertébrés  dont  l'œil  est  atrophié. 

Chez  tous  les  vertébrés  aussi  il  y  a  deux  muscles 
obliques ,  un  supérieur  et  un  inférieur,  dont  l'usage 
nous  semble  avoir  été  inexactement  indiqué  ;  ils  rou- 
lent évidemment  le  globe  sur  son  axe ,  soit  que  l'un 
d'entre  eux  soit  réfléchi ,  comme  le  grand  oblique 
de  l'homme  f^fig.  51  et  hlj  et  des  mammifères, 
dans  une  anse  ligamenteuse,   à  l'angle  interne  de 


228  DE  LA   VUE. 

l'orbite,  soit  qu'il  parte  immédiatement  de  ce  point, 
comme  celui  des  oiseaux  et  des  reptiles.  Il  nous 
paraît  certain  que  leur  fonction  réelle  est  de  main- 
tenir l'axe  de  l'œil  dans  une  direction  constante  eu 
égard  aux  objets  qu'il  contemple,  malgré  les  oscil- 
lations ,  les  balancements  du  corps  et  de  la  tète  en 
particulier;  aussi  ces  objets  semblent-ils  osciller 
eux-mêmes  dès  que  les  mouvements  de  la  tête  sont 
trop  forts,  trop  rapides ,  ou  trop  imprévus  pour  être 
compensés  par  l'action  des  muscles  obliques  ;  et 
cette  liaison  d'habitude  est  telle ,  que  la  rotation  de 
l'œil  ne  saurait  être  opérée  seule  et  sans  les  balan- 
cements de  la  tête. 

Les  muscles  obliques  peuvent  encore  aider  à  la 
vision  comme  antagonistes  des  muscles  droits,  en 
tirant  le  globe  en  dedans  et  en  avant ,  tandis  que 
ceux-ci  le  tirent  en  arrière  ;  mais  ce  n'est  que 
pour  fixer  cet  organe  ,  quand  nous  regardons  avec 
attention  quelque  objet  très-menu.  Le  fait  prouve 
même  que ,  en  pareil  cas  ,  c'est  le  muscle  droit 
interne  qui  fatigue  le  plus  ,  parce  que ,  pour  voir 
de  près,  il  faut  diriger  en  dedans  les  deux  axes 
optiques  :  delà,  la  fatigue  qu'on  ressent  vers  l'angle 
interne  de  l'orbite ,  après  une  observation  longue  et 
minutieuse.  Veut-on  la  preuve  de  cette  action  du 
muscle  droit  interne?  Qu'on  fixe  bien  un  seul  œil 
sur  un  objet  placé  à  huit  ou  dix  pouces  ;  qu'on  ouvre 
ensuite  l'autre  œil  ;  et  constamment  on  apercevra 
tout  d'abord  une  deuxième  image  de  l'objet,  image 
située  du  coté  opposé  à  l'œil  qu'on  vient  d'ouvrir, 
mais  qui  se  reporte  rapidement  sur  la  première  pour 
n'en  faire  plus  qu'une  seule  ;  il  y  a  strabisme  mo- 


DE  LA  VUE.  2 '2 9 

mentané.  Cesi  que  l'œil  fermé ,  et  conséquemmeiit 
en  repos ^  est  toujours  dirigé  tout-à-fait  en  avant  par 
l'antagonisme  de  ses  muscles ,  et  qu'il  faut  un  effort 
du  droit  interne  pour  porter  en  dedans  l'axe  opti- 
que et  le  mettre  en  rapport  direct  avec  l'objet  qu'on 
regarde. 

L'antagonisme  des  muscles  droits  et  obliques  peut 
bien  aussi  tendre  la  cornée ,  lui  donner  toute  la  régu- 
larité de  courbure  nécessaire  au  parfait  exercice  de 
ses  fonctions;  mais  il  ne  nous  paraît  pas  qu'il  puisse 
changer  cette  courbure ,  en  augmenter  la  convexité , 
ou  comprimer  l'œil  de  manière  à  en  allonger  l'axe 
antéro- postérieur.  C'est  de  cette  manière  pourtant 
qu'on  a  voulu  expliquer  l'aptitude  de  l'organe  de  la 
vue  à  s'accommoder  aux  distances  des  objets  qu'il 
aperçoit,  à  voir  distinctement  à  des  éloignements  si 
différents  que  le  foyer  des  rayons  qu'ils  émettent  ne 
saurait  être  à  la  même  profondeur  pour  tous.  Cette 
question,  qui  se  représentera  de  nouveau  dans  les 
paragraphes  suivants ,  ne  nous  arrêtera  ici  qu'autant 
qu'il  le  faudra  pour  prouver  l'insuffisance  de  la 
théorie  dont  il  s'agit.  Une  première  preuve  se  tire- 
rait des  contradictions  auxquelles  a  donné  lieu  cette 
prétendue  influence  des  muscles;  pour  les  uns,  les 
obliques  seuls  servaient  à  l'élongation  du  globe  ,  et 
les  droits  à  son  raccourcissement;  pour  d'autres,  il 
fallait  l'action  simultanée  des  droits  et  des  obliques , 
et  l'allongement  qui  en  résultait  suffisait  pour  tout 
expliquer.  Cette  dernière  interprétation  est  celle  qui 
se  présente  avec  le  plus  de  vraisemblance ,  et  mérite 
du  moins  quelque  examen.  On  prouve  aisément, 
par  des  expériences  toutes  physiques,  qu'un  objet 


2o0  DE  LA   VUE, 

lointain  produit  une  image  nette  derrière  une  len- 
tille de  verre ,  à  une  distance  bien  plus  courte  que 
si  cet  objet  est  très -rapproché;  donc,  si  notre 
oeil  s'allongeait  pour  regarder  un  objet  très-voisin 
(Lecat),  il  pourrait  eu  recevoir  nettement  l'image 
sur  sa  rétine ,  mise  ainsi  au  foyer  des  rayons  les 
plus  divergents  ;  et  en  se  raccourcissant  par  son 
élasticité  naturelle ,  il  ramènerait  son  fond  au  foyer 
des  rayons  peu  divergents  ou  parallèles  émanés  d'un 
objet  éloigné;  mais  il  faudrait  pour  cela  que  les 
variations  en  longueur  fussent  d'une  ligne  et  même 
plus,  d'après  la  force  réfringente  approximative- 
ment connue  de  la  cornée  et  du  cristallin  (i).  Or,  cet 
allongement,  équivalent  à  un  sixième  de  la  longueur 
de  l'œil,  comme  l'a  estimé  Dulong,  serait  certai- 
nement appréciable  pour  un  observateur  attentif ,  et 
l'expérimentation  ne  démontre  rien  de  pareil.  D'un 
autre  côté ,  la  sclérotique  osseuse  ou  presque  osseuse 
des  poissons ,  celle  des  oiseaux  et  des  reptiles ,  garnie 
d'un  cadre  de  pièces  osseuses  ^gf.  i^) -5,  h Jj,  incapables 
de  glissement  j  parle  hautement  contre  cette  théorie. 
Mais  si  du  moins  la  compression  pouvait  rendre 
la  cornée  plus  convexe ,  donnant  plus  de  force  ré- 
fringente à  cet  organe  ,  elle  le  rendrait  apte  à 
ramener  sur  la  rétine  le  foyer  des  rayons  diver- 
gents émanés  d'un  objet  voisin  (  Olbers  )  :  or, 
on  a  attribué  cet  effet,  comme  le  précédent ,  non- 
seulement  aux  muscles  dont  nous  avons  déjà  parlé , 
mais  encore  à  de  prétendus  muscles  situés  entre  la 
choroïde  et  la  sclérotique  chez  le  rhinocéros  (  H. 
Leigli  Thomas),   entre  la  sclérotique  et  la  cornée 

(1)  Voyez  plus  loin  ,  §  VI,  A,  c. 


DE  LA  VUE.  231 

chez  les  oiseaux  de  nuit  (Crampton,  Carus),  dans 
l'épaisseur  même  de  la  sclérotique  chez  la  haleine 
(Ramsome);  mais  il  paraît  qu'on  s'en  est  laissé 
imposer  par  des  nerfs  et  des  vaisseaux  qu'on  a  con- 
fondus avec  des  fihres  musculaires ,  et  l'iris  est  trop 
faible  pour  agir  de  la  même  manière,  ainsi  que 
l'ont  voulu  quelques  personnes.  Conjecture  pour 
conjecture  ,  j'aimerais  mieux  encore  attribuer  à  une 
contraction  de  la  cornée  même  ses  changements  de 
forme ,  s'ils  étaient  réels ,  puisque  Berzélius  y  a 
trouvé  de  la  fibrine.  Mais  les  observations  d'Young, 
et  celles  moins  minutieuses  que  nous  avons  faites 
nous-mèmesurdes  personnes  douées  d'une  vue  excel- 
lente ,  ont  prouvé  que  les  images  réfléchies  par  la 
cornée  ne  changent  point  de  dimension  quand  on 
regarde  près  ou  loin ,  ce  qui  devrait  être  si  sa  con- 
vexité variait  d'intensité.  Young  a  poussé  le  soin 
jusqu'à  examiner,  au  microscope ,  la  distance  entre 
les  images  produites  par  deux  bougies ,  il  n'a  pu 
reconnaître  la  moindre  variation  ;  et  il  a  répété  l'ex- 
périence sur  la  sclérotique  pour  prouver  aussi 
qu'elle  ne  change  pas  de  forme ,  et  que  l'œil ,  en 
conséquence ,  ne  s'allonge  ni  ne  se  raccourcit.  Enfin , 
on  peut ,  par  des  pressions  artificielles ,  essayer  de 
produire ,  sur  ses  propres  yeux ,  des  effets  ana- 
logues à  ceux  qu'on  suppose  dans  cette  théorie  ; 
mais  on  ne  fera  que  troubler  ainsi  la  vision,  quel- 
que circonspection  qu'on  y  mette.  J'ai  également 
tenté  d'observer  l'influence  de  ces  compressions  laté- 
rales sur  des  yeux  de  lapins  albinos  ;  je  n'en  ai  vu 
résulter  aucune  variation  quand  les  membranes  de 
l'œil  étaient  suffisamment  tendues  ;   mais ,    était-il 


2o2  DE   LA  VIE. 

flétri ,  la  tension  rendait  aux  images  une  netteté  due 
uniquement  à  la  régularité  de  la  courbe  réfringente 
(cornée)  et  de  celle  qui  recevait  l'image  (rétine). 

Outre  des  muscles  droits  et  obliques  pareils  à 
ceux  de  l'bomme ,  la  plupart  des  mammifères  en 
ont  d'autres  qui  se  retrouvent  encore  chez  plusieurs 
reptiles  :  souvent  (ruminants,  solipèdes,  etc.  )  c'en 
est  un  très-considérable  qui ,  en  forme  d'entonnoir, 
environne  le  nerf  optique  et  la  partie  postérieure  du 
globe  ;  c'est  le  suspenseur  ou  choanoïde  :  d'autres  fois 
(carnivores),  partagé  en  quatre  portions,  il  double 
les  muscles  droits.  Les  batraciens  en  ont  un  de  plus 
encore  ;  c'est  une  sorte  de  sangle  musculaire  qui  sou- 
lève l'œil ,  lorsque  ,  dans  un  effort  violent  de  déglu- 
tition ,  il  a  été  enfoncé  vers  la  bouche ,  dont  l'orbite 
n'est  séparée  que  par  des  parties  molles  assez  minces. 

Ces  muscles  sont  animés  par  des  nerfs  spéciaux,  nés 
de  la  masse  encéphalique  ,  la  troisième ,  la  quatrième 
et  la  sixième  paire  ;  c'est  une  preuve  de  leur  grande 
importance  ,  et  l'on  peut  faire  entrer  cette  particu- 
larité en  ligne  de  compte  pour  l'explication  du  rôle 
important  qu'ils  jouent,  et  dans  l'exploration  du 
monde  ambiant,  et  dans  l'expression  des  sentiments 
qui  agitent  le  moral. 

§  V.   Revêtement. 

A,  Nous  avons  dit  quelque  chose  déjà  des  usages 
attribués  à  la  sclérotique  ou  cornée  opaque  ,  et  à  la 
cornée  transparente/  nous  ne  les  considérerons  ici 
que  comme  servant  d'enveloppe  extérieure  aux  autres 
parties  du  globe  de  l'œil ,  et  nous  n'en  dirons  même 
que  quelques  mots ,  devant  revenir  sur  ce  qui  con- 


D£  LA  VUE.  23B 

cerne  leur  forme,  leur  courbure,  au  sujet  de  l'ap- 
pareil de  réfraction  et  de  ses  modifications  tant 
organiques  que  fonctionnelles.  Quoique  formant 
ensemble  la  coque  extérieure  de  Foeil,  ces  deux 
membranes  ne  doivent  pas  pourtant  être  considérées 
comme  une  seule  qui  aurait  subi ,  dans  une  de  ses 
parties ,  quelque  changement  de  contexture  ;  on  a 
reconnu ,  depuis  long-temps ,  que  ce  sont  deux  pièces 
distinctes  et  que  la  macération  peut ,  même  chez 
l'homme,  séparer  dans  leur  suture,  quoiqu'elle  ait 
plus  de  largeur  que  les  deux  membranes  ne  sont 
épaisses ,  en  raison  de  la  coupe  oblique  des  bords 
par  lesquels  elles  se  touchent.  A  l'état  frais ,  chez 
l'homme  et  mieux  chez  le  bœuf ,  on  distingue 
parfaitement  les  limites  de  l'une  et  de  l'autre  par 
leur  différence  d'organisation,  la  sclérotique  n'étant 
qu'un  feutrage  de  fibres  albuginées ,  disposées  pour 
la  plupart  longitudinalement  surtout  en  avant  ;  tandis 
que  la  cornée  est  lamelleuse,  au  point  même  que 
la  membrane  préaqueuse  (membr.  deDescemet), 
qui  s'en  détache  toutefois  bien  aisément  dans  l'œil 
du  bœuf ,  du  chat ,  de  l'homme  ,  ne  semble  en 
être  qu'une  lamelle  plus  dense ,  plus  parcheminée , 
une  sorte  d'épiderme  intérieur  (^^gf.  ^Ij.  Cette  dif- 
férence de  structure  devient  plus  sensible  après 
quelque  temps  de  macération  dans  l'eau,  la  cornée 
se  gonflant  beaucoup  alors  et  la  sclérotique  fort 
peu.  On  sait  d'ailleurs  que ,  indépendamment  de  sa 
transparence ,  la  cornée  conserve  toujours  une  cer- 
taine souplesse  (i),  tandis  que  la  sclérotique,   déjà 

(1)  Elle  esl  Irès-molle  chez  les  serpenls;  ce  qui  est  dur  el  poli ,  au-dehors  de 
l'œil,  c'est  une  paupiùre  sans  ouverlure. 


234  DE  LA  VUE. 

si  épaisse  et  fibro-carîilagineuse  chez  les  cétacés , 
devient  dure  et  souvent  osseuse  chez  les  poissons, 
et  s'ossifie  ,  du  moins  en  partie  ,  chez  les  oiseaux  et 
les  reptiles;  car  c'est  bien  dans  son  épaisseur  que 
siège  Tanneau  de  pièces  osseuses  qu'on  observe  près 
de  son  union  avec  la  cornée. 

Si  donc  Ja  sclérotique  est  un  prolongement  de  la 
dure-mère ,  il  n'en  saurait  être  ainsi  de  la  cornée  ; 
et  loin  qu'elles  soient  une  membrane  continue  et  se 
présentant  seulement  sous  deux  aspects  différents, 
on  peut  croire  que  ce  sont  deux  organes  séparés 
par  d'autres.  Chez  le  bœuf,  le  mouton,  il  y  a  , 
dans  l'enchevêtrement  des  fibres  qui  constitue  leur 
suture  ,  infiltration  de  la  même  matière  noirâtre 
qui  colore  la  conjonctive  autour  de  la  cornée  et  qui 
est  si  abondamment  imbibée  dans  le  tissu  de  la 
choroïde  ;  il  semble  donc  qu'il  y  ait  continuité 
entre  cette  dernière  et  la  membrane  muqueuse ,  qui 
est  si  évidemment  une  continuation  de  la  peau  ;  et 
cette  continuité  serait  incontestable  ,  d'après  Cuvier, 
dans  le  squale  miîandre.  On  pourrait  admettre ,  en 
conséquence,  que  la  conjonctive  s'enfonce  entre  la 
cornée  et  la  sclérotique  pour  constituer  la  choroïde 
et  l'iris  ,  dont  la  ruyschienne  et  l'uvée  constituent 
seulement  une  doublure  analogue  au  corps  muqueux 
•de  la  peau  et  contenant  aussi  les  organes  sécréteurs 
du  pigment  coloré.  Il  est  à  remarquer,  en  effet, 
que  le  pigment  manque  à  la  fois  dans  l'œil  et  à  la 
peau  chez  les  albinos.  Ce  que  nous  avons  dit  de  la 
continuité  de  la  conjonctive  à  la  surface  antérieure 
de  l'œil ,  semblerait  prouver  aussi  que  la  cornée  est 
du  moins  une  production  des  couches  les  plus  super- 


DE  LA  \VE.  235 

fîcielles  de  la  peau ,  le  système  choroïdien  en  repré- 
sentant les  couches  les  plus  profondes. 

B.  La  cJioroïde  et  la  ruyschienne  sont  deux  feuillets 
Lien  distincts ,  sinon  chez  l'homme ,  du  moins  chez 
lehœuf  ,^^g.  57,  f,  gjj  Féléphant,  la  haleine,  les 
oiseaux,  les  poissons,  etc.  La  première  offre  ceci 
de  remarquable,  qu'elle  est  resplendissante ,  imbibée 
d'un  vernis  nacré  chez  les  poissons,  et  séparée  de  la 
deuxième  par  un  corps  vasculaire  très -épais  (rj; 
que  ,  chez  les  oiseaux  ,  elle  est  cartilagineuse ,  et  a 
toujours  été  confondue  avec  la  sclérotique  fibreuse 
et  en  partie  osseuse ,  dont  il  est  pourtant  bien  facile 
de  la  détacher  :  elle  semble ,  chez  les  poissons  et 
les  reptiles ,  se  continuer  immédiatement  avec  le 
feuillet  antérieur  de  l'iris,  également  orné  d'un 
vernis  brillant  et  d'aspect  métallique.  La  ruyschienne 
se  continue,  au  contraire  ,  avec  l'uvée,  et  sécrète  de 
même  un  vernis  opaque ,  foncé  en  couleur,  ordi- 
nairement noir  et  destiné  à  absorber  un  superflu  de 
lumière  qui  apporterait  du  trouble  dans  la  vision. 

C'est  à  elle  qu'appartiennent  plusieurs  productions 
particulières  :  tels  sont  d'abord  les  plis  nommés 
procès  ciliaireSj  et  qu'il  vaudrait  mieux  appeler  jjrocè^ 
ruyschiens  f^fig.  57,  hjj  formant,  autour  du  cris- 
tallin, une  couronne  simple  chez  l'homme  et  la 
plupart  des  mammifères  ,  double  chez  d'autres 
comme  le  bœuf,  et  se  continuant  avec  les  plis  radiés 
de  l'iris;  plis  très -peu  saillants  chez  les  oiseaux, 
moins  encore  chez  les  poissons.  Les  procès  ruyschiens 
sont  uniquement  vasculaire  s  et  n'ont  rien  de  con- 

(1)    (Fig.  S6J    C'est    la   glande    choroïdienne  ;    elle    manque  aux  cliondro- 
plcrygiens. 


236  DE  LA  VUE. 

tractile ,  rien  qui  leur  permette ,  comme  on  l'a  cru , 
d'avancer  ou  reculer  le  cristallin  (Brewster);  nous 
nous  en  sommes  bien  assuré  après  Zinn ,  Sœmmer- 
ring ,  etc.  On  peut  croire ,  en  conséquence ,  que 
ces  sortes  d'épiploons  en  miniature  servent  à  l'ab- 
sorption et  peut-être  aussi  à  l'exbalation  de  l'humeur 
vitrée  ;  ils  s'enfoncent  effectivement  dans  le  corps 
liyaloïde  dont  la  partie  membraneuse  est  bien  déliée 
et  bien  peu  apte ,  en  apparence  du  moins ,  à  des 
fonctions  tant  soit  peu  actives. 

2°  Cette  opinion  est  rendue  plus  probable  par  la 
présence  d'un  repli  en  forme  de  peigne  j  de  bourse , 
d'éventail  (oiseaux),  ou  de  cloche  (poissons),  quel- 
quefois de  fil  (caméléon,  muge,  etc.),  formé  dans  le 
fond  de  l'œil  par  la  ruyschienne  (^fig.  55jj  comme 
pour  suppléer  à  la  faible  saillie  des  procès  ciliaires 
chez  ces  animaux.  Nous  ne  saurions ,  du  moins , 
attribuer  d'autre  usage  à  cette  expansion  plissée, 
toujours  teinte  en  noir,  et  qui  s'élève  de  l'insertion 
du  nerf  optique  pour  se  diriger  vers  le  centre  du 
cristallin.  Comme  le  peigne  est  bien  loin  d'atteindre 
à  cette  lentille  chez  la  majeure  partie  des  animaux 
qui  le  possèdent ,  et  n'a  d'ailleurs  rien  de  muscu- 
laire ,  il  ne  saurait  servir  à  la  tirer  en  arrière  pour 
rapprocher  son  foyer  de  la  rétine  ,  bien  qu'on  lui 
ait  attribué  cet  usage  :  toutefois ,  comme  il  adhère 
fortement  au  corps  vitré  ,  il  peut  contribuer  à  la 
fixité,  à  la  tension  des  parties  intérieures  de  l'œil, 
et  Magendie  observe ,  en  effet ,  que  l'œil  des  oiseaux 
se  fronce  moins  vite ,  que  la  cornée  s'affaisse  moins , 
malgré  la  transsudation  de  l'humeur  aqueuse  après 
la  mort ,    quand  ce  processus  est  coupé  que  quand 


DE  LA  VUE.  237 

il  est  dans  son  intégrité  complète.  Desmoulins  le 
croit  destiné  à  soustraire  une  portion  de  la  rétine 
à  l'impression  des  objets  situés  devant  l'animal  et  à 
mieux  isoler  les  deux  yeux  ;  mais ,  si  on  l'examine 
en  ouvrant  l'œil  encore  placé  dans  l'orbite  et  dé- 
couvert par  en  haut ,  on  voit  que  sa  direction  n'est 
nullement  favorable  à  l'idée  de  ce  physiologiste; 
l'insertion  du  peigne ,  comme  celle  du  nerf  optique , 
représente  une  ligne  dirigée  d'arrière  en  avant  et 
un  peu  en  bas ,  située  hors  du  centre  par  consé- 
quent ,  et  son  plan  répond  assez  bien  à  l'axe  de 
l'œil,  de  façon  à  faire  croire  qu'il  n'intercepte  aux 
faisceaux  lumineux  qu'un  espace  égal  à  son  épais- 
seur :  il  doit  ainsi  fort  peu  nuire  à  la  vision  ;  car, 
chez  l'homme  même ,  l'insensibilité  du  point  où  le 
nerf  optique  s'insère ,  ne  nuit  pas  à  la  netteté  de  la 
vue.  Toutefois,  on  peut  croire  que  c'est  pour  sup- 
pléer au  trouble  qu'apporterait  sa  présence  lors  d'un 
examen  attentif  de  quelque  objet  voisin,  que  les 
oiseaux ,  en  pareil  cas ,  inclinent  la  tète  en  divers 
sens,  avec  cet  air  de  vivacité  et  de  curiosité  qu'on 
leur  connaît. 

3"  Beaucoup  de  mammifères  ont  une  partie  de  la 
ruyschienne  dépourvue  du  pigment  noir,  et  brillante 
au  contraire  comme  la  choroïde  des  poissons  ;  cette 
portion ,  ordinairement  opposée  à  la  pupille ,  située 
par  conséquent  au  fond  de  l'œil ,  porte  le  nom  de 
tapis.  Elle  est  tantôt  d'un  blanc  d'argent,  tantôt 
jaunâtre,    bleuâtre,  rougeâtre  même  (i).    C'est  en 

(1)  Ces  colorations  ne  doivent  pas  produire  plus  d'effet ,  sur  la  vision  ,  que 
l'usage  des  lunettes  bleues  ou  vertes  chez  une  personne  tout-à-fait  accoutumée 
à  leur  emploi.  Il  en  est  de  même  de  la  coloration  du  vitré  ,  jaunâtre  chez 
beaucoup  d'animaux,    surtout  de  poisons  ;  l'un  de  mes  yeux  sans  doute  a  été 


238  DE  LA  VUE. 

quelque  sorte  uu  miroir  concave  légèremeut  terni 
par  la  rétine  ,  mais  qui  peut  pourtant  réfléchir  la 
lumière  si  l'animal  en  reçoit  beaucoup  étant  placé 
en  face  d'un  lieu  éclairé  ;  il  en  résulte  alors  un  éclat 
d'autant  plus  vif  qu'il  sera  environné  ,  de  tout  autre 
côté ,  d'une  obscurité  plus  profonde  :  de  là,  la  i^ré- 
ienàue  phosphorescence  des  yeux  du  chat  sur  laquelle 
nous  reviendrons  ailleurs.  Les  ruminants ,  les  soli- 
pèdes  ne  sont  pas  moins  bien  partagés ,  sous  ce  rap- 
port, que  les  carnassiers;  le  chien  ne  l'est  guère 
moins  que  le  chat.  Tous  ces  animaux  voient  mieux 
que  l'homme  dans  l'obscurité  ,  et  l'on  peut  penser  , 
avec  Monro  et  Desmoulins,  que  le  tapis  ajoute  à  la 
force  des  impressions  visuelles  qu'ils  peuvent  rece- 
voir, puisque  la  rétine  est  traversée  deux  fois  parles 
mêmes  faisceaux  ;  il  n'en  saurait  résulter  de  trouble 
ou  de  confusion ,  puisque  ces  faisceaux ,  réfléchis  en 
avant  ,  traverseront  la  pupille  pour  se  jeter  au- 
dehors ,  ou  se  perdront  sur  l'uvée  et  les  procès 
ciliaires  toujours  garnis  d'une  épaisse  couche  de 
vernis  noir.  Ainsi  tombent  les  déclamations  des 
écrivains  qui  ont  voulu  trouver  là  une  cause  d'infé- 
riorité entre  les  quadrupèdes  et  l'homme;  certes  ce 
n'est  pas  ici  qu'il  faut  en  chercher. 

C.  l'iris  est  un  diaphragme  dont  l'ouverture  ne 
permette  passage  qu'aux  faisceaux  lumineux  propres 
àproduire  une  vision  régulière,  et  qui  arrête ,  absorbe 
tous  les  autres.  A  cet  effet ,  il  est  pourvu  d'une  assez 
grande  épaisseur  et  doublé  d'une  couche  de  vernis 


dans  le  même  cas  pendant  quelque  temps;  je  voyais  alors  la  couleur  jaune 
beaucoup  plus  pâle  de  l'œil  gauche  que  de  l'œil  droit  ;  mais  je  ne  m'en  aper- 
cevais qu'en  étudiant  celle  circonstance  par  iine  comparaison  très-attentive. 


DE  LA  VUE.  239 

noir  qui  ne  manque  que  chez  les  albinos;  aussi, 
chez  ces  derniers ,  la  vue  est-elle  rendue  confuse  et 
péniblement  affectée  par  l'éclat  du  jour,  qui  tra- 
verse en  partie  les  parois  de  l'iris  comme  il  traverse 
aussi  l'épaisseur  des  paupières  (i).  L'uvée,  c'est-à- 
dire  la  lame  postérieure  de  l'iris ,  continuation  évi- 
dente de  la  ruyschienne,  offre  presque  constamment 
des  plis  radiés  qui  en  augmentent  l'épaisseur ,  sans 
gêner  les  mouvements  qui  nous  occuperont  tout-à- 
l'heure  (^fig.  57,  iy'.  La  lame  antérieure  de  ce 
diaphragme,  continuation  de  la  choroïde  (j),  est 
quelquefois  épaisse  et  colorée  comme  elle  (poissons, 
reptiles  ) ,  plus  souvent  elle  est  très-fine  et  si  trans- 
parente qu'on  pourrait  douter  de  son  existence  sans 
les  reflets  qu'elle  donne  ,  même  après  avoir  été  bien 
abstergée;  elle  se  plisse  d'ailleurs  en  rides  concentri- 
ques, du  reste  fort  peu  saillantes,  quand  la  pupille 
ou  prunelle  s'élargit ,  et  cette  souplesse ,  aussi  bien 
que  les  raisons  déjà  données  de  sa  continuité  avec 
la  choroïde  et  même  la  conjonctive,  prouvent  que 
ce  n'est  pas  une  continuation  de  la  membrane  pré- 
aqueuse ,  qui  s'arrête  manifestement  vers  la  circon- 
férence de  la  cornée. 

La  transparence  de  la  lame  antérieure  de  l'iris , 
chez  les  mammifères  et  l'homme,  permet  de  voir, 
comme  à  nu ,  un  lacis  admirable  de  vaisseaux  et  de 

(1)  On  voit  les  éclairs  même  les  yeux  fermés,  et  l'on  distingue  parfaitement 
ainsi  l'obscurité  des  ténèbres;  la  lumière  du  soleil,  quand  elle  traverse  ainsi 
les  paupières,  prend  une  couleur  rouge  comme  quand  elle  traverse  le  bord  des 
doigts  réunis  :  c'est  la  couleur  du  sang  dont  ces  parties  sont  pénétrées  :  de  là, 
la  couleur  rouge  que  semblent  prendre  les  caractères  noirs  d'un  livre  quand  on 
lit  au  soleil;  l'image  de  ces  caractères,  tracés  en  noir,  c'est-à-dire  sans  couleur 
aucune,  sur  la  rétine,  est  colorée  en  rouge  par  la  lumière  qui  traverse  et  les 
paupières  et  même  la  sclérotique  et  la  choroïde  :  on  comprend  qu'il  faut  pour 
cela  qu'elle  soit  bien  vive,  bien  intense. 


240  DE   LA  VI K. 

nerfs  blanchâtres  les  uns  et  les  autres,  et  qui  con- 
stituent   ces  dessins  filamenteux,   irrégulièrement 
rayonnes,  que  tout  le  monde  connaît;  s'ils  conservent 
leur  blancheur,  laissant  seulement  paraître  la  nuance 
foncée  du  pigment  de  Tuvée  ,  ils  donnent  à  l'iris  une 
couleur  bleue  ou  grise  ;  si  du  pigment  est  disséminé 
entre  leurs  filaments   entrelacés,  il   en  résulte  des 
yeux  bruns  ,  verdàtres ,  rougeàtres ,  comme  on  les 
voit  chez  divers  oiseaux  et  quadrupèdes,  chez  divers 
individus  de  Fespèce  humaine.    Les  nerfs  nommés 
ciliaires  ou   iriens    partent ,    dans  l'homme  et  les 
mammifères,  du  ganglion  ophthalmique,  dépendance 
du  moteur  commun  et  d'une  branche  de  la  cinquième 
paire.  Selon  Desmoulins ,  les  oiseaux ,  et  notamment 
l'aigle  ,   ne  reçoivent  de  nerfs  ciliaires  (  et  ils  sont 
d'un  très-grand  volume  chez  celui  ci  surtout)  que 
de  la  troisième  paire  ou  moteur  commun  ;  il  n'y  en 
a  pas,  dit-il,  chez  les  poissons.  Nous  reviendrons , 
dans  un  instant ,  sur  l'importance  physiologique  de 
ces  particularités  anatomiques  :  finissons ,  en  rap- 
pelant que  c'est  Un  véritable  plexus  très-serré  et 
à  filaments  très-fins,   une  sorte  de  ganglion,   que 
ces  nerfs  forment  tout  autour  de  l'iris  et  des  procès 
ciliaires  en  dehors  delà  choroïde;  cette  structure  du 
corps  ou  prétendu  ligament  ciliaire  ne  saurait  être 
révoquée  en  doute  chez  l'homme  ,  pas  plus  que  chez 
le  bœuf ,  le  chat,  le  lapin  surtout  ;  Scarpaet  d'autres 
anatomistes  ont  été  certes  bien  fondés  à  le  considérer 
comme  un  ganglion. 

Jusqu'à  présent  nous  ne  voyons  dans  l'iris  que 
des  plis  de  membranes ,  que  des  stries  vasculaires 
et  nerveuses  qu'on  a  crues,  bien  à  tort,  les  unes  ou 


DE  LA  VUF*  241 

les  autres,  douées  de  contractilité  ;  cependant  la 
pupille  s'élargit  et  se  rétrécit  ;  donc  l'iris  contient 
quelque  organe  de  raccourcissement  ou  d'amplia- 
tion  ;  l'augmentation  des  flexuosités  dans  les  stries 
susdites  lorsque  l'iris  se  rétrécit  en  agrandissant  son 
ouverture ,  selon  la  rémarque  de  Cuvier,  prouve  assez 
qu'elles  ne  sont  que  passives  dans  ce  mouvement  ; 
d'un  autre  coté ,  la  vivacité  des  oscillations  de  la 
pupille ,  la  manière  dont  elles  s'opèrent  quand  on  les 
observe  de  près ,  et  surtout  à  la  loupe  ,  ne  peuvent 
en  aucune  façon  être  rapportées  à  une  érectilité 
comparable  à  celle  de  la  verge  ,  comme  le  voulait 
Bichat  ;  on  y  reconnaît  évidemment  la  soudaineté 
des  oscillations  musculaires  :  l'écartemeht  obtenu  , 
dans  des  opérations  exécutées  sur  l'homme  même 
(  pupille  artificielle  j ,  lorsqu'on  coupait  l'iris  dans 
tel  ou  tel  sens  (Maunoir,  Faure  ,  etc. },  puis  encore 
l'action  paralysante  de  la  belladona  appliquée  sur  la 
conjonctive  ,  et  les  mouvements  décidés  par  l'appli- 
cation du  galvanisme  sur  l'iris  d'un  animal  ou  d'un 
homme  récemment  mort,  sur  la  tête  d'un  supplicié 
par  exemple  (  Nysten  } ,  ne  permettent  aucun  doute 
à  l'égard  de  cette  opinion ,  à  laquelle  sont  favorables 
encore  les  faits  de  contraction  par  irritation  directe 
ou  presque  directe  durant  la  vie  :  ainsi ,  la  cautéri- 
sation de  la  cornée  transparente  chez  l'homme 
resserre  la  pupille  (  Serre  d'xilais);  on  a  vu  le  même 
effet  produit  en  touchant  avec  un  corps  dur  l'œil 
d'une  grenouille  (  Petit  ) ,  en  portant  sur  la  face 
antérieure  de  l'iris  une  aiguille  à  cataracte  chez 
des  chiens  et  des  lapins  (Carus).  Et,  en  effet,  il  existe 
dans  l'iris  un  tissu  contractile  masqué  par  ceux  dont 

16 


242  DE  LA  VUE. 

il  a  été  question  jusqu'à  présent  et  qui  Font  dérobé 
aux  recherches  des  anatomistes  :  ce  tissu  médiocre- 
ment épais  chez  l'homme ,  le  singe ,  le  lapin ,  Test 
beaucoup  au  contraire  chez  les  ruminants  :  chez 
tous,  on  peut  le  découvrir,  l'étudier  au  microscope 
en  déchirant  l'iris  avec  la  pointe  d'une  aiguille  ;  et 
même ,  sur  celui  du  lapin ,  on  peut  découvrir  les 
fibrilles  dont  il  se  compose  sans  déchirement  préli- 
minaire ,  pourvu  qu'on  ait  bien  nettoyé  les  membra- 
nes ou  qu'elles  se  trouvent  naturellement  décolorées 
(albinos).  Le  plus  grand  nombre  de  ces  fibrilles  est 
disposé  en  rayons ,  et  sans  flexuosités  ;  des  faisceaux 
circulaires  entourent  la  pupille  (^fig,  58^  et  lui  for- 
ment un  sphincter  dont  la  largeur  égale  à  peu  près  la 
cinquième  partie  de  l'iris.  Parmi  les  premières  ,  les 
plus  antérieures ,  dans  l'œil  du  bœuf ,  du  mouton , 
sont  attachées  par  petits  faisceaux  distincts  et  séparés 
à  la  suture  cornéo-scléroticienne ,  et  représentent 
une  foule  de  cordages  très-courts  et  très-rapprochés, 
servant  à  tendre  le  diaphragme  irien  :  les  plus  posté- 
rieures remontent  en  arrière  jusque  sous  le  corps 
ciliaire  (^fig.,  57,  \lJ_,  et  peuvent  ainsi  donner  beau- 
coup plus  d'ampleur  à  la  pupille  que  ne  le  compor- 
terait leur  étendue ,  si  elle  était  bornée  à  celle  de 
la  face  visible  de  l'iris. 

J'ai  parlé  de  fibrilles  _,  et  ,  en  effet  ,  ce  ne  sont 
point  des  fibres  musculaires.  Celles-ci,  aussi  grosses 
au  moins  qu'un  cheveu,  sont  toujours  formées  d'un 
faisceau  de  nombreuses  fibrilles  que  nous  avons 
pu  souvent  isoler  par  l'écrasement.  Ces  fibrilles, 
transparentes  et  extrêmement  déliées  (^fig.  ^9J  j  se 
montrent  tantôt  linéaires,    tantôt  transversalement 


DE  LA  VUE.  2^3 

striées ,  élargies  ,  crénelées  sur  les  bords ,  tantôt 
enfin  ressemblant  à  un  chapelet  de  globules  :  ces 
apparences ,  la  même  fibrille  les  offre  dans  plusieurs 
points  de  son  étendue,  du  moins  après  la  mort; 
elles  dépendent  évidemment  de  leur  contraction,  mé- 
diocre dans  le  dernier  cas,  très-considérablo  dans  le 
deuxième,  nulle  dans  le  premier.  Telles  se  présen- 
tent les  fibrilles  de  l'iris,  telles  nous  les  retrouverons 
bientôt  dans  une  autre  portion  de  Torgane  visuel ,  le 
cristallin  ;  telles  aussi  nous  les  avons  trouvées  dans 
la  matrice  de  la  femme  hors  l'état  de  grossesse  ,  dans 
les  muscles  des  ascarides  et  même  des  lombrics  et 
des  mollusques.  On  ne  doit  donc  pas  s'étonner  que 
Berzélius  ait  reconnu  de  la  fibrine  dans  l'iris. 

Non-seulement  nous  tenons  à  prouver  ici  que  les 
mouvements  de  l'iris  sont  musculaires ,  mais  encore 
qu'ils  sont  volontaires  (r).  Remarquons  d'abord, 
avec  Desmoulins ,  qu'il  reçoit  ses  nerfs ,  en  tout 
ou  en  partie ,  du  même  tronc  qui  anime  la  plupart 
des  muscles  de  l'œil ,  si  évidemment  soumis  à  l'em- 
pire de  la  volonté  ;  que  la  section  de  ce  tronc  sur 
un  oiseau  ou  un  chien  paralyse  Tiris  et  laisse  la 
prunelle  largement  ouverte  ;  que  si  ce  nerf,  enfin, 
n'envoie  point  de  filets  à  l'iris  des  poissons  ,  la 
pupille  est  sans  mouvements  chez  ces  animaux  (2)  ; 
Cuvier  le  dit,  et  Sœmmerring  le  fils  a  exposé  aux 
rayons  du  soleil ,  concentrés  à  l'aide  d'une  lentille  , 
l'œil  d'un  brochet  vivant,    sans  déterminer  aucun 

(1)  "  Et  ohservandum  est ,  hune  motum  voluntarium  esse  dicendum  ,  licet  utplurimùm 
à  nobis  ignorantibus  peragatur  ;  neque  enim  ob  hoc  minus  dependet ,  aut  minus  sequitiir 
ex  voluntate  quam  hahemus  henè  videndi.  »     Descartes,  Dioplr. ,  cap.  m. 

(2)  Les  raies  ont  à  l'iris  une  sorte  de  soupape  qui  peut  être  conçue  comme 
s'abaissant  quelquefois  sur  la  pupille  ;  ce  fait  n'a  pas  ,  que  nous  sachions  ,  été 
constaté  sur  le  vivant. 


244  DE  LA  VUE. 

mouvement  de  l'iris.  Cette  membrane  se  montre  éga- 
lement peu  et  lentement  contractile  chez  la  plupart 
des  reptiles  ;  elle  jouit,  au  contraire  ,  d'une  grande 
mobilité  chez  la  plupart  des  oiseaux,  et  l'on  a  tou- 
jours cru  que  les  perroquets  la  meuvent  à  volonté  j, 
parce  qu9  ,    chez  eux,  les  oscillations  de  la  pupille 
sont  sans  relation  évidente  avec  les  variations  de  la 
lumière  autour  d'eux.    Monro  dit  aussi  que  le  chat 
ouvre  et  ferme  sa  pupille  à  sa  volonté  ;  ici  du  moins 
ce  n'est  pas   sans  nécessité   que   ces  mouvements 
s'opèrent.  Suivant  Kieser ,  la  prunelle  d'un  animal 
dont  on  a  coupé  les  paupières  se  contracte  chaque 
fois  qu'il  fait  un  effort  inutile  pour  fermer  l'œil. 
Nous  avons  constaté  plusieurs  fois  ,  sur  des  enfants 
(et  Cuvier  le  dit  d'une  manière  générale),  que  la 
pupille  est  resserrée  ,    comme   les  paupières  sont 
fermées ,  durant  le  sommeil  ;  et  cette  remarque  avait 
été  faite  aussi  sur  la  rainette  par  Petit.  Pour  l'homme 
même,  on  ne  peut  du  moins  méconnaître  que  les 
mouvements  de  l'iris  ne  sont  pas  d'irritabilité  pure 
et  toute  locale,  puisque  la  lumière  projetée  sur  lui 
seul ,  et  non  sur  la  rétine ,   le  laisse  immobile  :    ce 
n'est  pas  non  plus  un  effet  de  sympathie  directe  et 
immédiate ,  car  il  n'y  a  aucune  relation  anatomique 
entre  l'iris  et  la  rétine  ;  nous  nous  en  sommes  minu- 
tieusement assuré  ,   et  d'ailleurs  voici  des  faits  qui 
prouvent  que  la  contraction  ou  la  dilatation  de  la 
pupille  sont  des  mouvements  cérébraux ,  c'est-à-dire 
influencés  par  le  centre  sensitif.  1"  On  sait  que  les 
narcotiques  agissent  sur  l'encéphale  et  en  paralysent 
les  fonctions  ;  or,  ils  dilatent  la  pupille  en  soustrayant 
l'iris  à  l'influence  de  la  volonté  et  l'abandonnant  à 


DE  LA  VUE.  245 

la  seule  élasticité  de  ses  fibrilles ,  dont  les  rayonnées 
sont  les  plus  fortes  ,  étant  les  plus  nombreuses  (i). 
2"  Observez  avec  soin  l'une  de  vos  prunelles,  en 
laissant  l'œil  toujours  dans  les  mêmes  conditions  de 
lumière ,  près  d'un  miroir  par  exemple  ;  couvrez  et 
découvrez  alternativement  l'autre  œil ,  et  vous  verrez 
les  oscillations ,  déterminées  par  ces  alternatives  dans 
l'œil  qui  y  est  exposé,  se  répéter  aussi  dans  l'iris  de 
l'œil  que  vous  tenez  cependant  à  l'abri  de  toute  va- 
riation directe  de  la  lumière  :  c'est  que  la  volonté  ne 
saurait  agir  sur  l'un  sans  agir  sur  l'autre  ,  pas  plus 
que  mouvoir  simultanément  les  deux  yeux  dans  deux 
sens  différents. 

Ces  mouvements  de  l'iris  s'observent  dans  deux 
circonstances  distinctes  où  l'influence  de  la  volonté 
se  manifeste  également  pour  peu  qu'on  y  réfléchisse. 
1"  La  pupille  s'ouvre  dans  l'obscurité  pour  saisir  plus 
de  faisceaux  lumineux;  elle  se  resserre  au  grand 
jour  pour  éviter  l'éblouissement.  Nous  n'avons  nulle- 
ment la  conscience  de  ce  mouvement;  notre  attention 
n'est  pas  indispensable  pour  qu'il  s'opère ,  et  l'on 
croirait  que  la  volonté  y  est  étrangère  ;  mais  n'en 
est- il  pas  de  même  du  froncement  des  sourcils, 
de  l'élévation  des  joues  ,  du  rapprochement  des 
paupières  quand  nous  sommes  exposés  à  un  soleil 
éclatant,  à  des  réverbérations  éblouissantes  ?  Faut-il 
l'intervention  d'une  volonté  nette  et  d'une  conscience 
attentive,  pour  cligner  les  paupières  dans  ce  mouve- 
ment perpétuel  par  lequel  nous  étendons  les  larmes 
sur  la  cornée  ?  Certes ,  ces  mouvements ,  la  volonté 

(1)  Ce  semblerait  être  le  contraire  chez  les  lapins  et  les  coLaies ,  puisque, 
d'après  Desmoulins,  la  section  du  nerf  optique  produit  chez  eux,  en  même 
temps  que  l'immobilité  de  l'iris  ,  le  resserrement  de  la  prunelle. 


246  DE  LA  VUE. 

peut  les  exécuter;  mais,  à  la  longue,  ils  deviennent 
automatiques  (  i  )  comme  tant  d'autres  ,  ceux  de 
l'équilibre ,  de  la  marche ,  de  la  respiration ,  de  la 
déglutition  pour  la  salive ,  etc.  etc.  ;  ils  nous  sont 
devenus  insensibles  par  l'habitude  :  il  en  est  de  même 
de  ceux  de  l'iris  ;  et  si  ces  derniers  ne  sont  pas 
appréciés  par  nous,  c'est  qu'ils  produisent  si  peu  de 
frottements  qu'il  n'en  saurait  résulter  aucune  sensa- 
tion distincte  ou  appréciable.  2°  Si  l'influence  de  la 
volonté  n'est  ici  que  conjecturale,  elle  est  incontes- 
table (2)  du  moins  quand  nous  regardons  attentive- 
ment un  objet  éloigné  ou  rapproché,  dilatant  la 
prunelle  dans  le  premier  cas,  la  resserrant  dans 
le  deuxième.  Cette  vérité  est  si  bien  connue,  que 
Lahire  ,  Haller  ,  Sabatier ,  Magendie  ,  ont  pensé 
que  c'était  en  cela  seul  que  consistait  le  mécanisme 
de  la  vision  distincte  à  des  distances  différentes.  Pour 
nous ,  nous  ne  trouverons  là  qu'un  phénomène  tout 
semblable  à  celui  dont  nous  parlions  tout-à-l'heure; 
nous  ouvrons  la  pupille  pour  les  objets  éloignés, 
parce  qu'ils  envoient  peu  de  rayons  lumineux  à  notre 
œil;  tandis  que,  pour  les  objets  très-voisins,  une 
ouverture  beaucoup  plus  petite  en  reçoit  tout  autant 
et  davantage  encore. 

Quant  à  la  manière  dont  l'œil  s'accommode  vérita- 

(1)  La  présence  d'un  ganglion  à  l'origine  des  nerfs  iriens  peul-elle  rendre  cet 
automatisme  plus  complet?  Nous  ne  le  pensons  pas,  puisque  nous  avons  prouvé 
plus  haut  que  l'intervention  de  Tencéphale  est  constante  dans  la  production 
des  mouvements  de  l'iris.  C'est  en  confondant  les  mouvements  automatiques 
avec  les  mouvements  involontaires,  que  Ch.  Bell  a  pu  croire  que  les  mouve- 
ments du  grand  oblique  de  l'œil  rentraient  dans  celte  dernière  classe. 

(2)  De  là  des  contradictions  singulières  dans  le  langage  des  physiologistes. 
<"  Les  mouvements  que  la  branche  ciliaire  de  la  troisième  paire  imprime  à  l'iris 

sont  involuntaù-es.  ■•  "  Comnfie  notre  pupille  se  dilate  ou  se  rétrécit 

selon  que  nous  regardons  le  même  objet  de  près  ou  de  loin  ,    il  faut  bien  que 
noire  volonté  s'exerce  ,  dans  ce  cas,  àTiotreinsu.  »  (Desmoulins,  p.  693  eiOdk.) 


DE  LA  VUE.  247 

blement  aux  distances,  nous  tenterons  de  l'expliquer 
plus  loin  ;  réfutons  seulement  ici  la  théorie  qui  fait 
tout  consister  dans  les  mouvements  de  la  pupille. 
Invoquons  successivement  la  théorie  et  l'expérience. 
Un  point  très-voisin  de  l'œil ,  a-t-on  dit ,  lance ,  sur 
un  espace  donné  du  cristallin ,  des  rayons  bien  plus 
divergents  que  ne  le  fait  un  point  éloigné  ,  puisqu'à 
un  certain  degré  d'éloignement ,  les  rayons  peuvent 
être  considérés  comme  parallèles  ;  donc  ces  rayons 
seront  plus  difficilement  rapprochés  par  la  lentille 
cristalline  dans  le  premier  cas ,  plus  facilement  dans 
le  second  ;  le  cône  objectif  ou  extérieur  sera  moins 
aisément  converti  en  cône  visuel  ou  intérieur  dans 
celui-là  que  dans  celui-ci  :  rien  n'est  plus  vrai. 
Voici  l'erreur:  donc,  ajoute-t-on  ,  pour  compenser 
ces  différences ,  il  ne  s'agit  que  d'intercepter,  dans  le 
premier  cas,  les  rayons  les  plus  extérieurs ,  qui  sont 
les  plus  divergents  et  qui  se  réuniraient  le  plus  loin 
en  cône  visuel  ;  de  les  admettre ,  au  contraire  , 
dans  le  deuxième,  et  c'est  ce  que  fait  l'iris  en  se 
fermant  pour  les  uns  et  s'ouvrant  pour  les  autres. 
Mais  la  forme  du  cristallin,  comme  on  le  verra  plus 
loin ,  est  telle  que ,  au  contraire  ,  la  réfraction  est 
bien  plus  considérable  pour  la  périphérie  que  pour 
les  régions  centrales  ,  et  même  en  considérant  ses 
surfaces  comme  sphériques,  Vaherration  de  sphéricité j 
loi  d'optique  bien  connue ,  nous  amènerait  à  des 
résultats  tout  opposés  à  ceux  qui  viennent  d'être 
énoncés.  Il  est  bien  positif,  en  effet,  que ,  parmi  les 
rayons  partis  d'un  même  point  et  qui  tombent  sur 
une  lentille,  ce  sont,  non  les  plus  centraux,  les 
moins  divergents ,  mais  au  contraire  les  plus  excen- 


248  DE  LA  VUE. 

triques  qui  éprouvent  la  plus  forte  réfraction,  qui 
se  réunissent  le  plus  tôt  en  cône  derrière  la  lentille 
(^fig.  Qf6jj  parce  qu'ils  tombent  sur  une  partie  plus 
oblique  de  sa  surface  ;  tandis  que  ceux  du  centre ,  y 
tombant  presque  parallèlement  à  la  perpendiculaire, 
n'ont  presque  point  de  réfraction  à  subir  ;  aussi  ces 
derniers ,  Tnaïs  ces  derniers  seulement j  se  comportent- 
ils  indifféremment  de  la  même  manière ,  qu'ils  vien- 
nent d'un  objet  lointain  ou  procbe  :  ainsi ,  un  trou 
d'épingle  au  travers  d'une  carte ,  permet ,  même  à 
un  myope ,  de  voir  distinctement  ce  qui  est  très- 
près  et  ce  qui  est  très -loin  de  lui  ;  c'est  pour  cela 
que  les  myopes  rapprochent  fortement  les  bords 
ciliés  de  leurs  paupières  pour  regarder  au  loin  sans 
lunettes  ,  manœuvre  dont  le  résultat  est  en  partie , 
comme  on  voit ,  contradictoire  à  la  théorie  dont  il  est 
ici  question ,  et  selon  laquelle  les  myopes  auraient  le 
plus  grand  avantage  à  ouvrir  largement  les  yeux  et 
les  pupilles.  Ceci  répond  surabondamment  à  l'inter- 
prétation que  Mile  a  voulu  tirer  de  l'expérience 
susdite ,  en  la  rapprochant  des  phénomènes  de  dif- 
fraction par  les  biseaux ,  phénomènes  d'un  ordre 
d'ailleurs  tout  différent. 

Voici  d'autres  observations  non  moins  parlantes  : 
j'ai  observé  que  la  pupille  change  moins  notable- 
ment de  dimensions  dans  de  bons  yeux  que  dans  des 
yeux  myopes,  et  je  ne  sache  pas  qu'on  ait  jamais 
attribué  la  presbytie  et  la  myopie  proprement  dites, 
à  la  dilatation  ou  à  la  constriction  des  pupilles  ;  ne 
devrions-nous  pas ,  dans  la  théorie  de  Lahire ,  être 
myopes  le  jour  et  presbytes  la  nuit  ?  Chez  des  malades 
opérés  de  la  synezizis  (oblitération  de  la  pupille),  et 


DE  LA  VUE.  249 

dont  la  pupille  artificielle  offrait  trop  de  largeur,  il 
y  avait  trop  grande  sensibilité  de  Fœil  à  la  lumière  ; 
mais  des  lunettes  opaques,  percées  d'un  trou  mé- 
diocre ,  ont  rendu  à  cet  organe  toutes  ses  facultés 
(Janin,  Lallemand).  J'ai  vu  un  cas  de  mydriasis 
(  dilatation  morbide  de  la  prunelle  )  d'un  côté  seule- 
ment ;  l'œil  malade  avait  la  même  portée  que  celui  du 
coté  opposé.  SiMagendie  a  observé  des  changements 
dans  la  portée  des  yeux  dont  la  belladona  avait  dilaté 
la  prunelle ,  on  peut  se  demander  si  la  paralysie 
n'avait  frappé  que  sur  l'iris  (i);  rien  n'empêche  de 
croire  que  le  cristallin  aussi ,  et  même  la  rétine , 
ressentent  l'influence  de  cette  application  toxique 
sur  l'œil  ;  la  section  du  nerf  optique  sur  un  animal 
produit,  comme  celle  de  la  troisième  paire ,  l'immobi- 
lité de  la  pupille  (Mayo  ,  Desmouîins,  Flourens) ,  et 
cette  immobilité  est  un  des  symptômes  de  l'amaurose 
ou  paralysie  de  la  rétine. 

Quelques  faits  encore  :  dans  une  chambre  peu 
éclairée ,  la  pupille  se  dilate ,  et  pourtant  il  faut 
approcher  beaucoup  les  objets  de  l'œil  pour  les  bien 
voir.  Je  regarde  une  de  mes  prunelles  dans  une  glace  ; 
l'autre  œil  est  alternativement  exposé  et  soustrait  au 
jour;  par  sympathie,  l'œil  que  je  regarde  éprouve 
des  oscillations  très-marquées  dans  la  grandeur  de 
la  pupille,  et  cependant  je  ne  cesse  pas  de  voir  l'iris 
avec  la  même  netteté  ;  le  foyer  de  réfraction  n'a  pas 
changé.  Enfin,  un  assistant  observe  les  mouvements 
de  ma  prunelle,  tandis  que  je  regarde  d'abord  une 

(1)  On  pourrait  même  conclure  des  expériences  dont  parle  Carus,  que  la 
dilatation  de  la  pupille  n'a  point  alors  pour  cause  une  paralysie  directe  de 
l'iris  ;  car  il  peut  encore  se  contracter  si  on  le  touche  par-devanl  avec  une 
ajjuille  à  cataracte  sur  les  chiens  et  les  lapins  mis  en  expérience. 


250  DE  LA  VUE. 

campagne  très-éclairée  mais  lointaine  ,  puis  (  sans 
presque  changer  de  direction)  un  objet  tout  voisin 
mais  de  couleur  sombre;  la  prunelle  augmente  dans 
ce  dernier  cas ,  ou  tout  au  moins  conserve  les  mêmes 
dimensions. 

Terminons  ce  qui  concerne  l'iris  par  quelques 
remarques  sur  la  forme  de  la  pupille  :  arrondie  pour 
le  plus  grand  nombre  des  vertébrés,  elle  est  allongée 
chez  plusieurs,  et  cette  forme  nous  paraît  lui  donner 
plus  d'aptitude  au  resserrement,  à  l'occlusion  pres- 
que complète  ,  de  même  qu'à  une  ampliation  consi- 
dérable; aussi  la  rencontre-t-on  notamment  sur  des 
animaux  nocturnes  ou  du  moins  qui ,  la  nuit ,  voient 
bien  mieux  que  l'homme;  leur  prunelle  s'élargit 
alors  à  un  point  étonnant,  et  ajoute  beaucoup  ainsi 
à  cette  faculté  qu'ils  doivent  plus  essentiellement  à 
la  grande  sensibilité  de  la  rétine  :  de  même ,  au  grand 
jour,  cette  sensibilité  les  exposerait  à  l'éblouis- 
sement  sans  la  réduction  de  l'ouverture  destinée  à 
donner  passage  à  la  lumière  ;  on  la  voit  effective- 
ment alors  devenir  linéaire  et  s'effacer  presque 
entièrement  (  chats ,  geckos ,  etc.  ).  Voilà  pourquoi , 
sans  doute ,  les  oiseaux  de  nuit ,  les  chauves-souris , 
les  makis ,  etc. ,  dont  la  prunelle  est  ronde ,  ne  peu- 
vent pas,  comme  les  chats,  supporter  l'éclat  du 
jour ,  car  un  cercle  ne  se  ferme  pas  aussi  facilement 
qu'une  fente  ;  sous  ce  rapport ,  les  plus  favorisés 
seront  évidemment  ceux  qui  auront  une  prunelle 
non-seulement  allongée,  mais  terminée  par  des  extré- 
mités anguleuses  comme  les  chats ,  et  non  arrondies 
comme  le  cheval  et  les  ruminants  ;  ceux-ci ,  et  le 
cheval  surtout,  ont,  à  la  vérité,  au  bord  supérieur 


DE  LA  VUE.  251 

de  la  pupille ,  des  appendices  imprégnés  de  vernis 
choroïdien,  bien  propres  à  en  diminuer  la  largeur. 
D'ailleurs,  ils  ont  moins  besoin  peut-être  que  beau- 
coup d'autres  de  bien  clore  leur  pupille,  et  ils 
diffèrent  effectivement  des  animaux  essentiellement 
nocturnes  par  la  direction  du  grand  diamètre  de 
cette  ouverture.  On  sait  qu'elle  est  verticale  dans 
l'œil  des  chats  et  de  tous  les  animaux  du  genre  felis,' 
elle  l'est  chez  le  loup ,  le  renard  ,  les  crocodiles , 
les  geckos,  les  sonneurs  (i)  et  accoucheurs  ;  elle 
est  transversale  à  l'œil  des  ruminants,  du  cheval, 
de  la  baleine ,  des  grenouilles ,  rainettes  et  crapauds. 
Ces  deux  genres  de  forme ,  si  singulièrement  opposés, 
peuvent- ils  s'expliquer  physiologiquement  ?  Nous 
nous  contenterons  de  faire  observer  que  les  chats , 
les  crocodiles  ont  l'insertion  du  nerf  optique ,  centre 
visuel  de  l'œil ,  presque  géométriquement  centrale  ; 
qu'elle  est  très- écartée  du  centre  géométrique  do 
l'œil  chez  les  ruminants.  La  grande  étendue  trans- 
versale de  la  pupille  doit  corriger  en  partie  cette 
excentricité  ;  elle  doit  permettre  d'autant  mieux 
aux  faisceaux  lumineux  de  tomber  au  voisinage  de 
cette  insertion,  que  la  plus  grande  largeur  de  la 
fente  pupillaire  est  située  en  dedans ,  tandis  que  le 
nerf  s'insère  en  dehors  ;  nous  reconnaîtrons  plus 
loin  en  quoi  cette  particularité  est  importante ,  et  le 
terme  de  centre  visuel  que  nous  venons  d'employer 
l'indique  suffisamment  déjà.  En  outre  ,  les  chats  ont 
les  yeux  moins  latéraux  que  les  ruminants  et  les 

(1)  Le  iomhinator  igneus  l'a  triangulaire  ;  celle  du  gecko  mauritanicus  est 
crénelée  ;  celle  du  crocodile  subrhomboïdale.  Il  y  a  de  pareilles  Variations  de 
forme  dans  les  pupilles  transversales  :  celle  du  nar^'^'al  et  du  dauphin  esl 
réniforme  ;    celle  des  grenouilles,  rrdneltes  el  crapauds  ,   en  losange. 


^52  DE  LA  VUE. 

solipèdes  ;  ceux-ci  ne  verraient  point  devant  eux  si 
la  pupille  était  ronde  (i);  et  l'on  conçoit  que  cette 
disposition  transversale  augmente  beaucoup  le  champ 
visuel  dans  le  même  sens  ;  disposition  bien  utile  à 
des  espèces  timides  et  qui  ont  besoin  d'une  grande 
surveillance  pour  échapper  aux  atteintes  des  ani- 
maux rapaces  :  ceux-ci  ont  besoin  de  voir  en  avant 
dans  la  poursuite,  ceux-là  de  voir  à  la  fois  en 
arrière  et  en  avant  pour  surveiller  l'ennemi ,  tout 
en  se  dirigeant  dans  leur  fuite. 

§  VI,    Réfraction. 

L'appareil  qui  fait  véritablement  de  l'œil  un  ins- 
trument d'optique,  celui  qui  dispose  les  faisceaux 
lumineux  venus  du  dehors  de  telle  manière  qu'ils 
puissent  faire ,  sur  la  rétine ,  des  impressions  régu- 
lières et  distinctes ,  est  composé  de  parties  de  forme 
et  de  densité  différentes  qui  ont  chacune  leur  utilité, 
mais  qui ,  concourant  à  un  même  but ,  ne  doivent 
pas  être  étudiées  trop  isolément.  Les  usages  parti- 
culiers de  chacune  d'elles  ressortiront  assez  de  leur 
examen  en  commun ,  et  nous  verrons  par  là  que  les 
avantages  de  leur  multiplicité  ne  sont  pas  aussi  bornés 
que  l'ont  cru  les  auteurs  qui  n'ont  vu  là  que  celui 
d'obtenir  l'achromatisme ,  comme  on  l'obtient  dans 
les  arts  en  disposant,  dans  un  instrument  d'optique, 
des  verres  de  densité  différente.  La  cornée  ,  l'hu- 
meur aqueuse ,  le  cristallin  ,  le  corps  vitré ,  consti- 
tuent, avec  leurs  annexes,  l'appareil  dont  nous 
allons  nous  occuper  ici ,  et  que  nous  envisagerons 
successivement  sous  deux  points  de  vue  anatomiques 

(1)    Il   en  esl  ainsi  effeclivemenl  pour  le  lapin. 


DE  LA  VIE.  253 

et  physiologiques  à  la  fois  ;  savoir,  l'organisation  et 
la  forme ,  avec  les  conséquences  fonctionnelles  qui 
se  rattachent  à  Tune  et  à  l'autre. 

A.  Organisation^  et  fonctions  qui  en  dépendent.  — 
a.  La  cornée  n'est  point  d'une  nature  épidermique , 
comme  son  nom  semblerait  l'indiquer  ;  bien  qu'on 
n'y  voie  point  de  vaisseaux  dans  l'état  ordinaire ,  la 
facilité  avec  laquelle  se  cicatrisent  ses  blessures 
prouve  assez  qu'elle  vit  et  se  nourrit  avec  activité  : 
du  reste,  ce  que  nous  en  avons  dit  plus  haut  (pro- 
tection )  nous  dispense  de  plus  amples  détails  sur  sa 
structure  lamelleuse  (i),  sur  la  conjonctive  qui  se 
confond  avec  elle  en  avant ,  sur  la  membrane  pré- 
aqueuse qui  en  constitue  la  surface  postérieure. 

6.  Le  corps  vitré  ou  hyaloide  est  cette  substance 
transparente  qui  remplit  le  fond  de  l'œil  et  lai  donne 
la  majeure  partie  de  son  volume.  On  constate  aisé- 
ment que  c'est  un  organe  formé  d'une  membrane 
mince  ,  pellucide ,  cloisonnée  de  manière  à  repré- 
senter une  sorte  d'épongé.  Les  compartiments  inté- 
rieurs ,  prouvés  par  la  consistance  de  ce  corps  qui 
ne  s'affaisse  point  quand  on  le  coupe,  ne  sont  pas 
aussi  visibles  que  l'enveloppe  extérieure,  plus  épaisse 
et  que  l'alcool  rend  promptement  louche ,  opaque  , 
tandis  qu'elle  ne  produit  que  très-lentement  le  même 
effet  sur  le  reste  de  l'organe.  Dans  cette  membrane 
externe  ainsi  traitée ,  on  voit  à  la  loupe  ,  et  en 
variant  l'éclairage ,  des  vaisseaux  blancs ,  rameux 
comme  les  capillaires  sanguins ,  mais  dont  Ribes  a 

(1)  C'est  à  cette  structure  que  Peclet  rapporte  rapparence  de  raies  parallèles 
à  une  fente  que  traverse  la  lumière.  Je  crois  que  l'on  pourrait  plus  raisonna- 
tlement  attribuer  cet  effet  au  cristallin  ,  qui  est  parfois  comme  taillé  à  facettes 
en  raison  de  sa  structure  naturelle. 


^54  DE  LA  VUE. 

cru  devoir  nier  Texistence  parce  qu'ils  ne  reçoivent 
point  de  sang,  et  que   ses  injections  n'ont  pu  y 
entrer.  Ces  vaisseaux  incolores  sont ,  à  notre  avis , 
les  véritables  sources  de  riiumeur  vitrée ,  et  partant 
de  l'humeur  aqueuse ,  que ,  d'accord  eu  cela  avec 
l'anatomiste  parisien  cité  tout  -  à  -  l'heure ,  nous  ne 
croyons  pas  pouvoir  être  exhalée  par  la  membrane 
préaqueuse ,  où  l'on  ne  trouve  rien  de  semblable 
à  une  membrane  séreuse ,    ni  par  l'iris  aussi  peu 
favorablement  organisé  pour  de  telles  fonctions  que 
le  reste  du  système  choroïdien  dont  il  fait  partie. 
L'anatomie   nous   apprendra  aisément  par  quelles 
voies  l'humeur  aqueuse  peut  passer  du  corps  vitré 
au-devant  du  cristallin,  devant  et  derrière  l'iris 
(chambre  antérieure  et  postérieure  des  anatomistes). 
En  effet,  la  membrane  hyaloïdienne  se  dédouble 
à  la  partie  antérieure  du  vitré  ;   une  portion  plus 
mince  s'accolle  à  la  partie  postérieure  de  la  capsule 
cristalline  ,  dont  la  dissection  la  détache  néanmoins 
avec  facilité;  l'autre,  plus  résistante,  va  se  con- 
fondre avec  la  partie  antérieure  de  la  même  capsule, 
dont  elle  augmente  ainsi  la  force  et  la  consistance. 
Cette  portion ,  plus  externe  et  plus  antérieure ,  s'ap- 
pelle la  couronne  de  Zinn  ;  entre  elle  et  la  première 
existe ,  au  pourtour  du  cristallin ,  un  vide  à  coupe 
triangulaire  ,  c'est  le  canal  de  Petit  que  l'insufflation 
peut  distendre  quand  le  vitré  a  été  mis  à  découvert  ; 
mais  cette  opération  apprend  aussi  que  ce  prétendu 
canal  est  bosselé  ,  plissé ,   et  que  ,  dans  sa  position 
et  avec  ses  rapports  naturels  chez  l'homme  et  les 
mammifères ,  il  est  véritablement  partagé  par  des 
plis  nombreux  et  profonds  dans  chacun  desquels  est 


DE  L\  VUE.  255 

logé  un  de^  procès  ciliaires,  ou  plis  épiploïques  de  la 
ruyschienne  ;   si  bien  même  qu'après  la  séparation 
forcée  de  ces  parties  ,  il  reste ,  sur  la  couronne  de 
Zinn  et  jusque  dans  le  vitré  ,  des  traces  de  l'enduit 
noir  qu'y  ont  laissé  ces  procès  ruyschiens  ;  de  là,  les 
prétendus   procès  hyaloïdiens  de  Ribes ,  attribués 
par  de  Blainville  à  une  expansion  de  la  rétine.    Il 
résulte  de  tout  ceci  :  1^  que  les  procès  ciliaires  ou 
ruyschiens  plongent  dans  le  corps  hyaloïde  et  peuvent 
y  repomper  l'humeur  surabondante  ;  comme  le  peut 
faire ,  de  son  côté ,  le  peigne  des  ovipares  ;  comme 
le  peut  faire  aussi ,  pour  l'humeur  aqueuse ,  la  sur- 
face postérieure ,  ordinairement  plissée ,  de  l'iris  ou 
uvée ,   qui  contient  des  veines  abondantes  ;  2®  que 
le  prétendu  canal  de  Petit,  ainsi  partagé  perpendi- 
culairement à  sa  longueur,  ne  représente  plus  qu'un 
assemblage  de  petits  conduits  parallèles  très-courts 
et   dirigés  d'avant  en  arrière  ,   comme  les  procès 
ciliaires  qui  les  séparent.  C'est  par  là  que  coule , 
selon  nous,  l'humeur  aqueuse  (^fig,  77,  hj.  Ribes, 
ayant  coupé  la  cornée  d'un  œil  de  bœuf,   le  sus- 
pendit par  le  nerf  optique  ;  toute  l'humeur  du  vitré 
s'écoula  goutte  à  goutte  par  l'ouverture  naturelle  de 
l'iris.  Jacobson  avait  déjà  reconnu  que  le  prétendu 
canal  de  Petit  est  percé  en  avant  d'une  multitude  de 
petits  trous  ;  nous  nous  sommes  assuré  qu'en  effet, 
chez  le  bœuf,  au  point  d'adhérence  de  la  couronne 
de  Zinn  avec  la  capsule   cristalline ,   la  première 
semble  s'effiler  en  une  multitude  de  petites  lanières 
fort  courtes,  et  dont  les  intervalles  ne  laissent  passer 
qu'avec   quelque  difficulté   les   bulles  d'air ,  dans 
l'insufflation  dont  il  a  été  question  plus  haut. 


556  DE  LA  VUE. 

D'après   ce  qui  vient  d'être   exposé  ,    Fliumeiir 
aqueuse  et  le  corps  vitré  doivent  jouir  d'une  puis- 
sance de  réfraction  à  peu  près  égale  et  de  Lien  peu 
supérieure  à  celle  de  l'eau  (Descartes);  car  la  légère 
viscosité  de  la  matière  limpide  que  laisse  écouler  le 
corps  hyaloïde  n'en  augmente  guère  la  densité  (i). 
Toutefois ,  cette  densité  est  bien  supérieure  à  celle 
de  l'air ,   et  cette  réflexion  est  d'une  haute  impor- 
tance quand  on  veut  préciser,  aussi  rigoureusement 
que  possible ,  les  usages  de  chacune  des  parties  inté- 
rieures de  l'œil,  du  cristallin  en  particulier.  Plongée 
dans  un  milieu  de  cette  nature ,  la  lentille  cristal- 
line ,  dont  le  pouvoir  réfringent  est  presque  celui 
du  verre  (Descartes  ) ,  n'agit  pas ,  à  beaucoup  près, 
sur  les  faisceaux  lumineux,  comme  elle  le  ferait 
dans  l'air  atmosphérique  ;  sa  force  réfringente  com- 
parée à  ce  quelle  serait  dans  ce  fluide  élastique  se 
trouve   ici  considérablement   diminuée,  son  foyer 
s'éloigne ,  et  les  images  qu'elle  produit  sur  la  rétine 
s'agrandissent  d'autant.  Il  y  a  des  cristallins  si  con- 
vexes ,  si  épais  et  si  denses  à  la  fois ,  que  ,  dans  l'air, 
leur  foyer  ne  sort  point  de  leur  épaisseur  même , 
tandis  que ,  dans  l'eau  (2) ,  ce  foyer  se  trouve  à  plu- 
sieurs lignes  de  la  surface  postérieure.  Monro  donne 
pour  les  foyers  d'un  cristallin  de  morue  pris  alter- 
nativement dans  l'air  et  dans  l'eau ,  les  proportions 

(1)  D'après  Monro  ,  la  pesanteur  spécifique  de  l'humeur  aqueuse  est  égale  à 
celle  de  l'eau  distillée ,  et  celle  de  l'humeur  vitrée  est  à  celle-ci  comme  1,016 
(bœuf)  ou  1,015  (morue)  est  à  1,000.  Mais  Cuvier  observe  que  l'humeur  est 
filante  et  visqueuse  chez  les  poissons  ;  il  est  probable  que  l'apparence  de  visco- 
sité ,  qu'on  trouve  au  vitré  des  mammifères  ,  tient ,  en  grande  partie ,  à  son 
réseau  membraneux  ;  pressé  entre  les  doigts,  il  les  mouille  comme  ferait  de 
l'eau ,  ou  tout  au  plus  de  l'eau  très-faiblement  gommée. 

(2)  Densité  du  cristallin  ,  d'après  Monro;  :;  1114  :  1000  pour  le  bœuf; 
"  lI6o  ;  1000  pour  la  morue. 


DE  LA  VUE.  257 

de  :  :  o  :  16.  Pour  celui  d'un  lapin,  dont  les  foyers 
ont  été  appréciés  au  moyen  de  Firnage  du  soleil  ou 
d'une  fenêtre  reçue  sur  un  papier  ou  sur  les  parois 
d'un  vase  de  porcelaine ,  j'ai  trouvé  dans  l'air  une  dis- 
tance d'une  ligne  ^ji^  entre  la  lentille  et  l'écran  destiné 
à  recevoir  l'image  ;  dans  l'eau,  cette  distance  était  de 
six  lignes  :  voilà  des  faits  plus  faciles  à  appliquer 
au  vrai  mécanisme  de  la  vision  que  des  calculs  abs- 
traits qui  conduisent  si  facilement  à  des  applications 
fausses  ou  exagérées.  11  y  a,  en  effet,  exagération 
dans  l'assertion  des  physiciens  ou  physiologistes  qui 
mettent  presque  de  niveau  les  pouvoirs  réfringents 
de  tous  les  milieux  transparents  de  l'œil ,  de  sorte 
qu'une  vésicule  remplie  d'eau  devrait  produire ,  à 
peu  près ,  les  mêmes  résultats  que  cet  organe  si 
complexe  dans  sa  structure.  Est-il  besoin  d'avertir 
le  lecteur ,  qu'en  attribuant  ainsi  au  vitré  et  à  l'hu- 
meur aqueuse  des  effets  atténuants  ,  et  en  attri- 
buant la  force  réfringente  au  cristallin  seul ,  nous 
employons  le  langage  le  plus  propre  à  simplifier  le 
problême ,  à  faciliter  l'interprétation  des  faits  ?  Sans 
doute,  la  réfraction  est  due  aussi  bien  à  la  face  pos- 
térieure de  l'humeur  aqueuse ,  à  la  face  antérieure 
du  corps  vitré  qu'aux  surfaces  correspondantes  du 
cristallin ,  puisque  c'est  au  passage  de  l'un  à  l'autre 
milieu  que  le  phénomène  s'opère  ;  mais ,  parler 
ainsi,  c'est  comme  si  le  physicien  voulait  expliquer 
les  effets  d'un  verre  lenticulaire,  en  les  rapportant 
non  au  verre ,  mais  à  l'air  qui  le  touche  ;  c'est  cepen- 
dant ce  qu'on  fait  journellement  dans  les  traités  de 
physiologie ,  du  moins  en  ce  qui  concerne  le  corps 
hyaloide. 

17 


258  DE  LxV  VUE. 

c.  Cristallin,  Ce  corps  lenticulaire  est  contenu 
dans  une  capsule  aussi  transparente  que  lui ,  et  dont 
la  consistance ,  soit  en  avant  soit  en  arrière ,  est 
sub-cartilagineuse ,  comparable  à  celle  de  la  pré- 
aqueuse selon  l'observation  de  Ribes;  toutefois,  nous 
avons  dit  pourquoi  ,  en  avant ,  elle  offrait  plus 
d'épaisseur ,  confondue  avec  la  couronne  de  Zinn  , 
comme  le  prouve  Fassertion  de  Winslow  qui  dit 
Tavoir  séparée  en  deux  lames.  Il  y  a,  au  reste  ,  con- 
tinuité de  substance  entre  la  moitié  antérieure  et  la 
postérieure,  et  la  gouttière  circulaire  que  représente 
leur  réunion  ne  m'a  rien  offert  de  semblable  aux 
trous  que  Ribes  a  cru  y  voir  ,  trompé,  sans  doute , 
par  ceux  de  la  couronne  de  Zinn;  là  seulement  j'ai 
vu,  chez  le  bœuf,  en  retournant  la  capsule  ouverte 
et  l'essuyant  avec  soin ,  des  rides  parallèles  ,  très- 
fines  ,  suivant  la  longueur  de  cette  gouttière  ,  et 
paraissant  indiquer  là  des  mouvements  dont  elles 
étaient  la  trace.  Chez  le  même  animal  ,  la  demi- 
capsule  antérieure  paraît  peu  ou  point  vasculeuse  ; 
la  postérieure  fait  voir,  au  microscope,  des  rameaux 
de  substance  granuleuse  et  diaphane,  plus  larges  et 
plus  opaques  vers  la  circonférence  qu'en  s'appro- 
chant  du  centre  ;  je  les  crois  nerveux ,  et  je  dirai 
plus  loin  d'où  ils  viennent.  Cette  demi- capsule 
postérieure  reçoit  aussi  des  vaisseaux  blancs  chez 
l'adulte,  souvent  injectés  de  sang  chez  le  fœtus, 
comme  nous  l'avons  maintes  fois  constaté ,  après 
Ruysch ,  Zinn ,  Sœmmerring  qui  ont  vu ,  décrit  et 
représenté  une  branche  de  l'artère  centrale  de  la 
rétine  traversant  le  corps  vitré  et  s'épauouissant  der- 
rière le  cristallin.  Ribes  n'a  pas  pu  l'injecter  chez 


DE   LA  VUE.  259 

Tadulte  ;  c'est ,  sans  doute,  parce  qu'alors  elle  n'admet 
plus  que  des  fluides  blancs  et  partant  très-ténus. 
Dans  le  sparus  erythnnus  (fSigel)  je  vois  une  grosse 
branche  artérielle  contourner  le  vitré ,  en  rampant 
sur  la  rétine ,  pour  se  jeter  sur  la  demi-capsule  pos- 
térieure. Je  n'ai  pu,  malgré  tous  mes  soins,  voir 
passer  dans  cette  capsule  aucun  rameau  vasculaire 
ou  nerveux  venant  des  procès  ruyscbiens ,  bien  que 
Walter  se  porte  garant  de  la  première  et  que  Young 
conjecture  l'existence  de  la  seconde  de  ces  disposi- 
tions anatomiques  ;  bien  que ,  d'ailleurs ,  il  m'ait  été 
facile  de  distinguer,  même  sans  injection,  les  grosses 
anses  flexueuses  représentées  par  les  vaisseaux  de 
ces  replis,  et  que  j'aie  suivi,  dans  leur  épaisseur, 
des  lilets  assez  volumineux  partis  des  nerfs  dits  iriens 
ou  ciliaires  avant  leur  arrivée  dans  le  ganglion  circu- 
laire dont  il  a  été  parlé  plus  haut. 

La  demi-capsule  postérieure  n'en  est  pas  moins 
nerveuse  et  vasculaire ,  comme  nous  venons  de  le 
voir;  mais  le  cristallin  en  reçoit -il  des  nerfs  et  des 
vaisseaux  ?  Young  parle  hypothétiquement  des  pre- 
miers ;  Zinn ,  Winslow ,  Meckel  croient  seulement 
à  Fexistence  des  seconds  ;  et  la  plupart  des  autres 
anatomistes  modernes  semblent  prendre  le  cristallin 
pour  une  concrétion ,  une  sorte  de  calcul  flottant 
dans  Fhumeur  de  Morgagni.  Cette  humeur,  qui  le 
baigne  eff'ectivement,  nous  n'en  avons  reconnu  l'exis- 
tence qu'en  avant,  soit  chez  l'homme,  soit  chez 
divers  autres  vertébrés ,  des  poissons  même.  Il  est 
facile  de  s'en  assurer  en  faisant  baigner ,  une  demi- 
heure,  dans  l'alcool,  un  cristallin  encore  garni  de 
sa  capsule  ;  les  corpuscules  albumineux  que  contient 


260  DE  LA  VUE. 

cette  humeur  prenant  alors  de  l'opacité ,  on  en  dis- 
tingue bien  les  fluctuations  au  moindre  mouvement. 
Ces  mêmes  corpuscules ,  dont  les  globules  se  réunis- 
sent en  filaments  moniliformes ,  sont  cause ,  durant  la 
vie ,  de  ces  apparences  de  rubans  ou  séries  de  petits 
cercles  comme  imbriqués,  de  ces  bandelettes  de  gaze 
contournées  en  mille  manières ,  qui  semblent  monter 
et  descendre  devant  l'œil  quand  il  regarde  les  nuages 
ou  quelque  autre  surface  blanche.  Ces  corpuscules 
descendent  par  leur  propre  poids ,  et  leur  image  nous 
paraît  aussi  descendre ,  preuve  certaine  qu'ils  sont 
au-devant  du  cristallin  dans  lequel  se  croisent  les 
faisceaux  lumineux  envoyés  dans  l'œil  par  les  divers 
points  d'un  objet  étendu  :  derrière  le  cristallin ,  ils 
produiraient,  sur  la  rétine ,  leurs  impressions  succes- 
sives en  sens  inverse  de  celles  des  objets  extérieurs, 
et  paraîtraient  remonter  (i).  Il  y  a  donc  contact 
médiat  du  cristallin  avec  la  capsule  en  avant ,  contact 
immédiat  en  arrière  :  mais  il  y  a  quelque  chose  de 
plus  ;  en  prolongeant  la  macération  alcoolique  et 
procédant  sous  l'eau  à  la  dissection ,  on  voit  qu'il  y 
a  adhérence.  Cette  adhérence  est  filamenteuse,  plus 
forte  vers  le  centre  de  la  demi-capsule ,  d'où  partent , 
en  divergeant ,  des  filets  qui  s'enfoncent  si  bien  dans 
la  lentille  qu'ils  en  décliirent  quelquefois  les  couches 
superficielles  quand  ou  écarte  les  parties.  Zinn  avait 

(d)  Demours  ayant  fait  sorlir,  par  ponction  ,  toute  Thumeur  aqueuse ,  celle 
4iume\ir  se  reproduisit  promplement  ,  et  alors  l'opéré  revit  exactement  les 
mêmes  guirlandes,  les  mêmes  dessins  qu'auparavant  :  donc  ces  imaginations , 
comme  il  les  appelle ,  n'ont  pas  leur  cause  dans  l'humeur  aqueuse  ,  ainsi  que 
l'ont  pensé  quelques  personnes.  11  est  plus  facile  encore  de  se  convaincre 
qu'elles  ne  dépendent  pas  des  stries  formées  par  les  larmes  sur  la  cornée , 
comme  semble  l'avoir  cru  le  savant  Bre-vvster.  D'après  les  recherches  récentes 
de  Donné ,  les  globules  de  l'humeur  de  Morgagni  sont  solubles  dans  l'ammo- 
niaque ;  il  leur -attribue  de  1/200  à  d/100  de  millimètre  en  diamètre. 


DE  LA  VUE.  2G1 

VU  déjà  une  injection  heureuse,  sur  un  veau,  péné- 
trer, par  deux  ramuscules,  jusque  dans  le  cris- 
tallin. Cet  organe  est  donc,  comme  tous  les  autres, 
pourvu  de  moyens  de  nutrition  et  d'animation  :  une 
expérience  curieuse  m'a  prouvé  qu'il  est  effective- 
ment susceptible  de  cicatrisation.  A  l'aide  d'une 
aiguille  bien  fine,  je  l'ai  partagé  en  fragments  sur 
un  lapin  vivant,  et  l'aiguille  est  sortie  de  l'œil  encore 
enduite  de  la  substance  cristalline  qu'elle  avait 
labourée  en  divers  sens  ,  en  respectant ,  autant  que 
possible,  la  capsule.  Le  cristallin  s'est  complètement 
cicatrisé;  il  était  entier  et  transparent  quelques 
semaines  après  l'opération.  Je  ne  parle  pas  des  traces 
d'inflammation ,  opacité  ,  fausses  membranes  ,  etc. , 
que ,  dans  d'autres  expériences ,  j'ai  fait  naître  et 
dans  le  vitré  et  dans  la  capsule  cristalline,  preuve 
de  plus  de  leur  vascularité  révoquée  en  doute  aussi 
par  d'habiles  anatomistes. 

Non  -  seulement  le  cristallin  est  vivant  j  mais  il 
jouit  encore  d'une  organisation  bien  remarquable  et 
bien  propre  à  expliquer  des  phénomènes  autrement 
inexplicables.  On  connaît  depuis  long  -  temps  sa 
structure  lamelleuse  et  fibreuse  (  (  ) ,  mais  personne 
n'a  bien  connu  la  disposition  des  lames  et  des  fibres 
qui  le  composent;  et  de  là  viennent  les  différences 
qu'on  remarque  entre  les  descriptions  de  Zinn ,  de 


(1)  Leeuw enhoeck  avait  connu  quelques-unes  de  ces  singuTarilés  oubliées 
depuis,  parce  qu'on  n'en  sentait  pas  l'importance.  Young  avait  entrevu  les 
sutiires  dont  il  sera  question  plus  loin.  Brewster,  observant,  sans  doute,  des 
cristallins  desséchés,  a  publié  aussi  quelques  observations  exactes  mais  mêlées 
d'erreurs  sur  celui  de  la  morue,  qu'il  croit  formé  de  bandelettes  dentelées. 
Enfin,  Donné  ,  postérieurement  à  nos  remarques  lues  en  J83o  à  rAcadémie  des 
sciences,  a  aussi  fait  connaître  à  la  Société  pliilomalique  quelques  recherches 
du  même  genre. 


2G2  DE  LA  VUE. 

Pvuysch,  de  Young  et  d'autres  encore.  Chez  VJiomme 
(^fig.  G2j  j  après  un  commencement  d'opacité  produit 
par  quelques  instants  d'immersion  dans  l'alcool ,  le 
cristallin  laisse  voir  ,  à  sa  surface  ,  seize  sutures 
rayonnantes  que  la  loupe  et  le  microscope  démon- 
trent formées  par  la  rencontre  anguleuse  des  fibrilles 
constituant  l'organe  ;  il  est  à  remarquer  que  ces  seize 
sutures  ne  se  correspondent  pas ,  mais  alternent  au 
contraire  sur  les  deux  faces  de  la  lentille ,  et  l'on 
peut  s'assurer  que  chaque  fibrille  passe  d'une  face  à 
l'autre  en  se  ployant  sur  la  circonférence  de  cette 
lentille  ;  que  de  plus  elle  se  contourne  un  peu 
en  forme  d'S ,  et  se  termine  d'autant  plus  près  du 
centre  à  l'une  des  sutures ,  qu'elle  commence ,  à 
l'autre ,  plus  loin  de  ce  centre ,  et  réciproquement. 
En  conséquence,  l'assemblage  de  ces  fibrilles  ne 
constitue  pas  des  secteurs  réguliers  comme  on  l'a 
cru,  mais  représente  plutôt  une  lame  ou  tunique 
continue.  On  se  fera  une  idée  de  la  constitution  de 
cette  lame  ,  si  l'on  imagine  une  ceinture  divisée 
en  seize  grandes  pointes  alternes  sur  chacun  des 
bords  ;  ces  pointes  étant  inclinées  l'une  vers  l'autre 
et  réunies  par  des  sutures.  Ces  tuniques  se  répètent , 
avec  la  même  forme ,  dans  la  profondeur  de  l'or- 
gane ;  mais  elles  m'ont  paru  diminuer  le  nombre 
de  leurs  pointes  et  de  leurs  sutures  à  mesure  qu'elles 
deviennent  plus  intérieures  ;  près  du  centre  ,  je 
n'en  ai  plus  compté  que  trois.  C'est  aussi  de  trois 
secteurs  que  Jules  Cloquet  a  trouvé  composé  le 
cristallin  de  l'embryon  ;  Donné  dit  avoir  observé  un 
pareil  nombre  à  celui  d'un  fœtus  de  sept  mois  ;  et  ces 
remarques  sont  bien  propres  à  prouver  que  le  cris- 


DE  LA  VUE.  263 

tallin  s'accroît  couche  par  couche  (  i } ,  mais  ne  prou- 
vent nullement  contre  la  vitalité  de  cet  organe ,  du 
moins  quant  à  ses  portions  les  plus  molles  et  les 
plus  extérieures. 

Le  hœuf  et  le  mouton  n'ont ,  à  chaque  face  du 
cristallin  ,  que  trois  sutures  également  alternes 
d'une  face  à  l'autre  :  le  lapin  n'en  a  qu'une  seule  ; 
elle  est  longitudinale,  et  la  direction  de  celle  de 
devant  croise  la  direction  de  celle  de  derrière  :  chez 
plusieurs  poissons  _,  quoique  le  cristallin  paraisse 
globuleux ,  il  a  aussi  cette  dernière  structure  ;  mais 
les  sutures  sont  fort  courtes,  et  les  fibrilles  sem- 
blent ,  au  premier  abord  ,  décrire  des  méridiens 
régulièrement  émanés  de  deux  points  polaires:  cette 
apparence  est  la  réalité  pour  les  couches  intérieures 
seulement.  Cet  organe,  chez  le  poulet,  offre  une 
structure  non  moins  singulière;  son  noyau  est  longi- 
tudinalement  ovale  ,  la  superficie  lenticulaire  au 
contraire  :  elle  doit ,  en  partie ,  cette  forme  à  une 
ceinture  composée  de  fibrilles  courtes  et  perpendicu- 
laires comme  celles  qui  constituent  l'émail  des  dents. 
Il  sera  curieux  de  poursuivre  ces  recherches ,  assez 
faciles  du  reste ,  et  peut-être  en  viendra-ton  à  des 
résultats  piquants  sur  les  corrélations  de  la  structure 
avec  les  habitudes  des  animaux.  Quant  à  l'homme , 
nous  ne  doutons  pas   que  ces  sutures  ne    soient, 


(1)  Quelques  faits  recueillis  i)ar  Sœmmerring  le  fils  sur  l'homme  ,  par 
Mayer,  Leroy  d'Etiolés  et  Cocteau  sur  le  lapin ,  sembleraient  prouver  que  le 
cristallin  est  sécrété  par  sa  capsule,  et  que  ,  enlevé  ,  il  se  reproduit  de  la  cir- 
conférence au  centre;  mais,  dans  ces  expériences  ou  ces  observations,  s'est-on 
bien  assuré  que  le  croissant ,  l'anneau  ou  la  lentille  informe  qu'on  a  retrouvés 
dans  la  capsule  avaient  la  structure  d'un  cristallin  ?  Si  c'était  un  produit 
irrégulièrement  organisé,  s'ensuil-il  que  le  cristallin  ne  soit  aussi  qu'una 
concrétion  presque  inorijanique? 


26i  DE   LA  VUE. 

comme  Young  l'a  pensé  ,  la  cause  des  irradiations 
que  nous  présente  un  point  lumineux  vu  à  de  gran- 
des distances ,  les  étoiles  par  exemple  :  aussi ,  quand 
on  expose  au  soleil  le  cristallin  du  lapin ,  obtient-on 
une  lueur  allongée  si  l'on  place  l'écran  au-delà  du 
foyer  principal.  La  disposition  en  languettes  ou 
pointes,  des  couches  ou  tuniques  de  la  lentille  qui 
nous  occupe,  explique  aussi  certains  phénomènes 
de  la  myopie  ;  elle  peut  faire  du  cristallin  une  lentille 
à  facettes  comme  l'avait  conjecturé  Prévost.  Ce  phy- 
sicien voyait ,  jusqu'à  sept  fois  en  même  temps , 
l'image  d'un  point  noir  placé  à  quelque  distance  de 
l'œil.  Le  même  phénomène  a  été  observé  par  le 
docteur  Mile,  et  je  suis  sujet  moi-même  à  l'incon- 
vénient produit  par  la  multiplicité  et  l'incomplète 
superposition  des  images,  quand  je  regarde,  sans 
mes  lunettes  concaves,  un  objet  quelque  peu  éloi- 
gné :  est-ce  un  trou  de  volet,  le  croissant  de  la  lune, 
la  flamme  d'une  bougie,  je  puis  compter  jusqu'à 
seize  de  ces  images  qui  se  débordent  sur  un  plan 
circulaire.  Ce  genre  de  myopie,  si  j'en  juge  par 
moi-même ,  n'est  point  congénial  ;  il  est  dû  au  trop 
fréquent  emploi  et  à  l'emploi  forcé  de  l'œil  dans 
l'examen  d'objets  très-menus,  dans  les  investigations 
microscopiques  surtout;  c'est  une  première  raison 
pour  croire  le  cristallin  susceptible  de  contraction 
puisqu'il  peut  se  déformer  ainsi  ;  mais  c'est  sur 
des  preuves  plus  parlantes  encore  que  nous  allons 
appuyer  cette  opinion. 

Nous  avons,  à  plusieurs  reprises,  parlé  àes  fibrilles 
dont  l'assemblage  régulier  constitue  les  lames  du 
cristallin  ;    comme    on   peut   aisément   le  penser, 


DE  LA  VUE.  265 

ces  fibrilles  sont  transparentes ,  mais  le  microscope 
les  montre  tantôt  linéaires ,  tantôt ,  et  plus  souvent , 
moniliformes ,  telles  enfin  que  nous  avons  déjà  décrit 
celles  de  l'iris  fjîg.  59;.  Ce  sont  donc ,  sans  équivoque 
et  sans  incertitude,  des  fibrilles  contractiles  qui  doivent 
donner  à  cette  lentille  la  faculté  de  changer  de  forme , 
de  devenir  plus  convexe  en  diminuant  de  largeur, 
en  se  ramassant  vers  son  centre  ,  et  de  prendre  alors 
aussi  une  densité  beaucoup  plus  considérable.  Cette 
opinion  s'appuie  sur  ce  que  nous  avons  dit  déjà  des 
vaisseaux  et  des  nerfs  qui  se  rendent  à  cet  organe , 
et  nous   nous   croyons  mieux   fondé  à  l'admettre 
que  Descartes ,    Home ,   Young  ,   Arago  et  autres 
qui  l'ont  adoptée  sur  parole  ,  ou  appuyée  sur  des 
conjectures  bien  moins  solides,  ce  semble,  que  les 
nôtres.   Cette  contractilité  ne  saurait,  en  effet,  être 
appuyée   que  sur  des  probabilités  ;   on  ne  peut  la 
mettre  enjeu  d'une  manière  sensible  à  la  vue  d'un 
observateur.  Hunter ,   Young  ont  vainement  tenté 
de  résoudre  ce  problême  par  l'application  de  l'élec- 
tricité sur  des  animaux  récemment  morts  :  c'est  que, 
en  effet,  les  changements  de  forme  peuvent  être  peu 
considérables  ,  ceux  de  densité  devant  être  comptés 
pour  beaucoup  dans  ces  contractions.  D'ailleurs, 
il  est  de  fait  que ,  quand  on  regarde  un  objet  très- 
rapproché  de  l'œil,   Firis  devient  plus  saillant  en 
avant  (Ribes):  cela  ne  semble-t-il  pas  dépendre  de 
ce  que  le  cristallin  ,    devenu  plus  convexe ,   pousse 
davantage  en  avant  le  bourrelet  postérieur  de  la 
pupille ,  bourrelet  que  ,  par  parenthèse  ,  Sœmmer- 
ring  a  eu  tort  de  figurer  comme  occupant  la  partie 
antérieure  du  limbe  de  cette  ouverture  ?  L'aspect 


266  DE  LA  VUE. 

même  de  la  substance  du  cristallin ,  et  surtout  de  ses 
couches  extérieures ,  rendues  opaques  par  l'alcool , 
est ,  d'une  part ,  si  semblable  à  la  chair  musculaire 
des  poissons  ou  des  crustacés  blanchie  par  la  coction  ; 
les  analyses  chimiques  n'ont  trouvé ,  d'autre  part , 
entre  cette  substance  et  la  fibrine,  que  des  diffé- 
rences si  douteuses  (Berzélius) ,  que  l'on  peut  croire 
à  l'identité. 

C'est  à  la  faculté  d'accommoder  l'œil  à  la  distance 
des  objets  que  cette  contractilité  de  la  lentille  cristal- 
line paraît  être  destinée  ,  et  les  arguments  que  nous 
apporterons  à  fappui  de  cette  théorie  ne  seront 
qu'une  suite  de  ceux  dont  nous  venons  de  parler. 
L^invraisemblance  déjà  démontrée  des  autres  théories 
proposées  à  ce  sujet,  la  facilité  avec  laquelle  tout 
s'explique  en  admettant  que  le  cristallin  devient 
plus  convexe,  plus  épais  d'avant  en  arrière  et  plus 
dense,  pour  l'inspection  des  objets  très -voisins , 
qu'il  se  rétablit  à  l'état  normal  par  sa  seule  élasticité 
ou  par  celle  de  sa  capsule  (Young)  s'il  s'agit  d'objets 
éloignés ,  ne  sont  pas ,  sans  doute  ,  des  preuves  dé- 
monstratives ,  mais  sont  du  moins  des  conditions  bien 
favorables  à  l'adoption  de  ces  idées.  On  explique 
aisément  aussi ,  de  cette  manière ,  la  facilité  que 
donnent  l'exercice  et  l'habitude  pour  observer,  soit 
de  près,  soit  de  loin,  soit  des  objets  très-menus;  car 
il  en  est  alors  du  cristallin  comme  des  autres  muscles 
du  corps  (Descartes):  on  explique  également  ainsi 
la  myopie  acquise  des  horlogers,  des  graveurs ,  dont 
le  cristallin ,  perpétuellement  contracté ,  finit  par 
rester  trop  convexe  ou  recevoir  des  dépressions  dans 
le  sens  de  ses  languettes  principales.  Ceci  est  d'au- 


DE  LA  VUE.  267 

tant  plus  probable  que  cette  myopie  peut  n'être  que 
momentanée  ;  après  avoir  lu  des  caractères  très- 
menus  ,  on  se  trouvera  souvent  incapable ,  pour 
quelque  temps,  de  bien  distinguer  les  objets  lointains. 
La  presbytie,  au  contraire  ,  s'explique  par  la  perte 
de  la  contractilité  qui  survient  avec  l'âge  dans  le 
muscle  cristallin  comme  dans  les  autres  :  on  a  trop 
exclusivement  attribué  la  vue  longue  des  vieillards 
à  l'aplatissement  de  la  cornée  ;  l'opacité  de  son  limbe 
(arc  sénile)  a  pu  souvent  faire  prendre  le  cbange  à 
cet  égard,  en  eiTaçant,  pour  ainsi  dire,  les  limites 
de  la  cornée  et  de  la  sclérotique.  Enfin,  ce  qui  est 
bien  plus  positif  encore ,  ce  qui  peut  être  regardé 
comme  fournissant  un  argument  péremptoire ,  c'est 
le  résultat  de  Vopératîon  dite  de  la  cataracte.  On  a 
dit  hardiment,  et  Cuvier  lui-même  a  cru  que  cette 
soustraction  du  cristallin  n'empêchait  pas  l'opéré  de 
voir  à  des  distances  différentes;  mais  ce  n'était  pas 
là  la  question  ;  il  s'agissait  de  savoir  s'il  voyait 
nettement  j  et  des  expériences  soignées  ont  prouvé 
tout  le  contraire;  à  celles  de  Young  et  de  Ware ,  de 
Porterfield  ,  je  puis  ajouter  mes  propres  observa- 
tions ,  et  certifier  que  la  faculté  de  voir  nettement  de 
petits  objets ,  de  lire  des  caractères  délies ,  n'existe 
point  ordinairement  sans  lunettes  à  verres  convexes  ; 
qu'avec  ce  secours  ,  elle  est  bornée  ,  chez  ces  sujets , 
dans  d'étroites  limites ,  et  que  la  vision  distincte  est 
fixe  et  invariable  quant  à  la  distance  où  elle  s'exerce. 
C'est  qu'en  effet  la  lentille  de  verre ,  qui  supplée 
alors  le  cristallin  absent,  n'est  pas,  comme  lui, 
susceptible  de  varier  dans  sa  forme  à  la  volonté  de 
son  possesseur.    Dans  un  cas  précisé  par  Janin  , 


268  DE  LA  VUE. 

l'opérée  pouvait  lire  sans  lunettes ,  mais  seulement 
à  quinze  ou  seize  pouces  de  distance ,  ni  plus  près , 
ni  plus  loin.  A  cette  occasion ,  il  est  vrai ,  le  même 
oculiste  parle  d'un  jeune  homme  qui,  après  l'opé- 
ration, voyait  à  toute  distance  ;  mais  la  lentille 
cristalline  n'avait  pas  été  enlevée  ,  on  n'avait  extrait 
qu'une  partie  de  la  capsule  congénialement  ossifiée  : 
on  sait  (Morgagni,  etc.),  et  nous  l'avons  constaté 
nous-même ,  que  la  moitié  antérieure  de  la  capsule 
est  seule  endurcie  dans  les  cataractes  dites  osseuses 
ou  pierreuses;  aussi  affectent  -  elles  la  forme  d'une 
cupule  concave  en  arrière.  Nous  laisserions  cette 
démonstration  bien  imparfaite  ,  si  nous  négligions 
de  répondre  aux  objections  qu'elle  peut  susciter. 

1°  Dulong,  trouvant  des  difficultés  dans  toutes 
les  théories  de  la  vision  distincte  j  a  fini  par  croire 
que  la  netteté  absolue  des  images  peintes  sur  la 
rétine  n'était  pas  nécessaire  pour  la  vision.  La  finesse 
et  la  netteté  même  des  détails  que  nous  pouvons 
aisément  découvrir  à  l'œil  nu ,  prouvent  assez  qu'il 
n'en  saurait  être  ainsi;  le  trouble  qu'apporte,  dans 
la  vision  ,  un  verre  de  lunette  d'un  numéro  plus  fort 
ou  plus  faible  ,  quoique  d'une  quantité  très-petite , 
à  moins  qu'un  effort  intérieur ,  souvent  difficile  et 
fatigant,  ne  puisse  en  compenser  les  effets,  achève 
de  prouver  la  faiblesse  de  cette  théorie  avancée,  pour 
ainsi  dire,  en  désespoir  de  cause.  On  peut  voir  sans 
doute  passablement  ,  mais  non  nettement ,  si  les 
conditions  d'optique  ne  sont  pas  exactement  rem- 
plies ;  c'est  une  distinction  sur  laquelle  Arago  a 
judicieusement  insisté  à  propos  d'un  travail  de 
Maunoir  sur  cet  objet. 


DE  LA  VUE.  269 

2°  Deux  savants  distingués  ,  le  physiologiste 
Magendie  et  le  physicien  Biot,  ont  fait  ensemble, 
sur  l'oeil  des  lapins  albinos ,  des  expériences  d'où  il 
résulterait  que  Fimage  des  objets  placés  à  diverses 
distances  est  toujours  la  même  quoique  l'on  ne  fasse 
subir  à  cet  œil  aucun  changement.  J'ai  répété  ces 
expériences  avec  tout  le  soin  possible ,  en  comparant 
les  images  ainsi  obtenues  avec  celles  que  donnait, 
sur  du  papier  gélatine ,  une  loupe  d'un  foyer  égal 
à  celui  de  cet  œil  (quatre  lignes  et  demie)  :  j'ai 
ainsi  constaté  que  l'œil  ne  donnait  jamais  que  des 
images  troubles  ,  à  cause  de  l'épaisseur  et  de  la 
demi-opacité  du  fond  de  l'œil  ;  un  papier  ordinaire 
un  peu  mouillé  m'en  donnait  de  pareilles  avec  la 
loupe  ;  et  alors  on  ne  distinguait  plus ,  que  bien 
difficilement ,  les  degrés  de  netteté  des  images  ,  si 
faciles  à  apprécier  avec  le  papier  gélatine  ou  le  verre 
dépoli. 

D'ailleurs ,  ces  images  deviennent  si  petites ,  pour 
peu  qu'on  éloigne  l'objet  (r),  que  cette  appréciation 
est  presque  impossible ,  à  moins  qu'on  n'agisse  sur 
de  grandes  masses  fort  éclairées ,  qu'on  n'observe 
par  exemple  une  campagne ,  des  maisons  exposées 
au  soleil  et  comparées  avec  des  objets  placés  à  quatre 
pouces  de  distance  environ.  C'est  ce  que  n'ont  pro- 
bablement pas  fait  ces  savants  dont  l'autorité  aurait 
entraîné  mon  suffrage  ,  s'il  n'avait  été  pour  moi  de 
toute  évidence  qu'en  agissant  alors  sur  des  distances 


(d)  Un  objet  de  cinq  lifjnes  de  diamètre  ,  à  trois  pouces  devant  l'œil  de 
lapin  ,  donnait,  sur  son  fond,  une  image  de  demi-ligne  ;  à  quatre  pouces  ,  elle 
était  d'un  quart  seulement;  àtrois  ou  quatre  pieds,  elle  n'était  plus  perceptible 
si  l'objet  ^lait  opaque  ,  même  en  la  cherchant  à  la  loupe  ;  et  si  c'était  un  objet 
lumineux,  il  ne  représentait  plus  ^u'ixn  point. 


270  DE   LA  VUE. 

considérablement  différentes ,  les  différences  de  net- 
teté, et  par  conséquent  de  foyer,  devenaient  con- 
sidérables ,  même  malgré  les  défavorables  conditions 
dont  il  a  été  question  plus  haut. 

3^  Outre  ces  expériences,  l'habile  physiologiste 
nommé  ci-dessus  appuyait  encore ,  sur  l'autorité 
d'un  astronome  russe ,  son  opinion  que  l'œil  n'avait 
pas  besoin  de  faire  varier  sa  force  réfringente  pour 
voir  à  toute  distance.  Simonoff  a  dit,  en  effet,  que, 
depuis  un  demi-mètre ,  c'est-à-dire  un  pied  et  demi 
environ  ,  jusqu'à  l'infini ,  les  variations  de  foyer, 
nécessaires  pour  conserver  la  netteté  des  images 
dans  un  appareil  de  la  force  de  l'œil  humain ,  sont 
si  petites,  qu'on  peut  les  regarder  comme  nulles. 
Mais  d'abord  il  s'ensuivrait  que ,  du  moins  depuis 
cinq  décimètres  jusqu'à  un  décimètre ,  il  pourrait 
y  avoir  des  variations  considérables  (i);  or,  l'œil  ne 
s'accommode  pas  moins  bien  à  ces  changements  de 
distance  qu'à  ceux  des  objets  lointains.  En  second 
lieu,  il  n'est  pas  vrai  qu'après  un  demi-mètre,  c'est- 
à-dire  un  pied  et  demi ,  les  variations  de  foyer  seront 
insensibles ,  surtout  dans  un  organe  aussi  délicat 
que  notre  œil  :  toute  personne  douée  d'une  bonne 
vue  peut  s'assurer  que  le  même  œil  qui  voit  deux 
objets  placés  sur  la  même  ligne,  dans  la  direction 
de  son  axe ,  à  des  distances  différentes ,  n'a  qu'une 
image  trouble  du  plus  voisin  s'il  regarde  le  plus 
éloigné,  et  une  image  confuse  de  ce  dernier  si 
c'est  le  premier   qu'il  regarde  ;    cette   expérience 


(1)  Entre  trois  pouces  et  dix-liuil  pouces  de  dislance  au-devant  d'une  lentille 
de  force  égale  à  celle  de  l'œil  humain  ,  la  différence  du  foyer  est  de  sept  lignes 
à  six. 


DE   LA  VUE.  271 

réussira  aussi  bien  dans  le  cas  où  Tun  des  objets 
serait  placé  à  trois  pieds  et  l'autre  à  douze  ,  que  si 
l'un  est  à  huit  pouces  seulement  et  l'autre  à  dix-huit 
ou  vingt-quatre.  Ce  fait  bien  connu ,  et  de  Lecat,  et 
l'on  pourrait  dire  de  tout  le  monde ,  suffit ,  à  lui 
seul ,  pour  détruire  tous  les  arguments  des  trois 
objections  précédentes. 

4"  Il  en  est  de  même  de  l'interprétation  qu'a 
donnée  un  physicien  non  moins  réputé.  Le  cris- 
tallin ,  dit  Pouillet ,  étant  composé  (  et  cela  est  vrai) 
de  couches  dont  les  plus  profondes  sont  les  plus 
courbes  et  les  plus  épaisses  (^fig.  68^^  au  point 
que  son  noyau  est  presque  globuleux,  il  doit  avoir 
un  nombre  infini  de  foyers  pour  toutes  les  zones 
qui  le  composent  du  centre  à  la  circonférence  ;  et 
selon  que  la  pupille  se  resserrera  plus  ou  moins, 
ce  sera  tel  ou  tel  foyer  qui  donnera  des  images 
nettes  sur  la  rétine.  Le  savant  auteur  de  cette  hypo- 
thèse n'a  pas  réfléchi  que  si  cette  théorie  était  appli- 
cable à  la  vision  des  corps  très-voisins ,  elle  ne  l'est 
nullement  à  celle  des  corps  éloignés  ;  la  pupille  , 
dilatée  alors,  laissant  tous  les  foyers  se  confondre 
et  leurs  images  diffuses  couvrir  et  brouiller  celle  , 
bien  faible ,  du  foyer  convenable  à  la  distance  de 
l'objet.  Dans  une  lentille  à  courbures  sphériques , 
jamais  vous  ne  sauriez  avoir  l'image  nette  de  la 
flamme  d'une  bougie ,  au  foyer  des  zones  les  plus 
rapprochées  de  la  circonférence  ,  parce  qu'elle  est 
offusquée  ,  masquée  par  les  rayons  qui  passent  près 
du  centre ,  et  ne  doivent  se  réunir  que  plus  loin  : 
cela  est  si  vrai  que  j'ai  obtenu  cette  image  à  un 
foyer  beaucoup  plus  court  que  le  foyer  principal , 


^272  DE  LA  VUE. 

en  couvrant  la  majeure  partie  de  la  lentille  avec 
un  corps  opaque,  et  ne  laissant  de  libre  qu'un 
limbe  étroit  à  son  pourtour.  D'ailleurs ,  nous  avons 
prouvé  plus  haut  que  les  mouvements  de  Tiris  ne 
sont  pas  indispensables  à  la  vision  nette  des  corps 
lointains  ou  voisins.  Quant  au  cristallin ,  comment 
concevoir  que  des  couches  exactement  contiguës  , 
quoique  de  courbure  différente  ,  agissent  autrement 
qu'un  tout  à  substance  continue  ?  Et  ne  sait-on  pas 
que  c'est  la  forme  des  surfaces  extérieures ,  de 
celles  où  se  touchent  des  milieux  de  nature  ou  de 
densité  différentes ,  qui  agit  essentiellement  dans  la 
réfraction?  Youdrait-on  tirer  parti  de  la  différence 
dans  la  densité  des  couches  mêmes  du  cristallin, 
qui  va  croissant  de  l'extérieur  à  l'intérieur  ?  Cette 
dégradation  insensiblement  nuancée  peut  bien  influer 
sur  la  marche  des  rayons  dans  la  lentille  ,  mais  non 
lui  donner  des  foyers  multiples.  Enfin  ,  supposer  au 
cristallin  des  foyers  nombreux ,  c'est  évidemment  lui 
refuser  un  foyer  principal;  et  pourtant  il  suffit 
d'expérimenter  avec  un  peu  de  soin  sur  des  cris- 
tallins frais  et  non  déformés  de  divers  animaux ,  pour 
leur  reconnaître  un  foyer  principal  constant  et  qui 
n'est  pas  sensiblement  changé  par  les  dimensions 
de  divers  diaphragmes  apposés  à  sa  surface.  Les 
variations  qu'on  produirait  ainsi  seraient  même 
indubitablement  inverses  de  celles  que  Pouillet 
suppose. 

B,  Forme  en  courbure  des  organes  réfracteurs  _,  et 
fonctions  qui  en  dépendent.  —  1°  Cornée.  Depuis 
que  l^etit  a  cherché  à  déterminer  le  rayon  des 
courbures  dans  les  diverses  parties  transparentes  de 


r>E  LA  VUE  273 

Fœiî  (i),  il  a  paru  comme  mathématiquement  établi 
que  ces  courbures  étaient  toutes  de  nature  sphéri- 
que  ,  et  c'est  en  partant  de  là  qu'on  a  disserté 
sur  leurs  fonctions.  Toutefois ,  Demours  avait  déjà 
reconnu  qu'il  n'en  était  pas  ainsi  pour  la  cornée 
de  l'homme ,  dont  la  courbure ,  selon  lui ,  serait 
hyperbolique  ;  Chossat  accorde  aussi  cette  forme 
à  la  cornée  de  l'éléphant ,  mais  dans  le  boeuf  il  a 
déterminé ,  par  des  procédés  rigoureux  de  physique 
et  de  mathématique ,  le  genre  de  courbure  propre 
à  cette  membrane  ;  la  forme  qu'il  lui  assigne  est 
celle  d'un  segment  d'ellipsoïde  de  révolution  autour 
du  grand  axe  de  l'ellipse ,  ayant  sa  partie  la  plus 
saillante  un  peu  plus  en  dedans  que  le  centre  appa- 
rent de  la  cornée  même ,  de  sorte  que  Vaxe  physique 
n'est  pas  identique  avec  Vaxe  apparent ,  c'est-à-dire 
celui  qui  traverse  par  le  milieu  toutes  les  parties 
constituantes  de  l'œil,  sans  égard  pour  leurs  courbes 
particulières  ffiq.  54^".  J'ai  reconnu  la  même  forme 
et  la  même  obliquité  à  la  cornée  du  mouton  ,  à  celle 
du  lapin  ;  toujours  le  sommet  de  l'ellipsoïde  est  un 
peu  plus  en  dedans  (c'est-à-dire  du  côté  du  nez) 
qu'en  dehors.  La  même  forme  m'a  paru  celle  de 
Ja  cornée  du  poulet,  de  la  tourterelle  que  j'ai  en 
ce  moment  sous  la  main  (2).  Par  l'inspection  la 
plus  attentive ,  je   crois  pouvoir  accorder  aussi  la 


(U  Voici  les  mesures  que  donne  Cuvier ,  pour  l'homme ,  d'après  les  obser- 
vations de  Petit  et  les  siennes  propres  :  rayon  de  la  courbure  de  la  cornée 
O^jOl?  ;  de  la  courbure  antérieure  du  cristallin  0™,016  ;  de  la  courbure 
postérieure  du  cristallin  O^jOlS  ;  mais  ces  mesures  ne  doivent  être  considérées 
que  comme  donnant  une  idée  approximative  de  la  plus  ou  moins  grande  con- 
vexité de  ces  surfaces. 

(2)  Dans  l'effraie,  je  trouve  la  cornée  très-saillante ,  mais  sa  courbure  est 
«asses  régulièrement  spbéroïdale. 

18 


274  DE  LA  VIE. 

forme  ellipsoïdale  à  la  cornée  humaine  ;  c'est  au 
gros  bout  d'un  œuf  de  poule  que  je  la  comparerais 
(fig»  53  );  elle  n'est  point  aussi  voisine  de  la  forme 
conique  que  le  ferait  croire  la  détermination  de 
Demours  (i)  ,  mais  il  est  facile  de  prouver  qu'elle 
n'est  point  sphéroïdale ,  rien  qu'en  considérant  la 
saillie  si  marquée  qu'elle  forme  au-devant  du  globe 
oculaire ,  et  la  pente  douce  et  presque  insensible  par 
laquelle  néanmoins  elle  s'unit  à  la  sclérotique  :  ce 
qui  prouve  assez  que  sa  courbure,  très-intense  vers 
le  milieu  que  nous  nommerons  le  sommet  j  tend  à 
s'effacer  de  plus  en  plus  du  centre  à  la  circonférence. 
Voici  une  expérience  qui  le  prouvera  à  ceux  que 
l'examen  direct  n'aurait  pu  convaincre  :  observez 
sur  le  milieu  ou  le  sommet  de  la  cornée  d'un  homme 
placé  convenablement ,  l'image  d'une  fenêtre  ou  la 
flamme  d'une  bougie  qu'il  regarde  (2)  ;  commandez- 
lui  ensuite  de  tourner  lentement  ses  yeux  d'un  autre 
côté ,  de  manière  que  cette  image  se  rapproche  peu 
à  peu  du  limbe  ou  base  de  la  cornée  ;  vous  la  verrez 
grandir  peu  à  peu  aussi ,  jusqu'à  près  de  deux  fois 
en  diamètre  :  or ,  on  sait  que  plus  un  miroir  courbe 
est  convexe,  plus  sont  petites  les  images  qu'il  reflète. 
J'ai  constaté  la  même  chose  sur  la  coruQ^e  du  chat. 

(1)  Ce  n'est  que  chez  quelques  individus  qu'on  observe  un  état  de  choses  encore 
plus  A'oisin  de  la  forme  conique.  La  cornée  est  pointue  chez  certains  sujets: 
Scarpa  en  cite  un  exemple  ,  et  Williams  Adams  en  a  observé  plusieurs  ;  il  en 
résulte  toujours  ufi  troul)le  de  la  vue  ,  et  le  plus  souvent  une  excessive  myopie  ; 
à  tel  point  que  ce  dernier  praticien  a  conseillé  d'enlever  le  cristallin  pour 
diminuer  l'excès  de  force  convergente  de  l'œil.  Nous  avons  vu  une  femme  chez 
laquelle  cette  opération  ,  faite  pour  une  cataracte  ordinaire ,  n'avait  point 
diminué  l'excessive  myopie  à  laquelle  toute  sa  vie  elle  avait  été  sujette  en  raison 
d'une  pareille  conicilé  de  la  cornée  transparente. 

(2)  Il  n'est  ici  question  que  de  l'image  la  plus  vive ,  et  non  de  celles  qui 
peuvent  être  produites  par  la  face  postérieure  de  la  cornée  et  par  la  capsule  du 
cristallin  peut-être. 


DE  LA  TL'E.  275 

Le  principal  effet  de  celte  saillie  de  la  cornée 
est  évidemment  d'augmenter  le  champ  yisuel ,  non- 
seulement  en  avançant  la  surface  destinée  à  recevoir 
la  première  les  rayons  lumineux ,  mais  encore  en 
présentant  aux  objets  les  plus  périphériques  un  plan 
de  réfraction  plus  oblique  et  plus  propre  à  les 
incliner  vers  l'axe  de  l'œil,  à  les  faire  passer  à  travers 
la  pupille  (fig.  63).  C'est  grâce  à  cette  disposition 
que  nous  voyons  à  nos  pieds ,  à  nos  côtés  et  un  peu 
derrière  nous ,  en  haut  et  en  avant ,  sans  que  l'œil 
change  de  place  :  chez  les  oiseaux  qui  vivent  au 
milieu  des  airs  et  ont  intérêt  à  découvrir  simultané- 
ment un  grand  espace ,  la  cornée  est  portée  fortement 
au -dehors ,  surtout  chez  les  oiseaux  de  haut  vol 
et  les  rapaces  en  général  ;  l'anneau  osseux  de  la 
sclérotique  forme,  chez  eux,  un  cône  tronqué  quel- 
quefois plus  long  que  le  reste  du  globe  et  portant 
la  cornée  sur  son  extrémité  :  nul,  sous  ce  rapport, 
n'est  mieux  partagé  que  le  grand  duc  dont  l'œil, 
dans  son  profil ,  représente  presque  une  cloche  dont 
la  culasse  serait  figurée  par  la  cornée  transparente 
(  Sœmmerring  fils). 

Les  poissons ,  au  contraire ,  vivant  au  sein  d'un 
liquide  dont  la  transparence  douteuse  ne  permet  pas 
à  la  vue  de  s'étendre  bien  loin ,  ont  la  cornée  plus 
ou  moins  aplatie  ;  moins  pourtant  qu'on  ne  Ta  dit 
généralement ,  parce  qu'on  l'a  trop  souvent  examinée 
après  la  mort  de  l'animal  et  avec  un  commencement 
d'affaissement. 

La  forme  ellipsoïde  et  presque  parabolique  de  la 
cornée  a  aussi  son  avantage,  c'est  de  diminuer  l'aber- 
ration dite  de  sphéricité ,  comme  l'a  si  bien  démontré 


276  DE  LA  VUE. 

Descartes ,  objet  sur  lequel  nous  reviendrons  bientôt 
au  sujet  du  cristallin. 

2®  Cristallin.  Il  est  plus  facile  encore  ici ,  que 
pour  la  cornée ,  de  reconnaître  que  la  courbure  des 
surfaces  n'appartient  point  à  la  sphère,  et  dans  beau- 
coup de  figures  même ,  les  dessinateurs ,  forcés  par 
l'évidence,  se  sont  mis  en  contradiction  avec  le  texte. 
La  plus  simple  inspection ,  pour  peu  qu'on  ait  le 
coup -d'oeil  juste,  démontre  que  le  cristallin  de 
l'homme  ressemble  à  un  glohe  comprimé  _,  comme  l'a 
dit  Galien,  c'est-à-dire  qu'il  aune  coupe  elliptique 
(^fig,  ôSy*/  mais  les  ellipsoïdes  de  révolution  auxquels 
appartiennent  ses  deux  faces  ne  sont  pas  du  même 
genre  que  celui  de  la  cornée  ;  bien  loin  de  se  rap- 
procher de  la  forme  parabolique  ou  hyperbolique , 
suivant  l'opinion  de  Maitre-Jan  et  Sœmmerring  fils , 
elles  sont  méplates  j  ou  en  goutte  de  suifj  et  on  peut 
les  déterminer  mathématiquement ,  comme  l'a  fait 
Chossat  pour  le  bœuf,  des  portions  d'ellipsoïdes  de 
révolution  autour  du  petit  axe  de  l'ellipse.  La  courbe 
est  donc  d'autant  plus  prononcée  ,  plus  convexe , 
qu'on  se  rapproche  davantage  de  la  circonférence  où 
elle  se  termine  en  constituant  le  bord  arrondi  de  la 
lentille  cristalline.  Le  mouton,  le  lapin  offrent  évi- 
demment des  courbures  du  même  genre ,  et  je  trouve, 
chez  plusieurs  poissons,  le  cristallin,  quoique  d'appa- 
rence globuleuse,  un  peu  aplati  d'avant  en  arrière; 
beaucoup  semblent  toutefois  l'avoir  réellement  sphé- 
rique  ,  et  il  en  est  de  même  d'un  bon  nombre  de 
reptiles  (tortues,  serpents).  Sa  surface  antérieure  au 
moins  a  encore  une  forme  méplate  chez  la  plupart 
des  oiseaux  que  j'ai  examinés ,  bien  qu'il  n'en  soit  pas 


DE  LA  VUE.  277 

de  même  de  la  postérieure.  Voyons,  aussi  brièvement 
que  possible ,  ce  qui  doit  résulter  de  cette  forme 
si  générale ,  et  dont  on  a  jusqu'ici  tenu  si  peu  de 
compte,  même  en  physique. 

Personne  n'ignore  aujourd'hui  que  les  faisceaux 
lumineux,  partis  d'une  surface  éclairée,  se  croisent 
dans  l'œil  comme  dans  une  chambre  obscure  ,  et  que 
l'image  se  peint  renversée  sur  la  rétine  ;  il  suffît  de 
présenter  l'œil  d'un  lapin  blanc  à  une  bougie  allu- 
mée pour  en  acquérir  la  conviction  la  plus  complète: 
on  attribue  avec  raison  cet  effet  à  la  pupille  qui 
agit  à  la  manière  du  trou  d'une  chambre  obscure 
(flg.  60),  mais  il  faut  y  ajouter  l'action  du  cristallin 
qui  complète  et  régularise  ce  renversement  comme 
le  font  toutes  les  lentilles  convexes,  c'est  ce  qu'on  n'a 
pas  assez  fait  remarquer.  On  n'a  pas  observé  non 
plus  une  autre  particularité  bien  importante  :  c'est 
que,  dans  l'expérience  susdite,  l'image  n'est  pas 
moins  nette  quand  l'objet  est  présenté  obliquement 
à  l'œil  que  quand  il  lui  est  opposé  face  à  face , 
quand  l'image  se  peint  vers  le  pourtour,  que  quand 
c'est  vers  le  centre  du  fond  de  l'œil  ;  qu'elle  ne 
devient  même  moins  éclairée  que  tout  près  du  bord 
antérieur  de  la  rétine,  parce  qu'alors  la  pupille  ne 
représente  plus ,  pour  des  faisceaux  lumineux  très- 
obliques,  qu'une  fente  étroite  au  lieu  d'une  ouverture 
circulaire ,  et  n'en  laisse  passer  qu'une  quantité  peu 
considérable.  Ce  n'est  donc  pas  à  une  diffusion  des 
pinceaux  obliques ,  qu'il  faut  attribuer  cette  inap- 
titude à  bien  voir  les  objets  qui  ne  sont  pas  dans 
l'axe  de  l'œil  ;  cette  moindre  sensibilité ,  que  chacun 
peut  remarquer  dans  tous  les  points  de  la  rétine  autres 


278  DE  LA  Y^E. 

que  le  centre,  nous  en  rendrons  raison  plus  loin; 
remarquons  seulement  ici  qu'elle  ne  s'expliquerait 
point  par  l'aberration  de  sphéricité ,  en  supposant 
les  courbures  du  cristallin  de  nature  spliérique.  En 
effet,  si,  pour  des  lentilles  à  courbures  de  ce  genre, 
il  y  a  diffusion  des  pinceaux  qui  tombent  oblique- 
ment sur  leur  surface  (  fig,  64  ) ,  ce  n'est  que  quand 
l'inclinaison  est  de  dix  à  quinze  degrés  au  moins 
(  Pouillet  )  sur  l'axe  de  la  lentille  :  dans  une  certaine 
étendue  par  conséquent ,  et  non  dans  un  'point  seu- 
lement j  les  images  sont  régulières  et  nettes  ;  au-delà 
de  cette  étendue  limitée ,  elles  né  peuvent  plus  être 
que  troubles,  même  aufoyer  principal:  nous  venons 
de  voir  qu'il  n'en  est  pas  ainsi  du  cristallin.  En  expé- 
rimentant dans  l'eau  ou  dans  l'air  sur  cette  lentille 
à  coupe  elliptique ,  après  l'avoir  extraite  de  l'œil 
d'animaux  divers,  j'ai  confirmé  les  résultats  de  l'ex- 
périence ci-dessus  notée  ;  j'ai  vu  que  l'on  obtenait 
des  images  nettes  ,  quelle  que  fut  l'obliquité  de  la 
ligne  partant  de  l'objet  éclairé  ou  lumineux  pour  se 
rendre  à  la  surface  de  l'organe.  Un  raisonnement 
bien  facile ,  et  qui  n'a  pas  besoin  de  s'appuyer  de 
calculs  et  démonstrations  mathématiques  suffit  pour 
faire  concevoir  cette  particularité  :  la  courbure  va 
croissant  d'intensité  vers  la  circonférence  du  cris- 
tallin ;  donc  les  pinceaux  obliques  à  l'axe  de  la  len- 
tille tomberont  toujours  sur  une  partie  de  sa  surface 
presque  perpendiculaire  à  leur  ligne  moyenne  de 
direction.  Si,  en  raison  de  l'étroitesse  de  l'ouverture 
pupillaire,  les  pinceaux  obliques  ne  peuvent  tou- 
cher, sur  la  face  antérieure  du  cristallin ,  une  portion 
très-convexe  et  dont  le  rayon  soit  parallèle  à  leur 


DE  LA  VUE.  279 

axe  y  ils  trouveront  cet  avantage  à  la  face  postérieure 
{fg»  65  ),  et  c'est  pour  cela  que  la  face  postérieure 
a  toujours  plus  de  convexité  que  l'antérieure ,  si 
l'on  en  excepte  les  chats  (i) ,  dont  la  pupille  fendue 
de  haut  en  bas  est  susceptible  d'une  énorme  élar- 
gissement qui  met  à  nu  presque  toute  la  face  anté- 
rieure du  cristallin.  Une  sphère  complète,  ou  à  peu 
près,  surtout  si  elle  est  assez  petite  pour  offrira 
une  grande  pupille  presque  la  moitié  de  sa  surface, 
comme  le  cristallin  des  poissons ,  doit  nécessai- 
rement produire  aussi  des  effets  semblables,  puisque, 
dans  tous  les  sens  possibles ,  elle  pourra  recevoir 
des  rayons  perpendiculaires  à  sa  surface  ,  parallèles 
à  ses  axes  qui  sont  innombrables  ;  mais  alors  il  lui 
faut  un  fond  très-rapproché,  et  elle  ne  produit  que 
des  images  excessivement  petites  et  peu  propres  à 
donner  des  notions  minutieuses  sur  des  objets  tant 
soit  peu  éloignés. 

Le  grand  avantage  de  VeUiptkité  du  cristallin 
est  donc  d'augmenter  le  champ  de  la  vision  nette , 
et  nous  avons  déjà  vu  que  la  forme  conoïde  de  la 
cornée  offrait  aussi ,  d'une  autre  manière  ,  le  même 
avantage.  Mais  cet  avantage  est  compensé  par  quel- 
ques inconvénients ,  en  apparence  du  moins.  On  sait 
que  l'aberration  de  sphéricité  n'est  point  exclusive 
aux  cônes  lumineux  très-obliques ,  ceux-ci  ne  peu- 
vent avoir  un  foyer  régulier/  mais ,  même  pour  des 
cônes  lumineux  parallèles  à  l'axe  d'une  lentille  à 
surface  sphérique,  il  ne  saurait  exister  de  foyer 
complet  j  c'est-à-dire  rassemblant  tous  les  rayons  en 

(1)  Je  trouve  aussi  la  face    postérieure  plus  convexe  chez  le  caméléon    et 
plusieurs  oiseaux.  Ceux-ci  ont  généralement  la  pupille  fort  grande. 


280  1>£  LA  VUE. 

un  même  point  :  cela  vient  de  ce  que ,  comme  nous 
avons  eu  déjà  occasion  de  le  dire ,  les  rayons  les 
plus  écartés  du  centre ,  tombant  sur  une  partie  de 
surface  dont  la  perpendiculaire  est  très-inclinée  sur 
l'axe  de  la  lentille,  seront  fortement  déviés ,  inclinés 
vers  cet  axe ,  et  convergeant  avec  plus  de  force  que 
ceux  qui  sont  voisins  du  centre ,  se  réuniront  plus 
promptement  en  foyer  (i).  Or,  la  disparate  doit  être 
encore  exagérée  par  la  forme  ellipsoïdale  que  nous 
avons  reconnue  au  cristallin ,  et  Faberration  devrait 
être ,  sous  ce  dernier  rapport ,  prononcée  à  l'extrême 
dans  Tœil  des  animaux  vertébrés  ;  mais  cet  effet 
défavorable  est  corrigé  et  singulièrement  amoindri , 
1^  par  la  densité  décroissante  du  cristallin,  très- 
dur  à  son  centre ,  très-mou  à  sa  circonférence  (2)  ; 
2*^  par  la  présence  de  Virïs  qui  intercepte  les  rayons 
les  plus  éloignés  du  centre  (  fig.  66  )  ;  3®  par  la 
nature  de  la  courbure  propre  à  la  cornée  transpa- 
rente qui  est  plus  convexe  au  milieu  qu'alentour, 
tandis  que  celle  du  cristallin  est  plus  convexe  à  la 
circonférence  qu'au  centre  (fig.  67).  Cette  dernière 
cause  de  compensation  est  très-efficace  ,  mais  on  ne 
l'appliquerait,  à  la  vérité,  bien  justement  qu'aux 


(1)  Démonstration:  à  une  distance  fixe  de  la  flamme  d'une  bougie ,  placez 
une  lentille  d'abord  nue ,  ensuite  garnie  d'un  diaphragme  qui  n''ea  laisse  de 
libre  que  la  région  centrale  ,  puis  couverte  ,  au  milieu  ,  d'un  disque  qui  n'en 
laisse  libre  que  le  limbe  ;  vous,  trouverez  que  l'image  de  la  bougie  se  formera 
nettement,  sur  un  verre  dépoli,  plus  loin  de  la  lentille  dans  le  deuxième  cas, 
et  plus  près  dans  le  troisième  que  dans  le  premier  (fig..  6iJ.  Le  foyer  principal 
est  donc  une  moyenne  résultant  de  la  prépondérance  numérique  des  rayons 
intermédiaires  aux  centraux  et  aux  extrêmes,  et  qui  tombent  seasihlement  au 
même  point.  ^.  ' 

(2)  Cette  cause  d'atténuation  est  peu  puissante  ;  un  cristallin  délaché  de  l'œil 
du  lapin  et  laissé  même  dans  sa  capsule,  montre,  au  soleil,  une  irès-forle 
aberration  de  sphéricité ,  c'est-à-dire  beaucoup  de  lumière  diffuse  autour  de 
l'image  du  foyer  principal. 


DE  LA  VUE.  281 

mammifères.  Achevons  ce  qui  les  concerne ,  en  com- 
mençant par  eux  pour  ce  qui  a  trait  à  la  forme  du 
corps  vitré  et  du  fond  de  Fœil,  ou  du  globe  propre- 
ment dit. 

3°  Corps  vitré  et  fond  de  Vo^l.  Chez  les  animaux 
dont  il  vient  d'être  question ,  l'appareil  cornéo-cris- 
tallin,  ou  réfracteur  proprement  dit,  n'a  pas  une 
force  de  convergence  aussi  grande  que  chez  les 
autres  vertébrés ,  aussi  le  globe  de  l'œil  est-il  géné- 
ralement plus  arrondi ,  proportionnellement  moins 
large  et  plus  profond;  on  peut  remarquer ,  au  reste, 
que  nulle  part  ce  genre  de  conformation  n'est  plus 
prononcé  que  chez  Thomme  ,  et  que,  chez  les  autres 
animaux  mammifères ,  l'œil  est  d'autant  moins  pro- 
fond que  la  cornée  est  plus  saillante ,  le  cristallin 
plus  épais,  plus  coovexe ,  parce  que,  en  effet,  le 
foyer  principal  est  alors  plus  rapproché  de  sa  face 
postérieure  ([j.    Indépendamment  de   ces  particu- 

(1)  Comparez,  pour  preuve  de  ce ,  les  figures  de  la  table  II  dans  Sœmmerring 
fils  fBe  oculi  sectione  horizontnlij ,  quoiqu'on  y  doive  soup(;onner  bien  des 
inexactitudes;  car  il  n'est  pas  facile  de  conserver  les  parties  en  place  après  une 
section  horizontale.  Ce  n'est  aussi  qu'approximativement  qu'il  faut  admettre  les 
mesures  suivantes  ,  d'après  Cuvier,  pour  les  proportions  en  épaisseur ,  d'avant  en 
arrière  ,  1°  de  l'humeur  aqueuse  ,  2"  du  cristallin  ,  S"  du  vilré  : 

Homme  0,4,1a.  Chien  5,  8,  8.  Bœuf  S,  lit  ,  18.  Mouton  2t,  11  ,  12. 
Cheval  9,  16,  18.  Chouette  8 ,  11  ,  8.  Hareng  1 ,  5,  1. 
Nous  avons  mesuré ,  pour  l'homme,  deux  lignes  deux  tiers  d'épaisseur  sur 
quatre  de  largeur  au  cristallin;  on  le  figure,  en  général,  trop  mince; 
Sœmmerring  père  et  fils  lui  donnent  à  peine  deux  lignes,  Zinn  lui  en  accorde 
trois.  Chez  le  lapin ,  l'œil  a  sept  lignes  et  demie  d'un  côté  à  l'autre,  sept  d'avant 
en  arrière  ;  le  cristallin  a  trois  lignes  et  un  tiers  d'épaisseur  sur  quatre  lignes  et 
demie  de  large  ;  le  vitré  n'a  que  deux  lignes  et  demie  ;  reste  un  peu  plus  d'une 
ligne  pour  la  cornée  et  l'humeur  aqueuse ,  dont  les  chambres  sont  fort  rétré- 
cies ,  vu  la  grande  convexité  de  l'iris  poussé  en  avant  par  le  cristallin.  Il  est  à 
remarquer  que  le  fond  de  l'œil  a  ici  beaucoup  moins  d'épaisseur  que  l'appareil 
réfracteur  ;  c'est  tout  le  contraire  chez  l'homme.  Ce  qui  n'est  pas  moins  remar- 
quable ,  c'est  la  coïncidence  du  résultat  de  mes  expériences  avec  la  disposition 
anatomique.  L'appareil  cornéo-crislallin  du  lapin  ,  détaché  avec  précaution  , 
m'adonne,    dans  l'air,  son  foyer  principal  à  moins  d'une  ligne;    mais  dans 


282  DE  LA  VUE. 

larités  de  dimensions,  et  pour  ainsi  dire  de  masse, 
l'œil  des  mammifères ,  et  surtout  de  l'homme ,  oîfre 
ceci  de  remarquable ,  que  la  distance  entre  la  face 
postérieure  du  cristallin  et  la  rétine  qui  tapisse  le 
fond  du  globe  ,  va  graduellement  en  diminuant  du 
centre  à  la  circonférence ,  diminution  d'autant  plus 
rapide  qu'on  s'approche  davantage  des  régions  anté- 
rieures (  fig.  53  )  :  ceci  concorde  parfaitement  avec 
la  courbure  ellipsoïdale  du  cristallin,  dont  le  foyer 
principal  est  d'autant  plus  court  qu'il  correspond  à 
une  partie  plus  convexe  de  sa  surface.  Il  est  évident, 
en  effet,  que  ce  foyer  sera  fort  loin  de  la  lentille 
pour  son  milieu  aplati ,  fort  près  pour  son  pourtour 
très -convexe.    De  là  vient  que  le  fond  de  l'œil 
humain  semble  une  sphère  dans  la  paroi  antérieure 
de  laquelle  serait  enchâssé  et  à  peine  enfoncé  l'appa- 
reil réfracteur  essentiel  ou  cornéo -cristallin;  tandis 
que,  chez  le  mouton,  la  face  postérieure  du  cris- 
tallin   étant  presque   sphéroïdale ,   les  foyers   sont 
presque   de   même  longueur    au   pourtour    qu'au 
centre;  delà,  l'élargissement,  l'aplatissement  an  téro- 
postérieur  de  son  œil ,  plus  éloigné  encore  que  celui 
du  bœuf  de  la  forme  globuleuse.  Les  animaux  du 

l'eau  c'était  à  deux  lignes  et  un  quart ,  distance  juste  du  fond  de  l'œil  dans  son 
intégrité.  Yoici  d'autres  proportions  relatives  à  la  forme  extérieure  de  l'œil  , 
d'aijrès  Cuvier  ;  elles  sont  afférentes  à  ce  qui  a  été  dit  dans  le  texte.  Le  diamètre 
antéro-poslérieur  est  an  iransverse  : 
Homme 


,  ..  157  :  156. 
Singe 

Chien    ::  2!j-  :  2S. 

Bœuf   ::  20  :  21. 

Cheval    ::  2Jj.  :  23. 

(En  dedans         (  Baleine    ::  6  :  11. 

d»  la  sclérotique.)   (  Mai-souiii    ::  2  :  5. 

Chouette    ::  13  :  12. 

Autruche    ::  4  :  5. 

Vautour  ::  13  :  16. 


DÉ  LA  VUE.  283 

genre  cliàt  ont  l'œil  plus  globuleux ,  bien  que  leur 
cristallin  soit  très-convexe;  mais,  à  en  juger  du 
moins  par  la  figure  de  l'œil  du  lynx ,  donnée  par 
Sœmmerring  le  fils,  leur  rétine  ne  tapisse  que  la 
partie  postérieure  de  la  sclérotique ,  pas  même  la 
moitié  ;  elle  ne  peut  donc  recevoir  que  des  faisceaux 
réunis  en  foyers  d'égale  longueur,  ce  qui  doit  faire 
présumer  à  leurs  organes  de  réfraction  des  cour- 
bures à  peu  près  sphériques  :  tout  ce  que  j'en  ai 
pu  constater,  c'est  que  l'aberration  de  sphéricité 
produite  par  le  cristallin  du  chat  domestique  est 
très-considérable,  même  dans  l'eau  (i). 

Ces  variations ,  offertes  par  divers  mammifères  , 
nous  préparent  à  ce  que  vont  nous  présenter  les 
oiseaux  et  les  poissons.  Chez  les  premiers  (^fig.  55^^ 
une  cornée  très-saillante  et  très-convexe ,  et  un  cris- 
tallin généralement  plus  épais  ,  plus  convexe  que 
celui  des  mammifères ,  constituent  un  appareil  de 
réfraction  très-puissant,  aussi  l'œil  est-il  très-peu 
profond,  très-élargi.  La  sclérotique  représente  une 
calotte  de  sphère  creuse  dont  le  bord  est  soutenu  par  la 
grande  circonférence  d'un  cadre  osseux  assez  large, 
un  peu  incliné  en  avant  et  dont  l'ouverture  antérieure 
supporte  la  cornée.  Ainsi  le  fond  de  l'œil,  et  par 
conséquent  la  rétine  ,  sont  maintenus  à  peu  près  à 
égale  distance  de  tous  les  points  de  la  face  postérieure 
du  cristallin ,  au  lieu  de  s'en  rapprocher  au  pourtour 
comme  chez  l'homme  ;  cette  particularité  s'explique 
par  la  forme  de  cette  face  postérieure  qui ,  loin  d'être 

(1)  Avec  ces  courbures  sphéroïdales ,  il  y  aurait  eu  inévitablement  aberralioh 
de  sphéricité  pour  des  faisceaux  très-obliques  ,  si  la  rétine  n'eût  été  assez  réduite 
dans  ses  dimensions  pour  n'en  pouvoir  pas  recevoir.  Il  s'ensuit  seulement  que 
le  champ  visuel  doit  être  peu  étendu  chez  les  fclis. 


284  DE  LA  VUE. 

aplatie  vers  son  centre ,  comme  l'est  sa  face  anté- 
rieure ,  se  montre  (  du  moins  dans  le  coq)  conoïde , 
presque  hyperbolique;  il  y  a  donc  compensation 
d'une  face  à  l'autre ,  pour  la  longueur  des  foyers. 
Il  y  a  plus ,  cette  compensation  n'étant  pas  complète, 
les  foyers  périphériques  étant  plus  longs  que  ceux 
voisins  du  centre ,  le  fond  de  la  rétine  est  nécessai- 
rement un  peu  plus  éloigné  du  cristallin  vers  le 
contour  de  l'œil  que  vers  son  milieu.  La  figure  de 
l'œil  du  grand  duc,  donnée  par  Sœmmerring  fils, 
semble  indiquer ,  chez  lui ,  des  courbures  sphériques 
à  l'appareil  cornéo-cristallin  ;  aussi  a-t-il  le  fond  de 
l'œil  et  la  rétine  très-bornés  comme  dans  les  mam- 
mifères du  genre  felis. 

La  disposition  relative  des  parties  et  leur  forme 
nécessaire  sont  maintenues ,  dans  l'œil  des  oiseaux, 
en  partie  par  le  peigne  ruyscliien  dont  nous  avons 
déjà  parlé  ailleurs,  en  partie  par  le  cercle  osseux 
de  la  sclérotique  et  par  la  consistance  cartilagineuse 
de  la  choroïde  ;  une  telle  consistance  était  inutile 
à  l'homme ,  dont  l'œil  sphérique  se  soutient  assez  de 
lui-même  malgré  la  mollesse  de  ses  enveloppes;  elle 
devenait  plus  nécessaire  au  bœuf,  au  mouton,  au 
cheval ,  aux  cétacés ,  dont ,  effectivement ,  la  scléro- 
tique s'épaissit  à  mesure  que  le  fond  de  Fœil  s'aplatit 
davantage  ;  elle  ne  l'était  pas  moins  aux  poissons 
ffig.  h^J y  dont  Fœil  plat  est,  à  cette  fin,  pourvu 
d'une  sclérotique  osseuse  ou  presque  osseuse.  Chez 
eux,  la  forte  convexité  du  cristallin  est  tempérée, 
dans  ses  effets  de  réfraction  et  de  convergence ,  par 
l'aplatissement  de  la  cornée  et  par  l'épaisseur  plus 
grande  au  pourtour  qu'au  milieu  de  cette  membrane 


DE  LA  VUE.  285 

(chez  le  brochet  surtout)  ,  qui  en  fait  une  lentille 
concave  ou  divergente.  La  forme  sphéroïdale  du 
cristallin  suppose  un  fond  sphéroïdal  aussi ,  pour 
soutenir  la  rétine  à  distances  égales  dans  toute  son 
ampleur  ;  c'est  effectivement  ce  qui  a  lieu.  Nous  ne 
devons  pas  entrer  ici  dans  le  détail  des  exceptions , 
et  de  celles  que  présenteraient  surtout  les  reptiles  qui 
tiennent  le  milieu  entre  les  oiseaux  et  les  poissons , 
et  se  rapprochent  tantôt  des  uns,  tantôt  des  autres  ; 
il  nous  suffit  d'avoir  montré  que  l'on  peut,  aujour- 
d'hui, donner  la  raison  physiologique  de  toutes  ces 
diversités  de  forme  et  de  structure ,  qui  n'avaient 
été,  jusqu'à  présent,  l'objet  que  d'un  étonnement 
stérile. 

D'après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  on  voit  que, 
quels  que  soient  le  volume  et  la  convexité  de  l'œil , 
l'aplatissement  ou  la  rondeur  du  cristallin ,  la  con- 
formité réciproque  de  ses  parties  n'en  fait  pas  moins 
un  ensemble  aussi  parfait  dans  un  cas  que  dans 
l'autre;  on  a  dit  que  le  raton  était  myope  (Kieser), 
on  a  pu  le  penser  du  lapin;  mais  nous  avons  vu, 
pour  ce  dernier ,  qu'il  n'en  devait  pas  être  ainsi , 
puisque  le  fond  de  l'œil  se  trouve  au  foyer  des 
parallèles  relativement  à  l'appareil  cornéo  -  cris- 
tallin. Sans  doute  il  y  a  différentes  portées  de  vue , 
et  nous  en  avons  dit  quelque  chose  plus  haut,  il  y 
a  surtout  des  différences  dans  l'étendue  du  champ 
visuel;  mais,  malgré  des  configurations  si  diffé- 
rentes ,  il  ne  parait  pas  qu'aucun  vertébré ,  à  l'état 
normal ,  puisse  être  dit  véritablement  ou  myope ,  ou 
presbyte  :  ces  deux  états  opposés ,  si  fréquemment 
observés  chez  l'homme ,   sont  anormaux. 


280  DE  LA   VIE. 

La  myopie ,  ou  vue  basse ,  peut  être  de  première 
conformation  ,  tenir  à  une  trop  grande  convexité 
de  la  cornée ,  ou  plutôt  encore ,  ce  qui  n'a  pas  été 
remarqué  jusqu'ici,  à  un  trop  fort  volume  de  Foeil 
qui  éloigne  son  fond  du  foyer  des  parallèles  de 
l'appareil  cornéo- cristallin  :  en  effet,  les  myopes 
ont  souvent  les  yeux  gros ,  leur  globe  entier  à  feur 
de  lête  j  ce  qui  ne  suppose  pas  nécessairement  que 
la  cornée  soit  plus  bombée.  Ce  vice  de  la  vue  peut 
aussi  dépendre,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  d'une 
contracture  habituelle  du  cristallin. 

Quant  à  la  presbytie,  ou  vue  longue j  nous  avons 
dit  qu'elle  paraissait  devoir  être  attribuée  à  la  rigi- 
dité sénile  et  à  l'impuissance  du  cristallin  ,  très-dur 
chez  les  vieillards ,  très-mou  et  comme  gélatineux 
chez  les  enfants.  Si  cette  altération  de  la  vue  tenait, 
comme  on  le  pense ,  à  l'aplatissement  de  la  cornée , 
on  ne  voit  pas  pourquoi  elle  se  bornerait  à  réduire 
l'œil  à  la  vision  nette  des  objets  éloignés  ;  elle  devrait 
finir  par  rendre  ceux-ci  impossibles  à  distinguer. 
Il  est  évident ,  au  contraire  ,  que  la  presbytie  ne  fait 
que  changer  l'œil  en  une  chambre  obscure  invariable/ 
elle  lui  ôte  seulement  la  faculté  de  voir  à  toute 
distance ,  et  en  réduit  la  portée  à  celle  du  foyer  des 
parallèles. 

On  peut  penser  qu'il  existe  quelque  chose  de 
pareil ,  d'un  côté  seulement ,  dans  les  cas  de  stra- 
bisme où  l'individu  néglige  l'œil  impuissant  et  l'aban- 
donne ,  pour  ainsi  dire ,  au  caprice  de  ses  muscles  (  i  ). 

(1)  Le  strahisme  n'est  pas  toujours  dû  à  la  même  cause  ;  l'étude  que  nous 
avons  faite  de  cet  état  ,  considéré  comme  morhide,  nous  a  conduit  à  en  établir 
quatre  genres  différents.  1'^  Les  deux  yeux  conservant  une  égale  portée  quant  à 
rétendue  peuvent  être  inéjjatix  en    sensibilité  ,    en  réceptivité  ,    corairae  disent 


DE  LA.  VUE.  287 

Si  Tinégalité  est  peu  considérable ,  comme  il  arrive 
assez  fréquemment  aux  personnes  qui  approchent 
de  la  vieillesse  et  ont  déjà  un  commencement  de 
presbytie ,  il  en  résultera  une  autre  habitude  non 
signalée  encore  par  les  physiologistes ,  celle  de  re- 
garder de  côté,  établissant  ainsi  une  plus  grande 
distance  entre  l'objet  et  l'œil  le  plus  affaibli.  On  ne 
saurait  attribuer  cet  état ,  ni  le  vrai  strabisme ,  à  une 
obliquité  du  cristallin  ,  comme  l'a  pensé  Pravaz , 
puisque  nous  avons  vu  que  cette  lentille  donnait  des 
images  aussi  parfaites  obliquement  que  directement 
présentée  aux  objets. 

Quant  à  la  portée  différente  de  la  vue  chez  diffé- 
rents animaux,  sans  revenir  sur  ce  qui  a  été  dit 
comparativement  des  oiseaux  et  des  poissons ,  nous 
ajouterons  ici  que,  généralement,  les  animaux noc- 

les  Allemands  ;  alors  il  arrive  souvent  que  l'œil  faible  est  négligé  ,  abandonné  à 
l'action  prépondérante  du  muscle  droit  interne  plus  exercé  que  les  autres, 
ainsi  qu'il  a  été  dit  ailleurs.  C'est  là  l'espèce  observée  par  Buffon  ,  et  donnée 
pour  la  plus  ordinaire  ,  sinon  la  seule.  2°  Les  deux  yeux  peuvent  avoir  une 
portée  différente ,  l'un  être  myope  et  l'autre  presbyte.  Je  connais  plusieurs 
personnes  qui  sont  dans  cette  condition  sans  strabisme  :  une  autre  est  affectée 
de  cette  déviation  ;  mais  aussi  l'inégalité  est  portée  chez  elle  à  l'extrême  ;  l'œil 
gauche  est  si  myope  qu'il  ne  sert  de  rien  pour  la  vision  des  objets  éloignés  ;  en 
pareil  cas  il  se  tourne  en  dedans,  tandis  que  l'œil  droit  regarde  directement; 
l'œil  droit,  en  revanche  ,  est  presbyte  ,  au  point  qu'il  ne  peut  servir  pour  voir 
de  près,  et  se  tourne  ,  à  son  tour,  en  dedans  quand  l'œil  gauche  regarde  un 
objet  voisin.  Et  cette  alternative  est  devenue  avec  l'âge  si  naturelle,  que,  bien 
que  des  verres  convenables  corrigent  le  défaut  de  l'un  ou  de  l'autre  œil  ,  le 
strabisme  n'en  a  pas  moins  lieu  de  l'œil  opposé  ;  l'habitude  de  ne  porter  l'allenlion 
que  sur  les  sensations  d'un  seul  œil  est  telle,  que  la  personne  même,  douée 
d'un  vrai  talent  d'observation,  a  érigé  ce  fait  en  principe  contrairement  à  ce 
que  tout  autre  individu  peut  observer  sur  lui-même.  5°  J'ai  vu  un  autre  sujet 
affecté  de  strabisme ,  parce  que  l'un  des  deux  yeux  portait  un  nuage  au  centre 
de  la  cornée  ;  et  il  y  avait ,  dans  ce  cas  ,  ceci  de  remarquable  ,  que  l'individu  ne 
louchait  que  quand  il  regardait  un  objet  avec  attention  ;  alors  seulement  il 
sentait  la  nécessité  de  dévier  l'œil  imparfait  ;  il  le  négligeait  pour  l'ordinaire. 
^1^°  Enfin  ,  il  est  un  strabisme  qui  dépend  du  déplacement  congénial  ou  forcé- 
ment acquis  du  centre  sensitif  de  la  rétine  et  des  points  homologues  de  l'une  ou 
de  l'autre  de  ces  expansions  nerveuses  ;  il  en  sera  question  plus  loin ,  et  nous 
renvoyons,  à  cet  égard,  à  une  axitre  note  {roycz  Rétine). 


288  DE   LA  VFE. 

tunies  ont  la  vue  moins  étendue  que  les  diurnes. 
La  raison  dit  qu'il  en  doit  être  ainsi ,  et  l'anatomie 
le  prouve  ;  on  a  pu  remarquer  déjà ,  dans  les  détails 
précédents,  que  le   champ  visuel  des  chats,   des 
oiseaux  de  nuit  est  peu  large  ;  leur  appareil  réfrac- 
teur est,   au  contraire,  très-puissant,   et  doit  plus 
facilement  s'accommoder  à  la  vision  hien  nette  des 
objets  très-rapprochés,  chose  essentielle  dans  l'obs- 
curité  durant  laquelle   ils   agissent.   L'œil  de  ces 
animaux  offre  d'ailleurs  une  direction  plus  anté- 
rieure ,  une  ampleur  générale  et  surtout  une  gran- 
deur considérable  de  la  cornée  et  du  cristallin,  bien 
propres  à  recueillir  une  grande  quantité  de  rayons 
lumineux,    cause  essentielle  de  la  difficulté  avec 
laquelle  ils  supportent  la  lumière  du  jour.  La  diffé- 
rence est  considérable,  sous  ces  divers  rapports, 
entre  l'œil  du  grand  duc  et  celui  de  l'aigle ,  et  plus 
encore  de  l'autruche  (Sœmmerring  fils).    Chez  le 
porc-épic  et  chez  le   rat,  la  cornée  transparente 
fait,  à  elle  seule ,  la  moitié  du  globe  de  l'œil  (Blu- 
menbach,   Carus);  il  en  est  presque  de  même  de 
plusieurs  autres   rongeurs ,   le  castor,   l'écureuil  ; 
c'est  une  chose  frappante  que  la  largeur  et  de  l'œil 
et  de   la  cornée  chez  le  tarsier ,    les  makis  ,  les 
geckos;  les  chauves-souris ,  qui  ont  l'œil  petit,  sem- 
blent faire  exception  à  cette  règle  ,  mais  leur  cornée 
est  aussi  large  à  peu  près  que  le  globe  même ,  et  le 
cristallin  remplit  presque  le  tiers  de  sa  capacité. 
Au  reste ,  il  est  de  remarque  qu'ici ,   comme  pour 
l'oreille  jusqu'à  un  certain  point ,  l'organe  n'est  pas 
en  proportion  de  grandeur  avec  la  taille  de  l'animal; 
on  sait  que  les  grands  animaux  ont  l'œil  propor- 


DE  LA  VUE.  289 

tionnellement  fort  petit  ;  celui  de  la  girafe  est  le 
plus  grand  de  tous  ;  mais  la  baleine  et  Téléphant 
Font  moins  grand  que  le  bœuf,  et  le  bœuf  le  cède 
au  cheval.  Toutefois  Forgane  de  la  vue  devient, 
absolument  parlant,  bien  plus  petit  que  celui  de 
l'audition ,  surtout  chez  les  invertébrés  :  c'est  qu'ef- 
fectivement les  rayons  lumineux  sont  d'une  tout 
autre  ténuité  que  les  rayons  sonores;  et  cette  ténuité 
explique  aussi  comment  un  œil  de  grandeur  médiocre 
peut  très  -  convenablement  suffire  aux  besoins  du 
plus  gigantesque  vertébré. 

§  VIT.  Sensation. 

De  même  que  le  sens  de  l'ouïe ,  de  l'odorat ,  dtt 
goût,  celui  de  la  vue  est  animé  par  des  nerfs 
accessoires ,  outre  celui  auquel  il  doit  son  aptitude 
réelle  aux  fonctions  dont  il  est  l'organe.  Les  nerfs 
moteurs  de  la  troisième  paire  se  distribuent  au 
muscle  élévateur  de  la  paupière  supérieure ,  à  l'obli- 
que inférieur  ou  externe  de  l'œil,  à  trois  de  ses 
muscles  droits ,  l'interne ,  l'inférieur  et  le  supérieur, 
et  à  l'iris  ,  par  Fiotermédiaire  ou  sans  l'intermé- 
diaire du  ganglion  ophthalmique.  La  quatrième 
paire  est  destinée  à  l'oblique  supérieur  ou  interne  ; 
la  sixième  paire  au  droit  interne.  Il  faut  compter  de 
plus  les  filets  que  le  nerf  facial  donne  au  muscle 
constricteur  des  paupières;  et  nous  retrouvons  en 
outre  ici  encore  une  branche  de  la  cinquième  paire, 
douant  de  la  sensibilité  tactile  les  paupières  ,  le 
globe  de  l'œil  même ,  et  présidant  à  l'activité  sécré- 
toire  de  la  glande  lacrymale.  Il  n'y  a  pas  jusqu'au 
nerf  grand  sympathique  dont  l'influence  ne  se  fasse 

19 


290  DE  LA  VUE. 

sentir  sur  l'œil ,  comme  nous  l'expliquerons  ailleurs, 
en  raison  de  ses  communications  anastomotiques 
avec  ceux  dont  il  vient  d'être  question.  Mais  le 
véritable  nerf  de  la  vision,  c'est  celui  de  la  deuxième 
paire  ou  nerf  optique ,  nerf  oculaire  proprement  dit, 
et  dont  la  rétine  n'est  qu'une  dépendance.  Toutefois 
nous  examinerons  successivement  et  séparément  ces 
deux  parties ,    quant  à  leur  disposition  et  à  leurs 


usages. 


^.  Nerf  optique.  Avant  d'entrer  dans  les  détails 
de  ses  particularités  anatomiques  et  des  particula- 
rités physiologiques  qui  s'y  rattachent,  commençons 
par  résoudre  ce  problême  :  Le  nerf  optique  existe-t-il 
toujours  quand  l'œil  existe,  et  son  existence  est-elle 
indispensable  à  l'exercice  de  la  vue  ? 

Plus  d'une  fois  déjà  nous  avons  eu  occasion  de 
parler  de  l'importance  accordée  au  nerf  trijumeau 
(cinquième  paire)  par  Serres,  Desmoulins,  Ma- 
gendie  ;  les  observations  pathologiques  du  premier, 
les  expériences  du  dernier  sur  des  animaux  vivants, 
prouvent  effectivement  que  l'intégrité  de  la  branche 
ophthalmique  de  ce  nerf  est  indispensable  à  l'inté- 
grité de  l'organe  visuel  et  à  l'exercice  complet  de 
ses  fonctions.  Nous  nous  sommes  suffisamment  ex- 
pliqué ailleurs,  à  ce  sujet,  pour  pouvoir  nous  con- 
tenter de  dire  que ,  de  la  nécessité  de  ces  auxiliaires, 
ne  résulte  pas  leur  aptitude  à  suppléer  le  vrai  nerf 
visuel,  et  le  célèbre  expérimentateur  déjà  cité  nous 
fournirait  assez  de  preuves  que  la  fonction  fonda- 
mentale appartient  ici  au  nerf  optique.  Nul  médecin 
n'ignore  que  la  destruction,  l'altération  d'une  partie 
quelconque  de  ce  nerf  entraîne  la  cécité ,  et  que  la 


DE  LA  VUE.  291 

cécité ,  produite  par  d'autres  causes ,  entrame  Fatro- 
pliie  du  nerf.  Magendie  a  même  reconnu  que  son 
ramollissement,  sa  profonde  altération  dans  toute  sa 
longueur  suivaient  de  bien  près,  chez  les  oiseaux, 
la  destruction  du  globe  de  l'œil. 

Mais  une  autorité  imposante ,  s'ajoutant  à  celle 
des  noms  déjà  cités,  est  venue  appuyer  cette  opinion 
que,  dans  certains  cas  du  moins _,  le  nerf  de  la  cin- 
quième paire  pouvait  servir  à  la  vision  en  l'absence 
du  nerf  optique.  Geoffroy-St-Hilaire  a  établi  comme 
positifs  les  faits  suivants:  1^  la  taupe,  si  souvent 
réputée  aveugle  ,  bien  qu'on  ait  de  tout  temps 
connu  ses  yeux  et  l'ouverture  extérieure  des  pau- 
pières ,  la  taupe  y  voit  réellement ,  et  son  petit 
œil  offre  en  effet  tout  ce  qu'on  trouve  dans  l'œil  le 
mieux  développé;  2°  cependant  la  taupe  n'a  pas  de 
nerf  optique  ,  et  c'est  un  rameau  du  nerf  ophthaîmi- 
que,  branche  de  la  cinquième  paire,  qui  s'insère 
au  fond  de  l'œil. 

Ce  problême  important,  auquel  Se  rattache  une 
question  générale  grave  en  physiologie,  celle  de  la 
spécialité  des  nerfs,  a  dû  nous  occuper  aussi,  dési- 
reux que  nous  sommes  de  ne  donner  à  nos  lecteurs 
aucun  fait  appuyé  seulement  in  verha  magistrij 
toutes  les  fois  qu'il  nous  est  possible  de  le  vérifier. 
Quelle  que  soit ,  d'ailleurs  ,  notre  conviction  au 
sujet  de  la  haute  capacité  de  pareils  observateurs , 
voici  notre  opinion  d'après  des  investigations  répétées 
de  toutes  les  manières,  avec  patience  et  sans  pré- 
vention. 

1«  Des  mouvements  menaçants,  exécutés  sans 
exciter  de  courant  d'air  bien  sensible ,  n'épouvantent 


292  DE  LA  VUE. 

la  taupe  ni  à  un  jour  vif,  ni  à  un  jour  médiocre ,  ni 
à  la  lumière  artificielle  ;  des  obstacles  posés  sur  sa 
route  Tarrêtent  de  front;  elle  s'y  heurte.  Si  on  lui 
présente  ,  à  quelque  distance ,  lorsqu'elle  est  affamée, 
un  lombric  terrestre,  elle  ne  l'aperçoit  nullement; 
si  on  l'approche  à  moins  d'un  pouce  de  son  museau, 
l'odorat  l'avertit  de  la  présence  d'une  proie  pour 
laquelle  elle  montre  beaucoup  d'avidité  ;  son  grouin 
s'agite  vivement  en  tous  sens,  elle  tâte  et  cherche  à 
droite ,  à  gauche ,  en  haut ,  en  bas ,  et  n'ouvre  la 
gueule  pour  saisir  le  ver  à  belles  dents  que  quand 
elle  l'a  touché  de  son  museau  long  et  mobile ,  ou  lors- 
qu'il est  tellement  près  d'elle  que  l'odorat  ne  peut 
lui  laisser  aucun  doute  sur  sa  position.  Si,  durant 
ces  manœuvres ,  on  examine  attentivement  les  yeux, 
on  ne  les  voit  point  s'ouvrir.  Cependant,  exposées  à 
l'air  dans  une  caisse  découverte ,  les  taupes  que  j'ai 
nourries  semblaient  rechercher  les  points  les  plus 
obscurs;  elles  enfonçaient  leur  tète  dans  les  angles, 
tournant  le  dos  au  jour,  et  il  m'a  paru  que  cette 
manœuvre  ne  tenait  pas  seulement  à  leur  habitude 
de  fouïr,  à  leur  grande  sensibilité  au  froid  (i) ,  mais 
aussi  au  désir  d'éviter  la  lumière  qui,  sans  doute, 
suffit  pour  les  avertir  qu'elles  sont  exposées  à  des 
dangers  auxquels  elles  étaient  soustraites  dans  leurs 
demeures  souterraines  (2). 

J'ai  disséqué  l'œil  avec  tout  le  soin  possible  [voyez 
fig.  69,  70,  71),  et  j'ai  vu  que  l'ouverture  des 
paupières  était  fort  petite  relativement  même  aux 
dimensions  du  globe  de  l'œil  ;  qu'aucun  muscle  diduc- 

(1)  Elles  IremWaient  à  une  tempéralure  de  10  à  12°  R. 

(2)  Des  observations  semblables  viennent  d'être  publiées  par  Gabriel  Pellelan. 


DE  LA  VUE.  293 

teur  ne  pouvait  écarter  les  bords  de  cette  ouverture , 
mais  que  la  pointe  de  la  cornée  de  l'œil  pourrait 
s'y  engager  si  le  globe  était  poussé  en  avant.  Ce  der- 
nier mouvement  m'a  paru  possible  à  exécuter  au 
moyen  d'un  petit  muscle  oblique  interne  :  des  autres 
muscles  de  l'œil,  il  n'existe  qu'un  choanoïde  mince 
et  propre  à  le  tirer  en  arrière.  Des  glandes  de 
Meibomius ,  eu  grappes  aux  deux  paupières ,  indi- 
quent une  lubrifaction  suffisante  à  d'aussi  petits 
mouvements.  La  cornée  est  bien  transparente,  pres- 
que conique,  et  tellement  convexe  qu'elle  suppo- 
serait une  myopie  bien  intense ,  si  l'absence  du 
cristallin  ne  diminuait  les  effets  de  cette  grande 
puissance  convergente.  Geoffroy- S* -Hilaire  croit  à 
l'existence  de  cette  lentille  que  je  n'ai  pu  apercevoir; 
mais  j'ai  reconnu  un  corps  vitré,  une  cboroïde,  une 
rétine.  L'iris  surtout  a  une  largeur  proportionnelle  et 
une  régularité  de  forme  qui  supposent  des  fonctions 
véritables. 

En  résumé,  donc,  je  crois  pouvoir  dire  que  la 
taupe  y  voit ,  mais  de  si  près  et  si  mal  que  ce  sens 
ne  lui  sert  véritablement  qu'à  distinguer  la  lumière 
des  ténèbres.  Il  s'en  faut  donc  de  bien  peu  qu'elle 
ne  soit  exactement  dans  les  mêmes  conditions  que 
les  animaux  dont  l'œil  est  recouvert  par  la  'peau 
amincie  comme  la  clirysochlore  ,  dont  elle  est  d'ail- 
leurs si  voisine ,  ou  conservant  son  épaisseur  comme 
le  zemni  ou  mus  iyphlus  j  le  protée  ,  la  cécilie  ,  le 
typblops,  l'amphisbène ,  l'acontias  et  même  la  taupe 
des  Apennins  qui ,  quant  au  reste ,  diffère  à  peine 
de  la  nôtre  f^talpa  coBca^  Saviy*. 

2«  Tout  imparfaite  qu'elle  est,   cette  vue  n'en 


29^  I^î^   I-^  VLE. 

est  pas  moins  sous  la  dépendance  du  nerf  optique. 
Tous  les  anatomisies  ont  connu  la  portion  de  ce 
nerf  qui  adhère  à  la  base  du  cerveau  et  son  cîiiasma, 
représentant  ensemble  une  sorte  de  commissure 
transversale;  beaucoup  ont  vu  partir  du  cliiasma 
des  filaments ,  mais  que  quelques-uns  ont  dits  cellu- 
laires ou  vasculaires  (Serres).  En  disséquant  sous 
Feau  et  avec  de  grands  ménagements,  on  ne  peut 
méconnaître  que  ces  filaments ,  assez  fins  mais  bien 
visibles ,  ne  soient  les  nerfs  optiques ,  comme  Font 
pensé  plusieurs  savants  d'x^llemagne  (Kocli ,  Car  us) 
et  de  France  (Cuvier,  lîèg.  an.).  Je  les  ai  parfaite- 
ment suivis  dans  leur  marche  presque  transversale 
jusqu'à  un  trou  assez  étroit  mais  constant,  situé, 
comme  de  coutume,  dans  l'épaisseur  de  l'ingrassial 
ffig.  72  ,  ccy".  Ces  trous  optiques  ont  pu  échapper 
souvent  aux  investigations  anatomiques,  à  cause  du 
grand  écartement  qui  existe  ici  entre  eux  en  raison 
de  la  grande  largeur  de  la  selle  turcique ,  à  cause 
aussi  de  leur  petitesse  et  surtout  de  leur  obliquité 
considérable.  Je  n'ai  point  suivi  le  nerf  à  travers  ce 
trou  jusqu'à  l'œil,  comme  l'a  fait  Koch,  mais  j'en 
ai  vu  assez  pour  être  convaincu  qu'il  s'y  rend.  Déjà, 
chez  l'ours  ,  le  castor,  le  hérisson,  les  chéiroptères, 
nous  voyons  diminuer  à  la  fois  le  volume  de  l'œil  et 
celui  du  nerf  optique.  D'ailleurs,  le  rameau  de  la 
cinquième  paire  ne  s'enfonce  point  dans  l'œil  en 
masse  comme  le  nerf  optique  doit  le  faire ,  mais  bien 
en  se  disséminant  en  filets  qui  représentent  évi- 
demment les  nerfs  dits  ciliaires  ou  iriens.  Nous  ne 
doutons  pas  qu'en  opérant  les  mêmes  recherches 
avec  les  mêmes  soins ,  on  ne  put  suivre  les  nerfs 


DE  LA  VUE.  295 

optiques  avec  plus  de  facilité  dans  tout  leur  cours 
chez  le  rat-taupe  du  Cap ,  qui ,  au  témoignage  de 
Serres  (d'après  Delalande),  jouit  d'une  vue  assez 
étendue ,  et  dont  les  yeux  sont  aussi  bien  plus  grands 
que  ceux  de  la  taupe  de  nos  contrées  :  peut-être  , 
avec  de  l'attention ,  arriverait-on  au  même  résultat 
sans  de  très-grandes  difficultés  sur  les  musaraignes , 
malgré  leur  petite  taille ,  puisque  Serres  assure  éga- 
lement que  leur  vision  n^est  point  douteuse. 

Nés  presque  exclusivement  des  tubercules  qua- 
drijumeaux  ou  lobes  optiques  chez  tous  les  vertébrés, 
les  nerfs  de  ce  nom  ne  se  comportent  pas  dans  tous 
de  la  même  manière:  chez  les  poissons,  les  deux 
nerfs  optiques  se  croisent  par  superposition  (^fig.  74^ 
pure  et  simple  :  les  reptiles  ont ,  à  la  partie  posté- 
rieure du  croisement,  une  arcade  ou  commissure 
transversale,  et  la  portion  essentielle  de  chaque 
nerf  s'enchevêtre  avec  celle  de  son  congénère ,  de 
telle  sorte  qu'une  portion  de  l'un  traverse  une  bou- 
tonnière de  l'autre  f^fig^  IQj  :  chez  le  caméléon 
même ,  le  nerf  gauche  semble  traverser  tout  entier 
celui  du  côté  droit.  La  décussation  est  donc  encore 
ici  bien  évidente.  Elle  a  pu  sembler  plus  douteuse 
pour  les  oiseaux  et  les  mammifères  ;  mais  des  faits 
d'atrophie  propagée  diagonalement  de  l'œil  perdu 
aux  tubercules  cérébraux  du  côté  opposé  (Sœm- 
merring,  Ebel,  etc.),  une  anatomie  minutieuse 
chez  de  jeunes  embryons  (Serres),  plusieurs  oiseaux 
(Petit),  le  cheval  (Cuvier),  divers  mammifères 
carnassiers  (Desmoulins),  le  singe  vert(Tréviranus), 
et  même  l'homme  (  Caldani ,  Wenzel ,  Mùller , 
Walker  ) ,  nous  forcent  à  reconnaître  et  la  décussa- 


296  DE  LA  VUE. 

tion  et  la  commissure  transversale ,  et  de  plus ,  des 
fibres  marchant  directement  d^avant  en  arrière  et 
sans  croisement  {^fig.  IbJ.  Si  Fusage  particulier  de 
ces  diverses  portions  n'est  pas  facile  à  conjecturer, 
on  verra  ailleurs  qu'il  n'en  est  pas  absolument  ainsi 
des  divers  points  d'origine  d'oii  partent  les  racines  de 
ce  nerf  ;  disons  ici ,  en  deux  mots ,  qu'il  ne  paraît 
rien  emprunter  à  la  couche  optique  (i),  malgré 
l'ancienne  opinion  et  quelques  apparences  de  pure 
contiguité;  disons  que  les  tubercules  quadrijumeaux 
ou  lobes  optiques  en  sont  les  principales  sources 
(^^9-  "^'^/j  et  que  les  pédoncules  cérébraux,  ou  la  partie 
du  cerveau  quiavoisine  leur  insertion  ,  peuvent  aussi 
leur  donner  quelques  filaments  :  on  sait ,  en  eîTet , 
que  le  nerf  optique  adhère  fortement  à  cette  région 
de  l'encéphale  avant  sa  décussation  et  à  l'endroit 
même  encore  où  elle  s'opère  ;  d'où  l'erreur  de  Carus , 
qui  pense  que  les  petits  nerfs  optiques  ,  observés 
chez  la  taupe,  naissent  du  plancher  du  troisième 
ventricule  plutôt  que  de  la  décussation  des  parties 
postérieures. 

Ce  qui  ressort  le  plus  évidemment  de  tout  ceci , 
c'est  que  ,  chez  les  vertébrés  ,  le  nerf  optique 
ayant  des  racines  multiples  dans  différents  points  de 
l'encéphale  ,  nous  pourrons  sans  invraisemblance 
attribuer,  à  quelques-unes  de  ses  productions,  des 
influences  locomotrices  ou  relatives  à  la  contractilité  ; 
on  concevra  aisément  ainsi  qu'elles  ne  sont  pas  plus 
incompatibles  avec  les  fonctions  sensitives  que  dans 

(1)  Wrolik  a  rapporté  l'observalion  d'un  enfant  avengle ,  dans  le  cadavre 
duquel  on  trouva  une  atroptie  des  nerfs  optiques,  des  tubercules  quadri- 
jumeaux et  des  couches  optiques;  mais  cel  enfant  était  idiot  et  difforme  depuis 
les  premiers  temps  de  son  existence. 


DE  LA  VUE.  297 

le  nerf  trijumeau ,  ou  dans  tout  autre  nerf  sorti  du 
prolongement  rachidien  de  l'encéphale. 

Quant  à  la  décussation,  ou  chtasmaj  comme  on 
l'appelle  en  anatomie  ,  deux  avantages  peuvent  lui 
être  attribués  phjsiologiquement  parlant  ;  mais  nous 
allons  voir  qu'ils  offrent  bien  des  points  douteux. 

1"  Cette  fusion  des  nerfs  optiques  aide-t-elle  à 
confondre  en  une  seule  les  sensations  des  deux  yeux  P 
Une  seule  remarque  suffit  pour  prouver  l'inutilité 
d'une  pareille  disposition  anatomique  pour  obtenir 
cet  effet  ;  les  deux  oreilles  ne  croisent  point  leurs 
nerfs  et  n'en  apprécient  pas  moins  l'unité  d'un  sou  ; 
c'est  une  opération  intellectuelle  que  cette  fusion. 
D'ailleurs ,  quand  nous  voyons  double  pour  peu  que 
les  nerfs  optiques  soient  dérangés,  nous  avons  bien  la 
preuve  que  les  sensations  des  deux  yeux  ne  sont  point 
organiquement  confondues  dans  le  cliiasma,  etc.  etc. 

2^  De  ce  que  la  décussation  est  partielle  et  non  totale 
dans  les  vertébrés  supérieurs,  il  résulte  évidemment 
que  chaque  œilj  même  isolément  impressionné j  intéresse 
dans  ses  opérations  les  deux  moitiés  de  l'encéphale  ^ 
et  que  ,  dans  leurs  sensations  simultanées ,  ils  doivent 
doubler  ou  à  peu  près  l'intensité  des  perceptions , 
en  rendre  l'appréciation  plus  vive ,  plus  rapide ,  en 
même  temps  que  la  fusion  des  deux  impressions 
reçues  à  la  fois  est  plus  facile.  De  là,  sans  doute,  la 
grande  importance  du  sens  de  la  vue  dans  la  vie 
intellectuelle  de  l'homme ,  importance  telle  que  , 
chez  l'homme  sain  et  entier,  presque  toutes  les 
opérations  mentales  s'effectuent  à  l'aide  des  idées 
ou  images  que  ce  sens  fournit  ou  a  fournies  à  l'in- 
tellect.   C'était  une  conception  bien  plus  étroite  et 


298  DK  LA  VUE. 

d'ailleurs  fausse,  que  Wollaston  avait  tirée  de  ce  fait 
anatomique  qu'il  n'admettait  même  que  par  hypo- 
thèse. Wollaston  avait  été  sujet  à  Vhémîopsie  j  et 
tin  autre  savant  non  moins  distingué ,  Arago  ,  en  a 
éprouvé  passagèrement  aussi  les  atteintes  :  dans  cet 
état ,  comme  le  savent  bien  les  pathologistes  ,  on  ne 
voit  plus  que  la  moitié  des  objets  ,-  du  moins  c'est 
ainsi  que  s'expriment  les  malades,  et  c'est  le  plus 
souvent  une  moitié  latérale  qui  est  ainsi  soustraite 
à  la  sensation  :  or ,  comme  la  même  moitié  d'un 
objet  visible  qui  frappe  le  coté  externe  d'une  des 
rétines,  frappe  nécessairement  l'interne  de  la  rétine 
opposée,  \Yollaston,  pensant  que  dans  l'hémiopsie 
il  y  a  affection  d'un  des  nerfs  en  arrière  de  l'entre- 
croisement ,  en  concluait  que  chacun  d'eux  se  divi- 
sait dans  le  chiasma  en  deux  parties  égales ,  l'une 
allant  directement  former  la  moitié  externe  de  la 
rétine  de  son  côté ,  l'autre  marchant  obliquement  au 
contraire  vers  la  moitié  interne  de  la  rétine  du  côté 
opposé.  De  là  vient,  ajoutait-il,  que  nous  voyons 
comme  simple ,  parce  que  nous  le  voyons  par  un 
seul  nerf,  tout  objet  qui  frappe  à  la  fois  ces  deux 
moitiés  héléronymes  des  deux  yeux  ,  comme  cela 
doit  naturellement  arriver  pour  tous  les  objets  visi- 
bles d'après  les  lois  de  l'optique.  L'œil  du  lapin  où 
le  nerf  optique  se  divise  en  deux  bandelettes  laté- 
rales pour  former  la  rétine  ;  le  partage  en  deux 
moitiés  que  Serres  dit  avoir  observées  dans  l'embryon 
très -jeune  de  plusieurs  oiseaux  et  mammifères, 
pour  le  nerf  même ,  appuieraient  celte  opinion  ingé- 
nieuse (  i)  ;  disons  ce  qui  nous  a  empêché  de  l'adopter. 

(i)    Yoki  encore  un  fait  qu'on  pourrait  ciler  en  sa  faveur;  mais  il  est  facile 


DE  LA  VUE.  299 

Déviez ,  par  une  pression  latérale ,  un  des  axes 
optiques ,  et  les  objets  vous  paraîtront  doubles  ;  vous 
diriez,  avec  Wolïaston ,  que,  par  cette  déviation, 
vous  avez  mis  en  rapport  avec  l'objet  deux  moitiés 
de  rétine  provenant  des  deux  nerfs  et  non  d'un  seul; 
mais,  si  la  déviation  est  peu  considérable,  il  est 
clair  qu'elle  ne  suffit  pas  pour  empêcher  l'image 
d'un  même  objet  de  tomber  sur  deux  portions  de 
rétine  supposées  émanées  de  la  même  souche ,  et 
pourtant  vous  y  voyez  double.  Il  y  a  plus  ,  opérez 
la  pression  en  haut  ou  en  bas  de  l'un  des  deux  yeux, 
vous  y  verrez  double  également  sans  avoir  aucune- 
ment changé  les  rapports  des  deux  moitiés  latérales 
de  l'œil  avec  celles  de  l'autre  œil;  donc,  ce  n'est  pas 
à  cause  d'une  division  organique  en  deux  moitiés  que 
nous  voyons  simples  les  objets  peints  dans  les  deux 
}  eux ,  c'est  en  raison  de  Vhahitude  qu'ont  certains 
points  de  la  rétine  de  sentir  ensemble  :  ces  points 
sy nés ihé tiques  se  sont ,  aussi  bien  que  ceux  qui  leur 
correspondent  dans  le  sensorium  j  harmonisés  en- 
semble par  l'effet  de  l'éducation  (  j  )  ,  qui  nous  a 
appris  que  ,  toutes  les  fois  que  la  même  image  se 
produit  à  la  fois  sur  ces  points ,  elle  répond  à  un  seul 
objet  et  équivaut  à  une  seule  image.  J'ai  d'ailleurs 
moi-même  éprouvé  l'hémiopsie  nerveuse  et  passa- 
de scnur,  ixmr  peu  qu'on  y  réfléchisse ,  qu'il  n'est  pas  concluant.  Une  dame 
de  Lcaucoup  d'esprit  et  de  sens,  devenue  aveugle  par  suite  d'un  double  glau- 
come, me  disait  voir  constamment  (dans  l'obscurité  comme  au  jour)  une 
lueur  blanche  en  dehors  de  l'œil  gauche  et  une  barre  noire  en  dehors  aussi  à 
l'œil  droit. 

(1)  Ce  qui  a  déterminé  cette  synesthcsie  ,  c'est  la  nécessité  où  nous  sommes  de 
fixer  toujours  le  même  point,   le  point  central  des  deux  rétines  ,  sur  l'objet 
que   nous    voulons    examiner;    la  fixation   de  ces    deux    points  détermine   la 
fixation  simultanée  de  tous  les  autres  ,  et  parlant  leur  habitude  de  sentir  en- 
semble. 


300  DE  LA  VUE. 

gère  dont  il  a  été  question  plus  haut  ;  mais  il  ne  m'a 
nullement  paru  rationnel  d'en  déduire  les  mêmes 
conséquences  que  le  savant  physicien  anglais  ([). 

B,  Rétine.  Le  nerf  optique  n'est  nullement  diffé- 
rent de  la  plupart  des  autres  ;  c'est ,  dans  beaucoup 
de  poissons  et  d'oiseaux  ,  un  écheveau  de  filets  bien 
distincts  ;  d'autres  fois  ils  sont  réunis  en  une  sorte 
de  nappe  longitudinalement  plissée  (  Malpighi , 
Desmoulins,  etc.)  :  chez  les  mammifères,  ce  n'est  pas, 
comme  l'ont  dit  P\eil  et  Cuvier  ,  une  masse  perforée 
de  canaux  parallèles ,  remplis  de  substance  nerveuse  ; 
c'est  un  assemblage  de  filets  nerveux  un  peu  adhérents 
entre  eux  au  moyen  d'une  cellulosité  pourtant  assez 
lâche ,  et  l'œil  nu  le  reconnaît  très-bien  chez  le  bœuf; 
mais  le  microscope  apprend  que  chacun  de  ces  filets 
est  formé  d'une  réunion  de  filaments  bien  plus  fins 
et  composés  eux-mêmes  d'une  série  de  globules  ner- 
veux. Cet  assemblage  est ,  au  reste ,  entouré  d'un 
double  névrilème  ;  le  plus  épais ,  suite  de  la  dure- 
mère  ,  se  confond  avec  la  sclérotique  ;  le  plus  fin  est 
une  continuation  de  la  pie-mère  et  peut-être  de  la 
choroïde;  en  effet,  il  est  un  peu  noirci  aux  approches 
de  l'œil ,  et  on  trouve  aussi  du  pigment  noir  entre 


(J)  Il  y  avait  en  même  temps  une  hémicrânie  (migraine)  assez  forte.  Je 
commençai  par  ne  point  voir  la  lettre  que  je  traçais  en  exécutant  ma  signature, 
puis  à  -peu  près  la  moitié  du  champ  visuel  à  ma  gauche  cessa  d'être  visible ,  l'œil 
droit  paraissait  être  seul  affecté  ;  il  y  avait  douleur  profonde  dans  l'orbite  de 
ce  côté-là  ;  toutefois ,  en  regardant  de  l'œil  gauche  ,  l'obscurité  couvrait  encore  la 
moitié  du  champ  visuel ,  mais  à  un  moindre  degré  ;  et ,  ce  qui  est  à  remarquer, 
l'œil  droit,  ainsi  clos ,  voyait  comme  en  feu  et  en  mouvement  tout  l'espace  mal 
distingué  par  l'œil  ouvert.  J'en  ai  conclu  qu'il  n'y  avait  de  malade  qu'une 
partie  du  côté  externe  de  la  rétine  droite ,  et  que  l'œil  droit  ne  troublait  la  vision 
du  gauche  qu'en  reportant  au  sensoriuiu  ses  sensations  morbides  avec  les 
sensations  normales  de  son  congénère.  Je  m'en  suis  assuré  plus  lard  par  l'expé- 
rience ;  car  j'obtenais  les  mêmes  effets  en  dirigeant ,  sur  la  même  partie  de  la 
rétine,   le  reflet  brillant  d'un  miroir. 


DE  LA  VUE.  SOI 

les  principaux  filets  qui  cri!)leî)t  la  sclérotique  et  la 
choroïde  pour  s'épanouir  dans  l'œil  en  formant  la 
rétine. 

Ce  n'est  pas  par  conjecture  ,   mais  d'après  l'in- 
spection directe  que  nous  établissons  la  continuité 
du  nerf  et  de  la  membrane  médullaire  de  l'œil,  bien 
que  le  premier  se  resserre  notablement  au  moment 
de  traverser  les  enveloppes  du  globe  oculaire.  Les 
filaments  de  l'un  sont  clairement  la  suite  des  fila- 
ments de  l'autre  :   nous  l'avons  reconnu  facilement 
chez  le  bœuf,   plus  facilement  chez  le   lapin,   qui 
avait  fourni  la  même  remarque  à  bien  d'autres  ana- 
tomistes  ;  et  nous  verrons  bientôt  jusqu'à  quel  point 
l'analogie  fournie  par  les  animaux  invertébrés  est 
favorable  à  cette  assertion  et  contraire  à  celle  de 
Desmoulins,  qui  ne  veut  voir,  dans  la  rétine,  qu'un 
organe  à  part ,  une  membrane  pulpeuse ,  et  seule- 
ment soudée  au  bouton  terminal  du  nerf  optique. 
Cette  opinion  concordait  assez  bien  avec  celle  d'une 
forme   purement  membraneuse  ,    d'une   agrégation 
irrégulière  de  globules  disposés  sans  ordre  ,  attri- 
buée à  la  rétine   par  beaucoup  d'anatomistes ,  et 
récemment  encore  par  Lauth.  Cependant  Valsalva, 
Morgagni ,  Haller  avaient  reconnu  l'état  fibreux  de 
la  rétine  dans  l'œil  des  poissons,   du  héron,  de  la 
chouette  ,  du  cochon.    Cuvier  en  dit  aussi  quelques 
mots  pour  les  mammifères.  Quelques  jours  de  ma- 
cération dans  l'alcool  nous  ont  permis  de  bien  voir, 
à  l'aide  d'une  forte  loupe ,  les  filaments  de  la  rétine 
chez  l'homme ,  le  macaque ,  le  bœuf,  le  mouton ,  les 
oiseaux,  les  poissons;    nous  avons  pu  même   les 
suivre  jusqu'à  la  partie  antérieure  de  cette  mem- 


302  DE  LA  VUE. 

brane,  c'est-à-dire  au  niveau  de  la  naissance  des 
procès  ciliaires.  Là  une  partie  de  ces  filaments 
semble  s'arrêter  ;  une  autre  partie ,  celle  peut-être 
qui  a  ses  racines  à  la  base  du  cerveau,  ou  dans  les 
tubercules  quadrijumeaux  postérieurs ,  se  continue 
en  languettes  pour  se  porter  au  cristallin  et  lui 
donner  l'activité  vitale ,  la  faculté  contractile  dont 
nous  le  croyons  doué  et  dont  il  a  déjà  été  question 
plus  haut. 

C'est  chez  l'homme  surtout  f^fig,  11  J  que  nous 
avons  bien  vu  ces  languettes  rétinales ,  soit  à  travers 
le  vitré  coupé  par  son  milieu  et  les  laissant  distin- 
guer entre  les  procès  ciliaires  de  la  ruyschienne, 
soit  sur  la  couronne  de  Zinn  dont  elles  recouvrent 
les  saillies  :  nous  les  avons  vues  ,  quoique  moins 
facilement,  dans  l'œil  du  bœuf,  du  mouton,  où  elles 
ne  constituent  que  des  fascicules  de  filaments  presque 
isolés  et  imbibés  souvent  du  pigment  ruyschien  qui 
les  masque  ;  Wagner  paraît  les  avoir  exactement 
observées  sur  le  lapin  albinos  :  les  oiseaux,  ks 
poissons  ne  nous  ont  montré  ,  à  leur  place  ,  qu'une 
expansion  membraniforme,  continuation  de  la  rétine 
très-amincie  et  surtout  très-facile  à  déchirer  et  bien 
souvent  rompue ,  dans  toute  son  étendue ,  si  l'on  n'a 
pas  opéré  sous  l'eau  et  avec  de  minutieuses  précau- 
tions. C'est  sur  la  demi-capsule  postérieure  du  cris- 
tallin que  ces  filaments  se  portent  et  se  divisent , 
comme  il  a  été  dit  précédemment.  Ce  sont  ces  lan- 
guettes qui  ont  été  connues  imparfaitement  et  sous 
des  noms  divers  :  Brewster  y  a  vu  des  tendons  à 
l'aide  desquels  les  procès  ciliaires,  supposés  con- 
tractiles ,  reculeraient  le  cristallin  ;   Jules  Cloquet 


DE  LÀ  VUE.  303 

ne  leur  attribue  d'autre  usage  que  de  fixer  cette  len* 
tille  ;  Ribes  les  a  prises  pour  des  canaux  conduisant , 
dans  les  deux  chambres  de  l'œil ,  l'humeur  aqueuse 
sécrétée  par  le  vitré  ;  Young,  Walter  et  Meckel  les 
ont  crues  vasculaires  ;  de  Blainville  n'a  vu  là  qu'un 
dédoublement  de  la  rétine  qu'il  a  confondu  avec  la 
couronne  de  Zinn  ,  production  de  la  membrane 
hyaloïde ,  et  qui  n'a  rien  de  nerveux.  Tl  ne  faut  pas 
considérer  non  plus  comme  nerveuse  la  membrane^r) 
qui ,  chez  l'homme  et  chez  beaucoup  d'autres  ver- 
tébrés, double,  en  dehors,  la  rétine  ;  membrane 
amorphe ,  qui  s'ossifie  dans  certains  cas  de  cécité  , 
mais  qui  n'a  d'autre  usage  apparent  que  d'empêcher 
les  filaments  rétiniens  de  s'imbiber  du  pigment  ruys- 
chien,  dont  on  a  voulu  aussi  faire  une  membrane  à 
part  quand  il  se  détachait  en  une  couche  continue , 
comme  cela  arrive  quelquefois. 

Dans  la  rétine  même ,  ces  innombrables  filaments 
sont  très-régulièrement  étendus  côte  à  côte  et  rayon- 
nant dans  tous  les  sens ,  de  leur  point  de  départ 
(  insertion  du  nerf  )  vers  la  circonférence  (2);  nulle 
division  réelle ,  nulle  anastomose  ne  s'y  fait  remar- 
quer, et  tout  nous  porte  à  croire  qu'une  impression 
faite  sur  un  de  ces  filaments  est  directement  pro- 
pagée ,  par  continuité  de  substance  ,  jusqu'à  l'encé- 

(1)  Je  n'ai  point  vu,  du  côté  du  corps  vitré,  la  lame  vasculaire ,  dite 
arachnoïde  ,  de  certains  analomisles  ,  mais  seulement  un  réseau  de  vaisseaux 
sanguins  très-fins  ,  continus  sans  doute  à  des  vaisseaux  incolores  et  qui  parais- 
sent nourrir  à  la  fois  la  rétine  et  le  vitré  :  de  là,  la  propagation  de  l'inflammation 
de  l'un  à  l'autre  dans  le  glaucome  qui  détruit  à  la  fois  la  limpidité  du  vitré  et 
la  sensibilité  de  la  rétine ,  après  y  avoir  causé  de  vives  douleurs 

(2)  Au  microscope,  la  rétine  du  mouton  m'offre  des  points  ronds,  blancs, 
disséminés  peu  régulièrement  et  surtout  trop  écartés  pour  qu'on  puisse  les 
croire  des  terminaisons  de  filets  nerveux  propres  à  recevoir  directement  faction 
de  la  lumière. 


o04  BE  7A  YIE. 

phale  ;   circonstance  qui ,  jointe  à  leur  excessive 
ténuité,  à  leur  nombre  immense,  est  bien  propre  à 
expliquer  la  netteté  des  impressions   si  complexes 
que  nous  donne  simultanément  le  sens  de  la  vue,  et 
la  ténuité  des  images  qu'il  nous  permet  d'apprécier, 
surtout  quand  l'éducation  en  a  perfectionné  l'exer- 
cice. Mais,  de  cette  disposition  même,  résulte  iné- 
vitablement que  les  filaments,  parallèles  au  pourtour 
de  l'oeil ,  se  superposent  à  mesure  qu'ils  se  rappro- 
chent du  centre  commun  ;  que  la  rétine  est  d'autant 
plus  épaisse  qu'on  la  considère  plus  près  de  l'inser- 
tion du  nerf  optique   rfid-   l^J-    La  conséquence 
physiologique  de  cet  état  de  choses  est  que  les  fila- 
ments diaphanes  de  la  rétine  doivent  être ,  presque 
tous  à  la  fois ,  pénétrés  par  les  images  lumineuses 
peintes  vers  leur  centre  d'origine,  puisque  là  ils  sont 
réunis  ,  superposés  ,  serrés  les  uns  sur  les  autres. 
Les  objets  qui  se  peignent  dans  cette  partie  du  fond 
de  l'œil  sont  donc  les  mieux  vus ,  parce  qu'ils  im- 
pressionnent un  plus  grand  nombre  de  fibrilles  ner- 
veuses à  la  fois ,  et  qu'ils  les  impressionnent  plus 
près  du  point  de  transmission  à  l'encéphale,  effaçant 
ainsi ,  en  partie ,   les  impressions  reçues  dans  des 
points  plus  excentriques.  Ainsi  s'explique  ce  fait  que 
nous  ne  voyons  bien  clairement  que  les  objets  situés 
dans  l'axe  de  l'œil.  Déjà  nous  avons  prouvé ,  à  l'oc- 
casion des  courbures  du  cristallin,  que  cette  faiblesse 
des  impressions  périphériques  ne  saurait  être  attri- 
buée à  une  diffusion  physique ,  à  une  aberration  de 
dioptrique  ;  et  un  examen  attentif  suffit  pour  nous 
prouver  que  les  objets  qui  nous  entourent  sont  vus 
faiblement  j  mais  nettement j  c'est-à-dire  sans  trouble 


DE  LA  VUr.  305 

et  sans  confusion  (i),  quoique  l'œil  soit  dirigé  vers 
les  objets  situés  devant  nous.  L'expérience  sur  l'œil 
de  lapin  albinos  a  démontré  cette  netteté  des  images 
périphériques  :  donc  c'est  dans  la  rétine  et  ses  fonc- 
tions qu'il  faut  chercher  l'interprétation  du  fait; 
Young  l'avait  senti  sans  l'expliquer;  il  se  contente 
d'admettre ,  dans  cette  membrane  ,  une  sensibilité 
moindre  à  la  circonférence  qu'au  centre,  et  de  dire 
que  tel  a  été  le  vœu  de  la  nature.  Ne  pouvant  nous 
en  tenir  à  ces  données  générales,  nous  devons  d'abord 
préciser  notre  langage  :  ce  point  central  plus  puis- 
sant, plus  sensible,  nous  l'appellerons  centre  visuel 
Oïl  physiologique  j  et  Vaxe  visuel  sera  la  ligne  qui  de 
ce  point  s'élèvera  à  travers  les  centres  de  réfraction 
du  cristallin  et  de  la  cornée  transparente  ;  nous  évi- 
terons ainsi  de  confondre  ce  dernier  avec  Vaœe 
ajp^arenf^  c'est-à-dire  avec  une  ligne  qui  traverserait 
l'œil  par  le  milieu  de  la  cornée  et  du  globe  consi- 
déré en  masse,  ou  même  avec  Vaxe  physique  ou 
optique j  axe  de  réfraction,  qui  n'est  pas  toujours 
identique  avec  le  visuel ,  bien  qu'il  s'en  rapproche 
beaucoup  en  général.  La  différence  est  souvent  au 
contraire  fort  grande  entre  Faxe  apparent  et  le 
visuel,  et  cela  ressort  d'une  particularité  bien 
connue ,  l'insertion  plus  ou  moins  latérale  du  nerf 
optique  au  fond  de  l'œil  fvoy.  fig,  bA.J  Le  genre  felis 
(lynx,  lion,  chat,  etc.)  et  les  phoques  ont  cette 
insertion  à  peu  près  centrale;  aussi,  chez  eux,  l'axe 
visuel ,  l'axe  optique ,  l'axe  apparent  se  confondent-ils 

(1)  Cette  expérience  réussit  mieux  vers  le  soir  ou  à  une  lumière  faible  ,  parce 
qu'alors  la  pupille  est  plus  dilatée;  elle  offre  des  résultats  plus  sensibles  si  le= 
objets  vus  de  côlé  sont  en  mouvement,  parce  que  les  impressions  n'ont  pas  le 
temps  de  s'atténuer  par  épuisement  ou  fatigue. 

20 


306  DE  LA  VUE. 

à  peu  près  en  un  seul,  et  de  là  vient  la  douceur, 
l'air  d'intelligence  qu'on  trouve  dans  leur  regard. 
Mais  presque  tous  les  autres  mammifères  et  surtout 
les  ruminants  f^fig.  54y  ,  les  solipèdes ,  les  oiseaux, 
les  reptiles ,  les  poissons  (i)  ont  l'insertion  fortement 
déviée  en  bas  et  en  dehors  ,  ou  plutôt  en  arrière , 
quand  les  yeux  sont  très -latéralement  placés  ;  il 
s'ensuit  que  l'axe  visuel  est  dirigé  bien  plus  en  dedans 
ou  en  avant  que  l'axe  apparent  :  cette  direction  con- 
corde avec  celle  de  l'axe  physique ,  la  cornée  ayant 
son  sommet  plus  en  dedans  que  le  centre  :  c'est  aussi 
du  côté  interne  que  la  cornée  est  plus  large  et  la 
pupille  plus  ouverte  chez  les  ruminants.  Tout  cela 
peut  compenser  l'inconvénient  de  la  position  latérale 
de  l'œil  ;  mais  il  s'ensuit  que ,  quand  ces  divers 
animaux  veulent  voir  devant  eux  un  objet  des  deux 
yeux  à  la  fois  (  ce  qui  est  possible  au  plus  grand 
nombre  ,  quoiqu'on  ait  souvent  dit  le  contraire), 
ils  nous  paraissent  loucher  fortement  en  dehors  et 
un  peu  en  bas.  Ce  strabisme  divergent,  nous  l'avons 
constaté  directement  et  à  de  nombreuses  reprises , 
sur  le  bœuf,  le  cheval,  le  mouton,  la  gazelle,  la 
girafe,  le  chien,  l'autruche,  l'aigle,  etc.  Chez  les 
premiers,  il  est  si  fort  qu'il  doit  contribuer  beaucoup 
à  leur  donner  cette  étrangeté  dans  le  regard,  cet  air 
farouche  ou  stupide  qui  n'est  jamais  plus  frappant 
que  quand  on  les  regarde  en  face.  Pour  le  chien, 

(1)  On  a  souvent  parlé  de  cette  excentricité  sans  déterminer  le  côté  où  elle  a 
lieu;  Haller  a  même  déterminé  faussement  ce  côté  pour  plusieurs  espèces, 
sans  doute  parce  qu'il  examinait  les  yeux  enlevés  de  l'orbite.  Sœmmerring  fils, 
de  Blainville  ,  Desmoulins  ,  ont  mieux  précisé  le  fait  pour  un  certain  nombre 
d'animaux.  Nous  pouvons  donner,  comme  règle  générale ,  que ,  à  part  l'homme 
et  les  singes  qui  ont  l'insertion  interne,  tous  les  vertébrés  l'ont  plus  ou  moins 
externe  ou  postérieure  (  yeux  très-latéraux  ). 


DE  LA  VU£.  307 

au  contraire ,  il  est  si  faible  qu'on  ne  s'en  aperçoit 
pas  au  premier  abord,  bien  qu'il  soit  très-réel  (rj  : 
l'écartement  des  yeux ,  modéré  chez  ceux-ci ,  consi- 
dérable chez  ceux-là  ,  est  en  partie  ,  sans  doute ,  la 
cause  de  cette  différence  ,  due  aussi ,  en  partie ,  au 
degré  d'excentricité  du  nerf  optique.  Ces  effets 
pourraient  être  diminués  dans  le  mouton ,  par  un 
faisceau  de  filaments  plus  serrés  qui  se  dirige  vers 
le  centre  de  l'œil  ;  dans  le  lapin  et  le  lièvre ,  par 
la  division  du  nerf  en  deux  bandelettes  horizontales 
d'où  partent  toutes  les  fibrilles  nerveuses;  dans  les 
oiseaux,  par  les  plis  larges  et  multipliés  de  leur 
rétine,  si  remarquables  surtout  sur  les  oiseaux  de 
haut  vol  (Desmoulins).  Ces  plis  augmentant,  en 
divers  points,  l'épaisseur  de  la  membrane,  renforcent 
la  sensation  dans  une  plus  grande  étendue,  diminuent 
la  prépondérance  du  centre  visuel  et  expliquent  en 
partie  pourquoi  les  oiseaux  même  qui  peuvent  voir 
devant  eux  ,  comme  l'aigle ,  préfèrent  regarder  d'un 
seul  œil ,  en  tournant  la  tête  de  coté  ,  lorsque  quel- 
que geste  menaçant  excite  fortement  leur  attention. 
C'est  à  peu  près  la  seule  manière  dont  regardent 
les  gallinacés,  les  palmipèdes,  les  passereaux, 
les  perroquets,  les  lézards,  les  lièvres,  etc. ,  qui, 
quoique  voyant  des  deux  yeux  deux  tableaux  diffé- 
rents, ne  les  en  voient  pas  moins  distincts,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  selon  qu'ils  dirigent 
leur  attention  sur  l'un  ou  sur  l'autre  ,  de  même  que 
nous  pouvons  le  faire  en  plaçant  entre  nos  yeux  un 
écran  qui  cache  à  l'un  ce  qui  est  visible  à  l'autre  : 

(1)  Le  plan  des  deux  iris  regarde  en  dehors  au  lieu  de  regarder  en  dedans  ; 
on  peut  s'en  assurer  ïans  peine. 


308  DE  LA   VUE. 

c'est  ce  que  le  caméléon  nous  prouve  par  les  mou- 
vements indépendants  qu'il  imprime  à  ses  deux  yeux, 
tandis  que  les  nôtres  se  suivent  si  régulièrement  par 
l'effet  de  l'éducation  et  de  l'habitude  (i). 

Chez  Vhomme  et  (suivant  Sœmmerring  fils)  chez 
les  singes  j,  l'insertion  du  nerf  optique  se  fait  plus  en 
dedans  que  le  centre  du  fond  de  l'œil  ;  ils  devraient 
donc,  d'après  ce  quia  été  dit  précédemment,  loucher 
en  dedans  ;  et  ce  strabisme  convergent  (2)  n'est  effec- 
tivement pas  rare  ,  soit  pour  un  œil ,  soit  pour  tous 
deux  :  sans  doute ,  alors  le  centre  visuel  est  bien 
réellement  à  l'insertion  du  nerf  optique  ou  s'en  rap- 
proche beaucoup  ;  mais  c'est  un  état  anormal ,  car, 
dans  la  conformation  ordinaire ,  le  centre  visuel  est 
à  quelques  lignes  plus  en  dehors  que  cette  insertion, 
il  répond  exactement  au  centre  géométrique  de 
l'hémisphère  postérieur  du  globe  oculaire  ;  de  sorte 
que,  Vaxe  visuel  étant  le  même  que  Vaxe  apparent _,  il 
n'y  a  pas  de  strabisme.  On  connaît  la  tache  jaune 
de  Sœmmerring,  c'est  là  le  centre  en  question;  on 
sait  qu  il  est  facile  ,  par  distension  ,  de  faire  paraître 
une  dépression ,  un  trou  au  milieu  de  cette  tache , 


(1)  La  preuve  que  celte  liaison  des  mouvemenis  est  un  effet  de  la  volonté 
devenu  automatique  ,  c'est  que  Faccord  des  deux  yeux  n'est  plus  complet  quand 
l'un  est  fermé  et  l'autre  ouvert ,  puisque  ,  quand  on  rouvre  le  premier,  on  voit 
double,    les  deux  axes  visuels  n'étant  plus  en  rapport. 

(2)  Ce  slraLisme  doit  être  nommé  sensîtif  pour  le  distinguer  du  stralisme  de 
réfraction  dont  nous  avons  parlé  plus  liaut.  Celui  dont  il  s'agit  ici  avait  êlé 
admis,  d'une  manière  moins  précise,  parles  médecins  qui  l'ont  défini  une 
déviation  des  points  honaologues  (syn esthétiques)  des  deux  rétines.  Dans  le  cas 
où  un  état  convulsif  ou  paralytique  des  muscles  de  l'œil  change  les  axes  opti- 
ques, on  a  remarqué  que  l'individu  voit  d'abord  les  objets  doubles,  mais  que, 
à  la  longue,  il  s'accoutume  à  les  voir  simples,  le  strabisme  étant  devenu 
parfait.  Certes ,  alors  le  centre  visuel  ne  saurait  avoir  changé  ,  mais  l'attention  a 
pris  l'habitude  de  se  porter  sur  un  autre  point  dans  l'œil  dévié  ,  ou  bien  de 
n'en  pas  tenir  compte  ,  comme  dans  le  strabisme  par  réfraction. 


DE  LA  VUE.  309 

c'est  le  point  de  divergence  des  fibrilles  nerveuses 
qui  s'en  échappent  en  rayonnant  de  toutes  parts  ;  on 
.a  noté  aussi  Tépaississement  ou  pli  qui  se  trouve 
entre  l'insertion  du  nerf  et  la  tache ,  c'est  un  gros 
faisceau  qui  reporte  immédiatement  la  masse  (  i  )  des 
filaments  nerveux  au  centre  visuel ,  d'où  ils  s'épa- 
nouissent en  tous  sens  (fig.  77,  a).  Les  détails  que 
nous  venons  de  formuler ,  nous  les  avons  reconnus , 
chez  l'homme  ,  par  une  inspection  attentive  et  réité- 
rée à  des  grossissements  assez  forts;  car  les  filaments 
rétinaux  sont  ici  plus  fins  que  dans  l'œil  du  bœuf, 
quoique  tout  aussi  régulièrement  agencés.  Sur  l'œil 
du  macaque  nous  avons  vu  le  pli  offrant  beaucoup 
d'épaisseur  et  s'enroulant  en  forme  de  crosse  d'évé- 
quc  autour  de  la  tache  jaune. 

Quant  à  l'insensibilité  de  l'insertion  même  du  nerf 
optique ,  qu'on  a  cru  démontrer  par  l'expérience  de 
Mariotte  (2),  nous  croyons  qu'elle  ne  prouve  autre 
chose  que  l'insensibilité  du  point  par  lequel  l'artère 
centrale  de  la  rétine  entre  dans  l'œil;  on  n'en  saurait 

(1)  D'après  cela,  c'est  peut-être  sur  ce  faisceau  qu'il  faudrait  supposer  le 
centre  \isuel,  qui  serait  ainsi  un  peu  plus  en  dedans  que  le  centre  géomé- 
trique ;  s'il  en  était  ainsi,  la  déviation  serait  si  peu  sensible  qu'il  n'y  aurait 
pas  strabisme  apparent  ;  nous  avons  déjà  vu  que,  pour  le  chien  ,  on  ne  s'aperçoit 
qu'à  peine  du  strabisme  divergent  qui  lui  est  naturel,  bien  qu'il  soit  assez 
considérable  :  d'ailleurs,  chez  l'homme  même,  cette  déviation  est  rendue 
moins  nécessaire  ,  vu  la  forme  de  l'iris  dont  l'ouverture  pupillaire  est  plus 
rapprochée  du  côté  interne  que  de  l'externe.  Il  semble  aussi  que  la  position 
transversale  de  l'épaississement  ou  pli  de  la  rétine  ,  doit  amener  quelques  effets 
particuliers  ;  nous  y  rattachons  ceux  qu'a  récemment  signalés  Plateau  de 
Bruxelles.  De  diverses  expériences  il  conclut  qu'il  y  a  dans  la  vision  quelque 
(Chose  qui  altère  la  symétrie  et  élablifune  différence  notable  ,  selon  qu'un  même 
objet  est  vu  dans  un  sens  vertical  ou  horizontal. 

(2)  Placez  deux  pains  à  cacheter  de  couleur  vive  sur  une  muraille  à  un  demi- 
pied  de  dislance  et  celui  de  droite  un  peu  plus  élevé  que  celui  de  gauche  , 
regardez  celui-ci  de  l'œil  droit  en  reculant  peu  à  peu;  arrivé  à  la  dislance  de 
deux  pieds  vous  cesserez  de  voir  l'autre,  dont  l'image  doit  effectivement  tomber 
alors  au  centre  de  rinsertion  du  nerf  optique. 


3!0  DK  LA  VUF. 

donc  tirer  aucune  conséquence  contre  la  sensibilité 
de  la  rétine  même  avec  Mariotte  etLecat,  ou  contre 
la  dépendance ,  la  continuité  bien  réelle  entre  cette 
membrane  et  le  nerf. 

Ainsi,  tout  nous  démontre  que  le  centre  visuel 
est  au  point  le  plus  épais  de  la  rétine  ;  aussi  le  diri- 
geons-nous constamment  vers  les  objets  que  nous 
voulons  examiner.  Toutefois,  la  vision  moins  claire 
des  corps  environnants  ne  nous  en  est  pas  moins 
utile  ,  puisqu'elle  nous  avertit ,  vaguement  sans 
doute,  mais  suffisamment,  de  l'approcbe  de  quelque 
ennemi ,  de  la  présence  de  quelque  objet  de  désir, 
de  tous  les  mouvements  notables  qui  s'exécutent 
autour  de  nous ,  et  qu'elle  nous  détermine ,  en  con- 
séquence ,  à  diriger  plus  positivement  nos  regards 
vers  les  points  qui  excitent  plus  puissamment  notre 
curiosité  (Descartes). 

Nous  n'arrêterons  pas  le  lecteur  sur  d'autres 
faits  relatifs  aux  fonctions  de  la  rétine ,  tels  que  le 
jugement  qu'elle  nous  permet  de  porter  au  sujet 
de  la  situation  absolue  et  relative  des  objets ,  de 
leur  forme  ,  de  leur  couleur ,  de  leurs  mouvements  ; 
tout  cela  est  évidemment  en  rapport  avec  la  situa- 
tion, la  grandeur ,  les  nuances  et  les  teintes ,  le  chan- 
gement de  place  des  images  peintes  au  fond  de  l'œil, 
et  la  connaissance  pratique  que  nous  avons  de  la 
marche  en  ligne  droite  des  rayons  lumineux  ;  toutes 
circonstances  que  l'éducation  et  l'habitude  appren- 
nent à  apprécier,  tant  aux  animaux  qu'à  l'homme. 
Pour  ce  qui  est  de  la  durée  des  impressions  sur  la 
rétine ,  de  la  transmutation  des  spectres  oculaires 
dans  l'œil  fermé,  etc. ,  ce  sont  des  faits  dont  nous 


DE  LA  VUE.  311 

avons  tiré  parti  pour  résoudre  certains  problèmes 
des  sensations  en  général  ;  il  serait  donc  superflu 
d'y  revenir  encore. 

§  VIIÎ.  Récapitulation  compaj'utiQe» 

En  prenant  Vhomme  pour  type  et  basant  l'histoire 
des  fonctions  sur  celle  des  organes ,  nous  avons 
vu  les  yeux  un  peu  plus  écartés  chez  lui  que 
chez  les  singes  ,  plus  rapprochés  au  contraire  et 
plus  antérieurs  que  ceux  de  presque  tous  les  autres 
vertébrés;  renfermés  dans  une  cavité  osseuse, 
garnis  de  paupières  et  de  voies  lacrymales ,  pourvus 
de  muscles  propres  à  les  mouvoir  dans  toutes  les 
directions,  à  les  rouler  même  sur  leur  axe  :  nous 
les  avons  vus  affecter  la  forme  globuleuse  et  une 
mollesse  qui  pourtant  ne  leur  permet  de  changer 
notablement  ni  de  dimensions  ni  de  forme.  Nous 
avons  reconnu  que  Tiris  exécute  des  mouvements 
automatiques ,  sans  être  le  véritable  organe  qui 
accommode  la  vision  aux  distances  ;  que  le  cristallin 
est  contractile  ,  animé  par  des  filaments  nerveux 
émanés  de  la  rétine ,  et  préposé  à  cette  importante 
harmonisation  entre  nos  besoins  et  nos  sensations  ; 
que  sa  faible  convexité  se  lie  avec  la  profondeur 
du  globe  oculaire  ;  que  ses  courbures  et  celles  de 
la  cornée  ne  sont  nullement  de  nature  sphérique, 
mais  ellipsoïdales  et  bien  mieux  accommodées  à  leur 
destination  ;  que  le  vitré  soutient  le  fond  de  l'œil  à 
la  distance  convenue  ,  et  sécrète  l'humeur  aqueuse 
qui  soutient  également  la  saillie  de  la  cornée  trans- 
parente ;  qu'enfin  le  nerf  optique  s'insère  en  dedans 
du  centre  géométrique  du  fond  de  l'œil ,  mais  que  le 


312  DE  LA  VUE. 

vrai  centre  visuel  ,  centre  d'émanation  des  fila- 
ments nerveux  dont  se  compose  la  rétine  ,  est 
néanmoins  en  rapport  avec  ce  dernier,  soit  sur  la 
tache  jaune  ,  soit  sur  le  pli  qui  la  joint  à  l'insertion 
susdite. 

Quant  aux  autres  mammifères  j,  à  part  les  singes 
qui  diffèrent  bien  peu  de  l'homme ,  une  véritable 
paupière  interne  ou  clignotante  ;  plus  d'épaisseur  et 
de  fermeté  dans  leur  sclérotique  qui  n'est  plus  sou- 
tenue par  une  forme  exactement  sphérique ,  mais  qui 
est  plus  ou  moins  élargie  ;  un  globe  oculaire  moins 
profond ,  mais  aussi  des  appareils  de  réfraction  plus 
aptes  aux  effets  de  convergence  ;  souvent  un  tapis 
ruyschien;  l'insertion  du  nerf  optique  et  le  centre 
visuel  plus  en  dehors,  et  donnant  lieu  à  un  strabisme 
divergent  qu'on  peut  appeler  normal  :  voilà  les  dif- 
férences générales  qu'on  peut  établir  entre  eux  et 
l'homme. 

Aux  oiseaux  on  peut  assigner  :  une  paupière  cli- 
gnotante fort  étendue  et  très-mobile  ;  un  œil  grand , 
large  et  aplati ,  forme  soutenue  par  un  anneau  de 
squames  osseuses  au  bord  antérieur  de  la  sclérotique 
et  par  la  consistance  cartilagineuse  de  la  choroïde  ; 
une  cornée ,  un  cristallin  proportionnellement  petits, 
mais  à  réfraction  puissante  ;  un  éventail  ou  peigne 
ruyschien  ;  des  procès  ciliaires  peu  saillants  ;  une 
rétine  souvent  large  et  plissée. 

Aux  reptiles  _,  à  peu  près  mêmes  caractères  ;  tran- 
sition entre  les  oiseaux  et  les  poissons  :  ainsi,  cercle 
osseux  à  la  sclérotique  des  sauriens ,  nul  chez  les 
batraciens  et  les  serpents  ;  rudiment  de  peigne  ruys- 
chien; cristallin  souvent  globuleux.  Ce  qui  leur  est 


DE  LA  vue:  313 

particulier,  c'est  le  croisement  des  nerfs  optiques 
traversés  l'un  par  l'autre- 

Enfin  aux  poissons  j  paupières  et  voies  lacrymales 
communément  nulles  ou  rudimentaires  ;  œil  grand 
et  plat  ;  sclérotique  osseuse  ou  presque  osseuse  sans 
segmentation  ;  choroïde  argentée ,  séparée  de  la 
ruyschienne  par  un  ganglion  vasculaire  dont  l'usage 
est  inconnu  ;  rudiment  de  peigne  et  de  procès 
ciliaires;  iris  immobile;  cornée  peu  saillante;  cris- 
tallin spliéroïdal  ;  nerfs  optiques  croisés  sans  adhé- 
rence :  tels  sont  les  caractères  distinctifs  de  leurs 
organes  visuels. 

Mais  parmi  tous  ces  vertébrés  de  classes  diffé- 
rentes ,  il  en  est  qui  se  trouvent  dans  des  conditions 
analogues ,  et  présentent  quelques  dispositions  com- 
munes essentiellement  physiologiques. 

1®  Les  animaux  nocturnes j  à  part  quelques  excep- 
tions (  comme  les  chauves-souris ,  chez  lesquelles 
l'ouïe  et  le  toucher  suppléent  à  l'imperfection  de  la 
vue),  ont  l'œil  très -grand,  dirigé  en  avant,  bien 
ouvert  (  ex.  tarsier,  grand  duc,  etc.)  ;  la  cornée 
proportionnellement  fort  large  ;  le  cristallin  volu- 
mineux ,  et  par  une  conséquence  nécessaire ,  le  vitré 
peu  abondant  ;  la  ruyschienne  pourvue  d'un  tapis 
brillant;  les  procès  ciliaires  très-grands  ,  et  la  rétine 
d'une  médiocre  étendue  ,  ce  qui  peut  lui  donner 
une  sensibilité  plus  grande,  la  masse  restant  la 
même.  Ceux  qui  doivent  aussi  voir  dans  le  jour  ont 
la  pupille  allongée  et  susceptible  d'un  resserrement 
considérable. 

La  vision  nocturne  est ,  dans  quelques  cas ,  favo- 
risée par  V albinisme  ;  décoloration  de  la  peau ,  des 


314  DE  LA  VUE. 

poils  et  de  la  ruyschienne ,  qui  fait  paraître  l'iris 
blanchâtre  et  la  pupille  rouge ,  couleur  du  sang 
qui  remplit  les  vaisseaux  choroïdiens. 

2°  Les  animaux  souterrains j  au  contraire,  des- 
tinés à  vivre  dans  des  ténèbres  complètes,  comme 
la  taupe ,  la  chr}  soclilore ,  le  zemni  parmi  les  mam- 
mifères ,  le  protée,  la  cécilie ,  l'ampliisbène  parmi 
les  reptiles  ,  les  ammocètes  et  myxines  parmi  les 
poissons ,  ont  l'œil ,  ou  tout-à-fait  nul ,  ou  caché  sous 
la  peau  ,  ou  réduit  à  des  dimensions  si  minimes  que 
ses  usages  sont  presque  nuls. 

3^  Les  animaux  agwaa'gfi/e^  sont  souvent  dépourvus 
de  paupières  et  de  voies  lacrymales  ;  plus  générale- 
ment encore ,  leur  cornée  est  peu  saillante ,  mais 
leur  cristallin  épais  et  convexe ,  globuleux  ou  sub- 
globuleux :  c'est  le  cas  des  poissons ,  de  beaucoup  de 
reptiles ,    des  phoques ,  des  oiseaux  plongeurs ,  etc. 

4°  Enfin,  les  animaux  aériens  par  excellence, 
les  oiseaux  de  haut  vol  par  exemple ,  ont  la  cornée 
saillante,  le  cristallin  petit,  mais  non  mince  comme 
on  l'a,  trop  spéculativement ,  prétendu.  Ce  qui 
les  distingue  surtout,  c'est  une  rétine dontl'épaisseur 
est  au  moins  triplée  par  les  plis  imbriqués  qu'on  y 
remarque  ,  et  qui  nous  semblent ,  comme  le  pensait 
Desmoulins,  expliquer  suffisamment  cette  puissance 
visuelle  qu'on  a,  de  tous  temps,  admirée  chez  l'aigle 
et  le  faucon ,  mais  que  l'amour  du  merveilleux  a 
souvent  empreinte  d'une  exagération  poétique. 

ARTICIiE:  III.  -  Mollusques. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  raison  de  ses  singula- 
rités que  l'œil  des  mollusques   céphalopodes,    du 


DE  LA  VUE.  315 

calmar ,  de  la  seiche,  mérite  de  nous  occuper;  c'est 
surtout  en  raison  des  applications  que  sa  structure 
peut  offrir  à  celle  de  l'œil  des  yertébrés  et  des 
animaux  articulés ,  et  de  la  transition  qu'il  mani- 
feste de  l'une  à  l'autre  de  ces  formes  si  différentes 
au  premier  abord.  Des  discussions  minutieuses  sur 
les  déterminations  données  de  ses  diverses  parties 
par  divers  anatomistes ,  par  Cuvier  surtout ,  nous 
entraîneraient  hors  des  bornes  de  la  physiologie; 
nous  indiquerons  brièvement  ce  que  nous  ont  appris 
des  dissections  délicates  et  des  observations  micros- 
copiques. 

Que  la  peau  amincie  (seiche  commune  ,  etc.  ) 
passe  au-devant  de  l'œil  comme  chez  les  serpents ,  ou 
qu'elle  y  soit  ouverte  (calmar  sagitté ,  poulpe,  etc.), 
on  n'en  trouvera  pas  moins ,  dans  une  sorte  d'orbite 
à  plancher  cartilagineux  ,  une  masse  piriforme , 
mue  par  six  petits  muscles ,  quatre  droits  et  deux 
obliques.  La  sclérotique  revêt  cette  masse  (  voy, 
V explication  de  la  fig.  79);  mais  en  avant  ou  en 
dehors  elle  est  ouverte ,  la  cornée  semble  manquer , 
on  croirait  voir  le  cristallin  saillir  dans  le  vide 
qu'elle  laisse  :  c'est  une  demi-lentille  transparente , 
assez  petite ,  qu'on  aperçoit  ainsi  collée  sur  la  face 
antérieure  du  vrai  cristallin.  Cette  demi-lentille 
antérieure  est,  pour  de  Blainville  ,  une  cornée 
détachée  de  la  sclérotique  et  comme  suspendue  aux 
procès  ciliaires,  circonstance  qui  serait  très  propre 
à  prouver  l'indépendance  des  membranes  que  je 
viens  de  nommer.  Cette  indépendance,  au  reste, 
ne  serait  pas  moins  manifeste  encore ,  en  rejetant 
l'opinion  émise  par  de  Blainville ,  puisqu'il  y  aurait 


316  DE  LA  VUE. 

absence  de  la  cornée  transparente ,  bien  que  la  scléro- 
tique ne  manque  pas. 

La  partie  postérieure  ou  interne  de  la  sclérotique 
renferme  des  pelotons  graisseux ,  un  nerf  optique 
bientôt  renflé  en  ganglion  ,  puis  sous  -  divisé  en 
nombreux  filets,  et  enfin  le  globe  de  Toeil,  dont  la 
forme  extérieure  est  déterminée  par  une  choroïde 
épaisse ,  de  consistance  cartilagineuse ,  doublée  exté- 
rieurement d'une  couche  concrète  de  pigment  nacré , 
percée  dans  sa  moitié  postérieure  par  les  nombreux 
filets  du  nerf  optique  qui  s'entrecroisent  de  haut  en 
bas  avant  d'y  atteindre  ,  fait  curieux ,  signalé  déjà 
par  délie  Chiaje. 

Cette  choroïde  a  été  souvent  prise  pour  la  scléro- 
tique ,  et  telle  a  été  particulièrement  l'erreur  de 
Cuvier  ;  une  épaisse  ruyschienne  la  tapisse  en  de- 
dans ,  forme  une  couronne  de  procès  ciliaires ,  à 
laquelle  est  suspendu  le  cristallin;  entre  les  deux 
hémisphères  de  cette  lentille  s'enfonce  une  pro- 
duction membraneuse,  diaphane,  qui  se  dissémine 
par  feuillets  entre  les  lames  de  l'hémisphère  anté- 
rieur comme  du  postérieur ,  ce  qui  semble  éloigner 
l'idée  que  le  premier  est  une  cornée  transparente 
déplacée  de  ses  connexions  ordinaires.  Non-seule- 
ment ,  en  effet,  cette  demi-lentille  n'a  avec  la  sclé- 
rotique aucun  rapport ,  mais  elle  se  trouve  même 
placée  derrière  l'iris. 

Ce  diaphragme  constitue  effectivement  l'ouver- 
ture pupillaire  par  laquelle  on  peut  apercevoir  la 
demi-lentille  susdite ,  et  si  la  détermination  de  cet 
iris  pouvait  laisser  au  premier  abord  quelque  incer- 
titude j  parce  que  extérieurement  la  sclérotique  y 


DE  LA  VUÈ.^  SI  7 


adhère  en  s'amincissant ,  le  vernis  noir  qui  en  tapisse 
la  faqe  postérieure  (uvée),  et  la  continuité  évidente 
de  ses  deux  feuillets  avec  la  rujschienne  et  la  cho- 
roïde, ne  laisseraient  plus  aucun  doute. 

La  ruyscîiienne  a  été  communément  prise  pour 
la  rétine  ;  épaissie ,  dans  la  majeure  partie  de  son 
étendue,  parles  filets  nerveux  qui  la  pénètrent  après 
avoir  traversé  la  choroïde ,  elle  devait  effectivement 
paraître  une  combinaison  de  la  rétine  et  de  la  vraie 
ruyschienne  qui  ne  reprend  sa  minceur  et  ses  autres 
caractères  qu'au  voisinage  de  la  couronne  ciliaire. 

Mais  la  rétine  existe  en  réalité  ,  indépendamment 
de  la  ruyschienne.  Une  couche  épaisse  de  substance 
comme  pulpeuse  a  été  signalée  par  tous  les  anato- 
mistes  à  la  surface  interne  de  celle-ci  ;  en  la  soumettant 
par  fragments  à  l'inspection  microscopique  ,  nous 
l'avons  reconnue  formée ,  non  comme  le  pensait 
Cuvier,  par  un  pigment  opaque  et  qui  rendrait 
impossible  l'abord  des  rayons  lumineux  jusqu'à  la 
membrane  nerveuse  ,  mais  bien  par  un  assemblage 
d'innombrables  filaments  nerveux  eux-mêmes  ,  per- 
pendiculaires au  plan  de  la  membrane  fragile  mais 
épaisse  que  constitue  leur  ensemble ,  serrés  comme 
les  filaments  du  plus  fin  velours,  et  séparés  seulement 
par  une  petite  quantité  de  pigment  coloré  qui  ne 
peut  empêcher  la  lumière  de  frapper  sur  leur  extré- 
mité fjig,  80y'.  Au  moment  où  nous  nous  disposions 
à  publier  cette  découverte  dont  nous  avions  rendu 
témoin  le  savant  Windischmann ,  nous  l'avons  vu 
publier  par  un  anatomiste  anglais  (Warthon  Jones) 
arrivé ,  de  son  côté ,  aux  mêmes  résultats.  La  vision 
des  céphalopodes  n'est  donc  plus  un  problême  inso- 


SI 8  DE  LA  VUE. 

lubie  comme  quand  on  ne  voyait  là  qu'un  tapis  de 
matière  colorante  ,  et  il  n'est  plus  nécessaire ,  pour 
échapper  à  cette  difficulté,  d'attribuer,  avec  délie 
Cliiaje ,  le  nom  de  rétine  à  une  dernière  tunique 
mince ,  pellucide  et  qui  n'est  autre  que  le  sac  d'un 
vitré  totalement  liquide.  On  peut  s'étonner  que  cet 
assemblage  de  filaments  nerveux  se  détache  si  aisé- 
ment des  filets  dont  est  pénétrée  la  ruyscliienne  et 
qui  pourtant  leur  donnent  évidemment  naissance  (i); 
c'est  qu'il  y  a,  à  leur  jonction,  une  sorte  d'articulation 
par  une  substance  plus  molle ,  comme  nous  voyons, 
dans  divers  faisceaux  encéphaliques,  les  fibres  blan- 
ches interrompues  par  des  amas  de  substance  grise, 
et  comme  le  nerf  optique  même  de  la  seiche  en 
offre  un  exemple  :  entre  son  renflement  gangliforme 
et  le  tronc  qui  vient  de  l'encéphale ,  il  y  a  une  inter- 
section grise  bien  manifeste.  Nous  retrouverons , 
dans  les  animaux  articulés ,  l'analogue  de  cette  dis- 
position et  de  cette  constitution  de  la  rétine  assez 
différente  de  ce  que  nous  avions  vu  précédemment 
chez  les  vertébrés  ,  à  l'œil  desquels  celui  des  cépha- 
lopodes ressemble  sous  tant  d'autres  rapports.  C'est 
avec  l'œil  composé  des  crustacés  et  des  insectes  que 
celui  de  ces  mollusques  offrira  des  analogies  ;  d'au-^ 
très  mollusques  vont  nous  présenter  des  yeux  com- 
parables aux  ocelles  ou  stemmates  des  mêmes  ani- 
maux et  des  arachnides. 

D'après  les  intéressantes  observations  de  Swam- 
merdam  rectifiées  par  J.  Mùller,  le  limaçon  aurait, 
à  l'extrémité  de  son  tentacule  supérieur  {^fig,  S\J, 


(1)  On  en  voît  flotter  les  débris  en  observant  dans  l'eau ,  au  microscope  , 
une  portion  de  ruyschienne  ainsi  dépouillée. 


DE  LA  VUE.  319 

un  œil  véritable ,  composé  d'une  choroïde  trans- 
parente en  avant ,  noire  en  arrière ,  et  contenant  un 
fluide  vitré  dans  lequel  est  suspendu  un  cristallin 
lenticulaire  et  très-mou.  Cet  œil  reçoit  un  nerf  très- 
fin,  émanation  du  gros  tronc  qui  donne  au  tentacule 
sa  sensibilité  tactile.  Cet  organe,  probablement  très- 
myope  ,  ne  paraît  pas  être  d'une  très-grande  utilité 
à  l'animal ,  qui  ne  le  relire  guère ,  comme  on  sait , 
dans  l'intérieur  du  corps,  que  quand  on  l'a  touché 
ou  du  moins  approché  de  bien  près. 

D'autres  mollusques  gastéropodes  ont  l'œil  sessile , 
inséré  à  la  base  du  tentacule  et  plus  imparfait 
encore  ;  on  trouve  aussi  un  cristallin  ,  mais  volu- 
mineux ,  dur  et  peu  régulier  dans  le  murex  trùoms 
(Muller) ,  remplissant  presque  tout  l'œil  dans  le 
vohUa  cymhium  (  de  Elainville),  la  ptérotrachée  et 
la  carinaire  (délie  Chiaje  )  :  la  choroïde  y  forme, 
en  avant ,  une  couronne  noire  qui  rappelle  ou  l'iris 
ou  les  procès  ciliaires.  Au  reste ,  quelqu'insuffisants 
que  soient  ces  organes  de  vision,  ils  peuvent  encore 
guider  l'animal  dans  sa  marche. 

Un  tel  secours  devenait  inutile  à  la  plupart  des 
mollusques  acéphales,  qui  ne  quittent  point  le  lieu 
de  leur  naissance;  aussi  sont-ils  tout  à-fait  aveugles , 
de  même  que  les  cirrhipèdes  ,  animaux  articulés 
qui  vivent  également  immobiles  au  sein  des  eaux. 

ARTlCIiE  IV.   -  Animaux  articulés 
ou  astacaireSf  etc. 

Un  caractère  presque  général  des  yeux  de  ces 
animaux,  c'est  la  rigidité  de  leur  enveloppe  exté- 
rieure que  nous  avons  vue  déjà  chez  les  serpents  et 


3^0  DE  LA  VUE. 

les  geckos;  c'est  aussi  leur  immobilité.  Les  crustacés 
décapodes  seuls  (astaciens)  ont  un  œil  porté ,  comme 
celui  des  limaçons ,  sur  un  appendice  mobile ,  mais 
corné ,  et  dont  nous  trouvons  déjà  l'analogue  dans 
l'œil  des  raies  et  des  squales  qui ,  bien  que  renfermé 
dans  un  orbite ,  n'en  est  pas  moins  articulé  sur  un 
pédicule  cartilagineux  ;  les  diopsis  parmi  les  insec- 
tes ,  les  trombidions  parmi  les  arachnides ,  ont  aussi 
î'œil  pédicule  ,  mais  immobile. 

Nous  avons  déjà  fait  entendre  que  les  organes  de 
vision  dont  il  nous  reste  à  nous  occuper ,  sont  de 
deux  ordres  :  simples  ou  composés. 

A.  Les  yeux  simples  nommés  aussi  yeux  lisses  j 
ocelles j  stemmateSj  coexistent  avec  les  composés  chez 
quelques  crustacés  ,  le   cyame  ,   l'apus ,  le  limule 
(Milne  Edwards)  ,   chez  les  insectes  orthoptères  , 
névroptères ,    hémiptères,  hyménoptères,   diptères 
à  l'état  parfait ,   et  le  plus  souvent  il  y  en  a  trois 
placés    en   triangle    sur  le    front.    On   ne   trouve 
que  deux  stemmates  latéraux  chez  les  puces  et  les 
poux  ;  ils  sont  plus  nombreux  chez  les  myriapodes  ; 
pour  les  arachnides ,   ils  sont  au  nombre  de  deux 
(faucheurs,   beaucoup  d'acarides  ( i )  ) ,   de   quatre 
ordinairement  plus  ou  moins  confluents  (trombidions, 
érythrées,    bdelles    et  quelques    autres   acariens, 
obisies  ,    nymphons  )  ,    de  six  (ségestrie ,  dysdère, 
scythode),  de  huit  (la  plupart  des  autres  arachnides), 
parfois  même  de  dix  et  de  douze  peut-être  (certains 
genres  de  scorpions).  Variables  dans  leur  grandeur 
proportionnelle  ,    dans    leur   situation  qui   fournit 

(1)  Beaucoup  d'acariens  parasites  sont  totalement  privés  d'yeux  ;  il  en  est  de 
même  pour  la  puce  des  chauves-souris  ,   et  pour  la  nyctérihie. 


DE  LA  Vî  Î-.  3^  1 

d'importants  caractères  zoologiqiics ,  dans  leur  forme 
tantôt  ronde  ,  tantôt  ovale  ,  ils  offrent  aussi  des 
directions  souvent  très-difTérentes ,  trop  peu  remar- 
quées ,  et  telles  qu'ils  peuvent  faire  découvrir  à 
l'animal  ce  qui  se  passe  autour  de  lui  dans  presque 
tous  les  sens  à  la  fois  :  c'est  ce  que  Lyonnet  a  bien 
représenté  dans  ses  planches  pour  l'araignée  domes- 
tique en  particulier.  Nous  donnons  ici  la  figure  de 
ceux  de  la  mygale  maçonne  f^fig.  S2j. 

Chacun  de  ces  ocelles  (^fig.  83^"  est  composé, 
1^  d'une  cornée  lisse,  transparente  et  fort  con- 
vexe (i);  2°  d'un  cristallin  dense,  sphérique  ou 
lenticulaire ,  collé  derrière  la  cornée  ;  3®  d'un  corps 
vitré  beaucoup  moins  dense ,  mais  plus  large  et  plus 
épais  que  cette  lentille ,  environné  par  l'expansion 
rétinale  du  nerf  optique  que  recouvre  elle-même 
une  épaisse  couche  d'enduit  choroïdien.  La  décou- 
verte de  ce  vitré  appartient  à  J.  Mùller;  Sœmmerring 
fils  n'avait  vu  qu'une  rétine  dans  cette  masse  sous- 
jacente  au  cristallin  ;  l'alcool  ,  en  effet ,  la  rend 
opaque  et  pulpeuse,  comme  nous  l'ont  montré  les 
grands  scorpions ,  la  mygale  aviculaire  et  même  la 
mygale  maçonne.  Cette  structure  est  exactement  la 
même  dans  les  stemmates  des  insectes  (Sœmmerring, 
Mûller);  nous  donnons  comme  exemple  la  figure  de 
ceux  de  la  cigale  plébéienne, 

Yoilà  donc  un  puissant  appareil  de  réfraction, 
appareil  à  foyer  très-court  et  peut-être  invariable , 
vu  la  grande  dureté  du  cristallin ,  ce  qui  peut  faire 
penser  que  de  tels  yeux  ne  sont  bons  qu'à  voir  des 

(1)  Elle   Test    fort  peu,  et  même  tout  -  à  -  fait  plate  chez   les  grillons,  les 
locustes. 

21 


322  DM  LA  VUK. 

objets  très-voisius  :  on  conçoit  d'ailleurs  que  quand 
il  en  existe  plusieurs  de  grandeur  ,  de  profondeur 
et  de  conYexité  diverses ,  comme  chez  la  plupart  des 
araignées,  comme  chez  les  scorpions,  il  y  aura 
aussi  des  portées  de  vue  assez  diversifiées  pour  le 
même  animal.  Les  grands  yeux  médians  du  scorpion 
d'Afrique  ont  une  divergence  d^axe  (Mûller)  qui 
prouve  assez  qu'ils  sont  destinés  à  voir  au  loin  ;  et 
leur  situation,  au  milieu  de  la  face  supérieure  du 
céphalo-thorax ,  démontre  qu'ils  ne  peuvent  servir, 
comme  les  marginaux ,  à  découvrir  les  petits  objets 
gisants  sur  le  sol.  Les  quatre  gros  yeux  des  saltiques, 
araignées  qui  poursuivent  une  proie  ailée,  sont  tout- 
à-fait  dirigés  en  avant  ;  les  quatre  autres  sont  tout-à- 
fait  latéraux  ;  ils  ne  sauraient  voir  que  confusément 
de  loin ,  et  non  assez  pour  apprécier  aujuste  comme 
les  premiers,  dont  le  développement  est  souvent 
énorme  eu  égard  à  la  taille  de  l'animal.  Les  autres 
arachnides  n'ont  pas  généralement  besoin  de  voir  de 
bien  loin  ;  celles  mêmes  dont  les  yeux  sont  les  plus 
développés,  comme  les  saltiques,  ne  poursuivent 
leur  proie  qu'à  la  distance  de  quelques  pouces;  et 
si  une  araignée  rentre  dans  son  trou  à  l'approche  de 
l'homme ,  même  quand  il  est  encore  éloigné  de  près 
d'une  toise  ,  il  n'est  pas  besoin ,  pour  expliquer  ce 
fait ,  de  lui  supposer  une  vision  distincte  jusqiik  cette 
distance ,  mais  seulement  la  perception  des  masses. 
Quant  aux  insectes ,  j'ai  reconnu ,  par  des  expé- 
riences ,  comme  Réaumur  et  Marcel  de  Serres ,  qu'ils 
se  passaient  beaucoup  mieux  de  leurs  stemmates 
que  de  leurs  yeux  composés;  je  n'ai  pu  en  déduire 
aucune  autre  conclusion  certaine  si  ce  n'est  qu'il  leur 


DE  r.\  VUE.  Zr2?i 

restait,  avec  les  premiers,  la  distinction  des  ténèbres 
et  de  la  lumière.  Les  mantes  qui,  seules  parmi  les 
insectes,  tournent  le  devant  de  leur  tête  vers  les 
objets  propres  à  fixer  leur  attention ,  continuent  à 
exécuter  ce  mouvement  lors  même  qu'on  a  détruit 
ou  couvert  les  yeux  lisses;  les  guêpes  ,  les  sauterelles 
volent  ou  sautent  comme  avant  l'opération.  En  un 
mot ,  ces  yeux  paraissent  destinés ,  comme  ceux  des 
limaçons  ,  à  faciliter  seulement  la  recherche  directe 
des  aliments ,  la  manducation  ;  ils  sont  effectivement 
les  seuls  organes  de  vision  des  larves,  qui  n'ont 
autre  chose  à  faire  que  de  se  nourrir  :  exemple ,  les 
chenilles.  Beaucoup  d'autres  larves  sont  totalement 
aveugles. 

Ces  animaux ,  aussi  bien  que  les  aptères  parasites, 
les  myriapodes  et  les  arachnides ,  ont  d'autant  moins 
besoin  d'yeux  à  longue  portée  qu'ils  vivent  commu- 
nément dans  l'obscurité  ;  on  sait  que  la  plupart  des 
araignées  sont  nocturnes  ;  beaucoup  ont  même  une 
partie  au  moins  de  leurs  yeux  à  fond  brillant,  blanc  , 
nacré  comme  le  tapis  des  mammifères  du  genre 
chat  ;  c'est  ce  qui  a  fait  dire  que  les  yeux  de  la 
tarentule  luisaient  dans  les  ténèbres.  Sur  l'œil  com- 
posé de  l'atropos,  ou  papillon  tête  de  mort,  j'ai 
reconnu  que  cette  couche  brillante  est  formée  par 
des  filaments  rétinaux  courts ,  parallèles ,  perpendi- 
culaires au  bulbe  du  nerf  optique  ;  y  a-t-il  quelque 
chose  de  semblable  dans  les  stcmmates  brillants  ? 
Les  espèces  diurnes  ont  souvent  une  sorte  d'iris  soit 
noir ,  soit  vert ,  comme  certains  saltiques ,  mais  nous 
ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  là  aucune  contractilité. 

Les  yeux  de  quelques  annélides  sont  encore  moins 


S24  DK  LA  vit:, 

grands  et  moins  parfaits  que  les  précédents  ;  Mûller 
a  trouvé  ceux  des  néréides  composés  d'un  nerf  épa- 
noui derrière  un  globule  de  substance  blancbe  mais 
non  transparente,  entouré  pourtant  de  pigment  foncé 
en  couleur,  et  recouvert  d'un  épiderme  très-mince. 
Ceux  des  sangsues  sont,  d'après  Weber,  des  corps 
cylindroïdes  assez  longs ,   mais  transparents  seule- 
ment à  leur  extrémité   saillante.   On  sait  que  ces 
ocelles  sont  souvent  nombreux  (deux  à  quatre  dans 
diverses  néréides  ,  jusqu'à  dix  dans  les  sangsues  ) , 
et  l'on  voit  qu'ils  ne  peuvent  guère  servir  à  l'animal 
que  pour  distinguer  la  clarté  de  Fobscurité.  Quant 
aux  plaques  noirâtres ,  brunes,  rouges  qui  se  remar- 
quent sur  la  tète  des  rotifères  et  même  sur  le  corps 
de  quelques  méduses  ,  astéries  et  de  plusieurs  mona- 
daires(Ehrenberg) ,  ce  ne  sont  tout  au  plus  que  des 
rudiments  d'organe  de  vision,  qui  rappellent  à  peine 
les  yeux  véritables  des  animaux  supérieurs ,  et  ne 
méritent  guère   d'autre  nom   que    celui  de  points 
oculiformes  qui  leur  est  généralement  donné.  Ceux 
des  planaires  sont  certainement  formés  d'un  pigment 
choroïdien  caché  sous  un  épiderme  pellucide ,  mais 
je  n'y  ai  pas  vu  le  corps  vitré  et  la  cornée  transpa- 
rente dont  parle  Fréd.  Schulze. 

B.  Les  yeux  composés  ^jeuxa.  facettes  ou  à  réseau, 
appartiennent  presque  exclusivement  aux  crustacés 
et  aux  insectes  ;  il  faut  y  joindre  seulement  les 
scutigères  et  peut-être  les  galéodes.  Au  reste,  l^le 
rapprochement,  le  groupement  de  tous  les  ocelles 
chez  certaines  araignées  (mygales);  2"  la  confluence 
de  quelques-uns  d'entre  eux  chez  d'autres  arachnides 
(  épéires  ,    hydracnés  ,   érythrées  et  trombidions  )  ; 


DE  LA  VUE.  325 

3°  la  contiguité  des  stemmates  de  grandeur  et  de 
forme  diverses  chez  les  scolopendres,  si  voisines  des 
scutigères;  4°  cette  considération,  plus  remarquable 
encore ,  que  la  chenille  n'a  qu'une  couronne  de  sept 
à  huit  stemmates  là  où  le  papillon  aura  un  œil  à 
réseau;  5°  la  transformation  (^fig.  87,  88,  89^  suc- 
cessive de  l'un  de  ces  groupes  dans  l'autre ,  que  nous 
avons  observée  dans  la  chrysalide  où  les  stemmates 
pullulent  à  mesure  que  le  nerf  optique  se  forme 
comme  un  prolongement  fibreux  de  l'encéphale, 
et  que  les  filaments  rétinaux  qui  en  partent  se  rac- 
courcissent et  se  multiplient:  voilà  assez  de  preuves 
de  la  prochaine  analogie,  ou  pour  mieux  dire  de 
l'identité  des  stemmates  et  des  yeux  composés.  Elle 
se  manifeste  plus  nettement  encore  chez  les  crustacés  : 
déjà  ,  depuis  long-temps,  on  a  signalé  les  yeux  des 
cloportes  comme  composés  chacun  d'un  groupe  de 
onze  à  douze  stemmates  représentant  vraiment  un 
œil  à  réseau.  Les  branchipes  (Burmeister)  ont  l'œil 
évidemment  composé  d'un  groupe  d'ocelles  complets 
réunis  seulement  en  faisceau  ou  en  masse.  Milne 
Edwards  a  trouvé ,  chez  les  callianasses ,  des  yeux 
à  réseau,  dont  chaque  facette,  représentant  une 
petite  cornée ,  offre  ,  à  son  centre ,  un  épaississement 
lenticulaire  évidemment  formé  par  un  cristallin  tel 
que  celui  des  yeux  lisses ,  mais  soudé  avec  la  cornée. 
Lyonnet  dit  la  même  chose  au  sujet  du  cossus/  et  les 
rhipiptères  nous  ont  paru  être  exactement  dans  le 
même  cas. 

Chez  la  plupart  des  autres  insectes  ,  chez  la 
majeure  partie  des  crustacés,  la  cornée  commune 
de  l'œil  à  réseau ,  dont  les  facettes  sont  innombra- 


320  DE  LA  VIJK. 

bles  pour  la  plupart ,  semble  donc  être  formée  de  la 
réunion  dWe  multitude  de  cornéules  particulières , 
et  d'une  multitude  égale  de  cristallins  soudés  et 
presque  confondus  ensemble  (i);  aussi  trouve-t-on , 
à  cette  portion  transparente  de  l'œil  f  fig.  SiJ^ 
une  grande  épaisseur ,  et  peut-on  en  séparer  assez 
constamment  la  lame  externe  ou  épidermique. 

Sous  cette  couche  dure  et  sèche ,  on  trouve , 
dans  l'œil  à  réseau,  en  nombre  égal  à  celui  des 
cornéules ,  des  corps  hyalins  f^fig.  SôJ  le  plus 
souvent  coniques,  rangés  parallèlement  entre  la 
cornée  et  le  renflement  du  nerf  optique  ou  le  gan- 
glion qui  le  coiffe  (langouste,  fig.  84),  et  perpen- 
diculaires aux  surfaces  de  l'un  et  de  l'autre ,  la  partie 
la  plus  épaisse  toujours  tournée  en  dehors  :  on  ne 
peut  voir  là  que  des  corps  vitrés.  Ils  avaient  été  bien 
vus,  bien  figurés  dans  l'abeille  par  Swammerdam, 
dans  le  papillon  du  cossus  ligniperda  ^^ly  Lyonnet, 
dans  la  blatte  orientale  parTréviranus ,  les  crustacés 
par  Cavolini,  etc.  J.  Millier  les  a  mieux  connus 
encore  chez  beaucoup  d'insectes  et  de  crustacés ,  et 
nous  les  avons  décrits  ailleurs  d'après  les  libellules 
(^fig.  dOj ,  qui  les  ont  fort  longs  et  cylindriques  : 
ils  sont  prismatiques  et  à  coupe  carrée  chez  la 
langouste. 

De  leur  extrémité  interne ,  toujours  amincie ,  part 
un  filament  nerveux  qui  se  porte  directement  sur  le 
gros  renflement  optique. 

Dans  les  interstices  de  ces  organes  est  répandu  un 
pigment  choroïdien  plus  ou  moins  abondant ,  coloré 

(4)   Ces  facettes  ou  cornéules  sont  le  plus  souAcnt  hexagonales  ;  beaucoup  de 
eiustacés  les  ont  carrées ,    tels  récrcvissc ,  la  langouste,  etc. 


DE  LA  VlIK.  357 

de  diverses  manières  (  i) ,  et  dont  la  teinte ,  combinée 
avec  celle  des  parties  qu^il  environne ,  forme  ,  sur  la 
coupe  de  Fœil,  et  même  quelquefois  extérieurement, 
des  zones ,  des  taches ,  des  marbrures  variées  selon 
l'espèce,  le  genre  de  vie,  etc.  Ces  zones,  sur  la 
tranche  de  Vœ'û  ,  sont  aussi  dues  en  partie  à  des 
changements  dans  la  disposition  des  filets  nerveux , 
des  masses  dont  ils  partent,  et  des  intersections  plus 
molles  qui  assez  souvent  les  divisent  en  plusieurs 
couches ,  comme  nous  Favons  dit  des  céphalopodes. 
Une  couche  épaisse  et  opaque  de  l'enduit  clio- 
roïdien  revêt  la  face  interne  de  la  cornée  ;  on  l'a 
crue  continue  parce  qu'elle  n'est  communément 
perforée  que  d'ouvertures  assez  petites  ^fig.  86y, 
et  qui  disparaissent  toujours  quand  on  dissèque  les 
parties  sans  attention  suffisante  ;  ces  ouvertures , 
admises  mais  non  démontrées  par  Marcel  de  Serres 
et  Mûller ,  niées  par  Cuvier  bien  que  la  vision  devint 
alors  inexplicable,  nous  les  avons  vues  chez  tous 
les  insectes  où  nous  les  avons  cherchées.  On  les 
découvre  en  plongeant  dans  l'eau  la  cornée  débar- 
rassée des  corps  vitrés  ,  mais  non  de  son  pigment  ; 
et  l'inclinant,  en  divers  sens,  sous  le  microscope , 
pour  faire  flotter  les  petites  cloisons  choroïdiennes 
qui ,  sans  cette  précaution  ,  se  couchent  sur  les 
ouvertures  en  question  et  les  font  disparaître.  Ces 
ouvertures,  par  la  réunion  de  celles  qui  se  pré- 
sentent à  peu  près  perpendiculairement  à  l'œil  de 
l'observateur ,  constituent  cette  tache  obscure  et 
mobile ,  cette  sorte  de  pupille  complexe  qu'on  voit 

(1)  Il  est  rouge  chez  les  mouches;  c'est  lui  ({ue  le  vulyairt:  prend  poui:  du 
sang  quand  il  en  écrase  la  tête. 


?)28  m:  la  vie. 

sur  l'œil  composé  des  sauterelles ,  des  mantes ,  des 

libellules,  etc. 

Avant  d'entrer  dans  l'explication  des  fonctions  de 
cet  œil  qui  semble  si  singulièrement  construit  compa- 
rativement au  nôtre  ,  faisons  comprendre  au  lecteur 
que  cette  différence  est ,  en  réalité ,  peu  considé- 
rable :  supposez  tous  ces  cônes  vitrés  réunis  sans 
pigment  intermédiaire ,  détachez  idéalement  de  la 
cornée  ces  cristallins  déjà  soudés  ensemble,  effacez 
en  esprit  les  facettes  de  la  cornée  commune,  et 
n'aurez-vous  pas  un  œil  de  vertébré  ?  Or,  une  partie 
de  ces  conditions  est  en  effet  remplie  dans  la  nature. 
Les  nymphes  des  hémiptères,  des  cigales,  ont  les 
gros  yeux  de  Finsecte  parfait ,  mais  la  cornée  en  est 
lisse  (  { )  :  une  cornée  lisse  recouvre  aussi  l'œil  com- 
posé de  l'apus  :  sous  cette  même  cornée  lisse ,  le 
groupe  des  cristallins  et  des  vitrés  se  meut,  chez 
les  daphnies,  comme  l'œil  du  serpent  sous  sa  pau- 
pière transparente.  Quant  à  la  complexité  ,  nous 
avons  déjà  vu  combien  elle  était  variable  ,  et  les 
daphnies  nous  en  offrent  un  exemple  de  plus,  puis- 
que leurs  deux  yeux ,  d'abord  isolés ,  se  confondent 
en  un  œil  impair  chez  l'adulte.  Et  les  animaux  pré- 
cédemment examinés  ne  présentent-ils  donc  aucune 
trace  de  division?  Les  céphalopodes  n'ont-ils  pas 
aussi  un  gros  nerf  optique  ,  coiffé  d'un  ganglion  qui 
émet  de  sa  surface  une  foule  de  filets  finalement 
disposés  en  une  couche  à  fibres  perpendiculaires?  Les 
vertébrés  eux-mêmes  u'ont-ils  pas  des  filaments  ner- 
veux innombrables ,  émanés  du  nerf  optique  ,  pour 

(i)  Elle  est  à  facéties  dans  les  nymplies  des  libellules.  Celles  dos  cigales  vivent 
sous  terre  et  ne  se  servent  pas  de  leurs  yeux. 


DE  LA  VLE.  329 

constituer  la  rétine  ?  Il  y  a  plus ,  en  faisant  congeler 
les  humeurs  d'un  œil  de  bœuf,  on  a  remarqué  que 
le  vitré  se  partageait  en  glaçons  prismatiques ,  paral- 
lèles et  dirigés  perpendiculairement  à  la  surface 
du  cristallin.  C'en  est  bien  assez  pour  nous  faire 
voir  qu'il  n'y  a  ,  chez  les  arachnides ,  les  crustacés, 
les  insectes,  que  partage  et  dissémination  d'éléments 
plus  serrés,  mieux  confondus  chez  les  vertébrés, 
comme  on  en  a  tant  d'autres  exemples,  soit  dans 
leurs  centres  nerveux,  soit  dans  les  segments  mêmes 
dont  leur  corps  se  compose  (»). 

Mais  cet  œil  fonctionnera  - 1  -  il  comme  celui  de 
l'homme  ?  Chose  évidemment  impossible.  Il  en  pou- 
vait être  ainsi  des  stemmates,  mais  non  des  yeux 
composés.  Y  aura-t-il,  dans  ces  derniers,  répétition 
du  même  mécanisme  autant  de  fois  qu'il  y  a  de  cor- 
néules  représentant  des  stemmates ,  des  ocelles  ?  On 
ne  peut  le  supposer,  malgré  les  analogies  ci-dessus 
rapportées;  car  ces  ocelles,  dont  se  compose  l'œil 
à  réseau,  ont  une  forme  particulière  ;  ils  sont  tou- 
jours pyramidaux  ou  coniques  et  allongés,  tandis 
que  les  vrais  stemmates  sont  toujours  sub globuleux 
et  courts.  Il  ne  saurait  donc  y  avoir  ici  aucun  effet 
analogue  à  celui  de  la  chambre  obscure  ,  aucun 
croisement  de  faisceaux  parvenant  au  fond  de  chaque 

(1)  Une  autre  analogie  moins  importante  et  moins  certaine  mérite  pourtant 
d'être  mentionnée  ;  nous  avons  représenté  la  cornée  et  la  choroïde  des 
vertébrés  comme  des  dépendances  et  des  modifications  de  la  peau  chez  les 
vertébrés  ;  or,  voici  ce  que  dit  ^3ilne  Edwards  pour  les  crustacés  :  <>  La  tunique 
externe  se  continue  avec  les  téguments,  et  constitue  une  cornée  transparente. 

Derrière  la  masse  formée  par    les   diverses   parties  intérieures  de 

l'œil ,  on  trouve  une  tunique  membraneuse  percée  dans  son  milieu  pour  livrer 
passage  au  nerf,  et  qui  n'est  qu'un  prolongement  de  la  membrane  tégumentaire 
moj'cnne  ,  de  sorle  que  c'est  entre  les  deux  couches  externes  de  la  peau  qu'est 
creusée  la  chambre  oculaire.  >< 


330  m:  la  vuk. 

ocelle  ;  car  ce  foud  a'est  qu'un  point  pour  ainsi  dire 
géométrique  ;  et  tout  faisceau  croisé ,  tombant  sur 
les  parois  du  cône  vitré ,  serait  absorbé  par  le  pigment 
clioroïdien.  Chaque  ocelle  d'un  œil  composé  ne  peut 
donc  admettre  qu'un  pinceau  direct,  un  cône  objectif 
dont  l'axe  est  perpendiculaire  à  la  cornéule  ,  et  qui 
devient,  en  vertu  de  la  réfraction  opérée  par  la 
convexité  généralement  très-faible  de  ces  cornéules, 
un  cône  visuel.  Ce  cône  serait  même  souvent  trop 
court  pour  porter  son  sommet  sur  le  filament  ner- 
veux qui  s'insère  à  l'extrémité  du  corps  vitré,  si 
celui-ci ,  dont  la  densité  est  bien  moindre  que  celle 
de  la  cornéule ,  ne  servait  à  en  réduire  la  conver- 
gence au  degré  convenable  (fig.  91).  De  cette  façon, 
on  peut  concevoir  que  tout  objet  visible  peint  sur 
Vensemhle  des  filaments  rétinauXj  sur  cette  sorte  de 
houppe  qui  s'élève  du  ganglion  du  nerf  optique  , 
une  image  directe j  en  faisant  passer  directement, 
ou  presque  en  regard  de  chacun  des  points  de  la 
surface  (^fig.  90jj  les  faisceaux  lumineux  qu'il  envoie 
à  travers  les  ocelles.  Cette  image  ponctuée  se  peint, 
comme  celle  de  toutes  les  lentilles,  au  foyer  principal  ; 
mais  aucun  appareil  ou  instrument  de  physique  ne 
peut  nous  donner  une  idée  juste  de  ce  qui  se  passe 
alors ,  parce  qu'aucun  n'a  été  conçu  et  exécuté  sur 
de  pareils  principes. 

J'ai  dit  que  la  convexité  de  chaque  cornéule  est 
généralement  faible  ;  elles  sont  presque  plates  chez 
beaucoup  d'orthoptères,  de  névroptères  (i),  etc., 

(1)  C'est  un  point  qui  mériterait  d'être  étudié  comparativement  aux  habitudes 
el  à  la  structure  interne.  Je  trouve  ces  facettes  4rès-plates  chez  la  manie  ;  l'œil 
est   presque   lisse   chez   le   hanneton  foulon  ;    elles  sont  très-coiivcxo5  chez  le 

cerantlrx  héros  ,  la  /aon  commun. 


DE  LA  VUt.  «^31 

et  la  faiblesse  de  convergence  qui  en  résulte  est 
parfaitement  d'accord,  et  avec  la  longueur  des 
cônes  ou  cylindres  vitrés,  et  avec  la  destination  pré- 
sumée ,  pour  les  yeux  à  réseau ,  de  voir  les  objets 
éloignés,  les  stemmates  étant  destinés  aux  plus  voi- 
sins. Il  est  une  autre  convexité  dont  il  faut  tenir 
compte ,  c'est  celle  de  la  cornée  générale  ,  c'est  la 
saillie  et  la  rondeur  de  tout  l'œil  :  elle  ne  représente 
pas ,  à  beaucoup  près ,  toujours  une  courbe  uniforme  ; 
elle  est  plus  prononcée  dans  certains  points ,  moins 
dans  d^autres  ;  et  ces  différences  en  amènent  quelque- 
fois dans  la  grandeur  des  cornéules  ;  ainsi ,  celles 
de  la  partie  antérieure  et  inférieure  de  l'œil  sont  de 
moitié  plus  petites  que  les  autres  chez  les  libellules  : 
le  pigment  y  est  aussi  d'une  autre  couleur,  ce  qui 
indique  d'autres  usages.  Cette  saillie,  qui  renfle  géné- 
ralement les  deux  cotés  de  la  tète ,  permet  le  plus 
souvent  à  l'animal  de  voir ,  autour  de  lui ,  presque 
dans  tous  les  sens,  et  supplée  efficacement  ainsi  à 
l'immobilité  de  l'œil  et  de  la  tète  ;  elle  étend  consi- 
dérablement le  champ  visuel  dont  l'ampleur  lui  est 
évidemment  subordonnée.  Quant  à  la  netteté  de  la 
vision ,  elle  est  liée ,  au  contraire ,  avec  une  convexité 
moindre  et  une  surface  plus  étendue  ,  qui  suppose 
d'ailleurs  un  nombre  plus  considérable  de  cornéules; 
l'œil  reçoit  alors  un  plus  grand  nombre  de  faisceaux 
lumineux  partant  du  même  objet.  La  même  cause 
diminue  encore  la  myopie ,  parce  que  plus  l'œil  est 
gros  ,  plus  les  cônes  transparents  sont  longs  ;  aussi 
les  insectes  ailés  ont-ils  généralement  des  yeux  très- 
amples,  tels  les  libellules,  les  papillons,  les  taons, 
les  mouches  ;  tandis  que  ceux  qui  vivent  à  terre  ou 


332  DE  LA  vni-. 


dans  (les  trous ,  comme  beaucoup  de  coléoptères,  les 
fourmis,  etc.  ,  les  ont  peu  yolumineux.  C'est  aussi , 
généralement 5  le  cas  des  insectes  nocturnes/  mais 
si  leurs  yeux  sont  petits,  leurs  cornéules  ou  facettes 
sont  grandes  et  par  conséquent  peu  nombreuses  ;  le 
cbamp  visuel  est  ainsi  peu  vaste ,  et  la  vue  assez 
courte,  comme  chez  les  vertébrés  nocturnes;  de 
plus ,  le  fond  de  chaque  ocelle  est  resplendissant 
comme  celui  de  quelques  stemmates,  de  sorte  que 
la  tache  mobile  et  en  forme  de  pupille  ,  dont  il  a 
été  question  plus  haut ,  au  lieu  d'être  obscure ,  est 
au  contraire  brillante;  il  y  a  d'ailleurs  peu  de 
pigment  choroïdien ,  circonstance  reconnue  déjà  par 
Marcel  de  Serres  ;  il  y  en  a  peu  aussi  chez  les 
crustacés,  la  langouste  en  particulier. 

On  pourrait  trouver  encore  quelques  autres  modi- 
fications en  rapport  avec  le  genre  de  vie  des  insectes , 
dire  que  l'œil  des  carnassiers  est  très  -  convexe 
(  Marcel  de  Serres  ) ,  parce  qu'il  leur  faut  explorer 
un  plus  grand  champ  de  recherches  (Mûller),  etc.  ; 
mais  ce  sont  des  objets  plus  afférents  à  l'étude 
extérieure  ou  zoologique  de  ces  animaux  qu'à  leur 
étude  intérieure  ou  physiologique  ;  nous  terminerons 
donc  ces  détails  en  rappelant  que  l'œil  composé  des 
insectes  diffère  surtout  en  ceci  de  celui  des  vertébrés , 
relativement  à  ses  fonctions  :  1  ^  que  l'image  des  objets 
s'y  peint  sans  renversement;  2^  que  cette  image  est 
ordinairement  peu  éclairée ,  parce  qu'il  y  a  beau- 
coup de  lumière  perdue  sur  le  pigment  choroïdien  ; 
3°  qu'il  n'y  a  point,  chez  eux,  de  centre  visuel; 
et  que,  de  tous  les  objets  qui  entourent  l'animal, 
aucun  ne  peut  être  plus  particulièrement  apprécié 


DK  LA  vn:.  333 

que  par  rallention  qui  se  fixe  sur  lui ,  si  Ton  en 
excepte  peut-êîre  le  cas  où  l'insecte  s'arrange  (la 
mante  ,  par  exemple)  pour  que  l'objet  qui  l'intéresse 
frappe  les  deux  yeux  à  la  fois  et  en  même  temps  les 
stemmates. 


CHAPITRE  VIL 


DES  SENSATIONS  CENTRALES  CONSIDEREES  DANS  LES  DIVERS  CENTRES 
DU  SYSTÈME  NERVEUX  ET  DANS  LES  NERFS  QUI  EN  EMANENT. 


ARTICBLE  I,"  -  Ciéaîéraîâfés, 

Nous  a\ons  précédemment  dit  quelques  mots  des 
sensations  internes;   soit  dans    les  généralités   qui 
servent  d'introduction  à  notre  troisième  partie ,  soit 
à  l'occasion  du  système  ganglionnaire ,  du  nerf  tri- 
splanchnique  dans  la  deuxième  ;  nous  venons  d'étu- 
dier en  détail  les  sensations  externes  ;  il  nous  reste 
maintenant  à   analyser    les    opérations  centrales , 
autrement  dit  intellectuelles  ou  mentales ,  qui  résul- 
tent du  transport  des  sensations  internes  et  externes 
jusqu'aux  masses  principales  du  système  nerveux , 
et  notamment  à  l'encéphale    des   vertébrés   et   de 
l'homme  :   c'est  supposer  que  nous  n'allons  parler 
que  des  animaux  à  système  nerveux  centralisé  ;  et 
en  effet ,  qu'aurions-nous  à  dire  de  ceux  dont  toutes 
les  molécules  paraissent  également  nerveuses ,  sen- 
tantes et  voulantes,   s'il  est  permis  de  s'exprimer 
ainsi?    Chez    eux,  il  y  a   évidemment   ces    trois 
éléments  fondamentaux   des  fonctions  sensoriales, 
impression j  réaction. ei  transmission ,  puisque  l'en- 


334  DES   SENSAÏIOÎNS   CENTRALES 

semble  participe  aux  sensations  d'une  partie,  puis- 
que le  tout  prend  des  déterminations  universelles  à 
propos  d'une  excitation  partielle.  Nous  avons  expli- 
qué dans  la  deuxième  partie  comment  ce  phénomène 
pouvait  se  concevoir  ;  nous  y  renvoyons  le  lecteur, 
en  ajoutant  seulement  ici  que  cette  diffusion  est  un 
signe  d'imperfection  organique  ,  puisque  ,  avec  l'in- 
dividualisation ,  la  centralisation  des  organes ,  mar- 
chent de  front  la  perfection,  la  complication  dans 
leur  structure  et  dans  leur  office  :  il  va  sans  dire 
que  chaque  organe  remplit  mieux  une  fonction  spé- 
ciale ,  exclusive  ,  quand  il  est  revêtu  de  formes  et 
doué  d'une  composition  à  lui  propre ,  que  des  fonc- 
tions multiples  avec  une  organisation  mélangée  et 
semblable  à  celle  du  reste  du  corps.  Aussi,  bien 
que  le  polype  sente  sa  proie ,  veuille  s'en  saisir  et  se 
mette  en  mouvement  à  cet  effet ,  quand  il  a  jugé 
qu'elle  convient  à  sa  nourriture,  ce  sont  là  des 
opérations  bien  élémentaires,  des  sensations  bien 
obscures,  des  volontés  et  des  jugements  réduits  à 
leur  plus  simple  expression. 

Ces  opérations  deviennent  bien  autrement  variées 
et  parfaites  dès  que  la  matière  nerveuse  s'isole  de  la 
musculaire  ;  mais  il  y  a ,  sous  ce  rapport,  de  grandes 
différences  encore  entre  les  animaux  qui  jouissent 
de  cet  avantage  ;  et  nous  serons  du  moins  forcé  de 
jeter  d'abord  un  coup-d'œil  sur  ceux  où  la  coales- 
cence  des  centres  nerveux  est  imparfaite  ou  nulle , 
avant  de  parler  des  autres  :  cette  distinction  nous 
acheminera  vers  une  interprétation  plus  facile  de  ce 
qui  se  passe  chez  les  animaux  à  centres  confondus 
en  une  seule   masse.   Je  désigne  ainsi   ceux  qui, 


DAKS  LES    DIVKRS   CENTRES.  335 

placés  au  premier  rang  dans  l'échelle,  occuperont  en 
conséquence  la  plus  grande  place  dans  ce  chapitre , 
où  nous  donnerons  le  peu  que  la  science  possède 
sur  les  fonctions  de  chaque  portion  notable  de  l'ap- 
pareil encéphalique.  Dans  un  chapitre  subséquent 
nous  présenterons  l'exposé  complet  des  opérations 
mentales  qu'il  nous  serait  impossible ,  dans  l'état 
présent  de  nos  connaissances ,  de  rattacher  ,  avec 
quelque  exactitude ,  à  la  distribution  anatomique 
qui  doit  ici  nous  servir  de  guide. 

ARTICliEIT.  -  iBivertfélïrës. 

Si ,  chez  les  animaux  vertébrés  on  peut  révoquer 
en  doute  cette  opinion ,  que  toutes  les  parties  quel- 
conques du  système  nerveux  sont  douées  des  mêmes 
facultés  j  et  que  les  fonctions  spéciales  dévolues  à 
certaines  d'entre  elles  tiennent ,  non  à  des  propriétés 
spéciales  ,  mais  à  des  particularités  de  masse ,  de 
configuration  et  de  rapports,  cette  vérité  ne  saurait 
être  méconnue  quand  on  en  cherche  la  preuve  chez 
les  animaux  à  texture  neuromyaire  et  encore  dans 
ceux  qui  vont  faire  l'objet  de  cet  article. 

Ici  nous  trouvons  ,  pour  centres  nerveux ,  une 
chaîne  de  ganglions  plus  ou  moins  éloignés ,  mais 
toujours  associés  par  des  communications  directes 
{^fig-  6  ,  7  ef  8y'.  Les  cordons  de  communication  , 
essentiellement  filamenteux  dans  leur  contexture 
microscopique ,  paraissent  doués  à  un  haut  degré  de 
la  faculté  de  transmission/  tandis  que  les  ganglions 
pulpeux,  globulaires,  souvent  colorés  en  jaune  ,  en 
brun ,  même  en  rouge  à  leur  centre ,  entourés  d  une 
substance  blanche  et  filamenteuse  aussi  (^fig.  d2jj 


33n  DES  SENSATIONS   CENTHAtES 

paraissent  plus  particulièrement  aptes  à  recevoir  les 
impressions  ,  à  les  élaborer  et  à  exercer  les  réactions 
diverses  qui  constituent  la  sensation ,  la  volition^  et  dé- 
terminent les  mouvements  musculaires.  L'expérience 
prouve  Lien  aisément  en  effet  que ,  dans  chaque  gan- 
glion (i)  d'un  insecte  ,  d'une  annélide ,  etc.  ,  siègent 
également  ces  aptitudes  que  nous  sommes  accoutumés 
à  n'accorder  qu'aux  masses  céphaliques  ,  d'après  ce 
que  nous  montrent  les  vertébrés  supérieurs.   Sans 
doute  ,  elles  y  sont  réduites  encore  à  peu  de  compli- 
cation, et  pourtant  on  peut  y   observer  même  des 
actes,  jusqu'à  un  certain  point,  raisonnes.  C'est  sur 
cette  vérité ,  aussi  bien  que  sur  la  segmentation  exté- 
rieure qui  répond  à  la  segmentation  nerveuse ,  que 
nous  avons  principalement  basé  notre  doctrine  de  la 
conformité   organique,  dans  laquelle  on  considère 
tout  animal   articulé  (astacaire)  et  tout   vertébré 
(  bominiaire  )  comme  composé  d'animaux   simples 
soudés  ensemble.  Aristote  connaissait  déjà  la  faculté 
qu'ont  los  segments  des  insectes  et  des  scolopendres 
de  conserver  la  vie  et  le  mouvement ,  quoique  séparés 
du  tout;  Latreille(2),  Marcel  de  Serres,  Carus  ont 
plus  ou  moins  explicitement  parlé  de  cette  vie  par- 
ticulière à  chaque  anneau  d'un  invertébré  ;  Moquin 
l'a  fait  bien  nettement  ressortir  pour  les  hirudinés  ; 
il  a  répété  les  expériences  que  j'avais  précédemment 
faites  sur  des  insectes ,  et  il  en  a  confirmé  le  résultat. 
J'enlève  rapidement ,  avec  des  ciseaux ,  le  protho- 

(1)  Quoique  souvent  je  parle  au  singulier  du  ganglion  appartenant  à  chaque 
segment,  on  ne  doit  pas  oublier  qu'il  est  en  réalité  composé  d'une  paire  de 
ganglions  plus  ou  moins  intimement  confondus. 

(2)  «  Chaque  ganglion  semble  être  lui-même  ,  pour  ces  parties ,  un  cerveau 
spécial.  »   (Mém    mus.  ,    t.  V,  ■p.  iil .  ) 


DANS  LES  DIVÉr.S  CENTRES.  33  / 


râx  ou  protodère  de  la  mantis  religiosa  ;  le  tronçon 
postérieur  resté  appuyé  sur  ses  quatre  pattes ,  résiste 
aux  impulsions  par  lesquelles  on  cherche  à  le  ren- 
verser ,  se  relève  et  reprend  son  équilibre  si  on 
force  cette  résistance ,  et  en  même  temps  témoigne , 
par  la  trépidation  des  ailes  et  des  élytres  ,  d'un  vif 
sentiment  de  colère ,  comme  il  le  faisait ,  pendant 
l'intégrité  de  l'animal,  quand  on  l'agaçait  par  des 
attouchements  ou  des  menaces.  Mais  ce  tronçon 
postérieur  contient  une  bonne  partie  de  la  chaîne  des 
ganglions;  on  peut  poursuivre  l'expérience  d'une 
manière  plus  parlante  :  le  long  corselet  (  prothorax 
ou  protodère),  qu'on  a  détaché  des  autres  segments  ^ 
contient  un  ganglion  bilohé  (^fig,  9^Jj  qui  envoie 
des  nerfs  aux  bras ,  ou  pattes  antérieures  armées  de 
crochets  puissants  (pattes  ravisseuses)  ;  qu'on  en 
détache  encore  la  tète ,  et  ce  segment  isolé  vivra 
pendant  près  d'une  heure  avec  son  seul  ganglion;  il 
agitera  ses  longs  bras ,  et  saura  fort  bien  les  tourner 
contre  les  doigts  de  l'expérimentateur  qui  tient 
le  tronçon,  et  j  imprimer  douloureusement  leur 
crochet.  Donc  ce  seul  ganglion  thoracique  ou  déri- 
que  sent  les  doigts  qui  pressent  le  âegment  auquel 
il  appartient  ,  recomiait  le  point  par  lequel  il  est 
serré  ,  veut  s'en  débarrasser  et  y  dirige  les  membres 
qu'il  anime. 

J'ai  dit  que  les  cordons  intermédiaires  étaient 
chargés  de  la  transmission;  on  conçoit  qu'ils  doivent 
ainsi  harmoniser  les  fonctions  de  tous  ces  centres  de 
sensation  et  d'action,  individualiser  cet  ensemble. 
Mais  laissons  là  les  conjectures,  voici  les  faits: 
coupez ,  sur  une  mante ,  le  double  cordon  de  com- 

22 


338  DES   SENSATIONS  CENTRALES 

miinicatîoii  entre  la  première  paire  de  pattes  et  la 
deuxième  ;  plus  d'harmonie  dans  les  mouvements  ; 
impossibilité  d'une  progression  suivie,  malgré  la 
vive  agitation  de  tous  les  membres  à  la  fois.  Même 
opération  sur  une  grande  sauterelle ,  sur  Vacrydium 
îineola  par  exemple  ,  même  irrégularité  des  mouve- 
ments ;  prenez  l'insecte  par  la  tête ,  il  ne  saura  pas 
reculer  ;  il  ne  se  défendra  que  des  pattes  anté- 
rieures ,  tandis  que ,  à  l'état  d'intégrité ,  il  sait  fort 
bien  diriger  de  ce  coté  ses  pattes  postérieures  armées 
de  fortes  épines  :  mais  touchez  -  le  vers  l'anus ,  à 
l'instant  il  débandera  ses  deux  grandes  pattes ,  soit 
pour  frapper  vos  doigts ,  soit  pour  s'élancer  en 
avant  avec  la  même  vigueur  qu'avant  l'expérience. 
On  peut  varier  diversement  ces  essais,  enlever  une 
paire  de  ganglions  au  lieu  de  couper  simplement  les 
cordons  intermédiaires;  toujours  on  aura  des  résul- 
tats analogues.  D'autres  faits  viennent  prouver  que 
la  transmission  des  réactions  nerveuses  d'un  bout  de 
la  chaîne  à  l'autre ,  bien  que  pouvant  s'opérer  dans 
les  deux  sens,  est  néanmoins  un  peu  plus  facile 
d'avant  en  arrière  que  d'arrière  en  avant.  On  con- 
çoit qu'il  en  doit  être  ainsi  d'après  ce  qui  se  passe 
chez  les  vertébrés:  le  cerveau,  moins  prépondérant 
ici ,  n'en  est  pas  moins  le  centre  le  mieux  partagé , 
comme  nous  le  verrons  tout-à-l'heure,  et  certaine- 
ment il  est  plus  à  même  de  donner  aux  autres  gan- 
glions que  d'en  recevoir;  aussi,  même  chez  des 
animaux  dont  la  tête  n'est  que  rudimentaire  ,  les 
lombrics  terrestres  ,  voit-on ,  après  une  solution  de 
continuité  instantanée,  le  tronçon  postérieur  donner 
par  ses  contorsions  de  violents  signes  d'irritation, 


Ï>ANS   LES   DIVERS  CÉ^XTRÊS.  ooQ 

tandis  que  le  tronçon  antérieur  n'exécute  guère  que 
(les  mouvements  de  progression  ordinaire,  seulement 
plus  hâtifs. 

La  transmission  s'opère  aussi ,  d'un  côté  à  l'autre 
du  corps ,  à  travers  la  commissure  qui  réunit  les  deux 
ganglions  de  chaque  paire.  On  en  acquiert  la  preuve 
par  une  expérience  assez  délicate ,  et  qui  consiste  à 
ne  couper  qu'un  des  cordons  de  communication  entre 
la  première  paire  de  pattes  et  la  deuxième  ;  nous 
l'avons  fait  souvent  sur  ïacrydmm  Imeoïaj  après  avoir 
enlevé  préalahlement  une  petite  partie  du  plastron 
pour  mettre  ces  cordons  à  découvert.  On  ohserve 
alors  que  toute  relation  entre  la  tète  et  les  membres 
répondant  au  cordon  coupé,  n'est  pas  pour  cela 
détruite  comme  elle  le  serait ,  chez  un  vertébré , 
par  la  section  d'une  moitié  de  la  moelle  épinière  ; 
seulement  il  y  a  ralentissement  dans  les  communi- 
cations :  attaquez  la  tète  de  l'insecte ,  pincez  les 
antennes ,  il  se  défendra  d'abord  avec  la  grande  patte 
épineuse ,  c'est-à-dire  la  troisième  patte,  du  côté  sain  ; 
mais  bientôt  il  y  emploiera  aussi  celle  du  côté  blessé. 
Si  la  section  a  été  faite  entre  la  deuxième  et  la  troi- 
sième  patte ,  la  lenteur  sera  bien  plus  grande  encore, 
et  l'animal  ne  portera  même  que  rarement  vers  la 
tète  la  patte  du  côté  opéré ,  bien  qu'elle  jouisse  de 
toute  son  énergie,  de  toute  sa  promptitude  quand 
il  s'agit  de  défendre  les  ailes ,  l'abdomen ,  ou  de 
sauter  en  avant.  Dans  ces  mêmes  expériences,  on 
peut  aussi  remarquer  que ,  si  l'on  touche  légèrement 
l'anus  ou  les  ailes ,  les  pattes  antérieures  se  mettent 
en  mouvement  aussi  vite  que  les  autres  pour  faire 
avancer  l'insecte.    Il  y  a  donc   là  des  conditions 


B40  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

organiques  suffisantes  pour  expliquer  l'hariuome  et 
l'ensemble  des  actes  de  sensation  centrale  chez  les 
invertébrés;  mais  c'est  surtout  l'habitude  et  l'instinct 
héréditaire  qui  rendent  cette  harmonie ,  cette  indi- 
vidualité plus  complète  :  les  frères  siamois ,  réunis 
ventre  à  ventre ,  avaient  appris  spontanément  à  coor- 
donner tous  leurs  mouvements ,  comme  un  homme 
coordonne  ceux  du  coté  droit  et  du  côté  gauche  ;  il 
en  est  de  même  d'un  invertébré  composé  de  nom- 
breux serments. 

Terminons  cet  article  par  quelques  remarques 
sur  chaque  centre  ou  ganglion  considéré  en  parti- 
culier. J'ai  déjà  dit  que  le  volume  et  les  rapports 
constituaient  en  grande  partie  l'importance  et  la 
spécialité  de  chacun  de  ces  centres;  c'est  donc  un 
perfectionnement  réel  que  la  fusion  de  deux  masses 
ganglionnaires  ou  davantage  en  une  seule ,  et  c'est 
là  en  partie  ce  qui  constitue  la  supériorité  des  ver- 
tébrés sur  les  invertébrés  (i).  Chez  ceux-ci  nous 
voyons  déjà  les  plus  industrieux ,  les  araignées  par 
exemple ,  nous  offrir  une  coalescence  de  toutes  les 
masses  ganglionnaires  en  trois  masses  (2),  une  au- 

(1)  La  centralisalion  qui  en  résulte  offre  ,  en  effet  ,  cet  avantage  que  chaque 
partie  ,  au  lieu  d'être  oLlijîée  de  produire  toutes  les  fonctions  d'innervation  , 
peut  n'en  exéciiter  qu'une  seule  toute  spéciale  ,  et  par  conséquent  plus  parfaite- 
ment exercée.  De  l'ensemble  de  toutes  ces  actions  spéciales  résulte  nécessaire- 
ment un  tout  bien  plus  complexe  et  bien  plus  varié.  La  vie  commune  y  gagne 
donc  en  perfection,  en  vivacité.  Sous  ce  rapport ,  on  peut  comparer  chaque 
ganglion  de  la  chaîne  d'un  invertébré  à  un  homme  isolé  ,  obligé  dejjourvoir  par 
lui-même  à  tous  ses  besoins  ,  et  chaque  portion  des  centres  nerveux  d'un 
vertébré  ,  à  l'habitant  d'un  pays  policé  qui  livre  aux  autres  les  produits  de  son 
industrie  spéciale  ,  et  jouit  de  tous  ceux  que  lui  procurent  les  nombreuses 
professions  qu'exerce  chacun  de  ses  concitoyens.  C'est  une  application 
naturelle  du  principe  de  la  division  du  travail  si  souvent  rappelé  par  Milne 
Edwards. 

(2)  Les  mollusques  n'en  ont  pas  communément  davantage  ;  mais  ce  ne  sont 
pas  des  animaux  élémentairemenl   composés  de  nombreux  segments,   comme 


DANS  LKS  DIVERS  CEINTRES.  341 

dessus  de  l'œsophage  ,  une  autre  au  centre  de  Tori- 
gine  des  pattes  ,  la  troisième  à  l'entrée  de  ce  qu'on 
nomme  l'abdomen.  Chez  les  insectes ,  la  larve  con- 
tient, le  plus  souvent,  autant  de  renflements  gangli- 
formes  qu'il  y  a  de  segments  au  corps  (treize),  tandis 
que ,  dans  l'animal  parfait ,  plusieurs  coalescences 
se  sont  opérées. 

Nous  les  avons  constatées  dans  quatre  points ,  en 
suivant  les  métamorphoses  de  la  chenille  en  papillon. 
1°  La  masse  nerveuse  la  plus  postérieure  est,  chez 
l'insecte  parfait,  l'une  des  plus  volumineuses  ;  trois 
des  ganglions  de  la  chenille  y  sont  confondus;  mais, 
chez  elle ,  les  organes  génitaux  étaient  comme  nuls  ; 
ils  ont  acquis  ,  chez  l'adulte ,  un  énorme  déve- 
loppement et  une  activité ,  une  importance  telle  que 
la  vie  même  est  bientôt  totalement  sacrifiée  à  leur 
exercice.  2^ Dans  la  région  qui  porte  les  appendices 
locomoteurs ,  le  thorax ,  ou  mieux  le  dère ,  deux  et 
quelquefois  trois  ganglions  s'approchent,  se  soudent, 
se  renflent,  tandis  qu'un  des  suivants  s'atrophie 
presque  complètement  (^comparez  les  fig-^A  et  95^/ 
aussi,  chez  l'animal  parfait,  cette  région  acquiert- 
elle  une  tout  autre  importance  que  chez  la  larve; 
c'est  l'origine  des  ailes  qui  manquaient  absolument 
à  cette  dernière  ;  la  totalité  de  cette  région  a  acquis 
aussi  un  développement  général  ,  proportionné  à 
son  importance  nouvelle ,  au  nombre  et  à  la  gran- 
deur des  muscles  qu'elle  contient,  et  il  est  à  noter 
que  plus  le  papillon  a  les  ailes  développées  (diurnes, 


le  sont  évidemment  les  araijînées,  si  voisines  des  scorpions ,  etc.  Les  crabes, 
assez  peu  industrieux,  ont  aussi  une  coaleseence  assez  grande  des  ganglions 
antérieurs  ,  mais  ceux  de  Fabdomen  sont  loxijours  en  chapelet. 


3^2  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

paon  de  nuit),  plus  la  soudure  des  trois  ganglions 
est  coKiplète  ;  le  premier  des  trois  reste  fort  éloigné 
des  autres  dans  le  bombyx  écaille.  B®  Enfin ,  deux 
ganglions  encore  se  sont  soudés  pour  n'en  faire 
qu'un  seul ,  représentant  le  cervelet  et  la  moelle 
allongée  des  vertébrés  ,  situé  à  la  partie  inférieure 
et  postérieure  du  crâne ,  et  qui  s'est  d'ailleurs  rap- 
proché beaucoup  du  premier  renflement  de  tous, 
le  sus-œsophagien  ou  cerveau ,  par  le  raccourcisse- 
ment du  collier  œsophagien,  que  nous  comparons 
aux  pédoncules  cérébraux.  Ce  rapprochement  et 
une  notable  augmentation  de  volume  annoncent  des 
usages  plus  parfaits ,  des  fonctions  plus  importantes  : 
toutes  les  parties  de  la  bouche  ont  changé  de  la 
chenille  au  papillon ,  tant  dans  leur  forme  que  dans 
leurs  fonctions;  et  c'est  de  la  masse  inférieure  de 
cet  encéphale  imparfait  que  naissent  les  nerfs  qui  se 
rendent  à  ces  organes  gustatifs  et  masticateurs  (i). 
Mais,  par -dessus  tout,  les  yeux  et  les  antennes 
montrent  un  accroissement ,  un  perfectionnement 
merveilleux;  aussi  la  partie  sus-œsophagienne  des 
centres  céphaliques  a-t-elle  pris  une  ampleur  con- 
sidérable (^fig.  87,  88,  89y/  les  nerfs  antennaires 
ou  olfactifs  offrent  parfois,  à  leur  origine,  un  renfle- 
ment bulbeux  qui  peut  être  comparé  au  lobe  olfactif 
des  vertébrés ,  tandis  que  la  masse  principale  de  ce 
premier  ganglion  représente ,  à  la  fois,  l'hémisphère 
cérébral  et  le  lobe  optique ,  portant  d'ailleurs  quel- 
quefois (2)  des  lobules  accessoires  qu'on  pourrait 
assimiler  à  d'autres  tubercules  encéphaliques. 

(1)  Il  f»ul  3' joimlre  les  auditifs  cliez  les  cririirucs. 
{-)  D;iJi5  le  liaiiiicloM  ,  <r;<pr<';s  Slr;ni:jS. 


DANS  LES    DIVERS  CENTRES.  343 

Mais,  nous  Favons  déjà  fait  comprendre,  c^est 
surtout  en  raison  de  ses  relations  que  ce  premier 
centre  nerveux  des  invertébrés  a,  sur  les  autres,  une 
influence  prépondérante  ;  c'est  comme  présidant  à 
la  vision,  au  jeu  des  antennes,  comme  conduisant 
toute  cette  cohorte  aveugle  ,  qu'il  prend  une  plus 
haute  importance  ;  importance  bien  moindre  pourtant 
que  chez  les  vertébrés,  où  il  acquiert  de  nouvelles 
prérogatives  par  son  volume  et  la  complication  de  sa 
structure.  Lorsqu'il  n'existe  ni  yeux  ,  ni  antennes  , 
comme  dans  certaines  larves  et  dans  les  lombrics , 
le  cerveau  perd  beaucoup  de  sa  prépondérance  ; 
on  peut ,  chez  ces  derniers ,  l'enlever,  même  avec 
quelques-uns  des  renflements  qui  le  suivent ,  et  voir 
l'animal,  non -seulement  survivre  à  cette  mutila- 
tion ,  mais  encore  reproduire  et  les  centres  nerveux 
détruits,  et  les  segments  du  corps  enlevés  avec  eux. 
Il  n'en  est  pas  autrement  de  ceux  de  la  région 
postérieure ,  seulement  on  peut  impunément  sup- 
primer et  voir  renaître  un  bien  plus  grand  nombre 
des  derniers  que  des  premiers. 

ARTICEiË  lîl.  -  Vertébrés, 

§  \".    Prolégomènes. 

Bien  qu'il  ne  soit  pas  permis  de  méconnaître 
l'identité  des  centres  nerveux  chez  les  invertébrés 
et  chez  les  vertébrés  ,  nous  devons  convenir  que 
leur  segmentation  est  ici  masquée ,  d'un  côté ,  par 
leur  centralisation ,  leur  coalescence ,  et  de  l'autre  , 
par  les  grandes  différences  qui  s'observent,  sous 
le  rapport  de  la  forme  et  du  volume  ,  entre  ceux 
qui  appartiennent  à  des  régions  différentes  :    c'en 


3  14  DES  SEINSATIONS   CENTUALES 

est  assez  pour  expliquer  l'erreur  des  physiologistes 
qui  ont  cru  toute  comparaison  impossible  de  l'une 
à  l'autre  des  deux  grandes  divisions  du  règne 
animal.  Ce  défaut  de  segmentation  marquée ,  cette 
grande  prépondérance  des  centres  antérieurs  sur 
les  postérieurs  s'observent,  au  reste,  à  l'extérieur 
même  du  corps  des  vertébrés  aussi  bien  que  dans 
leurs  parties  nerveuses  ;  mais ,  de  même  que  des 
renflements  séparés  par  des  étranglements  plus  ou 
moins  profonds  rappellent ,  dans  celles-ci,  une  seg- 
mentation en  partie  effacée  ,  de  même  le  brisement 
de  la  colonne  vertébrale  par  des  articulations  en 
nombre  égal  à  celui  des  origines  nerveuses ,  ou  en 
d'autres  termes ,  la  séparation  de  l'étui  osseux  de  la 
moelle  épinière  en  vertèbres  distinctes ,  rappelle  la 
disposition  annelée  du  squelette  extérieur  des  inver- 
tébrés ,  et  il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  tète  même  où  l'on 
ne  puisse  retrouver  les  traces  de  cette  segmentation. 
Duméril  avait  comparé  la  tête  à  une  vertèbre 
hypertrophiée  ;  Oken  et  de  Blainville  en  ont  compté 
quatre ,  Spix  trois  seulement ,  Geoffroy-St-Hilaire 
sept.  S^ns  insister  longuement  sur  ces  détails ,  nous 
dirons  qu'il  nous  parait  rationnel  d'admettre  quatre 
vertèbres  céphaliques  (^fig.  96 Jj  auxquelles  corres- 
pondent plus  ou  moins  directement  les  renflements 
principaux  des  centres  nerveux  ,  les  sens  et  des 
appendices  mobiles.  La  première  ,  olfactive  ou 
ethmoïdale ,  comprend  le  front ,  le  nez  et  les  os 
incisifs  ,  qui  répondent  au  labre  des  animaux  arti- 
culés. La  deuxième ,  vertèbre  oculaire  ou  proto- 
sphénale ,  comprend  les  pariétaux ,  les  orbites ,  les 
yeux  et  les  os  maxillaires  supérieurs  qui  répondent 


DANS  LES  DIVERS  CEINTllES.  345 

aux  mandibules.  La  troisième ,  auditive  ou  deuto- 
sphénale ,  comprend  les  temporaux ,  les  oreilles ,  la 
mâchoire  inférieure  ,  représentée  ailleurs  par  les 
maxilles.  La  quatrième  enfin ,  gustative  ou  occipitale, 
a  pour  annexes  l'hyoïde  et  la  langue  ;  c'est  par  la 
lèvre  inférieure  qu'elle  est  figurée  chez  les  insectes, 
comme  on  peut  le  voir  dans  le  tableau  annexé  à  notre 
première  partie.  Quant  aux  renflements  encéphali- 
ques fondamentaux,  lobes  olfactifs,  lobes  optiques 
et  moelle  allongée  ,  ils  correspondent  plutôt  phy- 
siologiquement  qu  anatomiquement  à  cette  division 
du  squelette  et  des  appendices  ,  surtout  chez  les 
vertébrés  supérieurs  dont  le  cerveau  et  le  cervelet, 
qui  ne  répondent  précisément  à  aucune  de  nos  quatre 
vertèbres  ,  acquièrent  sur  le  reste  une  énorme  pré- 
dominance. 

La  moelle  épinière ,  la  moelle  allongée  ,  le  cerve- 
let, les  lobes  optiques,  les  hémisphères  du  cerveau 
et  les  lobes  olfactifs ,  telles  sont  les  masses  centrales 
dont  nous  aurons  successivement  à  nous  occuper 
quant  à  leurs  fonctions ,  en  y  joignant  ce  qui  concerne 
les  nerfs  qui  en  dépendent ,  mais  sans  tenir  compte 
davantage  de  leurs  moyens  de  protection  ;  qu'il  nous 
suffise  de  dire  que  la  première  est  seule  contenue 
dans  l'étui  à  articulations  mobiles,  nommé  rachis  ou 
colonne  vertébrale  ,  et  toutes  les  autres  dans  le  crâne. 

Partout ,  au  reste ,  nous  retrouverons  les  deux 
substances  déjà  mentionnées  pour  les  invertébrés. 
Nous  avons  vu  ,  chez  eux ,  la  substance  pulpeuse 
rassemblée  au  centre  des  ganglions ,  et  la  fibrillaire 
allongée  en  cordons  de  communication  ;  ici  nous  les 
trouverons  tantôt  mélangées  ,   tantôt  accolées.  La 


3i6  DES    SENSATIONS    CENTRALES 

première ,  dite  aussi  substance  grise  ou  corticale , 
est  extérieure  au  cerveau  et  au  cervelet,  intérieure 
dans  la  moelle  épinière  et  la  moelle  allongée  ;  tandis 
qu'au  contraire  la  substance  conductrice  ,  dite  aussi 
blanclie  ou  médullaire ,  occupe  le  centre  des  grands 
renflements  susdits  et  la  superficie  des  lobes  opti- 
ques ,  de  la  moelle  allongée  et  de  la  moelle  épinière. 
Ceci  suffirait  pour  indiquer,  dans  ces  deux  ordres 
d'organes ,  deux  genres  de  fonctions  tout  différents ,  et 
c'est  ce  que  prouveront  les  remarques  suivantes. 

§  II.   Moelle  épinière. 

C'est  la  portion  la  plus  longue  et  la  plus  étroite 
de  l'agrégat  qui  nous  occupe ,  mais  les  proportions 
sont  bien  loin  d'être  les  mêmes  entre  elle  et  les  ren- 
flements céplialiques  dans  les  diverses  classes  des 
vertébrés:  les  poissons  (^j^^.  ^Ijj,  les  reptiles  mêmes, 
et  surtout  les  batraciens,  les  ophidiens,  ont  l'encé- 
phale à  peine  une  fois  plus  large  que  le  bulbe  de  la 
moelle  épinière;  la  disproportion  est  un  peu  plus 
forte  chez  les  lézards  fp.g.  98^"^  les  tortues  et  les 
crocodiles;  bien  davantage  chez  les  oiseaux  ffig.  99^ 
et  les  mammifères  fp.g.  100^':,  surtout  les  singes; 
mais  nul  animal  n'offre  une  prépondérance  aussi 
grande  des  parties  céphaliques  sur  les  rachidiennes 
que  l'homme  ffig.  101^  (i).  De  là  on  a  conclu, 

(1)  Le  dauphin  ferait  exception  à  cette  règle  ,  à  De  considérer  que  la  largeur 
du  cerveau  ;  elle  est  effectivement  comnxe  13:1  conaparativement  à  celle  du 
hulbe  de  la  moelle  rachidienne  ,  tandis  que  Tliomme  n'offre  que  les  proportions 
de  1  :  7  (Cuvier)  ;  mais  ce  cerveau  si  large  est  aussi  fort  court  ;  son  diamètre 
antéro -postérieur  est  presque  moitié  moindre  que  le  transversal;  c'est  tout 
l'opposé  chez  l'homme.  Pour  le  macaque  ,  la  proportion  entre  la  largeur  du 
iulbe  rachidien  et  celle  du  cerveau  est::  1  :  5  ;  pour  le  chien  elle  varie  beau- 
coup ;  la  plus  forte  différence  est  de  1  :  2  ^y'^.  C'est  à  peu  près  la  même  chose 
pour  plusieurs  autres  mammifères  et  oiseaux,  le  dindon,  la  chouette,  le 
moineau  franc  (  Cu^ier  ), 


DANS  LES    DIVERS  CEISTP.ES.  347 

avec  quelque  raison  ,  que  plus  la  différence  est 
grande ,  plus  Tanimal  est  intelligent  ;  mais,  bien  que 
cette  opinion  ait  été  celle  d'hommes  très-recomman- 
dables,  Sœmmerring,  Ebel,  Cuvier,  elle  ne  doit 
être  admise  qu'avec  beaucoup  de  restrictions ,  puis- 
que les  proportions  qu'elle  semble  établir  mettraient 
au  même  niveau  le  chien,  le  lapin  et  les  oiseaux, 
et  placeraient  même  le  dindon  plus  avantageusement 
que  la  chouette  et  le  faucon  (i).  Il  faut  tenir  compte 
aussi  de  la  complication  des  formes ,  et  surtout  du 
nombre  et  de  la  profondeur  des  circonvolutions  qui 
sont  nulles  ou  presque  nulles  chez  les  rongeurs  et 
les  oiseaux. 

Au  reste ,  il  ne  résulte  pas  moins  de  ces  observa- 
tions ,  que  les  renllements  encéphaliques  sont  les 
principaux  centres  d'innervation ,  et  que  la  moelle 
épinière  est  plutôt  destinée  à  conduire  qu'à  élaborer 
les  impressions  ou  les  déterminations  mentales; 
toutefois ,  elle  n'est  pas  incapable  de  tout  acte  de 
centralité ,  s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi  (2)  ;  et 
ces  actes  seront  d'autant  plus  faciles,  plus  prononcés, 
que  la  prépondérance  de  l'encéphale  sera  moindre, 
que  la  moelle  offrira  plus  d'analogie  avec  le  chapelet 
des  invertébrés ,  et  surtout  avec  celui  des  lombrics 


(1)  De  même  on  a  voulu  expliquer  physiolo{jiquemenl  les  différences  de 
longueur  et  de  volume  de  la  moelle  épinière  sur  différents  animaux  ;  Desnioulins 
s'esl  livré  à  cet  égard  à  des  conjectures  bien  souvent  en  contradiction  l'une  avec 
l'autre  :  ce  qui  nous  a  semblé  de  plus  positif  à  cet  égard,  c'est  1°  que  ,  assez 
généralement  ,  la  moelle  est  d'autant  plus  longue  que  la  forme  de  l'animal  est 
plus  effilée  ;  2°  que  plus  elle  est  longue,  plus  elle  est  étroite  ;  ce  qui  lui  con- 
serve à  peu  lires  la  même  masse  relativement  à  la  masse  générale  du  corps. 
Comparez  ,  sous  ce  rapport ,  les  batraciens  anoures  aux  urodèles ,  les  raies  ,  la 
baudroie  aux  poissons  allongés,  etc. 

(2)  C'est  ce  que  Marsliall  llail  vient  de  dési^jncr  comme  une  force  spéciale  ^ 
qu'il  nomme  excilo  motrice. 


348  DES    SENSATIONS  CENTEALES 

et  des  néréides ,  dont  les  ganglions  sont  tout-à-fait 
contigus  (^fig.  1 02. J  Cette  analogie  se  montre  dans  les 
renflements  qu'elle  offre  yers  les  origines  des  nerfs 
dans  les  serpents,  les  lézards  f^fig.  iO^J  :  aussi 
voit-on  la  queue  de  ces  derniers,  séparée  du  eorps, 
s'agiter  vivement,  et  la  décapitation  d'une  tortue,  d'un 
lézard ,  d'un  serpent ,  d'une  grenouille ,  laisse-t-elle 
encore ,  dans  ce  corps  mutilé ,  une  vie  qui  peut  se 
prolonger  plusieurs  jours;  l'animal  s'agite ,  retire  ses 
pattes  si  on  le  pince ,  saute  ou  marche  si  on  l'excite 
fortement.  Legallois  ,  répétant  les  expériences  de 
Chirac,  a  remarqué  le  même  phénomène  chez  de 
jeunes  lapins  décapités  dont  il  entretenait  artificiel- 
lement la  respiration ,  après  avoir  lié  les  artères  caro- 
tides. Les  mêmes  mouvements  ont  été  ohservés  sur 
des  fœtus  anencéphales,  comme  l'a  plus  particulière- 
ment rapporté  et  expliqué  notre  collègue  Lallemand  ; 
et  l'on  a  dit  que  la  même  chose  avait  eu  lieu,  pendant 
hien  peu  de  temps  il  est  vrai,  dans  les  membres  d'in- 
dividus adultes  de  l'espèce  humaine  décapités  par  la 
main  du  bourreau.  Les  oiseaux,  d'après  ce  que  nous 
avons  pu  voir,  tiennent,  sous  ce  rapport,  le  milieu 
entre  les  mammifères  et  les  reptiles.  Parmi  ces 
derniers,  de  même  que  parmi  les  poissons,  les  plus 
allongés  peuvent  être  coupés  eu  plusieurs  tronçons 
vivants ,  qui  se  meuvent  avec  régularité  (couleuvre , 
anguille), et  qui  semblent  même  tenter  d'échapper 
à  la  main  qui  les  presse,  comme  l'avait  observé  un 
de  nos  collègues,  ravi  de  trop  bonne  heure  aux 
sciences  médicales,  le  professeur  F.  Bérard.  On  ne 
s'étonnera  pas,  d'après  cela,  de  voir  des  mouvements 
s'exercer  dans  la  queue  ou  les  membres  postérieurs 


DANS  LES  DIVERS  CENTRES.  349 

d'un  animal  dont  la  moelle  épinière  est  divisée  dans 
un  point  quelconque ,  comme  m'a  dit  l'avoir  expéri- 
menté un  autre  de  nos  collègues  (Rech).  On  expli- 
quera assez  bien  ,  de  la  même  manière ,   comment 
des  paralytiques  ont  pu  momentanément  se  soutenir 
et  même  marcher  ;    et  l'on  trouvera  dès-lors  aussi , 
peut-être,   assez  rationnelle  l'explication  que  nous 
avions  donnée ,  ily  a  long-temps  déjà ,  du  mécanisme 
de  certains  mouvements  automatiques j,  à  l'exécution 
desquels  la  conscience  semble  momentanément  étran- 
gère ,  comme  la  marche  et  autres  exercices  hahùuels. 
L'encéphale  nous  parait  n'y  être  pour  rien  une  fois 
que  le  mouvement  est   commencé,   et  n'intervenir 
que  pour  l'arrêter,  le  diriger.  Quant  à  la  mécanique 
du  mouvement  même  ,  c'est  la  moelle  épinière, 
peut-être  la  masse  globulaire  grise  de  son  centre 
qui  la  dirige ,  comme  le  ganglion  correspondant  à 
chaque  paire  de  pattes  en  dirige  le  mouvement  chez 
l'insecte.  C'est  aussi  une  action  toute  locale  qui  nous 
fait  retirer  instantanément  un  membre  qui  reçoit 
quelque  impression   douloureuse.   Cette   centralité 
rachidienne  semble  également  prouvée  par  ce  fait  que 
la  moelle  épinière  est  renflée  en  fuseau,  là  où  naissent 
des  nerfs  plus  volumineux ,  communiquant  avec  des 
parties  très-acîives  et  très-sensibles ,  comme  à  l'ori- 
gine des  nerfs  destinés  aux  membres  supérieurs  et 
aux  membres  inférieurs  :  chez  les  oiseaux  {^fig.  101  Jj 
le  renflement  lombaire   offre  même  un  ventricule 
pareil  à  celui  du  bulbe  rachidien;   c'est  ce  qu'on 
nomme  sinus  rhomboïdal.  Plus  parlante  encore  est 
la  disposition  présentée  par   les  trigles ,   poissons 
osseux  qui  ont,  à  la  moelle  épinière  ,  autant  de  ren- 


350  DES   SENSATIONS    CENTRALES 

flements  globuleux  et  grisâtres  que  de  doigts  libres 
au-devant  de  leur  nageoire  humérale. 

Si  Ton  s'en  rapportait  même  à  Legallois  ,  il  fau- 
drait admettre  dans  la  moelle  épinière  une  puissance 
Tiyifiante  et  une  influence  directe  sur  l'activité  du 
cœur  :  en  détruisant  la  portion  cervicale  et  dorsale 
de  l'une  ,  il  diminuait  et  anéantissait  enfin  les  mou- 
vements de  l'autre.  Mais  ces  expériences  n'ont  pas 
eu  toujours  les  mêmes  résultats  sur  des  animaux  à 
sang  chaud  (Wilson,  Mayer,  Flourens),  et  à  plus 
forte  raison  sur  des  animaux  à  sang  froid  (Haller, 
Spallanzani  } ,  surtout  quand  la  destruction  était 
graduelle  ;  de  plus ,  les  battements  du  cœur  ont  pu 
durer  un  certain  temps  chez  des  fœtus  anencéphales 
et  sans  cordon  rachidien,  séparés  totalement  de  la 
mère  (Lallemand  et  autres)  :  on  peut  donc  croire 
que  les  résultats  obtenus  par  Clift ,  Wilson  et 
Wedemeyer  (  cités  par  Burdach) ,  d'une  destruction 
subite ,  ne  prouvent  autre  chose  ,  aussi  bien  que 
les  expériences  de  Legallois ,  sinon  que  la  moelle 
épinière,  comme  masse  nerveuse  assez  considérable, 
aide  ,  par  son  influence ,  à  l'action  des  ganglions  du 
grand  sympathique ,  source  des  nerfs  cardiaques  et 
qui  reçoivent  des  filets  de  communication  de  toutes  les 
paires  cervicales  et  des  premières  dorsales,  La  moelle 
influe  SUT  ces  ganglions  auxiliairement _,  soit  par  sa 
propre  puissance  ,  soit  comme  leur  transmettant 
même  l'influence  des  autres  masses  encéphaliques, 
ainsi  que  cela  a  lieu  dans  les  passions  violentes. 

Elle  est ,  nous  l'avons  dit  tout-à-l'heure ,  eîFective- 
ment  douée,  surtout  chez  les  mammifères  et  l'homme, 
de  propriétés  éminemment  conductrices  ;  c'est  ce  que 


DANS   LES  DIVERS   CENTRES.  35 1 

prouvent  les  paralysies  produites  par  les  lésions  de  sa 
continuité ,  dans  toutes  les  parties  qui  reçoivent  leurs 
nerfs  du  tronçon  ainsi  séparé  de  l'encéphale.  Mais 
ceci  est  vrai  surtout  de  la  substance  fibreuse  qui 
en  fait  la  masse  principale ,  et  qui  se  trouve  placée 
à  l'extérieur  ;  on  peut  croire  que  la  substance  grise 
centrale  a  plus  de  rapport  avec  ses  fonctions  locales 
et  immédiates.  Cette  substance  grise  existe,  à  son 
centre,  chez  tous  les  vertébrés;  on  Fa  bien  connue 
chez  l'homme  (^^.  106)  et  les  mammifères;  mais 
on  l'a  déniée  à  tort  aux  reptiles  et  aux  poissons ,  en 
déclarant  que  leur  moelle  épinière  est  fistuleuse. 
Cette  substance  (^^.  104,  lOôy'y  est  si  molle,  qu'elle 
se  détruit  et  laisse  un  canal  à  sa  place  après  quelques 
malaxations;  mais  je  n'y  ai  vu  de  vrai  tube  fistuleux 
que  dans  une  courte  étendue  après  le  quatrième 
ventricule  et  avec  des  dimensions  très-étroites  ;  c'est 
du  moins  ce  que  m'ont  offert  évidemment  les  cou- 
leuvres, lézards  et  grenouilles  que  j'ai  disséqués. 
Occupons  -  nous  de  la  substance  blanche  ou  exté- 
rieure ,  eu  égard  aux  fonctions  différentes  qu'on  a 
cru  pouvoir  assigner  à  ses  différentes  portions. 

Selon  Chaussier  ,  Gall  et  Ch.  Bell  ,  chaque 
moitié  latérale  du  cordon  rachidien  serait  formée  de 
trois  faisceaux ,  un  antérieur,  un  postérieur,  un  la- 
téral ,  six  en  tout;  il  n'y  en  aurait  que  quatre  d'après 
Rolando,  Magendie  et  autres;  ce  total  serait  double  , 
c'est-à-dire  de  huit,  selon  Hygmore  et  Baillie.  En 
réalité ,  chez  l'homme  et  les  mammifères ,  on  trouve 
huit  faisceaux ,  quatre  de  chaque  côté ,  à  la  partie 
supérieure  seulement  de  la  moelle;  et  l'on  n'en 
distingue  plus  que  quatre ,  deux  de  chaque  côté  ,  à 


352  DES    SENSATIOINS  CENTRALES 

quelque  distance  de  son  union  avec  le  cervelet;  les 
pyramides  postérieures  s'étant  confondues  avec  les 
corps  restiformes  pour  constituer  les  faisceaux  pos- 
térieurs (supérieurs  chez  les  quadrupèdes ,  ou  autre- 
ment sur-spinaux),  et  les  faisceaux  des  éminences 
olivaires  étant  également  réunis  avec  ceux  des  pyra- 
mides antérieures  pour  former  les  faisceaux  anté- 
rieurs communs  (inférieurs  ou  sous-spinaux).  Chez 
les  couleuvres  et  les  lézards,  nous  en  avons  décou- 
vert deux  de  plus  :  ce  sont  deux  rubans  latéraux , 
fibreux ,  interrompus  par  une  suture  transversale  à 
chaque  origine  de  nerf  (^fig.  103  et  104 ,  Ny"/  ils  se 
terminent  en  constituant  le  nerf  spinal,  portion  de 
la  huitième  paire  (ancienne  nomenclature);  durant 
leur  trajet ,  ils  sont  comme  incrustés  dans  l'épaisseur 
des  faisceaux  sous-spinaux  ou  inférieurs.  Cette  struc- 
ture particulière  de  la  moelle  épinière  des  reptiles 
allongés  semblerait  autoriser  l'opinion  de  Ch.  Bell , 
savoir  qu'il  y  a  des  faisceaux  latéraux  respiratoires  ; 
opinion  que  nous  réfuterons  dans  le  paragraphe 
qui  va  suivre.  Il  va  être  question  ici  seulement  des 
faisceaux  sur  et  sous-spinaux,  et  des  racines  de  nerfs 
qui  s'y  implantent. 

Bellingeri  croit  que  les  faisceaux  sous-spinaux  pré- 
sident aux  mouvements  de  flexion,  les  sur-spinaux 
à  ceux  d'extension  ;  opinion  que  rien  ne  prouve. 
Ch.  Bell,  réveillant  l'ancienne  distinction  des  nerfs 
du  sentiment  et  de  ceux  du  mouvement  (  i  ) ,  a  trouvé , 
dans  des  expériences  bientôt  confirmées  par  celles  de 


(1)  Galien  pensait  que  les  nerfs  sensilifs  naissaient  de  l'encéphale  et  les  loco- 
moteurs de  ses  membranes.  Cette  dernière  erreur,  due  sans  doute  à  des  tiraille- 
ments inconsidérés,  a  été  en  partie  renouvelée  par  Desmoulins. 


DANS  LES  DIVERS  CENTRES.  353 

Magendie ,  puis  mieux  encore  par  celles  de  J.  Mûller, 
que  les  faisceaux  postérieurs  ou  supérieurs  jouissent 
d'une  vive  sensibilité  ,  que  les  racines  des  nerfs  qui 
en  émanent  ne  peuvent  être  tiraillées  sans  causer 
de  vives  douleurs  ;  tandis  que  les  faisceaux  antérieurs 
ou  inférieurs ,  et  les  racines  nerveuses  qui  en  sortent , 
provoquent,  quand  on  les  irrite,  de  vives  contrac- 
tions. Le  dernier  de  ces  physiologistes  a  mis  surtout 
hors  de  doute  cette  propriété  sensitive  des  faisceaux 
et  des  racines  sur-spinales j,  et  locomotive  des  fais- 
ceaux et  des  racines  sous-spinales  (i).  On  sait  que 
ces  racines  ne  tardent  pas  à  se  réunir  et  à  se  mêler  en 
fascicules ,  nommés  nerfs,  qui  vont  se  distribuer  aux 
membres,  aux  parois  du  ventre  et  de  la  poitrine, 
au  diaphragme  ,  etc  ;  mais  on  sait  aussi  que  les 
sur -spinales  seules  forment,  avant  de  s'unir  aux 
sous  -  spinales ,  un  ganglion  piriforme  (^fig.  106^', 
qui  sans  doute  n'est  pas  sans  influence  sur  l'exercice 
de  leur  propriété  sensitive  ,  bien  qu'il  ne  soit  pas 
facile  de  dire  en  quoi  consiste  celte  influence. 

§  III.  De  la  moelle  oîîongée ,  du  ceiveîet  et  de  leurs  nerfs» 

/  Le  bulbe  rachidien  est  si  intimement  lié  au  cer- 
velet par  les  pyramides  postérieures  et  les  corps 
restiformes ,  le  cervelet  est  si  naturellement  attaché 
à  ses  pédoncules  et  à  la  protubérance  annulaire  qui 
lui  servent  de  commissure ,  et  font  la  partie  princi- 
pale de  cet  assemblage  nommé  moelle  allongée  ou 

(1)  Cette  division  en  deux  ordres  de  racines  existe  chez  tous  les  vertébrés; 
Desmoulins  l'a  ,  Lien  à  tort,  déniée  aux  serpents  ;  elle  n'existe  pas  visiblement 
chez  les  invertébrés  ,  dont  les  filaments  nerveux  sont  m^élangés  dès  leur  départ 
même  de  la  masse  centrale.  La  division  des  ganglions  en  deux  couches  super- 
posées (Newporl)  nous  paraît  être  plutôt  une  hypothèse  qu'un  fait  d'observation. 

23 


354  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

mésocéphale  (Chaussier),  qu'il  serait  déraisonnable 
de  les  séparer  dans  une  étude  physiologique. 

Nous  avons  dit  précédemment  que  le  premier 
ganglion  sous-œsophagien  des  astacaires  ou  arti- 
culés, souvent  composé  évidemment  de  deux  ren- 
flements séparés  dans  la  larve ,  réunis  dans  l'adulte , 
représentait  la  moelle  allongée  et  le  cervelet  des 
vertébrés,  fournissant  les  mêmes  nerfs  à  peu  de 
chose  près.  On  peut  remarquer  que ,  de  ces  animaux 
invertébrés  jiisqu'à  l'homme  ,  la  progression  est 
assez  ménagée  pour  prouver  encore  cette  analogie  : 
un  simple  renflement  de  la  moelle  épinière  repré- 
sente ce  ganglion  chez  les  batraciens,  dont  le  cervelet 
est  réduit  à  une  petite  bandelette  transversale  ;  il  y 
a  un  bulbe  ,  et  de  plus  un  lobe  cérébelleux  impair 
chez  les  poissons,  les  autres  reptiles,  les  oiseaux 
(^fig.  97,  98,  99y'/  seulement  le  cervelet  montre  des 
plis  et  des  rides  profondes  chez  les  poissons  cartilagi- 
neux et  les  oiseaux;  mais  ce  n'est  qu'en  passant  aux 
mammifères  qu'on  lui  voit ,  outre  son  lobule  central 
(^vermisjj  deux  hémisphères  latéraux  (^fig.  100^/ 
et  alors  seulement  apparaît  la  protubérance  annu- 
laire ,  et  se  montrent  les  éminences  olivaires ,  dont 
la  présence  indique  aussi  une  complication  de  plus 
dans  la  structure  du  bulbe  rachidien. 

C'est  surtout  d'après  ces  considérations  analogi- 
ques, d'après  la  marche  des  faisceaux  constituants, 
et  d'après  l'origine  des  nerfs  à  fonctions  bien  connues 
qu^on  peut  déterminer  celles  des  portions  diverses, 
comprises  sous  le  titre  de  ce  paragraphe.  Que  nous 
ont  appris ,  en  effet ,  les  expérimentateurs  ?  Pour 
Rolando ,  le  cervelet  est  un  électro-moteur  entière- 


DANS    LES  DIVERS  CENTRES.  B55 

ment  destiné  à  l'action  musculaire  ;  ce  n'en  est  que 
le  régulateur  selon  Flourens  :  le  premier  a  cru  yoir 
l'activité  des  muscles  anéantie  par  l'ablation  de  cet 
organe  ;  le  deuxième  ne  l'a  trouvée  qu'affaiblie  et 
désordonnée  :  Magendie  a  vu  qu'en  pareil  cas  l'ani- 
mal reculait  opiniâtrement,  comme  si  le  cervelet 
était  essentiellement  destiné  à  la  production  d'un 
ordre  particulier  de  mouvements,  ceux  de  progression 
en  avant.  Le  même  savant  a  vu  la  lésion  des  pédon- 
cules du  cervelet  et  du  pont  de  Varole  déterminer 
une  volutation  du  corps  sur  son  axe  ,  effet  que  nous 
avons  reproduit  aussi  sur  des  lapins  mis  en  expé- 
rience :  il  a  observé  qu'en  lésant  les  corps  olivaires , 
on  faisait  exécuter  à  l'animal  un  mouvement  de 
gyration  ou  de  manège.  S'ensuit-il  que  ces  parties  ne 
sont  destinées  qu'à  entretenir  des  courants  antéro- 
postérieurs  et  supéro-inférieurs ,  dont  on  détruirait 
ainsi  l'équipollence  ,  et  qui  n'auraient  d'autre  objet 
que  de  diriger  la  locomotion  ?  Ce  serait  assuré- 
ment trop  restreindre  le  rôle  auquel  sont  appelés 
ces  organes  dans  diverses  circonstances.  Voyons  si 
l'on  ne  peut  pas  arriver,  par  une  autre  voie  ,  à  des 
conséquences  plus  satisfaisantes. 

A,  Poumons  ,  considérant  que  le  cervelet  reçoit, 
dans  ses  hémisphères ,  les  faisceaux  sur-spinaux  de 
la  moelle  réunis  aux  pyramides  sur-spinales ,  nous 
le  regardons ,  avec  Foville  et  Pinel-Grandchamp , 
comme  éminemment  préposé  à  la  sensibilité.  Nous 
croyons  aussi  qu'il  préside  à  la  gustation  et  à  Vau- 
ditiouj  1°  par  ses  rapports  avec  le  nerf  glosso-pha- 
ryngien  qui  s'insère  au  bulbe  rachidien  tout  près  du 
cervelet,  et  avec  le  nerf  trijumeau  ou  trifacial  qui 


356  DES   SENSATIONS    CENTIULKS 

traverse  le  pont  de  Varole  ou  protubérance  annu- 
laire ,  commissure  des  hémisphères  cérébelleux ,  et 
se  plonge  dans  les  faisceaux  postérieurs  de  la  moelle, 
non  loin  du  quatrième  ventricule  ;  2°  par  ses  relations 
encore  plus  évidentes  avec  le  nerf  auditif  qui  naît  du 
plancher  même  de  ce  ventricule  commun  au  cervelet 
et  au  bulbe  rachidien ,  entre  lesquels  la  continuité 
s'établit  là  sans  équivoque. 

D'un  autre  côté  ,  considérant  que  le  nerf  pneumo- 
gastrique s'enfonce  dans  le  bulbe  rachidien,  bien 
près  du  cervelet ,  nous  attribuons  à  cet  organe  aussi 
quelque  influence  sur  la  respiration  pulmonaire  et 
la  digestion  gastrique,  auxquelles  ce  nerf  donne 
l'activité;  mais  nous  ne  le  croyons  ici  qu'adjuvant, 
renforçant  les  effets  par  l'influence  de  la  masse  et  du 
voisinage  ;  car  les  expériences  de  Legallois  et  de 
Magendie  prouvent  que  le  centre,  le  point  radical 
du  nerf  pneumo  -  gastrique ,  est  un  peu  plus  bas 
que  le  quatrième  ventricule  ,  là  même  où  ce  nerf 
s'insère  visiblement  à  la  moelle  ,  et  où  l'on  trouve 
dans  plusieurs  poissons  (carpe,  congre)  des  lobes 
accessoires. 

En  conséquence ,  le  cervelet ,  ainsi  lié  aux  phé- 
nomènes de  la  respiration ,  de  la  digestion ,  de  la 
gustation ,  du  toucher  facial  et  de  l'audition ,  pourra 
et  devra  intervenir  dans  les  phénomènes  instinctifs 
complexes  j  dans  les  actes  industriels  relatifs  à  V en- 
tretien de  la  vie  j  à  la  nutrition  ^  aux  appétits ,  au 
besoin  de  respirer. 

Quant  à  la  génération ,  le  cervelet ,  quoi  qu'en 
aient  dit  Gall  et  ses  partisans ,  n'a  sur  elle  qu'une 
influence  très -indirecte  par  l'intermédiaire  de  la 


DANS  LES  DIVEllS  CENTRES.  357 

moelle ,  et  quelques  observations  à  nous  connues  de 
coïncidence  réelle  entre  des  symptômes  d'irritation 
ou  de  sub-inflammation  cérébelleuse  et  des  érections 
du  pénis ,  des  propensions  libidineuses  ,  de  même 
que  les  remarques  de  Serres  sur  la  coexistence  d'apo- 
plexies cérébelleuses  avec  une  sorte  de  priapisme , 
n'infirment  nullement  l'assertion  qui  précède. 

Avant  d'abandonner  cet  organe  important,  voyons 
encore  à  quelles  déterminations ,  partielles  ou  com- 
munes, peuvent  conduire  d'autres  études  d'anatomie 
comparée  et  pathologique.  Tréviranus  observe  que 
la  réduction  de  l'organe  de  l'ouïe  ,  et  surtout  du 
limaçon ,  marche  de  front  avec  celle  des  lobes  laté- 
raux du  cervelet  :  remarquons ,  en  effet  ,  que  ces 
lobes  ne  sont  que  rudimentaires  chez  les  oiseaux , 
et  enfoncés  dans  une  cavité  du  rocher  où  ils  sont 
restés  long- temps  inaperçus  des  anatomistes  ;  que 
non  -  seulement  on  n'en  trouve  plus ,  mais  que  le 
lobe  médian  est  rudimentaire  chez  les  serpents,  dont 
l'oreille  est  cachée  dans  les  chairs  ,  et  les  batraciens 
dont  plusieurs  sont  dans  le  même  cas  ;  les  uns  et 
les  autres  étant  privés  de  fenêtre  ronde  ou  tympan 
secondaire.  Nous  avons  bien  constaté  qu'un  bruit 
léger  n'effraie  pas  les  grenouilles  ,  les  rainettes , 
la  couleuvre ,  et  que  la  vue  seule  les  avertit  de  la 
présence  d'un  ennemi.  Les  poissons,  privés  aussi 
d'oreille  externe  ,  ont  un  cervelet  plus  grand  mais 
sans  lobes  latéraux ,  et  leur  oreille  interne  est 
d'ailleurs  énormément  développée.  Les  volumineux 
hémisphères  cérébelleux  du  dauphin  coexistent  avec 
un  nerf  auditif  très-considérable ,  et  Ton  peut  en 
dire  autant  de  la  taupe  et  même  de  l'homme.  On 


358  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

peut  donc  croire ,  avec  Tréviranus ,  que  les  lobes 
latéraux  appartiennent  plus  particulièrement  à  l'éla- 
boration des  sensations  auditives. 

Le  vermis  ou  lobe  moyen  sert  sans  doute  plutôt 
aux  fonctions  de  la  cinquième  paire  ;  il  se  montre 
assez  généralement  en  rapport  de  volume  avec  le 
nerf  trijumeau ,  et  c'est  à  cette  portion  médiane  qu'il 
faudrait  rattacher  surtout  les  industries  instinctwes  ^ 
les  hémisphères  présidant  plutôt  aux  élaborations 
inteïlectueUes.  Nous  voyons,- en  effet,  la  première 
acquérir  une  grande  prépondérance  chez  les  castors 
et  les  autres  rongeurs  dont  on  connaît  les  habitudes 
si  remarquables,  mais  si  uniformes  (construction 
de  cabanes,  de  bauges,  de  terriers,  provisions  de 
bouche),  et  qui  ont  des  circonvolutions  au  cervelet 
et  point  au  cerveau.  Il  en  est  de  même  des  oiseaux 
passereaux,  constructeurs  par  excellence ,  imitateurs 
du  chant  et  de  la  voix  selon  des  modes  invariables. 
Les  mammifères  carnassiers  ont ,  au  contraire , 
les  hémisphères  cérébelleux  très  -  prépondérants 
(Tréviranus);  aussi  donnent-ils  plus  à  l'intelligence 
et  moins  à  l'instinct  (renard,  chien). 

Que  les  hémisphères  du  cervelet  soient  en  même 
temps  plus  appropriés  à  l'audition  et  à  l'intelligence 
à  la  fois  ,  c'est  une  coïncidence  très -rationnelle, 
surtout  en  ce  qui  concerne  notre  espèce  ;  mais  il  faut 
ajouter,  et  nos  premières  assertions  l'indiquaient 
déjà ,  que  leur  travail  intellectuel  est  fort  restreint , 
qu'il  a  besoin  d'être  perfectionné  dans  le  cerveau, 
comme  nous  le  dirons  plus  loin.  D'après  cela ,  on  doit 
peu  s'étonner  de  voir  le  cervelet ,  considéré  en  masse 
et  comparé  au  cerveau,  se  montrer  d'autant  plus  in- 


Dans  les  divers  ceintres.  359 

férieur,  que ,  chez  l'animal ,  rintelligence  l'emporte 
davantage  sur  l'instinct,  et  vice  versa.  Chez  l'homme , 
le  cervelet  est  au  cerveau  comme  1  est  à  9  ;  comme 
1  :  7  chez  le  magot  ;  comme  1  :  3  chez  le  castor 
(Cuvier).  Il  y  a  du  vrai,  mais  il  y  a  du  faux  aussi 
dans  cette  assertion  de  Reil ,  que  plus  les  circonvo- 
lutions du  cervelet  sont  nombreuses  et  plus  l'animal 
est  intelligent  ;  les  ruminants  ont  ces  circonvolutions 
aussi  nombreuses  que  le  chien.  Le  développement 
pour  les  circonvolutions  du  cervelet  est  plus  précoce 
que  pour  celles  du  cerveau  (Tiedemannj;  c'est  une 
raison  pour  le  regarder  encore  comme  plus  propre 
aux  actes  d'instinct  que  d'intelligence  ;  et  de  même  , 
quoi  qu'en  ait  dit  Malacarne ,  le  cervelet  des  idiots 
a  fréquemment  beaucoup  d'ampleur ,  tandis  que 
leur  cerveau  est  fort  réduit  :  c'est  à  la  prépondé- 
rance du  premier  que  Gall  attribue  le  penchant  des 
crétins  à  l'onanisme.  Nous  trouvons  également  ici 
la  confirmation  d'une  de  nos  assertions  précédentes 
dans  le  grand  goût  et  même  l'aptitude  qu'ont  mon- 
trée beaucoup  d'idiots  pour  la  musique,  circonstance 
qui  a  bien  souvent  excité  Tétonnement  des  curieux 
et  même  des  physiologistes.  Enfin,  nous  rattacherons 
encore,  comme  preuve  de  plus  à  ce  que  nous  venons 
d'avancer,  cette  remarque  de  notre  collègue  Dubrueil, 
que ,  dans  les  races  humaines ,  plus  l'intelligence  est 
développée  et  plus  le  trou  auditif  est  voisin  de  l'occi- 
put, indice  certain  d'une  réduction  proportionnelle 
du  cervelet,  eu  égard  au  reste  de  l'encéphale. 

B.  Les  pyramides  postérieures ,  les  corps  resti- 
formes ,  continuation  des  cordons  sur-spinaux  de  la 
moelle,  la  protubérance  annulaire,  se  rattachaient 


3 GO         DES  SENSATIONS  CENTRALES 

immédiatement  à  l'étude  du  cervelet  ;  il  n'en  est  pas 
aussi  directement  de  même  des  pyramides  anté- 
rieures et  des  émineuces  olivaires  f^fig.  108. y"  Les 
premières,  continuation  des  faisceaux  sous-spinaux, 
motrices  comme  ceux-ci ,  traversent,  chez  les  mam- 
mifères, la  protubérance  annulaire,  et  constituent  les 
pédoncules  cérébraux.  Dans  ce  trajet ,  elles  donnent 
naissance  à  des  nerfs  de  mouvement,  qui  sont  l'hypo- 
glosse ,  l'oculo  -  moteur  externe,  l'oculo- moteur 
commun ,  et  probablement  la  portion  musculaire  et 
non  ganglionnée  du  trijumeau. 

Les  olives  offrent  un  degré  d'intérêt  de  plus  , 
comme  centre  nerveux  particulier  ;  le  singulier 
kyste  formé  de  substance  ferme  et  grisâtre  qui  leur 
sert  de  noyau  (  corps  rhomboïde  ) ,  tout  semblable 
à  celui  qu'on  trouve  au  milieu  de  chaque  hémisphère 
du  cervelet ,  semble  indiquer  des  fonctions  spéciales. 
Nousnous  sommes  figuré  que  son  aptitude  particulière 
pourrait  bien  se  rapporter  à  l'exercice  de  la  voix , 
comme  moyen  d'expression  des  idées  et  surtout  de 
celles  que  l'ouïe  aurait  formulées  dans  les  centres 
cérébelleux  ;  la  ressemblance  des  uns  et  des  autres, 
chez  l'homme  en  particulier,  est  entrée  pour  quelque 
chose  dans  cette  conjecture  ;  elle  nous  a  paru  expli- 
quer la  répétition  facile  des  sons  entendus,  de  quelque 
manière  (soit  directement ,  soit  à  travers  l'encéphale) 
que  la  transmission  ait  lieu  de  l'un  à  l'autre  de  ces 
corps  festonnés.  Il  est  bon  de  noter,  à  ce  sujet,  que 
les  olives  sont  plus  volumineuses  chez  l'homme  que 
chez  tout  autre  animal,  que  les  nerfs  du  larynx, 
de  la  langue  et  du  pharynx  naissent  des  faisceaux 
olivaires ,  que  le  facial  en  sort  également. 


DANS  LES  DIVERS   CENTRES.  361 

Une  de  ces  origines,  celle  du pneumo- gastrique  , 
a  fait  dire  à  Charles  Bell ,  que  les  faisceaux  oiivaires 
étaient  destinés  à  la  respiration  ;  opinion  insoutenable 
pour  quiconque  veut  un  instant  y  réfléchir.  Ne 
voyons-nous  pas  en  effet  les  nerfs  intercostaux  ,  le 
diaphragmatique ,  sortir  des  mêmes  points  que  les 
nerfs  des  membres,  des  muscles,  de  la  peau?  Le 
trijumeau  n'est- il  pas  en  partie  respiratoire  chez 
les  poissons  ?  Est-il  bien  certain  même  que  l'olive 
serve  ,  en  entier  du  moins  ,  à  l'origine  du  pneumo- 
gastrique? C'est  dans  le  sillon  qui  la  sépare  du  corps 
restiforme  que  ce  nerf  prend  naissance.  Pour  nous , 
le  faisceau  latéral  ou  olivaire  est  un  démembrement 
du  sous-spinal;  il  est  également  moteur;  il  entre 
également  dans  la  composition  du  pédoncule  céré- 
bral ,  et  remontant  en  dessus  chez  les  mammifères , 
il  va  se  porter  jusqu'aux  turbercules  quadrijumeaux 
(  Tiedemann ,  Serres  ). 

On  s'explique  ainsi  comment  le  nerf  oculo-moteur 
interne  jouit  de  la  propriété  locomotive  ,  quoique 
naissant  entre  les  tubercules  quadrijumeaux  et  le 
cervelet.  Chez  les  oiseaux ,  nous  voyons  ces  tuber- 
cules s'écarter,  se  rapprocher  de  la  base  du  cerveau; 
chez  les  poissons  les  postérieurs  sont  tout-à-fait  en 
dessous,  et  l'origine  des  nerfs  en  question  a  subi 
le  même  déplacement;  elle  est  devenue  inférieure 
comme  l'a  reconnu  Desmoulins ,  et  s'est  mise  ainsi  en 
rapport  évident  avec  les  faisceaux  sous-spinaux;  mais 
ce  qu'il  n'avait  pas  soupçonné ,  c'est  la  nature  des 
éminences  dont  ils  sont  restés  les  compagnons  fidèles, 
et  que  leur  déplacement  a  fait  méconnaître  par  tous 
les  anatomistes  :  pour  les  uns,  ce  sont  des  éminences 


362  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

lîiamill aires  ;  pour  d'autres  ,  des  démembrements 
du  corps  pituitaire;  pour  d'autres  encore,  et  en 
particulier  pour  l'illustre  Cuvier,  ce  5ont  des  couches 
optiques. 

C.  Par  forme  de  résumé  ,  nous  reviendrons  un 
moment  sur  chacun  des  nerfs  mentionnés  dans  'ce 
paragraphe  ,afin  de  récapituler  ce  qui  concerne  leur 
origine  et  leurs  usages,  aussi  hicn  que  ceux  de  leur 
point  de   départ.    1»  L'hypoglosse  ,   moteur  de  la 
langue,  vient  des  faisceaux  sous-spinaux  et  peut-être 
des  olives  qui  agiraient ,  par  leur  intermédiaire  ,  sur 
la  langue  comme  organe  de  prononciation  :  c'est  la 
neuvième  paire  des  anciens  anatomistes,  la  douzième 
des  modernes.  2"  Le  spinal,  le  pneumo- gastrique 
et  le  glosso-pharyngien  ,    qui  constituent  ensemble 
la  huitième  paire  des  anciens,  la  onzième,  la  dixième 
et  la  neuvième  des  modernes ,  laissent  des  doutes 
sur  leurs  origines ,  qui  seraient  particulières  et  laté- 
rales selon  Ch.  Bell,  comme  leur  usage  serait  tout 
respiratoire.  Il  est  probable  qu'une  partie  de  leurs 
filets  vient  des  faisceaux  sous-spinaux  et  surtout  des 
olives ,  une  autre  des  sur-spinaux  :  de  là  leurs  fonc- 
tions à  la  fois  motrices,  sensitives  et  chimico -vitales, 
leurs  usages  dans  la  déglutition  et  l'élocution(  spinal 
et  glosso-pharyngien),  dans  la  vocification,  la  respi- 
ration et  la  digestion  (pneumo-gastrique  ),  comme 
nous  le  verrons  plus  amplement  ailleurs  ;  de  là  encore 
cette  remarque  deMagendie,  que  tantôt  le  nerf  vague 
ou  pneumo-gastrique  se  montre  très-sensible,  et  tantôt 
insensible  aux  stimulants.  3^  Le  nerf  auditif  consti- 
tuant ,  avec  le  facial ,  la  septième  paire  des  anciens 
anatomistes ,  est  encore  la  septième  des  modernes  ; 


DANS  LES  DIVERS  CENTRES.  363 

il  vient  de  la  superficie  du  quatrième  ventricule  , 
adhère  aux  faisceaux  et  aux  pyramides  sur-spinales 
pour  se  plonger  avec  elles  dans  le  cervelet ,  et  peut- 
être  aller  aux  corps  rhomboïdaux  :  on  se  rappelle 
qu'il  est  exclusivement  destiné  au  labyrinthe.  4"  Le 
facial,  ou  sixième  paire  des  modernes,  serait  dans  le 
même  cas  ;  son  origine  est  évidemment  au  faisceau 
venu  de  l'olive  et  remontant  vers  la  protubérance 
annulaire;  il  est  respiratoire  selon  Bell,  et  Bourjot- 
S*-Hilaire  a  appuyé  cette  opinion  de  quelques  nou- 
veaux faits  d'après  sa  distribution  aux  évents  chez  les 
cétacés;  mais  il  est  aussi  nerf  d'expression  selon  Bell, 
opinion  que  nous  adoptons  exclusivement  comme 
il  a  été  dit  ci-dessus.   5°  Le  nerf  oculo-moteur  ex- 
terne (sixième paire)  sort  évidemment  des  faisceaux 
sous-spinaux  avant  ou  pendant  leur  passage  sous  la 
protubérance  annulaire,  comme  le  moteur  commun 
(troisième  paire)  en  sort  aussi,  mais  après  ce  passage. 
Quant  au  moteur  interne  (quatrième  paire) ,  il  a  sa 
source  dans  la  portion  olivaire  des  mêmes  faisceaux, 
qui  remonte   vers  les  tubercules  quadrijumeaux  ; 
il  ne  fait  donc  pas  exception  à  la  règle  qui  sépare , 
d'après  leur  origine  ,  les  nerfs  en  locomoteurs  et  en 
sensoriaux.   6°  Enfin ,  le  trijumeau  ,  ou  nerf  de  la 
cinquième  paire ,  nait  en  partie  du  pont  de  Varole 
(protub.  annul.  )  ou  plutôt  des  faisceaux  sous-spinaux 
qui  le  traversent  ;  et  en  majeure  partie  ,  par  de  pro- 
fondes racines ,  il  s'implante  dans  le  corps  restiforme 
(  Niemeyer  ,  Rolando  ).    La  première  portion*  est 
motrice  ;   elle  va  aux  muscles  temporal ,  buccina- 
teur ,  etc.  ,  et  ne  se  confond  point  avec  la  seconde 
qui  forme  seule  un  ganglion ,  dit  de  Gîaser ,  pareil 


364  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

à  celui  des  nerfs  vertébraux.  Cette  dernière  portion 
est  sensitive,  et  donne  aux  yeux,  aux  narines,  à  la 
peau  de  la  face  la  sensibilité  tactile  ,  et  à  la  langue, 
en  grande  partie  du  moins ,  son  aptitude  à  la  gus- 
tation; sensation  dont  le  siège  central  est  sans  doute 
dans  quelque  partie  du  cervelet ,  peut-être  dans 
quelque  lobule  de  la  périphérie. 

§  IV.    Des  tubercules  quaârijumeaux  ou  lobes  optiques. 

Ces  tubercules ,  proportionnellement  si  petits 
chez  l'homme  et  la  plupart  des  mammifères  ,  sont 
au  contraire  fort  volumineux  chez  les  oiseaux ,  les 
reptiles,  et  plus  encore  chez  les  poissons  ;  là,  en  effet, 
on  leur  trouve  un  volume  au  moins  égal  à  celui  des 
hémisphères  cérébraux ,  et  de  plus  une  grande  com- 
plication de  structure ,  un  ventricule  particulier 
contenant  des  rendements  secondaires.  On  a  dit ,  il 
est  vrai ,  que  les  lobes  optiques  n'étaient  plus  alors 
qu'au  nombre  de  deux  seulement,  tandis  qu'il  y  en 
a  quatre  dans  les  vertébrés  supérieurs  ;  mais  nous 
venons  de  voir  que  cette  diminution  de  nombre  n'est 
qu'apparente  et  qu'il  y  a  seulement  changement  de 
situation  dans  les  deux  plus  postérieurs.  Chez  les 
reptiles,  la  réduction  considérable  du  volume  de  ces 
derniers  a  pu  en  faire  aussi  méconnaître  l'existence. 
Dans  les  oiseaux,  il  est  quelquefois  possible  de  recon- 
naître ,  à  chacun  de  ces  lobes ,  deux  lobules  inégaux 
qui ,  plus  souvent ,  se  confondent  en  un  seul. 

Û  a  été  dit  ailleurs  comment  les  différentes  por- 
tions du  nerf  optique  pouvaient  être  fournies  par 
différents  points  d'origine.  Les  lobules  postérieurs 
des  poissons  étant  les  plus  inférieurs  aussi ,  peuvent 


DANS  LES  DIVLRS  CENTRES.  365 

être  considérés  comme  en  rapport  avec  les  faisceaux 
sous- spinaux  et  fournissant  la  portion  motrice  du 
nerf  optique ,  celle  qui,  parvenue  dans  Tœil,  se 
continue  en  filaments  jusque  cristallin  pour  lui 
donner  la  contractilité  volontaire  que  nous  lui 
avons  reconnue.  Remarquons  encore  que  les  tuber- 
cules quadrijumeaux  postérieurs  sont  également  plus 
volumineux  que  les  antérieurs  chez  les  animaux 
carnassiers ,  qui  ont  tant  besoin  de  bien  juger  des 
distances  pour  arriver  à  leur  proie  ;  tandis  que  c'est 
le  contraire  pour  les  herbivores,  les  ruminants  par 
exemple  (i),  à  qui  cette  faculté  est  moins  nécessaire 
pour  se  procurer  leurs  aliments.  La  partie  sensitive 
du  nerf  optique  ,  née  des  tubercules  quadrijumeaux 
antérieurs ,  a  été  aussi  attribuée  à  la  couche  optique 
par  la  plupart  des  anatomistes ,  et  le  nom  de  cette 
éminence  l'indique  assez;  Gall  avait  bien  reconnu 
pourtant  qu'il  n'en  est  rien  ;  mais  c'est  surtout  sur  les 
animaux  à  tubercules  antérieurs  très-volumineux , 
comme  le  mouton ,  le  lapin  ,  l'écureuil ,  que  nous 
avons  constaté  le  fait  ;  on  voit,  chez  eux,  bien  nette- 
ment, que  l'élargissement  du  nerf  couvre  et  embrasse 
le  renflement  postérieur  de  la  couche  optique  ,  en 
se  contournant  sur  elle  pour  se  porter  entièrement 
dans  le  tubercule  susdit  (  fig.  73  ). 

Nous  n'avons  ici  encore  invoqué  que  l'anatomie 
pour  établir  nos  conjectures  ;  voici  ce  que  l'on  peut 
résumer  des  expériencestentées  dans  lesmêmes  vues. 
Rolando,  Flourens  ,  Magendie  ont  observé  que  la 
lésion  des  lobes  optiques  faisait  tourner  en  rond  l'ani- 

(1)  La  glande  pinéale  est  aussi  plus  volumineuse  chez  ceux-ci  ;  quelle  raison 
en  donner?  quel  usage  lui  assigner  ,  quel  au  corps  dit  piluilaire  ,  étalant 
d'autres  reliefs  extérieurs  ou  intéiiems  de  l'encépLalc  ??? 


o66  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

mal,  de  même  que  le  dernier  de  ces  expérimen- 
tateurs l'a  vu  pour  les  éminences  olivaires  :  nous  en 
tirons  seulement  cette  conséquence,  que  la  relation 
anatomique  est  bien  réelle  entre  ces  organes,  et  qu'ils 
ont  un  rapport  physiologique  avec  la  locomotion  ; 
mais  on  a  noté  qu'il  fallait ,  pour  obtenir  ces  effets , 
attaquer  les  lobes  optiques  un  peu  profondément  ; 
leur  superficie  serait  seulement  sensitive,  ou  du  moins 
se  montrerait  sensible  aux  contacts,  selon  Magendie  ; 
elle  est  formée  par  l'expansion  venue  du  cervelet,  et 
désignée  par  Yicq-d'Azyr  sous  le  nom  de  colonnes 
de  la  valvule  de  Vieussens. 

On  comprendra  aisément  alors  pourquoi  les 
mêmes  physiologistes  ont  vu  la  cécité  survenir  à 
l'occasion  des  lésions  opérées  sur  les  organes  dont 
nous  parlons  ici.  La  perte  de  la  vue  s'est  manifestée 
du  côté  opposé  à  la  blessure  (à  part  les  grenouilles 
selon  Desmoulins)  ;  Magendie  et  Desmoulins  disent 
que  l'altération  de  l'œil ,  chez  les  pigeons ,  produit 
l'atrophie  du  lobe  optique  du  côté  opposé  et  de  toute 
la  longueur  du  nerf(i)  ;  l'une  de  ces  expériences  est 
comme  la  contre-épreuve  de  l'autre ,  elles  prouvent 
que  ces  tubercules  servent  à  la  vision ,  et  c'est  à  tort 
que  Desmouiins  lui-même  a  infirmé  cette  assertion, 
en  prétendant  que  les  lobes  optiques  de  la  taupe 
n'étaient  nullement  réduits  malgré  la  grande  réduc- 
tion de  leurs  nerfs  ;  nous  nous  sommes  bien  assuré 
qu'ils  sont,  au  contraire ,  extrêmement  aplatis  et  font 
fort  peu  de  saillie  à  la  face  supérieure  de  la  moelle 
allongée. 

(1)  Chez  les  mammifères  ,  ils  n'ont  vu  l'alrophie  marcher  que  depuis  l'œil 
jusqu'au  chiasma  ;  nous  avons  dit  ailleurs  qu'on  connaît  des  cas  d'atrophie 
poussée  plus  loin  ,  et  prouvant  la  décussalion  des  nerfs  optiques. 


DANS  LES   DIVERS  CENTRES.  367 

§  V.   Des  lohes  olfactifs. 

Ce  que  nous  avons  dit  ailleurs  en  parlant  de  Fol- 
faction  ,  nous  dispense  de  détails  minutieux  sur  ce 
sujet;  rappelons  seulement  que  ce  qu'on  nomme 
nerf  olfactif  sur  l'homme  est ,  sur  les  mammifères , 
un  fort  renflement  attaché  au-devant  du  cerveau, 
souvent  creux  et  communiquant  avec  les  ventricules 
latéraux  près  des  corps  striés.  Ceux  de  la  taupe  sont 
des  plus  volumineux;  ils  sont  toujours  aussi  assez 
grands  et  constituent  une  expansion ,  ou  prolonge- 
ment du  cerveau  ,  dans  les  oiseaux ,  les  reptiles. 
Chez  les  poissons,  chacun  d'eux  égale  souvent  en 
volume  le  lohe  céréhral  qui  lui  fait  suite  ;  il  est 
même  double  pour  quelques-uns,  l'anguille  par 
exemple  ,  allongé  ,  renflé  en  massue  chez  d'autres , 
comme  les  squales:  nul  doute,  en  conséquence, 
qu'il  n'y  ait  en  lui  aptitude  à  recevoir  et  apprécier, 
élaborer,  jusqu'à  un  certain  point,  les  sensations 
olfactives. 

§  VI.  Des  lobes  cérébrauoo, 

A.  Volume j  masse _,  mensuration.  Ces  lobes  ou 
hémisphères  qui,  dans  l'anguille  par  exemple  ,  ne 
font  qu'une  paire  du  double  chapelet  de  renflements 
à  peu  près  égaux  constituant  l'encéphale  dont  nous 
venons  d'examiner  successivement  les  autres  parties, 
prennent  graduellement  ,  dans  les  reptiles  ,  les 
oiseaux  et  les  mammifères ,  une  prépondérance  qui 
devient  énorme  chez  les  espèces  les  plus  intelli- 
gentes, l'homme  en  particulier.  Graduellement  aussi 
elle  se  complique  dans  sa  structure ,  se  creuse  d'un 


368  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

ventricule  dans  lequel  on  remarque  plusieurs  saillies 
notables.  Déjà  reconnaissables  chez  les  oiseaux, 
mais  remarquables  surtout  chez  les  mammifères , 
deux  de  ces  saillies  méritent  une  mention  spéciale , 
la  couche  optique  et  le  corps  strié  f^fig.  108 ,  d,  e,J. 
On  doit  y  signaler  aussi  des  parties  communes  aux 
deux  lobes  ou  hémisphères  et  servant  à  les  réunir, 
à  en  harmoniser  les  opérations  ;  ce  sont  diverses 
commissures ,  dont  la  plus  remarquable  est  le  corps 
calleux  avec  la  voûte  à  trois  piliers  qui  n'en  est  qu'un 
prolongement  replié  en  dessous.  Ces  commissures  ne 
se  trouvent  bien  complètes  que  chez  les  mammifères; 
les  autres  vertébrés  n'en  ont  que  des  rudiments  : 
on  dit  même  que  le  corps  calleux  manque  chez  les 
marsupiaux ,  tels  que  kanguroo,  wombat,  phalanger, 
dasyure,  opossun  (Owen).  N'oublions  pas  non  plus 
que,  tout  en  devenant  plus  volumineux  chez  les 
mammifères ,  le  cerveau  semble  surtout  amplifier  sa 
surface ,  au  point  d'être  forcé  de  se  replier  en  mille 
manières  pour  pouvoir  être  contenu  dans  le  crâne , 
ce  qui  l'a  fait  considérer,  aussi  bien  que  le  cervelet, 
et  non  sans  quelque  raison ,  par  Gall  et  Rolando , 
comme  une  épaisse  membrane  médullaire  chiffonnée 
ou  reployée  pour  occuper  moins  d'espace. 

Cette  ampleur  de  superficie  paraît  donner  surtout 
la  mesure  de  l'étendue  de  l'intelligence.  1°  En  effet, 
on  voit  les  circonvolutions  devenir  plus  nombreuses 
et  leurs  intervalles  se  creuser  plus  profondément, 
à  mesure  que  l'animal  est  plus  intelligent.  Les 
rongeurs  ,  dont  le  cerveau  est  proportionnellement 
si  volumineux  dans  certaines  espèces  ,  n'ont  point 
de  circonvolutions  notables  ;  les  singes  même  en 


DANS  LES   DIVERS  CEiNTRES.  369 

ont  assez  peu  comparativement  à  Fhomme  :  2®  chez 
celui-ci ,  les  circonvolutions  ne  se  prononcent  que 
quand  Fenfant  est  prêt  à  naître  ;  elles  s'accroissent 
avec  l'âge  jusqu'à  l'état  adulte  ,    et  l'on  a  observé 
que  des  individus  illustrés  par  leur  vaste  savoir,  leur 
aptitude  aux  plus  hautes  conceptions ,  avaient  un 
cerveau  remarquable  à  la  fois  par  son  volume  et  par 
la  multiplicité  des  circonvolutions,  la  profondeur  des 
anfractuosités  :  tel  fut  celui  que  fit  découvrir  l'au- 
topsie du  célèbre  Cuvier.  Desmouiins  remarque  que 
le  cerveau  du  chien  offre  beaucoup  plus  de  circon- 
volutions à  sa  surface  que   celui  du  chat,  et  même 
qu'il  y  a ,    sous  ce    rapport ,    une  prépondérance 
marquée  du  barbet  sur  le  matin ,  comme  elle  existe 
de  l'une  à  l'autre  de  ces  variétés  de  l'espèce  canine , 
en  ce  qui  concerne  l'intelligence  et  l'éducabilité. 
A  la  vérité ,  Tréviranus  observe  que  le  mouton  en 
a  tout  autant  que  le  chien,  et  l'on  voit  dans   les 
figures  données  par  Serres  (^j4nat,  camp,  du  cerveau J 
que  ce  ruminant  l'emporte  même  ,  à  cet  égard,  sur 
les  quadrumanes  et  surtout  sur  le  castor;  mais ,  pour 
ce  dernier,  il  est  à  remarquer  que  ses  industries 
sont  plus  instinctives  qu'intellectuelles;  et  quant  aux 
quadrumanes  (comme ,  au  reste,  aussi  pour  le  castor), 
c'est  ici  le  cas  de  revenir  aux  considérations  rela- 
tives à  la  masse  des  hémisphères  cérébraux  comparés 
à  celle  des  autres  organes  et  de  la  totalité  du  corps  ; 
cette  masse  proportionnelle  est  de  beaucoup  supé- 
rieure chez  les  singes  à  celle  du  mouton,  d'après  les 
tables  de  Cuvier.  C'est  encore  ainsi  que  le  cerveau 
du  dauphin ,  très-garni  de  circonvolutions ,  à  la  vé- 
rité  peu  profondes,  se  montre  peu  considérable 

24 


370  DES  SENSATIONS  CENTKALES 

comparé  à  la  niasse  du  corps  chez  l'adulte ,  quoique 
ayant ,  en  poids  absolu ,  l'avantage  même  sur  celui 
de  l'homme  (i). 

Ce  n'est  donc  qu'en  tenant  compte  de  ces  deux 
conditions ,  volume  et  complexité  de  structure  avec 
augmentation  de  superficie,  qu'on  peut  établir  un 
parallèle  valable  entre  la  prépondérance  du  cerveau 
et  la  prééminence  des  facultés  intellectuelles  ;  ne 
tenir  compte  que  du  volume ,  c'est  ne  saisir  que  la 
moitié  des  éléments  du  problême.  Parchappe  observe 
bien  que  le  cerveau  est  moins  pesant  et  moins  volu- 
mineux chez  la  femme  que  chez  l'homme ,  mais  il 
fait  remarquer  aussi  que  cela  peut  être  du  à  la  pré- 
pondérance de  taille  et  de  poids  total  chez  ce  dernier. 
Il  remarque  que  l'encéphale  des  idiots  est  proportion- 
nellement moindre  que  celui  des  hommes  sains ,  et 
que  la  différence  porte  plus  sur  le  cerveau  que  sur 
le  cervelet  (observation  favorable  à  notre  opinion 
sur  le  compte  de  ce  dernier  organe);  mais  il  donne , 
comme  maximum  du  poids  de  l'encéphale  chez  des 
hommes  à  faculté  ordinaire  (2) ,  un  chiffre  de  beau- 
coup supérieur  à  celui  qu'on  a  trouvé  à  l'encéphale 
de  Dupuytren ,  et  inférieur  seulement  d'un  gros  à 
celui  de  Cuvier. 

Par  des  mesures  appliquées  au  crâne  ou  à  toute 
la  tête  à  la  fois ,  on  ne  peut  s'assurer ,  tout  au  plus , 


(1)  Ces  proporlions  varient  singulièrement  selon  l'embonpoint  du  sujet  ;  c'est 
au  squelette  sec  qu'il  vaudrait  mieux  comparer  le  poids  de  l'encéphale.  On 
pourrait  même  se  contenter  du  poids  de  la  tête  osseuse  ou  seulement  de  la 
mâchoire  inférieure. 

(2)  1  kilogramme  829  gr.  ,  le  cervelet  seul  pesant  0  k.  208  ,  ce  qui  représente , 
à  quelques  grammes  près,  les  trois  livres,  dix  onces,  quatre  gros  et  demi 
trouvés  à  celui  de  Cuvier.  On  donne  généralement  ,  il  est  vrai,  vm  peu  moins 
de  trois  livres  pour  terme  moyen. 


DAIVS  LKS  DIVERS   CENTRAS.  371 

que  (les  conditions  relatives  au  volume  ;  mais  il  s'y 
en  joint  quelques-unes  aussi  qui  ont  rapport  à  la 
forme,  à  la  disposition  réciproque  des  parties,  et 
qui  donnent  à  ces  méthodes  de  mensuration  quel- 
ques légers  avantages  de  plus.  La  première  de  ces 
méthodes  est  celle  dite  de  Vcmgle  facial  j  établie  par 
Camper  (i). 

Deux  lignes  (^fig,  401  ,  A  B,  G  D)  partaat, 
Tune  du  front,  l'autre  du  trou  occipital,  pour  se 
couper  à  l'extrémité  des  dents  incisives  de  la  mâ- 
choire supérieure ,  forment  un  angle  qui  sera  d'autant 
plus  ouvert  que  le  crâne  sera  plus  ample,  plus 
avancé  ,  la  face  plus  petite  et  moins  saillante  ;  aussi 
le  voit-on  presque  droit  (85  degrés  environ)  dans 
l'européen ,  taudis  qu'il  devient  déjà  assez  aigu  chez 
le  nègre,  le  hottentot,  le  caraïbe,  davantage  encore 
sur  les  singes  adultes,  très -aigu  sur  les  rongeurs 
(^fig.  96y',  les  ruminants,  les  solipèdes,  les  cétacés, 
les  oiseaux ,  et  qu'il  cesse  même  d'être  appréciable 
chez  les  reptiles  et  les  poissons. 

La  méthode  de  Daubenton ,  fondée  sur  la  position 
du  trou  occipital ,  d'autant  plus  reculé  que  l'animai 
est  doué  d'une  masse  encéphalique  moindre  et  d'une 
moindre  intelligence  ,  est  fondée  sur  les  mêmes 
circonstances  ,  car  l'avancement  du  trou  occipital 
n'est  dii  qu'à  l'augmentation  non-seulement  du  cerve- 
let, mais  encore  des  lobules  postérieurs  du  cerveau; 
circonstance  qui  détermine  l'abaissement  de  la  ligne 
inférieure  de  l'angle  facial ,  en  même  temps  que 

(1)  Voyez,  comme  application  frappante  de  cette  ntéthode ,  les  fijjures  très- 
eurieuses  données  par  Fr.  Cuvier,  pour  diverses  races  de  cliiens  ,  dans  les 
Annales  du  Muséum  ,  et  comparez  surtout  le  barbet  au  chien  de  la  Nouvelle- 
IlT>llande. 


372  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

le  développement  des  lobules  aDtérieurs  produit  le 
redressement  de  la  ligne  antérieure  dans  la  méthode 
de  Camper. 

Celle-ci  est  donc  encore  plus  complète  que  celle- 
là  ,  quoique  sujette  aussi  à  Lien  des  inexactitudes 
qu'on  évite  ,  jusqu'à  un  certain  point  ,  en  mettant 
en  parallèle  les  aires  de  la  face  et  du  crâne  sur  une 
tête  sciée  verticalement.  Ce  perfectionnement  est  de 
Cuvier,  et  l'on  peut  en  chercher  les  détails  dans  ses 
Leçons  d'anatomie  comparée  (i).  fV-  lafig.  101 ,  EF 
«îVe  de  la  face;  EG  aire  du  crâne. J 

B.  Expériences,  Yoilà  des  faits  bien  propres  à 
faire  conjecturer  que  les  lobes  cérébraux  sont  les 
organes  essentiels  de  Fintellect  ;  c'était  l'opinion , 
toujours  conjecturale  il  est  vrai,  de  Sœmraerring, 
d'Ebel,  de  Gall,  de  Vicq-d'Azyr ,  etc.;  c'était  éga- 
lement celle  de  Rolando,  qui  se  fondait  sur  des 
expérimentations  plus  directes.  Flourens,  s'appuyant 
aussi  sur  les  siennes ,  y  place  les  volitions ,  les  sen- 
sations, la  mémoire.  Selon  Tréviranus,  c'est  le 
centre  des  nerfs  du  sentiment  et  du  mouvement , 
l'organe  principal  delà  vie  sensitive.  PourMagendie 
et  Desmouîins,  il  n'est  que  le  siège  de  la  volonté. 
Passons  aux  faits  mêmes. 

Parmi  les  expérimentateurs  qui,  dans  ces  der- 
niers temps ,  ont  agi  sur  le^  hémisphères  cérébraux, 
nul  n'a  présenté  des  faits  plus  intéressants  et  mieux 

(1)  On  peut ,  avec  Blumenbach  ,  objecter  à  toutes  ces  méthodes  ,  qu'elles  ne 
tiennent  pas  compte  de  la  largeur  du  crâne  et  du  front  en  particulier.  On  leur 
trouve  d'ailleurs  des  exceptions  frappantes  ;  ainsi,  dans  la  proportion  des  aires 
de  la  face  et  du  crâne  ,  le  hérisson  et  l'aye-aye  sont  très-favorablement  partagés, 
malgré  la  faiblesse  de  leur  intelligence  :  le  cheval  l'est  fort  mal,  au  contraire , 
malgré  sa  remarquable  éducabilité  ;  l'aire  du  crâne  égale  celle  de  la  face  dans 
les  premiers,  elle  n'en  éjale  que  le  quart  chez  le  dernier. 


DAiNS  LES   DIVERS  CENTRES.  373 

suivis  que  Flourens;  il  a  pu  conserver  long-temps 
vivante  ,  et  après  complète  cicatrisation  ,  une  pouîe 
à  laquelle  les  lobes  cérébraux  avaient  été  enlevés  : 
elle  était  habituellement  plongée  dans  un  état  sopo- 
reux,  dont  on  la  tirait  aisément,  sans  pouvoir  hii 
rendre  l'aptitude  à  ses  mouvements  habituels  ;  elle 
n'avalait  que  quand  on  lui  ingurgitait  les  aliments , 
et  paraissait  privée  de  Fodorat,  de  l'ouïe  ,  de  la  vue, 
mais  elle  pouvait  marcher,  voler,  sauter  si  on  l'y 
forçait. 

Les  expériences  de  Rolando,  de  Magendie  et 
Desmoulins  ont  donné  des  résultats  analogues  ;  seu- 
lement ces  derniers  ont  prouvé  qu'il  y  avait  encore 
une  audition  telle  quelle,  même  après  la  mutilation 
susdite. 

Nous  avons  aussi  tenté  cette  expérience  sur  plu- 
sieurs reptiles.  Un  lézard  vert  piqueté  a  vécu  ainsi 
pendant  plus  de  quinze  jours  dans  un  état  de  som- 
meil perpétuel  :  les  yeux  étaient  fermés  ,  mais  l'ani- 
mal les  ouvrait  quand  on  le  touchait  ;  il  ne  paraissait 
pas  voir  pourtant,  du  moins  il  ne  tirait  aucun  parti 
de  la  vue;  le  bruit  ne  produisait  aucun  effet  sur  lui, 
mais  des  attouchements  le  déterminaient  à  fuir  un 
instant  pour  retomber  aussitôt  dans  la  torpeur  ; 
il  avalait,  mais  avec  peine  ,  les  liquides  versés  dans 
la  gueule.  Un  individu  de  l'espèce  coluher  agassizii 
(Wagler) ,  très-vif ,  très-méchant ,  devint  inoffensif 
après  l'ablation  des  lobes  cérébraux  ;  il  rampait  len- 
tement, parvenait  à  sortir  d'une  boîte  mal  fermée, 
paraissant  éviter  les  obstacles  avant  de  les  toucher , 
surtout  s'ils  étaient  d'une  couleur  éclatante  ou  très- 
éclairés  ;  des  gestes  menaçants  n'excitaient  plus  en  lui^ 


'M  4  m  s   SENSATIONS   CENTRALES 

comnie  auparavant ,  ni  peur  ni  colère ,  mais  seulement 
quelques  légers  mouvements  pour  détourner  la  tète  : 
il  semblait  donc  jouir  encore  d'une  vue  courte, 
imparfaite  ;  les  yeux  se  mouvaient,  les  pupilles  se 
resserraient  à  la  lumière  :  si  Ton  posait  quelques 
gouttes  d'eau  sur  le  bout  du  museau  ,  Tanimal 
s'essuyait  contre  terre  ;  mais  si  on  l'abandonnait  au 
repos ,  il  paraissait  bientôt  plongé  dans  un  profond 
sommeil.  Cette  couleuvre  mourut  au  bout  de  trois 
semaines  ;  elle  avait  vomi  une  rainette  et  deux  œufs 
(le  lézard  poussés  de  force  dans  son  estomac  ;  trois 
autres  œufs  y  étaient  restés  pendant  plus  de  quinze 
jours  sans  éprouver  aucune  altération. 

Ne  résulte-t-il  pas  évidemment  de  ces  faits,  que  le 
sommeil  semble  établir  principalement  son  empire 
dans  les  lobes  cérébraux,  et  que  ces  lobes  concourent 
à  l'exercice  de  toutes  les  sensations,  sans  posséder 
exclusivement  la  faculté  de  les  recevoir  ?  Si  Ton  n'a 
pas  toujours  tiré  cette  conclusion  des  expériences 
dont  nous  venons  de  parler ,  c'est  que  tantôt  on  a 
dénié  à  ces  renflements  toute  influence  directe  et 
positive  sur  une  sensation  qui  semblait  conservée 
après  leur  destruction,  bien  qu'aflaiblie  notablement; 
que  tantôt,  au  contraire,  on  leur  a  tout  attribué  parce 
qu'on  a  pris  cet  affaiblissement  pour  un  anéantisse- 
ment complet.  La  vue  n'est  pas  plus  dans  ce  cas 
que  les  autres  sensations ,  comme  le  prouvait  notre 
couleuvre  ;  et  déjà  Desmoulins  avait  observé  qu'une 
grenouille  ainsi  mutilée  dirige  encore  ses  sauts  vers 
le  seul  côté  qui  n'oppose  pas  d'obstacles  à  sa  fuite. 
Je  remarquerai  à  ce  sujet  que,  pour  de  semblables 
opérations ,  les  reptiles  offrent  sur  les  mammifères , 


DA^'S   LES  DIVERS  CENTRES.  375 

et  même  les  oiseaux,  cet  avantage ,  que  la  segmen- 
tation chez  eux  est  plus  prononcée  et  Tindépendance 
physiologique  pluâ  grande ,  la  vie  d'ailleurs  plus 
tenace  ;  ce  qui  rend  les  opérations  plus  faciles ,  les 
effets  plus  distincts  et  l'observation  plus  durable. 

§  VII.  Mécanisme  général  des  fonctions  nerveuses  centrales. 

A,  Théorie,  Les  lobes  cérébraux  ,  sans  nerfs 
qui  en  partent  directement ,  sans  corrélation  directe 
avec  la  segmentation  du  squelette ,  semblent  donc, 
ainsi  que  le  cervelet,  un  auxiliaire  commun  ajouté 
aux  parties  fondamentales  des  centres  nerveux  encé- 
phaliques, et  Ton  peut,  en  conséquence,  facilement 
les  concevoir  l'un  et  l'autre  comme  un  centre  où 
toutes  ces  parties  renvoient  leurs  impressions  ou 
dont  elles  reçoivent  secondairement  l'influx  :  passons 
rapidement  en  revue  les  détails  de  ce  mécanisme 
des  fonctions  cérébrales  proprement  dites  ,  nous  y 
trouverons  une  sorte  de  résumé  des  fonctions  senso- 
riales  dont  il  a  été  question  dans  les  paragraphes 
précédents. 

Le  système  nerveux ,  dit  Béclard ,  forme  un  sys- 
tème unique  dont  toutes  les  parties  concourent  à 
l'action  de  l'ensemble  ;  et  nous  savons  que  chacune 
de  ses  parties  jouit  de  ces  trois  aptitudes  communes, 
l'impression ,  la  réaction  et  la  transmission.  L'organe 
du  sens  proprement  dit ,  pour  le  toucher ,  le  goût , 
l'ouïe ,  reçoit ,  élabore  et  transmet  les  impressions 
tactiles,  sapides,  acoustiques  ;  le  nerf  les  reçoit  et  les 
reproduit  à  son  tour  avec  toutes  leurs  modifications , 
leurs  variations,  leurs  spécialités  ;  il  les  répète 
jusqu'à  son  insertion  à  la  moelle  allongée  ou  aux 


B76  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

cordons  sur -spinaux  de  la  moelle  épinière  :  là  , 
élaboration  nouvelle ,  et  quelquefois  réaction  directe, 
immédiate  (i)  sur  les  faisceaux  sous-spinaux  et  les 
racines  nerveuses  qui  en  naissent  (mouvements  auto- 
matiques ) ,  mais  plus  ordinairement ,  transmission 
vers  des  centres  plus  volumineux  et  plus  parfaits 
en  organisation  ,  le  cerselet  par  exemple ,  auquel 
aboutissent  les  cordons  sur  -  spinaux .  Aussi  Favons- 
nous  reconnu  comme  le  principal  réceptacle  des 
sensations  tactiles,  auditives  et  gustatives,  et  comme 
le  point  de  départ  des  influences  nerveuses  sur  la 
digestion  et  la  respiration  ;  c'est  un  organe  de  perfec- 
tionnement ,  de  renforcement  pour  toutes  les  fonctions 
nerveuses  attribuées ,  par  Magendie  et  Desmoulins , 
à  la  région  du  quatrième  ventricule.  Les  expériences 
de  ces  physiologistes  prouvent  que  cette  région 
reçoit  encore  les  sensations  acoustiques ,  etc. ,  lors 
même  que  le  cervelet  et  le  cerveau  sont  détruits  , 
mais  assurément  elle  ne  les  transforme  pas  en  idées/ 
c'est,  nous  le  croyons,  le  rôle  du  cervelet.  Toutefois, 
cet  organe  lui-même  ne  paraît  capable  que  d'opé- 
rations intellectuelles  obscures ,  mstinctwes  pour  la 
plupart,  et  d'ailleurs  il  ne  saurait  organiquement 
réagir  sur  l'appareil  locomoteur  :  il  faut  donc  que , 
par  les  faisceaux  nommés  piliers  de  la  valvule  de 
Vieussens ,  ou  processus  à  cerehello  ad  tester j,  il  trans- 
mette au  cerveau  ses  impressions,  ses  déterminations. 
{^Suivez  ce  mécanisme  sur  la  figure  WS.J 

Le  cerveau  reçoit,  en  même  temps,  les  sensations 


(1)  Sur  un  animal  jelé  dans  l'état  tétanique  par  la  slriclinine  ,  Fodéré  faisait 
cesser  la  contraction  dans  les  muscles  qui  l'ecevaient  leurs  nerfs  du  point  de  la 
moelle  épinière  qu'il  lui  plaisait  de  comprimer,  et  non  dans  les  autres. 


DANS  LES  DIVERS   CEÎNTRES.  377 

visuelles  qui ,  de  la  rétine  et  du  uei  f  optique ,  ont 
passé  dans  les  tubercules  quadrijumeaux  antérieurs  : 
il  reçoit  également ,  d'un  autre  coté ,  les  sensations 
des  lobes  olfactifs  ;  et  c'est  lui  qui  combine  les  unes 
et  les  autres.  C'est  dans  les  lobes  cérébraux  que  ces 
sensations  se  cliangent  en  déterminations  définitives, 
en  jugements ,  en  volitions  qui  se  répètent  dans  les 
corps  striés,  les  couches  optiques,  les  pédoncules 
cérébraux,  les  faisceaux  sous-spinaux,  les  racines 
nerveuses  qui  en  émanent,  jusqu'aux  muscles  qu'elles 
mettent  en  jeu ,  soit  pour  l'expression  des  sentiments 
(faisceaux  olivaires  surtout),  soit  pour  l'expression 
des  actes  de  locomotion  proprement  dite  (  faisceaux 
des  pyramides  j. 

B.  En  conséquence  de  ce  mécanisme  ,  nous  établi- 
rons, en  premier  lieii^  que  le  cerveau  est  l'organe 
de  la  centralisation  dernière  et  principale  et  la 
condition  organique  j  matérielle  _,  de  l'unité  psycho- 
logique ;  conclusion  parfaitement  d'accord  avec  cette 
remarque  ,  que ,  dans  l'échelle  animale ,  sa  prépon- 
dérance est  toujours  proportionnelle  au  degré  de 
coalescence  des  centres  nerveux  et  à  la  suprématie 
de  l'intelligence.  Cette  doctrine  donne  aisément  la 
clef  de  beaucoup  de  phénomènes  pathologiques, 
la  suspension  de  certaines  facultés  pouvant  s'expli- 
quer aussi  bien  par  la  lésion  des  faisceaux  centri- 
pètes ou  centrifuges  que  par  celle  du  centre  même  : 
on  peut  en  dire  autant  du  désaccord  qui  règne  parfois 
dans  leur  exercice ,  à  la  suite  de  certaines  attaques 
d'apoplexie  ;  c'est  ainsi  que  tel  individu  peut  avoir 
perdu  la  parole  quoiqu'il  pense  nettement,  et  le 
mouvement  quoiqu'il   veuille   l'exécuter.    Ce    que 


378  DES  SENSATIONS  CEINTRALES 

nous  avons  dit  de  l'harmonisation  chez  les  inverté- 
brés, fournit  ici  une  analogie  frappante  de  clarté. 
En  second  lieu  y  nous  remarquerons  que  ,  dans 
cet  ensemble  ,  il  se  produit,  à  la  fois,  des  réactions 
susceptibles  d'être  reproduites ,  conduites  par  toutes 
les  parties  qui  le  composent ,  et  des  élaborations , 
des  permutations  spéciales  ;  nous  reviendrons  tout- 
à- l'heure  sur  ce  dernier  sujet  ;  mais  quant  au 
premier,  nous  ferons  observer,  outre  ce  qui  déjà 
a  été  dit  ailleurs  f  III^  ^ariie ,  chap,  1^^.),  que 
les  nerfs  reproduisent  bien  évidemment  et  les  sen- 
sations qu'ils  ont  reçues  des  sens,  et  les  volitions  que 
leur  a  imprimées  le  cerveau.  En  effet,  l'irritation 
d'un  cordon  nerveux  envoie  à  l'encéphale  une  dou- 
leur si  bien  semblable  à  celle  que  causerait  la 
lésion  des  parties  où  ses  filets  se  répandent ,  que 
l'illusion  est  parfois  complète  ;  et  cette  même  irri- 
tation cause  aussi  des  contractions  dans  les  muscles , 
comme  celles  que  commande  l'encéphale.  D'un 
autre  côté,  quand  un  halluciné  entend  des  voix 
mystérieuses ,  quand  un  malade  en  délire  voit  des 
spectres ,  les  parties  encéphaliques  qui  sont  le  siège 
de  ces  sensations  erronées  réagissent ,  en  pareil  cas , 
tout  comme  la  partie  nerveuse  du  sens  qui ,  dans 
l'état  normal  aurait  perçu  et  leur  aurait  transmis  des 
sensations  pareilles.  Delpech  injecta  du  vin  alcoolisé 
dans  les  veines  d'un  homme  dont  il  voulait  oblitérer 
les  varices  ;  cet  homme  en  perçut  la  saveur,  non  sans 
doute  par  la  langue ,  mais  par  l'encéphale  auquel  le 
sang  avait  porté  des  particules  alcooliques.  Il  ne 
suit  pas  de  là  que  toute  partie  du  système  nerveux 
puisse ,  au  besoin ,  se  substituer  indifféremment  à 


DANS  LES   DIVERS   CENTRES.  379 

toute  autre ,  et  qu'il  n'y  ait  point  de  spécialiiés  exclu- 
sives dans  certaines  parties  de  ce  système  ;  nous  avons 
déjà  fait  pressentir  le  contraire,  et  nous  allons  donner 
à  cet  intéressant  sujet  quelque  développement. 

§  VIll,  De  la  spécialité  d'action  dans  les  divisions  principales 
du  système  neiveuv ,  et  des  spécialités  particulières  loca-' 
Usées  dans  quelques  parties  du  cerveau, 

A.  La  spécialité  des  fonctions  nerveuses  paraît 
tenir  simultanément  ou  séparément  à  deux  circon- 
stances particulières  ;  rapports  ou  connexions  d'une 
part;  structure,  organisation  sut  generts,  d'autre 
part.  Ainsi  la  rétine,  le  nerf  et  le  lobe  optiques 
sont  aptes  à  recevoir  les  sensations  lumineuses  et 
non  d'autres ,  tant  en  raison  de  leurs  connexions 
avec  l'appareil  optique  de  l'œil ,  qu'à  cause  d'une 
disposition  moléculaire  à  elles  propres;  et  la  néces- 
sité de  ces  deux  conditions  à  la  fois  nous  parait 
telle,  que  nous  nous  croirions  en  droit  d'assurer  que 
la  taupe  ne  saurait  voir  avec  un  nerf  de  la  cin- 
quième paire ,  quand  même  l'anatomie  ne  nous 
apprendrait  pas  qu'en  effet  elle  est  pourvue  d'un 
nerf  optique.  La  rétine  est  insensible  aux  contacts 
immédiats,  d'après  les  expériences  de  Magendie, 
tandis  que  la  cinquième  paire  s'y  montre  très  sen- 
sible ;  et  ce  que  nous  venons  de  dire  de  la  rétine 
peut  se  dire  du  nerf  auditif,  d'après  le  même  obser- 
vateur :  donc  ,  ce  ne  sont  pas  seulement  les  con- 
nexions qui  déterminent  ici  les  aptitudes.  Assuré- 
ment aussi  les  faisceaux  sur-spinaux  ne  sont  pas 
sensitifs  seulement  parce  que  leurs  filets  originaires 
sont  en  rapport  avec  les  papilles  cutanées  et  qu'ils 


380  DES    SEINSATIONS  CEINTRALES 

se  reiideut  au  cervelet ,  ni  les  sous-spinaux  destinés 
à  la  locomotion  seulement  parce  qu'ils  sont  en  rela- 
tion avec  les  muscles  :  la  plus  simple  inspection 
suffit  pour  faire  remarquer  que  les  premiers  sont 
(  surtout  chez  les  reptiles  )  plus  brillants  ,  plus 
fibreux  et  plus  petits  que  les  seconds ,  bien  que  les 
racines  sur-spinales  des  nerfs  soient  communément 
plus  nombreuses  et  plus  volumineuses  que  les  sous- 
spinales.  Remarquons  également  que  ces  dernières 
ne  forment  pas  ,  comme  les  premières ,  un  ganglion 
plexiforme  destiné  sans  doute  à  modifier  leurs  dis- 
positions organiques.  Les  anatomistes  connaissent, 
depuis  long-temps  aussi,  la  différence  de  structure 
qui  existe  entre  la  portion  dure  (  facial  )  et  la  por- 
tion molle  (auditif)  de  la  septième  paire,  l'une 
motrice  et  l'autre  sensilive ,  la  première  née  des 
faisceaux  olivaires ,  la  deuxième  des  faisceaux  sur- 
spinaux à  leur  épanouissement  dans  le  cervelet. 
Autant  en  dirions-nous,  quant  aux  connexions  et 
à  la  texture  en  même  temps  des  nerfs  olfactifs  et 
de  l'optique,  comparés  aux  moteurs  de  l'œil. 

Ces  considérations  suffisent  pour  prouver  la  com- 
plète impossibilité  de  ces  phénomènes  célébrés  par 
la  crédulité  ou  le  charlatanisme ,  sous  le  titre  de 
transposition  des  sens  :  certes  l'œil  ne  peut  entendre, 
ni  l'oreille  voir;  la  physique  seule  suffit  à  démon- 
trer l'absurdité  d'une  assertion  contraire  ;  mais  il  y 
a  plus ,  le  nerf  auditif  ne  saurait  éprouver  ni  trans- 
mettre ,  les  faisceaux  sur-spinaux  ne  sauraient  rece- 
voir et  adresser  au  cervelet  des  sensations  visuelles. 
La  seule  transposition  possible ,  c'est  celle  du  sens 
au  point  sensitif  qui  lui  correspond  normalement 


DANS  LES    DIVERS  CENTRES.  381 

dans  les  centres ,  mais  on  conçoit  qu'il  ne  peut  même 
en  résulter  des  sensations  vraies  et  régulières  et 
seulement  des  hallucinations  :  or ,  ce  n'était  pas 
ainsi  que  l'entendaient  les  narrateurs  de  ces  histoires 
merveilleuses ,  qui  ont  trouvé  de  l'écho  même  parmi 
les  hommes  du  premier  mérite. 

Pour  que  la  spécialité  d'action  changeât,  il  ne 
suffirait  pas  d'un  léger  changement  dans  la  texture  : 
l'œil  enflammé  supporte  difficilement  la  lumière; 
un  nerf  légèrement  enflammé  exalte ,  au  passage  , 
les  impressions  tactiles  reçues  par  le  memhre  dont 
il  est  une  dépendance ,  et  fait  croire  à  un  excès  de 
sensibilité  dans  ce  membre  (Bichat)  ;  en  partie 
désorganisé  par  l'inflammation  ou  par  une  lésion 
quelconque  ,  il  le  rend  moins  sensible  et  y  fait  sup- 
poser l'engourdissement  dont  lui  seul  est  le  siège. 
Mais  ce  ne  sont  pas  là  des  transformations ,  des  trans- 
positions de  sensations  spéciales  :  il  faudrait,  pour 
cela ,  outre  un  changement  normal  dans  la  texture  du 
nerf,  un  changement  pareil  dans  l'organe  nerveux 
central  où  il  arrive ,  et  dans  l'organe  sensorial  externe 
d'où  il  part.  Or ,  de  tels  changements  ne  peuvent 
être  que  primordiaux  et  tels  que  ceux  qu'on  observe 
d'espèce  à  espèce ,  ou  plutôt  de  classe  à  classe , 
dans  le  règne  animal.  Ainsi,  le  nerf  olfactif  devien- 
dra tactile ,  en  tout  ou  en  partie ,  dans  l'antenne  du 
crustacé  et  de  l'insecte.  Le  nerf  optique  jouera 
presque  le  même  rôle  chez  l'escargot.  La  cinquième 
paire  des  batraciens  servira  à  la  respiration  en  se 
rendant  aux  organes  dévolus,  chez  eux,  à  cette 
fonction,  et  en  s'assimilant,  très-probablement, 
les  éléments  de  la  huitième  paire  ou  nerf  pneumo- 


382  DES  SKNSATIONS  CENTRALES 

gastrique  qui  leur  manque  en  apparence.  Ce  dernier 
nerf  est  gustatif  chez  certains  poissons,  les  cyprins 
(  Desmoulins)  ;  il  est  électro-moteur  avec  la  cin- 
quième paire  chez  certains  autres ,  la  torpille  ;  le 
tout ,  en  raison  ou  de  leur  texture ,  ou  de  celle  de 
leurs  renflements  d'origine  et  de  leur  terminaison 
dans  des  organes  spéciaux. 

Si  l'on  voulait ,  au  reste  ,  inférer  de  ces  faits , 
que ,  dans  les  nerfs  ou  conducteurs ,  la  spécialité 
tient  plutôt  aux  connexions  qu'à  l'organisation ,  cela 
ne  saurait  être  supposé  des  centres  encéphaliques; 
car  là  les  difl'érences  de  forme  et  d'organisation  sont 
par  trop  évidentes  et  trop  bien  connues.  Mais  nous 
ne  trouvons  pas ,  ici  comme  dans  beaucoup  d'autres 
parties  du  corps,  l'explication  des  phénomènes  par 
la  conformation ,  ce  qui  tient  à  la  nature  même  de 
ces  phénomènes  presque  étrangers  à  la  matière.  Il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner  des  incertitudes  que  laisse 
cette  partie  de  la  physiologie.  Nous  en  avons  présenté 
déjà  les  données ,  quant  aux  masses  principales  et 
quant  aux  fonctions  primaires  ;  nons  la  compléterons 
ici,  autant  qu'on  peut  le  faire,  en  entrant,  relative- 
ment au  cerveau  surtout ,  dans  quelques  détails  plus 
circonscrits ,  anatomiquement  et  physiologiquement 
parlant. 

B.  Pour  les  àéierminditions  partielles  dont  il  s'agit 
ici ,  comme  pour  les  masses ,  trois  moyens  d'investi- 
gation rationnelle  ont  été  mis  en  usage  :  les  résultats 
de  Tanatomie  pathologique  ,  ceux  des  mutilations 
artificielles  ,  l'observation  des  prépondérances  orga- 
niques et  fonctionnelles  chez  divers  individus  ou 
diverses  espèces  d'animaux. 


DANS  LES  EIVEES  CENTRES.  o83 

Malgré  des  espérances  en  apparence  bien  fondées , 
Tanatomie  pathologique  a  peu  fait  jusqu'ici  sous  ce 
rapport.  Nous  avons  vu ,   comme  d'autres ,  l'idiotie 
dépendre    de    l'atrophie    des  circonvolutions  céré- 
brales;   dans  d'autres  cas,   on  l'a  rapportée  à  la 
lésion ,   à  l'absence  même    du  cervelet  (  Combette  - 
et  Magendie),   à  celle  dn  corps  calleux  (Reil),  à 
la  dimioution  de  tout  l'encéphale  (Willis).  Ailleurs 
à  des  lésions  plus  restreintes  on  a  vu  correspondre 
des  altérations  fonctionnelles  très-variables;  et,  le 
plus  souvent ,  on  n'a  noté  que  des  paralysies ,  soit 
que  le  siège  de  la  lésion  fût  dans  le  cerveau  même  , 
soit  dans  les  corps  striés ,  les  couches  optiques ,  le 
cervelet.   Plusieurs  circonstances  tendent,  en  effet, 
à  infirmer  des  observations  qui  sembleraient  devoir 
être  significatives  :  la  première  est  la  complexité  des 
lésions  si  rarement  simples  et  uniques  ;  la  deuxième 
est  l'insuffisance  des  notes  prises  du  vivant  de  l'in- 
dividu ,   ou  des  souvenirs  recueillis  après  sa  mort  ; 
une  troisième  cause  d'erreurs  ou  d'indécisions,  c'est 
l'incertitude  de  la  date  pour  certaines  lésions.  On 
a  cru ,  par  exemple ,   prouver  que  la  continuité  de 
substance  de  la  moelle  épinière  n'était  pas  nécessaire 
à  la  transmission  de  l'innervation,  pourvu  que  ses 
membranes  restassent  intactes;    on   se   fondait  sur 
des  ramollissements ,  des  désorganisations  achevées 
sans  doute  dans  les  derniers  jours  ou  l'agonie  du 
malade ,  sur  des  séparations  opérées  par  des  vio- 
lences imprimées  au  cadavre  dans  des  cas  de  frac- 
ture du  rachis ,  comme  celui  du  journal  de  Desault , 
ou  produites  sur  le  vivant  par  des  opérations  incon- 
sidérées dans  les  tentatives  d'extraction  d'un  corps 


384  DES  SEINS ATiONS  CENTRALES 

étranger  long-temps  fixé  au  voisinage,  comme  dans 
le  cas  relaté  par  Ferrein.  Enfin,  une  quatrième  cir- 
constance ,  judicieusement  signalée  par  Tréviranus, 
c'est  la  dualité  des  organes  encéphaliques  qui  fait 
que,  sous  le  rapport  des  opérations  mentales,  ceux 
du  côté  sain  peuvent  souvent  sans  doute  suppléer 
ceux  du  coté  malade.  Parcourez  les  nombreuses 
observations  rassemblées  dans  le  précieux  recueil  de 
notre  collègue  Lallemand  ,  comparez-en  les  résultats 
énoncés  avec  un  soin  si  scrupuleux  et  une  sagacité 
si  lumineuse ,  et  vous  reconnaîtrez  aisément  l'in- 
certitude où  nous  laissent ,  quant  à  la  physiologie 
intellectuelle  ,  tant  de  faits  curieux  et  d'une  impor- 
tance majeure  en  pathologie. 

Les  expériences  sont  encore  plus  illusoires,  vu 
l'imperfection  des  facultés  chez  les  animaux  sur 
lesquels  il  est  permis  d'opérer  ,  et  l'impossibilité 
d'en  apprécier  les  altérations  en  ce  qui  concerne  des 
nuances  et  des  détails.  Aussi  qu'ont  appris  les  muti- 
lations opérées  par  Magendie?  que  les  animaux  dont 
le  cerveau  est  maltraité  ont  une  tendance  irrésistible 
à  s'élancer  en  avant.  Qu'ont  appris  les  observations 
médicales  de  Foville  et  Pinel  -  Grandchamp ,  de 
Serres  ,  de  Eouilîaud  ?  que  le  corps  strié  préside 
aux  mouvements  de  la  jambe,  et  la  couche  optique 
à  ceux  du  bras  ;  que  les  lobules  antérieurs  sont  le 
siège  de  la  faculté  de  parler  :  et  les  faits  contra- 
dictoires à  ce  peu  de  données  même  surgiraient 
en  foule.  Je  ne  parle  pas  du  fait  isolé  sur  lequel 
s'appuyait  Lapeyronie  pour  faire  du  corps  calleux 
le  siège  de  Tàme;  des  conjectures  d'après  lesquelles 
Descartes  la  plaçait  dans  la  glande  pinéale,  ni  de 


DANS  LES  DIVERS  CENTRES.  385 

celles  qui  déterminaient  la  distribution  que  faisait 
arbitrairement  Willis  des  facultés  mentales  aux  par- 
ties les  plus  marquantes  des  organes  encéphaliques. 

L^aualomie  comparée  des  individus  et  des  espèces, 
jointe  à  l'étude  comparée  des  aptitudes ,  pourra 
fournir  des  lumières  plus  certaines,  et  déjà  cette 
voie  a  été  frayée  avec  quelque  succès  par  Serres, 
Leuret,  et  avant  eux  par  Gall  et  Spurzheim.  Mais  il 
faudra  s'étayer  à  la  fois,  et  sur  des  observations 
plus  minutieuses  et  plus  positives  qu'on  ne  l'a  fait 
jusqu'ici,  et  sur  une  analyse  vraiment  rationnelle 
des  opérations  et  des  facultés  mentales.  Sur  ces 
deux  points  le  système  de  Gall  est  resté  insuffisant 
et  partant  infidèle. 

1  °  Sans  doute ,  Gall  a  rendu  de  grands  services  à  la 
science  en  perfectionnant  la  dissection  des  faisceaux 
médullaires  dans  l'encéphale  ,  travail  ébauché  par 
Willis  et  Vieussens,  et  poussé  assez  loin  ensuite  par 
Pourfour-du-Petit  ;  mais  il  faut  aujourd'hui  quelque 
chose  de  plus  pour  aider  à  l'étude  d'une  fonction 
aussi  complexe  que  celle  de  l'intelligence  ;  il  faut  en 
venir  à  une  anatomie  fibrillaire ,  telle  que  celle  dont 
Rolando  a  commencé  la  poursuite  dans  l'encéphale 
de  l'homme;  et  il  faut  la  pousser  jusque  dans  toutes 
les  classes,  ordres ,  genres  principaux  des  vertébrés , 
chez  les  invertébrés  même  ,  travail  immense  et 
minutieux ,  mais  qui  promet  des  résultats  précieux 
au  bon  esprit  qui  saura  s'y  livrer  avec  les  soins 
convenables.  Sans  doute  ,  aussi  ,  Gall  a  procédé 
d'une  manière  prudente  en  examinant  la  forme  du 
crâne  et  les  diverses  proéminences  chez  des  animaux 
de  caractères  différents,  chez  des  hommes  à  aptitudes 

25 


386         DES  SENSATIONS  CENTRALES 

îrès-proîioncées,  etc.  Mais  est-ce  donc  seulement  dans 
le  renflement  de  telle  ou  telle  partie  de  la  surface 
extérieure  du  cerveau  que  peut  consister  la  prédomi- 
nance de  telle  ou  telle  faculté  ?  La  forme  extérieure 
du  crâne  est -elle  d'ailleurs  une  traduction  fidèle 
de  celle  de  l'encéphale  ?  Cruveilhier  proclame , 
au  contraire,  entre  les  deux  tables  du  crâne  une 
sorte  d'indépendance ,  rattachant  l'une  à  l'appareil 
nerveux  qu'elle  revêt  immédiatement ,  et  l'autre  au 
système  musculaire.  Mille  expériences  contradic- 
toires à  celles  de  Gall  ont  prouvé  l'incertitude  de 
ses  principes ,  l'inexactitude  des  résultats  qu'il  a 
cru  pouvoir  déduire  de  l'observation  :  c'est  ce  qu'a 
démontré  tout  récemment  l'examen  du  crâne  de 
plusieurs  personnages  célèbres ,  Napoléon,  Fieschi, 
Lacenaire ,  Avril ,  etc.  Les  uns  n'étaient  pas  plus 
parlants  que  les  autres  en  faveur  de  leurs  spécialités 
de  qualités  ou  de  vices.  C'est  d'ailleurs  à  nu,  sur 
le  cadavre,  qu'il  faut  étudier  le  cerveau;  c'est  dans 
la  forme,  la  position,  les  contours,  la  profondeur, 
la  longueur  et  la  structure  intérieure  des  circonvo- 
lutions ,  comme  l'a  tenté  récemment  Leuret  ;  c'est 
^îus  encore  peut-être  dans  l'épaisseur ,  la  direction 
des  fascicules  émanés  des  renflements  centraux; 
c'est  dans  l'abondance  de  la  matière  grise  interposée, 
le  volume  des  renflements  gangliformes  ou  corps 
rhomboïdaux  du  cervelet,  des  éminences  olivai- 
res,  etc.,  etc.,  qu'il  faut  chercli-^r  la  solution  de 
ces  problêmes  qui  exigeraient  la  vie  d'un  homme , 
seulement  peut-être  pour  le  mettre  sur  la  voie  de  la 
vérité  qu'il  laisserait  à  développer  à  ses  successeurs. 
2°  Gall  a  pu  donner  d'utiles  notions  sur  la  dis- 


DAIN'S  LES    DIVERS  CENTRES.  B87 

tinction  à  établir  entre  les  penchants  ou  aptitudes 
et  les  facultés  mentales  ,  etc.  ;  mais  il  s'en  faut  qu'il 
ait  été  lui-même  toujours  fidèle  à  ses  principes  dans 
l'application ,  et  l'on  peut  dire  que  cette  application 
même  était  tout-à-fait  erronée  dans   son  point  de 
départ.   En  effet,  qu'est-ce  qu'un  penchant ,  sinon 
UKe  tendance  à  certains  actes ,  due  à  une  modifi- 
cation particulière  de  toutes  les  facultés   intellec- 
tuelles ?  N'est-ce  pas  une  perversion  dans  la  manière 
de  sentir,  de  juger  et  de  vouloir  qui  produira  le 
penchant  au  vol;  et  peut-on  admettre  dans  l'encé- 
phale un  organe  particulier  pour  celte  perversion? 
Qu'est-ce  que  la  sagacité ,  sinon  une  grande  liberté, 
une  grande   étendue  dans  l'exercice  de  toutes  les 
facultés  intellectuelles?  Qu'est-ce  que  la  théosophie, 
sinon  une  aptitude  à  se  complaire  dans  certaines  idées, 
à  traiter  certaines  questions  abstraites  pour  lesquelles 
il  faut  nécessairement   le   concours   de  toutes  les 
facultés  mentales  ?  etc.  ,  etc.   Et  où  s'arrêterait- on 
dans  l'admission  de  ces  organes  particuliers ,  s'il  en 
fallait  supposer  autant  que  d'aptitudes  diverses?  Où 
serait  la  limite  du  penchant  simple  au  penchant  com- 
posé ?  Et  si  l'on  en  admet  de  cette  dernière  nature , 
pourquoi  ne  pas  les  regarder  tous  comme  tels  ?  Si 
donc  il  y  a ,  dans  l'encéphale  ,  comme  nous  le  pen- 
sons, des  organes  multiples  et  à  fonctions  spéciales , 
c'est  pour  les  facultés  élémentaires  et  générales  de 
l'esprit,  peut-être  aussi  pour  les  instincts  principaux 
qu'il  ne  faut  pas  confondre ,   ainsi  que  l'a  fait  le 
docteur  Gall,  avec  des  penchants  moraux;  sujet  sur 
lequel ,  au  reste  ,  nous  reviendrons  plus  loin. 
En  résumé  ,    la  crânioscopie  nous  parait,   non- 


388  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

seulement  ne  pas  tenir  ce  qu'elle  promet  ,  mais 
encore  engager  les  esprits  studieux  dans  une  voie 
fausse  et  par  conséquent  stérile. 

§  IX.    De  la  liaison  transversale  des  centres  neroeux^ 
et  de  la  déciissation  des  faisceaux  conducteurs. 

Afin  de  ne  pas  nuire  à  la  clarté  du  mécanisme 
exposé  précédemment  pour  l'enchaînement  des  fonc- 
tions et  la  centralisation  des  effets  dans  le  système 
cérébro-spinal ,  nous  avons  négligé  à  dessein  ce  qui 
concerne  les  moyens  de  communication  ,  de  liaison 
et  d'harmonie  entre  les  organes  d'un  côté  et  ceux 
de  l'autre  :  c'est  par  leur  étude  que  nous  terminerons 
le  présent  chapitre,  (^f^oijez  à  ce  sujet  la  fig,  109  et 
son  explication,  J 

A,  Commissures,  On  sait  que  la  plupart  des 
centres  nerveux  sont  pairs  chez  les  vertébrés,  et 
l'on  ne  pourrait  guère  compter  comme  impairs  et 
médians  que  le  cervelet  des  poissons,  reptiles  et 
oiseaux,  son  lobule  médian  ouvemmpour  les  mam- 
mifères, plus  le  corps  pinéal  et  le  corps  pituitaire, 
jadis  nommés  glandes ,  parce  qu'on  leur  supposait 
des  fonctions  sécrétoires.  Toutefois  il  faut,  selon 
nous ,  considérer  aussi  comme  impaire  la  substance 
pulpeuse  ou  grise  de  la  moelle  épinière  :  les  vraies 
commissures  sont  toujours  fibreuses;  et  rien  dans 
cette  moelle  n'en  mérite  le  nom,  si  ce  n'est  les 
filaments  transverses  qu'on  voit  au  fond  de  ses  sillons 
longitudinaux. 

Pour  le  cerveau  des  mammifères,  la  commissure 
la  plus  considérable  est  le  corps  calleux  avec  le 
trigone  ou  la  voûte  qui  en  est  la  continuation  :  pour 


DANS  LES  DIVERS  CENTRES.  389 

le  cervelet,  chez  les  mêmes  animaux,  c'est  la  piotubé- 
raDce  amiulaire.  Celle-ci  manque  à  tous  les  vertébrés 
dont  le  cervelet  est  impair,  les  oiseaux,  etc. ,  et  le 
corps  calleux  ,  ou  plutôt  le  trigone  qui  subsiste  seul 
chez  ceux-ci ,  se  trouve  divisé  en  deux  portions  laté- 
rales disposées  verticalement  en  forme  d'éventail. 

Cette  remarque  peut  être  opposée  à  Tréviranus , 
qui  pense  que  les  opérations  de  comparaison  men- 
tale se  passent  dans  les  commissures  :  les  oiseaux 
comparent  certainement  leurs  sensations  tout  autant 
que  les  mammifères.  D'ailleurs ,  ce  n'est  pas  entre 
deux  idées  venant  Tune  de  droite  et  l'autre  de  gauche, 
mais  entre  deux  idées  successives ,  que  nous  établis- 
sons des  comparaisons  :  un  borgne  juge  très-bien 
des  couleurs  ,  etc.  Qu'elles  soient  purement  trans- 
versales ,  ou  bien  avec  croisement  de  fibres  envoyées 
d'un  côté  à  l'autre  ,  les  commissures  n'en  servent 
pas  moins  à  compléter  l'unité  psychologique  dans 
ses  conditions  matérielles,  et  c'est  là  sans  doute  le 
véritable  butdeladécussation  des  faisceaux  nerveux 
dont  nous  allons  parler  maintenant. 

B.  Le  croisement  des  faisceaux  fibrillaires  d'un 
côté  à  l'autre  se  décèle  chaque  jour  à  nos  yeux , 
dans  l'espèce  humaine ,  par  des  faits  pathologiques 
auxquels  on  oppose  en  vain  quelques  observations 
négatives,  dont,  sans  doute,  toutes  les  conditions 
n'ont  pas  été  suffisamment  appréciées.  Toute  lésion 
grave  d'un  hémisphère  cérébral,  d'un  des  corps  striés, 
d'une  des  couches  optiques,  amène  une  paralysie  des 
membres  du  côté  opposé  ;  tandis  que  les  lésions  des 
parties  médianes  ,  du  corps  calleux  par  exemple , 
n'offrent  que  des  efîets  universels  (  Lallemand  ) ,  et 


390  DES    SENSATIONS   CENTRALES 

que  toute  lésion  de  la  moelle  épiuière  porte  son 
influence  sur  le  côté  du  corps  directement  corres- 
pondant. L'anatomie  explique ,  en  grande  partie  , 
ces  singularités. 

Chez  les  mammifères,   on  connaît  depuis  long- 
temps (  Mistichelli  j  l'entrecroisement  des  pyramides 
antérieures,  nié  bien  àtortparMorgagni,  Sabatier, 
Vicq-d'Azyr,  Chaussier,  Gordon  ,  Rolando ,  qui  ont 
sans  doute  procédé  avec  trop  peu  de  ménagement  à  sa 
recherche,  ou  ont  agi  sur  des  encéphales  ramollis. 
Quant  aux  faisceaux  olivaires,   je  pense  quils 
n'opèrent  leur  décussation  que  dans  le  corps  calleux, 
oii  il  m'a  paru  qu'on  pouvait  les  suivre  et  les  voir 
entrecroiser  leurs  fascicules.    Chez  l'écureuil  et  le 
lapin  en  particulier ,  il  y  a  au  corps  calleux  deux 
couches  évidentes ,  l'une  qui  remonte  vers  les  circon- 
volutions, l'autre  qui  descend  dans  la  couche  optique  ; 
elles  sont  confondues ,  et  sans  doute  entrecroisées , 
au  raphé.    C'est  ainsi ,    et  ainsi  seulement ,    qu'on 
peut  expliquer  comment ,  dans  les  hémiplégies ,  il 
y  a  aussi  croisement  pour  la  paralysie  de  la  face , 
animée ,    comme  on  sait ,    par  le  nerf  facial  et  le 
trijumeau. 

Pour  les  lobes  optiques,  nous  avons  exposé  com- 
ment c'est  dans  les  nerfs  qui  en  partent  que  le 
croisement  s'effectue. 

Enfin  ,  pour  les  faisceaux  sur  -  spinaux  de  la 
moelle  ,  il  m'a  paru  que  leur  croisement  avait  lieu 
dans  la  protubérance  annulaire  ou  pont  de  Varole  , 
avant  qu'ils  se  développassent  dans  les  hémisphères 
cérébelleux,  dont  les  circonvolutions  donnent  ensuite 
directement  origine  aux  piliers  de  la  valvule  de 


DÂINS  LIS  DIVERS  GE?<TP.KS.  oO  1 

Vieusseiis.  Aussi,  dans  beaucoup  cVobservatioos , 
voit-on  les  lésions  du  cervelet  causer  des  paralysies 
croisées;  mais  il  faut  convenir  qu'on  n'a  presque 
jamais  ,  dans  ces  narrations ,  fait  Ja  part  de  la  sensi- 
bilité et  de  la  contractilité  :  nous  avions  même 
autrefois  admis  conjectura]ement  qu'il  devait  y  avoir 
décussation  pour  celle-ci  seulement  par  Fintermé- 
diaire  du  cerveau  ;  une  observa tioii  curieuse  de 
Casauviell  (une  seule)  viendrait  à  l'appui  de  cette  opi- 
nion, puisque  son  malade  avait  perdu  le  mouvement 
dans  les  membres  du  coté  opposé,  et  le  sentiment 
dans  ceux  du  coté  même  de  l'altération  du  cervelet. 

Une  partie  de  ces  entrecroisements  subsiste  cbez 
les  oiseaux  ;  peut-être  en  existe-t-il  dans  les  deux 
commissures  transverses  qu'on  voit,  l'une  au-devant 
du  troisième  ventricule  et  des  couches  optiques, 
l'autre  entre  les  lobes  optiques  ou  tubercules  quadri- 
jumeaux  ;  mais  Tentrecroisement  est  plus  évident 
encore  aux  pyramides,  comme  l'attestent  les  figures 
données  par  Serres  dans  son  Anatomie  comparée  du 
cerveau.  Aussi  les  expériences  de  Flourens  et  autres 
ont-elles  montré  des  effets  croisés  après  diverses 
lésions  de  leur  encéphale. 

Les  reptiles  et  les  poissons  n'ont  plus  rien  de 
semblable  ;  et  nous  nous  sommes  bien  assuré  ,  sur 
des  lézards,  des  poissons  (anguille,  muge),  des 
batraciens  (rainette),  que  l'irritation  d'un  des  côtés 
de  l'encéphale  produit  des  convulsions  du  même 
côté  :  déjà  Desmoulins  l'avait  noté  soigneusement. 
Ce  mode  d'expérimentation  est  ici  le  seul  valable  ; 
on  ne  saurait  compter  sur  des  paralysies  à  la  suite 
des  lésions  cérébrales  ;  la  moelle  épinière  a  trop  de 


392  DES    SEIN'SATIONS  CENTRALES 

puissance  propre  pour  le  permettre  ;  et ,  à  plus  forte 
raison ,  en  est-il  de  même  chez  les  animaux  inver- 
tébrés. Nous  avons  pu  enlèvera  une  sauterelle  l'œil 
et  le  lobe  sus-œsophagien  d'un  côté  seulement,  sans 
nuire  en  rien  à  la  régularité  des  mouvements  et  des 
autres  fonctions  de  Fanimal.  On  ne  s'en  étonnera 
pas ,  en  se  rappelant  l'indépendance  des  masses  ner- 
veuses que  nous  avons  signalée  plus  haut  chez  tous 
les  animaux  sans  vertèbres.  L'expérience  dont  il 
est  ici  question  avait  été  faite  dans  la  vue  d'obtenir 
quelques  données  sur  une  décussation  que  Swam- 
merdam  a  fait  figurer,  d'imagination  peut-être,  dans 
les  cordons  nerveux  d'un  crustacé  à  travers  son 
deuxième  ganglion  ;  l'anatomie  ne  nous  a  rien  appris 
de  plus  à  cet  égard ,  et  les  investigations  si  soignées 
d'Audouin  et  Milne  Edwards  ne  paraissent  pas  non 
plus  leur  avoir  fait  retrouver  cet  entrecroisement. 


CHAPITRE  VIII. 

DES  SENSATIONS  CENTRALES  ETUDIEES  EN  ELLES-MEMES. 

AI&TI€Ij1:  I."  -  CoR!i$i€lcratîons  g^énérales* 

Un  caractère  essentiel  à  toutes  les  réactions  qui 
s'opèrent  dans  les  organes  centraux  du  système 
nerveux,  ou  du  moins  dans  leur  organe  le  plus 
central,  dans  le  réceptacle  commun  des  opérations 
déjà  effectuées  par  les  autres ,  en  un  mot ,  dans  le 
cerveau  proprement  dit ,  c'est  d'être  accompagnées 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  393 

de  sentiment  ou  seîis  intime  /de  là  ,  le  nom  de  sensa- 
tions centrales  que  nous  leur  avons  assigné  ,  et  celui 
de  sensorium  commune  qu'on  a  depuis  long -temps 
donné  à  leur  siège,  quel  qu'il  fut  supposé.  Ce  senti- 
ment intérieur  que  chacun  connaît ,  est  assez  défini 
par  son  nom  même ,  et  c'est  par  sa  coexistence  avec 
elles  que  les  opérations  dont  nous  allons  nous  occuper 
se  distinguent  des  sensations  externes  et  des  internes, 
qui  ne  sont  que  des  préliminaires  obligés  et  conmae 
les  matériaux  des  centrales. 

Cette  qualité ,  inséparable  de  l'essence  de  ces  der- 
nières ,  est  envisagée  par  les  matérialistes  comme 
appartenant  à  une  disposition  spéciale  de  la  matière, 
à  l'organisation  même  des  centres  nerveux  :  elle  est, 
au  contraire  ,  rattachée  par  les  spiritualistes  à  un 
principe  immatériel ,  à  une  âme  incorruptible ,  mais 
intimement  unie  et  mariée  aux  organes.  11  n'entre 
point  dans  nos  attributions ,  ni  dans  nos  devoirs ,  de 
discuter  ces  questions  qui  veulent  être  éclairées  par 
d'autres  lumières  que  celles  de  la  physiologie  ;  et  nous 
abandonnerons  d'autant  plus  volontiers  nos  lecteurs 
à  leurs  croyances ,  que  tout  ce  qui  va  suivre  est  éga- 
lement acceptable  aux  unes  et  aux  autres.  Tout  ce 
que  nous  avons  dit  dans  le  chapitre  précédent ,  tout 
ce  qui  fera  l'objet  de  celui-ci  concorde  parfaitement 
avec  cet  axiome ,  que  «  l'homme  est  une  intelligence 
servie  par  des  organes»  (de  Bonald)  ;  et  l'on  peut 
admettre  tout  ce  qu'ils  renferment,  sans  se  croire 
obligé  de  professer ,  avec  Cabanis ,  que  «  pour  se 
faire  une  idée  juste  de  la  pensée ,  il  faut  considérer 
le  cerveau  comme  un  organe  particulier,  destiné 
spécialement  à  la  produire.  » 


394  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

Ayant  reconnu  rinsuffisance  de  l'anatomie  pour 
expliquer  les  phénomènes  intellectuels  et  pour  les 
classer  convenablement,  convaincu  ainsi  de  la  néces- 
sité da  les  étudier  et  de  les  exposer  abstractivement, 
nous  avons  mis  simultanément  en  usage  les  pro- 
cédés d'investigation  et  les  méthodes  de  classement 
adoptées ,  trop  exclusivement ,  d'un  coté ,  par  les 
jJsycJiologisles  ou  partisans  de  Vidéalisme  ^  de  l'autre, 
par  les  idéoïogistes  partisans  an  sensualisme  (i). 

Les  premiers ,  procédant ,  pour  ainsi  dire ,  de  l'in- 
térieur à  l'extérieur,  ne  croient  pouvoir  étudier  les 
fonctions  de  l'àme  qu'en  se  repliant  en  eux-mêmes , 
en  contemplant  dans  une  réflexion  attentive  leur  nioij 
leur  sens  intime,'  ils  veulent  remonter  de  la  nature 
des  idées  vers  leur  cause  ,  et  il  leur  arrive  trop 
souvent  de  ne  tenir  compte  que  de  ce  qu'ils  sentent , 
en  oubliant  la  manière  dont  ils  en  sont  venus  à  le 
sentir.  «  A  force  d'habiter  dans  les  profondeurs  de 
la  pensée  ,  ils  l'ont  prise  pour  le  seul  monde  réel  « 
(Cousin).  Nul  doute  qu'ils  n'aient  raison  de  dire  que 
c'est  dans  notre  sentiment  seul  que  nous  trouvons 
quelque  chose  de  certain  et  de  positif.  «  Je  pense  , 
donc  je  suis  »  (Descartes)  :  rien  de  plus  vrai  ;  mais , 
dit  Condillac  ,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  s'en  tenir 
là  :  quand  ce  sentiment  bien  apprécié ,  bien  étudié , 
quand  le  témoignage  de  tous  les  sens ,  bien  reconnu 
pour  tel ,  nous  a  convaincus  de  l'existence  des  choses 
extérieures  à  nous  et  de  la  liaison  de  causalité  que 
les  phénomènes  du  dehors  ont  avec  ceux  du  dedans , 

(1)  On  peut ,  malgré  une  foule  de  ntiances  dans  les  détails  ,  ranger  parmi  les 
premiers ,  Platon  ,  Descarlcs  ,  Spinosa  ,  Leibnilz  ,  Clarke  ,  Wolf ,  Sîallebranche  , 
Kant ,  Reid ,  Cousin  ;  el  parmi  les  seconds,  Àristote ,  Bacon,  Gassendi, 
liobbes  ,    Collins ,   Locke,  Condillac,   Cabanis,  DcBtuLl-Tracy ,  Broussais. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  395 

nous  pouvons  ,  avec  certitude  ,  établir  la  science 
idéologique  sur  d'autres  bases ,  la  distribuer  sur  un 
autre  plan  que  n'en  pourrait  fournir  le  sens  intime 
à  lui  seul.  «  Descartes,  parti  de  l'observation  inté- 
rieure, aboutit  à  l'hypotbèse;  celui  qui  avait  rejeté 
toute  autre  autorité  que  celle  de  la  pensée,  est  em- 
barrassé de  trouver  dans  la  pensée  seule ,  dans  la 
seule  conscience  ,  parce  qu'il  ne  l'avait  pas  suffisam- 
ment interrogée ,  la  raison  de  l'existence  du  monde 
extérieur  qui  nous  entoure  »  (Cousin). 

Les  idéologistes  ,  au  contraire ,  procédant  du 
dehors  au  dedans ,  de  la  cause  des  idées  vers  leur 
nature,  adoptant  comme  fondement  de  la  science  cet 
ancien  et  fameux  adage  :  Nihil  est  in  intellectu  quin 
pnùs  fuerit  in  sensu  (i),  font  des  sensations  la  base 
et  l'essence  de  toute  opération  mentale  ;  comme 
Condillac  ,  Destutt -Tracy ,  ils  ne  voient  partout 
que  des  sensations  modifiées.  Cette  doctrine  offre 
surtout  l'avantage  d'une  marche  plus  méthodique, 
plus  facile  à  saisir  et  à  suivre ,  et  qui  prête  moins 
aux  divagations  ;  mais  elle  se  montre  évidemment 
toute  factice  à  force  de  simplicité.  Qu'on  prenne  les 
sensations  pour  point  de  départ  ;  rien  de  mieux  ; 
mais  l'étude  réfléchie  du  sens  intime ,  qui  seule  a 

(1)  Cabanis  observe  qu'on  ne  trouve  nulle  part,  en  toutes  lettres,  dans  les 
écrits  d'Arislote  ,  ce  corollaire  qui  lui  est  généralement  attribué  ,  tandis 
qu  Hippocrale  a  dit ,  avec  bien  plus  d'exactitude  et  de  netteté  :  ■■  Avant  que 
la  pensée  se  produise  ,  les  sens  ont  éprouvé  tout  ce  qui  doit  la  former ,  et  ce 
sont  eux  qui  en  font  parvenir  les  matériaux  à  l'entendement.  >■  De  Gerando 
attribue  à  Zenon  la  formule  que  nous  donnons  dans  le  texte.  Voici ,  au 
contraire,  les  opinions  que  prête,  au  cbef  des  stoïciens,  Diogène  Laerce  : 
..  linimverb  pliantasiarum  aliœ  sensihiles  sunt ,  aliœ  non.  Sensibiles  quidein  quœ  per 
sensus  sive  sensum  accipiuntur,  JS'on  sensihiles  auteni  illœ  sûnt  quœ  percipiuntur  animo  , 
veluti  incorporalium  rcrum  ,  et  eorum  quœ  raiione  tantùm  aecipiuiitur.  >>  Manière 
de  raisonner  toute  semblable  à  celle  de  La  Romiguière  ,  que  nous  retrouverons 
plus  loin. 


396  DES   SENSATIONS  CENTRALES 

pu  d'abord  nous  apprendre  à  apprécier  nos  sensa- 
tions externes ,  devient  encore  nécessaire  ensuite 
pour  nous  faire  connaître  la  nature  des  opérations 
subséquentes.  On  s'assure  ainsi  bientôt,  que  si  le 
sentiment  accompagne  la  volonté ,  il  n'en  constitue 
pas  l'essence  ;  vouloir,  ce  n'est  pas  seulement  sentir 
des  désirs;  pas  plus  que  marcher  n'est  sentir  le  mou- 
vement des  jambes.  «  Je  ne  suis  pas  simplement  un 
être  sensitif  et  passif,  mais  un  être  actif  et  intelli- 
gent  Je  suis  actif  quand  je  juge  »  ,  dit ,  avec 

raison,  J.  J.  Rousseau.  Cette  étude  intérieure  est 
bien  essentielle  quand  elle  est  jointe  à  une  bonne 
méthode  de  classification ,  à  une  logique  claire  et 
rigoureuse  ,  quand  on  l'aide  aussi  de  l'observation 
des  choses  extérieures  et  de  leurs  rapports  avec  les 
opérations  intérieures  telles  qu'on  les  sent  en  soi  et 
qu'on  les  reconnaît,  à  l'expression  ,  chez  les  autres. 
«  Il  faut  étudier  soi  et  les  autres  » ,  a  dit  un  savant 
académicien  (  Broussais  ).  La  première  de  ces  deux 
études  ne  l'emporte  pas  effectivement  sur  la  deuxième 
autant  qu'on  serait  tenté  de  le  croire  ;  se  sentir 
penser,  n'est  pas  un  moyen  péremptoire  et  surtout 
infaillible  d'apprendre  comment  on  pense ,  pas  plus 
que  sentir  qu'on  tourne  les  yeux  ou  qu'on  ouvre  la 
bouche  n'apprend  le  mécanisme  de  ces  mouvements , 
dont  on  prend  même  une  idée  plus  exacte  en  les 
voyant  exécuter  par  un  autre. 

Nous  nous  en  tiendrons  à  ces  brèves  remarques; 
nous  dispensant  d'un  historique  général,  au  moins 
inutile  pour  une  branche  de  la  physiologie  que  la 
philosophie  revendique  de  son  côté,  et  dont  on  a 
fait  même  une  science  à  part  :  nous  n'insisterons 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  397 

d'ailleurs  sur  la  partie  dogmatique  qu'autant  qu'il  le 
faudra  pour  présenter  au  lecteur  un  ensemble  bien 
net ,  et  pour  lui  faciliter  le  parallèle  entre  ce  qui 
se  passe  chez  l'homme  et  ce  qui  s'opère  chez  les 
autres  animaux ,  parallèle  qui  constituera  la  physio- 
logie comparée  des  sensations  centrales.  Sous  ce 
rapport  on  trouvera  plus  convenable ,  sans  doute , 
que  nous  entrions  ici  dans  quelques  détails  histo- 
riques sur  les  opinions  diverses  qu'on  a  professées 
relativement  à  la  source  et  à  la  portée  de  l'intelli- 
gence des  bêtes,  c'est-à-dire  de  tous  les  animaux 
autres  que  l'homme. 

La  doctrine  de  la  métempsycose  impliquait  l'ad- 
mission d'une  àme  semblable  dans  les  animaux  et 
dans  Thomme  ,  opinion  reproduite ,  mais  torturée  et 
subtilisée ,  comme  de  raison ,  dans  les  dogmes  vapo- 
reux de  l'école  platonicienne.  Epicure,  d'après  ce 
que  nous  voyons  dans  Lucrèce  ,  attribuait  aux  bètes, 
comme  à  l'homme ,  une  àme ,  mais  également  maté- 
rielle et  mortelle.  Les  stoïciens  refusaient  une  âme 
raisonnable  aux  animaux,  etPlutarque  les  en  blâme, 
observant  qu'ils  mettent  leurs  actes  en  contradiction 
avec  leurs  principes  quand  ils  corrigent  leurs  chiens 
ou  leurs  chevaux.  «Si  les  animaux,  dit  cet  écrivain 
philosophe ,  discourent  plus  lourdement  et  plus 
grossement  que  ne  fait  l'homme ,  ce  n'est  pas  à  dire 
pourtant  qu'ils  n'aient ,  de  tout  point ,  de  discours 
ni  de  raison  naturelle.»  Anaxagore  admet,  entre 
l'homme  et  les  bêtes ,  cette  importante  différence , 
que  le  premier  peut  seul  expliquer  ses  raisonne- 
ments. D'après  Aristote ,  «  un  seul  animal  est  capable 
de  réfléchir   et  de  délibérer;   c'est  l'homme;  plu- 


398  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

sieurs  partagent  avec  lui  la  faculté  de  la  mémoire 
et  celle  d'apprendre;  aucun,  excepté  lui,  n'a  la 
faculté  de  la  réminiscence.  »  Nous  aurons  plus  tard 
occasion  de  rappeler  cette  déclaration  et  d'examiner 
dans  quelles  bornes  il  faut  en  restreindre  la  portée. 

Plus  près  de  nos  temps,  nous  voyons  Descartes  et 
ses  adhérents ,  le  cardinal  poëte  Polignac ,  l'illustre 
BufFon  et  autres ,  malgré  les  ingénieux  plaidoyers 
du  naïf  Lafontaine ,  déclarer  que  les  animaux  sont 
de  pures  machines,  qu'ils  n'agissent  que  par  un 
aveugle  instinct  et  sans  véritable  intelligence.  Willis 
avait  discuté  davantage  la  question;  par  concession, 
sans  doute  ,  aux  théologiens  d'alors  ,  il  ne  donnait 
qu'à  l'homme  une  àme  rationnelle  ;  celle  des  bêtes 
était  toute  corporelle;  il  leur  accordait  toutefois  la 
connaissance  ,  l'imagination ,  la  mémoire ,  l'expé- 
rience ,  le  jugement  fhrutorum  syllogismi J . 

Locke  ,  sans  entrer ,  plus  que  nous  ne  voulons  le 
faire,  dans  le  fond  de  la  question,  refuse  aux  bêtes 
la  faculté  de  comparer  et  d'abstraire.  Condiilac  leur 
refuse  seulement  cette  dernière  faculté  ,  tout  en  leur 
accordant  la  comparaison,  le  jugement,  les  idées, 
la  mémoire ,  les  passions ,  et  en  somme  l'entende- 
ment et  la  volonté. 

Il  y  a  quelques  années  que,  dans  un  mémoire 
fort  intéressant,  Bureau  de  la  Malle  a  établi,  sur 
l'observation  des  faits,  «  qu'il  y  a,  chez  les  ani- 
maux ,  mais  dans  des  limites  que  nous  ne  pouvons 
pas  encore  déterminer,  qualités  instinctives,  facultés 
d'imitation  ,  mémoire  et  réminiscence ,  volonté ,  déli- 
bération et  jugement.  » 

Selon  le  sévère  et  judicieux  Cuvier,  «  on  aperçoit , 


ETUDIEES    EN    ELLES-MEMES. 

dans  les  animaux  supérieurs ,  un  certain  degré  de 
raisonnement  avec  tous  ses  effets  ,  bons  et  mauvais, 
et  qui  paraît  être  ,  à  peu  près ,  le  même  que  celui  des 
enfants  lorsqu'ils  n'ont  pas  encore  appris  à  parler. 
A  mesure  qu'on  descend  à  des  animaux  plus  éloignés 
de  l'homme  ,  les  facultés  s'affaiblissent ,  et  dans  les 
dernières  classes  ,  elles  finissent  par  se  réduire  à 
quelques  signes,  encore  quelquefois  équivoques ,  de 
sensibilité  ,  c'est-à-dire  à  quelques  mouvements  peu 
énergiques  pour  échapper  à  la  douleur.  Les  degrés 
entre  ces  deux  extrêmes  sont  infinis.  »  C'est,  à  notre 
avis,  ce  qu'on  peut,  sur  ce  sujet,  dire  de  plus  sage 
et  de  plus  juste ,  en  thèse  générale  :  nous  n'y  ajoute- 
rons  qu'un  mot ,  c'est  que  l'intelligence  prédomine 
d'autant  plus  que  les  masses  nerveuses  centrales  se 
compliquent  et  se  diversifient ,  que  la  tète  se  détache 
et  se  renfle  (surtout  le  front)  proportionnellement 
davantage  ;  tandis  que  l'instinct  prend  le  dessus  à 
mesure  que  le  système  nerveux  se  simplifie  et  tend  à 
se  réduire  à  des  portions  uniquement  conductrices. 
Il  y  a  loin  de  cette  formule  à  celle  de  Lamarck ,  qui 
divise  nettement  les  animaux  en  trois  ordres:  1»  les 
Oj}a^/i/</t<^5  qui  ne  jouissent  que  de  l'irritabilité;  2oles 
sensibles  qui  ont  le  sentiment  sans  l'intelligence ,  ce 
qui  équivaut  à  l'instinct  seul  ;  3°  les  intelUgents. 
Nous  ne  saurions  admettre  avec  lui  cette  division 
tranchée  ;  et  nous  ne  pouvons  accorder  davantage  à 
Yirey  et  à  Serres  que  l'instinct  seul  reste  aux  inver- 
tébrés ,  sous  prétexte  qu'ils  n'ont  plus  ,  en  fait  de 
centre  nerveux,  que  l'analogue  du  grand  sympa- 
thique des  animaux  à  vertèbres.  Nous  avons  précé- 
demment combattu  cette  erreur  anatomique,  et  nous 


400  DES    SENSATIONS   CENTRALES 

avons  assez  démontré  ,  dans  les  prolégomènes ,  la 
filiation  naturelle  et  non  interrompue  qui  conduit 
des  organismes  les  plus  simples  aux  plus  complexes; 
elle  conduit  également,  par  d'innombrables  degrés 
de  perfectionnement ,  de  l'animal  le  plus  brut  au 
plus  raisonnable,  à  l'bomme. 

Cette  accession  graduelle,  et  l'affinité  qu'elle 
établit  entre  nous  et  les  espèces  voisines  ,  ne  saurait 
choquer  qu'un  orgueil  peu  philosophique.  N'ob- 
serve-t-on  pas  des  dégradations  successives ,  sous  ce 
rapport  même ,  dans  les  diverses  races  de  l'espèce 
humaine  ;  et  la  distance  n'est-elle  pas  presque  aussi 
grande  entre  le  citadin  d'Europe  et  le  boschisman 
du  Cap ,  qu'entre  celui-ci  et  le  singe  ?  N'exagérons 
point  toutefois  ce  parallèle ,  et  convenons  qu'il  y  a 
réellement  entre  ces  deux  derniers  termes  une  limite 
infranchissable  ;  l'orang-outang  n'arrivera  jamais  de 
lui-même  ou  par  tradition ,  par  enseignement  de  ses 
pareils ,  à  la  grossière  civilisation  des  peuplades  les 
plus  sauvages  ;  le  hottentot,  le  pesserai  de  l'Ile  de 
Noël  ont  un  langage  tel  quel  ;  ils  savent  se  servir  du 
feu,  dompter  et  dresser  des  bœufs,  des  chiens, 
fabriquer  diverses  armes,  des  arcs  et  même  des 
canots.  Les  Diemenois,  les  moins  policés  de  tous  les 
sauvages  jusqu'ici  découverts,  n'avaient  ni  embar- 
cations ,  ni  d'autres  armes  qu'une  sorte  de  lance  ; 
mais  ils  parlaient,  ils  se  tatouaient  le  corps  et 
savaient  allumer  du  feu.  Toute  l'industrie  des  singes 
à  l'état  sauvage  se  réduit ,  pour  ce  qui  ressemble  à 
la  nôtre ,  à  la  construction  d'une  cabane  et  à  l'usage 
du  bâton. 


ETUDIEES  EN  ELLES-MEMES. 


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26 


402  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

ARTlCîiE  II.   -  Des  opérations  intellectuelles 
on  de  la  pensée» 

Nous  n'avons  pas  cru  devoir  nous  occuper  isolé- 
ment des  facultés  intellectuelles  plus  que  des  pro- 
priétés vitales,  mais  seulement  des  opérations  dont 
ces  facultés  ne  représenteraient  que  la  possibilité 
et  non  Fessence  ni  le  mécanisme  ;  aussi  ne  nous 
en  servirons-nous  que  comme  de  termes  propres  à 
faciliter  le  discours ,  mais  non  comme  d'objets  parti- 
culiers. Une  chose  ne  peut  exister  sans  les  conditions 
de  son  existence;  quand  ces  conditions  ne  sont  plus 
que  des  modalités  inconnues  dans  leur  essence,  c'est 
perdre  son  temps  que  de  les  étudier  à  part  ;  c'est 
argumenter  sur  des  mots  auxquels  on  finit  par 
accorder  une  existence  réelle,  tandis  qu'ils  n'en 
ont  qu'une  nominale  ;  c'est  tomber  dans  Terreur  des 
réalistes.  Si  l'observateur  s'épuise  en  méditations 
sur  des  propriétés ,  sur  des  forces  considérées  indé- 
pendamment des  organes  ou  des  corps  de  la  nature 
qui  ont  sur  eux  de  l'action ,  il  manquera  son  but , 
dit  avec  raison  un  médecin  philosophe  (Broussais). 

Les  opérations  qui  vont  nous  occuper  ici  sont 
rangées  en  deux  groupes  :  opérations  immédiates  ou 
primitives  ,  et  opérations  réfléchies  ou  consécutives. 
Dans  le  premier,  se  rangent  les  notions  ou  idées 
et  les  volitions  ;  dans  le  deuxième,  l'attention,  la 
réminiscence,  la  comparaison,  le  jugement,  le  rai- 
sonnement et  leurs  nuances. 

§  P^.    Des  opérations  immédiates  de  V entendement. 

Ce  sont  celles  qui  se  lient  le  plus  immédiatement 
aux  autres  fonctions  du   svstème    nerveux,  celles 


ÉTUDIÉKS    EN    ELLES-MEMES.  403 

qui  existent  le  plus   généralement  dans   l'échelle 
animale;   savoir,  les  idées  et  les  volitions. 

j4.  Des  idées  ou  notions  :  perception  ^  mémoire  _, 
association j  caténationSj  combinaisons  et  modifications, 
—  a.  Chez  lliomme.  On  n'a  pas  toujours  été  d'ac- 
cord sur  la  valeur  de  ces  mots ,  et  il  en  a  été  mal- 
heureusement de  même  de  presque  tous  les  autres 
termes  idéologiques  ;  nous  nous  attacherons ,  en  con- 
séquence ,  à  hien  préciser  la  signification  que  nous 
leurs  donnons.  L'idée  ou  notion  est  le  produit  im- 
médiat de  la  sensation  centrale  ;  c'est  la  sensation 
avec  sentiment,  avec  douleur  ou  plaisir  si  elle  est  un 
peu  vive. 

Nous  distinguons  deux  ordres  principaux  d'idées 
relativement  à  leur  mode  de  production;  les  unes 
sont  directes  j  c'est-à-dire  nées  sous  l'influence  d'une 
stimulation  nouvelle  et  venue  directement  des  sens 
ou  des  viscères,  ce  sont  les  perceptions,  ou  mieux 
percepts[i);  les  autres  sont  indirectes j  c'est-à-dire 
nées  ou  plutôt  reproduites  à  l'occasion  d'une  per- 
ception nouvelle  qui  réveille  une  perception  plus 
ancienne ,   ce  sont  les  souvenirs. 

A  quelque  ordre  qu'elles  appartiennent ,  les 
idées  peuvent  être  considérées  comme  toujours  sim- 
ples :  lors  même  qu'elles  représentent  à  notre  esprit 
des  objets  très-complexes,  c'est  toujours  sous  une 
forme  simple,  unique.  Dans  ce  dernier  cas,  on  les 
nomme  idées  concrètes  j,  parce  qu'elles  n'offrent  que 
l'ensemble,  la  masse  de  toutes  les  qualités  de  l'objet 
ou    de  l'accident   qu'elles  déterminent  :    on  les  a 

(1)  Pour  la  sévérité  du    langage,  la  perception  doit  être  considérée  comme 
l'acte  qui  amène  un  percêpl  ,  et  la  notion  comme  l'acte  qui  produit  une  idée. 


404  DES   SENSATIONS  CENTBÂLES 

appelées  abstraites  ou  générale  s  ^  au  contraire ,  quand 
elles  représentent  une  qualité  simple  ,  élémentaire, 
mais  qui  peut  être  commune  à  beaucoup  d'accidents 
ou  d'objets. 

Les   idées    concrètes  sont    souvent  présentes   à 
l'esprit  sous  la  forme  d'une  sensation  visuelle;  les 
abstraites  le  sont  communément  sous  la  forme  d'un 
son ,   d'un  mot  de  convention ,   qui  ne  les  traduit 
que  comme  une  lettre ,  en  algèbre ,  représente  une 
valeur  arithmétique  arbitraire  :  il  en  est  de  même 
de  certains  résultats  d'opérations  intellectuelles  anté- 
cédentes ,  concrétées  sous  une  formule  simple ,  celle 
d'un  mot.  Il  suit  de  là  qu'une  chose  très-complexe , 
une    science    par  exemple ,  peut   s'offrir  à  l'esprit 
comme  une  notion  simple ,  exprimée  par  son  nom , 
et  sur  laquelle  l'intelligence  opérera  comme  sur  la 
représentation  d'un  objet  matériel.  C'est  ainsi  que 
les  mots  deviennent  des  idées  et  servent  de  maté- 
riaux à  la  plupart  des  opérations  mentales ,  et  sur- 
tout des  plus  compliquées.  Cette  valeur  des  mots, 
si  bien  démontrée  par  Condillac ,  a  été  la  vraie  cause 
de  la  grande  querelle  des  réalistes  et  des  nominaux, 
dans  laquelle  tout  l'avantage  devait  naturellement 
rester  du  côté  des  derniers  qui  soutenaient  que  les 
unwersauXj  c'est-à-dire  les  généralités ,  les  abstrac- 
tions ,  ont  une  existence  vraie  sans  doute ,  mais  seu- 
lement eu  tant  que  motSj  dans  notre  esprit  comme 
dans  un  livre. 

Il  nous  paraît  superflu  d'entrer  sur  ce  sujet  dans  de 
plus  longs  détails ,  non  plus  que  sur  les  différences 
des  idées  selon  leur  source,  c'est-à-dire  selon  l'organe 
qui  les  fournit  (visuelles,  auditives,   faim,  soif, 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  405 

etc.  j,  ni  sur  les  conséquences  qui  en  résultent  ;  ce 
dernier  point  rentrera  d^aiîleurs  dans  Fétude  des 
opérations  subséquentes.  Arrêtons-nous  maintenant 
sur  les  souvenirs  et  la  condition  ou  faculté  sous  le 
nom  de  laquelle  on  les  généralise  ,  je  veux  dire  la 
mémoire. 

La  mémoire  n'est  autre  chose  que  cette  faculté  , 
que  nous  avons  reconnue  dans  toutes  les  parties  du 
corps,  de  reproduire  des  actes  déjà  exécutés,  et  ce 
d'autant  plus  facilement  qu'ils  l'ont  été  plus  sou- 
vent et  d'une  manière  plus  énergique  ;  mais  le  mot 
mémoire  s'applique  préférablement  aux  organes  de 
la  pensée  ,  et  celui  d'habitude  aux  autres  organes. 
L'éducation  morale ,  comme  l'éducation  physique  , 
est  entièrement  fondée  sur  cette  aptitude ,  qui  fait 
aussi  l'une  des  conditions  fondamentales  du  raison- 
nement et  de  toutes  les  sciences.  Le  secours  qu'elle 
leur  prête  ne  consiste  pas  seulement  dans  les  repro- 
ductions isolées  et  éventuelles  des  anciennes  idées; 
mais  bien  plutôt  dans  la  facilité  avec  laquelle  ces 
idées  anciennes  s'associent  et  s'enchaînent  pour  se 
rappeler  mutuellement  au  besoin ,  se  combiner  entre 
elles  ou  avec  des  idées  nouvelles,  et  se  modifier 
l'une  par  l'autre. 

1^  Les  associations  d'idées  ou  de  souvenirs  sont 
quelquefois  de  convention ,  comme  entre  la  plupart 
des  noms  et  les  objets  qu'ils  indiquent,  entre  la 
lettre  et  le  son  qu'elle  exprime ,  la  note  de  musique 
et  le  ton  qu'elle  représente  :  c'est  par  la  fréquente 
coïncidence  et  répétition  de  l'un  en  présence  de 
l'autre ,  que  l'enfant  apprend  à  les  lier  ensembk  , 
à  les  figurer  l'un  par  l'autre  ;    c'est  là  le  secret  de 


406  DES   SENSATIONS   CENTRALl-S 

toutes  les  langues  :  c'est  aussi  par  la  coïncidence 
qu'une  date  rappelle  un  événement  et  sert  souvent 
à  le  désigner  (  10  août,  29  juillet,  etc.).  D'autres 
associations  naissent  de  l'analogie  des  objets  entre 
eux ,  de  leurs  rapports  physiques  ou  moraux,  de  leur 
succession  naturelle  ,  et  quelquefois  aussi  de  leur 
opposition  que  l'expérience  nous  démontre  :  c'est 
là-dessus  que  se  fonde  la  mnémonique. 

2®  Les  caténations  sont  des  associations  successives 
et  multiples,  des  séries  d'associations  fondées  sur 
quelqu'un  des  principes  précédents  ;  tantôt  sur  la 
coïncidence  et  la  fréquente  répétition,  comme  quand 
les  enfants  récitent  un  discours  qu'ils  ne  comprennent 
nullement  ;  tantôt  et  plus  souvent ,  sur  les  rapports 
et  la  liaison  naturelle  ou  logique  des  idées,  comme 
quand  on  répète  un  raisonnement,  un  théorème  bien 
compris ,  une  pièce  de  vers ,  un  morceau  de  musique 
dont  on  sent  la  mesure  et  l'harmonie. 

C'est  dans  ces  caténations  de  souvenirs  plus  ou 
moins  irrégulièrement  mises  en  jeu  que  l'on  trouve 
l'explication  des  rêves  et  de  Vimagination  :  la  diffé- 
rence entre  ces  deux  actes  consiste  seulement  dans 
la  rectification  qu'apportent ,  de  temps  à  autre , 
aux  écarts  de  la  mémoire ,  les  sens  tenus  en  éA  eil 
dans  le  deuxième  cas ,  tandis  qu'ils  sont  assoupis 
dans  le  premier ,  et  laissent  vagabonder  les  souve- 
nirs en  séries  imparfaites  ,  irrégulières ,  entrecou- 
pées, et  par  conséquent  plus  ou  moins  bizarres. 

Dans  le  délire  j  et  surtout  dans  cette  forme  de 
folie  qu'on  nomme  démence  j  ce  sont  encore  des 
caténations  irréguîières  ,  entrecoupées  ,  et  qui  ne 
peuvent  être  rectifiées  à  cause  de  l'état  maladif  de 


ÉTUDIÉES    EIN    ELLES-MEMES.  407 

reucéphale  même.  En  pareil  cas ,  la  maladie ,  comme 
le  sommeil  dans  les  rêves ,  empêche  de  reconnaître 
(à  part  quelques  rares  exceptions)  que  les  idées 
actuelles  ne  sont  que  des  souvenirs  et  non  des  percepts. 

Ces  deux  ordres  de  choses  seraient  effectivement 
faciles  à  confondre ,  puisqu'il  y  a  identité  dans  les 
actes  de  réaction  nerveuse  qui  les  produisent  ;  mais  , 
dans  l'état  sain ,  la  liberté  des  sens  et  l'intégrité 
de  l'encéphale  permettent  de  distinguer  l'ancien  du 
nouveau,  le  passé  du  présent.  En  général,  un  sou- 
venir se  caractérise  surtout  par  une  moindre  vivacité 
que  dans  le  percept  dont  il  est  la  reproduction 
(Hobhes);  les  impressions  fort  anciennes  finissent 
par  s'effacer  tout -à- fait,  et  le  sentiment  qui  les 
accompagne  s'émousse  de  plus  en  plus  ,  comme 
chacun  l'a  éprouvé.  Il  est  aussi,  nous  le  verrons 
bientôt,  quelques  souvenirs  volontaires  ;  ceux-ci 
portent  avec  eux  le  sentiment  de  l'effort  qui  les  a 
fait  renaître  et  qui  suffit  pour  les  spécialiser. 

3®  Non-seulement  des  notions  anciennes  peuvent 
s'appeler  l'une  l'autre ,  après  avoir  été  rappelées 
par  des  idées  nouvelles ,  mais  elles  peuvent  encore 
se  combiner,  se  modifier  l'une  par  l'autre  et  con- 
duire à  des  désirs ,  à  des  volontés  fort  différentes  de 
celles  qu'un  seul  de  ces  éléments  eût  produites.  11 
ne  faut  pas  confondre  ces  combinaisons  inaperçues , 
ces  modifications  spontanées ,  avec  la  comparaison 
et  le  jugement  qui  appartiennent  aux  opérations 
réfléchies  ;  c'est  la  faute  qu'ont  commise  la  plupart 
des  matérialistes  ,  et  cette  confusion  ne  pouvait 
manquer  de  rendre  leur  doctrine  insuffisante  à  l'ex- 
plication des  problèmes  relatifs  à  la  liberté  morale ,  à 


408  I>ES  SENSATIONS   CENTRALES 

la  conscience  et  antres  points  sur  lesquels  insistaient 
avec  raison  les  spiritualistes.  Les  combinaisons  dont 
nous  parlons  ici  peuvent  se  concevoir  aisément  par 
cette  formule  :  deux  raisons  valent  mieux  qu'une; 
mais  dès  qu'il  y  a  recherche  ,  examen  du  pour  et 
du  contre  ,  délibération,  en  un  mot,  c'est  un  tout 
autre  ordre  d'opérations.  Nous  avons  à  peine  besoin 
d'ajouter  que  ce  que  nous  disons  de  la  combinaison 
des  souvenirs  entre  eux  ou  avec  des  notions  ré- 
centes ,  peut  s'appliquer  également  à  ces  dernières 
seules ,  quand  elles  se  présentent  simults^nément  ou 
presque  simultanément  à  notre  esprit. 

b.  Après  ces  détails  applicables  plus  particulière- 
ment à  l'intelligence  humaine,  voyons  jusqu'à  quel 
point  les  animaux  jouissent  des  mêmes  prérogatives. 

A  commencer  même  par  les  prétendus  apathiques 
de  Lamarck ,  il  nous  est  facile  de  montrer ,  dans  tout 
animal,  quelque  chose  de  plus  qu'une  irritabilité 
aveugle,  quelque  chose  qui  suppose  la  coexistence 
du  sentiment  avec  la  sensation  ,  et  par  conséquent 
des  perceptions.  Certainement  on  ne  peut  mettre 
de  pair  le  muscle  d'une  grenouille  qui  se  raccourcit 
uniformément  quand  on  le  pique ,  et  le  polype  en- 
laçant vivement  dans  ses  bras  subitement  repliés 
en  sens  divers  et  appropriés  à  son  but ,  et  attirant 
uniformément  vers  sa  bouche  l'imprudente  naïde 
qui  a  touché  l'un  de  ces  tentacules.  Il  est  inutile , 
d'après  cela ,  de  chercher  à  prouver  qu'il  existe  de 
véritables  perceptions  chez  les  animaux  plus  par- 
faits, chez  tous  ceux  à  système  nerveux  centralisé; 
la  réalité  du  fait  ressortira  trop  bien  d'ailleurs  de  tout 
ce  que  nous  dirons  ,  à  leur  sujet ,    des  autres  actes 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES  409 

intellectuels  ,  puisque  la  perception  est  l'élément 
indispensable  de  toutes  les  opérations  mentales. 

Les  souvenirs j  par  exemple,  sont-ils  autre  chose 
qu'une  nouvelle  exhibition  de  percepts  antérieurs  ? 
Là  où  il  y  a  mémoire  il  y  a  donc  eu  perception. 
Toutefois,  la  mémoire  semble  presque  nulle  et  les 
perceptions  toutes  momentanées  et  passagères,  ou 
du  moins  sans  trace  bien  durable  chez  les  zoophytes, 
les  annélides,  les  mollusques,  dont  les  actes  sembla- 
bles ne  paraissent  se  reproduire  qu'à  l'occasion 
d'impressions  semblables,  soitexternes,  soit  internes. 
Aussi  ces  animaux  ne  sont-ils  susceptibles  d'aucune 
sorte  d'éducation  et  même  d'habitudes  acquises; 
ils  ne  possèdent ,  en  fait  de  caténations ,  que  celles 
de  l'instinct,  toujours  natif. 

La  mémoire  est  faible  encore  ,  mais  pourtant 
susceptible  de  démonstration ,  chez  la  plupart  des 
autres  animaux  articulés.  Unmyriapode,  un  insecte, 
uncrustacé,  une  arachnide  que  vous  provoquerez  du 
doigt,  fuira  d'abord  avec  assez  peu  d'empressement; 
une  seconde  attaque ,  sans  être  plus  vive ,  excitera 
des  mouvements  plus  précipités  ;  une  troisième  dé- 
terminera une  agitation  bien  plus  manifeste  encore 
et  plus  prolongée.  Arrêtez-vous  devant  le  trou  d'un 
grillon ,  il  s'y  enfoncera  à  l'instant ,  mais  pour  se 
montrer  bientôt  après  ;  poursuivez-le  vivement ,  et  il 
restera  quelquefois  plus  de  dix  minutes  au  fond  de 
sa  retraite,  quoique  tout  reste  en  repos  autour  de 
lui  :  c'est  à  peu  près  la  même  chose  si  vous  excitez 
une  grosse  araignée,;  une  mante ,  qui  prenne  le  parti 
de  se  défendre  au  lieu  de  fuir  ;  la  susceptibilité 
et  la  violence  des  actes  iront  croissant,  parce  que 


410  DES   SENSATIOiNS  CENTRALES 

à  Tattaque  actuelle  se  joint  le  souvenir  récent  des 
antécédentes  ;  mais  un  quart  d'heure  ,  une  demi- 
heure  après ,  l'animal  a  tout  oublié. 

Il  est  pourtant  des  souvenirs  plus  durables ,  soit 
qu'ils  proviennent  d'une  perception  très-vive ,  soit 
que  la  fréquente  répétition  ait,  à  la  longue,  pro- 
duit une  sorte  d'expérience  ou  d'éducation ,  soit 
enfin  qu'une  prédisposition  organique  rende  l'ani- 
mal plus  susceptible  d'un  certain  ordre  de  réminis- 
cences. Au  bout  de  quelques  jours  l'abeille  connaît 
parfaitement  la  nouvelle  ruche  qu'on  lui  a  donnée 
pour  habitation  :  la  fourmi ,  qui  a  découvert  une 
voie  pour  pénétrer  dans  quelque  armoire  fournie 
de  provisions  de  bouche ,  sait  en  retrouver  la  route 
et  la  montrer  à  ses  compagnes  :  le  sphex ,  qui  a  pré- 
paré un  trou,  le  retrouve  à  merveille  quand  il  a 
rencontré  la  victime  qu'il  veut  y  renfermer  avec 
ses  œufs.  11  en  est  de  même  des  mégachiles ,  des 
xylocopes,  etc.  (abeilles  coupeuses ,  maçonnes, 
perce-bois  ) ,  et  de  tous  les  insectes  à  terriers ,  à  re- 
traites qu'ils  abandonnent  momentanément  et  retrou- 
vent sans  peine  :  l'instinct  ne  peut  pas  ici  leur  don- 
ner la  connaissance  des  localités;  la  mémoire  seule 
peut  la  leur  fournir.  L'expérience  seule  préside  à 
l'établissement  de  certaines  habitudes ,  et  prouve  la 
réalité  des  associations  d'idées  chez  les  animaux 
articulés.  Les  abeilles  reconnaissent,  dit-on,  la 
personne  qui  les  soigne  :  des  araignées  ont  pu  être 
apprivoisées ,  et  Pelisson  a  depuis  long-temps  rendu 
célèbre  celle  dont  la  société  adoucissait  les  ennuis 
de  sa  prison  :  une  ségestrie  (  araignée  à  six  yeux , 
dite  araignée  des  caves  )  qui  n'a  point  eu  affaire  à 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  411 

la  fourmi,  s'en  défie  peu  ;  elle  la  tàte  pourtant  du 
bout  de  la  patte  comme  tout  animal  inconnu  ;  tandis 
qu'elle  se  précipite  sans  hésiter  sur  la  mouche  dont 
le  bourdonnement  lui  est  familier  ;  mais  celle  qui  a 
eu  la  patte  serrée  entre  les  mandibules  aiguës  d'une 
fourmi ,  la  redoute  au  point  d'abandonner  précipi- 
tamment son  trou ,  comme  l'a  dit  Walckenaër  ,  si 
Ton  y  pousse  un  de  ces  insectes  courageux ,  qu'elle 
écrase  pourtant  sans  peine  entre  ses  robustes  cro- 
chets quand  on  lui  rend  la  fuite  impossible.  Voilà, 
sans  doute,  des  exemples  d'as^ocmt/ow^  véritables, 
mais  elles  ne  forment  jamais,  il  faut  en  convenir, 
des  caténations  bien  étendues. 

Les  animaux  vertébrés  doivent  naturellement  être 
supposés  mieux  partagés  que  les  précédents  ;  aussi 
les  poissons  même  évitent-ils  les  pièges  auxquels  ils 
ont  échappé  :  on  sait   que ,   dans    les   viviers ,   ils 
viennent  au  bord  de  l'eau  chercher  leur  nourriture  , 
et  que  parfois  même  le   son  d'une  cloche  leur  sert 
d'avertissement  à  cet  effet.  La  mémoire  et  l'éduca- 
bilité  des  reptiles  offrent  un  peu  plus  de  dévelop- 
pement encore  :  nous  ne  pouvons  dire  jusqu'à  quel 
point  les  prêtres  de  l'Egypte  savaient  adoucir ,  par 
l'habitude  et  l'éducation ,  la  férocité  du  crocodile  ; 
mais  on  apprivoise  sans   beaucoup  de  peine,  on 
familiarise  du  moins  par  l'accoutumance  (  véritable 
conséquence  de  la  mémoire  )  diverses  espèces  de 
couleuvres  (^C.   domiceUaj  natrixj  monspeltensù  ^ 
etc.Jj  de  lézards  fmuralis ,  oceUataJj,  de  crapauds 
(^B.    vulgarisj.    Ils  se   laissent   alors   approcher, 
manier,  et  prennent  leur  nourriture  dans  les  mains 
qu'ils  connaissent.  Je   vois  une   tortue  grecque  se 


412  DES   SENSATIONS    CENTRALES 

rendre,  depuis  quelque  temps,  tous  les  matins, 
dans  une  cheminée  où  on  lui  a ,  pendant  plusieurs 
jours,  jeté  régulièrement  des  feuilles  de  laitue; 
c'est  une  sorte  d'éducation  qu'elle  s'est  faite  d'elle- 
même  dans  peu  de  temps ,  et  qui  prouve  ,  sinon  de 
l'intelligence,  du  moins  de  la  mémoire. 

La  mémoire  des  oiseaux  se  montre  bien  autre- 
ment développée;  c'est  chez  eux  qu'on  commence 
à  voir ,  non-seulement  des  associations  d'idées  ,  mais 
encore  des  caténations  très-suivies.  Sans  parler  de 
l'éducahilité  ,  qui  suppose  un  certain  degré  d'in- 
telligence ,  les  airs  qu'apprennent  et  répètent  les 
oiseaux  chanteurs,  les  phrases  entières  que  les 
oiseaux  parleurs  savent  retenir  et  réciter,  viennent 
assez  à  l'appui  de  l'assertion  qui  précède.  L'hiron- 
delle qui  retrouve  si  bien ,  six  mois  plus  tard ,  les 
lieux  habités  précédemment  par  elle  et  quittés  en- 
suite pour  des  contrées  lointaines,  prouve  assez  que 
la  mémoire  est  durahle  chez  les  oiseaux.  Inexpérience 
qu'acquièrent ,  même  en  pleine  liberté ,  ceux  dont 
l'âge  a  permis  des  observations  suffisamment  répé- 
tées ,  rentre  encore  dans  les  attributions  de  notre  sujet 
actuel  :  on  connaît  la  défiance  des  vieux  oiseaux ,  et 
l'on  sait  que  ce  sont  presque  toujours  les  plus  jeunes 
qui  restent  à  la  portée  du  fusil  ou  se  livrent  aux  filets 
de  l'oiseleur. 

A  plus  forte  raison  retrouverons-nous  les  mêmes 
facultés  chez  les  mammifères ,  mais  à  un  degré  très- 
variable  ,  parfois  inférieur  même  à  ce  que  certains 
oiseaux  nous  présentent,  bien  que  l'encéphale  de 
ces  derniers  semble  devoir  toujours  rester  inférieur 
en  puissance  comme  il  l'est  en  structure.  Mais  c'est 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES*  413 

que  la  mémoire  et  ses  conséquences  ne  sont  point 
la  fonction  de  tel  ou  tel  organe  encéphalique  en 
particulier;  c'est  qu'elle  est  répandue  partout,  pro- 
portionnellement aux  masses  et  aux  surfaces,  et 
peut-être  aussi  à  des  conditions  moléculaires  à  nous 
peu  connues  ,  mais  non  à  des  formes  spéciales , 
quoi  qu'en  aient  voulu  dire  les  phrénologistes.  Les 
mammifères  édentés,  les  ruminants  sauvages,  les 
rongeurs  pour  la  plupart ,  ne  donnent  guère  d'autre 
preuve  de  mémoire  que  de  reconnaître  leur  gîte , 
leurs  abreuvoirs  :  en  domesticité ,  le  mouton  recon- 
naît la  main  qui  le  soigne  et  le  caresse  ,  mais  son 
éducabiîité  est  des  plus  bornées,  sa  mémoire  des 
plus  courtes  :  le  bœuf,  le  buffle,  le  cheval,  l'àne ,  le 
chameau,  le  lama,  le  chat,  plus  susceptibles  d'édu- 
cation ,  profitant  davantage  des  leçons  et  des  correc- 
tions qu'on  leur  donne ,  montrent  plus  de  mémoire, 
des  associations  plus  nombreuses.  L'éducation  peut 
même,  avec  quelques  soins,  asservir  le  phoque, 
l'ours ,  le  loup  ,  le  lion ,  le  tigre ,  l'hyène ,  et  la 
curiosité  publique  a  pu,  de  nos  jours,  se  satisfaire 
à  cet  égard  par  d'assez  nombreux  exemples  ;  mais 
l'éducation  acquiert  son  plus  haut  degré  d'influence 
chez  l'éléphant,  le  chien,  le  singe. 

De  cette  progression  proportionnelle  à  celle  de 
l'intelligence ,  il  ne  suit  pas  que  le  souvenir  soit  une 
opération  à  part,  une  fonction  ^m^e/iem^ mais  bien, 
au  contraire  ,  qu'elle  n'est  qu'une  condition  sur- 
ajoutée aux  autres,  une  aptitude  à  la  reproduction 
des  phénomènes  intellectuels ,  qui  doit  nécessaire- 
ment s'amplifier  comme  ces  phénomènes  eux-mêmes. 
Toutefois ,  il  est  une  circonstance  dont  il  faut  tenir 


414  DES  SKNSATIOî\S  CENTRALES 

compte,  relativement  à  l'éducabilité  et  aux  richesses 
mentales  dont  elle  dote  tels  ou  tels  animaux;  non- 
seulement  il  y  a  des  limites  prescrites  à  la  mémoire 
et  à  l'instruction  par  l'organisation  encéphalique, 
par  la  portée  de  l'intelligence  ;  il  en  est  aussi  qui 
dépendent  de  la  durée  de  l'accroissement  physique. 
Il  est  de  remarque ,  en  effet  ,  que  c'est  surtout 
dans  l'enfance  que  les  associations  d'idées ,  que  les 
caténations  s'impriment  dans  l'encéphale  ;  une  fois 
adulte,  cet  organe  ,  comme  tous  les  autres,  a  pris  sa 
consistance ,  sa  structure ,  ses  conditions  organiques 
définitives  ,  il  en  change  difficilement  et  faiblement, 
ou  ses  changements  sont  passagers,  momentanés.  Les 
vieux  animaux  sauvages  sont  souvent  indomptables, 
toujours  du  moins  bien  indociles,  c'est-à-dire  réfrac- 
taires  à  de  nouvelles  habitudes;  il  n'en  est  pas  ainsi 
des  jeunes.  Donc,  la  mémoire  aura  le  temps  de 
faire  des  provisions  d'autant  plus  amples ,  l'animal 
sera  d'autant  plus  éducable  ,  que  l'enfance  sera  plus 
longue,  la  maturité  plus  tardive.  Nul  doute  que 
l'éléphant ,  l'orang-outang  ne  doivent ,  en  partie ,  à 
cette  circonstance  leur  supériorité  mentale ,  et  que 
l'homme  n'ait  à  la  mettre  aussi  en  ligne  de  compte 
parmi  les  nombreuses  conditions  qui  lui  donnent 
tant  d'avantages  sur  tous  les  êtres  animés. 

B,  Des  volitîons  :  désirs  _,  besoins  ,  etc.  ,  chez 
Vhomme  et  les  animaux.  On  nomme  volition ,  l'opéra- 
tion intellectuelle  qui  suit  l'idée  ,  précède  et  déter- 
mine nos  actes  physiques ,  nos  mouvements ,  et  que 
caractérise  un  sentiment  de  désir  plus  ou  moins 
prononcé.  La  volonté  c'est  l'aptitude  à  vouloir,  ou 
avoir  des  volitions.    La  volition  est   une  réaction 


ÉTUDiÉrS    EN    ELLES-MÊMES.  4  1  5 

encéphalique  différente  de  l'idée  :  peut-être  s'opère- 
t-elle,  par  transmission,  dans  une  autre  partie  de 
l'encéphale  ;  peut-être ,  dans  la  même  partie ,  la 
réaction  change-t-elle  de  nature ,  comme  l'image  du 
soleil  imprimée  sur  la  rétine  change  successivement 
de  nuances  dans  notre  œil  fermé ,  passe  du  jaune 
au  rouge,  au  vert,  etc.  (Darwin).  Sans  nous  arrêter 
à  ces  conjectures,  nous  nous  contenterons  de  prou- 
ver, en  peu  de  mots ,  que  la  volonté  suit  souvent  im- 
médiatement la  notion ,  comme  l'acte  suit  la  volonté. 
On  retire  la  main  qui  se  brûle ,  on  tourne  les  yeux 
vers  un  objet  agréable  sans  faire  de  longs  raisonne- 
ments, le  plus  souvent  sans  aucune  réflexion  ,  sans 
comparaison ,  sans  jugements  préalables.  Nul  doute 
qu'il  n'en  soit  ainsi  primilivement  pour  la  majeure 
partie  des  mouvements  volontaires  chez  les  animaux 
inférieurs;  mais,  chez  l'homme,  cette  liaison  sans 
intermédiaire  de  la  notion  à  la  volonté  ,  tient  souvent 
hV association j  c'est-à-dire  à  la  mémoire  qui  a  joint, 
j^ar  hahilude  j  ces  deux  choses  immédiatement  l'une 
à  l'autre  ,  quoiqu'elles  n'eussent  été  liées ,  dans  le 
principe  ,  que  par  l'intermédiaire  d'un  raisonnement 
complet  qui ,  à  la  longue ,  est  devenu  inutile  et  que 
nous  supprimons  comme  tel  :  cela  est  si  vrai  que  la 
volonté  même  peut  être  supprimée  sans  que  l'acte 
en  soit  moins  constamment  lié  à  sa  cause  occasion- 
nelle ,  et  c'est  ce  qui  a  lieu  dans  tous  les  mouvements 
dits  automatiques. 

Quel  que  soit  le  mode  de  relation  entre  la  cause 
et  l'effet,  si  nous  en  jugeons  par  ce  dernier,  nous 
avons  assez  de  preuves  de  l'intensité  des  volitions 
chez   les  animaux  articulés  ,   et  plus  encore  chez 


4  1  6        DES  SENSATIONS  CENTRALES 

les  vertébrés ,  pour  n'avoir  pas  besoin  d'y  insister 
davantage.  On  peut  remarquer  seulement  que  la 
plupart  des  actes  de  ces  animaux  ,  et  surtout  de 
ceux  qui  sont  le  plus  bas  placés  dans  l'échelle ,  se 
rapportant  principalement  à  un  but  de  nutrition  ou 
de  reproduction ,  on  peut  dire  qu'il  existe  chez  eux 
plus  de  besoins  que  de  désirs. 

Les  uns  et  les  autres  influent  sur  la  volonté , 
mais  ne  doivent  point  être  confondus  entre  eux  ni 
avec  elle  ;  le  besoin  est  splanchnique  ,  le  désir  est 
intellectuel  :  on  peut,  par  sensualité,  désirer  une 
friandise  sans  avoir  ni  faim  ni  soif.  Les  désirs  peuvent 
être  en  opposition  avec  les  besoins ,  comme  dans  les 
combats  entre  l'esprit  et  la  chair ,  selon  l'expression 
des  théologiens.  Des  désirs  multiples  peuvent  se  com- 
biner entre  eux,  se  renforcer  ou  se  contredire,  et 
le  principe  fondamental  de  toute  éducation  morale , 
de  toute  législation  rationnelle  ,  c'est  d'encourager 
les  désirs  utiles  à  la  société  ,  et  d'arrêter  les  désirs 
contraires  par  la  crainte  ou  la  honte  qui  ne  sont  que 
des  désirs  négatifs. 

Ces  dernières  expressions  nous  prouvent  assez 
que  désirs  et  volitions  ne  sont  pas  toujours  la  même 
chose  :  le  désir  est  un  sentiment ,  la  volition  n'est 
que  Tintention  d'exécuter  un  acte.  «  Le  désir  est 
passif  et  impersonnel ,  dit  Cousin ,  la  volonté  est  le 
type  même  de  l'activité  et  de  la  personnalité.  « 

§  IL    Des  opérations  refléchies  ou  médiates. 

Les  expressions  dont  nous  nous  servons  dans  ce 
titre,  et  l'étendue,  la  multiplicité  des  opérations 
auxquelles   elles    s'appliquent ,  doivent   donner  à 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  417 

penser  que  nous  ne  regardons  pas ,  à  Timitation  de 
beaucoup  d'idéologistes ,  la  réflexion  comme  un  acte 
particulier,  simple  ou  restreint,  mais  bien  comme 
une  condition  inhérente  à  un  grand  nombre  d'actes 
divers  :  la  réflexion ,  c'est  pour  nous  la  volonté 
dirigée  sur  les  opérations  mentales  mêmes;  de  sorte 
que  l'épithète  de  réfléchies  aurait  pu  être  remplacée 
par  celle  de  volontaires ,  dans  le  titre  de  ce  para- 
graphe ,  si  nous  n'eussions  eu  à  craindre  quelques 
équivoques.  De  même,  en  efî'et,  que  la  volition 
née  des  notions  primitives  précède  certains  mou- 
vements musculaires  ,  elle  précède  aussi  les  actes 
et  les  produits  réfléchis  de  l'intelligence  ;  et  nous 
pourrions ,  sous  ce  rapport ,  dire ,  comme  Locke  et 
LaRomiguière,  mais  dans  un  esprit  moins  exclusif, 
que  les  idées  ont  deux  sources  principales,  la  sen- 
sation et  la  réflexion.  Pour  apporter  plus  de  clarté 
dans  l'étude  de  ce  qui  concerne  les  produits  susdits, 
nous  les  sous-diviserons  de  même  méthodiquement 
et  aussi  nettement  que  possible ,  au  risque  d'intro- 
duire un  peu  de  sécheresse  dans  un  sujet  où  la  con- 
fusion nous  parait  être  le  principal  écueil  à  éviter. 

j4.  Des  actes  de  réflexion  chez  lliomme,  —  a.  Le 
premier  de  tous  est  V attention j  ou  l'application  de 
la  volonté  aux  sensations  et  aux  percepts ,  c'est-à- 
dire  aux  idées  nées  sous  l'influence  de  sensations 
actuelles.  L'attention,  dit  Maine  de  Biran,  est  émi- 
nemment volontaire.  Comme  son  étymologie  l'indi- 
que (i),  l'attention  consiste  à  tendre  les  sens  ou  les 

(1)  L'attente  n'est  autre  chose  que  l'attention  accompagnée  de  désir:  attendre 
et  espérer  s'expriment  par  le  même  mot  dans  certains  idiomes  ,  celui  du  midi 
de  la  France  ,  par  exemple.  Définir  l'attention  ,  comme  certains  idéologistes  , 
une  plus  grande  cK'«ctfé  de  sensaiion  ,   c'est  confondre  l'effet  avec  la  cause. 

27 


'418  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

organes  centraux  pour  en  rendre  les  fonctions  plus 
actives,  arrigere  auresj  intendere  animum.  On  entend, 
on  voit  sans  le  vouloir  ;  c'est  volontairement  qu'on 
écoute  ou  qu'on  regarde.  C'est  ici  surtout  que  se 
remarque  cette  unité  morale  dont  nous  avons  parlé 
précédemment  :  l'attention  ne  peut  se  porter  conve- 
nablement dans  un  temps  donné  que  sur  un  organe , 
ou  une  partie  d'organe  sentant;  et  c'est  une  grande 
différence  qu'on  peut  établir  entre  la  sensation  et  la 
perception  brutes,  d'une  part ,  la  sensation  et  la 
perception  réfléchies,  d'autre  part.  En  elTet,  nous 
voyons  simultanément  toute  l'étendue  de  l'horizon 
dont  notre  rétine  peut  recevoir  les  images  ,  mais 
nous  ne  pouvons  regarder  que  successivement  chacun 
des  points  de  ce  tableau  ;  et  qu'on  ne  dise  pas  que 
c'est  parce  que  le  centre  visuel  seul  peut  donner  des 
sensations  vives ,  car  rien  n'est  plus  facile  que  de 
fixer  son  attention  sur  des  objets  placés  hors  de 
l'axe  de  l'œil ,  en  négligeant  ceux  qui  sont  dans  la 
direction  la  plus  favorable  à  l'énergie  de  la  vision. 

L'attention  a  pour  eff'et,  non -seulement  de  nous 
donner  des  'perceptions  plus  vives ,  mais  encore  de 
les  graver  plus  profondément  dans  la  mémoire  :  il 
y  a  des  choses  dont  on  ne  veut  se  souvenir  que 
quelques  instants ,  il  en  est  qu'on  ne  veut  jamais 
oublier ,  et  l'eifet  suit  assez  bien  l'intention  :  ceux 
qui  ne  veulent  pas  écrire ,  sur  un  agenda ,  le  pro- 
•  gramme  de  leurs  occupations ,  y  manquent  souvent 
moins  que  ceux  qui  ont  mieux  aimé  le  confier  au 
papier  qu'à  leur  mémoire. 

h.  Rechercher  et  retrouver  quelqu'une  de  ces 
notions   antécédentes   et    devenues  des  souvenirs, 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MÊBIES.  419 

c^esf  là  une  autre  sorte  d'attention  que  l'on  appelle 
réminiscence.  Fouiller  dans  sa  mémoire  n'est  pas 
seulement  se  souvenir ,  c'est  faire  un  acte  volontaire 
et  partant  réfléchi.  Veut-on  arriver  à  son  but  d'une 
manière  plus  sûre  et  plus  méthodique ,  on  passe  en 
revue  tous  les  chaînons  de  la  caténation  à  laquelle 
appartient  le  souvenir  cherché  ;  c'est  la  récollection 
de  Darwin.  La  réminiscence  ne  consiste  donc  pas 
seulement,  comme  on  le  dit  dans  la  traduction  de 
Hobbes  ,  a  reconnaître ,  à  vérifier  des  souvenirs 
fortuits  ou  non  fortuits  ;  opération  qui  mériterait 
mieux  le  nom  de  récognition,  employé  aussi  par 
quelques  écrivains. 

c.  L'attention  portée  et  reportée  successivement 
sûr  plusieurs  idées,  soit  actuelles,  soit  de  mémoire , 
établit  entre  elles  une  comparaison  qui  peut  être 
considérée  comme  une  modification  ou  combinaison 
volontaires.  C'est  surtout  ici  qu'il  peut  y  avoir 
conflit  entre  des  notions  disparates  ou  contraires, 
correction  ou  annihilation  de  l'une  par  l'autre  ;  c'est 
ici  qu'il  faut  rapporter  ces  combats  intérieurs  entre 
des  impulsions  nées  de  sources  difl'érentes ,  les  unes 
provenant  des  sensations  internes  ou  splanchniques 
(besoins) ,  les  autres  des  sensations  externes  ou  de  la 
mémoire ,  de  l'éducation  surtout.  S'il  fallait  donner 
une  image  de  ce  qui  se  passe  dans  l'encéphale  lors 
de  ces  combinaisons  ou  de  ces  combats  intellectuels, 
en  présentant  des  exemples  de  faits  analogues  obser- 
vables dans  les  sensations  externes ,  nous  rappelle- 
rions comment  deux  tons  simultanés  ou  successifs  se 
marient  agréablement  ou  présentent  une  discordance 
désagréable  ;  comment  le  contraste  d'une  couleur 


420  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

avec  une  autre  ,  soit  successivement  présentées  à 
l'œil ,  soit  simultanément  apposées  à  sa  portée  , 
produit  des  modifications  visuelles  si  bien  analysées 
par  Mirbel ,  dans  son  mémoire  sur  les  couleurs. 
Dans  le  cas  de  simultanéité,  la  combinaison  se 
conçoit  à  merveille  ;  elle  n'est  pas  moins  réelle  dans 
le  cas  de  succession,  l'impression  première  subsistant 
encore  (mémoire  plus  ou  moins  durable)  quand  la 
seconde  vient  opérer  sur  le  même  point. 

B.  Des  produits  de  la  réflexion  chez  Vhomme.  — 
a.  L'idée  consécutive  qui  résulte  d'une  comparaison 
s'appelle  jugement.  Le  mécanisme  mental  par  lequel 
s'obtient  ce  résultat ,  et  dont  nous  avons  cherché 
tout- à -l'heure  à  donner,  par  analogie  ,  une  image 
toute  physiologique ,  se  démontre  assez  clairement 
dans  l'énoncé  d'une  équation  algébrique  ,  ou  d'un 
syllogisme  ,  réduits  à  la  plus  grande  simplicité 
possible  ;  la  conséquence  se  dégage  de  l'une  des  deux 
propositions  modifiée  par  l'autre. 

Lorsque  cette  conséquence  est  nette  et  positive,  il 
y  a  pour  nous  évidence:  si  l'opération ,  sans  être  aussi 
claire ,  ne  permet  pas  d'autre  combinaison ,  il  y  a 
conviction  :  mais  il  n'y  a  que  probabilité^  quand  plu- 
sieurs combinaisons  peuvent  s'établir  entre  des  pro- 
positions multiples  et  donner  des  produits  différents. 
La  certitude  existe  dans  le  premier  et  le  deuxième 
cas ,  Vindécision  dans  le  troisième  ;  mais  il  y  a  le 
plus  souvent  préférence  pour  le  jugement  qui  satisfait 
le  plus  ou  notre  esprit  ou  nos  penchants.  Cette  pré- 
férence ^  ou  la  répugnance  qui  en  est  l'inverse ,  nous 
déterminent  à  agir  ou  dans  un  sens  ou  dans  un  autre; 
ce  sont  les  règles  de  notre  conduite  ,  et  nous  faisons 


ÉTUDIÉES    EK    ELLES-MEMES.  421 

le  bien  ou  le  malj  selon  que  nous  avons  été  bien  ou 
mal  conseillés  par  nos  sensations ,  nos  réflexions  et 
quelques  autres  éléments  intellectuels  dont  il  sera 
question  ci-après. 

Si  la  comparaison  a  été  attentive  et  surtout  mul- 
tiple ,  on  dit  qu'il  y  a  eu  délibération  /  et  le  cJioix 
est  déclaré  conforme  à  la  raison  ^  quand  il  a  été 
déterminé  par  les  opérations  régulières  et  lucides 
d'une  intelligence  heureuse  et  d'une  mémoire  avan- 
tageusement meublée  de  bons  principes.  L'homme 
n'est  donc  le  libre  arbitre  de  sa  conduite  que  d'une 
manière  très -conditionnelle.  Sa  liberté  morale  est 
subordonnée ,  sans  doute ,  à  sa  volonté  ;  mais  cette 
volonté  est  mise  en  jeu  elle-même  par  des  per- 
ceptions venues  accidentellement  (i)  du  dehors  ou 
de  l'intérieur  ,  et  plus  ou  moins  fructueusement 
élaborées  par  des  organes  plus  ou  moins  heureu- 
sement constitués ,  plus  ou  moins  avantageusement 
pourvus  par  l'éducation.  L'éducation  peut  beaucoup 
en  effet;  et  le  meilleur  moyen  d'augmenter  la  liberté 
morale ,  c'est  assurément  d'éclairer  et  d'instruire  : 
en  augmentant  ainsi  la  masse  des  éléments  propres 
à  intervenir  dans  la  délibération ,  on  écarte ,  de  plus 
en  plus ,  de  leurs  premiers  mobiles  ,  les  détermina- 
tions de  l'homme  ,  au  point  de  lui  faire  croire  à  son 

(1)  "  Je  ne  prévoyais  pas  que  j'aurais  d'autres  idées  ,  dit  quelque  pari 
J.  J.  Rousseau  ;  elles  viennent  quand  il  leur  plait ,  non  quand  il  me  plaît  ; 
elles  ne  viennent  point  ou  elles  viennent  en  foule.  "  Inventer,  selon  Condillac  , 
ce  n'est  pas  créer;  c'est  trouver,  c'est  arriver,  être  conduit  sur  quelque 
chose  d'existant.  Le  hasard  est  le  père  des  découvertes  ;  seulement  les  bons 
esprits  suivent  plus  aisément  les  bonnes  routes  ,  remarquent  mieux  les  choses 
importantes,  et  ont  seuls  le  moyen  de  les  faire  fructifier.  Ils  n'ont  pas  la 
science  infuse  ,  mais  ils  sont  aptes  à  l'acquérir  parla  seule  observation,  à 
laquelle  les  convient  les  phénomènes  de  la  nature  ;  leur  principal  mérite  est 
de  savoir  répondre  à  ses  appels  et  interpréter  son  langage. 


422  DES  SEiSSATIONS  CENTRALES 

indépendance ,  à  sa  spontanéité  :  et  cependant  il  reste 
toujours  évident  qu'on  ne  peut  dire  je  veux  vouloir. 
C'est  néanmoins  sur  la  croyance  à  cette  prétendue 
spontanéité  qu'on  a  généralement  établi  les  bases  de 
la  morale  religieuse  :  on  a  voulu  inspirer  à  l'homme 
des  craintes  salutaires,  en  le  rendant  responsable, 
pour  l'éternité,  de  ses  actions  durant  la  vie.  C'est 
un  but  qu'on  peut  atteindre  aussi  par  une  législation 
rigoureuse  ;  mais  ne  vaut  -  il  pas  mieux  encore  le 
conduire  à  la  vertu  en  lui  inculquant ,  par  une  ins- 
truction à  sa  portée ,  les  matériaux  de  jugements 
justes  et  sages?  C'est  aux  moralistes  à  décider  cette 
question. 

b.  Bien  qu'on  puisse  supposer  que  tous  les  actes 
dont  il  \ient  d'être  parlé  complètent  leur  série 
par  un  seul  jugement,  il  est  rare  pourtant  qu'une 
délibération  ne  soit  pas  composée  d'une  suite  de 
jugements  liés  entre  eux  comme  les  équations  d'un 
problême  de  mathématiques,  de  manière  à  ne  con- 
duire à  un  résultat  définitif  qu'après  avoir  combiné 
préalablement  d'autres  résultats  de  combinaisons 
plus  ou  moins  nombreuses  :  un  pareil  enchaînement 
de  comparaisons  et  de  jugements  constitue  ce  que 
les  idéologistes  appellent  raisonnement  (i).  Il  y  a 
donc  des  caténations  de  jugements  et  même  de  rai- 
sonnements comme  de  souvenirs,  avec  cette  seule 
différence  qu'il  n'y  a  que  rappel  dans  ce  dernier 
cas ,  élaboration  dans  le  premier.  Mais  quand  ces 
caténations  se   sont  plusieurs  fois  répétées  ,  elles 


(1)  C'est  ce  qu'on  Romme  communément  réflexion  quand  les  opérations  sont 
faciles,  intérieures;  c'est  l'imagination  soumise  et  dirijjée  par  l'attention,  et 
conséquemmenl  par  la  volonté. 


ÉTLDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  423 

rentrent  totalement  dans  la  catégorie  des  faits  de 
mémoire  :  alors  il  peut  y  avoir  association  immédiate 
des  prémisses  avec  la  conséquence,  sans  nécessité  de 
l'opération  intermédiaire  ;  il  y  a  ellipse  j  c'est-à-dire 
passage  direct  d'une  proposition  aux  résultats  que  l'ex- 
périence nous  a  accoutumés  à  lui  reconnaître  après  de 
longues  investigations  :  nous  admettons  ces  résultats 
comme  positifs  et  vrais  sans  un  nouvel  examen ,  et 
c'est  là  ce  qu'on  désigne  sous  le  nom  à^ axiomes.  De  là 
vient  l'excessive  rapidité  avec  laquelle  on  réfléchit , 
avec  laquelle ,  pour  peu  qu'on  en  ait  l'habitude  ,  ou 
porte  des  jugements  très-compliqués  en  apparence  ; 
de  même  qu'avec  de  l'exercice  on  parvient  à  faire ,  de 
tête  et  avec  une  prestesse  extrême  ,  des  calculs  qui 
nécessiteraient ,  sur  le  papier,  de  longues  opérations 
arithmétiques.  Cette  rapidité  n'est  point ,  à  beaucoup 
près  ,  incommensurable  ,  et  n'étonne  d'ailleurs  que 
ceux  qui  n'en  connaissent  pas  la  cause ,  comme  ceux 
qui  s'imagineraient ,  par  exemple  ,  qu'un  musicien 
répète  mentalement  toute  la  gamme  pour  sauter  plus 
sûrement  d'un  ton  à  son  octave.  Nous  avons  même 
souvent  la  preuve  positive  du  contraire  ;  il  est  des 
hommes  qui  ,  au  premier  coup-d'œil ,  prennent  un 
parti ,  décident  d'une  affaire ,  sans  pouvoir  rendre  un 
compte  exact  des  motifs  qui  les  font  agir,  quoique 
leur  calcul  soit  juste.  C'est  là,  sans  doute,  ce  que 
Cousin  appelle  des  jugements  intuitifs  ou  primitifs , 
c'est-à-dire  sans  opération  comparative  ou  préalable. 
Le  langage  ordinaire  et  celui  des  sciences  ne  sont 
qu'un  corps  de  formules  toutes  faites ,  représentées 
par  des  signes  simples ,  apprises  à  force  d'usage  ou 
d'étude,  et  dont  la  justesse   est  acceptée   comme 


424  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

positive  pour  l'usage  journalier.  Chaque  mot  repré- 
sente un  jugement  fait  à  l'avance  par  celui  qui  l'a. 
le  premier  employé  et  mis  en  circulation  ;  et  ceci 
est  vrai  surtout  de  ces  termes  généraux  qui  repré- 
sentent des  collections  d'individus  ou  de  choses , 
homme ,  livre  ;  ou  de  ceux  qui  désignent  quelque 
qualité  soit  spéciale,  soit  commune,  mais  isolément 
considérée ,  d'où  le  nom  à^ ahstr action  qu'on  leur 
donne,  blancheur,  vie,  sagesse.  Au  moyen  de  ces 
formules  nominales ,  de  ces  signes  ,  de  longs  raison- 
nements se  trouvent  représentés  par  un  seul  mot  ; 
d'autres  opérations ,  d'une  complexité  toujours  crois- 
sante, deviennent  non -seulement  possibles  mais 
aussi  faciles  que  les  plus  simples  jugements,  pourvu 
qu'on  y  mette  la  méthode  convenable ,  et  c'est  là  ce 
qui  constitue  la  vraie  logique. 

C'est  ainsi  que  nous  pouvons  élever  ces  immenses 
monuments  de  la  puissance  de  notre  intellect ,  ces 
assemblages  de  faits  et  de  théories  qu'on  nomme  les 
sciences  ;  c'est  ainsi  que  nous  parvenons  à  l'appré- 
ciation intime ,  à  la  vraie  connaissance  ou  intuition 
des  choses,  connaissance  réfléchie  qui  consiste  à 
comprendre  et  non  seulement  à  sentir;  bien  diffé- 
rente par  conséquent  des  notions  brutes  dont  il 
a  été  question  au  paragraphe  précédent.  Ce  n'est 
qu'avec  le  secours  de  ces  formules  ,  de  ces  signes 
et  des  raisonnements  qu'elles  facilitent ,  des  longues 
méditations  qu'elles  permettent,  que  nous  acquérons 
la  conscience  raisonnée  de  notre  existence,  ou  ce 
que  les  métaphysiciens  modernes  ont  entendu  par 
ce  moij  sur  lequel  ils  ont  tant  insisté ,  le  confondant 
pour  la  plupart  avec  le  sentiment  que  nous  avons 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  425 

dit  précédemment  caractériser  toutes  les  opérations 
intellectuelles.  C'est  ainsi ,  enfin  ,  que  nous  pouvons 
nous  livrer  à  des  conjectures  sur  les  choses  même 
dont  l'existence  ne  se  révèle  à  nous  que  par  des  effets 
indirects,  et  conclure  des  merveilles  de  Funiversàla 
toute-puissance  et  à  la  profonde  intelligence  de  son 
Créateur,  sans  en  connaître  ni  même  en  comprendre 
l'essence  (i). 

Telles  sont  les  facultés  par  lesquelles  l'homme 
l'emporte  sur  les  autres  animaux  :  la  réflexion  et 
tous  les  actes  qui  s'y  rattachent,  les  résultats  qui  en 
découlent  sont  ou  nuls  ou  minimes  pour  la  plupart 
d'entre  eux,  comme  nous  le  verrons  dans  la  dis- 
cussion qui  va  suivre. 

C,  Des  ojjéralions  réfléchies  chez  les  animaux, 
—  a.  Invertébrés.  Nous  avons  vu  que  tous  les  ani- 
maux sentent,  perçoivent,  se  souviennent  et  veulent, 
hien  qu'à  des  degrés  très-ohscurs  et  très-bornés  dans 
les  derniers  rangs  de  l'échelle.  Il  n'existe  certaine- 
ment rien  autre  chose  chez  les  vrais  monadaires ,  les 
diphyaires ,  les  actiniaires  ou  radiaires  et  les  elmin- 
thes  ou  téniaires  ;  il  serait  même  difficile  de  recon- 
naître quelque  chose  de  plus  chez  les  annélides , 
les  myriapodes  et  les  mollusques ,  si  l'on  en  excepte 
peut-être  les  céphalopodes  dont  les  mœurs  ne  nous 
sont  pas  bien  connues  ;  et  nous  en  sommes  au  même 
point  pour  la  plupart  des  crustacés.  Si  un  ver  pressé 

(1)  Parmi  les  choses  réputées  incompréhensibles ,  il  en  est  qui  le  sont  par 
leur  nature  même ,  et  que  nous  n'admettons  que  comme  négations  de  choses 
intelligibles  pour  nous  :  tel  est  l'infini  en  tout  genre.  Il  en  est  d'autres  que 
nous  ne  comprenons  pas  faute  de  renseignements  suffisants  ,  d'intermédiaires 
sensibles  entre  l'effet  et  la  cause  par  exemple  ,  mais  que  nous  admettons  comme 
liosilives  et  nécessaires ,  vu  l'impossibilité  d'expliquer  autrement  des  phéno- 
mènes sensibles  :   l'exislence  de  Dieu  est  dans  celle  catégorie. 


426  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

à  la  queue  cherche  à  fuir  en  avant ,  s'il  recule 
quand  la  tète  est  pressée  à  son  tour ,  certes  il  n'y  a 
là  ni  réflexion ,  ni  choix,  ni  délibération;  c'est  un 
acte  volontaire  immédiatement  produit  par  la  dou- 
leur. A  la  vérité ,  si  le  contact  n'est  point  doulou- 
reux ,  on  peut  croire  que  le  mouvement  par  lequel 
s^y  soustrait  l'animal  est  dû  à  la  crainte  d'un  danger, 
ce  qui  supposerait  réflexion  ;  mais  il  semble  que 
cela  ne  suppose  guère  que  souvenir  de  douleurs  pro- 
duites par  des  contacts  antécédents ,  ou  bien  instinct , 
et  partant  association  native  entre  la  perception  du 
contact  et  l'acte  volontaire  de  la  fuite. 

Mais  les  insectes  et  les  arachnides  nous  donneront 
des  preuves  manifestes  de  l'existence  des  opérations 
réfléchies ,  dans  un  assez  bon  nombre  de  leurs  actes 
trop  généralement  attribués  à  l'instinct  :  on  trouve 
des  preuves  de  jugement  au  milieu  de  leurs  actes 
instinctifs ,  et  leurs  erreurs  mêmes  peuvent  quel- 
quefois servir  à  en  donner  la  preuve.  Au  reste, 
pour  tous  les  animaux,  il  est  fort  difficile  de  savoir 
au  juste  ce  qui  se  passe  dans  leur  intérieur,  et  ce 
n'est  que  par  l'observation  de  certains  faits  que  nous 
l'établissons  conjecturalement.  Que  les  insectes  et 
les  arachnides  soient  susceptibles  d'attention,  c'est 
ce  dont  nous  jugeons  aisément ,  dans  certains  cas , 
par  leurs  attitudes.  La  mante  religieuse  tourne  la 
tête  vers  l'homme  qui  s'approche ,  le  regarde ,  et 
quelquefois  lève  une  patte  ou  s'incline  ,  prête  à  fuir 
si  l'on  s'approche  davantage  :  les  saltiques  tournent 
de  même  leurs  gros  yeux  frontaux  vers  la  main  qui 
les  menace  ,  vers  la  proie  qui  s'approche  ou  passe  à 
quelque  distance  :  la  mouche  commune  se  soulève 


ÉTUDIÉES    EIN    ELLES-MEMES.  427 

sur  ses  pattes ,  et  se  tient  prête  à  partir  si  quelque 
mouvement  brusque  éveille  en  elle  le  soupçon  d'un 
danger  ;  la  sauterelle  ramène  sous  elle  les  tarses  de 
ses  longues  pattes,  et  se  dispose  à  en  faire  jouer  les 
ressorts  si  le  danger  devient  plus  imminent. 

Les  mêmes  insectes   et  beaucoup  d'autres  ,  les 
papillons  par  exemple,  donnent  certainement  des 
preuves  de  jugement ,  de  raisonnement  même  ,  par 
suite  de  comparaisons,  de  délibérations  réelles.  Ne 
jugent-ils  pas  des  distances ,  quand  ils  s'envolent  à 
l'approcbe  d'un  ennemi  qu'ils  ne  craignent  point  à 
distance  double  ?  Ne  choisissent-ils  pas  le  côté  qui 
offrira  plus  de  sécurité ,  de  liberté  à  leur  fuite  ?  Dans 
un  appartement  clos,  c'est  toujours  vers  la  fenêtre 
que  les  insectes  ailés  prennent  leur  vol ,  et  l'opi- 
niâtreté avec  laquelle  ils  se  heurtent  contre  une  vitre 
diaphane ,  prouve  assez  qu'ils  jugent  que  la  liberté 
est  pour  eux  là  d'où  vient  la  lumière  :  toutefois ,  il 
en  est  qui,  comme  la  mouche  bleue  de  la  viande 
(musca  vomûoriajj  comprennent  bientôt  que  là  aussi 
est  un  obstacle  insurmontable ,  et  cherchent  ailleurs 
une  issue.   Aucun  insecte  ne  s'alarme   des  mou- 
vements souvent  violents  que  l'air  imprime  aux  ra- 
meaux qui  le  portent  ;  agitez-les  avec  la  main ,  et  une 
prompte  fuite  vous  prouvera  que  ces  animaux  savent 
distinguer  les  nuances  et  prévoir  les  suites  ultérieures 
d'un  phénomène ,  dont  les  résultats  immédiats  sont 
pourtant  les  mêmes  dans  l'un  et  l'autre  cas.  Quand 
l'araignée  émeraude  (^micrommata  smaragdïnajj  la 
cigale  plébéienne,  le  grand  criquet  linéole  se  cachent 
derrière  une  branche  d'arbre ,  et  tournent  à  l'entour 
à  mesure  que  vous  tournez  vous  -  même ,  ne  vous 


428  DES    SENSATIONS    CENTRALES 

donDGiit-ils  pas  une  preuve  incontestable  de  discer- 
nement? N^en  doit-on  pas  dire  autant  de  l'araignée 
qui  s'enfuit  quand  une  force  majeure  ébranle  ou 
déchire  ses  rets ,  reste  immobile  et  se  résigne  à  son 
sort  quand  elle  est  saisie  par  un  ennemi  puissant  de 
manière  à  ne  pouvoir  pas  se  défendre ,  se  sert  de 
ses  armes  dans  le  cas  contraire ,  garrotte  avec  pré- 
caution une  proie  dangereuse  et  la  saisit  vers  le  dos 
pour  la  sucer  à  son  aise  ,  sans  avoir  à  redouter 
les  atteintes  d'un  aiguillon  ou  de  mâchoires  formi- 
dables ?  Je  me  suis  amusé  à  jeter,  dans  la  toile  de 
notre  grande  épéïre  fasciée  ,  tantôt  une  mante  reli- 
gieuse armée  de  bras  robustes,  dentelés  et  tran- 
chants, tantôt  un  grand  criquet  à  jambes  épineuses. 
Dans  le  premier  cas  ,  certaine  d'être  bientôt  mutilée 
et  mise  hors  de  combat,  elle  laissait  tranquillement 
l'insecte  rompre  ses  fils  et  se  dégager  de  ses  liens  ; 
dans  le  deuxième ,  elle  s'approchait  avec  précau- 
tion de  son  prisonnier,  jetait  à  la  hâte  un  gros  fil 
sur  ses  jambes  fortes  et  bien  armées,  et  se  laissait 
à  l'instant  même  tomber  brusquement  hors  de  la 
portée  de  ses  dangereuses  ruades  :  le  même  manège 
recommençait  dès  que  l'insecte  se  tenait  en  repos  ; 
à  mesure  que  les  mouvements  étaient  mieux  bridés, 
l'araignée  devenait  plus  hardie ,  mais  ne  se  décidait 
pourtant  à  manier  sa  victime  que  quand  elle  était 
évidemment  dans  l'impuissance  de  nuire.  Que  de 
fois  n'ai-je  pas  vu  ces  grosses  araignées  occupées  à 
sucer  une  proie ,  courir  sur  celle  qui  venait  se 
prendre  encore  à  leur  piège ,  Femprisonner  dans  un 
maillot  de  soie ,  la  suspendre  à  leur  toile,  retourner 
alors  à  leur  première  victime  et  la  sucer  entièrement 


ÉTU1>1ÉES    EN    ELLES-MEMES.  429 

avant  de  revenir  à  leur  nouvelle  conquête  !  Une  de 
ces  araignées  qui  se  tiennent  en  embuscade  sur  les 
fleurs  (  thomise  tronqué  ) ,  m'a  rendu  témoin  d'une 
manœuvre  à  laquelle  l'industrie  avait  certes  autant 
de  part  que  l'instinct.  Elle  avait  saisi  par  le  dos  une 
abeille  dont  les  ailes  se  trouvaient  ainsi  paralysées, 
mais  les  pieds  étaient  libres  et  l'insecte  entraînait , 
bon  gré  mal  gré  ,  l'arachnide ,  jusqu'à  ce  que  celle-ci 
fût  parvenue  à  se  précipiter ,  avec  sa  proie ,  se  tenant 
suspendue  au  moyen  d'un  fil  attaché  à  la  fleur  qui 
avait  servi  de  champ  de  bataille;  ainsi,  privée  de 
point  d'appui,  l'abeille  agitait  inutilement  ses  mem- 
bres ,  et  son  ennemie  eut  tout  le  loisir  d'attendre  que 
son  venin  l'eût  mise  à  mort  ;  remontant  alors  le  long 
du  même  fil ,  sans  lâcher  sa  victime  ,  elle  revint  sur 
la  fleur  achever  plus  commodément  son  repas. 

J'ai  vu  cent  fois  des  bourdons  et  des  abeilles 
donner  aussi  la  preuve  d'une  sorte  de  raisonnement 
et  de  calcul  ,  lorsqu'ils  s'adressaient  aux  fleurs 
des  balsamines  dont  le  nectaire  représente  un  long 
cornet ,  ou  à  celles  des  mirabilis  dont  le  tube  est  fort 
allongé  :  ne  pouvant  plonger  jusqu'au  fond  le  bout 
de  leur  trompe,  ils  perçaient  extérieurement,  non 
loin  de  son  extrémité ,  cette  portion  de  la  corolle  à 
l'aide  de  leurs  fortes  mandibules ,  et  faisaient  passer 
leur  trompe  par  cette  ouverture  artificielle. 

Ces  produits  de  la  réflexion  sont  bien  imparfaits 
sans  doute ,  et  l'on  peut  ne  les  considérer  que  comme 
une  ébauche  du  jugement,  du  raisonnement  de 
l'homme;  mais  ils  n'en  sont  pas  moins  réels  et  moins 
identiques  avec  les  siens.  C'est  dans  la  tête  ,  au 
reste ,  qu'ils  paraissent  siéger ,  comme  chez  lui  , 


^30  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

comme  chez  tous  les  vertébrés  ;  car ,  après  la  déca- 
pitation, les  autres  ganglions  conservent  bien  et 
perceptions  et  volitions,  mais  rien  davantage,  autant 
du  moins  qu'on  puisse  en  juger  par  les  apparences. 

6.  Vertébrés.  Le  développement  plus  considérable 
de  la  partie  céphalique  des  centres  nerveux  dans  les 
vertébrés  doit  naturellement  faire  supposer ,  chez 
eux,  plus  d'intelligence  encore  et  plus  d'ensemble 
dans  les  opérations  mentales  ainsi  centralisées  d'une 
manière  presque  exclusive  ;  et  en  effet ,  si  Ton  ne 
leur  trouve  pas  des  industries  aussi  admirables  , 
c'est  qu'elles  sont ,  eu  grande  partie  ,  du  ressort  de 
l'instinct  ;  mais  on  trouve  bien  moins  d'uniformité  et 
en  conséquence  bien  plus  d'arbitraire ,  de  liberté , 
dans  leurs  actes  journaliers. 

Nous  savons  peu  de  choses  des  poissons;  mais 
nous  en  savons  assez  pour  ne  leur  attribuer  qu'un 
discernement  fort  restreint  :  ceux  que  nos  bassins 
contiennent ,  et  qui  viennent  si  familièrement  de- 
mander leur  nourriture,  ne  manquent  pas  aussi 
de  s'éloigner  brusquement  au  moindre  geste  de 
menace,  ou  si  quelque  secousse  imprimée  au  sol 
leur  donne  l'idée  d'un  danger.  On  connaît  la  circon- 
spection d'un  grand  nombre  qui  ne  se  prennent  qu'à 
des  appâts  déguisés  :  plusieurs  même  savent  s'élan- 
cer hors  des  eaux  et  sauter  par-dessus  les  filets  des 
pêcheurs,  reconnaissant  et  jugeant  sans  doute  que 
c'est  la  seule  voie  de  salut  qui  leur  reste.  La  carpe , 
si  défiante  à  la  surface  des  eaux  dont  elle  ne  s'ap- 
proche volontiers  qu'à  une  assez  grande  distance  de 
la  rive ,  se  laisse  prendre  à  la  main ,  par  les  plon- 
geurs, dans  les  creux  où  elle  se  retire  au  fond  des 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  431 

rivières ,  parce  que  là  elle  se  juge  à  l'abri  de  toute 
poursuite.  Il  en  est  de  même  de  la  grenouille  qui 
se  cache  dans  la  vase  ou  sous  les  touffes  de  plantes 
aquatiques ,  et  qui  parfois  se  croit  bien  cachée  parce 
que ,  sa  tète  étant  à  couvert ,  elle  n'aperçoit  plus 
l'ennemi  et  juge  en  conséquence  qu'il  ne  la  voit 
pas  davantage.  Lanèpe  cendrée,  insecte  aquatique, 
montre ,  dans  les  mêmes  circonstances ,  un  peu  plus 
de  perspicacité  ;  si  la  couche  de  vase  est  peu  épaisse , 
elle  cherche  à  s'en  couvrir  en  la  poussant  sur  son 
dos  à  l'aide  de  ses  pattes  de  derrière. 

Qu'un  lézard  ocellé  vous  voie  venir  de  loin ,  étant 
lui-même  à  quelque  distance  de  son  terrier ,  il  lève 
la  tête ,  se  dresse  sur  ses  pattes  de  devant  et  mani- 
feste ainsi  l'attention  qu'il  porte  à  vos  mouvements  : 
le  péril  s'approche  davantage  ,  vous  n'êtes  plus  qu'à 
quinze  ou  vingt  pas ,  il  s'élance  ,  traverse  la  route 
devant  vous  ;  mais  votre  marche  est  devenue  plus 
rapide ,  vous  le  gagneriez  de  vitesse ,  vous  le  croi- 
seriez évidemment  avant  qu'il  eût  pu  gravir  le  talus 
du  côté  opposé  ;  c'est  ce  qu'il  calcule  à  merveille  ; 
il  s'arrête  et  rétrograde  au  plus  vite.  Que  si ,  au  con- 
traire ,  il  a  pu  gagner  son  trou ,  le  voilà  tranquille  ;  il 
reste  au  voisinage ,  ou  tout  au  plus  il  y  entre  si  l'on 
passe  trop  près  de  lui  ;  mais  il  s'y  cache  à  peine 
tout  entier  et  la  queue  reste  parfois  en  partie  au- 
dehors  ;  vient- on  à  l'inquiéter  davantage  ,  à  toucher 
cette  queue  qui  passe ,  il  se  précipite  brusquement 
au  fond  du  boyau  souterrain.  Enfin ,  si ,  pris  au  dé- 
pourvu ou  poursuivi  dans  un  coin  sans  issue,  la 
fuite  lui  devient  impossible ,  c'est  dans  ses  forces 
seules  qu'il  met  son  espérance  ;  la  gueule  ouverte , 


432  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

il  tâche  d'effrayer  l'homine  ou  le  chien  qui  le  serre 
de  près;  et  si  la  menace  ne  suffit  pas,  ce  n'est  qu'à 
la  dernière  extrémité  qu'il  s'élance  et  mord  avec 
force,  soit  que  sa  colère  ait  été  peu  à  peu  excitée  par 
des  provocations  prolongées ,  soit  qu'il  ne  lui  reste 
aucun  autre  moyen  d'échapper  à  la  poursuite  dont 
il  est  l'ohjet.  Que  l'instinct  ait  sa  part  dans  toutes 
ces  manœuvres ,  cela  se  peut  ;  mais  on  ne  saurait 
disconvenir  qu'il  ne  s'y  trouve  aussi  du  calcul ,  du 
jugement;  le  tout,  il  est  vrai ,  accommodé  et  modifié 
par  des  circonstances  tout  actuelles  et  présentes. 

Telle  parait  être  aussi  la  position  des  oiseaux  j 
quoique  doués ,  et  d'un  encéphale  hien  plus  volu- 
mineux, et  certainement  d'une  dose  d'intelligence 
plus  considérable.  Ils  en  profitent  pour  mieux  tirer 
parti  des  circonstances  actuelles ,  pour  les  mieux 
juger  ;  mais  leurs  raisonnements  sont  hien  courts, 
leurs  délibérations  presque  nulles  :  tout  entiers  au 
moment  présent,  ils  sont,  ajuste  raison,  réputés 
étourdis  et  inconstants  :  leur  légèreté  est  caracté- 
ristique ,  comme  la  stupidité  des  poissons  et  des  rep- 
tiles. Il  semblerait  que  l'absence  du  corps  calleux 
diminuant,  annulant  presque  les  communications 
d'un  hémisphère  cérébral  à  l'autre  ,  ne  permette 
pas  aussi  bien  ces  balancements  ,  ces  pondérations 
alternatives  qui  constituent  la  délibération.  Leur 
éducabilité  prouve  et  plus  de  mémoire  et  plus  d'ap- 
titude à  des  actes  complexes  et  raisonnes;  mais, 
le  plus  souvent,  ils  n'ont  pas  été  raisonnes  par  eux, 
mais  bien  par  leurs  maîtres.  Bureau  de  la  Malle 
parle ,  il  est  vrai ,  d'une  autruche  d'Amérique  qui , 
sans  y  avoir  été  dressée ,  sonnait  la  cloche  du  diner 


ETUDIEES    EN    ELLES-MEMES.  433 

quand  on  tardait  trop  à  le  servir  :  le  chardonneret 
apprend  aisément,  et  presque  de  lui-même,  à  tirer 
la  chaîne  à  laquelle  est  suspendu  le  petit  yase  dans 
lequel  il  doithoire;  mais  ces  exemples  ne  supposent 
pas  des  comparaisons,  des  calculs  hien  multipliés  ;  il 
y  a  là  discernement ,  jugement  réel ,  mais  par  associa- 
tion pour  ainsi  dire  fortuite  et  non  par  rémifmcencej, 
méditation,  ou  appréciation  des  véritables  rapports 
entre  la  cause  et  l'effet;  car,  pour  que  l'autruche  eût 
raisonné  son  manège,  n'aurait-il  pas  fallu  qu'elle  fut  au 
courant  de  nos  usages,  au  niveau  de  notre  civilisation  ? 
Que  la  voix  du  coq  soit  comprise  par  ses  poules , 
celle  de  la  poule  par  ses  poussins,  c'est  une  preuve 
d'intelligence  ;  que  les  uns  et  les  autres  se  tiennent 
attentifs  au  cri  d'alarme  ,  qu'ils  accourent  au  cri 
d'appel ,  ce  sont  des  preuves  d'opérations  réfléchies 
mais  tout  actuelles,  toutes  passagères  et  fort  simples 
d'ailleurs  dans  leur  mécanisme.  Quant  aux  oiseaux 
qui  imitent  la  voix  humaine  ,  on  sait  hien  qu'ils  n'at- 
tachent aux  sons  qu'ils  reproduisent  aucune  valeur 
métaphysique  ,  quoique  quelques  jongleurs  leur 
en  aient  donné  l'apparence ,  en  établissant  dans  leur 
mémoire  des  associations  comparables  à  toutes  celles 
qui  constituent  les  éducations  factices  de  la  plupart 
des  animaux  vertébrés.  Nous  porterions  le  même 
jugement  de  bien  d'autres  actions  que  l'observation 
des  mœurs  des  oiseaux  pourrait  nous  fournir  :  ainsi 
des  tourterelles,  des  cailles  demi-privées  ne  font 
point  de  mouvement  si  j'approche  mon  visage  ; 
est-ce  une  main  qui  s'avance ,  je  les  vois  fuir  brus- 
quement ou  frapper  de  l'aile.  Ici  c'est  l'expérience 
qui  leur  a  appris  à  redouter  les  mains  de  l'homme, 

28 


434  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

plutôt  que  le  raisonnement  ne  leur  enseigne  la  ma- 
nière dont  il  sait  s'en  servir.  C'est  de  la  même  façon 
que   les  oiseaux    sauvages ,    les    corneilles ,    etc. , 
fuient,  dit-on,  de  beaucoup  plus  loin  le  chasseur 
armé  d'un  fusil  que  le  paysan  désarmé.  Les  oiseaux 
pris   adultes  et  enfermés  dans  une  cage  cherchent 
d'abord  à  s'échapper;  pendant  plusieurs  jours  ils  se 
heurtent  aux  barreaux ,  passent  leur  bec  dans  tous 
les  intervalles ,  et  prouvent,  par  cela  même,  combien 
leur  raisonnement  est  court  ;  car  un  chien ,  un  chat , 
une  souris   même   auraient   bientôt  reconnu  l'ob- 
stacle ,  et  chercheraient ,  par  la  vue  ou  par  l'odorat, 
une  voie  libre,  ou  bien  tacheraient  de  ronger,  d'en- 
lever les  barreaux.  Au  bout  de    quelques  jours, 
l'expérience  a  convaincu  ces  oiseaux  de  l'inutilité 
de  leurs  tentatives  ;  l'habitude  leur  a  si  bien  établi 
dans  l'imagination  les  parois  de  leur  prison  comme 
infranchissables ,    que   la  porte  reste  souvent  ou- 
verte sans  qu'ils  s'en  aperçoivent.  Quelque  hasard 
vient-il  diriger  leur  attention  de  ce  côté,  ils  hési- 
tent un  instant  encore ,  puis  se  hâtent  de  profiter 
de  l'occasion  :  à  cela  se  borne  toute  leur  délibéra- 
tion. Pourtant  j'ai  vu  la  chouette  parvenir  à  arra- 
cher des  barreaux  cloués  en  dedans,  et  le  dindon, 
réputé  si  stupide ,  m'a  fourni  une  fois  la  preuve  d'un 
véritable  raisonnement.  Un  de  ces  oiseaux  habituel- 
lement mis  en  fuite  et  parfois  cruellement  maltraité 
par  un  coq ,  accourut ,  au  plus  vite ,  pour  le  plumer 
sans  danger  entre  les  mains  de  la  ménagère  qui  le 
livrait  à  sa  vengeance. 

Les  mammifères  sont ,   comme  nous  l'avons  vu 
déjà,  très-inégalement  partagés  quant  à  leur  intel- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MÊMES,  435 

ligence;  mais  nous  n'allons  pas  ici  les  passer  en 
revue  sous  ce  rapport  :  nous  nous  contenterons  de 
citer  les  exemples  les  plus  remarquables  ,  ceux  qui 
permettent  d'établir  quelque  rapprochement  entre 
eux  et  l'homme ,  afin  de  mieux  fixer  en  quoi  con- 
sistent surtout  les  prérogatives  particulières  de 
celui-ci.  Nous  n'irons  pas  pour  cela,  néanmoins, 
rechercher  toutes  ces  anecdotes  de  chiens  ou  de 
dauphins  célèbres ,  ni  toutes  ces  histoires  de  ruses , 
de  calculs ,  de  prévisions  observées ,  dit-on ,  chez 
des  animaux  domestiques  ou  sauvages  ;  narrations 
que  le  bon  Plutarque  étale  avec  complaisance  dans 
ses  dialogues ,  sans  paraître  toujours  bien  convaincu 
lui-même  de  la  vérité  des  faits  qu'il  met  dans  la 
bouche  de  ses  interlocuteurs ,  et  qui  pourtant  ont 
été  reproduits  comme  articles  de  foi  dans  maint  et 
maint  livre ,  soit  ancien ,  soit  moderne.  Contentons- 
nous  de  quelques  faits  plus  authentiques. 

L'attention  se  manifeste  trop  nettement  chez  tous 
ces  animaux  au  moindre  effroi,  chez  le  chien  au 
moindre  signe  de  son  maître ,  pour  avoir  besoin 
d'être  longuement  démontrée.  La  réminiscence , 
au  contraire,  n'existe  assurément  en  eux  qu'à  un 
faible  degré  ,  et  encore  n'est-ce  que  chez  les  plus 
intelligents  :  il  y  a  réminiscence ,  c'est-à-dire  re- 
cherche d'anciens  souvenirs ,  dans  le  chien  qui  voit 
son  maître  sous  un  costume  nouveau ,  doute  de 
son  identité ,  avance ,  recule ,  flairant  et  examinant 
jusqu'à  ce  que  la  voix,  le  fumet  ou  l'expression 
du  visage  lui  ôtent  toute  incertitude  :  c'est  ainsi 
encore  qu'il  hésite  à  reconnaître  une  ancienne  con- 
naissance à  demi  -  oubliée  ,   qu'il  gronde  et   flatte 


436  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

alternativement,  s'approchant ,  flairant,  cherchant 
dans  le  présent  de  quoi  aider  à  la  représentation  du 
passé.  Nul  doute  qu'il  ne  se  fasse  souvent  aussi 
dans  son  esprit  une  véritable  récollection ,  quand  il 
retrouve  une  route  qu'il  a  parcourue  une  seule  fois  ; 
et  l'on  sait  que  les  chats  en  font  autant  :  aussi  a-t-on 
soin  de  leur  cacher  la  vue  du  trajet  qu'ils  parcourent , 
lorsqu'on  cherche  à  les  égarer  loin  du  logis  où  ils 
se  sont  rendus  importuns.  Quant  à  la  récognition ,  on 
ne  peut  douter  qu'elle  n'existe  chez  le  chien ,  lors- 
que ,  s'éveillant  en  sursaut  lors  d'un  rêve  qui  l'agitait 
vivement ,  il  reconnaît  à  l'instant  son  erreur  et  se 
recouche  tranquillement. 

La  comparaison  et  ses  conséquences  se  montrent 
assez  chez  le  même  animal  et  chez  beaucoup  d'au- 
tres ,  dans  le  cas  d'indécision ,  de  délibération  appré- 
ciable ;  déjà  il  y  a  comparaison  et  choix  dans  plu- 
sieurs des  faits  signalés  plus  haut  :  quand  un  animal 
cherche  et  trouve  sa  route;  quand  il  hésite  à 
s'avancer  ou  à  reculer,  selon  qu'on  le  menace  ou 
qu'on  le  flatte.  Un  chat  peu  familier ,  auquel  je  jette 
un  morceau  de  viande ,  accourt  et  s'en  saisit  si  je 
suis  à  quelque  distance  ;  il  n'ose  venir  le  prendre 
à  mes  pieds  ;  à  une  distance  médiocre  il  hésite , 
il  allonge  la  patte ,  tire  à  lui  son  butin  en  s'avançant 
le  moins  possible  ;  il  compare  donc  les  distances  et 
juge  des  cas  où  il  est ,  ou  non ,  à  la  portée  d'une 
insulte.  N'est-ce  point  une  comparaison  et  un  juge- 
ment positifs  qui  font  que  le  lapin ,  le  lièvre  fuient 
en  rase  campagne  et  se  tiennent  en  repos  dans  un 
trou  ,  dans  une  écurie,  au  milieu  d'un  troupeau  de 
moutons  ,  comme  on  dit  Favoir  vu  assez  souvent? 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  437 

N'est-ce  point  un  jugement  même  complexe,  que 
celui  du  tigre  qui  dirige  toutes  ses  attaques  vers  la 
trompe  de  Téléphant  ?  N'est-ce  point  un  jugement 
motivé ,  que  celui  du  cheval  qui  presse  le  pas  quand 
il  rentre  au  gîte  par  un  chemin  bien  connu ,  qui 
refuse  de  retourner  en  arrière,  ou  du  moins  montre, 
par  sa  lenteur ,  toute  la  répugnance  que  lui  inspire 
la  prévision  d'une  nouvelle  fatigue  ?  Assurément 
c'était  une  suite  de  jugements  bien  simples  sans 
doute ,  mais  aussi  bien  régulièrement  enchaînés,  qui 
faisait  agir  un  cheval  quej'observais  il  y  a  quelque 
temps  sur  la  route  :  absorbé  par  une  conversation 
animée ,  le  maître  avait  ralenti  son  pas ,  et  l'animal 
conservait  au  contraire  son  allure  habituelle  ;  de 
temps  en  temps  il  tournait  la  tête  en  arrière ,  et  se 
voyant  en  grande  avance ,  il  s'arrêtait ,  se  tournait 
vers  le  retardataire ,  jusqu'à  ce  que ,  le  voyant  enfin 
près  de  lui ,  il  reprenait  sa  marche ,  pour  recom- 
mencer encore  à  l'attendre  un  peu  plus  loin. 

Sans  doute ,  dans  la  plupart  de  ces  circonstances , 
l'animal  a  bien  une  connaissance  réelle  de  ce  qu'il 
fait  et  des  motifs  qui  l'y  déterminent ,  du  but  auquel 
il  tend.  En  voici  d'autres  où  cela  est  peut-être  plus 
évident  encore.  Qu'un  chien  soit  frappé  par  son 
maître  en  jouant,  en  riant;  loin  de  se  plaindre,  il 
saute ,  il  gronde  d'une  manière  moqueuse ,  il  feint 
de  vouloir  se  venger  ou  simule  une  fuite  momen- 
tanée pour  revenir  provoquer  à  l'instant  même  de 
nouvelles  attaques  :  que  le  maître  prenne  un  ton 
de  colère ,  un  visage  menaçant ,  et  des  coups  sembla- 
bles ,  souvent  même  bien  plus  légers ,  arracheront 
au  pauvre  animal  des  cris  de   douleur  ;  il  a  donc 


438  DES    SENSATIONS   CENTRALES 

pris  les  uns  pour  un  bien,  les  autres  pour  un  mal. 
Et  quand  lui-même  a  commis  quelque  méfait ,  n'en 
moutre-t-il  pas  du  regret ,  de  la  honte ,  ou  de  la 
crainte  ?  Ne  fuit-il  pas  après  un  vol  ?  Ne  se  caclie- 
t-il  pas  après  avoir  mordu  quelqu'un  ?  Et  pour  l'or- 
dinaire ,  ne  voyons-nous  pas  que  le  chien  comprend 
la  faiblesse  des  enfants,  et  leur  pardonne  bien  des 
mauvais  traitements  qu'il  ne  souffrirait  pas  d'un 
adulte.  Le  chat  n'est  pas  si  patient  parce  qu'il  n'est 
pas  aussi  intelligent ,  et  ici  se  rattache  la  question 
de  la  liberté  morale  discutée  ci-dessus  :  nous  voyons 
que,  pour  les  animaux  comme  pour  l'homme,  la 
liberté  est  d'autant  plus  grande  que  l'intellect  est 
plus  puissant ,  les  connaissances  plus  vastes.  L'élé- 
phant pourrait  être  cité  en  preuve ,  car  c'est  un  des 
animaux  les  plus  intelligents  et  dont  le  libre  arbitre 
montre  aussi  le  plus  de  spontanéité  apparente. 

Donnons  encore  quelques  exemples  de  cette  com- 
préhension qu'on  est  si  facilement  tenté  de  refuser 
aux  bêtes.  Si  le  chien  fuit  devant  la  menace  d'un 
coup  de  pierre,  devant  le  geste  seul  qu'on  fait  pour 
la  jeter,  la  ramasser  même,  s'il  craint  également 
le  fouet,  si  au  contraire  il  se  jette  sur  le  bâton, 
n'est-ce  point  qu'il  comprend  que ,  dans  les  deux 
premiers  cas ,  il  peut  être  frappé  de  loin  et  non 
combattre  à  armes  aussi  égales  que  dans  le  dernier? 
Bureau  de  la  Malle ,  à  qui  nous  pourrions  emprun- 
ter bien  des  faits  de  cette  nature ,  rapporte  qu'un 
singe  (  cynocephalus  porcanus  )  d'une  grande  féro- 
cité ,  auquel  on  n'osait  reprendre  un  chapeau  qu'il 
avait  saisi ,  le  jeta  au  nez  de  son  maître  aussitôt  que 
celui-ci   se  fut  fait  apporter  son  fusil    de  chasse; 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  439 

aucune  autre  menace  n'avait  pu  vaincre  son  opi- 
niâtreté. On  racontait  dernièrement  que  Forang- 
outanor  de  la  ménaoferie  de  Paris  avait  montré  autant 
de  connaissance  et  plus  de  justice ,  en  refusant  une 
canne  à  son  gardien  et  la  rendant  de  lui-même  à  la 
personne  qui  la  lui  avait  prêtée.  Un  autre  animal  de 
la  même  espèce ,  celui  de  la  Malmaison ,  remontait 
aussi  des  effets  aux  causes,  lorsqu'il  voulait  arra- 
cher les  griffes  du  petit  chat  qui  l'avait  égratigné. 
Le  cochon  même  donne  des  preuves  de  réflexion  et 
d'appréciation  (i).  Un  de  ces  animaux,  libre  dans 
la  basse-cour  d'une  auberge ,  cherchait  vainement  à 
profiter  de  nos  libéralités;  chaque  morceau  de  pain 
qu'il  parvenait  à  saisir  lui  valait  un  coup  de  dents  de 
la  part  d'un  matin  qui  sollicitait  aussi  nos  faveurs  ; 
mais  cette  insulte  était  bientôt  vengée ,  la  ruse  venait 
en  aide  à  la  faiblesse  :  quand  il  voyait  le  mâtin  bien 
attentif  à  nos  gestes ,  le  cochon ,  arrivant  doucement 
par  derrière ,  lui  rendait  sur  la  croupe  la  morsure 
qu'il  avait  reçue  à  l'oreille  ,  et  tâchait  d'éluder,  par 
une  prompte  fuite,  le  châtiment  de  sa  témérité. 
Quatre  à  cinq  fois  nous  obtînmes  la  répétition  de 
cette  scène ,  en  semant  entre  ces  deux  animaux  les 
mêmes  éléments  de  discorde. 

Il  ne  faut  donc  pas  prendre  à  la  lettre ,  et  d'une  ma- 
nière absolue,  les  assertions  d'Aristote  et  d'Anaxagore 
qui  refusent  aux  bêtes,  l'un  la  réminiscence ,  l'autre  la 
compréhension  ;  ces  opérations  sont  seulement  très- 
obscures  et  très-faibles  comparativement  à  celles  de 

(1)  Selon  DarNvin  ,  cet  animal  aurait  beaucoup  de  sagacité  ,  et  il  surpasserait 
peut-êlre  le  chien ,  s'il  était  élevé  de  même.  Il  paraît  certain  du  moins  que  les 
chiens  nourris  et  engraissés  uniquement  comme  provision  de  bouche ,  dans  les 
îles  de  l'Océanie  ,  ne  montrent  pas  plus  d'intelligence  que  nos  porcs. 


440  DES  SENSz\.T10î\S  CENTRALES 

I^homme.  On  en  peut  dire  autant  de  l'observation, 
de  l'étude,  dont  on  ne  peut  citer  que  quelques 
exemples  isolés ,  qui  suffisent  toutefois  pour  faire 
voir  que  ce  ne  sont  point  là  des  propriétés  exclusives 
(dans  toute  la  force  du  mot)  à  l'espèce  humaine  (i). 
On  sait  que  des  chiens ,  des  chats ,  une  autruche 
ont  appris,  par  l'observation  et  sans  autre  leçon  que 
l'exemple ,  à  sonner  pour  se  faire  ouvrir  une  porte  ou 
apporter  à  diner.  Un  chien  de  ville  avait  été  dressé  à 
sauter  pour  obtenir  sa  pitance  :  témoin  de  ce  fait,  un 
chien  campagnard  se  mit  un  jour  à  sauter  de  même. 
Des  personnes  dignes  de  foi  se  sont  portées  garants 
du  fait  suivant  :  un  lapin  est  signalé  dans  une  prairie , 
un  chasseur  s'y  rend,  et  son  chien  s'élance  à  la  pour- 
suite du  fuyard.  Celui-ci  décrit  un  grand  cercle, 
revient  près  de  son  point  de  départ ,  et  s'enfonce  entre 
les  grosses  racines  d'un  vieil  olivier  où  il  s'était  creusé 
une  retraite  inaccessible  à  tout  autre  qu'à  lui.  Le 
lendemain ,  on  revient  à  la  prairie  ;  le  lapin  recom- 
mence à  décrire  sa  grande  courbe  ;  mais  le  chien  , 
au  lieu  de  le  suivre ,  vient  en  droite  ligne  l'attendre 
au  pied  de  son  arbre ,  et  l'étrangle  à  son  arrivée , 
sans  que  le  chasseur  fût  intervenu  dans  toute  cette 
lutte  d'intelligence  et  de  ruse.  Le  renard  fait  plus; 
on  l'a  vu,  au  clair  de  la  lune ,  répéter  ses  exercices, 
s'élancer  plusieurs  fois  du  même  point  où  il  était  en 
embuscade  et  d'où  il  avait  manqué  quelque  lapin  pas- 
sant à  distance.  Il  semblait ,  disent  les  chasseurs  qui 
l'observaient ,  cachés  eux-mêmes  dans  le  feuillage , 


(1)  Il  ne  faiil  voir  toutefois  dans  les  chiens  savants,  écrivant,  calculant, 
jouanl  ,  etc.  ,  que  des  espèces  d'automates  dirigés  par  quelque  artifice  dissimula 
au  public. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  441 

vouloir  étudier  les  causes  de  son  insuccès  pour  les 
mieux  éviter  à  l'avenir. 

Ce  sont  là ,  nous  venons  de  le  dire  ,  quelques  faits 
isolés  et  qui  n'empêchent  pas  qu'on  ne  soit  forcé  de 
reconnaître  la  faiblesse  de  l'intelligence  chez  les 
animaux  même  les  plus  favorisés.  Guislain  dit ,  avec 
raison,  du  singe  (i),  et  l'on  peut  dire  également  du 
chien,  qu'ils  connaissent  le  feu,  qu'ils  en  aiment 
la  chaleur ,  en  craignent  la  brûlure  ,  qu'ils  voient 
perpétuellement  qu'on  l'entretient  avec  du  bois, 
sans  avoir  pourtant  l'esprit  d'y  mettre  une  bûche 
quand  il  est  près  de  s'éteindre.  C'est  un  raisonne- 
ment trop  fort  pour  eux  que  celui-ci  :  la  chaleur 
est  agréable  ,  elle  vient  du  feu ,  le  feu  s'entretient 
avec  du  bois,  donc  il  faut  mettre  du  bois  au  feu 
pour  jouir  de  la  chaleur.  Il  y  a  donc,  convenons-en, 
une  infériorité  bien  réelle  des  mammifères  par  rap- 
port à  l'homme ,  et  la  transition ,  quoique  ménagée 
par  des  gradations  très-véritables  en  descendant  de 
l'européen  au  diemenois,  et  en  montant  de  la  brebis 
à  l'orang-outang,  n'est  cependant  pas  insensible.  Ce 
qui  paraît  surtout  établir  la  ligne  de  démarcation , 
c'est  l'aptitude  d'abstraire  ,  de  généraliser  et  de 
représenter  par  des  signes  de  convention  ces  abs- 
tractions ,  ces  généralisations.  C'est  faute  de  pouvoir 
formuler  mentalement  ces  idées  générales ,  que  ces 
animaux  ne  peuvent  ou  peuvent  à  peine  s'en  servir 
comme  de  base  à  des  raisonnements  suivis ,  et  c'est 
pour  la  même  raison  qu'ils  ne  savent  point  trans- 

(1)  On  dit  que  les  pongos  se  chauffent  volontiers  aux  feux  allumés  par  les 
hommes ,  mais  les  laissent  éteindre.  J.  J.  Roiisseau  dit  avoir  vu  un  singe 
pousser  les  tisons  a^^  feu  ;  mais  il  avoue  qu'il  regarde  Cela  comme  un  acte 
d'imitation  sans  motif  raisonné.  (Note  àv.  Discours  sur  V inérj alité ,  etc.  ) 


442  HES  SENSATIONS  CENTRALES 

mettre  à  leurs  pareils  des  connaissances  un  peu 
complexes.  On  peut  dire  ,  sans  doute  ,  qu'un  chat , 
un  chien  généralisent  quand  ils  reconnaissent  de  la 
viande  ,  du  gibier,  et  non  tel  morceau  de  viande ,  tel 
oiseau  en  particulier.  On  peut  dire  qu'ils  savent 
abstraire  les  idées  de  chaleur  et  de  bonté ,  quand  ils 
attendent  qu'un  bon  morceau  soit  refroidi  et  en  aban- 
donnent un  mauvais  :  ce  sont  là  des  opérations  dont 
sont  capables  les  enfants  qui  ne  parlent  pas  encore 
(  Cuvier  )  ;  la  plupart  des  abstractions  qu'on  peut 
leur  supposer  sont  des  sentiments  qui  se  confondent 
avec  Vinstinct ,  et  leurs  signes  d'expression  se  bor- 
nent également  à  des  manifestations  qui  bien  souvent 
peuvent  passer  pour  instinctives  :  aussi  les  idées  de 
frayeur  ,  de  danger  qu'éveillent  en  eux  tout  grand 
bruit ,  tout  grand  mouvement ,  toute  circonstance 
insolite,  s'expriment  par  des  cris  spéciaux,  mais 
invariables  comme  l'espèce  et  natifs  comme  ses 
formes.  Un  chat,  complètement  sourd  de  naissance, 
que  j'ai  journellement  sous  les  yeux,  exprime  tous 
ses  besoins,  ses  sentiments  de  faim,  d'amour,  d'en- 
nui ,  parles  mêmes  miaulements  caractéristiques  que 
les  autres  animaux  de  son  espèce  qu'il  n'a  pourtant 
jamais  pu  entendre. 

On  a  dit  que  c'était  faute  de  pouvoir  exprimer 
leurs  idées  par  des  signes ,  par  des  paroles ,  que  les 
animaux  ne  pouvaient  se  transmettre  leurs  obser- 
vations et  pousser  bien  loin  leurs  recherches  ;  ici 
l'erreur  ou  du  moins  l'exagération  nous  paraissent 
évidentes  ;  car  si  la  parole  leur  manque  en  raison 
de  la  conformation  de  leur  larynx  (ce  qui  n'est 
pas  vrai  même  pour  les  oiseaux) ,  n'ont -ils  pas  les 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MÊMES.  443 

gestes  ?  Un  sourd- muet  ne  sait -il  pas  comprendre 
et  se  faire  comprendre  même  sans  avoir  reçu  d'édu- 
cation spéciale  dans  une  institution  ad  hoc_,  et  ne 
trouve-t-il  pas,  dans  sa  propre  imagination,  les 
moyens  de  représenter  des  actions,  de  figurer  des 
objets,  de  rappeler  des  couleurs,  de  reproduire  des 
nombres  (i)  ,  de  simuler  des  quantités,  etc.  etc.  ? 
N'y  a-t-il  pas  des  idiots  qui  peuvent  parler  sans  en 
avoir  plus  d'esprit  ?  Et  les  animaux  eux-mêmes, 
comme  nous  venons  de  le  voir ,  ne  savent-ils  pas 
transmettre  aux  autres  le  peu  qu'ils  sont  capables 
de  formuler  ?  Un  chien  ne  comprend  ,  de  la  voix  de 
l'homme,  que  cinq  à  six  mots  qu'on  est  parvenu, 
par  une  éducation  soutenue ,  à  lier  dans  sa  mémoire 
avec  les  actes  qu'on  lui  prescrit;  quant  à  lui-même, 
il  saura  très-bien  exprimer  ses  désirs  ,  ses  craintes , 
sa  joie ,  soit  par  la  voix,  soit  par  les  gestes.  Le  chat 
saura,  de  son  propre  mouvement,  vous  tirer  par  la 
manche  pour  vous  avertir  de  ses  besoins;  il  saura 
gratter  à  la  porte  pour  se  la  faire  ouvrir  ;  donc  il 
exprimerait ,  par  la  mimique  ou  la  voix ,  bien 
d'autres  idées  s'il  en  possédait  davantage.  Les  cari- 
caturistes, qui  nous  mettent  sous  les  yeux  des 
scènes  expressives  de  la  vie  humaine  jouées  par  des 
bêtes  ,  ne  nous  prouvent-ils  pas  quel  parti  celles  ci 
pourraient  tirer  de  la  pantomime ,  si  leur  pensée 
avait  un  domaine  aussi  étendu  que  la  nôtre  ?  Entre 

(1)  On  a  supposé  ,  bien  à  tort ,  que  les  animaux  comptaient  leurs  petits  ou  leurs 
œufs  parce  qu'ils  s'apercevaient  d'une  soustraction.  Pour  leurs  petits,  ils  les 
connaissent  individuellement  ,  et  s'aperçoivent  que  tel  manque  comme  ils 
s'apercevraient  de  l'absence  de  tous.  Quant  aux  œufs,  c'est  la  niasse  ,  l'ensemble 
qu'ils  reconnaissent.  Cela  est  si  vrai,  qu'il  suffit  quelquefois  de  les  déranger  un 
peu  pour  en  causer  l'abandon  ,  surtout  s'ils  ne  sont  pas  en  grand  nombre  ;  car, 
dans  le  cas  contraire  ,  l'absence  d'un  seul  n'est  nullement  reconnue. 


^44  dî:s  sensatioins  ceintrales 

eux ,  les  animaux  se  comprennent  à  merveille 
pour  le  peu  d'idées  générales  qu'ils  possèdent ,  et 
cela  sans  s'exprimer  autrement  que  par  quelques 
actes  ,  quelques  gestes ,  parce  que  les  actions  pour 
lesquelles  ils  se  communiquent  ainsi  leurs  pensées, 
ont  toujours  aussi  quelque  chose  d'instinctif  qui  leur 
en  facilite  et  l'intelligence  et  l'exécution.  C'est  ainsi 
qu'ils  se  rassemblent  pour  exécuter  en  commun  des 
actes  de  défense  et  surtout  d'attaque  plus  ou  moins 
ingénieux ,  plus  ou  moins  compliqués.  Ou  dit  que  la 
louve  attire  à  sa  poursuite  les  chiens  et  les  bergers  , 
tandis  que  le  loup  son  associé  fond,  d'un  autre  côté, 
sur  le  troupeau  sans  défense.  Les  renards  s'associent 
de  même ,  l'un  jappant  et  poursuivant  le  gibier ,  que 
l'autre  attend  au  passage.  Les  chacals  en  Afrique 
et  en  Asie  ,  les  chiens  devenus  sauvages  dans  les 
déserts  de  l'Amérique ,  les  loups  de  la  Caroline  et 
quelquefois  ceux  d'Europe,  chassent  en  meute  et 
pour  un  profit  commun.  Enfin ,  beaucoup  de  singes 
se  rassemblent  pour  la  maraude  ,  se  disposent  en 
ligne  ,  et  se  jettent  les  fruits  de  main  en  main; 
tandis  que  des  sentinelles  veillent  à  la  sécurité  de 
la  troupe.  Certes,  tous  ces  animaux  ont  compris 
l'objet  commun  de  leur  réunion ,  et  se  sont  entendus 
dans  la  distribution  des  rôles  ,  sans  avoir  besoin  de 
la  parole  pour  cela  ;  les  plus  forts ,  les  plus  agiles  se 
sont  placés  les  premiers  et  ont  fait  ranger  les  autres , 
comme  on  voit  certaines  fourmis  surveiller  le  travail, 
et  les  vieux  castors  morigéner  et  dresser  les  jeunes. 
Cette  entente  muette,  fondée  sur  des  convenances 
réciproques  et  sur  des  besoins  communs,  s'observe 
même  entre  individus  d'espèce  différente  :  l'appel  de 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  445 

la  poule  est  compris  fort  bien  par  les  jeunes  canards 
dont  on  lui  a  confié  le  soin  :  l'association  du  lion  et 
du  caracal ,  celle  du  requin  et  du  poisson  pilote , 
prouvent  que  ces  animaux  se  comprennent  et  appré- 
cient Futilité  dont  ils  sont  l'un  à  l'autre  :  il  faut  en 
dire  autant  des  rapports  qui  s'établissent  entre  le 
crocodile  et  le  petit  pluvier  qui  le  débarrasse  des 
insectes  parasites  dont  sa  bouche  est  remplie.  Ces 
associations  semblent,  jusqu'à  un  certain  point,  rai- 
sonnées  et  fondées  sur  une  concordance  appréciée 
de  part  et  d'autre  :  il  en  est  de  plus  aveugles ,  de 
tout  instinctives ,  qui  ne  doivent  pas  nous  occuper  ici. 
En  résumé  donc  ,  nous  pouvons  conclure  que  les 
bêtes  savent  exprimer,  de  manière  ou  d'autre,  ce 
qui  se  passe  dans  leur  intellect  ;  et  que ,  si  elles  ne 
nous  manifestent  pas  plus  de  connaissances  et  de 
raison,  c'est  qu'il  n'en  existe  pas  davantage  en  elles; 
que  néanmoins  elles  participent ,  à  certains  degrés , 
de  toutes  les  facultés  intellectuelles  de  l'homme. 

ARTîCîii:  II ff.  -  I>es  modiâicattoiis  dues  à  Aes 
caiises  înterfuittentes  on  passag^èreis  clans 
les  opérations  mentales* 

Sous  ce  titre,  je  comprends  les  variations  qui  se 
rapportent  principalement  au  degré  d'activité  des 
centres  nerveux ,  au  degré  d'énergie  de  leurs  opé- 
rations. Le  mot  variation  que  je  viens  d'employer, 
indique  assez  qu'il  ne  s'agit  ici  que  de  modifications 
momentanées  et  non  permanentes  comme  celles  qui 
nous  occuperont  dans  l'article  suivant.  Les  premières 
sont  plus  essentiellement  fonctionnelles,  les  secondes 
plus  essentiellement  organiques  ;  dans  les  premières , 


446  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

la  cause  est  momentanée  comme  l'effet,  et  se  confond 
avec  lui;  elle  est  toute  efficiente;  dans  les  secondes, 
la  cause  subsiste  toujours  ,  mais  n'agit  que  dans  cer- 
taines occasions  ;  c'est  une  cause  prédisposante  pour 
parler  le  langage  des  médecins. 

Des  modifications  passagères  dont  il  va  être  ques- 
tion ,  les  unes  sont  périodiques ,  ce  sont  les  alterna- 
tives régulières  d'activité  et  de  repos,  la  veille  ei  le 
sommeil/  les  autres  sont  accidentelles ,  irrégulières , 
ce  sont  les  passions.  Tout  ce  qui  a  été  dit  précédem- 
ment se  rapportant  évidemment  à  l'état  de  veille , 
nous  n'avons  à  nous  occuper  que  de  l'état  opposé  et 
de  ses  divers  modes. 

§  P^.    Du  sommeil. 

Le  repos  de  l'intellect ,  l'interruption  des  opé- 
rations mentales  et,  par  suite,  de  tous  les  mouve- 
ments volontaires,  de  toutes  les  sensations  externes, 
constituent  le  sommeil  proprement  dit  ;  mais  il  y  a 
bien  des  circonstances  intéressantes  à  observer  dans 
ses  phénomènes  normaux  et  dans  ses  anomalies  : 
nous  nous  y  arrêterons  quelque  peu;  moins  à  cause 
de  ce  qu'il  y  a  de  curieux  dans  ces  particularités , 
qu'à  cause  des  interprétations  physiologiques  aux- 
quelles elles  conduisent,  et  dont  plusieurs  sont  d'une 
haute  importance. 

JÉ.  Sommeil  ordinaire.  Nous  avons  défini  le  som- 
meil un  état  de  repos ,  de  relâche  ;  et  il  est  effective- 
ment considéré  comme  un  état  passif  par  beaucoup 
d'écrivains,  entre  autres  Sanctorius,  Gullen,  Cuvier, 
Tommasini,  qui  ont  fait  remarquer  le  ralentissement 
du  pouls ,  le  refroidissement  des  pieds  qui  l'accom- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  447 

pagnent  souvent.  Mais,  tout  au  contraire  ,  Barthez, 
Dumas  et  Cabanis  y  veulent  voir  un  état  actif,  et 
basent  leur  assertion  sur  la  force  du  pouls ,  la  rou- 
geur de  la  face,  la  cbaleur  générale  ,  les  rêves,  etc. 
Ces  contradictions  disparaissent,  quand  on  distingue , 
dans  le  sommeil ,  deux  périodes  principales,  comme 
nous  l'avons  fait  il  y  a  long-temps. 

|re  Période  ou  jjériode  vespérale.  Fatigué  par 
Texercice  du  jour  ,  l'encépbaîe  tombe  dans  l'épuise- 
ment; au  contraire  ,  le  système  viscéral  tout  entier , 
plus  tardivement  excité,  plus  lent  dans  ses  réactions, 
entre  alors  dans  une  activité  plus  grande,  ainsi  que 
le  prouvent  les  exaspérations  fébriles  dans  les  ma- 
ladies. iS'omnns  lahor  viscerihus ^  a  dit  Hippocrate; 
et,  en  effet,  le  pouls  est  plus  plein,  plus  fort,  plus 
fréquent;  il  y  a  rougeur  de  la  face,  injection  des 
conjonctives,  pesanteur  de  tête  ,  sueur  au  front ,  en 
un  mot,  congestion  vers  l'encépbaîe  et  compression 
des  centres  nerveux  qui  le  composent  ;  il  y  a  sopeur 
comme  lors  de  l'ingestion  de  l'opium  ou  de  l'alcool, 
ou  dans  les  cas  de  compression  accidentelle  du  cer- 
veau, d'apoplexie,  etc.  On  conçoit,  d'après  cela, 
comment  une  forte  cbaleur ,  un  repas  copieux  dis- 
posent au  sommeil  ;  c'est  ce  que  nous  montrent 
non-seulement  l'bomme  ,  mais  aussi  la  plupart  des 
animaux. 

2me  période  ou  matutinale.  Le  système  viscéral  se 
fatigue  à  son  tour,  se  repose  ,  et  ses  actions  se  dépri- 
ment; le  pouls  est  lent,  la  face  peu  colorée,  les 
pieds  souvent  refroidis  :  c'est  alors  le  moment  de  la 
rémission  des  maladies  inflammatoires.  L'encépbaîe 
n'est  plus  comprimé  ;  mais  il  reste  dans  la  torpeur 


448  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

jusqu'à  ce  que ,  complètement  refait  des  fatigues 
antécédentes ,  il  se  réveille  à  la  moindre  excitation  , 
à  l'apparition  du  jour  et  du  bruit. 

Le  sommeil  parait  nécessaire  à  tous  les  animaux; 
les  polypes  nous  offrent  des  alternatives  évidentes 
d'activité  et  d'engourdissement,  d'expansion  et  de 
rétraction  :  il  en  est  de  même  des  autres  invertébrés , 
soit  que ,  comparables  aux  fleurs  des  convolvulus , 
aux  feuilles  pinnées  des  légumineuses  qui  ne  s'épa- 
nouissent, ne  se  redressent  qu'à  l'apparition  du 
soleil,  ils  se  mettent  en  mouvement  durant  le  jour; 
soit  que ,  pareils  aux  mirabilis  ,  leur  activité  soit 
toute  nocturne.  Nous  renvoyons  ,  pour  ces  détails , 
à  ce  que  nous  avons  dit  déjà  dans  l'bistoire  naturelle 
de  la  vie  considérée  en  général  ;  qu'il  nous  suffise 
de  citer  comme  exemples ,  la  mouche  commune ,  les 
papillons  proprement  dits,  pour  les  insectes  diurnes; 
les  phalènes ,  les  blattes,  pour  les  nocturnes.  Les 
mollusques  ,  les  annélides  sont  généralement  noc- 
turnes, et  l'on  sait  qu'il  en  est  ainsi  de  certains 
poissons,  de  la  plupart  des  reptiles  batraciens,  de 
plusieurs  oiseaux  et  mammifères  ;  d'autres ,  au  con- 
traire ,  comme  les  lézards ,  les  serpents ,  la  grande 
majorité  des  oiseaux  et  des  quadrupèdes  vivipares, 
dorment  la  nuit  seulement.  Accoutumés  que  nous 
sommes  à  leur  voir  fermer  les  paupières ,  nous  croi- 
rions aisément  que  les  serpents,  les  poissons  ne 
dorment  jamais,  si  leur  immobilité  complète,  leur 
insensibilité  à  des  excitations  modérées ,  dans  cer- 
tains moments,  ne  nous  donnaient  la  preuve  du 
contraire.  Nous  l'avons  bien  remarqué  chez  les  ser- 
pents, et  quant  aux  poissons,  Cuvier  assure  qu'ils 


ÉTUDIÉES    EIN    ELLES-MEMES.  449 

s'endorment  souvent  dans  les  filets  où  ils  sont  pris , 
et  ne  s'éveillent  que  quand  on  les  agite. 

Les  attitudes  que  prennent,  dans  le  Sommeil, 
différents  animaux,  méritent  une  courte  mention  : 
presque  tous  se  pelotonnent  plus  ou  moins,  flé- 
chissent les  membres  et  les  rapprochent  du  tronc 
comme  pour  se  préserver  du  refroidissement  ;  l'oiseau 
enferme  son  bec  et  sa  tête  dans  les  plumes  du  dos 
et  sous  les  couvertures  de  l'aile  {Jig,  lAOj;  le  chien, 
lé  chat  se  couchent  en  rond  ,  un  peu  comme  les 
serpents  qui  se  roulent  en  spirale  ;  ces  quadrupèdes 
se  couchent  sur  le  flanc ,  parce  que  la  forme  com- 
primée du  thorax  leur  rend  cette  attitude  plus 
commode  ;  d'autres  cependant ,  les  ruminants  par 
exemple  ,  s'appuient  sur  le  ventre  et  le  sternum , 
mais  latéralement  arc-boutés  par  leurs  membres 
fléchis  ;  d'autres  enfin,  comme  le  cheval  (i),  dor- 
ment debout ,  conservant  encore  dans  leur  sommeil 
assez  d'énergie  musculaire  pour  prévenir  la  flexion 
des  membres.  Cette  remarque  confirme  celle  de 
Gerdy,  qui  attribue  également  à  une  contraction 
musculaire ,  et  non  pas  à  un  tiraillement  mécanique 
comme  le  disait  Borelli,  la  constriction  que  les 
petits  oiseaux  exercent  sur  la  branche  qui  les  sup- 
porte durant  leur  sommeil;  l'équilibre  dans  lequel 
ils  se  placent ,  le  poids  de  leur  corps  employé  à 
fléchir  les  membres,  à  couder  et  allonger  ainsi  les 
leviers  sur  lesquels  passent  les  tendons  fléchisseurs 
/fig.lAlJ:  ce  sont  là  tout  autant  d'explications 
qui  tombent  devant  ce   seul  fait,  que  souvent  les 

(1)   Un  éléphant  du  Muséum  dormait  aussi  debout»  mais  en  se  soutenant  à 
Faide  de  ses  défenses  enfoncées  dans  le  mur  de  son  écurie.; 

29 


450  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

chardonnerets,  les  serins,  dorment  suspendus  aux 
fils  de  fer  de  leur  cage ,  quand  quelque  accident  les 
a  pendant  la  nuit  débusqués  de  leur  perchoir.  Ni  cet 
équilibre  ,  ni  l'engrenage  du  tibia  et  du  métatarsien 
ne  sont  pas  non  plus  les  seules  causes  qui  permettent 
aux  échassiers  de  dormir  debout ,  car  la  cuisse  reste 
toujours  flexible  et  demi-fléchie  sur  le  bassin,  et  la 
jambe  demi-fléchie  sur  la  cuisse  (^figA'^d>J. 

B.  Sommeil 'partiel  ou  incomplet, —  1^  Si  quelque 
excitation  mentale  antécédente  un  peu  trop  forte 
a  vivement  ébranlé  l'encéphale  ;  si  son  repos  est 
troublé  par  une  digestion  pénible ,  un  état  maladif 
quelconque  ,  une  mauvaise  position  dans  le  lit ,  des 
excitations  extérieures  insuffisantes  pour  amener  le 
réveil  complet,  des  excitations  intérieures (Hobbes) 
provenant  des  besoins ,  de  l'orgasme  génital  ;  enfin , 
si  le  sang  est  devenu  plus  stimulant  par  l'ingestion 
de  l'alcool ,  du  café ,  il  s'établit  des  rêves  ou  songes. 
Le  songe  a  plus  ou  moins  de  rapport  avec  la  cause 
qui  l'a  fait  naître  :  ainsi  on  rêve  de  l'objet  dont  on 
a  été  préoccupé  durant  la  veille  ;  on  rêve  de  repas 
quand  l'estomac  travaille;  d'orage  ou  d'incendie 
si  une  vive  lumière  frappe  sur  les  paupières  closes; 
de  blessures  si  quelque  douleur  persiste  obscurément 
dans  un  membre  ;  on  joue  un  rôle  dans  des  scènes 
lascives  ,  si  les  organes  génitaux  sont  la  source  de 
l'excitation.  Les  songes  lascifs  ne  reviennent  qu'avec 
la  vigueur  des  organes  sexuels ,  chez  les  individus 
affectés  d'impuissance  guérissable  (  Lallemand  ). 

On  voit  bien  que  ,  dans  ces  circonstances ,  il  y  a 
un  réveil  partiel  ;  et  l'on  conçoit  aisément  que  les 
caténations  de  percepts  mises  en  réserve  par  la  mé- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  461 

moire  entrent  en  scène ,  mais  d'une  manière  peu 
suivie  et  peu  régulière.  Je  compare  un  homme  qui 
rêve  5  à  un  voyageur  qui  relit  au  hasard ,  dans  son 
journal,  des  notes  décousues,  et  qui  hâtit  là-dessus 
des  châteaux  en  Espagne.  Le  rêve  est  l'exercice  de 
l'imagination  sans  guide ,  sans  ordre  et  sans  suite  ; 
car,  d'une  part,  les  sens  assoupis  ne  peuvent  rectifier 
les  illusions  (Hobbes}([);  et  d'autre  part,  les 
caténations  sont  rompues  par  l'engourdissement  des 
points  qui  pourraient  les  lier  raisonnablement  entre 
elles.  Voilà  pourquoi ,  d'un  côté ,  les  illusions  des 
rêves  nous  semblent  des  réalités  (  absence  de  toute 
comparaison  avec  des  sensations  directes };  pourquoi^ 
d'un  autre  côté ,  les  rêves  du  matin  sont ,  de  tous , 
les  plus  suivis  et  les  moins  déraisonnables  ;  car 
alors  l'encéphale  est  presque  tout  éveillé.  Il  y  a 
effectivement  tels  rêves  où  le  sommeil  est  presque 
nul  :  ce  sont  les  rêveries.  On  comprend  bien , 
d'après  tout  cela,  comment  les  rêves  sont  rarement 
suivis  de  jugements  et  de  volitions ,  et  Darwin  a 
eu  seulement  le  tort  d'être  trop  exclusif  en  disant 
jamais ,  pour  ces  dernières  :  on  comprend  comment 
ils  n'excitent  en  nous  que  peu  ou  point  d'étonnement 
au  milieu  de  toutes  leurs  bizarreries  :  on  comprend 
enfin  comment  certaines  sensations  acquièrent ,  dans 
cet  état ,  une  vivacité  qu'elles  n'auraient  point  dans 
l'état  de  veille.  Si  rien  ne  rectifie  alors  nos  erreurs  , 
rien  ne  nous  distrait  non  plus  de  ces  sensations  iso- 
lées ;  nulle  autre  ne  les  trouble  ou  ne  les  affaiblit  par  le 


(1)  C'est  pour  cela  que ,  même  sans  soïnmeil ,  le  jugement  est  quelquefois 
moins  juste  la  nuit  que  le  jour,  et  que  l'on  se  dispose  singulièrement  à  la  rêverie 
en  fermant  les  yeux. 


452  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

partage  de  rattention(r):  aussi  les  pensées  erotiques 
sont-elles  souvent  portées  jusqu'à  leur  dernier  ternie 
dans  les  rêves.  C'est  pour  la  même  raison  qu'on 
revoit  fréquemment  en  songe,  et  très-nettement, 
très-distinctement ,  des  physionomies  qu'on  ne  sau- 
rait se  figurer  durant  la  veille ,  parce  que  leur  sou- 
venir a  été  effacé  par  des  impressions  plus  récentes  : 
ce  n'est  guère  que  de  cette  façon  (  en  dormant  ) 
qu'on  peut  se  représenter  nettement  les  traits  que 
portait,  dans  le  jeune  âge,  une  personne  qu'on  a  vu 
vieillir  près  de  soi.  Enfin ,  on  s'explique  encore 
aisément  pourquoi  les  membres  ne  se  meuvent  pas , 
bien  que  nous  nous  imaginions  les  mouvoir  dans  nos 
songes  :  c'est  que  l'influx  mental  n'arrive  pas  jusqu'à 
eux ,  arrêté  en  route  par  l'engourdissement  de  la 
moelle  épinière  et  de  ses  nerfs;  l'ordre  est  donné, 
mais  non  exécuté. 

2®  Il  est  des  cas ,  plus  singuliers  encore ,  où  il 
n'en  est  pas  tout-à-fait  ainsi  :  les  ordres  sont  émis , 
portés  et  exécutés  ;  il  y  a  des  mouvements  ,  des  actes 
extérieurs;  c'est  là  ce  qui  constitue  le  somnambu- 
lisme. Ici  la  moelle  épinière  veille  (2),  les  mouve- 
ments automatiques  s'exécutent  avec  aisance,  mais  le 
cerveau  dort.  Souvent  il  ne  dort  qu'en  partie  ;  cer- 
taines caténations  s'opèrent  avec  une  suite  qui  prouve 
que  cet  organe  n'y  reste  pas  étranger  :  un  morceau 
de  musique ,  par  exemple ,  est  chanté  ou  exécuté 
sur  un  instrument.  Parfois  même  quelqu'un  des  sens 

(1)  C'est  aussi  là  un  des  avantages  de  la  méditation  solitaire  ;  et  de  là  rient 
que,  comme  J.  J.  Rousseau  le  dit  de  lui-même,  beaucoup  de  choses  nous 
échappent  dans  l'actualité  ,  qui  nous  arrivent  ensuite  avec  plus  de  netteté  ,  et 
donnent  lieu  à  des  jugements  plus  positifs  dans  le  silence  de  la  retraite. 

(2)  Voyez  ci-après  quelques  faits  qui  axitorisent  à  croire  qu'elle  dort  toujours 
moins  que  le  cerveau. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-îtfEMES.  453 

est  éveillé  ,  le  reste  dormant  d'un  sommeil  profond  ; 
l'individu  entend  des  paroles ,  y  répond ,  voit  même 
quelques  objets  ,  peut  se  conduire ,  et  pourtant  le 
réveil  ne  se  complète  que  si  l'on  excite  une  violente 
sensation,  une  surprise,  une  secousse  quelconque. 
Bien  souvent ,  il  est  vrai ,  la  supercherie  a  simulé , 
exagéré  ce  que  le  somnambulisme  avait  de  plus  sin- 
gulier, surtout  dans  ce  qu'on  a  nommé  somnambu- 
lisme magnétique  ;  mais  il  y  a  du  vrai  dans  beau- 
coup d'histoires  extraordinaires  qu'on  a  seulement 
un  peu  embellies. 

On  pourrait  s'étonner  que  les  rêves  ,  et  ceux  du 
somnambulisme  surtout,  soient  si  aisément,  si  facile- 
ment oubliés;  ce  fait  s'explique  en  raison  de  leur 
nature  même  :  c'est,  avons-nous  dit,  la  mémoire  qui 
est  mise  en  jeu  durant  le  sommeil ,  mais  elle  ne 
change  point  pour  cela ,  elle  n'acquiert  rien  de  nou- 
veau, seulement  elle  rafraîchît  des  notions  déjà  un 
peu  anciennes ,  et  c'est  par  cela  seul  que  nous  pouvons 
au  premier  moment  les  reconnaître  et  les  raconter. 

Nous  avons  fait  entendre ,  plus  haut ,  que  l'étude 
des  songes  pouvait  rendre  des  services  à  l'idéologie  : 
en  voici  quelques  échantillons. 

1®  Cette  circonstance  qu'un  rêve  rafraîchit  les 
souvenirs,  prouve  la  nature  active  des  sensations 
centrales ,  puisque  la  réitération  a  laissé  une  em- 
preinte plus  forte  ;  cette  reproduction  même  est ,  à 
elle  seule,  une  preuve  d'activité. 

2°  Les  rêves  et  le  somnambulisme,  étant  des 
sommeils  j)art^e/5^  indiquent  assez  que  les  opérations 
mentales  ne  s'opèrent  point  dans  un  lieu  indivisible, 
mais  dans  une  étendue  susceptible  d'être  diverse- 


454  DES    SENSATIONS  CENTRALES 

ment  affectée  au  même  moment  dans  des  points 
différents.  Ils  concourent  donc  à  prouver,  conjoin- 
tement avec  la  diversité  des  opérations  intellectuelles 
et  les  conjectures  fournies  par  l'anatomie ,  la  multi- 
plicité des  organes  dont  l'ensemble  est  nécessaire  à 
^intelligence. 

3°  Ils  prouvent  l'identité  des  mots  et  des  idées 
qu'ils  représentent;  car  on  rêve  souvent  qu'on  lit 
une  histoire ,  et  bientôt,  ou  plutôt  en  même  temps, 
les  mots  se  transforment  en  objets  et  en  actions. 

4°  Ils  démontrent  que  les  souvenirs  sont  la  répé- 
tition complète  des  actes  sensoriaux,  tels  qu'ils  se 
sont  opérés  à  l'aide  du  sens;  car  on  voit  les  fantômes 
durant  le  sommeil,  comme  on  voit  les  objets  durant 
la  veille. 

5°  Ils  énoncent  clairement  ce  fait,  que  le  sentiment 
obscur  du  moi  (moi  brut)  accompagne  toutes  les 
opérations  intellectuelles  ;  car ,  dans  les  rêves  ,  on 
devient  le  héros  de  presque  toutes  les  scènes,  même 
de  celles  qu'on  croit  lire  ,  et  c'est  ainsi  que  de  très- 
honnêtes  personnes  ont  pu  rêver  qu'elles  commet- 
taient un  crime  assurément  bien  éloigné  de  leur 
caractère  et  de  leurs  habitudes  :  aussi  la  conduite 
de  Denis-le-Tyran ,  qui,  dit-on,  fit  mourir  un  homme 
coupable  seulement  d'avoir  rêvé  qu'il  l'assassinait , 
fut-elle  aussi  déraisonnable  que  cruelle ,  si  toutefois 
cette  histoire  n'est  pas  un  conte. 

6°  On  y  trouve  encore  la  preuve  de  ^hérédité  de 
certaines  dispositions  mentales ,  bien  propres  à  faire 
comprendre  l'hérédité  des  instincts  encéphaliques. 
Dans  certaines  familles  on  rêve  souvent  des  mêmes 
objets  ;  plusieurs  personnes  de  la  mienne  et  moi- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  455 

même  avons  été  souvent  fatigués  par  des  songes  dans 
lesquels  les  chats  jouaient  un  grand  rôle  :  or,  plu- 
sieurs de  mes  parents  avaient ,  pour  ces  animaux , 
une  horreur  dont  je  n'ai  pourtant  hérité  que  dans 
mes  rêves,  et  qui,  même  sous  ce  rapport,  a  disparu 
chez  moi  avec  l'âge. 

70  Ce  que  nous  avons  dit  du  conflit  entre  les 
penchants  et  la  raison ,  entre  certains  raisonnements 
même,  est  encore  justifié  par  les  songes;  des  per- 
sonnes fort  pieuses  et  religieuses  observatrices  de  la 
continence  dans  l'état  de  veille ,  se  sont ,  bien  des 
fois  ,  idéalement  abandonnées ,  en  rêve ,  à  des  actes 
erotiques  que  la  raison  endormie  ne  corrigeait  plus, 
et  dont  elles  étaient  toutes  honteuses  à  leur  réveil. 

8*^  Enfin,  on  y  trouve  encore  une  preuve  de 
l'action  sympathique  des  viscères  sur  les  organes  de 
l'intelligence,  lors  même  que  ceux-ci  ne  sont  pas 
dans  un  état  de  maladie  apparente.  Je  me  suis  plus 
d'une  fois  éveillé  au  milieu  d'un  rêve  pénible ,  sans 
d'abord  rien  sentir  de  gêné  dans  mes  fonctions  ;  mais 
des  coliques  qui  survenaient  bientôt  m'apprenaient 
que  l'influence  des  viscères  abdominaux  sur  l'encé- 
phale s'était  exercée  durant  mon  sommeil ,  quoique 
le  malaise  de  ces  viscères  fut  assez  faible  pour 
échapper  à  mon  attention ,  même  après  le  réveil. 

Nous  dirons  peu  de  choses  des  rêves  dans  les 
animaux  ;  on  sent  combien  il  est  difficile  de  juger 
de  leur  existence  chez  la  plupart  d'entre  eux.  Le 
chien,  le  chat  nous  la  prouvent  par  des  mouvements 
irréguliers ,  des  éclats  de  voix  sans  motifs  et  souvent 
un  réveil  en  sursaut.  C'en  serait  assez  pour  nous 
prouver  que  la  mémoire  et  l'imagination ,  dont  les 


-^56  DES   SEINSATIONS   CENTRALES 

rêves  sont  une  conséquence,  ne  sont  nullement  exclu- 
sives à  l'homme  ,  et  que  les  animaux  ne  le  lui  cèdent, 
sous  ce  rapport  comme  pour  tout  ce  qui  concerne 
les  autres  opérations  mentales ,  qu'en  étendue  et  en 
perfection. 

C.  Sommeil  superflu.  J'appelle  ainsi  l'engourdis- 
sement soporeux  qui,  de  l'encéphale,  se  propage 
non-seulement  à  la  moelle  épinière  et  à  la  moelle 
allongée  ,  mais  encore  aux  nerfs  et  surtout  au 
pneumo  -  gastrique  et  au  trisplanchnique.  C'est  du 
moins  de  cette  manière  que  j'explique  le  cauchemar 
proprement  dit.  Il  ne  faut  pas  entendre  par  ce 
mot,  avec  le  vulgaire  ,  tout  rêve  pénible  ;  mais 
seulement  tout  sommeil  durant  lequel  les  organes 
respiratoires  s'embarrassent,  s'arrêtent  même,  non 
sans  angoisses  pour  le  patient.  Ordinairement  le 
malaise  qui  en  résulte  détermine  un  réveil  partiel 
dans  d'autres  parties  de  l'encéphale  ;  il  y  a  songe  et 
songe  pénible  ;  on  va  même ,  dans  les  efforts  qu'on 
fait  pour  échapper  à  la  souffrance  et  aux  dangers 
imaginaires  qui  nous  assiègent  alors  ,  jusqu'à  recon- 
naître l'impossibilité  de  faire  franchir  à  l'agent  ner- 
veux l'obstacle  opposé  par  les  nerfs  engourdis  ;  on 
sent  qu'on  ne  peut  fuir  ni  crier.  Bien  des  fois  j'ai 
pu  étudier ,  sur  moi-même  ,  ces  phénomènes  du 
cauchemar;  sa  fréquence  m'avait  familiarisé  avec 
lui  et  guéri  de  l'effroi  qui  l'accompagne  d'ordinaire  : 
j'ai  pu  l'analyser  au  moment  où  le  réveil  était  assez 
complet  pour  me  laisser  la  liberté  de  raisonner, 
quoique  je  ne  pusse  encore  mouvoir  aucun  membre, 
ni  parler,  ni  respirer  librement  :  après  bien  des 
efforts  inutiles ,  un  monosvllabe ,  un  son  inarticulé 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  457 

m'échappait  enfin  ;  ou  bien  un  mouvement  du  doigt 
seulement  pouvait  être  opéré ,  et  au  moment  même 
la  barrière  était  franchie ,  la  liberté  des  mouvements 
se  rétablissait  instantanément  (i). 

C'est  dans  cet  état  que  quelques  malades  ont  pu 
voir,  bien  que  très-obscurément  sans  doute,  faire  les 
apprêts  de  leur  sépulture  ,  entendre  les  lamentations 
de  leurs  proches  (2) ,  sans  avoir ,  de  long-temps ,  la 
possibilité  de  leur  faire  comprendre  que  la  vie  n'était 
en  eux  nullement  éteinte.  Dans  ces  cas  maladifs 
(hystérie,  léthargie),  le  cœur  même  participait  à 
la  torpeur  ;  le  pouls  était  devenu  insensible  comme 
il  le  devient  si  souvent  dans  le  choléra-morbus  ;  la 
circulation  n'avait  probablement  pas  cessé  totalement 
non  plus  que  la  respiration ,  mais  ces  fonctions  ne 
s'exécutaient  plus  que  d'une  manière  inappréciable 
pour  les  assistants.  On  le  voit,  ces  cas  rentrent  dans 
le  domaine  de  la  pathologie,  mais  ils  concouraient 
trop  bien ,  avec  les  rêves ,  à  l'explication  de  notre 
théorie  du  sommeil ,  pour  ne  pas  mériter  au  moins 
d'être  mentionnés. 

Au  reste ,  on  peut  dire  que ,  même  dans  le  som- 
meil régulier,  bien  souvent  une  partie  des  organes 
internes  s'engourdit  également  :  en  premier  lieu, 
les  sécrétions  sont  le  plus  souvent  diminuées ,  sinon 
suspendues  ;  en  second  lieu,  il  est  des  personnes, 


(1)  N'est-ce  point  une  sorte  de  cauchemar  que  ce  sommeil  lourd  et  comme 
léthargique  atiquel  les  chats  seraient  sujets  ,  à  en  juyer  par  une  des  additions 
que  Buffon  a  jointes  à  l'histoire  de  cet  animal  ? 

(2)  Une  jeune  personne  tomhée  en  catalepsie  ,  et  à  laquelle  je  prodiguais  à 
haute  voix  des  consolations  qui  pouvaient  paraître  ridicules,  tant  elle  semblait 
peu  capable  de  les  entendre,  déclara  ensuite  qu'elles  avaient  contribué  beaucoitp 
à  diminuer  son  effroi ,  bien  qu'elle  ne  les  eût  entendues  que  d'une  manière 
un  peu  obtuse. 


458  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

sans  doute ,  qui  digèrent  parfaitement  quoique  en- 
dormies ;  mais  d'autres  ,  et  je  suis  du  nombre  , 
reprennent  le  matin  leur  digestion  au  point  où  elles 
l'ont  laissée  la  veille  ;  c'est  ce  dont  m'avertissent 
ordinairement  des  borborygmes ,  de  petites  coliques, 
preuves  certaines  que  les  intestins  se  réveillent  et 
recommencent  un  travail  suspendu;  car  la  même 
chose  m'arrive  si ,  au  milieu  de  la  nuit ,  mon  som- 
meil est  interrompu  pendant  plus  d'un  quart  d'heure. 
On  a  pensé  que  la  compression  des  nerfs  pneumo- 
gastrique et  grand  sympathique  ,  par  le  poids  des 
viscères ,  était  cause  de  leur  engourdissement  dans 
le  décubitus  dorsal;  cette  théorie  n'a  rien  qui  ne 
concorde  avec  ce  que  nous  avons  dit  déjà  ;  c'est  un 
puissant  auxiliaire  à  la  propagation  de  la  torpeur 
encéphalique  ;  et ,  en  effet ,  c'est  le  plus  souvent 
dans  une  semblable  attitude  qu'on  est  surpris  par  le 
cauchemar. 

Terminons  par  une  réflexion  que  cet  état ,  comparé 
au  sommeil  normal,  nous  inspire.  La  continuation 
de  la  respiration,  durant  ce  dernier,  n'indique-t-elle 
pas  que  les  nerfs  intercostaux,  le  diaphragmatique , 
jouissent  d'une  certaine  activité  ?  Le  nerf  vague  ou 
pneumo-gastrique ,  né  du  bulbe  rachidien ,  conserve 
aussi  son  influence  sur  les  mouvements  respira- 
toires ;  les  sphincters  conservent  généralement  leur 
énergie  :  ce  n'est  guère  que  chez  les  enfants  qu'il 
y  a  incontinence  d'urine,  etc. ,  durant  le  sommeil; 
encore,  à  un  certain  âge  ,  ces  évacuations  nocturnes 
sont-elles  souvent  provoquées  par  des  illusions  som- 
niales.  Ne  semble -t- il  pas  qu'en  conséquence  la 
moelle  épinière  soit  beaucoup  moins  aff'ectée ,  dans 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  459 

le  sommeil  ordinaire ,  que  les  centres  encéphaliques? 
Cette  opinion  est  singulièrement  renforcée  par  ce 
que  nous  avons  dit  plus  haut  de  ^attitude  des  oiseaux 
durant  le  sommeil.  Ajoutez  que  Ton  dort  à  cheval, 
que  quelques  personnes  ,  Galien  même  ,  ont  dormi 
en  marchant,  et  j'ai  connu  quelqu'un  qui  fit  un  jour 
environ  deux  lieues  de  cette  manière  :  enfin ,  c'est 
bien  aussi  un  acte  de  volonté  obscure,  automatique, 
un  mouvement  dépendant  de  la  moelle  allongée,  qui 
nous  fait  tenir  la  bouche  ouverte  quand  les  narines 
sont  bouchées.  On  peut  faire  rentrer  dans  la  même 
catégorie  l'occlusion  comme  spasmodique  des  yeux 
dans  le  sommeil  ordinaire ,  par  suite  de  la  contrac- 
tion des  muscles  palpébraux  externes,  animés  par 
le  nerf  facial  qui  naît  du  point  le  plus  avancé  de  la 
moelle  épinière  ,  c'est-à-dire  de  la  base  même  du 
bulbe  rachidien  ;  tandis  que  le  releveur  de  la  paupière 
supérieure  serait  relâché  par  l'engourdissement  de 
son  nerf  (moteur  commun),  sorti  d'un  point  de  la 
moelle  allongée  beaucoup  plus  rapproché  du  cer- 
veau. Encore  peut -on  croire  qu'il  n'y  a  ici  que 
paralysie  relative  et  non  absolue ,  puisque  la  pupille, 
qui  reçoit  à  la  vérité  quelques  filets  de  la  cinquième 
paire ,  mais  surtout  de  la  troisième ,  est  resserrée 
durant  le  sommeil. 

D,  Sommeil  hibernal.  Dans  l'histoire  naturelle 
et  générale  de  la  vie ,  nous  avons  parlé  de  cette 
période  d'inaction ,  d'engourdissement  dans  laquelle 
une  partie  de  l'année  se  passe  pour  certains  ani- 
maux. Cet  état ,  sans  doute ,  n'est  point  un  sommeil 
tout  semblable  à  celui  qui  vient  de  nous  occuper; 
mais  il  lui  ressemble j  du  moins,  dans  ses  phéno- 


4  GO  I)i:S   SENSATIONS  CENTRALES 

mènes  essentiels,  la  suspension  des  opérations  men- 
tales et  des  mouvements  qui  en  dépendent. 

On  pourrait  aussi  considérer  la  vie  intra-utérine 
ou  fœtale  ,  comme  un  état  de  sommeil  où  les  organes 
des  sens ,  de  l'intelligence  et  de  la  locomotion  sont 
dans  une  inaction  presque  complète;  où  quelques 
actes  instinctifs ,  sans  idées  bien  réelles ,  puisque 
l'enfant  est  soustrait  à  presque  toutes  les  impressions 
extérieures  à  part  celle  du  toucher ,  sans  souvenirs 
puisqu'il  n'y  a  pas  d'antécédents,  sans  rêves  par 
conséquent ,  s'exécutent  à  peine  sous  l'influence  des 
fonctions  internes  ou  nutritives,  seules  en  activité. 
Encore,  ces  fonctions  internes  se  réduisent-elles  à  la 
circulation,  à  la  nutrition  proprement  dite,  puisqu'il 
n'y  a  ni  vraie  respiration,  ni  vraie  digestion.  Sous 
ce  rapport,  la  torpeur  des  animaux  hibernants  se 
rapprocherait  plus  de  l'état  fœtal  que  du  sommeil 
ordinaire;  mais  la  nature  même  des  phénomènes 
nous  en  donnera  une  idée  plus  complète  que  des 
analogies  toutes  plus  ou  moins  éloignées. 

J'ignore  jusqu'à  quel  point  on  peut  en  rapprocher 
l'état  de  mort  apparente  dans  lequel  subsistent  quel- 
quefois, durant  un  temps  considérable,  certains 
animaux  susceptibles  de  se  dessécher  incomplète- 
ment, de  se  roidir  au  milieu  de  la  vase  solidifiée 
mais  non  totalement  aride  dont  ils  sont  environnés  : 
c'est  là,  comme  déjà  nous  l'avons  fait  entendre 
ailleurs  (^ Hist.  nat,  de  la  viej,  tout  le  secret  de  la 
résurrection  du  rotifère ,  du  vibrion  qu'on  trouve 
dans  les  grains  du  blé  rachitique  et  même  dans  ses 
tiges:  c'est  encore  ainsi  queles  apus,  les  daphnies, 
les  cypris,  les  branchipes  qui  apparaissent,  pour 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  461 

ainsi  dire  brusquement,  et  avec  une  taille  d'adulte , 
dans  les  eaux  pluviales ,  semblent  avoir  séjourné  dans 
la  vase  desséchée  des  fosses  où  on  ne  les  avait  vus  que 
l'année  précédente.  11  faudrait  que  Faccroissement, 
du  moins  des  plus  grands  d'entre  eux ,  fut  bien  rapide 
(brancbipes  et  apus)  pour  qu'on  put  attribuer  cette 
conservation  à  leurs  œufs  seuls ,  comme  cela  a  lieu , 
dit-on,  pour  ceux  des  poissons.  Les  planaires,  les 
sangsues  ,  les  naïdes  se  cachent  également  dans  le 
fond  vaseux  de  leurs  marécages  lorsqu'ils  viennent  à 
se  dessécher  ;  peut-être  y  périssent-elles  si  la  dessic- 
cation est  trop  considérable  ;  mais  il  est  certain  qu'on 
les  trouve  du  moins  vivantes  au  milieu  d'une  terre  soli- 
difiée. Au  reste ,  ce  ne  sont  pas  là  les  seuls  animaux 
que  la  chaleur  et  la  sécheresse  jetteraient  dans  l'en- 
gourdissement et  l'inaction  complète  :  l'escargot  de 
nos  jardins  reste  immobile  et  collé  contre  un  mur  ou 
une  branche  d'arbre  pendant  tout  le  temps  que  dure 
la  sécheresse ,  quelquefois  pendant  trois  mois  de  suite 
(Gaspard)  :  les  nèpes  fiiepa  cinereajj,  les  salamandres 
se  cachent  sous  les  pierres  ou  dans  des  trous ,  soit  au 
fond  des  mares  mises  à  sec,  soit  à  leur  voisinage  , 
mais  peut-être  pour  en  sortir  pendant  la  nuit. 

Cette  torpeur  estivale  a  été  donnée  comme  plus 
certaine  encore  pour  plusieurs  reptiles  et  mammi- 
fères, et  il  est  assez  remarquable  que  ces  derniers 
appartiennent  à  des  genres  ou  familles ,  comme  les 
premiers  à  une  classe  où  se  trouvent  des  espèces  plus 
ou  moins  nombreuses  soumises  au  sommeil  hibernal. 
Ainsi,  les  tenrecs  de  Madagascar,  si  voisins  de  nos 
hérissons  ,  passent  ,  dit  Bruguière ,  les  trois  mois 
des  plus  grandes  chaleurs  dans  un  état  léthargique  ; 


4G2  DES    SENSATIONS   CENTRALES 

Desjardins  dit  que  c'est  depuis  juin  jusqu'à  novembre, 
ce  qui  comprend  toute  la  durée  de  la  saison  sèche. 
On  en  dit  autant  des  gerboises  de  l'Afrique  australe. 
Quant  aux  reptiles,  c'est  pour  les  plus  grandes  espèces 
que  le  fait  a  été  particulièrement  constaté.  «  Quel- 
quefois ,  dit  de  Humboldt ,  si  l'on  en  croit  les  récits 
des  naturels  (i)  (Amérique  méridionale) ,  on  voit, 
sur  les  bords  des  marais,  la  glaise  humide  s'élever 
en  forme  de  mottes  ;  puis  on  entend  un  bruit  violent 
comme  celui  de  l'explosion  de  petits  volcans  vaseux; 
la  terre  soulevée  est  lancée  en  l'air.  Celui  à  qui  ce 
phénomène  est  connu  fuit  dès  qu'il  s'annonce  ;  car 
un  monstrueux  serpent  aquatique  ou  un  crocodile 
cuirassé  sort  de  son  tombeau ,  aux  premières  ondées 
de  pluie,  et  se  réveille  de  sa  mort  apparente.  » 
«L'extrême sécheresse,  ajoute-t-il,  produit,  dans  les 
animaux  et  dans  les  plantes ,  les  mêmes  phénomènes 
que  l'absence  de  la  chaleur.  Pendant  la  sécheresse , 
plusieurs  plantes  de  la  zone  torride  se  dépouillent 
de  leurs  feuilles  ;  les  crocodiles  et  d'autres  amphibies 
(boa)  se  cachent  dans  la  glaise  ;  ils  y  restent  morts 
en  apparence,  de  même  que  dans  le  nord  de  l'Afrique , 
où  le  froid  les  engourdit  pendant  l'hiver.  » 

Pour  ce  qui  est  de  ce  dernier  genre  d'engourdis- 
sement ,  il  en  est  ainsi ,  et  plus  certainement  peut- 
être  ,  des  caïmans  ou  des  crocodiles  dans  l'Amérique 
septentrionale.  Pline  dit  que  le  crocodile  d'Egypte 
passe  quatre  mois  de  l'hiver  dans  des  cavernes  et 
sans  nourriture  :  quant  à  ceux  de  la  Louisiane  et 
de  la  Caroline ,  qui  paraissent  devoir  être  rapportés 
à  l'espèce  du  crocodilus  luciuSj  Cuv. ,  selon  Catesby 

(1)  Ce  fail  est  aussi  donné  pour  certain  par  Lacordaire. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  463 

et  Lacoudrenière  ,  ces  reptiles  tomberaient ,  dès  les 
premiers  froids  ,  dans  un  sommeil  léthargique  porté 
quelquefois  au  point  qu'on  peut  les  couper  par  mor- 
ceaux sans  les  en  tirer.  C'est  là  le  véritable  sommeil 
hibernal,  et  nous  nous  trouvons  ainsi  conduits  à 
parler  de  cet  état  remarquable. 

1°  Dans  les  animaux  à  sang  froid,  La  faible  calori- 
cité  de  ces  animaux  rend,  parmi  eux,  ce  phénomène 
très-commun ,  et  Ton  pourrait  même  le  dire  général 
pour  tous  ceux  à  qui  le  froid  ne  donne  pas  la  mort  : 
tous ,  en  effet ,  sont  loin  d'en  supporter  les  consé- 
quences au  même  degré  et  avec  la  même  résistance 
vitale.  Pour  continuer  ce  qui  a  rapport  aux  reptiles, 
on  peut  observer  aisément  que ,  de  même  que  leur 
température  suit  les  variations  de  celle  de  l'atmo- 
sphère, de  même  leur  activité  est  subordonnée  à 
l'une  et  à  l'autre.  Aussi  voit-on  les  serpents  les  plus 
irascibles  et  les  plus  dangereux,  les  lézards  les  plus 
agiles ,  se  mouvoir  avec  lenteur  et  se  montrer  inno- 
cents dès  que  le  froid  se  prononce ,  tomber  dans  la 
somnolence  si  le  thermomètre  baisse  encore  ,  s'as- 
soupir complètement  et  même  arriver  à  la  léthargie  , 
c'est-à-dire  à  la  mort  apparente ,  si  le  froid  devient 
considérable.  Les  mêmes  gradations  s'observent,  en 
sens  inverse,  dès  que  la  température  s'élève.  En 
Amérique,  les  crocodiles  se  réveillent  dans  les  jours 
chauds  de  l'hiver  ou  dès  les  premiers  jours  du 
printemps  :  dans  le  midi  de  la  France ,  le  lézard  des 
murailles  parait  au  bord  de  son  trou ,  et  fait  même 
quelques  excursions  au -dehors  quand  une  belle 
journée  d'hiver  permet  au  soleil  d'agir,  dans  toute  sa 
force ,  sur  les  murs  et  sur  les  talus  oii  sont  creusées 


464  DES    SENSATIONS  CENTRALES 

ses  retraites.  Le  degré  de  froid  que  peuvent  supporter 
ces  animaux  une  fois  engourdis  est  parfois  très- 
considérable.  On  a  vu  des  salamandres  aquatiques, 
prises  dans  la  glace  des  étangs ,  revivre  quand  cette 
glace  était  mise  en  fusion.  Des  grenouilles  gelées  au 
point  que  leurs  pattes  étaient  cassantes  ont  repris  vie 
par  le  dégel  (Bory,  d'après  Hearne).  Nous  avons  vu , 
nous-même ,  en  1 830  ,  plusieurs  crapauds  communs 
saisis  par  le  froid ,  roidis  et  congelés  au  point  que 
leurs  membres  étaient  durs  et  cassants  comme  le 
bois,  que  leurs  yeux,  transformés  en  grêlon,  se 
présentaient  avec  une  couleur  d'opale ,  revenir  à 
la  vie  par  un  réchauffement  lent  et  graduel.  Une 
grenouille  moins  volumineuse  resta  morte  en  repre- 
nant sa  flexibilité ,  sans  doute  parce  que  le  sang  avait 
été  congelé  jusque  dans  le  cœur  ;  ceci ,  du  moins , 
fut  constaté  pour  les  crapauds ,  dans  une  deuxième 
expérience  qui  leur  devint  funeste. 

On  a  constaté  l'hibernation  pour  quelques  pois- 
sons :  la  loche  fcohitis  fossilisj  conserve  la  vie  dans 
la  vase  desséchée  et  gelée  (Cuvier).  Le  salmo  rivalis 
hiverne  dans  le  limon  au  Groenland  (  Fabricius  ). 
«  Les  esturgeons  hivernent  dans  la  mer  et  les  golfes. 
On  remarque ,  dans  les  endroits  peu  profonds  ,  qu'ils 
sont  rassemblés  en  groupes  considérables  et  dans  un 
sommeil  léthargique.  Cet  état  d^hibernation  de  l'es- 
turgeon commun  permet  d'en  faire ,  sous  la  glace , 
une  pêche  très-productive ,  à  l'aide  de  crocs  ou  de 
harpons  fixés  à  des  perches.»  (Lovetski.) 

Tous  ces  animaux  ressemblent  donc  aux  plantes 
ligneuses  des  zones  tempérées,  qui  perdent,  chaque 
hiver,  toute  apparence  de  vie  réelle. 


ÉTUDIÉIS    i:iS'    ELLES-MEMES.  465 

La  torpeur  est,  à  ce  qu'il  m'a  généralement  parii , 
moins  complète  pour  les  hydres  qui  passent  Fliiver 
contractées  et  collées  sur  quelque  corps  submergé  • 
pour  les   sangsues,    les  naïdes ,  les  lombrics  mil 
s'ensevelissent  dans  la  vase ,  ou  s'enfoncent  profondé- 
ment en  terre.  Beaucoup  d'insectes  et  d'arachnides 
s'engourdissent  également  dans  un  terrier,  sous  les 
pierres ,  sous  les  écorces  ;  mais  beaucoup  périssent 
dans  les  fortes  gelées.    On  sait  que  cet  événement 
fâcheux  arrive  parfois  aux  abeilles  dans  leurs  ruches 
même  où  elles  hivernent  engourdies.  Les  fourmis, 
les   araignées  terricoles   s'enfoncent  d'autant  plus 
que  les  premiers  froids  sont  plus  rudes.  Quant  aux 
lépidoptères,  si  quelques-uns  échappent  au  froid  à 
l'état  parfait ,  il  sont  peu  nombreux,  et  c'est  surtout 
à  l'état  de  chrysalide  ,  dans  une  vie  toute  de  torpeur 
en  elle-même ,  et  entourés  souvent  alors  d'une  bourre 
soyeuse  ou  enfoncés  dans  la  terre ,  qu'ils  écliapnent 
plutôt  aux  rigueurs  de  la  mauvaise  saison  (i).    Les 
agriculteurs  ne  savent  aussi  que  trop  bien  comment 
les  insectes  destructeurs  de  la  vigne  s'abritent ,  disraiit 
l'hiver,  sous  les  écorces ,  dans  les  fentes  de  murailles , 
dans  les  fissures  de  la  terre  autour  de  la  souche. 

Enfin,  parmi  les  mollusques,  les  différentes  espèces 
d'hélice  propres  aux  contrées  septentrionales ,  se 
garantissent  aussi  contre  le  froid  extérieur  en  se 
retirant  dans  de  petites  cavernes  souterraines,  et  en 
fermant ,  par  plusieurs  opercules  ou  épiphragmes 
superposés,  l'ouverture  de  leurs  coquilles  :  toujours 

(1)  Les  insecles  dont  la  larve  se  nourrit  de  plantes  annuelles  hivernent  à  l'état 
de  cliiysalide  ;  ceux  des  plantes  vivaces  passent  Fliiver  à  l'élat  d'œuf.  Les  chrysa- 
lides {;elées  peuvent  revivre  après  le  dégel  ;  on  en  dit  agitant  même  des  chenilles 
(  Lister,  Lacordaire  ). 

30 


^66  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

plus  OU  moins  calcaires  ,  ces  épiphragmes  peuvent 
acquérir  une  dureté  égale  à  celle  de  la  coquille  dans 
certaines  espèces.  Sous  cet  abri,  Fanimal  reste  im- 
mobile tout  Fhiver  ;  son  cœur  cesse  de  battre  ,  et 
il  n'absorbe  plus  Foxigène  ambiant.  Il  y  supporte 
un  froid  même  de  —  7°  ;  mais  il  gèle  et  périt  si  le 
thermomètre  descend  à  —  8°  ou  —  9°  dans  l'air 
qui  l'environne.  Tenus  dans  une  chambre  chauffée, 
ces  mollusques  ne  s'enferment  ni  ne  s'engourdissent 
(Gaspard). 

2«  Animaux  à  sang  chaud.  Un  froid  très-violent 
peut  amener  un  engourdissement  soporeux  de  même 
nature,  chez  des  animaux  doués  pourtant  d'une  calori- 
cité  bien  plus  grande  et  d'une  bien  plus  grande  force 
de  résistance  au  froid,  l'homme  par  exemple  ;  mais  ce 
sommeil  est  mortel  pour  peu  qu'il  se  prolonge.  Banks 
et  Solander,  au  détroit  de  Magellan,  l'éprouvèrent 
d'une  manière  qui  faillit  leur  devenir  funeste;  on  n'en 
a  eu  que  trop  d'exemples  dans  l'armée  française , 
lors  de  la  désastreuse  campagne  de  1813.  On  a  cru 
qu'alors  il  y  avait  reflux  du  sang  vers  le  cerveau  : 
cette  théorie  est  peu  rationnelle  ;  il  y  a  là  torpeur 
par  annihilation  des  fonctions  nerveuses,  comme 
chez  les  animaux  hibernants. 

Ceux  auxquels  ce  nom  convient  plus  particulière- 
ment sont  en  nombre  assez  peu  considérable  parmi  les 
mammifères,  moins  encore  parmi  les  oiseaux.  Des 
observations  imparfaites  ont  seules  pu  faire  prendre 
des  hirondelles  noyées  pour  des  hirondelles  volontai- 
rement ensevelies  dans  les  marécages  ;  et  l'histoire 
du  coucou  trouvé  sans  plumes  dans  un  creux  d'arbre 
en  hiver,  paraît  aussi  fondée  sur  quelque  fait  mal  vu 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  467 

et  mal  interprété.  Mais  il  est  bien  certain  que  des 
quadrupèdes  dont  la  chaleur  s'élève  habituellement 
au  même  degré  que  celle  de  l'homme ,  ont ,  en  vertu , 
sans  doute  ,  d'une  organisation  particulière  de  leur 
système  nerveux,  peu  d'aptitude  à  la  conserver,  et 
perdent,  comme  les  reptiles,  leur  activité  en  per- 
dant de  leur  chaleur.  W.  Edwards  les  compare, 
sous  ce  rapport,  aux  très-jeunes  animaux  à  sang 
chaud,  qui  se  refroidissent  avec  une  extrême  facilité. 
L'ours  d'Europe  s'engourdit  quand  l'hiver  devient 
rigoureux;  il  vit  de  ses  graisses  dans  une  retraite 
qui  le  préserve  des  injures  de  l'air,  quand  cette  saison 
est  assez  douce.  Pour  l'ours  blanc  il  faut  des  froids 
très-intenses  :  en  janvier  et  février ,  dans  les  régions 
glaciales  qu'il  habite ,  il  subit  l'influence  de  l'hiver 
et  s'endort  d'un  sommeil  léthargique  entre  des 
glaçons  ou  dans  des  trous  de  rocher,  se  laissant 
ensevelir  sous  les  neiges  après  s'être  préparé  un  lit 
de  mousse  ou  de  feuilles  :  chez  nous  ,  le  blaireau 
s'engourdit  parfois  seulement  (  Prunelle  )  dans  son 
terrier;  mais  les  chauves -souris  suspendues  aux 
parois  des  souterrains ,  des  cavernes  ;  le  hérisson , 
la  musaraigne ,  le  hamster,  la  marmotte  couchés 
dans  leurs  retraites  creusées  au-dessous  du  sol;  le 
castor  dans  sa  cabane  ;  l'écureuil ,  le  loir ,  le  mus- 
cardin,  le  lérot  dans  leur  bouge  bien  clos,  s'endor- 
ment sous  l'influence  d'un  froid  dont  ils  ont  cherché 
à  amortir  la  force. 

En  elTet ,  Saissy  a  reconnu  que  ,  bien  que  la 
température  de  ces  animaux  suivît  les  variations 
de  l'atmosphère  en  restant  seulement  plus  élevée  de 
4°  à  5^,  ils  ne  peuvent  continuer  à  vivre  quand 


468  DES  SKNSATIO^'S  CEÎNTRALES 

leur  température   interne   est  descendue  à  0**  ou 
très-près  de  ce  terme  ;  mais  il  faut,  pour  cela,  un 
froid  extérieur  très-considérable,  —  10"  ou — 12° 
selon  plusieurs  observateurs.    Ils  peuvent,  au  con- 
traire ,  reprendre  leur  activité  quand  leur  tempéra- 
ture intérieure ,  comme  cela  a  lieu  avec  le  froid  de 
la  plupart  de  nos  hivers,  n'a  pas  baissé  au-dessous 
de  +  3°.  En  cas  de  refroidissement  excessif,  quel- 
quefois un  réveil  momentané  précède  la  mort  (Spal- 
lanzani ,  Prunelle ,  etc.).  Tous  ces  animaux  d'ailleurs 
ne  s'engourdissent  pas  au  même  degré  :  la  marmotte, 
selon  Saissy,  ne  s'engourdit  que  quand  le  thermo- 
mètre descend,  dans  l'air,  à  —  5^;  le  lérot  à  +  4° 
ou  5«  ;   le   hérisson  et  la  chauve-souris  à  +  6°  et 
même  7».  Tous  ne  s'éveillent  pas  non  plus  avec  la 
même  difficulté  :   l'écureuil,  le  loir,   le  hamster, 
le  castor  font  des  provisions  pour  leurs  réveils  passa- 
gers ,  tandis  que  d'autres  ne  vivent  qu'aux  dépens 
des  graisses  ordinairement  surabondantes  à  la  fin 
de  l'automne,    surtout  dans   leurs  épiploons  (i)  ; 
encore,  les  mouvements  nutritifs  sont- ils  tellement 
affaiblis  chez  ceux-ci ,  que  l'amaigrissement  est  fort 
peu  considérable  :  c'est   ce    qu'ont  noté ,    pour  la 
marmotte  ,  Spalianzani  et  Mangili.  L'absorption  est 
si  peu  active  chez  le  hérisson  engourdi ,  que  la  noix 
vomique ,  insérée  sous  la  peau,  ne  cause  point  d'ac- 
cidents (Gaspard).  L'engourdissement  est,  en  effet, 
si  profond  chez  la  marmotte  et  le  hérisson ,  qu'il 
faut  à  la  première  de  huit  à  neuf  heures  ,  et  au 
deuxième  de  cinq  à  six ,  pour  que  le  retour  à  leur 

(4)    Les   épiploons    n'ont    pas    cette   importance    chez  l'ours,    le  lérot ,    U 
muscardin . 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  469 

température  ordinaire  soit  complet  :  la  chauve-souris 
y  revient  en  trois  ou  quatre ,  et  le  lérot  récupère  en 
deux  heures  son  maximum  de  température  ,  selon 
Saissy. 

Voici,  d'après  cet  observateur ,  les  principaux 
caractères  de  la  torpeur  hibernale. 

a.  Engourdissement  modéré.  Peau  froide  ;  sensi- 
bilité très  -  obtuse  ;  des  incisions  n'excitent  que  de 
légers  mouvements  ;  le  galvanisme,  l'irritation  directe 
des  nerfs  déterminent  des  mouvements  plus  violents, 
font  pousser  quelques  cris  ;  respiration  très-lente  ; 
sept  à  huit  inspirations  par  minute  chez  la  marmotte, 
quatre  à  cinq  chez  le  hérisson  :  la  consommation 
d'oxigène  diminue  dans  la  proportion  du  ralentis- 
sement de  la  respiration  :  rareté  considérable  des 
battements  du  cœur  ;  dans  la  marmotte  ,  il  bat 
quatre-vingt-dix  fois  par  minute  à  Fétat  normal , 
vingt  à  vingt- cinq  fois  seulement  dans  la  torpeur; 
pour  les  chauves-souris ,  Prunelle  donne  deux  cents 
pulsations  normales ,  cinc^uante  à  cinquante-cinq  en 
état  d'hibernation. 

h.  Engourdissement  profond.  Ici  la  respiration  est 
tout- à-fait  suspendue ,  aussi  n'y  a  t-il  plus  aucune 
consommation  d'oxigène ,  ni  possibilité  de  tuer 
l'animal  par  l'immersion  dans  des  gaz  délétères  ;  le 
cœur  ne  bat  que  neuf  à  dix  fois  par  minute  ;  le  sang- 
est  stagnant  dans  les  vaisseaux  ;  il  distend  surtout 
ceux  de  l'abdomen  :  plus  de  contractions  musculaires 
par  l'irritation  des  nerfs  et  le  galvanisme  appliqué 
à  ces  cordons;  les  chauves  souris  seules  répondent , 
quoique  bien  faiblement ,  à  ces  vives  excitations  ; 
dans  les  autres  hibernants ,  c'est  aux  muscles  mêmes 


470  BES    SENSATIONS  CENTRALES 

qu'il  faut  s'adresser  pour  y  produire  quelques  légères 
contractions. 

Disons  un  mot  maintenant  des  causes  auxquelles 
on  a  attribué  cette  disposition  au  refroidissement  et  à 
la  torpeur,  que  nous  avons  hypothétiquement  placée 
dans  le  système  nerveux  (i)  ;  nous  verrons  qu'elles 
sont  bien  peu  satisfaisantes.  Remarquons  pourtant 
d'abord  qu'on  n'a  pas  toujours  attribué  au  froid  seul 
ces  effets  remarquables  :  l'immobilité  volontaire, 
l'absence  de  la  lumière  et  du  bruit  dans  des  demeures 
souterraines  y  entrent  certainement  pour  quelque 
chose.  Hunter  y  fait  intervenir  le  défaut  de  nour- 
riture ,  Daubenton  et  Geoffroy  le  défaut  d'oxigène. 
En  ce  qui  concerne  cette  dernière  cause ,  Saissy  et 
Prunelle  donnent  des  faits  qui  lui  sont  favorables  : 
les  marmottes  s'engourdissent  difficilement  à  l'air 
libre  ;  bien  plus  vite  ,  au  contraire ,  dans  des  vases 
clos;  des  courants  d'air  font  cesser  l'engourdisse- 
ment; mais  il  ne  suit  pas  de  tout  cela  que  la  gêne 
de  la  respiration ,  par  un  excès  d'embonpoint  ou  par 
le  grand  volume  du  thymus ,  soit  la  vraie  cause  de 
la  faiblesse  des  animaux  hibernants  à  lutter  contre 
le  froid.  Saissy  a  noté ,  chez  ces  mammifères  : 
1°  peu  de  fibrine  et  partant  de  coagulabilité  dans  le 
sang  ;  à  +  3°  il  ne  se  coagule  point  :  2®  une  bile 
douceâtre  ,  albumineuse  :  o*^  une  graisse  onctueuse 
et  difficile  à  concréter.  Ce  sont  là  des  conditions 
favorables  au  sommeil  hibernal ,  mais  non  des  causes 
déterminantes;  il  trouve  ces  dernières  dans  la  peti- 

(1)  •■  Cela  est  tellement  dans  leur  nature  ,  dit  Cuvier,  qu'un  loir  du  Sénégal 
fmus  CoupeiiJ  ,  qui  n'avait  probablement  jamais  éprouvé  de  léthargie  dans  son 
pays  nakil ,  y  est  tombé  en  Europe ,  dès  qu'on  Fa  exposé  au  froid.  ■• 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  471 

tesse  des  poumons ,  l'ampleur  du  cœur  et  des  gros 
vaisseaux ,   la  petitesse    des  vaisseaux  extérieurs , 
la  grosseur  des  nerfs  distribués  à  la  peau.  La  plupart 
de  ces  circonstances  anatomiques  manquent  d'exac- 
titude ,  du  moins  quand  on  veut  en  faire  des  appli- 
cations générales;  c'est  ce  qu'a  bien  démontré  Otto. 
Mangili  a  trouvé  que  les  animaux  liibernants  man- 
quaient de  carotide  interne  ;  de  là ,  selon  lui ,  une 
moindre  activité  de  l'encéphale,   une  plus  grande 
aptitude  à  l'engourdissement  :  mais  Otto  a  prouvé , 
par  d'intéressantes  recherches,  l^'  que  la  carotide 
interne  ne  manque  pas  ;  qu'elle  est  petite,  il  est  vrai, 
dans  l'écureuil  et  autres  rongeurs  ;  qu'elle  traverse 
l'oreille  moyenne,   souvent  cachée  dans  un  canal 
osseux  qui  parfois  enfile  l'étrier ,  comme  cela  a  lieu 
chez  la  taupe (i)  et  chez  divers  rongeurs  non  hiber- 
nants ;    2"  que  ce  vaisseau  suit  le  trajet  ordinaire 
dans  l'ours  et  le  blaireau. 

^  II.   Des  passions. 

De  même  que  tous  les  autres  phénomènes  intel- 
lectuels, les  passions,  ces  modifications  passagères 
et  irrégulières  de  l'intellect,  ont  été  diversement  et 
bien  diversement  définies  par  les  écrivains  qui  s'en 
sont  occupés.  Pour  l'un ,  ce  n'est  autre  chose  qu'une 
sensation  forte  et  continue  (Buffon)  ;  pour  un  autre , 
c'est  un  désir  dominant ,  tourné  en  habitude  (  Con- 
dillac);  pour  un  troisième,  c'est  le  plus  haut  degré 
d'activité  du  moi  (Bérard).  On  sent,  au  premier 
abord ,  ce  que  de  telles  définitions  ont  d'incomplet , 

(1)  La  taupe  ne  s'engourdit  pas  ,  à  moins  peut-être  d'un  froid  très-vioJent  ;  on 
m'en  a  apporté  de  très-vives  au  milieu  d'un  hiver  à  la  vérité  assez  doux. 
Spallaiiiani  observe  yuc  ,  en  Italie  ,  elles  travaillent  hiver  comme  élé. 


412  DES    SENSATIONS    CENTRALES 

crinexact  ou  de  vague  :  nous  éviterons  ces  défauts , 
ce  nous  semble,  et  nous  satisferons  à  toutes  les 
exigences  de  leur  étude ,  en  les  décaissant  des  exagé- 
rations ou  des  dépressions  momentanées  du  sentiment 
inséparahle  des  opérations  mîeUectuelîes .  Aussi  pour- 
rons-nous établir  ici  une  division  des  passions  exac- 
tement en  rapport  avec  celle  que  nous  avons  adoptée 
pour  ces  opérations  même  ;  et  sans  cliercber  à  la 
jusiiiier  par  de  longs  détails,  ni  même  à  la  rendre 
aussi  complète  qu'elle  pourrait  l'être,  nous  nous 
contenterons  d'en  donner  un  aperçu. 

Aux  opérations  immédiates  se  rattachent  tous  les 
sentiments  exagérés  mais  simples  et  non  raisonnes; 
aux  perceptions  se  rapportent  l'émotion,  la  surprise  , 
l'étonnement,  la  joie  ,  la  dooleur,  l'ennui  ;  à  la 
mémoire  ,  les  regrets,  les  distractions  ;  à  la  volonté, 
l'entêtement,  l'indécision,  l'abnégation  de  soi-même , 
la  colère.  Pour  ce  qui  concerne  les  opérations  réflé- 
chies ,  l'attention  est  la  souche  de  la  curiosité ,  de 
l'impatience  ,  de  l'apathie  ;  la  réminiscence  est  celle 
de  la  rancune  et  de  la  reconnaissance  ;  la  comparaison 
celle  de  la  jalousie,  de  l'envie,  de  l'émulation,  de 
la  prédilection.  Les  jugements  et  raisonnements, 
tantôt  justes,  tantôt  exagérés,  tantôt  même  déviés, 
sont  l'origine  de  passions  nombreuses  et  qu'on  peut 
partager  suivant  leur  objet.  S'agit-il  de  choses  maté- 
rielles ,  ils  enfantent  le  goût ,  l'aversion ,  l'avarice  : 
s'appliduent-ils  à  certains  actes  ou  événements,  il  en 
résulte  la  satisfaction ,  l'admiration,  l'enthousiasme  , 
l'espérance,  rambition,  le  chagrin,  le  désespoir, 
la  honte,  l'indignation  :  quant  aux  personnes,  ces 
jugements  portés  à  l'extrême  produisent  la  haine, 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  473 

le  mépris  ,  la  pitié  ,  la  confiance  ,  l'amitié  ,  le 
respect  ,  le  dévouement,  et  l'amour  quand  il  s'y 
mêle  quelque  influence  de  l'instinct  :  se  concentrent- 
ils  sur  le  moi ,  ils  amènent  le  courage ,  l'orgueil , 
l'humiliation  spontanée ,  la  peur ,  le  décourage- 
ment :  enfin ,  s'ils  se  reportent  vers  l'auteur  de  toutes 
choses  ,  ils  enfantent  la  componction ,  l'extase ,  la 
ferveur,  le  fanatisme. 

On  a  le  plus  souvent  confondu,  avec  les  pas- 
sions, les  aptitudes  qui  les  font  naître  et  qu'elles- 
mêmes  renforcent  ou  produisent  par  leur  fréquente 
répétition;  et  il  est  en  effet  souvent  difficile  de  les 
séparer:  l'irascibilité  tient  de  bien  près  à  la  colère; 
l'avarice  est  une  aptitude  à  ressentir  des  accès 
d'amour  pour  l'argent,  et  ce  sont  ces  accès  qui 
constituent  la  passion  telle  qu'on  la  voit  se  mani- 
fester dans  le  goût  effréné  du  jeu.  Ce  dernier  néan- 
moins offre  encore  d'autres  éléments  ,  et  on  pourrait 
le  citer  en  preuve  de  la  difficulté  d'établir  une 
nomenclature  complète  des  passions.  On  y  trou- 
verait, comme  on  peut  la  trouver  parfaitement  aussi 
dans  les  considérations  précédentes,  la  preuve  du 
peu  de  fondement  de  cette  opinion  de  Piicberand  et 
deMagendie,  que  les  passions  dépendent  de  l'instinct. 

Cette  opinion  rappelle  celle  de  divers  physiolo- 
gistes et  que  Bichat  a  voulu  développer  ,  préciser 
davantage  ;  savoir,  que  les  passions  ont  leur  source 
dans  les  viscères  qui  président  aux  fonctions  nutri- 
tives. Cette  opinion,  excusable  dans  la  poésie,  où 
le  cœur  pue  un  si  grand  rôle,  n'est  fondée,  en  phy- 
siologie ,  que  sur  des  observations  erronées.  Kul 
doute  qu'il  n'y  ait  du  trouble  dans  les  viscères  quand 


47  4  DES  SENSATIOiNS  CEïNTRALES 

les  passions  sont  violentes,  parce  que  les  centres 
nerveux,  violemment  excités,  réagissent  sur  les 
n^rfs  splanchniques  :  dans  la  colère  il  y  a  souvent 
volubilité  excessive  (  i  ) ,  les  forces  musculaires  sont 
décuplées,  et  à  cette  suractivité  encéphalique  se 
joignent  la  plénitude  du  pouls ,  la  rougeur  de  la 
face  et  quelquefois  l'apoplexie.  De  même,  en  sens 
inverse  ,  dans  la  frayeur ,  il  y  a  débilitation ,  trem- 
blement ,  refroidissement ,  et  de  même  il  y  a  aussi 
pâleur,  précipitation  des  mouvements  du  cœur, 
quelquefois  suspension  de  ses  battements ,  lipothy- 
mies ,  syncope  mortelle.  Le  foie,  les  intestins  par- 
tagent cette  influence  ;  il  y  a  ictère  ,  borborygmes  , 
indigestion,  diarrhée.  Que  ces  dérangements  secon- 
daires réagissent  à  leur  tour  sur  l'encéphale ,  que 
la  congestion  cérébrale  porte  la  colère  jusqu'au 
délire,  cela  peut  se  concevoir;  mais  certainement 
c'est  dans  l'encéphale  qu'a  eu  lieu  le  premier  mou- 
vement ,  à  l'occasion  d'une  sensation  venue  du  de- 
hors ;  c'est  là  que  les  premiers  dérangements  auront 
lieu  si  la  passion  est  forte  ;  et,  sans  autre  influence, 
il  pourra  fort  bien  en  résulter,  en  certain  cas,  un 
désordre  réel  dans  les  caténations  d'idées  et  de 
jugements  :  c'est  ainsi  que  la  passion  pervertira 
momentanément  l'intellect,  et  entraînera  le  malheu- 
reux à  des  actes  ridicules  ou  qui  pis  est  criminels. 
Dans  ces  cas  fâcheux,  où  les  portions  de  l'enten- 
dement non  lésées  n'ont  pas  eu  le  pouvoir  de  sub- 
juguer celles  qui  le  sont ,  où  l'individu  ne  peut , 
comme  on  dit ,  rester  maître  de  lui-même ,  il  y  a  une 
véritable  folie  momentanée  ;  et  l'on  pourrait  assuré- 

(1)  Facil  indifjualio  var&um.    Ji'v. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  475 

ment  reconnaître ,  en  effet ,  autant  de  monomanies 
que  de  passions  différentes  ;  mais  les  monomanies 
sont  ordinairement  accompagnées  aussi  d'un  trouble 
général  de  Fintellect  qui ,  pour  les  passions  ,  ne  se 
montre  que  dans  les  cas  heureusement  assez  rares 
dont  il  vient  d'être  question.  Notez  encore  comme 
point  de  ressemblance ,  que ,  dans  la  folie ,  l'influence 
des  organes  nutritifs ,  s'ils  sont  malades ,  se  fait  aussi 
souvent  sentir  d'une  manière  très-manifeste ,  quoi- 
qu'elle ne  puisse  jamais  déterminer  une  folie  com- 
plète si  l'encéphale  n'est  pas  malade  en  lui-même. 

Toutes  ces  perturbations  se  traduisent  extérieure- 
ment par  des  attitudes  et  des  changements  dans  les 
traits  dans  la  face ,  qui  nous  entraîneraient  bien  loin 
de  la  physiologie  ,  et  surtout  de  la  physiologie  com- 
parée ,  si  nous  voulions  les  étudier  en  détail ,  et  qui 
d'ailleurs  se  représenteront  encore  à  notre  étude 
dans  les  chapitres  subséquents  ;  nous  n'en  parlerons 
donc  pas  en  ce  qui  concerne  l'homme ,  et  quant  aux 
animaux  ,  nous  n'en  dirons  que  ce  qui  est  nécessaire 
pour  prouver  qu'ils  partagent  avec  nous  ces  agita- 
tions morales ,  comme  les  opérations  qui  en  sont  la 
source. 

Si  les  passions  ne  sont  que  l'exagération  ou 
l'affaiblissement  du  sentiment  lié  aux  opérations 
mentales ,  il  est  évident  qu'on  doit  les  retrouver 
partout  où  ces  opérations  ont  lieu,  et  dans  les  mêmes 
proportions.  Qui  pourrait  douter  que  la  peur ,  c'est- 
à-dire  le  sentiment  qui  accompagne  l'exagération 
du  danger  (jugement  dont  le  produit  simple  est  la 
crainte  )  ne  saisisse  les  animaux  ,  même  des  rangs 
inférieurs,    lors  d'une  vive  douleur,   d'une  com- 


476  DES    SENSATIONS  CENTRALES 

motion  violente ,  d'une  secousse  insolite  ?  N'a-t-on 
pas,  de  tout  temps,  parlé  de  la  colère  des  abeilles 
et  des  guêpes  assiégées  dans  leur  citadelle  !  Toute 
araignée  de  grande  taille,  excitée  du  bout  du  doigt 
dans  un  lieu  où  elle  ne  peut  fuir ,  se  met  d'abord 
en  défense  ;  mais  bientôt  c'est  avec  une  fureur  ma- 
nifeste qu'elle  menace  l'ennemi  et  se  précipite  sur 
lui  les  mandibules  écartées,  les  crochets  redressés. 
Le  mantis  religiosa^  excité  de  même  ,  non-seulement 
frappe  de  ses  griffes  ravisseuses  le  doigt  qui  provoque 
sa  colère  ;  mais  encore  témoigne  du  sentiment  qui 
l'anime  en  déployant ,  agitant  et  faisant  bruire  ses 
ailes  comme  le  coq  de  combat.  Il  est  même  remar- 
quable que  cette  manifestation  subsiste  et  redouble 
encore  après  l'ablation  de  la  tête  ,  après  celle  même 
du  corselet ,  preuve  que  la  passion  n'a  pas  dans  le 
cerveau  son  sieste  exclusif. 

Les  serpents ,  les  lézards ,  les  oiseaux  de  proie , 
le  taureau ,  le  chat ,  le  chien ,  le  tigre  ,  le  lion , 
parlent  assez  éloquemment  à  notre  intelligence, 
lorsque  ,  la  gueule  béante ,  le  bec  entr'ouvert  ou  le 
front  incliné  ,  le  poil  ou  la  plume  hérissés ,  ils 
sifflent,  grondent,  frémissent,  beuglent  ou  rugissent, 
dressés  sur  leurs  pieds  et  prêts  à  s'élancer  sur  l'im- 
prudent qui  les  irrite.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  douce 
colombe  qui  ne  frappe  de  l'aile  et  du  bec;  au  faible 
cobaie  qui  n'avertisse  ,  par  le  claquement  de  ses 
dents,  de  la  fureur  qui  l'agite. 

Les  animaux  domestiques  surtout  paraissent  plus 
disposés  à  partager  nos  sentiments  et  nos  passions. 
L'amitié  entre  des  individus,  même  d'espèce  diffé- 
rente ,   a  été  souvent  observée  chez  des  animaux 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  477 

naturellement  féroces,  mais  adoucis  par  la  captivité , 
du  lion  et  du  tigre  au  chien  par  exemple.  Le  chien 
et  le  chat  fraternisent  bien  souvent  malgré  leur 
naturelle  antipathie  ;  le  chien  et  le  cheval  se  lient 
plus  fréquemment  d'amitié  ;  et  j'en  observais  tout 
récemment  un  trait  remarquable  entre  un  àne  et  un 
cheval  :  le  premier,  dételé  d'abord ,  s'était  approché 
d'une  auge  ,  mais  il  ne  voulut  y  boire  que  quand  le 
second  put  s'en  approcher  à  son  tour,  et  ce  fut  tète 
contre  tète  qu'ils  apaisèrent  leur  soif;  jusqu'alors 
l'àne  avait  attendu  avec  patience ,  tournant  toutefois 
fréquemment  la  tète  du  coté  de  son  compagnon  pour 
voir  s'il  était  enfin  libre  de  ses  entraves.  La  jalousie 
n'est  pas  moins  commune  parmi  les  animaux  domes- 
tiques. La  curiosité,  si  marquée  chez  les  singes, 
l'est  beaucoup  aussi  dans  les  chiens ,  et  chacun  sait 
combien  ils  s'empressent  de  prendre  rang  à  une 
fenêtre  où  se  placent  leurs  maîtres.  Le  chat  en  montre 
aussi  beaucoup  quand  il  aperçoit  quelque  objet  nou- 
veau, quelque  animal  inconnu.  Mais  c'est  surtout  le 
chien  qui  nous  fournirait  les  plus  frappants  exemples 
de  toute  sorte  de  passions  ;  sa  j  oie  va  souvent  j  usqu'au 
délire  ,  sa  tristesse  jusqu'aux  larmes  ,  au  désespoir, 
son  dévouement  jusqu'à  la  mort.  L'ennui  même,  cette 
passion  négative  qui  naît  de  l'habitude  et  du  besoin 
de  sensations  renouvelées  sans  cesse ,  et  dont  les  ani- 
maux sauvages  ne  donnent  des  signes  (bâillements, 
tristesse,  dépérissement,  mort  même  )  que  quand 
ils  ont  perdu  leur  liberté,  le  chien  l'éprouve  souvent 
au  contraire,  ^omme  nous  ,  à  un  très-haut  degré. 
Si  l'on  cite  dtFi  faits  remarquables  d'attachement , 
de  rancune ,    de  reconiiaissance  de  la  part  de  l'élé- 


478  DES    SENSATIONS    CENTRALES 

pliant,  si  Ton  conserve  la  mémoire  du  lion  d'Andro- 
clès ,  que  ne  pourrait-on  pas  dire  du  chien  !  Sans 
fouiller  dans  les  vieilles  histoires,  chaque  jour  nous 
en  offrirait  des  exemples  saillants  ;  et  chaque  jour 
aussi  nous  donnerait  la  preuve  qu'il  est  susceptible 
d'orgueil  ou  de  pitié  en  présence  des  faibles  ,  comme 
il  s'humilie  en  présence  des  forts.  Quelques  animaux 
sauvages  passent  aussi  pour  doués  de  ces  sentiments 
de  générosité  ou  de  mépris ,  quoiqu'on  ait  beaucoup 
exagéré  la  magnanimité  et  la  clémence  du  lion ,  dont 
les  prétendues  marques  paraissent  pouvoir  se  réduire 
à  des  actes  de  prudence  ou  d'indifférence. 

ARTICIiS  IV.  -  Hem  modifications  dans  les 
opérations  mentales  qui  sont  dues  à,  des 
causes  permanentes  ou  liabituelles. 

Ces  modifications  qui  tiennent  elles-mêmes  à  une 
modification  de  l'organisme  ,  à  une  disposition  native 
ou  acquise ,  spécifique  ou  individuelle  des  organes 
qui  servent  aux  fonctions  dites  de  l'entendement,  nous 
les  divisons  en  deux  groupes ,  aptitudes ,  instincts. 

§  l".    Des  aptitudes  intellectuelles. 

Ce  sont  des  dispositions  individuelles ,  assez  défi- 
nies d'ailleurs  par  leur  nom  même ,  et  qui  peuvent 
être  innées  ou  acquises.  Quoi  qu'en  ait  dit  Helvétius 
qui  voit  tous  les  hommes  doués  de  la  même  capacité , 
rien  n'est  plus  connu  que  cette  vérité ,  que  chacun 
nait  avec  des  dispositions  spéciales.  On  sait  même 
que ,  bien  souvent ,  ces  dispositions  so^*  ijéréditaires  ; 
certaines  qualités ,  certains  talents  semblent  devenir 
ainsi  un  bien  de  famille.  Gall  n'a  pas  eu  beaucoup 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES  419 

de  peine  à  en  trouver  des  preuves  ;  mais  il  a  eu  le 
mérite  de  bien  distinguer  ces  aptitudes  originelles,  des 
idées  innées,  admises,  depuisPlaton  jusqu'à  Descartes 
et  Leibnitz ,  sans  doute  à  la  faveur  d'une  confusion 
entre  choses  de  nature  aussi  différente ,  et  rejelées 
unanimement  par  les  idéologistes  modernes  marchant 
sur  les  traces  de  Locke.  Mais  Gall ,  à  son  tour,  nous 
parait  être  tombé  dans  une  erreur  d'un  autre  genre , 
en  voulant  assigner  à  chaque   aptitude  un  organe 
spécial ,  comme  s'il  y  avait  autant  de  fonctions ,  ou 
plutôt  de  systèmes  de  fonctions  intellectuelles  qu'il 
y  a  d'aptitudes,  et  si  elles  n'avaient  rien  de  com- 
mun ,  rien  de  général.  Comment  n^a-t-il  pas  senti 
que  le  calcul  des  temps  et  des  nombres  qui  préside 
aux  compositions  musicales ,   était  le  même  qui  ré- 
sout les  problèmes  de  mécanique ,  d'optique  etc.  ; 
que  la  mise  en  jeu  de  toute  aptitude  morale,   de  la 
bonté  ,  de   la  méchanceté ,  peut  s'exercer  sur  tous 
les  genres  de  perceptions,  visuelles,  auditives,  tac- 
tiles ,  se  traduire  par  des  actes  de  toutes  les  parties 
du  système  nerveux  et  du  corps ,  par  un  changement 
dans  les  traits  du  visage  ,  par  la  voix ,  les  gestes , 
les  mouvements  ;  qu'en  un  mot  tout  l'ensemble  des 
fonctions  intellectuelles  est  modifié  par  une  aptitude 
quelconque ,    et  que  le  siège  de  cette  aptitude  est , 
en  conséquence,    dans   toute    l'étendue  des  centres 
nerveux  et  même   des  systèmes   nerveux  périphé- 
riques ?  L'aptitude  à  danser  est  autant  dans  les  jam- 
bes que  dans  Tencéphale  ;  celle  à  juger  des  localités 
est  autant  dans  l'œil  que  dans  le  cerveau. 

Ces  dernières  considérations  s'appliquent  aussi  bien 
d'ailleurs  aux  aptitudes  acquises  qu'aux  originelles  ; 


480  DES   SENSATIONS  CENTRALES 

et  c'est  surtout  pour  celles-là  qu'il  est  ridicule  d'ad- 
mettre des  organes  spéciaux  dans  l'encéphale.  Ne 
connaît-on  pas  les  puissants  effets  de  Vexercicej  de 
Véducatîon  j  de  Vhahitude  pour  créer  des  aptitudes 
qui  n'existaient  pas  auparavant  ?  De  même  que 
l'exercice  de  la  danse  développe  la  force  et  l'agilité 
des  jambes  et  des  pieds;  de  même  l'exercice  de  telles 
ou  telles  opérations  intellectuelles  en  augmente  la 
puissance  et  la  facilité.  Tel  individu  est  doué,  par 
la  nature,  d'une  grande  aptitude  aux  mathématiques  ; 
c'est  Pascal  qui  en  invente  les  premiers  principes  : 
tel  autre  l'a  acquise  par  l'exercice  ,  et  a  pu  devenir 
un  mathématicien  supérieur  à  Pascal.  Combien  ne 
voit-on  pas  d'exemples  de  ces  enfants  miraculeux 
qui  ne  font  que  des  hommes  médiocres  ,  de  ces 
météores  de  collège  qui  sont  plus  tard  éclipsés 
par  le  moins  brillant  de  leurs  condiciples  !  Tel  est 
naturellement  paresseux,  qui  devient,  par  raison, 
un  travailleur  assidu.  C'est  en  considérant  ainsi 
les  aptitudes,  non  comme  des  produits  d'organes 
à  part ,  mais  comme  celui  de  modifications  dans  les 
organes  communs  aux  opérations  mentales ,  que  l'on 
peut  concevoir  un  système  d'éducation  convenable , 
tenter  d'enrichir  un  esprit  pauvre  ,  de  perfectionner 
un  esprit  heureusement  doté  par  la  nature,  de  cor- 
riger une  mauvaise  tête  et  même  un  mauvais  cœur. 
Cette  double  métaphore  représente  les  bases  de 
la  division  qu'on  pourrait  adopter  pour  une  étude 
plus  approfondie  de  ce  sujet,  qu'il  doit  nous  suffire 
d'effleurer.  1»  H  est  des  aptitudes  mentales  qui  com- 
prennent ce  qu'on  appelle  communément  les  qualités 
de  Vesprit  ou  capacités.  Elles  pourraient  se  sous-diviser 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  481 

aisément  en  prenant  pour  base  les  opérations  dont 
nous  nous  sommes  précédemment  occupé  ;  mais  leur 
création  étant  toute  empirique ,  il  en  est  beaucoup 
qui  se  rapportent  à  la  fois  à  plusieurs  fonctions 
intellectuelles ,  et  souvent  encore  c'est  à  des  nuances 
plus  ou  moins  fugitives  que  l'usage  a  consacré  des 
dénominations  particulières  ;  ainsi  nous  disons  qu'un 
homme  a  de  la  sagacité  si  l'on  parle  de  sciences , 
du  jugement  quand  il  s'agit  d'affaires ,  du  tact  quand 
il  est  question  de  rapports  sociaux ,  du  goiit  si  Fon 
pense  à  des  objets  d'agrément.  De  même  on  désigne 
assez  généralement  sous  le  nom  de  facultés  les  apti- 
tudes aux  sciences ,  de  talents  celles  qui  s'appliquent 
aux  beaux-arts ,  àliabileté  en  général  celles  qui  ont 
trait  aux  arts  mécaniques. 

2®  Les  aptitudes  morales  sont  celles  qu'on  nomme 
ordinairement  qualités  du  cœur.  Spécialement  rela- 
tives à  notre  conduite  sociale,  elles  dirigent  nos 
rapports  avec  nos  semblables  et  avec  les  objets  qui 
nous  entourent  ;  elles  modifient  aussi  notre  manière 
de  sentir,  et  se  rapportent,  en  conséquence  ,  fré- 
quemment aux  passions,  dont  elles  ne  sont  même 
bien  souvent ,  pour  ainsi  dire ,  que  la  généralisation  : 
une  passion  invétérée  devient  inhérente  à  l'homme  , 
et  se  change  en  aptitude  parfois  irrésistible.  Quand 
les  aptitudes  modifient  nos  rapports  avec  les  hommes, 
elles  constituent  le  caractère/  avec  les  choses ,  ce  sont 
des  goûts j  des  penchants.  Au  caractère,  aux  goiits, 
aux  penchants  diversement  combinés,  se  rapportent 
les  vertus  et  les  vices. 

L'identité  des  phénomènes  intellectuels  entre 
l'homme  et  les   animaux  (  dans  les  bornes  tracées 

31 


482  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

ailleurs  )  ne  nous  abandonnera  pas  plus  ici  que 
dans  les  articles  précédents.  Un  des  secrets  qu'on 
emploie  pour  réussir  dans  l'éducation  des  animaux, 
c'est  d'en  étudier  auparavant  les  qualités  et  les 
facultés ,  les  talents  naturels ,  les  goûts ,  les  pen- 
chants, le  caractère.  Les  chasseurs  choisissent  leurs 
chiens ,  et  les  écuyers  leurs  chevaux  autant,  et  sou- 
vent plus,  sous  ces  divers  rapports  que  sous  ceux 
de  la  conformation  extérieure.  Tous  les  jours  ne 
parle-t-on  pas  de  chevaux  vicieux,  ombrageux, 
fougueux,  entêtés,  lâches,  ou  au  contraire  belli- 
queux ,  patients ,  intelligents  ?  Ne  voit  -  on  pas  par- 
tout des  chiens  indociles  ou  paresseux,  des  chats 
gourmands  et  voleurs  ?  Ne  reconnaît-on  pas ,  parmi 
les  perroquets ,  divers  degrés  d'aptitude  à  retenir  et 
répéter  les  paroles ,  comme  chez  les  oiseaux  chan- 
teurs ,  à  retenir  et  répéter  des  airs  ? 

Et  quant  au  caractère ,  tel  bœuf  ,  tel  âne ,  tel 
cheval ,  tel  mouton  est  connu  pour  méchant  ;  tel 
chien  est  réputé  hargneux ,  querelleur.  L'éducation 
ne  peut  même  pas  toujours  modifier  ces  aptitudes 
natives  :  «  il  y  a  des  faucons  lâches  et  paresseux  ;  il 
y  en  a  de  si  fiers  qu'ils  s'irritent  contre  tous  les 
moyens  de  les  apprivoiser  :  il  faut  abandonner  les 
uns  et  les  autres  »  (Leroy).  Deux  barbets  du  même 
âge ,  élevés  dans  des  conditions  à  peu  près  sembla- 
bles ,  caressés  également ,  se  montrèrent  d'un  carac- 
tère entièrement  opposé  ;  l'un  devint  grave ,  sérieux, 
grondeur  et  méchant  au  point  qu'un  jour  il  sauta 
au  visage  de  son  maître  et  lui  fit  des  blessures  pro- 
fondes; l'autre  resta  gai,  caressant  et  docile.  Un 
gardien  d'animaux  féroces  me  disait  d'une  hvène  : 


KTUDIÉES    EN    ELLES-MÊMES.  483 

«yen  ferais  aisément  ce  que  Martin  fait  de  la  sienne, 
si  je  ne  craignais  de  m'exposer  à  quelque  caprice 
accidentel  ;  elle  n^est  point  méchante  comme  celle 
que  j'avais  auparavant.  »  Sans  doute ,  c'est  en  choi- 
sissant les  individus  les  plus  doux  que  l'on  est  par- 
venu à  dompter  d'une  manière  si  étonnante  le  lion , 
le  tigre  et  l'hyène ,  indépendamment  du  jeune  et 
des  privautés  impudiques  qu'on  dit  aussi  avoir  été 
mises  en  usage  à  cet  effet.  L'espèce  du  loup  a  pré- 
senté des  individus ,  et  surtout  des  femelles ,  d'une 
grande  douceur,  très-sociahles  et  très-caressants, 
quoique  pris  à  Tétat  adulte  (Fr.  Cuvier)  :  on  donne 
cependant  les  animaux  de  cette  espèce  pour  tout-à- 
fait  réfractaires  à  la  vie  domestique  ,  et  l'on  cite 
de  nombreux  exemples  de  loups  redevenus  féroces , 
quoique  pris  en  bas  âge  et  élevés  avec  autant  de  soin 
que  nos  chiens. 

On  en  peut  dire  autant  des  oiseaux  de  proie ,  des 
plus  petits  oiseaux  même  :  Buffon  raconte  ,  avec 
complaisance  ,  ce  que  plusieurs  observateurs  lui  ont 
communiqué  des  différents  caractères  des  serins 
élevés  en  cage.  Les  lézards,  les  couleuvres,  surtout 
du  sexe  féminin,  s'apprivoisent  parfois  très-aisément 
et  par  le  seul  fait  de  la  familiarité  qui  s'établit  entre 
le  maître  qui  donne  la  nourriture  et  l'esclave  qui 
la  reçoit  :  il  est  des  individus  qui  restent  toujours 
féroces. 

Ces  nuances  s'affaiblissent  chez  les  animaux  inver- 
tébrés qui  sont  davantage  sous  l'empire  de  l'instinct  ; 
aussi  les  différences  de  caractère  et  d'aptitudes  en 
général  ne  sont-elles  ici  bien  appréciables  que  dans 
leurs  rapports  avec  les  sexes.  Que  telle  mouche  soit 


484  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

plus  importune  que  telle  autre ,  telle  araignée  plus 
irascible,  telle  fourmi  plus  courageuse,  etc.  ,  c'est 
ce  qui  parait  souvent  bien  réel,  mais  il  faudrait 
les  observer  plus  minutieusement  pour  acquérir  la 
certitude  que  ces  variations  tiennent  à  l'individu  et 
non  aux  circonstances  accidentelles  dans  lesquelles 
il  se  trouve. 

§  IL   Des  instincts, 

La  confusion ,  les  contradictions ,  les  incertitudes 
sont  ici  peut-être  portées  plus  loin ,  dans  les  écrivains 
idéologistes ,  que  pour  toute  autre  partie  des  sensa- 
tions centrales.  Attribuant  tout  à  l'instinct  chez  les 
animaux,  certains  auteurs  ont  dû  confondre  avec 
lui  une  multitude  d'autres  phénomènes  intellectuels; 
de  même  que  rattachant  tout,  dans  l'homme ,  à  une 
âme  spirituelle  et  essentiellement  raisonnable ,  ils 
mettaient  au  compte  de  l'intellect  beaucoup  de  phé- 
nomènes instinctifs.  D'autres  ont  été  induits  en 
erreur  par  de  fausses  définitions  ,  des  analogies 
trompeuses;  Condillac  lui-même  prend  pour  ins- 
tinctifs les  mouvements  automatiques  nés  de  l'habi- 
tude et  de  l'association.  Lamarck  est  plus  excusable 
quand  il  confond,  avec  l'instinct,  les  talents  naturels 
et  les  penchants  :  ici ,  en  effet ,  la  ressemblance  est 
plus  grande,  et  nous  commencerons,  en  conséquence, 
par  bien  poser  la  limite  précise  qui  les  sépare ,  avant 
de  formuler  une  définition  de  l'instinct. 

La  première  différence  ,  la  différence  fondamen- 
tale ,  c'est  que  les  aptitudes  sont  individuelles  et  les 
instincts  spécifiques,,  c'est-à-dire  attachés  à  l'espèce  ; 
aussi  ces  derniers  sont-ils  toujours  innés  et  hérédi- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  485 

tawes  j  ianàis  que  les  aptitudes  sont  souvent  acquises. 
Il  est  vrai  que  ,  quand  elles  sont  innées  et  de  famille, 
elle  commencent  à  se  rapprocher  beaucoup  des 
instincts  ;  ces  cas ,  assez  rares  ,  établissent  alors  une 
de  ces  transitions  que  la  nature  nous  offre  partout , 
d'un  groupe  de  phénomènes  ou  d'objets  à  un  autre 
groupe. 

Une  deuxième  différence  considérable  ,  c'est  que 
les  aptitudes  ne  font ,  à  proprement  parler ,  naître 
que  des  désirs j  tandis  que  les  instincts  excitent,  la 
plupart  du  temps,  des  besoins;  l'organisation  des 
centres  nerveux  étant  plus  profondément  modifiée 
ou  plus  fortement  influencée  par  les  viscères  dans  le 
deuxième  cas  que  dans  le  premier.  Toutefois,  il  ne 
faut  pas  dire  ,  avec  Magendie ,  qu'instinct  et  besoins 
sont  la  même  chose ,  le  besoin  n'est  qu'un  des 
éléments  de  l'instinct.  Il  suit  de  ce  que  nous  venons 
de  dire,  que  l'intellect  n'est  que  sollicité  par  les 
aptitudes,  et  qu'il  est  le  plus  souvent  subjugué  par  les 
instincts;  parfois  aussi  les  actes  instinctifs  s'opèrent 
sans  la  participation  de  l'intelligence,  ce  qui  ne 
saurait  être  pour  les  aptitudes  ,  même  dans  les  plus 
fortes  ellipses.  Il  y  a  tendance  dans  celles-ci,  déter- 
mination dans  ceux-là.  Mais  ici  encore  se  trouvent 
des  intermédiaires  :  ce  sont  les  penchants  exagérés 
qui  maîtrisent  et  forcent  l'intelligence ,  et  les  ins- 
tincts combattus ,  soumis  par  une  volonté  énergique 
ou  par  une  sensation  violente  (frayeur). 

Résumons  en  peu  de  mots  la  définition  de  l'instinct 
qui  se  trouve  en  grande  partie  disséminée  dans  la 
discussion  qui  précède.  L'instinct  est  une  disposition 
organique  tenant  à  la  conformation  (  interne  comme 


'486  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

externe)  de  l'espèce,  et  produisant  des  actes  régu- 
liers, mais  non  raisonnes  et  souvent  irrésistibles, 
involontaires  même ,  quoique  exécutés  par  des  mus- 
cles ordinairement  soumis  à  l'empire  de  la  volonté. 

Les  phénomènes  iastinctifs  sont  si  nombreux ,  si 
variés ,  qu'il  est  impossible  d'étudier  avec  fruit  ce 
sujet  si  vaste  à  la  fois  et  si  obscur,  sans  y  établir 
des  divisions  fondées  elles-mêmes  sur  des  données 
rationnelles  et  physiologiques  ;  telles  sont  les  trois 
suivantes  que  nous  allons  successivement  parcourir: 
instincts  vitaux  ou  splanchniques,  instincts  animaux, 
instincts  encéphaliques.  Nous  ne  séparerons  pas  ce 
qui  appartient  à  l'homme  de  ce  qui  est  propre  aux 
animaux  ;  ces  derniers  devant  nous  fournir  les  prin- 
cipaux matériaux  de  cette  étude. 

A.  Instincts  vitaux  on  splanchniques.  Ainsi  nom- 
més parce  qu'ils  excitent ,  dans  les  viscères  ,  des 
besoins  naturels  qui  deviennent  ultérieurement  la 
cause  d'actes  plus  ou  moins  complexes.  Il  faut  ici 
mettre  de  côté  les  besoins  factices  ou  d'habitude ,  qui 
n'ont  de  rapport  qu'avec  les  aptitudes  dont  il  a  été 
ci-dessus  question  ,  et  qui  comprennent  tous  ces 
asservissements  volontaires  que  s'impose  l'homme,  et 
que  partagent  souvent  avec  lui  les  animaux  domes- 
tiques, depuis  le  besoin  de  distraction,  d'amuse- 
ments et  toutes  les  jouissances  du  luxe ,  des  caprices 
et  de  la  sensualité  ,  jusqu'au  besoin  de  la  chaleur, 
qui ,  considérablement  modifié  par  l'habitude ,  se 
rapproche  néanmoins  assez  des  besoins  naturels. 
Ceux-ci  peuvent  se  diviser,  comme  les  fonctions 
auxquelles  ils  se  rattachent,  et  nous  en  donnerons 
ici  seulement  quelques  échantillons. 


ETUDIEES    EN    ELLES-MICMES.  487 

A  la  digestion  se  rapportent  comme  besoins, 
la  faim  et  la  soif  :  de  là  des  actes  qui  s'éloignent 
ou  se  rapprochent ,  à  des  degrés  divers ,  de  ceux 
que  la  volonté  dirige  ;  ainsi  ,  chez  le  mammifère 
nouveau -né,  le  sentiment  de  la  faim  excite  des 
mouvements  dans  les  membres  et  la  tête  pour  la 
recherche  des  mamelles  maternelles ,  puis  des  mou- 
vements de  succion  et  de  déglutition  ;  c'est-à-dire 
un  enchaînement ,  une  succession  d'actions  dans  les 
lèvres ,  la  langue ,  le  voile  du  palais  et  le  larynx. 
Chez  beaucoup  de  petits  oiseaux  ,  c'est  par  une 
liaison  non  moins  naturelle  que  le  bec  s'ouvre  à  l'ap- 
proche des  parents  porteurs  de  la  nourriture  ;  pour 
d'autres  oiseaux,  de  même  que  pour  les  reptiles, 
déjà  à  la  sortie  de  l'œuf  l'enchaînement  naturel 
des  mouvements  existe ,  comme  chez  l'adulte  ,  pour 
faire  becqueter  la  graine  ou  l'insecte  découvert  ou 
présenté  par  la  mère.  La  plus  grande  partie  des 
oiseaux  et  des  mammifères  adultes  n'exécute,  pour 
la  préhension  des  aliments ,  que  des  mouvements  de 
la  tête  et  de  la  bouche  ;  il  en  est ,  comme  les  oiseaux 
de  proie  ,  les  perroquets ,  les  rongeurs ,  les  singes  , 
l'homme,  qui  s'accoutument  de  bonne  heure  à  se 
servir  aussi  des  membres  à  cet  effet  :  l'habitude  se 
joint  ici,  et  se  confond  avec  l'instinct  originel,  en 
vertu  duquel  l'enfant  en  bas  âge  porte  à  la  bouche 
tous  les  corps  qu'il  peut  saisir.  Tous  ces  actes,  de 
même  que  le  choix  des  aliments  ,  tiennent  si  bien 
à  la  conformation  des  organes,  à  leur  agencement 
réciproque  et  particulier,  qu'on  les  voit  changer  par 
les  effets  de  la  maladie  (i),  de  l'âge,  et  surtout  par 

(1)  L'inappétence  ,  l;i  soif,  peuTcnt  êlrc  considérées  commo  tmosorlc  d'iaslinct 


"iSS  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

ceux  des  métamorphoses.  Ainsi,  la  chenille  pourvue 
d'yeux  myopes  et  rudimentaires ,  de  fausses  pattes 
courtes  et  peu  agiles  ,  mais  en  même  temps  de 
mâchoires  robustes  et  tranchantes,  d'un  vaste  et 
musculeux  appareil  digestif,  cherchait  des  aliments 
végétaux  faciles  à  trouver  en  grande  abondance;  et 
sans  avoir  besoin  de  les  découvrir  de  loin ,  elle  les 
trouvait  dans  des  substances  dures ,  des  feuilles ,  du 
bois  même.  Devenue  papillon,  son  estomac  ne  saurait 
digérer  de  pareils  aliments,  sa  bouche  ne  saurait 
les  saisir  et  les  avaler;  tout  est  conformé,  harmonisé 
dans  le  nouvel  animal  pour  lui  donner  d'autres  goûts, 
et  le  porter  vers  d'autres  objets  :  ce  n'est  plus  que 
le  miel  des  nectaires  qu'il  recherche  et  qu'il  est  apte 
à  digérer;  ses  yeux  composés  lui  permettent  de  voir 
de  loin  les  fleurs  nombreuses  sur  lesquelles,  rapide- 
ment porté  par  des  ailes  nouvellement  acquises ,  il 
va  recueillir  ce  rare  butin.  Cet  ensemble  de  condi- 
tions organiques  se  montre  encore  dans  la  liaison 
naturelle  des  organes  du  goût  et  de  l'odorat  avec 
ceux  de  la  digestion. 

Le  besoin  de  respirer  et  les  mouvements  qu'il 
excite ,  les  cris  naturels  ou  instinctifs  que  la  douleur, 
le  danger  arrachent  à  l'homme  et  aux  animaux, 
tiennent  aussi  à  cette  harmonie  d'organisation  ,  à 
cette  corrélation  entre  les  organes  internes  et  les 
externes  ,  à  cette  synergie  dont  nous  chercherons 
tout-à-Fheure  à  donner  la  théorie. 

Disons-en  autant  des  besoins  d'excréter,  et  de  l'en- 

accidenle],  de  même  que  quelques  autres  désirs  non  raisonriés  des  malades.  Les 
animaux  mêmies  appèlent  alors  certains  remèdes  ;  il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  en 
obtiennent  de  Favanlaije  ,  puisque  c'est  l'étal  même  de  leurs  organes  qui  sollicilo 
ce  Ciioix. 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  489 

semble  des  contractions  qu'ils  déterminent  dans  des 
muscles  nombreux  et  plus  ou  moins  éloignés  les  uns 
des  autres ,  comme  ceux  du  périnée ,  de  Fabdomen , 
du  larynx  dans  les  efforts  d'expulsion ,  ceux  des 
membres  inférieurs  et  des  lombes  dans  la  singulière 
attitude  que  prennent  les  chiens,  quand  la  défécation 
est  difficile. 

Autant  encore  en  faut-il  dire  des  contractions  mus- 
culaires excitées  par  l'orgasme  de  l'union  des  sexes, 
mouvements  spasmodiques,  involontaires  quelque- 
fois :  tels  ceux  de  la  région  lombaire  et  l'agitation 
du  bassin  chez  le  mâle ,  ainsi  qu'on  peut  facilement 
l'observer  sur  l'animal  dont  nous  venons  de  parler. 

Les  mouvements  sont  encore  automatiques ,  mais 
plus  faciles  à  confondre  avec  ceux  de  la  volonté , 
chez  la  femme  qui  serre  son  nourrisson  dans  ses  bras, 
chez  la  femelle  quadrupède  qui  écarte  ses  membres 
postérieurs  et  abaisse  le  tronc  pour  mettre  à  la  portée 
de  son  petit  ses  mamelles  inguinales  ;  un  même 
besoin  excite  ces  mouvements ,  c'est  celui  de  l'éva- 
cuation du  lait  :  ce  qui  me  semble  le  prouver ,  c'est 
l'adoption  d'un  nourrisson  étranger  par  une  femelle 
laitière;  on  a  vu  des  chattes  privées  de  leurs  petits, 
allaiter  un  levraut,  de  jeunes  lapins  (Darwin)  ;  une 
autre  adopta  des  écureuils ,  et  chose  plus  étrange  ! 
abandonna  pour  eux  sa  propre  géniture ,  au  rapport 
de  personnes  instruites  (i). 

L'art  peut  intervenir  de  manière  à  prouver  com- 
bien tous  ces  actes  sont  sous  l'influence  de  l'orga- 
nisation; il  peut  changer   celle-ci,    changer  par 

(1)  De  Gleielien  dit  avoir  observé  une  perversion  plus  singulière  cliez  une 
challc  ,  qui  donnail  à  des  poussins  ses  soinsiualernelsaprèsavoir  dévore  ses iJelils., 


490  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

conséquent  les  besoins  elles  actes  :  ainsi ,  en  privant 
un  coq  de  ses  testicules,  on  lui  ôte  une  partie  des 
errements  de  son  sexe,  et  on  peut  lui  inculquer 
plusieurs  de  ceux  du  sexe  opposé.  Qu'on  enflamme 
la  peau  du  ventre  en  la  frottant  d'orties ,  qu'on  y 
crée  ainsi  momentanément  des  réseaux  vasculaires , 
tels  que  ceux  qu'on  dit  naturellement  exister  chez 
la  poule  couveuse,  et  dès -lors  le  chapon  aura, 
comme  elle ,  l'instinct  de  couver  des  oeufs  ;  il  ira  jus- 
qu'à conduire  ,  avec  une  affection  toute  maternelle, 
les  poussins  éclos,  mêlant,  dès  ce  moment,  beaucoup 
d'actes  intellectuels  aux  actes  instinctifs.  Ce  mélange 
a  été  plus  direct  encore  dans  le  fait  suivant  qu'on 
m'a  donné  comme  vrai  :  un  chapon  adopta  instan- 
tanément des  poussins  dont  la  mère  venait  d'être 
étranglée  sous  ses  yeux  par  un  chien  de  basse-cour. 
Quant  à  l'influence  des  organes  internes ,  elle  se  ma- 
nifeste encore  notablement  chez  les  vieilles  femelles 
d'oiseaux  qui  prennent  les  allures  du  mâle  et  même 
une  partie  de  sa  robe ,  lorsque  leurs  organes  géni- 
taux sont  atrophiés  et  devenus  stériles  (  Isidore 
Geoffroy- S* -Hilaire).  C'est  donc  à  la  différence 
de  ces  organes  spéciaux  que  tiennent  celles  qu'on 
observe,  et  dans  les  apparences  extérieures,  et  dans 
les  goûts ,  les  habitudes ,  entre  la  fille  et  le  garçon , 
l'homme  et  la  femme ,  pour  notre  espèce  même. 

La  théorie  des  phénomènes  de  l'instinct  vital  ne 
diffère  pas,  autant  qu'on  serait  tenté  de  le  croire, 
de  celle  des  opérations  directes  de  l'intelligence.  En 
raison  de  la  structure  et  des  usages  des  viscères ,  le 
besoin  s'y  établit,  soit  par  manque  d'un  stimulant 
nécessaire    (  faim ,  besoin   de   respirer } ,    soit  par 


ÉTUDIÉES    EÎN    ELLES-MEMES.  191 

la  présence  d'un  stimulant  superflu  (  excrétions , 
sperme ,  etc.  ).  Voilà  l'équivalent  de  la  sensation  qui 
s'opère  dans  les  organes  externes.  De  même  que 
cette  sensation  externe  est  conduite  du  sens  à  l'en- 
céphale  par  des  nerfs ,  de  même  celle  du  besoin  est 
transmise  à  d'autres  centres  nerveux ,  d'abord  aux 
ganglions  du  trisplanchnique  ou  grand  sympathique, 
et  de  là  à  la  moelle  épinière,  ou  bien,  par  le  pneumo- 
gastrique, directement  à  la  moelle  allongée,  au 
cervelet,  et  enfin,  dans  certains  cas,  au  cerveau 
même  par  une  propagation  secondaire  :  de  là ,  des 
réactions  difl'érentes  selon  le  centre  qui  réagit. 

La  réaction  s'opère-t-elle  immédiatement  et  seule- 
ment dans  les  ganglions  du  grand  sympathique ,  il  y 
a  acte  involontaire ,  mouvements  sans  conscience  , 
mouvements  intérieurs,  splancliniques  ,  inaperçus 
à  l'extérieur,  et  que,  en  conséquence  ,  on  ne  range 
pas  parmi  ceux  de  l'instinct ,  qui  suppose  toujours 
la  participation  du  système  cérébro-spinal. 

Si  l'impression  transmise  s'est  arrêtée  à  la  moelle 
épinière  (i),  à  la  moelle  allongée  ,  il  y  a  des  mou- 
vements extérieurs,  mais  qui  sont  plus  ou  moins 
soustraits  à  l'empire  de  la  volonté ,  que  la  volonté 
même  ne  saurait  que  difficilement  imiter  sans  la 
présence  de  l'excitant  naturel  (défécation,  dégluti- 
tion )  ;  toutefois  une  volonté  forte  les  modifie ,  com- 
bine d'autres  mouvements  avec  les  leurs ,  ou  même 
les  supprime  tout  -  à  -  fait.  C'est  ainsi  qu'une  vive 
impression  morale,  une  frayeur  fait  cesser  les  actes 


(1)  On  voit  des  insectes  continuer,  après  la  décapilalion  ,  les  actes  de  la 
copiilalion  ,  de  la  ponte  ,  exécuter  môme  des  mouvements  de  locoiaoîion  suivie, 
mais  toujours  auxiliaire  de  ces  actes  splancliniques. 


492  DrS  SENSATIONS  CENTRALES 

de  défécation ,  d'accouplement ,  supprime  même 
quelquefois  la  contraction  de  la  matrice  chez  la 
femme  ;  c'est  ainsi  que  la  poule  ,  qui  pond  indéfini- 
ment sans  couver  tant  qu'on  lui  enlève  ses  œufs, 
cesse  volontairement  de  pondre  ,  et  couve  quand 
elle  en  a  conservé  un  nombre  suffisant.  Dans  les 
cas  où  la  sensation  instinctive  consomme  son  plein 
et  entier  effet  sur  la  moelle  épinière  et  la  moelle 
allongée  ,  alors ,  en  raison  des  nombreuses  commu- 
nications des  ganglions  du  grand  sympathique  avec 
la  moelle  ,  il  s'établit  des  synergies  _,  c'est-à-dire  des 
enchaînements  de  mouvements  coordonnés  ,  dans  un 
but  commun ,  entre  des  muscles  fort  différents  les 
uns  des  autres,  synergies  la  plupart  du  temps  innées , 
en  partie  acquises  ou  du  moins  perfectionnées  par 
l'habitude  et  l'exercice,  et  tout-à-fait  comparables 
avec  les  aptitudes  et  les  caténations  d'actions  qui  en 
dépendent.  Dans  les  organes  entièrement  soustraits 
à  l'empire  de  la  volonté  et  de  la  perception  ,  ces 
corrélations  se  nomment  sympathies  ;  elles  n'appar- 
tiennent aussi  que  fort  indirectement  à  l'instinct. 

Enfin ,  il  est  des  cas  où  l'instinct  vital  détermine 
des  actes  plus  décidément  volontaires  en  apparence 
comme  en  réalité ,  c'est  quand  l'impression  ou  sen- 
sation du  besoin  a  été  transmise  au  cervelet  et  au 
cerveau  :  quelquefois  alors  le  mouvement  est  encore 
machinal ,  comme  celui  du  chat  qui  creuse  la  terre 
pour  y  déposer  ses  excréments  et  les  recouvrir 
ensuite  ;  d'autres  fois  il  est  plus  raisonné  ,  comme 
quand  un  animal  cherche  sa  proie  pour  satisfaire  à 
un  appétit  violent;  quand  un  certain  nombre  d'indi- 
vidus se  réunissent ,  tant  pour  procéder  plus  aisé- 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  493 

ment  à  la  reproduction  de  l'espèce  que  pour  trouver 
ensemble  les  moyens  de  soutenir  et  défendre  leur 
existence  :  tels  les  chevaux  sauvages,  les  bisons, 
les  pécaris,  les  gazelles,  les  morues,  harengs, 
maquereaux,  et  les  oiseaux  de  passage.  Dans  ces 
circonstances  encore,  il  peut  y  avoir  un  mélange 
tel  des  opérations  intellectuelles  dont  la  source  est 
toute  extérieure ,  avec  celles  qui  dépendent  de  ces 
impulsions  instinctives,  qu'il  devienne  fort  difficile 
de  distinguer  ce  qui  appartient  a  l'un  et  à  l'autre 
ordre  de  phénomènes  :  on  en  peut  donner  comme 
exemple,  dans  l'espèce  humaine,  la  passion-instinct 
qu'on  nomme  amour.  Combien  de  conflits  doit-il  en 
résulter  dans  notre  esprit!  combien  la  liberté  morale 
doit-elle  en  être  influencée  1  II  est  aisé  de  le  concevoir  ; 
il  n'est  pas  difficile  non  plus  de  reconnaître ,  d'après 
cela,  pourquoi  l'instinct  semble  comme  étoufl'é  chez 
l'homme  par  l'éducation  ,  la  morale ,  les  lois;  tandis 
que  les  animaux  ,  de  même  que  l'enfant  et  l'idiot , 
s'y  abandonnent  si  aisément  ;  pourquoi  encore  on  a 
pu  dire ,  avec  vérité  mais  peut-être  avec  peu  de 
justesse  dans  les  termes ,  que  l'instinct  se  pervertit 
par  la  domesticité ,  et  n'a  son  développement  complet 
que  chez  l'animal  très  -jeune  ou  à  l'état  sauvage. 
«L'instinct,  dit  Bufl*on,  est  d'autant  plus  sur  qu'il 
est  plus  machinal ,  et  pour  ainsi  dire  ,  plus  inné  : 
le  jeune  agneau  cherche  lui-même,  dans  un  nom- 
breux troupeau,  trouve  et  saisit  la  mamelle  de  sa 
mère  sans  jamais  se  méprendre.  » 

B,  Instincts  animaux.  Dans  l'exercice  des  fonc- 
tions instinctives  dont  le  point  de  départ  est  intérieur 
et  viscéral,  il  y  a  nécessairement  des  modifications 


494  DES    SENSATIOISS    Cl'.JNTlULES 

relatives  aussi  à  la  conformation  externe ,  et  ce  sont 
des  points  de  contact  entre  l'instinct  vital  et  l'instinct 
animal  ;  celui  -  ci ,  considéré  isolément  ,  dépend 
entièrement  de  cette  conformation  spécifique  des 
organes  externes,  des  armes,  des  instruments  de 
locomotion  ou  d'actions  particulières;  il  dépend 
encore  de  la  force  et  de  l'agilité  des  membres  en 
général ,  ou  de  quelqu'un  d'eux  plus  spécialement. 

Tout  le  monde  conçoit,  à  la  première  vue,  que, 
si  le  serpent  rampe  ,  si  le  cerf  court ,  si  la  gerboise 
s'élance  au  loin ,  si  le  phoque  nage ,  si  la  chauve- 
souris  vole  ,  si  la  taupe  s'enfonce  dans  la  terre ,  si  le 
perroquet  se  suspend  à  l'aide  de  son  bec  et  le  sapajou 
de  sa  queue,  c'est  en  vertu  de  leur  conformation 
tant  partielle  que  générale  ;  car  tout ,  en  eux  ,  est 
harmonisé  pour  le  but  définitif:  la  forme  allongée 
du  corps  ,  le  poil  couché ,  dur  et  luisant ,  l'élargis- 
sement de  la  queue  coexistent,  chez  le  phoque,  avec 
la  projection  des  membres  postérieurs  en  arrière, 
la  brièveté  de  ceux  de  devant ,  la  palmure  des  uns 
et  des  autres.  Que  ne  dirions-nous  pas  des  poissons 
envisagés  sous  les  mêmes  rapports  ?  Mais  voyez 
certaines  espèces  s^élancer  dans  les  airs  uniquement 
parce  que  leurs  nageoires  sont  beaucoup  plus  longues 
et  plus  larges,  leur  corps  un  peu  moins  pesant,  et 
vous  aurez  encore  une  démonstration  de  l'influence 
de  la  conformation  extérieure  sur  les  déterminations 
instinctives. 

Le  besoin  de  la  propreté ,  fondé  sur  une  gêne  facile 
à  comprendre,  se  satisfait  de  diverses  façons,  selon  la 
conformation  de  l'animal  :  les  mouches ,  les  araignées 
se  servent  des  brosses,  des  peignes,  des  étrilles  dont 


ÉTUDIÉES    1:N    ELLES-MEMES.  495 

la  nature  a  pourvu  leurs  pattes ,  et  ces  pattes  sont 
ensuite  nettoyées  par  les  mâchoires  ;  les  oiseaux 
lissent  leurs  plumes  avec  le  bec  ;  le  chat  se  lèche  là 
où  sa  langue  peut  atteindre,  il  se  sert  de  sa  patte 
mouillée  de  salive  pour  nettoyer  la  face  et  le  dessus 
de  la  tête  ;  le  chien  se  secoue ,  se  frotte  ,  se  gratte , 
se  mord  ;  le  cheval  se  sert ,  en  outre  ,  de  sa  queue , 
et  l'éléphant  de  sa  trompe ,  pour  chasser  les  insectes 
parasites  ;  tous  agissant  ainsi  selon  que  leur  confor- 
mation les  y  porte. 

De  même  que  nous  frappons  de  l'arme  que  le 
hasard  nous  fournit,  et  mieux  encore  que  l'habitude 
nous  rend  familière ,  de  même  le  cheval  frappe  du 
pied  de  derrière  ,  le  bœuf,  le  mouton ,  le  bouc  de  la 
tête  :  si  le  chien  se  sert  de  sa  gueule ,  le  chat  de  sa 
griffe,  l'oiseau  de  son  bec  ou  de  ses  serres ,  la  baleine 
de  sa  queue  ;  si  la  mante  blesse  avec  ses  pattes  ravis- 
seuses, le  criquet  linéole  avec  ses  jambes  épineuses, 
la  larve  d'œshne  avec  ses  pointes  caudales,  l'abeille, 
le  scorpion  avec  leur  aiguillon  venimeux,  n'est-ce 
pas  encore  en  raison  de  la  confiance  qu'ils  ont  dans 
la  puissance  de  ces  parties?  On  a  voulu,  bien  gra- 
tuitement ,  infirmer  cette  opinion  et  creuser  dans  le 
vague  pour  dépasser  les  faits  et  arriver  à  une  cause 
occulte  et  inconnue  :  on  a  parlé  du  veau  frappant  l'air 
de  sa  tête  inerme  ;  c'est  ce  que  fait  aussi  le  mouton 
sans  cornes;  mais  l'un  et  l'autre  se  sentent  du  moins 
un  front  dur  et  un  cou  robuste  :  l'éléphant  sent  dans 
ses  pieds  la  puissance  de  son  poids ,  et  cherche  à 
s'en  servir  contre  des  ennemis  trop  agiles  pour  ne 
pas  éviter  ses  défenses,  le  tigre  en  particulier.  C'est 
cette  conscience  ,  en  sens  inverse  ,  qui  rend  poltrons 


490  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

les  chiens  les  plus  forts  quand  ils  ont  perdu  leurs 
dents  (  Eustachi  );  et  c'est  parce  qu'ils  ont  des  mà- 
clioires  robustes  et  tranchantes ,  que  les  grillons  et 
les  locustes  à  front  blanc  livrent ,  à  leurs  pareils ,  des 
combats  à  mort  et  dévorent  en  partie  leur  ennemi , 
quoiqu'ils  ne  se  nourrissent  habituellement  que  de 
végétaux.  Si  l'oiseau  bat  des  ailes  avant  de  savoir 
voler ,  quoi  d'étonnant  qu'il  agite  ses  membres ,  et 
qu'il  s'en  serve  dès  qu'il  se  sent ,  par  leur  moyen , 
soutenu  et  transporté  dans  les  airs ,  comme  le  quadru- 
pède use  de  ses  pieds  dès  qu'il  leur  sent  assez  de 
force  pour  le  soutenir  et  le  transporter  sur  le  sol! 

Beaucoup  d'industries  instinctives  sont  en  grande 
partie  fondées  sur  ce  principe:  le  fourmilion  avec 
sa  tète  en  pelle ,  les  philanthes  avec  leurs  tarses 
pourvus  de  grosses  épines  en  forme  de  râteau ,  la 
mygale  maronne  avec  ses  mandibules  armées  de 
pointes  encore  plus  solides  ,  les  courtilières  avec 
leurs  pattes  antérieures  larges ,  tranchantes  ,  den- 
telées, les  fourmiliers,  les  tatous  avec  leurs  ongles 
énormes ,  sont  évidemment  conformés  pour  fouiller 
la  terre.  Mais  cela  ne  suffit  pas  toujours,  et  des 
instincts  vitaux  ou  encéphaliques  bien  prononcés  se 
passent  même  de  ces  conformations  spéciales,  ou  se 
contentent,  pour  produire  des  effets  semblables,  des 
formes  ordinaires  :  ainsi ,  le  chien  sauvage  se  creuse 
des  terriers,  quoiquesses  pattes  ne  soient  que  médio- 
crement propres  à  cet  usage;  toutefois  ses  doigts 
roides  ,  ses  ongles  non  rétractiles  y  conviennent 
mieux  que  ceux  du  chat  par  exemple  ;  et  l'hyène  , 
qui  est  conformée  comme  le  chien,  sait  fouir  aussi 
la  terre  pour  découvrir  les  cadavres  ;  niais  quelle 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MÊmeS.  4^1 

différence  y  a-t-il   entre    le   lapin  et  le  lièvre, 
autre  qu'une  différence  d'instinct  encéphalique  ?  Le 
sphex ,  qui  n'a  point  les  tarses  du  philanthe ,  creuse 
pourtant ,  comme  lui ,  le  sable  et  la  terre  ;  le  lézard 
a  des  ongles  très-pointus,   assez  délicats  et  peu  ro- 
bustes, et  cependant  il  se  creuse  aussi  des  terriers. 
11  y  a  plus ,  ces  actes  de  l'instinct  animal  se  mélan- 
gent souvent,  bien  plus  encore  que  ceux  de  l'instinct 
vital ,  avec  des  actes  d'intelligence  proprement  dits  ; 
ils  se  modifient  par  l'éducation  que  donnent  les 
parents  à  leurs  petits  ,  même  chez  les  animaux  sau- 
vages ,  comme  l'a  prouvé  Bureau  de  la  Malle  pour 
les  oiseaux  de  proie ,  et  comme  on  le  savait  déjà  de 
beaucoup  d'autres  en  ce  qui  concerne  la  chasse ,  la 
pêche ,  la  natation ,  le  vol ,  etc.  De  là  Client ,  en  effet , 
qu'un  animal  élevé  en  captivité  dès  sa  naissance  est 
si  maladroit  quand  il  est  rendu  à  la  liberté ,  tellement 
même  qu'il  finit  par  périr,  faute  de  savoir  se  procurer 
sa  subsistance  ou  se  garantir  des  dangers.  Il  serait 
bien  difficile  de  dire   où  s'arrête  l'intelligence  et 
où  commence  l'instinct  dans  certaines  manœuvres , 
dans  celle  des  bœufs ,  qui ,   dit-on ,  se  rassemblent 
en  cercle  pour  résister  au  loup ,  lui  offrant ,  de  tous 
côtés,  un  rempart  hérissé  de  cornes*  Quelle  est  la 
part  de  l'instinct  et  celle  du  raisonnement  dans  le 
partage  des  fonctions  qui  se  fait  chez  les  termites  et 
les  fourmis  entre  les  mâles ,  les  femelles ,  les  ouvrières 
et  les  soldats  ;  car  les  fourmis  aussi  ont  leurs  soldats 
à  grosse  tête ,  à  fortes  mandibules ,  chargés  de  la 
direction  des  travailleurs  et  de  la  défense  de  la 
colonie  ?  Si  l'on  peut  regarder  comme  purement 
animal  le  mouvement  du  hérisson ,  du  tatou ,    du 

32 


498  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

cloporte  ,  de  mainte  chenille  épineuse  ou  velue , 
lorsqu'ils  se  roulent  en  boule ,  celui  de  la  tortue  qui 
s'enferme  dans  sa  carapace ,  du  coléoptère  qui  retire 
ses  pattes  dans  les  creux  de  sa  peau  cornée ,  n'y  a-t-il 
pas  quelque  chose  de  plus  quand  le  porc-épic  se 
précipite  sur  son  ennemi ,  quand  le  coléoptère  fait 
le  mort  en  roidissant  ses  membres  allongés  (  trichie  , 
etc.  ) ,  ou  quand  il  se  laisse  rouler  et  s'envole  avant 
de  toucher  la  terre  ? 

Que  l'on  attribue  à  l'instinct  animal  les  émissions 
d'humeurs  acres  et  odorantes  que  le  bombardier  et 
d'autres  carabiques  lancent  par  l'anus ,  de  celles  que 
plusieurs  fausses  chenilles ,  le  méloé ,  la  coccinelle , 
plusieurs  batraciens  font  sortir  de  leur  peau  ;  qu'on 
y  rapporte  l'expulsion  des  urines  innocentes  que  les 
rainettes,  grenouilles  et  crapauds  font  jaillir  dans  la 
main  qui  les  saisit,  celle  de  l'encre  des  mollusques 
céphalopodes  pour  troubler  l'eau  qui  les  entoure , 
celle  des  matières  fétides  que  lâchent  les  renards , 
les  mouffettes  (^mephitisj  serrées  de  près  ;  soit ,  mais 
ces  actes  ne  sont-ils  pas  provoqués  par  la  connais- 
sance d'un  danger  et  le  désir  d'y  échapper?  La  chose 
est  évidente,  et  nous  en  dirons  tout  autant  de  la 
chenille  ou  de  l'araignée ,  qui  se  laissent  tomber  à 
terre  en  filant  un  câble  de  sûreté ,  le  long  duquel 
elles  remontent  dès  que  le  danger  a  disparu  :  même 
réflexion  pour  ces  autres  araignées ,  qui ,  profitant 
de  leur  conformation  grêle,  étirée,  se  collent  en 
s'ailongeant  contre  les  tiges  ou  les  feuilles  des  gra- 
minées; pour  ces  chenilles  arpenteuses,  pour  ces 
phasmes  qui  se  dressent ,  immobiles  et  en  forme  de 
rameau,  sur  une  branche  d'arbre  de  leur  couleur,  etc. 


ÉTLDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  499 

C'est  aussi  à  l'instinct  animal ,  à  un  besoin  produit 
par  une  conformation  extérieure  évidente  que  se 
rattache ,  en  partie  du  moins ,  l'habitude  des  pagures 
qui  logent  dans  une  coquille  vide  leur  abdomen 
mollasse  ,  celle  des  teignes  et  autres  insectes  qui  se 
fabriquent  un  fourreau.  Il  en  est  un  plus  général 
et  dont  les  causes  sont  moins  faciles  à  préciser,  c'est 
celui  qui  porte  tous  les  animaux ,  à  peu  d'exceptions 
près ,  à  reprendre  constamment  la  même  attitude , 
la  même  direction  eu  égard  au  sol  :  un  mammifère , 
un  oiseau ,  un  reptile  ,  un  poisson  ,  un  insecte ,  une 
annélide ,  cherchent  à  se  replacer  sur  le  ventre  quand 
on  les  a  renversés  sur  le  dos;  sans  doute  leurs  pieds , 
leurs  organes  de  sens  sont  alors  seulement  disposés 
pour  un  libre  usage  ;  mais  n'y  a-t-il  pas  quelque 
chose  de  plus  dans  ce  besoin  qu'a  la  tête  d'être 
élevée ,  etc.  ?  Il  est  certain  qu'un  sentiment  tout 
particulier  différencie  pour  nous,  très-notablement, 
la  rectitude  ou  l'horizontalité  en  supination  ou  en 
pronation;  et  ce  n'est  pas  à  l'influence  de  la  pesanteur 
sur  le  sang  ou  sur  les  organes  encéphaliques  qu'il  faut 
l'attribuer  en  totalité  ;  car  on  s'assurera  facilement 
que  tout  animal  résiste  au  changement  de  direction , 
même  dans  le  sens  horizontal  ,  au  moins  pour  la 
tête.  Cela  est  surtout  sensible  quant  aux  reptiles  : 
tenus  dans  la  main  et  transportés  circulairement 
sans  secousses,  on  les  voit  tourner  toujours  le 
museau  vers  le  point  du  départ,  comme  si  une  sorte 
d'orientation  de  l'encéphale  s'opposait  à  un  change- 
ment de  direction.  Ceci  se  lie  indubitablement  avec 
la  production  des  vertiges  par  le  tournoiement,  phé- 
nomène que  nous  expliquerons  ailleurs. 


600  DES    SENSATIONS  CENTRALES 

C.    Instincts  encéphaliques.    Bien  que  combinés 
plus  ou  moins  intimement  avec  certains  actes  d'in- 
telligence proprement  dits ,  avec  des  actes  d'instinct 
vital  et  animal ,  il  est  d'autres  phénomènes  qu'on  ne 
saurait  rapporter  à  aucun  de  ces  trois  genres ,  et  qui 
réclament ,    en  conséquence  ,    une  théorie  particu- 
lière. Ainsi  nous  avons  vu  déjà  que  ni  la  disposition 
des  viscères,  ni  la  conformation  extérieure,  n'expli- 
quaient suffisamment  pourquoi  le  lapin  se  creuse  des 
terriers  ;  et  ce  qui  démontre  aussi  que  ce  n'est  pas  là 
un  phénomène  de  pure  intelligence  ,  c'est  la  persis- 
tance de  ce  penchant  à  creuser  la  terre ,  même  chez 
les  individus  nés  dans  des  prisons  bien  pavées.  De 
même  un  oiseau ,  une  hirondelle  par  exemple  ,  qui 
n'a  pu  recevoir  de  sa  mère  aucune  leçon  sur  l'art  de 
construire  un  nid  de  mortier,  le  bâtira  pourtant  de 
la  même  façon ,  quoique  ses  organes  extérieurs  ne 
soient  pas  absolument  conformés  de  manière  à  la 
guider  dans  cette  opération.    Où  donc  est  le  moteur 
qui  dirige  ces  manœuvres,  sinon  dans  les  centres 
nerveux ,  dans  l'encéphale  ?  Evidemment  il  y  est 
gravé  dès  la  première  origine  de  l'animal  ;  l'instinct 
encéphalique  est  indubitablement  inné;  l'uniformité 
des  produits  de  ces  travaux  instinctifs  pour  tous  les 
individus  de  la  même  espèce,  quoique  totalement 
isolés  ,   le  prouve   suffisamment.    Voyons  s'il  faut 
absolument  renoncer  à  s'en  rendre  raison ,  ou  si  l'on 
ne  peut  pas ,  au  contraire  ,  en  donner  des  explica- 
tions plausibles. 

Lors  même  qu'une  conformation  externe  rend 
raison  des  actes  instinctifs ,  il  faut  bien  supposer  que 
la  structure  de  l'encéphale  est  en  harmonie  avec  celle 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  501 

des  membres,  comme  tout  l'est  dans  un  corps  vivant, 
les  ressorts  étant  nécessairement  accommodés  aux 
rouages.  Cette  structure ,  cette  disposition  particu- 
lière qui  met  l'encéphale  dans  le  cas  de  produire  des 
influences  constantes  et  déterminées ,  nous  pouvons 
nous  en  faire  une  idée ,  indépendamment  de  la  confor- 
mation extérieure.  Assurément  on  est  bien  forcé  de 
l'admettre  dans  les  cas  où  elle  est  tout  individuelle  , 
quand  elle  dépend  de  l'habitude ,  de  l'éducation , 
quand  il  y  a  une  aptitude  acquise  :  certes  cette  apti- 
tude ,  de  même  que  tous  les  souvenirs  profonds ,  est 
gravée  fortement  dans  l'encéphale ,  elle  est  devenue 
organique.  Nous  avons  vu  que  des  jugements  tout 
formulés  restaient  ainsi  empreints  dans  la  mémoire  ou 
mieux  dans  l'encéphale ,  de  façon  à  produire  ,  dans 
l'occasion ,  leur  résultat  ordinaire  immédiatement 
et  sans  nécessité  d'une  nouvelle  ratiocmation.  Eh 
bien  !  ces  dispositions  organiques ,  qui  empêche  de 
les  regarder  comme  transmissibles  par  hérédité (i)  ? 
Supposez  ces  jugements  tout  faits,  imprimés  dans 
l'encéphale  de  tous  les  individus  d'une  même  espèce; 
passant ,  comme  les  formes  extérieures ,  d'un  individu 
à  un  autre;  devenus,  par  conséquent,  spécifiques;  et 
vous  aurez  les  instincts  encéphaliques.  La  notion  de 
l'eau  passe  au  jeune  canard ,  comme  la  forme  pal- 
mée de  ses  pattes  ;  et  ces  deux  conditions  également 
héréditaires  lui  ont  bientôt  appris ,  par  leur  réunion 
simultanée ,  à  suivre  les  errements  de  parents  qu'il 


(1)  L'encéphale  du  clieval  et  son  volume  proporlionnel,  son  angle  facial,  elc. , 
le  placeraient  beaucoup  au-dessous  du  rang  que  lui  assignent  sa  docilité  ,  son 
intelligence  réelle.  Nous  ne  doutons  pas  que,  dans  nos  individus  domestiques, 
cet  avantage  ne  provienne  d'une  transmission  héréditaire  des  dispositions,  pro- 
duites par  Tcducalion. 


•502  DES  SENSATIONS  CEiNTRALES 

n'a  pas  même  connus ,  quand  l'œuf  a  été  couvé  par 
une  poule. 

Faut-il  prouver  la  possibilité  de  semblables  trans- 
missions ?  Ne  sait-on  pas  que ,  dans  l'espèce  bumaine , 
dans  celle  du  cliien ,  les  aptitudes  ,  le  caractère ,  les 
pencliants  se  propagent  par  génération  comme  les 
traits  du  visage ,  les  formes  ,  la  taille,  les  couleurs? 
Le  génie  des  langues  est,  en  partie ,  transmissible  de 
cette  façon;  j'en  ai  la  preuve  cbez  mes  enfants,  qui 
n'ont  pu  saisir  les  tournures  et  la  prononciation  du 
patois  méridional ,  quoique  élevés  par  des  nourrices 
et  soignés  par  des  domestiques  languedociennes. 
Bon  chien  chasse  de  race  ,  c'est  un  proverbe  bien 
connu  et  bien  vrai,  au  figuré  comme  au  propre. 

La  réalité  du  fait  étant  incontestable  ,  remontons 
maintenant  à  son  origine.  Ce  que  nous  venons  de 
dire,  en  dernier  lieu,  prouve  assez  que  cette  spécia- 
lité d'organisation  peut  être  le  résultat  d'une  expé- 
rience acquise  par  les  parents ,  confirmée  et  perfec- 
tionnée de  génération  en  génération  par  de  nouvelles 
expériences ,  en  sorte  que  l'on  peut  dire,  avec  raison, 
des  animaux  à  instincts  remarquables ,  qu'ils  naissent 
avec  la  science  infuse.  Voici  d'autres  faits  qui  met- 
tront,   selon  nous,   cette   théorie   hors  de   doute. 
L'instinct  des  jeunes  dindonneaux  est,  dit  BufFon  , 
d'aimer  mieux  à  prendre  leur  nourriture  dans  la 
main  que  de  toute  autre  manière;  assurément  c'est 
bien  là  un  instinct  factice.  Toutes  les  fois  que  les 
navigateurs  ont  pénétré  dans  des  contrées  nouvelles 
et  isolées ,  les  oiseaux  se  laissaient  approcher  et 
même  saisir  sans  témoigner  de  crainte;  mais  bientôt, 
avertis  par  le  massacre  de  leurs  compagnons ,  par 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  503 

leurs  propres  blessures,  ils  ont  appris  à  redouter 
l'homme ,  à  le  fuir  ;  et  cette  crainte  s'est  naturelle- 
ment transmise  à  leur  postérité  :  de  telle  sorte  que , 
dans  ces  pays  comme  dans  les  nôtres ,  sans  avoir 
jamais  vu  d'homme ,  un  oiseau,  tout  jeune  encore  , 
est  saisi  de  frayeur  à  son  aspect.    Les  éléphants 
d'Afrique  ne    redoutent  nullement  les  nègres  qui 
n'ont  pas  su  les  réduire  en  servitude  ;   ceux  d'Asie 
vivent  loin  des  lieux  habités.  C'est  là  le  secret  de 
l'antipathie ,  de  l'horreur  des  petits  oiseaux  pour  la 
chouette ,  le  renard ,  les  serpents  ;  de  l'effroi  stupé- 
fiant qui  les  paralyse  en  présence  de  ceux-ci.   De 
même  s'explique   l'instinct  de  la  conservation,   la 
crainte  de  la  douleur  imminente  chez  des  animaux 
trop  peu  pourvus  d'intelligence  pour  pouvoir  rai- 
sonner un  danger.   C'est  assurément  de  la  même 
manière  aussi  qu'on  peut  se  rendre  raison  de  l'hor- 
reur qu'un  de   nos  chiens  témoigne  à  la   vue,  à 
l'odeur  seule  du  cadavre  de  son  semblable  ,  la  pre- 
mière fois  qu'il  en  rencontre  ;  tandis  que ,  au  con- 
traire ,  un  chien  de  la  Nouvelle-Zélande  ,  reçu  très- 
jeune  à  bord  du  vaisseau  de  Cook,  et  n'ayant  pu 
manger  encore  ni   chair  humaine  ni  celle  de  ses 
pareils ,  avait  cependant  si  bien  reçu  par  hérédité 
ces  habitudes ,  qu'il  mangea  les  os  d'un  chien  rôti , 
dévora  un  petit  chien  mort,  et  saisit  avec  avidité  le 
doigt  qu'un  matelot  venait  de  s'abattre.  L'aboiement 
n'est  pas ,  à  ce  qu'il  paraît ,  naturel  au  chien  ;  car 
les  chiens  redevenus  sauvages  perdent  ce  genre  de 
cri  ;  ceux  de  la  Nouvelle-Hollande  ne  l'ont  pas ,  et 
il  n'existait  pas  non  plus  chez  ceux  de  l'Amérique 
lors  de  la  découverte  de  cette  partie  du  monde  :  c'est 


504  DES  SENSATIONS   CENTRALES 

une  habitude  transmise  d'individu  à  individu ,  puis- 
qu'une louve  élevée  avec  des  chiens  avait  appris 
à  aboyer  (Desmoulins),  et  que  le  chien  de  Waigiou  ^ 
gardé  par  Quoy,  avait  aussi  contracté  ce  talent  en 
compagnie  d'une  chienne  européenne  :  cependant 
nos  chiens  domestiques  aboient,  jappent,  lors  même 
qu'ils  ont  été  élevés  dans  le  plus  complet  isolement, 
comme  tant  de  chiens  d'appartement  nous  le  prou- 
vent. J'ai  déjà  cité  un  chat  sourd  et  qui  possède 
tous  les  cris  instinctifs  de  son  espèce ,  et  de  plus 
ceux  qui  semblent  aussi  tenir  à  quelques  habitudes 
sociales;  il  miaule,  par  exemple,  pour  se  faire  ouvrir 
une  porte.  D'après  Buffon,  les  serins  venus  directe- 
ment des  Canaries  ne  chantent  pas;  ceux  du  Tyrol 
imitent  le  rossignol,  et  ceux  d'Angleterre  la  farlouse, 
parce  que  leurs  parents  ont  appris  le  chant  de  ces 
oiseaux ,  et  l'ont  transmis  à  leurs  descendants ,  non 
pas  par  éducation  seulement ,  mais  aussi  par  géné- 
ration; car  un  serin  chante  fort  bien  sans  avoir 
entendu  son  père  et  quoiqu'on  l'ait  même  séparé 
fort  jeune  de  sa  mère.  Cuvier  dit  que  les  rossignols 
pris  jeunes  ne  chantent  pas  bien ,  si  on  ne  les  met  à 
même  d'entendre  les  sauvages;  j'ai  eu  très-positive- 
ment la  preuve  du  contraire. 

Je  ne  craindrai  pas  de  fatiguer  le  lecteur  en  citant 
de  nouveaux  exemples ,  car  cette  théorie  me  paraît 
mériter,  vu  son  importance ,  d'être  appuyée  sur  une 
masse  de  preuves  aussi  imposante  que  possible.  Sans 
avoir  reçu  aucune  éducation,  les  chiens  de  Santa-Fé 
n'attaquent  jamais  un  cerf  que  par  le  ventre  ;  un  chien 
récemment  venu  d'Europe  l'attaque  de  front,  et  sou- 
vent est  renversé  mort  sur  la  place  avec  les  vertèbres 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  505 

du  COU  luxées  par  la  violence  du  choc  (Roulin).  Il  en 
est  de  même  de  la  chasse  du  pécari  :  certains  chiens , 
nés  de  parents  exercés,  savent,  dès  la  première  fois 
qu'on  les  mène  au  hois ,  tenir  en  échec  un  troupeau 
entier  de  ces  pachydermes  en  tournant  à  Tentour; 
tandis  qu'un  chien  d'autre  race  se  lance  tout  d'ahord, 
est  environné  et  dévoré  en  un  instant,  quelle  que  soit 
sa  force  (^c^emy.  Les  chiens  et  les  chevaux  originaires 
d'Europe  ont  appris  à  la  longue ,  et  savent  aujour- 
d'hui, dès  leur  premier  âge  ,  attirer  le  crocodile  en 
ahoyant  ou  hattant  l'eau ,  et  s'en  aller  prestement 
hoire  dans  un  autre  endroit  du  fleuve  (Humholdt). 
Les  mulets  qui  voyagent  aujourd'hui  dans  les  steppes 
du  Nouveau-Monde  savent  instinctivement  se  rafraî- 
chir en  dépouillant  de  ses  longues  épines,  et  coupant, 
à  l'aide  de  leurs  pieds  de  devant,  le  cactus  melocactus 
rempli  d'un  suc  abondant  et  frais  fidemj.  Leurs 
ancêtres  européens  ne  possédaient  certainement  pas 
cet  instinct  né  de  circonstances  toutes  locales.  N'est- 
ce  pas  ainsi  qu'a  pris  naissance ,  chez  les  rennes  et 
les  chevaux  sauvages ,  celui  d'écarter  la  neige  qui 
couvre  l'herbe  ou  la  mousse  ? 

En  adoptant  cette  manière  d'interpréter  les  faits  , 
on  ne  s'étonnera  plus  de  cette  grande  finesse  qu'ac- 
quiert l'instinct  chez  certains  animaux  ,  puisqu'il 
pourra  être  le  résultat ,  la  tradition  mentale ,  de 
nombreuses  expériences  accumulées  d'une  géné- 
ration à  l'autre  et  aidées  de  tous  les  secours  de 
l'instinct  animal ,  seul  capable  de  produire  tant 
d'ouvrages  d'une  excessive  délicatesse  en  raison  de 
la  ténuité,  de  l'heureuse  conformation  des  instru- 
ments dont  il  dispose.  De  là  vient  que  l'homme  ne 


500  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

peut  approcher  de  l'admirable  perfection  d'une  foule 
de  produits  dus  à  des  animaux  qui  le  lui  cèdent 
sous  tant  d'autres  rapports.  La  multiplicité  même 
des  opérations  intellectuelles  de  l'homme  rend,  pour 
lui ,  la  transmission  héréditaire  impossible  sinon 
d'une  manière  très- restreinte  et  très -conf lise  :  la 
limitation  d'une  industrie  en  facilite ,  au  contraire , 
singulièrement  le  passage  ,  des  parents  aux  descen- 
dants. On  conçoit  même  que  certaines  prévisions 
soient  ainsi  devenues  instinctives  :  objet  dominant  de 
l'attention  des  individus ,  en  rapport  avec  les  besoins 
etla  conformation  de  l'espèce,  certaines  observations, 
se  liant  à  certaines  pratiques,  ont  pu  se  perfectionner 
et  donner  leur  cachet  à  l'encéphale  de  manière  à 
devenir  transmissibles :  telle  serait,  en  particulier, 
l'observation  des  changements  météorologiques  et 
les  prévisions  qui  s'y  rattachent ,  relativement  à  la 
migration  des  oiseaux  de  passage. 

Les  instincts  encéphaliques  sont  d'ailleurs  sus- 
ceptibles de  perfectionnement  par  un  autre  mode  de 
tradition,  soit  des  pères  aux  enfants  par  l'éducation 
dans  chaque  famille ,  soit  des  vieux  individus  aux 
jeunes  dans  les  associations  grégeaires.  C'est  pour 
cela  que  les  espèces  dont  l'industrie  est  la  plus 
admirable  sont  celles  qui  vivent  en  république ,  les 
castors  ,  les  abeilles,  les  fourmis;  que  les  oiseaux  de 
passage  qui  voyagent  en  troupe ,  savent  se  disposer 
en  ligne  droite ,  en  chevron ,  en  cercle  pour  mieux 
rompre  le  vent  ou  résister  à  l'oiseau  de  proie  :  de  là 
encore  la  précaution  de  poser  des  sentinelles  pour 
veiller  à  la  sûreté  commune  (singes,  marmotte,  grue, 
flammant ,  etc.  ).  L'intelligence  proprement  dite  est 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  507 

ici  mise  en  commun  et  se  confond  avec  riustinct. 
C'est,  au  reste,  ce  qui  ne  saurait  manquer  d'arriver, 
même  pour  les  espèces  qui  vivent  individuellement 
isolées,  l'instinct  encéphalique  siégeant  dans  l'organe 
même  de  l'intelligence.  Beaucoup  d'actes  assurément 
raisonnes  se  remarquent  dans  la  conduite  habituelle 
ou  accidentelle  des  fourmis  ;   on  connaît  leurs  pro- 
visions de  graines  disposées  dans  de  larges  galeries 
superposées  par  étages  ;  là  le  grain  se  trouve  nu , 
la  balle  a  été  laissée  à  la  porte,  comme  inutile  et 
gênante  à  voiturer  dans  d'étroits  boyaux.  Deux  partis 
de  fourmis  se  disputaient ,  sous  mes  yeux ,  un  ver- 
misseau, et  le  tiraient  en  sens  contraire  ;  une  d'elles 
se  détacha,  saisit  par  derrière  une  de  ses  antago- 
nistes, et  ne  pouvant  lui  faire  lâcher  la  proie  en 
litige ,  la  ramena,  bon  gré  mal  gré  ,  dans  une  direc- 
tion opposée  à  celle  selon  laquelle  elle  tirait  d'abord, 
neutralisant  ainsi  tout  d'un  coup  sa  résistance.  J'ai 
suivi  la  manœuvre  d'un  couple  de  gymnopleurus  j 
sorte  de  bousier,  roulant  une  boule  de  fiente  pour 
aller  l'enterrer  au  loin  ;  le  mâle  dirigeait  les  évolu- 
tions, poussant  à  reculons  la  boule  avec  ses  longues 
pattes  postérieures ,  tandis  que  la  femelle ,  reculant 
aussi,  la  tirait  à  elle  avec  les  pattes  de  devant.  Le 
terrain  paraissant  favorable ,  le  mâle  s'y  enfonça , 
laissant  le  précieux  dépôt  à  la  garde  de  la  femelle 
qui  l'attendait  immobile  ;  bientôt  il  sortit,  la  femelle 
s'enfonça  un  instant ,  reparut  aussitôt ,  et  tous  deux 
recommencèrent  leur  voyage  :  une  pierre  assez  volu- 
mineuse se  trouvait  à  peu  de  distance  de  la  surface 
du  sol ,  et  les  avait  forcés  de  chercher  un  lieu  plus 
favorable  à  leur  dessein.  N'y  a-t-il  pas  là  mélange  des 


508  DES  SENSATIONS  CENTRALES 

trois  sortes  d'instinct  et  actes  d'intelligeoce ,  commu- 
nication même  de  pensées?  Illiger  rapporte  qu'un  de 
ces  coléoptères  ayant  laissé  tomber  sa  boule  dans  un 
trou,  alla  réclamer,  au  fumier  voisin,  l'aide  de  trois 
camarades  qui  l'aidèrent  à  la  relever.  Les  araignées 
ne  savent-elles  pas  disposer  diversement  leur  toile 
selon  les  localités  ?  Un  oiseau  n'accommode-t-il  pas 
la  fabrication  de  son  nid  aux  circonstances ,  tant  en 
ce  qui  concerne  les  matériaux  que  la  forme  ?  Des 
chenilles  qui ,  instinctivement,  bâtiraient  leur  cocon 
dans  des  feuilles,  le  fileront,  en  cas  de  nécessité  , 
entre  des  lambeaux  de  papiers.  J'ai  vu  faire  la  même 
chose  à  une  araignée  (  micrommate  )  qui  se  sert 
ordinairement  des  trois  folioles  de  la  ronce  cousues 
bord  à  bord ,  mais  qui ,  au  besoin ,  sait  aussi  rouler 
en  cornet  les  feuilles  de  verbascum  ou  de  rumex. 
Celle-ci  fait  plus  ;  le  cocon  dans  lequel  elle  est 
enfermée  avec  ses  œufs  ayant  été  détaché  du  buisson 
avec  les  feuilles  qui  l'entourent  ,  elle  sort  pendant 
la  nuit  de  cette  demeure  trop  peu  stable  ,  et  la  fixe, 
de  toutes  parts ,  au  moyen  de  cordages  attachés  à 
tous  les  objets  d'alentour.  La  clubione  nourrice  en 
fait  autant  :  l'une  et  l'autre  rentre  ensuite  dans  sa 
retraite  et  en  recoud  l'ouverture. 

Non-seulement  le  raisonnement  se  mélange  souvent 
à  l'instinct ,  mais  il  finit  par  le  remplacer  tout-à-fait 
et  remplacer  même  l'instinct  vital  chez  les  mammi- 
fères et  chez  l'homme  en  particulier  ;  jugeons- en 
seulement  par  la  diff*érence  des  manifestations  aux 
différents  âges.  De  ces  actes  instinctifs  de  préhension , 
de  succion  qui  constituaient  l'alimentation  de  l'enfant 
nouveau-né  ,  que  reste-t-il  à  l'adulte?  la  spontanéité 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  509 

de  la  déglutition  des  aliments  arrivés  dans  le  pharynx. 
De  ses  vagissements  continuels  et  spontanés ,  il  ne 
reste  que  quelques  cris  involontaires  dans  la  surprise 
et  la  douleur,  ou  les  sanglots  d'un  violent  chagrin  : 
ce  qui  seul  a  subsisté  en  entier,  c'est  la  toux ,  l'éter- 
nuement,  le  bâillement.  On  voit ,  de  même,  le 
piaulement  des  poulets ,  le  sifflement  des  pigeon- 
neaux, celui  du  canneton,  le  croassement  du  jeune 
rossignol,  le  miaulement  des  jeunes  chiens  ,  faire 
place  à  une  voix  toute  différente  et  plus  directement 
placée  sous  l'empire  de  l'intellect. 

De  ces  modifications,  de  ces  combinaisons  doivent 
souvent  résulter  des  incertitudes  dans  la  détermi- 
nation des  attributions  de  chaque  élément;  aussi 
a-t-on  fréquemment  rapporté  surtout  à  l'instinct 
encéphalique  des  phénomènes  tout  intellectuels ,  et 
l'on  a  eu  beau  jeu  pour  s'extasier  alors  sur  la  singu- 
larité des  faits.  Ainsi,  quand  on  a  paru  surpris  que 
le  cheval  et  le  chien  d'Europe  éprouvassent  un  trem- 
blement qui  leur  ôtait  toute  force ,  tout  moyen  de 
fuir ,  montrant  d'ailleurs  tous  les  autres  symptômes 
d'une  vive  frayeur ,  lorsqu'ils  entendaient  pour  la 
première  fois  le  rugissement  du  lion,  on  a  oublié 
que  ce  cri  terrible  produit  le  même  effet  sur  l'homme 
comme  tout  bruit  retentissant ,  surtout  dans  le  silence 
des  bois  et  les  ténèbres  de  la  nuit;  le  tonnerre  ne 
produit  il  pas  de  pareilles  impressions  sur  une  foule 
d'animaux  domestiques  ? 

Il  y  a  tel  cas  ,  au  contraire ,  où  l'on  pourrait 
croire  à  des  actes  d'intelligence  comparable  à  celle 
de  l'homme ,  là  où  il  n'y  a  pourtant  qu'une  aveugle 
déviation  de  l'instinct  ;  ainsi ,  on  a  accusé  de  malice 


510  DKS  SENSATIONS  CENTRALES 

et  de  vols  prémédités  certains  oiseaux ,  les  corbeaux , 
les  pies,  qui  ayant,  comme  beaucoup  d'autres  ani- 
maux (cbien ,  loup ,  couguar ,  renard  ) ,  Tinstinct  de 
cacher  les  restes  de  leur  nourriture ,  en  font  autant 
de  tous  les  objets  qui  piquent  leur  curiosité  dans 
l'état  domestique.  En  effet,  il  n'est  pas  toujours  bien 
difficile  de  donner  le  change  à  l'instinct ,  malgré  ce 
qu'on  a  dit  de  la  perspicacité  ,   de  l'espèce  de  divi- 
nation qui  l'accompagne  ;  et  remarquez  que  cela  est 
vrai  surtout  de  l'instinct  vital ,  le  plus  mystérieux  de 
tous ,  celui  qui  donnerait  à  supposer  plus  aisément 
des  sympathies  occultes   et  comme  surnaturelles. 
L'agneau ,  l'enfant  nouveau-né  sucent  le  doigt  porté 
dans   leur  bouche  :  un  œuf  de  craie  suffit  pour 
décider  une  poule  à  pondre  et  à  couver.  J'ai  trompé 
non  moins   lourdement  une  de   ces  araignées  qui 
portent  leurs  œufs  avec  elles  dans  une  coque  de  soie; 
une  boule  de  coton,  substituée  à  celle-ci,   devint 
l'objet  de  ses  soins  affectueux:  une  chenille,  dont 
le  corps  vient  d'être  déchiré  par  des  larves  d'ichneu- 
mon ,  s'éprend  pour  elles  d'une  affection  toute  mater- 
nelle ,    et  vient  tendrement  revêtir  de  ses  fils  les 
cocons  dans  lesquels  se  sont  abrités  les  parasites,  et 
près  desquels  elle  meurt  épuisée. 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'à  présent  de 
l'instinct  cérébral ,  pouvait  seul  nous  donner  la  clef 
de  ce  qui  se  passe  dans  certains  cas  de  déterminations 
non  moins  aveugles  mais  bien  plus  complexes ,  dans 
certains  actes  d'industrie  merveilleuse  où  l'éduca- 
tion ,  l'expérience  même  des  ascendants  ne  peut  plus 
être  invoquée.  Quand  nous  voyons,  par  exemple, 
chaque  individu  dans  les  espèces  du  genre  sphex, 


ÉTUDIÉES    EN    ELLES-MEMES.  511 

de  l'abeille  percebois ,  de  la  maçonae ,  de  la  cou- 
peuse  de  feuilles ,  né  d'une  larve  qui  n'a  jamais  vu 
manœuvrer  sa  mère  ,  trouver  néanmoins  ,  à  son 
tour,  les  matériaux  nécessaires  à  ses  constructions , 
creuser,  fabriquer  une  habitation  à  sa  géniture  à 
venir,  y  colloquer,  avec  chaque  œuf,  la  nourriture 
nécessaire  au  développement  complet  de  la  larve  et 
sans  varier  jamais  dans  le  choix  des  victimes  qu'il 
lui  dévoue  (pour  les  sphex);  quand  on  songe  à  la 
prévision  du  papillon,  qui  va  déposer  ses  œufs  sur  le 
végétal  propre  à  nourrir  sa  chenille  et  dont  lui- 
même  ne  fait  plus  aucun  cas  ;  quand  on  examine 
ces  coques  ingénieuses ,  ces  étuis  ou  fourreaux  dont 
Réaumur  s'est  complu  à  nous  décrire  les  construc- 
tions diverses,  et  dont  quelques-unes  surtout  offrent 
une  issue  facile  ,  ménagée  à  l'avance ,  au  papillon  , 
ou  au  névroptère  (frigane)  qui  doit  en  sortir,  tandis 
qu'elles  s'opposent  à  l'introduction  de  tout  hôte 
dangereux  ;  on  peut  bien ,  sans  doute ,  rapporter 
une  partie  de  ces  faits  à  l'instinct  vital  comme  le 
besoin  de  pondre,  une  partie  à  l'instinct  animal 
comme  l'aptitude  à  couper ,  à  percer ,  à  filer  ;  mais, 
pour  Vesprtt  qui  a  présidé  à  ces  ouvrages ,  il  faut 
supposer  quelque  chose  de  plus;  c'est  une  aptitude 
encéphalique  bien  certainement  innée  ,  et  qui  plus 
est ,  primordiale  ,  en  ce  sens  qu'elle  n'a  pu  com- 
mencer qu'avec  l'espèce,  et  remonte  en  conséquence 
jusqu'à  sa  création. 

C'est  là  ce  que  Cuvier  concevait  obscurément 
comme  un  patron  intellectuel ,  une  sorte  de  fantôme 
perpétuellement  présent  à  l'imagination  de  ces  ani- 
maux; ce  n'est,  en  réalité,  qu'une  disposition  orga- 


512  DES    SENSATIONS    CENTRALES,     ETC. 

nique  particulière  de  Tencépliale.  Mais  cette  explica- 
tion n'en  rend  pas  le  fait  moins  admirable  et  moins 
concluant  en  faveur  de  l'existence  d'une  intelligence 
créatrice.  N'est-ce  pas,  en  effet,  une  des  preuves 
les  plus  frappantes  de  la  sagesse  qui  a  tout  dispensé 
dans  l'univers ,  que  de  voir  des  espèces  trop  faibles 
et  trop  peu  raisonnables  pour  se  conserver  par  elles- 
mêmes,  être  préservées  d'une  destruction  inévitable 
par  le  don  de  quelques  prérogatives  toutes  spéciales, 
toutes  restreintes  au  seul  but  de  leur  conservation, 
et  portant  néanmoins  le  cachet  d'une  méditation 
profonde,  d'une  appréciation  lumineuse  des  effets 
et  des  causes.  Cette  réflexion  importante  ne  saurait, 
je  l'espère,  paraître  ici  déplacée;  je  l'ai  puisée  dans 
une  conversation  des  plus  instructives  avec  l'un  des 
premiers  savants  de  notre  époque  ,  un  de  nos  aca- 
démiciens les  plus  laborieux  et  les  plus  éclairés, 
W.  F.  Edwards. 


FIN  DU  TOMK  PREMIER. 


EXPLICATION  DES  FIGURES 


DU    TOME    PREMIER. 


PLANCHE    I^e.   _  GÉNÉRALITÉS. 

1.  Squelette  d'un  mammifère  {^plioca  vitulina)  ^  vu  de 
profil  :  c  céphale  ou  tête  ;  d  dère  ou  cou  ;  m  i  myothorax  ; 
s  t  splanchnolhorax  ;  s  g  splanchnogastre;  m  g  myogastre  ; 
q  cerque  ou  queue. 

2.  Un  crustacé  (peneus  i>iUosus ,  Guérin);  c  t  céphalo- 
thorax; g  gastre;  d  3^  pied- mâchoire  et  espace  où  sont 
cachés  les  deux  premiers.  Ces  lettres  et  les  autres  ont  la 
même  signification  que  dans  la  figure  précédente. 

5.  Coupe  horizontale  du  thorax  de  l'homme  :  v  vertèbre  ; 
s  sternum  ;  c  cœur  ;  d  tube  digestif;  r  organes  respiratoires , 
poumons;  c' côtes;  o  coupe  des  omoplates. 

4.  Coupe  du  thorax  de  l'écrevisse  {d'ap.  nat.)  :  v  ver- 
tèbre ;  c  cœur  ;  s  sternum  Ou  carapace  ;  d  tube  digestif; 
r  organes  respiratoires ,  branchies  ;  c'  côtes  ;  o  ouvertures 
pour  l'insertion  des  pattes. 

^.  Centres  nerveux  d'une  astérie. 

6.  Centres  nerveux  d'un  limaçon. 

7.  Une  partie  des  centres  nerveux  d'un  crustacé  à  qua- 
torze pattes  (  lalilre). 

33 


514  EXPLICATION  DES  FIGURES 

8.  Centres  nerveux  d'un  cruslacé  à  dix  patles  (palémon). 

9,  Centres  nerveux  d'un  poisson  (cyprin). 


PLANCHE  II.  —  TOUCHER,  goût,  odorat. 

10.  Coupe  d'une  portion  de  peau  humaine  à  un  gros=- 
sisseKient  considérable,  d'après  lirescbet  :  a  chorion;  b 
papilles;  c  nerfs  qui  s'y  rendent;  d  épiderme. 

11.  Coupe  d'une  papille  cutanée  de  baleine  très-grossie , 
pour  faire  voir  la  terminaison  présumée  en  anse  de  ses 
filets  nerveux. 

12.  Langue  tactile  d'une  couleuvre  tirée  hors  de  la 
bouche  {nat.^  :  a  bord  libre  de  la  mâchoire  inférieure;  b  os 
sous-maxillaire  ;  c  larynx  et  glotte  situés  derrière  l'ouver- 
ture de  la  gaine  linguale, 

15.  Langue  de  lézard  ocellé  vue  en-dessous  {nat,)  : 
a  pointes  tactiles  ;  b  papilles  lamelleuses  ;  c  partie  adhé- 
rente ;  d  trachée-artère. 

14.  Extrémité  de  la  langue  du  caméléon  {nat.)  :  a  lan- 
guette libre  ,  tactile  et  préhensile  ;  b  partie  papillée  et 
gustative  ,  adhérente. 

15.  Langue  du  coq  vue  en-dessous  (wa/.)  :  a  plaque  épi- 
dermique  et  tactile  ;  b  papilles  en  forme  de  dents;  c  partie 
adhérente. 

16.  Langue  du  merle  vue  en-dessus  (tzûi^.):  a  partie  épider- 
mique  et  tactile  ;  b  partie  papillée  ,  crypteuse ,  gustative  ; 
c  glotte  bordée  de  papilles  en  forme  de  dents. 

17.  Langue  charnue,  lisse,  d'un  perroquet  amazone, 
tactile ,  préhensile  ?  vue  en-dessus  {nat.\ 

18.  Langue  du  canard  vue  en-dessus,  demi-grandeur 


DU  TOME  PREMIER.  515 

naturelle  {nai.)  :  a  bout  épidermîque  et  tactile  ;  l>  partie 
revêtue  de  soies  ou  papilles  sétiformes  transversales  ; 
c  partie  crypteuse  bordée  de  sept  dents  cornées  et  de 
soies  roides  ;  J  partie  charnue,  gustative  ;  e  papilles  en 
fornne  de  dents;  y  larynx. 

19.  Coupe  de  différentes  papilles  de  la  langue  humaine 
très-grossies  {nai.)  :  a  a  papilles  coniques  et  cylindriques  ; 
h  papilles  fongueuses  ;  c  papilles  à  calice. 

20.  Paroi  externe  des  fosses  nasales  de  l'homme  ,  demi- 
grandeur  naturelle  :  a  cornet  inférieur;  l  cornet  moyen  ; 
c  cornet  supérieur  ;   J  sinus  frontal  ;  e  sinus  sphénoïdal  ; 

/  canal  incisif  ou  naso-palalin  ;  g  orifice  de  la  trompe 
d'Eustache;  h  nerf  olfactif  dont  les  rameaux  traversent  la 
Jame  criblée  ;  i  ganglion  de  Meckel  provenant  de  la  cin- 
quième paire  ;  j  rameau  nasal  venant  de  la  cinquième 
paire  ;  k  rameau  naso-palatin  venant  du  ganglion  de  Meckel 
le  long  de  la  cloison  ici  enlevée. 

21.  Le  fond  de  la  narine  d'une  carpe  mis  à  découvert, 

22.  Narine  pédiculée  de  la  baudroie. 

25.  Les  deux  premiers  articles  de  l'antenne  intermédiaire 
de  l'écrevisse ,  très-grossis  (««/.)  ;  a  cavité  olfactive  natu- 
rellement ouverte  à  la  face  supérieure  du  premier  article, 

24.  Même  antenne  vue  par-dessous  {nat^  :  a  l'organe 
olfactif  mis  à  découvert  par  l'ablation  d'une  partie  des 
téguments  crustacés  ;  b  h  deuxième  et  troisième  articles 
basilaires  ;  ce  partie  tentaculaire  ou  tactile  ;  dd  parties 
membraneuses, 

25.  Une  des  soies  composées  qui  grillent  l'ouverture  de 
l'organe  olfactif  (jiat.), 

26.  Antenne  de  la  mouche  bleue  très-grossie  {nat.)  i 
a  partie  olfactive  ;  b  partie  tactile. 

27.  Bout  (le  l'antenne  de  Fatropos  («a/.)  :  «houppes  ou 


516  EXPLICATION  DES  FIGURES 

coquilles  de  poils  vues  de  face  ;  a   les  mêmes  de  profil  sur 
l'autre  face;  h  partie  tactile. 

28.  Portion  de  l'antenne  du  saiurnia  pavonia  mâle ,  très- 
grossie  {naL), 

29.  Antenne  du  hanneton  foulon  mâle,  grandeur  natu- 
relle {naQ* 

50.  Une  partie  d'un  des  feuillets  très-grossie  {nai.). 

51.  Le  bout  de  Vanlenne  au  ceraml/yj[}  héros,  triplé,  pour 
en  faire  voir  le  velouté  {nat,). 


PLANCHE  IIL  —  OUÏE. 

52.  Appareil  auditif  de  l'homme  vu  par-devant  :  «  pa- 
villon; 6  conque  ;  c  conduit;  d  d  circonscription  ponctuée 
de  la  caisse  du  tympan  ;  d'  situation  de  l'ouverture  des 
cellules  mastoïdiennes  ;  e  trompe  d'Eustache  ;  /"cadre  et 
membrane  du  tympan  ;  g  chaîne  des  osselets  ,  l'enclume  en 
partie  cachée  par  le  marteau  ;  h  partie  vestibulaire  du 
Jabyrinlhe  hij,  dont  i'étrier  ferme  l'ouverture  ou  fenêtre 
ovale  ;  î  canaux  demi-circulaires  ;  j  limaçon. 

55.  Parties  membraneuses  du  labyrinthe  de  l'homme 
très-grossies  :  a  canaux  ;  b  ampoule  antérieure;  ^'ampoule 
externe  ;  c  ampoule  postérieure  ;  d  sinus  médian  ;  e  sac 
vestibulaire,  représentant  selon  Breschet  le  sac  principal 
des  poissons  ,  analogue  selon  nous  à  leur  utricule;yiame 
cartilagineuse  ou  bandelette  molle  de  la  cloison  du  limaçon. 

54.  Labyrinthe  osseux  du  chat:  a  canaux;  h  limaçon; 
c  fenêtre  ronde  ou  cochléenne  ;  d  fenêtre  ovale  ou  vesti- 
bulaire. 


DU  TOME  PREMIER,  51  7 

55.  Labyrinthe  du  lièvre  :  a  canaux  ;  h  limaçon  ;  c  petite 
caverne  qui  conduit  à  la  fenêtre  ronde;  J fenêtre  ovale. 

56.  Osselets  et  muscle  de  la  poule,  figure  grossie  d'après 
Scarpa  :  a  élrier  ;  h  ligament;  c  enclume  cartilagineuse  avec 
ses  apophyses  étendues  dans  la  membrane  du  tympan  ;  d 
muscle. 

57.  Labyrinthe  de  l'oie  {nai^  :  a  cariaux  ;  h  limaçon  ; 
c  fenêlre  cochléenne  ;  d  fenêlre  vestibulaire. 

58.  Parties  intérieures  du  limaçon  des  oiseaux:  a  ellipse 
cartilagineuse;  h  élargissement  répondant  à  un  renflement 
du  sac  ;  c  nerf, 

59.  Limaçon  du  lézard  vert ,  d'après  W^indischmann  : 
a  cercle  cartilagineux;  h  ampoule;  c  nerf. 

40.  Osselels  de  la  grenouille  verte  très-grossis  {nat^  : 
a  opercule  ou  ad-stapéal;  h  étrier;  c  enclume. 

41.  L'enclume  vue  de  face  ,  entourée  de  la  membrane 
du  tympan  {nat^. 

43.  Plaque  du  limaçon  rudimentaire  des  batraciens  (/?âfif.). 

45.  Labyrinthe  de  la  baudroie  ,  d'après  Breschet  : 
a  canaux  ;  h  ampoule  antérieure  ;  ^'  ampoule  externe  ; 
c  ampoule  postérieure  ;  d  sinus  médian;  e  sac  ;  é  otolilhe 
ou  pierre  du  sac  ;  y  cysticule  contenant  une  petite  pierre  ; 
g  utricule  avec  sa  pierre.  Le  sac  et  son  cysticule  nous 
paraissent  l'analogue  du  limaçon  des  mammifères. 

44.  Ololithe  du  sac  du  merlus ,  grandeur  naturelle  {nai\). 

43.  Antenne  externe  d'une  écrevisse,  vue  en-dessous, 
très-grossie  {nat\)  :  a  commencement  de  la  partie  tactile  ; 
h  partie  auditive ,  portant  le  vestibule  avec  sa  fenêlre 
membraneuse. 

46.  Organe  auditif  d'une  langouste  très-grossi  («a/.)  : 
a  membrane  vestibulaire  :  h  la  fente  ou  boutonnière  que 
suit  un  petit  cul-de-sac. 


518  EXPLICATION    DES  FIGURES 

47.  Cavilé  auditive  de  la  seiche  ;  coupe  :  a  le  nerf. 

48.  Goncrélion  calcaire  contenue  dans  le  sac  de  cette 
oreille. 


PLxVNCHE  IV.  —  VUE. 

49.  Rayonnement  d'un  corps  lumineux: 

A  Surface  polie  et  transparente,  plane,  réfléchissant 
et  réfractant  les  rayons  en  quantité  proportionnelle  à  leur 
obliquité  ;  A'  portion  réservée  pour  l'observation  d'un 
seul  faisceau  a,  dont  une  partie  h  est  réfractée,  et  l'autre 
partie  c  réfléchie  ;  d  perpendiculaire  servant  à  mesurer 
les  angles  de  réfraction,  de  réflexion  et  d'incidence. 

B  Coupe  d'une  lentille  transparente  réunissant  en  foyer 
e  les  faisceaux  parallèles  y,  et  en  un  autre  foyer  g  les 
rayons  divergents  /?, 

C  Surface  opaque  et  dépolie,  montrant  comment  ses 
aspérités  réfléchissent  en  tous  sens  les  rayons  d'émission  ; 
toujours  pourtant  sous  des  angles  égaux  à  ceux  d'incidence. 

D  Coupe  d'un  prisme  décomposant  un  faisceau  lumi- 
neux en  sept  rayons  colorés:  /  rayon  rouge  ;  j  rayon  violet. 

50.  Mécanisme  général  de  la  vision  chez  l'homme  :  celte 
figure  est  parlante. 

^1.  Muscles  de  l'œil  chez  l'homme,  figure  réduite  à 
moitié:  a  sourcil;  b  paupière  supérieure;  c  paupière  infé- 
rieure; d  cils;  e  pli  de  la  conjonctive;  /"cornée  ,  à  travers 
laquelle  on  voit  l'iris;  g  globe  de  l'œil  portant  une  portion 
du  muscle  droit  externe  coupé;  h  nerf  optiquej<avec  l'autre 
exlrémilé  du  même  muscle  ;  au-dessus  est  le  muscle  droit 
interne  ;  i  droit  inférieur;/  trois  muscles  qui  sont,  de  bas 


DU  TOME  PREMIER,  519 

en  haut,  le  droit  supérieur,  le  releveur  de  la  paupière, 
l'oblique  inlerne  ou  supérieur  ;  k  l'oblique  externe  ou 
inférieur, 

52.  Le  globe  de  l'œil  vu  de  face  avec  ses  deux  muscles 
obliques,  dont  deux  flèches  indiquent  le  mouvement  rota- 
teur,—  Pour  l'oblique  supérieur  on  n'a  figuré  que  la  portion 
ultérieure  à  sa  poulie  de  renvoi. 

55,  Coupe  horizontale  de  l'œil  humain,  grandeur  natu- 
relle; toutes  les  parties  en  situation  naturelle  et  avec  leurs 
dimensions  et  courbures  normales  {nai.).  —  Trois  lignes 
ponctuées  montrent  que  la  profondeur  diminue  graduelle- 
ment du  centre  à  la  circonférence.  Ces  lignes  traversent 
successivement  la  cornée  ,  la  chambre  antérieure  ,  la 
pupille ,  le  petit  espace  de  la  chambre  postérieure  ,  le 
cristallin  ,  le  vitré,  et  tombent  sur  la  rétine  qui  touche  à  la 
choroïde,  comme  celle-ci  à  la  sclérotique. 

54,  Profil  très-réduit  d'un  œil  de  ruminant  («a/.),  pour 
faire  voir  la  courbe  de  la  cornée ,  et  les  trois  axes  distincts  : 
aaxe  apparent  ou  géométrique  ;  //  axe  optique  ou  physique  ; 
c  axe  visuel  ou  sensilif. 

55.  Coupe  d'un  œil  d'oiseau  Çnaf.)  :  a  le  peigne  ;  ù  écailles 
osseuses  delà  sclérotique. — Deux  lignes  ponctuées  montrent 
l'égalité  de  profondeur  en  tous  sens  ,  à  peu  de  chose  près, 

56.  Il  en  est  de  même  ici  de  l'œil  de  poisson  {hai.).  Un 
corps  charnu,  épais,  sépare  la  sclérotique  de  la  choroïde. 

57,  Portion  grossie  d'une  coupe  des  membranes  de  l'œil 
du  bœuf  (/2û/.)  :  a  conjonctive;  If  sclérotique;  c  cornée; 
d  préaqueuse  ;  e  corps  ou  cercle  ciliaire  ;  f  choroïde  ; 
g' ruyschienne;  h  procès  ciliaires  ;  i  un  des  plis  de  l'uvée  ; 

y  feuillet  iitérieur  de  l'iris  ;  k  espace  à  coupe  triangulaire 
se  continuant  entre  les  deux  lames  de  l'iris  et  contenant 
aussi  >h'-tJl}>i-^'!£5  contractiles. 


520  EXPLICATION  DES  FIGURES 

o3.  Fibrilles  radiées  et  circulaires  de  l'iris. 
o9.  Fibrilles  Irès-grossies  de  l'iris  et  du  cristallin. 

60.  Représenlaliondu  mécanisme  de  la  chambre  obscure 
qui  ne  saurait  produire  que  des  images  renversées  ;  pour 
donner  une  idée  des  usages  de  l'iris, 

61.  a  Lentille  avec  un  diaphragme  h  qui  intercepte  les 
rayons  externes ,  et  permet  aux  autres  d'opérer  leur  réunion 
au  foyer  principal//)  ;  en  c  est  figuré ,  par  un  trait  ponctué , 
un  corps  opaque  qui,  masquant  la  région  centrale  delà 
lentille  ,  ne  laisserait  passer  que  les  rayons  externes,  dont 
le  foyer  est  en/:  sans  l'un  ou  sans  l'autre  de  ces  deux  obsta- 
cles, il  y  aurait  aberration  de  sphéricité. 

62.  Figure  du  cristallin  de  l'homme,  dimensions  doubles; 
pour  faire  voir  l'arrangement  de  ses  fibrilles. 

65.  Courbe  idéale,  représentant  celle  de  la  cornée,  pour 
montrer  qu'un  faisceau  a  rapproché  de  la  perpendiculaire 
p  traverse  la  pupille  ;  tandis  que,  si  la  courbure  était  sphé- 
rique  comme  celle  du  trait  intérieur,  le  même  faisceau  a' 
tomberait  sur  l'iris. 

64.  Lentille  recevant  un  pinceau  oblique  ;  réfraction 
inégale  ,  aberration  de  sphéricité. 

65.  Cristallin  de  l'homme  montrant  comment  l'obliquité 
d'un  pinceau  lumineux  n'entraîne  pas,  pour  lui,  aberra- 
tion ;  à  cause  de  l'ellipticité  de  ses  courbures. 

66.  Comment  l'iris  prévient  l'aberration  par  divergences 
inégales. 

67.  Comment  la  courbe  de  la  cornée  corrige,  à  cet 
égard,  les  effets  de  celle  du  cristallin. 

68.  Figure  idéale  d'une  coupe  du  cristallin  ,  pour  en 
montrer  les  couches  de  plus  en  plus  courbes  —  pour  la 
théorie  de  Pouillet. 


DU  TOME  PREMIER.  52  l 


PLANCHE  V.  -—  SUITE  de  la  vue. 

69.  L'œil  de  la  taupe  uq  peu  grossi,  les  poUs  écarlés  à 
son  pourtour  (^nui.). 

70.  Le  globe  vu  de  profil ,  très-grossi  (nat.), 

71.  Le  même  vu  par-devapt,  montrant  l'iris  et  la  pu- 
pille {nat^, 

72.  Partie  antérieure  de  la  base  du  crâne  d'une  taupe  , 
grossie  au  double  (jiat.)  :  a  fosses  elhmoïdales  ;  b  sphénoïde 
antérieur  ;  c  c  trous  optiques  un  peu  plus  que  doublés  en 
grandeur. 

73.  Origine  des  nerfs  optiques  chez  l'écureuil ,  vue  par 
la  face  supérieure  de  la  moelle  allongée  {nut^  :  a  couches 
optiques  ;  d  commissure  de  la  glande  pinéale  ;  c  gros 
faisceaux  naissant  des  tubercules  quadrijumeaux  antérieurs 
(lobes  optiques),  et  se  contournant  sur  les  couches 
optiques  ;  d  d  commencement  du  nerf  proprement  dit  ; 
ee  tubercules  postérieurs  avec  le  faisceau  qui  en  part  et 
qui  offre  un  deuxième  renflement. 

74.  Origine  et  décussalion  dans  la  morue  ;  encéphale 
vu  en-dessous  :  a  lobe  cérébral  ;  h  lobe  optique  ou  tuber- 
cule quadrijumeau  antérieur  et  supérieur  j  c  tubercule 
quadrijumeau  inférieur  et  postérieur  ;  d  nerfs  croisés  ;  e 
corps  piluitaire  ;  /moelle  épinière. 

73.  Décussalion  fasciculaire  du  nerf  optique  chez 
l'homme:  a  commissure  ou  arcade  ;  h  portion  croisée;  c 
portion  directe. 

76,  Décussation  dans  une  couleuvre  {nai.), 

77.  Rétine  de  l'homnie,  enveloppant  le  corps  vitré  (««/.): 
a  fibres  concentriques  formant  le  p!i  qui  va  à  la  lâche  jaune  ; 


522  EXPLICATION   DF.S  FIGURES 

a  point  central  de  celle  tache;  h  couronne  des  languettes 
rélinales  qui  vont  au  cristallin  ,  et  dont  les  intervalles 
laissent  couler  Thunicur  aqueuse.  Ces  objets  ont  été  un 
peu  forces  dans  la  figure  pour  les  rendre  plus  visibles. 

78.  Coupe  de  la  rétine  pour  en  montrer  les  épaisseurs. 

79.  Coupe  de  l'œil  du  calmar  commun  {nai.):  a  portion 
de  la  sclérotique  qui  double  la  choroïde  pour  former  l'iris  ; 
«'sclérotique  isolée  ;  h  choroïde  formant  Firis  et  l'enveloppe 
immédiate  du  globe  ;  c  ruyschienne  formant  les  procès 
ciliaires  appliqués  sur  le  cristallin  ;  d  les  procès  de  la  mem- 
brane vitrée  ;  e  cette  membrane  enveloppant  le  corps  vitré 
liquide;  entre  elle  et  la  ri^yschienne  est  la  rétine,  c'est-à- 
dire  la  troisième  des  membranes  superposées  au  fond  de 
l'œil,  toutes  nécessairement  plus  épaisses  ici  que  dans  la 
nature  ;  y^ portion  postérieure  du  cristallin,  séparée  de  la 
portion  antérieure^ par  une  production  des  procès  ciliai- 
res ;  //  ganglion  du  nerf  optique  émettant  des  filets  croisés  ; 
/  le  nerf  comme  greffé  sur  ce  ganglion  ;  j  corps  graisseux 
flottant. 

80.  Coupe  d'une  portion  des  parois  du  globe  de  cet  œil , 
Irès-grossie  :  a  membrane  du  vilré  ;  h  rétine  composée  de 
filaments  verticaux  ;  c  ruyschienne  pénétrée  par  les  houppes 
nerveuses  qui  font  corps  avec  elle  ;  d  choroïde  traversée 
par  les  filets  non  décomposés. 

81.  Extrémité  du  tentacule  supérieur  d'un  limaçon  :  a 
partie  tactile  ;  «'  nerf  commun  ;  1/  le  globe  de  l'œil  avec  son 
nerf  optique.  (D'après  Millier.) 

82.  Les  yeux  de  la  mygale  maçonne  grossis ,  pour  faire 
voir  leurs  différences  de  direction  {naf,). 

85.  Un  stemmate  de  cigale  très-grossi  («a/.)  :  a  coupe 
de  la  cornée  qui  fait  suite  aux  téguments  et  couvre  le  cris- 
tallin ;  b  corps  vilré  entourant  le  cristallin  et  entouré  lui- 


DU   TOME  PREMIER.  523 

même  (l'une  couche  de  pigment;  c  les  nerfs  des  trois  ocelles 
réunis  dans  une  nie  me  gaine. 

84.  Coupe  d'un  œi!  composé  de  langouste,  grandeur  natu- 
relle («a/.):  «cornée  faisant  suite  aux  téguments  crustacés  «'; 
la  zone  b  est  formée  de  corps  vitrés  suivis  de  filets  nerveux 
constituant  une  rétine  décomposée  ,  analogue  à  celle  des 
céphalopodes;  c  zone  formée  par  un  ganglion  semblable  à 
celui  de  ces  mollusques;  c?  renflement  du  nerf  optique  greffé 
sur  ce  ganglion. 

8^.  Un  corps  vitré  avec  son  filet  nerveux ,  d'après  un 
coléoptère. 

80.  Portion  de  la  cornée  d'un  œil  composé,  revêtue 
encore  du  pigment  choroïdien,  qui  offre  un  trou  au  centre 
de  chaque  facette  ou  cornéule  (/?«/.). 

87.  D'après  la  chenille  (zzo/.)  :  a  cerveau  ;  h  stemmates 
au  nombre  de  sept  recevant  chacun  un  nerf;  c  collier 
œsophagien  ;  J premier  ganglion  sous-œsophagien. 

88.  Mêmes  parties  d'après  lachrysalide(7ïa^):fl  cerveau; 
h  tubercules  formés  par  la  rétraction  des  nerfs  et  ocelles 
de  la  chenille  ,  qui  déjà  se  sont  multipliés  davantage  ;  d 
ganglion  formé  par  la  réunion  des  deux  premiers  sous-œso- 
phagiens de  la  chenille. 

89.  Mêmes  parties  chez  le  papillon  avec  les  deux  yeux 
composes,  arrivés  à  leur  étal  parfait  (jiat.^. 

90.  Portion  Irès-grossiede  l'œil  composé  d'une  libellule, 
pour  montrer  le  mécanisme  de  la  vision  :  a  cornée  ;  ^  zone 
de  pigment  perforée;  c  zones  des  corps  vitrés;  c?  zone  des 
filets  nerveux;  e  ganglion  coiffant  le  nerf  optique  \fffh\s- 
ceaux  qui  peuvent  pénétrer  jusqu'au  fond  de  chaque  ocelle , 
pour  constituer  une  image  directe  sur  l'ensemble  des  fila- 
ments émanés  du  ganglion  optique;  g  g  faisceaux  perdus  à 
cause  de  leur  obliquité. 


624  EXPLICATION    DES  FIGURES 

91.  Coupe  d'une  cornéule  a  et  d'un  vitré  b\  pour  faire 
voir  coniinenl  un  pinceau  d,  réfracté  et  rendu  trop  con- 
vergent par  la  première,  diminue  sa  convergence  dans  le 
deuxième,  de  manière  à  porter  son  sommet  sur  l'insertion 
du  filet  nerveux  c. 


■-Tî€<ni 


PLANCHE    VI.    SENSATIONS  CENTRALES. 

92.  Un  des  ganglions  de  la  chaîne  nerveuse  d'une  che- 
nille, très-grossi  (jiat.')  :  on  y  distingue  les  deux  noyaux 
pulpeux,  jaunâtres,  confondus  en  un  seul  et  entourés  de 
substance  fibreuse ,  blanche  ,  comme  celle  des  cordons  et 
des  nerfs. 

95.  Mante  religieuse  dans  le  corps  de  laquelle  un  trait 
ponctué  figure  le  système  nerveux:  a  ganglion  du  protodère 
ou  prolhorax;  b  celui  du  deulodère  ou  mésothorax;  c  le 
sus  et  le  sous-œsophagien  de  la  tête. 

94.  Quatrième,  cinquième  et  sixième  ganglions  de  la 
chenille  {nat,\ 

9o.  Ces  trois  ganglions  soudés  dans  le  papillon  {naf.)  ; 
d'après  le  grand  paon  de  nuit. 

96.  Tête  osseuse  d'écureuil  ,réduiteàmoilié(72«/.):  i  ver- 
tèbre nasale  ou  elhmoïdale  ;  2.  vertèbre  oculaire  ou  prolo- 
sphénale  ;  3  auditive  ou  deulo-sphénale  ;  4  gustative  ou 
occipitale,  La  ligne  A  B  donne  une  idée  de  l'acuité  de 
l'angle  facial. 

97.  Encéphale  de  l'anguille  :  a  moelle  épinière;  b  cer- 
velet ;  c  lobes  optiques  ;  d  lobes  cérébraux  ;  e  lobes  olfactifs 
étranglés. 

98.  Encéphale  du  lézard  ocellé  ,  un  peu  plus  grand  que 
nature  (««/.)  ;  même  valeur  des  lettres, 


DU  TOME   PREMIER.  525 

99.  Encéphale  du  pigeon  ;  mêmes  désignations. 

100.  Encéphale  de  la  taupe ,  plus  que  doublé  :  a  moelle  : 
b  lobe  médian  du  cervelet  ou  vermîs  ;  c  lobes  ou  hémi- 
sphères latéraux  ;  d  lobes  cérébraux  ;  e  lobes  ou  nerfs 
olfactifs. 

101.  Coupe  du  crâne  et  de  la  face  d'une  tête  humaine 
contenant  encore  le  cerveau,  le  cervelet  et  le  commence- 
ment de  la  moelle  épinière  :  A  B ,  CD  angle  facial  ;  E  E , 
F  F  aire  de  la  face  agrandie  un  peu  par  un  léger  abaisse- 
ment de  la  mâchoire  inférieure;  E  E  ,  G  G  aire  du  crâne. 

102.  Fragment  très-grossi  de  la  chaîne  ganglionnaire 
du  lombric  presque  transformée  en  moelle  épinière  {nai.'). 

103.  Portion  de  la  moelle  épinière  d'un  lézard  ,  très- 
grossie  (nat.)  ^  vue  en-dessus  :  c  faisceaux  ou  cordons  sur- 
spinaux ;  s  racines  sur-spinales;  /  racines  sous-spinales; 
n  cordon  ou  nerf  spinal. 

104.  Coupe  transversale  de  la  même;  mêmes  désigna- 
lions. 

103.  Coupe  de  la  moelle  d'une  grenouille  verte  {nat.)  : 
au  milieu  est  la  substance  grise. 

106.  Coupe  de  la  moelle  de  l'homme  :  /sillon  antérieur; 
s  sillon  postérieur;  a  racines  antérieures;  p  racines  posté- 
rieures ;  g  ganglion  de  ces  dernières. 

107.  Ventricule  lombaire ,  dit  rhomboïdal ,  des  oiseaux. 

108.  Figure  idéale  ,  donnant  une  idée  de  la  marche  des 
principaux  faisceaux  fibreux  dans  l'encéphale  des  mammi- 
fères :  a  faisceau  sous-spinal  ;  b  le  même  après  la  décussa- 
tion  ijîg'  log);  c  le  même  s'élargissant  après  avoir  traversé 
la  protubérance  annulaire ,  et  arrivant  jusque  dans  le  corps 
strié  d  et  la  couche  optique  e  ;  y  faisceau  olivaire;^  le 
même  ,  après  avoir  traversé  le  corps  festonné  de  l'olive, 
allant  en  partie  aux  tubercules  quadrijumeaux  h  i  et  à  la 


,526  EXPLICATION   DES  FIGURES,    ETC. 

couche  optique;  y  faisceau  sur-spinal  allant  au  corps  fes- 
tonné du  cervelet  A',   d'où  part  le  processus  / qui  va  aux      . 
tubercules    quadrijumeaux  ;   m  protubérance    annulaire , 
formée  par  un  faisceau  parti  du  cervelet;  n  nerf  optique. 

109.  Figure  idéale  pour  faire  comprendre  les  croise- 
ments qui  s'opèrent  dans  les  faisceaux  de  l'encéphale  des 
mammifères:  a  a  faisceaux  sous-spinaux  entrecroisés  au 
sommet  des  pyramides  h  b' ,  dont  les  fibres  traversent  la 
protubérance  annulaire  f  f  pour  se  rendre  aux  couches 
optiques  o  \  c  c'  faisceaux  olivaires;  dd'  les  mêmes,  après 
les  olives,  remontant  en-dehors  des  couches  optiques  et 
des  corps  striés  pour  se  rendre  au  corps  calleux  x  \  e  e'  les 
mêmes  faisceaux  qui,  après  s'être  croisés  dans  le  corps 
calleux,  se  relèvent  dans  les  hémisphères  cérébraux;// 
fibres  de  la  protubérance  annulaire  entrecroisées  sur  la  ligne 
médiane. 


ri\  riE  l'explicatiox  des  plaxches  i>i'  tome  premier. 


^j^j^. 


Aaclor   d^i. 


J^XJI 


Aucloi'  del 


Touclier,   Goût,  Odorat 


j^j:m/: 


_'Wotor'   àel 


Ouïe 


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