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Full text of "Traité de physiologie considérée comme science d'observation"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/traitdephysiol05burd 


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DE 


PHYSIOLOGIE. 


TOME  V. 


I.IBRAIRIE    DE    J^-B.  BAIIiIiIERZ. 


ŒUVRES  COMPLÈTES  D'HIPPOCRATE ,  nouvelle  fiaduction  avec  le 
texie  grec  en  regard,  coilalinnné  sur  les  manuscrits  et  toutes  les  édi- 
tions, précédées  d'une  introduction  et  accompagnées  de  commentaires  , 
de  notes  médicales  et  philologiriiies  ,  et  suivies  d'une  table  générale  des 
matières  ^  par  E.  Liltré.  Paris  ,  1839,  7  forts  vol.  in-8.  Prix  de  chaque 
Yohnne.  10  fr. 

Il)'  a  quelques  exemplaires  sur  jésns-vélin.  Prix  de  chaque  vol.  20  fr. 

NOUVEAUX  ELËMENS  DE  MEDECINE  OPÉRATOIRE,  accompagnés 
d'un  atlas  de  22  planches  in-4  gravées,  représentant  les  principaux  procé- 
dés opératoires,  et  un  grand  nombre  d'inslrumens  de  chirurgie;  pai- 
A. -A.  Veîpeau  ,  professeur  de  clinique  chirurgicale  à  la  Faculté  de  mé- 
decine de  Paris,  chirurgien  de  l'hôpital  de  la  Charité,  etc.  Deuxième 
édition  entièrement  refondue  et  auijmentée  dWn  Traité  de  petite  chi- 
r.cRGiE,  avec  170  planches  intercalées  dans  le  texte.  Paris,  1831),  4  forts 
vol.  in-8  ,  atlas  grand  in-4. 

EMBRYOLOGIE  ou  OVOLOGIE  HUMAINE,  contenant  l'histoire  des- 
criptive et  iconographique  de  l'œuf  humain,  par  A. -A.  Velpeau,  accom- 
pagnée de  15  planches  dessinées  d'après  nature,  et  lithographiées  avec  le 
plus  grand  soin,  par  A.  Chazal ,  Paris,  4833,  1  vol.  in-fol.  25  fr. 

TRAITÉ  COMPLET  DE  L'ART  DES  ACCOUCHEMENS ,  ou  Tokologie 
théorique  et  pratique  ,  avec  un  abrégé  des  maladies  qui  compliquent  la 
grossesse,  le  travail  et  les  couches  .  et  de  celles  qui  affectent  les  enfans 
nouveau-nés,  par  A. -A.  Velpeau.  Deuxième  édition ^  augmentée  et  ac- 
compaynée  de  16  planches  gravées  avec  le  plus  grand  soin ,  1835  ,  2  forts 
vol.  in-S.  16  fr. 

NOUVEAU  SYSTÈME  DE  PHYSIOLOGIE  VÉGÉTALE  ET  DE  BOTA- 
NIQUE, fondé  sur  les  méthodes  d'observations  développées  dans  le  Nou- 
veau système  de  chimie  organique,  par  r.-V.  Raspail,  accompagné  de 
60  planches  contenant  prés  de  1,000  figures  d'analyses ,  dessinées  d'après 
natine  ,  et  gravées  avec  le  plus  grand  soin.  Paris,  iS37,  2  forts  vol.  in-8, 
et  atlas  de  60  planches.  30  fr. 

—  Le  même  ouvrage  ,  planches  coloriées.  50  fr. 

NOUVEAU  SYSTÈME  DE  CHIMIE  ORGANIQUE ,  fondé  sur  de  nou- 
velles méthodes  d'observation ,  précédé  d'un  Traité  complet  sur  l'art 
d'observer  et  de  manipuler  en  grand  et  en  petit  dans  le  laboratoire  et  sur 
le  poite-objet  du  microscope,  parF.-V.  Raspail.  Dexixième  édition  entiè- 
rement refondue,  accompagnée  d'un  atlas  in-4,  de  20  planches  de  figures  , 
dessinées  d'après  nature,  gravées  avec  le  plus  grand  soin.  Paris,  183S, 
3  forts  volumes  in-8,  et  atlas  in  4.  30  fr. 

HISTOIRE  NATURELLE  DES  ANIMAUX  SANS  VERTÈBRES ,  pré- 
sentant les  caractères  généraux  et  particuliers  de  ces  animaux ,  leur  distri- 
bution ,  leurs  classes  ,  leurs  familles ,  leurs  genres  et  la  citation  synony- 
niique  des  principales  espèces  qui  s'y  rapportent ,  par  J.-B.-P.-A.  de 
Lamarck,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  Muséum  d'Histoire  naturelle. 
Deuxième  édition  revue  et  augmentée  des  faits  nouveaux  dont  la  science 
s'est  enrichie  jusqu'à  ce  jour,  par  M. -G. -P.  Deshayes  et  H.  Milne  Edwards, 
Paris,  i835-183y,  9  forts  vol.  in-8.  Prix  de  chaque  :  8  fr. 

MÉMOIRES  DE  L'ACADÉMIE  ROYALE  DE  MÉDECINE .  t.  I ,  Pa- 
ris ,  1828.  —T.  II.  Paris,  1832.  —  T.  III,  Paris,  d833.  —  T.  IV,  1835.  — 
—  T.  V,  1836.  — T.  VI,  1837.  — T.  VII,  1838;  7  forts  voL  in-4,  avec  pi. 
Prix  de  chaque  volume .  20  fr. 

Paris^  —  Imprimerie  de  CotsoN. 


TRAITE 


DE 


PHYSIOLOGIE 

CONSIDÉRÉE 

COMME  SCIENCE  D'OBSERVATION  \ 
PAR  G.-F.  BURDAGH, 

PROFESSEUR   A   l'UNIVERSITÉ   DE   KCENIGSBERG  , 
avec  des  additions  de  MM.  les  professeurs 

BAER,  MEYER,  J.  MULLER,  RATHKE,  SIEBOLD,  VALENTIN,  WAGNER, 
Traduit  de  l'allemand ,  sur  la  deuxième  édition  ; 

PAR  A..J.-L.  JOURDAN, 

MEMBRE  DE  l' ACADEMIE   ROYALE  D£  MÉDECINE. 


TOME    CINQUIÈME. 


PARIS  , 

CHEZ  J.-B.  BAILLIÈRE , 

LIBRAIRE  DE  L' ACADÉMIE  ROYALE  DE  MÉDECINE 

RTIE  DE  l'école-de-médecine  ,  43  his; 
A  LONDRES,  MEME  MAISON,  2ig,  REGENT- STREET. 

1839. 


DE  LA  PHYSIOLOGIE 

CONSIDÉRÉE 

GOMME  SCIENCE  D'OBSERVATION. 
Section  troisième. 

DE  l'âge  adulte. 

§  559.  Le  moyen  âge  ^  Vâge  adulte  ,  OU  la  première 
moitié  de  la  vie  parvenue  au  terme  de  sa  maturité ,  s'étend 
depuis  la  vingtième  année  jusque  vers  la  cinquantième.  Sa 
durée  égale  donc  celle  de  la  vie  non  à  maturité.  Il  a  pour 
caractère  l'identification  de  l'individu  et  de  l'espèce. 

I.  L'espèce  se  révèle  aussi  complètement  que  possible  dans 
l'individu.  L'individu  présente  en  lui,  plus  qu'à  toute  autre 
époque ,  la  réunion  des  forces  propres  à  l'espèce.  Aussi  n'est- 
ce  qu'à  l'âge  adulte  qu'on  emprunte  les  caractères  spécifiques 
des  êtres  organisés. 

1°  En  réalisant  le  plus  qu'il  est  possible  l'idée  de  l'espèce , 
l'individu  quitte  l'état  de  dépendance,  dans  lequel  il  se  pré- 
sentait comme  produit  de  l'espèce ,  et  acquiert  une  pleine  et 
entière  spontanéité.  Il  se  détermine  et  se  maintient  lui-même, 
se  nourrit  et  se  garantit  par  sa  propre  force ,  et  n'agit  que 
d'après  son  propre  jugement ,  en  vertu  de  sa  propre  volonté. 

2°  La  possibilité  de  se  maintenir  par  soi-même  suppose 
que  la  réceptivité  a  diminué  et  la  spontanéité  augmenté ,  par 
conséquent  que  Véquilibre  s'est  établi  entre  les  deux  fac- 
teurs. Or  cet  équilibre  accroît  le  pouvoir  d'agir  sur  le  monde 
extérieur  d'une  manière  conforme  au  but  de  l'individu  :  la 
force  physique  et  la  force  morale,  qui  se  rapportent  à  ce 
monde  extérieur,  atteignent  donc  leur  point  culminant.  C'est 
dans  l'âge  adulte  qu'a  lieu  le  plus  grand  développement  au 

V.  1 


2  •  AGE   ADULTE. 

dehors ,  ou ,  en  d'autres  termes ,  que  la  vie ,  considérée 
comme  phénomène  extérieur,  arrive  à  sa  plus  grande  hauieup. 
3°  L'espèce  est  une  chose,  générale  qui  ne  se  réalise  qu'en 
déployant  tout  ce  que  renferme  son  idée ,  au  moyen  d'un 
nombre  infini  d'individus.  Il  faut' donc  que  l'individualisation 
soit  portée  aussi  loin  que  possible,  là  où  l'espèce  doit  se  ma- 
nifester de  la  manière  la  plus  énergique  dans  un  individu. 
Comme  l'individu  ne  peut  accomplir  la  propagation  que  par 
sa  différence  sexuelle ,  c'est  précisément  lorsqu'il  possède 
dans  toute  leur  plénitude  les  caractères  qui  lui  sont  propres, 
et  lorsqu'il  diffère  le  plus  possible  des  autres  ,  qu'il  se  montre 
véritable  organe  de  l'espèce.  C'est  donc  seulement  dans  l'âge 
adulte  que  \ individu nlitê  se  révèle  d'une  manière  pleine  et 
entière  ;  jusque-là  ,  elle  n'avait  fait  que  pousser  ses  racines. 
Un  œuf,  dit  le  proverbe,  ressemble  à  un  autre  œuf;  peu  à 
peu  la  divergence  se  développe  :  les  enfans  se  ressemblent 
beaucoup,  les  jeunes  gens  moins,   les  hommes  faits  moins 
encore ,  et  même  certaines  prédispositions  héréditaires  aux 
maladies  disparaissent  à  l'âge  adulte.  Cependant  cette  faculté 
de  se  produire  et  de  se  déterminer  soi  même  n'est  que  re- 
lative :  il  arrive  fort  souvent  qu'alors  seulement  on  voit  la 
ressemblance  avec  les  parens  ou  les  grands  parens  se  pro- 
noncer d'une  manière  positive  dans  les  traits  du  visage  ou 
la  constitution,  et  quoique  l'individu  soit  en  état  de  se  suffire 
à  lui-même,  quoiqu'il  n'ait  plus  besoin  de  guide  ni  de  secours 
étranger ,  il  n'en  est  arrivé  là  néanmoins  que  par  l'éducation 
et  la  dot  qu'il  a  reçues  de  ses  parens. 

4»  Il  faut  que  l'individu  qui  doit  réaliser  son  espèce  en 
présente  tous  les  caractères  essentiels ,  dans  les  limites  de 
son  sexe.  Aussi,  à  cette  époque  de  la  vie,  tous  les  organes  et 
toutes  les  forces  présentent-ils  la  réunion  de  ce  qui  caracté- 
rise chacun  d'eux  de  la  manière  la  plus  complète  et  la  plus 
explicite.  Or  c'est  précisément  cette  différence ,  portée  aussi 
loin  qne  possible ,  qui  produit  l'énergique  conflit  en  raison 
duquel  l'âge  adulte  se  montre  à  nous  comme  le  point  culmi- 
nant de  la  vie. 

5°.  Ce  développement  en  tous  sens  n'est  possible  qu'à  la 
faveur  d'ime  harmonie  telle  enlre  les  diverses  parties,  que 


AGE    ADULTE.  3 

chacune  d'elles  puisse  se  maintenir  à  côté  des  autres.  De  là 
vient  que  Téquilibre  des  différentes  forces  est  un  caractère 
essentiel,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  point  un  équilibre  de  repos, 
dans  lequel  une  force  enchaînerait  les  manifestations  d'une 
autre  par  l'égalité  entre  sa  puissance  et  celle  de  cette  der- 
nière,  mais  un  équilibre  tel  que  chaque  force  agit  conformé- 
ment à  son  essence ,  et  se  trouve  maintenue  par  les  autres 
dans  ses  limites  déterminées ,  de  manière  qu'elle  ne  puisse 
acquérir,  ni  dans  le  degré ,  ni  dans  la  durée  de  son  énergie , 
une  prédominance  qui  impliquerait  contradiction  avec  le  but 
général. 

6»  Mais,  de  l'équilibre  découle  le  caractère  de  la  persis- 
tance ou  de  la  pérennité.  Il  est  vrai  que  la  vie  marche  tou- 
jours et  ne  s'arrête  jamais;  mais,  comparativement,  elle 
présente,  pendant  1  âge  adulte,  une  fixité,  en  raison  de  la- 
quelle on  a  désigné  cet  âge  sous  le  nom  d'état  stationnaire 
[status).  Ce  qu'une  direcùon  détruit,  une  autre  direction 
également  puissante  ,  le  rétablit ,  et  de  là  vient  qu'on  aper- 
çoit moms  de  changemens  frappans  dans  l'organisme.  Or 
puisque  celui-ci  reste  alors  plus  semblable  à  lui-même  qu'en 
tout  autre  temps ,  il  ne  saurait  non  plus  ,  à  aucune  autre 
époque,  représenter  mieux  les  caractères  de  son  espèce,  qui 
sont  en  eux-mêmes  quelque  chose  de  fixe. 

7°  Mais  la  pérennité  le  tourne  vers  le  présent^  tandis 
qu'auparavant  il  ne  regardait  que  l'avenir.  Ce  ne  sont  plus 
des  germes  qui  marchent  vers  un  développement  ultérieur  et 
se  préparent  à  un  complet  déploiement ,  mais  des  forces  qui 
doivent  tendre  à  des  buts  déterminés.  Il  ne  s'agit  plus  d'es- 
sayer des  forces,  mais  d'exercer  un  pouvoir  acquis ,  et 
d'appliquer  ce  qu'on  a  appris;  la  vie  intellectuelle  doit  non 
plus  se  perdre  dans  les  rêves  de  l'idéalité,  mais  descendre 
dans  la  ré. dite  ,  y  produire ,  y  créer. 

IL  Tandis  que  l'espèce  paraît  dans  l'individu  ,  il  faut  aussi 
que  l'individu  se  montre  agissant  dans  l'espèce.  C'est  la  rela- 
tion intime  et  immédiate  avec  ceîle-ci  qui  constitue  le  carac- 
tère de  l'âge  adulte.  En  se  soumettant  à  l'espèce ,  l'individu 
se  place  lui-même  à  un  rang  plus  élevé  que  celui  qu'il  avait 
occupé  jusqu'alors. 


4  AGE   ADULTE. 

8°  Nous  en  avons  la  preuve  d'abord  dans  les  rapports  avec 
la  société  en  général.  Ce  n'est  ni  l'égoïsme  de  l'enfance ,  ni 
l'idéalité  de  la  jeunesse ,  mais  bien  l'idée  exprimée  dans  la 
réalité ,  dans  l'état ,  qui  exige  que  les  forces ,  dont  l'action  se 
porte  maintenant  au  dehors ,  soient  employées  d'une  manière 
correspondante  à  l'individualité ,  afin  que  l'individu  se  main- 
tienne lui-même  dans  les  embarras  et  les  luttes  de  la  vie  ci- 
vile et  au  milieu  de  sa  coopération  au  bien  général.  L'âge 
adulte  ,  pour  tout  exprimer  d'un  seul  mot,  est  celui  des  em- 
plois, des  professions. 

9°  Enfin  le  rapport  immédiat  de  l'individu  avec  l'espèce 
s'exprime  dans  la  formation  d'une  famille  qui  lui  appartient 
en  propre ,  dans  la  procréation  ,  la  protection ,  la  nourriture 
et  l'éducation  des  enfans. 

CHAPITRE  PREmEE. 

De  la  vie  par  rapport  à  l'individu. 

§  560.  Pendant  l'âge  adulte  , 

1°  L'accroissement  en  longueur  est  déterminé,  ou  du  moins, 
d'après  Quételet ,  celle-ci  n'augmente  plus  que  d'environ 
deux  lignes  ;  mais  la  largeur  croît  jusque  vers  la  troisième 
année ,  surtout  à  la  poitrine  et  aux  épaules  chez  l'homme ,  au 
bassin  et  aux  hanches  chez  la  femme  :  les  formes  sveltes  qui 
caractérisent  la  jeunesse  s'effacent  peu  à  peu.  L'équilibre 
(  §  559,  5°  )  entre  la  consommation  et  la  restauration  fait  que 
le  corps  reste  pendant  quelque  temps  à  peu  près  semblable  à 
lui-même  ;  cependant  il  s'opère*,  par  degrés ,  dans  les  traits 
du  visage ,  un  changement  difficile  à  décrire ,  mais  que  cha- 
cun connaît  par  expérience ,  car  il  lui  sert  à  évaluer  l'âge  des 
individus  d'une  manière  exacte.  Vers  la  fin  seulement  de  cette 
période,  quand  les  efforts  et  la  consommation  deviennent 
moins  considérables,  et  que  les  tissus  se  relâchent,  le  super- 
flu de  la  nutrition  est  employé  à  produire  de  la  graisse ,  qui 
s'accumule  surtout  dans  la  cavité  abdominale ,  particulière- 
ment dans  Fépiploon  et  autour  des  reins. 

2°  La  digestion  s'accomplit  avec  moins  de  promptitude  que 
par  le  passé,  mais  aussi  ayec  plus  d'énergie,  à  cause  de  la 


AGE  ADULTE."  5 

bile  plus  abondante  et  plus  active  qui  se  produit,  et  qui  donne 
aux  excrémens  une  couleur  plus  foncée,  avec  une  odeur  plus 
forte  ;  aussi  Thomme ,  parvenu  à  l'â^je  adulte  ,  supporte-t-il 
la  faim  et  les  excès  de  table  plus  facilement  qu'à  aucune 
autre  époque  de  sa  vie. 

3°  La  respiration  acquiert  toute  la  plénitude  de  son  éner- 
gie, et  la  prédisposition  à  la  phthisie  pulmonaire,  qui  existait 
encore  au  début  de  cette  période,  s'efface  entièrement.  Les 
glandes  bronchiques  et  les  poumons  eux-mêmes  prennent  une 
couleur  plus  foncée. 

4°  Le  système  sangidn  devient  prédominant  sur  le  système 
lymphatique ,  dont  les  glandes  diminuent  de  volume  et  pâlis- 
sent. Le  ventricule  pulmonaire  augmente  de  capacité,  propor- 
tionnellement au  ventricule  aortique.  Les  parois  artérielles 
deviennent  plus  fermes ,  et  leur  tissu  cellulaire  se  condense 
davantage.  Les  vaisseaux  capillaires  renferment  moins  de 
sang,  et  sont  moins  faciles  à  injecter  qu'aux  époques  précé- 
dentes de  la  vie.  Les  veines  deviennent  plus  amples  que  les 
artères.  La  rate  acquiert  plus  de  volume  et  une  teinte  plus 
violacée.  Vers  la  fin  de  l'âge  adulte  ,  le  système  de  la  veine 
porte  joue  un  rôle  plus  important  :  les  hépatites ,  le  choléra , 
les  calculs  biliaires  se  voient  plus  fréquemment ,  ainsi  que  les 
obstructions  de  la  veine  porte  ,  et  l'hypochondrie ,  la  mélan- 
colie ,  qui  en  sont  la  suite. 

5°  La  peau  devient  plus  ferme  et  plus  colorée  :  rabsorption 
est  moins  active;  le  froid  et  le  chaud  sont  plus  faciles  à  sup- 
porter. 

6°  La  transpiration  des  organes  génitaux  prend  une  odeur 
spécifique  plus  forte.  Le  mont  de  Vénus  acquiert  plus  d'élé- 
vation et  de  largeur  ;  les  poils  qui  l'ombragent  deviennent 
plus  raides,  plus  frisés,  plus  foncés  en  couleur,  et  ils  s'éten- 
dent, chez  la  femme ,  sur  les  grandes  lèvres ,  chez  l'homme  , 
sur  le  scrotum  et  le  périnée.  La  menstruation  prend  un  type 
plus  fixe  ;  les  seins  se  développent ,  leurs  mamelons  devien- 
nent plus  larges  et  plus  gros  ;  l'auréole ,  qui  était  rosée  chez 
les  blondes  et  jaunâtre  chez  les  brunes,  devient,  dans  le  pre- 
mier cas,  d'un  rouge  sale ,  et  dans  le  second ,  d'un  brun  plus 
foncé  :  la  sécrétion  sébacée  y  augmente  en  même  temps. 


6  AGE  ADULTE. 

Chez  l'homme  ,  la  barbe  croît,  ainsi  que  les  poils  de  la  poi- 
trine et  des  aisselles  ;  les  avant-bras  ,  les  cuisses  et  les  jambes 
se  couvrent  également  de  poils. 

7°Les  muscles  dewienneat  plus  foris,  plus  fermes,  plus 
riches  en  fibrine.  Les  os  augmentent  de  solidité  et  de  volume  ; 
leurs  saillies  et  leurs  dépressions  se  prononcent  davantage  ;  la 
moelle  devient  plus  abondante.  Les  lames  osseuses  des  faces 
supérieure  et  inférieure  des  corps  des  vertèbres  se  soudent 
vers  la  vingt-cinquième  année,  époque  à  laquelle  les  corps 
et  les  apophyses  transverses  des  vertèbres  pelviennes  supé- 
rieures s'unissent  éjjalement  ensemble  :  les  vertèbres  coccy- 
giennes  se  soudent  vers  la  fin  de  Tage  adulte ,  et  plus  fré- 
quemment chez  l'homme  que  chez  lu  femme.  Les  têtes  et  les 
tubercules  des  côtes  se  réunissent  complètement  avec   les 
corps,  et  les  épiphyses,  tant  de  la  crête  iliaque,  que  de  l'ex- 
trémité sternale  de  la  clavicule,  se  soudent.  Les  sinus  frontaux 
prennent  plus  d'ampleur,  La  ligne  jaune  des  dents  incisives 
s'élargit  de  plus  en  plus,  la  substance  osseuse  mise  à  nu  s'use, 
et  la  couronne  devient  plus  courte,  de  sorte  que,  vers  l'âge  de 
trente  ans ,  les  dents  sont  à  peu  près  aussi  usées  que  celles 
de  lait  l'étaient  au  moment  de  leur  chute. 

8°  Le  cerveau  ne  fait  plus  maintenant  qu'un  trente-cin- 
quième à  un  quarantième  de  la  masse  totale  du  corps.  La  sen- 
sibilité a  cessé  aussi  d'être  prédominante.  Du  sable  se  forme 
dans  l'intérieur  de  la  glande  pinéale  ,  et  celui  qui  était  à  sa 
surface  prend  une  couleur  plus  jaune. 

§  561.  La  vie  morale  porte,  à  cette  époque,  le  caractère 
de  la  vigueur. 

1°  Le  sommeil  est  plus  léger  et  plus  court,  parce  que  l'é- 
conomie se  restaure  plus  promptement. 

2°  Comme  l'activité  se  déploie  avec  plus  d'énergie  vers  le 
dehors  (  §  559,  3°  ),  les  sens  et  les  organes  du  mouvement 
arrivent  au  point  culminant  de  leurs  fonctions.  Les  sens  sai- 
sissent mieux  les  rapports,  le  coup  d'œil  et  le  tact  musical 
sont  mieux  développés,  le  jugement  est  plus  juste  et  le  goût 
plus  formé.  La  démarche  a  pris  plus  d'à-plomb  et  de  calme , 
et  la  force  musculaire  est  devenue  capable  de  supporter 
les  plus  grands  efforts ,  en  même  temps  que  la  dextérité , 


AGE  ADDITE.  7 

à  laquelle    se  rattache  l'habileté  [dans  les    arts  mécani- 
ques et  les  beaux-arts ,  s'est  développée  au  plus  haut  de^ré. 

3°  Les  facultés  inîeliectueiles  font  de  conîiouels  progrès. 
Les  sens  et  la  raison  présentent  un  antagonisme  plus  prononcé, 
qui  fait  apparaître  l'individu  dans  ses  rapports  avec  l'espèce, 
de  sorte  que  la  cofiscience  de  soi-même  arrive  à  une  par- 
faite évidence,  et  que  l'homme  acquiert  un  véritable  pouvoir 
de  se  diriger  d'après  ses  propres  impulsions. 

4°  C'est  donc  alors  que  commence  réellement  le  sérieux  de 
la  vie  ;  la  lutte  des  forces  qui  caractérisait  la  jeunesse  est 
épuisée  par  l'équilibre  établi  entre  la  raison  et  les  facultés 
inférieures  ;  l'individu  connaît  les  bornes  nécessaires  de  tout 
ce  qui  est  fini,  et,  en  dirigeant  son  égoisme  vers  un  but  idéal, 
il  apprend  à  connaître  les  règles  de  la  prudence.  Comme 
l'âme  tourne  son  énergie  entière  vers  la  réalité  (  §  559,  7°  ), 
l'intelligence  et  la  réflexion  se  développent  et  réfrènent  l'ima- 
gination ;  le  penchant  pour  tout  ce  qui  porte  un  cachet  d'uti- 
lité et  d'harmonie  devient  prédominant. 

5°  L'équilibre  s'étant  établi  entre  la  spontanéité  et  la  récepti- 
vité (  §  559,  2°  ),  le  jugement,  qui  a  pris  plus  de  perspicacité, 
ramène  le  sentiment  dans  ses  véritables  limites.  La  circonspec- 
tion et  l'habitude  de  peser  les  circonstances  procurent  de 
l'empire  sur  soi-même,  apprennent  à  se  taire,  enseignent  la  ré- 
serve et  diminuent  l'impartialité. 

6°  L'accroissement  de  la  persévérance  (  §  559,  6°  )  se  ma- 
nifeste par  une  assiduité  plus  grande  à  examiner,  à  penser  , 
à  juger  ,  par  un  développement  plus  prononcé  de  l'intuition 
et  de  la  faculté  de  méditer,  par  la  fermeté  du  caractère  et 
l'aptitude  à  poursuivre  invariablement  un  but  qu'on  s'est  pro- 
posé, par  le  peu  d'énergie  et  de  durée  des  passions,  parle 
goût  de  la  stabilité ,  de  l'ordre  et  de  la  légitimité. 

7°  Si  enfin  nous  portons  nos  regards  sur  les  caractères  ex- 
térieurs, nous  voyons  que  ce  qui  distingue  la  beauté  du  moyen 
âge  de  la  vie,  c'est  l'union  de  la  force  avec  le  calme,  c'est 
la  dignité.  Junon,  pour  emprunter  ici  un  exemple  aux 
œuvres  des  artistes  de  la  Grèce,  est  l'image  de  la  grâce  fé- 
minine entourée  d'une  auréole  de  dignité  ;  elle  n'exprime 
poiat  ie  désir ,  mais  la  satisfaction  ;  le  sentiment  de  soi-même 


8  AGE  ADULTE. 

et  la  confiance  en  soi-même  ont  donné  un  élan  jplus  hardi  au 
caractère  de  la  femme.  Jupiter  et  Hercule,  au  contraire, 
nous  montrent  de  nouveau  l'antagonisme  des  diverses  direc- 
tions de  la  vie  de  l'homme.  Dans  Jupiter  se  reflète  l'empire 
de  l'idéal ,  la  puissance  de  la  volonté  intérieure  qui  com- 
mande en  maître  et  exerce  une  action  irrésistible.  Dans  Her- 
cule ,  le  repos  ne  perce  qu'avec  contrainte  :  ce  n'est  point 
un  maître  calme,  sous  l'empire  idéal  duquel  tout  fléchit  volon- 
tairement, mais  un  dominateur  qui  n'a  conquis  la  soumission 
qu'à  force  de  luttes  pénibles  et  d'efforts  gigantesques. 

Tandis  que  la  femme  perd  la  fraîcheur  de  la  jeunesse,  tandis 
que  la  finesse  de  la  peau ,  la  délicatesse  du  teint  et  la  vivacité 
de  la  turgescence  diminuent  chez  elle ,  l'accroissement  de  la 
masse  lui  conserve  le  charme  des  formes  extérieures  ;  l'ex- 
pression vivante  d'une  vie  satisfaite  dans  sa  vocation,  crée  pour 
elle  un  nouveau  genre  de  beauté,  et,  quoique  plus  tard  ses 
organes  perdent  aussi  de  leur  flexibilité  ,  elle  n'en  conserve 
pas  moins  de  la  grâce  dans  tous  ses  mouvemens. 

CHAPITRE  II, 

De  la  vie  par  rapport  h  V espèce. 

§  562.  La  génération  est  une  fonction  spécialement  dévolue 
au  moyen  âge  de  la  vie.  Aussi  est-ce  ici  que  nous  devons  l'exa- 
miner dans  ses  rapports  avec  l'être^'procréateur  lui-même , 
c'est-à-dire  sous  le  point  de  vue  subjectif,  de  même  que  pré- 
cédemment nous  en  avons  considéré  le  côté  objectif,  ou  la 
manière  dont  elle  se  manifeste  par  son  produit. 

1°  La  génération ,  dans  son  sens  le  plus  général ,  est  une 
série  d'opérations  organiques  et  d'actions  volontaires ,  par  le 
moyen  desquelles  l'espèce  est  maintenue  extérieurement  et 
développée  intérieurement,  en  même  temps  que  l'individu  lui- 
même  arrive  à  la  pleine  et  entière  jouissance  de  tout  ce  qui 
constitue  son  essence.  Son  début  est  la  formation  d'un  germe 
apte  à  vivre,  qui,  une  fois  mis  en  éveil  par  la  fécondation, 
traverse  successivement  les  phases  de  la  sémination  et  de  l'in- 
cubation, du  part  et  de  l'éclosion.  A  ces  actes ,  auxquels,  chez 
l'homme,  la  volonté  ne  prend  part  que  jusqu'à  un  certain  point 


AGE  ADULTE.  g 

et  d'une  manière  indirecte ,  dont  plusieurs  même  ont  lieu 
sans  que  sa  conscience  en  soit  informée  ,  se  rattachent  la 
protection ,  réchauffement ,  la  nourriture  et  tous  les  soins 
réclamés  par  le  nouveau-né  ,  qui  sont  autant  d'actions  volon- 
taires, essentiellement  et  nécessairement  liées  à  la  génération, 
puisque,  sans  elles,  l'être  procréé  ne  tarderait  point  à  périr 
et  le  but  des  premiers  actes  se  trouverait  manqué.  Ces  soins, 
auxquels  l'être  procréateur  est  sollicité  par  son  propre  cœur, 
développent  la  vie  morale  de  l'être  procréé ,  et  établissent 
infailliblement  entre  eux  un  lien  moral,  qui  développe  les  fa- 
culté de  l'âme ,  et  qui  plus  tard  se  fortifie  par  l'instruction, 
dont  l'éducation  et  l'exemple  fournissent  les  bases.  Mais  s'il 
est  démontré  empiriquement  que  l'éducation,  c'est-à-dire  la 
série  entière  des  actions  accomplies  avec  conscience  qui  ont 
pour  but  d'assurer  l'existence  et  de  provoquer  le  développe- 
ment ,  au  physique  comme  au  moral ,  de  l'être  procréé ,  doive 
nécessairement  succéder  à  la  génération  et  la  conduire  à  son 
but ,  l'idée  qu'on  doit  se  faire  de  cette  fonction  mène  égale- 
ment au  même  résultat  ;  car  si  elle  consiste  à  conserver  l'es- 
pèce par  la  formation  de  nouveaux  individus ,  elle  doit  aussi 
communiquer  à  ses  produits  tous  les  caractères  qui  appartien- 
nent essentiellement  à  l'espèce  ;  mais  l'espèce  est  une  chose 
vivante  et  qui  progresse  par  développement  moral  ;  c'est  donc 
une  suite  essentielle  et  un  complément  nécessaire  de  la  gé- 
nération ,  que  le  nouvel  individu  s'approprie  par  l'éducation 
la  culture  du  siècle  où  il  vit,  afin  de  maintenir  l'espèce  au 
degré  de  développement  qu'elle  a  atteint ,  et  de  pouvoir  con- 
courir à  sa  marche  incessamment  progressive. 

2°  Mais  l'individu  lui-même  ne  devient  complet  qu'au  mo- 
ment oii  une  relation  s'établit  entre  lui  et  l'espèce.  Il  ne 
possède  réellement  l'aptitude  à  procréer  qu'autant  qu'il  pré- 
sente au  complet  les  caractères  de  son  espèce ,  et  que  par 
conséquent  il  est  arrivé  au  point  culminant  de  la  vie  ;  mais, 
en  le  pénétrant  de  l'esprit  de  l'espèce  et  le  rattachant  au 
grand  tout  par  des  liens  plus  intimes ,  la  procréation  lui  fait 
franchir  les  bornes  de  l'individualité  ,  de  même  qu'en  réunis- 
sant les  sexes  et  rapprochant  les  âges ,  elle  lui  permet  d'offrir 
une  représentation  plus  pure  de  l'humanité.  Ainsi,  dans  la  vie 


lO  AGE  ADULTE. 

végétale,  qui  ne  s'élève  pas  au-delà  de  la  plasticité,  la  généra* 
lion  est  de  tous  les  phénomènes  le  plus  saillant;  car  elle  accroît 
la  diversité  et  la  symétrie  des  formes  et  des  couleurs ,  la  déli- 
catesse des  tissus  et  l'abondance  des  émanations  odorantes  , 
elle  développe  une  réceptivité  plus  vive  pour  le  monde  exté' 
rieur,  elle  met  en  jet  une  irritabilité  rapprochée  de  celle  qui 
caractérise  la  nature  animale,  et  elle  fait  naître  une  sorte  de 
sympathie  avec  les  animaux ,  de  sorte  que  c'est  au  mode  de 
propagation  qu'on  emprunte  les  caractères  distinctifs  des 
classes  et  des  familles  végétales.  La  génération  n'exerce  pas 
une  influence  si  prononcée  chez  les  animaux  ,  parce  que  l'in- 
dividualité est  ici  plus  prononcée,  de  manière  que  c'est  dans 
la  conformation  du  système  de  la  sensibilité  qu'on  va  chercher 
les  principaux  caractères  des  classifications;  mais  il  n'en  est 
pas  moins  manifeste  que  la  procréation  exalte  la  vie  animale. 

Article   i. 
Des  rapports  de  la  faculté  procréatrice, 

I.  Rapport  avec  la  vîe  plastique. 

§  663.  Les  différons  organes  génitaux  sont  étroitement  unis 
ensemble,  sous  le  point  de  vue  de  leurs  actions  vitales.  Cette 
connexion  intime  se  remarque  notamment  entre  les  ovaires, 
lesoviductes(§291,II,  365,  1°,  2°),  la  matrice  (§  291, 1,  III, 
365,  4°)  et  le  vagin  (§  291,  IV),  car  les  observations  de  P!ou- 
quet  (1)  démontrent  que  les  pseudomorphoses  dans  les  ovai- 
res sont  fréquentes  chez  les  femmes  débauchées.  Elle  se  mani- 
feste également  entre  les  mamelles  et  la  matrice  (  §  365,  5°, 
521,  I).  Elle  a  lieu  aussi  soit  entre  les  deux  testicules,  dont 
la  perte  de  l'un  entraîne,  suivant  Percy  (2),  le  développement 
plus  considérable  de  l'autre,  soit  entre  ces  organes  et  la 
sphère  externe  des  organes  génitaux ,  puisque  ceux-ci  sont 
réduits  à  des  proportions  plus  exiguës  chez  les  castrats. 
Tous  les  phénomènes  de  la  {vénération  que  nous  avons  passés 
en  revue  jusqu'ici  attestent  que  les  diverses  circonstances  de 
cette  fonction  lieiment  les  unes  aux  autres  par  des  liens  fort 

(1)  Heil ,  Jrchiv ,  t.  VII,  257. 

(2)  Diclionn.  des  sciences  médicales ,  t.  XXXIV,  p.  129. 


AGE  ADULTE.  1  £ 

serrés,  mais  démontrent  aussi  quelle-même  influence  la  vie 
générale  sous  un  grand  nombre  de  rapports. 

I,  La  nutrition  et  la  génération  sont  des  directions  opposées 
de  la  vie. 

1°  Cependant  il  y  a  sympathie  entre  elles.  Une  nutrition 
abondante  et  une  bonne  digestion  sont  des  circonstances  fa- 
vorables à  la  procréation,  car  la  farmaiion  de  l'individualité 
est  la  condition  nécessaire  de  toute  formation  dirigée  dans 
les  intérêts  de  Tespèce  (§  245,  1°).  Le  défaut  de  nutrition 
commence  par  suspendre  la  sécrétion  du  sperme  et  éteindre 
les  désirs;  puis  les  testicules  finissent  par  se  flétrir (1).  La  fé- 
condité dépend  aussi  de  la  nutrition  (§  267.  7°),  car  elle  est 
plus  grande  quand  la  nourriture  abonde,  ou  chez  les  animaux 
qui  trouvent  facilement  à  se  nourrir,  ceux,  par  exemple ,  qui 
habitent  la  mer. 

La  formation  de  la  graisse  est  fréquemment  l'intermédiaire 
entre  la  nutrition  et  la  procréation.  En  effet,  elle  tient  à  ce 
que  la  nutrition  dépasse  les  besoins  de  Tiodividu,  et  la  sub- 
stance mise  ainsi  en  réserve  est  employée  plus  tard  à  la  gé- 
nération, de  manière  qu  un  observateur  superficiel  se  trouve 
amené  à  considérer  l'amaigrissement  qui  survient  ensuite 
comme  la  cause  de  l'instinct  procréateur.  Souvent  les  organes 
génitaux  reposent  sur  des  corps  adipeux  particuliers,  d'où  ils 
semblent  tirer  de  la  nourriture  ;  c'est  ce  qu'on  voit  chez  les 
Aruchnides ,  dans  les  Scorpions  ,  par  exemple  ,  et  chez  les 
Crustacés ,  notamment  dans  les  Oniscus  et  les  Scolopendres, 
où  des  vaisseaux  se  rendent  du  corps  adipeux  aux  testicules. 
Dans  certains  Mammifères,  tels  que  les  Cochons  d'Inde,  des 
masses  de  graisse  pendent  aux  testicules  et  aux  ovaires.  La 
nutrition  prend  surtout  ce  détour  pour  poser  les  bases  de  la 
génération  ,  quand  les  deux  fonctions  sont  réparties  à  des 
époques  différentes  ;  alors  la  graisse  disparaît  lorsque  les  or- 
ganes génitaux  se  développent  ou  que  la  faculté  procréatrice 
s'éveille.  Ainsi  l'on  remarque,  dans  l'embryon  des  Raies  et 
des  Squales,  un  corps  adipeux,  à  la  place  duquel  se  dévelop- 
pent ensuite  les  organes  génitaux  (§  390,  8°).  Les  corps  de 

(l)ilathlie,  Beitrœijezur  Geschichte  der\Thierwelt ,  t.  I,  p.  42. 


i  2  AGE  ADULTE. 

WolfF  semblent  même  ne  point  avoir  d'autre  destination. 
Chez  les  animaux  dont  la  vie  éprouve  une  interruption  pen- 
dant laquelle  ils  ne  prennent  point  de  nourriture  ,  il  se  pro- 
duit de  la  graisse  qui  sert  au  développement  des  organes 
génitaux.  Le  corps  adipeux  se  développe,  chez  les  Insectes, 
pendant  l'état  de  larve  ,  et  disparaît  durant  l'état  chrysali- 
daire ,  lorsque  les  organes  génitaux  se  forment,  avec  la  se- 
mence et  les  œufs  (§  380,  9°  ).  Dans  les  Batraciens,  le  corps 
adipeux  n'apparaît  qu'après  la  formation  du  reste  du  corps , 
et  quand  il  a  pris  un  certain  développement ,  on  voit  naître  à 
sa  surface  des  testicules  et  des  ovaires  (§  451,  10°),  qui  pro- 
duisent du  sperme  et  des  œufs  pendant  le  sommeil  hibernal , 
en  même  temps  que  le  corps  adipeux  diminue  de  volume  (1). 
Chez  les  Mammifères  hibernans ,  la  graisse ,  qui  s'était 
amassée  surtout  dans  l'épiploon  ,  disparaît  durant  l'engour- 
dissement ,  pour  faire  place  à  de  la  semence  et  à  des  œufs , 
de  sorte  que  ces  animaux  sont  devenus  maigres  lorsqu'ils 
entrent  en  chaleur. 

De  son  côté,  la  génération  influe  aussi  sur  la  nutrition. 
L'exercice  de  cette  fonction,  quand  il  est  modéré  et  en  rap- 
port avec  les  forces  de  l'individu  ,  aiguise  l'appétit  et  favo- 
rise la  nutrition.  La  graisse  commence  à  se  former  plus  abon- 
damment chez  les  filles  qui  deviennent  nubiles.  Certaines 
femmes  engraissent  pendant  la  grossesse  et  l'allaitement. 
La  nutrition  est  la  première  des  fonctions  qui  se  ressent  de  la 
suppression  des  règles.  La  nature  peut  aussi  déployer  la 
même  richesse  dans  l'une  et  l'autre  direction  ;  car  on  voit 
quelquefois  la  corpulence  s'accompagner  d'une  grande  apti- 
tude à  engendrer  chez  l'homme,  et  de  vifs  désirs  chez  la 
femme. 

2°  Mais  ordinairement  il  y  a  antagonisme,  notamment  lors- 
qu'une de  ces  deux  directions  outrepasse  la  mesure  normale. 
La  plante  nous  fournit  déjà  une  image  de  la  direction  diffé- 
rente que  suit  la  vie  selon  que  l'individualité  ou  l'espèce  pré- 
domine en  elle  ;  dans  les  plaines ,  au  milieu  d'un  sol  humide 
et  gras ,  elle  pousse  une  tige  plus  haute  et  fournit  davantage 

(1)  Rathke,  loc.  cit.,  t.  1,  p.  3-12 


AGE  ADULTE.  l3 

de  branches  ,  de  feuilles  ,  de  bulbes ,  mais  des  fleurs  moins 
nombreuses  et  plus  petites  ou  stériles  ;  tandis  que ,  sous  l'in- 
fluence d'une  lumière  plus  vive  et  d'une  sécheresse  plus 
grande ,  spécialement  sur  les  hautes  montagnes ,  sa  tige  est 
plus  basse  et  plus  faible,  mais  garnie  de  fleurs  plus  grandes 
et  plus  fécondes.  Les  femmes  qui  ont  trop  peu  de  force  vitale 
pour  la  procréation  maigrissent  pendant  la  grossesse  et  l'al- 
laitement, et  tombent  dans  l'étisie  lorsque  les  grossesses  se 
succèdent  avec  promptitude  chez  elles  ;  et ,  de  même  que  les 
animaux  maigrissent  à  l'époque  où  ils  entrent  en  chaleur,  de 
même  aussi  les  excès  et  l'onanisme  amènent  d'abord  l'amai- 
grissement, puis  plus  tard  le  défaut  d'appétit,  les  douleurs 
d'estomac  et  toutes  sortes  de  désordres  des  facultés  digestives. 
La  suppression  de  la  génération  favorise  la  nutrition  ;  les 
hommes  chez  lesquels  la  faculté  procréatrice  s'éteint  à  la  suite 
d'une  vie  licencieuse,  tardent  peu  à  engraisser.  On  peut  en 
dire  autant  des  animaux  qui  ont  subi  la  castration,  des  Vaches 
hermaphrodites  (1),  et  du  gibier  dont  les  parties  génitales  ont 
été  accidentellement  lésées  ,  même  de  Poissons  dont  les 
ovaires  se  sont  atrophiés.  Trop  de  graisse  empêche  la  géné- 
ration, comme  l'enseignent  les  faits  fournis  par  nos  animaux 
domestiques  ;  cette  circonstance  fait  même  perdre  aux  Poules 
l'aptitude  à  couver,  et  les  œufs  pondus  par  des  Oies  grasses 
ne  sont  ordinairement  pas  susceptibles  d'éclore  (2). 

II.  La  procréation  est  en  rapport  intime  avec  la  tendance  du 
dedans  au  dehors ,  avec  l'artérialité ,  avec  l'énergie  de  la  vie 
du  sang  et  de  la  plasticité  en  général. 

3°  Chez  beaucoup  d'animaux  sans  vertèbres  (  Entozoaires , 
Vers,  Insectes,  Crustacés),  les  testicules  sont  placés  au  des- 
sous du  cœur,  et ,  d'après  J.  Muller  (3),  les  ovaires  sont 
même  des  prolongemens  du  vaisseau  dorsal ,  de  sorte  que  ces 
organes  sont  en  quelque  sorte  les  seuls  dans  lesquels  on  re- 
trouve des  artères,  qui  sont  éteintes  dans  tous  les  autres.  Ils 
sont  situés  ,  chez  les  Oiseaux  ,  sous  l'aorte,  et  chez  quelques 


(1)  Hunter,  Observations  on  certain  parts  ofthe  animal  œconomy,  p.  49. 

(2)  Bechstein ,  Naturgeschichte  Deutschlands ,  t.  IV,  p.  868. 

(3)  ISov,  Act.  Natiir.  Curios ,  t.  XII,  p.  576. 


l4  AGE  ADULTE. 

Poissons,  près  du  sinus  celluleux  qui  tient  à  la  veine  cave  (1). 
Au  moment  où  la  faculté  procréatrice  s'éveille  ,  le  cœur  de- 
vient plus  puissant  et  la  circulation  plus  énergique  ;  l'inten- 
sité de  cette  dernière  augmente  lorsque  le  désir  de  procréer 
se  fait  sentir,  et  elle  devient  orageuse  au  plus  haut  degré  pen- 
dant l'acte  de  la  copulation  ;  les  personnes  adonnées  à  l'ona- 
nisme sont  sujettes  aux  palpitations  de  cœur  et  aux  syncopes. 
Il"  La  respiration  est  une  tendance  du  sang  à  se  porter  au 
dehors,  pour  entrer  en  conflit  avec  l'atmosphère.  Celte  ten- 
dance a{]randit  la  sphère  vitale  de  l'organisme ,  et  le  met  en 
relation  plus  intime  avec  l'univers  entier.  S'il  résulte  de  là 
que  ,  considérée  sous  son  aspect  le  plus  général ,  la  respira- 
tion a  une  sorte  d'affinité  avec  la  fonction  génitale ,  nous  ren- 
controns aussi  plus  d'un  point  oii  les  deux  fonctions  coïnci- 
dent ensemble.  Ainsi  l'air  prend  une  certaine  part  à  la  géné- 
ration primordiale  (§  14,  9°-ll°),  à  la  fécondation  et  à  l'incu- 
bation. L'aboutissement  des  oviducles  et  des  conduits  déférons 
aux  orifices  respiratoires  (§  123  ,  2°),  ou  dans  l'intérieur  des 
cavités  qui  servent  à  la  respiration  (§  124 ,  1°) ,  l'incubation 
dans  les  branchies  (§  338 ,  3°;  357,  4°),  les  nombreuses  tra- 
chées qui  se  rendent  aux  testicules  et  aux  ovaires  des  Insec- 
tes ,  la  part  plus  active  que  l  âme  prend  à  l'acte  procréateur 
lorsque  les  organes  respiratoires  ont  beaucoup  de  capacité 
(§  263,  1°  ;  369,  5°),  la  propagation  dps  mouvemens  respira- 
toires aux  testicules  chez  beaucoup  d'animaux  vertébrés  et 
chez  l'homme,  attestent  la  connexion  intime  qui  existe  entre  les 
deux  fonctions.  La  respiration  est  accélérée  et  oppressée  lorsque 
le  désir  de  la  copulation  se  fait  sentir  (§  247,  5°) ,  et  pendant 
l'acte  lui-même  les  poumons  exécutent  les  mouvemens  les 
plus  violens  (§  283,  2°).  Des  grossesses  trop  fréquentes  ou  un 
allaitement  trop  prolongé  font  tomber  les  femmes  dans  la 
ph'.hisie  pulmonaire,  lorsqu'elles  ne  sont  pas  d  une  complexion 
très-roi  uste.    L'abus  des  plaisirs  de  l'amour  provoqua  fré- 
quemment la  formation  de  tubercules  dans  les  poumons,  et  la 
plupart  de  ceux  qui  s'adonnent  à  l'onanisme  sont  attaqués 
d'asthme.  Des  douleurs  de  poitrine  et  la  toux  coïncident  fré- 

(1)  Rathke  ,  Bemcrltungen  ueheu  don  innefii  Bar  der  Friche  ,  p.  49. 


AGE  ADULTE.  l5 

quemment  avec  la  suppression  des  règles ,  et ,  suivant  Gre- 
va (1),  les  Vaches  elles  Singes  sont  souvent  atteints  de  phllâ- 
sie  lorsqu'on  les  empêche  de  s'accoupler.  Enfin  l'action  sym- 
pathique des  organes  génitaux  sur  ceux  de  la  génération 
s'annonce  encore  par  l'efficacilé  des  fomentations  froides  sur 
les  parties  génitales  pour  arrêter  l'hémoptysie,  et  parla  fré^ 
quence  des  douleurs  dans  la  trachée-artère  et  le  larynx  chez 
les  personnes  qui  sont  menacées  d'une  blennorrhagie  syphili- 
tique. D'un  autre  côté ,  l'influence  des  organes  respiratoires 
sur  ceux  de  la  génération  n'est  pas  moins  évidente  ;  les  orga- 
nes génitaux  ne  se  développent  ordinairement  point  chez  les 
sujets  atteints  de  cyanopathie  ;  d'après  les  observations  de 
Nasse  (2),  celte  dernière  affeclion  retarde  aussi  les  règles,  en 
diminue  l'abondance  ,  ou  même  les  empêche  de  s'établir;  la 
pendaison  et  la  strangulation  sont  ordinairement  suivies  d'une 
érection  et  d'une  éjaculation  ,  qui  ont  même  lieu  quelquefois 
après  la  mort  ;  aux  ulcérations  du  larynx  se  joignent  parfois 
l'endolorissement  et  Tatrophie  des  testicules ,  accidens  qui 
augmentent  à  mesure  que  la  maladie  primitive  fait  des  pro- 
grès (3);  la  phlhisie  rend  souvent  ceux  qu'elle  frappe  très- 
enclins  à  la  lascivelé  ;  Grève  a  remarqué  aussi  que  les  animaux 
atteints  de  tubercules  ou  d'autres  affections  pulmonaires,  sont 
fort  portés  aux  plaisirs  de  l'amour  ;  les  chevaux  poussifs  en- 
trent plus  fréquemment  en  chaleur,  ou  se  livrent  à  l'onanisme, 
tandis  que  lesjumens,  une  fois  pleines  ,  n'éprouvent  souvent 
plus  aucun  symptôme  de  la  maladie  pendant  tout  le  temps  de 
la  gestation,  ou  même  en  sont  complètement  délivrées  par-là. 

5°  Un  accroissement  de  chaleur  ,  qu'il  vienne  du  dedans  ou 
du  dehors ,  favorise  et  accompagne  l'acte  de  la  procréation  , 
la  puberté,  la  maturation  des  œufs  (§  330,  lo),  l'instinct  pro- 
créateur (§245,  2%  3o  ;  247,  6°),  l'incubation  ( §  346,  4^; 
362 ,  2°)  et  la  parturilion  §  495 ,  5°). 

6o  La  vie  du  sang  est  exaltée  par  la  faculté  procréatrice.  L'o- 
deur qu'exhale  la  vapeurdu  sang  est  plus  forte  chez  leshom- 

(1)  Deutsches  Archiv^  t.  VI,  p.  52. 

(2)  Ihid  ,  t.  Il ,  p.  9. 

(3)  Mecliel ,  Ahhandlungen  aus  der  menschUchen  und  vergleichÉnden 
Anatomie ,  p.  11)4. 


ï6  AGE   ADULTE. 

mes  que  chez'les  femmes  elles  enfans  ;  elle  a, en  outre,  un  ca- 
ractère tout  particulier  (1)  ;  on  ne  l'observe  ni  chez  les  castrats 
ni  chez  les  vieillards,  ni  chez  les  hommes  affectés  de  phthisie 
dorsale  et  d'atrophie  des  testicules  ;  elle  se  communique  à  la 
chair  des  animaux  mâles,  que  la  castration  peut  seule  rendre 
propre  à  être  mangée.  On  attribue  communément  cette  odeur, 
et  le  surcroît  de  force  musculaire  qui  l'accompagne,  à  l'absor- 
ption de  la  semence  ;  mais  cette  absorption ,  qu'on  ne  saurait 
nier' cependant,  ne  peut  être  considérée  comme  la  cause  du 
phénomène.  Ce  qui  prouve,  au  contraire,  que  la  fonction 
procréatrice  perfectionne  la  formation'  du  sang  en  général , 
c'est  que  l'interruption  de  la  menstruation  ,  sa  non  apparition, 
le  défaut  de  satisfaction  de  l'inslinct  génital  et  l'onanisme, 
amènent  la  chlorose ,  état  dans  lequel  le  sang  a  une  teinte 
pâle  et  sale,  le  caillot  est  friable  ,  la  fibrine  ressemble  à  l'al- 
bumine ,  et  les  sels  existent  en  moins  grande  quantité ,  de 
même  que  probablement  aussi  le  fer.  Lorsque  l'activité  des 
organes  géni'.aux  s'éveille  et  suit  une  marche  régulière ,  no- 
tamment sous  l'influence  du  mariage ,  le  sang  acquiert  sa 
constitution  normale.  Haller  (2)  a  remarqué  que ,  chez  les 
animaux  soumis  tard  à  la  castration,  la  chair  a  une  odeur  non 
moins  répugnante  que  chez  ceux  qui  n'ont  point  subi  l'opé- 
ration. La  formation  du  sang  semble  donc  acquérir,  à  l'éveil 
de  la  faculté  procréatrice,  une  direction  particulière,  qui  peut 
ensuite  se  maintenir,  même  après  la  cessation  de  la  sécrétion 
du  sperme. 

7°  De  même  que  la  force  vitale  croît  pendant  le  rut  (  §  247  ), 
et  que ,  chez  les  animaux  mâles ,  elle  est  épuisée  après  la 
satisfaction  du  besoin  (§  285  ,  2°) ,  de  même  aussi  l'éveil  de 
la  faculté  procréatrice  exerce  une  influence  bien  marquée 
sur  l'ensemble  de  la  plasticité.  Lorsqu'on  coupe  les  animaux 
de  bonne  heure  ,  les  Cochons  ,  par  exemple,  à  trois  semaines, 

(i)  Comparez  Baruel ,  Mémoire  sur  l'existence  d'un  principe  propre  à 
caractériser  le  sang  de  l'homme  et  celui  des  diverses  espèces  d'animaux 
(Annales  d'iiygiène,  t.  I,  p.  267,  t.  II ,  p.  217.)  —  Wedekind  ,  Moyen 
de  distinguer  le  sang  humain  du  sang  des  animaux  (  même  Recueil ,  t.  XI, 
p.  205.)  —  F.-V.  Raspail ,  Nouveau  système  de  chimie  organique,  Paris, 
4838,  t.  m,  p.  209  et  suiv. 

(2)  Elem.  physiol.,  t.  YII ,  p.  546. 


AGE  ADULTE.  I7 

l'opération  fait ,  à  la  vérité ,  courir  moins  de  danger  à  la  vie 
que  quand  on  Texécute  aux  ajDproches  de  la  puberté  ;  mais 
les  animaux  deviennent  plus  débiles  et  plus  haut  montés  sur 
pattes.  L'influence  sur  l'activité  plastique  se  manifeste,  entre 
autres,  dans  les  dégénérescences  de  l'instinct  propagateur, 
attendu  que,  quand  il  n'y  a  point  de  procréation ,  quoique 
la  faculté  procréatrice  soit  excitée ,  on  voit  survenir  des 
pseudomorphoses.  Ainsi  les  polypes  et  les  squirrhes  de  la 
matrice  sont  communs  chez  les  prostituées  (*)  ;  chez  les 
femmes  adonnées  à  l' onanisme  ,  le  doigt  coupable  se  couvre 
très-souvent  de  verrues,  et  fréquemment  aussi  il  se  manifeste 
des  formations  anormales  dans  les  ovaires  ;  la  pédérastie  en- 
gendre des  fies  à  l'anus ,  et  les  Vaches  qui  ont  commerce  avec 
des  Bœufs  sont  fréquemment  atteintes  de  verrues  aux  parties 
génitales. 

Un  coït  modéré  procure  aussi  plus  de  vigueur  à  l'homme , 
en  ce  qu'il  élimine  le  superflu  de  la  substance  et  procure  une 
excitation  bienfaisante  à  l'organisme  entier.  Mais  ce  qui  dé- 
montre combien  la  vie  plastique  est  dépendante  sous  ce 
rapport,  c'est  que  tout  épuisement  quelconque,  tout  état 
valétudinaire,  fait  cesser  l'insiinct  sexuel,  à  moins  qu'il  ne 
soit  stimulé  par  une  habitude  contre  nature  ou  par  une  irri- 
tation maladive. 

III.  La  génération  appartient  à  la  catégorie  des  fonctions 
qui  ont  pour  but  l'éjection ,  dont  le  caractère  consiste  dans 
le  développement  d'un  certain  nombre  de  substances ,  de 
formes  et  de  forces  diverses ,  et  dans  l'exsertion  de  l'inté- 
rieur, qui  vient  se  produire  au  dehors.  C'est  la  formation 
d'un  être  qui  tend  à  se  débarrasser  des  liens  par  lesquels  il 
est  uni ,  comme  partie  intégrante  ,  avec  l'être  procréateur, 
et  à  conquérir  ainsi  son  indépendance.  Aussi  les  organes  gé- 
nitaux ont-ils  des  connexions  avec  les  principaux  appareils 
d'excrétion. 

*  Parent-Duchatelet  (De  la  prostitution  dans  la  ville  de  Paris  ,  2« 
édit.,  Paris,  1837,  t.  I,p.  253)  conUedit  formellement  cette  assertion.  Sui- 
vant lui ,  si  les  prostituées  ne  sont  pas  à  l'abri  du  cancer  utérin ,  celte 
maladie  est,  chez  elles ,  beaucoup  plus  rare  que  le  métier  qu'elles  exercea 
ne  pourrait,  au  premier  aspect,  le  faire  croire. 

V.  2 


l8  AGE  ADULTE. 

8°  Chez  la  plupart  des  animaux,  ils  sont  situés  au  rectum , 
ou  aboutissent  avec  lui  dans  un  cloaque  commun.  Les  lave- 
mens  agissent  sur  ces  organes ,  ainsi  que  toutes  les  substances 
qui  exercent  une  influence  stimulante  sur  le  rectum.  La  du- 
reté des  matières  fécales  détermine  un  certain  degré  d'é- 
rection ,  et  même  ,  chez  les  hommes  affaiblis  par  les  excès  , 
une  espèce  d'éjaculation.  On  a  vu  aussi  des  cas  dans  lesquels, 
l'excrétion  du  sperme  n'ayant  point  lieu ,  il  s'écoulait  par 
l'intestin  un  liquide  ayant  de  l'analogie  avec  cette  humeur. 
La  matrice  se  ressent  fréquemment  des  maladies  du  rectum , 
et  vice  versa. 

9»  Les  organes  génitaux  plastiques  sont ,  dans  l'embryoïi', 
situés  immédiatement  sur  les  reins ,  position  qu'ils  occupent 
même  pendant  toute  la  vie  chez  quelques  Mammifères  ,  mais 
surtout  chez  les  Oiseaux  et  les  Reptiles.  L'artère  et  la  veine 
spermatiques ,  notamment  celles  du  côté  gauche ,  sont  fré- 
quemment des  branches  fournies  par  les  vaisseaux  corres- 
pondants des  reins.  Enfin  le  système  Urinaire  est  lié  au 
système  génital  par  l'abouchement  commun  des  conduits 
excréteurs.  L'urée  est  moins  abondante  chez  les  castrats,  qui 
ne  sont  pas  sujets  non  plus  aux  calculs  urinaires.  La  faculté 
procréatrice  est  éteinte  dans  le  diabète. 

10»  Chez  les  Mollusques,  le  foie  est  le  principal  organe 
excréteur  ;  aussi  les  testicules  et  les  ovaires  se  trouvent-ils 
près  de  lui  ;  les  deux  organes  se  confondent  même  ensemble , 
ou  du  moins  ne  sont  pas  séparés  par  des  limites  distinctes, 
chez  quelques  Acéphales.  Les  testicules  et  les  ovaires  des 
Scorpions  sont  cachés  dans  la  substance  du  foie.  Chez  plu- 
sieurs Poissons ,  ils  tiennent  à  ce  dernier  organe ,  et  les 
veines  des  organes  génitaux  forment  une  des  racines  de  la 
veine  porte,  tandis  que,  dans  les  Chéloniens,  la  veine  sper- 
matique  reçoit  plusieurs  veines  hépatiques. 

11°  Lorsque  le  besoin  de  l'union  des  sexes  se  fait  sentir, 
l'activité  delà  peau  devient  plus  considérable  (§247,  3°). 
La  faculté  procréatrice  comumnique  une  odeur  spéciale  à  la 
transpiration.  Chez  les  castrats,  la  peau  est  molle,  pâle,  lisse, 
rarement  sujette  aux  exanthèmes ,  et  la  transpiration  aigre- 
lette. Les  irritations  portées  sur  la  peau  qui  avoisine  les  or- 


AGE  ADUITE.  \19 

ganes  génitaux  exercent  une  action  stimulante  sur  ces  der- 
niers. On  a  vu  un  liquide  analogue  au  sperme  suinter  de  la 
peau  ,  quand  cette  humeur  ne  poîivait  suivre  son  cours  ordi- 
naire. 

IV.  Les  organes  de  la  génération  ont ,  en  outre  ,  des  rela- 
tions avec  les  parties  du  corps  qui,  plus  que  d'autres,  portent 
en  elles  le  caractère  d'excrétions  organisées. 

12°  Les  os  répandent  une  odeur  de  sperme  lorsqu'on  les 
lime  ou  qu'on  les  scie  ;  leur  formation  cesse  dès  que  la  sé- 
crétion du  sperme  commence.  Les  cornes  et  les  bois  se  ratta- 
chent surtout  à  la  faculté  procréatrice  masculine  (§  ^  83,  7",  8°). 

13"  Les  formes  et  les  couleurs  spéciales  des  plumes ,  chez 
les  mâles  des  Oiseaux  (§  183  ,  3° ,  4°),  ne  se  développent  que 
vers  l'époque  de  la  maturité  sexuelle,  et  se  prononcent  peu 
à  peu  pendant  la  mue.  A  l'égard  de  l'espèce  humaine,  la 
quantité  et  la  frisure  des  poils  qui  ombragent  les  pubis  sont 
presque  toujours  ,  dans  les  deux  sexes ,  en  raison  directe  de 
l'énergie  de  la  faculté  procréatrice.  La  barbe  ne  se  développe 
pas  chez  les  castrats  ;  chez  les  hommes  qui  n'ont  subi  l'opé- 
ration qu'au  moment  de  la  puberté ,  elle  demeure  peu  four- 
nie ,  et  tombe  de  très-bonne  heure ,  tandis,  que  chez  ceux 
qui  jouissent  de  la  puissance  virile ,  elle  est  implantée  avec 
beaucoup  de  solidité  ,  et  ne  tombe  que  fort  rarement ,  même 
dans  l'âge  le  plus  avancé.  Des  poils  croissent  à  la  lèvre  supé- 
rieure et  au  menton  des  femmes  stériles ,  même  de  celles  qui 
sont  privées  de  relations  avec  les  hommes ,  et  dont  les  men- 
strues diminuent,  comme  les  jeunes  veuves.  On  a  prétendu 
que  l'habitude  de  se  raser  stimulait  les  organes  génitaux.  La 
force  de  la  barbe  est  en  raison  directe  de  la  faculté  pro- 
créatrice ,  et  même  aussi  en  partie  de  la  puissance  muscu- 
laire. On  raconte  d'un  conseiller  de  l'empereur  Maximilien  II, 
nommé  Rauber,  dont  la  barbe  avait  sept   pieds   de  long, 
qu'il  eut  de  sa  femme  huit  couples  de  jumeaux,  et  que,  dans 
une  lutte  avec  un  rival  célèbre  par  sa  vigueur,  il  parvint  à 
l'enfermer  dans  un  sac.   Aussi  Thomme  at?ache-t-il  de  l'im- 
portance à  sa  barbe.  Les  Orientaux  l'estimaient  déjà  beaucoup 
autrefois,  et  ils  ne  l'estiment  pas  moins  encore  aujourd'hui  ;  chez 
eux,  on  la  baise  en  témoignage  de  vénération,  et  on  jure  par 


10  AGE    ADULTE. 

elle  ;  les  poils  qui  s'en  déîachent  sont  enterrés ,  portés  même 
dans  les  cimetières  ;  on  se  la  coupe  en  signe  d'aiîliction  ,  et 
on  ne  permet  point  aux  esclaves  de  la  porter.  Les  anciens 
habitans  du  nord  portaient  de  longues  barbes  ;  les  Ger- 
mains donnaient  la  leur  comme  garantie  d'une  dette  ou  comme 
gage  de  fidélité,  ou  l'allachaient  au  sceau  des  actes  publics. 
Elle  n'était  pas  moins  prisée  chez  les  nations  esclaves,  et  la 
plus  dangereuse  des  innovations  de  Piene-le-Grand  fut  d'o- 
bliger ses  soldats  à  se  raser.  Les  différentes  idées  que  les 
peuples  ont  attachées  à  la  beauté  et  à  la  dignité, ont  fait  varier 
la  forme  de  la  barbe  ;  les  Israélites  ne  la  portaient  qu'au 
menton  et  à  la  lèvre  inférieure ,  où  il  ne  leur  était  pas  per- 
mis de  la  raccourcir  ;  les  Egyptiens  n'en  conservaient  qu'un 
bouquet  au  menton.  En  Grèce  et  à  Rome ,  on  la  parfumait  et 
on  la  frisait,  on  ne  la  taillait  que  fort  tard,  et  si  enfin  on  se 
rasait  entre  la  vingtième  et  la  quarantième  années  de  la  vie  , 
de  même  que  ,  chez  les  Orientaux,  les  élé;;ans  se  rasent  jus- 
qu'à l'époque  de  leur  mariage,  les  prêtres  et  les  soldats 
conservaient  leur  barbe  ,  comme  un  symbole  de  dignité  et 
de  force  ;  on  la  laissait  croître  aussi  dans  l'affliction.  Pen- 
dant le  moyen  âge ,  les  peuples  de  l'Europe  l'ont  taillée  de 
différentes  manières  :  en  pointe  ,  en  moustaches  ,  en  favo- 
ris ,  etc.  ;  elle  a  été  portée  tantôt  droite ,  tantôt  frisée  ;  et 
après  la  mode  des  mentons  nus  ,  qui  ré(}na  au  dix  huiiième 
siècle,  celle  des  moustaches  a  été  ramenée  par  le  réveil  de 
l'esprit  guerrier.  Les  peuples ,  au  contraire ,  qui  ont  peu  de 
barbe  ,  ne  la  considèrent  que  comme  une  difformité  ;  tel  est 
le  cas  des  Tonguses,  des  autres  peuplades  mongoles,  et  de 
la  plupart  des  Américains ,  qui  ont  coutume  de  se  l'arracher 
avec  soin.  Suivant  Hearne  (1),  on  ne  trouve,  parmi  les  sau- 
vages de  la  baie  d'Hudson,  que  peu  d'hommes  qui  aient  de 
la  barbe;  celle  ci  même  croît  très-tard,  et  demeure  peu 
abondante ,  quoique  fort  raide  ;  il  ne  vient  point  de  poils  sous 
les  aisselles  ,  et  les  pubis  n'en  présentent  que  peu  non  plus. 

11  n'y  a  que  les  Ghipiouans  et  les  Yabipais  dans  le  nord  de 


(1)  Reise  in  der  Hxidsonhai  ,  p.  203. 


AGE  ADULTE.  SI 

l'Amérique ,  les  Pata^ons  et  les  Guaranis  dans  l'Amérique  du 
sud,  qiii  aient  une  barbe  plus  fournie  (1). 

V.  Un  rapport  entre  les  glandes  vasculaires  et  la  généra- 
tion a  été  admis,  mais  plutôt  par  hypothèse  que  par  démons- 
tration. 

14°  L'artère  spermatique  naît  quelquefois  de  la  capsulaire, 
ou  doane  des  branches  à  la  capsule  surrénale.  La  plupart  du 
temps  aussi  une  branche  de  l'artère  capsulaire  accompagne 
le  cordon  spermatique  jusqu'à  l'anneau  inguinal.  Chez  les 
Oiseaux,  les  capsules  surrénales  sont  appliquées  contre  les 
ovaires  et  les  testicules,  et  souvent  unies  d'une  manière  in- 
time avec  les  capsules  surrénales.  Chez  quelques  Rongeurs, 
elles  ont  un  volume  proportionnel  très -considérable,  les 
organes  génitaux  étant  eux-mêmes  fort  développés.  Les  ani- 
maux qui,  après  ceux-là  ,  possèdent  les  pins  grosses,  sont 
les  Singes,  dont  on  connaît  la  lubricité.  Elles  ont  aussi  beau- 
coup de  volume  chez  l'homme,  dont  la  faculté  génitale  n'est 
point  liée  à  une  époque  déterminée  de  Tannée.  Elles  parais- 
sent, en  outre,  se  tuméfier  pendant  le  rut;  il  leur  arrive 
quelquefois  de  dégénérer  après  la  syphilis  ,  le  ramollissement 
et  les  maladies  des  testicules  ;  elles  manquent  parfois  chez  les 
monstres  privés  d'organes  génitaux.  Meckel  (2)  a  ainsi  rendu 
probable  une  relation  entre  elles  et  ces  derniers;  mais  nous  ne 
pouvons  encore  nous  faire  une  idée  nette  de  la  manière  dont 
elles  contribueraient  à  la  génération  ,  et  nous  sommes  dans  le 
doute  de  savoir  si  cette  corrélation  ne  tiendrait  pas  unique- 
ment au  voisinage  des  parties ,  ou  à  la  communauté  des  vais- 
seaux. 

15°  La  thyroïde  prend  plus  de  développement  chez  les 
femmes  mariées,  qu'elle  n'en  a  chez  les  vierges.  Il  lui  arrive 
souvent,  dans  la  grossesse  ou  après  l'accouchement,  de  pro- 
duire l'espèce  de  tumeur  désignée  sous  le  nom  de  goitre ,  et 
l'on  remarque  assez  souvent  une  grande  lasciveté  chez  les 
personnes  atteintes  de  cette  difForaiité.  Cependant  ce  phéno- 


(1)  Humboldt,  Reisein  die  jEqui?ioctialgegenden  ,  t.  II,  p.  200. 
{2)^Mhandlungen  aus  der  menschlichen  Anatomie ,  p.  141-185. 


2â  AGE  ABUtTE. 

mène  pourrait  fort  bien  aussi  se  rattacher  aux  connexions  de 
la  génération  avec  la  respiration. 

16"  Comme  le  tliymus  disparaît  peu  avant  la  înanifestation 
de  la  puberté,  et  qu'il  acquiert  un  très-grand  développement 
pendant  le  sommeil  d'hiver  de  quelques  animaux  ,  peut-être 
serait-on  en  droit  de  comparer  ses  rapports  avec  l'appareil 
génital  à  ceux  du  corps  adipeux  avec  ces  mêmes  organes , 
s'il  ne  paraissait  pas  plus  naturel  d'attribuer  les  phénomènes 
en  question  à  l'itifluence  de  la  respiration. 

47°  Eufin  Schulz  prétend  avoir  observé  l'impuissance  après 
l'extirpation  de  la  rate,  ce  qui  ne  s'accorde  point  avec  les  ob- 
servations recueillies  par  d'autres  ;  on  ne  conçoit  pas  non 
plus  quel  genre  de  connexion  pourrait  exister  entre  les  deux 
phénomènes. 

II.  Rapports  avec  la  vie  animale. 

§  564.  Quant  aux  rapports  avec  les  organes  extérieurs  de 
ame, 

d''  Les  organes  génitaux  internes  reçoivent  du  nerf  grand 
sympathique  des  branches  plutôt  nombreuses  que  fortes,  qui 
ont  de  fréquentes  connexions  avec  les  autres  plexus  de  ce 
nerf;  mais  les  parties  génitales  externes  reçoivent  des  bran- 
ches des  nerfs  rachidiens  inférieurs.  Les  testicules  ne  sont 
pas  fort  sensibles  ;  mais  toute  compression  exercée  sur  eux 
détermine  une  douleur  sourde  insupportable;  elle  peut  même, 
quand  elle  est  forte,  occasioner  une  mort  subite ,  comme  on 
le  sait  d'après  quelques  exemples  de  prostituées,  qui  ont  ainsi 
fait  périr  des  hommes.  La  tension  des  fonctions  sensibles  pen- 
dant les  désirs  vénériens  et  l'accouplement,  le  besoin  de  som- 
meil ,  ou  au  moins  de  repos  des  organes  sensoriels  et  des 
muscles,  après  l'acte  vénérien;,  l'exaltation  de  la  sensibilité,  la 
faiblesse  du  système  nerveux  ,  i'hysiérie  et  l'hypochondrie  , 
qui  succèdent  aux  excès  et  à  l'onanisme,  attestent  que  la  gé- 
nération exerce,  sur  la  vie  nerveuse ,  une  influence  qui  n'est 
point  matérielle,  et  qui  ne  tient  pas  à  une  soustraction  de  li- 
quide. Fournier  rapporte  (1)  qu'un  jeune  homme  éprouva  les 

(1)  Dictionn.  des  sciences  médic,  t.  XXXI ,  p.  425. 


AGE  ADULTE.  23 

suites  ordinaires  de  celte  funeste  pratique,  quoiqu'il  eût  l'ha- 
bitude de  comprimer  la  partie  la  plus  reculée  de  1  urètre  au 
moment  de  l'éjaculation,  et  de  s'opposer  ainsi  à  la  sortie  du 
sperme,  de  sorte  qu'il  ne  s'en  échappait  pas  une  seule  goutte 
pendant  la  contraction  spasmodique  des  muscles  du  périnée , 
et  que  l'urine  évacuée  immédiatement  après  n'en  présentait 
non  plus  aucune  trace. 

Chez  les  animaux  inférieurs ,  les  organes  génitaux  possè- 
dent une  grande  irritabilité  ,  et ,  après  la  mort ,  conservent 
leur  vitalité  plus  long-temps  qu'aucune  autre  partie.  C'est  ce 
qui  a  lieu  dans  les  Aplysies,  suivant  Bohadsch.  On  voit  aussi 
des  Grenouilles  et  des  Insectes  qui  conservent  la  faculté  de 
s'accoupler  et  de  féconder,  même  après  avoir  eu  la  tête  cou- 
pée. Cette  vitalité  particulière  se  montre  aussi  en  partie,  chez 
l'espèce  humaine,  dans  la  faculté  qu'a  la  matrice  d'expulser  le 
produit  de  la  conception  après  la  mort  de  !a  femme  (§484,  2°). 

2°  La  partie  de  l'organe  central  de  la  sensibilité  qui  entre- 
tient des  connexions  avec  l'appareil  géiiiîal ,  est  celle  qui  se 
rapproche  le  plus  de  ce  dernier.  Le  ganglion  postérieur  du 
système  nerveux  des  Insectes,  qui  donne  des  nerfs  aux  orga- 
nes génitaux,  se  fait  remarquer  par  son  volume,  et  ressemble 
à  l'antérieur,  ou  à  ce  qu'on  appelle  le  cerveau ,  par  sa  forme 
bilobée  et  sillonnée.  La  partie  analogue  chez  1  homme  ,  ou  la 
région  inférieure  de  la  moelle  épinière,  est  déterminée  par 
l'état  des  organes  génitaux  ;  l'homme  dont  les  vésicules  sé- 
minales regorgent  de  sperme,  éprouve  un  sentiment  plus  vif 
de  sa  force  ;  les  excès  occasionent  une  inflammation  chroni- 
que et  l'atonie  de  la  moelle  épinière  ;  la  suppression  des  rè- 
gles entraîne  quelquefois  des  congestions,  des  phleginasies 
ou  des  épanchemens  de  sang  dans  cet  organe  ;  lorsque  la 
moelle  rachidienne  vient  à  être  frappée  de  phthisie,  les  orga- 
nes génitaux  se  flétrissent. 

3°  Quoique,  dans  les  inflammations  de  la  matrice ,  le  cer- 
veau ne  soit  ordinairement  point  affecté ,  et  que  la  malade 
conserve  en  général  la  conscience  de  soi-même,  cependant 
la  suppression  des  lègles  ou  rallaiiemeni  entraîne  tort  sou- 
vent Tencéphahie ,  le  délire  et  l'aliénation  nitniale.  L'acte 
vénérien  est  sujet  à  provoquer  des  épanchemens  de  sang  au 


24  AGE  ADULTE. 

cerveau  chez  les  vieillards  ;  les  excès  et  Tonanisme  détermi- 
nent fort  souvent  la  céphalalgie ,  le  vertige  ,  les  hallucina- 
tions des  sens,  ou  même  des  dégénérescences  du  cerveau  , 
notamment  la  suppuration  ou  l'induration.  La  stupeur  qui  ré- 
sulte d'une  compression  exercée  sur  les  testicules,  et  au 
moyen  de  laquelle  on  parvient  à  dompter  les  animaux  les 
plus  farouches  ,  lorsqu'il  s'agit  de  les  châtrer ,  annonce  éga- 
lement une  connexion  intime  entre  ces  organes  et  le  cerveau. 
En  effet,  tandis  que,  chez  les  plantes ,  le  degré  culminant  de 
la  vie  est  concentré  dans  la  Heur,  la  vie  animale  offre  une  scission 
en  vertu  de  laquelle  factivité  dynamique  intérieure^  la  plus 
énergique  a  son  siège  dans  le  cerveau,  et  l'activité  plastique 
le  sien  dans  les  organes  génitaux.  Mais  cette  sorte  de  double 
fleur  est  portée  par  le  même  tronc,  et  ramenée  à  l'unité  par 
celle  de  l'esprit  vital.  Ainsi,  dans  le  Cerf,  la  première  con- 
gestion se  porte,  au  printemps,  vers  la  tête  ,  pour  y  produire 
le  bois,  après  quoi  elle  se  rejette  sur  les  organes  génitaux. 
Mais  ce  qui  démontre  parfaitement  l'influence  exercée  par 
l'état  matériel  du  cerveau,  c'est  qu'on  a  vu  la  lubricité  être 
provoquée  par  l'enfoncement  des  os  du  crâne^  l'hydrocéphale 
ou  le  ramollissement  du  cerveau ,  l'impuissance  l'être  par 
les  plaies  de  tête  ou  la  suppuration  de  l'encéphale  ,  enfin 
l'imperfection  du  développement  des  organes  génitaux,  le 
peu  d'abondance  des  règles  et  l'absence  des  désirs  l'être 
par  l'hydropisie  chronique  des  ventricules  (1). 

4"  Le  cervelet  est  le  point  avec  lequel  la  fonction  génitale 
entretient  plus  particulièrement  des  relations.  Quand  la  fa- 
culté procréatrice  est  puissante,  le  cervelet  et  les  muscles  de 
la  nuque  sont  très-développés.  On  trouve  la  nuque  fort  étroite 
chez  les  hommes  et  les  animaux  qui  ont  subi  la  castration. 
Les  émissions  sanguines  à  l'occiput  sont  plus  propres  qu'au- 
cune autre  à  refréner  des  désirs  immodérés.  On  a  vu  souvent 
une  plaie  à  cette  région  de  la  tête  entraîner  l'impuissance ,  la 
suppuration  ou  l'atrophie  du  cervelet  être  suivie  de  la  flétris- 
sure des  testicules,  une  inflammation  de  cet  organe  amener  le 
priapisme.  Serres  a  démontré,  par  une  série  d'observations , 

(1)  Burdach  ,  Fom  Bau  und  Lehen  des  Gehirns,  t.  III ,  p.  75. 


AGE  ADULTE.  25 

qu'un  épanchement  de  sang  au  cervelet  s'annonce  par  une 
turgescence  des  parties  génitales ,  qui  est  parfois  accompa- 
gnée de  pollutions,  et  qui  dure  même  après  la  mort.  L'ona- 
nisme occasione  surtout  des  douleurs  dans  la  nuque.  On  ob- 
serve fréquemment,  chez  les  hommes  livrés  aux  excès ,  des 
épanchemens  de  sang,  des  suppurations ,  des  indurations  et 
des  pseudomorphoses  dans  le  cervelet.  Les  hémorrhagies  qui 
surviennent  pendant  l'acte  vénérien  ont  la  plupart  du  temps 
leur  siège  dans  cet  organe.  La  suppression  de  la  sécrétion  du 
lait  s'accompagne  de  congestions  au  cervelet ,  et  les  ulcères 
de  la  matrice  font  souvent  naître  des  douleurs  à  l'occiput  et 
des  spasmes  dans  la  nuque  (1). 

5°  Les  divers  sens  éveillent  l'appétit  vénérien  (§  246,  1°)^ 
et  sont  plus  actifs  eux-mêmes  tant  qu'il  dure.  Ce  sont  les  deux 
sens  supérieurs  que  cet  appétit  affecte  de  préférence  chez 
l'homme  ;  après  l'union  des  sexes,  une  lumière  vive  et  un  bruit 
violent  affecient  d'une  manière  désagréable  ;  les  excès  dimi- 
nuent la  faculté  visuelle ,  dilatent  la  pupille,  ternissent  le  re- 
gard, cernent  l'œil  d'un  cercle  bleu,  rendent  l'ouïe  dure,  et 
déterminent  des  bourdonnemens  d'oreilles.  Les  glandes  sali- 
vaires,  comme  organes  accessoires  du  sens  du  goût,  ont  d'in- 
times rapports  avec  la  fonction  génitale;  elles  entrent  en  tur- 
gescence ,  aussi  bien  que  la  langue  et  les  lèvres ,  lorsque  les 
désirs  vénériens  se  font  sentir,  et  les  animaux  en  chaleur  sa- 
livent abondamment.  Les  glandes  salivaires  sont  presque  tou- 
jours très-développées  chez  les  personnes  d'une  complexioa 
voluptueuse.  La  sécrétion  salivaire  augmente  quelquefois 
pendant  les  règles.  Les  excès  rendent  d'abord  la  salive  plus 
abondante  ,  mais  elle  diminue  plus  tard ,  lorsque  l'individu 
tombe  dans  l'épuisement.  On  a  vu  une  mélancolie  produite 
par  des  désirs  non  satisfaits  guérir  par  la  salivation.  L'inflam- 
mation des  testicules  coïncide  ordinairement  avec  celle  des 
parotides.  La  syphilis  se  jette  des  organes  génitaux  sur  Far- 
rière-gorge  d'abord.  L'espèce  d'angine  qui  est  accompagnée 
de  l'exsudation  d'une  substance  pultacéeei  blanchâtre,  amène 
parfois  un  état  d'orgasme  des  parties  génitales ,  même  avant 

(1)  Burdach ,  ihid^  p.  423. 


26  AGE   ADULTE. 

la  manifestation  ou  après  la  cessation  de  la  faculté  procréa- 
trice (1).  Enfin  on  remarque  que,  chez  plusieurs  animaux  qui 
ont  la  verge  fendue ,  la  langue  l'est  également. 

6"  Les  muscles  jouissent  de  leur  plus  grand  énergie  pen- 
dant la  faculté  procréatrice.  L'animal  en  chaleur  et  l'homme 
dévoré  de  désirs  ont  une  force  indomptable.  La  puissance 
musculaire  diminue  dans  la  chlorose  et  la  leucorrhée.  On  ob- 
serve aussi ,  après  les  excès  et  Tonanisme  ,  une  faiblesse  à 
laquelle  se  joignent  le  tremblement  des  membres,  des  convul- 
sions et  l'épilepsie.  Les  castrats  ont  des  muscles  flasques  et 
pâles;  ils  sont  exempts  de  la  goutte.  La  chair  des  ani- 
maux qui  ont  subi  la  castration  se  déchire  avec  une  grande  fa- 
cilité. 

La  voix  exprime  le  désir,  etlui  donne  aussi  l'éveil  (§  247,  S"), 
la  parole  se  rapporte  à  l'espèce,  comme  la  génération  ;  celle- 
ci  tend  à  la  conservation,  et  l'autre  au  développement  pro- 
gressif de  l'espèce.  Voilà  pourquoi  le  larynx  et  la  voix  se  dé- 
veloppent en  même  temps  que  la  faculté  procréatrice  ;  quand 
les  désirs  se  font  sentir,  la  voix  est  voilée  et  parfois  trem- 
blante ;  les  prostituées  l'ont  ordinairement  rauque  (2).  Chez 
les  castrats,  le  larynx  est  petit  et  la  glotte  étroite  ;  leur  voix 
est  celle  de  soprano  ;  celle  des  chapons  est  plus  claire. 

§  565.  Parmi  les  fonctions  de  la  vie  plastique ,  il  n'en  est 
aucune  dans  laquelle  on  remarque  une  relation  aussi  intime 
entre  l'idée  et  l'exécution  ;  penser  et  engendrer  se  confondent 
ensemble  dans  l'idée  de  créer.  Dans  la  pensée  ^  l'idée  sort  de 
la  matière  :  dans  la  procréation ,  elle  s'y  plonge.  L'une  et 
l'autre  sont  dirigées  vers  l'universalité  ;  l'esprit ,  qui  pense  , 
reflète  l'univers  en  lui-même  ;  dans  la  procréation ,  l'orga- 
nisme forme  son  espèce.  En  général ,  les  deux  directions  de 
la  vie  s'accordent  l'une  avec  l'autre  ,  mais  Tune  ou  l'autre 
peut  prédominer,  ou  régner  seule  ,  chez  certains  individus  ; 
l'individualité  dans  laquelle  l'idée  est  étouffée  par  la  matière, 
ne  peut  créer  que  matériellement ,  c'est-à-dire  procréer  ; 
mais  toute  activité  spirituelle  qui  se  manifeste  au  dehors  pour 

(1)  Despoites,  dans  Revue  médicale,  182S  ,  t.  III ,  p.  l84. 

(2)  Paient-Diichalelel,  De  la  prostitution  dans  la  ville  de  Paiis ,  2« 
édit.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  196. 


AGE  ADUtTE.  57 

le  bien  de  tous,  est  une  procréation  portée  en  quelque  sorte 
à  une  puissance  supérieure  (§  562,  1°). 

1°  La  part  que  Fâme  prend  à  la  génération  se  démontre  de 
plus  d'une  manière.  Cetie  fonction  est  vivifiée  par  la  dispo- 
sition à  l'allégresse,  tandis  que  les  soucis,  le  chagrin,  la  crainte, 
la  frayeur,  la  paralysent.  Les  travaux  d'esprit  et  toutes  les 
émotions  morales  en  détournent ,  et  la  lubricité  tient  sou- 
vent plus  au  vide  de  la  tête  qu'à  la  plénitude  des  testicules. 
Les  changemens  que  les  organes  génitaux  doivent  subir  pour 
être  en  état  de  remplir  leurs  fonctions ,  sont  indépendans  de 
la  volonté,  mais  déterminés  néanmoins  par  l'idée  de  la  fonc- 
tion. Ainsi  rimagination  excite  l'érection  (§  278  ,  4°) ,  aug- 
mente la  formation  du  sperme  (§  246,  2°),  exalte  l'activité 
plastique  des  ovaires  (§  45  ,  7°),  amène  les  œufs  à  maturité 
(§  299,  5°) ,  et  favorise  la  fécondation  (§  296,  4°)  ;  elle  peut 
suspendre  ou  activer  les  efforts  de  la  matrice  (§  484, 11°) , 
supprimer  ou  accroître  la  sécrétion  du  lait,  et  même  appeler 
ce  dernier  dans  les  mamelles  desséchées  (§  522 ,  8°-ll°).  Les 
seins  d'une  femme  se  remplissaient  de  lait  toutes  les  fois 
qu'elle  entendait  crier  un  enfant;  une  autre  éprouva  des 
douleurs  semblables  à  celles  de  l'enfantement,  parce  qu'elle 
croyait  être  enceinte,  et  que,  d'après  son  calcul ,  le  moment 
d'accoucher  était  venu  (1).  Pichon  rapporte  un  exemple  bien 
remarquable  du  pouvoir  de  l'imagination  (2)  ;  une  femme  de 
quarante-huit  ans  ,  qui  avait  perdu  ses  règles  depuis  quatre 
ans,  et  dont  la  sensibilité  était  fort  exaltée  ,  fut  prise ,  en  as- 
sistant à  l'accouchement  long  et  douloureux  d'une  de  ses  sœurs, 
de  douleurs  semblables  à  celles  de  la  parturition  ;  quelques 
heures  après  se  déclara  une  hémorrhagie  par  les  parties  géni- 
tales, qui  dura  pendant  plusieurs  jours,  et  trois  jours  après  la 
cessation  de  cet  écoulement,  les  seins  non  seulement  se  tumé- 
fièrent, mais  encore  fournirent  une  sécrétion  de  lait. 

Cette  participation  de  l'âme  fait  que  l'habitude  influe  plus 
aussi  sur  la  génération  que  sur  aucune  autre  fonction  plasti- 
que (§  246,  4").   L'accouplement  avant  que  l'accroissement 

(1)  Treviranus ,  Biologie^  t.  VI,  p.  29. 

(2)  Aiehives  générales  ,  t.  XVII ,  p.  125. 


2 8  AGE  ADULTE. 

soit  arrivé  à  son  terme  entraîne  un  développement  plus  con- 
sidérable des  pariies  génitales  ,  parce  que  la  meilleure  part 
des  forces  de  la  vie  se  dirijje  vers  ces  dernières,  et  quand  l'or- 
ganisme succombe  à  une  formation  immodérée  de  semence , 
une  effroyable  lasciveté  persévère  jusqu'au  milieu  des  angois- 
ses de  Tagonie. 

2°  L'influence  immédiate  de  la  génération  sur  Tâme  se  ma- 
nifeste comme  penchant  d'un  sexe  vers  l'autre.  Mais  ce  qui 
démontre  entre  autres  que  ce  penchant  ne  dépend  point  de  la 
matérialité  des  organes  ,  c'est  que  le  désir  de  s'accoupler  se 
développe  et  persiste  chez  les  animaux  qui  ne  subissent  la 
castration  qu'aux  approches  de  la  puberté,  chez]  les  Bœufs, 
par  exemple,  qu'on  n'a  châtrés  que  dans  leur  troisième  année. 
Si  la  direction  une  fois  prise  par  la  vie  se  maintient  ici,  l'état 
des  organes  génitaux  appelle  ordinairement  les  idées  qui  s'y 
rapportent,  et  dirige  l'âme  vers  la  fonction.  Il  semble  d'abord 
que  ce  soit  la  sensualité  seule  qui  sollicite  l'âme  dans  ce  pen- 
chant; mais  l'instinct  séminateur  et  incubateur  des  œufs  n'est 
pas  moins  fort  chez  les  animaux  ,  non  plus  que  celui  de  soi- 
gner et  nourrir  les  petits  ,  et,  dans  l'espèce  humaine  ,  celui 
d'élever  les  enfans,  d'où  il  suit  que  l'inslinct  propagateur  ne 
se  rattache  ni  au  plaisir  des  sens,  ni  à  des  circonstances  pure- 
ment matérielles ,  mais  qu'il  dépend  d'une  cause  plus  pro- 
fonde ,  et  qu'il  a  une  destination  ou  une  signification  plus 
générale. 

3°  La  faculté  procréatrice  et  son  exercice  conforme  à  la 
nature  accroissent  la  tension  de  l'esprit.  A  l'époque  du  déve- 
lopement  de  la  puberté,  on  voit  se  manifester  d'une  manière 
générale  cette  exaltation  ,  dont  il  n'existe  aucune  trace  chez 
les  castrats.  Lorsque  les  excès  ont  affaibli  le  pouvoir  de  pro- 
créer, on  remarque  chez  l'individu  de  la  paresse  ,  de  l'inapti- 
tude au  travail,  de  l'insouciance  pour  tout  ce  qui  n'a  point  de 
rapport  direct  avec  la  sensualité ,  une  impuissance  totale  de 
fixer  son  attention ,  l'impossibilité  de  se  livrer  à  nulle  occu- 
pation sérieuse,  puis  la  diminution  de  la  mémoire,  l'affaiblis- 
sement de  l'esprit,  et  enfin  une  véritable  imbécillité.  Mais  le 
ressort  de  l'esprit  n'est  point  un  résultat  de  la  faculté  pro- 
créatrice ;  tous  deux  sont  des  fleurs  d'un  même  tronc,  que  le 


AGE    ADULTE.  2^ 

rapport  de  polarité  qui  existe  entre  elles  oblige  de  se  dévelop- 
per simultanément  et  de  se  prêter  un  mutuel  appui ,  quand  le 
développement  suit  la  marche  prescrite  par  la  nature.  Il  peut 
donc  aussi ,  par  cela  même,  y  avoir  antagonisme  entre  eux  ; 
lorsque  la  pui-^sance  de  procréer  est  parvenue  à  maturité  par- 
faite, le  défaut  de  satisfaction  du  besoin  qu'elle  fait  naître 
peut  occasioner  la  parfasse  d'esprit,  l'embarras  de  la  pensée  , 
l'ennui,  le  dégoût ,  mais  l'éjaculaiion  ou  la  menstruation  réta- 
blit l'équilibre  :  un  développement  trop  prononcé  des  parties 
génitales  peut  opprimer  les  facultés  de  l'âme ,  et  l'on  a  des 
exemples  d'idiotisme  guéri  par  l'excision  d'un  clitoris  devenu 
trop  volumineux.  De  même,  le  non-exercice  de  la  génération 
matérielle  peut ,  dans  des  circonstances  favorables,  donner 
une  plus  grande  impulsion  à  la  vitalité  spirituelle  :  ainsi  les 
individus  privés  de  sexes,  chez  les  Insectes  ,  ont  à  la  fois  plus 
d'activité  et  un  instinct  plus  développé,  et  les  Mulets  sont  su- 
périeurs tant  à  l'Ane  qu'au  Cheval,  sous  le  rapport  de  la  per- 
fection des  sens  et  delà  sûreté  de  l'instinct  (1). 

4»  Cette  fonction  se  comporte  de  la  même  manière  par  rap- 
port au  caractère.  La  faculté  procréatrice  rend  le  seniiment 
plus  vif  et  la  volonté  plus  énergique  ;  la  conscience  d'être  en 
possession  de  cette  faculté  donne  une  certaine  assurance,  dis- 
pose à  la  gaîté  ,  inspire  du  courage.  Le  débauché  et  surtout 
l'homme  adonné  à  l'onanisme  sont  inditférens ,  moroses  ,  mé- 
lancoliques, faibles  de  volonté  et  dégoûtés  de  la  vie.  Les  eu- 
nuques, d'après  le  tableau  qu'en  fait  Mojon,  sont  timides  et 
lâches  ;  ils  se  montrent  surtout  pusillanimes  à  l'approche  delà 
mort.  Percy  fait  remarquer  que  les  hommes  qui  ont  perdu  les 
testicules  à  la  suite  de  quelque  maladie ,  tombent  dans  la 
mélancolie  et  le  dégoût  de  la  vie.  Piicherand  a  observé  que 
ceux  qui  ont  subi  l'amputation  de  la  verge  nourrissent  une 
mélancolie  qui  les  dispose  éminemment  aux  fièvres  de  mau- 
vais caractères,  et  les  conduit  souvent  à  la  mort ,  tandis  que 
les  hommes  auxquels  on  coupe  un  membre ,  supportent  gaî- 
ment  celte  mutilation  (2).  De  même,  la  castration  rend  les  ani- 

(1)  Hnmboldt ,  Reise  in  die  yEqriinoctialgegenden  ,  t.  III ,  p.  274. 

(2)  Diciionn.  des  sciences  médic,  t.  XL ,  p.  193. 


5©  AGE  ADULTE. 

maux  doux,  patiens  et  sans  courage  ;  elle  les  dépouille  de  leur 
propre  volonté  ,  elle  les  rend  propres  à  servir  comme  bêtes 
de  somme  ou  de  trait. 

5"  La  faculté  procréatrice  tenant  à  l'essor  que  la  vie  prend 
par  delà  les  bornes  de  l'individualité  ,  en  même  temps  qu'elle, 
et  par  l'effet  du  rapport  de  polarité  qu'elle  fait  naître,  se  dé- 
veloppent les  directions  universelles  de  la  vie  (6"-8°),  qui 
donnent  à  l'égoïsme  sa  plus  haute  signification ,  en  ce  qu'elles 
conduisent  ou  au  vague  pressentiment  ou  à  la  notion  claire  et 
nette  que  la  véritable  individualité  repose  dans  le  tout.  La 
satisfaction  trop  précoce  de  l'instinct  sexuel  frappe  de  mort  le 
germe  de  ces  tendances  universelles. 

6'  Avec  la  puberté  se  développe  l'imagination,  qui  est  aussi 
une  force  créatrice  ;  l'amour  a  pour  compagne  la  poésie  ;  le 
génie  est  ordinairement  associé  à  un  sentiment  très-profond 
des  rapports  qui  unissent  les  sexes  l'un  à  l'autre,  tandis  qu'on 
ne  connaît  aucune  production  intellectuelle  portant  le  cachet 
de  l'originalité  ,  qui  soit  émanée  d'uo  eunuque. 

7°  La  génération  mène  immédiatement  à  la  sociabilité 
(§  249),  puisque  l'individu  ne  peut  se  suffire  à  lui-même,  et 
qu'il  est  obligé  d'aller  demander  satisfaction  à  d'autres.  Mais 
cette  fonction,  avec  l'éducation  qu'elle  traîne  à  sa  suite,  a  déjà 
par  elle-même  une  haute  importance  pour  le  développement 
de  l'espèce ,  puisqu'elle  suppose  nécessairement  la  vie  de  fa- 
mille ,  et  elle  est  le  prototype  de  toute  sociabilité ,  puis- 
qu'elle seule  permet  à  l'essence  humaine  de  se  déployer 
d'une  manière  complète.  Avec  l'amour  des  enfans ,  dans  les- 
quels les  parens  voient  les  produits  tant  de  leur  propre  indi- 
vidualité que  de  la  force  créatrice  de  la  nature ,  le  cercle  des 
sentimens  et  des  efforts  s'agrandit.  Mais  lorsque  la  force  mo- 
rale s'est  développée  jusqu'à  un  certain  point ,  l'individu 
inapte  à  procréer  peut  trouver  de  la  satisfaction  dans  les  soins 
qu'il  prodigue  à  des  enfans  étrangers  ;  en  effet,  on  assure  que 
l'amour  des  eunuques  pour  les  enfans  fait  que  les  Orientaux 
leur  confient  de  préférence  l'éducation  de  ces  petits  êtres, 
tout  comme  les  neutres ,  parmi  les  Insectes ,  se  chargent 
aussi  des  soins  qui  re^jardent  la  progéniture. 

8»  Si  la  nutrition  est  le  principe  égoïste ,  isolant ,  la  gêné- 


AGE  ADULTE.  3l 

ration  est  le  principe  social,  unissant.  La  nature  ne  peut  point 
conduire  à  rintuition  immédiate  et  pure  de  la  loi  qui  prescrit 
de  vaincre  l'égoisme ,  mais  elle  sait  amener  l'individu  à  cette 
loi  rationnelle  en  attachant  le  plus  grand  de  tous  les  plaisirs 
à  l'acte  générateur  et  imprimant  une  force  puissante  à  l'ins- 
tinct de  la  procréation.  Sans  en  avoir  la  conscience  ,  sans  que 
sa  volonté  y  prenne  la  moindre  part ,  et  tout  en  ayant  l'air 
d'agir  en  pleine  liberté ,  l'être  poussé  par  le  besoin  de  se 
reproduire  obéit  à  la  loi  de  la  raison  ;  il  cherche  son  plaisir, 
et  agit  cependant  pour  le  tout;  il  se  tourne  vers  un  individu, 
mais  cet  individu  n'est  que  le  représentant  de  l'espèce ,  et  le 
milieu  à  l'aide  duquel  il  parvient  à  se  réunir  avec  cette 
dernière;  il  vit  dans  la  chair,  et  cependant  cède  à  l'empire 
de  la  moralité.  Dès  que  l'amour  s'éveille  dans  le  cœur,  l'âme 
se  pénètre  du  vrai  caractère  de  l'humanité  ;  on  devient  plus 
doux ,  plus  liant ,  plus  bienveillant ,  plus  sensible  ;  on  sent 
plus  vivement  les  liens  qui  attachent  l'individidiialité  au 
genre  humain  tout  entier.  L'homme  efféminé,  au  contraire, 
porte  le  caractère  de  la  nullité  ;  c'est  un  être  vain  ,  frivole , 
qui  ne  cherche  à  plaire  qu'à  lui-même,  et  qui  demeure  étran- 
ger à  l'intérêt  de  ses  semblables.  L'eunuque  est  égoiste , 
envieux,  fourbe,  cruel,  vénal,  rusé  et  intrigant.  L'onanisme 
est  un  crime  contre  l'espèce ,  que  la  nature  punit  en  isolant 
celui  qui  s'en  rend  coupable ,  en  le  rendant  timide,  méfiant, 
misanthrope ,  de  sorte  qu'il  se  voit  comme  au  milieu  d'un 
désert  ;  et  qu'il  tombe  dans  le  désespoir.  Mais  la  pédérastie 
et  le  vice  correspondant  chez  les  femmes  a  pour  effet  ordi- 
naire d'inspirer  de  l'aversion  pour  l'autre  sexe. 

9°  Les  sensations  que  la  faculté  procréatrice  détermine, 
dans  la  marche  naturelle  du  développement ,  s'élèvent  enfin 
jusqu'au  sentiment  de  l'être  suprême  et  qui  embrasse  tout 
(§  248;  260,  1°;  263,  1°);  la  religion  sentimentale,  ainsi 
mise  en  éveil,  devient  ensuite,  en  mûrissant,  un  senti- 
ment religieux  qui  jette  de  solides  racines  dans  la  raison 
et  le  sentiment  d'une  bienveillance  générale  se  déve- 
loppe en  caractère  mfsral.  De  cette  manière  la  nature 
suit  une  progression  fort  simple,  en  faisant  naître  d'a- 
bord ,  du  sol  de  la  sensualité ,  des  sentimens  et  de  vagues 


32  AGE  ADULTE. 

prévisions,  puis  s' élevant,  par  la  seule  impulsion  de  la  spon- 
tanéité, à  la  conscience  claire  et  nette  de  Tinfini.  Voilà  pour- 
quoi les  anomalies  à  Tégard  de  tout  ce  qui  concerne  la  géné- 
ration sont  une  des  causes  les  plus  puissantes  du  mysticisme , 
et  l'enthousiasme  religieux  qui  se  manifeste  alors  n'est  pas 
moins  un  phénomène  de  la  nature  que  toute  autre  maladie 
quelconque.  Les  rusés  fondateurs  de  pareilles  sectes  sont 
aussi  habiles  à  faire  de  l'intuition  des  mystères  une  volup- 
tueuse extase ,  qu'à  choisir  leurs  prosélytes  parmi  les  hom- 
mes que  la  débauche  et  l'onanisme  ont  épuisés,  parmi  les 
femmes  dont  les  sens  n'ont  point  trouvé  à  se  satisfaire  ,  les 
filles  riches  d'imagination  qui  entrent  dans  l'âge  de  la  nubi- 
lité,  celles  au  sort  desquelles  personne  n'a  voulu  s'associer, 
les  jeunes  veuves  dévorées  par  le  feu  du  désir,  et  les  coquet- 
tes dont  les  attraits  fanés  font  fuir  les  amours. 

10°  L'instinct  sexuel,  dès  qu'il  entre  en  jeu  ,  s'empare  de 
l'âme  entière,  fixe  tous  les  sens  sur  un  objet  unique,  repousse 
le  sommeil ,  fait  taire  tous  les  autres  besoins,  et  écarte  toute 
autre  idée  quelconque.  S'y  abandon ne-t-on  sans  mesure , 
l'on  ne  tarde  pas  à  perdre  tout  ressort.  Les  excès  ne  flé- 
trissent d'abord  que   les    branches    les    plus  élevées,    ils 
brisent  tout  ce  qu'il  y  a  de  délicat  dans  les  facultés  morales  , 
éteignent  le  sentiment  de  l'idéal,  et  paralysent  le  libre  exer- 
cice de  la  raison  ;  puis  ils  attaquent  le  tronc  lui-même ,  déna- 
turent le  caractère ,  enlèvent  à  la  pensée  son  énergie ,  sa 
pertinacité,  et  affaiblissent  la  volonté  ;  enfin  ils  rongent  jusqu'à 
la  racine,  soit  en  anéantissant  la  mémoire  et  le  jugement,  ce  qui 
amène  rimbécillité,  soit  en  détruisant  l'unité ,  bouleversant 
l'âme  ,  engendrant  le  dégoût  de  soi-même  et  de  la  vie ,  et 
précipitant  dans  la  démence  (1)  Mais  le  défaut  de  satisfaction 
peut,  aussi  bien  que  l'abus  des  jouissances,  déterminer  l'alié- 
nation mentale,  qui,  effectivement,  n'est  point  rare  à  l'époque 
de  la  puberté ,  pendant  la  grossesse,  durant  les  couches  ,  et 
au  moment  où  cesse  la  faculté  procréatrice  ,  tandis  que  les 
eunuques  en  demeurent  exempts.  Ce  phénomène  tient  préci- 
sément à  ce  que  la  génération  représente  la  direction  idéale 

(4)  Esquiiol ,  Des  maladies  mentales.  Paris  ,  1838,  t.  Il,  p.  219. 


AGE  ADULTE.  33 

et  universelle  de  la  vie.  Mais  Tidéalité  et  la  démence  ont  cela 
de  commun  ensemble,  qu'elles  consistent  toutes  deux  en  une 
abolition  de  l'individualité;  dans  la  première,  l'âme  arrive  à  la 
liberté  ,  parce  qu'elle  se  confond  entièrement  avec  l'idée  ^  et 
dans  la  seconde, elle  est  enchaînée  par  les  liens  de  la  singularité; 
là  elle  remonte  en  plein  vers  sa  source  et  s'empare  de  son  but, 
tandis  qu'ici  elle  se  perd  dans  le  sol  terrestre  de  l'animalité, 
qui  n'était  destiné  qu'à  l'amener  jusqu'à  la  phénoménalisalion. 
La  puissance  de  l'instinct  génital  se  manifeste  encore  dans 
ses  aberrations,  que  Thisioire  naturelle  de  l'homme  ne  doit 
point  passer  sous  silence.  Le  défaut  de  satisfaction  conduit  les 
animaux  à  l'onanisme.  Les  Cerfs  en  rut ,  qui  ne  trouvent  point 
de  femelles,  se  frottent  contre  les  arbres,  pour  déterminer 
la  sortie  du  sperme  (1).  Les  étalons  et  les  baudets  se  frappent 
le  ventre  de  leur  membre  génital  jusqu'à  ce  qu'il  s'ensuive 
une  éjaculation ,  et  les  jumens  se  frottent  contre  tous  les  ob- 
jets qu'elles  peuvent  rencontrer,  dardant  assez  souvent  alors 
un  mucus  blanc  et  visqueux  (2).  On  a  vu  des  Chameaux  et  des 
Eléphans  se  livrer  à  Tonanisme  (3).  Blumenbach  a  observé  ce 
phénomène   (4)  sur  des  Chiens  et  sur  un  Ours  qui,    ayant 
perdu  sa  femelle,  vit  un  autre  couple  s'unir  non  loin  de  lui. 
II  est  surtout  fort  ordinaire  chez  les  Singes.  Quelquefois   les 
enfans  éprouvent,  long -temps  avant  la  puberté,  même  dès 
l'âge  de  deux  ans ,  sous  l'influence  ou  de  vers  ,  notamment 
dans  le  rectum ,   ou  des  scrofules  et  d'une  prédisposition  à 
l'encéphalite,  un  prurit  aux'parties  génitales  qui  les  détermine 
à  se  chatouiller,  habitude  qu'on  parvient  d'ailleurs  assez  fa- 
cilement à  leur  faire  perdre  ;  plus  tard  ,  de  dix  à  douze  ans 
surtout ,  ils  s^adonnent  à  l'onanisme  ,  soit  par  l'effet  de  mau- 
vais exemples,  soit  parce  que  la  découverte  qu'ils  ont  faite 
des  relations  entre  les  sexes  stimulent  l'irritabilité  de  leurs 
organes  génitaux.  Chez  les  adultes,  l'onanisme  s'observe 
principalement  parmi  les  hommes  efféminés  et  les  imbécilles, 
notamment  les  crétins  (5).  il  est  commun  dans  le  midi  de  l'Asie 

(1)  Netijahrsgeschenk  fuer  Jagdliehhaher,  1794,  p.  14. 

(2)  Deutsches  ArcMv ,  t.  VI ,  p.  53. 

(3)  Dictionn.  des  sciences  raédic,  t.  6  ,  p.  377. 

(4)  Kleine  Schriften  ,  p.  20. 

(5)  Esquiiol ,  Des  maladies  mentales ,  Paris,  1838,  t,  II,  p.  333  et  suiv. 

\.  3 


54  AGE  ADULTE. 

et  en  Afrique  ,  surtout  parmi  les  femmes  emprisonnées  dans 
les  harems.  Il  Tétait  également  en  Grèce ,  où  les  hommes 
s'y  trouvaient  portés  par  le  mépris  que  les  femmes  leur 
inspiraient;,  et  où  d'ailleurs,  au  dire  de  Galien,  on  considé- 
rait le  sperme  comme  une  chose  nuisible  ,  dont  il  y  avait  né- 
cessité de  débarrasser  le  corps.  L'état  des  personnes  livrées 
à  l'onanisme  est  une  sorte  d'engourdissement,  dans  lequel 
l'âme  se  perd.  On  voit  déjà  les  enfans  de  deux  ans,  lorsqu'ils 
jouent  avec  leurs  parties  génitales,  tomber  dans  une  sorte  de 
demi-sommeil  et  de  rêverie.  Les  organes  se  développent  alors 
d'une  manière  précoce,  mais  flasques ,  flétris  et  inaptes  à  la 
génération.  Une  fois  que  l'onanisme  a  dégénéré  en  habitude , 
il  devient  insurmontable  et  anéantit  tout  empire  de  la  volonté  ; 
après  un  repentir  profondément  senti,  le  malheureux  retombe 
dans  son  péché  accoutumé;  il  s'y  livre  pendant  le  sommeil , 
et  si  on  lui  attache  les  mains  derrière  le  dos ,  il  va  partout  se 
frottant  contre  les  tables  et  les  chaises.  Chopart  rapporte 
l'histoire  d'un  homme  qui ,  lorsque  les  moyens  ordinaires  fu- 
rent insuffisans  pour  provoquer  l'éjaculation,  imagina  de  s'in- 
troduire une  baguette  dans  l'urètre  ;  mais  bientôt  ce  canal 
devint  insensible  à  son  tour,  et  il  ne  resta  plus  d'autre  res- 
source que  d'employer  un  couteau,  dont  la  lame  divisa  peu 
à  peu  toute  la  verge  en  deux  moitiés  latérales.  On  en  a  vu  d'au- 
tres qui  se  masturbaient  jusqu'à  l'heure  même  de  la  mort  (1). 
Les  animaux  nous  offrent  quelques  exemples  d'individus  se 
servant  d'un  autre  individu  du  même  sexe  qu'eux  pour  satis- 
faire leur  lubricité.  On  en  trouve  parmi  les  Vaches ,  les  fe- 
melles des  Paons  et  les  Pigeons.  La  pédérastie  se  rencontre 
chez  les  nations  très-grossières  ,  telles  que  chez  certains 
sauvages  du  nord  de  l'Amérique  (2),  et  chez  les  peuples  très- 
policés  ,  par  suite  de  la  satiété ,  lorsqu'il  est  trop  facile  de  se 
procurer  les  voluptés  ordinaires ,  e,t  que  les  faveurs  des'f em- 
mes  n'ont  aucun  prix  ;  ainsi  elle  a  lieu  chez  les  polygames 
d'Asie,  et  on  la  trouve  fort  répandue  à  Malaca  (3).  Elle  a  ré- 
gné dans  tous  les  états  de  l'ancienne  Grèce ,  depuis  leur  fon- 

(l)Di(lionii.  des  sciences  médic,  t.  XXXI,  p.  102. 

(2)  Vil-ey,  Hist.  nat,  du  genre  humain  ,  t.  I ,  p.  273. 

(3)  Zimiuenuau  ,  Taschenbuch  der  Reisen ,  t.  XI ,  p.  87. 


AGE  ADULTE.  35 

dation  jusqu'à  leur  décadence ,  et  elle  y  était  pratiquée  sans 
mystère ,  même  par  les  personnages  les  plus  considérables. 
Lycurgue  etSolon  avaient  réglé  les  rapports  entre  les  deux 
amans,  et  la  loi  n interdisait  que  la  pollution  des  garçons 
par  leurs  parens  les  plus  proches.  Le  mépris  pour  les  femmes, 
l'orgueil  des  hommes ,  la  prédilection  pour  la  beauté  mascu- 
line, que  l'éducation  des  gymnases  nourrissait ,  étaient ,  avec 
une  excessive  sensualité ,  la  cause  de  cette  aberration  ;  il  s'y 
joignait  encore,  comme  élément  idéal,  Tamour  héroïque,  qui 
rendait  deux  jeunes  gens  inséparables,  et  les  enchaînait  l'un  à 
l'autre  au  point  de  les  faire  renoncer  à  leur  individualité , 
tandis  que,  dans  Tamitié,  dont  cet  simour  était  la  dégénéres- 
cence ,  chaque  partie  conserve  son  indépendance  et  poursuit 
son  propre  but.  Si ,  dans  des  temps  orageux  ,  il  était  arrivé 
à  des  frères  d'armes  (  Achiile  et  Patrocle  ,  Oreste  et  Pylade, 
Thésée  et  Pyritlioiis  )  de  contracter  une  pareille  intimité , 
l'imagination  se  plaisait  à  y  voir  une  union  qui  provoquait  de 
grandes  actions ,  et  plus  tard  on  prit  plaisir  aussi  à  travailler 
au  perfectionnement  intellectuel  des  jeunes  gens  avec  les- 
quels on  se  livrait  à  la  débauche.  On  en  vint  même  à  consi- 
dérer l'amour  des  femmes  comme  un  aroour  vulgaire  ou  ani 
mal,  et  celui  des  hommes  comme  un  présent  de  Vénus  Ura- 
nie ,  qui  ne  tombait  en  partage  qu'aux  âmes  nobles ,  et 
devenait  ia  source  de  toutes  les  vertus  ,  de  sorte  que  Solon 
l'avait  interdit  aux  esclaves  (1).  Les  femmes  grecques ,  déter- 
minées ,  à  ce  qu'il  paraît,  par  les  goûts  contre  nature  des 
hommes ,  s'éprenaient  aussi  les  unes  pour  les  autres  d'une 
amitié  mystique ,  qui  les  portait  à  l'onanisme  réciproque , 
et  au  genre  de  débauche  affectionné  surtout  par  les  Lesbien- 
nes, lorsque  des  titillations  précoces  avaient  fait  acquérir  un 
volume  considérable  au  clitoris. 

Enfin,  quoiqu'il  arrive  quelquefois  à  des  animaux  isolés  de 
s'accoupler  avec  des  individus  d'une  autre  espèce  que  la  leur, 
par  exemple  des  Paons  avec  des  Cannes  (2),  on  ne  peut  ce- 
pendant comparer  cette  anomalie  à  la  brutalité  de  la  sodomie, 

(1)  Meiners ,  Philosophische  Schriften ,  t.  I ,  p.  61  90. 

(2)  Diclionn.  des  Sciences  niédic. ,  f .  VI ,  p,  378, 


36  AGE    ADULTE. 

qui  tient  fréquemment  à  l'oisiveté  ,  à  la  solitude  et  à  l'ineptie 
de  la  vie  pastorale,  et  qu'on  rencontre  chez  quelques  sau- 
vages du  nord  de  l'Amérique.  On  a  découvert  aussi  que  cer- 
taines femmes  se  faisaient  caresser  par  des  bichons,  ce  qui  leur 
attirait  des  ulcères  de  mauvais  caractère ,  et  qu'elles  pous- 
saient même  la  dépravation  jusqu'à  faire  jouer  à  ces  animaux 
leur  rôle  de  mâle  dans  louie  son  étendue. 

ARTICLE    II. 

De  la  mafuî'ité  procréatrice. 

§  566.  En  terminant  ces  considérations  sur  la  faculté  pro- 
créatrice, l'influence  qu'elle  exerce  et  les  écarts  dont  elle  est 
susceptible,  pour  revenir  à  l'histoire  de  la  vie,  nous  avons  à  dé- 
terminer l'époque  à  laquelle  celte  faculté  se  manifeste,  et  nous 
pouvons  poser  en  thèse  générale  qu'étant  le  point  culminant 
du  développement  (  §  247,  1°  ) ,  elle  apparaît  d'autant  plus 
tôt  que  la  marche  de  la  vie  est  plus  simple,  l'individualité 
moins  prononcée ,  l'organisation  plus  simple ,  le  corps  plus 
petit,  et  la  vie  en  général  plus  pauvre. 

i°  Dans  les  plantes  les  plus  inférieures,  notamment  les  Cham- 
pignons, à  peine  la  vie  organique  s'esl-elle  manifestée,  qu'elle 
se  dissémine  aussitôt  par  la  génération.  Dans  les  végétaux 
plus  parfaits  ,  celle-ci  a  lieu  plus  tard,  au  bout  de  quelques 
mois  chez  les  plantes  annuelles,  de  plusieurs  années  chez 
celles  qui  sont  vivaces.  Les  arbres  de  haute  futaie  et  dont  le 
bois  est  compacte,  comme  le  Chêne  et  le  Hêtre  parmi  les  dico- 
tylédones, n'atteignent  qu'au  bout  de  vingt  à  quatre-vingt 
ans  et  plus  l'époque  à  laquelle  ils  portent  fruit.  Une  floraison 
précoce  semble  être  quelquefois  l'effet  de  la  stérilité  :  ainsi 
Tioelreuter  (1)  a  remarqué  que  les  hybrides  stériles  dont  les 
parens  ne  donnentdes  fleurs  que  la  seconde  année ,  fleuris- 
sent dès  la  première. 

2°  Si  leslnfusoires  et  les  Polypes  se  propagent  peu  de  temps 
après  leur  apparition  (  §  265, 2°  ),  ce  phénomène  est  une  con- 
séquence de  la  simplicité  et  de  l'imperfection  de  leur  organi- 

(1)  Forsetsung  der  vorlœufijjen  Nachrichten,  t.  2,  p,  39.  ;'  ' 


AGE  ADULTE.  5'J 

sation.  Il  faut  accuser,  au  contraire,  la  paresse  de  la  vie 
si  les  Moules  ne  sont  aptes  à  se  reproduire  que  pendant  le 
cours  de  leur  troisième  année  (1).  La  haute  sensibilité,  qui 
s'exprime  par  le  mode  de  structure  des  nerfs  et  par  rinstinct, 
doit  êlre  considérée  comme  la  cause  qui  fait  que  la  plu- 
part des  Insectes  acquièrent  tard  la  faculté  procréatrice, 
et  que  beaucoup  même  ne  la  possèdent  qu'immédiatement 
avant  de  mourir. 

3°  Les  Poissons ,  qui  occupent  le  dernier  rang  de  l'échelle 
des  vertébrés,  se  propagent  de  bonne  heure.  Les  Reptiles, 
dont  la  vie  est  lente  ,  n'ont  ce  pouvoir  que  tard.  Les  Croco- 
diles, à  l'égard  desquels  il  faut  faire  entrer  la  taille  en  ligne 
de  compte,  ne  procréent  qu'à  l'âge  de  dix  ans  (2).  Les  Ba- 
traciens ne  le  font  non  plus  qu'au  bout  de  plusieurs  années  , 
puisque,  même  après  leur  dernière  métamorphose,  ils  n'ont 
encore  ni  testicules ,  ni  ovaires.  La  rapidité  avec  laquelle 
marche  la  vie  des  Oiseaux  explique  comment  la  plupart  d'entre 
eux  sont  aptes  à  la  génération  dès  la  première  année  de  leur 
existence  ;  les  Poules  et  les  Pigeons  domestiques  possèdent 
cette  faculté  dès  le  cinquième  mois  ;  elle  se  manifeste  plus 
tard  chez  quelques  Oiseaux  aquatiques,  à  deux  ans  chez  les 
Cygnes ,  les  Mouettes  et  les  Plongeons,  à  trois  chez  l'Eider  , 
le  Paon  et  le  Faisan  ;  les  mâles  acquièrent  à  la  même  époque 
le  plumage  qui  leur  est  particulier.  De  grandes  différences 
ont  lieu  à  cet  égard  chez  les  Mammifères.  Le  Cochon  d'Inde 
entre  pour  la  première  fois  en  chaleur  à  trois  mois^  le  Lapin 
et  le  Lièvre  à  six  ,  la  Chèvre  à  sept ,  le  Cochon  à  huit,  le  Re- 
nard à  neuf,  le  Chien  à  dix  ,  la  Loutre  ,  le  Loup  ,'le  Chat , 
la  Marte,  les  bêtes  à  cornes,  la  Brebis,  le  Chevreuil  à 
deux  ans,  le  Castor,  le  Lama,  le  Chamois,  la  Vache  ,  le 
Daim,  l'Elan,  le  Cheval  et  l'Ane  à  trois,  l'Ours  et  le  Cerf  à 
quatre. 

La  plupart  des  animaux  se  propagent  dès  avant  la  fin  de 
leur  accroissement;  mais  le  temps  qui  s'écoule  entre  le  terme 
de  ce  dernier  et  le  premir  rut^  comparé  à  celui  qui  sépare  le 

(1)  Pfeifer,  Natursyp.schichte  deiitchcr  MoUviken ,  t.  tl ,  p.  14. 

(2)  Huniboldt ,  Reùe  in  die  jEtiuinoctialycijenden  ,  l.  III ,  p,  364. 


^û  AGE    ADUITE. 

premier  rut  de  la  naissance,  est  court  chez  la  Brebis  (1  :  2), 
moins  court  chez  le  Renard  et  l'Ane  (1  :  1,60),  de  même 
durée  chez  le  Cerf,  plus  long  chez  le  Daim  (1  :  0,75), 
et  plus  long  que  partout  ailleurs  dans  l'espèce  du  Cochon 
(1  :  ^,12).  Le  rapport  avec  Ja  durée  de  la  vie  n'est  pas 
moins  sujet  à  varier  ;  le  l'emps  qui  s'écoule  depuis  la  nais- 
sance jusqu'à  l'acquisition  de  la  faculté  procréaîrice  ,  est  à  la 
durée  entière  de  la  vie  dans  la  proportion  de  1  :  18  chez  le 
Lapin ,  1  :  8  ou  9  chez  le  Loup  ,  le  Renard  et  le  Blaireau  , 
1  :  5  ou  6  chez  le  Cerf.  La  plupart  du  temps,  surtout  chez  les 
Chevaux,  les  bêtes  à  cornes,  les  Brebis  et  les  Chèvres  ,  le 
mâle  acquiert  plus  tard  que  la  femelle  l'aptitude  à  se  repro- 
duire. Faber  assure  (1)  que  ce  cas  est  aussi  celui  des  Oiseaux 
chez  lesquels  le  mâle  se  distingue  par  un  plumage  particulier, 
ou  de  toute  autre  manière ,  tandis  que  la  faculté  se  manifeste 
à  la  même  époque  chez  ceux  entre  les  deux  sexes  desquels 
règne  une  similitude  extérieure. 

4°  En  général,  l'homme  acquiert  la  faculté  de  procréer 
vers  l'âge  de  quinze  à  dix-huit  ans.  Elle  lui  arrive  donc  plus 
tard  que  chez  les  Mammifères ,  non  pas  seulement  d'une  ma- 
nière absolue  ,  mais  même  encore  eu  égard  à  la  durée  de  sa 
vie,  puisque,  chez  lui,  le  rapport  entre  cette  dernière  et  le 
temps  qui  s'écoule  entre  la  naissance  et  la  puberté  est  de 
1  :  4  ou  5.  La  puberté  se  déclare  chez  les  femmes  de  qua- 
torze à  seize  ans ,  et  chez  les  hommes  de  seize  à  dix-huit. 
Lorsque  la  santé  est  vigoureuse,  que  le  physique  et  le  moral 
ont  reçu  une  éducation  conforme  à  la  nature,  que  les  forces 
ont  été  convenablement  exercées  en  tous  sens ,  et  que  1  "âme 
n'a  point  perdu  son  innocence ,  la  puberté  ne  paraît  qu'à 
l'âge  qui  vient  d'être  fixé ,  souvent  même  un  peu  plus  tard  , 
car  on  voit  des  vierges  dont  la  menstruaiion  ne  se  déclare 
qu'à  dix-huit  ans,  sans  qu'elles  soient  incommodées  jusque-là, 
et  chez  lesquelles ,  après  le  mariage  ,  l'aptitude  à  procréer  se 
déploie  parfaitement ,  mais  sans  que  les  désirs  acquièrent  un 
caractère  impérieux.  La  puberté  est  retardée  par  les  scrofules, 
le  rachitisme ,  l'atrophie ,  comme  aussi  par  le  genre  d'indivi- 

(1)  Ueher  das  Lebeii  der  hochnordischen  Vœgel ,  p.  161. 


AGE   ADULTE.  5g 

dualité  dans  lequel  la  vie  est  pouss-ée  vers  la  génération  par 
une  impulsion  trop  faible,  notamment  cl^ez  les  femmes  qui 
tiennent  jusqu'à  un  certain  point  de  Tiiomme.  Eile  est  hâtée 
par  la  chaleur  extérieure,  un  régime  substantiel  et  stimulant, 
le  défaut  d'exercice  des  facultés  physiques  et  morales,  la  viva- 
cité de  l'imaginaiioii ,  la  direction  habituelle  des  idées  vers 
l'amour,  la  prédominance  de  la  sensualité,  et  l'action  de  tout 
ce  qui  peut  la  stimuler.  Elle  l'est  également  par  l'impuissance 
de  se  développer,  soit  au  physique ,  soit  au  moral,  et  par  cer- 
taines prédispositions  de  la  plasticité  individuelle  ,  dont  on  ne 
saurait  assigner  la  cause  ,  mais  qui  font  que  la  menstruation 
se  manifeste  dès  l'âge  de  huit  ans  chez  certaines  filles  ,  quoi- 
qu'elles jouissent  du  plein  et  libre  exercice  de  leurs  facultés 
intellectuelles,  que  leur  santé  soit  bonne,  et  qu'elles  aient 
reçu  une  excellente  éducation  (1).  Mais  la  différence  est  con- 
sidérable suivant  les  pays.  La  menstruation  s'établit  ordinai- 
rement à  quatorze  ans  dans  le  nord  de  la  France  et  à  treize 
dans  le  midi ,  à  douze  en  Italie  et  en  Espagne,  à  onze  dans  l'île 
de  Minorque  (2),  à  dix  dans  les  îles  de  l'Archipel  grec,  à  neuf 
ou  même  huit  dans  l'Afrique,  l'Arabie,  la  Perse,  les  Indes- 
Orientales  et  les  îies  qui  en  dépendent.  Suivant  Marc  d'Espine, 
l'âge  moyen  pour  le  commencement  de  la  menstruation  est  de 
treize  ans  et  trois  quarts  à  Marseille ,  quatorze  à  Toulon ,  qua- 
torze et  trois  quarts  à  Paris  ,  quinze  à  Manchester,  et  seize  à 
Gœttingue;  elle  est  plus  précoce  dans  les  cités ,  surtout  dans 
les  grandes  villes,  qu'au  milieu  des  campagnes.  La  chaleur  du 
climat ,  la  plus  grande  disposition  des  sens  à  s'émouvoir,  et 
l'activité  plus  prononcée  de  l'imagination  paraissent  y  contri- 
buer ;  cependant  les  règles  paraissent  à  douze  ans  chez  les 
Lapons ,  et  même  avant  cette  époque  chez  les  Samoïèdes  ,  les 
Jakautes,  les  Toungouses,  les  Koriaks,  les  Kamtchadales  et 
les  Esquimaux.  On  pourrait  être  tenté  de  cro're  que  la  peti- 
tesse de  la  taille ,  l'ichihyophagie  et  la  chaleur  des  habitations 
y  concourrent,  mais  ces  circonstances  ne  sont  point  géné- 
rales. On  observe  la  puberté  précoce  sous  les  tropiques  comme 


(1)  Haller,  Elem,  physiolog.,  t.  VII,  pi.  11,  p.  139, 

(?,)  Virey,  Hist.  des  mœurs  et  de  i'instinct  des  anim.,  1. 1,  p.  129. 


4©  AGE   ADULïEc 

dans  le  nord-est,  en  Amérique  (i),  et  les  Né^nfresses  élevées 
dans  nos  climats  y  deviennent  aptes  à  concevoir  d'aussi  bonne 
heure  que  dans  leur  pays  natal.  La  cause  la  plus  essentielle 
de  cette  différence  se  rapporte  donc  à  celle  des  races,  et  nous 
devons  reconnaître,  comme  règle  {ïénérale,  que  plus  le  carac- 
tère de  rhumanité  se  développe  d'une  manière  complète  , 
plus  aussi  la  puberté  a  lieu  tardivement. 

§  567,  Dès  que  la  sécrétion  du  sperme  a  lieu  chez  l'homme, 
et  que  la  menstruation  est  établie  chez  la  femme ,  il  y  a  pour 
l'un  et  l'autre  sexe  possibilité  de  reproduire  l'espèce.  Non 
seulement  il  arrive  souvent  chez  quelques  uns  des  peuples 
dont  rénumération  a  été  faite  plus  haut,  mais  même  il  n'est 
pas  très-rare  chez  nous  que  des  garçons  de  neuf  ans  fassent 
des  enfans  avec  des  filles  de  même  âge  (2).  Willoison  nous 
apprend  qu'à  Stampalia  ,  on  marie  les  enfans  et  on  les  laisse 
cohabiter  ensemble  avant  même  qu'ils  aient  atteint  l'âge  de 
la  puberté.  Mais  l'époque  de  l'apparition  de  la  faculté  pro- 
créatrice n'est  cependant  point  encore  celle  à  laquelle  celle 
faculté  jouit  de  toute  sa  maturité  (3). 

1°  Les  jeunes  arbres  sont  exposés  à  périr  quand  ils  portent 
des  fruits  de  trop  bonne  heure  ,  et  les  animaux  domestiques 
n'acquièrent  jamais  ni  la  taille ,  ni  la  force  qu'ils  devraient 
avoir,  lorsqu'on  permet  un  rapprochement  trop  précoce  entre 
les  sexes.  Le  Taureau  est  apte  à  procréer  dès  l'âge  de  deux 
ans;  mais,  si  on  laisse  alors  des  femelles  à  sa  disposition,  il 
demeure  petit,  et  dès  la  sixième  année  il  est  devenu  impuis- 
sant ,  selon  Thaer.  La  Brebis  n'acquiert  non  plus  une  forte 
constitution  que  quand  on  ne  lui  permet  de  se  propager  que 
dans  sa  troisième  année.  Les  Chevaux  qui  s'accouplent  dès 
l'âge  de  trois  ans  restent  faibles  pendant  toute  leur  vie.  Quand 
on  veut  avoir  des  Cochons  de  belle  race,  il  faut  ne  leur  per- 
mettre la  propagation  que  vers  la  fin  de  la  seconde  année. 
Chez  l'homme ,  l'exercice  précoce  de  la  faculté  reproductive 
arrête  l'accroissement  (§  347,  4°),  car  comme  la  génération 

(1)  Humbold  ,  fieise  in  die  jEquinocliolijegenden ,  t.  II,  p.  199. 

(2)  Mencle,  Handbuch  der  yerichlliclie/i  Medicin ,  l.  IV,  p.  222. 

(3)  Frajik  ,  System  der  medicinisQhen  Polizei,  t^  J,  p.  241-245, 


AGE    ADULTE.  ^l 

est  l'expression  du  développement  physique  parvenu  à  son 
point  culminant,  elle  retient  ce  développement  au  degré  où 
elle  le  trouve  lorsqu'elle  vient  à  entrer  en  jeu  ;  il  faut  une 
plasticité  fort  riche  et  des  facultés  procréatrices  très-puis- 
santes, pour  que  l'individu  puisse  continuer  encore  de  croître-, 
mais  fréquemment  aussi ,   c'est  une  débilité  permanante  et 
même  le  marasme  qu'on  voit  survenir  alors.  L'influence  mo- 
rale est  plus  générale  encore  ;  après  la  manifestation  de  la 
puberté,  la  force  vitale  doit  rayonner  des  organes  génitaux 
vers  l'àme,  et  meure  l'idéalité  en  éveil,  par  l'antagonisme  de 
polarité  qu'elle  établit  ;  mais  si  l'instinct  de  la  procréation 
trouve  à  se  satisfaire  au  moment  même  où  il  s'éveille,  la  force 
vitale  ne  se  porte  plus  que  sur  la  sensualité^  les  facultés  supé- 
rieures ne  se  développent  pas,  et  l'on  ne  voit  éclôre  que  des 
fleurs  stériles.  L'âme,  absorbée  par  des  senlimens  vulgaires, 
incapable  de  s'élever  à  la  conception  de  l'idéal ,  indifférente  à 
la  vérité  et  à  la  justice  ,  se  réduit  aux  maigres  proportions 
d'un  étroit  égoisme  et  d'un  désir  grossier,  de  sorte  qu'elle  ne 
voit  plus  d'autre  but,  dans  la  vie,  que  les  jouissances  des  sens 
et  la  possession  des  prérogatives  civiles.  Ajoutons  encore  que, 
comme  la  première  jeunesse  éprouve  une  soif  insatiable  de 
plaisir,  et  qu'après  avoir  vaincu  sa  timidité  naturelle  ,  elle  ne 
connaît  plus  de  bornes,  l'instinct  sexuel,  stimulé  en  partie 
aussi  par  le  développement  plus  considérable  des  organes  , 
acquiert  une  prédominance  anormale ,   qui  a  souvent  pour 
résultat  d'émousser  et  d'affaiblir  l'esprit. 

2°  Mais  cet  état  de  choses  est  contraire  aussi  à  la  nature 
en  ce  qui  concerne  l'espèce.  Au  moment  où  elle  vient  de  s'é- 
veiller, la  faculté  procréatrice  n'a  point  encore  toute  l'énergie 
qui  lui  est  nécessaire,  et  ce  qui  le  prouve  d'abord,  c'est  que 
la  fécondité  se  réduit  presque  à  rien.  Certains  arbres  fleuris- 
sent de  bonne  heure,  mais  leurs  fleurs  demeurentinfécondées. 
De  même,  le  premier  accouplement  des  jeunes  animaux  n'a- 
mène fréquemment  aucun  résultat.  Les  sauvages  de  la  Baie- 
d'Hudson  se  marient  de  bonne  heure  ,  mais  ils  ont  rarement 
despnfans  pendant  les  premières  années  de  ces  unions  pré- 
coces (1).  Mais  si  la  prop  galion  a  lieu  dans  un  âge  tendre , 
(1)  Heaine,  Eeise  in  der  Hudsonsbai  ,  p.  207. 


42  AGE  ADUITE. 

elle  ne  tarde  pas  à  s'éteindre ,  et  les  jouissances  anticipées 
détruisent  même  jusqu'à  ia  possibilité  d'une  jouissance  com- 
plète ;  souvent  elles  émoussent  la  sensibilité  des  organes  gé- 
nitaux, arrêtent  leur  développement ,  épuisent  avec  promp- 
titude la  faculté  procréatrice  ,  et  déterminent ,  chez  les  fem- 
mes, une  dégénérescence  des  ovaires  (1).  Chez  les  peuples 
qui  permettent  le  mariage  dès  Tâge  de  dix  ans,  la  menstrua- 
tion cesse  vers  la  trentième  année,  et  ne  dure  par  conséquent 
que  vingt  ans,  c'est-à-dire  environ  cinq  de  moins  que  dans 
nos  climats.  11  y  a  même  des  contrées  où  les  femmes  se  fa- 
nent de  meilleure  heure  encore,  car  on  assure  que  ,  dans 
quelques  unes  des  îles  Philippines  ,  elles  ont  perdu  tous  les 
charmes  de  la  jeunesse  dès  l'âge  de  dix-huit  ans  (2).  ^Cette 
flétrissure  précoce  paraît  être  aussi  une  des  principales  cau- 
ses de  la  polygamie. 

3°  Les  enfans  dont  les  parens  sont  trop  jeunes  ,  la  mère 
surtout,  n'ont  jamais  une  complexion  robuste.  De  même,  les 
œufs  des  Poulettes  sont  petits ,  quelle  que  soit  la  vigueur  du 
Coq  qui  les  a  fécondées.  On  sait  généralement  aussi  que  les 
Chèvres,  les  Vaches,  etc.,  qui  s'accouplent  dès  la  seconde 
année,  donnent  des  petits  débiles.  Les  Poules  qui  n'ont  point 
atteint  l'âge  d'un  an ,  ne  montrent  pas  de  persévérance  à  cou- 
ver, et  il  leur  arrive  souvent  d'abandonner  les  œufs.  La  plu- 
part des  jeunes  femmes  avortent.  A  la  vérité,  l'accouchement 
s'opère  presque  toujours  d'une  manière  fort  heureuse  avant 
le  terme  de  l'accroissement ,  parce  que  l'ossification  oppose 
alors  moins  d'obstacles-,  mais  quand  on  a  voulu  poser  en  règle 
générale  que  cette  époque  de  la  vie  était  la  plus  favorable  au 
mariage,  on  s'est  laissé  entraîner  par  des  vues  purement  obs- 
tétricales, qui  avaient  fait  oublier  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé 
dans  le  but  de  la  génération. 

4"  Les  mères  trop  jeunes  ont  un  lait  moins  abondant  et  de 
moins  bonne  qualité.  La  jeunesse  manque  aussi  du  sérieux  et 
de  la  réflexion  qui  sont  nécessaires  pour  l'éducation  des  en- 
fans,  car  cette  éducation  suppose  que  les  parens  ont  acquis  , 


(l)Mende,  /oc  cit.,  t.  IV,  p.  221. 

(2)  Zimmermann ,  Taschenhuch  der  Reisen  ,  t,  XIV,  p.^229. 


AGE  ADULTE.  4^ 

SOUS  le  point  de  vue  moral ,  tout  le  développement  dont  ils 
sont  susceplibies. 

5"  La  vraie  maturité  procréatrice  est  l'état  de  la  vie  dans 
lequel  les  fonctions  génitales  peuvent  s'accomplir  sans  porter 
atteinte  à  la  santé  de  l'individu  ,  ni  sous  le  rapport  physique, 
ni  sous  le  point  de  vue  moral ,  et  de  telle  sorte  ,  en  outre  , 
que  le  caractère  de  l'espèce  soit  imprimé  aux  produits  de  la 
manière  à  la  fois  la  plus  profonde  et  la  plus  complète.  En  un 
mot,  c'est  l'époque  où  l'individu,  parvenu  au^point  de  pouvoir 
se  conserver  lui-même,  devient  apte  à  concourir  au  maintien 
de  l'espèce  (1).  Celte  véritable  maturité  ,  qu'on  désigne  sous 
le  nom  de  nuMHté,  diffère  de  la  puberté.  Il  faut  que  la  puis- 
sance existe  pendant  quelque  temps  sans  entrer  en  exercice  , 
pour  qu'elle  puisse  se  développer  parfaitement ,  déployer  en 
entier  ses  effets ,  et  se  répandre  sur  tout  l'ensemble  de  l'orga- 
nisme. Si  l'agronome  retarde  l'accouplement  des  bestiaux, 
quoiqu'il  les  voie  entrer  en  chaleur  ,  la  même  circonspec- 
tion au  moins  est  nécessaire  quand  il  s'agit  du  développement 
de  l'humanité,  tant  dans  les  individus  qui  procréent,  que  dans 
ceux  qui  sont  procréés.  Les  lois  civiles  ont  fixé  les  mariages 
les  plus  précoces  à  l'âge  de  la  manifestation  des  facultés  re- 
productives, parce  qu'elles  étaient  obligées  d'avoir  égard  aux 
cas  possibles  dans  lesquels  le  développement  complet  coïnci- 
derait exceptionnellement  avec  cette  époque,  qui  est  marquée 
à  treize  ans  pour  les  femmes  et  quinze  pour  les  hommes  dans 
la  loi  romaine,  à  quinze  pour  les  femmes  et  dix-neuf  pour  les 
hommes  dans  celle  de  Prusse,  à  seize  pour  les  femmes  et  dix- 
neuf  pour  les  hommes  dans  celle  de  France,  à  seize  pour  les 
femmes  et  vingt  pour  les  hommes  dans  celle  de  la  monarchie 
autrichienne.  Mais  l'âge  de  la  majoiilé  ,  celui  où  cesse 
l'autorité  paternelle,  et  où  l'individu  acquiert  l'indépendance 
civile^  est  fixé  par  la  loi  française  à  vingt-eî-un  ans  accomplis, 
par  la  loi  prussienne  et  autrichienne  à  vingt-quatre,  et  par  la 
loi  romaine  à  vingt-cinq;  ces  lois  ont  donc  établi  par  là 
l'âge  de  la  véritable  maturité  procréatrice,  ou  de  la  nubilité, 


(1)  Mende ,  loc.  cit.,  t.  IV,  p.  212,;231. 


44  AGE  ADULTE. 

puisque  la  formation  d'une  famille  à  soi  suppose  qu'on  jouit 
de  rindépendance.  Chez  les  peuples  guerriers  et  amis  de  la 
liberté,  Tobligation  de  se  livrer  tard  à  la  procréation  était 
prescrite  tantôt  par  la  loi  et  tantôt  par  les  mœurs.  Lycurgue 
voulait  que  les  hommes  se  mariassent  à  trente-sept  ans  et  les 
femmes  à  dix-sept.  Platon  prescrivait  aux  premiers  l'âge  de 
trente  ans  et  aux  autres  celui  de  vingt  (1).  Solonfixa  l'âge  du  ma- 
riage des  hommes  à  trente-cinq  ans,  et  à  Rome  il  ne  leur  fut  pen- 
dant quelque  temps  permis  de  se  marier  qu'à  quarante  (2). 
Mais  si  les  Romains  et  les  Grecs  n'eurent  égard,  sous  ce  rap- 
port, qu'à  la  procréation  matrimoniale  et  aux  droits  civils  de 
la  progéniture,  les  mœurs  des  nations  germaniques  leur  pres- 
crivaient de  se  livrer  tard  à  l'acte  lui-même  ;  les  filles  ne  de- 
venaient nubiles  qu'à  dix-huit  ans,  et  c'était  une  honte  pour 
un  jeune  homme  de  se  marier  avant  l'âge  de  vingt  ans,  quoi- 
que la  majorité  fût  fixée  par  l'ancien  droit  allemand  à  lâge  de 
dix-huit  ans  accomplis  et  par  le  droit  saxon  à  celui  de  vingt- 
et-un  ans.  Les  historiens  romains  attribuent  à  cette  coutume 
la  force  physique  et  l'esprit  de  liberté  qui  distinguaient  les 
anciens  habitans  du  sol  de  la  Germanie.  Les  Abipons  ne  se 
marient  pas  non  plus  avant  d'avoir  atteint  vingt  et  quelques 
années  (3).  Marc  fixe  la  nubiiilé  à  une  année  après  l'accrois- 
sement complet,  et  en  regarde  aussi  comme  une  condition  la 
maturité  parfaite  des  facultés  morales  (4).  Nous  devons  donc 
établir,  en  général,  que  l'époque  normale  de  l'union  conjugale 
est  la  vingtième  année  pour  les  femmes  et  la  vingt-quatrième 
année  pour  les  hommes.  L'usage  la  recule  même  presque 
toujours  de  quelques  années.  Ainsi  Villot  (5)  a  trouvé  qu'à  Pa- 
ris, pendant  le  dix-huitième  siècle,  l'âge  moyen  des  personnes 
contractant  les  liens  du  mariage  a  été  de  vingt-neuf  ans  pour 
les  hommes  et  vingt-quatre  pour  les  femmes.  Mais  si  les 
mariages  tardifs  des  hommes  dans  la  Grèce  et  à  Rome  étaient 


(l)Franlt,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  237. 

(2i  Demeuiiicr,  Uelsr  Sitten  und  Gebrœuche  der  Vcp.llîer,  t.  I ,  p.  97. 

(3)  Zimineimann  ,  Taschenhvch  der  Heisen  ,  t    IV,  p.  241. 

(4)  D  et  des  Sciences  niédic,  t.  IV,  pi.  II ,  p.  251. 

(5)  Recherches  statistiques  siu"  la  ville  de  Paris. 


AGE  ADtLTE.  4^ 

contraires  à  la  nature,  les  Formosiens  ont  adopté  une  cou- 
tume qui  l'est  plus  encore,  en  défendant  aux  femmes  d'avoir 
des  enfans  avant  leur  trente  cinquième  année ,  et  obligeant 
celles  qui  deviennent  enceintes  avant  cette  époque  de  se 
faire  avorter  par  les  violences  que  les  prêtresses  exercent 
sur  elles.  En  effet  le  mariage  tardif  n'est  point  dangereux 
pour  Thomme  ;  il  n'entraîne  de  danger  que  pour  la  femme  , 
principalement  sous  le  point  de  vue  de  la  parturition.  Suivant 
Riecke  (1),  les  cas  dans  lesquels  des  primipares  ont  réclamé 
les  secours  de  l'art  ont  été  à  ceux  de  primiparité  en  général 
dans  la  proportion  de  1  ;  28,  tandis  que  celte  même  propor- 
tion a  été  de  1  :  9  pour  les  primipares  qui  avaient  atteint 
l'âge  de  trente  ans  ;  et  tandis  que  la  proportion  des  décès 
après  un  premier  accouchement  était  à  celle  des  décès  en 
général  de  1  :  IG,  elle  s'élevait  à  1:9  pour  les  primi- 
pares de  trente  ans.  Mais  si  la  rigidité  des  organes  de  la 
parturition  est  nuisible  en  pareil  cas ,  l'état  du  moral  chez 
les  époux  qui  se  sont  mariés  tard  n'entraîne  pas  de  moin- 
dres inconvéniens  ;  car  le  caractère  a  pris  alors  une  allure 
si  prononcée  qu'il  ne  peut  plus  y  avoir  désormais  de  fusion  ni 
d'intimité,  tandis  qu'à  l'époque  normale  du  mariage  ,  le  mo- 
ral conseve  encore  assez  de  liant  et  de  flexibité  pour  que  les 
époux  puisse  contribuer  à  leur  perfectionnement  réciproque 
et  que  l'harmonie  s'établisse  sans  peine  entr'eux. 

La  nature  veille  à  ce  que  la  procréation  s'accomplisse 
à  l'époque  normale ,  d'un  côté  en  donnant  une  grande  puis- 
sance à  l'instinct  qui  pousse  les  sexes  l'un  vers  l'autre 
(  §  565 ,  2°  ) ,  de  l'autre  ,  en  faisant  naître  des  obstacles  à  ce 
qu'il  s'exerce  prématurément,  ou  en  donnant  à  la  volonté  le 
pouvoir  d'en  retarder  la  satisfaciion.  Ces  dispositions  tendent 
à  ce  que  la  génération  atteigne  pleinement  son  but,  et  à  ce 
qu'elle  devienne ,  pour  l'individu  procréateur  lui-même ,  un 
moyen  d'arriver  à  un  développement  plus  parfait ,  car  la  fa- 
culté procréatrice  est  un  foyer  de  chaleur  bienfaisante ,  dont 
les  rayons  se  répandent  sur  la  vie  dans  toutes  ses  directions  , 
et  qui  amène  les  forces  supérieures  à  maturité. 

(1)  Beitrœge  sur  geburtshuelflichen  Topographie  ,  p,  32. 


46  AGE  ADULTE. 

6"  En  effet ,  nous  rencontrons  déjà,  chez  les  animaux,  des 
dispositions  qui  s'opposent  à  ce  que  la  faculté  procréatrice 
entre  en  jeu  aussitôt  après  son  éveil ,  car  il  n'y  a  que  les 
mâles  complètement  développés  qui  puissent  conquérir  une 
femelle  par  le  droit  [du  plus  fort ,  et  la  contraindre  à  céder 
(  §  254 ,  6"  ).  Ainsi  les  Cerfs  de  trois  ans  entrent  bien  en  rut , 
mais  ils  n'ont  point  de  voix  propre  à  attirer  la  femelle  ;  cette 
voix  se  développe  l'année  suivante  ,  mais  faible  encore ,  et  ce 
n'est  qu'à  cinq  ans  qu'elle  acquiert  toute  sa  force.  Or,  les 
Cerfs  de  cinq  ans  ont  seuls  aussi  assez  de  vigueur  pour  s'em- 
parer du  nombre  de  femelles  qui  leur  est  nécessaire;  ils 
chassent  les  jeunes ,  et  les  empêchent  ainsi  de  s'accoupler. 
Dans  l'espèce  humaine  même ,  la  jeune  fille  s'attache  plus 
volontiers  à  l'homme  fait  qu'au  jeune  imberbe,  qui  n'a  encore 
ni  connu  les  vicissitudes  de  la  vie  (§  570 ,  3°  ) ,  ni  conquis  son 
indépendance  civile. 

7°  La  nature  favorise  aussi  la  continence  en  inspirant  aux 
jeunes  gens  non  corrompus  des  sentimens  de  pudeur  et  une 
sorte  de  répugnance  à  franchir  le  premier  pas. 

8°  Comme  la  jeunesse  est  l'âge  du  développement  des 
forces  physiques  et  morales,  la  tendance  à  se  perfectionner 
sous  ce  double  rapport ,  et  l'exercice  des  facultés  les  plus 
nobles  imposent  des  bornes  aux  prétentions  des  organes  gé- 
nitaux. Les  animaux  attestent  déjà  combien  l'exercice  muscu- 
laire consomaie  la  force  procréatrice  et  refrène  l'instinct 
sexuel;  l'Elan  que  ses  rivaux  ont  vaincu  et  contraint  àts'é- 
loigner  des  femelles ,  erre  de  tous  côtés ,  transporté  d'une 
sorte  de  rage ,  et  ne  maigrit  pas  moins  que  s'il  s'était  livré  à 
la  copulation. 

9°  Les  organes  génitaux  sont  pourvus  de  vaisseaux  lym- 
phatiques ,  et  comme  la  vie  plastique  ne  s'arrête  nulle  part , 
comme  elle  agit  continuellement,  soit  dans  un  sens ,  soit  dans 
l'autre ,  comme  enfm  chaque  sécrétion  est  accompagnée  de 
résorption ,  celle-ci  ne  saurait  non  plus  manquer  ici.  Elle  est 
démontrée  par  le  cas  cité  précédemment,  dans  lequel  le  rut 
se  dissipe  sans  émission  de  sperme ,  et  la  facilité  avec  la- 
quelle elle  s'opère  ressort  même  d'expériences  faites  après 


AGE  ADULTE,  4? 

ia  mort.  Suivant  Monro  (d)  et  Wilson  (2),  le  mercure  ,  injecté 
dans  les  canaux  déférens,  traverse  leurs  parois,  s'insinue 
dans  le  lissu  cellulaire  ambiant ,  et  passe  de  là  dans  les 
vaisseaux  lymphatiques.  L'absorption  s'empare  des  parties 
aqueuses  du  sperme ,  qui  se  concentre  davantaj^^e  ;  en  effet , 
il  devient  plus  épais  chez  les  hommes  continens,  et  plus 
liquide  lorsque  les  éjaculations  se  succèdent  fréquemment. 
Mais  comme  nous  savons  que  la  bile  et  l'urine,  non  seulement 
se  concentrent  ordinairement  davantage  par  l'absorption  de 
leurs  parties  aqueuses  ,  mais  encore  sont  parfois  absorbées 
elles-mêmes  en  substance  ,  nous  n'avons  aucun  motif  de  pen- 
ser qu'il  n'en  puisse  arriver  autant  au  sperme. 

JO"  Enfin,  les  pollutions  nocturnes  sont  un  moyen  que  la 
nature  emploie  pour  se  débarrasser  du  superflu  de  la  ma- 
tière et  se  maintenir  en  liberté.  Elles  ne  constituent  un  état 
maladif  que  quand  elles  soni,  immodérées.  Chez  les  femmes, 
la  menstruation  produit  le  même  effet  ;  il  est  rare  qu'en  pa- 
reil cas  on  observe ,  chez  elles ,  une  émission  de  mucus  ; 
Serrurier  (3)  parle  cependant  d'une  jeune  vierge  pléthorique, 
qui  n'avait  point  contracté  le  vice  de  l'onanisme ,  mais  qui 
était  sujette  à  des  spasmes  cataleptiques ,  dont  l'approche 
s'annonçait  par  un  état  de  turgescence  et  un  sentiment  de 
tension  dans  les  parties  génitales,  et  dont  la  cessation  suivait 
de  près  l'écoulement  d'un  liquide  muqueux. 

Article  m. 
Da  mariage. 

§  568  lo  Le  mariage  est  l'état  conforme  à  la  nature  de 
l'homme  arrivé  à  la  perfection  sous  le  point  de  vue  de  la  ma- 
turité procréatrice.  La  copulation,  qui  est  absolument  néces- 
saire pour  le  maintien  de  l'espèce  ,  mais  qui  ne  l'est  que 
conditionnellement  pour  l'entretien  de  la  santé  de  l'individu , 
représente  l'unité  vivante  de  deux  êtres  organiques  par  rap- 


(1)  Haller,  Elem.  physiolog.,  t.  VTI ,  p.  437. 

(2)  Lectures  07i  the  structure  on  tlie  mule  orçjans  ^  p.  87. 

(3)  Dict.  des  Se.  méd.,  t.  XLIV,  p.  105. 


45  AGE  ADDLTE. 

port  à  l'espèce.  Mais  la  destinée  de  l'homme  est  de  réaliser  , 
jusque  sous  leur  point  de  vue  moral ,  les  idées  qui  ne  sont 
exprimées  que  matériellement  aux  degrés  inférieurs  de  la  vie, 
de  saisir  dans  la  conscience  de  soi-même  les  impulsions  qui 
dirigent  l'animal,  et  de  les  élever  à  la  liberté,  en  un  mot, 
d'offrir  la  représentation  pure  de  l'idée  qui  fait  la  base  de 
toute  vie  ;  la  copulation ,  dans  l'espèce  humaine ,  suppose 
donc  l'amour  pour  l'individu  de  l'autre  sexe  et  pour  l'es- 
pèce. Mais  l'amour  pour  l'individu  ne  porte  réellement  le 
caractère  de  l'humanité  ,  et  ne  repose  sur  l'intuition  de  l'u- 
nité avec  l'être  aimé,   qu'autant  qu'il  n'est  pas  variable  et 
passager,  comme  l'instinct  sexuel,  qu'autant  qu'il  cherche  à 
prouver  par  sa  durée  que  l'infini  est  véritablement  sa  source  ; 
d'un  autre  côté,  l'amour  pour  l'espèce  est  un  concours  perpé- 
tuel d'actions  qui  tendent  à  l'éducation  de  l'individu  procréé. 
L'indissolubilité  est  donc  le  caractère  nécessaire  du  mariage. 
La  fécondité  agrandit  le  champ  de  l'union  conjugale;  elle  en 
fait  une  vie  de  famille,  une  association  organique  d'individus, 
qui ,  mal^jré  leur  diversité  de  sexe  ,   d'âge,  de  forces  et  de 
directions,  ne  forment  cependant  qu'un  tout,  dans  le  main- 
lien  et  la  bonne  harmonie  duquel  chaque  membre  trouve  la 
garantie  de  son  bonheur  et  de  sa  propre  existence.  Or, 
l'homme  ne  pouvant  développer  et  exercer  complètement  ses 
forces  qu'autant  qu'il  les  met  en  commun ,  et  cette  commu- 
nauté n'étant  possible  qu'autant  qu'elle  a  heu  sous  l'empire 
de  l'idée  d'une  relation  organique ,  il  suit  de-là  que  le  ma- 
riage est  pour  nous  le  prototype  de  l'état ,  ou  la  base  de  la 
société  ,  à  la  faveur  de  laquelle  seule  l'humanité  parvient  au 
but  qui  lui  a  été  assigné.  Le  mariage  est  donc  l'union  perma- 
nente d'individus  des  deux  sexes  ,  dans  laquelle  le  bonheur 
de  chacune  des  parties  contractantes  se  lie  inséparablement  à 
celui  de  l'autre,  des  individus  procréés  et  du  genre  humain 
tout  entier  (§253,  5"). 

1"  Ainsi ,  dans  un  état  idéal ,  le  nombre  des  mariés  serait 
égal  à  celui  des  citoyens  ayant  acquis  l'âge  de  nubilité  ,  c'est- 
à-dire  que  sa  proportion ,  eu  égard  à  celui  des  individus  vi- 
vans  ,  serait  à  peu  près  de  1 :  2.  Mais  la  différence  des  con- 
ditions et  des  rapports  civils,  jointe   aux   anomalies  qui 


AGE    ADULTE.         *  49 

prennent  leur  source  dans  lindividualilé ,  dëiermine  des  va- 
riations qui  s'accomplissent  sur  une  échelle  assez  large.  Ainsi, 
la  proportion  des  maiiages  à  la  population  entière  a  été  de 
1  :  3  dans  le  royaume  de  Wurtemberg ,  en  1821 ,  et  de 
1  :  2 ,  05,  à  Paris ,  en  1817,  année  dans  laquelle  on  a  compté, 
en  cette  ville,  sur  657,172  habitans ,  258,185  mariés, 
60,934  veufs  et  338,053  célibataires  (1) ,  calcul  à  l'égard 
duquel  il  ne  faut  cependant  pas  perdre  ',de  vue  que  !a  plupart 
des  enfans  engendrés  dans  celte  ville  sont  élevés  au  dehors. 
En  1831,  sur  les  32,569,223  habitans  de  la  France,  18,239,576 
étaient  célibataires,  12,104,677  mariés,  et  2,224,970  veufs, 
savoir  722,611  hommes  et  1,502,359  femmes.  D'après  les 
documens  du  bureau  de  statistique  à  Berlin,  il  y  a  eu  en  Prusse, 
pendant  les  quinze  années  comprises  entre  1819  et  1834, 
12,373,272  habitans ,  dont  4,048,576  mariés ,  de  sorte  que  la 
proportion  de  ces  derniers  aux  vivans  en  général  a  été  de 
1 :  3,05.  Suivant  Sussmilch  (2),  la  proportion  entre  le  nombre 
des  personnes  qui  ont  contracté  mariage  et  celui  des  vivans 
a  été  en  Hollande  ,  de  1 :  32  ;  dans  le  Brandebourg,  de  1 :  54  ; 
en  Angleterre,  de  1  :  59;  en  Suède,  de  1  :  63;  à  Londres  , 
de  1  :  53  ;  à  Berlin ,  de  1  :  55  ;  à  Paris ,  de  1  :  68.  Cette 
proportion  ,  qui  à  Paris  était  autrefois  de  1  :  55 ,  y  est  main- 
tenant de  1  :  67  (3).  Elle  est  de  1  :  65  dans  les  Pays-Bas,  seioii 
Quelelet  ;  de  1  :  71  dans  le  Wurtemberg,  d'après  Schubler  ; 
de  1  :  66  à  Paris,  suivant  Mathieu  (4);  de  1 :  58  à  Marseille  , 
selon  Mourgue  ;  de  1  :  60  à  Bresîau ,  depuis  1775  jusqu'en 
1808  ,  suivant  Reiche ,  et  [de  1  :  45 ,  depuis  1813  jusqu'en 
1822 ,  d'après  Hahn  ;  de  1 :  55  à  Hambourg,  selon  Buek  (5).  ** 
3°  Quoique  le  mariage  et  la  vie  de  famille  reposent  sur  une 

(1)  Arcliiyes  générales  ,  t.  III ,  p.  468. 

(2)  Goettliche  Ordnuny  in  den  Veraendenmyen  des  menscliUdieiiGesch' 
lechts,t.  I,  p.  126. 

(3j  Archives  générales ,  t.  X  ,  p.  461. 

(4)  Annuaire  pour  4829  ,  p.  405. 

<5)  Gerson  ,  Maijasin  ,  t.  XVII ,  p.  340. 

*  A  Genève,  de  4814  à  4833  ,  il  y  a  eu  ,  année  moyenne  ,  une  propor- 
tion de  4  *  70  ;  dans  les  dix  dernières  années ,  la  proportion  a  été  de 
1  °  65.  (Mallet,  Recherches  historiques  sur  la  population  de  GenèvOj  dans 
Annales  d'bygiè?îe  publique  ,  Paris  ,  4837 ,  t.  XVII ,  p.  7S.) 

V.  4 


5o  *        AGE    ADULTE. 

loi  générale  ayant  son  fondement  dans  l'essence  même   de 
l'homme,  ils  n'en  varient  pas  moins  chez  les  différens  peuples, 
suivant  que  ceux-ci  sont  plus  ou  moins  policés,  et  que  telle  ou 
telle  direction  de  la  nature  humaine  prédomine  en  eux.  L'idée 
de  la  sainteté  du  mariage  a  été  d'une  part  enveloppée  dans  les 
langes  de  la  superstition,  et  de  l'autre  bizarrement  défigurée. 
Aussi  la  liberté  avec  laquelle  l'esprit  humain  se  développe 
fait-elle  naître ,  sous  ce  rapport,  des  mœurs  entièrement  op- 
posées chez  des  nations  voisines  et  dont  l'origine  est  la  même, 
tandis  que  des  coutumes  analogues  se  retrouvent  chez  des 
peuples  fort  éloignés  les  uns  des  autres  et  qui  n'ont  rien  de 
commun  ensemble.  Or  comme  la  physiologie  a  pour  objet  non 
pas  le  sec  et  aride  mécanisme,  mais  l'organisme  imprégné  de 
sa  pleine  et  entière  vitalité ,  elle  doit ,   ici ,  comme  en  toute 
occasion ,  chercher  à  connaître  les  nuances  variées  de  la  vie 
et  à  montrer  comment  l'essence  de  la  vie  de  famille  perce  à 
travers  les  formes  infinies  qu'elle  revêt(l).  Par  conséquent,  de 
mêmeque  nous  avons  invoqué  ailleurs  les  lumières  de  la  zoo- 
tomie  ,   de  même  aussi  nous   emprunterons  à   l'ethnologie 
quelques  exemples  des  formes  les  plus  saillantes ,  et  nous 
irons  puiser  surtout  ces  exemples  chez  les  peuples  éloignés 
les  uns  des  autres  sous  le  rapport  de  l'espace  et  du  temps  , 
ce  qui  nous  obligera  de  revenir  sur  certains  points  qui  déjà 
ont  été  effleurés  précédemment. 

!•  Conclusion  <lu  mariage. 

§  569.  Le  choix ^  dans  le  mariage , 

1°  Ne  doit  porter  en  général  que  sur  des  individus  qui,  à  la 
santé  physiq^ue  et  à  la  possession  du  pouvoir  procréateur,  unis- 
sent la  santé  morale.  L'imbécillité  la  diminue  ;  la  démence, 
l'aliénation  mentale  excluent  du  mariage ,  parce  qu'elles  éta- 
blissent l'incapacité  de  vivre  en  société  ,  de  diriger  les  affaires 
domestiques  et  d'élever  les  enfans. 

2°  La  première  condition  est  l'harmonie,  avec  différence  tou- 
tefois (  §  261,  ï\  3°,  321,  l»  );  il  ne  faut  ni  similitude  abso- 
lue ,  ni  différence  trop  prononcée. 

(4)  Voyez  J.-L.  Casper,  De  l'influence  du  mariage  sur  la  durée  de  la 
vie  humaine  (  Annales  d'hygiène  publique  et  de  médecine  légale ,  1833  , 
t.  XIV,  p.  228.) 


AGE    ADULTE.  ^  5l 

Cette  loi  règne  d'abord  en  ce  qui  concerne  Yîx^^e.  La  faculté 
procréatrice  s'éveille  plus  tard  chez  l'homme ,  et  peut  sans 
inconvénient  rester  inactive  jusqu'à  ce  que  la  position  sociale 
et  le  besoin  du  cœur  comportent  le  mariage  :  elle  dure  d'ail- 
leurs plus  long-temps  que  chez  la  femme.  Aussi  la  nature 
porte-t-elle  l'homme  à  s'unir  avec  une  femme  plus  jeune  que 
lui ,  parce  que  c'est  surtout  le  charme  de  la  jeunesse  qui  l'at- 
tire ;  la  jeune  fille,  au  contraire,  préfère  Thommemûr.  Sur 
mille  mariages  contractés  en  Prusse  dans  l'espace  d'une  an- 
née ,  on  compta  758  hommes  au  dessous  de  quarante-cinq 
ans  qui  épousèrent  des  femmes  au  dessous  de  trente,  et  149 
qui  s'unirent  à  des  femmes  âgées  de  trente  à  quaranie-cin^j 
ans  ;  52  hommes  de  quarante-cinq  à  soixante  ans,  qui  pri- 
rent des  femmes  au  dessous  de  quaranîe-cinq  ans;  8  sexa- 
génaires qui  épousèrent  des  femmes  au  dessous  de  quarante- 
cinq  ans,  et  8  dont  les  épouses  dépassaient  cet  âge. 

L'inverse  ne  s'observe  qu'à  l'égard  des  alliances  contrac- 
tées tard  :  ainsi,  sur  un  million  de  mariages  qui  eurent  lieu  en 
Prusse  dans  l'espace  de  quinze  années,  on  en  compte 

743,603,  en  temps  utile, l'homme  étant  â,';é  de  moins  de  qua- 
rante-cinq ans,  et  la  femme  de  moins  de  trente; 
211,907  tardifs,  savoir: 

22,773,  dans  lesquels  l'homme  était  entre  qua- 
rante-cinq et  soixante  ans  et  la  femme 
au  dessous  de  trente  ; 
157,098,  dans  lesquels  Fhomme  était  au  dessous 
de  quarante-cinq  ans  ,  et  la  femme  en- 
tre trente  et  quarante-cinq  ; 
32,036,  dans  lesquels  l'homme  était  entre  qua- 
rante-cinq ans  et  soixante,  la   femme 
entre  trente  et  quarante-cinq  ; 
44,490,  n'ayant  pas  pour  but  la  propagation,  savoir  :' 

8,483,  l'homme  ayant  plus  de  soixante  ans 

et  la  femme  moins  de  quarante-cinq  ; 
28,636  ,  l'homme  ayant  moins  de  soixante  ans 
et  la  femme  plus  de  quaranîe-cinq  ; 
6,371,  l'homme  ayant  plus  de  soixante  ans  et 
la  femme  plus  de  quarante-cinq. 


52  AGE    ADULTE. 

ABreslau,  de  1813  à  1822,  la  proportion  sumnte  a  eu 
lieu,  suivant  Hahn  :  parmi  les  hommes  au  dessous  de  quarante - 
cinq  ans ,  694  épousèrent  des  femmes  qui  n'en  avaient  pas 
trente,  184  des  femmes  âjfjées  de  trente  à  quarante-cinq,  et  16 
des  femmes  dont  l'âge  dépassait  quarante-cinq  ans  ;  parmi 
ceux  de  quarante-cinq  à  soixante ,  31  s'unirent  à  des  femmes 
au  dessous  de  trente  ans ,  44  à  des  femmes  entre  trente  et 
quaranie-cinq  ans ,  et  17  à  des  femmes  âjjées  de  plus  de  qua- 
rante-cinq ans  ;  enfin ,  parmi  les  sexagénaires,  3  prirent  des 
femmes  au  dessous  de  trente  ans ,  4  des  femmes  entre  trente 
et  quarante-cinq,  et  7  des  femmes  au  dessus  de  ce  dernier 
âge.  Selon  Reiche  (1),  voici  quelle  a  été  la  proportion  dans 
cette  même  ville  ,  depuis  1775  jusqu'en  1805  :  671  garçons 
épousèrent  des  vierges,  139  vœufs  au  dessous  de  soixante  ans 
des  vierges  également ,  81  jeunes  gens  des  veuves  au  dessus 
de  quarante-cinq  ans ,  43  veufs  au  dessous  de  soixante  ans 
des  veuves  au  dessus  de  quarante-cinq,  26  divorcés  des 
femmes  également  divorcées ,  17  sexagénaires  des  femmes  au 
dessus  de  quarante-cinq  ans ,  eî  12  veufs  âgés  de  plus  do 
soixante  ans  des  vierges  ou  de  jeunes  veuves.  A  Paris,  en 
1827,  6195  jeunes  gens  et  727  veufs  épousèrent  des  vierges, 
353  jeunes  gens  et  199  veufs ,  des  veuves. 

Il  y  a  nécessité  aussi  d'une  pareille  harmonie,  générale  et 
particulière,  sous  le  rapport  des  facultés  intellectuelles  et  des 
sentimens  moraux  (  §  305,  1°  ).  C'est  même  une  condition  fa- 
vorable que  l'un  des  époux  soit  plus  porté  que  l'autre  aux 
plaisirs  de  l'amour ,  sans  cependant  que  la  disproportion  aille 
trop  loin.  L'idée  de  l'harmonie  du  monde  avec  la  nature  hu- 
maine ,  défigurée  par  les  rêveries  astrologiques ,  est  la  cause 
qui  fait  qu'à  Siam  on  consulte  les  devins  pour  savoir,  d'après 
l'horoscope  des  jeunes  gens,  s'ils  se  conviennent  l'un  à 
l'autre  (2). 

S»  D'après  la  même  loi ,  les  époux  ne  doivent  point  être 
parens  l'un  de  l'autre  à  un  degré  trop  rapproché  (§305,  1")^ 
et  l'union  des  familles  qui  diffèrent  jusqu'à  un  certain  point 

(1)  Zimmeriiian ,  Taschenhuch  der  Reisen ,  t.  XI ,  p.  70, 

(2)  Corrsspondens  der  Schlesischen  Gesellschaft ,  p.  54. 


A<iE    ADULTE.  DO 

SOUS  le  rapport  du  tempérament ,  des  mœurs  et  autres  cir- 
coiisiances  analogues ,  est  une  condition  i'avorable  à  la  vie 
conjugale  (i).  Le  sentiment  moral  reconnaît  une  autre  sorte 
d'amour  pour  l'organisme  de  la  vie  de  famille  ;  les  frères  et 
sœurs  sont  trop  rapprochés  les  uns  des  autres;  quant  aux  pa- 
rens  et  aux  enfans ,  l'autorité  des  premiers  sur  les  seconds  et 
le  respect  de  ceux-ci  pour  ceux-là  les  place  à  une  trop  grande 
distance.  Mais  ce  sentiment  naturel  n'a  pas  un  égal  empire 
chez  tous  les  peuples.  Tandis  que,  chez  les  Hindous,  le  ma- 
riage entre  parens  n'est  permis  qu'au  troisième  degré ,  les 
Concis,  nation  peu  éloignée,  permettent  aux  jeunes  gens  d'é- 
pouser toutes  leurs  parentes  ,  à  l'exception  de  leur  mère  (2), 
Les  Samoièdes ,  les  Hurons  et  les  Iroquois  n'admettent  point 
le  mariage  entre  parens  ;  mais  on  était  libre  d'épouser  sa  sœur 
au  Pérou ,  à  Siam  et  en  Egypte ,  sa  fille  chez  les  Tartares,  les 
Scythes ,  les  Chiliens  et  les  Caraïbes,  sa  mère  chez  les  Parîhes, 
les  Perses  et  les  Arabes  (3).  Chez  les  Atapeskos  et  les 
Néhiouays  les  hommes  se  marient  fréquemment  avec  leurs 
sœurs,  leurs  filles  et  leurs  mères,  tandis  que  les  peuples  voi- 
sins regardent  ces  unions  incestueuses  avec  horreur  (4), 

4°  L'homme  exige  que  la  femme  à  laquelle  il  doit  s'unir 
pour  la  vie  lui  apporte  son  innocence  (  §  256,  3°).  Un  préjugé 
sans  fondement  fait  attacher  une  grande  importance  au  signe 
équivoque  de  Thémorrhagie  ;  quand  ce  signe  manque  à  Sierra 
Leone,  l'homme  renvoie  honteusement  la  femme  (5)  :  il  en  est 
de  même  chez  lesSamoïèdes  (6)  et  les  Kirgises  (7).  Mais  les 
Catabawsdu  nord  de  l'Amérique  (8),  les  indigènes  du  Brésil  (9), 
les  habitans  de  Bornéo  (1),  des  Philippines  (2),  du  royaume  de 

(1)  Frank,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  440-454. 

(2)  Zimmerraann ,  Taschenhuch  der^  Reisen ,  t.  XI,  p,  257;  t.  Xîl, 
p.  272. 

(3)  Demeunier ,  Ueber  Sitten  und  Gebrœuche  der  Fœlker,  tome  I 
p.  100. 

(4)  Hearne,  ReiseinderHudsonshai,  p.  89. 

(5)  Zimmeriuann ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  207, 

(6)  Ihid.,  t,  VIII ,  pi.  II ,  p.  70. 
(7) /Wrf.,  p.  d58. 

(8)  Ibid.,  t.  IV  ,  p.  195. 

(9)  Ibid.,  t.  VU  ,  p.  78. 


54  AGE    ADULTE. 

Siam,  du  Pégu  et  de  i'Arakan,  de  Madagascar  et  de  la  Gui- 
née (3),  ne  mettent  point  de  prix  à  ce  signe,  ou  même  pré- 
fèrent les  filles  déflorées  et  celles  qui  ont  eu  déjà  des 
enfans. 

5°  La  liberté  du  choix  est  une  condition  naturelle  du  ma- 
riage. Mais  les  parens  fiancent  leurs  enfans  long-temps  avant 
la  puberté  chez  les  Iroquois  (4)  et  les  Péruviens  (5) ,  dans 
l'île  de  Corse  (6)  etauxCélèbes  (7) ,  ou  même  dès  avant  leur 
naissance  à  Sierra  Leone  et  sur  la  Côte  d'Or  (8).  En  Chine , 
le  mariage  est  conclu  par  les  parens ,  sans  que  les  futurs  se 
connaissent  (9) ,  coutume  qui  règne  aussi  en  Egypte  ,  sui- 
vant Savary.  La  précocité  de  l'union  conjugale  explique 
seule  comment  l'instinct  qui  pousse  l'homme  à  l'indépen- 
dance peut  fléchir  ainsi  devant  la  volonté  paternelle ,  et  la 
tendresse  inhérente  au  cœur  humain  fait  concevoir  que 
l'amour  puisse  naître  du  rapprochement  de  deux  êtres  qui 
ont  été  unis  sans  le  concours  de  leur  volonté  (§  253 ,  5°). 

§  570.  Il  est  dans  la  nature  que  l'homme  choisisse,  qu'il 
cherche  à  gagner  le  cœur  de  la  femme  (§  255,  1°),  et  qu'il  se 
procure  le  consentement  des  parens.  L'agrément  de  la  femme 
a  été  partout  considéré  comme  une  condition  essentielle  et  la 
seule  digne  de  l'homme ,  car  la  plupart  des  peuples  ont  pro- 
noncé des  peines  sévères  contre  le  viol ,  que  les  Egyptiens  et 
les  Perses  punissaient  par  la  castration ,  les  Dariens  par  la 
perforation  et  la  déchiqueture  du  membre  viril. 

1»  Mais,  chez  beaucoup  de  peuples,  le  jeune  homme  ne  s'in- 
quiète que  du  consentement  des  parens,  à  la  volonté  desquels 
la  fille  est  obligée  de  se  soumettre.  Tel  est  l'usage,  entr'aulres, 
des  sauvages  qui  habitent  la  baie  d'Hudson  (10).  Chez  d'au- 

(1)  Ibid.,t.  XIII,  p.  306. 

(2)  Ibid.,  t.  XIV,  p.  234. 

(3)  Frank  ,  loc.  cit.,  t.  II ,  p.  42. 

(4)  Zininiermann  ,  loc.  cit.,  t.  III ,  p.  192. 
Ji^)  Ibid.,  t.  \1,  p.  107. 

'{6)  Ibid.,  t.  IX,  p.  25. 
(1)  Ibid.,  t.  XIV,  p.  26. 
{8)  Ibid.,  1. 1,  p.  207. 
{9)  Ibid.,  t.  IX,  p.  222, 
(10)  Heavne ,  loc,  cit.,  p.  206, 


AGE    ADULTE.  55 

très,  après  avoir  obtenu  l'aveu  des  pareiis  ,  il  recherche  en- 
core celui  de  la  fille.  Ainsi ,  chez  les  Chawanons  de  la  Loui- 
siane, il  s'approche  le  soir  de  la  couche  de  cette  dernière,  et  lui 
découvre  le  visage  ;  si  elle  s'enveloppe  de  nouveau,  c'est  une 
marque  de  refus  (1).  Le  Hottentot  passe  une  nuit  auprès 
d'elle ,  et  si  elle  lui  résiste ,  elle  conserve  sa  liberté.  Le  Lapon 
lui  apporte  des  présens,  par  l'acceptation  ou  le  refus  des- 
quels elle  fait  connaître  sa  volonté  (2).  Suivant  Schubert ,  il 
est  encore  d'usage  ,  dans  le  nord  de  la  Suède ,  qu'à  certains 
jours  de  la  semaine  ,  le  jeune  homme ,  d'accord  avec  les  pa- 
rens  ,  rende  une  visite  nocturne  à  la  jeune  fille  ;  mais  il  doit 
venir  sans  que  personne  s'en  aperçoive  et  s'éloigner  au  petit 
jour  ;  les  deux  jeunes  gens  se  couchent  habillés  et  peuvent 
se  serrer  les  mains,  mais  il  leur  est  défendu  de  s'embrasser  ; 
ce  n'est  souvent  qu'après  plusieurs  années  de  visites  sem- 
blables qu'un  mariage  vient  enfin  à  se  conclure  ;  cependant 
le  caractère  sérieux  de  l'homme  du  nord ,  et  la  honte  atta- 
chée au  libertinage  rendent  les  enfans  illégitimes  infiniment 
plus  rares  qu'ils  ne  le  sont  dans  d'autres  contrées  ;  le  jeune 
homme  qui  s'enivre  et  la  fille  qui  fait  un  faut  pas  perdent  le 
droit  de  la  visite  nocturne. 

2"  Il  est  des  nations  chez  lesquelles  la  pudeur  ne  permet 
au  jeune  homme  et  à  la  jeune  fille  d'exprimer,  l'un  ses  désirs 
et  l'autre  son  consentement,  que  d'une  manière  symbolique. 
Chez  les  Cries,  le  jeune  homme  se  rend  dans  la  demeure  de 
la  jeune  fille  ,  et  plante  en  terre ,  devant  toute  la  famille ,  un 
roseau  près  duquel  la  fille  en  enfonce  un  autre,  pour  témoigner 
son  consentement,  après  quoi  on  fait  un  échange  de  ces 
roseaux  (3).  Chez  les  Iroquois,  il  lui  rend  visite  pendant  la 
nuit,  et  lui  présente  un  morceau  de  bois'^ allumé  ,  qu'elle 
éleint  quand  elle  veut  se  donner  à  lui  (4).  Chez  d'autres  peu- 
ples ,  le  jeune  homme  s'abstient  de  se  présenter  lui-même , 
et  emploie  des  entremetteurs  ,    coutume  qui  règne,  par 


(1)  Penia  du  Lac ,  Reise  in  die  beiden  Louisianen ,  t.  I ,  p.  115. 

(2)  Demeunier,  loc,  cit.,  t.  ï,  p.  104. 

(3)  ZiDimermann  ,  loc.  cit.,  t.  IV,  p.  184. 
(4)ioc.  cî*.,  t.  ni,po202» 


5'3  AGL    ADULTE. 

RKempîe,  chez  lesSamoïèdes  et  les  Ostiaques(l).  Cet  ofiico  est 
rempli  au  Pérou  par  les  pareus,  chez  les  Hottentoîs  par  le 
père,  chez  les  Birmans  par  la  mère  (2) ,  à  Siam  par  d'autres 
femmes  (3),  chez  les  Hindous  par  ua  ami  (4). 

3°  Il  y  a  plusieurs  peuples  chez  lesquels  on  exige  que  le 
jeune  homme  se  soit  distingué  par  ses  actions.  Parmi  les 
Chawanons ,  c'est  le  plus  intrépide  guerrier  ou  le  meilleur 
chasseur  qui  obtient  la  préférence  (5).  Sur  les  bords  du  Mis- 
souri ,  la  famille  entière  d'un  chef  dont  la  fille  est  recher- 
chée se  réunit  pour  examiner  si  le  jeune  homme  et  sa  famille 
sont  assez  braves  (6).  Au  Brésil,  il  faut  que  le  prétendu  ait 
tué  un  ennemi  (7)  :  il  en  est  de  même  dans  quelques  tribus 
arabes  et  chez  les  sauvages  de  Bornéo,  parmi  lesquels  l'homme 
veuf  lui-tnême ,  qui  veut  se  remarier,  est  obligé  de  mettre  à 
mort  un  ennemi ,  dont  il  puisse  montrer  la  tête.  Les  sau- 
vages de  la  baie  d'Hudson  jouent  leurs  épouses  les  unes  contre 
les  autres  ,  et  les  femmes  assistent  tranquillement  à  ces  jeux , 
dont  elles  sont  le  prix  (8). 

4°  Plus  d'avarice  de  la  part  des  parens  les  porte  à  exiger 
que  le  jeune  homme  travaille  pendant  un  certain  temps  à  leur 
service.  Telles  sont  les  mœurs  des  Koriaks,  des  Kamtcha- 
dales  (9)  et  des  habitans  des  îles  Philippines  (10).  Chez  les 
Chav^anons ,  le  nouvel  époux  est  obligé  de  vivre  chez  son 
beau-père  et  de  chasser  pour  lui  jusqu'à  ce  qu'un  enfant  iui 
soit  né  (11).  Ce  n'est  qu'après  cette  époque  qu'il  peut,  chez 
les  peuples  du  Missouri ,  se  construire  une  cabane  particu- 
lière (12). 

(1)  Loc,  cit.,  t.  VIII ,  pi.  II ,  p.  69-120. 

(2)  Loc,  cit..  t.  X,p.  272. 
(3)Xoc.  cit.,  t.  XI,  p.  70. 

(4)  Loc.cit.,  t.  XII,  p.  274. 

(5)  Peiriii  du  Lac,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  125. 

(6)  Ibid.,  t.  II,  p.  31. 

(7)  Zimmermann ,  loc.  cit. ,  t.  VII ,  p.  78. 

(8)  Hearne,  loc.  cit.,  p.  73. 

(9)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  VIII ,  p.  78. 

(10)  iJzt^.,  t.  XIV.p.  234. 

(41)  renin  du  Lac,  loc.  cit.,  t.  I ,  p.  116, 
(12)  Ibid.,  t.  II,  p.  32. 


AGK    ADULTE.  57 

3°  L'îj'oqiîois  fait  des  présens  aux  p;irens  de  la  fille  qu'il 
v<Mit  obîeiiir,  ci  racceplaîion  de  ses  oîTres  est  un  témoigna{je 
d'acceptation  (i).  Le  Jakoiite  apporte  au  père  des  têtes  de 
chevaux ,  avec  des  peaux  de  Renard  et  de  Zibeline  (2)  ; 
le  Siamois ,  des  fruits  et  du  bétel  (3)  ;  le  Holtentot,  du  tabac. 
Le  Sauvage  brésilien  envoie  aiix  parens  du  gibier  ou  des 
fruit  s  (4) ,  et  celui  des  bords  du  Missouri  en  agit  de 
même  (5). 

6°  Un  contrat  d'achat  en  règle  (§256,  2°)  est  conclu  avec  les 
parens  à  Ounalachka  (6) ,  chez  les  Kirghiz  (7),  à  la  Chine  (8) , 
aux  Indes  orientales  (9),  etparmiles  Abipons(lO).  Le  présent 
est  fixé  en  bestiaux  chez  les  Concis  (11).  Il  s'élève  de  cinq 
à  vingt  rennes  chez  les  Samoiedes  (12),  de  vingt  jusqu'à  cent 
parmi  les  Tongouses  (13),  et  souvent  bien  au-delà  chez  les 
Ostiaques  (14).  Il  consiste  en  bêtes  à  cornes,  ceintures, 
coraux  et  eau-de-vie  chez  les  nègres  du  Sénégal ,  en  tabac 
et  pipes  à  la  Côte-d'Or  (15),  en  argent  à  Sumatra  (16).  Celui 
qui  ne  peut  point  l'acquitter  à  Bali ,  est  obligé  de  servir  le 
beau-père  en  qualité  d'esclave  (17). 

7°  Les  Hindous  célèbrent  les  fiançailles  par  des  sacrifices 
et  des  repas  (18).  Une  fois  cette  cérémonie  préliminaire  termi- 
née, l'habitant  de  la  Boukharie  ne  peut  plus  revoir  sa  fiancée 

(1)  Zimmerniann  ,  loc.  cit.,  t.  III,  p,  492. 

(2)  Ihid.,t.  VIII,  p.  303. 
(5)  Ibid.,  t.  XI,  p.  70. 

(4)  Spix  et  Martius,  Reisein  BmsUien  ,  t.  I ,  p.  381-492. 

(5)  Penin  du  Lac,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  31. 

(6)  Zimriiermann  ,  loc.  cit.,  t.  VIII ,  pi.  I,  p.  177. 

(7)  iôz'rf.,  pi.  II,  p.  458. 

(8)  Ibid.,ç.  222.  •■  .; 

(9)  Jbid.,  p.  273. 

(10)  Ibid.,  t.  IV,  p.  241. 
(ll)i^.^■d.,  t.  XI,  p.  251. 
(12)/izrf.,t.  VIII,pl.  II,  p.  63. 
(13)  iJtd.,t.  VIII,pl.  4,  p.  294. 
(44)76irf.,pl.  II,  p.  400.  ' 
(45)  Ibid.,  t.  I ,  p.  205. 
(16)7iid.,p.  201. 

(17)i6irf.,  t.  XIV,  p.  56. 

(i8)  Ibid.,  txu,v-^n. 


58  AGE   ADULTE. 

jusqu'à  la  conclusion  du  mariage  (1).  Au  contraire  ,  chez  les 
Oiomireset  quelques  peuplades  des  Indes  occidentales,  ce  n'est 
qu'après  avoir  passé  un  ou  plusieurs  jours  avec  la  fille  que 
l'homme  fait  savoir  s'il  la  gardera  pour  femme.  L'épreuve 
dure  quelques  semaines  chez  les  Nègres  du  Congo.  Chez  les 
Kalmouks  ,  elle  est  d'une  année,  et  c'est  la  naissance  d'un  en- 
fant qui  légitime  le  mariage  (2). 

§  571.  Il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  de  peuples,  par  exem- 
ple les  sauvages  du  Brésil  (3) ,  ceux  de  la  Baie  d'Hudson  (4) 
et  les  habilans  d'Ounalachka  (5)  ,  qui  ne  fassent  point  de 
noces.  La  plupart  du  temps,  l'union  conjugale  est  célébrée , 
tantôt  comme  acte  purement  civil ,  par  une  attestation  de  la 
conclusion  du  contrat ,  tantôt  comme  un  sacrement ,  par  des 
prières  et  des  cérémonies  religieuses,  tantôt  enfin  comme  un 
événement  agréable  aux  individus,  à  la  famille  et  à  la  société 
en  général ,  par  les  congratulations  des  voisins  et  des  amis.  Là 
même  oii  régnent  la  polygynie  et  l'usage  d'acheter  les  fem- 
mes ,  par  exemple  ,  chez  les  Nègres ,  chaque  nouveau  ma- 
riage devient  une  occasion  de  fêtes  (6).' 

1°  La  consécration  religieuse  a  lieu  chez  beaucoup  de  peu- 
ples. Le  prêtre  des  Ostiaques  invite  les  fiancés  à  déclarer  de- 
vant lui  la  résolution  qu'ils  ont  prise  de  s'unir  ensemble  (7). 
Il  agit  de  même  à  Java ,  et  prie  ensuite  pour  les  nouveaux 
époux  (8).  Au  Japon,  il  fait  des  prières  devant  l'autel ,  et  sa- 
crifie des  bestiaux  (9).  Chez  les  Kalmouks  ,  il  consacre  la 
nouvelle  cabane(lO).  A  Siam,  ce  n'est  que  quelques  jours  après 
le  mariage  qu'il  asperge  les  époux  d'eau  consacrée,  en  adres- 
sant^pour  eux  des  prières  au  ciel  (11).  Chez  les  Hindous,  il  fait 

(4)  Demeunier,  loc.  cit. ,  1. 1 ,  p.  104. 
(2) /èzi.,p.  94. 

(3)  Spix  et  Martius ,  loc.  cit.,  t.  I ,  p.  381. 

(4)  Hearne ,  loc.  cit.,  p.  206. 

(5)  Zimmermann ,  loc  cit.,  t.  VIII ,  p.  177. 
(6)iWd.,t.  I,  p.  199. 

(7)  ibid.,  t.  vm ,  pi.  II ,  p.  120. 
(8)/6irf.,  t.II,p.  239. 

(9)  Ibid.,  t.  IX  ,  p.  215. 

(10)  Ibid.,  t.  VIII ,  pi.  II,  p.  278. 

(11)  iôid.,  t.  XI,  p.  72. 


AGE    ADULTE.  69 

toucher  à  tous  les  assistans  le  taly ,  ou  le  signe  de  la  fidélité 
conju{jaIe,  puis  il  cliarge  le  fiancé  de  le  passer  au  cou  de  la 
fiancée  (1).  Chez  les  Hoitentots,  il  épanche  sur  les  époux  assis 
en  cercle  avec  leurs  amis,  son  urine,  dont  aussitôt  ils  se  frot- 
tent le  corps  (2). 

2°  Les  actes  symboliques  sont  fréquens.  A  la  Chine ,  les 
conjoints  se  rendent  chez  les  parens  de  l'époux,  s'agenouillent 
devant  eux,  mangent  ensuite  ensemble  ,  et  échangent  les  va- 
ses dans  lesquels  ils  ont  bu  (3).  Chez  les  Birmans,  ils  mangent 
du  même  mets  ,  qu'ils  s'offrent  mutuellement  (4).  A  Java,  ils 
échangent  des  anneaux,  se  passent  réciproquement  des  colliers 
de  fleurs  blanches,  et  boivent  du  lait  dans  le  même  vase  (5). 
Au  Japon ,  ils  allument  à  une  lampe  des  flambeaux  qui  leur 
servent  à  brûler  les  jouets  de  la  fiancée  (6).  A  Sumatra  ,  les 
parens  ou  les  personnages  les  plus  considérables  de  la  commu- 
nauté leur  mettent  les  mains  l'une  dans  l'autre  (7).  Chez  les 
Iroquois,  on  brise  un  bâton,  dont  on  distribue  les  morceaux 
parmi  les  témoins ,  et  qu'on  brûle  lorsque  le  mariage  vient  à 
se  dissoudre  (8).  En  Darie ,  les  pères  livrent  les  époux  l'un  à 
l'aufre  au  milieu  de  discours-  solennels  et  de  danses  (9). 
Chez  les  Tatars  Nogais  ,  les  parens  exécutent  des  luttes ,  afin 
que  le  mariage  produise  des  garçons  braves  (10). 

3°  Des  fêtes  ont  Ueu  chez  les  Hindous  ,  où  le  couple  est 
porté  dans  un  palanquin,  entouré  de  danseuses  (11),  et  à  Java, 
où  pendant  les  quinze  jours  qui  précèdent  son  mariage  ,  le 
fiancé  sort  chaque  fois  avec  une  troupe  de  jeunes  gens ,  de 


(i)  IMd.,t.  XII,  p.  274. 
(2)  Ibid.^t.I,  p.  212. 
(3)/Wi.,t.  IX,  p.  222. 
(à)  Ibid.,  t.  X^,  p.  272. 
(5)/6id.,  t.  II,  p.  239. 
(6)  Ibid.,  t.  IX,  p.  215. 
{l)Ibid.,t.  I,p.  205. 
{8)  Ibid.,  t.  m,  p.  192. 

(9)  Ibid.,  t.  V,  p.  192. 

(10)  Demeunier,  loc.  cit.,  t.  I ,  p.  117. 

(11)  Zimraermann,  loc.  cit.,  t.  XII,  p.  271, 


6ù  AGE    ADULTE. 

danseurs  et  de  musiciens  (1).  Les  Jakoutes  (2),  les  Osiiaques  (3) 
et  les  Birmans  (4)  donnent  des  repas ,  qui ,  chez  les  Holten- 
tots  (5)  et  les  Dariens  (6),  durent  plusieurs  jours,  et  qui,  la 
plupart  du  temps,  comme  chez  les  Tongouses  (7),  sont  accom- 
pagnés de  chants  et  de  danses.  Chez  les  Nègres  de  la  Côte- 
d'Or,  ces  danses  sont  suivies  seulement  d'une  distribution  de 
vin  de  palmier,  parce  qu'il  n'est  d'usage  de  manger  que  dans 
les  cérémonies  funéraires  (8).  Les  Maures  battent  la  caisse  , 
poussent  des  cris ,  distribuent  de  la  viande  au  peuple ,  et  le 
fiancé  envoie  aux  hommes  non  mariés  son  urine,  dont  ils 
s'aspergent  (9). 

4°  En  Darie ,  les  hôtes  apportent  des  présens  de  noces , 
donnent  du  maïs ,  et  construisent  une  cabane  pour  les 
époux  (10).  Chez  les  Kalmouks ,  ceux-ci  sont  dotés  par  les 
parens  de  l'un  et  l'autre  côté  (11).  Parmi  les  peuplades  ta- 
tares  de  la  Sibérie  ,  les  parens  donnent  une  certaine  quantité 
de  rennes  (12).  A  Ounaîacbka ,  le  beau-père  ne  fait  des  pré- 
sens à  l'époux  que  quand  le  mariage  est  heureux  (13).  Chez 
les  Tongouses,  la  fiancée  donne  des  vélemens  à  son  fiancé  (14). 
5"  Tandis  que,  chez  quelques  tribus  d'Iroquois  (15)  et  chez 
d'autres  sauvages  du  nord  de  l'Amérique  ,  les  jeunes  époux 
sont  obligés  d'habiter  avec  les  parens  de  la  femme  jusqu  à  ce 
qu'ils  aient  des  enfans ,  l'épouse  ,  chez  les  autres  peuples  ,  va 
demeurer  dans  la  cabane  de  son  mari.  Les  nègres  de  la  Côte- 
Ci)  ILid.,  t.  Il,  p.  3S9. 

(2)  Ibid.,  t.  VIII ,  pi.  I.  p.  353. 

(3)  Ibid.,  t.  VIII ,  pi.  II ,  p.  120. 
(ii)Jbid.,  t.  X,  p.  272. 

(5)  Ibid.,  t.  I,  p.  213. 
(G)  Ibid.,  t.  V,  p.  192. 
(7)/6zrf.,  t.  VIII,p..204. 
{S)  Ibid.,  t.  I,  p.  206. 
(9)  Ibid.,  t.  I,  p.  206. 
(lO)iWrf.,  t.  IV,p.  492. 

(11)  Ibid.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  278, 

(12)  Ibid.,  p.  120. 

(13)  Ibid.,  t.  VIII,  pi.  I,  p.  177. 

(14)  Ibid.,  p.  294. 

(15) /W<rf.,t.  m,p.  203. 


àGE    ADULTE.  6l 

d'Or  emmènent  leur  épouse ,  qu'accompagnent  des  femmes , 
parées  de  leurs  plus  beaux  atours  (1).  A  Malaca,  Tépoux 
emmène  processionnellement  sa  femme ,  après  qu'elle  lui  a 
lavé  les  pieds.  Chez  les  Jakoutes,  on  la  porte ,  enveloppée  de 
pelleteries,  dans  la  cabane  de  son  époux  (2).  A  Sierra- Leone, 
on  la  couvre  d'un  voile ,  et  une  femme  la  porte  sur  son  dos 
au  mari ,  au  milieu  des  cris  de  joie  et  des  salves  de  mousque- 
terie  (3).  A  la  Chine,  on  la  lui  amène,  dans  un  palanquin 
fermé,  entouré  d'amis  et  de  musiciens  (4).  A  Java,  après  la 
cérémonie,  il  la  prend  sur  son  cheval,  et  gagne  avec  elle  sa 
demeure  (5).  Chez  les  Samoièdes,  d'autres  femmes  la  mettent 
de  force  sur  un  traîneau,  et  l'y  attachent  (6),  Dans  le  nord  de 
la  Suède ,  au  rapport  de  Schubert ,  les  femmes  cherchent  à 
enlever  l'épouse ,  et  les  hommes  l'époux  ;  lorsqu'ils  y  parvien- 
nent ,  ils  dansent  autour  d'eux  ,  et  l'époux  porte  aux  jeunes 
gens  une  santé  d'adieu  ,  et  aux  hommes  une  santé  de  bienve- 
nue. Chez  plusieurs  peuplades^tatares  du  nord-est  de  la  Russie, 
les  jeunes  filles  se  réunissent  autour  de  la  fiancée ,  le  soir  du 
mariage,  et  déplorent  son  sort,  tandis  que  deux  hommes 
chantent  le  bonheur  du  mariage  (7)  ;  la  fiancée  se  débat  en- 
suite (  §  236 , 1"  ) ,  et  chez  les  Koriaks ,  elles  ne  se  rend  que 
quand  l'époux  est  parvenu ,  malgré  sa  résistance  et  les  cour- 
roies dont  elle  s'est  entourée  ,  à  lui  toucher  le  corps  nu  (8). 
Au  Kamtschatka,  elle  cherche  à  s'enfuir,  et  appelle  les/emmes 
à  son  ^secours  (9).  Chez  les  Aloutes ,  elle  se  réfugie  auprès 
d'amis,  d'où  on  ne  peut  l'arracher  que  par  violence  (iO).  Au 
Groenland,  elle  se  cache  dans  les  montagnes,  où  l'époux  est 
obligé  de  la  poursuivre  (11). 

(1)  Ihid.,  t.  I,  p.  205. 

(2)  i6ii.,  1. 1,  p.  353. 

(3)  Ibid.,  1. 1 ,  p.  206. 
(4)/6id.,t.  IX,  p.i222. 
(5)i6ïd.,t.  Il,  p.  239. 
(6).i6^•e^.,  t.  m,  p.  69. 

(7)  Ibid.,  p.  120. 

(8)  Ibid.,  t.  VIII,  pi.  I,  p.  72. 

(9)  Ibid.,  p.  241. 

(10)  Demeunier,  loc,  cit.,  t,  I,  p.  106. 

(11)  Ibid.,  p.  108, 


62  AGE   ADULTE. 

A  Magindanao ,  l'une  des  îles  Philippines ,  les  jeunes  filles 
conduisent  la  fiancée  ,  malgré  sa  résistance,  et  en  présence 
des  hôtes,  vers  le  lit  situé  derrière  un  rideau ,  [et  l'époux  la 
suit  (1)  A  Sierra-Leone ,  les  hôtes  reçoivent  avec  'des  cris  de 
joie  les  marques  sanj^lanies  de  la  virginité  détruite,  et  les 
portent  en  triomphe  par  les  rues  de  la  ville  (2). 

II.  Rapports  entre  les  sexes  dans  le  mariage. 

§  572.  Le  mariage 

I.  Repose  sur  la  reconnaissance  mutuelle  des  droits  de  cha- 
cune des  parties  contractantes  ;  car  c'est  à  cette  condition 
seulement  qu'il  peut  y  avoir  amour  et  concours  pour  la  con- 
servation de  l'espèce.  Mais,  chez  beaucoup  de  peuples,  la 
supériorité  de  l'homme ,  eu  égard  à  la  force  physique  ,  a  dé- 
truit ce  rapport  (§  219,  5°),  et  ce  sont  ordinairement  les 
peuples  les  plus  grossiers  qui  respectent  le  moins  les  droits 
des  femmes. 

1°  Sur  la  côte  occidentale  d'Afrique  ,  les  femmes  ne  peu- 
vent point  hériter  (3)  Dans  le  royaume  d'Achem  ,  les  jeunes 
filles ,  à  la  mort  du  père ,  deviennent  même  ,  avec  toute  sa 
fortune ,  la  propriété  du  prince  (4).  A  Maroc ,  il  est  défendu 
aux  femmes  d'entrer  dans  les  mosquées;  elles  ne  peuvent 
prier  que  chez  elles  ou  dans  les  cimetières  (5).  Chez  quelques 
sauvages  du  nord  de  l'Amérique  ,  par  exemple,  les  Macaches, 
il  leur  est  interdit  de  prendre  part  aux  fêtes  générales  (6). 
Les  hordes  tatares  de  la  Sibérie  ne  leur  permettent  pas  de 
paraître  sans  voile  en  public  (7) ,  et  en  Chine ,  elles  ne  sortent 
point  de  la  maison^  la  mutilation  de  leurs  pieds,  qui  passe  pour 
une  beauté  ,  les  mettant  dans  l'impossibilité  de  marcher.  Vil- 
loison  assure  que,  dans  l'île  grecque  de  Stampalie ,  elles  ne 


(1)  Zimmerniann ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  238. 

(2)  Ihid.,X.  I,p.  207. 

(3)  Demeunier,  loc.  cit. ,  t.  I,  p.  70. 
{k)lhid.,^.  64. 

(5)  lUd..  p.  45. 

(6)  Zimmeiniaim ,  loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  I,  p.  4.47. 
{7)lbid,,  t.  II,  p.  dl9. 


AGE    ADULTE.  6$ 

peuvent  jamais  manger  avec  des  étrangers,  et  qu'il  leur 
est  même  rarement  permis  de  le  faire  en  présence  de  leurs 
époux  Les  nègres  aussi ,  même  dans  les  chaînes  de  l'escla- 
vage ,  se  croient  trop  nobles  pour  admettre  les  femmes  à  par- 
tager leur  repas  (1).  Chez  lez  Caraïbes  non  plus ,  celles-ci  ne 
peuvent  manger  devant  leurs  époux  (2) .  Suivant  EUis  ,  les 
sauvages  de  la  baie  d'Hudson  ne  boivent  jamais  dans  un  vase 
dont  une  femme  s'est  servie  (3) .  Les  tentes  des  Lapons  ont  deux 
portes,  et  les  femmes  ne  doivent  jamais  passer  par  celle  qui 
sert  au  maître.  Chez  les  Samoïèdes ,  elles  sont  regardées 
comme  impures ,  de  sorte  qu'il  ne  leur  est  permis  ni  de  man- 
ger avec  leurs  époux ,  ni  de  dépasser  certaines  limites  dans 
la  hutte,  ni  de  faire  le  tour  de  celle-ci ,  et  qu'on  a  soin  de 
purifier  par  des  fumigations  les  endroits  où  elles  ont  pu  s'as- 
seoir (4).  Les  Burètes  nettoient  également  les  sièges  ou  les 
selles  qui  ont  servi  aux  femmes,  et  celles-ci  n'ont  pas  la  fa- 
culté de  s'approcher  des  idoles  (5). 

C'est  surtout  pendant  leurs  règles  que  les  femmes  sont  ré- 
putées impures  (  §  174 ,  3°  )  ;  chez  les  Samoïèdes ,  il  leur  est 
défendu  alors  de  toucher  aux  alimens  de  leur  sale  époux  (6)  ; 
à  Loango ,  elles  ne  peuvent  même  pas  se  laisser  voir  aux 
hommes  ;  et  chez  plusieurs  peuplades  d'Amérique ,  d'Afrique , 
des  îles  d'Asie  et  de  celles  de  la  mer  du  Sud ,  elles  sont  obli- 
gées de  se  retirer  dans  des  cabanes  particulières  (7)  ;  les  sau- 
vages de  la  baie  d'Hudson  leur  interdisent  l'approche  des 
lieux  de  chasse ,  dans  la  crainte  qu'elles  ne  leur  portent  mal- 
heur (8).  Le  concile  deNicée,  de  l'année  325,  leur  défendait 
l'entrée  des  églises  (9) ,  à  la  porte  desquelles  elles  doivent  en- 
core aujourd'hui  s'arrêter  dans  l'île  de  Stampalie, 

(1)  Demeunier,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  50. 

(2)  Ihid.,  p.  63. 

(3)  Ihid.,  p.  50. 

(4)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  63. 
(5)iiid.,  t.IX,  p.  70. 

{<à)Ilid.,t.  VIII,  pi.  II,  p.  63. 
0)lbid.,  t.  I,p.  41. 

(8)  Learne,  loc.  cit.,  p.  208. 

(9)  Deraeunieï,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  42. 


©4  A.GE    ADULTE. 

2*  Dans  l'ordre  de  la  nature,  les  occupations  doivent  être 
reparties  en  raison  du  caractère  des  sexes,  c'est-à-dire  que 
riiomme  doit  porter  son  activité  an  dehors,  agir  dans  le  monde, 
créer,  acquérir  et  protéger,  tandis  que  la  femme  se  borne  à 
conserver,  à  diriger  les  affaires  intérieures  du  ménage.  Chez 
les  peuples  grossiers ,  la  paresse  de  l'homme  intervertit  cet 
ordre ,  ce  que  l'adresse  et  l'agilité  p!us  grande  de  la  femme 
rendent  possible.  Parmi  les  nègres  (l),chez  la  plupart  des 
sauvages  de  TAmérique  ,  au  Chili  (2) ,  au  Cap  français  (3) ,  au 
Thibet  (4)  et  à  Siam  (5) ,  l'agsiculture  est  le  loi  les  femmes. 
Sur  les  bords  du  Missouri,  elles  sont  chargées,  en  outre  ,  d'a- 
battre le  bois ,  de  porter  les  bêtes  tuées  par  leurs  maris ,  et 
d'en  détacher  les  peaux  (6).  Chez  les  Brésiliens  (7),  chez  les 
Chaymas  (8)  et  à  la  baie  d'Hudson  ,  on  les  emploie  au  trans- 
port des  fardeaux,  dans  les  expéditions  guerrières  et  autres. 
Parmi  les  Samoïèdes ,  elles  chargent  et  attèlent  les  traîneaux, 
construisent  les  huttes  et  tannent  les  peaux  (9).  Les  travaux 
du  tannage  leur  sont  également  dévolus  ,  chez  les  Kamtcha- 
dales  (lOj  etlesTongouses  (11).  A  la  Cochinchine,  non  seule- 
ment elles  cultivent  le  riz  et  fabriquent  les  poteries,  outre  les 
occupations  du  tissage  et  de  la  teinture ,  mais  encore  on  les 
emploie  de  préférence  aux  négociations  commerciales,  à  cause 
de  leur  adresse  (12). 

Chez  les  peuples  germains ,  au  contraire ,  il  y  avait  des 
femmes  qui  se  livraient  à  la  divination  ,  à  la  magie,  à  la  mé- 
decine (3).  Ce  sont  aussi  les  femmes  qui  se  chargent  de  traiter 

(1)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t,  I,  p.  209, 
(2)iiiûf.,  t.  VII,  p,  214. 
(3)i6id.,t.  VIII,  p.l56. 
(i)llnd.,t.  X,  p.  87. 

(5)  Ihid.,  t.  XI,  p.  70. 

(6)  Penin  du  Lac ,  loc.  cit.,  t.  I,  p,  487. 

(7)  Spix  et  Marlins  ,  loc,  cit.,  t.  I,  p.  381 . 

(S)  Humboldt,  Reise  in  die  œquinoctialen  Gegenden ,  t.  II,  p,  102. 

(9)  Zimmeimann ,  loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  63. 

(10)  Ihid.,  pi.  I,  p.  241. 
(11) /Wd.,  p.  294. 

(12)  o6îd.,t.  IX,p.  266. 

(13)  Deineijnier,  loc.  c*Y,,  t,  I,  p.  55. 


AGE  ADULTE.  65 

les  maladies  dans  les  îles  des  Amis  (i).  Parmi  quelques  peu- 
plades du  nord  de  l'Amérique ,  elles  ont  la  surveillance  de  ce 
qui  appartient  à  la  famille  (2).  A  Java,  le  prince  leur  confie 
la  garde  de  sa  personne  ;  il  s'entoure  d'une  grande  troupe 
de  femmes  armées  et  à  cheval ,  mais  par  prudence  ne  place 
que  les  plus  âgées  d'entre  elles  aux  avenues  extérieures  de  son 
palais  (3).  A  Juida ,  ce  sont  elles  qui  exécutent  ses  volontés  (4). 
A  Java,  on  choisissait  volontiers  des  veuves  pour  les  ambassa- 
des. Dans  une  province  de  Siam,  les  femmes  seules  pouvaient 
arriver  au  pouvoir  suprême.  De  même  aussi ,  chez  les  Ger- 
mains ,  elles  avaient  voix  délibérative  dans  les  assemblées  oii 
l'on  traitait  de  la  guerre  et  de  la  paix  (5).  L'hérésiarque  Mon- 
tanus  voulait  non  seulement  qu'elles  jouissent  de  droits  égaux 
à  ceux  des  hommes ,  mais  même  qu'elles  ne  pussent  point 
être  exclues  du  sacerdoce  ni  deTépiscopat  (6),  A  Amboine,  il 
y  avait  autrefois ,  outre  le  roi  proprement  dit ,  un  roi  des 
femmes ,  le  latumanina,  qui ,  né  d'une  fille  du  roi ,  remplis- 
sait l'office  de  tuteur  et  procureur  de  toutes  les  femmes  (7). 
A  Sumatra ,  au  contraire  ,  et  à  Malaca  (8) ,  la  femme  n'est 
égale  en  droits  à  l'homme  que  quand  celui-ci  l'a  payée  d'un 
prix  peu  élevé  ;  si  le  mari  est  pauvre  ou  d'un  rang  moins 
élevé ,  il  est  même  obligé ,  sans  avoir  la  faculté  d'acquérir 
aucune  propriété,  de  vivre  dans  la  maison  du  père  de  sa 
femme,  qui  peut  le  renvoyer  lorsqu'elle  est  dégoûtée  de 
lui  (9). 

3»  La  plupart  du  temps,  l'époux  s'arroge  le  droit  de  rom- 
pre le  mariage.  Le  sauvage  de  la  baie  d'Hudson  (10)  et  le 
Kamtchadale  (11)  renvoient  une  de  leurs  femmes,  quand  elle 

(I)  Zimmermann,  loc,  cit.,  t.  XIV,  p.  56. 
(2)7iirf.,  t.  VIII,  p.  151. 

(3)  Ibid.,  t.  XIII,  p.  225. 

(4)  Demeanier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  66. 

(5)  Ibid.,  p.  57. 

(6)  Ibid.,  p.  46. 

(7)  Zimmermann ,  loc.  cit.,  t.  XIV,  p.  92. 

(8)  Ibid.,  t.  XI,  p.  208. 
{9)  Ibid.,  t.  J,  203. 

(10)  Hearne,  loc.  cit.,  p.  207. 

(II)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  p.  241. 

V.  ^ 


66  AGE  ADULTE. 

cesse  de  leur  plaire.  A  Corée ,  l'homme  peut  chasser  son 
épouse,  avec  les  enfans  qu'il  a  eu  d'elle  (l).Mais,  sur  les  bords 
du  Missouri ,  quand  elle  lui  a  donné  des  enfans,  il  est  obligé 
de  lui  abandonner  tout  ce  qu'il  possède ,  à  l'exception  de  ses 
vêtemens  et  de  ses  armes  ;  dès  lors  elle  a  le  droit  de  vivre 
tantôt  avec  l'uni,  tantôt  avec  l'autre  ,  et  elle  ne  s'attache  plus 
de  nouveau  qu'à  celui  qui  l'a  rendue  mère  plusieurs  fois  (2). 
A  Ounaiackha,  un  époux  peut  céder  sa  femme  à  un  autre  (3). 
Ces  sortes  d'échanges  ont  Heu  fréquemment  chez  quelques 
sauvages  du  nord  de  l'Amérique,  notamment  parmi  les  chefs 
des  Wakachs  (4).  A  la  baie  d'Hudson,  un  homme  livre  sou- 
vent sa  femme  à  un  autre,  en  gage  d'amitié ,  et  s'engage  par 
là  à  prendre  soin  ,  après  sa  mort ,  des  enfans  qu'elle  pourra 
procréer  (5).  A  Sumatra,  quand  l'homme  a  acheté  sa  femme 
avec  toutes  les  formalités  requises ,  il  peut  la  revendre,  mais 
sous  la  condition  de  l'offrir  d'abord  à  ses  parens  (6).  Chez  les 
Ostiaques,  au  contraire,  c'est  la  femme  qui  a  le  droit  de  quit^ 
ter  l'homme  lorsqu'elle  est  maltraitée  par  lui  (7).  Aux  îles 
Mariannes ,  quand  elle  est  mécontente  de  lui ,  elle  l'aban- 
donne ,  emportant  avec  elle  ses  enfans  et  sa  fortune  (8), 

IL  L'union  conjugale  ne  peut ,  de  sa  nature,  qu'être  à  vie, 
d'un  côté  parce  que  l'amour  est  durable  de  son  essence  ,  et 
d'un  autre  côté  parce  que  l'éducation  des  enfans  se  prolonge 
jusqu'à  l'extinction  de  la  faculté  procréatrice.  S'il  est  permis 
aux  étrangers ,  chez  les  Birmans ,  de  louer  des  femmes  pour 
le  temps  de  leur  séjour  dans  le  pays  (9),  ces  femmes  ne  sont 
que  des  concubines,  et  si  les  Cries  ne  concluent  jamais  le 
mariage  que  pour  un  an ,  sauf  à  le  renouveler  ensuite  quand 
la  chose  leur  plaît  (10),  ou  si  les  Chawanons  promènent  leur 

(1)  Ibid.,  t.  IX,  p.  25. 

(2)  Perrin  du  Lac,  loc,  cit.,  t.  II,  p.  33. 

(3)  Zimmermaun ,  loe.  cit.,  t.  VIII,  p.  177. 

(4)  Ibid.,  p.  147. 

(5)  Hearne  ,  loc.  cit. ,  p.  88. 

(6)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.201. 
i'7)lMd.,  t.  YIII,  pi.  II,  p.  100. 

(8)  Demeunier,  loc.  cit..,  t.  I,  p.  80. 

(9)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  t.  X,  p.  272. 

(10)  Ibid.t  t.  IV,  p.  184. 


AGE   ADULTE.  67 

inconstance  jusqu'à  l'âge  de  trente  ans ,  s'ils  no  se  décident 
à  prendre  une  demeure  fixe  et  à  contracter  une  union  per- 
manente qu'après  avoir  eu  huit  femmes ,  ou  un  plus  grand 
nombre  l'une  après  l'autre  (1) ,  ce  sont  là  des  abus  polygy- 
niques  de  la  force  brutale.  Chez  les  Hindous  (2)  et  à  la 
Chine  (3),  le  sort  de  la  femme  se  trouve  lié  à  la  vie  de  l'homme 
par  l'impossibilité  ou  elle  est  d'hériter  de  ce  dernier.  A  Su- 
matra (4)  et  sur  les  bords  du  Missouri  (5) ,'  après  la  mort  de 
son  époux ,  elle  devient  la  femme  ou  plutôt  la  propriété  de 
son  beau-frère. 

III.  La  génération  repose  sur  l'antagonisme  sexuel  de  deux 
individus ,  et  le  mariage ,  comme  union  permanente  qui  a 
pour  but  la  procréation,  doit,  d'après  son  essence,  être 
borné  à  deux  individus  (§  253,  5").  En  effet ,  il  repose  sur 
l'amour,  qui  veut  posséder  son  objet  tout  entier  et  n'admet 
point  de  partage  ,  et  il  ne  peut  atteindre  son  but  qu'au  moyen 
de  l'unité  de  famille,  qui  n'est  point  possible  dans  la  polyga- 
mie. Cette  dernière  règne  chez  la  plupart  des  peuples  étran- 
gers à  l'Europe  et  non  chrétiens ,  car  l'Europe  est  le  pays 
de  la  monogamie ,  et  le  christianisme  la  religion  à  l'esprit  de 
laquelle  celle-ci  correspond  le  mieux.  Mais ,  d'un  côté,  chez 
les  peuples  un  peu  policés,  la  polygamie  n'a  lieu  que  par  forme 
d'exception ,  parmi  ceux  qui  possèdent  le  pouvoir,  comme 
les  caciques,  au  Pérou  (6),  et  les  rajahs  aux  Grandes-Indes  (7); 
d'un  autre  côté,  on  voit  des  traces  de  monogamie  percer  mê- 
me au  milieu  de  la  polygamie  dominante.  Chez  les  peuplades 
tatares  du  nord-est  de  la  Russie  (8),  les  Tongouses  (9)  et  les 
Jakoutes(lO), l'une  des  femmes  a  la  prééminence  sur  les  autres. 


(1)  Perrin  du  Lac,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  116. 

(2)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  XII,  p.  279. 

(3)  Ibid.,  t.  IX,  p.  22. 
(4)i6ici.,t.I,  p.  202. 

(5)  Perrin  du  Lac,  loc.  cit.,  t.  Il,  p.  34. 

(6)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  t.  VI,  p.  107. 

(7)  Ibid.,  t.  XII,  p.  18. 
{S)Ibid.,  t.  VIII,  pL  II,  p.  120. 
(9)/6id,t.  VIII,  pi.  ï,  p.  294. 
(10)  Ibid.,  p.  353. 


68  AGE  ADULTE. 

Il  y  en  a  même  une,  chez  les  Birmans  (1)  et  aux  îles  Philippi- 
nes (2),  qu'on  regarde  comme  l'épouse  proprement  dite  ,  les 
autres  n'étant  que  des  concubines  ,  qui  sont  traitées  jusqu'à 
un  certain  point  comme  des  esclaves.  Chez  les  Cries,  la 
première  femme  est  maîtresse  ,  et  les  autres  la  servent  (3). 
Au  Japon ,  une  seule  femme  a  le  titre  d'épouse  légitime ,  et 
il  n'y  a  que  ses  enfans  qui  soient  habiles  à  succéder  (4).  A 
Siam,  elle  ne  peut  être  vendue  comme  les  autres,  et  elle  jouit, 
ainsi  que  ses  enfans,  d'autres  prérogatives  encore  (5).  Cha- 
que nègre  a  sa  grande  femme ,  qui  domine  dans  la  maison , 
n'exécute  aucun  travail  manuel,  a  le  droit  d'exiger  que  son 
époux  cohabite  avec  elle  trois  nuits  par  semaine ,  et  peut  le 
forcer  à  faire  un  présent  en  échange  de  la  permission  qu'elle 
lui  accorde  de  prendre  une  autre  femme  (6).  De  plus  ,  cha- 
que négresse  a  une  cabane  particuhère  pour  elle  et  ses  en- 
fans. Enfin ,  même  au  milieu  de  la  polygamie  la  plus  gros- 
sière, par  exemple  chez  les  sauvages  du  Brésil  (7)^,  l'époux 
doit  s'abstenir  de  tout  commerce  avec  d'autres  femmes. 

4°  La  fidélité  conjugale  est  une  condition  naturelle ,  puis- 
que l'époux  ne  peut  se  charger  de  nourrir  et  d'élever  les  en- 
fans que  sa  femme  a  procréés  avec  d'autres  hommes ,  ni  la 
femme  consentir  à  ce  que  la  fortune  de  son  mari  soit  parta- 
gée par  une  autre,  sans  compter  que  l'amour,  en  lui-même, 
exige  une  possession  exclusive ,  et  que  l'orgueil  est  blessé 
par  la  préférence  que  l'un  des  époux  accorde  à  un  autre  in- 
dividu. Aussi  l'adultère  passe-t-il  pour  un  crime,  même  chez 
les  peuples  polygynes,  comme  les  Brésiliens  (8),  et  chez  les 
nations  polyandres,  au  Thibet  par  exemple  (9).  Il  est  surtout 
puni  sévèrement  chez  les  femmes  (§  256,  5°);    la   femme 

(1)  Ihid.,  t.  X,  p.  242. 


(1)  Ihid.,  t.  A,  p.  242. 
{2)lUd.,X.  XIV,  p.  234. 
(3)iiicZ.,  t.  IV,  p.  484. 

(4)  Ihid.,  t.  IX,  p.  215. 

(5)  lhid.,i.  XI,  p.  70. 

(6)  Ihid.,  t.  I,  p.  208. 
{•7)Jhid.,t.  VU,  p.  78. 
{S)  Jhid.,  t.  VII,  p.  78. 
{9)Ihid.,t,X,  p.  187, 


AGE  ADULTE.  69 

adultère  est  mise  à  inort  chez  les  Hottenlots  (1),  les  Iro- 
quois  (2),  les  Dariens  (3),  les  Brésiliens  (4),  à  Corée  (5),  à 
Bali  (6) ,  quand  elle  se  laisse  surprendre  en  flagrant  délit. 
Quelquefois  on  lui  fait  subir  une  mutilation  infamante  ;  les 
Iroquois  lui  coupent  le  nez  (7),  et  les  Cries  lui  abattent  les 
oreilles  (8).|  A  Bali ,  on  la  donne  en  esclavage  à  un  prince  (9)  ; 
à  Siam,  on  la  vend  aux  maisons  de  prostitution  (10)  :  chez  les 
Chactas,  on  la  conduit  toute  nue  sur  une  place,  où  elle 
est  obligée  de  courir  vers  un  but ,  et ,  quand  elle  se  laisse 
attraper,  de  s'abandonner  à  celui  qui  l'a  saisie  ,  puis  après 
lui  à  tous  les  autres  (11).  L'époux  outragé  se  venge  en  faisant 
périr  l'adultère,  comme  à  Bali  (12),  ou  quelques  uns  de  ses  es- 
claves, comme  à  Bornéo  (13);  parfois  aussi  il  se  contente  d'une 
somme  d'argent  en  réparation.  La  jalousie  inspire  les  idées 
les  plus  extravagantes,  et  pousse  aux  actions  de  la  plus  noire 
méchanceté  (§  256,  4°)  ;  les  Samoïèdes  regardent  un  accou- 
chement laborieux  comme  une  preuve  d'infidélité  (14)  ;  à  la 
Chine,  les  frères  et  soeurs  n'ont  pas  la  liberté  de  se  voir ,  et  le 
médecin  ne  peut  tâter  le  pouls  d'une  femme  qu'en  prenant 
l'extrémité  d'un  fil  qu'on  a  tourné  autour  du  poignet  de  la 
malade  ;  à  Bantam,  la  mère  n'est  point  admise  à  recevoir  les 
visites  de  son  propre  fils  ;  on  assure  même  que  les  Égyptiens 
et  les  Perses  étendaient  leur  jalousie  jusque  sur  les  cadavres 
des  femmes  (15). 


(i)  lUd.,  1. 1,  p.  213. 

(2)  Ibid.,  t.  III,  p.  203. 

(3)  lUi.^  t.  V,  p.  492. 

(4)  Ihid.,  p.  78. 
(5)/6ï(i.,  t.  IX,  p.  25. 

(6)  Ihid.,  t.  XIV,  p.  56. 

(7)  Ihid..,  t.  III,  p.  203. 

(8)  Ihid.,  t.  IV,  p.  184,  - 

(9)  /Wrf.,t.  XIV.Ip.  56. 

(10)  Ihid.,  t.  XI,  p.  72. 

(11)  /6irf.,t.IV,jî.  188. 
{MZ)  Ihid.,  t.  XIV,  p.  56. 
(13)Wd.,t.  XIII.p.  306. 
(14)/6id.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  70. 
(15)  Demeunier,  loc.  cit.,  p.  74. 


^O  AGE  ADULTE. 

Cependant,  à  Java  (1)  et  à  Timor  (2),  les  époux  sont  îndif- 
férens  à  la  conduite  de  leurs  femmes.  A  la  Cochinchine,  ils  of- 
frent même  leurs  épouses  et  leurs  filles  aux  étrangers ,  pour 
de  l'argent  (3).  Mais  ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'est  que 
cette  indifférence  demeure  la  plupart  du  temps  renfermée 
dans  un  cercle  assez  étroit  ;  ainsi  on  ne  compte  que  quelques 
tribus ,  parmi  les  Goriaks ,  qui  offrent  leurs  femmes  aux 
étrangers  par  hospitalité  et  qui  s'offensent  d'un  refus  (4)  ; 
certaines  hordes  des  bords  du  Missouri  accueillent  l'étranger 
de  la  même  manière ,  tandis  que  d'autres  témoignent  de  la 
jalousie  (5).  Les  femmes  vivent  dans  le  désordre  parmi  quel- 
ques peuplades  de  la  baie  d'Hudson,  et  sont  réservées  chez 
d'autres  (6)  ;  les  Macouanis  offrent  parfois  leurs  femmes  aux 
étrangers,  tandis  que  les  Botocades  punissent  durement  l'a- 
dultère (7).  Ce  qu'il  importe  surtout  de  remarquer,  c'est  que, 
chez  les  peuples  même  qui  contraignent  leurs  femmes  à  l'in- 
fidélité ,  les  époux  se  montrent  souvent  cruels  envers  celles 
qui  ne  consultent  que  leur  propre  impulsion. 

m.  Effets  du  mariage. 

§  573.  Quant  aux  effets  du  mariage  j 

1°  L'habitude  de  vivre  ensemble  et  l'intimité  qui  s'établit 
entre  deux  individus  les  portent  à  un  certain  degré  de  perfec- 
tion, en  limitant  la  diflérence  des  sexes,  et  les  amenant  à  of- 
frir une  représentation  plus  pure  du  caractère  général  de 
l'humanité.  L'assimilation  réciproque  fait  que  chacun  des 
époux  prend  les  habitudes,  les  vues  et  les  principes  de  l'autre; 
il  suit  de  là  surtout  qu'en  vertu  de  sa  flexibilité,  la  femme  peut 
être,  par  l'influence  de  l'homme ,  perfectionnée  ou  corrom- 
pue, sous  le  rapport  intellectuel  et  moral.  Les  maladies,  par 


(1)  Zimmermann,  loc.  cit.^  t.  XIII,  p.  225. 

(2)  Ibid.,  t.  xrv,3p.  92. 

(3)  Ilid.,  t.  IX,  p.  266. 
{^)Ibid.,  t.  VIII,  p.  198. 

(5)  Perrin  du  Lac  ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  34. 

(6)  Hearne,  loc.  cit.,  p.  88. 

(7)iSpix  et  Martius ,  loc.  cit.,  t,  I,  p.  492, 


AGE  ADULTE.  >^  1 

exemple  la  phtliisie  pulmonaire ,  se  transmettent  facilement 
aussi  de  l'homme  à  la  femme,  surtout  lorsqu'elle  est  plus 
jeune  que  lui ,  et  les  inconvéniens  de  la  disproportion  d'âge 
portent  sur  elle  de  préférence;  car  les  jeunes  femmes  unies 
à  de  vieux  maris  fort  ardens  se  fanent  de  bonne  heure ,  tan- 
dis que  ceux-ci  semblent  rajeunir  momentanément ,  aux  dé^ 
pens  de  leur  jeunesse. 

2"  La  copulation  exalte  la  vie  tout  entière ,  et  elle  est  un 
besoin  pour  l'individu  ,  notamment  pour  les  femmes ,  dont  la 
beauté  ne  se  développe  souvent  d'une  manière  complète  qu'a- 
près le  mariage  ,  qui  forme  leur  esprit ,  leur  donne  plus  d'a- 
plomb et  d'indépendance ,  et  contribue  à  entretenir  leur  fraî- 
cheur ,  quand  elles  n'abusent  point  de  ses  plaisirs.  Mais  le  dé- 
faut de  modération  leur  nuit,  non  seulement  parce  qu'il  épujse 
la  faculté  procréatrice  elle-même ,  et  donne  lieu  à  des  mala- 
dies locales,  à  des  écoulemens,  à  des  chutes  de  matrice,  etc., 
mais  encore  parce  qu'il  porte  atteinte  à  tout  l'ensemble 
du  physique  et  du  moral ,  dégrade  le  sentiment  de  l'amour , 
arrache  l'empire  à  la  raison,  pour  le  donner  à  la  sensualité  , 
éteint  toute  activité,  en  ne  laissant  plus  accessible  qu'aux 
jouissances,  et  conduit  enfin,  par  la  satiété,  à  l'indifférence  et 
au  dégoût. 

3°  La  copulation  détermine  chez  la  femme  des  changeraens 
locaux  dont  les  analogues  ne  se  remarquent  point  chez 
l'homme  ,  à  moins  qu'on  ne  veuille  faire  entrer  en  ligne  de 
compte  la  facilité  plus  grande  du  prépuce  à  se  rabattre 
sur  le  gland. 

L'hymen,  repli  de  la  membrane  muqueuse  qui  oppose  plus 
ou  moins  d'obstacle  à  l'introduction  du  membre  viril  dans  le 
vagin,  éprouve  ordinairement,  aux  premières  approches,  une 
déchirure,  qui  entraîne  quelque  peu  de  douleurs  et  une  perte 
de  sang  insignifiante.  Cependant  il  peut  aussi  se  déchirer  sans 
cette  circonstance ,  lorsqu'il  n'est  qu'un  simple  prolongement 
de  l'épiderme,  mince  et  dépourvu  de  vaisseaux  (1).  Il  peut 
aussi  céder  ,  sans  se  déchirer ,  surtout  quand  ii  consiste  en 
deux  étroites  moitiés  adhérentes  aux  parois  antérieure  et  pos- 

(1)  Mende,  Handbuch  der  gerichtlichen  Medicin,  t.  IV,  p.  436. 


72  AGE   ADULTE. 

térieure  du  vagin,  sans  communication  immédiate  Tune  avec 
l'autre.  Il  peut  encore,  sans  se  déchirer,  ni  céder,  permettre 
une  copulation  incomplète,  suivie  de  conception  (§  293,  2"). 
Enfin  il  peut  être  incomplètement  développé,  par  suite  d'un 
vice  de  première  conformation ,  ou  s'être  déployé  sous  l'in- 
fluence de  causes  qui  ont  amené  l'ampliation  et  le  relâchement 
du  vagin.  L'hymen,  en  se  déployant  et  s' effaçant,  contribue  à 
élargir  la  partie  inférieure  du  vagin  ,  celle  qui  est  située  der- 
rière lui,  et  qui  jusqu'alors  était  la  plus  étroite  ;  cette  région 
offre  ensuite  des  plis  irréguliers  de  la  membrane  muqueuse, 
appelés  caroncules  myrtiformes ,  que  Monde  (1)  ne  regarde 
cependant  pas  comme  des  débris  de  l'hymen,  et  qui  d'ailleurs 
sont  fort  inconstans. 

D'autres  changemens,  qui  ne  surviennent  qu'après  la  répé- 
tition fréquente  de  l'acte  vénérien ,  et  qui  tiennent  au  relâ- 
chement des  parties ,  fournissent  des  signes  bien  moins  cer- 
tains encore,  attendu  que ,  chez  les  femmes  ardentes  ,  dont  la 
complexion  est  sèche  ,  et  chez  lesquelles  prédominent  Tirri- 
tabilité  et  la  vie  du  sang,  la  tension  et  la  constriction  se  réta- 
blissent aisément.  Ce  n'est  donc  guères  que  chez  les  femmes 
qui  ont  pratiqué  fort  souvent  l'acte  vénérien,  et  dont  la  fibre 
est  molle  et  le  tempérament  phlegmatique,  qu'on  trouve  les 
grandes  lèvres  moins  exactement  appliquées  l'une  contre 
l'autre,  et  d'une  couleur  de  chair  pâle  à  leur  face  interne  ,  au 
lieu  de  la  teinte  rosée  qu'elles  offraient  dans  l'origine,  le  frein 
moins  tendu  et  moins  étroit,  la  fosse  naviculaire  plus  aplanie, 
les  nymphes  moins  couvertes  par  les  grandes  lèvres ,  un  peu 
allongées,  et  plutôt  brunâtres  que  rouges ,  le  clitoris  plus 
saillant ,  son  prépuce  plus  large ,  l'orifice  de  l'urètre  non 
plus  entouré  par  un  bourrelet  saillant ,  mais  flasque  et  per- 
mettant à  l'urine  de  sortir  par  un  jet  plus  volumineux ,  le  va- 
gin plus  large  et  moins  phssé,  l'orifice  de  la  matrice  situé  plus 
bas,  les  lèvres  du  museau  de  tanche  plus  molles  et  moins  ser- 
rées ,  enfin  les  cuisses  moins  susceptibles  de  s'appliquer  l'une 
contre  l'autre,  et  le  bassin  plus  mobile,  surtout  dans  son  arti- 


H)Jbid.,t.  IV,  p.  444. 


AGE  AttULTE.  '  7 3 

culation  avec  les  vertèbres  lombaires  ,   de   manière  qu'il 
éprouve  une  torsion  plus  sensible  pendant  la  marche  (*). 

IV.   Propagation. 

§  574.  Eu  égard  à  la  propagation  , 

1°  Chez  les  peuples  même  les  plus  grossiers,  et  malgré  toute 
sa  sensualité ,  l'homme  voit  cependant  partout  en  elle  le  but 
immédiat  du  mariage ,  et  la  loi  qui  prescrit  d'aimer  ses  en- 
fans  s'exprime  aussi  chez  lui  par  le  désir  qu'il  éprouve  d'a- 
voir de  la  progéniture.  Les  nations  chrétiennes ,  qui  attachent 
une  grande  valeur  à  l'individualité  humaine ,  et  qui  considè- 
rent l'union  spirituelle  comme  Tessence  du  mariage ,  suppor- 
tent la  stériHté ,  et  n'admettent  d'autre  cause  de  dissolution 
que  l'impossibilité  de  la  copulation.  Mais ,  chez  d'autres 
peuples ,  la  stérilité  frappe  les  femmes  d'ignominie  (§  219, 5«). 
Les  Israélites  et  les  Romains  répudiaient  les  épouses  qui  ne 
leur  donnaient  point  d'enfans.  Cette  coutume  règne  encore 
au  Tunquin  et  parmi  les  Hottentots.  En  pareil  cas,  les  Gaures 
imitent  les  patriarches ,  et  prennent  ^une  seconde  femme  (1). 
Chez  les  Hindous ,  l'homme  contracte  un  nouveau  mariage  , 
et  si  tous  demeurent  stériles,  jusqu'au  troisième,  il  adopte 
un  enfant  étranger  (2).  Chez  les  Concis  ,  il  quitte  la  femme 
qui  ne  lui  donne  pas  de  fils  (3).  A  part  leur  propre  désir  d'a- 
voir des  enfans ,  ces  mœurs  devaient  déterminer  les  femmes, 
tantôt  à  se  soumettre  aux  tentatives  de  guérison  les  plus  désa- 
gréables, tantôt  à  se  jeter  dans  les  bras  de  la  superstition]; 

"  Parent-Buchatelet  (De  la  prostitution,  1. 1,  p.  210)  a  constaté  que,  sous 
le  rapport  des  parties  génitales  ,  il  n'existe  pas  de  différence  entre  les 
prostituées  et  les  femmes  mariées  les  plus  honnêtes.  Il  a  vu  une  fille  de 
cinquante-et-un  ans  qui ,  depuis  sa  quinzième  année ,  se  livrait  dans  Paris 
à  la  prostitution],  et  dont  les  parties  génitales  auraient  pu  être  confon- 
dues avec  celles  d'une  vierge  sortant  de  la  puberté  ^  il  conclut  que  l'am- 
plitude et  l'étroitesse  du  vagin  sont ,  pour  beaucoup  de  femmes ,  un  état 
naturel  et  congénial ,  dont  on  ne  doit  pas  plus  s'étonner  que  des  dimen- 
sions si  variables  de  quelques  autres  parties  du  corps. 

(1)  Frank},  System  der  medicinischen  Polizei  ,  t.  I,  p.  385. 

(2)  Zimmermann ,  Taschenhuch  der  Reisen  ,  t.  XX ,  p.  272. 
(3)/&irf.,  t.  XI,  p.  251. 


^4  AGE  ADUITE. 

en  effet,  lesRomaines,  lorsqu'elles  contractaient  mariage,  ado- 
raient des  images  de  Priape  réputées  miraculeuses,  et,  quand 
elles  ne  devenaient  point  enceintes ,  se  faisaient  fouetter  par 
des  prêtres  d'une  classe  particulière  (1). 

La  fécondation  n'a  point  lieu,  dans  la  plupart  des  cas,  avant 
le  second  ou  le  troisième  mois  du  mariage.  Les  tables  de  po- 
pulation de  la  Suède ,  pendant  vingt-années  ,  ont  prouvé  que 
le  mois  d'octobre ,  durant  lequel  avaient  été  conclus  la  majo- 
rité des  mariages ,  était  celui  qui  présentait  le  moins  de 
conceptions ,  dont  la  plus  grande  fréquence  se  rapportait  au 
mois  de  décembre. 

2°  Chez  les  Hindous ,  l'annonce  de  la  première  grossesse  et 
le  septième  mois  delà  gestation  sont  célébrés  par  des  fêtes  (2). 
Plusieurs  peuples  ont  accordé  certaines  prérogatives  aux 
femmes  enceintes.  A  Athènes,  les  meurtriers  trouvaient  un 
asile  chez  elles.  Les  Égyptiens  et  les  Athéniens  attendaient  leur 
délivrance  pour  les  conduire  au  supplice.  Les  Israélites  leur 
accordaient  le  droit  de  manger  du  porc  ,  et  l'église  catholique 
les  dispense  de  jeûner  et  de  s'agenouiller  dans  les  églises (3). 
Les  sauvages  du  Brésil  paraissent  avoir  des  idées  particulières 
eu  égard  à  l'harmonie  de  la  vie  des  époux;  car,  pendant  la 
grossesse,  l'homme  et  la  femme  s'abtîennent  quelque  temps 
de  toucher  à  la  chair  de  certains  animaux ,  et  font  consister 
leur  nourriture  principalement  en  poissons  et  en  fruits  (4) ,  de 
sorte  que ,  chez  eux,  l'homme  s'impose  des  privations  par 
amour  pour  sa  progéniture. 

3°  La  femme  ne  redoute  pas  l'enfantement.  C'est  un  effort 
de  courage  (  §  484, 1°  ),  un  acte  d'héroïsme,  dont  la  conscience 
ne  peut  s'effacer,  et  qui  renferme  en  lui-même  la  conviction 
à''avoir  atteint  au  but  de  la  vie.  On  entend  souvent  les  femmes 
s'écrier,  dans  leurs  maladies ,  qu'elles  aimeraient  mieux  ame- 
ner un  enfant  au  monde  que  d'avoir  à  supporter  de  pareilles 
douleurs.  Parmi  les  Iroquois,  c'est  une  honte  pour  celles  qui 


(1)  Frank ,  loc  cit.,  1. 1,  p.  381. 

(2)  Zimmermaim ,  loc.  cit.,  t.  XII ,  p.  274. 

(3)  Frank ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  493-503. 

(4)  Spix  et  Martins,  loc.  cit.,  1 1,  p.  381. 


AGE  ADULTE.  7$ 

accouchent  de  témoigner  qu'elles  souffrent ,  et  le  Samoïède 
considère  leurs  plaintes  comme  un  signe  d'infidélité  (1). 

La  vive  attente  dans  laquelle  toute  femme  enceinte  est  du 
fruit  que  les  forces  de  la  nature  ont  créé  dans  son  sein,  lui 
inspire  des  réflexions  sérieuses  et  des  idées  religieuses ,  dans 
lesquelles  elle  puisse  du  courage  et  de  la  résolution.  Mais  les 
douleurs  de  la  parturition  sont  une  rude  épreuve  ,  qui  con- 
tribue à  former  le  caractère  et  à  développer  la  réflexion.  Sui- 
vant la  remarque  de  Wigand  (2) ,  les  femmes  qui  ont  accou- 
ché avec  trop  de  facilité ,  se  comportent  pendant  la  lactation, 
et  dans  le  cours  de  la  grossesse  subséquente ,  avec  une  légè- 
reté qu'elles  paient  souvent  de  leur  santé  et  de  leur  vie.  Le 
premier  accouchement  est  le  plus  laborieux,  Riecke  (3)  a  con- 
staté que  les  primipares  figuraient  pour  un  dix-septième  dans 
le  nombre  des  cas  exigeant  les  secours  de  l'art,  tandis  qu'en 
prenant  la  somme  totale  des  accouchemens,  on  ne  trouvait  plus 
qu'une  proportion  d'un  à  vingt-huit.  Après  la  parturition,  les 
voies  génitales  demeurent  un  peu  dilatées,  et  à  l'accouchement 
qui  vientensuite,  l'orifice  surtout  de  la  matrice  est,  dès  l'origine^ 
plus  large,  plus  épais,  plus  mou  et  situé  plus  bas.  La  matrice 
semble  aussi  acquérir  de  la  vigueur  par  un  exercice  répété^ 
car ,  chez  les  femmes  qui  ont  eu  beaucoup  d'enfans,  les  douleurs 
se  succèdent  ordinairement  d'une  manière  plus  rapide  (4).  De 
là  vient  qu'on  n'a  observé  la  parturition  après  la  mort  que 
chez  des  femmes  qui  avaient  déjà  mis  au  monde  plusieurs  en- 
fans.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  ponte  du  premier  œuf  qui  ne  soil 
douloureuse  chez  les  Oiseaux  ;  elle  semble  même  s'accompa- 
gner d'une  lésion  de  la  membrane  interne  qui  tapisse  l'orificè 
de  l'oviducte  ,  attendu  que  cet  orifice  reste  pendant  quelque 
temps  renversé  au  dehors,  et  que  la  surface  de  l'œuf  est  ta- 
chée de  sang  (5). 

Chez  les  plus  anciens  peuples  de  l'Orient,  l'époux  remplis- 


(1)  Demeunier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  89. 

(2)  Die  Gehurt  des  Menschen ,  t.  II,  p.  254. 

(3)  Beitrœge  zur  gelurtshuelfliche  Topogrcephie ,  p.  32. 

(4)  Ibid.,  p.  207. 

(5)  Spangenberg,  Disq.  circa partes  génitales  fœmineas  avium,p.  35. 


■^6  AGE   ADULTE. 

sait  les  fonctions  d'accoucheur ,  comme  il  le  fait  encore  au- 
jourd'hui parmi  les  Lapons  ,  les  Kalmouks  (1)  et  les  sauvages 
du  Brésil  (2).  Mais,  chez  les  sauvages  de  la  baie  d'Hudson,  on 
construit  à  celle  qui  doit  bientôt  accoucher  une  tente  éloignée 
de  toute  habitation ,  et  dans  laquelle  les  femmes  seules  peu- 
vent entrer  (3).  Le  Hottentot  doit  aussi ,  sous  peine  d'être  puni, 
s'éloigner  avant  l'accouchement  de  sa  femme ,  tandis  que  le 
Nègre  et  le  Kamtschadale  assistent  à  l'opération  (4).  Du 
reste,  plusieurs  peuples  avaient  des  dieux  particuliers  dont  la 
mission  était  de  présider  aux  accouchemens. 

4°  Semblables  aux  animaux ,  sous  ce  rapport ,  les  femmes , 
chez  quelques  peuplades  grossières,  les  Boschismans  entre 
autres  (5)  et  les  sauvages  du  Brésil  (6) ,  déchirent  le  cordon 
ombilical  avec  leurs  dents.  Chez  les  Macouanis ,  la  mère  le 
roule  autour  du  cou  de  l'enfant  jusqu'à  ce  qu'il  se  dessèche 
et  tombe  de  lui-même  (7).  On  prétend  que  les  Hottentots  lè- 
chent leurs  enfans  pour  les  nettoyer  (  §  517,  III  ).  De  même 
l'homme,  à  l'état  sauvage,  partage  avec  les  animaux  (  §  499, 3°) 
la  coutume  de  dévorer  l'arrière-faix,  ce  qui  tient  peut-être 
aussi  chez  lui  à  quelques  idées  superstitieuses.  Cet  usage  est 
répandu  chez  quelques  sauvages  du  Brésil  (8)  et  parmi  les 
Jacoutes  (9).  Chez  lesTongouses,le  père  mange  seul  le  délivre, 
après  l'avoir  fait  rôtir ,  ou  du  moins  ne  le  partage  qu'avec  ses 
meilleurs  amis  (10). 

5°  D'après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut  (  §  500,  502  ),  l'état  de 
la  femme  en  couches  exige  du  repos ,  des  soins,  l'éloignement 
de  tout  ce  qui  pourrait  exercer  une  action  stimulante  sur  elle, 
ou  troubler  le  travail  de  la  plasticité,  et  cet  état  demande  autant 


(1)  Frank ,  loc  cit.,  t.  VI,  pi.  II,  p.  485. 

(2)  Zinimermann ,  loc.  cit..,  t.  VI,  p.  75. 

(3)  Hearne  ,  loc.  cit.,  p.  65. 

(4)  Denieunier,  loc.  cit..,  t.  I,  p.  455-162. 

(5)  Virey ,  Histoire  du  genre  humain ,  t.  I ,  p.  328, 

(6)  Spixet  Marlius  ,  loc.  cit..,  t.  I,  p.  38L 

(7)  Ihid.,  p.  492. 

(8)  Zimmermann,  loc.  cit.,  l.  VII,  p.  97. 

(9)  Ibid.,  p.  354. 

(10)  'bid.,  p.  294. 


AGE    ADULTE.  ^<^ 

d'égards  que  d'attention.  Mais,  sous  ce  rapport  encore,  nous 
avons  la  preuve  que  la  nature  humaine  peut  se  maintenir  au 
milieu  des  circonstances  les  plus  défavorables,  lorsque  la 
volonté ,  l'endurcissement ,  le  défaut  de  culture  ou  l'influence 
du  climat  lui  viennent  en  aide.  Les  femmes  des  hautes  classes 
de  la  société  nous  apprennent  ce  que  peut  la  volonté ,  lors- 
qu'elles vont  accoucher  clandestinement  chez  une  sage-femme 
ou  ailleurs,  et  qu'aussitôt  après  elles  reviennent  chez  elles,  dans 
un  quartier  souvent  fort  éloigné ,  reprendre  la  direction  de 
leur  maison  et  le  cours  de  leurs  visites ,  de  manière  à  cacher 
ce  qui  leur  est  arrivé  en  évitant  de  rien  changer  à  leur  ma- 
nière de  vivre  habituelle.  Chez  les  femmes  du  peuple ,  qui 
sont  bien  portantes  ,  robustes  et  non  accoutumées  à  se  dorlo- 
ter,  le  temps  des  couches  ne  dure  la  plupart  du  temps  que 
trois  ou  quatre  jours  (1).  Les  femmes  des  hordes  non  civili- 
sées font  encore  moins  de  façons  ;  la  Holtentote  accouche 
dans  les  champs ,  et  apporte  son  enfant  à  la  hutte  (2)  ;  les  In- 
diennes des  bords  du  Missouri  se  reposent  ordinairement  deux 
jours,  après  la  parturition,  avant  de  reprendre  les  travaux 
pénibles  ;  mais,  dans  les  expéditions  de  chasse ,  elles  ne  pren- 
nent qu'un  demi-jour  de  repos  (3).  Chez  les  Brésiliens  et  les 
Abipons,  elles  vont  se  baigner  aussitôt  après  avoir  mis  leur 
enfant  au  monde  (4) ,  et  se  reposent  ensuite  pendant  vingt- 
qualre  ou  tout  au  plus  quarante-huit  heures  (5). 

6°  Les  législateurs  qui  ont  eu  surtout  en  vue  la  population  de 
l'état  ont  prescrit  des  égards  et  des  attentions  pour  les  femmes 
en  couches.  Lycurgue  voulait  que  leurs  tombes  fussent  les 
seules  qu'on  pût  décorer  d'inscriptions ,  comme  celles  des 
hommes  qui  avaient  bien  mérité  de  la  patrie.  Chez  les  Romains, 
on  ornait  leur  demeure  d'une  couronne  ;  plus  tard,  la  loi  les 
exempta  de  la  torture  jusqu'au  quarantième  jour  après  l'ac- 
couchement, et  plus  tard  encore  elles  furent  mises  à  l'abri  de 


(1)  Osiander,  Handbuch  der  Enthindungskunt ,  t.  II ,  p.  18. 

(2)  Virey,  loc.  cit. ,  1. 1,  p.  318. 

(3)  Periin  du  Lac,  ^oe.  cit.,  t.  II,  p.  36. 

(4)  Spix  et  Martius  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  381. 

(5)  Ziinmermann  ,  loc.  cit..,  t.  VII,  p.  79, 


78  AGE  ADULTE. 

toute  peine  afflictive  jusqu'au  moment  où  l'on  aurait  trouvé 
une  nourrice  pour  allaiter  leur  enfant  (1).  Mais,  dans  le  même 
temps  que  l'homme ,  guidé  par  un  sentiment  naturel ,  leur 
accorde  le  repos  et  la  solitude ,  des  idées  superstitieuses  les 
lui  font  regarder  comme  impures.  Chez  les  Israélites ,  une 
femme  était  impure  pendant  sept  jours  après  la  naissance 
d'un  fils ,  et  pendant  quatorze  après  celle  d'une  fille  ;  elle 
devait  rester  dans  le  premier  cas  trente-trois  jours ,  et  dans 
le  second  soixante-six  sans  loucher  à  aucun  objet  sacré ,  sans 
entrer  dans  le  temple,  sans  même  en  général  sortir  de  chez 
elle.  Les  habitans  de  la  Boukharie  lui  interdisent  la  prière 
pendant  les  quarante  premiers  jours  (2).  Chez  les  Samoïèdes, 
elle  est  exclue  de  toute  communication  avec  son  époux ,  on 
lui  donne  des  vivres  en  petite  quantité ,  et  on  l'abandonne  à 
elle-même ,  après  quoi  on  la  fumige  avec  du  castoreum  et  des 
poils  de  Renne ,  et  elle  est  obligée  de  passer  dans  le  feu  (3). 
Il  y  a  même  des  peuplades  en  Sibérie  chez  lesquelles  il  ne 
lui  est  pas  permis,  avant  cette  purification,  de  paraître  sur 
les  chemins  fréquentés  par  les  hommes.  Les  Kalmouks  la  re- 
gardent comme  impure  pendant  trois  semaines,  et  elle  ne  doit 
alors  toucher  à  rien  dans  la  maison.  Chez  d'autres  Tatares , 
quand  ce  laps  de  temps  est  écoulé ,  on  la  purifie  par  des 
prières  et  des  bains  (4).  A  Siam  et  au  Pégu,  on  la  laisse  pendant 
une  semaine  et  plus  auprès  du  feu ,  pour  qu'elle  s'y  puri- 
fie (5).  Les  Persans  lui  interdisent  l'entrée  des  mosquées,  et 
les  Hindous  la  relèguent  dans  l'étage  supérieur  de  l'habita- 
tion. Les  Hottentots  la  purifient  en  l'aspergant  d'urine  et  la 
frottant  avec  du  fumier  de  Vache  (6).  Plusieurs  sauvages  d'A- 
mérique, par  exemple  ceux  de  la  baie  d'Hudson  (7),  lui  con- 
struisent ,  hors  du  village ,  une  cabane  à  part ,  dans  laquelle 
elle  est  tenue  de  rester  quarante  jours ,  et  ils  se  gardent  bien 

(1)  Frank  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  610. 

(2)  Demeunier,  loc.  cit.,  t.  T,  p.  44. 

(3)  Ziœmermann ,  loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  64. 

(4)  Ibid.,  p.  d22. 

(B)  Frank,  loc.icit.,  1. 1,  p.  616. 

(6)  Demeunier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  44. 

(7)  Hearne,  loc.  cit.,  p.  65. 


AGE  ADULTE.  79 

de  toucher  à  rien  de  ce  qui  lui  appartient,  tant  qu'elle  allaite  (1). 
Chez  les  indigènes  du  Brésil ,  les  magiciens  lui  font  subir  des 
fumigations  avec  une  espèce  de  tabac  (2).  Suivant  Labat  (3), 
les  Nègres  de  Burra  ne  se  rapprochent  d'elle  qu'au  bout  de 
quatre  ans. 

7°  La  coutume  absurde  que  le  père  du  nouveau-né  reçoive 
les  soins  et  les  attentions  qui  devraient  revenir  à  l'accouchée, 
est  intéressante  à  cause  de  son  extension.  Quiconque  observe 
est  frappé  d'un  pouvoir  supérieur  au  domaine  des  sens  dans 
tout  ce  qui  concerne  et  la  génération  et  la  mort. Or  cette  pensée 
engendre  des  superstitions  de  toute  espèce  dans  l'âme  de 
l'homme  grossier.  Aussi  trouvons-nous  répandue  aux  épo- 
ques et  dans  les  contrées  les  plus  diverses  l'opinion  qu'il  existe 
encore  un  rapport  occulte  entre  la  vie  de  l'enfant  nouveau-né 
et  celle  de  l'homme  qui  l'a  procréé.  C'est  là-dessus  que  repose 
l'usage  de  la  couvade^  ou  des  couches  masculines.  Cette  cou- 
tume régnait,  suivant  Apollonius  de  Rhodes,  parmi  les  Tibarè- 
nes,  peuple  des  bords  de  la  Mémoire,  selon  Diodore  de  Sicile 
dans  la  Corse,  d'après  Strabon  dans  Flbérie ,  et ,  au  dire  de 
Marco  Polo  chez  quelques  hordes  Tatares  (4).  On  l'a  retrouvée 
dans  l'Amérique  méridionale,  dans  le  nord  et  le  midi  de 
l'Asie,  et  jusqu'en  Europe  (5).  A  la  Guiane,  le  père,  après  la 
naissance  de  son  premier  enfant ,  est  obligé  de  se  mettre  au 
lit  et  d'observer  un  régime  sévère  ;  plusieurs  jours  s'écoulent 
encore  avant  qu'il  puisse  manger  de  la  chair  de  grands  ani- 
maux ,  ni  fendre  du  bois ,  le  tout  dans  la  crainte  de  nuire  à 
l'enfant.  Parmi  les  Abipons,  la  mère  retourne  au  travail  après 
avoir  pris  un  repos  fort  court  ;  mais  le  père  se  couche  ,  se 
couvre  soigneusement  de  peaux,  comme  un  malade,  s'abstient 
de  manger ,  ne  fume  point ,  etc. ,  afin  de  ne  pas  exposer 
l'enfant,  et  si  celui-ci  tombe  malade,  ou  vient  à  mourir ,  on 
en  rejette  la  faute  sur  l'intempérance  du  père.  Chez  les  Ca- 


(1)  Stark,  Archiv  fuer  die  Geburtshuelfe ,  t.  I,  cah.  I,  p.  179. 

(2)  Spix  et  Martius,  loc.  cit.,  t.  ï,  p.  381. 

(3)  Demeunier,  loc,  cit.,  t.  I,  p.  44. 

(4)  Virey , loc.  cit.,  1. 1,  p.  323.  —Zimmermann,  loe.  eit,^  t.  VI^ p,  262. 

(5)  Stark ,  loc,  cia,  1. 1,  cah.  I,  p.  196. 


SO  AGE    ADULTE. 

raïbes,  tant  aux  Antilles  que  sur  le  continent ,  le  père  garde 
le  lit,  jeûne  pendant  les  cinq  premiers  jours ,  ne  prend  ensuite 
pendant  cinq  autres  jours  qu'une  boisson  fermentée ,  ne  se 
permet  un  peu  de  cassave  qu'au  bout  de  dix  jours,  mais  s'abs- 
tient encore  jusqu'au  sixième  mois  de  manger  aucune  viande, 
afin  que  l'enfant  ne  soit  point  entaché  de  vices  particuliers 
aux  animaux.  Le  père  demeure  également  couché  chez  quel- 
ques peuplades  brésihennes  (1).  Celte  coutume  existe  aussi  à 
Bornéo,  avec  la  différence  que  l'homme  y  prend  davantage 
ses  aises  (2).  Au  Groenland,  il  passe  quelques  semaines  sans 
travailler,  dans  la  crainte  que  l'enfant  ne  meure.  Enfin  on  as- 
sure que  la  couvade  est  usitée  dans  le  Béarn(3). 

8*  La  première  parturition  a  complètement  mûri  la  femme. 
Ce  qu'il  y  avait  de  caché  pour  elle  lui  est  révélé  dès-lors  ,  et 
tout  son  extérieur  annonce  le  bonheur  et  la  satisfaction ,  tan- 
dis que  l'homme  vise  encore  à  un  but  plus  éloigné.  La  femme 
acquiert  un  maintien  plus  libre  et  plus  ferme;  elle  a  plus  d'as- 
surance et  plus  d'à-plomb.  Elle  ne  se  tient  plus  aussi  courbée 
que  la  jeune  fille  ,  mais  rejette  davantage  ses  épaules  en  ar- 
rière et  reporte  son  ventre  en  avant.  Le  cou  est  un  peu  plus 
fort  ;  les  seins  sont  plus  développés,  les  mamelons  plus  gros 
et  plus  colorés;  la  région  pelvienne  est  plus  pleine,  le  ven- 
tre plus  arrondi  ;  les  hanches  ont  plus  de  largeur ,  les  fesses 
sont  proéminentes  (  i'fpoSkYi  y.c/lli7:v'^o(;  ) ,  la  taille  est  plus 
large,  les  cuisses  sont  plus  tournées  en  dehors  ;  le  mont 
de  Vénus  est  plus  bombé  ,  et  ombragé  de  poils  plus  fournis  ; 
les  grandes  lèvres  sont  plus  rondes ,  plus  pleines  ,  plus  lon- 
gues (4);  leur  frein  demeure  distendu  ;  l'orifice  de  la  matrice, 
qui  n'a  que  trois  ou  quatre  lignes  de  diamètre  chez  les  vierges, 
en  offre  maintenant  quelques  unes  de  plus  ;  il  reste  arrondi, 
et  ne  représente  plus  une  fente  transversale  parfaite,  attendu 
que  ses  lèvres  deviennent  plus  épaisses  ,  plus  molles,  et 
se  rapprochent  moins  l'une  de  l'autre  ;  elles  présentent  des 


(1)  Zimnierniann ,  loc.  cit.,  t.  VII,  p.  80. 
(2)7Jid.,t.XIII,p.  306. 
<3)  Demeunier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  159. 
(4)  Mende,  loc  cit.,  t.  IV,  p.  692. 


AGE   ADUITE.  8l 

cicatrices  ',  marques  indélébiles  des  déchirures  qu'elles  ont 
éprouvées.  Parmi  les  suites  de  la  parturition  ,  qui  ne  tardent 
pas  à  s'effacer  chez  les  femmes  bien  constituées,  il  faut  ran- 
ger l'abaissement  de  la  matrice ,  l'amplitude  et  le  relâche- 
ment du  vagin.  Une  strie  d'un  jaune  brun  sur  la  ligne  médiane 
du  corps,  depuis  l'ombilic  jusqu'aux  pubis ,  des  plis  obliques 
et  transverses  à  la  région  hypogastrique,  et  des  taches  ou  des 
vergetures  rouges  sur  les  cuisses,  ne  se  voient  que  chez  celles 
qui  ont  une  mauvaise  complexion  et  la  fibre  trop  molle. 

A.  Amour  pour  les  enfans. 

§  575.  L'amour  des  parens  pour  l'être  qu'ils  ont  mis  au 
monde  et  qui  ne  pourrait  trouver  aucune  ressource  en  lui- 
même  (  §  514  ),  est  le  moyen  dont  la  nature  se  sert  pour  con- 
server l'espèce.  Aussi  avons-nous  vu  qu'il  n'existe  point  lors- 
que le  produit  de  la  procréation  peut  se  suffire  à  lui-même 
après  la  naissance  et  Téclosion  (§  515,  II)  ,  quand  le  monde 
extérieur  lui  offre  déjà  tout  ce  dont  il  a  besoin  pour  assurer 
sa  vie  et  développer  ses  forces,  ou  quand  la  grande  fécondité 
garantit  le  maintien  de  l'espèce  (§  515,  12°).  Or  comme 
l'homme  est,  de  tous  les  êtres ,  celui  qui  reste  le  plus  long- 
temps hors  d'état  de  subvenir  à  ses  besoins  et  qui  se  déve- 
loppe avec  le  plus  de  lenteur ,  la  nature  a  mis  dans  le  cœur 
des  parens  un  amour  plus  tendre  pour  les  enfans,  auquel  la 
conscience  de  soi-même  donne  son  entière  signification,  et  la 
liberté  toute  la  plénitude  de  sa  puissance.  Mais,  dans  l'espèce 
humaine ,  comme  chez  les  animaux ,  cet  amour  se  déploie 
surtout  chez  la  mère  ,  dont  toute  la  vie  est  dirigée  vers  la 
génération,  tandis  que,  chez  le  père ,  il  est  proportionnelle- 
ment plus  subordonné  à  la  spontanéité  et  à  l'indépendance. 

1°  La  cause  immédiate  de  cet  amour  réside  dans  un  pres- 
sentiment qui  peu  à  peu  devient  un  sentiment  moins  vague  et 
plus  précis.  Les  parens  se  voient  rajeunir  dans  leurs  enfans; 
ce  sont  des  parties  de  leur  propre  être ,  mais  des  parties  de- 
venues indépendantes.  La  mère  a  enfanté  avec  douleur  et 
danger  ;  mais  cependant  avec  bonheur  ;  il  lui  en  a  coûté  du 
sang  et  de  la  sueur,  et  elle  dévoue  tout  son  amour  au  précieuiL 
V.  6 


§2  AGE  ADUtTEo 

être  qu'elle  a  payé  si  cher  ;  mais  cet  amour  est  si  pur  ,  si 
exempt  d'égoisme,  qu'elle  ne  cherche  même  pas  ses  propres 
traits  dans  son  enfant  chéri ,  qu'elle  s'efforce  d'y  retrouver 
ceux  du  père,  et  qu'ainsi  elle  aime  dans  son  enfant  l'époux 
qui  le  lui  a  donné,  et  dans  l'époux  le  père  de  son  enfant.  Ce 
n'est  point  là  cependant  un  produit  de  sa  liberté  ;  les  parens 
reçoivent  avec  joie  le  fruit  bien  conformé  de  leur  amour  , 
que  la  nature  créatrice  a  formé  dans  l'ombre,  d'après  les  lois 
éternelles  ;  ils  sentent  là  le  pouvoir  de  l'infini,  mais  en  même 
temps  ils  sentent  qu'ils  sont  les  organes  de  cet  infini ,  et  la 
conviction  qu'ils  ne  font  qu'un  avec  lui  contribue  autant  à  leur 
inspirer  une  profonde  reconnaissance ,  qu'à  leur  donner  une 
haute  idée  de  la  dignité  humaine,  en  un  mot  à  faire  naître  en 
eux  des  sentimens  véritablement  religieux. 

En  même  temps  que  le  pressentiment ,  s'éveille  l'instinct , 
avec  sa  direction  vers  l'avenir.  Jusqu'alors  la  vie  plastique  et 
sans  conscience  avait  protégé  ,  nourri ,  développé  l'être  pro- 
créé ;  mais  maintenant  celte  charge  revient  à  la  vie  avec  con- 
science. Le  sentiment  de  pouvoir  secourir  un  être  sans  défense, 
rend  heureux,  et  la  satisfaction  elle-même  contribue  ainsi  à 
rendreplusvif  l'amour  pour  l'enfant  qui  avait  été  l'occasion  du 
déploiement  de  ce  sentiment.  La  mère  reconnaît  dans  son 
enfant  un  être  vivant  et  animé,  qui  porte  le  cachet  de  l'huma- 
nité ;  on  doit  attendre  de  cet  être  un  développement  intellec- 
tuel supérieur ,  et  peut-être  qu'un  jour  il  jouera  un  grand 
rôle  dans  la  vie  ;  tout  est  caché  derrière  le  voile  mystérieux 
de  l'avenir ,  mais  la  possibilité  existe ,  et  en  subvenant  aux 
besoins  de  l'enfant,  la  mère  a  un  vague  pressentiment  qu'elle 
agit  dans  l'intérêt  des  générations  futures  ,  qu'elle  travaille 
pour  une  éternité.  Alors  elle  est  au  comble  du  bonheur ,  et  il 
n'y  a  pas  de  spectacle  plus  beau  que  celui  d'une  femme  ano- 
blie par  les  joies  de  la  maternité. 

2°  Les  chasseurs  savent  que  les  Chiennes  préfèrent  'quel- 
ques uns  de  leurs  petits,  et  que  ces  favoris  ont  plus  d'aptitude 
pour  la  chasse  (1),  soit  que  le  germe  de  leur  talent  naturel  leur 
ait  valu  cette  prédilection,  soit  qu'il  ait  été  plus  développé  par 

(4)  iy^/o&rywcfeewft  fuet  JaffdliehhaleT}  181S,  p*  H, 


ÂGE  ADULTE.  83 

elle.  Dans  l'espèce  humaine,  l'amour  maternel  revêt  un  grand 
nombre  de  formes.  Il  se  porte  tantôt  de  préférence  sur  le 
premier  né,  sur  celui  qui  a  causé  le  plus  de  douleur  et  pro- 
curé la  première  joie  maternelle  ,  tantôt  sur  le  dernier  né  , 
auquel  il  peut  se  consacrer,  sans  que  rien  l'en  détourne,  après 
l'extinclion  de  la  faculté  procréatrice  ;  là  c'est  l'enfant  le  plus 
robuste  qui  devient  le  favori ,  parce  que  son  développement 
donne  de  plus  brillantes  espérances  ;  ici,  c'est  le  plus  faible, 
parce   que    la  compassion  '  parle    en   sa  faveur ,   et  qu'il 
réclame  des  soins  plus  assidus  ;  telle  mère  préfère  le  fils 
dont  la  naissance  (§  494,  8°)  a  mis  sa  vie  en  plus  grand 
danger,  et  dont  les  qualités  viriles  feront  un  jour  son  orgueil; 
telle  autre  a  un  faible  pour  sa  fille  ,   dans  laquelle  elle  élève 
pour  eile-méme  Tamie  la  plus  intime.  Enfin  chaque  enfant  a , 
selon  son  individualité ,  une  part  spéciale  dans  le  cœur  de  sa 
mtère. 

3°  Les  droits  des  parens  sur  les  enfans  ont  un  côté  physi- 
que' et  uii  côté  idéal.  Physiquement  parlant,  l'enfant  est  la 
créature  des  parens  ;  produit  par  leur  force  plastique,  con- 
servé par  leurs  elForts ,  pourvu  de  facultés  et  de  talens  par 
leur  libéralité  ,  mis  enfin  par  eux  en  possession  de  tout  ce 
qui  lui  est  nécessaire,  il  est  leur  propriété  ,  que  personne  ne 
peut  leur  contester ,  et  dont  ils  ont  le  droit  bien  acquis  de 
tii-er  avantage  pour  eux-mêmes.  Mais ,  sous  le  point  de  vue 
idéal,  les  parens  ne  sont  que  les  organes  de  l'humanité;  ce  n'est 
point  par  eux  que  s'accomplit^  la  génération ,  mais  par  l'es- 
pèce, au  service  de  laquelle  ils  sont ,  et  qui  ne  fait  que  les 
employer  à  titre  d'instrumens.  L'enfant  appartient  donc   à 
l'espèce,  et  comme  il  doit  réaliser  l'idée  de  cette  espèce  ,  il 
est  appelé  aux  mêmes  droits  que  tous  ses  autres  membres, 
attendu  que  le  germe  de  la  spontanéité  et  de  l'indépendance 
commande  l'estime  et  la  considération ,   alors  même  qu'il 
n'est  point  encore  arrivé  à  se  développer.  Les  parens  ne  sont 
donc,  pour  ainsi  dire,  que  les  curateurs  de  l'humanité  ;  mais 
la  nature  les  a  organisés  de  telle  manière  qu'en  rendant  ce 
service  à  Tespèce  ils  y  trouvent  eux-mêmes  la  suprême  jouis- 
sance, parce  que  le  Uen  qu'il  établit  entre  eux  et  le  tout  fait 
sortir  l'iadividualité  de  son  cadre  mesquin,  p<)ur  l'élever  à 


84  AGE  ADULTE. 

une  existence  supérieure.  Voilà  comment  le  bonheur  'de  l'a-» 
mour,  la  volupté  de  la  copulation ,  la  jouissance  de  la  vie  de 
famille,  la  joie  de  faire  du  bien  aux  enfans,  de  voir  les  pro- 
grès de  leur  développement  et  de  recueillir  leur  reconnais- 
sance ,  se  tiennent  par  des  liens  indissolubles ,  et  ont  un  but 
général. 

Tous  les  peuples  qui  se  sont  signalés  par  le  défaut  de  dé- 
bonnaireté  et  par  la  prédominance  du  principe  de  la  mascu- 
linité, ont  envisagé  les  droits  dont  nous  parlons  sous  le  point 
de  vue  physique  principalement ,  et  regardé  l'enfant  comme 
une  propriété  de  ses  parens,  dont  le  père  pouvait  disposer  à 
son  gré,  afin  d'en  tirer  avantage  pour  les  jouissances  de  ses 
sens.  Le  point  de  vue  idéal  n'a  jamais  permis  que  ce  principe 
fût  poussé  jusqu'à  l'extrême  ;  maiS;,  s'il  n'a  pu  tout  envahir,  du 
moins  a-t-ii  fait  irruption  de  tous  les  côtés.  Ainsi  le  despo- 
tisme paternel,  sous  sa  forme  la  plus  douce,  a  pris  le  carac- 
tère de  l'autorité  patriarchale ,  qui  maintient  les  enfans  dans- 
un  état  absolu  de  dépendance  et  de  servage.  Le  peuple  alle- 
mand s'est  tenu,  dès  l'antiquité ,  fort  loin  de  ces  idées  con- 
traires à  la  nature ,  et  le  sentimentalisme  qui  dominait  chez 
lui  l'avait  amené  à  une  juste  appréciation  des  droits  des  en- 
fans. Il  a  fallu  le  christianisme ,  dans  lequel  prédomine  le 
principe  de  la  féminité ,  et  dont  l'une  des  colonnes  est  l'a- 
mour ,  pour  placer  les  enfans  plus  haut  et  assuFer  leurs 
droits. 

4'»  L'infanticide ,  que  la  loi  défendait  chez  les  anciens  Ger- 
mains (1),  était  permis  chez  la  plupart  des  peuples  de  l'anti- 
quité ,  et  il  l'est  encore  aujourd'hui  dans  plusieurs  pays  où  le 
christianisme  n'a  point  pénétré ,  ainsi  que  l'attestent  les  re- 
cherches de  Krœger  (2)  ;  les  nouveau-nés  y  sont  mis  à  mort 
ou  directement  ou  indirectement  par  l'exposition ,  et  dans  ce 
dernier  cas  on  les  expose  de  manière  tantôt  qu'ils  doivent 
nécessairement  périr,  tantôt  seulement  que  leur  vie  est  remise 
aux  chances  du  hasard  et  de  la  compassion  des  autres  hom- 
mes. Chez  presque  tous  les  peuples  de  la  Grèce,  on  étendait 


(1)  Frank,  loe,  cit.,  t.  U,  p.  78. 

(2)  ArcMv  ftier  ffaisen-und  Jr mener ziehing  \  1. 1,  p.  4- 


AGE  ADUITE.  85 

le  nouveau-né  aux  pieds  du  père,  et  quand  celui-ci  ne  le  re- 
levait point ,  on  l'exposait.  Cette  coutume  était  très-répandue 
au  moins  parmi  les  Athéniens ,  les  lois  la  prescrivaient  dans 
d'autres  états ,  et  les  Thébains  seuls  l'avaient  frappée  de  ré- 
probation. Romulus  ,  pour  favoriser  la  population  ,  défendit 
•d'exposer  les  enfans  mâles  et  les  filles  aînées ,  et  ne  permit 
l'exposition  des  autres  filles  qu'après  qu'elles  auraient  atteint 
leur  troisième  année;  cependant  la  corruption  des  mœurs 
franchit  plus  tard  ces  limites,  et  les  Romains  adoptèrent 
l'usage  des  Grecs  ;  ils  noyaient  les  enfans,  les  jetaient  sur  les 
places  publiques,  pour  qu'  ils  y  fussent  déchirés  par  les  ani- 
maux ,  ou  les  déposaient  à  la  porte  des  célibataires ,  dont  ils 
devenaient  les  esclaves.  Chez  les  Perses,  les  Mèdes ,  les  Ca- 
nanéens ,  les  Babyloniens  et  autres  anciens  peuples  de  l'Orient, 
à  l'exception  des  Israélites  et  des  Egyptiens ,  on  trouve  éga- 
lement des  traces  d'infanticide  et  d'exposition.  Les  Scandina- 
ves tuaient  aussi  leurs  enfans ,  lorsqu'ils  en  avaient  la  fantai- 
"sie.  Les  Norwégiens  avaient  des  lois  à  cet  égard  ;  ils  emmail- 
lottaient  avec  soin  les  enfans ,  leur  mettaient  un  peu  d'alimens 
dans  la  bouche,  et  les  déposaient  sous  des  racines  d'arbres  ou 
des  pierres,  afin  qu'ils  ne  fussent  point  dévorés  par  les  bêtes. 
L'infanticide  était  permis  chez  les  Chinois  ;  pendant  le  siècle 
dernier,  des  voitures  parcouraient  chaque  jour  les  rues  de 
Pékin  pour  y  ramasser  les  cadavres  des  enfans ,  mais  aujour- 
d'hui il  existe  des  maisons  destinées  à  recevoir  ceux  que 
leurs  parens  exposent.  Cette  coutume  existe  également  au 
Japon ,  dans  les  îles  de  la  mer  du  Sud ,  à  Otahiti  surtout ,  et 
chez  plusieurs  sauvages  d'Amérique.  On  assure  que  les  Jag- 
gas  de  Guinée  dévorent  la  chair  de  leurs  propres  enfans  (1). 

La  plupart  du  temps ,  l'infanticide  a  été  déterminé  par  des 
motifs  particuliers  (5*'— 11°). 

5»  Dans  le  cas  de  difformité ,  avec  impossibilité  complète 
d'acquérir  la  forme  humaine  en  se  développant,  la  mort 
arrive  presque  toujours  peu  de  temps  après  la  naissance ,  et 
rhomme  n'a  pas  besoin  d'intervenir  dans  les  actes  de  la  na- 
ture. Mais  il  est  d'autres  difformités  qui  permettent  à  l'âme 

(1)  Kiœger,  Iqc.  cit,,  t.  I,p.  3S.  r-      -  . 


86  AGE  ^I>tJ|J^. 

dé  se  déployer,  et  l'on  n'a  pas  reculé  devant  le  crime  de  les 
faire  disparaître  du  monde,  sous  prétexte  qu'elles  affectei^t 
désagréablement  la  vue ,  ou  que  les  individus  qui  en  sont  at- 
teints ne  conservent  leur  existence  qu'à  force  de  soins  conti- 
nuels et  ne  peuvent  être  d'aucune  utilité  à  l'état.  A  Rome ,  la 
loi  ne  permettait  d'abord  de  mettre  les  monstres  à  mort 
qu'après  qu'ils  avaient  été  vus  par  cinq  voisins;  mais  les  Douze- 
Tables  autorisèrent  le  père  à  faire  périr  les  enfans  dilFormep 
ou  estropiés  ,  sans  qu'il  fût  préalablement  obligé  de  les  mon- 
trer à  personne.  Les  Tchouktcliis  et  les  Jakoutes,  les  sauvages 
du  nord  de  l'Amérique  (1)  et  les  Péruviens  (2)  tuent  tous  les 
enfans  qui  sont  mal  conformés  (comp.  §  515,  40). 

6°  A  Sparte ,  oii  l'individualité  n'avait  de  prix  qu'autant 
qu'elle  pouvait  tourner  au  profit  de  l'état ,  les  lois  de  Lycur- 
gue  avaient  prescrit  aux  magistrats  de  décider  si  le  père  de- 
vait ou  non  élever  son  enfant;  si  ce  dernier  était  trouvé  dé- 
bile ou  mal  conformé  ,  on  le  précipitait  dans  un  abîme.  Platon 
et  Aristote  ont  prescrit  l'exposition  des  enfans  faibles  dans 
leurs  plans  de  république ,  et  elle  a  été  d'usage  en  Pologne 
jusqu'au  treizième  siècle. 

J°  L'exposition  atteignait  surtout  les  filles  à  Athènes ,  no- 
tamment dans  les  classes  pauvres,  usage  qui  règne  encore 
aujourd'hui  aux  Indes  occidentales,  et  qu'avaient  adopté  aussi 
les  anciens  Norwégiens,  lorsqu'il  existait  déjà  plusieurs  filles 
dans  la  famille. 

8"  Sur  les  côtes  de  Guinée ,  au  Pérou  (3),  aux  îles  Kouriles 
et  parmi  les  Hottentots  (4),  dans  le  cas  de  jumeaux  ,  on  lue 
l'un  des  deux,  et  ordinairement  celui  qui  paraît  le  plus  faible, 
ou,  s'ils  sont  de  sexe  différent ,  celui  qui  appartient  au  sexe 
féminin  (comp.  §  515,  10°). 

9°  Quand  la  mère  succombe  ,  on  enterre  vif  avec  elle  sou 
enfant  chez  les  Hottentots  ,  à  Madagascar,  à  la  Nouvelle-Gre- 
nade et  au  Groenland. 


(1)  Zininiermann  ,  loc.  cit.,  t.  IV,  197. 

(2)  ibid.,  t.  VI,  p.  407. 

(3)  Virey ,  Hist,  nat.  du  genre  humain ,  1. 1,  p.  325. 

(4)  Demeunier,  loc.jiit.,  t,  I,  p.  466. 


AGE  ADULTE.  8^ 

W  En  cas  de  pauvreté  ou  de  disette ,  on  tue  les  enfans  à 
la  Chine ,  à  la  Nouvelle-Hollande  et  au  Kamtschatka,  comme 
autrefois  à  Athènes. 

11°  Des  idées  superstitieuses  sont  quelquefois  la  source  de 
l'infanticide.  Au  Canada ,  certaines  peuplades  sacrifient  le  fils 
premier  né.  A  Madagascar,  on  expose  les  enfans  qui  naissent 
le  mardi ,  le  jeudi ,  le  vendredi ,  ou  tout  autre  jour  réputé 
néfaste.  Aux  Indes  orientales,  ceux  auxquels  les  astrologues 
prédisent  des  malheurs  sont  noyés ,  jetés  aux  crocodiles  ,  ou 
suspendus  à  un  arbre ,  dans  un  panier,  pour  y  mourir  de 
faim. 

Il  arrive  souvent  qu'à  la  superstition  s'associe  le  doute  de 
la  fidélité  des  femmes  (1).  Les  anciens  Celtes  étendaient  les 
nouveau-nés  sur  un  bouclier  placé  à  la  surface  d'un  fleuve ,  et 
regardaient  comme  illégitimes  ceux  que  le  courant  entraînait. 
Si  les  Hottentots  tuent  l'un  des  jumeaux  ,  c'est  que,  dans  leur 
opinion ,  ils  n'ont  pu  être  engendrés  que  par  deux  hommes. 

Enfin  les  préjugés  sociaux  ne  sont  pas  non  plus  sans  in-* 
fluence.  A  Otahiti ,  les  femmes  étaient  dans  l'usage  de  mettre 
à  mort  les  enfans  qu'elles  procréaient  avec  des  hommes  d'une 
condition  inférieure  à  la  leur. 

12°  Ce  sont  principalement  les  hommes  qui  se  sont  rendus 
coupables  de  presque  tous  ces  meurtres.  D'après  les  exem- 
ples que  l'on  connaît,  ceux  entre  autres  que  Henderson  a  réu- 
nis chez  les  Norwégiens  ,  il  est  évident  que  les  femmes  ont 
la  plupart  du  temps  cherché  à  prévenir  l'exposition  de  leurs 
enfans ,  ou  du  moins  à  en  détruire  les  effets  (comp.  §  516  , 
30.)  On  se  rappelle  involontairement  la  conduite  tenue  par 
certains  animaux  (§  515-,  9"),  en  voyant  les  femme  sauvages 
du  nord  de  l'Amérique  ne  montrer  l'enfant  à  l'époux  qu'au 
bout  d'une  à  quatre  ou  cinq  semaines  ,  afin  d'éviter  qu'il  ne 
lui  inspire  de  l'éloignement  à  cause  de  son  extérieur  peu 
agréable ,  de  sa  grosse  tète ,  de  ses  cheveux  rares ,  et  des 
taches  brunes  ou  bleues  dont  son  corps  est  parsemé  à  la  suite 
d'un  accouchement  laborieux  (2).  ,33 


(1)  Frank ,  loo.  cit.,  t.  II,  p.  74, 

(2)  Hearne ,  loc  cit.,  p.  66, 


88  AGE  ADULTE. 

Uue  femme  séduite ,  qui  a  en  perspective  la  honte  pour 
elle  et  la  misère 'pour  son  enfant ,  peut  être  conduite  à  l'infan- 
ticide par  le  désespoir,  sans  qu'on  soit  obligé  d'admettre  une 
rage  brutale  (§  515,  10"),  ou  une  aliénation  mentale  pas- 
sagère, pour  l'excuser  (1).  Le  meurtre  des  enfans  illégitimes 
était  plus  réfléchi  à  Athènes  et  à  Otahïti.  Dans  l'ile  de  Java  , 
la  femme  légitime  met  presque  toujours  à  mort  les  enfans  des 
concubines  (comp.  §  515,  11**). 

Mais  l'infanticide  peut  avoir  encore  d'autres'motifs  d'inté- 
rêt purement  personnel.  Les  femmes  des  Abipons  commettent 
souvent  ce  crime  afin  de  n'être  point  séparées  de  leurs  époux 
par  l'allaitement ,  pendant  la  durée  duquel  on  les  regarde 
comme  impures.  Plusieurs  peuplades  de  l'Amérique  méridio- 
nale ,  surtout  au  Pérou  et  sur  les  bords  du  Maranon ,  enter- 
rent vifs  les  nouveau -nés  qui  leur  sont  à  charge,  même  quand 
elles  ont  des  vivres  au-delà  de  leurs  besoins. 

1 3°  L'homme  qui  n'obéit  qu'à  l'impulsion  des  sens  ne  re- 
connaît point  l'embryon  pour  un  être  de  son  espèce  ,  et  ne 
lui  accorde  aucun  des  droits  de  l'humanité ,  parce  qu'à  ses 
yeux  une  vie  invisible  n'est  point  une  vie  proprement  dite. 
Aussi ,  sur  les  derniers  temps  de  Rome  ,  les  femmes  se  fai- 
saient-elles fréquemment  avorter,  afin  d'éviter  les  incommo- 
dités de  la  grossesse  et  de  la  parturition ,  et  de  ne  point  être 
troublées  dans  leurs  débauches  ;  cet  usage  fut  prohibé  à  l'é- 
poque d'Ulpien.  Les  femmes  des  Abipons  ont  aussi  recours 
à  celte  pratique  ,  pour  pouvoir  continuer  de  vivre  avec  leurs 
époux  (2) ,  et  celles  des  Guaycouros  l'emploient  aussi  pour 
échapper  à  tous  les  embarras ,  tant  qu'elles  n'ont  point  atteint 
l'âge  de  trente  ans  (3).  L'avortement  artificiel  est  commun 
aussi  et  permis  chez  les  Knistenaux  et  les  Esquimaux  (4) ,  au 
Canada  et  aux  Indes  orientales  (5) . 

Le  crime  devient  plus  grand  lorsque  l'homme  oblige  la 


(î)  Wigand ,  Die  Gehurt  des  Menscken  ,  1. 1,  p.  81. 

(2)  Zinimermann ,  loc.  ci*.,  t.  VI,  p.  252. 

(3)  Spix  et  Martius ,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  271. 

(4)  Virey,  loc.  cit.,  t.I,  p.  324. 

(5)  Frank,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  58. 


AGE   ADtlTE.  89 

femme  de  se  faire  avorter,  coutume  qu'on  attribue  aux  habi- 
tans  des  côtes  occidentales  de  la  baie  d'Hudson ,  lorsqu'il  se- 
rait trop  embarrassant  pour  eux  d'avoir  des  enfans  (1). 

Il  n'y  a  pas  jusqu'aux  spéculations  d'une  philosophie  déli- 
rante qui  soient  venues ,  sous  ce  rapport ,  en  aide  aux  pré- 
tentions de  la  sensualité  brutale.  Platon  et  Aristote  ont  déclaré, 
dans  leurs  républiques  idéales ,  que  la  provocation  à  l'avor- 
tement  était  un  moyen  convenable  pour  prévenir  l'excès  de  la 
population ,  et  les  stoïciens  justifiaient  cette  pratique  en  sou- 
tenant qu^  l'enfant  n'acquiert  une  âme  qu'au  moment  où  il 
commence  à  respirer,  de  sorte  que,  l'embryon  n'étant  point 
animé  ,  le  détruire  n'était  pas  commettre  un  meurtre. 

14°  Il  a  été  fait  abus  de  l'autorité  paternelle  sous  bien 
d'autres  points  de  vue  encore.  Les  Romains  pouvaient  vendre 
comme  esclaves  les  fils  dont  ils  avaient  à  se  plaindre.  A  la 
Chine ,  les  parens  ont  le  droit  de  réduire  les  fils  en  esclavage 
et  de  vendre  les  filles  aux  maisons  de  prostitution ,  ou  de  cre- 
ver les  yeux  à  ces  dernières  pour  qu'elles  soient  réduites  à  la 
condition  de  mendiantes ,  et  de  soumettre  les  autres  à  la  cas- 
tration, afin  qu'ils  puissent  être  employés  à  la  garde  des 
femmes  (2).  Dans  l'ancienne  Rome  ,  il  était  permis  au  père  , 
quand  son  fils  adulte  s'était  rendu  coupable  d'un  crime ,  de 
le  tuer  après  une  enquête  à  laquelle  devaient  être  appelés  les 
parens.  On  dit  qu'en  cas  de  famine  les  Kamtschadales  met- 
tent aussi  à  mort  leurs  enfans  adultes. 

B.  Education. 

§  576.  V éducation  est  le  concours  actif  des  parens  au  dé- 
veloppement des  forces  de  l'être  qu'ils  ont  procréé ,  depuis 
l'instant  où  celui-ci  commence  à  jouir  d'une  existence  indé- 
pendante jusqu'au  moment  où  il  la  possède  dans  toute  sa  plé- 
nitude. C'est  l'action  d'une  vie  déjà  mûre,  qui  contribue  à  en 
mûrir  une  autre  et  ;  à  compléter  ainsi  la  génération.  Elle  se 
rapporte  au  développement  du  physique  et  du  moral,  de 
l'intelligence  et  du  caractère. 

{\)oUd.,i).  57. 

(2)  Ziaimermann,  loc.  cit.,  t.  IX,  p.  374.  ,    ■   .  •. 


0(y  AGE   ADULTE. 

1"  Comme  elle  consiste  en  une  action  qu'un  être  exerce  sur 
un  autre ,  elle  suppose  harmonie.  Elle  est  la  rencontre  des 
mêmes  forces,  qui  existent  chez  l'un  à  l'état  de  développement 
et  chez  l'autre  à  celui  de  simple  germe  ;  elle  repose  sur  un 
accord  mutuel. 

2°  L'éducation  est  donc  une  action  réciproque.  C'est  par 
elle  seule  que  l'homme  arrive  à  une  intelligence  complète  de 
sa  nature.  En  apercevant  ce  germe  qui  se  déploie ,  en  aper- 
cevant ces  forces  qui  se  développent  d'une  manière  progres- 
sive, il  acquiert  une  idée  plus  netle  de  sa  propre  e§sence  ,  et 
en  réfléchissant  sur  les  moyens  qui  conviennent  le  mieux  pour 
diriger  les  forces  de  l'enfant ,  il  devient  lui-même  plus  libre 
dans  tout  ce  qui  a  rapport  au  jeu  de  ses  propres  détermina- 
tions. 

3°  Ayant  à  remplir  un  rôle  si  important ,  et  pour  l'être 
procréateur  et  pour  l'être  procréé ,  l'éducation  n'est  point 
livrée  au  caprice  de  la  volonté ,  mais  elle  est  appelée  par  l'in- 
stinct. De  même  que  ,  dans  la  procréation  ,  considérée  comme 
formation  matérielle,  l'instinct  détermine  l'organisme  à  trans- 
mettre son  caractère  au  produit  qu'il  va  engendrer,  et  à  fa- 
voriser le  développement  de  ses  propres  forces  dans  ce  der- 
nier, de  même  aussi  il  se  manifeste  dans  l'éducation  ,  mais 
sous  une  forme  plus  dégagée  et  par  rapport  à  un  être  qui 
agit  avec  liberté.  Ce  que  l'être  qui  procrée  possède  ,  il  veut 
le  communiquer  à  l'être  qu'il  a  procréé  :  c'est  un  besoin  pour 
lui,  et  il  se  livre  à  l'éducation  pour  sa  propre  satisfaction, 
parce  que  le  plaisir  d'engendrer  se  manifeste  maintenant  chez 
lui  comme  joie  de  perfectionner.  Dans  les  dernières  formes 
de  la  vie  ^  l'animal  subit  l'incubation  sans  le  concours  de  sa 
mère,  et  les  soins  de  celle-ci  ne  lui  sont  pas  nécessaires  non 
plus  après  son  éciosion  ;  c'est  déjà  un  degré  plus  élevé  que 
celui  où  l'animal  qui  vient  d'éclore  a  encore  besoin  d'être 
protégé  et  nourri  ;  mais ,  chez  les  animaux  supérieurs ,  no- 
tamment ceux  qui  jouissent  constamment  de  la  voix ,  c'est-à- 
dire  du  plus  parfait  de  tous  les  moyens  à  l'aide  desquels  deux. 
êtres  puissent  s'entendre  l'un  avec  l'autre  (  1°  ) ,  chez  les  Oi- 
seaux et  les  Mammifères ,  l'inslinct  pousse  à  une  éducation 
complète ,  c'est-à-dire  aux  soins  que  demande  le  physique  , 


AGE   ADULTE.  g|> 

et  aux  instructions  que  réclame  le  moral.  Dans  l'homme ,  ou 
la  vie  a  pris  tout  le  développement  dont  elle  est  susceptible  , 
le  sentiment  vague  et  obscur  du  plaisir  de  l'éducation  s'élève 
à  la  conscience  de  soi-même,  ei  ce  qui  n'était  jusque  là  qu'un 
acte  rendu  obligatoire  par  Tinstinct ,  devient  un  commande- 
ment de  la  raison.  Mais  jamais  l'instinct  ne  perd  entièrement 
ses  droits  ;  depuis  que  l'homme  existe  ,  il  a  élevé  ses  enfans» 
et  il  les  élèvera  toujours  et  partout ,  avant  de  songer  à  exami- 
ner si  l'éducation  est  nécessaire  ou  non  (1).  C'est  précisément 
parce  que  la  raison  n'est  pas  une  chose  sans  vie  et  contraire  à 
la  nature ,  mais ,  au  contraire  ,  la  véritable  cause  de  la  vie 
et  la  nature  parvenue  à  se  révéler  à  elle-même  ,  que  seSj 
commandemens  s'accordent  avec  les  lois  de  l'instinct  et  les 
conditions  organiques  du  corps.  Cet  enchaînement  et  ce  rap- 
port mutuel  se  manifestent,  par  exemple  ,  dans  l'allaitement  ; 
tandis  que  la  mère  reconnaît  le  devoir  qui  lui  est  imposé  de 
nourrir  son  enfant ,  elle  produit  sans  le  savoir  ni  le  vouloir  la 
nourriture   qui  doit  lui  profiter,  de  sorte  que  l'harmonie 
existante  entre  le   sentiment  obscur  de  la  vie  animale  et 
l'évidence  de  la  conscience  de  soi-même  sanctifie  en  quelque 
sorte  le  sein  maternel  -,  en  pensant  à  son  nourrisson  chéri , 
en  souhaitant  de  lui  faire  du  bien ,  elle  détermine  une  con- 
gestion dans  ses  glandes  mammaires,  y  augmente  la  producr 
tion  du  lait ,  et  rend  l'écoulement  de  cette  liqueur  plus  fa? 
cile;    mais  tandis  qu'elle  est  absorbée  ainsi  par  l'amour, 
jusqu'au  point  de  s'oublier  elle-même ,  l'enfant  auquel  elle 
présente  le  sein  lui  cause  un  chatouillement  voluptueux  et 
lui  procure  l'agréable  sensation  d'un  dégorgement  salutaire; 
le  sentiment  du  bien  qu'elle  produit  et  la  vue  des  effets  qui 
en  résultent  ont  même  pour  résultat  d'accroître  encore  son 
amour  pour  son  enfant,  et  c'est  ce  qui  exjilirjue  comment  il 
arrive  si  souvent  aux  nourrices  de  préférer  l'enfant  qu'on  leur 
confie  au  leur  propre.  La  mère  veut,  en  outre  ,  protéger  son 
nourrisson  et  le  réchauffer  de  son  propre  corps  ;  déjà ,  sans 
qu'elle  s'en  aperçût ,  la  lassitude  lui  avait  fait  prendre ,  aprè^ 
l'accouchement ,  une  situation  telle  que  l'enfant  n'eût  à  courir 

ii)  Schvfaxz,  Erziehimgslehre ,  t.  Il,  p.  ^. 


92  AGE   ADULÏE. 

aucun  risque  ;  de  même,  pendant  qu'elle  allaite,  son  sommeil  est 
si  léger,  que  le  moindre  cri  ou  le  plus  léger  attouchement  suffit 
pour  l'éveiller.  Cependant,  comme  tout  écart  de  l'état  naturel 
en  entraîne  constamment  d'autres  à  la  suite,  les  mères  épui- 
sées par  un  rude  travail ,  ou  dont  la  sensibilité  est  fort  obtuse, 
ont  le  sommeil  si  profond ,  qu'il  leur  arrive  souvent  d'écraser 
ou  d'étouffer  leurs  enfans ,  accident  qui  jadis  avait  lieu ,  cha- 
que année  ,  cinquante  fois  à  Londres ,  et  six  cent  cinquante 
fois  dans  toute  la  Suède  (1) ,  en  supposant  toutefois  que  ^de 
pareilles  assertions  méritent  pleine  confiance. 

§  577.  La  vie  non  parvenue  à  maturité  a  pour  caractère  la 
mobilité  et  la  prédominance  de  la  réceptivité  ;  elle  reçoit  fa- 
cilement les  impressions,  se  modifie  d'après  elles ,  s'y  accou- 
tume ,  et  montre  de  cette  manière  une  éducabilité ,  qui  s'ex- 
prime même  par  la  force  du  penchant  à  l'imitation.  Le  déve- 
loppement d'une  force  peut  donc  être  favorisé  ou  arrêté  par 
une  autre  ;  ainsi  Tanimaï  acquiert  plus  d'intelligence  dans  la 
société  de  l'homme,  et  l'homme  s'abrutit  au  milieu  des  ani- 
maux. Mais  l'éducabilité  a  des  bornes  qui  la  mettent  à  l'abri 
du  caprice  ;  la  puissance  supérieure  qui  s'exprime  dans  l'idée 
de  l'espèce  a  donné,  dès  le  principe,  au  produit  de  la  concep- 
tion le  germe  du  caractère  de  son  espèce ,  revêtu  de  modi- 
fications particulières ,  et  par  cela  même  son  individualité  : 
or  cette  détermination  de  la  nature  créatrice  est  ce  qu'il  y  a 
d'essentiel  dans  le  développement. 

I.  Les  animaux  qu'on  a  séparés  jeunes  de  leurs  parens , 
vont  d'eux-mêmes  aussi  loin  que  s'ils  avaient  été  dirigés 
par  ces  derniers.  Quelque  immense  avantage  qu'ait  l'éduca- 
tion pour  l'homme ,  il  importe  plus  encore  d'écarter  les  in- 
fluences défavorables  que  d'exercer  sur  lui  une  action  posi- 
tive. Une  foule  d'exemples  attestent  que  l'homme  peut  s'élever 
très-haut,  malgré  la  maigre  instruction  qu'il  a  reçue  de  parens 
ou  de  maîtres  médiocres  ,  et  nul  Prométhée  ne  saurait  tirer 
d'étincelles  d'une  masse  d'argile.  Le  fait  de  Gaspard  Hauser  (2) 
prouve  que ,  pourvu  qu'il  ait  appris  la  parole,  cette  basefon- 


(1)  Frank ,  loc  cit.,  t.  II,  p.  205. 

(2)  Hesperus,  1828,  cah.  186. 


AGE    ADULTE.  gS 

damentale  de  toute  perfectibilité  humaine ,  de  longues  années 
d'une  solitude  profonde  et  d'une  réclusion  complète  ne  peu- 
vent arrêter  en  lui  le  développement  ni  des  sentimens  les  plus 
tendres  de  l'humanité,  ni  des  facultés  intellectuelles  et  du 
désir  de  savoir. 

IL  II  ne  peut  pas  manquer  d'arriver  souvent  que  de  mau- 
vais principes  d'éducation  impriment  une  fausse  direction. 
Mais  la  nature  humaine  est  tellement  fidèle  à  elle-même , 
qu'elle  maintient  son  caractère  primordial  avec  plus  ou  moins 
de  force,  qu'elle  ne  se  le  laisse  du  moins  pas  arracher  entière- 
ment. Un  germe  vigoureux  franchit  souvent  toutes  les  bornes 
qu'un  présomptueux  cultivateur  avait  voulu  lui  imposer.  Nous 
allons  nous  convaincre  de  cette  vérité  en  jetant  un  coup  d'œil 
sur  les  diverses  méthodes ,  si  souvent  contraires  au  bon  sens, 
qu'on  suit  pour  l'éducation  physique  des  enfans  (  1° — 5°  ),  et 
qui  fréquemment  n'empêchent  pas  les  facultés  humaines  de 
prospérer,  quoique  chaque  peuple  s'imagine  qu'il  n'y  a  de 
perfectionnement  possible  qu'en  suivant  ses  maximes  de  pé- 
dagogie. 

1"  L'action  des  influences  matérielles  est  très-limitée.  Un 
enfant  bien  portant  réussit ,  soit  qu'il  tette  sa  mère  ou  une 
nourrice ,  soit  qu'on  lui  donne  du  lait  de  Chèvre  ou  de  Vache, 
et  l'on  ne  remarque  pas  de  nuances  correspondantes  dans  ses 
facultés  physiques  et  morales,  pas  plus  qu'une  Loutre  qui 
avait  été  allaitée  et  élevée  par  une  femme ,  n'abjura  pour 
cela  son  caractère  primordial  (1).  Les  Juives  et  les  Romaines 
allaitaient  leurs  enfans  durant  deux  années  (2) ,  comme  le 
prescrit  encore  aujourd'hui  le  Coran.  La  lactation  dure  trois 
ans  chez  les  Abipons  (3) ,  quatre  chez  plusieurs  hordes  de  la 
Tatarie  chinoise  (4)  et  chez  quelques  Négresses ,  cinq  au  Bré- 
sil 0),  au  Canada  et  chez  diverses  peuplades  de  la  Sibérie  (6). 
Schubert  assure  que,  dans  le  Nordland,  il  y  a  des  mères  qui 

(d)  Virey ,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  8S3. 
<2)  Frank,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  366. 

(3)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  YI,  p.  252. 

(4)  Ibid.,  t.  IX,  p.  97. 

(5)  Spix  et  Martius,  loc.  cit.,  1. 1 ,'  p.  381.       i  •] 
<6)  Frank,  îoe.cif.,  t.  II,  p.  368, 


§4  AGE   ADULTE. 

allaitent  leurs  enfans  jusqu'à  l'âge  de  cinq  ans.  L'allaitement 
est  fort  long  aussi  en  Egypte,  dans  la  Sénégambie  et  à  Cey- 
laa  (1;.  Chez  les  sauvages  de  la  Louisiane,  il  dure  tant  que 
l'enfant  veut  prendre  le  sein,  ou  jusqu'à  ce  qu'une  nouvelle 
grossesse  fasse  disparaîlre  le  lait  (2).  Cependant  aucun  de  ces 
peuples  ne  se  fait  remarquer  par  la  vigueur.  Chez  la  plupart 
des  nations  de  l'Asie  et  des  Indes  occidentales,  la  mère  mâche 
les  alimens  qu'elle  donne  à  l'enfant  (  Conip.  §  518,  6»  ).  Chez 
les  Tongouses,  elle  lui  fait  sucer  un  morceau  de  lard,  pour 
apaiser  ses  cris  (3).  Plus  d'une  paysanne  allemande  le  bourre 
de  pâte  cuite  à  Teau,  et  la  bonne  nature  sait  le  soustraire 
aux  dangers  de  cette  nourriture. 

2°  Beaucoup  de  peuples  bercent  les  enfans,  tandis  que 
d'autres ,  souvent  très-voisins,  n'ont  point  cette  habitude.  Les 
Sauvages  du  Missouri  les  balancent  dans  une  peau  d'animal 
suspendue  à  quatre  cordes  (4).  Chez  les  Canadiens,  on  les  en- 
veloppe d'une  peau  d'animal,  et  on  les  attache  sur  une  planche 
garnie  de  mousse  (5).  Les  Tongouses  les  tiennent  assis  comme 
sur  une  chaise ,  car  le  berceau ,  garni  de  cuir ,  est  courbé  à 
angle  obius,  et  présente  une  échancrure  dans  laquelle  latêle 
s'adapte  (6).  Les  Kalmouks  les  font  voyager  à  cheval  dans 
un  berceau  garni  de  feutre ,  et  supporté  par  une  planche , 
le  long  de  laquelle  s'écoulent  les  déjections  (7).  En  Virginie, 
le  berceau  est  une  simple  planche  ,  garnie  de  coton,  qui  a  des 
trous  pour  l'écoulement  des  matières  ;  d'autres  habitans  du 
nord  de  l'Amérique  reçoivent  les  déjections  dans  de  la  poudre 
de  bois  pourri  ou  dans  de  la  mousse  ,  qu'ils  placent  entre  les 
jambes  de  l'enfant.  Les  Brésiliens  nétoient  celui-ci  avec  une 
spatule  de  bois ,  et  les  Cafres  le  font  lécher  par  des  chiens 
(Comp.  §  533,  9  ).  Chez  la  plupart  des  peuples  grossiers,  la 
mère  porte  son  nourrisson  sur  le  dos.  Tel  est,  entre  autres, 

(1)  Virey  ,  loc  cit.,  t.  I.  p.  328. 

(2)  Perrin  du  Lac  ,  loc  cit.,  t.  I,  p.  487, 

(3)  Zimmeiniann,  loc.  cit.,  t.  VllI,  p.  289. 

(4)  Perrin  du  Lac ,  Icc.  cit.,  1. 1,  p.  483. 

(5)  Zinimermann,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  455^ 
{6)Ibid.,  t.  "VIII,  pi.  I,  p.  291". 

(7) /ôid.,  t.  YIII,  pl.II,  p.  279.     , 


AGE   ADULTE,  qS 

l'usage  des  sauvages  du  Missouri,  parmi  lesquels  la  mère  l'a- 
dopte dès  que  l'eufant  commence  à  se  tenir  debout,  ce  qui 
arrive  ordinairement  avant  la  fin  du  premier  mois  ;  elle  ne 
le  quitte  plus  alors,  même  pendant  les  travaux  pénibles  qu'elle 
exécute  (4),  Quinze  jours  après  la  naissance ,  les  Négresses  se 
rattachent  sur  le  dos  (2).  Les  Brésiliennes  le  portent  suspendu 
à  une  bande  tournée  autour  du  cou  (3) ,  jusqu'à  ce  qu'il  puisse 
courir  (4).  Les  Canadiennes  prennent  sur  leur  dos  la  planche 
à  laquelle  il  a  été  fixé,  et  quand  elles  travaillent,  l'attachent 
à  une  branche  d'arlire  (5),  Les  Tongouses  en  agissent  de 
même  (6).  Les  Groënlandaises  le  portent  dans  un  pli  de  leur 
habit,  et  font  en  même  temps  entrerses  aînés  dans  leurs  larges 
bottes  soutenues  par  des  os  de  poisson.  Certains  Indiens  les 
mettent  dans  une  caisse  pendant  leurs  expéditions  (7) ,  et  les 
Abipons  dans  un  sac  de  peau  de  Sanglier  suspendu  à  leur  che- 
val (8).  Les  Tongouses  chargent  leurs  enfans  sur  les  Rennes, 
dans  des  corbeilles  (9)  ,  et^  les  Kalmouks  sur  les  Chameaux , 
dans  des  boîtes  (10). 

3°  Au  Chili  (11)  et  au  Paraguay  (12)  la  mère,  aussitôt  après 
l'accouchement,  se  baigne  avec  son  nouveau-né.  Chez  les 
Canadiens  (13) ,  en  Islande  et  en  Sibérie,  comme  jadis  en  An- 
gleterre et  en  Allemagne  (14) ,  on  plonge  celui-ci  dans  l'eau 
froide.  Les  Lapons  l'enfoncent  trois  fois  par  jour  dans  la 
neige,  et  quand  sa  respiration  devient  gênée,  ils  le  mettent 
dans  de  l'eau  chaude  (15).  Quelque  grand  nombre  d'enfans 

(1)  Perrin  du  Lac,  loc  cit.,  t.  I,  p.  187. 

(2)  Deraeunier,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  174. 

(3)  Zimmerniann,  loc.  cit.,  t.  VII,  p.  80. 

(4)  Spix  et  Martius,  loc.  cit.,  t.  T,  p.  381. 

(5)  Zimmerniann,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  155. 

(6)  Ibid.,  t.  YIII,  p.  289. 

(7)  Ibid.,  t.  III,  p.  122. 

(8)  Ibid.,  t.  VI,  p.  242. 

(9)  JMd.,t.  VIII,  p.  289. 

(10)  Ibid.,  t.  VIII,  p.  279. 
(H)  iizc?.,t.  VII,  p.  214. 
(42)  Ibid.,  t.  VI,  p.  242. 

(13)  Ibid.,  t.  III,  p.  155. 

(14)  Virey,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  101, 

(15)  Hist,  nat.  gén.  et  particulière,  t.  H,  p,  ôS-î?, 


^6  AGE   ADULTE. 

que  cette  coutume  doive  faire  périr ,  il  s'en  trouve  cepen-^ 
dant  qui  y  survivent ,  et  c'est  là  l'argument  qu'on  allègue  en 
sa  faveur,fde  même  qu'à  l'appui  d'une  foule  d'autres  méthodes 
analogues.  Si  les  Spartiates  fouettaient  leurs  garçons ,  les  sau- 
vages du  Canada  leur  apprennent  à  supporter  le  jeûne  et  la 
douleur  causée  par  des  charbons  ardens  (1). 

4"  On  emploie  des  moyens  très-diversifiés  dans  la  vue  de 
perfectionner  la  nature  de  l'homme.  Quelques  tribus  de  Hot- 
tentots  enlèvent  le  testicule  gauche  à  leurs  fils ,  quand  ils  ont 
atteint  l'âge  de  neuf  ou  dix  ans,  ce  qui  n'a  pour  résultat  ni 
de  les  rendre  plus  habiles  coureurs ,  ni  de  diminuer  leur  fé- 
condité. Les  Caraïbes  de  l'Orénoque  attachent  beaucoup  d'im- 
portance à  corriger  la  forme  des  mollets  ;  pour  cela  ils  enve- 
loppent les  jambes  des  enfans  de  liens  si  serrés  que  les  chairs 
ressortent  entre  les  tours  de  bande  (2).  Les  idées  qu'ils  at^ 
tachent  à  la  beauté  portent  les  sauvages  du  Brésil  à  écraser 
le  nez  de  leurs  enfans  (3) ,  et  les  Yamaos  du  Pérou ,  pour  ar- 
river à  plus  de  perfection  encore,  sous  ce  rapport,  leur  en- 
lèvent la  cloison  cartilagineuse  (4).  Mais  c'est  surtout  la  forme 
de  la  tête  qu'on  a  eu  la  prétention  de  modifier.  Les  Wanaches 
et  quelques  hordes  Tatares  l'entourent  jusqu'aux  yeux  d'un 
lien  très-serré ,  de  manière  à  la  rendre  conique  et  à  aplatir 
le  front  (5).  Certains  Indiens  cherchent  à  lui  donner  une  forme 
conique,  à  l'aide  de  courroies  (6).  Les  Chaktas  emploient  un 
moyen  plus  efficace  encore  :  ils  l'emprisonnent  dans  une  forme 
en  bois ,  pour  l'aplatir,  et  posent  dessus  un  sac  plein  de  sable, 
ce  qui  ne  parvient  cependant  pas  à  rendre  les  enfans  imbécil- 
les  (7).  Les  sauvages  qui  habitent  à  l'embouchure  de  la  rivière 
des  Amazones  (8) ,  et  quelques  tribus  péruviennes ,    notam- 
ment les  Omaguas(9),  compriment  la  tête  entre  deux  planches, 

(1)  Zinimermann,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  172. 

(2)  Humboldt ,  Reise  in  die  Mquinoctialgegenden,  t.  III,  p.  402. 

(3)  Zimmermann,  lac.  cit.,  t.  VII,  p.  75. 

(4)  Ibid.,  t.  VI,  p.  125. 

(5)  Ihid.,  t.  VUI,  p.  136. 

(6)  Ihid.,  t.  III,  p.  122. 
(7)i6îd.,  t.IV,  p.185. 
(8)  Ihid.^  t.  V,  p,i224. 
(9)/Wci.,t.  VI,p.l07. 


AGE  ADULTE.  97 

afin  d'aplatir  le  front  et  l'occiput.  Cependant  on  ne  remarque 
pas  de  différences,  sous  le  rapport  des  facultés  intellectuelles, 
entre  ces  peuples  et  d'autres  qui  ne  travaillent  point  la  tête 
de  la  même  manière. 

6°  Ainsi  la  perversion  ^humaine  s'exprime  par  des  formes 
variées  d'éducation  physique,  dont  la  nature  parvient  cepen- 
dant à  triompher ,  et  les  exemples  que  nous  avons  cités  suffi- 
sent pour  expliquer  comment  tant  de  systèmes  ont  pu  être 
imaginés  et  mis  en  pratique  sans  que  ces  méthodes  de  couler 
les  têtes  dans  un  même  moule  aient  eu  pour  résultat  de  ne 
produire  que  des  cervelles  détraquées. 

III.  Afin  de  découvrir  quelles  sont  les  choses  qu'on  apprend 
réellement  des  autres^^et  celles  qu'on  apprend  de  soi-même , 
nous  invoquerons  le  témoignage  impartial  de  la  zoologie. 

Plusieurs  animaux  se  donnent  beaucoup  de  peine  pour  en- 
^gner  à  leurs  petits  les  mouvemens  au  moyen  desquels  ils 
peuvent  se  procurer  la  nourriture  et  se  soustraire  aux  dan- 
gers ,  en  un  mot  les  actions  les  plus  simples,  auxquelles  l'in- 
stinct pousse  de  la  manière  la  plus  formelle ,  et  que  le  jeune 
animal  devient  aussi  de  très-bonne  heure  apte  à  exécuter.  La 
Tortue  de  mer  va  chercher  ses  petits  éclos  par  la  chaleur  de 
la  terre  ,  afin  de  les  conduire  à  l'eau  ;  cependant  les  jeunes 
Tortues  trouvent  l'eau  par  le  seul  fait  de  leur  propre  instinct, 
car  lorsqu'on  les  porte  au  loin  dans  un  sac,  et  qu'on  les  place 
de  manière  qu'elles  tournent  le  dos  au  rivage ,  elles  ne  s'y 
rendent  pas  moins  sans  hésitation  et  par  la  voie  la  plus 
courte  (i).  Mais  les  actions  les  plus  compliquées,  celles  qui 
se  rapportent  à  la  génération ,  ne  sont  point  enseignées  à  l'a- 
nimal, qui  les  accomplit,  quand  le  moment  arrive,  sans  avoir 
rien  vu  faire  de  semblable  à  ses  parens.  Le  jeune  Oiseau  ne 
connaît  le  nid  dans  lequel  il  a  été  couvé  que  comme  une 
couche  chaude  ;  mais ,  l'année  suivante ,  quelque  compliqué 
que  soit  ce  nid ,  il  en  établit  un  pareil,  bien  qu'il  n'ait  jamais 
assisté  à  aucune  construction  de  ce  genre.  Les  jeunes  Rossi- 
gnols n'entendent  point  chanter  leur  père ,  puisque  celui-ci 
devient  muet  dès  que  l'incubation  est  achevée ,  et  cependant, 

(1)  Humboldt,  jfieûe  iiidie  Mquinootialijegenden^  t.  HT,  p.  426. 

V  1 


gS  AGE  ADUITE. 

aussitôt  que  le  printemps  arrive/l'instinct  procréateur  se  ma- 
nifeste aussi  chez  eux  par  des  chants.  Gardien  rapporte  (1) 
qu'on  a  fait  couver  par  des  Serins  des  œufs  d'Emberiza  pa- 
radisea,  regia  etprincipalis,deFringiUa  bengalusetamandava, 
apportés  d'Asie  et  d'Afrique  en  Europe  ,  et  que  les  petits  qui 
en  sont  éclos  ont  appris  d'eux-mêmes  le  chant  et  la  con- 
struction de  nid  propres  à  leur  espèce. 

L'instruction  ne  se  rapporte  donc  qu'aux  facultés  simples,  à 
celles  qui  sont  nécessaires  pour  la  conservation  de  l'individu , 
et  qui  ne  lui  manquent  encore  que  pendant  les  premiers 
temps  de  la  vie  indépendante  ;  quant  aux  actions  d'un  ordre 
plus  élevé ,  à  celles  qui  ont  l'espèce  pour  but ,  et  dont  l'imagi- 
nation fait  tous  les  frais  ,  elles  ne  sont  point  communiquées  du 
dehors ,  mais  résultent  d'une  impulsion  intérieure. 

La  même  chose  a  lieu  pour  l'homme.  Ce  qu'il  y  a  de  supé- 
rieur en  lui  ne  peut  venir  des  autres  et  doit  se  développer  &i 
lui-même  ;  l'imagination  créatrice,  la  force  du  raisonnement, 
l'ardeur  du  sentiment  dans  l'amour ,  la  pitié,  ne  s'appren- 
nent point.  Celui  qui  se  figure  être  arrivé  au  point  culminant 
du  développement  des  facultés  intellectuelles  et  morales,  croit 
devoir  ne  point  arrêter  son  disciple  à  des  trivialités,  et  s'em- 
presse de  rélever  jusqu'à  sa  propre  hauteur;  mais  l'homme 
prudent,  celui  qui  a  su  s'étudier  se,  hâte  moins  de  donner  des 
préceptes  à  l'élève,  il  ne  fait  que  lui  fournir  l'occasion  de  les 
trouver  lui-même ,  et  ne  les  réduit  en  formules  que  pour 
ceux  qui  sont  en  état  de  les  apprécier. 

IV.  L'éducation  consiste  donc  à  écarter  tout  Ce  qui  pourrait 
empêcher  un  individu  de  se  développer  lui-même ,  après 
avoir  reconnu  qu'il  y  a  en  lui  prédisposition  à  le  faire  et  droit 
à  jouir  d'une  existence  indépendante.  Quiconque  l'entreprend 
doit  bien  se  garder  de  vouloir  créer;  car  une  audacieuse  pré- 
somption n'aboutit  qu'à  gâter  l'œuvre  de  la  nature.  Il  doit  agir 
dans  le  sens  de  l'espèce,  qui  répartit  diversement  ses  forces  et 
veut  qu'on  ait  égard  aux  individualités.  En  suivant  cette  mar- 
che ,  il  remplit  un  véritable  sacerdoce ,  puisque,  sous  sa  di- 
rection, la  nature  humaine  parvient  à  se  développer  dans 

(1)  Diclionn.  des  se.  médic.,t.  XII,  p.  244. 


AGE  ADUSTE.  99 

toute  son  étendue  et  à  présenter  la  révélation  de  l'infini ,  qui 
est  sa  seule  et  unique  base.  Il  vise  à  obtenir  cette  harmonie 
des  facultés  qui  correspond  à  leur  idée  et  qui  est  conforme 
à  la  nature  ;  ses  efforts  tendent  à  conserver  la  santé  ,  à  déve- 
lopper les  forces  physiques,  à  faire  acquérir  l'adresse,  l'habi- 
leté ;  il  cherche  à  favoriser  le  libre  développement  du  carac- 
tère, en  écartant  tout  ce  qui  pourrait  nuire  et  en  provoquant  les 
influences  salutaires;  il  veille  à  ce  que  l'égoïsme,  sans  prédo- 
miner ni  dégénérer,  devienne  la  base  de  la  vie ,  et  se  subor- 
donne de  lui-même  à  la  direction  générale ,  comme  l'exige  la 
marche  de  la  nature  ;  enfin  il  s'attache  à  ce  que  l'éducation 
ait  pour  effet,  non  de  dresser  ou  de  façonner  ,  mais  de  four- 
nir à  l'élève  les  moyens  de  se  former  lui-même ,  et  prenne 
ainsi  le  caractère  d'une  véritable  gymnastique  intellectuelle 
et  morale ,  non  pour  former  des  saltimbanques ,  mais  pour 
procurer  aux  facultés  de  la  vigueur  et  de  la  souplesse  (1). 

1.  MOYENS  d'Éducation. 

§  678.  Si  maintenant  nous  portons  nos  regards  sur  les 
moyens  d'éducation,  nous  reconnaissons 

1°  Que  la  condition  générale  de  cette  éducation  tient  d'un 
côté  à  la  faiblesse  de  l'être  procréé  ,  qui  le  place  sous  la  dé- 
pendance des  êtres  procréateurs ,  de  l'autre  à  l'amour  réci- 
proque qui  naît  des  secours  donnés  et  reçus.  Nous  la  trouvons 
déjà  chez  les  animaux  (§  515,  i3°),  qui  ne  peuvent  exercer 
une  action  éducatrice  sur  leurs  petits  qu'autant  que  ceux-ci 
se  trouvent  bien  auprès  d'eux  et  se  soumettent  volontairement 
à  leur  influence.  Dans  un  sens  plus  relevé,  l'amour  et  la  con- 
fiance sont  les  pierres  fondamentales  de  l'éducation  humaine. 
Le  premier  problème  consiste  donc  à  éveiller  ces  sentimens , 
à  leur  faire  prendre  un  caractère  de  durée ,  et  à  remplir 
ainsi  tout  l'être  d'une  satisfaction  dont  la  chaleur  vivifiante 
permet  à  ses  facultés  de  se  déployer  plus  librement. 
Mais,  généralement  parlant ,  l'amour  des  enfans  pour  lespa- 
rensest  plus  froid  que  celui  des  parens  pour  les  enfans;  ce 
dernier  ne  connaît,  point  de  bornes  ,  il  a  l'avenir  en  vue  ,  et  il 

(1)  Voyez  les  arlides  Gjniiiaslique  ,  par  îfM,  CIi.  Londe  et  H.  Bouvier 
(Dict.  rie  !i)éi!eciiie  et  de  cliinirgie  pratiques ;,  t.  IX,  p.  327  et  sniv. 


lOO  AGE  ADULTE. 

S3  nourrit  d'espériiïices  ,  tandis  que  l'autre  repose  sur  îesévé- 
neinens  du  passé;  Famour  des  parens  est  plus  désintéressé, 
et  ne  cherche  d'autrerécompense  que  la  joie  d'avoir  bien  agi  ; 
celui  des  enfans  est  un  devoir,  et  se  rattache  à  la  pensée  d'un 
bienfait  reçu.  Aussi,  aux  approches  de  l'indépendance,  les 
garçons  aiment-ils  moins  leurs  parens ,  à  l'égard  desquels  ils 
éprouvent  un  peu  d'éloignement ,  parce  que  la  subordination 
les  gêne  jusqu'à  un  point ,  et  dont  les  avis  leur  inspirent 
même  une  sorte  de  défiance ,  qui  n'est  pas  sans  résultat 
avantageux  pour  l'éducation  spontanée;  ce  n'est  qu'a- 
près avoir  acquis  leur  pleine  et  entière  indépendance ,  qu'ils 
reviennent  à  leurs  premiers  sentimens ,  fortifiés  alors  par  la 
réflexion.  Mais  les  filles  conservent  toujours  le  même  amour 
pour  leurs  parens  ,  et  quand  arrive  le  moment  de  quitter  la 
maison  paternelle,  pour  aller  jouer  leur  rôle  dans  le  monde  , 
elles  ne  l'abandonnent  pas  sans  une  douleur  dont  on  voit  même 
percer  quelques  traits  grossiers  à  travers  les  mœurs  des  peu- 
ples non  civilisés  (§  571,  5°). 

Les  principales  méthodes  d'éducation  se  retrouvent  chez 
les  animaux  (2°-6°),  dans  leur  plus  grande  simplicité,  et  seu- 
lement esquissées  pour  ainsi  dire ,  mais  aussi  telles  que  la 
nature  elle-même  les  prescrit  au  moyen  de  l'instinct. 

2"  Les  parens  montrent  des  objets  à  leurs  petits  ,  afin  d'é- 
veiller l'instinct  en  eux.  Les  Oiseaux  qui  [ne  nourrissent  point 
eux-mêmes  leurs  petits ,  par  exemple  les  Galhnacés  et  plu- 
sieurs Palmipèdes,  les  conduisent  dans  les  lieux  où  ils  peuvent 
trauver  facilement  des  substances  alimentaires,  et  les  appellent 
quand  ils  ont  trouvé  quelque  chose  qui  puisse  leur  convenir, 
La  Poule  gratte  la  terre,  cherche  des  vers  et  des  insectes ,  les 
soulève  avec  son  bec ,  et  les  laisse  tomber  devant  ses  Poussins. 
Les  Renards,  les  Loups,  les  Lynx  et  les  Chats  ,  quand  ils  ont 
des  petits ,  prennent  leur  proie  vivante,  et  l'apportent  à  ceux- 
ci,  qui  jouent  avec  elle  avant  de  la  mettre  à  mort;  il  arrive 
souvent  aux  chasseurs  de  rencontrer  ainsi  des  prisonniers 
dans  les  terriers  ou  les  retraites  de  ces  animaux. 

3°  Ils  encouragent  les  petits  à  essayer  leurs  forces.  Les 
Hirondelles  et  autres  Passereaux  se  placent  à  quelque  distance 
du  nid,  appellent  leurs  petits  à  eux,  et  leur  offrent  de  la  nour- 


AGE  ADtitTE.  lOl 

riture.  Quand  la  Biche  trouve  des  prés  ou  des  champs  qui  lui 
paraissent  sûrs ,  elle  appelle  les  Faons ,  qui  distinguent  très- 
bien  sa  voix ,  et  qui  se  hasardent  alors  à  sortir  de  la  forêt.  Le 
Lièvre  attire  ses  petits  hors  du  gîte ,  pour  les  allaiter ,  en 
frappant  ses  oreilles  l'une  contre  l'autre, 

4°  Le  jeune  Oiseau  reconnaît  déjà  dans  le  nid  un  danger  qui 
le  menace  immédiatement  ;  il  s'échappe  quand  on  s'approche 
de  lui ,  se  cache  et  demeure  tranquille  pour  ne  point  se  tra- 
hir ;  mais  il  n'a  ni  la  prudence  de  ses  parens  ni  leur  aptitude 
à  juger  le  danger  de  loin  ;  aussi  ces  derniers  Tinforment-ils 
par  des  intonations  de  voix  particulières.  Dès  qu'un  Oiseau  de 
proie  paraît  dans  les  airs ,  fut-ce  même  à  la  plus  grande  hau- 
teur, la  Dinde  appelle  ses  petits  sous  ses  ailes,  où  ils  se  tien- 
nent tranquilles  jusqu'à  ce  que,  le  danger  étant  passé,  ils  se 
remettent  joyeusement  à  courir.  A  l'approche  d'un  Faucon , 
la  Cane  avertit  ses  petits,  qui,  sur-le-champ,  s' enfoncent  tous 
dans  l'eau.  L'Opossum  pousse  un  cri  au  moindre  danger  ,  et 
les  petits  s'empressent  de  gagner  la  poche  de  la  mère,  qui 
s'enfuit  avec  eux. 

5°  Les  parens  instruisent  aussi  leurs  petits  par  l'exemple  ; 
les  Cormorans  et  les  Plongeons  plongent  devant  eux  jusqu'à 
ce  qu'ils  les  imitent.  Quand  une  jeune  Cigogne  commence  à 
voler ,  sa  mère  l'accompagne  et  la  surveille  attentivement.  Le 
Chamois  exerce  son  petit  à  sauter  et  grimper,  franchit  plusieurs 
fois  de  suite  un  précipice^devant  lui,  et  l'appelle  jusqu'à  ce  qu'il 
le  suive.  Les  Renards  et  autres  animaux  de  proie  emmènent 
leurs  petits  à  la  chasse  lorsqu'ils  ont  acquis  une  certaine  force. 

6°  Enfin  les  parens  mettent  leurs  petits  dans  la  nécessité  de 
se  tirer  eux-niêmes  d'embarras.  Le  jeune  Élan ,  après  être 
demeuré  couché  quelque  temps ,  se  dresse  sur  ses  pattes  ; 
mais ,  comme  il  ne  peut  point  encore  marcher ,  sa  mère  le 
pousse  doucement  de  la  tête ,  en  sorte  qu'il  est  obligé ,  pour 
ne  pas  tomber ,  de  faire  quelques  pas.  Le  Phoque  précipite 
ses  petits  dans  l'eau  ;  l'Eider  porte  les  siens  à  ia  mer  sur  son 
dos ,  et  plonge  ensuite  dans  l'eau ,  de  manière  à  les  obHger 
de  nager;  mais  il  se  lient  avec  eux  auprès  du  rivage  jusqu'à 
ce  qu'ils  sachent  plonger ,  et  alors  seulement  il  les  emmène 
en  pleine  mer. 


108  AGE  ADULTE. 

2.  MODE  d'éddcation. 

§  579.  Par  rapport  à  la  modalité  de  l'éducation  ,  la  loi  fon- 
damentale est  une  progression  graduelle.  La  joie  qu'inspire 
l'accroissement  des  forces  et  des  capacités  de  l'enfant  est  un 
sentiment  naturel  ;  mais  l'homme  sage  attend  le  succès  d'un 
développement  calme  et  conforme  à  la  nature ,  et  la  vanité 
seule  veut  hâter  une  maturation  dont  la  lenteur  fatigue  son 
impatience.  Cette  loi  se  manifeste,  sans  que  rien  l'obscurcisse, 
dans  l'instinct  des  animaux  et  les  conditions  organiques  qui  s'y 
rapportent. 

1»  De  même  que,  chez  les  Mammifères,  le  lait  change  de 
qualités  à  mesure  que  le  développement  du  nourrisson  fait  des 
progrès  (  §  533 ,  6»,  7»  ) ,  de  même  aussi  la  nature  des  alimens 
varie  chez  les  autres  animaux.  La  première  nourriture  des 
larves  de  Fourmis  est  un  suc  sucré,  visqueux,  à  demi  digéré , 
provenant  des  végétaux  et  des  pucerons ,  et  que  les  ouvrières 
leur  dégorgent  dans  la  bouche  ;  plus  tard  elles  reçoivent  des 
alimens  ordinaires.  Les  Guêpes  dégorgent  aussi  dans  leurs 
alvéoles  un  liquide  dont  les  larves  doivent  d'abord  se  nour- 
rir ;  mais  Réaumur  a  reconnu  qu'elles  leur  donnent  ensuite 
des  débris  à  demi  digérés  d'insectes ,  et  enfin  des  lambeaux 
de  chair  ou  autres  choses  semblables.  Les  Abeilles  avalent 
du  pollen,  qu'elles  dégorgent,  mêlé  avec  du  miel,  sous  la 
forme  d'une  pâtée ,  qui  sert  à  l'alimentation  des  larves  ;  mais 
cette  pâtée ,  d'abord  blanchâtre  et  insipide ,  devient  bientôt 
d'un  jaune  verdâtre  et  un  peu  aigrelette  ,  tandis  que  les 
larves  qui  sont  sur  le  point  de  passer  à  l'état  clirysalidaire  en 
reçoivent  une  totalement  sucrée.  Le  Pigeon  donne  d'abord  à 
ses  petits  une  bouillie  lactescente,  préparée  dans  son  jabot  ; 
mais  lorsqu'ils  sont  âgés  de  quatorze  jours,  leur  nourriture  ne 
consiste  plus  qu'en  grains  ramollis.  On  assure  que  la  Louve 
mâche  les  premiers  alimens  de  ses  petits  avant  de  les  leur 
présenter.  Les  Serins  nourrissent  leurs  petits  d'abord  avec 
des  insectes,  puis  avec  des  grains  ramollis  dans  leur  jabot. 
Les  Corneilles  mantelées  leur  donnçnt  en  premier  lieu  des 
insectes  mous ,  puis  des  insectes  à  test  dur.  Les  Alcyons  leur 


AGE  ADULTE.  I03 

présentent  d'abord  des  chenilles  et  des  abeilles ,  auxquelles 
ils  ont  arraché  la  tête  et  les  ailes ,  ensuite  du  poisson. 

2"  Les  animaux  nourrissent  d'abord  leurs  petits ,  et  ils  les 
accoutument  ensuite  peu  à  peu  à  chercher  eux-mêmes  des 
alimens.  Plusieurs  Oiseaux ,  après  leur  avoir  donné  quelque 
temps  à  manger ,  leur  enseignent  la  manière  de  chercher  la 
nourriture  ,  et  les  abandonnent  ensuite.  L'Hirondelle  les 
nourrit  d'abord  dans  le  nid,  puis  en  volant,  et  les  accoutume 
ainsi  à  prendre  des  insectes  au  vol.  La  Cigogne  leur  apporte 
en  premier  lieu  des  Grenouilles  déchirées  en  morceaux ,  puis 
des  Grenouilles  vivantes ,  qu'ils  sont  obligés  de  tuer  eux- 
mêmes.  Quelques  Oiseaux  dégorgent  la  première  nourriture 
dans  le  bec  de  leurs  petits ,  et  plus  tard  se  contentent  de  la 
vomir  devant  eux  (1).  Plusieurs  Mammifères ,  tels  que  les 
Blaireaux ,  les  Renards ,  le  Castor,  etc. ,  ne  donnent  d'abord 
que  du  lait  aux  leurs ,  puis  leur  apportent  à  manger,  et  enfin 
les  emmènent  avec  eux  à  la  recherche  des  alimens. 

3"  Noïis  trouvons  la  même  progression  en  ce  qui  concerne 
les  mouvemens.  Les  Cigognes  et  autres  Oiseaux  ne  volent 
d'abord  avec  leurs  petits  qu'aux  alentours  du  nid ,  et  peu  à 
peu  s'en  éloignent  davantage.  Certains  Oiseaux  pélagiens 
restent  pendant  quelque  temps  avec  eux  dans  l'eau  douce, 
qui  est  plus  tranquille,  et  les  mènent  plus  tard  à  la  mer,  ou, 
s'ils  ne  quittent  pas  cette  dernière ,  ils  demeurent  d'abord  sur 
les  rivages ,  et  ne  s'élancent  au  large  qu'au  bout  d'un  certain 
laps  de  temps.  De  même  l'agronome  soumet  les  Taureaux  au 
joug  quand  ils  ont  atteint  l'âge  de  cinq  ans,  mais  ne  leur 
impose  alors  qu'un  travail  facile  et  peu  prolongé ,  parce  que, 
lorsqu'on  les  fatigue  prématurément,  ils  n'acquièrent  ni  les 
forces  ni  la  complexion  vigoureuse  qu'ils  doivent  avoir.  Enfin 
les  premières  leçons  sont  une  espèce  de  jeu  qui  ne  doit 
prendre  que  peu  à  peu  un  caractère  sérieux  si  l'on  veut  qu'il 
n'inspire  pas  de  dégoût  et  qu'il  profite  réellement. 

4°  La  nature  humaine  marche  de  la  sensualité  à  la  ré- 
flexion ,  du  pressentiment  à  la  conscience  de  soi-même ,  de 
l'instinct  à  la  raison.   Tout  ce  qui  possède  la  liberté  débute 

(1)  Faber,  Ueher  das  Leben  der  Jiochnordischen  Fœgel,  p.  218. 


104  AGE   ADtJLTE. 

par  agir  sans  conscience  ni  volonté  ;  l'entendement  ne  s'exerce 
d'abord  que  par  instinct ,  et  toutes  ses  opérations  sont  déjà 
contenues  dans  le  langage  de  l'enfant  ;  mais  le  jeune  homme 
seul  est  mûr  pour  la  logique ,  parce  qu'il  commence  à  faire 
avec  conscience  ce  qu'il  a  pendant  long -temps  accompli 
d'une  manière  automatique.  Cependant  la  clarté  qui  résulte 
de  cette  intuition  de  soi-même  n'a  de  valeur  qu'autant  que 
l'homme  l'acquiert  par  lui-même.  Le  systématisme  des  pé- 
dagogues frappe  de  mort  l'indépendance  humaine  ;  et  s'il 
voulait,  pour  être  conséquent,  diriger  l'acquisition  de  la 
parole  et  des  premières  idées ,  il  paraîtrait  ridicule  au  plus 
haut  degré ,  car  toutes  les  peines  qu'il  prendrait  seraient 
inutiles.  Ce  n'est  que  quand  le  génie  s'est  développé  comme 
instinct  qu'il  doit  s'inquiéter  des  règles  de  l'art  ;  ce  n'est 
qu'après  avoir  acquis  peu  à  peu ,  par  l'usage ,  le  sentiment 
du  droit  et  de  la  vertu,  qu'on  peut  s'élever  à  la  conscience 
de  soi-même  sous  le  point  de  vue  de  la  loi  morale.  Le  germe 
des  nobles  facultés  demande  à  être  traité  comme  un  bour- 
geon délicat,  qu'il  faut  exposer  à  une  lumière  douce  et  non 
au  foyer  d'un  verre  ardent.  Une  réflexion  trop  précoce  lue 
le  germe  des  hautes  aptitudes  de  la  vie ,  et  plus  l'éducation 
veut  être  complète ,  plus  elle  épuise  la  source  sacrée  ;  elle 
fait  peser  sur  tout  le  niveau  de  la  médiocrité  ,  éteint  le 
génie ,  et  coupe  les  racines  de  toute  faculté  qui  chercherait 
à  s'élever. 

§  580.  Par  rapport  à  l'homme , 

I.  L'éducation  le  mène  à  différons  points. 

1°  Elle  doit  le  former  comme  homme.  En  veillant  à  ce  que 
les  dispositions  qu'il  a  reçues  de  la  nature  se  développent 
librement ,  elle  lui  donne  sa  véritable  valeur ,  elle  éveille  en 
lui  la  vie  intérieure  ,  lui  inspire  de  l'estime  pour  lui-même  , 
lui  procure  indépendance  et  liberté. 

2"  Elle  doit  l'amener  au  degré  qui  caractérise  l'époque  à 
laquelle  il  vit,  c'est-à-dire  porter  son  développement  jusqu'au 
point  où  le  genre  humain  est  arrivé  pendant  le  cours  du 
siècle. 

3"  Elle  doit  le  mûrir  pour  la  société,  non  pas  lui  inspirer 
une  abnégation  de  soi-même  telle  qu'il  ne  serve  plus  qu'à 


AGE  ADULTE.  lo5 

des  buts  étrangfers ,  ou  lui  montrer  la  nécessité  de  plaire 
"aux  autres  et  de  leur  être  utile  comme  sa  tendance  suprême  , 
mais  lui  apprendre  à  mettre  son  individualité  en  harmonie 
avec  la  société ,  d'après  l'idée  de  l'organisme,  de  manière  à 
unir  en  lui  l'homme  et  le  citoyen. 

4°  Enfin  elle  doit  le  former  pour  une  carrière  quelconque, 
c'est-à-dire  lui  faire  acquérir  l'aptitude  à  agir  dans  le  sens  de 
la  direction  spéciale  que  ses  forces  ou  son  penchant ,  d'acl 
cord  avec  les  circonstances  extérieures ,  lui  permettent  de 
suivre. 

II.  L'éducation  se  puise  dans  la  famille  (5° — 8°)  et  dans  le 
monde  (9°). 

5°  L'éducation  de  famille ,  sur  laquelle  repose  tout  le  dé- 
veloppement de  l'homnie ,  exerce  une  influence  absolue  pen- 
dant l'enfance ,  et  de  plus  en  plus  restreinte  durant  la  jeu- 
nesse. Elle  consiste  en  soins  immédiats,  nourriture,  protec- 
tion, surveillance  et  instruction.  Le  cours  naturel  des  choses 
fait  qu'elle  se  trouve  confiée  aux  parens  ,  et  lorsque ,  dans 
l'état  de  civilisation ,  où  chaque  fonction  exige  un  organe 
spécial ,  elle  vient  à  être  plus  ou  moins  abandonnée  à  des 
instituteurs,  ceux-ci  sont  les  délégués  des  parens,  dans  le 
sens  desquels  ils  les  dirigent.  Le  père  et  la  mère  y  contribuent 
tous  deux  par  un  concours  organique.  L'enfant  apprend  de  sa 
mère  l'amour,  et  de  son  père  la  loi  ;  mais  la  loi  et  l'amour  se 
prêtent  mutuellement  la  main  pour  l'éducation  de  l'homme. 
La  mère  est  la  première  personne  qui  aborde  l'enfant ,  elle 
le  met  peu  à  peu  en  rapport  avec  le  père ,  elle  sert  d'inter- 
prète et^  d'intermédiaire  entre  le  père  et  la  fille ,  tandis  que 
le  garçon  veut  voir  le  commandement  maternel  confirmé  par 
l'autorité  du  père  et  justifié  par  sa  raison  (1)  Le  père  est  plus 
idéal ,  il  exige  de  son  fils  quelque  chose  de  plus  grand  ,  il 
veut  que  celui-ci  arrive  proniptement  à  la  même  hauteur  que 
lui  et  le  surpasse  un  jour.  La  mère,  au  contraire  ,  qui  se  rap- 
proche plus  de  la  nature ,  s'en  tient  davantage  à  la  réalité 
(§  206,  1»)  :  elle  aime  son  fils  tel  qu'il  est ,  n'aperçoit  pas  de 
défauts  en  lui ,  ne  veut  point  croire  à  ses  fautes ,  tempère  la 

(1)  Wagner,  System  der  Unterriclits'^  p.  3. 


106  AGE  ADULTE. 

sévérité  du  père ,  atténue  ses  exigences ,  et  s'efforce  d'en- 
tretenir dans  le  fils  amour  et  obéissance  pour  le  père. 

6°  L'école  maternelle  est  destinée  à  l'enfance^  c'est-à-dire 
à  l'époque  de  la  vie  qui  pose  les  fondemens  de  tous  les  dé- 
veloppemens  futurs ,  à  celle  durant  laquelle  la  vie  morale  se 
déploie  dans  une  direction  déterminée ,  comme  la  vie  physi- 
que l'avait  fait  précédemment  au  sein  de  la  matrice.  La  mère 
donne  la  forme  humaine,  et  prépare  à  entrer  dans  la  vie  so- 
ciale ;  comme  son  rôle  ne  se  borne  pas  uniquement  à  allaiter, 
et  qu'elle  doit  en  outre  surveiller  (§  528,  5°) ,  elle  procure 
les  premières  intuitions  et  donné  l'éveil  aux  premières  idées. 
Par  ses  soins ,  l'enfant  apprend  à  parler,  ce  qui  le  rend  pro- 
pre à  la  société ,  conformément  au  caractère  de  son  espèce  ; 
mais,  en  lui  procurant  cette  faculté,  elle  ne  le  lie  pas  seule- 
ment à  ^l'humanité  en  général,  elle  l'introduit  encore  dans 
un  cercle  particulier  de  l'espèce  humaine , puisque  c'est  la  lan- 
gue maternelle  qui  attache  l'homme  à  telle  ou  telle  nation,  à 
telle  ou  telle  époque.  Elle  agit  par  sympathie,  et  fait  naître  la 
sympathie  ;  en  développant  les  forces  de  l'âme  ;,  elle  leur  im- 
prime la  forme  extérieure  qui  constitue  les  mœurs,  et  en  fa- 
çonne l'essence  de  manière  à  leur  donner  le  caractère  de  la 
moralité.  Aussi ,  comme  la  part  qu'elle  prend  à  la  génération 
est  plus  grande  et  plus  immédiate,  reste-t- elle  unie  à  ses 
enfans  par  des  liens  plus  intimes ,  alors  même  que  l'âge  les  a 
fait  sortir  de  son  école.  La  fille  prête  de  bonne  heure  son  as- 
sistance à  sa  mère,  et  plus  tard  acquiert  en  elle  une  amie  qui 
la  dirige  ;  le  fils  trouve  dans  son  amour  un  contre-poids  de  la 
sévérité  paternelle  et  une  tendresse  toujours  prête  à  concilier 
le  besoin  d'indépendance  qu'il  éprouve  avec  celle  dont  jouit 
le  père  ;  s'il  lui  arrive ,  poussé  par  l'instinct,  de  se  soustraire 
à  l'influence  immédiate  de  sa  mère  ,  c'est  surtout  l'image  de 
celle-ci  qui  vient  s'offrir  à  lui  dans  les  chagrins  dont  son  âge 
mûr  peut  être  assailli ,  et  quel  que  soit  le  nombre  des  années 
accumulées  sur  sa  tête,  les  soins  maternels  sont  toujours 
prêts  à  l'entourer  dès  qu'il  en  éprouve  le  besoin.  Aussi  la 
première  éducation  n'a-t-elle  été  confiée  aux  hommes  chez 
aucun  peuple  ,  et  partout  on  a  laissé  la  plus  grande  part  aux 
mères.  Schubert  nous  apprend  que  le  Lapon  se  charge  de 


AGE  ADULTE.  IO7 

tous  les  détails  relatifs  à  la  cuisine  ,  afin  que  rien  ne  dérange 
la  femme  des  soins  qu'exigent  les  enfans.  A  Oimalachka,  les 
enfans  qu'un  homme  a  eu  de  différentes  femmes  ne  sont  point 
regardés  comme  frères  et  sœurs ,  et  peuvent  contracter  rara- 
riage  ensemble  (1).  C'est  la  condition  de  la  mère  qui  détermine 
celle  des  enfans ,  en  partie  chez  certains  peuples ,  en  totalité 
chez  d'aulres,  par  exemple  dans  la  Corée ,  oii  les  enfans  d'un 
homme  libre  et  d'une  femme  esclave  sont  esclaves  eux-mê- 
mes (2).  En  cas  de  divorce ,  la  mère  est  plus  favorisée  que  le 
père;  à  Siam,  par  exemple,  on  lui  accorde  le/premier,  le 
troisième,  le  cinquième  enfant,  de  sorte  que  l'avantage  se 
trouve  toujours  de  son  côté ,  soit  qu'il  n'y  ait  qu'un  seul  en- 
fant, soit  qu'il  en  existe  plusieurs,  en  nombre  impair  (3). 

7°  Le  père,  qui  n'avait  eu  que  de  l'influence  sur  l'éducation 
de  l'enfant ,  se  charge  en  entier  de  celle  du  jeune  garçon ,  et 
prend  part  à  celle  de  la  jeune  fille.  C'est  à  l'école  paternelle , 
qu'on  peut  appeler  aussi  école  élémentaire ,  que  se  puisent 
les  connaissances  et  les  aptitudes  qui  sont  les  conditions  gé- 
nérales de  l'activité  humaine. 

8°  Mais,  tandis  que  les  parens  accomplissent  l'éducation  de 
famille ,  les  frères  et  sœurs  y  prennent  part  aussi ,  et  la  so- 
ciété établie  entre  eux  les  prépare  aux  rapports  qu'ils  doi- 
vent avoir  plus  tard  avec  les  autres  hommes.  Les  plus  jeunes 
trouvent  dans  leurs  aînés  des  appuis  auxquels  ils  s'accrochent  ; 
l'influence  que  ceux-ci  exercent  leur  donne  à  eux-mêmes  une 
conscience  plus  nette  de  leurs  propres  forces  ;  les  uns  et  les 
autres  s'animent  et  s'excitent  mutuellement,  sous  le  rapport  de 
l'esprit  comme  sous  celui  du  caractère ,  en  vertu  de  la  sym- 
pathie qui  existe  entre  eux. 

Déjà  les  animaux  nous  ofl'rentdes  exemples  de  soins  frater- 
nels qui  sont  les  précurseurs  de  l'amour  et  de  la  vocation  fu- 
ture. Du  jour  même  qu'elles  sortent  de  la  chrysalide,  les 
Fourmis  ouvrières  commencent  à  nourrir  celles  de  leurs 
sœurs  qui  sont  encore  à  l'état  de  larve.  Les  petits  du  Chara- 


(1)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  VIII,  p.  177. 
(2)IMd.,  t.  IX,  p.  25. 

(%\    ThiA     f    XT    n    l'}. 


(3)  /6î(f.,t.  XI,  p.  72, 


108  AGE  ADtlTE. 

drius  chhropiis  sont  abandonnés  au  bout  de  trois  semaines 
par  leurs  parens ,  mais^  ils  se  joignent  plus  tard  à  ceux  qui 
naissent  de  la  couvée  suivante ,  qu'ils  aident  à  se  nourrir  et 
auxquels  ils  procurent  des  insectes  (1). 

9°  Les  animaux ,  pour  nous  arrêter  encore  un  instant  à  ce 
qui  les  concerne  ,  conduisent  peu  à  peu  leurs  petits  hors  du 
nid  et  dans  le  lieu  où  ils  doivent  vivre  désormais.  Partout 
les  jeunes  n'abandonnent  d'abord  le  nid  que  pour  un  laps  de 
temps  fort  court;  plusieurs  Echassiers  ,  Gallinacés  et  Palmi- 
pèdes ,  de  même  que  quelques  Passereaux,  commencent  par 
courir  avant  d'être  aptes  à  voler.  D'autres,  notamment  les 
Rapaces ,  les  Coraces  et  la  plupart  des  Passereaux ,  restent 
dans  le  nid  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  acquis  l'aptitude  à  voler,  le 
quittent  alors,  mais  y  reviennent  le  soir,  tant  que  leurs  parens 
leur  fournissent  de  la  nourriture.  Les  Renards ,  les  Blaireaux, 
les  Ours,  etc.,  quand  leurs  petits  ont  acquis  un  mois  environ, 
que  le  temps  est  beau  ,  et  qu'il  n'y  a  pas  d'ennemis  à  crain- 
dre ,  les  font  sortir  de  leurs  terriers  ou  tannières ,  pour  goû- 
ter le  soleil  et  jouer,  puis  leur  font  faire  peu  à  peu  des  courses 
plus  étendues.  De  même ,  quand  le  soleil  brille ,  l'Opossum 
fait  sortir  les  siens  de  sa  poche,  et  les  déshabitue  peu  à  peu 
d'y  rentrer.  Quelques  Oiseaux  palmipèdes  ,  par  exemple  les 
Poules  d'eau  et  les  Pingouins  ,  qui  ont  couvé  sur  les  bords 
de  l'eau  douce ,  y  mènent  leurs  petits  peu  après  l'éclosion  ; 
d'autres  les  conduisent  assez  tard  à  l'eau ,  surtout  quand  il 
s'agit  de  la  mer.  Le  Colymbus  arcticus  prend  le  sien  dans  son 
bec ,  lorsqu'il  a  acquis  l'âge  de  trois  semaines ,  et  le  descend 
ainsi  des  rochers  dans  la  mer  ;  l'Eider  y  porte  les  siens  sur 
son  dos ,  et  le  Canard  sauvage  ,  qui  se  niche  sur  un  arbre , 
les  emporte  dans  son  bec,  ou  les  précipite  du  nid  dans  l'eau. 
L'Alligator  va  chercher  ses  petits  quand  ils  sont  éclos,  et  les 
mène  au  fleuve.  Les  Phoques  gagnent  aussi  la  mer  avec  les 
leurs ,  quand  ils  ont  assez  de  force  pour  nager. 

Nous  reconnaissons  dans  ces  penchans  instinctifs  le  proto- 
type des  actions  volontaires  par  lesquelles  l'homme  est  intro- 
duit dans  le  monde.  La  jeunesse  est  l'âge  pendant  lequel  il  se 

(1)  Bechstein,  Naturgeschichte  Beutschlands,  t,  IV,  p.  498. 


AGE  ADULTE.  iog 

forme  lui-même ,  mais  sous  la  direction  d'autrui  ;  où  les 
facultés  supérieures  de  l'âme  se  développent  eu  lui ,  dans  le 
même  temps  qu'il  acquiert  l'aptitude  du  citoyen  à  exercer 
telle  ou  telle  profession  ;  où  il  reçoit  spontanément  les  leçons 
du  présent  et  du  passé ,  et  où  il  cherche  à  créer  lui-même 
quelque  chose.  La  part  des  parens  à  l'éducation  diminue  peu 
à  peu,  dans  la  même  proportion  que  le  monde  mûrit  les  forces 
du  jeune  homme ,  en  vertu  de  son  harmonie  avec  la  vie  in- 
térieure. De  même,  leur  surveillance  immédiate  cesse  à  la 
puberté ,  et  leur  rôle  se  réduit  désormais  à  donner  des  con- 
seils ,  à  procurer  des  appuis ,  à  faire  des  vœux  de  réussite  et 
de  bonheur. 

10°  Chez  aucun  animal  je  pacte  de  famille  ne  dure  aussi  long- 
temps que  dans  notre  espèce  (  §  515, 14°,  15°)  ;  l'étendue  et  la 
prolongation  de  la  dépendance  de  l'homme  le  mûrissent  pour  la 
vraie  liberté,  il  n'est  pas  jusqu'à  la  sphère  purement  plastique 
dans  laquelle  oa  reconnaît  qu'une  longue  cohabitation  mène  à 
un  plus  grand  développement  delà  vie.  Nulle  substance  excré- 
mentitielle  ne  demeure  aussi  long-temps  en  contact  avec  l'or- 
ganisme vivant  que  celle  qui  est  destinée  à  la  génération  ,  et 
ce  contact  dure  d'autant  plus  long-temps,  que  la  vie  animale 
de  l'espèce  occupe  un  rang  plus  élevé.  Nulle  part ,  on  ne 
trouve  de  si  longs  vaisseaux  et  des  espaces  aussi  bien  clos 
pour  le  produit  sécrétoire ,  que  dans  le  système  génital  et 
notamment  dans  celui  de  l'homme  :  les  nombreuses  circonvo- 
lutions .des  artères  spermatiques  et  des  conduits  déférens 
annoncent  un  retour  continuel  sur  soi-même  et  une  sorte  de 
répugnance  à  arriver  au  dehors  ;  la  substance  destinée  à  la 
reproduction  est  bien  plus  enchaînée  encore  chez  la  femme , 
puisqu'il  y  a,  dans  chaque  vésicule  de  l'ovaire,  une  sécrétion 
qui  ne  se  forme  qu'une  seule  fois  pendant  le  cours  de  la  vie, 
et  qui  a  besoin  d'environ  vingt  années  pour  atteindre  au  terme 
de  sa  maturité. 

III.  La  participation  des  parens  au  développement  progres- 
sif des  enfans  s'exprime  par  l'usage  adopté  chez  presque  tous 
les  peuples  de  célébrer  le  passage  d'une  époque  à  une  autre. 

11°  Presque  partout  une  fête  salue  le  nouveau-né ,  comme 
homme  et  comme  membre  de  la  cité.  L'Indien  du  Brésil  porte 


i  10  AGE  ADULTE. 

au  bout  de  quelque  temps  son  enfant  au  magicien,  afin  qu'il 
le  fumige  avec  une  espèce  de  tabac ,  cérémonie  à  l'occasion 
de  laquelle  les  voisins  se  réunissent  pour  boire   et   dan- 
ser; la  seule  autre  solennité  qu'il  connaisse  est  relative  à 
la  mort  des  siens  (1).  La  plupart  du  temps,  cette  fête  se  ra- 
tache  à  l'imposition  du  nom ,  qui  est  une  reconnaissance  de 
l'individualité  et  de  droits  dans  la  cité.  Ainsi ,  chez  les  Nègres, 
on  célèbre  par  des  processions  et  des  prières  le  jour  qui  voit 
donner  un  nom  au  nouveau-né  (2)  Chez  les  peuples  tatares , 
le  prêtre  marmote ,  au  septième  jour,  une  prière  dans  l'o- 
reille de  l'enfant,  et  lui  impose  son  propre  nom  (3).  Chez  les 
Hindous ,  le  bramine  frotte  d'huile  la  tête  du  père  et  de  l'en- 
fant ,  et  celui-ci  reçoit ,  dix  jours  après ,  le  nom  qu'il  doit 
porter  (4).  Chez  les  Coucis ,  cette  cérémonie  s'accompagne  du 
sacrifice  d'un  Cochon,  de  festins,  de  chants  et  de  danses  (5). 
A  la  Chine ,  l'enfant  reçoit  son  nom  lorsqu'il  est  âgé  d'un 
mois.  A  la  baie  d'Hudson  ,  on  donne  aux  garçons  un  nom  de 
lieu ,  de  saison  ou  d'animal ,  et  aux  filles  celui  surtout  d'une 
partie  du  corps  de  la  Marte  ou  d'une  variété  de  cet  ani- 
mal (6).  Chez  les  anciens  Mexicains  ,  la  sage-femme  asper- 
geait d'eau  la  tête ,  la  poitrine  et  la  bouche  du  nouveau-né , 
en  priant  les  dieux  de  le  délivrer  des  impuretés  contractées 
dans  le  sein  maternel ,  de  purifier  son  cœur,  et  de  lui  procu- 
rer une  vie  heureuse  :  au  bout  de  cinq  jours ,  on  répétait  cette 
cérémonie,  et  alors  l'enfant  recevait  son  nom  (7). 

Parmi  les  Israélites ,  on  circoncisait  les  garçons  huit  jours 
après  leur  naissance.  Cette  coutume  avait  pour  but  de  distin- 
guer leur  race  de  toutes  les  autres,  à  l'aide  d'un  caractère 
permanent.  Nous  la  retrouvons  dans  les  contrées  les  plus  di- 
verses. Mais ,  par  cela  même  qu'elle  est  destinée  à  établir  une 


(i)  Spix  etMaviius,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  SSl. 

(2)  Demeuiiier,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  165. 

(3)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  122. 

(4)  i6jrf.,t.  XII,  p.  278. 

(5)  IHd  ,\.  XT,  p,  23!. 

(6)  Heaine,  loc  cit.,  p.  G6. 

0)  Aiileiifielii,  (Jeher  don  UripraïKj  der  Beschieidunij,  p,  60, 


AGE  ADULTE.  î  i  \ 

distinction ,  elle  -n'existe  tantôt  que  chez  certains  peuples , 
tantôt  que  parmi  certaines  castes  d'une  nation.  Son  origine  re- 
monte incontestablement,  soit  à  l'époque  où  régnait  encore 
l'usage  de  marcher  sans  vêtemens,  soit  à  celle  où  les  hommes 
étaient  'dominés  par  le  penchant  à  se  défigurer  de  mille  ma- 
nières diverses  ;  car  l'usage ,  consacré  chez  les  Egyptiens  et 
les  Israélites ,  de  circoncir  les  enfans  avec  une  pierre  tran- 
chante ,  annonçait  bien  que  la  coutume  elle-même  datait  d'un 
temps  où  l'on  ne  savait  point  encore  se  servir  du  fer  (1).  Ce- 
pendant la  distinction  a  fort  bien  pu,  chez  divers  peuples  et  à 
certaines  époques,  être  consacrée  à  des  vues  spéciales  et  mise 
en  rapport  avec  des  idées  particulières.  Autenrieih  a  démon- 
tré (2)  que,  chez  les  Egyptiens,  les  Abyssiniens  et  autres  peu- 
plesjla  circoncision  avait  son  but  d'utilité  en  temps  de  guerre; 
d'un  côté ,  ces  peuples  coupaient  les  parties  génitales  aux 
vaincus ,  et  les  rapportaient  avec  eux  ,  pour  prouver  qu'ils 
avaient  eu  à  vaincre  les  hommes  aptes  à  combattre  d'une 
nation  incirconcise;  de  l'autre,  la  circoncision  ^servait  à 
leur  faire  reconnaître  les  cadavres  de  leurs  compatriotes  sur 
le  champ  de  bataille.  Quant  aux  prêtres  égyptiens,  soit  qu'ils 
eussent  emprunté  cette  coutume  à  la  caste  des  guerriers , 
soit  qu'eux-mêmes  l'eussent  introduite ,  ils  la  regardaient 
comme  un  moyen  d'apaiser  la  divinité  en  lui  sacrifiant  une 
partie  de  son  corps ,  et  de  lui  plaire  en  assurant  la  propreté 
du  membre  viril ,  symbole ,  à  leurs  yeux ,  de  la  faculté  pro- 
créatrice. L'intention  de  prévenir  l'accumulation  du  produit 
sébacé  autour  de  la  couronne  du  gland ,  ne  pouvait  jouer  là 
qu'un  rôle  fort  secondaire.  Pendant  les  relations  qu'ils  entre- 
tinrent avec  les  Egyptiens ,  les  Israélites  leur  empruntèrent 
l'usage  de  la  circoncision,  afin  de  se  procurer  le  degré  de  con- 
sidération dont  celle-ci  faisait  jouir  en  Egypte  les  castes  supé- 
rieures. Cependant  l'habiiude  qu'ils  avaient  de  se  regarder 
comme  un  peuple  saint ,  fit  que  le  signe  national  perdit  peu  à 
peu  son  caractère  purement  poîiéque,  et  en  prit  un  religieux, 
qu'il  conserve  chez  les  Juifs  et  les  Musulmans ,  mais  dont  on 


0)  Loc.  cit.,  p.'46. 
(2)  Loc,  cit.,\).  3?, 


1  1  2  AGE  ADULTE. 

ne  voit  point  de  traces  chez  les  autres  nations,  Aujour- 
d'hui encore  la  circoncision  se  retrouve  en  partie  chez  les 
Abyssiniens  (  Ethiopiens  des  anciens  )  et  chez  les  Coptes 
(  descendans  des  Egyptiens  ) ,  quoiqu'ils  professent  depuis 
long-temps  le  christianisme  (1).  Cette  coutume  règne  aussi 
parmi  les  Cafres ,  chez  plusieurs  peuplades  nègres  des  côtes 
occidentales  d'Afrique  (2) ,  à  Madagascar,  dans  la  péninsule 
de  lucatan  au  Mexique ,  dans  l'Amérique  méridionale ,  parmi 
les  Salivas  et  les  habitans  des  bords  de  l'Orénoque  et  de  la 
province  d'Apuré ,  dans  la  mer  du  Sud ,  aux  îles  Fidji  et 
Marquises ,  à  Otahiti ,  à  Nukahiwa  et  chez  un  peuple  de  la 
Nouvelle-Hollande  (3).  Chez  la  nation  péruvienne  des  Panos , 
on  ne  circoncit  que  les  filles ,  ce  qui ,  dans  le  royaume  de 
Bénin ,  a  lieu  huit  jours  après  la  naissance  (4). 

12°  Les  Hindous  donnent  une  fête  à  l'époque  à  laquelle 
l'enfant,  parvenu  au  sixième  mois,  reçoit  la  première  nour- 
riture solide,  qui  consiste  en  du  riz  cuit  au  lait  (5).  Les  Israé- 
lites céléBraient  le  sevrage  par  des  sacrifices  et  des  repas ,  les 
Spartiates  par  des  sacrifices  à  Diane  Corythaliie  ,  les  Romains 
par  des  prières  à  Eduse  et  à  Poutine  (6). 

13°  On  pratique  la  circoncision  à  sept  ans  aux  Maldives  (7), 
de  six  à  quinze  ans  chez  lesTatares  (8),  de  sept  à  treize  chez 
les  Turcs,  les  Persans  et  quelques  peuples  d'Afrique.  Les 
Mahométans  l'accompagnent  de  la  lecture  d'un  passage  du 
Coran ,  et  c'est  alors  seulement  qu'ils  imposent  un  nom  aux 
garçons.  Les  Chinois  en  donnent  également  un  nouveau  à 
leurs  garçons  au  moment  où  commence  l'éducation  propre- 
ment dite  (9). 

14°  Dans  l'antiquité,  on  sacrifiait  sa  première  barbe  aux 


(1)  Loc.  cit.,  p.  d2-19. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  38. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  20-38. 

(4)  Zimniermann,  loc.  cit.,  t.  lH,  p.  107. 

(5)  Ihid.,  t.  XII,  p.  278. 

(6)  Fiank,  loc.  cit.,  t.  Il,  p.  370. 

(7)  Zimniermann,  loc  cit.,  t.  XIII,  p.  27. 
(8)7ô*U,t.  VIII,  pi.  II,  p.  122. 

(9)  Demeunier,  loc.lcit.,  1. 1,  p.  161. 


ACE  ADULTE.  U5 

dieux,  et  les  anciens  chrétiens  la  consaciaient  à  un  saint. 
Les  sauvages  des  bords  de  l'Amazone  fêlent  la  puberté  des 
filles,  comme  celle  des  garçons  (1),  et  les  Macouanis  du  Bré- 
sil ne  célèbrent  d'autre  époque  de  la  vie  que  la  puberté  des 
femmes ,  en  l'honneur  de  laquelle  ils  exécutent  des  danses 
nocturnes  (2).  A  la  Guyane,  cette  époque  est  l'occasion  de  nom- 
breuses cérémonies ,  après  la  fin  desquelles  on  fait  mordre 
la  jeune  fille  par  des  fourmis.  A  Amboine  ,  après  qu'elle  s'est 
préparée  par  la  retraite  et  le  jeûne,  les  femmes  la  lavent  dans 
un  fleuve ,  la  parent  ensuite,  et  la  conduisent  à  une  grande 
fête,  qui  dure  plusieurs  jours  (3).  Chez  les  Hottentots,  lors- 
qu'elle atteint  l'âge  de  dix-huit  ans,  elle  acquiert  la  permis- 
sion de  converser  avec  les  hommes  faits  ;  on  la  déclare  nubile 
par  un  discours  solennel,  et  on  la  consacre  en  l'arrosant  d'u- 
rine (4). 

15"  Chez  plusieurs  peuples  d'Amérique,  les  jeunes  gens 
sont  obligés  de  subir  des  épreuves  assez  rudes  pour  être 
admis  parmi  les  hommes  (5). 

G.   Fécondité. 

§  581.  1»  La  fécondité  a  une  durée  différente  chez  les  ani- 
maux. Elle  se  prolonge  jusqu'à  huit  ans  chez  les  Canards  et 
douze  chez  les  Oies ,  jusqu'à  sept  chez  les  Chèvres ,  neuf  à 
onze  chez  les  Chattes,  les  Martes  et  les  Renards,  douze  chez 
les  Brebis,  quinze  chez  les  Chiennes,  vingt  chez  les  Jumens , 
et  près  de  trente  chez  les  Anesses  (6).  La  femme  cesse  ordi- 
nairement d'être  féconde  de  quarante-cinq  à  cinquante  ans. 
Les  exceptions  à  cette  règle  sont  rares.  Dans  le  pays  de  Wur- 
temberg ,  on  a  compté  une  femme  de  quarante-cinq  ans  sur 
soixante-six  accouchées,  et  une  seulement  de  cinquante  sur 
cinq  mille  cinq  cents  (7;.  Une  proportion  analogue  découle  de 

(1)  Spix  et  Martius,  loc  cit.,  1. 1,  p.  382. 
(2)iizd.,p.  492. 

(3)  Demeuniev,  1. 1,  p.  43. 

(4)  Ihid.,  p.  179. 

(5)  Zimmeiniann,  loc.  cit..,  t.  V,  p.  230. 

(6)  Sniellie,  Philosophie  der  Naturgeschichte,  t.  II,  p.  19-23. 

(7)  Riccke,  Beitrœija  sur  'lohvrtshvelflichen  Topoi/raphie^p.  42, 

V.  -  .^ 


l  l4  AGE  ADULTE. 

seize  années  des  tables  de  population  de  la  Suède ,  embras- 
sant plus  d'un  million  et  demi  de  naissances ,  et  qui  nous  ap- 
prennent, en  outre,  que,  dans  cette  contrée  ,  la  plus  grande 
fécondité  des  femmes  a  lieu  entre  les  âges  de  trente  ettrente- 
cinqans,  savoir  : 


Proportion  de  celles 

Proportion 

Age  des  femmes. 

qui  ont  accouché. 

sur  1000. 

de  15  à  20  ans 

1  sur 

40,  8 

33 

de  20  à  25 

1  sur 

7,  8 

165 

de  25  à  30 

i  sur 

4,  6 

263 

de  30  à  35 

1  sur 

4,  3 

256 

de  35  à  40 

1  sur 

5,  4 

181 

de  40  à  45 

1  sur 

10,  6 

85 

de  45  à  50 

Isur 

46,  5 

17 

au  dessus  de  50 

Isur 

1776,  0 

0,4 

Chez  les  peuples  polygames ,  qui  n'attachent  aucune  im- 
portance morale  au  mariage  ,  l'homme  ,  qui  conserve  plus 
long-temps  la  faculté  procréatrice ,  rompt  ses  liens  avec  la 
femme  devenue  inféconde.  Chez  les  Ostiaques  ,  celle  qui  est 
parvenue  à  quarante  ans ,  ne  s'occupe  plus  que  des  affaires 
du  ménage,  et  doit  servir  la  femme  moins  âgée  qu'elle.  Chez 
les  nègres  de  Juida ,  elle  est  menée  au  marché  (1). 

S**  Comme  la  femme  demeure  féconde  pendant  environ 
vingt-cinq  ans,  et  qu'une  grossesse  ,  avec  l'allaitement  qui 
s'ensuit,  dure  dix-huit  mois  ,  elle  peut  mettre  au  monde  seize 
enfans.  Les  exemples  ne  sont  même  pas  rares  de  femmes 
qui ,  soit  parce  qu'elles  étaient  restées  fécondes  plus  long- 
temps ,  soit  surtout  parce  que  plusieurs  de  leurs  grossesses 
avaietft  été  multiples,  ont  eu  vingt-quatre  enfans  et  plus 
(§  267)  dans  le  cours  d'un  mariage  (2).  Cependant  la  fécon- 
dité est  en  général  plus  limitée  (§  266),  Hédin  (3)  donne  une 
listede  quelque  centaines  de  femmes  de  Suède,  d'après  laquelle 
on  voit  que  sur  100, 11  ont  été  stériles,  IJO  ont  eu  un  enfant, 

(4)  Denieunier,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  91. 
(2)  Haller,  Elein.  phjsiolog.,  t.  VIII,  p.  460. 

(3) Neue  Jhha7idluncien  dcr  schioedûchen  Akademie  der  Wissenschaf- 
ten,  t,  XI,  p.  70. 


AGE   ADULTE.  Il5 

11  deux,  5.4  trois,  10  quatre,  10  cinq ,  11  six,  9  sept,  7  huit, 
3  neuf,  3  dix,  0,6  onze,  0,2  treize  et  0,2  seize. 

La  différence  entre  les  opinions  populaires  relativement  à 
la  fécondité  extraordinaire  de  certaines  femmes  se  manifeste 
même  chez  des  nations  très-rapprochées  les  unes  des  autres. 
Ainsi  à  Bénin  un  accouchement  double  est  considéré  comme 
un  présage  heureux  et  célébré  par  des  réjouissances  publiques, 
tandis  qu'à  Ardra  on  n'y  voit  qu'une  preuve  d'adultère. 

3"  La  faculté  procréatrice,  comme  toutes  les  autres  ,  s'ac- 
croît jusqu'à  un  certain  point  par  l'exercice  :  aussi  ses  pre- 
miers produits  n'ont-ils  pas  d'ordinaire  ,  surtout  en  ce  qui 
concerne  le  sexe  féminin,  le  degré  de  perfection  qu'ils  ac- 
quièrent plus  tard.  Les  animaux  sont  moins  féconds  dans  les 
premiers  temps  (§  206,  10°);  les  jeunes  Oiseaux  pondent 
moins  d'œufs  que  les  vieux. Les  œufs  de  la  première  ponte  sont 
plus  petits;  les  premiers  petits  d'une  Chienne  ne  deviennent  pas 
aussi  gros  que  ceux  qu'elle  met  ensuite  au  monde,  et  ceux 
de  la  Vache  ne  s'élèvent  pas  bien.  Les  produits  les^plus  vi- 
goureux sont  ceux  qui  correspondent  au  milieu  de'îa  vie  pro- 
créatrice.  Ainsi ,  par  exemple ,  les  meilleurs  Agneaux  pro- 
viennent des  Brebis  de  quatre  et  de  cinq  ans.  On  remarque 
aussi,  dans  l'espèce  humaine ,  que  les  premiers  nés  sont  fré- 
quemment d'une  constitution  plus  frêle  et  plus  délicate.  Le 
premier  accouchement  a  ordinairement  lieu  avant  l'expiration 
complète  de  la  grossesse ,  de  sorte  qu'il  est  rendu  plus  facile 
par  le  volume  moins  considérable  de  l'enfant.  Les  primipares 
n'ont  pas  autant  de  lait  que  les  femmes  déjà  mères  de  plu- 
sieurs enfans.  On  observe  également ,  chez  les  Chèvres  em- 
ployées à  allaiter  les  enfans ,   que  la  sécrétion  du  lait  est 
moins  abondante  et  dure  moins  long-temps  après  la  première 
mise-bas  qu'après  celles  qui  viennent  ensuite.  Enfin  quelque 
chose  manque  au  premier  né,  car  il  n'a  pas  de  frères  (çai  puis- 
sent jouer  avec  lui ,  et  ses  parens  n'ont  point  enoùrè  acquis 
d'expérience  dans  l'éducation.  Ceux-ci  ne  s'en  attaghent  ordi- 
nairementque  plus  à  lui ,  et  c'est  surtout  dans  le  cœur  df^ià  mère 
qu'il  occupe  une  large  place,  quoique  le  dernier  venuipM  dis- 
pute souvent  aussi.  La  plupart  des  peuples  admeitenl:-îe  droit 
de  primogéniture  ;  mais,  chez  les  Frisons  et  piusieur-s  nations 


Il6  AGE    ADULTE. 

germaniques,  le  plus  jeune  fils  devenait  le  chef  de  la  famille. 
4°  Quand  la  faculté  procréatrice  diminue  chez  les  Oiseaux, 
ils  pondent  des  œufs  en  moins  grand  nombre  et  fort  petits  (1). 
Chez  les  femmes  qui  avancent  en  âge,  le  lait  devient  moins 
abondant  et  moins  nourrissant  ;  chez  quelques  unes ,  dont  les 
seins  sont  peu  développés,  il  diminue  à  chaque  accouchement, 
et  disparaît  presque  entièrement  à  la  quatrième  ou  à  la  cin- 
quième grossesse.  Nasse(2)  a  remarqué  que  les  derniers  enfans, 
comme  les  premiers  ,  présentent  quelquefois  des  difformités 
dont  sont  exempts  ceux  qui  sont  procréés  vers  le  milieude  l'épo- 
que durant  laquelle  la  mère  a  couservé  sa  fécondité.  On  voit 
fréquemment  les  enfans  mis  au  monde  par  des  femmes  âgées 
se  distinguer  plutôt  par  le  sérieux  de  leur  caractère  et  la  per- 
tinacité  de  leur  esprit  que  par  l'imagination  et   la    pétulance 
de  leurs  semblables.  Suivant  les  observations  de  Riecke  (3),  la 
mortalité  est  moins  grande  parmi  les  enfans  des  femmes  qui 
se  sont  adonnées  tard  à  la  procréation ,  parce  que  leurs  ger- 
mes ont  été:  plus  mûris  ,  tandis  qu'elle  est  plus  considérable 
alors  chez '"les  femmes  elles-mêmes,  à  la  suite  de  l'accouche- 
ment, parce^  que  les  organes  génitaux  ont  déjà  perdu  une 
partie  de  leur  souplesse  et  de  leur  flexibilité. 

V.  Influence  du  mariage  sur  les  individus. 

§  582.  Jetons  encore  un  coup  d'œil  sur  l'union  coujugale, 
considérée  d'une  manière  générale. 

I.  Elle  est  le  moyen  naturel  d'arriver  au  développement 
complet  des  individus. 

1°  Le  mariage  n'est  point  seulement  une  société  en  général, 
c'est  une  cohabitation  des  deux  sexes  et  des  divers  âges  de  la 
vie.  Or  l'humanité  s'y  produisant  sous  ses  formes  variées  ,  les 
membres  de  l'association  gagnent  par  rapporta  l'étendue  des 
vues,  ai^  défaut  de  prévention ,  à  la  fidélité  aux  lois  de  la  na- 
ture. Lésofraits  dominans  du  caractère  du  célibataire  sont 
l'étroite^edes  vues ,  l'entêtement  et  la  bizarrerie. 

(1)  Fàb6*r,  Ueberdas  Lehen  der  Fœgel^  p.  174.  —  Nauuiann,  Naturgc- 
schichte^e'r  Fœyel  Deutschlands^  t.  I,  p.  109. 

(2)  Denpches  ArcMv  der  Physiologie,  1. 1,  p.  640. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  11. 


AGE    ADULTE.  1  I>J 

2"  Le  mariage  est ,  en  outre  ,  une  association  organique , 
dans  laquelle  chaque  membre  a  son  propre  droit,  et  où  tous 
poursuivent  un  but  commun.  L'égoisme  y  est  réfréné  par  l'in- 
térêt général ,  et  la  tendance  idéale  s'y  trouve  reportée  vers 
un  cercle  déterminé  de  la  réalité.  Le  mariage  fait  naître  le 
sentiment  du  droit  et  de  l'équité ,  il  apprend  à  se  soumettre 
volontairement  au  joug  de  loi ,  et  à  s'intéresser  au  bonheur 
de  tous ,  en  même  temps  qu'il  empêche  l'esprit  de  s'égarer  à 
la  contemplation  d'un  horizon  sans  Bornes  et  de  se  consumer 
en  rêveries  oisives. 

3°  L'union  conjugale  fait  naître  le  goût  des  enfans,  car  elle 
est  elle-même  une  répétition  de  la  vie  enfantine  ;  la  femme 
soigne  son  mari  comme  le  ferait  une  mère,  et  le  mari  la  di- 
rige, la  protège ,  la  nourrit ,  comme  s'il  était  son  père.  En  se 
donnant  mutuellement  les  noms  de  père  et  de  mère ,  les  vieux 
époux  expriment  la  cordialité  de  leur  union.  C'est  ainsi  que  le 
mariage  attache  à  la  vie  par  l'amour  ;  la  plupart  de  ceux  qui 
tranchent  leurs  jours  par  dégoût  de  la  vie,  sont  des  célibataires. 

4°  Le  mariage  met  en  jeu  toutes  les  forces ,  et  oblige  à  l'ac- 
tivité ;  en  faisant  varier  sans  cesse  les  circonstances ,  il  ne 
laisse  pas  un  moment  d'inaction  à  l'esprit.  L'uniformité  de  la 
vie  des  célibataires  fait  qu'en  général  ils  n'atteignent  point 
un  âge  si  avancé  que  les  personnes  mariées  (1). 

5°  Enfin  le  mariage  prévient  la  débauche  ;  il  modère  la  vio- 
lence du  penchant  par  la  facilité  de  le  satisfaire,  garantit  des 
excès  auxquels  entraîne  le  renouvellement  continuel  des  stimu- 
lations exercées  sur  les  sens,  et  ménage  les  forces  pendant  les 
momens  où  la  femme  ne  peut  point  se  livrer  à  l'acte  vénérien. 

IL  La  vie  de  famille  a  été  considérée  comme  une  chose 
sainte  chez  tous  les  peuples ,  en  proportion  de  leur  moralité. 

6°  Si  la  copulation ,  cet  acte  qui  procure  la  plus  grande  des 
voluptés  et  met  en  rapport  intime  avec  la  force  créatrice  de 
la  nature ,  s'enveloppe  d'un  voile  mystérieux,  dont  l'homme 
ne  la  dépouille  que  quand  il  est  descendu  au  dernier  degré 
d'abrutissement,  plusieurs  peuples  ont  pensé  que,  par  cela 

(1)  Hufeland ,  la  Macrobiotique,  ou  l'Art  de  prolonger  la  vie  de  Thomme, 
Paris,  4838,  p.  123.  —  J.-L.  Casper,  De  l'influence  du  mariage  sur  la 
durée  de  la  vie  humaine  (  Ann.  d'hygiène,  t.  XIV,  p.  22S.  ) 


!l8  '  AGE  ADULTE. 

seul  qu'elle  mettait  les  sens  en  émoi ,  elle  était  incompatible 
avec  l'adoration  de  la  divinité  et  avec  toutes  les  entreprises 
pour  lesquelles  ont  réclamait  la  bénédiction  céleste ,  en  un 
mot  qu'elle  rendait  impure.  Les  Égyptiens  et  les  Israélites  ne 
pouvaient  s'y  livrer  dans  les  grandes  fêtes ,  et  elle  est  encore 
aujourd'hui  interdite  aux  Japonais  pendant  leurs  pèlerinages. 
Les  Israélites  et  les  Romains  ne  la  permettaient  point  aux 
prêtres  qui  avaient  une  cérémonie  religieuse  à  remplir ,  et  la 
même  chose  à  lieu  de  nos  jours  encore  chez  les  Mahomélans. 
Les  Babyloniens ,  les  Arabes  et  les  Grecs  faisaient  une  loi  de 
s'en  abstenir  avant  les  sacrifices.  Les  Assyriens  se  croyaient 
aussi  souillés  par  elle  que  par  l'attouchement  d'un  cadavre. 
Plusieurs  sauvages  d'Amérique  ne  peuvent  point  rendre  visite 
aux  blessés  le  jour  oii  ils  ont  eu  commerce  avec  leurs  femmes, 
et  ils  vivent  dans  la  continence  trois  jours  avant  et  après  cha- 
cune de  leurs  expéditions  guerrières  (1). 

7°  La  copulation  extra-matrimoniale  illimitée  produit  moins 
d'enfans  (  §  267,  2");  parmi  ceux  qui  en  proviennent,  il  y  en 
a  moins  qui  naissent  vivans  (  §  496, 17  ■  ),  et  moins  aussi  qui 
conservent  la  vie  après  être  venus  au  monde  (§  523,  4o)  ;  ceux 
enfin  qui  survivent  perdent  les  bienfaits  de  l'éducation  par 
la  moralité  et  l'amour.  Aussi  les  états  dans  lesquels  on  a  au- 
torisé la  prostitution ,  afin  de  mettre  les  femmes  et  les  vierges 
à  l'abri  de  la  séduction ,  ont-ils  plus  ou  moins  frappé  les  filles 
publiques  de  déshonneur  (2).  A  Rome,  elles  payaient  des  im- 
pôts ,  elles  ne  pouvaient  appartenir  à  l'ordre  équestre ,  et  elles 
n'obtenaient  point  de  sépulture  honorable  ;  on  punissait  aussi 
quelquefois  les  adultères  en  les  reléguant  dans  des  maisons  de 
prostitution  (3). 

III.  La  renonciation  aux  joies  du  mariage 

8°  A  son  fondement  naturel  dans  le  manque  de  nourriture 
et  de  sûreté ,  ou  dans  des  infirmités  de  corps  et  d'âme. 

La  castration ,  ou  l'amputation  du  membre  viril ,  ou  toutes 

(1)  Frank,  loc  cit.,  1. 1,  p.  144-155. 

(2)  Sabatier,  Histoire  de  la  législation  sur  les  femmes  publiques,  Paris, 
1830,  in-8.  —  J.-B,  Parent-Duchatelet ,  De  la  prostitutution  dans  la  ville 
de  Paris  ,  deuxième  édit.,  Paris ,  1837. 

(3)i6»d.,t.  II,  p.27. 


AGE    ADULTE.  HQ 

deux  à  la  fois,  ont  été  pratiquées  pour  rendre  inaptes  à  la  co- 
pulation les  hommes  qu'on  voulait  préposer  à  la  garde  des 
femmes.  Les  Orientaux ,  les  Égyptiens  et  les  Perses  y  condam- 
naient ceux  qui  se  rendaient  coupables  de  viol.  Des  femmes 
jalouses  et  vindicatives  ont  employé  ce  moyen  pour  se  venger 
d'époux  infidèles.  Il  a  servi  aussi  pour  empêclier  la  propa- 
gation ,  car  une  loi  de  Sémiramis  prescrivait  de  châtrer  les 
hommes  faibles ,  afin  qu'ils  ne  pussent  pas  perpétuer  leur 
race  débile.  La  castration  a  eu  pour  but  également  de  pro- 
curer des  chanteurs  habiles ,  coutume  qui ,  bien  que  prohibée 
en  Italie  par  les  papes,  y  a  été  fort  répandue  jusqu'à  l'occupa- 
tion des  Français.  Enfin  elle  a  été  jadis  consacrée  par  les  er- 
reurs des  médecins ,  qui ,  dans  certaines  contrées ,  châtraient 
les  hommes  pour  les  guérir  de  la  lèpre  ,  de  l'éléphantiasis  et 
de  la  goutte  ;  au  quinzième  et  au  seizième  siècle  on  extir- 
pait les  testicules  dans  la  hernie  scrotale  ,  et  cette  pratique 
a  été  suivie  par  quelques  chirurgiens  herniaires  jusqu'au  com- 
mencement du  dix-huitième  siècle. 

9°  On  a  vu  quelquefois  des  hommes  d'état  et  des  savans  re- 
noncer à  l'amour,  et,  cédant  à  une  impulsion  supérieure,  n'a- 
gir dans  les  intérêts  de  l'espèce  que  par  les  créations  de  leur 
intelligence.  Mais  le  fanatisme  religieux  a  été  plus  fréquem- 
ment la  cause  de  cette  abstinence,  au  moyen  de  laquelle  on 
s'imaginait  devenir  agréable  à  la  divinité  et  acquérir  des 
droits  à  la  vénération  des  hommes.  Les  prêtres  de  Cybèle  se 
châtraient  pour  servir  dignement  leur  déesse.  Les  prêtres  de 
l'Egypte  et  les  hiérophantes  d'Athènes  vivaient  dans  le  cé- 
libat. Les  prêtres  des  Kalmouks,  comme  aussi  ceux  d'Aragan, 
du  Pégu  et  de  Ceylan,  fontvœu  de  chasteté.  A  Athènes,  il  exis- 
tait un  collège  de  prêtresses  ayant  fait  le  même  vœu  :  Rome 
avait  ses  vestales  ;  il  y  a  beaucoup  de  couvens  des  deux  sexes  à 
la  Chine  et  au  Japon.  Origène  se  mutila  pour  résister  aux  tenta- 
tions ,  et  la  secte  des  Valériens  imita  son  exemple  au  troi- 
sième siècle.  Les  Priscilliens ,  les  Cathares  et  quelques  au- 
tres sectaires  chrétiens,  enseignèrent,  depuis  le  quatrième 
siècle  jusqu'au  douzième ,  que  le  mariage,  était  une  chose 
criminelle  et  diabolique  (1). 

(1)  Frank,  hc,  cit.,  1. 1,  p.  161, 


129  AGE    ADULTE, 

10°  Au  contraire ,  les  célibataires  ne  pouvaient  point  pren- 
dre part  aux  assemblées  du  peuple  chezjles  Israélites;  les  Spar- 
tiates les  avaient  exclus  du  droit  de  revêtir  aucune  charge  et 
de  paraître  au  théâtre  ;  les  Romains  leur  interdisaient  celui 
de  rendre  témoignage  et  d'exercer  certaines  magistratures  (1), 
En  Allemagne ,  leur  succession  revenait  jadis  à  l'état,  et  dans 
les  villes  impériales,  de  même  qu'en  Suisse,  ils  étaient  ex- 
clus des  fonctions  publiques.  Dans  le  Maryland,  on  frappa  sur 
eux  un  impôt  particulier  (2),  et  les  Chinois,  ainsi  que  les  Hin- 
dous, regardent  comme  une  honte  de  ne  point  se  marier  (3). 
Les  Hindous  pensent  que  l'âme  d'un  bramine  qui  est  demeuré 
célibataire  est  obligée ,  en  punition  ,  d'errer  sur  la  terre  jus- 
qu'à ce  qu'elle  soit  rachetée  (4).  Pour  détourner  ce  malheur, 
les  Persans ,  les  Chinois ,  et  quelques  peuplades  tatares  mar- 
naient les  enfans  morts ,  avant  de  les  mettre  en  terre  (5). 

L'inaptitude  à  procréer  a  même  été  quelquefois  considérée 
comme  un  état  de  réprobation.  Ainsi ,  les  castrats  ne  pou- 
vaient entrer  dans  le  temple ,  chez  les  Israélites ,  et  les  canons 
de  l'église  catholique  leur  interdisent  le  sacerdoce  (6). 

11°  L'abstinence  complète  des  plaisirs  vénériens  nuit  plus 
à  l'organisme  entier  chez  la  femme  que  chez  l'homme  (7). 
Nous  en  avons  déjà  la  preuve  parmi  les  animaux.  Suivant 
Thaer,  les  jeunes  Vaches  auxquelles  on  refuse  les  approches 
du  mâle  ,  lorsqu'elles  entrent  en  chaleur,  maigrissent  et  ne 
croissent  plus ,  ou  engraissent  et  deviennent  stériles.  Duméril 
assure  (8)  que  la  même  cause  frappe  de  stérilité  les  femelles 
des  Gallinacés,  des  Faisans  surtout,  qu'elle  rend  leur  plumage 
et  leur  voix  semblables  à  ceux  des  mâles,  et  qu'elle  leur 
inspire  le  courage  de  se  battre  avec  ces  derniers.  Les  femmes 

(1)  Demeunier,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  443. 

(2)  Frank,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  195-201. 

(3)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  Xlï,  p.  18. 

(4)  Haufner,  Reise  lœngs  der  Kueste  Orixa  tmd  Koromandel ,  t.  I , 
p.  30. 

(5)  Demeunier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  153. 

(6)  Frank;  loc.  cit.,  1. 1,  p.  159. 
O)  Ihid.,  t.l,  p.  118-135. 

(8)  Dict.  des  se.  méd.,  t.  VI,  p.  376. 


AGE   ADULTE.  121 

non  mariées  sont  .fréquemment  atteintes  de  désordres  des  rè- 
gles ,  de  chlorose  et  d'écoulemens  muqueux  ;  elles  ont  une 
grande  propension  à  la  mélancolie  ,  et  sont  sujettes  à  succom- 
ber sous  les  atteintes  de  quelque  maladie  grave  ;  mais  leur 
santé  se  maintient  lorsqu'elles  s'occupent  l'esprit  et  qu'elles 
trouvent  à  se  satisfaire  dans  une  sphère  d'action  en  harmonie 
avec  leurs  facultés. 

L'instinct  sexuel  est  plus  puissant  et  plus  impérieux  chez  cer- 
tains animaux  que  chez  d'autres.  Les  mâles  des  Bouvreuils,  des 
Sansonnets,  des  Perroquets,  etc.,  tombent  en  épilepsie  quand 
on  les  sépare  de  îa  femelle  à  laquelle  ils  étaient  habitués. 
Les  Sansonnets  qui  voient  une  femelle  sans  pouvoir  s'appro- 
procher  d'elle  ,  chantent  jusqu'à  ce  qu'ils  deviennent  épilep- 
tiques.  Les  Furets  meurent  quand  on  ne  leur  permet  pas  de 
s'accoupler.  On  rencontre  aussi  parfois,  dans  l'espèce  hu- 
maine, des  individus  chez  lesquels  un  état  morbide  a  tellement 
exalté  l'instinct  sexuel,  que  la  continence  produit,  chez  les 
hommes,  la  rougeur,  la  tuméfaction  et  l'endolorissement  du 
scrotum ,  des  érections  continuelles ,  et  une  tension  doulou- 
reuse dans  le  cordon  spermatique  et  les  vésicules  séminales , 
sans  compter,  surtout  chez  les  sujets  qui  ont  une  imagination 
vive ,  les  phénomènes  moraux  les  plus  extraordinaires,  et  enfin 
la  rage  du  satyriasis.  Ainsi,  un  jeune  ecclésiastique,  rigide 
observateur  de  ses  vœux,  et  dont  des  lectures  ascétiques 
avaient  achevé  de  troubler  l'imagination  ,  tomba  dans  la  mé- 
lancolie, prit  en  horreur  les  hommes  et  lui-même,  et  entra 
plus  d'une  fois  dans  des  accès  de  fureur  ;  après  avoir  suspendu 
l'effet  d'une  pollution  nocturne ,  il  eut  des  visions  de  femmes 
entourées  d'une  auréole  électrique  :  bientôt  il  se  crut  possédé 
du  diable,  puis  il  s'imagina  être  Achille,  Alexandre,  Henri  IV; 
enfin  il  crut  avoir  vaincu  et  pacifié  le  monde ,  voulut  faire 
fleurir  les  arts  et  la  paix ,  et  vit  se  développer  en  lui  des  talens 
nouveaux  pour  la  peinture ,  la  poésie  et  la  musique  ;  ses  sens 
furent  aussi  portés  à  un  degré  excessif  de  délicatesse  et  de 
sensibilité  ;  il  ne  recouvra  la  santé  que  par  l'accomplisse- 
ment de  l'acte  vénérien  ,  qui  mit  aussi  un  terme  à  ses  talens 
acquis  {1). 

(1>  Voy.  Dict.  de  méd.  et  de  chir.  prat.,  art.  Satyriasis,  t.  XIV,  p.  517. 


122  VIEILIESSE. 

il  est  plus  commun  encore  de  voir,  chez  les  femmes ,  la 
mélancolie  et  la  fureur  naître  de  désirs  non  satisfaits.  Esquirol 
rapporte ,  entre  autres  (1) ,  le  cas  d'une  fille  de  dix-neuf  ans, 
atteinte  de  spasmes  hystériques ,  qui  s'enfuit  un  jour  de  la 
maison  maternelle ,  exerça  pendant  dix  mois  le  métier  de  fille 
publique,  eut  deux  fausses  couches  pendant  ce  laps  de  temps, 
et  rentra  ensuite  chez  ses  parens  ;  s'étant  mariée  depuis ,  elle 
devint  parfaitement  rangée. 

Section   quatrième. 

DE  l'âge  avancé. 

§  583.  La  seconde  moitié  de  la  vie  à  maturité  diffère  de  la 
première ,  c'est-à-dire  du  moyen  âoje  (  §  559  ) ,  en  ce  que  les 
diverses  forces  cessent  d'être  en  équilibre  parfait  les  unes  avec 
les  autres  ;  l'activité  du  dedans  au  dehors  diminue ,  et  les  rap- 
ports avec  l'espèce  deviennent  plus  indirects.  Comme  la  géné- 
ration joue  un  rôle  des  plus  essentiels  dans  la  destination  de  la 
vie,  nous  désignerons  cette  période  sous  le  nom  de  grand  âge , 
c'est-à-dire  d'époque  de  la  vie  à  laquelle  l'homme  voit  se  déve- 
lopper, dans  ses  petits-fils,  une  seconde  génération  de  sa  race. 

CHAPITRE   PREMIER. 

De  l'âge  de  refour. 

La  première  portion  de  cette  période  est  appelée  âge  de 
retour  (senectiis  prima  s.  cruda).  Elle  commence  pendant 
la  seconde  moitié  du  cinquième  dixenaire  ;  car,  lorsque  les 
mariages  ont  été  conclus  au  moment  fixé  par  la  nature  , 
c'est-à-dire  à  vingt-quatre  ans  pour  l'homme  et  vingt-et-un 
pour  la  femme ,  et  que  les  enfans  se  marient  au  même  âge  , 
les  époux  se  trouvent  alors  aïeux ,  puisque  le  mari  reçoit  un 
petit  -fils  de  sa  fille ,  et  l'épouse  un  autre  de  son  fils.  Vers  la 
même  époque  ,  la  faculté  procréatrice  s'éteint  chez  la  femme, 
et  commence  à  diminuer  chez  l'homme.  Quelque  fraîcheur 
aussi  que  puissent  avoir  conservée  les  forces,  on  aperçoit  ce 
pendant  déjà  des  traces  plus  ou  moins  prononcées  d'extinction 
de  la  faculté  d'agir  au  dehors.  La  fin  de  cette  période  corres- 

(1)  Dès  maladies  mentales ,  Paris ,  1837  ,  2  vol.  in-8. 


VIEILLESSE.  1 23 

pond  à  la  soixante-et-dixième  année.  A  la  vérité,  quelques 
physiologistes  ont  considéré  le  septième  dixenaire  comme  un 
âge  particulier  de  la  vie,  et  lui  ont  même  imposé  des  noms  spé- 
ciaux, Fischer  (1),  par  exemple,  celui  d'âge  avancé  (senium)^ 
et  Liîcae  (2)  celui  d'âge  de  débihtation  ;  mais  il  présente  trop 
peu  de  caractères  tranchés  pour  qu'on  puisse  en  faire  une  pé- 
riode à  part. 

1°  La  menstruation ,  qui  est  l'expression  de  la  faculté  pro- 
créatrice chez  la  femme ,  s'éteint  vers  la  fin  de  la  quarantième 
année.  On  prétend  qu'elle  cesse  d'autant  plus  tôt,  qu'elle  s'est 
établie  de  meilleure  heure  (3)  ;  mais  lorsqu'elle  a  paru  d'une 
manière  précoce ,  parce  qu'il  y  avait  prédominance  de  la 
sexualité ,  elle  dure  aussi  plus  long-temps  ,  tandis  que ,  dans 
le  cas  de  sexualité  moins  parfaite  ,  elle  commence  plus  lard  et 
cesse  de  meilleure  heure  (4).  Les  femmes  de  cinquante  ans 
sont  regardées  comme  stériles,  de  sorte  que  l'homme  n'est 
plus  admis  alors  à  intenter  d'action  contre  elles  à  ce  sujet; 
cependant  il  n'est  pas  fort  rare  d'en  voir  qui  accouchent  heu- 
reusement à  soixante  ans  (5)  ;  Rush  ,  entre  autres  (6) ,  parle 
d'une  centenaire  qui  avait  eu  son  dernier  enfant  à  cet  âge  et 
conservé  ses  règles  jusqu'à  quatre-vingts  ans. 

La  diminution  de  la  vitalité  de  la  matrice  s'annonce  d'abord 
par  un  changement  dans  le  type  de  la  menstruation ,  qui  de- 
vient irrégulière  ;  l'écoulement ,  tantôt  fort  abondant ,  et  tantôt 
très-rare ,  dure  une  fois  huit  jours ,  puis  une  autre  fois  vingt- 
quatre  heures  seulement ,  et  revient  à  une  époque  au  bout  de 
quinze  jours,  à  une  autre  après  plusieurs  mois  seulement. 
Mais ,  en  général ,  il  s'affaiblit  de  plus  en  plus.  Lorsqu'il  cesse 
d'une  manière  soudaine ,  la  femme  ressent  de  vives  douleurs 
dans  la  matrice. 

2°  Quand  le  reste  de  la  vie  n'est  point  encore  en  harmo- 

(1)  Ahhandlung  von  dem  hohen  Alter  des  Menschen,  p.  1, 

(2)  Grundriss  der  Entwickelu7i(jsgeschichte  des  menschlichen  Kœr- 
pers ,  p.  250. 

(3)  Haller,  Elem.  physiol.,  t.  VU,  pi.  II,  p.  440. 

(4)  Mende,  Handhuchder  gericMlichen  Medicin,i.  IV,  p.  410. 

(5)  Hallev,  loc.  cit.,  t.  VII,  pi.  II,  p.  142.  —  Mende,  loc.  cit.,  X.  IV, 
p.  411. 

(,6)  Sammhmg  auserlesener  Abhandlungen,  t.  XVII,  p.  115. 


124  VIEILLESSE, 

nie"ayec  cet  état ,  il  résulte  de  là  des  affections  générales  de 
l'organisme  ;  tantôt  c'est  le  système  sanguin  qui  se  trouve 
surtout  atteint,  et  Ton  voit  paraître  la  pléthore,  des  ébullitions 
de  sang  ,  des  congestions ,  des  inflammations ,  des  hémorrha- 
gies  ;  tantôt  c'est  le  système  de  la  sensibilité  qui  souffre  de 
préférence,  et  des  symptômes  d'hystérie  se  manifestent.  Les 
congestions  se  portent  ici  vers  la  tête  ,  là  vers  la  poitrine  , 
ailleurs  vers  les  vaisseaux  hémorrhoidaires  ;  il  survient  tantôt 
des  difficultés  de  respirer  et  tantôt  des  dérangemens  de  la  di- 
gestion ;  en  un  mot,  les  accidens  varient  suivant  la  constitu- 
tion et  la  prédisposition  à  telle  ou  telle  maladie.  Lorsque  la 
cessation  de  la  menstruation  est  en  désaccord  avec  la  vie  des 
organes  génitaux,  par  conséquent  lorsqu'elle  dépend  ou  de 
rabstinence  du  coït ,  ou  de  l'affaiblissement  de  la  faculté  pro- 
créatrice, mais  chez  une  femme  que  la  fréquence  de  la  copula- 
tion continue  encore  d'exciter  avec  trop  de  force,  on  voit  fré- 
quemment se  développer  des  dégénérescences  dans  les  or- 
ganes de  la  génération  ,  [des  pseudomorphoses  dans  les  ovai- 
res ,  des  stéatomes ,  des  polypes  et  des  squirrhes  dans  la 
matrice,  des  squirrhosités  dans  les  mamelles. 

Quoique  chaque  médecin  soit  à  même  d'apprécier,  dans  sa 
sphère  d'action  ,  combien  la  fréquence  des  maladies  plus  ou 
moins  dangereuses  est  grande  à  cette  époque,  cependant  elle 
n'accroît  point ,  en  général ,  la  mortalité  d'une  manière  sen- 
sible. Benoiston  de  Châteauneuf  (1)  a  trouvé  ,  en  comparant 
les  listes  de  mortalité ,  que  ,  chez  les  femmes  de  trente  à 
soixante  ans,  celle-ci  ne  croît  qu'en  proportion  de  l'âge  ,  et 
que  depuis  l'âge  surtout  de  quarante  ans  jusqu'à  celui  de  cin- 
quante ,  il  meurt  la  plupart  du  temps  plus  d'hommes  que  de 
femmes.  Nous  ne  pouvons  expliquer  un  résultat  si  extraordi- 
naire qu'en  admettant  que ,  dans  tous  les  cas  oii  la  conver- 
sion s'effectue  sans  obstacle,  la  vie  résiste  aussi  avec  d'au- 
tant plus  de  puissance  aux  autres  causes  occasionelles  de 
maladie. 

3°  Chez  l'homme,  la  retraite  de  la  faculté  procréatrice  est 

(1)  Mémoire  sur  la  mortalité  des  femmes  de  quarante  à  cinquante  ans , 
p.  3. 


VIEILLESSE.  12^ 

moins  liée  encore  à  une  époque  déterminée  ,  et  elle  ne  s'ac- 
compagne point  d'accidens ,  attendu  qu'en  lui  la  génération 
est  plutôt  une  fonction  isolée  que  l'expression  totale  de  la 
vie.  En  général ,  la  faculté  d'engendrer  diminue  à  cinquante 
ans,  et  elle  est  éteinte  après  la  soixantième  année  ;  la  forma- 
tion du  sperme  s'effectue  avec  un  peu  plus  de  lenteur ,  le 
sperme  lui-même  devient  plus  liquide,  les  désirs  se  font  sen- 
tir moins  fréquemment,  l'acte  perd  son  caractère  enivrant  de 
volupté  ,  et  il  n'est  plus  suivi  du  sentiment  particulier  d'épui- 
sement qu'il  entraînait  par  le  passé,  de  sorte  qu'il  n'y  a  plus 
que  des  excitations  insolites  qui  rendent  la  procréation  pos- 
sible. 

4°  Après  l'extinction  de  la  faculté  procréatrice  ,  les  orga- 
nes n'ont  point  encore  subi  de  changement  notable ,  il  y  a 
encore  pouvoir  et  désir  de  rapprochement ,  et  les  rapports 
entre  les  époux  demeurent  pendant  quelque  temps  les  mêmes 
sous  le  point  de  vue  matériel.  Mais  peu  à  peu  la  turgescence 
diminue  chez  les  deux  sexes,  et  l'acte  vénérien,  qui  est  plutôt 
provoqué  par  l'imagination  ou  par  des  stimulations  extérieures 
que  par  un  sentiment  intime  de  force  surabondante,  produit 
chez  l'homme  un  épuisement  plus  prononcé  et  qui  dure  plus 
long-temps. 

§  584.  A  mesure  que  la  faculté  procréatrice  s'éteint ,  la  vie 
individuelle  se  dessine  par  des  traits  plus  prononcés ,  et  de- 
vient plus  massive.  L'organisme  individuel ,  saisi  en  quelque 
sorte  du  pressentiment  de  sa  prochaine  dissolution^  embrasse 
le  monde  extérieur  avec  une  sorte  d'avidité,  s'y  accroche  de 
tout  son  pouvoir,  et  acquiert  une  fermeté  dont  il  est  redeva- 
ble à  l'accroissement  de  sa  densité  et  de  son  volume. 

1°  Quand  l'appétit  vénérien  diminue ,  la  sensualité  se  con- 
centre davantage  dans  la  langue.  Il  résulte  delà  un  besoin 
d'alimens  plus  abondans,  plus  consistans,  plus  épicés,  et  de 
boissons  plus  actives  ,  qui  mène  fréquemment  à  la  gourman- 
dise ou  même  à  la  gloutonnerie.  La  digestion  est  puissante  , 
la  bile  acre  et  abondante  ,  et  comme ,  en  même  temps ,  l'in- 
dividu fait  moins  usage  de  ses  forces ,  il  tombe  dans  un  état 
pléthorique,  annoncé  par  la  coloration  plus  foncée  de  la  peau 
et  par  la  plénitude  du  pouls  ,  qui  acquiert  aussi  plus  de  len- 


126'  VIEILLESSE. 

teur.  Le  sang  s'accumule  surtout  dans  les  organes  du  bas- 
ventre  ;  les  maladies  du  système  de  la  veine  porte,  du  foie  et 
de  la  rate  deviennent  fréquentes,  et  cet  âge  de  la  vie  est  celui 
où  l'on  rencontre  le  plus  d'états  atrabilaires ,  d'inflamma- 
tions érysipélateuses  ,  d'hémorrhoides  et  d'engorgemens  ou 
d'obstructions.  Mais,  à  soixante  ans,  la  pléthore  sanguine  di- 
minue. 

2°  La  diminution  de  la  faculté  jirocréatrice  permet  à  la 
graisse  de  se  produire  en  plus  grande  quantité ,  spécialement 
dans  le  \ entre.  C'est  un  amas  de  substance  plastique  mis  en 
réserve  pour  les  derniers  temps  de  la  vie  ,  et  dont  la  forma- 
tion tient  à  l'antagonisme  de  polarité  qui  existe  entre  la  géné- 
ration et  la  production  de  la  graisse  (§  563,  1°,  2°). 

3°  De  même  que  l'homme  se  rapproche  Jusqu'à  un  certain 
point  du  caractère  féminin  par  la  formation  plus  abondante 
de  la  graisse  (§  181),  de  même  aussi  la  délicatesse  qui  si- 
gnalait la  femme  fait  place  à  une  rudesse  qui  se  rapproche  de 
celle  du  sexe  mascuHn.  La  femme  perd  ses  attraits  et  sa  taille 
élégante ,  et  quand  sa  santé  ne  souffre  point  de  la  cessation 
des  règles,  son  caractère  devient  à  la  fois  et  plus  ferme  et 
plus  prononcé  5  un  duvet  court ,  mou  et  incolore  ,  ombrage 
son  menton  et  sa  lèvre  supérieure  ,  mêlé  parfois  de  quelques 
poils  plus  longs  et  plus  raides  ;  assez  souvent  aussi  on  voit 
se  manifester  les  goûts  masculins  pour  une  nourriture  plus 
abondante  ,  plus  forte ,  plus  recherchée ,  et  même  pour  les 
liqueurs  spiritueuses.  Ces  traits  se  dessinent  plus  tard  chez 
les  femmes  qui  sont  demeurées  stériles ,  ou  dont  la  fécondité 
a  cessé  de  très-bonne  heure  ,  en  un  mot  chez  celles  dont  la 
faculté  procréatrice  ne  s'est  point  complètement  épuisée. 

Ce  passage  au  type  masculin  s'observe  aussi  chez  certaines 
femelles  d'animaux  ,  lorsqu'elles  avancent  en  âge.  Il  n'a  pas 
lieu  d'une  manière  générale,  mais  on  le  rencontre  fréquem- 
ment, surtout  parmi  les  Mammifères  ,  chez  les  Ruminans  ,  et 
parmi  les  Oiseaux  ,  chez  les  Gallinacés»  Kob  (1)  et  Mehlis 
surtout  en  ont  réuni  un  certain  nombre  d'exemples.  Mais  il 
peut  se  rapporter  : 

(1)  Diss.  de  viutatione  sexus,  p.  13-18. 


VIEILLESSE.  127 

a.  A  la  portion  périphérique  des  organes  génitaux.  Chez 
les  Poules ,  les  ovaires  deviennent  semblables  aux  canaux 
déférens ,  en  se  rétrécissant  et  se  resserrant  sur  eux-mê- 
mes (1). 

h.  Aux  poils  et  aux  plumes.  Les  Girafes  femelles  prennent 
avec  Fâge  la  couleur  qui  distingue  la  robe  des  mâles  ;  les 
Jumens  acquièrent  une  crinière  masculine  ,  la  Poule  faisane 
des  couleurs  vives  et  brillantes  ,  la  Cane  les  plumes  caudales 
recourbées  qui  distinguent  le  mâle. 

c.  Aux  parties  cornées  et  aux  organes  périphériques.  Il 
pousse  des  bois  aux  femelles  du  Cerf  et  du  Chevreuil  (2).  Les 
Poules  acquièrent  des  ergots,  des  crêtes  et  des  cravates. 

A  cette  habitude  extérieure  masculine  se  joignent  aussi  des 
penchans  analogues  à  ceux  des  mâles.  Les  Poules  chantent 
comme  de  jeunes  Coqs  (3),  et  s'il  leur  arrive  encore  quelque- 
fois de  pondre ,  elles  mangent  leurs  œufs  (4).  Les  Canes  et 
les  Poules  faisanes  cherchent  à  cocher  d'autres  femelles.  Elles 
excitent  aussi  l'animadversion  des  Coqs,  qui,  les  prenant  pour 
des  mâles,  se  mettent  à  les  poursuivre,  ainsi  que  l'a  observé 
Gœze  (5). 

Ces  phénomènes  nous  apprennent  qu'une  trop  grande 
propension  à  la  génération  s'est  opposée  à  ce  que  la  vie  fé- 
minine pût,  durant  les  premières  périodes ,  développer  com- 
plètement son  individualité,  et  surtout  s'exprimer  d'une 
manière  bien  prononcée  à  la  pliériphérie,  qui,  par  cela  même 
qu'elle  marque  la  délimitation ,  caractérise  plus  spécialement 
l'individu. 

4°  Mais  l'âge  de  retour  imprime  aussi  à  l'âme  humaine  un 
caractère  d'individualité  plus  tranché  ,  dont  l'accroissement 
du  plaisir  que  procurent  les  ahmens  (1°)  et  celui  de  la  forma- 
tion de  la  graisse  (2°)  sont  l'expression.  La  satisfaction  de  créer 
et  d'agir ,  qui  caractérisait  d'une  manière  particulière  le 

(1)  Spangenberg],  Disquisitis  circa  partes  génitales  fœmineas  avium , 
p.  42. 

(2)  Neiijahrsyeschenk  fuer  JagdUelhaher,  4794,  p.  2. 

(3)  Kob,  De  mutatione  sexus ,  p.  d3. 

(4)  Bechstein,  Naturgeschichte  DeutscJilands,  t.  III,  p.  300. 

(5)  Der  JSaiurforscher,  t.  XIV,  p.  20.  ' 


laÔ  VIEILLESSE. 

moyen  âge,  celui  de  l'aptilude  à  procréer,  est  troublée  main- 
tenant par  le  désir  de  voir  le  résultat  des  actions.  L'automne 
étant  arrivé,  on  sent  le  besoin  de  récolter,  on  veut  goûter  les 
fruits  de  ses  efforts  ,  et  les  mettre  en  réserve  pour  un  âge 
plus  avancé.  Celui-là  même  dont  la  vie  se  replie  le  plus  en 
dedans  ,  devient  alors  accessible  aux  passions  terrestres. 
C'est  l'âge  auquel  on  cherche  à  acquérir  de  l'influence  et  du 
pouvoir  hors  de  soi ,  le  moment  où  la  fortune,  le  crédit  et  les 
distinctions  flattent  le  plus  ,  celui  oii  la  coquetterie  des  fem- 
mes trouve  insuffisantes  les  parures  dont  le  bon  goût  seul  fait 
les  frais ,  et  appelle  à  son  secours  les  bijoux  précieux  ,  les 
étoffes  recherchées.  La  cupidité  ,  l'ambition  et  la  vanité  sont 
les  dégénérescences  de  cette  disposition  naturelle. 

50  Comme  les  mouvemens  n'ont  plus  autant  de  légèreté  et 
de  grâce,  qu'ils  deviennent  même  un  peu  lourds  et  embarras- 
sés, et  que  les  membres  sont  désormais  incapables  d'acqué- 
rir la  dextérité  qui  leur  avait  manqué  jusqu'alors,  l'âme  perd 
l'aptitude  à  se  ployer  aux  circonstances  dont  elle  n'a  point 
l'habitude ,  et  l'esprit  n'a  plus  assez  de  souplesse  pour  pou- 
voir se  placer  sous  de  nouveaux  points  de  vue  et  s'exercer 
dans  des  carrières  nouvelles.  C'est  l'époque  de  la  stabilité  , 
qui  traîne  à  la  suite  le  défaut  de  sympathie  pour  les  opinions 
et  les  mœurs  étrangères,  c'est-à-dire  l'intolérance  et  l'esprit 
de  persécution.  L'élan  de  l'imagination  est  comprimé  par  le 
poids  de  la  masse  ;  la  poésie  ne  réussit  plus  dans  un  sol  de- 
venu trop  gras ,  et  le  chant  s'éteint  dans  un  gosier  qui  n'a 
plus  de  flexibilité.  Pendant  le  moyen  âge  l'esprit  pouvait 
supporter  de  longs  efforts,  pourvu  qu'il  eût  la  liberté  de  va- 
rier sa  direction  ;  mais  maintenant  il  se  traîne  d'un  pas  uni- 
forme dans  l'ornière,  sans  avoir  toujours  assez  de  force  pour 
la  suivre  dès  qu'elle  se  prolonge  un  peu.  Avec  quelque  éner- 
gie même  qu'il  se  meuve  dans  son  cercle  habituel ,  on  voit 
cependant  percer  un  certain  penchant  à  prendre  ses  aises  , 
et  les  plaisirs  compatibles  avec  les  commodités  de  la  vie  sont 
préférés  à  tous  les  autres. 

Tels  sont  les  caractères  les  plus  essentiels  du  passage  à 
l'âge  de  retour,  qui  est  le  crépuscule  de  la  vie.  Comme  les 
changemens  qui  surviennent  alors  n'ont  lieu  que  peu  à  peu  , 


VIEILIESSE.  1 29 

et  qu'on  ne  les  trouve  complètement  développés  que  pen- 
dant la  vieillesse,  nous  les  exposerons  en  faisant  l'histoire  de 
cette  dernière. 

CHAPITRE  II. 

De   la  meillesse. 

§  585,  hix  vieillesse  y  qui  s'étend  depuis  la  fin  du  septième 
dixenaire  jusqu'à  la  mort,  est  caractérisée  par  la  qualité  de 
bisaïeul  ;  mais  l'âge  de  soixante-neuf  ans  est  l'époque  la  plus 
précoce  à  laquelle  l'homme  qui  s'est  marié  suivant  l'ordre  de 
la  nature,  puisse  devenir  bisaïeul,  quand  sa  fille  aînée  a 
commencé  aussi  par  avoir  une  fille,  et  la  femme  devenir 
également,  lorsque  son  fils  premier-né  a  d'abord  eu  une  fille  ; 
on  a  voulu  partager  cette  période  en  deux ,  appelées  tantôt 
grandœvitas  et  longœvitas  (1) ,  tantôt  caducité  et  décrépi' 
tilde  (2)  ;  mais  de  telles  distinctions  sont  plus  arbitraires  que 
fondées  dans  la  nature.  Plus  la  vie  avance ,  plus  elle  se  diver- 
sifie chez  les  individus ,  et  plus  il  devient  difficile  d'arriver, 
par  voie  d'abstraction,  à.  établir  le  caractère  essentiel  et  nor- 
mal de  ses  périodes.  Les  enfans  nouveau-nés  se  ressemblent 
presque  tous;  car,  à  peine  sortis  des  mains  de  la  nature  créa- 
trice ,  ils  ont  peu  d'individualité  encore ,  et  la  forme  normale 
de  leur  vie  peut  aisément  et  sûrement  être  distinguée  de 
toutes  les  formes  anormales  ;  mais ,  dans  l'âge  de  maturation 
et  dans  celui  de  maturité ,  la  nature  humaine  se  développe  de 
tous  côtés  ,  et  acquiert  des  formes  de  plus  en  plus  individua- 
lisées ,  de  sorte  que  ,  sur  le  déclin  de  la  vie ,  son  caractère  es- 
sentiel est  plus  difficile  à  reconnaître.  Les  cicatrices  des  bles- 
sures auxquelles  le  hasard  a  donné  lieu ,  les  mutilations  qui 
ont  été  produites  par  une  volonté  pervertie  ou  par  un  genre 
de  vie  contraire  à  la  nature  ,  les  ravages  que  les  maladies  et 
les  passions  ont  exercés ,  dénaturent  l'image  ;  tous  les  défauts 
acquis  pendant  les  périodes  précédentes  deviennent  plus  sail- 
lans ,  parce  qu'ils  sont  moins  dissimulés  par  une  activité  diri- 
gée au  dehors.  Si  l'on  doit  se  garder  d'aller  chercher  l'image 

(1)  Fischer,  AhJiandlung  von  dem  hohen  Alter  des  Menschen  ,  p.  4. 

(2)  Dict.  des  se.  méd.,  t.  LVIII,  p.  1.  , 

^'  9  . 


|50  VIEIEIESSE. 

de  Tenfant  dans  les  hospices  d'orphelins  ,  ou  celle  du  jeune 
homme  dans  les  casernes ,  il  ne  faut  pas  non  plus  prendre 
celle  du  vieillard  dans  les  hôpitaux ,  où  l'on  ne  trouve  que  des 
êtres  défigurés  par  les  efleisde  passions  égoïstes,  d'une  sensua- 
lité grossière ,  et  de  forces  mises  en  jeu  à  l'exclusion  des  au- 
tres (  1) .  Cependant  il  est  arrivé  plus  d'une  fois  qu'on  a  emprunté 
les  traits  du  tableau  de  la  vieillesse  à  des  êtres  énervés  et  mu- 
tilés, comme  le  prouvent  assez  les  assertions  des  auteurs  qui 
rangent  parmi  les  fa^)Iesses  de  cet  âge  des  défauts  opposés  et 
contradictoires ,  telles  que  TindifFérence  et  la  curiosité ,  la  cré- 
dulité et  la  défiance,  la  loquacité  et  la  taciturnité ,  la  timidité 
€t  l'intolérance ,  l'entêtement  et  la  versatilité  ,  la  dureté  et  la 
tendresse.  Pour  expliquer  ces  contradictions ,  il  faudrait  ad- 
mettre que  la  vieillesse ,  envisagée  d'une  manière  générale , 
est  la  période  des  défauts  5  et ,  en  effet,  on  l'a  peinte  comme 
une  faiblesse  générale,  comme  un  ensemble  de  négations , 
parce  qu'on  ne  faisait  attention  qu'aux  phénomènes  dont  les 
yeux  sont  frappés ,  parce  qu'on  n'attachait  d'importance  qu'à 
Faction  sur  les  choses  du  dehors ,  parce  qu'on  se  figurait  que 
la  masse  et  l'énergie  musculaire  sont  l'expression  de  la  force 
vitale.  Ce  qui  a  surtout  contribué  à  répandre  cette  manière  de 
voir,  c'est  qu'on  était  persuadé  que  la  vie  s'anéantit  au  mo- 
ment de  la  mort  ;  et  pour  démontrer  la  nécessité  de  cet  anéan- 
tissement,  on  considérait  la  vieillesse  comme  un  achemine- 
ment vers  le  néant ,  comme  une  négation  progressive  (decre- 
mentum  _,  decrepitudo).  On  voyait  donc  une  machine  usée  dans 
le  vieillard  ;  on  assignait ,  pour  caractère  essentiel  de  son  âge 
et  pour  cause  suffisante  de  sa  mort,  l'ossification  des  fibres  , 
rolilitération  des  vaisseaux ,  la  stase  et  la  dégénérescence  des 
liquides.  De  cette  fausse  manière  d'envisager  les  choses,  il 
s'ensuit  que  l'honorable  titre  de  vieillard  est  devenu  presque 
une  injure ,  et  que  l'homme  encore  vert  qui  célèbre  la  cin- 
quantième année  dé  son  indépendance  comme  citoyen  et 
comme  époux ,  repousse  ce  titre ,  que  constate  cependant  son 
jubilé.  En  prenant  le  marasme  sénile  pour  la  vieillesse ,  et  ran- 
geant celte  dernière  au  nombre  des  maladies ,  on  donnait  clai- 

(1)  Prus,  Recherches  sur  les  maladies  de  la  vieillesse  (  Bulletin  de  l'A- 
eadémie  royale  de  médecine  ,  t,  II ,  p.  445  et  QQL) 


VIEILLESSE.  l5l 

rement  à  connaîlre  qu'on  ne  se  faisait  point  une  idée  nette  de 
l'essence  de  la  maladie  ,  car  la  maladie  est  une  lutte  de  la  vie 
avec  elle-même ,  de  sorte  qu'elle  ne  peut  jamais  en  former  le 
caractère  essentiel,  ni  en  représenter  aucune  des  époques.  Ce 
n'est  ni  la  faiblesse,  ni  le  danger  de  mort  qui  constitue  la  ma- 
ladie ,  sans  quoi  l'enfance  serait  une  maladie  bien  plus  grave 
encore  que  la  vieillesse ,  puisque  l'enfant  à  la  mamelle  est  plus 
faible  que  le  vieillard ,  qu'il  meurt  un  individu  sur  quatre  dans 
le  cours  de  la  première  année ,  et  un  seulement  sur  cinq  à 
quatre-vingt-trois  ans ,  de  sorte  que  l'homme  qui  entre  dans 
sa  quatre-vingt-troisième  année  a  plus  de  chance  d'en  voir  la 
fin  que  l'enfant  qui  naît  d'arriver  au  terme  de  la  première  an- 
née. Tous  les  maux  qui  affligent  les  dernières  scènes  de  la  vie, 
notamment  le  marasme ,  se  voient  souvent  dès  son  printemps  , 
et  manquent  fréquemment  chez  les  hommes  mêmes  qui  par- 
viennent à  l'âge  le  plus  avancé  :  on  ne  peut  donc  point  les  con- 
sidérer comme  des  traits  essentiels  et  caractéristiques  de  la 
vieillesse. 

Jœrg  (1)  dit  que  l' affaiblissement  des  hautes  facultés  intel- 
lectuelles n'appartient  point  de  toute  nécessité  à  la  veillesse , 
et  qu'il  ne  constitue  qu'une  anomalie  par  rapport  à  elle. 
F. -A.  Carus  (2)  avouait  aussi  que  cette  époque  de  la  vie  est 
celle  qu'en  général  on  méconnaît  le  plus^  et  eu  égard  à  la- 
quelle on  se  montre  ie  plus  injuste  envers  la  nature  humaine  , 
en  la  peignant  sous  les  couleurs  d'une  débilité  expirante.  Mais 
Carus ,  qui  en  faisait  le  dernier  et  le  plus  élevé  des  degrés  de 
développement  de  la  vie ,  se  trouva  entraîné  par  là  à  voir  en 
elle,  sous  le  point  de  vue  anthropologique,  un  équilibre  de 
réaction  entre  le  corps  et  l'âme  ,  et,  sous  le  rapport  psycholo- 
gique ,  le  plus  grand  rapprochement  possible  de  l'idéal  de 
l'humanité.  Or  l'expérience  ne  nous  montre^  chez  les  vieil- 
lards ,  rien  moins  qu'un  équilibre  parfait  de  l'âme  et  du  corps, 
et  l'idéal  de  l'humanité  ne  saurait,  rigoureusement  parlant, 
s'offrir  à  nous  dans  aucun  temps  de  la  vie ,  ni  à  plus  forte  rai- 
son dans  le  cours  d'une  époque  pendant  laquelle  on  voit  bais- 

(1)  Der  Menscli  aufseinen  Entwickelungsshifen  geschildert ,  p.  428- 
452. 

(2)  Psychologie,  t.  II,  p.  80. 


l32  VIEILLESSE. 

ser  et  s'éteindre  des  facultés  qui ,   sanâ  brillei'  au  premier 
rang ,  n'en  font  pas  moins  partie  du  caractère  de  Thomme. 

Ritter  (1)  a  démontré  combien  peu  avaient  de  fondement  les 
opinions  qui  allaient  chercher  la  cause  matérielle  de  la  mort 
dans  la  vieillesse  ;  mais  il  a  été  trop  loin  en  regardant  cette 
dernière  comme  l'époque  de  la  vie  de  l'espèce ,  bien  loin  d'y 
voir  la  source  de  la  mort;  car  s'il  est  bien  certain  que  chaque 
époque  de  la  vie  renferme  la  raison  suffisante  du  développe- 
ment qui  arrive  ensuite ,'  la  cause  de  la  mort  doit  résider  aussi 
dans  l'âge  avancé.  Sans  doute  il  ne  faut  point  vouloir  expliquer 
la  mort  par  la  vieillesse ,  puisque  ce  serait  dériver  le  connu  de 
l'inconnu  ;  mais  une  notion  exacte  de  cette  période  de  la  vie 
doit  répandre  quelque  lumière  au  milieu  des  ténèbres  qui  en- 
veloppent la  mort.  Quant  à  ce  qui  concerne  l'activité  dans  l'in- 
térêt de  l'espèce ,  nous  ne  saurions  admettre  qu  elle  soit  pré- 
dominante et  caractéristique  chez  le  vieillard ,  qui  a  renoncé 
aux  affaires  de  la  vie  civile  ,  et  dont  les  descendans  forment 
des  familles  à  part. 

Si  nous  jetons  un  coup  d'œil  impartial  sur  le  dernier  seg- 
ment de  la  vie ,  si  nous  cherchons  à  saisir  ceux  des  caractè- 
res essentiels  et  généraux  de  cet  âge  qui  se  manifestent  par- 
tout conformément  à  la  marche  de  la  nature,  et  dont  l'exagé- 
ration donne  naissance  aux  maladies  qu'on  rencontre  alors  ^e 
préférence ,  la  vieillesse  nous  apparaît  comme  une  époque 
durant  laquelle  l'activité  périphérique  et  la  réaction  avec  le 
monde  extérieur  baissent,  pour  faire  place  à  l'activité  cen- 
trale ,  où  la  vie  commence  à  quitter  la  surface  pour  se  con- 
centrer dans  l'intérieur,  oii  enfin ,  pour  tout  exprimer  d'uR; 
seul  mot,  elle  se  replie  sur  elle-même. 

Article   i. 

De  la  vie  "végétatwe. 
I.  Constitution   matérielle. 

§  586.  Les  changemens  dans  la  substance  du  corps  qu'on 
aperçoit  chez  le  vieillard ,  et  qui  ont  été  si  bien  décrits  d'a- 

(1)  Diss.  de  naturali  organismi  humani  décrémente-,  Kiel;  18^9,  in-8. 


VIEILLESSE.  l53 

bord  par  Seîler  (1),  puis  par  Kœnig  (2),  sont  les  phénomènes 
de  l'âge,  et  n'en  sont  pas  les  causes.  Ils  sont  les  effets  du  chan- 
gement survenu  dans  la  direction  de  la  vie,  mais  ils  réagissent 
à  leur  tour  sur  cette  dernière  ,  et  fortifient  ainsi  le  caractère 
(de  la  vieillesse,  de  même  que  tout  phénomène  vital  quelcon- 
que se  manifeste  à  nous  comme  continuation  de  la  cause  qui 
l'a  produit.  Expression  matérielle  d'un  état  intérieur  de  la  vie, 
ces  changemens  n'ont  point  lieu  chez  tous  les  vieillards  ,  ou 
du  moins  ne  sont  pas  développés  chez  tous  au  même  degré. 
J'ai  disséqué  des  cadavres  de  septuagénaires  qui  ne  présen- 
taient aucune  trace  de  rigidité  ou  d'ossification  insolite ,  et  il 
est  digne  de  remarque  que  les  corps  des  individus  qui  parvien- 
nent à  un  âge  fort  avancé ,  sont  précisément  ceux  à  l'ouver- 
ture desquels  on  aperçoit  le  moins  de  ces  sortes  d'altérations. 
Ainsi  Timm  n'a  trouvé  rien  de  morbide  chez  un  homme  de 
quatre-vingt-quatorze  ans ,  à  l'exception  d'une  adhérence  des 
poumons  et  d'un  caillot  de  sang  polypiforme.  Scheuchzer(3), 
ouvrant  le  cadavre  d'un  homme  de  cent  neuf  ans,  qui  avait  en- 
core procréé  à  quatre-vingt-treize  ans,  ne  remarqua  que  quel- 
ques plaques  cartilagineuses  dans  la  capsule  de  la  rate,  l'ossi- 
fication des  cartilages  costaux  et  l'ampliation  du  cœur  et  de 
l'aorte  descendante.  Le  corps  du  fameux  Thomas  Parre,  qui 
cultivait  son  champ  à  cent  trente  ans,  qui  dix  années  plus  tard 
pouvait  encore  accomplir  l'acte  vénérien,  et  qui  ne  succomba  * 
qu'à  l'âge  de  cent  cinquante-deux  ans,  n'offrit  rien  d'anor- 
mal à  Harvey  (4)  ;  les  muscles  étaient  bien  prononcés ,  la 
graisse  abondante ,  les  viscères  sains  ,  et  les  cartilages 
exempts  d'ossification. 

D'un  autre  côté ,  ces  changemens  ne  sont  point  exclusive- 
ment propres  aux  vieillards  ;  on  ne  les  rencontre  chez  eux 
que  de  préférence  à  tout  autre  âge,  ce  qui  ne  les  empêche  ce- 
pendant pas  d'être  caractéristiques. 

I.  Comme ,  en  général ,  l'activité  périphérique  baisse,  l'ex- 
pansion diminue  aussi  dans  quelques  unes  de  ses  directions  , 

(1)  Eeil,  Jrchiv,  t.  VI,  p.  l-i6. 

(2)  Nasse,  ZeiUchrift  fuer  psychische  Aerste,  1824,  cah.  IV,  p.  406-450. 

(3)  Philos,  Trans.^  1723,  p.  313. 

(4)  Philos.  Trans.,  1669,  p.  887. 


1 34  VIEILLESSE. 

et  l'on  voit  prédominer  la  contraction ,  qui  exprime  la  ten- 
dance à  s'isoler  ,  la  propension  de  l'existence  à  se  retirer  en 
elle-même,  et  le  défaut  de  réceptivité  pour  les  impressions 
du  dehors. 

1°  L'humidité  diminue,  et  il  s'établit  une  certaine  rigidité 
de  la  fibre,  qui  devient  plus  dense,  plus  sèche  et  "cassante. 
Il  a  été  prétendu  fort  souvent ,  et  naguères  encore  par  Pie- 
nitz  (1),  que  cette  rigidité  était  la  cause  de  la  diminution  de 
la  vie  physique  et  morale,  qu'on  ne  devait  l'attribuer  qu'à  la 
longue  durée  de  l'action  des  fibres  et  à  la  fréquence  de  leurs 
contractions ,  enfin  que  c'était  elle  qui  amenait  la  mort.  Mais 
alors  la  faiblesse  senile  devrait  survenird'autant  plus  tardive- 
ment que  le  sujet  se  serait  moins  livré  aux  efforts  musculaires, 
et  qu'il  aurait  été  moins  exposé  aux  causes  capables  d'amener 
la  rigidité  de  la  fibre  ;  cependant  c'est  précisément  chez  les 
hommes  qui  mènent  la  vie  la  plus  active  au  physique  qu'on 
observe  le  moins  cette  dernière  ,  et,  d'après  les  observations 
de  Rush  (2),  elle  ne  se  manifeste  de  bonne  heure  que  dans  le 
cas  de  travaux  rudes  accompagnés  d'une  nourriture  végétale 
ou  peu  abondante,  laquelle  ne  l'occasione  point  par  elle-même. 
La  rigidité  n'est  point  non  plus  la  cause  essentielle  de  la  mort. 
Déjà  Haller  convenait  que  la  force  musculaire  peut  s'éteindre 
sans  que  les  fibres  des  muscles  deviennent  raides,  ni  dures,  et 
'  les  animaux  aquatiques,  qui  restent  toujours  mous,  n'en  vieil- 
lissent pas  moins  ,  comme  le  fait  remarquer  Virey  (3).  Dans 
les  plantes  annuelles  ,  et  chez  les  Insectes ,  qui  périssent  peu 
de  temps  après  avoir  accompli  la  génération ,  la  mort  arrive 
immédiatement  après  l'époque  de  la  plus  haute  vitalité  ,  et 
avant  qu'il  puisse  s'opérer  ni  dessiccation  ni  raidissement.  Les 
arbres  dont  le  bois  est  mou  ne  vivent  pas  aussi  long-temps 
que  ceux  qui  ont  un  bois  plus  dur ,  et  Vrolik  (4)  a  fait  voir 
que  la  chute  des  feuilles  ne  tient  point  à  ce  qu'elles  se  sont 


(1)  Diss.   animi  functionum  imbecillitate  senili  e  corpore  solo  deri- 
vando  ,  p.  15. 

(2)  Samvilung  auserlesener  Ahhandlungen  ^  t.  XVII,  p.  124. 

(3)  Dict.  des  se.  médic,  t.  XXVI,  p.  381. 

(4)  Reil ,  ArcUv^  t.  III ,  p.  386. 


VIEItLESSE.  l35 

desséchées,  puisqu'on  en  voit  tomber  "aussi  qui  sont  large?? 
ment  imprégnées  de  sucs. 

Mais  la  rigidité  de  l'âge  avancé  a  divers  degrés  et  diffé^ 
rentes  formes.  Le  tissu  cellulaire  devient  plus  dense,  plus 
sec ,  moins  extensible ,  moins  contractile  ;  la  densité  augmente 
aussi  dans  les  parties  molles  de  la  vie  plastique  et  de  la  viei 
animale  ;  les  membranes  fibreuses  s'épaississent  souvent ,  par 
exemple  la  dure-mère  ;  des  formations  tendineuses  se  mani^ 
festent  dans  des  parties  musculeuses ,  des  cartilages  dans  des 
membranes  fibreuses ,  et  des  ossifications  dans  ces  mêmes 
membranes ,  ainsi  que  dans  les  cartilages. 

2°  La  masse  diminue.  L'appareil  de  l'irritabilité  (les  mm-' 
clés ,  les  os  et  les  cartilages) ,  et  celui  du  système  génital 
perdent  surtout  de  leur  volume.  Les  glandes  vasculaires  (thy- 
roïde ,  rate  et  capsules  surrénales)  deviennent  ensuite  plus 
petites ,  plus  fermes ,  moins  riches  en  vaisseaux.  La  même 
chose  arrive  à  quelques  points  du  système  de  la  sensibilité. 
Les  dents  et  les  poils  tombent;  en  général,  plusieurs  ramifica^ 
lions  disparaissent  à  la  périphérie  des  systèmes  vasculaire  et 
nerveux  ;  les  organes  centraux  de  l'appareil  génital  subissent 
aussi  quelquefois  le  même  changement.  Suivant  Quetelet ,  le 
poids  du  corps  diminue,  à  partir  de  la  cinquantième  année 
chez  l'homme ,  de  la  soixantième  chez  les  femmes,  et  jusqu'à 
l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans  ,  il  se  réduit ,  chez  le  premier, 
de  cent  trente-six  livres  à  cent  vingt-trois  ;,  chez  la  seconde 
de  cent  vingt  à  cent  cinq  et  demie. 

o°  Enfin  plusieurs  parties  se  réunissent  et  se  confondent 
ensemble.  Ce  phénomène  a  lieu  surtout  dans  les  os  qui  ne 
sont  pas  joints  par  des  articulations.  On  l'observe  aussi  dans 
les  gencives ,  au  dessus  des  alvéoles  devenus  vides.  Il  est 
plus  rare  de  voir  se  souder  les  os  articulés  les  uns  avec  les 
autres  et  les  deux  faces  de  la  membrane  muqueuse  des  or- 
ganes génitaux. 

IL  II  s'opère  également  une  décoloration.  Les  couleurs 
perdent  de  leur  vivacité,  leurs  nuances  s'effacent,  et,  à  l'in- 
térieur comme  à  l'extérieur,  tout  prend  une  teinte  plus  sale. 
Les  membranes  muqueuses  et  les  organes  limitrophes ,  les 
lèvres ,  les  nymphes ,  le  gland  ,  le  foie  et  la  rate,  deviennent 


l36  VIEILLESSE. 

plus  pâles,  par  la  diminution  du  sang  dans  leur  intérieur.  Celle 
du  pigment  fair  pâlir  aussi  l'iris,  la  choroïde,  la  tache  jaune 
de  la  rétine  et  le  sable  de  la  glande  pinéale.  D'autres  or- 
ganes prennent  une  couleur  plus  foncée.  Le  blanc  de  l'œil 
passe  au  gris^;  le  rouge  brunit ,    par  exemple  au  raphé,  à  ' 
l'auréole  du  sein  et  au  mamelon  ;  les  nerfs  et  les  memlDranes 
synoviales  deviennent  grisâtres ,   les  os  jaunes  ,1  la  graisse 
orangée ,  les  dents  jaunes ,  la  moelle  cérébrale  jaunâtre  ,  les  • 
ganglions  lymphatiques  brunâtres ,  les  muscles  d'un  rouge 
brun,  les  poumons  d'un  bleu  noirâtre,  les  reins  d'un  rouge 
foncé.  Les  parties  transparentes ,  comme  les  membranes  se-  . 
reuses,  la  cornée  lucide  et  le  cristallin,  prennent  de  l'opa- 
cité ;  les  ongles  deviennent  opaques  et  gris. 

IIL  Mais  tous  ces  changemens  matériels  ne  témoignent  pas 
d'une  faiblesse  absolue  ;  ils  annoncent  seulement  la  prédomi- 
nance du  repliement  de  la  vie  sur  elle-même,  qui  n'est  point 
un  phénomène  purement  passif.  L'induration  et  la  rigidité 
dépendent  d'un  dépôt  actif  de  substance  plastique  ;  pour  que 
des  membranes  fibreuses  s'ossifient ,  il  faut  que  des  vaisseaux 
sanguins  s'y  développent  d'abord ,  car  nulle  ossification  n'est 
possible  sans  pénétration  de  sang  rouge.  Comme  l'ossification 
dépend  d'un  surcroit  d'activité  des  vaisseaux  capillaires,  elle 
porte  principalement  sur  les  troncs  des  artères ,  qui  reçoivent 
beaucoup  de  vaisseaux  nourriciers  dans  leurs  parois ,  et  cette 
exaltation  d'activité  paraît  se  rattacher  aussi  à  la  prédominance 
des  organes  centraux  ;  car  les  plaques  osseuses  sont  très- 
communes  au  cœur,  aux  artères  coronaires  et  au  tronc  de 
l'aorte.  Poupart  a  trouvé,  chez  un  centenaire ,  les  apophyses 
transverses  des  vertèbres  lombaires  et  des  dorsales  inférieures 
garnies  en  devant  d'une  substance  osseuse  blanche  et  de  nou- 
velle formation  (1).  La  soudure  s'effectue  par  une  augmenta- 
tion de  dépôt  de  substance  plastique.  La  flétrissure,  Tamaigris- 
sement ,  la  disparition  et  la  séparation  de  certaines  parties  ne 
peuvent  avoir  lieu  que  par  un  accroissement  de  l'activité 
des  vaisseaux  afférens.  Ainsi  Vrolik  a  fait  voir  que  les  feuilles 
mortes  ne  se  détachent  de  l'arbre  qu'à  la  faveur  de  l'absorp- 

j^  (1)  Hist.  de  l'Ac  des  sciences ,  1699^2  p.  SO^ 


VIEILLESSE,  l^'j 

tion  de  la  surface  vivante ,  et  que  leur  chute  est  un  véritable 
acte  de  vie ,  car  lorsque  l'arbre  meurt  en  même  temps  que 
ses  feuilles ,  celles-ci  ne  tombent  point. 

Nous  ne  pouvons  donc  voir  dans  tous  ces  phénomènes  qu'un 
résultat  de  la  prédominance  acquise  par  la  direction  de  la  vie 
du  dehors  au  dedans. 

II.  Biapports  avec  le  monde  extérieur. 

§  587.  Il  suit  de  cette  circonstance  que  les  rapports  avec  le 
monde  extérieur  s'affaiblissent.  La  réceptivité  pour  les  im- 
pressions du  dehors  diminue,  comme  aussi  l'irritabilité  inté- 
rieure ,  dont  l'émoussement  s'annonce  par  la  rareté  et  la  len- 
teur plus  grande  du  pouls,  par  la  paresse  des  organes  qui 
président  aux  déjections  alvines.  Cependant,  comme  la  réaction 
baisse  dans  la  même  proportion ,  les  forts  stimulans ,  tels  que 
les  liqueurs  spiritueuses  et  les  médicamens  énergiques ,  sont 
moins  bien  supportés. 

I.  V ingestion  est  plus  faible. 

1°  Les  vaisseaux  lymphatiques  du  système  de  la  peau  et 
des  membranes  muqueuses  sont  moins  actifs,  plus  étroits  et 
en  partie  effacés.  On  en  trouve  moins  ,  dans  le  mésentère  , 
que  chez  les  jeunes  sujets.  Leurs  glandes  sont  plus  sèches  et 
plus  fermes,  l'absorption  a  moins  d'activité ,  les  frictions  sont 
moins  efficaces ,  l'infection  a  lieu  plus  rarement ,  et  la  moin- 
dre cause  suffit  pour  déterminer  l'œdème  des  extrémités  in- 
férieures. 

2°  Les  dents  s'usent  mécaniquement ,  ce  qui  fait  que  leur 
usure  est  plus  considérable  chez  les  animaux  herbivores  que 
chez  ceux  qui  vivent  exclusivement  de  viande.  Mais,  en  même 
temps,  il  s'opère  une  formation  de  remplacement.  Vers 
l'âge  de  soixante-et-dix  ans ,  les  dents  incisives  présentent 
une  surface  large  à  leur  sommet ,  parce  que  la  moitié  de  la 
couronne  se  trouve  usée  ;  mais  la  cavité  de  la  dent,  ainsi  ou- 
verte par  l'usure,  se  remplit  d'une  nouvelle  substance  osseuse, 
qui  produit  une  tache  brunâlre  ou  d'un  jaune  rougeâtre  dans 
le  milieu  de  la  surface  terminale,  et  qui,  en  raison  de  sa  for- 
mation tardive ,  est  un  peu  plus  molle  que  l'ivoire  dentaire 


l58  VIEILLESSE, 

proprement  dit.  Presque  toujours  la  face  postérieure  des  in- 
cisives du  haut  et  la  face  antérieure  de  celles  du  bas  ont 
perdu  leur  émail ,  parce  que  les  inférieures  sont  ordinaire- 
ment placées  un  peu  en  arrière  des  supérieures.  Les  pointes 
des  canines  et  des  molaires  ont  disparu  :  ces  dents  présentent 
une  surface  lisse  et  jaunâtre;  l'émail  du  milieu  de  la  cou- 
ronne des  molaires,  qui  est  un  peu  plus  profond  que  le  "reste, 
se  conserve  aussi  plus  long-temps ,  et'  paraît  entouré  d'un 
cercle  de  substance  osseusejjaune.  Les  dents  ne  se  carient  plus 
chez  les  vieillards ,  ce  qui  tient  à  l'affaibhssement  de  leur  vi- 
talité. Peu  à  peu  elles  tombent.  A  la  vérité ,  elles  persistent 
quelquefois,  et  Kœnig,  par  exemple,  lésa  trouvées  toutes 
chez  des  sujets  de  cinquante  à  soixanie-et-dix  et  même  qua- 
tre-vingt-dix ans  (d)  ;  cependant  elles  ne  semblent  point  être 
destinées  à  durer  si  long-temps ,  puisqu'elles  tombent  non 
seulement  chez  nos  animaux  domestiques  (la  Brebis  les  perd 
de  six  à  dix  ans,  et  le  Chien  de  douze  à  quatorze) ,  mais  en- 
core chez  ceux  qui  vivent  à  l'état  de  liberté ,  comme  les  La- 
pins, les  Taupes,  etc.  Du  reste,  elles   tombent,  de  même 
que  les  dents  de  lait ,  parce  qu'elles  meurent.  Eo  effet,  chez 
les  Ruminans,   elles  ne  perdent  pas  seulement  toute  con- 
nexion vasculaire  et  nerveuse  avec  le  reste  de  l'économie, 
mais  elles  deviennent  en  outre  fragiles  au  point  de  se  détacher 
par  feuillets.  Dans  le  même  temps ,  elles  semblent  être  chas- 
sées au  dehors  par  les  alvéoles  qui  se  resserrent  ;  car,  chez  le 
Cheval ,  où  il  est  rare  de  les  voir  tomber,  elles  deviennent 
plus  saillantes,  de  manière  qu'elles  montrent  leur  corps  brun 
tout  entier,  tandis  que  la  gencive  se  resserre  sur  elle-même. 
3°  Après  la  chute  des  dents ,  les  alvéoles  des  mâchoires 
s'oblitèrent  par  un  dépôt  de  substance  osseuse ,  et  peut-être 
aussi  par  le  concours  de  la  contractilité.  Le  rebord  dentaire 
disparaît ,  son  côté  libre  venant  à  être  absorbé ,  ce  qui  com- 
mence dès  avant  la  chute  des  dents.  La  mâchoire  supérieure 
perd  par-là  de  sa  hauteur,  et  le  palais  devient  plat ,  de  con- 
cave qu'il  était  auparavant.  Comme  la  mâchoire  inférieure 
s'abaisse ,   le  trou  moutonnier  se  rapproche   de  son  bord 

(1)  Nasse ,  ZeitscTirift  ftier  psychische  Aerzte  ,  1824 ,  cah.  IV,  p.  446. 


VIEILLESSE.  1 59 

supérieur;  mais  cet  os  éprouve  aussi  un  resserrement  dans  le 
sens  de  sa  longueur,  car  sa  branche  ascendante  devient  plus 
basse  et  se  place  plus  obliquement ,  de  sorte  que  l'angle  est 
plus  obtus ,  et  l'apophyse  glénoide  plus  basse  que  l'apophyse 
coronoide  :  l'articulation  arrive  à  se  mettre  au  niveau  de  la 
gencive  de  la  mâchoire  supérieure  ;  Fapophyse  coronoide  de- 
vient plus  étroite  et  plus  pointue  ,  et  la  face  extérieure  de  la 
mâchoire  inférieure,  au  dessus  du  menton,  n'est  plus  perpen- 
diculaire, mais  oblique.  Les  deux  mâchoires  ne  se  touchent 
plus,  la  plupart  du  temps,  que  par  les  points  oi^i  s'implantaient 
les  dents  molaires.  Au  reste ,  cette  diminution  des  mâchoires 
a  rendu  la  cavité  orale  plus  étroite. 

4°  La  mastication  perd  de  sa  force  ,  non  seulement  parce 
que  les  dents  sont  usées  ou  tombées,  mais  encore,  plus  tard, 
parce  que  les  muscles  temporaux  s'affaiblissent ,  et  que  l'obli- 
quité de  la  branche  de  la  mâchoire  ne  permet  plus  un  aussi 
grand  déploiement  de  force.  En  même  temps ,  la  sécrétion  de 
la  salive  diminue.  Mais  la  mastication  est  surtout  imparfaite 
pendant  l'âge  de  retour,  tant  qu'il  reste  encore  quelques  dents 
isolées  ;  une  fois  tous  ces  osselets  tombés,  elle  s'exécute  mieux 
au  moyen  des  gencives,  dont  le  tissu  a  pris  plus  de  densité , 
de  fermeté ,  de  dureté  ,  en  se  resserrant  au  dessus  des  alvéo- 
les. Aussi  Kapp  (1)  a-t-il  remarqué  que  la  chute  des  dernières 
dents  était  suivie  de  la  cessation  des  troubles  de  la  digestion 
auxquels  l'individu  avait  été  sujet  jusqu'alors. 

5°  La  déglutition  devient  plus  difficile ,  et  l'on  est  plus  ex- 
posé à  avaler  de  travers ,  tantôt  parce  que  les  alimens  ne 
sont  point  assez  mâchés  ou  assez  imprégnés  de  salive ,  tan- 
tôt parce  que  le  pharynx  est  plus  étroit  et  doué  d'un  pouvoir 
musculaire  moins  grand ,  tantôt  enfin  parce  que  l'hyoïde  a 
moins  de  mobilité ,  ses  pièces  étant  soudées  ensemble ,  et 
quelquefois  même,  suivant  Béclard  (2),  le  ligament  stylo- 
hyoïdien  offrant  divers  points  d'ossification  le  long  de  son 
trajet. 

6°  L'appétit  est  assez  vif,  plus  même  que  par  le  passé ,  dç 

(1)  Sammlung  auserlesener  Ahhandlumjen  ,  t.  XVIII,  p.  119. 

(2)  DeutscliGs  ArcliiVj  t.  VI,  p.  430, 


i40  VIEILLESSE. 

sorte  que  le  vieillard  est  fréquemment  obligé  de  manger  entre 
ses  repas.  D'ailleurs  il  préfère  les  alimens  solides  à  ceux  qui 
sont  liquides,  les  substances  fermes  à  celles  qui  sont  tendres, 
la  viande  aux  végétaux,  le  gras  au  maigre  (1).  Il  digère  aussi 
les  substances  dures  et  pesantes  avec  plus  de  facilité  qu'au- 
trefois. Mais  les  choses  douces  et  sucrées  lui  plaisent  davan- 
tage que  les  mets  épîcés  et  acides  (2), 

Les  animaux  ont  aussi  beaucoup  d'appétit  dans  leur  vieil- 
lesse ;  mais  ils  affectionnent  les  substances  qui  nourrissent  le 
mieux  ;  ils  choisissent  dans  le  pré  les  herbes  les  plus  savou- 
reuses, et  dans  le  râtelier  le  foin  le  plus  délicat. 

C'est  sur  les  derniers  temps  seulement  que  l'appétit  dimi- 
nue chez  les  vieillards. 

7"  Suivant  Seiler  (3) ,  le  nombre  des  villosités  intestinales 
est  moins  considérable,  et  la  sécrétion  du  suc  intestinal  moins 
abondante.  On  trouve  parfois  la  bile  plus  épaisse  et  plus  vis- 
queuse que  jadis,  mais  ce  phénomène  n'a  rien  de  constant. 
On  rencontre  également  quelquefois  des  indurations,  des  ra- 
mollissemens  ,  des  ampliations,  des  rétrécissemens  ,  sur  di- 
vers points  du  canal  intestinal.  C'est  par  accident  qu'on 
trouve  le  foie  volumineux  et  facile  à  déchirer,  la  rate  petite 
et  cassante  (4),  car  l'état  inverse  se  voit  fréquemment  dans 
ces  mêmes  organes, 

8"  Ordinairement  le  cartilage  xyphoide  s'ossifie  vers  la 
soixantième  année  ,  quoique  Haller  l'ait  encore  trouvé  cartila- 
gineux chez  des  centenaires.  Peu  de  temps  après,  le  corps  du 
sternum  se  soude  aussi  à  la  poignée.  Il  est  moins  commun  de 
rencontrer  l'ossification  des  cartilages  costaux,  qui  se  mani- 
feste tantôt  par  des  plaques  au  dessous  du  périchondre,  tan- 
tôt par  des  noyaux  dans  l'intérieur  de  la  substance ,  et  qui 
affecte  surtout  les  côtes  supérieures ,  rarement  les  fausses  (5). 


(1)  Kapp,  loc.  cit.,  p.  121. 

(2)  Scheu,  Ueber  die  chronischen  Krankheiten  des  maennlichen  AUers, 
p.  317. 

(3)  Pierer,  Anatomisch-physiologisches  Realwœrterluch ,  t.  III,  p.  751. 

(4)  Nasse  ,  Zeitschrift  fuer  psychische  Aerzte,  1824  ,  cah.  IV,  p.  424, 
[  (5)  DeutscJies  Jrchiv,  t.  VI,  p.  420. 


"vîeillessï:.  i4i 

fluUier  assure  que  les  poumons  deviennent  moins  riches  en 
vaisseaux  (1),  et  Magendie ,  qu'ils  acquièrent  une  légèreté 
spécifique  plus  grande  (2) ,  parce  que  leurs  cellules  s'agran- 
dissent et  le  nombre  de  leurs  vaisseaux  diminue  ;  il  s'y  dé- 
pose aussi  une  plus  grande  quantité  de  pigment  noir.  La 
cage  pectorale ,  qui  a  moins  d'élasticité ,  se  meut  moins  pen- 
dant la  respiration ,  mais  le  diaphragme  s'abaisse  davantage  ; 
la  respiration  s'exécute  avec  plus  de  lenteur,  et  le  mouvement 
la  rend  promptement  haletante  ;  quelquefois  l'asthme  survient 
par  suite  de  l'ossification  des  cartilages  costaux  ou  trachéaux, 
ou  de  la  soudure  des  côtes  avec  les  vertèbres,  ou  enfin 
d'anomalies  vasculaires. 

9°  Le  sang  se  produit  en  moins  grande  quantité.  Une  hé- 
morrhagie  est  plus  dangereuse  pour  le  moment ,  et  plus  dif- 
ficile à  réparer  ;  le  sujet  s'en  relève  moins  promptement.  La 
véritable  pléthore  sanguine  est  extrêmement  rare,  et  ses 
phénomènes  ne  sont  la  plupart  du  temps  que  l'effet  d'une  ré- 
partition inégale  du  liquide  circulatoire.  Le  sang  lui-même 
est  plus  foncé  en  couleur,  et  paraît  contenir  moins  de  fibrine, 
et  se  putréfier  avec  plus  de  promptitude  :  il  semble  aussi  que 
sa  sérosité  soit  moins  coagulable  (3). 

IL  V éjection  nous  présente  également  quelques  phénomènes 
à  noter. 

10°  Les  évacuations  alvines  deviennent  plus  paresseuses. 
La  constipation  a  lieu  fréquemment ,  et  entraîne  peu  d'in- 
convéniens.  Jean  Baylet ,  par  exemple ,  qui  parvint  à  cent 
trente  ans,  n'allait  à  la  selle  que  tous  les  dix  ou  douze  jours. 
Cependant  de  légers  purgatifs  ont  fréquemment  de  l'utilité  ; 
ils  évacuent ,  surtout  dans  les  temps  où  le  sujet  prend  peu 
d'alimens,  une  grande  quantité  de  matière,  d'une  couleur  fon- 
cée, qui  sont  incontestablement  déposées  du  sang  dans  le 
gros  intestin ,  puisque  cette  excrétion  semble  être  accrue  par 
tout  ce  qui  diminue  l'exhalation  cutanée  (4). 


(1)  Dict.  de  méd.,  t,  I,  p.  418. 

(2)  Journal  de  physiologie ,  t.  I,  p.  80. 

(3)  Nasse  j  loc.  cit.,  p.  407, 

(4)  Scheu,  loc,  cit,,  p.  318, 


14-2  VIEILLESSE. 

Il"  Les  reins  sont  la  plupart  du  temps  plus  fermes.  L'urine 
est  plus  épaisse  ,  plus  pesante ,  plus  acre ,  d'une  odeur  plus 
forte  ;  elle  contient  davantage  de  principes  salins.  La  vessie 
est  presque  toujours  un  peu  plus  petite  et  plus  épaisse,  et 
elle  jouit  d'une  force  contractile  moindre ,  de  sorte  que  les 
émissions  d'urine  sont  plus  lentes ,  et  plus  fréquentes  même 
pendant  la  nuit;  le  liquide  coule  aussi  par  un  jet  plus  grêle. 
Il  n'est  pas  rare  que  ces  dispositions  passent  à  l'état  morbide , 
que  le  relâchement  du  sphincter  vésical  donne  lieu  à  l'incon- 
tinence d'urine,  ou  celui  des  fibres  du  corps  à  l  impossibilité 
de  vider  complètement  la  poche ,  qui  finit  par  se  distendre 
et  s'amincir. 

Il  sera  question  plus  loin  (§  588,  7° — il")  des  autres 
sécrétions - 

îî£.  Activité  périphérique  de  la  vie  plastique. 

§  588.  L'activité  périphérique  de  la  vie  plastique  est,  en 
général,  moins  considérable. 

1°  L'irritabilité  de  cœur  est  diminuée ,  ses  pulsations  sont 
plus  rares  et  plus  lentes.  Si  l'on  en  comptait  75  pendant  le 
moyen  âge ,  il  n'y  en  a  plus  que  70  à  65  dans  l'âge  avancé  , 
et  60  à  50  dans  l'extrême  vieillesse.  Communément, en  dimi- 
nuant de  fréquence,  le  pouls  devient,  plus  plein,  et  assez  fré- 
quemment intermittent.  ï)u  reste,  la  fièvre  et  les  influences  du 
dehors  ont  peu  d'action  sur  lui  (1).  Leuret  et  Métivié  dédui- 
sent le  contraire  des  observations  faites  par  eux  à  la  Salpé- 
trière  :  il  trouvèrent  le  nombre  moyen  des  pulsations  par  mi- 
nute de  65  chez'cent  dix  filles  de  dix-sept  à  vingt-sept  ans  ;  de 
74  chez  quarante-une  femmes  de  soixante-onze  à  soixante- 
quatorze  ans  ;  de  quatre-vingt-huit  femmes  dont  le  nombre 
des  pulsations  était  de  82  ,  il  n'y  en  avait ,  parmi  les  quarante- 
quatre  plus  jeunes,  que  dix-huit  dont  la  fréquence  du  pouls 
dépassât  le  terme  moyen  ,  tandis  que  celles  qui  se  trouvaient 
dans  le  même  cas,  parmi  les  quarante-quatre  plus  âgées, 


(1)  Kapp,  loc.  cit.,  p.  123. 


Vieillesse.  i43 

étaient  au  nombre  de  vingt-sept.  C'est  une  question  qui  ne 
pourra  être  résolue  que  par  des  observations  ultérieures. 

Les  changemens  dans  le  tissu  du  cœur  ne  sont  point  cons- 
tans,  ni  par  conséquent  non  plus  essentiels.  La  plupart  du 
temps,  on  trouve  ses  fibres  plus  denses,  plus  sèches,  plus 
fermes  :  quelquefois  il  est  dilaté  (1)  ,  plus  flasque  (2) ,  plus 
pâle  et  plus  mou  (3).  Les  cariilaginifîcations  et  ossifications  de 
ses  valvules  surtout  sont  des  anomalies  que  l'on  rencontre 
assez  fréquemment,  et  qui,  principalement  dans  les  derniers 
temps  de  la  vieillesse  ,  donnent  lieu  à  l'angine  de  poitrine  et 
autres  incommodités. 

2°  Suivant  Lucae  (4),  vers  la  soixantième  année ,  les  expan- 
sions pénicillées  des  nerfs  dans  les  tuniques  artérielles  de- 
viennent moins  perceptibles ,  plus  livides ,  plus  sèches ,  plus 
analogues  au  tissu  cellulaire ,  et  plusieurs  de  leurs  branches 
disparaissent  totalement.  Ensuite  la  tunique  musculeuse  des 
artères  perd  sa  couleur  rougeâlre  et  sa  turgescence  ;  elle  de- 
vient plus  dure,  plus  sèche,  rétractée,  d'un  gris  bleuâtre  et 
d'un  brillant  argentin ,  qui  lui  donne  de  la  ressemblance  avec 
une  membrane  fibreuse.  Dans  mi  tel  état  de  choses  le,  conflit 
vivant  de  l'artère  eî  du  sang  doit  diminuer.  La  paroi  artérielle 
devient,  d'après  Wintringham  (5)^  plus  pesante  spécifique- 
ment, et  le  pouls  plus  dur,  moins  ondulant;  les  artères  du  cer- 
veau se  déchirent  plu  s  facilement,  en  raison  de  leur  fragilité, 
ce  qui  donne  lieu  à  des  épanchemens  de  sang  et  à  l'apoplexie. 
Fréquemment  on  trouve  l'aorte  dilatée  à  son  origine.  Win- 
tringham l'a  vue  rétrécie  ,  dans  le  reste  de  son  étendue ,  chez 
de  vieux  animaux.  L'affaiblissement  de  la  sensibilité  et  de 
l'irritabilité  donne  lieu  souvent,  mais  non  dans  tous  les  cas 
à  beaucoup  près ,  à  l'ossification  de  certaines  artères  ;  les  re- 
cherches de  Lucae  (6)  nous  apprennent  qu'entre  la  tunique 


(1)  Fischer,  Ahhandlung  von  dem  holmi  Aller  des  Menschcn,  p.  144, 

(2)  Pierer,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  752. 
(3)Dict.  deméd.,t.  I,  p.  418. 

(4)  De  ossesccntia  arteriarum  seneli,  p.  12. 

(5)  Haller,  Elem.  physioL,  t.  YIII,  P.  II,  p.  70, 

(6)  Loc.  cit., -p.  5-8. 


ï44  VIEIIESSEe 

musculeuse  et  l'interne  il  s'épanche  une  substance  pultacée , 
qui  devient  peu  à  peu  coriace  ou  cornée ,  ou  cartilagineuse, 
puis  enfin  osseuse ,  et  acquiert  parfois  une  dureté  pierreuse  ; 
Schreger  y  a  trouvé  un  quart  de  chaux  en  plus  que  dans  les 
os  normaux ,  et  elle  semble  souvent  n'être  composée  que  de 
phosphate  et  de  carbonate  calcaires.  Ces  plaques  osseuses  for- 
ment rarement  un  anneau  complet,  surtout  dans  les  vaisseaux 
d'un  certain  calibre  ;  quelquefois  elles  font  saillie  à  l'inté- 
rieur ,  et  rétrécissent  le  calibre  de  l'artère  ;  il  leur  arrive  aussi 
parfois  de  refouler  les  tuniques  artérielles  entre  lesquelles 
elles  sont  placées ,  de  manière  que  ces  tuniques  deviennent 
plus  minces  et  finissent  par  disparaître  entièrement.  Ces  os- 
sifications sont  plus  fréquentes  que  partout  ailleurs  dans  le 
tronc  de  l'aorte  ;  on  les  rencontre  fort  rarement  dans  les  ar- 
tères pulmonaires  et  les  veines  caves ,  c'est-à-dire  dans  le 
système  du  sang  noir. 

3°  La  vénosité ,  comme  activité  centripète  ,  devient  prédo- 
minante. Les  veines  acquérant  moins  de  densité  que  les  ar- 
tères, il  s'amasse  davantage  de  sang  dans  leur  intérieur.  Les 
veines  cutanées  font  plus  de  saillie ,  et  l'on  trouve  plus  de 
sang  dans  les  sinus  cérébraux ,  mais  principalement  dans  le 
système  de  la  veine  porte. 

40  Comme  la  vitalité  des  artères  a  diminué,  il  se  développe 
aussi  moins  de  chaleur.  Le  vieillard  est  frileux  ;  il  a  besoin 
de  vêtemens  plus  chauds  et  d'une  température  plus  douce  ; 
les  bains  chauds  exercent  surtout  une  influence  salutaire  sur 
lui.  C'est  en  été  qu'il  se  trouve  le  mieux.  La  mort  arrive  le 
plus  souvent  dans  les  hivers  rigoureux ,  principalement  vers 
leur  fin. 

5"  En  même  temps  que  la  chaleur  baisse  et  que  le  courant 
sanguin  artériel  s'affaiblit ,  la  turgescence  diminue.  Le  tissu 
cellulaire  devient  flasque  et  mou,  les  parties  molles  s'affaiblis- 
sent, et  les  os  deviennent  plus  proérainens ,  effet  auquel  con- 
tribue également  la  disparition  de  la  graisse. 

6°  Il  pénètre  moins  de  sang  dans  les  vaisseaux  capillaires , 
dont  un  grand  nombre  disparaissent,  ou  se  métamorphosent  en 
filamens  cellulaires,  de  sorte  que  les  injections  ne  s'effectuent 
que  d'une  manière  fort  incomplète.  On  remarque  surtout  ce 


VIEILLESSE.  145 

phénomène  dans  !e  périoste  et  la  dure-mère ,  qui  jadis  te- 
naient aux  os  par  de  nombreux  vaisseaux ,  et  qui  n'y  sont  plus 
fixés  maintenant  que  par  de  rares  liens  vasculaires.  La  pre- 
mière est  moins  serrée  aussi  contre  le  cerveau.  La  chute  des 
dents  suppose  que  leurs  vaisseaux  ont  été  frappés  de  mort. 
Les  ouvertures  osseuses  correspondantes  se  ferment  égale- 
ment après  la  mort  des  vaisseaux  nourriciers  des  os  des  mem- 
bres et  de  ceux  qu'on  appelle  les  émissaires  de  Santorini. 

7°  Comme  la  substance  se  renouvelle  moins ,  il  s'établit 
fréquemment  des  anomalies  de  la  plasticité.  L'haleine ,  la 
sueur  et  l'urine  ont  communément  une  odeur  plus  forte.  L'é- 
jection incomplète  des  matières  destinées  à  être  amenées  au 
dehors,  donne  souvent  lieu  à  des  démangeaisons ,  à  des  dartres 
et  autres  affections  cutanées.  Ainsi  le  psydracia  se  développe 
quand  la  sécrétion  urinaire  diminue,  et  disparaît  lorsnuo 
celle-ci  redevient  plus  abondante.  Comme  il  se  dépose  moins 
de  substances  aqueuses  au  dehors,  et  que  la  résorption  se  fait 
d'une  manière  plus  lente ,  les  congestions  séreuses  sont  fré- 
quentes. Enfin  la  prédominance  de  la  vénosité  amène  la  pré- 
disposition au  scorbut,  et  engendre  souvent  des  mélanoses. 
De  même,  dans  les  plantes,  la  chute  des  feuilles  tient  à  la  di- 
minution du  conflit  avec  le  monde  extérieur;  l'absorption  et 
l'exhalation  de  ces  organes  diminuent  (  cette  dernière,  d'après 
Guettard,  est  en  hiver,  comparée  à  celle  du  mois  d'aoiit, 
::  1 :  3),  ils  se  tournent  moins  vers  la  lumière,  ils  ne  se  ployent 
plus  pendant  la  nuit,  comme  par  le  passé,  la  piqûre  des  In- 
sectes n'y  provoque  plus  un  afflux  de  suc  qui  amène  la  for- 
mation d'une  galle,  etc. 

8°  La  nutrition  devient  plus  faible,  les  fractures  ne  guéris- 
sent plus  aussi  vite,  et  la  gangrène  s'établit  avec  beaucoup 
de  facilité.  L'organisme  consomme  plus  de  son  propre  inté- 
rieur que  de  choses  du  dehors  ;  la  graisse  est  une  réserve  oui 
entre  maintenant  en  service;  elle  disparaît  surtout  à  la  pé- 
riphérie ,  moins  dans  les  cavités  splanchniques,  notamment  au 
mésentère ,  et  c'est  ainsi  que  dès  avant  la  soixante-dixième 
année  commence  un  amaigrissement  qui  va  toujours  en  fai- 
sant des  progrès.  L'organisme  n'épargne  même  pas  ses  par- 
ties solides ,  spécialement  les  os  et  les  muscles  (  §  586,  2»  )  : 
V.  10 


l46  VIEILLESSE. 

comme  ces  organes  ne  peuvent  plus  se  maintenir  fdàns  leur 
inlégrilé ,  il  les  ramène  à  la  forme  liquide  ,  d'où  ils  sont  sortis, 
et  les  fait  repasser  dans  le  torrent  de  la  circulation ,  pour  y 
servir  au  soutien  de  la  vie. 

9°  La  sécrétion  faiblit ,  de  sorte  que  le  corps  entier  devient 
plus  sec  et  le  mouvement  plus  difficile.  Les  sécrétions  aqueuses 
sont  surtout  celles  qui  diminuent.  Comme  l'exhalation  cuta- 
née est  moins  abondante ,  il  y  a  moins  d'eau  dans  le  tissu  cel- 
lulaire et  les  membranes  séreuses  ;  l'arachnoïi le  elle  même 
devient  plus  sèche.  Par  antagonisme,  les  liqueurs  épaisses, 
sécrétées  dans  les  cryptes ,  et  qni  sont  en  quelque  sorte  des 
produits  de  stase  et  de  condensation  ,  deviennent  plus  abon- 
dantes. L'enduit  cutané  est  pendant  long-temps  très-copieux, 
surtout  aux  doigfs,  au  cuir  chevelu  et  dans  !e  conduit  audi- 
tif •■  il  ne  diminue  qu'assez  tard ,  lorsque  la  vie  périphérique 
baisse  encore  davantage ,  et  alors  il  est  remplacé  par  une  sé- 
crétion muqueuse  plus  abondante  ù  la  surface  interne.  Si  les 
villosités  intestinales  diminuent,  les  follicules  muqueux  acquiè- 
rent plus  de  développement ,  et  tandis  que  les  sucs  gastrique 
et  intestinal  deviennent  moins  abondans  ,  il  se  produit  une 
plus  grande  quantité  de  mucus,  qui  sort  avec  les  déjections 
alvines.  Si  la  perspiraiion  pulmonaire  diminue ,  les  voies 
aériennes  sécrètent  davantage  de  mucosités,  l'expectoration 
devient  plus  abondante ,  et  le  catarrhe  chronique  est  une  ma- 
ladie ordinaire  des  vieillards.  Si  les  liquides  aqueux  de  l'œil 
sont  sécrétés  en  moins  grande  quantité ,  la  conjonctive  four- 
nit davantage  de  mucus ,  dont  la  surabondance  rend  les 
yeux  chassieux. 

Avant  tout ,  l'activité  faiblit  dans  les  organes  où  la  vie  plas-  . 
tique  déploie  surtout  une  action  périphéi  ique  ,  c'est-à-dire 
dans  ceux  de  l'espèce  (10°)  et  de  l'individualiié  (11"). 

10°  Les  organes  génitaux  se  flétrissent  et  se  dessèchent. 
Chez  l'homme,  ce  changement  ne  paraît,  en  général,  bien  pro- 
noncé qu'après  la  soixantième  année,  ou  même  plus  tard  :  les 
testicules  deviennent  plus  mous  et  plus  petits;  le  scrotum  est 
plus  fiasque  ,  les  canaux  et  les  vésicules  séminales  s'affaissent, 
la  prostate  diminue  et  disparaît,  d'abord  dans  sa  partie 
moyenne ,  les  poils  du  pubis  cessent  d'être  frisés ,  ils  grison- 


VIEILLESSE.  147 

neïit  et  tombent  en  partie,  la  verge  se  rétracte,  le  gland  se 
cache  derrière  le  prépuce,  assez  souvent  même  jusqu'au  point 
de  produire  un  phimosis,  le  prépuce  se  couvre  de  rides,  et 
les  cellules  des  corps  caverneux  s'agrnndissent,  par  l'amincis- 
sement de  leurs  pnrois.  La  femme  perd  bien  davantage  en- 
core le  souvenir  de  tout  ce  oui  concerne  la  procréation,  et  les 
désirs  vénériens  s'éteignent  de  meilleure  heure  en  elle.  Peu 
de  temps  après  le  ménopause,  les  ovaires  commencent  à  se  flé- 
trir ;  ils  deviennent  plus  petits,  plats,  denses,  durs ,  bosselés  ; 
les  vésicules  persistent,  mais  contiennent  peu  de  liquide,  et 
sont  flétries  (1),  ou  diminuant  de  volume,  et  finissent  par  se 
convertir  en  petits  grains  durs,  jaunâtres  ou  noirâtres,  attendu 
que  leurs  parois  s'épaississent  et  que  leur  cavité  disparaît  (2). 
Parfois  il  ne  reste  plus  que  quelques  hydatides,  ou    même 
les  ovaires  s'effacent  dans  un  âge  très-avancé ,  au  point  de  ne 
plus  laisser  aucune  trace  f3V  Souvent  aussi  les  trompes  s'o- 
blitèrent ,  phénomène  qui  a  lieu  d'abord  dans  Ipur  milieu,  de 
même  qne,  chpz  les  vieilles  Poules,  l'oviducte  se  convertit 
en  une  sorte   dp  ligament  à  sa  partie  supérieure.  La  matrice 
devient  petite,  plus  allongée  ,  ferme  ,  presque  cartilagineuse 
et  blanche  ;  elle  s'enfonce  davantage  dans  le  bassin ,  et  sa 
partie  inférieure  fait  une  saillie  plus  considérable  dans  l'inté- 
rieur du  vagin  (4).  Après  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  il  n'est 
pas  rare  qu'une  cloison  épaisse  de  deux  à  quatre  lignes  vienne 
boucher  l'orifice  interne  ,  et  plus  tard  même  l'orifice  exté- 
rieur s'oblitère  également  ^5) ,  de  sorte  que  le  col  et  le  corps 
représentent  deux  cavités  complètement  closes,  qui  sont  rem- 
plies d'un  mucus  blanchâtre ,  ou  de  sérosité  sanguinolente  et 
d'hydaiides  contenant  un  liquide  analogue  (6).  La  vagin  de- 
vient plus  court  ;  les  grandes  lèvres  s'amincissent,  se  flétris- 
sent, se  rident  et  s'écartent  Tune  de  l'autre,  de  manière  à 


(1)  Ph.  Blandin,  Ëlémens  d'analomie  ,  Paris,  1832,  t.  II,"p.  298. 

(2)  Meckel,  Manuel  d'analomie,  t.III. 

(3)  Meyer,  Beschreihung  eitier  ijraviditas  interstiiialis  uteri  ,  p.  43. 

(4)  Archives  généraies ,  t.  X.  p.  980. 

(5)  Reil ,  ^rchiv,  t.  TI ,  p.  9^. 
(6)Mayer,  loc,  cit.,  p.  d4, 


l48  VIEILLESSE. 

laisser  appercevoir  les  nymphes  et  le  clitoris  ;  les  nymphes 
sont  fanées  et  méconnaissables;  le  clitoris  est  petit,  le  mont 
de  Vénus  perd  sa  graisse  et  sa  forme  bombée  ;  les  poi's  qui 
l'ombragent  s'éclaircissent  et  grisonnent,  moins  toutefois  que 
les  cheveux;  les  seins  deviennent  peiiis  ,  flasques  et  pendans, 
comme  des  replis  cutanés;  leur  tissu  cellulaire  prend  ua  as- 
pect tendineux  ;  les  glandes  mammaires  diminuent  de  volume, 
acquièrent  plus  de  densité ,  et  prennent  l'apparence  du  car- 
tilage. 

11°.  La  peau  devient  mince ,  dense,  sèche,  parcheminée, 
d'un  jaune  blanchâtre  ;  elle  perd  sa  mollesse  et  sa  flexibilité  ; 
la  disparition  dé  la  graisse  et  la  cessation  de  la  turgescence 
font  qu'elle  se  couvre  de  rides ,  et  ces  circonstances ,  jointes 
à  la  diminution  des  muscles  ,  rendent  les  saillies  des  os  plus 
prononcées;  la  transpiration  est  moins  abondante;  la  sueur 
s'établit  plus  diflîcilement ,  et  n'est  jamais  aussi  copieuse  que 
par  le  passé.  L'épiderme  est  sec ,  lisse ,  glissant  ;  il  se  détache 
souvent  par  écailles  ,  surtout  au  cuir  chevelu  ,  au  front,  aux 
bras  et  sur  le  dos  des  mains.  Les  ongles  deviennent  plus  épais, 
cassans,  d'un  rouge  brunâtre  ou  bleuâtre;  les  cheveux  sont 
secs  ,  plutôt  plats  qu'arrondis  ,  durs  et  forts  :  ils  perdent  leur 
poli  et  leur  brillant;  ils  grisonnent  à  partir  de  la  pointe  ,  d'a- 
bord sur  les  tempes  ,  puis  sur  le  reste  de  la  tête,  ensuite  à  la 
barbe ,  enfin  au  pubis ,  aux  sourcils  et  aux  paupières  ;  les 
cheveux  noirs  et  droits  blanchissent  de  meilleure  heure  que 
les  blonds  et  les  frisés  ;  lorsque  ces  productions  cornées  sont 
devenues  grises,  elles  ont  perdu  leur  force  et  se  cassent  aisé- 
ment. Les  parties  du  corps  où  les  poils  continuent  le  plus 
long-temps  de  croître  sont  les  sourcils,  les  paupières,  l'in- 
térieur du  nez  et  les  pieds  ;  enfin,  la  racine  se  flétrit ,  la  bulbe 
disparaît ,  et  le  poil  tombe  -.  la  chute  commence  au  sommet 
de  la  tête  ;  la  barbe  se  détache  rarement.  Chez  les  Mammi- 
fères, on  voit  blanchir  de  préférence  les  parties  dont  la  peau 
repose  immédiatement  sur  des  os,  sans  qu'il  y  ait  ni  graisse 
ni  muscles  au  dessous  d'elles ,  par  conséquent  aux  arcades 
surciliaires,  aux  apophyses  zygomatiques ,  au  bord  des  mâ- 
choires ,  etc. 


VlElItESSE.  l49 

ARTICLE    II. 

De  la  vie    animale. 
X.  Périphérie  animale. 

§  589.  A  regard  des  organes  et  des  fonctions  de  la  -vie  ani- 
male , 

1°  Le  cerveau  devient  ordinairement  plus  compacte  ;  ce- 
pendant Kœnig  Ta  trouvé  plutôt  un  peu  ramolli  que  raffermi 
à  la  surface  (1).  On  prétend  qu'il  diminue  aussi  de  volume. 
Portai  dit  qu'il  remplit  moins  la  cavité  crânienne ,  assertion 
contredite  par  Desmoulins  (2) ,  qui  se  fonde  sur  ce  que  le 
crâne  diminue  lui-même  de  capacité.  De  là  résulterait  que 
l'encéphale  des  vieil  ards  serait  spécifiquement  plus  léger  que 
celui  des  jeunes  gens.  Mais  ces  observations  n'ont  trait  qu'à 
des  individualités ,  car  les  frères  Wenzel(3;  n'ont  reconnu  au- 
cune diminution  dans  le  poids  de  l'organe.  Quelquefois  les 
lobes  postérieurs  du  cerveau  surtout  semblent  s'affaisser  ;  il 
n'est  pas  rare  ,  en  effet ,  qu'on  remarque  ,  à  la  partie  posté- 
rieure des  os  pariétaux  ,  une  dépression  parallèle  aux  deux 
côiés  de  la  suture  sagittale,  et  que,  sur  ce  point ,  la  pie-mère 
soit  détachée  du  crâne  dans  une  grande  étendue  ;  cependant 
on  ne  sait  rien  encore  des  conditions  de  la  vie  avec  lesquelles 
coïncide  ce  collapsus.  Desmoulins  dit  que  la  moelle  épinière 
devient  plus  sèche  et  se  resserre  sur  elle-même. 

2°  Les  nerfs  deviennent  plus  grêles  et  plus  secs  ;  on  ne  peut 
plus  en  poursuivre  les  branches  aussi  loin  ;  les  trous  du  crâne 
et  de  la  colonne  vertébrale  qui  leur  livrent  passage  se  rapetis- 
sent :  c'est  ce  qu'on  observe  en  particulier  dans  les  trous  sa- 
crés ;  aussi  arrive-t-il  souvent  de  trouver  les  nerfs  scialiques 
flétris  et  comme  desséchés.  Sœmmerring  assure  que  les  nerfs 
sous-orbiiaires  et  maxillaires  sont  à  moitié  plus  grêles  qu'au- 
paravant ,  et  les  lèvres  sont  les  parties  où  l'on  peut  le  mieux 
se  convaincre  du  changement  qu'ils  subissent  sous  le  rapport 

(1)  Nasse,  loc.  cit.,  p.  444. 

(2)  Anatomie  du  système  nerveux  ,  Paris,  4833,  deuxième  vol.,  in-8. 
(3j  De  penitiore  structura  cerebri ,  p.  257-296. 


l5o  VIEILLESSE. 

du  volume  et  de  la  fermeté.  Les  nerfs  dentaires  disparaissent, 
et  les  ouvertures  osseuses  par  lesquelles  ils  passent  s'oblitè- 
rent. Lorsqu'une  artère  s'eB'ace,  ses  nerfs  se  détruisent  aussi, 
de  même  que  la  disparition  des  nerfs  est  l'acheminement  vers 
Tossification  des  artères  et  la  condition  de  ce  phénomène.  Il 
s'efface  incontestablement  aussi  un  grand  nombre  d'autres  ex- 
trémités périphériques  des  nerfs,  notamment  à  la  peau  et  aux 
organes  génitaux. 

3°  Les  fondions  sensorielles  fléchissent. 

Celle  qui  faiblit  la  première  et  le  plus  est  la  vue  ,  de  sorte 
que  souvent  le  vieillard  reconnaît  plutôt  les  hommes  à  la  pa- 
role qu'à  la  vue.  La  vue  devient  plus  faible,  d'abord  par  la  di- 
minution de  la  force  nerveuse ,  puis  par  celle  de  la  transpa- 
rence des  milieux  de  l'œil;  car  la  cornée  lucide  devient 
plus  ferme ,  1  humeur  aqueuse  moins  abondante ,  le  cristallin 
elle  corps  vitré  plus  consistans,  outre  que  toutes  ces  par- 
ties se  troublent  un  peu ,  que  le  pigment  pâlit ,  que  la  rétine 
devient  plus  ferme  et  plus  mince,  que  sa  tache  jaune  prend 
une  teinte  moins  foncée ,  et  que  son  pli  s'efface.  Mais  comme 
l'humeur  aqueuse  diminue ,  que  la  cornée  s'aplatit ,  et  que  le 
cristallin  se  réduit  presque  aux  dimensions  d'un  simple  dis- 
que, la  lumière  éprouve  moins  de  réfraction,  et  l'œil  devient 
presbyte. 

L'ouïe  s'émousse  ,  et  quand  ce  phénomène  a  été  porté  frès- 
loin ,  c'est-à-dire  qu'il  a  produit  une  véritable  surdité ,  on 
trouve,  suivant  Pinel  (1),  les  nerfs  auditifs  plus  grêles, leurs 
conduits  osseux  plus  étroits ,  les  cavités  et  les  canaux  demi- 
circulaires  du  labyrinthe  moins  amples  et  plus  ou  moins  des- 
séchés. Iiard  assure  que  l'aquéduc  du  vestibule  a  quelquefois 
disparu  en  entier.  La  fenêtre  ronde  se  rétrécit,  ou  même  par- 
fois se  tourne  tout-à-fait  en  arrière ,  selon  Scarpa.  La  mem- 
brane du  tympan  s'épaissit,  le  conduit  auditif  devient  plus 
court  et  moins  sinueux  ;  il  se  remplit  d'un  cérumen  plus  épais. 
L'hélix  devient  plus  lisse ,  le  tragus  plus  pointu ,  la  cavité 
scaphoïde  plus  profonde,  le  lobule  plus  petit  (2). 


(1)  Arcliives  générales ,  t.  II ,  p.  247. 
(2) .Nasse,  loc.  cit.,  p. 447. 


VIEILLESSE.  l5l 

Le  toucher  perd  de  sa  délicatesse. 

Le  goût  et  l'odorat  sont  les  sens  qui  se  maintiennent  le  plus 
long-temps. 

Quant  à  l'appareil  locomoteur , 

4°  Les  os  s'amincissent  ;  ils  perdent  de  leur  poids  et  de  leur 
volume.  Les  recherches  de  Rullier  (1;  ont  éiabli  qu'ils  devien- 
nentspécifiquement  plus  légers,  parce  qu'ils  perdent  leur  den- 
siié  éburnée,  qu'ils  prennent  une  lexlure  plus  spongieuse  et 
plus  celluleuse,  qu'ils  acquièrent  de  la  fragilité,  que  les  con- 
duits veineux  et  les  cavités  médullaires  augmentent  de  capa- 
cité ;  le  diploé  disparaît  dans  les  os  larges  ;  leurs  deux  lames 
se  rapprochent;  elles  finissent  par  se  souder  ensemble,  et  il 
se  forme  même  quelquefois  des  trous ,  notamment  aux  os 
iliaques;  les  ouvertuies  qui  livrent  passage  aux  vaisseaux 
nourriciers  se  remplissent  d'un  dépôt  de  nouvelle  substance 
osseuse.  On  avait  cru  que  les  os  des  vieillards  devenaient  cas- 
sans  et  friables  par  la  perte  de  la  gélatine  destinée  à  en  unir  les 
molécules  calcaires  ;  mais  Tenon  (2)  a  reconnu  qu'ils  contien- 
nent aussi  moins  de  terre,  et  Ribes  a  constaté  que  l'ab- 
sorption poi  te  également  sur  le  phosphate  de  chaux.  Le  résulr 
tat  a  été  mis  en  parfaite  évidence  par  les  recherches  de 
Davy  (3)  et  de  Lassaigne  (4)  sur  la  mâchoire  inférieure  et  les 
dents  : 

Terre.  Substance  animale. 

(chez  l'enfant,  57,2  42,8 

chez  l'adulte,  59,5  â0,5 

chez  le  vieillard,  56,5  43,4 

I  chez  l'enfant,  71,5  28,5 

chez  l'adulte,  71  29 

chez  le  vieillard ,  67  33 

Les  cartilages  deviennent  plus  denses,  plus  secs,  plus  ru- 
des au  toucher,  plus  inflexibles;  quelquefois  ils  s'ossifient. 


(1)  Dict.  de  médecine,  1. 1,  p.  419. 

(2)  Méni.  de  rinstitut ,  t.  I,  p.  232. 

(3)  Mémoires  de  la  Société  niédic.  d'émulation  ,  t.  VIII,  p.  619. 

(4)  Rousseau,  Anatomie  comparée  du  système  dentaire,  p.  262. 


ï52  VIEILLESSE, 

snrtout  à  la  surface.  Les  li/ïamens  perdent  également  de  leur 
souplesse.  Le  ligament  péronien  s'ossifie  fréquemment,  par  les 
progrès  de  Tàge,  chez  lesRuminans,  et  donne  ainsi  naissance 
à  un  péroné.  Les  capsules  synoviales  deviennent  plus  denses 
et  plus  sèches ,  tandis  que  les  cartilages  articulaires  s'amin- 
cissent. 

6°  Les  muscles  prennent  une  couleur  plus  foncée  ,  et  per- 
dent de  leur  volume  ;  leurs  fibres  sont  ordinairement  rai- 
des,  et  dures,  quelquefois  seulement  flétries  et  sèches; 
leurs  parties  tendineuses  ,  notamment  celles  qui  occupent  les 
surfaces  couvertes  par  d'autres  muscles,  augmentent,  vraisem- 
blablement parce  que  les  gaines  celluleuses  des  fibres  muscu- 
laires disparues  deviennent  tendineuses.  Certains  tendons 
s'ossifient,  surtout  dans  les  points  où  il  y  a  frottement.  Leur 
ossification  a  lieu  chez  les  Oiseaux  avancés  en  âge.  Dans  un 
tel  état  de  choses ,  la  faculté  locomotrice  éprouve  des  restric 
tions  :  la  flexibilité  et  la  souplesse  sont  moins  grandes ,  le 
mouvement  est  plus  lent,  et  cause  promplement  delà  fatigue  ; 
il  obéit  moins  aux  ordres  de  la  volonté ,  il  est  souvent  trem- 
bloltant,  et  il  convient  moins  à  l'exécution  des  travaux  déli- 
cats ;  il  peint  l'état  de  l'âme  avec  moins  d'exactitude.  En  outre, 
il  a  moins  d'énergie ,  et  ne  peut  plus  triompher  de  résistances 
aussi  grandes.  Le  vieillard  aime  le  repos,  et  la  prédominance 
des  muscles  fléchisseurs  est  le  symbole  de  cette  disposition. 

7"  La  colonne  vertébrale  perd  un  peu  de  sa  hauteur  ,  les 
corps  des  vertèbres  devenant  plus  courts,  et  les  cartilages  in- 
tervertébraux plus  minces.  Fréquemment  la  prépondérance 
des  muscles  fléchisseurs  et  l'affaiblissement  des  extenseurs 
obligent  le  dos  à  se  voûter ,  de  sorte  que  la  tête  ne  peut  plus 
se  tenir  aussi  droite.  Chez  les  vieux  Mammifères  aussi,  le  dos 
se  courbe  ,  et  la  tête  devient  ordinairement  pendante.  D'a- 
près Quetelet ,  la  taille  diminue  déjà  de  quelques  lignes  à 
cinquante  ans,  et  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  elle  se  ré- 
duit de  soixante-quatre  pouces  et  un  quart  à  soixante-un 
trois  quarts  chez  l'homme,  de  soixante  et  demi  à  cinquante- 
six  trois  quarts  chez  la  femme.  Les  os  coccygiens  se  soudent 
avec  le  sacrum.  La  soudure  des  autres  corps  vertébraux  n'est 
qu'une  anonialie.  La  fossette  du  cœur  acquiert  plus  de  pro- 


VIEILLESSE.  l53 

fondeur;  les  clavicules,  les  côtes,  le  sternum,  les  crêtes 
iliaques  et  les  tubérosités  sciatiques  font  plus  de  saillie,  à 
cause  de  la  diminution  des  muscles  et  de  la  graisse.  L'ombilic 
est  enfoncé  et  petit  ;  les  os  des  îles  prennent  une  situation 
moins  verticale ,  et  les  fosses  iliaques  s'aplanissent. 

8°  D'après  les  recherches  de  Tenon  (1) ,  qui  demanderaient 
cependant  à  être  reprises  sur  une  plus  grande  échelle ,  le 
crâne  devient  plus  léger  et  plus  petit;  il  perd  les  deux  cin- 
quièmes du  poids  qu'il  avait  pendant  le  moyen  âge  ,  et  dimi- 
nue dans  le  sens  de  son  diamètre  vertical  tranverse,  d'une 
apophyse  mastoïde  à  l'autre  ,  de  son  diamètre  horizontal,  à  la 
hauteur  de  la  partie  inférieure  du  front ,  de  son  diamètre 
longitudinal,  et  de  son  diamètre  transverse.  Les  os  qui  le 
constituent  s'amincissent  ;  il  s'y  forme  parfois  des  trous  dans 
les  parties  les  plus  minces ,  par  exemple  à  la  portion  orbitaire 
du  jugal  ;  quelquefois  aussi  les  vides  naturels ,  par  exem- 
ple la  fente  orbitaire  antérieure,  acquièrent  plus  d'ampleur,  ou 
même  des  pièces  osseuses  se  séparent  les  unes  des  autres  (2). 
Mais  il  est  plus  général  d'observer  la  soudure  de  plusieurs  os , 
par  exemple  celle  des  cornets  inférieurs  avec  l'ethmoïde  et 
les  maxillaires  supérieurs,  et  l'effacement  des  sutures ,  parmi 
lesquelles  la  sagittale  est  celle  qui  disparaît  la  première ,  et  la 
lambdoide  celle  qui  se  conserve  le  plus  long- temps. 

9°  La  partie  inférieure  de  la  face  se  raccourcit,  par  la  perte 
des  dents  et  du  rebord  alvéolaire.  Comme  la  mâchoire  infé- 
rieure a  perdu  tout  son  bord  alvéolaire ,  elle  forme  un  plus 
grand  arc  que  la  supérieure  ,  de  manière  que  sa  partie  anté- 
rieure ne  correspond  plus  à  celle  de  cette  dernière ,  que  le 
menton  fait  une  forte  saillie  en  avant ,  et  qu'à  partir  de  son 
extrémité  ,  la  mâchoire  se  dirige  obliquement  de  bas  en  haut 
et  d'avant  en  arrière.  Il  suit  de  là  que  les  coins  de  la  bouche 
se  trouvent  placés  plus  basque  le  milieu  des  lèvres;  celles-ci 
s'enfoncent  en  dedans ,  parce  que  les  dents  ne  les  soutiennent 
plus;  le  bout  du  nez  fait,  au  dessus  de  la  lèvre  supérieure,  la 
même  saillie  que  le  menton  au  dessous  de  l'inférieure ,  et  de- 

(i)  Loc.  c^^,p.  231. 

(2)  Meckel ,  Manuel  d'anatomie ,  t.  IL 


l54  VIEILLESSE. 

vient  un  peu  pendant.  Comme  les  deux  mâchoires  sont  plus 
rapprochées  Tune  de  l'autre,  les  joues  deviennent  flasques  et 
plissées.  Les  angles  de  la  mâchoire  inférieure  et  les  os  des 
pommettos  font  plus  de  saillie;  les  tempes  sont  affaissées  par 
la  diminution  de  la  turgescence  et  du  volume  des  muscles 
crotaphites  ;  les  yeux  ont  perdu  une  partie  de  leur  feu  et  de  leur 
éclat ,  parce  que  la  conjonctive  a  pris  une  teinte  sale  et  rou- 
geàtre,  et  ils  sont  plus  creux,  parce  que  les  orbites  renfer- 
ment moins  de  graisse  et  que  les  paupières  sont  moins  tur- 
gescentes. Ces  dernières  présentent  aussi ,  surtout  dans  l'an- 
gle externe  de  l'œil ,  des  t  ides ,  qui  sont  les  premières  à  se 
manifester  ,  et  constituent  ce  qu'on  appelle  la  patte  d'oie. 
Les  sinus  frontaux  sont  devenus  plus  amples  encore ,  de  ma- 
nière que  le  front  fait  une  saillie  plus  considérable  à  sa  partie 
inférieure ,  et  qu'il  fuit  davantage  en  arrière  :  du  reste ,  il 
se  charge  de  rides,  et  comme  la  limite  des  cheveux  se  recule 
vers  le  vertex ,  il  semble  avoir  acquis  plus  de  hauteur  , 
surtout  quand  on  le  compare  à  la  partie  inférieure  de  la 
face,  qui  s'est  beaucoup  raccourcie.  Le  jeu  des  muscles  du 
visage  a  perdu  de  son  expression  et  de  sa  vivacité,  d'autant 
plus  que  la  chute  des  dénis  et  la  diminution  des  mâchoires 
ont  rendu  les  faisceaux  musculaires  moins  tendus. 

10°  L'élévation  du  menton  fait  que  la  peau  et  les  muscles 
de  la  face  antérieure  du  cou  sont  plus  tendus  et  produisent 
des  plis  longitudinaux.  Le  larynx  devient  plus  proéminent ,  et 
la  glande  thyroïde  a  perdu  un  peu  de  son  volume.  Comme  les 
organes  respiratoires  sont  affaiblis,  la  voix  est  devenue  plus 
faible  ;  la  sécheresse  et  la  rigidité  du  larynx  lui  donnent  un 
caractère  de  raucité,  et  la  mobilité  moins  grande  des  muscles 
laryngiens  et  de  ceux  de  la  langue  lui  enlève  une  partie  de 
sa  flexibilité  et  de  son  expression.  Ce  qui  contribue  le  plus  à 
l'altérer,  c'est  l'ossification  qui  s'empare  si  fréquemment  du 
larynx;  cette  altération  envahit  ordinairement  le  cartilage 
thyroïde,  puis  le  cartilage  cricoïde,  bien  plus  rarement  les 
aryténoïdes,  et  jamais  l'épiglotte  en  entier.  Suivant  Be- 
clard  (1) ,  elle  marche  de  bas  en  haut  et  d'avant  en  arrière. 

(1)  Deuta^hes  Archiv,  t.  VI,  p.  434. 


VIEILLESSE.  l55 

L'ossification  des  cartilages  de  la  trachée-artère  est  une  ano- 
malie plus  rare.  Du  resie,  la  parole  devient  moins  distincte, 
à  cause  de  l'absence  des  dents ,  parce  que  les  muscles  des 
lèvres  et  des  joues  sont  moins  tendus ,  et  enfin  parce  que  la 
langue  est  trop  volumineuse ,  proportionnellement  à  la  cavité 
orale,  dont  l'ampleur  a  diminué. 

H°  Les  membres  sont  plus  raides  et  les  articulations  moins 
flexibles.  Si ,  par  exemple  ,  il  était  possible  à  l'enfant  de  por- 
ter le  pied  à  la  bouche ,  le  vieillard  ne  peut  plus  l'amenen  au- 
delà  du  genou.  Outre  que  la  colonne  vertébrale  a  perdu  de 
sa  hauteur,  et  qu'elle  s'étend  moins,  la  hauteur  du  corps  di- 
minue encore  par  le  raocourcissement  des  membres  inférieurs, 
qui ,  de  plus ,  perdent  l'aptitude  à  s'étendre  d'une  manière 
complète.  Le  col  du  fémur  devient  plus  horizontal,  et  la  léte 
de  l'os,  située  presque  sur  le  même  plan  que  le  grand  tro- 
chanter,  pénètre  plus  profondément  dans  la  cavité  cotyloïde, 
qui  s'est  creusée  davantage  ;  les  surfaces  osseuses  de  l'articu- 
lation du  genou  et  de  celle  du  pied  sont  moins  bombées,  le 
fémur  et  le  tibia  décrivent  une  plus  grande  courbure.  Le  ge- 
nou s'étend  moins  ,  la  marche  devient  moins  sûre  ,  ou  n'ac 
quiert  un  peu  de  solidité  qu'autant  que  la  plante  entière  du 
pied  pose  à  terre. 

42°  Le  vieillard  s'endort  aisément,  mais  se  réveille  avec 
non  moins  de  facilité ,  et  le  moindre  bruit  suffit  pour  inter- 
rompre son  repos.  Le  sommeil  s'empare  promptement  de  lui , 
mais  le  rafraîchit  aussi  en  peu  de  temps ,  de  sorte  qu'il  est 
court,  mais  fréquent.  Au  total,  le  vieillard  dort  beaucoup; 
mais  comme  son  sommeil  éprouve  de  fréquentes  interruptions, 
qu'il  est  presque  toujours  troublé  par  des  rêveries  ,  et  qu'il 
finit  par  ne  plus  être  qu'une  sorte  d'état  intermédiaire  entre 
le  rêve  et  la  veille ,  les  vieillards  se  plaignent  souvent  à  tort 
de  ne  point  dormir  pendant  la  nnit,  remarque 'qui  avait  déjà 
été  faite  par  Rush  (1)  et  par  Brandis  (2). 


(1)  Sammlung  auserlesener  Âbhandlungen,  t.  XVII ,  p.  i  32. 

(2)  Lehre  von  den  Affehten  des  lehenden  Organismus,  p.  567. 


1 56  VIEILLESSE. 

II.  Activité  de    l'âme 

§  590.  L'activité  plastique  est  le  prototype  de  la  vie  morale. 
Elle  n  est  point  frappée  d'une  faiblesse  absolue  ,  mais  prend 
seulement  une  autre  direction  ;  elle  reçoit  moins  du  monde , 
y  dépose  aussi  moins  de  ses  produits,  et  consomme  davantage 
ses  propres  formations  ;  par  conséquent,  elle  fait  servir  à  son 
maintien  les  résultats  de  son  activité  passée,  et  la  contraction 
de  l'organisme  lui  impose  Tobligation  de  se  tourner  davantage 
vers  l'iniérieur.  Or,  la  même  chose  a  lieu  pour  les  facultés  de 
l'âme.  Ainsi  la  vie ,  considérée  dans  son  essence ,  ne  consiste, 
depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin,  qu'en  un  déploiement 
harmonique  de  forces,  et  c'est  admettre  un  être  de  raison  que 
de  croire  à  l'existence  d'une  maladie  conforme  à  la  nature  et 
normale.  De  même  que  la  vieillesse  n'est  point  marasme  ,  de 
même  aussi  elle  n'est  point  extinction  ou  absence  de  facultés 
intellectuelles.  Assurément  il  peut  se  faire ,  quand  une  cir- 
constance quelconque  vient  à  rompre  l'équilibre,  que  l'esprit 
baisse,  ou  s'éteigne,  comme  on  voit,  en  pareil  cas,  survenir 
l'ossification  et  l'atrophie,  mais  il  n'est  pas  plus  permis  de  voir 
là  un  caractère  essentiel  de  la  vieillesse,  que  d'attribuer  exclu- 
sivement le  rachitisme  aux  enfans,  la  phihisie  pulmonaire  aux 
jeunes  gens ,  les  inflammations  aux  hommes  faits,  et  la  goutte 
aux  vieillards.  Lorsque  le  genre  de  vie  est  conforme  à  la  na- 
ture, et  que  les  circonstances  sont  favorables,  l'âme  conserve 
sa  force  intacte ,  quoique  son  activité  revête  d'autres  formes. 
L'esprit,  quand  il  n'a  point  été  précédemment  étouffé  par  la 
sensualité ,  perce  encore  à  travers  l'enveloppe  extérieure ,  de 
manière  à  commander  le  respect ,  et  nous  ne  manquons  pas 
d'exemples  de  vieillards  qui  ont  allié  les  plus  hautes  facultés 
morales  à  un  physique  épuisé  par  la  maladie  (d) ,  quoiqu'on 
puisse  mourir  dans  un  âge  fort  avancé  sans  avoir  jamais  été 
malade,  à  proprement  parler.  On  ne  saurailnon  plus  tirer  au- 
cune induction  certaine  de  l'état  matériel  du  cerveau  et  du 
crâne.  Quand  Ribes ,  par  exemple ,  prétend  que  les  facultés 

(1)  Carus  ,  Psychologie  ,  t.  II ,  p.  83. 


VIEILLESSE.  1 57 

intellectuelles  sont  toujours  plus  ou  moins  troublées  chez  les 
sujets  qui  offrent  la  soudure  des  os  du  crâne  (1),  il  suffît  de  se 
rappeler  l'exemple  de  lord  Byron ,  pour  voir  combien  celte 
assertion  est  dénuée  de  fondement.  Du  reste,  il  n'est  rien  moins 
que  prouvé  qu'un  changement  s'opère  généralement  dans  le 
cerveau  chez  les  personnes  d'un  âge  avancé.  Semblables  au 
médecin  qui ,  dans  une  ouverture  de  cadavre  commandée  par 
la  justice  ,  se  croit  obligé  de  trouver  une  cause  palpable  de  la 
mort ,  ne  fût-ce  même  qu'un  peu  de  sang  accumulé  dans  les 
parties  les  plus  déclives  du  corps,  les  anatomistes  se  sont 
quelquefois  épuisés  en  efforts  pour  expliquer  la  mort  sénile , 
et  ils  ont  attribué,  comme  caractères,  à  la  vieillesse,  toutes  les 
anomalies  qu'ils  ont  pu  rencontrer  chez  des  vieillards  ma- 
lades. 

Le  caractère  de  la  vieillesse  consiste  en  ce  que  la  vie  morale 
s'est  repliée  sur  elle-même. 

I.  Le  conflit  avec  le  monde  extérieur  est  diminué;  mais  si 
jusqu'alors  l'individu  n'a  attaché  d'importance  qu'aux  objets 
du  dehors  ,  si ,  dans  sa  vie  tout  extérieure  ,  il  a  négligé  de 
développer  ce  qu'il  y  a  au  dedans  de  lui-même,  alors  la 
vieillesse  est  assurément  le  caput  mortuum  de  la  vie. 

1°  Comme  les  sens  sont  émoussés  et  les  mouvemens  plus 
faibles,  l'activité  extérieure  diminue  aussi  ;  le  tumulte  de  la  so- 
ciété étourdit ,  et  la  contrainte  des  affaires  devient  désagréa- 
ble ;  le  goût  du  calme  et  du  repos  va  toujours  en  croissant. 
2°  Chez  les  animaux  qui  vivent  en  troupes,  le  Sangher,  le 
Chamois ,  etc. ,  les  mâles  âgés  ont  coutume  de  quitter  la 
société  et  de  mener  une  vie  solitaire  -.  le  vieillard  aussi  se 
renferme  davantage  en  lui-même.  Cette  disposition  se  déve- 
loppe après  l'extinction  de  la  faculté  procréatrice  et  l'établis- 
sement des  enfans  ,  car  ceux-ci  quittent  la  maison  paternelle 
pour  jouir  d'une  existence  indépendante.  Il  est  naturel  que 
les  jeunes  gens  s'éloignent  jusqu'à  un  certain  point  des  vieil- 
lards, comme  d'êtres  d'une  espèce  à  part,  et  qu'ils  veuillent 
goûter  seuls  les  joies  de  leur  âge  ;  mais,  d'un  autre  côté, 

(1)  PeutscJifs  4rcUv ,  t.  VI,  p.  447. 


l58  VIEILLESSE. 

beaucoup  de  ses  contemporains  ayant  été  frappés  de  mort , 
le  vieillard  se  trouve  seul  au  milieu  d'une  génération  qui  s'est 
formée  sous  l'empire  d'autres  circonstances,  dont  les  idées  et 
les  mœurs  lui  sont  étran(}ères ,  et  qui ,  par  le  seul  fait  de  la 
différence  des  âges,  a  moins  de  points  de  contact  avec  lui. 

3°  Il  sympathise  donc  |moins  avec  la  génération  nouvelle. 
D'un  côté,  ses  forces  ne  lui  permettent  plus  de  contribuer 
immédiatement  au  bonheur  des  autres ,  et  il  est  oblijïé  de  les 
réserver  pour  lui-même ,  sa  propre  vie  ayant  plus  besoin  de 
ménagemei  t  ;  d'un  autre  côté  ,  l'habitude  de  voir  souffrir  , 
l'observation  souvent  répétée  que  les  malheureux  le  sont 
presque  toujours  par  leur  faute  et  que  les  secours  d'autrui 
leur  profitent  peu  ,  la  conviction  enfin  que  le  mal  est  inévi- 
table,  l'ont  rendu  plus  froid. 

4°  Sa  réceptivité  a  diminué,  sous  le  point  de  vue  de  l'éten- 
due, comme  sous  celui  de  l'intensité;  il  est  devenu  indifférent 
pour  beaucoup  de  choses  qui  l'intéressaient  vivement  autre- 
fois ;  les  événemens  agréables  ou  désagréables  produisent 
moins  d'effet  sur  lui  ;  ses  affections  sont  plus  rares  et  plus 
calmes  ;  ses  d isirs  sont  plus  limités,  et  ils  ne  portent  plus 
autant  1-e  caractère  de  la  passion. 

5°  La  faculté  d'admettre  et  de  créer  du  nouveau  diminue. 
Le  vieillard  saisit  moins  facilement  les  idées  étrangères  aux 
siennes  ;  il  oublie  aisément  ce  qu'il  a  appris  depuis»  peu  ,  ou 
même  ce  qu'il  a  dit  et  fait  naguère  ;  il  est  obligé  d'interroger 
plus  long-temps  ses  souvenirs.  L'assimilation  intellectuelle 
ayant  diminué,  la  productivité  de  l'esprit  est  également  moins 
active.  On  ne  voit  plus  de  ces  vastes  créations  qui  supposent 
un  élan  immense  de  l'imagination  ,  et  si  nous  avons  des 
exemples  de  vieillards  qui  se  sont  distingués  par  des  produc- 
tions d'une  rare  perCeciion  ,  comme  Gaton  et  Sénèque  ,  Robert 
Constantin  et  Hamann  ,  Rubens  et  Raphaël,  etc.  (1),  il  s'agis- 
sait là  d'œuvres  du  jugement  parvenu  à  maturité,  plutôt  que 
d'une  faculté  créatrice  de  travaux  dont  le  germe  s'était  pré- 
cédemment développé  dans  l'âme ,  ou  d'effets  dépendans  d'une 
exaltation  momentanée  de  la  vie  intellectuelle. 

(d)  Carus,  îoc.  cit.i  p.  84. 


VIEILLESSE.  1S9. 

6»  Mais  toiitPS  ces  facultés  d'admission  et  de  réaction  ne 
font  que  se  reiirer  peu  à  peu  sur  lat rière-plan ,  sans  dispa- 
raître entièrement ,  et  le  défaut  absolu  d'exprcice  de  leur 
part  est  tellement  peu  dans  la  nature ,  qu'il  ne  fait  que  muti- 
ler et  dégrader  la  vieillesse.  Swift ,  par  exemple  ,  est  du  petit 
nombre  des  savans  qui  tombèient  dans  limbécillité  au  déclin 
de  leur  vie;  mais  ce  pliénomène  tint,  suivant  la  remarque  de 
Eiish  (1),  d'un  côlé  ,  à  ce  que  l'avarice  l'éloijjna  de  toute 
société,  d'un  autre  côté  ,  à  ce  que  le  serment  qu'il  avait  fait, 
dans  sa  j(^unesse,  de  n'avoir  jamais  recours  aux  lunettes,  lui 
imposa  la  nécessité  de  renoncer  à  la  littérature.  Le  même 
observateur  a  reconnu  que  les  vieillards  conservent  plus  de 
vivaciié  et  une  meilleure  santé  lorsqu'ils  fréquentent  des  jeunes 
gens  (2)  :  Kant  ne  voulait  pas  d'anti  e  société.  Il  fut  long-temps 
sans  croire  à  l'amitié  ,  et  souvent  on  l'avait  entendu  dire  : 
«  Mes  chers  amis,  il  n'y  a  point  damis  !  »  Mais ,  sur  ses  vieux 
ans,  il  apprit  à  connaître  le  prix  de  l'amitié,  comme  à  en  sen- 
tir le  besoin. 

7°  Le  vieillard  ne  pouvant  plus  être  d'aucune  utilité  immé- 
diate à  l'union  sociale  ,  les  peuples  civilisés  l'exemptent  du 
service  militaire ,  de  la  tutelle  et  de  toutes  les  fonctions  péni- 
bles. Tandis  que,  chez  la  plupart  des  Orientaux,  par  exemple, 
il  jouit  de  la  société ,  notamment  de  la  vie  de  famille  et  des 
témoignages  de  respect  qu'on  lui  acco'de,  chez  les  Hindous, 
au  contraire,  il  se  retire  souvent,  seul  ou  avec  sa  com- 
pagne, dans  une  contrée  déserte,  pour  y  consacrer  le  reste 
de  ses  jours  à  la  piété  ,  après  avoir  abandonné  sa  fortune  à 
l'aîné  de  ses  fils  (3).  Mais,  chez  plusieurs  peuples  grossiers, 
qui  n'attachent  de  valeur  qu'à  la  force  musculaire  et  à  la 
perfection  des  sens  ,  son  sort  est  affreux  ;  cependant  on  voit 
des  hordes  voisines  de  cell  s-là  ,  et  qui  sont  unies  avec  elles 
par  les  liens  de  la  consanguinité ,  présenter  le  tableau  naturel 
du  sentiment  humain  dans  toute  sa  pureté.  Ce  contraste  a  lieu 
chez  les  sauvages  du  nord  de  l'Amérique  ;  plusieurs  d'entre 

(1)  Sammlung  auserlesener  ^hhandlungen ,  t.  XVII,  p.  J26, 

(2)  Ihid.,  1».  436. 

(3;  Hafiiei* ,  Heise  laanijs  der  Kuesta  Orioca  u?id  Koromandel ,  X,  I, 
p.  71. 


l6o  VIEILLESSE. 

eux ,  ceux  de  la  baie  d'Hudson  ,  par  exemple  ,  traitent  les 
vieillards  avec  mépris,  ne  leur  accordent  de  la  nourriture  et 
des  vêtemens  qu'après  que  tous  les  autres  en  sont  pourvus  , 
leur  donnent  ce  qu'il  y  a  de  plus  mauvais ,  et  les  abandonnent 
quand  ils  ne  peuvent  plus  les  suivre  dans  leurs  courses  erran- 
tes (1) ,  à  moins  que  le  fils  ne  donne  par  compassion  le  coup 
de  la  mort  à  son  père  courbé  sous  le  poids  des  ans  (2) ,  comme 
il  arrive  aussi  chez  les  Chipiouays  (3)  ;  mais  les  Cries  les 
honorent ,  et  cherchent  à  leur  conserver  la  vie  (4)  ;  de  même 
les  sauvages  du  Missouri  ont  beaucoup  de  vénération  pour 
eux  lorsqu'ils  ont  été  braves,  et  les  jeunes  gens  se  plaisent  à 
écouter  leurs  conseils  (5). 

II.  Le  second  trait ,  qui  découle  de  l'empire  plus  grand 
acquis  par  le  côté  intérieur  de  la  vie,  est  l'attachement  aux 
résultats  de  l'activité  passée  (§  588,  8°).  Lorsque  l'homme  n'a 
rien  acquis  de  stable  pendant  ses  jeunes  années ,  il  manque 
du  nécessaire  sur  ses  vieux  jours. 

8°  Les  acquisitions  faites  dans  le  domaine  de  l'esprit  main- 
tiennent et  alimentent  la  vitalité  de  l'âge  avancé.  A  quatre- 
vingts  ans,  Voltaire  versait  des  larmes  d'émotion  et  de  joie  en 
voyant  représenter  ses  tragédies.  Lorsque  le  marasme  dont 
Kant  était  atteint  lui  inspirait  des  idées  mélancoliques  ,  et  lui 
arrachait  des  plaintes,  on  ramenait  bientôt  la  sérénité  dans 
son  âme  en  le  questionnant  sur  des  sujets  de  physique  ou  de 
chimie,  et  peu  de  jours  avant  sa  mort,  lorsque  déjà  il  était 
devenu  sourd  à  tous  les  détails  de  la  vie  commune ,  une  ques- 
tion ethnologique  le  tira  de  sa  stupeur,  au  point  qu'il  put 
développer  longuement  et  avec  vivacité  son  opinion. 

9°  Ce  qui  caractérise  le  vieillard ,  c'est  de  tenir  plus  aux 
résultats  généraux  qu'aux  détails.  On  peut  citer  pour  exem- 
ple le  centenaire  qui  disait  gaîment  à  Rush  (6)  :  J'ai  oublié 
tout  ce  que  je  savais  ,  excepté  Dieu.  La  faiblesse  de  Newton 
ne  consistait  pas  à  ne  plus  comprendre  les  calculs  qui  l'ont 

(1)  Hearne,  loc.  cit.,  p.  225. 

(2)  Zimineimann ,  loc.  cit.^  t.  III,  p.  97. 

(3)  Ihid.,  p.  153. 
(4)/4id.,  t.IV,p.l83 

(5)  Perrin  du  Lac ,  loc,  cit.,  1. 1,  p.  d79. 

(6)  Ue.  cit.,  p.  125. 


VIEILLESSE.  161 

élevé  si  haut ,  mais  à  déplorer  cette  perte ,  à  ne  point  vouloir 
se  contenter  de  connaître  la  loi  de  la  gravitation ,  mais  à 
placer  au  premier  rang  l'art  qui  la  lui  avait  fait  découvrir. 

10°  Comme  la  force  d'acquérir  est  épuisée ,  le  principe  de 
la  stabilité  prédomine ,  et  avec  lui  la  tendance  à  conserver,  à 
jouir  de  ce  qu'on  a  acquis.  Le  vieillard  cherche  moins  à  éten- 
dre ses  possessions  qu'à  les  consolider.  Tout  en  lui  porte  le 
caractère  de  la  fixité  ,  et  la  coutume  est  toute  puissante  à  ses 
yeux ,  parce  que  tous  ses  goûts  et  ses  désirs  ont  un  caractère 
mieux  déterminé  et  plus  constant.  Aussi  les  innovations  lui 
inspirent-elles  de  la  défiance ,  aussi  est-il  enclin  à  faire  un 
tableau  trop  rembruni  des  vices  du  présent  et  une  peinture 
trop  brillante  des  qualités  du  passé. 

III.  Comme  la  concentration  mène  à  l'unité  ,  et  que  l'unité 
dans  le  multiple  conduit  à  la  généralité ,  le  troisième  trait  du 
caractère  des  vieillards  est  l'universalité. 

Le  vieillard  est  presbyte  (§  589,  3°),  et  tandis  qu'il  n'aper- 
çoit plus  les  objets  rapprochés,  peu  volumineux,  isolés,  il 
distingue  mieux  tout  ce  qui  est  grand ,  éloigné  et  entier. 

llo  II  a  en  partage  la  sagesse,  qui  consiste  à  apercevoir  net- 
tement les  cas  particuliers,  à  les  embrasser  sous  des  points  de 
vue  généraux ,  à  voir  le  monde  sans  qu'aucun  nuage  vienne 
s'interposer  entre  l'œil  et  lui.  Ce  n'est  pas  sans  dessein  que  les 
peuples  adonnés  à  l'anthropomorphisme  ont  représenté  Ju- 
piter et  Dieu  le  père  sous  la  forme  d'un  vieillard  (1).  La  plu- 
part des  peuples  n'ont  également  choisi  que  des  vieillards 
pour  remplir  la  dignité  de  grand-prêtre.  A  mesure  que  la 
sensualité  diminue  ,  l'idée  se  développe  plus  librement ,  non 
dans  le  champ  sans  bornes  de  l'imagination,  mais  dans  le  ca- 
dre de  l'expérience  ;  elle  procure  ainsi  la  notion  de  l'ordre 
du  monde  ,  elle  apprend  à  reconnaître  que  l'imperfection  de 
la  vie  terrestre  et  le  défaut  de  raison  entrent  comme  élémens 
nécessaires  dans  la  constitution  de  l'univers,  elle  préserve  des 
faux  jugemens  sur  le  malheur  immérité  ,  sur  le  vice  triom- 
phant, sur  la  vertu  mal  assurée,  elle  fait  enfin  apercevoir 


(1)  Nasse,  loc.  cit.,  p.  110, 

Y.  Il 


l6s  VIEILIESSE.^ 

l'empire  absolu  de  l'idéal  jusque  dans  l'aveugle  instinct  qui 
préside  au  tumulte  du  monde. 

12'^  Le  Jugement  est  plus  juste  aussi,  parce  que  les  affections 
et  les  passions  ne  viennent  point  l'offusquer  ;  la  conduite  est 
pins  réfléchie ,  plus  calme  ,  plus  prudente ,  et  si  la  parole  a 
perdu  le  don  de  briller  par  des  images ,  elle  sait  présenter  de 
sages  conseils  sous  la  forme  de  sentences,  qui  s'inculquent  plus 
profondément  dans  l'âme. 

13°  La  moralité  est  plus  pure.  Nulle  part ,  dit  Rush  (1),  on 
ne  trouve  l'exemple  d'un  vieillard  chez  lequel  les  sentimens 
Moraux  ou  religieux  qui  distinguent  l'homme  se  soient  affai- 
blis. Une  certaine  mollesse  de  caractère  caractérise  la  der- 
nière période  de  la  vie ,  et  chez  l'homme  même  qui  s'était 
distingué  par  sa  rudesse  ,  la  dureté  fait  place  à  la  douceur, 
quand  le  pouvoir  d'agir  au  dehors  diminue  et  que  le  senti- 
ment de  soi-même  s'affaiblit.  Lorsque  la  vie  procréatrice  ne 
s'était  montrée  que  sous  la  forme  individuelle  ,  que  sous  son 
côté  sensuel  (§  241) ,  c'est  assurément  un  malheur  pour 
l'homme  qu'elle  vienne  à  s'éteindre  ;  mais,  quand  elle  a  suivi 
la  marche  prescrite  par  la  nature,  et  qu'elle  a  pris  une  forme 
en  harmonie  avec  sa  véritable  destination ,  elle  amène  aussi 
des  résultats  consécutifs  qui  sont  propres  à  réjouir  l'âme  ; 
l'amour  que  le  vieillard  porte  à  ses  petits  enfans  et  arrière 
petits  enfans  ,  à  une  génération  qu'il  ne  verra  point  dans  toute 
sa  fleur,  surpasse  même  en  pureté  l'amour  pour  les  enfans 
directs  ;  et  lorsqu'il  a  pu  amasser  pour  ses  descendans ,  ne 
dût-il,  après  sa  mort,  s'offrir  que  sous  ce  seul  point  de  vue 
à  leur  souvenir  reconnaissant ,  il  y  a  là  quelque  chose  qui 
Félève  bien  au  dessus  de  l'existence  purement  matérielle. 

43°  D'ailleurs,  comme  il  est  arrivé  à  la  liberté  par  l'empire 
delà  raison,  le  vieillard  voit  sans  trouble  la  mort  s'approcher 
de  lui  ;  car,  toutes  les  fois  qu'on  a  poursuivi  un  but  déterminé 
tfans  la  vie  .  on  finit  tôt  ou  lard  par  éprouver  de  la  satiété  dès 
qu'on  y  est  parvenu.  Aussi  la  plupart  des  vieillards  ne  crai- 
gnent  point  la  mort  (2)  j  il  y  en  a  beaucoup  qui  la  désirent 


(1)  Loc.  cit.,  p.  d27. 

(2)  Rush, /yc.  citr,  p.  dSO. 


VIEILLESSE,  l65 

sincèrement ,  qui  même ,  comme  Kant ,  l'attendent  avec  im- 
patience, pour  être  délivrés  de  leurs  maux.  Cette  libre  et 
calme  intuition  de  sa  fin  prochaine  place  le  vieillard  au  point 
culminant  de  Thumanité.  Le  plus  sûr  moyen  pour  lui  d'y  par- 
venir est  d'imiter  Lichtenberg ,  qui ,  dès  les  premières  an- 
nonces de  la  vieillesse ,  se  mit  à  observer  avec  intérêt  le  plus 
long  et  le  plus  court  jour  de  l'année ,  et  à  considérer  tous 
les  signes  de  destructibilité  des  choses  extérieures  comme 
autant  de  bornes  miliaires  de  sa  propre  vie.  C'est  en  s' accou- 
tumant ainsi  à  réfléchir  froidement  sur  le  caractère  de  sa  na- 
ture périssable  que  Lichtenberg  parvint  à  tourner  lui-même 
en  plaisanterie  la  diminution  de  ses  facultés  intellectuelles  : 
"Toute  mon  activité,  dit-il,  n'aboutit  plus  qu'à  de  petits 
"profits-.il  y  a  encore  des  charbons,  mais  la  flamme  est 
"éteinte.  Lorsqu'autrefois  je  voulais  pêcher  des  idées  dans 
»ma  tête ,  j'en  attrapais  toujours  quelques  unes  ;  faujourd'hui 
»les  poissons  ne  se  laissent  plus  prendre  ainsi  ;  on  dirait  qu'ils 
«tiennent  au  sol,  et  je  suis  obligé  de  les  arracher;  quelque- 
»fois  aussi  je  ne  les  obtiens  que  par  lambeaux,  comme  ceux 
»qui  lardent  les  pierres  du  Monte  Bolca,  et  je  suis  réduit  à 
«les  rapièceter  ensuite  tant  bien  que  mal  (1).  « 

14°  Cette  sérénité  d'âme  couronne  la  fin  d'une  vie  active 
et  conforme  à  la  nature.  Si  Fontenelle  considérait  comme  le 
temps  le  plus  heureux  de  sa  vie  la  période  de  cinquante-cinq 
à  soixante-quinze  ans,  pendant  laquelle  il  put  jouir  du  repos, 
sa  réputation  et  sa  fortune  étant  alors  assurées ,  il  a  fallu 
des  incommodités  accidentelles  pour  l'empêcher  d'en  dire  au- 
tant des  autres  années  qui  s'écoulèrent  jusqu'à  sa  mort.  La 
satisfaction  est  le  véritable  caractère  de  la  vieillesse  ;  on  est 
en  jouissance  de  ce  qu'on  a  poursuivi  sérieusement ,  l'orage 
des  passions  est  calmé ,  les  efforts  que  la  lutte  avait  rendus 
nécessaires  ont  cessé ,  et  l'on  a  conquis  la  paix  du  vainqueur. 
Sous  ce  point  de  vue  même,  la  diminution  des  facultés  a  son 
beau  côté ,  car  Rush ,  par  exemple  (2),  cite  un  vieux  savant 
qui  se  félicitait  de  n'avoir  plus  autant  de  mémoire,  parce  que 


(1)  Fermischte  Schriften,X.  I,  p.  43. 
(2)ioe,  ci^.,p.l25. 


l64  VIEILLESSE. 

la  lecture  d'un  bon  livre  lui  procurait  toujours  un  nouvéàil 
plaisir. 

lîl.  Retour  vers  un  âge  moins  avancé. 

§  591.  On  voit  se  manifester,  chez  le  vieillard ,  des  traits 
d'un  âge  moins  avancé. 

I.  Et  d'abord  ceux  de  l'enfance. 

1"  Le  vieillard  ressemble  à  l'enfantpar  l'absence  des  dents 
et  de  la  faculté  procréatrice ,  par  la  petitesse  des  mâchoires 
et  par  la  faiblesse  des  muscles.  Le  parallèle  entre  ces  deux 
âges  a  été  singulièrement  étendu ,  entre  autres  par  Fischer  (1). 
On  lui  a  même  donné  quelquefois  une  extension  ridicule ,  en 
allant  jusqu'à  faire  consister  l'essence  de  la  vieillesse  dans 
un  retour  vers  l'enfance ,  parce  qu'on  prenait  pour  échelle 
l'imbécillité  enfantine  et  autres  faibles  de  tels  ou  tels  indivi- 
dus. Jœrg  (2)  a  suffisamment  réfuté  cette  opinion,  reproduite 
mille  fois  et  jusqu'à  satiété.  En  effet ,  il  y  a  une  différence  es- 
sentielle entre  l'enfance  et  la  vieillesse.  Chez  l'enfant ,  la  vie 
extérieure  est  encore  faible  ,  parce  qu'elle  se  développe,  et 
qu'elle  n'est  que  le  précurseur  de  la  ^vie  intérieure  ;  chez 
le  vieillard ,  au  contraire ,  elle  est  refoulée  par  la  prédomi- 
nance de  cette  dernière.  L'âge  ne  revient  pas  plus  sur  son 
essence  que  le  temps  sur  ses  pas  ;  mais,  de  même  qu'en  mar- 
chant vers  Féternité  ,  le  temps  reproduit  des  circonstances  qui 
déjà  ont  eu  lieu,  de  même  aussi,  en  s' avançant  vers  son 
terme ,  la  vie  humaine  reprend  des  formes  qu'elle  avait  déjà 
revêtues,  de  telle  sorte  cependant  que  ces  phénomènes 
jouent  toujours  en  elle  un  rôle  très-subalterne.  Le  vieillard 
renonce  à  la  société  civile ,  et  en  secoue  les  chaînes,  parce 
qu'il  est  devenu  assez  mûr  pour  s'élever  à  l'universalité , 
tandis  que  l'enfant  ne  peut  encore  y  entrer,  parce  que  son 
horizon  est  trop  borné.  Celui-ci  suit  la  nature,  mais  sans  en 
avoir  la  conscience ,  parce  qu'il  est  un  produit  de  la  nature  ; 
celui-là,   au  contraire,  acquiert  l'impartiahté  de  l'enfant, 


(1)  Ahhandlung  von  dem  îiohen  Alter  des  Menschen^  p.  86-91. 

(2)  Des  Mensch  auf  seinen  Entwickelungsstufen  gescliildert,  p.  458- 
470. 


VIEILLESSE.  l65 

parce  que  la  raison,  aidée  de  la  liberté  et  de  la  conscience 
de  soi-même,  Ta  ramené  des  œuvres  humaines  à  la  nature. 
Ainsi  la  faiblesse  enfantine  du  vieillard  malade  n'a  qu'une 
fausse  analogie  avec  le  degré  normal  de  développement  des 
forces  qui  caractérise  l'enfance.  Si ,  chez  les  individus  dont 
l'organisation  est  incomplète,  la  vieillesse  ramène  l'apparence 
du  rachitisme ,  des  scrofules  et  du  marasme  (1) ,  il  y  a  une 
différence  absolue  dans  l'essence  de  la  maladie ,  malgré  l'ana- 
logie de  la  forme  sous  laquelle  elle  se  présente.  La  manière 
la  plus  simple  d'exprimer  le  rapport  des  deux  âges  l'un  avec 
l'autre  est  de  dire  qu'ils  diffèrent  quant  à  l'essence ,  mais  se 
ressemblent  eu  égard  à  quelques  formes  de  manifestation , 
même  sous  le  point  de  vue  matériel.  Ainsi,  a-t-on  égard  à  la 
surface  édenlée  des  mâchoires ,  l'enfant  et  le  vieillard  se  rap- 
prochent l'un  de  l'autre  ;  mais  vient-on  à  pénétrer  dans  le 
tissu  des  os ,  à  l'instant  on  découvre  une  différence  essentielle 
entre  eux. 

2°  La  femme  se  distingue  par  la  concentration  et  la  ténacité 
de  sa  vie,  et  elle  se  rapproche  plus  de  la  vieillesse ,  en  même 
temps  qu'elle  retient  davantage  le  caractère  de  l'enfance. 
Aussi  est-elle  plus  long-temps  matrone  ,  c'est-à-dire  qu'elle 
le  devient  de  meilleure  heure,  et  qu'elle  a  une  vie  plus  lon- 
gue ;  ses  cheveux  blanchissent  et  tombent  plus  tard  ;  elle 
conserve  plus  long-temps  l'intégrité  de  ses  sens  et  de  sa  mé- 
moire ;  son  regard  demeure  "plus  vif ,  ses  mouvemens  sont 
plus  faciles  ,  elle  est  moins  sujette  au  marasme  et  aux  ossifi- 
cations ;  les  maladies  morales  de  la  vieillesse ,  l'égoisme ,  la 
dureté,  la  morosité,  la  taciturnité,  le  radotage,  la  malpro- 
preté, etc.,  se  voient  plus  rarement  chez  elle.  Ajoutons  que 
l'âge  ne  lui  impose  pas  ,  comme  à  l'homme  ,  la  nécessité  de 
sortir  de  son  cercle  d'action ,  et  qu'elle  demeure  dans  la  si- 
tuation dont  elle  a  contracté  l'habitude  ,  ^qui  lui  est  devenue 
chère.  Mais  comme  il  entre  dans  sa  condition  de  tomber  tou  - 
jours  plus  bas  que  l'homme  ,  quand  elle  fait  une  chute ,  de 
même  les  infirmités  de  l'âge  sont  plus  graves  chez  elle.  On 

(1)  Scheu,  Ueher  die  chronisclien  Krankheite7i  des  maennlicheu  Al- 
ters  ,  p.  324. 


l66  VIEILLESSE. 

trouve,  par  exemple,  moins  de  femmes  que  d'hommes  dont 
l'ouïe  devienne  dure  en  vieillissant  ;  mais ,  en  revanche ,  dès 
que  la  femme  commence  à  ne  plus  bien  entendre,  elle  devient 
sourde  plus  tôt  que  l'homme  (1), 

3°  C'est  un  trait  indélébile  du  vieillard  qu'il  se  sente  attiré 
par  la  jeunesse  des  autres  ,  comme  par  la  sienne  propre.  Il 
aime  les  enfans,  surtout  ses  petits-enfans ,  les  voit  volontiers 
autour  de  lui ,  et  prend  plaisir  à  leurs  amusemens.  Les  ima- 
ges de  son  enfance  lui  reviennent  à  l'esprit,  parées  de  couleurs 
qui  avaient  pâli  pendant  la  jeunesse  et  l'âge  mûr  ;  il  se  rap- 
pelle les  moindres  circonstances  de  sa  vie  enfantine  ,  qui  oc- 
cupent son  imagination ,  même  pendant  le  sommeil.  Ainsi 
Kant,  en  proie  au  marasme  qui  le  conduisit  dans  la  tombe  , 
avait  un  souvenir  tellement  vif  des  chansons  qu'il  avait  en- 
tendu chanter  dans  les  rues  durant  son  enfance,  qu'il  ne  pou- 
vait s'en  débarrasser  ,  et  que  cette  image  sans  cesse  renais- 
sante devenait  pour  lui  un  sujet  de  tourment.  Un  Allemand 
qui  était  allé  en  Amérique  à  l'âge  de  quarante  ans  ,  et  qui  n'y 
avait  plus  parlé  qu'anglais ,  oublia  la  langue  anglaise  après 
l'âge  de  quatre-vingts  ans  ,  et  se  remit  à  parler  couramment 
son  idiome  maternel  (2). 

IL  La  vieillesse  offre  des  traits  de  rajeunissement  en  géné- 
ral. Nous  considérons  comme  normale  et  générale  la  métamor- 
phose qui  s'opère  dans  la  manière  de  penser.  L'image  de  la 
vie  morale  se  trouble  au  début  de  la  vieillesse  (§  584,  4"), 
mais  reprend  avec  le  temps  une  teinte  moins  sombre  (  590, 
12°).  Une  juste  douleur  s'empare  de  celui  à  qui  l'âge  vient 
imposer  le  sacrifice  des  jouissances  et  de  l'activité  dont  il 
avait  contracté  l'habitude  ^  on  ne  doit  donc  point  être  surpris 
s'il  se  montre  mélancolique  et  grondeur.  Mais  quand  il  s'est 
créé  de  nouveaux  rapports,  la  sérénité  rentre  dans  son  âme  , 
et  il  renaît  au  bonheur  ;  la  tristesse  et  l'emportement  font 
place  à  la  douceur  et  à  la  bienveillance ,  qui  ne  tardent  long- 
temps à  paraître  que  quand  la  raideur  du  caractère  avait 
jeté  des  racines  trop  profondes. 


(1)  Reil,  ArcUv,  t.  IX,  p.  325. 

(2)  Rush  ,  loc.  cit.,  p.  125. 


VIEILLESSE.  167 

Dans  quelques  cas  rares  le  vieillard  rajeunit  partiellement , 
même  au  physique. 

4"  Un  homme  de  soixante-douze  ans  éprouva,  trois  semai- 
nes après  une  fièvre  bilieuse  ,  des  douleurs  térébrantes  dans 
la  mâchoire  inférieure  ,  avec  gonflemement  de  la  gencive  , 
enflure  de  la  joue  et  diarrhée,  qui  furent  suivies  de  l'érup- 
tion d'une  dent  molaire  (1).  Jahn  (2)  a  observé  un  homme 
chez  lequel,  à  soixante-et-quinze  ans,  une  dent  molaire  sortît 
de  la  mâchoire  ,  au  milieu  d'une  salivation  abondante  ,  d'une 
affection  cérébrale  et  de  mouvemens  fébriles.  Son  propre 
père  avait  été  dans  le  même  cas.  Slave  (3)  parle  d'un  homme 
qui  conserva  toutes  ses  dents  jusqu'à  quatre-vingt-deux  ans, 
les  perdit  alors  ,  et  en  recouvra,  trois  années  après ,  de  nou- 
velles, qui  persistèrent  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  à  Tâj^e  de  cent 
ans  et  plus.  Gœze  cite  une  femme  de  quatre-vingt-douze  ans, 
aux  deux  mâchoires  de  laquelle  parurent  de  nouvelles  dents, 
à  la  suite  d'une  maladie  grave.  Trois  molaires  percèrent  la 
gencive  chez  un  centenaire  (4).  Un  habitant  du  Palatinat,  qui 
ateignit  l'âge  de  cent  vingt  ans  ,  recouvra ,  quatre  ans  avant 
sa  mort,  huit  dents  nouvelles,  qui  tombèrent  au  bout  de  six 
mois ,  pour  Mre  place  à  d'autres  ,  et  le  renouvellement  fut 
tel  que,  dans  l'espace  de  quatre  années,  il  perça  cinquante 
dents  (6).  D'autres  exemples  ont  été  recueillis  par  Seiler  (6) , 
Serres  (7) ,  Meckel  (S)  et  Weber, ,  sans  compter  les  obser- 
vations récentes  de  Rieken  et  de  Kneisel.  Il  n'est  pas  rare 
que  cette  troisième  dentition  soit  accompagnée  de  douleurs 
et  de  convulsions.  Les  dents  qu'on  voit  alors  paraître  le 
plus  souvent  sont  les  molaires  postérieures;  e'! es  percent 
presque  toujours  peu  après  la  chute  de  celles  qu'elles  rempla-^ 
cent,  sont  la  plupart  du  temps  plus  petites  qu'elles  ,  et  durent 

(1)  Serres ,  Essai  sur  les  dents  ,  p.  142. 

(2)  Horn ,  Neues  Archiv  fuer  mediciische  Erfahrung .  1827,  p.  995. 

(3)  Philos.  Trans.,t.  XXVIII,  p.  273. 

(4)  Deutsches  JrcMv,  t.  VIII,  p.  429. 

(5)  Hufeland,  la  Macrobiotique,  ou  l'Art  de  prolonger  la  vie  de  l'homme, 
Paris ,  1838  ,  in-8. 

(6)ReiI,.^rcAw,  t.  VI,  p.'SS. 

(7)  ioc,  ci*.,  p.  137-142. 

(8)  Handbuch  der  pathologischen  Anatoviie  /t.  II,  p.  16, 


l68  VIEILESSE. 

ordinairement  peu  (1).  On  a 'plus  d'une  fois  prétendu  qu'elles 
existaient  toutes  formées  dès  la  jeunesse,  et  qu'elles  n'avaient 
fait  que  se  produire  au  dehors ,  parce  que  l'on  croyait  la 
force  vitale  nécessaire  à  leur  production  incompatible  avec  le 
caractère  de  l'âge  avancé.  Mais  comme  la  dentition  elle-même 
n'est  possible  qu'à  la  faveur  d'une  exaltation  de  la  vie  plasti- 
que, il  faudrait  admettre  ici  cette  exaltation,  qu'on  ne  peut , 
au  reste ,  révoquer  en  doute  dans  les  cas ,  moins  rares ,  dont 
nous  allons  parler  :  d'ailleurs  ,  l'imperfection  de  ces  dents 
suffit  déjà  pour  attester  qu'elles  sont  les  fruits  d'une  période 
tardive  de  la  vie. 

5°  Les  cheveux  gris  sont  quelquefois  remplacés  par  d'au- 
tres ayant  la  même  couleur  que  ceux  de  la  jeunesse.  Ce  phé- 
nomène a  été  observé  chez  les  deux  hommes  de  quatre-vingt- 
deux  et  de  cent  ans  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  à 
l'occasion  du  renouvellement  des  dents.  Sinclair  cite,  entre  au- 
tres, l'exemple  d'un  homme  chez  lequel,  à  l'âge  de  cent  cinq 
ans,  il  poussa  des  cheveux  noirs,  avec  de  nouvelles  dents ,  et 
qui  mourut  quelques  mois  après.  Il  parle  aussi  d'une  femme 
qui,  dans  sa  quatre-vingt-dix-neuvième  année  ,  vit  sa  tête 
s'ombrager  de  nouveaux  cheveux  bruns ,  qui ,  cinq  ans  plus 
tard,  peu  de  mois  avant  sa  mort,  redevinrent  blancs. 

6°  Le  même  auteur  rapporte  le  cas  d'un  certain  Vivan,  qui, 
à  l'âge  de  cent  ans,  recouvra  non  seulement  d'autres  cheveux 
et  les  dents  nouvelles,  mais^encore  la  faculté  de  voir,  dont  il 
était  presque  privé  ,  se  trouva  dès-lors  en  état  de  lire  les  ca- 
ractères les  plus  fins  ,  et  vécut  ainsi  pendant  dix  années  en- 
core. Rusch  (2)  a  observé  un  homme  qui  avait  perdu  la  vue 
à  soixante-huit  ans,  et  qui  la  recouvra,  à  quatre-vingts,  sans  le 
secours  de  l'art.  Fournier  (3)  parle  d'une  dame  de  cinquante- 
et-un  ans  ,  dont  la  vue,  fort  affaiblie  ,  s'améliora  tellement, 
qu'il  lui  devint  possible  de  renoncer  à  l'usage  des  lunettes. 

7»  Kahleis  (4)  a  connu  une  femme  qui  perdit  ses  règles  à 

(1)  Ph.  Blandin,  Anatomie  du  système  dentaire ,  Paris ,  1836  ,  in-8  , 
p.  136. 

(2)  Loc.  cit.,  p,  129. 

{Vi  Dict.  des  se.  médic,  t.  IV,  p.  207. 
Kk\  Bp-uU^^ies  Jrchiv,  t.  VHI,  p.  429. 


VÏEïtIlESSE.  169 

quarante-cinq  ans  ;  mais,  à  soixante-et-quatorze,  elles  repa- 
rurent d'une  manière  régulière,  d'abord  faibles ,  puis  de  plus 
en  plus  abondantes  ;  la  personne  perdit  alors  de  son  embon- 
point. Bernstein  (1)  parle  d'une  autre  femme  dont  les  règles 
avaient  paru  à  vingt  ans,  et  qui  avait  mis  au  monde  plusieurs 
enfans ,  le  premier  à  quarante-sept  ans,  le  dernier  à  soixante  ; 
les  règles  cessèrent  peu  de  temps  après  le  dernier  accouche- 
ment, mais  elles  reparurent  à  soixante-et-quinze  ans,  et  per- 
sistèrent ensuite  jusqu'à  quatre-vingt-dix-neuf.  Heyfelder  a 
observé  une  religieuse,  fortement  constituée  et  jouissant  d'une 
bonne  santé,  dont  les  règles  parurent  pour  la  première  fois  à 
dix-huit  ans ,  cessèrent  à  cinquante-deux  ,  et  reparurent , 
assez  régulières ,  à  soixante-et-dix-huit.  Dans  un  autre  cas  , 
rapporté  par  Strasfsberger  ,  la  menstruation  ,  qui  reparut  à 
l'âge  de  quatre-vingts  ans,  continua  pendant  trois  années , 
sous  un  type  assez  régulier,  et  ne  cessa  que  six  mois  avant  la 
mort. 

Haller  cite  (2)  d'autres  exemples  de  rétablissement  de 
la  menstruation  ,  avec  turgescence  des  seins ,  éruption  de 
nouvelles  dents  et  pousse  de  nouveaux  cheveux.  On  a  même 
observé  ,  en  pareil  cas ,  le  retour  de  la  faculté  procréatrice. 
Une  femme  perdit  ses  règles  à  quarante-six  ans,  les  recouvra 
à  cinquante-neuf,  devint  ensuite  enceinte ,  mit  au  monde  un 
enfant  bien  portant,  qu'elle  allaita  elle-même  ,  et  vécut  près 
de  quatre-vingts  ans  (3). 

III.  Ces  phénomènes  constatent  que  la  vitalité  n'a  pas  baissé 
tout  entière  dans  la  vieillesse  ;  car  ,  dans  les  divers  cas  qui 
viennent  d'être  rapportés ,  le  rajeunissement  ayant  eu  lieu 
sans  nul  changement  dans  la  manière  de  vivre  ,  sans  l'acces- 
sion d'aucune  nouvelle  circonstance  extérieure  favorable,  et 
d'ailleurs  les  influences  du  dehors  n'étant  point  capables 
d'amener  une  semblable  métamorphose  ,  on  ne  peut  conce- 
voir d'où  serait  venu  le  renouvellement  de  la  force.  Nous 


(1)  HenkC;,  Ueher  die  Entwickelungen  des  menscMichen  Oryanismus 
p.  240. 

(2)  Elem.  physiol.,  t.  VII,  pi.  II,  p.  141. 

(3)  Stavk,  Archiv  fiier  die  Gehurtshuelfe ,  t.  IV,  p.  185. 


170  PÉRIODICITÉ   DANS  lA  VIE. 

devons  donc  admettre  que  la  vie  conserve  toute  sa  vigueur 
pendant  la  vieillesse  ,  que  sa  direction  du  dehors  au  dedans  a 
pris  alors  une  prépondérance  marquée,  mais  qu'elle  conserve 
encore  plus  ou  moins  de  tendance  à  se  manifester  partielle- 
ment dans  la  direction  inverse.  Ces  phénomènes  indiquent 
donc  l'assujétissement  de  la  vie  à  une  périodicité ,  qui  va 
faire  maintenant  le  sujet  de  nos  recherches. 

DEUXIÈME   SUBDIVISION. 

DE  là     RÉVOLUTION    BE   l\   VIE. 

§592.  La  vie  décrit  plusieurs  périodes  dans  son  cours; 
tout  en  avançant  continuellement  dans  la  carrière  qu'elle 
fournit,  elle  revient  de  temps  en  temps  à  un  état  par  lequel 
elle  a  déjà  passé.  Si  nous  cherchons,  comme  l'a  déjà  fait  Au- 
tenrielh  (1),  à  ramener  cette  périodicité  organique  sous  un 
point  de  vue  général ,  nous  reconnaissons  qu'elle  varie  dans 
la  manière  dont  elle  se  manifeste  et  dans  les  époques  où  elle 
devient  sensible ,  suivant  qu'on  examine  tel  ou  tel  côté  de  la 
vie. 

1"  La  périodicité  élémentaire  se  trouve  dans  les  actions 
simples  ou  élémentaires  de  la  vie^  elle  affecte  des  périodes  fort 
courtes  et  que  nous  ne  pouvons  point  apprécier  d'après  la 
mesure  ordinaire  du  temps.  Ici  les  phases  disparaissent  de- 
vant l'unité  de  l'activité  vitale,  qui  se  présente  à  nous  comme 
une  chose  continue,  quoiqu'elle  ne  soit  en  réalité,  comme  la  lu- 
mière et  le  son,  qu'une  succession  d'innombrables  oscillations. 
Ainsi  chaque  muscle  a  beau  nous  paraître  demeurer  toujours 
dans  un  état  uniforme,  il  n'en  est  pas  moins  continuellement 
agité  d'un  tressaillement  intérieur.  De  même,  l'activité  ner- 
veuse semble  avoir  aussi  un  caractère  de  continuité  ,  et  ce- 
pendant quelques  circonstances  viennent  nous  révéler  en  elle 
des  vibrations  qui  ne  sont  pas  moins  insensibles.  Si  les  tissus 
organiques  ont  l'air  de  persister  uniformément  dans  l'état 
sous  lequel  ils  s'offrent  à  nous,  il  faut  en  chercher  l'explica- 
tion dans  la  brièveté  infinie  des  périodes  auxquelles  sont  as- 
sujéties  l'expulsion  des  matériaux  mis  hors  de  service  eÇ 

(1)  Handbuch  der  etnpiriacben  menschliehen  PhysioUgie,  1. 1,  p.  i-OQ- 


PÉRIODICITÉ    DANS    lA   VIE.  1^1 

Tadmission  de  substances  nouvelles.  Cette  périodicité  est  donc 
latente  ;  elle  devient  surtout  bien  manifeste  lorsque  l'énergie 
et  l'unité  de  la  vie  baissent;  on  voit  alors  les  muscles  trembler 
et  le  sang  osciller  dans  les  vaisseaux. 

2°  La  périodicité  fonctionnaire  est  celle  qui  tient  d'une 
manière  si  intime  à  la  fonction  dont  elle  fait  partie  ,  que  cette 
dernière  ne  saurait  être  conçue  sans  elle.  Elle  frappe  nos 
sens  parce  que  son  rhythme  est  assujéti  à  des  périodes  de 
temps  appréciables.  C'est  en  elle  que  nous  voyons  la  loi  de  la 
périodicité  se  prononcer  de  la  manière  la  plus  nette  ;  aussi 
nous  sert-elle  à  expliquer  les  autres  formes.  Mais  elle  com- 
prend tous  les  mouvemens  qui  se  rattachent  immédiatement 
à  la  plasticité,  tous  ceux  qui  tiennent  aux  alternatives  d'attrac- 
tion et  de  répulsion  des  matériaux  ,  comme  aussi  ceux  qui 
dépendent  des  alternatives  de  relâchement  et  de  contraction 
des  muscles  de  la  vie  organique  et  même  d'une  partie  des 
muscles  soumis  à  l'empire  de  îa  volonté.  La  respiration  ,  les 
battemens  du  cœur  et  la  circulation  du  sang  ont  un  rhythme 
qui  ne  s'interrompt  jamais  ;  le  mouvement  du  canal  intestinal, 
de  la  matrice  et  des  conduits  excréteurs  est  rhyihmi- 
que  aussi ,  mais  avec  des  intervalles ,-  l'ingestion  des  alimens, 
l'exonération  du  rectum  et  de  la  vessie,  n'ont  lieu  que  par  in- 
tervalles. 

3°  La  périodicité  universelle,  ou  proprement  dite,  qui  seule 
va  nous  occuper  ici ,  attendu  que  les  deux  autres  trouveront 
leur  place  dans  les  considérations  relatives  aux  actes  vitaux 
qu'elles  concernent ,  cette  périodicité  est  ceUe  qui ,  alors 
même  qu'elle  part  d'un  organe  ,  s'étend  cependant  plus  ou 
moins  sur  tout  l'ensemble  de  la  vie  ,  et  qui  revient  à  des  in- 
tervalles tantôt  indéterminés,  tantôt  déterminés,  coïnci- 
dant avec  les  phases  diverses  de  notre  planète  ,  mais  qui  se 
manifeste  surtout  par  un  changement  dans  les  rapports  avec 
le  monde  extérieur. 

§  593.  Consultons  d'abord  ce  que  l'intuition  pure  et  simple 
nous  apprend  au  sujet  de  la  périodicité  en  général. 

1°  Elle  nous  la  montre  comme  une  alternance  des  directions 
de  la  vie.  Dans  tel  moment  nous  voyons  les  forces  se  déployer 
et  se  manifester  librement ,  la  vie  entrer  en  conflit  avec  le 


172  PÉRIODICITÉ    DANS    lA    VIE. 

monde  extérieur ,  et  réagir  puissamment  sur  les  choses  du 
dehors;  dans  tel  autre  moment,  la  vie  devient  insensible  , 
elle  se  sépare  du  monde  extérieur ,  pour  rentrer  en  elle- 
même  et  se  plonger  dans  ses  propres  profondeurs.  De  même, 
la  vitalité  extérieure  de  notre  planète  se  manifeste  dans  son 
conflit  avec  le  soleil  pendant  le  jour  et  durant  l'été  ,  tandis 
qu'elle  se  replie  sur  elle-même  pendant  la  nuit  et  en  hiver. 

2°  L'antagonisme  de  la  direction  extérieure  et  de  la  direc- 
tion intérieure  de  la  vie  peut  être  désigné  par  les  termes 
d'activité  et  de  repos  ,  d'état  positif  et  d'état  négatif.  Mais 
ces  expressions  n'ont  qu'une  valeur  relative  ,  et  ne  convien- 
nent qu'au  point  de  vue  sous  lequel  nous  admettons  identité 
entre  la  vie  et  sa  manifestation  extérieure.  Un  repos  absolu, 
une  pure  négation  ,  ne  sauraient  avoir  lieu  ;  la  périodicité, 
comme  attribut  de  la  vie ,  ne  peut  être  une  alternative  de 
vie  et  de  non-vie.  La  vie  est  une  et  indivisible  ,  et  il  n'y  a  que 
ses  directions  qui  varient  ;  derrière  le  repos  apparent  se  ca- 
che un  mouvement  intestin  (§  592,  1°).  De  même  que  le  re- 
tour d'un  muscle  de  l'état  de  contraction  à  l'état  opposé  est 
un  acte  de  vitalité,  de  même  que  la  dilatation  et  le  resserre- 
ment des  organes  creux  sont  le  résultat  d'un  antagonisme  en 
vertu  duqnel  la  cessation  de  l'action  d'une  force  motrice  dé- 
termine la  mise  en  jeu  de  la  force  opposée,  de  même  aussi , 
dans  tout  cas  quelconque  de  périodicité  universelle,  un  chan- 
gement de  direction  de  l'activité  vitale  est  la  cause  de  l'appa- 
rente alternative  d'action  et  de  repos. 

3»  L'idée  de  périodicité  entraîne  celle  du  retour  à  des  con- 
ditions antérieures.  Comme  la  terre  ,  dans  sa  révolution ,  re- 
produit éternellement  les  circonstances  qui  avaient  eu  lieu 
auparavant,  de  même  la  périodicité  est  une  succession  de 
manifestations  de  la  vie  qui  ramène  cette  dernière  à  son  état 
antérieur.  La  chose  est  évidente  en  ce  qui  concerne  la  pério- 
dicité fonctionnaire  :  les  muscles  réagissent  sur  les  objets  du 
dehors  par  leur  contraction ,  et  reviennent  ensuite ,  par  un 
mouvement  contraire,  à  leur  vie  calme  et  intérieure  ;  les  or- 
ganes creux  expulsent  par  leur  force  motrice  les  substances 
qui  ont  pénétré  dans  leur  intérieur ,  et  ramènent  ainsi  l'état 
de  vacuité ,  dans  lequel  ils  vivent  pour  eux-mêmes. 


PÉRIODICITÉ    DANS    LA   VIE.  ï-^jS 

Nous  voyons  même  les  substances  être  ramenées  dans  l'en- 
droit qu'elles  occupaient  auparavant,  mais  ce  phénomène  a  lieu 
de  différentes  manières.  L'air  sort  des  poumons  par  la  même 
voie  qu'il  avait  suivie  pour  y  pénétrer  ;  mais ,  dans  d'autres 
organes  creux  ,  les  masses  mises  en  mouvement  reviennent 
un  peu  sur  elles-mêmes  à  chaque  pas  qu'elles  font  dans  la  car- 
rière qu'elles  doivent  parcourir  ;  ainsi  le  mouvement  péri- 
staltique  pousse  d'abord  le  chyme  de  haut  en  bas,  puis  le  ra- 
mène un  peu  de  bas  en  haut  ;  de  même  ,  pendant  la  parturi- 
tion  ,  le  fœtus  sort  et  rentre  alternativement  (§  484,  4°);  une 
partie  du  sang  reflue  des  oreillettes  dans  les  troncs  veineux  et 
des  ventricules  dans  les  oreillettes  ;  enfin  le  retour  au  lieu 
primitif  a  lieu  delà  manière  la  plus  complète  pour  le  sang, 
dont  la  circulation  est  l'expression  parfaite  de  la  révolution 
de  la  vie. 

La  périodicité  dans  les  maladises  résulte  d'une  tendance  à 
rentrer  dans  l'état  antérieur  ou  normal ,  tendance  trop  peu 
puissante  pour  atteindre  à  son  but.  Dans  les  fièvres  intermit- 
tentes ,  qui  sont  le  prototype  des  maladies  intermittentes ,  il 
n'y  a  plus  ni  harmonie  ni  unité  entre  les  divers  départemens 
de  la  vie  plastiqne  :  le  courant  veineux  de  dehors  en  dedans, 
le  courant  artériel  de  dedans  en  dehors ,  et  l'action  sécréloire 
ou  plastique  ont  perdu  leur  équilibre  et  leur  simultanéité,  et 
se  manifestent  plus  qu'ils  ne  devraient  le  faire  dans  la  suc- 
cession des  périodes  fébriles  ;  l'action  sécrétoire  a  pour  but 
de  ramener  l'harmonie  ;  mais  cette  crise  n'est  que  momenta- 
née, et  les  phénomènes  de  la  maladie  se  reproduisent  au  bout 
d'un  certain  laps  de  temps.  Lorsque  le  trouble  de  la  vie  est 
trop  considérable  (inflammation),  quand  il  s'est  fixé  par  des 
produits  matériels  (cachexies  et  pseudomorphoses),  ou  quand 
les  forces  sont  tombées  trop  bas  (paralysies) ,  la  maladie  de- 
vient continue  ;  mais  là  encore  on  aperçoit  des  intervalles  de 
soulagement ,  quoique  l'intensité  du  mal  les  offusque  et  ne 
leur  permette  pas  de  paraître  autrement  que  comme  de  légères 
oscillations. 

4°  La  nature  est  un  développement  infini  dans  l'espace  et 
dans  le  temps.  Fûen  ne  peut  se  répéter  en  elle ,  c'est-à-dire 
revenir  exactement  au  point  de  départ,  quoique  le  contraire 


1^4  PÉRIODICITÉ    DANS    LA    YIE. 

semble  avoir  lieu.  Chaque  matin  notre  hémisphère  se  tourne 
de  nouveau  vers  le  soleil ,  mais  jamais  comme  la  veille,  parce 
que  la  terre  s'est  avancée  depuis  dans  sa  carrière,  et  le  so- 
leil lui-même  n'étant  point  un  corps  absolument  immobile  ,  la 
terre  ne  peut  jamais  non  plus  revenir  au  même  point  des  es-  " 
paces  célestes  dans  sa  révolution  annuelle.  La  vie  suit  une 
progression  continuelle  dans  son  développement ,  et  celui-ci 
n'admet  le  retour  sur  soi-même  qu'à  titre  de  phénomène  su- 
balterne. Nous  en  avons  la  preuve  directe  dans  la  périodicité 
fonctionnaire  ;  le  chyme  se  rapproche  de  plus  en  plus  de 
l'anus ,  parce  que  le  mouvement  rétrograde  est  plus  faible 
que  le  mouvement  progressif,  le  fœtus  vient  au  monde, 
parce  que  la  force  expulsive  de  la  matrice  l'emporte  sur  le 
mouvement  en  sens  inverse ,  et  le  sang  coule  sans  cesse  dans 
la  même  direction ,  parce  qu'il  n'y  en  a  qu'une  faible  partie 
qui  rétrograde  et  que  celle-là  même  ne  recule  que  pour  un 
instant.  Chaque  organe ,  après  avoir  agi  au  dehors ,  a  subi 
un  changement  intérieur,  et  les  substances  qui  reviennent  au 
lieu  qu'elles  occupaient  d'abord ,  ne  sont  plus  parfaitement 
les  mêmes  ;  l'air  expiré  n'est  plus  l'air  qui  a  été  inspiré ,  et 
le  sang  pris  dans  un  point  quelconque  du  système  vasculaire 
n'est  plus  le  même  qu'à  l'époque  où  précédemment  il  était 
entré  en  contact  avec  ce  point. 

5"  S'il  y  a  manifestement  tendance  au  retour,  quoique  celui- 
ci-  ne  puisse  jamais  avoir  lieu  d'une  manière  complète ,  cette 
tendance  doit  dépendre  de  quelque  circonstance  antérieure  ; 
mais  il  est  impossible  qu'elle  se  rattache  au  passé  immédiat , 
puisque  les  événemens  de  la  veille,  de  l' avant-veille,  tenaient 
également  à  des  précédens  ;  il  faut  donc  qu'elle  se  rapporte 
à  l'origine ,  ou  du  moins  à  l'état  primordial  émané  de  cette 
origine.  La  périodicité  doit  donc  être  une  alternative  de 
propulsion  ,  qui  conduit  au  développement,  et  de  rétrograda- 
lion  ,  qui  ramène  vers  la  vie  embryonnaire.  En  effet ,  la  vie 
tend  à  se  déployer  ;  mais  elle  tend  aussi  à  rester  semblable  à 
elle-même,  et  cette  dernière  tendance  est  la  véritable  cause 
de  tout  retour  périodique.  Comme  l'attribut  le  plus  général 
de  l'organisme  est  de  se  conserver  lui-même  ,  c'est-à-dire  de 
se  maintenir  par  sa  propre  activité ,  la  forme  primordiale  de 


tÉRIODICITÉ    DANS    LA   VIE.  J'J^ 

l'existence  doit  aussi  être  celle  qui  domine  toujours ,  celle 
qui  cherche  à  se  maintenir  pendant  toute  la  durée  de  la  vie  ; 
Suais  elle  entre  en  conflit  avec  le  but  de  la  vie ,  qui  ne  peut 
être  atteint  que  par  un  développement  progressif ,  et  la  gêne 
qu'elle  éprouve  ainsi  ne  lui  permet  pas  de  se  produire  autre- 
ment qu'avec  le  caractère  périodique.  La  périodicité  est  donc 
l'expression  du  conflit  entre  le  développement,  qui  s'annonce 
par  l'expansion  ,  et  le  retour  vers  l'état  primordial ,  qui  se 
manifeste  par  la  contraction.  Nous  avons  vu,  en  effet,  que  la 
vie,  quand  elle  commence,  est  interne  et  latente,  qu'une 
activité  plastique  agit  intérieurement  avant  de  se  révéler  par 
des  produits  extérieurs  (§  330),4°— 11**),  et  que  les  différentes 
forces  de  la  vie  exercent  une  action  créatrice  assujétie  à  pro- 
duire des  formes  déterminées  avant  que  celles-ci  arrivent  à 
jouir  de  la  vitalité  extérieure  (§  474,  6°).  Or  la  direction  pé- 
riodique de  la  vie   est  un  de  ces  passages  à  l'état  latent, 
ayant  pour  cause  la  tendance  de  l'organisme  à  retourner  vers 
l'état  embryonnaire.  Ainsi ,  par  exemple ,  dès  que  la  masse , 
primordialement  unique ,  du  cœur  (§  441 ,  1°)  s'est  séparée 
en  muscle  et  sang,  l'organe  chasse  le  sang  pour  revenir  à  son 
état  primitif  ;  l'inspiration  est  la  première  activité  qui  se  dé- 
ploie après  la  naissance  (§  505),  un  développement  progressif, 
par  expansion,  des  poumonS;,  que  l'expiration  ramène  à  l'état 
de  vacuité ,  comme  elle  fait  revenir  le  diaphragme  à  la  forme 
bombée  ,  et  la  cage  thoracique  à  son  étroite  capacité  ;  le  ca- 
nal intestinal,  la  vessie  urinaire,  la  matrice,  ne  se  sont  d'abord 
remplis,  comme  les  poumons,  que  de  leurs  propres  produits, 
et  c'est  par  l'effet  de  la  tendance  à  rentrer  dans  cet  état, 
qu'ils  se  débarrassent  des  masses  qui  ont  pénétré  dans  leur 
iatérieur.  Mais  comme  un  retour  complet  n'est  jamais  pos- 
sible, la  première  pulsation  du  cœur  le  fait  sorl'ir  à  jamais 
de  son  état  primordial ,  et  les  poumons  ne  peuvent  plus  se 
vider  entièrement  une  fois  qu'ils  ont  respiré. 

6°  D'après  les  vues  qui  viennent  d' être  développées,  le 
retour,  dans  la  périodicité,  dépend  de  la  tendance  à  la  conser- 
■vation  de  soi-même  ;  il  réfrène  le  développement ,  qui  a  un 
but  contraire  au  sien ,  mais  il  en  prolonge  la  durée  et  lui 


1^6  PÉRIODICITÉ   DANS    £A   VIE. 

donne  par  cela  même  la  possibilité  d'arriver  à  un  plus  haut 
degré  de  perfection.  La  périodicité  fonctionnaire  nous  fournit 
une  preuve  frappante  de  cette  vérité  :  les  oscillations  qui  ont 
lieu  pendant  l'accouchement  le  prolongent ,  mais  permettent 
au  fœtus  de  parvenir  à  une  maturité  complète  (§  494)  ;  de 
même,  le  mouvemement  rétrograde  imprimé  par  saccades 
aux  matières  alimentaires ,  tend  non  seulement  à  ralentir  la 
digestion,  mais  encore  à  la  rendre  plus  complète.  Pour 
ce  qui  concerne  la  signification  générale  et  dynamique  de  la 
périodicité  ,  nous  avons  à  nous  rappeler  que,  dans  l'état  pri- 
mordial ,  la  vie  est  antérieurement  une  et  indivise ,  ce  qui 
n'empêche  pas  cependant  qu'un  déploiement  d'antagonismes  la 
prépare  à  l'exercice  de  son  activité  extérieure  (§  474,  478, 1°). 
Le  retour  périodique  est  donc  une  suppression  des  antago- 
nismes ,  un  effacement  des  différences,  pendant  lequel  la  vie 
réunit  ses  forces  pour  faire  un  nouveau  pas  dans  la  voie  du 
développement.  De  même  que  Géryon ,  ce  fils  de  la  terre  , 
sentait  sa  vigueur  renaître  dès  qu'il  touchait  le  sein  de  sa 
mère ,  de  même  aussi  l'organisme  se  rajeunit  dans  son  retour 
vers  son  état  primordial.  La  direction  du  dedans  au  dehors 
est  une  force  finie ,  qui  s'épuise  par  le  seul  fait  de  ses  pro- 
pres manifestations ,  et  qui  ne  reprend  une  nouvelle  énergie 
qu'autant  que  la  vie  rentre  en  elle-même ,  tandis  que  celle-ci 
acquiert  ainsi  pour  elle-même  l'attrait  de  la  variété.  La  force 
médicatrice  de  la  nature  n'est  autre  ^chose  que  la  tendance 
inhérente  à  l'état  primordial  ;  si  cette  tendance  est  énergique, 
et  que  les  forces  organiques  soient  dans  un  état  tel  qu'elles 
présentent  des  différences  trop  tranchées  (maladies  aiguës) , 
la  guérison  s'effectue  d'elle-même ,  par  la  crise ,  qui  est  une 
sorte  d'acte  de  neutralisation  ;  lorsqu'au  contraire  la  maladie 
porte  le  caractère  de  l'indifférence  ,  c'est-à-dire  qu'elle  est 
chronique ,  il  faut,  pour  que  la  force  médicatrice  de  la  nature 
puisse  se  déployer,  que  l'action  d'un  médicament  vienne  pro- 
voquer la  manifestation  d'une  différence. 

§  594.  Il  résulte  de  ce  qui  précède , 

l°^Que  la  périodicité  a  son  fondement  dans  l'essence  même 
de  la  vie ,  et  qu'elle  est  indépendante  des  circonstances  exté- 


PÉRIObïCITÉ  DANS  LA  VIE.  l'J'^ 

rieures  (1).  Qu'après  avoir  rempli  le  cœur  de  sang  ou  d'air, 
on  le  lie  de  toutes  parts ,  il  se  contracte  et  se  distend  alterna- 
tivement ,  sans  qu'il  survienne  de  nouveaux  stimulus,  ou  sans 
qu'on  écarte  ceux  qui  existent  déjà.  Les  mouvemens  respira- 
toires commencent  dès  avant  la  naissance ,  avant  que  l'at- 
mosphère exerce  aucune  influence  sur  le  poumon ,  et  unique- 
ment par  la  détermination  que  leur  imprime  le  type  intérieur 
(§  471,  10°).  Les  contractions  de  la  matrice  obéissent  égale- 
ment à  un  type  qui  est  indépendant  de  la  présence  de  l'em- 
bryon (§  480,  1°— 484,  2°),  et  elles  sont  assujéties  à  une 
périodicité  que  ce  dernier  ne  détermine  point  (§  484 ,  4°-5°). 
La  même  loi  règne  dans  les  maladies ,  puisque ,  quand  il 
existe  des  anomalies  matérielles  ,  leur  présence  continuelle 
n'empêche  pas  les  symptômes  morbides  de  ne  se  manifester 
que  suivant  un  rhythme  déterminé.  Des  matières  indigestes 
contenues  dans  le  canal  intestinal  provoquent  la  fièvre  inter- 
mittente. Les  ossifications  et  autres  anomalies  du  cœur  don- 
nent lieu  à  des  palpitations  de  cet  organe,  de  même  que, 
dans  l'inflammation  des  poumons  et  quand  il  y  a-des  produits 
sécrétoires  morbides  accumulés  dans  ces  organes,  la  toux 
n'affecte  qu'un  caractère  périodique.  La  douleur  produite  par 
des  calculs  urinaires  ne  se  manifeste  que  de  temps  en  temps, 
et  celle  qui  dépend  d'une  hernie  étranglée,  quoique  continue, 
laisse  des  intervalles  de  repos  ,  etc. 

2°  La  vie  consiste  dans  lahaison  essentielle  des  deux  direc- 
tions ,  de  telle  sorte  que  celles-ci  soient  la  condition  récipro- 
que l'une  de  l'autre,  et  qu'elles  s'appellent  mutuellement.  Le 
conflit  avec  le  monde  extérieur  épuise  l'aptitude  à  être  in- 
fluencé par  les  choses  du  dehors,  jusqu'à  ce  qu'enfin  toute 
activité  extérieure  cesse  ;  et  tandis  que  la  vie  règne  dans  l'in- 
térieur, la  faculté  d'agir  en  dehors  de  soi  fait  des  progrès,  et 
la  réceptivité  pour  les  impressions  extérieures  s'accroît. 

3°  Mais  au  type  intérieur  correspond  un  changement  des 
circonstances  extérieures.  Lorsque  l'activité  extérieure^  du 
cœur  entre  en  repos,  non  seulement  cet  organe  devient  inca- 


(1)  Autenrielh,  loc'cit.^  p.  106^ 

V..  \      12 


1^8  PÉRTODICITÉ  DANS  Lk  VïE. 

pable  de  se  livrer  à  des  contractions  prolongées  ,  mais  encore 
il  est  débarrassé  de  son  stimulant  naturel,  la  masse  du  sang, 
et  si  ensuite  il  se  contracte  de  nouveau ,  ce  n'est  plus  unique- 
ment parce  que  sa  force  est  remontée ,  mais  encore  parce 
que  racciimulatioû  de  la  masse  du  sang  l'y  sollicite.  La  ma- 
ipice  se  contracte  en  vertu  de  sa  propre  force  lorsque  le  mo- 
ment est  arrivé  (§  480 ,  1°),  mais  en  même  temps  elle  y  est 
pQUSsée  aussi  par  la  présence  de  l'embryon  (§  485).  De  même 
qft'ipi  le  rhythme  de  l'activité  de  certains  organes  coïncide 
avec  les  périodes  d'autres  productions  de  l'organisme  qui 
agissent  sur  ces  derniers ,  de  même  aussi  on  peut  démontrer 
une  relation  intime  entre  la  périodicité  universelle  et  les 
changemens  [cosmiques ,  qui  sont  eux-mêmes  l'expression 
d'une  vie  générale  de  l'univers.  En  effet,  le  renouvellement 
des  périodes  du  jour  et  de  l'année,  qui  harmonise  avec  celui 
de  la  vie  organique ,  se  rattache  aux  changemens  qui  survien- 
nent dans  la  situation  de  la  terre  en  égard  au  soleil  ;  mais  ia 
terfe  produit  ces  changemens  par  un  mouvement  propre , 
dans  lequel  nous  reconnaissons  l'analogue  de  l'activité  vitale , 
de  sorte  qu'ils  nous  est  permis  de  dire ,  en  retournant  l'ana- 
logie ,  que  la  périodicité  universelle  est  le  changement  de 
situaiion  de  l'organisme  eu  égard ^au  monde,  déterminé  par 
le  cours  même  de  la  vie. 

4"  Comme  tout  ce  qui  porte  le  cachet  de  l'uniformité  est 
étranger  à  la  vie  ,  il  n'y  a  point  non  plus  de  rhythme  prédo- 
minant dans  cette  dernière.  Chaque  fonction ,  le  battement 
du  cœur,  la  respiration ,  le  mouvement  des  intestins ,  de  la 
vessie  urinaire ,  de  la  matrice,  etc.,  a  ses  périodes  spéciales , 
et  ces  particularités  s'expliquent  jusqu'à  un  certain  point  par 
la  différence  dans  la  structure  et  les  conditions  extérieures 
des  organes.  Une  diversité  analogue  règne,  à  l'égard  de  la 
périodicité  universelle,  dans  la  nature  organique  ;  non  seule- 
ment toutes  les  époques  du  jour  et  de  l'année  ayant  toujours 
lieu  en  même  temps  sur  la  surface  de  la  terre,  les  êtres  orga- 
nisés qui  vivent  sur  un  point  de  celle-ci  sont  à  une  toute  autre 
période  de  la  révolution  de  leur  vie  que  ceux  qui  habitent 
sur  un  autre  point ,  mais  encore  chaque  être  organisé  a  son 
rhythme  particulier  de  vie,  dont  la  cause  prochaine  ne  peut 


PÉRTODFCITÉ  DANS  LA  VIE.  î-yg 

que  fort  rarement  être  démontrée  dans  les  particularités  de 
rorganisation. 

5"»  Lorsque  le  hasard  ou  la  volonté  ,  c'est-à-dire  une  dé- 
termination étrangère  ou  spontanée  a  placé  souvent  l'orga- 
nisme dans  un  certain  état,  à  telle  ou  telle  époque  donnée,  il 
résulte  de  là  pour  lui  la  propension  ou  le  besoin  de  retom- 
ber dans  le  même  état ,  quand  la  même  période  de  temps  re- 
vient. C'est  ce  qu'on  nomme  Yhahitude.  Celle-ci  peut  conso- 
lider la  périodicité  normale  et  primordiale  ,  ou  la  modifier, 
ou  aussi  lui  imprimer  un  rhythme  nouveau. 

La  santé  est  l'habitude  de  se  bien  porter,  le  résultat  d'une 
harmonie  habituelle  des  forces  de  la  vie  -,  lorsqu'on  mange  , 
qu'on  va  à  la  selle  et  qu'on  se  couche  toujours  à  la  même 
heure,  on  accoutume  l'organisme  à  cet  ordre,  de  manière 
que  la  digestion ,  l'exonération  et  le  sommeil  s'accomplissent 
convenablement  ;  si  on'  laisse  s'écouler  l'heure  des  repas  ou 
du  repos ,  la  faim  ou  l'envie  de  dormir  se  dissipe  pendant 
quelque  temps ,  après  quoi  la  digestion  et  le  sommeil  repa- 
raissent ,  mais  affectant  un  ordre  moins  normal  ;  ainsi  le  dé- 
rangement des  selles  donne  lieu  à  la  constipation ,  tandis 
qu'un  purgatif  administré  à  l'époque  ordinaire  des  déjections 
alvines  produit  plus  d'effet  qu'en  tout  autre  temps. 

L'habitude  peut  aussi  modifier  la  périodicité.  Lorsqu'en 
buvant  beaucoup  plusieurs  soirées  de  suite  on  s'est  mis  dans 
la  nécessité  d'uriner  pendant  la  nuit ,  on  est  réveillé  aussi  les 
nuits  suivantes  par  le  besoin  de  vider  la  vessie. 

On  peut  enfin  contracter  des  habitudes  anormales.  Celui 
qui  s'est  accoutumé  à  se  faire  saigner  dans  des  temps  donnés, 
éprouve  des  symptômes  de  pléthore  sanguine  lorsqu'il  néglige 
de  se  faire  tirer  du  sang.  Un  vomissement  qui  survenait  de 
lui-même  tous  les  matins  ne  put  être  guéri  que  par  un  autre 
vomissement  artificiel  provoqué  dans  la  soirée.  Les  maladies 
s'enracinent  par  l'effet  de  l'habitude  ;  la  suppuration ,  les 
spasmes  ou  toute  autre  affection  maladive  finissent  par  deve- 
nir un  besoin ,  à  tel  point  qu'on  ne  les  peut  guérir  qu'avec  de 
grandes  précautions  et  en  désaccoutumant  peu  à  peu  l'orga 
nisme.  Ainsi  les  malades  ne  doivent  point  en  général  être  se- 
vrés brusquement  de  leurs  habitudes,  même  quand  il  y  a 


l8o  PÉRIODTCITÉ  DANS  LA  VIE. 

pour  eux  avantage  à  y  renoncer,  el  lorsque  la  maladie  ne  peut 
céder  qu'à  une  révolution  considérable ,  rien  n'est  plus  puis- 
sant qu'un  changement  dans  la  manière  de  vivre  et  dans  le 
lieu  d'habitation.  Toutes  les  fois  que  la  vie  sort  de  son  carac- 
tère accoutumé  et  qu'elle  s'écarte  des  habitudes  contractées, 
on  peut  fêtre  certain  qu'elle  a  reçu  une  atteinte  profonde , 
comme  aussi  le  retour  à  d'anciennes  inclinations  donne  lieu 
d'espérer  la  guérison. 

6°  La  vitalité  des  corps  célestes  se  manifeste  par  une  révo- 
lution qui  obéit  à  des  lois  immuables  :  de  même  la  vie  plasti- 
que,la  vie  sans  conscience,  est  le  foyer  proprement  dit  de  la 
périodicité  rhythmique.  C'est  chez  les  végétaux  que  l'harmo- 
nie avec  les  changemens  cosmiques  se  manifeste  de  la  ma- 
nière la  plus  prononcée;  dans  le  règne  animal,  elle  perce 
surtout  là  où  il  y  a  le  plus  de  conflit  avec  l'atmosphère ,  in- 
termédiaire de  tous  les  changemens  cosmiques ,  par  consé- 
quent, chez  les  animaux  sans  vertèbres ,  parmi  les  Insectes,  et 
chez  les  vertébrés  ,  parmi  les  Oiseaux ,  dont  le  sommeil ,  le 
chant,   le  besoin   de   manger,    l'accouplement ,  la  mue ,  et 
les   migrations   sont    assujétis  à  des  périodes  fixes.    Dans 
l'espèce  humaine ,  toutes  les  fonctions  plastiques  s'accomplis- 
sent d'une  manière  rhythmique  ;  les  plus  importantes  d'entre 
elles ,  comme  la  respiration ,  les  battemens  du  cœur  et  la  cir- 
culation, sont  assujéties  au  rhythme  d'une  manière  absolue, 
tandis  que,  dans  les  organes  situés  sur  les  confins  de  la  vie 
plastique  et  de  la  vie  animale  ,  au  commencement  et  à  la  ter- 
minaison du  système  digestif,  de  même  que  dans  la  vessie, 
en  vertu  du  pouvoir  exercé  par  la  volonté,  l'ingestion  et 
l'éjection  se  font  à  des  périodes  plus  longues  et  moins  néces- 
sairement déterminées.  L'activité  procréatrice  de  la  femme, 
comme  travail  purement  organique ,  suit  un  type  exactement 
déterminé,  dans  la  menstruation ,  dans  la  grossesse ,  dans  la 
parturition  et  dans  la  sécrétion  du  lait  ;  mais  ,  de  même  que 
la  génération  en  général  chez  les  végétaux  et  les  animaux , 
elle  n'est  soumise  qu'à  de  longues  périodes ,  parce  que  la 
direction  universelle  ne  peut  empiéter  sur  la  vie  individuelle 
qu'à  des  époques  déterminées.  Les  maladies  de  la  vie  plasti- 
que ,  comme  la  goutte,  les  hémorrhoides ,  les  scrofules ,  etc. , 


PÉRIODICITÉ  DANS  LA  VIE^  l8l 

sont  périodiques  plus  particulièrement  que  d'autres ,  et  les 
fièvres  intermittentes  se  rattachent  d'une  manière  toute  spé- 
ciale à  un  état  anormal  de  la  \ie  plastique.  Partout  où  l'âme 
fait  sentir  son  influence ,  la  nécessité  et  la  périodicité  ont 
moins  d'empire  ;  l'activité  sensorielle ,  les  efforts  de  l'esprit , 
les  mouvemens  musculaires  sont ,  de  toutes  les  fonctions , 
celles  qui  s'astreignent  le  moins  à  un  rhythme  déterminé ,  et 
on  peut  soit  les  exercer  pendant  des  jours  entiers ,  sans  leur 
laisser  un  instant  de  repos ,  soit  demeurer  long-temps  sans 
en  faire  aucun  usage,  suivant  que  le  décide  la  volonté.  Aussi, 
par  cela  même  que  la  vie  morale  prédomine  en  lui ,  l'homme 
est -il  celui  de  tous  les  êtres  qui  dépend  le  moins  des 
influences  générales  de  l'univers ,  et  les  époques  du  jour  et 
de  l'année  contribuent  plutôt  à  faire  varier  en  lui  le  coloris 
ou  le  mode  de  manifestation  de  l'activité  vitale,  qu'à  déter- 
miner des  états  bien  caractérisés  et  tranchés  d'une  manière 
nette.  Cette  liberté  lui  permet  de  contracter  des  habitudes,  et 
tantôt  de  se  fortifier  par-là,  comme  lorsqu'il  s'accoutume  à 
déployer  ses  forces  d'une  manière  harmonique  ,  tantôt  de  se 
mettre  sous  la  dépendance  d'un  rhythme  arbitraire ,  comme 
quand  il  devient  moins  apte  au  travail  pendant  les  heures 
qu'il  a  destinées  au  repos.  Une  action  volontaire  peut  même, 
lorsqu'elle  passe  en  habitude ,  être  exécutée  par  lui  sans 
conscience ,  et  à  cet  égard  on  cite  un  apoplectique  dont  la 
main  faisait  tous  les  mouvemens  d'écrire  au  moment  où  il 
avait  coutume  de  se  mettre  à  son  bureau.  La  périodicité  pé- 
nètre donc  jusque  dans  la  vie  morale ,  mais  en  tant  seulement 
que  celle-ci  porte  le  caractère  d'un  acte  organique,  et  qu'elle 
a  ses  racines  dans  la  vie  plastique  ;  toute  activité  musculaire 
anormale ,  l'épilepsie  ,  par  exemple ,  ne  peut  avoir  lieu  que 
d'une  manière  périodique  ,  mais  elle  est  plutôt  l'effet  de  la 
nature  automatique  de  cette  activité  ;  le  tic  douloureux , 
l'hémicrânie  et  les  maladies  mentales  paraissent  périodique- 
ment, mais  elles  ne  s'assujétissent  à  un  type  déterminé  que 
quand  elles  dépendent  d'une  modification  particulière  de 
l'activité  plastique  :  les  ivrognes  ont  leurs  périodes  pour 
boire ,  mais  ces  périodes  ne  coïncident  pas  avec  celles  des 
phénomènes  généraux  de  l'univers  ;  c'est  indépendamment 


3  Sa  PÉRIODICITÉ  DANS  LA  VIE. 

aussi  du  temps  et  d'autres  circonstances  analof^ues  que 
l'homme  bien  portant  lui-même  se  sent  de  temps  en  temps 
bouleversé,  affaibli ,  irritable ,  enclin  à  se  laisser  affecter  par 
des  choses  insignifiantes ,  inhabile  à  aucun  travail  sérieux , 
et  incapable  de  bien  goûter  les  plaisirs  de  la  vie;  mais  ces 
légères  incommodités,  qui  font  bientôt  place  à  un  redou- 
blement de  force ,  à  une  sorte  de  rajeunissement ,  n'ont 
point  de  type  déterminé,  et  se  rattachent^  du  moins 
en  partie ,  aux  vicissitudes  de  la  vie  plastique  ,  puisqu'il 
n'est  pas  rare  de  les  voir  se  juger  par  des  évacuations  alvines 
plus  copieuses  ,  par  des  urines  troubles ,  ou  par  des  sueurs 
plus  abondantes. 

7"  Les  époques  de  la  journée  tiennent  à  la  révolution  de 
la  terre  autour  de  son  axe  ,  par  conséquent  à  son  rapport 
avec  elle-même  ,  à  la  relation  de  sa  périphérie  avec  son  cen- 
tre ;  celles  de  l'année ,  au  contraire  ,  se  rattachent  à  la  révo- 
lution de  la  terre  autour  du  soleil ,  de  sorte  qu'elles  tien- 
nent à  ce  que  ,  dans  sa  course  ,  notre  planète  est  déterminée 
par  cet  astre  et  dépendante  de  lui.  Maintenant,  si  nous  re- 
connaissons un  accord  entre  le  type  de  la  terre  et  celui  des 
organismes  qui  vivent  à  sa  surface ,  nous  devons  admettre 
que  la  périodicité  journalière  prédomine  toutes  les  fois  que 
la  vie  annonce  plus  de  concentration  et  d'indépendance  ,  et  la 
périodicité  annuelle ,  au  contraire  ,  quand  la  vie  s'épanche  en 
quelque  sorte  au  dehors  et  se  montre  avec  tous  les  caractères 
delà  dépendance.  En  effet,  nous  voyons  que  les  formes  de 
la  vie  des  plantes  et  des  animaux  varient  surtout  d'après  la 
révolution  de  la  terre  autour  du  soleil  ;  chez  l'homme  seul , 
où  l'individualité  et  la  faculté  de  se  déterminer  soi-même 
sont  arrivées  au  point  culminant ,  toutes  les  formes  de  la  vie 
entrent  dans  un  cycle  qui  coïncide  avec  la  révolution  diurne 
de  la  terre  ,  tandis  qu'il  n'y  en  a  que  de  faibles  nuances  qui 
correspondent  à  la  révolution  annuelle. 

8°  La  différence  des  époques  de  la  journée  se  manifeste , 
sur  la  terre ,  dans  le  sens  de  la  longitude  géographique  ,  ou 
de  l'est  à  l'ouest ,  tandis  que  l'uniformité  règne  dans  celui  du 
sud  au  nord.  L'antagonisme  des  saisons  se  montre  ,  au  con- 
traire ,  dans  le  sens  de  la  latitude  géographique ,  ou  dans  la 


PÉRIODICITÉ    DCRNE.  l85 

direction  du  sud  au  nord ,  tandis  que  l'uniformité  règne  dans 
celle  de  l'est  à  l'ouest.  Sous  l'équateur,  il  y  a  égalité  entre  le 
jour  et  la  nuit ,  de  sorte  que ,  non  seulement  le  changement 
diurne  de  l'atmosphère ,  notamment  l'état  du  thermomètre ,  y 
est  assujéti  à  des  lois  plus  fixes ,  mais  encore  les  êtres  orga- 
nisés y  ont  une  veille  plus  active  et  un  sommeil  plus  profond, 
les  différences  des  saisons  n'existant  pas  ,  à  proprement  par- 
ler (1).  Vers  les  pôles ,  au  contraire,  Toscillation  l'emporté, 
la  gravitation  est  plus  forte ,  le  mouvement  du  pendule  plus 
rapide,  et  le  contraste  des  saisons  si  considérable,  qu'il  affecte 
celui  des  époques  de  la  journée ,  le  jour  devenant  été  ,  et  là 
nuit  liiver.  D'après  cela ,  nous  devons  considérer  l'homme  , 
jusqu'à  un  certain  point  ?  comme  l'équateur  de  la  vie  orga- 
nique. 

CHAPITRE   premier: 

De  la  périodicité  diurne, 

§  595.  La  périodicité  diurne  se  manifeste  tant  dans  l'an- 
tagonisme du  jour  et  de  la  nuit  (§  595-605),  que  dans  le  dou- 
ble antagonisme  des  époques  de  la  journée  (  §  606  ). 

Le  jour  est  caractérisé  par  une  opposition  plus  prononcée 
et  une  coïncidence  plus  vive  entre  les  choses,  La  lumière 
réunit  et  sépare  les  traits  particuliers  par  des  contours  bien 
arrêtés  ;  l'air  est  plus  distinct  de  l'eau ,  la  chaleur  favorise 
les  réactions ,  et  la  direction  de  l'aimant  vers  le  sud  est  de- 
venue plus  prononcée.  La  nuit  éteint  les  contrastes  et  isole 
davantage.  De  même  que  les  formes  déterminés  s'effacent 
dans  l'obscurité,  on  voit  se  produire  dans  l'air  humide  un  véri- 
table chaos  de  formes  élémentaires ,  tandis  que  le  froid  res- 
serre davantage  les  corps,  et  fait  paraître  dans  sa  plus  grande 
pureté  la  direction  de  l'aiguille  aimantée  vers  le  sud  et  le 
nord.  A  cet  antagonisme  correspond,  dans  le  règne  orga- 
nique ,  celui  de  veille  et  de  sommeil ,  de  déploiement  de  la  vie 
au  dehors  et  de  retour  de  la  vie  sur  elle-même.  Mais  il  n'y  a 
que  la  majorité  des  êtres  organisés  chez  lesquels  ces  états 
coïncident  avec  des  états  cosmiques  correspondans  dans  le 

(1)  Spix  et  Martiiis ,  Reise  in  Brasilien ,  1. 1,  p.  168, 


l84  PÉRIODICTTÉ  DIURNE. 

temps ,  c'est-à-dire  chez  lesquels  il  y  ait  sympathie  avec  le 
monde  extérieur.  Quelques  uus  manifestent  un  antagonisme, 
de  sorte  que  Tépoque  à  laquelle  leUr  vitalité  parvient  au  plus 
haut  degré  correspond  précisément  à  celle  où  la  vitalité  baisse 
dans  tout  ce  qui  les  entoure.  Certaines  fleurs  ne  sortent  de 
leur  sommeil  qu'après  la  chaleur  du  milieu  de  la  journée , 
d'autres  vers  le  soir ,  d'autres  encore  ,  par  exemple  le  Ces- 
trum  nocturnum ,  le  Géranium  triste ,  le  Cactus  grandiflorus 
et  le  Mesembryanthemum  noctiflorum,  pendant  la  nuit  seule- 
ment. Ce  n'est  point  donner  une  explication  satisfaisante  du 
phénomène  que  de  dire  qu'il  faut  aux  premières  toute  l'ar- 
deur du  soleil  pour  épanouir  leurs  tissus  rigides  ,  et  que  les 
autres  sont  trop  délicates  pour  se  trouver  bien  ailleurs  qu'à 
l'obscurité  (1).  Les  Vers  luisans  veillent  la  nuit;  certains  Mol- 
lusques phosphorescens  passent  la  journée  dans  les  profon- 
deurs de  la  mer ,  et  ne  viennent  à  la  surface  que  pendant  la 
nuit ,  de  même  que  les  Phalènes,  les  Guacharos,  les  Martinets, 
le  Corvus  pjrrhocorax  fuient  la  lumière  et  nichent  dans  des 
cavités  souterraines  (2)  ;  mais  le  Rossignol ,  quelques  Merles 
et  le  Gros-bec  chantent  aussi  de  préférence  pendant  la  nuit , 
et  la  Chouette  sait  trouver  sa  proie  durant  les  étés  sans  nuits 
des  contrées  arctiques  ;  le  Hérisson ,  la  Taupe  et  les  Tatous , 
animaux  ennemis  de  la  lumière ,  ne  vont  à  la  recherche  de 
leur  nourriture  que  la  nuit ,  comme  le  Renard ,  la  Marte , 
la  Loutre,  le  Blaireau,  la  Souris;  non  seulement  des  animaux 
carnivores  profitent  de  la  nuit  pour  aller  surprendre  leur 
proie ,  mais  encore  le  Guacharo ,  qui  ne  vit  que  de  grains , 
est  un  Oiseau  nocturne ,  quelques  espèce  de  Bipus  veillent 
pendant  la  nuit ,  le  Castor  travaille  même  pendant  l'obscu- 
rité (3),  quoiqu'il  préfère  le  clair  de  la  lune;  enfin  les  Chouettes, 
la  plupart  des  Mammifères  de  proie,  et  même  aussi  les  Crus- 
tacés ,  veillent  pendant  les  nuits ,  quand  le  temps  n'est  pas 
couvert ,  et  se  tiennent  en  repos  lorsque  l'obscurité  est  trop 


(1)  Meinecke ,  Ueber  die  Zahlenverhaeltnisse  in  den  Fruchtifications- 
oryanen  der  Pfanzen,  p.  43. 

(2)  Humboldt ,  Meise  in  die  jEquinoctialgegende/i ,  t.  II>  p.  107. 
{3)Hearne,  loc.  cit.,  p.  164. 


SOMMEIL.  l85 

profonde.  Chez  l'honïme  même,  sans  parler  des  Albinos,  qui 
sont  lucifuges,  on  trouve  des  individus  doués  d'une  excellente 
vue  et  d'un  esprit  fort  actif,  qui,  à  part  toute  influence  de 
l'habitude,  aiment  à  veiller  ,  et  ne  développent  complètement 
leurs  facultés  que  vers  minuit. 

ARTICLE     I. 

Du  sommeil. 

§  596.  Si  nous  envisageons  le  sommeil  et  la  veille  sous  un 
point  de  vue  général,  nous  sommes  forcés  de  les  admettre 
jusque  chez  les  végétaux  ,  auxquels  nous  ne  pouvons  pas  non 
plus  refuser  la  vie ,  quelque  immense  différence  qu'il  y  ait 
entre  la  leur  et  celle  des  animaux. 

I.  Sommeil  des  végétaux. 

1°  Le  sommeil  des  plantes  se  manifeste  généralement  par 
une  inversion  de  l'activité  plastique.  Les  tiges  et  les  feuilles 
ont  pour  fonction  spéciale  de  s'emparer  du  carbone  et  d'exha- 
ler de  l'oxygène  ;  mais  elles  ne  l'accomplissent  que  pendant 
la  journée.  Dans  la  nuit,  au  contraire,  elles  absorbent  de 
l'oxygène  et  exhalent  de  l'acide  carbonique ,  comme  le  font 
toujours  les  racines.  Ainsi,  pendant  la  nuit,  l'antagonisme  de 
tige  et  de  racine  est  supprimé  ,  ou  la  vie  radiculaire  devient 
prédominante.  Mais  la  racine  est  la  première  partie  qui  ap- 
paraisse dans  l'embryon  végétal  (  §  376,  7°),  puisque ,  pen- 
dant la  germination ,  la  radicule  se  développe  avant  la  plu- 
mule,  et  que,  chez  la  plupart  des  monocotylédones ,  elle  est 
déjà  bienformée  dans  la  graine,  tandis  qu'on  n'aperçoit  encore 
aucune  trace  deplumule.  D'ailleurs  la  terre  et  l'eau  sont  la  pre- 
mière condition  de  l'existence  végétale ,  dont  l'air  et  la  lu- 
mière ne  font  que  déterminer  le  développement  ultérieur. 
Ainsi ,  le  sommeil  de  la  tige  est  un  retour  vers  la  vie  embryon- 
naire. 

Les  résines,  les  huiles  et  les  alcaloïdes  sont  des  produits  de  la 
lumière  du  jour;  les  acides  sontceuxdelanuit.  Plusieurs  plan- 
tes rougissent  le  tournesol  le  matin,  et  ne  déterminent  plus  cet 
effet  à  midi;  le  Bryophyllum  calycinum^  acide  le  malin,  insi- 


l86  SOMMEIt. 

pide  à  midi,  est  amer  le  soir  (1).  La  vie  des  plantes  ressemble 
donc  même  en  cela  à  la  germination ,  puisque  celle-ci  s'ac- 
compagne d'oxygénation ,  d'absorption  d'oxygène  ,  de  for- 
mation d'un  suc  acidulé  et  d'exhalation  d'acide  carbonique 
(§376,50).^ 

2°  Çà  et  là  on  voit  apparaître  des  mouvemens.  Les  fleurs 
se  ferment  plus  ou  moins  pendant  le  nuit ,  attendu  que  les  pé- 
tales se  rapprochent  de  manière  à  se  couvrir  mutuellement  ou 
à  s'appliquer  les  uns  contre  les  autres,  ou  à  se  plisser,  ou  à 
se  tordre  en  spirale  (2) ,  et  ce  rapprochement  de  l'état  qui 
avait  lieu  durant  la  préfloraison  est  un  retour  incontestable 
vers  un  degré  antérieur  de  la  vie.  La  tige  du  Nymphœa  alha 
s'inchne  le  soir  dans  l'eau ,  et  se  redresse  le  matin  ;  les  bran- 
ches de  Y Achyrauthes  lappacea  se  penchent  le  soir  vers  la 
terre  ;  les  pédoncules  d'un  grand  nombre  de  Géranium  ,  de 
Renoncules,  etc.,  s'infléchissent  aux  approches  de  la  nuit; 
les  supports  des  fruits  d'un  grand  nombre  de  plantes  exécu- 
tent le  même  mouvement  (3).  Les  mouvemens  des  feuilles 
deviennent  surtout  prononcés  dans  celles  qui  sont  composées 
et  munies  de  renflemens  articulaires  ;  la  Sensitive  étend  ses 
feuilles  autant  qu  elle  le  peut  à  midi ,  vers  le  crépuscule  les 
folioles  se  ferment,  puis  les  pétioles  s'abaissent,  et  le  mouve- 
ment se  propage  ainsi  de  bas  en  haut ,  d'abord  rapide ,  avec 
de  courts  intervalles ,  puis  plus  calme  et  plus  uniforme ,  jus- 
qu'à ce  qu'enfin  la  contraction  ait  atteint  son  dernier  terme  à 
minuit.  Mais  le  mouvement  journalier  des  feuilles  est  plus 
répandu  dans  le  règne  végétal ,  et ,  d'après  les  recherches  de 
Henschel  (4),  il  s'y  manifeste  sous  les  formes  suivantes  = 

Dans  les  plantes  à  feuilles  simples  ,  le  mouvement  porte  : 

a.  Sur  la  feuille  entière,  qui  s'abaisse  avec  son  pétiole  et 
tourne  sa  page  inférieure  en  dehors  (  Solanum  bahamense)  ; 

b.  Sur  le  pétiole ,  la  nervure  moyenne  et  les  nervures  laté- 
rales, de  sorte  que  les  deux  moitiés  de  la  feuille  s'appliquent 
sur  le  pétiole  par  leur  page  supérieure  (  Bauhinia  )  ; 

(1)  Link,  Elément,  philosophiœ  lotanicœ ,  p.  391. 

(2)  Henschel,  ron  der  Sexùalitœt  der  P  flans  en ,  p.  392. 

(3)  /6id.,p.375.  "  ' 

(4)  md.,  p.  377. 


SOMMEIL.  1 87 

c.  Sur  le  pétiole  et  la  côte  moyenne  seulement,  de  manière 
que  tantôt  le  pétiole  se  redresse ,  et  la  feuille  s'applique  soit 
aux  (euiWes (^triplex  hortensis),  soit  aux  pétioles  (OEnothera 
mollis  y  d'en  face ,  tantôt  aussi  la  pétiole  s'abaisse ,  et  la 
feuille  s'accoUe  de  haut  en  bajs  à  la  tige  (  Impatiens  noli  tan- 
gère  )  ; 

d.  Sur  le  pétiole  seul ,  qui  se  redresse ,  et  contre  lequel  la 
feuille  applique  sa  face  inférieure,  en  s' abaissant  (Sida  Ahu- 
tilon  ). 

Dans  les  plantes  à  feuilles  composées,  le  mouvement  porte  : 

o.  Sur  les  pétioles  et  les  pétiolules,  et  il  peut  être  uniforme 
ou  non. 

Quand  le  pétiole  et  les  pétiolules  se  meuvent  uniformément, 
tantôt  ils  se  portent  en  haut,  de  manière  que  les  folioles  pren- 
nent une  direction  perpendiculaire  (  TrifoUum  incamatum  ), 
ou  qu'elles  s'appliquent  les  unes  aux  autres  par  leurs  faces 
supérieures  (  Lathyrus  odoratus^  Colutea  arborescens  )  ;  tantôt 
ils  se  dirigent  par  le  bas ,  de  sorte  que  les  folioles  s'abaissent 
et  s'appliquent,  par  leurs  faces  inférieures,  soit  exactement 
{  Amorpha  ),  soit  en  empiétant  les  unes  sur  les  autres  (Abrus 
precatorius  ). 

Lorsque  le  mouvement  des  pétioles  et  des  pétiolules  n'est 
point  uniforme ,  tantôt  le  pétiole  se  redresse  et  les  pétiolules 
s'abaissent  (  Oxalis  incamata^  Lupinus  albus  ),  tantôt  le  pé- 
tiole s'abaisse  et  les  pétiolules  se  redressent  (  Vicia  angusti- 
folia  ). 

b.  Sur  le  pétiole ,  les  pétiolules  et  les  pages  des  feuilles , 
et  il  peut  être  également  uniforme  ou  non. 

Dans  le  premier  cas,  tantôt  le  pétiole  se  redresse,  ainsi  que  les 
pétiolules ,  et  les  folioles  viennent  s'imbriquer  sur  le  pétiole 
(  Gleditsia  )  ;  tantôt  le  pétiole  s'abaisse ,  ainsi  que  les  pétio- 
lules, et  les  feuilles  éprouvent  une  torsion  telle  qu'elles  se 
rencontrent  par  leurs  pages  supérieures  au  dessous  du  pé- 
tiole {TrifoUum  Melilotits  cœruleus). 

Dans  le  second  cas ,  tantôt  le  pétiole  s'abaisse  et  les  pétio- 
lules se  redressent,  ainsi  que  les  folioles,  qui  s'imbriquent  sur 
le  pétiole  par  leur  page  supérieure  (  Tamarindus  indica  )  ; 
tantôt  le  pétiole  se  dresse,  les  pétiolules  s'abaissent,  et  les  fo- 


l88  SOMMEIL. 

lioles  se  retournent,  de  manière  à  s'appliquer  les  unes  contre 
les  autres ,  par  leurs  pages  supérieures,  au  dessous  du  pétiole 
(  Cassia  ). 

Mais  nous  avons  encore  à  examiner  les  circonstances  parti- 
culières de  ces  mouvemens  des  feuilles  (S»-— 10°),  'attendu 
que  l'essence  du  sommeil  s'exprime  clairement  en  eux. 

3°  Meinecke  (1)  a  fort  bien  démontré  que  le  sommeil  des 
feuilles  n'est  point  un  affaissement ,  mais  une  direction  spon- 
tanée ;  il  faut  user  de  violence  pour  leur  faire  quitter  la  po- 
sition qu'elles  ont  prise ,  et  elles  y  reviennent  aussitôt  qu'on 
les  abandonne  à  elles-mêmes.  Ce  sommeil  n'est  pas  non  plus 
un  effet  mécanique  de  la  température  ou  de  l'humidité  ,  etc. 
L'obscurité  n'en  est  même  point  une  cause  suffisante;  car,  chez 
nous ,  comme  dans  les  contrées  tropicales ,  la  nuit  commence 
pour  les  plantes  dès  avant  que  le  soleil  ait  disparu  entière- 
ment sous  l'horizon  (2). 

4»  Il  repose  sur  un  type  intérieur.  D'après  les  observations 
de  Duhamel ,  de  Mairan  et  de  Ritter ,  les  plantes  qu'on  tient 
dans  une  obscurité  continuelle  s'ouvrent  et  se  ferment  aussi 
régulièrement  que  quand  elles  sont  exposées  à  l'air  libre  et 
à  l'influence  du  jour  et  de  la  nuit  (3).  DecandoUe  a  vu  (4) 
que  plusieurs  Sensitives  tenues  dans  un  lieu  continuellement 
obscur,  des  Mirabilis  Jalappa  renfermés  à  demeure  dans  une 
cave  éclairée  par  la  lueur  uniforme  d'une  lampe ,  et  des 
Oxalis  stricto,  et  incarnata  soumise  à  la  même  épreuve  pen- 
dant la  nuit  seulement ,  s'ouvraient  le  jour  et  se  fermaient  la 
nuit. 

5°  La  plante  porte  donc  en  elle-même  la  cause  de  ses  veilles 
et  de  son  sommeil ,  qui  est  en  harmonie  avec  celle  qu'on  ob- 
serve dans  l'univers,  et  qui  obéit  au  même  type.  D'après 
Meyer,  cette  cause  tient  à  ce  que  la  turgescence  du  tissu 
cellulaire  prédomine  tantôt  au  côté  supérieur  et  tantôt  au 


(1)  Ueber  die  Zahlenverhasltnisse  in  den  Fructiftcatioiisorganen  der 
Pfla?izen  ,  p.  16. 

(2)  Humboldt,  Beise  in  die  Mquinoctialge^jenden ,  t.  II,  p.  445. 

(3)  Henscliel,  loc.  cit.,  p.  389. 

(4)  Bulletin  de  la  Soc.  philom.,  t.  II,  p.  139. 


SOMMEIL,  189 

côlé  inférieur  de  la  feuille  ;  la  plante  porterait  donc  ètt  elle- 
même  sa  propre  mesure  du  temps  ;  mais  cette  mesure  serait 
de  vingt-quatre  heures ,  et  par  conséquent  en  harmonie  avec 
la  rotation  de  la  terre  autour  de  son  axe.  Les  végétaux  qu'on 
transporte  d'un  autre  hémisphère  dans  le  nôtre  conservent 
d'abord  l'habitude  de  s'ouvrir  à  l'époque  oii  le  soleil  paraît 
sur  l'horizon  dans  leur  climat  naturel  et  de  se  fermer  à  celle 
où  cet  astre  y  disparaît. 

6"  Mais ,  de  même  que  ces  végétaux  prennent  peu  à  peu  le 
type  diurne  de  nos  climats ,  de  même  aussi  on  parvient  à 
renverser  le  type  habituel  de  certaines  plantes  en  les  expo- 
sant à  lumière  artificielle  pendant  la  nuit,  et  les  tenant  dans 
l'obscurité  pendant  le  jour.  DecandoUe  a  reconnu  qu'en  trai- 
tant ainsi  la  Belle-de-nuit,  qui  a  coutume  d'épanouir  ses  feuilles 
le  soir  et  de  les  fermer  le  matin,  dès  le  second  jour,  elle  s'ou- 
vrait le  matin  et  se  fermait  le  soir  ;  que  le  Convolvulus  purpu- 
reus,  qui  est  dans  l'usage  de  s'épanouir  vers  dix  heures  du 
soir,  s'ouvrait  à  six  heures  dès  le  second  jour  ;  qu'au  troisième 
jour  des  Sensitives  s'ouvraient  le  soir  et  se  fermaient  le  matin. 

7°  La  feuille  est  un  développement  en  largeur  qui  fait  an- 
tagonisme à  la  direction  verticale  du  tronc  sur  lequel  elle  a 
poussé  et  dont  elle  s'est  détachée.  Pendant  la  veille  ,  elle  af- 
fecte une  direction  horizontale  ,  qui  est  en  harmonie  avec  son 
développement  ;  pendant  le  sommeil ,  tantôt  elle  se  redresse, 
prend  ainsi  la  direction  de  la  tige,  et  se  rapproche  de  son  ori- 
gine, de  même  que,  plus  elle  est  jeune,  et  par  conséquent  ana- 
logue à  la  tige,  plus  aussi  l'angle  qu'elle  décrit  avec  cette 
dernière  est  aigu  :  tantôt  elle  s'abaisse,  et,  en  se  rapprochant 
par-là  de  la  racine,  s'éloigne  encore  davantage  de  son  ori- 
gine (1).  Les  plus  jeunes  feuilles  de  la  Sensitive  conservent 
jour  et  nuit  la  position  du  sommeil ,  et  n'acquièrent  que  peu  à 
peu  celle  de  l'état  de  veille  (2). 

8°  Les  antagonismes  se  sont  développés  peu  pendant  la  veille, 
tandis  que  pendant  le  sommeil  ils  se  trouvent  dans  le  même 
état  qu'avant  le  développement.  Les  feuilles  qui ,  durant  la 


(1)  Henschel,  loc.  cit.,  p.  382- 

(2)  Sigwart ,  dans  Reil ,  Archiv^  t.  XII,  p.  36. 


HgO  SOMMEIt. 

veille ,  s'écartent  de  la  tige  et  les  unes  des  autres ,  se  rappro- 
chent des  parties  voisines  pendant  le  sommeil,  s'appliquent  à 
la  tige,  aux  branches  ou  aux  pétioles,  ou  se  serrent  les  unes 
contre  les  autres ,  s'adossent  au  pétiole ,  et  s'imbriquent  les 
unes  sur  les  autres  (1). 

Les  feuilles  et  les  parties  foliacées ,  dit  Meyer ,  s'écartent 
de  plus  en  plus ,  par  les  progrès  de  leur  développement ,  de 
la  direction  parallèle  à  la  tige  ou  aux  branches  ;  les  pages  pri- 
mitivement tournées  en  dedans  et  concaves  se  tournent  et  finis- 
sent par  se  bomber  vers  le  haut ,  jusqu'à  ce  qu'un  moment 
vienne  où  elles  passent  de  la  situation  horizontale  à  la  flexion 
vers  le  bas ,  position  dans  laquelle  elles  périssent  ;  or  le  som- 
meil a  pour  effet  de  ramener  la  formation  trop  précipitée  à 
des  degrés  antérieurs  et  de  ralentir  la  vie  de  la  plante ,  qui 
sans  lui  serait  trop  rapide.  Mais  les  circonstances  qui  déter- 
minent les  variétés  du  sommeil  végétal  sont ,  toujours  d'après 
ce  physiologiste,  et  eu  égard  aux  genres,  la  substance  et  l'or- 
ganisation des  feuilles.  Le  sommeil  est  d'autant  plus  prononcé 
que  les  feuilles  sont  plus  tendres  ,  et  on  n'en  observe  que  de 
faibles  traces  dans  celles  qui  sont  toujours  vertes ,  coniques  , 
pleines  de  sucs  visqueux  et  résineux.  Nulle  part  il  n'est  plus 
sensible  que  dans  les  feuilles  pétiolées  et  surtout  pennées. 
Quant  à  ce  qui  concerne  le  point  d'attache  sur  telle  ou  telle 
plante  en  particulier,  l'alternative  de  sommeil  et  de  veille  est 
plus  forte  que  partout  ailleurs  dans  les  feuilles  moyennes  de 
toute  la  foliation,  par  conséquent  dans  les  feuilles  caulinaires 
supérieures ,  qui  sont  les  plus  jeunes  et  les  plus  délicates ,  et 
il  diminue  tant  vers  le  bas  que  vers  le  haut.  Les  cotylédons, 
quand  ils  sortent  de  leur  long  assoupissement ,  marchent  vers 
la  mort  sans  retomber  dans  le  sommeil  ;  les  organes  génitaux 
femelles ,  au  contraire  ,  comnie  étant  les  dernières  feuilles  , 
les  feuilles   terminales ,  celles  qui  constituent  le  fruit ,  de- 
meurent la  plupart  du  temps  à  l'état  de  bourgeon ,  et  parmi 
elles  il  ne  s'en  trouve  que  quelques  unes  qui  s'épanouissent  à 
la  manière  des  feuilles ,  mais  au  moment  seulement  où  elles 
s'ouvrent  comme  valves  du  fruit. 

(1)  Henschel ,  loe,  cit.,  p.  383, 


SOMMEIL.  191 

9»  Pendant  la  contraction  ,  la  vie  se  relire  de  la  périphérie 
vers  le  centre.  Suivant  Sigwart ,  les  folioles  de  la  Sensitive  ont 
perdu,  pendant  le  sommeil,  l'aptitude  à  ressentir  les  impres- 
sions du  dehors,  et  cette  faculté  s'est  retirée  dans  la  pétiole. 

10°  Il  résulte  de  là  que  le  conflit  avec  l'atmosphère  devient 
moins  libre.  La  page  supérieure  de  la  feuille ,  qui,  pendant 
la  veille ,  était  en  rapport  avec  l'air ,  et  accomplissait  l'exha- 
lation ,  se  tourne  en  bas  ou  en  dedans ,  et  devient  moins  ac- 
tive durant  le  sommeil.  La  page  inférieure,  au  contraire ,  qui 
doit  regarder  l'eau  et  absorber ,  se  place  en  dessous  ou  en 
dehors,  et  acquiert  ainsi  la  prépondérance  (1).  Meinecke  a 
vu  qu'en  faisant  agir  la  lumière  concentrée  de  bas  en  haut 
sur  les  nœuds  d'une  pétiole,  la  feuille  tombait  dans  le  som- 
meil ,  qui ,  d'après  cette  expérience ,  semble  dépendre  d'un 
excès  d'action  de  la  page  inférieure. 

11°  Sigwart  assure  que  le  sommeil  des  feuilles  de  la  Sensi- 
tive dure  moins  long-temps  qu'à  toute  autre  époque  pendant 
la  floraison  ,  moment  oii  l'expansion  est  arrivée  à  son  point 
culminant ,  et  où  la  plante  jouit  de  tout  son  développement , 
où  elle  est  en  plein  conflit  avec  le  monde  extérieur. 

12°  Dans  les  contrées  tropicales  (2),  où  le  type  diurne  s'ex- 
prime de  la  manière  la  plus  complète ,  le  sommeil  des  plantes 
est  aussi  plus  profond  ;  les  légumineuses  à  feuilles  irritables, 
qui ,  chez  nous,  s'ouvrent  dès  avant  le  lever  du  soleil ,  ne  s'y 
épanouissent  qu'une  demi-heure  après  l'apparition  de  l'asLre 
du  jour  au  dessus  de  l'horizon  (*). 

££.  Sommeil  des  animaux. 

§  597.  Nous  avons  à  considérer  d'abord  ,  dans  le  sommeil 
animal  ^  \q^  phénomènes  qui  lé  caractérisent. 

(1)  Ibid.,  p.  381. 

(2)  Humboldt,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  175. 

(,*)  Consuliez  ,  sur  le  sommeil  des  plantes  ,  Raspail  (  Nouv.  Système  de 
physiol.  végét.,  Paris,  1837,  t.  II,  p.  187)\  et  sur  l-:s  niouvemens  de  la 
Sensitive  €n  particulier,  Lamark  (  Hist.  nat.  des  anim.  sans  vertèbres, 
t.  I,  p.  85) ,  Dutiochet  (Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  anat.  et  phys. 
des  végétaux  et  des  animaux  ,  Paris,  4837,  ï.  I,  p.  469),  et  Brachet 
( Keclierclies  expér.  sur  les  fonctions  du  syst.  nerveux  ganglionnaire, 
Paris,  1837,  p.  19  et  suiv.) 


192  SOMMEIL. 

1"  Ce  qui  veille  doit  aussi  dormir  ;  mais  les  animaux  infé- 
rieurs n'ont  jamais  de  pleine  veille ,  de  sorte  qu'ils  n'ont 
pas  non  plus  de  sommeil  complet.  A  la  vérité,  il  leur  arrive  à 
tous  4e  se  reposer  de  temps  en  temps  et  de  se  retirer  du 
monde  extérieur  ;  mais  ils  n'ont  point  encore  de  paupières 
mobiles  qui  parachèvent  cette  séparation. 

2"  Chez  les  animaux  inférieurs ,  le  sommeil  est  moins  lié 
à  des  époques  fixes  que  chez  ceuxdes  classes  supérieures.  La 
plupart  des  Oiseaux ,  les  Ruminans  et  les  Quadrumanes  dor- 
ment régulièrement  depuis  le  soir  jusqu'à  l'aurore.  Quelques 
animaux  ont  coutume  aussi  de  dormir  à  midi ,  comme  le  Lion 
et  plusieurs  Oiseaux  palmipèdes  et  échâssieis.  Beaucoup 
d'entre  eux ,  par  exemple  le  Souslic,  dorment  quand  le  temps 
est  couvert. 

3°  Les  Poissons  se  cachent ,  pour  dormir ,  derrière  des 
pierres  ou  autres  corps  immobiles ,  les  Crocodiles  dans  la 
vase,  les  Tortues  dans  des  trous,  le  Loup,  le  Tigre  ,  etc., 
dans  des  fourrés  et  des  cavernes.  Le  Lion  dort  en  plaine.  La 
plupart  des  Oiseaux  cherchent  les  lieux  élevés  pour  dormir  ; 
les  Palmipèdes  et  quelques  Passereaux ,  comme  les  Alouettes 
et  quelques  Emberizes  ,  dorment  sur  la  terre.  Presque  tous 
se  réunissent  à  cet  effet ,  soit  par  paires ,  soit  en  troupes. 
Les  Chenilles  qui  sont  écloses  dans  des  masses  nidulantes  re- 
viennent toutes  vers  le  soir  à  leur  nid  commun. 

4°  Les  animaux  se  pelotonnent  plus  ou  moins  pour  dormir, 
afin  de  présenter  une  surface  moins  étendue,  et  la  plupart 
prennent  la  même  disposition  que  dans  l'état  embryonnaire. 
Les  Ophidiens  et  les  Poissons  serpentiformes  s'enroulent  sur 
eux-mêmes  ;  les  Chéloniens  retirent  leur  tête  et  leurs  mem- 
bres sous  leur  carapace  ;  les  Oiseaux  se  cachent  la  tête,  ou  au 
moins  le  bec ,  sous  une  aile,  qui  est  presque  toujours  celle  du 
côté  gauche,  ou  bien  ils  rétractent  le  cou,  sur  lequel  ils  lais- 
sent reposer  leur  bec.  Les  Mésanges  gonflent  leur  plumage , 
de  manière  qu'elles  paraissent  sphériques.  La  Marte,  le  Chien, 
le  Hérisson,  etc. ,  se  roulent  en  boule.  La  Fouine  se  couvre 
les  yeux  avec  sa  queue.  La  plupart  des  Passereaux  dorment 
debout  ;  les  Échâssiers  ^se  mettent  sur  une  seule  patte  ;  les 
Gallinacés  s'accroupissent,  ou  ploient  leurs  pattes  et  posent  le 


SOMMEIL.  195 

corps  dessus.  Les  Chevaux  aussi  dorment  souvent  debout,  le 
Souslic  et  le  Cochon  d'Inde  assis  sur  leurs  pattes  de  derrière. 
Il  arrive  rarement  aux  animaux  des  deux  classes  supérieures , 
les  Cétacés  exceptés,  de  dormir  en  nageant  ;  c'est  néanmoins 
le  cas  des  Pingouins  et  du  Chien  de  raer.  Les  Oiseaux  aquati- 
ques se  couchent  sur  le  ventre ,  position  qu'affecte  en  général 
aussi  le  Castor;  la  plupart  des  autres  Mammifères  s'étendent 
tantôt  sur  le  côté,  tantôt  sur  le  ventre.  La  position  naturelle 
de  l'homme  pour  dormir  est  de  s'étendre  à  moitié  sur  le  côté 
et  à  moitié  sur  le  dos  ;  le  décubitus  sur  le  dos  est  celui  qui 
procure  le  repos  le  plus  complet  en  cas  de  grande  fatigue  ; 
mais  quand  le  besoin  de  dormir  devient  impérieux ,  le  som- 
meil s'établit  même  dans  les  situations  les  plus  incommodes  , 
comme  il  arrive  aux  enfans  et  aux  jeunes  gens ,  par  exemple 
aux  soldats,  qui  dorment  souvent  debout  et  en  marchant. 

5°  La  plupart  des  animaux  ont  moins  besoin  de  sommeil  que 
l'homme.  Il  suffit  au  Cheval ,  par  exemple  ,  de  dormir  quatre 
heures,  et  une  nuit  passée  dans  le  pré  restaure  parfaitement 
ses  forces  épuisées  par  les  fatigues  de  la  veille.  Chez  l'homme, 
en  qui  la  sensibilité  prédomine,  le  sommeil  est  un  besoin  plus 
impérieux  ,  surtout  après  de  grands  travaux  intellectuels  ;  on 
peut  se  tenir  quelque  temps  éveillé  par  l'activité  de  l'esprit , 
des  sens  ou  des  organes  du  mouvement  musculaire ,  mais  le 
besoin  du  sommeil  n'en  devient  que  plus  vif  ensuite,  et  il  faut 
alors  payer  à  la  fois  le  capital  et  les  intérêts.  Le  sommeil  est 
moins  nécessaire  aux  femmes  qu'aux  hommes  ,  aux  hommes 
faits  qu'aux  enfans  et  aux  vieillards. 

6"  Les  animaux  doués  d'une  circulation  rapide ,  d'une 
force  motrice  énergique  et  d'une  vive  activité  sensorielle , 
ont ,  en  général ,  un  sommeil  plus  léger  et  plus  court.  Ainsi, 
par  exemple ,  les  Oiseaux  surpassent  les  Mammifères  à  cet 
égard.  Le  sentiment  de  sa  propre  force  et  la  confiance  en  soi- 
même  jouent  aussi  un  rôle  sous  ce  rapport  ;  car  les  animaux 
de  proie  ont  le  sommeil  plus  long  et  plus  profond  que  les  ti- 
mides et  craintifs  herbivores.  L'état  momentané  d'excitation 
de  l'âme  n'est  pas  non  plus  sans  influence,  puisque  les  Ptumi- 
nans  dorment  plus  légèrement  tant  que  leurs  petits  ont  be- 
soin d'être  assistés  par  eux. 

y.  i5 


194  SOMMEIt. 

Le  sommeil  des  enfansest  très-profond,  celui  des  vieillards 
léger,  celui  des  hommes  plus  profond  que  celui  des  femmes. 
On  dort  mieux  après  une  grande  fatigue. 

7"  L'envie  de  dormir  s'annonce  par  une  sensation  particu- 
lière dans  la  partie  antérieure  de  la  tête,  par  la  lassitude  dans 
les  membres,  et  par  la  dnninution  de  la  production  de  cha- 
leur. Il  se  manifeste  une  propension  au  repos  des  sens  et  des 
organes  locomoteurs;  les  agens  qui  exercent  une  vive  impres- 
sion sur  les  sens,  par  exemple  une  forte  lumière  ,  causent  une 
sensation  désagréable,  et  tout  effort  musculaire  devient  péni- 
ble ;  on  bâille,  on  étend  les  membres,  on  éprouve  le  besoin  de 
se  retirer  dans  un  lieu  obscur ,  tranquille  et  médiocrement 
échauffé,  de  prendre  une  situation  commode.  La  spontanéité 
de  l'àme  s'efface,  l'attention  s'engourdit  et  devient  incapable 
de  lier  une  série  d'idées ,  de  la  retenir,  de  la  poursuivre  ;  on 
lit  sans  comprendre.  Bientôt  les  sensations  deviennent  obscu- 
res et  les  idées  confuses  ;  on  éprouve  des  hallucinations  de  la 
vue,  on  ne  comprend  pas  bien  les  questions,  et  on  y  répond  de 
travers  ;  on  regarde  fixement  devant  soi,  l'œil  perd  son  éclat 
et  sa  tension,  parce  que  l'humeur  aqueuse  et  la  sécrétion  de 
la  conjonctive  diminuent  ;  la  pupille  se  dilate,  et  se  dirige  en 
haut  et  en  dedans  (1);  déjà  on  n'aperçoit  plus  les  objets, 
qu'on  entend  encore ,  mais  le  son  semble  venir  de  loin  et  ne 
paraît  qu'un  simple  bruit.  La  paupière  supérieure  s'abaisse, 
les  membres  perdent  leur  ressort,  on  laisse  échapper  ce 
qu'on  tient  dans  ses  bras ,  et  les  bi  as  eux-mêmes  tombent  sur 
les  côtés  du  corps  ;  si  Ton  s'asseoit ,  les  muscles  de  la  nuque 
cessent  de  se  contracter,  la  tête  s'abaisse ,  le  menton  s'appli- 
que sur  la  poitrine,  et  le  tronc  lui-même  se  courbe  en  arc  ; 
la  mâchoire  inférieure  devient  pendante  aussi. 

S»  Le  sommeil  n'est  jamais  plus  profond  qu'à  son  début;  il 
devient  ensuite  calme  et  tranquille  ;  vers  la  fin ,  il  cède  à  la 
moindre  cause  d'interruption. 

9°  Le  réveil  consiste  dans  le  retour  graduel  de  l'activité 
sensorielle  et  du  mouvement  volontaire,  par  conséquent  dans 

(4)  Purkinje ,  BeoiacJitungen  und  Fersuche  xur  Physiologie  der  Sinne, 
t.  JI,  p.  90. 


SOMMEIL.  igS 

la  reprise  du  conflit  avec  le  monde  extérieur,  et  il  a  plus  d'un 
point  d'analogie  avec  l'état  du  nouveau-né.  Tout  semble  d'a- 
bord obscur  et  confus ,  puis  les  objets  s'éclaircissent ,  mais 
sans  qu'on  puisse  encore  bien  les  saisir  ;  on  ne  se  rappelle 
point  sur-le-champ  le  passé  ,  et  l'on  a  quelque  peine  à  com- 
prendre les  paroles  qu'on  entend  prononcer.  Les  muscles  ne 
recouvrent  leur  ressort  qu'après  des  pandiculations;  les  yeux 
reprennent  leur  vivacité  après  qu'on  les  a  frottés  doucement 
du  dos  de  la  main.  On  sent  enfin  le  besoin  de  se  débarrasser 
des  excrétions ,  de  cracher  ,  d'uriner,  souvent  d'éternuer ,  et 
plus  tard  d'aller  à  la  selle. 

A.   Causes  du  sommeil. 

§  598.  A  l'égard  des  circonstances  qui  jouent  le  rôle  de 
causes  par  rapport  au  sommeil , 

I.  Le  sommeil  a  lieu  quand  la  vie  est  satisfaite  dans  le 
monde  extérieur  et  que  rien  ne  la  sollicite  plus  à  se  déve- 
^  lopper  davantage.  La  cause  est  donc  un  état  intérieur.  Mais 
cet  état  peut  être  amené  par  des  circonstances  extérieures 
opposées,  de  sorte  qu'aucune  chose  du  dehors  ne  peut  être 
appelée  soporifique  en  elle-même,  puisqu'il  dépend  toujours 
de  la  disposition  de  l'organisme,  et  de  la  manière  dont  celui-ci 
en  reçoit  l'impression ,  qu'elle  détermine  ou  le  sommeil  ou 
l'état  opposé. 

1°  Considérée  en  elle  même,  la  veille,  quand  elle  a  duré  im 
certain  temps  ,  amène  le  sommeil ,  en  vertu  de  la  périodicité 
qui  a  son  fondement  dans  la  vie.  L'oisif  qui  a  passé  la  jour- 
née sans  rien  faire  n'éprouve  pas  moins  l'envie  de  dormir  que 
celui  qui  a  exercé  ses  forces.  L'habitude  joue  également  son 
rôle  ici  :  on  est  pris  d'envie  de  dormir  quand  l'heure  accou- 
tumée du  sommeil  vient  à  sonner,  et,  cette  heure  écoulée,  on 
se  ranime.  Gomme  le  sommeil  est  une  manifestation  normale 
de  la  conservation  de  soi-même,  il  manque  toutes  les  fois  que 
celte  dernière  n'a  point  assez  d'énergie,  dans  le  cas  de  grande 
faiblesse ,  et  dans  la  plupart  des  maladies  ;  du  moins  n'est-il 
point  alors  normal ,  calme  et  réparateur.  Le  retour  du  som- 
meil est  de  bon  augure  dans  toutes  les  maladies,  qui  n'ont 
souvent  pas  d'autre  crise. 


1 96  SOMMÉIt. 

2°  La  satisfaction  de  l'activité  spontanée"  est  la  condition 
principale.  Lorsque  l'âme  tend  encore  à  un  but ,  qu'elle  est 
occupée  d'un  objet,  qu'elle  poursuit  trop  vivement  des  idées, 
soit  qu'il  s'agisse  de  méditations  ou  d'émotions  ,  le  sommeil 
ne  vient  point;  il  n'arrive  que  quand  l'âme  est  épuisée 
de  fatigue ,  ou  quand  la  conscience  d'être  parvenue  au 
but  qu'elle  visait  fait  naître  en  elle  la  satiété.  Quelque  grand 
résultat  qu'il  puisse  découler  pour  l'avenir  de  ce  qu'on  vient 
d'opérer,  quelque  labeur  que  l'intelligence  ou  l'âme  ait  en- 
core en  perspective ,  pourvu  qu'on  ait  satisfait  au  présent , 
le  sommeil  peut  survenir.  Alexandre  ,  Pompée  ,  Napoléon 
et  autres  guerriers  ont  dormi  pendant  la  nuit  qui  précédait 
une  bataille  décisive ,  et  Caton  s'est  livré  au  sommeil ,  avant 
de  se  suicider,  avec  autant  de  tranquillité  qu'il  aurait  pu  le 
faire  en  toute  autre  circonstance.  Quand  la  joie  a  cessé  de 
fermenter,  et  qu'on  en  a  considéré  l'objet  sous  toutes  ses  fa- 
ces, on  tombe  dans  un  doux  sommeil,  qui  est  le  résultat  de  la 
satiété.  La  tristesse  s'épuise  de  la  même  manière ,  parce  que 
la  perte  de  toute  espérance  amène  la  résignation  et  le  calme. 
D'après  les  observations  d'un  geôlier ,  que  Cleghorn  nous  a 
communiquées  ,  les  criminels  condamnés  à  mort  passent  or- 
dinairement dans  l'insomnie  la  nuit  qui  succède  au  prononcé 
du  jugement,  mais  ils  dorment  fort  bien  pendant  celle  qui  pré- 
cède leur  exécution  (1).  Tout  dépend  ici  de  l'individualité  : 
lorsque  la  vie  morale  est  pesante,  qu'elle  manque  de  profon- 
deur ,  qu'elle  n'a  pas  d'énergie,  rien  de  plus  facile  que  de  îa 
satisfaire  ;  le  grossier  manœuvre  peut  dormir  à  toute  heure  , 
quand  il  manque  de  travail ,  et  l'homme  qui  ne  pense  point 
s'endort  quand  le  moment  arrive,  même  au  milieu  des  dan- 
gers les  plus  menaçans ,  pourvu  que  ses  besoins  matériels 
soient  satisfaits.  De  même,  l'animal  tourmenté  par  la  faim  ou 
parle  rut,  dort  peu  ou  point;  mais  il  cède  au  sommeil  après 
s'être  rassasié,  non  pas,  comme  dit  Morgagni,  parce  que  l'es- 
tomac plein  d'alimens  comprime  l'aorte  ,  ou  ,  comme  le  pré- 
tend Marherr  ,  parce  que  la  plénitude  de  ce  viscère  empê- 
chant le  diaphragme  de  s'abaisser,  et  gênant  la  circulation 

(J.)  Radow,  f-"crsiic]i  cincr  ncnen  Théorie  des  ScJdafes  ,  p.  32, 


SOMMEIL.  1^7 

pulmonaire  ,  force  le  sang  de  s'accumuler  dans  la  tête  ,  ou  , 
comme  le  pensait  Haller,  parce  que  le  sang  reflue  de  la  tête 
vers  l'estomac  (1) ,  mais  parce  que  l'animal  n'éprouve  plus 
<de  besoins  qui  puissent  le  tenir  éveillé.  Dans  la  manie,  où  l'âme 
n  perdu  tout  but  et  toute  mesure,  il  ne  peut  point  non  plus  y 
avoir  de  satisfaction  ;  aussi  des  semaines  entières  se  passent- 
elles  fréquemment  sans  sommeil,  malgré  des  efforts  musculai- 
res immenses  et  non  interrompus,  tandis  que,  chez  l'homme  en 
santé,  les  méditations  les  plus  profondes  et  les  affections  les 
plus  vives  ne  peuvent  reculer  que  de  fort  peu  l'invasion  du  som- 
meil, 

3"  Une  autre  condition  du  sommeil  est  que  l'âme  ne  soit 
point  remuée  par  des  excitations  sensorielles.  Aussi  la  somme 
de  ces  dernières  se  trouve-t-e!le  diminuée  pendant  Tobscu- 
rité,  le  calme  et  la  fraîcheur  de  la  nuit.  Mais  ce  n'est  pas 
tant  à  l'absence  qu'au  défaut  d'intérêt  des  excitations  senso- 
delles  que  tient  le  sommeil;  il  y  a  même  des  impressions  qui 
sont  nécessaires,  parce  qu'elles  servent  à  tranquilliser  Tâme  : 
ainsi  le  meunier  ne  s'endort  que  quand  il  entend  le  bruit  de 
son  moulin,  et  celui  qui  a  contracté  l'habitude  de  laisser  brû- 
ler une  lampe  dans  sa  chambre  à  coucher  ,  ne  peut  point  s'en- 
dormir au  milieu  de  l'obscurité.  De  même ,  le  sommeil  est 
provoqué  en  nous  non  pas  seulement  par  l'émoussement  de 
la  réceptivité  qui  résulte  du  train  journalier  des  affaires,  mais 
encore  par  toute  impression  qui  cause  de  l'ennui  ;  le  bruis- 
sement uniforme  du  vent  à  travers  les  feuilles  des  arbres  , 
le  murmure  d'une  chute  d'eau  ,  un  discours  ennuyeux ,  une 
lecture  non  attachante,  un  chant  monotone ,  poussent  irrésis- 
liblement  au  sommeil,  et  celui  qui  manque  de  goût  pour  la 
musique  ou  la  poésie  s'endort  en  entendant  exécuter  ou  réci- 
ter les  productions  du  génie.  Il  en  est  de  même  pour  le  sen- 
timent intérieur,  pour  la  sensibilité  générale  ;  la  douleur 
chasse  le  sommeil,  et,  pour  mieux  dormir,  on  quitte  ses  vêle- 
mens ,  afin  de  diminuer  le  nombre  et  l'intensité  des  impres- 
sions extérieures  ;  mais  une  douce  et  uniforme  excitation  , 

(1)  IHd.,  p.  28. 


I  go  SOMMEIL. 

telle  que  celle  qui  résulte  du  balancement  ou  du  bercement, 
favorise  le  sommeil. 

4"  Toutes  les  excitations  précipitées,  la  fièvre  ,  les  inflam- 
mations, les  spasmes,  empêchent  le  sommeil  ;  il  en  est  de 
même  des  efforts  physiques  trop  violens ,  qui  font  trembler 
les  membres  ou  rendent  la  circulation  et  1  oscillation  trop 
vives  dans  les  muscles,  et  des  travaux  intellectuels  excessifs 
dans  lesquels  on  ne  peut  pas  trouver  de  but.  La  lassitude  pro- 
prement dite,  au  contraire,  annonce  que  la  force  est  satisfaite; 
aussi  voit-on  le  sommeil  survenir  après  l'exercice  de  corps 
ou  d'esprit,  après  l'acte  vénérien ,  etc.  Lorsqu'au  moment 
où  la  fatigue  se  fait  sentir,  on  aperçoit  encore  devant  soi  un 
but  plus  éloigné ,  que  l'âme  aspire  à  atteindre,  et  à  la  pour- 
suite duquel  on  se  mettrait  volontiers,  le  sommeil  est  profond, 
mais  court  ;  après  avoir  été  rafraîchi  par  lui ,  on  s'empresse 
de  retourner  au  travail  ou  au  plaisir. 

6°  Une  congestion  qui  s'accompagne  d'accélération  de  la 
circulation  dans  le  cerveau ,  met  obstacle  au  sommeil,  parce 
qu'elle  excite  trop  vivement ,  comme  dans  la  méningite.  Le 
froid  aux  pieds  produit  fréquemment  le  même  effet,  attendu 
qu'il  fait  porter  une  plus  grande  quantité  de  sang  à  la  têle , 
et  l'on  ne  saurait  trop  blâmer  l'imprudence  des  hommes  de 
lettres  qui  prennent  des  pédiluves  froids  pour  se  tenir  éveil- 
lés. Une  hémorrhagie  abondante  amène  aussi  le  somnfieil  , 
parce  que  le  sang  ne  stimule  plus  autant  le  cerveau  ,  qui 
trouve  trop  peu  d'antagonisme  à  l'extérieur.  Mais  l'accumu- 
lation du  sang ,  notamment  dans  le  cerveau  lui-même,  et 
non  pas  seulement  dans  ses  alentours ,  donne  de  la  propen- 
sion au  sommeil,  et  en  effet  on  observe  ,  dans  l'encéphalite  , 
la  somnolence,  sans  sommeil  véritable  et  réparateur  ;  celte 
même  accumulation ,  mais  avec  stase  du  sang,  comme  dans 
l'apoplexie  et  le  coma,  produit  un  effet  identique.  Le  som- 
meil et  la  stupeur  surviennent  en  outre  quand  le  cerveau  est 
comprimé  par  un  épanchement  de  sang  ou  de  pus ,  par  un 
fongus  cérébral ,;  par  les  os  du  crâne  ,  etc.;  mais  lorsque  cet 
organe  éprouve  une  distension  uniforme  ,  comme  dans  le  cas 
d'hydropisie  de  ses  ventricules ,  on  observe  fréquemment  la 


SOMMEIE.  Î99 

somnolence ,  sans  douleurs  ni  aucune  excitation  quelconque , 
parfois  même  avec  imbécillité  ou  en^yourdissement. 

6°  Les  'excitations  organiques  extérieures  n'agissent  que 
d'une  manière  relative.  La  chaleur  empêche  de  dormir,  parce 
qu'elle  appelle  trop  la  vie  au  dehors  ;  elle  favorise  le  sommeil , 
par  exemple,  dans  le  bain  tiède,  en  procurant  une  légère  dé- 
tente et  une  douce  satisfaction.  Le  froid  endort ,  parce  qu'a- 
lors la  vie  n'est  plus  assez  excitée  du  dehors ,  et ,  en  effet ,  ou 
dort  plus  long-temps  et  plus  profondément  en  hiver  -,  il  trou- 
ble le  sommeil ,  parce  qu'il  met  en  danger  l'organisme ,  qui , 
dans  de  telles  circonstances ,  ne  trouve  plus  la  condition  né- 
cessaire à  son  maintien. 

Il  y  a  des  substances  qui  accroissent  l'activité  organique  du 
cerveau  (la  vie  cérébrale  végétative) ,  la  plupart  du  temps  en 
augmentant  l'afflux  du  sang  vers  cet  organe ,  de  sorte  que 
tantôt  l'action  cérébrale  exaltée  accroît  également  la  vie  mo- 
rale et  chasse  le  sommeil ,  tantôt  elle  porte  le  désordre  dans 
cette  vie ,  la  met  en  désaccord  avec  elle-même  et  la  plonge 
dans  un  état  analogue  à  la  manie ,  tantôt  enfin  la  réduit  au 
silence ,  et  amène  la  stupeur  et  le  sommeil.  C'est  surtout  en 
étudiant  l'action  des  liqueurs  spiritueuses  qu'on  peut  se  con- 
vaincre que  ces  diverses  formes  ne  sont  qu'autant  de  degrés 
d'un  seul  et  même  effet.  L'usage  modéré  des  liqueurs  fortes 
écarte  le  sommeil ,  augmente  la  tension ,  vivifie  l'imagination , 
et  dispose  à  l'hilarité.  Si  l'on  continue  d'en  boire ,  elles  trou* 
blent  la  conscience ,  elles  détruisent  l'empire  qu'on  a  sur  soi- 
même  et  mettent  l'âme  dans  un  état  d'excitation  organique 
qui  se  manifeste  tantôt  comme  un  jeu  réjouissant  des  fibres 
cérébrales,  tantôt  comme  une  convulsion  furieuse  de  ces 
mêmes  fibres;  enfin  elles  plongent  l'âme  dans  le  sommeil. 
Mais  déjà  ici  nous  voyons  qu'il  s'agit  moins  de  la  forme  sous 
laquelle  l'action  se  manifeste  que  de  la  manière  générale  d'a- 
gir, moins  de  la  substance  extérieure  que  de  la  disposition 
interne  :  le  même  vin  qui  ne  fait  qu'exalter  la  vie  morale 
chez  l'homme  enclin  à  la  gaîté  et  dont  l'esprit  a  l'habitude 
de  s'exercer,  enivre  celui  dont  la  vie  a  étabU  son  siège 
principal  dans  le  sang,  et  endort  le  phlegmatique  dont 
la  tête  ne  renferme  aucune  pensée;  et  quand  la  vie  est 


200  SOMMEIL. 

languissante ,  lorsqu'elle  n'est  point  convenablement  excitée 
par  le  conflit  des  organes ,  par  exemple ,  chez  les  vieillards  , 
un  verre  de  bon  vin  ou  de  liqueur  porte  au  sommeil ,  sans 
produire  d'excitation  préalable.  Depuis  qu'on  a  secoué  les 
pesantes  chaînes  de  l'étroit  système  philosophique  appelé 
théorie  de  l'excitement,  depuis  qu'on  se  repose  sur  le  lit 
commode  de  la  symptomatologie ,  on  considère  aussi  les  nar- 
cotiques comme  des  substances  purement  déprimantes ,  parce 
que  cette  forme  de  l'action  qu'elles  exercent  sur  l'économie 
est  celle  qui  se  manifeste  le  plus  fréquemment  et  le  plus  faci- 
lement. Mais  la  simple  expérience  démontre  ,  d'une  manière 
incontestable ,  que  l'opium  et  le  tabac  ,  par  exemple  ,  tantôt 
excitent,  tiennent  les  sens  éveillés  et  exaltent  l'imagination, 
tantôt  enivrent  ou  font  dormir,  suivant  la  dose  à  laquelle  on 
les  emploie ,  suivant  aussi  le  mode  de  la  vitalité  dans  l'orga- 
nisme auquel  on  les  applique.  La  jusquiame  ,  la  bella- 
done ,  etc.,  sont,  la  plupart  du  temps ,  administrées  de  ma- 
nière qu'elles  produisent  une  détente  et  qu'elles  amènent 
le  calme  ;  mais ,  dans  d'autres  circsonstances ,  elles  détermi- 
nent une  ivresse  furieuse ,  avec  insomnie  ;,  et  l'observation 
constate  qu'il  est  des  cas  dans  lesquels  elles  sont  aptes  à 
exalter  la  vie  morale. 

II.  Quant  au  réveil , 

1°  Il  a  lieu  en  vertu  de  la  périodicité  ;  car  les  antagonismes 
se  sont  développés  pendant  le  sommeil ,  et  ils  tendent  à  en- 
trer en  action.  Lorsqu'on  ne  se  réveille  pas  par  l'effet  de  cette 
cause  et  par  l'influence  du  type  intérieur,  mais  qu'on  est  ar- 
raché violemment  au  sommeil ,  il  arrive  fréquemment  qu'on 
se  sent  pendant  toute  la  journée  moins  dispos  et  moins  vi- 
goureux. 

8°  Le  réveil  ne  tient  pas  uniquement  à  la  durée  du  sommeil, 
il  dépend  aussi  de  l'habitude  qu'on  a  contractée  de  s'éveiller 
à  une  certaine  heure.  On  a  beau  se  coucher  plus  tôt,  ou  s'en- 
dormir plus  tard  que  de  coutume ,  on  ne  s'en  réveille  pas 
moins  presque  toujours  à  la  même  heure.  ; 

9"  Vers  le  matin,  les  excitations  du  dehors  se  multiplient  ; 
mais  le  sentiment  intérieur  contribue  aussi  à  nous  tirer  du 
sommeil  ;  ainsi ,  par  exemple ,  nous   sommes    réveillés  par 


SOMMEIL.  201 

l'accumulation  des  matières  excrémentitielles ,  après  l'in- 
fluence desquelles  la  cause  la  plus  puissante  consiste  dans 
les  impressions  auditives. 

B.  Etat  de  l'âme  dans  le  sommeil, 

§  599.  Pendant  le  sommeil ,  l'âme  s'isole  du  monde  exté- 
rieur et  se  retire  de  la  périphérie. 

1°  Elle  abandonne  surtout  les  organes  sensoriels,  et  le 
sens  qui  nous  met  plus  spécialement  en  rapport  avec  le  monde 
extérieur  est  clos  par  la  paupière  supérieure  ,  qu'on  peut  en 
quelque  sorte  considérer  comme  l'organe  du  sommeil.  Ce- 
pendant toute  communication  n'est  point  abolie  entre  l'âme  et 
les  choses  du  dehors  ;  si  l'on  n'entendait  et  ne  sentait  point 
pendant  le  sommeil  lui-même ,  si  les  sens  de  l'ouïe  et  du  tou- 
cher n'entraient  en  action  qu'après  le  réveil ,  il  n'y  aurait  pas 
moyen  d'être  réveillé. 

Les  sens  passifs  font  office  de  gardiens  pendant  le  sommeil, 
et  c'est  par  eux  qu'on  peut  le  plus  facilement  être  réveillé. 

Au  premier  rang  se  place  le  sentiment  intérieur  ;  le  besoin 
d'accomplir  une  évacuation  interrompt  le  sommeil,  et  le 
froid ,  les  secousses ,  les  rudoiemens ,  les  piqûres ,  etc. ,  ré- 
veillent ceux  sur  lesquels  des  moyens  plus  doux  demeure- 
raient sans  effet. 

Vient  ensuite  l'ouïe ,  qui  est  le  sens  de  la  nuit.  Plus  elle 
est  fine  chez  un  animal ,  et  plus  celui-ci  a  le  sommeil  léger  ; 
le  Lion  dort  profondément ,  parce  qu'il  a  l'oreille  moins  sus- 
ceptible que  la  plupart  des  autres  animaux  de  proie. 

En  troisième  lieu ,  nous  trouvons  l'odorat.  Il  n'est  pas  rare, 
en  effet ,  que  l'homme  soit  réveillé  par  l'odeur  de  brûlé. 

Les  sens  actifs  sont  tombés  dans  l'inertie ,  d'abord  la  vue , 
puis  plus  encore  le  goût ,  et  enfin  au  plus  haut  degré  le  tou- 
cher, car  celui-ci  ne  peut  exercer  la  moindre  action  sans  le 
concours  du  mouvement  musculaire  spontané. 

Ce  qui  démontre  la  persistance  de  la  sensation,  c'est  que 
ce  n'est  pas  toujours  la  seule  intensité  d'une  impression ,  mais 
parfois  sa  relation  morale ,  qui  réveille.  Un  mot  indifférent 
n'arrache  pas  l'homme  qui  dort>u  sommeil  j  mais  si  on  l'ap- 


202  SOMMEIE. 

pelle  par  son  propre  nom ,  il  s'éveille  aussitôt.  La  mère  se 
réveille  au  moindre  mouvement,  au  plus  léger  cri  de  son 
enfant.  Un  vieil  harpiste,  qui  dormait  tant  qu'il  ne  jouait  pas, 
se  réveillait  pour  peu  qu'on  touchât  aux  cordes  de  son  instru- 
ment (1).  On  a  vu  des  avares  se  réveiller  quand  on  leur  met- 
tait une  bourse  pleine  dans  la  main.  Un  bruit  dont  on  a  con- 
tracté l'habitude  ne  trouble  pas  le  sommeil.  Suivant  la 
remarque  de  Jouffi  oy  (2) ,  l'homme  qui  arrive  de  sa  province 
dans  la  capitale  ne  peut,  à  cause  du  bruit ,  ni  dormir  pen- 
dant la  nuit ,  ni  penser  au  milieu  des  rues ,  tant  les  impres- 
sions extérieures  détournent  son  attention  ;  mais,  peu  à  peu , 
le  bruit  cessant  de  l'intéresser,  il  parvient  à  dormir  et  à 
méditer.  A  la  vérité  ,  l'habitude  émousse  les  sens ,  mais  cet 
émoussement  entre  ici  pour  fort  peu  de  chose ,  car  celui 
que  le  vacarme  des  voitures  n'arrache  point  au  sommeil, 
est  réveillé  par  le  bruit  d'une  souris  ou  par  le  mouvement 
d'un  malade  couché  auprès  de  lui;  l'âme  sait  donc,  pen- 
dant le  sommeil,  distinguer  les  sensations  les  unes  des 
autres.  De  là  vient  qu'un  poltron  dort  moins  profondément 
qu'un  homme  courageux.  Lorsque  le  grondement  du  ca- 
non, le  tintement  des  cloches,  le  mugissement  de  la  mer 
sont  devenus  indifférens,  ils  ne  portent  aucune  atteinte  au 
sommeil.  Les  personnes  âgées  ,  dit  Brandis  (3) ,  s'endorment 
facilement,  parce  qu'il  n'y  a  plus  qu'un  bien  petit  nombre  de 
choses  qui  attirent  leur  attention ,  le  monde  extérieur  étant 
pour  elles  une  histoire  qu'elles  savent  par  cœur  presque  tout 
entière.  Aussi  peut-on  être  réveillé  par  le  défaut  d'une  exci- 
tation sensorielle  qui  se  rapporte  à  une  chose  qu'on  regarde 
comme  importante;  beaucoup  de  personnes  le  sont  par 
l'extinction  de  leur  lampe  de  nuit,  et  le  meunier  l'est  par  la 
cessation  du  bruit  de  son  moulin ,  ce  qui  suppose  que  l'im- 
pression reçue  par  les  sens  est  perçue ,  mais  que ,  comme  elle 
est  indifférente  ,  ou  plutôt  satisfaisante  ,  elle  ne  trouble  point 
l'âme. 

(4)  Brandis,  Lehre  von  den  Affecten  des  lebendigen  Organismus^  p.  567. 

(2)  Nov.  biblioth.  médic,  1827,  t.  II,  p.  354. 

(3)  Xroc,  cit.,  p.  567. 


SOMMEIE,  505 

Lorsque,  après  s'être  assoupi  pendant  une  lecture  ou  un 
récit,  on  revient  à  soi ,  on  sait  les  mots  qui  ont  été  prononcés 
avant  le  réveil ,  par  exemple  la  dernière  phrase ,  si  elle  était 
courte  ;  mais  on  ignore  comment  elle  tient  à  ce  qui  précédait. 
Or,  nous  ne  saurions  admettre  que  les  impressions  de  toute 
une  série  de  sons  se  conservent  assez  distinctes,  dans  l'organe 
auditif,  pour  pouvoir  encore  être  saisies  ensuite  dans  leurs 
rapports  les  unes  avec  les  autres  ;  il  faut  que  le  discours  ait 
été  entendu  réellement ,  mais  sans  suite ,  et  sans  qu'on  en 
comprenne  le  sens ,  ce  qui  fait  qu'il  n'aura  pas  tardé  à  être 
oublié.  Il  est  plus  général  encore  qu'on  sache  par  quoi  on  a  été 
éveillé  ,  quoique  la  chose  qui  a  déterminé  le  réveil  ne  puisse 
plus  être  perçue  après  ce  dernier. 

Assurément  les  sens  sont  plus  obtus  que  pendant  la  veille. 
Le  son  a  besoin  d'être  plus  fort  pour  qu'on  l'entende  ;  lorsque 
la  douleur  n'est  point  trop  violente ,  elle  n'empêche  pas  de 
dormir  ;  une  toux  légère  cesse  tout-à-fait  pendant  le  sommeil , 
et  le  besoin  de  cracher ,  ou  d'accomplir  toute  autre  évacua- 
tion ,  ne  se  fait  bien  sentir  qu'après  le  réveil.  Mais  ce  qu'il  y 
a  d'essentiel ,  c'est  que  les  émotions  sensorielles  demeurent 
isolées  ,  et  ne  procurent  point  une  perception  complète  de  la 
réalité. 

2°  Chez  les  Oiseaux,  il  existe  des  dispositions  mécaniques  en 
vertu  desquelles  ces  animaux  peuvent  dormir  assis  ou  debout. 
Chez  ceux  qui  s'accroupissent  sur  des  branches ,  le  muscle 
crural  grêle  a  un  long  tendon  qui  passe  sur  la  rotule  et  s'unit 
avec  les  tendons  des  fléchisseurs  des  orteils ,  de  sorte  que , 
pendant  la  flexion  de  la  cuisse ,  il  est  tendu  et  tient  les  orteils 
fléchis ,  ce  qui  fait  que  ceux-ci  embrassent  solidement  la 
branche.  Mais,  chez  les  Echâssiers  ,  qui  dorment  debout ,  les 
articulations  du  genou  et  du  pied  offrent  un  mécanisme,  décrit 
par  Duméril  (1) ,  et  semblable  au  ressort  d'un  couteau  de 
poche ,  qui  ouvre  l'instrument ,  ou  tient  la  lame  sur  la  même 
ligne  que  le  manche  ;  c'est  un  enfoncement  creusé  dans  le 
condyle  externe  du  fémur ,  et  qui  reçoit  la  tête  du  péroné. 
Cependant  ces  dispositions  exigent  toujours  le  concours  de 

(1)  Bulletin  de  la  Soc.  philoin.,  t.  Il,  p.  4. 


i?04  SOiMMElt, 

l'activité  musculaire  pour  maintenir  l'équilibre.  En  général ,' 
nous  trouvons  pendant  le  sommeil  une  prédominance  des 
muscles  fléchisseurs  et  sphincters ,  qui  sont  ceux  dont  la  fonc- 
tion consiste  à  isoler  et  dont  l'action  l'emporte  durant  la  vie 
embryonnaire;  les  yeux  sont  clos,  non  seulement  par  le  relâ- 
chement de  la  paupière  supérieure ,  mais  encore  par  l'activité 
vilale  du  muscle  orbiculaire ,  car  on  les  trouve  à  demi  ouverts 
sur  le  cadavre.  C'est  par  la  contraction  de  leurs  muscles  flé- 
chisseurs que  les  animaux  se  roulent  plus  ou  moins  en  boule  ; 
(le  même  aussi  l'attitude  de  l'homme  qui  dort  ne  ressemble 
point  à  celle  d'un  cadavre  ,  qui  ne  dépend  que  de  la  loi  de  la 
{jravitation ,  et  elle  est  telle  que  plusieurs  muscles  sont  tou- 
jours obhgés  d'y  coopérer.  Quelquefois  la  vie  s'éveille  dans 
les  muscles  extenseurs  ;  ils  cherchent  à  se  mettre  en  équilibre 
avec  les  fléchisseurs,  et  occasionent  des  extensions  saccadées, 
qui  éveillent  en  sursaut ,  et  qui,  dans  les  maladies  inflamma- 
toires, notamment  les  affections  {goutteuses  et  rhumatismales , 
déterminent  de  violentes  douleurs.  Il  est  fort  rare  que  l'homme 
éveillé  se  couche  de  même  que  quand  il  dort.  Dans  le  sommeil, 
même  le  plus  calme,  on  change  de  temps  en  temps  de  position, 
lorsque  la  fatigue  des  muscles  qui  avaient  agi  jusqu'alors  rend 
pénible  celle  qu'on  occupait  ;  de  même,  quand  on  a  froid ,  on 
se  recouvre  sans  se  réveiller  -,  de  même  aussi,  on  s'éloigne  des 
corps  étrangers  avec  lesquels  on  a  pu  entrer  en  contact.  Enfin 
des  mouvemens  commencés  avant  qu'on  s'endorme  peuvent 
continuer  après  ;  on  voit  souvent ,  dans  les  marches  pénibles , 
des  soldats  s'endormir  en  marchant ,  et  se  réveiller  lorsque  la 
troupe  fait  halte  ;  les  ménétriers  de   village  dorment  quel- 
quefois en  jouant  du  violon. 

3°  La  persistance  de  l'activité  de  l'âme  se  manifeste  sous  la 
forme  de  rêves.  Il  est  certain  que  plusieurs  Mammifères  rêvent 
quelquefois  (  §  601 ,  3°  )  :  mais  on  ne  peut  point  présumer  que 
la  même  chose  ait  lieu  chez  les  animaux  inférieurs ,  dont  l'âme 
est  trop  obtuse.  11  n'y  a  point  d'homme  qui  ne  se  souvienne 
d'avoir  rêvé ,  et  c'est  à  tort  qu'on  a  prétendu  le  contraire  de 
Lessing  (1)  :  mais  il  n'est  pas  certain  que  l'homme  rêve  tou- 

(1)  Budolphi,  Grundiss  der  Physiologie ,  t.  II,  p.  282. 


SOMME  li.  20D 

jours.  On  entend  souvent  parler  en  dormant  une  personne  qui , 
ù  son  réveil ,  n'a  pas  le  moindre  souvenir  de  ce  qu'elle  a  pu 
dire.  L'enfant  à  la  mamelle  rêve  déjà  ;  mais  c'est  seulement 
vers  l'âge  de  sept  années  que  l'enfant  commence  à  raconter 
ses  songes ,  qui  jusqu'alors  avaient  passé  sans  laisser  chez  lui 
aucune  trace.  Les  rêves  sont  donc  possibles  sans  mémoire,  e 
le  défaut  de  souvenir  ne  prouve  pas  qu'on  n'ait  point  rêvé. 
Mais  on  a  prétendu  que  l'homme  rêve  toutes  les  fois  qu'il 
dort,  parce  que  l'âme  ne  saurait  jamais  cesser  d'agir  (1).  A 
cela  nous  répondrons  que  l'activité  de  l'âme  est  une  mani- 
festation de  la  vie ,  et  que  l'âme  peut  agir  aussi  sous  d'autres 
formes ,  tout  comme  il  nous  est  impossible  de  la  refuser  à 
l'embryon,  quoiqu'elle  ne  se  déploie  point  encore  chez  lui 
sous  sa  forme  particulière  et  pure  ;  et  puisque  les  élémens 
de  rêve,  les  images  fantastiques  de  l'assoupissement,  n'appa- 
raissent pas  d'une  manière  constante  ,  nous  ne  sommes  point 
en  droit  de  nier  la  possibilité  du  sommeil  exempt  de  [rêves. 
Au  reste,  les  rêves  sont  des  phénomènes  normaux  ,  |qui  n'ont 
jamais  plus  d'évidence  que  chez  les  personnes  jouissant  d'une 
santé  parfaite.  Ils  sont  clairs  surtout  chez  les  hommes  qui  ont 
accoutumé  leur  esprit  à  la  lucidité ,  et  aux  époques  où  la  vie 
intellectuelle  est  le  plus  active.  Les  rêves  du  malin  sont  ordi- 
nairement ceux  dont  on  se  souvient  le  mieux  5  mais  le  parler 
pendant  le  sommeil  et  le  somnambulisme  s'observent  princi- 
palement peu  de  temps  après  qu'on  s'est  endormi ,  ou  vers 
minuit.  Au  reste,  l'excitation  de  la  vie  organique  du  cerveau 
par  le  café  ,  par  d'autres  stimulàns  encore  ,  ou  par  des  états 
morbides ,  donne  lieu  à  des  rêves  plus  vifs. 

§  600.  C'est  tantôt  l'intuition  sensorielle,  tantôt  le  juge- 
ment ,  et  en  général  une  faculté  supérieure  de  l'âme ,  qui  se 
manifeste  dans  les  rêves. 

L  Quant  à  ce  qui  concerne  les  intuitions  sensorielles  , 

1°  Il  survient  quelquefois  ,  avant  qu'on  s'endorme  ,  des 

images  fantastiques  ou  des  hallucinations ,  dont  Gruithuisen , 

Purkinje  et  J.  MuUer  ont  fait  une  étude  spéciale.  Ces  images 

varient  beaucoup ,  en  raison  des  individus  ;  fréquentes  chez 

(1)  Carus  ,  PsycliolocjiQ  ,  t,  II,  p.  183. 


ao6  SOMMEIL. 

les  uns ,  elles  sont  rares  chez  d'autres ,  et  certaines  personnes 
ne  les  remarquent  jamais.  Elles  paraissent  exiger  toujours 
une   excitation  de  rimagination  ,   qui   empêche    de    s'en- 
dormir prompteraent.  Elles  varient  aussi  avec  le  temps,  et  sur- 
tout suivant  les  âges  de  la  vie  :  tel  qui  les  connaissait  pendant 
sa  jeunesse,  n'en  éprouve  plus  à  une  époque  plus  avancée.  Ce 
sont  surtout  des  intuitions  relatives  au  sens  de  la  vue ,  des 
images  qui   voltigent  devant  les  yeux  quand  on  les  ferme 
pour  s'endormir,  sans  penser  à  rien  ;  tantôt  ce  sont  de  simples 
croquis ,  et  tantôt  des  figures  ombrées  ;  ici  les  images  sont 
brillantes  et  colorées ,  là  elles  se  détachent  sur  un  fond  terne 
et  parfois  aussi  clair.  Suivant  Purkinje  (1) ,  ce  sont  d'abord 
des  nébulosités  vagues  ,  au  milieu  desquelles  se  trouvent  sou- 
vent des  points  brillans  ou  obscurs ,  et  qui  deviennent ,  au 
bout  de  quelques  minutes ,  des  stries  nuageuses  errantes , 
puis  toutes  sortes  de  filamens  clairs  ,  droits  ou  courbes.  Hui- 
ler (2)  les  dépeint  aussi  comme  étant  d'abord  des  masses  iso- 
lées ,  claires  ou  colorées.  J'ai  fréquemment  aperçu  des  formes 
déterminées ,  sans  que  rien  de  semblable  précédât.  Muller  a 
prouvé  également  que  ces  images  fantastiques  ne  sont  pas  des 
taches  brillantes  ou  nébuleuses  produites  par  un  état  d'excita- 
tion de  l'œil,  et  que  l'imagination  revêtirait  de  conteurs  arrê- 
tés ,  puisqu'elles  changent  de  grandeur,  de  couleur,  de  figure 
et  d'emplacement.  On  ne  peut  non  plus  les  considérer  comme 
de  simples  idées  vives  d'un  objet.  Ce  sont  réellement  des 
images  qui  apparaissent  au  sens  de  la  vue  ;  chacun  peut  s'en 
convaincre  par  le  témoignage  de  sa  propre  conscience.  Enfin , 
elles  n'ont  rien  de  morbide ,  car  elles  se  montrent  en  pleine 
santé  et  chez  des  personnes  parlîiilement  à  jeun.  Mais  ce  sont 
là  les  élémens  des  songes  :  aussi  Gruithuisen  (3)  les  a-t-il  pa- 
pelés  chaos  du  rêve. 

2°  En  effet ,  le  rêve  consiste  dans  l'intuition  de  séries  cohé- 
rentes d'apparitions  oud'événemens,  tandis  que  l'image  fan- 
tastique ne  montre  que  des  formes  isolées.  Cette  dernière 


(1)  Beohachtungen  und  f^ersuche  zur Physiologie  der  Sinne,  t.  H,  p.  I 

(2)  Ueber  die  phantastischen  Gesichtserscheinungen  ,'p.  21. 

(3)  Beitrwge  sur  Physiognosie ,  p.  232. 


SÔMMEIt.  257 

procure  un  spectacle  purement  objectif ,  dans  lequel  nous  ne 
jouons  que  le  rôle  de  témoins  passifs,  tandis  qu'il  n'est  pas  rare 
d'avoir  des  rêves  dans  lesquels  nous  entrions  nous-même  en 
action,  et  de  se  figurer  en  songe  un  événement  auquel  nous 
prenons  part.  Comme  les  images  fantastiques  ne  sont  qu'un 
rêve  commençant ,  elles  sont  le  meilleur  moyen  contre  l'm- 
somnie ,  lorsqu'on  peut  se  calmer  assez  pour  les  regarder  et 
contempler  leur  jeu  sans  réflexion. 

3°  Les  organes  des  sens  déploient  réellement  de  l'activité 
dans  les  rêves.  Les  images  sont  des  intuitions  sensorielles  qui 
ne  se  rattachent  à  aucun  objet  extérieur,  mais  qui  ne  se  ma- 
nifestent dans  l'organe  de  sens  avec  lequel  cet  objet  entrerait 
en  rapport.  Celte  assertion  est  démontrée  d'abord  par  les 
images  fantastiques  :  quand  ces  images  nous  assiègent ,  nous 
les  voyons  réellement ,  c'est-à-dire  qu'à  l'occasion  de  la  pen- 
sée nous  avons  dans  l'œil  la  même  sensation  que  si  un  objet 
extérieur  se  trouvait  placé  devant  cet  œil  vivant  et  ouvert  ;  la 
simple  pensée  d'un  objet ,  quelque  vive  qu'elle  puisse  être  , 
diflère  totalement  de  la  vue.  En  second  lieu,  Gruithuisen (1) 
rapporte,  d'après  sa  propre  expérience  et  d'après  celle  d'autres 
personnes,  des  cas  dans  lesquels  les  organes  sensoriels  avaient 
encore,  au  réveil,  l'arrière  -  sensation  de  l'impression  qui 
avait  été  rêvée  ;  oii ,   après  un  rêve  dans  lequel  on  s'était 
figuré  entendre  un  coup  de  canon ,  l'oreille  causait  de  la  dou- 
leur et  tintait  ;  où  des  images  fantastiques  très-vives  flottaient 
encore  devant  les  yeux  ouverts ,  couvraient  les  objets  exté- 
rieurs ,  et  se  maintenaient  au  milieu  de  tous  les  mouvemens 
volontaires  de  l'œil,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elles  devinssent  trans- 
parentes et  disparussent;  où  Ton  sentait  encore  dans  la  bou- 
che la  saveur  désagréable  du  médicament  qu'on  avait  rêvé 
prendre  (2)  ;  où ,  conformément  aux  lois  ordinaires  de  l'op- 
tique ,  tantôt  une  image  fantastique  très-brillante  laissait  à  sa 
place  une  figure  de  même  forme ,  mais  obscure ,  tantôt  après 
avoir  rêvé  de  spath  fluor  violet  sur  des  charbons  ardens  ,  on 
apercevait  une  tache  jaune  sur  un  fond  bleu;  ou  enfin,  après 

(1)  Loc.  cit.,  p.  237. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  245, 


208  SOMMEIL  < 

avoir  rêvé  qu'on  parcourait  une  bibliothèque  de  gauche  à 
droite ,  les  images  des  livres  passaient  devant  les  yeux  de 
droite  à  gauche  pendant  quelques  minutes  encore  après  le  ré- 
veil (1). 

On  sait  que  l'activité  des  sens  qui  reste  à  la  suite  d'une  im- 
pression sensorielle ,  ou  qui  a  été  excitée  par  une  autre  ac- 
tion étrangère  à  la  nature  spécifique  de  Torgane  sensoriel , 
comme  une  pression ,  un  coup  ,  une  commotion  électrique  sur 
l'œil  ou  Toreille ,  ou  enfin  qui  a  pris  naissance  à  l'occasion 
d'une  impression  organique  intérieure,  celle  du  sang  surtout, 
se  manifeste  comme  intuition  sensorielle ,  à  laquelle  nul  objet 
extérieur  ne  répond.  Mais  ces  sortes  d'hallucinations  ne  peu- 
vent point  être  mises  sur  la  même  ligne  que  les  images  fan- 
tastiques ,  comme  l'a  fait  Gruithuisen  (2).  En  effet 

a.  Les  organes  des  sens  ne  produisent  ces  illusions  que 
quand  ils  sont  excités  par  un  stimulus  interne  ou  externe.  Ils 
n'ont  pas  de  force  créatrice  propre,  qui  leur  permette  de  don- 
ner lieu  à  un  changement  de  formes  comparable  à  celui  qui 
survient  en  songe  pendant  le  calme  et  l'uniformité  du  som- 
meil. 

b.  Les  illusions  sensorielles  pures  sont  ou  amorphes ,  ou 
tout  au  plus  déterminables  mathématiquement;  mais  elles 
n'ont  jamais  une  forme  vivante  ;  on  peut  distinguer  en  elles 
des  sons  graves  ou  aigus ,  sourds  ou  éclatans,  et  entendre  des 
bourdonnemens ,  des  sifflemens ,  des  tiniemens  ;  mais  il  n'y  a 
qu'une  imagination  malade  qui  puisse  croire,  pendant  la  veille, 
reconnaître  en  elles  le  chant  ou  la  parole  ;  qu'on  regarde  fixe- 
ment un  objet,  qu'on  passe  rapidement  de  la  lumière  à  l'obs- 
curité ,  qu'on  se  comprime  l'œil  ou  qu'on  le  galvanise  ^  il  ap- 
paraîtra des  taches  ,  des  anneaux ,  des  bandes ,  des  lignes  pa- 
rallèles et  croisées ,  mais  jamais  des  images  de  la  vie  réelle , 
à  moins  que  l'imagination  ne  soit  en  même  temps  boule- 
versée. 

c.  Nos  rêves  s'arrêtent  rarement  à  des  intuitions  d'un  seul 


(1)  Loc.  cif.,p.  256. 

(2)  Loc.  cit.,  |).  23G. 


SOMMEIL.  aog 

orfjane  sensoriel ,  et  presque  toujours  ils  en  réunissent  qui 
appartiennent  à  plusieurs  Nous  voyons  un  homme  en  songe , 
et  nous  l'entendons  parler  :  nous  apercevons  l'éclair,  et  le 
tonnerre  frappe  ensuite  notre  ouïe  ;  nous  voyons  et  nous  goû- 
tons un  médicament  ou  un  aliment.  Ces  combinaisons  ne  sont 
évidemment  pas  des  rencontres  fortuites  d'images  fantastiques 
émanées  d'organes  différens  et  indépendans  les  uns  des  au- 
tres ;  l'audition  du  tonnerre  et  la  gustation  du  jalap  sont  ma- 
nifestement des  effets  de  l'imagination,  que  l'expérience  dé- 
termine à  mettre  une  idée  visuelle  en  association  avec  une 
idée  appartenant  à  un  autre  sens. 

d.  Suivant  Purkinje,  les  images  fantastiques  changent  lors- 
que les  muscles  viennent  à  comprimer  le  globe  de  l'œil,  et 
MuUer  dit  qu'elles  disparaissent  au  moindre  mouvement  de 
l'organe.  Ce  phénomène  n'a  point  lieu  d'une  manière  générale  ; 
car  lorsque  j'aperçois  des  formes  fixes  qui  sont  très-vives , 
elles  ne  subissent  aucun  changement ,  quelque  mouvement 
que  j'imprime  à  l'œil ,  et  la  même  chose  arrivait  dans  l'un  des 
cas  cités  précédemment  d'après  Gruithuisen ,  où  les  images 
fantastiques  persistaient  encore  pendant  quelque  temps  après 
le  réveil. 

e.  De  plus,  comme  le  fait  remarquer  MuUer  (1) ,  les  images 
fantastiques  peuvent  apparaître  aussi  chez  les  aveugles.  Les 
personnes  qui  ont  perdu  la  vue  par  accident  rêvent  encore 
d'objets  visibles  long-temps  après  la  paralysie  ou  la  destruc- 
tion de  leurs  yeux  ;  si  rien  de  pareil  ne  leur  arrive  plus  tard , 
c'est  uniquement  parce  que  toute  relation  est  éteinte  entre 
leur  faculté  apercepiive  et  l'œil ,  car  lorsque  l'imagination 
jouit  d'une  grande  activité  ,  comme  chez  l'aveugle  Baczko  (*), 
les  rêves  d'objets  visibles  durent  bien  plus  long-temps. 

/.  Nous  ne  pouvons,  avec  Brandis  (2)  et  Gruithuisen  (3),  at- 
tribuer les  rêves  à  l'état  de  vieille  de  quelques  sens  qui  se- 
raient moins  fatigués  que  les  autres  ;  car,  de  tous  les  organes 


(1)  Loc.  cit.,  p.  34. 

(*)  Ueher  midi  selhst  und  meine  Ungluechsijefaehrten  die  Blinâen^'pAiO, 

(2)  Loc.  cit.,  p.  556. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  228.  , 


21 0  SOMMEIL. 

sensoriels  ,  l'œil  est  celui  qu'on  fatigue  le  plus  pendant  la 
veille  et  qui  déploie  le  plus  d'aciivilé  durant  le  sommeil. 
D'ailleurs  il  serait  impossible  qu'un  amas  d'activités  senso- 
rielles isolées  donnât  lieu  jamais  à  un  rêve  cohérent. 

g.  Enfin  il  y  a  aussi  des  rêves  abstraits  (8°),  auxquels  les 
organes  des  sens  ne  prennent  point  part. 

4°  Ce  qui  agit  dans  l'image  fantastique  sensorielle,  réside 
donc  non  dans  l'organe  du  sens ,  le  nerf  qui  s'y  rend  et  le 
ganglion  cérébral  d'oii  part  ce  nerf,  mais  dans  les  facultés 
intuitives  elles-mêmes ,  et  dans  celle  qui  jouit  de  la  sponta- 
néité, du  pouvoir  créateur  ;  l'imagination  ne  produit  l'image 
fantastique  qu'en  agissant  sur  les  organes  extérieurs  des 
sens,  mettant  ces  organes  en  harmonie  avec  elle-même ,  leur 
inculquant  les  idées.  Elle  n'a  pas  ce  pouvoir  pendant  la  veille, 
parce  qu'alors  la  vie  périphérique  l'emporte  tellement  sur 
elle ,  qu'elle  est  obligée  de  se  soumettre  à  sa  puissance  j 
mais ,  dans  le  sommeil ,  la  polarité  est  renversée  ,  et  comme 
la  vie  s'est  retirée  de  la  périphérie  vers  le  centre,  le  reflet  de 
l'intuition  intérieure  se  manifeste  dans  l'organe  sensoriel.  De 
même ,  on  peut  avoir  des  visions  pendant  la  veille  ,  lorsque 
l'âme  s'est  concentrée  sur  une  idée  et  détachée  du  monde  ex- 
térieur, comme  il  arrive  dans  l'extase;  ou  lorsque,  affublée 
d'une  chimère ,  elle  est  devenue  inaccessible  à  la  réalité  , 
comme  dans  la  manie  ;  ou  quand  le  torrent  d'une  vie  orga- 
nique désordonnée  du  cerveau  l'entraîne  sans  qu'il  lui  soit 
possible  de  se  retenir  à  rien ,  comme  dans  le  délire.  Mais  , 
durant  le  sommeil,  l'imagination  acquiert  l'empire,  parce  que 
rien  ne  la  gêne  ,  ni  les  émotions  des  sens  ,  ni  la  spontanéité 
de  l'âme  ;  libre  de  toute  entrave  ,  elle  s'abandonne  à  son  ca- 
price. 

5°  Aussi  le  défaut  de  fixité  est-il  le  caractère  des  songes. 
Lés  images  fontastiques  changent  incessamment  ;  tantôt  elles 
sont  voltigeantes  ,  et  tantôt  immobiles ,  mais  alors  variant  à 
chaque  instant  de  formes.  De  même ,  les  rêves  se  signalent 
par  la  succession  rapide  des  images  ,  par  la  bizarrerie  des 
associations  ;  il  n'y  a  rien  de  fixe  ,  rien  d'arrêté  ;  rêve-t-on, 
par  exemple ,  qu'on  a  lu  quelque  chose,  et  veut-on  le  relire, 
c'est  déjà  une  tout  autre  chose  qtii  se  représente ,  et  les 


SOMMEIL.  2  1  1 

lettres  ne  sont  plus  les  mêmes.  Ordinairement  ces  métamor- 
phoses s'offrent  à  nous  comme  actions  et  événemens ,  c'est-à- 
dire  comme  simples  successions  ;  mais  quelquefois  l'identité 
de  l'objet  métamorphosé  se  manifeste  d'une  manière  plus 
claire.  Gruithuisen  (1)  rêva  qu'il  montait  un  Cheval ,  qui  se 
transforma  en  Bouc,  celui-ci  en  Veau,  puis  en  Chat,  en  une 
belle  fille  et  enfin  en  une  vieille  femme  ;  l'arbre  sur  lequel  le 
Chat  s'était  mis  à  grimper  devint  une  église ,  et  celle-ci  un 
jardin  ;  l'orgue  d'église  devint  une  guimbarde  dont  jouait  le 
Chat,  puis  le  chant  de  la  jeune  fille. 

6°  L'imagination  devient  créatrice  par  combinaison ,  et  ne 
peut  puiser  ses  élémens  que  dans  la  mémoire.  Les  aveugles 
de  naissance  ne  rêvent  jamais  d'objets  visuels,  ni  les  sourds- 
muets  de  sons ,  et  les  personnes  devenues  aveugles  par  acci- 
dent ne  voient  en  rêve  que  ce  qu'elles  ont  connu  pendant 
qu'elles  jouissaient  de  la  vie.  Les  sens  qui  ont  ile  plus  d'oc- 
cupation pendant  la  veille ,  sont  aussi  ceux  qui  fournissent  le 
plus  d'images  fantastiques  :  ainsi  nous  rêvons  surtout  d'ob- 
jets visibles ,  moins  souvent  de  sons ,  rarement  de  saveurs  , 
d'odeurs  et  d'objets  tangibles.  Mais  ce  ne  sont  pas  toujours 
des  intuitions  immédiates  qui  font  la  base  de  nos  rêves  ;  tantôt 
l'imagination  suit  des  copies,  et  il  m'est,  par  exemple,  arrivé 
dans  mon  enfance  de  voir  en  songe  le  diable  exactement  re- 
produit d'après  les  histoires  bibliques  de  Hubner  ;  tantôt  elle 
combine  des  élémens  connus,  pour  en  créer  une  scène  qui  n'a 
encore  jamais  été  vue ,  par  exemple  une  troupe  de  brigands 
dans  une  gorge  de  montagnes. 

IL  Mais  les  facultés  supérieures  de  l'esprit  agissent  aussi 
en  rêve. 

7o  Très-souvent  les  événemens  dont  nos  sens  sont  frappés 
s'enchaînent  d'une  manière  naturelle ,  et  suivent  l'ordre  dans 
lequel  l'entendement  les  a  rangés.  Nous  avons  la  conscience 
des  rapports  entre  nous  et  ce  que  nous  apercevons  en  songe, 
nous  éprouvons  de  la  honte  quand  nous  venons  à  faire  preuve 
de  quelque  faiblesse  ,  nous  nous  inquiétons  de  la  maladie 
d'une  personne  qui  nous  est  chère ,  nous  sentons  la  douleur 

(1)  ioc.  ci^.,  p.  241. 


ara  soMMEit, 

d'ime  blessure  que  nous  rêvons  avoir  reçue.  En  songe  ,  nous 
tenons  des  discours  raisonnables  ,  nous  jugeons  si  les  événe- 
mens  sont  de  nature  à  nous  plaire  ou  non,  si  les  actions  sont 
bonnes  ou  mauvaises,  nous  désirons ,  nous  prenons  des  réso- 
lutions calculées  d'après  les  circonstances,  et  nous  les  mettons 
à  exécution.  Mais  partout  ici  se  retrouve  l'empire  de  la  fan- 
taisie, et  souvent  aussi  nos  rêves  sont  entièrement  dépourvus 
de  raison  ;  de  môme  que  le  somnambule  tantôt  agit  dans  des 
vues  bien  déterminées,  s'acquitte  avec  habileté  de  ses  devoirs 
ordinaires,  ou  même  règle  sa  conduite  sur  les  circonstances,, 
et  par  exemple  ouvre  les  portes  qu'il  trouve  fermées ,  mais 
tantôt  aussi  ne  fait  que  des  actions  contraires  au  bon  sens  , 
de  même  nous  rêvons  fréquemment  de  choses  totalement 
absurdes  ;  le  jugement  laisse  alors  passer  ce  qui  n'a  aucun» 
sens,  et  ne  s'éveille  que  quand  l'absurdité  est  arrivée  jusqu'à 
un  certain  degré  (§  603,  4°). 

8°  Mais  il  y  a  aussi  des  rêves  d'objets  abstraits.  Nous  ap- 
portons de  l'état  de  veille  et  le  souvenir  de  faits,  et  l'habitude 
de  penser,  et  la  propension  à  connaître ,  qui  nous  porte  à  la 
méditation  en  songe.  Cardan  prétend  avoir  composé  l'un  de 
ses  ouvrages  en  rêve.  Condillac  trouvait  souvent  son  travail 
achevé  le  malin.  Voltaire  rêva  un  jour  l'un  des  chants  de  sa 
Henriade  autrement  qu'il  ne  l'avait  écrit  (1).  Kruger  avoue 
que  les  rêves  lui  ont  servi  à  résoudre  des  problèmes  de  ma- 
thématiques. Maignan  trouvait  en  songe  des  théorèmes  de 
mathématiques,  ou  les  preuves  d'autres  théorèmes,  s'éveillait 
plein  de  joie ,  et  confiait  au  papier  ce  qu'il  venait  de  découvrir 
ainsi.  Ce  fut  en  rêve  que  Reinhold  arriva  à  la  déduction  des 
catégories  (2).  Plus  d'un  produit  de  rêves  a  passé  ainsi  dans 
notre  littérature,  et  bien  des  pensées  qui  nous  viennent  quand 
nous  sommes  éveillés  ,  ne  sont  qu'un  rappel  de  celles  que 
nous  avons  eues  en  songe.  Mais  les  rêves  peuvent  aussi  nous 
tourmenter  de  problèmes  insolubles ,  ou  nous  bercer  de  dé- 
couverles  illusoires.  Dans  des  accès  d'épuisement,  qui  devin- 
rent les  prodromes  d'une  fièvre  nerveuse^  j'avais  la  tête  assié- 

(1)  Dictionn.  tJes  se.  méd.,  t.  XLVIII,  p.  261. 

(2)  Ciinis,  Fsyc/iolorjie ,  t.  II,  p.  20S. 


SOMMEIL  2 1 5 

gée,  pendant  mon  sommeil,  de  problèmes  scientifiques  que  je 
ne  pouvais  résoudre  ,  et  qui  me  lutinaient  jusqu'au  réveil  , 
pour  reparaître  aussitôt  que  je  m'endormais  de  nouveau.  En 
santé  j'ai  souvent  eu,  dans  mes  rêves,  des  idées  scientifiques  qui 
me  paraissaient  tellement  importantes  qu'elles  n'éveillaient , 
€t  comme  j'ai  eu  soin  d'en  prendre  la  date  ,  je  trouve  qu'elles 
îie  se  sont  guères  présentées  que  pendant  les  mois  d'été, Dans 
bien  des  cas  elles  roulaient  sur  des  objets  dont  je  m'occupais 
à  la  même  époque,  mais  elles  m'étaient  entièrement  étrangè- 
res quant  à  leur  contenu.  Ainsi  pendant  que  j'écrivais  mon 
grand  traité  sur  le  cerveau  (*),  je  rêvai ,  le  6  juillet  18i5, 
que  l'inflexion  de  la  moelle  épinière  à  l'endroit  où  elle  se 
continue  avec  l'encéphale  désigne  l'antagonisme  de  ces  deux 
organes  par  le  croisement  de  leurs  axes  et  par  la  rencontre 
de  leurs  courans  sous  un  angle  qui  se  rapproche  plus  de 
l'angle  droit  chez  l'homme  que  chez  les  animaux ,  et  qui 
donne  la  véritable  explication  de  la  station  droite  ;  le  17  mai 
3818  je  rêvai  d'un  plexus  céphalique  de  la  cinquième  paire  de 
nerfs  cérébraux,  correspondant  au  plexus  crural  et  au  plexus 
brachial  ;  le  11  octobre  de  la  même  année ,  un  songe  me 
montra  que  la  forme  de  la  voûte  à  trois  piliers  est  déterminée 
par  celle  de  la  couronne  radiante.  Mais  quelquefois  aussi 
ces  idées  portaient  sur  des  objets  auxquels  je  n'avais  point 
réfléchi  jusqu'alors,  et  alors  elles  étaient  la  plupart  du  temps 
plus  hardies  encore.  Ainsi ,  par  exemple,  en  1811 ,  époque  à 
laquelle  je  m'en  tenais  encore  aux  opinions  reçues  sur  la  circu- 
lation du  sang  ,  et  où  je  m'occupais  de  choses  fort  étrangères, 
je  rêvai  que  le  sang  coulait  par  une  force  inhérente  à  lui  , 
que  c'était  lui  qui  mettait  le  cœur  en  mouvement ,  de  sorte 
que  considérer  ce  dernier  comme  la  cause  de  la  circulation  , 
c'était  à  peu  près  la  même  chose  qu'attribuer  le  courant  d'un 
ruisseau  au  moulin  qu'il  fait  agir.  Parmi  ces  idées  à  demi 
vraies ,  qui  me  faisaient  tant  de  plaisir  en  songe ,  j'en  citerai 
une  encore ,  parce  qu'elle  est  devenue  le  germe  de  vues  qui 
depuis  se  sont  développées  dans  mon  esprit  :  le  17  juin  1822, 
en  faisant  la  méridienne,  je  rêvai  que  le  sommeil,  comme  i'al- 

(*)  Fom  Baueund  LeJjen  des  Gehirns ,  Léipzick,  1819,  3  vol.  iu-4''. 


2l4  SOMMEIL. 

longement  des  muscles,  est  un  retour  sur  soi-même,  qui  con- 
siste en  une  suppression  de  l'antagonisme  ;  tout  joyeux  de  1  a 
vive  lumière  que  celte  pensée  me  paraissait  répandre  sur  une 
grande  masse  de  phénomènes  vitaux,  je  m'éveillai,  mais  aus- 
sitôt tout  rentra  dans  l'ombre,  parce  que  cette  vue  était  trop 
en  dehors  de  mes  idées  du  moment. 

§  601.  Les  rapports  avec  le  monde  extérieur  continuent, 
dans  les  rêves,  comme  pendant  le  sommeil  en  général  (  §  599, 
1°,  2°  ),  mais  à  un  moindre  degré  et  sous  un  autre  mode. 

1°  Gomme  les  sens  sont  engourdis ,  le  sentiment  intérieur 
prend  le  dessus,  et  porte  à  rêver ,  attendu  que  Timagination 
explique  à  sa  manière  l'impression  qui  a  lieu  réellement.  Une 
boule  d'eau  aux  pieds  fait  rêver  qu'on  marche  sur  l'Etna  (1), 
l'engourdissement  d'un  bras  qu'on  a  auprès  de  soi  un  voisin 
gênant  (2),  une  piqûre  d'épingle  qu'on  est  tombé  entre  les 
mains  d'une  bande  de  meurtriers (3).  On  a  vu  la  diarrhée  sur- 
venir chez  des  personnes  qui  avaient  pris  de  la  rhubarbe  en 
songe  (4) ,  et  l'on  a  remarqué  une  tache  bleue  sur  le  corps 
d'une  autre  qui  avait  rêvé  recevoir  un  coup  ;  dans  de  tels 
cas  l'antériorité  appartient  évidemment  à  la  lésion  organique, 
et  c'était  elle  qui  avait  déterminé  le  rêve.  Mais  l'imagination 
cherche  aussi  à  rendre  ses  inventions  probables  et  à  les  pré- 
parer ;  qu'il  survienne  dans  les  muscles  extenseurs  une  con- 
vulsion agissant  à  la  manière  d'une  secousse  électrique ,  elle 
l'explique  par  une  chute,  mais  pour  rendre  cette  dernière  pos- 
sible ,  elle  nous  transporte  ,  quand  le  pressentiment  de  la 
convulsion  a  lieu,  dans  un  escalier  raide,  sur  le  haut  d'une 
tour,  ou  au  sommet  d'un  rocher.  Qu'une  pollution  nocturne 
soit  sur  le  point  de  s'effectuer ,  elle  l'amène  par  un  roman 
plus  ou  moins  compliqué.  Que  les  organes  digestifs  soient  sti- 
mulés, soit  par  la  faim,  soit  par  un  repas  trop  copieux  ,  elle 
nous  établit  devant  une  table  abondamment  garnie,  sans  oublier 
l'investigation  préalable  et  tous  les  autres  préliminaires.  Ses 
créations  varient  aussi  suivant  les  individualités.  Lorsque  le 


(1)  Dict.  des  se.  médic,  t.  XLVIII,  p.  256. 

(2)  lui.,  p.  260. 

(3)  Brandis,  loc,  cit.,  p.  563. 


SOMMEIL.  2 1 S 

sentiment  intérieur  est  oppressé  par  un  malaise,  elle  suppose 
un  embarras  quelconque,  par  exemple,  qu'un  homme  du  grand 
monde  est  allé  en  société  sans  habit ,  que  le  comédien  ne  sait 
pas  son  rôle  au  levé  de  la  toile ,  que  le  professeur  est  obligé 
de  faire  une  leçon  sur  un  sujet  qui  lui  est  totalement  étran- 
ger ou  d'argumenter  sur  une  thèse  qu'il  n'a  point  encore  lue. 

2°  Il  n'y  a  pas  jusqu'aux  impressions  sensorielles ,  notam- 
ment celles  sur  le  sens  de  l'ouïe ,  qui  pénètrent  quelquefois 
dans  les  rêves.  Les  somnambules  entendent  souvent  les  dis- 
cours qu'on  leur  adresse ,  mais  prennent  pour  des  voix  étran- 
gères celles  qui  leur  sont  le  mieux  connues.  Au  milieu  d'une 
nuit  fort  orageuse ,  presque  tous  les  hôtes  d'une  auberge  rê- 
vèrent qu'il  était  entré  des  voitures  et  survenu  des  étrangers 
dans  la  maison  (1).  Etant  un  jour  dans  une  hôtellerie ,  je  rêvai, 
pendantun  orage  nocturne,  que  je  parcourais,  au  milieu  d'une 
nuit  profonde ,  une  route  escarpée  et  bordée  de  précipices  ; 
les  cris  que  je  poussai  excitèrent  le  même  rêve  chez  mon  com- 
pagnon de  voyage ,  qui  se  figura  en  outre  que  le  postillon 
nous  avait  abandonné ,  jusqu'à  ce  qu'enfin  ,  s'étant  arraché  à 
son  demi-sommeil ,  il  parvint  à  se  persuader  qu'il  était  réel- 
lement dans  son  lit ,  et  m'éveilla  en  me  donnant  cette  nou- 
velle. Un  autre  rêvait  ce  qu'on  lui  disait  à  l'oreille  (2).  Bran- 
dis (3)  a  plusieurs  fois  lié  conversation  avec  des  personnes 
habituées  à  parler  en  rêvant  ;  pour  cela  il  leur  parlait,  d'un  ton 
doux  et  semblable  au  leur ,  de  l'objet  auquel  se  rapportait 
leur  discours,  et  il  les  voyait  se  réveiller  avec  effroi  toutes  les 
fois  qu'il  changeait  de  ton  ou  de  sujet.  Reil  cite  même  un  cas 
dans  lequel  deux  hommes  qui  rêvaient  s'entretinrent  l'un  avec 
l'autre. 

3°  Souvent  il  y  a  des  mouvemens  qui  correspondent  aux 
songes,  et  par  lesquels  on  peut  se  convaincre  qu'un  autre 
rêve  réellement.  L'enfant  à  la  mamelle  exécute  ,  en  dormant, 
le  mouvement  de  lèvres  que  nécessite  la  succion;  le  Bœuf 

(d)  Radow  ,  VersucTi  einer  neuen  Théorie  des  Schlafes ,  p.  429»' 

(2)  Reil ,  Rhapsodieen  ueher  die  Jnwendung  der  psychischen  Curme- 
tJiode  aufGeisteszerruettungen,  p.  94. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  561. 


2l6  SOMMEIL. 

rumine ,  le^Cochon  renifle,  le  Cheval  dresse  ses  oreilles  (1). 
Le  Lévrier  rêve  souvent  qu'il  chasse.  Il  quête,  il  appelle, 
il  poursuit,  mais  ses  aboiemens  ne  sont  qu'à  demi-voix, 
et  les  mouvemens  de]  ses  pattes,  quoique  ayant  le  même 
rhythme  régulier  que  ceux  d'un  animal  qui  court ,  ne  sont 
que  de  faibles  vibrations.  La  volonté  agit  donc  sur  les 
muscles  en  conformité  du  rêve ,  mais  elle  rencontre ,  dans  le 
défaut  de  réceptivité  de  ces  organes,  un  obstacle  qui  l'empêche 
de  se  manifester  d'une  manière  complète.  Fréquemment  on 
a  la  conscience  de  cet  obstacle;  on  veut  combattre ,  et  l'on  ne 
porte  que  des  coups  mal  assurés  et  sans  résultat;  on  veut  fuir 
un  danger,  et  l'on  sent  qu'on  ne  bouge  pas  de  place.  Mais,  dans 
beaucoup  de  cas  aussi ,  les  mouvemens  s'accomphssent  en  en- 
tier. Ce  qu'il  y  a  de  plus  commun ,  c'est  de  rencontrer  des 
personnes  qui  parlent  en  dormant ,  parce  que  les  muscles  des 
organes  de  la  parole  sont  ceux  de  tous  sur  lesquels  l'âme 
exerce  le  plus  d'empire.  Viennent  ensuite  les  mouvemens  iso- 
lés des  membres ,  qui  font  que  certains  hommes  se  redressent 
ou  frappent  autour  d'eux  pendant  leur  sommeil;  puis  ces 
mêmes  mouvemens  associés  à  des  actions,  ou  le  somnambu- 
lisme ,  appelé  aussi  noctambulisme ,  qui  présente  lui-même 
divers  degrés,  suivant  que  le  sujet  marche  et  agit,  soit  sans 
rien  dire,  soit  en  parlant,  soit  aussi  en  percevant  des  impres- 
sions sensorielles.  Toutes  ces  formes  se  voyent  plus  fréquem- 
ment chez  les  hommes  que  chez  les  femmes.  On  n'observe 
pas  les  degrés  inférieurs  du  somnambulisme  chez  les  enfans 
ni  les  vieillards,  mais  les  jeunes  gens  en  fournissent  beaucoup 
d'exemples,  et  il  y  en  a  fort  peu  qui  ne  parlent  quelquefois 
pendant  leur  sommeil.  Depuis  l'âge  de  dix  ans  jusqu'à  celui 
de  trente ,  période  pendant  laquelle  je  jouissais  d'une  santé 
parfaite ,  j'ai  eu  de  temps  en  temps  des  accès  légers  de  som- 
nambuHsme. 

§602.  Durant  le  sommeil,  l'âme  mène  une  vie  à  part, 
tout-à-fait  distincte  de  celle  qui  caractérise  l'état  de  veille,  et 
pendant  laquelle  elle  est  dégagée  de  tous  les  liens  de  la  réa- 
lité. 

(1)  Giuilliuiâeti ,  Beilrœijc  zur  Fht/-sio(j?iosie  ,  p.  246. 


SOMMEIL.  217 

1°  A  la  vérité  ,  les  élémens  des  rêves  sont  fournis  par  la 
mémoire  (  §  600,  6°  ) ,  le  sentiment  intérieur  (  §  601, 1°  )  et 
les  sens  externes  (  §  601,  2°  )  ;  mais ,  en  élaborant  ces  maté- 
riaux ,  l'imagination  se  montre  éminemment  ingénieuse  ,  et 
alors  même  qu'elle  a  entrepris  plus  que  la  faculté  créatrice 
ne  lui  permet  de  faire,  elle  est  assez  adroite  pour  se  tirer  d'em- 
barras à  l'aide  d'une  nouvelle  invention.  Quand,  par  exemple, 
un  rêve  nous  conduit  à  penser  que  nous  entendons  ou  lisons 
des  choses  très-spirituelles ,  et  que  néanmoins  une  grande 
abondance  de  pensées  ne  se  trouve  pas  à  notre  disposition 
pour  le  moment ,  la  voix  de  l'orateur  devient  si  faible  ou  l'é- 
crit tellement  illisible  ,  que  celte  circonstance  nous  prive  de 
l'instruction  ou  du  plaisir  sur  lequel  nous  comptions. 

2°  L'imagination  aime  à  nous  transporter  dans  un  monde 
tout  nouveau ,  et  choisit  rarement  ce  qu'elle  pourrait  rencon- 
trer dans  la  réalité.  Jamais  les  rêves  ne  reproduisent  la  vie 
éveillée ,  avec  ses  peines  et  ses  jouissances ,  ses  douleurs  et 
ses  joies ,  dont  ils  tendent ,  au  contraire ,  à  nous  dégager. 
Lors  même  que  notre  âme  entière  est  pleine  d'un  objet,  qu'une 
profonde  douleur  pénètre  jusqu'à  nos  fibres  les  plus  profondes, 
ou  qu'un  problème  absorbe  totalement  nos  facultés  intellec- 
tuelles ,  "le  rêve  nous  donne  quelque  chose  d'étrange ,  ou 
n'emprunte  à  la  réalité  que  certains  élémens  de  ses  combinai- 
son, ou  enfin  ne  fait  que  se  mettre  à  l'unisson  de  nos  dispositions 
intérieures  et  symbolise  laréalité.  Ainsi  déjà  les  images  fan- 
tastiques ^de  l'assoupissement  ne  sont  presque  jamais  des 
formes  connues ,  mais  des  figures  que  la  plupart  du  temps 
nous  n'avons  point  eu  occasion  de  voir  ,  des  associations  bi- 
zarres et  étranges,  telles  qu'on  a  de  la  peine  à  en  rencontrer 
d'équivalentes  dans  le  monde  extérieur. 

3°  Les  rêves  se  lient  quelquefois  entre  eux,  quoique  inter- 
rompus par  l'état  de  veille.  On  a  des  exemples  d'hommes  qui 
se  sont  éveillés  au  milieu  d'un  songe ,  et  qui  y  sont  retombés 
aussitôt  après  s'être  rendormis  (1) ,  ou  même  chez  lesquels 
l'action  commencée  dans  un  rêve  se  continuait  la  nuit  suivante 
dans  un  autre  rêve  (2).  Ce  cas  est  commun  surtout  chez  les 

(1)  Dict.  des  se.  médic,  t.  XLVIII ,  p.  268. 

(2)  Carus  ,  Psychologie  ,  t.  Il,  p.  196. 


2 1 8  SOMMEIL. 

somnambules,  qui,  chaque  fois  qu'ils  s'endorment,  reviennent 
au  mode  ordinaire  de  leur  vie  rêveuse  ,  tout  comme  ,  chaque 
fois  qu'ils  s'éveillent,  ils  rentrent  dans  le  cercle  de  leurs  occu- 
pations journalières. 

4°  Ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  le  genre  de  vie  qui  ca- 
ractérise les  rêves  se  manifeste  à  l'instant  où  le  sommeil  cesse 
pour  faire  place  à  la  veille.  Si  l'on  vient  à  être  troublé  pendant 
son  sommeil ,  on  sent  quelquefois  la  nécessité  de  s'éveiller , 
mais  en  même  temps  l'effort  qu'il  en  coûte  pour  revenir  à  soi, 
mettre  les  sens  en  action ,  dominer  les  muscles  ,  et  remettre 
l'imagination  sous  le  frein  de  la  réalité.  Un  réveil  brusque,  en 
sursaut ,  lorsqu'on  dormait  profondément ,  plonge  dans  une 
sorte  d'ivresse,  qui  ressemble  à  un  état  momentané  d'aliéna- 
tion mentale,  l'homme  n'étant  pas  maître  de  lui ,  comprenant 
mal  ce  qu'on  lui  dit ,  exécutant  des  actions  sans  but  ni  liai- 
son, et  parfois  même  entrant  dans  une  fureur  aveugle  contre 
celui  qui  l'a  dérangé  (1).  Ce  phénomène  s'observe  jusque  chez 
cestains  animaux  dont  le  sommeil  est  profond  ;  le  Lion,  brus- 
quement éveillé,  ne  sait  encore  ce  qu'il  fait  et  prend  la  fuite, 
de  sorte  que  cette  manière  de  le  chasser  est  fort  en  usage 
parmi  les  habitans  du  cap  de  Bonne-Espérance. 

La  limite  qui  sépare  la  veille  du  sommeil  se  manifesté  souvent 
d'une  autre  manière  dans  les  rêves  qui  roulent  sur  des  matières 
scientifiques.  On  a  l'intime  conscience  d'avoir  parfaitement 
élucidé  une  question  jusqu'alors  obscure,  et  d'être  arrivé  à 
en  bien  saisir  les  termes;  on  s'éveille  plein  de  joie  ;  mais  aus- 
sitôt des  nuages  se  répandent  de  tous  côtés  sur  les  pensées 
dont  on  était  pénétré ,  et  il  n'en  reste  plus  aucune  trace  dans 
l'esprit. 

5»  Le  rêve  qui  détermine  les  muscles  à  agir  dans  le  sens 
des  événemens  sur  lesquels  il  roule  ,  doit  être  plus  puissant 
que  celui  qui  ne  consiste  qu'en  intuitions  intérieures  ;  il  existe 
donc  aussi  une  ligne  de  démarcation  plus  tranchée  entre  lui 
et  l'état  de  veille.  De  là  vient  que  les  rêves  dans  lesquels  on  a 

(1)  Vogel ,  dans  Rust ,  Magazin  fuer  die  gesammte  Heilkunde  ,  t.  XII, 
p.  61. 


SOMMEIL.  219 

parlé,  quelque  vifs  qu'ils  semblent  être ,  sont  précisément  ceux 
dont  on  se  souvient  le  moins,  alors  même  que  d'autres  nous 
rapportent  le  sens  des  discours  que  nous  avons  tenus.  Ce 
phénomène  est  plus  général  encore  dans  le  somnambulisme  : 
il  m'est  arrivé  d'exécuter,  étant  endormi,  des  actes  que  j'étais 
forcé  de  reconnaître  pour  miens,  uniquement  parce  qu'il  y 
avait  impossibilité  que  d'autres  les  eussent  accomplis;  un 
jour,  par  exemple  ,  je  ne  pus  concevoir  à  mon  réveil  comment 
je  me  trouvais  absolument  nu ,  et  malgré  toutes  mes  recher- 
ches, je  demeurai  dans  une  ignorance  complète  à  cet  égard, 
jusqu'à  ce  qu'on  découvrit,  dans  une  autre  chambre ,  ma  che- 
mise bien  roulée  et  serrée  dans  une  armoire.  Une  autre  fois 
je  fus  réveillé,  au  milieu  d'un  accès  de  somnambulisme  ,  par 
quelqu'un  qui  me  demanda  ce  que  je  cherchais;  ma  première 
pensée  fut  que  je  ne  devais  pas  répondre  ;  au  même  instant 
je  m'interrogeai  moi-même  pour  savoir  quel  objet  je  voulais 
me  procurer,  sans  en  rien  dire  à  personne,  et  malgré  tous 
mes  efforts ,  il  me  fut  impossible  d'en  trouver  le  souvenir. 
Depuis  lors  je  n'ai  jamais  rien  éprouvé  de  semblable  ;  l'esprit 
de  somnambulisme  parut  m'avoir  quitté  pour  toujours  après 
cette  tentative  de  ma  conscience  pour  pénétrer  dans  son  mys- 
térieux empire. 

Le  souvenir  de  ce  qu'on  a  fait  dans  l'état  de  somnambu- 
lisme revient  d'une  manière  nette  à  Fesprit  pendant  le  som- 
meil qui  suit  immédiatement.  Un  de  mes  amis  apprit  un  malin 
que  sa  femme  avait  été  vue  pendant  la  nuit  sur  le  toit  de  l'é- 
glise ;  à  midi ,  lorsqu'elle  fut  endormie ,  il  lui  demanda  dou- 
cement ,  en  dirigeant  ses  paroles  vers  la  région  épigastrique , 
de  lui  donner  des  détails  sur  sa  course  nocturne  ;  elle  en  ren- 
dit compte  d'une  manière  complète,  et  dit  entre  autres  qu'elle 
avait  été  blessée  au  pied  gauche  par  un  clou  saillant  à  la  sur- 
face du  toit  ;  après  son  réveil,  elle  répondit  affirmativement , 
mais  avec  surprise,  à  la  question  qui  lui  fut  adressée;  pour  sa- 
voir si  elle  ressentait  de  la  douleur  à  ce  pied ,  mais  lorsqu'elle 
y  découvrit  une  plaie,  elle  ne  put  s'expliquer  quelle  en  était 
l'origine.  Le  somnambulisme  admet  aussi  des  souvenirs  de  la 
vie  éveillée  ,  mais  ne  lui  en  fournit  aucun ,  et  s'il  arrive  quel- 
quefois à  un  somnambule  de  savoir  ce  qu'il  a  fait  pendant  ses 


220  SOMMEIL. 

accès ,  il  ne  s'en  souvient  pas  autrement  que  d'un  rêve  ordi- 
naire (1). 

Nous  nous  rappelons  principalement  les  rêves  qui  ont  un 
inlérêt  particulier ,  qui  affectent  vivement  notre  personnalité» 
qui  sont  remarquables ,  monstrueux  ou  absurdes.  Le  souvenir 
d'un  songe  insignifiant  et  indifférent  ne  se  présente  la  plupart 
du  temps  qu'à  l'occasion  de  circonstances  spéciales,  et  souvent 
il  est  fort  obscur.  On  se  souvient,  à  Toccasion  d'un  événement 
ou  d'une  idée ,  d'avoir  déjà  vu  ou  pensé  quelque  chose  de 
semblable;  mais  on  ne  trouve  aucune  trace  d'où  l'on  puisse 
conclure  que  c'était  à  l'état  de  veille.  L'homme  d'affaires  qui 
s'adonne  tout  entier  à  ce  qu'on  appelle  le  côté  positif  de  la 
vie,  a  moins  de  mémoire  qu'un  autre  pour  ses  rêves,  qu'il 
traite  de  niaiseries  indignes  de  lui  ;  mais  l'homme  oisif , 
celui  qui  a  contracté  l'habitude  d'observer  son  propre  inté- 
rieur, conserve  le  souvenir  de  ses  rêves  ,  et  l'on  peut  accou- 
tumer les  enfans  à  se  les  rappeler,  en  leur  permettant  de  les 
raconter  chaque  fois  qu'ils  en  ont  (2). 

§  603.  Recherchons  maintenant  quels  sont  les  caractères 
essentiels  du  rêve. 

I.  Et  d'abord  examinons  ceux  qui  ont  rapport  à  la  person- 
nalité. 

i°  L'activité  subjective  de  notre  âme  nous  apparaît  objec- 
jective  ;  car  la  faculté  aperceptive  reçoit  les  produits  de  l'ima- 
gination, comme  s'ils  étaient  des  émotions  sensorielles.  Dans 
les  rêves  ,  l'âme  est  à  la  fois  actrice  et  spectatrice  d'une  co- 
médie jouée  par  elle.  Elle  aperçoit  ses  propres  actions,  non 
comme  provenant  d'elles ,  mais  comme  des  choses  venant  du 
dehors,  parce  qu'elle  est  entièrement  absorbée  en  elle-même, 
que  l'antagonisme  de  la  réalité  n'existe  plus  ,  qu'on  ne  peut 
plus  distinguer  le  monde  extérieur  du  moi ,  en  un  mot  qu'il 
n'y  a  plus  ce  qu'on  appelle  présence  d'esprit.  Ce  phénomène 
est  surtout  bien  prononcé  dans  les  rêves  de  personnes  que 
nous  faisons  parler  et  agir  en  conformité  de  leur  caractère , 
et  dont  nous  considérons  les  paroles  et  les  actions  comme  des 

(1)  Radow,  Fersucheùier  JlieoriedesSclilafes,  p.  162. 

(2)  Brandis  ,  Lehre  von  den  Affecten ,  p.[561. 


SOMMEIÈ.  321 

choses  entièrement  étrangères  à  nous ,  qui  souvent  même  ex- 
citent à  un  haut  degré  notre  surprise.  Johnson  rêvait  quelque- 
fois d'une  lutte  de  bons  mots,  et  il  éprouvait  de  la  mauvaise 
humeur  lorsque  son  adversaire  montrait  plus  d'esprit  que  lui. 
Van  Goens  rêva  qu'il  ne  pouvait  résoudre  des  questions  aux- 
quelles son  voisin  faisait  des  réponses  fort  justes.  Lichtenberg 
rêva  également  qu'il  racontait  une  histoire ,  mais  qu'il  ne 
pouvait  se  souvenir  d'une  circonstance  principale ,  dont  un 
autre  lui  rafraîchissait  la  mémoire. 

On  peut  aussi  se  tourmenter  et  se  réjouir  en  songe  ;  il  est 
rare  qu'on  se  fasse  une  grande  joie,  et  il  ne  l'est  guère  moins 
qu'on  se  cause  une  vive  douleur  ;  mais  fréquemment  on  se 
suscite  des  embarras,  et  la  plupart  du  temps  on  se  procure  un 
spectacle  agréable.  De  même,  lorsqu'elle  crée  les  images 
fanstiques  de  l'assoupissement,  l'imagination  en  produit  rare- 
ment qui  soient  d'une  beauté  remarquable  ;  elle  présente  plus 
souvent  des  caricatures  grotesques ,  et  en  général  des  figures 
indifférentes ,  mais  qui  sont  agréables  parle  jeu  de  leurs  cou- 
leurs ou  par  leur  mobilité  ,  et  que  l'on  contemple  avec  un 
certain  plaisir.  Cette  impossibilité  de  faire  une  distinction  en- 
tre nos  propres  idées  et  les  sources  d'oii  elles  découlent,  éta- 
blit une  certaine  analogie  entre  les  rêves  et  les  châteaux  en 
Espagne  dont  on  peut  se  bercer  étant  éveillé  ,  comme  aussi 
«ntre  eux  et  la  manie.  Mais,  dans  les  rêves  qui  roulent  sur  des 
objets  abstraits ,  il  n'y  a  point  de  distinction  semblable  à  éta- 
blir ,  puisque  la  méditation  ne  nous  soustrait  pas  moins  aux 
impressions  sensorielles  présentes  pendant  la  veille  qu'en 
songe. 

2°  Le  sommeil  est  la  suspension  de  l'empire  sur  soi-même. 
Il  faut  donc  une  certaine  passiveté  pour  s'endormir.  Aussi  le 
sommeil  est-il  plus  à  notre  disposition  lorsque  la  vie  morale 
est  lourde  et  que  la  vie  physique  n'a  rien  à  demander  au 
monde  extérieur.  Quand  l'esprit  a  plus  de  vivacité ,  on  est 
obligé  de  suspendre  volontairement  l'exercice  de  la  pensée  ; 
or  il  faut  une  certaine  force  pour  arriver  là  et  se  détacher  en 
même  temps  du  monde  extérieur.  Mais  ce  qu'il  importe  sur- 
tout, c'est  qu'on  éprouve  un  sentiment  de  satisfaction  ;  Napo- 
léon, avec  la  même  puissance  de  f^icultés  intellectuelles,  pour 


222  SOMMEIt. 

vait  dormir  tranquillement  sur  le  champ  de  bataille  d'Auster-^ 
lilz  et  passer  des  nuits  sans  sommeil  à  Sainte-Hélène.  Qui- 
conque cherche  à  observer  ce  qui  arrive  quand  on  passe  de 
la  veille  au  sommeil  est  certain  de  ne  pas  s'endormir  (1).  On 
peut  plutôt  réussir  à  écarter  volontairement  le  sommeil  ;  mais 
il  faut  pour  cela  des  efforts  qui  deviennent  de  plus  en  plus 
pénibles,  et  finissent  par  triompher  de  notre  résolution.  Nous 
avons  bien  moins  encore  le  pouvoir  de  commander  aux  rêves, 
puisqu'il  ne  nous  est  pas  même  donné  de  les  retarder  :  l'acte 
intellectuel  d'où  ils  dépendent  s'accomplit  comme  une  action 
purement  organique  ,  et  notre  volonté  n'a  pas  plus  d'empire 
surcetacte  que  sur  le  battement  des  artères.  Cependantce  n'est 
point  là  non  plus  un  fait  qui  établisse  une  différence  absolue 
entre  le  sommeil  et  la  veille  ;  car  outre  que ,  pendant  celte 
dernière ,  le  rôle  de  la  volonté  se  réduit  à  donner  l'impulsion 
et  la  direction  à  la  marche  des  idées ,  et  qu'il  y  a  bien  des 
momens  dans  lesquels  nous  laissons  notre  esprit  marcher  tout 
seul,  la  volonté  exerce  aussi  quelque  influence  durant  le 
sommeil. 

Les  images  fantastiques  de  l'assoupissement  ne  s'offrent  à 
nous  que  quand  nous  avons  cessé  d'être  maître  de  nous- 
mêmes  ;  elles  se  déroulent,  comme  celles  d'une  lanterne  ma- 
gique, dans  une  parfaite  indépendance  de  notre  volonté  ;  pour 
qu'elles  surviennent,  il  faut  que  nous  soyons  entièrement  pas- 
sifs ;  elles  apparaissent  souvent  à  l'improviste ,  et  refusent  de 
jouer  devant  nous  lorsque  nous  les  désirons.  Aussi  s'effacent- 
elles  devant  tout  acte  quelconque  de  spontanéité,  et  prennent- 
elles  rapidement  la  fuite  dès  qu'on  réfléchit  sur  elles ,  qu'on 
a  horreur  de  leur  difformité ,  ou  qu'on  ouvre  les  yeux.  Ce- 
pendant l'expérience  m'a  appris  que  la  volonté  exerce  quel- 
que influence  sur  eUes  ;  car  si  je  ne  puis  en  déterminer  l'es- 
pèce ,  j'ai  du  moins  le  pouvoir  d'en  choisir  le  genre  :  lorsque 
d'afl[réables  figures  humaines,  que  je  serais  bien  aise  de  re- 
tenir, se  résolvent  en  formes  grotesques  ou  monstrueuses,  je 
parviens  fréquemment,  en  dirigeant  ma  pensée  sur  des  objets 
d'architecture ,  à  faire  paraître  des  formes  kaléidoscopiques, 

^1)  Dictionn.  des  se.  médic,  t.  XLVHI ,  p,  246, 


SOMMEÎt.  J225 

dont  l'agréable  maïs  indifférente  variété  amène  uh  sommeil 
tranquille  ;  je  réussis  plus  rarement  à  me  procurer  des  visions 
de  paysages.  Mais  nous  ne  sommes  pas  non  plus  absolument 
dépourvus  de  volonté  en  songe  ;  une  volonté  intérieure  se 
manifeste  dans  les  actions  que  nous  rêvons,  sa  direction  au 
dehors  perce  même  dans  les  mouvemens  que  nous  exécutons 
(§  601 ,  3°),  et  les  deux  directions  se  trouvent  réunies  chez 
les  somnambules  qui  font  des  compositions  écrites ,  les  corri- 
gent et  y  remplacent  certaines  expressions  par  d'autres. 

3°  Il  y  a  ,  dans  les  rêves ,  une  conscience  intérieure.  Nous 
nous  sentons  ,  nous  nous  voyons ,  nous  délibérons ,  nous  pen- 
sons ,  nous  agissons,  mais  il  nous  manque  la  conscience  exté- 
rieure ,  la  présence  d'esprit ,  la  connexion  de  notre  vie  inté- 
rieure avec  l'existence  du  dehors.  Pendant  la  veille,  le  monde 
extérieur  nous  rend  maîtres  de  nous-mêmes ,  en  s'opposant 
comme  obstacle  ou  comme  limite  à  notre  activité  ;  rien  de 
semblable  n'a  lieu  en  rêve.  L'antagonisme  entre  le  monde 
intérieur  et  le  monde  extérieur  est  supprimé ,  et ,  ne  pouvant 
voir  autour  de  nous,  embrasser  ce  qui  nous  entoure,  nous 
n'avons  en  quelque  sorte  qu'une  moitié  de  conscience.  Aussi 
les  impressions  sensorielles  sont-elles  perçues  en  rêve  (§  601, 
1°,  2°) ,  mais  elles  ne  le  sont  point  dans  leur  totalité  ;  ainsi  le 
somnambule  agit  bien  dans  un  certain  but ,  mais  il  ne  voit 
que  ce  but ,  et  ne  s'inquiète  pas  d'autre  chose  ;  ainsi ,  dans  le 
somnambulisme  magnétique ,  l'âme  dirige  son  activité  tout 
entière  sur  le  seul  magnétiseur,  de  manière  qu'elle  entend  ses 
paroles  et  obéit  à  ses  ordres. 

4°  La  présence  d'esprit  se  manifeste  quelquefois  dans  les 
rêves ,  et  y  porte  le  trouble.  Ce  qui  intéresse  notre' personna- 
lité ,  éveille  la  spontanéité  et  chasse  le  sommeil.  Les  rêves 
désagréables  ont  souvent  besoin  de  nous  tourmenter  long- 
temps pour  parvenir  à  nous  éveiller,  mais  la  joie  exerce  une 
action  plus  rapide  :  je  m'éveille  toujours  quand  je  rêve  d'une 
découverte  scientifique,  mais  jamais  je  ne  l'ai  été  d'une  ma- 
nière aussi  subite  qu'un  jour  où  je  crus  voir  ma  fille  s'envo- 
ler au  ciel  toute  rayonnante  de  lumière ,  image  que  je  con- 
servai ensuite  pendant  quelque  temps.  Le  jugement  reste 
long-temps  spectateur  indifférent  du  rêve,  tolère  bien  des 


j524  sommeil. 

écarts  de  l'imagination ,  et  n'interpose  enfin  son  autorité  que 
quand  celle-ci  devient  par  trop  extravagante.  Dans  un  assou- 
pissement rempli  d'images  fantastiques  qui  tenaient  presque 
du  rêve ,  je  contemplais  tranquillement  les  maisons  se  pro- 
mener à  droite  et  à  gauche ,  et  se  ranger  ensuite  sur  deux 
lignes,  comme  dans  une  polonaise,  lorsqu'enfin  je  m'éveillai 
en  les  voyant  se  baisser  pour  passer  en  sautillant  sous  les 
portes  de  la  ville.  Une  autre  fois  j'assistais  en  rêve  à  un  com- 
bat fort  acharné  ,  mais  un  bruit  de  cloche  ayant  fait  séparer 
tout  à  coup  les  combattans ,  qui  s'assirent  de  sang-froid  pour 
déjeuner,  je  m'éveillai.  Il  arrive  assez  souvent  que  le  rêve 
continue  encore  après  qu'on  a  repris  ses  sens ,  et  qu'on  a  la 
conscience  de  rêver  ;  parfois  alors,  si  l'on  se  trouve  dans  l'em- 
barras, on  parvient  à  se  tranquilliser  en  se  souvenant 
qu'on  n'a  besoin  que  de  s'éveiller  pour  être  délivré  de  toute 
inquiétude.  Etant  enfant,  j'avais  souvent  rêvé  que  j'entre- 
prenais des  voyages  ;  mais  je  finis  par  être  las  de  cette  illu- 
sion et  par  penser  avec  mauvaise  humeur  que  ce  n'était  qu'un 
songe.  Un  jour  je  rêvai  que  je  vivais  dans  l'intimité  d'un 
grand  prince  ,  et  que  je  le  racontais  à  mes  amis  ;  mais ,  tout 
en  faisant  le  récit ,  je  cherchais  à  le  trouver  invraisemblable , 
et  à  me  persuader  que  c'était  un  songe. 

5°  Comme  l'empire  sur  soi-même  ne  s'éteint  que  jusqu'à  un 
certain  degré ,  de  même  aussi  on  ne  renonce  à  son  individua- 
lité que  jusqu'à  un  certain  point,  et  c'est  plutôt  sur  les  cho- 
ses extérieures  que  sur  sa  propre  personnalité  qu'on  fait 
porter  les  changemens.  Il  est  rare  déjà  qu'on  se  place  en  rêve 
dans  des  conditions  tout-à-fait  différentes  de  celles  au  milieu 
desquelles  on  vit ,  mais  jamais  on  ne  fait  sa  personne  physi- 
que pire  qu'elle  n'est.  Les  aveugles  rêvent  pendant  long- 
temps encore  d'objets  visibles ,  après  quoi  leurs  songes  ne 
roulent  plus  que  sur  des  choses  relatives  à  l'ouïe  et  au  tou- 
cher ;  un  homme  qu'une  b  lessure  avait  réduit  à  se  servir  de 
béquilles,  se  vit  long-temps,  dans  ses  rêves ,  marchant  sans 
soutien  (1),  et  une  femme  qui  avait  une  carie  au  bras,  ne 
rêvait  jamais  d'aucune  action  qui   exigeât  l'emploi  de  ce 

(1)  Rudolplu,  Gmndriss  des  Physiologie,  \.  II,  p.  283. 


SOMMEIL.  iâaS 

membre  (1).  Les  rêves  nous  ramènent  souveni;  à  des  événe- 
mens  de  notre  enfance ,  mais  jamais  nous  ne  rêvons  que  nous 
soyons  réellement  enfans.  De  même ,  la  manière  d'envisager 
et  de  traiter  les  choses  diffère  peu  de  celle  "dont  on  a  l'habi- 
tude pendant  la  vie ,  et  il  est  rare  que  nous  nous  attribuions 
en  rêve  des  vices  ou  des  vertus  autres  que  ceux  qui  nous 
sont  propres  dans  l'état  de  veille  ;  je  rêvai  un  jour  que  j'avais 
été  obligé  de  prendre  la  fuite  à  cause  d'un  crime  dont  je 
m'étais  rendu  coupable  ;  mais,  lorsqu'on  me  rattrapa  ,  je  ne 
savais  plus  de  quoi  j'avais  à  répondre. 

II.  Toutes  les  fois  que  l'individualité  s'efface ,  la  vie  géné- 
rale se  prononce  d'une  manière  plus  sensible.  Le  soleil  main- 
tient nos  sens  en  rapport  avec  la  réalité  immédiate ,  et  fait  de 
nous  deshabitans  de  la  terre,  en  nous  rendant  visibles  comme 
formes  distinctes  et  individuelles.  Lorsque  notre  hémisphère  se 
détourne  de  l'astre  du  jour,  nous  nous  sentons  abandonnés.au 
milieu  de  Tobscurîté ,  et  les  vapeurs  terrestres  obscurcissent 
notre  horizon  ;  mais  le  ciel  qui  brille  sur  nos  têtes  nous  ap- 
prend à  connaître  l'univers  et  la  vie  cosmique  proprement  dite. 

6°  La  vie  générale  devenant  plus  puissante  que  la  vie  indi- 
viduelle, pendant  le  sommeil,  l'organisme  n'a  point  besoin 
des  sens  externes.  Lorsqu'après  avoir  dormi  tranquillement 
nous  nous  réveillons  à  l'heure  que  nous  avions  fixé  d'avance , 
il  faut  pour  cela  que  l'âme  ait  eu  un  moyen  particulier  de 
mesurer  le  temps  ;  car  nous  n'avons  point  entendu  le  bruit  de 
l'horloge.  Chez  les  somnambules ,  l'œil  est  ouvert  ou  fermé , 
mais  fixe,  immobile  et  totalement  insensible  à  a  lumière; 
leurs  pupilles  sont  dilatées  aussi  ;  cependant  ils  marchent 
d'un  pas  sûr ,  et  en  cela  ils  n'obéissent  pas  à  des  souvenirs , 
car  ils  écartent  les  obstacles  qu'on  met  sur  leur  passage  ;  ils 
suivent  des  chemins  qui  leur  sont  inconnus  ,  et  quand  ils  écri- 
vent, on  peut  tenir  un  corps  opaque  entre  le  papier  et 
leur  œil  sans  les  déranger  (2).  Comme  rien  ne  les  disirait, 
comme  la  réflexion  ne  les  trouble  pas ,   et  qu'ils  suivent 

(1)  Gruilhuisen  ,  Beitrœge  sur  Physiognosie  ,  p,  245, 

(2)  Vogel ,  dans  Rust ,  Magasin  fuer  die  gesammte  Heilkunde,  t,  XII, 
p.  36. 

v>  i5 


226  SOMMEIt. 

imperturbablement  la  même  direction ,  leurs  mouvemôns 
sont^  comme  ceux  des  animaux,  parfaitement  sûrs,  au  milieu 
même  des  plus  grands  dangers ,  et  ils  marchent  d'un  pied 
ferme  sur  le  toit  des  maisons  ;  l'instinct  semble  même , 
quand  ils  tombent  de  haut ,  les  porter  à  prendre  Tattitude 
la  moins  défavorable ,  de  sorte  qu'une  chute  devient  pour 
eux  un  simple  saut  hardi ,  qui  ne  leur  porte  aucun  dom- 
mage (1). 

7°  Il  est  très-commun  que  les  facultés  de  l'âme  éprouvent 
une  exaltation  extraordinaire  pendant  le  sommeil.  Bien  des 
choses,  ditAutenrieth  (2),  deviennent  en  songe  parfaitement 
claires  pour  nous ,  à  la  poursuite  desquelles  nous  nous  étions 
mis  en  vain  étant  éveillés  (  §  600 ,  8°  ).  On  cite  une  multitude 
d'exemples  de  personnes  qui ,  dans  l'état  de  somnambulisme  ^ 
étaient  plus  habiles  à  jouer  d'un  instrument ,  à  parler  une 
langue  étrangère ,  ou  à  faire  des  vers ,  que  dans  l'état  de 
veille  (3).  Un  de  mes  amis  d'enfance,  Gustave Hsensel ,  qui 
s'était  peu  ou  point  occupé  de  poésie ,  trouva ,  un  matin  sur  sa 
table  ,  à  l'époque  oii  l'impatience  du  joug  des  Français  fer- 
mentait dans  toutes  les  têtes  allemandes ,  une  ode  à  Napoléon, 
aussi  remarquable  par  la  noblesse  des  idées  que  par  la  vi- 
gueur de  l'expression  et  le  mérite  de  la  versification ,  sans 
qu^il  lui  fût  possible  de  se  ressouvenir  du  moment  où  il  l'avait 
inscrite  sur  le  papier.  Dans  le  somnambulisme  magnétique,  le 
sentiment  intérieur  et  l'instinct  sont  accrus  d'une  manière 
surprenante  ;  l'exaltation  des  facultés  intellectuelles  s'observe 
quelquefois,  mais  celle  du  sentiment  moral  est  plus  générale, 
et  l'on  ne  connaît  pas  non  plus  un  seul  exemple  d'action  im- 
morale qui  ait  été  commise  dans  le  somnambulisme  naturel. 
Nous  ne  pouvons  donc  pas  douter  que ,  quand  l'individualité 
diminue,  l'universalité  de  l'âme  ne  devienne  quelquefois  plus 
puissante ,  et  tous  les  récits  fabuleux  d'inspirations  ou  de  ré- 
vélations en  songe ,  dont  la  crédulité  a  pieusement  fait  des 


(4)  Brandis,  Inc.  cit..,  p.  442, 

(2)  Handbuch  der  empirischen  menschlichen  Physiologie ,  t.  III,  p.  264. 
(SjRadow,  Théorie  des  Schlafes ,  p.    161-169. — Diction,  des  se. 
médic,  t.  LU ,  p.  119.  —  Rust ,  Magasin  ^  t.  XII,  p.  36. 


SOMMEIL.  227 

recueils ,  ne  doivent  avoir  aucune  influence  sur  notre  manière 
de  voir  à  cet  égard. 

8°  On  peut  en  dire  autant  par  rapport  à  la  prévision  de 
l'avenir.  Il  est  avéré  que  l'exaltation  du  sentiment  intérieur 
donne   souvent   au  somnambule  malade  une  sorte  de  pré- 
science des  changemens  qui  vont  survenir  en  lui,  et  que  non 
seulement  il  prédit  avec  précision  la  nature  et  l'époque  des 
nouveaux  accidens  morbides  qui  îe  menacent ,  mais  encore 
indique  fort  bien  les  remèdes  qu'on  devra  lui  donner.  On  rêve 
souvent  de  choses  insignifiantes ,  indifférentes ,  qui  nous  arri- 
vent le  lendemain ,  et  comme  tout  instinct  suppose  une  con- 
naissance de  l'avenir ,  non  point  acquise  par  spontanéité , 
mais  donnée  par  la  nature,  et  qu'il  diminue  à  mesure  que 
l'activité  spontanée  de  l'esprit  se  développe ,  il  est  croyable 
que  la  vie  organique  de  l'âme  peut  être  assaillie  de  pressen- 
timens  pendant  le  sommeil,  état  dans  lequel  l'individu  cesse 
de  penser  par  lui-même.  La  croyance  aux  rêves  annonçant 
l'avenir  n'a  jamais  péri  (1)  ;  elle  existait  chez  les  Israélites , 
les  Grecs ,  les  Romains  et  autres  peuples  de  l'antiquité  (2) , 
tout  comme  on  la  retrouve  chez  un  grand  nombre  de  nations 
modernes  qui  sont  étrangères  à  notre  mode  de  civilisation.  Il 
est  naturel  que  le  fanatique  croie  trouver  dans  les  rêves  plus 
qu'ils  ne  renferment  réellement ,  et  de  même  que  le  Cana- 
dien ,  quand  il  convoite  la  propriété  d'autrui ,  prétend  quel- 
quefois qu'elle  lui  a  été  donnée  en  songe ,  de  même  aussi 
l'imposture  a  souvent  su  tirer  parti  ailleurs  de  la  foi  que  les 
hommes  ont  généralement  aux  rêves.  Mais  prétendre  à  priori 
que  les  songes  révélateurs  de  l'avenir  sont  des  fables ,  c'est , 
comme  le  dit  Brandis  (3)1,  suivre  une  marche  qui  n'est  ni  la 
plus  sûre ,  ni  la  plus  raisonnable ,  bien  qu'elle  soit  assurément 
la  plus  commode, 

C.  Essence  du  sommeil. 

§  604.  Après  avoir  passé  en  revue  les  phénomènes  moraux 

(1)  Carus ,  Psycholoijie ,  t.  II,  p.  480. 

(2)  Radow  ,  loc.  cit.,  p.  138. 

(3)  Loc.  cit.,^,  563. 


228  SOMMEIL. 

du  sommeil ,  il  nous  reste  à  rechercher  quelle  peut  être  Ves- 
sence  de  ce  dernier. 

1°  Le  sommeil  n'est  point  une  négation.  Il  ne  peut  tenir  ni 
à  une  inaction  générale  ,  ni  à  une  inaction  partielle  de  l'âme. 
L'inaction  morale  ou  intellectuelle ,  Tétat  qui  consiste  à  fermer 
les  yeux  et  à  rester  parfaitement  tranquille ,  sans  faire  le 
moindre  mouvement ,  sans  manifester  aucune  énergie  sponta- 
née ,  sans  imprimer  par  soi-même  aucune  direction  à  son  âme, 
n'est  point  le  sommeil.  On  peut  être  épuisé  au  physique  et  au 
moral ,  sans  cependant  éprouver  le  besoin  de  dormir  ;  bien 
plus  même ,  les  efforts  outrés  du  corps  et  de  l'âme  empêchent 
de  se  livrer  au  sommeil.  On  peut  dormir,  au  contraire ,  sans 
ressentir  la  moindre  fatigue  ,  comme  ,  par  exemple ,  lorsqu'on 
assiste  à  un  sermon  ennuyeux.  Pendant  le  sommeil  il  y  a  en- 
core action  des  organes  sensoriels  et  locomoteurs  (§599,  l°-2<'), 
de  même  que,  dans  les  rêves,  il  y  a  exercice  de  la  conscience, 
de  la  faculté  d'aperception,  de  l'imagination ,  du  mouvement 
et  de  la  faculté  appétitive.  A  la  vérité ,  toutes  ces  facultés ,  si 
l'on  excepte  l'imagination,  sont  restreintes  dans  d'étroites 
limites  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  impossible  que  le  sommeil 
soit  un  état  de  veille  diminuée  oubornée;  car  autrement  il  n'y  au- 
rait pas  de  différence  essentielle  entre  lui  et  la  veille;  il  ne  ferait 
point  antagonisme  à  cette  dernière.  Quand  on  dit  que  le  som- 
meil est  une  veille  partielle  (1) ,  non  seulement  on  ne  dit  pas 
par-là  ce  qu'on  entend ,  soit  par  l'un ,  soit  par  l'autre ,  mais 
encore  on  se  borne  à  faire  entendre  que  certaines  facultés  de 
l'âme  sont  actives  pendant  le  sommeil ,  tandis  que  d'autres 
reposent.  Or,  à  quelque  scène  de  la  vie  qu'on  s'attache ,  on  y 
découvre  des  inégalités  de  ce  genre.  L'homme  plongé  dans 
«ne  méditation  profonde  ne  voit  ni  n'entend ,  celui  dont  l'at- 
tention est  tendue  sur  des  phénomènes  qui  frappent  ses  sens  , 
laisse  en  repos  sa  raison ,  et  l'inspiré ,  auquel  une  imagination 
déhrante  ne  permet  ni  d'apercevoir  ce  qui  l'entoure  ,  ni  de 
réagir  volontairement  sur  aucun  objet  extérieur,  ne  dort  ce- 
pendant pas.  Donc ,  si  l'on  ne  considérait  le  sommeil  que 
comme  un  repos ,  on  serait  plus  fondé  à  dire  que  la  veille  est 

(1)  Reil ,  ^rchiv,  t.  XII,  p.  91. 


SOMMËIt.  229 

un  sommeil  partiel ,  et  à  supprimer  ainsi  toute  ligne  de  dé- 
marcation entre  ces  deux  états.  On  a  vu  que  le  sommeil  des 
plantes  repose  sur  l'action  et  non  sur  l'inaction  (  §  596  ,  3°  )  ; 
de  même,  le  nôtre  est  quelque  chose  de  positif,  c'est  un  état 
particulier  de  nos  fonctions  ;  mais  il  ne  constitue  point  une 
fonction  à  part,  et  l'on  ne  peut  lui  assigner  aucun  organe  spé- 
cial, comme  l'a  fait  Friedlsender  (1) ,  qui  le  définissait  une 
polarité  adynamique  de  l'organe  de  l'intuition  intérieure  pro- 
duite par  la  polarité  de  l'organe  du  sommeil. 

2"  La  simple  réflexion  que  l'homme  ne  s'éveille  qu'après  !a 
naissance,  et  qu'il  n'arrive  ensuite  que  par  degrés  à  l'état  de 
veille  complète  ,  doit  nous  mener  à  cette  conclusion ,  que  le 
sommeil  est  l'état  primordial ,  et  qu'il  serait  par  conséquent 
absurde  de  l'expliquer  par  la  veille,  qui  ne  survient  qu'après 
lui.  C'est  ce  que  Dœllinger  (2)  avait  reconnu  quand  il  a  dit 
que,  pendant  le  sommeil,  la  vie  animale  cessait  de  se  dévelop- 
per delà  vie  végétative.  Grimaud  (3)  considérait  également  le 
sommeil  comme  l'état  primaire ,  et  Brandis  (4)  comme  un  état 
qui  nous  replonge  .dans  la  vie  embryonnaire.  La  même  idée 
était  présente  à:  l'esprit  de  Fessel  (5)  lorsqu'il  disait  que  la 
veille  dégage  l'âge  des  chaînes  de  la  vie  physique ,  et  il  a 
fallu  tout  l'aveuglement  qu'on  rencontre  si  fréquemment 
dans  le  public,  pour  empêcher  que  celte  opinion  devînt  do- 
minante. 

L'état  primordial  de  l'animal  est  celui  dans  lequel  la  vie  se 
trouve  tournée  vers  elle-même  et  ramenée  à  l'unité  ,  celui 
dans  lequel  l'activité  morale  et  l'activité  physique  sont  con- 
fondues ensemble,  celui  enfin  dans  lequel  l'individualité 
n'existe  point  encore  ,  et  n'agit  que  comme  règle  de  l'activité 
plastique  (§  475 ,  9°,  10°).  De  cet  état,  qu'on  pourrait  appe- 
ler le  chaos  de  la  vie ,  l'âme  sort  peu  à  peu  ,  revêtue  de  l'es- 
sence qui  lui  est  propre  ;  mais  ,  d'après  la  loi  générale  de  la 

(1)  Versuch  ueber  die  innern  Sinne  und  iJire  Anomalieen ,  p.  361. 

(2)  Grundriss  der  Naturlehre  des  menschlichen  Organismus,  p.  292,    ' 

(3)  Cours  complet  de  physiologie ,  t.  II,  p.  298. 

(4)  Lehre  von  den  Affecten  des  lelendigen  Organismus,  p.  538. 

(5)  Diss.  de  somni  vigiliarumque  notione  et  discrimine ,  Berlin,  1828, 
in-8. 


âSo  SOMMEIL. 

périodicité  (§  693, 3°,  5°) ,  tout  ce  qui  s'est  développé  tend , 
pour  sa  propre  conservation ,  à  se  reployer  dans  l'état  d'invo- 
lution  ou  d'enveloppement,  et  de  là  vient  que  l'homme  tombe 
de  temps  en  temps  dans  un  sommeil  exempt  de  rêves ,  au  mi- 
lieu duquel  la  vie  animale  retourne  à  la  vie  végétative  ,  l'ac- 
tivité de  l'âme  se  réunit  avec  la  vie  générale  de  l'organisme  , 
et  passe  ainsi  à  l'état  latent.  De  même  que  le  sommeil  des  vé- 
gétaux est  un  retour  de  la  plante  développée  vers  l'état  em- 
bryonnaire ,  par  la  cessation  de  l'antagonisme  entre  la  tige  et 
la  racine,  et  par  la  soumission  à  l'empire  exclusif  de  la  vie 
radiculaire  (§  596) ,  de  même  aussi,  chez  l'homme  ,  le  som- 
meil est  la  racine  de  la  vie  animale  et  la  fusion  des  vies  mo- 
rale et  physique. 

A  la  vérité ,  on  dit  fréquemment  que ,  pendant  le  sommeil, 
l'âme  est  séparée  du  corps ,  et  que  telle  est  la  cause  qui  rend 
ce  dernierpnsensible  aux  impressions  exercées  sur  les  organes 
des  sens.  Ainsi ,  par  exemple,  Eschenmayer  (1)  prétend  que , 
comme  elle  ne  peut  jamais  reposer,  elle  se  retire  en  elle- 
même,  et  laisse  les  forces  de  la  nature  s'emparer  de  l'organe 
qui  s'est  fatigué  à  son  service.  Mais ,  comme  le  sommeil  n'est 
point  volontaire  ,  comme  il  a  pour  causes  des  conditions  or- 
ganiques, comme  il  éteint  et  la  conscience  générale  et  la 
conscience  idéale  ,  l'âme  serait  un  être  fort  à  plaindre  si  elle 
ne  pouvait  se  retirer  en  elle-même  qu'à  l'occasion  d'une  in- 
fluence étrangère  ,  si ,  dans  cette  retraite  forcée ,  elle  perdait 
ce  qui  la  caractérise  spécialement,  la  conscience,  et  ce  qu'elle 
a  de  plus  précieux ,  l'idée,  si  elle  était  ainsi  réduite  à  ne  pou- 
voir ,  d'aucune  manière ,  manifester  son  activité  propre  ni 
à  elle-même  ni  à  aucune  autre  chose;  la  conscience  et 
l'idée  dépendraient  alors  des  organes,  et  l'on  pourrait 
très-bien  se  passer  d'âme.  Quand  l'âme  quitte  son  organe, 
elle  ne  peut  point  se  retirer  dans  un  autre  organe  ,  et  il  faut 
qu'elle  se  dégage  des  liens  de  l'espace  en  général.  Comment 
rentre-t-elle  ,  au  réveil ,  dans  le  cercle  de  l'organisation  ?  On 
ne  peut  le  concevoir  autrement  que  par  une  force  de  la  na- 
ture ,  et  cependant  celle-ci  ne  dominerait ,  dit-on ,  que  les 

(1)  Psychologie ,  p.  221. 


SOMMEIL.  23 1 

organes.  Et  si  le  sommeil  consiste  dans  la  séparation  de  Tâme 
et  du  corps,  tout  rêve  devient  impossible ,  puisque  lesorjjanes 
sensoriels  sont  susceptibles  d'agir  en  songe.  Est-ce  donc  qu'a- 
lors l'âme  aurait  un  pied  dans  son  domaine  et  Tautre  dans  le 
corps  ?  Au  lieu  de  la  réduire  à  cette  condition  de  demi-exis- 
tence ,  nous  aimerions  mieux  dire  ,  avec  les  Ostiaques  ,  que  , 
pendant  les  rêves ,  elle  voyage  ,  s'amuse  à  la  chasse  ,  et  va 
rendre  visite  à  ses  amis.  Le  dualisme ,  qui  s'imagine  élever 
l'âme  à  force  de  fictions  hyperphysiques ,  ne  fait  que  rabais- 
ser sa  dignité  en  nous  représentant  la  nature  comme  un  mé^ 
canisme  non  animé. 

3°  Dans  les  derniers  temps  de  la  vie  embryonnaire ,  la  vie 
se  polarise ,  la  sphère  physique  et  la  sphère  morale  se^sépa- 
rent  l'une  de  l'autre ,  parce  que  le  sentiment  intérieur  s'é- 
veille ,  et  avec  lui  l'instinct  aveugle.  Cet  état  est ,  à  propre- 
ment parler,  celui  dans  lequel  l'âme  retombe  pendant  le  som- 
meil périodique ,  puisque  rien  de  ce  qui  s'est  développé  ne 
peut  rétrograder  entièrement  jusqu'à  l'état  primordial  (§593, 
4°)  ;  les  excitations  du  sentiment  intérieur  (§  601,  1°) ,  et  les 
mouvemens  (§601,  3°)  qui  ont  lieu  pendant  le  sommeil  pro- 
fond et  exempt  de  rêves ,  sont  analogues  à  ceux  qu'on  observe 
chez  l'embryon.  Mais  ce  que  l'âme  a  acquis  par  assimilation, 
en  se  développant,  est  sa  propriété  inaliénable  ;  elle  emporte 
avec  elle  ,  dans  le  sommeil ,  les  souvenirs  du  monde  et  de  sa 
propre  pensée,  et  ce  sont  ces  souvenirs  qui  posent  des 
bornes  aux  attributs  du  sommeil.  L'embryon ,  dont  les  or- 
ganes sensoriels  ne  sont  point  encore  ouverts ,  est  isolé  par 
rapport  au  monde  extérieur  ;  il  n'éprouve  que  des^xcitations 
faibles  de  la  part  des  sensations  obscures  de  son  propre  orga- 
nisme ,  et  il  est  entièrement  absorbé  dans  une  sourde  incuba- 
tion. Le  réveil  de  la  vie  embryonnaire  consiste  en  ce  que  les 
sens  externes  établissent  un  conflit  avec  le  monde  du  dehors , 
en  ce  que  la  connaissance  acquise  ainsi  de  ce  dernier  permet 
au  moi  de  se  distinguer  des  choses  extérieures ,  enfin  en  ce 
que  l'aptitude  obtenue  de  distinguer  sa  propre  personnalité  et 
son  propre  corps  fait  développer  la  conscience  et  la  faculté 
de  se  déterminer  soi-même ,  la  liberté  et  la  spontanéité.  La 
suppression  de  ces  antagonismes  donne  le  sommeil  périodique; 


2^2  SOMMEIL. 

l'âme  redescend  dans  la  nuit  de  la  vie  embryonnaire  /parce 
qu  elle  s'isole  du  monde  extérieur ,  qu'elle  renonce  à  la  sen- 
sation et  au  mouvement ,  et  qu'elle  se  rattache  à  la  vie  géné- 
rale ,  dont  elle  s'était  dégagée  lors  de  sa  venue  au  monde  ,  de 
manière  que  la  réalité  extérieure  perd  tous  ses  droits  sur  elle. 
Mais  comme  elle  arrive  à  cet  état  d'isolement  riche  d'idées  et 
fort  habile  dans  l'art  de  les  combiner  ensemble  ,  tant  qu'elle  y 
demeure ,  elle  exerce  dans  son  propre  intérieur  une  puissance 
créatrice  ;  l'imagination  ,  semblable  en  cela  à  la  plasticité  qui 
avait  produit  les  formes  dans  l'embryon  ,  crée  les  images  fan- 
tastiques du  rêve.  Il  suit  de  là  que,  pendant  le  sommeil, 
l'âme  mène  une  vie  propre  et  intérieure  (§  602) ,  une  vie  ab- 
sorbée dans  la  contemplation  de  ses  propres  produits  (  §  603  , 
1») ,  mais  que ,  comme  le  moi  ne  sait  plus  se  distinguer  du 
monde  extérieur ,  il  n'y  a  plus  alors  ni  pouvoir  de  se  déter- 
miner soi-même,  ou  spontanéité  (§  603,  2"),  ni  empire  sur 
soi-même,  ni  réaction  libre.  Le  rêve  est  l'activité  naturelle  de 
l'âme ,  non  limitée  par  la  puissance  de  l'individualité ,  non 
troublée  par  la  conscience  de  soi-même ,  non  dirigée  par  la 
spontanéité ,  en  un  mot  c'est  la  vitalité  du  point  central  de  la 
sensibilité ,  de  l'organe  primordial ,  qui  se  livre  en  liberté  à 
ses  ébats ,  à  tous  ses  caprices.  Maintenant ,  comme  l'activité 
organique ,  la  vitalité  générale  est  plus  puissante  que  l'acti- 
vité individelle  ,  et  que  ce  qui  avait  donné  à  l'âme  la  forme 
de  force  plastique  ou  d'âme  végétative  ,  ne  peut  point  avoir 
été  engendré  par  l'individu ,  il  suit  de  là  que  des  forces  supé- 
rieures doivent  se  révéler  de  temps  en  temps  en  rêve  (§  603  , 
ôo-S») , .  parce  qu'alors  l'individualité  n'est  pas  là  pour  les 
troubler ,  et  que  la  réflexion  n'empêche  point  le  cours  orga- 
nique des  idées.  Ainsi  la  vie  de  l'homme  qui  rêve  est  placée 
sur  les  limites  du  plus  grand  élan  que  l'homme  soit  capable 
de  prendre  par  l'inspiration  et  la  méditation ,  et  l'on  est 
fondé  à  dire ,  avec  Brandis  (1) ,  que  l'exécution  de  toute 
grande  idée  est  le  produit  d'une  sorte  de  somnambulisme ,  at- 
tendu qu'alors  l'idéal  se  manifeste  en  nous  sans  notre  partici- 
pation ,  et  nous  pousse  avec  une  irrésistible  puissance.  Aussi 

(1)  Loc,  cit./i^.  443. 


SOMMEIt.     '  255 

les  découvertes  intellectuelles  qui  se  révèlent  à  râtne  pour 
ainsi  dire  d'un  premier  jet  de  création,  commedansles  rêves 
scientifiques,  et  la  direction  exclusive  des  forces  morales  vers 
un  but  unique ,  sont-elles  ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  et  de  plus 
élevé  dans  la  nature  humaine  ,  quoiqu'elles  demeurent  tou- 
jours incomplètes.  D'un  autre  côté  ,  la  vie  de  l'homme  qui 
rêve  confine  à  la  manie ,  dans  laquelle  l'individualité  morale 
disparaît  et  la  spontanéité  de  l'âme  s'éteint  ;  comme  le  som- 
nambulisme porté  à  un  haut  degré  est  souvent  le  précurseur 
de  l'aliénation  mentale  ,  de  même  les  visions  et  l'extase  sont 
des  irruptions  que  la  vie  des  songes  fait  dans  la  vie  de 
veille ,  et  qui  touchent  de  près  à  la  manie,  qui  y  mènent  fort 
souvent  (1). 

Du  reste ,  on  doit  encore  remarquer  que  les  rêves ,  surtout 
dans  l'âge  avancé ,  nous  reportent  volontiers  à  l'enfance ,  et 
nous  font  reculer  aussi  loin  dans  la  vie  que  la  conscience  peut 
nous  en  reproduire  le  souvenir  distinct.  Gruithuisen  (2)  pré- 
tend que  c'est  parce  que  les  impressions  sont  plus  fortes  dans 
l'enfance  qu'à  tout  autre  âge.  Mais  cette  explication  semble 
forcée  ;  car  les  événemens  qui  nous  arrivent  dans  l'âge  mûr 
font  sur  nous  des  impressions  plus  profondes  et  plus  dura- 
bles. Ce  phénomène  se  rattache  bien  plutôt  à  l'essence  du 
sommeil,  qui  est  de  nous  rapprocher  le  plus  possible  de  l'état 
primordial. 

D.  Effets  du  sommeil. 

§  605.  Le  sommeil  agit  d'une  manière  bienfaisante. 

1°  Il  fait  cesser  les  tensions  et  diminue  les  antagonismes. 
Ses  effets  sont  surtout  salutaires  dans  les  maladies ,  les  fièvres , 
les  inflammations ,  les  douleurs  et  les  spasmes.  Quand  il  man- 
que ,  la  sensibilité  devient  trop  exaltée  ;  lorsqu'il  dure  trop 
long-temps,  l'atonie,  la  bouffissure,  l'obésité,  la  pesanteur 
de  tête ,  la  mauvaise  humeur ,  la  paresse ,  l'émoussement  des 
sens  et  des  facultés  morales ,  l'insensibilité ,  en  sont  les  consé- 
quences. Un  trop  long  sommeil  est  surtout  dangereux  dans 

(1)  Esquirol,  Des  maladies  mentales,  Paris,  1838, 1. 1,  p.  159etsuiv, 

(2)  Loc,  cit.,  p.  258. 


d54  SOMMEIL. 

les  maladies  où  la  vie  manque  d'antagonismes  puissans ,  par 
conséquent  dans  les  cachexies  scrofuleuses  et  autres ,  dans 
les  ulcères  atoniques ,  l'hydropisie ,  la  tendance  à  la  gan- 
grène ,  etc. 

2°  Le  sommeil  répare  les  forces  perdues ,  non  par  le  repos 
qu'il  procure ,  mais  en  dirigeant  l'activité  vers  l'intérieur,  en 
rétablissant  l'équilibre  primordial  des  organes ,  en  diminuant 
la  consommation.  Après  avoir  dormi  toute  une  nuit ,  on  se 
trouve  plus  grand  de  près  d'un  pouce ,  parce  que  les  carti- 
lages intervertébraux  ,  débarrassés  du  poids  de  la  partie  su- 
périeure du  corps  qui  a  pesé  sur  eux  pendant  la  journée ,  se 
sont  dilatés  et  sont  rentrés  dans  les  conditions  de  leur 
conformation  primitive.  Pendant  la  veille  ,  les  forces  sont 
consommées  par  le  conflit  avec  le  monde  extérieur  ;  car 
l'activité  sensorielle  et  le  mouvement  sont  ce  qui  fixe 
l'homme  dans  la  réalité ,  mais  en  même  temps  ce  qui  dissipe 
et  épuise  ses  forces ,  et  la  spontanéité  individuelle  est  toujours 
une  scission  entre  telle^vie  donnée  et  la  vie  générale,  qui  met 
la  première  en  danger.  Pendant  le  sommeil ,  au  contraire ,  la 
vie  se  recueille ,  se  réunit  ;  elle  agit  plutôt  pour  conserver 
que  pour  détruire  ,  puisque  la  plasticité  elle-même  continue, 
sans  être  troublée  par  la  vie  animale.  Trop  peu  de  sommeil 
cause  la  lassitude ,  l'amaigrissement ,  la  vieillesse  prématurée  ; 
son  absence  totale  amène  la  fièvre  ,  le  délire  et  la  mort. 

3»  Le  sommeil  rétablit  la  normalité ,  c'est-à-dire  l'état  véri- 
tablement primordial.  La  plupart  des  crises  ont  lieu  pendant 
sa  durée,  ou  par  lui.  11  fait  rentrer  l'âme  en  elle-même,  en  la 
tirant  de  la  distraction  du  monde  ,  et  la  ramène  d'un  climat 
étranger  dans  celui  où  elle  a  pris  naissance.  Il  lui  fait  dépo- 
ser les  charges  de  la  réalité  ,  et  la  débarrasse  de  tous  les 
soucis,  comme  aussi  de  tous  les  avantages  que  lui  a  procurés 
le  hasard  de  la  personnalité.  Il  rétablit  parmi  les  hommes 
l'égalité  que  la  veille  avait  détruite.  »  Le  rêve ,  dit  Novalis , 
est  un  préservatif  contre  la  régularité  et  la  monotonie  de  la 
vie  ,  une  mise  en  liberté  de  l'imagination,  qui  entasse  pêle- 
mêle  toutes  les  images  de  la  vie  ,  et  tempère  le  sérieux  con- 
tinuel de  l'âge  adulte  par  les  jeux  amusans  de  l'enfance.  Sans 
les  rêves ,  nous  vieillirions  assurément  de  meilleure  heure  ;  et 


EFFETS  DE  tk  PÉRIODICITÉ  DIURNE.  235 

on  peut  les  considérer  sinon  comme  un  don  immédiat  de  la 
Providence  ,  du  moins  comme  un  joyeux  compagnon  associé 
par  elle  à  notre  pèlerinage  vers  la  tombe.  »  Le  sommeil  entre- 
tient la  gaîté  naturelle  :  celui  qui  ne  dort  point  assez  devient 
mélancolique. 

Le  soir  on  est  souvent  dans  Tindécision  sur  le  parti  qu'ondoit 
prendre  ,  parce  qu'on  épilogue  trop  ;  et  le  matin ,  au  réveil , 
on  a  des  résolutions  arrêtées ,  non  parce  qu'on  a  longuement 
réfléchi  pendant  la  nuit ,  mais  parce  que  l'individualité  et 
toutes  les  subtilités  dont  elle  aime  à  se  bercer  n'ont  point 
encore  eu  le  temps  de  troubler  la  manière  simple  et  naturelle 
dont  nous  envisageons  les  choses.  Nous  ne  nous  endormons 
pas  pour  tomber  dans  des  rêves  qui  portent  atteinte  à  la  vie 
éveillée ,  qui  détruisent  notre  spontanéité  et  notre  individua- 
lité ;  mais  nous  nous  plongeons  dans  la  source  de  la  vie ,  nous 
enfonçons  notre  moi  dans  le  sein  de  la  vitalité  générale,  pour 
renaître  à  la  vie  spontanée ,  rajeunis  en  quelque  sorte  et 
pleins  d'une  vigueur  nouvelle. 

4°  Quoique  les  rêves  ne  soient  point  un  exercice  spontané , 
ils  sont  cependant  toujours  un  exercice  des  facultés  de  l'âme  , 
de  sorte  que,  même  pendant  le  sommeil,  l'esprit  ne  continue 
pas  moins  de  marcher  vers  son  développement.  Peut-être 
même  devons-nous  plus  que  nous  ne  croyons  à  cette  vie  inté- 
rieure de  l'âme.  Ce  qu'on  a  appris  le  soir  ,  on  le  sait  mieux 
le  lendemain  matin ,  quoiqu'on  ait  rêvé  de  toute  autre  chose 
pendant  la  nuit  :  il  ne  s'est  imprimé  plus  profondément  dans 
notre  esprit  que  parce  qu'aucune  impression  extérieure 
nouvelle  n'est  venu  l'effacer. 

ARTICLE   ir. 

Des  effets  de  la  périodicité  diurne  sur  la  vie. 

§  606.  Pendant  que  les  phénomènes  dynamiques  de  lu- 
mière et  de  chaleur  auxquels  donnent  lieu  les  rapports  de 
notre  planète  avec  le  soleil,  font  une  révolution  simple,  et  at- 
teignent leur  maximum  vers  le  milieu  du  jour ,  leur  minimum 
vers  le  milieu  de  la  nuit ,  les  fluides  généraux  de  la  terre ,  la 
mer  et  l'atmosphère,  éprouvent,  dans  l'espace  de  vingt- 


236  EFFETS  DE  LA  PÉRloruClTÉ  DICHNE. 

quatre  heures ,  une  révolution  double ,  c'est-à-dire  que  deux 
fois  ils  s'élèvent  et  s'abaissent.  A  la  périodicité  simple  de  no- 
tre planète  correspond  l'alternative  du  sommeil  et  de  la  veille; 
à  la  double  périodocité  de,  la  mer  et  de  l'atmosphère  corres- 
pond également  une  double  alternative  dans  le  système  san- 
guin. Nous  pouvons  présumer  que  la  vie ,  considérée  dans  ses 
rapports  généraux  et  dans  ses  phénomènes  dynamiques,  ré- 
pond à  l'antagonisme  simple  du  jour  et  de  la  nuit,  tandis  que 
la  vie  plastique  ou  partielle  et  l'état  des  liquides  marchent 
parallèlement  aux  phases  des  quatre  périodes  de  la  journée. 
Cependant  le  nombre  des  faits  recueillis  à  l'égard  de  cette 
périodicité  n'est  point  encore  suffisant  pour  autoriser  à  ad- 
mettre ou  à  rejeter  une  telle  hypothèse  ;  et  un  jugement  à 
vol  d'oiseau  ne  peut  avoir  aucune  portée  en  pareille  oc- 
curence.  Nous  devons  donc  nous  borner  à  tracer  le  tableau 
des  faits  connus. 

I.  A  l'égard  des  phénomènes  que  présentent  les  fluides  gé- 
néraux de  la  terre,  la  mer  se  meut  toutes  les  six  heures  dans 
une  direction  inverse  par  rapport  à  la  terre  ferme,  puisque  le 
flux  et  le  reflux  ont  lieu  chacun  deux  fois  dans  l'espace  de  vingt- 
quatre  heures  cinquante  minutes.  Quelque  chose  d'analogue 
a  lieu  dans  le  magnétisme ,  ainsi  que  dans  l'électricité  et  dans 
la  pesanteur  de  l'atmosphère.  C'est  le  matin,  de  huit  à  neuf 
heures  environ,  que  l'aiguille  aimantée  décline  le  plus  vers 
l'est ,  et  de  deux  à  trois  heures  après  midi  à  peu  près,  qu'elle 
se  dirige  le  plus  vers  l'ouest  ;  le  soir,  de  huit  à  neuf  heures  , 
elle  se  porte  un  peu  à  l'est ,  et  la  nuit ,  vers  deux  heures  en- 
viron, un  peu  à  l'ouest.  L'électricité  atmosphérique  augmente 
avant  le  coucher  du  soleil  et  pendant  quelques  heures  après  , 
diminue  depuis  midi  jusqu'à  deux  heures  avant  le  coucher  du 
soleil ,  remonte  le  soir  jusqu'à  deux  heures  après  le  coucher 
de  cet  astre ,  et  baisse  de  nouveau  pendant  la  nuit.  Le  baro- 
mètre monte  le  matin  (à  peu  près  jusqu'à  huit  heures),  baisse 
dans  le  miheu  du  jour  (jusqu'à  quatre  heures  environ),  monte 
le  soir  (à  peu  près  jusqu'à  dix  heures),  et  baisse  la  nuit.  Le 
malin  et  le  soir ,  il  tombe  de  la  rosée  ;  c'est  à  midi  que  l'air 
est  le  plus  sec  ;  il  l'est  moins  pendant  la  nuit. 

IL  Nous  voyons,  chez  les  végétaux,  que  certaines  fleurs, 


EFFETS  DE  LA  PÉRIODICITÉ  DIURNE.  23^ 

qui  se  sont  épanouies  le  matin,  se  ferment  à  midi ,  pour  s'ou- 
vrir de  nouveau  vers  le  soir ,  quand  la  lumière  devient  moins 
vive ,  et  se  closent  à  l'entrée  de  la  nuit(l).  Suivant  Sigwart , 
les  feuilles  de  la  Sensitive  ne  présentent  que  la  périodicité  du 
jour  et  de  la  nuit ,  tandis  que  les  pétioles  offrent  celle  des 
quatre  époques  de  la  journée ,  attendu  qu  ils  s'abaissent  le 
matin  (au  réveil  des  feuilles),  se  dressent  à  midi,  s'abaissent  le 
soir,  et  s'élèvent  dans  la  nuit  (pendant  le  sommeil  le  plus 
profond  des  feuilles).  Meyer  (2)  a  observé  que  les  céréales 
croissent  plus  rapidement  le  jour  que  la  nuit;  mais  il  a  cru 
remarquer  aussi  chez  elles  trois  alternatives,  dont  l'effet  serait 
tel  que  Taccroissement  marcherait  un  peu  plus  vite  le  matin  , 
de  huit  heures  à  dix ,  se  ralentirait  depuis  dix  heures  jusqu'à 
midi ,  serait  plus  rapide  qu'à  toute  autre  époque  depuis  midi 
jusqu'à  quatre  heures ,  se  ralentirait  depuis  quatre  heures 
jusqu'à  six ,  s'accélérerait  depuis  six  heures  jusqu'à  la  nuit , 
et  deviendrait  plus  lent  pendant  la  nuit. 

III.  A  l'égard  des  phénomènes  de  la  vie  chez  l'homme ,  le 
type  en  est  singulièrement  modifié  par  la  vie  morale ,  le  tem- 
pérament ,  la  volonté  et  le  régime ,  qui  en  rendent  la  con- 
naissance fort  difficile.  Ce  qu'on  a  dit  sur  les  formes  de  ma 
ladies  qui  se  manifestent  de  préférence  à  telle  ou  telle  épo- 
que de  la  journée ,  est  souvent  fort  peu  propre  à  satisfaire , 
la  même  forme  se  représentant  dans  des  états  morbides  essen- 
tiellement diftérens  les  uns  des  autres.  Certaines  formes  de 
maladie,  par  exemple  l'hémicrânie ,  ne  se  voient  chez  les 
uns  que  pendant  la  nuit,  et  chez  d'autres  que  durant  la  jour- 
née.D'ailleurs,  les  observateurs  n'ont  généralement  pointélabli 
de  distinction  assez  nette  entre  les  époques  de  la  journée  :  par 
exemple,  ils  comprennent  dans  la  nuit  le  crépuscule  et  l'aurore. 

1"  C'est  pendant  la  nuit  que  la  respiration  est  le  plus  tran- 
quille ,  et  vers  minuit ,  suivant  Knox  ,  que  les  battemens  du 
pouls  sont  le  plus  rares.  Testa  assure  que  le  pouls  offre  environ 
un  cinquième  de  moins  de  pulsations  pendant  le°  sommeil  que 

(1)  H.Dutrochet,  Mém.  pour  servir  à  l'hist.  anat.  etphys.  des  végétaux 
et  des  animaux  ,  Paris  ,  1837 ,  t.  I,  p.  469  et  suiv.     j 

(2)  Biblloth.  univ.  de  Genève,  1829,  p.  128. 


238  EFFETS  DE  LA  PÉRIODICITÉ    DIURNE. 

pendantjla  veille.  Hamberger  rapporte  que,  chez  un  garçon 
de  huit  ans ,  le  pouls  tomba  de  cent  pulsations  à  quatre-vingt- 
neuf,  et  chez  un  autre  de  quatorze  ans,  de  quatre-vingt-deux 
à  soixante-deux ,  pendant  le  sommeil.  Selon  Martin  ,  il  des- 
cendit de  soixante-dix  à  soixante  chez  un  adulte.  Les  in- 
flammations sthéniques  s'apaisent  pendant  la  nuit,  tandis  que 
les  phlegmasies  asthéniques  et  les  fièvres  de  mauvais  carac- 
tère s'aggravent  (1).  La  vie  du  sang  augmente  vers  le  matin  ; 
d'après  les  observations  de  Double  et  de  Brandis  (2) ,  le  pouls 
devient  plus  plein  ,  plus  grand  et  plus  fort.  Knox  prétend  (3) 
que  sa  vitesse  augmente  vers  trois  heures  du  matin  ,  qu'on  ait 
dormi  ou  non  ;  lorsqu'on  a  veillé  toute  la  nuit ,  c'est  à  cette 
heure  qu'on  se  trouve  le  plus  échauffé  ;  les  exacerbations  de 
la  fièvre  hectique  et  du  typhus,  et  les  hémorrhagies ,  notam- 
ment le   crachement  de  sang  et  le  flux  hémorrhoïdal ,  ont 
lieu  aussi  à  cette  époque;  les  accès  de  la  goutte  se  déclarent 
la  plupart  du  temps  vers  deux  ou  trois  heures  ;  les  blennor- 
rhées  inflammatoires  ne  sont  jamais  plus  douloureuses  qu'a- 
lors; c'est  aussi  à  ce  moment ,  suivant  Testa,  que  la  mort  ar- 
rive le  plus  souvent  dans  les  fièvres  inflammatoires  et  les 
suppurations  internes.  A  la  naissance  du  jour,  la  circulation 
se  calme ,  le  pouls  devient  plus  lent  et  plus  fort,  les  maladies 
fébriles  et  inflammatoires  éprouvent  une  rémission  ,  les  ago- 
nisans  reviennent  à  eux.  A  mesure  que  le  soleil  monte  sur 
l'horizon ,  la  vitesse  du  pouls  augmente  peu  à  peu ,  et  les 
fièvres  continues  s'aggravent.  Vers  le  soir  a  lieu  le  second 
flux  du  sang  -,  le  pouls  redevient  plus  vite  et  un  peu  dur  ;  si 
l'on  comptait  soixante-cinq  à  soixante-dix  pulsations  par  mi- 
nute ,  le  matin ,  il  y  en  a  maintenant  soixante-quinze  à  quatre- 
vingt  ,  au  dire  d'Autenrielh  (4).  En  disant  qu'il  se  ralentit , 
Knox  a  peut-être  voulu  parler  du  pouls  de  la  nuit  (5).  Il  a 
fallu  une  grande  tempérance  pour  que  C.  Reil  (6)  parvînt  à  le 

(4)  Dictionn.  des  se.  médic,  t.  XXXVI,  p.  493. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  552. 

(3)  Deutsches  ArcMv ,  t.  II,  p.  89. 

(4)  Handhvch  der Physiologie,  1. 1,  p.  209. 

(5)  Loc.  cit.,  t.  II,  p.  85. 

(6)  Ibid.,  t.  VII,  p.  393. 


EFFETS  DE  Lk  PÉRIODICITÉ  DIURNE.  sSg 

rendre  moins  rapide  qu'il  ne  l'était  le  matin.  Suivant  Robin- 
son  ,  sa  moindre  fréquence  (soixante-cinq  ou  soixante-six  pul- 
sations) se  voit  vers  huit  heures  du  matin  ,  et  sa  plus  grande 
(  soixante-dix-sept  à  quatre-vingt-quatre  pulsations  )  vers 
quatre  à  six  heures  du  soir.  La  première  s'observe  à  huit 
heures  du  matin  (soixante-dix  pulsations),  selon  Pélissier,  et 
la  seconde  (quatre-vingt-une  pulsations)  à  quatre  heures  après 
midi.  Les  inflammations  et  la  plupart  des  fièvres  présentent 
des  exacerbations  le  soir  :  c'est  ce  qui  arrive  surtout  à  la  fièvre 
inflammatoire  et  aux  phlegmasies  du  poumon  ;  mais  on  ob- 
serve aussi  ce  phénomène  dans  la  synoque  et  la  fièvre  hec- 
tique ,  la  goulte  et  le  rhumatisme.  La  menstruation  se  mani- 
feste presque  toujours  à  ce  moment  de  la  journée  ,  ainsi  que 
les  accidens  déterminés  par  les  hémorrhoides.  Les  symptômes 
de  pléthore  qui  ne  sont  relatifs  qu'à  la  paresse  de  la  circula- 
tion ,  se  font  alors  sentir  avec  moins  d'intensité. 

2"  Pendant  le  sommeil  de  la  nuit ,  la  production  de  cha- 
leur est  moins  considérable ,  la  température  ordinairement 
inférieure  de  plus  d'un  d^mi-degré  de  l'échelle  réaumu- 
rienne ,  le  besoin  d'être  chaudement  couvert  généralement 
senti ,  et ,  chez  la  plupart  des  hommes ,  la  faculté  de  mainte- 
nir sa  propre  température  diminue  (1).  Non  seulement  on  est 
plus  exposé  aux  refroidissemens  et  aux  rhumatismes ,  ainsi 
qu'à  la  congélation,  mais  encore  la  chaleur  extérieure  échauf- 
fe davantage  ,  et  cause  la  rougeur  de  la  face,  sa  bouffissure  , 
la  pesanteur  de  tête ,  la  paresse.  La  production  de  chaleur 
augmente  dans  la  matinée ,  et  devient  plus  considérable  en- 
core vers  le  soir,  jusqu'à  ce  qu'elle  diminue  au  moment  oîi 
l'envie  de  dormir  se  fait  sentir. 

3"  D'après  les  observations  de  Martin ,  la  turgescence 
diminue  pendant  la  nuit  ,  mais  reprend  vers  le  matin. 
Le  pourtour  de  la  poitrine  était  moins  considérable  que 
pendant  la  veille ,  de  deux  trente-cinquièmes  après  deux 
heures  de  sommeil ,  de  trois  environ  après  quatre ,  et  d'un 
seulement  après  six  ;  celle  de  la  main  de  deux  trente- 
sixièmes  au  bout  de  deux  heures  ,  de  trois  au  bout  de  qua- 

(4)  Brandis  ,  loc.  cit.,  p.  549. 


240  EFFETS  DE  lA  PÉRIODICITÉ  DIURNE. 

ire,  et  de  deux  seulement  au  bout  de  six  ;  celle  du  ventre 
et  du  pied  d'un  trente-deuxième  à  un  trente-quatrième  après 
quatre  heures  ,  et  semblable  à  celle  de  la  veille  au  bout  de 
six  heures.  Martin  a  reconnu ,  par  de  nombreuses  mesures  , 
que  la  poitrine  se  rétrécissait  d'environ  huit  lignes  pendant  la 
nuit ,  après  un  sommeil  tranquille ,  mais  qu'après  une  nuit 
passée  à  veiller,  le  ventre  était  plus  large  de  cinq  lignes  et  la 
poitrine  de  dix,  qu'ils  ne  l'étaient  pendant  la  soirée.  Il  est  fa- 
cile à  chacun  de  juger  d'après  ses  propres  vêtemens  que  la 
turgescence  est  plus  considérable  le  soir  que  le  matin. 

4°  Pendant  le  sommeil  nocturne  la  plasticité  prédomine,  en 
ce  sens  qu'elle  est  moins  déterminée  par  la  vie  animale  et  que 
ses  différentes  directions  se  font  équilibre  l'une  à  l'autre.  Mais 
elle  a  moins  d'énergie ,  les  matériaux  se  renouvellent  avec 
plus  de  lenteur ,  la  consommation  et  la  décomposition  sont 
moins  considérables.  Le  sommeil  éteint  le  besoin  de  prendre 
des  alimens ,  et  l'on  engraisse  lorsqu'on  dort  beaucoup.  Dans 
les  maladies  putrides,  la  gangrène,  le  scorbut,  la  syphilis,  etc., 
la  décomposition  augmente  pendant  la  nuit  ;  mais  les  crises 
que  le  sommeil  lui-même  n'amène  pas ,  sont  en  quelque  sorte 
préparées  par  cet  équilibre  ;  car  elles  ont  lieu  vers  le  matin , 
quand  la  vie  du  sang  s'exalte  de  nouveau. 

5°  Les  sécrétions  suivent,  en  général ,  le  type  de  la  vie  du 
sang.  Elles  sont  moins  abondante  pendant  la  nuit,  et  augmentent 
vers  le  matin.  Les  excrétions  colliquatives,  telles  que  la  sueur 
dans  l'étisie,  l'urine  dans  le  diabète,  la  sérosité  dans  l'hydro- 
pisie ,  deviennent  plus  copieuses  à  cette  époque,  et  diminuent 
jusqu'à  un  certain  point  chez  les  sujets  qui  prennent  moins  de 
sommeil  (1).  C'est  pendant  la  nuit  que  la  transpiration  est  le 
moins  abondante.  G.  Stark  et  G.  Reil  (2)  l'évaluent,  terme 
moyen ,  à  une  once  par  heure  de  nuit ,  et  à  une  once  sept 
gros  par  heure  de  la  journée ,  ce  qui  donne  la  proportion  de 
\  :  1,87.  Cette  proportion  a  été,  pendant  l'année  entière  ,  de 
1  :  4,54,  selon  Keill  (3)  et  Lining(4),  et  de  1  :  30,  d'après 

(1)  Brandis,  loc.  cit.,  p.  554. 

(2)  Deutsches  Jrchiv,  t.  VII,  p.  359, 
(3)/àii.,p.  362. 

(4)  Jbid.,  p.  376. 


EFFETS  DE  lA  PÉRIODICITÉ  DIURNE.  24 1 

Martin.  C.  Reil  (1)  assure  qu'elle  ne  varie  pas ,  soit  qu'on 
dorme  ou  qu'on  veille ,  et  que  même  la  différence  du  genre  de 
vie,  la  diversité  des  influences  extérieures ,  ne  l'altèrent  point 
d'une  manière  sensible.  Mais  la  transpiration  arrive  à  son  mi- 
nimum vers  minuit.  Elle  augmente  aussi ,  indépendamment  de 
la  veille ,  dans  la  matinée,  presque  toujours  vers  sept  heures, 
et  atteint  son  maximum  avant  midi ,  époque  de  la  journée  à 
laquelle  elle  est  deux  ou  trois  fois  plus  considérable  qu'après 
midi.  Ensuite  elle  va  un  peu  en  diminuant ,  s'accroît  de  nou- 
veau pendant  le  flux  du  sang  vers  le  soir  (2) ,  et  baisse  enfin 
aux  approches  de  la  nuit. 

La  sécrétion  urinaire  semble  suivre  la  même  loi.  La  quan- 
tité d'urine  rendue  pendant  la  nuit ,  comparée  à  celle  qui  se 
produit  durant  le  même  laps  de  temps  pendant  la  journée , 
est,  terme  moyen,  pour  toute  l'année,  de  1:1,20,  selon 
Keill  (3),  et  de  1  : 1,07  suivant  Lining  (4). 

Il  ne  se  produit  pas  de  mucosités  dans  les  voies  aériennes 
pendant  la  nuit,  mais  cette  sécrétion  devient  plus  abondante 
vers  le  matin.  C'est  aussi  à  cette  dernière  époque  que  les 
exanthèmes  couvrent  le  plus  copieusement  la  peau. 

Les  sécrétions  changent  également  de  qualité,  et  surtout  se 
concentrent  pendant  la  matinée.  Suivant  Schubler  (5),  c'est  le 
lait  du  matin  qui  donne  le  plus  de  beurre ,  et  celui  de  midi 
qui  en  fournit  le  moins  ;  on  n'en  obtient  qu'une  médiocre 
quantité  du  lait  de  la  soirée.  Gaertner  (6)  dit  que  l'urine  du 
matin  est  plus  saturée,  qu'elle  forme  un  sédiment  plus  abon- 
dant ,  qu'elle  contient  plus  d'acide  et  de  sels  calcaires ,  tan- 
dis que  les  veilles  nocturnes  la  rendent  plus  rouge ,  mais  plus 
pauvre  en  matières  sédimenteuses.  Le  mucus  expectoré  est 
également  plus  épais  et  plus  visqueux  le  matin.  De  même,  le 
linge  de  nuit  se  salit  davantage  que  celui  de  jour.  L'air  des 

(1)  Ibid.,  p.  363. 
(2;  Ibid.,  p.  368. 

(3)  iiid.,  p.  362. 

(4)  Ibid.,  p.  376.  —  Comparez  P,  Rayer,  Traité  des  maladies  des  [rein 
et  des  altérations  de  la  sécrétion  urinaire,  Paris,  1839,  t.  I^  p.  63. 

(5)  Deutsches  Jrchiv.,  t.  IV,  p.  563 

(6)  Reil ,  ydrchi-v ,  t.  Il ,  p.  483. 

V.  i6 


â-^5  EFFETS  DE  LA  PÉRIODICITÉ  DIURNE, 

chambres  dans  lesquelles  on  a  couché  est  plus  altéré  le  matin, 
et  plus  chargé  de  matières  anunales,  que  celui  des  chambres 
qu'on  habile  pendant  la  journée.  Il  est  probable  que  celte 
eoncentraiion  s'opère  particulièrement  dans  la  matinée. 

6°  A  l'égard  de  la  réceptivité  pour  les  impressions  du  dehors, 
soit  absolues,  soit  relatives ,  elle  est  plus  faible  pendant  la 
nuit  qu'à  toute  autre  époque  de  la  journée.  Les  purgatifs 
agissent  moins  alors  ;  la  toux ,  les  douleurs  causées  par  la 
pierre,  etc.,  diminuent.  Cependant  l'action  des  substances  nui- 
sibles est  plus  dangereuse  en  ce  moment  ;  les  émanations  des 
fleurs  et  les  vapeurs  du  charbon  portent  plus  rapidement  à  la 
tête,  on  est  plus  accessible  à  l'influence  des  marais ,  de  tous 
les  airs  corrompus  et  des  diverses  causes  de  contagion  (1) , 
non  parce  que  l'absorption  devient  plus  abondante^  mais 
parce  que  la  force  de  résistance  diminue.  Vers  le  matin,  l'ir- 
ritabilité augmente  ;  les  liquides  accumulés ,  qui  n'avaient 
causé  aucune  irritation  pendant  la  nuit,  en  opèrent  une  main- 
tenant, et  déterminent  la  toux,  l'éternuement ,  l'envie  d'uri- 
ner ;  l'absorption  est  plus  active ,  et  s'il  est  vrai  que  le  pus 
soit  résorbé  en  plus  grande  quantité  pendant  le  sommeil  (2) , 
ce  doit  être  surtout  durant  celui  qui  a  lieu  le  malin.  Des  ma- 
lades chez  lesquels  les  frictions  mercurielles  faites  le  soir 
avaient  produit  peu  d'effet ,  guérirent  lorsqu'on  eut  recours  à 
ce  moyen  dans  la  matinée.  Cette  époque  de  la  journée  est 
celle  durant  laquelle  toutes  les  frictions,  quelles  qu'elles  soient, 
agissent  avec  le  plus  d'efficacité  (3)  ;  on  y  contracte  plus  aisé- 
ment toutes  sorîes  de  contagions  et  d'infections  5  les  pur- 
gatifs et  vomitifs  à  petites  doses  manifestent  une  action  plus 
puissante  ;  les  eaux  minérales  et  tous  les  médicamens  qu'on 
administre  pour  produire  une  métamorphose  durable  dans 
des  maladies  chroniques,  ont  plus  de  succès;  le  pouls  s'accé- 
lère plus  facilement  sous  l'influence  des  causes  du  dehors  (4)  ; 

(4)  Brandis  ,  loc,  cit.,  p.  551. 
.    (2)  ièid.,  p.  544. 

(3)Cruikshank,dans5£e»îî»te^  auserlesenef  Mliandlungen ,  t,  "Vïl, 
p,  18, 

(4)  Knox ,  dans  Deutsches  ArcUv^  t.  U^  p.  87, 


EFFETS   DE    tA   PÉRIODICITÉ    DIURNE.  2t{% 

un  sujet  atteint  de  cyanose  éprouvait  alors  des  accès  de  suf- 
focation ,  auxquels  il  n'était  pas  sujet  le  soîr  ;  enfin  Desfon- 
taines, TJslar  et  autres  ont  reconnu  que  les  plantes  jouissent 
d'une  plus  grande  irritabilité  le  matin.  La  réceptivité  pour  les 
impressions  extérieures  diminue  pendant  le  cours  de  la  jour- 
née ;  les  boissons  fortes  enivrent  moins  le  soir  que  le  matin  , 
et  le  pouls  est  moins  sujet  à  varier,  car,  suivant  les  remarques 
deKnox,  il  s'accélère,  au  moment  du  lever,  de  vingt  pulsations 
par  minute ,  à  midi  de  treize,  et  le  soir  de  six  seulement  (1). 
7°  Walaeus  a  reconnu  que  la  digestion  marche  avec  plus  de 
lenteur  pendant  la  nuit ,  et  que  les  alimens  pris  immédiate- 
ment avant  de  se  coucher  agissent  comme  un  corps  étranger 
qui  trouble  le  sommeil.  Le  matin,  l'irritabilité  des  organes 
digestifs  est  plus  considérable,  il  suffit  d'une  cause  légère 
pour  la  troubler,  et  les  désordres  qui  datent  des  jours  pré- 
cédens ,  comme  l'amertume  de  la  bouche  ,  les  nausées ,  le 
vomissement ,  le  soda ,  le  spasme  d'estomac ,  la  colique  et  la 
diarrhée,  se  manifestent  alors  avec  plus  d'intensité. 

8°   La  respiration  est  plus  faible  pendant  le  sommeil  ;  le 
mouvement  respiratoire  est  plus  rare,  et  sa  fréquence  tombe, 
par  exemple  ,  de  vingt  inspirations  à  quinze  par  minute.  La 
cage  thoracique  se  soulève  davantage,  mais  uniquement  parce 
<îue  le  diaphragme  ne  descend  point  si  bas  ;  on  expire  moins 
d'acide  carbonique  (2) ,  et  il  s'accumule  davantage  de  mu- 
cosités dans  les  poumons.  Suivant  Testa  ,  les  accès  de  suffo- 
cation qui  accompagnent  l'hydropisie  de  poitrine  prennent 
plus  d'intensiîé  pendant  la  nuit.  Cependant  il  y  a  quelques 
maladies  de  poumons  dans  lesquelles  les  accidens  diminuent 
;parce  que  ces  organes  se  distendent  moins.  C'est  de  dix  heu- 
res du  malin  à  deux  heures  après  midi  qu'on  expire  le  plus 
"  4'acide  carbonique,  au  dire  de  Prout ,  et  c'est  pendant  le  flux 
du  sang,  vers  le  soir,  que  la  cyanopathie  déploie  de  préfé- 
rence ses  accès  (3). 
9°  Le  matin  plaît  aux  gens  sobres ,  tranquilles ,  laborieux; 

(1)  Deutsches  Archiv,  t.  II,  p.  94. 

(2)  Pioiit,  dans  Deutsches  Archiv,  t.  II,  p.  145. 
(3i  Dentsches  Archiv,  t,  I,  p.  274. 


^14  EFFETS   DE    LA    PÉRIODICITÉ    DIURNE.' 

les  sens  jouissent  de  toute  leur  perfection ,  l'esprit  est  re- 
cueilli, calme  et  lucide,  les  focultés  intellectuelles  sont  ou- 
vertes à  l'observation  et  aux  méditations  sérieuses ,  elles  sup- 
portent sans  fatigue  un  travail  prolongé.  A  mesure  que  le 
jour  avance ,  l'âme  se  sent  plus  disposée  à  agir  en  dehors , 
et  l'activité  de  l'esprit ,  s'éparpillani  sur  un  plus  grand  nom- 
bre de  sujets  ,  s'applique  mieux  aux  affaires  de  la  vie  réelle. 
Vers  le  soir,  le  bouillonnement  du  sang  ranime  le  sfentiment 
et  l'imagination  ;  ouest  plus  distrait  que  le  matin,  on  éprouve 
une  sorte  de  besoin  de  secouer  ses  chaînes  habituelles; 
les  traits  heurtés  sous  lesquels  la  lumière  du  jour  nous  faisait 
apercevoir  la  réalité ,  s'adoucissent  et  se  fondent  à  la  lueur 
incertaine  du  crépuscule ,  les  sens  externes  reçoivent  moins 
du  dehors  ,  la  faculté  créatrice  passe  au  service  du  sens  in- 
terne ,  et  l'imagination  enfante  ce  qui  doit  être  mûri  dans  la 
matinée  suivante;  l'esprit  tourne  à  la  poésie,  les  affections 
deviennent  plus  vives ,  les  désirs  prennent  une  teinte  plus 
passionnée  ;  la  convoitise  s'allume  ,  l'amour  s'exalie,  et  l'hy- 
pochondriaque  ou  le  mélancolique  s'enfonce  plus  avant  dans 
sa  tristesse.  La  nuit  ramène  le  sentiment  de  l'isolement,  et 
affaiblit  l'énergie  de  la  vie  ;  mais,  au  milieu  du  calme  qu'elle 
amène ,  l'œil  plonge  dans  Timmensilé  des  mondes ,  et  l'âme 
se  trouve  entraînée  vers  les  idées  religieuses  :  d'un  autre 
côté,  l'alourdissement,  joint  à  la  prévision  vague  d'un  état 
supérieur  à  celui  de  la  nature ,  dispose  à  croire  aux  fantômes 
et    aux  apparitions. 

10°  L'instinct  génital  s'éveille  pendant  les  deux  flux  de  la 
vie  du  sang  ;  le  matin ,  sous  l'influence  surtout  d'une  cause 
matérielle ,  qui  amène  des  pollutions ,  le  soir,  sous  celle  de 
l'exaltation  qu'ont  acquise  le  sentiment  et  l'imagination. 

41°  Quetelet  a  indiqué  l'époque  de  la  journée  pour  deux 
mille  six  cent  quatre-vingts  naissances  dans  une  maison  d'ac- 
couchemens  de  Bruxelles  (1),  et  Buek  pour  neuf  cent  trente- 
et-une  relatives  à  la  ville  de  Hambourg  (2).  D'après  ces  do- 
cumens ,  sur  mille  naissances,  il  y  en  a  eu  : 

(1)  Nouv.  mémoires  de  î'Acad.  de  Bruxelles ,  t.  IV,  p.  139, 

(2)  Gerson ,  Magazin ,  t,  XVII  ,  p.  34j^. 


EFFETS   t>E    Ik   PÉRIODICITÉ    DIURNE.  2l\^ 

A  Bruxelles.     A  Hambourg. 

Dans  la  journée  ,  de  neuf  à  trois  heures  221  205 

Le  soir,  de  irois  à  neuf  heures  240  d85 

La  nuit ,  de  neuf  à  trois  heures  294  3^8 

Le  matin ,  de  trois  à  neuf  heures  245  292 

Ainsi  la  plus  grande  fréquence  a  eu  lieu ,  dans  les  deux 
villes ,  pendant  la  nuit ,  et  ensuite  le  matin  ;  la  moindre  fré- 
quence a  été  observée  dans  la  fournée  à  Bruxelles  et  le  soir 
à  Hambourg.  DéjàOsiander  avait  remarqué  (1)  que  la  plupart 
des  accouchemens  commencent  aux  approches  de  la  nuit  et 
se  terminent  vers  le  matin ,  de  sorte  qu'ils  correspondent  aux 
deux  périodes  d'exaltation  de  la  vie  du  sang ,  et  que  leur 
commencement  coïncide  avec  Texacerbation  des  fièvres  dans 
la  soirée,  et  leur  fin,  au  contraire,  avec  la  crise  qui  s'opère 
le  matin  (2).  En  effet,  le  plus  grand  nombre  des  naissances 
s'effectuent  pendant  les  trois  heures  qui  suivent  minuit  ;  sur 
294  accouchemens  nocturnes ,  à  Bruxelles ,  128  eurent  lieu 
durant  les  trois  heures  qui  précèdent  minuit ,  et  166  de  minuit 
à  trois  heures  du  malin ,  de  même  que ,  sur  les  318  de  Ham- 
bourg ,  148  s'opérèrent  de  neuf  heures  à  minuit  et  170  de  mi- 
nuit à  trois  heures.  C'est  à  midi  et  à  minuit  qu'il  est  le  plus 
rare  d'en  voir  ;  tandis  qu'à  Bruxelles  le  terme  moyen  des 
naissances  était  de  cent  onze  par  heure  ,  il  n'y  en  avait  que 
quarante-huit  de  onze  heures  à  midi,  et  quatre  seulement  de 
onze  heures  à  minuit ,  à  moins  que  quelque  préjugé  n'ait  porté 
les  habitans  à  retarder  ou  avancer  leur  déclaration  quant 
aux  naissances  survenues  pendant  ces  deux  heures.  A  Ham- 
bourg ,  nous  trouvons  cent  seize  naissances  pour  chaque  laps 
de  temps  de  trois  heures  ;  mais ,  depuis  neuf  heures  jusqu'à 
midi,  leur  nombre  ne  s'élève  qu'à  quatre-vingt-dix. 

Sur  deux  cents  naissances  oïjservées  par  Garus  (3),  quatre- 
vingt-quatre  eurent  lieu  le  jour  et  cent  seize  la  nuit.  On  ne 
peut  guère  admettre  ici  une  relation  quelconque  avec  le  mo- 


(d)  Handbuch  der  Enihindungskunst ,1^.  II,  p.  47. 

(2)  Gerson,  Magasin  ,  t.  XVII,  p.  356. 

(3)  Lelirhucli  der  Gynœkologie  ,  t.  II,  p.  428. 


2^Q  EFFETS    DE    LA    PÉRIODICITÉ    DIURNE. 

ment  de  la  fécondation  (1)  ;  Schweighseuser  (2)  prétend  que 
l'époque  de  la  parturition  coïncide  avec  la  fin  de  la  digestion 
du  repas  principal ,  en  sorte  que,  pour  les  femmes  dînant  à 
midi ,  il  a  lieu  entre  onze  heures  du  soir  et  trois  heures  du  ma- 
tin ,  mais  que  ,  pour  celles  qui  prennent  leur  dîner  à  quatre 
ou  cinq  heures,  il  s'effectue  entre  cinq  et  dix  heures  du  ma- 
tin ;  cette  opinion  paraît  peu  probable  à  quiconque  prend  en 
considération  les  autres  phéitomènes  de  la  périodicité. 

Du  reste  ,  nous  ferons  encore  remarquer  que ,  sur  ks  deux 
mille  six  cent  quatre-vingts  enfans  nés  à  Bruxelles,  deux  cent 
dix-neuf  vinrent  au  monde  morts,  savoir  cent  vingt-cinq  parmi 
les  douze  cent  quarante  qui  naquirent  de  neuf  heures  du  ma- 
tin à  neuf  heures  du  soir ,  et  quatre-vingt-quatorze  seuiement 
parmi  ceux  qui  naquirent  de  neuf  heures  du  soir  à  neuf  heures 
du  matin,  de  sorte  que  ce  ne  sont  pas  seulement  les  plus 
nombreux  accouchemens  en  général ,  mais  encore  le  plus 
grand  nombre  d'accouchemens  heureux,  qui  ont  lieu  pendant 
la  nuit  et  dans  la  matinée. 

42"  La  mort  se  rattache  moins  à  une  époque  déterminée  de 
la  journée ,  parce  qu'elle  peut-être  le  résultat  d'une  foule  de 
maladies.  De  dix-neuf  cent  cinquante-huit  malades  à  Ham- 
bourg, dont  Buek  a  fait  connaître  le  moment  de  la  mort,  la 
plupart  succombèrent  pendant  la  nuit ,  tandis  que  ,  de  cinq 
mille  deux  cent  cinquante  malades  à  Bruxelles ,  et  trois  cent 
deux  à  l'hôpital  militaire  de  Paris ,  la  plupart  rendirent  le 
dernier  soupir  dans  la  journée.  Les  renseignemens  fournis 
par  Quetelet  et  Buek  s'accordent  quant  aux  nombres  des  ma- 
lade morts  (  sur  mille  )  à  certaines  périodes  du  jour ,  savoir  • 

A  Bruxelles.  A  Hambourg. 

De  neuf  heures  du  soir  à  minuit  91  118 

De  six  heures  du  soir  à  neuf 
De  six  heures  du  matin  à  neuf 
De  trois  heures  du  matin  à  six 
De  minuit  à  trois  heures 


(l)iDictionn.  des  Se.  médic.,  t.  XXVI,  p.  493. 

(2)  Vas  Gehaeliren  nach  der  beohachteten  J\atur,  p.  139. 


114 

123 

128 

129 

131 

148 

135 

157 

EFFETS   DE   EA   PÉRIODICITÉ   DIURNE.  24^ 

Mais  c'est  depuis  midi  jusqu'à  la  troisième  heures  qu'il  en 
mourut  à  peu  près  le  plus  à  Bruxelles  (  cent  trente-cinq  ) ,  et 
le  moins ,  au  contraire,  à  Hambourg  (  cent  quatre  seulement). 
De  trois  heures  après  midi  à  six  heures,  il  en  périt  peu  à 
Hambourg  (  cent  neuf),  et  beaucoup  à  Bruxelles  (  cent  qua- 
rante-trois). De  neuf  heures  du  matin  à  midi,  le  nombre  des 
morts  ne  fut  considérable ,  ni  à  Bruxelles  (  cent  vingt-irois  ), 
Bi  à  Hambourg  (  cent  douze  ),  Ce  qu'il  y  a  donc  de  certain  , 
en  général,  c'est  que,  sinon  la  majorité,  du  moins  la  presque 
majorité  des  morts  ont  lieu  après  minuit  et  de  grand  malin , 
par  conséquent  à  l'époque  des  crises  et  du  plus  grand  nombre 
des  naissances.  Buek  fait  remarquer  qu'à  Hambourg  le  reflux 
dure  sept  heures  trois  quarts  et  le  flux  quatre  heures  et  un 
quart,  de  sorte  que,  sur  mille  cas  de  mort,  six  cent  qua- 
rante-six auraient  dû  arriver  pendant  le  reflux  et  trois  cent 
cinquante-quatre  pendant  le  flux,  mais  qu'il  y  en  eut  six  cent 
soixante-dix-neuf  pendant  le  reflux  et  trois  cent  vingt-deux 
seulement  pendant  le  flux.  Il  ajoute  encore  que,  dans  le  ma- 
rasme, l'hydropisie ,  l'asthme  et  la  phthisie  pulmonaire  ,  la 
température  peut  influer  aussi  sur  l'heure  de  la  mort,  puisque, 
sur  cent  cinquante  phthisiques,  le  plus  grand  nombre  (  trente- 
six  )  périrent  de  trois  à  six  heures  du  matin ,  que  les  morts 
diminuèrent  ensuite  d'heure  en  heure ,  que  les  périodes  de 
trois  à  six  heures  après  midi  et  de  six  à  neuf  heures  du  soir 
furent  les  moins  chargées,  enfin  que  les  autres  heures  de  la 
nuit  offrirent  un  nombre  de  plus  en  plus  croissant  de  décès. 

§  607.  La  périodicité  diurne  ne  marche  pas  d'une  manière 
uniforme  dans  toutes  les  circonstances  qui  serapporient  à  elle. 
Ainsi,  par  exemple,  la  lumière  et  la  chaleur  ne  suivent  pas 
deux  lignes  parfaitement  parallèles  ,  mais  la  chaleur  emploie 
plus  de  temps  à  sa  révolution ,  de  sorte  que  sa  plus  grande 
intensité  ne  correspond  point  à  midi ,  mais  quelques  heures 
après ,  et  que  son  plus  grand  abaissement  n'a  point  lieu  à  mi- 
nuit,, mais  immédiatement  avant  le  lever  du  soleil.  Nous 
devons  moins  nous  attendre  à  ce  que  les  changemens  diur- 
nes de  la  vie  organique  s'astreignent  exactement  à  la 
même  coïncidence,  et  bien  moins  encore  qu'à  l'égard  des 
changemens  journaliers  de  l'atmosphère,  nous  devons^ es-= 


248  EFFETS  DE   LA   PÉRIODICITÉ   DIURNE. 

pérer  que  ses  variations  présentent  toujours  le  même  degré 
d'intensité.  Mais,  à  part  ces  restrictions ,  nous  reconnaissons 
que  les  deux  points  tropiques  de  la  journée ,  midi  et  minuit , 
amènent  une  certaine  uniformité  de  la  vie ,  quoique  dans  des 
directions  inverses ,  et  que  les  deux  périodes  de  transition  , 
le  matin  et  le  soir,  établissent  en  elle  plus  de  mouvement. 
C'est  vers  minuit  que  la  réaction  est  le  moins  considérable 
sur  la  terre ,  que  la  pression  et  l'électricité  de  l'air  sont 
le  plus  faibles ,  que  l'aiguille  aimantée  décline  le  plus  à 
l'ouest ,  que  le  sommeil  est  le  plus  profond ,  que  la  vie  est 
le  plus  rapprochée  de  son  état  primordial  et  le  plus  retirée 
en  elle-même  ,  que  le  conflit  avec  le  monde  extérieur  est  le 
moins  animé ,  et  qu'il  survient  le  moins  de  changemens  par  la 
maladie ,  la  naissance  et  la  mort.  Quand  la  nuit  fait  place  au 
jour,  la  pesanteur  et  l'électricité  de  l'air  augmentent,  l'aiguille 
aimantée  décline  vers  l'est ,  la  vie  se  ranime ,  l'irritabilité 
s'accroît,  la  circulation,  la  calorification  et  la  sécrétion 
augmentent ,  les  maladies  donnent  lieu  à  de  nouveaux  accès 
ou  à  des  crises,  et  les  deux  modes  de  scission  de  la  vie,  la 
naissance  et  la  mort ,  s'observent  plus  fréquemment  qu'à  toute 
autre  époque.  La  température  de  l'air  ne  commence  à  croître 
qu'après  le  lever  du  soleil ,  une  heure  seulement  après  la- 
quelle son  humidité  commence  aussi  à  diminuer  ;  au  bout  de 
quelques  heures,  l'éveil  est  donné  à  son  électricité  et  à  sa  pe- 
santeur, et  la  déclinaison  orientale  de  l'aiguille  aimantée  par- 
vient à  son  maximum  ;  la  vie  se  tourne  vers  le  dehors ,  et  en 
même  temps  que  l'irritabilité  °se  trouve  refoulée  ,  il  se  déve- 
loppe une  spontanéité  plus  prononcée ,  dont  l'influence  se 
fait  sentir  sur  la  circulation ,  la  digestion  et  la  respiration  , 
mais  principalement  sur  l'activité  sensorielle ,  le  mouvement 
du  corps  et  les  facultés  de  l'esprit.  Vers  midi,  la  chaleur 
augmente  ,  et  au  bout  d'une  ou  deux  heures  elle  est  arrivée 
à  son  maximum,  comme  aussi  la  sécheresse  de  l'air  deux  heu- 
res plus  lard  ;  le  magnétisme  acquiert ,  d'après  Hansteen , 
une  plus  grande  intensité  ,  mais  ne  parvient  à  son  maximum 
que  de  quatre  à  huit  heures  ;  l'aiguille  aimantée  présente  sa 
plus  forte  inclinaison  à  midi ,  et  décline  de  plus  en  plus  vers 
l'ouest  jusqu'à  deux  heures  environ;  le  baromètre  baisse,  et 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.^  ^49 

arrive  à  son  minimum  vers  quatre  heures;  l'électricité  de 
l'air  diminue  ,  mais  son  minimum  n'a  lieu  que  quelques  heures 
avant  le  coucher  du  soleil.  A  midi ,  la  vie  fait  une  pause  au 
point  culminant  de  son  déploiement ,  et  de  même  que  les  ma- 
ladies subissent  alors  peu  de  changemens ,  de  même  aussi  le 
nombre  des  morts  et  des  naissances  diminue.  Le  soir,  l'air 
devient  plus  humide  ,  plus  frais,  mais  plus  électrique,  dernier 
rapport  sous  le  point  de  vue  duquel  il  atteint  son  maximum 
quelques  heures  après  le  coucher  du  soleil  ;  l'aiguille  aimantée 
décline  vers  l'est  jusqu'à  huit  heures,  le  baromètre  monte 
jusqu'à  dix  ;  alors  commence  le  second  flux  de  la  vie  dans 
l'organisme,  mais  avec  prédominance  de  la  direction  du  de- 
hors au  dedans,  avec  diminution  de  l'aptitude  à  recevoir 
l'impression  des  objets  extérieurs ,  avec  empire  du  sens  in- 
terne sur  les  sens  externes,  de  l'imagination  et  du  sentiment 
sur  l'entendement ,  et  Tâme ,  prenant  un  libre  essor,  s'enivre 
du  plaisir  de  vivre,  jusqu'à  ce  que,  le  moment  du  reflux 
étant  arrivé,  elle  acquiert  la  tendance ,  ou  à  se  replonger  de 
suite  dans  son  état  primordial  de  vie  végétative ,  ou  à  s'é- 
lever auparavant  jusqu'à  sa  source  divine. 

CHAPITRE  II. 

De  la  périodicité  annuelle. 

§  608.  C'est  la  végétation  qui  porte  le  plus  l'empreinte  de 
la  révolution  annuelle.  Cette  révolution  s'exprime  ,  chez  les 
animaux,  dans  les  circonstances  relatives  à  leur  vie  sensorielle, 
à  la  génération,  au  séjour  et  à  l'activité  de  la  peau.  Mais  elle 
ne  jette  qu'un  faible  reflet  sur  la  vie  humaine,  dont  les  pul- 
sations, qui  dépendent  bien  plus  de  l'état  intérieur,  se  ratta- 
chent surtout  à  la  périodicité  diurne  (§  594,  7°).  Comme  la 
périodicité  annuelle  n'influe  pas  avec  une  égale  force  sur 
toutes  les  plantes  ,  de  même  aussi  elle  n'exerce  une  large 
action  que  sur  la  plupart  des  animaux  inférieurs  et  quelques 
uns  de  ceux  des  classes  supérieures,  de  sorte  que  ceux-ci  re- 
présentent en  quelque  sorte  les  régions  polaires  du  règne 
animal ,  tandis  que  la  prédominance  de  la  périodicité  diurne 
imprime  davantage  un  caractère  équatorial  à  la  vie.  Ainsi 


250  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

certains  êtres  organisés  jouissent  plus  spécialement  de  la 
vie  à  une  certaine  époque  de  l'année,  qu'ils  représentent 
dans  le  monde  organique ,  dont  l'ensemble  représente 
lui-même  la  totalité  du  cycle  annuel.  Nous  pouvons  considé- 
rer comme  une  image  de  ce  phénomène  le  tableau  des  cou- 
leurs prédominantes  dans  les  fruits  de  notre  climat ,  couleurs 
qui,  suivant  la  remarque  de  Kaestner ,  déroulent  à  nos  yeux 
le  spectre  solaire  tout  entier  pendant  les  diverses  saisons  de 
l'année ,  puisque  nous  voyons  paraître  au  commencement  de 
l'été  le  rouge  (cerises,  fraises,  framboises,  groseilles),  puis 
l'orangé  (abricots,  melons,  concombres,  groseilles  à  maque- 
reau), sur  la  fin  de  l'été,  le  vert  (poires,  pêches,  prunes) , 
en  automne  le  bleu  (raisins,  prunes,  prunelles)  et  sur  la  fin 
de  cette  saison ,  le  brun  (nèfles,  alises).  Du  reste,  la  variété 
des  saisons  et  la  périodicité  annuelle  de  la  vie  organique  se 
montrent  plus  au  voisinage  des  pôles  qu'à  celui  de  l'équateur  ; 
dans  les  contrées  tropicales,  les  feuilles  restent  trois  à  six  ans 
sur  les  arbres  ,  il  en  pousse  de  nouvelles  auprès  des  ancien- 
nes, et  l'on  voit  des  fleurs  à  côté  des  fruits  ;  les  Oiseaux  ni- 
chent et  muent  deux  fois  ;  les  Cerfs  n'ont  pas  d'époque  aussi 
arrêtée  pour  le  rut,  et  ne  changent  point  de  tête,  etc. 

Nous  allons  d'abord  examiner  les  phénomènes  particuliers 
auxquels  la  périodicité  annuelle  donne  lieu,  en  influant  soit  sur 
l'ensemble  de  la  vie  (§  609,  616),  soit  sur  telle  ou  telle  de  ses 
fonctions  (§  618,  619),  après  quoi  nous  rechercherons  quels 
sont  les  cas  dans  lesquels  elle  ne  fait  que  nuancer  pour  ainsi 
dire,  ou  modifier  légèrement  la  vie  (§  619). 

ARTICLE    I. 

Des  phénomènes  particuliers  de  la  périodicité  annuelle, 

I.  Phénomènes  relatifs  à  l'ensemble  de  la  vie. 

A.  Sommeil  d'hiver  des  végétaux. 

§  609.  La  vie  végétale  tout  entière  est  annuelle  ;  car ,  chez 
beaucoup  de  plantes,  elle  ne  dépasse  point  les  limites  d'une 
année,  et  chez  d'autres  il  se  produit  tous  les  ans  de  nouvelles 
parties  vivantes  ayant  Irait  non  pas  seulement  à  la  propagation 
(fleurs  et  fruits),  mais  encore  à  la  conservation  de  soi-même. 


PÉRIODICITÉ   ANNUELLE.  25 1 

En  effet,  pendant  l'été ,  la  portion  de  la  plante  qui  sort  de 
terre ,  la  tige  avec  les  feuilles ,  est  en  pleine  vie,  et,  sous  Tin- 
fluence  de  la  lumière  et  de  la  chaleur ,  elle  entretient  un 
échange  fort  animé  de  matériaux  avec  l'air,  par  antagonisme 
avec  la  racine,  qui  vit  dans  la  terre  ou  dans  l'eau.  Durant  l'hi- 
ver, cet  antagonisme  cesse  ,  et  il  s'établit  une  vie  radiculaire , 
comme  dans  le  sommeil  nocturne  (§  596,  1°),  mais  à  un  plus 
haut  degré ,  parce  que  toute  l'activité  vitale  se  concentre 
dans  la  racine.  Ce  retour  vers  l'état  embryonnaire  n'est  nulle 
part  plus  marqué  que  dans  les  herbes  ou  les  plantes  annuelles; 
ces  végétaux  périssent  entièrement ,  et  ne  s'endorment  du 
sommeil  d'hiver  que  dans  la  graine ,  qui  contient  Tembryon, 
dont  elle  laisse  déjà  spécialement  discerner  laradicule;  quand 
une  telle  plante,  par  exemple  le  blé  d'hiver,  s'éveille  ,  c'est- 
à-dire  germe ,  dès  l'automne ,  la  plantule  germante  tombe 
dans  son  sommeil  d'hiver,  en  ce  sens  qu'à  l'approche  du  froid 
l'accroissement  s'arrête  et  les  feuilles  les  plus  intérieures  du 
bourgeon  terminal  demeurent  non  développées.  A  ce  complet 
retour  vers  l'état  embryonnaire  se  rattache  le  sommeil  d'hiver 
des  plantes  bisannuelles,  qui  se  cachent  dans  le  sein  de  la  terre, 
pour  y  mener  une  vie  nocturne  continuelle  ;  en  effet,  pendant 
l'automne,  leur  tige  reçoit  de  moins  en  moins  de  sucs,  jusqu'à 
ce  qu'il  ne  lui  en  parvienne  plus  du  tout,  qu'elle  se  dessèche  et 
tombe,  tandis  que  la  racine  conserve  sa  vitalité  ,  pour  pous- 
ser une  nouvelle  tige  au  printemps.  L'alternative  est  plus  pro- 
noncée encore  dans  les  arbres  et  arbrisseaux ,  dont  la  tige 
persiste  à  la  vérité,  mais  en  perdant  sa  vitalité  et  subissant 
la  lignification  de  sa  substance  vasculaire  de  l'année,  et  dont 
les  feuilles  périssent  ;  celles-ci,  en  effet ,  deviennent  plus  oxi- 
dées,  se  couvrent  de  taches  jaunes ,  rouges,  brunes  ,  qui  s'a- 
grandissent de  plus  en  plus  ;  elles  se  fanent,  se  dessèchent,  et 
prennent  une  forme  convexe  à  leur  face  supérieure  ;  quand 
les  faisceaux  vasculaires  de  leur  pétiole  sont  complétenient 
desséchés,  elles  tombent  avec  ceux-ci  ;  mais ,  dans  quelques 
arbres,  le  chêne  par  exemple ,  leur  chute  n'a  heu  que  l'année 
suivante  ,  et  certaines  feuilles  composées  se  détachent  de 
leurs  pétioles,  qui  restent  implantés  sur  les  branches.  Dans 
les  arbres  verts ,  la  vie  des  feuilles  dure  plusieurs  années  ; 


252  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE. 

celles ,  par  exemple ,  qui  sont  à^^ées  de  trois  ans  ,  meurent , 
mais  sans  qu'on  s'en  aperçoive,  parce  que  celles  d'un  an  et  de 
deux  ans  restent  en  place.  La  durée  plus  longue  de  ces  feuil- 
les paraît  tenir  surtout  à  la  solidité  de  leur  tissu  ,  à  la  visco- 
sité de  leurs  sucs ,  en  partie  aussi  à  une  plus  grande  quantité 
de  résine  qu'elles  contiennent ,  ou  à  leur  moindre  volume 
et  à  leur  forme  circulaire.  Au  commencement  de  la  saison 
chaude,  la  racine  attire  l'eau  de  la  terre  avec  une  vigueur  ra- 
jeunie ,  la  décompose  et  se  l'assimile  ;  la  sève  monte  peu  à 
peu  dans  la  tige  ,  et  il  se  développe  des  bourgeons  pour  de 
nouvelles  feuilles ,  fleurs  et  branches.  Ce  changement  obéit 
à  un  type  intérieur  qui  correspond  à  celui  du  renouvellement 
des  saisons  ,  mais  qui  n'a  point  sa  cause  en  lui  :  car  l'unifor- 
mité de  la  chaleur  d'une  serre  n'empêche  pas  les  plantes  de 
se  dépouiller  de  leurs  feuilles  ,  et  ne  peut  les  déterminer  à 
produire  du  fruit  plusieurs  fois  dans  l'année.  Beaucoup  de 
végétaux  perdent  leur  feuillage  alors  même  que  la  tempéra- 
ture de  l'air  est  encore  assez  élevée  ,  et  en  poussent  un  nou- 
veau avant  que  le  printemps  soit  venu  adoucir  l'air.  Dans  les 
contrées  tropicales,  une  foule  d'arbres  perdent  leurs  feuilles 
durant  la  saison  sèche;  mais,  avant  que  celle-ci  soit  écoulée, 
et  dès  un  mois  avant  le  temps  des  pluies,  ils  commencent  à  en 
pousser  d'autres  (1).  Du  reste,  la  puissance  du  type  se  mani- 
feste dans  les  plantes  du  cap  de  Bonne-Espérance  élevées  au 
milieu  de  nos  serres  ,  où  elles  fleurissent  en  hiver  ,  qui  est 
Tété  de  leur  pays  natal.  De  même  aussi  il  est  plus  difficile  de 
faire  germer  chez  nous  les  graines  de  l'hémisphère  méridio- 
nal au  printemps  ,  qui  correspond  à  l'automne  de.  leur  patrie. 

B.  Sommeil  d'hiver  des  animaux. 

§  610.  Si  le  sommeil  d'hiver  est  de  règle  chez  les  végétaux, 
on  ne  l'observe  pas  d'une  manière  aussi  générale  chez  les 
animaux  ,  où  il  consiste  en  ce  que  ces  êtres  demeurent  plus 
ou  moins  long-temps  cachés  pendant  l'hiver,  offrant  alors  une 
interruption  plus  ou  moins  complète  de  l'activité  sensorielle, 
du  mouvement  volontaire  et  de  la  nutrition. 

(1)  Humboklt,  Reise  in  die  ^Equinoctialgegenden,  t.  III,  p.  77. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  2  53 

1°  Sous  ce  rapport,  l'antagonisme  le  plus  rigoureux  existe 
entre  les  Oiseaux  et  les  Reptiles,  puisque  le  sommeil  d'hiver 
n'a  point  lieu  chez  les  uns ,  et  est  général  chezjes  autres.  Les 
autres  classes  nous  offrent  des  espèces  ou  des  genres  qui  y 
sont  soumis.  Parmi  les  Mollusques,  les  Limax  et  Hélix  s'en- 
gourdissent en  hiver  ,  tandis  que  les  Lymnœus  conservetil 
toute  leur  vivacité,  même  sous  la  glace.  La  plupart  des  Coléo- 
ptères s'engourdissent  ;  d'autres  Insectes,  tels  que  la  Podura 
nivalis  et  la  Chionea  arachnoïdes^  continue  de  Courir  pendant 
l'hiver,  tandis  que  d'autres  le  passent  dans  leurs  nids  ,  par 
exemple  les  Abeilles ,  dont  les  ruches  conservent  une  tem- 
pérature uniforme  de  vingt-quatre  degrés  à  l'échue  réaumu- 
rienne.  Plusieurs  Poissons ,  tant  d'eau  douce  que  d'eau  salée , 
comme  les  Cyprinus  tinca ,  Murœna  anguilla ,  Anguilla 
conger^  Scomher  scomher  et  Syngnathus  hippocampus  ^  s'en- 
gourdissent  en  hiver.  Dans  la  classe  des  Mammifères  ,  nous 
trouvons  rhibernalion  chez  plusieurs  animaux  nocturnes  , 
chez  les  Chéiroptères  ,  chez  quelques  Insectivores  et  Planti- 
grades parmi  les  Carnassiers,  mais  surtout  chez  divers  Ron- 
geurs. 

2°  L'hibernation  présente  plusieurs  degrés.  Elle  con- 
siste tantôt  en  un  sommeil  profond  ,  qui  dure  tout  l'hiver  , 
comme  chez  les  Insectes  qui  vivent  dans  la  terre  (1)  et  chez 
la  Marmotte  ;  tantôt  en  un  sommeil  profond  qui  s'interrompt 
de  temps  en  temps,  comme  chez  les  Trichocères^  Psychodes 
et  Muscides,  qui  se  réveillent  et  se  mettent  à  voltiger  quand 
le  temps  devient  plus  doux,  chez  les  Arachnides,  et ,  parmi 
les  Mammifères,  chez  les  Hérissons ,  les  Loirs  ,  les  Muscar- 
dins,  les  Chauve-Souris,  qui  se  réveillent  chaque  fois  que  Tni- 
mosphère  devient  moins  froide  et  se  rendorment  ensuite  ; 
tantôt  enfin  en  une  simple  prédominance  du  sommeil,  l'ani- 
mal passant  la  plus  grande  partie  de  l'hiver  à  dormir,  comme 
le  Blaireau  ,  qui  ne  prend  aucune  nourriture  et  sort  seule- 
ment de  temps  en  temps  pour  aller  boire ,  l'Ours ,  qui 
s'abstient  aussi  de  toute  nourriture,  mais  prend  la  fuite  quand 

(1)  Succow,  clans  Heusingei",  Zeitschrift  fuer  die  organische  Phi/iik, 
t.  J,  p.  610. 


254  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE. 

on  s'approche  de  son  repaire  ,  le  Castor  ,  qui  consomme  les 
alimens  dont  il  a  faii  provision  dans  son  édifice,  l'Écureuil , 
là  Taupe,  le  Hamster,  le  Campagnol ,  la  Musaraigne ,  etc. 

3°  L'hibernation  commence  aux  premiers  froids  pour  les 
Coccinelles ,  les  Punaises ,  les  Muscides  ,  et  dès  avant  celte 
époque  pour  d'autres  Insectes  :  à  —  2°  R.  pour  les  Fourmis, 
à  -f-  2»  pour  les  Limaces,  à  -f-  5°  pour  les  Muscardins ,  se- 
lon Saissy  ;  à  -f-  "7°  pour  le  Hérisson ,  d'après  le  même  ;  à 
-\- 1°  pour  ce  même  animal ,  suivant  Prunelle,  Le  Hélix  lusi- 
tanica  s'enfonce  dans  la  terre  vers  le  milieu  du  mois  de  sep- 
tembre ,  et  le  Hélix  nemoralis  en  Octobre.  Le  Souslic  s'en- 
dort en  se|îtembre ,  le  Muscardin ,  la  Marmotte  et  la  Tortue 
terrestre  en  octobre  ,  le  Hamster  et  l'Ours  en  octobre  ou  no- 
vembre (selon  Prunelle  ,  en  janvier  seulement). 

4°  Le  sommeil  d'hiver  dure  quatre  à  cinq  mois  chez  les  In- 
sectes et  le  Hamster  ,  six  mois  chez  plusieurs  Limaçons ,  les 
Tortues  terrestres  ,  la  Marmotte  et  le  Muscardin.  Le  réveil  a 
presque  toujours  lieu  en  mars  et  en  avril. 

5°  Les  Insectes  aériens  se  cachent  sous  des  feuilles ,  sous 
l'écorce  des  arbres  ,  sous  des  racines  ou  des  pierres ,  dans  des 
creux  d'arbres,  dans  des  fentes  de  murailles,  ou  en  terre  ;  les 
Insectes  aquatiques  dans  la  vase  et  la  terre.  Les  Gastéropodes 
aquatiques  s'enfoncent  dans  les  caves  profondes ,  ou  dans  la 
vase  et  le  sable  ;  les  terrestres  se  retirent  sous  la  mousse  et 
les  feuilles ,  ou  le  long  des  racines  et  des  murs  ;  quelques 
uns ,  par  exemple  les  Hélix  nemoralis  ,  vivlpara  et  lusita- 
nica ,  creusent  en  terre  des  trous  de  quelques  pouces ,  et  di- 
rigent l'ouverture  de  leur  coquille  vers  le  haut.  Les  Poissons 
s'enfoncent  dans  la  vase ,  et  ceux  de  mer  se  rapprochent  des 
côtes.  Les  Serpens  se  retirent  dans  des  cavernes ,  les  Croco- 
diles dans  la  vase  ;  les  Tortues  de  terre  s'enfoncent  d'un  à 
deux  pieds  dans  le  sol;  la  Marmotte  établit  son  nid  sur  le  côté 
méridional  ou  occidental  d'une  montagne ,  à  six  pieds  au  des- 
sous de  terre  ;  elle  lui  donne  environ  cinq  ou  six  pieds  de 
tour,  l'arrondit ,  le  voûte  ,  et  le  dispose  en  manière  de  four , 
dont  les  parois  lisses  sont  construites  avec  de  la  terre  bien 
battue ,  et  dont  le  plancher  est  couvert  de  foin  ;  un  long  con- 
duit mène  à  une  entrée  étroite,  bouchée  avec  de  la  terre,  du 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  255 

sable,  des  feuilles  et  des  pierres.  Le  Souslic  a  une  tannière 
oblongue  ,  arrondie  ,  voûiée,  d'un  pied  de  diamètre,  garnie 
de  loin,  dont  il  bouche  l'entrée  ,  et  à  laquelle  il  pratique  un 
autre  conduit ,  allant  presque  jusqu'à  la  surface  ,  qu'il  per- 
fore entièrement  à  son  réveil  :  la  retraite  du  mâle  est  à  trois 
ou  quatre  pieds  sous  terre ,  et  celle  de  la  femelle  à  sept  ou 
huit.  Les  Loirs  et  les  Muscardins  passent  l'hiver  dans  des  trous 
en  terre ,  dans  des  creux  d'arbres ,  ou  dans  des  cavités  qu'ils 
ont  pratiquées  eux-mêmes  et  tapissées  de  mousse.  Le  Héris- 
son creuse  son  terrier  d'hiver  à  une  plus  grande  profondeur 
que  celui  d'été ,  et  le  garnit  de  feuilles  d'arbres  et  de  chaume. 
Le  Hamster  barricade  le  sien  ;  l'Ours  passe  l'hiver  sous  des 
rochers  et  dans  des  cavernes  ,  dont  il  ferme  quelquefois  Feu- 
trée avec  des  branchages. 

6°  La  plupart  des  Insectes  sont  seuls  pendant  le  sommeil 
d'hiver.  Quelques  uns  cependant  hivernent  ensemble  et  appli- 
qués les  uns  contre  les  autres.  C'est  ce  qui  arrive  non  seulement 
à  ceux  qui  vivent  en  société  pendant  l'été  ,  comme  le  Carabus 
prasinus  et  le  Cimex  apertus,  mais  encore  à  plusieurs  qui 
mènent  une  vie  solitaire  ,  comme  les  Altises  et  diverses  Cocci- 
nelles. De  même ,  parmi  les  Mammifères ,  il  s'en  trouve ,  tels 
que  les  Souslics  ,  dont  chaque  individu  à  son  terrier  propre  , 
tandis  que  d'autres ,  comme  les  Marmottes  ,  se  réunissent  au 
nombre  de  cinq  à  neuf ,  serrés  les  uns  contre  les  autres,  dans 
une  même  tannière. 

7»  Beaucoup  d'Insectes  passent  le  sommeil  d'hiver  dans 
une  situation  analogue  à  celle  qu'ils  présentaient  à  l'état  de 
chrysalide  ,  c'est-à-dire  la  tête  enfoncée  dans  le  corselet ,  et 
les  pattes,  ainsi  que  les  antennes,  repliées  le  long  du  corps  (1). 
Quelques  uns  se  roulent  comme  des  serpens,  la  tête  au  centre, 
et  la  plupart  des  Carabiques  se  fixent  avec  leurs  ongles  à  la 
su if ace  inférieure  des  pierres ,  de  manière  que  leur  dos  re- 
garde la  terre.  Les  Gastéropodes  nuds  se  roulent  en  boule  (2); 
les  Testacés,  après  s'être  enfouis  dans  la  terre,  bouchent 
l'ouverture  de  leur  coquille  avec  une  couche  de  mucosités , 

(1)  Succow ,  loc.  cit.,  t.  I,  p,  611. 

(2)  Spallanzani ,  Mém.  sur  la  respiration,  p.  242. 


^56  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

qui  s'endurcissent  en  un  opercule  mince ,  corné  ou  terreux , 
après  la  destruction  duquel  il  s'en  reproduit  un  autre.  La 
Vitrina  beryllina  n'entre  jamais  entièrement  dans  sa  coquille, 
si  ce  n'est  pendant  le  temps  de  l'hibernation.  Les  Poissons  ap- 
pliquent leurs  nageoires  contre  le  corps  (1).  Les  Mammifères 
se  roulent  plus  ou  moins ,  de  manière  que  presque  toujours 
ils  placent  le  museau  contre  l'anus  et  les  parties  génitales.  Les 
Chauve-souris  ^s'enveloppent  dans  leurs  ailes  et  s'accrochent 
par  les  pattes. 

I.  Phénomènes  du  sommeil  d'hiver. 

a.  f^ie   animale. 

§  611.  Voici  quels  sont  les  phénomènes  que  la  vie  animale 
offre  dans  le  sommeil  d'hiver. 

1°  Cette  vie  s'engourdit  peu  à  peu ,  les  animaux  perdant 
par  degrés  leur  vivacité  et  le  désir  des  alimens.  Le  Hérisson, 
par  exemple ,  d'après  Succow  (2) ,  devient  paresseux  au  mois 
de  novembre,  et  dort  des  journées  entières  :  puis  son  sommeil 
dure  des  semaines  ,  et  enfin ,  vers  Noël  ,  il  devient  continu. 

2°  L'activité  sensorielle  s'éteint  dans  l'hibernation  complète. 
Tiedemann  (3)  a  trouvé ,  dans  la  Marmotte  ,  les  pupilles  dila- 
tées et  l'iris  insensible  à  la  lumière  ;  le  bruit  et  les  odeurs  ne 
faisaient  non  plus  aucune  impression.  Mangili  n'a  pu  éveiller 
des  Chauve -souris  par  la  détonation  d'une  arme  à  feu  (4). 

3°  Le  sentiment  intérieur  est  émoussé  ;  des  plaies  considé- 
rables faites  aux  Insectes  pendant  un  froid  modéré  n'excitent 
que  de  légères  convulsions  ;  quand  le  froid  est  plus  intense , 
l'animal  se  montre  absolument  insensible  (5).  On  peut  faire 
rouler  la  Marmotte  sur  la  terre  en  guise  de  boule  ,  la  laisser 
tomber  d'une  hauteur  de  trois  pieds ,  ou  la  transporter  pen- 
dant dix  jours  de  suite ,  sur  une  chaise  de  poste ,  empaquetée 
dans  du  foin ,  sans  qu'elle  s'éveille  (6)  :  elle  n'est  pas  moins 

(1)  Deutsches  Arcliiv,  t.  V,  p.  269. 
{%)  Loc.  cit.,  t.  I,  p.  612. 

(3)  Deutsches  Archiv,  t.  ï,  p.  4S3. 

(4)  Annales  du  Muséam,  t/X,  p.  440. 

(5)  Succow,  loc.  cit.,  p.  607. 

(6)  Prunelle  ,dans  Annales  du  Muséum,  t.  XIII,  p,  36. 


PERIODICITE  ANNUELLE.  0^7 

insensible  aux  blessures  les  plus  profondes  ;  quand  on  lui  met- 
tait de  l'ammoniaque  sous  le  nez ,  elle  détournait  la  tête  au 
bout  de  deux  heures ,  sans  s'éveiller  complètement;  les  corn- 
motions  électriques  la  forçaient  de  s'étendre,  et  lui  faisaient 
ouvrir  les  yeux ,  mais  sans  la  réveiller  ;  une  galvanisation  con- 
tinue la  tenait  éveillée  pendant  dix  minutes  ;  les  changemens 
considérables  de  température  et  les  coups  violens  la  réveil- 
laient aussi  (1).  Mangili  (2)  a  vu  cet  animal  éprouver  les  con- 
vulsions quand  on  le  piquait  ou  qu'on  l'excitait  avec  force  de 
toute  autre  manière;  mais,  suivant  Saissy  (3),  cet  effet  n'a 
lieu  que  dans  le  sommeil  d'hiver  imparfait  ;  car  autrement  la 
Marmotte  est  complètement  insensible.  Le  Muscardin  n'éprou- 
vait que  des  convulsions  à  peine  sensibles;  celles  de  la  Chauve- 
souris  étaient  plus  fortes.  Czermak  n'a  pu  éveiller  des  Loirs 
par  l'action  d'une  pile  de  Volta  de  cinq  à  vingt  couples, 
qui  provoquait  des  convulsions  par  son  contact  avec  les  nerfs 
cruraux  mis  à  nu.  Le  Lérot  ne  dort  pas  aussi  profondément  ; 
la  moindre  blessure  suffit ,  d'après  Bechstein ,  pour  lui  causer 
des  convulsions  et  lui  faire  jeter  un  cri  sourd. 

4°  Les  membres  des  Insectes  sontraides,  et  se  cassent  plu- 
tôt que  de  ployer  (4).  Chez  les  Mammifères,  les  muscles  sont 
raides  et  fortement  contractés  (5) .  Une  Marmotte  qu'on  éten- 
dit violemment  se  roula  de  nouveau  en  boule,  comme  par  l'ef- 
fet d'un  ressort  (6)  ;  la  section  des  nerfs  de  la  paire  vague 
produisit  quelques  mouvemeiis  dans  les  muscles  fléchisseurs 
du  tronc ,  et  un  couteau  plongé  dans  la  moelle  allongée  déter- 
mina de  faibles  convulsions  (7).  Le  contact  des  acides  ou  d'une 
lame  tranchante  avec  les  muscles  mis  à  nu  causa  peu  de  mou- 
vemens  chez  le  Hérisson  ,  mais  en  provoqua  de  plus  vifs  chez 
le  Muscardin  et  la  Chauve-Souris.  Le  pôle  zinc  d'une  pile  gal- 
vanique ayant  été  mis  en  rapport  avec  les  nerfs ,  et  le  pôle 

(1)  Ihid.,  p.  600. 

(2)  Mangili,  dans  Annales  du  Muséum,  t.  IX,  p.  409. 

(3)  Recherches  sur  la  physique  des  animaux  bibernans ,  p.  46. 

(4)  Succow,  loc.  cit.,  p.  600. 

(5)  Saissy,  loc.  cit.,  p.  83. 

(6)  Tiedemann ,  loc.  cit.,  p.  483, 

(7)  Ihid.,  p.  484. 

Y.  m 


2 58  PÉRIODICITÉ  ÂNNUEELE. 

cuivre  avec  les  muscles,  on  observa  quelques  convulsions  dans 
les  membres ,  moins  dans  les  muscles  du  bas-ventre ,  moins 
encore  dans  le  cœur  ,  et  les  intestins  ne  ressentirent  rien  ;  le 
renversement  des  pôles  demeura  sans  effet ,  et  celui-ci  fut  du 
reste  d'autant  plus  faible  que  le  sommeil  était  plus  profond  (1). 
Lorsque Mangili (2)  décapitait  des  Marmottes,  les  battemens 
du  cœur  persistaient  pendant  cinquante  minutes  chez  l'animal 
éveillé  ,  et  pendant  trois  heures  chez  l'animal  endormi  ;  les 
muscles  soumis  à  l'empire  de  la  volonté  conservaient  leur  irri- 
tabilité deux  heures  dans  le  premier  cas ,  et  quatre  dans  le  se- 
cond. Tiedemann  (3)  a  vu  ,  chez  les  Marmottes  endormies , 
qu'après  vingt-qualre  heures  de  dissection ,  l'oreillette  des 
veines  caves  se  contractait  encore  lorsqu'il  l'irritait  avec  la 
pointe  du  scalpel.  D'après  cela  on  doit  conclure  que  la  force 
musculaire  n'est  point  abolie  pendant  '  l'hibernation ,  mais 
qu'elle  n'entre  pas  en  jeu ,  qu'elle  est  isolée  et  inaccessible 
aux  irritans. 

5°  Comme  la  vie  s'isole  plus  ou  moins  du  monde  extérieur, 
le  besoin  d'alimentation  diminue  aussi,  ou  même  s'éteint  tout- 
à-fait.  La  digestion  cesse,  et  ce  n'est  qu'au  réveil,  après 
quatre  ou  six  mois  de  sommeil ,  que  les  évacuations  alvines 
reprennent  leur  cours.  La  Tortue  terrestre  cesse  de  manger 
un  mois  avant  de  tomber  dans  l'engourdissement  (4).  Les 
Mammifères  hibernans  perdent  aussi  l'appétit ,  et  se  blottis- 
sent aux  premiers  froids  de  l'automne  (5).  On  a  trouvé  ,  pen- 
dant le  sommeil  hibernar,  l'estomac  et  les  intestins  des  Mar- 
mottes rétrécis  et  ne  contenant  qu'un  hquide  onctueux , 
blanchâtre  ;  le  rectum  était  plein  d'une  substance  analogue 
au  méconium  ,  et  la  vésicule  biliaire ,  d'une  bile  peu  amère  et 
d'un  vert  tirant  sur  le  brun  (6).  Suivant  Saussure,  ces  ani- 
maux se  nettoient  l'estomac  et  les  intestins  avec  de  l'eau  avant 

(1)  Loc.  cit.,  p.  50-55. 

(2)  Loc.  cit.,  t.  X,  p.  455. 

(3)  Loc,  cit.,  p.  485. 

(4)  Murray  dans  Fioriep,  Notizen ,  t.  XIV,  p.  US. 

(5)  Saissy,  loc.  cit.^  p.  90, 

(6) Prunelle,  loc.  cit.,  p.  313.  —  Mangili,  loc.  cit.^  p.  453.  —  Tiede- 
mann ,  loc.  cit. ,  p>  4S7. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  269 

de  tomber  dans  l'engourdissement.  L'Ours  ne  prend  pas  non 
plus  de  nourriture  tant  que  dure  son  sommeil  d'hiver.  Quel- 
ques animaux  font  des  provisions,  qu'ils  consomment  avant  ou 
après  l'hibernation.  Ainsi,  le  Hamster  rassemble  des  graines, 
en  ronge  les  germes ,  afin  qu'elles  ne  puissent  pas  germer, 
en  consomme  la  plus  grande  partie  après  qu'il  a  clos  son  ter- 
rier, et  mange  le  reste  quand  il  se  réveille,  au  printemps. 
D'autres  encore  ,  comme  le  Muscardin  ,  le  Hérisson  et  le  Loir, 
paraissent  être  réveillés  de  temps  en  temps  par  la  faim ,  et 
alors  ils  dévorent  les  provisions  qu'ils  ont  mises  en  réserve. 
6°  En  se  réveillant ,  les  animaux  sont  à  demi  engourdis. 
Quand  les  Insectes  sortent  de  leur  sommeil  pendant  les  jour- 
nées peu  froides  de  l'hiver,  ils  ont  une  démarche  chancelante 
et  mal  assurée  (1).  Le  Serpent  à  sonnettes  sort  de  sa  retraite 
dès  les  premiers  jours  du  printemps ,  mais  il  est  lent  et  à  moi- 
tié engourdi ,  de  sorte  qu'on  parvient  aisément  à  le  tuer,  et 
il  rentre  le  soir  dans  son  trou  ,  jusqu'à  ce  que  le  froid  ne  se 
fasse  plus  sentir  pendant  la  nuit  (2).  Au  réveil,  le  Hamster 
s'étend,  bâille  ,  grogne,  cligne  des  yeux,  essaie  de  s'asseoir, 
puis  de  marcher,  mais  ciiancèle  ,  et  fait  de  profondes  inspi- 
rations ,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  réussit  à  se  nettoyer,  et  sort 
pour  aller  chercher  sa  nourriture  (3).  Quand  la  Chauve-Souris 
est  réveillée  par  une  chaleur  soudaine ,  elle  voltige  maladroi- 
tement et  pendant  la  journée. 

b.   Vie  végétative. 

§  612.  A  l'égard  des  phénomènes  de  la  vie  végétative  pen- 
dant la  durée  du  sommeil  d'hiver, 

1°  Le  vaisseau  dorsal  des  Insectes  n'exécute  que  deux  à 
trois  pulsations  par  minute,  au  lieu  des  cinquante  à  soixante 
qu'on  remarque  en  été  (4).  Le  cœur  de  la  Chauve-Souris  ne 
bat  que  cinquante  fois ,  tandis  que ,  pendant  la  veille ,  le 
nombre  de  ses  battemens  s'élève  à  deux  cents  (5).  Les  batte- 

(4)  Succow,  loc.  cit.,  p.  607. 

(2)  Kaestaev,  Abhandlunycn  der  SchwedixchenAkadeniie,t.  XIV,  p. 320. 

(3)  Bechstein  ,  Nuturgeschiahte  Deutschlands  ,  t.  I,  p.  4015.  • 

(4)  Succow,  loc.  cit.  p.  604. 

(.)l:'i'!i!îe!le,  loc.  cit.,    p.  28. 


26o  PÉRIODICITÉ  ANNDELLEo 

mens  de  celui  des  Marmottes  sont  réduits  de  quatre-vingt- 
dix  à  dix  (1)  ;  mais  on  en  compte  vingt  à  vingt-cinq  au  début 
et  à  la  fin  de  l'hibernation.  L'application  du  pôle  zinc  sur  les 
nerfs  diaphragmatiques ,  et  du  pôle  cuivre  aux  muscles  flé- 
chisseurs de  la  tête ,  ramène  le  pouls  de  dix  à  vingt  pulsa- 
tions (2).  Ciiez  les  Marmottes,  les  troncs  vasculaires  que  l'on 
coupe  donnent  peu  de  sang ,  et  celui  qui  s'échappe  des  ar- 
tères coule  avec  lenteir.  On  n'a  point  remarqué  de  sang  dans 
l'artère  crurale  mise  à  nu  (3)  ;  les  vaisseaux  du  tronc  en  étaient 
seuls  gorgés ,  et  tout-à-fait  sans  action  -,  les  pulsations  ne 
s'étendaient  qu'à  l'aorte  pectorale  et  aux  troncs  des  artères'ca- 
rotides  et  sous-clavières  ;  mais  le  mouvement  du  sang  con- 
sistait plutôt  en  une  ondulation  qu'en  une  véritable  circulation; 
une  ligature  ne  faisait  pas  gonfler  les  artères,  et  quand  on 
ouvrait  ces  vaisseaux ,  le  sang  n'en  coulait  point  autrement 
qu'il  ne  fait  chez  les  animaux  privés  de  vie  ;  les  branches 
vasculaires  étaient  à  moitié  vides  de  sang,  et  les  vaisseaux 
capillaires  l'étaient  entièrement.  En  observant  les  ailes  des 
Chauve-Souris,  Mangili  (4)  y  a  vu  le  mouvement  du  sang  lent 
et  intermittent ,  et  les  membranes  natatoires  des  Grenouilles 
n'ont  offert  à  Gœze  (5)  que  de  la  sérosité ,  qui  ne  faisait  place 
à  du  sang  rouge  qu'après  le  réveil.  Czermak  n'a  pu  ni  voir  ni 
sentir  les  battemens  du  cœur  chez  le  Loir. 

2°  A  l'époque  où  le  sommeil  d'hiver  est  le  plus  profond  , 
on  ne  remarque  pas  le  moindre  mouvement  respiratoire  (6). 
Prunelle  (7)  a  reconnu  qu'il  ne  devenait  sensible  qu'à  -\-  15 
degrés  dans  la  Marmotte  ,  et  qu'il  ne  prenait  de  la  régularité 
qu'à  -j-  22  degrés.  Suivant  Mangili  (8) ,  la  respiration  a  lieu 
quelquefois ,  mais  d'une  manière  insensible  ,  et  elle  survient 
quand  on  expose  l'animal  au  grand  air  ;  le  nombre  des  inspi- 

(1)  llid.,  p.  49. 

(2)  Saissy ,  loc.  cit.,  p,  45. 

(3)  Prunelle,  loc.  cit.,  p.  48. 

(4)  Annales  du  Muséum,  t.  IX.  p. «40. 

(5)  Der  Naturforscher ,  t.  XX,  p.  111. 

(6)  Saissy  ,  loc.  cit.,  p.  33. 

(7)  Prunelle,  loc  cit.,  p.  50. 

(8)  Mangili ,  loc.  cit.,  l.  IX,  p.  109, 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  261 

rations  est  alors  de  quatorze  par  heure ,  au  lieu  de  quinze 
cents  qui  ont  lieu  pendant  la  veille.  Chez  le  Hérisson,  on  voit 
trente  à  trente-cinq  respirations  alterner  avec  des  pauses 
d'un  quart  d'heure ,  et  par  un  temps  plus  chaud  six  respira- 
tions avec  des  pauses  de  huit  minutes  (1).  Chez  les  Loirs , 
treize  à  quinze  respirations  alternaient  avec  des  pauses  de 
dix-huit  à  vingt-quatre  minutes  ;  par  un  temps  plus  doux  ,  on 
comptait  vingt-deux  à  vingt-quatre  respirations  dans  l'espace 
d'une  minute  et  demie,  avec  les  pauses  de  quatre  minutes  (2). 
Le  besoin  de  respirer  est  moins  grand  pendant  le  sommeil 
d'hiver.  Les  Insectes  sont  alors  plus  difficiles  à  suffoquer  (3). 
Quoique  l'opercule  des  Limaçons  ne  fasse  que  diminuer  l'ac- 
cès de  l'air, ^sans  l'interdire  entièrement  (4) ,  cependant  Spal- 
lanzani  ne  put  remarquer  ni  consommation  d'oxygène ,  ni 
exhalation  d'acide  carbonique  (5).  11  paraît  que  les  Poissons 
ont  moins  besoin  d'air  en  hiver,  lorsque  les  lacs  et  les  rivières 
sont  couverts  de  glace  et  de  neige  pendant  des  mois  entiers. 
Suivant  Rusconi  (6) ,  le  Protée  n'a  pas  besoin  d'eau  fraîche 
durant  le  sommeil  d'hiver,  et  Prunelle  (7)  assure  qu'alors  les 
Chauve- Souris  ne  tombent  point  en  asphyxie  lorsqu'on  les 
tient  quelques  minutes  sous  l'eau.  Spallanzani  n'a  remarqué 
aucune  altération  de  l'air  chez  les  Marmottes  (8)  ;  mais  Pru- 
nelle (9)  a  trouvé  que,  dans  l'espace  de  quarante  heures, 
l'atmosphère  avait  perdu  six  centièmes  de  gaz  oxygène. 
Selon  Spallanzani ,  des  Chauve-Souris  avaient ,  dans  l'espace 
de  deux  heures,  consommé  six  centièmes  d'oxygène  et  exhalé 
cinq  centièmes  d'acide  carbonique  (10).  Saissy  (ll)lassure  qu'à 
l'époque  de  leur  plus  profond  sommeil,  le  Hérisson  et  le 

(1)  Ibid.,  t.  X,  p.  436. 

(2)  Ihid.,  p.  442. 

(3)  Succow,  loc.  cit.,  p.  599. 

(4)  Spallanzani ,  loc.  cit.,  p.  153. 
(5)"iiid.,p.  499. 

(6)  Deutsches  Archiv.,  t.  "V,  p.  270. 
0)Loc.  cit.,  p.  403. 

(8)  Loc.  cit.,  p.  334. 

(9)  Loc.  cit.,  p.  52. 

(10)  Loc.  cit.,  p.  76. 

(11)  Loc.  cit.,  p.  32. 


a62  PÉRIODÏCITÉ  ANNUELLE. 

Muscardin ,  dont  la  température  est  alors  à  -{-  3  degrés ,  ne 
consomment  pas  de  gaz  oxygène,  mais  que,  quand  le  mouve- 
ment respiratoire  est  encore  perceptible ,  la  consommation  de 
ce  gaz,  dans  l'espace  de  deux  heures,  est  de  deux  pouces 
cubes  le  premier  (qualre-vingl s  pendant  la  veille),  et  d'un 
seulement  pour  le  second  (  trente-quatre  durant  la  veille  ). 
Rusconi  a  trouvé  les  branchies  du  Protée  presque  entièrement 
exsangsues ,  et  Tiedemann  (1)  les  poumons  de  la  Marmotte 
affaissés  ;  il  y  avait  peu  d'air  dans  leurs  cellules ,  mais  beau- 
coup de  sang  dans  leurs  vaisseaux. 

3°  Les  animaux  hibernans  ont  le  thymus  tantôt  très-volu- 
mineux et  pourvu  de  branches  artérielles  qui  lui  sont  envoyées 
par  la  thyroïdienne  inférieure ,  comme  dans  les  Hérissons  et 
les  Chauve-Souris ,  tantôt  muni  de  prolongemens  qui  s'éten- 
dent tout  le  long  de  l'aorte,  et  qui  reçoivent  des  branches  des 
artères  intercostales  ;  tantôt  enfin  entouré  de  glandes  qui  lui 
ressemblent,  et  qui  sont  disséminées  à  la  face  antérieure  et 
latérale  du  col,  jusqu'aux  glandes  axillaires.  Prunelle  distingue 
ces  trois  formes  (2),  et  Jacobson  (3)  y  attache  une  grande  im- 
portance. Cependant  il  est  bien  difficile  de  croire  que  les 
usages  des  glandes  accessoires  diffèrent  de  ceux  du  thymus 
lui-même,  et  Ton  sait  qu'elles  grossissent  comme  lui  pendant 
le  sommeil  d'hiver ,  qu'elles  se  remplissent  de  graisse ,  ce 
dont  Pallas  avait  déjà  fait  la  remarque,  de  sorte  que  les  pou- 
mons doivent  se  trouver  refoulés  et  comprimés  dans  la  partie 
postérieure  de  la  poitrine  (4).  D'après  Tiedemann  (5) ,  cet 
appareil  remplit  les  deux  espaces  du  médiastin,  dans  la  Mar- 
motte ;  il  s'étend  presque  jusqu'à  la  mâchoire  supérieure  en 
haut  et  aux  aisselles  sur  les  côtés  ;  il  est  composé  de  vésicules 
d'un  blanc  rougeâtre  ,  qui  présentent  un  réseau  vasculaire 
sur  leurs  parois,  et  qui  contiennent  un  liquide  grisâtre,  tandis 
que  le  liquide  renfermé  dans  les  glandes  lympathiques  voisines 


(1)  Loc.  cit.,  p.  487. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  308. 

(3)  Deutsches  Archiv,  t.  III,  p.  451. 

(4)  Loc.  cit.,T^.  310, 

(5)  Loc.  cit.,  p.  485. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  263 

est  noirâtre.  Tout  l'appareil  pèse  au-delà  d'une  once ,  ou  un 
vingt-quatrième  de  corps  entier  ,  tandis  qu'en  été  son  poids 
n'est  pas  même  d'une  demi-once,  c'est-à-dire  qu'il  ne  forme 
pas  alors  la  cent  soixantième  partie  du  corps  ,  outre  qu'il 
contient  peu  de  vaisseaux,  et  qu'on  n'y  peut  apercevoir  ni  li- 
quide ,  ni  vésicules.  Meckel  a  également  constaté  que  le  thy- 
mus du  Hérisson  était  plus  volumineux  ,  plus  imprégné  de 
sucs,  plus  rouge,  et  plus  riche  en^vaisseaux,  pendant  le  som- 
meil d'hiver.  Czermak  a  trouvé  que  les  Loirs  n'avaient  point 
de  thymus,  ou  n'en  offraient  que  de  faibles  traces  ,  et  il  croit 
qu'on  a  pris  pour  cet  organe  de  simples  amas  de  graisse. 

4°  Chez  les  Insectes,  le  suc  nourricier  général,  qui  baigne 
tous  les  organes,  est  plus  épais  durant  le  sommeil  hibernal, 
vers  la  fin  duquel  il  diminue  de  quantité  et  de  consistance  , 
en  même  temps  que  le  liquide  contenu  dans  le  vaisseau  dorsal 
devient  clair  comme  de  l'eau  (1).  Chez  les  Mammifères ,  le 
sang  qui  circule  dans  les  vaisseaux,  pendant  le  sommeil  d'hi- 
ver ,  contient ,  d'après  Tiédemann ,  beaucoup  de  sérosité  et 
moins  de  substances  solides.  Sulzer  a  trouvé  ,  chez  le  Ham- 
ster, qu'il  se  coagulait  avec  plus  de  lenteur,  que  le  caillot  ne 
devenait  pas  tout-à-fait  solide ,  et  que  le  sérum  avait  une 
couleur  cinnabarine  (2).  En  outre,  il  est  froid  ,  puisque  sa 
température  baisse  jusqu'à  -j-  2  ou  -j-  3  degrés  ,  et  il  dif- 
fère peu  dans  les  artères  de  ce  qu'il  est  dans  les  veines  , 
puisque  le  sang  artériel  a  une  teinte  de  rouge  brun  et  un 
aspect  presque  entièrement  semblable  à  celui  du  sang  vei- 
neux (3). 

5o  Pour  ce  qui  concerne  la  production  de  la  chaleur, 
Saissy  (4)  a  comparé  l'état  des  animaux  éveillés ,  à  une  tem- 
pérature de  -j-  17  degrés,  avec  celui  de  ces  mêmes  animaux 
endormis,  à  une  température  de  -j-  1  degré  ,  et  il  a  trouvé 
qu'au  coeur,  dans  la  poitrine,  et  au  foie ,  dans  l'abdomen,  la 


(1)  Loc.  cit.,  p.  598. 

(2)  Treviranus ,  Biologie ,  t.  IV,  p.  549. 

(3)  Saissy ,  loc.  cit.,  p.  59-74.  —  Prunelle ,  loc.  cit.,  p.  28-49. -^  Tiède- 
mann,  loc  cit.,  p.  484. 

(4)  Loc.  cit. ^  p.  11. 


204  PÉRIODICITÉ  ANNDEELE. 

chaleur  descendait  de  trente  degrés  à  quatre  chez  la  Mar- 
motte ,  de  vingt-huit  et  trois  quarts  à  quatre  chez  le  Hérisson, 
de  vingt-neuf  et  demi  à  trois  et  demi  chez  le  Muscardin  ,  de 
vingt-quatre  et  trois  quarts  à  quatre  chez  la  Chauve-Souris, 
lia  reconnu  aussi  que,  dans  la  bouche,  sous  les  aisselles  et 
aux  aines,  elle  baissait  de  vingt-huit  degrés  et  trois  quarts 
ou  vingt-neuf  et  demi  à  quatre  ,  chez  la  Marmotte ,  de  vingt- 
huit  à  deux  et  un  quart  chez  le  Hérisson ,  de  vingt-huit  et  trois 
quarts  à  deux  et  un  quart  chez  le  Muscardin,  de  vingt-quatre 
à  trois  et  un  quart  chez  la  Chauve-Souris.  Prunelle  (1)  a  fait 
des  observations  analogues ,  et  constaté  qu'au  fort  du  som- 
meil hibernal  la  température  intérieure  est  plus  basse  que 
celle  de  l'air  dans  les  cavités  où  les  animaux  s'étaient  retirés  ; 
la  température  du  rectuffi  était  de  -|-  29   degrés   et  demi 
chez  une  Marmotte  éveillée ,  de  cinq  et  demi  chez  une  autre 
en  plein  sommeil ,  de  quatorze  aux  approches  du  réveil ,  de 
seize  quand  l'animal  commençait  à  ronfler,  de  dix-sept  lors- 
qu'il s'allongeait,  et  de  vingt  quand  il  se  mettait  à  marcher. 
Mais   lorsque   la  température  tombe   à  zéro ,    l'animal  est 
mort  (2).  Czermak  a  trouvé  que  chez  les  Loirs  la  chaleur  tom- 
bait, pendant  le  sommeil  d'hiver,  de  -J-  30  degrés  à  -\-  12, 
la  température  extérieure  étant  de  -]-  14  3/4  ;  de  -}~  8  -{-  9, 
cette  température  étant  de  -}-  9  degrés  ;  et  parfois  même  à 
-f-  5  1/5,  l'air  du  dehors  marquant  -|-  4  1/2. 

6  "  ;  Czermark  a  remarqué  que  la  bile  était  plus  liquide 
et  moins  amère,  que  la  liqueur  séminale  ne  contenait  point 
de  spermatozoaires ,  mais  que  la  sécrétion  urinaire  persis- 
tait. 

7°  Quant  à  ce  qui  concerne  la  consommation ,  Spallanzani  a 
reconnu  que,  pendant  un  sommeil  de  quatre  mois,  des  Lima- 
çons étaient  devenus  plus  légers  de  dix  à  quatorze  grains , 
et  qu'au  réveil  ils  ne  remplissaient  plus  leur  coquille  d'une 
manière  aussi  exacte  qu'auparavant  (3).  Suivant  Mangili  (4) 


(i)Loc.  cif.,  p.  25-40,304. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  14. 

(3)  Loc.  cit. ,  p.  198. 

(4)  Loc.  cit.,  t.  IX,  p.  113. 


PÉRIODICITÉ   ANNUELLE.  265 

une  MarmoUe  perdit  en  deux  mois  deux  onces  de  son  poids  ; 
Prunelle  (1)  évalue  la  perle  d'un  de  ces  animaux  au  seizième 
de  son  poids  entier,  dans  l'espace  de  six  semaines,  et  celle 
d'une  Chauve-Souris  à  un  trente-deuxième  en  trois  semai- 
nes (2). 

2.    ESSENCE    DU    SOMMEIL    d'hIVER   CHEZ    LES   ANIMAUX. 

§  613.  Si  maintenant  nous  embrassons  d'un  seul  coup 
d'œil  les  phénomènes  du  sommeil  hibernal ,  nous  reconnais- 
sons, 

1°  Que  l'état  de  la  vie  sensorielle  est  ce  qu'il  présente  de 
plus  essentiel. 

D'abord  ,  en  effet,  il  commence  par  des  sensations  qui  dé- 
terminent l'animal  à  se  cacher  ou  à  s'enfouir,  acte  sans  lequel 
nul  animal  ne  tombe  dans  le  sommeil  d'hiver.  Ce  sommeil  n'a 
donc  pas  la  vie  vé^^étative  pour  point  de  départ,  mais  il  amène 
des  changemens  en  elle  ,  car  la  vie  animale  se  retirant  de  la 
périphérie,  la  respiration  diminue,  et  par  suite  la  circulation, 
ainsi  que  la  production  de  la  chaleur. 

En  second  lieu  ,  Tanimal  peut  être  éveillé  par  des  impres- 
sions qui  agissent  sur  le  sentiment  intérieur,  comme  la  cha- 
leur ou  le  froid,  l'ammoniaque,  le  galvanisme. 

Enfin,  au  réveil,  la  vie  végétative  ,  la  respiration ,  la  circu- 
lation et  la  production  de  la  chaleur,  ne  reprennent  que  peu  à 
peu  leur  marche,  accoutumée  ,  et  elles  le  font  d'autant  plus 
tard  que  le  sommeil  a  été  plus  profond.  Ainsi  il  faut  deux 
heures  au  Muscardin ,  trois  ou  quatre  à  la  Chauve-Souris , 
cinq  ou  six  au  Hérisson,  et  huit  à  la  Marmotte,  pour  recouvrer 
leur  chaleur  ordinaire  après  qu'ils  se  sont  réveillés  (3).  A  la 
vérité,  quand  on  employé  des  moyens  d'excitation  extérieure, 
on  voit  la  chaleur  croître  et  la  respiration  s'accélérer  avant 
l'époque  où  le  mouvement  animal  devient  manifeste  ;  mais  il 
est  hors  de  doute  qu'en  pareil  cas  le  sommeil  est  plus  ou 
moins  agité  (§  611,  3°). 

(1)  Loc.  cit.,  p.  36. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  30. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  19. 


266  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE, 

2"  Le  sommeil  d'hiver  ne  peut  donc  point  être  considéré 
comme  une  sorte  d'apoplexie,  ainsi  que  le  prétend  Prunelle  (1), 
car  il  cesse  de  lui-même  quand  son  terme  est  arrivé  ;  il  cède 
à  toute  impression  quelconque  sur  le  sentiment  intérieur, 
même  à  l'action  du  froid  ;  il  s'établit  à  une  température  ex- 
térieure plus  élevée  que  celle  qui  amène  l'engourdissement 
proprement  dit  ,  et  il  peut  durer  plus  long-temps  que  ce  der- 
nier sans  tuer  l'animal.  C'est  un  véritable  sommeil,  car  il  a  les 
mêmes  prodromes  (§  611,  1°)  et  la  même  fin(§  611 ,  6°)  que 
le  sommeil  ordinaire  ;  il  a  lieu ,  chez  plusieurs  animaux ,  sur  la 
même  couche  (§  610, 5°)  et  dans  la  même  attitude  (§  610,  7°)  ; 
il  n'est  d'abord  qu'un  sommeil  réel ,  puisqu'un  bruit  médio- 
cre suffit  pour  réveiller  les  Marmottes  pendant  les  premiers 
jours  (2)  ;  et  il  n'est  pas  non  plus  autre  chose  vers  sa  fin , 
puisque  certains  animaux  ,  après  s'être  éveillés  une  fois,  re- 
tournent à  la  nuit  dans  l'endroit  oii  ils  avaient  passé  l'hiver 
endormis  (§  611,  6°).  Si  le  sommeil  ordinaire  est  léger  chez 
certains  animaux  ,  et  profond  chez  d'autres  (§  397 ,  6°) ,  sans 
que  nous  puissions  découvrir  la  cause  immédiate  de  cette 
différence  dans  l'organisation ,  la  même  chose  arrive  par  rap- 
port à  celui  d'hiver  ;  mais  ce  dernier  est  un  sommeil  annuel, 
qui  par  conséquent  doit  surpasser  le  sommeil  journalier  en 
profondeur  comme  en  durée  :  c'est  un  acte  par  lequel  l'animal 
s'isole  du  monde  extérieur ,  et  pendant  la  durée  duquel  la  vie 
est ,  pour  ainsi  dire ,  repliée  sur  elle-même  ,  de  manière  que 
toutes  les  fonctions  végétatives  sont  restreintes  dans  leurs 
rôles  respectifs ,  quoique  conservant  toujours  assez  d'é- 
nergie pour  maintenir  l'existence  individuelle. 

3°  Il  est,  en  outre  l'analogue  de  l'état  embryonnaire,  comme 
l'ont  déjà  reconnu  Pallas,  Tiedemann(3),Meckel(4)  etj.  Mul- 
ler  (5).  L'attitude  (§  610 ,  7°)  de  l'animal,  l'inaction  des  orga- 
nes sensoriels  et  locomoteurs  (§  611 ,  2°-4°),  le  maintien  de  la 


(1)  Loc.  cii.,p.  320. 

(2)  Prunelle,  loc  cit.,  p.  318. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  491. 

(4)  Traité  général  d'anat.  comp,,  1. 1,  p.  382. 

(5)  De  respiratione  fœtus ,  p.  44. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  267 

vie  par  l'activité  animale  sans  qu'il  s'introduise  d'alimens  dans 
le  corps,  cette  autre  circonstance  qu'on  ne  trouve  que  des  pro- 
duits de  sa  propre  sécrétion  dans  le  canal  intestinal,  que  laLile 
est  moins  amère,  et  qu'il  n'y  a  point  de  déjections  alvines 
(§  611,  50),  enfin  la  disposition  du  thymus  (§  612,  3°),  l'état 
du  sang  (§  612,  4°)  et  celui  de  la  chaleur  (  §  612,  5°  )  ,  tout  se 
réunit  pour  établir  une  analogie  frappante  avec  la  vie  em- 
bryonnaire. Les  Insectes  passent  l'hiver,  ou  à  l'état  d'em- 
bryon, dans  l'œuf,  ou  à  l'état  de  chrysalide,  ou  dans  le 
sommeil,  ce  qui  prouve  que  ces  trois  états  tiennent  de  très- 
près  l'un  à  l'autre,  sous  le  point  de  vue  du  rôle  qu'ils  jouent 
dans  l'économie  (§  380  ,  'ÎO"). 

4°  Le  sommeil  d'hiver  est  le  résultat  d'un  type  intérieur. 
Quand  il  vient  à  être  interrompu  par  des  excitations  du  dehors, 
il  ne  tarde  pas  à  reparaître  après  la  cessation  de  ces  derniè- 
res (1).  Son  interruption  cause  parfois  la  mort,  comme  Blu- 
menbach  l'a  éprouvé  sur  le  Souslic  et  le  Muscardin,  Gleditsch 
sur  les  Grenouilles  (2),  et  Spallanzani  sur  d'autres  animaux. 
Un  Hérisson  que  Succow  (3)  réveillait  souvent ,  et  auquel  il 
donnait  alors  à  manger,  mourut;  la  viande  qu'on  lui  avait  fait 
prendre  fut  trouvée  non  digérée  dans  l'estomac  et  le  canal 
intestinal,  même  dans  le  rectum.  Des  exceptions  peuvent 
avoir  lieu  sans  doute ,  semblables  à  celles  que  Saissy  a  ob- 
servées (4)  ;  mais  il  n'y  a  rien  là  de  plus  extraordinaire  que 
dans  la  possibilité  de  changer  le  type  en  plaçant  les  animaux 
au  milieu  de  circonstances  inaccoutumées  ,  de  manière  à  pou- 
voir conserver  quelques  uns  d'entre  eux  éveiilés  en  hiver  dans 
une  chambre  chaude  ;  mais  même  alors  la  Marmotte  creuse 
un  terrier,  ou  se  fabrique  un  nid ,  et  s'endort  {5) ,  quoique 
d'un  sommeil  moins  long  et  interrompu  (6), 

Les  considérations  dans  lesquelles  nous  allons  entrer  ren- 
dront bien  plus  évident  encore  l'empire  que  ce  type  exerce. 

(1)  Prunelle,  îoc.  cit.,  p.  319. 

(2)  Bluraenbach,  Kleine  Schriften,  p.  120. 
(3)ioc.  cit,,p.  612. 

(4)  Deutsches  Archiv,  t.  III,  p.  434. 

(5)  Bechstein,  Naturgesehichte  Deutschlands ,  t.  I,  p.  4037. 

(6)  Prunelle ,  Ioc.  cit.,  p.  37. 


268  PÉRIODICITÉ  ANNUEtlE. 

3.  Besoin  du  sommeil  d'hiver  chez  les  animaux. 

§  614.  Le  besoin  du  sommeil  d'hiver  dépend  de  ce  qu'à  une 
certaine  époque  de  l'année  ,  le  monde  extérieur  n'offre  point 
à  la  vie  animale  les  conditions  qui  lui  sont  nécessaires  ;  en 
vertu  de  l'harmonie  qui  existe  entre  sa  périodicité  et  celle  de 
l'univers  ,  l'organisme  se  met  alors  dans  un  état  qui  lui  per- 
mette de!^se  maintenir,  malgré  ce  défaut. 

I.  Ainsi ,  en  premier  lieu  ,  le  sommeil  d'hiver  est  un  moyen 
de  se  mettre  à  l'abri  du  froid, ;ou,  plus  généralement,  de  se 
garantir  des  effets  défavorables  que  l'air  produirait  pendant 
cette  saison  de  l'année. 

Les  animaux  hibernansne  peuvent  point  supporter  le  froid  : 
le  Hérisson  et  la  Marmotte  périssent  quand  on  les  expose  en 
hiver  à  un  froid  naturel,  en  été  à  un  froid  artificiel,  de  huit 
degrés  au  dessous  de  zéro  (1).  La  mort  ne  lient  pas,  comme 
le  présumait  Buffon ,  à  ce  que  leur  température  est  alors  peu 
élevée  ,  mais  bien  plutôt  à  ce  qu'ils  ne  peuvent  point  la  main- 
tenir. Suivant  Saissy  (2) ,  la  température,  dans  une  atmosphère 
à  quatorze  degrés ,  tomba ,  chez  la  Marmotte ,  de  vingt-neuf 
degrés  à  vingt-cinq  ;  chez  le  Hérisson  ,  de  vingt-huit  à  vingt- 
six  ;  chez  le  Muscardin ,  de  vingt-huit  à  vingt-cinq  ;  chez  la 
Chauve-Souris ,  de  vingt-quatre  à  vingt-deux  ;  et  dans  une 
atmosphère  de  cinq  degrés  seulement ,  à  vingt-et-un  degrés 
chez  la  Marmotte ,  à  onze  chez  le  Hérisson  ,  à  seize  chez  le 
Muscardin,  à  dix  chez  la  Chauve-Souris. 

Mais  ces  animaux  paraissent  ne  pas  pouvoir  non  plus  suppor- 
ter beaucoup  de  chaleur  ;  car,  pendant  l'été,  ils  ne  sortent  que 
la  nuit,  surtout  le  Hérison,  le  Tenrec  et  le  Dipus\  et  Saissy  (3) 
nous  apprend  qu'ils  respirent  plus  la  nuit  que  dans  la  journée. 

Nous  devons  donc  considérer  les  choses  d'une  manière 
plus  générale  ,  et  reconnaître  que  leur  vie  a  moins  de  spon- 
tanéité et  d'indépendance  sous  le  rapport  de  la  température  , 
de  sorte  que,  chez  eux,  le  sommeil  annuel  l'emporte  sur  le 

(1)  Prunelle  ,  loc.  cit.,  p.  28-45.  —  Saissy,  loc  cit.,  p.  13.  —  Mangili, 
loc.cit.,  t.  X,p.  4.36. 
^2)  Loc.  cit.,  p.  11. 
(3)  Loc.  cit.,  p.  33. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  269 

sommeil  journalier  (§  594 ,  7°),  Aussi  la  variété  des  climats  fait- 
elle  que  ce  sommeil  a  lieu  tantôt  dans  la  plus  chaude  saison 
de  Tannée,  et  tantôt  dans  la  plus  froide.  L'Alligator,  par 
exemple,  s'engourdit  en  hiver  dans  l'Amérique  du  Nord  (1), 
comme  fait  le  Crocodile  dans  les  régions  septentrionales  de 
l'Egypte ,  tandis  que  ,  dans  les  contrées  tropicales  de  l'Améri- 
que, son  engourdissement  coïncide  avec  la  saison  sèche  et 
chaude ,  époque  à  laquelle  les  grandes  espèces  de  Boa  s'en- 
foncent également  dans  la  vase  pour  s'y  livrer  à  leur  sommeil 
annuel.  De  même  ,  à  Madagascar,  le  Tenrec  dort  pendant  les 
trois  mois  de  la  plus  forte  chaleur  (2).  C'est  donc  ,  rigoureu- 
sement parlant,  désigner  cet  état  par  une  expression  inconve- 
nante que  de  l'appeler  hibernation,  attendu  que  nous  sommes 
habitués  à  joindre  ensemble  l'idée  de  froid  et  celle  d'hiver. 
Du  reste,  nous  trouverions  une  cause  organique  de  ce  défaut 
de  spontanéité  dans  le  caractère  assigné  par  Saissy  (3)  aux 
animaux  hibernans,  d'avoir  des  nerfs  très-volumineux,  et  par 
conséquent  un  cerveau  moins  prédominant,  comme  aussi 
dans  cette  autre  circonstance  ,  alléguée  par  le  même  au- 
teur (4)  et  par^Prunelle  (5),  que  la  peau  est  riche  de  nerfs  et 
pauvre  en  vaisseaux  sanguins ,  et  par  cela  même  plus  sensi- 
ble au  froid  ,  de  même  que  les  bouts  de  nos  doigts  le  sont  à 
raison  d'une  disposition  analogue ,  si  ces  divers  faits  étaient 
bien  avérés  et  si  d'autres  observateurs  ne  les  plaçaient  sur  un 
jour  équivoque. 

Les  circonstances  suivantes  démontrent  d'une  manière  plus 
péremptoire  encore  que  le  froid  ne  peut  point  être  considéré 
comme  la  cause  de  l'hibernation. 

1°  Ce  sommeil  est  déterminé  par  une  sorte  de  pressenti- 
ment, c'est-à-dire  qu'il  a  plutôt  un  but  d'avenir  qu'un  but 
présent,  puisqu'il  commence  avant  la  manifestation  du  froid  , 
et  qu'il  finit  à  une  époque  ou  le  retour  de  la  chaleur  n'est 


(1)  Humboldt ,  Reise  in  die  yEquinoctialgegenden,  t.  III,  p.  433 

(2)  Uid.,  p.  328. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  59. 

(4)  Loc.  cit.,  p.  59. 

(5)  Loc.  cit.,  p.  306,315. 


a-JO  rEPJODlClTE  ANNUELLE. 

encore  que  prochain.  Beaucoup  d'Insectes  commencent  à  s'y 
livrer  dès  les  plus  beaux  jours  d'automne,  quand  la  tempéra- 
ture est  encore  à  onze  degrés,  tandis  qu'ils  n'y  songent  point 
lorsque ,  par  extraordinaire ,  le  froid  se  déclare  beaucoup 
plus  tôt,  et  ils  se  réveillent  à  une  température  plus  basse  que 
n'était  celle  sous  l'influence  de  laquelle  ils  sont  tombés  dans 
l'engourdissemenl.  Lorsque  la  Marmotte  se  réveille,  il  fait 
presque  toujours  plus  froid  que  quand  elle  a  commencé  à 
dormir,  puisque  les  montagnes  qu'elle  habite  sont  souvent 
couvertes  de  neige  jusqu'à  la  fin  du  mois  de  mai  (1).  D'après 
Czermak ,  le  sommeil  du  Loir  commençait  à  une  température 
extérieure  de  -]-  12  degrés  ,  et  cessait  au  printemps  à  9  de- 
grés. 

2"  Dans  les  régions  tropicales,  les  Reptiles  passent  leur  som- 
meil annuel  au  milieu  de  la  vase ,  qui  est  le  milieu  le  plus 
propre  à  les  abriter  de  la  chaleur  sèche.  Nos  animaux  hiber- 
nans  cherchent  de  même  des  endroits  où  le  froid  est  le  moins 
vif,  et  ils  bouchent  en  partie  les  ouvertures  de  leurs  retraites, 
afin  que  l'air  froid  ne  puisse  point  y  pénétrer.  Prunelle  a 
trouvé  que  ,  l'atmosphère  étant  à  deux  degrés  au  dessous  de 
zéro  ,  les  cavernes  des  Chauve-Souris  avaient  une  tempéra- 
ture de  huit  degrés  au  dessus  du  terme  de  la  congélation  (2), 
et  que  celle-ci  s'élevait  de  six  à  sept  degrés  dans  un  nid  de 
Marïiottes  (3). 

3°  Les  animaux  se  garantissent  plus  ou  moins  en  raison  du 
climat  de  leur  pays  natal.  Sur  les  Alpes  de  la  Suisse  ^  la  Mar- 
motte ne  s'enfouit  que  de  six  pieds  ,  tandis  qu'en  Sibérie  elle 
donne  jusqu'à  vingt  pieds  de  profondeur  à  ses  terriers. 

4°  Le  froid  empêche  l'hibernation.  Les  Hamsters  ,  par 
exemple  ,  qu'on  expose  au  froid  dans  des  caisses  ouvertes , 
ne  s'endorment  point  (4). 

5°  Une  température  douce  est  nécessaire  pour  que  ce  som- 
meil continue,  et  le  froid  l'interrompt.  Au  rapport  de  Spal- 


(1)  Prunelle,  loc.  cit.,  p.  34  38. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  29. 

(3)  Loc,  cit.,  p.  34. 

(4)  Bechblcin  ,  NatnrgeschicMe  Devtsclilands  ,  t.  Il,  p.  4014. 


PEUIODIûITE  ANNUEtLE.  271 

lanzani ,  des  Limaçons  s'éveillaient  toutes  les  fois  qu'on  diri- 
geait sur  eux  un  courant  d'air  froid  (1),  et  la  même  chose 
arrive  aux  Araignées,  suivant  Manj^ili  (2).  Prunelle  (3)  a  re- 
connu que  les  Chauve-Souris  s'éveillent  quand  la  tempéra- 
ture de  l'air  descend  à  deux  degrés  au  dessous  de  zéro ,  que 
les  Marmottes  sortent  également  de  leur  sommeil  lorsqu'on 
ouvre  l'entrée  du  nid  de  manière  à  y  laisser  pénétrer  l'air  (4), 
et  qu'on  ne  peut  les  tenir  endormies  que  dans  une  atmosphère 
dont  la  température  soit  au  dessus  de  zéro  (5).  Mangili  a  ob- 
servé que  la  respiration  devenait  plus  fréquente  chez  les  Mar- 
mottes exposées  au  froid,  que  la  chaleur  animale  augmentait,  et 
que  ces  animaux  s'éveillaient  ensuite  (6) .  Le  même  phénomène 
a  lieu  pour  les  Loirs,  les  Muscardins  et  les  Hérissons  (7). 

6°  La  chaleur  peut  empêcher  le  sommeil  d'hiver.  Les  Pu- 
cerons de  rosier  ne  s'engourdissent  pas  dans  une  chambre 
chaude,  non  plus  que  le  Protée,  les  Salamandres,  les  Grenouil- 
les et  les  Crapauds  (8). 

7°  En  général ,  la  chaleur  réveille  moins  aisément  que  le 
froid.  La  plupart  des  Insectes  ne  sortent  pas  de  leur  léthargie 
lorsque  la  température  s'élève ,  en  hiver,  jusqu'au  degré  qui 
est  habituel  au  mois  de  mai  ,  ou  du  moins  ils  ne  sortent 
pas  de  leur  retraite ,  et  y  restent  jusqu'au  printemps.  Un 
Hérisson  fut  réveillé  par  la  chaleur ,  mais  il  demeura  lent, 
prit  peu  de  nourriture ,  et  ne  digéra  pas  (9).  Les  Chauve- 
Souris  ne  s' éveillent  pas  dans  une  chambre  dont  la  température 
est  à  neuf  degrés;  il  faut  pour  cela  que. cette  dernière  monte 
jusqu'à  treize  ou  dix-sept  degrés  (50).  On  a  vu  souvent  des 


(1)  Loc.  cit.,  p.  127. 

(2)  Loc.  cit.,  t.  IX  ,  p.  112, 

(3)  ioc.  cîï.,  p.  24. 

(4)  llid.,  p.  34. 

(5)  Ihid.,  p.  45. 

(6)  Loc.  cit..,  t.  IX,  p.  114. 

(7)  i&ïd.,  t.  X,  p.  442-448. 

(8)  Rudolphi,  Grundriss  der  Physiologie ,  t.  I,  p.  284. 

(9)  Succow,  loc.  cit.,  p.  612. 

(10)  Prunelle,  loc.  cit.,  p.  29. 


a^2  PERIODICITE  ANNUELLE. 

Muscardins  continuer  de  dormir  à  une  chaleur  de  douze  de- 
grés (1). 

II.  Le  second  motif  déterminant  du  sommeil  d'hiver  est  le 
défaut  de  nourriture.  Nos  animaux  hibernans  se  nourrissent 
de  substances  qui  manquent  en  hiver,  c'est-à-dire  les  Ron- 
geurs de  végétaux  ,  les  Chauve-Souris,  les  Hérissons  et  les 
Tenrecs,  d'Insectes.  Les  animaux  qui  trouvent  de  quoi  manger 
en  hiver ,  ou  qui  font  en  été  de  grandes  provisions  pour  la 
mauvaise  saison,  comme  les  Abeilles  par  exemple,  demeurent 
éveillés.  Ceux  qui  font  un  amas  insuffisant ,  ont  le  sommeil 
court  ou  interrompu.  Quanta  ceux  qui  dorment  sans  disconti- 
nuer, ils  engraissent  beaucoup  avant  de  tomber  dans  l'engour- 
dissement, de  sorte  que  leur  propre  plasticité  leur  assure  un 
fond  de  subsistance  dans  l'intérieur  même  de  leur  corps. 
Mais,  pendant  le  sommeil  d'hiver  ,  l'action  de  la  vie  au  de- 
hors diminue,  par  conséquent  aussi  il  y  a  moins  d'activité 
sensorielle,  moins  de  mouvement  musculaire,  moins  d'excré- 
tions, et  par  suite  moins  de  consommation  ,  moins  de  besoin 
d'alimentation  Q. 

4.    CAttSES   Dtl   SOMMEIL   CHEZ   LES   ANIMAUX. 
a.  Causes  de  V engourdissement. 

§  615.  En  examinant  ce  qui  se  passe  pendant  le  sommeil 
d'hiver,  nous  reconnaissons , 

1»  Que  l'extinction  des  penchans  en  est  la  cause  prochaine. 
La  vie  animale  est  un  composé  de  penchans  et  de  propen- 
sions ;  elle  repose  donc  sur  le  besoin  ,  et  elle  cède  le  pas  à  la 
vie  végétative,  dès  que  ce  besoin  est  satisfait.  Une  fois  que 
l'animal  est  rassasié  de  la  vie,  il  aspire  au  repos ,  parce  qu'il 
n'éprouve  plus  aucun  besoin  :  il  s'isole ,  parce  que  le  monde 
extérieur  n'a  plus  d'attrait  pour  lui  ;  il  s'engourdit  au  sein  de 
la  satisfaction  de  soi-même.  De  même  qu'après  un  repas  il 
tombe  dans  le  sommeil  journalier,  de  même  aussi  six  mois  de 
nourriture  le  plongent  dans  le  sommeil  annuel.  Les  animaux 


(l)Mangili ,  loc,  cit.,  t.  X,  p.  M8. 

(*)  Consultez ,  sur  le  sommeil  des  animaux  hibernans,  un  Mémoire  de 
Berlhold ,  dans  Muller,  Archiv  fner  Anatomie ,  cali.  I,  p.  63. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  27 J 

hibernans  ont  trouvé  la  nourriture  la  plus  abondante  en  été 
et  en  automne ,  et  ils  s'en  sont  tellement  rassasiés  que,  quand 
le  monde  extérieur  cesse  de  leur  fournir  des  alimens,  ils  n'en 
sentent  plus  le  besoin  (§  611 ,  5°).  Les  autres  animaux  de- 
meurent éveillés  parce  qu'ils  ne  sont  point  aussi  rassasiés,  et 
ils  trouvent  leur  nourriture  ou  dans  les  magasins  qu'ils  ont 
établis  ,  ou  à  Tair  libre  ,  soit  dans  leur  pays  natal,  soit  à  l'é- 
tranger. De  même  aussi ,  chez  les  animaux  hibernans,  l'édu- 
cation des  petits ,  qui  est  terminée  aux  approches  de  l'hi- 
ver, ne  laisse  plus  rien  à  désirer  au  penchant  à  la  reproduc- 
tion. 

2°  La  graisse  est  l'expression  de  ia  satisfaction  du  besoin  de 
se  nourrir  et  du  sommeil  de  l'instinct  procréateur  (§  563, 
1%  2°).  Résultant  d'un  superflu  d'activité  plastique  et  de 
substances  aptes  à  recevoir  la  fortne,  elle  ramène  les  forces 
organiques  à  l'indiflerence,  éteint  tous  les  penchans ,  fait  naî- 
tre l'apathie ,  l'insensibilité  et  la  somnolence.  Les  Limaçons 
sont  fort  gras  avant  de  clore  leurs  coquilles  pour  se  livrer  au 
sommeil  d'hiver  ;  aussi  est-ce  à  cette  époque  surtout  que  les 
gourmands  les  recherchent ,  et  ils  fabriquent  d'autant  plus 
tôt  leurs  opercules  qu'ils  ont  engraissé  davantage;  l'opercule 
est  le  dernier  produit  de  la  force  plastique  exubérante,  celui 
par  lequel  elle  s'impose  des  bornes  à  elle-même.  L'Ours  ,  le 
Loir,  la  Marmotte,  etc.,  sont  également  fort  gras  avant  l'hi- 
bernation ;  la  graisse  abonde  tellement  dans  l'épiploon  et  le 
mésentère  ,  ainsi  qu'autour  des  vaisseaux  de  la  cavité  abdo- 
minale, qu'elle  enveloppe  entièrement  le  foie,  la  rate  et  les 
reins  (1)  ;  il  y  en  a  aussi  de  déposée  dans  la  cavité  pectorale, 
dans  les  poumons  et  le  thymus  (2).  Sa  quantité  s'élevait  à 
quatre  cent  quatre-vingt-neuf  grammes  chez  un  animal  dont 
ie  poids  total  était  de  trois  mille  quatre  cents  grammes  ,  de 
sorte  qu'elle  faisait  le  septième  de  la  masse  du  corps  (3).  Si 
les  Marmottes  apprivoisées  n'ont  point  un  sommeil  d'hiver 
aussi  régulier,  il  faut  s'en  prendre  spécialement  à  ce  qu'elles 


(4)  Prunelle  ,  loc.  cit.,  p.  3d2. 
(2)  Ihid.,  p.  309. 
(.3)  i6J(/,,p.  3G. 


V. 


274  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE. 

n'engraissent  pas  autant  que  celles  qui  jouissent  de  leur^li- 
berté  (1). 

3°  La  somnolence  amenée  par  la  satisfaction  des  pen- 
chans  (l")  et  déterminée  par  l'obésité  (2°),  est  accrue  encore 
par  le  ralentissement  de  la  respiration,  qui  fait  que  le  système 
(le  la  sensibilité  ,  le  cerveau  surtout ,  ne  reçoit  plus  de  sang 
parfait  et  vermeil,  de  sorte  qu'il  est  moins  vivementexcité. Mais 
la  respiration  diminue  ,  tant  parce  que  la  somnolence  a  rendu 
moins  considérable  l'influence  de  l'organe  central  de  la  sen- 
sibilité, que  parce  que  le  volume  de  thymus,  l'accumulation  de 
la  graisse,  et  la  courbure  du  corps,  qui  refoule  le  diaphragme 
vers  le  haut,  ont  rétréci  l'espace  réservé  aux  poumons.  En 
effet,  que  les  poumons  des  animaux  Iiibernans  soient  plus 
petits ,  comme  le  prétend  Saissy  (2) ,  ou  qu'ils  ne  le  soient 
pas,  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  leur  respiration  subit, 
à  l'air  frais,  une  diminution  plus  considérable  que  celle  qu'é- 
prouve la  respiration  d'autres  animaux.  Laproportion  entre  les 
inspirations  à  une  température  de  vingt  et  à  une  autre  de  sept 
degrés ,  a  été ,  chez  la  Marmotte  de  trente  à  vingt ,  chez  le 
Muscardin  de  quarante-cinq  à  trente,  chez  le  Hérisson  de 
seize  à  dix ,  chez  la  Cbauve-Souris  de  dix  à  huit  (3);  celle 
entre  la  consommation  d'oxygène  pendant  une  heure  à  une 
température  de  vingt  degrés  et  la  même  à  une  autre  tempé- 
rature de  cinq  degrés ,  a  été  de  cent  sept  à  soixante-et-onze 
chez  la  Marmotte,  de  quatre-vingts  à  vingt-six  chez  le  Héris- 
son ,  de  trente-quatre  à  vingt  chez  le  Muscardin  ,  et  de  dix- 
sept  à  trois  chez  la  Chauve-Souris,  le  tout  en  pouces  cubes  (4)- 
Le  besoin  de  respirer,  et  notamment  celui  d'oxygène,  parais- 
sent être  moindres ,  en  général  ,  chez  ces  animaux  :  suivant 
Saissy  (6) ,  le  Hérisson  vit ,  dans  l'air  renfermé  ,  jusqu'à  ce 
qu'il  ait  consommé  tout  l'oxygène  ,  tandis  que  le  Lapin  y 
meurt  quand  il  reste  encore  vingt-cinq  centièmes  de  ce  gaz  , 

(1)  Ihid.,  p.  37. 

(2)  L(,c.  cit.,  p.  59, 

(3)  Ihid.,  p.  33, 

(4)  Ibid.^  p.  29. 

(5)  Doutschçs  ArcUv,  t,  III,  p.  d35. 


PÉRIOIDICITÉ  ANNUEtlE/  â^5 

et  il  supporte  l'azote  pur  pendant  un  quart  d'heure ,  tandis 
que  le  Rat  et  la  Souris  n'y  peuvent  pas  vivre  plus  de  deux 
minutes  et  demie. 

4°  Comme  la  diminution  de  la  respiration  rend  le  sang  plus 
veineux ,  ce  liquide  exerce  une  action  moins  stimulante  sur  le 
cœur,  qui  lui-même  se  ralentit;  mais  la  veinosité  du  sang,  la 
lenteur  de  son  cours ,  et  la  diminution  des  manifestations  de 
la  vie  animale  font  qu'il  se  produit  moins  de  chaleur. 

5°  La  paroi  du  tronc ,  qui ,  d'après  son  essence ,  est  consa- 
crée à  la  vie  animale  et  au  conflit  avec  le  monde  extérieur, 
perd  sa  vitalité  pendant  le  sommeil  d'hiver,  et  attire  moins  de 
sang  (§  612  ,  1°) ,  comme  aussi  les  muscles  deviennent  plus 
rigides  (§  611 ,  4"  ).  Le  sang  demeure  donc  en  grande  partie 
dans  les  troncs  ,  et  comme  il  n'en  passe  que  peu  dans  les  vais- 
seaux capillaires  ,  son  mouvement  consiste  moins  en  une  cir- 
culation complète  qu'en  une  oscillation  semblable  à  celle  qui 
a  lieu  dans   les  premiers  temps  de  la  vie  embryonnaiie 
(§440,  11°). 

Il  n'y  a  pas  besoin  pour  cela  de  dispositions  particulières , 
telles  que  celles  qu'où  cru  devoir  admettre  quelques  obser- 
vateurs. 

Prunelle  (1)  et  Saissy  (2)  prétendent  que  les  troncs  vascu- 
laires  du  tronc  ont  plus  d'ampleur  qu'ils  n'en  offrent  chez 
d'autres  animaux  ;  mais  Otto  (3)  a  réfuté  cette  assertion,  et 
nous  devons  admettre  que  les  vaisseaux  dont  il  s'agit  ont , 
même  sans  présenter  plus  de  diamètre  qu'à  l'ordinaire,  assez 
de  capacité  pour  pouvoir  recevoir  le  sang  qui  reflue  des  petits 
vaisseaux  de  la  paroi  du  corps. 

Spallanzani  croyait  que  la  cause  du  sommeil  d'hiver  se  rat- 
tachait à  la  pléthore  des  vaisseaux  sanguins  du  cerveau; 
Saissy  (4)  a  combattu  cette  opinion ,  en  faisant  voir  qu'il  y  a , 
au  contraire,  moins  de  sang  dans  les  vaisseaux  cérébraux  que 
chez  l'animal  éveillé. 


(1)  ioc.  cz7.,  p,  307,  315. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  59  ,  86. 

(3)  Nov.  Act.  Nat.  Cur.,  t.  XTÎI ,  p. 

(4)  Loc,  cit.,  p.  84, 


2^6  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE . 

Mangili  (1)  voulait  que  l'hibernation  dépendît  d'un  défaut 
de  sang  au  cerveau  ;  il  se  fondait  sur  ce  que  les  artères  de  cet 
organe  sont  plus  petites  chez  les  animaux  hibernans  et  pro- 
viennent de  la  seule  vertébrale  ;  mais  Otto  (2)  a  fait  voir  que 
le  cerveau  de  ces  animaux  reçoit  tout  autant  de  sang  que  ce- 
lui d'aucun  autre,  et  que  celui-ci  y  parvient  également  par 
la  carotide  interne  ,  mais  qu'ici  cette  artère  traverse  la  caisse 
du  tympan  et  l'étrier.  Cependant  il  n'y  a  rien  là  non  plus  de 
caractéristique,  puisqu'on  trouve  la  même  disposition  dans 
les  Souris,  les  Taupes  et  les  Ecureuils,  tandis  qu'elle  ne  se 
voit  pas  dans  l'Ours  et  le  Blaireau  ;  or,  si  l'on  voulait  refuser 
le  sommeil  d'hiver  à  ces  derniers ,  on  ne  pourrait  pas  non  plus 
l'accorder  aux  premiers.  Du  reste ,  la  carotide  interne  paraît 
suivre  aussi  la  même  marche  chez  les  Cétacés. 

Saissy  (3)  prétendait  encore  que  le  sang  des  animaux  hi- 
bernans diffère  de  celui  des  espèces  affines  en  ce  qu'il  est 
plus  liquide  et  contient  deux  tiers  de  moins  de  fibrine , 
moitié  moins  d'albumine ,  et  un  quart  de  plus  d'eau ,  outre 
une  petite  quantité  de  gélatine.  En  effet ,  il  a  trouvé,  dans 
7,9613  de  sang  d'animaux  hibernans  éveillés  ,  6,2628  d'eau  , 
0,0177  de  fibrine  ,  1,6454  d'albumine  ,  et  0,0354  de  gélatine, 
tandis  que  celui  des  Lapins  et  des  Cochons  d'Inde  lui  a  offert 
4,7237  d'eau,  0,0531  de  fibrine ,  3,185  d'albumine,  et  point 
de  gélatine.  Mais  quand  il  croit  que  cette  composition  est 
nécessaire  pour  maintenir  le  sang  liquide  ou  l'empêcher  de  se 
coaguler  pendant  le  sommeil  d'hiver,  nous  ne  pouvons  parta- 
ger sa  manière  de  voir,  puisque  la  coagulation  n'a  point  lieu 
pendant  l'état  latent  de  la  vie,  mais  seulement  après  l'exctinc- 
tion  de  cette  dernière ,  et  que  le  mouvement  vivant  du  sang 
persiste  pendant  le  sommeil  d'hiver,  au  moins  comme  oscil- 
lation. 

b.  Causes  du  réveil, 

§  616.  Comme  la  vie  végétative  intérieure  persiste  pendant 


(1)  Loc.cit.,t.X,  p.  462. 

(2)  Loc.  cit.,f.  73. 

(3)  loc.  cit.,  p.  73,  89. 


PERIODICITE  ANNUELLE.  3^7 

l'état  d'hibernation  ,  tant  que  la  nature  extérieure  n'offre 
point  assez  de  substances  ni  d'excitations  pour  entretenir  lu 
vie  animale,  il  se  développe  par-là  de  nouveaux  antagonismes, 
qui  amènent  le  réveil  de  la  vie  organique  simultanément  avec 
celui  de  la  vie  planétaire. 

i°  Pendant  le  repos  ,  la  différence  entre  les  nerfs  et  les 
muscles  se  développe  peu  à  peu  ,  et  il  se  reproduit  une  nou- 
velle réceptivité  pour  les  impressions.  Quand  la  graisse  est 
décomposée  ,  la  paresse  cesse  ;  les  muscles  et  les  nerfs  sont 
en  quelque  sorte  plus  rapprochés  ,  et  ils  agissent  plus  vive- 
ment les  uns  sur  les  autres  :  les  nerfs ,  devenus  plus  libres, 
rendent  accessibles  à  des  excitations  qui  auparavant  ne  pro- 
duisaient plus  aucun  effet. 

2"  Il  survient  en  même  temps  des  circonstances  qui  sont 
de  nature  à  opérer  une  excitation  du  sentiment  intérieur. 

D'abord ,  la  sécrétion  ,  qui  a  marché  sans  interruption  ,  a 
fini  par  accumuler  des  matières  excrémenlitielles  dans  le  rec- 
tum et  dans  la  vessie  urinaire  (1). 

Ensuite,  la  provision  de  graisse  a  été  épuisée  pendant  le 
sommeil  d'hiver,  et  le  besoin  de  nourriture  commence  à  se 
fairesenlir  de  nouveau.  La  Marmotte,  dès  qu'elle  est  éveillée, 
descend  dans  les  vallées ,  pour  y  chercher  des  alimens  ; 
l'Ours  mange  aussitôt  des  racines ,  des  bourgeons  d'arbres  et 
du  miel ,  pour  se  restaurer  ;  la  lente  Tortue  seule  a  besoin 
d'une  ou  deux  semaines  avant  de  s'éveiller  assez  pour  dési- 
rer de  la  nourriture  (2). 

Enfin  la  décomposition  de  la  graisse  a  produit  du  sperme  et 
fait  entrer  les  vésicules  de  l'ovaire  en  turgescence  ;  delà  une 
action  sur  le  sentiment  intérieur,  qui  chasse  le  sommeil.  Aussi 
le  rut  succède-t-il  immédiatement  à  l'hibernation ,  chez  le 
Souslic  en  mars ,  chez  le  Hérisson  en  avril,  chez  la  Marmoltey 
le  Hérisson  et  la  Chauve-Souris  en  mai. 

3°  Mais  l'harmonie  de  la  vie  avec  le  monde  extérieur  fait 
que  la  réceptivité  s'exalte,  le  sentiment  intérieur  se  ranime, 
et  les  penchans  qui  en  dépendent  se  développent  précisément  à 

(1)  Mangili ,  loc.  cit. ,  t.  X,  p.  453. 

(2)  Murray,  dans  Froriep,  Notizen,  X.  XIV,  p.  iiS. 


278  PÉRIODICITÉ  ANNUEILE. 

l'époque  OÙ  le  monde  du  dehors  réunit  les  conditions  nécessaires 
à  la  satisfaction  de  ces  mêmes  penchans.  Il  en  est  donc  de  la 
durée  du  sommeil  d'hiver  comme  de  celle  de  la  vie  embryon- 
naire (§  615,  1°);  un  accord  parfait  règne  entre  elle  et  les  cir- 
constances générales  de  l'univers.  Spallanzani  (1)  reconnais- 
sait pour  loi  absolue  que  tout  animal  sort  du  sommeil  d'hi- 
ver quand  l'époque  est  venue  où  il  peut  trouver  la  nourri- 
ture qui  lui  convient.  L'hibernation  des  Fourmis  commence 
et  finit  en  même  temps  que  celle  des  Pucerons  ,  dont  ces  In- 
sectes se  nourrissent.  La  larve  du  PapiUo  cinxia  s'éveille  en 
mars,  quand  le  plantain  verdit;  celle  du  Bombyx  chrysorrhœa 
ne  se  dégourdit  qu'un  mois  plus  tard,  parce  qu'alors  seulement 
elle  rencontre  des  feuilles  sur  les  arbres.  Si  quelques  Sau- 
riens ou  Chéiroptères  de  petite  taille  se  réveillent  pendant 
les  journées  chaudes  de  l'hiver ,  c'est  qu'à  la  même  époque 
les  Insectes  dont  ils  se  nourrissent  reprennent  aussi  la  liberté 
de  leurs  mouvemens. 

II.  Phénomènes  relatifs  à  certaines  fonctions. 

§  617.  Les  phénomènes  de  périodicité  annuelle  qui  n'inté- 
ressent que  certaines  faces  de  la  vie,  ont  rapport,  les  uns  à 
la  vie  végétative ,  et  les  autres  à  la  vie  animale  (§  618). 

A.   F'ie  végétative. 

A  l'égard  des  premiers ,  ils  consistent  en  une  régénération 
périodique ,  qui  ressemble  bien  d'une  manière  générale  aux 
mutations  annuelles  des  plantes  (  §  609),  mais  qui  diffère  d'elles 
sous  plusieurs  points  de  vue  importans. 

En  effet ,  la  vie  est  devenue  continue  et  persistante  chez 
l'animal.  Il  suit  de  là  que  le  sommeil  hibernal  des  animaux 
est  bien  général,  mais  qu'il  ne  s'accompagne  pas,  comme  celui 
des  plantes,  d'une  mort  de  parties  organiques.  D'un  autre 
côté ,  la  régénération  périodique  consiste  en  Un  échange 
de  parties  vieillies  contre  d'autres  nouvelles  ;  mais  cet  échauge 
ne  concerne  point  les  organes  essentiels,  et  il  ne  porte  que  sur 
des  parties  épidermiques  de  la  surface ,  qui  ne  peuvent  se 

(i)  Loc,  cit.,  p.  129. 


PÉftïOMCITÉ  ANNUEllD.  379 

maintenir  par  le  fait  d'une  vitalité  inhérente ,  ou  se  rajeunir 
par  celui  d'un  renouvellement  de  matériaux  dans  leur  propre 
substance. 

La  plupart  des  phénomènes  de  la  régénération  périodique 
sont  désignés  sous  le  nom  de  mue ,  qu'on  peut  d'après  cela 
considérer  comme  un  terme  générique.  Du  reste,  les  mues  ne 
sont  bien  prononcées  que  chez  les  animaux  aériens ,  parce 
que  l'air  contribue  à  rendre  les  parties  épidermiques  cassantes. 

1.  Enumérons  d'abord  les  parties  dans  lesquelles  se  mani- 
feste la  régénération  périodique. 

1»  Au  premier  rang  vient  l'épiderme.  Le  renouvellement 
de  celte  membrane  est  un  des  phénomènes  les  plus  répandus, 
et  il  diffère  de  la  régénération  périodique  en  ce  qu'il  n'y  a 
point  d'époque  où  l'épiderme  manque  ;  car ,  lorsque  l'ancien 
meurt,  le  nouveau  existe  déjà ,  et  l'expulsion  du  premier  n'est 
même  déterminée  que  par  la  crue  du  second. 

a.  L'épiderme  externe,  ou  l'épiderme  proprement  dit,  qui 
revêt  la  peau  extérieure^,  se  renouvelle  chez  tous  les  animaux, 
mais  avec  quelques  différences  de  forme.  En  effet , 

a.  Chez  les  animaux  qui  font  ce  qu'on  appelle  peau  neuve , 
il  se  détache  tout  d'une  pièce.  L'animal  s'en  débarrasse  par 
ses  efforts  spontanés ,  et  il  sort  de  sa  gaine  épidermique , 
après  qu'elle  s'est  détachée  de  la  pellicule  produite  au  des- 
sous d'elle  et  fendue. 

Chezleslnsectes,lamue  n'a  lieu  la  plupart  du  temps  que  pen- 
dant l'état  de  larve,  et  les  Ephémères  sont  les  seuls  qui  changent 
encore  de  peau  après  avoir  acquis  des  ailes.  Ces  animaux  se 
cramponnent  avec  leurs  pattes,  s'agitent  de  mou'  fmens  qui 
imitent  le  tremblement  de  la  fièvre ,  font  crever  l'épiderme 
à  la  tête  et  au  dos ,  dégagent  la  tête  ,  puis  les  pattes ,  ensuite 
les  ailes ,  et  enfin  le  corps  ;  la  vieille  dépouille  reste  sous  la 
forme  d'un  sac  vide  ,  avec  les  pattes  accrochées  au  sol.  Chez 
d'autres  Insectes,  on  remarque,  dans  les  larves,  un  violent 
mouvement  et  un  gonflement  de  la  partie  antérieure  du  corps, 
qui  détachent  de  plus  en  plus  l'épiderme  ,1e  dessèchent,  et  y 
produisent,  sur  la  hgne  médiane  ,  au  milieu  du  second  et  du 
troisième  anneaux,  une  déchirure,  qui  s'étend  ensuile  sur  la 
tête  et  sur  le  tronc ,  et  à  travers  laquelle  la  larve  sort ,  la  par- 


aSo  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE. 

tie  antérieure  du  corps  la  première  ;  l'épiderme  qui  s'est  pro- 
duit dessous  a  ses  poils  propres  ,  mais  les  prolongemens  de 
la  peau  qui  s'étendent  dans  les  parties  charnues  ne  se  renou- 
vellent pas  ;  ils  deviennent  seulement  membraneux,  par  la  ré- 
sorption de  leur  contenu  terreux ,  puis  ils  se  solidifient  de  nou- 
v.'au,  parce  qu'ils  se  mettent  en  rapport  avec  le  nouvel  épider- 
m^  que  peu  d'heures  d'exposition  à  l'air  suffisent  pour  durcir. 

Le  Monocle  se  fixe  avec  les  pattes  de  devant ,  et  quand 
une  déchirure  s'est  faite  au  cou ,  il  sort  sa  tète  ,  puis  tire  ses 
membres  avec  peine  (1). 

Dans  l'Ecrevisse,  les  mouvemens  violens  de  l'animal,  qui 
en  outre  se  gonfle,  font  éclater  le  test  entre  le  bouclier  dorsal 
et  la  queue;  après  quelques instans  de  répit,  le  Grustacésort 
peu  à  peu  par  cette  fente ,  qui  devient  de  plus  en  plus  large. 
Mais  comme  le  test  des  membres]  a  une  petite  fente  ,  celle-ci 
s'agrandit  pour  livrer  passage  aux  pattes  et  aux  pinces. 

L'Araignée ,  après  que  l'épiderme  a  éclaté  sur  son  dos ,  se 
dégage  par  un  mouvement  ondulatoire  ,  repousse  la  poche 
sur  l'abdomen ,  de  manière  qu'elle  pend  au  bout  des  pattes, 
comme  un  gant  renversé ,  et  finit  par  tirer  aussi  les  pattes 
elles-mêmes. 

Enfin  les  Sauriens  et  les  Ophidiens  changent  de  peau.  Chez 
quelques  uns  de  ces  derniers,  à  chaque  mue ,  une  portion  an- 
nulaire de  l'ancien  épiderme  reste  à  la  queue,  de  sorte  qu'on 
peut  reconnaître  l'âge  de  l'animal  par  le  nombre  de  ces 
anneaux ,  qui ,  chez  le  Serpent  à  sonnettes ,  constituent  les 
grelots. 

h.  L'épiderme  mucilagineux  des  Batraciens  et  de  quelques 
Poissons  se  détache  par  grands  morceaux  irréguliers.  Un  phé- 
nomène analogue  a  lieu  chez  l'homme  après  la  scarlatine  ; 
aussi  divers  médecins  ont-ils  considéré  cet  exanthème  comme 
un  acte  normal  de  développement ,  opinion  que  rien  ne  justi- 
fie cependant,  puisque  la  scarlatine  ne  se  produit  pas  du  de- 
dans ,  mais  résulte  loujours  d'une  infection  ,  et  que  ceux  qui 
en  ont  été  exempts  ne  présentent  aucune  anomalie  sous  le 
point  de  vue  de  leur  développement. 

(i)  Juiine ,  Histoire  des  Mojrocles  ,  p.  418. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  28 1 

c.  Dans  la  mue  des  Oiseaux,  l'épiderme  se  détache  par  pla- 
ques aux  pattes,  au  bec  et  sur  les  autres  parties  du  corps  qui 
sont  nues ,  mais  tombe  en  forme  d'écaiiles  furfuracées  sur 
toutes  celles  que  les  plumes  recouvrent. 

Le  premier  de  ces  deux  modes  a  lieu  chez  les  Mammifères 
écailleux  ,  et  le  second  chez  les  Mammifères  velus. 

Chez  l'homme ,  l'épiderme  se  détache  à  des  époques  indé- 
terminées et  d'une  manière  insensible  :  c'est  au  cuir  chevelu 
qu'il  tombe  plus  sensiblement  sous  la  forme  d'écaiiles  fur- 
furacées (1). 

d.  Chez  les  Insectes ,  l'épiderme  de  la  surface  mterne ,  ou 
des  organes  digestifs  et  respiratoires ,  se  renouvelle  égale- 
ment; celui  qui  tapissait  l'intestin  et  les  troncs  des  trachées 
est  rejeté  au  dehors ,  comme  un  corps  étranger. 

Chez  les  Crustacés,  la  membrane  interne  de  l'estomac  subit 
une  mue.  Chez  les  animaux  supérieurs ,  cette  mue  interne  , 
quoiqu'on  l'observe  dans  quelques  cas ,  n'est  jamais  un  phé- 
nomène normal. 

2°  Les  prolongemens  cornés  qui  s'élèvent  au  dessus  de  la 
surface  extérieure  se  rapprochent  de  la  nature  végétale,  tant 
par  leur  forme  que  par  leurs  phénomènes  de  vitalité,  et  se 
renouvellent  aussi  d'une  manière  plus  ou  moins  analogue  à  ce 
qu'on  observe  chez  les  plantes ,  un  certain  laps  de  temps  s'é- 
coulant  entre  leur  mort  et  leur  remplacement. 

a.  Ce  cas  n'a  lieu  qu'en  partie  eu  égard  aux  prolongemens 
filiformes  qui  complètent  les  tégumens  cutanés  ,  c'est-à-dire 
les  poils  et  les  plumes;  car  lorsque  les  anciennes  productions 
de  ce  genre  tombent ,  les  germes  de  celles  qui  doivent  pren- 
dre leur  place  existent  déjà  la  plupart  du  temps,  ou  du  moins 
celles  d'une  espèce  persistent ,  comme  couverture  d'été,  tan- 
dis que  celles  d'une  autre  tombent,  comme  couverture  d'hi- 
ver. En  périssant ,  elles  occasionent  un  prurit,  qui  détermine 
l'animal  à  favoriser  leur  chute.  Au  temps  de  la  mue ,  les  Oi- 
seaux se  grattent  avec  le  bec  ou  avec  les  pattes  ;  les  Mammi- 
fères rendent  la  chute  des  poils  plus  facile  en  se  grattant ,  se 
frottant  soit  contre  les  arbres ,  soit  contre  d'autres  corps  durs, 

(1)  P.  Rayer  ,  Traité  théorique  et  pratique  des  maladies  delà  peau, 
Paris ,  1835 ,  1. 1 ,  p.  23. 


s 82  PÉRIODICITÉ  ANNUEttE. 

se  roulant  par  terre ,  ou  se  léchant  :  dans  ce  dernier  cas ,  ils 
avalent  souvent  les  poils ,  qui  se  réunissent  en  pelotons  dans 
l'estomac  ou  les  intestins. 

6.  La  régénération  des  bois  est  celle  qui  se  rapproche  le 
plus  de  la  forme  végétale.  Cependant ,  même  ici ,  il  ne  se 
produit  pas  de  vide  complet,  car  la  congestion  ou  l'exaltation 
locale  de  la  vie  du  sang ,  qui  est  la  condition  de  la  formation 
d'un  nouveau  bois  ,  précède  la  chute  de  l'ancien  et  la  déter- 
mine. A  la  place  du  bois  tombé ,  on  aperçoit  une  élévation 
superficielle ,  frangée  et  parsemée  d'un  grand  nombre  de 
vaisseaux  ;  il  s'en  élève  un  cartilage  mou  et  recouvert  d'épi- 
derme,  qui,  chez  le  Cerf,  grandit  à  peu  près  d'un  demi 
pouce  chaque  jour  ;  ce  cartilage  a  acquis  tout  son  dévelop- 
pement au  bout  de  trois  mois,  et  un  ou  deux  mois  après  il  est 
devenu  solide  ;  l'épiderme  commence  alors  à  se  détacher  ;  le 
Cerf  se  frotte  contre  les  arbres  pour  en  accélérer  la  chute  , 
et  parfois  aussi  le  mange.  Le  nouveau  bois  est  d'abord 
blanc  :  il  jaunit  au  bout  de  quelques  jours ,  et  en  quelques  se- 
maines il  prend  la  couleur  brune  qu'il  doit  conserver. 

A  la  racine  des  cornes,  chez  le  Taureau,  à  partir  de  la 
cinquième  année ,  et  chez  la  Vache ,  à  dater  de  celle  où  elle  a 
mis  bas  pour  la  première  fois ,  il  se  produit  annuellement 
un  bourrelet  annulaire  ,  qui  est  peut-être  un  débris  d'épi- 
derme  rejeté ,  et  que  chaque  nouveau  bourrelet  repousse  de 
plus  en  plus  vers  la  pointe  de  la  corne. 

Les  lames  cornées  ,  telles  que  les  ongles,  paraissent  ne 
point  être  sujettes  à  un  renouvellement  normal,  et  quand  il 
arrive  au  Cheval ,  dans  les  régions  humides  et  marécageuses, 
de  perdre  ses  sabots  en  changeant  de  poil  (1),  ce  n'est  là 
qu'un  état  purement  maladif. 

IL  A  l'égard  des  autres  circonstances , 

3°  La  durée  de  ce  renouvellement  est  d'autant  plus  courte 
que  loi-même  est  déjà  plus  préparé  d'avance.  Le  changement 
de  peau  s'opère  en  peu  d'heures  ;  la  mue  dure  quinze  jours 
ou  trois  Semaines  chez  la  plupart  des  Oiseaux  ;  mais  il  y  en  a 
quelques  uns ,  les  Pies  ,  par  exemple ,  chez  lesquels  elle  se 

d)  Bechstein,  Nalunjescliichto  DeutscUands  ^  1. 1,  p.  248. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  283 

prolonge  pendant  deux  ou  trois  mois.  Le  bois  est  complète- 
ment remplacé  en  quatre  mois  chez  le  Chevreuil  et  le  Daim , 
en  cinq  chez  le  Cerf,  en  six  chez  l'Elan  et  le  Renne. 

4°  Comme  l'aclivité  plastique  se  concentre  sur  la  dégéné- 
ration périodique  ,  la  manifestation  de  la  vie  animale  se  trouve 
restreinte,  et  la  vie  générale  est  mise  en  danger. 

Les  Monocles  demeurent  tranquilles  un  jour  avant  la  rttue, 
qui  en  fait  périr  en  grand  nombre. 

Les  Ecrevisses  et  les  Crabes  qui  vont  changer  de  test  se 
rendent  dans  un  lieu  sûr  et  tranquille  j  ou  creusent  des  trous, 
dont  ils  bouchent  l'entrée ,  et  dans  lesquels  ils  se  tiennent 
pendant  quelques  semaines. 

Les  Lisectes  cessent  de  manger  deux  ou  trois  jours  aupa- 
ravant ;  certains  même  se  renferment  dans  une  toile ,  et  per- 
dent la  faculté  de  se  mouvoir. 

Pendant  la  mue,  les  Oiseaux  deviennent  lents,  tranquilles 
et  tristes  :  ils  ont  besoin  d'une  température  plus  élevée , 
comme  aussi ,  vers  la  fin ,  d'une  nourriture  [plus  abondante  : 
quelques  uns ,  chez  lesquels  la  mue  marche  avec  plus  dé  ra- 
pidité ,  comme  les  Oies  et  Canards  sauvages  ,  passent  cette 
période  dans  des  recoins,  parce  qu'ils  en  soufiPrent  davantage, 
et  demeurent  privés  dn  vol  pendant  quelque  temps  ;  ceux,  au 
contraire,  qui  muent  plus  lentement ,  ou  deux  fois  par  année, 
sont  moins  malades  ,  et  le  vol ,  quoique  plus  difficile ,  ne  leur 
est  cependant  point  impossible ,  attendu  que  les  plumes 
correspondantes  des  deux  côtés  tombent  à  la  même  époque, 
mais  qu'elles  ne  se  détachent  que  peu  à  peu  sur  des  points 
différens. 

Pendant  la  mue ,  les  animaux  domestiques ,  le  Cheval ,  par 
exemple,  exigent  des  soins  plus  attentifs  et  des  alimens 
plus  fréquemment  renouvelés,  de  meilleure  qualité.  Tant 
que  leur  bois  est  mou ,  l'Elan  se  tient  dans  les  marécages,  et 
le  Cerf  dans  lés  éclaircies  ;  tous  deux  marchent  tête  baissée , 
afia  de  ne  pas  se  blesser. 

IIL  La  cause  prochaine  de  la  régénération  périodique  est 
l'exaltation  de  la  vitalité  dans  les  organes  qui  y  prennent 
part.  La  mort  des  poils  et  des  plumes  n'est  point  ce  qu'il 
y  a  d'essentiel  dans  la  mue  ;  car,  ou  a  beau  couper^ces  par- 


s84  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE, 

lies,  OU  leur  faire  subir  toute  autre  altération  quelconque,  elles 
n'en  subsistent  pas  moins  jusqu'à  la  mue  prochaine,  et 
lorsqu'une  maladie  en  détermine  la  chute  ,  elles  ne  sont  rem- 
placées qu'à  cette  dernière  époque.  Les  bois  ne  tombent  que 
parce  qu'il  s'effectue  une  nouvelle  formation  au  dessous  de 
leur  racine.  Les  vaisseaux  de  cette  région  se  dilatent  et  s'em- 
plissent de  sang  ;  il  se  forme  des  bourgeons  charnus  rouges , 
et  les  tissus  compris  dans  la  ligne  de  démarcation  ve- 
nant à  être  fluidifiés  et  résorbés ,  le  vieux  bois  tombe ,  tandis 
que  le  nouveau  est  parcouru  par  une  multitude  de  vaisseaux 
sanguins  j  qui  ne  s'oblitèrent  et  finissent  par  périr  qu'après 
qu'il  s'est  lui-même  endurci.  Voilà  pourquoi  le  bois  des  jeunes 
Cerfs  tient  tellement  que  l'animal  est  souvent  obligé  de  le 
rompre  en  le  frottant  contre  les  arbres  ou  par  terre ,  tandis 
que  les  Cerfs  plus  âgés  et  plus  vigoureux  s'en  débarrassent 
aisément.  Il  en  est  de  la  régénération  des  bois  comme  de  la 
mue  des  Oiseaux ,  qui  a  lieu  plus  tard  chez  les  jeunes  indivi- 
dus que  chez  les  vieux  de  la  même  espèce.  L'Elan  de  deux  ans 
renouvelle  sa  tête  depuis  avril  ou  mai  jusqu'en  août  ou  sep- 
tembre ,  et  le  vieux  depuis  décembre  ou  janvier  jusqu'en 
juin;  le  jeune  Cerf  depuis  mai  jusqu'en  août  ou  septembre,  et 
le  vieux  depuis  février  jusqu'en  juillet;  le  jeune  Daim  depuis 
juin  jusqu'en  octobre,  et  le  vieux  depuis  mai  jusqu'en  septem- 
bre. Enfin ,  comme  l'activité  vitale  est  plus  énergique  à  la 
périphérie  chez  les  mâles  que  chez  les  femelles ,  la  régénéra- 
tion périodique  se  manifeste  aussi  d'une  manière  bien  plus 
prononcée  chez  les  premiers  que  chez  les  autres  (§  188). 

Parmi  les  Crustacés  ,  il  en  est  quelques  uns  chez  lesquels 
s^amaâsent  des  substances  pariicuHères  destinées  à  l'accom- 
plissement des  mues ,  après  lesquelles  elles  disparaissent. 
Tels  sont ,  chez  les  Décapodes ,  les  concrétions  stomacales 
calcaires  qu'un  appelle  yeux  d'écrevisse  ,  et ,  chez  divers 
Branchiopodes  ,  un  liquide  rouge  contenu  dans  une  petite 
bourse  aux  pattes. 

IV.  La  régénération  périodique  est  un  rajeunissement.  La 
partie  qui  tombe  est  toujours  morte ,  privée  de  sucs  et  de  co- 
loris; celle  qui  prend  sa  place  est  imprégnée  de  sucs,  et  pré- 
sente des  couleurs  plus  vives  ;  elle  réalise  d'une  maaière  plus 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  "  28S 

complète  les  rapports  spéciaux  qu'elle  doit  avoir  avec  la  vie. 
Mais  l'essence  de  ce  rajeunissement  est  une  connexion  entre 
le  cours  et  la  révolulion  de  la  vie  (§  592  )  ,  entre  la  vie  pro- 
gressive et  la  vie  revenant  sur  elle-même.  Le  renouvellement 
des  dents  n'a  lieu ,  d'une  manière  normale  ,  qu'une  seule  fois 
pendant  la  durée  de  la  vie ,  et  appartient  à  la  métamor- 
phose progressive  ;  mais ,  chez  l'Éléphant ,  il  se  rapproche 
des  changemens  périodiques ,  car  il  se  répète  jusqu'à  hi-.it 
fois. 

5°  Le  changement  de  peau  est  une  répétition  de  l'éclosion 
(§  378,  3°)  ;  il  met  l'animal  dans  un  état  analogue  à  la  vie 
embryonnaire,  état  dans  lequel  il  se  sent  aussi  borné  parl'épi- 
derme  vieilli  qu'il  l'était;,  pas  les  membranes  de  l'œuf ,  et 
devient  aussi  peu  propre  à  la  locomotion  libre  et  à  la  nutri- 
tion animale  ,  que  Téiail  l'embryon.  Après  la  chute  des  bois  et 
la  perte  des  poils,  le  Mammifère  se  trouve  ramené  à  l'état  du 
nouveau-né  :  l'Oiseau  mâle  ,  dans  son  plumage  d'hiver,  res- 
semble ,  chez  beaucoup  d'espèces ,  à  un  jeune.  Mais,  une  fois 
la  régénération  terminée  ,  le  degré  de  la  vie  auquel  l'animal 
était  déjà  parvenu  reparaît  dans  sa  pleine  et  entière  jeunesse  ; 
la  mue  priiitannière  de  l'Oiseau  et  l'acquisition  d'un  nouveau 
bois  sont  en  quelque  sorte  une  nouvelle  puberté. 

6°  Dans  la  mue  de  la  plupart  des  animaux  sans  vertèbres , 
le  progrès  l'emporte  sur  le  retour  ;  comme  les  parties  épider- 
miques  ne  peuvent>uivre  le  reste  du  corps  dans  son  accrois- 
sement, il  faut  qu'elles  éclatent  et  soient  rejelées,  d'un  côté, 
pour  que  le  corps ,  devenu  plus  volumineux ,  n'ait  plus  à  su- 
bir la  compression  qui  lui  fait  éprouver  une  enveloppe  trop 
étroite,  d'un  autre  côté,  pour  que  l'accroissement  puisse  faire 
un  nouveau  pas,  tandis  que  la  nouvelle  pousse  est  encore  molle 
et  disposée  à  céder.  Chez  la  plupart  des  Insectes ,  la  mue 
n'arrive  qu'avant  la  puberté ,  et  constitue  ce  qu'on  appelle  les 
métamorphoses  (§  379,  7°);  ainsi  les  Chenilles  changent  de 
peau  ,  la  plupart  trois  à  quatre  fois ,  et  quelques  unes  huit  à 
dix  fois ,  avant  de  se  transformer  en  chrysalides  ,  et  leur  sor- 
tie de  l'enveloppe  chrysalidaire  est  pour  elles  la  dernière  mue. 
Les  Arachnides  font  plusieurs  fois  peau  neuve  avant  d'arriver 
à  l'âge  de  la  puberté ,  et  ils  muent  une  fois  au  moins  encore 


a86  "    PÉRIODICITÉ  ANNtËltE* 

après  avoir  pondu.  Chez  les  Branchiopodes,  la  mue  se  reïioti- 
velle  plus  long-temps  encore,  puisque  ,  suivant  Jurine  ,  elle  a 
lieu ,  chez  le  Monoculus  pulex ,  trois  fois  avant  la  puberté , 
et  ensuite  après  chaque  parturition.  Mais,  chez'^les  Décapodes, 
elle  devient  une  phénomène  périodique ,  qui  se  rattache  au 
type  des  saisons  ;  car  l'Écrevisse  ,  par  exemple ,  change  de 
peau  tous  les  ans  au  mois  d'août. 

7'  Parmi  les  animaux  vertébrés,  il  n'y  a  que  les  Batraciens 
(§  396 ,  2°  )  chez  lesquels  la  régénération  prenne  les  caractè- 
res d'une  métamorphose.  Chez  tous  les  autres  elle  revêt  celui 
de  la  périodicité ,  mais  de  telle  manière  cependant  qu'elle 
n'empêche  pas  d'apercevoir  les  progrès  faits  par  la  vie ,  at- 
tendu que  la  nature  de  la  partie  nouvellement  produite  cor- 
respond toujours  à  l'essence  du  degré  de  vie  auquel  l'animal 
est  arrivé  pour  le  moment.  Les  premières  dents  molaires  de 
l'Éléphant  consistent  en  quatre  plaques ,  et  à  chaque  dentition 
le  nombre  des  plaques  augmente ,  de  manière  qu'à  la  huitième 
ûû  en  compte  vingt-deux  ou  vingt-trois  (1).  Chez  l'homme , 
comme  chez  la  plupart  des  Mammifères,  les  dents  de  rempla- 
cement sont  plus  nombreuses ,  plus  fortes  et  plus  durables 
(§  543 ,  6°)  que  celles  de  lait,  tandis  que  celles  de  la  troisième 
dentition,  quandil  s'en  présente,  sont  imparfaites  et  durent  peu, 
parce  qu'elles  poussent  dans  l'âge  avancé ,  à  une  époque  où  la 
force  plastique  est  sur  son  déclin  (§  591,  4°).  De  même, 
tant  que  les  forces  de  l'animal  croissent ,  chaque  nouveau  bois 
est  plus  grand ,  plus  large  et  plus  branchu  que  le  précédent  ; 
mais  ,  sur  la  fin  de  la  vie,  quand  les  forces  baissent ,  quoique 
les  bois  aient  plus  de  volume ,  ils  sont  plus  courts  et  plus 
simples.  Ces  phénomènes  annoncent  la  puissance  de  la  vie 
plastique,  et  prouvent  que  son  type  est  indépendant  d'un  noyau 
donné  ;  le  bois ,  qui ,  dans  l'Élan,  par  exemple ,  pèse  souvent 
plus  de  soixante  livres  (2) ,  tombe  et  fait  place,  en  quelques 
mois ,  à  un  autre  plus  pesant  encore  ,  quoique  la  vie  générale 
n'en  continue  pas  moins  de  se  développer. 
V.  E^  vertu  de  ce  caractère ,  il  y  a  affinité  entre  la  régéné- 


(d)  Meckel,  Traité  général  d'anatomie  comparée,  1. 1,  p.  S89. 
(2)  Hearne ,  Reise  in  die  Hudsonshai  ,  p.  M9, 


'     Ï^ÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  ^287 

ration  périodique  et  la  propagation,  dans  laquelle  la  vie, 
parvenue  à  son  point  culminant,  retourne,  par  son  produit,  à 
l'état  de  non-développement.  Lorsque  la  faculté  procréatrice 
est  éteinte  ,  les  bois  ne  se  détachent  plus  ;  toutes  les  fois  qu'on 
retarde  la  chaleur  des  Oiseaux  mâles  ,  en  les  tenant  dans  un 
endroit  obscur ,  la  mue  n'arrive  non  plus  que  vers  la  fin  de 
l'automne  (1)  ;  Thaer  assure  qu'il  ne  se  forme  point  d'anneaux 
distincts  aux  cornes  des  Vaches  lorsqu'elles  n'ont  point  porté 
dans  l'année  ,  et  que  le  bourrelet;  est  moins  prononcé  quand 
elles  ont  avorté.  Fréquemment,  la  régénération  périodique 
ne  commence  qu'après  l'accomplissement  de  l'acte  génital  ; 
ainsi ,  par  exemple  ,  elle  a  lieu  en  hiver ,  après  le  rut ,  chez 
les  Rennes  mâles ,  tandis  que ,  chez  les  femelles ,  elle  s'effec- 
tue au  printemps  ou  en  été ,  avant  ou  après  la  parturition. 
Nous  pouvons  considérer  la  mort  des  parties  comme  la  suite 
de  l'épuisement  de  la  force  plastique  par  la  procréation 
(§  285  );  mais  nous  devons  reconnaître  en  même  temps  qu'elle 
s'accompagne  d'une  certaine  exaltation  de  cette  même  force , 
car  le  bois  ne  tombe  que  deux  à  trois  mois  après  le  rut ,  chez 
l'Élan  ,  trois  à  quatre  chez  le  Cerf ,  et  quatre  à  cinq  chez  le 
Daim ,  outre  que ,  partout,  l'accomplissement  de  la  régénéra- 
tion périodique  est  le  prélude  d'un  nouvel  acte  de  procréa- 
tion ;  car  le  bois,  par  exemple ,  ne  se  trouve  développé  d'une 
manière  complète  que  peu  de  temps  avant  l'entrée  en  cha- 
leur. Tous  les  Oiseaux  muent  en  automne  ,  après  l'éducation 
de  leurs  petits,  la  plupart  en  juillet  et  août,  quelques  uns  en 
septembre ,  d'autres  plus  tard  encore ,  par  exemple,  les  Ca- 
nards sauvages  en  décembre  ;  mais,  au  temps  de  l'accouple- 
ment ,  les  mâles  ont  recouvré  leur  plumage  caractéristique  , 
leur  vêtement  du  printemps  ou  de  noces,  phénomène  qui  tient, 
tantôt  à  ce  que  les  belles  plumes  formées  en  automne  devien- 
nent apparentes  par  l'usure  de  celles  qui  les  couvraient ,  tan- 
tôt à  ce  qu'il  se  développe  des  plumes  particulières  au  prin- 
temps ,  par  exemple ,  la  collerette  du  Tringa  pugnas; ,  qui 
tombe  après  l'accouplement  et  dès  avant  la  mue ,  tantôt  enfin 
à  ce  qu'il  s'opère  une  mue  printannière ,  qui  est  incomplète  , 

(i)  ^mmmw^Naturgeschichte  der  Fœgel  Deutschlands,  1. 1,  p.  i23. 


a8B  PÉRIODICITÉ  ANNCEtLE. 

puisqu'elle  ne  fait  que  renouveler  les  petites  plumes ,  sanà 

intéresser  les  rémiges  ni  les  recirices  (1). 

VI.  L'harmonie  de  la  régénération  périodique  avec  le  monde 
extérieur  se  manifeste  surtout  dans  le  renouvellement  des  poils 
et  des  plumes.  Les  Mammifères  changent  plus  ou  moins  sen- 
siblement de  pelage  en  automne ,  après  l'accouplement,  et  au 
printemps,  avant  que  ce  dernier  n'ait  lieu.  Dans  le  genre  Cervus^ 
après  le  rut,  on  voit  paraître  la  robe  d'hiver,  puis  le  bois,  qui 
n'est  complètement  développé  qu'après  la  pousse  de  la  robe 
d'été,  et  alors  l'animal  entre  de  nouveau  en  chaleur. 

8°  Au  printemps,  les  couleurs  se  développent,  et  plus  variées 
et  plus  foncées  ;  mais ,  de  même  que  la  terre  se  couvre  en 
hiver  d'une  robe  plus  uniforme,  de  même  aussi  les  plumes  et 
les  poils  pâlissent  en  automne.  Le  Lepus  variabUis  ^  l'Hermine 
et  le  Renard  blanc ,  le  Lagopus  alpinus  ,  la  Stemacaspia,  la 
Limosa  melanura ,  etc.  ,  ont  un  vêtement  blanc  en  hiver ,  et 
chez  eux  le  blanc  remplace  alors  le  brun ,  le  gris  ou  le  noir. 
Chez  d'autres  animaux,  les  teintes  claires  ne  font  que  pâlir  en- 
core davantage  pendant  l'hiver  ;  le  fauve  et  le  brun  foncé  de- 
viennent gris  ,  comme  dans  le  Renne  et  le  Chevreuil  ;  le  bi  un 
noirâtre  prend  une  teinte  de  brun  clair ,  lavé  de  gris,  comme 
dans  l'Élan;  le  brun  rougeâlre  devient  gris  brun,  comme  chez 
le  Cerf,  etc.  Il  est  certains  animaux  dont  les  couleurs  claires, 
mais  vives ,  se  foncent  en  hiver  ;  le  brun  clair  devient  brun 
foncé  ,  comme  dans  la  Loutre ,  la  Marte,  le  Daim ,  le  Bouque- 
tin ;  le  rouge  jaunâtre  devient  fauve  ,  comme  dans  l'Hermine; 
chez  le  Putois,  aux  poils  jaunâtres  de  l'été  s'en  joignent 
d'autres  qui  sont  grisâtres  à  la  racine,  bruns  ou  noirs  à  l'ex- 
trémité ,  etc. 

9°  La  robe  d'hiver  est  plus  chaude,  parce  qu'aux  poils  d'été 
s'en  ajoutent  d'autres  qui  sont  plus  longs,  plus  gros  et  plus 
raides,  ou  plus  courts,  plus  mous  et  plus  frisés,  comme  par 
exemple  chez  le  Porte-musc.  La  couleur  blanche  est  aussi 
celle  qui  tient  le  plus  chaud,  d'après  les  expériences  de  Rum- 
ford  et  Leslie. 
10'  Les  tégumens  cutanés  des  animaux  d'une  contrée  va- 

(1)  iM.,  t.  I,  p.  115. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  sSg 

rient  suivant  la  diversité  des  climats  qui  y  régnent.  Dans  les 
pays  chauds ,  le  nouveau  poil  est  de  même  nature  que  l'an- 
cien, et  la  différence  entre  eux  est  plus  considérable  dansles  ré- 
gions très-froides  que  dans  les  zones  tempérées.  La  robe  d'hiver 
des  Chevaux  diffère  à  peine  de  celle  d'été  en  Allemagne,  tandis 
qu'en  Norwége  elle  se  compose  de  poils  fort  longs  et^frisés.  Plus 
l'hiver  dure  long-temps  dans  un  pays,  plus  aussi  le  poil  d'hiver 
persiste.  A  la  baie  d'Hudson ,  il  reparaît,  chez  le  Porte-musc  , 
immédiatement  après  la  chute  de  celui  de  l'année  précédente. 
Chez  le  Lepus  variabilis  il  dure  six  à  sept  mois  en  Suisse,  huit 
à  neuf  en  Norwége,  dix  en  Laponie,  et  Tannée  entière  au 
Groenland.  Un  Lemming ,  qui  avait  conservé  son  pelage  brun 
d'été  tant  que  le  capitaine  Ross  le  garda  dans  sa  cabine  (4) , 
devint  tout  blanc  dans  l'espace  de  huit  jours  lorsqu'on  le  porta 
sur  le  pont,  à  un  froid  de  30  degrés  ;  quelques  uns  de  ses  poils 
s'allongèrent  plus  que  les  autres,  et  leurs  bouts  excédans  pri- 
rent une  teinte  blanche. 

1 1°  Ce  changement  n'est  cependant  point  l'effet  de  la  chaleur 
ni  du  froid,  car  il  précède  l'un  et  l'autre.  Ainsi,  par  exemple, 
dans  le  Lepus  variabilis  et  le  Lagopus  alpinus ,  le  pelage^d'hi- 
ver  paraît  dès  le  mois  d'octobre,  et  celui  d'été  dès  le  mois  de 
mars.  La  force  plastique  est  donc  sollicitée  ici  par  une  sorte 
de  pressentiment ,  c'est-à-dire  que  la  vie  a  un  type  intérieur  , 
qui  correspond  à  celui  de  la  terre ,  mais  qui  précède  ce  der- 
nier, et  amène  des  dispositions  intérieures  telles,  que  la  vie 
puisse  se  maintenir  au  milieu  des  circonstances  extérieures 
qui  surviendront  plus  tard.  Cette  faculté  dont  jouit  la  vie  de 
prendre  une  direction  conforme  aux  événemens  futurs,  se 
manifeste  même  eu  égard  à  la  diversité  du  temps  dans  le  cours 
de  l'année  :  tous  les  chasseurs  savent  par  expérience  que , 
quand  onestmenacé  d'un  hiver  rigoureux ,  le  gibier  se  couvre 
d'un  pelage  plus  épais ,  quoique  l'on  ne  puisse  pas  découvrir 
les  causes  déterminantes  de  ce  phénomène. 

12°  Les  circonstances  extérieures  exercent  naturellement  de 

l'influence  sur  la  périodicité  annuelle.  Ainsi ,  par  exemple,  le 

erf  renouvelle  sa  tête  d'autant  plus  tôt  que  l'hiver  a  été  plus 

(1)  Froriep  ,  Notizen,  XLYI ,  p.  296. 

V.  19 


5190  PÉRIODICITÉ  ANNUELLE. 

doux.  La  domesticité  peut  aussi  déranger  le  type ,  mais  sans 
le  détruire  entièrement.  Les  Chiens ,  les  Chats ,  les  Oiseaux  de 
wlière,  que  l'homme  a  fait  sortir  de  leurs  habitudes  naturelles 
depuis  un  grand  nombre  de  générations ,  n'ont  plus  une  mue 
si  régulière  et  si  marquée,  tandis  que  des  Lepus  variahilis, 
tenus  renfermés  dans  une  chambre,  changeaient  de  couleur  à 
la  même  époque  que  s'ils  eussent  vécu  en  plein  air  ,  et  que 
les  Oiseaux  qu'on  apporte  chez  nous  des  pays  étrangers  y 
éprouvent  la  mue  dans  le  même  temps  qu'au  milieu  de  leur 
pays  natal.  Les  Passereaux  mâles  qu'on  tient  depuis  le  prin- 
temps dans  une  boite  obscure,  ne  recouvrent  pas  leur  plumage 
entier  à  la  mue,  et  finissent  par  devenir  entièrement nuds  (1)  ; 
si  on  les  expose  à  la  lumière  en  automne ,  alors  seulement  se 
manifestent  en  eux  le  besoin  de  chanter  et  le  désir  de  s'ac- 
coupler ;  les  Oiseaux  de  passage  sont  attirés  par  leur  chant , 
et  s'arrêtent  auprès  d'eux,  attendu  que  l'imagination  semble 
éveiller  l'instinct  de  la  copulation  ;  mais,  pendant  la  seconde 
moitié  d'octobre ,  cet  instinct  est  éteint ,  et  celui  d'émigrer 
irrésistible ,  de  sorte  que  les  individus  encagés  ne  peuvent 
plus  retenir  les  autres  par  leurs  chants. 

B.   Vie _^  animale. 

%  618.  Les  Emigrations  sont  des  phénomènes  périodiques 
de  la  vie  animale  auxquels  donnent  lieu  les  deux  directions 
principales  de  cette  vie,  l'instinct  conservateur  et  l'instinct 
propagateur ,  tout  comme  nous  avons  déjà  vu  que  les  ani- 
maux changent  d'habitation  pour  s'accoupler  (§  241,  lo),  dé- 
poser le  produit  de  la  génération  (§  334, 3°),  mettre  au  monde 
leur  petits  (§  516,  2"),  et  les  diriger  ou  les  élever  (§  580,  9°). 
La  conservation  de  soi-même  pousse  les  animaux  à  se  rap- 
procher de  l'équaieur  en  hiver,  ou  à  s'enfoncer  dans  la  terre, 
à  se  retirer  dans  des  lieux  cachés.  Plusieurs  Phoques,  gagnent 
le  midi  en  hiver,  et  reviennent  au  nord  en  été  ;  le  Bouquetin 
Èe  porte  sur  le  versant  méridional  des  montagnes,  tandis  qu'en 
été  il  se  lient  sur  leur  versant  septentrional.  Les  Rennes  et  les 
Chamois  descendent  dans  les  vallées ,  et  rentrent  dans  les 

(1)  UAd,,  t.  V,  p.  30. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  29I 

montagnes  pendant  Télé  ;  la  Taupe  creuse  la  ferre  à  cinq  pieds 
de  proFondeiir ,  tandis  qu'en  été  elle  ne  s'enfonce  pas  à  pkis 
d'un  pied.  Le  séjour  à  la  surface  ,  au  grand  air,  vers  le  pôle, 
est  donc  ^  généralement  parlant,  destiné  pour  l'époque  oii  là 
terre  entre  en  rapport  plus  immédiat  avec  le  soleil ,  et  vice 
versa,  Cependant  cette  règle  souffre  quelques  exceptions ,  car 
le  Chien  de  mer  se  dirige  en  hiver  vers  le  nord ,  pour  y  mettre 
au  monde  ses  petits,  avec  lesquels  il  regagne  en  été  des  con- 
trées plus  méridionales,  où  il  pourra  trouver  plus  abondam- 
ment de  la  nourriture.  La  direction  des  émigrations  est  celle 
de  l'aiguille  aimantée ,  du  sud  au  nord ,  parce  que  cette  der- 
nière exprime  l'antagonisme  des  saisons  (§  594,  8°),  et  toutes 
les  exceptions  apparentes  s'expliquent  sans  peine  par  des  cir- 
constances locales  ;  ainsi ,  par  exemple,  à  la  baie  d'Hudson , 
les  Chevreuils  sont  continuellement  en  mouvement  vers  l'est  et 
l'ouest,  parce  qu'en  hiver  les  mâles  se  tiennent  dans  les  forêts 
occidentales  et  les  femelles  dans  les  contrées  orientales,  tandis 
qu'au  printemps  ils  vont  au-devant  les  uns  des  autres  (1).  La 
direction  vers  l'équateur  ou  vers  les  profondeurs  de  la  terre 
caractérise  davantage  la  tendance  à  la  conservation  de  soi- 
même  ,  celle  vers  le  pôle  et  vers  les  hauteurs  indique  plus 
spécialement  l'instinct  de  la  propagation.  Mais  tous  ces  rap- 
ports sont  moins  prononcés  chez  les  Mammifères  ;  les  émigra- 
tions de  ces  animaux  sont  presque  exclusivement  déterminées 
par  le  besoin  de  sa  propre  conservation,  de  sorte  qu'elles  dé- 
pendent de  circonstances  accidentelles ,  et  n'offrent  aucune 
régularité. 

En  général,  les  animaux  terrestres  sont  peu  aptes  à  de  lon- 
gues migrations,  et  si  l'un  des  plus  pesans  d'entre  eux,  le  Tour- 
lourou,  se  rend  périodiquement  à  la  mer,  pour  y  déposer  ses 
œufs,  ce  n'est  là  qu'une  exception,  attestant  combien  l'instinct 
général  a  de  puissance,  même  chez  les  animaux  qui  se  meu- 
vent avec  le  plus  de  difficulté.  Les  voyages  de  long  cours  ne 
peuvent  s'exécuter  que  dans  l'eau  ou  dans  l'air;  mais  comme 
la  vie  animale  et  l'instinct  ont  moins  d'énergie  proportionnelle 
chez  les  animaux  aquatiques,  et  que  les  animaux  aériens  sans 

(1)  Hearne,  Reise  in  die  Hiidsonslai  ^  p.  439. 


292  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

vertèbres  ont  une  vie  trop  courte  et  un  corps  trop  petit  pouF 
pouvoir  entreprendre  de  grandes  migrations  annuelles,  cette 
périodicité  ne  s'observe  guère  ,  à  un  degré  bien  marqué,  que 
chez  les  Oiseaux,  qui  y  sont  rendus  aptes  par  la  vivacité  de 
leur  instinct  et  par  l'énergie  de  leur  force  locomotrice. 

Chaque  climat  a,  parmi  les  Oiseaux,  des  espèces  qui  lui  ap- 
partiennent d'une  manière  spéciale,  et  qui  tantôt  y  choisissent 
une  demeure  qu'ils  ne  quittent  plus  (Oiseaux  sédentaires)^  tan- 
tôt changent  continuellement  de  place,  suivant  que  le  temps 
ou  la  nourriture  les  appelle  dans  un  lieu  ou  dans  un  autre 
(^Oiseaux  errans).  Mais  d'autres ,  qu'on  appelle  Oiseaux  émi- 
grans,  appartiennent  à  deux  climats  différens  ;  leur  vie  res- 
semble au  mouvement  d'un  pendule  ;  en  automne,  un  instinct 
conservateur  les  pousse  dans  les  contrées  équatoriales,  c'est- 
à-dire  que,  dans  notre  hémisphère,  ils  se  portent  au  midi  ;  au 
printemps,  l'instinct  génital  les  ramène  vers  le  pôle,  c'est-à- 
dire  que  chez  nous  ils  reviennent  au  nord. 

1°  Cette  oscillation  n'est  point  déterminée  par  les  circon- 
stances extérieures.  Des  Oiseaux  émigrans  qu'on  a  pris  très- 
jeunes  dans  le  nid,  et  auxquels  on  a  enlevé  leur  liberté,  de- 
viennent inquiets  en  automne,  quoique  ayant  de  la  nourriture 
en  abondance  et  entourés  d' une  température  uniforme.  Si  on 
les  laisse  libres  dans  une  chambre  spacieuse,  ils  se  mettent  à 
voltiger  quand  le  moment  de  l'émigration  est  venu,  comme  le 
feraient  ceux  qui  ont  entrepris  déjà  des  voyages  (1). 

La  température  n'est  point  le  moiif  déterminant;  car,  d'a- 
près Blackwalls  (2) ,  les  Oiseaux  émigrans  gagnent  l'équateur 
à  une  époque  de  Tannée  oii  la  chaleur  surpasse  encore  celle 
qui  règne  quand  ils  reviennent  vers  le  pôle.  Ainsi  ïHirundo 
riparia  quitte  l'Angleterre  et  gagne  le  midi  en  automne,  quand 
la  température  est  à  quatorze  degrés,  et  y  revient  au  prin- 
temps, lorsqu'elle  n'est  encore  qu'à  dix  ;  le  Troglodyte  part  à 
seize  degrés  et  revient  à  huit;  THirondelle  domestique  émigré 
à  dix  degrés,  et  revient  à  neuf;  la  température  est  de  dix-sept 
degrés  au  départ  du  Coucou  et  de  huit  à  son  retour.  De  même, 

(1)  Naumann ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  90. 

(2)  Jahrsbericht  der  Schive^ischen  Akadtmie  ^  t.  II,  p.  34. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  293 

les  Oiseaux  qui  se  portent  vers  le  pôle  s'y  rendent  lorsque  la 
chaleur  est  encore  au  dessous  de  celle  qui  règne  à  leur  arri- 
vée dans  la  région  équatoriale  ;  le  Mauvis  gagne  le  nord,  au 
printemps,  à  sept  degrés,  et  en  revient  à  dix  degrés  ;  la  Grive 
s'y  porte  à  quatre  degrés,  et  en  revient  à  sept.  La  migration 
dépend  donc  plutôt  d'un  pressentiment  de  la  température  fu- 
ture que  du  sentiment  de  la  température  actuelle. 

Ce  pressentiment  se  rapporte  aussi  aux  changemens  de 
temps  qui  surviennent  dans  le  cours  d'une  année,  et  en  géné- 
ral, de  ce  que  les  Oiseaux  partent  plus  tôt  en  automne,  on  peut 
conclure  que  le  froid  tardera  peu  à  se  déclarer,  ou  de  ce  qu'ils 
reviennent  de  meilleure  heure  au  printemps,  que  la  mauvaise 
saison  est  sur  le  point  de  faire  place  à  la  belle.  Mais  ce  n'est 
cependant  point  là  un  signe  infaillible.  Il  arrive  quelquefois 
aux  Oiseanx  émigrans  d'être  surpris  par  le  froid  en  hiver,  ou 
d'avoir  à  subir  un  second  hiver  après  leur  retour  au  printemps, 
ce  qui  détermine  un  certain  nombre  d'entre  eux  à  retourner  un 
peu  sur  leurs  pas  et  à  attendre  que  l'air  soit  redevenu  plus 
doux.  Lorsque  le  temps  est  incertain,  ils  hésitent  parfois  sur 
le  parti  qu'ils  doivent  prendre,  et  ce  n'est  que  quand  la  saison 
prend  un  caractère  bien  décidé,  qu'ils  accomplissent  rapide- 
ment leur  voyage,  ou  qu'ils  le  continuent.  Aussi  Naumann  ne 
leur  accorde-t-il  que  le  pressentiment  du  temps  à  vingt-quatre 
ou  trente-six  lieues  de  distance  (1). 

Ce  n'est  pas  non  plus  le  défaut  de  nourriture  qui  les  déter- 
mine ;  car  elle  ne  leur  manque  point ,  du  moins  en  partie^, 
lorsqu'ils  nous  quittent  pour  aller  vers  l'équateur,  et  moins 
encore  lorsqu'au  printemps  ils  alïluent  de  la  Perse,  de  l'E- 
gypte, etc. 

2°  Les  Oiseaux  émigrans  sont  procréés  et  développés  dans 
les  contrées  voisines  du  pôle.  Une  fois  parvenus  à  maturité  , 
en  automne,  ils  sont  pris  d'un  besoin  de  vie  extérieure  ,  qui 
dégénère  en  désir  de  voyager,  et  d'une  tendance  à  l'expan- 
sion, qui  les  entraîne  vers  l'équateur,  oii  ils  échappent  à  la  ri- 
gueur de  l'hiver  du  pays  qui  les  a  vus  naître.  Dès  que  l'instinct 
conservateur  est  satisfait ,  la  faculté  procréatrice  s'exalte  en 

(1)  Naturtjeschichte  der  f^œgel  Deutschlands  ,  t.  I,  P-  83. 


2g4  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

eux,  et  comme  cette  faculté  ramène  toujours  l'individu  à  la 
primordialité,  à  l'espèce^  elle  fait  naître  en  eux  une  sorte  de 
nostalgie ,  qui  les  oblige  de  revenir  au  printemps  dans  leur 
patrie.  Aucun  Oiseau  ne  couve  dans  le  lieu  de  son  séjour  au 
midi.  Quand  ces  animaux  arrivent  dans  leur  climat  natal,  ils 
se  mettent  aussitôt  à  construire  des  nids  ,  à  s'accoupler  et  à 
pondre.  Les  mâles  viennent  avant  les  femelles  (1),  parce 
qu'ils  ont ,  non  seulement  le  vol  plus  puissant ,  mais  encore 
rinstinct  génital  plus  actif,  et  si,  en  Islande  ,  tous  les  Palmi- 
pèdes se  réunissent  ensemble  pour  nicher  sur  les  mêmes  ro- 
chers, tandis  qu'on  n'en  aperçoit  aucun  sur  des  rochers  voi- 
sins, qui  leur  offriraient  tout  autant  de  commodité  ,  ils  y  sont 
probablement  sollicités  et  par  leur  penchant  à  la  sociabilité , 
et  surtout  par  l'attachement  qu'ils  portent  au  lieu  où  ils  ont 
pris  naissance  (2).  Dès  que  l'incubation  est  terminée  et  l'in- 
stinct génital  satisfait,  la  conservation  de  soi-même  reprend 
son  empire  sur  eux ,  et  les  chasse  de  nouveau  vers  l'équa- 
teur  ;  aussi  les  individus  dont  les  œufs  n'ont  point  éclos , 
partent-ils  ,  en  automne,  avant  ceux  qui  sont  encore  occupés 
à  élever  leurs  petits  (3). 

La  plupart  des  Oiseaux  émigrans  éprouvent  en  outre ,  aux 
mois  d'août  et  de  septembre ,  après  qu'ils  ont  terminé  l'édu- 
cation de  leurs  petits,  une  mue  qui  redouble  la  puissance  de 
leur  vol.  Ceux  qui  muent  en  juillet ,  par  exemple  la  Corneille 
mantelée  et  la  petite  Hirondelle  de  mer,  partent  au  milieu 
d'août:  d'autres,  comme  l'Hirondelle  et  le  Loriot,  n'attendent 
pas  la  mue  dans  leur  patrie^  et  se  rendent  vers  le  Midi  dès 
qu'ils  ont  accompli  l'œuvre  de  la  génération.  Certains  Oiseaux 
émigrans  éprouvent ,  dans  les  contrées  méridionales,  une  mue 
printannière  qui  leur  donne  de  nouvelles  forces  pour  gagner 
le  Nord. 

Mais,  chez  tous  ces  animaux,  le  souvenir  des  plaisirs  dont 
ils  ont  joui  dans  leur  climat  natal ,  et  qui  agit  même  sur  eux 
avec  assez  de  force  pour  les  retenir  au  moment  de  l'émigra- 

(1)  Faber,  Ueher  das  Lehen  der  îioclmordischen  Fœgel ,  p.  33. 

(2)  Ibid.^  p.  8-11. 

(3)  Naumann ,  loc  cit.,  t.  I,  p.  85, 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  agS 

tioa  d'automne  (§  617  ,  12°) ,  paraît  être  le  plus  puissant  de 
tous  les  ressorts  qui  les  poussent. 

Du  reste,  la  durée  de  l'émigration  elle-même  varie  beaucoup; 
Quelques  Oiseaux,  par  exemple  le  Loriot  et  la  Corneille  man- 
telée,  ne  passent  que  trois  mois  dans  leur  pays  natal,  depuis 
mai  jusqu'en  août  :  d'autres  y  restent  plus  long-temps. 

Au  total,  la  migration  des  Oiseaux  vers  le  Sud  peut  être 
comparée  au  sommeil  d'hiver,  puisqu'elle  est  un  moyen  de  se 
mettre  à  l'abri  d'une  saison  dans  laquelle  manquent  la  nourri- 
ture et  la  chaleur,  et  qu'il  y  a  quelque  analogie  entre  se  rap- 
procher de  l'équateur  et  s'enfoncer  dans  le  sein  de  la  terre. 
Ce  qui  justifie  ce  parallèle,  c'est  que  la  classe  des  Oiseaux  est 
la  seule  dans  laquelle  on  ne  trouve  point  d'espèces  sujettes  à 
l'hibernation  normale ,  et  que  les  Hirondelles  qu'une  circon- 
stance quelconque  empêche  d'émigrer,  paraissent  s'engourdir 
réellement  en  hiver. 

3°  Quand  nous  disons  que  les  Oiseaux  émigrans  reviennent 
dans  leur  pays  natal ,  cette  proposition  exige  que  nous  en- 
trions dans  certains  développemens  à  son  égard. 

Les  vieux  reviennent  d'ordinaire  à  l'endroit  où  ils  ont  pré- 
cédemment niché,  et  même  cherchent  à  retrouver  leur  ancien 
nid.  Tel  est  le  cas  ,  par  exemple  ,  des  Cigognes,  des  Hiron- 
delles, des  Rossignols ,  des  Fauvettes.  Lorsque  ,  dans  une 
chasse  générale ,  on  tue  tous  les  Oiseaux  d'un  canton  ,  à  l'é- 
poque de  l'accouplement,  plusieurs  années  s'écoulent  ensuite 
avant  qu'il  en  reparaisse  d'autres  (1).  Mais  chaque  Oiseau, 
dès  qu'il  a  acquis  la  faculté  de  voler ,  renonce  au  nid  dans 
lequel  il  a  été  couvé,  et  n'y  revient  jamais ,  parce  que  sa  spon- 
tanéité le  porte  à  choisir  une  habitation  qui  lui  appartienne  en 
propre.  Les  Oiseaux  ont  une  patrie  qui  les  rappelle ,  mais  ils 
ne  connaissent  pas  de  toit  paternel  ;  ils  doivent  se  répan- 
dre ,  afin  d'animer  un  plus  grand  rayon  et  de  trouver  une 
nourriture  suffisante  tant  pour  eux-mêmes  que  pour  leurs  pe- 
tits. L'un  des  faits  qui  prouvent  le  mieux  combien  est  grande 
ici  l'influence  du  besoin  de  nourriture  ,  qui  exerce  partout 
une  action  isolante ,  c'est  que  les  Oiseaux  qui  tirent  leurs  alir 

(1)  Naumann ,  loc.  cit.,  t.  V,  p.  212; 


2qG  périodicité  annuelle. 

mens  d'une  mer  inépuisable  en  poissons  ,  construisent  leurs 
nids  immédiatement  auprès  de  ceux  dans  lesquels  eux-mêmes 
ojit  été  couvés,  tandis  que,  d'après  les  observations  de  Tem- 
minck ,  il  est  rare  que  d'autres  Oiseaux  en  agissent  de  même. 

4"  On  remarque,  surtout  chez  les  Oiseaux  qui  voyagent  en 
troupes,  des  préparatifs  annonçant  l'approche  du  départ. 
Huit  ou  quinze  jours  auparavant  ils  se  réunissent  en  certains 
lieux ,  notamment  sur  des  hauteurs,  par  exemple  sur  un  arbre 
ou  sur  un  toit.  La  résolution  de  quitter  leur  patrie  semble 
l'aire  naître  une  sorte  de  lutte  au  dedans  d'eux-mêmes  ;  ils 
sont  dans  une  grande  agitation  ;  quelques  uns ,  par  exemple 
les  Mésanges,  paraissent  long-temps  indécis,  et  l'on  voit  des 
individus ,  qui  avaient  essayé  de  prendre  leur  vol ,  revenir 
quand  ils  s'aperçoivent  que  les  autres  ne  les  suivent  pas.  Les 
Cigognes  se  portent  plusieurs  fois  à  une  faible  distance  ,  et 
reviennent  sur  leurs  pas,  jusqu'à  ce  qu'un  moment  arrive  où 
l'on  ne  les  voit  plus  reparaître. 

5°  Peu  d'Oiseaux  partent  seuls  ou  par  paires  ;  la  plupart 
voyagent  en  grandes  troupes.  En  général,  ceux  de  même  âge 
s'associent  ensemble  ;  les  jeunes  s'en  vont  après  les  vieux , 
parce  qu'ils  ont  éprouvé  la  mue  plus  tard  ;  aussi  s'avancent-ils 
davantage  vers  le  sud.  Dans  certaines  espèces,  les  troupes  ne 
sont  composées  que  d'individus  du  même  sexe,  et  quelquefois 
on  remarque  sous  ce  rapport  des  exceptions  qui  correspondent 
au  caractère  de  l'âge  :  ainsi,  chez  les  Pinsons,  les  jeunes  mâles 
se  mêlent  aux  jeunes  femelles,  et  les  vieilles  femellesaux  vieux 
mâles  (1). 

6°  La  plupart  des  Oiseaux  volent  pendant  le  jour  ;  tels  sont , 
entre  autres ,  ceux  de  proie.  La  Charbonnière  vole  depuis 
huit  heures  du  malin  jusqu'à  midi,  si  le  temps  est  beau  ,  et 
jusqu'à  trois  heures,  si  la  pluie  menace  ;  le  Pinson,  depuis  la 
pointe  du  jour  jusqu'à  dix  heures ,  prend  alors  un  peu  de 
repos,  repart  ensuite  jusque  après  midi ,  et  se  remet  parfois 
encore  en  route  vers  le  soir.  Mais  beaucoup  d'Oiseaux  volent 
principalement  la  nuit  ;  tels  sont  les  Cailles ,  les  Hérons  ,  les 
Grues,  les  Canards  sauvages,  les  Huppes.  Plusieurs  Insecti- 

(1)  Naumani) ,  ioc.  cit.,  t.  V,  p.  21. 


PÉRIODICITÉ  ANNUELLE.  2Q-] 

vores  choisissent  surtout  les  nuits  claires ,  et  font  alors  durer 
leur  course  depuis  le  crépuscule  jusqu'à  l'aurore. 

7°  Pendant  les  heures  qu'ils  ne  consacrent  pas  au  voyage, 
ils  se  reposent  et  cherchent  leur  nourrilme  ;  quand  le  temps 
est  mauvais  et  le  vent  contraire,  ils  s'arrêtent,  ne  s'occupent 
que  de  leurs  alimens ,  et  ne  tardent  pas  alors  à  engraisser. 
Ils  traversent  rapidement  les  contrées  oii  ils  ne  trouvent  rien 
à  manger,  et  plus  un  pays  leur  offre  de  moyens  de  subsistance, 
plus  ils  s'y  arrêtent  long  temps.  Cependant  ils  sont  parfois 
plus  pressés,  et  consacrent  moins  de  temps  à  la  recherche 
des  alimens  ;  c'est  ce  qui  arme  surtout  lors  de  la  migration 
vers  le  nord,  où  l'instinct  génital  les  pousse,  tandis  que,  dans 
celle  vers  le  sud,  il  se  trouve  quelquefois  parmi  eux  des  traî- 
nards, qui  restent  jusqu'à  ce  que  le  besoin  les  force  d'aller 
plus  loin. 

8°  Quelques  Oiseaux,  par  exemple  les  Alouettes,  les  Hiron- 
delles, etc. ,  volent  bas  et  sans  ordre.  D'autres,  commfrles 
Cigognes  et  les  Grues ,  s'élèvent  davantage ,  et  leurs  troupes 
prennent  souvent  des  formes  régulières.  Ainsi  les  Oies  et  les 
Canards  sauvages  se  disposent  en  coin ,  c'est-à-dire  sur  deux 
hgnes  obliques  réunies  à  angle^aigu  par  devant.  Lorsqu'ils 
sont  moins  nombreux ,  ils  se  rangent  sur  une  seule  ligne 
oblique ,  comme  font  aussi  les  Hérons ,  les  Vanneaux ,  les 
Pluviers ,  etc.  En  tête  de  la  ligne  se  place  ordinairement  un 
des  plus  gros  et  des  plus  forts,  qui,  quand  il  est  fatigué, 
passe  à  l'autre  bout  et  s'appuie  sur  son  voisin  de  devant. 

9°  Chaque  espèce  a ,  entre  le  pôle  et  l'équateur,  un  dépar- 
tement particulier,  dont  le  rayon  est  en  général  de  vingt  de- 
grés. Par  exemple,  la  Columba  macroura  va  du  Canada  dans 
la  Virginie  et  la  Pensylvanie;  VAtias  hiemalis,  du  Groenland 
en  Suède  et  en  Angleterre  ;  l'Ortolan  de  neige ,  de  l'Islande 
dans  le  nord  de  l'Allemagne  ;  les  Grives ,  les  Bécasses  et  les 
Litornes ,  de  la  Sibérie  et  de  la  Laponie  en  Allemagne  ;  le 
Pinçon  des  Ardennes ,  de  la  Suède  et  de  la  Norwége  en  Grèce 
et  en  Italie  ;  la  Cigogne ,  la  Grue ,  le  Vanneau ,  l'Hirondelle  , 
la  Caille ,  des  parties  septentrionales  et  médianes  de  l'Europe 
en  Egypte  et  en  Barbarie  ;  le  Pigeon  ramier,  la  Tourterelle, 
la  Tourterelle  à  collier  et  le  Rossignol  se  rendent  en  Perse , 


298  PÉRIODICITÉ   ANNUELLE. 

en  Chine  et  au  Japon.  Parmi  les  in(iividus  d'une  même  espèce, 
les  uns  se  tiennent  plus  au  midi  et  les  autres  plus  au  nord  : 
ainsi  certains  Harles  vont  du  Groenland  vers  le  midi  de  l'Eu- 
rope, tandis  que  d'autres  passent  de  l'Europe  mitoyenne  dans 
l'Afrique  septentrionale.  Chez  plusieurs  espèces ,  les  jeunes , 
qui  se  mettent  en  route  plus  tard ,  semblent  passer  l'hiver 
dans  le  midi  de  l'Europe ,  tandis  que  les  vieux  traversent  la 
mer  Méditerranée. 

iO°  La  direction  que  suivent  les  Oiseaux  émigrans  est  celle 
du  sud-est  et  du  nord-est.  Beaucoup  d'entre  eux  semblent , 
en  hiver ,  se  porter  d'abord  veft  l'ouest ,  puis  en  ligne  droite 
vers  le  sud ,  qui ,  au  printemps ,  reviennent  chez  nous  par 
l'ouest.  Quelques  uns  suivent  une  marche  directe ,  d'autres 
font  des  détours  :  ainsi ,  par  exemple ,  le  Falco  lagopus  dé- 
crit de  temps  en  temps  de  grands  cercles. 

L'impression  du  courant  d'air  provenant  de  telle  ou  telle 
région  ne  peut  point  être  la  cause  qui  détermine  leur  direc- 
tion ,  puisqu'ils  volent  par  des  vents  différons  ,  qu'il  leur  est 
désagréable  alors,  comme  en  toute  autre  circonstance,  d'avoir 
le  vent  derrière  eux,  et  que,  quand  il  souffle  trop  long-temps 
en  ce  sens ,  ils  se  voient  enfin  obligés  de  s'abandonner  à  lui. 
?)'ailleurs ,  beaucoup  d'Oiseaux ,  surtout  parmi  les  petites 
espèces  ,  ne  s'élèvent  pas  assez  au  dessus  de  terre  pour  ren- 
contrer des  courans  aériens  venant  de  régions  éloignées. 

Il  n'est  pas  possible,  non  plus,  que  ce  soit  l'odorat  qui  les 
guide  ;  car,  en  quelque  lieu  qu'une  Cigogne  ait  établi  son  nid, 
près  du  Rhin  ou  près  de  la  Vistule,  sur  les  bords  de  la  Médi- 
terranée ou  de  la  Baltique ,  elle  retrouve  le  hameau  et  la  ca- 
bane où  elle  l'avait  construit  l'année  précédente,  et  l'on  ne 
peut  même  pas  songer  à  une  odeur  spécifique  émanée  de  ces 
diverses  régions. 

Les  Oiseaux  font  certainement  attention ,  dans  leurs  voya- 
ges ,  aux  contrées  qu'ils  traversent ,  et  qui  leur  offrent  des 
lieux  de  repos  et  de  la  nourriture.  Ainsi  les  Sylvains  suivent 
de  préférence  les  forêts ,  ils  passent  avec  empressement  au 
dessus  des  terres  pelées,  et  dans  leur  course  vers  le  sud-ouest 
ils  s'arrêtent  à  l'extrémité  occidentale  d'une  forêt,  avant  de  se 
décider  à  aller  plus  loin.  De  même,  lç§  Cigognes  recherchent^ 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  299 

chemin  faisant,  les  prairies  inondées  elles  marais.  Cependant 
on  ne  saurait  croire  qu'au  milieu  d'une  course  rapide ,  exé- 
cutée souvent  à  une  hauteur  considérable,  par  un  temps  cou- 
vert ou  peflfdant  la  nuit ,  ils  puissent  s'inculquer  dans  la  mé- 
moire un  paysage  d'une  étendue  qui  dépasse  six  cents  Heues, 
au  point  d'être  en  état  de  le  reconnaître  au  retour,  d'autant 
plus  qu'alors  ils  voient  les  objets  en  sens  opposé ,  et  que  les 
pays  ont  pris  un  tout  autre  aspect  sous  l'influence  du  change- 
ment des  saisons  et  de  la  végétation.  En  outre,  ils  n'errent 
point  au  hasard  ,  ne  cherchent  pas,  ne  choisissent  point ,  mais 
atteignent  à  leur  but  du  premier  coup  et  en  ligne  droite.  Le 
Tourlourou,  dont  les  migrations  annuelles  par  troupes  innom- 
brables ressemblent  beaucoup  à  celles  des  Oiseaux,  marche 
directement  vers  la  mer  pendant  des  lieues  entières,  sans  pou- 
voir distinguer  les  endroits  qu'il  parcourt,  puisque  ses  yeux  sont 
presque  à  fleur  de  terre  ;  l'air  de  la  mer  ne  saurait  le  guider 
non  plus,  car,  d'un  côté,  il  ne  marche  que  pendant  la  nuit, 
époque  à  laquelle  la  brise  vient  de  terre  ,  et  d'un  autre  côté 
les  collines,  les  édifices  et  autres  objets  élevés  qui  se  rencon- 
trent sur  son  chemin ,  et  qui  intercepteraient  tout  souffle  d'air 
venant  de  la  mer,  ne  l'arrêtent  point.  Les  sens  externes  sont 
donc  insuffisans  ici,  et  la  connaissance  doit  être  fournie  d'une 
autre  manière  plus  immédiate,  par  un  pressentiment  du  senti- 
ment intérieur,  qui  détermine  l'instinct. 

ARTICLE    II. 

Des  effets  de  la  périodicité  annuelle  sur  la  vie, 

§  619.  Chez  l'homme ,  la  vie  a  acquis  toute  la  profondeur 
dont  elle  est  susceptible  ;  le  haut  degré  auquel  sont  parvenues 
la  spontanéité  et  l'indépendance,  fait  qu'elle  fleuritvéritable- 
ment  toujours  en  lui,  et  que,  malgré  la  multiplicité  des  direc- 
tions qu'elle  est  susceptible  d'affecter,  les  influences  généra- 
les de  l'univers  ne  projettent  sur  elle  que  des  ombres  légères, 
prononcées,  il  est  vrai,  lorsqu'on  embrasse  toute  l'espèce  d'un 
seul  et  même  coup  d'œil,  mais  souvent  imperceptibles  quand 
on  n'a  égard  qu'aux  individus  et  aux  détails. 

1»  Pendant  Tété ,  Ja  vie  est  plus  dirigée  au  dehors,  et  plus 


500  PERIODICITE    ANNUELLE. 

active  à  la  périphérie,  la  sensiblilé  plus  grande,  l'activité  sen- 
sorielle plus  éveillée  et  le  sommeil  plus  court.  En  hiver,  au 
contraire,  la  vitalité  se  tourne  davantage  en  dedans  ,  la  réac- 
tion l'emporte  sur  la  réceptivité ,  et  lu  force  musculaire  est 
plus  énergique,  quoique  la  mobilité  soit  diminuée.  Pendant  les 
périodes  de  transition,  ou  au  temps  des  équinoxes,  le  senti- 
ment et  l'imagination  se  manifestent  d'une  manière  plus  vive, 
au  printemps  surtout,  sous  des  formes  riantes,  comme  amour, 
satisfaction  de  la  vie,  désir  de  voyager,  etc. ,  en  automne  , 
sous  des  formes  plus  sèches,  mais  aussi  plus  élevées;  en  été, 
on  rencontre  davantage  de  maladies  nerveuses  avec  excita- 
tion, des  fièvres  nerveuses,  des  afff  étions  cérébrales,  le  délire, 
la  manie,  les  convulsions  ;  au  temps  des  équinoxes,  il  est  com- 
mun de  voir  des  apoplexies  et  des  paralysies. 

2°  En  été ,  lu  nutrition  exige  des  alimens  moins  abondans 
et  plus  légers  ;  mais  elle  est  plus  facile  à  troubler;  en  hiver, 
la  digestion  a  plus  de  puissance,  elle  demande  des  alimens  en 
plus  grande  quantité  et  plus  résistans.  La  quaniilé  des  aUmens 
que  prenait  Lining  1)  était  au  minimum  en  octobre,  augmentait 
depuisnovembre  jusqu'en  janvier,  diminuait  depuis  février  jus- 
qu'en avril,  croissait  en  mai,  atteignait  son  maximum  en  juillet, 
etredescendait  en  août  et  septembre;  celle  des  déjections  alvi- 
nes  était  au  maximum  en  février,  augmentait  en  mars,  baissait 
en  avril ,  croissait  depuis  mai  jusqu'en  octobre,  où  elle  arrivait 
au  maximum,  diminuait  en  novembre,  et  remontait  en  décem- 
bre et  janvier.  Cependant  il  faudrait  de  nombreuses  expé- 
riences semblables,  faites  sur  des  individus  différens  et  obser- 
vant des  régimes  divers,  pour  pouvoir  conduire  à  des  résultats 
certains.  D'ailleurs,  dans  les  données  fournies  par  Lining,  il 
n'a  point  été  établi  de  distinction  entre  la  quantité  des  alimens 
solides  et  celle  des  boissons.  Les  coliques ,  les  gastrites ,  les 
entérites  sont  plus  communes  en  été,  les  diarrhées  et  les  dy- 
senteries le  sont  davantage  en  automne. 

3'  En  été,  la  respiration  est  phis  facile,  les  malades  atteints 
d'affections  de  poitrine  se  trouvent  mieux ,  mais  le  sang  est 
moins  riche  en  oxygène  et  contient  moins  de  fibrine,  il  se  coa- 

(d)  Deutsches  ArcJiiv,  t.  VII,  p.  373. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  3oi 

gule  d'une  manière  plus  lente,  et  donne  un  caillot  plus  mou 
qu'en  hiver  (1).  Pendant  cette  dernière  saison,  le  sang  est 
plus  oxygéné,  et  il  survient  plus  fréquemment  des  hémorrha- 
giespar  les  organes  respiratoires ,  mais  aussi  les  accès  d'asthme 
et  de  cyanose  (2)  entraînent  plus  de  danger.  A  Paris,  c'est  au 
printemps  et  en  hiver  qu'il  périt  le  plus  de  malades  atteints  de 
la  poitrine,  en  été  et  en  automne  qu'il  en  succombe  le  moins  : 
les  morts  causées  par  le  catarrhe  et  l'asthme  sont  plus  communes 
en  hiver,  plus  rares  en  été  ;  celles  qui  sont  dues  à  la  péripneu- 
monie  et  à  la  phthisie  pulmonaire,  plus  fréquentes  au  printemps, 
et  les  premières  plus  rares  en  été ,  les  autres  en  hiver  (3). 

4°  En  été,  le  carbone  prédomine,  ainsi  que  l'expansion,  la 
volatilisation  et  la  décomposition  ;  les  rhumatismes  et  la  sy- 
philis guérissent  plus  aisément  ;  1  s  affections  du  foie ,  les  ma- 
ladies bilieuses,  la  fièvre  bilieuse,  les  fldx  hémorrhoïdaires 
sont  plus  communs  ;  les  fièvres  putrides  entraînent  plus  de 
danger.  En  hiver,  il  règne  plus  de  contraction,  l'aptitude  à  la 
contagion  est  moins  grande,  les  matériaux  se  renouvellent 
moins  vite ,  la  graisse  se  produit  en  plus  grande  abondance , 
et  les  sécrétions  séreuses  et  muqueuses  se  dirigent  davantage 
au  dehors  -,  l'hydropisie  et  le  scorbut  sont  plus  fréquens,  la  sy- 
philis elle  rhumatisme  s'aggravent  au  printemps,  la  vie  plas- 
tique devient  plus  saillante,  les  scrofules  éclatent,  les  maladies 
de  peau,  les  maladies  inflammatoires  et  les  hémorrhagies,  cel- 
les surtout  des  organes  respiratoires,  sont  plus  répandues.  Les 
fièvres  intermittentes ,  les  rhumatismes  et  la  goutte  s'obser- 
vent principalement  vers  le  temps  des  équinoxes. 

5»  Le  poids  du  corps  augmente  en  hiver  et  diminue  en  été. 
Sanctorius  était  plus  léger  de  trois  livres  dans  celte  dernière 
saison  que  dans  l'autre  ;  Lining  pesait  cent  cinquante-neuf  li- 
vres au  mois  d'octobre,  et  cent  soixante-et-dix-sept  en  janvier  ; 
C.  Reil,  cent  dix-neuf  en  juillet,  et  cent  trente  en  mars  (4). 
Suivant  Lining,  la  quantité  des  évacuations  surpasse  celle 

(1)  Autenrieth,  Handhuch  der  Physiologie ,  t.  I,  p.  302. 

(2)  Deutsches  Archiv,  t.  I,  p.  270. 

(3)  Benoiston  de  Ctiateauneuf ,  De  l'influence  de  certaines  professions 
sur  le  développement  de  la  phtliisie  pulmonaire.  (Ann.  d'hygiène,  Paris , 
1831 ,  t.  VI,  p.  1  et  suiv.) 

(4)  Deutsches  Archiv,  t.^VII,  p.  374. 


302  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

des  alimens  digérés  à  partir  du  mois  d'avril,  plus  en  juin  qu'à 
toute  autre  époque  ,  moins  depuis  juillet  jusqu'en  septembre, 
et  moins  encore  depuis  octobre  jusqu'en  mars.  Mais  celte  dif- 
férence tient  uniquement  à  la  transpiration  cutanée,  car  la  sé- 
crétion urinaire  est  moins  considérable  en  été  qu'en  toute  au- 
tre saison.  Les  proportions  étaient, 

suivant  Keill.  suivant  Lining. 

Transpiration  Sécrétion         Transpiration         Sécrétion 

cutanée.  urinaire.  cutanée.  urinaire. 

Dec,  janvier,  février    7047  9048        3594        6653 

Mars,  avril,  mai  7720        10864        4500        5564 

Juin,  juillet,  août  8645  7662        6876        4543 

Sept.,  octobre,  nov.       7350  82d7        4749        4515 

Les  mêmes  observateurs,  ainsi  que  Martin,  ont  égale- 
ment porté  leur  attention  sur  les  proportions  du  jour  et  de  la 
nuit  pendant  les  diverses  saisons  de  l'année.  En  prenant  pour 
limite  la  sécrétion  de  la  nuit,  la  proportion  de  celle  qui  s'ef- 
fectue dans  la  journée  était  : 

,  '^  A  la  peau ,  Aux  reins , 

d'après  d'après 

\  Keill.  Martin.  Lining. 

Dec,  janvier,  février.  1,77    1,66    1,40 

Mars,  avril ,  mai.  1,61    1,31    1,31 

Juin ,  juillet ,  août.  1,44     1,03     1,95 

Sept.,  oct.,  nov.  1,50    1,37    1,41 

Ainsi ,  d'après  Keill  et  Martin ,  l'excédant  de  la  respira- 
lion  nocturne  sur  la  transpiration  diurne  était  plus  considérable 
qu'en  tout  autre  temps  pendant  l'hiver  (en  février,  suivant 
Keill ,  en  janvier  suivant  Martin) ,  et  moins  grand  aussi  qu'à 
toute  autre  époque  durant  l'été  (en  juillet  selon  Keill,  en 
juin  selon  Martin  )  ;  la  sécrétion  urinaire  diurne  était ,  se- 
lon Keill  et  Lining,  plus  abondante  que  la  nocturne  en  hiver 
et  au  printemps  (en  janvier  surtout ,  d'après  Keill ,  en  février 
d'après  Lining),  moins  considérable  en  été  et  en  automne  (en 
septembre  suivant  Keill ,  en  octobre  suivant  Lining).  Au  dire 
de  Lining ,  pendant  le  jour,  la  transpiration  cutanée  l'empor- 
tait sur  la  sécrétion  urinaire  depuis  mai;  jusqu'en  septembre 


Keill. 

Lining. 

1,39 

1,57 

1,16 

1,11 

0,86 

0,72 

0,94 

0,90 

PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  3o3 

(au  mois  de  juillet  surtout),  l'égalait  en  octobre ,  et  était  plus 
faible  qu'elle  depuis  novembre  jusqu'en  avril  (au  mois  de  fé- 
vrier surtout)  ;  durant  la  nuit,  la  sécrétion"  urinaire  l'empor- 
tait toujours  sur  l'exhalation  cutanée,  principalement  en  hiver. 
6°  L'époque  de  la  copulation  est,  pour  les  végétaux  et  les 
animaux,  le  point  culminant  de  la  vie  annuelle,  l'époque  à  la- 
quelle l'existence  individuelle  se  tourne  vers  la  conservation 
de  l'espèce^  et  ce  moment  correspond  ,  chez  la  plupart  des 
êtres  organisés,  à  la  saison  chaude  et  humide.  Le  cours  des 
choses  est  tel  parmi  ces  êtres  que ,  tantôt  après  l'hiver,  la  vie 
extérieure  s'exalte  peu  à  peu  ,  s'élève  au  bout  d'un  certain 
laps  de  temps  jusqu'à  la  faculté  procréatrice ,  et  retombe 
tout  à  coup  après  l'accomplissement  de  l'acte  génital ,  tantôt 
l'époque  de  la  copulation  arrive  immédiatement  à  la  suite 
du  repos  de  l'hiver,  après  quoi  la  vitalité  extérieure  persiste 
encore  quelque  temps,  pour  ne  s'ejfilacer  que  peu  à  peu  (  §  244, 
1'  297, 1°),  En  ce  qui  concerne  la  fécondation  humaine,  nous 
avons  sous  les  yeux  les  tables  de  population  de  la  Suède  de- 
puis 1750  jusqu'en  1763  (1) ,  et  depuis  1775 jusqu'en  1795  (2) , 
celles  de  Paris  depuis  1670  jusqu'en  1787,  et  depuis  1817  jus- 
qu'en 1823(3), celles  de  Florence  depuis  1451  jusqu'en  1774, 
et  celles  du  royaume  de  Wurtemberg  (4).  D'après  ces  tables 
réunies,  si  l'on  suppose  cent  mille  fécondations  par  an,  la 
proportion  durant  les  diverses  saisons  est  celle  qui  suit  : 

Suède.  Paris.         Florence.  Wirtemb. 

4750        1775  1670        1817 

4763.  1795.  1787.  1823. 
Mars  à  mai.  25,785  25,998  25,942  24,885  26,816  25,900 
Juin  à  août.  22,335  25,486  25,675  26,601  25,629  25,100 
Sept,  à  nov.  22,470  22,418  23,768  24,256  22,045  23,083 
Dec.  à  fév.  26,410  26,098  24,615  24,258  25,510  25,816 
Le  minimum  tombe  donc  partout  en  automne ,  et  le  maxi- 
mum presque  généralement  au  printemps  ;    s'il  répond  à 

(1)  Ahhandlungen  de,r  Schwedisclien  Aliademie  ,  t.  XXIX  ,  p.  263. 

(2)  Dict.  des  Se.  méd.,  t.  XXXIV,  p.  368. 

(3)  Rech.  stat.  sur  la  ville  de  Paris.  Paris,  1823,  in-4o,  tabl.  n°  52. 

(4)  Riecke  ,  Beitrœge  zur  gelurtsJitielflichen  Topographie  von  fVilr- 
temherg.  Xubingue ,  1827 ,  in-8. 


3ô4  PÉRIODICITÉ    ANNUEttE. 

l'hiver  en  Suède,  c'est  que  la  plupart  des  mariages  se  con- 
tractaient en  automne  dans  cette  contrée;  car  la  fécondation 
illégitime  y  était  plus  commune  qu'en  tout  autre  temps  aux 
mois  de  juin  et  de  juillet,  et  plus  rare  en  octobre  et  en 
novembre.  A  Paris,  dans  les  temps  anciens ,  où  Ton  observait 
plus  rigoureusement  les  jeûnes ,  le  minimum  avait  lieu  en 
mars  et  le  maximum  en  mai;  maintenant  le  maximum  tombe 
en  juin  et  le  minimum  en  septembre.  D'après  Villermé  ,  voici 
l'ordre  de  succession  des  mois  par  rapport  à  la  fécondité  : 
mai,  juin,  avril,  juillet,  février,  mars, après  quoi  viennentles 
autres  mois ,  qui  produisent  moins  (1).  A  Florence,  le  minimum 
tombait  en  septembre  et  le  maximum  en  juin;  en  Suède,  le 
premier  correspondait  à  septembre  et  octobre ,  l'autre  à  dé- 
cembre ;  dans  le  Wurtemberg  ,  le  premier  à  septembre ,  et 
le  second  à  avril  ;  dans  les  Pays-Bas  ,  suivant  Quetelet ,  le 
minimum  tombe  en  octobre  et  le  maximum  en  avril.  Du  res- 
te, il  ressort  des  listes  de  Wurtemberg,  de  celles  de  Florence, 
et,  eu  égard  aux  enfans  illégitimes,  de  celles  de  la  Suède, 
que  c'est  dans  les  moins  productifs  qu'il  est  né  le  plus  de  gar- 
çons ,  et  dans  les  plus  féconds ,  au  contraire ,  qu'il  est  venu  , 
piroporlion  gardée,  plus  de  filles  au  monde. 

7°  Sous  le  point  de  vue  de  la  mortalité ,  il  y  ades  différences 
plus  grandes,  qui  dépendent  du  climat  et  autres  circonstances 
influant  sur  la  vie,  ainsi  que  des  maladies  transcurrentes  ou 
dominantes  en  certaines  années.  Les  listes  suédoises  de  treize 
et  de  vingt  ans,  les  viennoises  de  dix  ans (2),  et  les  pari- 
siennes de  quatre-vingt-cinq  ans  (3) ,  donnent  les  proportions 

suivantes  : 

Suède.  Paris.        Vienne. 


1750-4762. 

1775-1795. 

Mars  à  mai.'               30,809 

£L  28,293 

28,598 

27,970 

Juin  à  août.                  24,116 

24,413 

22,133 

22,333 

Septembre  à  nov.        21,418 

21  963 

21,492 

22,299 

Décembre  à  février.    24,377 

25,331 

26,777 

24,398 

(1)  De  la  distribution  par  mois  des  conceptions  et  des  naissances  de 
rhomme  (Ann.  d'hyg.  et  de  niéd  lég.,  Paris  ,  1831 ,  t.  V,  p.  55  et  siiiv.) 

(2)  Wei'tbein,    Versuch  einer  medicinischen  Topographie  von  ff^ien^ 
P.74.J 

(3)  Archives  générales ,  t.  III ,  p.  468. 


PÉRIOblGlTÉ    ANNUELLE.  3o5 

Ici  la  mortalité  atteint  le  maximum  au  printemps,  baisse  en 
été,  arrive  au  minimum  en  automne  (à  Paris  en  été),  et  re- 
monte en  hiver.  lien  est  de  même  aussi  à  Hambourg,  où, sur 
mille  décès ,  deux  cent  quatre-vingt-un  ont  lieu  de  Janvier  à 
mars,  deux  cent-quatre-vingt-neuf  d'avril  à  juin,  deux  cent- 
vingt-cinq  de  juillet  à  septembre ,  et  deux  cent-qùarante-cinq 
d'octobre  à  décembre  (1)  ;  à  Breslau  ,  d'après  des  observa- 
tions recueillies  pendant  dix  années ,  où  il  mourut  six  mille 
sept  cent  vingt-huit  personnes  de  février  à  mars ,  six  mille 
cent  quatre-vingt-six  d'avril  à  juin ,  cinq  mille  neuf  cent 
soixante-et-quatorze  de  juillet  à  septembre  ,  et  six  mille  cinq 
cent  quatre-vingt-trois  d'octobre  à  décembre  ;  à  Berlin ,  où 
l'on  compte  dix  mille  décès  au  printemps ,  neuf  mille  trois 
cents  en  été ,  huit  mille  huit  cents  en  automne,  et  neuf  mille 
huit  cent  en  hiver  ;  enfin  à  Saint-Pétersbourg ,  où  le  nombre 
des  décès  fut  de  vingt-deux  mille  au  printemps ,  dix-huit 
mille  en  été,  quinze  mille  six  cents  en  automne,  et  dix-sept 
mille  en  hiver  (2).  Nous  pouvons  regarder  cette  proportion 
comme  normale ,  et  attribuer  à  des  anomalies  causées  par  des 
circonstances  de  lieu  ou  de  temps  ,  que  le  maximum  de  la 
mortalité  tombé  en  été  et  le  minimum  en  hiver  à  Stockholm,  le 
maximum  en  hiver  et  le  minimum  au  printemps  à  Padoue  et  à 
Milan ,  le  maximum  en  été  et  le  minimum  au  printemps  à 
Montpellier  (3). 

Après  le  printemps,  l'hiver  est  ordinairement  la  saison  où 
l'on  compte  le  plus  de  décès  ,  ce  que  confirment  les  recher- 
ches de  Black  (4),  de  Villermé  (5)  et  autres.  Le  maximum  de 
la  mortaHté  a  eu  lieu  en  décembre  à  Milan  ,  en  janvier  dans 
les  Pays-Bas,  à  Londres  et  à  Padoue,  en  mars  à  Vienne ,  Ber- 
lin et  Vevay,  en  avril  à  Paris  et  dans  la  Suède,  en  mai  à 
Saint-Pétersbourg.  Le  minimum  s'est  offert  en  juin  à  Padoue 

(1)  Gerson ,  Magasin  ,  t.  XVII,  p.  349. 

(2)  Dict.  des  Se.  médic,  t.  XXXIV,  p.  368. 

(3)  Mémoires  de  l'Institut ,  t.  I,  p.  33. 

(4)  Vergleichung  der  Sterhlichkeit  des  menschlichen  Geschlechts,  p.  35. 

(5)  Mémoire  sur  la  mortalité  en  France  dans  la  classe  aisée  et  dans  la 
classe  indigente  (Mém.  de  l'Acad.  royale  de  médecine.  Paris,  1828,  t.  I, 
p.  51  et  suiv.  —  Annales  d'hygiène  pratique ,  t.  III ,  p.  294;  t.  IX,  p.  5; 
t.  XI,  p.  342 it,  XII,  p.  31). 

V,  20 


3o6  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

et  Milan ,  en  juillet  à  Paris  ,  Londres  ,  Vevay ,  et  dans  les 
Pays  Bas,  en  septembre  et  octobre  dans  la  Suède  et  à  Saint- 
Pétersbourg  ,  en  novembre  à  Berlin ,  en  décembre  à  Vienne. 
D'après  les  observations  de  Mourgue  (1),  la  mortalité  est  plus 
grande  en  hiver  chez  les  femmes  que  chez  les  hommes,  et  cette 
saison  voit  périr  aussi  plus  d'enfans  que  l'été  ,  cependant , 
selon  Wertheim,  la  plus  grande  mortalité  des  enfans,  à 
Vienne ,  eut  lieu  en  août ,  et  la  moindre  en  décembre.  D'après 
onze  années  d'observations  recueillies  à  New-York,  l'hiver  et 
le  printemps  comptèrent  plus  que  l'été  et  l'automne  de  décès 
causés  par  la  péripneumonie,rangine  et  la  phthisie  pulmonaire, 
tandis  que  l'apoplexie,  la  rougeole,  la  coqueluche,  les  inflamma- 
tions de  bas- ventre,  le  choléra  et  la  dysenterie  firent  périr  plus 
de  personnes  enétéet  en  automne  qu'en  hiver  et  au  printemps. 
(Si  l'on  s'est  peu  occupé  jusqu'à  présent  de  l'influence  que 
les  circonstances  météorologiques  exercent  sur  la  mortalité , 
quelque  intéressant  que  puisse  être  ce  sujet  de  recherches  , 
il  faut  s'en  prendre  au  défaut  de  précision  des  faits  relatifs 
au  nombre  des  cas  de  mort  qui  arrivent  durant  les  divers 
mois  de  l'année.  La  plupart  des  faits  que  nous  possédons  à 
cet  égard  ne  sauraient  être  d'aucune  utilité  pour  la  science  ; 
l'enregistrement  des  morts  se  fait  d'ordinaire  par  semestres  , 
mais  les  semestres  ne  sont  point  des  périodes  météorologiques, 
c'est-à-dire ,  que ,  dans  l'état  présent  de  la  météorologie,  la 
marche  du  temps  nous  est  connue  par  mois  seulement  et  non 
par  semestres. Veut-on,  pour  comparer  la  mortalité  avec  l'état 
de  l'atmosphère  ,  rattacher  les  listes  mortuaires  à  un  classe- 
ment mensuel ,  on  s'y  prend  la  plupart  du  temps  d'une  ma- 
nière si  arbitraire,  qu'il  devient  impossible  de  déduire  les  lois 
qui  devraient  découler  de  là.  Les  diflerences  que  la  mortalité 
présente  dans  les  divers  mois  de  l'année  ,  ne  sont  point  assez 
considérables  pour  qu'on  puisse  se  rendre  maître  de  pa- 
reilles inexactitudes.  Il  y  a  surtout  ici  celte  circonstance  par- 
ticulière que  !e  mois  de  février ,  le  moins  long  de  tous  ,  est  en 
même  temps  ce'ui  pendant  lequel  la  vie  court  le  plus  de  dan- 
ger, du  moins  dans  nos  climats.  Si  l'on  oe  faisait  point  entrer 

(1)  Mémoires  de  ITnstitut ,  t.  I,  p.  33. 

(2)  Gei'son,  Macjusin,  t.  XVII,  p.,63. 


PÉRiODIGlTÉ    ANNUELLE.  307 

en  ligne  de  compte  le  nombre  moins  considérable  de  jours 
qu'il  embrasse  ,  la  mortalité  qui  a  lieu  pendant  son  cours  se- 
rait inférieure  à  celle  de  janvier  ,  de  mars  ,  même  d'avril  et 
de  mai ,  c'est-à-dire  que  toute  recherche  scientifique  devien- 
drait absolument  impraticable.  On  ne  doit  point  oublier  qu'ici 
nous  en  sommes  encore  aux  premiers  élémens.  En  un  tel 
état  de  choses,  il  faut  provisoirement  laisser  de  côté  les  an- 
nées anormales  ,  comme  celles  qui  ont  été  signalées  par  des 
épidémies  ;  car  le  plus  sûr  ,  quand  on  manque  de  boussole  , 
est  de  ne  point  s'écarter  des  côtes.  C'est  au  soin  de  prendre 
ces  diverses  circonstances  en  considération  que  je  crois  être 
redevable  d'avoir  pu   déduire ,  des  registres  mortuaires  de 
Kœnigsberg,  des  lois  fort  simples,  et  dont  la  justesse  se  con- 
firme sous  tant  de  points  de  vue.  Les  listes  dont  je  me  suis 
servi  contenaient  les  noms  des  individus  morts ,  avec  d'autres 
notes  relatives  à  l'âge  et  au  sexe ,  de  sorte  qu'elles  mettaient 
à  l'abri  d'erreurs  grossières.  J'ai  choisi  parmi  elles  les  dix 
années  de  1817  à  1826 ,  période  durant  laquelle  il  n'a  point 
régné  de  mortalité  extraordinaire.  Les  recherches  qui  vont 
suivre  découlenti  de  l8,769  cas  de  mort  parmi  des  gens  de 
tout  âge,  qui  ont  succombé  durant  ce  laps  de  temps  ;  les  morts 
accidentelles ,  au  nombre  de  384 ,  ont  été  écartées.  De  l'in- 
certitude devait  régner  à  cet  égard  parmi  les  morts-nés ,  mais 
comme  leur  nombre  était  classé  par  mois ,  il  s'est  trouvé  ce 
résultat  remarquable  qu'ils  sont  soumis  précisément  à  la  même 
loi  que  les  morts  en  général.  Effectivement  il  est  mort,  les 
mois  étant  comptés  tous  à  trente  et  un  jours , 


En  janvier 

1728  individus  dont 

86  morts  nés 

février 

1909 

129 

mars 

1839 

103 

avril 

1754 

96 

mai 

1591 

93 

juin 

1431 

94 

juillet 

1372 

87 

août 

1296 

67 

septembre 

1547 

62 

octobre 

1499 

85 

novembre 

1567 

82 

décembre 

1613 

Si 

OûS  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

Si  l'on  représente  les  deux  espèces  de  morts  par  des  courbes, 
elles  sont  parallèles ,  de  sorte  que  les  circonstances  météoro- 
logiques exercent  sur  les  enfans  morts-nés  le  même  genre 
d'influence  qne  sur  les  vivans.  Le  mois  de  février ,  qui  a 
le  plus  grand  nombre  de  morts-nés,  compte  également  le 
plus  grand  nombre  de  naissances,  et  l'on  pourrait  en 
conséquence  expliquer  le  premier  phénomène  par  le  se- 
cond. Cependant ,  quelque  séduisante  que  soit  cette  expli- 
cation, elle  ne  saurait  suffire  seule  ,  par  cette  considération 
surtout  que ,  le  temps  exerçant  une  influence  considérable 
sur  la  vie  après  la  naissance  ,  il  serait  contraire  à  la  nature 
d'admettre  qu'il  n'en  a  aucune  sur  les  morts-nés.  D'après 
Trévisan  (^),  à  Gastel -Franco ,  sur  100  enfans,  on  en  compte 
qui  parviennent  à  un  an,  48  parmi  ceux  qui  naissent  au  prin- 
temps ,  83  parmi  ceux  dont  la  naissance  a  lieu  en  été ,  58 
parmi  ceux  qui  viennent  au  monde  en  automne,  et  19  seule- 
ment parmi  ceux  dont  la  naissance  s'opère  en  hiver.  Bien 
qu'il  ne  soit  pas  permis  de  considérer  ces  nombres  comme 
ayant  une  exactitude  absolue ,  puisqu'il  s'ensuivrait  que ,  de 
100  enfans,  50  seulement  à  peu  près  atteindraient  l'âge  d'un 
an  ;  cependant  il  est  positif  qu'une  différence  très-considé- 
rable ,  sous  le  rapport  de  la  mortalité  pendant  les  premiers 
mois  de  la  vie,  règne  parmi  les  enfans  nés  en  des  saisons  diffé- 
rentes. D'après  Quetelet,  il  est  mort  en  Belgique 
âge  janvier  juillet 

0  à    1  mois  4290  2403 

1  à  3  ^  1890  1126 
3  à  6  1470  1171 
6    à  12                        2108                      1246 

Il  suit  de  là  que  le  plus  grand  nombre  des  morts-nés  en  fé- 
vrier doit  être  mis  sur  le  compte  tant  du  plus  grand  nombre 
de  naissances  en  général ,  que  des  circonstances  météorolo- 
giques. Dans  tous  les  cas,  il  est  permis  de  réunir  les  morts-nés 
aux  autres  morts ,  puisque  tous  obéissent  aux  mêmes  lois. 
Pour  les  uns  comme  pour  les  autres ,  la  plus  grande  morta- 
lité a  eu  lieu  en  février- ,  et  la  moindre  en  août  :  à  partir  du 
premier  mois ,  le  nombre  des  cas  de  morts  diminue  réguliè- 

(1)  Bibliothèque  de  Génère,  t.  XLVII,  p.  445. 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  309 

rement  jusqu'au  mois  d'août,  époque  après  laquelle  il.  com- 
mence à  croître  ;  septembre  seul  offre  une  petite  anomalie  ,,le 
nombre  des  morts  y  étant  plus  considérable  qu'en  octobre.' 
Schubler  a  observé  des  proportions  exactement  semblables  à 
Stuttgart,  dans  les  années  1780  à  1821.  Cette  ville  perdit,  en 
individus  âgés  de  plus  d'un  an  : 

janvier      1004  juillet  679 

février      1094  août  734 

mars  976  septembre  760 

avril  948  octobre       737 

mai  922  novembre    837 

juin  789  décembre    880 

Ici  également  le  maximum  de  la  mortalité  tombe  en  février; 
mais  son  minimum  correspond  en  juillet  ;  le  mois  de  sep- 
tembre présente  la  même  anomalie  qu'à  Kœnigsberg,  ce  qui 
fait  que  nous  hésitons  à  la  regarder  comme  une  erreur  d'ob- 
servation. 
Les  mêmes  lois  ressortent  enfin  des  recherches  de  Quetelet  î 


Janvier 

1,185 

Juillet 

0,842 

Février 

1,141 

Août 

0,866 

Mars 

1,121 

Septembre 

0,930 

Avril 

1,061 

Octobre 

0,167 

Mai 

0,964 

Novembre 

0,980 

Juin 

0,892 

Décembre 

1,053 

Si  donc  il  est  certain  que  la  mortalité  suit  une  période 
annuelle ,  on  se  demande  de  quelle  cause  provient  cette  pé- 
riodicité. Il  faudrait  passer  ici  en  revue  tous  les  phénomènes 
qui  suivent  également  la  période  d'un  an  pour  trouver  celle 
de  laquelle  la  nôtre  se  rapproche  le  plus ,  la  différente  pres- 
sion de  l'atmosphère  pendant  les  divers  mois ,  la  diver- 
sité de  leur  humidité  absolue  et  relative,  les  variations  men- 
suelles du  moyen  mouvement  de  l'air ,  la  prédominance  des 
jours  sereins  ou  nébuleux ,  la  plus  ou  moins  grande  incons- 
tance du  temps,  l'électricité,  etc.  Mais,  sans  nous  exposer  au 
danger  de  fatiguer  le  lecteur  par  une  discussion  de  ces  causes 
possibles,  nous  n'examinerons  que  la  variabilité  du  temps  et  de 
l'état  du  thermomètre,  et  nous  ferons  voir  que  le  degré  différent 
de  la  mortalité  aux  divers  mois  ne  peut  être  mis  sur  son  compte. 


5 10  PÉRIODICITÉ    ANNDELLEc 

C'est  en  avril  et  en  octobre  que  le  temps  est  sujet  aux  plus 
grands  et  aux  plus  rapides  changemens.  Durant  l'hiver  les 
vents  du  midi  et  de  l'ouest  sont  ceux  qui  dominent  chez  nous 
et  dans  toute  l'Europe  ;  par  conséquent,  la  direction  moyenne 
du  vent ,  à  Kœnigsberg,  est  S.  14°  0.  En  été,  au  contraire, 
cette  direction  est  N.  48°  0.  Ainsi  on  peut  admettre  que  le 
vent  souffle  du  midi  en  hiver  et  du  nord  en  été.  Ces  deux  di- 
rections se  résolvent  au  printemps  et  en  automne,  ce  que  nous 
voyons  arriver  en  avril  et  en  octobre,  par  une  lutte  qui  nous 
amène  un  temps  capricieux.  Mais,  durant  ces  mois,  la  mortalité 
se  rapproche  plus  du  minimum  que  du  maximum.  Donc  la  va- 
riabilité du  temps  ne  met  pas  la  vie  en  danger.  Quant  à  ce  qui 
concerne  la  pression  atmosphérique ,  à  nos  latitudes ,  elle  ne 
caractérise  ni  les  mois  ni  les  saisons.  En  effet,  la  hauteur  dû 
baromètre  est  si  peu  fixe  pendant  les  saisons,  ses  changemens  de 
mois  en  mois ,  dans  la  zone  tempérée ,  sont  si  considérables , 
et  par  conséquent  elle  présente  tant  d'inégalités  en  des  lieux 
divers,  qu'on  ne  saurait  faire  dépendre  de  l'échelle  de  cet 
instrument  un  phénomène  qui,  comme  la  mortalité,  se  montre 
assujéti  à  une  marche  si  bien  déterminée  pendant  le  cours  de 
.  l'année.  Les  observations  faites  à  Koenigsberg  rapportent  la  plus 
haute  pression  de  l'air  au  mois  de  septembre ,  et  la  plus  faible 
au  mois  de  mars  ;  la  différence  ne  s'élève  cependant  qu'à  1,4 
lignes,  c'est-à-dire  à  139  livres  sur  les  33,000  dont  l'homme 
se  trouve  d'ordinaire  chargé.  Mais  les  mois  de  septembre  et 
de  mars  ne  sont  point  les  extrêmes  par  rapport  au  nombre 
des  morts,  La  différence  de  la  pression  atmosphérique  pen- 
dant les  saisons  est  naturellement  plus  insignifiante  encore  , 
et  se  réduit  à  un  dixième  de  ligne.  Quiconque  est  au  courant 
des  résultats  récens  de  la  météorologie ,  sait  que  le  baromètre 
n'est  point ,  dans  les  zones  tempérées ,  l'instrument  propre  à 
indiquer  la  marche  régulière  des  phénomènes  du  temps  pen- 
dant le  cours  de  la  journée  et  de  l'année.  Mais  la  variation 
de  la  mortalité  ne  peut  être  appréciée  ni  par  la  girouette  ni 
par  le  baromètre  ;  elle  dépend,  au  contraire,  du  thermomètre, 
et  c'est  ce  que  j'espère  démoiitrer  par  des  preuves  telles 
qu'elles  ne  laisseront  pas  la  plus  petite  place  au  doute.  Le 
minimum  de  la  chaleur  moyenne  a  lieu  en  janvier  et  le  maxi- 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  3 11 

mum  en  juillet.  Or,  un  mois  après  le  minimum,  par  conséquent 
en  février,  nous  trouvons  la  plus  grande  morlaiité,  et  un  mois 
après  le  maximum,  c'est-à-dire  en  août,  la  moindre.  L'état 
du  thermomètre  dépend  de  la  hauteur  du  soleil  au  dessus  de 
l'horizon;  cependant ,  si  cette  hauteur  était  la  seule  et  unique 
cause,  le  21  décembre  serait  le  plus  froid  jour  de  l'année,  et 
le  21  juillet  le  plus  chaud.  Mais  la  chaleur  du  soleil  amène 
d'autres  opérations ,  qui  ont  leur  source  dans  la  mobihté  de 
l'air  et  dans  le  changement  de  l'état  d'agrégation  de  l'eau, 
et  qui  influent  également  sur  la  température  des  lieux.  Ce  sont 
des  actes  dont  l'accomplissement  exige  un  certain  laps  de 
temps.  Nous  trouvons  donc  le  plus  chaud  jour  et  le  plus  froid 
trois  à  quatre  semaines  plus  tard ,  durant  la  dernière  moitié 
de  juillet  et  de  janvier.  La  mortalité  offre  quelque  chose  d'a- 
nalogue ;  la  plus  forte  et  la  plus  faible  chaleur  déterminent, 
dans  l'organisme  de  l'homme ,  certaines  opérations  ,  de  nature 
salutaire  et  de  nature  nuisible ,  qui  demandent  également  du 
temps,  et  qui  reportent  la  plus  grande  mortalité  quatre  se- 
naaines  après  la  plus  faible  et  la  plus  forte  chaleurs.  J'appelle 
l'attention  d'une  manière  spéciale  sur  ce  retard  ;  il  est  parfai- 
tement fondé  sur  la  nature  des  choses ,  et  il  s'est  montré  si 
constant,  dans  toutes  les  comparaisons  que  j'ai  faites ,  qu'on 
doit  l'admettre  pour  certain.  Mais  ce  qu'on  ne  peut  point  affir- 
mer ,  c'est  qu'il  soit  exactement  d'un  mois  ;  loin  de  là  il  peut 
aisément  embrasser  une  et  même  deux  semaines  de  plus  ou  de 
moins.  D'après  les  observations  précédemment  citées  de  Que- 
telet ,  il  paraît  qu'en  Belgique  la  plus  grande  mortalité  coïn- 
cide avec  la  moindre  hauteur  du  thermomètre,  la  plus 
faible  avec  la  plus  grande  élévation  de  cet  instrument,  et 
qu'en  conséquence  le  retard  dont  je  viens  de  parler  n'a  point 
lieu  dans  ce  royaume.  Mais  si  ce  retard  n'était  que  de  quinze 
jours ,  et,  en  accordant  quelque  chose  pour  l'incertitude  des 
observations ,  on  voit  sans  peine  que  tantôt  février  et  tantôt 
janvier  apparaîtra  comme  le  mois  le  plus  dangereux  pour  la 
vie.  En  outre,  il  n'est  point  encore  prouvé  que  les  variations 
du  thermomètre  suivent  exactement  la  môme  marche  en  Bel- 
gique et  dans  la  Prusse  orientale  ;  nous  avons  même  lieu 
d'en  douter  d'après  les  recherches  de  Keemlz  sur  la  tempéra- 


012  PERIODICITE    ANNUELLE. 

tuie  comparée  de  cinq  à  six  jours  en  plusieurs  lieux  différens 
de  notre  hémisphère.  On  ne  doit  point  perdre  de  vue  non  plus 
qu'il  s'agit  bien  moins ,  par  rapport  à  la  mortalité ,  de  tel  ou 
tel  jour  dont  la  température  est  basse  ou  Félevée ,  que  de  la 
chaleur  moyenne  de  plusieurs  jours  consécutifs.  Enfin,  quand 
nous  entrerons  plus  tard  dans  le  détail  des  observations  belges, 
nous  verrons  le  retard  se  confirmer  d'une  manière  tellement 
particulière ,  qu'on  sera  convaincu  qu'il  a  lieu  aussi  en  Bel- 
gique ,  et  que  la  seule  raison  qui  l'empêche  d'y  ressortir  clai- 
rement ,  c'est  que  là  on  a  réuni  ensemble  les  cas  de  mort  de 
toutes  les  classes  d'âge.  J'ai  trouvé  la  température  moyenne  , 
à  Kœnigsberg,  de  6,12  degrés  de  Réaumur,  et  non  de  5,12 
degrés,  comme  on  l'avait  admis  jusqu'ici.  Cette  moyenne  va- 
leur s'est  prononcée  en  1818  et  en  1825,  années  dont  la  moyenne 
est  exactement  de  6,12  degrés.  Le  nombre  moyen  des  morts, 
pour  la  période  dont  nous  nous  occupons,  s'élève  à  1877  par 
an;  1871,  ont  succombé  en  1818,  et  1871  également  en  1825. 
Ces  années ,  qui  montrèrent  exactement  la  température 
moyenne ,  donnèrent  donc  non  moins  exactement  le  nombre 
moyen  des  morts.  Au  contraire ,  l'année  1822  a  eu  la  plus 
forte  chaleur  moyenne  (6,92  degrés  ),  et  en  même  temps  le 
moindre  nombre  de  morts ,  c'est-à-dire  1638.  Le  plus  grand 
nombre  de  morts  fut  donné  par  l'année  5826;  il  s'éleva  à 
2115.  Cette  année  étant  une  des  chaudes ,  on  aurait  plutôt  dû 
s'attendre  à  une  mortalité  moindre;  mais  la  plus  haute  cha- 
leur moyenne  provint  de  l'été  1826  ,  qui  fut  extraordinaire - 
ment  chaud ,  en  sorte  que ,  d'après  la  loi  qui  va  être  dévelop- 
pée ,  la  grande  mortalité  qu'on  vit  alors  était  réellement  dans 
l'ordre.  On  peut  donc  admettre ,  d'après  cela ,  que  la  propor- 
tion de  la  mortalité  ne  tient  point  uniquement  à  la  chaleur  de 
l'année ,  mais  se  rattache  aussi  à  la  répartition  de  cette  cha- 
leur entre  les  saisons.  Je  ne  possède  pas  de  listes  mortuaires 
pour  l'année  1834  ;  mais  je  ne  doute  pas  qu'en  cette  année  , 
qui  eut  un  été  fort  chaud ,  la  mortalité  n'ait  été  aussi  grande 
qu'en  1826. 

Au  milieu  de  tous  les  phénomènes  qui  dépendent  de  con- 
ditions météorologiques ,  c'est  un  avantage  décidé  que  le 
temps  montre  de  si  grandes  irrégularités  dans  les  années  con- 


PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  3l5 

sidérées  une  à  une.  En  utilisant  d'une  manière  convenable  ces 
anomalies,  on  peut  pénétrer  jusque  dans  les  détails  plus  minu- 
tieux du  phénomène,  et  arriver  à  des  résultats  auxquels ,  sans 
cela ,  on  ne  parviendrait  qu'à  l'aide  d'un  examen  pénible  et 
souvent  impraticable  des  circonstances  dans  diverses  zones  de 
la  terre.  La  mortalité  dépend  de  l'état  du  thermomètre,  c'est-à- 
dire  ,  pour  parler  avec  plus  de  précision  ,  que  ses  variations 
sont  liées  à  celles  du  thermomètre.  Il  est  donc  vraisemblable 
que,  dans  le  pays  dont  le  climat  porte  un  caractère  continen- 
tal ,  la  fluctuation  dans  le  nombre  des  morts  paraîtra  plus 
grande  que  là  où  règne  un  climat  littoral  ou  insulaire.  Mais 
il  y  a  jusqu'ici  impossibilité  d'en  fournir  la  preuve  par  une 
comparaison  établie  entre  ces  contrées,  puisque  nous  sommes 
totalement  dénués  des  observations  dont  nous  aurions  besoin 
pour  cela;  cependant,  comme  j'en  ai  déjà  fait  la  remarque,'nous 
y  pouvons  parvenir  à  l'aide  des  seules  observations  de  Kœ- 
nigsberg ,  en  supposant  que,  pour  cela,  nous  nous  attachions 
aux  saisons  qui  ont  un  temps  anormal.  L'hiver  de  1823  cor- 
respond parfaitement  à  un  climat  continental  ;  tandis  que  la 
chaleur  moyenne  ordinaire  de  notre  mois  de  janvier  est  de 
—  1,8  degré  Réaumur ,  elle  fut  cette  année  de  —  9,7  degrés, 
ce  qui  donne  un  janvier  de  Moscou.  Le  nombre  moyen  des 
morts  est  de  191;  mais,  en  février  1823,  il  atteignit  son  maxi- 
mum ,  savoir  247,  ce  qui  fait  un  tiers  de  plus.  D'un  autre 
côté  ,  le  mois  de  janvier  1817  se  distingua  par  une  chaleur  in- 
solite ,  il  fut  le  plus  chaud  janvier  de  cette  période ,  et  cor- 
respondit à  un  climat  insulaire  ;  aussi  le  nombre  des  morts  ne 
fut-il,  dans  le  mois  de  février  suivant,  calculé  à  trente-un  jours, 
que  de  175.  Pendant  les  mois  d'été  de  1811,  la  chaleur  fut 
moins  forte  que  dans  toutes  les  autres  années  sur  lesquelles 
nous  opérons ,  et  la  même  chose  eut  également  lieu  pour  la 
mortalité  durant  ces  mois;  tandis  qu'il  meurt  ordinairement  130 
individus  en  août,  il  n'en  périt  que  95  dans  l'année  1821.  Le 
mois  de  juillet  1818,  au  contraire ,  fut  de  1,4  degré  plus 
chaud  que  de  coutume ,  et  dans  le  mois  suivant  il  succomba 
140  personnes.  Le  plus  grand  nombre  de  morts  (201)  fut  donné 
par  le  mois  d'août  1826 ,  mais  aussi  le  mois  précédent  avait 
été  le  plus  chaud  de  toute  la  période.  De  ces  faits ,  sur  les- 


3l4  PÉRIODICITÉ    ANNUEttE. 

quels  nous  ne  tarderons  pas  à  revenir  encore ,  il  découle  donc 
qu'une  élévation  de  la  température  au  dessus  du  degré  nor- 
mal diminue  la  mortalité  en  hiver  et  l'augmente  en  été,  et  que 
l'inverse  a  lieu  pour  l'abaissement  de  la  température.  On  peut 
aussi  exprimer  cette  proposition  de  la  manière  suivante  :  Le 
climat  maritime,  qui  diminue  les  différences  de  la  température 
dans  la  période  annuelle,  diminue  également  celles  de  la 
mortalité.  Le  nombre  des  cas  de  mort  pendant  les  différons 
mois  de  l'année  se  ressemblera  donc  davantage  sur  les  côtes 
et  dans  les  îles ,  tandis  qu'il  présentera  de  plus  grandes  diffé- 
rences dans  l'intérieur  des  continens. 

La  Belgique  se  rapproche  de  la  Prusse  orientale  quant  à 
la  proportion  du  climat  maritime  et  du  climat  continental  ; 
aussi  les  observations  faites  de  part  et  d'autre  confirment-elles 
la  proposition  précédente.  Car  s'il  meurt  cent  personnes  en 
Belgique  pendant  le  mois  de  juillet ,  il  en  périt  cent  trente- 
trois  pendant  celui  de  janvier ,  en  sorte  que  la  variation 
de  la  mortalité  est  de  1,33  ;  cependant  elle  s'élève  un 
peu  plus  à  Kœnigsberg,  oii  elle  est  de  1,47.  Même  dans 
les  diverses  classes  d'âges ,  on  aperçoit  partout  une  plus 
grande  fluctuation  de  la  mortalité  à  Kœnigsberg  qu'en 
Belgique.  Cependant  il  était  désirable ,  pour  l'objet  qui 
nous  occupe  ,  de  posséder  une  preuve  plus  péremptoire  que 
celle  qui  peut  être  déduite  des  exemples  spéciaux  cités  pré- 
cédemment. A  cette  fin,  je  pris  la  température  moyenne  de 
tous  les  mois  de  janvier  dans  lesquels  le  froid  avait  été  plus 
considérable  qu'on  n'aurait  dû  s'y  attendre,  puis  de  tous  ceux 
dans  lesquels  il  avait  été  moins  intense  ;  je  procédai  de  la 
même  manière  à  l'égard  de  tous  les  autres  mois  de  l'année  , 
et  j'obtins  par-^là  deux  groupes  de  températures  mensuelles 
moyennes,  dont  l'un  comprenait  les  températures  inférieures, 
et  l'autre  les  températures  supérieures  à  la  moyenne.  Après 
avoir  ainsi  opéré  sur  les  années  dont  le  mois  de  janvier  avait 
été  plus  froid  qu'à  l'ordinaire  ,  je  relevai ,  pour  chacune  de 
ces  années,  le  nombre  des  morts  en  février ,  à  cause  du  re- 
tard quadri-septimanaire  ;  j'agis  de  même  sur  les  années  dont 
le  mois  de  janvier  avait  été  plus  chaud  que  de  coutume  ,  et 
enfin  sur  tous  les  autres  mois.  Il  résulta  de  là  deux  séries  de 


PÉRIODICITÉ   ANNUELLE.  5l5 

mortalités'mensuelles  moyennes ,  dont  Tune  (A)  correspond 
aux  mois  plus  froids ,  l'autre  (B)  aux  mois  plus  chauds,  et 
qui  prouvent  que  Télévation  de  la  chaleur  durant  les  mois 
d'été  met  la  vie  en  danger ,  tandis  qu'elle  lui  est  favorable 
pendant  les  mois  d'hiver.  La  table  suivante  ,  dressée,  d'après 
ce  travail ,  montre  en  mars  seulement  une  exception  nota- 
ble, qui  d'ailleurs  mérite  d'autant  moins  de  nous  arrêter, 
qu'il  n'a  pu  être  employé  pour  ce  mois  que  des  valeurs 
moyennes  de  quatre  ou  cinq  ans ,  outre  que  le  mois  de  mars 
est  assez  irrégulier  sous  le  point  de  vue  de  la  température. 


CHALEUR   MOYENNE. 

MORTALITÉ. 

MOIS. 

La  plus 

La  plus 

A.                   B. 

petite. 

grande. 

Janvier 

—  7,6  degrés  R.—  0,1 

216            182 

Février     • 

-   2,1 

4-  0,7 

204            168 

Mars 

+  0,2 

2,5 

170            174 

Avril 

4,1 

6,6 

171            151 

Mai 

9,1 

10,4 

161            128 

Juin 

11,5 

13,6 

127            149 

Juillet 

13,4 

15,1 

114            131 

Août 

13,0 

14,5 

150            148 

Septembre 

9,8 

11,5 

140            156 

Octobre 

5,5 

7,4 

157             152 

Novembre 

1,7 

4,0 

165            155 

Décembre 

—  3,9 

1,4 

186             161 

Moyenne        4'',6  7°, 3  1961  1855 

Le  nombre  des  morts  est  indiqué  tel  qu'il  a  eu  lieu  dans  les 
mois  non  réduits  à  trente-et-un  jours.  Sans  cette  réduction  il 
meurt  ordinairement  1877  personnes  par  an ,  à  une  tempéra- 
ture moyenne  de  6,12  degrés;  tandis  que  ,  comme  on  voit,  il 
en  périt  1961  à  celle  de  4,6  degrés  ,  et  1855  à  celle  de 
7,3  degrés.  Le  groupe  des  plus  faibles  températures  corres- 
pond évidemment  à  un  lieu  continental  et  situé  un  peu  au 
nord ,  l'autre  à  un  lieu  plus  méridional  et  plus  rapproché  des 
côtes.  Donc  ce  tableau  nous  apprend,  eu  égard  à  l'influence 
du  climat ,  que  là  où  la  température  annuelle  est  plus  élevée, 


3l6  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

en  même  temps  que  les  extrêmes  de  chaleur  et  de  froid  sont 
moins  prononcés ,  là  aussi  la  mortalité  est  moindre  qu'aux 
lieux  où  la  chaleur  moyenne  est  moindre  et  le  climat  plus 
excessif. 

Cependant  comme  le  problème  relatif  à  la  dépendance  dans 
laquelle  la  mortalité  se  trouve  de  l'intensité  de  la  température 
moyenne  a  trop  d'importance  pour  qu'on  croye  les  recher- 
ches dont  je  viens  de  tracer  le  précis  suffisantes  à  en  donner 
la  solution ,  je  me  résigne  à  ne  point  attacher  de  poids  au 
résultat  trouvé ,  et  à  avoir  montré  seulement  que  l'emploi 
raisonné  des  listes  d'une  seule  localité  résoudrait  presque 
complètement  la  question,  eu  égard  au  climat,  si  l'on  pouvait 
disposer  d'une  période  plus  longue  que  celle  de  dix  années. 

Moreau  de  Jonnès  et  Quetelet  ont  traité  cette  question  d'une 
autre  manière.  Ils  ont  comparé  le  rapport  de  la  population 
aux  morts  dans  des  jours  différons ,  et  reconnu  par-là  que  la 
mortalité  devient  d'autant  plus  considérable  qu'on  se  rappro- 
che davantage  de  l'équateur. 

Les  résultats  suivans  ont  été  fournis  à  ce  sujet  par  Moreau 
de  Jonnès. 

Mortalité. 

26 
27 
27 
28 
27 
30 
33 

Mais  la  proportion  n'est  que  de  45  à  l'île  de  Bourbon ,  et 
l'on  assure  qu'elle  est  même  plus  forte  encore  au  cap  de 
Bonne-Espérance  (2).  Par  conséquent  la  loi  établie  est  dou- 
teuse. 

(1)  Comparez  Brouc  ,  Rech.  statist.  sur  l'état  civil  et  l'hist.  niéd.  de  l'île 
de  la  Martinique  (Ann.  d'hyg.  et  de  méd.  légale.  Paris,  t.  XVIII,  p.  265). 

(1)  F.Bisset-Hawkins ,  Eléments  of  médical  statisiics,  Londoii,  1829. 
p.  51. 


Localités. 

Latitude. 

Batavia 

6  degrés 

La  Trinité 

10 

Sainte  Lucie 

14 

La  Martinique  (1) 

15 

La  Guadeloupe 

16 

Bombay 

Û9 

Le  Havre 

23 

PÉRIODICITÉ    ANNUELLE.  3l^ 

Quetelet  divise  l'Europe  en  trois  parties,  et  trouve 

Mortalité. 
Au  nord  41,1 

Au  centre  40,8 

Au  midi  33,7 

A  la  catégorie  des  pays  du  nord  appartient  l'Angleterre, 
avec  une  mortalité  de  51.  Mais  comme  tous  les  écrivains  sont 
unanimes  à  l'égard  de  l'inexactitude  des  listes  anglaises,  dont 
l'assemblée  des  naturalistes  à  Bristol  a  fourni,  en  1836  encore, 
de  fortes  preuves ,  il  ne  convient  pas  non  plus  que  nous  les 
employons.  Cependant ,  si  l'on  écarte  l'Angleterre ,  on  trouve 
37,7  pour  la  mortalité  dans  le  nord  de  l'Europe,  et  de  cette 
manière  non  plus  on  n'arrive  à  aucun  résultat  précis. 

On  peut  encore  prouver  autrement ,  et  avec  une  grande 
évidence  ,  que  la  mortalité  dépend  de  la  température.  Il  se 
trouve,  en  effet,  que  la  moyenne  mortalité  mensuelle  coïncide 
de  la  même  manière  avec  la  moyenne  température  ,  c'est-à- 
dire  qu'elle  a  lieu  également  quatre  semaines  plus  tard  que 
cette  dernière.  La  chaleur  moyenne  s'observe  deux  fois  par 
an ,  dans  le  dernier  tiers  d'avril  et  d'octobre,  ou ,  comme  nous 
n'opérons  ici  que  sur  des  mois  pleins,  en  avril  et  en  octobre  ; 
la  moyenne  arithmétique  des  deux  températures  donne  exac- 
tement la  chaleur  moyenne  de  Kœnigsberg.  Le  nombre  des 
morts  par  année  étant  de  1877,  la  moyenne  mortalité  men- 
suelle ,  ou  la  douzième  partie  de  cette  somme ,  est  de  156  , 
(la  durée  naturelle  des  mois  a  été  conservée  dans  ce  qui  suit). 
Or,  il  meurt  159  personnes  en  avril  et  152  en  novembre. 
Nous  voyons  donc  de  nouveau  ce  terme  moyen  de  la  mortalité 
survenir  quatre  semaines  après  celui  de  la  chaleur.  Il  y  a  plus 
même,  la  moyenne  arithmétique  déduite  du  nombre  des  morts 
en  mai  et  en  novembre  est  plus  sûre  que  celle  qu'on  tire  des 
températures  d'avril  et  d'octobre ,  comme  le  montre  la  table 
suivante. 


3i8 

PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

Années. 

Moyenne 

Vraie 

Moyenne 

Vraie 

d'avril  et  d'octob. 

moyenne. 

de  mai  et  de  nov. 

moyenne, 

4817 

30,3 

5%9 

146 

148 

1818 

5,3 

6,0 

158 

156 

1819 

6,1 

6,2 

160 

163 

1820 

6,7 

5,3 

152 

145 

1821 

7,5 

64 

134 

138 

1822 

7,7 

6,9 

138 

136 

1823 

6,1 

5,7 

167 

175 

1824 

6,5 

6,8 

194 

172 

1825 

6,7 

6,2 

143 

156 

1826 

164 

158 

176 
156 

Les  recherches  précédentes  se  rapportaient  au  genre  hu- 
main en  général.  Cependant  Quetelet  et  Schubler  ont  trouvé 
que  Tinfluence  des  saisons  sur  la  mortalité  varie  aux  différens 
âges  de  la  vie.  Le  premier  de  ces  écrivains  a  dressé ,  sur  ce 
sujet ,  une  table  détaillée,  rangée  d'après  vingt  classes  distinc- 
tes d'âge,  et  dont  nous  nous  servirons.  On  voit ,  d'après  cette 
table,  que  si,  en  général ,  janvier  est  le  mois  le  plus  meurtrier 
en  Belgique,  les  enfans  de  huit  à  douze  ans  meurent  plus  fré- 
quemment en  avril ,  et  ceux  de  douze  à  seize  ans  même  en 
mai.  Pour  éclaircir  le  fait,  j'ai  rangé  les  morts  de  Kœnigsberg 
en  sept  classes  d'âges  ;  les  résultats  furent  les  mêmes  ,  quant 
aux  points  essentiels  ;  février  ne  se  montra  le  mois  le  plus 
dangereux  que  chez  les  jeunes  enfans  et  chez  les  adultes 
ayant  dépassé  leur  quarantième  année  ;  mars  et  avril  furent 
les  mois  qui  prirent  ce  rôle  pour  les  âges  intermédiaires.  L'in- 
fluence du  temps  paraîtrait  donc  être  plus  compliquée  que 
nous  ne  l'avons  représentée  jusqu'ici.  Cependant  je  suis  par- 
venu à  résoudre  ce  problème,  d'abord  si  complexe,  et  de  telle 
sorte  que  le  résultat  se  rattache  en  réalité  d'une  manière  sur- 
prenante au  précédent  ,  à  l'appui  duquel  il  vient.  J'ai  déjà 
lait  remarquer  que  l'influence  de  la  température  sur  la  vie  a 
besoin  d'un  certain  laps  de  temps  pour  manifester  pleine- 
ment son  effet,  il  était  donc  naturel  d'admettre  que  la  durée  du 
retard  varie  aux  dift'éreas  âges  de  la  vie,  et  qu'elle  dépend  de 
la  force  vitale.  Plus  la  force  vitale  est  grande,  plus  on  pouvait 


PERIODiCITÉ    ANNUELLE.  5j9 

présumer  considérable  la  résistance  opposée  par  la  vie  à  l'in- 
fluence des  circonstances  météorologiques  ,  et  penser  que  si 
cette  résistance  ne  suffit  pas  pour  Tanéantir  entièrement ,  elle 
peut  du  moins  en  retarder  davantage  la  manifestation.  La 
force  vitale  d'un  individu  ne  se  mesure  point  par  la  durée 
probable  ou  moyenne  de  sa  vie ,  mais  bien ,  mathématique- 
ment parlant,  par  la  probabilité  que  cet  individu  survivra  au 
moment  qui  suit  immédiatement,  ou,  pour  employer  l'expres- 
sion de  nos  tables  usuelles ,  par  la  probabilité  qu'il  atteindra 
l'année  suivante.  Elle  est  plus  grande  depuis  douze  ans  jus- 
qu'à seize  environ,  qu'à  tout  autre  âge.  On  doit  donc  s'attendre 
à  ce  que  la  mortalité  de  ce  groupe  d'âges  atteigne  son  maxi- 
mum dans  un  mois  plus  reculé ,  et  c'est  aussi  ce  qui  arrive. 
En  considérant  les  nombres  de  Quetelet  sous  ce  point  de  vue, 
on  trouve  que  la  plus  grande  mortalité  tombe  en  janvier  de  0 
à  deux  ans,  en  mars  de  deux  à  trois  ans,  en  avril  de  trois  à 
douze  ans ,  en  mai  de  douze  à  seize  ans.  Donc,  plus  la  force 
vitale  est  grande,  plus  le  maximum  se  prononce  tard.  A  partir 
de  la  seizième  aneée  la  force  vitale  diminue  ,  et  le  maximum 
reparaît  aussi  plus  tôt  :  en  avril ,  de  seize  à  vingt  ans,  en  mars 
de  vingt  à  vingt-cinq,  en  février,  de  vingt  cinq  à  trente,  et  en 
janvier  à  partir  de  quarante.  On  ne  pourrait  souhaiter  un  plus 
bel  accord.  Une  exception  surprenante  a  lieu  seulement  pour 
les  enfans  entre  un  an  et  dix-huit  mois  ,  pour  lesquels  la  plus 
grande  mortalité  tombe  en  avril  ;  les  listes  de  Kœnigsberg  ne 
montrent  point  cette  anomalie  ,  à  l'égard  de  laquelle  il  n'y 
aura  que  des  observations  ultérieures  qui  puissent  pro- 
noncer. 

Si  nous  voyons  donc  que  la  vie  retarde  d'autant  plus  l'action 
des  influencée  nuisibles  ,  qu'elle  même  a  plus  d'intensité,  et 
si  nous  sommes  obligés  de  reconnaître  en  cela  une  résistance, 
le  question  se  présente  de  savoir  si  la  vietend  à  se  soustraire 
à  ces  influences  parce  qu'elles  la  mettent  en  danger  ou  parce 
qu'elles  viennent  de  dehors.  La  seconde  opinion  est  la  bonne; 
car,  de  même  que  l'action  nuisible  du  froid  est  retardée  diver- 
sement aux  diiïérens  âges  de  de  la  vie,  de  même  l'effet  salu- 
taire de  la  chaleur  dans  les  mois  d'été  l'est  également.  Cet 
effet  se  trouve  aussi  retardé  d'autant  plus  que  la  force  vitale 


320  PÉRIODICITÉ    ANNUELLE. 

est  plus  considérable.  En  effet,  d'après  les  nombres  de  Que-^ 
telet ,  le  minimum  de  la  mortalité  a  lieu  en  juillet  de  0  à  un  an, 
en  août  de  deux  à  huit ,  en  octobre  de  huit  à  vingt ,  et  en 
juillet  pour  les  âges  subséquens.  La  raison  qui  fait  que  la  moin- 
dre mortalité  mensuelle  ne  tombe  point  aussi  en  septembre, 
tient  probablement  à  l'anomalie  de  ce  mois,  dont  il  a  déjà  été 
parlé,  et  qui  consiste  en  ce  qu'il  fournit  un  plus  grand  nombre 
de  morts  que  ceux  qui  l'avoisinent  immédiatement ,  août  et 
octobre.  Cette  anomalie,  que  nous  avons  trouvée  dans  les  ob- 
servations de  Kœnigsberg  et  de  Stuttgart,  nous  la  découvrons 
également  dans  le  détail  de  celles  de  la  Belgique. 

L'opinion  d'une  tendance  de  la  vie  à  se  soustraire  aux  in- 
fluences du  temps,  qu'elles  soient  avantageuses  ou  nuisibles, 
peut  encore  être  confirmée  d'une  autre  manière.  Examinons 
effectivement  quelle  intensité  ces  influences  ont  aux  différens 
âges  de  la  vie.  Pour  y  parvenir,  divisons  le  plus  grand  nombre 
de  morts  mensuels  par  le  plus  petit  ;  le  quotient  donnera 
l'intensité  de  l'influence  :  or  il  est  directement  proportionnel 
à  celte  dernière.  On  a^ 

Intensité. 
1,8  à  1,7 
1,5 
1,4 
1,2 
1,3 
1,4 
1,7 
2,0 
2,2 
2,5 

On  voit ,  d'après  ces  valeurs,  que  l'influence  du  temps  est 
d'autant  moindre  que  la  force  vitale  a  plus  d'énergie  à  l'un 
des  âges  de  la  vie)  (1). 

8°  Si  enfin  nous  jetons  encore  un  coup  d'oeil  sur  la  périodi- 
cité annuelle  en  général,  nous  reconnaissons  que  l'époque  des 
solstices  marque  un  antagonisme  qui  s'exprime  aussi  d'une 

(1)  Addition  de  Moser. 


Age. 

De    0  à  12 

De  12 

à  16 

De  16 

à  20 

De  20 

à  30 

De  30 

à  40 

De  40 

à  50 

De  50 

à  65 

De  65 

à  75 

De  75 

à  90 

9o  et  au  dessus 

PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE.  Sa  1 

manière  formelle  dans  la  vie  ,  mais  qui  y  amène  un  état  plus 
stable  et  plus  uniforme.  C'est  en  été  que  la  lumière  et  la 
chaleur  ont  le  plus  de  force,  que  le  ma^onétisme  a  le 
moins  d'intensité  ,  que  l'aiguille  aimantée  décline  le  plus, 
que  l'intervalle  entre  les  deux  extrêmes  journaliers  de  l'é- 
lectricité atmosphérique  est  le  plus  considérable,  que  l'expan- 
sion organique  est  la  plus  grande ,  que  la  sensibilité  a  le  plus 
d'activité  :  c'est  en  hiver  qu'à  raison  de  la  diminution  de 
la  lumière  et  de  la  chaleur,  le  magnétisme  est  le  plus  intense, 
la  déclinaison  journalière  de  l'aiguille  aimantée  la  moins 
étendue ,  l'intervalle  le  plus  court  entre  le  maximum  et 
le  minimum  diurnes  de  l'électricité  ,  la  vie  organique  le 
plus  refoulée  en  elle-même.  De  même  que  les  équinoxes 
amènent  des  mouvemens  plus  forts  dans  l'atmosphère  et  une 
différence  plus  prononcée  dans  le  mouvement  de  la  mer  aux 
diverses  phases  de  la  lune ,  puisque  le  flux  est  plus  considé- 
rable qu'à  l'ordinaire  pendant  la  nouvelle  et  la  pleine  lune  , 
plus  faible  au  contraire  durant  le  premier  et  le  dernier  quar- 
tiers, de  même  aussi  elles  désignent,  quant  à  la  vie  organique, 
des  périodes  de  transition  ,  pendant  lesquelles  cette  vie  de- 
vient plus  vacillante  et  apparaissent  plus  fréquemment  certai- 
nes maladies,  telles  que  les  hémorrhoïdes,  la  goutte,  la  sciali- 
que,  répilepsie(i),  la  migraine,  l'hypochondrie,  lamélancoiie, 
la  manie,  l'apoplexie,  comme  aussi  les  suicides  sont  alors  plus 
communs  ,  comme  enfin  les  animaux  eux-mêmes  éprouvent 
une  sorte  de  malaise  et  d'agitation.  Au  printemps,  il  y  a  da- 
vantage d'excitement ,  ce  qui  amène  une  fécondité  et  une 
mortalité  plus  grandes  ;  en  automne ,  au  contraire,  la  vitalité 
se  replie  davantage  sur  elle-même. 

CHAPITRE  III. 

I)e  la  périodicité  tridiaire,  septimanaire  et  quadrisepH- 
Tïianaire. 

§  620.  Entre  la  périodicité  diurne  et  la  périodicité  annuelle 
de  la  vie  s'en  trouve  une  autre,  qui  embrasse  plusieurs  jours, 
et  qui ,  chez  l'homme  ,  se  manifeste  à  des  époques  de  trois 
jours,  d'une  semaine  et  de  quatre  semaines. 

(1)  Comparez  Esquinol,  Des  maladies  mentales,  Paris  ,  t.  I,  p  2S  et  300. 
V.  21 


322  PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE. 

I.  La  périodicité  tridiaire  et  septimanaire  ne  coïncide  avec 
aucune  périodicité  cosmique ,  et  le  rapport  de  celle  qui  em- 
brasse un  laps  de  quatre  semaines  avec  la  révolution  lunaire 
est  plus  apparent  que  réel. 

1°  D'abord  nous  ne  pourrions  en  aucune  manière  dériver 
cette  périodicité  de  l'influence  lunaire ,  puisque  nous  avons 
vu  que  les  périodicités  diurne  et  annuelle  de  la  vie  ne 
sont  point  produites  par  la  situation  diverse  de  la  terre  à  l'é- 
gard du  soleil ,  mais  dépendent  d'un  type  interne  et  spécial , 
et  ne  coïncident  avec  la  périodicité  tellurique  qu'en  raison 
du  rapport  harmonique  existant  entre  la  vie  et  le  monde  exté- 
rieur. Or,  ce  que  le  soleil  ne  peut  pas  produire,  la  lune  a  bien 
moins  encore  le  pouvoir  de  l'opérer. 

2°  Mais  même  l'harmonie  avec  la  périodicité  lunaire  n'est 
point  vraisemblable.  Nous  avons  trouvé  que  la  périodicité 
diurne  de  la  vie  humaine  se  partage  en  deux  moitiés  , 
l'une  pour  la  vitalité  individuelle,  avec  conscience  et  spon-* 
tanéité,  Tautre  pour  la  vitalité  commune,  sans  conscience  et 
végétative  ;  nous  avons  reconnu  que  la  périodicité  annuelle 
n'amène  aucune  fonction  spéciale ,  et  qu'elle  ne  fait  que 
provoquer  des  prédispositions,  tandis  que,  chez  les  plan- 
tes et  les  animaux,  le  sommeil,  la  régénération  et  la  procréa- 
tion appartiennent  à  la  révolution  annuelle  de  la  vie  ;  nous 
avons  constaté  par  conséquent  que  la  vie  humaine  n'a  de  rap- 
ports prochains  qu'avec  la  rotation  de  la  terre  autour  de  son 
axe ,  mouvement  déterminé  par  les  relations  de  cette  planète 
avec  elle-même,  mais  qu'elle  n'en  a  pas,  comme  la  vie  des 
organismes  inférieurs  ,  avec  la  révolution  de  la  terre  autour 
du  soleil ,  qui  est  un  mouvement  de  cette  planète  déterminé 
parune  relation  entre  elle  et  un  autre  corps  céleste. D'aprèscela, 
il  n'est  point  admissible  que  la  vie  humaine  puisse  coïncider  avec 
une  périodicité  qui  ne  consiste  pas  dans  le  mouvement  de  la 
terre  elle-même ,  mais  seulement  dans  celui  de  son  satellite. 
En  tous  cas ,  cette  harmonie,  si  elle  existait,  devrait  être  si- 
non plus,  du  moins  aussi  prononcée  chez  les  végétaux  et  les 
animaux  que  chez  l'homme.  Or  c'est  ce  qui  n'a  pas  lieu.  Assu- 
rément la  lune,  comme  étant  le  corps  céleste  le  plus  rappro- 
ché de  nous ,  exerce  de  l'influence  sur  la  terre  ;  mais  cette 


PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE.  323 

influence  est  renfermée  dans  des  limites  fort  étroites.  En 
comparant  un  grand  nombre  d'observations  météorologiques, 
on  trouve  une  si  faible  prédominance  du  côté  des  cas  dans 
lesquels  le  changement  a  coïncidé  avec  les  phases  de  la  lune, 
sur  ceux  dans  lesquels  il  n'y  avait  aucune  relation  entre  ces 
deux  ordres  de  phénomènes,  qu'on  a  refusé  à^  notre  satellite 
toute  coopération  à  la  constitution  atmosphérique.  Chez  les 
personnes  dont  la  sensibilité  est  dérangée  par  la  maladie ,  la 
lune  exerce  une  influence  particulière  ;  mais  ,  chez  l'homme 
en  santé,  elle  n'agit  que  comme  corps  qui  renvoie  de  la  lumière, 
et  l'on  ne  peut  supposer  qu'elle  détermine  une  périodicité 
normale  telle,  que  les  saisons  ,  qui  exercent  un  empire  bien 
autrement  grand  sur  la  vie,  ne  puissent  pas  la  produire  dans 
l'espèce  humaine. 

3°  Les  phénomènes  de  la  périodicité  annuelle  ne  sont  ja- 
mais liés  qu'à  une  position  déterminée  de  la  terre  par  rap- 
port au  soleil,  de  sorte  que  tous  les  individus  de  la  même  es- 
pèce entrent  en  chaleur ,  muent ,  émigrenl  ou  dorment  pen- 
dant la  même  saison.  La  menstruation,  au  contraire ,  survient 
à  toutes  les  phases  de  la  lune  indistinctement ,  de  manière 
que  le  penseur  impartial  doit  voir  en  elle  une  périodicité  em- 
brassant quatre  semaines,  mais  non  une  périodicité  mensuelle. 
Mais,  quant  à  ce  qui  concerne  l'influence  de  la  lune  sur  les 
maladies ,  les  défenseurs  de  cette  hypothèse  ,  parmi  lesquels 
nous  citerons  seulement  Testa,  Darwin,  Reil(d),  Virey  (2) 
et  Buek  (3),  allèguent  en  sa  faveur  des  argumens  d'après 
lesquels  il  est  impossible  d'arriver  à  s'en  faire  une  idée  nette. 
Les  syzygies  favorisent  les  progrès  de  la  peste  suivant  Die- 
merbroëk ,  et  la  manifestation  de  la  fièvre  d'après  Balfour  ; 
elles  aggravent  les  ulcères  selon  Gillespie  (4),  rendent  l'épi- 
lepsie  et  la  manie  plus  communes  au  dire  de  Darwin,  et  ac- 
croissent la  mortalité  si  l'on  s'en  rapporte  à  Buek.  Jackson  (5) 


{1)  Jrchiv.,t,I,  p.  133. 

(2)  Dict.  des  Se.  méd.,  t.  XXIX  ,  p.  202. 

(3)  Gerson  ,  Magasin,  t.  XYII,  p.  359. 

(4)  SammluHfj  cmserhsener  Abhandlungon,  t.  Xïl,  p.  176. 

(5)  i^iU,  p.  83. 


524  PÉRÎOmCITÉ    SEPTIMANATRE. 

attribue  aux  quadratures  de  rendre  plus  fréquentes  les  fièvres 
de  toutes  espèces,  et  Darwin  de  diminuer  l'intensité  de  1^  cir- 
culation. Les  néoménies  auraient  pour  effet  de  faire  couler 
plus  abondamment  les  règles  chez  les  vierges,  et  suivant  d'au- 
tres d'exaspérer  l'hydropisie.  Ramazzini  veut  qu'elles 
rendent  la  fièvre  pétéchiale  plus  danj^ereuse,  et  Buek  qu'elles 
portent  la  mortalité  à  son  maximum.  C'est  surtout  pendant  la 
pleine  lune  que  les  femmes  âgées  voient  couler  leurs  mens- 
trues, à  ce  qu'on  prétend;  les  accès  d'apoplexie,  de  migraine, 
d'épilepsie,  de  manie  ,  surviennent  plus  souvent  alors  selon 
Wepfer  etTulp,  les  plaies  de  tête  entraînent  plus  de  danger 
d'après  ïulp,  et,  si  nous  ajoutons  foi  aux  paroles  de  Buek,  les 
décès  sont  plus  rares  que  pendant  les  autres  phases.  On  veut 
que  le  goitre,  les  scrofules,  les  kystes,  les  ulcères,  les  acci- 
dens  nerveux  et  l'hydropisie  diminuent  et  augmentent  à 
mesure  que  la  lune  croît  et  décroît.  Reil  assure  que  les  en- 
fans  dorment  d'un  sommeil  plus  agité  pendant  le  premier 
quartier.  On  prétend  que  ,  durant  le  dernier,  les  vers  et  les 
calculs  urinaires  sortent  plus  aisément  du  corps ,  l'asthme  et 
le  catarrhe  s'aggravent  ,  et  les  décès  sont  en  plus  grand 
nombre. 

4°  Enfin  l'expérience  apprend  que  la  périodicité  de  la  vie 
humaine  se  rapproche  de  celle  de  la  lune ,  mais  qu'elle  ne 
coïncide  pas  pleinement  avec  elle.  Tandis  que  la  lune  emploie 
"vingl-neuf  jours  pour  revenir  à  la  même  situation  eu  égard  à 
la  terre,  la  menstruation  reparaît  au  bout  de  vingt-huit  jours, 
et ,  dans  l'état  complètement  normal ,  elle  a  lieu  treize  fois 
par  an ,  de  même  que  la  vie  embryonnaire  ne  dure  pas  dix 
mois  lunaires,  ou  deux  cent  quatre-vingt-seize  jours ,  mais 
quarante  semaines,  ou  deux  cent  quatre-vingts  jours. 

Tout  nous  prouve  donc  que  la  périodicité  quadriseptima- 
naire  de  la  vie  humaine  n'est  pas  moins  organique  que  la  pé- 
riodicité tridiaire  et  la  périodicité  septimanaire. 

II.  Mais,  comme  elle  a  sa  cause  unique  dans  l'organisme , 
sans  être  appuyée  ou  réglée  par  une  périodicité  tellurique , 
elle  ne  se  manifeste  que  dans  certains  phénomènes  isolés ,  et 
demeure  inapercevable  dans  une  foule  de  circonstances.  En 
effet,  la  vie  tend  partout  à  se  développer  en  une  multitude  de 


PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE.  SaS 

directions,  et,  de  même  qu'elle  cache  sous  la  forme  dont  elle 
se  revêt  la  loi  géométrique  servant  de  base  à  cette  forme,  de 
même  elle  enveloppe  dans  sa  révolution  la  loi  arithmétique  de 
ses  époques.  Ceci  est  vrai  surtout  de  la  vie  humaine ,  parce 
que  la  liberté  y  domine,  parce  que  le  développement  indivi- 
duel s'y  révèle  de  la  manière  la  plus  explicite ,  parce  que 
l'uniformité  du  type  général  est  troublée,  là  plus  que  partout 
ailleurs ,  tant  par  les  déterminations  spontanées  du  moral  que 
par  l'aptitude  à  la  fois  plus  grande  et  plus  disséminée  à  rece- 
voir les  impressions.  Mais  si  toute  périodicité  de  la  vie  hu- 
maine tenant  le  milieu  entre  la  diurne  et  l'annuelle  est 
moins  évidente  que  ces  dernières,  si,  pour  s'en  faire  une  idée 
nette,  on  a  besoin  encore  d'observations  nombreuses,  recueil- 
hes  par  des  hommes  exempts  de  préjugés,  et  sur  l'esprit  des- 
quels l'autorité  n'ait  aucune  prise ,  nous  devons  nous  en  tenir 
aux  faits  les  plus  simples  et  les  plus  avérés.  Cependant,  lors- 
que nous  voyons  qu'un  certain  nombre  de  jours ,  qui  doivent 
compter  ici  pour  des  unités  (§  594,  7°),  forment  un  cycle  par. 
ticuHer,  nous  éprouvons  le  besoin  de  rattacher  cette  connais- 
sance à  une  pensée,  et  notamment  de  la  mettre  en  connexion 
tant  avec  les  rapports  numériques  des  substances  et  des  tissus 
dans  l'organisme,  qu'avec  les  idées  que  nous  nous  faisons  des 
nombres  en  général.  Mais  l'un  est  aussi  scabreux  que  l'autre; 
ce  que  nous  savons  des  proportions  qui  régnent  dans  la  com- 
position et  la  texture  du  corps  organique  n'est  pas  encore  ar- 
rivé au  point  de  pouvoir  nous  fournir  un  guide  sur  lequel  il 
soit  permis  de  compter,  et  la  philosophie  des  nombres  est  un 
empire  qui  n'a  que  trop  de  propension  à  étendre  ses  étroites 
hmites  par  un  jeu  fantastique  de  !a  pensée.  Ici  la  porte  est 
ouverte  de  tous  côtés  à  l'arbitraire.  Pour  faire  ressortir  un 
nombre  favori ,  il  ne  s'agit  que  de  compter  ce  qu'on  veut  et 
comme  on  l'entend ,  et  chaque  nombre  se  laisse  attacher  le 
sens  dont  on  a  justement  besoin.  En  dernière  analyse,  si,  en 
pesant  toutes  ces  circonstances ,  nous  nous  trouvons  conduits 
à  nous  en  tenir  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  simple  et  de  plus  évi- 
dent, l'exposé  qui  va  suivre  ne  doit  être  considéré  qise  cumme 
un  premier  jet,  comme  un  simple  essai  tendant  à  découvrir 
quel  est  le  sens  de  la  périodicité  pluridiaire. 


326  PÉBIODÏCITÉ  SEPTIMANAIRE., 

§  621.  i°  Les  nombres  lorsdamentaux  sont  deux  et  trois  : 
deux  désigne  le  commencement  de  loute  pluralité,  rantago- 
nisme,  et  par  cela  même  le  principe  du  iiui  ;  trois,  au  contraire, 
ramène  le  fini  à  un  tout,  parce  qu'il  réunit  ce  qui  était  séparé 
et  opposé,  au  moyen  d'un  intermédiaire.  Ce  qui  est  fondu,  dans 
la  dualité,  en  un  produit  simple,  arrive,  dans  la  triniié,  à  une 
existence  qui  offre  un  plus  j»rand  nombre  de  faces,  et  qui  a 
davantage  de  mobilité.  Pendant  que  les  combinaisons  binaires 
des  substances  dans  la  matière  inorganique  expriment  la  do- 
mination exclusive  du  simple  antagonisme,  et  par  conséquent 
le  pur  caractère  du  fini,  la  matière  organique  annonce  qu'elle 
a  un  plus  grand  nombre  de  faces,  qu'elle  est  sans  cesse  à  l'é- 
tat de  tension  et  d'activité,  parce  qu'elle  résulte  de  la  réunion 
d'au  moins  trois  élémens.  Dans  la  forme  des  plantes  les  plus 
inférieures ,  les  cryptogames ,  prédomine  le  nombre  quatre , 
qui  est  l'antagonisme  doublé,  tandis  que,  chez  les  monocoty- 
lédones,  qui  sont  placées  plus  haut,  dominent  le  nombre  trois 
et  son  double ,  le  nombre  six.  La  trinité  se  montre  plus  fré- 
quemment encore  dans  la  nature  comme  forme  ,  manifesta- 
lion,  ou  phénomène  de  la  dualité  qui  lui  sert  de  base  :  la  forme 
qui  est  déterminée  par  les  forces  attractive  et  répulsive  de  la 
matière  se  présente  sous  les  trois  dimensions  de  l'espace,  et 
le  nombre  trois,  ainsi  que  son  double,  prédomine  dans  la  cris- 
tallisation inorganique,  de  même  que,  dans  les  roches  les  plus 
anciennes,  la  simplicité  de  la  combinaison  chimique  binaire  se 
cache  derrière  la  trinité  des  parties  associées  par  simple  mé- 
lange. Comme  la  vie  ne  renferme  en  elle  qu'un  antagonisme, 
celui  de  végétal  et  celui  d'animal  ;  mais  qu'elle  se  manifeste 
sous  trois  formes,  sensibilité,  irritabilité  et  plasticité,  de  même 
il  n'y  a  non  plus  que  deux  foyers  de  la  vie;  mais  il  existe  trois 
cavités,  et  chacune  de  celles-ci  ne  comprend  à  la  vérité  qu'un 
seul  antagonisme  (cerveau  et  cervelet,  poumon  et  cœur,  por- 
tion assimilatrice  et  portion  éliminatrice  des  organes  abdomi- 
naux), mais  divisé  en  trois,  puisque  le  membre  supérieur  de 
l'antagonisme  se  partage  par  une  duplicité  latérale. 

La  périodicité  tridiaire,  qui  est  insensible  pendant  la  santé, 
et  qui  ne  se  prononce  que  dans  les  actes  organiques  appelés 
maladies,  est  à  proprement  parler  bidiaire,  et  repose  sur  une 


PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE.  627 

oscillation  en  vertu  de  laquelle  la  vie  se  modifie  autrement  et 
produit  un  antagonisme  à  deux  jours  qui  se  succèdent  l'un  à 
i'aulre.  Ce  type  n'estniille  part  plus  prononcé  que  dans  la  fièvre 
tierce,  la  plus  commune  de  toutes  les  fièvres  intermittentes, 
et  il  perce  à  travers  les  fièvres  quotidiennes,  puisqu'on  voit 
ordinairement  alterner  ensemble  des  accès  plus  forts  et  plus 
faibles,  puisqu'au  déclin  de  la  maladie  les  accès  les  plus  fai- 
bles cessent  les  premiers,  de  sorte  qu'alors  le  type  tierce  est 
rétabli  dans  toute  sa  pureté.  Dans  les  fièvres  rémittentes  et 
continues,  et  en  général  dans  toutes  les  maladies  assujéties  à 
un  cours  déterminé,  on  remarque  que  les  accidens  prennent 
une  plus  grande  intensité  de  deux  jours  l'un,  en  sorte  qu'au 
premier  jour  correspondent  le  3%  le  5«,  le  7%  etc.,  ou,  en  d'au- 
tres termes ,  que  la  maladie  est  plus  forte  les  jours  impairs. 
Comme,  de  cette  manière^la  crise  ou  la  mort,  résultat  du  tra- 
vail morbide  ,  arrive  plus  fréquemment  aux  jours  impairs, 
et  que  le  dernier  jour  de  la  maladie  doit  être  compté  dans 
son  cours,  nous  voyons  paraître  là  un  type  tierce.  Ce  type  a 
été  considéré  par  Rudolphi  comme  appartenant  en  propre  à 
l'espèce  humaine  (1),  mais  Gzermak  l'a  observé  aussi  chez  dif- 
férens  animaux  (2). 

Le  nombre  sept  annonce  une  inégalité  de  ses  élémens, 
puisqu'il  se  compose  du  quatre ,  qui  est  le  deux  redoublé ,  et 
du  trois,  qui  est  simple.  Comparativement  aux  nombres  fonda-^ 
mentaux,  il  représente  un  tout  plus  vaste  ou  plus  étendu  , 
mais  que  l'inégalité  de  ses  propres  éiémens  démontre  être  lui- 
même  partie  d'un  tout  plus  élevé  encore.  Les  sept  couleurs 
du  spectre  solaire  et  les  sept  tons  de  l'échelle  diatonique  sont 
les  déploiemens  de  la  lumière  et  du  son.  Comme  le  nombre 
sept  revient  assez  peu  fréquemment  dans  les  formes  et  leurs 
diverses  particularités,  il  est  digne  de  remarque  que  la  portion 
cervicale  de  la  colonne  vertébrale,  intermédiaire  entre  le 
tronc  et  le  crâne,  se  compose  de  sept  vertèbres  chez  presque 
tous  les  Mammifères ,  tandis  que  le  nombre  des  autres  vertè- 
bres varie  tant.  Mais  si ,   dès  les  temps  les  plus  reculés  et 

(4)  Grundriss  der  Physiologie  ,  t.  I,  p.  35. 
(2)  Medicinische  Jahrbuecher,  t.  XV,  p.  277. 


3 28  PÉRIODICITÉ  SEPTIMANAIRE. 

chez  des  peuples  tout-à-fait  différens  les  uns  des  autres,  le 
nombre  sept  a  été  appliqué  à  la  division  du  temps,  et  si  no- 
tamment on  a  admis  presque  partout  des  intervalles  de  sept 
jours,  ou  des  semaines  (1) ,  ce  n'a  jamais  été  là  qu'un  frag- 
ment d'une  division  du  temps  embrassant  des  périodes  bien 
plus  étendues. 

Dans  la  vie  humaine ,  la  périodicité  septénaire ,  quoiqu'elle 
ne  se  manifeste  que  dans  les  maladies  ,  est  cependant  ^l'élé- 
ment  proprement  dit  et  prochain  de  sa  chronologie  ;  car  la 
semaine  indique  la  première  véritable  révolution  ,  tandis  que 
le  type  bidiaire  ou  tridiaire  n'est  qu'une  oscillation.  En  effet, 
la  plupart  des  inflammations  simples  parcourent  leurs  périodes 
en  sept  jours  ;  les  exanthèmes  aigus  durent  quatorze  jours , 
dont  les  sept  premiers  appartiennent  à  l'état  inflammatoire, 
et  les  autres  au  travail  consécutif  de  plasticité  ;  mais  les  fièvres 
aiguës  durent,  en  général,  ou  quatorze  ou  vingt-et-un  jours. 
Le  nombre  sept  paraît  aussi  dans  les  fièvres  intermittentes  ; 
les  fièvres  tierces  cessent ,  la  plupart  du  temps  ,  après  sept 
accès  ,  les  quotidiennes  et  les  quartes  après  quatorze; 
les  récidives  des  premières  ontpieu  en  général  au  bout 
de  sept  jours,  et  celles  des  autres  après  quatorze  jours.  Le 
type  septénaire  se  montre  même  quelquefois  dans  les  mala- 
dies chroniques  ;  j'ai  observé  ,  par  exemple ,  un  malade  chez 
lequel  il  y  avait  apoplexie  causée  par  un  épanchement  de 
sang  dans  la  cavité  crânienne  ;  au  bout  de  sept  semaines  il 
survint  une  perturbation  critique ,  et  au  bout  de  dix  semai- 
nes, une  crise  complète  par  Tépilepsie.  Les  vingt-et-un  jours 
d'incubation  que  les  Oiseaux  exigent  pour  être  en  état  de 
quitter  l'œuf,  paraissent  indiquer  une  extension  plus  consi- 
dérable du  type  septénaire. 

3°  Le  nombre  quatre,  comme  duplication  de  l'antago- 
nisme, et  en  même  temps  comme  premier  nombre  marquant 
une  plus  haute  puissance  d'un  nombre  inférieur,  annonce  un 
déveioppeojent  uniforme  en  polarité  double;  aussi  domine-t-il 


(1)  Schubert ,    Ahndwigen  einer  allgemeinen  Geschichte  des  Lebens  , 
t.  III,  p.  7-13. 


PÉftIODICITÉ   SEPTÏMANAIRE.  SSQ 

chez  les  plantes  cryptogames  (1)  et  les  zoopbytes  (2) ,  c'est- 
à-dire  chez  les  derniers  des  êtres  orgaràsés,  dont  la  configura- 
tion n'offre  que  la  forme  la  plus  simple  du  développement , 
et  dans  les  membres  des  animaux  supérieurs ,  qui  répètent 
l'antagonisme  simple.  De  même  que  le  nombre  quatre  ap- 
paraît ,  sur  une  surface ,  aux  points  terminaux  des  deux  di- 
mensions qui  se  croisent ,  par  exemple  aux  quatre  points  car- 
dinaux du  monde,  et  fournit  ainsi  le  moyen  le  plus  naturel 
de  diviser  le  cercle ,  de  même  aussi  il  divise  toute  espèce 
quelconque  de  circulation ,  par  exemple  ,  celle  des  périodes 
du  jour  et  celle  des  saisons.  Maintenant ,  si  la  plus  simple  de 
toutes  les  périodicités  qu'on  observe  dans  la  vie  humaine  se 
manifeste  sous  la  forme  d'une  révolution  septénaire,  la  période 
quadriseptenaire  indique  une  circulation  plus  complète  de  la 
vie.  Tandis  que  l'oscillation  bidiaire  ou  tridiaire  et  la  révo- 
lution septénaire  se  prononcent  dans  les  maladies ,  la  révo- 
lution quadriseptenaire  apparaît  aussi  dans  une  fonction  nor- 
male, c'est-à-dire  dans  la  menstruation.  Nulle  autre  périodi- 
cité ne  se  montre,  chez  l'homme,  mieux  tranchée  et  plus  ri- 
goureuse que  celle-là,  qu'on  retrouve  chez  tous  les  peuples  et 
dans  tous  les  climats.  Nouspouvons.donc  la  considérer  comme 
la  périodicité  générale  de  l'espèce  humaine.  A  la  vérité , 
elle  ne  concerne  qu'une  seule  fonction ,  mais  une  fonction 
universelle ,  qui  concentre  toutes  les  forces  du  développe- 
ment individuel  dans  la  vie  de  l'espèce ,  c'est-à-dire  la  géné- 
ration. Il  est  vrai  encore  qu  elle  ne  se  manifeste  que  chez  le 
sexe  féminin  ;  mais  elle  paraît  régner  aussi  dans  la  vie  de 
l'embryon ,  car  l'avortement  a  lieu  d'ordinaire  aux  époques 
où  la  menstruation  devrait  survenir.  En  effet ,  comme  nous 
avons  vu  qu'il  n'y'a  jamais,  ni  dans  la  grossesse  ni  dans  la 
parturition ,  d'activité  qui  ne  se  dirige  que  d'un  seul  côté 
(§  480),  nous  sommes  en  droit  d'admettre  qu'à  la  turgescence 
quadriseptenaire  de  la  matrice  remplie  du  produit  de  lagé- 


(l)Meinecke,  Ueber  die  Zahlenverhaeltnisse .  in  den  Fructifications- 
or  y  a7ieti  der  Pflanzen  ,  p.  12. 

(2)  Schweigger,  Handbuch  der  Naturgeschichte  der  shelettlosen  unge- 
qliederten  Thiere ,  p.  162. 


33q  périodicité  septimanaire. 

nération,  correspond  aussi  une  exaltation  quadriseptenaire 
de  la  vie  embryonnaire.  D'après  cela ,  la  périodicité  quadri- 
septenaire serait  une  périodicité  primordiale,  et  si  elle  repa- 
raît chez  la  femme  apte  à  concevoir,  ce  phénomène  semble 
tenir  à  ce  que  la  nature  féminine ,  en  général ,  est  celle  qui 
demeure  le  plus  fidèle  au  type  primordial  de  l'espèce  (§  204), 
Mais  on  la  remarque  aussi  chez  l'homme,  quoiqu'elle  ne  se 
manifeste  chez  lui  que  dans  les  maladies ,  celles  surtout  du 
système  sanguin ,  comme  les  hémorrhoïdes ,  Vhématémèse , 
l'bénaaturie ,  etc.  Or  l'homme  ressemble  à  la  lune  eu  égard  à 
la  durée  de  sa  révolution,  et  peut  être  ^comparé  à  ce  satellite 
dans  ses  rapports  avec  la  terre  ;  car,  de  même  que  la  lune 
est  un  corps  qui  appartient  à  la  terre  ,  qui  est  lié  éternelle- 
ment à  elle ,  mais  qui  cependant  constitue  un  corps  particu^ 
lier,  en  quelque  sorte  détaché ,  et  en  partie  devenu  libre  ,  de 
même  nous  apercevons  dans  l'homme  un  produit  de  la  terre 
qui  tend  à  se  dégager  de  ses  liens  et  à  déployer  iibremeut 
sa  vie  sur, la  surface  de  la  planète. 


MORT  NECESSAIRE.  53 1 


TROISIEME  PARTIE. 

DE   LA  MORT. 

§  622.  Comme  il  n'est  pas  de  phénomène  à  l'intelligence 
duquel  nous  puissions  arriver  sans  en  connaître  la  fin  »  de 
même  Thistoire  de  la  mort  (§  622 — 642)  nous  permet  d'em- 
brasser celle  de  lavie(§  643— 657)  dans  toute  son  étendue. 

Section  première. 

DES  CAUSES  DE   LA  MORT. 

La  mort^  ou  l'extinction  de  la  vie  individuelle,  est  ou  néces- 
saire ou  accidentelle- 

CHAPITRE    PREMIER. 

De  la  mort  nécessaire. 

La  mort  nécessaire^  appelée  aussi  normale  ou  naturelle, 
est  celle  qui  a  lieu  en  vertu  d'une  loi  générale  de  la  nature , 
et  qui  ne  dépend  point  de  circonstances  accidentelles.  Elle  a 
son  fondement  dans  l'essence  de  l'organisme,  de  manière 
qu'après  une  certaine  durée  de  la  vie  individuelle ,  qui  varie 
suivant  chaque  espèce  d'êtres  organisés,  elle  arrive,  même 
au  milieu  des  conditions  extérieures  les  plus  favorables.  Nous 
avons  donc  à  résoudre  le  problème  de  savoir  comment  de 
l'essence  de  la  vie  découle  la  nécessité  de  son  extinction. 

Il  y  a  deux  manières  principales,  et  entièrement  opposées 
l'une  à  l'autre,  d'envisager  la  vie.  Dans  la  première,  on  la  con- 
sidère comme  un  être  à  part ,  qui  possède  certains  attributs , 
et  dont  l'existence  est  ou  dépendante  ou  absolue.  Dans  le  se- 
cond ,  au  contraire  ,  on  la  met  au  rang  des  phénomènes  de  la 
nature  ,  on  la  rapporte  à  l'idée  de  l'univers,  et  on  ne  la  re- 
garde par  conséquent  que  comme  une  chose  purement  rela- 
tive. Ne  pouvant  entrer  ici  dans  une  discussion  approfondie 
de  ces  diverses  hypothèses ,  nous  allons  seulement  examiner 
quelle  est  celle  qui  donne  l'explication  la  plus  satisfaisante  de 
la  mort  nécessaire. 

L  En  représentant  la  vie  comme  une  chose  absolument  dé- 


552  MORT  NÉCESSAIRE. 

pendante  ,  comme  une  propriété  de  l'organisation  ,  le  maté- 
rialisme ,  conséquent  avec  lui-même ,  attribue  aussi  son  ex- 
tinction à  une  qualité  de  l'organisation  qui  est  incompatible 
avec  le  maintien  de  la  vie.  La  mort  nécessaire  arrive  donc 
parce  que  l'aridité  et  la  raideur  des  tissus ,  rossificalion  des 
artères ,  l'oblitération  des  vaisseaux  capillaires,  etc. ,  qui  ac- 
compagnent l'âge  avancé,  ne  permettent  plus  aux  mouvemens 
vitaux  de  se  manifester.  Mais 

1°  Ces  phénomènes  sont  des  anomalies.  Ritter  a  fort  bien 
démontré  que,  si  on  les  observe  fréquemment  dans  l'âge 
avancé,  ils  ne  sont  cependant  ni  son  apanage  exclusif,  ni  sa 
condition  constante  et  essentielle.  De  même  que,  dans  la  plu- 
part des  cas  où  la  mort  a  été  déterminée  par  la  maladie  ,  on 
ne  découvre  aucune  circonstance  matérielle  qui  ait  rendu  la 
circulation ,  la  respiration  et  l'innervation  impossibles ,  de 
même  aussi  on  a  vu  ,  chez  des  vieillards  qui  avaient  prolongé 
leur  carrière  bien  au-delà  du  terme  ordinaire  ,  par  exemple 
chez  Thomas  Parre  ,  mort  à  cent  cinquante-deux  ans ,  les 
parties  molles  du  corps  imprégnées  de  sucs  et  flexibles ,  et 
tout  l'organisme  exempt  d'indurations ,  d'ossifications  ou  d'o- 
blitérations anormales.  On  pourrait  dire,  à  la  vérité,  que  ces 
vieillards  n'avaient  point  encore  atteint  le  terme  proprement 
dit  de  leur  existence ,  et  que  les  anomalies  dont  il  s'agit  les 
auraient  conduits  plus  tard  à  ia  mort  nécessaire  ,  si  une  ma- 
ladie accidentelle  n'était  venue  couper  le  fil  de  leurs  jours  ; 
mais  ce  serait  là  un  simple  subterfuge  ,  une  assertion  dont  on 
ne  pourrait  fournir  la  preuve. 

2°  D'ailleurs,  il  est  clair ,  dans  tous  les  cas,  que  l'indura- 
tion ,  l'ossification  et  l'oblitération  sont  simplement  le  résultat 
d'un  certain  état  de  la  vie  ,  en  présence  duquel  les  tissus  ne 
peuvent  plus  ,  comme  auparavant ,  se  maintenir  dans  les  con- 
ditions normales.  En  efl'et,  l'histoire  de  l'évolution  nous  a  ap- 
pris que  l'organisation  n'est  point  la  chose  primordiale  de  la- 
quelle naisse  la  vie,  que  celte  dernière  est,  au  contraire ,  le 
principe  agissant  et  déterminant,  et  que  c'est  elle  qui  crée 
l'organisation.  Ces  étals  peuvent  donc  bien  être  la  cause  pro- 
chaine de  la  mort ,  mais  ils  n'en  sont  pas  la  cause  proprement 
dite  et  véritable. 


MORT    NÉCESSAIRE.  335 

IL  Si  le  matérialisme  confond  le  produit  de  la  vie  avec  sa 
cause ,  et  considère  ainsi  la  vie  comme  une  chose  absolument 
conditionnelle  et  dépendante  ,  le  spiritualisme  ^  au  contraire  , 
la  regarde  comme  une  chose  absolue ,  attendu  qu'il  ne  dis- 
tingue point  le  phénomène  de  son  idée ,  ni  le  fini  de  sa  cause 
infinie. 

Suivant  Stahl,  la  vie  est  de  nature  spirituelle,  et  c'est  l'âme 
qui  forme  le  corps,  qui  le  détermine  à  agir  ,  qui  le  maintient 
en  action.  L'esprit  est,  de  son  essence ,  un  et  intérieur  ;  par 
conséquent,  il  puise  en  lui-même  ses  déterminations,  il  est 
libre  ,  il  est  absolu.  Or,  si  la  vie  est  l'effet  de  l'esprit ,  elle  ne 
peut  point  contenir  la  raison  sufSsante  de  sa  fin  ,  car  ce  qui 
jouit  de  la  liberté  ne  peut  que  se  poser  soi-même  ,  sans  avoir 
la  faculté  de  s'anéantir,  et  si  la  conservation  de  soi-même 
repose  sur  un  fondement  absolu,  elle  doit  aussi  être  éternelle. 
D'après  cela,  la  mort  est  incompréhensible,  et,  suivant  Slalil, 
elle  n'est  déterminée  que  par  la  volonté  de  Dieu. 

Mais  c'est  là  tout  simplement  une  fiction  hyperphysique,  qui 
va  chercher  hors  de  la  nature  la  cause  d'un  phénomène  natu- 
rel. C'est  une  de  ces  hypothèses  non  susceptibles  de  démonstra- 
tion, auxquelles  on  n'a  recours  que  quand  la  théorie  entre  en 
contradiction  avec  l'expérience.  Le  fait  de  la^mort  nécessaire 
contient  donc  déjà  en  lui-même  la  réfutation  du  système  des 
spiritual  istes. 

IIL  Nous  arrivons  à  uue  théorie  réelle  de  la  mort  nécessaire 
en  considérant  la  vie  comme  une  chose  relative,  qui ,  compa- 
rée aux  phénomènes  de  la  vie  inorganique,  représente  un  tout 
complet,  renfermant  en  lui  les  forces  les  plus  diverses,  et  se 
déterminant  lui-même,  mais  qui,  envisap,ée,  eu  égard  à  la  cause 
suprême  des  choses ,  est  une  réalisation  de  l'infini  dans  le 
fini,  une  image  deTunivers,  offrant  un  caractère  tout  spécial, 
tant  sous  le  rapport  de  la  quantité  que  sous  celui  de  la  qua- 
lité. 

3"»  En  effet,  nous  reconnaissons  d'abord  que  la  nécessité  de 
la  mort  est  un  phénomène  général.  La  vie  a  le  caractère  de  la 
détermination  par  soi-même  ou  de  la  spontanéité,  comme  l'i- 
déal d'où  elle  procède ,  et  elle  a  le  pouvoir  de  se  conserver 
elle-même,  comme  l'univers,  d'après  lequel  elle  a  été  formée  ; 


S54  MORT  NÉCESSAIRE. 

mais  elle  n'a  l'un  et  l'autre  que  sous  la  forme  finie  et  en  deçà 
de  certaines  limites.  Elle  émane  de  la  vie  universelle,  c'est-à- 
dire  que  l'esprit  unique  et  éternel  de  l'univers  la  fait  soriir 
des  formes  générales  de  la  nature,  mais  sous  une  forme  indi- 
viduelle, comme  chose  finie  et  d'une  espèce  particulière.  Elle 
s'est  développée  de  la  vie  universelle,  elle  s'en  est  pour  ainsi 
dire  séparée,  elle  s'est  individualisée;  mais,  comme  individu, 
elle  ne  peut  se  dégager  entièrement  de  cette  source  primor- 
mordiale,  et  il  y  a  obligation  pour  elle  d'y  revenir.  C'est  un 
phénomène  de  cette  vie  ;  mais  les  phénomènes  et  les  formes 
sont  variables  et  périssables,  Tessenceseule,  ou  l'universel,  n'a 
ni  commencement  ni  fin.  De  même  que  l'organisme  est  li- 
mité dans  l'espace,  il  l'est  aussi  dans  le  temps,  et  de  même 
qu'il  ne  dépend  pas  de  lui  de  se  maintenir  absolument  contre 
les  influences  extérieures,  il  n'est  pas  non  plus  en  son  pouvoir 
de  persister  éternellement.  La  vie  a  commencé  à  une  certaine 
époque  :  par  cela  même  elle  est  finie  et  doit  avoir  son  terme 
à  une    autre  époque  déterminée. 

Mais  si  la  mort  en  général  a  sa  cause  dans  l'essence  de  la 
vie,  il  en  est  de  même  pour  l'époque  à  laquelle  elle  arrive. 

4°  La  vie  universelle  repose  sur  l'idée  infinie  :  la  vie  indi- 
viduelle, copie  de  la  vie  universelle ,  a  pour  fondement  l'idée 
sous  sa  forme  finie,  c'est-à-dire  modifiée  et  limitée  d'une  ma- 
nière spéciale,  en  un  mot  une  idée  déterminée.  Réaliser  celte 
idée,  tel  est  le  problème  de  la  vie.  Mais  comme  elle  participe 
de  l'infini,  par  cela  même  qu'elle  aune  origine  idéale,  elle  ne 
peut  se  manifester  que  dans  une  certaine  succession  de  temps, 
et  non  dans  un  seul  et  même  moment.  Or  cette  réalisation 
successive  de  l'idée  servant  de  base,  donne  la  clef  de  l'évolu- 
tion et  de  la  métamorphose  de  la  vie.  Lorsque  la  vie  a  épuisé 
son  idée^  en  se  développant  et  se  métamorphosant  sans  inter- 
ruption, son  problème  est  résolu.  Donc,  une  fois  que  l'indi- 
vidu a,  par  son  individualité,  réalisé  complètement  et  de  tous 
les  côtés  l'idée  modifiée  de  son  espèce ,  il  a  atteint  son  but , 
et  rien  ne  lui  reste  plus  à  faire;  la  seule  et  unique  cause  de  sa 
vie,  l'idée  se  manifestani  par  un  développement  continuel,  lui 
échappe,  et  la  vie  individuelle  doit  retomber  dans  la  vie  uni- 
verselle. 


MOft      NÉOESSAIRE.  §35 

5°  Maintenant,  lorsque  la  mort  est.  de  cette  manière,  deve- 
nue nécessaire  à  une  certaine  époque,  elle  doit  aussi  être  ac^ 
compile  par  des  circonstances  déterminées  de  la  vie.  Mais 
cette  cause  immédiate  et  prochaine  de  la  mort  est  l'épuise- 
ment  delà  faculté  de  se  rajeunir  par  le  retour  à  un  étal  dévie 
antérieur,  et  ici  Ihisloire de  la  mort  se  rattache  à  celle  de  la 
révolution  de  la  vie.  Car,  de  même  que  l'organisme  se  rajeunît 
périodiquement  d'une  manière  évidente  (§  593,  6°),  de  même 
aussi  il  se  rajeunit  continuellement  et  insensiblement, pendant 
la  vie  entière  ,  par  l'effet  du  travail  d'oii  résulte  la  conserva- 
tion de  soi-même .  La  vie ,  dans  son  état  primordial ,  est  la 
pleine  et  entière  possibilité,  qui  renferme  en  elle-même, 
comme  autant  de  germes  non  développés,  tout  ce  qui  doit  un 
JDur  se  manifester  ;  son  développement  réalise  l'idée ,  et  fait 
prendre  une  forme  finie  à  Tinfini,  mais  amène  par  cela  même 
un  épuisement.  Le  retour  du  développement  à  l'état  primor- 
dial remédie  à  cet  épuisement ,  et  rétablit  la  possibilité  d'un 
nouveau  déploiement  de  force  ;  mais  comme  la  vie  marche 
sans  cesse,  elle  ne  peut  jamais  revenir  entièrement  à  l'état 
primordial  (§  593,4°),  et  ii  lui  est  d'autant  moins  permis  de  s'en 
rapprocher  qu'elle  s'est  éloignée  davantage  de  lui  pendant  son 
cours  ;  une  époqne  enlin  arrive  où  le  rétablissement  devient 
impossible.  Cette  impossibilité  de  restauration  est  donc  la 
cause  prochaine  et  immédiate  de  la  mort  nécessaire,  et  ce 
n'est  pas  tant  la  diminution  de  la  force,  que  celle  de  la  res- 
tauration, qui  amène  cette  mort. 

§  623.  La  vie  de  chaque  espèce  d'êtres  organisés  a  une  du- 
rée déterminée  ;  mais  nous  ne  connaissons  cette  durée  que 
d'une  manière  fort  imparfaite,  parce  qu'il  est  souvent  difficile 
de  préciser  si  la  mort  a  été  nécessaire  ou  amenée  par  des 
maladies  accidentelles ,  qu'on  n'a  pas  de  données  exactes 
sur  lâge  auquel  les  animaux  parviennent  dans  l'état  de  li- 
berté, et  que  la  domesticité  dérange  toutes  les  conditions  na- 
turelles de  leur  vie. Bacon  a  eu  raison  de  dire  :  De  diutumitate 
et  brevitate  vitœ  in  animaîibus  tenuis  est  informatio,  quœ  ha- 
heri  potest,  ohservatio  negligens^  traditio  fabulosa.  Mais,  quel- 
que frappées  d'incertitude  que  soient  la  plupart  des  notions 
admises  à  cet  égard ,  il  en  ressort  au_  moins  pour  nous  cette 


536  MORT   NÉCESSAIRE. 

vérité,  que  la  durée  de  la  vie  n'est  pas  la  même  chez  les  diffé- 
rens  êtres  organisés. 

1°  Parmi  les  plantes  cryptogames,  il  y  a  plusieurs  champi- 
gnons qui  ne  vivent  qu'une  seule  journée  ou  quelques  jours  : 
des  mousses,  des  lichens  et  des  i'ougères  végètent  pendant 
quelques  années.  Parmi  les  plantes  phanérogames,  celles  qui 
ont  la  vie  la  plus  courte  (  les  annuelles  )  durent  trois  à  huit 
mois;  beaucoup  (les  bisannuelles),  seize  à  vingt  mois;  les  ar- 
brisseaux ,  quelques  années  ;  les  arbustes  et  les  arbres  ,  une 
longue  série  d'années.  Dans  la  vie  végétale ,  l'unité  domine 
moins  que  dans  celle  des  êtres  animés ,  ce  qui  fait  que  leur 
durée  se  rattache  moins  à  une  période  de  temps  déterminée. 
MaisDecandolle  est  allé  trop  loin  en  disantque  l'individu  végétal 
n'a  pas  un  terme  défini  d'existence,  et  ne  peut  mourir  que  de 
maladie  ou  de  vieillesse  proprement  dite.  Le  couronnement 
des  produits  de  la  plante  est  le  fruit;  quand  elle  l'a  donné, 
l'idée  de  végétal  est  épuisée,  le  problème  de  la  vie  végétative 
est  résolu  ,  et  la  plante  meurt  en  totalité  ou  en  partie ,  tandis 
qu'une  nouvelle  vie  se  développe  dans  le  fruit.  Les  plantes 
monocarpiennes  périssent  après  avoir  fructifié  une  seule  fois, 
et  l'on  peut  prolonger  leur  existence  en  retardant  leur  fructi- 
fication .-^ainsi  V Agave  americana^  qui,,  dans  les  pays  chauds, 
fructifie  à  huit  ans ,  après  quoi  il  meurt ,  vit  cinquante  à  cent 
ans  dans  nos  serres ,  parce  qu'il  n'y  fleurit  qu'après  ce  long 
terme.  De  même  ,  certaines  plantes  annuelles  parcourent  une 
plus  longue  carrière  quand  elles  portent  des  fleurs  doubles  et 
par  conséquent  stériles.  Dans  les  plantes  rhizocarpiennes ,  la 
tige  meurt  après  avoir  porté  fruit  ;  mais  la  racine  n'est  point 
épuisée  par-là,  et  elle  repousse  une  nouvelle  tige  au  prin- 
temps. Les  végétaux  caulocarpiens  (arbres  et  arbrisseaux) 
s'épuisent  encore  moins,  car  la  couche  produite  annuellement 
ne  fait  que  se  lignifier,  et  reçoit  l'année  suivante  une  nouvelle 
couche  vivante  qui  s'applique  sur  elle.  DecandoUe  a  trouvé 
qu'à  partir  de  la  cinquantième  à  la  soixantième  année,  les  ar- 
bres de  nos  forêts  croissent  avec  plus  de  lenteur,  mais  d'une 
manière  régulière,  en  d'autres  termes  que  les  couches  annuel- 
les qui  se  forment  alors  ne  sont  pas  aussi  épaisses  que  les 
précédentes,  mais  qu'elles  ne  diminuent  point  non  plus  en- 


MORT    NÉCESSAIRE.  537 

suite.  Il  accorde  cependant  que,  par  les  progrès  de  l'accrois- 
sement, les  racines,  en  s'enfonçant  davantage ,  s'éloignent  de 
l'air  libre  et  trouvent  moins  de  nourriture,  que  l'écorce  devient 
de  plus  en  plus  sèche  et  plus  chargée  de  charbon  et  de  ma- 
tière terreuse ,  et  qu'ainsi  la  végétation  et  le  rajeunissement 
doivent  finir  par  trouver  des  bornes.  Il  a  été  reconnu,  soit 
d'après  la  grosseur  du  tronc  et  le  nombre  des  couches  an- 
nuelles, soit  d'après  des  traditions  historiques,  qu'un  orme 
peut  vivre  335  ans,  un  cyprès  350,  un  cheirostémon  400,  un 
lierre  450,  un  érable  500,  un  mélèze  576,  un  châtaignier  630, 
un  olivier  700,  un  platane  720,  un  cèdre  800,  un  tilleul  1100, 
un  chêne  1500,  un  if  2000,  un  baobab  5000,  et  un  cyprès  de 
Virginie  6000  (1). 

2°  Aucune  Infusoirene  paraît  vivre  plusieurs  semaines.  Sui- 
vant Nitszch ,  la  vie  de  la  Cercaria  ephemera  ne  dépasse  guère 
six  heures,  l'animal  paraissant  vers  le  milieu  du  jour,  et 
mourant  au  plus  tard  avant  le  coucher  du  soleil. 

3°  Certains  Coraux ,  par  exemple  lesTubulaires,  ne  vivent, . 
d'après  Schweigger ,  que  quelques  jours ,  semaines  ou  mois  ; 
mais  Trembley  assure  que  l'Hydre  à  bras  prolonge  sa  vie  deux 
années. 

4"  Plusieurs  Entozoaires  ne  vivent  que  peu  de  mois  ;  car  on 
ne  les  rencontre  qu'à  une  certaine  époque  de  l'année ,  après 
quoi  on  ne  les  voit  plus.  Cependant  Rudolphi  assigne  quelques 
années  d'existence  aux  Filaires. 

5°  La  vie  des  Limaçons  est  de  trois  à  quatre  ans ,  d'après 
Pfeifer,  et  celle  des  gros  Bivalves  de  vingt  à  ving-cinq  ans. 

6o  Un  Puceron  vit  ordinairement  un  mois.  La  vie  des  autres 
Insectes  dure  au  plus  quatre  ou  cinq  ans,  à  l'état  parfait.  Elle 
est  si  courte  chez  beaucoup  d'entre  eux,  les  Lépidoptères  sur- 
tout ,  qu'ils  ne  prennent  point  de  nourriture.  Mais  on  connaît 
quelques  Insectes  qui  vivent  plus  long-temps  à  l'état  de  larve 
et  de  chrysalide ,  par  exemple,  le  Carabe  doré  quatre  ans ,  le 
Hanneton  cinq,  et  la  Mante  religieuse  dix.  Les  Éphémères  pas- 
sent trois  ans  dans  cet  état  :  après  leur  dernière  métamorphose, 
ils  sortent  de  l'eau  vers  le  soir,  et  jamais  ils  ne  voient  le  plein 

(1)  Decandolle  ,  Physiologie  végétale  ,  t.  II ,  p.  4007. 

V,  22 


55 §  3IOÏIT   NÉCESSAIRE. 

jour  ;  car  ils  périssent  avant  le  lever  du  soleil.  Les  Papillons 
ne  vivent  pas  une  année  entière ,  quand  ils  se  propagent ,  et 
leur  vie  ne  se  prolonge  qu'autant  qu'ils  ne  s'accouplent  pas(l). 
7°  Les  Arachnides  vivent  quelques  années. 
8°  La  vie  des  Entoniostracés  et  des  Isopodes  est  courte. 
Celle  des  Daphnies  et  des  Cyclopes  ne  dépasse  point  trois  se- 
maines. Les  grosses  espèces  de  Décapodes,  de  Siomapodes  et 
d'Amphipodes  vivent,  au  contraire,  jusqu'à  vingt  années. 

9°  Les  Poissons  de  petite  espèce  paraissent  vivre  cinq  à  dix 
ans.  D'autres  semblent  atteindre  un  âge  bien  plus  avancé; 
car  ils  croissent  lentement ,  et  l'on  en  trouve  parfois  des  indi- 
vidus d'un  poids  considérable.  Ainsi  l'on  sait  que  les  Carpes 
ne  pèsent  douze  livres  qu'au  bout  de  dix  ans  ,  et  l'on  conclut 
delà,  comme  aussi  de  quelques  observations  directes,  qu'elles 
peuvent  vivre  de  cinquante  à  cent  ans.  On  raconte  qu'en  1497 
il  fut  péché,  près  de  Kaisersiautern ,  un  Brochet  du  poids  de 
trois  quintaux ,  qui ,  d'après  une  inscription  gravée  sur  un 
anneau  de  cuivre  suspendu  à  Tun  de  ses  opercules ,  avait  été 
pris  deux  cent  soixante-sept  ans  auparavant  et  remis  à  l'eau. 
10"  Les  Batraciens  et  les  petits  Sauriens  et  Ophidiens 
atteignent  un  âge  de  cinq  à  six  ans.  On  dit  que  les  Crocodiles 
vivent  près  de  cent  ans.  Forster  et  Murray  (2)  parlent  de 
Tortues  qui  ont  vécu  plus  d'un  siècle,  et  même  deux  après  leur 
capture  ,  à  lépoque  de  laquelle  on  ignorait  leur  âge. 

Il"  Les  Troglodytes  vivent  trois  à  quatre  ans,  les  Faisans 
et  les  Pigeons  six  à  dix,  la  Pintade  et  la  Poule  dix  à  douze,  le 
Dindon  ,  le  Rossignol  et  l'Aloueite quinze  à  vingt,  le  Chardon- 
neret ,  le  Mo  neau ,  la  Cigogne  et  le  Paon  vingt  à  vingt-cinq, 
l'Oie,  leCigne,  le  Pélican,  le  Biset,  le  Coucou,  l'Épervier 
et  l'Autour  vingt-cinq  à  cinquante,  lAigle,  les  Perroquets  et 
le  Corbeau  cent. 

12°  La  vie  des  Lapins  d'Angora  et  de  quelques  autres  petits 
Rongeurs  est  de  trois  àquatre  ans;  celle  du  Lièvre,  de  l'Écureuil, 
du  Cochon-d'Inde,  de  la  Musaraigne  et  de  la  Belette,  de  six  à 
huit  ;  celle  du  Hérisson ,  du  Hamster ,  du  Lapin  et  de  la  Mar- 


(1)  Froriep  ,  Notisen ,  XXXVIII,  p.  136. 

(2)  W.,  t.  XIV,  p.  dlS.j 


MORT   NÉCESSAIRE.  SSg 

motte ,  de  huit  à  dix  ;  celle  de  la  Brebis ,  de  la  Chèvre  et  de 
la  Marte,  de  dix  à  quinze;  celle  du  Chat,  du  Loup,  du  Re- 
nard, du  Blaireau,  du  Lynx,  de  la  Loulre,  du  Castor,  du 
Chevreuil,  du  Renne,  de  l  Élan,  du  Cochon,  de  quinze  à  dix- 
huit;  celle  du  Chien,  de  lOurs,  du  Chamois  et  le  Daim,  de 
de  vingt  à  vingt-cinq  ;  celle  des  bêles  à  cornes  ,  de  vingt  à 
trente;  celle  du  Cheval  et  de  l'Ane,  de  trente  à  trente-cinq'; 
celle  du  Cerf,  de  trente-cinq  à  quarante;  celle  du  Chameau, 
de  cinquante  à  cent,  et  celle  de  lÉléphant,  de  cent  à  deux 
cents. 

13»  L'histoire  nous  apprend  que,  chez  tous  les  peuples  et 
dans  tous  les  temps,  la  durée  ordinaire  de  la  vie  humaine  â 
été  de  soixante-dix  à  quatre-vingts  ans  ,  et  les  comparaisons 
que  nous  établirons  plus  loin  (§  650)  entre  les  tables  de  mor- 
talité, démontreront  que  l'époque  normale  de  la  mort  coïn- 
cide avec  cet*âge.  Les  exemples  de  longévité  sont  rares; 
Bacon  (i)  et  Hufeland  (2)  en  ont  rassemblé  un  certain  nom- 
bre (*).  Nous  citerons,  entre  autres,  uncertain  Lahaye ,  qui 
se  maria  à  rà;;e  de  soixante-dix  ans ,  eut  encore  cinq  enfans, 
et  poussa  sa  carrière  jusqu'à  cent  vingt  ans;  Brisio  de  Bra, 
qui ,  à  cent  vingt  deux  ans,  remplissait  encore  ses  fonctions 
de  domestique ,  et  qui  mourut  après  six  mois  de  faiblesse  ; 
Jean  Essingham  ,  soldat  d'abord ,  puis  journalier,  qui  parvint 
à  l'âge  de  cent  quarante-quatre  ans  ,  et  fit  encore  un  voyage 
de  six  lieues  huit  JDurs  avant  sa  mort  ;  le  danois  Drakenberg , 
qui  servit  comme  matelot  jusqu'à  quatre-vingt-onze  ans ,  se 
maria  à  cent  onze ,  et  vécut  jusqu'à  cent  quarante -six  ans  ; 
Thomas  Parre,  pauvre  paysan,  qui,  à  cent  quarante-deux 
ans,  pouvait  encore  accomplir  l'acte  vénérien,  et  qui  mourut  à 
cent  cinquante-deux;  un  polonais  des  environs  de  Polozk,  qui 
à  quatre-vingt-treize  ans  se  remaria  en  troisièmes  noces  ,  et 
eut  encore  des  enfans  ;  en  1796 ,  àjjé  de  cent  soixante-et-trois 
ans ,   il  était  bien  portant  et  dispos  ;  son  petit-fils  le  plus  âgé 


(1)  Opéra  omnia  ,  p.  505-515. 

(2)  La  macrobiotique ,  on  l'Art  de  prolonger  la  vie  de  l'homme. 

(*)  Consultez  aussi  Nenmair,  Die  sichersten  Mittel,  ein  sehr  hohes  AUer 
zu  erreirhen.  Leipzick',,  1822. 


34o  MORT    NÉCESSAIRE. 

avait  quatre-vingt-quinze  ans,  et  son  plus  jeune  fils  soixante- 
deux  ;  Jean  Surrington ,  de  la  Norwége  ,  qui  mourut  à  cent 
soixante  ans  ,  ayant  un  fils  aîné  de  cent  trois  ans  et  un  autre 
de  neuf  ans  seulement;  le  pêcheur  Jenkins,  qui  nageait  encore 
parfaitement  à  l'âge  de  cent  ans,  et  en  vécut  cent  soixante-neuf; 
enfin ,  l'écossais  Kinlingern  et  le  hongrois  Gzartan ,  qui  arri- 
vèrent à  près  de  cent  quatre-vingts  ans.  On  ne  connaît  aucun 
exemple  de  bicentenaire. 

§  624.  Si  notre  théorie  de  la  nécessité  de  la  mort  (  §  622  , 
2°,  3°)  est  fondée,  elle  doit  aussi  expliquer  la  diversité  qui  se 
remarque  dans  la  durée  de  la  vie  chez  les  différentes  espèces 
d'êtres  organisés.  Comme,  d'un  côté  ,  le  contenu  de  l'idée  et 
son  mode  de  développement,  de  l'autre ,  son  mode  de  rajeu- 
nissement ,  s'expriment  sous  des  formes  diverses  et  dans  des 
directions  différentes ,  nous  devons  chercher  la  cause  de  la 
durée  plus  ou  moins  longue  de  la  vie  tantôt  dans  l'une  et  tan- 
tôt dans  l'autre  de  ces  conditions  ;  mais ,  suivant  la  remarque 
déjà  faite  par  Bacon  (1)  ,  les  circonstances  sont  tellement 
complexes,  que  ce  n'est  point  d'après  telle  ou  telle  particu- 
larité qu'on  doit  juger ,  et  que  fort  souvent  même  celle  qui 
joue  le  véritable  rêle  de  cause  demeure  inconnue. 


ARTICLE     I. 


De  V épuisement  de  Vidée  de  V espèce,  comme  cause  de 
mort  naturelle. 

Examinons  d'abord  ce  qui  concerne  Xidêe  de  l'espèce  (§622, 
2<'). 

I.  Le  contenu  de  cette  idée  varie. 

1°  Si  nous  considérons  l'ensemble  de  la  vie  comme  une 
grandeur  déterminée ,  nous  pouvons  poser  en  principe  que 
plus  l'idée  de  la  vie  est  riche ,  plus  elle  a  de  côtés  differens , 
et  plus  aussi  il  lui  faut  de  temps  pour  arriver  au  terme  de  son 
développement,  plus,  par  conséquent,  la  mort  a  lieu  d'une 
manière  tardive.  La  vie  inférieure  qui  accompagne  une  orga- 
nisation simple  et  incomplète  ne  peut  point  durer  long-temps, 

(4)  Zoe.  czf.,p.  499. 


MOÏiT   NÉCESSAIRE.  543 

car  son  idée  est  bientôt  épuisée  ;  mais  la  vie  plus  élevée , 
plus  riche  de  contenu  ,  et  qui  annonce  déjà  sa  plénitude  inté- 
rieure par  une  diversité  plus  grande  de  parties  organiques , 
doit  parcourir  plusieurs  degrés  avant  d'avoir  présenté  com- 
plètement toutes  ses  faces  :  ainsi  les  plantes  cryptogames 
et  les  animaux  sans,  vertèbres  n'offrent  aucun  exemple  de 
vie  poussée  jusqu'à  un  demi-siècle ,  tandis  qu'on  en  rencontre 
une  foule  parmi  les  végétaux  phanérogames  et  les  animaux 
vertébrés.  D'un  autre  côté ,  on  ne  connaît  point  de  corps 
organisé  supérieur  chez  lequel  la  vie  soit  renfermée  dans  les  ^ 
limites  d'un  petit  nombre  de  semaines ,  de  jours  ou  d'heures , 
comme  on  en  voit  tant  parmi  les  êtres  organisés  inférieurs. 
Ce  qui  fait  aussi  que  la  durée  de  la  vie  de  l'homme  surpasse 
celle  des  Mammifères  égaux  à  lui  en  grosseur ,  c'est  qu'il 
dépasse  infiniment  ces  derniers  sous  le  point  de  vue  moral , 
et  que  jusqu'à  l'âge  le  plus  reculé  sa  nature  spirituelle  conti- 
nue toujours  de  se  développer  sous  de  nouvelles  faces.  La 
faculté  de  procréer  s'éteint  chez  l'homme  après  qu'il  a  par- 
couru les  deux  tiers  environ  de  sa  carrière  ;  la  même  chose 
arrive  aussi  chez  quelques  animaux  domestiques  ;  mais,  chez 
la  plupart  des  animaux,  la  mort  paraît  suivre  ^de  plus  près 
l'extinction  de  la  faculté  procréatrice. 

2°  Lorsque  la  vie  est  tellement"-  faible  qu'elle  ne  peut  point 
se  propager  en  nouveaux  individus ,  elle  n'a  no»  plus  elle- 
même  qu'une  courte  durée.  Leslnfusoires,  qui  sont  venus  au 
monde  par  hétérogénie ,  et  auxquels  manque  le  pouvoir  de 
procréer,  ne  jouissent  également  que  d'une  existence  fugi- 
tive. Comme  ils  n'ont  pas  la  faculté  de  maintenir  leur  espèce, 
ils  ne  possèdent  non  plus  que  renfermée  dans  d'étroites 
limites  celle  de  se  conserver  eux-mêmes.  De  même ,  toutes 
les  fois  que  l'individualité  ne  jouit  pas  d'une  certaine  éner- 
gie, l'accomplissement  de  la  fonction  génitale  lui  porte  le 
coup  de  la  mort  (§  323  ).  En  pareil  cas,  l'individu  a  si  peu  de 
valeur,  que,  dès  qu'il  a  agi  pour  le  compte  de  l'espèce,  son 
idée  se  trouve  épuisée  et  le  but  de  sa  vie  atteint.  Ainsi  la 
substance  nourricière  et  la  force  vitale  de  la  plante  sont  plus 
ou  moins  épuisées  par  la  formation  de  fleurs  et  de  fruits 
(§  623  ,  1").  Certains  palmiers,  les  aloès,  les  Yucca  parvien- 


542  MORT   NÉCESSAIRE. 

nent  à  un  âgfe  considérable ,  deviennent  même  presque  cen- 
t<^naires  avant  de  fleurir ,  et  périssent  dès  qu'ils  ont  porté 
fruit.  Les  arbres  peu  productifs  durent  plus  long-temps  que 
ceux  qui  sont  très-Iéconds.  Le  jujubier  rejette,  comme  autant 
de  pédoncules,  les  branches  qui  ont  donné  beaucoup  de 
fruits,  tandis  qu'il  conserve  celles  qui  n'en  portaient  point. 
Dé  même,  chez  les  animaux  inférieurs,  la  mort  est  la  suite  de 
la  procréation  (§  285,  3°),  et  un  résultat  ou  un  moyen  de  la 
parlurition  (§  483,  6°).  Lorsque,  au  contraire,  lindividualité 
s'est  développée  davantage,  et  que  le  côté  mural  de  la  géné- 
ration devient  plus  saillant,  l'exercice  de  cette  fonction  n'influe 
point  autant  sur  la  durée  de  la  vie.  Ainsi,  chez  les  Insectes  qui 
vivent  en  société,  les  femelles,  dont  l'instinct  se  dirige  vers  la 
procréation ,  vivent  plus  long-temps  que  les  mâles ,  dont  le 
rôle  se  borne  à  féconder  ;  de  même  aussi  les  Oiseaux  atlei  - 
gnent  un  âge  proportionnellement  fort  avancé  ,  quoique  leur 
vie  animale  soit  remplie  d'une  manière  à  peu  près  exclusive 
par  la  génération.  Mais ,  même  dans  les  classes  supérieures 
du  règne  animal ,  on  remarque  encore  un  rapport  inverse 
entre  la  longévité  d'une  part ,  la  fécondité  et  la  vivacité  du 
penchant  à  la  propagation  de  l'autre.  Les  Rongeurs  sont  plus 
productifs  que  les  Carnassiers,  et  les  Gallinacés  plus  que  les 
Rapaces  ;  les  Chèvres  ont  plus  de  lasciveié  que  les  Antilopes, 
et  les  Pigeons  domestiques  que  les  Ramiers  :  aussi  leur  vie 
dure-t-elle  moins. 

3°  L'intérieur  s'annonce  par  l'extérieur  :  de  là  vient  que  le 
volume  proportionnel  n'est  point  sans  influence.  Une  plus 
grande  masse  de  corps  est  l'expression  d'une  énergie  plus 
prononcée  de  la  vie ,  quoique ,  par  cela  même  qu'elle  dépend 
d'une  seule  des  directions  imprimées  à  l'activité  de  celte 
dernière,  elle  ne  corresponde  pas  toujours  à  son  comenu 
intérieur.  De  même  que ,  parmi  les  herbes,  le  bambou,  et, 
parmi  les  arbres,  le  chêne,  le  tilleul,  etc.,  surpassent  les 
autres ,  eu  égard  à  la  durée  de  la  vie  ,  de  même  aussi ,  dans 
chaque  classe  du  règne  animal ,  les  grandes  e^^pèces  arrivent 
à  un  â;ïe  plus  avancé  que  les  petites ,  ce  qui  s'applique  jus- 
qu'aux diverses  races  d'une  seule  et  même  espèce,  celle  du 
Chien ,  par  exemple. 


MORT   NÉCESSAIRE-  34S 

H.  Plus  la  marche  du  développement  est  rapide ,  plus  aussi 
la  mort  a  lieu  d!une  manière  précoce.  Les  Infusoires,  qui 
paraissent  comme  par  un  coup  de  baguette,  et  qui  se  trouvent 
complètement  formés  tout  à  coup ,  sans  avoir  de  métamor- 
phoses à  subir,  ne  durent  que  fort  peu  de  temps.  Les  cham- 
pignons périssent  avec  autant  de  promptitude  qu'ils  naissent, 
tandis  que  les  lichens  se  développent  en  général  plus  lente- 
ment et  ont  une  vie  plus  longue.  Le  tout  se  reflète  dans  la 
partie ,  et  la  durée  des  diverses  périodes  de  la  vie  coïncide 
avec  celle  de  la  vie  entière  (4°,  7°). 

4°  Plus  la  vie  embryonnaire  a  duré  peu  ,  plus  aussi  la  vie 
est  courte  après  la  naissance.  Mais  on  trouve  beaucoup  de 
variétés  à  cet  égard  parmi  les  Mammifères.  Chez  l'homme,  on 
compte  pour  chaque  semaine  de  la  vie  embryonnaire  environ 
deux  années  de  vie  extra-utérine  :  il  en  est  de  même  chez 
l'Éléphant ,  le  Chameau ,  le  Renard,  la  Loutre,  le  Furet,  la 
Marmotte,  le  Lapin ,  le  Hamster,  le  Lièvre.  La  proportion 
est  de  plus  de  deux  ans  par  semaine  chez  le  Cabiai,  lÉcureuil, 
le  Hérisson,  la  Marte,  le  Lynx,  le  Blaireau  et  le  Loup  ;  elle  ne 
dépasse  pas  de  beaucoup  une  année  chez  la  Belette,  le  Castor, 
le  Cochon,  le  Chamois  ei  le  Cerf;  elle  ne  va  pas  même  jusque- 
là  chez  la  Brebis,  la  Chèvre,  le  Chevreuil,  l'Élan,  le  Renne, 
le  Bœuf ,  le  Cheval ,  TAne  et  l'Ours. 

5°  Si  nous  calculons  que  l'homme  tette  pendant  neuf  mois 
et  vit  près  de  quatre-vingts  ans ,  nous  trouvons  à  peu  près 
deux  années  de  vie  par  semaine  d'allaitement.  C'est  aussi  la 
proportion  qu'on  observe  chez  la  plupart  des  Rongeurs.  Mais 
il  y  a  moins  de  deux  ans  par  semaine  chez  les  Soli;  (  des  et  les 
Ruminans  ,  plus  de  deux  années  chez  la  majorité  des  Carnas- 
siers. 

6"  Plus  l'aptitude  à  procréer  se  manifeste  de  bonne  heure , 
et  plus  la  durée  de  la  vie  est  courte.  Les  arbrisseaux  fleuris- 
sent plus  tard  et  vivent  plus  long-temps  que  les  herbes;  les 
plantes  qui  fleurissent  dès  la  première  année  périssent  aussi 
dans  le  cours  de  celte  même  année;  le  Chamois  devient  apte 
à  se  reproduire  deux  ans  plus  tard  que  la  Chèvre ,  et  arrive  à 
un  âge  presque  double  de  celui  de  cette  dernière.  Cepen- 
dant les  proportions  sont  fort  différentes  -,  chez  l'homme ,  qui 


344  MORT   NÉCESSAIRE. 

demeure  long-temps  dans  l'état  de  non  maturité  et  de  dépen- 
dance ,  afin  de  pouvoir  être  formé  par  l'amour ,  de  s'accou- 
tumer à  la  sociabilité  ,  et  de  se  perfectionner  par  les  leçons 
de  ses  contemporains  et  de  ses  devanciers,  la  durée  de  lanon- 
maturité  est  à  celle  de  la  vie  entière  à  peu  près  comme  1  :  4 
ou  5.  La  proportion  est  de  1 : 7  ou  10  dans  le  Castor,  le  Lièvre, 
le  Bœuf,  le  Cerf,  le  Chamois,  l'Ours ,  la  Loutre  ,  le  Blaireau 
et  le  Loup  ;  1  !  12  dans  la  Chèvre  ,  le  Furet ,  le  Renard ,  le 
Cheval ,  l'Éléphant ,  1  ;  16  ou  24  dans  le  Lapin  ,  le  Chat ,  le 
Chien  et  l'Ane  ;  1  :  30  dans  le  Cochon  et  le  Chameau. 

1°  Plus  l'accroissement  est  rapide,  plus  la  vie  dure  peu.  Les 
arbres  qui  arrivent  à  un  grand  âge  croissent  très-lentement , 
comme  les  Poissons ,  les  Tortues  et  les  Crocodiles  ;  mais  ils 
paraissent  aussi  le  faire  sans  interruption  jusqu'à  leur  mort , 
quelque  peu  qu'ils  augmentent  dans  les  derniers  temps.  La 
proportion  entre  la  durée  de  l'accroissement  et  celle  de  la  vie 
entière  est  de  1  :  4  chez  l'homme ,  de  1  :  5  ou  6  chez  le 
Marte  ,  le  Hérisson ,  le  Renne ,  le  Cheval  ,  le  Cerf  et  le  Cas- 
tor ;  de  1  :  8  ou  9  chez  le  Lièvre  ,  le  Loutre ,  le  Renard  ,  le 
Blaireau,  le  Loup  et  l'Ane. 

ARTICLE    II. 

De  V impossibilité  du  rajeunissement  ^  comme  cause  de 
mort  naturelle. 

§  625.  La  durée  plus  ou  moins  longue  de  la  vie  dépend 
aussi  du  plus  ou  moins  d'énergie  de  la  restauration  (§  622, 3°). 

1°  On  a  considéré  comme  une  des  causes  de  la  durée  de  la 
vie  les  mêmes  particularités  de  substance  que  celles  auxquelles 
se  rattache  la  durée  des  corps  inorganiques  ;  mais  on  a  com- 
mis en  cela  une  erreur  ;  car  il  y  a  une  grande  différence  en- 
tre les  corps  inorganiques  et  les  êtres  organisés.  En  effet,  le 
corps  inorganique  est ,  d'après  son  essence ,  une  existence  iso- 
lée ,  pour  laquelle  les  choses  du  dehors  sont  indifférentes  ou 
destructives;  l'être  organisé,  au  contraire,  en  sa  qualité  d'i- 
mage ou  de  copie  de  l'univers ,  est  sans  cesse  en  rapport  avec 
le  monde  extérieur ,  et  sa  vie  a  pour  condition  un  conflit  con- 
tinuel entre  lui  et  les  choses  du  dehors ,  puisque  c'est  ce  conflit 


MORT   NÉCESSAIRE,  345 

qui  non  seulement  met  enjeu  toute  activité  vitale  quelconque, 
mais  encore  rend  possible  la  conservation  de  soi-même.  Le 
corps  inorganique  est  le  produit  d'une  activité  momentanée  , 
éteinte;  il  se  maintient  par  le  repos  ,  et  les  influences 
extérieures  ne  peuvent  que  le  troubler.  L'être  organisé , 
au  contraire  ,  est  dans  une  activité  qui  ne  s'interrompt  ja- 
mais :  il  détruit  sa  propre  substance  par  le  fait  même  de 
son  développement ,  et  la  reproduit  aux  dépens  des  substances 
du  dehors.  L'un  dure  d'autant  plus  que  son  existence  est  plus 
close ,  mécaniquement  par  la  force  de  la  cohésion ,  chimique- 
ment par  le  défaut  d'affinité  pour  les  substances  élémentaires, 
rapport  sous  lequel  les  métaux  appelés  nobles  forment  l'an- 
tagonisme le  plus  prononcé  avec  les  bases  métalliques  des  al- 
calis et  des  terres.  Mais  la  vie  se  maintient  d'autant  plus 
long-temps  qu'elle  a  plus  d'aptitude  à  se  restaurer  au  moyen 
des  substances  extérieures.  A  la  vérité,  les  plantes  semblent  se 
trouver  dans  les  mêmes  circonstances  que  les  corps  inorga- 
niques ,  apparence  à  laquelle  Bacon  (1)  attachait  aussi  beau- 
coup de  poids  ;  en  effet ,  l'abondance  des  sucs  coïncide  avec 
un  accroissement  rapide  et  une  courte  existence;  les  Champi- 
gnons mous  et  aqueux  meurent  très-rapidement ,  tandis  que 
ceux  qui  sont  secs  ont  plus  de  durée  ;  toutes  les  plantes  vi- 
vaces  ont  une  tige  ligneuse,  solide ,  et  tandis  que  les  végétaux 
herbacés  sont  annuels  ou  bisannuels ,  les  plantes  sèches  et 
rigides  de  même  taiile  ,  comme  le  Romarin  ,  l'Hysope ,  l'Im- 
mortelle ,  les  Bruyères  ,  les  Cistes  ,  etc.,  vivent  une  série 
d'années  ;  les  arbres  à  bois  blanc ,  mou  et  poreux ,  périssent 
de  meilleure  heure  que  ceux  dont  le  bois  est  coloré ,  dense  et 
dur;  ceux  qui  portent  des  fruits  charnus  et  juteux  durent 
moins  que  ceux  dont  les  fruits  sont  secs  ;  les  plantes  qui  con- 
tiennent du  tannin  ,  de  la  résine  ,  de  l'huile  grasse  ou  de 
l'huile  essentielle  ,  prolongent  davantage  leur  existence  que 
celles  qui  abondent  en  albumine,  en  mucus  et  en  sucre.  Mais 
si  ces  circonstances  déterminaient  réellement  la  durée  de  la 
vie ,  il  s'ensuivrait  que  la  mort  nécessaire  dépendrait  de  l'in- 
fluence destructive  des  .choses  extérieures  sur  la  substance  , 

(1)  Loc.  cit.,  p.  492. 


346  MORT   NÉCESSAIRE. 

ce  qui  manifestement  n'a  point  lieu.  La  plante  ne  meurt  pas 
parce  que  l'air  et  l'eau  décomposent  sa  substance  ,  mais  sa 
substance  se  décompose  parce  que  la  vie  s'est  retirée  d'elle. 
L'eau  ne  peut  point  exercer  sa  faculté  dissolvante  sur  des  êtres 
vivans ,  et  les  Poissons  arrivent  dans  son  sein  à  un  ^â^^e  fort 
avancé.  L'air  n'agit  point  non  plus  ici  en  consommant,  et  les 
Oiseaux  qui  y  vivent,   qui  en  sont  pénétrés  de  toutes  parts, 
se  distinguent  des  Mammifères  de  même  taille  qu'eux  par  une 
longue  durée  de  vie.  Malgré  la  mollesse  de  leur  chair,  beau- 
coup   de  Poissons,    les  Carpes   entre  autres,    deviennent 
bien  plus  âgés  que  des  Mammifères  d'un  volume  égal  au  leur 
et  dont  la  chair  a   plus   de  consistance.  Aussi  a-t-on  pré- 
tendu que  la  mollesse  de  la  substance  animale  était  une  con- 
dition de  longévité,  en  rendant  moins  facile  la  dessiccation,  à 
laquelle  on  attribuait  !a  mort  nécessaire.  Mais  les  Oiseaux  ont, 
généralement  parlant ,  une  substance  plus  sèche,  plus  sujette 
à  s'endurcir  et  à  s'ossifier,  ce  qui  ne  les  empêche  pas  de  de- 
venir, proportion  gardée,  fort  âgés,  tandis  que  certains  Mam- 
mifères d'une  complesion  molie  et  lâche,  comme  le  Cochon, 
n'arrivent  point  à  un  âge  si  avancé  que  d'autres  dont  la  chair 
est  plus  ferme  et  plus  consistante.  Cette  règle  souffre  aussi 
des  exceptions  dans  le  règne  végétal;  le  Buis  ,  le  Genévrier, 
le  Cyprès ,  le  Noyer  et  le  Poirier  ont  un  bois  plus  dur  et  en 
partie  plus  imprégné  de  principes  huileux  ou  résineux  que 
le  Tilleul,  dont  cependant  la  vie  se  prolonge  plus  que  la 
leur  (1).  Il  paraît  donc  que  la  densité  du  tissu  et  l'abondance 
des  sucs  résineux  ou  huileux  ,    expression    d'un  dévelop- 
pement plus  prononcé  de  la  nature  végétale  dans  une  certaine 
direction  qui  peut  être  arrêtée  par  d'autres,  coincident  avec 
une  durée  plus  longue  de  la  vie. 

2°  Quoique  dépendante  du  conflit  avec  les  choses  du  de- 
hors ,  la  vie  n'en  est  pas  moins  rendue  indépendante  jusqu'à 
un  certain  point  par  la  restauration.  Chez  les  êtres  organisés 
inférieurs  elle  a  moins  de  spontanéité  ;  elle  dépend  davan- 
tage des  influences  cosmiques ,  et  par  conséquent  aussi  elle 
se  trouve  liée  à  une  certaine  saison  de  l'année  :  il  y  a  là  un 

(1)  Hufeland,  La  macrobiotique,  ou  l'Art  de  prolonger  la  vie  de  l'iiomme, 
p.  57. 


MORT   NÉCESSAIRE.  347 

tel  accord  entre  elle  et  le  monde  extérieur,  qu'elle  s'éteint 
précisément  à  l'époque  où  les  circonstances  du  dehors  ne  lui 
permettraient  plus  de  se  maintenir.  Ainsi  certains  Insectes 
auxquels  la  nourriture  viendrait  à  manquer  en  hiver,  ne  pé- 
rissent pas  de  faim ,  mais  succombent  en  automne ,  avant 
d'avoir  pu  ressentir  le  besoin.  D'autres  vivent  plus  long- 
temps, soit  parce  que  l'instinct,  c'est-à-dire  un  moyen  mo- 
ral ,  leur  indique  une  voie  de  salut ,  en  leur  suggérant  d'a- 
masser en  été  des  provisions  pour  l'époque  de  l'année  où  ils 
ne  ti  ouveraient  point  de  nourriture  ,  soit  en  s'isolant  par  un 
sommeil  hibernal,  dont  ils  se  réveillent  rajeunis  aux  premiers 
feux  du  printemps.  De  même ,  dans  les  classes  supérieures , 
la  vie  acquiert  et  plus  d'indépendance  et  plus  de  durée,  parce 
qu'elle  a  jeté  des  racines  plus  profondes. 

3"  Lorsque ,  la  vie  étant  fort  active  ,  les  actions  se  succè- 
dent d'une  manière  rapide ,  la  consommation  est  plus  forte 
que  dans  le  cas  opposé ,  et  l'on  devrait  penser  que  la  mort 
plus  ou  moins  précoce  dépend  du  plus  ou  moins  d'étendue  de 
cette  consommation ,  que  les  Tortues  sont  redevables  de  leur 
longue  existence  à  la  marche  lente  de  leur  vie  ,  et  que  si  les 
gros  Mammifères  vivent  plus  long-temps  que  les  petits,  c'est 
qu'ils  ont  une  circulation  plus  calme.  Mais  l'énergie  de  la  vie, 
qui  s'exprime  par  l'étendue  de  la  consommation,  entraîne  aussi 
une  restauration  plus  active.  Ainsi  les  Osieaux ,  comparés  à 
des  animaux  de  leur  taille  pris  dans  d'autres  classes  ,  vivent 
long-temps  ,  quoiqu'ils  aient  une  respiration  ,  une  circulation 
et  une  croissance  rapides ,  que  la  puberté  se  manifeste  de 
bonne  heure  chez  eux  ,  que  leurs  sens,  leurs  désirs  et  leurs 
mouvemens  aient  une  grande  vivacité  ;  ils  maigrissent  plus 
vite  que  d'autres  animaux,  mais  engraissent  aussi  avec  plus 
de  prouiptitiide.  C'est  chez  l'homme  que  l'excitation  intérieure 
arrive  à  son  point  culminant ,  parce  que  la  vie  intellectuelle 
ne  cesse  jamais  d'agir  avec  une  grande  énergie ,  et  cependant 
il  vit  plus  que  les  Mammifères,  eu  égard  à  sa  taiile;  on 
ne  peut  point  attribuer  ce  phénomène  à  la  lenteur  de  son 
pouls ,  puisque  Se  pouls  des  bêtes  à  corui^s  et  des  chevaux  est 
plus  lent  encore.  Il  n'y  a  donc  que  le  défaut  de  proportion 


548  MORT  ACCIDENTELLE. 

entre  la  cousommation  et  la  restauration  qui  puisse  raccourcir 
la  vie. 

4°  Sous  rinfluence  d'une  nourriture  très-riche  en  principes 
alibiles, ,  mais  qui  fournit  une  substance  peu  élaborée  ,  la  vie 
est  plus  courte  que  dans  les  conditions  inverses.  Les  plantes  qui 
croissent  sur  des  montagnes  arides  durent  plus  long-temps  que 
celles  qui  poussent  dans  un  sol  humide.  Les  plantes  d'eau; 
douce  ne  fournissent  pas  une  aussi  longue  carrière  que  celles, 
des  eaux  de  la  mer.  Les  animaux  herbivores  deviennent  plus, 
gros  que  les  carnivores ,  mais  meurent  de  meilleure  heure 
qu'eux ,  et  ceux  qui  vivent  d'herbes  n'atteignent  point  un  si. 
grand  âge  que  ceux  qui  se  nourrissent  de  grains  (1). 

5"  Enfin  le  mode  de  conservation  de  soi-même  doit  aussi 
être  pris  en  considération.  Dans  les  plantes  vivaces,  la  partie 
vivante  se  lignifie  chaque  année ,  et  forme  la  base  solide  sur 
laquelle  naissent  de  nouvelles  parties  pleines  de  vie  :  c'est 
ainsi  qu'on  exphque  la  longue  durée  des  arbres ,  qui  au  fond 
est  plus  apparente  que  réelle.  La  vie  végétale  n'est  à  propre- 
ment parler  qu'annuelle  ;  mais ,  à  la  place  de  la  substance 
vieillie ,  vient  une  nouvelle  substance  vivante,  qu'on  peut  con- 
sidérer comme  un  individu  nouveau,  et  en  effet  l'arbre  conti- 
nue de  végéter  vigoureusement,  quoique  frappé  de  pourri- 
ture au  cœur  ;  ainsi  l'individualité  de  la  plante  est  trop  faible 
encore  pour  pouvoir  jouir  de  la  pérennité.  Les  Coraux  sont 
dans  le  même  cas  ,  et  leur  vie  semble  plus  longue  qu'elle  ne 
l'est  réellement  ;  le  Polypier  dure  une  longue  série  d'années  , 
mais  couvert  d'individus  qui  se  renouvellent  sans  cesse. 

CHAPITIIE  II. 

De  la  mort  accidentelle. 

§  626.  A  la  mort  nécessaire  on  peut  opposer  la  mort  acci- 
dentelle ,  c'est-à-dire  celle  que  des  circonstances  individuelles 
amènent  plus  tôt  que  ne  le  comporterait  le  caractère  de  l'es- 
pèce. 

La  mort  accidentelle  n'exerce  pas  ses  ravages  sur  l'espèce 

(1)  Bacon,  loc,  cit.,  p.  504. 


MORT    ACCIDENTELLE.  ^4^ 

humaine  seule.  Chez  presque  tous  les  êtres  organisés  aussi 
elle  enlève  plus  d'individus  que  la  mort  nécessaire.  Si  nous  la 
considérons  par  rapport  à  l'ensemble  ,  nous  trouvons  qu'elle 
n'est  ni  moins  fondée  dans  l'ordre  de  la  nature ,  ni  moins  né- 
cessaire. 

I.  Les  circonstances 'qui  l'amènent  consistent,  d'une  ma- 
nière générale,  dans  la  cessation  des  conditions  de  la  vie. 

l»  La  condition  la  plus  immédiate  de  la  vie  est  le  concours 
des  actions  organiques ,  déterminé  par  l'idée  totale.  En  eflet, 
chaque  fonction  est  un  tribut  que  la  partie  paie  au  tout  ;  mais 
certaines  fonctions  tiennent  au  tout  de  plus  près  que  les  au- 
tres', et  sont  conditions  immédiates  de  la  vie  ,  de  sorte  que 
chacune  d'elles  est  un  anneau  absolument  nécessaire  de  la 
chaîne  des  actions  organiques  ,  et  que  quand  elle  se  trouve 
arrêtée,  la  vie  aussi  est  anéantie  sur-le-champ.  Ces  fonctions 
éminemment  vitales  sont  la  circulation ,  la  respiration  et  l'ac- 
tion cérébrale  ;  leur  cessation  entraîne  la  mort  générale,  avec 
laquelle  peut  cependant  encore  coïncider  une  vie  partielle. 
La  mort  accidentelle  commence  par  la  cessation  de  l'une  d'el- 
les ,  mais  quand  celle-ci  s'éteint,  les  autres  s'éteignent  égale- 
ment. Il  y  a  donc  trois  genres  de  mort,  celle  par  syncope, 
qui  part  de  la  circulation ,  celle  par  suffocation  ou  asphyxie , 
qui  a  pour  point  de  départ  la  respiration ,  et  celle  par  apo- 
plexie ,  dans  laquelle  l'action  cérébrale  est  anéantie  la  pre- 
mière. Il  faut  toujours  qu'un  anneau  de  la  chaîne  organique 
se  brise  le  premier  ,  et  quoique  la  mort  arrive  dans  un  mo- 
ment, ce  n'est  cependant  que  par  extension  instantanée, 
comme  par  exemple  dans  le  cas  de  rupture  du  cœur,  d'é- 
panchement  au  cerveau  ou  de  paralysie  des  poumons. 

De  même  que  ces  trois  fonctions  vitales  dépendent  l'une  de 
l'autre,  de  même  aussi  elles  sont  déterminées  par  les  fonc- 
tions subordonnées  ou  secondaires.  En  effet,  quelques  unes 
de  celles-ci  peuvent  disparaître  sans  qu'il  s'ensuive  une  sus- 
pension immédiate  de  la  vie  ;  mais  quand  leur  extinction  a  pris 
une  certaine  étendue,  ou  duré  un  certain  laps  de  temps,  elle 
entraîne  l'anéantissement  d'une  des  fonctions  vitales  ,  et  par 
suite  celle  de  la  vie  entière. 

Les  fonctions ,  tant  secondaires  que  vitales ,  dépendent  à 


35o  MORT   ACCIDENTELLE. 

leur  tour,  non  seulement  de  l'organisation ,  c'est-à-dire  des 
qualités  physiques  et  des  propriétés  chimiques  du  corps  orga- 
nisé, comme  composiiion  ,  cohésion  ,  texture,  volume,  forme 
et  situation  des  solides  ,  quantité  ,  composition ,  cohésion  et 
situation  des  liquides,  mais  encore  des  choses  exiérieures, 
au  nombre  desquelles  se  rangent  ,  comme  conditions  immé- 
diates de  la  vie ,  la  chaleur  et  l'air,  comme  condition  mé- 
diate ,  la  nourriture. 

2°  La  mort  accidentelle  peut  donc 
a.  Avoir  sa  cause  immédiate  au  dehors ,  et  dépendre  d'un 
défaut  de  corrélation  entre  le  monde  extérieur  et  la  vie ,  soit 
que  les  conditions  extérieures  de  cette  dernière  viennent  à 
manquer,  comme  dans  la  suffocation ,  la  congélation ,  Tabsti- 
nence  forcée ,  soit  que  des  influences  positives  exercent  une 
action  mécanique  (blessures) ,  chimique  (brûlure ,  par  exem- 
ple), ou  dynamique  (rélectricité  entre  autres)  ; 

h.  Ou  dépendre  d'un  étai  morbide inléiieur,  qui  se  rattache 
lui-même  à  un  défaut  d'harmonie  entre  les  actions  organi- 
ques, et  qui  ait  été  provoqué  soit  par  une  cause  du  dehors, 
comme  la  quantité  ou  la  relation  des  conditions  de  la  vie, 
ou  une  influence  positive  quelconque,  soit  par  une  cause  du 
dedans,  comme  l'abus  ou  le  trop  peu  d'exercice  des 
forces. 

II.  La  résistance  aux  choses  extérieures  est  ou  active  ou 
passive. 

La  résistance  active  ,  ou  la  faculté  de  maintenir  soi-même 
sa  vie  au  milieu  de  circonstances  extérieures  défavorables , 
est  plus  forte  chez  les  êtres  organisés  supérieurs  ,  mais  plus 
forte  que  partout  ailleurs  chez  l'homme  ,  qui  peut  vivre  par 
exemple  près  des  pôles  comme  sous  l'équateur ,  tandis  que 
c'est  à  force  de  soins  seulement  qu'il  parvient  à  conserver  les 
animaux  et  les  plantes  dans  un  climat  différent  du  leur.  Mais 
ce  n'est  pas  seulement  sa  foixe  intellectuelle  qui  contribue  à 
le  conserver ,  en  lui  faisant  inventer  les  moyens  d'arriver  au 
but;  il  est  encore  redevable  de  cette  prérogative  à  la  souplesse 
et  à  la  flexibilité  de  son  organisation  matérielle. 

La  résistance  passive  aux  circonstances  défavorables  se  ma- 
nifeste surtout  par  la  ténacité  de  la  vie ,  à  l'égard  de  laquelle 


MORT    ACCIDENTELLE.  35 1 

'freviranus  (i)  a  pris  soin  de  réunir  les  faits  les  plus  impoî- 
tans.  Généralement  parlant,  la  Vie  la  plus  tenace  s'observe 
chez  les  organismes  inléiieurs  ,  par  exemple  les  Polypes,  et 
chez  les  êtres  organisés  supérieurs,  dans  les  momens  où  leur 
vie  est  réellem»  nt  affaissée  sous  le  point  de  vue  de  sa  mani- 
festation extérieure ,  par  exemple  pendant  l'engourdissement 
hibernal.  Cependant  ce  n'est  point  là  une  loi  générale.  Cer- 
tains animaux  inférieurs,  tels  (]ue  les  Méduses,  meurent  très- 
aisément,  et  les  animaux  en  chaleur  (§  247,  2")  ou  en  gesta- 
tion sont  fort  difficiles  à  tuer,  à  cause  de  l'exaltation  de  leur 
vitalité.  Les  animaux  à  sang  froid  ont  la  vie  plus  tenace  que 
ceux  à  sang  chaud  ,  et  sous  ce  rapport  les  Reptiles  sont  en 
antagonisme  parfait  avec  les  Oiseaux.  La  tenacilé  de  la  vie 
est  plus  grande  chez  les  carnivores  que  chez  les  herbivores, 
chez  les  animaux  lents,  comme  l'Aï  et  le  Hérisson  ,  que  chez 
les  animaux  plus  vifs  et  plus  sensibles,  tels  que  les  Rongeurs; 
parmi  les  Oiseaux,  elle  est  presque  nulle  chez  les  Passereaux, 
si  remarquables  par  leur  sensibilité  ,  plus  considérable  chez 
les  Rapaces,  qui  jouissent  d'une  si  grande  énergie  musculaire, 
et  portée  au  plus  haut  degré  chez  les  apathiques  Palmipèdes, 
notamment  chez  les  Pingouins. 

Mais  la  résistance  passive  de  la  vie  ne  se  manifeste  souvent 
qu'à  certains  égards.  Ainsi  divers  Insectes,  qui  supportent 
long-temps  la  privation  de  nourriture  et  de  fortes  blessures , 
ne  lardent  pas  à  périr  quand  on  leur  retire  l'air,  et  la  Sala- 
mandre, dont  la  vie  est  d'ailleurs  Irès-ttnace  ,  meurt  promp- 
tement  quand  on  la  saupoudie  de  sel  (2).  Des  phénomènes 
analogues  se  voient  aussi  chez  l'homme;  les  consiituiions  les 
plus  robustes  ne  sont  pas  celles  qui  toujot^rs  résistent  avec  le 
plus  d'elficacité  aux  influences  nuisibles;  le  nouveau-né  sup- 
porte mieux  que  l'adulte  la  privation  de  la  respiration  et  les 
lésions  du  cerveau  ou  des  organes  génitaux.  Les  femmes  et 
les  sujets  faibles  peuvent  se  passer  plus  long-temps  de  respi- 
rer que  les  hommes  et  les  peisonnes  doués  d'un  système  mus- 
culaire irès-développé  ;  ce  sont  les  plus  robustes,  les  plus 

(1)  Biologie ,%  V,  p.  265, 

(2)  Treviranusi,  Biologie,  t.  V,  p.;.274. 


352  MORT    ACCIDENTELLE. 

vivaces  en  apparence ,  qui  succombent  les  premiers  à  la  cha- 
leur ,  les  plus  âgés  et  les  plus  faibles  qui  résistent  le  moins 
au  froid  ;  la  faim  tue  d'autant  plus  vite ,  que  l'individu  est 
plus  jeune  et  plus  dispos,  que  par  conséquent  la  décomposi- 
tion et  la  nutrition  ont  plus  d'activité  chez  lui  ;  certains  poi- 
sons ,  métalliques  surtout ,  font  périr  les  hommes  avec  plus 
de  rapidité,  proportion  gardée,  que  les  femmes  et  les  enfans. 

3°  La  ténacité  de  la  vie  dans  les  lésions  mécaniques  de  l'or- 
ganisation tient  à  ce  que  l'unité  de  celte  vie  est  encore  in- 
complète ,  à  ce  qu'il  y  a  peu  de  liaison  entre  les  diverses  fonc- 
tions, à  ce  que  les  parties  dépendent  moins  du  tout.  L'homme 
supporte  mieux  les  blessures  quand  il  est  doué  d'une  com- 
plexion  robuste  et  d'une  grande  énergie  musculaire ,  lorsque 
la  sensibilité  n'est  pas  trop  développée  ou  prédominante  en 
lui.  Chez  les  corps  organisés  inférieurs ,  la  vie  résiste  à  des 
lésions  considérables ,  comme  il  arrive  à  certains  arbres,  aux 
Saules ,  par  exemple",  après  la  destruction  de  la  moelle  ;  les 
anneaux  arrachés  du  corps  d'un  Tœnia  continuent  de  vivre. 
Les  Astéries  supportent  la  perte  de  membres  ou  rayons  entiers 
pourvu  que  leur  partie  centrale  ,  l'estomac  ,  avec  son  anneau 
nerveux,  soit  demeurée  intacte  ;  les  Tortues  qu'on  cloue  sur 
les  navires ,  et  qu'on  arrose  plusieurs  fois  par  jour  avec  de 
l'eau  de  mer,  conservent  la  vie  pendant  plusieurs  mois  qu'exige 
la  traversée  en  Europe. 

Quelquefois  la  mort  n'a  Heu  que  lentement.  Un  Coléoptère, 
dont  une  moitié  du  tronc  était  rongée  et  servait  de  repaire 
à  deux  Fourmis,  n'en  continuait  pas  moins  de  marcher  tran- 
quillement (1).  Les  Ecrevisses  survivent  plusieurs  jours  à  la 
perte  de  leur  queue.  Les  Grenouilles  s'accouplent  encore 
après  qu'on  leur  a  coupé  la  tête ,  et  l'arrachement  du  cœur 
et  des  poumons  ne  les  empêche  point  de  sauter.  Une  Tortue 
à  laquelle  on  avait  enlevé  le  plastron,  de  manière  que  les  pou- 
mons et  autres  viscères  se  trouvaient  à  nu  ,  survécut  sept 
jours  (2).  Une  autre  remuait  encore  ses  membres  onze  jours 
après  avoir  été  décapitée,  et  une  troisième  supporta  pendant  six 

(1)  Rudolphi  ,  Grundriss  der  Physioloqie ,  t.  I,  p.  287, 

(2)  Blumenbach ,  Kleine  Schriften ,  p.  83.  > 


MORT  ACCIDENTELLE.  353 

mois  l'excision  de  son  cerveau.  Des  Coqs  auxquels  on  a  coupé 
la  tête,  courent  et  sautent  encore.  Humboldt  a  vu  un  Condor, 
qu'on  avait  étranglé  et  pendu,  se  remettre  à|, marcher  dès 
qu'on  eut  desserré  le  lien ,  et  pouvoir  se  tenir  encore  debout 
après  avoir  reçu  quatre  coups  de  feu  dans  la  poitrine,  le  ven- 
tre et  le  cou.  Des  Hérissons ,  cloués  sur  un  mur ,  vivent 
plusieurs  jours  malgré  la  perte  de  sang  causée  par  l'ouver- 
ture des  cavités  pectorale  et  abdominale.  Des  Renards ,  qui 
ont  reçu  un  coup  de  feu  mortel ,  et  qui  sont  parfois  demeu- 
rés des  heures  entières  immobiles,  se  remettent  à  courir, 
et  l'un  d'eux ,  auquel  on  avait  déjà  enlevé  la  peau  jusqu'aux 
oreilles,  put  encore  faire  une  morsure  dangereuse.  Les  Blai- 
reaux se  remuent  pendant  des  heures  entières ,  même  après 
avoir  eu  le  crâne  enfoncé.  Un  Cerf  qui  s'était  ouvert  le  ven- 
tre en  sautant ,  s'arracha  l'estomac  et  les  intestins  en  cou- 
rant ,  et  parvint  à  s'éloigner  de  cinq  cent  soixante  pas  du  lieu 
de  la  catastrophe  (1). 

La  ténacité  de  la.vie  se  manifeste  aussi  par  la  permanence 
de  la  vie  partielle  après  la  mort  générale.  Quand  un  arbre 
vient  à  être  abattu  ,  les  bourgeons^qu'il  porte  encore  se  dé- 
veloppent. Une  Sauterelle,  dont  on  avait  remplacé  les  vis- 
cères par  du  coton,  et  dont  une  épingle  traversait  le  thorax,  re- 
muait encore  les  pattes  et  les  antennes  au  bout  de  cinq  mois  (2). 
On  a  vu  des  queues  coupées  de  Tritons  et  des  tronçons  de 
Couleuvre  à  collier  se  mouvoir  pendant  plus  de  dix  heures  (3). 
De  même  que  la  tête  coupée  des  jeunes  Mammifères  exécute 
encore  les  mouvemens  respiratoires,  de  même  aussi  on  assure 
que  celle  du  Serpent  à  sonnettes  peut  mordre  après  l'opéra- 
tion ,  et  celle  d'une  Tortue  le  lendemain  même.  Le  cœur  d'un 
Lézard  donnait  encore  des  signes  d'irritabilité  trois  jours 
après  l'enlèvement  des  autres  viscères  (4). 

Il  sera  question  dans  un  autre  endroit  du  maintien  de  la 
vie  par  la  reproduction  des  parties  perdues. 


(1)  TSeujahrsgeschenh  fuer  Jagdliebhaber  ,  1778 ,  p.  9S,  ] 

(2)  Treviranus,  loc.  cit.,  t.  V,  p.  272. 

(3)  Blumeribach .  Kleine  Schriften ,  p.  103. 

(4)  Treviranus,  loc.  cit.,  t.  V,  p.  269. 

V.  25 


354  MORT  ACCIDENTELLE. 

4"  L'absence  des  conditions  extérieures  de  la  vie  rend  la 
manifestation  des  phénomènes  vitaux  impossible;  la  vie 
s'éteint  chez  les  êtres  organisés  supérieurs  ;  mais,  chez  les 
inférieurs,  elle  ne  fait  que  devenir  latente ,  parce  qu'elle  n'est 
point  encore  arrivée  à  la  pérennité  ,  chez  ces  êtres  ,  où  l'unité 
dans  le  temps,  c'est-à-dire  la  continuité,  ne  fait  point  encore 
partie  de  ses  caractères  essentiels. 

a.  Certaines  plantes  grasses  continuent  de  végéter  après 
avoir  été  plongées  dans  l'eau  bouillante  ou  mises  en 
presse  pendant  plusieurs  semaines  (1).  On  rencontre  des  Mol- 
lusques ,  des  Poissons  et  des  Reptiles  dans  des  sources  chau- 
des (2).  Des  Insectes  (3)  et  des  Grenouilles  ,  qui  ont  été  ge- 
lés ,  reprennent  vie  à  la  fonte  du  morceau  de  glace  qui  les 
emprisonnait  (4).  Il  est  certain  que  la  congélation  des  humeurs 
entraîne  la  mort  chez  les  animaux  à  sang  chaud,  mais  il  n'est  pas 
encore  démontré  que  la  même  chose  arrive  chez  ceux  à  sang 
froid  ;  Lister,  Stickney  et  Cb.  Bonnet  croient  que  les  Insectes 
peuvent  revenir  à  la  vie  avoir  été  complètement  gelés;  cepen- 
dant Succow  (6)  assure  que  ce  qu'on  a  pris  en  pareil  cas  pour 
congélation  des  membres  n'était  que  le  raidissement  des 
muscles. 

h.  La  respiration  peut  demeurer  long  temps  interrompue 
chez  les  animaux  surtout  qui  n'ont  point  encore  acquis  de 
type  interne  fixe.  Elle  est  alors  plus  soumise  à  l'empire  de  la 
volonté.  Une  Tortue  à  laquelle  on  avait  lié  fortement  ensem- 
ble les  deux  mâchoires  et  bouché  les  narines,  vécut  plus  d'un 
mois  (7).  Les  Sangsues  vivent  long-temps  sous  l'huile.  Des 
Insectes  devenus  immobiles  par  l'immersion  dans  l'alcool,  se 
raniment  à  l'air  ;  Scopoli  a  ,  cinq  fois  de  suite  ,  dans  l'espace 
de  trois  heures^  plongé  dans  l'état  de  mort  apparente  et  ra- 
nimé des  Araignées  et  des  Blattes  ;  Franklin  a  vu  des  Mou- 
ches noyées  dans  du  vin  de  Madère  ,  revivre  à  l'air  en  Amé- 

(1)  Treviramis ,  Biologie,  t.  V,  p.  266. 

(2)  Ihid.,  p.  269. 

(3)  i6id.,p.  270. 

(4)  Blumenbach ,  Kleine  Schriften  ,  p.  98. 

(5)  Heusinger,  Zeitschrift  fuer  die  or^anische  Physih\  1. 1,  p.  599. 

(6)  Blumenbach ,   loc.  cit.,  p.  88. 


MORT  ACCIDENTELLE.  355 

rique;  les  Guêpes,  les  Abeilles,  etc.,  reviennent  à  la  vie 
après  vingt-quatre  à  quarante  heures  d'asphyxie  (1).  Forster 
a  vil  un  Serpent  vivre  trois  jours  dans  de    l'alcool  (2).  Des 
Grenouilles,  que  Prochaska  avaient  tenues  sous  l'eau  pendant 
vingt-quatre  heures ,  de  manière  que  leurs  muscles  étaient 
devenus  insensibles  à  toute  excitation  galvanique ,  reprirent 
vie  sous  l'influence  de  l'air.  On  ne  saurait  calculer  combien 
de  temps  ont  vécu,  sans  que  l'air  arrivât  jusqu'à  eux ,  les 
Crapauds  que  l'on  a  trouvés  renfermés  dans  des  blocs  de 
marbre  et  autres  pierres.  Quelques  Poissons ,  le  Silunis  gla- 
nis ,  par  exemple,  peuvent  être  transportés  au  loin  par  terre, 
et  l'on  en  a  vu  d'autres ,  comme  les  Tanches ,  vivre  dans  le 
vide.  Des  Sangsues  ont  vécu  jusqu'à  cinq  jours  sous  le  réci- 
pient de  la  machine  pneumatique ,  des  Limaçons  et  des  Huî- 
tres vingt-quatre  heures ,  et  des  Grenouilles  plus  long-temps 
au  moins  que  des  animaux  à  sang  chaud  ;  des  Insectes  y  tom- 
bèrent dans  un  état  de  mort  apparente ,  mais  se  ranimèrent 
lorsqu'au  bout  de  quarante  heures  on  leur  rendit  l'air.  Plu- 
sieurs Insectes  ont  vécu  deux  à  trois  jours  dans  du  gaz  hy- 
drogène (3).  Des  Crapauds  sont  restés  en  vie  dans  du  gaz 
acide  carbonique  pendant  près  d'une  demi-heure ,  et  des  Lé- 
zards plus  d'une  heure  entière  (4).  Certains  animaux  à  sang 
froid   conservent  leur  vitalité  dans  le  canal  intestinal  d'ani- 
maux à  sang  chaud,  malgré  l'élévation  de  la  température, 
la  présence  de  gaz  irrespirables,  et  l'action  de  la  force  diges- 
tive  :  on  prétend  que  des  Cigognes  ont  quelquefois  rendus  vi- 
vantes par  l'anus  des  petites  Carpes  qu'elles  avaient  ava- 
lées (5). 

c.  Les  liquides  organiques  sont  une  condition  de  vie  plus 
immédiate  encore  que  !a  chaleur  et  l'air.  Mais  lorsqu'ils  n'ont 
pas  une  constitution  toute  particulière ,  quand  ils  ressemblent 
presque  à  de  l'eau  servant  de  nourriture ,  la  vie  peut ,  après 


(1)  Treviranus,  loc.  cit.,  t.  V,  p.  270. 

(2)  Ihid.^  p.  267. 

(3)  Ibid.,  p.  270. 

(4)  Blumenbach ,  Kleine  Schriften ,  p.  90. 

(5)  Dictionn.  des  c.  méd,,  t.  XXIX  ,  p.  '18. 


356  MORTAIITÉ. 

leur  soustraction,  persister  quelque  temps  à  l'état  latent,  et 
se  manifester  de  nouveau  lorsque  le  corps  vient  à  être  hu- 
mecté. Certaines  Mousses  qui  sont  restées  au  sec  pendant  dix 
années ,  par  exemple  dans  un  herbier;,  rentrent  en  pleine  vé- 
gétation quand  on  les  mouille  ;  mais ,  suivant  Wildenow  (1) , 
ce  phénomène  n'a  lieu  que  pour  celles  qui  sont  accoutumées 
à  se  dessécher  fréquemment  en  été ,  par  l'action  des  rayons 
brûlans  du  soleil.  Les  Vibrions  qui  naissent  dans  le  blé  ma- 
lade, se  raniment  quand  on  vient  à  humecter  les  grains  après 
qu'ils  sont  demeurés  à  sec  pendant  cinq  à  six  ans  ;  on  peut 
même ,  selon  Bauer  (2),  les  dessécher  et  les  faire  revivre 
alternativement,  pourvu  qu'on  ne  répète  pas  l'expérience 
trop  souvent ,  et  que  les  deux  états  opposés  ne  se  succèdent 
point  de  trop  près  (*).  Après  une  seconde  dessiccation  ils 
conservent  pendant  huit  mois  tout  au  plus  la  faculté  de  re- 
venir ù  la  vie.  Fontana  avait  fait  des  observations  analogues. 
Le  Rolifère  se  ranime  dans  l'eau  après  avoir  été  desséché 
pendant  deux  ans ,  suivant  Leeuwenhoek,  deux  et  demi  selon 
Fontana ,  et  quatre  d'après  Spallanzani.  Fontana  l'a  même 
laissé  à  l'ardeur  du  soleil  d'été ,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas 
de  revenir  à  la  vie  deux  heures  après  son  immersion  dans 
l'eau.  Martin  (3),  ayant  fait  sécher  des  Filaires  au  soleil,  les 
vit  se  gonfler  et  revivre  une  heure  et  demie  après  qu'elles 
eurent  été  replongées  dans  l'eau ,  phénomène  dont  Fontana 
et  Blainville  ont  également  été  témoins. 

ARTICLE  I. 

De  ïinjlaence  de  Vâge  sur  la  mortalité. 

%  627,  La  première  cause  qui  détermine  la  mort  est  Vâge; 
car  la  vie  court  plus  ou  moins  de  dangers  aux  différentes 
époques  de  sa  durée.  On  pourrait  en  juger  d'après  le  plus  ou 
moins  de  fréquence  des  maladies ,  si  les  connaissances  géné- 

(d)  Magazin  fuer  die  neiiesten  E ntdecTtungen ,  t.  II ,  p.  290. 

(2)  Annales  des  se.  nat.,  t.  II ,  p.  161. 

C)  Voy.  Raspail,  Nouv.  syst.  de  chiin.  organ.,  2«  édition,  Paris,  1838, 
t.  I,  introduction  ,  p,  92. 

(3)  Ablmndlvngcn  der  Sehiiedischen  Âkademiê,  t.  XXXIII,  p.  262, 


MOlRTÀtÏTÉ.  557 

raies  que  nous  possédons  à  cet  égard  reposaient  sur  des  faits 
plus  certains.  Les  tables  de  la  Société  écossaise  de  secours  mu- 
tuels dans  les  maladies  nous  apprennent,  d'après  Villermé  (1) , 
qu'on  compte  par  année  quatre  jours  de  maladie  pour  un 
homme  de  vingt  à  trente  ans,  cinq  pour  celui  de  quarante  , 
sept  pour  celui  de  quarante-cinq,  dix  pour  celui  de  cinquante, 
treize  pour  celui  de  cinquante- cinq ,  seize  pour  celui  de 
soixante,  trente  pour  celui  de   soixante-cinq,  et  soixante- 
treize  pour  celui  de  soixante-et-dix.  Ainsi,  de  trente  ans  à 
soixante-et-dix,  le  nombre  des  jours  de  maladie  par  année 
s'accroît  d'un  dans  la  première  dixaine,  de  cinq  dans  la  se- 
conde ,  de  six  dans  la  troisième,  et  de  cinquante-sept  dans  la 
quatrième.  Mais,   d'un  côté ,  ce  calcul  ne  s'applique  qu'aux 
ouvriers ,  et  l'enfance   en  est  exclue  ;  d'un  autre  côté ,  en 
l'établissant ,  on  a  considéré  l'impossibilité  de  travailler  pour 
^ause  d'âge  avancé  comme  maladie  ,  de  sorte  qu'on  s'est  mis 
par-là  en  contradiction  avec  le  fait  déjà  observé  par  Hippo- 
crate  qu'en  général  les  maladies  proprement  dites  devien- 
nent plus  rares  chez  les  vieillards  :  enfin  on  n'a  eu  égard  ni 
au  genre  de  travail  ni  au  mode  de  rétribution ,  de  sorte  qu'il 
est  impossible  de  rien  conclure  de  là  relativement  à  l'influence 
que  l'insalubrité  des  professions  et  la  pénurie  des  moyens 
d'existence  exercent  sur  la  fréquence  des  maladies. 

Les  tables  dressées  par  l'état-civil  sont  seules  en  état  de 
nous  éclairer  sur  la  proportion  de  la  mortalité  aux  différons 
âges  de  la  vie.  Cependant,  telles  qu'on  les  construit  aujour- 
d'hui ,  elles  ne  sauraient  nous  conduire  qu'à  une  échelle  pu- 
rement approximative.  En  effet 

1°  Il  n'y  a  qu'un  très-grand  nombre  d'observations  qui  puis- 
sent procurer  un  résultat  certain;  mais  nous  ne  possédons  que 
fort  peu  de  tables  dans  lesquelles  les  décès  soient  indiqués 
par  âges,  et  non  par  périodes  arbitraires  de  deux ,  trois ,  cinq, 
dix  années. 

2"  La  localité  produit  des  différences  considérables,  suivant 
la  constitution  du  pays  auquel  les  observations  ont  trait, 
son  plus  ou  moins  de  salubrité,  soit  pour  l'homme  en  général, 

(1)  Annales  d'byglène  publique, t.  II,  pag.  241etsuiv.T 


358  MORTALITÉ. 

soit  pour  tel  ou  tel  âge  en  particulier,  le  degré  d'aisance  des 
habitans,  le  genre  de  leurs  occupations ,  leur  moralité  et  au- 
tres circonstances  analogues.  La  plupart  de  nos  tables  de 
mortalité  concernent  de  grandes  villes  ;  mais  là  oii  les  hommes 
vivent  entassés,  où  le  superflu  et  le  manque  du  nécessaire, 
l'oisiveté  et  le  travail  excessif,  en  un  mot  tous  les  extrêmes, 
sont  réunis ,  se  trouvent  aussi  les  plus  grandes  anomalies  des 
conditions  que  la  nature  assigne  à  la  vie.  D'ailleurs,  le  calcul 
lui-même  y  manque  de  certitude,  attendu  que  le  nombre  des 
habitans  varie,  qu'il  s'augmente  de  tous  les  étrangers  qu'amè- 
nent le  besoin  d'instruction ,  le  désir  d'acquérir,  la  recherche 
des  jouissances ,  les  garnisons ,  et  qu'il  diminue  de  tons  les 
enfans  qu'on  fait  élever  au  dehors ,  de  tous  les  adultes  qui 
voyagent,  de  sorte  que,  pour  ce  qui  concerne  surtout  les  di- 
vers âges  de  la  vie,  la  population  subit  une  fluctuation  qui  en 
rend  le  calcul  fort  difficile.  L'incertitude  croît  encore  à  l'é- 
gard des  tables  qui  n'embrassent  que  certaii^  arrondissemens 
d'une  grande  ville,  puisque  les  quartiers  varient  à  l'infini  sui- 
vant qu'ils  renferment  ou  non  des  établissemens  d'éducation, 
des  fabriques  ,  des  manufactures ,  des  hôpitaux ,  etc.  Ce  qui 
présente  le  moins  d'incertitude,  ce  sont  les  tables  de  mortalité 
dei- royaumes  entiers,  parce  qu'elles  réunissent  une  grande 
diversité  de  nuances  relatives  au  climat  et  à  la  vie  sociale. 

3°  Il  faut,  autant  que  possible ,  chercher  à  faire  disparaître 
les  anomalies  temporaires,  en  étendant  les  observations  à  de 
très-longues  périodes;  car,  sans  compter  les  guerres,  les  révo- 
lutions, les  épidémies,  les  ;diselles,  etc.,  il  y  a  des  années  qui 
sont  plus  favorables  ou  plus  défavorables  que  d'autres,  soit  à 
la  vie  en  général,  soit  à  tel  ou  tel  âge  de  la  vie  en  particulier. 

4°  Enfin  les  données  manquent  souvent  d'exactiiude.  Moins 
l'existence  d'un  homme  est  esûmée  par  les  siens,  moins  ceux- 
ci  s'inquiètent  du  nombre  de  ses  années.  Plus  d'un  homme 
aussi  meurt  au  milieu  d'étrangers  qui  ne  connaissent  point 
son  âge.  L'autorité  n'exige  pas  paitout  la  même  exactitude 
dans  l'annonce  des  décès.  Aussi  certaines  tables  de  mortalité, 
celles  par  exemple  que  nous  devons  à  Dupré  de  Saint-Maur  (1), 

(1)  Annuaire  du  Bureau  des  longitudes  pour  1829,  p.  44, 


MORTALITÉ.  SSq 

n'indiquent-elles  la  plupart  du  temps  les  âges  qu'en  nombres 
ronds. 

Malgré  toutes  ces  imperfections  ,  il  nous  faut  essayer,  en 
comparant  entre  elles  un  certain  nombre  de  tables,  de  dé- 
couvrir quels  sont  les  rapports  généraux  de  la  mortalité ,  et 
pour  cela  nous  supposerons  que  l'association  d'élémens  divers 
a  fait  disparaître  en  quelque  sorte  les  inexactitudes  qui 
naissent  des  différences  de  temps  et  de  lieu.  Les  tables 
ci-jointes  contiennent  les  résultats  de  vingt  listes  réduites 
aux  mêmes  proportions.  Nous  choisissons  pour  base  de  nos 
recherches  dix  listes  qui  sont  dressées  d'après  les  âges  de  la 
vie,  et  qui  renferment  une  grande  variété  de  circonstances, 
puisqu'elles  embrassent  un  empire  de  premier  rang  (A),  un 
autre  de  moyenne  étendue  (B),  une  province  méridionale  et 
montueuse  (C),  une  province  septentrionale  et  plane  (D),  deux 
villes  de  première  grandeur  (E.  F.  G,  H.)  et  une  ville  de 
moyenne  grandeur  (I.  K.),  le  tout  à  des  époques  différentes. 
A.  se  fonde  sur  la  table  de  la  mortalité  en  France  que  Du- 
villard  a  dressée  en  1806  d'après  un  million  de  décès  (1)  ;  B. 
sur  celle  de  la  mortalité  dans  les  Pays-Bas  que  Quetelet  a 
calculée  d'après  cent  mille  décès  (2)  ;  C.  sur  celle  du  pays  de 
Vaud,  établie  par  Muret  sur  mille  décès  (3);  D.  dans  la  se- 
conde table  ,  est  la  liste  que  Baumann  a  calculée ,  sur  mille 
décès,  pour  la  Marche  électorale  (4),  et  dans  les  cinquième  et 
sixième  ,  la  table  collective  de  Sussmilch  (5)  ;  E.  a  été  pris 
d'après  le  calcul  de  Deparcieux  sur  mille  décès  à  Paris  (6); 
F.  d'après  un  travail  analogue  de  Hodgson  Ipour  la  ville  de 
Londres  ;  G.  d'après  les  recherches  de  Sim  son  pour  les 
années  1728  à  1737,  et  H.  d'après  celles  de  Price  pour  les 

(1)  Analyse  ou  tableau  de  l'influence  de  la  petite-vérole  sur  la  mortalité 
à  chaque  âge  ,  Paris,  4806,  in-4. 

(2)  Nouv.  Mém.  de  l'Acad.  de  Bruxelles,  t.  V,  p,  141. 

(3)filuck,  V erijleichung  der  Sterhlichheit  des  menschlichen  Geschlechts, 
p.  44. 

(4)  Sussmilch ,  GœttUche  Ordnung  in  den  f^erœnderungen  des  mensch- 
lichen Geschlechts  ,  t.  III ,  table  XXII. 

(6)lbid.,t.  II,p.  3J9. 

(6)  Essai  sur  les  probabilités  de  la  durée  de  la  vie  humaine,  Paris,  1746, 
in-4. 


360  MORTALITÉ. 

années  1759  à  1768,  également  à  Londres.  La  mortalité 
de  Breslau  est  calculée  en  I.  d'après  Halley  (1),  et  en  K.  d'a- 
près Reiche,  depuis  1775  jusqu'en  J805,  sur  quarante-quatre 
mille  deux  cents  soixante  et  neuf  décès  (2).  'Pour  obtenir  un 
nombre  plus  grand  encore  d'observations,  on  a  ajouté,  dans  la 
troisième  et  la  quatrième  tables,  des  listes  qui  s'étendent  seu- 
lement à  des  périodes  plus  longues.  Du  plus  ou  moios  de  coïn- 
cidence des  proportions  de  la  mortalité  pour  des  séries  de 
cinq  ou  de  dix  ans,  on  peut  aussi  en  déduire  une  analogue  pour 
les  divers  âges  de  la  vie.  L.  donne  les  proportions  de  quarante- 
sept  mille  quatre-vingt-onze  décès  dans  l'espace  de  huit  an- 
nées], entre  1728  et  1751 ,  à  Vienne  (3)  ;  M.  celles  de  qua- 
torze mille  cinq  cent  dix-sept'  décès  à  Berlin  ,  depuis  1752 
jusqu'en  1755  (4)  ;  N.  celles  de  cent  cinquante  sept  mille  six 
cent  trente-sept  décès  à  Paris,  depuis  1817  jusqu'en  1823(5). 
O.  est  tiré  de  la  table  collective  de  la  mortalité  en  Suède  par 
Wargentin  (6);  P.  des  tables  de  la  mortalité  dans  la  monarchie 
prussienne,  depuis  1820  jusqu'en  1827,  publiées  par  le  gou- 
vernement ;  Q.  de  documens  semblables  ,  relatifs  à  la  ville  de 
Londres,  pour  l'année  1827,  et  comprenant  vingt-deux  mille 
deux  cent  quatre-vingt-douze  décès.  R.  donne  les  proportions 
de  la  mortalité  d'après  cent  mille  cas,  pendant  vingt  années,  à 
Philadelphie  (7);  S.  celles  de  New-York,  Philadelphie,  Balti- 
more et  Boston,  d'après  soixante-et-onze  mille  sept  cent  qua- 
tre cas  (8);  T.  celles  de  Hambourg,  d'après  vingt-sept  mille 
six  cent  soixante-et-trois  décès,  depuis  1820  jusqu'en  1827, 
suivant  Bueck  (9);  U.  celles  de  Montpellier,  pendant  vingt  ans, 
d'après  Mourgue  (10). 


(1)  Sussmilch,  loc.  cit.,  t.  II ,  table  XXVI. 

(2)  Correspondenz  der  Schlesischen  Gesellschaft ,  p.  60. 

(3)  Sussmilch ,  loc  cit..,  t.  II ,  table  XI. 

(4)  Recherches  statistiques  sur  la  ville  de  Paris. 

(5)  Gerson,  Magasin,  t.  XIV,  p.  420. 

(6)  Alhandlungen  der  Schwedischen  Akademie  ,  t.  XVII ,  p.  87. 

(7)  Gersou ,  Magasiti ,  t.  XVII,  p.  90. 

(8)  Bulletin  des  Se.  méd.,  t.  XïII. 

(9)  Gerson  ,  Magasin ,  t.  XVII ,  p.  316. 

(10)  Mémoh-e  de  l'Institut,  1. 1,  p.  33. 


TABLE  r. 

Mortalité  absolue  parmi  mille  hommes. 


V.  §  627. 


TABLE  ir. 

Mortalité  relative  suivant  les  années. 


. 

". 

c. 

D. 

B. 

F. 

G 

u. 

.. 

K, 

TERME 

AlfNÉES. 

~ 

~ 

~ 

"" 

~ 

"" 

~ 

~ 

"" 

FHARCE. 

rAÏS-B.lS. 

PAYS 
DE  VALiD. 

MARCHE 

PAIUS. 

LONDBES. 

lONTMS. 

LONDRES. 

BHESLAU. 

BRISLAll, 

MOYEN. 

0-1 

4,30 

1,44 

6.29 

4 

3.11 

3.12 

3.12 

110 

3.97 

8,02 

17,03 

11 

7,39 

5.15 

6,83 

15:41 

9,57 

2  —  3 

14.24 

20,16 

10,72 

9,78 

13,69 

24,07 

30.75 

25 

33,33 

22.56 

18.37 

12,66 

21:00 

23.57 

38.17 

3o;41 

51.07 

27.55 

lli.39 

27,11 

35.21 

33:95 

5—0 

57,58 

62  00 

32 

33,22 

43,96 

44,42 

6  —  7 

79,73 

i2 

64,50 

31 45 

39,14 

7  —  S 

101,16 

MM 

07.70 

57 

70.35 

72  67 

53:71 

43,U7 

57.00 

72:40 

os:ia 

117,72 

83.37 

75.10 

S3.50 

W.U8 

95,71 

80,27 

9-10 

127,28 

m'.il 

109,83 

111) 

89,00 

99,00 

83,00 

67,70 

74:41 

lO  —  11 

130,16 

134  17 

130,60 

137 

110,00 

125,00 

82,00 

«3.00 

82,62 

150,31 

114.51 

H-  12 

125,43 

22l!7S 

129,60 

13r> 

«5,33 

121,50 

81,00 

9J.25 

12  -IJ 

<24:02 

113,07 

135 

100,66 

80,00 

GHfi2 

221:7s 

131 :58 

l3  —  14 

156,91 

159,75 

134     ■ 

143,33 

239,50 

200,29 

14  —  15 

misi 

«oloo 

158,75 

133 

14ï,33 

238,50 

105:61 

231,00 

145:14 

15  —  1« 

106.88 

158,09 

126,20 

J32 

141,33 

237,50 

285,20 

145,52 

16-17 

101,61 

163,95 

131 

120,28 

70,00 

103:66 

179,72 

133,37 

17  -IS 

96,78 

146,26 

130 

73,57 

102.60 

199  21 

18  —  lu 

92,17 

101,16 

«ijso 

129 

11.5,28 

117.00 

74.00 

72,67 

110:01 

19-  20 

,88,60 

26,72 

153,50 

128 

117,28 

92,80 

73,00 

71,57 

100:00 

120:98 

1U2,91 

20  —  21 

85,13 

63,05 

152.60 

101 

101,75 

70,50 

72,00 

70,57 

99.66 

103,53 

92  56 

21  —  22 

62,85 

151,50 

100 

100,75 

75,50 

71,00 

60,87 

115,59 

91.88 

22  —  23 

79^27 

02,03 

120,5U 

U9 

63,85 

70.00 

69,87 

97  60 

77,41 

82  93 

76,92 

119,50 

US 

98,75 

62,85 

57:60 

96.66 

91,93 

82,32 

24  —  25 

74,52 

63;77 

118,50 

97 

97,75 

61,85 

56,60 

57  Is? 

83.91 

79,36 

2>  —  26 

72,48 

66,18 

117,50 

80 

90,75 

56,87 

95,56 

70,62 

68,13 

110,50 

79 

95,75 

6i:so 

75,65 

74:85 

27  -  M 

68,91 

70,28 

116,50 

94,75 

51,25 

54;.S7 

97,01 

28-29 

C7,S7 

78,97 

114,50 

15:00 

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MORTALITE. 

V  TABLE. 
Durée  relative  de  la  vie  jusqu'à  la  80«  année  environ 


365 


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3 

NOMBRE  D'ANNÉES. 

Terme 

A. 

B. 

C. 

D. 

E. 

F. 

G. 

H. 

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K. 

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364  MORTAIITÉ. 

VI«.  Durée  relative  de  la  vie  après  la  80«  année. 


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NOMBRE  D'HOMMES. 

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B. 

C. 

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MORTALITE.  S65 

D'après  les  faits  réunis  dans  ces  listes ,  nous  avons  main- 
tenant à  considérer  et  la  mortalité  (  §  628  )  et  la  durée  de  la 
vie  (  §  629  )  aux  différens  âges  de  la  vie. 

I.  Mortalité  dans  l'espèce  humaine. 
A.  Mortalité  absolue. 

§  628.  I,  La  mortalité  absolue  est  la  somme  des  décès  à  un 
âge  donné  de  la  vie  parmi  les  hommes  qui  sont  venus  au 
monde  dans  une  même  année. 

Les  neuf  premières  colonnes  de  la  première  table  indiquent, 
d'après  les  listes  énumérées  précédemment ,  combien ,  parmi 
les  morts,  il  se  trouve  d'individus  appartenant  à  chaque  âge 
de  la  vie ,  quand  la  somme  de  ces  morts ,  pendant  une  année , 
s'élève  à  mille.  Quoique  cette  somme  soit  trop  faible  pour  qu'on 
puisse  assigner  d'une  manière  précise  les  proportions  qui  s'y 
rapportent  eu  égard  à  chaque  année  de  la  vie,  nous  la  choisis- 
sons cependant,  d'un  côté,  parce  qu'elle  sert  de  base  à  quelques 
unes  des  listes  dont  nous  avons  profité,  et  de  l'autre,  afin  de 
rendre  l'aperçu  plus  facile  par  la  petitesse  des  nombres.  La 
dixième  colonne  contient  la  somme  des  neuf  premières  ,  et 
efface  en  quelque  sorte  les  anomalies  de  temps  et  de  lieu  que 
celles-ci  renferment.  La  onzième  donne  les  proportions  pour 
un  million  de  décès ,  et  elle  est  calculée  d'après  la  somme 
des  neuf  premières;  mais  de  telle  sorte  que,  quand  celle-ci 
s'éloignait  de  la  progression,  on  a  cherché  à  s'en  rapprocher 
jusqu'à  un  certain  point ,  cas  dans  lequel  les  nombres  sont 
inscrits  entre  deux  parenthèses.  A  partir  de  la  quatre-vingt- 
seizième  année  ,  les  indications  de  Duvillard  ont  été  admises, 

1*  Le  premier  résultat  est  que  le  maximum  de  la  mortalité 
absolue  tombe  dans  la  première  année,  et  le  minimum  dans 
l'âge  le  plus  avancé  possible.  Pour  un  centenaire  ,  il  y  a  en- 
viron deux  mille  enfans  qui  sont  encore  dans  leur  première 
année.  S'il  meurt  peu  de  vieillards,  il  faut  naturellement  l'at- 
tribuer à  ce  que  peu  d^hommes  arrivent  à  cet  âge.  La  morta- 
lité plus  considérable  parmi  les  enfans  au  dessous  d'un  an 
dépend  en  partie  de  la  même  cause,  c'est-à-dire  de  ce  qu'il 
y  en  a  plus  que  d'hommes  d'un  autre  âge  quelconque  ,  puis- 
qu'ils font  à  peu  près  le  vingt-cinquième  de  la  population  : 


566  MORTALITÉ. 

cependant  leur  mortalité  surpasse  de  beaucoup  leur  nombre, 
et  nous  devons  reconnaître  que  les  premiers  temps  qui  sui- 
vent la  naissance  sont  ceux  où  il  y  a  le  moins  de  chances  de 
vie ,  ce  qui  ressort  clairement  des  proportions  de  la  mor- 
talité relative. 

2°  La  vie  se  partage  en  trois  périodes,  eu  égard  à  la  morta- 
lité absolue.  La  première  s'étend  depuis  la  naissance  jusque 
vers  répoque  de  la  puberié,  et  la  mortalité  y  descend  de 
son  maximum  à  son  premier  minimum.  Dans  la  seconde,  qui 
s'étend  de  l'invasion  de  la  puberté  au  commencement  du 
grand  âge  ,  la  mortalité  croît  jusqu'à  son  second  maximum  , 
qui  n'égale  point  le  premier.  Dins  la  troisième  enfin  ,  qui 
comprend  le  grand  âges,  elle  redescend  à  son  second  mini- 
mum, ou  à  son  minimum  proprement  dit.  Les  limites ,  ou  le 
commencement  et  la  fin,  de  la  seconde  période,  correspondent 
en  France  aux  âges  de  onze  et  soixante-neuf  ans  ,  dans  les 
Pays-Bas  à  ceux  de  onze  et  soixante-et-douze ,  dans  le  pays 
de  Vaud  à  ceux  de  quatorze  et  cinquante-neuf,  à  Paris  à  ceux 
de  quatorze  et  soixante -et- douze,  à  Londres  à  ceux  de  quinze 
et  cinquante-sept  (d'après  F.),  ou  de  quinze  et  quarante- 
quatre  (d'après  H.),  àBreslau  à  ceux  de  dix-sept  et  cinquante- 
trois  (d'après  L),  dans  les  temps  modernes,  à  ceux  de  qua- 
torze et  cinquante-sept.  La  colonne  des  sommes  et  la  colonne 
collective  les  placent  aux  âges  de  seize  et  de  soixante-neuf  ans. 

D'après  cette  dernière  colonne  ,  sur  un  million  d'hommes  , 
il  en  meurt  quatre  cent  cinquante-neuf  mille  deux  cent 
soixante-et-onze  pendant  les  seize  premières  années ,  quatre 
cent  cinq  mille  quatre  cent  onze  pendant  les  cinquante-trois 
années  suivantes,  ou  durant  la  seconde  période,  et  cent  trente- 
cinq  mille  trois  cent  dix-huit  pendant  les  quarante  dernières 
années  jusqu'au  terme  desquelles  la  vie  peut  s'étendre. 

3°  La  diminution  de  la  mortalité  (pendant  la  première  et 
la  troisième  périodes)  marche  plus  rapidement  que  son  ac- 
croissement (  pendant  la  seconde  période)  ;  c'est  durant  les 
premières  années  de  la  vie  que  la  progression  du  décroisse- 
ment  est  la  plus  forte. 

4°  La  progression  n'est  parfaitement  régulière  dans  aucune 
liste  :  partout  la  mortalité  est  plus  forte  ou  plus  faible  ,  en 


MORTALITÉ.  36^ 

certaines  années  de  la  vie,  qu'elle  ne  devrait  l'être  d'après  la 
proportion  de  la  mortalité  dans  les  années  précédentes  ou  sui- 
vantes. En  ce  qui  concerne  les  années  remarquables  par  une 
mortalité  ou  plus  forte  ou  plus  faible,  les  diverses  listes  ne 
s'accordent  point  les  unes  avec  les  autres ,  de  sorte  que  nous 
ne  pouvons  pas  non  plus  trouver  de  loi  générale  pour  la  nu- 
tation  de  la  mortalité  :  cette  nutation  semble ,  au  contraire  , 
dépendre  d'influences  de  lieu  et  de  temps,  car  elle  est  en 
raison  inverse  de  la  force  de  la  population  ,  par  conséquent 
plus  considérable  à  Breslau  qu'à  Londres  et  à  Paris,  dans  les 
Pays-Bas  qu'en  France ,  et  dans  le  Pays  de  Vaud  que  dans 
les  Pays-Bas.  Déjà  aussi  elle  ne  se  fait  remarquer  que  d'une 
manière  peu  sensible  dans  la  colonne^des  sommes. 

B.  Mortalité  relative. 

II.  La  proportion  de  la  mortalité  varie  suivant  les  pays.  D'un 
nombre  égal  d'hommes  du  même  âge,  il  en  meurtplusou  moins, 
dans  un  temps  donné,  en  proportion  de  l'âge  auquel  ils  sont 
parvenus.  C'est  ce  que  nous  appelons  la  mortalité  relative.  Les 
tables  qui  la  concernent  indiquent  le  nombre  des  hommes 
parmi  lesquels  il  en  meurt  un  pendant  une  année  (  seconde 
table),  cinq  années  (troisième  table) ,  ou  dix  années  (quatrième 
table).  La  dernière  colonne  fait  connaître  la  proportion  qui 
représente  le  terme  moyen  des  précédentes. 

5"  La  mortalité  relative  est  naturellement  plus  considéra- 
ble qu'en  tout  autre  temps  à  Tâge  le  plus  avancé  que  l'homme 
puisse  atteindre.  Ainsi ,  par  exemple  ,  d'après  notre  table , 
parmi  un  million  d'hommes,  il  y  en  a  un  qui  arrive  à  cent 
dix  ans ,  et  un  aussi  qui  meurt  pendant  cette  année.  Mais  si 
la  mortalité  est  considérable ,  parmi  les  vieillards ,  dans  les 
années  qui  précèdent  immédiatement,  nous  la  trouvons  énorme 
aussi  pendant  les  premières  années  de  la  vie  ,  puisque  ,  par 
exemple,  de  quatre  nouveau-nés  il  en  meurt  un  dans  la  pre- 
mière année,  tandis  que,  chez  les  vieillards,  cette  proportion 
n'arrive  que  vers  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans. 

6^  La  vie  se  partage  donc  en  deux  périodes,  sous  le  point 
de  vue  de  la  mortalité  relative.  La  première  ,  dans  laquelle 
la  mortalité  est  d'abord  au  maximum  et  baisse  ensuite ,  s'é- 


368  MORTALITÉ. 

tend  de  la  naissance  à  la  onzième  et  jusqu'à  la  seizième  an- 
née, puisque  le  maximum  de  la  mortalité  tombe  sur  la  onzième 
année  en  France  et  dans  la  Marche ,  la  douzième  dans  les 
Pays-Bas  et  à  Paris ,  la  treizième  dans  le  pays  de  Vaud ,  la 
quatorzième  ou  quinzième  à  Londres,  la  quatorzième  ou  sei- 
zième àBreslau,  ce  qui  la  fait  correspondre,  terme  moyen,  à 
la  quatorzième  année.  La  seconde  période  embrasse  le  reste 
de  la  vie,  avec  une  mortalité  qui  croît  sans  interruption. 

7"  Mais,  eu  égard  à  la  rapidité  de  la  progression ,  nous  re- 
marquons que  cette  seconde  période  se  subdivise  elle-même 
en  deux  portions  inégales.  Pendant  la  première  ,  c'est-à-dire 
de  la  quinzième  à  la  dix-septième  année,  la  mortalité  s'accroît 
avec  rapidité,  de  manière  que  la  somme  des  hommes  parmi 
lesquels  il  en  meurt  un,  diminue  au  moins  d'un  nombre  entier  à 
chaque  année;  à  partir  de  la  soixante-dix-septième  année,  au 
contraire,  la  mortalité  augmente  plus  lentement ,  c'est-à-dire 
que  la  somme  des  hommes  parmi  lesquels  il  en  meurt  un  ne 
diminue  que  d'une  fraction  par  année.  Dans  les  cinquante - 
six  années  comprises  entre  la  quinzième  et  la  soixante-et- 
dixième,  cette  somme  baisse  de  147,51  à  13,65,  ce  qui  donne 
par  année  2,39,  tandis  que,  dans  les  quarante  ans  compris  de 
soixante-et-onze  à  cent  dix ,   elle  ne  descend  que  de  13,65 
à  1,00  ,  c'est-à-dire  d'environ  0,31  par  année.  Mais  la  pro- 
portion de  la  mortalité  change  bien  plus  rapidement  encore 
pendant  la  première  portion  de  cette  période  ;  ici ,  en  effet, 
la  mortalité  diminue  d'une  manière  si  rapide  ,  que  la  somme 
des  hommes  parmi  lesquels  il  en  meurt  un  monte  ,  en  qua- 
torze années,  de  3,97  à  147,51,  et  par  conséquent  augmente 
d'à  peu  près  10,25  par  année.  De  là  découle  le  résultat  sim- 
ple que  les  années  qui  précèdent  la  puberté  sont  celles  pen- 
dant lesquelles  la  vie  marche  avec  le  plus  de  rapidité  ,  change 
le  plus  brusquement  ses  proportions ,  et  est  le  plus  sujette  à 
varier  ,  qu'elle  se  constitue  dans  une  sorte  d'état  moyen  pen- 
dant la  persistance  de  la  faculté  procréatrice  et  au  commen- 
cement de  la  vieillesse  ;  qu'enfin ,  dans  la  vieillesse ,  elle 
change  plus  lentement,  demeure  plus  semblable  à  elle-même, 
et  devient  plus  stable. 
Mais  la  diminution  delà  mortalité  ne  marche  pas  si  rapide- 


MORTALITÉ.  369 

ment  dans  les  six  premières  années  de  la  première  période 
que  dans  les  huit  suivantes ,  pendant  lesquelles  la  vie  a  pris 
plus|de  force  et  s'est  consolidée  :  terme  moyen,  la  somme  des 
hommes  parmi  lesquels  il  en  meurt  un  annuellement,  augmente 
d'environ  40 ,  45  depuis  la  seconde  année  jusqu'à  la  sixième , 
ce  qui  fait  à  peu  près  8,  81  par  an,  tandis  que,  depuis  la 
septième  jusqu'à  la  quatorzième,  elle  croît  d'environ  103,09, 
ou  d'à  peu  près  12,88  par  année.  Le  décroissement  le  plus 
rapide  de  la  mortalité  a  eu  lieu  en  France  pendant  la  septième 
année,  dans  les  Pays-Bas ,  à  Londres  (H)  et  à  Breslau  (I)  pen- 
dant la  huitième,  dans  le  pays  de  Vaud,  dans  la  Marche  et 
à  Londres  (G)  pendant  la  dixième ,  à  Paris  et  à  Breslau  (K) 
pendant  la  douzième ,  à  Londres  (F)  pendant  la  quartorzième, 
ce  qui  la  reporte  ,  terme  moyen ,  à  la  dixième  année. 

Les  neuf  premières  années  de  la  seconde  période  (depuis 
la  quinzième  jusqu'à  la  vingt-troisième)  précèdent  la  pleine  et 
entière  maturité ,  et  se  signalent  par  Taccroissement  le  plus 
rapide  de  la  mortalité ,  puisque  la  somme  des  hommes  parmi 
lesquels  il  en  pieurt  un  annuellement  diminue  d'environ  64,58, 
ou  d'à  peu  près  7,17  chaque  année,  tandis  que,  dans  les  qua- 
rante-six années  qui  suivent  (jusqu'à  la  soixante-dixième),  elle 
ne  diminue  que  de  69,28,  et  par  conséquent  de  1,50  par 
année. 

8°  Si ,  après  avoir  appris  à  connaître  quelle  est  la  marche 
de  la  mortalité  en  général ,  nous  recherchons  quelles  sont  les 
oscillations  que  cette  marche  renferme  en  elle-même ,  nous 
trouvons  d'abord  un  résultat  fort  inattendu ,  savoir  que  les 
maladies  dites  climatériques  n'exercent  pas  d'influence  sen- 
sible, c'est-à-dire  qu'aux  diverses  époques  marquées  par  la 
transition  d'un  âge  à  l'autre,  la  mortalité  n'est  pas  plus  grande 
que  pendant  la  durée  des  âges  eux-mêmes.  A  la  vérité,  la 
mortalité  est  très-considérable  durant  la  première  année  de 
la  vie  ;  mais  c'est  au  commencement  de  cette  année  qu'elle 
l'est  le  plus,  et  elle  diminue  ensuite  de  mois  en  mois  (§  523  1") 
de  manière  ,  par  conséquent,  que  la  dentition  n'y  peut  point 
avoir  part ,  puisqu'à  l'époque  où  ce  travail  s'accomplit ,  la 
mortalité  est  moins  grande  qu'auparavant.  La  seconde  denti- 
tion n'a  pas  plus  d'influence  que  la  première  ;  car  la  mortalité 


j-jO  MORTALITÉ. 

diminue  beaucoup  pendant  la  septième  et  la  huitième  années. 
Ters l'époque  de  la  puberté,  à  partir  de  la  quinzième  année, 
la  mortalité  augmente,  il  est  vrai,  mais  la  proportion  demeure 
cependant  bien  plus  favorable  encore  qu'elle  ne  l'est  à  l'âge 
de  vingt  ans  et  à  celui  de  trente.  A  l'époque  où  la  faculté 
procréatrice  s'éteint,  la  mortalité  ne  croit  pas  plus  rapidement 
qu'elle  ne  faisait  dans  les  années  précédentes  ,  et  elle  n'est 
également  pas  plus  considérable  que  dans  celles  qui  suivent. 
Ainsi  ce  que  Benoiston  de  Châteauneuf  a  démontré  par  rap- 
port à  la  cessation  de  la  menstruation ,  s'applique  également 
à  toutes  les  époques  de  transition.  Si  ces  développemens,  soit 
lorsqu'ils  ont  lieu  avec  trop  de  rapidité  ou  avec  trop  de  len- 
teur ,  soit  lorsqu'ils  sont  troublés  d'une  manière  quelconque , 
donnent  fréquemment  lieu  à  des  incommodités  et  à  des  mala- 
dies chez  tels  ou  tels  individus ,  ils  n'en  sont  pas  moins  dé- 
pourvus d'influence  sur  la  mortalité  en  général,  que  ce  phéno- 
mène tienne  à  ce  que  les  effets  des  anomalies  qu'ils  présentent 
se  manifestent  plus  lard^  se  disséminent  sur  un  certain  nom- 
bres des  années  subséquentes ,  et  deviennent  par-là  insensi- 
bles ,  ou  qu'il  dépende  de  ce  que  chaque  âge  a  ses  maladies 
qui  lui  appartiennent  en  propre ,  et  se  trouve  ainsi  préservé 
de  celles  d'un  autre  âge  de  la  vie. 

7"  Les  anciens  admettaient  des  années  climatériques , 
(anwi  climacterici  j  gradarii  ^  critici  ,  decretorii  ,  fatales)^ 
pendant  lesquelles  ils  prétendaient  que  la  vie  court  plus  de 
risques  qu'à  toute  autre  époque,  à  cause  des  changemens 
considérables  qui  surviennent  alors  dans  sa  direction.  On  don- 
nait surtout  celte  épiihète  à  toutes  les  années  de  sept  en  sept, 
ou  même  à  toutes  celles  dans  lesquelles  se  trouve  contenu 
le  nombre  sept  multiplié  par  un  nombre  impair  ;  ainsi  la 
soixante  -  troisième  année  était  appelée  climatérique  par 
excellence,  parce  qu'elle  offre  le  produit  de  la  multiplication 
du  nombre  sept  par  le  plus  grand  des  nombres  impairs,  neuf  : 
venait  ensuite  la  quarante-neuvième  ,  qui  est  le  produit  de  la 
multiplication  du  nombre  sept  par  lui-même.  Plus  tard,  on 
admit  aussi  des  périodes  de  trois  ans,  et  d'autres  de  neuf 
années  dans  la  vie.  Ces  hypothèses  reposaient  en  partie  sur 
une  philosophie  des  nombres  à  laquelle  Pythagore  surtout 


MORTALITÉ-  S'JÏ 

avait  donné  un  grand  développement ,  après  l'avoir  emprun- 
tée ,  dit-on ,  aux  Chaldéens  ,  en  partie  aussi  sur  les  observa- 
tions des  médecins.  Mais  l'application  de  la  philosophie  des 
nombres  aux  phénomènes  naturels  est  un  travail  dont  le  ré- 
sultat ne  dépend  que  de  l'empirisme,  le  jugement  qu'un  mé- 
decin porte  sur  les  observations  qu'il  est  à  portée  de  faire 
dans  sa  sphère  d  action  repose  sur  des  faits  trop  peu  nom- 
breux, et  les  opinions  généralement  reçues  par  rapport  à  la 
mortalité  ne  sont  guère  plus  qu'une  estimation  à  vol  d'oiseau. 
Des  tables  de  mortalité  construites  d'une  manière  convenable 
peuvent  seules  fournir  les  matériaux  empiriques  propres  à 
résoudre  le  problème  des  années  climatériques.  Consultons 
donc  notre  seconde  table ,  qui  est  la  plus  étendue  que  nous 
possédions  pour  le  présent.  Nous  allons  comparer  la  propor- 
tion de  chaque  année  de  la  vie ,  dans  la  colonne  collective  , 
avec  celle  de  l'année  précédente ,  et  indiquer  la  différence 
par  des  nombres  ;  nous  désignerons  par  le  signe  -f  l'accrois- 
sement de  la  salubrité  ,  ou  de  la  somme  des  hommes  parmi 
lesquels,  il  en  meurt  un  annuellement,  et  par  le  signe  —  l'ac- 
croissement de  la  mortalité,  ou  la  diminution  de  cette  même 
spmme  5  mais  nous  disposerons  les  années  de  la  vie  en  deux 
séries  ,  comprenant  l'une  les  nombres  pairs,  l'autre  les  nom- 
bres impairs  ,  et  nous  totaliserons  ensuite  les  différences  d'a- 
près les  époques  indiquées  précédemment  (6°). 


Seconde  année, 

Quatrième. 

Sixième. 

Huitième. 

Dixième. 

Doiuiènie. 

Quatorzième. 


+  5.60 
+  7,60 
+  40,44 
+  13,60 

4-i9.y5 

+  22, .31 
+  45,93 


Total.    +  95,43 

il.  A.  Seizième.      -f-  0,38 
Dix-hûilème. 
Vingtième. 
Vingl-deuxième. 


•7,85 
8,00 
0,64 

Total.      — 16,11 


Troisième  année 

Cinquième. 

Septième. 

Neuvième. 

Onzième. 

Treizième. 

Quinzième, 


+  6,79 
4- 10,02 
+  d0,16 
4-  42,09 
+  14,29 


—  5,27 

—  2,37 


Total.     +  45,71 


Dix-seplièiue. 
Dix-neuvième. 
Vingt-unième. 
Vinst-lïoisième. 


Total. 


.- 12,15 

—  14,61 

—  10,35 

—  8,95 

—  46,06 


372 


MORTALITE. 


B.  Vingt-quatrième: 

Vingt-sixième. 

Vingt-huitième,    -j-^i^^ 

Trentième.  -{- 1,58 

Trente-deuxième. 

Trente-quatrième.-}-  2,53 

Trente-sixième. 

Trente-huitième.  4-1,80 

Quarantième. 

Quarante-deuxième. 

Quarante-quatr^.   -j-  0,42 

Quarante-sixième. 

Quarante-huitième. 

Cinquantième.      -j-  0,21 

Cinquante-deuxième. 

Cinquante-quatrième, 

Cinquante-sixième. 

Cinquante-huitième. 

Soixantième. 

Soixante-deuxième. 

Soixante-quatrième. 

Soixante-sixième. 

Soixante-huitième. 

Soixante-dixième. 


•0,61 
■J,83 


—  0,99 

—  0,68 

— 1,32 

—  1,50 

—  2,74 

—  2,27 

—  1,05 

—  1,78 

—  1.36 

—  0,04 

—  1,00 

—  0,23 

—  0,26 

—  1,47 

—  0,91 

—  0,61 


'.  Soixante-douzième.  — 1,04 

Soixante-quatorz".-^  0,17 
Soixante-seizième.  —0,66 

Soixante  dix-huitième.       —0,77 
Quatre-vingtième.  —1,03 

Quatre-vingt-deux«-f0,03 
Quatre-vingt-quatrième.  —  0,08 
Quatre-vingt  sixième.  —  0,06 
Quatre-vingt  huitième.  —0,25 
Quatre-vingt-dix^  -f-0,17 
Quatre-vingt-douzième.  —  0,45 
Quatre  vingt-quatorz^  —  0,17 
Quatre-vingt-seizième.  —  0,52 
Quatre-vingt-dix-h«-|-0,S8 

Centième.  0,96 

Cent-deuxième.  —  0,65 

Cent-quatrième.  —0.75 

Cent-sixième.  — 0,36 

Cent-huilième.  —  0,50 


Total.  —  7,30 

Total  général,  -f  95,43  —  37,06 


Vingt-cinquième.  —  3,06 

Vingt-septième.  —  2,68 

Vingt-neuvième.  —  3,68 

Trente-unième.  —  3,70 

Trente-troisième.  — 1,95 

Trente-cinquième.  —  7,49 

Trente-septième.  —  4, .50 

Trente-neuvième.  —  3,63 
Quarante-unième.     -}-  0,55 

Quarante-troisième.  —  2,49 

Quarante-cinquième.  —  1,43 

Quarante-septième.  —  3,31 

Quarante-neuvième.  —  1,37 

Cinquante-unième.  —  3,01 

Cinquante-troisième.  — 1,15 

Cinquante-cinquième.  — 1,35 

Cinquante-septième.  —  2,79 

Cinquante-neuvième,  —  2,41 

Soixante-unième.  — 1,22 

Soixante- troisième.  —  1,07 

Soixante-cinquième.  —  1,48 

Soixante-septième.  — 1,54 

Soixante  neuvième.  — 1,17 

Soixante-onzième.  —  0,43 


Total.       —13,65  1 


Total.  —  56,06 

Soixante-treizième.  —  0,99 

Soixante-quinzième.  —  0,94 

Soixante-dix-septième.  — 0,57 

Soixante-dix-neuvième,        ; —  0,d8 
Quatre-vingt-unième.  —  0,49 

Quatre-vingt-troisième.  —  0,67 

Quatre  vingt-cinquième.        —  0,39 
Qijatre-vingt-septième.  —  0,71 

Quatre-vingt-neuv«,.  -j-0,19 
Quatre-vingt-onzième.  — 0,66 

Quatre-vingt-treizième.         —  0,48 
Quatre-vingt-quinze.-]-  0,61 
Quatre-ving-dix-septième-     —  0,28 
Quatre-vingt-dix-neuvième.  —  0,06 
Cent-unième.  -{-1,78 

Cent-troisième.  —  0,18 

Cent-cinquième.  — 0,24 

Cent-septième.  —  0,16 

Cent-neuvième.  —  0,50 


Total.  —  4,92 

Total  général,  -f-  45,71  — 107,04 


58,37  I  —  61,33 

On  ne  trouve  là  aucune  trace  d'une  année  climatérique  ; 
mais  on  y  remarque  bien  positivement  une  plus  grande  salu- 
brité pendant  les  années  paires ,  et  une  plus  grande  morta- 
lité pendant  les  années  impaires  ;  de  manière  que  la  vie  nous 


MORTALITÉ.  375 

présente  des  oscillations  dans  les  années ,  comme  dans  les 
jours  (§  621  1°).  Le  maximum  de  cette  différence  a  lieu  au 
commencement  de  la  période  où  la  mortalité  commence 
à  croître ,  c'est-à-dire  de  la  seizième  à  la  vingt-troisième 
année  ;  elle  est  moindre  dans  la  période  oii  la  mortalité 
décroît ,  c'est-à-dire  de  la  seconde  à  la  quinzième  année  ; 
elle  arrive  au  maximum  de  la  vingt-quatrième  à  la  soixante- 
onzième  ;  mais,  à  partir  de  la  soixante-douzième  année  ,  le 
rapport  se  renverse  ,  et  les  années  paires  deviennent  les  plus 
dangereuses  pour  la  vie. 

(  Le  plus  difficile  et  en  même  temps  le  plus  important  des 
problèmes  qui  se  rattachent  à  la  mortalité  humaine,  consiste 
à  déterminer  combien,  sur  un  nombre  donné  de  nouveau  nés, 
il  y  en  aura  qui  atteindront  aux  années  subséquentes  de  la 
vie.  On  sait  qu'il  a  été  fait  de  grands  efforts  pour  le  résoudre, 
que  nous  possédons  beaucoup  de  tables  à  cet  égard,  et  qu'el- 
les diffèrent  prodigieusement  les  unes  des  autres.  Celte  der- 
nière circonstance  mène  à  se  demander  si  ce  sont  bien  réel- 
lement des  lois  de  la  nature  qui  régissent  la  mortalité  de 
notre  espèce.  Sussmilch  fut  assez  hardi  pour  répondre  affir- 
mativement ,  et  il  faisait  même  consister  son  principal  mérite 
dans  cette  hardiesse  ;  mais  les  preuves  qu'il  allègue  sont  assez 
peu  satisfaisantes  lorsqu'on  les  examine  de  près.  Depuis  lui,  il 
n'est  venu  à  l'idée  de  personne  de  mettre  en  doute  la  légitimité 
nécessaire  de  la  mort ,  eu  égard  à  la  quantité  ,  et  cependant 
quelles  raisons  peut-on  faire  valoir  à  son  appui  ?  Serait-ce  que 
la  proportion  entre  la  vie  et  la  mort  ne  présente  pas  de  très- 
grandes  différences  dans  des  pays  et  des  lieux  divers  ?  Mais 
peut-on  imaginer  des  différences  plus  considérables  que  celles 
qui  régnent  à  l'égard,  par  exemple,  de  la  durée  probable  de 
la  vie,  qui  serait  de  quarante  et  quelques  années  dans  cer- 
tains cantons  de  la  Suisse,  et  de  cinq  à  sept  ans  seulement  en 
Bohême,  en  Russie  et  dans  la  Prusse  orientale  ?  Quand  bien 
même  cette  proportion  présenterait  des  anomalies  moins  frap- 
pantes que  celles  qu'elle  offre  en  réalité,  un  exemple  peu  éloi- 
gné de  nous  témoigne  combien  on  doit  être  sobre  du  titre  de 
loi  naturelle.  On  sait  qu'il  naît  partout  plus  de  garçons  que 
de  filles  :  Laplace  avait  même  calculé  qu'on  pourrait  parier 


374  MORTALITÉ. 

une  somme  composée  de  soixante-dix  chiffres  contre  un,  que 
cet  état  de  choses  se  maintiendra.  Et  cependant  la  prédomi- 
nance des  naissances  masculines  n'est  rien  moins  qu'une  loi 
naturelle,  comme  on  peut  s'en  convaincre  par  les  recherches 
de  Hofacker  et  de  Sailer.  Elle  tient  à  des  circonstances  qui 
dépendent  bien,  en  dernière  analyse,  de  la  nature  de  l'homme, 
mais  néanmoins  n'en  découlent  point  d'une  manière  directe  ; 
elle  ne  mérite  donc  pas  le  nom  de  loi  naturelle.  En  se  plaçant 
sous  le  point  de  vue  physiologique,  il  est  nécessaire  de  main- 
tenir rigoureusement  la  distinction  entre  les  lois  immédiates  ou 
directes  et  les  lois  médiates  ou  indirectes,  si  l'on  veut  ne  point 
s'écarter  de  la  véritable  signification  des  phénomènes.  Car, 
comme  la  prédominance  des  naissances  masculines  coïncide 
toujours  avec  une  plus  grande  mortalité  du  sexe  masculin 
après  la  naissance,  la  loi  proprement  dite,  la  véritable  inten- 
tion de  la  nature,  paraît  être  bien  plutôt  le  maintien  de  l'éga- 
lité numérique  entre  les  deux  sexes.  Mais  s'il  est  difficile^ 
quand  on  s'occupe  de  phénomènes  dont  les  causes  ne  peuvent 
point  être  complètement  énumérées,  d'établir  s'ils  obéissent 
réellement  à  des  lois  déterminées  et  nécessaires,  il  y  a  cepen- 
dant, pour  y  parvenir,  un  moyen  très-convenable ,  qui  con- 
siste à  rechercher  si  ces  phénomènes  sont  soumis  à  des  lois 
mathématiques  simples.  Il  paraît  se  confirmer  de  toutes  parts 
que  les  véritables  lois  de  la  nature,  en  tant  qu'elles  n'entrent 
point  en  collision  avec  d'autres,  reposent  sur  des  rapports  nu- 
mériques du  genre  de  ceux  qu'on  appelle  simples  en  mathé- 
matiques. Nous  allons  donc  chercher  par  quelle  loi  mathéma- 
est  déterminé  le  nombre  de  ceux  qui ,  sur  un  nombre  donné 
de  nouveau-nés,  parviennent  à  une  certaine  année,  en  faisant 
d'ailleurs  observer  que  la  solution  de  ce  problème  ne  peut 
avoir  d'intérêt  ici  qu'autant  qu'elle  conduit  à  un  résultat  très- 
simple.  Or  on  ne  saurait  attribuer  ce  mérite  aux  deux  solu- 
tions que  Lambert  et  Thomas  Young  ont  données  ;  loin  de  là 
même,  la  formule  de  Young  est  vraisemblablement  la  plus 
complexe  qu'ait  à  offrir  Tapplication  des  mathématiques  aux 
phénomènes  de  la  nature.  La  formule  de  Lambert  est  plus 
simple  :  ce  mathématicien  détermine  le  nombre  des  vivans 
par  des  fonctions  logarithmiques,  auxquelles  il  ajoute  un  segr 


MORTALITÉ.  S^Ô 

ment  de  la  forme  parabolique.  Cependant  on  ne  saurait 
hésiter  à  dire  que  cette  formule  aussi  appartient  plutôt  à  la 
classe  de  celles  qu'on  appelle  formules  empiriques  dinterpo- 
lalion ,  et  au  moyen  desquelles  on  intercale  des  valeurs  nu- 
mériques là  où  les  observations  n'en  fournissent  aucune ,  ou 
bien  on  corrige  celles  des  erreurs  de  ces  dernières  qui  sau- 
tent aux  yeux.  Une  telle  formule  se  trouve  donc  à  sa  place 
quand  le  nombre  des  morts  est  indiqué,  non  pas  pour  chaque 
âge  de  la  vie,  mais  de  cinq  en  cinq  ans,  comme  il  arrive  assez 
fréquemment.  On  peut  s'en  servir  aussi  pour  parer  à  un  in- 
convénient fort  ordinaire ,  celui  de  l'indication  de  l'âge  des 
morts  en  nombres  ronds ,  ce  qui  fait  que  beaucoup  de  tables 
présentent,  aux  âges  de  quarante,  cinquante  ans,  etc. ,  un  nom- 
ïsre  de  morts  hors  de  toutes  proportions.  Mais  ces  applications 
elles-mêmes  deviennent  très-difficiles  avec  la  formule  de  Lam- 
bert, parce  qu'on  n'en  peut  déterminer  les  termes  constans 
qu'avec  peine.  Il  semble  que  la  grande  mortalité  qui  règne 
parmi  les  enfans  pendant  la  première  année  ait  fait  admettre 
à  Lambert  qu'une  loi  mathématique  serait  basée  en  partie  sur 
des  expressions  logarithmiques  ;  mais  il  n'en  est  point  ainsi,  et, 
bien  loin  de  là,  ces  valeurs  ne  satisfont  au  problème  que  d'une 
manière  compliquée  et  dont  par  conséquent  on  ne  peut  faire 
usage  pour  notre  but.  Après  beaucoup  de  lâtonnemens,  je  suis 
parvenu  à  trouver  la  loi  simple  qui  préside  à  la  mortalité  hu- 
maine, et  qui  est  celle-ci  :  Le  nombre  de  ceux  qui  sont  morts  h 
un  certain  âge  est  proportionnel  à  la  racine  quatrième  de  cet 
âge.  Ainsi,  X  étant  l'âge ,  exprimé  en  années,  comme  de  cou- 

tume,  la  somme  des  morts  jusque-là  est  a  i/X,  on  a  est  une 
valeur  qu'il  faut  déduire  des  observations,  et  indique  la  mor- 
talité des  enfans  pendant  la  première  année  delà  vie.  Admet- 
tons, par  exemple,  4000  enfans  nés,  et  supposons  qu'à  la  fia 
de  la  première  année  il  en  reste  750,  en  sorte  qu'il  en  est 

mort  250 ,  a  —  250  :  l'expression  250  j/X  donne  alors  le 
nombre  des  morts  pour  les  années  suivantes,  de  sorte  que  le 
nombre  de  ceux  d'entre  1000  nouveau-nés  qui  parviennent  à 

l'âge  de  X  ans  est  de  1000  --  250  i/X. 


3^6  MORTALITÉ. 

Avant  de  comparer  cette  loi  avec  nos  tables  de  mortalité , 
il  est  nécessaire  de  faire  une  observation  sur  ces  dernières. 
Comme  elles  embrassent  une  {^^rande  période  de  quatre-vingt- 
dix  ans  et  plus,  pendant  le  cours  de  laquelle  la  population 
n'est  point  demeurée  stationnaire  ,  les  conclusions  qu'on  en 
tire  sont  nécessairement  inexactes.  Comme,  en  outre ,  la  po- 
pulation a  en  grande  partie  augmenté  dans  le  cours  d'une  telle 
période,  ces  tables  évaluent  trop  haut  le  nombre  total  des 
morts.  Elles  le  donnent,  à  la  vérité  ,  tel  que  l'observation  l'a 
fait  trouver,  mais  elles  ajoutent  une  assertion  par  suite  de  la- 
quelle s'élève  une  circonstance  semblable  à  celles  dont  il  vient 
d'être  parlé  tout  à  l'heure.  En  effet,  tous  les  cas  de  mort  sont 
additionnés  dans  ces  tables ,  après  quoi  l'on  prétend  que  la 
somme  représente  en  même  temps  le  nombre  des  nés.  Si  l'on 
renonçait  à  cette  assertion,  une  table  de  mortalité  d'après  les 
principes  de  Halley  serait  impossible  ;  mais ,  si  on  la  met  en 
avant,  on  accroît  d'une  manière  inexacte  et  arbitraire  le  nom- 
bre des  cas  de  mort  par  rapport  aux  individus  nés.  Supposons 
que  la  somme  des  morts  soit  de  4000,  et  qu'il  s'y  trouve  com- 
pris 250  enfans  morts  dans  la  première  année  :  comme  ceux 
qui  sont  morts  dans  un  âge  plus  avancé  appartenaient  à  une 
population  moins  compacte ,  il  y  en  a  proportionnellement 
trop  peu,  et  leur  nombre ,  si  l'on  voulait  arriver  à  des  résul- 
tats exacts,  devrait  être  accru  d'une  quantité  quelconque.  A 
la  vérité,  on  ne  connaît  pas  cette  quantité  ;  mais  rien  n'empê- 
che d'admettre  que  les  nombres  ont  été  accrus  convenable- 
ment, et  dès-lors,  qu'on  vienne  à  additionner,  on  trouvera  un 
total,  non  plus  de  1000,  mais  peut  être  de  1250.  Le  nombre 
250 ,  qui  indique  les  cas  de  mort  de  la  première  année ,  n'a 
point  changé  pour  cela.  Ainsi  c'est  de  i250  nés  qu'il  meurt , 
dans  la  première  année,  250,  c'est-à-dire  un  cinquième,  tan- 
dis que,  d'après  la  manière  ordinaire  de  compter,  ce  nombre 
de  morts  aurait  porté  sur  1000  seulement,  ce  qui  aurait  donné 
une  mortalité  d'un  quart.  Il  est  clair,  d'après  cela,  qu'en  fai- 
sant usage,  non  seulement  du  registre  des  morîs,  mais  encore 
de  celui  des  naissances,  on  ne  trouverait  pas  le  moindre  ac- 
cord entre  eux,  quant  à  la  mortalité  des  enfans  :  c'est  ce  qui 
arrive  en  effet ,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  surprenant ,  c'est  que 


M0RTÀ1ITÉ,  377 

personne  n'ait  signalé  ce  défaut  d'harmonie ,  que  beaucoup 
d'auteurs  ont  dû  cependant  remarquer.  Stelrig,  par  exemple, 
n'en  dit  rien  dans  ses  calculs  des  proportions  de  la  mortalité 
en  Bohème  ;  d'après  sa  table  de  mortalité,  sur  1000  enfans  , 
350  meurent  dans  la  première  année,  et  pourtant  ses  indica- 
tions, relativement  au  nombre  des  naissances  ,  prouvent  qu'il 
n'en  périt;  réellement  que  261,  dans  la  Bohème ,  ce  qui  fait 
une  différence  assez  notable.  De  même,  dans  la  Prusse  orien- 
tale ,  d'après  la  table  de  mortalité  que  j'ai  calculée ,  il  meurt 
284  enfans  sur  1000 ,  et  cependant  on  parvient  à  démontrer 
par  le  même  procédé  que  ce  nombre  ne  dépasse  pas  226.  Si, 
de  plus ,  on  fait  entrer  en  ligne  de  compte  les  grandes  oscil- 
lations dans  l'énumératioQ  des  individus  nés  pendant  plusieurs 
années,  et  la  probabilité  des  erreurs  d'observation ,  on  voit 
sans  peine  qu'il  est  un  peu  imprudent  de  mettre  une  loi  à  l'é- 
preuve sur  de  telles  observations.  Cependant  voici  la  compa- 

4 

raison  des  morts  d'après  la  formule  250  |/X  avec  les  indica- 
tions des  tables  de  mortalité. 


Annces. 


1 

2 

3 

4 

5 

40 

15 

20 

25 

30 

35 

40 

SO 


Quet 

elet. 

formule. 

Sussrailch. 

Lambert. 

France. 

Dcparcieux. 

1. 

II. 

250 

250 

261 

232 

255 

257 

242 

298 

339 

322 

328 

291 

337 

308 

329 

382 

356 

375 

318 

381 

346 

354 

407 

379 

401 

338 

409 

367 

374 

421 

396 

417 

353 

426 

383 

445 

468 

446 

449 

400 

462 

427 

492 

489 

470 

471 

422 

476 

450 

529 

510 

488 

498 

444 

496 

476 

559 

535 

514 

528 

471 

534 

512 

585 

561 

555 

562 

500 

566 

543 

608 

591 

586 

596 

526 

597 

567 

629 

626 

634 

631 

551 

626 

587 

665 

700 

711 

703 

604 

688 

641 

La  colonne  I  est  composée  de  personnes  du  sexe  masculin 
dans  1  les  villes  ;,  ^et  la  colonne  II  de  personnes  du  même  sexe 
dans  les  campagnes.  On  conçoit  qu'avec  de  telles  différences 
entre  les  observations  elles-mêmes,  il  y  a  peu  de  fonds  à  faire 
sur  l'exactitude  d'une  formule  qui  doit  les  représenter.  Mais 
nous  la  mettrons  à  une  épreuve  un  peu  plus  délicate,  etd'abord 


078  MORTALITÉ. 

à  l'aide  de  la  durée  probable  de  la  vie  /qui  fournit  un  très- 
bon  moyen  pour  cela.  Cette  quantité  a  une  valeur  très-varia- 
ble dans  des  pays  différons,  et  varie  beaucoup  plus  que  la 
durée  moyenne  de  la  vie,  parce  que ,  dans  la  courbe  par  la- 
quelle on  représente  ordinairement  les  vivans  aux  divers 
âges ,  la  première  indique  seulement  l'abscisse  d'une  seule 
ordonnée,  tandis  que  la  seconde  donne  le  contenu  de  la 
courbe  entière.  On  voit  donc  aisément  qu'une  formule  qui 
s'écarte  de  la  nature  engendrera  de  grandes  erreurs  dès 
qu'on  s'en  servira  pour  calculer  la  vie  probable.  Maintenant , 

En  Bohème  : 
(  Mortalité  des  enfans,  350  )  vie  probable  zz  5  ans,  et  d'après 

la  formule,  4,2. 

A  Londres  : 
(  Mortalité  des  enfans,  290  )  vie  probable  z:  8  ans ,  et  d'après 

la  formule,  8,8. 

Dans  la  Prusse  orientale  : 
(Mortalité  des  enfans,  284)  vie  probable  =z 7  ans,  et  d'après 

la  formule,  9,6, 

D'après  Sussmilch  : 
(Mortalité  des  enfans,  250)  vie  probables:  18  ans,  et  d'après 

la  formule,  16.  ; 

En  Belgique  : 
(Mortalité  des  enfans,  225)  vie  probable  zz  25  ans,  etd'après 

la  formule,  24,4. 

D'après  Burdach  : 
(Mortalité  des  enfans, 222)  vie  probable  zz24ans,  etd'après 

la  formule,  24,8. 

Malgré  les  grandes  oscillations  de  la  vie  probable  depuis 
cinq  ans  jusqu'à  vingt-cinq,  notre  simple  formule  embrasse 
donc  complètement  les  observations,  bien  qu'elle  ne  contienne, 
mathématiquement  parlant,  qu'une  seule  constante. 

La  mortalité  pendant  l'enfance  fournit  un  second  moyen , 
et  très-délicat ,  d'éprouver  la  loi  mise  en  avant.  Si  l'on  par- 
vient à  montrer,  comme  c'est  le  cas ,  que  cette  loi  est  valable 
pour  les  premiers  mois,  même  pour  les  premiers  jours  qui 
suivent  la  naissance,  nul  doute  ne  peut  plus  rester  sur 
son  exactitude.  Dans  un  tel  examen ,  il  se  rencontre  une  dr- 


MORTALITÉ.  579 

constance  favorable,  c'est  que,  bien  que  les  inévitables  er- 
reurs d'observation  soient  une  source  d'inexactitude  ,  il  n'y 
a  du  moins  pas  d'autres  inexactitudes  qu'on  puisse  craindre  ; 
car  celle  qui  dépend  de  l'état  non  stationnaire  de  la  popula- 
tion ne  joue  ici  aucun  rôle.  Mais  ce  qui  oblige  de  dire  que 
l'examen  est  délicat ,  c'est  que  la  formule  est  faite  pour  les 
années ,  et  qu'on  l'applique  ici  à  des  fractions  d'années.  Je 
profiterai  dans  ce  qui  va  suivre  des  observations  de  Quetelet 
sur  la  Belgique  etde  celles  de  Mjllet  sur  la  ville  deGenève  (1). 
Il  sera  nécessaire  de  faire  entrer  les  morts-nés  en  ligne  de 
compte;  car,  d'après  l'idée  qu'on  y  attache,  ces  morts- nés 
appartiennent  à  la  catégorie  des  enfans  qui  périssent  le  jour 
de  leur  naissance.  Nous  les  regarderons  donc  comme  étant 
nés  et  morts  sur-le-champ.  Leur  nombre  n'est  non  plus  que 
peu  inférieur  à  celui  des  cas  de  mortalité  au  premier  jour 
après  la  naissance  ;  car  si  l'on  admet  que  la  mortalité  des  en- 
fans  pendant  la  première  année  est  d'un  quart  de  ceux  qui 

naissent ,  la  formule  1/4  j/X  donne,  pour  la  mortalité  du 
premier  jour  (en  mettant  1/365  pour  X),  4;  18,  c'est-à- 
dire  que  le  dix-huiiième  de  tous  ceux  qui  naissent  meurt  du- 
rant les  premières  vingt-quatre  heures.  Fait-on ,  au  contraire, 
la  mortalité  des  enfans  d'un  cinquième ,  le  dernier  nombre 
n'est  plus  que  de  1/22.  Les  valeurs  d/18  et  1/22  donnent  en 
même  temps  ,  à  très-peu  près ,  le  rapport  des  morts-nés  en 
général.  Maintenant ,  le  nombre  des  cas  de  mort  pendant  les 
premiers 

2  mois  :  celui  des  cas  de  mort  pen- 

dant le  premier  mois  ::     1,192  en  Belgique. 
1,145  à  Genève. 
1,390  d'ap  es  la  formule. 

3  mois.  1,328  en  Belgique. 

1,217  à  Genève. 

1,316  d'après  la  formule. 

4  mois.  1,442  en  Belgique. 

1,415  d'après  la  formule. 

(1)  Annales  d'hygiène  publique ,  Paris,  1837,  t.  XVII,  p.  5  etsuiv.] 


380  MORTALITÉ. 

5  mois.  1,536  en  Belgique. 

1,496  d'après  la  formule. 

6  mois.  1,613  en  Belgique. 

1,368  à  Genève. 
1,565  d'aprèslaformule.^ 
12  mois.  2,002  en  Belgique. 

1,665  àGen^ve. 
1,861  d'après  la  formule. 

Les  valeurs  calculées  d'après  la  formule  représentent  donc 
exactement  les  valeurs  observées ,  ou ,  quand  les  observations 
s'écartent  les  unes  des  autres,  la  formule  en  donne  la  moyenne. 

Enfin  j'ai  encore  calculé  la  mortalité  des  trois  premiers 
jours  comparativement  à  celle  du  premier  mois  et  de  la  pre- 
mière année.  Suivant  Odier,  il  meurt  à  Genève  654  personnes 
pendant  les  trois  premiers  jours ,  1122  pendant  le  premier 
mois ,  et  1885  dans  le  cours  de  l'année.  Ainsi  la  mortalité  du 
premier  mois  est  à  celle  des  trois  premiersjours  comme  1,716, 
d'après  la  formule  comme  1,778,  et  la  mortalité  pendant  la 
première  année  comme  2,882 ,  d'après  la  formule  comme 
2,806.  Les  résultats ,  combinés  avec  les  précédens  sur  la  du- 
rée probable  de  la  vie ,  autorisent  donc  à  dire  que  ,  pourvu 
qu'on  connaisse  la  mortalité  pendant  les  trois  premiers  jours 

4 

de  la  vie ,  la  formule  a  |/X  suffit  pour  mettre  en  état  de  cal- 
culer le  nombre  des  cas  de  mort  jusqu'à  la  vingt-cinquième 
année.  Les  anomalies  qu'on  rencontre  doivent  être  mises  sur 
le  compte  de  l'incertitude  des  observations,  de  l'insuffisance 
des  méthodes  usitées  jusqu'à  ce  jour,  et  elles  ne  dépassent 
point  les  limites  de  ces  sources  d'erreur. 

Cependant ,  après  que  les  années  durant  lesquelles  la  force 
vitale  est  le  plus  florissante  se  sont  écoulées  ,  un  second  élé- 
ment s'ajoute  à  celui  qui  a  été  pris  jusqu'ici  en  considération, 
et  amène  la  fin  de  la  vie  plus  tôt  qu'on  ne  devrait  s'y  attendre 

4 

d'après  la  formule  a  |/X.  Il  serait  d'un  grand  intérêt  de  pou- 
voir déterminer  ce  second  élément,  parce  qu'avec  son  secours 
on  corrigerait  l'assertion  que  la  vie  estassujétie,  dans  ses  rap- 
ports numériques,  à  une  loi  aussi  fixe  que  celle  qu'assigne  le 


JÎORT  ALITÉ.  38  1 

premier  élément.  Quoiqu'une  obéissance  à  des  lois  s'exprime 
indubitablement  dans  les  phénomènes  de  la  vie ,  elle  ne  sera 
jamais  assez  invariable  pour  exclure  un  jeu  renfermé  en  de- 
dans de  certaines  limites.  Ce  jeu  existe  ;  car  nous  voyons,  re- 
lativement à  la  mortalité,  des^différences  entre  les  deux  sexes, 
entre  les  diverses  conditions  ;  nous  le  retrouvons  probable- 
ment aussi  entre  les  habitans  des  diverses  régions  de  la  terre. 
Bien  qu'on  ne  sache  jusqu'ici  presque  rien  de  certain  à  cet 
égard  ,  il  paraît  néanmoins  hors  de  doute  que  ces  influences 
extérieures  exercent  une  influence  opposée  sur  les  premières 
et  les  dernières  années  de  la  vie  ,  et  qu'elles  influent  avanta- 
geusement sur  la  vie  des  âges  avancés  ,  si  elles  accroissent  la 
mortalité  chez  les  enfans.  Par-là  nous  est  donnée,  en  général, 
la  forme  mathématique  du  second  élément ,  qui  représente 
l'influence  de  ces  puissances  extérieures  sur  la  vie.  Mais  je 
ne  saurais  rien  dire  ici  de- plus  précis  à  ce  sujet,  et  la  chose 
n'est  même  guère  possible  jusqu'à  présent  ;  car^  encore  à 
trente  ,  à  quarante  ans  ,  la  valeur  du  second  élément  se  ré- 
duit presque  à  rien,  et  dans  les  âges  plus  avancés,  oii  elle  de- 
vient plus  considérable ,  les  proportions  de  la  mortalité  sont 
trop  peu  connues  pour  qu'on  puisse  fonder  sur  elles  une  ex- 
pression mathématique  avec  quelque  chance  de  certitude.  Ce- 
pendant si  l'on  n'a  en  vue  que  de  représenter  d'une  manière 
suffisamment  exacte  les  observations  dont  il  a  été  question 

jusqu  ici ,  il  suffit  d'ajouter  à  l'élément  1/4  j/X ,  comme  se- 
cond élément ,  1/3  I  jtt^)  ;  la  somme  des  deux  donne  alors 

le  nombre  des  morts  jusqu'à  l'âge  le  plus  reculé ,  sans  que  ce 
nombre  soit  changé  ,  pour  les  premières  années  ,  par  le  se- 
cond élément.  Néanmoins,  je  ne  suis  pas  tenté  d'attribuer  à 
ce  dernier  la  même  importance  qu'à  l'autre ,  comme  expres- 
sion de  la  loi  de  la  nature. 

On  peut  donc  ,  au  moyen  des  deux  élémens  que  j'ai  indi- 
qués ,  calculer  facilement  la  durée  moyenne  de  la  vie  pour 
chaque  âge.  Cette  durée  est ,  dans  son  essence  ,  une  intégrale 
dont  la  valeur  ne  peut ,  d'après  la  méthode  ordinaire ,  être 
trouvée  qu'approximativement  par  quadrature  mécanique.Mais 


382  MORTALITÉ. 

les  deux  élémens  qui  donnent  la  mort  successive  d'un  nombre 
de  nouveau-nés  peuvent  être  intégrés,  sans  qu'il  soit  nécessaire 
de  recourir  à  des  approximations,  et  ils  font  alors  trouver, 
en  accord  avec  les  observations  recueillies  jusqu'à  ce  jour, 
que  la  durée  moyenne  de  la  vie  du  nouveau- né  est  de  trente 
ans,  celle  de  l'enfant    d'un  an  defrenle-neuf  ans  ,  etc.)  (1). 

II.  Durée  de  la  vie  humaine. 

§  629.  Passons  maintenant  à  la  durée  de  la  vie. 

1°  Considérée  sous  le  point  de  vue  relatif,  la  durée  de  la 
vie  est  la  proportion  entre  le  nombre  d'hommes  qui  atteignent 
un  certain  âge  ei  le  nombre  de  ceux  qui  naissent  pendant  la 
même  année.  La  5'  et  la  6«  tables  en  donnent  un  aperçu  d'a- 
près les  tables  de  mortalité  précédemment  indiquées.  Celles-ci 
présentent,  à  la  vérité,  plusieurs  lacunes  ;  ainsi,Deparcieux(2) 
n'a  rien  dit  du  nombre  des  vivans  pendant  les  deux  premières 
années ,  et  à  la  troisième  année  il  commence  par  mille  ,  ce  qui 
fait  que  quatorze  cent  naissances  sont  admises  dans  la  co- 
lonne E;  la  liste  de  Simpson  (G)  ne  s'étend  que  jusqu'à  la  81« 
année  ;  celle  de  Halley  (I)  à  la  84^  ;  celles  de  Muret  et  de 
Price  (C  et  H)  à  la  92  ;  celles  de  Deparcieux  et  Hodgson  (E  et 
F)  à  la  93^  ;  celle  de  Sussmilch  (D)  à  la  97%  et  pour  les  années 
subséquentes  il  ne  reste  que  les  proportions  de  la  France  ,  des 
Pays-Bas  et  de  Breslau.  C'est  pourquoi  la  proportion  moyenne 
doit  se  rapprocher  bien  moins  encore  de  la  vérité  que  dans  les 
autres  tables ,  et  ne  peut,  à  plus  forte  raison ,  être  considé- 
rée que  comme  un  à-peu-près. 

Nous  posons  le  problème  de  savoir  parmi  combien  d'hom- 
mes nés  dans  une  même  année  il  s'en  trouve  un  qui  atteigne 
un  certain  âge.  Par  conséquent,  nous  avons  deux  nombres  à 
trouver,  celui  de  Tannée  qu'un  homme  dépasse ,  et  celui  des 
hommes  qui  sont  nés  la  même  année  que  celui-là.  Nous  ap- 
pellerons le  premier,  nombre  d'années,  et  le  second,  nombre 
d'hommes.  Si  maintenant  nous  considérons  la  progression  des 
proportions  pendant  le  cours  de  la  vie ,  nous  reconnaissons 

(1)  Addition  de  Moser. 

(2)  Loc.  cit.  —  Comparez  Bienaymé,  De  la  durée  de  la  \ie  en  France 
depuis  le  commencement  du  19^  siècle  (Ann.  d'hygiène ,  4837 ,  t.  XVIII, 
T).177.) 


MORTALITÉ»  383 

trois  périodes  différentes.  Pendant  la  première  période  le  nom- 
bre d'hommes  forme  une  série  non  interrompue ,  mais  le 
nombre  des  années  croît  par  sauts  ,  et  s'élève  par  exemple  , 
terme  moyen ,  de  21  à  44 ,  54 ,  59 ,  63 ,  65 ,  de  telle  sorte  ce- 
pendant  que  ces  sauts  deviennent  toujours  de  plus  en  plus 
petits  ,  attendu  que  la  différence  de  trois  hommes  à  deux  com- 
porte vingt-trois  ans;  celle  de  quatre  à  trois,  dix  années  ; 
celle  de  cinq  à  quatre  ,  cinq  années;  celle  de  six  à  cinq,  qua- 
tre années  ;  celle  de  sept  à  six  ,  deux  années,  et  celle  de  huit 
à  sept ,  une  année.  Cette  période  s'étend  depuis  la  naissance 
jusqu'à  lu  vieillesse.  Puis  vient  une  autre  proportion  qui  ca- 
ractérise la  seconde  période,  ou  qui,  celle-ci  étant  fort  courte 
eu  égard  aux  autres,  constitue  plutôt  une  époque  qu'une  pé- 
riode, c'est-à-dire  que  le  nombre  des  années  marche  parallè- 
lement à  celui  des  hommes,  ou  que  les  deux  nombres  croissent 
uniformément.  Cette  proportion  dure  deux  ans  en  G  (de  la  72^ 
à  la  73»),  trois  ans  en  H  (de  la  6S«  à  la  70')  et  en  C  (de  la  75'  à 
la  77«),  quatre  ans  en  D  el  en  K  (de  la  73'  à  la  76'),  comme  aussi 
en  E  (de  la:  78'  à  la  81') ,  Cinq  ans  en  B  (de  la  73'  à  la  77') , 
six  ans  en  A  (de  la  70'  à  la  75'),  et  en  I  (de  la  71'  à  la  76') , 
ce  qui  donne  le  terme  moyen  de  quatre  années  (depuis  la  72' 
jusqu'à  la  75').  Partout  on  rencontre  les  soixante- et-dix  ans , 
et  de  telle  manière  qu'il  n'y  a  que  F  et  H  oii  le  commence- 
ment soit  dans  la  60' ,  et  que  E  où  la  fin  se  trouve  dans  la  80', 
tandis  qu'en  A,  B,  G,  D,  G,  I  et  K  l'époque  entière  est  com- 
prise dans  la  70'.  Si  nous  cherchons  à  déterminer  quelle  est 
l'année  qui  se  présente  le  plus  fréquemment,  nous  trouvons , 
dans  les  dix  listes  ,  la  70'  trois  fois  (en  A,  F,  G) ,  la  71'  trois 
fois  (en  A,  F,  I),  la  72'  quatre  fois  (en  A,  F,  G,  I),  la  73'  six 
fois  (en  A,  B,  D,  G,  I,  K),  la  74'  cinq  fois  (en  A,  B,  D,  I,  K), 
la  75'  six  fois  (en  A ,  B ,  C,  D,  I,  K;),  la  76'  cinq  fois  (en  B ,  C, 
D,  I,  K),  la  77°  deux  fois  (en  B ,  C) ,  la  78'  et  la  79'  une  fois 
(en  E.) 

Vient  ensuite  la  dernière  période ,  qui  comprend  le  reste 
de  la  vie,  et  où  l'on  remarque  une  proportion  précisément 
inverse  de  celle  de  la  première  période  ,  puisque  ,  le  nombre 
des  années  croissant  en  série  continue  ,  le  nombre  d'hommes 
augmente  par  sauts  de  plus  e»  plus  grands,  ce  qui  nous  oblige 


5S4  MORTALITÉ. 

de  donner  l'aperçu  des  quatre-vingts  ans  dans  un  ordre  inverse 
de  celui  qui  a  été  suivi  pour  les  années  précédentes  de  la  vie 
sur  la  sixième  table.  On  trouve  ici  que  la  différence  entre  le 
nombre  d'hommes  qui  survivent  à  une  année  de  la  vie  et  celui 
des  hommes  qui  ont  franchi  Tannée  précédente  présente  la 
proportion  moyenne  suivante  : 


dans  la  81<=  année 

3 

dans  la    96"  année 

214 

82« 

6 

97" 

352 

SS» 

7 

98« 

476 

84« 

6 

99" 

773 

85« 

11 

100" 

1,025 

86" 

11 

101" 

1,372 

ST 

17 

102" 

2,080 

88* 

21 

103" 

3,145 

89« 

28 

104" 

6,655 

90'= 

39 

105" 

11,875 

91" 

54 

106" 

28,830 

92"  80  107"  57,380 

93"  ^21  108"  185,244 

95"  139  109"  700,000 

i.  Il  y  a  deux  méthodes  différentes  de  calculer  la  durée  de 
la  vie  probable.     ' 

Suivant  Tune,  qu'emploient  les  compagnies  d'assurance  sur 
la  vie,  on  fixe  la  durée  probable  de  la  me  d'un  homme  à  l'an- 
née où  il  reste  encore  la  moitié  d'un  certain  nombre  d'hommes 
nés  dans  la  même  année  que  lui.  Si ,  par  exemple  ,  de  mille 
hommes  nés  dans  la  même  année,  il  en  reste  cinq  cents  au  bout 
de  vingt  ans,  deux  cent  cinquante  au  bout  de  cinquante-cinq, 
et  cent  vingt-cinq  au  bout  de  soixante-neuf ,  on  tient  pour 
probable  qu'un  nouveau-né  parviendra  à  vingt  ans,  un  homme 
de  vingt  ans  à  cinquante-cinq ,  et  un  de  cinquante-cinq  à 
soixante-neuf.  Mais  cette  probabilité  n'est  pas  tant  pour  l'in- 
dividu que  pourFétablissement,  à  l'égard  duquel  elle  ne  croît 
même  qu'en  raison  directe  du  nombre  des  individus.  Ainsi , 
par  exemple ,  si  la  compagnie  a  deux  cents  associés  de  cin- 
quante-cinq ans ,  il  y  a  plus  de  probabilité  pour  elle  que  la 
moitié  de  ces  hommes  arriveront  à  soixante-neuf  ans  que  si 


MORTALITÉ.  385 

elle  n'en  comptait  que  vingt,  et,  si  elle  n'en  avait  que  deux, 
la  probabilité  se  trouverait  alors  aussi  faible  que  possible. 

La  méthode  employée  dans  les  tontines  pour  calculer  la 
durée  moyenne  de  la  vie  se  rapporte  bien  moins  encore  aux 
espérances  de  l'individu  ,  et  n'est  relative  qu'à  celles  de  la 
compagnie.  Elle  consiste  à  additionner  ensemble  les  années 
qu'un  nombre  déterminé  d'hommes  ont  vécu  ,  et  à  diviser  le 
total  par  le  nombre  des  individus.  Si,  par  exemple,  sur  mille 
hommes,  il  en  meurt  deux  cent  trente- deux  pendant  la  pre- 
mière année  de  la  vie  ,  on  admet  que  chacun  de  ceux-ci  a 
vécu,  terme  moyen,  six  mois,  et  l'on  compte  par  conséquent 
deux  cent  trente-deux  demi-années,  ou  cent  seize  années  en- 
tières. Si  ensuite  il  en  meurt  quatre-vingt-quinze  dans  la  se- 
conde année ,  on  calcule  de  même  que  chacun  est  parvenu , 
terme  moyen,  à  dix-huit  mois,  que  par  conséquent  ils  ont  vécu 
ensemble  cent  quarante-trois  ans,  ou  quatre-vingt-quinze  an- 
nées entières  et  quatre-vingt-quinze  demi-années.  On  procède 
ainsi  pour  les  diverses  années  de  la  vie,  jusqu'à  ce  que,  des 
mille  hommes ,  il  n'en  reste  plus  un  seul  vivant  ;  on  totalise  les 
sommes  des  années  ,  et  Ton  divise  par  mille.  De  cette  ma- 
nière ,  en  prenant  pour  base  la  table  de  Duvillard  pour  la 
mortalité  en  France  (A  dans  la  première  table),  on  trouve  que 
la  durée  moyenne  de  la  vie  est  de  vingt-huit  ans ,  et  sa  durée 
probable  de  vingt  années  (1).  La  durée  moyenne  de  la  vie, 
chez  les  Romains,  avait  déjà  été  calculée ,  sous  Alexandre  Sé- 
vère, par  Ulpien,  d'après  les  dénombremens  faits  depuis  Ser- 
vius  Tullius  jusqu'à  Justinien,  par  conséquent  pendant  une  pé- 
riode de  mille  ans ,  et  déterminée  de  la  manière  suivante  : 

Un  nouveau-né  vit  encore         30  ans. 
Un  homme  de  20  ans  28 


de  25 

22 

de  30 

20 

de  35 

18 

de  40 

48 

de  45 

13 

(4)  Bibliolh. 

univ, 

tlç  Genève ,  t, 

XXXVI, 

p.  134, 

V. 

25 


586  MORTALITÉ. 

de  50  9 

de  55  7 

de  60  5(1) 

ARTICLE    II. 

De  Vhifluence  de  V individualité  sur  la  mortalité. 

I.  Influence  des  conditions  primordiales. 

§  630.  D'autres  circonstances  influent  sur  la  durée  de  la 
vie  d'un  individu  :  ce  sont  les  conditions  primordiales  de  la 
vie.  Ici  se  rangent  : 

I.  La  descendance. 

1°  Quand  on  naît  de  parens  d'un  âge  moyen  et  bien  consti- 
tués ,  au  milieu  de  circonstances  heureuses ,  dans  une  saison 
favorable,  etc.,  on  a  plus  de  motifs  pour  espérer  une  longue 
vie  que  dans  le  cas  contraire.  Suivant  Bacon  (2),  les  enfans 
mâles  dont  les  pères  sont  âgés  et  les  mères  jeunes  atteignent 
un  âge  avancé. 

2°  L'intensité  de  la  force  vitale,  qui  est  une  source  de  lon- 
gévité, se  propage,  c'est-à-dire  qu'elle  fait  partie  des  qualités 
héréditaires  (§  303,  2°).  La  longévité  appartient  donc  à  la 
famille.  Rush  (3)  n'a  pas  connu  d'octogénaire  dans  la  famille 
duquel  il  a'y  eût  des  exemples  fréquens  de  longévité ,  mais 
aucun  non  plus,  à  la  vérité,  qui  n'eût  perdu  des  frères  ou  des 
sœurs  en  bas  âge.  Sinclair  a  fait  la  même  observation.  Testa 
a  remarqué  que  certaines  maladies,  l'apoplexie,  par  exemple^ 
arrivent  fréquemment  au  même  âge  chez  les  divers  membres 
d'une  famille ,  et  que  les  individus  qui  franchissent  cet  âge 
parcourent  d'ordinaire  une  longue  carrière. 

3°  La  race  exerce  incontestablement  une  grande  in- 
fluence. Cependant,  d'un  côté,  il  n'est  pas  facile  de  détermi- 
ner jusqu'à  quel  point  le  climat ,  la  civilisation  et  autres  cir- 
constances analogues  peuvent  jouer  un  rôle  à  cet  égard  ;  et, 

[.   (1)  Mémoires  de  l'Acad.  Roy.  de  niéd.  Paris,  1828,  t.  I,  p.  51. 

(2)  Opéra  omnia  ,  p.  604. 

(3)  Sammiung  auserîesener  Abhandlungen ,  t.  XYIT,  p.  110> 


MORTAIITÉ.  387 

d'un  autre  côté ,  nous  ne  possédons ,  relativement  à  la  durée 
de  la  vie  chez  les  différens  peuples ,  que  des  estimations  ap- 
proximatives, qui  souvent  même  ne  reposent  que  sur  des  ob- 
servations isolées.  La  race  caucasique  paraît  avoir  une  plus 
longue  durée  de  vie  que  les  races  mongole  et  malaise  (1).  On 
trouve  beaucoup  d'exemples  de  longévité  en  Norwége ,  en 
Suède  et  en  Ecosse.  La  vie  est  courte  dans  les  contrées  fort 
avancées  vers  le  nord  ,  comme  chez  les  Tongouses  et  les  Sa- 
moièdes.  On  assure  qu'il  y  a  beaucoup  de  vieillards  très-âgés 
dans  le  centre  de  la  Russie  ,  en  Pologne  et  en  Hongrie.  En 
Asie,  les  Hindous,  les  Arabes,  les  Perses  et  les  Turcs  paraissent 
être  ceux  qui  poussent  le  plus  loin  leur  carrière.  Les  Égyp- 
tiens, les  Maures,  les  Maroquins  deviennent  plus  vieux  que 
les  habitans  de  la  Guinée ,  du  Congo  et  de  la  Mozambique , 
comme  aussi  que  les  Hottentots.  On  dit  que  les  Abipons  dé- 
passent fréquemment  cent  années  sans  perdre  leurs  dents  ni 
leurs  cheveux  ,  et  qu'ils  regardent  la  mort  d'un  octogénaire 
comme  prématurée  (2).  Les  Mexicains  atteignent  souvent  aussi 
un  âge  fort  avancé ,  et  Humboldt  (3)  parle  d'un  Péruvien  qui 
vécut  jusqu'à  cent  quarante-trois  ans. 

Les  forces  et  les  matériaux  de  rorgauisme  étant  retenus 
par  des  liens  plus  solides  chez  les  femmes ,  leur  vie  est  aussi 
plus  durable.  (§  488).  Ce  qui  prouve  que  la  mortalilé  plus 
grande  parmi  les  hommes  ne  tient  point  à  la  rudesse  de  leurs 
travaux  et  à  l'influence  nuisible  que  ceux-ci  exerceraient  sur 
la  santé,  c'est  que,  d'après  Benoiston  de  Châteauneuf,  elle  a 
lieu  aussi  dans  les  couvens.  Une  circonstance  qui  paraît 
avoir  plus  de  poids ,  c'est  qu'il  est  plus  commun  de  rencon- 
trer chez  les  hommes  que  chez  les  femmes  les  deux  extrêmes 
de  l'apathie  et  de  la  passion ,  de  la  paresse  et  de  l'abus  des 
forces.  Villermé  (4)  croit  avoir  remarqué  qu'il  y  a  moins  de 
mortalité  parmi  les  hommes  que  parmi  les  femmes  dans  les 
quartiers  de  Paris  où  il  règne  davantage  d'industrie  et  d'ac- 


(4)  Virey  ,  Hist.  nat.  du  genre  humain  ,  t.  I,  p.  357. 

(2)  Zimmermann  ,  Taschenbuch  der  Reisen ,  t.  VI,  p.  241. 

(3)  Reise  in  die  jEquinoctialgeyeiiden ,  t.  III,  p.  86. 

(4)  Mém.  de  l'Acad.  voy.  de  méd.  t,  I,  p.  51. 


388  MORTALITÉ. 

tivité intellectuelle.  Du  reste,  Bacon  prétendait  (1)  que  les  fils 
qui  ressemblent  à  leurs  mères  atteignent  un  âge  plus  avancé 
que  ceux  qui  ressemblent  à  leurs  pères. 

Dans  certains  dénombremens ,  on  trouve  un  excès  de 
femmes  :  ainsi ,  la  proportion  des  hommes  aux  femmes  était 
de  100  à  103  à  Breslau  (2) ,  de  100  à  111  à  Hambourg  (3) , 
de  100  à  115  à  Paris  en  1817,  de  100  à  105 ,  dans  le  royaume 
de  Wurtemberg  en  1821.  Quanta  ce  qui  concerne  les  divers 
âges  de  la  vie,  nous  allons  donner  les  résultats  ayant  trait  à 
la  mortalité  relative  d'après  quatre  tables  de  mortalité ,  sa- 
voir d'après  celle  de  Wargentin ,  pour  la  Suède,  qui  est  con- 
struite sur  un  terme  moyen  de  neuf  années ,  et  qui  ne 
donne  pas  les  nombres  tels  qu'ils  sont  dans  chaque  période 
de  cinq  ans  révolus ,  mais  tels  qu'ils  seraient  annuellement 
si  la  mortalité  était  la  même  dans  chaque  [  année  de  chaque 
période  (4)  ;  d'après  celle  de  Paris  pour  1827  (5)  ;  d'après 
celle  de  Breslau  pour  les  années  1813  à  1822;  enfin  d'après 
celle  de  Berlin  pour  les  années  1752  à  1755  (6). 

(1)  Opéra  ,  p.  504. 

(2)  Correspondenz  der  Schlesischen  Gesellschaft ,  p.  51. 

(3)  Gevson,  Magazin ,  t.  XVII,  p.  338. 

(4)  AbhanâXungen  der  Schwedisclien  Akademie ,  t.  XXVIII,  p.  4  3. 

(5)  Annuaire  du  Bureau  des  longitudes  ,  1829 ,  p    91. 

(6)  Sussmilcb ,  Gœttliche  Ordnung ,  t.  II ,  p.  XIII. 


MORTALITE. 


389 


> 

SUÈDE. 

PARIS. 

BRESLAU. 

BERLIN.      1 

•^ 
^ 

w 

^ 

S^ 

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S^ 

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5 

B 

3 

3 

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3 

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2 

B 

3 

B 

3 

3 

B 

en 

S 

n 

et) 

en 

tu 

CD 

0—5 

21 

26 

2,88 

3,60 

2,11 

2,32 

2,14 

2,11 

5—10 

70 

76 

20,04 

20,45 

13,43 

14,90 

19,45 

16,71 

10—15 

149 

161 

45,63 

39,50 

57,86 

49,00 

53,35 

41,70 

15—20 

149 

163 

18,41 

20,98 

19,39 

22,21 

31,07 

26,58 

20—25 

108 

139 

8,97 

12,75 

18,57 

17,12 

12,70 

14,22 

25—30 

97 

100 

9,40 

10,65 

17,80 

14,39 

8,15 

10,92 

30—35 

81 

84 

11,39 

11,48 

19,92 

12,79 

9,11 

11,45 

35—40 

78 

90 

14,27 

11,01 

9,94 

10,12 

6,70 

7,02 

40—45 

56 

62 

10,63 

12,29 

8,34 

9,41 

6,92 

9,80 

45—50 

48 

65 

9,27 

10,23 

6,26 

8,61 

5,96 

8,15 

50—55 

37 

49 

8,69 

8,30 

5,78 

8,14 

4,64 

7,06 

55—60 

31 

40 

6,20 

7,52 

4,90 

7,02 

3,60 

5,04 

60—65 

23 

25 

4,41 

5,63 

4,24 

4,65 

3,96 

4,82 

65—70 

17 

18 

3,14 

4,08 

3,11 

3,25 

3,22 

3,34 

70—75 

11 

11 

2,28 

2,43 

2,31 

2,45 

2,56 

2,78 

75—80 

8 

8 

1,68 

1,94 

1,84 

1,75 

1,88 

2,13 

80—85 

5 

5 

1,52 

1,52 

1,54 

1,68 

1,87 

2,23 

85—90 

3 

4 

1,25 

1,33 

1,46 

1,49 

1,50 

1,90 

90—95 

2 

2 

1,05 

1,25 

1,90 

1,89 

Nous  ajoutons  le  calcul  de  la  durée  probable  et  moyenne  de 
la  vie  pendant  trois  périodes  de  temps ,  à  Genève ,  que  Odier 
et  Serre  Malte  ont  donné  ;  la  première  colonne  indique  par 
zéro  la  naissance  et  par  les  autres  chiffres  les  années  vécues  ; 
les  autres  colonnes  donnent  les  années  sur  lesquelles  on  peut 
compter,  avec  leurs  fractions  en  décimales. 


MORTALITE. 


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MORTALITÉ.  3^1 

4°.  Il  a  été  démontré  précédemment  qu'à  la  naissance 
§  496  ,  16°  )  et  [pendant  la  première  année  de  la  vie  , 
(§  623,  1°)  la  mortalité  est  pins  considérable  chez  le  sexe 
masculin  que  chez  l'autre.  D'après  les  tables  précédentes ,  ce 
rapport  s'observe  en  Suède ,  à  Paris  ,  à  Breslau  et  à  Genève , 
même  pendant  les  dix  premières  années  de  la  vie,  mais  de 
telle  manière  néanmoins  que  l'inégalité  est  plus  considérable 
durant  les  cinq  premières  années ,  que  pendant  celles  qui 
viennent  après.  On  a  trouvé  aussi  la  même  chose  à  Montpel- 
lier, où  la  mortalité  relative  était  pendant  les  cinq  premières 
années ,  pour  les  hommes  de  1 :  1 ,  73,  pour  les  femmes  de 
1  :  2 ,  14 ,  et  pendant  les  cinq  années  suivantes  de  1  à  7,  18, 
pour  les  hommes  et  de  1  :  10,  20  pour  les  femmes  (1).  Le 
dénombrement  de  la  population  de  Breslau  a  fait  connaître 
également  que  le  rapport  des  garçons  aux  filles  était  de 
1  :  1 ,  17  parmi  les  chrétiens ,  et  de  1  :  0, 93  parmi  les  juifs , 
qui  font  en  général  plus  d'enfans  mâles  que  d'enfans  de  l'autre 
sexe..  Si  la  table  précédente  indique  pour  Berlin  une  morta- 
lité plus  grande  chez  les  filles  que  chez  les  garçons  pendant 
les  dix  premières  années ,  il  faut  considérer  ce  fait  comme 
une  pure  exception. 

5°  On  doit  s'attendre  à  ce  qu'au  temps  de  la  puberté  la 
mortalité  soit  plus  grande  parmi  les  femmes  que  parmi  les 
hommes.  Tel  est,  en  effet,  le  rapport  à  Paris  et  à  Breslau , 
depuis  la  dixième  année  jusqu'à  la  quinzième ,  d'après  les 
tables  précédentes  ;  mais ,  de  la  quinzième  à  la  vingtième,  il 
devient  inverse.  Suivant  Deparcieux,  la  mortalité  relative , 
dans  une  paroisse  de  Paris ,  a  été ,  pendant  trente  années , 
depuis  l'âge  de  dix  ans  jusqu'à  celui  de  vingt,  de  1  à  13,  72 
pour  les  hommes  et  de  1  à  16,  32  pour  les  femmes  (2).  Selon 
Schubler ,  la  mortalité  des  femmes ,  comparée  à  celle  des  hom- 
mes, a  été  de  1  :  0,  95  depuis  huit  ans  jusqu'à  quatorze,  et  de 
1 :  1,  29  depuis  quinze  jusqu'à  vingt  cinq.  D'après  cela,  l'a- 
nomalie de  l'invasion  de  la  puberté  des  femmes  paraît ,  en 
général ,  amener  rarement  la  mort ,  tandis  que  la  vie  des 


(1)  Mémoires  de  l'Institut,  t.  I,  p.  33. 

(2)  Essai  sur  les  probabilités  de  la  vie  humaine. 


392  MORTALITÉ. 

femmes  est  en  danger  à  l'époque  où  la  puberté  ne  fait  (^ue  se 
préparer. 

6"  La  grossesse,  l'accouchement  et  l'allaitement  n'exercent 
pas  non  plus ,  en  général ,  d'influence  décidée  sur  la  mortalité. 
D'après  les  tables  précédentes ,  si  l'on  excepte  Breslau  ,  la 
mortalité  est  partout  plus  forte  chez  les  femmes  depuis  la 
vingtième  jusqu'à  la  trente-cinquième  année.  La  même  chose 
eut  lieu  à  Montpellier,  où,  depuis  la  vingtième  jusqu'à  la 
trentième  année ,  la  mortalité  relative  fut  de  1 :  9,05  pour 
les  hommes ,  et  de  1 :  9,81  pour  les  femmes  ,  mais  où  la  pro- 
portion changea  depuis  trente  ans  jusqu'à  quarante,  puis- 
qu'elle y  fut  alors  de  1 :  8,02  pour  les  hommes ,  et  de  1 :  7,87 
pour  les  femmes.  De  même  aussi ,  d'après  Wargentin  (1),  la 
mortalité  a  été ,  en  Suède ,  plus  grande  parmi  les  hommes  de- 
puis la  vingtième  jusqu'à  la  vingt-cinquième  année ,  et  parmi 
les  femmes  depuis  la  trentième  jusqu'à  la  trente-cinquième. 

7°  Ce  qu'il  y  a  de  plus  positif  encore ,  c'est  qu'en  général 
l'extinction  de  la  faculté  procréatrice  chez  les  femmes  n'influe 
point  sur  la  mortalité.  Déjà  les  tables  précédentes  nous  ap- 
prennent que ,  depuis  l'âge  de  quarante-cinq  ans  jusqu'à  ce- 
lui de  cinquante-cinq ,  la  mortalité  des  femmes  est  faible , 
comparativement  à  celle  des  hommes ,  et  même  qu'elle  est 
alors  moins  considérable  qu'à  toute  autre  époque  delà  vie  :  ce 
fait  a  été  plus  amplement  démontré  par  Benoiston  de  Château- 
neuf.  La  ménopause  semble  donc  être  dans  le  même  cas  que 
la  puberté ,  c'est-à-dire  que  ses  préludes  paraissent  faire  cou- 
rir plus  de  risques  à  la  vie  que  son  établissement  même,  quoi- 
que le  plus  grand  danger  qu'entraîne  l'accouchement  à  trente 
et  à  quarante  ans^  contribue  aussi  à  l'augmentation  que  la 
mortalité  présente  à  cette^époque. 

.  8"  Parmi  les  individus  dont  l'âge  dépassait  quatre-vingt-dix 
ans ,  on  compta ,  en  Suède ,  pendant  l'espace  de  neuf  années, 
deux  mille  trente-six  hommes ,  et  trois  mille  cinq  cent  qua- 
rante femmes  (1)  ;  à  Paris ,  dans  une  paroisse ,  pendant 
trente  années ,  quarante-sept  hommes  et  cent  vingt-six  fera- 


(i)  Loc.  cit.,  p.  18, 

(2)  AhhandlmKjen  clef  Sclmedischen  Âhad$mie ,  t.  XXVIII ,  p.  24, 


MORTALITÉ.  SgS 

mes  (1) ,  et  dans  la  ville  entière ,  en  1827,  vingt-deux  hom- 
mes et  cinquante  femmes  (2)  ;  à  Berlin ,  depuis  1752  jus- 
qu'en 1755,  vingt-et-un  hommes  et  cinquante-cinq  femmes  (3), 
et  de  1793  à  1797 ,  dix-sept  hommes  et  quarante-trois  fem- 
mes (4)  ;  à  Breslau,  de  1813  à  1822,  trente-et-un  hommes  et 
quarante-huit  femmes  ;  à  Halle  ,  de  1720  à  1800 ,  cinquante- 
neuf  hommes  et  cent  dix-neuf  femmes  (5),  ce  qui  donne,  pour 
terme  moyen ,  cent  hommes  et  cent  soixante- dix-huit  femmes 
nonogénaires.  Au  dessus  de  cent  ans ,  il  y  a  eu ,  en  Suède , 
deux  cent  quatre-vingt-six  hommes  et  quatre  cent  vingt-quatre 
femmes  ;  à  Naples ,  de  1814  à  1822 ,  quarante-huit  hommes  et 
quatre-vingt-onze  femmes  (6);  à  Berlin,  deux  hommes  et 
sept  femmes;  à  Halle,  six  hommes  et  dix  femmes,  par  consé- 
quent, terme  moyen,  cent  cinquante-cinq  femmes  pour  cent 
hommes.  Mais  ,  de  même  qu'au  dessus  de  cent  ans  ,  l'excès 
des  femmes  n'est  plus  ^aussi  considérable ,  de  même  aussi  on 
ne  trouve  des  exemples  de  longévité  extraordinaire  que  parmi 
les  hommes  (§  623,  13")  ce  qui  est  une  nouvelle  preuve  à 
l'appui  de  ce  que  nous  avons  déjà  dit ,  que  les  extrêmes  sont 
particuliers  au  sexe  masculin  (§  206 ,  4"). 

9°  Le  nombre  des  veufs  est  à  celui  des  veuves  ::  100  :  150  , 
d'après  Sussmilch  (7)  ;  en  1817  ,  il  s'est  trouvé  ,  à  Paris  ,  de 
100  :  341  (8).  Ce  qui  doit  certainement  influer  un  peu  sur  cette 
proportion  ,  c'est  que  l'époux  est  ordinairement  plus  âgé ,  et 
que  les  mariages  en  secondes  noces  sont  plus  communs  chez 
les  hommes  que  chez  les  femmes  (§  569  ,  2°).  Mais  la  princi- 
pale cause  tient  à  la  plus  longue  durée  de  la  vie  des  femmes. 
Cet  excès  de  longévité  a  son  fondement  dans  le  côté  matériel 
de  la  vie  féminine  (§  188)  ;  néanmoins ,  en  réfléchissant  au 


(1)  Sussmilch,  loc  cit.,  t.  IT,  table  XII; 

(2)  Annuaire  du  bureau  des  longitudes ,  1829 ,  p.  91. 

(3)  Sussmilch,  loc.  cit.,  t.  II,  table  XIII. 

(4)|Formey,  f^ersuch  einer  Topographie  von  Berlin,  p.  126. 

(5)  Gute,  Angahe  und  Berechnung  der  Gebohrenen,  Foj'storbenen,  etc., 
im Halle,  p.  37. 

(6)  Mém.  des  savans  étrangers ,  1828 ,  t.  III,  p.  420. 
0)  Loc.  cit.,  t.  II,  p.  272. 

(8)  Recherches  statistiques  sur  la  ville  de  Paris. 


394  MORTALITÉ. 

côté  moral  de  cette  vie  ,  et  considérant  que  son  influence  sur 
l'organisme  est  essentielle  et  non  accidentelle,  il  nous  est  im- 
possible de  ne  pas  voir  aussi  un  but  dans  ce  qui  résulte  de  ce 
rapport,  comme  conséquence  nécessaire.  Il  semble  donc  que 
la  destinée  de  la  femme  soit  de  survivre  à  l'homme ,  afin 
qu'elle  puisse  l'entourer  de  ses  soins  jusque  sur  le  lit  de  mort 
et  parer  sa  vie  des  charmes  de  l'amour  jusqu'au  dernier  mo- 
menl.  Chez  beaucoup  d'animaux  ,  le  mâle  ,  quoique  faisant 
une  consommaiion  plus  grande ,  vit  plus  long-temps  que  la 
femelle. 

III.  Parmi  les  circonstances  primordiales  qui  déterminent  la 
durée  de  la  vie  ,  se  range  enfin  la  marche  du  développement 
propre  à  l'individu.  Lorsque  le  développement  marche  peu  à 
peu  et  sans  précipitation ,  que  par  conséquent  la  naissance  a 
eu  lieu  en  temps  opportun  ,  que  les  facultés  du  corps  et  de 
l'âme  se  sont  développées  dans  l'ordre  suivant  lequel  elles  doi- 
vent se  succéder,  alors  on  doit  s'attendre  à  une  plus  longue 
durée  de  la  vie.  De  même  que  la  végétation  marche  avec  plus 
de  rapidité  et  les  fruits  mûrissent  plus  vite  pendant  le  court 
été  qui  règne  au  voisinage  des  pôles  ,  de  même  aussi  un  dé- 
veloppement très-rapide  est  partout  l'expression  d'une  vie 
qui  dure  moins  long-temps  ;  ainsi  certaines  plantes ,  qui  sont 
annuelles  au  midi,  deviennent  bisannuelles  ou  vivaces  dans  le 
nord,  où  leur  développement  s'accomplit  d'une  manière  plus 
lente. 

I.  Influence  des  conditions  acquises. 

§  634.  Les  circonstances  qui  sont  amenées  parla  volonté  ou 
par  des  actions  extérieures  peuvent  favoriser  la  durée  de  la 
vie ,  en  tant  qu'elles  sont  propres  à  maintenir  son  harmonie 
et  à  conserver  l'équilibre  entre  la  consommation  et  la  restau- 
ration . 

1°  En  général,  l'habitude  de  se  bien  porter,  et  la  consolida- 
tion du  type  de  la  vie,  qui  en  est  le  résultat,  assurent  une  plus 
longue  durée  de  la  vie.  Cependant  l'état  valétudinaire  n'em- 
pêche point  d'atteindre  à  un  âge  avancé ,  pourvu  qu'il  y  ait 
compensation  entre  la  consommation  et  la  restauration  des 


MORTALITÉ.  SgS 

forces.  Ainsi  la  longévité  s'observe  après  une  jeunesse  dé- 
bile (1) ,  de  même  qu'après  des  maladies  graves ,  comme  le 
typhus ,  les  fièvres  intermittentes  ,  les  ulcérations  des  pou- 
mons ,  les  fractures ,  mais  rarement  après  les  affections  de 
l'estomac  (2).  La  digestion  étant  d'une  haute  importance , 
la  bonté  des  dents  exerce  aussi  de  l'influence  ,  quoique  ce 
soit  une  circonstance  secondaire,  à  laquelle  il  ne  faut  point 
attacher  un  rôle  exagéré.  Sainclair  fait  remarquer  qu'on  trouve 
des  exemples  de  longévité  chez  des  individus  qui  avaient 
perdu  toutes  leurs  dents,  comme  chez  d'autres  qui  les  avaient 
conservées.  Rush  (3)  a  connu  un  octogénaire  et  un  centenaire 
qui  n'avaient  plus  de  dents  depuis  l'âge  de  trente  ans ,  et  ua 
homme  de  quatre-vingt-un  ans  chez  lequel  elles  avaient  com- 
mencé à  tomber  dès  la  dix-neuvième  année.  Il  a  constaté 
aussi  que  des  hommes  dont  les  cheveux  ont  grisonné  ou  sont 
tombés  pendant  l'âge  adulte ,  n'en  atteignent  pas  moins  assez 
fréquemment  un  âge  fort  avancé.  Ici  donc ,  comme  partout, 
la  vie  ne  se  rattache  point  à  une  seule  et  unique  circonstance  ; 
elle  peut  se  maintenir  d'une  manière  générale,  quoique  éteinte 
d^ns  des  parties  subordonnées. 

2°  L'usage  modéré  d'une  nourriture  simple  et  succulente 
est  favorable  à  la  longévité.  Mais  comme  les  circonstances 
extérieures  n'ont  jamais  qu'une  influence  conditionnelle  ,  la 
vie  peut  se  maintenir,  si  tout  d'ailleurs  la  favorise,  tant  avec 
une  nourriture  misérable  qu'avec  une  alimentation  assez  abon- 
dante. Aussi  Buffon  avait-il  déjà  reconnu  que  la  sobriété  ne 
joue  qu'un  rôle  secondaire.  Halier  (4)  et  Fischer  (5)  rappor- 
tent des  exemples  de  longévité  parmi  des  ivrognes ,  dont  l'un 
n'avait  jamais  fait  usage  que  d'alimens  froids.  Sinclair  a  ob- 
servé des  cas  analogues ,  et  Rush  (6)  ne  connaissait  pas  un 
seul  octogénaire  qui  n'eût  pris  du  thé  ou  du  café  depuis  qua- 
rante à-  cinquante  ans. 

(1)  Halier,  Elem.  physiol.,  t.  VIII,  P.  II,  p.  117, 

(2)  Sammlung  auslergener  Ahliandlunsen  ,  t.  XVII ,  p.  116. 

(3)  Ibid.,  p.  118. 

(4)  Loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  115. 

(5)  Abhandlung  von  dem  hohen  Alter  des  Menschen ,  p.  95-104. 

(6)  Loc.  cit.,  p.  111. 


396  MORTALITÉ . 

3°  Un  climat  doux ,  une  élévation  médiocre  du  pays ,  une 
sécheresse  modérée  de  l'air  sont ,  en  général ,  des  circonstan- 
ces favorables  à  la  longévité.  Mais  on  trouve  aussi  des  exem- 
ples d'hommes  qui  ont  vécu  fort  longtemps,  soit  dans  des'pays 
chauds ,  soit  dans  des  climats  froids  (1),  et  il  paraît  n'y  avoir 
d'absolument  nuisible  que  les  extrêmes.  Le  Renne ,  qui  vit 
dans  le  nord ,  ne  devient  pas  aussi  vieux  que  le  Daim ,  qui  vit 
dans  un  climat  plus  chaud  ,  quoique  celui-ci  soit  plus  petit , 
et  le  Cheval  vit  plus  long-temps  dans  l'Orient  que  chez  nous  (2). 
De  même ,  certaines  plantes  qui  sont  annuelles  dans  nos  pays, 
deviennent  bisannuelles  et  vivaces  dans  les  contrées  chaudes  , 
par  exemple ,  la  Laitue  et  la  Chicorée  à  Saint-Domingue ,  où 
elles  prennent  une  consistance  à  demi  ligneuse  et  acquièrent 
une  ajnertume  telle  qu'on  ne  peut  plus  les  manger  (3).  D'un 
autre  côté,  on  trouve,  dans  les  régions  les  plus  froides  de  la 
Finlande ,  des  Pins  de  petite  stature ,  mais  dont  l'âge  remonte 
à  trois  siècles  (4) ,  parce  que  là  le  froid  ralentit  le  cours  de  la 
vie,  sans  l'arrêter.  C'est  donc  partout  l'individualité  qui  éta- 
blit l'appropriation  de  telle  ou  telle  circonstance  extérieure,  ou 
qui  donne  la  facultéd'op  poser  une  résistance  plus  ou  moins 
efficace  aux  agressions  du  dehors. 

4o  Au  total ,  la  durée  de  la  vie  est  plus  considérable  dans 
les  campagnes  que  dans  les  villes ,  et  dans  les  petites  villes 
que  dans  les  grandes ,  où  l'air  est  moins  pur  ,  où  surtout  il  y 
a  moins  de  moralité  ,  plus  de  misère ,  plus  de  soucis ,  et  même 
plus  de  superflu  et  de  dissipation.  Voilà  pourquoi  l'âge 
mûr  surtout  court  plus  de  dangers  dans  les  grandes  villes, 
tandis  qu'une  civilisation  plus  avancée  y  met  plus  en  sûreté 
l'enfance  et  la  vieillesse.  Dans  les  campagnes,  la  mortalité  est 
plus  considérable ,  d'après  Sussmilch  (6) ,  pendant  les  six 
premières  années  de  la  vie ,  et  si  l'on  en  juge  d'après  les  listes 
de  la  compagnie  écossaise  d'assurance  mutuelle ,  les  maladies 


(i)  Loc.  cit.,  t.  VIII,  pi.  II,  p.  104-112. 

(2)  Ihid.,  p.  95. 

(3)  Dict.  des  Se.  méd.,  t.  XXIX  ,  p.  25. 

(4)  Ahhandlunijen  der  SchwedischeniAkademie  ,  t.  VÏII ,  p.  117. 
(5)£oc.  cie.,  t.  II,  p.  315. 


MORTALITÉ.  Sq'^ 

y  sont  plus  fréquentes  et  plus  longues  parmi  les  vieillards 
que  dans  les  villes  (1). 

5°  Un  exercice  modéré  des  forces  physiques  est  une  cir- 
constance favorable  à  la  longévité.  Cependant ,  comme  le  fait 
remarquer  Rush  (2) ,  on  peut  aussi  atteindre  un  âge  avancé 
en  menant  une  vie  sédentaire  ,  et  l'on  trouve  beaucoup  de 
vieillards  qui  jouissent  d'une  parfaite  santé,  quoique ,  depuis 
longues  années ,  ils  ne  soient  presque  jamais  sortis  de  leur 
chambre,  ou  ne  se  soient  livrés  à  aucun  mouvement  précipité. 

6»  Après  les  circonstances  primordiales  (§  630) ,  ce  qu'il  y 
a  de  plus  important  pour  la  durée  de  la  vie ,  c'est  l'état 
moral. 

l»  L'activité  de  l'esprit  entretient  la  vie  ,  et  elle  peut  même 
être  portée  fort  loin  sans  empêcher  qu'on  arrive  à  un  âge 
avancé  ,  comme  le  prouvent  un  grand  nombre  d'exemples', 
dont  Hufeland  (3)  et  Scheu  (4)  ont  rapporté  quelques  uns, 
tandis  que  les  gens  oisifs  ne  fournissent  jamais  une  bien  lon- 
gue carrière  (5).  Les  vieillards  qui  se  livrent  au  repos  et  qui 
renoncent  à  leurs  occupations  accoutumées ,  sans  s'en  créer 
de  nouvelles ,  ne  tardent  généralement  guère  à  succomber. 
Le  plus  puissant  de  tous  les  ressorts  est  la  fermeté  de  carac- 
tère ,  qui  se  fonde  sur  une  exacte  appréciation  de  la  vraie 
valeur  des  choses ,  amène  la  satisfaction  à  sa  suite ,  interdit 
tout  accès  aux  passions  dévorantes,  procure  la  paix  inté- 
rieure ,  dispose  à  l'enjouement ,  à  la  gaîté  ,  et  rend  indépen- 
dant des  coups  du  sort. 

Celte  fermeté  a  bien  autrement  contribué  que  l'eau  pure 
des  sources  à  prolonger  les  jours  de  plus  d'un  pieux  cénobite. 
Mais  celui  qui  en  est  dépourvu,  comme  celui  qui  déses- 
père de  sa  guérison ,  a  déjà  par  cela  seul  un  pied  dans  la 
tombe  (6). 
;    2»  Ce  n'est  pas  la  richesse,  mais  une  laborieuse  etféconde  in- 

(1)  Archives  générales ,  t.  VI,  p.  312. 
(2)76id.,p.  115. 

(3)  La  Macrobiotique,  on  l'art  de  prolonger  la  vie  de  l'homme ,  p.  ^^. 

(4)  Ueher  Aie  chronischen  Kranhheiten  des  mœnnlichen  Alters ,  p,  38, 

(5)  Hufeland  ,  loc.  cit.,  p.  124. 

(6)  Rush,  loc,  cit.,  p.  114, 


5g$  MORTALITÉ. 

^ustrie,  qui  mène  à  l'âge  avancé.  On  y  arrive'moins  par  la  facilité 
de  se  procurer  toutes  les  commodités  et  toutes  les  jouissances  de 
la  vie,  que  par  l'activité  de  l'esprit  etla  satisfaction  intérieure. 
Villermé  a  trouvé  que  les  différences  de  la  mortalité  dans  les 
divers  quartiers  de  Paris  dépendaient  moins  de  l'air,  du  sol , 
de  l'eau  et  de  l'habitation ,  que  de  l'aisance ,  et  qu'il  y  a  plus 
de  mortalité  dans  les  villes  habitées  par  des  riches  sans  travail 
que  dans  celles  oii  règne  une  industrie  qui  amène  le  bien-être 
à  sa  suite  (1).  Il  a  reconnu  que  la  mortalité  est  à  peu  près 
double   dans  les  villes  habitées  par  une  population  nécessi- 
teuse ,   de  ce  qu'elle  est  dans  les  autres ,  et  que  ,   dans  les 
départemens  riches  de  la  France ,  elle  n'enlève  annuellement 
qu'un  homme  sur  quaranle-six ,  tandis  que,  dans  les  pauvres, 
elle  en  prend  un  sur  trente-trois  ;  mais  ce  n'est  pas  la  pauvreté 
qui  abrège  la  vie  ,  c'est  seulement  le  manque  d'énergie  pour 
la  combattre,  et  la  mauvaise  conduite.  Il  n'est  pas  rare  de  voir 
arriver  à  un  âge  avancé  des  hommes  qui  n'ont  point  même  leur 
nourriture  assurée  ;  et  parmi  les  vieillards  cités  précédem- 
ment (§  623,  13°)  qui  ont  poussé  très-loin  leur  carrière,  il  ne 
s'en  trouvait  pas  un  seul  qui  fût  riche ,  à  peine  même  un  qui 
eût  de  l'aisance.  L'animal  libre  ,  qui  est  obligé  de  chercher 
ou  de  conquérir  sa  nourriture,  devient  plus  âgé  que  l'animal 
domestique  de  la  même  espèce  qui  trouve  chaque  jour  sesali- 
mens  préparés  ;  les  sauvageons  durent  plus  long-temps  au 
sein  des  forêts  que  quand  on  les  transplante  dans  un  sol  plus 
gras  ;  les  arbres  dont  on  ne  laboure  et  ne  fume  le  pied  que 
tous  les  cinq  à  dix  ans,  surpassent  en  durée  ceux  qui  subissent 
cette  opération  tous  les  ans  (2)  ;  de  même,  la  vie  humaine  ac- 
quiert plus  de  ténacité  par  la  peine  et  les  labeurs  (3),  pourvu 
que  le  travail  ne  soit  pas  de  nature  à  briser  le  courage  et  pa- 
ralyser la  spontanéité. 

Nous  en  avons  une  preuve  parmi  les  juifs,  dont  la  majorité 
sont  pauvres  sur  presque  tous  les  points  du  sol  de  l'Al- 
lemagne ,  et  chez  lesquels  néanmoins  règne  une  mortalité 

(1)  Mémoires  de  l'Acad.  loy.  de  niéd.,  t.  I,  p.  51etsuiv. 
^2)  Bacon  ,  0/)era,  p.  496. 
(3)  Scheu,  loc.  cit.,  p.  30. 


MORTALITÉ.  Sgg 

moins  forte  qu'au  milieu  des  chrétiens;  car,  à  Breslau, 
par  exemple ,  il  meurt  annuellement  un  chrétien  sur  vingt- 
six  ,  et  un  juif  seulement  sur  quarante-et-un  ;  la  principale 
cause  de  celte  différence  tient  incontestablement  à  ce  que  les 
pauvres  Israélites  ne  prennent  pas  souci  de  leur  misère ,  qui 
n'engourdit  jamais  leurs  facultés.  Suivant  Yillermé ,  la  morta- 
lité est  énorme  ,  au  contraire ,  parmi  les  mendians  et  les  va- 
gabonds ;  dans  les  établissemens  destinés  à  les  recevoir  en 
France ,  elle  surpasse  celle  qui  règne  dans  la  plupart  des 
prisons ,  et  même  dans  les  bagnes.  Quetelet  (1)  a  trouvé  éga- 
lement que,  dans  les  établissemens  néerlandais  de  ce  genre , 
elle  s'élevait  à  un  sur  8,  91,  tandis  que,  pour  les  Pays-Bas  en 
général ,  elle  n'est  que  de  un  sur  43,  80. 

Les  nègres  de  l'Amérique  septentrionale  nous  en  fournissent 
un  autre  exemple.  Le  dur  esclavage  dans  les  chaînes  duquel 
ils  gémissent ,  rend  la  mortalité  très-considérable  parmi  eux, 
puisque,  même  à  New-York  et  à  Philadelphie ,  il  en  meurt  un 
sur  dix-huit,  tandis  que  la  mortalité,  parmi  tous  les  habitans 
pris  ensemble ,  n'est  que  de  un  sur  trente-trois  à  trente-neuf. 
A  Baltimore  ,  au  contraire ,  où  les  esclaves  sont  traités  avec 
humanité  ,  et  où  les  noirs  libres  vivent  dans  l'aisance  ,  la  pa- 
resse et  les  excès ,  la  mortalité  relative  est ,  terme  moyen , 
de  1  î  ^54  parmi  les  habitans  pris  ensemble ,  de  1  :  36  parmi 
lesnègres libres,  et  de  i  :  76  parmi  les  nègres  esclaves  (2). 

Enfin,  il  faut  ranger  ici  la  remarque  faite  par  Villermé  que 
la  mortalité  est  extrêmement  faible  parmi  les  prisoniers  qui 
sont  entre  les  mains  de  la  justice  criminelle,  qui  par  conséquant 
songent  sans  cesse  à  leurs  moyens  de  défense  et  ont  l'esprit 
fortement  tendu  par  l'attente  de  Tissue  du  procès  (3). 

3»  Haller  avait  déjà  remarqué  qu'il  se  trouve  beaucoup 
plus  de  vieillards  parmi  les  princes  européens  et  les  magistrats 
bernois  des  temps  modernes  que  parmi  ceux  du  moyen  âge,  et 
des  recherches  entreprises  depuis  ont  démontré  que  partout 
aujourd'hui  la  mortalité  est  moins  considérable  qu'elle  ne  l'était 


(1)  M^m.  de  l'Acad.  de  Bruxelles  ,  t.  V,  p.  449. 

(2)  Bulletin  des  Se.  niéd.,  t.  XIII,  p.  47-28. 


(3)  Loe.  cit.  P.  II,  p.  92. 


4  00  MORTALITÉ. 

jadis.  D'après  Villermé,  la  mortalité  relative  en  France  était 
en  1780  de  1 :  29;  en  1802,  de  1 :  30  ;  en  1820,  de  1 :  39  (1).  Be- 
noiston  de  Châteauneuf  (2)nous  apprendque,  sur  cent  hommes, 
il  en  mourut  en  1780  cinquante-cinq,  en  1825  quarante-trois  , 
depuis  l'âge  d'un  an  jusqu'à  celui  de  cinquante,  que,  jusqu'à 
la  soixantième  année ,  il  en  périssait  autrefois  quatre-vingt- 
cinq  ,  et  qu'aujourd'hui  il  n'en  meurt  plus  que  soixante-seize. 
A  Paris ,  suivant  Villermé  (3) ,  la  mortalité  relative  était,  au 
quatorzième  siècle,  de  1 :  17,  au  dix-septième  de  1 :  26 ,  au 
dix-huitième  de  1  :  32;  au  dix-neuvième ,  elle  est,  d'après 
Benoistonde  Châteauneuf,  de  1 :  39  (4).  A  Genève,  selon  Odier 
et  Serre  Malte  (5),  les  proportions  suivantes  ont  régné  succes- 
sivement : 

Durée  probable  de  la  vie.    Durée  moyenne  de  la  vie. 
Au  16«  siècle  4  ans  et  9  mois.  18  ans  et  5  mois. 

Au  17«  7  11  23  4 

Pendant  la  1''^  moi- 
tié du  18«  siècle    27  3  32  8 
Pendant  la  2"  moi- 
tié du  18«  siècle   32            4                       33  7 
1801-1813                37           10                       38  6 
1815-1826               45           10                       38          10 

Schubler  a  observé  des  proportions  analogues  dans  le 
royaume  de  Wurtemberg. 

Ce  qui  a  le  plus  diminué,  c'est  la  mortalité  chez  les  enfans  ; 
l'introduction  de  la  vaccine  y  a  certainement  eu  beaucoup  de 
part  ;  mais  il  faut  aussi  faire  entrer  en  ligne  de  compte  le 
perfectionnement  des  méthodes  d'éducation  et  du  traitement 
des  maladies  de  l'enfance,  qui  y  a  contribué  plus  encore;  car  la 
mortalité  avait  proportionnellement  pins  diminué  au  dix-hui- 
tième siècle ,  et  notamment  dans  sa  seconde  moitié ,  qu'elle 
n'a  fait  au  dix-neuvième.  Quant  à  ce  qui  concerne  les  autres 
âges ,  l'aperçu  précédemment  donné  (§  630,  Il  )  de  la  durée 

(1)  Mém.  de  l'Acad.  roy.  de  inéd.,  1. 1^  p.  51. 
(2)i6i«i.,t.  X,  p.  461. 

(3)  Archives  de  médecine. 

(4)  Mém.  de  l'Acad.  roy.  de  raéd.,t.  I,  p.  51.1 

(5)  Bibliothèque  universelle  de  Genève ,  t.  XXXVï,  p.  136-140. 


J 


4762-1790. 

De  60  à  70  ans , 

22,4 

De  70  à  80 

13,4 

De  80  à  90 

10,6 

De  90  à  100 

8,6' 

MORTALITÉ.  4^  ^ 

probable  et  moyenne  de  la  vie  à  Genève  prouve  que  la  mor- 
talité est  moins  grande  maintenant  en  cette  ville  qu'elle  ne 
l'était  au  siècle  passé ,  même  pendant  l'âge  avancé ,  à  l'exclu- 
sion toutefois  de  l'extrême  vieillesse  (  à  partir  de  quatre-vingt- 
quinze  ans  ).  A  Stuttgardt ,  au  contraire ,  elle  a  diminué  jus- 
qu'à la  vieillesse  la  plus  reculée  ,  si  l'on  en  juge  d'après  le 
tableau  suivant  que  Schubler  (1)  trace  de  la  mortalité  relative  : 

1790-4803.  18o3-1844.  4812-1827.3 

22,1    22,3    24,8. 

14,4    13,7    14,1. 

10,6    10,9    11,5. 

9,0    10,2    11,3. 

Mais  si  la  vie  est  maintenant  plus  assurée  dans  toute  son 
étendue  qu'elle  ne  l'était  autrefois ,  nous  reconnaissons  en 
cela  l'effet  des  progrès  que  la  médecine  a  faits  dans  les  temps 
modernes,  et  plus  encore  celui  de  la  propagation  des  lumières, 
de  l'adoption  d'un  genre  de  vie  plus  raisonnable  et  plus 
conforme  à  la  nature,  du  développement  de  l'industrie  et  des 
facultés  intellectuelles  ,  et  du  perfectionnement  des  mœurs. 
Meslier  (2)  a  prouvé  que  la  mortalité  est-d'aulant  plus  faible, 
dans  les  divers  départemens  de  la  France ,  qu'on  s'y  inquiète 
davantage  de  l'instruction  publique ,  et  vice  versa. 

ARTICLE    III. 

De  iinjluence  de  l'espèce  sur  la  mortalité. 

§  632.  Si  maintenant  nous  examinons  quelle  peut  être  l'in- 
fluence de  \ espèce  sur  la  durée  de  la  vie  des  individus ,  nous 
trouvons  les  résultats  suivans  ; 

1»  Plus  un  individu  porte  le  cachet  de  son  espèce ,  plus 
aussi  il  a  de  chances  d'arriver  au  terme  normal  assigné  à  la 
vie  de  l'espèce  dans  le  caractère  de  laquelle  ce  terme  entre 
comme  élément  constituant.  Une  taille  moyenne ,  une  struc- 

(4  )  Ueler  die  Mnderungen  in  der]  Sterhliclikeit ,  durch  Einfuehrung 
der  Kulipochen ,  p.  7. 

(2)  Archives  générales,  t.  XVII,  p.  459. 

V.  26 


402  MORTAWT^. 

ture  bien  proporUoaaée ,  une  bonne  poitriae ,  uu  estomac 
robuste ,  un  pouls  vigoureux ,  etc. ,  ne  sont  des  conditions  de 
longévité  que  parce  qu'ils  expriment  un  développement  nor- 
mal du  caractère  de  l'espèce.  Les  géans  et  les  nains  ont  une 
courte  carrière ,  mais  les  premiers  vivent  plus  long-temps 
que  les  seconds  ;  une  proportion  semblable  se  remarque  dans 
les  cas  d'énergie  et  de  faiblesse  extraordinaires  des  facultés 
de  l'esprit.  Mais  ce  qui  ne  peut  point  réaliser  l'idée  de  son 
espèce  dans  les  bornes  de  l'individualité ,  périt  nécessaire- 
ment :  aussi  la  plupart  des  monstres  meurent- ils  au  moment 
de  leur  naissance ,  même  ceux  dans  l'organisation  desquels 
on  ne  découvre  aucune  cause  de  mort ,  comme  les  monstres 
à  deux  corps,  les  monopodes,  etc. 

%°  Les  rapports  de  la  génération  avec  la  durée  de  la  vie  , 
qui  s'appliquent  aux  différentes  espèces  (  §  624  ,  2"  ) ,  sont 
vrais  aussi  à  l'égard  des  individus.  Quand  on  fume  des  plantes 
bisannuelles  de  manière  à  leur  faire  porter  fruit  dès  la  pre- 
mière année ,  elles  meurent  dans  le  cours  de  celte  année  ; 
lorsque ,  au  contraire ,  on  coupe  les  fleurs  du  réséda  avant  la 
formation  des  graines,  la  plante  acquiert  une  tige  ligneuse  , 
et  devient  vivace  (i)  ;  les  sauvageons  fleurissent  plus  lard , 
doiinent  moins  de  fruits  ,  et  vivent  plus  long  temps  que  les 
arbres  de  nos  vergers  ;  les  fleurs  stériles  des  plantes  bâtardes 
ont  plus  de  durée  que  les  fleurs  normales  (2).  Si  l'on  empêche 
les  Insectes  de  s'accoupler,  leur  vie  se  prolonge  plus  qu'à  l'or- 
dinaire (3).  Suivant  Hervieux ,  le  Serin  qui  couve  tous  les  ans 
vit  sept  à  huit  années,  tandis  qu'il  parvient  à  vingt-deux  quand 
il  ne  se  reproduit  pas.  Plus  le  Cochon  est  fécond ,  plus  tôt 
aussi  il  meurt,  et  l'on  assure  que  le  Mulet  stérile  devient  plus 
vieux  que  le  Cheval  et  l'Ane  (4).  L'inverse  a  lieu  chez  l'homme 
et  chez  quelques  animaux  :  les  hermaphrodites  et  autres  indi- 
vidus inhabiles  à  la  génération  meurent  jeunes  ;  on  ne  connaît 


(4)  Decandolle ,  Organographie  végétale ,  t.  II, "p.  233. 

(2)  Rœlreuter,  Forsetzung  der  vortœufiyen  Nachricht ,  t.  II ,  p.  39. 

(3)  Schwfiigger  ,  Uandluch  der  ]Saturgeschiçhte  der  sJaelettlosen  un- 
gegliederten  Thiere ,  p.  66. 

(4)  HaUer,  EUm.  physiolog.,  t.  YÏII,  pL  P,  p.  9%m. 


MORTAUTÉ.  4o3 

pas  d'eunuque  qui  ait  dépassé  spixante-dix  ans.  Lp^  Chapons, 
les  Moutons,  les  Bœufs  et  les  Chevaux  hongres  n'arrivent 
point  à  un  âge  aussi  avancé  que  les  animaux  qui  se  propagent. 
On  ne  pourrait  citer  aucun  exemple  de  célibataires  qui  soient 
parvenus  à  un  très-grand  âge  (!) ,  et  les  hommes  qui  ont 
fourni  une  carrière  exlraordinairement  longue  (  §  622,  13°  ) 
s'étaient  fait  remarquer  aussi  par  la  durée  insolite  de  la  fa- 
culté procréatrice.  Si,  en  France,  la  mortalité  chez  les  moines 
et  les  religieuses ,  d'après  Deparcieux ,  chez  les  ecclésiastiques 
et  les  nonnes  ,  selon  Benoislon  de  Châteauneuf  (2) ,  était  plus 
faible  que  chez  les  laïques ,  il  faut  en  chercher  la  cause  non 
point  dans  le  célibat ,  mais  dans  d'autres  circonstances  favo- 
rables. Du  reste,  même  parmi  celte  classe,  la  mortalité  était 
plus  grande  chez  les  hommes  que  chez  les  femmes,  surtout 
après  la  quarante-cinquième  année. 

3°  La  nature  a  plus  de  productivité  que  d'espace  pour  ses 
produits,  la  possibilité  est  plus  grande  que  la  réalité  (§  268), 
et  si  tous  les  individus  d'une  espèce  atteignaient  le  plus  grand 
âg^e  possible  ,  ils  feraient  disparaître  les  autres  espèces  de  Iç 
terre ,  et  finiraient  par  ne  plus  pouvoir  maintenir  leur  propre 
existence.  Qu'on  admette  avec  Sussmilch  (3)  que  cinq  millions 
d^  lieues  carrées  de  pays  habitable  suffisent  pour  dix-huit 
mille  millions  d'hommes ,  ou  avec  Wallace  (4)  qu'il  y  aurait 
assez  de  place  sur  la  terre  pour  quatre  cent  soixante-treize 
ipille  millions  d'hommes,  en  accordant  neuf  mille  cent  dix 
pieds  à  chacun ,  toujours  est-il  certain  que  si ,  depuis  l'époque 
seulement  à  laquelle  remonte  l'histoire ,  tous  les  hommes 
étaient  morts  au  dernier  terme  de  la  vieillesse ,  il  n'y  aurait 
plus  depuis  long-temps  de  quoi  loger  le  genre  humain  sur  la 
terre.  La  mort ,  que  nous  appelons  accidentelle ,  ne  mérite 
donc  ce  nom  qu'autant  que  nous  la  considérons  dans  ses  rap- 
ports immédiats  et  individuels  ;  eu  égard  au  tout ,  elle  est 
naturelle,  et,  sous  le  point  de  vue  des  dispositions  de  la  nature, 

(1)  Hufeland ,  La  macrobiotique  ,  ou  l'Ait  de  prolonger  la  vie  de 
l'homme ,  p.  123. 

^2)  Méra.  sur  la  mortalité  des  feoimes,  p.  22. 

(3)  Gœttlichte  Ordnung ,  t.  II ,  p.  233. 
^  (4)  Dictionn.  des  Se.  méd.,  t.  XXXlYf,  p.  336, 


4o4  MORTALITÉ. 

elle  est  inévitable.  Ainsi ,  pour  ne  parler  ici  que  d'une  seule 
circonstance ,  la  mortalité  augmente  dans  la  même  proportion 
que  le  nombre  des  hommes  accumulés  sur  un  espace  déter- 
miné dépasse  certaines  limites ,  parce  que  l'inégalité  qui  s'éta- 
blit alors  à  l'égard  de  la  propriété  ,  de  l'acquisition  et  du  genre 
de  vie ,  la  complication  des  intérêts  ,  l'éveil  donné  aux  pas- 
sions ,  la  corruption  de  l'air ,  la  diminution  des  alimens  de 
bonne  qualité ,  etc. ,  multiplient  les  chances  de  danger  que 
court  la  vie. 

4°  La  mortalité  des  individus  causée  par  la  mort  qu'on  ap- 
pelle accidentelle  n'est  point  assez  considérable  pour  compro- 
mettre la  durée  de  l'espèce.  Terme  moyen,  il  meurt  annuel- 
lement un  homme  sur  trente-cinq.  Le  nombre  d'hommes  parmi 
lesquels  il  en  meurt  un  chaque  année  était  à  Wittemberg  de 
trente  et  un,  d'après  Sussmilch  (1)  et  Schubler,  à  Hanovre  de 
trente-quatre,  suivant  Sussmilch,  en  Suède  de  trente-six  selon 
le  même,  en  Angleterre  de  trente-huit  en  1812,  en  France  de 
trente-neuf  (2),  en  Russie  de  quarante,  d'après  Wichmann, 
dans  les  Pays-Bas  de  quarante-deux,  selon  Quetelet  (3),  et  en 
1825  de  quarante  et  un.  Il  s'élevait,  selon  Sussmilch^  à  vingt- 
quatre  dans  les  villes  de  Stockholm  et  Amsterdam,  à  vingt-cinq 
dans  celles  de  Rome  et  Londres ,  à  vingt-huit  dans  celle  de 
Berlin  ,  suivant  Hohn,  à  vingt-neuf  dans  la  ville  de  Breslau 
(vingt-six  de  1781  à  1805),  quarante  àNew^-York,  quarante- 
quatre  à  Boston  (4),  quarante-six  dans  le  district  de  Samt-Paul 
au  Brésil  (5).  Si  l'on  songe  à  la  diversité  du  climat  et  des 
autres  conditions  de  la  vie  dans  ces  contrées  et  villes,  ainsi 
qu'à  la  variété  des  causes  accidenielles  de  mort  par  écarts 
de  régime,  blessures ,  empoisonnemens  et  autres  circonstan- 
ces individuelles ,  la  différence  paraîtra  bien  légère.  La  loi 
générale  de  la  mortalité  se  montre  plus  clairement  encore 
dans  la  compensation  des  proportions;  si  le  nombre  d'habitans 


(d)  Le.  cit.,  t.  II,  p.  85. 

(2)  Annuaire  du  Bureau  des  lougilndes,  4829,  p.  105, 

(3)  Nouveaux  Mém.  de  l'Acad.  de  Bruxelles ,  t.  Y,  p.  120. 

(4)  Gerson ,  Magazin  ,  t.  XVII ,  p.  69. 

(5)  Spix  et  Martius ,  Beïe  in  Brasilien  ,  t.  I ,  p.  224. 


MORTAOTÉ.  4o5 

parmi  lesquels  il  en  meurt  un  par  année  est  de  quarante  dans 
les  villages,  trente-deux  dans  les  petites  villes,  vingt-huit  dans 
les  grandes  et  vingt-quatre  dans  les  très-grandes  ,  il  est  de 
trente-cinq  dans  les  pays  entiers  (1);  il  est  de  vingt-quatre 
dans  les  provinces  hollandaises  (2),  et  de  quarante-deux  dans 
l'ensemble  du  royaume  néerlandais.  Black  (3)  le  dit  de  vingts 
et-un  à  Londres  et  Edimbourg,  vingt-deux  àDublin,  et  soixante 
dans  quelques  contrées  de  TAngleterre,  tandis  qu'il  est  de 
trente-huit  pour  toute  la  Grande-Bretagne. Suivant  Quetelet(4), 
la  plus  forte  mortalité  a  lieu  dans  les  provinces  où  la  popula- 
tion est  la  plus  grande  et  le  nombre  des  naissances  le  plus  con- 
sidérable. A  mesure  que  la  mortalité  diminue  dans  un  endroit, 
la  fécondité  y  diminue  aussi,  comme  il  a  été  prouvé  entre  au- 
tres pour  Paris  (5).  Les  mois  dans  lesquels  on  compte  le  plus 
de  naissances  sont  aussi  ceux  oii  il  y  a  le  plus  de  décès ,  et 
Quetelet  a  confirmé,  eu  égard  aux  Pays-Bas  (6),  que  le  maxi- 
mum et  le  minimum  de  la  mortalité  tombent  aux  mêmes  épo- 
ques de  l'année  que  la  fréquence  des  naissances.  Suivant  la 
remarque  de  Bueck  (7);,  les  fécondations  les  plus  fréquentes 
ont  lieu  au  mois  de  mai,  par  conséquent  immédiatement  après 
l'époque  de  la  plus  grande  mortalité.  On  a  reconnu  aussi  une 
fécondité  extraordinaire  avec  les  calamités  publiques,  telles 
que  la  guerre,  la  famine  et  les  épidémies,  et  Riish  a  même 
constaté  que  Tinstinct  génital  recevait  une  impulsion  insolite 
chez  ceux  qui  échappaient  à  la  fièvre  jaune. 

6°  La  mortalité  déterminée  par  la  mort  accidentelle  est  telle 
que  la  fécondité  la  dépasse,  ou,  en  d'autres  termes,  qu'il 
naît  plus  d'hommes  qu'il  n'en  meurt.  Ce  cas  n'a  pas  lieu  dans 
beaucoup  de  grandes  villes ,  où  non  seulement  il  règne  une 
mortalité  plus  considérable ,  mais  encore  les  mariages  sont 
moins  communs ,  de  sorte  que  la  fécondité  est  moindre  ;  mais, 

(1)  Sussmilch ,  loc.  cit.,  t.  Il,  p.  191. 

(2)  Dictionn.  des  Se.  méd.,  t.  XXIX  ,  p.  40. 

(3)  f^errjleichung  der  Sterblichkeit  des  menschlichen  Geschlechts,  p.  36' 
(4;  Loc.  cit.,  p.  126. 

(5)  Recherehes  statist.  sur  la  ville  de  Paris,  t.  I,  Paris  ,  1823,  in-4,  — 
Mém.  de  l'Acad.  roy.  de  méd.,  t.  I,  p.  51. 

(6)  Loc.  cit.,^.  127. 

(7)  Gerson ,  Magasin ,  t.  XVII ,  p.  355. 


4b6  MORTALITÉ. 

lorsqu'on  embrasse  des  pays  entiers ,  on  trouve  toujours  que 
celle-ci  l'emporte  sur  la  niortalité.  La  proportion  entre  lé 
nombre  des  décès  et  celui  dfes  naisisances ,  par  année ,  varie  , 
suivant  Sussmilch  (1),  depuis  1  :  i,ÎÔ  jusqu'à  1  :  i, 13,  terme 
moyen  ellea  été  pour  la  France,  de  1  :  1,18,  en  1826  dei  :  1,2 
dans  la  période  de  J817  à  1826.  Si,  pour  exprimer  la  proportion 
en  nombres  ronds,  on  admet  par  année  une  naissàiicé  sur 
trente  hommes  (  §  266  ),  et  Un  décès  sur  trente-cinq  (  4°  ),  on 
trouve  annuellement,  pour  cent  cinquante  hommes ,  quatre 
décès  et  cinq  naissances  ;  les  décès  sont  donc  aux  naissances 
:  :4  :  5  ou  ::  1  :  1,25.  En  conséquence,  la  population  S'accroît 
d'un  cent-cinquantième  par  année  et  d'un  quinzième  par  dix. 
ans  ;  elle  doublerait  en  cinquante  ans.  En  France ,  d'après 
Mathieu  (2),  la  population,  qui  était  de  trente  millions  quatre 
cent  cinquanté-iiii  mille  âmes  eh  i82Ô,  croît  chaque  année 
d'environ  cent  qiiatre-vingt-treize  lîiille  deux  cents  ;  en  dix  an- 
nées, de  1817  â  4826,  l'augruentàtion  s'est  élevée  à  un  million 
neuf  cent  trente-deux  mille  cinquante  (3).  Dans  les  Pays  Bas, 
au  rapport  de  Quetelet  (4) ,  on  a  compté  par  année  une  nais- 
sance sur  vingt-sept  hommes  et  un  décès  sur  quarante-deux  ; 
la  crue  annuelle  de  la  populaljoa  a  été  d'un  Foixante-quin- 
zième.  Si,  aux  environs  de  Contendas,  au  Brésil,  il  y  a  an- 
nuellement un  décès  sur  vingt  naissances  (5) ,  c'est  là  Une 
proportion  qui  ne  peut  ni  s'étendre  sur  une  grande  surface, 
ni  durer  long-temps.  Dans  les  colonies  nouvelles,  ou  une 
contrée  saliibre ,  fertile  et  favorable  à  l'industrie ,  mais  jus- 
qu'alors déserte,  vient  à  être  cultivée  par  des  hommes  entre- 
prenans  et  courageux ,  la  population  croît  avec  Une  rapidité 
extrême,  de  manière  qu'il  ne  lui  faut  pas  un  siècle,  à  beau- 
coup près ,  pour  duubier  ;  mais,  à  mesure  que  les  côfaditions 
de  la  vie  rentrent  dans  la  balance  ordinaire,  l'accroisse- 
ment de  la  population  diminue  aussi  d'une  manière  propor- 
tionnelle. 

(1)  Loc.  cit.,  1. 1,  p.  342. 

(2)  Annuaire  dii  Bureau  des  longitudes  ,  1829,  p.  1Û5. 

(3)  Ibid.,  p.  98. 

(4)  Loc.  cit.,  p.  120. 

(5)  Spix  et  Martius ,  Reise  in  BrasUien ,  t.  H ,  ^.  52S.  ' 


MORTALITÉ.  40^ 

6°  Une  génération  (§  46  ,  4*)  est  la  période  qui  s'écoule 
depuis  la  naissance  d'un  homme  jusqu'à  sa  propagation  ;  elle 
dure  à  peu  près  trente-trois  ans.  Villot  (1)  a  trouvé,  en  exa- 
minant les  registres  des  naissances  et  des  mariages  à  Paris 
pendant  le  dix-huitième  siècle,  que,  terme  moyen  ,  à  la  nais- 
sance du  premier  fils,  le  père  avait  trente-trois  ans  et  la  mère 
vingt  huit.  Si,  de  cette  manière,  il  vit,  pendant  un  siècle,  trois 
générations  d'une  famille ,  on  peut  aussi  admettre  ,  durant 
cette  période,  trois  générations  de  l'espèce  humaine,  en  sup- 
putant ainsi  la  somme  de  ceux  qui  sont  nés  à  la  même  époque; 
car,  en  France  par  exemple  ,  d'après  les  tables  de  mortalité 
de  Duvillard  ,  sur  mille  hommes  venus  au  monde  dans  la 
même  année ,  il  en  reste  quatre  cents  dix-sept  au  bout  de 
trente-trois  ans ,  cent  cinquante-six  au  bout  de  soixante-dix , 
et  0,3  au  bout  de  quatre-vingt-dix-neuf.  Les  Egyptiens  et  les 
Grecs  évaluaient  un  âge  d'homme  à  trente  ou  trente-trois  ans, 
et  comptaient  trois  générations  par  siècle  :  mais  on  ne  sait 
pas  bien  précisément  sur  quel  principe  ils  se  basaient. 

7"  Des  proportions  de  la  mortalité  il  suit  que ,  parmi  les 
contemporains,  ceux  qui  ont  atteint  l'âge  mûr  forment  la  ma- 
jorité, et  c'est  efFectivemeut  ce  que  constatent  les  étals  de  po- 
pulation. En  1817,  on  comptait  à  Paris  712,112  habitans  (2), 
répartis  ,  quant  aux  âges  ,  dans  les  classes  suivantes ,  pour 
l'établissement  desquelles  nous  avons  supposé  une  popula- 
tion d'un  million  d'âmes  ,  afin  de  rendre  la  comparaison  plus 
facile  : 

Au  dessous  de  10  ans  132,434 

De  10  à  20  ans  160,585 

De  20  à  30  200,119 

De  30  à  40  163,099 

De  40  à  50  126,799 

De  50  à  60  102,938 

De  60  à  70  70,704 

De  70  à  80  28,351 

De  80  à  90  5,668 

(1)  Recherches  statistiques  sur  la  ville  de  Paris; 

(2)  Ihid. 


4o8  MORTAlITÉo 

De  90  à  100  299 

Au  dessus  de  100  4 

D'après  cela,  sur  un  million  d'hommes,  il  y  en  a  trois  cent 
deux  mille  dix-neuf  au  dessous  de  vingt  ans,  et  six  cent  qua- 
tre-vingt-dix-sept mille  neuf  cent  quatre-vingt-un  au  dessus. 
Dans  le  royaume  de  Wurtemberg ,  on  a  compté  en  1821,  en 
calculant  d'après  la  même  échelle ,  trois  cent  seize  mille  qua- 
tre cent  cinquante-cinq  habitans  au  dessous  de  quatorze  ans, 
et  six  cent  quatre-vingt-trois  mille  cinq  cent  quarante-cinq  au 
dessus;  parmi  un  miiiion  d'habitans  mâles  ,  quatre  cent  cinq 
mille  trois  au  dessus  de  dix-huit  ans,  et  cinq  cent  quatre-vingt- 
quatorze  mille  neuf  cent  quatre-vingt-dix-sept  au  dessus.  Si 
l'on  divise  le  total  des  vivans  en  trois  portions  égales,  celles-ci 
correspondent  assez  exactement  à  la  division  de  la  vie  en  pé- 
riodes de  non-maturité,  d'âge  mûr  et  de  vieillesse.  En  effet, 
d'après  Sussmilch ,  un  tiers  de  la  population  se  compose  d' en- 
fans  et  de  jeunes  gens  au  dessous  de  seize  ans  ,  le  plus  grand 
tiers  des  hommes  de  seize  à  trente-huit  ans ,  et  le  plus  petit 
des  individus  au  dessus  de  îrente-huit  ans.  Cependant ,  d'a- 
près le  calcul  cité  précédemment ,  il  y  avait  à  Paris  ,  sur  un 
million  d'habitans,  trois  cent  deux  mille  dix-neuf  individus  au 
dessous  de  vingt  ans,  trois  cent  soixante-trois  mille  deux  cent 
dix-huit  entre  vingt  et  quarante  ,  et  trois  cent  trente-quatre 
mille  sept  cent  soixante  et  trois  au  dessus  de  quarante  ans. 
Mais,  dans  le  Wurtemberg ,  on  a  compté,  sur  un  même  nom- 
bre d'habitans  du  sexe  masculin,  quatre  cent  cinq  mille  trois 
individus  au  dessous  de  dix-huit  ans,  trois  cent  vingt  mille  six 
cent  quatre-vingt-onze  entre  dix-huit  et  quarante  ,  et  deux 
cent  soixante-quatorze  mille  trois  cent  six  au  dessus  de  qua- 
rante ans. 


MORT.  40Ô 

Section  deuxième. 

DES  PHÉNOMÈNES  DE  LA  MORT. 
CHAPITRE    PREMIER. 

Des  phénomènes  de  V extinction  de  la  vie, 

§  633.  Si  maintenant  nous  portons  nos  regards  sur  les/)^e- 
nomènes^'Aç.  la  mort,  nous  remarquons  , 

I.  D'abord  qu'elle  suit  une  marche  diverse. 

1°  La  mort  naturelle  survient  doucement  et  peu  à  peu, 
lorsque  Tactivité  vitale  est  arrivée  au  point  de  ne  pouvoir 
plus  se  maintenir ,  et  sans  qu'il  s'établisse  de  désharmonie 
dans  ses  diverses  directions.  Celte  extinction  graduelle  de  la 
vie  s'opère  dans  l'extrême  vieillesse ,  sans  maladie  aucune  ; 
tantôt  elle  a  lieu  avec  conscience  ,  et  constitue  {'euthanasie , 
qui,  suivant  Platon,  est  plutôt  accompagnée  de  joie  que  de 
douleur  ;  tantôt  elie  survient  sans  que  l'individu  s'en  aperçoive 
et  pendant  son  sommeil.  D'après  les  observations  recueillies 
par  Pinel  à  la  Salpétrière  (1) ,  ce  dernier  cas  serait  celui,  par 
exemple,  de  la  plupart  des  femmes  nonagénaires ,  chez  les- 
quelles la  flamme  vitale  ne  jette  plus  qu'une  lueur  languissante 
et  s'éteint  tout  à  coup  ;  ces  femmes  tombent  dans  un  assou- 
pissement calme  ,  mais  elles  se  sont  endormies  pour  toujours, 
sans  le  savoir.  Un  épuisement  uniforme  de  l'activité  vitale 
peut  également  avoir  lieu  à  la  suite  de  maladies  ;  dans  les 
consomptions,  l'extinction  graduelle  de  la  vie  est  souvent 
aperçue  par  le  malade,  comme  par  ceux  qui  l'entourent;  mais, 
après  de  violentes  inflammations  ,  quand  l'orage  des  accidens 
est  calmé  ,  il  goûte  encore  une  fois  le  bien-être  du  rétablisse- 
ment de  l'harmonie  vitale ,  pendant  que  la  gangrène  fait  des 
progrès  et  le  tue  d'une  manière  soudaine. 

2»  Il  en  est  d'autres  que  la  mort  saisit  en  pleine  vie  ;  elle 
fond  sur  eux  à  Timproviste ,  et  paralyse  tout  à  coup  les  fonc- 
tions centrales.  Ce  cas  arrive  non  seulement  quand  la  vie  est 
détruite  par  une  violence  mécanique ,  comme  chez  les  hom- 

(4)  Archives  générales ,  t.  II,  p .  % 


4 10  MORT. 

mes  atteints  d'une  blessure  au  cœur,  ou  chez  ceux  qui  voient 
tout  leur  sang  s'écouler  par  l'ouverture  d'Un  gros  tronc  arté- 
riel et  conservent  la  réflexion  jusqu'au  dernier  moment,  mais 
encore  lorsque  des  causes  internes  amènent  la  cessation  de  la 
vie.  Ainsi  l'apoplexie  tue  quelquefois  le  vieillard  d'une  ma- 
nière foudroyante  ,  et  ne  lui  laisse  qu'un  moment  pour  sentir 
la  mort.  Les  hommes  chez  lesquels  cette  dernière  part  du 
cœur  ou  du  poumon  périssent  non  moins  rapidement ,  mais 
avec  une  conscience  plus  nette  de  ce  qui  leur  advient ,  et  il 
n'est  pas  besoin  pour  cela  d'une  catastrophe  matérielle,  telle 
que  la  rupture  du  cœur  ou  du  tronc  artériel ,  car  ces  organes 
centraux  peuvent  être  frappés  subitement  de  paralysie  à  la 
suite  de  désordres  qui  jusqu'alors  avaient  été  plus  ou  moins 
remarqués;  le  malade,  libre  de  toutes  sensations  douloureuses, 
exempt  de  tous  symptômes  morbides ,  en  pleine  jouissance 
de  ses  facultés ,  et  livré  à  ses  travaux  ou  aux  plaisirs  de  la 
société,  s'écrie  tout  à  coup  :  Je  suis  mort!  ou  J'étouffe  !  [et  à 
peine  ses  lèvres  ont-elles  prononcé  ces  mots  que  déjà  la  vie 
s'est  envolée ,  de  manière  que  les  assistans  n'ont  point  sous  les 
yeux  un  mourant ,  mais  un  mort.  C'est  ainsi ,  pour  nous  bor- 
ner à  un  seul  exemple,  que  FourCroy  s'écria  au  milieu  d'un 
travail  littéraire  =  Je  suis  mort!  et  il  l'étai-ten  effet  (1). 

3°  V agonie  a  lieu  quand  la  vie  ne  s'éteint  ni  uniformément 
ni  subitement.  C'est ,  à  proprement  parler ,  une  mort  mala- 
dive et  désharmonique.  Les  phénomènes  les  plus  terribles  de 
cet  état  son  l'oppression ,  l'anxiété  et  les  spasmes  :  les  traits 
se  décomposent ,  et  une  sueur  froide  ruisselé  sur  le  corps  ;  la 
respiration  continue ,  mais  pénible  et  stertoreuse ,  et  le  pouls 
devient  intermittent  ;  la  connaissance  est  perdue ,  quoique  la 
respiration  et  la  circulation  persistent ,  et  de  temps  en  temps 
tous  ces  signes  de  mort  semblent  faire  place  à  un  retour  vers 
la  vie,  jusqu'à  ce  qu'ils  reparaissent  avec  un  redoublement 
d'intensité. 

II.  Quant  aux  fonctions  en  particulier , 

4°  Il  arrive  assez  fréquemment ,  dans  la  mort  normale  (l"), 
que  les  facultés  de  l'âme  persévèrent  jusqu'au  dernier  moment, 

(1)  Annales  du  Muséum ,  t.  XVH ,  p,  431. 


quoique,  dans  d'autres  circonstances,  la  mort  soit  précédée 
d'un  état  léthargique.  L'homme  qui  a  su  se  rendre  maître 
de  soi,  mettre  ses  forces  en  harmonie  les  Unes  avec  les 
autres,  et  s'assurer  une  liberté  intérieure,  attend  la  mort  d'un 
air  calme ,  il  là  voit  même  avec  joie  s'approcher ,  et  peut-être 
n'y  a-t-il  pas  de  scène  plus  sublime  que  celle  d'une  telle 
mort.  L'étude  de  la  nature  est,  de  toutes,  celle  qui  mène  le 
plus  sûrement  à  line  juste  appréciation  de  la  vie ,  celle  qui 
inspire  !e  plus  de  courage  au  moment  suprême  :  aussi  h'est-il 
pas  rare  que  les  médecins  et  les  naturalistes  considèrent  leur 
propre  mort  comme  iin  acte  sérieux  à  la  vérité ,  mais  qui  ne 
porte  pas  le  troublé  dans  leur  âme.  Le  soir  qui  précéda  sa 
mort ,  mon  père  pria  ma  tante  de  passer  la  nuit  auprès  de  luii, 
parce  qu'il  mourrait  dans  la  matinée,  et  il  s'entretint  avec 
elle  de  ses  affaires  domestiques ,  sans  oublier  inême  les  plus 
petits  détails,  à  l'égard  desquels  il  pouvait  lui  donner  d'utiles 
conseils.  Henri  Mfeyer,  de  Berlin  ,  qui  mourut  en  1827  ,  con- 
solait les  Sieils  de  la  perle  qui  les  menaçait  ;  il  se  fît  apporter 
l'enfant  nouveaU-né  d'un  de  ses  parens ,  tint  un  discours  fort 
touchant  Sur  la  vie  et  la  mort,  sommeilla  ensuite  pendant 
quelques  heures,  et  lorsqu'en  s'éveillant  il  vit  ceux  qui  l'ëii- 
louraient  tout  en  larmes ,  il  se  mit  à  fredonner  :  «  Laissez , 
laissez-moi  partir  !  la  terre  n'est  point  un  séjour  où  l'homme 
doive  s'arrêter  »  ;  ce  furent  là  ses  dernières  paroles.  Jseger , 
de  Stuttgart ,  annonça,  dans  la  dernière  nuit  de  sa  vie  (1828)^ 
qu'à  midi  «  il  ne  serait  plus  habitant  de  Wurtemberg  »j  et 
il  employa  ce  qui  lui  restait  de  temps  à  expliquer  aux  méde- 
cins quels  étaient  les  points  sur  lesquels  leur  attention  devrait 
surtout  se  diriger  à  l'ouverture  de  son  corps.  Un  autre  méde- 
cin de  mes  parens  parlait,  une  heure  avant  sa  mort ,  du  mys- 
tère de  l'existence  qui  allait  lui  être  dévoilé. 

Le  courage  à  envisager  la  mort  s'observe  chez  les  jeunfes 
personnes  comme  chez  les  gens  âgés ,  parmi  les  femmes  de 
même  que  parmi  les  hommes ,  ce  dont  Osiander,  entre  âl6^ 
très  (1),  a  rapporté  des  exemples.  Assez  souvent  même  ii 
inspire  aux  mourans  le  désir  de  se  représehter  encore  liôê 

(1)  tieiér  ïïîe  ^Ttfv^ïcliyiûng^^àiikhéitén  ,  p.  125, 


4l2  MORT. 

fois  les  joies  de  la  vie  ;  on  en  voit  beaucoup  qui  demandent 
qu'on  les  porte  au  grand  air  ou  devant  la  fenêtre ,  et  qui  se 
réjouissent  à  l'aspect  du  soleil  levant  ou  d'autres  objets  natu- 
rels. La  plupart  témoignent  le  désir  de  voir  réunies  autour 
d'eux  toutes  les  personnes  qui  leur  sont  chères.  D'autres  cher- 
chent à  se  reporter  au  temps  de  leur  vigueur  :  par  exemple , 
Siward  ,  comte  de  Norlhumberland ,  se  fit  armer  de  pied  en 
cap  et  mettre  en  selle  pour  attendre  la  mort,  l'épée  à  la  main, 
et  la  famille  du  général  russe  Meyendorf  m'a  raconté  qu'il 
avait  exigé  qu'on  le  mît  à  la  fenêtre,  revêtu  de  son  grand  uni- 
forme. Il  paraîtrait  même  que  ceux  qui  ont  un  vague  pres- 
sentiment de  la  mort  éprouvent  le  désir  de  goûter  encore  les 
jouissances  de  la  vie-,  j'ai  été  conduit  à  le  penser  d'après  un 
cas  qui  me  touche  d'ailleurs  de  trop  près  pour  que  je  puisse 
le  rapporter  ici. 

Il  n'est  pas  rare  de  voir  une  exaltation  particulière  de  l'âme. 
Herder  disait ,  quelques  instans  avant  de  fermer  les  yeux  : 
«  Gomme  tout  me  paraît  clair  maintenant!  Je  regrette  seule- 
»  ment  de  ne  pas  pouvoir  le  communiquer  aux  autres.  « 
Une  femme  en  couches,  de  ma  connaissance,  s'éveilla  de  son 
assoupissement ,  plus  gaie  et  plus  forre  qu'elle  n'était  aupa- 
ravant ,  et  déclara  qu'elle  allait  mourir,  mais  que  le  bonheur 
infini  dont  elle  jouissait  depuis  son  dernier  sommeil  ne  pouvait 
être  décrit.  Un  de  mes  amis ,  au  moment  de  mourir,  peignit 
son  état  en  disant  que  la  rage  d'un  peuple  révolutionnaire 
était  abattue  par  la  puissance  victorieuse  d'un  ange  de  lumière, 
et  que  la  désolation  faisait  place  à  un  calme  bienheureux  au 
milieu  d'un  torrent  de  lumière. 

Les  délires  qui  surviennent  quelquefois  avant  la  mort,  dé- 
pendent aussi  en  partie  d'une  exaltation  réelle  des  facultés  de 
l'âme.  Il  est  presque  de  règle  générale  que  les  hommes  plon- 
gés depuis  longues  années  dans  la  mélancolie  ,  la  manie  ou 
la  fureur ,  reviennent  pleinement  à  eux  pendant  les  dernières 
heures  de  leur  existence.  Ce  phénomène  a  même  lieu  dans 
les  cas  d'anomalies  matérielles  du  cerveau ,  telles  qu'épan- 
chement  de  sang  ou  de  sérosité,  suppuration,  ramollissement, 
induration,  hypertrophie  et  pseudomorphoses.  Tantôt  le  dé- 
lire diminue  à  mesure  que  les  forces  baissent,  tantôt  aussi  la 


MOÏIT.  4 1  ^ 

pleine  connaissance  revient  tout  d'un  coup  ,  et  la  mort  arrive 
le  même  jour  (1)  ;  quelquefois  même  l'âme  déploie  alors  une 
grande  énergie  ,  comme  dans  un  cas  rapporté  par  Zimmer- 
mann  (2).  On  peut  rapprocher  de  ces  faits  les  observations  re- 
cueillies par  Fodéré ,  sur  des  sourds  qui  recouvrèrent  l'ouïe 
quelques  heures  avant  de  mourir  (3). 

Il  arrive  souvent  que  des  hommes  s'imaginent  qu'ils 
mourront  à  une  époque  fixe  sans  que  cette  prédiction  se  vé- 
rifie (4).  Cependant  on  ne  doit  pas  conclure  de  là  qu'elle  re- 
posait sur  une  croyance  superstitieuse  ;  car  alors  il  n'y  aurait 
rien  de  réel  dans  ce  que  disent  les  personnes  qui  se  sentent 
mourir  ;  or  ce  sentiment  est  porté  parfois  au  point  de  faire 
illusion.  Une  jeune  femme  atteinte  de  maladie  nerveuse  chro- 
nique parut  sentir  les  approches  de  la  mort,  et  prit  congé  des 
siens  ;  à  la  suite  d'un  accès  de  spasmes ,  la  respiration  et  la 
circulation  cessèrent;  la  chaleur  s'éteignit ,  et  un  examen  at- 
tentif ne  me  fit  découvrir  aucun  signe  de  vie;  mais,  ayant  voulu 
visiter  une  seconde  fois  le  cadavre  au  bout  de  quelques  heu- 
res ,  je  trouvai  qu'il  y  avait  moins  de  pâleur  et  de  froid,  et 
sentis  un  léger  frémissement  du  pouls  ;  bientôt  il  se  manifesta 
des  traces  de  respiration,  et  la  malade  revint  à  elle-même  : 
depuis,  elle  a  vécu  plusieurs  années.  On  a  vu  fréquemment 
des  médecins  prédire  l'époque  de  leur  mort ,  à  vingt-quatre 
heures  près ,  ce  qui  tient  en  partie  à  l'habitude  qu'ils  ont  ac- 
quise d'estimer  approximativement  la  durée  de  la  vie  des 
malades ,  et  à  la  remarque  faite  par  eux  que  les  décès  ont 
lieu  plus  fréquemment  à  certains  momens  du  jour  (  §  606 , 
12°).  Mais  il  y  a  aussi  des  malades ,  même  des  enfans ,  qui , 
sans  posséder  ces  connaissances,  annoncent  exactement  l'heure 
à  laquelle  ils  mourront  (5)  ;  on  en  cite  un  qui  demanda  s'il 
n'était  pas  bientôt  trois  heures  ,  parce  qu'alors  il  quitterait  la 


(1)  Burdach,  /o?»  Baue  und  Lehendes  Gehirns ,  t.  III,  p.  485. 

(2)  Traité  de  l'expérience  ,  t.  II,  p.  86. 

(3)  Essai  de  physiologie  positive  ,  t.  III,  p.  261. 

(4)  Osiander,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  134. 

(5)  Pierer,  Anatomisch-physiologischer  Kealwœrterhuch  ,  t.  I,  p.  463. 
—  Osiander,  Ueher  die  JSntwicJtelungshrankheiten ,  t.  I,  p.  123, 


4i4  atORT. 

yie  ,  et  en  effet  il  expira  lorsque  l'horloge  se  fit  entendre  (1). 
-  Les  faits  relatés  plus  haut  ne  permettent  pas  de  douter  que 
les  facultés  de  l'ân.e  et  celles  des  organes  sensoriels  soient 
fréquemment  exaltés  au  moment  de  la  mort  :  ceux-ci  nous 
autorisent  aussi  à  admettre  que  le  sentiment  intérieur  peut 
de  même  éprouver  une  exaliation  intérieure ,  au  moyen  de 
laquelle  le  malade  acquiert  la  prévision  certaine  de  Theure 
fixée  pour  sa  mort ,  tout  comme  des  observations  incontesta- 
bles démontrent  que  certains  malades  atteints  d'affections  ner- 
veuses prédisent  de  la  manière  la  plus  positive  l'époque  à  la- 
quelle un  accès  de  spasme  commencera  et  se  terminera. 

Le  cas  est  tout  différent  à  l'égard  des  personnes  qui,  jouis- 
sant d'une  pleine  et  entière  santé ,  annnoncent  d'avarice  l'é- 
poque de  leur  mort.  La  prédiction  peut  alors  se  réaliser , 
comme  par  exemple  lorsqu'une  femme  enceinte  soutient  avec 
l'air  d'une  conviction  profonde  qu'elle  mourra  en  couches , 
sans  qu'on  puisse  découvrir  la  moindre  cause  d'un  tel  événe- 
ment, qui  cependant  a  lieu,  contre  toute  attente  de  la  part  du 
médecm  (2).  La  première  idée  qui  se  présente  est  de  consi- 
dérer la  prédiction  comme  un  conte,  et  d'attribuer  au  hasard 
sa  coïncidence  avec  réyéneîîient.  Cependant,  comme  il  lui  ar- 
rive plus  fréquemment  de  se  réaliser  que  de  rester  inaccom- 
phe^  on  ne  saurait  nier  le  pressentiment  de  la  mort,  alors 
même  que  la  circonstance  qui  doit  l'amener  est  encore  éloi- 
gnée et  inconnue  ;  car  si  poi^s  accordons  la  possibilité  de  ce 
pressentiment  pour  le  montient  qui  vient  immédiatement  après, 
il  nous'  est  impossible  de  lui  assigner  aucune  limite  précise 
dans  le  temps.  Le  cas  qui  vient  d'être  cité  peut  s'expliquer 
d'ailleurs  par  la  justesse  plus  grande  qu'on  remarque  en  gé- 
néral dans  les  prévisions  des  femmes  (§  198,  2"),  et  par 
l'exaltation  que  la  sensibiUté  éprouve  pendant  la  grossesse 
(§  347,  II). 

D'un  autre  côté ,  l'imagination  peut  faire  que  la  mort  dé- 
terminée par  une  maladie  survienne  à  telle  heure  plutôt  qu'à 
telle  autre.  Une  jeune  fille  annonça  à  Osiander  (3)  qu'elle 

(1)  Osiander,  loc.  cit.,  p.  132. 

(2)  Uid.,  p.  153. 

(3)  Ibid.,  p.  129. 


MORT.  4*  S 

mourrait  dans  six  semaines  ,  à  l'anniversaire  de  la  mort  de'sa 
mère ,  et  à  midi  précis  ;  sa  prédiction  s'accomplit.  Le  célèbre 
graveur  Frédéric  MuUer  déclara  ,  dans  sa  maladie  mentale , 
qu'un  grand  changement  surviendrait  en  lui  au  prochain 
anniversaire  de  la  naissance  de  son  père,  et  il  mourut  dans  la 
nuit  de  ce  jour  (1).  Plusieurs  semaines  avant  de  succomber  à 
une  fièvre  nerveuse  lente,  ma  mère  me  demanda  si  elle  pour- 
rait passer  le  jour  auquel  mon  père  était  mort  vingt-et-un  ans 
auparavant  ;  elle  ne  réitéra  plus  cette  question ,  dans  la 
crainte  de  m'affliger  ;  mais  elle  mourut  le  même  jour  et  à  la 
même  heure  que  mon  père.  Il  est  digne  de  remarque  que  , 
dans  tous  ces  cas,  c'est  l'amour  qui  fixait  l'imagination;  c'est 
lui  qui  donnait  de  la  durée  et  de  la  permanence  à  l'idée,  qui 
dirigeait  vers  elle  toute  la  force  de  la  vie ,  et  qui  ,  ou  pro- 
longeait la  vie  jusqu'au  terme  désiré,  par  la  tension  qu'il  lui 
imprimait,  ou  en  tranchait  le  fil  à  cette  époque  par  l'intime 
conviction  d'être  arrivé  au  but. 

L'occasion  se  présente  plus  fréquemment  encore  d'obser- 
ver l'influence  de  l'âme  sur  la  vie  par  rapport  à  la  manière 
de  mourir.  Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  j'ai  constamment 
vn  finir  d'une  manière  calme  et  douce  ceux  qui  s'étajent  fa- 
miliarisés avec  la  mort  et  l'attendaient  de  sang-froid ,  tandis 
que  je  n'ai  pu  assister  sans  frissonner  aux  derniers  momens 
de  ceux  qui,  ne  voulant  pas  à  toute  force  ruoiirir ,  tombaient 
en  proie  aux  spasmes  les  plus  violons  et  à  la  plus  affreuse 
agonie  jusqu'à  ce  que  le  dernier  soujffle  de  la  force  vitale  fût 
éteint  en  eux. 

S'il  est  possible,  ce  que  nous  ne  devons  point  examiner  ici, 
de  provoquer  une  sensation  chez  un  homme  en  fixant  avec 
force  notre  pensée  sur  lui ,  il  le  serait  aussi  qu'en  pensant 
avec  exaltation  à  un  ami  éloigné ,  un  mourant  fît  naîire  en 
celui-ci  une  iWusion  des  sens ,  un  fantôme ,  un  bruit  imagi- 
naire. Les  cas  de  ceg^enre,  qu'on  ne  saurait  expliquer  autre- 
ment, et  dont  Wieland  rapporte  un  (2),  ne  sont  point  rares  ; 


(1)  Ibid.,  p.  J41. 

(2^  Euthanasia ,  Drei  Gespwge  weber  dus  l>ebeu  nach  dem  Tode 
p.  239-250. 


4l6  MORT. 

il  s'en  est  présenté,  entre  autres,  clans  ma  famille.  Je  sais  que 
beaucoup  de  fables  sont  mêlées  parmi  eux  ,  mais  les  rejeter 
indistinctement,  c'est  renoncer  à  toute  foi  historique. 

5°  La  réceptivité  pour  les  choses  du  dehors  diminue  ,  et 
l'homme  devient  peu  à  peu  insensible.  C'est  principalement 
la  vue  qui  se  trouble  ;  les  moribonds  se  plaignent  presque  tous 
de  l'obscurité,  et  demandent  qu'on  leur  procure  une  lumière 
plus  vive.  Mais,  tandis  qu'ils  ne  distinguent  déjà  plus  les  for- 
mes ,  ils  continuent  encore  d'entendre  ,  comme  on  peut  en 
juger  d'après  leurs  mouvemens  ,  et  comme  on  le  sait  d'après 
le  témoignage  de  ceux  qui  ont  échappé  à  la  léthargie. 

6°  Dans  la  tenue  du  corps  ,  la  pesanteur  l'emporte  sur  le 
mouvement  propre.  Le  moribond  est  étendu  sur  le  dos ,  et 
quand  son  lit  est  incliné ,  il  glisse  au  pied  :  les  substances 
solides  ne  peuvent  plus  être  avalées  ;  les  liquides  ne  le  sont 
qu'avec  peine,  ou  en  petite  quantité,  et,  en  descendant  le  long 
de  l'œsophage,  qui  demeure,  passif,  ils  font  entendre  un  gar- 
gouillement   bien    prononcé  :  la   parole  devient  difficile  et 
inintelligible,  ce  qui  souvent  avait  déjà  été  précédé  par  Tim- 
possibilité  de  trouver  des  expressions  justes.  C'est  dans  les 
mains  que  le  mouvement  volontaire  persiste  le  plus  long- 
temps ,  et  fréquemment  une  légère  pression  vient  annoncer 
que  le  moribond  sent  encore,  lorsque  déjà  il  ne  peut  plus 
parler.   La  paupière  supérieure  tombe  un  peu ,  de  manière 
que  l'œil  se  ferme  à  demi  ;  le  globe  oculaire  devient  fixe ,  et 
presque  toujours  la  pupille  se  tourne  vers  la  partie  interne  et 
supérieure ,   position  qui  dépend  plutôt  du  muscle  oblique 
inférieur  que  du  supérieur,  quand  elle  n'est  pas  produite 
par  le  droit  interne  et  le  droit  supérieur.  Un  léger  tremble- 
ment des  lèvres  est  le  dernier  mouvement  qu'on  aperçoive. 

La  mort  douce  n'est  que  faiblement  annoncée  par  un  spasme 
tonique  de  l'œil  et  un  spasme  clonique  des  lèvres.  Mais,  dans 
l'agonie  ,  ces  spasmes  sont  à  la  fois  plus  forts  et  plus  étendus  ; 
ils  ont  été  précédés  aussi  de  mouvemens  automatiques  des 
mains  ,  qui  ressemblent  à  ceux  qu'on  pourrait  exécuter  soit 
pour  chercher  quelque  chose  sur  la  couverture  ou  la  mu- 
raille /:  soit  pour  ramasser  des  flocons  ou  chasser  des  mou- 
ches. 


MORT.  4 1 7 

7"  La  respiration  devient  pénible  et  interrompue  ;  l'accu- 
mulation des  mucosités  et  la  passiveté  des  muscles  la  rendent 
sierloreuse.  Le  dernier  acte  est  une  expiration. 

8°  Le  pouls  devient  vite,  faible,  petit,  irrégulier,  intermit- 
tent ;  souvent  il  se  rétablit,  quand  depuis  long-temps  déjà  il 
était  éteint.  Après  son  extinction  aux  membres ,  on  continue 
encore  de  le  sentir  au  tronc,  par  exemple  dans  les  aines,  de 
sorte  que  la  circulation  ,  dont  la  sphère  va  toujours  en  se  res- 
serrant, finit  par  n'avoir  plus  lieu  que  dans  les  troncs  des  vais- 
seaux. 

Kaltenbrunner ,  en  examinant  au  microscope  des  par- 
ties transparentes  d'animaux  mourans,  a  vu  la  colonne  du 
sang  s'amincir  peu  à  peu  dans  les  artères,  de  sorte  que 
celles-ci  n'étaient  plus  qu'à  moitié  remplies  ,  et  que  leurs 
parois  devenaient  flasques;  puis  la  circulation,  qui  jusqu'alors 
avait  été  continue  dans  les  branches  déliées  des  artères 
(§  714,  I),  devenait  rémittente  (§  714,  II),  en  correspondance 
avec  les  battemens  du  cœur,  après  quoi  elle  devenait  irrégu- 
lière et  intermittente  (§  714,  III).  Déjà  les  artérioles  s'é- 
taient complètement  vidées ,  et  l'on  n'apercevait  plus  aucun 
signe  de  vie,  que  le  sang  fluctuait  encore  dans  les  veines  (§  714, 
IV),  jusqu'à  ce  qu'il  s'arrêtât  complètement  (§714,  V). 

9°  La  peau  se  refroidit,  et  fréquemment  elle  se  couvre  d'une 
sueur  gluante.  La  turgescence  disparaît ,  surtout  à  la  face, 
qui  devient  pâle  et  terreuse  ;  les  traits  se  déforment,  les  yeux 
se  cavent,  les  os  des  pommettes  font  plus  de  saillie,  les  tem- 
pes sont  affaissées  ;  le  nez  devient  froid  et  blanc  ,  il  s'effile,  et 
ses  ailes  rentrent  en  dedans  ;  les  lèvres  sont  pâles  ou  bleuâ- 
tres et  pendantes;  le  menton  est  pointu.  L'œil  devient  terne , 
fixe,  et  prend  la  direction  indiquée  plus  haut  (6°),  non  seule- 
ment parce  que  quelques  uns  de  ses  muscles  continuent  seuls 
d'agir  ,  les  autres  étant  paralysés  ,  mais  encore  parce  que  la 
turgescence  vitale  a  cessé  ;  la  sécrétion  de  la  conjonctive 
s'arrête,  et  la  cornée  devient  flasque  et  trouble. 

III.  La  direction  suivant  laquelle  marche  la  mort  varie.  La 

mort  naturelle  a  lieu  de  la  circonférence  au  centre  5  elle 

commence  par  les  membres,  s'étend  aux  organes  sensoriels , 

et  envahit  enfin  les  organes  centraux.  Le  cœur  survit  aux 

V.  27 


4l8  PHÉNOMÈNES  CADAVÉRIQUES, 

poumons  de  quelques  instans.  On  ne  saurait"  déterminer 
d'une  manière  rigoureuse  si  le  cerveau  meurt  avant  les  pou- 
mons ,  ou  si  sa  vie  ,  incapable  de  se  manifester  par  Taclivité 
sensorielle  et  par  le  mouvement  volontaire ,  continue  encore 
dans  lintérieur,  pour  ne  s'y  éteindre  qu'au  dernier  moment  ; 
néanmoins  la  première  de  ces  deux  hypothèses  est  plus  vrai- 
semblable que  l'autre;  car,  lorsqu'un  homme  sort  d'asphyxie, 
cas  où  la  vie  revient  d'abord  dans  les  organes  centraux  ,  puis 
dans  ceux  de  la  périphérie,  la  circulation  est  la  première  des 
fonctions  qui  rentre  en  jeu,  après  quoi  ta  respiration  recom- 
mence, et  c'est  en  dernier  lieu  seulement  que  le  sujet 
reprend  connaissance.  A  la  vérité,  l'apoplexie  est  si  fréquente 
chez  les  vieibards  que,  d'après  Seiler  (1),  les  neuf  dixièmes 
y  succombent,  et  que  ,  suivant  Rochoux  ,  sur  soixanle-irois 
apoplectitjues ,  quarante-six  avaient  dépassé  l'âge  de  cin- 
quante ans  (2).  Cependant  nous  ne  saurions  la  regarder,  avec 
Scheu  (3),  comme  le  genre  naturel  de  mort ,  puisque  la  mort 
naturelle  ne  peut  consister  qu'en  une  exiinction  uniforme  de 
l'activité  vitale,  qui  doit  se  manif*^sier  de  meilleure  heure  à  la 
périphérie ,  où  la  vie  est  plus  pauvre ,  que  dans  le  centre,  où 
elle  a  établi  ses  foyers.  Quant  à  ia  mort  accidentelle  ,  elle  ne 
peut  partir  que  des  organes  centraux  ;  dans  l'apoplexie  ,  du 
cerveau,  d'où  elle  gygne  les  poumons  ,  puis  le  cœur;  dans 
l'asphyxie,  des  poumons,  d'où  elle  se  porte  au  cerveau,  et  va 
frapper  ensuite  le  cœur;  dans  la  syncope  ,  du  cœur,  d'où 
elle  envahit  en  premier  lieu  le  cerveau  et  ensuite  les  pou- 
mons. 

CHAPITRE  II. 

Des  phénomènes  cadavériques. 

§  634.  Le  cadavre  parcourt  une  série  de  transformations 
que  l'on  peut  rapporter  à  trois  périodes,  ayant  pour  carac- 
tères, la  première  le  ramollissenjent,  la  seconde  la  solidifica- 
tion, et  la  dernière  la  résolution.  Sous  l'influence  d'une  tem- 

(1)  Pierer,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  759. 

(2)  Diclionn.  de  méd.,  t.  II ,  p.  544. 

(3)  VeLer  die  chronischen  Krankheiten  des  mœnnlichen  Alters^  p,  324. 


PHÉNOMÈNES  CADAVÉRIQUES.  ^ig 

pérature  moyenne  et  d'un  degré  médiocre  d'humidité  ,  ces 
trois  périodes  sont  bif^n  distinctes  l'une  de  l'autre  ;  le  froid  et 
la  sécheresse  font  prédominer  !a  sohdification,  qui  arrive  plus 
tôt  et  persiste  ensuite  ,  le  corps  se  desséchant,  au  lieu  de  se 
résoudre  ;  la  chaleur  extérieure  et  l'abondance  des  sucs  dans 
le  cadavre  donnent  la  prépondérance  à  la  résolution  ,  qui  ar- 
rive de  trop  bonne  heure  pour  permettre  à  la  solidiKcation  de 
s'effectuer,  et  qui  marche  avec  une  grande  rapidité. 

ARTICLE    I. 

Des  signes  de  V abolition  de  la  vie. 

La  première  période  étant  la  suite  immédiate  de  la  mort,  elle 
a  des  caractères  plutôt  négatifs  que  positifs,  de  manière  qu'il 
est  difficile  de  ia  distinguer  de  l'asphyxie  causée  soit  par  le 
manque  des  condiiions  extérieures  de  la  vie  (§  626,  4°),  soit 
par  des  états  morbides.  Chacun  des  signes  de  la  mort ,  à  cette 
époque  ,  est  fa!!acieux  ,  pris  isolémeut,  taat  parce  qu'il  y  a 
plusieurs  maniieslaiions  de  la  vie  qui  sont  supprimées  dans 
la  mort  apparente ,  que  parce  qu'il  subsiste  encore  une  vita- 
lité partielle  dans  le  cadavre.  Cependant ,  comme  nous  ne 
pouvons  pas  bien  juger  de  l'état  de  vie  d'après  un  seul  phéno- 
mène ,  et  qu'il  nous  faut  pour  cela  les  embrasser  tous ,  de 
même  la  réunion  de  ces  caractères  négatifs  conduite  une  con- 
naissance certaine  de  la  mort. 

I.  D'abord  il  y  a  absence  de  tous  les  phénomènes  sensibles 
de  la  vie.  Celte  absence  se  dénote  :  par  l'immobilité  ^  même 
quand  on  a  recours  aux  plus  forts  excitans,  comme  à  l'intro- 
duction de  vapeurs  ammoniacales  dans  le  nez  ,  à  i'inslillatioa 
de  cire  à  cacheter  fondue  sur  le  creux  de  l'estomac  ;  l'i- 
nertie de  l'iris  ,  même  sous  l'influence  de  la  plus  vive  lu- 
mière; la  cessation  de  la  respiraiioa  ,  annoncée  par  une  glace 
qui  ne  se  ternit  point  quand  on  la  lient  devant  le  nez  et  la 
bouche,  par  la  flamme  d'une  bougie  et  par  le  duvet  léger  qui 
ne  s'agitent  pas  lorsqu'on  les  met  en  rapport  avec  ces  par- 
ties, par  le  niveau  d'eau  qui  ne  se  dérange  point  quand  on  le 
place  sur  le  creux  de  l'estomac  ;  l'abolition  de  la  circulation, 


420  PaiÈNOMÈNES  CADAVÉRIQUES. 

dénotée  par  celle  des  battemens  du  cœur  ou  des  artères,  et 
par  le  défaut  d'écoulement  de  sang  à  Touverlure  des  veines  5 
enfin,  le  défaut  de  chaleur  vitale. 

Ces  sijjnes  négatifs  appartiennent  bien  en  commun  à  la 
mort  réelle  et  à  la  mort  apparente;  mais,  dans  cette  dernière, 
une  lésion  locale  détermine  un  état  inflammaioire,  c'est-à-dire 
une  réaction  vivante,  qui  n'a  jamais  lieu  après  la  mort.  Ainsi, 
par  exemple,  si  l'on  fait  tomber  des  gouttes  de  cire  brûlante 
sur  la  peau,  elles  ne  s'entourent  que  dans  le  cas  de  persis- 
tance de  la  vie,  d'un  cercle  rouge,  dont  la  teinte  est  plus  fon- 
cée à  son  bord  interne,  celui  qui  touche  immédiatement  à  la 
portion  de  peau  morte  étantd'un  blanc  mat  ;  quelquefois  aussi 
il  se  forme  des  ampoules  pleines  de  sérosité,  qui  ne  se  déve- 
loppent également  point  sur  le  cadavre. 

IL  11  faut  Joindre  l'abolition  complète  de  la  turgescence 
vitale  ,  qui  s'annonce  tant  par  raffaissement  et  la  diminution 
de  volume,  que  par  le  relâchement  des  parties  molles  et 
la  facilité  avec  laquelle  elles  cèdent  sous  le  doigt.  Les  tempes 
et  les  joues  sont  affaissées ,  le  nez  effilé ,  les  yeux  caves ,  les 
paupières  enfoncées ,  le  globe  oculaire  flasque  et  déformé  ,  la 
cornée  molle  et  non  tendue.  Cependant  ces  phénomènes  ne 
sont  bien  prononcés  qu'à  la  suite  de  longues  souffrances; 
mais ,  après  une  atteinte  profonde  portée  à  la  vie,  par  exem- 
ple dans  certains  empoisonnemens  ,  ou  après  une  longue  ago- 
nie, ils  se  manifestent  sipromptement  et  à  un  degré  tel,  qu'ils 
peuvent  servir  à  distinguer  la  mort  réelle  de  la  mort  appa- 
rente. La  peau  et  le  tissu  cellulaire  n'ont  plus  aucun  ressort, 
les  articulations  son!  flexibles ,  les  viscères  mous  et  affaissés, 
les  parois  de  l'estomac ,  du  canal  intestinal  et  de  la  vessie 
amincies ,  les  cavités  de  ces  organes  plus  spacieuses,  par  con- 
séquent les  muscles  plus  relâchés,  plus  mous  et  plus  faciles 
à  déchirer. 

IIL  La  faculté  de  résister  aux  impressions  mécaniques  étant 
ainsi  abolie ,  la  loi  de  la  pesanteur  reprend  son  empire ,  les 
effets  simples  de  la  pression  se  dessinent  d'une  manière  plus 
pure  ,  et  partout  règne  une  passiveté  mécanique. 

V  Le  cadavre  est  étendu,  par  sa  face  lapins  large,  sur  une 
surface  correspondante,  et,  s'il  se  trouve  dans  l'eau,  il  en  oc- 


PHÉNOMÈNES    CADAVÉaiQUES.  ^2Ï 

cupe  le  fond  :  les  viscères  s'enfoncent  dans  les  parties  les  plus 
déclives  de  leurs  cavités,  et  le  ventre  acquiert  par-là  une  plus 
grande  largeur  ;  les  mamelles  de  lu  femme  et  la  verge  de 
l'homme  deviennent  pendantes  ;  la  mâchoire  inférieure  s'a- 
baisse ,  de  manière  que  la  bouche  est  à  demi  ouverte  ;  l'œil 
l'est  également  ;  car  la  paupière  supérieure  ne  s'abaisse 
qu'autant  que  le  lui  permet  le  relâchement  de  son  muscle 
élévateur. 

2°  La  passiveté  mécanique  et  la  pesanteur  spécifique  ont 
pour  effet  que  les  parties  inférieures  du  cadavre ,  notamment 
le  dos  et  les  fesses,  prennent  la  forme  du  plan  qui  les  sup- 
porte ,  que  par  conséquent  elles  s'aplatissent  et  se  moulent 
sur  toutes  les  inégalités ,  dont  elles  conservent  la  trace.  Ce 
n'est  là  cependant  que  le  résultat  d'un  contact  prolongé  ,  car 
la  simple  pression  du  doigt  à  la  peau  ne  laisse  point  encore 
d'empreinte  durable. 

B°  Les  muscles  sphincters  ne  tiennent  plus  closes  les  cavi- 
tés à  l'entrée  desquelles  ils  sont  placés  ;  ils  s'ouvrent,  par  suite 
du  relâchement  de  leurs  fibres ,  et  n'opposent  plus  de  résis- 
tance. Lorsqu'on  abaisse  la  mâchoire  inférieure,  ou  qu'on  re- 
ève  la  paupière  supérieure ,  la  bouche  et  l'œil  restent  tout 
grands  ouverts ,  et  quand  on  les  ferme  ,  ils  demeurent  dans 
cet  état ,  autant  du  moins  que  le  permet  la  pesanteur.  Si  le 
cadavre  est  dans  l'eau ,  le  liquide  pénètre  dans  le  nez ,  la 
bouche,  la  trachée-artère  et  l'anus,  plus  rarement  dans  le 
vagin,  mais  jamais  dans  l'urèlre  de  i'homme;  il  expulse  les 
gaz  contenus  dans  ces  organes,  et  augmente  le  poids  du 
corps.  Si  l'on  vient  à  remuer  ce  dernier,  les  excrémens 
sortent ,  lorsqu'il  y  en  en  avait  d'accumulés  au  voisinage  de 
l'anus  ;  la  pression  ,  par  exemple  celle  de  la  terre  ,  exprime 
aussi  les  sucs  contenus  dans  les  autres  cavités  formées  par  la 
membrane  muqueuse. 

4"  Le  sang  abandonne  les  vaisseaux  capillaires  ,  notamment 
ceux  de  la  surface  extérieure ,  tant  parce  que  la  vie  s'est 
éteinte  en  premier  lieu  à  la  périphérie ,  oii  le  sang  n'est  plus 
arrivé  dans  les  derniers  momens ,  que  parce  que  la  pression 
exercée  par  les  vaisseaux  d'un  petit  calibre,  et  peut-être 
aussi  par  l'air  du  dehors ,  a  chasi>é  ce  liquide  dans  les  troncs 


422  PHÉNOMÈNES  CADAVÉRIQUES. 

vasculaires  internes,  qui  ont  plus  d'ampleur.  Comme  Kalten- 
brunner  Ta  observé  immédiatement  avec  le  secours  du  mi- 
croscope ,  les  capillaires  des  viscères,  notamment  du  foie  et 
de  la  rate ,  se  vident  moins.  Buniva  a  trouvé  que  Tinjection 
des  vaisseaux  capillaires,  qui  réussit  aisément  après  la  mort, 
est  impossible  chez  les  animaux  moribonds  ou  mourans.  Si 
Ton  tient  une  lumière  derrière  les  doigts  d'un  cadavre  hu- 
main ,  on  n'aperçoit  plus ,  comme  pendant  la  vie  ,  la  leinte 
rosée  qui  provenait  du  sang  contenu  dans  les  vaisseaux 
capillaires.  En  général,  la  peau  devient  pâle,  jaunâtre  ou 
terreuse ,  surtout  au  nez  ,  aux  joues,  aux  oreilles,  aux  cou- 
des ,  aux  genoux  et  aux  talons  ;  comme  le  sang  n'y  afflue  plus, 
un  frottement  prolongé  la  rend  lisse,  parcheminée  et  jaunâ- 
tre ;  les  congestions  disparaissent ,  et  les  surfaces  suppu- 
rantes blêmissent.  Les  couleurs  du  plumage  deviennent  plus 
pâles  aussi  chez  les  Oiseaux  morts ,  et  quelques  unes  même 
disparaissent  en  entier,  parce  qu'il  ne  s'y  porte  plus  de  li- 
quide graisseux  (1).  Chez  l'homme  ,  ce  sont  surtout  les  origi- 
nes des  membranes  muqueuses,  comme  les  paupières  ,  les 
lèvres ,  la  cavité  orale  ,  les  fosses  nasales ,  les  mamelons , 
qui  pâlissent,  Si ,  d'après  Orfila  (2) ,  la  peau  et  les  membra- 
nes muqueuses  conservent  leur  vive  rongeur  chez  les  enfans 
mort-nés,  ce  phénomène  paraît  tenir  à  ce  que,  pendant  les 
premiers  momens  qui  ont  suivi  la  mort,  et  alors  que  le  sang 
était  encore  liède  ,  la  pression  de  l'atmosphère  n'a  point  con- 
couru à  pousser  ce  liquide  dans  les  troncs  vasculaires. 

6»  Le  sang  passe  des  vaisseaux  capilLsires  dans  les  veines, 
notamment  dans  leurs  troncs,  parce  que  c'est  là  qu'il  rencontre 
le  plus  d'espace  et  le  moins  de  pression .  Une  partie  de  ce  liquide 
coule  aisément  des  veines  ,  qui  sont  assez  distendues,  dans 
les  cavités  droiies  du  cœur  et  les  artères  pulmonaires  ,  mais 
il  ne  va  pas  plus  loin,  et  laisse  vides  tant  les  cavités  gauches 
du  cœur  que  le  système  aortiqne,  d'un  côté,paice  qu'il  n'est 
plus  ni  poussé  par  les  contractions  cardiaques  et  la  force 
a  tergo ,  ni  exprimé  des  poumons  par  le  mouvement  expira- 

(1)  Naumann ,  NaturgescMcJite  der  f^œyel ,  t.  I,  p.  119. 

(2)  Di©ti©nn.  de  niéd,,  t.  IV,  p.  18. 


PHÉNOMÈNES  CADAVÉÏllQtES.  ^^$ 

toire,  d'un  autre  côté,  parce  que  ce  dernier  organe  est  celui 
qui  lui  offre  le  plus  d'espace.  En  effet,  après  la  dernière 
expiration,  les  parois  des  voies  aériennes  prennent  la  situa- 
tion que  leur  assigne  la  coniractiliié  mécanique  dont  elles 
jouissent  ;  cette  situation  lient  le  milieu  entre  l'inspiration 
et  l'expiration ,  quoiqu'elle  se  rapproche  davantage  de  celle- 
ci  ;  les  côtes  remontent  un  peu  ;  la  trachée-arière  et  ses 
branches  se  dilatent  légèrement ,  par  l'élasticité  de  leurs  car- 
tilages, après  que  l'activité  musculaire  qui  avait  déterminé 
l'expiration  a  cessé.  Mais  les  poumons  se  dilatent  un  peu  plus 
que  la  poitrine  pendant  l'inspiration,  de  sorte  que,  quand  cette 
dernière  n'a  plus  lieu  ,  ils  demeurent  éloignés  des  parois  tho- 
raciques  ,  c'est-à-dire  qu'entre  eux  et  celles-ci  se  forme  un 
vide  ;  or,  comme  le  sang  trouve  là  moins  de  résistance  que 
partout  ailleurs,  il  s'accumule  dans  les  poumons,  et  n'est 
point  poussé  dans  la  partie  gauche  du  cœur ,  non  plus  que 
dans  le  système  aortique.  Si  l'on  ouvre  la  poitrine  d'un  ani- 
mal au  moment  de  la  mort ,  le  système  aorîique  demeure 
plein  de  saog,  parce  qu'alors  il  ne  s'est  point  produit  de  vide 
dans  la  cavité  thoracique ,  et  qu'au  contraire  la  pression  de 
l'atmosphère  sur  les  poumons  favorise  l'écoulement  du  sang  à 
travers  les  veines  pulmonaires. 

6"  Le  sang ,  notamment  sa  partie  la  plus  pesante  et  la  plus 
colorée,  se  précipite,  en  vertu  de  sa  liquidité  et  de  son  poids, 
vers  les  parties  les  plus  déclives.  C'est  ainsi  qu'il  repasse  des 
grosses  veines  dans  les  petites  et  les  vaisseaux  capillaires  dés 
points  les  plus  déclives  de  la  peau,  mais  dans  ceux  seulement 
qui  ne  subissent  pas  une  trop  forte  compression ,  f  sr  celle-ci 
metirail  obstacle  à  son  accumulation.  Voilà  ce  qui  explique 
les  taf-bes  livides  qu'on  aperçoit  vers  la  fin  de  cette  période, 
et  qui ,  lorsqu'on  appuie  dessus ,  s'effacent ,  pour  reparaître 
ensuite  peu  à  ppu ,  sans  qu'il  y  ait  d'épanchemenî  hors  des 
vaisseaux.  Le  sang  contenu  dans  les  vaisseaux  des  organes, 
tels  que  le  foie  ,  le  canal  intestinal .  s'y  rassemble  aussi  vers 
les  puints  les  plus  déclives ,  et  ce  phénomène  va  si  loio  ,  dans 
les  poumons  ,   au  dire  de  Rigot  et  de  Trousseau  (1) ,  que  le 

(1)  Archives  générales ,  t,  Xll ,  p.  357. 


4^4  PHÉNOMÈNES   CADAVERIQUES. 

tissu  pulmonaire  ne  crépite  plus  sous  la  pression  ni  sous  le 
couteau ,  le  sang  ayant  chassé  tout  l'air  de  ces  points.  Voilà 
comment  il  se  fait  souvent  qu'on  donne  pour  une  congestion 
morbide  ce  qui  n'est  qu'un  simple  effet  de  la  situation  du  ca- 
davre. Du  reste,  on  aperçoit  fréquemment  aussi  des  taches  à  la 
face  du  cadavre  qui  est  tournée  vers  le  haut  ;  dans  ce  cas ,  le 
sang  a  dû  être  chassé  de  bas  en  haut  par  une  pression  agis- 
sant du  dedans  ,  par  exemple  ,  à  l'invasion  de  la  raideur  cada- 
vérique. Mais,  en  général,  elles  paraissent  tantôt  dès  les  pre- 
mières trois  heures  qui  suivent  la  mort ,  tantôt  seulement  au 
bout  de  quatre  à  six  heures. 

IV.  Le  cadavre  prend  peu  à  peu  la  température  du  milieu 
qui  l'environne  ;  cependant,  il  n'arrive  d'ordinaire  à  l'équili- 
bre que  quinze  à  vingt  heures  après  la  mort ,  parce  qu'étant 
mauvais  conducteur  du  calorique  ,  il  se  refroidit  lentement. 
Le  refroidissement  a  lieu  bien  plus  tôt  que  de  coutume  après 
les  hémorrhagies  abondantes  et  les  maladieschroniques;  beau- 
coup plus  tard,  au  contraire,  après  l'asphyxie,  celle  surtout  par 
la  vapeur  du  charbon ,  après  les  fièvres  de  mauvais  caractère 
et  putrides ,  après  l'apoplexie  et  la  mort  subite  chez  les  sujets 
vigoureux,  replets,  pendant  Tété  et  dans  le  lit.  Les  parties 
qui  se  refroidissent  le  plus  vite  sont  celles  qui  occupent  la 
périphérie ,  d'abord  les  mains  ,  les  pieds ,  les  lèvres ,  le  nez  , 
les  épaules  ,  les  genoux ,  ensuite  les  aines  ,  les  aisselles  et  la 
nuque ,  puis  la  cavité  du  tronc,  et,  en  dernier  lieu  ,  la  région 
située  immédiatement  au  dessus  et  au  dessous  du  dia- 
phragme. 

V.  Il  se  manifeste  des  phénomènes  qui  annoncent  un  com- 
mencement de  disgrégaîion. 

7"  Le  premier  est  la  volatilisation  des  parties  aqueuses. 
Lorsque  le  temps  est  froid  ,  on  voit  une  vapeur  s'élever  de  la 
surface  du  corps  et  surtout  des  ouvertures  des  membranes 
muqueuses.  Cette  vapeur  devient  bien  plus  abondante  quand 
on  ouvre  le  tronc ,  notamment  !a  cavité  abdominale.  Elle  a 
l'odeur  ordinaire  de  la  viande  fraîche  qu'on  étale  dans 
les  boucheries.  Son  effet  est  de  diminuer  le  volume  et  le 
poids  du  cadavre.  Quoiqu'elle  abonde  surtout  quand  l'air  est 
sec  et  chaud ,  elle  ne  dépend  cependant  pas  uniquement  de 


PHÉNOMÈNES  CADAVÉRIQUES.  4^^ 

l'affinité  entre  ratmosphère  et  Teaii;  car  Guntz  (l)  assure  qu'elle 
a  lieu  jusque  sous  l'eau ,  et  quand  on  pèse  un  cadavre  qu'on 
a  plongé  dans  ce  liquide ,  après  avoir  laissé  couler  toute  l'eau 
dont  il  a  pus'impréjjner,  on  le  trouve  plus  léger  qu'il  ne  l'était 
auparavant.  Du  reste ,  cette  vaporisation  ne  se  borne  pas  à 
rendre  plus  sèches  les  parties  solides,  la  peau  en  particulier  ; 
elle  épaissit  encore  les  liquides  voisins  de  la  surface,  ce  qui 
fait  que  Jes  dents  et  la  conjonctive  oculaire  se  couvrent  d'un 
mucus  gluant,  qu'Orfila  du  (2)  ne  point  exister  chez  les  enfans 
mort-nés,  parce  qu'alors  Teau  de  l'amnios  s'oppose  à  sa  for- 
mation. Sommer  a  trouvé  que  la  conjonctive  et  la  sclérotique, 
dans  les  points  non  couverts  par  les  paupières  et  par  conséquent 
exposés  au  contact  de  l'air,  deviennent  translucides  par  l'effet 
de  l'évaporaiion,  de  sorte  que  le  pigment,  qui  perce  au  travers, 
les  fait  paraître  brunes  ou  noirâtres,  surtout  vers  l'angle  in- 
terne de  l'œil. 

8°  Yingl-quatre  à  trente-six  heures  après  la  mort,  même 
quand  le  cadavre  est  encore  chaud  et  flexible ,  le  sang  com- 
mence à  s'épaissir  ;  il  prend  en  même  temps  une  teinte  plus 
foncée ,  surtout  dans  les  parties  déclives ,  de  manière  qu'il 
représente  une  masse  caillebotée  ou  gélatineuse,  d'un  rouge 
tirant  sur  le  noir. 

9°  A  l'extinction  de  la  vie,  non  seulement  la  cornée  devient 
blanchâtre ,  et  les  liquides  de  l'œil  se  troublent,  de  sorte  que 
la  prunelle  ne  paraît  plus  noire,  mais  encore  les  membranes 
séreuses  perdent  leur  transparence  ,  sans  qu'on  puisse  dire  de 
quelle  cause  ce  phénomène  dépend.  Chez  un  enfant  qui  était 
venu  au  monde  avec  la  cavité  abdominale  non  close ,  Len- 
hossek  (3)  a  vu  le  péritoine  et  le  péricarde  transparens  ;  toutes 
les  fois  qu'il  survenait  des  syncopes  et  des  accès  de  suffoca- 
tion ,  la  transparence  de  ces  membranes  augmentait ,  et  l'on 
voyait  diminuer  celle  de  la  cornée ,  dans  la  substance  de  la- 
quelle il  semblait  qu'un  liquide  lactescent  eût  pénétré  ;  avec 
la  vitalité  reparaissait  la  transparence ,  mais  chaque  fois  de 


(1)  Der  Leichnam  des  Menschen ,  p.  177. 

(2)  Dictionn.tleniéd.,t.  lY,  p.' 17. 

(3)  Medicinische  Jahrbuecher,  t.  YI^  catl.  II,  p. 


ii6  PHÉNOMÈNES  CADAVÉRIQUES. 

moins  en  moins  prononcée ,  de  sorte  qu'à  la  mort  il  n'en  res- 
tait plus  aucun  vestige.  Richerand  a  également  trouvé  le  péri- 
carpe d'une  transparence  parfaite  chez  un  malade  auijuel  il 
pratiqua  la  résection  des  côtes,  el  cependant  cette  membrane 
ne  nous  apparaît  jamais  qu'opaque  dans  le  cadavre. 

10"  Les  affinités  particulières  qui ,  pendant  la  vie  ,  ont  lieu 
entre  les  différens  tissus  et  les  divers  liquides,  cessent  à  la 
mort,  et  comme,  d'un  côté,  les  liquides  ont  de  la  tendance  à  se 
séparer,  taudis  que,  d'un  autre  côté,  les  parois  deviennent 
flasques  et  atoniques  ,  on  voit  commencer,  vers  la  fin  de  cette 
période ,  les  transsudations ,  qui  deviennent  d'autant  plus  con- 
sidérables, que  la  tonicité  était  moindre  pendant  la  vie.  Elles 
augmentent  beaucoup  dans  le  cours  de  la  période  suivante. 
Buscharemarqué,  quand  il  avait  rempli  de  lait  et  compris  entre 
deux  ligatures  une  portion  d'artèreou  de  veine ,  qu'il  ne  s'en 
échappait  rien  pendant  la  vie ,  mais  qu'après  la  mort  un  peu 
de  lait  transsudait  (1).  On  sait  que  la  même  chose  arrive  à  la 
manière  colorante  de  la  bile,  qui,  après  la  mort,  traverse  le 
vésicule,  pour  se  répandre  dans  le  tissu  cellulaire.  Il  y  a  aussi 
une  partie  des  matières  alvines,  de  l'urine  et  du  sperme,  qui 
traverse  les  membranes  muqueuses  après  la  mort,  et  qui  com- 
munique son  odeur  ou  sa  couleur  aux  organes  voisins. 
L'enduit  muqueux  dont  se  couvre  la  cornée  transparente 
paraît  naître  en  partie  de  cette  manière.  On  doit  également 
ranger  ici  les  congestions  de  sérosité  dans  les  cavités  formées 
par  les  membranes  séreuses ,  à  la  production  desquelles  con- 
courent en  partie  et  l'absence  de  toute  résorption,  et  la  con- 
densation de  la  vapeur  par  la  diminution  de  la  chaleur.  Le  sang 
traverse  aussi  les  parois  des  vaisseaux  pour  passer  dans  la 
substance  des  organes ,  par  exemple  ,  de  l'estomac  et  du  canal 
intestinal,  à  la  surface  desquels  il  forme  des  taches  rouges  ou 
brunâires,  ou  dans  le  tissu  cellulaire,  et  là  il  se  présente  a'ors 
sous  l'aspect  d'une  infiltration  de  sérosité  sanguinolente.  Ces 
dernières  infiltrations,  au  dire  d'0rfila(2),se  manif«islent  très- 
peu  d'heures  déjà  après  la  mort^  lorsque  le  temps  est  chaud,  et 

(d)  Expérimenta  quœdam  de  morte ,  p.  24. 
(2)  Diclionn.  de  méd.,  t.  IV,  p.  15. 


PHÉNOMÈNES    CADAVERIQUES,  4^7 

s'observent  fréquemment  chez  les  enfans  mort-nés ,  même 
au  dessous  du  périoste,  surtout  au  crâne  (1).  Enfin  ,  suivant 
les  recherches  de  Rigot  et  Trousseau  (2),  le  pigment  du  sang 
pénètre  dans  le  tissu  du  cœur  et  des  vaisseaux,  dans  la  mem- 
brane blanche  et  interne  desquels  il  donne  lieu  à  des  taches 
soit  d'un  rouge  clair  ou  foncé,  soit  violettes.  Cette  pénétration 
dans  le  tissu  est  déterminée,  et  parla  pesanteur,  puisqu'elle 
se  manifeste  d'un  manière  plus  prononcée  aux  parties  qui 
sont  situées  profondément,  et  par  l'aptitude  du  sang  à  se  dé- 
composer, puisque  plus  ce  liquide  est  plastique  et  riche  en 
substances  solides,  moins  aussi  i!  abandonne  sa  fibrine.  Lorsque 
la  fibrine  est  coajjulée,  on  n'observe  point  d'infiltration  sem- 
blable :  il  ne  se  produit  que  des  stries  d'un  rouge  clair 
dans  les  artères ,  tandis  qu'on  voit  une  rougeur  plus  fon- 
cée se  répandre  uniformément  dans  les  veines,  parce  que 
le  sang  veineux  contient  plus  de  sulîslance  colorante  et  qu'il 
est  moins  coagulé,  parce  qu'aussi  la  iSlaccidité  des  veines  per- 
met mieux  l'infiltration.  On  voit  que  ces  épanchemens  sé- 
reux et  sanguinolens,  comme  aussi  la  précipitaiion  du 
sang  (6°),  peuvent  induire  en  erreur  dans  les  ouvertures  de  ca- 
davres faites  pour  éclairer  la  pathologie  ou  la  justice,  mais 
que  ceux  qui  croient  devoir  assigner  à  la  maladie  et  à  la  mort 
une  cause  susceptible  de  tomber  sous  les  sens,  doivent  surtout 
y  avoir  égard. 

VI.  La  mort  n'arrive  jamais  dans  toutes  les  parties  à  la  fois; 
elle  s'étend  plus  ou  moins  rapidement  d'un  organe  aux  autres. 
Ainsi,  lorsque  déjà  la  vie  est  éteinte  dans  les  organes  cen- 
traux ,  c'est-à-dire  d'une  manière  générale ,  il  peut  encore  y 
avoir  une  vie  partielle ,  qui  se  dénote  par  quelques  phéno- 
mènes isolés ,  incohérens. 

11°  Après  l'abolition  du  mouvement  subsi<;te  encore  pen- 
dant quelque  temps,  dans  les  muscles,  l'aptitude  à  se  contracter 
sous  l'influence  de  sîimulaiions  insolites.  Nysten  a  faita;;ir, 
chez  quarante  cadavres  ,  la  pile  voltaïque  sur  les  muscles 
superficiels  mis  à  découvert ,  et  il  a  vu  des  convulsions  s'ea- 

(2)  Archives  générales ,  t.  XII,  p.  169. 


428  PHÉNOMÈNES   CADAVÉRIQUES, 

suivre ,  constamment  dans  les  premières  heures  après  la  mort , 
et  parfois  même  encore  au  bout  de  vingt  heures.  Celte  per- 
sistance de  i'irritabiUté  des  muscles  n'est  point  proportionnée 
à  leur  vitalité  et  à  leur  mobilité  chez  les  divers  animaux,  mais 
elle  est  bien  plutôt  due  à  la  ténacité  de  la  vie  ;  car  les  Reptiles 
sont  les  animaux  chez  lesquels  elle  dure  le  plus  Ion.[ï-temps  , 
et  les  Oiseaux ,  notamment  ceux  à  vol  élevé  ,  ceux  chez  les- 
quels elle  s'éteint  le  plus  vite.  Eile  ne  dure  pas  davantage 
non  plus  dans  les  cadavres  des  hommes  fortement  musclés , 
ni  moins  long-îemps  après  les  fièvres  adynamiques  et  les 
maladies  accompagnées  d'une  grande  faiblesse.  L'irritabilité 
persiste  davantage  dans  les  muscles  des  membres  que  dans 
ceux  du  tronc  ,  et  les  muscles  qui  la  conservent  le  plus  sont 
ceux  de  la  face,  notamment  des  lèvres  et  des  paupières. 
D'après  des  observations  faites  sur  des  animaux ,  elle  s'éteint 
d'abord  dans  le  ventricule  gauche  du  cœur,  puis  dans  les 
autres  muscles  plastiques,  ensuite  dans  les  muscles  soumis  à 
la  volonté ,  et  en  dernier  lieu  dans  les  oreillettes  du  cœur. 

12°  Le  mouvement  intérieur  et  oscillatoire  des  muscles 
soumis  à  la  volonté  dure  pendant  quelque  temps.  Un  lambeau 
de  chair  qu'on  vient  de  couper  à  un  animal  récemment  mis 
à  mort ,  produit ,  quand  on  le  met  dans  l'oreille ,  la  sensation 
d'un  bourdonnement ,  qui  cesse  lorsque  la  chair  est  complè- 
tement morte.  De  même ,  il  arrive  quelquefois  que  les  spasmes 
toniques  persistent  jusqu'au  moment  de  la  putréfaction ,  sous 
la  forme  de  tétanos  et  de  trisme  des  mâchoires. 

Le  mouvement  péristaltique  des  intestins  peut  être  observé 
pendant  des  heures  entières  sur  les  animaux  mis  à  mort  dans 
nos  boucheries.  Méry  (1)  pratiqua  l'opération  césarienne  sur 
une  femme  qui  était  morte  en  mal  d'enfant,  et  trouva  que  les 
intestins  jouissaient  encore  d'un  mouvement  très-vif.  Suivant 
Magendie,  ce  mouvement  devient  si  fort,  au  moment  de  la 
mort ,  qu'on  peut  le  sentir  à  travers  les  parois  du  bas-ventre, 
qu'il  détermine  des  évacuations  alvines  lorsque  déjà  la  vie 
est  éteinte  depuis  quelques  minutes  ,  et  qu'il  ne  cesse  d'être 


(1)  Hist.  de  l'Acad.  des  sciences ,  1699 ,  p.  50. 


PHENOMENES  CADAVERIQUES.  4^0 

sensible  ainsi  qu'au  bout  d'un  quart  d'heure  (1).  Guntz  (2)  a 
remarqué  aussi  que  le  rectum  des  nouveau-nés  contenait  plus 
de  matières  excrémentitielles  pendant  la  seconde  période  que 
immédiatement  après  la  mort.  Nous  avons  parlé  ailleurs  de 
l'accouchement  après  la  mort ,  qui  est  déterminé  par  la  force 
vivante  de  la  matrice  (§  484,2°).  Les  Oiseaux  que  l'on  déca- 
pite courent  encore  pendant  quelque  temps  dans  la  direction 
qu'ils  avaient  au  moment  de  l'opéradon,  et  on  assure  que  les 
Grenouilles  auxquelles  on  coupe  la  tête  ne  s'en  accouplent  pas 
moins. 

13°  Le  refroidissement  du  cadavre  a  lieu  plus  lentement 
qu'on  ne  devrait  s'y  attendre  d'après  les  lois  de  la  conducti- 
bilité du  calorique  ,  de  sorte  que  la  question  se  présente  de 
savoir  si  la  production  de  la  chaleur  continue  encore  après  la 
mort  et  ne  fait  que  s'éteindre  peu  à  peu.  L(s  observations  de 
Busch  (3)  parlent  en  faveur  de  l'yllirmative.  Chez  un  Chien 
qu'il  laissa  périr  d'hémorrhagie,  la  chaleur  monta  à  vingt-huit 
degrés ,  s'y  maintint  pendant  deux  minutes ,  et  baissa  en- 
suite (4).  Chez  un  Lapin ,  dont  la  température  était  descendue 
au  dessous  de  vingt-quatre  degrés,  deux  heures  après  son 
égorgement ,  elle  remonta  à  vingt-cinq  degrés  à  la  suite  d'un 
coup  sur  l'occiput  (5)  ;  et  chez  un  Chien  mis  à  mort  par  stran- 
gulation ,  la  température  ,  qui  était  descendue  à  Vingt-cinq 
degrés  au  bout  de  quelques  minutes,  remonta  au  dessus  de 
vingi-six  dès  qu'il  eut  jeté  violemment  l'animal  à  terre,  re- 
tomba au  bout  de  quelques  minutes  à  vingt-cinq  degrés,  et  ne 
put  plus  être  portée  au  dessus  de  ce  terme  par  la  iépétition 
de  la  même  manœuvre. 

14°  L'absorption  coniinue  pendant  quelque  temps  après  la 
mort.  Magendie  a  vu  qu'en  exprimant  le  contenu  des  lympha- 
tiques intestinaux ,  ils  se  remplissaient  bientôt  de  nouveau 
chyle  ;  et  cette  expérience ,  répétée  fréquemment ,  donna 


(1)  Gevson,^ Magasin,  t  YI,  p.  148. 

(2)  Der  Leichnam  des  Menschen  ,  t.  I ,  p.  100. 

(3)  Expérimenta  quœdam  de  morte ,  p.  3S.  g 

(4)  Ihid.,  p.  20. 
(5)7('nrf.,p.  8. 


450  RAIDEUR   CADAVÉRIQUE. 

encore  le  même  résultat  deux  heures  après  la  mort  (1).  Mas- 
cagni  a  remarqué  que  l'ubsorplion  persiste  plus  long-temps 
chez  les  jeunes  sujets  que  chez  ceux  qui  sont  avancés  en  âge  , 
et  il  dit  même  avoir  vu,  chez  les  premiers,  des  liquides  qu'il 
avait  injectés  dans  la  cavité  thoracique  être  absorbés  deux 
jours  après  la  murt. 

15°  Chez  une  jeune  femme  qui  avait  succombé  au  quatrième 
jour  d'une  encéphalite  ,  Speranza  (2)  trouva,  douze  heures 
après  l'a  mort,  que  le  corps  ,  surtout  à  la  tête ,  était  chaud  et 
couvert  de  sueur,  dont  les  gouttelettes  se  renouvelaient  à 
mesure  qu'on  les  essuyait.  Il  ne  parut  pas  douteux  que  cette 
exhalation  provînt  d'une  activité  vitale  de  la  peau  ;  mais  les 
humeurs  continuèrent  de  suivre  la  même  direction  douze 
heures  plus  tard  encore  ,  lorsque  la  chaleur  était  éteinte  et 
que  la  tête  commençait  à  tomber  en  putréfaction. 

16°  Si  nous  admettons  qu'une  pareille  impulsion  donnée  aux 
humeurs  puisse  être  efficace ,  et  si  nous  prenons  en  considéra- 
tion les  autres  phénomènes  que  nous  avons  rapportés  ,  il  ne 
nous  est  pas  permis  de  regarder  comme  impossible  que ,  après 
la  mort,  des  dents  percent  chez  des  enfans  morts  pendant  le 
travail  de  la  dentition  ,  ou  que  la  barbe  et  les  ongles  croissent 
encore  sur  des  cadavres  d'hommes ,  ce  dont  Serres  (3)  et 
Pariset  surtout  ont  cité  des  cas.  Il  peut  bien  se  glisser  ici 
quelque  illusion ,  puisque  les  poils  et  les  ongles  paraissent 
plus  longs  après  la  mort  que  pendant  la  vie,  à  cause  de  l'affais- 
sement de  la  peau  ;  mais  nier  la  possibilité  de  l'accroissement 
de  ces  parties  demi-végétales  ,  c'est  faire  preuve  d'un  scepti- 
cisme qui  ne  repose  lui-même  que  sur  un  dogmatisme  trop 
raide  pour  vouloir  fléchir. 

Article  ii. 

De  la  raideur  cadavérique. 

§  635.  Environ  douze  heures  après  la  mort,  plus  tôt  encore 

(1)  Précis  de  physiologie ,  t.  Il,  p.  d63. 

(1)  Archives  générales ,  t.  XVII ,  p.  263. 

(2)  Essai  sur  les  dents ,  p.  76. 


RAIDEUR   CADAVÉRIQUE.  45ï 

chez  les  etifans,  commence  la  seconde  période,  qui  ne  se 
prononce  bien  que  quand  la  température  est  peu  élevée  ;  car 
la  chaleur  en  rend  tous  les  phénomènes  insensibles.  D'abord, 
les  dernières  traces  de  la  vie  ont  disparu  ;  le  cadavre  a  pris 
la  température  de  ce  qui  l'entoure,  comme  aurait  pu  le  faire 
un  corps  inorganique  ;  le  collapsus  est  devenu  plus  considé- 
rable, les  saillies  des  os  sont  plus  marquées,  le  nez  est  plus 
effilé,  les  bords  des  paupières  s'appliquent  exactement  au 
globe  oculaire,  la  bouche  et  l'anus  sont  ouverts;  la  peau  a 
pris  une  teinte  plus  pâle  encore;  l'odeur  de  substance  animale 
fraîche  a  disparu ,  et  elle  a  fait  place  à  l'odeur  cadavéreuse 
spécifique,  dont  les  émanations  attirent  des  mouches,  qui  cher- 
chent à  déposer  leurs  œufs  sur  le  corps.  Le  volume  du  corps 
a  diminué,  de  manière  que,  s'il  est  inhumé, la  terre  s'afFaise, 
en  remplissant  les  vides  qu'il  a  pu  laisser  (1);  le  ventre  est 
de  toutes  les  régions  celle  qui  s'affaisse  le  plus ,  comme  Toeil 
est  celui  de  tous  les  organes  dont  la  capacité  subit  la  plus 
grande  diminution.  Comme  l'aflaissement  est  plus  sensible 
que  partout  ailleurs  dans  les  parties  qui  ont  ie  plus  de  mollesse 
et  renferment  le  plus  de  liquides,  et  qu'elle  s'accompagne  aussi 
d'une  perte  de  poids  éprouvée  par  le  cadavre,  elle  lient  prin- 
cipalement à  révaporal!on(  §  634,  8°),  quoique  la  disparition 
de  la  turgescence  ,  celle  de  la  chaleur ,  et  l'action  de  la  pe- 
santeur (§  634,  1°),  puissent  y  contribuer  également.  Mais 
ce  qui  entre  surtout  en  jeu ,  c'est  la  rigidité  ,  qui  caractérise 
cette  période. 

1°  En  effet ,  on  trouve  toutes  les  parties  plus  contractées  = 
les  cartilages  des  oreilles  et  du  nez  ont  la  raideur  du  par- 
chemin, la  peau  est  plus  ferme ,  le  tissu  cellulaire  et  les  liga- 
mens  sont  plus  rigides ,  et  comme  contractés  (2),  les  viscères 
ont  plus  de  densité  ,  et  le  cœur  est  plus  étroit.  Les  vaisseaux 
paraissent  également  se  resserrer  pendant  cette  période,  sinon 
même  déjà  plus  tôt.  Parry  (3)  a  mesuré  le  contour  de^Ia  caro- 

(d)Guntz,  Der  Leichnam  des  Menschen  in  seinen  physischen  Fer- 
wandlungen,  p.  203 

(2)  Orfila  ,  dans  Dictionn.  de  méd.,  t.  IV,  p,  42. 

(3)  Experimentaluntersuchung  ueher  die  Naturursachen  und  Fer- 
schiedenheiten  des  arterioesen  Puises,  p,  13-18,  29,  33, 


402  RAIDEUR    CADAVERIQUE. 

tide ,  et  Ta  trouvée ,  peu  de  temps  après  la  mort,  plus  petite 
d'mi  tiers  et  au-delà  que  pendant  la  vie;  mais,  au  bout  de  vingt 
quatre  heures ,  cette  artère  avait  beaucoup  augmenté  de  dia- 
mètre, quoiqu'elle  n'en  eût  point  acquis  un  égal  à  celui  qu'elle 
possédait  pendant  la  vie.  Magendie  (1)  a  remarqué  aussi  que 
les  vaisseaux  lymphatiques  se  resserrent  après  la  mort,  et  que 
c'est  là  le  motif  qui  fait  qu'alors  on  les  trouve  presque  tou- 
jours vides.  Si  les  poumons  ont  acquis  une  pesanteur  spéci- 
fique plus  considérable ,  de  manière  qu'ils  surnagent  l'eau 
moins  facilement  (2) ,  ce  phénomène  tient  surtout  à  ce  que 
le  sang  en  a  expulsé  une  grande  partie  de  i'air  (  §  634,  5°  ). 

2°  La  diminution  de  la  chalenr  a  fait  perdre  à  la  graisse 
son  état  liquide,  et  l'a  rappro<;hée  du  suif;  aussi  le  doigl  fait-il 
des  impressions  durables  sur  la  peau  ,  principalement  lorsque 
le  temps  est  froid.  La  condensation  et  la  coagulation  du  sang 
sont,  de  même,  en  raison  directe  de  rabaissement  de  la  tem- 
pérature ,  mais  jusqu'à  un  certain  point  seulement ,  car  le 
changement  qui  survient  dans  la  composition  y  contribue  aussi 
pour  sa  part;  la  fibrine  ,  séparée  du  cruor  et  du  sérum  ,  pro- 
duit souvent,  dans  le  coeur  gauche ,  l'aorte  et  l'artère  pulmo- 
naire ,  des  concrétions  blanchâtres  ou  jaunâtres,  qu'on  pour- 
rait prendre  pour  des  polypes;  auconlraire,  le  sang  demeure 
plus  long-temps  liquide  dans  les  veines ,  et  lorsque  la  mort 
a  été  déterminée  par  le  défaut  d'air  respirable  (  principale- 
ment dans  le  cas  de  submersion  ) ,  ou  par  la  foudre  ,  par  une 
fièvre  putride  ,  par  un  de  ces  grands  épuisemens  qui  accom- 
pagnent les  maladies  chroniques  ,  en  un  n)0t  louîes  les  fois 
que  le  sang  a  un  caractère  veineux  plus  prononcé ,  il  ne  se 
coagule  point. 

3"  Mais  le  phénomène  le  plus  remarquable  et  le  plus  frap- 
pant, consiste  dans  l'immobilité  des  articulations  et  la  raideur 
du  corps  entier,  qui  fait  que  celui-ci  devient  plus  long  qu'il 
ne  l'était  au  moment  de  la  mort.  Ce  phénomène,  que  Nysten 
et  Sommer  surtout  (3)  ont  étudié  avec  un  grand  soin,  s'observe 


(4)  Précis  élémentaire  de  physiologie ,  t.  II,  p.  201. 

(2)  Guntz,  loc.  cit.,  p.  100. 

(3)  Recherches  de  physiologie  et  de  chimie  pathologiques,  p.  385. 


RAIDEUR    CADAVÉRIQUE.  4^5 

chez  tous  les  vertébrés;  mais  c'est  chez  les  Mammifères 
qu'il  est  le  plus  prononcé,  et  qu'il  dure  le  plus  long-temps. 
Sommer  ne  l'a  jamais  vu,  dans  les  cadavres  humains ,  surve- 
nirmoins  de  dix  minutes  ni  plus  de  sept  heures  après  la 
mort.  D'ordinaire ,  il  commence  à  la  mâchoire  inférieure  et 
à  la  nuque ,  se  déclare  presqu  en  même  temps  au  tronc , 
puis  gagne  les  membres  supérieurs ,  en  marchant  de  haut 
en  bas ,  et  enfin  s'empare  des  membres  inférieurs ,  où  il 
suit  la  même  maiche.  En  général,  il  dure  plusieurs  jours,  et 
d'autant  plus  long-temps  qu'il  a  paru  plus  tard  ;  il  s'eflàce  en 
suivant  le  même  ordre ,  quant  aux  parties ,  que  celui  qu'il 
a  affecté  lors  de  son  apparition. 

4°  11  a  son  siège  dans  les  muscles;  car  il  survient  alors 
même  que  la  peau  a  été  enlevée ,  ou  que  les  ligamens  arti- 
culaires ont  été  coupés  et  les  capsules  synoviales  vidées  ou 
remplies  d'eau,  tandis  qu'on  ne  l'observe  pas  quand  les  muscles 
ont  été  coupés  en  travers ,  de  manière  que  les  articulations 
demeurent  extensibles  après  la  section  des  muscles  fléchis- 
seurs et  flexibles  après  celle  des  extenseurs  (1). 

5°  La  raideur  cadavérique  s'établit,  selon  Nysten(2),  lors- 
que les  muscles  ont  perdu  leur  réceptivité  pour  les  stimula- 
tions dirigées  sur  eux.  Cependant  elle  ne  peut  point  être  l'effet 
de  la  simple  contractiUlé  ;  car  les  muscles  sont  fermes,  denses, 
raccourcis,  tendus,  grossis,  et  même  plus  fortement  pronon- 
cés à  la  surface ,  comme  ils  le  deviennent  pendant  la  vie ,  lors 
du  mouvement  volontaire.  Ils  ont  aussi  une  cohésion  plus  forte 
d'après  les  expériences  de  Busch  (3)  :  un  muscle  coupé  aus- 
sitôt après  la  mort ,  et  susceptible  encore  d'exécuter  des  con- 
tractions ,  qui  se  déchirait  lorsqu'on  y  suspendait  un  poids 
d'environ  deux  onces,  ne  cédait,  vingt-quatre  heures  après 
la  mort ,  qu'à  l'action  d'un  poids  de  deux  livres.  La  raideur 
cadavérique  diffère  aussi  de  l'action  continue  de  la  contrac- 
tilité,  en  ce  que ,  quand  elle  a  été  vaincue  par  une  puissance 
extérieure ,  elle  ne  se  reproduit  plus  :  a-t-on  employé  la  force 

(1)  Nysten,  loc.  cit.,  p.  398. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  394. 

{d)  Loc.  «Y.,  p.  16,  18,  36. 

T.  28 


434  RAIDEUR    CADAVÉRIQUE, 

pour  ployer  ou  pour  étendre  un  membre  raidi ,  il  demeure 
désormais  mobile.  La  raideur  cadavérique  est  donc  un  acte 
qui  n'a  lieu  qu'une  seule  fois.  Sommer  assure  que  le  seul  cas 
dans  lequel  revient  ou  se  développe  davantage  est  celui 
dans  lequel  elle  on  a  triomphé  d'elle  à  une  époque  où  elle 
ne  s'était  point  encore  complètement  développée.  Somme 
totale ,  les  parties  envahies  par  elle  demeurent  dans  la  situa- 
tion qu'elles  ont  prise  ou  qu'on  leur  a  donnée  immédiatement 
après  la  mort  ;  ainsi  les  traits  du  visage  conservent  encore  le 
caractère  de  l'état  moral  durant  lequel  celle-ci  a  eu  lieu  ,  et 
ils  expriment  le  calme,  on  la  lutte,  ou  l'ivresse,  etc.  Mais  la 
raideur  occasione  aussi  des  mouvemens  réels,  qui  seulement 
ont  lieu  d'une  manière  insensible,  et  par  conséquent  ne  sont 
appréciables  que  dans  leurs  résultats,  les  muscles  les  plus 
forts  surmontant  la  résistance  de  leurs  antagonistes  plus  faibles. 
Sommer  signale,  entre  autres",  ce  fait  que  presque  toujours  la 
mâchoire  inférieure,  qui  est  pendante  immédiatement  après 
la  mort,  remonte  par  l'effet  de  la  raideur  cadavérique.  Les 
doigts  se  courbent ,  et  en  général  les  pouces  d'abord ,  en  sorte 
qu'ils  se  renversent  vers  la  racine  du  petit  doigt ,  ce  que  Vil- 
lermé  cite  comme  un  signe  propre  à  distinguer  la  mort  réelle 
de  la  mort  apparente.  Quelquefois  cependant  le  pouce  ne  fait 
que  s'appUquer  à  l'indicateur,  quand  celui-ci  s'était  fléchi 
avant  lui,  et  souvent  il  n'y  a  que  la  phalange  onguéale  qui  se 
ploie.  Enfin ,  quand  la  raideur  est  grande,  il  arrive  aussi  quel- 
quefois à  Tavant-bras  de  se  ployer  et  de  remonter  un  peu. 
Du  reste,  les  membres  raidis  sont  plus  faciles  à  fléchir  qu'à 
étendre ,  parce  que  les  muscles  fléchisseurs  ont  la  prépon- 
dérance (1). 

6°  Chez  les  enfans  nouveau-nés,  la  raideur  cadavérique 
commence  déjà  six  heures  après  la  mort  à  se  manifester,  sui- 
vant Mende  (2) ,  mais  elle  est  plus  faible  et  dure  moins  long- 
temps que  chez  les  adultes.  Elle  est  bien  moins  considérable 
encore  chez  les  enfans  non  venus  à  terme,  et  les  fœtus  de 
sept  mois  n'en  offrent  aucune  trace  (3). 

(1)  Guntz  ,  loc.  cit.,  p.  98 ,  178. 

(2)  AusfueJirliches  Handbuch  der  gerichtlichen  Medicin,  t.  III,  p.  405, 

(3)  Ibid.,X.  Il,  p.  278. 


RAIDEUR   CADAYERIQtîE.  435 

7»  Elle  est  plus  forte  chez  les  enfans  qui  ont  déjà  respiré 
que  chez  ceux  qui  sont  morfs  pendant  le  part,  avant  d'avoir 
commencé' à  respirer  (1).  Elle  ne  se  voit  point  après  l'as- 
phyxie par  des  gaz  qui  éteignent  la  force  musculaire ,  par 
exemple  l'hydrogène  sulfuré  ou  la  vapeur  du  charbon.  Elle 
dure  plus  long-temps  lorsque  le  cadavre  est  exposé  au  grand 
air,  que  quand  il  se  trouve  dans  un  lieu  renfermé ,  dans  de  la 
terre  humide  ou  dans  l'eau. 

8°  La  quantité  et  la  qualité  du  sang  influent  sur  la  raideur 
cadavérique.  Elle  est  nulle  ou  plus  faible  toutes  les  fois  que 
le  sang  se  rapproche  du  caractère  veineux ,  comme  après  les 
fièvres  putrides ,  dans  le  scorbut,  et  chez  ceux  qui  ont  été 
frappés  de  îa  foudre.  Elle  est  faible  et  n'a  qu'une  courte  du- 
rée ,  qui  souvent  ne  dépasse  point  deux  à  trois  heures ,  lors- 
qu'il y  a  défaut  de  sang ,  soit  par  suite  de  maladies  chroni- 
ques ou  consomptives ,  soit  après  une  hémorrhagîe  épui- 
sante, 

9°  Elle  est  plus  forte  chez  les  sujets  d'une  complexion  mus- 
culeuse.  Nysten  (2)  assure  que,  chez  les  personnes  faiblement 
musclées,  qui  ont  péri  de  mortviolente  au  milieu  d'une  santé 
florissante  ,  elle  ne  se  manifeste  qu'au  bout  de  seize  ou  dix- 
huit  heures ,  et  parvient  à  un  tel  degré  qu'il  y  a  impossibilité 
absolue  à  un  homme  de  fléchir  les  membres  ;  qu'elle  persiste 
ainsi  pendant  trente-six  à  quarante-huit  heures,  puis  diminue 
peu  à  peu  ,  et  cesse  entièrement  au  bout  de  six  ou  sept  jours. 
Elles  est  considérable  après  les  spasmes  toniques  et  les  fièvres 
très-aiguës  (probablement  inflammatoires)  ;  enfin  elle  est  faible 
chez  les  animaux  surmenés  (3).  Ce  dernier  cas  a  lieu  aussi 
chez  les  enfans  maigres  et  débiles  (4).  Sommer  dit  qu'eu 
égard  à  son  intensité  et  à  sa  durée ,  et  en  partie  aussi  à  son 
apparition  tardive  ,  elle  est  en  raison  directe  de  l'état  de  vita- 
lité du  système  nerveux  ,  et  d'autant  plus  faible  que  la  ma- 


H)lMd.,t.lll,  p.  406. 

(2)  Hecherches  de  physiologie  et  de  chimie  pathologiques ,  p.  387. 

(3)  IbU.,  p.  390. 

(4)  Mende,  Ausfuehrliches  Handbuch  der  gerichlichen  Medicin,  t.  III, 
p.  406. 


436  RAIDEL'R    CADAVÉRIQUE. 

ladie  a  été  plus  chronique,  l'épuisemenl  plus  grand,  et  l'ago- 
nie plus  longue. 

40°  Nysten  assure  qu'elle  ne  commence  à  se  manifester 
que  quand  h  chaleur  vitale  a  cessé  (1),  et  qu'elle  dure  moins 
long-temps  dans  un  air  humide  et  chaud ,  que  dans  un  air 
froid  et  sec  (2).  Cependant  Sommer  l'a  observée  dès  avant  le 
refroidissement,  et  dans  des  cas  où  la  chaleur  naturelle  avait 
une  durée  extraordinaire;  il  a  remarqué  aussi  qu'une  diffé- 
rence de  12  à  22  degrés  dans  la  température  atmosphérique, 
n'exerçait  aucune  influence  sur  elle  ,  et  qu'un  bain  chaud  ne 
l'empêchait  pas  de  se  manifester. 

11°.  Suivant  Nysten  (3) ,  la  destruction  de  la  moelle  épi- 
nière  n'influait  point  sur  elle  ;  mais  Busch  (4)  a  cru  remar- 
quer qu'après  l'ablation  du  cerveau  et  de  la  moelle  épinière  , 
elle  survenait  plus  tôt,  atteijjnait  à  un  plus  haut  degré  ,  et 
durait  plus  long-temps. 

12°.  Orfila  (5)  attribue  la  raideur  cadavérique  au  refroidis- 
sement et  à  la  coagulation.  Rudolphi  (6)  la  fait  dépendre 
d'un  travail  chimique  qui  s'établit  après  la  cessation  de 
l'influence  nerveuse.  Mais  en  quoi  consiste  ce  travail  chimique? 
Et  pourquoi  lui,  ou  le  refroidissement  et  la  coagulation, 
n'ont-iis  point  iieu  chez  les  embryons  ,  après  l'asphyxie  par 
divers  gaz ,  après  une  héuiorrhagie  épuisante ,  après  la  con- 
gélation? Tant  que  dure  la  raideur  cadavérique,  on  n'aper- 
çoit aucune  trace  de  putréfaction;  d'après  cela,  l'opération 
chimique  qui  en  ferait  la  base  devrait  donc  être  de  nature 
spéciale  et  opposée  à  la  putréfaction. 

Nysten  (7)  regarde  la  raideur  cadavérique  comme  un  effet 
spasmodique  de  la  force  musculaire.  Elle  a  d'autant  plus  d'in- 
tensité que  les  muscles  possèdent  davantage  d'énergie;  quand 
la  force  musculaire  a  été  épuisée  pendant  la  vie ,  elle  ne  se 

(1) Nysten,  loc.  cit.,  p.  394. 

(2)  ibid.,  p.  395-397. 

(3)  Uid.,  p.  391. 

(4)  Loc.  cit.,  p.  36. 

(5)  Diclionn.  de  niédec,  t.  IV,  p.  d2. 

(6)  Grundriss  dot  Physiologie ,  t.  I,  p.  217. 

(7)  Lnr.  fit,,  p.  402. 


PUTRÉFACTION.  /jj'^ 

manifeste  qu'à  un  faible  de^jré,  et  enfin  elle  n'a  lieu  qu'à  une 
époque  où  nul  changement  chimique  ne  se  fait  encore  remar- 
quer :  d'après  toutes  ces  considérations ,  on  pourrait  bien  voir 
en  elle  une  dernière  manifestation  de  la  force  musculaire 
vivante ,  qui  survient  lorsque  la  sensibilité  est  éteinte  dans 
les  muscles ,  et  qui  a  quelque  analojîie  avec  le  spasme ,  en 
tant  que  celui-ci  dépend  d'un  déploiement  de  la  force  muscu- 
laire dégagée  d'entraves  et  soustraite  à  la  domination  de  la 
sensibilité  centrale.  Dans  tous  les  cas,  elle  se  rattache  à 
l'activité  du  muscle  vivant ,  mais  aune  activité  particulière, 
tenant  le  milieu  entre  l'extinction  de  la  faculté  motrice  vivante 
et  la  décomposition  chimique.  Lorsque  le  lien  vivant  qui 
empêchait  toutes  les  parties  de  l'organisme  est  brisé,  chacune 
d'elles  cherche  à  s'isoler  et  à  établir  son  indépendance  par  la 
condensation  (1",  2°);  mais  les  muscles  sont  celles  de  toutes 
dans  lesquelles  celte  condensation  se  prononce  avec  le  plus  de 
force ,  parce  qu'elle  se  rapproche  beaucoup  de  leur  activité 
vivante.  Sous  ce  rapport,  nous  pouvons,  d'après  Sommer, 
comparer  la  raideur  cadavérique  à  la  coagulation  du  sang. 

APiTICLE     m. 

De  la  putréjaclioji. 

§  636.  La  troisième  période  comprend  la  dissolution  du 
cadavre  par  la  putréfaction. 

L  Les  conditions  générales  de  la  putréfaction  sont  identi- 
ques avec  celles  de  la  vie. 

1°.  L'eau  est  aussi  nécessaire  à  l'accomplissement  des  actes 
chimiques  qui  doivent  s'effectuer,  qu'elle  l'est  à  celui  du  jeu 
de  la  pile  galvanique,  et  elle  favorise  la  décomposition  en 
ramollissant  le  tissu.  On  ignore  si  elle  se  décompose  alors; 
mais  ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que  la  putréfaction  elle- 
même  s'accompagne  d'une  production  d'eau.  Tout  cadavre 
d'animal  a  de  la  tendance  à  se  putréfier ,  en  raison  de  l'eau 
qu'il  renferme,  et  Ton  parvient  à  l'en  préserver  par  le  moyen 
d'une  prompte  exsiccaiion.  Gay-Lussac  conserva  de  la  viande 
fraîche  pendant  plusieurs  mois,  en  la  tenant  sous  une  cloche 
^ans  laquelle  il  y  avait  du  chlorure  de  calcium. 


438  PUTRÉFACTION. 

2°  Une  température  de  15  à] 30  degrés  du  thermomètre  de 
Réaumur  accroît  la  propension  à  se  décomposer,  et  constitue 
la  condition  la  plus  favorable  de  toutes  à  la  putréfaction.  Cette 
dernière  ne  s'effectue  qu'avec  lenteur  à  une  température  qui 
dépasse  seulement  de  quelques  degrés  le  point  de  la  congéla- 
tion; au  dessous,  elle  n'a  point  lieu,  et  les  Mammouth  qu'on 
trouve  au  milieu  des  glaces  éternelles,  y  ont  résisté  depuis 
plusieurs  milliers  d'années.  A  une  température  très-élevée, 
celle  par  exemple  de  50  degrés ,  la  putréfaction  ne  s'opère  pas 
non  plus ,  attendu  qu'une  telle  chaleur  évapore  l'eau,  ou  que, 
si  le  corps  est  plongé  dans  l'eau,  elle  détermine  la  coagula- 
tion de  l'albumine. 

S"  L'air  est  une  troisième  condition,  dont  l'influence  se 
rapporte  à  l'oxygène  qu'il  renferme.  J.  Davy  dit  que  la  pu- 
tréfaction est  accélérée  par  le  dépècement  d'un  corps  mort , 
qui  multiplie  les  points  de  contact  avec  l'air ,  et  Gay-Lussac 
assure  que  l'interdiction  de  tout  accès  à  l'air  atmosphérique 
ne  lui  permet  pas  de  se  déclarer.  Suivant  Guyton-Morveau , 
Bœckmann  et  Hildenbrand  ,  elle  se  déclare  plus  vite  et  arrive 
à  un  plus  haut  degré  dans  le  gaz  oxygène,  tandis  qu'elle  s'ac- 
complit avec  lenteur,  et  même  ne  s'établit  pas,  dans  le  gaz  hy- 
drogène ,  le  gaz  azote ,  le  gaz  acide  carbonique ,  mais  sur- 
tout le  gaz  nitreux ,  qui  s'empare  de  l'oxygène. 

II.  L'individualité  exerce  de  l'influence  sur  la  marche  et  le 
degré  de  la  putréfaction. 

40  Ici  se  range  la  quantité  des  liquides.  Les  corps  pleins  de 
sucs  se  putréfient  plus  promptement  que  ceux  d'une  com- 
plexion  sèche ,  et  les  cadavres  des  personnes  de  moyen  âge 
plus  vite  que  ceux  des  vieillards.  La  putréfaction  survient 
plus  lentement  après  une  hémorrhagie  épuisante  ou  l'étisie. 

5°  Elle  s'accomplit  avec  rapidité  lorsqu'il  y  avait  eu  pen- 
dant la  vie  état  anormal  de  la  composition  chimique  ou  tendance 
à  la  dissolution ,  comme  après  le  scorbut ,  la  fièvre  putride  , 
l'action  de  certains  poisons  et  celle  de  la  foudre. 

6»  Elle  est  également  appuyée  par  une  excitation  antérieure 
des  forces  vitales  ,  et  elle  survient  d'une  manière  plus  rapide 
après  les  maladies  aiguës  qu'à  la  suite  des  maladies  chroni- 
ques. La  même  chose  arrive  après  certaines  morts  subites, 


PUTKÉFACiiON.  439 

par  exemple  après  l'apoplexie ,  l'asphyxie  et  les  blessures 
mortelles.  Leveling  a  remarqué  que  les  cadavres  des  justiciés 
se  putréfiaient  rapidement  ;  j'ai  (ait  la  même  observation  sur 
ceux  des  suicidés  ;  il  m'a  été  parfois  impossible  d'empêcher, 
même  à  l'aide  de  l'alcool  le  plus  pur,  la  putréfaction  des 
organes  que  je  voulais  conserver  en  pareil  cas,  et  l'état 
d'excitation  dans  lequel  l'âme  s'est  trouvée  avant  la  mort 
semble  en  être  la  principale  cause. 

III.  Quant  à  ce  qui  concerne  les  organes  en  particulier,  la 
putréfaction  se  manifeste  d'abord  dans  ceux  de  la  digestion 
et  dans  le  cerveau  ;  puis  elle  a  lieu  dans  les  muscles  ,  qui ,  en 
vertu  du  sang  qu'ils  contiennent,  paraissent  en  être  le  siège 
de  prédileciion  :  elle  survient  plus  tard  dans  la  peau  et  dans 
les  poumons ,  lorsqu'ils  sont  vides  de  sang ,  plus  tard  encore 
dans  les  membranes  fibreuses  et  les  artères.  Les  parties  qui 
sont  plutôt  produits  que  productives ,  qui  ont  peu  d'activité 
vitale,  dont  la  substance  ne  contient  point  d'eau  et  ren-^ 
ferme  peut-être  un  excès  de  parties  terreuses  ou  d'albumine 
coagulée ,  ne  sont  point  soumises  à  la  putréfaction  propre- 
ment dite  :  tels  sont ,  principalement ,  les  tissus  cornés ,  épi- 
dermatiques ,  les  ongles ,  les  poils  et  l'émail  des  dents.  Les 
os  aussi  se  conservent  long-temps ,  lorsqu'ils  sont  à  l'abri  du 
contact  de  l'air  et  de  l'eau  ;  on  a  trouvé  à  Saint-Denis ,  dans 
une  caisse  en  bois,  que  renfermait  un  tombeau  de  pierre,  les 
ossemens  du  roi  Dagobert ,  mort  douze  cents  ans  auparavant  ; 
dans  un  tombeau  égyptien  que  Passalaqua  a  découvert  ei 
dont  l'âge  pouvait  remonter  à  près  de  trente  sièiles,  les  os 
du  taureau  offert  en  sacrifice  étaient  si  bien  conservés  qu'on 
aurait  pu  douter  qu'ils  datassent  d'une  antiquité  si  reculée. 
Les  organes  dans  lesquels  a  eu  lieu  une  excitation  morbide, 
congestion,  inflammation,  suppuration,  etc.,  se  putréfient  plus 
vite  que  d'autres  ;  les  organes  paralysés  ou  resserrés  sur  eux- 
mêmes,  plus  tard,  au  contraire. 

IV.  La  nature  du  milieu  détermine  les  progrès  de  la  putré- 
faction. 

7°  C'est  au  grand  air  que  cette  dernière  marche  avec  le 
plus  de  rapidité ,  surtout  quand  il  s'y  joint  le  concours  de  la 
chaleur  et  de  la  lumière,   que  des  larves  d'insectes  sont 


44o  PUTREFACTION. 

écloses  dans  le  cadavre ,  ou  qu'il  s'est  produit  des  champi- 
gnons à  sa  surface.  L'accroissement  de  la  pesanteur  de  l'air 
rend  la  putréfaction  plus  difficile  ;  cependant ,  au  milieu  d'un 
air  très-raréfié  et  renfermé ,  le  cadavre,  après  s'être  ballonné 
par  l'effet  d'un  déga^yement  de  f^az  ,  s'affaisse  sur  lui-même 
et  devient  moins  enclin  à  se  putréfier  (1). 

8°  Un  cadavre  se  putréfie  dans  l'eau  avec  plus  de  lenteur  ; 
mais ,  lorsqu'au  sortir  du  liquide ,  il  entre  en  contact  avec 
l'air,  la  putréfaction  marche  avec  un  redoublement  de  vitesse. 

9°  La  putréfaction  s'accomplit  avec  plus  de  lenteur  encore 
dans  la  terre ,  surtout  quand  le  sol  est  sablonneux  et  sec , 
qu'il  attire  à  lui  l'humidité,  et  qu'il  détermine  la  dessiccation 
du  cadavre.  Elle  est  plus  promple  dans  le  terreau ,  qui  con- 
tient des  débris  de  plantes  et  de  substances  animales.  Plus  le 
cadavre  est  enfoncé  profondément,  plus  il  met  de  temps  à  se 
putréfier.  Ordinairement  les  parties  molles  sont  détruites  au 
bout  de  six  années,  et  la  plupart  des  os  au  bout  de  douze. 
Orfila  (2)  a  trouvé  ,  dans  des  cadavres  enterrés  depuis  quatre 
ou  cinq  semaines,  les  viscères  encore  frais,  notamment  les 
intestins-,  la  peau  seule  et  les  muscles  étaient  en  putréfaction, 
d'où  il  conclut  que ,  dans  le  sein  de  la  terre,  celte  dernière 
procède  de  la  périphérie  vers  l'intérieur. 

10°  La  destruction  du  cadavre  est  encore  accélérée  par  les 
animaux  qui  trouvent  en  lui  leur  nourriture ,  et  parmi  les- 
quels il  faut  principalement  ranger  les  Insectes,  classe  plus 
riche  qu'aucune  autre  en  espèces  qui  vivent  de  substances 
animales  mortes  ,  dont  on  aurait  peine  à  citer  une  seule  qui 
n'en  attire  pas  sur-le-champ  un  plus  ou  moins  grand  nombre. 
Guntz  (3)  indique  les  animaux  suivans,  comme  étant  ceux  qui 
dévorent  le  cadavre  humain  ;  parmi  les  Annélides ,  Hirah  ; 
parmi  les  Mollusques,  PaJudina^  Lymnœus  ^  Hélix ^  Limax ; 
parmi  les  Diptères,  Musca  {vomitoria ^  cœsarea^  domestica ; 
cnrnaria  ^  furcata)  ^  Scatophaga  ,  Thyreophora  ;  parmi  les 
Hyménoptères,    Vespa;  parmi-  les   Névroptères,    Termes; 


(1)  Gunlz ,  Der  Leichnam  des  Menschen  ,  p.  10. 

(2)  Diclionn.demÂd.,  t. XVIII,  p.  87. 

(8)  Ltfo/eif,,  p.  17. 


PUTRÉFACTION.  44 1 

parmi  les  Orthoptères ,    Forficula  ;  parmi  les  Coléoptères , 

Hydrophilus  f  Anthrenus  ^  Dermestps  ,  Hister  ^  Necrophorus  , 
Silva,  Ptinus  ^  Oxyportis^  Lathrobium  ,  Pœderus  ,  Sienus  ^ 
Oxytelus  ,  Tachynus  ,  Aleochara  ,  Colfmhetes  ,  Hydrachna  , 
Hfdroporus^  Noturus,  Haîiph/s,  Scarites^  Harpalus ,  Amara  ; 
parmi  les  Aptères  ,  ^carîfs ,  Tromhidium  ^  Julus  ^  Lepisma  ; 
parmi  les  Crustacés,  Portmms ^  Podophthalmus ,  Matuta  , 
Orithya ,  Cancer^  Astacus^  Gammarus  ,  Pagurus ,  Oniscus  ; 
presque  tous  les  Poissons ,  mais  surtout  Cyprimis ,  Murœna , 
Esox ,  Squahis ;  TÇ)2iYim  \q?,  Oiseaux,  Vultur^  Sarcoramphus , 
Cathartes  ,  Corvus ;  parmi  les  Mammifères,  Sus,  JJrsus  {ma- 
rinus) ,  Gulo ,  Lutra ,  J^iverra ,  Herpestes ,  Phoca,  et  en  gé- 
néral la  plupart  des  carnivores. 

§  637.  Lorsque  le  corps  organique  coniinue  de  se  trouver, 
après  sa  mort ,  dans  les  mêmes  conditions  que  celles  au  mi- 
lieu desquelles  il  vivait ,  c'est-à-dire  qu'il  est  humide  ,  en 
contact  avec  l'air  atmosphérique ,  et  exposé  à  une  tempéra- 
ture moyenne,  il  s'établit ,  entre  les  élémens,  un  conflit  qui 
s'exprime  par  des  mouvemens  ;  le  corps  se  décompose  sous 
l'influence  de  l'air,  de  l'eau  et  de  la  chaleur,  et  donne  nais- 
sance à  de  nouveaux  produits.  En  tant  que  cette  composition 
a  lieu  sans  qu'il  survienne  de  nouvelles  circonstances,  on  la 
nomme  décomposition  spontanée;  mais,  toutes  les  fois  que  l'ac- 
cession de  circonstances  favorables  fait  qu'elle  s'effectue  au 
milieu  de  phénomènes  tumultueux,  de  tuméfaction  et  d'un  dé- 
gagement de  chaleur,  on  l'appelle  fermentation.  La  fermen- 
tation n'est  ni  un  acte  de  vie,  ni  un  phénomène  inorganique, 
mais  le  résultat  d'une  activité  particulière  de  la  matière  orga- 
nique privée  de  vie  ;  elle  a  de  l'analogie  avec  la  vie ,  puisque 
ses  conditions  sont  les  mêmes  (§  636 ,  I) ,  qu'elle  s'établit 
spontanément,  qu'elle  produit  des  phénomènes  semblables , 
notamment  du  mouvement  et  de  la  chaleur,  et  qu'elle  a  en  ou- 
tre la  faculté  de  se  propager;  car  ce  qui  fermente  agit  comme 
cause  d'infection,  ou  comme  ferment,  sur  d'autres  corps  en- 
clins à  subir  la  fermentation. 

I.  La  fermentation  incomplète  est  celle  qui  se  rapproche 
le  plus  de  la  vie  ;  car  elle  s'y  rallie  immédiatement  sous  le 
point  de  vue  du  temps,  et  ses  produits  sont  encore  complexe?;, 


44^  PUTRÉFACTION. 

ils  ont  encore  le  caractère  de  la  nature  organique ,  ils  ma- 
nifestent même  parfois  quelque  chose  d'analo^^ue  au  cours  de 
la  vie,  puisque  le  vin  se  bonifie  par  l'effet  d'un  travail 
intestin  et  entre  en  mouvement  à  l'époque  où  la  vigne 
fleurit. 

1°  La  fermentation  vineuse  a  lieu  dans  les  substances  or- 
ganiques qui  contiennent  du  sucre,  avec  du  mucus  ou  de- 
l'albumine  et  de  l'eau  ;  le  liquide  entre  en  effervescence,  se 
boursouffle,  s'échauffe  et  perd  sa  transparence.  L'essentiel  de 
cette  opération  consiste  en  ce  que  l'équilibre  des  élémens  du 
sucre  est  troublé  ;  dans  la  lutte  qui  s'établit  entre  eux,  l'hy- 
drogène l'emporte  sur  l'oxygène,  et  les  élémens,  ramenés  à 
l'équilibre  dans  une  autre  proportion ,  produisent  un  corps 
nouveau,  l'alcool,  qui  cependant  est  encore  un  composé 
ternaire,  comme  le  sucre.  En  effet,  ce  dernier  contient ,  d'a- 
près Thénard  et  Gay-Lussac,  42,47  de  carbone,  50,68  d'oxy- 
gène et  6,90  d'hydrogène,  ou,  d'après  Berzelius,  44,415 de 
carbone,  49,083  d'oxygène,  et  6,802  d'hydrogène;  tandis 
qu'il  entre  dans  l'alcool,  selon  Saussure,  51,98  de  carbone, 
34,  o1  d'oxygène  et  13,70  d'hydrogène,  ou,  d'après  Duflos, 
53,30  de  carbone,  32,87  d'oxygène  et  13,83  d'hydrogène. 
L'oxygène  qui  abandonne  le  sucre  se  combine  avec  du  car- 
bone pour  produire  de  l'acide  carbonique,  qui  s'échappe 
en  partie  sous  forme  de  gaz ,  en  partie  aussi  reste  pendant 
quelque  temps  à  la  surface  du  liquide  sous  celle  d'écume , 
en  partie  enfin  demeure  dissous  dans  ce  dernier.  Quand 
l'équilibre  est  rétabli,  l'écume  se  dissipe,  et  la  liqueur  re- 
devient claire. 

2°  Le  second  degré  de  la  fermentation  constitue  celle 
qu'on  appelle  acéteuse,  et  qui  se  manifeste,  dans  l'alcool 
mêlé  avec  du  mucus  et  de  l'eau ,  par  le  trouble  de  la  liqueur, 
le  développement  de  bulles ,  et  la  formation  d'une  pelHcule  à 
la  surface;  l'hydrogène,  qui  prédominait  dans  l'alcool,  dimi- 
nue beaucoup-,  le  carbone  aussi,  mais  dans  une  moindre 
proportion,  et  l'oxygène  acquiert  la  prédominance.  Le  produit, 
également  ternaire,  de  cette  fermentation,  l'acide  acétique, 
est  composé,  d'après  Berzelius ,  de  46,871  carbone  ,  46,934 
oxigène  et  6,195  hydrogène.  Il  ne  se  dégage  point  d'acide 


PUTRÉFACTION.  44^ 

carbonique,  si  ce  n'est  de  substances  mêlées  accidentellement 
avecla  liqueur. 

Certaines  substances  végétales  ,  comme  la  gomme  ,  l'ami- 
don et  l'extractif,  sautentpar  dessus  la  fermentation  alcoolique, 
et  passent  de  suite  à  la  fermentation  acéteuse  (1). 

La  fermentation  complète  est  la  putréfaction,  opératioa 
chimique  complexe,  contre-partie  en  quelque  sorte  de  l'assi- 
milation vivante,  et  par  laquelle  la  matière  organique  se 
transforme  en  matière  inorganique.  Les  combinaisons  d'élé- 
mens  qui,  constituant  les  matériaux  immédiats,  étaient,  pen- 
dant la  vie  ,  à  l'état  de  tension  continuelle  ,  se  détruisent ,  et 
les  élémens  reproduisent  de  simples  composés  binaires,  c'est- 
à-dire  qu'ils  se  mettent  deux  à  deux  en  équilibre  parfait,  tels 
qu'on  les  trouve  dans  les  corps  inorganiques.  Les  végétaux 
résultent,  pour  la  plus  grande  partie,  de  composés  ternaires, 
dans  lesquels  l'hydrogène  et  le  carbone  l'emportent  sur 
l'oxigène  ,  de  sorte  qu'ils  ne  sont  guère  prédisposés  qu'à  une 
fermentation  incomplète  ;  il  n'y  a  que  l'empois  et  l' albumine 
végétale  qui  passent  immédiatement  à  la  putréfaction,  La 
substance  animale,  au  contraire  ,  se  compose  de  combinai- 
sons quaternaires ,  dans  lesquelles  l'hydrogène  et  l'azote 
l'emportentpresque  toujours  sur  le  carbone  et  l'oxigène.  Cette 
association  complexe  rend  le  corps  animal  éminemment  apte 
à  subir  la  putréfaction ,  c'est-à-dire  la  fermentation  complète, 
de  manière  qu'il  saute  par  dessus  les  deux  premiers  degrés  , 
ou  du  moins  les  parcourt  avec  assez  de  rapidité  pour  qu'on 
ne  les  remarque  point  :  le  lait  seul  est  susceptible  des  fer- 
mentations alcoolique  et  acide ,  à  cause  du  sucre  qu'il  con- 
tient; le  pus  et  le  bouillon,  ou  la  décoction  des  muscles ,  le 
sont  de  la  fermentation  acide.  Rudolphi  (2)  dit  avoir  observé 
que  le  cadavre  des  hommes  frappés  de  mort  violente  en  pleine 
santé ,  répand  une  odeur  douceâtre ,  répugnante ,  remplacée, 
au  boni  de  quelques  jours,  par  une  autre  odeur  acéteuse, 
avant  que  la  putréfaction  s'empare  d'eux  :  nous  serions  peu 
disposé  à  admettre  ici  une  fermentation  sucrée  ,  parce  qu'en 

(1)  r.-V.  Respail ,  Nouveau  système  de  chimie  organique ,  deuxième 
édition,  Paris  ,  1838,  t.  I.  p.  456, 

(2)  Gnindriss  der  Physiologie ,  1. 1 ,  p.  215. 


444  PUTRÏIFACTION. 

général  la  formation  du  sucre  ne  résulte  point  d'une  décom- 
position spontanée  après  la  mort ,  et  qu'on  ne  peut  non  plus 
juger  de  la  présence  du  sucre  par  le  sens  de  l'odorat. 

On  a  distingué  la  putréfaction  en  humide  ,  dans  laquelle  il 
se  produit  de  l'eau,  gazeuze,  qui  n'a  lieu  qu'à  une  haute  tem- 
pérature ,  et  s'accompagne  d'un  dégagement  d  hydrogène  et 
d'azote  ,  enfin  sèche  ,  dans  laquelle  le  carbone  et  l'oxygène 
prédominent  (\).  Mais  les  données  chimiques  qui  servent  à 
l'appui  de  cette  division  ,  ne  reposent  point  sur  des  faits  pré- 
cis ;  la  putréfaction  sèche  n'est  autre  chose  qu'une  putréfac- 
tion qui  s'est  arrêtée  à  un  certain  point ,  et  dans  toute  putré- 
faction quelconque  il  se  dégage  des  gaz,  dont  la  plus  ou 
moins  grande  quantité  n'établit  point  de  différence  essentielle. 
La  putréfaction  est  une  décomposition  si  complète  qu'elle 
volatilise  en  entier  ou  prescjue  entièrement  le  corps  animal  ; 
c'est  ce  qui  fait  que  la  terre  n'augmente  pas  d'une  manière 
sensible  dans  les  cimetières;  plus  d'une  fois  même  on 
n'a  rien  trouvé  dans  d'ancieas  cercueils,  ou  au  plus  une 
poignée  de  cendres ,  tout ,  Jusqu'à  la  plus  grande  partie  de  la 
substance  osseuse,  s'étant  dissipé  sous  la  forme  de  gaz  ;  ou 
bien  le  cadavre  a  conservé  sa  forme ,  comme  celui  d'Alexan- 
dre-le-Grand  présenté  à  Auguste  ,  mais  le  moindre  ébranle- 
ment suffit  pour  le  faire  tomber  en  poussière. 

3»  Une  circonstance  importante  de  la  p  itréfaction  paraît 
être  l'absorption  de  l'oxygène,  pris  surtout  dans  l'atmo- 
phères.  On  peut  conclure  qu'elle  a  lieu,  non  seulement  des  faits 
rapportés  précédemment  {§  636,  3,,,  7^),  mais  encore  de 
ce  que  l'atmosphère  perd  une  partie  de  son  oxygène  pendant 
la  putréfaction  de  cadavres  entiers  (2),  ou  de  débris  de  cada- 
vres, tels  que  cerveau,  muscles  ou  viscères  (3),  même  quand 
ces  objets  sont  placés  sous  l'eau  (4). 

4°  Une  partie  de  l'oxygène  absorbé    paraît  se  combiner 
avec  de  l'hydrogène  ,  pour  produire  de  l'eau  ;  du  moins  les 

(1)  Mende,  Ausfuehrliches  Handhuch  der  gerichtlichen  Medicin,  t.  V, 
p.  233. 

(2)  Spallanzani ,  Mena,  sur  la  respiration  ,  p.  63-70. 

(3)  I/nd.,  p.  74. 

(4)  IHd.,  p.  80. 


Pl-THÉFACÏION.  44^ 

parties  qui  se  putréfient,  cerveau,  muscles,  deviennent-elles 
onctueuses,  pultacées,  et  il  n'est  point  vraisemblable  que  cette 
augmentation  de  Teau  tienne  uniquement  à  l'attraction  exer- 
cée sur  l'humidité  atmosphérique.  Mais  l'eau  se  dégage  sous 
forme  de  vapeur,  entraînant  avec  elle  des  matières  animales 
fétides. 

5"  Une  partie  du  carbone  s'exhale  sous  la  forme  de  gaz 
acide  carbonique  ,  qui  peut  avoir  été  produit  par  l'oxygène 
absorbé.  Cependaut  Hildenbrand  a  observé  que  la  viande  en 
putréfaction  dégageait  aussi  de  l'acide  carbonique  dans  le  gaz 
hydrogène.  Une  autre  portion  du  carbone  s'échappe ,  combi- 
née avec  du  gaz  hydrogène.  La  formation  d'une  substance 
grasse  ou  savonneuse  est  moins  générale  :  dans  un  sol  humide, 
et  surtout  argileux,  où  l'air  trouve  peu  d'accès,  mais  plus 
encore  au  sein  des  eaux,  il  arrive  quelquefois,  principalement 
lorsque  les  cadavres  appartiennent  à  des  sujets  replets  , 
qu'une  partie  de  la  substance  musculaire  ,  avec  ses  membra- 
nes fibreuses,  ses  vaisseaux  et  ses  nerfs  ,  parfois  même ,  sui- 
vant Fourcroy,  certains  viscères,  se  convertissent  en  une 
substance  grasse  ,  qu'on  appelle  gras  de  cadavre  ou  adipo- 
cire.  Cetie  substance  est  fusible;  desséchée  à  l'air,  elle 
devient  solide  et  semblable  à  de  la  cire  ;  elle  se  mêle  à  l'eau 
d'une  manière  incomplète  et  en  écumant  ;  par  l'addition  de  la 
chaux,  elle  dégage  une  odeur  ammoniacale  et  fétide;  l'alcool 
la  dissout  à  la  chaleur  de  l'eau  bouillanie,  et  les  acides  la 
précipitent  de  cette  dissolution;  elle  se  décompose,  quand  on 
la  distille,  en  ammoniaque  et  en  une  eau  fétide.  D'aprèsFour- 
croy,  elle  ressemble  au  blanc  de  baleine.  Chevreul  la  regarde 
comme  une  combinaison  savonneuse  d'acide  margarique  et 
d'acide  oléique  avec  de  l'ammoniaque,  une  matière  colorante 
jaune,  une  substance  azotée,  un  acide  libre,  qui  paraît  être 
le  lactique,  et  des  lactates  de  potasse  et  de  chaux.  Il  attribue 
sa  formation  à  la  graisse  qui  s'est  chargée  de  l'ammoniaque 
développée  par  les  muscles.  Celte  explication  n'est  pas  satis- 
faisante ,  puisqu'il  y  a  des  viscères,  notamment  le  cerveau , 
qui  se  transforment  en  adipocire,  et  que  Fourcroy  a  obtenu 
une  substance  analogue  en  traitant  par  l'acide  nitrique  des 
matières  animales  qui  ne  contenaient  point  de  graisse.  Tout 


446  PUTRÉFACTION. 

porte  à  croire  que  la  partie  grasse  de  Tadipocire  est,  comme 
l'ammoniaque,  un  produit  de  la  putréfaction.  D'après  Olivier 
et  Chevallier,  il  se  forme  quelquefois ,  dans  les  cadavres  en- 
fouis, pendant  la  dessiccation  incomplète  des  parties  molles , 
une  substance  blanche  et  dure,  qui  prend  la  forme  de  granu- 
lations, de  lamelles  ou  de  stries  à  la  surface  des  organes  et 
dans  l'intérieur  des  vaisseaux  sanguins;  cette  substance  est 
composée  d'une  matière  grasse  ,  d'une  autre  analogue  à  la 
gélatine,  et  d'une  troisième  soluble  dans  l'acide  acétique,  avec 
des  traces  de  sels  ammoniacaux ,  de  chlorure  de  sodium ,  de 
carbonate  de  soude  et  de  phosphate  calcaire. 

6°  L'hydrogène  se  dégage ,  à  l'état  de  gaz ,  combiné  avec 
du  carbone  ,  du  soufre  ou  du  phosphore.  L'hydrogène  car- 
boné ^est  surtout  un  produit  abondant  de  la  putréfaction  sous 
l'eau  ;  il  donne  par  la  combustion  de  l'eau  et  de  l'acide  car- 
bonique. Le  gaz  hydrogène  phosphore  est  la  cause  des  feux 
follets. 

7°  L'azote  s'exhale  principalement  à  l'état  de  gaz  pur,  même, 
au  dire  de  Hildenbrand  ,  quand  la  putréfaction  s'accomplit 
au  milieu  du  gaz  oxygène.  En  outre,  il  produit  l'ammoniaque, 
qui  se  forme  surtout  en  grande  quantité  lorsque  la  substance 
est  peu  exposée  au  contact  de  l'air  et  de  l'eau  ,  par  exemple 
dans  la  terre  sèche ,  où  il  se  forme  moins  d'acide  carbonique 
et  d'autres  produits  oxygénés  (2).  C'est"  en  vertu  de  l'ammo- 
niaque qu'elle  contient  que  ia  sanie  putride  verdit  le  sirop  de 
violette  ,  et  qu'elle  fait  effervescence  avec  les  acides,  quand 
l'alcali  s'y  trouve  combiné  avec  de  l'acide  carbonique.  Il  ne 
se  produit  de  l'acide  nitrique  que  dans  les  cas  de  putréfac- 
tion lente  et  gênée,  comme  par  exemple  lorsque  des  débris 
de  corps  organisés  pourrissent  dans  du  terreau. 

8"  Le  phosphore  se  déga{>e  ordinairement  combiné  avec  du 
gaz  hydrogène  ;  quelquefois  il  brûle  dans  le  corps  même  qui 
se  pourrit,  et,  suivant  Tréviranus  (2),  avant  que  la  putréfac- 
tion proprement  dite  ait  lieu.  Cette  phosphorescence  s'observe 


(l)Hunefeld,  Physiologische  Chemie  des  menschlichen  Organismus , 
t.I,  p.  143. 

(2)  Biologie  ,  t.  IV,  p.  422-129. 


PUTRl^wFACTION.  44^ 

le  plus  fréquemment  sur  le  bois,  les  Poissons  elles  Crustacés; 
elle  a  lieu  surtout  aux  nageoires  et  aux  opercules. 
III.  Divers  moyens  mettent  obstacle  à  la  putréfaction. 
9°  L'alcool  attire  à  lui  l'eau  des  parties  aniniales  ,  dissout 
le  cruor,  coagule  l'albumine,  et  s'empare  aussi^d'une  partie  de 
la  graisse  (i). 

L'éiher  agit  de  la  même  manière. 

10°  Les  résines  et  les  huiles  essentielles  sont  efficaces  en 
garantissant  le  corps  de  l'eau. 

11°  Le  charbon  opère  la  dessiccation  des  parties;  du  gaz 
hydrogène  et  du  gaz  azote  se  dégagent  alors  sans  carbone,  et 
par  conséquent  sans  odeur  fétide. 

12°  L'acide  pyroligneux  ,  c'est-à-dire  l'acide  acétique  im- 
prégné d'huile  empyreumaiique  ,  résiste  puissamment  à  la 
putréfaction.  Les  viandes  qu'on  fume  se  dessèchent  et  s'im- 
prègnent d'acide  pyroligneux. 

13°  Le  chlore  et  les  chlorures,  notamment  ceux  de  calcium 
et  de  sodium ,  arrêtent  d'une  manière  subite  la  putréfaction, 
même  avancée. 

14°  La  plupart  des  seîs  métalliques  attirent  l'eau  ,  ou  for- 
ment des  combinaisons  qui  ne  sont  point  susceptibles  de  se 
putréfier.  Le  plus  énergique  de  tous  ces  antiseptiques  est  le 
deutochlorure  de  mercure ,  qui  se  convertit  par-là  en  proto- 
chlorure. 

15°  L'arsenic  se  combine,  dit-on,  avec  l'hydrogène  du  corps 
animal  (2)  ;  du  reste,  il  ne  préserve  que  les  parties  avec  les- 
quelles on  le  met  en  contact  immédiat. 

16°  La  simple  soustraction  de  l'eau  par  un  air  chaud  et 
agité,  ou  par  des  corps  solides  qui  ont  de  l'affinité  adhésive 
pour  elle ,  suffit  déjà  pour  empêcher  la  putréfaction  de  s'éta- 
blir. Ainsi  on  dessèche  des  plantes  dans  du  sable  ,  afin  de 
conserver  leurs  formes,  et  les  sables  des  déserts  de  la  Libye 
renferment  intacts  les  cadavres  des  malheureux  qu'ils  ont 
engloutis.  On  a  fréquemment  rencontré  ces  sortes  de  momies 
naturelles,  à  l'égard  desquelles  Raynaud,  Garmann  et  Medi- 

(4)  F.-V.  Raspail,  Nouveau  système  de  chimie  organique,  deuxième 
édit.,  Paris,  1838,  t.  III,  p.  ti76. 
(2)  Hunefeld,  loe.  cit.,  t.  I,  p.  139. 


448  PÏJTRÉFACTIOiN'. 

eus  (1)  ont  réuni  un  certain  nombre  de  faits.  îl  y  a  des  ca-* 
vernes    dans    lesquelles   tous   les  cadavres ,  ou  du  moins 
presque  tous  ,  résistent  à  la  putréfaction,  et  Isenflamm  (2)  en 
a  donné  la  liste.  Dans  Tun  et  l'autre  cas  il  a  presque  toujours 
été  impossible  de  reconnaître  précisément  la  cause  du  phé- 
nomène. En  général,  nous  devons  admettre,  comme  conditions 
de  cette  dessiccation ,  que  le   corps  soit  d'une  complexion 
sèche,  que  la  mort  ail  été  amenée  par  une  maladie  chronique, 
sans  décomposition,  et  surtout  par  l'étisie,  que  l'air  soit  très- 
sec  au  moment  de  la  mort,  enfin  que  le  cadavre  se  trouve  dans 
une  position  qui  lui  permette  d'abandonner  aisément  son  eau. 
Ces  effets  paraissent  être  produits  souvent  par  la  nature  du 
cercueil ,  lorsqu'étant  construit  en  bois  très-sec ,  susceptible 
d'absorber  fortement  la  vapeur  aqueuse ,  mais  placé  de  ma- 
nière à  ne  pouvoir  attirer  l'humidité  du  dehors ,  sa  faculté 
hygrométrique  s'exerce  uniquement  sur  les  parties  aqueu- 
ses du  cadavre,  qu'il  dépose    à  mesure   dans   l'air  ou  le 
sol  ;  car  presque  toujours  les  cercueils  des  corps  ainsi  des- 
séchés sont  pourris,  tandis  que  si  l'air  et  le  sol  avaient  agi 
seuls,  on  devrait  les  trouver  eux-mêmes  intacts.  L'exa- 
men que  j'ai  fait  de  trois  momies  naturelles  ,  dont  deux  da- 
taient de  cent  quatre-vingts  ans,  m'a  fourni  les  résultats  sui- 
vans.  La  momie  pesait  environ  dix  livres,  par  conséquent  un 
quinzième  à  peu  près  du  corps  vivant.  Une  portion  du  canal 
intestinal  et  les  organes  internes  de  la  génération  étaient  réu- 
nis en  une  masse  confuse.  Le  parenchyme  des  viscères  avait 
disparu  en  grande  partie,  de  manière  qu'il  n'en  restait  plus 
que  l'enveloppe  membraneuse  ,  mince,  mais  ferme. Tel  était 
surtout  le  cas  des  poumons,  réduits  pour  ainsi  dire  à  la  plèvre, 
et  des  reins  ,  dont  il  ne  restait  que  la  membrane  tibrense;  la 
rate  avait  conservé  davantage  de  parenchyme,  et  représentait 
un  tissu  à  grandes  cellules,  avec  des  membranes  résistantes; 
mais  le  foie  était  dense,  solide,  onctueux.  Les  tissus  mem- 
braneux se  laissaient  encore  diviser  en  plusieurs  couches  ; 


(1)  Hamburger  Magazin,   t.  X,p.  490;  t.  XII,  p.  50 j    t.    XXII, 
p.  431-437. 

(2)  Anatomi^clie  Untersuchungen ,  p,  309-346. 


PUTRÉFACTION.  449 

ainsi  les  diverses  tuniques  de  l'estomac  et  de  l'aorte  pou- 
vaient, après  le  ramollissement,  être  démontrées  comme  dans 
l'état  frais.  Les  muscles  n'étaient  non  plus  que  desséchés  ,  et 
le  diaphragme  ,  par  exemple ,  n'avait  pas  plus  d'épaisseur 
qu'une  feuille  de  papier  ;  la  macération  et  l'ébulUtion  dans 
l'eau  rétablissaient  leur  texture  ,  de  manière  qu'on  voyait 
apparaître  distinctement  les  fibres  musculaires  ,  le  tissu  cel- 
lulaire et  les  vaisseaux.  Les  fibres  musculaires  ainsi  reprodui- 
tes étaient  flexibles,  extensibles ,  contractiles,  et  se  compor- 
taient comme  la  viande  fraîche  avec  les  réactifs  chimiques. 
Le  foie,  exposé  au  feu,  brûlait  avec  flamme.  Au  bout  de  trois 
semaines  de  macération,  l'estomac  et  les  poumons  ne  présen- 
taient encore  aucune  trace  de  putréfaction  ;  mais  le  foie  était 
ramolli  et  pourri  (1). 

§  638.  Pour  saisir  l'ensemble  des  phénomènes  delà  putré- 
faction du  cadavre  humain,  on  la  partage  en  trois  périodes. 

I.   Ffemière  période.        ^ 

La  première  période  est  caractérisée  par  le  commencement 
de  la  décomposition.  Des  gaz  se  dégagent ,  exhalant  une 
odeur  putride,  et  des  changemens  surviennent  tant  dans  la 
consistance  que  dans  la  couleur. 

1°  Le  dégagement  des  gaz  est  surtout  rapide  et  abondant 
lorsque  la  température  extérieure  est  élevée,  et  que  le  carac- 
tère veineux  prédomine  dans  le  sang.  Ces  gaz  s'échappent 
principalement  du  sang,  et  il  n'est  pas  rare,  notamment  après 
le  typhus,  de  rencontrer  des  bulles  d'air  dans  les  veines.  Ils 
proviennent  aussi  de  la  sérosité  du  tissu  cellulaire  et  des  sacs 
séreux ,  le  péritoine  entre  autres  ;  ce  liquide  est  trouble  et 
probablement  déjà  chargé  de  parties  provenant  des  tissus. 
Il  s'en  exhale  parfois  aussi  du  chyme  contenu  dans  le  canal 
intestinal.  Lorsqu'ils  ne  peuvent  pas  s'échapper  sur-le-champ 
au  dehors,  ils  s'infiltrent  dans  les  tissus ,  et  distendent  les 
organes  creux.  De  cette  manière,  ils  déterminent  un  emphy- 
sème général ,  qui  rend  la  peau  rénitente  ,   et  qui  fait  que 

(1)  Burdach ,  Berichte  von  der  anatomisehen  Anstalt  su  Kcenigsberg, 
p.  75-81. 

V.  29 


45o  PUTRÉFACTION. 

l'impression  du  doigt  ne  tarde  pas  à  s'effacer.  Le  cadavre  di- 
minue de  pesanteur  spécifique ,  et  quand  il  se  trouve  .dans 
l'eau ,  il  vient  gagner  la  surface  ,  la  tête  en  bas.  Les  points 
dont  la  turaéfaclion  s'empare  d'abord  sont  ceux  qui  renfer- 
ment le  plus  de  tissu  cellulaire,  ceux  aussi  où  la  décomposi- 
tion fait  le  plus  de  progrès ,  notamment  les  paupières  ,  les 
lèvres  de  la  vulve  et  le  scrotum  :  les  membres  sont  les  der- 
niers à  enfler.  Le  bas-ventre  se  ballonne  beaucoup ,  tant 
parce  que  les  gaz  s'y  dégagent  avec  abondance  et  rapidité  , 
que  parce  que  ses  parois  cèdent  aisément  ;  la  cavité  abdomi- 
nale et  le  canal  intestinal  sont  pleins  de  gaz  ,  qui  refoulent  le 
diaphragme  en  haut.  On  trouve  des  bulles  d'air  dans  toutes 
les  autres  cavités  ;  le  tissu  même  du  cœur,  de  la  rate  et  du 
foie  est  imprégné  de  gaz ,  en  sorte  que  ces  organes  surna- 
gent quand  on  les  met  dans  l'eau. 

Les  gaz  sont  refoulés  de  bas  en  haut  par  les  liquides  ;  mais, 
quand  ils  ne  peuvent  s'échapper,  ils  compriment  ces  derniers, 
notamment  le  sang  ;  ils  le  refoulent  des  troncs  veineux  vers 
divers  organes  ,  et  déterminent  d'apparentes  congestions  ; 
ainsi ,  au  bas-ventre ,  ils  le  poussent  de  la  veine  cave  dans  le 
cœur  droit ,  en  partie  aussi  dans  les  organes  génitaux  ex- 
ternes ,  et  de  la  veine  porte  dans  le  foie  ;  à  la  poitrine,  ils  le 
chassent  de  la  veine  cave  supérieure  dans  les  veines  de  la  tête 
et  du  cou ,  de  manière  que,  comme  le  fait  remarquer  Orfila  (1), 
la  face  devient  rouge  et  les  pupilles  se  rétrécissent.  Quelque- 
fois le  sang  est  refoulé  jusque  dans  l'aorte  pectorale ,  selon 
Rigot  et  Trousseau  (2).  Bidley  et  Voisinet  (3)  ont  même  vu  ce 
mouvement  produire  des  pulsations  de  la  carotide  et  de  l'ar- 
tère temporale ,  qui  se  succédaient  rapidement ,  duraient 
quelques  secondes ,  puis  s'interrompaient ,  et  reparaissaient 
au  bout  d'un  certain  laps  de  temps.  Les  gaz  chassent  en  outre 
le  contenu  des  cavités  ouvertes  ;  ainsi  un  liquide  écumeux  sort 
des  poumons  et  de  l'estomac  par  la  bouche  et  le  nez  ;  la  vési- 
cule biliaire  verse  la  bile  dans  l'intestin,  et  le  fœtus  peut  même 


(1)  Dictionn.  de  niédec,  t.  IV,  p.  16. 

(2)  Archiv.  génér.,  t.  XII ,  p.  188. 

(3)  Dictionn,  des  se.  médic,  t.  LI,  p.  2t^7. 


PUTRÉFACTION.  45ï 

être  expulsé  de  la  matrice  (  §  485 ,7°).  Enfin. le  sang ,  devenv^ 
plus  liquide ,  suinte  à  travers  les  parois  ramollies  et  plus  péné- 
trables ,  de  manière  qu'il  se  mêle  avec  la  sérosité  dans  le  tissu 
cellulaire  et  les  sacs  muqueux ,  notamment  le  péritoine ,  ou 
qu'il  s'écoule ,  soit  par  le  nez  ou  la  bouche,  soit  par  des  plaies. 

2°  Il  survient  une  diminution  générale  de  consistance.  Le 
sang  acquiert  plus  de  liquidité;  la  graisse  devient  onctueuse, 
et  les  parties  solides  qui  ne  sont  pas  distendues  ou  compri- 
mées par  des  gaz,  produisent  sous  le  doigt  la  même  impression 
qu'un  corps  pâteux  ;  les  muscles  se  relâchent ,  ils  deviennent 
humides  et  cassans  ;  toutes  les  articulations  acquièrent  de  la 
flexibilité,  celles  de  la  mâchoire  inférieure  et  des  doigts  après 
toutes  les  autres  ;  les  muscles  sphincters  se  relâchent  plus 
encore  que  les  autres ,  de  manière  que  la  bouche  et  Fanus 
s'ouvrent  davantage,  et  que  les  lèvres  se  renversent  en  dedans  ; 
les  traits  du  visage  s'affaissent  de  plus  en  plus  ;  le  cœur  se 
flétrit  ;  la  peau  est  plus  facile  à  déchirer ,  et  elle  a  perdu  sa 
çontractihté ,  de  manière  que  les  bords  de  ses  plaies  s'écar- 
tent davantage  ;  l'épiderme  est  plus  mou  ;  le  cerveau  est  ré- 
duit en  bouillie  ;  le  foie  et  la  rate  sont  mous  et  faciles  à  déchi- 
rer ;  les  reins  sont  les  organes  qui  se  conservent  le  plus  long- 
temps. Certaines  parties  internes  se  ramollissent  plus  promp- 
tement  lorsqu'on  les  met  à  nu  ;  les  muscles  abdominaux ,  par 
exemple  ,  ne  tardent  pas  à  devenir  onctueux  ,  et  les  mem- 
branes muqueuses  à  se  réduire  en  bouillie. 

3°  Le  sang  devient  brunâtre,  couleur  de  chocolat,  noirâtre  ; 
la  sérosité  trouble  ,  jaunâtre  ,  floconneuse  ;  les  humeurs  de 
l'œil  se  troublent  entièrement  ;  la  graisse  devient  d'un  jaune 
sale  ou  rougeâtre  ;  le  cerveau  d'un  vert  grisâtre  ou  d'un  gris 
rougeâtre  ;  les  poumons  d'un  rouge  jaunâtre ,  avec  des  taches 
brunâtres  ;  l'intestin  d'un  rouge  brunâtre  ;  le  foie  d'un  brun 
jaune ,  rouge  ou  noir,  avec  des  taches  marbrées  ;  la  rate  d'un 
bleu  tirant  sur  le  noir  ;  les  reins  d'un  rouge  brunâtre  ou  châ- 
tain ;  les  muscles  d'un  brun  rougeâtre  :  ceux  du  bas-ventre , 
surtout  au  grand  air ,  prennent  une  teinte  verdâtre ,  et  rou- 
gissent fortement  les  couleurs  bleues  végétales.  La  peau, 
considérée  d'une  manière  générale  ,  devient  d'un  blanc  sale  ; 
d'un  jaune  de  cire  dans  les  points  exsangues ,  au  nez  ,  par 


45^  PUTRÉFACTION. 

exemple  ;  d'un  rouge  clair  dans  certaines  parties  ,  telles  que 
le  scrotum  ;  d'une  couleur  plus  foncée  ailleurs,  à  cause  du  sang 
qui  s'y  accumule  ;  par  exemple,  d'un  rouge  gris  aux  joues, 
ardoisée  ou  d'un  brun  noirâtre  aux  lèvres.  Enfin  les  progrès  de 
la  décomposition  font  naître  des-  taches  vertes ,  d'abord  au 
ventre ,  puis  au  cou  et  au  visage ,  plus  tard  à  la  poitrine ,  et 
en  dernier  lieu  aux  membres  :  les  sugillations  cadavériques 
deviennent  d'un  bleu  brunâtre  ou  d'un  jaune  verdâtre. 

4°  Le  dégagement  des  gaz  ,  l'évaporation  de  l'eau ,  et  en 
partie  aussi  l'écoulement  d'un  liquide  sanguinolent  diminuent 
beaucoup  le  poids  du  cadavre  ;  cette  diminution  fait  surtout 
de  rapides  progrès  lorsque  l'ablation  de  Tépiderme  favorise 
l'évaporation.  Le  volume  diminue  aussi  partout  où  il  n'y  a 
point  de  gaz  accumulés  :  ainsi  les  yeux  s'affaissent  beaucoup , 
puis  les  oreilles ,  le  nez ,  les  lèvres ,  le  pénis ,  en  même  temps 
que  les  parties  génitales  deviennent  plus  sèches. 

5»  Quand  il  s'agit  de  cadavres  d'adultes,  et  que  la  tempé- 
rature est  moyenne  ,  cette  période  dure  une  à  trois  semaines 
au  grand  air  et  plusieurs  mois  dans  la  terre.  Pour  les  corps 
des  nouveau-nés ,  sa  durée  est  de  huit  jours  dans  [un  air 
frais  (1) ,  de  deux  ou  trois  dans  un  air  chaud  (2). 

IX.  Deuxième  périodei 

§  639,  La  seconde  période  comprend  la  putréfaction  pro- 
prement dite ,  dans  laquelle  le  corps  organique  perd  sa  com- 
position et  sa  forme,  au  milieu  d'un  dégagement  de  vapeurs, 
qui  sont  d'abord  ammoniacales ,  mais  qui  ensuite  reprennent 
une  odeur  putride  pure. 

1°  Le  sang  devient  irès-coulant  ;  la  plupart  des  parties 
molles  s'imbibent  d'une  sérosité  diversement  colorée,  acquiè- 
rent de  plus  en  plus  d'onctuosité ,  et  finissent  par  se  convertir 
en  une  sorte  de  bouillie  ;  la  peau  se  couvre  d'une  sanie  bru- 
nâtre ,  et  s'amincit  ;  les  muscles  vont  toujours  en  se  ramollis- 
sant ;  le  cœur,  le  foie  et  la  rate  prennent  un  aspect  pultacé  ; 
le  cerveau  se  liquéfie  :  les  larves  d'insectes,  écloses  sous  l'épi- 

(1)  Guntz  ,  dor  Leiclmam  des  Menschen  ,  p.  d.04. 

(2)  Ifml.,  p.  120. 


PUTRÉFACTION.  4^5 

derme ,  s'enfoncent  dans  les  parties  molles ,  et  contribuent , 
par  leur  voracité ,  aux  progrès  de  la  destruction.  Le  cadavre 
lui-même  est  maintenant  moins  capable  encore  de  résister 
aux  actions  mécaniques ,  et  sa  forme  dépend  de  la  pression 
qu'exercent  sur  lui  les  corps  extérieurs,  notamment  la  terre 
dans  laquelle  il  est  placé. 

2°  Les  liquides  produits  par  la  décomposition  de  la  substance 
solide  sont  expulsés  par  les  gaz ,  qui  leur  frayent ,  ainsi  qu'à 
eux-mêmes,  une  voie  à  travers  les  parties  molles,  trop  peu 
consistantes  pour  résister  à  la  moindre  pression.  Une  sanie 
brune  coule  du  nez,  et  s'épanche  par  l'anus,  même  avec  des 
excrémens  ;  le  cerveau  s'écoule  par  les  ouvertures  du  crâne  ; 
l'intestin  se  crève ,  et  verse  son  contenu  dans  la  cavité  abdo- 
minale ;  l'épiderme ,  détaché  par  l'ichor  de  la  peau  et  par  les 
gaz ,  se  soulève  sous  la  forme  d'ampoules ,  et  se  déciiire  ; 
fréquemment  aussi  la  paroi  abdominale  éclate ,  surtout  lors- 
que le  concours  de  la  chaleur  imprime  une  marche  très-rapide 
à  la  putréfaction.  Il  survient  également  des  ouvertures  à  la 
cavité  pectorale  ,  entre  Jes  côtes  :  la  sanie  qui  s'en  échappe 
adhère  en  partie  à  la  peau ,  celle  du  dos  principalement,  et  la 
colore  en  rouge  brun. 

3°  Les  parties  ramollies  qui  ont  laissé  échapper  leurs  liqui- 
des en  se  déchirant,  et  celles  qui ,  dès  l'origine,  ont  perdu  leur 
humidité  par  l'effet  de  l'évaporation ,  sans  se  dissoudre  d'une 
manière  notable ,  commencent  à  s'affaisser  et  à  se  dessécher. 
Ainsi  l'évaporation  dessèche  les  yeux ,  les  oreilles ,  le  nez ,  les 
lèvres  et  les  organes  génitaux  externes  ;  les  muscles  et  les 
nerfs  sont  devenus  plus  grêles  ,  et  le  cadavre  a  beaucoup 
perdu  de  son  poids  ;  celui  d'un  nouveau-né ,  par  exemple , 
diminue  d'un  tiers  à  la  température  ordinaire  ,  d'environ 
moitié  dans  un  air  chaud  (1),  et  de  près  des  deux  tiers  lorsque 
l'atmosphère  est  très-échauffée  (2). 

4»  La  volatilisation  et  le  ramollissement  détruisent  la  cohé- 
sion des  divers  tissus.  Le  moindre  effort  suffit  pour  arracher 
les  poils  ;  les  ongles  tombent  avec  l'épiderme  ;  les  muscles  se 

(1)  Ibid.,  p.  i2l. 

(2)  Ibid.,  p.  433. 


454  PUTRÉFACTION. 

détacheiit  des  os ,  qu'abandonnent  les  tendons  ;  les  ligamens 
perdent  leurs  attaches ,  les  articulations  se  séparent ,  d'abord 
aux  doigts  et  aux  orteils ,  effet  auquel  concourt  aussi  la  vora- 
cité des  insectes. 

5°  Les  premières  larves  d'insectes  appartiennent  à  des  Di- 
ptères, et  éclosent  dans  les  coins  des  yeux  ;  celles  de  la  Musca 
carnaria  éclosent  environ  dix  à  vingt  jours  après  l'inhuma- 
tion ;  mais  le  défaut  d'air  les  fait  périr  avant  leur  entier  déve- 
loppement. Plus  tard  arrivent  les  Coléoptères  qui  vivent  sous 
terre ,  et  qui  dévorent  le  cadavre ,  tant  qu'il  y  reste  de  l'hul 
mid«ité. 

6°  Le  sang  ,  les  parties  colorées  par  lui ,  comme  paupières, 
lèvres  ,  palais ,  langue  ,  et  la  sanie  avec  laquelle  il  est  mêlé , 
deviennent  d'un  brun  noirâtre  ;  la  rate  d'un  gris  noir  de  plus 
en  plus  foncé  ;  les  ongles  d'un  bleu  noir  ;  les  muscles  bruns  , 
et  sur  divers  points  verts  ;  la  peau  d'un  noir  brun ,  ou  verdâlre, 
ou  grise-,  le  foie  d'un  brun  jaunâtre;  les  reins  d'un  jaune  brun  ; 
la  graisse  blanche,  et  parsemée  de  taches  vertes  et  livides,  dues 
à  du  sang  épanché. 

III.  Troisième  période. 

§  640.  La  troisième  période ,  ou  la  fin  de  la  putréfaction ,  a 
pour  caractères  que  la  lutte  des  élémens  cesse ,  et  que  les 
parties  organiques  se  transforment  d'une  manière  plus  lente 
et  plus  calme  en  matière  inorganique ,  de  sorte  que  tout  ce 
qui  appartenait  à  la  forme  et  à  la  composition  chimique  de 
l'organisation  disparaît  peu  à  peu.  C'est  une  sorte  de  carbo- 
nisation, dans  laquelle  il  se  développe  seulement  une  odeur 
de  moisi,  ou  de  gangrène. 

1"  Les  parties  sont  desséchées  ,  et  ont  perdu  leur  forme  ; 
elles  se  sont  affaissées,  ou  confondues  les  unes  avec  les  autres. 
La  peau  est  mince  et  parcheminée  ;  la  graisse  à  demi  sèche  , 
plus  ferme  ,  plus  onctueuse  ;  les  muscles  sont  resserrés  sur 
eux-mêmes  ;  à  peine  peut-on  encore  reconnaître  ceux  qui  sont 
minces.  Le  visage  a  perdu  sa  forme  ;  le  nez  est  affaissé  et 
élargi,  la  peau  est  comme  desséchée  sur  les  pommettes  sail- 
lantes ;  les  orbites  ne  contiennent  que  de  petits  moignons,  dé- 
bris des  yeux  ;  la  bouche  est  un  trou  circulaire,  derrière  le- 


PUTRÉFACTION.  4^5 

quel  se  trouve  la  langue  desséchée  ;  l'anus  est  une  ouverture 
anguleuse  ;  la  plupart  des  viscères  sont  confondus  en  une 
masse  informe,  et  desséchés  ;  les  membres  sont  grêles  et  secs. 
Presque  toutes  les  parties  sont  d'un  brun  rouge  ou  d'un  brun 
tirant  sur  le  noir,  et  il  n'y  a  que  certains  points  épars  où  l'on 
aperçoive  une  teinte  ocracée  ou  cinabarine. 

2°  La  substance  est  percée  de  trous  et  de  canaux  par  les 
Insectes,  dont  les  déjections  ont  ajouté  à  la  masse.  Quelques 
uns  de  ces  animaux  sont  déjà  morts  ;  d'autres  ont  abandonné 
le  cadavre  pour  aller  se  métamorphoser  ailleurs  ;  d'autres  en- 
core se  sont  changés  en  chrysalides  dans  son  intérieur,  mais 
n'en  tirent  plus  de  nourriture.  A  la  place  des  parasites  du  rè- 
gne animal  surviennent  ceux  du  règne  végétal ,  d'abord  des 
Champignons  ,  plus  tard  des  Lichens. 

3"  Peu  à  peu  les  parties  se  disjoignent,  sous  l'influence  de 
quelque  commotion  ;  les  membres  et  les  côtes  quittent  le 
tronc,  surtout  lorsque  le  sol  s'enfonce  dans  le  vide  produit  par 
l'afFaissement  du  cadavre.  Insensiblement  aussi  les  tissus  se 
résolvent,  par  les  progrès  continuels ,  quoique  lents,  delà 
décomposition ,  et  il  ne  reste  plus  qu'une  masse  d'un  brun 
foncé,  consistant  en  charbon  ,  mêlé  avec  de  la  terre  et  des 
sels;  cette  masse  ,  quand  on  la  distille  ,  donne  de  l'huile  em- 
pyreumatique,  avec  du  carbonate  d'ammoniaque,  et  laisse  des 
phosphates  terreux.  Au  bout  d'un  grand  nombre  d'années ,  il 
ne  reste  plus  de  cette  substance  charbonneuse  qne  la  partie 
terreuse  et  saline  ,  sous  la  forme  d'une  cendre  semblable  à 
celle  qui  résulte  de  la  combustion. 

Dans  les  os,  la  matière  animale  est  d'abord  détruite  et  volati- 
lisée par  l'action  réunie  de  l'air  et  de  l'eau;  puis  l'acide  phos- 
phorique  lui-même  est  en  partie  enlevé  ou  décomposé  ;  l'os 
devient  cassant ,  friable  ,  et  se  réduit  en  poussière.  Fourcroy 
et  Vauquelin  (1)  ont  trouvé  dans  des  os  datant  de  sept  siè- 
cles, qu'on  avait  retirés  de  l'église  de  Sainte-Geneviève ,  une 
matière  colorante  purpurine  ,  des  cristaux  de  phosphate  cal- 
caire avec  excès  d'acide,  et  un  peu  de  phosphate  de  magnésie. 

4°  La  terre  qui  entoure  le  cadavre  absorbe  les  liquides 

(1)  Annales  du  Muséum  ,  t.  X,  p.  1-4. 


456  PUTRÉFACTION. 

qu'il  laisse  échapper ,  et  se  colle  à  sa  surface ,  souvent  avec 
tant  de  force  qu'elle  semble  faire  partie  de  la  peau  (1);  elle 
se  tasse,  prend  un  grain  fin,  devient  visqueuse ,  noire  et  par- 
semée de  points  blancs.  L'eau  extrait  une  partie  des  substan- 
ces dont  elle  s'est  emparée  ,  et  acquiert  une  couleur  brune 
foncée  (2)  ;  assez  souvent  il  se  dégage  encore  du  gaz  hydro- 
gène phosphore ,  qui  prend  feu  quelquefois.  Le  terreau  est 
une  substance  noire  ,  pulvérulente  ,  qui  consiste  en  résidu 
charboneux  des  êtres  organisés  ,  uni  avec  une  plus  ou  moins 
grande  quantité  de  terre  :  il  forme  la  croûte  de  notre  planète, 
dans  laquelle  seule  les  végétaux  supérieurs  trouvent  leur 
nourriture  et  prospèrent.  Il  se  produit  d'autant  plus  abon- 
damment que  la  putréfaction  a  marché  avec  plus  de  lenteur, 
et  qu'il  s'est  échappé  moins  de  substances  sous  la  forme  de 
gaz.  Ses  principales  parties  constituantes  sont  du  carbone  et 
de  l'hydrogène.  Quand  il  doit  naissance  à  des  matières  ani- 
males ,  il  contient  aussi  de  l'azote  et  du  soufre.  Si  la  putré- 
faction a  été  rendue  lente  et  incomplète  par  l'absence  de 
l'eau ,  le  terreau  contient  davantage  de  carbone  ;  il  est  plus 
noir,  et  brûle  avec  flamme.  Mais  si  la  putréfaction  a  marché 
d'une  manière  rapide  ,  et  si  elle  a  été  complète,  l'humus  est 
moins  riche  en  carbone  ;  il  ne  fait  que  devenir  incandescent 
lorsqu'on  y  met  le  feu.  On  en  retire  une  matière  extractive  , 
unie  avec  des  phosphates  ,  des  sulfates  et  des  nitrates  ;  cette 
matière  est  quelquefois  accompagnée  de  graisse  non  décom- 
posée ,  dans  les  terreaux  provenant  de  substances  animales , 
ou  de   quelque  principe  végétal ,    par  exemple  de  tannin , 
dans  ceux  qui  résultent  de  substances  végétales.  On  peut 
l'extraire  au  moyen  de  l'eau.  Le  terreau  qu'on  a  dépouillé 
par  l'ébuUition,  représente  une  bouillie  brune  ou  noire,  dans 
laquelle  ,  d'après  Thaer,  on  retrouve  encore  de  l'extractif  au 
bout  de  quelque  temps.  Cet  extractif  est  riche  en  carbone,  et 
enclin  à  se  décomposer;  il  attire  surtout  l'oxygène  de  l'atmo- 
sphère, et  perd  ainsi  sa  solubilité  dans  l'eau  ;  quand  on  expose 
sa  dissolution  aqueuse  à  l'air,  elle  se  couvre  d'une  pellicule,  qui 


(4)  Guntz  ,  loc.  cit.^  p.  43. 
(2)iôîd.,p.212. 


PCTRÉFJICTÏON.  4^7 

bientôt  se  précipite  sous  la  forme  de  flocons  ;  la  liqueur  donne 
aussi ,  par  les  acides,  un  précipité  pulvérulent  et  combustible. 
L'humus  lui-même  attire  l'oxygène  de  l'air,  exhale  de  l'acide 
carbonique,  et  devient  insoluble  ,•  voilà  pourquoi  celui  qu'on 
tire  des  couches  profondes  de  la  terre  est  plus  charbonneux  ^ 
plus  noir,  plus  compacte,  et  donne  davantage  de  charbon  par 
la  combustion  ;  il  est  plus  difficile  à  décomposer,  et  ne  perd 
cette  qualité  que  par  un  contact  prolongé  avec  l'air,  ou  par  son 
mélange  avec  de  la  chaux.  Dans  un  sol  marécageux  et  tour- 
beux, où  l'humus  est  toujours  humide ,  sans  être  totalement 
couvert  d'eau,  il  se  développe  un  acide,  presque  toujours  de 
l'acide  acétique,  quelquefois  aussi  de  l'acide  phosphorique  , 
qui  est  combiné  avec  la  matière  extractive ,  parfois  même 
avec  de  l'ammoniaque ,  et  qui  adhère  tellement  au  terreau , 
qu'on  ne  parvient  pas  à  l'extraire  tout  entier  par  l'ébullition 
même.  L'eau  n'enlève  que  peu  de  matière  extractive  à  ce 
terreau  acide;  mais  la  potasse  le  rend  soluble,  en  s'emparantde 
l'acide  et  dégageant  l'ammoniaque.  La  tourbe  ressemble  à 
l'humus  acide ,  puisqu'elle  contient  une  matière  extractive 
insoluble  dans  l'eau ,  avec  de  l'acide  acétique ,  de  l'acide 
phosphorique  et  de  l'ammoniaque  ;  mais  on  y  trouve  ,  en  ou- 
tre ,  des  restes  non  encore  décomposés  de  conferves  ,  de  lai- 
ches,  de  mousses,  etc.,  de  sorte  que  le  carbone  y  est  plus 
abondant,  et  qu'elle  brûle  avec  flamme  dans  sa  masse  entière. 
Elle  est  produite,  dans  tous  les  lieux  humides ,  par  les  végé- 
taux peu  aptes  à  subir  la  putréfaction ,  et  qui ,  en  se  décom- 
posant peu  à  peu,  se  condensent  en  une  masse  compacte,  sans 
perdre  entièrement  leur  texture  organique.  Van  Marum  a 
remarqué  que  les  Conferves,  après  avoir  produit  deux  ou  trois 
générations  pendant  le  cours  de  l'été ,  acquièrent  une  pesan- 
teur spécifique  plus  considérable  aux  approches  de  l'automne, 
gagnent  le  fond ,  attirent  à  elles  d'autres  plantes|aquatiques , 
autour  desquelles  elles  s'étaient  entortillées  ,  et  forment  ainsi 
la  tourbe  ,  qui  chaque  année,  s'accroît  de  nouvelles  couches 
superposées  -,  les  couches  les  plus  profondes  et  en  même  temps 
les  plus  anciennes,  sont  plus  compactes,  plus  pesantes, plus 
noires  et  plus  charbonées. 
En  vertu  de  sa  grande  affinité  pour  l'oxygène ,  l'humus,  qui 


458         DSAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU. 

contient  des  débris  de  substances  animales,  et  par  conséquent 
beaucoup  d'azote ,  est  très-enclin  à  produire  de  l'acide  ni- 
trique ,  malgré  le  peu  de  facilité  avec  laquelle  l'azote  se  com- 
bine d'ailleurs  avec  l'oxygène.  11  n'est  pas  rare  non  plus  que 
d'autres  principes  constituans  médiats  de  la  substance  orga- 
nique se  séparent ,  notamment  du  soufre  et  du  fer ,  qu'on 
trouve  la  plupart  du  temps,  le  premier  à  l'état  d'acide  sulfu- 
riquCj  l'autre  combiné  avec  de  l'acide  carbonique  ou  du  soufre, 
et  produisant  ainsi  le  fer  limoneux  ou  la  pyrite  martiale.  On 
rencontre  quelquefois  du  lignite  ,  de  l'anthracite  et  du  bois 
bitumineux  dans  les  tourbières ,  oii  ils  ont  été  produits  par 
une  carbonisation  plus  lente  encore  (*  ). 

Section  troisième. 

DES  DIVERSES  MANIÈRES   DONT  LA  MORT  EST   ENVISAGÉE 
PAR  l'homme. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Des  usages  auxquels  la  mort  a  donné  lieu. 

§  641.  Le  problème  que  nous  nous  sommes  tracé  étant  de 
connaître  la  nature  humaine,  et  par  conséquent  de  rechercher 
quels  sont  les  traits  essentiels  qui  la  caractérisent,  nous  devons 
encore  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  principales  différences  qui 
existent  dans  la  manière  dont  les  hommes  ,  ceux  surtout  qui 
sont  encore  à  l'état  de  barbarie ,  ou  dont  la  civilisation  n'a 
point  de  rapports  avec  la  nôtre ,  se  comportent 

I.  A  la  mort  des  leurs. 

1"  Ici  se  rangent  les  actes  par  lesquels  on  présente  au  mou- 
rant l'image  du  monde  idéal  auquel  il  va  prendre  part ,  afin 
de  lui  faire  supporter  sa  dernière  métamorphose  avec  calme  et 
courage.  Les  Hindous  le  transportent  sur  les  bords  du  Gange  , 
l'arrosent  avec  l'eau  de  ce  fleuve ,  ou  lui  en  font  boire.  L'o- 

(*)  Comparez,  à  ce  sujet,  les  hypothèses  de  Raspail  sur  la  production 
des  rognons  siliceux  dans  les  terrains  crayeux  (  Nôuv.  syst.  de  physiologie 
viégétale ,  1. 1,  p.  839). 


USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU.  4^9 
pinion  qu'on]  rend  la  mort  plus  facile  en  retirant  l'oreiller  du 
moribond,  règne  parmi  le  peuple,  dans  diverses  contrées  de 
l'Europe. 

2°  On  a  coutume,  avant  que  la  raideur  cadavérique  s'éta- 
blisse, de  clore  la  bouche  et  les  yeux  des  morts ,  et  de  leur 
donner  une  position  régulière,  pour  effacer  l'expression  de  la 
souffrance ,  et  la  remplacer  par  l'image  du  repos  et  de  l'assou- 
pissement. La  plupart  du  temps,  on  ne  se  veut  séparer  des 
morts  que  quand  la  décomposition  de  la  matière  devient  ma- 
nifeste ;  mais  alors  on  s'empresse  de  les  éloigner,  pour  n'être 
pas  témoin  de  leur  dissolution.  Tandis  qu'à  Ounalachka!  les 
habit  ans  conservent  le  cadavre  dans  leur  demeure  jusqu'à  ce 
que  la  putréfaction  y  soit  parvenue  au  plus  haut  degré  (1) , 
d'autres  peuples  le  font  disparaître  peu  d'heures  après  la 
mort.  La  persistance  de  l'amour  et  la  sollicitnde  pour  le  bon- 
heur du  défunt  s'expriment  fréquemment  par  des  cérémonies 
religieuses;  chez  les  Hindous,  les  bramines  consacrent  le 
corps  lavé  avec  de  l'eau  sainte,  et  prient  pour  la  rédemption 
de  ses  péchés  (2)  ;  à  Siam  ,  les  prêtres  allument  des  cierges 
autour  du  cercueil ,  puis  se  mettent  à  fumer  et  à  chanter  (3)  ; 
à  la  Cochinchine  ,  jusqu'au  moment  de  l'inhumation  ,  que  les 
astrologues  seuls  ont  le  droit  de  fixer  ,  on  fait  plusieurs  fois 
par  jour  un  sacrifice  en  faveur  des  morts  (4)  ;  les  peuplades 
tatares  lavent  sur-le-champ  le  cadavre  et  l'enveloppent,  après 
quoi  le  prêtre  lui  met  sur  la  poitrine  un  billet  contenant  une 
sentence  (5)  ;  quelques  peuplades  péruviennes  éteignent  la 
lumière  afin  que  l'âme  ne  trouve  pas  l'ouverture  du  toit  pour 
s'échapper  et  abandonner  le  corps  (6). 

3»  Des  convois  solennels  de  parens ,  d'amis  et  de  prêtres  , 
ont  lieu  chez  les  Hindous  ,  les  Birmans,  les  Siamois,  les  Japo- 
nais, les  Chinois,  et  en  général  chez  la  plupart  des  peuples. 
Fréquemment  ces  convois  sont  accompagnés  ou  de  musique  , 

(1)  Ziramermann  ,  Taschenbuch  der  Reisen ,  t.  VIII ,  p.  179. 

(2)  Ibid.^  t.  XII,  p.  286. 

(3)  Ibid.,  t.XI,p.  104. 

(4)  Jbid.,  t.  IX,  p.  303. 
(5)/62û;.,t.  VIII,Pl.II,p.  124. 
(6)  Ibid.,  t.  VI,  p.  131. 


46o         USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU. 

comme  chez  les  Hindous  (1),  ou  de  chants ,  comme  à  Tonga- 
tabou  (2) ,  ou  de  danses,  comme  à  Siam  (3).  Les  Samoïèdes 
font  passer  le  cadavre ,  non  par  la  porte  ,  mais  par  une  ou- 
verture pratiquée  exprès  à  la  hutte  ;  car  ils  pensent  que,  sans 
cette  précaution  ,  plusieurs  membres  de  la  famille  ne  tarde- 
raient pas  à  le  suivre  (4).  LesKamtschadales  abandonnent  la 
cabane  dans  laquelle  quelqu'un  est  mort ,  et  en  bâtissent  une 
nouvelle  (5).  Les  Hindous  purifient  pendant  trente  jours  la  mai- 
son avec  de  l'eau  consacrée  (6). 

4"  Les  parens  témoignent  publiquement  leur  douleur.  Chez 
les  Indiens  du  Brésil ,  les  enterremens  se  font  au  milieu  de 
cris  lamentables,  qui  se  répètent  trois  fois  dans  la  journée  (7). 
Ces  explosions  publiques  de  douleur  sont  d'usage  aussi  parmi 
les  Péruviens  (8)  et  les  Canadiens  (9). 

Il  y  a  même  des  pays  où  la  coutume  veut  que  les  parens 
expriment  leurs  regrets  par  des  actes  de  désespoir  ;  à  la  Co- 
chinchine ,  le  fils  du  mort  se  jette  à  terre  et  le  convoi  lui  passe 
sur  le  corps  (10)  ;  chez  les  INadowessiens,  les  parens  se  dé- 
chirent les  membres  (11)  ;  chez  les  Patagons ,  ils  se  mettent 
en  sang  le  visage  et  la  poitrine  (12)  ;  chez  les  Californiens ,  ils 
se  tailladent  la  tête  entière  avec  des  pierres  tranchantes  (13); 
les  habitans  de  quelques  îles  de  l'archipel  grec  ,  telles  que 
Stampalie  et  Myconi ,  s'arrachent  les  cheveux  et  s'égratignent 
la  figure  (14). 

Dans  ceriaines  contrées ,  ces  marques  de  désespoir  sont 


(1)/Jîrf.,  t.  XÏI,  p.  286. 
(2)iWd.,  t.T,  p.241. 

(3)  Ibid.,t.Xï,p.iOi. 

(4)  Ihid.,  t.  VIII,  PI.  II,  p.  75. 

(5)  Ibid.,  p.  252. 
i6)Ibid.,t.  XII,  p.  288. 

(7)  Spix  etMaiiius',  Beise  in  Brasilien ,  t.  I,  p.  383. 

(8)  Zimnierniann  ,  loc.  cit.,  t.  VI,  p.  123. 

(9)  Ibid.,  t.  III  ,  p.  205. 
(10)/ôzd.,t.  IX,  PI.  II,  p.  303. 

(11)  Ibid.,  t.  III,  p.  205. 

(12)  Ibid.,  t.  VII,  p.  277. 

(13)  Ibid.,  t.  IV,  p.  241. 
(14)Hertha,t.  X,  p.  569. 


USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU.  4^1 

un  honneur  réservé  à  des  classes  privilégiées  ;  chez  les  Knis- 
tenaux  ,  les  parens  d'un  grand  personnage  se  couvrent  les 
bras  et  les  jambes  d'incisions  (1)  ;  à  Tongatabou  ,  lorsqu'un 
chef  meurt,  on  voit  paraître  des  hommes  qui  se  donnent  des 
coups  de  massue  sur  la  tête,  et  s'enfoncent  des  dards  dans  les 
bras  ou  les  cuisses  (2).  Les  Chinois  procèdent  avec  plus  de 
circonspection  ;  car  l'affligé  marche  entouré  de  gens  qui  l'em- 
pêchent de  s'égratigner  la  figure  ou  de  s'arracher  les  che- 
veux (3).  Il  est  plus  commode  encore  de  louer  des  pleureuses, 
comme  on  le  pratique  à  Siam  (4)  et  dans  l'archipel  grec  (5) , 
et  comme  il  était  d'usage  en  Allemagne  au  dix- huitième 
siècle. 

5®  La  coutume  des  repas  mortuaires  est  très-répandue. 
Tantôt  il  s'y  rattache  l'idée  d'un  sacrifice ,  tantôt  elle  a  pour 
but  d'honorer  la  mémoire  du  mort,  d'attirer  plus  de  monde 
à  son  convoi ,  ou  de  distraire  ceux  que  sa  perte  plonge  dans 
le  deuil.  On  tue  pour  cela  des  Rennes  chez  les  Toungouses  (6), 
les  Samoièdes  (7)  et  les  Ostiaques  (8),  des  Chevaux  chez  les 
Jakoutes  (9).  Les  Knistenaux  (10) ,  lesNantinoks  (11)  et  les 
Chaktas  (12)  accompagnent  aussi  leurs  inhumations  de  fes- 
tins. Au  Paraguay,  on  boit  beaucoup,  on  chante  et  l'on  bat 
la  caisse  (13).  Les  habitans  de  Tongatabou  font  également 
usage  de  boissons  enivrantes  (14). 

6"  On  donne  pendant  quelque  temps  des  témoignages  de 


(I)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  III,  p.  dlO. 
(2)Ibid.,  t.  I,  p.  241. 

{B)Ibid.,  t.  IX,  p.  388. 
{i)Ibid.,  t.  XI,  p.  404. 

(5)  Hertha,  t.  X,  p.  574. 

(6)  Zimmermann, ^oc.  cit.,  t.  VIII,  p.  299. 

(7)  Ibid.,  PI.  II,  p.  75. 

(8)  Ibid.,  p.  88. 

(9)  Ibid.,  PI.  I,p.  355. 

(10)  Ibid.,  t.  III,  p.  110. 

(II)  Ibid.,  p.  206. 
(12)iiîc;.,t.  lV,;p.  190. 

(13)  Ibid.,  t.  VI,' p.  269. 

(14)  Uid.,  t.  T,  p,  241, 


462         USAGES  AUXFUaiS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU. 

tristesse.  Le  deuil  des  parens  dure  trois  années  à  la  Chine  (1), 
à  la  Cochinchine  (2)  et  à  Corée  (3),  un  an  parmi  les  sau- 
vage de  la  baie  d'Hudson  (4) .  II  se  porte  en  blanc  au  Ja- 
pon (5),  à  la  Chine  (6)  et  à  Siam  (7).  Les  hommes  se  cou- 
vrent la  figure  de  terre  blanche  sur  les  bords  du  Missouri  (8), 
tandis  que  les  Araukes  (9j  et  les  Patagons  (10)  se  peignent  et 
s'habillent  en  noir.  A  Siam  (11)  et  dans  la  Corée  (12)  on  ne  se 
lave  point  pendant  le  deuil.  Les  Samoïèdes  ôtent  leurs  cein- 
tures ,  et  ne  serrent  point  leurs  bottes  (13).  Les  sauvages  de 
la  baie  d'Hudson  déchirent  leurs  vétemens,  et  marchent 
nus  (14).  L'usage  de  se|  couper  les  cheveux  existe  chez  les 
Hindous  (15),  à  la  Cochinchine,  à  Siam  et  au  Paraguay  (16),  à  la 
baie  d'Hudson  et  sur  les  bords  du  Missouri.  Les  indigènes  du 
Brésil  se  coupent  les  cheveux,  ou  les  laissent  grandir  (17). 
Dans  la  Californie ,  on  coupe  le  petit  doigt  de  la  main  droite 
à  l'un  des  parens  (18).  Celui  qui  est  en  deuil  s'interdit  cer- 
taines jouissances  ;  les  Tarlares  ne  font  point  de  feu,  pendant 
trois  jours,  dans  la  maison  où  l'un  des  leurs  est  mort  (19); 
les  Hindous  s'abstiennent  de  bétel  (20)  ;  à  Corée ,  l'acte  vé- 
nérien et  l'ivresse  sont  défendus  pendant  le  deuil  des  parens, 

(1)  Ihid.,  t.  IX,  388. 

(2)  Ibid.,  pi.  II ,  P.  303. 

(3)  Ibid.,  p.  26. 

(4)  Heai'ne  ,  heisen'indie^Hudsotishai  ,  p.  216. 

(5)  Zimmermann ,  loc.  cit.,  p.  216. 
{Iô)lhid.,  PI.  I,p.  388. 

(7)  Ibid.,  t.  XI,  104. 

(8)  Perrin  du  Lac,  Beise  in  die  beiden  Louisianen  ,  l.  ï,  p,  175. 

(9)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  VII,  p.  206. 

(10)  Ibid.,  p.  277. 

(11)  Ibid.,  t.  XI,  p.  104. 
(12)iWd.,t.  IX,P1.  II,  p.  26.; 

(13)  lbid.,t.yni,  PI.  II,  p.  75. 

(14)  Hearne,  Reise  in  der  hudsonsbai,  p.  224. 

(15)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  XII,  p.  288. 

(16)  Ibid.,  t.  YI,  p.  2Q9. 

(17)  Spix  et  Martius,  loc.  cit.,  t.  T,  p.  383. 

(18)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t.  IV,  p.  241. 

(19)  Ibid.,  t.  VIII ,  Pi.  11,  p,  124. 
(20)ii»d.,  t.  XII,p.288. 


USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU.         1^65 

et  un  enfant  qui  naîtrait  aiors  serait  regardé  comme  illégi- 
time (1).  Chez  plusieurs  peuples,  ce  sont  surtout  les  veuves 
qui  étalent  un  grand  luxe  de  tristesse  ;  parmi  les  Samoïèdes, 
elles  délient  les  nattes  de  leurs  cheveux,  et  plus  tard,  au  lieu 
de  deux,  elles  en  portent  trois  (2).  A  Ounalachka  (3),  elles 
se  rasent  la  tête ,  ainsi  qu'au  Pérou  (4)  et  au  Paraguay ,  où 
elles  portent  ensuite  une  coiffure  tissue  en  fils  noirs  et 
verts  (5)  ;  à  Caricobar ,  dans  quelques  îles  de  la  mer  du  Sud, 
et  chez  plusieurs  peuplades  nègres,  on  leur  coupe  une  pha- 
lange (6).  A  Céièbes,  la  veuve  d'un|  prince  est  obligée  d'ha- 
biter pendant  un  mois  auprès  de  la  tombe  du  défunt  (7). 

7»  Le  souvenir  que  l'on  conserve  des  morts  s'exprime,  même 
chez  beaucoup  de  peuples  grossiers,  par  la  consécration  du 
lieu  où  sont  déposés  leurs  restes.  Les  Esquimaux  dressent  un 
pieu  à  l'endroit  où  ils  ont  brûlé  un  cadavre  (8).  A  Caricobar, 
on  en  plante  un  garni  de  linges  sur  la  tombe-,  afin  d'écarter  le 
mauvais  esprit  (9).  Les  Tchuktchis  élèvent  un  monceau  de 
pierres  et  y  suspendent  des  bois  de  Rennes  (10);  les  Canadiens 
y  déposent  des  attributs  relatifs  au  genre  de  vie  du  défunt  (11). 
A  Otahiti,  on  érige  pour  les  chefs  des  pyramides  semblables  â 
celle  d'Egypte  (12). ^'A  Siam  ,  les  tombeaux  sont  sacrés  (13). 
Les  Japonais  les  garnissent  de  fleurs  et  les  visitent  souvent  (14). 
Les  Chinois  s'y  rendent  régulièrement  tous  les  ans  (15),  et  les 
Gochinchinois  y  font  de  fréquens  sacrifices  (16).  Les  Ostiaques 

(l)76id.,PLn,p.  26 
(2)/Jid.,  t.  VIII.Pl.  II,p.  75. 
(5)Uid.,n.l,  p.  179. 

(4)  Ibid.,  t.  VI,  p.  123. 

(5)  Ibid.,  t.  VI ,  p.  239. 
(6)i6i<i.,  t.  XI,  p.  244. 
(7)76irf.,t.  XIV,  p.  32. 
(8)i6zd!.,t.  m,  p.  67. 

(9)  Ibid.,  t.  XI,  p.  241. 

(10)  Ibid.,  t.  YllI,  1^.195. 

(11)  Ibid.,  t.  III,  p.  205. 
{12)7ôîrf.,  t.  I,p.  241. 
(13)  Ibid.,  t.  XI,  p.  104. 

(14) /Mi.,  t.  IX,  PI.  II,  p.  216. 
(15)i4îrf.,t.  IX,  p.  388. 
(16)iiï(i.,  PI.  ll,p.  303. 


464         USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU. 

regardent  également  les  tombeaux  de  leurs  proches  comme 
des  choses  sacrées  (1).  Les  Tchuktchis^y  font  chaque  année 
des  visites ,   et  chantent  alors  des  hymnes  en  l'honneur  des 
morts  (2).  Chez  les  Kirghises,  chaque  horde  célèbre  annuelle- 
ment une  fête  générale  des  morts  (3).  Les  Nantinoks  veillent  à 
ce  que  les  lieux  de  sépulture  ne  soient  point  profanés ,  et  ils 
en  portent  sur  eux  de  la  terre ,  comme  souvenir ,  et  comme 
objet  sacré  (4).   Lorsque  les  Brésiliens  rencontrent  inopiné- 
ment la  tombe  d'un  parent ,  ils  sont  dans  l'usage  de  pousser 
un  cri  plaintif  (5).  Chez  les  Hindous  et  les  Aleutes,  la  veuve 
ne  peut  point  se  remarier,  car  la  mort  ne  brise  pas  les  liens 
du  mariage.  Chez  les  Hottentots ,  celle  qui  veut  contracter  de 
nouvelles  noces  est  obligée  de  se  couper  une  phalange  (6). 

8°  L'usage  est  assez  répandu  de  sacrifier  au  mort  des  ob- 
jets plus  ou  moins  précieux.  Les  anciens  peuples  du  Nord  brû- 
laient avec  lui  ce  qu'il  avait  eu  de  plus  cher ,  ses  chevaux  et 
ses  armes  (7)  ;  c'était  un  symbole  d'amour  et  de  sacrifice;  on 
regardait  la  propriété  du  défunt  comme  une  chose  sacrée , 
dont  on  ne  voulait  plus  faire  aucun  usage.  On  sacrifiait  même 
une  partie  de  son  propre  avoir,  pour  montrer  qu'après  la  perte 
d'un  maître  ,  d'un  ami,  d'un  parent,  on  n'attachait  plus  de  prix 
à  rien  ;  ou  bien  on  croyait  atteindre  par-là  certains  buts,  dis- 
poser favorablement  une  puissance  supérieure,  et,  entre  au- 
tres ,  assurer  un  sort  meilleur  à  l'âme  du  défunt.  On  s'imagi- 
nait également  que  celui-ci  se  servirait  encore ,  dans  sa  nou- 
velle vie  ,  des  objets  fnis  à  sa  portée,  et  comme  les  armes, 
ustensiles  ou  alimens  déposés  auprès  du  tombeau  n'en  dispa- 
raissaient point ,  on  disait  que  l'âme  n'employait  que  l'esprit 
invisible  de  ces  choses  (8).  Des  armes  et  des  instrumens  de 


(d)i&zd.,t.  vni,Pi.  II,p.  88. 
{2)llbid.,  PI.  I,  p.  195. 
{i)lhid.,¥l  II,  p.  158. 
V4)  Ihid.,  t.  III,  p.  206. 

(5)  Spixet  Martius  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  383. 

(6)  Demeunier,  Ueler  Sitten  und  Gelrœuche  der  P^œlkei',  1. 1,  p.  449. 

(7)  Flugge,  Geschichte  des  Glauhens  an  Unsterhliclikeit ,  t.  II,  p.  33. 

(8)  Simon,  Geschichte  des  Glauhens  œlterer  undneuerer  nichtchristli- 
cher  Fœllier  aneine  Fortdauer  der  Seele  nach  dem  Tode ,  p.  40. 


USAGES    AUXQUELS  LA  i\10RÏ  A    DONNÉ    LIEU,       4^5 

chasse ,  des  couteaux,  des  ustensiles  à  faire  du  feu  ,  des  ca- 
nots, etc.,  sont  placés  sur  la  tombe,  ou  enterrés  avec  le  corps, 
à  Oimalachka(l),  chez  les  Toungouses  (2),  les  Jakoutes  (3),  les 
Samoïèdes  (4),  les  Cries  (5),  les  Patagons  (6),  les  habitans 
du  Missouri  supérieur  (7)  et  les  indigènes  du  Brésil  (8).  On 
revêt  le  cadavre  des  meilleurs  habits  du  défunt  chez  les 
Ostiaques(9j,  les  Samoïèdes  (10),  les  Knistenaux  (11),  les  insu- 
laires de  la[mer  du  Sud(12)  ,lesWogules,  les  Toungouses,  les  Co- 
rèques ,  les  Tscheremisses ,  les  Wadegasses,  les  Chiliens,  les 
Péruviens  et  les  Nègres,  comme  jadis  chez  les  Allemands  (13). 
A  Tongatabou,  on  enterre  avec  lui  un  paquet  de  linge  (14)  ;  les 
Hindous  mettent  à  ses  côtés  des  pièces  de  monnaie  et  de 
mousseline  pour  les  juges  de  l'autre  monde  (15),  et  les  Gochin- 
chinois  de  l'or  ou  des  perles  (16);  les  Lapons  et  les  Nègres,  de 
l'argent  monnayé  ;  les  Allibanons,  des  pipes.  A  Tunkin  et  à  la 
Chine,  on  brûle  le  mobiUer  du  défunt ,  afin  qu'il  le  retrouve 
dans  rautremonde(17). Les  Toungouses  portent  pendant  quelque 
temps  une  ration  journalière  d'alimens  sur  le  tombeau  (18),  et 
les  Yakoutes  en  mettent  dans  le  cercueil ,  afin  que  l'âme  ne 
souffre  pas  de  la  faim  dans  son  voyage  vers  un  autre  monde  (19). 


(I)  Zimmemiann,  loe.  cit.,  t.  VIII,  p.  179. 
(2rIMd.,  p.  299, 

(3)  Ibid.,  p.  355. 

(4) /6ici.,P.II,  p.  75. 

(5)  Ibid.,  t.  IV,  p.  182. 

(6)  Ibid.,  t.  VII,  p.  277. 

(7)  Perrin  du  Lac,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  176. 
(S)  Spix  et  Martius,  Zoc.  cit.,  1. 1,  p.  363. 

(9)  Zimmeimann,  loc.  cit.,  t.  VIII,  P.  II,  p.  88. 

(10)  Ibid.,  p.  75. 

(II)  Ibid.,  t.  XIV,  p.  98. 

(12)  Ibid.,  t.  XIV,  p.  98. 

(13)  Simon,  loc.  cit.,  p.  40. 

(14)  Zimmermann,  loc.  cit.  1. 1,  p.  241. 
(15)i6i£i.,  t.  XII,  p.288. 

{16)  Ibid.,  t.  IX,  P.  II,  p.  303. 

(17)  Simon,  loc.  cit.,  p.  45. 

(18)  Zimmermann,  loc.  cit.,  t,  YIIÎ    p   -^99 

(19)  Ibid.,  p.   355.  '  F.  -     . 


466      USAGES   AUXQUELS  lA  MORT    A   DONNÉ  tlEU^ 

Chez  les  Hindous  (1),  les  Cochinchinois  (2)  et  les  insulaires  de 
la  mer  du  Sud  (3),  on  enterre  ua  peu  de  riz  avec  le  corps.  A 
Siam,  on  porte  des  alimens  sur  la  tombe,  pour  apaiser  les  mau- 
vais génies  (4).  Les  Arauques  du  Chili  melieni  auprès  du  corps 
des  ahmens  et  des  boissons  (5) ,  les  Macouanis  du  Brésil^  du 
feu ,  de  l'eau  et  des  substances  alimentaires  (6).  Simon  (7)  rap- 
porte le  même  fait  des  Allemands,  des  Lapons,  des  Burèles, 
des  Persans ,  desTunquinois,  des  Japonais,  des  Patii{;ons,  des 
indigènes  du  Paraguay,  du  Pérou,  delaGuiane,  de  Saint- 
Dommgue ,  et  des  habiians  de  Loango. 

Les  Jakoules  enterrent  les  meilleurs  chevaux  du  mort  avec 
lui  (8);  les  Ostiaques  (9)  et  les  Samoièdes(]0)  sacrifient  quel- 
quesuns  de  ses  Rennes.  A  Garicobar,  on  lue  tous  les  bestiaux 
qui  lui  appartenaient,  et  on  les  jette  dans  la  fosse  (H).  Dans 
les  îles  de  la  mer  du  Sud ,  on  enterre  un  chien  vivant  avec  le 
corps,  pour  servir  de  gu;de  à  l'âme  (12).  Au  Paraguay,  on  im- 
mole quelques  chevaux  sur  la  tombe  d'un  chef  (13;. 

Chez  les  anciens  peuples  du  Nord  (,14), et  de  nos  joursencore 
dans  plusieurs  contrées  de  l'Asie  et  de  l'Afrique ,  on  tue  des 
etsciaves  ou  des  prisonniers  de  guerre  aux  funérailles  d'un 
prince. Celle  coutume  existe  chez  les  Nègres  (15)  et  àOunaiac- 
hka  (16)  ;  dans  les  îles  de  la  mer  du  Sud ,  on  enterre  les  es- 
claves vivans(17).A  Bornéo,  parmi  les  Bjadschos,  on  les  déca- 


(1)  Ibid.,  t.  XU,  p.  288. 
(2)/Wd.,t.  IX,P.  II,  p.303. 
{3)/W(i.,  t.XIV,  p.  98, 

(4)  Ilnd.,t.Xl,  p.  104. 

(5)  Ibid.,  t.  VII,  p.  206. 

(6)  Spix  et  Martius,  loc.  cît.^  1. 1,  p.  492. 

(7)  Loc.  cit.,  p.  39. 

(8)  Zimmermann ,  loc.  cit.,  t.  VIII ,  p.  355. 
(9)iWrf.,P.  II,  p.  88. 

(10)  Ibid.,  p.  "76. 
(il)  Ibid.,  t.  XI,  p.  241. 
(12,  i4ia!.,t.  XIV,  p.  98, 
(13)/6W.,  t.  VI,  p.  269. 

(14)  Simon  ,  loc.  cit.,  p.  46. 

(15)  Zinimeniiann  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  235. 
(16)iiid.,  t.  Vin,  p.  179. 
(17)iètd.,  t,  XIV,  p.  98. 


CSAGES  AUXQUELS  £A  MOIRT  A  DONNÉ  tlEC.  4^7 
pite,  et  l'on  place  leurs  cendres  dans  la  tombe  du  prince  (1).  A 
Çélèbps,on  immole  sur  le  tombeau  du  roi  une  jeune  fille, 
dont  on  porte  la  têleà  son  successeur  (2).  Mais,  dans  quelques 
îles  de  la  mer  du  Sud ,  les  victimes  immolées  aux  chefs  étaient 
choisies  parmi  ses  parens  ou  autres  personnes  de  classe  éle- 
vée (3). 

La  mort  volontaire  ou  forcée  de  la  veuve ,  après  celle  de 
répoux  ,  est  un  usage  qu'on  relrouve  dans  tous  les  pays  de  la 
terre.  Chez  les  Hérules  ,  la  femme  qui  ne  s'égorgeait  pas  sur 
le  tombeau  de  son  époux,  était  déshonorée  (4).  A  la  mort  d'un 
chef  ,  les  Nègres  tuent  des  centaines  de  ses  femmes  (5).  A  la 
Louisiane ,  on  enivrait  les  favorites  du  prince  défunt  avec  des 
pilules  de  tabac,  et  on  les  égorgeait  en  dansant  (6),  Les  an- 
ciens habiians  de  quelques  îles  des  Indes  occideniales  sacri- 
fiaient également  une  favorite  à  leurs  caciques  (7).  Chez  les 
Knistenaux  ,  la  veuve  s'immole  quelquefois  de  son  pleia 
gré  (8).  Aux  grandes  Indes,  d'après  Haafner  (9),  il  n'y  a  que 
les  veuves  des  hautes  castes  qui  aient  le  droit  de  se  brûler  ;  la 
loi  les  laisse  ccimp'étement  libres  ,  et  veut  qu'on  n'emploie  ni 
la  contrainte  ni  les  exhorlaiions  pour  les  y  déterminer  ;  elle 
prescrit  seulement  de  les  bannir  avec  ignominie  lorsqu'elles 
refusent  d'accomplir  le,vœu  fait  par  elles  de  se  sacrifier;  quand 
leur  époux  les  a  maltraitées,  quand  elles  ont  été  éloignées  de 
lui  pendant  une  année,  elles  ne  sont  obligées  à  rien;  la  mort 
leur  est  interdite  quand  elles  sont  enceintes  ou  qu'elles  allai- 
tent. Mais  leur  mort  volontaire  rend  heureuse  l'âme  de  l'époux, 
et  la  délivre  destourmens  de  l'enfer  ;  elle  leur  procure  à  elles- 
mêmes  de  la  renommée ,  et  leur  assure ,  d'après  les  livres  sa- 
crés ,  trente-cinq  millions  d'années  de  vie  dans  le  paradis. 


(1)  lUd.^  t.  XIII,  p.  309. 

(2)  lUd.,  t.  XIV,  p.  32. 
{^)lbid.,  1. 1,  p.  237. 

(4)  Demeunier,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  70. 

(5)  Zimmermann ,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  235. 
(6)/6id.,p.  237. 

(7)/Wd.,p.  22. 

(8)  iWc?.,  t.  III.  p.  110. 

{9)  Landreise  lœngs  der  Kueste  Orise  und  K^romandel,  p.  38-42. 


46S  USAGEê  AUXQUELS  £A  MORT  A  DONNÉ  LIEU. 
D'un  autre  côté,  la  veuve  qui  ne  veut  pas  mourir  n'a  aucun 
droit  à  l'héritage,  elle  ne  peut  se  remarier,  elle  est  obligée  de 
se  raser  la  tête,  et  tous  les  ornemens  lui  sont  interdits.  Au- 
jourd'hui ,  ces  sortes  de  sacrifices  ont  lieu  rarement ,  et  sont 
le  résultat  du  désespoir  d'un  amour  fantasque.  La  veuve  qui 
s'y  résout ,  est  conduite  processionnellement  avec  de  la  mu- 
sique et  des  chants,  elle  quitte  tous  ses  bijoux,  qu'elle  distri- 
bue ,  prend  congé  des  siens,  et  monte  sur  le  bûcher,  où  elle 
prend  entre  ses  bras  le  corps  de  son  époux  ;  quelquefois  elle 
se  jetie  dans  un  fossé  enflammé  où  le  cadavre  se  consume. 
Chez  les  parîisans  de  Siva  on  Fenierre  vive  avec  le  corps  de 
son  époux  (1). 

IL  L'attouchement  d'un  cadavre  a  pour  effet  naturel  de 
produire  une  impression  désagréable  de  dégoût  ou  de  frisson- 
nement, lorsqu'il  n'est  point  déterminé  par  l'amour  qu'on 
portait  au  défunt  ou  par  un  devoir  quelconque  à  remplir. 
Certains  peuples  lui  en  ont  attribué  un  autre  encore ,  désigné 
par  eux  sous  le  nom  vague  de  souillure  ou  d'impureté.  Ainsi , 
chez  les  Hindous ,  par  exemple ,  les  castes  supérieures  ne 
touchent  jamais  à  un  cadavre,  et  laissent  ce  soin  aux  Parias, 
si  ce  n'est  dans  les  cas  où  une  veuve  se  jette  dans  les  flam- 
mes ,  car  les  classes  inférieures  ne  sont  point  admises  à  ces 
sortes  de  solennités  (2). 

1"  L'inhumation  paraît  être  le  moyen  le  plus  simple  et  le 
plus  naturel  d'écarter  des  vivans  le  cadavre  qui  va  devenir  la 
proie  de  la  putréfaction.  Cependant  quelques  peuples  n'y  ont 
recours  qu'en  certaines  circonstances ,  soit  quand  il  y  a  im- 
possibilité d'en  adopter  un  autre  plus  dispendieux ,  comme 
au  Japon ,  à  Siam  ,  à  la  Cochinchine  et  chez  les  Birmans ,  où 
l'on  n'enterre  que  les  cadavres  des  pauvres,  soit  lorsqu'ils  y 
sont  poussés  par  certaines  idées  superstitieuses ,  comme  chez 
les  partisans  de  Siva ,  qui  enterrent  leurs  morts  au  lieu  de  les 
brûler,  à  l'instar  de  ceux  de  Wichnou ,  ou  comme  chez  les 
Kalmouks ,  qui  brûlent  les  corps ,  les  enterrent  ou  les  jet- 
tent à  l'eau ,  suivant  que  le  défunt  était  né  dans  une  année  de 

(1)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  t.  XII ,  p.  280.       ■  ; 

(2)  Haafnçv;  lor.  cit.,  t,  I ,  p.  43. 


USAGES  AUXQUELS  LA  MORT    A    DONNÉ    LIEU.       4^9 

feu,  de  terre  ou  d'eau  (1)';  soit  enfin  quand  le  danger  les  y 
oblige ,  comme  chez  les  Haraforas  de  l'Archipel  des  Indes 
Orientales ,  qui  enterrent  leurs  morts  dans  les  combats ,  afin 
que  l'ennemi  ne  puisse  pas  leur  couper  la  tête,  et  ne  prennent 
pas  la  même  précaution  lorsque  cette  mutilation  a  déjà  été  ac- 
complie (2). 

Le  corps  est  enterré,  ou  dans  un  lieu  à  part,  ou  dans  un 
cimetière  commun ,  et  ces  deux  usages  existent  quelquefois 
chez  des  peuplades  très-rapprochées.  Ainsi  quelques  Cana- 
diens enterrent  leurs  morts  isolément ,  tandis  que  d'autres  les 
réunissent  dans  un  lieu  peu  distant  du  village  ,  ou ,  comme  les 
Nadowessiens  ,  dans  une  grande  caverne  (3).  Parmi  les  peu- 
ples indigènes  du  Brésil  ,il  n'y  a  que  les  Guaycoures  qui  aient 
des  cimetières  communs  (4)  ;  d'autres  laissent  le  corps  dans  sa 
hutte,  qui  demeure  abandonnée  (5).  Les  Macouaris  n'enterrent 
que  de  petits  enfans  dans  leurs  cabanes  :  les  adultes  sont  mis 
enterre  à  quelque  distance  des  habitations  (6). 

Plusieurs  peuples  veillent  à  ce  que  le  cadavre  ne  soit  pas 
touché  immédiatement  par  la  terre.  Les  Brésiliens  le  mettent 
dans  un  grand  vase  d'argile ,  ou  l'entourent  d'écorce  (7)  ;  les 
Abipons  l'enveloppent  d'une  peau  de  bœuf  (8).  La  fosse  est 
garnie  de  branches  d'arbres  chez  les  Knistenaux^CO),  d'écorce 
de  cyprès  chez  les  Cries  (10),  de  bois  et  de  peauxàOuna- 
lackha  (11).  Les  Canadiens  mettent  le  corps  entre  des  plan- 
ches (12),  lesWakaches  dans  un  cercueil(13).Les  Haraforas  le 


(1)  Zimmermaiin ,  loc.  cit.,  t.  VIII,  P.  II,  p.  288. 

(2)  Ibid.,  t.  XIV,  p.  284. 
(3)/6i(i.,  t.  III,  p.205. 

(4)  Spix  et  Martius ,  loc.  cit.,  1. 1 ,  p.  270. 

(5)  Ibid.,  p.  383. 

(6)  Ibid.,  p.  A92. 

(7)  Ibid.,  p.  383. 

(8)  Zimmermann  ,  loc.  cit.,  t.  VI,  p.  269. 

(9)  Ibid.,  t.  m,  p.  110.  i 

(10)  Ibid.,  t.  IV,  p.  182. 

(11)  Ibid.,  t.Vin,  p.  179. 
(12)i6ii,,t.  III,p.  205. 
(13)/itd.,  î.  Vm,p.  450. 


470      USAGES    AUXQUELS  LA  MORT   A    ftONNÉ    LIEU. 

déposent  dans  des  cavernes  (1),  comme  les  peuples  primitifs 
de  TAmérique  le  pratiquaient  pour  leurs  caciques  (2).  Les 
Tatares  l'enterrent  également  de  manière  à  ce  que  la  terré 
n'entre  point  en  contact  avec  lui  (3).  Quelques  Canadiens  lé 
posent  dans  la  terre,  ou  perpendiculairement,  ou  horizontale- 
ment,  la  tête  tournée  vers  le  Levant  (4).  L'usage  est  très- 
répandu  de  lui  donner  une  position  semblable  à  celle  du  fœ- 
tus dans  la  matrice  ,  les  genoux  ployés,  la  tête  baissée,  et  les 
bras  croisés  sur  la  poitrine  :  telle  est  la  coutume  chez  les  in- 
digènes du  Brésil  (5) ,  les  habiians  des  bords  du  Missouri  (6), 
les  Mabayas  (7)  et  les  Cries  (8),  à  Ounalachka  (9)  et  dans 
quelques  îles  de  la  mer  du  Sud  ,  principalement  quand  le  dé- 
funt était  un  prince  et  un  guerrier  distingué  (10).  Les  Nanii- 
nocks  déterrent  le  cadavre  au  bout  de  quelques  mois,  et  le 
remettent  en  terre  api  es  l'avoir  lavé  ,  séché  et  enveloppé  dans 
de  nouvelle  toile(ll).l.es  Siamois  le  mettent  dans  un  cercueil, 
après  l'avoir  fait  griller  sur  un  bûcher  (12).  Les  Arauques  le 
font  réduire  en  squelette  par  des  femmes,  et  n'enterrent  que 
les  os  (13);  les  Chaktas  déposent  aussi  les  os,  entourés  de 
toile  ,  dans  le  lieu  qui  sert  de  sépulture  à  la  famille  (14)  ;  les 
Japonais(15)et  les  Birmans  (16)  n'enterrent  que  les  cendres  du 
cadavre  brûlé. 
10"»  Après  l'inhumation ,  la  combustion  est  le  mode  le  plus 


(1)  Ibid..  t.  XIV,  p.  284. 

(2)  Ihid.,  t.  II,  p.  22. 

(3)  Ihid.,  t.  VIII,  P.  II,  p.  124. 

(4)  Ihid.,  t.  III,  p.  205. 

(5)  Spix  et  Martiiis,  Joe.  cit.,  1. 1,  p.  283. 

(6)  Pcniii  du  Lac  ,  loc.  cit.,  1. 1.  p.  176. 

(7)  Zimmerinaiin  .  loc.  cit.,  l.  VI,  p.  270. 
(S)  Jhid.,  t.  IV,  p.  482. 

(9)  Jhid.,  t.  VllI,  p.  179. 
(iO)  Ihid.,  t.  Xl\,  p.  98. 
(11)  Jbid.,t,  m,  p.  206. 
(i2)  Ihid.,  t.  XI,  p.  104. 
(13)y6xrf.,  t.  VII,p.  206. 
(14)  Ihid.,  t.  IV,  p.  d90. 
(15)/Md.,  t.XI,  p.  216. 
(16)  Ibid.,  t.  X ,  p.  273o 


USAGES  AUXQUELS  LA  MORT  A  DONNÉ  LIEU,  47* 
répandu.  On  la  trouve ,  par  exemple ,  chez  les  Tschuakts- 
ches  (1) ,  les  Jakoutes  (2),  les  Japonais  (3),  les  Thibétains  (4) , 
quelques  peuplades  péruviennes  (5)  et  les  Esquimaux  (6). 

11°  Chez  les  Tliibétains  (7>  et  les  Birmans  (8) ,  les  cadavres 
des  pauvres  sont  jetés  à  l'eau  ;  les  Hindous ,  après  avoir  brûlé 
les  corps  ,  en  rassemblent  les  débris ,  qu'ils  plongent  dans  le 
fleuve  sacré  (9). 

12»  Dans  plusieurs  îles  de  la  mer  du  Sud ,  on  fait  pourrir  le 
cadavre  sur  des  échafauds  élevés.  Les  Chaktas  afjfissent  de 
même  ;  leurs  prêtres  détachent  les  chairs  et  les  brûlent,  mais 
conservent  les  os  dans  le  cimetière  commun  (10).  Les  Kam- 
tschadales  déposent  les  corps  des  enfans  dans  des  creux  d'ar- 
bres (il),  et  les  Samoièdes  les  suspendent  à  des  arbres,  dans 
leurs  berceaux  (12).  Les  Toungouses  suspendent  également  les 
cercueils  d'adultes  entre  les  arbres  (13),  et  les  Nègres  enfer- 
ment les  corps  de  leurs  chanteurs  dans  des  troncs  creusés  de 
Baobab  (14).  Chez  quelques  peuplades  du  nord  de  l'Amé- 
rique (15),  les  os  qui  restent  après  la  combustion  sont  mis  dans 
des  caisses  sur  de  forts  piliers,  ou  suspendus  à  des  poteaux, 
après  avoir  été  enveloppés  avec  du  coton. 

IS'Les  Thibétains  (16),  les  Siamois  (17)  et  plusieurs  peuples 
de  l'Amérique  septenirionale(18), portent  les  cadavres  sur  des 

(l)75id.,  f.VIII,  p.  195. 

(2)  ihid.,  p.  355. 

(3)  ;iic^.,t.  IX,  p.216. 
(4) /iic?.,t.X,  p.  156. 
(5) /&zU,t.  YI,p.  d23. 

(6)  ]Md.,  t.  m,  p.  67. 

(7)  Ihid.,  t.  X,  p.  458. 

(8)  ihid.,  t.  X,  p.  273. 

(9)  lhid.,i.  XII,  p.  288. 

(10)  ihid.,  t.  IV,  p.  190. 

(11)  lUd.,  t.  VIII,  p.  252. 

(12)  Ihid.,  P.  II,  p.  75. 

(13)  /Md.,  P.  I,  p.  299. 

(14)  Ilid.,  t.  I,  p.  192. 

(15)  Ihid.,  t.  VIII,  p.  161  ;  t.  lîl,  p.  419. 
(16)/&zi.,t.X,  p.  158. 

(17) /iii,,  t.  XI,  p.  104. 
^8)/5R,t.  III,  p.llO. 


47^      USAGES   AUXQUELS  LA  MORT   A   DONNÉ   LIEU. 

montagnes ,  où  ils  les  abandonnent  à  l'intempérie  des  élémens 
et  à  la  voracité  des  animaux.  Les  Kamtschadales  les  faisaient 
autrefois  dévorer  par  des  chiens  (1).  Au  Thibet,  les  gens  du 
peuple  détachent  la  chair,  la  jettent  aux  chiens ,  et  conservent 
quelques  os  (2).  Au  Paraguay,  on  fait  cuire  la  langue  et  le  cœur, 
puis  on  les  donne  aux  chiens ,  afin  de  faire  périr  le  magicien 
qui  a  causé  la  mort  du  défunt,  toute  mort  étant  considérée 
comme  l'effet  d'une  pratique  de  sorcellerie  (3j. 

14°  L'usage  de  conserver  les  cadavres  mis  à  l'abri  de  la 
putréfaction,  ou  embaumés,  existe  dans  toutes  les  parties 
du  monde.  Il  rappelle  le  travail  organique  par  lequel  la  mère 
qui  ne  peut  pas  se  débarrasser  de  son  fruit ,  le  dessèche ,  le 
momifie  et  lui  fabrique  un  tombeau  pierreux  (§  482,  9°).  En 
Egypte  ,  la  nature   du  climat  rendait  la    conservation  des 
corps  très-facile  ;  aussi  l'embaumement  y  a-t-il  été  adopté 
depuis  l'antiquité  la  plus  reculée  jusqu'au  sixième  siècle  de 
l'ère  chrétienne.  Les  Babyloniens  et  les  Perses  enduisaient  les 
cadavres  de  pétrole.  Au  Thibet ,  on  embaume  les  grands  (4). 
Les  Birmans  enlèvent  les  viscères  ,  remplissent  le  corps  d'é- 
pices,le  couvrent  de  cire,  puisde  résine,  et  le  brûlent  au  bout 
de  quelque  temps  (5).  A  Otahiti,  on  embaume  les  cadavres 
avec  des  huiles  d'une  odeur  agréable ,  après  avoir  pratiqué 
l'extraction  des  viscères.  Les  Guanches,  habitans  primitifs  des 
îles  Canaries ,  se  servaient  d'herbes  aromatiques  pour  leurs 
embaumemens ,  et  conservaient  les  momies  dans  des  creux 
de  rochers  (6).  On  a  trouvé  aussi  des  momies  au  Pérou,  à  la 
Caroline ,  à  la  Guyane  et  à  Saint-Domingue  (7). 


(1)  lUd.,  t.  VIII,  p.  252. 

(2)  Ibid.,  t.  X,  p.  158. 
(3)/Wrf.,  t.VI,  p.  269. 
(4)iiii.,t.I,  p.158. 

(5)  Ibid.,  t.  X,p.  273. 

(6)  Humboldt ,  Reise  in  die  Mquinoctialgegenden  >  t,  I,  p.  287. 

(7)  Simon,  loc.  cit.,  p.  35. 


SUICIDE.  47^ 

CHAPITRE  II, 

Du  suicide, 

§  642,  L'amour  de  la  vie  est  identique  avec  la  vie  elle- 
même  :  il  implique  donc  contradiction  qu'un  être  vivant  veuille 
sa  mort.  Cependant  ce  phénomène  a  lieu  souvent ,  et  il  con- 
stitue un  trait  trop  remarquable  de  la  nature  humaine  pour 
que  nous  puissions  le  passer  sous  silence.  Nous  n'avons  point 
à  nous  occuper  des  actions  par  lesquelles  on  s'expose  à  la 
mort  -,  car  il  arrive  souvent  qu'on  n'a  point  la  conscience  du 
danjjer,  ou  que  ce  sentiment  est  émoussé  par  la  passion  qui 
entraîne  ,  et  d'ailleurs,  quand  on  apprécie  le  danger,  on  con- 
serve l'espoir  d'y  échapper ,  on  fait  tous  ses  efforts  pour  s'en 
garantir.  Il  ne  doit  être  question  ici  que  des  actions  auxquelles 
l'homme  se  livre  après  y  avoir  mûrement  réfléchi ,  et  malgré 
l'intime  conviction  qu'elles  le  mèneront  infailliblement  à  la 
mort.  Cependant  il  y  a  encore  une  distinction  à  faire  ;  la  mort 
volontaire  d'un  Curtius,  pour  délivrer  ses  concitoyens  de  la 
crainte  d'une  ruine  prochaine  ;  d'un  Winkelried ,  pour  assurer 
la  victoire  et  la  liberté  à  son  peuple  ;  d'un  Éléazar,  pour  ne 
pas  être  obligé  de  transgresser  la  loi  ;  ou  d'un  martyr  pour  ne 
point  démentir  sa  croyance  ,  ne  saurait  nous  occuper  ;  car, 
dans  tous  ces  cas,  l'homme  avait  sous  les  yeux  un  but  plus 
relevé,  qui  faisait  taire  l'amour  de  la  vie,  et  la  mort  n'était 
que  le  moyen  de  réaliser  une  idée.  Les  actions  qui  n'ont  d'au- 
tre but  que  la  mort  elle-même  sont  les  seules  auxquelles  on 
donne  le  nom  de  suicide ,  soit  qu'elles  la  déterminent  immé- 
diatement, soit  qu'elles  l'amènent  d'une  manière  indirecte. 

1°  Le  suicide  a  eu  lieu  dans  tous  les  temps  et  chez  tous  les 
peuples.  On  l'a  généralement  considéré  comme  un  crime.  |La 
plupart  des  philosophes  l'ont  déclaré  une  infraction  aux  lois 
de  la  nature  ;  d'autres ,  notamment  les  stoïciens ,  en  prenaient 
la  défense  et  le  mettaient  au  nombre  des  actions  vertueuses  (1). 
La  plupart  des  gouvernemens,  regardant  la  vie  des  citoyens 

<1)  Stseudiin,  Geschichte  der  Ferstellungen  und  Leben,vom  Selhstmorde, 

p.  48,58. 


474  SUICIDE. 

comme  leur  propriété,  ont  qualifié  le  suicide  de  crime  ,  dont 
ils  faisaient  retomber  la  punition  sur  le  cadavre  ou  sur  la  suc- 
cession ;  d'autres  ont  exigé  que  celui  qui  projetait  de  se  tuer 
fît  part  de  ses  motifs  à  l'autorité ,  qui  ,  lorsque  la  vie  de  l'in- 
dividu ne  promettait  aucun  avantage  à  1  étal,  lui  permettait 
d'en  disposer  à  son  gré ,  ainsi  qu'on  le  pratiqua  long-temps  à 
Athènes  (1),  où  même  on  lui  fournissait  du  poisson ,  comme  il 
fut  usité  dans  les  premiers  temps  de  la  république  de  Mar- 
seille (2).  Parmi  les  sectos  chrétiennes,  lesRaskolnicks  croient 
le  suicide  licite  (3)  ;  les  livres  sacrés  des  Hindous  le  permet- 
tent aux  ermites  (4).  Au  Japon ,  c'est  une  action  qui  mène  à 
la  béatitude,  et  les  Siamois  mettent  au  nombre  des  saints  ceux 
qui  l'accomplissent  (5).  Du  reste,  il  est  très-commun  chez  les 
Kamtschadales,les  Toungouses,  les  Kouriles,  ainsi  quecliezles 
Chinois ,  les  Malais ,  les  habitans  de  Macassar  ,  les  Javanais , 
les  Péguans ,  les  insulaires  de  la  Nouvelle-Hollande ,  les  Nè- 
gres ,  les  habitans  du  Paraguay  et  autres  peuplades  améri- 
caines (6). 

La  fréquence  du  suicide  en  Europe  varie  beaucoup  suivant 
les  temps  et  selon  les  lieux.  Dans  les  grandes  villes,  la  propor- 
tion ,  comparée  à  la  mortalité  en  général ,  est  la  plupart  du 
temps  de  1 :  500 — 1000  ,  quelquefois  de  1  :  100  et  au  des- 
sous, rarement  de  1  :  1500  et  au  dessus  (7).  Le  suicide  n'est 
pas  tout-à-fait  aussi  fréquent  dans  les  campagnes  et  dans  les 
petites  villes  ;  cependant  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue  qu'un 
très-grand  nombre  de  cas  n'arrivent  point  à  la  connaissance 
du  public,  soit  parce  qu'il  ne  reste  pas  de  trace  du  suicide, 
soit  parce  que  les  parens  le  tiennent  secret.  Nous  pensons  éta- 
bhr  une  proportion  très-modérée  en  disant  que  sur  deux  mille 
hommes  il  s'en  trouve  un  qui  s'arrache  lui  même  la  vie. 

2«  Il  y  a  différentes  manières  de  quitter  la  vie.  Les  livres 

(1)  Z6id.,p.35. 

(2)  Osiander,  Ueler  denjSehstmort ,  p.  4. 
•  (3)Sl8eudlin,  loc.  cit.,  p.  268. 

(4)  Haafner,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  72. 

(5)  Steeudlin  ,  loc.  cit.,  p.  272. 

(6)  Osiander,  loc.  cit..  p.  95 ,  497-205.  —  Stseudlin  ,  loc.  cit.,  p.  270. 

(7)  Foyez  Considérations  sur  les  suicides  de  notre  époque,  par  Brouc 
(Annales ^d'hygiène  puUi^ue,  Paris,  1836,  t.  XYI,  p.  ^23), 


SUICIDE.  475 

sacrés  des  Hindous  en  établissent  cinq,  qui  consistent  à  se  lais- 
ser mourir  de  faim  ,  à  se  brûler  dans  du  fumier  de  vache,  à 
s'ensevelir  dans  la  neijj^e  sur  les  montagnes  du  Thibet,  à  se 
laisser  dévorer  par  un  crocodile,  ou  à  se  couper  le  cou  sur 
les  bords  du  Gange,  enfin  à  se  noyer  (1).  Le  lâche  asiatique 
cherche  quelquefois  à  rendre  rexécntion  de  son  projVt  plus 
facile,  en  se  procurant,  par  le  moyen  de  l'opium,  une  ivresse 
furieuse,  pendant  laquelle  il  poignarde  tous  ceux  qui  l'ap- 
prochent (2).  Le  Nègre  a  souvent  le  courage  de  briser  les 
chaînes  de  l'esclavage  en  se  laissant  mourir  de  faim  (3) ,  ou 
même  en  suspendant  volontairement  sa  respiration  ;  car  on 
ne  saurait  admettre  la  possibilité  qu'il  se  bouche  la  glotte  en 
avalant  sa  langue ,  comme  on  fa  prétendu  (4).  Le  fanatisme  a 
été  assez  ingénieux  pour  imaginer  les  moyens  de  se  mettre 
soi-même  en  croix  (5) ,  et  il  n'est  pas  rare  que  des  hommes 
commettent  un  meurtre  p;ir  spéculation  sur  l'efficacité  que  les 
prières  des  prêtres  auront  en  faveur  de  leur  salut. 

3°  Fréquemment  le  suicide  tient  à  une  disposition  maladive 
de  l'âme,  et  n'est  déterminé  par  aucune  autre  cause.  Sans 
compter  l'aliénation  totale  de  l'esprit  dans  le  délire  fébrile  et 
dans  la  manie,  il  faut  ranger  ici  la  mélancolie  (6).  Cette  affection 
morale  dépend  quelquefois  d'une  anomalie  matérielle,  par 
exemple  d'une  maladie  du  cœur,  d'une  inflammation  viscérale 
chronique ,  de  la  constipation,  d'une  diathèse  bilieuse  et  vei- 
neuse, de  sorte  qu'elle  peut  même  être  héréditaire,  et  qu'on  voit 
souvent  plusieurs  membres  d'une  famille  se  suicider  sans  nulle 
cause  extérieure  (7).  Dans  beaucoup  de  cas,  elle  se  rattache 
à  un  mauvais  genre  de  vie  et  à  des  excès  en  tous  genres.  Il  suffit, 
quand  la  prédisposition  existe  ,  de  la  plus  légère  cause  exté- 
rieure pour  déterminer  le  sujet  à  quitter  la  vie;  aussi  le  sui- 
cide est-il  plus  commun  à  l'époque  des  équinoxes  qu'en  tout 

(1)  Haafnerj  loc.  ciï.,  1. 1,  p.  72. 

(2)  Osiander,  loc.  cit.,  p.  95. 
(3)i6îci.,p.  171. 

(4)  Ihid.,  p.  177-180. 

(5)  lUd.,-^.  190-194. 

(6)  Esquirol ,  des  Maladies  mentales,  Paria,  1888,  t.  î,  p.  526, 

(7)  Ibid.,  p.  580. 


47^  SUICIDE. 

s:; ire  temps  de  l'année^  et  beaucoup  moins  fréquent  dans 
k's  beaux  climaiî»  de  la  Grèce  et  de  l'Italie ,  que  sous  le  ciel 
nébuleux  du  Nord.  Enfin  la  mélancolie  qui  mène  au  suicide 
peut  aussi  naître  d'un  désordre  dans  Tâme  elle-même,  no- 
tamment du  piétisme,  qui ,  prenant  sa  source  à  la  fois  dans  la 
faiblesse  de  la  tête  et  dans  les  altérations  des  organes  abdo- 
minaux ,  croit  acheter  la  béatitude  éternelle  en  faisant  le  sa- 
crifice des  joies  de  la  vie;  or,  comme  les  effets  de  l'imagination 
ne  sont  pas  moins  contagieux  pour  les  têtes  faibles  que  les 
produits  matériels  des  maladies  pour  les  corps  mal  disposés , 
on  a  vu  des  cas  oii  le  suicide  était  devenu  jusqu'à  un  certain 
point  épidémique,  par  manie  d'imitation  (1). 

4°  Dans  le  plus  grand  nombre  des  cas ,  les  hommes  sont 
portés  au  suicide  par  une  circonstance  extérieure.  Ne  se  re- 
connaissant pas  de  valeur  à  eux-mêmes ,  et  faisant  dépendre 
uniquement  leur  existence  des  choses  du  dehors ,  ils  ne  sau- 
raient supporter  le  malheur;  et  n'ayant  ni  force  ni  courage 
pour  lutter  contre  le  sort,  ils  ne  trouvent  d'autre  ressource 
que  dans  la  fuite.  Les  véritables  causes  du  suicide  sont  alors 
un  faux  jugement  porté  sur  le  prix  des  choses,  la  petitesse  d'es- 
prit et  le  défaut  d'énergie.  Quand  l'immoralité  avilit  l'homme 
en  le  rendant  esclave  de  ses  sens ,  lorsque  le  despotisme 
ébranle  les  bases  de  toute  propriété  ,  le  suicide  devient  com- 
mun (2) ,  surtout  chez  les  peuples  faibles,  pusillanimes,  ou  d'un 
esprit  peu  cultivé  (3) .  Tandis  que,  parmi  des  millions  d'hommes, 
à  peine  s'en  trouve-t-il  un  qui  ait  le  courage  de  mourir  pour 
une  idée ,  des  miUiers  se  tuent  par  peur ,  et  même  avec  tant 
de  lâcheté ,  qu'au  dire  de  Falret ,  sur  dix  suicides  on  en 
compte  trois  qui  ne  vont  pas  au-delà  de  la  tentative.  Comme 
les  femmes  voient  les  choses  sous  un  point  de  vue  plus  na- 
turel, et  qu'elles  ont  plus  de  courage  passif,  on  compte  or- 
dinairement trois  ou  quatre  fois  moins  de  suicides  parmi  elles 
que  parmi  les  hommes.  Il  y  a  un  nombre  à  peu  près  égal  de 
sujets  mariés  et  de  célibataires  parmi  ceux  qui  abandonnent 
spontanément  la  vie  ;  comme  le  suicide  est  infiniment  plus 

(l)Esquirol,t.  I,  p.  588. 

(2)  Stœudlin,  loc.  cit.,  p.  52. 

(3)  Ibid.,  p.  270. 


SUICIDE.  477 

rare  pendant  l'enfance  et  la  jeunesse  que  durant  le  moyen 
âge,  mais  qu'à  cette  dernière  époque  de  la  vie  le  nombre  des 
mariés  l'emporte  sur  celui  des  célibataires ,  il  faut  que  la  pro- 
pension au  suicide  soit  plus  grande  dans  l'état  de  célibat ,  et 
que  le  mariage  attache  davantage  à  la  vie,  quoiqu'il  la  rende 
plus'pénible  et  plus  difficile. 

Parmi  les  causes  de  ce  genre ,  on  doit  d'abord  ranger  le  dé- 
faut de  moyens  d'existence,  surtout  la  misère  qui  résulte  d'une 
mauvaise  conduite.  Sur  six  cent  soixante-quatre  suicides,  il 
y  en  a  deux  cent  trente-neuf  qui  appartiennent  à  celte  caté- 
gorie ,  suivant  Falret.  En  pareil  cas  ,  le  suicide  résulte  pres- 
que toujours  du  manque  de  courage  pour  se  procurer  les  né- 
cessités de  la  vie  et  pour  s'imposer  des  privations  comman- 
dées par  la  perte  qu'on  a  éprouvée.  D'autres  sont  conduits  à 
la  mort  par  la  dégradation  civile  ,  et  montrent  en  cela  autant 
de  jugement  à  peu  près  que  les  Canadiens,  chez  lesquels  il 
n'est  pas  rare  de  voir  une  fille  se  détruire  par  désespoir  de  ce 
que  ses  parens  lui  ont  jeté  de  l'eau ,  ce  qui ,  dans  l'esprit  de 
ce  peuple ,  passe  pour  la  plus  ignominieuse  de  toutes  les  pu- 
nitions  (1).  D'autres  causes  sont  la  crainte  du  châtiment  et 
de  l'esclavage  ;  en  se  faisant  périr,  l'esclave  a  de  plus  le  plai- 
sir d'assouvir  sa  vengeance,  car  il  porte  préjudice  à  son  maî- 
tre et  lui  cause  une  perte  qui  lui  inspirera  du  chagrin.  L'a- 
mour dédaigné  ou  trompé  conduit  fréquemment  aussi  au  sui- 
cide. L'impossibilité  de  s'unir  amène  également  ce  résultat , 
et  l'on  a  vu  plus  d'une  fois  deux  amans  se  donner  la  mort 
ensemble  ou  l'un  à  l'autre  (2).  Enfin  il  peut  dépendre  de  la 
perte  d'un  objet  aimé  ;  Falret  rapporte  que  Barthez  se  laissa 
mourir  de  faim  par  suite  du  chagrin  que  lui  causa  la  mort  de 
sa  femme. 

5°  Il  y  a  des  circonstances  enfin  où  la  cause  du  suicide  ré- 
side dans  la  vie  propre  du  sujet.  Tel  est  le  cas  des  remords, 
qui  ne  laissent  plus  de  place  à  aucune  résolution  vertueuse  et 
anéantissent  tout  sentiment  de  moralité.  Tel  est  aussi  celui  du 
dégoût  de  la  vie ,  occasioné  par  l'abus  des  jouissances  sen- 


(1)  Zimmermann ,  loc  cit.,  t.  IIî,  p.  172, 

(2)  Osiander,  loc.  cit.,  p.  .34-38. 


478  SUICIDE. 

suelles  et  l'ignorance  des  inépuisables  plaisirs  que  procure  la 
satisfaction  de  soi-même.  Tel  est  enfin  celui  de  douleurs  phy- 
siques ,  de  tourmens  causés  par  une  maladie  incurable ,  ou 
de  débilité  sénile  chez  des  sujets  qui  n'ont  pas  su  se  créer  un 
point  d'appui  dans  leur  propre  intérieur.  Les  peuples  gros- 
siers ,  qui  n'estiment  que  la  force  brutale ,  approuvent  et  en- 
couragent le  suicide  du  vieillard,  qui  leur  semble  être  un 
inutile  fardeau  pour  la  société  ;  les  vieillards  se  faisaient  met- 
tre à  mort  chez  les  sauvages  du  Brésil ,  et,  parmi  les  anciens 
Scandinaves,  ils  se  précipitaient  du  haut  d'un  rocher  dans  la 
mer,  la  tête  ceinte  d'une  couronne  ;  ils  étaient  aussi  dans  l'u- 
sage à  Céos  de  boire  solennellement  la  ciguë,  et  quand  ils 
ne  s'y  décidaient  pas  d'eux-mêmes  ,  on  les  tuait  (1).  Chez  les 
Baitas ,  à  Sumatra ,  c'était  une  action  pieuse  de  mettre  solen- 
nellement à  mort  le  vieillard  fatigué  de  la  vie  ,  qui  en  priait 
ses  parens  ,  et  de  se  repaître  ensuite  de  sa  chair  (2).  Ce  qui 
paraît  plus  singulier  encore  ,  s'il  est  possible ,  que  ces  égare- 
niens  des  peuples  barbares,  c'est  que,  chez  les  Hindous,  qui 
ont  des  mœurs  si  douces  et  tant  d'horreur  pour  le  sang,  la 
foi  religieuse  permette  le  suicide  au  solitaire  atteint  par  la 
vieillesse. 


(1)  Stœudlin  ,  loc.  cit.,  p.  47. 

(2)  Zimuiermann ,  loc.  cit. ,  t.  XIII ,  p.  321. 


ORGANISME   DU  TEMPS.  479 

QUATRIÈME  PARTIE. 

DE  L'ORGANISME  DU   TEMPS. 

§  643.  Voulant  présenter  la  physiologie ,  non  comme  un 
ensemble  de  phénomènes  sans  liaison  les  uns  avec  les  autres, 
mais  comme  une  science  expérimentale  ou  d'observation , 
nous  avons  plus  d'une  fois  déjà  interrompu  l'histoire  de  la 
formation  organique  pour  reprendre  en  quelque  sorte  haleine 
dans  le  domaine  de  la  pensée,  après  le  récit  fatiguant  des  faits 
particuliers  ;  c'était  l'unique  moyen  de  trouver  quelques 
points  de  repos  au  milieu  de  la  confusion  qui  règne  parmi  les 
connaissances  dont  nous  devons  l'acquisition  aux  sens ,  et  de 
nous  élever  ainsi  du  simple  savoir  à  des' aperçus  vraiment 
scientifiques.  Nous  avons  spécialement  jeté  un  coup  d'œil 
général  sur  les  faits  relatifs  à  l'essence  de  l'être  procréateur 
(§  228,  232)  et  delà  procréation  (§  319,  322),  aux  conditions 
dans  lesquelles  l'être  procréé  se  développe  (§367,  370),  enfin 
à  ce  développement  lui-même  (§  476,  478),  et  nous  avons  tiré 
delà  des  conclusions  eu  égard  à  l'essence  de  l'orgaaisme. 
En  suivant  cette  voie ,  nous  avons  découvert  trois  vérités  fon- 
damentales ,  savoir  : 

1«  Que  la  vie  ne  repose  pas  sur  une  base  matérielle ,  mais 
sur  un  fondement  idéal,  non  sur  des  spécialités,  mais  sur  l'u- 
nité intérieure,  et  sur  ses  connexions  avec  l'univers  ; 

2°  Que  l'ensemble  de  la  nature  est  une  multipHcité  de  phé- 
nomènes finis ,  unis  les  uns  aux  autres  par  un  lien  de  causa- 
lité ,  et  procédant  de  l'absolu  ,  de  l'infini,  de  l'idéal ,  qu'elle 
est  une  révélation  ,  une  manifestation  de  la  divinité  ; 

S»  Que  l'être  organique  est  une  image  de  l'univers  ,  une 
existence  finie,  dans  la  manifestation  isolée  de  laquelle  l'infini 
se  révèle  de  la  même  manière  que  dans  celle  de  l'univers. 

A  mesure  que  nous  avancerons  dans  nos  recherches,  l'évi- 
dence de  ces  vérités  ressortira  de  plus  en  plus,  jusqu'au  mo- 


480  ORGANISME    DU   TEMPS. 

ment  enfin  où  l'intuition  purement  intellectuelle  nous  en  fera 
reconnaître  l'absolue  nécessité.  Nous  allons  les  supposer 
démontrées,  et  passer  à  l'examen  des  phénomènes  du  cours 
de  la  vie  considéré  d'une  manière  générale,  afin  de  nous  éle- 
ver à  la  notion  de  ce  qui  en  constitue  l'essence. 

L'espace  et  le  temps  sont  les  deux  formes  de  la  condition 
finie,  et  partout  on  les  trouve  nécessairement  unis  l'un  à  l'au- 
tre ;ce  qui  arrive  dans  un  certain  temps  n'est  point  partout , 
et  ce  qui  occupe  un  espace  déterminé ,  n'est  pas  toujours.  Or 
si  l'être  organique  est  un  reflet  de  l'infini  dans  le  fini ,  il  doit 
porter  aussi  le  ipême  caractère  quant  aux  deux  formes  du 
fini.  Nous  chercherons  plus  tard  à  fixer  la  vie  comme  une 
chose  persistante  dans  l'intuition ,  et  à  démontrer  que  ses 
phénomènes  simultanés  représentent  un  tout  organique,  donné 
par  l'idée.  Ici,  où  nous  reportons  seulement  nos  regards  sur 
la  vie  que  nous  avons  envisagée  comme  une  chose  progressive, 
notre  but  doit  être  de  faire  voir  que  son  essence  idéale ,  pour 
arriver  à  se  phénoménaliser  ,  se  partage  en  plusieurs  direc- 
tions, séparées  les  unes  des  autres  quant  à  la  succession,  que 
les  divers  états  qui  se  succèdent  se  comportent  comme  les 
membres  d'un  seul  tout  se  manifestant  dans  le  temps,  qu'en 
un  mot  le  cours  de  la  vie  est  un  organisme  dans  le  temps.  Il 
n'y  a  là  ni  origine  due  au  hasard ,  ni  existence  sans  but , 
ni  destruction  n'aboutissant  à  rien  ;  la  loi  immuable  règne  au 
milieu  de  mutations  continuelles ,  et  l'esprit  éternel  domine 
dans  la  loi. 

Les  considérations  dans  lesquelles  nous  allons  entrer  seront 
réparties  dans  les  quatre  catégories  de  la  modalité  (  §  644  , 
646),  de  la  relation  (§  647),  de  la  qualité  (§  648,  649)  et  de 
la  quantité  (§  650,  657).  Cette  classification  semblera  peut- 
être  actuellement  arbitraire  et  indifférente  ;  plus  tard ,  nous 
aurons  occasion  de  dire  sur  quoi  elle  se  fonde. 

CHAPITRE    PREMIER. 

De  la  modalité  dto  développement , 

§  644.  Un  organisme  a  pour  caractère,  sous  le  point  de  vue 
de  la  modalité ,  l'aptitude  à  se  conserver  soi-même  en  vertu 


ORGANISME    DU    TEMPS.  l\6  \ 

de  rharmonie  qui  existe  dans  ses  aciivités,  soit  les  unes  pat- 
rapport  aux  autres,  soit  eu  égard  au  monde  extérieur.  D'après 
cela,  le  cours  de  la  vie  est  une  métamorphose  de  la  vie  par  la 
vie  elle-même  en  accord  avec  ses  relations  extérieures. 

1°  La  vie  ne  devient  donc  point  autre  chose  ;  elle  reste 
toujours  la  même  ,  quant  à  l'essence.  Dès  Forigine,  elle  a  sa 
direction  déterminée  ;  car  elle  ne  naît  que  parce  que  l'idée 
générale  commence  à  se  manifester  sous  une  forme  particu- 
lière, et  l'infini  à  se  renfermer  dans  des  bornes  déterminées;  cet 
esprit  de  la  vie  se  maintient  toujours,  parce  qu'il  est  un  et  le 
même;  il  s'annonce  de  différentes  manières  pendant  la  suc- 
cession des  temps,  mais  jamais  rien  de  complètement  étranger 
ne  peut  pénétrer  dans  sa  sphère. 

2°  L'apparition  de  nouvelles  formes  de  vie  n'est  donc  point 
une  survenance  du  dehors  ,  mais  un  phénomène  dépendant 
d'une  cause  intérieure,  et  qui  se  rattache  à  la  vie  elle-même  : 
ce  qui  existait  primordialement  dans  le  germe  vient  à  se  ma- 
nifester, et  ce  qui  avî|it  agi  d'abord  sous  une  forme  imparfaite, 
d'une  manière  limitée ,  arrive  à  représenter  plus  pleinement 
son  idée,  à  offrir  la  révélation  de  son  essence  intime ,  en 
vertu  d'une  exaltation  de  soi-même,  ou  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  l'élévation  à  une  plus  haute  puissance.  De  même  ,  la 
disparition  du  cercle  des  phénomènes  de  la  vie  est  le  résultat 
d'un  abaissement  de  puissance  ,  d'une  extinction  ,  dont  la 
cause  déterminante  est  intérieure  et  se  rattache  à  l'épuise- 
ment de  l'idée. 

3°  La  vie  manifeste  son  essence  par  l'harmonie  de  ses  spé- 
cialités. Partout  on  rencontre  des  antagonismes  ;  mais  ces 
antagonismes ,  loin  d'être  ennemis  et  de  nature  à  s'anéantir 
mutuellement,  sont  au  contraire  complélifs  les  uns  des  autres, 
et  exercent  une  excitation  réciproque.  Ainsi,  tout  ce  dont  la 
vie  a  besoin  pour  son  développement  et  pour  ses  progrès , 
elle  le  trouve  dans  l'univers ,  qui  est  en  rapport  harmonique 
avec  tous  ses  membres.  La  révolution  de  la  vie  suit  la  pério- 
dicité de  la  terre  (§  594,  3°),  à  laquelle  le  cours  de  la  vie 
correspond  aussi  chez  les  végétaux  et  les  animaux  inférieurs 
(§  025,  2f);  l'homme  est  plus  indépendant  des  choses  du  de- 
hors ,  et  de  même  que ,  par  exemple  ,  la  durée  de  sa  vie  est 
V.  3i 


482  ORGANISME    DU    TEMPS. 

moins  déterminée  par  la  nature  de  l'air  et  des  alimens  que 
par  les  conditions  morales  (§  631,  2°,  3°,  6°),  de  même  aussi 
le  monde  intérieur  est  partout  plus  puissant  en  lui,  ce  qui  fait 
que  l'harmonie  avec  sa  propre  espèce  acquiert  un  rôle  plus 
important. 

4"  Tout  passafje  d'une  période  de  la  vie  à  une  autre  pré- 
sente quelque  chose  de  louche ,  parce  que  le  passé  et  l'avenir 
s'y  croisent;  comme  la  voix  du  jeune  homme  passe  d'une 
gravité  rude  à  une  acuité  glapissante  ;  ainsi  les  diverses 
directions  de  la  vie  s'engrènent  pour  ainsi  dire  les  unes 
vîans  les  autres  aux  points  de  transition;  le  nouveau-né 
a  encore  quelque  chose  de  la  raideur  du  fœtus,  avant  d'ac- 
quérir l'amabiliié  de  l'enfance  ;  le  jeune  garçon  traverse  le 
i^émps  des  étourderies  et  des  espiègleries  avant  d'arriver  à 
l'âge  du  jeune  homme  ;  l'homme  enfin  est  en  butte  à  des  ac- 
cès dégoïsme  et  de  dureté  avant  d'atteindre  au  calme  de  la 
vieillesse.  Cette  espèce  de  bilatérahté  touche  de  près  à  la 
maladie.  En  effet ,  chaque  développement  commence  par  un 
orage  partiel ,  qui  s'exprime,  dans  le  matériel  de  l'être,  par 
une  exaltation  locale  de  la  vie  du  sang,  par  une  sorte  d'état 
inflammatoire  (1),  d'oii  résulte  une  disproportion  à  l'égard  du 
reste  de  l'organisme,  en  sorte  que,  d  un  côté,  le  désordre  par- 
tiel peut  s'étendre  et  dégénérer  en  un  orage  général ,  tandis 
que,  d'un  autre  côié,  le  foyer  du  développement  peut  attirer  à 
lui  la  presque  totalité  des  forces  de  la  vie  et  affaiblir  d'autres 
directions.  Aussi  la  vie  devient-elle  vacillante  à  ces  époques, 
qui  sont  celles  de  la  première  respiration,  de  la  dentition,  de 
la  puberté,  de  la  grossesse,  de  la  parturition,  de  l'extinction 
de  la  faculté  procréatrice  ;  aussi  la  santé  est-elle  alors  plus 
facile  à  troubler ,  les  causes  nuisibles  entraînent  des  effets 
plus  dangereux  ,  et  les  maladies  épuisent  plus  promptement 
les  forces  qu'en  d'autres  momens.  La  vie  se  retire  du  monde 
extérieur,  pour  agir  et  créer  dans  l'intérieur  sans  que  rien  la 
dérange.  Nous  trouvons  jusqu'à  un  certain  point  l'expression 
de  ce  phénomène  dans  l'instinct  qui  porte  les  animaux  à  se 
cacher  au  moment  de  la  mue,  comme  aussi  pour  mettre  bas, 

(4)  Tuebinger  Blœtter  fuer  Notarwissenschaften  ,  1. 1,  p.  287. 


ORGANISME   DC  TEMPS,  483 

pour  dormir,  pour  subir  l'engourdissement  hibernal  et  pour 
mourir. 

6"  A  mesure  que  chaque  nouvel  organe  se  déploie  (§  478, 
7"),  chaque  force,  au  moment  où  elle  commence  à  entrer  en 
exercice  ,  dépasse  de  beaucoup  les  limites  dans  lesquelles 
elle  se  renfermera  plus  lard  ,  phénomène  dû  à  l'excitation  qui 
est  la  condition  de  son  développement  ;  ainsi ,  la  force  du 
jeune  garçon  qui  tend  à  l'indépendance  ,  dégénère  en 
égoisme  et  en  arrogance ,  et  la  première  séparation  des  sexes 
prend  les  caractères  de  l'éloignement  et  de  l'inimitié  ;  chez 
le  jeune  homme  ,  le  développement  complet  des  organes  res- 
piratoires est  amené  par  une  affluence  considérable  de  sang, 
qui  entraîne  souvent  des  hémorrhagies  ou  des  inflammations, 
et  l'imugination  n'est  jamais  plus  elfrénée  qu'à  l'époque  où 
elle  commence  à  s'éveiller.  En  même  temps ,  les  premiers 
produits  sont  presque  toujours  moins  parfaits  et  plus  périssa- 
bles; ainsi  les  dents  de  lait,  les  premiers  poils  et  les  pre- 
mières plumes  ne  tardent  pas  à  tomber  (§  517,  3°),  et  les  pre- 
mières créations  de  l'imagination  ,  si  riche  et  si  féconde  à  son 
début ,  ne  sont  en  dernière  analyse  que  des  bulles  de  savon. 

ARTICLE     I. 

De  la  marche  du  déi^'eloppement  physique. 

§  645.  Quant  à  la  modalité  des  changemens  matériels ,  il 
faut  ranger  ici 

I.  L'accroissement.  L'accrue  des  corps  inorganiques  n'a 
rien  d'essentiel,  et  les  dépôts  successifs  de  masse  homogène 
affectent  la  forme  de  couches  superposées.  Mais  l'accroisse- 
ment des  corps  organisés  est  essentiel,  et  résulte  d'une  for- 
mation accomplie  par  ces  corps  eux-mêmes.  Il  lient  à  ce  que 
la  nutrition  l'emporte  sur  la  décomposition  ;  il  est  donc  rendu 
possible  et  favorisé  par  les  substances  et  les  relations  du 
monde  extérieur,  mais  c'est  la  vie  qui  le  réalise.  Voilà  aussi 
pourquoi  il  est  déterminé  par  la  loi  de  l'harmonie,  et  consiste 
en  une  augmentation  de  la  masse  organique  par  elle-même, 
avec  conservation  ou  maintien  d'une  forme  et  d'une  propor- 
tion déterminées  des  parties.  Il  ne  résulte  point  non  plus  d'une 


484  ORGANISME    DU    TEMPS. 

accrue  extérieufe,  mais  d'un  accroissement  intérieur  ;  non 
cViin  dépôt,  mais  d'une  pénétration  :  ii  n'a  jamais  lien  à  la 
surface  externe  ou  interne  ,  mais  toujours  au  dedans  de  la 
substance  même  et  au  dessous  des  limites  périphériques. 
D'après  cela,  si  on  le  considère  eu  égard  à  son  essence, 

i°  Il  s'accomplit  partout  sous  la  forme  de  l'expansion  ou  de 
la  tuméfaction ,  de  manière  que  les  exircmités,  surfaces  et 
bords  correspondans  d'une  partie  s'éloignent  davantage  les. 
ims  des  autres  sous  son  influence,  et  que  les  organes  conservent 
leur  forme  totale  prise  en  général.  Ainsi,  nous  avons  déjà  fait 
remarquer  (§  427, 11°)  que  les  os,  quand  ils  sont  parvenus  au 
terme  de  leur  développement ,  offrent  la  même  forme  qu'à 
l'origine ,  seulement  sur  une  plus  grande  échelle ,  ce  qui  se- 
rait de  toute  impossibilité  si  leur  accroissement  consistait  en 
un  dépôt  de  couches  nouvelles  à  la  surface.  La  plante  aussi 
croit  par  expansion  ou  gonflement ,  tant  que  ses  parties  con- 
servent de  la  mollesse  ;  les  feuilles  augmentent  de  longueur, 
de  largeur  et  d'épaisseur  par  leur  intérieur,  tant  qu'elles  sont 
enveloppées  et  garanties  de  l'action  desséchante  de  l'air; 
les  jeunes  pétioles  s'étendent ,  de  manière  que  les  feuilles  ar- 
rivent à  une  plus  grande  distance  des  branches ,  et  les  jeunes 
branches  s'allongent ,  de  sorte  que  les  nœuds  s'écartent  les 
uns  des  autres.  Mais  lorsque  la  vitahté  d'une  partie  a  baissé, 
et  quand  la  source  de  son  suc  plastique  est  épuisée,  il  ne  peut 
plus  y  avoir  d'accroissement  intérieur  :  le  corps  n'augmente 
plus  alors  que  par  l'accession  de  nouvelles  formations ,  soit 
qu'il  y  ait  (2°)   ou  non  (3°)  une  base  antérieure  à  celles-ci. 

2°  Dans  le  premier  cas,  l'essence  de  l'accroissement  s'ex- 
prime de  la  manière  la  plus  évidente  comme  progrès  de  la  for- 
mation dépendant  de  celui  de  la  vie.  L'épiderme,  les  poils,  les 
plumes,  les  bois,  les  dents  sont  rejetés  quand  ils  ont  accompli  le 
cours  de  leur  vie,  et  à  leur  place  la  nature  forme  ,  pour  ainsè 
dire  de  toutes  pièces  ,  des  parties  nouvelles ,  qui ,  lorsque  lof 
vie  est  encore  en  progrès  ,  surpassent  en  perfection  celles  dotit 
elles  tiennent  lieu.  Si  l'on  examine ,  par  exemple  ,  les  boisd© 
Cerfs  parvenus  à  différens  âges,  on  serait  tenté  de  croire  que 
chaque  année  de  nouvelles  couches  et  de  nouveaux  andouillers 
se  sont  ajoutés  au  tronc  primitif;  on  pourrait  s'imaginer  aussi 


ORGANISME    DU    TEMPS.  l^Sb 

que  les  dents  molaires  de  FÉlépliant  âgé  sont  celles  du  jeune 
animal ,  accrues  seulement  de  plaques  additionnelles  ;  cepen- 
dant ce  sont  des  productions  tout-à-fait  nouvelles  ,  qui  n'ont 
paru  sous  des  formes  plus  parfaites  que  parce  que  la  vie 
fille-même  avait  fait  des  progrès  dans  son  propre  intérieur. 

3°  Chez  les  végétaux,  la  substance  se  solidifie  de  bonne 
heure ,  de  manière  qu'elle  devient  incapable  d'accroissement 
intérieur  ,  et  qu'elle  ne  peut  plus  servir  que  de  base  à  des 
formations  nouvelles ,  qui  déterminent  l'accroissement  en  ve- 
nant s'ajouter  aux  anciennes ,  mais  se  développent ,  comme 
celles-ci,  par  le  dedans. 

Déjà  quelques  champignons  croissent  parce  que  la  masse 
gélatineuse  qui  les  constitue  se  renfle  sur  un  point,  et  forme 
tantôt  une  nouvelle  couche  superlicielle  au  dessous  de  l'épi- 
derme,  tantôt  un  prolongement  latéral  ramiforme  (1). 

Dans  les  végétaux  arborescens,  il  se  produit  chaque  année 
une  couche  nouvelle ,  qui  est  la  partie  à  proprement  parler 
vivante  ,  et  à  laquelle  les  productions  des  années  précédentes 
servent  seulement  de  base  et  de  point  d'appui.  L'accroisse- 
ment  en  grosseur  des  arbres  monocotylédones  résulte  d'ini 
tercalations  de  faisceaux  répartis  d'une  manière  irrégulière 
dans  l'intérieur;  mais  celui  des  dicotylédones  tient  à  l'annexion 
de  couches  cohérentes,  qui  engaînent  le  bois  et  servent  d'axe  à 
l'écorce ,  la  nouvelle  production  se  partagieant  en  une  couche 
interne  ,  l'aubier  ou  le  bois ,  et  en  couches  externes ,  le  liber 
ou  l'écorce  future ,  de  sorte  que  le  bois  s'accroît  de  dehors 
en  dedans  ,  et  l'écorce,  au  contraire  ,  de  dedans  en  dehors  (2). 
Quant  à  l'accroissement  en  hauteur,  il  dépend  de  couches  ayant 
la  forme  de  cônes  creux ,  qui  s'appliquent  sur  les  extrémités 
des  branches,  au  dessous  de  l'écorce. 

La  coquille  des  Mollusques  croît  par  des  additions  du  de- 
dans en  dehors,  le  suc  épanché  sur  la  surface  du  corps  s'ap- 
pliquant  à  la  face  interne  du  test.  L'accroissement  des  Coraux 
a  aussi  de  l'analogie  avec  celui  des  arbres  dicotylédones,  mais 
on  doit  plutôt  voir  en  lui  une  nouvelle  procréation  qu'un  ac- 

(1)  Schweigger,  Handhuch  der  Naturyeschichte  der  skelettlosen  untje- 
gliederten  Thiere  ,  p.  375. 

(2)  F.-V.  Raspail,  Nouveau  système  de  physiologie  végétale,  [Paris, 
1837,  t.  I,  p.  389  et  suIt. 


486  ORGANISME    DU  TEMPS. 

croissement  réel  de  l'animal.  Chez  les  animaux  supérieurs, 
dans  les  alimens  desquels  on  mêle  de  la  garance,  la  couleur 
rouge  se  manifeste  d'abord  à  la  couche  la  plus  extérieure 
des  os ,  vers  le  centre  desquels  elle  pénètre  peu  à  peu ,  et  elle 
disparaît  plus  tard,  lorsqu'elle  est  parvenue  au  pourtour  de  la 
caviié  médullaire  ;  mais  il  y  aurait  de  la  précipitation  à  vouloir 
trouver  de  l'analogie  entre  ce  phénomène  el  celui  de  la  crue 
des  arbres. 

Quant  à  l'allongement,  le  nombre  des  articulations  qui  for- 
ment les  rayons  croît  pendant  la  vie  chez  les  Astéries,  et  celui 
des  anneaux  du  corps  chez  les  Cloportes,  les  Scolopendres,  les 
Iules,  les  Naïdes  et  les  Néréides;  mais,  d'un  côté,  ce  phénomène 
parait  tenir  plutôt  à  un  développement  qu'à  une  véritable  ad- 
dition ,  puisque  les  parties  nouvelles  sont,  la  plupart  du  temps, 
sinon  même  toujours,  indiquées  dès  le  principe,  et,  d'un  autre 
côté,  il  se  rattache  plus  à  la  procréation  qu'à  l'accroissement 
chez  les  Naïdes  et  les  Néréides. 

4°  La  substance  qui  sert  à  grossir  les  organes  est  fournie 
par  le  liquide  organique  général.  Çà  et  là  seulement  on  trouve 
des  dépôts  de  substance  plastique  mise  en  réserve;  ainsi  les 
jeunes  parties  végétales  contiennent ,  dans  leur  tissu  cellulaire, 
une  masse  grenue,  qui  disparaît  lorsqu'elles  croissent;  les 
Astéries  ont,  à  la  réunion  de  dent  rayons ,  un  réservoir  plein 
de  carbonate  et  de  phosphate  calcaires,  qui  communique  avec 
les  vaisseaux  annulaires  ;  chez  les  Crustacés  et  beaucoup  de 
Mollusques,  des  grains  calcaires  se  développent  périodique- 
ment dans  le  tissa  cellulaire,  avant  l'accroissement  du  test. 

5"  Les  conditions  extérieures  de  l'accroissement  consistent , 
d'une  part,  en  ce  que  la  substance  alimentaire  soit  suffisante 
pour  produire  convenablement  le  liquide  organique  général, 
d'un  autre  côté,  en  ce  qu'un  certain  degré  de  cha'.eui-  entre- 
tienne et  stimule  l'activité  viiae. 

6° Pour  donner  une  idée  approximative  de  la  marche  que  sui- 
vent l'acctoissement  et  le  décroissement  du  corps  humain,  nous 
profiterons  d'un  travail  de  Qulelet  (1),  qui,  après  avoir  fait 
peser  el  mesurer  plusieurs  hommes  de  chaque  âge,  a  regardé 

(1)  Comparez,  Mémoire  sur  la  taille  de  l'homme  en  France  ,  par  t.  R. 
Villermé  (Annalles  d'hygiène  publique,  t.  I ,  p.  351.) 


ORGANISME    DU    TEMPS.  /\S'J 

les  valeurs  moyennes  comme  normales.  Voici  quel  a  été  le  ré- 
sultat : 


LONGUEUR    EN 

MILLIMÈTRES. 

POIDS  EN  DÉCAGEAMMES.         1 

AGES. 

MALES. 

FEMELLES. 

MALES. 

FEMELLES.  1 

^ 

C  liange- 

Change- 

Change- 

Change- 

ment 

ment 

menl 

ment 

en  un  an. 

en  un  an . 

en  un  an. 

en  un  an. 

Nouveau- 

nés. 

500 

490 

320 

291 

d  an. 

698 

+498 

690 

+200 

945 

+625 

879 

+588 

2 

791 

+  93 

781 

-i-91 

4434 

fl89 

1067 

+488 

3 

864 

+  73 

852 

+  71 

42  7 

+113 

1179 

+412 

4 

928 

+  64 

915 

+  63 

1423 

+176 

4  300 

+121 

5 

9S8 

-t  60 

974 

+  59 

4577 

+  454 

4436 

+136 

6 

d047 

+  59 

1031 

i-  57 

1724 

+447 

4600 

■4-164 

7 

1105 

+  58 

4086 

+  55 

1940 

^486 

1754 

+154 

8 

1162 

-^  57 

1141 

+  55 

2076 

+  466 

1908 

+154 

9 

1219 

T-  57 

4195 

+  54 

2265 

+489 

2136 

+222 

dO 

1275 

+  56 

4248 

4-  51 

2452 

+487 

2352 

+  216 

il 

4330 

+  55 

4299 

+  44 

2740 

T-258 

2565 

+213 

12 

4385 

-1-  55 

4353 

+  50 

2982 

+272 

2982 

+417 

13 

1430 

+  54 

1403 

4-  50 

3438 

+456 

3294 

+312 

d4 

1493 

-i-  54 

1453 

+  50 

3876 

+438 

3670 

+376 

15 

154() 

+  53 

4499 

+  46 

43(2 

+486 

4037 

+  367 

16 

1594 

+  48 

4535 

+  36 

4967 

-^r605 

4357 

+  320 

17 

4634 

-h  40 

1555 

+  20 

5285 

+318 

4731 

+374 

+372 

18 

1658 

+-  24 

1564 

+    9 

5785 

+500 

5103 

20 

1674 

4-    8 

1572 

+    4 

6006 

+110 

5228 

+  57,1 

25 

-{680 

1-    1,2 

4577 

+    1 

6293 

r  57 

5328 

+  20 

30 

1684 

+    0,8 

4579 

+    0,4 

6365 

+  14 

5'i33 

+  21 

40 

1684 

0 

I57y 

0 

6367 

+    0,2 

552.3 

+    9 

50 

1674 

—    1 

1536 

—    4,3 

6346 

+    2,1 

{j  i 

+  11.3 

60 

J6.Î9 

—    3,3 

4516 

—     1 

6494 

—  4. S 

?n 

—  18  6 

70 

Mi23 

—    1,8 

4514 

—    05 

5952 

—  24  2 

■151 

—  27.9 

80 

164  3 

—    1 

1506 

—    0,8 

5783  —  16,9 

49.S7  —  24  4  II 

90 

'J613 

0 

1505 

—     0,5 

5783 

0 

4934 

-    0,3  1 

Somme  totale ,  la  marche  de  l'accroissement  des  corps  or- 
ganisés^ comme  celle  de  leur  développement,  en  général,  est 
déterminée  tant  par  le  degré  de  la  vie  que  par  son  époque  ; 
l'accroissement  marche  avec  plus  de  rapidité  dans  les  orga- 
nismes inférieurs  que  dans  les  organismes  supérieurs  ;  les 
Conferves  croissent,  pour  ainsi  dire,  à  vue  d'œil ,  un  globule 


488  ORGANISME    DU    TEMPS. 

s'allonge  en  un  tube,  à  l'extrémité  duquel  se  produit  peu  à  peu 
un  nouveau  globule,  qui  devient  tube  à  son  tour  ;  dans  les  plan- 
tes plus  parfaites,  raccroissement  est  lent  et  insensible  ;  les 
animaux  inférieurs  croissent  aussi  d'une  manière  très-rapide, 
comparativement  à  ceux  des  classes  supérieures. 

Plus  la  mutation  des  matériaux  et  la  marche  de  la  vie  en 
général  sont  ou  rapides  ou  lentes  ,  plus  aussi  l'accroissement 
est  prompt  ou  tardif;  l'Huître  croît  avec  tant  de  lenteur  qu'il 
lui  faut  quatre  ou  cinq  années  pour  acquérir  sa  taille  com- 
plète, tandis  que  certains  Annélides,  par  exemple,  les  Naïdes , 
ont  terminé  leur  accroissement  en  peu  de  semaines  ;  la  crois- 
sance des  Tortues  est  fort  lente ,  et  celle  des  Oiseaux  très- 
rapide. 

La  vélocité  du  renouvellement  des  matériaux  se  rattache  à 
l'abondance  des  liquides.  -Aussi  les  plantes  chargées  de  suc  " 
croissent-elles  plus  vite  que  les  végétaux  secs ,  et  les  arbres  à 
bois  tendre  et  mou  plus  rapidement  que  ceux  dont  le  bois  est 
sec  et  dur. 

Plus  l'organisme  est  jeune ,  plus  le  cours  de  la  vie  ,  le  re- 
nouvellement des  matériaux  et  l'accroissement  sont  rapides. 
Si  nous  nous  en  tenons  au  calcul  de  Quetelet ,  l'accroissement 
est  de  2/5  dans  la  première  année,  1/7  dans  la  seconde,  l/il 
dans  la  troisième  ,  1/14  dans  la  quatrième ,  1/15  dans  la  cin- 
quième ,  1/18  dans  la  sixième  et  la  septième,  en  rapportant 
cette  fraction  à  ce  qu'était  la  grandeur  primordiale ,  et  la 
fraction  devient  de  plus  en  plus  forte,  puisqu'elle  est  de  1/66  à 
dix-huit  ans  etde  1/200  à  dix-neuf.  Pendant  les  sept  premières 
années,  l'homme  devient  une  fois  et  un  quart  plus  grand  qu'il 
ne  l'était  à  la  naissance  ;  à  quatorze  ans ,  il  l'est  deux  fois 
plus ,  et  dans  les  années  suivantes  sa  taille  acquiert  encore  un 
tiers  en  sus.  Un  Eléphant  que  Corse  (1)  a  mesuré  ,  grandit  la 
première  année  de  onze  pouces ,  la  seconde  de  huit ,  la  troi- 
sième de  six ,  la  quatrième  de  cinq,  la  cinquième  de  cinq  en- 
core ,  la  sixième  de  trois  et  demi ,  la  septième  de  deux  et 
demi.  L'éveil  de  la  faculté  procréatrice  exalte  la  vitalité  et  ac- 
célère l'accroissement  :  le  Corjpha  umbracuUfera ,  pendant 

(i)  Fhilos.  Trans.,  1799 ,  p.  33. 


ORGANISME    DU  TEMPS.  489 

les  quatre  derniers  mois  qui  précèdent  sa  floraison ,  croît  qua- 
rante-cinq fois  plus  qu'il  ne  l'a  fait  dans  le  même  laps  de 
temps  durant  les  trente-cinq  années  précédentes  (1).  L'ac- 
croissement annuel  diminue  rapidement  dans  les  cinq  pre- 
mières années;  de  six  à  quinze  ans  sa  diminution  est  lente,  puis 
elle  reprend  de  la  vitesse  ;  et  comme  le  sexe  féminin  arrive  à  la 
puberté  avant  l'autre ,  de  même  aussi  cette  accélération  de  la 
diminution  de  l'accroissement  arrive  plus  tôt  et  est  plus  pro- 
noncée chez  lui.  Les  maladies  chroniques  et  les  efforts  épui- 
sans  arrêtent  l'accroissement,  qui  est,  au  contraire,  accéléré 
quelquefois  par  l'excitation  générale  dont  s'accompagnent  les 
maladies  fébriles. 

L'homme  paraît  aussi  croître  moins  en  hiver  qu'en  été,  sai- 
son pendant  laquelle  la  vie  a  plus  d'activité. 

7"  Chaque  espèce  a  non  seulement  un  type  de  vie  qui  lui 
appartient  en  propre ,  mais  encore  une  forme  déterminée  et 
des  dimensions  que  son  accroissement  ne  dépasse  point.  Ces 
phénomènes  sont  moins  marqués  dans  le  règne  végétal ,  où  la 
vie  s'élève  moins  à  Tunité  et  à  l'individualité,  où  l'accroisse- 
ment annuel  se  rapproche  davantage  de  la  procréation ,  et  con- 
siste plutôt  en  une  production  de  nouveaux  individus  vivans 
substitués  à  d'autres  qui  sont  morts,  où  enfin  la  vie  dépend 
plus  des  choses  extérieures,  de  manière  que  la  culture  peut 
élever  un  arbrisseau  au  rang  d'arbre,  ou  faire  d'une  même 
plante  un  nain  ou  un  géant ,  suivant  qu'elle  favorise  ou  res- 
treint la  crue  des  branches  proportionnellement  au  tronc. 
L'accroissement  des  Coraux  est  renfermé  de  même  dans  des 
limites  peu  précises  ;  car  il  tient  uniquement  à  la  production 
de  nouveaux  Polypes ,  et  la  propagation  est  en  soi  une  chose 
illimitée.  Chez  beaucoup  d'animaux  aquatiques  ,  notamment 
les  Poissons ,  les  Amphibies  et  les  Cétacés ,  l'accroissement 
dure  autant  que  la  vie ,  quoique  marchant  moins  vite  sur  les 
derniers  temps  qu'à  l'origine.  Cependant  il  n'est  pas  pour  cela 
indéfini ,  et  ne  fait  que  coïncider  avec  la  durée  de  vie  assignée 
à  chaque  espèce.  On  peut  considérer  ces  animaux  comme 
n'arrivant  jamais  au  degré  de  maturité  que  caractérisent  la 

(4)  Treviianus ,  Biologie ,  t,  III ,  p.  466. 


490  ORGANISME   DU  TEMPS. 

permanence  et  la  fixité  des  délimitations.  Chez  les  animaux 
terrestres  et  aériens  ,  l'accroissement  cesse  vers  l'époque  à 
laquelle  se  développe  la  faculté  procréatrice.  On  pourrait  at- 
tribuer celte  différence  à  ce  que  les  animaux  aquatiques  ne 
subissant  pas  l'action  desséchante  de  l'air,  leurs  tissus  de- 
meurent plus  mous  et  plus  extensibles,  tandis  que  tout  ac- 
croissement cesse  dès  que  les  parties  deviennent  rigides  et  os- 
sifiées ,  en  sorte  qu'un  os  long  ne  croît  qu'autant  qu'il  y  a 
encore  un  disque  cartilagineux  entre  la  dyaphyse  et  les  épi- 
physes  ;  mais  les  matériaux  se  renouvellent  aussi  dans  les 
parties  rigides ,  quoiqu'avec  plus  de  lenteur,  et  celte  seule 
circonstance  suffit  pour  y  rendre  l'accroissement  possible  ;  la 
diaphyse  ne  croît  point  par  des  additions  à  ses  extrémités , 
mais  par  une  augmentation  de  toute  sa  substance ,  de  sorte 
que  ses  courbures,  ses  trous  nourriciers,  ses  points  d'attnche 
pour  des  muscles  s'éloignent  de  plus  en  plus  les  uns  des  au- 
tres ,  et  que  la  soudure  avec  les  épiphyses  ne  saurait  être  la 
véritable  cause  de  l'arrêt  de  son  développement  ;  les  pointes 
des  Coraux  sont  fréquemment  calcaires  déjà ,  et  cependant 
ces  productions  croissent  encore  par  expansion  de  dedans 
en  dehors  (1)  ;   le  test  des  jeunes  Oursins  est  une  sphère 
calcaire  parfaitement  close,  ce  qui  n'empêche  pas  leur  volume 
de  tripler  ou  quadrupler,  accroissement  durant  lequel  le  nom- 
bre des  pièces  calcaires  augmente ,  quoiqu'elles  s'engrènent 
les  unes  avec  les  autres  par  leurs  bords  ,  sans  substance 
molle  interposée  (2).  Suivant  Haller(3),  l'accroissement  cesse 
lorsque  la  force  propulsive  du  cœur  et  l'expansion  qu'elle  dé- 
termine ont  faibli  tellement  que  la  résistance  mécanique  des 
parties  leur  fasse  équilibre  ;  mais,  chez  les  petits  animaux, 
les  Rongeurs,  par  exemple,  les  butttmens  du  cœur  sont  beau- 
coup plus  fréquens,   et  la  substance  des  parties  est  bien 
plus  molle  ,  quoique  l'accroissement  atteigne   plus  vite  son 
terme  que  chez  les  grands  animaux ,  les  Solipèdes  entre  au- 
tres. Nous  ne  pouvons  donc  point  nous  rendre  raison  de  l'ar- 

(1)  Schweigger,  loc.  cit.,  p.  381. 

(2)  Ihid.,  p.  537. 

(S)  Elem.  physiolog.,  t.  VIH,  P.  II,  p.  S^. 


ORGANISME   DU  TEMPS.  491 

rêt  du  développement  en  invoquant  des  circonstances  méca- 
niques. La  vie  se  crée  elle-même  son  mécanisme,  et  son  ac- 
tion leqd  à  étendre  le  corps  dans  l'espace ,  à  en  accroître  le 
volume,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  tourne  davantajje  vers  riniérieur. 
Celte  dernière  époque  arrive  au  moment  de  la  pleine  maturité 
procréatrice  ;  mais  les  animaux  qui  passent  leur  vie  entière 
dans  l'élément  de  la  formation  primitive,  Teau,  demeurent  jus- 
qu'à un  certain  point  à  l'état  d'embryon  ,  ou  se  rajeunissent, 
parce  qu'ils  virent  dans  le  sein  même  de  la  substance  nourri- 
cière générale ,  de  sorte  que  leur  vie  est  un  accroissement 
continuel  de  la  masse. 

II.  Pendant  l'accroissement ,  de  même  que  pendant  l'âge 
adulte  tout  entier,  non  seulement  la  quantité  des  liquides  di- 
minue, mais  encore  la  densité  de  la  substance  augmente,  et 
sa  cohésion  devient  plus  considérable.  L'humidité  de  la  fibre 
musculaire  s'élevait ,  chez  un  jeune  animal,  à  vingt-six  parties, 
et  chez  un  animal  adulte,  à  vingt-trois  et  demie  seulement  :  la 
cohésion  d'un  cheveu  humain  était,  à  huit  ans  zz  10 ,  à  vingt- 
deux  zz  17,  à  cinquante-sept  zz  25  (1).  Comme  la  métamor- 
phose intérieure  qui  accompagne  le  perfectionnement  de  l'or- 
ganisme l'emporte  de  beaucoup  sUr  la  métamorphose  exté- 
rieure j  le  corps  humain  augmente  plus  en  densité  et  en  pe- 
santeur qu'en  volume  ;  la  proportion  du  nouveau-né  à  l'adulte 
est  à  peu  près  de  1  :  3,30  sous  le  rapport  de  la  longueur,  de 
1  :  3,80  sous  celui  de  la  largeur  (aux  épaules) ,  et  de  i  :  19,50 
sous  celle  de  la  pesanteur.  L'augmentation  de  poids  surpasse 
donc  celui  de  la  taille,  non  pas  seulement  parce  que  l'homme 
croît  proportionnellement  plus  en  largeur  qu'en  hauteur,  mais 
encore  parce  que  la  substance  de  son  corps  acquiert  plus  de 
densité.  Cet  accroissement  est  plus  considérable  durant  la 
première  année  qu'à  toute  autre  époque  ;  puis  il  diminue  ra- 
pidement, ensuite  il  augmente  pendant  le  développement  de 
la  puberté,  et  la  période  suivante  le  voit  encore  diminuer  de 
nouveau.  D'après  la  table  précédente,  le  poids  du  sexe  mascu- 
lin augmente  d'environ  trente-quatre  livres  depuis  la  nais- 
sance jusqu'à  la  septième  année ,  de  quarante-deux  depuis 

(1) Haller,  loc.eit,,i.  VIII,  P.  Il,  p.  30. 


49  2  ORGAMISME   DU    TEMPS. 

celle-ci  jusqu'à  la  quatorzième ,  de  quarante-huit  depuis  celt© 
dernière  jusqu'à  la  vingt-et-unième  ,  et  enfin  d'à  peu  près  six 
livras  jusqu'à  la  quarantième  ;  chez  le  sexe  féminin  ,  au  con- 
liM;re,  il  augmente,  dans  le  premier  septénaire,  de  trenie-et- 
une  livres ,  dans  le  second  de  quarante-et-une,  dans  le  troi- 
sième de  trente-quatre  seulement,  et  depuis  ce  terme  jusqu'à 
cinquante  d'environ  huit  livres  encore. 

III.  Pendant  l'âge  avancé  ,  la  fluidité  va  toujours  en]  dimi- 
nuant ,  mais  en  même  temps  le  volume  devient  du  moins  en 
moins  considérable  ;  car  le  corps  reçoit  moins  de  dehors  ,  et 
la  résorption  y  croît  au  point  de  l'emporter  sur  la  nutrition  : 
de  là  résulte  que  la  densité  et  la  pesanteur  diminuent  aussi 
en  partie  ,  la  portion  compacte  des  os  ,  par  exemple ,  étant 
de  plus  en  plus  refoulée  par  la  portion  diploïque.  La  diminu- 
tion se  manifeste  de  meilleure  heure  dans  le  poids  que  dans 
le  volume ,  ce  que  Tenon  a  parfaitement  démontré  ,  pour 
le  crâne  surtout.  D'après  la  table  de  Quetelét,  le  corps  de 
l'homme  perd  un  vingt-troisième  de  sa  longueur  et  un  dixième 
de  son  poids  jusqu'à  quatre-vingts  ans ,  celui  de  la  femme 
un  vingt-et-unième  de  sa  longueur  et  un  neuvième  de  son 
poids  jusqu'à  quatre-vingt  dix  ans. 

ARTICLE    ir. 

De  la  marche  du  développement  intellectuel  et  moral. 

§  646.  Le  développement  intellectuel  et  moral  est  une  exal- 
tation de  la  vie  intérieure  par  elle-même ,  ayant  pour  cause 
excitante  et  pour  condiiion  les  impressions  produites  par  le 
monde  extérieur. 

I.  Si  nous  recherchons  d'abord  quelle  est  l'origine  de 
l'âme,  nous  reconnaissons  qu'il  y  a  identité  entre  elle  et  celle 
de  la  vie  (§  525).  Comme  l'existence  de  l'univers  tient  à  une 
cause  spirituelle,  dont  elle  est  la  manifestation  (§  230,  2''-3° , 
257),  ainsi  son  image  (§  319),  ou  son  reflet,  l'organisme  indi- 
viduel ,  n'existe  que  par  une  virtualité  idéale  (§  228-232, 257- 
262,  319-322,  365-370  ,  473-477).  Au  commencement  de  la 
vie,  ce  produit  idéal  n'apparaît  pas  encore  comme  individua- 
lité ,  et  il  se  montre  bien  plutôt  comme  force  universelle , 


ORGANISME    DU    ïfiMPS.  4g3 

comme  activité  individuaîisnnte  ,  il  n'est  point  encore  à  Tétat 
de  réalité  dans  l'organisme,  en  un  motil  se  déploie  commeame 
végétative ,  qui  provoque  une  multitude  3'actions  et  de  for- 
mations diverses,  unies  entre  elles  par  un  lien  qui  les  ramène 
à  l'unité,  pénétrant  harmoniquement  les  unes  dans  les  autres, 
et  concourant  toutes  ensemble  à  des  buts  déterminés. 

1°  La  plante  reste  à  ce  degré  pendant  toute  sa  vie ,  parce 
que  sa  vie  entière  est  tournée  vers  l'extérieur  et  vers  l'espace, 
parce  qu'elle  consiste  en  une  série  non  interrompue  de  for- 
mations nouvelles  ,  en  une  création  continuelle  de  parties  qui 
viennent  à  la  suite  les  unes  des  autres  dans  la  succession  des 
temps.  Dans  le  règne  animal ,  au  contraire,  l'idée  de  la  vie 
s'exprime ,  non  par  des  formations  détachées  les  unes  des  au- 
tres et  successives,  mais  par  un  tout  organique  simultané,  dans 
lequel  elle  déploie  et  sa  puissance  entière  et  tout  le  luxe  de  ses 
productions  ;  produisant  déjà  chez  l'embryon ,  qui  n'en  a  pas 
besoin,  les  organes  de  la  locomotion  et  des  sens,  de  la  respira- 
lion  aérienne  et  de  la  procréation,  elle  ne  borne  jamais  ses  créa- 
tions au  présent  immédiat ,  comme  dans  la  plante  ,  mais  em- 
■brasse  et  l'avenir  le  plus  lointain  et  l'existence  entière. I!y  a  donc 
ici  une  époque  où  la  vie  a  terminé  ses  créations  extérieures  et  se 
borne  ensuite  à  les  conserver.  Mais,  une  fois  l'œuvre  achevée, 
l'artiste  lui-même  se  montre  ;  l'idée  de  la  vie  se  dégage  de  la 
matière  ;  s'étant  fixée  dans  le  fini  par  une  formation  exté- 
rieure ,  elle  s'occupe,  comme  individualité,  à  créer  dans  l'in- 
térieur ;  n'étant  plus  réduite  à  lier  les  parties  ensemble  par 
ses  relations,  mais  pouvant  s'appliquer  à  réunir  ces  dernières 
©Iles-mêmes,  elle  rassemble  tous  ses  rayons  en  un  seul  foyer, 
et  p>ar-îà  se  révèle  à  elle-même.  De  cette  manière,  l'âme,  qui 
avait  été  latente  jusqu'alors ,  devient  manifeste  ;  elle,  qui  n'a- 
vait d'abord  agi  que  comme  chose  générale  ,  se  montre  enfin 
spécialité,  réalité,  personnalité. 

2°  L'idée  de  la  vie  est  unité  du  multiple  et  détermination  par 
soi-même.  Elle  se  réalise  ,  dans  le  physique,  par  la  connexion 
organique,  la  formation  et  la  conservation  spontanées,  dans 
le  moral  par  la  conscience  et  la  volonté.  Mais,  comme  elle 
s'est  plongée  d'abord  dans  la  matière,  pour  acquérir  un 
substratum  fini ,  sur  lequel  il  lui  soit  possible  ensuite  d'enter 


494  ORGANISME   DU  TEMPS, 

sa  propre  forme ,  celle  d'âme  ,  de  même  celle-ci  débute  par 
être  étroitement  liée  au  corps,  eniourée  d'une  nuit  obscure  , 
et  plongée  dans  un  sommeil  profond;  ses  forces  ne  se  mani- 
festent qu'à  demi,  et  sous  les  apparences  de  simples  disposi- 
tions ;  en  un  mot,  elles  n'existent  qu'en  germe,  la  conscience 
étant  réduite  au  sentiment  de  la  vie,  et  la  volonté  à  l'instinct. 
L'une  et  l'autre  se  manifestent  dans  les  mouvemens  de  l'em- 
bryon (§  471,  9°;  472,  1»,2°).  Nous  pourrions  comparer  cet 
état  de  lame  (pendant  la  vie  embryonnaire,  après  l'achève- 
ment de  la  contextiire  organique  )  au  premier  degré  de  dé- 
veloppement de  la  membrane  proligère  ,  lorsque  la  base  de 
l'organisation  sort  de  la  matière,  mais  simple  encore  et  homo- 
gène^ de  sorte  qu'elle  n'a  qu'une  analogie  éloignée  avec  ce  qui 
doit  exister  plus  tard. 

Les  activités  qui  lient  les  différens  organes  acquièrent  une 
certaine  indépendance  après  leur  formation  ,  se  réunissent  en 
un  seul  foyer,  et  viennent  à  se  pénétrer  réciproquement;  il  ré- 
sulte de  là  qu'on  voit  paraître  peu  à  peu  un  état  purement 
intérieur  et  immatériel,  dans  lequel  les  liaisons  vivantes  sont 
liées  elles-mêmes  entre  elles,  de  sorte  que  l'unité  extérieure 
est  devenue  intérieure  ;  la  vie  se  révèle  à  elle-même  ,  c'est-à- 
dire  qu'il  naît  le  sentiment  que  les  divers  organes  et  leurs  ac- 
tivités différentes  appartiennent  à  une  seule  et  même  indivi- 
dualité. Ce  sentiment  de  la  vie  est  donc  lintuition  de  soi-même 
au  plus  bas  degré,  ou  confondue  avec  la  vie  physique;  car 
l'objet  de  la  connaissance  n'est  que  l'existence  et  l'état  dea 
organes,  mais  la  connaissance  elle-même  est  obscure,  vague 
et  passive,  parce  que  ce  qui  connaît  et  ce  qui  est  connu  ne 
font  encore  qu'un  tout  indivis. 

Au  sentiment  de  la  vie  ,  qui  est  le  côté  passif ,  celui  de  la 
réception  ou  de  l'impression,  correspond,  comme  réaction, 
l'instinct,  dans  lequel  le  germe  de  la  volonté  se  manifeste  sous 
la  forme  de  réaction  végétative.  Le  sentiment  de  la  force  ap- 
pelle le  penchant  au  déploiement  de  celle  force ,  et  au  senti- 
ment dun  état  harmont(iue  de  la  vie  correspond  le  penchant 
à  réagir  contre  :  les  différens  organes  de  locomotion  sont  mis 
par  là  en  jeu,  mais  sans  but  particulier,  sans  direction  déter- 
minée ;  les  membres  se  meuvent ,  sans  qu'il  résulte  rien  de 


ORGANISME    DU  TEMPS.  49^ 

leur  mouvement,  et  les  mouvemens  respiratoires  ont  lieu  sans 
qu'une  respiration  en  soit  la  suite. 

3°  Toutes  les  facultés  de  l'âme,  'même  les  plus  éminentes, 
se  développent  de  ces  premiers  germes,  de  sorte  qu'elles 
naissent  indirectement  de  la  vie  matérielle,  puisque  celle-ci 
elle-même  porte  en  elle  l'idéal,  qui  en  fait  l'essence,  et  qui 
seulement  s'y  trouve  enveloppé.  Le  développement  n'est 
qu'une  actualisation  ,  une  réalisation  de  ce  qui  primordiale- 
ment  existait  en  puissance  dans  l'intérieur  ;  mais ,  comme 
l'organisme  individuel  n'est  qu'une  chose  relative,  un  membre 
ou  un  chaînon  de  l'univers,  son  développement  dépend  aussi 
du  concours  des  choses  extérieures;  ce  n'est  qu'à  la  condition 
du  conflit  avec  ces  dernières  qu'il  est  possible  à  la  vie  mo- 
rale, de  même  qu'à  la  vie  physique,  de  se  déployer.  L'em- 
bryon végétait  dans  le  cercle  de  la  vie  maternelle ,  comme 
produit  de  cette  vie,  et  par  cela  même  il  était  impossible  que 
son  âme  parvînt  à  conquérir  l'indépendance;  il  lui  fallait , 
pour  arriver  à  cette  indépendance,  entrer  dans  un  nouvel 
ordre  de  choses,  semblable  en  cela  à  l'œuf,  qui  ne  saurait 
acquérir  son  plein  et  entier  développement  dans  l'ovaire 
(§  361,  2").  La  naissance  déplace  l'embryon,  en  le  jetant  au 
milieu  du  monde  ;  elle  joue  le  rôle  de  la  sémination  par  rap- 
port à  l'âme  ,  en  l'amenant  dans  la  matrice  cosmique ,  qui  se 
charge  de  son  incubation.  Or  l'incubation  est  la  mise  en  train 
du  développement ,  chez  un  être  apte  à  se  développer,  par 
un  être  étranger,  mais  ami,  mais  similaire  (§  364),  et  comme 
ce  qui  ne  vit  pas  ne  peut  éveiller  la  vie ,  ainsi  ce  qui  est  dé- 
pourvu d'âme  ne  saurait  développer  l'âme  Mais  l'univers,  en 
sa  qualité  de  réalisation  de  l'idée  ,  est  animé,  et  de  cette  ma- 
nière le  monde  devient  le  foyer  incubateur,  ou  la  matrice,  de  la 
vie  morale.  Il  ne  peut  rien  donner  à  l'âme,  rien  créer  de 
nojiveau  en  elle  ,  mais  il  communique  l'impulsion  aux  germes 
qu'elle  renferme,  et  favorise  son  développement  spontané,  ce 
qui  tient  à  ce  que  lui  et  elle  sont  organisés  mutuellement  l'un 
pour  l'autre ,  à  ce  qu'entre  les  besoins  et  forces  de  l'âme  et 
le  monde  il  y  a  la  même  harmonie  qu'entre  le  corps  de  la 
mère  et  celui  de  l'embryon.  Aux  sens  correspond  un  côté 
sensible  de  la  nature ,  à  l'entendement  un  côté  intelligible ,  à 


496  ORGANISME    DU  TEMPS. 

la  raison  un  côlé  raisonnable  ;  chaque  cri  de  la  nature  trouve 
son  unisson  dans  le  monde  intérieur  de  Thomme ,  et  l'âme  re- 
connaît dans  le  monde  extérieur  le  reflet  de  sa  propre  es- 
sence ,  de  sorte  que  la  connaissance  des  choses  du  dehors 
éveille  aussi  la  conscience,  qui  est  la  connaissance  proprement 
dite  et  immédiate.  De  même  que  la  nature  satisfait  à  toutes  les 
tendances  de  l'âme ,  de  même  que  le  monde  extérieur  pro- 
cure satisfaction  à  l'instinct,  en  lui  fournissant  chaleur,  lumière 
et  nourriture ,  de  même  aussi  il  se  ploie  à  la  volonté  raison- 
nable, se  laisse  manier  par  elle,  comme  moyen  d'arriver  à  ses 
fins,  et  lui  fournit  matière  à  des  inventions,  à  des  découvertes, 
en  réalisant  ce  qu'elle  cherche  ;  de  son  côté,  la  volonté  raison- 
nable a  la  conscience  de  l'harmonie  du  monde  avec  sa  propre 
tendance. 

L'idée  primordiale  de  la  vie  morale  demeure  toujours  ce 
qu'il  y  a  d'essentiel  ;  aussi  s'annonce-t-elle  dès  avant  d'être 
réalisée  par  développement.  L'enfant  à  la  mamelle  est  fort 
en  arrière  des  animaux  de  son  âge,  eu  égard  au  développe- 
ment de  l'intelligence ,  des  facultés  sensorielles  et  de  l'indé- 
pendance ;  cependant  on  aperçoit  en  lui ,  dès  l'origine  ,  le 
germe  de  ce  qu'il  doit  devenir.  Ce  n'est  pas  l'aspect  de  la 
nourriture ,  mais  la  vue  d'une  forme  humaine  affectant  les 
dehors  de  l'amitié  et  cherchant  à  lui  plaire  ■,  qui  lui  arrache 
le  premier  sourire  ;  ce  ne  sont  pas  des  alimens ,  mais  des 
objets  brillans,  des  choses  propres  à  frapper  la  vie  intérieure, 
qui  lui  font  tendre  la  main  pour  la  première  fois ,  tandis 
que  l'animal  reste  indifférent  à  tout  ce  qui  n'intéresse  point 
ses  besoins  matériels ,  et  par  cela  même  demeure  à  jamais 
enchaîné  dans  la  sphère  des  spécialités,  sans  pouvoir  s'élever, 
par  la  réflexion  et  l'intuition  de  soi-même,  à  l'universalité  et 
à  la  liberté. 

Mais  le  développement  a  lieu  d'une  manièreprogressive  ; 
il  consiste  en  une  exaltation  intérieure,  qui  résulte  tant  d'une 
analyse ,  ou  d'une  scission  en  directions  diverses ,  qu'en  une 
synthèse,  ou  une  réunion  du  multiple  sous  des  idées  générales, 
universelles,  et  qui  s'accompagne  d'un  accroissement  cor- 
respondant du  cercle  d'action, 
IL  ta  connaissance  commence  avec  le  sentiment  de  la  vie , 


ORGANISME  DU  TEMPS.  ^97 

qui  se  rapporte  d'abord  à  Texistence  en  général ,  puis,  par  le 
fait  même  de  la  variété  des  impressions ,  au  mode  de  celle 
existence  et  à  l'état  de  la  vie,  comme  seniiment  intérieur 
proprement  dit. 

4"  Le  monde  fait  l'éducation  de  l'âme  au  moyen  des  sens. 
Complétant  la  vie,    il  fournit  aux  organes  sensoriels,  qui 
s'étaient  formés  chez  l'embryon,  et  auxquels  leur  vitalité 
imprimait  une  tendance  vers  un  mode  spécial  d'activité ,  les 
conditions  nécessaires  pour  mettre   en  jeu  cette  tendance  ; 
mais  l'âme,  en  vertu  de  son  affinité  avec  le  monde ,  s'assimile 
les  impressions  du  dehors ,  à  litre  de  nourriture ,  et  reflète  en 
elle-même  les  phénomènes  extérieurs ,  parce  qu'elle  possède 
la  faculté  d'assimiler  ainsi ,  de  même  que  le  monde  possède 
l'aptitude  à  être  assimilé.  L'activité  sensorielle  est  un  senti- 
ment intérieur,  une  intuition  de  l'état  de  la  vie  des  organes 
sensoriels ,  mais  mie  intuition  d'ordre  supérieur,  qui  s'attache 
moins  à  l'éiat  lui-même  de  la  vie  qu'à  ce  qui  l'a  déterminé  ; 
car  l'enveloppe  matérielle  de  l'esprit  est  si  délicatement  lis- 
sée dans  les  organes  des  sens ,  et  les  forces  de  l'univers  se 
manifestent   si  librement  dans  les  milieux  des  impressions 
sensorielles  (lumière,  son ,  etc.),  qu'elles  pénètrent  à  travers 
ces  organes,  et  parviennent  à  se  mettre  en  contact  avec  la  vie 
intérieure.    L'âme  saisit  les  changemens  survenus  dans  les 
organes  des  sens  comme  parlant  non  de  sa  propre  vie ,  mais 
d'une  existence  extérieure  et  étrangère ,  et ,  en  distinguant 
ainsi  l'extérieur,  l'objectif,  elle  arrive  à  une  intuition  plus  nette 
de  sa  propre  essence  intérieure,  à  une  conscience  sensorielle 
dans  laquelle   se  trouve  développée  l'indiflerence  du  senti- 
ment de  la  vie  par  antagonisme  avec  l'individualité  propre  et 
le  monde  extérieur.  Gomme  les  activités  du  monde  extérieur 
ne  pénèli'ent  qu'une  à  une  à  travers  les  divers  organes  des 
sens ,  elles  se  présentent   aussi  sous  les  dehors  de  choses 
finies,  et  par  cela  même  mieux  délimitées,  de  sorte  que  la 
connaissance  devient  plus  claire  qu'elle  ne  l'était  dans  le  sen- 
timent de  la  vie  ;  il  se  produit  des  représentations ,  des  ima- 
ges, c'est-à-dire  des  activités  de  l'âme  revêtues  d'une  forme 
déterminée ,  qui  reproduisent  ou  répètent  les  phénomènes  du 
dehors  dans  l'intérieur.  Mais  l'activité  de  l'esprit  se  trouve 

V.  52 


49^  ORGANISME  DU  TEMPS, 

déjà,  seulement  non  encore  développée,  dans  cette  faculté  de 
produire  des  représenlaiions  ,  puisqu'elle  ramène  à  une  in- 
tuiiioa  d'ensemble,  non  seulement  les  actions  successives 
d'un  même  sens,  mais  encore  les  actions  des  différens  sens, 
et  qu'elle  réunit  dans  une  même  image  une  muliiiude  de 
choses  isolées  quant  au  temps  et  à  l'espace,  puisqu'en  distin- 
guant l'extérieur  et  l'intérieur  elle  saisit  déjà  un  rapport , 
puisque  enfin,  n'ayant  point  égard  au  changement  qui  a  lieu 
dans  les  organes  des  sens ,  elle  ne  voit  que  ce  qui  a  produit 
ce  changement ,  et  en  conséquence  suppose  dès  le  commence- 
ment une  cause  au  phénomène. 

5"  Le  monde  extérieur  éveille  l'entendement ,  en  faisant 
voir  que  partout  les  phénomènes  ont  des  rapports  les  uns  avec 
les  autres  ,  que  partout  il  règne  ordre  et  harmonie.  L'enten- 
dement e>t  le  sens  porté  à  une  plus  hautf  puissance,  tourné 
vers  l'iniérieur,  et  ne  s'occiipant  que  de  cet  intérieur.  De 
même  que  le  sens  saisit  les  phénomènes  tantôt  dans  leur  état 
d'isolement,  tantôt  dans  leurs  relations  de  simultanéité  et  de 
succession  ,  de  même  aussi  l'entendement  compare,  analyse 
et  combine  les  représentations  acquises  par  les  sens,  pour  ar- 
river à  connaître  les  rapports  des  choses  et  leur  signification, 
leurs  causes  et  leur  but,  leurs  moyens  et  la  manière  dont 
elles  ont  lieu.  Tandis  que  l'âme  s'attache  à  cette  activité  inté- 
rieure, et  se  contemple  dans  son  antagonisme  avec  sa  propre 
activité  extérieure,  de  sensorielle  qu'elle  était,  la  conscience 
devient  intellectuelle,  et  l'individualité,  à  qui  elle  avait  d'abord 
appris  à  se  séparer  du  monde  extérieur,  acquiert  l'aptitude  à 
se  concevoir  distincte  de  la  vie  matérielle  ;  c'tst  le  sentiment 
de  la  vie,  parce  qu'ici  la  vie  est  devenue  pensée.  Mais  la  rai- 
son perce  à  travers  tous  les  actes  de  l'intelligence,  quoiqu'en 
germe  seulement,  et  encore  enveloppée  dans  les  rapports  de 
spécialité  ;  car  la  formation  d'idées  élevées  et  d'idées  basses 
implique  la  connaissance  de  l'unité  qui  embrasse  le  multiple. 
En  suivant  la  diieclion  qui  mène  à  la  loi  de  la  causalité,  on 
apprend  à  distinguer  le  noumène  du  phénomène.  Enfin  le  ju- 
gement et  le  raisonnement  reposent  sur  la  supposition  d'un 
ordre  éternel  et  dune  immobile  légitimité. 

6°  La  nature  se  montre  infinie  dans  ses  productions  finies  y 


ORGANISME  DU  TEMPS.'  499 

générale  dans  ses  spéci;ilités ,  éternelle  dans  ses  mutations.  En 
saisissant  cette  vue  ,  Teniendennent  devient  raison  ,  la  pensée 
s'élève  des  idées  particulières  à  des  idées  de  plus  en  plus 
générales ,  et  enlin  à  des  idées  absolues.  En  parcourant  la 
série  des  encliaînemens  de  cause  et  d'effet ,  elle  cherche  le 
terme,  et  reconnaît  un  absolu,  une  dernière  cause  londa- 
menlale,  par-delà  le  monde  phénoménal ,  elle  saisit,  dans  toute 
sa  pureté  ,  dans  toute  sa  généralité,  et  telle  qu'elle  se  mani- 
feste dans  sa  propre  activité  spirituelle  ,  la  loi  de  l'existence 
qui  préside  à  toutes  les  existences  particulières.  La  raison  a 
en  perspective  le  tout ,  et  c'est  elle  qui  procure  ,  à  propre- 
ment dire  ,  la  conscience  de  soi-même  .  cette  conscience  qui 
reconnaît  en  elle-même  la  puissance  divine,  revêtue  si  ulement 
d'une  [orme  finie ,  et  qui  parvient  ainsi  à  distinguer  dans  le 
moi  l'individuel  de  l'universel ,  la  réalisation  de  l'idée.  C'est* 
le  sentiment  de  la  vie  élevé  à  la  plus  haute  puissance ,  puisque 
la  vie  repose  sur  ses  rapports  avec  le  tout ,  et  que  sa  cause 
suprême  est  contenue  dans  lidéal  ;  elle  a  aussi  de  commun 
avec  leseiilimeot  de  la  vie,  que  sa  connaissance  est  immédiate. 
III.  Du  côié  de  la  volonté , 

7°  Le  penchant  à  vivre  devient  instinct,  parce  que  la  force 
ne  se  manifeste  pas  seulement  en  général ,  et  comme  réaction , 
mais  encore  par  rappoi  t  à  des  buts  déterminés.  L'instinct  est 
l'unité  de  la  volonté  et  de  la  vie  physique,  l'intermédiaire 
entre  la  force  plastique  qui  se  conserve  elle-même  et  la  vo- 
lonté libre,  le  fiuit  de  la  première  et  la  semence  de  la  seconde. 
De  même  que  le  vaisseau  lymphatique  se  ferme  pour  la  bile  et 
s'ouvre  pour  le  chyle,  de  mêuie  que  les  organes  respiratoires 
conspirent  ensemble  pour  produire  le  sang,  en  conflit  avec 
l'air,  de  même  eulin  que  le  sang  circule  pour  stimuler  la  vie, 
de  même  aussi  Tinstinct  est  le  moyen  spirituel  de  la  vie  ;  c'est 
la  vie  or  ganiipie  sous  forme  spirituelle ,  un  moyen  de  saisir  le 
droit  sans  connaissance  et  sans  réflexion  ;  sans  une  voie  pour 
atteindre  au  but,  sans  idée  claire  de  ce  but  ni  des  moyens  qui  y 
conduisent,  il  part  du  pressentiment ,  c'est-à-dire  d'un  sen- 
timent intime  ,  d'où  découlent  les  rapports  extérieurs  qui  sont 
à  sa  convenance.  Mais,  à  côté  de  l'instinct  déjà  éveillé,  le  pen- 
chant général  à  vivre  conserve  toujours  son  efficacité  ,  et  se 


500  ORGANISME  DU  TEMPS. 

manifeste  par  des  actes  qui  semblent  être  volontaires ,  quoi- 
qu'ils ne  soient  point  mspirés  par  un  choix ,  quoiqu'ils  n'aient 
d'autre  but  que  celui  d'exercer  en  général  la  force. 

8°  L'instinct  s'élève  à  la  volonté,  qui  est  déterminée  non  plus 
par  la  vie  physique ,  mais  par  la  vie  morale,  par  l'expérience 
et  le  jugement ,  qui  ne  se  précipite  pas  de  suite  vers  son  but, 
mais  cherche  et  choisit  les  moyens  d'y  arriver.  Cependant 
l'instinct  ne  se  retire  point  entièrement  de  la  vie  intérieure  ;  il 
continue  d'agir  pour  son  développement  ultérieur,  comme 
penchant  à  connaître  et  à  savoir  ;  le  cours  des  idées  est  un 
travail  organique  qui  s'accomplit  pendant  le  sommeil ,  en 
l'absence  de  la  volonté,  aussi  bien  que  durant  la  veille ,  et 
dans  la  pensée  la  volonté  peut  bien  diriger  le  gouvernail  ou 
tendre  la  voile ,  mais  la  traversée  se  fait  aussi  sans  elle ,  et 
même  souvent  a  un  tout  autre  but  que  celui  qui  avait  été  choisi. 
De  même,  dans  les  actions  extérieures  involontaires,  le  moyen 
qui  les  exécute  reste  soustrait  à  la  conscience  et  à  la  volonté  ; 
derrière  des  actes  qui  reposent  sur  les  combinaisons  les  plus 
ingénieuses  se  trouve  le  but ,  qui  est  d'accroître  le  sentiment 
de  la  vie ,  et  l'accomplissement  de  la  pensée  demeure  auto- 
matique ,  puisque  ni  les  muscles  qui  opèrent  le  mouvement , 
ni  les  nerfs  qui  le  provoquent ,  n'arrivent  à  l'intuition  ;  si  l'on 
prend  de  la  nourriture  avec  conscience  et  choix ,  le  canal 
intestinal ,  qui  doit  continuer  et  compléter  l'opération  ainsi 
commencée ,  travaille  dans  l'ombre ,  et  l'activité  sans  con- 
science qui  est  partie  des  lèvres ,  se  maintient  dans  le  mou- 
vement péristaltique  du  tube  digestif  et  l'absorption  de  ses 
vaisseaux. 

9°  Involontairement ,  et  poussée  par  la  seule  force  qui  lui 
est  primitivement  inhérente  ,  l'âme  s'élève  d'elle-même  à  son 
point  culminant  ;  mais,  une  fois  qu'elle  a  acquis  la  conscience 
de  cette  part  d'infini  qui  fait  sa  propre  et  véritable  essence , 
elle  est  arrivée  à  la  liberté ,  à  la  faculté  de  se  déterminer  par 
elle-même,  faculté  dont  le  prototype  ou  le  rudiment  existe 
dans  l'aptitude  de  l'organisme  à  se  maintenir  lui-même.  Le 
ton  fondamental  a  été  donné  primordialement  à  la  vie  indivi- 
duelle par  une  puissance  supérieure  (§  644,  1°),  de  sorte  que 
l'âme  paraît  sous  une  forme  déterminée  et  avec  un  mode 


ORGANISME  DU  TEMPS.  bOI 

particulier  tant  dans  la  direction  que  dans  la  mesure  de  ses 
forces.  Quand  elle  a  la  conscience  de  cette  spécialité ,  qui  fait 
antagonisme  à  Tuniversalité ,  c'est  à  la  volonté  raisonnée  qu'il 
appartient  de  rallier  son  individualité  à  l'organisme  du  tout , 
et  à  la  compléter  ainsi. 

CHAPITRE  II, 

De  la  relation  des  âges  de  la  vie. 

§  647.  Le  caractère  de  l'organisme ,  sous  le  point  de  vue  de 
la  relation,  est  l'unité  du  multiple,  et  l'organisme  du  temps 
nous  en  offre  l'expression  dans  la  relation  des  âges  de  la  vie 
les  uns  avec  les  autres. 

1°  Le  côté  idéal  de  la  vie  individuelle  se  trouve  dans  l'idée 
de  son  espèce,  c'est-à-dire  dans  la  réunion  des  forces  qui 
appartiennent  essentiellement  à  l'espèce  ,  d'après  le  rang 
qu'elle  occupe  dans  l'organisme  du  monde  ;  mais  l'idéal  ne 
peut  se  phénomaliser  que  sous  la  forme  finie  du  temps ,  et  la 
pensée  de  la  vie  est  trop  riche  de  contenu  pour  pouvoir  être 
épuisée  en  une  seule  période  :  si  l'individu  pouvait  réaliser  en 
un  moment  son  prototype  ,  l'idée  de  son  espèce  ,  son  but 
serait  atteint  au  même  instant ,  de  manière  qu'étant  alors  sem- 
blable à  son  idée ,  c'est-à-dire  idéal ,  il  n'aurait  pas  de  durée 
comme  chose  finie.  L'idéal  de  la  vie  ne  peut  se  réaliser  que 
dans  la  succession  de  temps  différens ,  parce  que,  à  chaque 
moment,  il  manifeste  une  autre  de  ses  faces ,  et  le  cours  de  la 
vie  est  une  succession  de  momens  entre  lesquels  se  répartit 
l'idée  totale  de  la  vie.  Chaque  moment  est  une  chose  finie , 
dans  laquelle  ne  peut  non  plus  se  révéler  qu'un  côté  fini  de  la 
vie  ,  et  chaque  âge  n'est  ainsi  qu'une  forme  particulière  de  la 
vie,  qui,  par  une  combinaison  spéciale  des  forces  ,  apparaît 
sous  un  certain  mode  et  dans  une  certaine  direction.  Comme 
les  organes  se  relaient  pour  accomphr  une  fonction  ,  pour 
réaliser  une  idée  commune  ,  comme  ,  par  exemple ,  dans  la 
génération,  l'ovaire  opère  la  fécondation,  l'utérus  lagestation, 
et  la  glande  mammaire  l'allaitement ,  de  même  aussi  l'idée  de 
la  vie  se  développe  durant  les  divers  âges. 

'%"  Le  partiel  porte  les  caractères  du  tout  (§  475,  11°),. 


502  ORGANISME  DU  TEMPS. 

Chaque  âge  de  la  vie  est  donc  un  cycle  de  directions  diverses, 
et  chaque  jour,  chaque  année ,  oITre  dans  son  cycle  une  image 
de  la  vie  entière. 

3°  La  partie  ne  repose  que  sur  le  tout.  De  même  que  les 
spécialités,  en  proie  à  une  métamorphose  continuelle,  sont 
déterminées  à  chaque  instant  par  l'idée  qui  leur  sert  de  base, 
ainsi  la  vie,  au  milieu  de  toutes  les  variations  des  phénomènes, 
demeure  toujours  un  même  être ,  seulement  sous  la  forme  du 
temps.  De  celte  manière,  aucun  âfje  n'exprime  complètement 
Tessence ,  mais  chacun  a  sa  signification  particulière  et  sa 
part  spéciale  de  la  vie  en  général  :  la  vie  n'est  ni  là  ni  ici , 
mais  dans  tout  Torganisme;  elle  n'est  non  plus  ni  aujour- 
d'hui, ni  demain,  mais  dans  son  cours  entier.  Nous  devons 
donc  reconnaître  que  chaque  âge  a  sa  valeur  intrinsèque  , 
comprendre  que  chacun  a  des  particularités  qui  lui  sont  pro- 
pres, et  renoncer  à  l'idée  fausse  que  l'âge  adulte  soit  la  vie 
dans  toute  la  plénitude  de  son  développement  :  le  Papillon 
n'est  pas  l'Insecte  ,  mais  seulement  une  partie  temporaire  de 
l'animal  entier,  qui  n'exprime  son  essence  et  sa  nature  que 
par  les  quatre  degrés  de  son  existence  pris  collectivement. 
L'âge  adulte  a  beau  briller  de  tout  l'éclat  d'une  force  virile 
qui  se  déploie  largement  au  dehors,  il  n'en  est  pas  moins 
trop  pauvre  pour  épuiser  la  vie  entière;  car  plus  d'une  fleur 
est  déjà  tombée,  plus  d'un  soufïîe  vivant  est  éteint,  plus  d'une 
nuance  délicate  s'est  effacée  ,  plus  d'un  fruit  n'est  point  en- 
core arrivé  à  maturité,  plus  d'une  force  n'a  point  encore  acquis 
son  plein  développement:  agir  dans  l'intérêt  de  l'espèce  est 
sa  prérogative  particulière  ;  mais  l'enfant  et  le  vieillard  ne 
sont  pas  non  plus  indifférens  à  l'espèce  :  ils  lui  servent  de 
modèles,  et  sont  le  lien  destiné  à  réunir  les  forces  qui  tendent 
à  s'écarter  les  unes  des  autres.  Agir  dans  l'intérêt  de  l'espèce 
ne  peut  donc  point  être  l'unique  but  de  la  vie. 

Nousvoyims,  chez  l'embryon ,  la  force  créatrice  portée  à 
une  hauteur  qu'elle  ne  pourra  plus  désormais  atteindre,  et 
l'enfant  à  la  mamelle  nous  olïre  un  développement  int«-llectuel 
qui ,  mis  en  regard  de  celui  qu'on  observe  chez  l'adidte,  rap- 
pelle l'humble  reptation  du  Limaçon  comparée  au  vol  hardi 
de  l'Aigle.  Mais  l'enlance  représente  la  possibiliié  d'une  dé- 


,      ORGANISME  DU  TEMPS.  5o5 

veloppement  dont  on  ne  saurait  calculer  le  terme;  elle  est, 
pour  employer  l'expression  de  Schiller ,  raciualisation  de 
l'idéal  ,  non  de  l'idéal  accompli ,  mais  de  l'idéal  en  problème, 
et  loin  que  ce  soit  l'iclée  de  sa  faiblesse  et  de  son  insuffisance 
qui  nous  touche,  c'est  au  contraire  celle  de  la  pureté  et 
de  la  liberté  de  ses  forces,  celle  de  son  intégrité  ,  celle  de 
l'infini  déroulé  devant  elle.  Tels  sont  les  motifs  qui  font 
qu'aux  yeux  d'un  homme  doué  de  moralité  et  de  senti- 
ment; l'enfant  est  un  objet  sacré,  c'est-à-dire  un  objet  devant 
la  sublimité  de  l'idée  duquel  toute  grandeur  expérimentale 
se  trouve  réduite  à  rien.  L'enfant,  sur  lequel  les  passions  n'ont 
point  encore  étendu  leur  souffle  empesté ,  et  qui  n'est  pas 
encore  courbé  sous  les  chaînes  de  la  vie  civile  ,  vit  en  harmo- 
nie parfaite  avec  la  nature ,  car  ce  que  la  force  infinie  a  créé 
en  lui  n'est  point  encore  interrompu  par  l'arbitraire,  et  c'est 
précisément  parce  que  cette  forme  s'exprime  chez  lui  dans 
toute  sa  pureté ,  parce  qu'il  ne  nous  présente  rien  d'arbitraire, 
rien  d'isolé,  rien  d'incoliérent,  que  nous  le  contemplons, 
comme  dit  Schiller,  avec  un  intérêt  tout  particulier,  même 
avec  tristesse  et  avec  une  sorte  d'envie  ,  car  partout  un  ar- 
dent désir  de  retourner  à  la  nature  s'éveille  dans  lame  de 
l'homme  parvenu  à  sa  maturité.  La  nature  a  réuni  dans  le 
sein  maternel  tout  ce  dont  l'enfant  a  besoin,  nourriture, 
chaleur  et  amour.  Elle  le  prend  de  toutes  les  manières  sous 
son  égide  ,  et  semble  charjjer  un  génie  de  veiller  sur  chacun 
de  ses  pas  :  l'animal  lui-même  se  mon  re  doux  envers  ses 
enfans,  et  leur  permet  bien  des  choses  qu'il  ne  tolérerait  pas 
d'un  adulte.  C'est  un  grand  aveuglement  q?ie  c  lui  de  consi- 
dérer les  formes  conventionnelles  de  l'état  f  ivil  comme  une 
chose  essentielle ,  et  de  reléguer  dédaigneusement  les  occu-' 
paiions  de  l'enfance  parmi  les  futilités;  l'enfant  aime  sans 
doute  les  gâteaux ,  mais  il  ne  se  dégoûte  pas  si  aisément  des 
doux  fruits  de  l'arbre,  et,  après  s'être  amusé  quelque  temps 
de  galons  et  de  rubans  ,  il  retourne  bientôt  an  jeu  qui  offre 
à  son  imagination  une  image  de  la  nature  vivante ,  tandis  que 
ces  imporlans  travaux  de  la  vie  commune  auxquels  l'adulte 
use  ses  forces  n'ont  au  fond  d'autre  but  que  de  substituer 
du  gâteau  au  pain  et  l'habit  chamaré  de  galons  et  de  rubans 


5o4  ORGANISME  BU  TEMPS. 

à  un  vêtement  chaud.  L'enfant  ne  vit  pas  pour  le  dehors,  mais 
pour  lui-même  ;  il  ne  cherche  point  à  briller ,  et  quand  il  dé- 
ploie ses  forces ,  ce  n'est  pas  pour  courir  après  des  fantômes, 
mais  pour  les  exercer  en  toute  liberté  dans  des  jeux  at- 
trayans. 

Quant  à  la  vieillesse,  elle  doit  sans  doute  paraître  déplo- 
rable à  celui  qui  n'aime  que  les  jouissances  physiques  et  n'ap- 
précie !e  bonheur  de  la  vie  que  d'après  la  quantité  d'aUmens 
dont  l'estomac  peut  opérer  la  digestion  ;  elle  ne  saurait  avoir 
de  valeur  aux  yeux  de  celui  qui  ne  voit  dans  l'homme  qu'une 
bête  de  somme ,  et  qui  n'estime  que  l'âge  auquel  les  épaules 
portent  sans  peine  des  quintaux. 

En  égard  au  plaisir  de  vivre ,  le  passage  à  la  vieillesse  dé- 
plaît à  tous  les  hommes  ;  personne  ne  veut  vieillir,  tandis  que 
l'enfant  désir  d'être  adolescent,  et  que  l'adolescentaspire  à  de- 
venir homme.  Ce  fait  n'établit  cependant  pas  que  la  vieillesse 
soit  un  malheur  ;  car  ce  qui  prouve  combien  peu  les  vœux  des 
autres  âges  sont  fondés ,  c'est  qu'il  arrive  souvent  à  l'adoles- 
cent de  regretter  les  temps  où  il  ne  connaissait  point  de  sou- 
cis ,  et  à  l'adulte  la  riche  et  féconde  imagination  de  sa  jeu- 
nesse. Sans  doute  il  est  pénible  de  renoncer  à  l'influence  et 
aux  jouissances  dont  on  avait  contracté  l'habitude,  et  il  faut 
de  la  résignation  pour  se  ployer  à  Ja  vie  moins  en  relief  qui 
est  le  lot  de;la  vieillesse.  Cependant  l'âge  avancé  n'est  pas 
non  plus  dépourvu  de  prérogatives,  et  les  regrets  qu'il  inspire 
annoncent  seulement  l'oscillation  de  l'état  de  la  vie  lors  du 
passage  à  une  nouvelle  période  (  §  644,  1°  ).  Les  plus  doux 
momens  de  noire  vie  sont  ceux  où  nous  arrivons  au  terme 
d'une  entreprise  quelconque,  d'une  carrière  déterminée;  à 
la  peine  que  nous  avons  éprouvée  succèdent  le  sentiment  de 
•'à  force  dont  nous  avons  fait  preuve  et  la  conscience  des  ob- 
stacles dont  nous  avons  triomphé  ;  l'intuition  du  but  atteint 
apaise  les  désirs  et  procure  les  jouissances  du  repos.  Si  déjà 
les  dernières  heures  de  chaque  jour,  la  dernière  soirée  de 
chaque  semaine  procurent  de  telles  joies,  en  nous  offrant  l'i- 
mage d'une  course  terminée  ,  le  grand  âge  doit  avoir  le  même 
effet  à  un  plus  haut  degré  encore.  Le  vieillard,  délivré  de 
l'aiguillon  des  passions  et  des  vains  désirs ,  instruit  par  l'ex- 


ORGANISME  DU  TEMPS.  5o5 

périence  de  la  valeur  des  biens ,  sachant  mieux  en  quoi  con- 
siste le  vrai  bonheur ,  et  placé  assez  haut  pour  plonger  un 
long  regard  sur  le  cours  '  entier  de  la  vie ,  trouver  la  paix 
intérieure  dans  la  conscience  de  ce  qu'il  a  vu  et  acquis,  de  ce 
qu'il  a  goûté  et  fait  :  assis  à  l'ombre  de  l'arbre  planté  par  lui, 
il  jouit  des  fruits  parvenus  à  maturité,  et  il  ne  voudrait  pas  les 
échanger  contre  les  fleurs   qui  ont  précédé. 

A  l'égard  de  la  relation  des  forces  de  cet  âge ,  nous  l'avons 
déjà  examinée  précédemment  (§  585),  et  nous  aurons  bientôt 
occasion  de  l'apprécier  encore  (  §  651  ). 

4°  Les  divers  âges,  par  cela  même  qu'ils  représentent  des 
côtés  différens  de  la  vie ,  se  compiètent  les  uns  les  autres ,  ils 
s'excitent  réciproquement,  et  chacun  d'eux  restreint  ce  que 
les  autres  auraient  de  trop  exclusif ,  en  sorte  que  l'harmonie 
de  tous  fait  ressortir  l'entière  signification  de  la  vie.  C'est 
ainsi  que  la  famille  mène  àim  développement  plus  parfait,  à 
une  jouissance  plus  complète  de  la  vie. 

5°  Les  différentes  directions  du  temps  se  rencontrent  et  se 
croisent  dans  la  vie ,  parce  que  celle-ci  repose  sur  un  idéal 
non  soumis  à  la  forme  du  temps  :  un  âge  est  contenu  dans  un 
autre ,  l'esprit  de  l'avenir  souffle  dans  le  présent,  et  l'écho  du 
passé  y  fait  entendre  sa  voix.  La  pensée  précède  son  accom- 
plissement, et  de  cette  manière  tout  ce  qui  se  développe  pen- 
dant le  cours  de  la  vie ,  y  assistait  déjà  dans  l'origine ,  mais 
en  idée  seulement  et  en  germe.  Tandis  que  l'activité  plastique 
satisfait  au  présent ,  elle  prépare  un  âge  futur  ;  elle  crée  des 
organes  qui  n'ont  pas  de  but  pour  le  moment  actuel ,  et  dont 
la  fonction  n'entrera  en  exercice  qu'à  des  époques  plus  ou 
moins  éloignées  (  §  474,  6"  ).  Ces  parties,  maintenant  oisives, 
sont  pour  ainsi  dire  l'expression  matérielle  d'un  pressenti- 
mens  de  1  avenir-,  en  réalisant  ses  créations,  la  force  plas- 
tique rêve  d'un  temps  futur  dont  l'esprit  s'anime.  Chaque 
instinct  repose  sur  le  pressentiment  d'un  état  futur  de  la  vie, 
et  n'est  par  conséquent  qu'une  traduction  intellectuelle  de  la 
tendance  à  un  développement  progressif.  Aussi  se  mani- 
feste-t-il  indépendamment  de  toute  expérience  acquise ,  sans 
réflexion  ,  sans  choix  ;  il  s'éveille  même  avant  que  la  force 
qui  doit  l'accomplir  soit  développée ,  de  manière  que  l'image 


5o6  ORGANISME  DtJ  TEMPS. 

de  la  destination  future  s'annonce  déjà  par  des  traits  particu- 
liers (§  583,  4"  ),  Mais  le  fil  produit  de  bonne  heure  se  pro- 
longe au  milieu  du  tissu  bigarré  du  temps  ,  et  à  travers  l'é- 
clat dominant  du  présent  on  voit  percer  le  reflet  du  passé; 
ce  qui  vivait  autrefois  en  nous  contmue  d'agir  dune  manière 
insensible,  ou  se  révèle  par  des  résonnances  tardives;  c'est 
par  un  ressouvenir  de  son  ancienne  énergie  que  la  plasticité 
fait  germer  de  nouvelles  dents  dans  les  mâchoires  nues  du 
vieillard,  ou  végéter  de  nouveaux  cheveux  sur  son  front  dé- 
pouillé ,  et  tandis  que  la  mémoire  refuse  de  conserver  la  trace 
du  passé  immédiat,  elle  reproduit  fidèlement  à  Tâme  les  sou- 
venir pleins  de  fraîcheur  de  la  première  jeunesse  (  §  591  ). 

6°  Un  âge  se  développe  de  l'autre  à  des  époques  détermi- 
nées et  par  une  progression  graduelle.  Plus  l'organisme  est 
simple  et  inférieur,  plus  il  parcourt  son  développement  avec 
rapidité  ,  et  plus  tôt  aussi  il  arrive  au  but.  De  même  que  , 
chez  les  Zoophytes,  le  mouvement  animal  et  libre  se  manifeste 
déjà  dans  les  spores,  maiss'éreint  à  l'apparition  d'une  forme 
organique  déterminée  (§  471,  6"),  de  même  la  vie  morale 
des  animaux  supérieurs,  comparée  à  celle  de  l'homme,  est 
un  avortement  et  une  sorte  de  course  précipitée  qui  fait  bien- 
tôt rencontrer  les  limites  :  l'homme  reste  long-temps  en  ar- 
rière des  animaux  de  son  âge,  mais  il  les  laisse  ensuite  bien 
loin  derrière  lui  ;  la  marche  plus  lente  et  plus  laborieuse  de 
son  développement  dépend  de  ce  que  sa  vie  a  plus  de  pro- 
fondeur, et  lui  permet  d'arriver  à  une  connaissance  pleine  et 
entière  ,  de  sorte  qu'il  s'élève  par  réflexion  à  l'intuition  de 
soi-même  et  à  l'universalité. 

7"  Comm«  la  vitaUté  croît  et  baisse  alternativement  dans  la 
succession  des  jours  (§  621,  1°)  et  des  années  (§  628  ,  9°),  de 
même  la  vie  offre  partout  des  muiaùons  d^ns  son  cours  ; 
comme  la  première  période  est  toujours  la  plus  significative  , 
de  même  les  périodes  imp:ii]'es  qui  lui  correspondent'  sont 
généralement  plus  riches ,  et  accompagnées  de  changemens 
plus  considérables  ;  l'accroissement  de  l'embryon  par.iît  mar- 
cher plus  vite  pendant  les  mois  impairs  ,  et  celui  de  l'enfant 
durant  les  années  impaires.  Cependant  la  vie  humaine  est 
trop  sous  la  dépendance  du  type  tellurique  pour  que  cette 


ORGANISME  DU  TEMPS.  D07 

relation  soit  susceptible  d'un  application  fjénérale ,  et  si 
Waierhonse  prétend  avoir  remarqué  que  les  forces  dimi- 
nuent de  quarante-trois  ans  à  cinquante ,  pour  augmenter 
après  la  cinquantaine ,  et  baisser  de  nouveau  vers  1  âge  de 
soixante-et-un  ou  de  soixante-deux  ans ,  cette  espèce  de  nu- 
lation  est  évidente,  à  la  vérité,  d  une  manière  générale  ,  mais 
elle  ne  se  rattache  point  partout  à  des  années  déterminées. 

CHAPITRE  m. 

De  la  qualité  des  âges  de  la  vie. 

ATITICLE     I. 

Des  parlîcuîarités  qui  distinguent  les  âges  de  la  uie, 

§  648.  Sous  le  point  de  vue  de  la  qualité  ,  l'organisme  se 
montre  composé  de  parties  diverses,  dans  lesquelles  son  ca- 
ractère général  apparaît  avec  des  modifications  spéciales. 
Les  diflërens  âges  sont ,  à  ce  titre  ,  des  parties  du  cours  de 
la  vie. 

1"  Chaque  âge  a  son  type  ,  et  l'individu  ne  résout  son  pro- 
blème que  quand,  à  chaque  époque,  il  est  devenu  précisément 
ce  qu'il  doit  être  alors.  S'il  survient  des  monstruosités  lorsque 
la  formation  s'arrête  à  quelt|U'un  des  degrés  inférieurs  qu'elle 
parcourt,  des  défectuosités  intellectuelles  ont  lieu  lorsque  ce 
qui  devrait  n'être  qu'un  point  de  transition  de  la  vie  morale 
devient  un  état  permanent,  et  quand  ce  qui  est  destiné  à  pas- 
ser avec  le  temps,  acquiert  assez  de  prépondérance  pour  im- 
primer sa  direction  à  la  vie  entière.  C'est  ce  qui  arrive  par 
exemple  lorsque  !e  sommeil  de  rembryon  persiste  après  la 
naissance  et  produit  la  stupidité,  que  le  goût  du  plaisir,  do- 
minant pendant  la  première  enfance,  persévère  pendant  la  se- 
conde et  lui  communique  le  caractère  de  l'étourderie ,  que 
l'aciiia'iié  du  moi,  si  puissante  chez  l'enfant,  se  prolonge  chez 
l'adolescent,  où  elie  devient  égoïsme,  que  la  manière  de  sen- 
tir propre  à  l'adolescence  prédomine  encore  chez  l'hommô 
fait,  qu'elle  conduit  au  défaut  de  prudence  et  au  fanatisme  , 


5<»8  ORGANISME  DU  TEMPS. 

enlin  que  le  vieillard  veut  continuer  d'agir  et  de  se  comporter 
comme  l'adulte.  Ce  qui  est  en  contradiction  manifeste  avec 
son  époque  et  ne  présente  pas  le  type  de  son  âge,  ne  saurait 
durer.  L'hémicéphale  meurt  bientôt  après  sa  naissance,  quand 
il  en  est  venu  au  point  où  la  vie  animale  doit  se  développer  (1); 
cependant  il  végétait  avec  vigueur  dans  la  matrice  ,  et  l'on 
n'aperçoit  aucune  cause  de  mort  ni  dans  la  conformation  de 
ses  organes  respiratoires,  digestifs ,  circulatoires  et  sécrétoi- 
res,  ni  dans  les  circonstances  qui  l'entourent.  De  même,  la 
mort  due  au  développement  incomplet  des  poumons  survient 
presque  toujours  à  l'âge  où  la  respiration  doit  s'élever  à  son 
point  culminant ,  et  des  filles  qui  manquent  d'ovaires  et  de 
matrice,  ou  chez  lesquelles  ces  organes  sont  imparfaitement 
développés,  mais  dont  toutes  les  fonctions  plastiques  tendant 
à  la  conservation  de  soi-même  sont  dans  un  état  d'intégrité , 
vivent  aussi  long-temps  que  la  nature  n'exige  rien  de  plus 
d'elles,  tandis  qu'elles  tombent  malades  et  meurent  depuis 
l'âge  de  quinze  ans  jusqu'à  celui  de  dix-huit,  à  l'époque  de 
la  nubilité.  Mais  la  vie  ne  peut  pas  durer  non  plus  quand 
elle  a  sauté  par  dessus  l'un  des  degrés  de  son  développement  ; 
elle  se  rabougrit  pour  ainsi  dire  ,  lorsqu'elle  reçoit  le  cachet 
d'un  autre  temps  :  quiconque  n'a  pas  été  enfant  dans  toute  la 
rigueur  du  terme,  n'arrive  point  à  une  complète  virilité,  et  ce- 
lui qui  n'a  pas  agi  comme  homme,  pourra  bien  tomber  dans  la 
débilité  sénile,  mais  ne  deviendra  jamais  un  véritable  vieillard. 
2°  On  ne  reconnaît  pas  plus  de  direction  générale  dans  le 
progrès  du  développement  et  de  l'accroissement,  que  dans  la 
première  formation  (§  457, 1°);  en  outre,  la  direction  paraît 
être  différente  suivant  que  l'on  se  place  sous  tel  ou  tel  point 
de  vue  pour  en  juger.  Souvent  la  partie  extérieure  se  déve- 
loppe plut  tôt  que  l'intérieure  ;  chez  les  Sertulaires,  l'enve- 
loppe calcaire  atteint  le  terme  de  son  développement  avant 
le  Polype  qu'elle  renferme  (2)  ;  chez  les  Coraux,  le  Polype 
placé  à  la  périphérie  s'allonge  le  premier ,  après  quoi  l'axe 
calcaire  se  produit  ;  chez  les  Mollusques,  la  coquille  croît  par 

(4)  Geoffroy  Saint-Hilaire ,  Histoire  des  anomalies  de  l'organisation, 
Paris,  1836,  t.  n,  p.  449. 
(2)  Schweigger,  loe.  cit.,  p.  353. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  609 

Fapplication  de  couches  au  côté  interne  de  celles  qui  exis- 
taient déjà.  Dans  les  boui'geons  des  plantes  et  chez  les  Coraux, 
le  développement  commence  dans  les  parties  les  plus  voisi- 
nes du  tronc  ,  et  s'étend  delà  vers  le  pourtour  ;  mais ,  dans  la 
fronde  du  Fucus  saccharimis  et  dans  le  test  des  Balanes  , 
ainsi  qu'aux  dents,  aux  poiis  et  aux  onj^ies,  la  partie  produite 
la  première,  ou  la  plus  ancienne,  est  repoussée  peu  à  peu  du 
tronc  et  reportée  vers  l'extrémité  ou  vers  le  bord  libre  (1). 
Dans  les  plantes  qui  germent ,  le  développement  se  dirige  du 
milieu  vers  la  radicule  et  lai  plumule,  de  même  que  l'accrois- 
sement des  anneaux  du  corps  ,  chez  les  Néréides,  a  lieu  vers 
le  bout  céphalique  et  le  bout  caudal  ;  mais ,  dans  les  Taenia 
et  les  Naides ,  les  anneaux  situés  du  côté  de  l'extrémité  cau- 
dale acquièrent  des  dimensions  plus  considérables ,  et  l'allon- 
gement s'étend  peu  à  peu  vers  l'extrémité  céphalique.  Dans 
l'embryon  humain,  c'est  la  tête  et  le  ventre  qui  ont  le  plus  de 
volume  ,  tandis  que,  pendant  la  jeunesse  ,  le  développement 
porte  de  préférence  sur  la  poitrine  et  le  bassin.  Si  nous  em- 
brassons la  vie  dans  sa  généralité ,  nous  reconnaissons  que 
partout  l'idéal  précède  certaines  relations  ;  par  exemple,  la  sé- 
paration de  l'être  procréé  et  de  l'être  procréateur  (§  480),  le 
détachement  du  placenta  (§  485,  2),  etc.,  s'expriment  dyna- 
miquement avant  de  se  réaliser  matériellement  ,  et  plus 
d'un  penchant  se  manifeste  dès  avant  l'apparition  des  orga- 
nes qui  lui  sont  destinés  d'une  manière  spéciale;  de  même,  la 
formation  débute  par  les  organes  les  plus  essentiels ,  après 
quoi  seulement  elle  produit  les  parties  accessoires  et  com- 
plémentaires (§  478,  6°).  Mais  la  réalisation  de  la  vie  inté- 
rieure procède  de  dehors  en  dedans  ;  elle  suppose  une  for- 
mation organique  ,  ne  commence  que  quand  celle-ci  est 
parvenue  à  une  certaine  hauteur  (§  646,  1°),  est  encore  im- 
parfaite après  l'achèvement  de  la  forme  totale  (§  514 ,  2°) ,  se 
rapporte  d'abord  aux  sens ,  qui  sont  la  porte  de  communica- 
tion avec  l'extérieur,  et  peu  à  peu  se  concentre  de  plus  en 
plus  à  l'intérieur  (§  646,  4°,  9°). 
3°  Chaque  force  a  son  type  propre  et  son  cours  de  vie  spé- 

(1) /6îd  ,  p.  62. 


5lO  ORGANISME  DU  TEMPS. 

cial  dans  Tintérieur  de  la  vie  générale;  Tune  se  manifeste 
plus  lot,  l'autre  plus  tard  ;  l'une  se  développe  d'une  manière 
plus  rapide,  et  l'autre  avec  plus  de  lenteur;  l'une  dure  plus 
long  -  temps  ,  et  l'autre  s'éteint  de  meilleure  heure;  l'une 
monte  et  baisse  alternativement,  l'autre  ne  fait  que  croître  ou 
décroître;   quelques  unes  sont   simultanées  et  consensuel- 
les, d'autres  successives  et  antagonistes.  Ce  serait  donc  arri- 
ver à  de  fausses  idées  que  de  vouloir  estimer  la  vie  enlière 
d'après  une  seule  échelle.  Quand  il  s'agit  de  mettre  des  far- 
deaux en  mouvement ,  on  peut  regarder  le  milieu  de  la  vie 
comme  la  période  de  la  force  ,  et  les  lemps  rapprochés  du 
commencement  et  delà  fin  comme  des  périodtsde  faiblesse; 
mais  il  n'en  est  plus  de  même  lorsqu'on  veut  considérer  la  vie 
dans  tout  son  ensemble  ;  alors  on  peut  dire  ,  comme  Phili- 
tes  (1)  :  la  vie  est  un  jardin  toujours  couvert  de  feuilles  ,  de 
fleurs  et  de  fruits,  dans  lequel,  pendant  qu'une  plante  meurt 
et  qu'une  autre  germe ,  d'autres  encore  sont  en  pleine  végé- 
tation. 

Les  rapports  varient  beaucoup  chez  les  différentes  es- 
pèces, de  manière  que  le  cours  de  la  vie  n'est  pas  par- 
tout le  même  pour  un  organe  ou  pour  une  fonction.  Chez  les 
Insectes,  qui  sont  le  point  du  règne  animal  où  l'activité  morale 
commence  pour  la  première  fois  à  se  prononcer  d'une  ma- 
nière sensible  ,  les  diverses  l^mctions  sont  réparties  en  des 
périodes  différentes  ;  la  vie  de  la  larve  est  pour  la  nutrition  , 
celle  de  la  chrysalide  pour  la  méîamorphose,  celle  de  l'Insecte 
parfait  pour  le  mouvement  libre  et  la  procréation.  La  durée 
de  ces  diûèrens  étals  varie  ;  tantôt  ils  sont  en  raison  inverse 
les  uns  des  autres,  car  la  plupart  des  Coléop;ères  vivent  qua- 
tre ou  cinq  semaines  à  lélal  imparfait  et  plusieurs  années  à 
l'état  parfait,  tandis  que  les  Ephémères  pissent  trois  ans  dans 
le  premier  et  quelques  heures  seulement  dans  le  dernier  ; 
tantôt  ce  rapport  exprime  le  caractère  parliculier  de  l'orga- 
nisme, comme  chez  les  Abeilles,  où  les  mâles  vivent  une  se- 
maine de  plus  que  les  femelles  à  l'étut  de  larve  ,  et  périssent 

(1)  Encyclopœdischer  JVœerteriucli  der  medicinischen  fVissenschafteîi, 
t.  I,p.  35. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  Oïl 

beaucoup  plus  tôt  qu'elles;  tanlôl  enfin  on  remarque  une 
harmonie  entre  lui  et  le  monde  extérieur,  ce  qui  a  lieu  chez 
les  Papillons  qui  passent  six  mois  à  l'état  de  chiysalide , 
quand  ils  se  transforment  vers  la  fin  de  l'automne,  tandis  que 
cet  état  ne  dure  pas  plus  de  quinze  jours  ou  trois  semaines 
lorsque  la  métamorphose  a  lieu  pendant  l'été. 

On  a  établi  en  règ[le  générale  que  les  Mammifères  viennent 
au  monde  avec  tous  leurs  organes,  et  qu'ils  n'acquièrent  plus 
rien  après  la  naissance;  ceux  qui  ont  la  îéte  armée  de  bois 
ou  de  cornes  font  exception.  Si  nous  disons  que  la  formation 
des  b(»is  et  des  cornes  exige  plus  de  force,  et  par  conséquent 
aussi  plus  de  temps ,  nous  ne  faisons  qu'exprimer  le  phéno- 
mène, sans  Texpli  |uer,  car  on  ne  peut  pas  démontrer  pour- 
quoi la  force  plastique  devrait  ne  pas  être  assez  puissante 
avant  la  naissance.  Mais  les  causes  et  les  effots  s'enchaînent 
dans  la  vie,  et  l'inévitable  est  en  même  temps  indispensable  ; 
or  le  caractère  de  l'indispensable  est  souvent  plus  clair  que 
celui  de  l'inévitable  ,  et  pour  tel  phénomène  dont  nous  ne 
pouvons  apprécier  la  cause,  nous  sommes  obligé  de  le  consi- 
dérer sous  le  point  de  vue  téléologique ,  si  nous  voulons  le 
rendre  accessible  à  notre  intellgence  ;  de  cette  manière  nous 
parvenons  à  concevoir  la  production  tardive  des  cornes  et 
des  bois,. parce  qu'ils  rendraient  le  part  impossible  ,  et  si  le 
nouveau-né  acquiert  plus  tard  des  armes,  c'est  que,  n'étant 
plus  protégé  par  sa  mère ,  il  a  besoin  de  pouvoir  se  défendre 
lui-même. 

4°  Forcés  de  nous  borner  ici  à  quelques  circonstances  des 
âges  de  la  vie  humaine,  nous  reconnaissons  d'abord  qu'il  y  a 
une  différence  dans  la  proportion  d'accruissenient  des  divers 
<)rganes  et  des  diverses  forces.  La  proportion  approximative 
du  nouveau-né  à  l'adulte,  sous  le  rapport  de  la  largeur  ,  est 
de  1 :  1,70  pour  la  tête,  1  :  3,15  pour  les  épaules,  1  :  3,80 
pour  les  hanches ,  1  :  1,50  pour  le  cerveau  ,  1  :  2,00  pour 
les  reins  et  la  matrice,  1 :  2,25  pour  les  ovaires,  1 :  2,28  pour 
le  cervelet,  1  :  2,75  pour  le  foie,  1  :  4,50  pour  la  rate  ;  sous 
le  rapport  de  la  longueur,  de  1  :  3,40  pour  le  corps  entier  , 
1  :  1,61  pour  la  tête,  1  -.  2,70  pour  le  tronc  et  en  particulier 
le  ventre,  i  :  3,36  pour  la  poitrine  et  les  bras,  i  :  3,66  pour 


5l2  ORGANISME  DU  TEMPS. 

le  COU,  d  :  4,60  pour  les  membres  inférieurs,  1  :  d,33  pour 
le  cerveau,  1  :  1,41  pour  la  matrice,  1  :  2,20  pour  rintestin 
grêle,  1  :  2,40  pour  les  reins  ,  1  :  3,00  pour  le   pancréas  , 
1  :  3,20  pour  la  rate  ,  1  :  3,66  pour  le  cœur,  1  :  375  pour 
le  gros  intestin  et  l'oviducte  ;  sous  le  rapport  du  poids ,  de 
1  :  20  pour  le  corps  entier,  1  :  2  pour  le  cerveau  ,1:5  pour 
le  cervelet  et  la  parotide  ,1.7  pour  le  rein  ,1:9  pour  le 
foie,  1  :  13  pour  le  pancréas  et  le  cœur,  1  :  16  pour  le  crâne, 
1  :  19  pour  les  poumons,  1  :  21  pour  la  rate.  C'est  donc  la 
tête,  notamment  la  cavité  crânienne  ,  qui  croît  le  moins  ,  et 
après  elle  le  ventre  ;  la  poitrine ,  avec  les  membres  supé- 
rieurs ,  croît  davantage ,  le  cou  plus  encore  ,  enfin  le  bassin, 
avec  les  membres  inférieurs ,  plus  que  toute  autre  partie. 
Tandis  que  la  vie  animale ,  spécialement  sa  direction  vers  le 
dedans  ,  se  développe  infiniment  plus  que  la  vie  plastique  , 
après  la  naissance ,  la  masse  de  ses  organes  augmente  infiniment 
moins  que  celle  des  organes  plastiques  et  irritables.  La  tête 
croît  moins  que  le  tronc  et  les  membres,  le  crâne  moins  que  la 
face ,  le  cerveau  moins  que  le  cervelet  ^  l'œil  et  l'oreille 
moins  que  les  cavités  de  la  bouche  et  du  nez  ,  les  nerfs  moins 
que  les  muscles  et  les  os.  C'est  la  rate  qui  s'accroît  le  plus; 
après  elle  viennent  les  poumons  et  le  gros  intestin.  Le  cœur, 
les  reins  et  les  trompes  deFallope  croissent  plus  en  longueur 
qu'en  largeur  ;  le  cerveau ,  la  rate  et  la  mairice,  plus  en  lar- 
geur qu'en  longueur.  Tous  les  organes  augmentent  bien  plus 
en  pesanteur  qu'en  volume.  La  pesanteur  proportionnelle  à 
celle  du  corps  entier  augmente  moins  dans  le  cerveau  que 
dans  tout  autre  organe,  puis  dans  les  reins,  le  foie  et  le  cœur; 
elle  croît  beaucoup,  au  contraire,  dans  la  rate. 

5°  Quant  aux  époques  du  développement ,  les  organes  de 
la  vie  intérieure  sont  ceux  qui  atteignent  le  plus  tôt  au  der- 
nier terme  de  leur  accroissement  ;  l'oreille  interne  croît  peu 
ou  point  après  la  naissance ,  le  cerveau  est  complètement 
développé  à  sept  ans,  et  l'œil  ne  tarde  pas  non  plus  à  cesser  de 
s'accroître.  Ici  donc  le  matériel  acquiert  le  terme  du  dévelop- 
pement bien  avant  la  fonction.  Dans  la  vie  intérieure,  le  con- 
traire a  lieu,  et  ce  sont  les  facultés  inférieures  qui  se  perfec- 
tionnent avant  les  supérieures  ;  c'est  chez  l'enfant  que  la 


ORGANISME    DU  TEMPS,  5l3 

mémoire  a  le  plus  de  puissance  ,  et  chez  l'adolescent  que  l'i- 
magination  déploie  le  plus  d'activité. 

6°  Ce  qu'il  y  a  de  plus  manifeste,  c'est  que  les  forces  crois- 
sent d'abord  et  baissent  ensuite  ,  de  sorte  qu'on  a  considéré  , 
quoique  à  tort,  ce  phénomène  comme  une  condition  générale 
de  la  vie.  L'abaissement  va  parfois  jusqu'à  une  extinction  to- 
tale ;  le  thymus  croît  pendant  quelque  temps  après  la  nais- 
sance, puis  diminue,  et  disparaît  durant  l'adolescence,  tandis 
que  les  dents  et  les  poils  ne  meurent  qu'assez  tard  et  ne  tom- 
bent qu'en  partie  ;  la  faculté  procréatrice  ,  qui  s'était  déve- 
loppée pendant  l'adolescence,  s'éteint  dans  l'âge  avancé.  Les 
autres  organes  augmentent  de  masse  ,  puis  diminuent ,  mais 
sans  disparaître  ,  attendu  qu'ils  se  maintiennent  par  l'effet 
d'un  rajeunissement  intérieur  et  d'une  mutation  de  matériaux; 
la  formation  et  la  dissolution  ne  sont  point  effectivement  sé- 
parées l'une  de  Tautre  en  eux,  mais  simultanées ,  de  manière 
toutefois  que  les  parties  qui  s'étaient  formées  pendant  les 
premiers  temps  disparaissent ,  mais  que  la  réparation  l'em- 
porte sur  la  perte  ;  et,  à  des  époques  subséquentes,  la  forma- 
tion de  nouvelles  parties  continue  tant  que  dure Ja  vie  ,  seu- 
lement elle  n'est  point  proportionnée  aux  pertes  que  fait 
l'organisme.  Du  reste ,  l'accroissement  des  organes  porte  da- 
vantage d'abord  sur  leur  volume,  et  plus  tard  sur  leur  poids, 
tandis  que,  du  moins  dans  les  os,  c'est  le  poids  qui  diminue 
avant  le  volume.  Parmi  les  activités  vitales  qui  baissent  après 
être  parvenues  à  une  certaine  hauteur,  se  rangent  la  faculté 
en  vertu  de  laquelle  l'organisme  se  conserve  lui-même  (§  628, 
6») ,  l'énergie  de  la  respiration  et  de  la  vie  du  sang  , 
la  fréquence  des  inflammations  sthéniques  et  des  fièvres  in- 
flammatoires pures  ;  puis  viennent  la  sécrétion  ,  notamment 
la  perspiration  cutanée,  la  production  de  la  chaleur ,  la  force 
musculaire,  la  perspicacité  des  sens,  la  puissance  de  la  mé- 
moire ,  la  chaleur  de  l'imagination  ,  l'énergie  de  l'intelli- 
gence. 

7"  Mais  nous  trouvons  aussi  des  côtés  de  la  vie  qui  baissent 

continuellemeiit.  La  force  plastique  est  déjà  parvenue  à  son 

point  culminant  pendant  la  vie  embryonnaire  ,  dans  le  cours 

de  laquelle  l'organisation  se  développe  d'un  germe  imper- 

V.  35 


5l4  ORGAMISME    DU   TEMPS. 

cepiible,  chaque  organe  se  dispose  à  la  place  qu'il  doit  OCCU' 
per,  chaque  point  de  la  surface  attire  et  assimile  de  la  sub- 
stance nutritive,  et  les  métamorphoses  les  plus  considérables 
ont  lieu  en  moins  de  temps  que  jamais;  elle  ne  peut  plus  en- 
suite que  fléchir.  Elle  conserve  encore  assez  d'activité  pendant 
l'enfance  et  l'adolescence  ,  puisqu'il  survient  alors  de  nou- 
velles productions  (dents  et  poils),  que  les  organes  augmen- 
tent de  volume  et  de  poids  ,  que  la  régénération  s'accomplit 
d'une  manière  plus  facile  et  plus  complète  qu'aux  époques  sub- 
séquentes ;  mais ,  d'année  en  année  déjà  ,  l'accroissement  se 
ralentit.  Pendant  l'âge  mûr  l'accroissement  s'arrête,  quoique 
le  poids  continue  encore  quelque  temps  d'au{ïmenier  ,  et  il 
ne  se  forme  plus  aucune  partie  nouvelle  :  la  force  plastique 
ne  peut  plus  que  conserver ,  par  la  nutrition ,  ce  qui  avait  été 
créé  à  des  époques  antérieures.  Durant  la  vieillesse,  la  nu- 
trition elle-même  devient  de  plus  en  plus  précaire  ,  et  la  ré- 
génération de  plus  en  plus  incomplète.  Parallèlement  à  la 
force  plastique,  la  mollesse  de  la  substance  organique ,  la 
proportion  des  liquides  et  la  flexibilité  de  la  masse  ne  cessent 
pas  de  diminuer  pendant  tout  le  cours  de  la  vie.  De  même  , 
non  seulement  la  fréquence  du  pouls  diminue  continuellement 
depuis  la  naissance  jusqu'à  la  mort;  mais  encore  la  carrière 
que  le  sang  parcourt  se  rétrécit  sans  cesse  en  proportion  du 
volume  du  corps  ;  les  vaisseaux  capillaires  ne  se  multiplient 
pas  dans  la  même  proportion  que  l'accroissement  fait  des  pro- 
grès, de  sorte  que,  dès  la  fin  déjà  de  l'enfance,  ils  ne  sont  plus 
aussi  nombreux ,  surtout  au  périoste  ,  à  la  dure-mère  ,  au 
cerveau  et  aux  nerfs  ;  mais  ,  à  mesure  que  le  sujet  avance  en 
âge ,  ils  deviennent  encore  de  plus  en  plus  rares. 

8°  Enfin  il  y  a  aussi  dans  la  vie  quelque  chose  qui  augmente 
toujours  :  c'est  l'indépendance,  dont  l'accroissement  continuel 
s'annonce  par  une  diminution  de  l'impressionabilité.  Ainsi , 
par  exemple,  si  l'on  en  croit  les  tables  demortaUté,  les  spasmes 
deviennent  de  plus  enplusraresà  mesure  que  l'âgefait  des  pro- 
grès ;  de  même,  la  faculté  absorbante  qui,  pendant  la  vie  em- 
bryonnaire, appartenait  spécialement  à  la  peau ,  va  toujours 
en  diminuant  dans  cet  organe  depuis  la  naissance  jusqu'à  la 
vieillesse;  enfin  l'économie  devient  moins  dépendante  du 


ORGANISME    DU   TEMPS.  5l5 

monde  extérieur ,  et  par  exemple  le  besoin  des  alimens  se 
fait  sentir  de  moins  en  moins  fréquemment.  Nous  parlerons 
plus  loin  (§651)  de  la  continuité  des  progrès  sous  le  rapport 
de  la  vie  morale.  , 

ARTICLE    II. 

De  la  proportion  des  âges  de  la  vie. 

§  649.  Avant  d'aborder  le  sujet  qui  doit  être  traité  dans 
cet  article , 

1.  Il  faut  commencer  par  bien  s'entendre  sur  les  prin- 
cipes. 

1°  Après  avoir  passé  en  revue  les  phénomènes  de  la  vie , 
nous  demeurons  convaincus  que  cette  dernière  est  un  orga- 
nisme dans  le  temps  (§  643),  d'où  il  suit  que  des  proportions 
déterminées  doivent  aussi  exister  entre  les  âges.  La  propor- 
tion des  organes  matériels  n'étant  point  un  résultat  du  dehors, 
mais  se  rattachant  à  l'essence  de  l'organisme,  la  même  chose 
doit  avoir  lieu  pour  celle  des  âges.  Ce  n'est  donc  point  dans 
des  circonstances  extérieures ,  mais  dans  une  circonstance 
intérieure  et  inhérente  à  l'organisme ,  qu'il  faut  chercher  la 
cause  de  leur  durée.  Or  nous  avons  vu  que  la  périodicité  de 
la  vie  humaine,  à  l'étude  de  laquelle  seule  nous  devons  nous 
borner  ici,  correspond  plus  à  la  rotation  de  la  terre  sur  son 
axe  qu'à  sa  révolution  autour  du  soleil  (§  594,  7°),  et  qu'il  ne 
survient  pendant  le  cours  de  l'année  que  des  modifications  de 
la  vie  qui  sont  déterminées  par  l'état  de  l'atmosphère  (§  619); 
la  mesure  organique  de  la  vie  humaine  ne  peut  donc  être  con- 
tenue dans  aucune  circonstance  extérieure  de  ce  genre ,  et 
nous  sommes  forcés  de  renoncer  à  l'usage  généralement 
adopté  jusqu'ici  de  compter  les  âges  par  années  solaires.  Nous 
sommes  pi  us  en  droit  de  calculer  par  jours  ,  attendu  que  la 
périodicité  diurne  de  la  vie  est  considérable  et  bien  évidente; 
cependant  on  ne  l'aperçoit  point  dès  le  principe  ,  elle  n'est 
sensible  ni  avant  ni  immédiatement  après  la  naissance,  on  ne 
l'a  admise  que  pour  tout  concilier  avec  les  phénomènes 
du  monde  extérieur,  et  d'ailleurs  elle  ne  peut  être  qu'un  sim- 
ple élément  du  calcul  du  temps.  La  périodicité  bidiaire  ou  tri: 


5l6  ORGANISME    DU  TEMPS. 

diaire  (§  621,  1")  n'est  point  une  véritable  révolution  ,  mais 
seulement  une  nutation  de  la  vie.  La  première  révolution 
complète  propre  à  l'homme ,  qui  soit  déterminée  uniquement 
par  des  circonstances  intérieures,  est  la  quadriseptimanaire 
(§  621,  3°);  comme  elle  est  une  circulation  ,  et  que  par  con- 
séquent elle  implique  un  double  antagonisme  ,  ou  quatre 
principaux  points  tropicaux ,  comme  aussi  ses  quadratures 
montrent  une  révolution  subordonnée  (§  621 ,  2°),  nous  de- 
vons la  considérer  non  comme  une  période  de  Vingt-huit 
jours,  mais  comme  une  période  de  quatre  semaines,  qui  sera 
le  nombre  primaire,  ou  l'unité,  pour  les  périodes  plus  étendues 
de  la  vie  humaine. 

2°  Maintenant  nous  avons  à  chercher  une  période  de  la  vie 
dans  laquelle  la  proportion  du  temps  se  prononce  avec  une 
évidence  telle ,  qu'elle  puisse  servir  de  mesure  certaine  pour 
les  autres.  Or  nous  ne  la  trouvons  qu'au  début  de  la  vie  ;  car 
plus  celle-ci  avance,  et  plus  aussi  les  périodes  deviennent  in- 
déterminées. L'enfance ,  c'est-à-dire  le  laps  de  temps  compris 
entre  la  naissance  et  la  seconde  dentition ,  dure  sept  années 
pleines  ;  aussi  les  livres  sacrés  des  Étrusques ,  selon  Hippo- 
crate,  Stésias  (1),  et ,  parmi  les  modernes,  Linné  et  Daignan, 
ont-ils  partagé  les  âges  de  la  vie  en  périodes  de  sept  ans. 
Maïs,  dès  le  commencement  de  l'âge  adulte,  la  périodicité  sep- 
tennale devient  moins  prononcée  ,  et  ceux  qui  ont  voulu  la 
conduire  jusqu'à  la  vieillesse  n'ont  pu  le  faire  qu'au  moyen 
d'interprétations  forcées.  Les  législateurs  ont  reconnu  aussi 
l'insuffisance  de>  ce  mode  de  calcul  ;  tandis  que  les  individus 
ont  été  appelés  enfans  {infantes)  depuis  la  naissance  jusqu'à 
la  fin  de  la  septième  année ,  et  impubères  (impubères)  depuis 
ce  dernier  terme  jusqu'à  la  fin  delà  quatorzième  année  ,  les 
limites  de  la  minorité  ont  beaucoup  varié;  car,  par  exemple, 
la^majorité  est  fixée  à  vingt-six  ans  par  les  lois  romaines ,  à 
vingt-quatre  ans  accomplis  par  leCode  prussien,  à  vingt-et- 
un  ans  accomplis  par  le  Code  français. 

D'ailleurs,  en  adoptant  ce  mode  de  calcul,  on  fait  abstrac- 
tien  de  la  vie  embryonnaire ,  quoique  non  seulement  elle  soit 

(1)  Censorini  Liber  de  die  natali,  p.  65. 


ORGANISME   DU   TEMPS.  Sl^ 

la  première  période  et  la  plus  significative ,  mais  encore  celle 
de  toutes  qui  a  la  durée  la  plus  précise  :  en  effet ,  à  quelque 
point  que  varient  soit  les  époques  du  développement  et  de 
l'extinction  de  la  faculté  procréatrice ,  soit  la  durée  de  la  vie 
sur  terre ,  la  durée  de  la  vie  embryonnaire  est  la  même  dans 
tous  les  climats  et  pour  toutes  les  races  de  l'espèce  humaine(l). 
Cette  durée  doit  donc  être  la  véritable  mesure  où  le  commun 
diviseur  des  âges,  et  c'estce  que  Butte  (2)  etKastner  (3)  ont  re- 
connu les  premiers.  Ces  écrivains  adoptent  d'ailleurs  les  calculs 
ordinaires,  qui  fixent  la  durée  de  la  vie  intra-utérine  à  neuf 
mois.  Mais,  de  l'aveu  presque  unanime  des  accoucheurs  mo- 
dernes, et  d'après  les  observations  que  j'ai  pu  recueillir,  dans 
l'état  parfaitement  normal,  lorsque  la  mère  et  l'enfant  se  por- 
tent bien  ,  et  que  ce  dernier  est  à  terme  ,  elle  est  de  deux 
cent  quatre-vingt  jours  pleins,  ce  qui  ne  s'accorde  point  avec 
nos  mois  solaires,  dont  neuf  ne  comprennent  que  deux  cent 
soixante-treize  à  deux  cent  soixante-seize  jours.  On  ne 
saurait  non  plus  fixer  cette  durée  à  dix  mois  lunaires  ;  car  il 
ne  pourrait  être  question  ici  que  de  la  révolution  synodique  , 
la  seule  qui  ramène  la  lune  à  la  même  position  par  rapport  à 
la  terre  ;  or  dix  mois  lunaires  synodiques  donnent  deux  cent 
quatre-vingt-quinze  jours,  durée  que  la  vie  embryonnaire 
n'acquiert  qu'en  des  cas  fort  rares^et  purement  exceptionnels 
(§  482).  Ajoutons  encore  que  la  plupart  des  naissances  ont  lieu 
à  la  même  époque  du  jour  (§  606 ,  11°) ,  que  par  conséquent 
elles  correspondent  à  la  périodicité  de  la  rotation  de]  la  terre  , 
avec  laquelle  ne  coïncide  point  la  révolution  de  la  lune  (4). 
Enfin,  lorsqu'on  applique  ce  principe  au  calcul  des  autres  âges, 
on  ne  voit  point  de  nombres  entiers  se  rencontrer  avec  des 
époques  déterminées  de  la  vie,  puisque  cent  mois  lunaires  sy- 
nodiques font  plus  de  huit  années.  Nous  pourrions  bien  moins 
encore  admettre  une  relation  avec  les  planètes  ;  car ,  par 
exemple,  Vénus  tourne  autour  du  soleil  une  fois  en  deux  cent 

(1)  Humboldt ,  Reise  in  die  jEquiîioctialgeyenden  ^  t.  II,  p.  199. 

(2)  Die  Biotoviie  des  Menschen ,  oder  die  TVissenschaft  der  Naturein,' 
theilunyen  des  Lehens ,  p.  424. 

(3)  Archiv  fuer  die  gesammte  Natnrlehre  ,  t.  XI ,  p.  41S. 

(4)  L.-R.  Villermé,  De  la  distribution  des  conceptions  et  des  naissance^ 
de  l'homme  (Annales  d'hygiène  publique,  1831 ,  t.  y,  p.  55.) 


5lS  ORGANISME    DU   TEMPS. 

vingt-quatre  jours,  deux  fois  en  quatre  cent  quarante-neuf ,  et 
Mercure  deux  fois  en  deux  cent  soixante-trois  jours,  trois  fois 
en  trois   cent    cinquante-et-un.  Il  ne  nous  reste  donc  plus 
qu'à  retrouver  la  période  générale  de  quatre  semaines  décuplée 
dans  la  vie  embryonnaire  ,  et  à  chercher  la  cause  de  la  décu- 
plation  dans  la  nature  du  nombre  dix.  Cinq  est  le  premier 
nombre  que  donne  la  réunion  des  deux  nombres  fondamen- 
taux, deux  et  trois  (§  621, 1"),  et  de  cette  manière  il  exprime 
quelque  chose  de  complet,  un  tout  unissant  à  l'état  d'équili- 
bre des  parties  composées  elles-mêmes  à  leur  tour.  Aussi 
ne  trouve-t-on  point,  à  proprement  pailer,  ce  nombre  dans  la 
cristallisation  inorganique  ,  et  apparlient-il  spécialement  à  la 
formation  organique. Chez  les  plantes  cryptogames,  c'est  le 
deux  redoublé  qui  prédomine  dans  la  conformation  organique  ; 
le  trois  chez  les  monocotylédones,  et  le  cinq  ,  simple  ou  re- 
doublé, chez  les  dicotylédones,  les  plus  parfaits  des  végétaux. 
Lorsque  le  corps  animal  commence  à  acquérir  une  certaine 
largeur,  et  manifeste  encore  la  forme  fondamentale,  chez  les 
Actinies,  les  Astéries  et  les  Oursins ,  la  division  du  corps  en 
cinq  parties  égales  est  plus  ou  moins  prononcée.  A  un  degré 
plus  élevé  de  la  formation  animale,  le  nombre  cinq  apparaît 
quand  des  parties  différentes  se  réunissent  pour  produire  un 
tout  commun  ou  un  système.  Ladivision  en  cinq  se  trouve, dans 
le  corpsde  l'homme  en  général,  à  la  tête,  au  col,  à  la  poitrine, 
au  ventre  et  aux  membres  ,   dans  les  organes  digestifs,   la 
bouche,  l'œsophage,  l'estomac,  l'intestin  grêle  et  le  gros  in- 
testin,  dans  les  organes  respiratoires  ,  le  nez,  le  larynx,  la 
trachée-artère  ,  les  bronches  et  les  poumons ,  dans  les  orga- 
nes génitaux ,  l'ovaire,  la  trompe ,  la  matrice  ,  le  vagin  et  le 
vestibule  d'une  part,  le  testicule  ,  le  conduit  déférent ,  la  vé- 
sicule séminale,  le  conduit  éjaculateur  et  la  verge,  de  l'autre; 
dans  les  membres ,  le  moignon  (  épaule   et    hanche  ) ,   le 
tronc  (bras  et  cuisse),  la  branche  (avant-bras  et  jambe),  le  plat 
(main  et  pied),  et  le  segment  termin;il  (do-giset  orteils);  et  de 
même  qu'aux  membres  la  scission,  qui  avait  commencé  dans  la 
branche,  s'achève  dans  les  cinq  doigts  destinés  à  agir  ensem- 
ble, pour  embrasser  les  objets ,  de  même  aussi  l'activité  sen- 
sorielle se  réalise  par  cinq  organes  distincts  de  sens  ;  enfin  la 


ORGANISME    DU   TEMPS.  Big 

moelle  épinière  irradie  trente  paires  de  nerfs ,  dont  dix  ap- 
partiennent au  ventre,  dix  aux  parties  inférieure  et  moyenne 
de  la  poitrine,  dix  à  la  partie  supérieure  de  cette  dernière  et 
au  cou.  D'après  ces  analo<]ies,  nous  sommes  fondés  à  dire  que 
la  décuplation  de  la  période  de  quatre  semaines  est  l'achève- 
ment de  ce  qui  tend  à  s'opépêr  pendant  la  période  simple  de 
la  femme ,  le  développement  du  fruit. 

3°  Avant  de  fixer  le  nombre  des  âges  ,  il  faut  admettre  un 
principe  arithmétique ,  mais  un  principe  simple  et  général,  qui 
ressorte  de  la  nature  même  de  l'objet.  Le  temps  apparaît  sous 
trois  formes ,  présent ,  passé  et  futur,  formes  qu'il  imprime  à 
tout  ce  qui  lui  est  soumis,  comme  Tespace^impose  ses  trois  di- 
mensions ;  on  doit  dont  distinguer  ,  dans  tous  ce  qui  est  fini , 
un  commencement ,  un  milieu  et  une  fin.  Quelques  physiolo- 
gistes ,  Virey  entre  autres  (1),  partant  de  ce  principe,  ont  ad- 
mis trois  âges  de  la  vie,  la  jeunesse,  qui  s'étend  depuis  la 
naissance  jusqu'à  la  trentième  année,  le  moyen  âge  et  le  grand 
âge.  Mais  il  est  évident  qu'ici  le  premier  âge  réunit  des  pé- 
riodes tout-à-fait  différentes ,  et  comme,  dans  les  opérations 
compliquées ,  par  exemple  dans  les  maladies ,  on  divise  la 
première  et  la  dernière  période,  de  manière  à  en  obtenir 
cinq,  de  même  on  paraît  être  mieux  fondé  à  admettre  cinq  âges; 
c'est  ce  qu'ont  fait  par  exemple  Varron,  qui  partageait  la  vie 
en  enfance  {pueritia,  de  un  à  quinze  ans) ,  adolescence  {ado- 
lescentia ,  do  quinze  à  trente  ans  ) ,  jeunesse  (juventus ,  de 
trente  à  quarante-cinq  ans  ),  âge  de  retour  {senior  aetas^  de 
quarante-cinq  ans  à  soixante  ) ,  et  vieillesse  (  senectus^  de 
soixante  à  soixante-quinze  ans)  (2),  et  Halle  (3),  qui  admettait 
une  première  enfance,  une  seconde  enfance  ,  l'adolescence  , 
lage  adulte  et  la  vieillesse.  On  peut  encore  pousser  la  division 
plus  loin ,  et  reconnaître,  avec  Hippocrate  ,  sept  âges  qui , 
d'après  Lucîe ,  sont  la  vie  embryonnaire ,  l'enfance ,  la  jeu- 
nesse ,  lâge  adulte,  l'extinction  de  la  faculté  procréatrice, 
l'âge  d'affaiblissement  et  la  vieillesse.  Butte  enfin,  qui  s'est 

(1)  Histoire  naturelle  du  corps  humain  ,  1. 1,  p.  98, 

(2)  Censorini  liber  de  die  vatali  p.  64. 
(8)  met.  des  «c,  médic,  t.  ï,  p.  178. 


520  ORGANISME   DU    TEMPS. 

plus  que  tout  autre  laissé  guider  par  l'idée  d'une  proportion 
organique  du  temps  dans  la  vie ,  a  tenté  de  déterminer  les 
âges  d'après  un  principe  scientifique  :  il  a  établi  en  théorie 
que  le  nombre  trois  donnait,  dans  sa  simplicité ,  les  divisions 
principales  de  la  vie  ou  les  périodes  (jeunesse,  moyen  âge  et 
âge  avancé  ) ,  mais  que  ses  développemens  fournissaient  les 
subdivisions,  savoir  :  2*-)-3^=^  époques  et  3*  =z  9  degrés,  qui 
correspondent  aux  neuf  mois  de  la  vie  embryonnaire  (1). 

Ritter  voulait  qu'on  partageât  la  vie  d'après  le  principe  de 
l'antagonisme  (2)  ;  Malfatti  l'a  divisée  en  évolution  et  involu- 
tion ,  Philites  (3)  en  crément  (incrementum)  et  décrément  [de- 
crementum)^et  de  plus  en  quatre  périodes  de'mutation.  Pytha- 
gore  avait  admis  quatre  âges,  qu'on  comparait  aux  quatre  épo- 
ques du  jour,  aux  quatres  aisons  de  l'année  ,  aux  quatre  élé- 
mens ,  aux  quatre  tempéramens  ;  ainsi ,  par  exemple ,  Linné 
fixait  l'âge  phlegmatique  jusqu'à  quatorze  ans,  le  sanguin,  de- 
puis cette  époque  jusqu'à  trente-cinq  ans,  le  colérique  ou  bi- 
lieux jusqu'à  cinquante-six,  et  le  mélancolique  au-delà. 

Solon  paraît  avoir  eu  présente  à  l'esprit  la  signification  du 
nombre  dix ,  quand  il  a  établi  dix  âges  de  la  vie. 

D'autres  semblent  n'attacher  aucune  importance  au  nombre 
des  âges.  Monde  (4)  en  admet  six ,  savoir  :  la  vie  embryon- 
naire, l'enfance,  la  jeunesse,  l'état  de  plein  et  entier  dévelop- 
pement, l'âge  de^retour  et  la  vieillesse.  Les  livres  sacrés^des 
Etrusques  en  comptaient  douze,  Linné  aussi,  etDaignan  quinze. 

4°  Le  dernier  point  que  nous  ayons  à  examiner  préalable- 
ment est  la  durée  des  âges.  Les  uns  ont  voulu  attribuer  une 
égale  durée  à  tous  les  âges  de  la  vie.  Dans  le  langage  popu- 
laire, en  Allemagne  surtout ,  on  compte  par  périodes  décen- 
nales (  dix  ans,  enfant  ;  vingt  ans ,  jeune  homme  ;  trente  ans  , 
homme  fait  ).  Varron  en  admettait  cinq ,  de  quinze  années 
chacune  ;  Philites,  quatre,  de  dix-huit  ans;  Pythagore,  quatre, 


(1)  Die  Biotomie  des  Menschen ,  p.  424. 

(2)  Dissertatio  de  naturali  organismi  humant  décrémenta  ,  p.  32. 

(3)  Encyclopœdisclies  TVœrterbuch  der  medicinischen  JVissenschafterij 
t.  Il ,  p.  31-34. 

{li)\Aiisfuechrliclies  Handhuch  der  tjerichtlichen  Mcdicin,  t.  II;p.  ^1. 


ORGANISME   DU  TEMPS.  5^1 

de  vingt  ans;  Sclimidt,  trois,  de  vingt-cinq  ans(l);  Virey,  trois, 
de  trente  ans.  Mais  ces  sortes  de  calculs  ne  reposent  sur  aucun 
principe  fixe ,  et  portent  le  cachet  de  l'arbitraire.  D'un  autre 
côté ,  celui  qui  prenait  l'enfance  pour  base  ,  et  divisait  la  vie 
en  périodes  toutes  septennales  (  dix  selon  Solon  ,  douze  sui- 
vant les  livres  sacrés  des  Etrusques ,  quinze  d'après  Daignan), 
était  raide  et  forcé,  puisqu'on  ne  pouvait  assignera  chacune  de 
ces  périodes  un  caractère  particulier  de  développement.  Aussi 
d'autres  écrivains  ont-ils  rendu  la  durée  des  diverses  périodes 
inégale.  Hippocrate  ,  après  deux  périodes  de  sept  années,  en 
admettait  une  troisième  de  quatorze  ans,  puis  une  quatrième 
et  une  cinquième  de  sept,  une  sixième  de  quatorze,  et  une  sep- 
tième de  sept  (2)  ;  Halle  évaluait  la  première  à  sept  ans,  et  les 
suivantes  à  dix  années  ;  Linné  donnait  à  la  première  deux  fois 
sept  années ,  à  la  seconde  et  à  la  troisième  trois  fois  sept ,  en- 
fin à  la  quatrième  un  nombre  indéterminé.  Butte  se  fondait 
sur  un  principe  purement  théorique ,  sur  l'idée  que  la  vie  est 
partageable  en  trois  d'après  son  essence,  que  son  dévelop- 
pement ,  considéré  comme  un  accroissement  de  puissance , 
contient  o^z=9  degrés ,  et  que  chaque  degré ,  image  du  tout , 
renferme  3^r=9  années ,  lesquelles  répèlent  à  leur  tour  les 
neuf  mois  solaires  de  la  vie  embryonnaire  :  quant  à  la  répar- 
tition de  ces  degrés  entre  les  trois  âges  de  la  vie,  il  en  assigne 
deux  au  premier,  cinq  au  second  (de  dix-huit  à  soixante-trois 
ans) ,  et  deux  au  troisième;  son  motif  pour  agir  ainsi  était 
que  la  première  et  la  troisième  période ,  qui  sont  des  périodes 
de  faiblesse,  doivent  avoir  une  égale  durée,  et  que  la  seconde 
période ,  celle  de  la  force  ,  doit  en  avoir  une  plus  longue , 
parce  qu'à  tout  point  culminant  il  s'établit  un  temps  de  re- 
pos (3).  Mais  les  vues  que  nous  avons  émises  à  l'égard  du 
cours  de  la  vie  (§  647)  ne  nous  permettent  pas  d'accueillir  ces 
motifs  ;  nous  ne  saurions  non  plus  approuver  qu'on  admette 
sans  principe  des  périodes  inégales ,  et  le  caractère  général 
du  développement  organique  (§  644)  est  la  seule  circonstance 

(1)  Organisationsmetamorphose  des  MenscJien ,  p.  79. 

(2)  Censorini  liber  de  die  natali ,  p.  65. 

(3)  Loc.  cit.,  p.  421. 


522  ORGANISME  DU  TEMPS. 

dans  laquelle  il  nous  semble  qu'on  puisse  trouver  le  principe 
servant  à  fixer  la  durée  des  âges.  En  effet ,  le  progrès  de  la 
vie  ne  consiste  ni  en  un  allongement  de  ce  qui  déjà  existe,  ni 
en  une  répétition  de  ce  qu'on  voyait  auparavant,  ni  en  un  ac- 
croissement dû  à  des  additions  extérieures,  mais  en  une  exal- 
tation intérieure,  en  une  élévation  à  une  plus  haute  puissance. 
Or,  en  s'exaltant  ainsi  dans  son  propre  intérieur,  la  vie  acquiert 
de  plus  en  plus  d'étendue,  et  s'étale  en  sphères  de  plus  en  plus 
grandes.  Cette  exaltation  doit  s'exprimer  aussi  dans  les  pé- 
riodes organiques  des  âges  ;  comme  la  fleur  qui  se  déploie  du 
bouton  envahit  un  espace  de  plus  en  plus  considérable,  de 
même  la  vie  doit  se  développer  en  périodes  de  plus  en  plus 
longues.  La  première  période  est  la  plus  riche  en  changemens, 
et  les  événemens  s'y  succèdent  avec  beaucoup  de  rapidité  ; 
peu  à  peu  ils  s'éloignent  de  plus  en  plus  les  uns  des  autres ,  et 
la  métamorphose  affecte  une  marche  qui  va  sans  cesse  en  se 
ralentissant. 

II.  D'après  ces  principes,  nous  avons  à  établir  trois  grandes 
périodes  (degrés  de  la  vie),  ou  cinq  époques  (âges  proprement 
dits)  (3°),  qui  se  comportent  dans  le  temps,  les  unes  à  l'égard 
des  autres ,  comme  les  parties  d'un  tout  organique ,  de  ma- 
nière que  chacune  est  le  développement  ou  l'exaltation  à  une 
plus  haute  puissance  de  celle  qui  précède  (4°).  Mais  nous 
prenons  pour  échelle  la  vie  embryonnaire  (2°),  qui  a  pour  élé- 
ment la  périodicité  quadrisepiimanaire  ^1°). 

5°  Le  premier  âge  est  la  vie  embryonnaire,  qui  crée  la  base 
de  l'organisme,  et  représente  le  germe  non  encore  développé 
de  la  vie  entière.  La  mesure  des  âges  se  trouve  déjà  en  elle  , 
mais  non  encore  réalisée  dans  toute  son  étendue,  et  seule- 
ment à  rétat  de  racine  ou  de  rudiment. 

6°.  Le  second  âge ,  premier  déploiement  de  la  vie  embryon- 
naire ,  doit  offrir  la  réalisation  de  cette  échelle.  La  vie  em- 
bryonnaire ,  avec  ses  quarante  semaines,  contient  dix  fois  le 
type  périodique  de  quatre  semaims;  le  type  quadriseptima- 
naire  ne  lui  est  point  particulier,  mais  c'est  l'unité  invariable 
qui  se  maintient  comme  élément  général  dans  l'organisme  du 
temps;  ce  qu'il  y  a  ici  de  caractéristique,  c'est  le  nombre 
dix,  mulliplicaieur  de  l'unité  fondamentale,  qui  peut  seulêtre 


ORGANISME  DU  TEMPS.  BaS 

le  point  de  départ  de  l'exaltation  à  une  plus  haute  puissance. 
Ce  qui  était  encore  non  déployé  dans  la  vie  embryonnaire  se 
manifeste  par  l'exaltation  de  ce  multiplicateur,  tandis  quel'u- 
niié  élémentaire  demeure  la  même,  ^  0^X^=400  semaines  = 
7  ans  36  jours.  Or  c'est  dans  la  huitième  année  que  survient  la 
seconde  dentition,  qui,  exprimant  l'arrivée  de  la  vie  à  une  plus 
grande  stabilité  (§  549),  marque  la  limite  de  l'enfance.  L'âge 
déterminé  d'après  notre  principe  coïncide  donc  réellement 
avec  une  période  du  développement  organique ,  et  comprend 
l'enfance.  Mais  celle-ci  se  partage  en  deux  périodes;  la  pre- 
mière enfance  ,  la  période  de  l'existence  à  la  mamelle,  qui, 
répétant  la  vie  embryonnaire  sous  une  forme  plus  élevée 
(  §  521,  II,  III),  dure  quarante  semaines,  et  la  seconde  en- 
fance ,  ou  la  période  des  dents  de  lait ,  qui,  en  sa  qualité  de 
développement  ultérieur,  embrasse  trois  cent  soixante  se- 
maines. 

7°  La  vie  embryonnaire,  période  du  germe  non  développé , 
est  par  cela  même  la  seule  qui  soit  susceptible  d'exaltation 
proprement  dite  à  une  plus  haute  puissance.  L'enfance  montre 
déjà  un  développement  qui  peut  bien  être  porté  à  un  plus 
haut  degré,  mais  ne  saurait  l'être  à  une  puissance  plus  élevée. 
C'est  la  mesure  réalisée ,  ou  l'unité  des  autres  âges  de  la  vie  : 
elle  représente  une  période  de  quatre  cents  semaines ,  tandis 
que  les  âges  suivans  renferment  plusieurs  de  ces  périodes.  Le 
troisième  âge  doit  dont  contenir  2X^0^X4=800  semaines,  et 
par  conséquent  s'étendre  jusqu'à  la  fin  de  la  vingt-troisième 
année ,  époque  à  laquelle  commence  la  maturité  de  la  vie 
(  §  559  ) ,  et  qui  est  caractérisée  par  l'achèvement  de  l'ac- 
croissement et  l'acquisition  de  la  maturité  sexuelle.  Cet  âge 
comprend  à  son  tour  deux  périodes,  dont  chacune  dure  quatre 
cent  semaines ,  et  par  conséquent  égale  l'enfance  entière;  la 
première  jeunesse  s'étend  jusqu'à  la  seizième  année ,  ou  à  la 
huit  centième  semaine,  c'est-à-dire  qu'elle  empiète  de  dix- 
sept  semaines  et  six  jours  sur  la  seizième  année  ;  elle  s'an- 
nonce par  l'éveil  de  la  faculté procréatiice,  dont  la  maturation 
a  lieu  pendant  la  seconde  jeunesse ,  ou  l'adolescence  ,  qui  s'é- 
tend jusqu'à  la  fin  de  la  vingt-lroiàième  année. 

8°  Le  quatrième  âge  doit,  en  vertu  de  sa  progression, 


524  ORGANISME  DU  TEMPS. 

contenir  trois  périodes ,  ou  3  X  ^  O*"  4  zz  1200  semaines  ;  de 
sorte  qu'il  s'étend  jusque  vers  la  fin  de  la  quarante-sixième 
année ,  dont  il  embrasse  cinquante-deux  semaines.  C'est  là 
que  sont  placées  les  bornes  du  moyen  âge ,  comme  période 
proprement  dite  de  l'activité  procréatrice  et  créatrice. 

9°  Alors  commence  le  grand  âge,  puisque,  après  la  quarante- 
sixième  année,  la  faculté  procréatrice  est  éteinte  ou  du  moins 
très-diminuée ,  et  qu'alors  commence  le  temps  où  l'homme 
devient  aïeul  (§  588).  Mais,  d'après  notre  principe,  le  cin- 
quième âge  comprend  quatre  périodes ,  ou  4  X  10  *  4  zz 
1600  semaines. 

10°  Si ,  conformément  à  l'idée  du  temps ,  nous  cherchons  à 
ramener  les  cinq  âges  aux  trois  degrés  de  la  vie  ,  nous  trou- 
vons que  la  vie  embryonnaire  ,  ou  le  germe  ,  embrasse  qua- 
rante semaines,  la  vie  non  à  maturité  (enfance  et  jeunesse) , 
où  la  fleur,  trois  périodes,  ou  douze  cents  semaines,  et  la  vie  à 
maturité  (  moyen  âge  et  grand  âge  )  sept  époques ,  ou  deux 
mille  huit  cents  semaines. 

11"  La  vie  embryonnaire  est  donc  à  l'enfance  comme  1 :  10, 
à  la  jeunesse  comme  1  :  à  20 ,  au  moyen  âge  comme  1 :  30 ,  au 
grand  âge  comme  1 :  40.  Sa  proportion  à  l'égard  de  la  vie  non 
à  maturité  est  de  1 :  30 ,  et  par  rapport  à  la  vie  à  maturité  de 
1 :  70.  Considérée  comme  prodrome  de  la  vie ,  elle  est  à  l'en- 
semble de  la  vie  pleine  comme  1 :  100.  La  proportion  de  l'en- 
fance à  la  jeunesse  est  de  1 :  2,  au  moyen  âge  de  1  :  3 ,  au 
grand  âge  de  1  :  4.  Nous  croyons  que,  de  cette  manière,  la 
proportion  arithmétique  des  âges  de  la  vie  a  un  caractère 
véritablement  organique ,  et  qu'elle  s'accorde  aussi  bien  avec 
l'expérience  qu'avec  l'idée. 

CHAPITRE    IV. 

De  la  quantité  de  la  vie. 

§  650.  Sous  le  rapport  de  la  quantité ,  l'organisme  apparaît 
ou  comme  unité ,  ou  comme  quantité ,  déterminée  par  son 
essence. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  5a5 

ARTICLE    I. 

Des  manifestations  de  la  vie, 

La  vie,  considérée  comme  quantité,  se  montre  à  nous  sous  les 
dehors  tantôt  d'une  force  intérieure  ,  déterminée ,  susceptible 
d'accroissement  ou  de  diminution  (§651),  tantôt  d'une  force 
extérieure  ou  d'une  certaine  mesure  du  temps. 

I.  Durée  de  la  vie, 

La  durée  de  la  vie  n'est  pas ,  comme  l'existence  inorga- 
nique, sous  la  dépendance  exclusive  du  dehors,  car  sa  déter- 
mination dépend  d'elle-même.  Chaque  espèce  anormalement 
une  mesure  déterminée  d'accroissement  et  une  certaine  durée 
de  vie  ,  dont  la  proportion  normale  ne  peut  être  troublée  que 
par  l'influence  de  l'individualité,  ou  de  circonstances  acciden- 
telles agissant  sur  cette  dernière. 

L  Malgré  le  nombre  considérable  des  causes  de  perturba- 
tion ,  on  a  cherché  à  déterminer  en  théorie  la  durée  normale 
de  la  vie  humaine  ;  mais  les  principes  servant  de  base  au  calcul 
n'ont  pas  été  toujours  les  mêmes. 

1°  Les  théories  les  plus  incertaines  sont  celles  qui  se  rap- 
portent à  la  périodicité  de  la  terre.  Ainsi  Schubert  prétend 
que  la  vie  humaine  doit  durer  soixante-dix  ans  neuf  dixièmes , 
parce  qu'il  faut  qu'elle  contienne  autant  de  jours  que  com- 
prend d'années  la  période  de  la  précession  des  équinoxes 
fondée  sur  un  mouvement  particulier  de  l'axe  de  la  terre , 
c'est-à-dire  vingt-cinq  mille  neuf  cent  vingt.  Il  ajoute  que  le 
sang  fait  chaque  jour  quatre  cent  quatre-vingt-seize  révolu- 
tions et  sept  dixièmes,  qu'en  autant  de  jours  qu'il  y  a  de 
semaines  dans  l'année ,  savoir  cinquante-deux  et  un  septième , 
ce  liquide  en  accomplit  autant  qu'on  compte  de  jours  dans  la 
vie  humaine,  ou  vingt-cinq  mille  neuf  cent  vingt,  qu'enfin, 
comme  cinquante-deux  jours  et  un  septième  sont  contenus 
quatre  cent  quatre-vingt-seize  fois  et  sept  dixièmes  dans  une 
vie  humaine,  celle-ci  doit  présenter  quatre  cent  quatre-vingt- 
seize  fois  et  sept  dixièmes  autant  de  révolutions  du  sang  qu'elle 
renferme  de  jours ,  ou  que  la  grande  année  sidérale  contient 


SaÔ  ORGANISME  DU  TEMPS. 

d'années  ordinaires  (1).  D'après  Kastner  (2),  la  vie  humaine 
est  à  la  grande  année  de  Platon  comme  un  jour  à  l'année  so- 
laire ,  et  doit  durer  soixante-douze  ans  ou  huit  cent  soixante- 
quatre  mois ,  de  manière  que  la  proportion  de  la  vie  embryon- 
naire au  reste  de  la  vie  serait  de  1  :  96. 

2°  Solon  adopta  un  principe  moins  éloigné,  en  admettant  des 
périodes  septennales ,  dont  il  portait  le  nombre  à  dix ,  ce  qui 
restreignait  la  durée  de  la  vie  à  soixante-dix  ans.  En  effet ,  les 
anciens  attachaient  une  haute  signification  aux  nombres  sept 
et  dix.  Hippon  enseignait  que  sept  est  ce  qu'il  y  a  de  plus 
important  dans  toutes  les  choses  ,  mais  que  ce  qui  a  été  formé 
dans  le  nombre  sept  se  trouve  complété  par  l'addition  du 
nombre  trois  ,  et  ramené  par  là  au  nombre  dix  ;  qu'ainsi 
l'embryon  est  formé  en  sept  mois  et  amené  à  terme  en  dix  ; 
que  l'éruption  des  dents  de  lait  commence  après  sept  mois,  et 
est  terminée  après  dix  ;  qu'il  en  est  de  même  pour  la  seconde 
dentition,  commencée  à  sept  ans  et  achevée  à  dix  (3).  Les 
livres  sacrés  des  Étrusques  admettaient  douze  périodes  sep- 
tennales ,  ou  quatre-vingt-quatre  ans ,  pour  la  durée  normale 
de  la  vie  humaine.  On  peut  atteindre  ce  terme  ,  enseignaient- 
ils  ,  lorsque ,  par  des  prières  et  des  sacrifices ,  on  conjure  le 
danger  des  époques  critiques  ;  mais  on  ne  doit  plus  s'attendre 
ensuite  à  une  prolongation ,  parce  que  l'homme  perd  alors  de 
sa  force  spirituelle,  et  qu'il  ne  s'opère  plus  en  lui  de  pro- 
diges (4). 

3°  Butte  reconnaissait  le  cours  de  la  vie  pour  une  exaltation. 
Entraîné  par  l'idée  du  nombre  trois  ,  qu'il  croyait  fondamen- 
tal ,  il  donnait  à  chaque  période  de  la  vie  3  *  zz  neuf  années , 
et  à  la  vie  trois  périodes,  par  conséquent  9  ^  zz quatre-vingt- 
un  ans. 

4»  D'après  la  théorie  que  nous  avons  exposée  (  §  649 ,  II.  ) , 
la  durée  normale  de  la  vie  est  de  quatre  mille  semaines ,  ou 


(1)  Ahndung    einer   allgemeinen   Geschichte  des   Lelens ,  [t.   III  ,  p. 
47-55. 

(2)  Archiv  fuer  die  gesammte  Naturlehre ,  t.  XII,  p.  118. 

(3)  Censorini  liber  de  die  natali ,  p.  31. 
(4)i6iU,p.  66. 


ORGANISME  DU  lEMPS.  02'] 

soixante-seize  ans  trois  semaines  et  trois  jours.  En  effet ,  si  la 
période  générale  de  la  vie  humaine  ,  comme  quantité  fixe ,  est 
de  quatre  semaines,  et  si  la  formation  du  germe  ou  de  l'em- 
bryon s'accomplit  en  10  X  ^  semaines ,  la  vie  pleine ,  dont  le 
premier  développement  (  l'enfance  )  dure  quatre  cents  semai- 
nes ,  doit  s'achever  dans  l'espace  de  10  X  400  semaines.  L'en- 
fance est  la  seconde  puissance  de  la  vie  embryonnaire,  10*X  4 
semaines  ;  la  vie  entière  est  la  troisième  puissance  10  *  X  4zz: 
quatre  mille  semaines.  Si  enfin,  la  vie  étant  progressive ,  eu 
égard  à  son  contenu  et  à  son  extension  ,  l'enfance  contient  une 
période  de  10  *  X  4  semaines ,  la  jeunesse  deux,  l'âge  moyen 
trois ,  et  le  grand  âge  quatre  ,  il  s'ensuit  qu'à  la  dixième  pé- 
riode ,  ou  avec  la  quatre  millième  semaine ,  la  vie  doit  être 
terminée  et  son  idée  épuisée. 

II.  Si  maintenant  nous  invoquons  les  données  de  l'expé- 
rience ,  il  n'y  a  pas  d'autre  source  où  nous  puissions  puiser 
que  les  tables  de  mortalité ,  qui  indiquent  les  proportions  de 
la  mortalité  en  grand ,  et  font  disparaître  jusqu'à  un  certain 
point  l'influence  de  l'individualité  et  du  hasard.  Mais  ces 
tables  ne  nous  apprennent  rien  immédiatement  ;  ce  n'est  qu'en 
combinant  leurs  résultats  qu'il  nous  devient  possible  de  dé- 
terminer avec  probabilité  l'époque  normale  de  la  mort  de 
l'homme. 

5o  La  pensée  qui  se  présente  le  plus  naturellement  à  l'es- 
prit est  celle  que  l'époque  normale  de  la  mort  humaine  coïn- 
cide avec  l'année  de  la  vie  pendant  laquelle  il  meurt  le  plus 
d'hommes ,  c'est-à-dire  avec  celle  dans  laquelle  la  mortalité 
absolue (§  628,  1)  est  le  plus  considérable.  Mais,  d'après  la 
première  des  tables  que  nous  avons  donnée,  cette  proportion 
de  la  mortalité  absolue  répond  à  la  première  année  de  la  vie 
(§  628,  1°)  ,  qui  nécessairement  ne  saurait  être  l'époque  na- 
turelle de  la  mort ,  puisque  la  mort ,  d'après  l'idée  qu'on  doit 
s'en  faire  ,  n'a  lieu  qu'après  que  la  vie  a  complètement  dé- 
ployé son  idée.  La  mortaUté  diminue  après  la  première  an- 
née, croît  ensuite  de  nouveau  ,  et  la  plus  grande  proportion 
à  laquelle  elle  arrive ,  après  celle  de  la  première  année,  cor- 
espond  ,  terme  moyen ,  à  la  soixante-et-dixième  année.  D'a- 
près les  tables ,  sur  ua  million  d'hommes ,  il  en  meurt  dix 


5a8  ORGANISME  DU  TEMPS. 

mille  pendant  la  soixante-neuvième  année.  Plus  tard ,  la  mor- 
talité absolue  diminue  ,  parce  qu'il  y  a  peu  d'hommes  qui  dé- 
passent la  durée  normale  de  la  vie. 

6°  La  mortalité  relative- (§  628,  II)  atteint  son  maximum  , 
d'après  la  seconde  de  nos  tables,  dans  l'âge  le  plus  avancé 
auquel  l'homm  e  puisse  arriver  et  pendant  la  première  an- 
née de  la  vie ,  par  conséquent  à  deux  époques  qui  ne  sau- 
raient être  celle  du  moment  normal  de  la  mort.  Mais  la  pro- 
gression de  la  mortalité  relative  ,  d'après  laquelle  nous  distin- 
guons trois  périodes  (§  628,  T) ,  nous  donne  quelque  indice. 
En  effet,  la  somme  des  vivans  parmi  lesquels  il  en  meurt  un 
annuellement ,  augmente  ,  terme  moyen,  d'environ  10,25  de- 
puis la  première  année  de  la  vie  jusqu'à  la  quatorzième;  pen- 
dant la  seconde  période,  depuis  quinze  ans  jusqu'à  soixante- 
et-dix,  elle  diminue  annuellement  d'environ  2,39  ;  et  pendant 
la  troisième  période ,  après  soixante-dix  ans ,  elle  diminue 
d'à  peu  près  0,31.  La  soixante-dixième  année  forme  ici  une 
sorte  de  point  tropical ,  de  manière  qu'après  elle  la  mortalité 
relative  croît  plus  lentement  que  dans  la  jeunesse  et  le  moyen 
âge  ,  et  nous  ne  pouvons  assigner  d'autre  cause  à  ce  ralentis- 
sement ,  sinon  que  l'époque  normale  de  la  mort  a  été  franchie 
avec  la  soixante-dixième  année ,  et  qu'une  fois  ce  danger 
passé ,  la  vie  recommence  à  se  maintenir  proportionnelle- 
ment davantage. 

7*  Sous  le  rapport  de  la  progression  de  la  durée  relative 
de  la  vie  ,  nous  distinguons  également  trois  périodes  (  §  629 , 
1°) ,  d'après  la  cinquième  et  la  sixième  de  nos  tables.  Le 
commencement  du  septième  décennaire  appartient  encore  à 
la  première  période ,  qui  comprend  aussi  la  jeunesse ,  l'en- 
fance et  le  moyen-âge  ,  de  sorte  qu'elle  ne  peut  contenir  l'é- 
poque normale  de  la  mort  ;  mais  les  années  du  huitième  dé- 
cennaire appartiennent  à  la  troisième  période ,  ou  présentent 
la  même  proportion  que  l'âge  centenaire ,  auquel  si  peu  d'in- 
dividus arrivent  exceptionnellement,  et  l'époque  normale  de  la 
mort  ne  saurait  non  plus  s'y  trouver.  Il  faut  donc  que  cette 
époque  appartienne  à  la  seconde  période,  ou  au  cours  du  sep- 
tième décennaire. 

8°  Nous  arrivons  donc  au  même  résultat  sous  quelque  point 


ORGANISME  DU  TEMPS.  5èQ 

de  vue  que  nous  examinions  les  faits  contenus  dans  les  tables 
de  mortalité.  Mais  ces  tables ,  abstraction  faite  d'autres  ina- 
perfections  ,  portent  toujours  le  cachet  des  circonstances  de 
lieu  et  de  temps  (§  627) ,  de  sorte  qu'elles  ne  peuvent  jamais 
faire  ressortir  parfaitement  la  règle  générale.  Or,  commeja 
durée  de  la  vie  est  fréquemment  raccourcie  par  des  circons- 
tances défavorables  ,  nous  devons  présumer  que  l'époque  de 
la  mort  normale  tombe  plus  tard  qu'elle  ne  le  semble  d'après  la 
plupart  des  tables  de  mortalité  ,  et  cette  conjecture  acquiert 
d'autant  plus  de  poids  que,  dans  celles  des  tables  qui  méritent 
le  plus  notre  confiance,  l'époque  de  la  mort  normale  coïncide 
avec  le  milieu  du  septième  décennaire.  En  conséquence,  les 
tables  de  mortalité  nous  fournissent  la  plus  grande  approxi- 
mation possible,  comme  preuve  expérimentale,  à  l'appui  de 
notre  théorie  ,  que  la  durée  normale  de  la  vie  humaine  est  de 
soixante-seize  ans.  Au  reste  ,  comme  celte  théorie  repose 
sur  le  systènîe  décimal ,  puisque  l'enfance  renferme  en  elle 
dix  fois  la  durée  de  la  vie  embryonnaire ,  et  la  vie  indépen- 
dante entière  dix  fois  celle  dej'enfance  ,  nous  ne  devons  pas 
négliger  de  faire  remarquer  que,  sous  quelque  point  de  vue 
qu'on  examine  les  tables  de  mortalité ,  le  nombre  proportion- 
nel de  la  mortalité  pendant  le  septième  décennaire  est  tou- 
jours de  dix.  En  effet,  d'après  la  première  table  ,  sur  un 
million  d'hommes  nés  dans  le  même  temps,  il  en  meurt  dix 
mille  à  soixante-sept,  soixante-huit  et  soixante-neuf  ans  ;  d'a- 
près la  seconde  table ,  sur  dix  hommes  qui  ont  dépassé  la 
soixante-quatorzième  année ,  il  en  meurt  un  à  soixante- 
quinze  ans  ;  enfin  ,  d'après  la  cinquième  et  la  sixième  tables , 
sur  dix  hommes  nés  en  même  temps ,  il  s'en  trouve ,  terme 
moyen  ,  un  qui  arrive  à  soixante-huit  ans.f 

Pour  faciliter  l'intelligence  de  ce  qui  précède ,  nous  allons 
présenter,  d'après  les  indications  que  Duvillard  a  données  delà 
mortalité  en  France ,  l'aperçu  des  proportions  de  la  mortalité 
relative  pendant  les  diverses  périodes  de  sept  ans,  et  deux 
tiers  dans  lesquelles  nous  divisons  la  vie  humaine. 
0  7  2/3  ans.     1  :     2,28  Enfance,  4  :  2,28 

7  2/3       15  d/3  1  :  16,15K  ^^      ^„ 

V.  ^ 


65o 

aB^AmSME  BD  TEMPS. 

23 

30  2/3 

1  : 

9,60 

30  2/3 

;38  d/3 

1   : 

8,23 

38  4/3 

46 

1    : 

7,03  Moyen  âge, 

46 

53  2/3 

1   : 

5.56 

53  2/3 

61  1/3 

1    : 

4,00 , 

ëi  1/3 

69 

1   : 

2,72 

69 

76  2/3 

1     : 

1,83 

76  2/3 

84  1/3 

1    : 

1,13  Grand  âge, 

84  4/3 

92 

4   : 

1,21 

n 

99  2/3 

1   : 

1,10 

90  2/3 

107  1/3 

1   : 

1,02/ 

1    :    3,07 


1   :  1,21 


II.  iEnergïe  de  la  vie^ 

§  651.  Les  recherches  auxquelles  nous  nous  sommes  livrés 
jusqu'ici  ont  eu  pour  résultat  de  prouver  que  la  vie  se  déploie 
en  périodes  de  plus  en  plus  longues  (§  650  ,  4"»),  et  que,  par 
conséquent,  si  on  la  juge  sous  le  point  de  vue  du  temps  ,  elle 
croît  d'une  manière  continuelle.  Maintenant  il  nous  reste  à 
examiner  si  la  même  chose  a  lieu  en  ce  qui  concerne  sa  quan- 
tité intérieure  ou  son  énergie.  Evidemment  elle  augmente 
jusque  dans  le  moyen  âge,  mais  elle  semble  ensuite  baisser 
et  prendre  un  mouvement  rétrograde.  C'est  effectivement  de 
cette  manière  que  les  physiologistes  ont  coutume  de  la  consi- 
dérer. Philites,  par  exemple  (1),  partage  la  vie  en  période  d'in- 
crément ,  pendant  laquelle  elle  se  rapproche  de  plus  en  plus 
de  l'idée  de  l'organisme,  jusqu'à  ce  qu'elle  exprime  aussi  com- 
plètement que  possible  l'image  de  l'infini  dans  le  fini,  et  en 
période  de  décrément ,  durant  laquelle  elle  s'éloigne  de  plus 
en  plus  de  cette  idée  ,  et  se  rapproche  de  l'absolu.  Ordinaire- 
ment ,  entre  ces  deux  périodes ,  on  en  admet  une  autre ,  qui 
marque  le  point  culminant  de  la  vie  ,  et  à  laquelle  on  donne , 
comme  l'a  fait  Butte  (2) ,  le  nom  d'âge  de  la  force,  tandis  que  les 
deux  autres  portent  ceux  de  faiblesse  juvénile  et  de  faiblesse 
sénile.   Comme   la  faculté  procréatrice  n'appartient  qu'au 

(1)  Encyclopœdisches  ffœrteriuck  der  medicinischen  WissenschafteU) 
t.Il.  P*â4,  43i 

(2)  Die  Biotomie  des  Mensahen ,  p.  418,  449. 


ORGANISME   DU  TEMPS,  4^1 

moyen  âge ,  on  met  en  rapport  la  période  qui  suit  cette  fa- 
culté avec  celle  qui  la  précède,  et  l'on  trouve  dans  la  vieillesse 
une  répétition  de  l'enfance  ,  ou  même  ,  comme  Lucae  (1) , 
celle  de  la  vie  embryonnaire.  Quant  à  l'antagonisme  de  la 
première  et  de  la  dernière  période,  on  l'exprime  en  caracté- 
risant l'une  par  l'évolution ,  l'autre  par  l'involution ,  terme 
par  lequel  Schmidt  (2) ,  entre  autres ,  entend  la  diminution 
de  l'activité  vitale  allant  peu  à  peu  jusqu'à  l'impossibilité  d'être 
d'aucun  secours  soit  à  l'individu ,  soit  à  l'espèce.  Enfin  d'au- 
tres, comme  Mende  (3),  admettent ,  sans  juger  nécessaire  de 
le  démontrer,  que  la  perfection  ne  saurait  exister  à  la  fin  de 
la  vie,  et  qu'elle  ne  peut  se  rencontrer  que  vers  son  milieu. 

Ces  opinions  à  l'égard  de  la  dernière  période  de  la  vie  tien- 
nent, d  une  part ,  à  ce  qu'on  a  eu  sous  les  yeux  des  individus 
chez  lesquels  elle  n'avait  pu  se  développer  d'une  manière  nor- 
male (§  685),  et,  d'un  autre  côté,  à  ce  qu'on  apprécie  la  vie 
uniquement  d'après  l'énergie  des  actions  extérieures. 

1°  Mais  c'est  une  méthode  vicieuse  que  celle  déjuger  d'un 
tout  d'après  une  seule  de  ses  quaUtés.  La  diminution  de  la 
constitution  matérielle  ne  prouve  pas  que  la  vie  baisse  d'une 
manière  générale.  A  chaque  âge ,  quelques  parties  périssent  ; 
les  enveloppes  du  fœtus  se  putréfient,  les  dents  de  lait  se  dé- 
litent ,  le  thymus  se  flétrit ,  et  pour  que  l'ossification  devienne 
complète ,  il  faut  que  le  cartilage  meure  chez  l'adolescent.  Si 
nous  voulons  juger  l'organisme  d'après  le  développement  et 
l'activité  des  branchies  cervicales,  des  corps  de  Wolff,  de  l'al- 
lantoïde  et  de  la  vésicule  ombilicale  ,  il  nous  faudra  placer  le 
point  culminant  de  la  vie  au  premier  ou  second  mois  de  la  vie 
intra-utérine ,  et  dire  qu'à  partir  de  ce  terme  la  vie  va  tou- 
jours en  fléchissant.  Or  on  tombe  exactement  dans  ce  défaut 
lorsqu'on  prend  pour  mesure  du  tout  une  fonction  quelconque 
qui  n'est  point  la  chose  essentielle  ,  ou  une  série  de  fonctions 
ayant  également  un  caractère  de  contingence. 

La  vie ,  considérée  comme  unité ,  ne  peut  atteindre  sa  plus 

(1)  Grundriss  der  Entwicltelungsgescliichte  des  menschlichen  Kœr- 
pers ,  p.  262. 

(2)  Organisationsmetamorphose  des  Menschen ,  p.  80. 

{Z)  Âusfuehrliches  TJandbuçh  der  gerichtlichen  Mediçin,  t,  II,  p.  21^ 


53â  ORGVNISME  DU  TEMPS. 

grande  hauteur  qu'à  Tâge  où  ce  qui  en  constitue  le  caractère 
propre  et  essentiel  s'exprime  de  la  manière  la  plus  large  et 
la  plus  pure.  Nous  avons  trouvé  que  la  force  plastique  dimi- 
nue sans  interruption  pendant  la  vie  entière  (§  648  ,  7°) ,  que 
l'activité  de  la  vie  dirigée  vers  le  dehors  croît  jusqu'à  un  cer- 
tain point  et  baisse  ensuite  (§  648,  6°) ,  mais  que  l'indépen- 
dance de  l'organisme  va  toujours  en  faisant  des  projjrès  (§  64S, 
8°).  Or,  comme  la  formation  n'est  que  la  base  matérielle  de  la 
vie ,  comme  le  pouvoir  d'agir  en  dehors  n'est  que  l'annonce 
de  la  force  intérieure  ,  mais  que  l'indépendance  et  la  sponta- 
néité constituent  le  caractère  essentiel  et  fondamental  de  l'or- 
ganisme, nous  voyons  là  déjà  un  indice  annonçant  que  ce  qu'il 
y  a  d'essentiel  dans  la  vie  est  aussi  ce  qui  persiste  et  fait  de 
continuels  progrès.  L'idée  de  la  vie  demeure  semblable  à 
elle-même  dans  la  série  des  âges  ,  au  milieu  des  mutations 
continuelles  qui  ont  lieu  dans  les  diverses  parties  ,  malgré  le 
mouvement  qui  sans  cesse  détruit  et  reproduit  les  organes. 
Partout  aussi  la  vie  tend  à  la  stabilité  ;  la  pérennité  de  l'activité 
est  le  caractère  qui  distingue  la  formation  vivante  de  la  for- 
mation inorganique  (§  473  ,  9°)  ;  à  un  haut  degré  de  déve- 
loppement, les  manifestations  de  la  vie  deviennent  perma- 
nentes (§  475,  5°) ,  et  les  organes  transitoires  disparaissent  de 
bonne  heure  (§  677,  2°).  L'essence  de  la  vie  végétale  ne  con- 
siste que  dans  la  formation  organique  ,  et  c'est  ce  qui  fait 
aussi  qu'il  n'y  a  de  persistant  et  d'impérissable  en  elle,  que 
l'accroissement. 

L'idéal ,  qui  partout  existe  antérieurement  à  l'organisation, 
et  constitue  ce  qu'il  y  a  d'essentiel,  de  permanent,  dans  la  vie, 
conserve  encore  ce  caractère  lorsqu'il  se  déploie  comme 
fonction  spéciale,  comme  âme.  La  vie  morale  est  donc  ce 
qu'il  y  a  de  plus  relevé  dans  l'existence  humaine  ,  ce  qui  la 
caractérise,  et,  quand  elle  est  parvenue  à  son  point  culminant, 
la  vie  de  l'homme  a  acquis  au^si  sa  pleine  et  entière  valeur. 
Mais  nous  n'avons  pas  trouvé  (§  590)  que  l'esprit  fût  réelle- 
ment et  normalement  plus  faible  chez  le  vieillard  ;  loin  de  là 
même ,  nous   sommes   obligé  d'admettre ,  avec  Ritter  (1) , 

M)  DUsertaiio  de  vniurali  orijanismi  humain  décrément o  ^  p,  0, 


ORGANISME  DU    TEMPS.  535 

qu'il  a  pins  d'énergie  pendant  la  vieillesse.  Chez  un  être  fixé, 
les  qualités  supérieures  et  essenîielles  ne  peuvent  s'accroître 
qu'à  la  condition  que  les  facultés  inférieures  et  subordonnées 
diminuent  proportionnellement.  Aussi  trouvons-nous  non  seu- 
lement une  harmonie ,  mais  encore  un  antagonisme  entre  la 
force  spirituelle  et  la  force  plastique ,  de  sorte  que  la  pre- 
mière augmente  en  raison  de  l'abaissement  de  l'autre.  La  force 
productive ,  qui  est  tellement  exubérante  chez  le  Polype,  que 
cet  animal  peut  réparer  la  perle  de  toutes  les  parties  dont  on 
le  prive ,  et  qu'il  se  propage  par  simple  pullulalion  de  sa  sub- 
stance, cette  force  diminue  chez  les  animaux  supérieurs;  la 
génération  et  la  régénération  deviennent  d'autant  plus  res- 
treintes que  la  vie  se  concentre  davantage  à  l'intérieur  et 
qu'elle  acquiert  une  plus  grande  intensité.  Non  seulement  la 
masse  du  corps  augmente  lorsque  la  faculté  pensante  de 
l'homme  est  inaclive,  durant  le  sommeil ,  pendant  le  repos, 
dans  l'idiotisme  ,  mais  encore  l'esprit  prend  un  vol  plus  hardi 
quand  la  masse  terrestre  diminue ,  comme  dans  la  fièvre 
hectique ,  ou  quand  les  forces  vitales  baissent  et  sont  près  de 
s'éteindre  (§  633  ,  4°).  La  douleur  ,  en  faisant  apercevoir  une 
limite  posée  à  l'existence  matérielle  ,  dégage  l'âme  ,  qui  s'é- 
veille et  se  développe  (§  525,  1°).  Mende  a  observé  un  enfant 
qui  maigrit  par  l'insufiSsance  de  la  nutrition  ,  mais  dont  les 
facultés  intellectuelles  se  développèrent  avec  une  rapidité 
extraordinaire ,  et  qui  apprit  de  très-bonne  heure  à  parler  ; 
la  nutrition  ayant  repris  sa  marche  normale ,  l'excitation  des 
facultés  morales  cessa,  et  l'enfant  cessa  de  parler.  Les  pro- 
grès de  l'âme  ,  pendant  les  pertes  qu'éprouve  le  corps,  sont 
évidens  au  début  de  la  vieillesse;  vers  la  cinquantième  année, 
l'agilité  et  l'énergie  des  mouvemens  diminue ,  ainsi  que  la 
faculté  procréatrice;  mais  les  facultés  intellectuelles  sont  en- 
core aussi  vigoureuses ,  sinon  même  plus  ,  dans  toutes  les 
directions.  Nous  verrons  bientôt  que,  parles  progrès  de  l'âge, 
ce  sont  seulement  les  facultés  inférieures  et  moins  essentielles 
de  l  ame  qui  baissent. 

2°  Pendant  la  vieillesse ,  la  vie  se  retire  de  la  périphérie 
et  devient  plus  intérieure.  Cette  parliculariié  se  manifeste 
déjà  dans  le  côté  matériel;  la  masse  devient  plus  dense ,  plus 


55^  ORGANISME  DU  TEMPS. 

sèche,  plus  serrée ,  plus  concentrée  ;  son  conflit  avec  l'exté- 
rieur diminue j  ainsi  que  rassimilalion  et  l'excrétion;  le  corps 
vit  davantage  sur  son  propre  fonds ,  car  il  a  perdu  une  partie 
de  la  force  au  moyen  de  laquelle  il  se  soumettait  la  matière 
extérieure.  Ainsi  le  physique  se  resserre  sur  lui-même  ,  mais 
l'idéal  n'est  point  susceptible  d'allanguissement.  Les  sens  ex- 
térieurs s'émoussent;  ils  ont  acccompli  le  cours  de  leur  vie, 
et  atteint  leur  but ,  car  ils  ont  amené  à  l'esprit  les  matériaux 
nécessaires  pour  le  former,  et  l'ont  excité  à  vivre  de  la  vie  in- 
térieure qui  lui  est  propre.  La  force  musculaire  et  l'empire 
de  l'âme  sur  le  corps  diminuent ,  parce  que  lame  s'occupe 
plus  d'elle-même  et  concentre  davantage  son  activiié.  A  me- 
sure que  le  corps  diminue ,  les  désirs  matériels  perdent  de 
leur  vivacité,  l'esprit  acquiert  une  allure  plus  libre,  et,  la  con- 
ception devenant  plus  lucide,  le  jugement  plus  dégagé  d'in- 
fluences étrangères ,  l'existence  humaine  s'élève  au  point  où 
la  limite  est  le  plus  profondément  tracée  entre  elle  et  l'exis- 
tence animale. 

3"  L'activité  de  l'âme  réunit  les  impressions  sensorielles 
en  une  seule  image  ou  représentation ,  forme  une  seule  pen- 
sée ,  et  déduit  les  pensées  de  l'idée  qui  repose  dans  les  pro- 
fondeurs de  la  conscience  de  soi-même  ;  elle  est  incessamment 
occupée  à  dériver  le  particulier  du  général,  et  à  s'élever 
du  singulier  à  l'universel.  Donc  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  dans 
la  vie,  c'est  de  connaître  les  vérités  générales,  c'est  d'arriver  à 
l'intuition  de  ce  qui  repose  en  soi  d'une  manière  absolue,  de 
la  seule  existence  qui  exerce  une  influence  déterminante 
sur  elle-même ,  de  celle  qui  embrasse  et  fonde  toute  exis- 
tence spéciale  et  relative.  Maïs  comme  la  vieillesse  est  le  ré- 
sultat des  âges  précédens ,  son  caractère  moral  consiste  à  con- 
server les  résultats  des  déploiemens  précédens  d'activité 
(  §  590,  II  )  dans  l'intuition  nette  et  ineffaçable  des  vérités 
générales  acquises  ;  et  comme  l'effacement  de  la  différence 
sexuelle  fait  ressortir  davantage  le  caractère  général  de  l'hu- 
manité ,  ce  qui  règne  désormais  dans  l'âme ,  c'est  l'universa- 
lité (  §  590,  III),  c'est  la  relation  avec  la  cause  première  des 
choses,  c'est  le  sentiment  d'une  liaison  primordiale  de  toute 
existence  en  uu  tout  idéal ,  c'est  l'intime  connexion  avec  l'es- 


ORfiANISME  Dt  TEMPS.  555 

prit  du  monde ,  c'est  enfin  la  pensée  d'un  ordre  immuable 
dans  l'univers.  Tandis  que  ce  point  central ,  dans  lequel  toutes 
les  connaissances  de  rapports  particuliers  se  résolvent  en  quel- 
que sorte  et  se  perdent ,  devient  prédominant ,  l'activité  spi- 
riiuelle  se  retire  de  la  périphérie  ;  le  conflit  avec  les  choses 
spéciales  diminue  ;  les  facultés  sensorielles  et  la  mémoire  bais- 
sent ;  il  devient  plus  difficile  de  saisir  les  relations  particu- 
lières ,  l'esprit  y  pénètre  avec  moins  d'énergie ,  et  réagit  sur 
elles  avec  moins  de  force.  Mais  il  n'y  a  que  l'être  absorbé  par 
la  contemplation  de  l'extérieur  qui  puisse  considérer  ce  con- 
flit avec  des  spécialitéscommele  point  culminant^de  l'existence 
humaine  en  général.  Saisir  d'une  manière  bien  nette  ce  qu'il 
y  a  de  particulier  dans  les  phénomènes,  disposer  librement 
d'un  riche  trésor  de  collections,  et  d'agir  puissamment  sur  le 
monde  extérieur ,  tel  est  le  but  du  moyen  âge  ;  la  vie  perd 
toute  valeur  lorsque  ce  mode  d'activité  ne  se  déploie  point 
alors  énergiquement.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce 
conflit  avec  le  monde  du  dehors  ne  constitue  par  le  véritable 
but  de  l'existence  morale  ,  et  qu'il  n'est  qu'un  simple  moyen 
d'arriver  à  la  perfection  intérieure  de  l'âme.  La  cessation  de 
la  vie  morale  périphérique  n'est  autre  chose  que  la  flétrissure 
des  fleurs,  qui,  bien  qu'elles  aient  été  essentielles  à  une  époque 
antérieure ,  bien  qu'elles  se  soient  signalées  par  le  déploie- 
ment d'une  grande  magnificence  extérieure,  n'étaient  cepen- 
dant qu'un  moyen  d'arriver  à  des  développemens  plus  relevés, 
et  doivent  tomber  pour  que  le  fruit  se  forme.  La  graine,  dans 
sa  forme  intérieure,  représentera  quintessence  de  la  vie  vé- 
gétale tout  entière  ,  quoiqu'il  ne  lui  reste  plus  rien  de  la  fleur  ; 
de  même  l'âge  avancé  est  la  somme  de  la  vie  morale  ,  la  to- 
talité des  ditférens  facteurs  de  cette  vie ,  et  par  conséquent 
la  vie  morale  élevée  à  une  plus  haute  puissance  intérieure. 

ARTICLE    II. 

De  l  essence  de  Vorganisme. 
I.  Essence  de  la  mort. 

§  652.  La  mort 

J'^Est  la  cessation  de  l'unité  qui,  pendant  la  vie,  réunit 


536  ORGANISME  DU  TEMPS. 

ensemble  les  diverses  activités  et  les  différentes  parties  de  l'or- 
ganisme (  §  312,  2°  ).  Nous  en  trouvons  une  image  sensible 
aux  derniers  échelons  du  règne  animal ,  où  l'essence  de  la  vie 
se  dénote  fréquemment,  dans  ses  rudirnens,  de  la  manière  la 
plus  significative.  En  effet,  suivant  Nilzscli  (1),  la  Cercaria 
ephemera  se  couche  à  plat  sur  le  dos  quand  l'heure  de  sa 
mort  est  arrivée  ;  la  queue  s'agite  quelque  temps ,  pour  se  dé- 
tacher du  tronc ,  parvient  à  se  mettre  en  liberté  par  un  élaa 
brusque ,  continue  durant  plusieurs  minutes  de  nager  par  un 
mouvement  spontané ,  puis  tombe  morte  au  fond  de  l'eau , 
etne  tarde  pas  à  se  putréfier  ;  quant  au  tronc  ,  il  se  ramasse 
en  boule ,  sa  pellicule  extérieure  se  fend ,  le  noyau  qu'elle 
renferme  tourne  lentement  sur  lui-même  et  acquiert  en  peu 
de  temps  une  dureté  presque  osseuse,  qui  le  fait  résister  du- 
rant trois  mois  à  la  putréfaction. 

De  même ,  chez  certains  animaux  supérieurs ,  non  seule- 
ment le  cadavre  offre  encore ,  immédiatement  après  la  mort , 
des  phénomènes  de  vie  isolés  (  §  634,  VI),  mais  même  la  pu- 
tréfaction présente  de  l'analogie  avec  le  travail  vivant  de  la 
formation  (§637),  parce  que  ses  conditions  sont  les  mêmes 
que  celles  de  la  vie  (  §  636,  I).  Partout  où  la  vie  réalise  son 
idée  de  la  manière  la  plus  complète  et  où  l'unité  est  le  plus 
essentielle,  la  mort  survient  avec  une  rapidité  extrême,  dès 
que  celle-ci  a  subi  le  moindre  trouble  (  §  626,1);  ainsi  l'a- 
gonie est  moins  longue  chez  l'homme  dont  tout  l'ensemble  de 
la  vitalité  porte  le  caractère  de  l'harmonie  que  dans  les  cir- 
constances contraires ,  et  même,  dans  le  cas  de  fusion  mons- 
trueuse de  deux  individus,  il  paraît  que  c'est  celui  dont  la  vie 
a  le  plus  de  puissance  qui  périt  le  premier  (2). 

2°  Les  parties  séparées ,  qui  ne  sont  plus  dominées  par  l'u- 
nité ,  portent  le  caractère  de  chose  élémentaire  ou  commune , 
et,  comme  telles,  se  réunissent  au  tout  de  la  nature,  en  sorte 
que  la  mort  devient  une  victoire  du  général  sur  le  particulier. 
L'action  de  la  nature ,  considérée  dans  sa  totahté ,  consiste  à 


(1)  Beitrœge  zur  Infusorienkunde ,  p.  34. 

(2)  Burdach  ,  Berichte  von  der  anatomischen  Anstalt  zu  Kœnigsherg  , 
t.  TI,  p.  54. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  53^ 

produire  des  spécialités  avec  ce  qui  est  général ,  et  à  les  faire 
rentrer  dans  la  masse  commune.  Le  singulier  redevient,  par 
sa  ruine,  propriété  du  tout  ;  les  principes  constituans  éloignés 
ou  médiats  du  corps  organique  rentrent ,  sous  la  forme  d'air  , 
d'eau  et  de  terre,  dans  le  grand  tout  de  la  nature,  qui,  fournit 
la  base  matérielle  d'autres  organismes;  mais,  avant  d'arriver  à 
cette  dernière  décomposition,  le  corps  en  putréfaction  devient 
le  sol  sur  lequel  se  développent,  par  hétérogénie,  des  infusoi- 
res, des  champignons,  des  lichens,  etc.  :  avant  même  d'avoir 
atteint  le  dernier  terme,  la  matière  qui  a  eu  vie  sert  à  la  nourri- 
ture d'organismes  vivans,  attendu  qu'elle  conserve  encore  le 
caractère  organique  de  l'aptitude  à  se  décomposer ,  sans  avoir  la 
puissance  enchaînante  de  ia  vie  ,  ce  qui  la  rend  éminemment 
propre  à  être  assimilée  par  les  êtres  vivans.  Il  est  fort  rare 
qu'on  trouve  des  animaux  morts  au  grand  air;  ia  plupart  sont 
tués  et  dévorés  par  des  bêtes  carnassières  avant  d'être  arri- 
vés au  terme  de  leur  vie  ;  mais  les  mourans  se  traînent  dans 
des  halliers  ou  dans  des  cavernes  ,  et,  après  leur  mort ,  sont 
consumés  par  les  animaux  qui  vivent  de  charognes ,  ou  par 
les  élémens.  En  ayant  soin  ainsi  d'écarter  promptement  tout 
ce  qui  "tombe  en  pulréfaclion ,  la  nature  entretient  l'air  et 
l'eau  à  l'état  de  pureté  qui  est  nécessaire  pour  la  vie  des  êtres 
organisés  supérieurs,  et  nous  retrouvons  ici  la  tendance  à  la 
conservation  du  règne  organique  ,  telle  que  nous  l'avons  déjà 
constatée  dans  la  mortalité  plus  considérable  qui  accompagne 
l'excessive  fécondité  (  §  266,  6°,  366,  2°  ). 

Zl.  But  de   la  ^ie. 


§  653.  D'après  cela  ,  il  paraît  que  Tunique  but  de  la  vie 
I.  Est  de  conserver  le  tout.  Le  temps  dévore  ses  enfans  à 
mesure^ qu'il  les  engendre,  et  nous  lui  servons  de  pain  quo- 
tien.  Nous  avons  hérité  de  la  vie  de  nos  ancêîres,  non  comme 
d'une  propriété  qui  nous  appartient,  mais  comme  une  substitu- 
tion, qu'il  nous  faut  bientôt  abandonnera  nos  successeurs.  De 
même  qu'une  vague  roule  à  la  suite  d'une  autre  vague ,  de 
même  les  individus  et  les  générations  se  poussent  sans  cesse, 


658  ORGANISME  DU  TEMPS, 

mais  l'espèce  persiste  (1).  Quant  à  la  question  de  savoir  si 
celte  dernière  durera  toujours ,  nous  serions  tentés  de  la  ré- 
soudre par  la  négative ,  puisque  la  terre  elle-même  vieillit  et 
marche  vers  sa  fin,  puisqu'on  ne  peut  renverser  l'hypothèse 
suivant  laquelle  une  nouvelle  révolution  de  notre  planète 
amènerait  la  production  de  nouveaux  êtres  qui  considére- 
raient les  débris  du  genre  humain  comme  des  espèces  de  Pa- 
lœotherium.  Mais  si  l'espèce  est  une  chose  transitoire ,  elle  ne 
doit  être,  par  cela  même,  qu'un  moyen  d'arriver  à  un  autre 
but.  Or  le  genre  humain  détermine  bien  quelques  changemens 
à  la  surface  du  globe  ;  mais ,  s'il  convertit  les  forêts  vierges  en 
terres  arables ,  ou  les  marais  en  lacs  poissonneux ,  et  par-là 
purifie  ratmosphère,etc.,  il  n'agit  ainsi  que  dans  son  propre  in- 
térêt ;  quand  les  montagnes  primitives  se  délitent ,  lorsque 
leurs  roches,mêlées  des  débris  charbonnés  d'êtres  organiques, 
deviennent  un  humus  meuble  ,  il  ne  résulte  de  là  aucun  avan- 
tage; et  si  l'homme  favorise  par  la  cuUure  la  vie  de  quelques 
espèces  d'êtres  organisés ,  il  n'y  peut  parvenir  qu'en  refou- 
lant celle  d'un  bien  plus  grand  nombre  d'autres.  Les  indivi- 
dus doivent  avoir  un  autre  but  que  celui  de  réaliser  et  de 
conserver  leur  espèce  ou  le  règne  organique ,  car  ce  règne  et 
cette  espèce  n'existent  pas  dans  les  individus.  Mais  des  êtres 
qui  n'auraient  point  de  but  propre ,  qui  n'agiraient  que  pour 
d'autres  également  dépourvus  de  buta  eux,  n'auraient  qu'une 
bien  chétive  existence,  et  vaudraient  infiniment  moins  que  des 
machines  qui,  si  elles  ne  font  rien  non  plus  pour  elles-mêmes, 
tendent  du  moins  à  l'utilité  réelle  d'un  étranger. 

IL  L'organisme  a  pour  caractères  la  spontanéité  et  Tindé- 
pendance  ;  comme  il  subsiste  par  sa  propre  activité ,  il  doit 
aussi  vivre  pour  lui-même  ;  puisqu'il  porte  en  lui  la  cause  de 
son  existence ,  le  but  de  cette  dernière  ne  saurait  non  v.plus 
être  hors  de  lui. 

1°  La  vie  végétale  a  son  but  en  elle-même;  ce  but  consiste  à 
lier  les  différentes  forces  de  la  nature  par  l'unité  organique  , 
de  manière  qu'en  créant  continuellement  elles  produisent  une 
diversité  de  formes  d'existence,  de  l'ensemble  desquelles  ré- 

(i)  Dictionn.  des  sC.  médic.,  t.  XVIII,  p.  6. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  SSg 

suite  un  tout  harmonique.  L'existence  extérieure,  telle  qu'elle 
s'exprime  dans  la  plante  et  dans  le  corps  or{3[anique  en  fjéné- 
ral,  ne  peut  point  avoir  de  but  pUis  relevé  que  celui  d'offrir 
l'image  de  la  nature  créatrice,  et  de  représenter,  dans  sa  spé- 
cialité, le  caractère  de  lutiivers  entier. 

Dans  la  vie  animale,  l'unité  or^^anique  devient  intérieure  , 
et  l'organisme  brille  du  reflet  de  la  cause  infinie  du  monde  î 
l'existence  se  révèle  à  elle-même ,  et  la  vie  trouve  son  but 
dans  le  sentiment  de  soi-même.  Ce  qui  se  sent  soi-même  n'a 
jamais  vécu  en  vain  ;  n'eût-il  goûté  qu'un  seul  instant  le  plai- 
sir de  l'existence  ,  le  côté  intérieur  de  l'univers  est  sorti  pour 
lui  des  ténèbres  de  la  matérialité,  et  le  seul  sentiment  de  l'exis- 
tence organique  suffît  déjà ,  en  faisant  apercevoir  dans  soi- 
même  ,  ne  fût-ce  que  vaguement ,  une  diversité  de  forces 
dont  l'aciion  s'exerce  avec  harmonie  ,  pour  procurer  un  plai- 
sir qui  est  le  but  delà  vie  animale. 

A  mesure  que  la  vie  morale  se  perfectionne,  le  plaisir  qu'on 
trouve  à  sa  propre  existence  ,  à  sa  propre  activité  ,  devient 
également  plus  vif  :  la  conscience  de  la  force  qu'on  peut  diri- 
ger vers  des  choses  ou  plus  relevées  ou  plus  basses,  l'habileté 
qu'on  acquiert  de  soi-même  ,  et  les  dispositions  qu'on  tient 
de  la  nature  ,  communiquent  au  sentiment  de  soi-même  une 
vivacité  qui  donne  plus  de  valeur  à  la  vie,  et  l'activité  n'a 
pas  besoin  de  rémunération ,  puisque  l'exercice  des  forces 
procure  de  la  jouissance  par  lui-même,  indépendamment  du 
but  auquel  il  tend.  Il  faut  avoir  le  sens  bien  obtus  ou  bien 
offusqué  par  les  illusions  du  monde  extérieur  pour  demeurer 
étranger  aux  innombrables  joies  de  l'existence  ,  au  plaisir  du 
jeu  des  fonctions ,  aux  jouissances  de  l'exercice  des  forces  , 
qui  sont  la  propriété  d'une  conscience  nette  et  lucide. 

2°  La  vie  se  maintient  par  ses  propres  forces ,  mais  seule- 
ment sous  la  condition  d'un  monde  extérieur  qui  lui  corres- 
ponde, et  seulement  aussi  parce  qu'elle  tire  son  origine  d  an 
idéal  qui  s'est  réalisé  en  elle  sous  la  forme  d'une  chose  par- 
ticulière et  singulière.  De  là  résulte  qu'outre  sa  relation  avec 
elle-même ,  elle  en  a  une  aussi  avec  le  tout.  Elle  devient 
moyen  d'une  existence  et  d'une  vie  étrangères  ;  mais ,  de 
même  qu'un  organe  ne  saurait  être  tout  simplement  moyen  à 


540  ORGANISME  DU  TEMPS. 

l'égard  des  autres  organes  de  son  corps ,  et  absolument  dé- 
pourvu de  but  propre  ,  de  même  aussi  l'universalité  qui  s'é- 
veille en  elle  exalte  son  individualité  ,  d'oii  il  suit  que  le  but 
propre  de  la  vie  se  trouve  rempli  à  un  plus  haut  degré  et  dans 
une  plus  grande  étendue  (§  562  ,  2°).  La  plante  qui  travaille 
à  produire  par  génération  pour  le  compte  de  son  espèce ,  ne 
se  borne  point  à  créer  l'ornement,  qui  lui  est  d'ailleurs  étran- 
ger, de  Heurs  délicates,  symétriquement  variées ,  chamarrées 
de  couleurs  diverses  et  chargées  de  parfums  ;  tout  l'ensemble 
de  la  vie  s'élève  aussi  à  une  hauteur  telle  qu'elle  se  surpasse 
elle-même.  L'animal  brûlant  du  désir  de  se  reproduire  ac- 
quiert une  plénitude  de  force  vitale  qui  le  fait  résister  aux 
plus  cruelles  atteintes  ,  et  le  sentiment  de  sa  propre  vie  ac- 
quiert une  exaltation  qui  lui  permet  des  manifestations  de  for- 
ce dont  il  serait  incapable  en  d'autres  momens  (§  247).  Mais, 
chez  l'homme,  l'âme  prend  en  même  temps  un  vol  plus  hardi, 
de  manière  que  ce  qui  n'était  en  elle  jusqu'alors  que  le  simple 
germe  d'une  tendance  vers  l'infini ,  se  déploie  aussi  large- 
ment que  possible  (§  565,  3°,  5°).  Les  forces  vitales  s'exci- 
tent mutuellement  par  leur  conflit  amical ,  et  elles  viennent 
au  secours  les  unes  des  autres,  pour  atteindre  le  but  qui  leur 
est  commun  à  toutes.  En  se  débarrassant  pendant  le  jour  de 
Toxygène  qu'elle  contient  en  excès  ,  la  plante  le  rend  plus 
abondant  pour  l'animal  qui  dort  ,  et  celui-ci  lui  donne  en 
échange  l'acide  carbonique  qu'il  expire  ;  en  se  formant  elle- 
même,  elle  couve  et  nourrit  le  jeune  animal  qui  plus  tard  ac- 
complira sa  fécondation  et  la  dissémination  de  ses  graines. 
L'animal  que  son  instinct  pousse  à  l'association,  ne  pros- 
père qu'au  milieu  de  ses  semblables  ,  et  l'homme ,  que 
sollicite  le  penchant  à  agir  d'une  manière  raisonnable  et 
utile ,  ne  peut  ni  sentir  toute  la  puissance  de  sa  vie  ,  ni  déve- 
lopper ses  hautes  dispositions,  qu'autant  qu'il  exerce  son  ac- 
tivité dans  un  intérêt  commun.  Il  est  incertain  que  la  graine 
qu'il  sème  profitera  à  d'autres,  que  le  bienfait  qu'il  dispense, 
que  l'assistance  qu'il  prête  ,  rempliront  leur  objet;  mais  il  est 
certain  que  ces  actes  stimuleront  le  sentiment  qu'il  a  de  sa 
propre  existence,  et  lui  procureront  une  jouissance  intérieure. 
Car  c'est  l'universaliié  qui  élève  et  conserve  la  vie  ;  la  vie  n'a 


OK&ÀNÎSMË  DU  TEMPS.  54i 

pas  seulement  besoin  d'amour  qui  veille  à  ses  besoins,  et  qui  la 
maintienne  par  l'harmonie  de  sa  propre  essence  avec  ce  qui  lui 
est  éiranf^er;  illui  faut  aussi  aimer,  pour  qu'elle  puisse  se 
déployer  dans  toute  son  étendue  et  se  sentir  dans  toute  sa 
plénitude. 

L'individualité  est  une  spécialité  renfermant  l'universalité; 
«lie  forme  le  caractère  de  la  vie  en  général ,  puisque  celle-ci 
repose  sur  une  base  idéale  ;  mais  elle  ne  peut  se  développer 
d'une  manière  complète  que  dans  le  moral ,  où  l'idéal  lui- 
même  devient  phénomène  vital.  La  plus  haute  individualisa- 
tion est  donc  aussi  le  but  le  plus  élevé  de  la  vie;  elle  consiste 
€n  une  intuition  claire  de  son  propre  moi ,  par  antagonisme 
avec  l'universalité  ;  ici  cette  dernière  s'est  identifiée  avec  la 
spécialité,  tandis  que,  dans  la  vie  physique,  elle  n'agissait 
qu'en  elle  et  lui  servait  de  base.  L'être  dont  la  conscience  est 
parvenue  à  celte  hauteur,  apercevant  l'infini  lui-même ,  et  re- 
connaissant son  propre  moi  comme  une  chose  particulière  et 
finie,  mais  qui  participe  à  l'infini ,  il  suit  de  là  que  la  vie  s'é- 
lance vers  son  origine,  divine  et  qu'on  ne  saurait  concevoir 
un  but  plus  relevé.  Ici  ce  qui  n'avait  lieu  précédemment  que 
d'une  manière  végétative,  ou  par  impulsion  de  l'instinct ,  est 
reconnu  comme  loi  de  la  nature  et  accompli  avec  liberté.  C'est 
ainsi  que  la  volonté  humaine  peut  résister  au  cours  du  temps 
dans  le  monde  intellectuel ,  et  faire  que  la  vie  ,  loin  de  céder 
à  la  contrainte  du  moment,  conserve  les  rayons  d'une  vitalité 
antérieure,  les  réunisse  en  faisceau  ,  et  se  manifeste  sous  des 
dehors  plus  nobles.  On  peut  ,  sans  s'écarter  de  la  nature,  as- 
signer un  sens  vivant  à  chaque  âge  ;  à  l'enfance,  la  simple 
faculté  d'intuition ,  la  satisfaction  de  vivre  et  l'insouciante 
confiance  ;  à  la  jeunesse,  un  sentiment  phin  de  chaleur  pour 
tout  ce  qui  sort  de  la  ligne  commune,  l'entraînement  vers  l'i- 
déalité ,  et  l'espérance  fondée  sur  une  pleine  confiance  en 
soi-même  ;  à  la  virilité,  l'activité,  la  prudence  et  un  sérieux 
désir  de  laisser  à  la  postérité  des  traces  de  son  existence. 
De  la  résonnance  des  temps  passés  découle  la  pleine  harmo- 
nie de  la  vie  humaine. 

Lavieacquiert  ainsi  non  seulement  le  caractère  de  stabilité 
puquel  elle  tendati  depuis  son  origine ,  mais  encore  l'harmonie 


542  ORGANISME  DU  TEMPS, 

qui  avait  toujours  été  son  but.  En  reconnaissant  que  ce  qui  sem- 
blait accidentel,  quand  on  le  contemplait  isolément,  présente 
le  cachet  de  la  nécessité  dès  qu'on  le  considère  dans  ses  rela- 
tions avec  l'ensemble ,  l'individu  doué  de  la  conscience  de 
soi-même  se  soumet  au  tout  et  vit  en  paix  avec  la  nature  : 
car  s'il  est  affligeante!  éprouver  que  la  conduite  la  plus  rai- 
sonnable ne  mène  souvent  point  au  but,  tandis  que  les  êtres 
les  plus  dépourvus  de  bon  sens  y  arrivent  sans  nul  effort,  et 
d'acquérir  la  conviction  qu'une  tendance  idéale  qui  dédaigne 
les  calculs  du  vulgaire  égoïsme  ne  mène  absolument  à  rien^ 
si  cette  triste  expérience  abat  le  courage  du  jeune  homme  , 
on  se  réconcilie  avec  la  nature  en  pensant  que  le  monde  phé- 
noménal, qui  porte  le  cachet  du  fini,  ne  saurait  par  cela 
même  représenter  l'infini  dans  toute  sa  pureté  ,  et  qu'il  ren- 
ferme en  lui  des  quantités  irrationnelles  comme  élément 
nécessaire. 

IXI.  Persistance  après  la  mort. 

§  654.  Il  nous  reste  encore  à  examiner  la  question  de  sa- 
voir si  la  mort  est,  en  réalité  ou  seulementen  apparence,  la  fin 
de  notre  individualité.  Ce  problème  ne  saurait  être  étranger 
à  une  physiologie  qui  veut  embrasser  l'essence  entière  de 
l'homme. 

Nous  autres  vîvans  nous  n'avons  ,  à  la  vérité  ,  aucune  idée 
de  l'état  intérieur  d'un  mort  ;  car  nous  ne  connaissons  jamais 
que  notre  propre  état  intérieur,  et  l'analogie  seule  nous  porte 
à  en  admettre  un  semblable  chez  d'autres  individus;  mais  il  y 
a  dans  la  nature  une  foule  de  choses  par  rapport  auxquelles 
nous  ne  pouvons  acquérir  aucune  expérience  immédiate,  ce 
qui  n'empêche  pas  que  nous  en  fassions  un  sujet  d'étude , 
parce  que  nous  les  jugeons  d'après  d'autres  faits  analogues. 
Ce  n'est  pas  tant  son  objet  que  sa  manière  de  procéder  qui 
sépare  la  physiologie  de  la  métaphysique  ,  et  comme  celle-ci 
attire  la  vie  dans  son  domaine ,  de  même  aussi  l'autre  est  en 
droit  de  soumettre  le  problème  de  l'immortalité  aux  méthodes 
usitées  dans  les  sciences  naturelles.  Et  cet  examen  ne  saurait 
être  considéré  comme  une  téméraire  invasion  dans  le  sanc- 


ORGANISME  DU  TEMPS.  545 

tuaireMe  la  foi;  car  la  foi  qui  ne  repose  pas  sur  la  nature  n'est 
qu'une  pure  croyance  ,  et  une  croyance  n'est  jamais  sacrée, 
de  quelque  auréole  qu'on  l'entoure. 

Il  est  de  fait  qu'on  trouve  la  croyance  à  l'immortalité  dans 
toutes  les  contrées  de  la  terre  ^   qu'elle  se  rencontre  chez 
l'homme  dont  les  facultés  inteilectuelles  sont  parvenues  au 
plus  haut  point  de  perfection  ,  comme  chez  le  simple  enfant 
de  la  nature  qui  commence  à  réfléchir  sur  lui-même  et  sur 
l'univers.  Peu  importe  d'ailleurs  qu'elle  s'enveloppe  quelque- 
fois dt^s  nuages  de  la  superstition ,  comme  par  exemple  chez 
les  sauvages  de  la  baie  d'Hudson ,  qui ,  à  ce  qu'on  assure  , 
n'ont  aucune  idée  d'une  autre  vie  (1)  ,  mais  croient  reconnaî- 
tre dans  les  météores  les  esprits  des  amis  qu'ils  ont  perdus  (2). 
La  métaphysique  n'est  pas  plus  habile  que  l'expérience  vul- 
gaire à  nous  procurer  une  idée  nette  de  cet  état  :  comme  le 
Mundigo  auquel  Mungo  Park  demandait  où  se  trouvait  le  sé- 
jour des  esprits ,  donna  pour  réponse  que  nul  homme  n'en 
savait  rien ,  de  même  Kant  ^  interrogé  ,  peu  de  temps  avant 
sa  mort,  sur  ce  qu'il  pensait  de  l'état  futur,  répondit  :  «  rien 
de  précis  «,  et  dans  une  autre  occasion  :  «  je  ne  sais  rien  de 
cet  état  » .  Mais  l'homme  éprouve  partout  le  besoin  de  revêtir 
la  croyance  générale  d'une  forme  en  harmonie  avec  sa  pro- 
pre individualité;  l'immortalité,  ditHerder  (3),  est  une  sorte 
de   pressentiment  caché  au  fond  de  tous  nos  cœurs,  et  que 
l'imagination  ou  la  raison  morale  développe  de  diverses  ma- 
nières. La  physiologie ,  qui  démontre  que  la  même  idée  de  la 
vie  se  révèle  dans  les  différentes  configurations  du  corps  or- 
ganique ,  doit  aussi  esquisser  les  formes  diverses  que  l'idée 
de  l'immortalité  a  prises  dans  l'imagination  des  hommes.  Il 
est  vrai  qu'une  grande  incertitude  règne  souvent  à  l'égard  des 
données  historiques  qu'on  possède  sur  ce  sujet;  car,  indépen- 
damment de  l'obscurité  qui  les  enveloppe  elles-mêmes  ,  elles 
portent  presque  toujours  l'empreinte  des  viies  particulières  du 
narrateur  ;  d'ailleurs  il  n'y  a  pas  de  peuple  chez  lequel  règne 


(1)  Hearne,  Reise  in  die  Hndsonshai ,  p.  226. 

(2)  lUd.^  p.  229. 

(3)  Saemmtliche  WerJte,  t; ^YIÏ,  p.  87,  - 


544  ORGANISME  DU  TEM^S. 

une  similitude  parfaite  d'opinions;  la  croyance  populaire  elle- 
même  n'est  que  pariiflle  ,  elle  change  avec  les  progrès  de  la 
civilisation ,  enfin  la  poésie  rivalise  tellement  avec  la  spécula- 
tion, qu'on  est  souvent  dans  l'impossibilité  de  décider  si  telle 
ou  telle  idée  appartient  à  l'imagination  d'un  poète,  aux  re- 
cherches d'un  philosophe ,  ou  à  la  croyance  du  peuple.  Ce- 
pendant nous  avons  à  suivre  les  indications  de  ceux  qui  ont 
fait  de  ces  opinions  le  sujet  de  leurs  éludes  spéciales. 

-4°  Les  Nègres  et  les  Chinois  croient  à  la  persistance  de 
l'âme  dans  le  même  corps ,  et  redoutent  de  perdre  quelque 
membre,  de  peur  d'être  mutilés  à  l'époque  de  leur  réveil  (1). 
Les  anciens  mages  et  Zoroaslre  enseignaient  (2)  que  l'homme 
renaît  de  ses  cendres.  D'après  la  croyance  des  Mahométans  , 
les  cendres  demeurent  tranquilles  jusqu'à  la  résurrection  , 
lorsque  l'âme  sort  nette  du  jugement  ;  mais,  dans  le  cas  con- 
traire, le  corps  se  détruit  et  il  est  dévoré  par  les  vers  (3). 
Les  Grecs,  particulièrement  au  temps  d'Homère ,  et  les  Ger- 
mains ,  se  figuraient  l'âme  des  défunts  comme  une  ombre  du 
corps,  c'est-à-dire  comme  une  forme  pure ,  dégagée  de  toute 
matière,  sur  laquelle  elle  s'éiait  moulée.  Les  Calédoniens  et 
Ossian  la  regardaient  aussi  comme  une  vapeur,  comme  un 
nuage  conservant  la  même  forme  que  pendant  la  vie  (4).  Dans 
l'opinion  des  Siamois ,  elle  a  les  mêmes  parties  que  le  corps , 
mais  tellement  délicates,  qu'on  ne  peut  les  voir  (5).LesGroën- 
landais  la  croient  pâle ,  molle  ,  sans  chair  ni  os  ;  mais  ils 
pensent  que,  pendant  la  vie,  elle  est  collée  au  corps,  avec 
lequel  elle  peut  être  mutilée  et  divisée  (6).  Les  Caraïbes  (7) 
et  autres  peuplades  d'Amérique  (8)  ne  voient  non  plus  en 


(d)  Simon ,  Geschichte  des  Glaulens  aelterer  und  neuerernicht  christ- 
lichen  f^oelker  an  cine  fortdauende  Seele  nach  dem  Tode ,  p.  12. 

(2)  Flugg'e ,   Geschichte  des  Glcnihens  an  Unsterblichkeit ,   ^uferste- 
huny,  Gericht  und  P'eryelluny,  t.  I,  p.  499. 

(3)  Heidei- ,  SaemmtUche  /Verke,  t.'TlI,  p.  152. 

(4)  Flugge ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  170. 

(5)  Simon  ,  loc.  cit.,  p.  17. 

(6)  Flugge ,  loc.  cit.,  t.  Il',  p,  2ii). 

(7)  Jàid.,  t.  I,  p.  35. 
(8)/iîrf.,t.  II,p.  217, 


ORGANISME    DU   TEMPS.  545 

elifi  qu'une  ombre  du  corps.  Ces  opinions  reposent  sur  la 
pensée  que  l'idéal  est  ce  qu'il  y  a  d'essentiel  et  de  détermi- 
nant dans  l'organisme  ,  ce  qui  lui  imprime  sa  forme.  La  même 
pensée  conduisit  à  admettre  deux  âmes ,  tant  qu'on  ne  fut 
point  arrivé  à  saisir  l'unité  de  la  vie  et  à  reconnaître  que 
l'âme  végétative  est  le  produit  de  la  force  infinie  de  la  nature, 
le  germe  non  développé  de  toutes  les  facultés  intellectuelles 
et  morales.  Non  seulement  la  doctrine  de  Confucius  suppose 
une  âme  terrestre  et  mortelle  (pe),  et  une  âme  pensante 
(hang-hoen) ,  qui  retourne  au  ciel  après  la  mort,  comme 
l'autre  rentre  dans  la  terre  (1),  mais  encore  la  relation  boud- 
dhaïque  des  Thibétains  admet  deux  âmes,  l'une  bonne,  l'au- 
tre mauvaise  (2),  et  les  peuples  du  Groenland  et  du  nord  de 
l'Amérique  en  reconnaissent  égaiemeni  deux. ,  l'une  vivifiante 
l'autre  spirituelle  (3),  dont  la  dernière  ,  suivant  les  Canadiens, 
sort  du  corps,  pendant  le  sommeil,  pour  errer  en  liberté  (4). 
Nos  mystiques  croient  aussi  à  deux  âmes,  même  à  trois, 
dont  une  sert  d'intermédiaire  aux  deux  autres.  D'après  le 
système  des  Cabalisies,  l'âme  vitale  (nephesch)  reste  dans 
le  cadavre  jusqu'à  sa  putréfaction,  l'âme  intermédiaire  (noacli) 
se  rend  de  suite  au  paradis  intérieur,  et  l'âme  pensante  (ne- 
schamah)  retourne  immédiatement  à  la  divinité,  à  laquelle  les 
deux  autres  finissent  aussi  par  se  réunir  (5). 

2"  Fréquemment  on  a  admis  qu'un  certain  laps  de  temps 
s'écoulait  entre  la  mort  et  le  moment  où  Tâme  se  séparait 
entièrement  des  restes  du  corps.  Cette  croyance  à  une  per- 
sistance de  l'âme  dans  le  cadavre  a  été  trouvée  parmi  les 
peuplades  américaines,  sur  les  bords  du  Mississipi,  à  la  Guyane, 
au  Pérou  et  au  Paraguay,  dans  le  nord  de  l'Asie ,  chez  les 
Hindous,  dans  plusieurs  îles  de  la  mer  du  Sud,  chez  quelques 
hordes  de  Nègres ,  et  parmi  les  anciens  Egyptiens  (6),  ainsi 


(1)  Ihid.,  t.  II,  p.  380.  —Simon,  loc.  cit.,  p.  24. 

(2)  Flugge  ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  368, 

(3)  Simon,  loc.  cit.,  p.  23. 

(4)  Flugge,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  218. 

(5)  ibid. ;t.I,  p.  39. 

(6)  Siaion  ,  loc  cit.,  p.  34. 

V'  35 


54^  ORGANISME  bV  ÎEMÎSf. 

que  chez  les  Arabes,  qui  arrosaient  et  cultivaient  les  tombeaux 
des  leurs  ,  pour  rafraîchir  les  cendres  (1),  en  un  mol,  chez 
tous  les  peuples  qui  melteot  des  aliajeiis  sur  les  lombes 
(g  641,  8").  A  Otahiti,  elle  erre  autour  du  tombeau,  et  se 
repose  dans  les  figures  de  bois  qu'on  y  place  exprès  pour 
cela.  Les  Juifs  croyaient  à  une  résurrection  lors  de  la  des- 
truction deja  terre,  ou  après  que  le  globe  aurait  duré  six 
mille  ans  (2),  ou  quarante  ans  après  la  venue  du  Messie  (3). 

3°  Les  Hébreux  se  figurèrent  d'abord  la  mort  sous  les  traits 
d'un  chasseur  armé  de  filets  et  de  flèches  :  plus  lard  ils  ad- 
mirent deux  anges  de  mort,  l'un  bon,  Gabriel,  et  l'autre 
mauvais,  Samaëi.  Mahomet  enseignràt  qu'un  ange  de  la  mort 
tranche  le  fil  de  la  vie  (4).  D'après  la  croyance  des  Goucis  , 
l'âme  est  emportée  par  un  esprit,  et  les  promesses  que  celui- 
ci  fait  au  moribond  sont  remplies  (5).  Chez  les  anciens  Ger- 
mains ,  les  Walkyres,  qui  dirigeaient  le  combat ,  menaient 
aussi  les  ombres  des  héros  au  Walhalla.  Mais  les  Calédoniens 
pensent  que  Tàme  ne  parvient  à  sa  dernière  demeure  qu'a- 
près avoir  reçu  le  chant  funéraire  (6),  de  manière  qu'elle 
n'arrive  à  la  béatitude  que  par  les^  doléances  de  ceui  qui 
l'aimaient. 

Fréquemment  on  se  figurait  que  l'admission  de  l'âme  dans 
sa  future  demeure  présentait  des  diflicultés  ,  et  l'on  entendait 
surtout  par-la  un  examen  moral  qu'elle  avait  à  subir.  Suivant 
les  anciens  Parses,  lame  se  rend  au  pont  Tschinevad  ,  après 
la  traversée  ducjuel  elle  est  dirigée  vers  le  séjour  des  bien- 
heureux, ou  précipitée  dans  la  nuit  éternelle  (7).  La  même 
chose  arrive,  selon  les  Arabes  ,  après  le  passage  du  pont  Al- 
sirat  (8).  Chez  les  anciens  peuples  du  Nord,  c'était  l'arc-en- 
çiel  qui  servait  de  pont  pour  conduirCj  au  Walhalla  (9)  ;  la 

(1)  Herder,  Saemmlliche  Werhe ,  t.  VII,  p.  449. 

(2)  Elugge  ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  259. 

(3)  ibid.,  p.  273. 

(4)  Ibid.,  t.  II,  p.  270. 

(5)  Ziminermann,  Taschenbuch  der  Reisen,  t.  XI,  p.  242. 

(6)  Fliigge,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  100. 
(7)-/Wt^.,p.  244. 

(S)  Herder,  Saemmtliche  Werlie ,  t.  VU,  p.  453. 
(9)  Flugge,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  44. 


ORGANISME    DU    TEBIPS.  547 

route  du  Niflheim  traversait  la  nuit  et  des  vallées,  puis  un 
pont  d'or  tendu  sur  le  fleuve  Giall ,  et  enfin  des  portes  gar- 
dées par  des  chiens  (1).  D'après  les  Kamtschadales,  l'âme  doit 
passer  sur  des  ponts  étroits  et  vacillans.  Les  Maïancicas  ,  au 
Paraguay,  lui  font  traverser  de  hautes  montagnes  et  un  grand 
pont  ;  les  Groënlandais  ,  des  rochers  et  des  abîmes  ;  les  La- 
ponais,  des  chemins  sombres  et  hérissés  d'épines.  Les  Otoma- 
ques  pensent  que  le  est  obligée  de  combattre  contre  un  grand 
oiseau  ;  les  Téleutes  et  les  Gorèques,  contre  des  esprits  ter  res- 
tres  ;  les  Tscherémisses  ,   contre  un  chien  de  l'enfer  (2).  Ces 
derniers  mettent  pour  cela  un  gros  bâton  à  côté  du  cadavre. 
On  cherche  à  protéger  l'âme  pendant  son  émigration;  chez 
les  anciens  Leites,  par  des  chants  autour  du  bûcher  embrasé  ; 
chez  lesParses,  par  des  prières  ;  chez  les  Groënlandais;  les 
Tëleutes  et  les  Gorèques ,  par  des  prières  et  des  jeûnes.  Les 
Grecs  frappaient  sur  des  plateaux  d'airain,  pour  garantir  l'âme 
des  furies,  et  les  Maïancicas  croient  que  leurs  prêtres  l'accom- 
pagnent (3). 

Une  autre  opinion,  fort  répandue  aussi,  est  celle  que  l'âme 
doit  nécessairement  se  purifier  de  tous  les  défauts  terrestres. 
Les  Parses  la  font  passer  à  travers  un  lac  de  feu,  qui  ne  lui 
cause  aucune  atteinte  quand  elle  aéié  veriueuse  (4)  ;  suivant 
quelques  peuplades  du  nord  de  l'Amérique,  elle  doit  grillerou 
supporter  d'autres  souffrances  dans  la  mer  de  feu  du  soleil  (5). 
Les  Mahométans  pensent  qu'elle  se  rend  à  un  lieu  de  purifi- 
cation appelé  Araf  (6).  Selon  les  Hindous  ,  lorsqu'elle  n'est 
point  encore  parfaitement  pure,  elle  va  soit  dans  le  premier 
ciel  (Surg),  soit  dans  la  région  des  serpens  (Narak),  soit  dans 
le  corps  d'animaux,  dans  des  plantes  ou  dans  des  pierres  (7). 
Les  Japonais  croient  que  les  âmes  des  enfans  au  dessous  de 


(4)i6ii.,p.  94. 

(2)  Simon  ,  loc.  cit.^  p.  30. 

(3)  Ibid.,p.  32. 

(4)  Flugge  ,  loc.  cit.,  t. Il,  p.  255. 

(5)  Simon ,  72. 

(6)  Flugge,  loc.  cit.,  t.  H,  p.  294. 

(7)  Ibid,,  p.  339. 


548  ORGANISME    DU    TEMPS. 

sept  ans  sont  envoyées  dans  le  lac  Fakone ,  d'où  l'on  peut  les 
délivrer  en  faisant  des  présens  auK  prêtres. 

4°  Quelques  peuples  croient  que  ceux  qui  meurent  à  l'étran- 
ger renaissent  à  la  vie  dans  leur  pays  natal ,  et  cette  persua- 
sion a  souvent  porté  les  Nègres  au  suicide.  Les  séjours  des 
âmes  sont,  d'après  les  Patagons,  des  cavernes  profondes,  se- 
lon les  Haraforas,  des  déserts  au  milieu  de  montagnes  et  d'îles 
inaccessibles  (1);  suivant  les  Chiliens,  des  contrées  situées  par 
delà  les  mers,  et  selon  les  Brésiliens  ,  les  pays  qui  occupent 
l'autre  revers  des  Andes  (2).  Ce  sont ,  aujdire  des  habitansdu 
Brésil,  des  forêts  agréables,  riches  en  fruits  et  en  gibiers  (3); 
d'après  les  peuplades  du  Missouri,  de  grands  villages,  où  l'on 
trouve  tout  en  abondance  (4)  ;  suivant  les  Caraïbes  ,  un  pays 
qui  fournit  richement  à  tous  les  besoins  (5).  Les  peuples  du 
détroit  de  Noutka,  des  îles  Arsacides  et  de  l'île  Ostéroë,  pla- 
cent le  séjour  des  âmes  dans  l'air  (6)  ;  les  anciens  Calédo- 
niens leur  faisaient  habiter  des  champs  aériens  et  des  palais 
de  nuages  (7).  Les  Germains  pensaient  que  les  âmes  des 
hommes  libres,  notamment  celles  des  héros  morts  sur  le  champ 
de  bataille,  se  rendaient  au  Walhaîia  ,  palais  des  dieux,  et 
celles  des  autres  dans  le  monde  des  brouillards  (Niflheim),  où 
règne  Hela,  qui  a  pour  palais  la  misère  ,  pour  clef  la  faim  , 
pour  lit  des  soucis  ,  pour  couverture  le  blasphème  (8j- 

On  admettait  une  transmigration  de  l'âme  dans  divers  corps 
terrestres,  soit  qu'on  se  la  représentât  comme  moyen  de  pu- 
nition ,  d'épreuve ,  de  purification  et  d'amendement ,  soit 
qu'on  voulût  symboliser  ainsi  la  variation  continuelle  des 
choses  et  la  manifestation  de  l'idéal  sous  des  formes  diversi- 
fiées, soit  enfin  qu'on  eût  en  vue  d'expliquer  l'origine  des  êtres 


(1)  Ziinmerniann  ,  Taschenhuch  der  Reisen ,  t.  XIV,  p.  284. 

(2)  Simon  ,  loc.  cit.,  p.  56. 

(3)  Spix  et  Martiiis,  Reise  in  Brasilien  ,  t,  I,  p.  383. 

(4)  Peri'in  du  Lac  ,  Reise  in  die  beiden  Lo-uisianen  ,  t.  I ,  p.  475. 

(5)  Simon,  loc.  cit.,  p.  38. 

(6)  llid.,  p.  56. 

(7;  Flugge ,  loc.  cit.,  p.  480- 
(8)  /;k/.,  p.  64,400. 


ORGANISME   DU  TEMPS.  549 

animés  sans  regarder  l'âme  comme  le  produit  du  corps.  La 
connaissance  du  caractère  et  des  aptitudes  morales  des  ani- 
maux ,  comparés  aux  mêmes  facultés  che/Thomme,  n'était 
pas  sans  influence  sur  les  idées  de  cette  catégorie.  Les  Egyp- 
tiens regardaient  la  métempsychose  comme  purification  ,  ré- 
compense et  punition  ;  les  Hindous ,  les  Chinois  ,  les  Siamois, 
les  Japonais,  les  Tunkinois.,  les  Maiabares,  les  habitans  de  Su- 
matra et  de  Java ,  les  Mongols ,  les  Kalmouks,  les  Cafres , 
quelques  hordes  d'Amérique  et  les  Otahitiens  croient  qu'il  n'y 
a  que  les  âmes  des  méchans  qui  passent  dans  le  corps  des 
animaux  (1)  ;  au  Pégu  et  à  Ava  ,  on  pense  que  les  personnes 
vertueuses  sont  les  seules  qui  redeviennent  hommes  (2).  Sui- 
vant la  doctrine  de  Brahmah  ,  les  âmes  des  bons  passent  dans 
des  vaches,  des  moutons  et  des  éiéphans;  celles  des  méchans 
dans  des  tigres  et  des  cochons  (3).  Les  Canadiens  s'imagi- 
nent que  l'âme  transmigre  dans  le  corps  d'une  tourterelle,  et 
les Patagons  dans  celui  d'un  canard  (4).  Suivant  l'opinion  d'au- 
tres peuples ,  elle  passe  successivement  de  degrés  inférieurs 
à  d'autres  plus  élevés,  et  vice  ver^a  (5). 

5°  L'empire  des  ombres  des  Israélites  (Scheol)  était  un 
royaume  du  néant,  où  tout  se  trouvait  enseveli  dans  un  sommeil 
de  mort  (6).  P!us  tard  les  Hébreux  eurent  l'espérance  de  faire 
le  repas  duLéviathan  avec  le  Messie  (7j,  et  de  trouver  d'autres 
jouissances  propres  à  flatter  les  sens  (8>  Sur  les  bords  du 
Mississipi,  au  Chili,  en  Sibérie,  à  Otahili,  on  compte  également 
sur  les  plaisirs  de  la  terre ,  la  possession  de  chevaux  et  de 
chiens ,  les  délices  de  la  chasse  et  de  la  guerre  contre  les  en- 
nemis. Les  peuples  germains  espéraient,  dans  le  Walhalla  , 
les  jouissances  de  la  société ,  des   luttes  et  l'ofl're  faite  par 


(1)  Simon,  loc.  cit.,  p.  76. 

(2)  Fliigge,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  376. 
(3) /6xd.,  t.  I,  p.  397. 
(4)/Sirf.,t.  II,  p.  218. 

(5)  Herder,  Saemmtliche  Werke  ,  t.  VU,  p.  213. 

(6)  Fiugge,  loc. cit.,  t.  I,  p.  166. 
(7j/&irf.,p.  259. 
(8)i4R,p.307. 


55o  ORGANISME    DU    TEMPS. 

Odin  de  la  chair  du  sanglier  immortel  et  du  lait  de  la  chè- 
vre Heidrun  (1). 

Les  peuples  qui  se  signalaient  par  un  grand  attachement 
pour  les  leurs,  se  figuraient  aussi  qu'après  la  mort  ils  seraient 
réunis  à  eux  (2).  Telle  était  la  croyance  des  anciens  Ger- 
mains (3)  et  des  Calédoniens  (4),  dont  les  palais  de  nuages 
devaient  loger  des  familles.  D'autres  peuples  aussi,  par  exem- 
ple les  Chavanons  de  la  Louisiane ,  comptent  sur  une  réunion 
avec  leurs  proches  et  leurs  amis  (5).  Les  anciens  habitans  du 
nord  croyaient  également  que  les  morts  prenaient  intérêt  au 
sort  des  vivans  (6)  et  se  réjouissaient  des  actions  de  leurs 
fils  (7).  Cette  pensée  d'un  commerce  continuel  avec  l'autre 
monde  engendre  la  crainte  des  spectres ,  qu'on  retrouve  chez 
tous  les  peuples  (8),  et  d'autres  superstitions  analogues,  par 
exemple  celle  des  Samoïèdes,  qui  ne  prononcent  jamais  le 
nom  du  mort ,  dans  la  crainte  de  troubler  son  repos  (9). 

6°  Quelques  peuples ,  les  anciens  Arabes  ,  les  Madégas- 
ses  et  plusieurs  insulaires  de  l'Asie  orientale,  Nègres  et  Amé- 
ricains ,  considèrent  la  vie  future  comme  une  continua- 
tion de  celle  d'ici-bas ,  et  n'attendent  ni  récompense  ni  pu- 
nition(10).Les  Iialmes  croient  que  les  juges  des  movt&{haetsch) 
n'ont  d'autre  mission  que  d'efiacer  les  inégaUtés  qui  ré- 
gnent sur  la  terre  ,  de  donner  la  richesse  aux  pauvres  et  la 
pauvreté  aux  riches  (11).  Mais  la  plupart  des  peuples  admet- 
tent des  rémunérations  et  des  punitions  après  la  mort ,  quoi- 
que cette  croyance  n'influe  sur  la  conduite  qu'autant  qu'elle 
est  dirigée  par  desprétres;l2).Les  moyens  de  salut  consistent, 

(1) /Wd.,  t.  n,  p.  64,400. 

(2)  Herder,  Sammtliche  Werhe ,  t.  VII,  p.  177. 

(3)  Fiugge,  loo.  cit.,  t.  II,  p.  64. 

(4)  Ibid.,  p.  197. 

(5)  Perriiidu  Lac,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  111. 

(6)  Fiugge ,  loc.  cit.  ,t.  I ,  p.  ISO. 

(7)  Herder,  Saemmtlichs  fVerke ,  t.  VII,  p.  155. 

(8)  Simon,  loc.  cit.,  p.  i. 

(9)  Ziinraermann,  Taschenbuch  des  Reisen^t,  VIII,  pi.  II,  p.  75. 
(40)  Simon  ,  loc.  cit.,\ç.  109. 

(11)  Ibid.,  p.  58. 

(12)  Fiugge,  loc.  cit.,  ..ï,  p.  112. 


ORGANISME    «U  TEMPS.  da  I 

chez  les  Hindous ,  à  la  Chine ,  au  Japon  ,  an  Thibet ,  à  Siam 
et  chez  les  Géorfïiens ,  en  des  sauf  conduits  que  les  prêtres 
donnent  pour  le  ciel  ;  au  Pégu ,  dans  la  construction  de  pa- 
godes et  l'offrande  d'alimens  aux  prêtres  ;  chez  les  Arméniens, 
en  des  repas  donnés  pendant  sept  jours  à  des  prêtres  et  à  des 
pauvres;  chez  les  Kalmouks,  les  Thibétains  et  les  Hindous,  dans 
le  respect  qu'on  témoigne  aux  ministres  du  culte.  Au  Japon,  à 
la  Chine,  à  Siam,  dans  THindoustan,  on  récite  des  prières 
pour  les  morts.  Les  anciens  Arabes  et  Egyptiens  plaçaient 
des  idoles  dans  les  tombeaux  ou  autour.  Les  Hindous  se  sanc- 
tifient par  l'immersion  dans  les  fleuves  sacrés  ;  les  Brésiliens]^ 
comme  autrefois  les  Celtes ,  par  des  faits  héroïques  ;  les  Es- 
quimaux, en  se  gardant  de   parler  mal  des  animaux  (1). 
Le  juge  des  morts  est ,  d'après  les  Brahmes  ,  Jama,  qui  tient 
la  balance,  et  donne  des  tourmens  ou  la  félicité;  selon  les  Boud- 
dhistes ,  Irlikchan ,  devant  lequel  de  bons  et  de  mauvais  es- 
prits plaident  comme  avocats;    suivant  les  Chinois,    Yen^ 
Vang;  au  Japon,  Jemraa;  chez  les  Maïancicas,  Tatusko,  qui' 
ne  permet  qu'aux  bons  de  passer  le  pont  pour  aller  dans  ïe 
pays  des  bienheureux.  Les  Siamois  ont  un  juge  qui  inscrit 
tous  les  péchés  ;  les  Tunkinois ,  un  dieu  qui  déchire  et  no'iè 
les  méchans,  mais  conduit  tes  bons  dans  un  pays  fortuné. 
Les  Kalmouks  pensent  que  les  bons  voltigent  dans  l'air  ,  tan- 
dis que  les  méchans  passent  dans  le  corps  d'animaux  Gd 
d'hommes.  Chez  les  îroqnoîs  et  les  Esquimaux  ,  les  bons  tra- 
versent un  fleuve  pour  aller  dans  le  séjour  de  la  béatitude. 
Chez  les  Nègres ,  ils  se  rendent  dans  un  pays  de  bonheur , 
tandis  que  les  méchans  sont  noyés  ou  assommés  (2).  Chez  les 
Tatares,  l'examen  destiné  à  constater  si  l'âme  mérite  récom- 
pense ou  châtiment,  dure  quatre  semaines  3).  Chez  les  Israé- 
lites ,  chacun  est  jugé  selon  ses  œuvres  après  la  mort ,  et  plus 
tard  aura  lieu  encore  un  jugement  général  (4).  De  mêxûe , 
chez  les  anciens  peuples  du  nord ,  les  méchans  étaient  déjà 


(i)  Simon  ,  loc.  cit.,  p.  69, 110. 

(2)  Flugge ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  58. 

(3)  Zinimermann,  Taschenluch  des  Beisen,  t.  Vllî,pl\  ÎJ,  p.  iM. 

(4)  Flufîge,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  32S. 


55»  ORGANISME    DU    TEMPS. 

tourmentés  par  des  serpens  venimeux  dans  le  Niflheim ,  mais 
le  Niflheim  et  le  Walhalla  ne  devaient  durer  que  jusqu'au  cré- 
puscule divin,  au  Ragnatokcur,  moment  où  tout  serait  détruit, 
et  où  le  père  commun  rendrait  ses  jugemens  (1).  D'après  la 
doctrine  des  Brahmes,  les  bons  trouvent  le  bonheur  dans  la 
contemplation  de  la  divinité  (2).  Suivant  les  Perses ,  ils  vivent 
dans  la  lumière  éternelle  et  se  nourrissent  de  baume  (3).  Les 
peuples  du  Nord  les  logeaient  dans  le  ciel  supérieur  (Gimle), 
où  règne  un  bonheur  sans  nuages  (4) ,  et  les  Gallois  à  Flat- 
hinnis,  séjour  d'un  printemps  perpétuel  et  d'une  joie  éter- 
nelle. Le  paradis  des  Israélites  ne  diffère  de  la  vie  terrestre 
que  parce  que  les  jouissances  physiques  y  sont  plus  multi- 
pliées (5).  Il  en  est  de  même  de  celui  des  Maliométans,  siiué 
par  delà  le  septième  ciel ,  et  qui  contient  le  fleuve  de  la  vie , 
l'arbre  de  la  félicité  et  des  jeunes  filles  d'une  impérissable 
beauté.  L'Américain  attend  après  cette  vie  un  beau  climat , 
des  fruits  doux  ,  une  chasse  abondante  et  de  belles  femmes  ; 
le  Groënlandais  "des  rennes  et  des  phoques  en  abondance  ; 
l'habitant  de  la  Sibérie  orientale  ,  des  chiens  d'une  force 
énorme ,  des  chasses  heureuses ,  de  gras  troupeaux  et  des 
femmes  chargées  d'embonpoint  ;  le  Siamois  et  le  Chinois  rê- 
vent non  seulement  des  plaisirs  sensuels ,  mais  encore  des 
dignités  et  des  honneurs  (6).  Les  Parses  reléguaient  les  mé- 
chans  dans  la  nuit  éternelle ,  où  l'âme  se  nourrit  de  putréfac- 
tion (7);  les  peuples  germains,  dans  le  pays  de  Nastroad , 
où  coulent  des  fleuves  empoisonnés,  qui  fourmillent  de  ser- 
pens (8)  ;4les  Calédoniens ,  dans  des  vapeurs  marécageuses  (9j; 
les  Hindous ,  à  Padalon ,  contrée  pleine  de  fleuves  embrasés, 


(1)  Ihid.,  t.  II,  p.  120. 
<2)i6îd.,t.  I,  p.  356. 

(3)  Ihid.  t.  II,  p.  244. 

(4)  Ihid.,  p.  120. 


(5)  Ibid.,  t.  I,  p.  355. 

(6)  Simon,  loc  cit.,^.  86. 

(7)  Flugge,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  244. 

(8)  Ibid.,  p.  141. 


ORGANISME  DU    TEMPS.  555 

d'immondices  et  de  monstres  (1);  les  Thibétains,à  Guielva  (2); 
les  Péguans  et  les  Avanais  à  Naxac  (3)  ;  les  Israélites  et  les 
Mahométans  dans  un  abîme  de  feu ,  appelé  Gehenna  ;  les  ha- 
bitans  de  la  Caroline  et  des  Florides  ,  les  Groënlandais ,  les 
Esquimaux  ,  les  Islandais  et  les  Tschérémisses  ,  dans  un  lieu 
humide  ,  froid ,  obscur  et  stérile  ,  oij  l'on  a  toujours  faim,  et 
où  l'on  ne  trouve  pas  de  femmes  (4).  Mais,  d'après  la  doctrine 
des  Parses,  les  méchans  ,  après  avoir  souffert  pendant  trois 
j  ours  d'indicibles  tournions ,  obtiennent  leur  pardon  ,  de  ma- 
nière que  le  bonheur  finit  par  être  le  partage  de  tous  (5). 
Chez  les  Hindous,  les  âmes  des  grands  criminels,  après  avoir 
été  punies  dans  les  quatre  premiers  des  sept  enfers ,  puis 
avoir  erré  sur  la  terre ,  sont  rachetées  par  les  sacrifices  de 
leurs  familles  (6).  Les  Birmans ,  les  Siamois,  les  Péguans,  les 
Tunkinois,  les  Thibétains  et  les  Mahométans  n'admettent 
point  non  plus  l'éternité  des  peines  de  l'enfer  (7). 

§  655,  Après  avoir  exposé  les  opinions  des  peuples,  passons 
à  l'examen  physiologique  du  sujet  lui-même. 

I.  L'idée  la  plus  naturelle  semble  être  celle  que  la  mort 
anéantit  T'individualité  ;  car  cette  hypothèse  ne  présuppose 
rien,  repousse  toute  superstition,  et  s'en  tient  au  fait  immédiat, 
savoir,  que  le  cadavre  tombe  en  putréfaction  ,  et  qu'on  n'a- 
perçoit aucune  trace  de  l'âme.  Elle  s'accorde  en  outre  avec 
des  vues  physiologiques  :  la  vie  universelle  persiste  seule  sans 
changement  ;  toute  vie  particulière  procède  d'elle,  et  y  re- 
tourne ,  comme  à  sa  source  primordiale ,  parce  que  rien  ne 
saurait  durer  éternellement  ;  la  vie  marche  de  cette  manière 
à  l'universalité.  Par  la  mort ,  le  corps  retourne  à  la  forme  gé- 
nérale de  la  matière,  les  élémens  et  l'âme  à  la  forme  générale 
de  l'idéal ,  dans  l'empire  des  idées  ;  mais  les  produits  de  la  vie 


(i)  Ihid.,  p.  339. 

(2)  ïbid.,  p.  368. 

(3)  lUA.,  p.  376. 

(4)  Simon,  loc  cit.,  p.  93. 

(5)  Flugge ,  loc.  cit.,  t.  II ,  p.  252. 

(6)  Haafner,  Reise  lœngs  derKuesteOrixa  und  Koromandel^  t.  I,  p.  29. 

(7)  Simon ,  loc.  cit.,  p.  106. 


554  ORGANISME  DU  TEMPS. 

continuent  d'exister  en  relation  universelle  ;  les  coraux  morts 
forment  de  nouvelles  îles ,  qui  se  couvrent  d'un  tapis  de  li- 
chens et  de  mousses,  dont  la  décomposition  donne  un  terreau 
dans  lequel  des  arbustes  et  des  arbres  j)rennent  racine  ;  le 
corps  animal  sert  de  nourriture  à  d'autres  animaux ,  et  ce 
que  r homme  a  fait  profite  aux  {;énérations  suivantes.  Celte 
hypothèse  s'accorde  également  avec  la  conviction  que  la  vie; 
a  son  but  en  elle-même  (§  653),  et  qu'elle  a  une  valeur  pra- 
tique ,  en  ce  qu'elle  apprend  à  utiliser  le  présent,  sans  comp- 
ter sur  un  avenir  incertain.  Enfin  elle  a  quelque  chose  de  ma- 
gnanime, car  il  f;iut  une  certaine  énergie  de  caractère  pour 
penser  de  sang -froid  à  son  propre  anéantissement. 

i°  La  destruction  de  findividualilé  a  été  représentée  comme 
l'anéantissement  de  l'âme.  Les  Hébreux  et  les  Grecs  admet- 
taient l'idenlité  de  la  force  vitale  ,  du  soufle  et  de  l'a  ne  (1)  ; 
les  sceptiques  modernes,  Hume,  par  exemple  ,  enseignaient 
que  l'âme  croît  et  périt  avec  le  corps  ;  de  même  ,  les  physio- 
logistes matérialistes  de  notre  époque,  entre  autres  Hohn- 
baum  (2),  ont  admis  que  toute  modification  de  force  tient  à 
l'état  de  la  matière,  et  que,  l'âme  étant  identique  avec  la 
vie  corporelle,  elle  périt  en  même  temps  qu'elle.  Mais  l'étude 
de  la  formation  de  l'embryon  et  des  progrès  continuels  du 
développement  nous  conduit,  ainsi  que  toutes  les  considéra- 
tions auxquelles  on  peut  se  livrer  sur  la  vie,  à  être  convaincue 
que  l'idéal  n'est  pas  le  produit  d'une  matière  affectant  telle  ou 
telle  forme ,  mais  que  c'est  lui  au  contraire  qui  imprime  cette 
forme  particulière  à  la  matière,  et  Autenrieth  (3)  a  profité  de 
l'existence  de  forces  indépendantes,  qui  tantôt  se  manifestent 
(  comme  mouvement ,  électricité  ,  etc.  ),  tantôt  disparaisseiH: 
sans  laisser  aucune  trace,  pour  prouver  qu'ily  a  autre^cboéiè 
que  l'existence  matérielle.  Nous  reconnaissons  bien  que  la 
vie  est  une  chose  toute  spéciale ,  et  que  l'âme  pensante  en  est 
le  dernier  degré  de  développement  ;  mais  nous  disons  qu'elle 


(1)  Flugge,   loc.  cit.,  t.  I,  p.  36. 

(2)  Nasse,  Zeitschrift  fuer psychische  Aerzté ,  1821,  cah.I,  p.  8-16. 

(3)  Ueher   den  Menschen  und  seine   Hoffhung  einer    Fortdauer    vont 
Standpunete  des  Naturforschers,  p.  90-98. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  555 

n'est  point  née  de  la  vie  matérielle,  qu'elle  existait  primordia- 
lement  en  germe ,  et  qu'en  se  déployant  sous  la  forme  végé- 
tative ,  elle  a  créé  le  corps  organique.  Or  il  ne  suit  point  de  là 
que  l'âme  périsse  en  même  temps  que  son  produit ,  le  corps. 
2"  Les  spiritualistes  admettent  l'immortalité  dans  une  exis- 
tance  éternelle  et  illimitée  de  Tûme.  Mais  l'essence  de   notre 
moi  consiste  en  une  existence  déterminée,  modifiée  d'une  cer- 
taine manière  et  par  conséquent  limitée,  d'une  force  idéale  gé- 
nérale. Si  nous  voulions  désigner  l'existence  illimitée  de  l'âme 
comme  une  persistance  éternelle  de  celte  même  âme  ,  nous 
serions  tout  aussi  en  droit  d'admettre  l'immortalité  du  corps; 
car  l'indestruclibilité  de  la  matière  fait  que  ses  élémens  sub^ 
sistent  d'une  manière  éternelle ,  seulement  sous  d'autres  for- 
mes et  dans  de  nouvelles  combinaisons.  L'universel,  l'élémen- 
taire, ne  devient  un  être  particulier  qu'à  la  condition  de  limi- 
tes déterminées ,  et  quand  nous  parlons  de  notre  âme  ou  de 
notre  corps,  nous   avons  en  vue  cette  spécialisation.  De  ce 
qu'à  la  mort  on  ne  voit  point  s'échapper  une  matière  subtile 
avec  laquelle  l'âme  puisse  s'unir  ,  et  qui  devrait  au  moins  se 
manifester  par  quelque  effet ,  on  conclut  que  l'âme ,  si  eUe 
persiste,  rompt  toute  liaison  avec  le  monde  matériel  (1)  ;  mais, 
en  se  dégageant  ainsi  des  liens  du  fini,  elle  ne   serait    plus 
qu'universelle ,  et  cesserait  d'exister  réellement  -,  par  consé- 
quent elle  serait  anéantie  dans  sa  spécialité.  On  veut  qu'après 
la  mortelle  soit  privée  de  toute  sensualité,  qu'en  conséquence 
elle  n'existe  plus  dans  l'espace ,  puisqu'il  n'y  a  que  ce  qui 
tombe  sous  les  sens  qui  puisse  exister  à  la  fois  dans  le  temps 
et  dans  l'espace  (2)  ;  mais,  pour  que  plusieurs  êtres  existent 
simultanément ,  il  faut  qu'ils  soient  séparés  l'un  de  l'autre  , 
par  conséquent  limités,  et  celte  séparation,  cette  délimitation 
de  choses  simultanéeSjSontprécisément  ce  qui  constiluel'espace. 
•La  divinité  elle-même  ne  peut  point  être  hors  de  l'espace  ; 
car  alors  l'espace  serait  sans  divinité,  et  il  ne  pourrait  point 
y  avoir  d'existence  dans  l'espace  ;  la  divinité  n'est  qu'élevée 
au  dessus  des  bornes  du  fini ,  parce  qu'elle  remplit  et  ren- 


(1)  Autenrieth  ,  loc.  cit.,  p.  8S. 

(2)  Cavus  ,  f^ersuck  einer  Darsteltitiiy  ^$  Nérvensysféms ,  p.  4S. 


56  ORGANISME  DO  TEMPS. 

ferme  en  elle  tous  les  espaces,  comme  tous  îss  temps.  Mais 
nous  ne  pouvons  pas  attribuer  une  existence  ,  éternelle  ,  in- 
finie, à  notre  âme  individuelle,  car  une  pluralité  d'infiais 
est  impossible. 

3°  Cette  hypothèse  repose  donc  sur  le  seul  fait  exact ,  savoir 
que,  comme  le  corps  se  résout  en  divers  élémens  extérieurs  , 
c'est-à-dire  en  une  universalité  extérieure ,  de  même  Tâme 
rentre  dans  l'unité  universelle  ,  ou  dans  le  côté  intérieur  de 
l'univers,  c'est-à-dire  dans  la  divinité.  La  divinité  seule  est 
éternelle  ;  toute  âme  individuelle  participe  à  la  divinité  dès 
le  principe ,  émane  d'elle  ,  ne  peut  par  conséquent  point  avoir 
comme  elle  le  caractère  de  Téternité,  mais  doit  retournera 
elle  en  perdant  l'individualité  qu'elle  avait  acquise.  Telle  était 
la  doctrine  des  Egyptiens  et  des  anciens  Perses ,  qu'on  a  re- 
trouvée aussi  au  Japon  et  à  Otahiti  (1).  Suivant  les  Hindous , 
l'âme  pure  doit  se  plonger,  aussitôt  après  la  mort,  dans  la 
divinité  (2).  Nous  reconnaissons  que  c'est  là  le  seul  but  pos- 
sible de  l'âme,  et  la  sublimité  de  cette  idée  devrait  nous  faire 
envisager  moins  tristement  l'abolition  de  notre  individualité. 
Mais  on  se  demande  si  nous  sommes  réellement  mûrs  pour  ce 
but,  si  toutes  nos  dispositions  sont  déjà  parvenues  à  un  tel  de- 
gré de  développement  qu'elles  ne  soient  plus  aptes  à  en  ac- 
quérir aucun ,  si  nous  pouvons  renoncer  avec  une  pleine  satis- 
faction à  notre  individualité ,  si  enfin  il  ne  nous  reste  pas  en- 
core à  subir,  pour  arriver  au  degré  de  perfection  dont  nos 
dispositions  nous  rendent  susceptibles,  une  métamorphose 
après  laquelle  nous  pourrons  éprouver  une  joie  sans  mélange 
en  nous  réunissant  à  la  divinité. 

IL  La  persistance  de  l'âme ,  comme  être  individuel ,  a  été 
conçue  de  plusieurs  manières. 

4°  On  se  l'est  figurée  sous  les  dehors  d'une  nouvelle  indivi- 
dualité. On  dit  que  la  vie  émigré,  parce  que,  la  matière  vivante 
passant  continuellement  d'un  organisme  dans  les  autres,  l'âme 
doit  aussi ,  après  la  mort  du  corps ,  se  rendre  dans  un  autre 
corps.  Mais  la  majeure  de  ce  raisonnement  est  inexacte  (§  312, 

(1)  Simon,  loc.  cit.,  p.  90. 

(2)  Flugge  ,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  336. 


ORGANISME  DU  TEMPS.  55'^! 

i°  ).  La  vie  ne  voyage  point  avec  la  matière  ;  partout  où  elle 
existe  ,  elle  se  crée  une  matière  qui  lui  correspond  et  qui 
porte  son  caractère  (§  318,  9°  ).  Or  l'hypothèse  de  la  métem- 
psycose est  en  contradiction  avec  l'essence  de  la  vie,  en  vertu 
de  laquelle  l'organisme  ne  reçoit  point  ses  forces  du  dehors, 
mais  les  développe  de  son  propre  fonds  ;  sa  formation  par  lui- 
même  est  tellement  absolue  que  l'embryon  ne  reçoit  point  une 
seule  goutte  de  sang  du  dehors  :  il  est  impossible  que  l'âme  , 
noyau  de  son  essence ,  lui  soit  infusée ,  comme  une  chose 
étrangère  et  contingente  ;  car  alors  la  vie  manquerait  d'unité 
et  d'individualité.  S'il  y  avait  métempsycose  ,  la  mort  d'un 
être  et  l'animation  d'un  autre  seraient  liées  nécessairement 
ensemble;  il  y  aurait  entre  elles  un  équilibre  immuable,  quels 
hasard  et  l'arbitraire  ne  pourraient  jamais  troubler,  et  dont  la 
conséquence  serait  qu'au  moment  de  chaque  mort  une  pro- 
création s'accomplirait;  il  faudrait  aussi  que  le  nombre  des 
êtres  animés  fût  le  même  dès  l'origine  ,  et  ne  pût  s'accroître. 
Mais,  admettre  que  l'âme  ne  pénètre  dans  un  nouveau  corps 
organique  que  quand  ce  dernier  s'est  formé  et  construit  de 
manière  à  pouvoir  répondre  à  ses  besoins,  ce  serait  supposer 
que  déjà  une  âme  aurait  veillé  à  l'accomplissement  de  ces  dis- 
positions harmoniques,  et  il  y  aurait  en  dernière  analyse  deux 
âmes  ,  dont  la  plus  ancienne  serait  évidemment  la  plus  per- 
spicace et  la  plus  puissante.  Rien  n'indique  que  l'âme  vienne 
du  dehors  ;  tandis  que  l'embryon  subit  l'influence  constam- 
ment uniforme  de  l'incubation  sans  qu'aucun  changement  sur- 
vienne dans  les  circonstances  extérieures  au  milieu  des- 
quelles il  se  trouve,  sans  qu'aucune  force,  jusqu'alors  étranâ 
gère,  vienne  à  entrer  en  contact  avec  lui,  il  acquiert  peu  à 
peu  le  sentiment  et  le  mouvement.  La  métempsycose  est 
donc  une  hypothèse  hyperphysique  qui ,  pour  un  fait  (  l'ani- 
mation de  l'embryon  ) ,  suppose  un  événement  naturel  en 
contradiction  avec  la  marche  de  la  nature ,  dont  on  ne  peut 
donner  la  preuve  expérimentale  ,  et  dont  on  ne  parviendrait 
à  se  rendre  raison  qu'en  admettant  de  nouvelles  hypothèses 
arbitraires  et  hyperphysiques.  En  effet,  comme  il  faudrait 
toujours  un  acte  particulier  pour  déterminer  l'âme  défunte  à 
entrer  dans  les  bornes  d'une  nouvelle  individualité,  mais  qu'on 


558  ORGANISME  DU  TEMPS. 

ne  saurait  démontrer  aucun  acte  de  ce  genre  par  l'observation, 
on  serait  obligé  d'en  admeitre  un  non  susceptible  de  tomber 
sous  les  sens  ,  et  de  s'en  référer,  comme  on  le  faisait  jadis,  à 
la  volonté  de  Dieu.  Ce  serait  supposer  qu'en  générab  ou  du 
moins  dans  certains  cas  ,  la  marche  légitime  de  la  nature  ne 
correspond  point  à  la  volonté  de  Dieu  ,  puisque  cette  volonté 
aurait  besoin  d'intervenir  immédiatement ,  pour  être  remplie, 
idée  manifestement  païenne,  et  qui  ne  se  concilie  qu'avec  Thy- 
polhèse  d'idoles  sans  pouvoir  absolu  ni  volonté  invariable. 

50  La  persistance  de  sa  propre  individualité  est  la  seule 
chose  que  l'homme  puisse  désirer,  comme  individu.  Mais 
cette  persistance  ne  saurait  s'étendre  au  corps,  dont  nous 
voyons  les  élémens  se  disgréger ,  passer  à  d'autres  combinai- 
sons, et  devenir  par  exemple  des  parties  constituantes  d'autres 
corps  organisés.  Quant  à  l'organe  primaire ,  éthéré  et  invi- 
sible ,  de  l'âme,  auquel  Poiret ,  Leibnitz  et  Platner  croyaient, 
et  qui,  à  sa  mort ,  se  séparerait  du  corps  en  même  temps  que 
l'âme ,  nous  n'en  avons  point  la  moindre  idée.  Il  ne  nous  reste 
donc  plus  qu'à  admettre  h  formation  d'un  nouveau  corps  or- 
ganique ,  et  nous  allons  examiner  cette  hypothèse. 
§  656.  La  possibiliié  que  notre  individu  persiste 
I.  Ne  saurait  être  niée  d'une  manière  absolue,  quand  on  la 
considère  en  général.  En  effet,  nous  ne  connaissons  les  phé- 
nomènes de  la  nature  que  par  l'expérience ,  et  tant  que  nous 
n'avons  point  encore  acquis  cette  dernière ,  les  moyens  par 
lesquels  une  idée  vient  à  se  réaliser  nous  demeurent  inconnus. 
Ainsi,  lorsqu'on  parlant  de  l'état  après  la  mort,  on  dit  que  la 
mort  est  nécessaire ,  et  l'état  impossible ,  parce  que  la  pre- 
mière correspond  aux  conditions  et  aux  circonstances  exté- 
rieures de  notre  vie ,  tandis  que  l'autre  est  contradictoire  avec 
elles ,  il  y  a  là  une  prétention  qui  ne  repose  sur  aucun  fonde- 
ment ,  puisqu'il  nous  est  impossible  de  déterminer  à  priori  la 
modalité  d'une  opération  de  la  nature  et  les  formes  sous  les- 
quelles l'idéal  se  réalise.  Tout  ce  qu'il  nous  est  permis  de 
faire,  c'est  de  rechercher  si  l'idée  a  de  la  valeur  en  elle-même, 
et  si  elle  n'implique  point  contradiction  avec  les  lois  de  notre 
pensée.  Supposons  qu'un  homme  vienne  au  monde  avec  ses 
facultés  iaiellectuelles  complètement  développées;  la  première 


ORGANISME   Dt  TEMPS.  669 

fois  qu'il  verrait  le  soleil  se  coucher,  les  feuilles  tomber  à 
l'automne  ,  une  chenille  se  convertir  en  chrysalide  ,  un  autre 
homme  s'endormir,  il  serait  tout  aussi  fondé  à  regarder  comme 
impossible  le  retour  à  l'état  de  choses  antérieures,  que  nous  le 
sommes  à  soutenir  l'impossibiliié  de  la  persistance  de  l'âme 
après  la  mort.  Eùt-il  même  l'intime  conviction  que  la  vie  est 
impérissable,  jamais,  sans  le  secours  de  l'expérience,  il  n'ar- 
riverait à  la  pensée  q':e  la  vitalité  réunie  de  deux  individus 
anime  une  goutte  de  sérosité ,  que  d'une  petite  masse  aplatie 
et  méritant  à  peine  le  nom  de  pellicule,  se  forme  un  individu 
qui  trouve  son  petit  monde  dans  la  vésicule  à  laquelle  il  est 
enchahié  ,  jusqu'à  ce  qu'ayant  épuisé  tout  le  contenu  de  sa 
prison ,  il  la  brise  pour  continuer  de  vivre ,  libre  et  indépen- 
dant, au  milieu  d'un  monde  plus  vaste;  il  serait  plutôt  dis- 
posé à  considérer  l'œuf  pondu ,  qui  paraît  sans  vie ,  comme  un 
excrément ,  de  même  qu'en  voyant  le  cadavre  d'un  homme, 
on  dit  que  c'est  là  tout  ce  qui  reste  de  la  vie. 

IL  L'analogie  d'autres  phénomènes  de  la  vie  nous  fournit 
des  motifs  de  croire  à  la  possibilité  d'une  persistance  après  la 
mort. 

1°  La  génération  est  la  tendance  de  l'individu  au  maintien 
de  re>pèce,  mais  elle  a  des  rapports  très-divers  avec  celle  de 
la  vie  propre  ;  ainsi  la  propagation  porte  le  caractère  d'une 
formation  de  nouveaux  membres  de  l'organisme  procréateur , 
mais  qui  font  assez  de  progrès  dans  leur  développement  pour 
arriver  à  l'indépendance  ,  n  être  plus  retenus  par  l'unité  in- 
dividuelle et  séparés  les  uns  des  autres  (  §  323  )  ;  il  est  même 
impossible  de  distinguer  les  deux  actes  l'un  de  l'autre  chez 
les  végétaux,  par  exemple  chez  les  plantes  dicotylédones,  qui, 
pour  prolonger  leur  existence ,  produisent,  à  la  fin  de  leur  vie 
annuelle,  des  bourgeons  destinés  à  devenir  les  germes  de  nou- 
veaux membres  pour  l'année  suivante  (  §  42  ).  D'après  cela , 
il  est  très-concevable  que  la  vie  intérieure ,  quand  elle  est 
devenue  assez  puissante ,  se  maintienne  aussi  après  l'extinc- 
tion de  la  vie  intéi  ieure  ,  que  par  conséquent  la  tendance  à 
l'immortalité ,  qui,  chez  les  autres  êtres  organisés,  se  rapporte 
à  l'espèce  et  se  réalise  par  la  génération,  prenne  chez  l'homme 
une  direction  conforme  à  Tindividualité ,  dont  le  plein  et  en- 


56o  ORGANISME  DU  TEMPS. 

lier  développement  n'a  lieu  qu'en  lui  seul ,  et  qu'elle  soit  rem= 
plie  par  la  persistance  de  l'âme  après  la  mort.  En  effet,  nous 
avons  vu  (§  624, 1°,  '2")  que,  quand  la  vie  morale  se  développe 
davantage,  l'individualité  devient  pliispuissante,  plus  indépen- 
dante ,  et  qu'elle  ne  périt  pas  dans  la  relation  de  l'espèce , 
comme  il  arrive  à  la  vie  purement  végétative. 

L'œuf  non  couvé  aune  vie  latente  (  §  330,  4"  11"),  et  l'em- 
bryon est  animé  dès  le  commencement  (  §  475,  3",  dO"  )  ; 
mais  lame  ne  se  révèle  point  d'abord  par  les  manifestations 
qui  lui  appartiennent  en  propre,  et  par  conséquent  il  est  pos- 
sible qu'elle  devienne  latente  aussi  à  l'époque  de  la  mort,  sans 
pour  cela  perdre  son  existence. 

L'idéal  est  le  noyau  de  la  vie ,  et  la  matière  n'est  que  le 
moyen  de  le  représenter  comme  spécialité ,  de  le  faire  appa- 
raître dans  la  sphère  des  choses  finies  :  l'idée  de  la  fonction 
crée  son  organe  ,  pour  se  réaliser.  De  même  que  la  vie  est 
spirituelle  dans  son  origine  et  son  essence ,  de  même  aussi 
l'âme  ne  pousse  point  du  cerveau;  bien  au  contraire,  elle  le 
produit,  comme  étant  sa  propre  expression  permanente  dans 
l'espace,  de  sorte  que  son  anéantissement  n'est  point  la  suite 
nécessaire  de  la  destruction  du  cerveau  et  des  autres  organes. 

La  force  de  la  vie  indépendante  se  trouve  communiquée  au 
germe  amorphe^  pendant  la  propagation,  de  telle  manière  que 
ce  germe  se  développe  en  un  ensemble  organique  ;  l'âme  peut 
de  même  se  créer  un  nouvel  organe  après  la  mort ,  et  elle  le 
peut  sans  avoir  besoin  pour  cela  d'une  matière  organisée  par- 
ticulière ,  uniquement  en  se  fixant  dans  une  existence  ,  dans 
un  espace  quelconque  ;  car  nous  savons  que  des  êtres  orga- 
nisés peuvent  se  produire  aussi  des  substances  élémentaires 
ou  des  formes  générales  de  la  matière  (§  9 — 12  ).  Mais,  dans 
ce  cas ,  elle  imprime  son  caractère  à  la  matière  dans  laquelle 
elle  établit  son  existence  individuelle ,  de  même  que  |a  vie 
en  général  réalise  son  type  en  produisant  des  parties  organiques 
avec  de  la  matière  étrangère ,  de  même  aussi  que ,  dans  la 
génération,  le  caractère  de  la  vie  paternelle  passe  à  la  vie 
de  l'enfant  futur ,  sans  translation  matérielle  ,  et  par  le  fait 
d'un  acte  simplement  dynamique  (  §  302—306 ,  316  ).  Dans 
ces  nouveaux  organes,  l'âme  conserve  ce  qui  la  caractérise 


ORGANISME   DU  TEMPS.  36 1 

comme  source  d'un  développement  ultérieur ,  car  ce  carac- 
tère ne  procède  point  du  corps  ;  on  trouve  quelquefois  des 
enfans  venus  très-faibles  au  monde,  et  chez  lesquels  la  ten- 
tance  au  rachitisme  se  déclare  malgré  les  soins  plus  assidus , 
qui,  sans  être  sujets  au  moindre  caprice,  témoignent  une  pré- 
cision dans  leurs  désirs  et  une  fermeté  de  volonté ,  en  vertu 
desquelles  ils  dédaignent  certaines  choses  bien  déterminées, 
et  supportent  avec  calme  le  refus  d'accomplir  leurs  souhaits  , 
sans  accepter  autre  chose  en  place  de  ce  qu'ils  voulaient  ;  or 
peu  à  peu ,  chez  eux ,  la  nutrition  et  la  force  musculaire 
acquièrent  une  force  en  harmonie  avec  l'énergie  de  leur  ca- 
ractère. Si  l'âme  passait  dans  un  organisme  qui  lui  fût  étran- 
ger ,  on  serait  peut-être  admis  à  dire  qu'elle  prendrait  aussi 
une  autre  manière  de  sentir ,  de  penser  et  de  vouloir  (1)  ; 
mais  si  c'est  elle  que  crée  ses  organes ,  elle  conservera  par 
cela  même  son  indépendance ,  tout  comme ,  chez  les  vieil- 
lards, l'âme  conserve  le  caractère  dont  elle  avait  déjà  montré 
le  germe  dans  l'enfance ,  quoique  la  substance  soit  tout-à- 
fait  différente  et  que  les  rapports  des  organes  n'aient  plus 
rien  de  semblable.  On  ne  peut  pas  dire  non  plus  que  le  sou- 
venir de  cette  vie  doit  périr  à  la  mort  du  cerveau ,  comme 
nous  avons  déjà  perdu  celui  de  notre  première  enfance  (2)  ; 
car  ce  qui  est  devenu  une  fois  propriété  réelle  de  l'âme ,  le 
demeure  alors  même  qu'un  certain  laps  de  temps  s'écoule 
sans  qu'elle  en  puisse  faire  usage  ;  ainsi  un  état  anormal  du 
cerveau  fait  souvent  surgir  de  nouveau,  dans  toute  sa  luci- 
dité ,  le  souvenir  long-temps  éteint  d'un  événement  ou  d'une 
série  de  connaissances.  Si  l'on  prétendait  qu'une  fois  l'âme 
dégagée  des  entraves  du  corps ,  le  souvenir  de  la  vie  humaine 
ne  pourrait  plus  lui  servir  à  rien  (3) ,  et  que  celui  des  défauts 
dont  elle  a  été  affligée  ne  ferait  que  troubler  son  bonheur  (4), 
il  y  aurait  à  répondre  à  celte  objection  que,  quand  elle  serait 
arrivée  à  se  placer  sous  un  point  de  vue  plus  élevé ,  la  possi- 

(1)  Nasse  ,  Zeitschrift  fuer  psychische  Aerzte  ,  d821,  calî,  I,  p.  23. 

(2)  Wieland  ,  Euthanasia  ,  p.  473,  484,  185. 

(3)  Ilid.^  p.  197. 

<4)  Nasse,  Zeitschrift  fuer  psycJdsche  Aerste ,  1821,  cah.  I,  p.  23. 

V.  36 


562  ORGANISME  DU  TEMPS» 

Lilité  d'apprécier  les  causes  des  faibles  qu'elle  aurait  mon- 
trés jadis  les  lui  ferait  envisager  tout  autrement  qu  elle  ne  le 
fait  ici-bas. 

2°  Le  rajeunissement  périodique  offre  une  autre  analogie , 
et  chez  tous  les  peuples  le  fait  assez  peu  rare  du  rappel  à  la 
vie  de  corps  en  apparence  privés  de  vie  ,  a  suggéré  la  pensée 
que  la  vie,  sans  s'éteindre ,  peut  disparaître  de  la  surface, 
et ,  une  fois  retirée  dans  Tintérieur ,  y  croître  assez  pour 
se  manifester  ensuite  avec  une  nouvelle  énergie.  Les  végétaux 
semblent  périr  à  l'entrée  du  sommeil  d'hiver ,  et  ceux  qui 
meurent  réellement  commencent  par  prendre  la  forme  de  ce 
sommeil  ;  les  animaux  renoncent  au  conflit  avec  le  monde 
extérieur ,  et  se  cachent  dans  des  creux  ,  soit  lorsqu'ils 
sont  au  moment  de  rajeunir  par  transformation  en  chrysalide 
(§  379,  8°),  mue  (§  617,  14°),  parturition  (§  516,  2°) ,  som- 
meil journalier  ou  annuel  (§  597,  3°  ;  610 ,  5°) ,  soit  aux  ap- 
proches de  la  mort;  mais  l'état  chrysalidaire  et  le  sommeil 
profond  nous  présentent  l'image  de  la  mort.  La  vie  entière 
n'est  qu'une  suite  continuelle  d'extinction  et  de  rénovation , 
qui  fait  que  la  vie  intérieure  se  maintient  sans  interruption  , 
tandis  que  la  vie  extérieure  périt  ;  la  mort  a  lieu  au  bout  de 
quelques  jours  ou  de  quelques  mois  chez  les  animaux  et  les 
végétaux  inférieurs ,  dont  la  vie  est  plus  périphérique,  tandis 
que,  chez  ceux  d'un  ordre  plus  élevé,  qui  possèdent  davan- 
tage de  force  intérieure ,  un  rajeunissement  périodique  a  lieu, 
et  les  parties  épidermatiques  de  la  périphérie  meurent  pério- 
diquement, parce  qu'elles  n'ont  pas  ,  comme  les  organes  vi- 
vans  en  eux-mêmes  ,  l'aptitude  à  se  maintenir  par  un  rajeu- 
nissement intérieur.  L'analogie  nous  permet  donc  d'admettre 
la  possibilité  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  intime  dans  la  vie  ,  la 
conscience  animée  d'une  inépuisable  activité  interne,  main- 
tienne son  existence  par  rajeunissement,  tandis  que  les  par- 
ties périphériques  et  matérielles  périssent.  De  même  que  , 
dans  le  sommeil  journalier  (§  598 ,  2°)  et  annuel  (§  615,  1°) , 
la  vie  animale  cesse  d'agir  quand  les  besoins  sont  apaisés  et 
les  penchans  satisfaits;  de  même  la  mort  naturelle  a  lieu 
quand  l'âme  n'a  pkus  rien  à  désirer  sur  la  terre  et  qu'elle  s'est 
complètement  rassasiée  au  banquet  de  la  vie.  La  direction  de 


ORGANISME  DU  TEMPS.  563 

la  vie ,  que  ses  manifestations  avaient  épuisée ,  ne  fait  qu'ac- 
quérir une  nouvelle  énergie  par  la  rétrocession  de  la  vie  en 
elle-même  et  son  retour  à  l'état  latent  (§  593 ,  6°)  ;  il  se  peut 
donc  qu'en  se  repliant  sur  elle-même  ,  à  la  mort  du  corps , 
l'âme  reprenne  vigueur  pour  fournir  une  autre  carrière. 

3°  D'autres  phénomènes  analogues  donnent  une  certaine 
vraisemblance  à  l'opinion  que  l'âme  s'engage  alors  dans  une 
nouvelle  carrière.  Plus  un  organe  est  placé  haut ,  plus  l'idée 
de  la  vie  qui  l'anime  est  élevée  ,  moins  aussi  l'atelier  qui  le 
produit  est  apte  à  le  développer  (§  339  ,  2°) ,  et  plus  il  a  be- 
soin pour  cela  d'entrer  dans  d'autres  conditions  de  vie  :  il  faut 
que  le  germe  se  détache  de  l'ovaire ,  qu'il  s'entoure  de  mem- 
branes enveloppantes ,  et  qu'il  soit  amené  dans  la  matrice, 
pour  y  acquérir  le  degré  de  maturité  qui  lui  permet  de  vivre 
librement  sur  la  terre.  Il  se  peut  donc  que  le  corps  soit  l'œuf 
de  l'âme ,  et  la  terre  l'espèce  de  matrice  dans  laquelle  elle 
mûrit  jusqu'à  un  certain  point ,  pour  ensuite  se  dégager;  de 
même  que  l'embryon  parvenu  à  terme  trouve  son  œuf  trop 
resserré  et  trop  pauvre  de  contenu ,  que  les  liens  qui  l'atta- 
chent à  lui  et  à  la  matrice  sont  trop  lâches ,  que  le  besoin  de 
se  mouvoir  en  liberté,  de  respirer  l'air  et  de  se  nourrir  par 
l'intestin  a  pris  trop  d'empire  chez  lui ,  ainsi ,  chez  le  vieillard, 
l'âme  est  gênée  par  le  corps ,  qui  l'empêche  de  se  déployer 
librement;  elle  a  épuisé  tout  ce  qu'elle  pouvait  opérer  et 
goûter  par  les  sens  ;  ses  rapports  avec  le  monde  extérieur  ont 
perdu  de  leur  intimité  ,  et  sa  tendance  vers  l'universalité  a 
pris  un  tel  développement  que  la  vie  terrestre  ne  lui  suffit 
plus.  Si  l'embryon ,  arrivé  au  terme  de  sa  maturité ,  et  qui  a 
épuisé  le  petit  monde  de  son  œuf,  le  brise  et  en  rejette  au 
loin  les  débris ,  pour  s'élancer  au  milieu  de  la  vie  terrestre , 
l'âme  ,  après  avoir  atteint  son  but  ici-bas  ,  peut  se  détacher 
de  la  terre ,  en  lui  abandonnant  son  corps ,  pour  aller  cher- 
cher de  plus  amples  développemens  dans  une  autre  partie  de 
l'univers.  L'époque  normale  de  la  mort ,  comme  celle  de  la 
naissance  ,  est  l'aurore  d'une  nouvelle  vie  (§  606  ,  11°  12°)  ; 
la  première  (§  507,  I.)  et  la  dernière  (§  633,  6")  manifestation 
sont  une  convulsion  des  lèvres,  dans  le  mouvement  desquelles 


564  ORGANISME  DU  TEMPS. 

se  révèle  la  vie  la  plus  intérieure  de  Tâme;  le  moribond  (§  633, 
5°),  comme  le  nouveau-né  (§  526,4°),  est  avide  de  la  lumière. 
Mais,  tandis  que  l'analogie  des  phénomènes  annonce  l'affinité 
qui  existe  entre  ces  deux  passages  à  une  nouvelle  sphère 
d'existence ,  ces  mêmes  phénomènes  expriment  l'antagonisme 
qui  se  remarque  entre  l'arrivée  à  la  vie  terrestre  et  la  sortie 
du  monde  d'ici-bas  ;  l'oeil  qui ,  au  moment  de  la  naissance  , 
s'était  éclairci  pour  satisfaire  aux  besoins  de  la  vie  terrestre 
(§  526,  2°) ,  devient  opaque  à  la  mort  (§  654,  9°);  car  il  a  rem- 
pli sa  carrière  ;  au  milieu  des  douleurs  qui  accompagnent  son 
entrée  dans  le  monde ,  l'homme  est  violemment  excité  et  gri- 
maçant ,  tandis  qu'à  la  mort  normale  et  sans  douleurs ,  il  en- 
visage en  pleine  connaissance  ,  et  par  conséquent  avec  calme, 
sa  prochaine  métamorphose  (§  633,  4")  ;  chez  le  nouveau -né , 
l'âme  a  été  séparée  du  corps  par  l'action  des  choses  terrestres 
(§  525,  1°) ,  tandis  qu'à  la  mort  elle  se  détache  des  choses 
terrestres  par  l'extinction  de  la  vie  matérielle.  Mais,  de  même 
({ue  la  tendance  au  retour  vers  l'état  primordial  se  manifeste 
au  physique  par  le  rajeunissement  (§  593,  6°) ,  au  moral  par 
la  nostalgie  (§  369;,  4»  ;  §  618,  2°) ,  de  même  aussi  l'âme  du 
vieillard  éprouve  le  besoin  d'une  existence  qui  soit  plus  rap- 
prochée de  la  source  idéale. 

§  657.  La  considération  du  cours  que  suit  la  vie  et  des  di- 
rections de  l'âme  nous  fournit  des  motifs  de  croire  à  la  réalité 
d'une  persistance  après  la  mort. 

i"  La  vitalité  débute  en  général  par  l'extérieur,  par  la  pé- 
riphérie ,  d'où  elle  marche  peu  à  peu  vers  le  centre.  Dans  la 
vieillesse,  ce  sont  les  sens  qui  faiblissent  d'abord,  puis  la  mé- 
moire ,  ensuite  l'imagination  ,  et  en  dernier  lieu  l'entende- 
ment. La  faiblesse  sénile  s'étend  de  bas  en  haut,  et  com- 
mence à  la  partie  inférieure  de  la  moelle  épinière,  alors  que 
la  vie  est  enc;;re  concentrée  au  cerveau;  elle  se  montre  d'abord 
dans  les  membres  inférieurs,  les  organes  génitaux  ,  les  voies 
urinaires  et  les  vaisseaux  hémorrhoïdaux ,  puis  dans  l'appareil 
digestif,  cfiriii  dans  les  mouvemens  du  cœur  et  la  respiration. 
Il  n'y  a  que  quelques  systèmes  dans  lesquels  une  direction 
opposée  puisse  se  prononcer  ;  ainsi ,  dans  l'appareil  génital 


ORGANISME  DU  TEMPS.  565 

femelle  ,  la  flétrissure  part  des  ovaires  ,  et  s'étend  peu  à  peu 
aux  trompes ,  à  la  matrice  ,  au  vagin  et  au  vestibule  (1). 

La  mort  marche  de  dehors  en  dedans  ;  la  vie  s'éteint 
d'abord  à  la  périphérie ,  puis  dans  les  organes  centraux  ;  en 
premier  lieu  dans  les  membres ,  ensuite  dans  le  tronc  ;  d'abord 
dans  les  organes  locomoteurs ,  puis  dans  les  organes  senso- 
riels ;  dans  l'œil  d'abord ,  et  ensuite  dans  roreille.  Comme  , 
dans  le  matériel  de  l'organisme,  la  formation  procède  de 
dedans  en  dehors ,  et  que  les  parties  périphériques  sont  celles 
qui  se  développent  en  dernier  lieu ,  les  organes  qui  se  pro- 
duisent après  tous  les  autres ,  notamment  les  dents  et  les 
parties  génitales ,  sont  ceux  qui  se  flétrissent  les  premiers  ; 
mais,  comme  la  vie  morale  marche  de  dehors  en  dedans  lors- 
qu'elle se  développe ,  les  forces  qui  s'y  rapportent  baissent 
dans^  le  même  ordre  que  celui  de  leur  manifestation ,  et  les 
supérieures  persistent  plus  long-temps  que  celles  qui  sont 
placées  au  dessous  d'elles. 

2°  La  matière  change  continuellement  pendant  la  vie  ,  et 
l'idéal  seul  persiste.  Les  parties  non  essentielles  disparais- 
sent ,  et  il  n'y  a  que  les  organes  essentiels  qui  se  maintien- 
nent ;  mais  ceux-là  ont  beau  changer  de  substance  et  de 
relations ,  nous  sentons  toujours  en  nous  le  même  moi  :  donc 
l'âme  est  la  seule  chose  permanente  dans  la  vie,  tout  comme, 
au  plus  bas  degré  de  son  développement,  elle  assure  déjà  une 
plus  longue  durée  à  l'existence  organique  (  §  625 ,  2°  ).  Le 
physique  n'est  point  une  chose  étrangère  ou  ennemie  ,  c'est 
seulement  l'enveloppe  de  l'idéal,  qui  s'annonce  en  germe  dès 
avant  le  développement  de  la  sensibilité ,  après  l'exlinction  de 
laquelle  il  se  manifeste  dans  toute  sa  pureté  ;  ainsi  l'amour 
des  enfans  s'éveille  dans  l'âme  de  la  femme  long-temps  avant 
l'âge  de  la  nubilité ,  et  le  lien  des  âmes  consiste  en  une  pleine 
intimité  quand  depuis  longues  années  déjà  la  vie  sexuelle  a 
terminé  son  cours.  L'âme  continue  de  croître  non  pas  seule- 
ment après  que  son  corps  a  depuis  long-temps  cessé  de 
prendre  aucun  accroissement,  mais  encore  lorsque  les  autres 


(1)  Mende  ,  AusfuehrlichesHandhuch  der  gerichtUchen  Medicin^  t.  IV, 
p.  413. 


566  ORGANISME  DU  TEMPS. 

forces  de  ce  dernier  diminuent,  et  elle  se  perfectionne  dans 
son  essence  intime  tandis  que  les  activités  inférieures  de  l'or- 
ganisme vont  déjà  en  fléchissant  ;  il  lui  arrive  souvent  au  lit 
de  la  mort  de  s'élever  à  une  surprenante  hauteur ,  et  de  re- 
couvrer toute  sa  liberté,  toute  sa  lucidité,  dans  des  cas  même 
où  depuis  long-temps  elle  était  enchaînée  et  en  proie  à  la 
plus  grande  confusion  (  §  633  ,  4°  ). 

3"  L'âme  est  d'abord  confondue,  à  l'état  latent,  avec  la  vie 
matérielle  ;  et  comme  son  premier  éveil  a  pour  résultat  de 
commencer  à  la  dégager  de  celle-ci ,  le  développement  qu'elle 
prend  ensuite  pendant  le  cours  entier  de  la  vie  consiste  à  la 
débarrasser  de  plus  en  plus  des  liens  de  la  matière ,  à  faire 
qu'elle  acquière  une  conscience  de  plus  en  plus  nette  de  son 
opposition  avec  elle  ,  et  celte  scission  continue  jusqu'au  der- 
nier terme  de  la  vieillesse ,  à  l'époque  où  les  organes  de  l'âme 
ne  remplissent  plus  leur  office  ,  mais  elle  n'atteint  son  point 
culminant  que  quand  la  mort  délivre  tout-à-fait  l'âme  du 
corps..  Si  l'homme  grossier  n'est  occupé  que  du  monde  exté- 
rieur ,  la  culture  le  conduit  à  la  réflexion ,  lui  apprend  à 
distinguer  son  moi  de  son  corps ,  et  le  mène  ainsi  à  la  pensée 
que  son  âme  survivra  à  sa  mort  (1).  C'est  d'abord  l'observa- 
tion des  rêves  qui  révèle  l'indépendance  de  l'âme  à  l'homme 
vivant  sous  l'empire  des  sens  :  ainsi  les  Groënlandais ,  les 
Américains  du  Nord  ,  les  Insulaires  de  la  mer  du  Sud  et  les 
Hindous,  pensent  que  l'âme  quitte  le  corps  pendant  les  songes, 
comme  à  l'article  de  la  mort  (2).  Toutes  les  fois  qu'elle  prend 
un  plus  grand  essor,  qu'elle  se  plonge  dans  la  méditation, 
qu'elle  tombe  dans  l'extase ,  en  un  mot  qu'elle  se  replie  en- 
tièrement sur  elle-même ,  l'âme  se  dégage  encore  davantage 
de  la  vie  corporelle  et  du  monde  phénoménal.  Cette  sépara- 
tion peut  aller  jusqu'à  lui  faire  envisager  le  corps  comme  un 
objet  entièrement  étranger  à  elle,  et  amener  la  mort  volon- 
taire. En  effet ,  la  vie  ,  considérée  sous  un  point  de  vue  géné- 
ral ,  est  une  conservation  active  de  soi-même ,  et  la  vie  ani- 
male, c'est-à-dire  celle  qui  sent  et  qui  veut,  ne  peut  ni  se 

(1)  Flugge,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  83.  ' 

(2)  Simon,  loc.  cit.,  p.  17-21. 


ORGANISME  DC  TEMPS. ^  567 

trouver  bien  que  dans  celte  conservation ,  ni  vouloir  rien 
autre  chose  qu'elle  ;  elle  peut  périr  par  suite  de  son  activité, 
mais  elle  ne  saurait  avoir  pour  but  sa  propre  ruine  :  il  y  a 
identité  entre  l'amour  de  la  vie  et  la  vie.  Quand  donc  le  moi 
sacrifie  la  vie  d'ici-bas  pour  une  idée ,  cet  acte  de  sa  part 
suppose  une  autre  vie  plus  idéale  ,  à  laquelle  il  se  propose 
d'atteindre  en  renonçant  à  l'existence  terrestre.  Or,  les  cas 
où  la  mort  arrive  à  une  époque  déterminée ,  par  l'effet  de 
l'imagination  (  §  633 ,  4°  ) ,  nous  fournissent  l'exemple  d'une 
séparation  immédiate  et  spontanée  de  l'âme  et  du  corps. 

4°  La  marche  de  la  vie  et  du  développement  moral  an- 
nonce que  l'homme  se  rapproche  par  degrés  d'un  état  plus 
parfait,  qui  ne  peut  avoir  lieu  qu'après  la  mort.  Ce  qu'il  y  a 
d'essentiel ,  d'intérieur,  de  supérieur  en  lui  persiste  et  de- 
vient de  plus  en  plus  puissant  ;  comme  l'embryon  ,  qui  d'a- 
bord faisait  réellement  partie  de  l'œuf  ,  s'en  détache  peu  à 
peu,  devient  indépendant,  et  acquiert  graduellement  une  pré- 
dominance de  plus  en  plus  marquée  sur  lui ,  ainsi,  dans  la  vie 
humaine,  le  moral  acquiert  un  empire  toujours  croissant  sur 
le  physique ,  et  les  facultés  supérieures  de  l'âme  s'élèvent  à 
une  prééminence  décidée  sur  les  facultés  inférieures.  Chez 
l'enfant,  l'activité  des  sens  l'emporte  sur  toutes  les  autres  , 
l'âme  est  dirigée  tout  entière  vers  le  monde  extérieur ,  elle 
ne  cherche  qu'à  connaître  l'apparence  deschoses  ;  avec  l'âge, 
l'empire  des  sens  extérieurs  se  resserre  de  plus  en  plus  ,  et 
la  puissance  du  sens  interne  va  toujours  en  croissant  ;  pen- 
dant la  période  de  fermentation  de  la  jeunesse^  l'imagination 
déploie  toute  sa  vivacité,  et  la  pensée  erre  capricieusement 
dans  les  vastes  domaines  du  possible  ;  durant  le  moyen  âge, 
l'équilibre  s'établit  entre  les  facultés  supérieures  et  inférieu- 
res, et  les  forces  ,  à  peu  près  également  réparties  entre  le 
monde  extérieur  et  le  monde  intérieur ,  se  tournent  vers  la 
réalité  ,  vers  le  positif  ;  à  dater  de  ce  moment  l'intelligence 
acquiert  une  domination  de  plus  en  plus  illimité©  et  absolue 
sur  les  forces  inférieures  de  l'âme,  qui  jusqu'alors  avaient  été 
plutôt  moyen  que  but,  et  qui  se  retirent  sur  l'arrière-plan  du 
tableau  ;  l'homme  apprécie  de  mieux  en  mieux  la  loi  de  la 
îa  nécessité;  son  monde  intérieur,  qui  va  toujours  en  se  sépa- 


S68  ORGANISME  DU  TEMPS.  '  """  ^ 

rant davantage  du  monde  extérieur,  devient  plus  puissant , 
les  produits  eux-mêmes  de  sa  propre  vie  prennent  de  plus 
en  plus  le  caractère  objectif  à  ses  yeux ,  et  lorsqu'enfin  il 
cesse  de  pouvoir  produire  ,  la  contemplation  de  ce  qu'il  a 
fait  remplace  les  jouissances  de  l'action. 

La  vie  devient  de  plus  en  plus  indépendante  à  mesure 
qu'elle  avance^  l'embryon  est  nourri  parle  sein  maternel, 
l'enfant  doit  ses  alimens  à  l'amour  de  sa  mère,  le  jeune  homme 
reçoit  de  ses  parens  les  moyens  de  subvenir  à  ses  besoins  , 
l'homme  fait  se  procure  lui-même  ce  qui  lui  est  nécessaire  , 
et  le  vieillard  vit  de  ce  qu'il  a  acquis  par  le  passé  ;  il  y  a  donc 
progression  continuelle  vers  une  vie  indépendante  et  ayant 
ses  fondemens  en  elle-même.  L'enfant  a  besoin  d'être  élevé, 
le  jeune  homme  fait  lui-même  son  éducation,  l'homme  appli- 
que à  des  buts  déterminés  les  forces  qu'il  a  acquises ,  et  le 
vieillard  ne  voit  dans  ces  buts  que  les  motifs  d'un  nouveau 
développement  de  sa  vie  intérieure.  La  variabilité  va  toujours 
en  diminuant  ;  c'est  pendai^t  la  période  qui  précède  la  matu- 
rité que  la  vie  marche  avec  le  plus  de  rapidité  ,  qu'il  y  a  le 
moins  de  constance,  que  l'excitabilité  est  portée  au  plus  haut 
point;  au 'moyen  âge,  la  vie  se  place  pour  ainsi  dire  dans 
un  état  de  juste  milieu  ;  pendant  la  vieillesse,  elle  se  rapproche 
davantage  du  caractère  de  la  fixité  et  de  la  permanence. 

Reposant  sur  un  principe  spirituel  qui  veut  se  produire  sans 
cesse  de  plus  en  plus  ,  la  vie  se  détache  continuellement  du 
sol  d'où  elle  tirait  jusqu'alors  sa  nourriture,  pour  s'élancer 
dans  un  cercle  d'action  plus  vaste.  Le  germe  se  détache  de 
l'ovaire  et  l'embryon  de  la  matrice,  le  nourrisson  quitte  le  sein 
maternel,  l'enfant  se  dégage  des  bras  de  sa  mère ,  et  le  jeune 
homme  abandonne  le  cercle  de  la  famille,  l'homme  s'isole  des 
compagnons  de  sa  jeunesse,  etle  vieillard  abandonne  la  vie  ci- 
vile ,  qui  jusqu'alors  avait  été  le  théâtre  de  son  activité. 

La  vie  naît  de  ce  que  l'idéal  se  renferme  dans  les  bornes  du 
fini,  et  à  mesure  qu'elle  avance,  elle  devient  de  plus  en  plus 
spirituelle  et  universelle  ;  toute  métamorphose  exprime  la 
liaison  de  la  partie  avec  le  tout ,  de  sorte  que  le  particulier, 
après  être  sorti  du  général ,  tend  à  prendre  de  plus  en  plus 
le  caractère  de  la  généralité.  Les  organes  proviennent  du  gé- 


ORGANISME  DU  TEMÏ-S,  669 

néral,  c'est-à-dire  de  l'idée  de  l'organisme,  de  la  masse  orga- 
nique commmune,  et  végètent  d'une  manière  égoïste  jusqu'à 
ce  que  leurs  fondions  les  mettent  en  rapport  avec  tout  l'en- 
semble de  la  vie  ;  le  corps  organique  se  forme  dans  sa  spé- 
cialité jusqu'à  ce  que  l'acquisition  de  la  faculté  procréatrice 
fasse  de  lui  un  organe  de  l'espèce,  et,  quand  il  ne  peut  plus 
rien  pour  son  espèce  ,  il  sert  par  sa  mort  à  d'autres  espèces 
d'êtres  organisés,  ou  passe  par  la  décomposition  dans  l'empire 
des  élémens.  Mais  l'âme  va  continuellement  du  particulier 
au  général ,  du  simple  sentiment  intérieur  à  la  raison,  par  la 
connaissance  sensorielle ,  l'entendement ,  l'imagination  et  le 
jugement  :  l'égoisme  de  la  vie  non  à  maturité  est  refoulé  sans 
cesse  par  la  relation  universelle,  et,  en  arrivant,  par  l'acqui- 
sition de  la  pleine  et  entière  conscience  de  soi-même,  à  se  cons 
vaincre  que  l'idée  est  indépendante  de  tout  ce  dont  les  sens 
procurent  la  connaissance ,  l'âme  devient  libre  et  suscepti- 
ble d'existence  après  la  dissolution  de  ses  liens  corporels.  Mais 
le  développement  s'accomplit  de  telle  manière  que  la  vie  non 
à  maturité  est  mise  en  harmonie  avec  la  nature  par  le  pressen- 
timent et  l'instinct,  attendu  que  l'universel  s'y  trouve  encore 
confondu  avec  le  particulier ,  que  la  scission  qui  a  lieu  pen- 
dant le  moyen  âge,  amène  un  anta^jonisme  entre  elle  et  la  na- 
ture, enfin  que,  l'universalité  devenant  prédominante  pendant 
la  vieillesse ,  ce  qui  avait  été  précédemment  séparé  se  rallie 
en  une  unité  supérieure  ,  et  la  paix  avec  la  nature  se  trouve 
rétablie. 

5°  Quand  on  demande  une  autre  vie  parce  qu'autrement 
l'existence  de  l'homme  sur  la  terre  serait  sans  but ,  on  ou- 
trage la  nature  ;  car  elle  n'a  rien  de  commun  avec  les  hiéro- 
phantes qui ,  de  grade  en  grade  ,  leurrent  les  initiés  par  la 
promesse  d'une  prochaine  révélation  prochaine  de  leurs  mys- 
tères. Nous  avons  reconnu  un  but  que  la  vie  poursuit  dès  le 
principe  et  qu'elle  atteint  réellement  à  la  mort  ;  mais  la  ques- 
tion se  présente  de  savoir  s'il  est  possible  et  s'il  est  nécessaire 
d'arriver  à  ce  but  d'une  manière  plus  complète.  Partout  la 
nature  tend  à  un  développement  futur,  et  elle  remplit  fidèle- 
ment ce  qu'elle  promet  en  germe  ;  ayant  partout  l'avenir  en 
vue ,  elle  appelle  à  l'existence  des  forces  qui  ne  doivent  en- 


570  ORGANISME  DU  TEMPS. 

trer  en  plein  jeu  qu'à  une  certaine  époque  ;  ce  qu'elle  garan- 
tit à  l'embryon  par  le  développement  des  organes  digestifs  , 
respiratoires,  sensoriels,  locomoteurs  et  génitaux,  elle  le  réa- 
lise dans  des  temps  plus  éloignés ,  et  les  forces  spirituelles 
qui  se  soulèvent  chez  l'enfant  trouvent  dans  l'âge  mûr  une 
sphère  d'action  qui  leur  corresponde.  La  mort  est ,  de  son  es- 
sence, la  ruine  de  l'individualité,  qui  a  complètement  réalisé 
son  idée.  Mais  ce  qui  appartient  essentiellement  à  l'idée  de 
la  vie  humaine,  ce  qui  en  fait,  à  proprement  parler,  le  noyau, 
c'est  rinluilion de  l'idée,  c'est  la  tendance  vers  l'idéal.  De  cette 
pensée  d'une  chose  impérissable  et  supérieure  ^au  domaine 
des  sens,  résulte  l'aptitude  à  un  plus  grand  développement  ; 
car,  dans  notre  vie,  des  bornes  sont  partout  imposées  à  notre 
tendance  intellectuelle  et  morale  ;  il  n'y  a  qu'un  bien  petit 
nombre  de  momens  d'inspiration  dans  lesquels  s'établisse,  en- 
tre la  vie  et  l'idéal,  une  harmonie  unitaire  qui  est  pour  ainsi 
dire  la  révélation  d'une  existence  plus  relevée  ;  mais ,  en  gé- 
néral, l'avidité  de  savoir  ne  trouve  point  une  complète  satisfac- 
tion, et  l'esprit  s'efforce  en  vain  de  résoudre  toutes  les  énig- 
mes; la  plus  pure  volonté  ne  peut  point  toujours  atteindre 
à  son  but,  et  l'on  cherche  en  vain  la  réalisation  parfaite  d'une 
justice  qui  repose  non  sur  un  sentiment  subjectif ,  mais  sur 
une  idée  éternelle.  C'est  ce  qui  éveille  en  nous  le  désir  d'un 
état  plus  parfait.  Tant  que  nous  ne  connaissons  point  assez  la 
nature ,  tant  que  nous  croyons  volontiers  à  la  fable  ,  nous 
cherchons  la  réalisation  de  notre  idéal  d'abord  dans  des  pays 
lointains,  ou  dans  les  temps  primitifs  de  notre  espèce,  plus 
tard  dans  une  existence  future  (1).  Mais  comme  nul  être  ne 
veut  être  autrement  qu'il  ne  peut  être  ,  il  faut  aussi  que  cette 
tendance  trouve  son  accomplissement. 

6°  L'entendement  ,  qui  ne  juge  que  d'après  l'expérience  , 
et  qui  veut  connaître  tous  les  détails  d'un  acte  quelconque , 
répugne  à;  la  pensée  d'une  persistance  après  la  mort ,  et  à 
chaque  conviction  qui  s'appuie  sur  des  motifs  déterminans , 
il  soulève  de  nouveaux  doutes.  Cette  pensée  n'a  de  sol  fixe 
que  dans  la  croyance.  Mais  la  croyance  à  une  vie  future  est 

(1)  Elugge,  loc.  cit.,  1. 1,  p.  97. 


ORGANISME  DU  TEMPS,  5^  1 

essentielle  à  la  nature  humaine  ;  car  on  la  rencontre  chez  tous 
les  peuples  de  la  terre,  et  chez  les  esprits  les  plus  exercés 
comme  chez  les  plus  incultes ,  pourvu  qu'ils  commencent  à 
s'élever  au  dessus  du  grossier  témoignage  des  sens.  Elle 
manque  bien  à  certains  individus  :  mais  il  n'y  a  point  de  qua- 
hlé  humaine  dont  on  ne  constate  l'absence  tantôt  chez  l'un , 
tantôt  chez  l'autre.  L'idée  de  la  dignité  de  l'homme ,  de  la 
liberté  et  de  la  justice  n'est  point  un  fantôme,  parce  que 
quelques  individus ,  incapables  de  la  concevoir,  demeurent 
arrêtés  au  plus  bas  échelon  de  la  vie,  et  ne  reconnaissent 
d'autre  droit  que  celui  du  plus  fort.  Nul  argument  ne  saurait 
nous  convaincre  de  ce  qui  dépasse  la  portée  de  nos  sens , 
lorsque  le  germe  ne  s'en  est  point  développé  dans  notre  pro- 
pre intérieur.  Quand  la  force  vitale  jouit  d'une  pleine  énergie, 
que  le  sentiment  intérieur  est  dans  toute  sa  force ,  que  le 
plaisir  de  l'existence  déploie  tous  ses  attraits  ,  et  que  l'enten- 
dement, rendu  audacieux  par  les  résultats  de  ses  efforts,  at- 
tire à  lui  la  domination  exclusive,  alors  la  jouissance  du 
moment  procure  une  entière  satisfaction ,  et  l'on  n'éprouve 
pas  le  besoin  d'un  plus  haut  degvé  de  développement.  Aussi 
la  persistance  après  la  mort  trouve-t-elle  des  incrédules  non 
pas  exclusivement  chez  les  nations  qui  sont  parvenues  au  der- 
nier terme  de  la  sensualité  et  qui  ont  largement  cultivé  leurs 
facultés  intellectuelles  ,  mais  encore  chez  des  peuples  dont  la 
vie  est  emprisonnée  dans  un  cercle  fort  étroit,  par  exemple, 
chez  les  Groënlandais  (1).  Mais  si  la  croyance  à  une  vie  fu- 
ture est  trop  répandue  pour  qu'on  puisse  la  considérer  comme 
un  effet  du  hasard  et  de  l'individualité ,  si,  loin  de  là,  elle  a 
son  fondement  dans  l'essence  de  l'âme  humaine ,  elle  doit 
avoir  aussi  sa  signification  physiologique.  L'infini  est  la  source 
de  la  vie  ,  et  il  prédomine  en  elle ,  comme  dans  son  produit 
fini  ;  il  lui  imprime  son  cachet,  dans  la  pénétration  réciproque 
des  temps  (§  647,  5°),  de  même  que  dans  l'unité  des  choses 
distinctes  sous  le  point  de  vue  de  l'espace.  Tant  que  l'orga- 
nisme n'est  que  le  substratum  de  la  force  infinie  de  la  nature 
et  de  sa  réalisation,  il  manifeste  la  puissance  de  cette  force 

(4)  Simon ,  loc.  cit.,  p.  26. 


572  ORGANISME  DU  TEMPS. 

sans  le  savoir,  ni  le  vouloir  ;  de  même  que  l'âme  produit  son 
corps  par  une  activité  créatrice ,  de  même  aussi  elle  connaît 
ce  qui  est  à  distance  sans  avoir  besoin  des  sens  (§  354  ,  3°, 
515,  II),  et  le  futur  sans  nul  secours  de  l'expérience  (§  647, 
5").  En  se  développant  davantage ,  l'organisme  admet  la 
force  infinie  de  la  nature  dans  son  individualité  ;  le  moi  de- 
vient indépendant  ou  spontané  ,  parce  qu'il  convertit  l'uni- 
versel en  personnalité  ;  ici  le  présent  domine  ,^  l'entendement 
soumet  la  nature  à  son  empire ,  il  comprend  les  spécialités  de 
ses  phénomènes ,  il  calcule  sa  marche ,  il  apprécie  ses  rap- 
ports ;  mais  la  volonté  obéit  à  sa  force  propre ,  et ,  dirigée 
par  un  pressentiment ,  elle  tend  au  but  qu'elle  s'est  tracée 
elle-même.  Malgré  cela  cependant  l'organisme  ne  cesse  pas 
d'être  un  produit  ;  comme  le  moi  ne  s'est  pas  donné  lui-même 
sa  force,  comme  il  en  a  reçu  le  germe,  qu'il  n'a  fait  que  déve- 
lopper ce  germe  dans  des  circonstances  qui  ne  dépendaient  pas 
non  plus  de  lui,  de  même  sa  connaissance  et  sa  volonté  ont  des 
bornes  infranchissables ,  et  tandis  qu'il  règne  en  maître  dans 
la  sphère  moyenne ,  il  n'est  qu'un  simple  support  de  la  force 
infinie  de  la  nature  dans la'plus basse  et  dans  la  plus  élevée  de 
ses  sphères.  Or  la  forme  infinie  de  la  nature  se  manifeste  à 
lui  comme  pressentiment,  comme  croyance ,  de  laquelle  peut 
résulter  une  connaissance  qui  ne  tire  point  sa  source  du 
dehors ,  dont  l'expérience  ne  saurait  donner  la  démonstration. 
Il  se  peut  très-bien  que  ces  dons  divins  soient  défigurés  par 
la  sensualité,  l'imagination,  l'entendement,  et  deviennent 
ainsi  des  dogmes  absurdes  ;  mais  le  pressentiment ,  qui  est 
généralement  et  véritablement  humain ,  ne  s'en  trouve  pas 
moins  rempli,  et  la  croyance  qui,  au  lieu  de  descendre  dans 
le  domaine  des  sens,  pour  y  chercher  les  choses  placées  en 
dehors  de  leur  sphère ,  les  saisit  et  les  contemple  dans  toute 
leur  pureté ,  est  la  vérité  même ,  la  vérité  pleine  et  entière , 
la  plus  sublime  des  vérités.  Ainsi  le  pressentiment  d'une 
persistance  après  la  mort  et  la  croyance  d'une  vie  future  sont 
pour  nous  la  garantie  de  sa  réalité.  Ces  facultés  de  l'âme 
peuvent  sommeiller  en  germe  pendant  long-temps,  et  ne 
s'éveiller  que  dans  certaines  circonstances  ;  mais  les  stimulans 
généraux  de  la  vie  sont  la  douleur  et  l'amour.  La  douleur, 


ORGANISME  DD  TEMPS.  S^S 

en  secouant  l'âme ,  l'arrache  à  l'engourdissement  de  sa  vie 
embryonnaire  (§  525,  1"),  fait  naître  en  l'homme  la  véritable 
conscience  de  lui-même ,  lui  apprend  à  connaître  ce  qui  était 
caché  dans  ses  '^plus  profonds  replis  ,  lui  enseigne  à  sentir 
comme  l'humanité  doit  le  faire  ,  et  le  conduit  ainsi  à  un  degré 
plus  avancé  de  perfection  ;  elle  lui  découvre  la  perspective 
d'une  autre  vie  ,  ainsi  qu'elle  lui  avait  montré  l'entrée  de 
celle  d'ici-bas.  Quant  à  l'amour,  qui  engendre  la  vie  (§242, 
26°),  qui  le  maintient  (§  369,  515),  qui  l'exalte  (§  248,  565  , 
582),  et  qui  l'accompagne  pendant  tout  son  cours  (§  580, 10"», 
630,  9o),  il  inspire  aussi  une  ferme  croyance  à  la  vie  future; 
non  seulement  il  guide  les  premiers  pas  du  voyageur  dans  la 
route  épineuse  qui  se  déroulait  devant  lui ,  mais  encore  il 
donne  à  l'imagination  la  force  nécessaire  pour  franchir  la  nuit 
du  tombeau.  C'est  ainsi  que  la  douleur  d'avoir  perdu  ceux 
qui  nous  étaient  chers  ouvre  notre  âme  à  la  pensée  de  l'im- 
mortalité ;  si  nous  avons  aimé  l'impérissable  dans  ce  qui  de- 
vait périr,  noire  amour  lui-même  ne  saurait  s'éteindre,  et  le 
doute  de  la  survivance  des  âmes  est  à  jamais  banni  de  nos 
cœurs. 


FIN  DU  CINQUIÈME  VOLUME. 


TABLE 

DU  CINQUIÈME  VOLUME. 


Section  troisième.  De  l'âge  adulte.  I 

Chapitre  I.  De  la  vie  par  rapport  à  l'individu.  4 

Chapitre  II.  De  la  vie  par  rapport  à  l'espèce.  8 

Article  I.  Des  rapports  de  la  faculté  procréatrice.  lo 

I. ^Rapports  avec  la  vie  plastique.  ib. 

II.  Rapports  avec  la  vie  animale.      .  22 

Article  II.  De  la  maturité  procréatrice.  36 

Article  III.  Du  mariage.  47 

I.  Conclusion  du  mariage.  5o 

II.  Rapports  entre  les  sexes  dans  le  mariage.  62 

III.  Effets  du  mariage.  70 

IV.  Propagation.  ^3 

A.  Amour  pour  les  enfans.  8i 

B.  Éducation.  89 

1.  Moyens  d'éducation.  99 

2.  Mode  d'éducation.  lo3 

C.  Fécondité.  ii3 

V.  Influence  du  mariage  sur  les  individus.  1 16 

Section  quatrième.  De  l'âge  avancé.  122 

Chapitre  I.  De  l'âge  de  retour,  ih. 

Chapitre  II.  De  la  yieilles9««^  199 


TABLE.  5^5 

Article  I.  De  la  vie  végétative.  i32 

I.  Constitution  matérielle.  iô. 

II.  Rapports  avec  le  monde  extérieur.  187 

III.  Activité  périphérique  de  la  vie  plastique.  142 

Article  II.  De  la  vie  animale.  i49 

I.  Périphérie  animale.  ^o. 

II.  Activité  de  l'âme.  i56 

III.  Retour  vers  un  âge  moins  avancé.  i64 

Seconde  division.  De  la  révolution  de  la  vie.  170 

Chapitre  I.  De  la  périodicité  diurne.  i85 

Article  I.  Du  sommeil.  i85 

I.  Sommeil  des  végétaux.  *^« 

II.  Sommeil  des  animaux-  19^ 

A.  Causes  du  sommeil.  19^ 

B.  Etat  de  l'âme  dans  le  sommeil.  201 

C.  Essence  du  sommeil.  227 

D.  Effets  du  sommeil.  233 

Article  II.  Des  effets  delà  périodicité  diurne  sur  la  vie.  235 

Chapitre  IL  De  la  périodicité  annuelle.  a49 

Article  I.  Des  phénomènes  particuliers  de  la  périodi- 
cité annuelle.  aSo 

I.  Phénomènes  relatifs  à  l'ensemble  de  la  vie.  ih. 

A.  Sommeil  d'hiver  des  végétaux.  ib. 

B.  Sommeil  d'hiver  des  animaux.  252 

1 .  Phénomènes  du  sommeil  d'hiver  chez  les  ani- 
maux. 256 

a.  Vie  animale.  ih» 

h,  Yie  végétative.  aSg 


576  TABLE. 

2.  Essence  du  sommeil  d'hiver  chez  les  ani- 
maux. 265 

3.  Besoin  du  sommeil  d'hiver  chez  les  animaux.  268 

4.  Causes  du  sommeil  d'hiver  chez  les  animaux.  272 

a.  Causes  de  l'engourdissement.  ib, 

b.  Causes  du  réveil.  2^6 

II.  Phénomènes  relatifs  à  certaines  fonctions.  2^8 

A.  Vie  végétative.  îb. 

B.  Vie  animale.  290 

Article  II.  Des  effets  de  la  périodicité  annuelle  sur  la 
vie.  3oo 

Chapitre  ill.   De  la  périodicisé  tridiaire  ,  seplimanaire 
et  quadriseplimanaire.  321 

Troisième  partie.  De  la  mort.  33 1 

Section  première.  Des  causes  de  la  mort.  ib. 

Chapitre  I.  De  la  mort  nécessaire.  f^< 

Article  I.  De  l'épuisement  de  l'idée  de  l'espèce,  comme 
cause  de  mort  naturelle.  34o 

Article    II.     De    l'impossibilité  du  rajeunissement, 
comme  cause  de  mort  naturelle.  344 

Chapitre  II.  De  la  mort  accidentelle.  348 

Article  I.  De  l'influence  de  l'âge  sur  la  mortalité.         555 

I.  Mortalité  dans  l'espèce  humaine.  365 

A.  Mortalité  absolue.  ^^« 

B.  Mortalité  relative.  367 

II.  Durée  de  la  vie  humaine.  382 


TABtE.  577 

Article  IJ.    De   l'influence  de  l'indivicluHÎité  sur  la 
mortalité.  38(5 

I.  Influence  des  conditions  primordiales.  ib. 

II.  Influence  des  conditions  acquises.  3a5 

Article  III.  De  l'influence  del'espècesur  la  mortalité,  4oi 

Section  secode.  Des  phénomènes  de  la  mort.  409 

Chapitre  I.  Des  phénomènes  de  l'extinction  de  la  vie.      ib. 
Chapitre  II.  Des  phénomènes  cadavériques.  4'^ 

Article  I.  Des  signes  de  l'abolition  de  la  vie.  4  '9 

Article  II.  De  la  raideur  cadavérique.  [{ào 

Article  III.  De  la  putréfaction.  4^7 

I.  Première  période.  449 

II.  Seconde  période.  4^2 

III.  Troisième  période.  4^4 

Section  troisième.  Des  diverses  manières  dont  la  mort  est 
envisagée  par  l'homme.  4^^ 

Chapitre  I.  Des  usages  auxquels  la  mort  a  donné  lieu.       ib. 
Chapitre  II.  Du  suicide.  47^ 

QdatriÈme  partie.  De  l'organisme  du  temps.  4/^ 

Chapitre  I.  De  la  modalité  du  développement.  480 

Article  I.  De  la  marche  du  développement  physique.     4^^ 
Article  II.  De  la  marche  du  développement  intellec- 
tuel et  moral.  49^ 

Chapitre  II.  Delà  relation  des  âges  de  la  vie.  5oi 

Chapitre  III.  De  la  qualité  des  r(ges  de  la  vie.  ôcj 

Article  I.  Des  particularités   qui  dîslinguenl  k's  Tiges 

de  la  vie.  ib, 

T.  07 


57S  TABLE. 

Article  II.  De  la  proportion  des  âges  de  !a  vif.  5i5 

Chapitre  IV.  De  îa  rjviantîté  delà  vie.  024 

Article  I.  Desmanireststionsde  la  vie.  5a5 

I.  Durée  de  la  vît?.  «^. 

II.  Energie  de  !a  vie.  53o 

Article  II.  De  l'essence  do  l'ovgatii&me.  535 

I.  Essence  delà  mort.  *^- 

II.  But  de  la  vie.  537 
lïL  Persistance  après  la  mort.  ^''^î^ 


FJN   »E    I.A    TAtfcS   Dli    eiNÇt'IEME  VOLIMB.