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LûtM^ ^Ty^
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TRAITE
DES
BONNES
OEUVRE
E N
GENERA L.
Par JEAN la PLACETE, l^aflm
de l^Eglife Françoifi de Copenhague,
/^ ♦^ ^
A AMSTERDAM,
Chez DANIEL PAIN, Marchand
Libraire fur le Voorburgwal ,
proche du Stilfteeg.
^iL « kfJi %p=^ W'
O
^'''ADAMSl.è^//
C?.
^ TABLE
DES
CHAPITRES
Contenus dans le Traité des bonnes anvre^
en (Teneral, -
Chapitre I. 'Xldée générale des honnef œu"
J^vres. r pag. i
IL Quelles [ont les œuvres dont on a dcjjeùi
déparier , ^ quelle efi la bonté qrio^i
leur attribue. Conditions fiecejjaires
pour cet effet* 8
III. Première condition. Une aéî ion pour être
bonne doit être conforme a la Loi de
Dieu, l6
IV. Qu'ail faut qu^une aétionfoit commandée
de Dieu pour être bonne. 24-
V» Qu il ne fuffit pas qu'une acîion foit per*
mife , ou commandée , Ji on ne fait
avec certitude qu'elle Peft. 3 o
VI. Seconde condition neceffaire a une bonne
oeuvre, ^lle doit être volontaire, 36-
"S ^S^^Troifiéme. condition, ISaâion ne doit
rien avoir ^ qui ne convienne aux
* 2 tf/V»
TABLE
circonftances qtii V accompagnent. 46
VIII. Qjiatriéme condition. Une bonne ac-
tion doit avoir ime bonne fin. y 5*
IX . Cinquième condition. V amour de Dieu
doit être le principe de nos bonnes oeu-
vres. 6f
X. Que f amour de Dieu .^ qui doit être le
principe de nos bonnes ceuures ejî .un
amour dejinterejfé. • 80
XL Que cet amour de Dieu , qui doit être le
principe de nos bonnes oeuvres ., ejlun
amour dominant .^ ^ qui préfère Dieu
àtouteschofes. 89
XI L Sixième condition. Une bonne œuvre
doit être faite avec foi, 96
XII L Septième condition neceffaire pour fa ire
de bonnes œuvres. Les faire fans
répugnance. loj
XIV. Que lors qu'ion a fait une bonne œuvre il
ne faut pas regretter le bien temporel
qu'' elle a fait perdre. 117
XV. Huitième condition. Nos bonnes œu-
vres doivent être accompagnées de
■ tous lesfentimens d^ une profonde hu-
milité. 128
XVI. Que nos bonnes œuvres font les effets ^
les produirions de la gra ce. i q 5*
XVII. Que les enfans de Dieu font des œuvres.
qui font véritablement bonnes. 1^4
XVI 11.^^ Us œuvres des enfans de Dieu m
font bonnes qu imparfaitement, 1 5* 2
XîX. Comment ilfe peut que nos aéiions étant
imparfaites elles foient véritable-
ment
DES CHAPITRES.
ment bonnes. j ^-o
X X U'oh vient que nos bonnes œuvres font
imparfaites* l ^g
XXL Si les bonnes œuvres font neceffiires,
Qh'' elles le font au moins de cette efpe-
ce de neceffité ^ qu^on appelle commu
nement de picccptc. ijf
XXII. Que les bonnes oeuvres font neceffaires
en ce fens , qu'il eft impoffibîe d'être
fauve , // on n'en fait aucune. 1 89.
(XXflI. De quelle nature eft la néceffité des
bonnnes œuvres. Sic'eftuneneceffité
de moyen. j 04
^XlW'Oùron répond à quelques que fions tou-
chant la necefjité des bonnes œuvres.
200
XXV. Si nos bonnes œuvres font méritoires^
Réflexions fur le fentiment de quel-^
ques Doâeurs de la Communion Ro-
maine fur cefujet. 2 1 Q
XX V I . Qu^il n'y a point d"* égalité entre la bonté
de nos œuvres ^ la recompenfe que
Dieu nous promet. ii\
XXVII Sî le droit que les bonnes œuvres nous
donnent fur la vie éternelle èft un
droit qui îifefon origine de lajuftice.
231
XXV Wl.Ou l'*on répond aux objeéiions. 243
XX iX. Si nos bonnes œuvres fatisf ont a la
jufïice de Dieu pour la peine tempo--
relie deuè ànospechel,. 2f<.
XXX. Diverf es preuves, qui font voir que
TABLE.
nos bonnes œuvres ne font pas faîis-
faâoires. 2.61
XXXL St les bonnes œuvres nous jujîifient,
271
XXXII. Reflexions fur ce que S. Jaques dit
furcefujet. 282.
XXXIII Véritables effets des bonnes œuvres
. . ^91
XXXIV. Que rien n'eftplusjufte que de s'ap-
pliquer à la pratique des bonnes œu-
njres. ^^S
XXXV. Ce que c'eft qu'on doit faire pour
remplir le devoir marqué dans le
chapitre précèdent* 32-1-
TRAP
TRAITE
DES
BONN ES
OEUVRES
EN GENERAL.
CHAPITRE I.
Idée générale des bonnes œuvres.
Es bonnes œuvres doivent
faire la principale , ou
pour mieux dire Punique ,
yhWHV?^ & la perpétuelle occupation
de Pcnfant de Dieu fur la terre. Ce
font les fruits que cet arbre mylliquc
A doit
1 Traite' des
doit porter en toute faifbn. On peut
dire que nous ne fommes dans le
monde que pour cela feul, 6c que
dés que nous cefTons de nous y ap-
pliquer , nous fommes du nombre de
ces miferables , dont le Prophète dit
* qutls ont été rendus in Ht îles. Témoin
ce que Jefus-Chrift fait dire dans la
parabole (a) au père de famille ^ fur
le fujet du figuier , qu'il avoit plan-
té dans fa vigne , Coptpés le , car a quoi
bon occuper oit - il U terre ? Et témoin
encore ce que dit S. Paul {b) , que
nous fommes P ouvrage de1>ieH^ créés en
fefuS'Chrifl pour les bonnes œuvres^ que
Dieu a préparées , afin que mus marchions
en elles.
Mais c'eft peu de chofe de dire ,
que les bonnes œuvres font la fin à
laquelle , non feulement l'homme na-
turel, mais encore le Chrétien; 6c
Penfant de Dieu , eft deftiné. Elles
font encore la fin , je dis la fin pro-
chaine 6c immédiate ^ de tout ce que
Dieu a fait pour nous , foit dans le
temps,
♦Rom.III.ii. («;Luc.XÏ11 6,
(S) Eph. II. 10.
BONNES OEuVRES. 5
temps, foit dans Péternité. Pour-
quoi nous a-t-il éleus , 6c predeftincs
par Tes décrets éternels? C'eft afin
que nous nèus appliquions à la pra-
tique des bonnes œuvres. // nous a
élus en lui ^ dit S. Paul, (a) avant la
fondation du monde, afin qne nousfujfions
faims ^ & irréprehenjïbles devant Ifti eneha^
rite. Et S. Pierre afTeure {b) que
nous fontmts élem félon la Providence de
Dieu en fan^ification d^efprit a oheïffance.
Pourquoi nous a-t-il donné fon faint
Fils? Pourquoi l'a-t-il envoyé fur la
terre? C'eft, dit S. Pierre, (c) pur
retirer chacun de nous de fe s méchancetés,
C'eft, dit Zacharie, {d) ^pour adrejfer nos
pies au chemin de paix. Pourquoi ce
grand Sauveur eft-il mort ? C'eft dit
S. Pierre (e) afin qu étant morts au pé-
ché^ nous vivions a la juftice. Il s'^efi
donné foi-même four nous ^ dit S. Paul (j9,
afin ejHHl nous rachetât de toute iniquité^
dr nous purifiât pour lui être un peuple par»
ttculterement attaché, & adonné aux bon-
nés œuvres. A 2 D^aiU
(a) Eph. I. 4. (k) I. Pier.I.i.
(r) \a: m, 25. , (d) Luc. i. 79.
(0 Pier. II. 14. (/) Tit.ll.14»
4 Tuait ê' des
D'ailleurs, nos bonnes œuvres font
des effets admirables. Elles glorifient
Dieu, Faites luire ^ difoit Jefus-Chrill:
en ce fens ( a) faites luire vos bonnes œu-
vres devant les hommes , afin (^ue les hom-
mes voyant vos bonnes œuvres glorifient vo-
îre l^ere qui eft dans les deux. Elles
édifient nos prochains. Ayez^ , dit
S. Pierre (^) votre converfation honnête
envers Us Gentils , afin qu au lieu qu'ils
médifent de vous comme de malfaiteurs^ ils
glorifient Dieu au jour de la vifitationfour
vos bonnes œuvres qu'ails auront veu'és. El-
les nous procurent toutes les béné-
diébions de Dieu , tous les effets de
fon amour 6c de fa bonté , foit pen-
dant la vie , foit après la mort , ce qui
fait que l'Ecriture nous les reprefen-
te en divers endroits comme un grain
niyftique que nous femons , & qui
produit dans la fuite une moillbn
abondante. Ce que Phomme aurafeme'^
dit S . Paul (c) , /'/ le moiffonnera auffi.
Car celui qui féme à fa [chair , moifon-
^era de la chair la corruption , mais celui
qui
{a) Matt.V. i6. {h) I. Pkr.II. I2.
(c) Gai. VI. 7. 8,
BONNES OEuVRES. f
qui Çcme a Pcjprit , moijfonnera de Pefprit
k vie étemelle. Elles avancent Pou-
vrage de nôtre fanétification , ôc ajou-
tent de nouveaux traits à Pimagc de
Dieu , que fon Efprit a tracée daiis
nôtre cœur , ou du moins les rendent
plus vifs ôc plus lumineux, ce qui
fait dire à S . Pierre {a) , qu'elles affer-
mi fient nôtre vocation ^ 5c nôtre é-
leftion.
En un mot, elles font fi utiles 6c fî
excellentes que PEcritiure, nous les
reprefente comme un thréfor qu'on
s'amafle , 6c que Dieu s'oblige de
nous garder avec foin. Témoin ce
que S. Paul dit à Timothée ( h) fur
le fujet dès riches d'Ephefe. Qn'th
fajfent du bien. Qu'ils Cotent riches en boU"
nés œuvres , ^utls foient faciles a dif^ri-
huer , cammunicaîîfs , fe fatfimt un thréfor
dun bon fonderaient four ^avenir , afin
qu'ils appréhendent la vie éternelle. Et
avant lui Jefus Chrift même {c). Ne
vous amajjez. point de thréfor en la terre ,
QH la tigne (fr la rouille gâtent tout ^ & oit
A 3 le$
(a) IL VkvA. 10. (h) I.Tim.VI. i8. ig,
(() Matt.VL 19.20.
6 Traite' DES
les larrons percent & dérobent. t^Kais
ama0s vous des thréfors an (jel^ oit la ti^
gne & la rouille ne gâtent rien , & eii
les larrons ne percent , ni ne dérobent.
Admirable thréfor qui nous refte
après même que nous avons tout
perdu , ôc qui nous accompagne
même après la mort ! témoin ce
que le S. Efprit dit dans PApoca-
lypie {a), bienheureux [ont dés main^
tenant les morts qui meurent au Seigneur.
Oui pour certain , dit f Efprit , car ils fe
repofent de leurs travaux , & leurs œuvres
les fuivent.
Ces œuvres font d'ailleurs fi nécef-
faires , que fi nous les négligeons , il
eit impoffible que nous ayons aucune
part à ce grand lalut , que Jefus-Chrift
nous offre dans fon Evangile , & que
nous évitions les fijpplices de l'éter-
nité. Tout arbre ^ dit S. Jean Baptis-
te en ce fens , {b) tout arbre qui ne porte
point de fruit s en va être coupé ^ d^ jette
au feu.
On peut voir par là combien il im-
porte
(4 Apec, XIV. 13, {h) Matt,III.xow
BONNES OEUVRES. 7
porte d'être bien inftruit fur un tel
fujet. Car enfin qu'eft-ce qui nous
peut être plus nécelïaire , que de ne
rien ignorer de ce qui concerne ce
qui fait Pun des plus faints & des
plus indifpenfables de nos devoirs,
l'un des moyens les plus efficaces
dont Dieu fe fert pour produire l'ou-
vrage de nôtre faluti*
Il eft même d'autant plus necef-
faire de s'y appliquer , que Cette
matière a fes ûifficultez , fur lef-
quelles il ne peut-être qu'utile de
s'éclaircir. Il y a d'ailleurs bien
des erreurs , èc des erreurs groffie-
res 6c dangereufes , dont plufietirs
font prévenus fur ce fujet, ôc dont
il importe de les defabufer. Ainfî
il n'y aura point de mal à s'appli-
quer avec quelque foin à donner du
jour à une matière fi belle , 6c fi impor-
tante.
Mais avant que de l'entreprendre
il fera bon de dire en un mot ce qu'on
entend par ces bonnes oeuvres , dont
on a deflein de parler , 6c d'expliquer
un peu \cs deux termes , dont on fe
A A fert
§ T R A I T e' D E s
{ttt pour les defîgner. C'eft ce qu'on
va faire en peu de mots dans le cha-
pitre fuivant.
CHAPITRE IL
Qu'elles font ces œuvres dont on a dejfein
de parler , (fr quelle efi la bonté qii^oYh
leur aîtribn^. Conditions necej] aires four
cet effet,
'Entends premièrement par les
œuvres toute forte d'a6î:ions , in-
ternes, ou externes 5 vi{ibîes,ou
mviiibles. Ainfi je prends cette ex-
preiîion dans un fens bien plus éten-
du que celui auquel on l'entend or-
dinairement , lors qu'on diftingue les
œuvres des paroles ôc des penfées.
J'entends en gênerai tout ce que nous
faifons, foit intérieurement, 6c en
nous mêmes , foit extérieurement , ôc
fenfiblemcnt. Je n'exclus pas même
de la fignifi cation de ce terme ua
fimple refus d'agir, parce qu'en effet
ce refus eft quelquefois une œuvre
exM
BOÎSTNES OEllVRES! 9
excellente , 5c un aéle de la' volonté^
qui ne laiiTe pas d'être pofitif en lui
même , quai qu'il fe termine à quel-
que chofe de négatif.
Mais quoi que je prenne ce mot
dans cette fignification étendue , je
n'ai pointant pas deflein de parler de
toute forte d'aâiions fans exception,.
Car pour ne rien dire des a6Honspu»
rement phyfiques 6c naturelles , je ne
dois pas même traiter de toutes les
a&ions morales. Il y en a de trois
ordres , de bonnes , de mauvaifes &
d'indifférentes. Cependant mon dcf-
fein n'eft pas de parlerprefentement,
ni des indifférentes , ni des mau-
vaifes. Je me propofe de m'attacher
uniquement aux bonnes^ me reièr-
vant de parler des autres dans un au-
tre ouvrage.
Il eft bon même de Ikvoir plus dif-
tinârement en quoi c'eft que eonfiile
cette bonté , qui fait cette eipece
d'œuvres , qu'ion appelle bonnes,»
Perfonne n^ignore qu'il y a. trois di«
vêrfes efpeces de bien , l'honaéte ^,
Futile^ & l'agreablCo Maison com-
A 5 f rend
lO T R A I T e' D E s
prend auffi en même temps que k.
bonté d'une aftion ne coniiile ni en
ce qu'elle eft utile , ni en ce qu'elle
cft agréable. Si cette aftion eft fîm-
plement utile ou agréable , fans être
honnête , on ne dira jamais que c'eft
une bonne aâiion. On ne defigne
par là que les autres qui ont cette
bonté particulière qu'on nomme mo^
rak ^qui eft la matière de l'approbation
& de laloiiange, &: qui eft diftinfte
de celle qu'on nomme fhjjîque ou metd'-
fhjfique.
Cette bonté morale ,au moins teil-
le qu'elle eft dans nos aûious , tire
fon origine de deux chofes, l'une
que nous fommes libres , l'autre que
nôtre liberté n'eft pas infinie. Si nous
n'avions point du tout de l]berté,nos
aftions ne feroient ni bonnes, ni mau-
vaifes , d'où vient que celles des bef-
tes n'ont ni l'une , ni l'autre de cts
qualités. Elles le feroient auffi peu
fi nôtre liberté étoit fî vafte , 6c fi
étendue , qu'il nous fût permis de
faire abfolûment, êc fans exception.
Ce qu'il nousplairoit. Mais comme
d'un
BONNES OEUTRES. II
d'un côté nous avons quelque liber«
té , 6c que de Pautre cette liberté efb
afîes bornée , cela fait que nous pou-
vons .agir bien ôc mal , parce que
nous pouvons , ou nous contenir
dans ces bornes y qui nous font pref-
crites , ou les franchir.
On. comprendra ceci plus diftinc-
tement fi Pon confidere qu'il y a une
double liberté, Pune qu'on nomme
de fait y êc Pautre ds drait^ La liber-
té de fait confifte à avoir les forces
phyfiques ôc naturelles , qui font né-
celTaires pour faire une aâion» La
liberté de droit confifte à pouvoir
faire cette aftion innocemment , 6c
fans crime. Chacun par exemple a^
allez de force pour tu^r un de fes pro-
chains au cas que Penvie l'en prenne,,
mais il n'y a prefque peribnne à qui
cela foit permis. Chacun a donc à
cet égard la liberté de fait , &: non;
pas celle de droit.
Lors qu'an fait un bon ufage de la
première , êc qu'on fe renferme dans;
les bornes de la féconde , nos aébions-,
font bonnes ^ comme au contraire el-
A é les
1% T R A I T e' D E s
les font mauvaifes , lors qu'on paflc
ces bornes^ 6c qu'on fait ce qu'il n'é-
toit pas permis de faire, ou qu'on
néglige ce qu'il falloit pratiquer.
En un mot , comme nous ne fom-
mes pas de nous mêmes , nous ne
fommes pas les maîtres de nos actions ,
Nous avons pour fuperieur 6c pour
maître ce même Dieu qui nous a créés^
^ nous a faits être ce que nous fom-
mes. Il a par là même le droit de
nous commander ôc de nous deffèn-
dre tout ce qu'il lui plart. Il a ufé de
ce droit. 11 nous a donné une loi
pour fervir de règle à nos allions. Si
nous nous écartons de cette règle ,
nous péchons. Si nous nous y con-
formons , nos actions font bonnes ,
^ telles qu'elles doivent être.
Il faut ajouter encore que quand
on parle d'une bonne aétion , cette
façon de parler defigne deux chofes
très différentes, félonies divers fujets
aufquels on l'applique. S'il eft quefl
tien de tout un genre , ou de toute
une efpece d'aélions > & qu'on en
dife cp'eiks font bonnes , on veut
dire
BONNES OEuVRES. î^
dire fimplemcnt qu'elles font com-
mandées de Dieu. Mais Ci on parle
d'une aâion finguliere 6c individuel-
le , &; qu'on dife qu'elle eft bonne ,
on dit quelque chofe déplus. On dit
non feulement que cette action a été
commandée de Dieu , mais encore
qu'elle a été faite en la manière en la-
quelle Dieu veut qu'on la faflè.
Par exemple , fi on dit que la priè-
re 5 ou que l'aumône ^ eft une bonne
œuvre , on veut dire Amplement que
Dieu nous a commandé de l'invo-
quer , 6c d'affifter nos prochains. Mais
fi on dit que la prière du bon larron ,
ou celle de S. Etienne, 6c les aumô-
nes de Corneille 6c de Tabitha , é-
toient de bonnes aétions , on veut di-
re que ces prières 6c ces aumônes a«
voient tou'ces les qualités nécefîaires,
pour être agréables à Dieu.
Il peut arriver fort facilement
qu'une aél-ion bonne enfongenrefoit
mauvaife en ce qu'elle a de fingulier
6c d'individuel. Telles, étoient^ pair
exemple , les prières 6c les aumônes,
des Phariiiens,^ dont Jefus-Chrift
par-
14 Traite' iîES
parle au chapitre VI. deS.MatthîetTv
EJles étoient bonnes en leur genre ^
mais très mauvaifes en ce qu'elles a-
voient de fingulier &c d'individuel ,
parce qu'ils les faifoient mal , ne les
faifant que par vanité. Mais quoi
qu'une aftion bonne en fon genre ^^
pLiiiTe être mauvaife , en ce qu'elle a
de Singulier 5 il ne s'enfuit pas qu'u-
ne aftion finguliere puifle être bon-
ne, fi elle eft mauvaife en fou genre».
La raifoîî en eft qu'une des condt»-
lions les plus efîentielles pour faire
ïine adion bonne dans l'individu ^
c'eft qu'elle foit bonne en fon genre,.
La bonté individuelle d'une aftiont
îefulte de ?union & de l'afTemblage
de toutes les conditions neceffaires à
la production de cet efïêt. Il ne fuf-
fit pas en eÔet qu^une ou deux de
ces conditions s'y trouvent. Il faut
qu'il n'y en manque pas une , fui-
Tant la maxime conftante des Theo^
logiens, Bonum ex intégra caufà^ ma-^-
îum ex quovîs defeEln,
Il y a au refte deux fortes de coiî^
ditions néceifaires à une bonne œur
vre*.
BONNES OEnVRES. IJ
vre. IjCs unes font neceflaires à tou-
tes les œuvres , quelles qu'elles foient^
& de quelque nature qu'elles puifTent
être. Les autres font particulières-
aux œuvres d'un certain ordre , 6c
d'une efpece particulière.
Je mets au premier rang les fuivan-
tes. Afin qu'une aftion foit bonne ,
il faut qu'elle foit commandée de
Dieu , il faut qu'elle foit faite volon«
tairement, qu'elle ait une bonne fin,
q^u'elle foit faite avec foi , avec cha-
nté Sec.
Les conditions du fécond ardre
font en très grand nombre , chaque
efpece particulière de bonnes œuvres
ayant fea conditions particulières^.
Autres par exemple font celles de la
prière , autres celles de l'aumônei, ôc
ainfi du refte.
Mon deiTein n'eft pas de parler
maintenant des conditions particuliè-
res. Cela me meneroit extrêmement
loin , Se d'ailleurs tout cela n'eft pas
de mon fujet. Je me contenterai de
parler de celles, qui font communes
à toutes 3 parce qu'eaeffet le fujetde
ce
j6 T r a I t e^ i>e s
ceTraité n'eft autre chofe que ks bon-
nes œuvres en gênerai.
CHAPITRE m.
première condition, Z)ne aStion pour être
bonne doit être conforme a la loi
de Dieti^
LA première condition neceflaire
pour faire une bonne action ,
e'eft qu'elle foit conforme à la loi
de Dieu. Ceci même fuffit pour fai-
re que cette aftion foit bonne en Con
genre. Mais afin qu'elle le foit ab-
iblument il faut quelque chofe de
plus y comme on le verra dans la
fuite.
Cette conformité emporte deujî
chofes. L'une que Dieu n'ait pas
défendu cette aétion y l'autre qu'il-
î'ait commandée. La première eft
d'une neceflité abfoluë. Si ceci feul
manque^ tout le relie nefertde rien,.
n.^é-
BONNES OEuVRES. \J
n'étant jamais permis de faire le mal,
tel qu'ell toujours ce que Dieu dé-
fend 5 non pas même lors que ce mal
peut procurer quelque bien. Je fat
que ceci efl direftement oppofé aux
fentimens du vulgaire , qui s'imagi-
ne qu'une bonne intention peut ren-
dre , non feulement innocentes , mais
louables 6c vertueufes , les aélions les
plus criminelles. Mais je fai aufS
que rien n'efl: plus faux que cette
imagination , comme il me feroit ai-
fé de le démontrer, ii je ne Pavois
déjà fait dans mon difcours de l'In-
tention , qu'on peut voir dans la
première partie de mes EfTais de
Morale. C'eft ce qui m'empêche
de m'y arrêter. Je tâcherai feule-
ment de lever deux difficultés , que
je n'ai pas touchées dans cet endroit-
là.
Il femble en premier lieu que Je-
fus Chrifl décide formellement le
contraire, & par fon exemple , 6c
par fa doélrine. Dieu avoit ex-
preflement deffendu de faire au-
cun travail le jour du Sabbat.
Cepen-
i8 Traite' DES
Cependant S. Matthieu rapporte au
chapitre XII. de fon Evangile que
les Apôtres prelîes de la faim , a-
voient pour la foulager cueilli quel-
ques épis , 6c les av oient froifîes ,
nonobftant la folemnité de cette jour-
née. Jefus Chrift lui même avoit en ce
même jour guéri miraculeufement
un homme qui avoit une main féche-.
Les Phariliens condamnèrent fans lié-
fîter ces deux aébions , & foûtinrent
que c'étoient autant de profanations
du jour du repos. Mais Jefus Chrift
leur fit voir manifeflement le contrai-
re . Il leur allega l'exemple de David,
& de ceux de fa fuite , qui bien que
Laïques , mangèrent des pains de
propofition , dont la Ici ne permet-
toit l'ufage qu'aux feuls Sacrifica-
teurs. Il leur allega ces paroles de
Dieu rapportées par le Prophète
Ozée , fe veux mifericorde , c^ non point
facnfite ^ qui prouvent invincible-
ment que la charité autorife à faire
de certaines chofes que Dieu a défen-
dues. Il leur répréfenta qu'il n'y a-
voit perfonne, qui trouvant unebre-
hi*
BONNES OEuVRES. ÏÇ
bis tombée dans une fofl'e fe fît un
fcrupule de la relever le jour du Sab-
bat. D'où il conclut que tant fon
aftion, que celle de fes Difciples^
étoit innocente.
Il femble qu'on peut conclure de
là qu'une bonne intention , ÔC en par-
ticulier celle de faire du bien au pro-
chain , donne le droit de faire ce que
Dieu a défendu. 11 ne faut pas en
cfïèt s'imaginer de pouvoir éluder
la difficulté en difant que la Loi du
Sabbat étoit une loi pofitive. Car
pour ne pas m'engager maintenant
dans cette difcuffion , qui me mené-
roit un peu loin , il me fuffit de fa*
voir que jufqu'à ce qu'une loi pofi-
tive foit abrogée , elle oblige de mê-
me que les naturelles , êc qu'on ne
fauroit même la violer fans pécher
contre la lai naturelle, qui veut qu'en
toute forte d'oc<:a{îons la créature
obeïffe à fon Créateur.
Pour lever abfolument la difficuU
té je dis qu'il y a bien de ladifferen-^
ce entre faire à bonne intention une
chofe que la loi condamne dans le
cas
ao T R A I T e' D E s
eas même où fe trouve celui qui agit,
ÔC faire une chofe que la loi condam-
ne en de certains cas , mais qu'elle ne
condamne pas dans le cas particulier
où l'on fe trouve. Le premier n'eft
jamais permis , mais le fécond Peil
toujours.
Il y a des loix qui obligent er|, toute
forte de cas. Telles font celles qui
condamnent les aébions mauvaifes de
leur nature , le menlbnge , le parju-
re, la calomnie, l'incrédulité, la hai-
ne de Dieu ècc. Il y en a d'autres qui
n'obligent qu'en de certains cas. Tel-
les font en gênerai toutes les loix po-
sitives , pas une defquelles n'oblige
lors qu'elles fe trouvent oppofées aux
loix naturelles.
C'eft ce qui avoit lieu dans les
exemples marqués dans l'objeélion.
L'obligation ou l'on efr.de confer-
ver fa propre vie, 6cde faire du bien
au prochain vient de la Loi naturel-
le. Celle du Sabbat , qui fembloit
le défendre , 6c qui défendoit peut-
être de faire les mêmes chofes en d'au-
tres cas, étoit une loi pofitive. Elle
n'obli-
BONNES OEuVRES. 21
n'obligeoit donc pas en ce cas -là , 8c
ni Je fus Chrift , ni fes Apôtres , ne
la violoientpas, à parler proprement
& exaârement.
Sur ce fondement on permet aux
Médecins de manquer aux exercices
de pieté, pour affilier des malades,
qu'ils ne pourrôient négliger fans les
expofer au danger de perdre la vie.
Je crains que ce que je viens de di-
re paroille à plulicurs , non feule-
ment faux, mais très dangereux. J'ai
dit que les loix pofitives n'obligent
point dans les cas oii l'on ne peut les
obferver fans perdre la vie. On dira
que les anciens Juifs en jugèrent tout
autrement, lors qu'ils aimèrent mieux
fe laiiîer maflacrer par les ordres du
Roi Antiochus , que de manger des
viandes , dont la loi cerem.onielle
condamnoit Pufage . On dira que les
Martyrs étoient auffi bien éloignez
de mon fentiment , lors qu'ils ai-
moient mieux s'expofer aux plus hor-
ribles tourmens , quedejetter deux
gjrains d'encens fur un foyer auprès
d'une idole.
Mais
22 Traite' DES
Mais il eft aifé de répondre que
manger des viandes , que la loi céré-
monielle avoit deffendués, 6c jetter
quelques grains d'encens dans le feu,
font à la vérité deux aâions indiffé-
rentes de leur nature , mais qu'à les
confidérer dans les circonftances par-
ticulières, où ces Martyrs fe trou-
voient , c'étoient deuxaftions direc-
tement oppofées à la loi Morale : C'é-
toient autant de delaveus de la vé-
rité. C'étoient d'ailleurs des aâions;
très propres à fcandalifer le prochain.
Ainfi les faire ç'auroit été violer ,,
non quelques loix pôfîtives , mais les
plus faintes, & les plus indifpenfables
des loix naturelles.
Il faut donc entendre ce que j'ai dit, '
que les loix poiîtives n'obligent point,
lors qu'on ne peut les obferver fans ;
perdre la vie , il faut , dis-je , l'en-
tendre en ce fens. Oc avec cette ex-
ception , a moins t^uen les violant , on ne
viole OHJfi quelcjue loi naturelle , ce qui
peut arriver fort facilement.
Cela fuffira fur le fujet de la pré-
mié!;e difficulté. La féconde eft un peu
moins
1
BONNES OEuVRES. 1^
moins embarraffante. On dira peut-
ctre que fi une aârion contraire à la
loi de Dieu ne peut jamais être bon-
ne , il faudra condamner celle d'un
enfant né d'adultère; mais qui igno-
re invinciblement la honte de fa naif-
fance , 8c qui voyant celui qu'il prend
pour fon père maltraité par celui qui
Peft véritablement, prendroit le par-
ti du premie/ contre le fécond. Il
violeroit le cinquième commande-
ment. Mais comme il le violeroit
fans le favoir , non feulement il ne
feroit pas coupable , mais toute la ter-
re approuveroit fon aétion.
Je réponds que l'aétion de cet en-
fant eft bonne en effet, mais qu'elle
n'eft point du tout contraire à la loi.
La loi n'ordonne pas d^'honorer le vé-
ritable père. Si cela étoit il y auroit
des cas où elle ordonneroit l'impof-
fible. Elle ordonne feulement d'ho-
norer celui qu'on regarde comme fon
père , 6c qu'on a raifon de regarder
comme tel. Ainfi l'enfant dont il
s^agit ne violant pas cette loi , fon
aétion eft bonne , & la difficulté ne
fubfifte plus. En
a^ Traite* DES
En un mot, il faut que Perreur qui
fait agir contre la lettre de la loi foit
une erreur innocente, ôc vienne d'u-
ne ignorance invincible & involon-
taire . S'il en eft autrement , la meil-
leure intention du monde n'empê-
chera pas que ce qu'on fait ne foit
un péché. Témoin l'aftionde ceux
dont Jefus Chrift dit qu'ils croiroient
rendre fervice à Dieu en faifant mou-
rir fes Apôtres. Leur intention é-
toit bonne. Mais comme leur er-
reur étoit volontaire , leur aftion é-
toit très mauvaife.
CHAPITRE IV.
QfiilfaHt cjH^une aïiion foit commmdçc
de 1)iett pour être bonne,
CE que je viens de dire fait voir
qu'afin qu'une aétion foit bon-
ne, il faut qu'elle n'ait rien de con-
traire à la loi de Dieu. Mais ce*n'eft
pas tout. Il faut qu'elle y foit con-
forme , & que Dieu l'aie commandée,
ou
BONNES OEUVRES. %f
ondireEiement, OMindire^etnent. Cette
diflindbion eft importante , ôc refont
diverfes difficultés. Ainii il eft bon
de l'éclaircir.
On dit que Dieu commande direc"
tement une aftion, lors qu'il la com^
mande en elle même. C'eft ainfî
qu'il nous commande de l'invoquer,
de l'aimer , de lui obeïr , de donner
l'aumône ôcc. Mais il commande /'«-
■directement tout ce qui eft nécefîàire
pour faire ce qu'il commande direc-
tement. Ainfî fi je ne puis fansm'in-
commoder, & fans me priver d'un
plaiflr innocent , aiîlfter un povrequi
en a befoin , je dois me priver de ce
plaifir , & Dieu me le commande in-
dire6bement en m'ordonnant d'afiifter
ce povre. Je n'en donne point d'autre
exemple. Chacun peut en imaginer
une infinité.
Afin qu'une aélion foit bonne , il
fuffit qu'elle foit commandée indirec-
tement , Se par confequent qu'elle
foit nécefîàire pour en faire une que
Dieu nous ait commandée. 11 ne faut
pas même que cette neceflîté foit ab-
B foluë»
26 T R A I T e' D E s
foltië. Il fuffit que pour obferverle
commandement il faille néceflaire-
ment faire , ou Paclion indifférente ,
dont nous parlons , ou quelque au*
tre chofedefcmblable. Par exemple,
un povre a un befoin preffant d'un
habit. J'en ai deux , de Pan defquels
je puismepaffer. Je puis le lui don-
ner. Mais je puis aufli le retenir,
en lui donnant de l'argent pour en
achetter un autre. Par conféquenc
ni l'un , ni l'autre n'eft néceffaire ab-
folument , 6c déterminément : Mais
l'un ou l'autre l'eft indéterminément.
Cela fufîît pour faire que quel que ce
foit de ces deux partis que je prenne,
je faile une bonne aélion.
Cela pofé de la forte , je dis qu'une
aftion ne fauroit être bonne , il elle
n'eft commandée en quelqu'une de
ces manières. Il faut bien que cela
foit, puis que Dieu lui*même rejet-
te ces cultes abominables des anciens .
idolâtres , qui immoloient leurs en-
fans au faux Dieu Moloch, il les re-
jette, dis-je 5 par cette feule raifon qu'il
ne les avoit pas prefcrits. Ils ont , dit-il .
{a) , élevé
BONNES OEuVRES. 1J
(a) ^ élevé les hauts lieux de Tophet ^ -^our
bmler au feu leurs fils & leurs filles , ce que
je ne leur ai f oint commandé^ ^ a. quoi je
n^ ai jamais penfé. QLielle feroit cette
confequence , iî une action pouvoit
être bonne fans avoir été commandée?
Auffi Dieu nous deftend expreiTe-
ment dans fa loi , & de rien retrancher
de ce qu'ii ordonne, & d'y rien ajou-
ter, f^ous n^ ajouterez, rien a la parole que
je vous cornmande , & ri' en diminuerez^ rien.
Deut.IV. ^. 6cXlI.3x.
Sur ce fondement Jefus Chriil con-
damne les obfsrvations que les Juifs
avoient aioûtées à la loi de Dieu , 6c
que leurs Do6teurs rccommandoient
comme autant de Traditions venues
de Moïfe , Se par conféquent de Dieu
même. En effet, S .Marc nous apprend
que les Pharifiens s'étant plaints à ce
grand Sauveur , de ce que fes Difci-
ples n'obfervoient point les Tradi-
tions des Anciens, & particulièrement
celle de Uver leurs mains, il leur ré-
pondit , Certainement Efiaïe a bien prO"
phetifé de vous , hypocrites , comme tl eji
B 2, écrit ^
(«) Jer.VIl.si.,
2l8 T r a I t e' d e s
écrit ^ Ce peuple-ci m^ honore de fes lèvres^
waii leur cœur eft bien fort éloigné de moi,
tyKars en vain ni'honorent'ils , enÇeignant
des docîrines , <jm ne font que des comman^
démens des hommes. Marc VII. 6. ^,
S. Paul de même rejette les dévo-
tions volontaires introduites par les
faux Do6teurs de fon temps , difant
aux Colofîiens , Que nul ne vous maitri"
fe a fon plaiftrpar humilité dC'efprit , ^fer^
vice des Anges , s' ingérant dans les chofes
cju^il n'^a point veues , étant témérairement
enflé du fens de fa chair. Si donc vous êtes
morts avec fefus Chrifi , quant aux rudi"
mtnsdti monde , pour quoi vous charge-t-on
d'ordonnances , comme fl vous viviez^ an
inonde ^ favoir ^ ne mange, ne goûte , ne
touche point} qui font toutes chofes périffû
h les par Pufige , étant établies fuivmt les
commandemens & les doBrines des hommes'^
lefquelles ont toutesfois quelque apparence
de fagejje, en dévotion volontaire^ CT* hu-
milité d^efprit , & ence qu^ elles n épargnent
nullement lé corps , ^ n'ont aucun égard
au raffafiment de la chair.. Col. II. 18.
20.21. 2a. 25.
Oh peut voir par là l'état qu'on doit
faire
BONNES OEuVRES.' 1S)
faire de la plupart des dévotions
qu'on pratique dans la communion
Romaine , telles que font les difci-
plincs ,. les pèlerinages , la diilin6tion
des viandes , Pufage des fcapulaires ,
& les autres pratiques femblables. Je
ne dirai pas maintenant qu'elles font
contraires, pour la plupart, à la loi de
Dieu. Comme cette confideration
n'effc pas de ce lieu , je me contente de
dire que Dieu ne nous les a jamais
commandées , & qu'ainii il peut dire
fur leur fujet , qui a requis cela, de vos
mains ? Ceci feul fiiffit pour faire voir
que toutes ces obfervations fontabfb-
lument inutiles.
On dira, peut être, que je viens moi
même de reconnoitre qu'afin qu'une
aétion fo.it bonne , il fuffit que Dieu
nous Tait commandée indtreciement.
On ajoutera que Dieu a commandé
de cette manière ces menues dévo-
tions dont j'ai parlé , puis qu'il nous
a commandé d'écouter PEglife , ôc
d'obeïr à nos Condu&urs , 6c que
cette Eglife , & ces Conduéteurs re-
commandent fortement ces chofes.
B 3 Ce
5o Traite' des
C" raifonnement feroit convain-»
cant s'il étoi t vrai que Dieu eût don-
né à l'Eglife le pouvoir de faire des
loix diftincles des fiennes , 6c qui obli-
gent la confcience hors des cas de mé-
pris & de fcandale. Dans cette fup-
poiîtion j'avoue qu'il faudroit prati-
quer ces choies, de que le faire ce fe-
roit faire de bonnes aftions. Mais
comme nous n'admettons point cette
fuppofition 5 l'objeélion , qui n'a que
ce fondement tombe d'elle même.
On peut voir ce que j'ai dit fur ce fu-
jct dans mon Traité de la Confcience,
livre I. chapitre X.
CHAPITRE V.
jQfi'il ne fujfit pas qu^une aStion foit permi»
fe , CH commandée , /ï on ne fait avec
certitude quelle teft,
CE que je viens de dire ne fuffit
pas , & n'épuife point tout ce
qu'il y a d'indifpenfable dans cette
première condition. Ce n'eft pas af-
fez
BONNES OEuVRES.' 51
lez qu'une action foit conforme à Ja
loi de Dieu en la manière qu'on vient
d'indiquer. Il £iut encore qu'on fâ-
che qu'elle l'ell , Ôc qu'on en ait quel-
que certitude. Imaginons nous en
effet que dans la vérité de la chofe
' l'aélion foit permife , ou même com-
mandée de Dieu, mais qu'on fe figu-
re le contraire , •& qu'on la regarde
comme deffenduë. Si nonobliantce
fliux jugement qu'on en fait , on ne
îaiile pas d'agir , on pèche , & on
tombe dans une faute, qui en de cer-
taines ocçafions n'efl pas moindre que
celle que l'on commet en faifant ce
que Dieu a deffendu. C'ell ce que
je croi avoir prouvé dans mon Traité
de la Confcience , liv.II.chap. Vllï.
Mais pour éclaircir tout ceci un peu
davantage, il faut remarquer qu'il peut
arriver que l'efprit fe trouve à cet é-
gard en cinq differens états lors que
l'on agit. On peut I. regarder l'ac-
tion que l'on fait 5 comme criminel-
le, foit qu'elle foit telle en elle mê-
me, foit qu'elle foit innocente, ou
même loiiable. IL On peut douter û
B 4 . clic
Ji. Traite' de^
elle efl: bonne ou mauvaife , je par*
le d'un doute proprement dit , qui
confifbe à iufpendre fbn jugement , ôc,
à s'abftenir de prononcer , foit parce
qu'on ne voit point de raiibn , qui in-
cline Pefprit à prendre , ni l'un , ni
l'autre des deux partis, foit parce que
les raifons des deux partis paroifTent
d'une égale force. llI.Onpeutfoup-
Çonner que ce que l'on fait eft crimi-
nel 5 & en avoir quelque crainte , quoi
qu'on juge poiitivementle contraire.
IV. On peut penfer qu'il eil innocent,
êc le penfer d'un côté fans avoir de
bonnes raifons de le croire , & de l'au*
tre fans avoir aucun foupçon du con-
tî'âire. V. On peut-être afleuré que
ce qu'on fait eil innocent.
j'ai déjà dit que le premier eft très
certainement criminel , & je l'ai prou-'
védans l'endroit que j'ai cité, j'ai fait
voir dans ce même endroit que le fé-
cond n'eil pas innocent, êC en effet
agir dans le temps qu'on doute fi l'ac-
tion eil bonne ou mauvaife , êc qu'on
regarde l'un 6c l'autre comme égale-
ment poiTible 5 c'eil faire voir qu'on
n'a
BONNES OE LIVRES.
n'a ni amour pour Dieu , ni rcfpeït:
pour fa volonté , ni aucune fenfibili-
té pour le grand intérêt de nôtre fa-
lut. Car enfin fî en avait aucun de
ces fentimens , on ne s'expoferoit pas;
au danger terrible d^'offenfer Dieu,
ôc de fe perdre , comme on fait en
agiiîant de la forte.
Que diroit-on d'un homme, qui
étant averti qu'une viande qu'on lui
fert efl empaifonnee, èc n'ayant pas
plus de raifon de croire qu'elle ne l'eft
point , que de fe perfuader qu'elle
Pefl: , ne laifferoit pas d'en manger B
N'agi roit-ir pas avec une brutalité di-
gne d'une bete ? on peut dire lamême
chofe de celui qui agit avec un tel
doute, & s'il y aquelquediâerence,,
elle confifte uniquement en ce que
le danger auquel il s'expofe en pé-
chant , efb incomparablement plus
grand que celui qu^on court en man-
geant -d'une viande , qui peut être
cmpoifonnée..
C'eft pour cette raiibn que laint
Paul parlant de ceux qui n'étant
' pas inftruits de la liberté,, oij Jefus.
B ç èhriHi
34 T R A 1 T e' D E s
Chrifl: nous a mis à Pégard des vian-
des, dont la Loi deMoïfe avoitdef-
fendu Piifage , craignoient de pécher
s'ils en mangeoient , dit aux Romains,
Celui qui fait fcrv^fule efl condamne s H en
mange , car il n'^en mange j^oint par foi. Or
tout ce cjui neft point de foi efi un péché.
Rom. XIV. 23.
Le troifiéme efl au fond ce qu'on
appelle ordinairement des fcrupules.
J'ai dit dans mon Traité de k Con-
icience liv. IL chap. XIII. ce que je
penfe fur ce fujet, 6c rien ne m'obli-
ge à y revenir.
Le quatrième n'eft pas fans diffi-
culté. En effet , il y a, ce femble , de la
dureté à condamner toutes lesaéiions
qu'on fait fans avoir de bonnes rai-
fons pour s'alleurer qu'elles font per-
înifes. Dans cette fuppofition com-
bien peu en feront les {impies , qui
foient vraiment bonnes \ eux dont les
lumières font fi courtes , ôc les no-
tions fî confufes ?
Mais aufîî d'un autre côté fî de mé-
chantes raifons , fur lefquelles on fe
perfuade qu'une adion efl bonne,
peu-
BONNES OEUVRES. Jf
peuvent faire qu'elle le foit , les pé-
chés mêmes pourront être de bonnes
acbions . En effet un homme qui fait
ime bonne action , n'ayant que de
méchantes raifons pour fe perfuader
qu'elle Peil: , n'agit pas plus prudem-
ment qu'un autre, qui par de fem-
blables raifons fe perfuade qu'une ac-
tioo, que je fuppofe mauvaife , efb
permife. Ainfi il eft impofiible que
celle du fécond foit mauvaife , iî cel-
le du premier efl bonne.
Je croi qu'on peut appliquer ici ce
que i'ai dit ailleurs fur le fujet de la
foi. Il y a bien de la différence entre
avoir de bonnes raifons , qu'on ne pé-
nètre pas, & n'en avoir que de mau-
vaifes. Le premier n'em.pêche pas
qu'ime aélion ne foit bonne. Mais
le fécond ne fauroit fuffire. Si donc
les fîmples ont de bonnes raifons , en-
core qu'ils n'en comprennent pas tou-
te la force , leur aélion ne laiiiera pas
d'être bonne. M-^is elle ne fauroit
l'être s'il n'ont que de méchantes rai-
fons pour fonder le jugement qu'ils
en font, ,
B 6 Le
Traite' d e s
Le dernier n'a point de difficultés
On agit bien lors qu'on eit bien feuT
que ce qu'on fait eft commandé de
Dieu. Ceildequoi on ne peut douter..
CHAPITRE VI.
Seconde condition necejfaire a nwe honne-:
ccHvr.s, Elle doit être volontaire ,
"f L faut en deuxième lieu qfu'une;
j^ œuvre pour être bonne foit volon-
taire 5 & cette féconde condition n'elt
pas moins necelTaire que la précéden-
te. Qii'une œuvre en effet foit auffi
excellente en fon genre, êc auili for-
tement recommandée de la paît de
Dieu qu'on voudra. Si on ne k fait
que par force , 6c ii la volonté n^y a
point de part , elle ne fauroit être
bonne & agréable à Dieu.
Une aélion eft volontaire lors qu'el-
fe eft 3 ou un acte immédiat de la vo-
lonté, ÔCouun efïèt, une fuite d'un
tel âfte». En effet ^ il y a des aélions
\
BONNES OEUVRES. ^f
que la volonté produit immédiate-
ment , & par elle même , fans Pin-
tervention d'aucune faculté inférieu-
re. Tels font par exemple l'amour 5,
la ha.ine ,1e defir, la crainte. Il y en
a d'autres qui outre le mouvement de
la volonté demandent l'a6lion de quel-
que autre faculté. Par exemple l'au-
mône , qui outre la volonté de don-
ner emporte le don aéluel , par le-
quel la main tranfporte ce .que l'on
donne , Ôc le remet entre les mains,
de celui qui le reçoit.
Il fuffit qu'une aâion foit volon-
taire en l'une ^ ou en l'autre de ces
deux manières , pour être bonne.
Mais fi elle eil absolument involon-
taire , elle ne fauroit être , ni bonne ,
ni mauvaife. Or deux chofes rendent
les aétions involontaires 5 la contrain-
te^ &: l'ignorance.
Par la contrainte on entend l'efïet
d'une violence étrangère , qui fait
qu'on agit, à la vérité , mais qu'on agit
malgré foi , & contre fon inclination.
Mais il eil bondefavoir qu'il y a une
double contrainte. L'une eil une con-
trains
^8 Traite' des
trainte pleine , parfaite, & entière,
qui confiile à faire des chofes , auf-
quelles la volonté répugne politive-
ment,^abfolument, & à tous égards.
Telle €ft , par exemple , la contrainte
d'un homme , à qui on tient la main,
êc qu'on force malgré lui à ligner
un contracl qu'il dételle , 6c qu'il ne
figneroit jamais fi on ne l'y contrai-
gnoit. L'autre eft une contrainte
imparfaite , ou comme quelques-uns
l'appellent , une demi-contrainte, qui
emploie, non la force, mais les me-
naces , les coups , & les autres vio-
lences femblables , 6c s'en fert à por-
ter les autres à faire ce qu'ils ne fe-
I oient point d'eux mêmes. C'eft
ainli que les voleurs forcent les paf-
fans à leur donner leur argent.
La contrainte pleine 6c parfaite
ruine de telle forte la liberté , que les
aétions qu'elle porte à faire, n'ont,
ni aucune bonté , ni aucune malice
morale , êc ne font imputées , ni à
vice, ni à vertu. Mais il n'en eft
pas de même de la contrainte imp^n*-
faite. Elle fait que les actions qu'el-
le
BONNES OEUVRES^ ^gjt
le porte à faire , quoi que comnmn-
dées de Dieu, ne font pas bonnes.
Mais elle n'empêche pas que celle*
qu'il a deffenduës ne foient mauvai-
fes.
Cette féconde vérité eft incontef^
; table. Si elle ne l'étoit pas, on ne
pourroit , ni blâmer , ni condamner
ceux qui defavouent la vérité parmi
les fuppliccs , Se le martyre feroit l'ac-
tion du monde la plus infenfée. On
i pourroit s'en difpenicr , &: defavouer
la vérité , fans offcnfer Dieu , 6c cet-
te aclion qui eft fi criminelle , feroit
innocente , puis qu'elle ne feroit pas
pleinement & parfaitement volontai-
re , & qu'on ne s'y porteroit que pour
éviter les fupplices , ôc les autres
mauvais traitemens , dont on eft me-
nacé.
Mais quoi que cette contrainte im-
parfaite ne fuffife pas pour rendre in-
nocent ce qui eft deffendu , elle fuffit
pour faire que ce qui eft commandé
ne foit pas louable . Elle ruine la bon-
té de l'action , quoi qu'elle n'en ôte
pas la malice. Ceci eft furprenant ,
mais
40 T R A I T e' b É s
mais en effet rien n'cfl: plus ccrtam.
Gar enfin un homme qui ne fei^a une
aétion que Dieu a commandée , que
parce qu'on l'y force par des coups ,
Ôt par des menaces , ne fera pas une
bonne aftion ,'&; perfonne ne croira
qu'il en doive être loiié.
La raifon eft que ^ comme S. Au-
guftin i'a fort judicieufement remar-
qué, c'eft dans le cœur que la vo-
lonté de Dieu s'exécute, - C'eft ce
cœur qu'il demande fur toutes cho--
fcs, Se c'eft à ce cœur qu'il donne
principalement fes loix.' Or dans le
cas propofé le cœur eft oppofé à ht
volonté de Dieu. Il hait ce bien?
même qu'on fait extérieurement.
On fouhaitteroit de ne le pas faire ..
Par confequent l'aârion ne peut être
bonne.
Mais^ dira-t-on, quelle eft la rai-
fon de la différence f Et d'oïl vient
qu'un certain degré de liberté, qui-
fuifit pour faire un péché , ne fufîit
pas pour faire une bonne aétion ? Je
réponds que cela vient de la vérité
de la maxime que j'ai indiquée dans
le
BONNES OEuVRES.^ 4î
îe fécond chapitre de ce Traité,
C'eft qu'il y a cette grande diôeren^
ce entre le bien 6c le mal , qu'un
feul défaut fufîît pour faire le mal ,
au lieu que .plufieurs perfeélions ne
fuffifent point pour faire le bien.
La prefence de la plupart ne fait
rien lors qu'il y en manque une
feule.
Une aélion à demi forcée , foit
commandée, foit deffenduë, eft un
compofé de bons , 6c de mauvais
mouvemens. Elle eft donc mauvai-
fe à tout prendre , parce qu'elle a
neceifairement quelque défaut eflen-*
tiel. C'eftcequi paroîtra plus claire-
ment par cet exemple.
Imaginons - nous deux hommes ^
l'un orthodoxe , l'autre hérétique ,,
qu'on force tous deux par des coups,
ou par des menaces , à abjurer leur
Religion. Uy a trois chofes dans l'ac-
tion de l'un 6c de l'autre. Il y a pre-
mièrement l'aéti on externe. C'eft la
foufcription de l'abjuration. Il y a en
deuxième lieu une volonté efficace de
faire cette aftion externe , je veux
dire
4^ T R A I T e' D E s
dire de fîgner ce qu'ils regardent
comme faux. Il- y à en troifiéme lieu
une répugnance , qui naît d'un amour
foible , j'en conviens , mais fincere ,
pour la vérité, foit réelle, foit puta-
tive.
Cet afte d'amour pour ce qu'on re-
garde comme véritable , eft ,bon fans
doute. Mais comme la- volonté effi-
cace qui triomphe de cet amour , 6c
^ui eft fuivie de Paétion externe ,
eft très criminelle dans l'un & dans
l'autre , le compofé qui refulte de
l'acliqn externe , & des mouvemens
intérieurs , eft mauvais , 6c fait danç
l'un ôc dans l'autre un véritable pé-
ché.
Je conclus de là qu'une aftion à
demi contrainte peut fort ;facilement
être mauvaife , puis qu'il y a toujours
xme volonté efficace , oppofée à la vo-
lonté de Dieu. Mais elle ne fauroit
être bonne, y ayant toujours un, ou
même plufieurs défiants efièntiels,
qui étouffent le peu de bien qu'il y
peut avoir. Par confequent il faut
beaucoup plus de liberté pour faire
une
BONNES OEuVRESr. 45
une bonne aélion , que pour un pé-
ché , & cette propofition , qui paroît
d'abord un paradoxe incroyable , efl'
une vérité folide:&: certaine.
Qiie fi la crainte d'iui mal , dont
on cil menacé par les hommes , em-
pêche que Paftion, qu'elle porte à
faire , quoi que commandée de Dieu,
ne foit bonne , comment peut -on
douter que la crainte de la punition
de Dieu ne falîè le même effet ? Com-
ment peut-on douter que ce ne foit
fort inutilement qu'on fait le bien,lors
qu'on ne le fait que par l'apprehenfion
de l'enfer ? Lors^ dit S. Augullin,
^u^onfait le bien , non far P amour de la
juftice\ mais far la crainte de la funition l
on ne fait f as bien le bien même ^& ce qu^on
femble faire au dehors , ne fe fait pas dans
le cœur , fuis qu^on aimeroit mieux ne h
fas faire ^ Ji on le fouvoit impunément.
On voit encore par là ce qui fait
que la Hmple attrition n'ell: pas capa-
ble de convertir le pécheur , & de
plaire véritablement à Dieu. En ef-
fet celui qui ne fe repent d'avoir pé-
ché;, que parce qu'il craint d'en être
puni,
^4 T îl A I T e' D E s
puni , hait bien la punition , maïs iljnfc
hait pas le péché. Il l'aime toujours, ÔC
le rechercheroit toujours , s'il le pour-
voit impunément. Et n'eft-ce pas là
une très mauvaife difpofîtion ?
J'ai dit en deuxième lieu que l'igno-
rance rend les a6lions involontan*es ,
êçla raifon en eil: évidente. C'eftque
la volonté n'a pour objet que le bien
ou le mal connu. Ainfiileft impoiîî-
ble de vouloir ce qu'on ne connoit
point. Par confequent afin qu'une
aâion foit volontaire , comme elle
doit l'être pour être bonne , il faut
nécefTairement qu'on la connoilTe.
Cette connoiffance même doit avoir
deux divers objets , ce qu'elle a de
bon êc de louable , êc ce qu'elle a de
contraire à nos intérêts temporels.
Car pour le premier , lors qu'on
fait une aélion bonne en elle même,
fans favoir qu'elle le foit, ôc la cro-
yant mauvaiie , ou indifïerente, on ne
fait pas une bonne aélion. On en fait
une mauvaife , ou indiSerente , félon
l'opinion qu'on en a.
ïl n^cn eft pas de même des aâionj
crimi-
/
BONNES OEUVRES. 4Jf
criminelles en elles mêmes. Elles
ne deviennent pas bonnes , en-
core qu'on les croie telles , à moins
que l'erreur qui les fait prendre pour
bonnes, ne foit innocente ôc invo-
lontaire. Car ceci pofé elles peuvent
devenir bonnes , comme on Pa veu
dans l'un des chapitres précédens.
Pour le fécond , il arrive allez fou-
vent qu'on fait par un bon principe
des a6lions qu'on ne feroit pas fi on
favoit tout le danger auquel on s'expo-
feVnlesfaifant. Par exemple on prê-
te une fomme d'argent à un homme,
de qui on efpére de la retirer , ne fa-
chant pas qu'il eft infolvable. On
perd cette fomme , & cette perte
qui augmenteroit confidérablement
le prix de l'action , H on l'avoit
preveué , n'eft comptée pour rien
lors qu'on ne la regarde pas comme
poffible.
Je conclus qu'afin qu'une aftion foit
bonne il faut qu'on fâche diftinétc-
ment ce qu'on fait,6c que voiant toutes
les raifons, qui peuvent porter à la fai-
re, & toutes celles qui peuvent en dé-
tour»
T R A I te' des
tourner , on méprife ces dernières^
£c on leur préfère les premières . C'eft
alors que Paélion fera véritablement
bonne. Elle le fera au moins à pro-
portion que cette connoilîance fera
plus diftinéte , & plus étendue.
CHAPIT.RE VIL
*TroiJtéme condition, L'aEiion ne doit rien
avoir qui ne convienne aux circonf-
tances qui ï^ accompagnent.
LA bonté d'une aâiion ne dépend
pas feulement de ce qu'elle efb en
elle même , & dans fa nature , mais
encore des circonftances qui l'accom-
pagnent. Ces circonftances font un
tel efîèt , que ce qui eft bon & loua-
ble dans de certaines conjonétures ,
eft mauvais 6c criminel en d'autres.
Ceci eil très ordinaire , 6c l'on en
trouvera des exemples dans ce que je
Vai ajouter.
On compte ordinairement jufqu 'à
fept
BONNES OEUVRES. 47
iept principales circonflances. La
première comprend les qualités de ce-
lui qui agit. La féconde eft la quali«
té , ou la quantité de l'objet. La
troiiléme efl le lieu. La quatrième
les moyens qu'on emploie , & les fe-
cours qu'on a. La cinquième eft la
fin qu'on fe propofe. La fixiéme la
manière en laquelle on agit , ôclafep-
tiéme le temps.
Parmi ces fept circonflances il y en a
une beaucoup plus importante que les
autres , 6c qui a une influence parti*
culiere fur la bonté, ou la malice de
l'a6bion , lavoir la fin qu'on fe propo-
fe. Elle n'eft pas d'ailleurs fans diffi-
culté. C'eft pourquoi nous la fepa-
rerons des autres , 6c renverrons au
chapitre fuivant ce que nous avons à
dire fur fon fujet. Dans celui-ci nous
ne parlerons que des fix autres.
La première eft très importante.
Pour bien juger d'une a6tion il faut
prendre garde aux qualitez de celui
qui la fait, ou qui doit la faire. Car
il eft certain , non feulement que ce
qui convient à l'un, ne convient pas
toû-
4? Traite* de s
toujours à l'autre , mais encore que
ce qui eft bon 6c loiiable en Pun , eft
fouvent criminel dans Pautre. Cent
chofes font permifes à un Prince , qui
ne le font pas à un fujet. Il y en a
d'autres qui conviennent aflez à des
fujets, 6c qu'on ne pardonneroit pas
à des Princes . Autres font les devoirs
d'un maître , 6c autres ceux d'un for-
viteur. Un Père n'eft pas dans les
mêmes engagemens qu'un enfant ,
êc ceux d'un enfant font tout autres
que ceux d'un Père. L'âge, lefexe,
la profeffipn , le genre de vie , la po-
vreté 6c les richeiîes , la bafFefTe 6c
Pélevation , le pouvoir 6c Pimpuif-
fance , 6c le refte des qualitez fembla-
bles, mettent une di^erence confi-
derable entre les devoirs des perfon-
nes en qui elles fe trouvent, Ainfî
cette circonfbmce cil une de celles
qui méritent le plus qu'on y ait é-
gard.
Je dis la même chôfe de la fécon-
de. Elle comprend les qualitez 6c la
quantité de Pobjet fur lequel on agit.
Celle-ci fait encore le même effet.
Ce
BONNES OEuVRES. 49
Ce qui ed; innocent , ce qui eft me*
me bon 6c nécefiaire par rapport à un
certain objet, eil criminel par rap-
port à un autre. Il eft permis à un
père de châtier fon enfant. Il eft
permis à un Magillrat de punir un de
fes fujets , qui a failli. Mais il ne Peft
pas à un enfant , ou à un fujet de punir
ion père , ou fon Juge. Un Juge fait
fort bien en faifant mourir un cri-
minel , 6c il feroit fort mal s'il fai-
foit foufirir le miême fupplice à un
innocent.
La quantité eft encore très confî-
derable. L'aumône eft quelquefois
fi petite, de fî peu proportionnée à
Pindigence du povre , que Dieu ne
la compte pour rien. Quelquefois
aufti elle eft fi grande , qu'elle eft ex-
cefîîve , ôc fait paroitre plutôt de la
prodigalité que de la charité. Un Ju-
ge peut faire foufTrir à un criminel
un fupplice 5 6c trop doux , 6c trop
rigoureux. Un larron pêche plus,
ou moins à proportion que ce qu'il
dérobe eft plus ou moins précieux ,
& plus ou moins néceftàire . Un hom-
G me
50 T R A I T E* D E s
me qui tue eft plus coupable que ce-
lui qui fe contente de battre, 6c ain-
fi du refte.
La troifiéme circonftance eft celle
du lieu. Cela feul change quelque-
fois la nature de l^'action. Qui ne fait
qu'il y en a de celles qui font inno-
centes lors qu'on les fait en fecret,
&; qui feroient très mauvaifes fi on les
faifoit en public ? Combien auffi n'y
en a-t-il pas , qui font permifes &:
neceflaires dans un lieu profane , dans
une maifon , fur la rue , ou à la cam-
pagne , & qui ne le feroient pas dans
un temple?
Je dis la même chofedela quatriè-
me circonflance , qui comprend les
moyens dont on fe fert pour faire ce
que l'on fait. Ces moyens font quel-
quefois innocens, & alors l'aétioneft
permife. Quelquefois auffi ils font
criminels , &: alors Paâion eft mau-
Vaife. 11 y a une infinité de péchés
qui ne viennent que de cela feul. Il
eft, par exemple, permis d'amaflèrdi?
bien. Mais il ne l'eft pas d'en amaf-
fcr par la fraude , par la violence , par
Pin-
BONNES OEuVRES. Jl
l'injuftice. Il eft permis de fe faire
une bonne réputation. Mais il ne Peft
pas de n'en être redevabie qu'à Phy-
pocrifie. Il eft permis d'amener les
errans à là connoifîànce de la vérité ,
mais il ne l'efb pas de les forcer à l'em-
brafler , 5c de les perfecuter dans ce
defTein. On pourroit produire une in-
finité d^exemples femblables. Mais
comme chacun peut les trouver de
foi-même , il n'eft pas néceflairc de
s'y arrêter.
Je pafîe la cinquième cîrconftance,
qui cil la fin , & je m'arrête à la fixié-
me , qui eft la manière. Elle
diverfific fort fouvcnt la qualité des
aétions. Il y en a de celles qui font
bonnes, lors qu'on les fait avec vé-
hémence, ÔC qui font mauvaif^slors
qu'on les fait nonchalamment o: lan-
guifîammcnr , témoin la pn^re, &
l'exercice du faint miniilcre. ii y en
a pluGcurs qui font bonnes lors qu'on
les fait avec difcernement , Ôc avec
douceur 6c qui font mauvaif s lors
qu'on les fait aigrement 6v éioùrdî-
mcnt, par exemple, les rcpr hn-
C z fions.
jTi T R A I T e' D E s
fions. D'autres qui font louables lors
qu'on les fait de bon cœur , 6c avec
plaifir, &: qui ne font coinptées pour
rien lors qu'on les fait à regret 6c à
•contrecœur, comme Paumône , 6c
les autres fe cours qu'on donne à ceux
qui en ont befoin. La manière en la-
quelle on fe nourrit , on fe logé , on
s'habille , fait , ou la frugalité , la fo-
brieté , & la modeftie , ou le luxe &
l'intempérance. La manière en la-
quelle on parle de foi , ou des autres,
fait auffi des effets direétement op*
pofés.
Enfin la dernière circonflance eft
celle du temps. Elle mérite auffi bien
que les autres qu'on y ait égard. En
effet, tout ne convient pas à tout
temps , 6c le Sage a remarqué que
chaque chofe a le fien. Ce qui eft
^ bon le jour , ne l'eft pas la nuit.
Ce qui eft permis un jour fur fémai-
ne ne l'eft pas un jour de Diman-
che. D'ailleurs la durée de l'aâion
peut en changer la nature. Il eft per-
mis , par exemple , d'employer une
certaine quantité de temps à manger.
a
«ONNES OEuVRES. 5^5
à s'habiller , à dormir à fe repofcr ,
à fe divertir. Mais il ne s'enfuit
pas de U qu'on ne pèche en confu-
mant trop de temps à quelle que ce
foit de CCS chofes. Il eft certain mê-
me que cela feul fait une infinité de
péchez.
N'y ayant donc aucune de ces cir-
conilances qui ne puifTe changer la
nature de nos aétions , 6c les rendre
mauvaifes , de bonnes qu'elles peu-
vent être d'elles mêmes , il eft clair
que nous n'en devons jamais faire au-
cune , fans prendre garde s'il n'y a rien
dans la conjonéture particuliei*e où
nous nous trouvons , qui fà{{c cet ef-
fet à l'égard de l'aétion que nous al-
lons faire , 6c que négliger ce foin
c'eft s'expofer au danger de pécher
êc d'offenfer Dieu en faifant les cho-
fes mêmes qu'il a commandées.
On peut voir encore par- là com-
bien il eft difficile déjuger de la bonté
d'une aftion. En effet, pour ne s'y pas
tromper il faudroit premièrement
connoître toutes les circonftancesqui
l'accompagnent , 6c fa voir enfuite ce
C 3 que
5*4 Traite' des
que chacune de ces circonftances con-
tribue vi la rendre bonne ou mauvaife.
li faudroit les comparer exaclement
ks unes avec les autres , parce qu'en
effet il y en a de celles qui ne font leur
effet que lors qu'elles font feules , 6c
qu'il arrive fou vent qu'elles font ef-
facées 6c contrebalancées par • d'au-
tres. Comme il n'y a peut-être per-
fonne , qui puilîe fe vanter de con-
noître exaélement tout ceci , fur tout
à l'égard de chaque acbion particuliè-
re , il efc clair qu'il n'y a perfonne qui
foit en état de prononcer là-deffus.
C'efl ce qu'il feroit à fouhaitter que
l'on voulut bien confîderer . Rien ne
feroit plus efficace pour repnmer cette
liberté , ou pour mieux dire cette li-
cence exceffive 6c infup portable , que
la plupart fe donnent de juger des ac-
tions de leurs prochains, ôc de pronon-
cer là deflus d'un ton auffi ferme, &
d'une manière auffi décifive , que s'ils
avoient toutes les lumières neceflaires
pour ne courir aucun rifque de s'y
tromper,
CHA^
BONNES OEuVRES. ^f
CHAPITRE VIII.
Quatrième condition. ZJne bonne aUion
doit avoir une bonne fin.
Rien n'ell: plus eiTentiel à une bon-
ne action , qu'une bonne fin . La
fin eftdans la Morale ce que font les
premiers principes à Pégard de la con-
noifiance. Tout dépend de là, & fi
la fin qu'on fc propofe ed mauvaife,
l'action quelle qu'elle foit d'ailleurs,
ne fera jamais innocente. C'efl la
doctrine confiante de S. AuguiHn.
Il foûtient que ce qui diftingue les
vertus des vices ne confiflc pas tant
dans ce que l'on fait , que dans la fin
qu'on {c propofe en lefaifant. Nove-
ris ^ dit -il (ci) , non offictis , fedfîmbus ^
a zntiis difcernendas ejfe virtutes ; ojfictum
eft apttem quod faaendunt efl'^ finis pr opter
cjuem factendpim efi. Cum ttacjue jactt
homoaliquid^ ubi peccare non vidctur ^ fi
^lon proptcr hoc factt , proptcr quodfacere
C 4 dc'
(a) Aug. cont. Jul. lib. 4. cap. 3.
56 T R A I T e' D E s
aehet peccare convincitHr. C'eft pour-
quoi il conclut que la meilleure ac-
tion qu'il foit poffible d'imaginer , fi
elle n'a pas une bonne fin , non feule-
ment n'eft pas bonne , mais eft cri-
minelle. Ô^ici^md hom fit ab homine ,
(^ non propter hoc fit ^ propter quod fieri
ver a fnpientia pracipit y etjt officia' vtdea-
tur horiHm^ tpfo non reBo fine peccatum
'fi-
Mais avant que de défigner cette
fin 5 il faut remarquer qu'il ne s'agit
pas ici de la ^n prochaine 6c immé-
diate, mais de la dernière. En effet,
la £.n prochaine ôc immédiate n'eft
d'ordinaire qu'un fimple moyen»
G'eft la dernieix fin qui mérite pro-
prement ce nom , & c'eft elle auiîî
qui fait conftamment ôc univerfelie-
ment les bonnes 6c les mauvaifes ac-
tions.
Cela pofé , je dis que la dernière
fin que nous devons nous propofer
dans nos aftions c'eft- Dieu. Comme
il eft le premier principe de toutes
chofes , il eft jufte qu'il en foit auffi
i a dernière fin. Et c'eft -là auffi ce
que
BON^NES OEuVRES. ^
que PEcritiirc nous apprend en pîu-
iîeurs endroits. Dieu a, fait tsut four,
lui même ^ nous dit le Sage (d). En
lui j j>ar lui , & pour lui font toutes chofes ,
nous dit P Apôtre S. Paul {b). Pat
eonfequent c'efh lui feul que nous de-
vons nous prapofer pour dernière fin
de nos actions. Mais c'efl ce qui em-
porte trois diverfes chofes , qu'il eft
bon de ne pas confondre.
I. Nous devons avoir pour but dîins
toutes nos actions de poifeder Diç;\î.
En eftet il eil naturel à Phomme , non
feulement de fouhaiter le bonheur,
mais encore de ne rien faire que dans
ce delîein . Ainfi le bonheur de Phom-
me ne conliilant qu'en la poileffion ds:
Dieu , il eft évident que cette pofîcf-
fion doit être la fin de nos actions. Par
€onfequent le principe de ces a6i:ions
doit être cet amour de Dieu, qu'on ap-
pelle communément amour de concu-
pifcence , ou amour d'intérêt.
IL Dans tout ce que nous fiifons
nous devons penfer à plaire à Dieu ,
Se à le fervir. Nous mus étudions ,
C s ^it
C4 Pfov.XVl.4. Q>) Rom, x:. 36.
5^8 Tr aï te* des
dit S. Paul (a)^ de lui être agréables prt*
fens & abfem. Et S. Pierre dit (J?) que
mus fommes une facrtficature , four offrir
des facrifices ffirituels agréables a Dieu par
[onFtls. S. Paul de même ailïïre (c)
que Je fus Chrift eft mort pour tous ^ afin:
que ceux qmvivent ^ ne vivent plu^k eux
mêmes , mais a celui qui eft mort , & refi»
fufcité pour eux,
III. Nous devons avoir enveuëd'a-
vancer par nos aftions la gloire de
Dieu . Fait es luire vôtre lumière devant
les hommes ^ nous ditjefus Chrift (^)
^fin que les hommes voyant vos bonnes œu»
vr es glorifient votre Père qui eft dans lei
deux, Et S. Paul {e) ^ Soit que vous,
mangitz^ , ou que vous beuviez. , ou que vous
fafiiê^. quelque autre choje , faites le tout k
iagloire de Dieu. Ailleurs (f) il veut que
les Philippiens foient remplis de fruits d&
fuHice , a Iagloire & louange de Dieu,
Voilà ce que c'eft que rapporter
nos aftions à Dieu , 6c qu'en faire la
dernière fin de tout ce qu'on fait. Je
dis
{a) II.;Cer. V. p. (h) î. Pkr. H. 5.
(f) Ïï-Car. V. {d) Matt. V. 1^,
{e} LQov, X. (/) PhJJ.I. SX,
BONNES OEllVREr. ^9
dis maintenant que ce devoir eft d'au-
tant plus jufte, qu'on ne fauroir y
manquer fans tomber dans un defor-
dre effi*oïable. En effet, ii Dieu n'eft
pas la dernière iîivde nos actions, il
Faut-nécelTairement ou que nous en
ayons quelque autr£ , ou que nous
n'en ayons aucune.
Je ne fai fi ce dernier eft poffible.
Selon tous les Philofophes , l'hom-
me ne fauroit agir fans fe propofer
quelque but. Mais fupporans que
cela fe puiffe. Il efl certain au moins
qu'agir fans favoir pourquoi on agit,
& fans avoir aucun but , aucune fia
qu'on fe propofe , ce n'eil pas agir
fagement 6c judicieufement. C'eit
agu' d'une manière foie & étourdie;
6c par confequent indigne d'un hom»
me , & à plus forte raifon d'un Chré-
tien.
Que fi on a quelque fin diflinfte
de Dieu , il faut de neceiîité que ce
foit une créature. Mais y a-t-il au-
cune créature , quelque excellente
qu'elle puiffe être , dont on puiflib
;laire fa dernière fin ? Lui donner cet-
C 6 te
tf O T R A ï T E^ D E s
te qualité n'eft-ce pas fe rendre cou-
pable d'an double excès , l^un de ravir
à Dieu ce qui lui appartient , l'autre
de donner à cette créature ce qui ne lui
appartient point? N'eft-ce pas là en-
core une véritable idolâtrie f Car enfin
rapporter tout à Dieu comme à nôtre
dernière fin eft le plus grand honneur
qu*on puiffe lui rendre. C'eft le culte lé
plus parlait , 6c l'adoration la plus pro-
fonde , qu'il foit poffîble de lui offrir..
Par xonfequent déférer ce culte, cette
adoration, cet honneur, à une créa-
ture quelle qu'elle foit , c'eft; idolâtrer.
C'eft principatement fur ces veritez
que S . Auguilin a fondé ce qu'il enfei*
gne fi conftamment en divers endroits
de fes Oeuvres , êc que les Pères qui
l'ont fuivi , ont foûtenu avec tant de
force y favoir que les Infidelles , qui ne
connoiiTeut point le vrai Dieu , ne fau-
roicnt faire de bonnes œuvres. Il dit
que ces œuvres peuvent bien avoir de
l'éclat &: de l'apparence , mais qu'elles
ne fauroient avoir de véritable bonté.
(a) Smt Qperâqtiig. vidèntur bûnajtnefidâ
(â) Aog. m Joaiî. Traâ. 2^»
BONNES OEuvRëS. 6l
• Chnfii , & non Çunt bona , c^ma non refe-*
runtur ad eumfinem ex quo ]unî bona. Il
y a des œuvres faites fans la foi de ?ejus^^
Chnft , qui paroijfent bonnes , mais qui ne
le font pas , farce qu'ion ne lesrapporte pas k
" la fin qui fait les bonnes. Je ne rapporte
pas les autres endroits de ce Père , 6c
de Tes Difciples , où ils foûtiennent les
uns & les autres cette vérité. On peut
les trouver dans Janfenius defiatu na^
turéi, lapfA.Lib. IVl
Les Jefuites , & pîuiîeurs autres^,
répondent qu'à la vérité ces Infidèles ,,
quineconnoifîentpointle vrai Dieu,,,
ne fauroient lui rapporter formelle-
ment ôc exprefTement les œuvres
qu'ils font , mais que rien n'empêche
qu'ils ne les lui rapportent d'une ma-
nière implicite , qui confifte à faire
deschofcs, qui peuvent fervir à glo»-
rifier I>ieu. Ils di-fent qu'encore que
les Infidelles ne fâchent pas que ce
qu'ils font peut avoir cet ufage , ôc
qu'ainfi ils n'ayent garde d'^y penfer
lors qu'ils agillent , celafcul que Dieu.
peut en être glorifié fuffit pour rendre
leurs aftions bonnes Se louables .
Mais
êz T R A I T Ê* D E s
Mais outre que S . Auguflin , Se le^
Pères qui Pont fuivi en ont jugé au-
trement, il me femble que cette pen-
féeeft, non feulement faulTe, mais
abfurde, 6c infupportable. Car en-
fin fi pour faire une bonne ac-
tion , il fufiîfoit qu'elle puiiîè fèrvir
à avancer la gloire de Dieu , non feu-
lement les aâiions indifférentes , tel-
les que font les civiles & les naturel»
les , mais encore les plus criminelles^
pourroient être bonnes. Car qui peut
douter qu'elles ne fervent toutes à
avancer la gloire de Dieu. Qui peut
douter que Paélion des Juifs qui cru-
cifièrent nôtre Sauveur n'ait contri-
bué extrêmement au falutdumonde^
& par confequent à la gloire qui eu
revient , à la fageiîe & à la miferi-
Gorde de Dieu? qui ne fait ce quejo-
ieph difoit à fes frères , vGHsPavez,pen^
féen mal , mais J^ieu Pafenfé m bien ?
Ll faut donc quelque cbofe déplus
que ce rapport implicite dontf)n nous
parle , pour faire de bonnes aârions^
Il faut un rapport exprés & formel-j^
infeparabk d'une pemée aâuelle, 6c
444
BONNES OEuvRESa é^.
par confequent d'une connoiflance
de la fin à laquelle on rapporte ce
qu'on fait. Sans cela il n'y fauroit
avoir d'œuvre qui foit vraiment bon-
ne.
En efïet, on ne peut don ter que rap-
porter dire6tement ÔC formellement
.nos a&ions à Dieu , comme à nôtre
derniexx fin, ne foit quelque chofe
de bon 6c de louable , & qui par con-
fequent plaît à Dieu. Mais fi celaeil
pourquoi ne veut -on pas qu'il nous
l'ait commandé dans les endroits que
j'ai rapportés , & dont on ne peut nier
que le fens propre &; naturel ne foit
celui-ci? Pourquoi par exemple ne
veut- on pas que S. Paul ait regardé à
ceci lors qu'il nous a dit , Quoi^jue ce
(bit que vous faffiez^^ faites-le tout a la glot-
te de Dieu , ou pour la gloire de Dien î:
Pourquoi faut- il donner la gêne à ce
paflage , 6t aux autres femblabks ^
pour leur faire dire quelque autre
chofe ?
Enfin, on ne peut nier , m que:
Dieu ne doive être , êc ne foit de droit^
la dernière fia de toutes chofes^, ni
^4 Traite' î> e s
que s'en propofer quelque autre
ne foit un renverfement criminel.
Comme donc il eft impoflible de ne
pas rapporter formellement fes ac-
tions à Dieu 5 fans les rapporter for-
mellement à quelque autre chofe ,
je ne voi pas comment on p&ut foû:^
tenir qu'on peut faire une bonne ac-
tion fans penfer à Dieu. A quelque
autre ehofe qu'on penfe on dérobe à
Dieu ce qui lui appartient , & on le
tranfporte à des objets aufquels cet
honneur n'appartient point , ce qui
fait , non feulement un péché , mais
un double péché.
Il faut cependant remarquer que
lors qu^on dit qu'il faut rapporter
cxpreflement 6c formellement nos
âxStions à Dieu , on n'entend pas
qu'il y faille penfer aécuellement
pendant tout le temps qu'on met à
agir. Cela n'eft pas nécelTaire. Il
fuffit d'un coté qu'on y aitpenfé lors
qu'on a réfoîu Paélion , & de Pàutre
que cette deftination de l'action n'ait
pas été révoquée par une deftination
nouvelle. L^rs- qu'un homme va
quel*
BONNES OEuVRES. 6f
quelque part, iî n'eft pas neceflaire
qu'à chaque pas qu'il fait il penfe ac-
tuellement au lieu où il va. Il fuffit
qu'il y ait penfelors qu'il eft parti, &
que dans la fuite il n'ait point chan-
gé de deffein. La même chofeaiieu
dans toute forte d'aftions , ôc par con-
fequent dans les bonnes.
CHAPITRE IX.
Cm^meme condition. Uamour de 1>ieii
doit être le principe de nos bonnes
œuvres,
CEtte condition efl: une fuite im-
médiate , ou peut- être même
une {impie explication de la précéden-
te. En effet, il faut fàvoir que dés là
même qu'on agit pour une fin , ou
aime cette fin, puis que fi on la haïf-
foit, ou même fi on la méprifoit, 6c
fi on la regardoit avec indifférence,
elle ne porteroit pas à agir. C'eft
pourquoi félon toute la Philofophie
66 T R A 1 T e' D E s
il efl: effentiel à la fin d'être bonne ,
ou véritablement , & en elle même ,
ou du moins dans l'imagination de
cel ai qui fe la propofe . Bonum & finis
converîmitur , difent d'ordinaire les
Philofophes.
Si donc Dieu doit être la dernière
fin de nos aârions , il eft évident que
fon amour doit en être le principe , 6c
c'eit là bien moins une confequence,
qui joigne enfemble deux veritez dif-
tinÔes, qu'une même vérité exprimée
diverfement , ôc propofée en deux
manières un peu différentes.
Quoi qu'il en foit, il eft certain que
l'amour de Dieu eft abfolument ne-
ceflaire à toute forte de bonnes œu-
vres. C'eft ce que S. Paul fait enten-
dre fort clairement lors qu'il dit que
fouflfrir le martyre , 6c donner tout
fon bien aux pcvres, fans charité,
n*eft ne rien faire . Dire ceci n'eft-ce
pas dire que la charité doit être le prin-
cipe de ces deux aélions , êc par confe-
quent de toutes les autres f
C'eft là encore ce qu'il infinuë lors
qu'il allure que la charité eft l'accom-
plif.
BONNES OEuVRES. 67
pliiTement de la loi , ce qui a beaucoup
de conformité avec ce que Jefus Chrift
dit dans PEvangile , que toute la loi ,
te tous les Prophètes fe reduifent à ces
deux points, que nous aimions Dieu
de tout nôtre cœur , êc nôtre prochain
comme nous mêmes. Lafin du commun^
dément^ dit ailleurs l'Apôtre S. Paul ,
€efl la charité qui procède d'^un cœur pur , Qt
d'aune bonne cenfciencs ^ & d'aune fof non
feinte. I. Tim.I.f,
On dira peut être que cette charité ,
dont ilefl parlé dans tous ces endroits ,
n'eil pas l'amour de Dieu , mais uni-
quement l'amour du prochain , ÔC
qu'ainfî la preuve que 'fcn tire n^eft
pasfolide. Mais j'ai deux chofes à ré-
pliquer.
La première , que quand même ee
qu'on prétend feroit véritable, ma
preuve ne laifTeroit pas de fubiîiler.
En efFet,{i nous aimons régulièrement
le prochain, nous ne l'aimerons qu'à
caufe de Dieu , parce qu'il eft l'enfant
de Dieu , parce qu'il porte l'image de
Dieu , parce que Dieu l'aime , parce
que Dieu veut que nous l'aimions.
^8 T R A I T E* D E s
Une affeftion qui viendroit d'une au-
tre principe feroit une affection pu-
rement humaine , de Pordre de ceU
les qu'on voit parmi les Payens , ÔC
parmy les Turcs , mais ce ne feroit pas
une véritable charité. Comme donc ^
c'eft aimer Dieu que d'aimer le pro-
chain à caufe de Dieu , il eft clair'
que dire que l'amour du prochain
eft nécefTaire pour faire de bonnes
œuvres , c'eft dire qu'on ne peut
fe palier pour cela de l'amour de
Dieu.
J'ajoute en deuxième lieu que ce
que cette objeélion fuppofe n'eft pas
véritable. Ce n'eft pas l'amour du
prochain qui eft la fin 6c l'accom-
plifîement de la Loi. Elle eft tout
au plus la fin Ôc l'accomplifTement
de la féconde Table. Encore n'eft»
ce qu^en la manière que je viens
d'indiquer , c'eft à dire en renfer-
mant l'amour de Dieu. Mais pour
ce qui regarde la première Table , el-
le tend direârement 6c formelle-
ment à l'amour de Dieu. C'eft pour-
quoi Jefus Chrift dit expreftement
que
BONNES OEuVRES. 69
que la Loi 6c les Prophètes fe redui-
fent à ces 4eux devoirs, Pun que
nous aimions Dieu de tout nôtre
cœur , l'autre que nous aimions
nôtre prochain comme nous - mê-
mes.
J'ajoute qu'il y auroit quelque
chofe de bizarre à dire que l'amour
du prochain eft le but , la fin , & le
centre de cette partie de la Loi de
Dieu, qui nous ordonne de croire
en lui , de l'aimer , de l'adorer , de
le craindre, de lui obeïr. Quoi
donc ians la confideration du pro-
chain nous ne ferions pas tenus de
nous aquitter de tous ces devoirs?
Rien ne me paroît plus abfurde
que cette peniee , au lieu que rien
ja'eft plus raifonnable que de di-
re que tout ce que Dieu nous
prefcrit dans fa fainte Loi abou-
tit à l'aimer, ÔC à aimer le pro-
chain.
Ceci eft d'autant plus naturel que
l'Ecriture nous apprend ailleurs
que l'amour de Dieu eft le grand
motif.
70 T R A 1 T E* D E s
motif, qui nous porte à faire ce qu^îl
ordonne. Témoin ce que Jefus-Chrift
nous dit au chap. X. de l'Evangile fe- ^
Ion S . Jean , Celm qui a mfs commande"
mem^ & le s garde , ceft celui qui m\aime. Si ■
quelqtî^Hn nPaime , il garder a ma parole. Ce^
Iniqui ne nP aime f oint ne garde point mes
paroles, Si*voHs n^ aimez. ^gardez.mes com^
mandemens. Et S . Jean. L? amour de Dieu
efi vraiment accompli en celui qui garde Ça
parole I. Cath. II. 5'. C^efl ici l"* amour de
Dieu^ que nous gardions fis commandemens .
v.g.
Je fuis donc perfuadéque par cette
charité dont il eft parlé dans les en^
droits que j'ai rapportés , il faut en-
tendre l'amour de Dieu , ôc de tout
ce que nous aimons à caufe de Dieu.
Ainfi une telle charité devant être le
principe de nos bonnes œuvres , il eft
certain qu'elles ne fauroiènt être véri-
tablement bonnes , fi ce ne font les
fuites 8c les efîetsde l'amour de Dieu.
Je viens de rapporter un palTage^qui
prouve direârement cette vérité . (^elui
qui ne m^aime point y ditlc Fils de Dieu,
regarde point mes paroles. Rien ne feroit
plus
' BONNES OEuVRES. Jl
plus faux que ceci ii^on pouvoir faire
: des œuvres véritablement bonnes par
quelque autre principe que par celui
de l'amour de Dieu, Dans cette fup-
pofition on garderoit fa parole, 6c on
ne Paimeroit point. Ainfi Jefus Chriffc
difant que cela efl impofEble , il nous
flùt entendre par là que ce n'eft pas fai-
re ce qu'il ordonne , que de ne le pas
'' ire pour l'amour de lui .
C'efb ce qu'on peut entore prouver
rar une autre coniîderation. L'Ecri-
re en une infinité d'endroits promet
la vie éternelle, 6c toute la gloire du
Ciel, à nos bonnes œuvres. Elle fait
cependant entendre que ce Ciel n'efl
pas deftiné pour ceux qui n'aiment
point Dieu. ^/^W^»'//», nous dit l'A-
pôtre S. Paul , rPaime le Seigneur fefus^
qtitl foit anatheme maranatha. Si quel-
cjH^un^ difoit-ii lui même, mmefonpere ou
fa mère plus qjie moi^il tPefipas digne de moi.
Le moyen d'accorder ces deux ve-
ritez autrement qu'en difant que ces
œuvres aufquelles l'Ecriture promet
la gloire du Ciel , font des œuvres
dont l'amour de Dieu eft le principe ?
En
j% Traite' DES
En effet, s'il en Étoit autrement on
pourroit faire de bonnes œuvres fans-
aimer Dieu. Et fi cela étoit , que de-
viendroit-on ? feroit-on fàuvé ? Mais
fi on l'étoit , comment fiibfifteroit
ce que PEcriture nous dit , qu'il eft
impoffibie de Pêtre fi on n'aime Dieu?
Seroit-on damné? Mais fi on Pétoit,
que deviendroient les promefies que
Dieu fait en tant d'endroits à nos
bonnes œuvres ? Il n'y a donc point
d'autre voie pour accorder tout ceci,
que de dire qu'il n'y a point de bon-
nes œuvres fans l'amour de Dieu.
Sur ce fondement S. Auguftinfait
entrer l'amour de Dieu dans la défi-
nition de toutes les vertus morales,
comme une chofe qui leur eft efîen-
tielle , ôc qu'il eft impoflîble d'en
feparer fans les détruire. Il dit que
la prudence n'eft auti^ chofe qu'un
amour circonfpect 6c précautionné,
qui fait difcerner ce qui plait à Dieu
d'avec ce qui Poffenfe , que la jufti-
ce eft l'amour foûmis, qui fe con-
tente de la portion que Dieu lui a af-
Cgnée , fans porter la main fur la por-
tion
BONNES OEuVRES. 75
tion des autres ; que la force eft Pa-
mour conftant, qui fait entreprendre
& exécuter les chofes les plus diffi-
ciles , 6c fupporter les plus rudes ,
pour plaire davantage à Pobjet aimé;
que la tempôrance eft l'amour pur ,
qui fait fe conferver tout entier à ce
même objet.
Ce même Père , auffi bien que
Léon I. foûtient qu'il n'y a que deux
amours , qui foient les principes de
nos aftions, l'amour du Créateur,
& celui de la créature. Il dit que le
premier eft le principe des bonnes
œuvres, & le fécond celui des pé-
chez. Voyez Janfenius deftata na-
tHYâ, la^ÇdL hib. y cap, 19.
Ce fentiment a divers paitifans
dans la communion Romaine , mais
il y a auffi beaucoup d'adverfa-ires.
Plufieurs foûticnnent que la charité
6c la cupidité ne font pas les leuls
motifs qui nous font agir. Ils en in-
diquent un troiliéme , qui eft, félon
eux, la beauté des aél'ions louables &
vcrtueufes , 6c leur conformité avec
les maximes de la droite i*aifon. Ils
D difent
74 T R A I T e' D E s
difenf qu'on peut aimer la vertu pour
la vertu même , & fans faire aucune
attention aux avantages qui peuvent
en revenir. Ils foûtiennent qu'il y a
eu plufîeurs Payens qui n'ont eu que
ce feul motif pour faire ces grandes
affions qui les ont faits admirer , &
cela pofe ils prétendent que fi ces ac-
tions n^avoient pas cette efpece de
bonté , qu'ils appellent une bonté
Theologicfue 6c fiirnaturelle^ elles avoient
au moins cette autre bonté,qu'ils nom-
ment morale , ÔC ThiloJbphi<jue , 6c qui
les rendoit dignes de louange , bien
loin que ce fulTent autant de péchez.
Mais premièrement ils s'éloignent
en cela du fentimcntde S. Auguftin,
qui n'a pas feulement foûtemi que ces
aélions n'étoient pas véritablement
bonnes , mais a dit fans rien ménager
que c'éîoient de véritables péchez.
il ne s'eft pas contenté de le dire.
Il l'a prouvé par pîufieurs raifons,
dont l'une des plus confiderables efl
celle-ci, que la vertu étant une créa-
ture, s'y -arrêter, ne la rechercher
que pour elle-même , ôc par confe-
quent
BONNES OEUVRES. '/f
quent en faire fa dernière fin , c'eft
faire fa dernière fin d'une créature ,
ce qui ne peut être que criminel, cet-
te ffloire n'appartenant qu'au feul
Créateur.
On pourroit peut-être ajouter que
la vertu feparée de toute relation à
Dieu , 6c confiderée telle qu'elle fe-
roit , fi par une fup^ofition impolîî-
ble. Dieu n'cxiftoit pas , n'eft rien
qu'un fantôme, qui n'a, ni aucune
beauté, ni aucune neceffité. Mais
comme ceci fouffre de grandes diffi-
cultez , 6c ne peut être éclairci fi on
n'entre dans de longues difcuiÏÏons ,
qui ne font pas de ce lieu , je n'ofe-
rois m'y appuyer , ni confeiller à mon
Lefteur de le faire.
J'aimerois mieux dire une autre
chofe, qui eft plus fenfible. C'eft
qu'aimer la vertu pour elle même,
6c à caufe de Ql propre beauté , c'eft
uniquement l'aimer parce qu'elle
nous rend plus parfaits, 6c plus ac-
complis. C'efl par confequent l'ai-
mer à caufe d.e nous mêmes, 6c par
lî n mou veracnt d'amour propre . Par
D a coa-
y6 T R A I te' T» E s
confequcnt encore c'eft l'aimer cri-
minellement , puis que c'eft faire de
foi même fa dernière fin.
Ce n'efl: pas , je l'avoue , aimer la
vertu 5 parce qu'on la confidere com-
me le moyen de plaire aux autres.
Mais c'eft l'aimer parce qu'on la con-
fîdere comme le moyen de fc plaire
à foi rnême, & de s'applaudir à foi-
même. C'eil toûjourslfe chercher foi-
même , Se vouloir jouir de foi mê-
me.
On dira peut-être qu^à la vérité c€
que je viens de dire peut arriver , mais
qii'il peut arriver auffi qu'on aime tel-
lement la vertu , qu'il n'entre aucun
mouvement d'amour propre , aucu-
ne veuë d'intérêt , dans cet amour
qu'on lui porte. On dira qu'il pa-
roît bien qu'on l'aime quelquefois de
cette manière , puis qu'on l'aime ,
non feulement en foi -même, mais
dans les autres , fans en excepter les
plus mortels ennemis . d'oîi l'on
conclura que ce que je viens de dire
n'eil; pas perpétuel , ce qui fuiîîtpour
détruire la preuve que j'en ai tirée.
Cette
BONNJES OEUVRES. 77
Cette obje<3:ion eft aflez fpecieiife,
mais elie n'a point de folidité. J'a-
voue qu'on peut aimer 6c eftimer la
vertu dans les autres , même dans
des ennemis. Mais je ne conviens
pas que l'amour propre n'y ait au-
cune part. Je foûtiens au contraire que
c'en cil le véritable principe. 11 y
entre même en plufieurs façons.
On aime la vertu dans un ennemi ,
pour pouvoir fe dire à foi même qu'on
efl équitable , 6c qu'on fait rendre
juttice au mérite par tout oîi on le
voit , fans fe laiiTer aveugler par la
pafîîon.
On aime la vertu par tout , parce
qu'elle eft utile par tout. Ainiî on
fouhaitteroit que tout le m.onde en
fuivît les loix , parce qu'on en profi-
teroit , 6c qu'on feroit incomparable-
ment plus heureux qu'on n'eft.
On aime la vertu dans les autres, par-
ce qu'on eft bien aife de fe pouvoir di-
^ re que les autres en jugent de même
que nous , 6c qu'ainii nous avons
raifon de nous y appliquer. En un
mot , nous fommes bien aifes de voir
D l que
yS Traite* DES
que les autres aiment ce que nous ai-
mons , par la même raifon qui fait que
nousfommes ravis de voir qu'il croy-
cnt ce que nous croyons , ÔC qu'ils
penfent fur chaque chofe ce que nous
cnpenfons. Nous voulons avoir des
garents de la folidité de nos juge-
mens |iôc de la régularité de nôtre con-
duite.
En un mot, Pamour propre fe mêle
toujours dans ce que nous croyons
faire fans intérêt , ôc il n'y a qu'un
moyen de s'affranchir de fes illufions
ôc de fes furprifes. C'efl: de n'aimer
que Dieu , & de ne rien faire qu'à cau-
fe de lui .
îl me rcfte encore une difEculté à
éclaircir. Quelqu'un peut-être dira
qu'il y a bien de la difïèrence en-
tre rapporter fes afitions à Dieu ,
& les faire par amour pour Dieu . En
effet on peut les faire par un pur efprit
d'obeïiTance 6c de foûmiffion pour fes
volontez , ce qui ne paroît pas moins
louable , que de les faire par un mou-
vement d'amour. Car enfin fa gran-
deur fuprêrae nous engage aum for-
^ terne ne
BONNES OEUVRES. 7^
tement à lui obeïr , que fa bonté à
Paimer.
Mais il eft aifé de répondre qu'à la
vérité lafoûmifGonpourla volonté de
Dieu eft un motif excellent pour nous
porter à faire de bonnes œuvres. Mais
c'eft à condition qu'elle foit jointe à
l'amour, &; qu'elle en foit même l'ef-
fet Scia fuite. Il n'en eft pas de même
fi elle vient d'ailleurs. En effet. Ci on
ne fe foûixiet à la volonté de Dieu , que
parce qu'on appréhende d'en être pu-
ni , c'eft une obeïflànce d'efclave , à
laquelle Dieu n'a aucun égard. Mais
fi on lui obéît , parce qu'on ne veut
pas 1 ui déplaire , il paroît par là même
qu'on l'aime, 6c ainfi ce motif n'eft
pasdiftinéb du premier. C'eft ce que
Jefus Chrift nous apprend lors qu'il
dit que fi quelqu'un l'aime , il garde-
ra fescommandemens. Il faut enten-
dre par là qu'on ne lui obéît que parce
qu'on l'aime.
Il eft d'ailleurs impoffible de lui
obeïr fans l'aimer, caril n'y a rien qu'il
nous recommande plus fortement que
de l'aimer. Par confequeat ne le pas
D 4 aimer
8o Traite' DES
aimer Aft lui defobeir , c'eft violer
la plus fainte , & la plus indirpenfa*
bk de fes loix.
CHAPITRE X.
jQpie Pamonr de Dieu^ ^tfi doit être le
principe de nos bonnes œuvres ^ efi un
amoHY de bienveiilanee ,
E fuis donc perfiiadé qu'une œu-
vre ne peut être bonne , fi l'a-
rRour de Dieu n'en eft le princi-
pe. Mais de quel ordre faut-il que foit
cet amour ? On convient dans les Eco-
les de la Théologie qu*il y a un'dou-
ble amour de Dieu, l'un qu'on ap-
pelle de bienveillance , ôc l'autre de can-
eupifcence. Par ce dernier nous-nGM.is
attachons à Dieu comme à nôtre fou-
verain & unique bien. Nous l'aimons,
parce que nous voulons être heureux,
6c que nous ne pouvons l'être qu'en
le
BONNES OEuVRES. Si
îe pofledant. Par le premier nous
fbuhaittons de luiobcïr, delefervir,
de le glorifier , 6c de le voir fervi , ôc
glorifié par toute la terre. Nous fom-
mes fenfibles aux outrages qu'on lui
fait par tout, 6c û nous ne fommes
pas en état de lui procurer, ni même
de lui fbuhaitter des biens qu'il
n'ait pas, puis qu'il les pofiede tous fans
exception, nous fommes du moins
bien aifes de favoir qu'il en eil: pour-
vu fi abondamment , & de le von*
ainfi élevé par defilis le reile des Etres.
L'amour propre eil: le principe de Ta-
mour de concupifcence. Mais ce*
lui de bienveillance a fon origine,
en partie dans l'admiration de ce que
Dieu eft en lui-même , & en partie
dans la reconnoifiance que nous a-
vons de ce qu'il a fait pour nous.
Ce dernier eil un^ mouvement di-
re<Sb , par lequel' nous rapportons
tout à Dieu , êc le premier elt un
mouvement réfléchi , par leqtieî
-nous rapportO'ns en quelque forte
Dieu à nous.mêm.es. On demande
. ;: ,'...i), j . - ■.■ donc
Si T R A I T e' D E s
donc lequel de ces deux amours doîc
être le principe de nos bonnes œuvres.
C'eft à quoi je réponds fans hefiter
que c'eft Pamour de bienveillance.
La principale raifonque j'ai de le di-
re , c'eft que fi l'on pouvoit faire de
bonnes œuvres fans avoir pour Dieui
cette efpece d'amour , qu'on appelle
de bienveillance , on pourroit en fai-
re fans^charité. En eifetjtoiis les Théo-
logiens conviennent, que cet amour
de Dieu , qu'on appelle de concupif-
cence , n'appartient pas d la charité ,
mais à l'cfperance Chrétienne. L'ef-
perance emporte deux chofes , l'.i-
mour du bien qu'on efpere , &; l'aH-
feurance qu'on a de lepofîeder. Car
on n'efpere , ni ce qu'on méprife , ni
ce qu'on regarde comme impofTible.
jLÏnû l'efperance Chrétienne ayant
pour objet Dieu même , 6c iâ pofîèfi
iîon, ce qui fait qu'on l'appelle une
vertu Theologique & furnaturelle ,
11 eft clair qu'elle renferme eflentiet
lement cet amour de Dieu qu'on ap-
pelle de concupifcence.
Il eft certain , au refte , que Pefpe-
ran.
BONNES OEUVRES. Sj
rance efl une vertu diftinéle de la cha-
rité. Car outre que toute la terre en
convient, S. Paul ne nous permet pas
d'en douter diiant d'un côté que la foi,
l'efperance , 6c la charité , font trois
thofes . Qy maint enant ces trois chofes de^
meurent ; 5c foûtenant de l'autre que
la charité eft la plus grande , êc la plus
excellente des trois , ce qui ne pour-
roit fubfîfter (î la charité étoit la même
chofe que l'efperance.
Rien donc n'eil plus vrai que et:
que j'ai dit que fî l'on pouvoit Î2kx:Q.àz.
bonnes œuvres fans cette efpece d'a«
mour de Dieu , qu'on appelle de bien-
veillance , on pourroit en faire fans
charité. Cette confcquence eft necel^
faire , 6c on ne peut la nier fans re-
jetter le principe d'où je la tire. Elle
eft pourtant faufle , comme on a peu
le voir dans le chapitre précèdent.
Ainfl il n'y a point de doute que k
principe ne le foit , & qu'ainfi il no
Toit vrai de dire que l'amour de Dieu,,
qui eft fi neceffaire pour faire de bon-
nes^œuvres efl un amour de bieiiveii^
lance,.
J> ù Il.Voi-
§4 T R A I T e' D E s
IL Voici une féconde preuve , qui
confirmera cette première. Si l'a-
mour de bienveillance n'étoit pas ne-
cellaire pour faire de bonnes oeuvres,
on pourroit en faire fans être , ni
jullifié, ni régénéré, ni par confe-
quent en état de grâce. La raifon en
ell que rien n'eft plus eflenticl à Pétat
de grâce que cetamourde Dieu qu'on
appelle de bienveillance. Imaginons-
nqus un homme abfolument dépour-
veu de cet amour. Imaginons-nous
qu'il n'ait aucun mouvement de zèle
pour la gloire de Dieu , aucun defir
de le voir fervi ôc adoré , aucune dou-
leur des outrages que les Impies lui
font chaque jour. Qui croira qu'un
tel homme puifTe fe vanter d'être du
nombre de fes enfans.? Qui croira
qu'il ait reçu , ni la juftification ,
ni la régénération ? Qui croira en
un mot qu'il foit en état de grâ-
ce?
G'efl: pourtant une chofe certaine
6<: inconreftable , qu'on ne fera jamais
de bonnes œuvres, fi on n'a été ré-
généré par la grâce de Jefus Chrifl.
C'eil
BONNES OEUVRES. Sj*
C'efl ce grand Sauveur qui nous ap-
prend cette vérité. Vouiles cennoltrez^k
leurs frmts.Cfietlle-t'Cn desgrapes des epiner^
oU désignes des chardons ? Ainjitont bon aT'
bre fan de bons fruit s , mais le mauvais arbre
i: fait de mauvais fruits. Le bon arbre ne
peut faire de mauvais fruits ^ ni le mau^
vais arbre faire de bons fruits. Matt. VIL
16. 17. 18. Comme le far ment ne peut de
lui même porter de fruit , r/7 ne demeure an
fep , ni vous auffi femblablement , fi vous
ne demeurez, en moi^ car hors de mopvous
ne pouvez, rien faire. Jean XV. 4. 5. Et S.
Jean I . Ep . lï . 5'. Celui qui garrde^a pa-
rôle , f amour de Dieu efi vraiment aceom^
fli en lui , & par cela nous favons que nous
* fommes en lut. Et II. 29. Quiconquâfait
juflice eflné deDieu,
N'étant donc pas poffible,'ni de fai-
re de bonnes œuvres fans être régé-
néré, ni d'être régénéré fans aimer
Dieu d'amour de bienveillance , il
faut reconnoître que Pamour de
bienveillance doit être abfolumcnt
nécefiaire pour faire de bonnes œu-
vres.
IIÏ .On ne peut nier que ne pas aimer
Dieu
86 T R A 1 T E* D E s
Dieu d'amour de bienveillance ne
foit un pcché. Quoi/' n'être pas tou-
ché de tout ce que Dieu a fait pour
nous. Savoir qu'il nous a créés, qu'il
nous a rachettez , qu'il nous a donné
fon Fils , Ton propre Fils, qu'il l'a ex-
pofé pour nous à la cruelle mort de la
Croix , qu'il nous referve fon Ciel ,
qu'il veut être lui même nôtre por-
tion, & nous admettre à la pofTefiîon
des tréfors de {on efîence immortelle ,
favoir, dis-je, toutes ces chofes, 6c n'en
être nullement touché , n'avoir aucun
mouvement de reconnoiirance pour
tant de bontez , n'avoir aucun defir de
plaire à un Dieu û bienfaifant ôc fi
charitable , ne vouloir rien faire pour
le fervir. N'eU-ce pas là Pinfeniibi-
lité du monde la plus criminelle ?
Comment donc eft-il pojfîible qu'un
èiomme qui non feulement fe rend'-
coupable d'un tel péché , mais qui s'y
obftine , & qui pafle toute fa vie fans
s'en affranchir, en pratiquant le de-
voir qui lui eu oppofé, foit l'objet
de l'amour de Dieu, comme il iefe-
roit il dans cet état il pouyoït faire de
bon-
BONNES OEuVRES. 8/
bonnes œuvres ? L'état où il demeu-
re toiijours n'eft-il pas un état dépê-
ché , 6c d'oppofition à la Loi de Dieu?
Mais ce n'eft pas tout, N'eft-il pas
vrai qu'il pèche a6buellement toutes
les fois qu'il fait quelque a6be de cet-
te autre efpece d'amour , qu'on ap-
pelle de concupifcence ? Par cet a*
mour il defire de pofleder Dieu , 6c
par confequent il fuppofe que Dieu.
veut fe laifler pofTeder à nous. Mais
penfer aftuellement à ceci , avoir dans
l'efprit que Dieu eft afleis bon pour
nous admettre un jour à fa polîèilion^
6c n'être pas touché dans ce moment
même de cet excès de bonté , n'eit-
ce pas un crime efiroyable ?
IV. Si l'amour de concupiicence
fuffifoit pour porter à faire de bonnes/
œuvres , 'l'apprehenfion de. l'enfer
pourroit faire le même effet. Car
enfin craindre Penfer , c'eft craindre
de perdre Dieu, 6c craindre de perdre
Dieu, 6c defirer de le pofl'eder, eft
dans le fond une même chofe.
V. On diflins:ue d'ordinaire trois
divers ordres de perfonnes , qui s'ap-
pii-
88 T R A ï T E' D E s •
piiquent bien OU mal à faire ce que -
Dieu commande , les efclaves , les -
mercenaires, 6c lesenfans. Les pre-
miers le font par un mouvement de
crainte , & pour éviter la punition que
méritent ceux qui ne le for^î pa-s. Les
féconds le font par un principe d'in-
térêt , & pour fe procurer la recom-
penfe que 0ieu promet aux obferva-
teurs de fes Loix: & les derniers le
fo^it par amour pour la juftice , &c
par reconnoilîance pour les bienfaits
de celui qui leur prefcrit ces devoirs.
Si Pamour de concupifcence pouvoit
être le principe de nos bonnes œuvres,
ce feroit fort mal à propos qu'on fe-
roit cette diftinélion. Les enfàns ne
feroient en rien differens foit des efcla-
ves , foit des mercenaires. Ain£ il faut
renverfef tout ceci 5 ou reçonnoître
que Pamour de Dieu , qui eft le princi^
pe de nos bonnes œu vres,efl: un amour
de bienveillance.
CHA.
BONNES OEUVRES. 89
CHAPITRE XL
j^e cet amour de Dieu , e^ui doit être h
principe de nos bonnes œuvres ^ ejî un
amour dominant , & qui préfère Bien
a toutes chofes.
E fuis donc très perfuadé que pour
faire une bonne œuvre , il faut la
faire par un mouvement de cet
amour de Dieu , qu'on appelle de
bienveillance , Mais voici une féconde
queftion qui paroît beaucoup plus:
embarraflante que celle que je viens
de décider. On demande fi cet amouF
de Dieu , de quelque nature qu'il foit,
doit être un amour dominant , 6c qui
préfère Dieu à tout lans exception.
On demande û un homme, qui ai-»
me quelque chofe plus qu'il n'ai-
me Dieu , fait une bonne aftion
en aimant Dieu plus que quelque cho-
fe, 6c en s'en privant volontairement
pour l'amour de lui .
- Pour
90 T R A I T E^ DJÊ s
Pôiir foulager l'imagination arrê-
tons nous au cas que j'ai pofé dans le
fécond volume de mes Elîais. Ima-
ginons nous un de ces idolâtres du
faux honneur , qui ont mieux aimé
perdre tout leur bien , ôc tous les
avantages qu'ils trou voient en Fran-
ce, que d'abandonner leur Religion,
& qui neantmoins font toujours prêts
à (2 venger des outrages qu'on pour-
ra leur faire , & à poufler leur ven-
geance jufqu'aux dernières extremi-
tez. Tous ceux-là ont aimé Dieu plus
qu'ils n'aimoient ce qu'ils ont perdu
pour l'amour de lui, comme ils ai-
ment le faux honneur plus qu'ils n'ai-
ment Dieu. On demande lî le facri-
fice qu'ils ont fait à Dieu en fortant
de France eft une bonne aétion, dont
Dieu leur tienne compte, ou fi c'eil
une aftion inutile , ôc par confequent
mauvaife.
Janfenius , Contenfon , ôc Huy-
gens do6beur de Louvain , ne s'y ar-
rêtent point. Ils foûtiennent que tou-
te action qui part d'un véritable a-
mour pour Dieu , foit fort , foit foi-
ble,
BONNES OEuVRES. 91
ij ble , eft une bonne aétion , 6c à la-
ji <jiielle Dieu a égard . Il eft vrai qu'au-
j tant que j'en puis juger par tout ce
il qu'ils difent fur d'autres fujets , ils
j ne veulent pas que cette a6Hon me-
I rite la vie éternelle. Car ils preten-
|! dent qu'une aétion ne fauroit être
I jneritôire de la vie éternelle , iî un
I amour dominant n'en eft le princi-
pe,
Je ne connois pas un feul de nos
' Théologiens qui ait traitté cette quef-
tion. Ils n'ont pas accoutumé d'en-
trer dans de tels détailsjMai's je ne dou-
te pas que s'ils s'y fuflent appliquez
ils ne i'euffent décidée d'une maniè-
re oppofée au femiîïient des trois Au»
teurs que j'ai indiquez. En effet, nos
Théologiens conviennent de deux
veritez , dont ce que je dis eft la fui-
te. L'une que ceux que là grâce n'a
pas encore régénérez , ne fauroieiot
faire de bonnes œuvres. L'autre que
ceux qui n'aiment pas Dieu par def-
fus tout ne font pas encore régéné-
rez. Si on admet ces deux veritez il
faut necelTairement avouer que ceux
(jui
92 Traite' DES
qui aiment quelque chofe plus qu'iliK
n'aiment Dieu ne font pas en état <k|
faire de bonnes œuvres.
Cependant ces deux veritez fontl
inconteftables. L'Ecriture les attef-l
te nettement ôc formellement. Elle'
nous dit qu'un mauvais arbre ne fau^-
roit porter de bons fruits. Elle nous^
dit que de nous-mêmes, comme de-
nous.-mêmes, nous nefaurions avoif
une bonne penfée , bien loin de pou-
voir faire une bonne aélion. Elle
nous dit que la chair ne fe rend point
fujette à la Loi de Dieu , ajoutant
même qu'elle ne le peut. Elle dit enfin
que fi quelqu'un ne hait fon père &; fa
mère, fa femme &fesenfans, fes frè-
res & fes fœurs , même fa propre ame,
c'efl à dire fa propre vie , il ne peut ê-
tre le Difciple de JefusChrifb.
Je ferai voir dans la fuite qu'il n'y a
point de bonnes œuvres fans la foi , êc
j'ai fait voir ailleurs que la foi eft infe-
parable de la pieté , 6c incompatible
avec un pèche d'habitude , tel qu'efl
fans doute un amour permanent qui
préfère quelque chofe à Dieu. Si on
m'a-
BONNES OEuVRES. 9^
, j m'avoue" ces deux veritez on ne fauroïc
! S me nier que Pamour de I>ieu, je dis
1 un amour dominant , ne foit abfolû-
Iment necefTaire pour faire de bonnes
œuvres.
Le caraârere par lequel JeAis Chrift
; diftingue la foi juftinante de la foi à
j temps, c'ell; que la première efl: un
I grain lemé dans le coeur, & qui dans
il la fuite porte du fruit , au lieu que la
I féconde n^cn porte point. Ce fruit
In'eft autre que les bonnes œuvres.
ICeil ce qui ne fouffre point de diffi-
culte. Mais fi cela eft, là foi à temps ne
Ifàùroit produire de bonnes œuvres.
[ Il eft cependant certain que la foi de
iceux qui aiment quelque choie plus
I uu'ils n'aiment Dieu , n'eft pas une
^foijuftifiante. C'efttout au plus une
foi à temps. Ceci encore eft incon-
teftable dans nos principes. Il doit
Pêtre par confeguent , en fuppofant
ces mêmes principes , que ceux
qui aiment quelque chofe plus qu'ils
n'aiment Dieu , ne font jamais au-
cune œuvre qui foit véritablement;
bonne.
C'cft
94 Traite' DES
C'eft ce qu'on peut encore prou-
ver par une autre confideration. 11
n'y a point de bonnes œuvres , dont
le dehors ne paroifîc dans la vie , 6c';
dans les aébions de ceux qui aiment
quelque chofe plus qu'ils n'aiment
Dieu. Ils prient Dieu. Ils paroijC-
ient zélés pour fa'verité. Ils enfoû-
tienncnt les intérêts. Ils fouffrent pour
elle. Ils fe laiiTent enlever leurs biens.
Quelquefois même ils fe laifîent ôter
la vie . Ils font des aumônes confidera-
bles. En un mot, fî on ne peut pas dire :
que parmi ces gens là il y en ait de ceux
qui pratiquent toutes les bonnes œu-^'
vres fans exception , il eft certain au
moins qu'il n'y a point de bonne
œuvre que quelqu'un d'entre eux
ne faife.
Si ces œuvres étoient véritable-
ment bonnes, comment fe pourroit-'
il que ces gens -là viniTent à périr ^j
Car enfin il n'y a aucune de ces
œuvres à laquelle l'Ecriture ne pro-
mette le falut Se la vie éternelle.
Peut-on foûtenir la vérité immuable i
de ces promeiîes , à moins que de .<
dirr
BONNES OEUVRES. gj
dire qu'elles ne s'adrefîent qu'à ceux
qui , non feulement font ces œuvres,
mais qui les font en la manière en la-
quelle Dieu veut qu'on les faffe , &
qu'ainfi celles de ces gens n'ont que
le dehors des bonnes œuvres , 6c n'en
ont pas ^'intérieur & la vérité i*
Toutcekmeperfuade que les œu-
vres de ceux qui aiment quelque cho-
fe plus qu'ils n'aiment Dieu, ne font
pas véritablement bonnes. Mais quand
même on ne voudroit pas me l'avouer,
on ne me conteftera pas au moins
qu'elles ne foient inutiles, &: qu'elles
ne laifîent périr éternellement ceux
qui les ont faites. Cela mefuffit, ôc
réduit la difpute à trés-peu de chofe.
Car enfin quelle peut être la bonté de
ces œuvres , qui n'empêchent pas
ceux qui les font d'être les objets de
la haine de Dieu fur la terre, & les
vi6times de fa juftiçe dans la vie ave-
nir? Ne faut-il pas que ce foit uiïe bon-
té bien mince , 8c nullement en état
d'entrer en comparaifon avec les œu-
vres qui font les fruits d'un amour do-
minant , 6c qui préfère Dieu à toutes
chofes ? CHA^
96 Traite* des
CHAPITRE XII.
Sixième condition. Vue honne œuvre doit
être faite avec foi,
IL n'y a peut-être point de condi-
tion que S. Auguftin , ôc les autres
Pères , exigent plus fouvent , ni plus
formellement que la foy. Ils foû-
tiennent que les Infidelles ne fau-
roient faire de bonnes œuvres. Quel^
le honne œuvre , dit S. Auguftin {a)
y f eut-il avoir avant la foi ^ fuis que CA»
pôtre nous dit que tout ce qui efl fait fans
foi eft unpeché? Quelque état , difoit-il ail-
leurs {h) <jH^ on fajje des œuvres desInfideU
les ^ nous favons ^ue le jugement de S, Paul
eft certain & inconteflahle , Tout ce qui efi
fait fans foi efi un péché. S, Profper d-c
même (cj,
(arjinos allions quoi cjue bonnes en foi ,
Ne font des fruits natf ans du germe de la]
foi , Q^elJ^
{a) Aug. in Joan. Traft. 86. (b) De gcft^
Pd. cap 14., {c) Pfofp. de ingrat, cap. 16^.
BONNES OEuVRES. gf
QuelijHe attrait Jpedeux qui nom les ren^ ,
de atmcibles ,
Ellejfont desséchez, qui nous rendent cofi^
gables.
'Et leur gloire fler lie enflant la volonté ^
a^ugmentefonpipplice avec fa vanitc\
Tous nos Théologiens foûtiennent
la même chofe , mais tous n'en don-
'nent pas les mêmes preuves. La plu-
part font exa6tement valoir ces pa-
roles de S. Paul, ^ue S. Auguftin
aufli a produites dans les endroits que
^ j'ai rapportez. Tout ce qui eft fait fans
foi efl un péché (a). Mais je crains que
cette preuve ne foit pas folide. Se-
lon toutes les apparences la foi en cet
endroit -là n'eft pas cette vertu qui
nous juftifie. C'eft une perruafion
forte de la bonté & de l'innocence de
"ce qu'on fait. S. Paul parle de ceux
qui n'ofoient manger des viandes
que la loi avoit deffendues , & dit
fur ce fujet , ^y\/Cais celui qui en fait
ferupule , efh condamné s^il en mange ,
car il n^en inange point avec foi. Or
tout ce qui n^efl point de la foi efi un péché.
E II
{a) Rom. XIV, 23. *
y
98 Traite' des
Il oppofe la foi à la craiete qu'on a
de pécher en faifant une aâ:ion qui
n'eft pas évidemment innocente. Ce-:
pendant il eil certain qu'on ne s'af-
franchit pas toujours de cette forte
de crainte par des aétes de foi divi-
ne. Il efl même afîe^i rare qu'on le
puiiTe. Il fuffit qu'on ait une certitu-
de raifonnable , 6c fort au deiTous de
la foi , comme je l'ai fait voir dans
mon Traité de la Confcience, Ainfî il
eft fort croyable que cette foi dont
parle S. Paul eft trés-differente de cel-
le dont nous parlons.
Je croi qu'il y a plus de folidité
dans la preuve de cette vérité, qu'on
prend de ce que S. Paul difoit Heb.
XI. 6. qu^il efl iînpoffible de plaire k Dieu
fans la foi. En cfîet, S. Pierre nous ap-
prend au livre des Aétes (a)o^uc Bien
na point d^ égard a P apparence desperfennes^
mais qtt en toute nation celui qui le fert ^ &
s'adonne a la jufiice , Ifti efl agréable. Si
donc les Infidelks pouvoient faire d^
bonnes oeuvres , ils pourroient être
agréables à Dieu. Et s'ils pouvoient
l'être 5
BONNES OEuVRES, 99
rêtre , que deviendroit ce que dit S.
Paul qu'il eft impoffiWe de lui être
agréable fans la foi ?
D'ailleurs l'Ecriture nous apprend
que la foi purifie nos cœurs. Cefl
ce que S. Pierre afleure en autant de
mots au livre des aébes (a). Elle fait
par confequent entendre par là que
ceux qui ne poiTedent pas cette vertu
font remplis d'ordure 6c d'impureté,
comme en efïèt S. Paul dit exprcfîè-
ment (l^J que rien rPefi par anx fomllez,
^ aux Infidelles , mais que leur entende^
ment & leur confcience font foMUs ; qu'à
la vérité ils font profeffion de connaître
Dieti , mais quils le renient par leurs œtt'
vres , étant abominables & rebelles , 0*
réprouvez^ a toute bonne œuvre. Cela é-
tant que faut-il attendre de ces gens
là? Des âmes auffi impures, que le
font celles des Infidelles, félon l'Ecri-
ture , font-elles capables de faire des
-œuvres véritablement bonnes ? Ne
faut-il pas que l'effet porte l'impref-
fion des qualitez de la caufe qui le
produit i* Qui ejl-ce qui tirera le net de ce
Ê 2 qui
{/) Aa.XV.9, (0 Tit.I.i/.i<S,
loo Traite' des
cjui efi fouillé} difoiten ce fens lefaint'!
homme Job. (a).
Enfin cette vérité eft une fuite ne-
cefTaire de celles que j'ai prouvées dans
les chapitres precédens. J'ai fait voir
que pour faire une bonne action il faut
la rapporter à Dieu , comme à fa der-
nière fin. Et comment le fera-t-on,
fi on ignore , d'un côté que Dieu eft
la dernière fin de toutes chofes , 6c
de l'autre qu'il eft de nôtre devoir de
lui rapporter nos aélions.'' Et com-
ment découvrira-t-on des veritez de la
nature de celles-ci fans la foi?
Pour faire une bonne œuvre il faut
aimer Dieu fouverainement , & par
deifus tout. Et comment l'aimera- 1-
on de cette manière , fi on ne le croit
alfez mifericordieux pour nous faire
grâce } Et comment le croira-t-on tel
lans la foi ?
On objecte ce que dit S. Paul (b)
que les Gentils qui n'ont point de foi font na^
ttirellement les chofes qui font de la Loi,
Mais il eft aifé de répondre qu'il y a
bien de la différence entre faire ce
que
(rf) Job. XIV. 4. (^; Rom. II. 14.
BONNES OEllVRES. ICI
que la loi ordonne , 6c le faire en la
manière en laquelle la loi ordonne
de le faire. Les Payens font le pre-
mier, je l'avoue. Ils font plufîeurs
chofes que la loi prefcrit. Ils rendent
à chacun ce qui lui appartient. Ils
honorent ceux qui les ont mis au
monde. Ils s'abftiennent de l'homi-
cide, de J^adultére, du larcin, du
faux témoignage. Mais ils ne font
pas tout cela par un 'bon principe,
ils ne rapportent pas ces a6tions
à Dieu. Ils marchent, mais hors du
chemin , &; par confequent plus ils
s'avancent , plus ils s'égarent. Je
fai qu'on donne d'autres fens à ce paf-
fage , mais celui-ci me paroît le plus
naturel.'
On objeéle encore ce que l'Ecritu-
re dit que Içs Sages-femmes d'Egypte
craignirent Dieu , ëc que Dieu recom-
penfa le refus qu'elles firent d'obeïr
aux ordres injuftes de Pharaon. Mais
il eft étonnant qu'on fe ferve d'une
preuve auffi foible que celle-ci .Car en-
fin comment prouve-t"'on que ces fem-
mes fufTent infidelles ?C 'ell , dit-on ,
E 3 qu'el-
102 T R A I T e' D ES
qu'elles étoient Egyptiennes. Je veux»
qu'elles le fuflent. Eft-ce qu'on n'a
jamais veu de Payen amené à la foi?
Eil-il plus difficile de croire -que la
grâce ait pu donner la foi à des fem-
mes Egyptiennes , qu'à Rahab ^ ou.
à Corneille le Centcnier ?
Mais j'ajoute que l'Ecriture dit
expreilement que ces Sages- femmes
étoient Hebreuës. Le %py. d'Egypte ^
dit-elle {a) commanda aux Sages-femmes-
Hebreués êcc.
Rien donc ne nous doit empêcher
de reconnoître qu'on ne fera jamais,
de bonnes oeuvres fi on n'a la foi.
Mais quelle eft cette foi , qui efl il ne-
celîaire pour cet effet ? Contenfon
Thomifte moderne , & fort éloigné
en tout le refte des fentimens des Jfe-^
fuites , ne demande qu'une foi humai»
ne , ôc naturelle , qui fafTe connoître
Dieu comme premier principe de
toutes chofes . Janfenius demande une. ;
foi divine, Chrétienne, & farnatu*'
relie. Mais i 1 ne croit pas qu'il foit ncr
ceffaire que ce foit une foi formée , &
accom»
BONNES OEuV^ES. lOg
accompagnée de k charité. Mais tout
■ ce que j'a-j dit jufqu'ici fait voir le con-
traire.
En effet, les preuves que j'ai
données dans ce chapitre même de
la nécpffité de la foi, ou ne prouvent
rien , ou prouvent que c'eft la foi
juftifiante qui eit neceflaire. Et
d'ailleurs j'ai fait voir dans le cha-
pitre précédent que pour faire de
bonnes œuvres il faut non feule-
ment aimer Dieu , mais encore Pai-
mer fouverainement, & par deilus
tout. Celafeulne fait-il pas voir que
la foi neceifaire pour faire de bonnes
œuvres eftune véritable foi , une/oi
ju'ftifiante , 6c infeparable de la cha-
rité?
D'ailleurs fi pour faire une bonne
aélion , il ne faloit autre chofe qu'une
foi humaine, & naturelle,- comme
Contenfon le prétend , on pourroit
fah*e de bannes œuvres fans lefecours
de la grâce. Car dans Tefprit de qui
pourroit-il tomber que la grâce foit
néeeflairc pour la production d'une
foi humaine , 6c naturelle? Dés là
E 4 qu'el-
104 Traite* DES
qu'elle efl telle , elle eil la produâion J
de la nature , & n'efl nullement Pou-- \
vrage du S. Efprit. Dnx cependant
qu'on peut faire de bonnes œuvres
fans la grâce , c'eft le Pelagianifme
tout pur. C'efiicequi a attiré les ana-
thèmes de Taucienne Enîifc fur cette
hereiie.
Le fentiment de Janfenius paroît un
peu plus raifonnable que celui de
Contenfon. Il demande une foi di-
vine &.furnaturellc, en quoi il eft
bien fondé. Mais il fe trompe en ce
qu'il fe contente d'une foi informe.
Car outre que la foi informe n'eft
pas une foi divine ,. comme je l'ai
prou^vé dans le Traité que j'ai publié
fur cette matière, outre cela, dis-je,
s'il ne faloit qu'une foi informe pour
faire de bonnes œuvres , il feroit
trés-poffible d'en faire de telles fans
la charité. Et cecipofé que devien-
dra ce que dit S. Paul qu'il ne fert
de rien fans la charité de donner fon
corps pour être brûlé, & de diflri-
buer tout fon bien pour la. nourritu-
re des pauvres.^ EU -ce donc qu'il
ne
:bonnes oeuvres. loy
ne fert de rien de faire de bonnes œu-
vres ? n'eil-ce pas là le comble de Pab-
furdité?
Je conclus de tout ce que je viens
de dire que pour faire de bonnes ac-
tions il faut , non feulement une foi
divine 6c furnaturelie , mais line
foi opérante par la charité , une foi
vraiment jultifiante , 6c qui nous
mette en état de plaire à Dieu.
Quelques - uns de nos Théolo-
giens en rendent une raifon, qui ne
; me paroît pas bienfolide. Ils difent
que ce qui rend la foi juilifiante û
.neCefîaire pour faire de bonnes œu-
vres , c'eft qu'il n'y a qu'une telle
foi qui nous aplique le mérite de Jefus
' Chrift, 6c que c'eil ce mérite qui cou-
vre les défauts ôc les imperfeélions de
nos œuvres. '
Si on fe contentoit de dire que la foi
eft néceffaire pour faire de cette ma-
nière que Dieu accepte nos bonnes
œuvres, ôc en fupporteles imperfec-
tions 5 on ne diroit rien que de vérita-
ble j rien qui ne foit très conforme à ce
E 5 que
io6 Traite^ bes
que dit PApptre S. Pierre , que no«
facrifiees fpirituels font agréables à'
à Dieu parJefusChrift. Mais€en?e{t/
pas là tout ce qui fait toute la bonté de-
nos aftions. Elles la tirent d'ailleurs ,.
de la grâce , comme de fa fource & de
fon principe,& de la conformité qu'el-
les ont avec la Loi de Dieu , tant dans *
leur fubftance , que dans la manière
en laquelle nous les faifons , comme
de ce qui en fait la forme & Peffence»^
Oeft-làce qui les rend bonnes, non
le mérite de Jefus Chrift , qui en cou-
vre les imperfeétions.
Il ne faut donc pas s'arrefter a cet-
te raifon , & le meilkur eft de fe con-
tenter des autres que j'en ai données»
4
BONNES OEuVRES. I07
CHAPITRE XIII.
I Septième condition necej^aire pour faire de
bonnes œHvres, Les faire fans ré-
pugnance,.
TOutes ces conditions ne fuffi-
fent pas pour faire des œuvre*
qui foient vraiment bonnes. Il y en
a une. feptiéme , qui eft très - necef-
faire. C'eft qu'on les faiTe avec joie,
ou du moins fans répugnance. C'eit
ccque S. Paul nous apprend fur le fu-
jet de l'aumône , l'une des plus ex-
cellentes de nos bonnes œuvres. Que
thacun ^ dit-il , fajfe félon qHil a propofé
en fin cœur , non point a regret^ onpar con^
trainte , car Dieu aime celui qui donne gaie-
ment, IL. Cor. IX. 7. S. Jaques veut
même que la ioie accompagne les ac-
tes de lapatience. Témoin ce qu'il dit
dés l'entrée de fon Epitre. Mesfre- ■
res, tenez^pGur une parfMte joje ^ lorsque,
vous. îomkere;^ en diverfej tentMions - Et
E 6 tous
io8 Traite' des
tous les Apôtres étoient iî pénétrez
de cette vérité, qu'ayant été fouet-
tez par les Juifs , ils faifoient paroî-
tre des tranfports de joie , d^avoir été
rendus dignes de Çouffrir de Popprobre pour
le nom de feJHs Chnft. Enfin 'le Roi
Salomon nous apprend que cette joye
doit accompagner toute forte de
bonnes œuvres fans exception. C'efl^
dit-il 3 /»[<? la joie aujufie défaire ceqm efi
droit.
Il efl: certain , en effet , que lors
qu'on fait le bien à regret 6c avec ré-
pugnance, on le fait fort mal, 6c onJ
corrompt par là tout ce qu'il peut y
avoir de louable dans Paétion même.
Mais comme ceci , quoi que vérita-
ble , peut être mal pris , il fera bon
de fe donner quelque foin pour Pcx-
pliquer un peu nettement.
je fuppofe en premier lieu qu'il
n'efl que trop ordinaire de voir dans
les autres , & d'éprouver en nous
mêmes , que lors qu'il Te prefente
quelque occafion de faire de bonnes
œuvres d'un certain ordre ,' on ne
peut,- ni s'y refoudre 5 ni fur tout en
cxé'
BONNES OEuVRES. icg
exécuter la réfolution fans de grands
combats , 6c fans fe faire de la vio-
lence. Ceci, je l'avoue, n'eftniégal,
ni perpétuel. En efièt, il y a de ces œu-
vres qui ne coûtent rien, ^- qu'on
peut faire d'un côté fans renoncer à
aucun intérêt tant foit peu confidera-
ble, 6c de l'autre fans s'oppoferâpas
un de nos penchans , du moins à pas
unde ceux qui font un peu forts ^ 6c
Et alors on s'y réfout fans beaucoup
de peine. Faut- il, par exemple , qu'un
homme riche , 6c qui n'efl pas naturel-
lement avare , fe faflè une fort grande
violence pour fe refoudre à donner un
très- petit fecours à un povre, à qui
il eft nccelfaire , 6c qui peut fe paiTer
d'un pîiis grand?
Mais il efl: vrai auilî qu'il y a de cer-
taines œuvres qu'on ne peut faire fans
iê priver de tout ce qu'on aime le
plus, 6c fans gêner terriblement nos
plus fortes , 6c-plus naturelles incli-
nations. Quels efforts, par exemple,
ne faut- il pas à un homme naturelkr
ment interelTé pour fe réfoudre , foit
à abandonner tout. fon bien , .pour
la
î To Trait e' des
' la deffenfe de la vérité , Toit à s'en prf-
ver volontairement pour faire une ref^ -
titution qu'il croit neceiTaire ? Quels
combats n'eft pas obligé à fe livrer urt
homme qui aime la vie , ôc que Dieu
appelle à fceller par le martyrela pro-
fefîion de fa vérité ? Quelle vialence
n'eft-on pas contraint de fe faire pour
fe voir outragé infolemment fans s'en
émouvoir ?
Je fuppofe en deuxième lieu que les
répugnances qu'on fentii^ns ces occa-
fionsfontinjuftes & criminelles. El-
les viennent premièrement d'un mau-
vais principe , d'une attache exceiïive
aux biens fenfibles & péri (Tables , d'ua
amour aveugle 6c déréglé de nous mê-
me mes , en un mot, de tout ce qu'il y a
de plus criminel en nous , 6c qui s'op-
pofeleplusefficacementà nôtre iàlut.
Car enfin fi nous étions à cet égard
dans les difpofitionsoù nous devrions
être 5 il n'y a point de doute que nous
ne fifîians avec plaifir , ^ fans aucune
répugnance tout ce qui fe pi-elènte à
faire dans ces occalîons.
Eu deuxième lieu^ elles marquent ^
ou
BONNES OE LIVRES. IIB
OU une incrédulité totale , ou du
moins une extrême foibleiîe de foi..
Car enfitt fi nous étions perfuadés un
peu fortement des veritez du Talut ^
tous les intérêts de la terre ne nous,
feroient rien. Nousles regarderions,
avec le dernier mépris , ôc il ne nous
faudroit point faire d'effort pour y
renoncer toutes les fois qu'ils feroient
obflacle à l'acquifition des biens éter*
nels , que Dieu referve à fes enfens.
dans le Ciel. Ainfî ne pouvoir fe
refoudre à quitter les biens de la ter-
re , c'eft faire voir qu'on ne compte
gueres fur ceux du Ciel , ce q^ui eft
vifiblement un défaut de &i.
Sur tout ces répugnances font voir
qu'on manque d'amour pour Dieu..
Car enfin fi on l'aimoit , comme on
devroit , ne fe porteroit-on pas avec
plaifî r , & d " tout fon pouvoir , à faire
tout ce «^u^ilpourroit exiger de nous?
Ainfi ne le faifant qu'avec peine, il
paroît clairement que nous ne l'ai-
mons que foiblement êc knguifTam-
ment, ce quiiae peux être qu'infup-
portable^
Ces.
Vil Traite' DES
Ces rcpugnaiices étant fî vifîble-
mcnt criminelles, je dis en premier
lieu que plus on en a à faire quelque
bonne aâiion , moins }'a6lion eft bon-
ne, 6c qu'au contraire plus on a de
joye & de plaifir à la faire, plus l'ac-
tion eft louable, & agréable à Dieu.
C'eft là à mon fens une chofe qui ne
fouffre point de difficulté.
Mais 5 dira-t-on , ces répugnances
corrompent-elles de telle forte la bon-
té de l'aélion , qu'elle doive pafTer
pour mauvaife 6c pour criminelle
dés là qu'il a falu fe faire quelque
violence pour s'y refoudre ? C'eft à
quoi la difficulté fe réduit.
Pour la lever je réponds qu'il y a
des répugnances de telle nature,
qu'elles rendent l'aébion abfolument
mauvaife, èc qu'il y en a auffi de tel-
les, qu'elles ne la rendent qu'impar-
faitement bonne. Tout dépend de
favoir ce qu'on fait à Tégard de ces]
répugnances. Les approuve- 1 -on ?
Les fouffi*e-t-on ? Les combat-on
même fans aucun fiiccez, en forte
qu'elles durent , Se qu'elles fubfif^
tent
BONNES OEuVRES. Il^
, tent pendant tout le temps qu'on a-
git? Si cela eft , Pa61:ion n'eft pas
; bonne , 6c tout ce que j'ai dit dans
^ le commencement de ce chapitre le
[1 prouve allez.
Mais fî on les combat, iî on les
furmonte , fi on les étouffe , il arrive
[; deux chofes. L'une que l'action n'eft
[pas parfaitement bonne , l'autre qu'el-
|le ne laifle pas de l'être véritablement.
[S'il en étoit autrement àpeinearrivc-
Sroit-il aux plus faints de faire de bon-
nes œuvres . Et en effet, pour ne fentir
jamais de ces répugnances il faudroit
[que l'amour dubienfenfible futabfo-
flûment détruit & anéanti dans nos
cœurs .11 faudroit que l'amour de Dieu
fût non feulement le principe domi-
nant, miais l'unique principe de nos
actions. En un mot, il faudroit que nô-
tre fainteté fût parfaite , êc femblable
i celle des Anges. Comme il s'en faut
beaucoup que cela ne foit, & que la
chair demeure toujours au dedans de
nous avec l'efprit,il arrive qu'elle s'op-
pofe aux infpu'ations de l'efprit, ôc que
tout
!
rr4 Traite* d^es.
tout ce que Pefprit peut faire , c'eft de
va' na'efcs répugnances. Mais cette
viébaire fuppofe un combat , ôc par
confequent des efforts , 6c des mouve-
mensoppofezà ceux de Pefprit.
Je croi donc qu'il faut diUinguer
trois diÔerentes manières d'agir. La
première confifte à faire le bien avee
une joye parfaite , 6c fans aucun mou-
vement de répugnance , qu'il faille
combattre. La féconde c'eft de le fai-
re avec des mouvemens de répugnan-
ce , que Ton combat , qi/e l'on fur-
monte , 6c que l'on étoum^^ . La troi-
fîéme de le faire avec des ftiouvemens
de répugnance , qui durent , 6c qui
fubfîftent , foit qu'on les combatte ,
foit qu'on les approuve.
La première de ces trois manières
d'agir eflile partage des parfaits, tels
que font les Anges, 8c les Efprits bien*jj
heureux. La troiiiéme eli celle des
pécheurs . La féconde eft celle des en*
fans de Dieu fur la terre . L^a première
rend l'action parfaitement bonne. La
féconde la rend criminelle. La troi-
fiéme fait qu'elie n'èft bonne qu'im-
parfaitement. Toutj
BONNES OEuVRES. I ï jT
Tout cela fait voir clairement qu'un
des plus grands foins que nous devions
prendre , lors qu'il fe prefeRte quel-
que occafion de faire de bonnes oeu-
vres , c'eft celui d'étouffer prompte- "
ment ces répugnances dont nous ve-
nons de parler, &de confîderer l'cf*^
fet qu'elles ne manqueroient pas d'o-
pérer , fi nous négligions de prendre
ee foin. Elle nous feroient perdre le
fruit de nos bonnes œuvres , 6c de
cette manière nous priveroient à là
fois 5 6c du bien fpirituel , que la bon-
ne œuvre étoit en état de nous pro-
curer 5 6c du temporel, auquel la San:-
ne œuvre nous fait renoncer.
En ne faifant pas la bonne œuvre ,
on perd le bien fpirituel , 8c on con-
fervc le tempoixl . En la faifant bièn^
on perd le temporel , ôc on fe procu-
re le fpirituel . En la failân t mal , com-
me on fait en la faifant avec répugnan-
ce , on perd , 6c le temporel , 6c le
fpirituel tout enfemble.
Cela étan]:, qui ne voit qu'il eft de
notre devoir d'étoufïèr ces repugnan- .
ces 3 dés le moment- qu'elles fe for»
ment
ii6 Traite' des
ment dans nôtre cœur? Mais com-'
me il eft difficile, ou pour mieux di-
re impoflible d'étouffer ces répu-
gnances , {1 on laiffe fubfîfter le prin-
cipe qui les produit , & que ce prin-
cipe n'ell autre que l'attache excefîî-
ve que nous avons pour les biens fen*
fibles , le principal foin que nous
devions prendre pour cet effet , c'eft
de nous affranchir de cette malheu-i
reufe imperfeétion , qui eft la princi-;
pale fource de tous nos defordres. Je
ne dis pas au refte ce qu'il faut faire
pour y reuffir , en ayant parlé affez am-
plement dans le fécond Tome de mes
EiTais de Morale. Difc. IIL
CHA-
BONNES OEuVRES. 11^
CHAPITRE XIV.
J^e lors qu^on a fait une bonne a5licn
U ne faut pas regretter le bien temporel
qt^elk a fait perdre,
CE que je viens de dire me fait
fouvenir d'un autre défaut fort
femblable à celui dont j'ai parlé, puis
qu'il part d'un même principe, 6c
produit le même effet , qui eft celui
de nous faire perdre le fruit de nos
bonnes œuvres. Je parle du regret
que nous avons après avoir fait l'ac-
tion , au bien temporel , auquel cet-
te action nous fait renoncer.
Ce défaut efl fort ordinaire , par-
ce qu'il l'eft extrêmement d'aimer
avec excès le bien temporel. On
croit communément que ce fut là
ce qui fit périr la femme de Lot.
Elle regarda en arrière en fe fau-
vant de Sodome , 8c félon toutes
les
ii8 Traite' DES
les apparences ce regard fut une faU
te du mouvement de foncœur. ElleJ
regretta ce qu'elle a voit quitté danél
cett^ deteftable ville , Se cefentimenti
injufte lui attira le malheur qui Pacca^J
bla 5 étant changée en une flatuë deJ
feL
Les murmures des Ifi-aëlites dans le
defert font encore un exemple de ce
que je dis. Ces ingrats ne fe fouve-<
noient plus parmi les douceurs de lai:
liberté dont ils joiiifToient , des ri-
gueurs 6c des amertumes de leur fervi-
tude . Ils avoient oublié les traitemens
barbâi;cs 6c infupportables , qui Ics^
avoient fait gémir. Ils ne faifoient at-
tention qu'aux avantages qu'ils y trou-
voient. Ils regrettoient les viandes
grofîieres dont ils s'y gorgeoient. Ce
fut là ce qui leur attira la plupart des
fléaux , qui les accablèrent.
Toute l'Epître aux Hébreux ne
t^nd qu'à prémunir les fidelles , auf-
quek elle eft adrefTée , contre le dan-
ger,auquel ils étoient expofez,de tom-
ber dans un manquement femblable.
Ils avoient embraffé l'Evangile avec
beau-
BONNES OEUVRES. II9
beaucoup d'ardeur 6c de fermeté. Ils
I avoicnt furmonté courageufemcnt les
i tentations , aufquelles leur foi naifFan-
te fe trouva expofée . Ils avoient fouf-
fert avecjoye le ravifTement de leurs
biens. Mais S. Paul apprehendoit
qu'ils fe relâchafîènt de cette premie-
j re ferveur , & qu'avec le temps ils
j vinflent à regretter , d'un côté le re-
|pos dont ils avoient joiii dans le Ju-
daïfme , & de l'autre la pompe 6c
l'éclat fendble de cette Religion char-
nelle . C'eft pour leur infpirer les ien-
timens oppofez à ces manquemens
qu'il leur écrit cette Epître , 6c c'eft-
là le but qu'il fe propofe depuis le
commencement jufqu'a la fin.
L'état oîi il a pieu à Dieu de nous
réduire , nousexpofe à une tentation
perpétuelle , qui nous porte forte-
ment à ce grand péché , 6c nous mec
dans un danger vifible de le commet-
tre. Il nous amis dans la néceffité de
nous bannir de nôtre patrie, 6c de nous
priver de toutes les douceui^ , 6c de
tous les avantages que nous y trou-
vions. 11 nous a difpcrfez en divers
en-
I20 Traite^ DES
cndraits,6c il permet que nôtre difpcr-
fion foit accompagnée de prefque tous
les dégoûts , qui fuivent ordinaire-
ment les exils. C'eftce qu'il n'efb pas
necefîaire d'exaggerer. Nous ne le
fentons que trop , & fî l'idée que nous-
nous en faifons n'eft pas jufte,, ce n'efl
pas qu'elle foit trop foible , c'eft qu'el-
le eft trop forte , éc que nous ne Ten-
tons pas allez les douceurs dont ces dé^
goûts font accompagnez.
Qu^ileft naturel dans cette fitua-
tion de regretter ce qu'on a quitté !
Qu'il eft difficile que cela n'arrivé ,
non une fois ou deux , mais trés-
fouvent ; 6c fi je l'ofe dire , à toute
heure! Qu'il faut être tout autre-
ment détaché de la terre, que nous
ne le fommes , qu'il faut avoir un tout
autre fonds de pieté , ôc d'amour pour
Dieu , ôc pour fa vérité que ce qud
nous en avons , pour ne tomber jamais'
dans ce manquement !
Il n'eft aufîî que trop ordinaire de
voir qu'on y tombe. Cependant y
tomber c'eft répondre trés-mal à nô-i
tre devoir. Car prçmiérementil pa-J
"^ roit
I
BONNES OEuVRES. 121
roît par là qu'on a^gi tcmerairement
ôc imprudemment lors qu'on a for-
mé la réfolution de faire la bonne
œuvre qui n fait perdre le bien qu'on
regrette. Il paroît qu'on n'en prévoy-
oit pas toutes les fuites , 6c qu'on
ne fa voit pas à quoi on s'enga-
geoit. Il paroît qu'on n'a pas pratique
Pavis que le Sauveur du monde nous
donne dans fon Evangile : Qf^i efl
celui d'entre vous , qm voulant hajlir
une tour ^ premièrement ne s^ajjeje^ ^
ne calcule les dépens , s'^il a pour la para-
chever ? De peur q^î^ après qutlaurapoféie
fondement , & n'aura peu achever , tous ■
oeux qui le V errent ne commencent afe mO'
quer de Itd , difant cet homme a commencé
de bâtir , &napeti achever . O/^ qui efl le
%oy qui parte pour donner bataille a un au-
tre Roi ^ quipremiérementnes'^ajfeye ^ drne
confiilte , s* il pourra avec dix mille aller ren-
contrer celui qui vient avec virgt mille con-
trelui? Autrement -ce IR^y la étant encore
loin il envoyé une Amhajfade ^ & demande
les moyens de paix, (t^injt d,onc chacun de
iiGUS qui n€ renome a tout ce qu'ail a ne peut
122 Traite* DES
Jtre mon Difiiple. Luc. XIV. 28— 33.
Si on avoit fiiivi exaétcment cette .:
régie , fi avant que d'entreprendre la
bonne a6lion qu'on a faite, on s'étoit.
affis , 6c qu'on eût bien balancé les
deux partis qui fe prefentoient , fi on
en eûtpréveu les inconveniens ôc les
confequences , 6c que nonobftant tout
cela on eût pris determinément la ré-
folution qu'on a formée , on ne s'en
rcpentiroit pas dans la fuite. On ver-
roit qu'il n'arrive rien qu'on n'ait pré-
veu^ ëcméprifé, le regardant com-
me infiniment au delTousde l'avanta-
ge qu'on trouve au parti qu'on a pris. 4
Comme on en juge autrement après
avoir fait l'aélion , il paroît qu'avant j
que de l'entreprendre on n'avoit pas
examiné avec aflez, de maturité 6c
d'application ce qui fe prefentoit à
faire , ôc qu'ainfi on a agi téméraire- \
ment.
Quelqu'un peut-être dira que cette
confequence n'cil pas nécelîàire. Il efl
très poiîible qu'on ait tout préveu ,
lors qu'on a formé la réfolution àont il
s'agit, ëc qu'on ait jugé alors qu'il
' falloir
BONNES OEUVRES. I25
faloit la prendre , mais que prefente-
ment on en juge d'une autre ma-
nière. Dans cette fuppofîtion Fac-
tion aura été bonne , éc ainfî on ne
peut pas dire qu'on ait agi téméraire-
ment.
J'avoue que ceci n'eft pas impoffi-
ble. Je prétends feulement qu'il eft
rare , 6c que le contraire arrive le plus
fouvent. J'ajoute que fila dirpofitioh
oij l'on fe trou voit, lors qu'on a fait,
ou refolu Tadion 5 étoit bonne, celle
on l'on fe trouve lors qu'on a du regret
au bien que l'on a perdu , eil: trés-
mauvaife. Alors on ne balançoit pas
à préférer fon devoir à l'intérêt tem-
porel. Aujourd'hui au contraire on eil
plus fenfible à 'l'intérêt temporel,
qu'à tout ce que le devoir a de plus in-
violable & de plus facré , ce qui fait
voir clairement deux chofe?.
La première qu'on n'eft pas pre-
fentement dans la difpofition , que
Jefus Chrill reprefente comme fiab-
folûment necelîaire , dans les paroles
qui précèdent immédiatement celles
que j'ai rapportées , Si quelqu'un veut
F 2r venir
1 24 T R A I T e' D E s
venir après moi , & ne hait [on père & pi
mère , fa femme &fes enfans ^fes frères d"
fes fœurs , même fa propre ame , il ne peM
ètye mon'T^tfciple. Et quiconque ne char^
ge fur foi pi Croix , ô" ^e vient après moi ,
tl ne peut être mon Difciple. L^uc . XIV.
a6. 27.
Il paroît qu'on ne hait pas le bien
temporel, qu'on regrette , c'efl à di-
re qu'on ne Paime pas moins que Je-
fus Chrift , puis que fi on le faifoit, l'a-
vantage qu'on trouve à s'attacher à Je-
fus Chriil , feroit oublier ce vain inté-
rêt. Il paroît encore qu'on eft précifé-
ment dans la difpofition que Jefus
Chrifl défigne .dans un autre endroit
de Ton Evangile , lors qu'il afTeure que
celui qui met lamain.aia charrue , cr regar»
de en arrière , 'rveflpas bien difpofèpour le Ro-
yaume des deux.
La féconde chofe qui paroît par tout
ce queje viens de dire, c'eft qu'on eft
bien éloigné de remplir un autre de-
voir que l'Evangile prefcrit. Il veut
que nous marchions de force en force , 6c
que chacun de nos progrés foit un
acheminement à un plus grand. C'jeft
ce
BONNES OEuVRES. I^f
ce que j'ai prouvé amplement dans le
troificme Traité de ma Morale abré-
gée. Danslafuppofition que j'exami-
ne on fiiit le contraire. Non feulement
on n'avance pas , maison recule. On
avoit commencé par l'efprit , comme
les Galates , & on finit par la chair. Au
lieu de croître en J . C. on devient pe-
tit , procédé infupportable , & dont
on ne fauroit avon* trop d'horreur.
On dira peut-être que ceci même
n'eil, ni necefiaire, ni perpétuel. On
dira que ces regrets ne vont pas tou-
jours jufqu'à condam^ner Paétion
cju'on a faite , que peut-être la feroit-
on encore aujovird'hui , fi elle étoit à
faire, 6c qu'à tout prendre on efi;bien
aife de l'avoir faite , mais que tout ce-
la n'empêche pas qu'on ne fente les in-
commoditez où l'on s'eft jette.
J'avoue encore une fois que ceci n'efl
pas impofiible.Mais dans cette fuppofi-
îionje dirai que cette fenfibilité qu'on
ne nie pas qu'on n'ait pour les incom-
moditez qui fuivent 1 aâ:ion qu'on a
faite,n'e{]: en rien différente des répug-
nances 5 dontj'ai parlé dans.le chapitre
F 3 pré-
ia6 Traite' des
précèdent, j'ai fait voir au refte que
ces répugnances font infupportablcs,
& gâtent toute la bonté de Padion ,
lors qu'elles durent trop longtemps,
ÔC que l'amour de Dieu ne les itouffe
pas tout incontinent. Mais quand
ell-ce qu'on peut dire avec plus de rai-
fon 6c de fondement qu'elles durent
trop long-temps , que lors qu'elles
fubiiftent, non feulement pendant
tout le temps qu'on met à faire l'ac-
tion , mais encore après que l'a6tion
cfl: faite , quelquefois même des an-
nées entières après l'aéiiion , comme
il arrive dans le cas particulier, où
nous-nous trouvons.?
Je conclus de tout ce que je viens
de dire que lors qu'on a fait quelque
bonne aftion , il faut en avoir de la
joye, 6c que cette joye doit être pure,
parfaite & entière. Il faut s'en félici-
ter foi même , 6c en rendre grâces à.
Dieu , fans faire aucune attention
aux biens temporels , que cette aébion
peut coûter. 11 faut le mettre dans la
difpolition décelai dont Jefus Chrift
parle dans fon Evangile , 6c qui ayant
feut
BONNES OEuVRES. izy
feu qu'il y avoit un trélbr ineflima-
-blc caché ôc enfoui* dans un champ,
a achetté ce champ , & y ayant trou-
vé le tréfor , eft bien éloigné d'avoir
du regret à ce qu'il lui coûte .
C'etoit la difpoiition de S. Paul,
lors qu'il difoit aux Philippicns , Si
i^Helquun s^eftime avoir de quoi fe confier
en U chair ^ fen ai encore davantage ^ moi
qui ai été circoncis le huitième jour , cjmfuis
de la race d'^IJra'el , de la îrihu de Benjamin ,
Hébreu , né des Hébreux , Phartfen de Re»
iigion j quant au z.ele , perfecutant PEgltfe^
cjuant a lajuftice qui efi; en la loi , étant Çans
reproche. ^jM^ais ce qui m étott gain , je l'ai
réputé m"^ être dommage pour P amour de fe-
fks (^hrifi. Afaisje repute toutes chojQs m^é'
tre dommage pour P excellence de la connoif-
fance de fefus Chnfl mon Seigneur ., poàr
r aînour duquel je me Cuis privé de toutes ces
chûfes , ciT les regarde comme de Pord^ure afi,n
q ue je gagne fefus Çhnft. Phil. III. 4. y.
6.7.8.
F 4 CHA-
-•m
Il8 T R A I te' HE s
1% ^y^ m, .->'^;, 6% ^y^ ^^^y^-^f^ ^^ • % # -s •■^î'^ -"% s #
r
CHAPITRE XV.
Huitième condition. T^cs hannes œuvres
doivent être accompagnées de tous, les-
fcntimens d' fine profonde Immihté,
A joye dont i'ai parlé dans les
chapitres precedens, Se que j'ai
dit que nos bonnes œuvres doivent
nous donner , peut bien être aulU vi-
ve, & aulli fenfible que Pon voudra,
pourveu qu'elle foit exempte d'or-
gueil & de vanité. Mais rien ne fau-
roît la rendre plus criminelle , & pour
^' dire quelque chofe de plus fort , rien
ne fauroit rendre nos bonnes œuvres
plus odieufes, ôcplus infupportablcs
à Dieu , que l'orgueil , qui en naît
q^uelquefois, 6c dontelles font le prin-
cipe & le fondemeiit. C'eft ce qui ar-
rive en deux manières , qu'il importe
de ne pas confon dre .
La première a lieu , lors que fans
jctter aucun regard fur les autres , 6c
ne
I^ONNES OEUVRES. lip
ne faifant attention qu'à nous- mêmes ,
nousfomme&contensde nous-mêmes ,
en confequence des bonnes actions
que nous avons faites , nous-ndus en
félicitons , nous-nous en applaudiilbns
en fecret , & trouvons que nous fouî-
mes bien éclairez , bien judicieux ,
bien vertueux , & pour tout dire en
un mot , bienlouables^, & bien dignes
de nôtre eftime , d'avoir fait ce que
nous venons de faire. G'efl-là ce que
l'Ecriture appelle encenferfis -propres
rets, & facrtfier-a feS'filez^, C'éfl; en un
mot s'attribuer la gloire du bien que
l'on fait, 6t faire voir qu'on ignore
deux veritez , que j'efpere de prouver
fortement dC évidemment dans la:
fuite.
La premiére,que nos meilleures œu-
vres ont de grands deffauts, qui font
qu'elles ont befoin detoutlefupport^.
à de toute l'indulgence dé Dieu ^
pour faire qu'elles ne provoquent
pas efficacement fa colère. Car cn^
fin^ii nous étions bien fortement per-
fuadez de cette vérité, ce qu'il y a
de defeâ:ueux dans nos bonnes actions
F 5". auroit.
r^O Tr A I T E* DE 5
auroit bien plus de "force 6c d'efficace
pour nous humilier , ÔC pour nous
confondre , que tout ce qu'il peut y
avoir de bon n'en fauroit avoir pour
nous porter à nous applaudir.
La féconde que ce peu même qu'il
y a de bien dans nos a6tions, ne vient
pas de nous , êc n'eft pas la produftion
de nôtre miferable nature. C'eft un
effet de la grâce , qui, comme le dit
l'Ecriture , produit en nous avec efficace
kl volonté dr PaBion félon fin bon plaijïr.
Cela étant, la veuë de ce bien qui eft en
nous , doit bien nous infpirer de la re-
€onnoilfance pour les bontez de celui
qui l'a opéré en nous , elle doit encore
nous infpirer de la joye par cette confî-
derationque ce fommes nous-mêmes
qui fommes les objets de cette bonté .
mais elle ne doit nullement nous por-
ter à nous eneftimer davantage. Nous
devons toujours nous dire à nousmê-
V^ts^QjfaS'tu^ 0 homme ^ que tun^ajes reçu y
drfitu [^asrecâ pourquoi t^en glorifie tu ^com^
mefttu ne ÏAvoispoint reçu ? Nous devons
imiter l'excellent Apôtre , qui nous a
fourni ces pai'oles ^ôc qui venant de dire
qLu'il
BONNES OEuVRES. l^I
qu'il a travaillé plus que tous , n'a pas
oublié ce corrcélif , Toutefois non pint
moi y mais la grâce de Dieu , qui efi avec
moi.
L'autre manière en laquelle l'or-
gueil corrompt nos bonnes actions,
ell plus ordinaire, & en quelque for-
te plus dangereufe. Elle conlifle à
jetter un regai*d fecret fur les autres
hommes , clans la conduite defquels
on ne remarque pas l'aélion dont on
s'applaudit. On fe dit à foi même , Tel
GT tel n^ en font pas autant. Ils ont les mêmes
moyens ,. les mêmes motifs , Cr les mêmes
occaftons. Cependant ils ne font pas ce que
je fais ^ ce qui revient à peu prés à la
prière du Phariiien , qui difoit à Dieu,,
Seigneur ^ je te rends grâces , de ce que je ne
fuis pas comme lerefie des hommes ^raviffeur^.
injujle^ adultère , ni même comme ce péager,
fe jeune deux fois iHjemaine , ^ paye la dt^
ms detoutce quejepofede.
Voici en efiét une remarque , que
je croi importante , 6c que je ne me
ibuviens pas d'avoir faite dans mon
Traité d.e torgueiL Nous n'avons pas
beaucoup de répugnance à nous abaif-
F 6. fer
1^1 T R A î T E* DES
fer pourveuque nous abaifîions toute
ia terre avec nous. Qu'il s'agifTe du
genre humain en gênerai. Nous en
dirons fans peine tout le mal poflible,
&L nous ne nous foucierons pas mê-
me de nous en excepter. Nous ne
fommcs nullement feniibles fur le
chapitre de tout ce qui nous cft com-
mun avec tous les autres. Qu-on
l^éieve , ou qu'on l'abaiiTe , c'eft ce
qui nous importe fort p$u. C'eft
fur ce que nous avons de particulier
êc de perfonnel que nous fommes
extrêmement délicats. Nous vou^
Ions toujours qu^il y ait quelque dif-
tin6tion à faire de nous aux. autres»
Nous defcendrons auiîî bas que l'on
voudra, pourveu que l'on mette les
autres encore plus bas. C'eft cette
diilinélion qui eft le dernier retran-
chement de l'orgueil , & c'eit fur
quoi il ne peut fouffrir qu'on l'atta-
que.
Cela étant, nous n'aurons- pas beau-
coup de peine à avouer que le bien
que nous faifons eft imparfait , 6c
qu'il vient de Dieu , pourveu que i
d'aal-
BONNES OEuVRES. Î55
d*ai]leurs on nous permette de croire
que nous faifons quelque chofe que
les autres ne font pas , & qu'ainfi il
BOUS eft permis d^'avoir plus d'ellime
& de complaifançe pour nous,, que
pour eux . .
Mais pour forcer Porgueil jufques
dans ce dernier retranchement , il
faut confiderer ce que dit faint Paul y
'jQu'efi-ce qm te difcerûe ^ & qui met de
la- différence entre toi & un autre?
Il faut reconnoître que ce qui nous
diilingue des autres, ne vient pas de
BOUS,' mais de Dieu. Il faut demeu-
rer convaincu que li Dieu eût don-
né les mêmes fecours , internes , ÔC
externes , à ceux qui ne font pas ce que
nous faifons, ils le feroidnt de même
que nous . U ne faut que cela feul pour
anéantir nôtre orgueil , 6c en effet je
ne voi pas quel fondement , quelle
raifon:, quel prétexte même , ii peut
nous reiler après cela pour non s éleven
On peut au refte , appliquer ici
tout ce que je viens de dire des re«.
pugnances qu'on fent en faifant le-
bien , ôc chacun le pouvant faire
de
î54 Tr A I T E^ I>E S
de loi même, je ne m'amuferaipas à
redire fur l'un de cesfujetsce que j'ai
^ d éja d it fu r l'autre ,
J'ajouterai feulement que lors qu'en
faiiant quelque bonne a6lion nous
fentons, foit quelque répugnance ,
foit quelque mouvement de vanité, il
ne faut pas celfer pour cela d'agir. Il
faut feulement combattre ce mouve-
ment intérieur, que nous condam-
nons. C'eil la règle qu'on die que S,.
Bernard avoit accoutumé de fuivre.
Lors qu'en faifant quelque bonne ac-
tion il fentoit en foi-même quelque
chatouillement de vanité , il lui adref-
foit la parole , &C difoit, Tu ne me l'as
pas fait entreprendre , CT tune ri^empêche"
ras pas de P exécuter. Non frfiepi pr opter
te ^ necdeferam pr opter te. Rien ne me
paroît plus judicieux que cette con-
duite, &jefouhaite que chacun en
foile autant lors qu'il fe trouvera, dans
fc même cas,:
CHA-
B-ONNES OEuVRES. î^f
CHAPITRE XVI.
, ,Qjie nos bonnes œuvres font les effets & les
productions de U grâce,
CE font là les conditions les plus,
neceiîàires pour faire que nos,
œuvres foient vraiment bonnes. Ce-
la feul fait voirclairement qu'on n'eri:
ferait faire de telles par les feules for-
j ces de la nature.. Il faut pour cela
i un fecours furnaturel. Il faut que le
S. Efprit nous aififte , 6c que fa grâce
nous fortifie.
I. Car premièrement j'ai fait voir
qu'il eftimpoïîible défaire de bonnes»
œuvres , fi on n'a la foi & la charité..
Mais le moyen d'avoir ces deux ver*
tus fans la grâce ? N'èfi; - ce pas elle,
qui les produit dans nos cœurs ? ne
voyons nous pas que S . Paul prie Dieuj
qu'il lui pkife de rendre les Thefialo-
Biciens dignes de fa vocation , cju'^tl ac^
^om^l^Jfe en eux, tml le bon flatjir de fik
bon^.
1^6 Trait E*^ des
ùorj/j & Pœuvre de la foy pmjfamment
(a). Ne dit-il pas aux Philippiens , (b\
qu'il leur a été donné gratuitement pour^
fefiis (^hrtfi , & de croire & de foujfrir
pur [on nom'l Et pour ce qui regarde
Pamour de Dieu , ne favons nous pas
ce que Moyfe dit à Pancien peuple
{c) U Eternel ton Tiieu circoncira, ton
cœur , & le cœur de ta pcflerité , afin que.
tu aimes t Eternel ton Dieu de tout ton .
cœur y ^ de toute ton ame , & cjue tu vi^
"jes. Ne voyons nous pas que faint
Paul (d) voulant faire Pénumeration
des fruits de PEfprit lîiet la charité^
au premier rang ? Les frmts de PEfi]
prit font la charité^ la joje ^ la paix ^ '&c. '
Ne voyons nous pas que faint Jean
ait expreiîement {e), que Aï chanté efl
de Dteu^ 6c que quiconque avr/te éfl néde
*J^ieu? Ainfi la foi ôc la charité étant
les productions de la grâce, iî eil
évident que cette grâce cil abfolu-
nient neceflaire pour faire de bonnes
ceuvres , puis que les œuvres ne font
jamais
{à) lî.ThefT. I. {l) Fhil.î.sp.
{c) Deut. XXX.6. {d) Gai; V. 2z.
(«. l.J-aa. iV. 7.
BONNES OEuVRES. 157'
jamais bonnes , fi elles ne font faites
avec fci ôc avec chanté.
i II. Mais outre cette preuve indi^
JTefte nous en avons un grand nom-
I bre d'autres , qui font plus dire6les,
èi en même temps convaincantes.
'Car premièrement l'Ecriture nous
dit nettement 6c fans détour , que
nous fommes de nous-mêmes incapa-
bles de faire le bien. Le mauvais ar»
bre , dit Jefus Chriit (a) , ne -peut por-'
ter de bons fruits^ Sans moi^ difoit-ii
ailleurs (h) vous ne pouvez^ rien fdre^
Comment pourriez, vous bien parler étant
méchans, difoit-il aux Pharifiens (c).
Nul ne peut venir a moi fi le l?ere qui 7rP(^
envoyé ne le tire' (d). S.Paul n'eft pas
moins formel fur ce fujet. Il dit {e)
que d^ nous mepnes , nous ne fomm^es pas
^uffifans de penfer feulement une bonne cho^
'e. Il dit (/) que la chair ne fe rend
as fujette a la Loi de Dieu , &. que mef-
me elle ne le peut,
m. Tous
(^). um. vîli 18.
{h) Jean. XV. 4. (0 M2tth.XII.54,.
{d) Jean VI. 44. {i) II. Cor. Uî. j^.
(/) Rom. VUi. 7.
138 T R A I T E* D E s
III. Tous ces padage-s difent nette-
ment àc formellement que l'homme
dans fon état naturel fe trouve réduit ;
à une impuilîance abibluë de faire le;|
bien. On peut y en ajouter plu (leurs |
autres , qui à la vérité font figurez ,
èc métaphoriques , mais qui déiignent
vifîblementlamêmechofe. Ce font
£eux qui nous apprennent que Phom-
me efl aveugle à l'égard des chofes du
Ciel , ôc que fon efprit eft rempli d'é-
paiflès ténèbres , qu'il ell efclave dû
péché Ôc du démon , qu'il efl foible &
impuilTant , qu'il efl malade , & enfia
qu'il efl mort.
On y peut ajouter encore tous ceux;
qui nous reprefentent les opérations
de la grâce comme une illumination^
eomip.e un affranchiffement , comim
une création , comme une viviiica
tion , & comme une vi6loire que Je
fus Chrifl remporte fur nous, fur 1
péché 5 &C fur le Démon , qui s'étoi
rendu maître de nos cœurs. Tout c
la joint enfemble nous donne un
grande idée de la dépravation de nô.
tre nature, 6c nous fait entendre bie
nette-
BONNES OEuVRES. Igç
lettemenc- que pour faire le bien il
lous faut de toute néceiîî té unfecoui*s
"urnaturel , qui nous mette en état de
"aire ce que nous ne ferions jamais de
îous mêmes.
IV . Outre tout cela PEcriture nous
ifTeure pofitivement que la grâce pro-
iuit en nous les bonnes œuvres qu'il
3lOus arrive de faire. Que peut-oa
magîner de plus fort que ce que S.
Paul dit aux Philippiens (^^ que c^efi
Dtea qui -produit en noHS avec efficace' le
vouloir & le parfaire félon fan bon plaifir ?:
Uvous a été donné gratuitement pour Chrift^,
iit ailleurs ce même Apôtre , de
iroire & de foujfrir pour fon norrp. C'eit
pourquoi ce faint homme attribue à
la grâce tout ce qu'il fait de plus é-
clatant. f'^ai travaillé plus que tous ^
iotnefots non point moi , mais la grâce de
Dieu , cjui cfh avec moi. ?e fms crucife_
nvec fefus Chrifl , &vîs , non point mainte-^
nant moi , mais?. Chrift vit en moi. Pou^
voit- il dire d'une manière plus forte
que tout ce que nous faifons de bien eft
un efiet de la grâce , qui le fait en nous?
V. Si
ia) Phii.
140 Traite' des
V. Si nos bonnes œuvres étoieiit
les productions de nôtre nature , iJ
ne faudroit que nous exhorter à Ici
faire , pour nous y porter efficace^
nient; 6c il y auroit quelque chofi
d'abfurde & de ndicule à dcmandei
à Dieu que noU'S les fi liions. Cette
Gonfequence efc neceflaire , & il évi.
dente, que les Payens eux mêmes
Pont apperçuè?. En efiet Ciceroa^
qui ne iavoit ce que c'eft que la gra
ce, difoit (a) que tous les hommes dii
inonde conviennent , qu'il faut bien
demander le bonheur à Dieu, mais
q^ue chacun doit chercher la iageflè,
en foi même, fuducium. hcc omnium
morti^ilium efl , fortunam a Deo petefp*
dam , k fe ipfo fumenâam ejfe fapien»
tiam.
Il eft pourtant vi*ai que les Saints
ont toujours demandé à Dieu , 6€.
pour eux-mêmes, & pour les autres,
la grâce neceiîaire pour faire de bon-;
nés œuvres. C'a été toujours Punj
des principaux articles de leurs prie-'
rjs. Ils ont conçu cette demaixle
cm
(a) Cic.denat.Deor. libjfl
Il BONNES OEUVRES. Î4Î
Mîi des termes extrêmement forts.
i/"oici , par exemple , ce que S . Paul
lit aux Hebreîix (aj. Le Dîen de
, 'aix , cjui ar amené des morts le grand Paf-
\Hr des brebis par le fang de P alliance
àernelle ^favoir notre Seigneur fefm Chrifi^
\wHS rende accomplis ^n toute honne œu-
re , pour faire pivolonte\ faifant en vous
qui lui efl agréable par ^fus Chrifi,
'es dernières paroles ne font- elles pas déci-
ves ? Ce qu'il dit aux Thefialoni -
iens n'ell: pas moins fort. Le Dieu
e paix veuille vous fanBifier entièrement ^
r votre efprit entier , & Pâme & le corps ^
it confervé fans reproche a la venue de
être Seigneur fefus Chr'ifi, I. ThefT.
VI. Si nos œuvres ctoient nos
ropr£S produâ:ions , ce feroit à
ousà les promettre à Dieu, 6c ce
e feroit pas à Dieu à nous les faire ,
fperer. C'eft pourtant ce que nous
oyons qu'il fait. Témoin ces paroles
.'Ezechiel (b}, ^e fer^i qprils n'auront
H un cœur , & mettrai en mx un Efprit
non'
(^) Heb XIII. 20. 21.
{h^ Ezech. XI. i^.io
142. Traite' des
nouveau , &poterai le cœur de fierre hm
de leur chair\ & leur donnerai un cœm
de chair , afin qpPils mar<:hent en mesftatuts,
Çj* c^H ils gardent mes ordonnances , & cjh^H
iesfapnt. Et ailleurs (a), fe mettra,
mon Efprit au dedans de vous ^ & ferai qm
'VOUS martherez^en mes fiatuts ^ 0" que vom
garderez^ mes ordonnances ^ c^ les ferez.,
VII. Si les bonnes œuvres venoieni
uniquement de nous , nous pourrioa*
bien nous en féliciter nous mêmesi
mais il y auroit quelque chofe de ridi-
cule à en rendre grâces à Dieu . Commt
chacun fe procure la venu , diibit Cice-
Ton , il nj a jamais eu de Sage qui en au
rendu grâces a Dieu^, La confequenct
cft neceiîàire , il faut Pavouer , maiî
il faut bien que le principe foit faux.
Car enfin les Saints , plus fages fan:
comparaifon que les Philofophes dii
Pagânifme , ont remercié Dieu ,
6c de leurs bonnes ceuvres , 6c de
celles de leurs prochains, Nou*
devons toujours , difoit S. Paul aux fi-
délies de Thefiiilonique [h) , rendn
grâces a Dieu de vous comme cefi
bien
CO Eze, XXXVI. 17. (^)II.Tiieir.I.3.
BONNES OEUVRES. I43
fien ratfon , M'^autant que votre foi croit
trandemem , '& qtte la chante de chacun de
\'Qusabond.e de Chu envers l'autre. Il dit à
j>eii prés la même chofe aux fidelles
|es autres Eglifes , à qui il écrit , & on
k'a pour s'en afTeurer , qu'à lire les
ipremieres paroles de fes Epîtres. On
jjr verra que cet Apôtre les commence
outes par des aélions de grâces qu il
>refente à Dieu en reconnoiffance de
a grâce qu'il a faite aux fidelles, leur
bnnant le moyen de faire les œuvres,
ont le bruit eft parvenu jufqu'à lui.
Cefentimentmême eft (i commun
lans l'Eglife , que le Fils de Dieu l'at-
ribue à cePharifien, qu'il nous re-
>refente comme un monilre de va-
uté. Seigneur^ lui fait-il dire , j> /^
ends grâces de ce que je ne Cuis ^ as comme
refle des hommes ^ ni même comme ce Péa-
er &c.
VIIÏ . Si nous étions les feuls auteurs
e nos bonnes œuvres , il nous feroit
)ermis de nous en applaudir , 6c de
lous en glorifier. On nous loue a eau-
? de U venu , ^ifoit Ciceron , & nous-
\Qtis en glorifions , ce que nom ne ferions pas
fi
144 ■ T R A I T e' DES
fi c^étoit un don de Die^. Mais comme
l'Ecriture nous le défend , il faut
croire que nos œuvres viennent d'ail-
leurs que de nous. jQjfas^tH, S hom'
me, que tu nayes reçu} Et fi su tas re-
çû ^ fourquoy t'en glorifie tu ^ compte fi th
ne Pavois point reçâ f
I
CHAPITRE XVII.
Que les enfans de Dieu font des ceuvm
qui font véritablement bonnes»
C'Eft là ce qu^il y a de plus né-
celTaire pour faire de bonnes
œuvres. De forte que fi on en fait
de celles qui ne manquent d'aucune
de ces conditions , il n'y a point de
doute qu'on n'en fafle de celles qu'on
peut appeller bonnes , fans s'écarter
de la propre 6c naturelle fignifica'
tion de ce mot. Il eft pourtant vrai
que toutes ces conditions fe trouvent
dans pluiieurs des œuvres des enfans
de Dieu.
Elles.
BONNES OEuvRî:y. 145'
Ellcîî font commandées de Dieu , ëc
conformes dans Jeur fonds , & dans
leurrubftance,àrafainteLoi. 11 nous
a commandé de croire en lui , de le r€-
Yerer , de l'aimer, de Padorer, de
l'invoquer, de lui rendre grâces de
fes bienfaits , de rendre à chacun le
fien, d'afîiiler les povres , d'inftruirc
les ignorans , de confoler les affli-
gez , de protéger ceux qu'on oppri-
me , de fôuiFrir les maux dont il lui
plaît^de nous yiiiter. Et pluiieurs le
font.
Ils font d'ailleurs tout cela en la ma-
nière en laquelle Dieu veut qu'on le
faile. Ils le font volontairement. Ils
le font avec foi $c avec am^our. Ils le
font pour plaire à Dieu , êc pour avan-
cer fa gloire . Qui peut douter après ce-
la que ce ne foient de bonnes a6tions ?
Mais rien ne prouve plus fortement
cette vérité , que l'origine de ces ac-
tions. Nous avons fait voir qu'elles ne
v'ennent pas delà nature, mais de la
grâce. Nous avons prouvé que ce; font
les produél ions 6c les ouvrages du S.
Efprit. Cela feul ne fait-il pas voix que
G ce
146 Traite* des
ce ne font pas des péchez', comme on
nousaccufe de Penfeignerf Car d'un
côté ne feroit-ce pas blafphcmer con-
tre ce glorieux Efprit , que de Pac-
cufer de produire en nous des péchezf
Etde.Pautre fommes nous de telle
façon difpofez qu'il nous faille un fe-
cours furnaturel pour commettre
quelque péché que ce foit?
Nos œuvres font agréables à Dieu.
C'efl ce que PEcriture afîèure en di- '
vers endroits. Il faut donc qu'elles
foient bonnes. Car fi elles ne Pétoient
pas, elles lui déplairoient. Selon le
Prophète , fis jeux fom trop purs pour voir
le mal^ c'eil à dire pour Papprou-|
ver. ^
On dira peut-être que li nos œuvres
lui font agréables , ce n'eft pas par el-
les-mêmes qu'elles le ibnr , mais par
Jefus Chrift , dont le mérite en cou-
vre les imperfe étions. C'efl ce que
je n'ai garde denier. Mais je dis qu'il
y a bien de la difièrence entre cou-
vrir les défauts d'une œuvre imparfai-
tement , mais auffi véritablement bon-
ne , & obtenir le pardon d'une aftion
mauvaifc. Le
BONNES OEuVRES. 147
Le mérite de Jefus Chriil: fait le
■premier de ces deux effets à Pégard
de nos bonnes œuvres , comme nous
le verrons dans la fuite. Mais il ne
fait le fécond qu'à l'égard de nos pé-
chez. Et comme, bien que le méri-
te de Jefus Chrift nous obtienne la
remifîîon de nos péchez, on ne peut
pas dire qu'il rend ces pecîiez agréa-
bles à Dieu , comme l'Ecriture le dit
de nos œuvres , il faut necelîairement
reconnoitre que ces oeuvres , que le
mérite de Jefus Chrift rend agréables
à Dieu., ne doivent pas être des pé-
chez, mais des œuvres véritablement
bonnes , quoi que mêlées de plufieurs
défauts.
Dieu n^approuve pas feulement
nos œuvres. 11 les recompenfè en-
i core magnifiquement. Abraham^ ne
cram pemt , je fuis ton bouclier & ta re»
comfenfe. RejouijfeTi'VOHs , var votre re^
compenfe eft grande dam le Ciel. Un ver*
\ re d'^eau froide ne demeurera fas fans re^
'\ €omfenfe. Ceci arriveroit-il fi toutes
nos bonnes œuvres étoient des pé-
chez ? Recompenfè -t'on les outra-
G % ges?
Ï48 . T R A ï T e' D E s
gesf Et n'efl-ce pas une grande grâ-
ce de les oubliera' n'efl-œ pas là auffl
ce que Dieu promet ?
Nos œuvres font neceflliires , com-
me j'efpere de le faire voir dans la fui-
te . Le feroient-elles, (î elles étoient de
véritables péchez ? Faut - il pécher
pour parvenir aufalut?
Les péchez nous éloignent du Ciel,
6c les bonnes œuvres nous y condui-
fent. Elles font le chemin qui nous
meine au trône , quoi que ce ne foient
pas le fondement du droit que nous y.
avons. Nousenapprocheroient elles,
ii^c'étoient autant d'outrages que l'on
fit à Dieu ?
Nos œuvres glorifient Dieu. C'efl
ce que j'ai juftifié dés le premier cha-
pitre de ce Traité. Elles répandent
de tous cotez la bonne odeur de l'E-
vangile. Elles confondent les enne-
mis de la vérité. Feroient-elles tous
ces effets , fi c'étoient autant de pe-^
chez?
C'eil-là la véritable & confi:ant(
dpftrine de nosEglifes, comme M.'
le Blanc l'a fait voir, 6c par letémoL
ignage
BONNES OEUVRJÎS. 149
, lage de nos meilleurs Ecrivains,
iv par les propres paroles de nos Con-
ieffions de foi. De forte que rien
n'eft plus injufbe , que Pacufation
dont on nous charge , foute nant que
nous croyons 6c enfeignons le con-
traire.
Je fai que pour appuyer cette ac-
cufation, on produit quelques expref-
:ons un peu dures d'un petk nombre
e nos Auteurs. Mais outre que les
excès de quelques particuliej's ne doi-
vent pas être imputez à tout le corps
qui les defavoue , il eil certain que
ces exprefîions mêmes peuvent rece-
voir un bon fens , 6c il paroît d'ail-
leurs que ce fens efl celui qu'il leur
faut donner, cela , dis -je , paroît
par d'autres endroits , où ces mê-
mes Auteurs ont dit fans détour ce
que nous croyons, fa voir que nos œu-
vres foiit bonnes, ôc le font vérita-
blement. -
On dira, peut-être , que quoi qu'il
en foit de nos Théologiens , Efaie
dit formellement le Contraire , foû-
tenant que toutes nos juflices jont comme
■ G 3 un
I JO T R A I T E* D E s
fin drapeau J(. mile . Ef. LXIV. 6. Mais,
il eil aifé de répondre que ce que le
Prophète dit en cet endroit , ne re-
garde , ni tous les hommes , ni me-.
me tous les pécheurs , mais feulement
les Juifs de fon temps. G^efl une
humble confefîion qu^il fait à Dieu
de Pétat dépljorable de l'ancienne E-
glife ^ 6c des péchez par lefquels elle'
av.oit attiré fur elle cet êpouventable
fléau ^ qui Paccabla ' quelque temps»'
après , je yeux.dii'e la captivité de Ba*
byione;
Ce il ce qui paroît clairement fi
Pon confidere l'endroit dans toute fon-
étendue. Le voici* Nous fommes. tous
devenus comme une chofe fonillée ^ (fr ton-
tes nos juiftices font comme U drapeau fomU
téj nou^s, [vînmes- tous décheus comme les
feuilles.^ C^nos in^mtez^ nous ont tranfpor^.
Uz. comme le vent. Et il n''j- oi personne qui^
reclame ton nom^ cjui Ce réveille pour fe te*
nir ferme a toi,, Cefl pourquoi tu as ca^
ché ta face arrière à.e nous , (3" nous as faits
fondre par la for ce de nosini^uitez.,
Qni ne voit qu'il s'agit là , non de
t-ous ics juftes qui ont jamais été , &
qui
BONNES OEuVRES» I5I
qui feront jamais dans le mondé, non
même des juftes d'alors , mais des
pécheurs feulsf Encore n'eil-ce pas
tout. Qui ne voit qu'il s'agit de ces
fe-uls pécheurs, qui dans ce temps-là
vivoient dans la communion exté-
rieure de l'Eglife/' En effet pourroit-
on dire des juftes, qu'ils ne recla-
moient pas le nom du Seigneur , ôc
qu'ils ne s'excitoient pas pour tenir
ferme devant lui? Quels juftes au-
roient-ils été, fi on eût peu leur faire
de tels reproches ? Ceci donc ne re-
garde pas les gens de bien ; mais les
impies , 6c les reprouvez , qui faifoient
par tout le grand nombre. C'eft ce
que Calvin reconnoît dans fon Com-
mentaire fur Ge4)affage»
O A- C Al A»
1 5i T R A 1 T e' D E s
CHAPITRE XVIIL
Que les. œuvres des enfans de Die-u ne font-
bonnes qHi?r/farfaiter/^€nt,
E que je viens de dire fait afTez
voir que les œuvres des enfans
de Dieu ont une véritable bonté.
Mais il faut bien fe garder de s'im?.*
f^iner que cette bonté foit une bonté
parfaite & achevée. Elle a fes dé-
fauts & fes manquemens, qui font
que ks plus excellentes de ces œu-^
vr^s ont befoin du fùpport & de la
mifericorde de Dieu , 6c font hors
d'état de foûtenir l'examen de ^fa fe-
vere jufiice ^ fuivant cette parole cé-
lèbre de S.. Auguilin , C^tdheur a U
vie des hommes^ quelque louable , qu elle
fmfeêtre^JtDtpiU regarde fins miféri^
corde.
Je fai que ces œuvres font bonnes
dans leur fond & dans leur fubftance^
étant toutes commandées de Dieu , 8c.
é.tan.t:
p
BONNES OEUVRES. îf^
I étant en cela même conformes à fa
■:. iainte loi, la règle parfaite de la julli-
I ce. Je fai encore qu'elles font bonnes
I dans la forme & dans la manière, é-
tant accompagnées des conditions ,
qui leur font les plus necejGTaires. Je
fai enfin qu'on les fait par de bons
principes , étant faites avec foi , & par
un mouvement d'amour pour Dieu ,
par un véritable defir de lui plaire.
Mais je fai auffi que ces principes in-
ternes de nos actions ne font pas tels
qu'ils devroient être
Nôtre foi eft toujours foible ,^6c
beaucoup moins feriirc, qu'il ne feroit
juile qu'elle fût. C'eft pourquoi les
Saints ont toujours demandé à Dieii
qu'il lui plût de la fortifier & de Pi^jt
fermir. Témoin la prière des Apôtres^
Seiçne^r augmente nous la foi , ôc celle
du Père de Tenfant lunatique , fecroi^.
Seigneur^ mais fkkvien a .mon incréduli-
té. De là vient que faint Paul après
avoir rendu témoignage à la foi. des
Ephefiens , ne laiile pas de de-
mander à Dieu en leur faveur
lîËfprit de fagcile & de révélation,^
G 5 favoir.
if^ Traite^ i>e s
lâvoir 5, ajoute- t-il , les yeux de leur
entendement illuminez , afin qu'ils
fiicbent quelle eft Pefpérance de leur
vacation, 6c quelles font les richefîes
de la gloire de leur héritage.
Je disla mêmechofede Pamaur de
Dieu, qui: eft un principe plus pro-
chain & plus immédiat de nos œuvres
que la foi même. Cet amour n'a ja^
mais la ferveur 6c la véhémence qu'il
devroit avoir. Jamais nous n'aimons
Dieir de tout nôtre cœur, de tou-
te nôtre ame , 6c de toute nôtre
penfée. Jamais nous n'aimons Dieu-
avec les mêmes tranfports 6c la mêma
ardeur , avec laquelle les amBitieux:
foûpirent après les vaines grandeurs
du monde ^ les avares après leurs rir
chefles , les volupteux après les plai-
firs.
Fer forme ^ di t S . Auguft i n dans fa 29 1
Lettre à S. Jérôme, perjome- na fen-^
dant cette vie ^ cette charitd pleine ^ para-
fait e , <^pti ne pefit pins être am ment de. Que
fi sUe peut être auçmentéje , ce qui lui man-^
(jue de ce cju^elle devroit avoir ^ fait un dé-
faut 5 ^ ce défaut fait qu'il nj a point de
h
BONNES GEUVRES. ÏJf
, jafiefHr la terre , ^Htfajfe du bien , & '^ui ne
pèche. Ce défaut fait que nul vivant ne
\ fera jujlifié en prefence de Dieu. Ce dt^
faut fait que f- nous difons que nom n^ avons
point de péché , mus-nom trompons nouS"
mêmes ^ & la vérité n^efl pas en nous. Cefh
\\ pourquoi auffi quelques progrés que nous
puiffions faire ^ nous devons dure ^ Seigneur ^
I pardonne nous nos péchez.. Et dans un
autre endroit. On pèche , & lors qu'ion
n'a point de charité , 0" lors qu'on n'en a,
pas autant quilfaudroit , foit quon puiffe
éviter ceci , foit qtî^on ne le puiffe. De per~
fcft.juftit.refp. if.
Mais cette vérité eft fi évidente
<|u'il ne faudroit que s'oblerver ^vec
tant foit peu de foin 5 6c que prendre
garde à ce qui fe pafîe au dedans de
nous 5 pour en demeurer convaincu.
On ne fait jamais une œuvre , qui ait
quelque beauté , 6c confèquemment
quelque difficulté particulière , fans
être obligé à vaincre des répugnances
que la chair y oppofe , 6c qu^elle foû-
îéve au fond de nos cœurs. Quels
combats , pur exemple, ne faut -il
pas foûtenir contre les foiblelfes de
G 6 la
I fô T R A I T E^ D E s
la nature, lors qu'on efl appelle , (bib
il abandonner tout fon bien pour la:
profefiion de la vérité, {bit à fceller.
cette vérité par le martyre ? Je fai
^ qu'on en vient à bout. Mais je fai auf-
û qu'il en coûte cher à la nature , ëc
qu'on ne remporte cette viétoire qu'a*
prés de rudes combats , qui font que
l'aétion n'eil: pas. à beaucoup prés^
auffi belle qu'elle feroit ,. ii l'efprit-
étoit tellement maître de la chair ^
qu'il- ne trouvât point de refîilance.
qu'il lui falût vaincre.
Les diftraélions qui~ nous arrivent:
dans nos prières , dans l'ouie 6c la
lecture de la parole de Dieu , prou-
vent encore la même chofe. Les
plus faints- n'en font pas exempts V
5c il' n'y a perfanne qui ne s'en plai-
gne.. Peut-on cependant nier que
cela n'altère & ne diminue confide-
rablement la, bonté de nos actions?
Je dis lame me chofe de certains mou-
vemens de vanité , dont on fe fent
cbùtouillcr loi*s qu'on fait quelque
îtclion. d'éclat, 6c qui a quelque cho-
fe
B0NNES OEuVRES. l:^=f
jE d^'extraoïxlinairc. On, les réprime j
©nies étouffe, je Pavoiië. Mais on.
ne les étouffe qu'après qu'ils fe fons
formez , 6c qu'ils ont par confcquent
fali l'aétion qui en eille fujet.
La raifon. de tout ceci c'eft que-
lors que la grâce nous régénère , elle
ne détruit pas tout à fait ce principe
de corruption qu'elle trouve en
nous. Elle fe contente de le morti-
fier, ôc de l'affoiblir , jufqu'à ce qu'il
foit anéanti par la mort.. ILfubfifte
toujours dans les plus faintsjufqu'aux
derniers. momens de la vie, 6c s'op-
pofe de toute fa force à tout ce que
nous pouvons faire de meilleiu*.. C'eft
là ce combat de la chair contre l'ef-
prit, dont parle faint Paul Gai. V,
17. Z.^ c/?/i/r , dit - il , convoite contre
Pejprît ^ &Pefprit contre la chair ^ ér ces.
ohofes font oppoÇées-Pune a^ ï autre ^tellement y.
ajbûte-t-iL,, qtie vous ne. faites ^as ce que
■vous voudriez^.
De là vient que nos meilleures-
©euvres reçoivent. Pimprelîion de ce,'
double, principe , & que ce que ki
grâce:
m
îv^S TT R A I T e' D E s
grâce y met de bien efl afïbibli, &
©ffufqué parla chair. De là vient en-,
€ore que nos meilleures œuvres ont
Befoin que le mérite de Jefus Chrift
en couvre les imperfèftions.- Etc'clt
là aufli ce que S. Pierre nous fait clai-
rement entendre , lors qxiHl afleure
que les facrifices fpii'i tuels que nous
offrons à Dieu , lui font agréables par
Jefus Chnil. Ils le feroientpai* eux-
mêmes , s'ils n'avoient point de dé-
fauts-. Mais iljkut bien qu'ils en
aient ,, puis^ que nous avons befoin
du mérite de ce grand Sauveur pour
ies rendre agréables à fon Père 5. à
qui nous les prefentons».
CHLfl--
BOÎ^NES OEUVREÎ. tf^
CHAPITILE XIX.
Comment ilfe ^eutcfuemsaSiions efïantim^
parfaites j elles (aient, verital?!^
ment bonnes,
E conclus de tout ce que je viens
de dire que nos œuvres font bon-
nes5& vraimenrbonneSjSt qu'avec
cela neantmoins elles ne lâiflènt pas;
d'avoir di:s défauts . Mais^ dit - on ^^
la'eft-ce pas là une véritable contra-
diftion? Car n'eil-il pas vra qu'il y
a cette différence entre le bien, et le
mal , qu'un feul défaut: fuffit pour/
faire le mal, 6t que plufieurs perfec->
tions ne fuffifent pas pour faire le bien,.^
lors qu'il yen manque une feule quic
étoit neceflaire ? Sofmm ex intégra cau^^
sa 5 maltim excjuoms defeBu , dit-on or-
dinairement. Si donc aos œuvres on^-
un feul défaut, ce feront de vérita-
bles péchez, & à plus forte raifoixfii
eUeaeaont plufieurs-
Ï^O T R A I T E 0E S
D'ailleurs, dans cette fuppofitiodi
quelle diflerence y aura-t-il entre lei
; àftions des enfansde Dieu, êc celles"^
de plufieurs pécheurs. Celles -cr.
Ibnt bonnes dans leur fubflance , ôr.|
ne font mauvaifesque dans la maniera;- .
Si celles des enfans de Dieu ont le.
même défaut, d'où vient que Dieu
accepte les unes , & rejette les au--
ti*es? Un tel procédé n^efl-il pas.
direâiement oppofé à ce que dit TA- -
pôtre-fâint Pierre f Enveïitéfapferçou,
CjUe.jyieu n^ a, -point d'égard a ^apparence-
des perfonnei^ mais qu'en toute ^nation, cC'-
lui qui le eraim , dr s"^ adonne a la ju(li~
ce ,. lui efi agréable, A<3:. X. verfet
Ces deux objeétions paroiflent prei-
fentes , mais nos Doéleurs y ont ré-
pondu.fort folidemcnt. Ils ont re-
marqTî-é que nos aébions peuvent a-
voir deux divers ordres de défauts ,
les uns qu'on peut nommer eile-ntiels,
les autres accidentels.. Je mets au
premier rang Pabience de quelqu'u-
ne des conditions, que j'aiindiquées
dans les chapitres précedens. De cet-
BONNES OEuVRES. î6ï
manière une a6tion efl dcfc61:ueu=
i j, lors qu'elle n'eft point comman-
dée, ou que l'étant elle n'eft pas vo-
lontaire , ou qu'étant commandée 6c
volontaire on ne la rapporte pas à Dieu
comme à fa dernière fin, lors que la
foi ôc la charité ne portent pas à
la faire.
Les défauts accidentels font ceux ,
uiconfiftent dans l'imperfection de
ces mouvemens intérieurs, qui font
leur bonté. Par exemple, lors que la
i foi n'eft pas aiTez ferme , ni la charité
affez fervente. Cela fait , non une im-
I perfeéîrion d'eftence , mais uneimper-
\ feébion de degrez , 6c par confequent
une imperfeétion accidentelle.
Les défauts du premier ordre ren-
dent mauvaife l'aâion où ils fe trou-
vent :^ Et c'eft ce qu'on voit dans les
actions des pécheurs , que la grâce n'a
pas encore régénérez. Elles man-
quent toujours de quelque condition»
eÛentiellement neceffaire , tel qu'eft;
en particulier le rapport de l'ac-
tion à Dieu comme à fa dernière fin..
Ce défàu^t étant eftentiel ^ il fais
qug;
I 6l T R A I T e' D E s
que Paétion n'efl nullement bonne.,
ou nel'eft du moins qu'en apparence»
Mais les défauts du fécond ordre ne
font pas le même effet. Ils font bien-
que Paftion n'efl bonne qu'imparfai-
tement, mais ils ne font pas qu'elle
foitmauvaifè.
Il y a donc bien de la différence en-
tre les aâiions de Dieu , &: celles des
pécheurs. Celles des derniers ont de» .
défauts effentiels , ôc par confequent
font de véritables péchez. Celles des-
premiers n'ont que des défauts acci^
dentels , 6c par confequent ne laiffent
pas d'être bonnes. Ainfî il n'eft pas
étonnant que Dieu rejette tes unes ôc
accepte les autres.
Un Scholaflique moderne , & fort
cftimé dans la communion Romaine ,
nommé Vincent Contenfon, va beau-
coup plus loin. Il foûtient qu'une
aétion peut être bonne , étant faite par
deux motifs , l'un bon , 6c l'autre
mauvais. Voici l'exemple qu'il en
donne. Un homme va à PEglife
pour y faire fes dévotions. Il trou-
ve à la. porte un povre qui lui deman-
de
BONNES OEuVRES. 165
de Paumône. IleftaiTez charitable
pour la lui donner. Mais peut-être
ne ladonneroit-il pas fl promptement,.
ou fl largement, fi perfonne ne 1ère-
gardoit. II Mt qu'il eil veu de plu-
fieurs, qui prennent garde à cequ^il
fera. Ainfî la vanité fè joint à la cha-
nté, & fait qu'il s'em p relie à donner^
èc donne même plus abondamment
qu'il ne fèroit ians cela. Par confé-
quentla charité & la vanité s'uniiTent:
enfemble pour porter cet homme à
don ne r l'aumô ne .
Le cas eft , non Êulement poflible^
mais très ordinaire. Toute laqiief-
tion fë réduit à fa voir fi une telle au^
mône doit pafièr pour une bonne œu-
vre, ou pour un péché. Côntenfon
foûtient qu'elle eft l'un 6c Pautre,
Il paiTe même jufqu'à foutenir que
s'il en étoit autrement à peine les plus,
feints feroient-ils de bonnes œuvres,,
n'y en ayant prefque aucune, dont
quelque défaut femblable n'altère la
pureté. Voici fcs paroles. %atiokpf-
uriori efi.^ (jmajkpe ^ & fere femper ^ con^
iingit a^ hj bonos fipervememis finis , vd^
l6.'^ T R A î T e' D EJ s
6trc'4nftanîiarum malhia , veluti terrent
halttti ohnuhJUri : cum enim nullus fé^-
r.e fit atitis bonus in viris etiam -fanEii^
qnmtumvis vigilantihm , cm tn hac ^'/-
ta non- défit t^ltqua circumftantia ; vel non.
admifi:eàîHr altqua mala , licet levis , fe-
c^ueretHr mdlum d^ri aU^Pim meritorium ,.'
fi qUavu circundantia 'veniah in aBum
quemlibet heroicum urepente , tota bonttas^
extingnatur s merituryu emm foli innixum
efi bonitdti ,. qnâ ajfumptâ omnis ope'
vum fruBus perdatur necefje efi. Confie^
qmns dutem efi valde durptm , irm & Ta*
trum dolhintz , es fi^avi , & fi>Uto fitm»
miProviforis modo agendirepugnans. Et
enim Itcet SanBi fat^antUr omnes jufiitias
Çnas efie tanquam pannum menfi-ruat^ ,
ideoque fie fiervQS inutiles pY(zdiçent\ non ta*
men defpond.ent dnimum , nec corde ca^
âunt ^ fied boms operibus incejfanter infif-^
tunt , fiientes quod Deus , qui fcrMatnr
renés , c^ cord,a, feparabit pretiofiûm a vi-^
U. c^c. Cont. Theol. mentis &- cordis
Ub. KL Dijf. 2. cap. i.fpec. 2.
I
Il attribue le même fentiment à
Cajetan , ôc à un Dominicain Efpa-
gnol.
BONNES OEuVRES, l6y
gnol , fort eilimé dans fon ordre ,
nommé Jean de faint Thomas. Les
raifons qu^il en donne dans la fuite
me paroilfent un peu ab lirai tes.
Mais en voici de plus- aifées à com-
prendre , 6c de plus proportion-
nées à la capacité de toute forte d'ef-
prits. -
Premièrement , on ne peut douter
<que Dieu n'ait diverfes fois recom-
penfé de cette forte d'actions. L'e-
xemple jlcs Sages-femmes d'Egypte,
ÔC celui de Rahab , le font voir avec
■évidence. Elles firent de bonnes ac-
tions , les premières en épargnant les
enfans des Ifraëlites, 6c la féconde
en cachant leurs Efpions. Mais el-
les fouillèrent k bonté de leurs ac-
tions par des menfonges. Et Dieu
nonobftant ces menfonges recompen-
fa leurs aétions. Ne peut-on pas en
conclure qu'il y avoit quelque cho-
fe de bon dans ces aétions ? Car enfin
eft-il concevable que Dieu ait recom-
penfé des péchez?
On dira peut être que cette raifon n'efb
pas bonne , puis que|felon S . Auguftin
a66 T R A I T e' D ES
Dieu recompenfa les vertus moralcfj
des anciens Romains en Icurdonnanél
l'Empire de l'Univers , quoi que fe«J
Ion ce iPere ces vertus ne fuflent qu(
des péchez éclatans , fplendida feccata^
Je réponds que je ne fau rois admettre
cette penfée de S. Augullin. Il y/
avoit tant d'injuftice , tant d'ambi-
tion , tant d'orgueil , dans ces vertus
Romaines, que je ne puis me per--
fuader que Dieu les ait recompenfées, ^
D'ailleurs la recompenfe ne me pa- '
roît pas digne de Dieu. Les Ro-
mains ne fe rendirent les maîtres du.
inonde que par leurs victoires, & ils
remportèrent ces viétoires par tant
d'aâions de violence , d'injullice , 6c
de cruauté, que je ne puis me refou-
dre à les regarder comme des bene-
diftions de Dieu,. Elles me paroifTent
plutôt des effets redoutables de fa co-
lère. Ainfî ma raifon fubfifte , &
6c cette objeftion ne l'affbiblit point.
II. Je ne croi pas qu'on me nie que.
toute action infpirée en partie par la
charité , ne foit , au moins à cet égard,
l'effet delagrace, & que le S. EQ^rit
• ne
BONNES OEuvRES. \6'J
nefoitle véritable Auteur de toute la
part que la charité y peut avoir. Et
en effet d'oii eft-ce que cette, charité,
foit aétuelle, foit habituelle , pour-
roit venir que de la grâce ? êc ii fans
la grâce on pou voit agir en partie par
charité, en partie par vanité , pour-
quoi fans cette même grâce ne pour-
ri roit-on pas agir uniquement par la
|charité? Que li le S. Efprit a quelque
[part dans cette aétion, qui peut dou-
jter qu'elle ne foit bonne , au moins
(en partie? Car enfin ne feroit-ce pas un
[blafphémeque de dire qu'il cfl TAu-
rteur d'un péché?
f IIL L'aumône , dont il s'agit , eft
compofée de trois aétes. Il y a pre-
j mierement un mouvement de chari-
\ té. Il y a en deuxième lieu un cha-
touillement de vanité, Il y a enfin
une aébion externe & fenfible . Il n'efi;
pas impofîîble que ces trois acl:es foient
diftinàs , 6c feparez Pun de l'autre ,
quoi qu'ils fe fuiventde prés« Il eft
très pofiible qu'on refolve d'abord
[par un principe de charité de donner
' Paumône^ qu'en fuite la vanité s'y
mêle.
•î63 Traita' D^ s
mêle , & qu'enfin on la donne en ver-
m, 6c par la force de ces deux a6tes.
Il eft même croyable que c'eft-là ce
qui arrive ordinairement. Cepen-
dant ceci pofé il n'y a point de doute
que le premier acte ne foit bon , ôc'
toute la difficulté fe réduit au troifié-
me. Mais comme les a6tes externes
n'ont d'eux mêmes aucune bonté , ni
aucune malice morale , & que c'eft
-proprement dans les internes que cet-
te bonté ÔC cette malice refident , c'eft
fort improprement qu'on appelle les
externes bons ou mauvais. Ainfiàcet
égard la queftion fe réduit â tres-peu
de chofe, Ôc n'eft peut-être' qu'une
pure queftion de mots.
Tout cela fait que le» fentiment de
Cpntenfon me paroît allez probable/
C'eft tout ce que j'en puis dire , ôc je
n'ai garde (Je le donner pour certain.
GHA-L
I
BONNES OEuVRE*. l6^
CHAPITRE XX.
*D'^o^ vient que nos bonnes œtivres font Im^
parfaites.
TOut ce qne je viens de dii-efalt
voir que nos bonnes œuvres ne
font jamais fans quelque défaut. Mais,
dira- 1- on , d'où cela vient-il ? Il n'y a
point de doute que la véritable fource
■de ce défordre ne foit la dépravation
de la nature, à laquelle la gracq ne*
remédie qu'imparfaitement. Elle ne
détruit pas abfolument cette chair ,
ce principe de mal , que nous avons
porté en venant au monde. Elle fc
contente de PafToiblir. Gomme d'ail-
''leurs il fe mêle dans toutes nos ac-
tions , il n'eft pas étrange qu'elles
foient fi defeârueufes.
Mais, dira-t-on , d'oii vient que
la grâce ne détruit pas abfolumentce
principe de corruption ôc de défor-
dre? Il y a bien des Théologiens qui
H fou-
I 70 T R A I T e' D E s
foûtiennent que Dieu ne trouve pas à
propos de le faire , parce qu'il veut
nous tenir en exercice d'humilité , n'y
ayant rien de plus mortifiant pour
nous que de voir que quelques ef-
forts que nous puiffions faire, il ne
nous arrive jamais de faire rien d'a-
chevé.
Mais il efl étonnant que d'habiles
gens aient pu fe payer d'une penfée,
fi faufTe , ôe fi je l'ofe dire , fi abfur-
de. Car comme nôtre corruption
n'a rien de plus criminel que l'or-
gueil , ni la fainteté quoi que ce foit
de plusefientiel que l'humilité, dire
que Di(:u laifleftibfifter nôtre corrup-
tion pour nous humilier , c'efb dire
qu'il laifie fubfiflier nôtre orgueil afin
de nous rendre plus humbles, ce qui
eft vifiblement ridicule. En effet fi
nous étions parfaitement faints , nous
ferions parfaitement humbles, 6c nous
n'aurions aucun befoin de cet étrange
fecours pour triompher de l'orgueil.
Je ne faurois donc admettre cette
raifon , êc je trouve quelque chofe de
bien plus plaufible dans les fui vantes.
L Cha-
BONNES OEUVRES. 171
I. Chacun peut remarquer fans peine
que la maxime la plus confiante de la
SagefTe infinie , c^eft de ne faire jamais
paffer les fujets d'une extrémité à l'au-
tre, que par un milieu, oîielle les re-
tient pendant quelque temps. On le
voit dans la nature . On pafle par Pen-
fance , par Padolefcençe , par la jeu-
neffe , avant que de venir à l'âge vi-
ril. Un arbre ne fc forme pas en un
jour. Ce n'eft d'abord qu'un grain de
femence. Quelque temps après ce
grain pouffé un germe. Ce germe
croît ëc fe fortifie par des progrés in-
fenfibles , & il faut bien des années^
avant que ce foit un grand arbre. Le
' crepufcule joint enfemble la nuit 6c
le jour. On peut remarquer la même
chofe dans toutes les Economies delà
grâce. Pourquoi trouveroit-on étran-
ge qu'on le voie dans la faintetéi'N'efl-
il pas naturel qu'on ne paffe des ordu-
res du péché régnant à la parfaite fanc-
tification , que nous efperons de pof-
feder un jour dans le Ciel, qu'on n'y*
' paffe , dis -je , qu'en parcourant tous
les degrez d'une fainteté imparfaite &
defedueufe, Hz II.
i72r Traite' des
II. La régie de S. Paul me paroît
trés-]ufte & trés-raifonnable. "^{^1 ne
fera couronné^ , s'il n*a légitimement com'
battu. Il eft jufle que nous luttions con-
tre nos imperfcéiions , avant que de
pofleder Thonneur du .triomphe. Si
d'abord après nôtre converfion nôtre
iâinteté étoit parfaite' & accomplie,
nôtre état feroit un état de paix 6c de
calme. Mais n'eft-il pas ju fie d'a-
cheter en quelque façon les dou-
ceurs de cette paix par les fatigues &
par les efforts du combat ? Ne faut-.
il pas que la guerre précède la victoi-
re, 6c la V ivoire le triomphe.^ ;
III. J'ai de la peine à me perfuader
que s'il y avoit quelque homme par-
fait fur la terre , Dieu l'y laifiat un
moment. Il cueilliroit d'abord ce
frui^, qui feroit parvenu à une telle
maturité. Et en effet, une terre rem-
plie de tant de défordres , où l'igno-
rance, l'erreur, & le vice dominent
avec tant d'empire , eft-.elle un
fcjour ciigne d'un homme , dont
la fainteté n'eût point de défaut ?
C'eft-ce qu'il eft makifé de s'imagi-
ner.
BONNES OEuVRES. I75
ner. Comme donc le monde ne pou-
voit fe pafler de fainteté , &C qu'il n'en
pou voit avoir de parfaite , il étoit de
la bonté de Dieu de lui en donner une
qui eût des imperfeétions .
IV. ^ Rien nefiiit voir plus évidem-
ment le néant de la créature , que cette
irnperfe6tion de nos bonnes œuvres.
Comiig^nt feroit - il polTible de s'en
convaincre plus fortement , qu'en
confiderant que même avec le fecours
d'une grâce furnaturelle , nous ne
pouvons, ni nous empêcher de com-
mettre divers péchez 5 ni faire des œu-
vres qui foient fans défaut f Comme
donc il étoit bon pour la gloire de
Dieu que la foiblefTe de l'homme pa-
rût, iln'eft nullement étonnant qu'il
ait permis cet eÔet, qui fert au moins
à ce grand ufage.
V. J'ajoute que rien ne met dans
un plus grand jour toute l'étendue de
labonté^ de lamifericordedeDieu.
Ne faut-il pas qu'elle foit immenfe 6c
inépuifable , puis que non feulement
il fupporte de telles imperfeétions
dans fes chers enfans, mais encore
H 5 que
174 Traite- des
.que nonobilant ces imperfe<?l:ions , it
les couronne de toute la félicité de fbiit
Ciel ? Ainfi la gloire de Dieu étant la^
dernière fin de toutes chôfes, cesim-
perfeébions , qui lui donnent tant de
relief , ne doivent en aucune façoa
nous furp rendre.
Je ne prétends pas au refte que ces^
raifons foient précifement celles qui
:Ont déterminé la fagefle éternelle a ce
qu'elle a fait. Je fuis très éloigné d'u-
ne penfée fi préfomptueufe. Mon
dcffciiî eft de faire voir qu'à ne juger
.de cette conduite de Dieu que par des
yeuës purement humaines , on la trou-
vera pleine de fagefiTe , & digne de lui »
ce qui n'empêche nullement qu'il
n'ait eu de tout autres raifons , incom«
jpàrablement plus grandes & plus fu-
blimes ^ que toutes celles que nous
pouvons découvrir, pour faire ce qu'il
a fait.
CHA«
BONNES OEUVRIES. . IJ^
Oiâdi
CHAPITRE XXI.
Si les bonnes œuvres fon t necejfatres . Qu'el-
les le fint au moins de cette elpecedene^
cejfité ^ qu'ion appelle communément de
précepte.
LA quelllon qui fait la matière de
ce chapitre , 6c des deux fuivans,
eft de la dernière importance. On de-
mande il les bonnes œuvres font ne-
eefTaires. Il y a quelques Théolo-
giens Proteflans , tant Luthériens,
qne Reformez , à qui cette neceffité
a. fait peur. Ils ont cmint que fi une
fois elle étoit reçue , on en conclût
'dans la fuite que les bonnes œuvres
font méritoires , ce qu'ils regardoient
avec raifon comme un écueil qu'on
doit éviter. C'eil pourquoi ils ont
creu qu'on doit fe garder d'attribuer
de la nécelîité a nos bonnes œuvres.
Mais en premier lieu il eft certain
que la crainte qui les a retenus n'a au-
H 4 cun
iy6 Traite' DBS
cun fondement. Il n'y a point de
confequence à tirer de la neceîîité au
mérite , 6c il y a dans le monde , &z
dans la Religion une infinité de cho-
fes ,^ qui pafTejit pour ablblument né-
ccllaires , 6c que perfonnene re-
garde comme méritoires .11 n'y a point
d'emploi , ni de dignité, civile, ou
Ecckfiaflique, qu'on puilîé obtenir
fans avoir, ou un certain âge, ou une
certaine naiflance , ou de certaines
qualitez. Perfonne pourtant ne dira
que , ni cet âge , ni cette naiflance ,
ni ces qualitez, méritent ces emplois
6ccesdignite2.
Mais n'allons pas fî loin. Ceux-là
mêmes qui ne peuvent fouffrir qu'on
dife que les bonnes œuvres font necef-
faires , ne laiffent pas de dire que la
foi i'efl. Ils ne croyent pourtant pas
que la foi mxrite ce qu'elle obtient.
Perfonne même ne le croît, 6c l'E-
glife Romaine en particulier ,/ qui
comme chacun fait garde fi peu de
mefures fur cette matière, ne croit
pas que la foi mérite ce que Dieu lui
accorde , comme on le verra dans la
fuite c ^ Il
BONNES OEUVRES, lyj
Il n'y a donc point de coniequence
à tirer de la neceiîité au mérite , ni
dans les principes de PEglife Romai-
ne, ni dans les nôtres, & j'ajoute qu'il
a de l'imprudence à foùtenir le con-
traire . Car fi cela paflbit une fois pour
conllant, ilferoit extrêmement diffi-
cile d'empêcher la plupart du moi'i-
de de croire que les bonnes œuvres
font méritoires , puifqu'il efl lî cer-
tain qu'elles font ce que toute la terre
entend par le terme de necelîaires .Voi-
ci enefîetleraifonnement qu'on fera.
Vous reconnoiffez qu'on ne peut
nier que, les bonnes œuvres ne meri»
rent le Ciel , s'il efl: vrai qu'elles foient
necefîàires pour le pofleder. Orell-il
qu'elles font ncceiîliires pour cet effet.
Donc ellesibnt méritoires. Rienn'efl
plus aifé que de prouver la mineure ,
pourveu qu'on la prenne au fens au^
qtiei toute -la terre entend cette façon
de parler comme on le verra dans la
fuite. Ainfi la confequencc paiTera
pour incontcflable.
On aura beau après, cela chicaner fiir
ie fensdu mot. L.'ufige conilant qu'il
- H 5 ' a dans
1 78 T R A î te' de s
a daiîs îe langage de tous les hommes
prévaudra fans peine fur tout ce que
Pon pourra dire , 6c empêchera que
ceci ne fafîe aucune impreffion fdr l'ef-
prit. Voilà ce qu'on gagne à vouloir
trop fuir une erreur. ' On y retombe
à force- de tâcher de s'en éloigner , ôc
on l'affermit en ne fe prenant pas com-
me il faut àfàire ce qu'on peut pour la
ruiner. .
Il y a encore un aîitre danger, au-
quel on s'expofe par là. En effet, s'il
paffoit une fois pour certain que les
bonnes œuvres ne font pas neceffaires,
il n'y auroit rien de plus naturel que
d'en conclure qu'on peut en négliger
la pratique fans renoncer au fakt. Je
veux même que cette confêqucnce ne
foit pas Julie. On ne peut au moips
me nier qu'elle ne le paroifle à tous
ceux qui ne font pas Théologiens. On
ne peut nier qu'elle n'ait quelque cho-
fe qu i frappe ôc qui éblouît , ÔC qui fait
uneim.preffîon extixmement vivx fur
les efprits du vulgaire. Qu'on voyc
cependant s'il eft poffible d'imaginer
un dogme plus jpernicieux , ni plus
detef-
BONNES OEuVRES. I 79
déteftable que celui de dire qu'on peut
négliger la pratique des bonnes œu-
vres fans fe fermer la porte du Ciel.
C'eil à quoi il eût été à fouhaitter
qu'on eût fait autant d'attention ,
qu'on en a fait au vain êc imaginaire
danger de donner quelque avantage
aux défenfcurs du mérite .
Au fond je fuis fort trompé fi toute
la conte dation qu'il y a fur xeci ne
vient de ce qu'on n'a pas obfervé en
"cette occafion ce que les nouveaux
Philofophes recommandent fi forte-
ment fur toute forte de matières. C'efi;
de n'entreprendre jamais de décider
^aucune queftion, qu'après en avoir
défini exaftement tous les termes. Si
on avoit pratiqué cette régie en cette
occafion, fi on avoit bien fixé la figni-
'fi cation du terme de nécefaire^ la déter-
minant à un certain fens clairement 6c
nettement exprimé , chacun auroit
yeu fans peine l\ on doit l'admettrCjOU
Icrejetter.
Le terme de nécefifaire efi: fort équi-
voque. Il a plufieurs fignifications ,
'pa];mi icfquelies il y en a de celles
H 6 au'on
iSo Traite* des
qu'on peut appliquer aux bonnes œu-
vres, & d'autres qui ne leur conviea-
nent point, llyaen premier lieu une.
certains neceilité , qu'on appelle com-
munément de précepte , 6c qui convient
à tout ce qui nous a été commandé de
DieUjôcqu'on ne peut négliger fans lui
derobeir & fans l'ofenfer. De cette ma-
nière le nécellaire efc oppofé, d'un cô-
té à ce qui n'eil que permis , êc de l'au-
tre à ce qui n'eft queconfeillé comme
un bien plus grand , à la vérité , & plus
excellent , mais dont on peut fe pafTer .
Mais peut-on nier que Les bonns.s
œuvres nefoientnecelîaires encefens
là?N'efl-il pas vrai que Dieu ne fe con-
tente pas de nous permettre50U de nous
confeilkr de les faire , mais qu'il nous
le commande , nous l'ordonne,^ nous
y oblige , nous menaçant même de là
vengeance , au cas que nous venions à
les négligera N'efb-ilpas vrai même
qu'il y a tout un ordre de pcçhez , qui
' ne confident qu'en celafcul ? Je parle
de ceux d'omiiiion..
Mais ceci ell; Ç\ inconte fiable , que
cefëroit abufer de la patience de mes
Lefteurs ^ que de m'amufer à en don-
ner
I
BONNES iOEuVRES. ïSï
ner des preuves .11 fera bien plus à pro-
pos de dire un mot fur une quelliion
importante,qui le prelente fur ce fujet.
On demande quand c'efl que Pomif-
fion des bonnes deuvresell: criminelle.
Pour répondre à cette quellion je dis
en premier lieu qu'elle ne Pefl: pas tou-
jours.Si elle l'étoit toûjours,il ne feroit
jamais permis' de -^'^^rmir, puis qu'en
dormant on : - >it faire aucune
bonne œuvre. Aï ... les Theolosfiens
ont accoutume de. re que les précep-
tes affirmatifs , qui font ceux qui pre«
fçnvent les bonnes œuvres, obligent à
la YcntétQHjoim , mais n'obligent pas î
toujours. ^ c'eft à dire qu'à la vérité on y
eil toujours ailujetti , mais qu'on n'efl:
pas obligé à^ travailler fans relâche à
icsobferver. '
lleil dçnc certain que Pomiffion des
bonnes œuvrer eft quelquefois crimi-
nelle, 6c que quelquefois auffi elle jie
iPeft pas,. Mais quand eft-ce qu'elle
l'eft ?. Plufieurs difent qu'elle efl cri-
minelle,, lors que trouvant PoGcafion
de faire quelq^ac bonne œuvre on Ae la
fait pas .Mais ^ n éfct cette réponfe n'efb
pasfolide, C*rii:cequedeux coniide-
rations font voir clairement, La^
iSx Traite' des
La première, qu'il eft certain qu'on
ne pèche pas toutes les fois qu ayant
Poccafion de faire quelque bonne œu^
vre, on ne la fait pas. Il arrive tres-
fouvent que deux bonnes œuvres font
incompatibles, 6c qu'il faut. omettre
l'une pour faire l'autre. C'eft ce qui
arrive en mille façons , que chacun
peut imaginer. Figurons-nous donc
que Poccaiion de" tiîc deux , ou plu-
fieurs de ces bonnes œuvres fc pre-
fente tout à la fois . Il eft certain qu'on
ne pèche pas en omettant l'une pour
faire l'autre, 6c ainfi il n'eft pas. vrai
que les bonnes œuvres foient nécelTài-
res toutes les fois qu'on en trouve Poc-
caiion.
La féconde confideration qui fait
voir que la necefîité des bonnes œu-
vres doit avoir quelque autre régie
quel'occafion , c'eft qu'il ne faut pas
toujours attendre que Poccafion d'en
faire s'offre d'elle-même. Il faut quel-
qurfois la chercher. Qui doute que
la véritable amitié ne porte fouvent à
rechercher les moyens & les occafions
de rendre du fervice ^ ceux que l'on '
aime ?
BONNES OEuVRES. iSj
[ aime? 5cquipeutdouter que la pieté
I ne doive être tout au moins auffi agif-
I ^nte, ôc aufTi empreflee , que la plus^.
1 tendre amitié ?
D'autres difent que Pomiffian tû
criminelle, lors que d'un côté on peut^
I & que de l'autre on doit faire l'aétioii
(qu'on omet. Cette régie eil: certaine ,
I mais elle eft de tres-peu d'ufage. Cai^
[i la difficulté confiée à favoir quand
c'eil qu'on doit faire l'aétion com-
mandée , 6c c'eft ce que cette régie ne
I nous apprend pas.
Pour tâcher de dire quelque chofe
de plus précis , il faut remarquer er^
premier lieu qu'il y a trots fortes de
commandemens , qu'on trouve dans
l'Ecriture.. Les premiers, marquent
eux mêmes les temps & les occafions ,,
où nous les devons ob fer ver. Tel eu.
Je commandement de la circoncifîon ,
celui du Sabbat , celui de la Pafque ,
êcc. Les féconds fant des commande-
mens vagues &: indéterminée ^ qui ne
marquent aucune occafion particuliè-
re, où l'on doive les obferver , tels
que font ceux qui nous ordonnent de
croire
184 Traite' des
croire en Dieu , de l'aimer, d'aimeri
prochain &c. Les dernières tiennei
quelqtte chofe des uns & des autres. ~
marquent quelques occafions partici
lieres , où l'on doit faire ce qu'ils orl
donnent , ôc laiflent les autres fans 1(
marquer. Tel eft le commandemeu|
de la prière , & tel encore celui de Paii*
mône. L'Ecriture nous marque di"
vers cas aufquels on doit remplir cei
devoirs , mais elle ne les marque p^f
tous, êc fe contente de nous dire fuï
la plupart des chofes allez gênera^
les.
Il n'y a aucune difficulté à l'égard
des actes commandez par les précep-
tes du premier ordre , ôc même pour
ceux du troifiéme dans les c^ mar-
quez par la Loi. L'omiffion eft vifi^
blement criminelle , lors qu'on laiile
paffer les occafions aufquelles il falloit
les faire. Ainfi la difficulté fe réduis
aux aétcs qui ne font prefcrits que par
des préceptes indeterminez.
Il faut remarquer en deuxième lieu
que félon S. Paul la fin du commande-
ment eft la charité, & que d'ailleurs
cette
BONNES OEuVRES. 185'
,cette vertu doit être le principe 6c la
fource de noa bonnes œuvres. Ainfî
!on ne doit pas craindre de fe tromper
!fî on dit que les bonnes œuvres font
jnéceflaires , lors que la charité de-
; mande qu'on les fafiè. Cette chari-
ité au refte a trois objets , Dieu, nô-
ftre prQchaiji 5 & nous-mêmes. Nous
devons aimer Dieu , 8c Paimei* de
tout nôtre cœur , de toute nôtre a-
îne,;6c de toute nôtre penfée. Nous
^evoiis aimer nôtt^e prochain comme
hous-mêmes. Nous devons nousai-
''m^r nous- mêmes , mais nous aimer
fagement , 6c judîcieurcment , tâ-
chant de nous^ procurer les vrais
ibieriis, qui font les fpirituels Sc les
éternels. ' - , .
If faut remarquer en troîfiéme lieu
que non feulement il n'y a aucun de
ces trois amours, qui ne nous oblige
à faire quelque bonne œuvre , mais
qui ne nous y portât aéiiuellement
.éc efîicace^ient , s'il étoit tel qu'il
devroit, êtrc. En effet fi nous ai-
mions Dieu de tout nôtre cœur ,
pourrions - nous nous difpenfer de
^ faire
i86 Trait e' des
fiiire les oeuvres , qui d'un côté peu
vent fervir à avancer fa gloire 6c d
l'autre peuvent nous mettre enétatçi
îui plaire , 6c de nous attirer de plu
•en plus fan amour ? Si nous aimior
tous nos prochains comme nous mé
mes , négligerions -nous aucune de
chofes 5 qui peuvent avancer leur ù
lut, ou remédier à leurs necefîitez
foi t corporelles 5 foit fpirituelles? t
BOUS nous aimions régulièrement nou
mêmes , ne ferions-nous pas tout c
qui peut fervir à avancer l'ouvrage d
nôtre propre falut , ôc à nous affermi
de plus en plus dans la foi, oc dans l
pieté?
C'eftcequine fbuffre point dedif
fi culte. Cependant tout ceci pofé
qui ne voit que toutes ks oeuvres , auf
quelles l'un ou l'autre de ces trois a-
mours nous porteroit efficacement , £
nous le pofledions dans fa perfeébioni
font neceifaires de neceffité d(
précepte , 6c qu'on pèche fi on ne lej
faitf
Qu'on jiige par là du prodigieux
nombre des péchez , . que les plus juf
tes
it
D
C
BONNES OEuVRES. 187
tes & lespîus parfaits commettent , je
ne dirai pas dans tout îe cours de leur
vie , mais dans chacune des parties
tant fait peu co^ifiderables de cette
vie. Qu'on juge jufqu'à quel excès il
feut que Dieu porte fon fupport &
fon indulgence pour ne pas perdre
éternellement tous les hommes fans
exception. Qu'on juge de la recon-
noiflance que nous lui devons de ce
qu'il nefè tient pas à cet égard à la ri-
gueur de Tes droits. Que l'on confi-
dere enfin à quel point nous devons
nous humilier, ou pour mieux dire
nous anéantir en fa prefence , puisque
ceci feul nous fait voir d'une manière
!-fi fenfible ôc fi évidente l'abîme de dif-
férence qu'il y a entre nôtre conduite.
.&: nôtre devoir;
En effet a peine y a-t-il aucun mo-
ment en la vie, ou l'un ou l'autre
I de ces trois amours ne nous obligeât à.
agn'. Et cependant il y en a incompa»
rablement davantage, où, je ne dirai
pas les Chrétiens froids & relâchez ^
mais les plus fervens, & les plus par-
faits 5 ne font rien qui puiffe pafl^er
pour
l88 T R A I T eV D ES
pour une bonne œuvre , que de ceu:l
où ils s'appliquent à ce travail. Il
y en a donc tres-peu oti ils ne pehent
C'eft-ce qui ne fouffre point de diffij
culte.
Mais pour revenir à nôtre fujet
on demandera fi cette règle , qui ef 1
fi confiante dans le fens affirmatif
l'eft auffi dans le négatif, je veux di»
re fi comme il eft certain que toute:]
les avions particulières , aurquellei
Pun ou l'autre de ces trois amoun
nous engage , font neceflaires , on.
peut dire auffi qu'il n'y a que ces mê-
mes aétions qui le foient.
C'eft dequoi je ne doute point. Ce
qui me le perfuade c'eft que s'il y a-
voit quelque a6lionquifûtnecefi"aire,
fans que la charité nous y appellât, il
ne feroit pas vrai de dire que cette
vertu eft l'accomplifiement de la loi,
comme l'Apôcre l'afieure en autant
de mots. Jefus Chrift encore n'aura
pu dire que toute la loi, ôc tous les
Prophètes ,' dépendent de ces deux
points , que nous aimions Dieu de
tout nôtre cœur, & nôtre prochain
com-
BONNES OEUVRES. 189
comme nous mêmes. Enfin je fuis
perfuadé qu'on ne fauroit indiquer
iucune action nécefTaire à laquelle la
ii:hanté ne nous porte efficacement.
CHAPITRE XXII.
\Qjie les bonnes œuvres font ne'cejfaires en ce
Jcns 5 ^/^V/ efi impoffible d'hêtre fanvé ^
Jî on n en fait aucune,
LE chapitre précédent a fait af-
fez voir que nos bonnes œuvres
[ont necelTaires , au moins de cette ef-
pece de nécefîité , qu'on appelle com-
munément de -précepte. J'ajoute pre-
ientement qu'elles le font encore en
un autre fens , qui eft le premier qui
fe prefente à l'efprit , lors qu'on voit ,
bu qu'on entend, que cette qualité
leur eft attribuée. C'efl qu'il eft im-
poffible d'être fauve fi on n'en fait au-i
cune, c'eft qu'il n'eft jamais arrivé ,
& qu'il n'arrivera jamais qu'un hom-
me qui n'ait point fait de bonnes œu-
vres, ait été fauve. Ce.
190 Traite' des
Ce fens n'a rien que d'incontefta]
ble, 6c il fàudroit n'avoir jamais lei
l'Ecriture fainte, ou la regarder coi
me un ouvrage purement humain, il
fàudroit même n'avoir aucun fentil
ment de pieté & de religion , poi
faire difficulté de le reconnoitre. Qu'|
a-t-il furquoi l'Ecriture fainte fe for
expliquée , ni plus clairement, ni plu
fortement? Et quand aurois-je tait'i
fi j'entreprenois de rapporter toutcr
les preuves de cette vérité capitale
que ce facré livre nous fournit ?
Que peut-on imaginer, par exem-
ple, de plus exprés, que ce que S . Jean-^
Baptifte difoit aux troupes dans le dé
fert ? La coignée efl déjà mife à la 7'acim
des arbres» l^out arbre donc , citii ne forti
point defruitys'en va être couf é& jette an fei^
La parabole du figuier a encore k
même fens , & nous étale la même vé-
rité fous une image fort aprochantedc
celle-ci. En effet on ne peut nier , ni
que ces arbres , dont il eft parlé en ces
deux endroits , ne foient les hommes,
ni que les fruits q ue ces arbres doivent
porter, ne foient les bonnes œuvres,
nii
BONNES OEuVRES. 191
Il enfin que le feu dont ces arbres font
lenacez , ne foit celui de l'enfer.
ycû: donc une vérité certaine ÔC indu-
litable , que tous ceux qui ne font
)oint de bonnes œuvres feront la
)roie de l'enfer , ce qui eft tout ce
[u'on entend lors qu'on dit que les
)onnes œuvres font nécciîaires.
iii I Cette même Ecriture dit que la
- ïioilfon delà gloire fera en quelque
"î brte proportionnée à ce qu'on aura fe-
C| aé par de bonnes œuvres, CequePhom^
neaHrafem€\ dit S . Paul, il le moijfonne"
'^fa:iîuj[i. Et ailleurs, Celui qui aura fe^
iC né chichement recneillira aujfi chichement ^
i f" celui (fui aurafemé libéralement recuetU
'M ira libéralement. Mais fi cela eft , qui
t« 5eut douter que celui qui n'aura rien
femé ne foit réduit par là même à l'im-
poflibilité de rien recueillir ?
£• Elle dit que perfinne ne fera couronné^
'"^il n a combattu légitimement. Quelle
:ll cette couronne , que celle du Ciel ?
Et quel eft ce combat , que celui de
la pieté, qui n'eft autre chofe quere-
xercice des bonnes œuvres ?
E>\lcdit<]}Xcfrnylafm^ifcatiQn nul ne
verm
jf^z Traite' d es
verra le Seigneur. Et peut-on repatérJ
ni en effet , ni même par la penfée , h|
fanftification de la pratique des bon*
nés œuvres ?
Elle dit que la repent^nce eft abfo*
lurnent neceilaire pour le falut, & quel
Pobilination 6c Pimpenitence ne doit]
s'attendre qu'à la condamnation 6c à
la mort. Par ta âmeté ^ dit S. Paul,
& ton cœur qui e fi fans refentance, tu ta-
mafes un tréfor décolère ^ four le jour de U
colère , ^ de la déclaration du jufle juge-
ment de Dieu. Mais elle nous alîeure
auffi que la repentance eft vaine , fi el-
le n'eft accompagnée de la prati-*
que des bonnes œuvres. Faites des
fruits convenables a la repeniance , àl*
foit encefensS. Jean-Baptifte dans le
ciéfert. Voyez auffi Efai I. i6. 17.
mais fur tout Ezech XVIIL 6.j. 8.9.
Elle ditd'uncôté qu'il eft impoffi-
ble d'être fauve fans la foi , de l'autre
que la foi eft infeparable des bonnes
œu vres . Celui cjui ne croit point , ejl dé-
jà condamné .^ difoit Jefus Chrift , & U^
V colère de Dieu demeure fur lui . Et pou r
le fécond, S. Jaques ne dit-il pas qu^e
corn--
BONNES 0EUV>RES. Ip^
comine^é cor f s [ans fefpnt efl mort , aufjl la
foi fans les œuvres efl morte ? Et S. Jean que
fi quelqu'un fe vante de connoître Dieu,
. & ne garde poinc Tes commandemens ,
c eft un menteur.
Elle dit d'un côté qu'il efl jmpofTiblc
d'être fauve fi on n'aime Dieu, 6c de l'au-
tre que l'amour de Dieu eil infeparable
: de la pratique des bonnes œuvres. Si
■ quelqu un n aime f oint le Seigneur fefus,
1 qu^ilfoit anatheme maranMa^ difoit i'A-
pôtre S- Paul : Etjefus-Chriil, SiqueU
quun rypaime il gardera mes commande^
mens. Vous ferez, mes amis ^fi vous faites tout
. cj que je vous ai commandé.
Elle dit qu'il eft impoffible d'être (lui-
véians la charité, même en foufFrant le
ngartyre, &: en donnant tout fon bien
àuxpovres. C'eftlado6brine de S.Paul
I. Cor. XIII. Elle dit pourtant qu'il eft
impofRbîe d'avoir de la charité , fi on re-
r ftife d'affifter les povres , ce qui fait l'une
des plus excellentes de nos bonnes œu-
vres. Si quelqu'un .^nom dit l'Apôtre S,
Jean , ayant des biens de ce monde voit fon
frère enne'cejfne\ & lui jermefes entrailles ^
comment efi-ce que la charité de Dieu demen^
reenlui'^.
1^4 T R A î te' E) es '
Enfin, fi on pou voit être fauve fans
avoir fait de bonnes œuvres, il faudroit
necefiâiretnent,ou que leur onliffion ne
fût pas un péché, ou que ce péché pût
être pardonné fans qu'on s'en repentît,
ou qu'on pût s'en repentir fans s'en cor-
riger. Comme on ne peut dire aucune
dé ces trois chofes , ôc que le contraire efl:
certain & inconteftable , il faut nécelîài-
rement reconnoître qu'il eft impoffible
d^être fauve fans faire de bonnes œuvres,
»&qu'ainfi elles font abfolument necef-
iàires.
CKAPITRE XXIIL
De quelle nature eH la mcejjîtédes bonnes œii^
Vrej". Sic^eftunenecejjitédemoyen,
L faut remarquer en deuxième lieu
qu'il y a une double t&cxœJafhifïqHe
6c la morale, La première convient aux
chofes qui produiiènt réellement leur ef-
fet. Ainfi le feu brûle,une boule qui eft en
mouvement, & qui en rencontre une au*
tre , la poulîè, & la meut, ôcc. La fécon-
de convient aux quàlitez, auxaftions,
Se aux autres caufes femblables , qui
con-
BONNES OEuVRES. Ipj*
., contribuent à la. produâion de cer-
1 tains effets , non en les opérant im-
ï mediatement , mais en fervant de mo-
tifs, pour porter les agens libres à les
^.produire. Ainfi le travail d'un ou-
vrier lui fait obtenir fon falaire , por-
tant celui qui le lui a promis fous cette
condition à le lui donner.
Comme il efl: certain que les bon-
nes œuvres n'opèrent pas phyfique-
ment le falut , 6c qu'il n'y a que Dieu
feul qui le produife en cefens, il eft
certain qu'on ne peut leur attribuer-
cette efpece de neceffité, 6c qu'en ef-
fet elles ne font pas necefTaires pour
être fauve en la même manière , en la-
quelle il eft nécefîaire de refpirer , de
manger , 6c de boire, pour vivre.
Ainfi la queftion fe réduit à lanecef-
iîté fondée fur l'efficace morale.
Nous bomant donc à cette efpece
de neceffité , je dis qu'il y en a de trois
principales efpeces.
Il y a premièrement une neceffité,
que nos Théologiens appellent com-
munément defrefence^ 6c qui convient
à tout ce qui ne contribuant rien à la
I s pro-
196 Traite' de ?
production d'un effet , cil une fuit<i
infeparable, ou tout au moins un'i
marque feu re ôc certaine de ce qui M
produit. Ainfi, afin qu'une pièce d'ô
ait cours, il faut qu'elle aituncertaiil
degré de pelanteur , proportionné ;
fon volume, parce que il elle ne P;
pas , on jug e qu'elle efi: faufîe .
Il y a en deuxième lieu une neceflî
té qui convient à cette efpece de con-
dirions , fans lefquelles l'effet n'ef'
jamais produit , mais qui peuvent ê-
tre poféesfans que l'effet fuive.G'eftct
qu'on appelle dans l^Kcolc ^Conditioner
fine qutbus non. Ainfi il n'y a point de
Dignité, foit Civile, foit Ecclefiafti-
que , qui ne demande neceffairemeitl
un certain fexe , un certain âge , àt
certaines qualitez , fans lefquelles il
efl: impoffible d'y être promu , mai^
qui ne fufîifent pas pour l'être.
Il y a en troifiéme lieu une necefîîté,
qui convient à cette forte de condi-
tions , fins lefquelles l'effet n'eil ja-
mais produit, & qui ne font jamais
pofées que l'effet ne fuive. G'efl ce qui'
peut venir de trois caufes,
Qiel-
BONNES OE U V R E S. T97
Quelquefois cela vient d'une loi
ipofitive, & arbitrai r-e , fans qu'il y
^ ait aucune liaifon naturelle entre la
' condition Ôc PeHèt . Ainfi il étoit ne-
■ celîaire que le premier homme s'abfl
'tînt du fruit- défendu pour éviter la
i mort 5 6c pour demeurer dans le jar«
din.
Quelquefois cela vient de la natu-
re des chofes mêmes 5 qui font telles,
que l'agent ^n juge toujours d'une
certaine façon , 6c eniuite fe porte à
produire l'effet , fans qu'il y ait aucu-
ne relation de juflice , ni confequem-
ment de mérite , entre la condition 5c
l'effet. Ainii un bon Maître recom-
pénfe un efclave , qui lui a rendu quel-
que ferviceconfiderable.
~ Quelquefois enïïn-ceîâ vient de l'é-
galité qui fe trouve entre la condition
ëc l'effet , cqm me il arrive dans les ac-
tions méritoires. 11 eft neceffaire de
cette façon qu'un ouvrier travaille
afin de gagner -fon falaire.
Ce font là les principales efpeces de
néceffité qu'on peut remarquer dans les
I 3 cho-
198 T R A I T e' D E s
chofes qu'on regarde comme necefîai-
res. Rien n'eft maintenant plus aifê
que de voir quelles font celles qui coa-
viennent ou ne conviennent pas à nos
bonnes oeuvres par rapport- à la vie
éternelle.
Il eil clair en premier lieu qu'on ne
p_eut leur coutelier la necefîlté de pre»
îence. Tout ce que j'ai dit dans le cha-
pitre précèdent le fait allez voir.
Je ne dis pas tout à fait la même cho-
fe de la féconde. Il y a de nos Théo
ïogiens qui Pattribiient à nos bonnes
œuvres , 6c qui difent qu'elles font des
conditions fans lefquelles on n'eft pas
fauve. C'eft lefentimentde Pareus,
rapporté par M. le Blanc. C'eft en^
core celui de M. Bull. D'autres le
nieat. Mais il me femble qu'à fuivre
l'idée que j'en ai donnée on ne peut
douter que cette qualité ne convienne
à nos bonnes œuvres. Quoi qu'il en
foit, s'il y a quelque difpute fur ce fu-
jet , c'ell une difpute de mots , qu'on
peut terminer en convenant de ce
qu'on entend par cette expreffion.
A l'égard de la trpilîéme 5 il eft cer-
tain
BONNES GEtlVRES. 199
tain en premier lieu que les bannes
œuvres ont les deux carafteres qui la
font connoître. D'un côté on n'eil
jamais iauvéilins les oeuvres. De l'au-
tre on ne fait j-amais les œuvres fans ê-
tre faiivé. Mais* comme j'ai dit que
cette troifiénie efpecede neceflite fe
fubdivife en trois au très, pour en bien
juger il faut parcourir ces trois efpe-
: ces inférieures & particulières .
On ne peut pas dire en premier lieu
que la néceffité des bonnes œuvres foit
delà nature de celles qui vient d'une
loi arbitraire , 6c qui n'a aucun fonde-
ment dans la nature de la chofe mê-
me. Car enfin les bonnes œuvres
font d'elles-mêmes très -agréables à
Dieu , êc fa bonté le porte efficace-
ment , êc comme naturellement , à
- les recompenfer.
D'un autre côté on ne peut dire
que nos bonnes œuvres méritent la
recompenfe que Dieu leur accorde.
C'eil ce qu'on verra dans la fuite.
Ainfi les bonnes œuvres ne font ne-
celTaires, ni en ce troiiiéme fens, ni
au premier, mais elles 18 font au fe-
I 4 cond ,
200 Traite' DES
cond, parce d'un côte que la fainteté
de Dieu , 6c Paverfion qu'il a naturel-
lement pour le crime, le porte à refti-
fer l'entrée de fon ciel à ceux quis'ob-
jftment à ne pas faire de bonnes œu-
vres, 6c de l'autre que fa bonté ne lui
permet pas de laifTer fans recorapenfe
les bonnes aftions de ceux qui le fer-
vent.
CHAPITRE XXÏV.
OhPon ré^onà^a quelques quefliôns touchant
la nécèjjité des bonnes œuvres .
CE que je viens de dire fait afTez
voir que les bonnes œuvres font
neceffaires de cette efpece de nécefîî-
té, qu'on peut appeller de moyen.
Mais cela pofé l'on demande li on
doit attribuer une telle necefîite à tou-
te forte de bonnes œuvres. C'eft à
quoi il eft aifé de répondre qu'elles
ne font pas toutes également necef-
faires. Il y en a de celles dont la ne-
cclîité eil abfoluë. Telle eft celle
des
BONNES OEuVRES. 201
des aâies internes de foi , d'efperan-
ce , de charité , d'humilité &c. Qucî
Chrétien ,feroit-on , fi on ne iaifoit
jamais de ces actes ?
Mais il y en a d'autrcs dont la ne-
ceffîté n'eft pasauffi grande. Telles
font les actions fenûbles ôc extérieu-
res, la confeilion de la vérité , le
martyre , Paumône , la proteâion
qu'on donne à ceux qui font oppri-
mez, &c. On peut ne pas faire de
CCS œuvres fans renoncer au falut. Il
y a même des occafions , où ce n'eft
pas pécher que de ne les pasfan^e.
La raifon de la différence , c'efl pre-
mièrement que les aétes internes font
beaucoup plus en nôtre puiffanceque
les externes. Nous ne pouvons pas
toujours faire ces derniers , quoi que
nous le fouhaittionâ, foit parce que
nous n'en avons pas les occafions ,
(bit parcÇj que nous n'en avons pas
les moyens. Mais fi nous vou-
lons fortement 6c fincerement croi^
re en Dieu , l'aimer , aimer nos
prochains ôcc. nous le pouvons ,
6c rien i^e fauroit nous en empêcher.
If II
Î02 T R A I T E^ , D E S
11 étoitdônc de la fagelFe 6c de la boni-
te de Dieu de ne pas exiger les œuvres
externes de la même manière que les
internes. ~
En deuxième lieu les externes n'ont
pas une liaifon auffi neceflaire , Ôc auffi .^
inviolable , avec la véritable fanftifi-
cation, que les internes. Sans ces der-i
niers il efl: évident qu'il n^y peut avoirs
de véritable fan61:ification. Car en (
quoi ell-ce que la fanélifi cation con-
fifte que dans les vertus? Et que font
les vertus fans les a6tes? Mais il n'erL;
efl: pas de même des aéles externes..
Les vertus mêmes , dont ces aâies font
l'exercice , peuvent fubiifter fans eux^
ôc il efl , par exemple , très pofTible^
qu'un homme ait de la charité fans
donner l'aumône. Il ne faut pour le
concevoir que pofer un homme fi po-
vre, qu'il n'ait abfolumcnt rien qu'il
puiiîè donner.
Mais il y a fur ceci trois remarques
très-importantes à faire . La première,
que quoi que les œuvres externes ne
foient paKoûjours néce flaires , il n'eil
pas à dire qu'elles ne le foient jamais.
Elles
BONNES OEUVRES. tô5
Elles le font fans doute toutes les fois
que leur ômiflionferoit une preuve de
Pabfence , ou de la fauiTeté de la vertu,
dont elles font l'exercice. C'efl ce que
S. Jean nous apprend fur le fujet de
l'aumône. Si quelqu'un , dit-il , etymt
des biens de ce monde voit Confrère en nécef-
fie\ & lui ferme Jh entrailles , comment
eft-ce que lût, charité de Di-eu demeure en
Im ? Qn peut dire la même chofe des
autres femblables.
Mais lorsque l'omiffion de l'œuvre
n'induit pas qu'on manque de la ver-
tu , dont cette œuvre eft l'exercice ,
on peut dire qu'elle n'eft pas necelTai-
faire. Celaell évident par l'exemple
du povre , qui n'eft pas en état de don-
ner l'aumône , 6c par plufîeurs autres
qu'il feroit facile d'y ajouter, & que
chacun apperçoit afîèz de foi-mêrnc.
C'eftici, fi je ne me trompe, la règle
k plus certaine qu'on puilTe établir fur
cefiijet.
Il faut remarquer eh deuxième lieu
que iî-1'exercice aéliiel des bonnes œu-
Yî^s n'eft pas toujours necelTaire , el-
les le font toujours à l'égard de ladif-
I 6v poli-
204* Traite' DES
poiition , & de la préparation du
cœur. Je veux dire quenous devons
être toujours prêts , Se en état de les
faire, au cas que Dieu nous, en offre
les occ-afions. Nous devons toujours
avoir en nous le principe 8c la racine
des bonnes œuvres , fi nous ne produi-
rons pas toûJQurs ces fruits . Car, com-
me on l'a.veu, le principe , êc la racine
des bonnes œuvres c'eli la charité , 6c
la charité efb une vertu dont il n'eft ja-
mais permis de manquer , êc fans la-
quelle on n'eil rien.
Enfin il faut remarquer qu'il y a
bien de la différence entre dire que les
bonnes œuvres font tellement necef-
faires , que fi on n'en fait jamais aucu-
ne 5 ileff impofiible qu'on foit fauve ,
& dire qu'elles font tellement necef-
faires , que û on en omet une feule , il
faut qu'on periffe. Le premier de ces
deux fcns eft tres-véritable , 6c tout ce
que j'ai dit jufqu'ici le fait affez voir.
Lx fécond efl faux. Car enfin fi Dieu
* ne pardonnoit jamais l'omifiion d'au-
cune des œuvres qu'il a commandées ,
il n'y auroitperfonne qui fe fiiuvât.
C'eil
^-'
BONNES OEUVRES. lOJ
C'eft par là qu'on peut répondre à
une objeâiion, qu'on nous fait. On
nous dit qu'il eft très poiîible qu'un
homme fe repente aux derniers mo-
mens de fa vie , 6c par confequent dans
un temps, où iVlui eft impofÏÏble dé
faire de bonnes œuvres . Mais ce que
je viens de dire détruit abfolument
; cette objection . Premièrement fi cet
homme ne fait pas des œuvres exter-
nes, il en fait d'internes. Il a de la
douleur de fes fautes , il les detefte ,
; il en demande le pardon à Dieu , il
J. implore fa miiericorde , il a de la
■ confiance en fa bonté , il l'aime , il a
du mépris pour la terre, il foûpire
j après le bonheur du Ciel, il s'anéan-
' tit devant Dieu par un vif fentiment
de fon indignité 6c de fa balTefîè. Et
ne font -ce pas là autant d'œuvres
excellentes f il en fait même d'exté-
rieures , s'il en a le moyen 6c les oc-
cafions. Si ces moyens 6c ces occafions
lui manquent, cette omiffionne lui eft
point imputée.
V On demandera encore fi Dieu ne fup-
porte point l'omiffion des œuvres mê-
mes
2o6 T R A I T e' D E s
qu'il a commandées, qu'on peut, &
qu'on doit faire, Ôc dont on a les mo-^
yens ôc les occafions . Je réponds que
-ceci ne fouffre point de difficulté.
Non feulement Dieu pardonne tou-
tes ces omiffions à ceux qui s'en re-
pentent , 8c qui s'en corrigent , mais
il en fupporte même quelques-unes en
îa perfonne de fesenfans, quoiqu''ils
ne s'en corrigent point tout à fait. Il
faut bien que celafoit, puis qu'il n'y
a point de fidelle qui ne falîë quel-
qu'une de ces omiffions au dernier
moment de fa vie ,, 6c par eonfequent
dans un temps , où il lui efl impoffir-
bîe de fe corriger. Ainfi fi Dieu ne
fupportoitceci, il n'y auroit perfon-
ne quineperît. ^
Enfin on demandera jufqu'oîi c'eft
que va ce fupport de Dieu , ôc quelles
font les omiffions qu'il foufïre en la
perfonne de fes enfans , Se qu'elles
celles qu'il punit. Il femble d'abord
qu'il y ait de la témérité à répondre à
cette queflion. Car fur quoi peut-on
£c fonder pour prononcer là-deilus ^
Je croi pourtant que la régie que j'ai
indi*
BONNES OE LIVRES. ît'GT*
indiquée dans un autre endroit de ce.
chapitre peut être de quelque ufage
fur ce fujet. Dieu ne fupporte en qui
que ce fok Pomiiîion des œuvres , qui
eft incompatible avec la vérité de la
iànétification &:de la pieté. Mais il
fupporte celle qui peut fubiifler avec
cette pieté & cette fanéliifi cation , 6c
qui fait voir fimplement qu'elle elt
imparfaite & defeéîiueuie , fans prou-
ver qu'elle n'eft pas véritable.
C'efl ce qu'on peut tenir pour conf-
tant. Mais li on me dem.andoit juf-
qu'oii cette omifîîon peut aller fans4-
tre une preuve de la fanileté de la fane-
tification , je ne croi pas qu'iifût poffi-
ble de répondre folidement à cette
queftion. Je fuis perfuadé que c'elt
ici l'un de ces fecrets , que Dieu s'eft
refervez , ôc qu'il ne découvre à per°
fonnic . Je croi au moins que quoi qu'il
en foit des Anges 6c des bieniieureiix ^
les hommes pécheurs êc mortels l'i-
gnorent.
Voilà en peu de mots quelle eft la
neceffité des bonnes oeuvres. Cette
aéceffité étant telle y a'eft-il pas éton-
nant
ao8 Traite' DES
liant que les Chrétiens y aient fi peu
d'égard , & qu'ils foient fi negligens
pour la pratique de ces œuvres fi
necefiaires ? Ils croient tous un juge-
ment , une vie à venir ^ uh Paradis , .
6c un Enfer, car je ne parle mainte- |
nant , ni des Deïfles , ni des Athées , [
je parle de ceux qui ont quelque per-
fiiafion forte ou foible, des veritez
du falut, 6c qui font les feuls qu'on
peut appeller Chrétiens, à prendre
ce mot dans fa fignification la plus
étendue. Ils fouhaittent d'éviter cet
Enfer, 6c de goûter les douceurs de
ce Paradis 5 6c, ils favent d'ailleurs
qu'il eft impoflible de. réufiir , ni dans
l'un, ni dans l'autre de ces deiîeins ,
fans faire de bonnes œuvres. Com-
ment fe peut -il qu'ils les négligent
ayant un tel défir, 6c une telle per-
fuafion?
En effet l'un ou l'autre ôté , j'a-
voue que cette négligence n'a rien
qui doive furprendre. Il feroit na-
turel qu'on négligeât des œuvres af^
fez contraires à nos penchans , fi on
ne
4
l- BONNES OEuVRES. 209
[ne fe fbucioit pas de périr, ou fi s'en
ifoucianc on croyoit que les fair'e n'eft
pas un m^oyen propre, n'eft pas mê-
• ine un moyen néceiTaire pour fe fau-
!ver. Mais que voulant fb iauver ,
ôc fâchant qu'on ne le peut fans fan*e
de bonnes œuvres , on n'en falîe
point , c'eft ce qu'an auroit de la pei-
ne à comprendre fi on ne le voyoit
«tous les jours , $c fi chacun de nous
|n'en fourniiîoit un exemple.
Mais*ce n'eft pas ici le lieu de dé-
plorer ce défordre. J'ai dit ce que
j'en penle dans le premier Volume de
mes EiTais de Morale Difc. L
CJ H A-
aïO T R A I T E* D E s
CHAPITRE XXV.
Si nos bonnes œuvres font méritoires, Re^-
flexions Jhr le fentiment. de quelqueii
DoUeurs de la Communion %omain&t
fur ce fijet,
E qu€ je viens de dire fait voir
_ clairement comment, 5c en quel
fens les bonnes œuvres font neceffai--
res. Il faut voir maintenant lî elles font:
méritoires , comme PEglife Romai--
ne Palleure. Mon deflein au reflè
n^eft pas de traiter à fond cette qiief*
tion. Il faudroit pour cela un ou»
vrage à part beaucoup plus grand que :
celui-ci. Je m'y étendrai feulement
tout autant que je lejugerai necelîaire
pour donner quelque intelligence de
la matière , êc pour mettre quelque
proportion entre ce que je dirai fur
cette queftion, 6c ce que j'ai dit fur
les autres , qui font ce Traité.
Il s'agit ici uniquement de favoir fi
ce
BONNES OEuVRES» "211
2 que PEglife Romaine enfeignc
lur ce fujet eft véritable. Il faut par
confequent commencer par tâcher
d^expliquer k plus nettement ôc le
plus fidellement qu'il fera poffible la
créance de nos Adverfaires fur cette
q ueftion . Voici en peu de mots ce que
c'efr.
Ils diftingiient en premier lieu un
double mérite y Pun qu'ils appellent
de congruiîe\ ou de bienfeance , l'au-
tre qu'ils appellent de condignité \ ôc
; ils ajoutent pour la plupart que le pre-
mier de ces deux mérites ne porte ce
nom qu'improprement , au lieu que
ce nom convient proprement au fe=t
€ond . Ils font au refte confîfter la dif-
férence de ces deux efpeces de méri-
te en ce que celui de congruité n'eft
fondé que fur la bonté 6c la libérali-
té de Dieu, au lieu que celui de con-
dignité emporte une relation dejufti»
\ ce. Voici les propres paroles de Tho-
mas d'Aquin . On dit qu^un homme mé-
rite d'^un mérite de condigmte\ lors qu'ail y <s
de C égalité entre la recompenje ^ le mérite
\ fi/on Knejufte ejUmation : Et on dU qu'en
aia Traite' d e^
mérite d^un mmte de congrue ^ lors qu^ il
ny a pas une telle ^égalité , wms que cey
Im cjui donne fait libéralement un prejent'^
quil luifiedhien défaire. Dieiîur aliquis-
mereri ex condtgno , quando invenitur <€-
qualttas inter pr&mium & meritum fecun-
dum eflimaîionem: ex congruo autem tan-
tum qti^mdo talis aqualitas non invenitur^
fed folum fecundum liberalttatem dantis
munus tYîhmîur , quod. dantem decet,
Th0m.in2.dift. 27.0.1. Art. 3.
Si lors que PEgliie Romaine {oxi^
tient que les bonnes œuvres font mé-
ritoires , elle entendoit feulement
qu'elles le font de cette efpéce de
mérite , qu'elle appelle de congrmte\
il n'y auroit entre elle 6c nous à cet
égard qu'une limple difpute de mots,
êc nous ferions d'accord fur la chofe
même. En effet, nous n'avons gar-
de de nier que ce ne foit une a6tion
digne de la bonté 6c de la libéralité ,
de Dieu , de recompenfer les fervi- I
CCS de fes chers enfans. C'eil pour-
quoi auiTi il y a quelques-uns de nos
Théologiens , particulièrement le
Do6teur Twilfe , qui ne font pas
fcru»
BONNES OEUVRES. 21^
fcrupuîe de dire que nos bonnes œu-
vres mentent de congrm.
Les autres à la vérité n'approuvent
pas cette façon de parler. Mais il
faut avouer aufîi qu'une difpute qui
ne roule que fur des mots eft bien
légère, 6c mérite peu de partager les
Chrétiens. Quoi qu'il en foit, l'E-
glife Romaine l'entend autrement,
& le mérite qu'elle attribue à nos
bonnes œuvres, efl: un mérite decon-
dignité ^ 6c proprement dit. G'efl ce
qui paroît non feulement par le lan-
gage de tous fes Docteurs , mais en-
core par la décifîon formelle de fon
Concile de Trente. St quelqu^un ,
dit - il , foûtient qt-te les bonnes œuvres
de Phomme jufitfié. ... ne méritent -pas
véritablement P augmentation de la grâce ,
la Vie éternelle & l? augmentation de la
gloire ^qtCtl foit anatheme , Self. 6. can. 56.
Mais quoi que ceci palTe aujourd'hui
pour confiant, il ne laiile pas d'être
vrai qu'il y a dans le 'îtm de l'E^glife
Romaine une grande di ver fi té à^'LtXï-
timens fur cette matière. La rai fon en
eft qu'ils ne fe font pas tous une même
idée
114 T R A I T E^ D ES
idée du mérite de condignité , les uns
exigeant pour cela une chofe , les au-
tres une autre.
Les conditions qu'on exige.^pour
faire un mérite de condiguité , ibnt
de deux ordres. Les unes font celles
dont tous conviennent , n'y ayant au-
cun de leurs Doébeurs qui n'avoue
quelles font abfolument neceflaires.
Telles font ces fîx , que l'aftion foit
volontaire, qu'elle foit libre , qu'el-
foit bonne , qu'elle foit faite avec le
fecours de la grâce , que celui qui la
fait foit juftifié , qu'il foit c^s l'état
de voie , c'eil à dire qu'il ne foit
pas encore admis à la pofîeflion du
bonheur. Il y en a deux autres , dont
tous ne conviennent pas. L'une qu'il
y ait de Pégalité entre la valeur de
l'aôion, 6c la recompenfe. L'autre
que la recompenfe foit accordée , non
par bonté, non par libéralité, mais
parjuftice. Comme c'eft de ces deux
conditions que dépend la déciiîon de
cette queftioh, ce font les feules auf-
quelles je vai m'attacher.
Je commence par la première, &
je
BONNES OEuVRES. IIJT
je remarque d'abord, qu'il y a fur ce
fujct deux fentimensdireftementop-
pofez parmi les Docteurs de la com-
munion Romaine. La plupart foû-
tiennent que le mérite proprement dit
fuppofe neceflairement de l'égalité
entre la bonté de l'aélion meritotre
de la recompenfe. C'eft-làen parti-
culier la penfée de Bellarmin , de
Suarez, de Tanner, ôc d'Arriaga.
D'autres au contraire foûtiennent
que cette égalité n'eft nullement ne-
«ceflaire. Il fuffit félon eux que Dieu
■ ait promis volontairement à l'homme
quelque bien, ou quelque avantage,
àconditioaquecet homme falTe quel-
que chofe qu'il lui prefcrit , 8c que
celui-ci remplifTe cette condition.
, Cela feul pofé ils foûtiennent que fon
aétion fera méritoire. Bellarmin attri-
bue ce fcntiment a Scot , & à André
de Vcga , &: Fr. L'Ami à Grégoire
de Rimini , ôc à tous les Scotiftes.
Entre les modernes Conink, Con-
tenfon , George de Rhodes , 6c Pla-
tefius le foûtiennent.
^ Si toute l'Eglife Romaine embraf-
fQÏt
^
2Ll6 T R AI T e' D E S
foit ce fécond fentimenr , nous n'au
rions point de difpute avec elle fm
cette matière. En effet, nous nenions.î
ni que Dieu n'ait promis de recom-
penfer nos bonnes aéiions , ni qu'iv
ne foit impoffible que cette' promeffi
ne s'exécute. Ainli fi par le meritÉ
on n'entendoit aucune autre choft
qu'un droit fonde fur la fidélité di
Dieu, & fur la vérité immuable d<
fes promeifes , on ne pourroit niei
que nos œuvres ne foient méritoires
Mais outre que le gros des Do6i:eur;
de la Communion Romaine foûtien
formellement le contraire , je ne Voi
pas comment il efl polTible d'accor
der ce fentiment , ni avec les maxi-
mes les plus confiantes de leur Ecole,
ni avec lesdécifions les plus nettes de
leur Concile.
Car premièrement ceci ruine Ja dif-
tinétion du mérite de congru ité , 6c de
condignité , qui efb fi univerfelle-
ment reçue parmi eux. En eflet , li
la promelîè de Dieu fufîît poiu* faire
un mérite de condignité , le mérite
de condignité n'aura rien de plus que
celui
ÏÎO^ÎNES OEuVRES. 217
celui de coiigruité. Laraifonen eft
qu'il y a bien des grâces, que Dieu
promet à de certaines a6bions, ôcquc
ces actions pourtant ne mentent félon
l'Eglife Romaine que de cette efpece
de mérite , qu'on appelle de congrmté.
Par exemple. Dieu promet la re-
miffion des péchez à lu foi. Qu'il vous
joit notoire ^ difoit faint Paul aux Juifs
d'Antioche de Pifidie Ad XIII. 38.
59. (^ae la remtjfion des pJchez, vous eft
offerte en le fus- Çhrifl , & i^jtie de tout ce
dont vous n'avez, pu eftre juftifiez. par la
: Loi deçjM^ojfe , quiconque croit eft jufti^
fié par lui II la promet à la conver^
fîon. <!^mande^'Vous ^ & vous conver->-
tijfez , afin que vos péchez^ feient effaceK, ,
difoit S. Pierre aux Juifs dé Jerulàlem
A6t. lïl. 19. Il la promet au pardon
des injures. Si vous quitte?^ aux hommes
leurs ofenfes,à\t],Chri^M2itU VI. 14.
"îjotre Père celefte vous quitera auffïles vôtres^
On avoue pourtant qu'il eft im-
poffible de mériter la remiffion des
péchez par un mérite de condigni-
té 6c proprement dit. Car outre
que tous les Docteurs de l'E-
glife Romaine en conviennent , le
K Con-
ai8 Traite' des
Concile de Trente l'a décidé nette-^
ment. Il dit que la juftification efl pu-
rement gratuite, 6c que, ni la foi , ni les
oeuvres ne la fauroient mériter. Gratis
mtem juflifican ideo dicilur , quia nïhil eo-.
Yum^qU(ZJuflificationemfY(ZcedHnt^Çivefiâes^
Jive opéra ^ jHflificationis gratiam fr orner e^
tur. Si enim gratiaefl ^jam non ex operi^
bus , alîoqmn , ut idem Apoftolus inquit ,
gYaîiajam non efi gratin, SefT, VL cap.
8.
Que deviendra tout ceci , fi pour
faire un mérite de condignité il ne faut
autre chofe qu'une promefTe ? Pour-
ra-t-on nier dans cette fuppofition que
la foi, que la converfion , que le par-
don des injures , ne méritent k remif-
fion des péchez , puis que Dieu la leur
a promife fi expreffement, quoi que
le Concile de Trente ait défini fi for-
mellement le contraire ?
C'ell-là , fi je ne me trompe , la 'vé-
ritable raifon qui a fait que Mr. de
Meaux , qui n'a rien négligé de ce qui
lui a paru propre à adoucir les dogmes
de fon Eglife , 6c; à leur ôter ce qu'ils
ont de plus abfurde £c de plus outré,
ne-
BONNES OEUVR ES. 2I9
nes'eftpasarrêtéà ceoi dansfbn Expo-
fitton de U Foi Catholique , 5c a mieux ai-
mé chercher Padouciiîement de ce do-
gme dans ce qu'il y fait entrer la grâce,
ëc le mérite de Jefus-Chrift. Il a veu
fans doute que le fentiment dont je
parle eft direftement oppofé aux déci-
dons du Concile fur lequel il s'appuie.
C'eft pourquoi il n'en a rien dit ; en
quoi il a agi avec plus de bonne foi que
Mrs . de. Valembourch , qu i nous per-
mettent d'entendre par le mérite,
qu'ils veulent que l'on reconnoiile ,
une aârion qui n'ait que ces quatre
conditions,qu'elle foit i . l'aétion libre
%. d'uîi voyageur 3 . juilifié , 4 . & faite
par le fecours de la grâce . Vd\ de ?^m'-
tis y cap. ijT. ' .
Pour revenir 1 nôtre fujet, Arria-
ga prouve encore la même chofe par
une autre confideration , qui ne me
paroît pas à méprifer. Il ait que fi la
promefte de Dieu peut fuppléer le dé-
faut d'égalité, qui doitfe trouver en-
tre l'aéiion 5c la recompenfe , on ne
fauroit donner aucune raifon folide de
ce que Dieu n'a point promis le Ciel
K % aux
^SLo Traite' des
aux afbions faites par les feules forces
de la nature. S'il Pavoit fait, ces ac-
tions purement naturelles feroient
aufîi méritoires que celles que la grâ-
ce donne le moyen de faire. Puifqu'il
ne l'a pas fait, on doit en conclurre que
pour faire un véritable mérite il faut
quelque chofe de plus qu'une aélion , à
laquelle une recompenfe ait été pro-
mife.
Enfin,toute l'Eglife Romaine con-
vient que le don de la perfeverance efl
un don purement gratuit , que perfon-
ne rie peut mériter d'un mérite de con^
dignité. Voyez Thom. i. 2. quseft.
1 14. art. 9. On croit pourtant que
Dieu l'accorde , au moins pour un
temps , à tous ceux qui la lui denian-
dent , de en'effet il n'y a rien qu'il n^ait
promis à la prière . Tomes les chofes , di-
Îbitjefus-Chrift, ^i^e vous demanderez,
au Père en mon nom , il vous les accordera.
On meritcroit donc cette grâce en la
demandant , fi pour mériter il ne faloit
que remplir une condition attachée à
une promeiîe. Puis que nonobflant
cette promcilc le don de la perfeveran-
ce
BONNES OEuVRES. 2.21
t ce eft un don purement gratuit, il faut
• nécefîairement avouer que pour méri-
ter il faut quelque cliofe de plus que
■ remplir de telles conditions. Il faut
faire des a6tions dont la bonté égale le
prix de larecompenfe.
CHAPITRE XXVL
Qu'il rPy a point â'^égdiîé entre la honte
de nos œuvres ^ ^ la reco?7îpenj€ que
Dieu nom promet.
IL paroît par tout ce que je viens de
dire que nos œuvres ne fauroient
être méritoires, il leur bonté n'égale
le prix ôc la valeur de la recompenfe
que Dieu leur accorde. Il ne refte
maintenant qu'à voir fi on peut dire
qu'il y ait une telle égalité entre ces
deuxchofes. On verra clairement par
là fi ces œuvres font méritoires .
Quelques Doéteurs de l'Eglife
Romaine l'affûrent , comme je Tai
déjà remarqué. Mais il eft étonnant
K 3 qu'ils
2^^ Traite' DES
qu'ils ayent pu digérer une abfurdi-^
té il palpable. Premièrement S. Paul
s'eft expliqué formellement là- deii us,
difant aux Romains VIII . que tom hten
compte les foujfrances du temps prefent ne font
pointacontrepefer avec la gloire cjui doit ê-~
tre révélée enîa perfonne des enfans de
Dieu.
M^is outre Pautorité de S. Paul, la
chofe me paroît de la dernière éviden-
ce. Car enfin la bonté de nos œu-
vres ell: très limitée , comme le refte
de ce qui eit en nous , & la recom.pen-
fe que Dieu promet à ces œuvres elt
infinie. Elle Pefl même en tout fens.
C'eil la poileffion d'un bien infini,
puis que c'cfl; la poileffion de Dieu
même, qui veut bien faire le bonheur
des Saints,-& être , non feulement leur
rémunérateur, mais encore leur re-
compenfe. Abraham ne crain point, fe
fuis ton bouclier , d" t^ recompenfe treugran^
de. C'eft d^aiileurs un bonheur éter-
nel , êc dont la poileffion & la durée ne
finira point. Comment après qû-x
peut-on foûtenir qu'il y ait quelque
égalité entre ces deux chofes^ fi vifi-
ble»
BONNES OEu VRES.^ %1^
blement, 6c ii prodigieufement iné-
gales.^
On tâche d'éluder îa force de cette
preuve par deux réponfes contraires.
Les uns difentiqu'à la vérité il n'y a
point d'égalité , ni de proportion en-
tre nos œuvres , 6c le bonheur que
Dieu nous promet , lî l'on s'arrefle à
ce que nos œuvres font en elles mê-
mes, ôc qu'elles tirent de nos feules
forces, mais qu'il en eft autrement fi
on confidere tout le prix , &: toute la
dignité qui leur vient, d'un côté de
la grâce furnaturelle , qui en eil: le
principe , 6c de l'autre de la qualité
d'enfans de Dieu , que nous avons
l'honneur déporter.
Les autres difent qu'à la vérité l'ex-
cellence de nos œuvres eft affez bor-
née , mais qu'au iîi le bonheur queDieu
leur promet n'eil pas infini. Ils di-
fent qu'encore que ce bonheur con-
fifte en la polTefiion de Dieu , qui eil;
un bien infini, il eil fini en lui même.
Dieu ne pouvant être pofiedé que
d'une manière proportionnée à notre
nature , qui eil elîèntieikment limi-
tée. K 4 Mais
Z^4 aT R A I T e' des
Mais ces deux réponfes font ,égaîç*
ment frivoles. Car pour la première
je ne conviens pas que la dignité de
Pouvrier augmente toujours le prix
de Pouvrage. Qui voudroit dire ,
par exemple, qu'un tableau fait p'ar un
Prince vaut davantage qu'un autre ta-
bk?tu d'une égale bonté, fait par un
Peintre ordinaire?
D'ailleurs, fi un enfant de Dieu , 6c
un pécheur faifoient deux aélions éga-
lement bonnes , 6c également con-
formes à la Loi de Dieu , je foûtiens
que celle du premier ne Ceroit pas plus
méritoire que celle du fécond. C'eil
ce qu'il efc aifé de prouver par une
confideration , que j'ai déjà touchée
dans mon Traité de la foi. C'eil: que
Paétion de Pcnfant de Dieu ne feroit
pas plus louable que celle du pécheur.
Au contraire celle du' pécheur feroit
plus louable que celle de Penfmt de
Dieij. Laraifoneneftque plus on cix
aidé à faire une aélion , moins on efl:
louable de Pavoir faite. Ainfi l'enfant
de Dieu étant plus aidé que le pé-
cheur, puis qu'il a tout le fecours de
k
BONNES OEuVRES. 21f
la grâce que l'autre n'a pas , il cil évi-
dent qu'il eft moins louable.
Mais voici quelque chofe de plus
prenant. Je demande fî cette dignité,
qu'on veut que la grâce habituelle, ôc
Ja qualité d'enfant de Dieu, ajoutent
à l'excellence & à la bonté naturelle de
nos bonnes œuvres , cil une dignité
finie, ou infinie. Qiiclque parti que
l'on prenne, on fe jette dans des em-
barras , d'oii l'on ne fauroit fe ti-
rer.
Si onditquecettedignité eft finie,
ma preuve fubfifte dans toute la force.
] )ans cette fuppofition il eft vrai de di-
re qu'il n'y a aucune proportion entre
la bonté de nos œuvres , à quelque
égard qu'on les confidere, 6c la re-
compenfe que Dieu leur promet..
Car quelle proportion peut avoir le
fini avec l'infini?
Si on dit que cette dignité eil: infi-
nie , on dit une chofe abfurde , 5c con^
traire à la propre créance de la coiïi-
munion Romaine. Car premiéi-emeiu
il s'enfuivra de la qu'un fimple homi-
me 3 millement uni à la Divinité , aura
KA
5 pu-
2.2.6 Tr A ITe' D E S
pu rachetter tout le genre humaine
En effet, il ne falloit pour cela qu'of-
frir à Dieu un facrifice d'un prix in-
£m. Et c'efl: ce que le dernier des^
hommes pourra faire dans cette fup-
poiition avec le fecours de la grâce..
Ainfi ce fera fans aucune néceffité que
le Fils de Dieu fe^fera fait homme , 6c
aura enduré la mort. î
D'ailleurs , dans cette fappofition
toutes les bonnes œuvres qu'un enfant^
de Dieu viendra à faire avec le fecours ^
delà grâce de quelque nature qu'elles
foient d'ailleurs , & qu'elle qu'en foit
lamcilitê , ou la difficulté , feront éga-
lement méritoires. En effet, elles fe-
ront toutes d'une valeur infinie , ôc
chacun comprend affez de foi- même
qu'il eil impofîible qu'il y ait aucune
inégalité entre deux fujets infinis^,
puifque fi l'un excedoit l'autre ^ ce-
lui qui feroit excédé ^ finiroit à l'en-
droit oh il commenceroit de l'être.
Ainfi toutes les bonnes œuvres fe-
roient également bonnes. Elles ne
cederoient même en rien à celles de
Jefus-Chnft ^ ce qui paraîtra fans dou-
BONNES OEUVREST *11J
te infupportable à tous les Chrétiens.
Ai niî cette première réponie ne
peut fubiîfter. La féconde n'eftpas
meilleure. Je veux en effet que cha-
que moment delà poifeffion du bon-
heur foit d'un prix fini 6c limité.
Qui peut douter que la poiîefîîon éter-
nelle de ce bonheur n€ foit d'un prix
infini , puis qu'elle ne doit être ja-
mais terminée f En efîet , il eil fans
difficulté que la durée d'un bien en
augmente le prix à proportion ,. n'y
ayant perfonne , qui ayant le choix
de deux biens égaux en tout le refte 5,
mais inégaux dans leur durée , ne pré-
fère le plus durable a celui qui \^z^
moins . Ainii la poifeffion du bonheur
ne devant jamais finir , il eft clair
qu'elle eft d'une valeur infinie.
Il eft pourtant vrai que Dieu pro«
met la durée , ôc la continuation éter-
nelle du bonheur aux obfervateurs de
fes loix. C'ell ce qui n'eft pas contef-
îé. Qui peut après cela douter que ce
lie foit là une recompenfe gratuite?
J'ajoute queje ne fai Ç\ on peut dire
Qu'il n'y â- rien d'infini dans le bon-
K 6 heur
2<z$ Traite'^ des
heur des Saints. Conlïamment ils poS
fedent Dieu , quoi qu'ils ne le poile-
dent pas parfaitement. Comme donc
il n'y a rien en Dieu , qui ne foit d'un
prix infini, je crains qu'il y ait de lai
témérité à foûtenir qu'il n'y^a aucun:
fens où l'on puiiTe dire que la félicité
de ceux qui le poiîedent eft infi-
nie.
Enfin, je dis que quand même le
bonheur des Saints feroit fini & bor-
né en tout fens , il feroit toujours de
beaucoup plus- grand que la bonté de
nos œuvres. C'efl ce que deux cho-
fesfont voir clairement. La premiè-
re que îa bonté de nos œuvres. efL trés-
défecl,ueufe , 6c très - imparfaite ,
comme on l'a veu dans l'un, des.
chapitres précedens.. Au: contraire
le. bonheur des Saints efl; parfait ÔC
achevé , remplifîànt abfolument leurs
fouhaits , Se les reduifant à une heu-
reufe impuiffance d'en faire aucun
autre.
Sans cela même la bonté de nos •
œuvres eft très- bornée. La raifon
enxfc que. k foibleiiè efl u^e imper-
fcc-.
BONNES GEUV^IES. 225
feûion , qui ne nous abandonne ja-
mais, pendant cette vie. Ainfi il ne
faut pas attendre de nous de fort
grands efforts. La gloire au contraire
ell; un bien fouverainement excel-
lent , ôc un elièt admirable de la bonté
& de la libéralité de Dieu envers
nous.
Tout cela fait que la bonté de nos
œuvres n'a rien quiapprochede l'ex-
cellence des biens que Dieu nous pro-
met. C'e.ft ce qui fait dire à S. Au-
guftin que je repos éternel des Saints
ne feroit pas cher s'il falloit i'aquerir
par un travail éternel, ^y^terno Ubo-
re digviaefl dterna. cjuies com^arari. Aug.
in Pfal. 93. Saint: Fulgence de mê-
me foûtient que la grandeur de la
recompenfe que Dieu nous açcor-
\ de excède infiniment le mérite de
[ nos "actions. Vtta mterna gratta non
injpifie dicitur , quia non folum donis fuis
^DeMs fiia dona reddit , fed cjma tantum -
îhi eliam gratia di.vin£ retributionis exhi-
ber at , ut încomparabihter atque inejfa---
btliter omne tventum quantumvis bo'
■ n^ y & ex Deo daî-x humante volnntatts ,
(itque-:
2,50 Traite* DES
aîcjfie operattonis excédât. Fulg. ad Monim,
Ub.l.caf. 10. Enfin Grégoire I. foû-
tient qu'il n'y a point d'œuvre, ni de
travail , qui puiffe entrer en compa-
raifon avec la vie éternelle. Ifii nam-
que beat A vitéi , in qua cum Deo ^ ^& de^
*Deo "jiviîur , nullus potefl aquari labor ,
nulla opéra comparari Greg. m Pfal, 7.
panit. Il n'eft pas même jufqu'à
Bellarmin qui ne reconnoilTe cette
vérité. Neoari non potefl quin beatitu^
do longe excellât aUioni mentor i<z, Bell.de
jufltf.lib.^.cap.i%,
C'eft donc une vérité certaine &
inconteftable que la bonté de nos œu-
vres n'approche point de l'excellence
de la gloire que Dieu leur promet.
Ainfi n'y ayant point d'égalité entre
le travaille la recompenfe , il ne fau-
roit y avoir de mérite proprement dit.
CrfA«
BONNES OEUYRES. l^l
CHAPITRE XXVIL
' Si le droit que nos bonnes oeuvres nous don^
nent fur la vie éternelle efi un droit qui
tire fon origine delajujlice,
E ne m'arrêterai pas davantage-
fur la première condition du mé-
rite proprement dit. Je pafle à
ià féconde , qui confifte dans la natu-
re du droit qu'un tel mérite donne fur
la recompenfe. Ce droit peut être
fondé fur trois chofes. Première-
ment fur la fidélité de Dieu , &; fur
rimpoffibilité abfoluë qu'il y a que ce
qu'il a promis ne s'exécute. En deu-
xième lieu fur cette efpecede juilice^
qu'on appelle Sftrihutive. En troilié-
, me lieu fur cette autre efpece de juf-
1 ticc/, qu'on nomme commutmve êc qui
rend à chacun ce qui lui appartient
véritablement.
Il y a fur cela deux chofes qui me
I paridlftut inconteftaHies,. L^ pre-
mie-
,252- T RA I T e' D E s
iniere quefîparunea6tion méritoire,
on entcndoit une aétion qui donne
quelque droit à la recompenfe , mais
un droit fondé^uniquement fur la fidé-
lité de Dieu, 6c fur la vérité immua-
ble de fes prome{res,perronne ne pour-
roit nier que nos bonnes œuvres ne
meritaiTent. ' Car qui doute , ni que
Dieu ne leur ait promis une recom-
penfe, ni que la fidélité de Dieu nci
rengage à.tenir ce qu'il a promis .?
D'un autre côté, il eil certain que
lors que Dieu recompenfe nos bonnes
œuvres , ce n'eft pas en vertu de cette
juftice , qu'on nomme commutmve.
C'eft ce que plulieurs chofes font voii
clairement.
1. Il eil confiant que la juilice
commutative obferve l'égalité Ari-
thmétique , comme je le ferai voir
tout à l'heure . Par confequent iî Dieu
en recompenfant nos œuvres fuivoit>
les règles de cette juilice , il ne nous
donneroit qu'une recompenfe égale à
la bonté de nos œuvres. C'eft-là pour-
tant ce qu'on -ne peut dire qu'il fafîè,
comme je viens de le faire voir dans 1g||
cha-
, BONNES OEUVR ES. 255
chapitre immédiatement précèdent.
IL. Afin que Dieu pût obferver les
loix de la jufliice commutative à l'é-
gard de l'homme , il faudroit qu'il
pût recevoir quelque chofe de Tlioni-
me, que Phomme fût en état de lui.
donner. JViais c'eil ce qui eil impoffi-
ble, l'homme n'ayant rien , & ne pou-
vant, ni rien avoir, ni rien faire , fur
quoi Dieu n'ait incomparablement
plus de droit que l'homme. C'ell ce
que S . Paul fait entendre par ces paroi-
les , Qui efl ce cjui lui a àonné le premier y
, c^ il Imfera rendu ?
lîl. La même chofe paroît de ce
que c'ell Dieu qui donne à Phomme
ce que Phomme peutofFrirt Dieu, les
bonnes œuvres, que nous faifonsétaiït
des effets & des produârions de la grâ-
ce. Ainfi ces œuvres bien loin de nous
donner quelque droit fuirDieu,en don-
nent à Dieu un inconteilable far nous.
j^ IV. Ces deux dernières raifons
'fontdeContenfon. J'y en ajoute une
autre^qui ne me paroît pas moins forte.
i C'eft que quand même nos œuvres ac^-
q^uerroient q^uelque droit^elles ne Pac-
quer-
254 Traite' DES
querroient pas à nous , mais à Dieirj
Laraifonen eft qu'étant nous mêmeï
à Dieu, tout ce que nous acquérons
nous l'acquérons à lui , comme tout a
qu'un efclave peut gagner par fon trai
vail , n'eft pas à lui , mais àibn maître
Tout ce que je viens de dire.efk afTes
aifé. Maisiln'en ell pas de même df
ce qui fuit. II n'eft pas auiE facile d(
dire fi nos bonnes œuvres ne nou:
donnent pas fur la recompenfe m
•droit quinaifle de la juitice diftribu-
îive , comme le prétendent pluiieur
Dofteurs de la Communion Romaii
ne.
Cette difficulté vient de ce qu'or
ne fait pas bien diftinâlement ce qu<
c'eft que la juftice diftributive. lleî
Auteurs qui en parlent ne s'expliquent
pas là delIusaiTez nettement. Ceus
qui s'expliquent avec le moins de con-
fufion s'arrêtent à deux principa.ux
caraéteres.
Le premier,qu'au lieu que la juftice
commutativé établit par tout une éga-
lité Arithmétique, la diftribution ne
pofe qu'une égalité Géométrique.
Voi-
BONNES OEUVRES. 2,35*
Voici ce qu'on entend par ces expref-
fions obfcures ôc enigmatiques. L'é-
galité Arithmétique eft l'égalité des
chofes, & régalité Geometriqire eft
l'égalité des rapports. Eclairciffons la
chofc par un exemple.
Un débiteur accablé de debtes , &
2c ne pouvant fatisfaire fes créanciers ,,
traite avec eux à cinquante de perte
pour cent , en forte que chacun de ces
créanciers perd juilement la moitié de
ce qui lui eft dû. On ne voit pas dans
ce Traité l'égalité Arithmétique , puis
que pas un des créanciers ne reçoit
tout ce qui lui eft dû. Maison y voit
l'égalité Géométrique , parce que cha-
cun reçoit la moitié , & que cinq cens^
par exemple, font âuffi bien la moitié
. de mille , que mille celle de deux mil-
le.
Les Théologiens dont je parle ,
, du nombre defquels eft Gontenfon ,
ne font confifter la juftice diftributi-
. ve qu'en cela feul , Se fur ce fonde-
j^ ment ils foûtiennent que Dieu recom-
penfant nos bonnes œuvres , le fait fé-
lon les règles de la juftice diftributi-
ve
w?.
2.56 Traite' des
ve , parce qu'il obferve Pégalité Geô
métrique , recompenfant chacun
proportion des bonnes œuvres qu^
a faites , en forte que la fecompen:
de celui qui en a fait cent eftle doub!
plus grande que celle d'un autre, qi
n'en a fait que cinquante.
Ainfi fuivant ces Théologiens un
aftion eil; méritoire , lors que la r(
compenfelui eft rendue félon les loi
delajuftice diftributive , & félon C(
mêmes Théologiens la jufbice diflr
butiveeft celle qui établit une iimp.
égalité Géométrique , recompenfar
plus largement ceux qui ont plus tn
vaille, Ôc donnant avec plus derefei
ve & de retenue à ceux qui ont fa:
moins de bonnes œuvres.
Si on donne ce fens à ces deux ter
mes, comme il eft certain qu'on
peut, puis que les définitions des ter
mes font arbitraires ,, rien ne nous em
péchera d'avouer que les bonnes œu
vresfont méritoires. En effet , non
ne nions , ni que Dieu ne les recom
penfe , ni qu'en les recompenfant i
n'obferve Pégalité Géométrique-
don-
EONNJIS OEuVRES. I37
îonnant plus à ceux qui ont fait
plus, 6c moins à ceux qui ont fait
moins.
Je fai qu'il y a parmi nous quelques
Théologiens qui tiennent que la feli-
:ité des Saints fera abfolument égale,
î^ais outre que leur nombre eft af-
jez petit , ils ne font entrés dans ce
entiment , que parce qu'ils n'ont pas
?ien compris lefensde la parabole des
mvrierSjque le père de famille envoya
ans fa vigne pour y travailler. Ils
^nt creu que cette parabole marque ce
[ui arrivera au dernier jour, & ils en
mt conclu que tous feront recompen-
bz également.
Mais il n'y a pas long- temps que
['autres Savans ont fait voir , qu'il s'a-
;it là y. non du dernier jugement , mais
[iniquement de la vocation des Gen-
ils, quia fait voir la vérité de la con-
ji lufion de la parabole , qui en renfer-
j pe le fens , & en découvre le but , Les
^ femiers feront derniers^ & les derniers jeront
remiers.'D'^^iWcuYS, le contraire paroît
îlairement,6{:par la parabole destalens,
k:par ee que dit S. Paul 1 Cor. XV.
258 Traite* des
Autre efl U gloire àti Soleil y autre U glom
de laLtine , autre U gloire des étoiles^ car um
étoile eft différente de P autre étoile en gloire:
Ainfifera laréfurreBion des morts .
Ainfîje croi qu'il peut palier poui
conftant , que Dieu obferve dans fcî
recompenfes Pégalité Géométrique.
Par confequent fi on n'entend que ce-
la feul lors qu'on dit qu'en recompen-
fantil exerce cette juftice, qu'on ap.
pelle diftributive , on ne dit rien qu.
puiiîe être contefté raifonnablement
Le fécond caraftere, c'eft qu'au liei
que la juftice commutative fuppofe urj
droit étroit , ôc proprement dit , lî
^diftributive ne fuppofe qu'un droii
imparfait. Mais lors qu'on deman-
de ce quec'eft qu'un droit imparfait}
on ne dit rien que de fort confus. Q
que j'y entrevois de plus diftinft , c'efl
que ce droit imparfait naît d'ordinai-
re de l'une ou de l'autre de ces deu5
chofes. L'une eft le droit étroit d'ut
tiers avec lequel l'imparfait a quelque
liaifon. L'autre eft la reconnoiifance.
Voici un exemple du premier. IJ
importe au public que certainçs digni-
te: '
BONNES OEuVRES. 2^9
tez , Civiles , & Exiclefiafbiques/oient
^poifedéespar ceux qui font le mieux
en état de s'en aquitter. Ceux qui
[nomment à ces dignitez , n'ayant pour
Iguide que leur intérêt ou leur pafîion,
les donnent à des perfonnes incapables
[de s'en aquitter , ôcles refufent à ceux
qui en pourroient faire un meilleur
ufage. Ils font par là un double tort,
)L.'un au public , l'autre aux particu-
iers, à qui ils devroient donner ces
emplois. Parle premier ils pèchent
contre la juftice commutative. Par
le fécond ils pèchent contre la juftice
Jiftributive , & n'ont point d'égard à
Lin droit imparfait , qui n'eft qu'une
'uite indireéte d'un droit étroit^ôc par-
lait, que le public a d'avoir des per-
Ibnnes , qui s'aquittent bien des em-
plois dont l'exercice le concerne.
A l'égard du fécond, imaginons-
nous un maître, à qui un valet rend un
fervice important dans une occaiion
extraordinaire , mais qui foit tel que
le maître ne fe foit pas obligé à l'en re-
compenfer. Je dis que ce maître n'eft:
cas tenu de le faire , par les loix de la
jtiftice
i^o Traite' des
juliice commutative, mais il Te 11 par:
celles de la reconnoiiîance. Au reife;:
la reconnoiiîance n'eil: pas d'un droit l
étroit. C'eft pourquoi il n'y a point
de Tribunal dans le monde, devant le-
quel on fafle appeller les ingrats , ni
quipunifle ceux qui font convaincus
de l'être : Et iile ferviteur dont nous,
parlons faifoit un procès à Ton maître
pour lui demander la recompenfe
qu'il a méritée , il n'y a point de dou-
te qu'il ne fût débouté de fa préten-
tion.
Mais il eft clair que ni l'une ni l'au-
tre de ces deux chofcs ne peut avoir
lieu en cette occafion. Non la pre-
mière, parce que comme nous n'a-
vons point de droit fur Dieu, je par-
le d'un droit étroit & proprement dit,
il n'y a point auiîi de tiers qui eiil ait
quelqu'un. Il eft bien vray que Dieu
eft le Diredeur & le Monarque du
monde, & que cette qualité lui donne
une autorité fupréme fur ce monde ,
qui eft fon Empire. Mais elle ne
donne aucun droit au monde fur Dieu.
S pourroit le détruire & l'anéantir
fans
BONNES OEUVRES. 24Ï
fans incéreHer fajulHce. Parconle-
quent il n'y a point de Tiers dont le
droit proprement dit fonde un droit
indireâ: que nous ayons fur la reconi-
penfe.
Je dis la même chofe de la reconnoif-
fance. Il efl; inconcevable que Dieu en
doive aucune à qui que ce foit. Car
■outre qu'il efl: hors d'état de rien rece-
vons, il a, comme je Pai déjà dit, un
droit abfolu, 6ç inaliénable , fur nos
perfonnes, fur nos fer vice s, &; géné-
ralement fur tout ce que nous pouvons
faire. Ainfi il ne peut devoir aucune
reconnoiflance à qui que ce foit,
Lareconnoifîancen'a lieu qu'à l'é-
gard des fer vices, aufquels on n'étoit
point obligé. Si ces fervices étoient
dûs d'ailleurs , fur tout s''ils l'é-
toient en juflice , on ne mérite ati-
cune reconnoilTance lors qu'on les
rend , comme un débiteur ne mé-
rite rien auprès de fon créancier ,
lors qu'il lui paye ce qu'il lui doit.
Un efclave de même ne mérite aucu-
ne reconnoiflance en rendant à fon
maître cette forte de fervices communs
L Se
^i\z Traite' des
6c ordinaire , aufquels fa fervitude
Pengage. Ainfî ce que nous fommes
à l'égard de Dieu nous mettant dans
une obligation étroite & indifpenfa-
blc de lui rendre tous les ferviccs
dont nous fommes capables , il cft
clair qu'en les lui rendant nousnefai-
fons rien qui l'oblige à aucune recon-
noifTance envers nous.
C'étoit-làviiiblement lapenfce du
Sauveur du monde, lors qu'il difoit
aux Apôtres, ^Q^i eft celm d'entre vous ^
cjui ait unferviteur labopirant où paijfant le
bétail^ qui le voyant retourner des champs^
îui dife , avance toi incontânent , ^ te.
mets a table ^ ^ ne lui difs plutôt , Ap-
prefle mot afouper , & te trvujje , & me
[ers , jufqua ce que faje mangé & heu , c^
af rcs cela tu mangera r CT boiras ? Sait- ilrré
aceferviteurla de ce qu'Ida fait ce qui luy
avoit été commande? Je ne lepenfe pas. Vous
^uffi Çembiahiement , quand vous aurez^fait
tentes les chofes , qui vous font commandées^ ■
dites , Nous fommes des ferviteurs inutiles^ \
dapstant que ce que nous étions tenus de fat" ]
re nous Pavons fait.
Je conclus de tout ce que je viens de
di-
BONNES OEuVRES. 243
dire qu'il n'y a aucune efpece dejufti-
ce qui oblige Dieu à nous rccompen-
rer,6c qu'auid il eftimpoiîible qu'au-
cune de nos œuvres foit méritoire,
CHAPITRE XXVIII.
Où l'on répond aux objeElions.
E ne m'arrêteray pas davantage à
prouver cette vérité. Les livres
^ de nos Théologiens font rem-
y. plis des. preuves qu'ils en ont don-
nées.. Je refondrai feulement en peu
■ de mots les plus fpecieufes des objec-
• tions qu'on nous fait.
I. La plus frappante de toutes eft
prifedu chapitre iV. de PEpître aux
Romains, oti l'Apôtre dit que la re-
compenfe n'eil pas imputée comme
une grâce à celui qui fait les œuvies,
mais comme une chofe deuë , ce qui
femble induire que tous ceux qui font
de ces œuvres dont l'Apptre parle ,
méritent la recompenfe que Dieu leur
accorde.
L a Tous
244 Traite^ des
Tous nos Théologiens répondent
que ceci bien loin de fa vorifer les pré-
tentions de nos Adverfaires , les ren-
verfe , parce que S. Paul ne le dit que
pour faire voir que nous ne fommes
pas fauvez par cette voie , qu'il mar-
que par ces paroles , mais par un autre,
qu'il indique auverfet fuivant. Voi-
ci en effet le raifonnement de cet
Apôtre dans toute fon étendue, Qmc
dît l"^ Ecriture ? <iy4hraham a cru a Dieu ^
c!r il lui a été imputé a juftice. Or a ce-
lui qui fait les œuvres le jakire né lui efi
poinuimputé comme une grâce , mais corn-
me une chofe due. çj^fais a celui qui ne
fait pas les œuvres , mais qui €roit en ce^
lut quijuflifie le méchant ^ fa foi lut ejl im-
putée a jufiice.
Le fens de Ciint Paul efl viiible-
ment celui-ci. 11 fuppofc qu'on ne
peut être, ni fauve, nijuftifié, que
par l'une , ou l'autre de ces deux
voyes, par la foi, ou par les œuvres.
Il remarque qu'il y a cette difference
entre ces deux voyes , que ce qu'on
obtient par la première ell: accordé
comme une grâce , au lieu que ce
qu'on
BONNES OEuVRES. 245*
qu'on gagne par la féconde efl rendu
comme une chofe due. Amii l'E-
criture difant qu'Abraham ?. été juf-
tifié par la foi, elle fait entendre par
là , qu'il Pa été par la grâce , &c par
confequent qu'il ne Pa pas été par les
œuvres. Et comme il ne produit cet
exemple que pour faire entendre et:
qui arrive à chacun de nous, bien
loin d'infinuer que le falut nous foit
accordé comme une chofe due, il
fait entendre fort nettement le con-
traire.
Ce que nos Théologiens difcnt cû
tres-veritable , mais n'épuife pas la
difficulté. En efiet, S.Paul dit que
Il quelqu'un faifoit les œuvres, c'eft
à dire s'il accomplilîbit parfaitement
la loi, la recompenfc que Dieu luiea
donneroit , ne feroit pas une grâce ,
mais une chofe due. J'avo.uë au ref-
te que ceci ne prouve pas que nous,
qui n'accompliiîbns pas parfaitement
cette loi , Se qui par confequent ne
faifons pas les œuvres dont PA-
pôtre parle , puiiîions mériter le
Ciel. Mais tout ceci femble induire
L 3 qu'on
24^ T R A I T e' D E s
qu'on le meriteroit , fi on accom«
piilToic parfaitement cette loi . Cepen-
dant ceci ne peut être vrai fans ren-
verfer la plupart des preuves , dont
nous nous fommesfervis dans les cha-
pitres precedens , 6c qui ne peuvent
être folides , s'il n'eli: impoffible de
mériter le Ciel, même en accomplif-
fantlaLoi.
Pour lever donc la difficulté , il faut
ajouter deux choies. La première
qu'il y a deux fortes de grâce , cha-
cune defquelles exclut le mérite. La
première eft une grâce fimple , qui
confilie à donner ce qu'on ne doit
point, & qui n'a point été mérité. La
îêconde eil la grâce Evangelique , qui
confiile^à donner le contraire de ce
qu'ion a mérité , accordant le Ciel , 8c
fa gloire à ceux qui avoient m.erité
l'enfer. Lors que S.Paul dit que lare-
eompenfe n'efl: pas imputée pour grâ-
ce à ceux qui font les œuvres , fon fens
eit que ce n'efl pas une grâce Evange-
lique , ce qui n'empêche pas. que ce
ne foit une grâce fimple.
La féconde chofe, qu'il faut ajou-
ter
BONNES OE LIVRES. 247
ter, c'eft que les chofespromifes font
deiîës. en quelque manière, non en
juilice, foit diftributive , foit com-
mutative, mais iimplement en vertu
de la fidélité de Dieu , 6c de la vérité
immuable de Tes promelles. C'eft en
ce fens que S, Paul aflure que la re-
compenfe de celui qui feroit les œu-
vres feroitunerecoinpenfedeuë, non
u ne recompenfe gratuite. Ainfi cette
objection , qui paroiiioit tout d'un
coup aHezembarrailànte, n'a rien de
convaincant.
IL La féconde eft prife de ce c::.é
S. Paul dit à Timothée , ^'m comhattH-
le bon combat , fâi achevé U courfe , fay
gardé la foi. Quant au refle la couronne
de jufiice nPefl yefervée , laquelle le Set'
gneur , jufle fnge me rendra en cette joHrnég-
la. II.Tim.lV. 7. 8. On remarque
deux chofes dans ce paiîage. L'une
que S. Paul appelle la couronne qui
lui eft refcrvée , une couronne dejuftice.
L'autre qu'il dit que c'eft le jufle fuge
qui'la lui rendra. Et on conclut de
l'une & de l'autre de ces deux remar-
ques , que S . Paul meritoit ce qu'il at-
tendoit. L 4 Mais
24S Traite^ *d e $
Mais nï l'une, ni l'autre de ces re-
marques ne prouve rierh Non lapre-«
miére, parce que fi Pon confulte le
Grec on verra que S. Paul n'appelle
pas^ la couronne dont il parle , une cou^-
tonne de jufttce ^ pour dire que c'eft la
juftice qui la rendra , mais la couronne-
de la juftice , pour dire qu'elle fera ren-
due à la juftice, c'eft à dire à la pieté,
êc àla famteté de ceux qui comme S^
Paul auront combattu le bon combat,
& gardé la foi. Ainiî tout ce qu'on
peut conclurre d'ici , c'eft que Dieu
couronne nos bonnes œuvres, & fi
on veut, qu'il les recompenfe. Mais
il ne s'enfuit pas de là que cette recom-
penfe foit due en juftice.
Pour ce qui regarde l'autre remar-
que, la preuve qu'on en tire n'eftpas
meilleure, La raifon en eft que la
juftice dans le langage de l'Ecriture
ne figniiie pas feulement cette vertu
rigoureufe , qui rend à chacun le ften.
Ce mot défigne aufti fou vent la bonté ,
la douceur, & la mifericorde. C'eft
ce qui paroît par un très-grand nom-
bre d'exemples , q^ue nos Théologiens
onx
BONNES OE U V R E S. 149^
©nt ramaiîës, mais fur tout par deux,
qui font les feuîs que je produirai. Le
premier efl celui de I. Jean. 1. 9. oii il
efl dit que fî nous confeiTons à' Dieu
nos péchez, d efl fidèle & jafie -pour nous
les pardonner. On convient que le par-
don des péchez ne peut être mérité.
Ainli il faut necellairement que lajui^
ticedont parle S. Jean, foit la bonté
6c la mifericorde. L'autre exemple eft
€elui de Matth. 1. 19. où ileitditque
Jofeph s'étant apperçu de la groflef-
fe de la fainte Vierge , & ne voulant
pas la diffamer g farce qu'il étoit jufle^ il
refolut.de la répudier fecretement. E-
tre jufte en cet endroit , c'eil avoir de
la bonté & de la douceur.
Il y en a cent autres, où cetermefe
prend en ce fens. Àinlî rien v^c&
plus naturel que de le lui donner en
cet endroit , 6c de dire que ce jufte
Juge qui doit couronner ^. Paul eft
un Juge bon , doux , mifericordieux^
6c clément , ce qui n'a rien de contrai^^
re à nôtre créance ..
On peut répondre encore d'une autre
manière . On peut dire que dans tout ce
L5
/
afo Traite* de s
pallàge S. Paul fait vifiblement allu-
iion aux Jeux delà Grèce. C'eft ce
que tous les Interprètes ont remarqué.
Comme donc dans ces Jeux il y avoit
des Juges qui couronnoient lès vain-
queurs , & qui ne le faifoient pas tou-
jours d'une manière conforme à la vé-
rité & àla juftice , S. Paul par ce mot
fait entendre quie Jefus-Chriil , qui
eft le Juge de nos combats , n'en ufera
pas de la forte , qu'il n'y aura point
d'acception des perfonnes dans fon ju-
gement 5 6c qu'il traitera chacun fé-
lon fes œuvres , ne couronnant aucun
autre que les vainqueurs , ce qui n'em-
porte nullement que ceux qu'il cou-
ronnera aient meritécet honneur.
III. On objeâre encore ce que faint
FaulditlI. Tiieir. I. 6. 7. refi c^uec'^fi
une chofe jfifle envers Dieu (^pî'il rende af«
faUtonaceuxquivous ajfiigent .^ 0" a vous
f fit êtes affligez, relâche avec nom. Cet
Apôtre dit qu'il eiljufle envers Dieu
^u'il nous donne du relâche après nos
fôuffrances. Et parce qu'on pour-
roit dire que dans l'Ecriture la juflice
eft tantôt la fidélité, tantôt la bonté
&la
BONNES OEUVRES. ïjî
& la mifericorde , on réplique que ce
terme ne peut avoir ce fens en cet en-
droit particulier , parce que cette juf-
tice dont parle S. Paul , eft précife-
ment la même qui punit les perfecu-
teurs , comme il paroît de ce que faint
Paul ne répète pas ce mot , mais dit
fimplement que c'eil une chofe jufte
envers Dieu , d'un côté qu'il afflige
nos perfecuteurs , 6c de l'autre qu'il
nous donne du relâche. Ainfi n'étant
pas polTible qu'un mot ambigu, 6c
non répété , ait à la fois deux {ignifi-
cations différentes , & que d'ailleurs
la juilicé qui punit efh une juftice pro-
prement dite , il femble que celle qui
donne du relâche doive être de même
nature.
Pour répondre à cette objeélion,
qui eft affez fpecieufe , je dis en un mot
qu'il eft infiniment remarquable que
S. Paul ne dit pas que c'eft une choie
jufte envers Dieu qu'il nous reeom-
penfe , ou qu'il nous couronne , mais
feulement qu'il nous donne du relâ-»
ehe , c'eft à dire qu'il faiTe cefTer nos-
fouffraaccs.' Il ne parle pas même
L 6 de
25'2' Traite' des
de toute forte de foufirances , mais
feulement de celles que la profefîîon
de la vérité nous attire. C'efl de cel-
les-ci feules qu'il s'agit dans' cet en-
droit.
' Cela pofé, il n'y a rien de contraire
à nôtre créance à foûtenirque lajufti-
ce de Dieu demande que nos fouffran-
ces finiiîènt. La raifon en eft que
fouffrant pour fa caufe c'eft très- «
injuflement que nous fouflrons. Itj
cil donc de fa juftice de faire cefler
ces fouffrances , ce qui n'a point de ^
lieu à l'égard des affiiélions que Dieu
nous envoyé pour nous châtier. En
un mot, ceci revient à ce qu'on dit or-
diî^airement parmi nous , qu'il ne faut
pas confondre la juilice de la caufe
que l'on foûtient avec celle de la per-
fonne qui la foûtient.
iV, On fait encore ^f^loir ce que
l'Eeriture dit en quelques endroits^
que les enfansdc Dieu font dignes de
Ta vie éternelle. Mais cette expref-
fîon n'emporte pas néceiiairement un
mérite proprement dit. C'efl: ce que
plufieursconfiderations font voir avec
évidence^ 1. Lors
BONNES OEUVRES. ifj
I. Lors que plufieurs concurrens
fc prefentent pour briguer une même
charge , rien n'efl: plus ordinaire que
de dire qu'ils en font tous dignes, quoi
qu'on reconnoifie qu'il y en a un plus
digne que les autres. Cette dignité
qu'on attribue à tous n'emporte aucun
droit fondé fur la juilice , foit diftiâ-
butive, foit commutative. La corn-
mUitative n'a pas lieu en cette occa-
fion , 6c la diftributive veut qu'on
préfère le plus digne. Cette expref-
Son donc n'emporte pas neceiTaire-
ment un mérite proprement dit. Elle
fait feulement entendre qu'on a les
qualitez nécelTàires pour obtenir C€
que l'on demande.
ÎI. Il n?y a point de doute que lors
qu^il eH dit dans l'Apocalypfe que les
bienheureux font dignes de porter des
robes blanches , ceci ne s'entende des
enfans baptifez , de même que des
adultes. Il eft pourtant vrai que les
enfans ne méritent rien. Ainfi la di-
gnité n'emporte pas neceiTairementle
.mérite.
III . Lors que J , C. envoya fes Apô-
tres
25^4 Traite' des
très pour prêcher l'Evangile dans h
Galilée, il leur ordonna qu'entraru:
dans chaque ville ils s'informaiîent
s'il y avoit quelqu'un qui fut digne de
les recevoir. Sur quoi Contzen Jefui-
te Allemand remarque fort judicieu-
fement , ce me femble, qu'il eil impof-
fible que Jeflis Chrift entende une
dignité interne , telle qu'eft celle du
mérite proprement dit. Car, -dit-il,
quiauroit pu inftruire les Apôtres fur
un telfujft.^ Il entend feulement des
gens , dont la conduite externe fût
honnête & édifiante. .
Tout cela fait voir que cette expref-
fion n'empprte pas nécefîairement un
mérite proprement dit, 6c qu'ainfî la
preuve qu'on en tire n'eft pas con-
vaincante.
CHA-
BONNES OEuVRES. 7,ff
CHAPITRE XXIX.
5i nos bonnes œuvres fatisfont a lajiifticed&
JDtêH pour la peine temporelle âem
a nos péchez.
CK que je viens de dire fuiEr pour
voir à quel point PEglife Ro-
maine fe trompe, lors qu'elle aiTûrc que
nos bonnes œuvres méritent le Ciel,
Elle ne s'écarte pas moins de la véri-
té lors qu'elle ibutienrque c'eft là l'un
. des moyens de fatisfaire à la juftice de
Dieu pour l'outrage qu'on lui a fait
par le crime. 11 efb vrai qu'elle ne
le prétend pas abfolument , ÔC fans
diftin61:ion. Elle dit qu'il y a deux
- ehofès. dans le péché, la coulpe, 6c
l'obligation à la peine. La coulpe
eft apparemment l'ofienfe que le pé-
ché fait à Dieu, je dis apparemment ^
parce qu'il eil aflez difficile de dire
precifement , ÔC avec certitude , ce
qu'on entend par cette expreffion.
La peine , à laquelle le péché oblige,
eil double , l'éternelle , qu'on doit
23» 6 Traite' des
foufirirdans Penfer, 6c la temporel-
le , qu'on foiiffre à ce qu'on nous dit,
en partie fur la terre, Cependant cet-
te vie , en partie dans le Purgatoire
5c après la mort.
Cela pofé de la forte, on dit que ni
nos fouffrances , ni nos bonnes œu-
vres , ni rien qui foit purement hu-
înain , ne fauroit fatisfau'e à la juilice
de Dieu , foit pour la coulpe, foit
pour la peine éternelle. Mais on pré-
tend que nos bonnes œuvres , fur tout
celles qu'on nomme pénales , fatisfont
pour la peine temporelle due à nos
péchez , & garantifîènt de ce qu'on
devroit fouffnr fans cela , foit pendant
la vie, foit après la mort dans le Pur-
gatoire.
On fe fonde principalement fur ce
que. le Prophète Daniel dit au Roi ,
Nébucadnetzar Dan. IV. zj, %achetts
tespechez^-par Paumone ^ Ô" tes iniquitez^en
fatfant miféricorde aux povres^ Mais on
peut dire de cette objeârion, qu'elle ne
prouve rien , parce qu'elle prouve
trop. En effet , ou elle ne prouve rien,
ou elle prouve que les bonnes œuvres
peu-
BONNES OEuVRES. ^f/
peuvent fatisfaire , & pour la coulpe ^
êc pour la peine éternelle, auflî bien
quepourlatemporeîle.Careniinàqui
pourroit-on perfuader que leProphéte
le Toit contenté d'apprendre à ce Prin-
ce ce qu'il devoit faire pour fe mettre à
. couvert des peines temporelles , qu'on
: fouffredans le Purgatoire , & qu'il ne
l-lui ait rien dit pour lui apprendre à pre-
■ venir celles de l'enfer. Quand même
on avouèroit qu'il regardoit aux pre-
mières, qui pourroit douter qu'iki'eùt
principalement en veue les fécondes?
Cependant {i on l'avoue , & fi on pre-
I- tend d'ailleurs que la rédemption dont
parle Daniel , ell une véritable fatis-
îaclion , il faudra neceiîàirement foû-
tenir que l'aumône peut fatisfaire,
\ même pour la peine- éternelle , ce
■que nos Adverfaires ne prétendent
point.
Il faut donc entendre autrement ce
que le Prophète dit dans ce palTage.
Sonfens, fije ne me trompe, efb que
Nébucadnetzar devoit tâcher de faire
■jfa paix avec Dieu 5 &;fe mettre à cou-
Ycrt de fes jugemens par une fin-
cere
2,58 Traite' des
cere 8c véritable converfion , laquel-
le devoir chansier de telle forte Ion
cœur, que ce changement parut au
dehors par toute la iuiie de ces aurions,
êc par la pratique confiante -de toute
forte de bonnes œuvres, telles que font
en particulier les aumônes. En un
mot, l'avis que le Prophète donne à.
Ncbiicadnezar eii: au fond le même
que S. Jean Baptiile donnoitaux Scri--
bes &c aux Pharifiens qui écoutoienf
fa prédication, lors qu'il leur difoit.
Faites des frmts convenables a la repentUri'
ce.
On nous oppofe en deuxième lieu
Pexempîe de David , qui ne lailTe pas
d'être châtié de fon péché, après mê-
me que Dieu le lui eût pardonné. Mais
rienn'eft plus aifé que de répondre à
'Cette objeélion. Nous ne nions pas
que Dieu ne châtie fés enfans lors mê-
me qu'il leur pardonne. . Nous nions
feulement qu'il les punifle après leur
avoir pardonné. Ces deux chofesau.
refle font tres-differentes l'une de l'au-
tre . La punition eft un aéte de la juf-
tice , & le châtiment eil un effet de l'a-
mour.
BONNES OEuVRES. Ifg
mour. Dieu ne châtie ceux qui ont
péché que pour les corriger , mais il
les punit pour d^autrcs raifons , com-
me ilparoît de ce qu'il punit ceux-là
' mêmes , à qui il refufe Paccés de fa
grâce 5 comme les Démons &: les dam -
nez. Ainlî quoique Dieu ait châtié
David, il ne s'enfuit nullement qu'il
l'ait puni.
On fait encore valoir ce que faint
Pau 1 dit aux Colofîie ns 1 . 24. f^iccom^
fUs le refie des ajfUtîioTJs de ?ejm Chrifi en
-ma chair pour fon cor j>s^ qui eft l^Eglife.
On prefle deuxchofes dans ces paro-
les, l'une ce que S. Paul dit qu'il man-
que qu Ique chofe aux fouffrances de
Jcfus Chrill, difant qu'il y a quelque
refte à y ajouter, l'autre que ce que
S . Paul fouffre , il le foufire pour TE»
glife, ce qui femble induire que ce
qu'il fouffre eft imputé à l'Eglife , 6c
qu'ainfi il fatisfait pour l'Eglife. Mais-
ni l'une , ni l'autre de ces deux chofes
ne prouve rien contre nous.
Non la première , parce qu'iLy a
eu deux fortes de fouffrances en Jefus-
Chriil; . Il a été fujet aux premières en
qua-
26o Traite' des
qualité de Rédempteur de PEglifc ,(i r
comme chargé de nos crimes. Il a éi;
expofé aux fécondes en qualité de ehdi
de PEglife , & comme étant le ma
dele de toiîs les Saints qui croient e:
lui . Il n'a rien manqué aux première.
6c il eft impoffible d'y rien ajoute:
- Mais les fécondes ne feront confom
mées qu'au dernier jour. Jufqu'aloi
il y aura toujours quelque chofe à ajoi
ter! Saint Paul ne regarde qu'àcel!
dans le pailage qu'on noqs oppofc
Par confequent il ne dit rien , dor
on puiiTe tirer aucun avantage contr,
, nous.
On ne peut non plus nous oppoie
ce que cet Apôtre dit que c'eft pou
l'Eglife qu'il fouifre. En eiîet, il ef
' très- certain qu'il fouffroit, & pour h
caufe de l'Eglife, & pour l'utilité 5
le bien de l'Eglife , 6c pour lui donnei
un exemple de confiance 6c de ferme-
té 5 pour ne pas parler des autres uti-
litez que nous tirons des travaux d.c
cet excellent ferviteur de Dieu. Mais.
il ne s'enfuit pas de là que fes fouffran-
ces aient été fatisfaccoircs pour les pe-
cliex
BONNES OEuVRES. 2,6ï
chez de PEglifc.Ôc il fait entendre bien
[nettement le contraire , lors qu'il dit
îaux Corinthien 5 , Pa^d a-t-il été crucu
fié pour vous ?
i Je ne m'étends pas davantage fur
tout ceci, quieftaflezaifé. Sionfou-
haitte quelque chofe de plus , on n'a
Qu'avoir l'ouvrage de Mr. Daillé fur
• cette matière.
:;
CHAPITRE XXX.
iDherfes preuves ^uifont voir que nos bon-
nes œuvres nefontpasfatisfavloires.
N a pu voir dans le chapitre
_ précèdent la foiblefTedes objec-
,'fions de nos Adverfaires. On va voir
laintenant la force des preuves que
•flous leurcppofons fur cette matière.
' ^oici quelques-unes de celles qui me
àrafTent les plus convaincantes.
; I. Premièrement on nous dit que
'fes bonnes œuvres ne font pas tant ia-
iisfaéloires parce qu'elles font bonnes,
'|[ue parce qu'elles font pénales , 6c
on
'^6^ Traite^ des
on ajoute qu'elles font pénales , parcei
qu'elles font rudes , fàcheufes , 6c de-
fagréîibles à nôtre chair. Voyez Eflim
in 4. difl. 15. §. 24, Mais fi cela eft il
s'enfuivra que plus elles feront péni-
bles & difficiles 5 c'efl adiré que plm
on aura de répugnance à les faire, plm
elles feront fatisfa6i:oires. '
Mais n'eft-ce pas là le comble de
l'abfurdité ? Car qui ne fait que plu;
on a de peine à faire une bonne œuvre,
moins elle eil bonne , 6c agréable l
Dieu ? Qui ne fait que toutes ces repu-i
gnances qu'il faut vaincre, font au-
tant d'oppoiîtions à la Loi de Dieu ,
êc par confequent autant de péchez;
C'eftce quej'ai fait voir dans Pun de;
chapitres precedens,
II. D'ailleurs, dire que nous fomme
obligez à fatisfaire à la juflice de Dieu
pour nos crimes, n'eft-ce pas dire Pu^
ne, ouPautredecesdeuxchofes, 01
que Jefus-Chriftn'apas fatisfait plei
nement 6c parfaitement pour nous , 01
que Dieu fe fait payer deux fois un<
même debte , puis qu'après avoir ét<
fatisfait par fon Fils , il veut que nou:
faf
i- ■ TBONNES OEu VRES. 265
I faflîons enfuite la même chofe ?
Je fai ce qu'on a accoutumé de ré-
pondre. On dit que Jefus-Chriftafa-
tisfait pleinement & parfaitement pour
lacoulpe, 6c pour la peine éternelle,
mais qu'il nous lailTe la peine tempo-
relle à fouffrir, fi nous ne nous en
mettons à couvert par des œuvres fa-
tisfaétoires. Mais il y a très -peu de
luicerité dans cette réponfe. L'Egli-
Sz Romains eft perfuadée que Jefus
Chriilaaudi bien fatisfait pour la pei-
ne temporelle , que pour l'éternelle.
3£n effet elle foû tient que ce Tréforde
jÈtisfactions furabondantes , que le
Pape applique par fes indulgences, Sc
6c les Confeifeurs par l'abfolution
qu'ils accordent , elle foûtient, dis -je,
que ceTréfor n'efl: pas feulement com-
pofé des fatisfacticns furabondantes
des Saints, mais qu'il l'eft principale-
ment de celles de Jefus-Chrift. Si ce-
la eft, qui ne voit que Jefus-Chrift a
^ufîibien fatisfait pour la peine tempo-
bile , que pour l'éternelle , 6c qu'ain-
fi ma preuve fubiîile ?
111. J'ajoute que s'il y avoit quel-
que
i
^^4 'T R AI T eJ D E S
queaftion qui pût fatisfaire la juftice
de Dieu pour nos crimes , il faudroit
que ce fût une aélion à laquelle nous
ne fufîions point obligez. Car fi c'eft
une aâion que nous foyons d'ailleurs
tenus de faire , il eft bien vrai qu'en
la faifant nous-nous aquittons de l'o-
bligation où nous étions de la faire ,
mais nous ne faifons que cela feul , 6c
ne couvrons pas par là d'autres man-
quemens , où nous pouvons être tom-
bez.
Par exemple, je fuis redevable àua
Seigneur temporel , ou àun créancier,
d'une rente annuelle que je dois lui
payer à un certain jour. Je laiflè paf-
ferdeuxou trois ans fans la lui payer.
Enfuite je la lui paye pour la troifiéme,
&C pour la quatrième année. N'y au-
roit-il pas quelque chofe , non feule-
ment d'injufte, mais de ridicule , à
prétendre que ce payement que je fais
pour la troifiémeéc pour la quatrième
année , m'aquitte non feulement de ce
que je devois pour ces deux années,
mais encore de ce que je devois pour
les précédentes ?
BONNES OEuVRES. l6j
Il en eft de même de nôtre fujet.
En donnant une aumône , par exem-
ple , on fait ce qu'on doit dans la con-
, jonàureoù l'on fe trouve. On s'af-
franchit de l'obligation où l'on étoit
de la faire. On yfatisfait. Maison
ne fatisfait pas par là pour un adultè-
re , pour-un homicide , ou pour un
larcin, qu'on avoit commis quelque
"temps auparavant.
On dira peut-être que cette raifon
ne prouve rien à l'égard des œu-
vres furerogatoires. J'en conviens.
: Mais outre que j'ai fait voir dans mon
i Traité de la Confcience 9 qu'il n'y
en a point de telles , n'eft-ce pas
quelque chofe que de prouver qu'au
' moins les œuvres commandées ne fa-
tisfont point? Ceci n'efi il pas direc-
tement oppofé aux prétentions de
l'Eglife Romaine ?
IV. La manière en laquelle l'E-
criture exprime le pardon que Dieu
nous accorde, fait voir encore bien
clairement qu'après avoir reçu cette
grâce il ne nous refte abfolument rien
M àex-
^66 T R A I T e' D E s
à expier. Elle dit que 'Dieu pardon-
ne nos péchez > qu'il les efface de fon
livre , qu'il les efiàce de Ton fouvenir,
qu'il les jette derrière fon dos , qu'il
les plonge au fond de la mer , qu'il les
diflipe , comme quand le Soleil diflipe
unnu?ge, qu'il les éloigne tout autant
que l'Orient eft éloigné de l'Occident,
que . s'ils étoient rouges comme le ver-
millon, il les fait devenir plus blancs
que la neige , qu'on aura beau les cher-
cher, mais qu'on ne les trouvera point.
Ces expreffionsfoitesnefont elles pas
entendre bien nettement que le par-
don que Dieu nous accorde , eft un
pardon entier ôc abfolu/' Et feroit-il
poffible de les accorder avec ce que
l'Eglife Romaine dit qu'après que
Dieu nous a reçus en fa grâce , il ne
laiffe pas de nous punir pendant une
longue fuite de fîecles , comme on
prétend qu'il le fait dans le Purga-
toire ?
V. Ce que S. Paul dit qu'il neref-
te plus aucune condamnation pour
ceux qui font en Jefus-Chrift Rom.
VIII. I. prouve encore bien forte-
ment
BONNES OEuVRES. 167
ment cette vérité. Car enfin fi Dieu
punifibit ceux qui font en Jefiis-
Chrift , c'eft à dire ceux qui fi^nt unis
à ce grand Sauveur, par une foi vi-
_' ve , & opérante par la charité , il les
y condamneroit , n'y ayant point de
condamnation fans punition. Et fi
Dieu les y condamnoit-, S. Paul di-
roit-il fi fortement qu'il n'y a plus au*
cune condamnation pour eux.
VI. Enfin le principal ufage , au-
quel on deftine les fatisfaébions hu-
maines , c'efi: de mettre ceux qui les
font à couvert des flammes du Purga-
toire. Car pour les fou fîrances de cette
vie , outre qu'elles ne font pas à beaur
coup prés auffi rudes , on (ait que les
plus faints n'en font pas exempts. Mais
peut-on imaginer quoi que ce foit de
plus contradictoire que la do6trine de
l'Eglife Romains fur ce fujet ?
Lors qu'il s'agit de Pintercefiîon
des Saints, elle exaggere à l'infini le
crédit qu'elle kur attribue auprès de
Dieu. Elle dit que comme leur fain-
teté efl: parfaite, & abfolument exemp-
te des défauts aufquels les plus avancez
Ma (bat
"2,68 Traite' des
font Rijets pendant cette vie , leurs priè-
res font auiîi plus efficaces, & tellement
efficaces, que Dieu ne leur refufe au-
cune des grâces 5 qu'ils peuvent lui de-
mander. En particulier il n'y a point
d'excez où ils ne le portent lors qu'il
eil queftion de parler du pouvoir qu'a
la fainte Vierge fur fbn glorieux Fils.
Ils difent qu'il n'eft pas poffible quece
grand Sauveur lui refufe quoi que ce
foit, & la plupart de leurs Dofteurs
difent fur ce fujet des chofes, les unes
ridicules 5c extravagantes , les autres
impies ÔC blafpliematoires. Laifîbris
ces excez , ôc arrêtons nous à ce que
les plus modérez prétendent. C'eftque
les demandes de la fainte Vierge , cel-
les des Apôtres, des Martyrs, celles du
refte des Saints, enfin celles des Anges,
6c généralement de tous les Efprits
bienheureux, font tres-efficaces,& ob-
tiennent avec la dernière facilité tous
les effets de la bonté 6c de la miferi^
corde de Dieu pour les hommes.
Ils conviennent encore que ces Ef^
prits bienheureux ont beaucoup plus
de
BONNES OEUVRES. 269
de charité ôc de tendreiTe pour
nous, que nous n'en avons lés uns
pour les autres ; & c'eft là en eflet
une chofe qui ne leur peut être con-
teitée.
J'ajoute en troinéme lieu que fé-
lon PEglife Romaine les Saints 6c les
Anges ne peuvent ignorer l'état des
âmes , qui foulTrent dans le Pur-
gatoire. . Pluiieurs , d'entr'eux le fa-
vent par expérience , ayant palTé
par ce triile lieu avant que d'être
reçus dans le Ciel, & tous enfem-
ble le favent par une autre voie ,
je veux dire par la contemplation
de la face de Dieu , en laquelle
on prétend qu'ils voient toutes cho-
fes.
Tout cela joint enfemble comment
fe peut-il , d'un côté que tous les
Anges 6c tous les Saints fâchant fî
diftinclement quelle eft la rigueur
des peines , que ces âmes fouffrent
dans le Purgatoire , êc prenant tant
d'interê]; en ce qui les touche , ne de-
mandent pas à Dieu leur foulagement
. M 3 5c leur
^jo Tra ite'des
êc leur délivrance, &de l'autre qu'a-
yant tant de crédit , Si le demandant
fi inftamment , ils ne l'obtiennent ?
Comment fe peut-il qu'il y ait une feu-
le ame qui y demeure tant foit peu
de temps, & (|ue les prières de tant de
Saints n'en retuxnt un moment après
que la juilice divine l'y a condamnée ?
Qii'on dife ce qu'on voudra. Ja-
mais on n'accordera toutes ces propo-
rtions les unes avec les autres , 6c il
faut necefTairement reconnoître , ou
que le crédit des Saints n'eft pas à
beaucoup prés auiî? grand qu'on nous
fait entendre lors qu'on veut nous por-
ter à les invoquer , ou que les âmes des
juflcs ne font pas un fort long féjour
dans le Purgatoire, & qu'ainfi les fa-
tisfaâiions ne font nullement neceflài-
res,.
CHA-
BONNES OEUVRES^ 27I
CHAPITRE XXXL
Si les bonnes œuvres nous juflifient,
ette que{l:ion,toure fimple qti'el»
le paroi tjHe lailîe pas d'en renfer-
mer piuiieurs différentes. Cela vient
de ce que PEglife Romaine prend le
terme de juftifier en un rens,& les Pro-
teftans en un autre. t'Eglife Ro-
maine parjuftilier entend rendre jufte
par Pinfufion de la juiiice inhérente ,
q.uifelon^lle n eft autre cîiofe que îa
charité : Et les Proteflans entendent
par cette expreffion abfoudre, déclarer
jufte, donner gain de caufe.
D'ailleurs tant PEglife Romaine^'
que les Protellans , diilinguent une
double juftifi cation, que chacun de ces
partis défigne & conçoit à fa manière,
L'Eglife Romaine exprime fa diilinc-
tion en difant qu'il y a une, première ,
& une féconde juftification. La pre-
mière eft Pinfufion des habitudes fur-
M 4 natu-
272' Traite' des
naturelles, dont la principale efl cel-
le de la charité. La féconde efl Pau-
gmentation de ces habitudes, qui les
met en état d'agir plus fortement, ÔC
d'une manière plus achevée.
L4es Protellans de leur côté diflin-
guent une double jullification , celle
du pécheur , 5c celle du jufle . La pre-
mière n'éft autre chofe que la remif-
fion des péchez, ôc la collation du droit
à la vie éternelle. La féconde peut
être coniiderée à deux égards , com-
me une aétion de Dieu, 6c comme
uneaétionde Phomme. La raifonea
eil que PEcriture dit également en ce
fens , & que Dieu jufliiie le juile , 5c
que le juile fe j ufc ifie .
La jullification du Jufte, confiderée
comme une action de Dieu, emporte
trois chofes- L Qtie Dieu reconnoît
pour juile celui qui Pefl effeélive-
ment, II. Qu'il le déclare tel. III.
Qu'il le traite comme juile. Larai-
fon en eil qu'il y a cent endroits dans |
l'Ecriture , oii juilifier n'eil autre |
chofe que déclarer juile. Ainii rien
n'eil plus naturel que de dire aue Dieu
jufti-
BONNES OEUVR ES.' 2,75
juftiiie le jufte lors qu'il le déclare
jufte. Mais comme il ne déclare ja-
mais qui que ce foit,^ qu'il ne le ju-
ge en foi même tel qu'il le déclare , il
faut tenir pour certain que dés là que _
Dieu déclare un homme jufte , il le re-
connoît pour jufte , êc le regarde com-
me jufte. Enfin ce n'eft pas feulement
par des paroles qu'il déclare juftes
ceux qui le font. Il fait encore la mê-
me chofe par des aétions . Ainfi tout ce
qu'il fait à l'égard de fes enfans , ôc qui
induit, oufuppofe, qu'il les regarde
comme juftes, tout cela, dis-je, doic
paÛer pour une déclaration telle que
Dieu fait de leur juftice , êc par con-
fequent pour une juftification.
Au refte quand je parle de déclarer
jufte , je n'entends pas fîmplementab-
foudre , 6c décharger de la condam-
nation que l'on méritoic . Je n'entends-
pas déclarer jufte d'une juftice impu-
tée. Ceci regarde la juftification du
pécheur. J'entends déclarer jufte
d'une juftice inhérente, laquelle eft
Hncére , quoi qu'elle ne foit pas par-
Élite 5. coîjame elle fera dans le CieL.
■ M s C'eft-
^74 Traite* des
C'efl; dire que la foi de cet homme
efl une foi vive , qu'il aime Dieu vé-
ritablement 6c fincerement , en un
mot qu'il â tout ce qu'il faut pour ê-
tre du nombre des enfans de Dieu , ÔC
des héritiers de fonCiel.
Enfin, il eft remarquable qu'il y a
deux fortes de bonnes œuvres. Les
unes ne font autre chofe que des mou-
vemens internes du cœur , tels que
font principalement les aétes de la con-
trition, qui renferme elFentiellement
FamourdeDieu, la douleur qu'on a
de lui avoir déplu , l'efperance du
pardon , 6c le deiir de fe corriger êc de
vivre mieux. Les autres font les œu-
vres externes que la Loi de Dieu nous
prefcrit, les prières, les aétions de
grâces , les aumônes , les reftitutions^
^ les autres a6lions femblables.
Tout cela étant ainiî démêlé, rien
îa'eftplus aifé que de fe faire une idée
nette 6c précife des divers fentimens ,
qu'on a fur cette matière , 6c confe-
quemment des difputes , qui partagent
à. cet égard les Chrétiens, Premié-
xement
1
BONNES OEuVRES. a/jT
rement PEglife Romaine prétend que
les deux jultifications qu'elle pofe ie
font par les œuvres , mais diverfe-
ment. Elle croit que la féconde julli-
fication, qui n'eil autre chofe que l'au-
gmentation des habitudes farnaturel-
les 5 eil une faveur qu'on obtient de
Dieu en la méritant d'un mérite de
condignité , 6c proprement dit , &
qu'on la mérite au relie par toute forte
de bonnes œuvres , internes , & ex-
ternes, pourveu feulement qu'elles
foient faites avec le fecours de la grâ-
ce habituelle qu'on a reçue par la pre-
mière juftification.
Pour ce qui regarde cette première
juiliii cation , ellecroit qu'on l'obtient
de Dieu , non par des œuvres ex-
ternes , lefquelles 11 elles font bonneSj,
font des fuites de la première juilifica»
tion , ôc non des caufes qui la produi-
fent , mais parles aéles internes de foi
ôc de contrition, que le pécheur ne
produit jamais , que Dieu ne le jufti-
fie tout incontinent , verfant dans for^
cœur l'habitude de la chanté. Ils ajou-
tent que ces actes internes ne méritent
M 6 pas^
%j6 T R A I T eVd E s
pas la première juilificaiion d'un mé-
rite de condignité , & proprement dit,
mais feulement d'un n:|^erite de con-
gruité , & de bienfeance .
Les Sociniens , ôc les Remontrans,
qui prennent comme nous le terme de
juilifier au fens du barreau , & qui font
confiiler principalement cet aâ:e dans
la remifïion des péchez, difent que
Dieu l'accorde , mais par pure grâce,
à la converiion , qui comprend les ac-
tes de foi, de contrition, 6c d'amen-
dement', &: par confequent une Ion*
gue fuite de bonnes œuvres , internes,
& externes. D'où ils concluent qu'un
homme qui ne fe repentiroit qu'aux
derniers mom'cns de fa vie , quelque
vive , êc quelque fincere , que fa re-
pentance pût être , pourroit ne pas
laiiTer de périr, parce que fa repen-
tance n'étant pas fui vie des fruits qu'el-
le doit prodmre , elle ne feroit pas tel-
le que Dieu l'exige de nous.
^lais quoi que nous ne doutions pas
que la contrition ne foit abfolument
neçellaire pour obtenir la remiiîion des
jpechez, nous ne croyons pas qu'elle
le
BONNES OEuVRES. 277
i» le fbit en la même manière que la foi.
Et en effet l'Ecriture, qui dit fi fou-
vent qu'on eft juftifié par la foi , ne dit
jamais qu'on l'eft par la contrition. La
raifon en eft que la foi a une efficace
particulière pour la production de cet
effet , étant celle qui embrafle , 6c qui
nous applique le mérite de Jefus-
Chrift 5 ce que la contrition ne fait pas.
Mais cecin'eftpasde ce lieu. Peut-
être en parlerons nous plus à fond dans
un autre ouvrage ,
Pour ce qui regarde la juftification
du jufte , nous croyons premièrement
que c'eft par fcs œuvres que le jufte
met en évidence la Sincérité de fa foi.
En deuxième lieu que û Dieu le re-
connoic jufte , le déclare jufte , ôc le
traite comme jufte ^ c'eft en confe-
quence des bonnes œuvres que ce juf-
te a faites, 6c de l'application avec la-
quelle il s'eft attaché à la pratique de la.
pieté.
On peut voir maintenant en quoi
c'eft que confifte la difpute qu'il y a fur
ce fuiet entre les Chrétiens. Les trois
plus confiderabks conteftations qu'il
y ait
278 T R A I T e' D E s
y ait là deffus font celles-ci. I. L'E-
glife Romaine foùtient que nos bonr
nés œuvres méritent proprement , 6c
par un mérite de condignité , l'au-
gmentation des habitudes furnaturel-
les que la grâce opère en nos cœurs :
Etc'eft^e que nous ne pouvons ad-
mettre. II. Les Sociniens 6c lesRe-
montrans foûtiennent que Dieu at-
tend à nous pardonner nos péchez juf-
qu'à ce que nous ayons juftifié là fîn-
cerité de nôtre converflon par une
longue fuite de bonnes œuvres; Et
nous foûtenons le contraire. lïl. Nous
foûtenons que lors que Dieu nous par-
donne nos péchez il le fait en confide-
ration de la fatisfaftion de fon Fils ^
«qu'ils nous impute , 6c que nous ac-
ceptons par la foi : Et les Sociniens
prétendent qu'il n'a égard qu'à nôtre
converflon , dont il fe contente par pu-
re grâce , fans exiger quoi que ce fbit
davanta2;e.
Mais on voit bien qu'aucune de ces
trois difputes n'eft proprement de ce
lieu. La première efl fuffifamment
décidée par tout ce quej'ai dit dans les
cha-
BONNES OE LIVRES. 279
cliapitres precedens , où j'ai fait voir
que les plus excellentes de nos bonnes^
œuvres ne font nullement méritoires.
J'ai éclairçi 'fuffifamment la féconde
dans ma ^SHort des fufles Liv. 4. chaf.
8. ôc dans inon Traité de la foi divine
Liv. 3. chap. 10. Et pour ce qui regarde
la troifiéme , c'eft une quefbion qui
n'eft pas proprement de nôtre fujet ,
& qui demanderoit d'ailleurs un Trai»
té à part , fi d'autres, ne l'avoient fuf-
fifammentéclaiixi. ^ .
Pour ce qui regarde ce que PEgli-
fe Romaine appelle la première jufbi-
fication , c'eft à dire l'infuiion des ha-
bitudes furnaturelles , il eft malaifé
d'y trouver la matière d'une difpute
bien réelle , ÔC bien importante . Pre-
mièrement on convient de part 6c
d'autre du principal. On convient
que Dieu répand ces habitudes dans
l'ame de ceux qui feconvertilTent ve»
ritablement à lui. On convient que
ceux qui fe convertiilent le font par
les aâies internes de foi. On convient
enfin quecesaâresnefont pas les pro-
du.£tions de la. nature ^ mais les effets
de
aSo Traite' des
de la grâce. Ainfi toute la queilion
qu'il y peut reiler, c'ell I. de (avoir
Il Dieu attend à orner Pâme de ces ha-
bitudes jufqu'à ce qu'on ait fait ces
aâcs, fi au contraire Pinfufion des
habitudes précède les aétes , ou fi en- ■
fin le tout fe fait à la fois. II. Sien fup--
pofant le premier il eft vray de dire
que c^s aâes méritent ces habitudes
d'un mérite de congruiré. III. Si cet--
te infufion eft ce que l'Ecriture défi- ■
gne lors qu'elle dit que Dieu juftifie
le pécheur.
Je croi qu'il eft impofiîble de déci-
der fûrement ôc folidement la pre-
mière de ces trois queftions. Les trois
manières aufquelles j'ai dit qu'on peut
combiner les actes de contrition , 6c
Pinfufion de la charité , font égale-
ment pofiibks. Ainfi la raifonnefau-
roit décider laquelle des trois eft la ve- '
ritable. Et pour ce qui regarde la ré-
vélation 5 qui eft celle qu'il faudroit
uniquement confulter fur une matiè-
re comme celle-ci , je n'y voi rien qui
puifie nous éclaircir là deflus. Ainfi
je fuis perfuadé que le meilleur feroit
de laifier cette queftion indécife.
BONNES OEuVRES. 2.8l
Je dis à plus forte raifon la même
chofe de la féconde , dont ladécifion
dépend vifiblement de celle delà pre-
mière . Car comment pourra - 1 - on
favoir fi Pune de ces chofes obtient
l'autre , fi on ne fait , ni iî l'une pré-
cède l'autre , ni pofé qu'elle le faiîe ,
laquelle efl celle qui précède , ou cel-
le qui fuit ?
J'ajouterai cependant que ce terme
de mente , même de^ congruité ^ nous
choque, & non fans raifon, comme
je l'ai déjà remarqué dans un autre en-
droit. Pour ce qui regarde la choie
même , je ne voi pas grand inconvé-
nient à dire qu'il efh digne de la bon-
té de Dieu d'accorder aux bonnes ac-
tions de fes enfans des grâces qu'ils ne
méritent point en jullice, ôcqu'ainfl fî
on réduit à ceci le fens de cette exprçf-
flon , l'exprcffion pourra bien être tou-
jours incommode , mais la chofe mê-
me n'aura rien dont on doive être cho-
qué.
Pour ce: qui regarde la troifiéme
queftion, il eft certain que l'Eglife
Romaine fe trompe lors qu'elle foû-
tient
aSx Traite' des
tient que la juilification dont l'Ecri-
ture fainte nous parle , lors qu'elle
dit que Dieujuftifie le pécheur, n'eft
autre choie que Pinfulion des habitu-
des furnaturelles. Mais comme il
n'y a aucun de ceux de nos Théolo-
giens qui Ont traitté cette matière , qui
n'ait prouvé demonftrativement le
Contraire , 6c que je n'ai rien à ajouter
à ce qu'ils en ont dit, j'efpére qu'on
ne trouvera pas mauvais que je ne m'y
arrête point prefentement.
CHAPITRE XXXII.
réflexions jur ce que S. jaques dit fnr
ce fui et.
COmme tous ceux qui prétendent
que l'homme efl: juftiiié par fcs
œuvres fe fondent principalement lur
l'autorité de S. Jaques , qui fembleen
efïet s'être expliqué allez nettement
là deflus fur la fin du chapitre IL de
fa Catholique, il n'y aura point de
mal
BONNES OEuVRES. iSj
mal à faire quelques reflexions fur ce
qu'il en dit.
Je dis donc en premier lieu que PE-
glife Romaine ne peut tirer aucun
avantage de cet endroit de S. Jaques ,
foit pour appuyer fa créance , foit
pour ébranler la nôtre. Que peut-elle
conclurre de ce que cet Apôtre nous-
dit? G'eft dit elle, quelajuflification
ne fe fait , ni par la foi fans les œu-
vres , ni par les œuvres fans la foy ,
mais par l'union ôc le concours de ces
deux caufes qui agilfent enfemble.
Mais, dirai-je, quelle eft cette jus-
tification , qu'on prétend que la foi ÔC
les œuvres opèrent conjointement ?
Eil-ce la première , ou la féconde ?
Si e'efl la première , je demande en-
core quelles font les œuvres qui la
produifent, ou qui l'obtiennent ? Sont-
ee les aéte s internes de foi ^ de contri-
tion, 8c d'amour. Mais comment
peut-on foûtenirque S. Jaques fafïe
dépendre la première juftification de
ces œuvres, puis qu'il n'en dît pas un
mot ? Il parle uniquement des œuvres
fenlibles ôc extérieures , des aumônes
284 Traite' des
•3^. 16. de Poblation d'Ifaac f.Ti.dc
ce que Rahab fit pour les Efpions de
Jofué # . 2^. Pour la contrition 6c Pa-
mour de Dieu il n'en parle point.
L'Eglife Romaine a - 1 - elle donc
delTein de prouver par l'autorité de S.
Jaques que la première jullification fe
fait^ ou s'obtient , par des œuvres
fenfibles 6c extérieures ? Si cela eft ,
elle difpute contre elle-même. Car
elle croit que les œuvres de cette
efpece bien loin d'opérer la premiè-
re juftification, ne la précèdent pas,
•mais la fuivent , fui vant cette parole
célèbre de S . Auguflin , 'Bona opéra non
"pTâLceàimt jufttficmàHm ^fed fequtintHr jptf'
tificatum.
D'ailleurs qui ne yoitque S. Jaques
ne parle de prés ni de loin de la pre-
mière juitification ? N'eft-ce pas là
une chofe qui paroît plus clair que le
jour par l'exemple d'Abraham , que
S. Jaques produit, & qui eft celuy
qu'il prelFe le plus.? Il dit que ce Pa-
triarche fut juftifié par fes œuvres
lors qu'il offrit fon fils Ifaac fur l'au-
tel . Mais qui ne fait que lors qu'Abra-
ham
BONNES OEuVRES. aSj'
ham donna à Dieu cette grande preu-
ve de fon refpe6t , il y avoit déjà du
temps qu'il étoit juflifîé ? Selon Pe-
tau il s'étoit pafîe 55. ans depuis
qu'il avoit quitté la Chaldée pour
obeïr à la vocation de Dieu , jufqu'à
ce qu'il reçût l'ordre d'immoler liàac.
Depuis fa vocation il avoit donné des
preuves continuelles de fa foi 6c de la
pieté, comme on peut le voir dans
Phiftoire Sainte , & dans ce que faint
Paul en rapporte au chapitre XI. de
fon Epitre aux Hébreux. Ainfi ileft
impoffible que cette juftification , qui
félon S. Jaques lui fut accordée lors
qu'il offrit à Dieu fon enfant , fût de
l'ordre de celles qu'on nomme pre-
mière , & par confequent il ne fe peut
que S. Jaques fe foit propofé de prou-
ver par là que la première juftification
fe fait par les œuvres .'
Se reduira-t-on donc à prouver par
le témoignage de cet Apôtre , que
c'eft non la première , mais la fécon-
de juftification que les œuvres nous
font obtenir ? Si cela eft on ne prou-
ve rien contre nous. Car y a-t-il au-
cun
2S6 Traite' des
cun de nos Auteurs , qui refufe de re-
connoître que Dieu recompenfe la
pieté de Tes enfans , 6c les foins qu'ils
prennent de lui obeïr , qu'il les re-
compenfe , dis-je , par une nouvelle
efTufion des graces de fon efprit?
Mais, dira-t-on, vous ne voulez
pas reconnoître que nos bonnes œu-
vres méritent cette recompenfe . Nous
ne le reconnoiffons pas, je l'avoue,
"^ais S. Jaques Palîeure-t-il ? Ya-t-il
dans tout ce paiîàge un feul mot tou-
chant le mérite ?
Je ne voi donc rien dans cet endroit,
que l'Eglife Romaine nous puifTe op-
pofer. S'il yavoit quelqu'un qui pût
s'en prévaloir contre nous , ce feroient
les Sociniens 6c les Remontrans, dont
le fentiment paroît beaucoup plus
conforme à tout le difcours de S. Ja-
ques que celui des Do6teurs de Ro-
me. Premièrement ils ne donnent pas
au terme de juftifier un fens différent
de celui qu'il a d'ordinaire dans l'E-
criture, comme fait l'Eglife Romai-
ne. Ils le prennent comme nous au
fens du barreau, 6c d'ailleurs les œu-
vres
BONNES OEUVRES. 287
vres aufquelles ils donnent le pouvoir
de nous juftifier , ne font pas feulement
des a6les internes de foi , de contrition ,
6c d'amour, mais toute forte de bonnes
oeuvres internes, êc externes, ce qui
nous empêche de faire valoir contre
eux quelques-unes des preuves dont
nous-nous fervons contre PEglife Ro-
maine. Mais quoi qu'il en foit , il nous
en refte de très folides que nous leur
pouvons oppofer.
Ils prétendent que S. Jaques parle de
la juftification du pécheur , 6c en effet
nous ne fommes en difpute avec eux que
fur celle-ci feule. Mais n'eft-il pas vrai
que l'exemple d'Abraham , que cet
Apôtre produit, fait voir clairement
qu'il parle auffi peu de ce que nous ap-
pelions la juftification du pécheur , que
de, ce que TEglile Romaine appelle la
première jullification .? Eft-il plus aifé
d'appliquer la preuve que S. Jaques
I prend de cet exemple , à Tune de ces
jjuftificationsqu'à Tautre?
Les Sociniens 6c lesRemontransre-
connoiflènt que la juftification confiftc
principalement dans la remiffion des
pe-
i88 Traite' d es
pcchez. Mais quel péché Dieu par-
donna-t-il à Abraham lors que ce Pa-
triarche luy ofirit fon fils? Quand mê-
me il lui en auroit pardonné quelqu'un,
comment pourroit-on le prouver? Et
fî S. Jaques le prétendoit, ôcavoitdef-
feinde le faire entendre , feroit-il pofîi-
ble d'en trouver la preuve dans ce qu'il
dit? ^
D'ailleurs, ne peut-on pas faire voir
qu'il efl impoffible que S. Jaques ait eu
la penfée que les Sociniens ôc les Re-
montràns lui attribuent, en prouvant
que cette penfée qu'ils lui attribuent eil
aireârement oppofée à ce quel'Ecritu*
re nous dit en d'autres endroits.? On y
trouve plufîeurs exemples, que j'ai pro-
duits ailleurs 5 du pardon que Dieu a ac-
cordé â des pécheurs dés le moment
qu'ils ont imploré fà grâce, & fans at-
tendre qu'ils juflifiafîcnt la fincérité de
leur repentance par des œuvres fenfi-
bles ôc extérieures. Celafeul nefuffit-
il pas pour prouver que la penfée de
cet Apôtre n'eft pas celle des Sociniens
& des Remontrans ?
Quel efl; donc le fens de S. Jaques?
BONNES OEuVRES. 289
Il n'eft pas bien difficile de l'indiquer.
Selon toutes les apparences cet Apôtre
a en veuë les Difciples de Simon le Ma-
gicien, qu'on appelle ordinairement
Gnoftiques, ôcc'eft là en ejBfetlefen-
timent d'Ëftius, de Hammond , "& de
plufieurs autres. Ces hérétiques foû-
tenoient principalement que ce qui
nous fauve, c'eft une nue, 6c fimple
cônnoiflance de la vérité , qu'ils appel-
loient , tantôt foi, & tantôt Çnofe , mais
qui quoi qu'il en foit peut fubfillier , &
faire fon effet, fans être accom^pagnce
de la pratique des bonnes œuvres, &
cequiefl plus horrible, quoi qu'elle
n'empêche pas de fe porter aux plus
énormes excez.
Pour détruire cette abominable doc-
trine, S. Jaques foûtient deux cliofes.
L'une que la foi feparéedes bonnes œu-
vres , & à plus forte raifon fubiiftant a-
vec la pratique des plus grands péchez^
eft une foi morte, vaine , ôc inutile , in-
capable de nous juiliiier & de nous
fauver. L'autre que Dieu ne regarde
comme fes enfans, nereconnoit pour
tels , 6c ne traite comme tels, que ceux
qui s'appliquent à la pratique des bon-
nes œuvres. . N Rien
290 Traite' des
Rien ne pouvoit être plus oppo-
fé aux erreurs des Gnoftiques que ces
deux veritez , rien n'en fait voir plus J
évidemment le venia & la faufleté. ^
Il eil certain auffi que tout ce que
S. Jaques dit dans cet endroit ne tend
qu'à appuyer , tantôt Pune 6c tantôt
l'autre , ou pour mieux dire qu'à les à
appuyer toutes deux , avec cette feu-
le différence, qu'il regarde principa-
lement à la première dans les fix pre-
miers verfets , & à la féconde dans les
fept derniers , depuis le vingtième /
jufqu'à la fin du chapitre.
Il exprime la première en difant que
la foi fans les œuvres eft morte , qu'el-
le ne peut , ni nous fauver , ni nous
juflifier. Il exprime la féconde en di-
fant que l'homme eft juftifié par fes
œuvres, ce qu'il faut entendre, non
de la juftification du pécheur , mais
de celle du jufte , telle que je l'ai con-
çue. C'eft ce qui paroît par tout ce que
cet Apôtre dit fur cefujet.
Quel autre fens peut-on donnerau
verfet 18. t^Komre moi ta j 01 fans tes
&uvr€S^ & je te înontrerdi ma foi par mes
ŒH-vres?
B0NNE15 OEUVRES." I91
muvres ? Qui ne voit qu^il ell là par-
lé, non d'une juftification qui rend
jufte celui qui ne Tétoit pas aupara-
vant, mais d'une juftification qui fait
voir qu'on l'eft en efîet ?
N'eil-ce pas là encore ce que prou-
ve l'exemple d'Abraham ? Car com-
ment eft-ce que l'oblation qu'il fît a
Dieu de fon fils , le juftifia , qu'en
mettant en évidence la fermeté de fa
foi, 6c en obtenant de Dieu cette dé-
claration fi folemnelle , ôc qui lui fit
tant d'honneur , f^ai maintenant connu
que tu crains Dieu , fuii que tu n'^as foim
épargné ton fils ^ ton unique four moi ?
Gen.XXlI.iz.
N'cft-ce pas là ce que prouve ce
qui eft remarqué au f, 23. qu'alors
. fut accompli dans toute fon étendue
ce que l'Ecriture avoit dit par rap-
port à une autre aârion , qui avoit
précédé, ay^braham a creu a DieM, ^
cela lui a été imputé a JHfiice , & il a été
appelle ami de Dieu} Qu'on péfe ces
dernières paroles, êc on verra que S»
Jaques parle de la juftification d'un
jufte,
N 7. N'efU
2-92' Traite' des
N'eft-ce pas là enfin ce que prouve
Pexemple de Rahab ? Celte femme fut
traitée comme julle étant exceptée de
l'interdit de Jéricho , & prefervée d'un ^
malheur auquel fa naifîance l'afTujet-
tiflbit. Mais comment obtint -elle
cette grande grâce? Ce fut en recevant J
les Efpions de Jofué , en leur donnant *
le moyen de fe fauver, 6c rifquant fa
vie pour leur donner ce fecours.
En un mot^ qu'on donne à S . Jaques
le fens & l'intention que je lui attribue.
Qu'on fuppofe qu'il veut prouver les
deux veritez que j'ai indiquées. On ne
trouvera pas un feul mot dans tout ce
qu'il dit qui foit inutile , 6c qui ne fàf-
fê admirablement cet efiet . Au contrai-
iT tout autre defiein qu'on lui donne il
y aura toujours quelque chofe qui ne
ferviradeiien. On lui attribuera mê-
me des raifonnemens , qui n'auront ni
force^ni vraifembjance,ou pour mieux
dire qui feront li foibles, & fi peu prcf-
fans, qu'un homme médiocrement ju-
dicieux auroit honte de s'en fervir. Ce-
la feuinc fuffit-il pas pour faire voir que
le fcns que j'attribue à cet Apôtre cil le
véritable ? Mais
BONNES OEUVRES. 2^5
Mais, dira-t-on, pourquoi S. Jaques
ne parle-t-il que de ia juftification du
jufte ? Pourquoi ne dit- il rien de lajui-
tification du pécheur ? C'efb parce que
les hérétiques qu'il attaque dans cet
endroit ne reconnoifibient que la pre«"
miere.llsnefe mettoient point en pei-
ne de ia remiffion des péchez. Ilscroi-
oient, comme S. Irenée le remarque
liv, I. chap. 20. que toute forte d'ac-
tions font indifférentes. Ainii la jufti-
fication du pécheur eft une grâce qui
leur étoit inconnue. Mais quoi qu'il en
(oit, ils croyoient qu'il étoit neceftaire
de plau*e à Dieu, & d'être les objets de
fon amour & de fa faveur. C'eft ce
qu'on obtenoit, félon eux , non par les
œuvres, mais par la foi, ou comme ils
parloient d'ordinau'e, par la conoiflànce.
Que filloit-il faire pour les réfuter ?
Faiioit-ii parler de ce qui peut être ne-
ceilâire pour obtenir la remilîion des
péchez? Rien n'auroit été plus inu-
tile que tout ce qu'on auroit pu dire
fur ce fujct. Il .fiUoit établir deux cho-
fes. L'une que la foiians les œuvres eft:
inutile. L'autre que les œuvres font
N 5 abfo-
Î94 Traite' des
abfolument necefTaires pour faire que
Dieu nous regarde comme ies en-
fans , qui eft ce qu'il fait par cette jus-
tification que nous appelions la jufti-
fication du jufle. C'efl-là ce- qu'il
falloit, &dire, éprouver, & c'eft
là auffi ce que faint Jaques ditexpref-
fement , ôc qu'il prouve de la manière
du monde la plus folide.
D'ailleurs, S. Jaques n'avoit deiTeiri
de prelFer que la necefîîtédes œuvres
fenlibles 6c extérieures , parce que
c'étoient les feules , qui lui donnoient
le moyen de convaincre fes Adver-
faires , En effet , s'il fe fût contenté
d'en exiger d'internes, ils n'auroient
pas manqué de répondre qu'ils en
faifoicnt aiTez de cet ordre. Mais
comme ils n'en faifoient pas d'exter-
nes , cet Apôtre efl bien aife de leur
en faire voir la neceiîité. Comme
donc ces œuvres externes ne font nul-
lement necelîaires pour obtenir la re-
miflion des péchez, comme il eft cer-
tain au moins qu'il ne faut pas qu'elle
précède la réception de cette grâce ,
quoi qu'il ibit abfolument neceffaire
qu'el-
BONNES OEUVRES.' ^gf
qu'elles la fuivent , on voit claire-
ment que cet Apôtre aeuraifondene
pas parler de ce qui nous fait obtenir
ce grand avantage , 6c de fe borner à
la jultification , que nous appelions
du jufte , 6c qui lui donnoit lieu de
prefler la neceffité des œuvres dont il
s'agiiToit.
CHAPITRE XXXIÎI.
I Véritables effets des bonnes œuvres,
CE que j'ai dit jufqu'ici fait voir
que nos bonnes œuvres ne peu-
vent ni mériter quoi que ce foit de-
vant Dieu , ni iatisfaire à fa juftice
pour nos péchez , OC que fî ellesjufti-
fient le jufte , elle ne fauroient faire
le même efîet envers le pécheur. Qiie
font elles donc , & quels font les ef-
fets qu'elles produifent? C'eftceque
je vai rechercher prefentement.
On peut réduire à trois ordres les
efïèts de nos bonnes œuvres. Elles
opèrent les premiers par rapport à
N 4 Dieu
^96 Traite' DES
Dieu , les féconds par rapport aux au-
tres hommes , ëc les troiiiémes par rap-'
port à nous.
Elles en produifent deux confide-
rablcs par l'apport à Dieu. L'un qu'el-
les i'honorertt 5 l'autre qu'elles le font
honorer.
Car pourle pre mier, toutes les bon-
nes œuvres que nous faifons, font, non
feulement tout autant de preuves, mais
encore tout autant de parties de l'hon-
neur que nous lui devons , ÔC qu'il efl
fi Julie , 6c fi neceflaire de lui rendre.
Si elles font véritablement bonîies ,
comme nous le fuppofons, nous les
faifons p-^r un principe d'amour pour
lui , pnr un véritable defir de lui piaire,
par un mouvement de refped; & de
foûmilTionpouria volonté. C'eft ce
que j'ai fait voir clairement dans ce
Traité même. Et^n'efl-ce p.s en cela
que conilile l'honneur &c le fervicè
que nous lui devons? N'ell-ce pas là
l'hommage que fa grandeur :xige de
nous?
D'un autre côté, rien ne porte plus
eiBcacement le reite des hommes à fer-
vir
"BO-NNES OEuVRES. I^J
^ yirDicu6c aie glorifier, rien ne leur
infpire plus de rcipeftSc de vénération
pour la vérité, que la vie pure & exem-
plaire de ceux qui la profefîènt. C'eil
fur ce fondement que le Sauveur du
monde difoit autrefois à fes Difciples.
Fuites Imre votre y.miere devant les hommes ^
afin cjîie les hommes vej^mt vos bonnes œu-
vres glorifient votre T'ere qui efi dans les
Qcux. Et S. Pierre, Ajez^vètre conver^
fiition honnefte envers les Gentils , afiji (jn'^en
.eequ^ils dstratient de vohs coynme d>e mal-
faiteurs , ils^lorifient Dieu au jour d.e la vi^
fit at ion pour vos bonnes œuvres qpPds auront
veues. l.Ep.lI. 12.
Ceci commence déjà de découvrir
, l'efficace des bonnes œuvres par rap-
port au refte des hommes. N'eft-ce
pas en effet en avoir beaucoup à leur
égard , que de leur infpirer de Pamour
6c du refpeét pour la Religion, 6e pour
le Dieu que cette ^Religion honore?
Quel pi us gi'and bien pourroit-on leu r
faire? Et à quoi eil-ce que k chanté
que nous leur devons peut nous porter
plus fortement qu'à ceci? Agir de la
forte c^Q-Çi les, édifier ^ félon Icllyle dç
l'Ecriture, c'eft à dire travailler eftU
N f race-
a^B Traite' i>ES
cacementà leur falut, les unir à J. C.
le Chef,êc le fondement de PEglire,les
laire vivre 6c croître en lui. Faire le
contraire c'eft les fcandalizer , c'ell
leur fermer la porte du Ciel, de par là
commettre un péché , qui doit être
bien atroce, puis que Je fus Chrift
prononce un li terrible ajiathemc
contre ceux qui s'en rendent coupa-
bles, fj^dheur^ dit- il, a ceint -par qui
le fcandale arrive. Il lui vaudrait mieux
(ju^on lui attachât une meule au cel ^ &
qu'ion lejeîtât en la mer.
Les exemples en gênerai , 6c de
quelque nature qu'ils foient , ont
beaucoup de pouvoir pour porter la
plûpart.des hommes à les fuivre. On
poLirroit peut - être définir l'homme
un animal imitatif , fans s'éloigner
beaucoup de la vérité. Il y a en effet en
nous une pente fecrete , qui nous por-
te à faire ce que nous voyons faire aux
autres. Mais les bons exemples ont
ceci de particulier , qu'ils détruifent
efficacement un préjugé, qui fait l'un
des plus grands obftacles à la con-
yerfion , & à k pratique des bonnes
œu-
BOÎTNES OEuVRES. 299
œuvres. On s'imagine qu'elles font,
non feulement difficiles à pratiquer ,
mais impoffibles. C'eft ce qui fait
que la plupart ne s'y appliquent point.
Mais on revient fans peine de cette er-
reur , lors qu'on voit pratiquer aux
autres ces mêmes œuvres , qu'on re-
gardoit comme impoffibles , ôconre-
connoît par là que c'eft nôtre lâche-
té , non la nature des chofes mêmes ,
qui nous empêche d'en faire autant.
Outre ces biens fpirituels , les bon-
nes oeuvres en font un grand nombre
de temporels. Qtie deviendroient les
foibles , & les miferables , s'il n'y a-
voit 5 ni juftice , ni charité , dans le
monde ? D'oii pourroient-ils atten-
dre , ni proteâion lors qu'on les op-
prime, ni confolation lors qu'ils fouf-
îrent , ni affiftance lors qu'ilsfe trou-
vent en neceffité ?
D'ailleurs, combien n'y a-t-il pas
d'impies dans le monde , que la jufti-
ce divine a-ccableroit de tout le poids
de fa vengeance , fi elle n'étoit rete-
nue par l'amour qu'elle a pour les
gens de bien , qui en fouffriroient ?
N 6 lÂïD^
5oo Traite* des
L'impure, ladeteftable Sodome,au-
roît été épargnée, s'il y eût eu dix
juRcs d'ans Ton enceinte : Et le
Prophète Efaïe alîeure que ïi le peu-
ple d'Ifraël n'eût euuû petit re-ile de
gens de bien, ilauroit été traitté avec
la même rigueur que cette ville abo-
minable. Ainii lors qu'on voit que la
juilice Divine épargne des villes, ou
des provinces , dont le débordement
extrême provoque vifiblement fa co-
lère, on a lieu de fe perfuader que
c'eil la pieté d'un petit nombre de
bonnes âmes, qui confervent leur pu-
reté parmi tant d'ordures , qui arrê-
te, ou du moins qui fufpcnd, la pe-
fan teiir de Tes coups .
Mais les principaux effets de nos
bonnes œuvres font ceux qu'elles. pro-
duifcnt par rapport à ceux qui les font.
Il y en a pluiieurs de cet ordre.
1. Le premier c'eft qu'elles les pre-
fcîrvent des péchez qu'ils commet-
troicnt en ne les faifant pas , & de tou-
tes ks fuites funefces que ces péchez
pourroient avoir , foit dans le temps ,
Toit dans l'éternité. Ileil certain en ef-
fet
BONNES OEuVRES. ^OT
fet que Pomifîîonde chaque bonne œu-
vre sll un péché particulier. Ce n'ell
pas tout. C'eft u n péché qui provoque
la colère de Dieu , 6c qui nous expojfe à
fa haine & à fa -vengeance . Témoin ce
que SJean-Baptifle difoit autrefois, L<«
coignée efl déjà mife a la racine des arbres.
Tout arbre donc qui ne porte pomtde hon fruit
s'en va être coHpe\(Jrjeîîéaufeu. Par confé-
quentnepas faire de bonnes œuvres,
c'efl d'un côté manquer à fon devoir,
& offenfer Dieu , & de l'autre s'attirer
le plus grand de tous les malheurs . Par
confequent encore les pratiquer , c'eft
fe mettre à couvert de l'un 6c de l'autre
de ces deux dangers, & de cette maniè-
re travailler utilement pour foi-même.
IL Faire de bonnes œuvres,c'efl félon
, S .Pierre aBerm ir nôtre vocation & nô-
tre éleélion. C'eft donner des fonde-
més folides à tout ce que nous pouvons
avoir de joie & de confolation dans le
monde. D'où cette confolation & cette
joie pourroient-elles venir que de la
perfuafion de l'amour de Dieujdu fen-
timent de fa grâce , & de l'efperance de
fa gloire ? Et comment pQUVons'-nous
nous
5ox Traite' des
nous affeurer , ni que Dieu nous ai^*^
nie , je parle de cet amour de com-
plaifance , dont il n'honore que fes
chers enfans, ni qu'il nous a pardon-
né nos péchez , ni qu'il nous referve
^ fon Ciel ôc fa gloire , que par les pé-
chez dont nous nous abftenons, &
par les bonnes œuvres que nous fai-
ibns ? La fecurité , la léthargie fpi-
rituelle, peut venir d'ailleurs , je l'a-
voue. Mais la paix 6c le calme de la
confcience, la joie Chrétienne, les
confolations folides, nefauroient ve-
nir que de là.
J'avoue que la joye & la confbla-
tion viennent immédiatement de la
foi. Mais qui ne fait que leur folidi-
lé dépend uniquement de la certitu-
de que nous avons que nôtre foi eft
vive 6c fîncére ? Car fi par malheur
c'étoit une foi morte, 6c femblableà
celle des ouvriers de l'iniquité , n'eft-
il pas certain que cette joie , que cet-
te confolacion feroient une faufTe jo-
ye , une fauilè confolation , qui n'au-
roient point d'autre èfiet que de nous
conduire plus doucement 6c plus tran-
quille- '
BONNES OEuVRES* 505
quillement dans l'enfeif Nous ne fom-
mes donc afleurez que nôtre joye efl:
folide , qu'à proportion de la certitu-
de que nous avons que nôtre foi ell
vive. Et comme nous ne pouvons
favoir que nôtre foi eft vive , que par
nos œuvres , il eft évident que nos
œuvres font en un fens le fondement
de nôtre joye , Ôc la fource de nôtre
confolation.
III. Elles avancent encore nôtre
fan6tification , & ajoutent de nou-
veaux'traits à l'image de Dieu dans
nos cœurs ,ou du moins rendent plus
vifs ceux que leS..Erprit y av oit tra-
cez. J'ai déjà fait voir de quelle ma-
nière ceci fe fait , & il n'eft pas ne-
eefîaire de le redire. Il fuffira de
remarquer que cet effet eft très con-
fiderable. Car enfin la fainteté fait
le plus grand & le plus précieux de
nos avantages , & rien ne nous élevé
au defîiis du refte des hommes , uu»
tant que celui-ci feul.
IV. Enfin, les bonnes œuvres font
agréables à Dieu, comme l'Ecriture
fainte l'affeureen divers endroits. Par
exem-
504 Traite' des
exemple S. Pierre foûtient que tous
les Chrétiens font autant de Sacrifi-
cateurs, qui offrent à Dieu da fiicnfi-
€es fptriîuels , -c^ui lui font agréables par fe-
fus'Chrift: Et S, Paul nous exhortant
à la libéralité 6c à la communication
aiTeure que Dieu prend plaifir à de tels
lacrifiçes, Cela étant il n'y a point de
doute que nos bonnes oeuvres ne nous
attirent l'amour ôcla bienveillance de
Dieu , ôc par confequent ne nous pro-
curent tous les effets de cette bienveil-
lance 6c de cet amour , foit dans le
temps, foit dans l'éternité. Auffi vo-
yons- nous que l'Ecriture appelle en
div^ers endroits les bienfaits de Dieu
une rccompenfe de nos bonnes œu-
vres, une rétribution qu'il leur rend,
un payement de ce que nous lui avons
prêté ^ une moiilbn qui nous dé-
dommage de tout ce que nous avons
femé, ëcc.
J'avoue que cette moiffon , ce paye-
ment, cette rccompenfe, ne font pas
des biens que nous ayons méritez , 6c
qui nous foie nt dûs en.^juftice. J'aifiit
i^oir fuffifammcnt le contraire. C'elt
à la
BONNES OEUVRES. 50^
â k bonté, & à la libéralité de Dieu ,
^ que nous en fommes redevables . Mais
puis que les bonnes œuvres invitent,
ibllicitent, excitent, émeuvent cet-
te bonté, 6c cette libéralité de Dieu,
puifqu'eîles nous en procurent les ef-'
Icts , il eft clair que leur efficace va juf-
ques là , 6c qu^ainfi on peut compter
lapolTeffionde ces biens parmi les ef-
fets de nos œuvres.
CHAPITRE XXXIV.
jQj4e rien rPeft -plus jufie , rien plfis raifort'
ndble que de s^appliquer fortement a la
■pratique des bonnes œuvres,
CE que je viens de dire fait voir
clairement avec quel foin, Oc avec
quelemprefîèment nous devons nous
attacher àfaire de bonnes œuvres. Car
enfin que pouvons nous faire, ni déplus
juile,de plus excel]ent,de plus beau en
foi, ni de pluautile,foit pour nous-mê-
mes ,
5o6 Traite' des
mes , * fbit pour les autres ? Que font
au prix de ceci les autres foins qui
nous occupent ? Nous travaillons
comme des forçats depuis Penfancc
jufqu'à la mort, Pun à une chofe, l'au-
tre à une autre. Mais qu'elle que ce
foit des occupations , qui partagent
de cette façon notre vie , eft-elle com-
parable à pas un de tous ces égards à
celle de pratiquer ce qu'il a pku à
Dieu de nous ordonner?
Toutes nos occupations ont quel-
que chofe de bas , de vil , & d'abjet.
Toutes font vaines & frivoles, & ne
noiiïs procurent point d'avantage, ou
ne nous en procurent que de tres-le-
gers. . Celle-ci feule répond digne-
ment , Se à la noblefle de nôtre na-
ture , & au rang où la grâce nous a
élevez. Celle- ci feule nous procure
des biens éternels , 6c infiniment pré-
cieux.
C'eft pour cela feul que Dieu nous
a donné cette vie. C'eft pour cela
feul qu'il nous a créez , rachettez , ÔC
régénérez. 7\[^hs fimmes ^ dit S. Paul,
P ouvrage de Dku, créés en fejuS'Chrtfta
de
à
BONNES OEuVRES. 507
de bonnes œuvres , cjne Dieu a prepare'es afin
que nous marchions en elles. Quel abus
donc ne ferons nous pas de Tes biens ,
& des eâèts de (à libéralité, fi nous ne
les employons à cet ufage?
Il nous en prefente chaque jour quel-
que nouvelle occafion. Il nousen don-
ne les moyens. Ces moyens ôccesoc-
cafions que font-ce qu'autant de talens
que nous devons tâcher de faire valoir
par nos foins? Ne le faifant pas, nous
commettons le péché du fêrviteurdeia~
parabole, qui enfouît le talent que ion
Maître lui avoit confié, ôc nous ne man-
querons pas d'être traitez comme lui,
éc d'entendre ce terrible Arrêt, fêtiez^
le Çe'nnîenr innutileaux ténèbres de dehors^
OH il y a des fleurs , & du grincement de
dents.
Mais tâchons d'approfondir un peu
tout ceci. Il y a trois principaux mo-
tifs qui nous font ordinairement agir.
Nous voulons premièrement être heu-
reux, 6c nous-nous portons naturelle-
ment à faire tout ce qui nous paroït
propre à nous procurer plus de bonheur
que nous n'en avons. Nous voulons
être.
5o8 Traite' des
être parfaits 5c accomplis , & rien
n'eft , ni plus naturel , ni même plus'
jufte, que de tâcher de nous acquérir
toutes les perfeélions , dont nous Tom-
mes capables. Enfin, chacun fe porte
naturel leinent à agir de la manière qui
lui paroît la plus digne de lui , & la
plus coipvenable , foit à fa naiiîance ,
foit à fon âge , foit â fon rang ^ foit aux J
autres chofes , qui font l'état où il f^
trouve.
Ce font là les plus prefTans des mo-'
tifs qui nous déterminent à faire ce que
nous faifons. Ilefl pourtant vrai que
parmi cous ces trois motifs il n'y en a ''
pas un qui ne nous oblige de la manière
du monde la plus indifpenfable â nous
appliquer de toutes nos forces à la pra-
tique des bonnes œuVres.
- Je commence par le premier, &je
remarque d'abord qu'il y a un double
bonheur , qu'on peut rechercher , l'un
parfait & achevé , qui ne fe trouve qu(
dans le Ciel ; l'autre imparfait & com-..^
mencé , qu'on peut poileder fur la-
terre. La confideration de l'un & de
l'autre doit nous porter eiîicacementâ
ce queje dis. Car
I
BONNES OEUVRES. ^09
Car pour le premier , n'ai-je pas fait
voir dans Tun des chapitres precedens
que les bonnes œi^vres font tellement
necefîàires , que û on refufe , ou fi on
néglige d'en faire , il eft abfolument im-
poÔible que l'on fe fauve? Et n'elt-cc
pas là en efièt une vérité que l'Ecriture
attefle de la manière du monde la plus
expreffe en une infinité d'endroits difle-
rensf N'eft-ce pas là encore une cbofe ,
dont tous les Chrétiens conviennent?
Comment donc peut-on fe refoudre à
li'en pas faire , fi on a quelque defir d'é-
viter Tenfer , 6c de fe ûmvcr.
On dira, fans doute, qu'il y a bien de
îadifièrence entre ne faire jamais de
bonnes œuvres, 6c ne faire pas toutes
celles que Ion pourroit, ôc que l'on
devroit pratiquer. On dira que c'efl: le
premier qui bannit du Ciel , mais que
le fécond ne nous empêchera pas d'y
être reçus.
Je conviens de l'un 6c de l'autre j
mais je dis en premier lieu que comme
il y a telle omiffion des bonnes œuvres
qui ne ferme pas la porte du Ciel,
il
5i© Traite' DES
il y en a telle autre qui fait cet eôêt. J*ai
tâché d en marquer la difièrence dans
l'un des chapitres précedens , 6c j'ai die
en un mot que PomijfÏÏon qui eft in-
compatible avec la iîncerité des vertus,
dont ces oeuvres devroient être, l'exer-
cice, eft celle qui bannit du Ciel, 6c
non celle qui en fait voir Amplement
la foibleflè 6c Timperfeâion. Je n'en-
tends que de la première de ces deux
efpeces d'omiffion ce que je viens de
dire , 6c il faut bien fe garder d'en fai-
re l'application à la féconde. Mon fens
eft que puis qu'il y a une certaine quan-
tité de bonnes œuvres, qui eft abfolu-
ment necefîaire pour ne pas périr, il
faut en faire tout au moins dans cette
quantité précilè, ou renoncer aufalut.
C eft là tout ce que je prétends , 6c
c'eft ce qui ne peut m'être contefté.
J'ajoute en deuxième lieu que quand
même on feroit bien feur qu'on a dans
l'ëtat où l'on (ê trouve tout ce qui eft
neceflaire pour (ê iauver, cet intérêt
ne laiflè pas de nous obliger à faire en- ^
core de nouveaux eflbrts pour mettre^
nôtre falut dans une plus grande feu-
rcté
m
BONNES OEUVRES. 5ir
reté. La raifon en eft qu'on peut ê-
tre attaqué dans la fuite de quelque ten-
tation impréveuë , Ibus Pefiort de la-
quelle le degré de fanctification , que
nous poflèdons , ne nous empêchera
pas de fuccomber. Si donc nous étions
leurs de mourir dans un moment, nous
pourrions peut-être nous contenter de
ce que nous poflèdons. Mais comme
nous pouvons vivre, 6c que cette pro-
longation de nôtre vie peutnou^ expo-
fer à de terribles dangers, il eft évi-
dent que la prudence nous oblige à
prendre toutes les précautions poffibles
pour nous mettre en état de les éviter,
à quoi nous ne pouvons travailler plus
efficacement qu'en nous appliquant à
faire de bonnes œuvres, puifque c'eft
par ce moyen qu'on sMïèrmit de plus
en plus dans la pieté.
Enfin , je dis que nous ne devons pas
feulement travailler à nous 'fauver.
Nous devons encore faire nos efforts
pour nous acquérir le degré de gloire
le plus eminent 8c le plus fublime que
nous pourrons. J'ai déjà dit que le
bonheur des Saints eft tres-inégal , êc
qu'il
5l2 T R A I T e' D E s
qu'il y en a de plus avantngcufemcnt
partagés les uns que les. autres. Si
cela eft ne devons nous pas tâcher d'en
acquérir le plus que nous pourrons ?
Et n'eft-il pas vrai qu'il n'y a aucun des
degrez poflibles de ce bonheur ,, auquel
il nous (oit permis de renoncer, comme
en cfïèt oîinele fauroit (ans une profa-
nation extrême. Il eil cependant cer-
tain que nous n'avons point d'autre
voie pour reufiîr dans ce deiîèiri que la
pratique des bonnes œuvres.
Tout cela fait voir que la confidera-
tion du bonheur parfait, que Dieu re-
fêrve à fes enfans dans Ion Ciel , doit
nous porter efficacement à faire le plus
de bonnes oeuvres que nous pourrons.
Celje du bonheur imparfait, &: com-
mencé , que nous polîedons fur la ter-
re même , nous y engage auffi d'une
manière bien preflànte. Ce bonheur
commencé confifte principalement
dans la joie fpirituelle , que nous don-
ne la certitude que nous avons que nô-
tre paix eil: faite avec Dieu, qu'il nous
a pardonné tous nos péchez. Se les a
lavez au fang de fonFils, qu'il nous
regar-
BONNES OEuVRES. 515
regarde comme Tes enfans , en un mot
que nous fommes véritablement dans
cet heureux état , qu'on appelle Pé-
tât de grâce/ On ne peut en effet dou-
ter , ni qu'il ne foit impoilible de jouir
d'ua contentement folide , fi Pon cû,
en doute fur ce fujet , ni qu'on n'ait
lieu d'être très- content & très farisfair,
fi on eil bien certain de. poileder ce
grand avantage. Cela eft évident, ôc
ce feroit perdre volontairement le
temps 5 que de s'amufer à en donner
des preuves.
Je demande maintenant par quelle
autre voie on peut avoir cette certitu-
de, que par le foin que Pon prend de
faire de bonnes œuvres. Ce n'eftpas
par des révélations immediateSjCe n^eil
pas par quelque voix bailè, que le S.
Efprit forme dans nos cœurs que Dieu
nous apprend cette vérité confolante.
C'eft parles reflexions qu'il nous don-
ne le moyen de faire far Pétat de nôtre
cœur , que rien ne nous découvre auilî
nettement , & auili certainement, que
la confideration des actions bonnes 6c
niauvaifes, que nous faifons, comm^
O je
5î4 Traite* des
jcl'iii f^iit voir dans mon Traité de la
Conicicnce.
N'y ayant donc.qiie.ee fcul moyen
de nous procurer la paix ôc le repos de
la confcience , qui fait toute la douceur
de la vie , & toute lajoie de nos cœurs,
chacun voit fons peine Pinterêt que
nous avons à l'employer, & par con-
fequent à ne perdre aucune occafion
de faire ces œuvres , qui font un fi heu-
reux effet.
C'eft là ma première confideration.
Lafeconde n'eil pas moins prenante.
11 efl: naturel , il ell: jufLe même, -de
prendre tous les foins poffibles pour
tâcher de nous rendre les plus parfaits
que nous pourrons. C'efl: là auffi l'un
de nos plus violens defirs, mais qui fert
de peu 5 parce qu'il fe rencontre que
nous avons tous une idée très faulTe de
cette perfcclion, que nous n'igno-
rons pas que nous devons tâcher de
nous procurer. Nous la faifons con-
lifler en des chofes , dont la plupart
font aiièz vaines , & les autres méri-
tent fî peu le nom que nous leur don-
nons 5 que ce font de véritables imper-
' fcélions ,
BONNES OEuVRES- 315"
fcâions , de véritables défauts, qui
nous attirent la haine de Dieu , & de-
vroient nous, attirer le mépris des
hommes. '
Les véritables perfeftions de l'hom-
me font celles qui font corn prifcs dans
la pieté. Telles font la lumière, la pé-
nétration , & la folidité de l'efprit ,
l'étendue & la clarté de nos connoif-
fances, la véritable prudence , la vé-
ritable fageile , la véritable vertu , les
beaux fentimens , les bonnes acbions ,
la régularité de la conduite, l'intrépi-
dité dans les périls , la conilance & la
fermeté dans les maux, & la modéra-
tion dans la profperité ôc dans l'abon-
dance. Voilà ce qui fait la beauté de
Pâme, fii force, fa grandeur, fon élé-
vation. Voilà ce qui la rend agréable à
Dieu , & qui lui attire l'amour ec Pap-
pi'obation des Anges , Peilime & l^
refpect des fages ôc des vertueux . Voi-
là enunip.otnôtre unique perfeclion»
Je demande maintenant quel autre
moyen nous avons pour nous acquérir
cette perfe(51:ion , quel moyen , dis-je,
qui foit auffi utile , Ôc auffi efficace que
O z h
gi6 T R A I teVdes
la pratique des bonnes œuvres. Qu'on
ne m'allègue pas la prière. Car outre
que la prière eft Pune de ces œuvres
dont je parle, outre cela, dis-je, qui
ne fait que iî cette œuvre même , toute
excellente qu'elle e,ft,n'cA:accompa.
gnée des autres , elle eft inutile ? Pour,
reuffir dans ce deilein , il faut d'un co-
te prier, & de l'autre agir, 11 fiiut avoir
l'œilauCiel, êc la mam à l'œuvre. Il
faut travailler, & implorer la bene-
diârion de Dieu fur nôtre travail .
Ltsbonnes aclions font deux effets.
Premièrement elles fortifient & affer-
miiîent les habitudes faintes des ver-
tus, dont elles font l'exercice. C'efc
C€ qui leur eil: commun avec le refle
des ades , bons , ir.auvais & indiffe-
rens. En deuxième lieu elles piaifent
à Dieu . El les nous attirent fa bienveil-
lance , & tous les effets par lefquels il
'lamanifefte , fes fiiveurs , fes grâces ,
fi bénédiction. Qiîi doute d'ailleurs
que parmi les grâces qu'il nous accor-
de celles qu'il répand avec le plus^de
nlaiin-fai: nous nefoient celles de fon
S Ffnrit qui affermiffent nôtre foi,
6caugmentcnt notref>iete? 1^
BONNES OEuVRES. 517
H vu donc ccrtinn qu'il n'y a point
de meilleur moyen pour nous rendre
plus parfaits & plus accomplis que
nous ne (bmmes, que de nous appli-
quer fortement à la pratique des bon-
nes œuvres. Ce fera d'un autre côté '^
aîjjr d'une manière diQ;ne de nous, Se
qui reponde , &; à ce que nous fommes,
6c au rang que nous tenons, foit dans
la nature, foit dans la grâce, de quoi
j'ai déjà dit que ceux qui fe négligent
le plus , & qui font paroître le moins
de jufteire omis leur conduite ^ pren-
ne n t quel qu e foi n .
Nous fom.mes des hommes , c'efl à
dire des animaux raifonnables. Qu'y
peut-il donc avoir de plus digne que de
nous conduire , non par la brutalité
de nos paffions , maais parles lumières
delà raifon, de du bon fens, comme
nous faiibns toutes les fois que nous-
nous abftenons du péché y 6c que nous
faifons quelque bonne œuvre ? Car en-
fin il n'y en a pas une dont la raifon ne
nous découvre la beauté,. 6c la necef-
£té.
Nous fommes les eafans de Dieu ,
O 3 Ôdeç
5iS Traite' DES
6c les héritiers de fa 2:loire 5c de fon
Royaume. Qu'y peut- il donc avoir
de plus indigne de nous , que de nous
rendre volontairement les efclavcs de
nôtre chair , c'eil à dire de ce qu'il y a
déplus vil en nous, du péché, 6c du"
Démon même, comme nous faifons
toutes les fois que nous nous plon-
geons dans le vice ? Qiioi au contrai le
de plus convenable ace que nous fem-
mes^ que d'agir faintement 6c inno-
cemment , 6c pour tout dire en un miOt,.
d'une manière conforme à cet être
nouveau que la régénération nous a
donné?.
Nous fommes les Difciples de Je fus
Chriil 5 qu'il élevé dans fon Ecole , 6c
qui entendons chaque jour fes faintes
leçons. Et quel honneur faifons nous
à fi difcipline , fi nous n'obfervons pas
fes préceptes, ce qu'on ne peut faire
qu'en agiifant f lintement ? En effc t ce
n'eft pas à faire des recherches curieu-
fes, 6c des raifonnemcns fublimes, que
Jefus- Chriil; nous inlb'uit. Ce il à pra-
tiquer ce qu'il nous commande. Si
nous ne le faifons point , outre que
nous
BONNES OEuVRES. 519
nous prolî tons trcs mal de nos avanta-
ges, nous attirons du blâme fur nôtre
iàinteprofcilion.
Nous Tommes tout autant de plante^
myfliiques , qu'il arroie de fà grâce , ôc
qu'il anime de Ton Efprit. Etqu'ell-ce
quipeut mieux convenir à des plantes,
Toit proprement, foit improprement
dites , que de produire d'excellens
fruitsr'Et quels font les meilleurs fruits
des plantes myftiques , que les bonnes
œuvres ?
Nous avons à Dieu des obligations
infinies. Il nous a fiit mille biens que
nous connoiffons , £c mille autres que
lyous ignorons. Nous lui en devons
par confequent une éternelle recon-
noilîànce , ôc nous ne pouvons en man-
quer fans nous rendre coupables d'une
ingratitude la plus lâche , 6c la plus
honteufe , qu'il foit polîible d'imagi- .
ner. Ileil pourtant vrai que la princi-
pale reconnoiiTance que Dieu attend
de nous , c'eil la pratique des bonnes
œuvres. Ce font là les facrifices de
fa nouvelle alliance. Ce font des re-
mercîmens réels 6c effeâiifs , tout au-
trement exccllens que ceux qui ne
O 4 CDU-»
320 Traite' DES
CQnfiilent. qu'en des paroles. Com-
ment donc pouvons nous négliger de
les lui offrir, fi nous avons quelque
reconnoiHance pour fesbontez?
Toutcelafait voir qu'il n'y a aucun
des motifs, par lefquels nous nous
conduirons , qui ne nous porte effica*
cément à faire de bonnes oeuvres. S'ils
fuffifent pour tout le refle , pour-
quoi ne fuffiroient-ils pas pour ceci ?
S'ils font bons , pourquoi n'y défére-
rions nous pas dans cette occafion par-
ticulière? ôc s'ils ne le font pas, pour-
quoi nous déterminent-ils dans les au-
tres.^ En un mot il faut neceiîaire-
ment , ou condamner toute nôtre con-
duite 5 ou nous appliquer à la pratique
des bonnes œuvres , ÔC en faire le prin-
cipal de nos foins.
CBA^
BONNES OEUVRES. ^Zl
CHAPITRE XXXV.
Ceif^ecefi qu'on doit faire pour remplir le
devoir may que dans le chapitre
pread^ent,
Ais qii'efl-ce qu'emporte ce
foin que nous devons prendre
de faire de bonnes œuvres? C'efl: ce
qu'il eil bon de marquer un peu plus
diftinélement. Je dis donc en premier
lieu que nous y devons travailler fans
intermiflion & fans relâche . Il eil vm
que le Prophète nous dit qiie Phomme
de bien eit un arbre qui porte fon fruit en fa
faifon. Mais il eft vi'ai auffi- qu'il n'y a
point de temps qui nefoitla faifon de
quelque bonne œuvre . Il eft bien vrai
qu'on n'eft pas toujours appelle à les
faire toutes. Mais ilefbvrai auffi qu'il
eft malaifé de trouver un temps fi
court , qu'on ne foit obligé à en faire
aucune. Et en effet, quand eft-ce que
nous pouvons manquer d'occafions
O j d'à-
52X Traite' des
d'agir, ou pour la gloire 6c le fervice
de Dieu , ou pour le bien temporel ou
fpirituel de notre prochrjn , ou pour
l'avancement de nôtre propre falut ?
IL Nous devons nous imprimer
profondement dans Pefprit cette véri-
té capitale ; qu'il n'y a point de perte
qui foit, ni plus grande en elle mê-
me, ni plus difficile à reparer, que
celle des occafions de faire quelque
bonne œuvre. Toutes les fois que ce
malheur nous arrive , nous-nous pri-
vons parla de tous les avantages tem-
porels , fpirituels , 6c .éternels, que
nous pouvions nous procurer en fai-
fant ce que nous devions . Et comme
ces avantages étoient très grands , il
ell évident que la faute que nous com-
mettons en y renonçant , ell indigne
d'être fupportée. Nous devons nous
en faire à nous mêmes de fanglans re-
proches, Ôc conliderer de combien
ces reproches font plus juiles que ceux
que nous-nous faifons en une Hgfînité
d'occafons , étant certain qu'il n'y en
a aucun qui approche de celui-ci.
Quels reproches ne fe fait pas un
Mar-
BONNES OEUVRES. 525
Marchand , lors que par parciTe 6c par
négligence il a perdu Poccafion de
faire un profit confiderable ? Qiiels
reproches ne fe fait pas un ambitieux ,
lors qu'il ne s'eil pas prévalu des moy-
ens qu'il avoit de s'élever à quelque
degré de grandeur, auquel il pouvoit
prétendre ? Et cependant qu'y a-t-il ,
ni dans cette élévation ^,m dans ce pro-
fit, qui puifie entrer en comparaifon
avec les avantages que l'on auroit re-
tirez des bonnes œuvres que l'on pou-
voit faire , 6c dont on a neghgé les oc°
cafions ?
lïl. Nous ne devons pas nous con-
tenter de faire de bonnes œuvres de
deux , ou de trois efpeces . Nous de-
vons en faire de tous ordres , de tou-
tes efpeces, de publiques & de parti-
culières, d'internes 8c d'externes, de
celles qurfont les effets de l'amour de
Dieu , de la chanté ^ de l'humilité, de
lajiîfcice, delafainteté, 6cc. Il n'y
en a aucune à laquelle nous nefoyons
obligez, au moins lorsque l'occafion
s'en prefente , 6c il y en a même de cel-
les, dont nous ne devons p^s attendre
les
V
5^4 Traite' des
les occaiions. Nous devons les cher-
cher avec emprcircmcnt ôc avec ar-
deur.
D'ailleurs, il n'y a aucune efpece de
bonnes œuvres , qui n'ait quelque
chofe de particulier , qui nous oblige
à nous y appliquer. Par exemple les
bonnes actions fcniîbks 6c extérieu-
res 5 font beaucoup plus propres que
les intérieures d gloniier Dieu , &Z à
édifier nos prochains. Ainfi nous ne
pouvons les négliger fans manquer à
ces deux devoirs. D'un autre côté les
internes ont cet avantage qu'elles font
incomparablement plus aifées , cC que
nous avons toujours les moyens 6c les.
occafions de les faire,pourveuque nous
le veu'illions, ce qu'on ne peut dire
des externes . Ain-fi il n'y en a aucune ,
à laquelle quelque coniideration pai-
ticuliere ne nous engage.
IV. Ceci n'empêche pas que nous
ne devions nous appliquer principa-
lement à celles qui ont le plus de rap-
port à nôtre vocation, & a nôtre état.'
11 y a même de certaines chofes , qui
appartiennent de telle forte à d'autres
qu'à
BONNES OE LIVRES. 515*
qu'à nous, que nous-noas rendrions
trcs-dî2:nes de blârac fi nous-nous y in-
gênons mal a propos. Mais ileft ex-
trêmement remarquable que ceci n'a
lieu qu'à l'égard des a6tions externes,
ou pour mieux dire à l'égard de quel-
ques unes de ces actions . Car pou r les
internes il n'y en a aucune qui ne foit
du devoir de tous fans exception , & il
n'y a perfonne qui doive craindre de
fe mêler de ce qui ne le concerne pas ,
q;aand il n'en laifîcra aucune de cet
ordre qu'il ne pratique. Il y en a mê-
me pluiîeurs d'externes , dont on peut
dire la même chofe.
V. Nous ne devons pas nous con-
tenter de faire des œuvres qui Ibient
bonnes en leur genre, telles que font
toutes celles que Dieu a commandées.
Nous devons encore tâcher de faire
qu'elles foient vraiment bonnes , pre-
nant garde qu'il ne leur manque au-
cune des conditions que j'ai indiquées
dés Pcntréede ce Traité. S'ilenétoic
autrement, il ne feroitpas feulement
vrai de dire qu'elles nous feroient inu-
îilcs. Elles nous feroient encore nui-
fiblcs
52^ Traite' des
fibles 6c pernicieufcs . Car. comme on
Pa veu , elles ne peuvent manquer
de ces conditions fans devenir de véri-
tables péchez , qui ofTenfent Dieu , 6c
qui provoquent efficacement fa colcre.
Ainfife gêner pour en iltire de telles,
c'eftfe donner de la peine pourfe ren-
dre plus criminel & plus malheureux.
Vï. Nous ne devons pas feulement
faire en forte que nos œuvres foient
vraiment bonnes , &c conformes à la
volonté de Dieu. Nous devons enco-
re tâcher défaire qu'elles ayent toute
labontépoffîble, faifant en forte que
chacune des conditions necelîaires
pour cet effet s'y trouve , non feule-
ment en quelque degré, mais dans le
degré le plus erninent qu'il fera poffi-
ble, tâchrdit d'approcher le plus que
nous pourrons de la perfeélion . Il faut
en effet afpirer à cette perfeétion , quoi
que nous ne puiiîions y arriver , 6c
nous fou venir toujours qu'entre le de-
gré précis , où nous-iious trouvons ,
5c le plus haut de ceux où nôtre devoir
nous appelleroit, il y en a un très grand
nombre d'autres , qui font tous pofli-
bles.
BONNES OEuVRES. 517
blcs,6c aufqucls nous ne pouvons man-
quer de nous élever fans une négligen-
ce extrême.
VIL Apres avoir fait de bonnes œu-
vres, nous devons éviter'avec tout le
foin poffibie d'en perdre le fruit , & de
nous priver des avantages que nous en
pouvions retirer. C'eft ce qui peut ar-
river en plufieurs façons. Première-
ment en nous repentant de les avoir
faites , comme il arrive toutes les fois
que nous fommes cxceffivement fenfi-
bles, foit à la perte des biens tempo-
rels , aufqueîs nous avons renoncé
pour nous acquitter de nôtre devoir,
foit aux incommoditez aufquelles
îious-nous fommes expofez par là. On
fiiit encore la même faute, lors que les
bonnes œuvres que l'on" a faites infpi-
l rent de la vanité , 6c fDnt qu'on s'en ap-
' plauditenfecret, ou même qu'on s'en
vante tout ouvertement. Il vaudroit
mieux ne les avoir point faites , que
d'y trouver l'occafion d'un péché auffî
iinfiipportable à Dieu que l'orgueil,
■ dans lequel on peut s'affeurer qu'il y
a incomparablement plus de mal , qu'il
n'y a de bien dans les œuvixs qui le
font
528 T R AIT t' DES
font naître. Enfin on perd le fruit de
fes bonnes œuvres lors qu'on tombe
dans le péché. Car alors on n'efl pas
feulement dans Pétat cù Pon feroit iî
on n'avoit jamais fait de bonnes œu*
vres. On eft dans' un état incompara-
blement plus fâcheux, les rechûtes
qui fuiventia converfion, étant quel-
que chofe de beaucoup plus infuppor-
table à Dieu, que les péchez qui Pont
précédée j fuivantceque dit PApôtre
S. Pierre, quai nous vaudroit mieux
n'avoir jamaîs connu la voie de la jufti-
ce, que fî après l'avoirconnuè nous
venions à nous détourner du fàint
commandement qui nous û été donné.
IL Fier. II.
' Ce font là les principaux foins que
nous devons prendre à cet égard, 6c
que nous prendrons en effet, fi nous ;
avons tant foît peu-à cœur les intérêts '
de nôtre falut, fi nous avons une foi
vive , & une charité fincere , en un moc
fi nousfommesde véritables enfans de ■
Dieu 3 n'y ayant rien de plus efientieLi
à tout ceci, que ces foins,qui font d'ail- .?
leurs fi juilcs 6c fi raifonnablcs.
F I N.
•imi^ML
.iiKJiiiJHâ^