Skip to main content

Full text of "Traité des bonnes oeuvres en general"

See other formats


'f\ 


i^vB: 


-^*3k. 


«^ 


LûtM^  ^Ty^ 


\ 


TRAITE 

DES 

BONNES 

OEUVRE 

E  N 

GENERA  L. 

Par  JEAN  la  PLACETE,  l^aflm 

de  l^Eglife  Françoifi  de  Copenhague, 


/^  ♦^  ^ 


A  AMSTERDAM, 

Chez  DANIEL  PAIN,  Marchand 
Libraire  fur  le  Voorburgwal , 
proche  du  Stilfteeg. 


^iL  «    kfJi  %p=^  W' 


O 


^'''ADAMSl.è^// 


C?. 


^    TABLE 

DES 

CHAPITRES 

Contenus  dans  le  Traité  des  bonnes  anvre^ 
en  (Teneral,  - 

Chapitre  I.  'Xldée  générale  des  honnef  œu" 

J^vres.  r  pag.  i 

IL  Quelles  [ont  les  œuvres  dont  on  a  dcjjeùi 

déparier ,  ^  quelle  efi  la  bonté  qrio^i 

leur  attribue.     Conditions  fiecejjaires 

pour  cet  effet*  8 

III.  Première  condition.  Une  aéî  ion  pour  être 

bonne  doit  être  conforme  a  la  Loi  de 
Dieu,  l6 

IV.  Qu'ail  faut  qu^une  aétionfoit  commandée 

de  Dieu  pour  être  bonne.  24- 

V»  Qu  il  ne  fuffit pas  qu'une  acîion  foit  per* 

mife ,   ou  commandée ,  Ji  on  ne  fait 

avec  certitude  qu'elle  Peft.  3 o 

VI.  Seconde  condition  neceffaire  a  une  bonne 

oeuvre,  ^lle  doit  être  volontaire,  36- 
"S ^S^^Troifiéme. condition,    ISaâion  ne  doit 

rien  avoir  ^  qui  ne  convienne  aux 

*  2  tf/V» 


TABLE 

circonftances  qtii  V accompagnent.    46 
VIII.  Qjiatriéme  condition.    Une  bonne  ac- 
tion doit  avoir  ime  bonne  fin.  y  5* 
IX .  Cinquième  condition.  V amour  de  Dieu 
doit  être  le  principe  de  nos  bonnes  oeu- 
vres.                                           6f 
X.    Que  f  amour  de  Dieu  .^  qui  doit  être  le 
principe  de  nos  bonnes  ceuures  ejî  .un 
amour  dejinterejfé.                  •         80 
XL    Que  cet  amour  de  Dieu ,  qui  doit  être  le 
principe  de  nos  bonnes  oeuvres .,  ejlun 
amour  dominant  .^  ^  qui  préfère  Dieu 
àtouteschofes.  89 
XI L    Sixième  condition.    Une  bonne  œuvre 
doit  être  faite  avec  foi,  96 
XII L  Septième  condition  neceffaire  pour  fa  ire 
de  bonnes  œuvres.      Les  faire  fans 
répugnance.                                  loj 

XIV.  Que  lors  qu'ion  a  fait  une  bonne  œuvre  il 

ne  faut  pas  regretter  le  bien  temporel 
qu'' elle  a  fait  perdre.  117 

XV.  Huitième  condition.    Nos  bonnes  œu- 

vres doivent  être  accompagnées  de 
■  tous  lesfentimens  d^ une  profonde  hu- 
milité. 128 

XVI.  Que  nos  bonnes  œuvres  font  les  effets  ^ 

les  produirions  de  la  gra  ce.  i  q  5* 

XVII.  Que  les  enfans  de  Dieu  font  des  œuvres. 

qui  font  véritablement  bonnes.  1^4 
XVI 11.^^  Us  œuvres  des  enfans  de  Dieu  m 

font  bonnes  qu  imparfaitement,  1 5*  2 
XîX.  Comment  ilfe  peut  que  nos  aéiions  étant 

imparfaites  elles  foient  véritable- 
ment 


DES     CHAPITRES. 

ment  bonnes.  j  ^-o 

X  X  U'oh  vient  que  nos  bonnes  œuvres  font 
imparfaites*  l  ^g 

XXL  Si  les  bonnes  œuvres  font  neceffiires, 
Qh'' elles  le  font  au  moins  de  cette  efpe- 
ce  de  neceffité ^  qu^on  appelle  commu 
nement  de  picccptc.  ijf 

XXII.  Que  les  bonnes  oeuvres  font  neceffaires 
en  ce  fens ,  qu'il  eft  impoffibîe  d'être 
fauve ,  //  on  n'en  fait  aucune.     1 89. 

(XXflI.  De  quelle  nature  eft  la  néceffité  des 
bonnnes  œuvres.  Sic'eftuneneceffité 
de  moyen.  j  04 

^XlW'Oùron  répond  à  quelques  que  fions  tou- 
chant la  necefjité  des  bonnes  œuvres. 

200 

XXV.  Si  nos  bonnes  œuvres  font  méritoires^ 
Réflexions  fur  le  fentiment  de  quel-^ 
ques  Doâeurs  de  la  Communion  Ro- 
maine fur  cefujet.  2 1 Q 

XX  V I .  Qu^il  n'y  a  point  d"*  égalité  entre  la  bonté 
de  nos  œuvres  ^  la  recompenfe  que 
Dieu  nous  promet.  ii\ 

XXVII  Sî  le  droit  que  les  bonnes  œuvres  nous 
donnent  fur  la  vie  éternelle  èft  un 
droit  qui  îifefon  origine  de  lajuftice. 

231 

XXV  Wl.Ou  l'*on  répond  aux  objeéiions.      243 

XX iX.  Si  nos  bonnes  œuvres  fatisf ont  a  la 
jufïice  de  Dieu  pour  la  peine  tempo-- 
relie  deuè  ànospechel,.  2f<. 

XXX.    Diverf es  preuves,  qui  font  voir  que 


TABLE. 

nos  bonnes  œuvres  ne  font  pas  faîis- 

faâoires.  2.61 

XXXL  St  les  bonnes  œuvres  nous  jujîifient, 

271 
XXXII.  Reflexions  fur  ce  que  S.  Jaques  dit 
furcefujet.  282. 

XXXIII  Véritables  effets  des  bonnes  œuvres 

.      .  ^91 

XXXIV.  Que  rien  n'eftplusjufte  que  de  s'ap- 
pliquer à  la  pratique  des  bonnes  œu- 
njres.  ^^S 

XXXV.  Ce  que  c'eft  qu'on  doit  faire  pour 
remplir  le  devoir  marqué  dans  le 
chapitre  précèdent*  32-1- 


TRAP 


TRAITE 

DES 

BONN  ES 

OEUVRES 

EN  GENERAL. 


CHAPITRE    I. 

Idée  générale  des  bonnes  œuvres. 


Es  bonnes  œuvres  doivent 
faire  la  principale  ,  ou 
pour  mieux  dire  Punique , 
yhWHV?^  &  la  perpétuelle  occupation 
de  Pcnfant  de  Dieu  fur  la  terre.  Ce 
font  les  fruits  que  cet  arbre  mylliquc 

A  doit 


1  Traite'  des 
doit  porter  en  toute  faifbn.  On  peut 
dire  que  nous  ne  fommes  dans  le 
monde  que  pour  cela  feul,  6c  que 
dés  que  nous  cefTons  de  nous  y  ap- 
pliquer ,  nous  fommes  du  nombre  de 
ces  miferables ,  dont  le  Prophète  dit 
*  qutls  ont  été  rendus  in  Ht  îles.  Témoin 
ce  que  Jefus-Chrift  fait  dire  dans  la 
parabole  (a)  au  père  de  famille  ^  fur 
le  fujet  du  figuier ,  qu'il  avoit  plan- 
té dans  fa  vigne ,  Coptpés  le ,  car  a  quoi 
bon  occuper  oit  -  il  U  terre  ?  Et  témoin 
encore  ce  que  dit  S.  Paul  {b)  ,  que 
nous  fommes  P ouvrage  de1>ieH^  créés  en 
fefuS'Chrifl  pour  les  bonnes  œuvres^  que 
Dieu  a  préparées ,  afin  que  mus  marchions 
en  elles. 

Mais  c'eft  peu  de  chofe  de  dire , 
que  les  bonnes  œuvres  font  la  fin  à 
laquelle ,  non  feulement  l'homme  na- 
turel, mais  encore  le  Chrétien;  6c 
Penfant  de  Dieu ,  eft  deftiné.  Elles 
font  encore  la  fin ,  je  dis  la  fin  pro- 
chaine 6c  immédiate  ^  de  tout  ce  que 
Dieu  a  fait  pour  nous ,  foit  dans  le 

temps, 

♦Rom.III.ii.         («;Luc.XÏ11  6, 
(S)  Eph.  II.  10. 


BONNES  OEuVRES.  5 

temps,  foit  dans  Péternité.  Pour- 
quoi nous  a-t-il  éleus ,  6c  predeftincs 
par  Tes  décrets  éternels?  C'eft  afin 
que  nous  nèus  appliquions  à  la  pra- 
tique des  bonnes  œuvres.  //  nous  a 
élus  en  lui ^  dit  S.  Paul,  (a)  avant  la 
fondation  du  monde,  afin  qne  nousfujfions 
faims  ^  &  irréprehenjïbles  devant  Ifti  eneha^ 
rite.  Et  S.  Pierre  afTeure  {b)  que 
nous  fontmts  élem  félon  la  Providence  de 
Dieu  en  fan^ification  d^efprit  a  oheïffance. 
Pourquoi  nous  a-t-il  donné  fon  faint 
Fils?  Pourquoi  l'a-t-il  envoyé  fur  la 
terre?  C'eft,  dit  S.  Pierre,  (c) pur 
retirer  chacun  de  nous  de  fe s  méchancetés, 
C'eft,  dit  Zacharie,  {d)  ^pour  adrejfer  nos 
pies  au  chemin  de  paix.  Pourquoi  ce 
grand  Sauveur  eft-il  mort  ?  C'eft  dit 
S.  Pierre  (e)  afin  qu  étant  morts  au  pé- 
ché^ nous  vivions  a  la  juftice.  Il  s'^efi 
donné  foi-même  four  nous  ^  dit  S.  Paul  (j9, 
afin  ejHHl  nous  rachetât  de  toute  iniquité^ 
dr  nous  purifiât  pour  lui  être  un  peuple  par» 
ttculterement  attaché,  &  adonné  aux  bon- 
nés  œuvres.  A  2  D^aiU 

(a)  Eph.  I.  4.         (k)  I.  Pier.I.i. 

(r)  \a:  m,  25.      ,  (d)  Luc.  i.  79. 

(0  Pier.  II.  14.         (/)  Tit.ll.14» 


4         Tuait  ê'    des 

D'ailleurs,  nos  bonnes  œuvres  font 
des  effets  admirables.  Elles  glorifient 
Dieu,  Faites  luire  ^  difoit  Jefus-Chrill: 
en  ce  fens  (  a)  faites  luire  vos  bonnes  œu- 
vres devant  les  hommes ,  afin  (^ue  les  hom- 
mes voyant  vos  bonnes  œuvres  glorifient  vo- 
îre  l^ere  qui  eft  dans  les  deux.  Elles 
édifient  nos  prochains.  Ayez^ ,  dit 
S.  Pierre  (^)  votre  converfation  honnête 
envers  Us  Gentils ,  afin  qu  au  lieu  qu'ils 
médifent  de  vous  comme  de  malfaiteurs^  ils 
glorifient  Dieu  au  jour  de  la  vifitationfour 
vos  bonnes  œuvres  qu'ails  auront  veu'és.  El- 
les nous  procurent  toutes  les  béné- 
diébions  de  Dieu ,  tous  les  effets  de 
fon  amour  6c  de  fa  bonté  ,  foit  pen- 
dant la  vie ,  foit  après  la  mort ,  ce  qui 
fait  que  l'Ecriture  nous  les  reprefen- 
te  en  divers  endroits  comme  un  grain 
niyftique  que  nous  femons ,  &  qui 
produit  dans  la  fuite  une  moillbn 
abondante.  Ce  que  Phomme  aurafeme'^ 
dit  S .  Paul  (c) ,  /'/  le  moiffonnera  auffi. 
Car  celui  qui  féme  à  fa  [chair  ,  moifon- 
^era  de  la  chair  la  corruption ,  mais  celui 

qui 

{a)  Matt.V.  i6.       {h)  I.  Pkr.II.  I2. 
(c)  Gai.  VI.  7.  8, 


BONNES    OEuVRES.  f 

qui  Çcme  a  Pcjprit ,  moijfonnera  de  Pefprit 
k  vie  étemelle.  Elles  avancent  Pou- 
vrage  de  nôtre  fanétification ,  ôc  ajou- 
tent de  nouveaux  traits  à  Pimagc  de 
Dieu ,  que  fon  Efprit  a  tracée  daiis 
nôtre  cœur ,  ou  du  moins  les  rendent 
plus  vifs  ôc  plus  lumineux,  ce  qui 
fait  dire  à  S .  Pierre  {a) ,  qu'elles  affer- 
mi fient  nôtre  vocation  ^  5c  nôtre  é- 
leftion. 

En  un  mot,  elles  font  fi  utiles  6c  fî 
excellentes  que  PEcritiure,  nous  les 
reprefente  comme  un  thréfor  qu'on 
s'amafle  ,  6c  que  Dieu  s'oblige  de 
nous  garder  avec  foin.  Témoin  ce 
que  S.  Paul  dit  à  Timothée  (  h)  fur 
le  fujet  dès  riches  d'Ephefe.  Qn'th 
fajfent  du  bien.  Qu'ils  Cotent  riches  en  boU" 
nés  œuvres  ,  ^utls  foient  faciles  a  dif^ri- 
huer ,  cammunicaîîfs ,  fe  fatfimt  un  thréfor 
dun  bon  fonderaient  four  ^avenir  ,  afin 
qu'ils  appréhendent  la  vie  éternelle.  Et 
avant  lui  Jefus  Chrift  même  {c).  Ne 
vous  amajjez.  point  de  thréfor  en  la  terre , 
QH  la  tigne  (fr  la  rouille  gâtent  tout  ^  &  oit 
A  3  le$ 

(a)  IL  VkvA.  10.       (h)  I.Tim.VI.  i8.  ig, 
(()  Matt.VL  19.20. 


6  Traite'  DES 

les  larrons  percent  &  dérobent.  t^Kais 
ama0s  vous  des  thréfors  an  (jel^  oit  la  ti^ 
gne  &  la  rouille  ne  gâtent  rien  ,  &  eii 
les  larrons  ne  percent  ,  ni  ne  dérobent. 
Admirable  thréfor  qui  nous  refte 
après  même  que  nous  avons  tout 
perdu  ,  ôc  qui  nous  accompagne 
même  après  la  mort  !  témoin  ce 
que  le  S.  Efprit  dit  dans  PApoca- 
lypie  {a),  bienheureux  [ont  dés  main^ 
tenant  les  morts  qui  meurent  au  Seigneur. 
Oui  pour  certain ,  dit  f  Efprit ,  car  ils  fe 
repofent  de  leurs  travaux ,  &  leurs  œuvres 
les  fuivent. 

Ces  œuvres  font  d'ailleurs  fi  nécef- 
faires ,  que  fi  nous  les  négligeons ,  il 
eit  impoffible  que  nous  ayons  aucune 
part  à  ce  grand  lalut ,  que  Jefus-Chrift 
nous  offre  dans  fon  Evangile ,  &  que 
nous  évitions  les  fijpplices  de  l'éter- 
nité. Tout  arbre ^  dit  S.  Jean  Baptis- 
te en  ce  fens ,  {b)  tout  arbre  qui  ne  porte 
point  de  fruit  s  en  va  être  coupé ^  d^  jette 
au  feu. 

On  peut  voir  par  là  combien  il  im- 
porte 

(4  Apec,  XIV.  13,        {h)  Matt,III.xow 


BONNES    OEUVRES.  7 

porte  d'être  bien  inftruit  fur  un  tel 
fujet.  Car  enfin  qu'eft-ce  qui  nous 
peut  être  plus  nécelïaire ,  que  de  ne 
rien  ignorer  de  ce  qui  concerne  ce 
qui  fait  Pun  des  plus  faints  &  des 
plus  indifpenfables  de  nos  devoirs, 
l'un  des  moyens  les  plus  efficaces 
dont  Dieu  fe  fert  pour  produire  l'ou- 
vrage de  nôtre  faluti* 

Il  eft  même  d'autant  plus  necef- 
faire  de  s'y  appliquer ,  que  Cette 
matière  a  fes  ûifficultez  ,  fur  lef- 
quelles  il  ne  peut-être  qu'utile  de 
s'éclaircir.  Il  y  a  d'ailleurs  bien 
des  erreurs ,  èc  des  erreurs  groffie- 
res  6c  dangereufes ,  dont  plufietirs 
font  prévenus  fur  ce  fujet,  ôc  dont 
il  importe  de  les  defabufer.  Ainfî 
il  n'y  aura  point  de  mal  à  s'appli- 
quer avec  quelque  foin  à  donner  du 
jour  à  une  matière  fi  belle ,  6c  fi  impor- 
tante. 

Mais  avant  que  de  l'entreprendre 
il  fera  bon  de  dire  en  un  mot  ce  qu'on 
entend  par  ces  bonnes  oeuvres ,  dont 
on  a  deflein  de  parler ,  6c  d'expliquer 
un  peu  \cs  deux  termes ,  dont  on  fe 

A  A  fert 


§  T  R  A   I  T  e'     D  E  s 

{ttt  pour  les  defîgner.  C'eft  ce  qu'on 
va  faire  en  peu  de  mots  dans  le  cha- 
pitre fuivant. 


CHAPITRE    IL 

Qu'elles  font  ces  œuvres  dont  on  a  dejfein 
de  parler ,  (fr  quelle  efi  la  bonté  qii^oYh 
leur  aîtribn^.  Conditions  necej] aires  four 
cet  effet, 

'Entends  premièrement  par  les 
œuvres  toute  forte  d'a6î:ions ,  in- 
ternes, ou  externes  5  vi{ibîes,ou 
mviiibles.  Ainfi  je  prends  cette ex- 
preiîion  dans  un  fens  bien  plus  éten- 
du que  celui  auquel  on  l'entend  or- 
dinairement ,  lors  qu'on  diftingue  les 
œuvres  des  paroles  ôc  des  penfées. 
J'entends  en  gênerai  tout  ce  que  nous 
faifons,  foit  intérieurement,  6c  en 
nous  mêmes ,  foit  extérieurement ,  ôc 
fenfiblemcnt.  Je  n'exclus  pas  même 
de  la  fignifi cation  de  ce  terme  ua 
fimple  refus  d'agir,  parce  qu'en  effet 
ce  refus  eft  quelquefois  une  œuvre 

exM 


BOÎSTNES  OEllVRES!  9 

excellente ,  5c  un  aéle  de  la'  volonté^ 
qui  ne  laiiTe  pas  d'être  pofitif  en  lui 
même ,  quai  qu'il  fe  termine  à  quel- 
que chofe  de  négatif. 

Mais  quoi  que  je  prenne  ce  mot 
dans  cette  fignification  étendue  ,  je 
n'ai  pointant  pas  deflein  de  parler  de 
toute  forte  d'aâiions  fans  exception,. 
Car  pour  ne  rien  dire  des  a6Honspu» 
rement  phyfiques  6c  naturelles ,  je  ne 
dois  pas  même  traiter  de  toutes  les 
a&ions  morales.  Il  y  en  a  de  trois 
ordres ,  de  bonnes ,  de  mauvaifes  & 
d'indifférentes.  Cependant  mon  dcf- 
fein  n'eft  pas  de  parlerprefentement, 
ni  des  indifférentes  ,  ni  des  mau- 
vaifes. Je  me  propofe  de  m'attacher 
uniquement  aux  bonnes^  me  reièr- 
vant  de  parler  des  autres  dans  un  au- 
tre ouvrage. 

Il  eft  bon  même  de  Ikvoir  plus  dif- 
tinârement  en  quoi  c'eft  que  eonfiile 
cette  bonté  ,  qui  fait  cette  eipece 
d'œuvres  ,  qu'ion  appelle  bonnes,» 
Perfonne  n^ignore  qu'il  y  a.  trois  di« 
vêrfes  efpeces  de  bien  ,  l'honaéte  ^, 
Futile^  &  l'agreablCo  Maison  com- 
A  5  f  rend 


lO  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

prend  auffi  en  même  temps  que  k. 
bonté  d'une  aftion  ne  coniiile  ni  en 
ce  qu'elle  eft  utile ,  ni  en  ce  qu'elle 
cft  agréable.  Si  cette  aftion  eft  fîm- 
plement  utile  ou  agréable  ,  fans  être 
honnête ,  on  ne  dira  jamais  que  c'eft 
une  bonne  aâiion.  On  ne  defigne 
par  là  que  les  autres  qui  ont  cette 
bonté  particulière  qu'on  nomme  mo^ 
rak ^qui  eft  la  matière  de  l'approbation 
&  de  laloiiange,  &:  qui  eft  diftinfte 
de  celle  qu'on  nomme  fhjjîque  ou  metd'- 
fhjfique. 

Cette  bonté  morale  ,au  moins  teil- 
le qu'elle  eft  dans  nos  aûious  ,  tire 
fon  origine  de  deux  chofes,  l'une 
que  nous  fommes  libres ,  l'autre  que 
nôtre  liberté  n'eft  pas  infinie.  Si  nous 
n'avions  point  du  tout  de  l]berté,nos 
aftions  ne  feroient  ni  bonnes,  ni  mau- 
vaifes ,  d'où  vient  que  celles  des  bef- 
tes  n'ont  ni  l'une ,  ni  l'autre  de  cts 
qualités.  Elles  le  feroient  auffi  peu 
fi  nôtre  liberté  étoit  fî  vafte  ,  6c  fi 
étendue  ,  qu'il  nous  fût  permis  de 
faire  abfolûment,  êc  fans  exception. 
Ce  qu'il  nousplairoit.     Mais  comme 

d'un 


BONNES  OEUTRES.  II 

d'un  côté  nous  avons  quelque  liber« 
té ,  6c  que  de  Pautre  cette  liberté  efb 
afîes  bornée ,  cela  fait  que  nous  pou- 
vons .agir  bien  ôc  mal  ,  parce  que 
nous  pouvons  ,  ou  nous  contenir 
dans  ces  bornes  y  qui  nous  font  pref- 
crites ,  ou  les  franchir. 

On.  comprendra  ceci  plus  diftinc- 
tement  fi  Pon  confidere  qu'il  y  a  une 
double  liberté,  Pune  qu'on  nomme 
de  fait  y  êc  Pautre  ds  drait^  La  liber- 
té de  fait  confifte  à  avoir  les  forces 
phyfiques  ôc  naturelles ,  qui  font  né- 
celTaires  pour  faire  une  aâion»  La 
liberté  de  droit  confifte  à  pouvoir 
faire  cette  aftion  innocemment ,  6c 
fans  crime.  Chacun  par  exemple  a^ 
allez  de  force  pour  tu^r  un  de  fes  pro- 
chains au  cas  que  Penvie  l'en  prenne,, 
mais  il  n'y  a  prefque  peribnne  à  qui 
cela  foit  permis.  Chacun  a  donc  à 
cet  égard  la  liberté  de  fait ,  &:  non; 
pas  celle  de  droit. 

Lors  qu'an  fait  un  bon  ufage  de  la 
première ,  êc  qu'on  fe  renferme  dans; 
les  bornes  de  la  féconde ,  nos  aébions-, 
font  bonnes  ^  comme  au  contraire  el- 

A  é  les 


1%  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

les  font  mauvaifes ,  lors  qu'on  paflc 
ces  bornes^  6c  qu'on  fait  ce  qu'il  n'é- 
toit  pas  permis  de  faire,  ou  qu'on 
néglige  ce  qu'il  falloit  pratiquer. 

En  un  mot ,  comme  nous  ne  fom- 
mes  pas  de  nous  mêmes  ,  nous  ne 
fommes  pas  les  maîtres  de  nos  actions , 
Nous  avons  pour  fuperieur  6c  pour 
maître  ce  même  Dieu  qui  nous  a  créés^ 
^  nous  a  faits  être  ce  que  nous  fom- 
mes. Il  a  par  là  même  le  droit  de 
nous  commander  ôc  de  nous  deffèn- 
dre  tout  ce  qu'il  lui  plart.  Il  a  ufé  de 
ce  droit.  11  nous  a  donné  une  loi 
pour  fervir  de  règle  à  nos  allions.  Si 
nous  nous  écartons  de  cette  règle  , 
nous  péchons.  Si  nous  nous  y  con- 
formons ,  nos  actions  font  bonnes  , 
^  telles  qu'elles  doivent  être. 

Il  faut  ajouter  encore  que  quand 
on  parle  d'une  bonne  aétion ,  cette 
façon  de  parler  defigne  deux  chofes 
très  différentes,  félonies  divers fujets 
aufquels  on  l'applique.  S'il  eft  quefl 
tien  de  tout  un  genre ,  ou  de  toute 
une  efpece  d'aélions  >  &  qu'on  en 
dife  cp'eiks  font  bonnes ,  on  veut 

dire 


BONNES  OEuVRES.  î^ 

dire  fimplemcnt  qu'elles  font  com- 
mandées de  Dieu.  Mais  Ci  on  parle 
d'une  aâion  finguliere  6c  individuel- 
le ,  &;  qu'on  dife  qu'elle  eft  bonne , 
on  dit  quelque  chofe  déplus.  On  dit 
non  feulement  que  cette  action  a  été 
commandée  de  Dieu  ,  mais  encore 
qu'elle  a  été  faite  en  la  manière  en  la- 
quelle Dieu  veut  qu'on  la  faflè. 

Par  exemple ,  fi  on  dit  que  la  priè- 
re 5  ou  que  l'aumône  ^  eft  une  bonne 
œuvre ,  on  veut  dire  Amplement  que 
Dieu  nous  a  commandé  de  l'invo- 
quer ,  6c  d'affifter  nos  prochains.  Mais 
fi  on  dit  que  la  prière  du  bon  larron , 
ou  celle  de  S.  Etienne,  6c  les  aumô- 
nes de  Corneille  6c  de  Tabitha ,  é- 
toient  de  bonnes  aétions ,  on  veut  di- 
re que  ces  prières  6c  ces  aumônes  a« 
voient  tou'ces  les  qualités  nécefîaires, 
pour  être  agréables  à  Dieu. 

Il  peut  arriver  fort  facilement 
qu'une  aél-ion bonne  enfongenrefoit 
mauvaife  en  ce  qu'elle  a  de  fingulier 
6c  d'individuel.  Telles,  étoient^  pair 
exemple ,  les  prières  6c  les  aumônes, 
des  Phariiiens,^  dont  Jefus-Chrift 

par- 


14  Traite'  iîES 
parle  au  chapitre  VI.  deS.MatthîetTv 
EJles  étoient  bonnes  en  leur  genre  ^ 
mais  très  mauvaifes  en  ce  qu'elles  a- 
voient  de  fingulier  &c  d'individuel , 
parce  qu'ils  les  faifoient  mal ,  ne  les 
faifant  que  par  vanité.  Mais  quoi 
qu'une  aftion  bonne  en  fon  genre  ^^ 
pLiiiTe  être  mauvaife ,  en  ce  qu'elle  a 
de  Singulier  5  il  ne  s'enfuit  pas  qu'u- 
ne aftion  finguliere  puifle  être  bon- 
ne, fi  elle  eft  mauvaife  en  fou  genre». 
La  raifoîî  en  eft  qu'une  des  condt»- 
lions  les  plus  efîentielles  pour  faire 
ïine  adion  bonne  dans  l'individu  ^ 
c'eft  qu'elle  foit  bonne  en  fon  genre,. 

La  bonté  individuelle  d'une  aftiont 
îefulte  de  ?union  &  de  l'afTemblage 
de  toutes  les  conditions  neceffaires  à 
la  production  de  cet  efïêt.  Il  ne  fuf- 
fit  pas  en  eÔet  qu^une  ou  deux  de 
ces  conditions  s'y  trouvent.  Il  faut 
qu'il  n'y  en  manque  pas  une ,  fui- 
Tant  la  maxime  conftante  des  Theo^ 
logiens,  Bonum  ex  intégra  caufà^  ma-^- 
îum  ex  quovîs  defeEln, 

Il  y  a  au  refte  deux  fortes  de  coiî^ 
ditions  néceifaires  à  une  bonne  œur 

vre*. 


BONNES    OEnVRES.  IJ 

vre.  IjCs  unes  font  neceflaires  à  tou- 
tes les  œuvres ,  quelles  qu'elles  foient^ 
&  de  quelque  nature  qu'elles  puifTent 
être.  Les  autres  font  particulières- 
aux  œuvres  d'un  certain  ordre  ,  6c 
d'une  efpece  particulière. 

Je  mets  au  premier  rang  les  fuivan- 
tes.  Afin  qu'une  aftion  foit  bonne , 
il  faut  qu'elle  foit  commandée  de 
Dieu ,  il  faut  qu'elle  foit  faite  volon« 
tairement,  qu'elle  ait  une  bonne  fin, 
q^u'elle  foit  faite  avec  foi ,  avec  cha- 
nté Sec. 

Les  conditions  du  fécond  ardre 
font  en  très  grand  nombre ,  chaque 
efpece  particulière  de  bonnes  œuvres 
ayant  fea  conditions  particulières^. 
Autres  par  exemple  font  celles  de  la 
prière ,  autres  celles  de  l'aumônei,  ôc 
ainfi  du  refte. 

Mon  deiTein  n'eft  pas  de  parler 
maintenant  des  conditions  particuliè- 
res. Cela  me  meneroit  extrêmement 
loin ,  Se  d'ailleurs  tout  cela  n'eft  pas 
de  mon  fujet.  Je  me  contenterai  de 
parler  de  celles,  qui  font  communes 
à  toutes  3  parce  qu'eaeffet  le  fujetde 

ce 


j6         T  r  a  I  t  e^  i>e  s 

ceTraité  n'eft  autre  chofe  que  ks  bon- 
nes œuvres  en  gênerai. 


CHAPITRE    m. 

première  condition,   Z)ne  aStion  pour  être 

bonne  doit  être  conforme  a  la  loi 

de  Dieti^ 

LA  première  condition  neceflaire 
pour  faire  une  bonne  action  , 
e'eft  qu'elle  foit  conforme  à  la  loi 
de  Dieu.  Ceci  même  fuffit  pour  fai- 
re que  cette  aftion  foit  bonne  en  Con 
genre.  Mais  afin  qu'elle  le  foit  ab- 
iblument  il  faut  quelque  chofe  de 
plus  y  comme  on  le  verra  dans  la 
fuite. 

Cette  conformité  emporte  deujî 
chofes.  L'une  que  Dieu  n'ait  pas 
défendu  cette  aétion  y  l'autre  qu'il- 
î'ait  commandée.  La  première  eft 
d'une  neceflité  abfoluë.  Si  ceci  feul 
manque^  tout  le  relie  nefertde  rien,. 

n.^é- 


BONNES    OEuVRES.  \J 

n'étant  jamais  permis  de  faire  le  mal, 
tel  qu'ell  toujours  ce  que  Dieu  dé- 
fend 5  non  pas  même  lors  que  ce  mal 
peut  procurer  quelque  bien.  Je  fat 
que  ceci  efl  direftement  oppofé  aux 
fentimens  du  vulgaire ,  qui  s'imagi- 
ne qu'une  bonne  intention  peut  ren- 
dre ,  non  feulement  innocentes ,  mais 
louables  6c  vertueufes ,  les  aélions  les 
plus  criminelles.  Mais  je  fai  aufS 
que  rien  n'efl:  plus  faux  que  cette 
imagination ,  comme  il  me  feroit  ai- 
fé  de  le  démontrer,  ii  je  ne  Pavois 
déjà  fait  dans  mon  difcours  de  l'In- 
tention ,  qu'on  peut  voir  dans  la 
première  partie  de  mes  EfTais  de 
Morale.  C'eft  ce  qui  m'empêche 
de  m'y  arrêter.  Je  tâcherai  feule- 
ment de  lever  deux  difficultés ,  que 
je  n'ai  pas  touchées  dans  cet  endroit- 
là. 

Il  femble  en  premier  lieu  que  Je- 
fus  Chrifl  décide  formellement  le 
contraire,  &  par  fon  exemple  ,  6c 
par  fa  doélrine.  Dieu  avoit  ex- 
preflement  deffendu  de  faire  au- 
cun   travail    le   jour    du    Sabbat. 

Cepen- 


i8  Traite'  DES 

Cependant  S.  Matthieu  rapporte  au 
chapitre  XII.  de  fon  Evangile  que 
les  Apôtres  prelîes  de  la  faim  ,  a- 
voient  pour  la  foulager  cueilli  quel- 
ques épis ,  6c  les  av oient  froifîes  , 
nonobftant  la  folemnité  de  cette  jour- 
née. Jefus  Chrift  lui  même  avoit  en  ce 
même  jour  guéri  miraculeufement 
un  homme  qui  avoit  une  main  féche-. 
Les  Phariliens  condamnèrent  fans  lié- 
fîter  ces  deux  aébions ,  &  foûtinrent 
que  c'étoient  autant  de  profanations 
du  jour  du  repos.  Mais  Jefus  Chrift 
leur  fit  voir  manifeflement  le  contrai- 
re .  Il  leur  allega  l'exemple  de  David, 
&  de  ceux  de  fa  fuite ,  qui  bien  que 
Laïques  ,  mangèrent  des  pains  de 
propofition ,  dont  la  Ici  ne  permet- 
toit  l'ufage  qu'aux  feuls  Sacrifica- 
teurs. Il  leur  allega  ces  paroles  de 
Dieu  rapportées  par  le  Prophète 
Ozée  ,  fe  veux  mifericorde ,  c^  non  point 
facnfite  ^  qui  prouvent  invincible- 
ment que  la  charité  autorife  à  faire 
de  certaines  chofes  que  Dieu  a  défen- 
dues. Il  leur  répréfenta  qu'il  n'y  a- 
voit  perfonne,  qui  trouvant  unebre- 

hi* 


BONNES  OEuVRES.  ÏÇ 

bis  tombée  dans  une  fofl'e  fe  fît  un 
fcrupule  de  la  relever  le  jour  du  Sab- 
bat. D'où  il  conclut  que  tant  fon 
aftion,  que  celle  de  fes  Difciples^ 
étoit  innocente. 

Il  femble  qu'on  peut  conclure  de 
là  qu'une  bonne  intention ,  ÔC  en  par- 
ticulier celle  de  faire  du  bien  au  pro- 
chain ,  donne  le  droit  de  faire  ce  que 
Dieu  a  défendu.  11  ne  faut  pas  en 
cfïèt  s'imaginer  de  pouvoir  éluder 
la  difficulté  en  difant  que  la  Loi  du 
Sabbat  étoit  une  loi  pofitive.  Car 
pour  ne  pas  m'engager  maintenant 
dans  cette  difcuffion ,  qui  me  mené- 
roit  un  peu  loin ,  il  me  fuffit  de  fa* 
voir  que  jufqu'à  ce  qu'une  loi  pofi- 
tive foit  abrogée ,  elle  oblige  de  mê- 
me que  les  naturelles ,  êc  qu'on  ne 
fauroit  même  la  violer  fans  pécher 
contre  la  lai  naturelle,  qui  veut  qu'en 
toute  forte  d'oc<:a{îons  la  créature 
obeïffe  à  fon  Créateur. 

Pour  lever  abfolument  la  difficuU 
té  je  dis  qu'il  y  a  bien  de  ladifferen-^ 
ce  entre  faire  à  bonne  intention  une 
chofe  que  la  loi  condamne  dans  le 

cas 


ao  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

eas  même  où  fe  trouve  celui  qui  agit, 
ÔC  faire  une  chofe  que  la  loi  condam- 
ne en  de  certains  cas ,  mais  qu'elle  ne 
condamne  pas  dans  le  cas  particulier 
où  l'on  fe  trouve.  Le  premier  n'eft 
jamais  permis  ,  mais  le  fécond  Peil 
toujours. 

Il  y  a  des  loix  qui  obligent  er|,  toute 
forte  de  cas.  Telles  font  celles  qui 
condamnent  les  aébions  mauvaifes  de 
leur  nature ,  le  menlbnge ,  le  parju- 
re, la  calomnie,  l'incrédulité,  la  hai- 
ne de  Dieu  ècc.  Il  y  en  a  d'autres  qui 
n'obligent  qu'en  de  certains  cas.  Tel- 
les font  en  gênerai  toutes  les  loix  po- 
sitives ,  pas  une  defquelles  n'oblige 
lors  qu'elles  fe  trouvent  oppofées  aux 
loix  naturelles. 

C'eft  ce  qui  avoit  lieu  dans  les 
exemples  marqués  dans  l'objeélion. 
L'obligation  ou  l'on  efr.de  confer- 
ver  fa  propre  vie,  6cde  faire  du  bien 
au  prochain  vient  de  la  Loi  naturel- 
le. Celle  du  Sabbat ,  qui  fembloit 
le  défendre ,  6c  qui  défendoit  peut- 
être  de  faire  les  mêmes  chofes  en  d'au- 
tres cas,  étoit  une  loi  pofitive.  Elle 

n'obli- 


BONNES   OEuVRES.  21 

n'obligeoit  donc  pas  en  ce  cas  -là ,  8c 
ni  Je  fus  Chrift ,  ni  fes  Apôtres ,  ne 
la  violoientpas,  à  parler  proprement 
&  exaârement. 

Sur  ce  fondement  on  permet  aux 
Médecins  de  manquer  aux  exercices 
de  pieté,  pour  affilier  des  malades, 
qu'ils  ne  pourrôient  négliger  fans  les 
expofer  au  danger  de  perdre  la  vie. 

Je  crains  que  ce  que  je  viens  de  di- 
re paroille  à  plulicurs  ,  non  feule- 
ment faux,  mais  très  dangereux.  J'ai 
dit  que  les  loix  pofitives  n'obligent 
point  dans  les  cas  oii  l'on  ne  peut  les 
obferver  fans  perdre  la  vie.  On  dira 
que  les  anciens  Juifs  en  jugèrent  tout 
autrement,  lors  qu'ils  aimèrent  mieux 
fe  laiiîer  maflacrer  par  les  ordres  du 
Roi  Antiochus ,  que  de  manger  des 
viandes  ,  dont  la  loi  cerem.onielle 
condamnoit  Pufage .  On  dira  que  les 
Martyrs  étoient  auffi  bien  éloignez 
de  mon  fentiment  ,  lors  qu'ils  ai- 
moient  mieux  s'expofer  aux  plus  hor- 
ribles tourmens ,  quedejetter  deux 
gjrains  d'encens  fur  un  foyer  auprès 
d'une  idole. 

Mais 


22  Traite' DES 

Mais  il  eft  aifé  de  répondre  que 
manger  des  viandes ,  que  la  loi  céré- 
monielle  avoit  deffendués,  6c  jetter 
quelques  grains  d'encens  dans  le  feu, 
font  à  la  vérité  deux  aâions  indiffé- 
rentes de  leur  nature ,  mais  qu'à  les 
confidérer  dans  les  circonftances  par- 
ticulières, où  ces  Martyrs  fe  trou- 
voient ,  c'étoient  deuxaftions  direc- 
tement oppofées  à  la  loi  Morale  :  C'é- 
toient  autant  de  delaveus  de  la  vé- 
rité. C'étoient  d'ailleurs  des  aâions; 
très  propres  à  fcandalifer  le  prochain. 
Ainfi  les  faire  ç'auroit  été  violer  ,, 
non  quelques  loix  pôfîtives ,  mais  les 
plus  faintes,  &  les  plus  indifpenfables 
des  loix  naturelles. 

Il  faut  donc  entendre  ce  que  j'ai  dit,  ' 
que  les  loix  poiîtives  n'obligent  point, 
lors  qu'on  ne  peut  les  obferver  fans  ; 
perdre  la  vie ,  il  faut ,  dis-je  ,  l'en- 
tendre en  ce  fens.  Oc  avec  cette  ex- 
ception ,  a  moins  t^uen  les  violant ,  on  ne 
viole  OHJfi  quelcjue  loi  naturelle  ,  ce  qui 
peut  arriver  fort  facilement. 

Cela  fuffira  fur  le  fujet  de  la  pré- 
mié!;e  difficulté.  La  féconde  eft  un  peu 

moins 


1 


BONNES   OEuVRES.  1^ 

moins  embarraffante.  On  dira  peut- 
ctre  que  fi  une  aârion  contraire  à  la 
loi  de  Dieu  ne  peut  jamais  être  bon- 
ne ,  il  faudra  condamner  celle  d'un 
enfant  né  d'adultère;  mais  qui  igno- 
re invinciblement  la  honte  de  fa  naif- 
fance ,  8c  qui  voyant  celui  qu'il  prend 
pour  fon  père  maltraité  par  celui  qui 
Peft  véritablement,  prendroit  le  par- 
ti du  premie/  contre  le  fécond.  Il 
violeroit  le  cinquième  commande- 
ment. Mais  comme  il  le  violeroit 
fans  le  favoir ,  non  feulement  il  ne 
feroit  pas  coupable ,  mais  toute  la  ter- 
re approuveroit  fon  aétion. 

Je  réponds  que  l'aétion  de  cet  en- 
fant eft  bonne  en  effet,  mais  qu'elle 
n'eft  point  du  tout  contraire  à  la  loi. 
La  loi  n'ordonne  pas  d^'honorer  le  vé- 
ritable père.  Si  cela  étoit  il  y  auroit 
des  cas  où  elle  ordonneroit  l'impof- 
fible.  Elle  ordonne  feulement  d'ho- 
norer celui  qu'on  regarde  comme  fon 
père ,  6c  qu'on  a  raifon  de  regarder 
comme  tel.  Ainfi  l'enfant  dont  il 
s^agit  ne  violant  pas  cette  loi ,  fon 
aétion  eft  bonne ,  &  la  difficulté  ne 
fubfifte  plus.  En 


a^  Traite*  DES 

En  un  mot,  il  faut  que  Perreur  qui 
fait  agir  contre  la  lettre  de  la  loi  foit 
une  erreur  innocente,  ôc  vienne  d'u- 
ne ignorance  invincible  &  involon- 
taire .  S'il  en  eft  autrement ,  la  meil- 
leure intention  du  monde  n'empê- 
chera pas  que  ce  qu'on  fait  ne  foit 
un  péché.  Témoin  l'aftionde  ceux 
dont  Jefus  Chrift  dit  qu'ils  croiroient 
rendre  fervice  à  Dieu  en  faifant  mou- 
rir fes  Apôtres.  Leur  intention  é- 
toit  bonne.  Mais  comme  leur  er- 
reur étoit  volontaire ,  leur  aftion  é- 
toit  très  mauvaife. 


CHAPITRE  IV. 

QfiilfaHt  cjH^une  aïiion  foit  commmdçc 
de  1)iett  pour  être  bonne, 

CE  que  je  viens  de  dire  fait  voir 
qu'afin  qu'une  aétion  foit  bon- 
ne, il  faut  qu'elle  n'ait  rien  de  con- 
traire à  la  loi  de  Dieu.  Mais  ce*n'eft 
pas  tout.  Il  faut  qu'elle  y  foit  con- 
forme ,  &  que  Dieu  l'aie  commandée, 

ou 


BONNES  OEUVRES.  %f 

ondireEiement,  OMindire^etnent.  Cette 
diflindbion  eft  importante ,  ôc  refont 
diverfes  difficultés.  Ainii  il  eft  bon 
de  l'éclaircir. 

On  dit  que  Dieu  commande  direc" 
tement  une  aftion,  lors  qu'il  la  com^ 
mande  en  elle  même.  C'eft  ainfî 
qu'il  nous  commande  de  l'invoquer, 
de  l'aimer ,  de  lui  obeïr ,  de  donner 
l'aumône  ôcc.  Mais  il  commande  /'«- 
■directement  tout  ce  qui  eft  nécefîàire 
pour  faire  ce  qu'il  commande  direc- 
tement. Ainfî  fi  je  ne  puis  fansm'in- 
commoder,  &  fans  me  priver  d'un 
plaiflr  innocent ,  aiîlfter  un  povrequi 
en  a  befoin ,  je  dois  me  priver  de  ce 
plaifir ,  &  Dieu  me  le  commande  in- 
dire6bement  en  m'ordonnant  d'afiifter 
ce  povre.  Je  n'en  donne  point  d'autre 
exemple.  Chacun  peut  en  imaginer 
une  infinité. 

Afin  qu'une  aélion  foit  bonne ,  il 
fuffit  qu'elle  foit  commandée  indirec- 
tement ,  Se  par  confequent  qu'elle 
foit  nécefîàire  pour  en  faire  une  que 
Dieu  nous  ait  commandée.  11  ne  faut 
pas  même  que  cette  neceflîté  foit  ab- 

B  foluë» 


26  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

foltië.  Il  fuffit  que  pour  obferverle 
commandement  il  faille  néceflaire- 
ment  faire ,  ou  Paclion  indifférente , 
dont  nous  parlons ,  ou  quelque  au* 
tre  chofedefcmblable.  Par  exemple, 
un  povre  a  un  befoin  preffant  d'un 
habit.  J'en  ai  deux ,  de  Pan  defquels 
je  puismepaffer.  Je  puis  le  lui  don- 
ner. Mais  je  puis  aufli  le  retenir, 
en  lui  donnant  de  l'argent  pour  en 
achetter  un  autre.  Par  conféquenc 
ni  l'un ,  ni  l'autre  n'eft  néceffaire  ab- 
folument ,  6c  déterminément  :  Mais 
l'un  ou  l'autre  l'eft  indéterminément. 
Cela  fufîît  pour  faire  que  quel  que  ce 
foit  de  ces  deux  partis  que  je  prenne, 
je  faile  une  bonne  aélion. 

Cela  pofé  de  la  forte ,  je  dis  qu'une 
aftion  ne  fauroit  être  bonne ,  il  elle 
n'eft  commandée  en  quelqu'une  de 
ces  manières.  Il  faut  bien  que  cela 
foit,  puis  que  Dieu  lui*même  rejet- 
te ces  cultes  abominables  des  anciens  . 
idolâtres ,  qui  immoloient  leurs  en- 
fans  au  faux  Dieu  Moloch,  il  les  re- 
jette, dis-je  5  par  cette  feule  raifon  qu'il 
ne  les  avoit  pas  prefcrits.  Ils  ont ,  dit-il . 

{a) ,  élevé 


BONNES  OEuVRES.  1J 

(a)  ^  élevé  les  hauts  lieux  de  Tophet  ^  -^our 
bmler  au  feu  leurs  fils  &  leurs  filles ,  ce  que 
je  ne  leur  ai  f  oint  commandé^  ^  a.  quoi  je 
n^ ai  jamais  penfé.  QLielle  feroit  cette 
confequence ,  iî  une  action  pouvoit 
être  bonne  fans  avoir  été  commandée? 

Auffi  Dieu  nous  deftend  expreiTe- 
ment  dans  fa  loi ,  &  de  rien  retrancher 
de  ce  qu'ii  ordonne,  &  d'y  rien  ajou- 
ter, f^ous  n^ ajouterez,  rien  a  la  parole  que 
je  vous  cornmande ,  &  ri' en  diminuerez^  rien. 
Deut.IV.  ^.  6cXlI.3x. 

Sur  ce  fondement  Jefus  Chriil  con- 
damne les  obfsrvations  que  les  Juifs 
avoient  aioûtées  à  la  loi  de  Dieu  ,  6c 
que  leurs  Do6teurs  rccommandoient 
comme  autant  de  Traditions  venues 
de  Moïfe  ,  Se  par  conféquent  de  Dieu 
même.  En  effet,  S  .Marc  nous  apprend 
que  les  Pharifiens  s'étant  plaints  à  ce 
grand  Sauveur ,  de  ce  que  fes  Difci- 
ples  n'obfervoient  point  les  Tradi- 
tions des  Anciens,  &  particulièrement 
celle  de  Uver  leurs  mains,  il  leur  ré- 
pondit ,  Certainement  Efiaïe  a  bien  prO" 
phetifé  de  vous ,  hypocrites ,    comme  tl  eji 

B  2,  écrit  ^ 

(«)  Jer.VIl.si., 


2l8  T  r  a  I  t  e'   d  e  s 

écrit  ^  Ce  peuple-ci  m^ honore  de  fes  lèvres^ 
waii  leur  cœur  eft  bien  fort  éloigné  de  moi, 
tyKars  en  vain  ni'honorent'ils ,  enÇeignant 
des  docîrines ,  <jm  ne  font  que  des  comman^ 
démens  des  hommes.    Marc  VII.  6.  ^, 

S.  Paul  de  même  rejette  les  dévo- 
tions volontaires  introduites  par  les 
faux  Do6teurs  de  fon  temps ,  difant 
aux  Colofîiens  ,  Que  nul  ne  vous  maitri" 
fe  a  fon  plaiftrpar  humilité  dC'efprit ,  ^fer^ 
vice  des  Anges  ,  s' ingérant  dans  les  chofes 
cju^il  n'^a  point  veues ,  étant  témérairement 
enflé  du  fens  de  fa  chair.  Si  donc  vous  êtes 
morts  avec  fefus  Chrifi ,  quant  aux  rudi" 
mtnsdti  monde ,  pour  quoi  vous  charge-t-on 
d'ordonnances ,  comme  fl  vous  viviez^  an 
inonde  ^  favoir  ^  ne  mange,  ne  goûte ,  ne 
touche  point}  qui  font  toutes  chofes  périffû 
h  les  par  Pufige ,  étant  établies  fuivmt  les 
commandemens  &  les  doBrines  des  hommes'^ 
lefquelles  ont  toutesfois  quelque  apparence 
de  fagejje,  en  dévotion  volontaire^  CT*  hu- 
milité d^efprit ,  &  ence  qu^ elles  n  épargnent 
nullement  lé  corps ,  ^  n'ont  aucun  égard 
au  raffafiment  de  la  chair..  Col.  II.  18. 
20.21. 2a.  25. 

Oh  peut  voir  par  là  l'état  qu'on  doit 

faire 


BONNES    OEuVRES.'  1S) 

faire  de  la  plupart  des  dévotions 
qu'on  pratique  dans  la  communion 
Romaine ,  telles  que  font  les  difci- 
plincs ,.  les  pèlerinages  ,  la  diilin6tion 
des  viandes ,  Pufage  des  fcapulaires , 
&  les  autres  pratiques  femblables.  Je 
ne  dirai  pas  maintenant  qu'elles  font 
contraires,  pour  la  plupart,  à  la  loi  de 
Dieu.  Comme  cette  confideration 
n'effc  pas  de  ce  lieu ,  je  me  contente  de 
dire  que  Dieu  ne  nous  les  a  jamais 
commandées ,  &  qu'ainii  il  peut  dire 
fur  leur  fujet ,  qui  a  requis  cela,  de  vos 
mains  ?  Ceci  feul  fiiffit  pour  faire  voir 
que  toutes  ces  obfervations  fontabfb- 
lument  inutiles. 

On  dira,  peut  être,  que  je  viens  moi 
même  de  reconnoitre  qu'afin  qu'une 
aétion  fo.it  bonne ,  il  fuffit  que  Dieu 
nous  Tait  commandée  indtreciement. 
On  ajoutera  que  Dieu  a  commandé 
de  cette  manière  ces  menues  dévo- 
tions dont  j'ai  parlé ,  puis  qu'il  nous 
a  commandé  d'écouter  PEglife  ,  ôc 
d'obeïr  à  nos  Condu&urs ,  6c  que 
cette  Eglife ,  &  ces  Conduéteurs  re- 
commandent fortement  ces  chofes. 

B  3  Ce 


5o        Traite'    des 

C"  raifonnement  feroit  convain-» 
cant  s'il  étoi  t  vrai  que  Dieu  eût  don- 
né à  l'Eglife  le  pouvoir  de  faire  des 
loix  diftincles  des  fiennes ,  6c  qui  obli- 
gent la  confcience  hors  des  cas  de  mé- 
pris &  de  fcandale.  Dans  cette  fup- 
poiîtion  j'avoue  qu'il  faudroit  prati- 
quer ces  choies,  de  que  le  faire  ce  fe- 
roit faire  de  bonnes  aftions.  Mais 
comme  nous  n'admettons  point  cette 
fuppofition  5  l'objeélion ,  qui  n'a  que 
ce  fondement  tombe  d'elle  même. 
On  peut  voir  ce  que  j'ai  dit  fur  ce  fu- 
jct  dans  mon  Traité  de  la  Confcience, 
livre  I.  chapitre  X. 


CHAPITRE    V. 

jQfi'il  ne  fujfit  pas  qu^une  aStion  foit  permi» 

fe ,  CH  commandée ,  /ï on  ne  fait  avec 

certitude  quelle  teft, 

CE  que  je  viens  de  dire  ne  fuffit 
pas ,  &  n'épuife  point  tout  ce 
qu'il  y  a  d'indifpenfable  dans  cette 
première  condition.     Ce  n'eft  pas  af- 

fez 


BONNES  OEuVRES.'  51 

lez  qu'une  action  foit  conforme  à  Ja 
loi  de  Dieu  en  la  manière  qu'on  vient 
d'indiquer.  Il  £iut  encore  qu'on  fâ- 
che qu'elle  l'ell ,  Ôc  qu'on  en  ait  quel- 
que certitude.  Imaginons  nous  en 
effet  que  dans  la  vérité  de  la  chofe 
'  l'aélion  foit  permife ,  ou  même  com- 
mandée de  Dieu,  mais  qu'on  fe  figu- 
re le  contraire ,  •&  qu'on  la  regarde 
comme  deffenduë.  Si  nonobliantce 
fliux  jugement  qu'on  en  fait ,  on  ne 
îaiile  pas  d'agir ,  on  pèche  ,  &  on 
tombe  dans  une  faute,  qui  en  de  cer- 
taines ocçafions  n'efl  pas  moindre  que 
celle  que  l'on  commet  en  faifant  ce 
que  Dieu  a  deffendu.  C'ell  ce  que 
je  croi  avoir  prouvé  dans  mon  Traité 
de  la Confcience ,  liv.II.chap.  Vllï. 
Mais  pour  éclaircir  tout  ceci  un  peu 
davantage, il  faut  remarquer  qu'il  peut 
arriver  que  l'efprit  fe  trouve  à  cet  é- 
gard  en  cinq  differens  états  lors  que 
l'on  agit.  On  peut  I.  regarder  l'ac- 
tion que  l'on  fait  5  comme  criminel- 
le, foit  qu'elle  foit  telle  en  elle  mê- 
me, foit  qu'elle  foit  innocente,  ou 
même  loiiable.  IL  On  peut  douter  û 

B  4         .       clic 


Ji.  Traite'  de^ 
elle  efl:  bonne  ou  mauvaife ,  je  par* 
le  d'un  doute  proprement  dit  ,  qui 
confifbe  à  iufpendre  fbn  jugement ,  ôc, 
à  s'abftenir  de  prononcer ,  foit  parce 
qu'on  ne  voit  point  de  raiibn ,  qui  in- 
cline Pefprit  à  prendre ,  ni  l'un ,  ni 
l'autre  des  deux  partis,  foit  parce  que 
les  raifons  des  deux  partis  paroifTent 
d'une  égale  force.  llI.Onpeutfoup- 
Çonner  que  ce  que  l'on  fait  eft  crimi- 
nel 5  &  en  avoir  quelque  crainte ,  quoi 
qu'on  juge  poiitivementle  contraire. 
IV.  On  peut  penfer  qu'il  eil  innocent, 
êc  le  penfer  d'un  côté  fans  avoir  de 
bonnes  raifons  de  le  croire ,  &  de  l'au* 
tre  fans  avoir  aucun  foupçon  du  con- 
tî'âire.  V.  On  peut-être  afleuré  que 
ce  qu'on  fait  eil  innocent. 

j'ai  déjà  dit  que  le  premier  eft  très 
certainement  criminel ,  &  je  l'ai  prou-' 
védans  l'endroit  que  j'ai  cité,  j'ai  fait 
voir  dans  ce  même  endroit  que  le  fé- 
cond n'eil  pas  innocent,  êC  en  effet 
agir  dans  le  temps  qu'on  doute  fi  l'ac- 
tion eil  bonne  ou  mauvaife ,  êc  qu'on 
regarde  l'un  6c  l'autre  comme  égale- 
ment poiTible  5  c'eil  faire  voir  qu'on 

n'a 


BONNES   OE LIVRES. 

n'a  ni  amour  pour  Dieu ,  ni  rcfpeït: 
pour  fa  volonté ,  ni  aucune  fenfibili- 
té  pour  le  grand  intérêt  de  nôtre  fa- 
lut.  Car  enfin  fî  en  avait  aucun  de 
ces  fentimens ,  on  ne  s'expoferoit  pas; 
au  danger  terrible  d^'offenfer  Dieu, 
ôc  de  fe  perdre  ,  comme  on  fait  en 
agiiîant  de  la  forte. 

Que  diroit-on  d'un  homme,  qui 
étant  averti  qu'une  viande  qu'on  lui 
fert  efl  empaifonnee,  èc  n'ayant  pas 
plus  de  raifon  de  croire  qu'elle  ne  l'eft 
point  ,  que  de  fe  perfuader  qu'elle 
Pefl: ,  ne  laifferoit  pas  d'en  manger  B 
N'agi roit-ir  pas  avec  une  brutalité  di- 
gne d'une  bete  ?  on  peut  dire  lamême 
chofe  de  celui  qui  agit  avec  un  tel 
doute,  &  s'il  y  aquelquediâerence,, 
elle  confifte  uniquement  en  ce  que 
le  danger  auquel  il  s'expofe  en  pé- 
chant ,  efb  incomparablement  plus 
grand  que  celui  qu^on  court  en  man- 
geant -d'une  viande  ,  qui  peut  être 
cmpoifonnée.. 

C'eft  pour  cette  raiibn  que  laint 

Paul   parlant  de  ceux   qui    n'étant 

'  pas  inftruits  de  la  liberté,,  oij  Jefus. 

B  ç  èhriHi 


34  T  R  A  1  T  e'    D  E  s 

Chrifl:  nous  a  mis  à  Pégard  des  vian- 
des, dont  la  Loi  deMoïfe  avoitdef- 
fendu  Piifage ,  craignoient  de  pécher 
s'ils  en  mangeoient ,  dit  aux  Romains, 
Celui  qui  fait  fcrv^fule  efl  condamne  s  H  en 
mange ,  car  il  n'^en  mange  j^oint  par  foi.  Or 
tout  ce  cjui  neft  point  de  foi  efi  un  péché. 
Rom.  XIV.  23. 

Le  troifiéme  efl  au  fond  ce  qu'on 
appelle  ordinairement  des  fcrupules. 
J'ai  dit  dans  mon  Traité  de  k  Con- 
icience  liv.  IL  chap.  XIII.  ce  que  je 
penfe  fur  ce  fujet,  6c  rien  ne  m'obli- 
ge à  y  revenir. 

Le  quatrième  n'eft  pas  fans  diffi- 
culté. En  effet ,  il  y  a,  ce  femble ,  de  la 
dureté  à  condamner  toutes  lesaéiions 
qu'on  fait  fans  avoir  de  bonnes  rai- 
fons  pour  s'alleurer  qu'elles  font  per- 
înifes.  Dans  cette  fuppofition  com- 
bien peu  en  feront  les  {impies ,  qui 
foient  vraiment  bonnes  \  eux  dont  les 
lumières  font  fi  courtes ,  ôc  les  no- 
tions fî  confufes  ? 

Mais  aufîî  d'un  autre  côté  fî  de  mé- 
chantes raifons ,  fur  lefquelles  on  fe 
perfuade  qu'une  adion  efl  bonne, 

peu- 


BONNES    OEUVRES.  Jf 

peuvent  faire  qu'elle  le  foit ,  les  pé- 
chés mêmes  pourront  être  de  bonnes 
acbions .  En  effet  un  homme  qui  fait 
ime  bonne  action  ,  n'ayant  que  de 
méchantes  raifons  pour  fe  perfuader 
qu'elle  Peil: ,  n'agit  pas  plus  prudem- 
ment qu'un  autre,  qui  par  de  fem- 
blables  raifons  fe  perfuade  qu'une  ac- 
tioo,  que  je  fuppofe  mauvaife  ,  efb 
permife.  Ainfi  il  eft  impofiible  que 
celle  du  fécond  foit  mauvaife ,  iî  cel- 
le du  premier  efl  bonne. 

Je  croi  qu'on  peut  appliquer  ici  ce 
que  i'ai  dit  ailleurs  fur  le  fujet  de  la 
foi.  Il  y  a  bien  de  la  différence  entre 
avoir  de  bonnes  raifons ,  qu'on  ne  pé- 
nètre pas,  &  n'en  avoir  que  de  mau- 
vaifes.  Le  premier  n'em.pêche  pas 
qu'ime  aélion  ne  foit  bonne.  Mais 
le  fécond  ne  fauroit  fuffire.  Si  donc 
les  fîmples  ont  de  bonnes  raifons ,  en- 
core qu'ils  n'en  comprennent  pas  tou- 
te la  force ,  leur  aélion  ne  laiiiera  pas 
d'être  bonne.  M-^is  elle  ne  fauroit 
l'être  s'il  n'ont  que  de  méchantes  rai- 
fons pour  fonder  le  jugement  qu'ils 
en  font, , 

B  6  Le 


Traite'   d  e  s 

Le  dernier  n'a  point  de  difficultés 
On  agit  bien  lors  qu'on  eit  bien  feuT 
que  ce  qu'on  fait  eft  commandé  de 
Dieu.  Ceildequoi  on  ne  peut  douter.. 


CHAPITRE    VI. 

Seconde  condition  necejfaire  a   nwe  honne-: 
ccHvr.s,  Elle  doit  être  volontaire , 

"f  L  faut  en  deuxième  lieu  qfu'une; 
j^  œuvre  pour  être  bonne  foit  volon- 
taire 5  &  cette  féconde  condition  n'elt 
pas  moins  necelTaire  que  la  précéden- 
te. Qii'une  œuvre  en  effet  foit  auffi 
excellente  en  fon genre,  êc  auili for- 
tement recommandée  de  la  paît  de 
Dieu  qu'on  voudra.  Si  on  ne  k  fait 
que  par  force ,  6c  ii  la  volonté  n^y  a 
point  de  part ,  elle  ne  fauroit  être 
bonne  &  agréable  à  Dieu. 

Une  aélion  eft  volontaire  lors  qu'el- 
fe eft  3  ou  un  acte  immédiat  de  la  vo- 
lonté, ÔCouun  efïèt,  une  fuite  d'un 
tel  âfte».    En  effet  ^  il  y  a  des  aélions 


\ 


BONNES  OEUVRES.  ^f 

que  la  volonté  produit  immédiate- 
ment ,  &  par  elle  même ,  fans  Pin- 
tervention  d'aucune  faculté  inférieu- 
re. Tels  font  par  exemple  l'amour  5, 
la  ha.ine  ,1e  defir,  la  crainte.  Il  y  en 
a  d'autres  qui  outre  le  mouvement  de 
la  volonté  demandent  l'a6lion  de  quel- 
que autre  faculté.  Par  exemple  l'au- 
mône ,  qui  outre  la  volonté  de  don- 
ner emporte  le  don  aéluel ,  par  le- 
quel la  main  tranfporte  ce  .que  l'on 
donne ,  Ôc  le  remet  entre  les  mains, 
de  celui  qui  le  reçoit. 

Il  fuffit  qu'une  aâion  foit  volon- 
taire en  l'une  ^  ou  en  l'autre  de  ces 
deux  manières  ,  pour  être  bonne. 
Mais  fi  elle  eil  absolument  involon- 
taire ,  elle  ne  fauroit  être ,  ni  bonne  , 
ni  mauvaife.  Or  deux  chofes  rendent 
les  aétions involontaires  5  la  contrain- 
te^ &:  l'ignorance. 

Par  la  contrainte  on  entend  l'efïet 
d'une  violence  étrangère  ,  qui  fait 
qu'on  agit,  à  la  vérité ,  mais  qu'on  agit 
malgré  foi ,  &  contre  fon  inclination. 
Mais  il  eil  bondefavoir  qu'il  y  a  une 
double  contrainte.  L'une  eil  une  con- 
trains 


^8         Traite'   des 

trainte  pleine ,  parfaite,  &  entière, 
qui  confiile  à  faire  des  chofes ,  auf- 
quelles  la  volonté  répugne  politive- 
ment,^abfolument,  &  à  tous  égards. 
Telle  €ft ,  par  exemple ,  la  contrainte 
d'un  homme ,  à  qui  on  tient  la  main, 
êc  qu'on  force  malgré  lui  à  ligner 
un  contracl  qu'il  dételle ,  6c  qu'il  ne 
figneroit  jamais  fi  on  ne  l'y  contrai- 
gnoit.  L'autre  eft  une  contrainte 
imparfaite ,  ou  comme  quelques-uns 
l'appellent ,  une  demi-contrainte,  qui 
emploie,  non  la  force,  mais  les  me- 
naces ,  les  coups ,  &  les  autres  vio- 
lences femblables ,  6c  s'en  fert  à  por- 
ter les  autres  à  faire  ce  qu'ils  ne  fe- 
I oient  point  d'eux  mêmes.  C'eft 
ainli  que  les  voleurs  forcent  les  paf- 
fans  à  leur  donner  leur  argent. 

La  contrainte  pleine  6c  parfaite 
ruine  de  telle  forte  la  liberté ,  que  les 
aétions  qu'elle  porte  à  faire,  n'ont, 
ni  aucune  bonté ,  ni  aucune  malice 
morale ,  êc  ne  font  imputées  ,  ni  à 
vice,  ni  à  vertu.  Mais  il  n'en  eft 
pas  de  même  de  la  contrainte  imp^n*- 
faite.  Elle  fait  que  les  actions  qu'el- 
le 


BONNES  OEUVRES^  ^gjt 

le  porte  à  faire ,  quoi  que  comnmn- 
dées  de  Dieu,  ne  font  pas  bonnes. 
Mais  elle  n'empêche  pas  que  celle* 
qu'il  a  deffenduës  ne  foient  mauvai- 
fes. 

Cette  féconde  vérité  eft  incontef^ 

;  table.  Si  elle  ne  l'étoit  pas,  on  ne 
pourroit ,  ni  blâmer ,  ni  condamner 
ceux  qui  defavouent  la  vérité  parmi 
les  fuppliccs ,  Se  le  martyre  feroit  l'ac- 
tion du  monde  la  plus  infenfée.   On 

i  pourroit  s'en  difpenicr ,  &:  defavouer 
la  vérité ,  fans  offcnfer  Dieu ,  6c  cet- 
te aclion  qui  eft  fi  criminelle ,  feroit 
innocente ,  puis  qu'elle  ne  feroit  pas 
pleinement  &  parfaitement  volontai- 
re ,  &  qu'on  ne  s'y  porteroit  que  pour 
éviter  les  fupplices  ,  ôc  les  autres 
mauvais  traitemens ,  dont  on  eft  me- 
nacé. 

Mais  quoi  que  cette  contrainte  im- 
parfaite ne  fuffife  pas  pour  rendre  in- 
nocent ce  qui  eft  deffendu ,  elle  fuffit 
pour  faire  que  ce  qui  eft  commandé 
ne  foit  pas  louable .  Elle  ruine  la  bon- 
té de  l'action ,  quoi  qu'elle  n'en  ôte 
pas  la  malice.   Ceci  eft  furprenant  , 

mais 


40         T  R  A  I  T  e'   b  É  s 

mais  en  effet  rien  n'cfl:  plus  ccrtam. 
Gar  enfin  un  homme  qui  ne  fei^a  une 
aétion  que  Dieu  a  commandée ,  que 
parce  qu'on  l'y  force  par  des  coups , 
Ôt  par  des  menaces ,  ne  fera  pas  une 
bonne  aftion  ,'&;  perfonne  ne  croira 
qu'il  en  doive  être  loiié. 

La  raifon  eft  que  ^  comme  S.  Au- 
guftin  i'a  fort  judicieufement  remar- 
qué, c'eft  dans  le  cœur  que  la  vo- 
lonté de  Dieu  s'exécute,  -  C'eft  ce 
cœur  qu'il  demande  fur  toutes  cho-- 
fcs,  Se  c'eft  à  ce  cœur  qu'il  donne 
principalement  fes  loix.'  Or  dans  le 
cas  propofé  le  cœur  eft  oppofé  à  ht 
volonté  de  Dieu.  Il  hait  ce  bien? 
même  qu'on  fait  extérieurement. 
On  fouhaitteroit  de  ne  le  pas  faire .. 
Par  confequent  l'aârion  ne  peut  être 
bonne. 

Mais^  dira-t-on,  quelle  eft  la  rai- 
fon de  la  différence  f  Et  d'oïl  vient 
qu'un  certain  degré  de  liberté,  qui- 
fuifit  pour  faire  un  péché  ,  ne  fufîit 
pas  pour  faire  une  bonne  aétion  ?  Je 
réponds  que  cela  vient  de  la  vérité 
de  la  maxime  que  j'ai  indiquée  dans 

le 


BONNES    OEuVRES.^  4î 

îe  fécond  chapitre  de  ce  Traité, 
C'eft  qu'il  y  a  cette  grande  diôeren^ 
ce  entre  le  bien  6c  le  mal  ,  qu'un 
feul  défaut  fufîît  pour  faire  le  mal , 
au  lieu  que  .plufieurs  perfeélions  ne 
fuffifent  point  pour  faire  le  bien. 
La  prefence  de  la  plupart  ne  fait 
rien  lors  qu'il  y  en  manque  une 
feule. 

Une  aélion  à  demi  forcée  ,  foit 
commandée,  foit  deffenduë,  eft  un 
compofé  de  bons  ,  6c  de  mauvais 
mouvemens.  Elle  eft  donc  mauvai- 
fe  à  tout  prendre  ,  parce  qu'elle  a 
neceifairement  quelque  défaut  eflen-* 
tiel.  C'eftcequi  paroîtra  plus  claire- 
ment par  cet  exemple. 

Imaginons  -  nous  deux  hommes  ^ 
l'un  orthodoxe  ,  l'autre  hérétique  ,, 
qu'on  force  tous  deux  par  des  coups, 
ou  par  des  menaces ,  à  abjurer  leur 
Religion.  Uy  a  trois  chofes  dans  l'ac- 
tion de  l'un  6c  de  l'autre.  Il  y  a  pre- 
mièrement l'aéti on  externe.  C'eft  la 
foufcription  de  l'abjuration.  Il  y  a  en 
deuxième  lieu  une  volonté  efficace  de 
faire  cette  aftion  externe  ,  je  veux 

dire 


4^  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

dire  de  fîgner  ce  qu'ils  regardent 
comme  faux.  Il- y  à  en  troifiéme  lieu 
une  répugnance ,  qui  naît  d'un  amour 
foible ,  j'en  conviens ,  mais  fincere , 
pour  la  vérité,  foit  réelle,  foit puta- 
tive. 

Cet  afte  d'amour  pour  ce  qu'on  re- 
garde comme  véritable ,  eft  ,bon  fans 
doute.  Mais  comme  la- volonté  effi- 
cace qui  triomphe  de  cet  amour ,  6c 
^ui  eft  fuivie  de  Paétion  externe  , 
eft  très  criminelle  dans  l'un  &  dans 
l'autre  ,  le  compofé  qui  refulte  de 
l'acliqn  externe ,  &  des  mouvemens 
intérieurs ,  eft  mauvais ,  6c  fait  danç 
l'un  ôc  dans  l'autre  un  véritable  pé- 
ché. 

Je  conclus  de  là  qu'une  aftion  à 
demi  contrainte  peut  fort  ;facilement 
être  mauvaife ,  puis  qu'il  y  a  toujours 
xme  volonté  efficace ,  oppofée  à  la  vo- 
lonté de  Dieu.  Mais  elle  ne  fauroit 
être  bonne,  y  ayant  toujours  un,  ou 
même  plufieurs  défiants  efièntiels, 
qui  étouffent  le  peu  de  bien  qu'il  y 
peut  avoir.  Par  confequent  il  faut 
beaucoup  plus  de  liberté  pour  faire 

une 


BONNES    OEuVRESr.         45 

une  bonne  aélion ,  que  pour  un  pé- 
ché ,  &  cette  propofition ,  qui  paroît 
d'abord  un  paradoxe  incroyable ,  efl' 
une  vérité  folide:&:  certaine. 

Qiie  fi  la  crainte  d'iui  mal ,  dont 
on  cil  menacé  par  les  hommes ,  em- 
pêche que  Paftion,  qu'elle  porte  à 
faire ,  quoi  que  commandée  de  Dieu, 
ne  foit  bonne  ,  comment  peut -on 
douter  que  la  crainte  de  la  punition 
de  Dieu  ne  falîè  le  même  effet  ?  Com- 
ment peut-on  douter  que  ce  ne  foit 
fort  inutilement  qu'on  fait  le  bien,lors 
qu'on  ne  le  fait  que  par  l'apprehenfion 
de  l'enfer  ?  Lors^  dit  S.  Augullin, 
^u^onfait  le  bien ,  non  far  P amour  de  la 
juftice\  mais  far  la  crainte  de  la  funition  l 
on  ne  fait  f  as  bien  le  bien  même  ^&  ce  qu^on 
femble  faire  au  dehors ,  ne  fe  fait  pas  dans 
le  cœur ,  fuis  qu^on  aimeroit  mieux  ne  h 
fas  faire  ^  Ji  on  le  fouvoit  impunément. 

On  voit  encore  par  là  ce  qui  fait 
que  la  Hmple  attrition  n'ell:  pas  capa- 
ble de  convertir  le  pécheur  ,  &  de 
plaire  véritablement  à  Dieu.  En  ef- 
fet celui  qui  ne  fe  repent  d'avoir  pé- 
ché;, que  parce  qu'il  craint  d'en  être 

puni, 


^4  T  îl  A  I  T  e'    D  E  s 

puni ,  hait  bien  la  punition ,  maïs  iljnfc 
hait  pas  le  péché.  Il  l'aime  toujours,  ÔC 
le  rechercheroit  toujours ,  s'il  le  pour- 
voit impunément.  Et  n'eft-ce  pas  là 
une  très  mauvaife  difpofîtion  ? 

J'ai  dit  en  deuxième  lieu  que  l'igno- 
rance rend  les  a6lions  involontan*es , 
êçla  raifon  en  eil:  évidente.  C'eftque 
la  volonté  n'a  pour  objet  que  le  bien 
ou  le  mal  connu.  Ainfiileft  impoiîî- 
ble  de  vouloir  ce  qu'on  ne  connoit 
point.  Par  confequent  afin  qu'une 
aâion  foit  volontaire  ,  comme  elle 
doit  l'être  pour  être  bonne ,  il  faut 
nécefTairement  qu'on  la  connoilTe. 
Cette  connoiffance  même  doit  avoir 
deux  divers  objets ,  ce  qu'elle  a  de 
bon  êc  de  louable ,  êc  ce  qu'elle  a  de 
contraire  à  nos  intérêts  temporels. 

Car  pour  le  premier  ,  lors  qu'on 
fait  une  aélion  bonne  en  elle  même, 
fans  favoir  qu'elle  le  foit,  ôc  la  cro- 
yant mauvaiie  ,  ou  indifïerente,  on  ne 
fait  pas  une  bonne  aélion.  On  en  fait 
une  mauvaife ,  ou  indiSerente ,  félon 
l'opinion  qu'on  en  a. 

ïl  n^cn  eft  pas  de  même  des  aâionj 

crimi- 


/ 
BONNES  OEUVRES.  4Jf 

criminelles  en  elles  mêmes.  Elles 
ne  deviennent  pas  bonnes  ,  en- 
core qu'on  les  croie  telles ,  à  moins 
que  l'erreur  qui  les  fait  prendre  pour 
bonnes,  ne  foit  innocente  ôc  invo- 
lontaire. Car  ceci  pofé  elles  peuvent 
devenir  bonnes ,  comme  on  Pa  veu 
dans  l'un  des  chapitres  précédens. 

Pour  le  fécond  ,  il  arrive  allez  fou- 
vent  qu'on  fait  par  un  bon  principe 
des  a6lions  qu'on  ne  feroit  pas  fi  on 
favoit  tout  le  danger  auquel  on  s'expo- 
feVnlesfaifant.  Par  exemple  on  prê- 
te une  fomme  d'argent  à  un  homme, 
de  qui  on  efpére  de  la  retirer ,  ne  fa- 
chant  pas  qu'il  eft  infolvable.  On 
perd  cette  fomme  ,  &  cette  perte 
qui  augmenteroit  confidérablement 
le  prix  de  l'action  ,  H  on  l'avoit 
preveué  ,  n'eft  comptée  pour  rien 
lors  qu'on  ne  la  regarde  pas  comme 
poffible. 

Je  conclus  qu'afin  qu'une  aftion  foit 
bonne  il  faut  qu'on  fâche  diftinétc- 
ment  ce  qu'on  fait,6c  que  voiant  toutes 
les  raifons,  qui  peuvent  porter  à  la  fai- 
re,  &  toutes  celles  qui  peuvent  en  dé- 
tour» 


T  R  A  I  te'  des 

tourner  ,  on  méprife  ces  dernières^ 
£c  on  leur  préfère  les  premières .  C'eft 
alors  que  Paélion  fera  véritablement 
bonne.  Elle  le  fera  au  moins  à  pro- 
portion que  cette  connoilîance  fera 
plus  diftinéte ,  &  plus  étendue. 


CHAPIT.RE    VIL 

*TroiJtéme  condition,    L'aEiion  ne  doit  rien 

avoir  qui  ne  convienne  aux  circonf- 

tances  qui  ï^ accompagnent. 

LA  bonté  d'une  aâiion  ne  dépend 
pas  feulement  de  ce  qu'elle  efb  en 
elle  même ,  &  dans  fa  nature ,  mais 
encore  des  circonftances  qui  l'accom- 
pagnent. Ces  circonftances  font  un 
tel  efîèt ,  que  ce  qui  eft  bon  &  loua- 
ble dans  de  certaines  conjonétures , 
eft  mauvais  6c  criminel  en  d'autres. 
Ceci  eil  très  ordinaire  ,  6c  l'on  en 
trouvera  des  exemples  dans  ce  que  je 
Vai  ajouter. 

On  compte  ordinairement  jufqu 'à 

fept 


BONNES   OEUVRES.  47 

iept  principales  circonflances.  La 
première  comprend  les  qualités  de  ce- 
lui qui  agit.  La  féconde  eft  la  quali« 
té  ,  ou  la  quantité  de  l'objet.  La 
troiiléme  efl  le  lieu.  La  quatrième 
les  moyens  qu'on  emploie ,  &  les  fe- 
cours  qu'on  a.  La  cinquième  eft  la 
fin  qu'on  fe  propofe.  La  fixiéme  la 
manière  en  laquelle  on  agit ,  ôclafep- 
tiéme  le  temps. 

Parmi  ces  fept  circonflances  il  y  en  a 
une  beaucoup  plus  importante  que  les 
autres ,  6c  qui  a  une  influence  parti* 
culiere  fur  la  bonté,  ou  la  malice  de 
l'a6bion ,  lavoir  la  fin  qu'on  fe  propo- 
fe. Elle  n'eft  pas  d'ailleurs  fans  diffi- 
culté. C'eft  pourquoi  nous  la  fepa- 
rerons  des  autres ,  6c  renverrons  au 
chapitre  fuivant  ce  que  nous  avons  à 
dire  fur  fon  fujet.  Dans  celui-ci  nous 
ne  parlerons  que  des  fix  autres. 

La  première  eft  très  importante. 
Pour  bien  juger  d'une  a6tion  il  faut 
prendre  garde  aux  qualitez  de  celui 
qui  la  fait,  ou  qui  doit  la  faire.  Car 
il  eft  certain ,  non  feulement  que  ce 
qui  convient  à  l'un,  ne  convient  pas 

toû- 


4?  Traite*   de  s 

toujours  à  l'autre ,  mais  encore  que 
ce  qui  eft  bon  6c  loiiable  en  Pun ,  eft 
fouvent  criminel  dans  Pautre.  Cent 
chofes  font  permifes  à  un  Prince ,  qui 
ne  le  font  pas  à  un  fujet.  Il  y  en  a 
d'autres  qui  conviennent  aflez  à  des 
fujets,  6c  qu'on  ne  pardonneroit  pas 
à  des  Princes .  Autres  font  les  devoirs 
d'un  maître ,  6c  autres  ceux  d'un  for- 
viteur.  Un  Père  n'eft  pas  dans  les 
mêmes  engagemens  qu'un  enfant , 
êc  ceux  d'un  enfant  font  tout  autres 
que  ceux  d'un  Père.  L'âge,  lefexe, 
la  profeffipn ,  le  genre  de  vie ,  la  po- 
vreté  6c  les  richeiîes  ,  la  bafFefTe  6c 
Pélevation  ,  le  pouvoir  6c  Pimpuif- 
fance ,  6c  le  refte  des  qualitez  fembla- 
bles,  mettent  une  di^erence  confi- 
derable  entre  les  devoirs  des  perfon- 
nes  en  qui  elles  fe  trouvent,  Ainfî 
cette  circonfbmce  cil  une  de  celles 
qui  méritent  le  plus  qu'on  y  ait  é- 
gard. 

Je  dis  la  même  chôfe  de  la  fécon- 
de. Elle  comprend  les  qualitez  6c  la 
quantité  de  Pobjet  fur  lequel  on  agit. 
Celle-ci  fait  encore  le  même  effet. 

Ce 


BONNES  OEuVRES.  49 

Ce  qui  ed;  innocent ,  ce  qui  eft  me* 
me  bon  6c  nécefiaire  par  rapport  à  un 
certain  objet,  eil  criminel  par  rap- 
port à  un  autre.  Il  eft  permis  à  un 
père  de  châtier  fon  enfant.  Il  eft 
permis  à  un  Magillrat  de  punir  un  de 
fes  fujets ,  qui  a  failli.  Mais  il  ne  Peft 
pas  à  un  enfant ,  ou  à  un  fujet  de  punir 
ion  père ,  ou  fon  Juge.  Un  Juge  fait 
fort  bien  en  faifant  mourir  un  cri- 
minel ,  6c  il  feroit  fort  mal  s'il  fai- 
foit  foufirir  le  miême  fupplice  à  un 
innocent. 

La  quantité  eft  encore  très  confî- 
derable.  L'aumône  eft  quelquefois 
fi  petite,  de  fî  peu  proportionnée  à 
Pindigence  du  povre ,  que  Dieu  ne 
la  compte  pour  rien.  Quelquefois 
aufti  elle  eft  fi  grande ,  qu'elle  eft  ex- 
cefîîve ,  ôc  fait  paroitre  plutôt  de  la 
prodigalité  que  de  la  charité.  Un  Ju- 
ge peut  faire  foufTrir  à  un  criminel 
un  fupplice  5  6c  trop  doux  ,  6c  trop 
rigoureux.  Un  larron  pêche  plus, 
ou  moins  à  proportion  que  ce  qu'il 
dérobe  eft  plus  ou  moins  précieux , 
&  plus  ou  moins  néceftàire .  Un  hom- 

G  me 


50  T  R  A  I  T  E*  D  E  s 

me  qui  tue  eft  plus  coupable  que  ce- 
lui qui  fe  contente  de  battre,  6c  ain- 
fi  du  refte. 

La  troifiéme  circonftance  eft  celle 
du  lieu.  Cela  feul  change  quelque- 
fois la  nature  de  l^'action.  Qui  ne  fait 
qu'il  y  en  a  de  celles  qui  font  inno- 
centes lors  qu'on  les  fait  en  fecret, 
&;  qui  feroient  très  mauvaifes  fi  on  les 
faifoit  en  public  ?  Combien  auffi  n'y 
en  a-t-il  pas  ,  qui  font  permifes  &: 
neceflaires  dans  un  lieu  profane ,  dans 
une  maifon ,  fur  la  rue ,  ou  à  la  cam- 
pagne ,  &  qui  ne  le  feroient  pas  dans 
un  temple? 

Je  dis  la  même  chofedela  quatriè- 
me circonflance ,  qui  comprend  les 
moyens  dont  on  fe  fert  pour  faire  ce 
que  l'on  fait.  Ces  moyens  font  quel- 
quefois innocens,  &  alors  l'aétioneft 
permife.  Quelquefois  auffi  ils  font 
criminels ,  &:  alors  Paâion  eft  mau- 
Vaife.  11  y  a  une  infinité  de  péchés 
qui  ne  viennent  que  de  cela  feul.  Il 
eft,  par  exemple,  permis  d'amaflèrdi? 
bien.  Mais  il  ne  l'eft  pas  d'en  amaf- 
fcr  par  la  fraude ,  par  la  violence ,  par 

Pin- 


BONNES    OEuVRES.  Jl 

l'injuftice.  Il  eft  permis  de  fe  faire 
une  bonne  réputation.  Mais  il  ne  Peft 
pas  de  n'en  être  redevabie  qu'à  Phy- 
pocrifie.  Il  eft  permis  d'amener  les 
errans  à  là  connoifîànce  de  la  vérité , 
mais  il  ne  l'efb  pas  de  les  forcer  à  l'em- 
brafler ,  5c  de  les  perfecuter  dans  ce 
defTein.  On  pourroit  produire  une  in- 
finité d^exemples  femblables.  Mais 
comme  chacun  peut  les  trouver  de 
foi-même ,  il  n'eft  pas  néceflairc  de 
s'y  arrêter. 

Je  pafîe  la  cinquième  cîrconftance, 
qui  cil  la  fin ,  &  je  m'arrête  à  la  fixié- 
me  ,  qui  eft  la  manière.  Elle 
diverfific  fort  fouvcnt  la  qualité  des 
aétions.  Il  y  en  a  de  celles  qui  font 
bonnes,  lors  qu'on  les  fait  avec  vé- 
hémence, ÔC  qui  font  mauvaif^slors 
qu'on  les  fait  nonchalamment  o:  lan- 
guifîammcnr  ,  témoin  la  pn^re,  & 
l'exercice  du  faint  miniilcre.  ii  y  en 
a  pluGcurs  qui  font  bonnes  lors  qu'on 
les  fait  avec  difcernement ,  Ôc  avec 
douceur  6c  qui  font  mauvaif  s  lors 
qu'on  les  fait  aigrement  6v  éioùrdî- 
mcnt,  par  exemple,  les  rcpr  hn- 
C  z  fions. 


jTi  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

fions.  D'autres  qui  font  louables  lors 
qu'on  les  fait  de  bon  cœur ,  6c  avec 
plaifir,  &:  qui  ne  font  coinptées  pour 
rien  lors  qu'on  les  fait  à  regret  6c  à 

•contrecœur,  comme  Paumône  ,  6c 
les  autres  fe cours  qu'on  donne  à  ceux 
qui  en  ont  befoin.  La  manière  en  la- 
quelle on  fe  nourrit ,  on  fe  logé ,  on 
s'habille ,  fait ,  ou  la  frugalité  ,  la  fo- 
brieté ,  &  la  modeftie ,  ou  le  luxe  & 
l'intempérance.  La  manière  en  la- 
quelle on  parle  de  foi ,  ou  des  autres, 
fait  auffi  des  effets  direétement  op* 
pofés. 

Enfin  la  dernière  circonflance  eft 
celle  du  temps.  Elle  mérite  auffi  bien 
que  les  autres  qu'on  y  ait  égard.  En 
effet,  tout  ne  convient  pas  à  tout 
temps  ,  6c  le  Sage  a  remarqué  que 
chaque  chofe  a  le  fien.     Ce  qui  eft 

^  bon  le  jour  ,  ne  l'eft  pas  la  nuit. 
Ce  qui  eft  permis  un  jour  fur  fémai- 
ne  ne  l'eft  pas  un  jour  de  Diman- 
che. D'ailleurs  la  durée  de  l'aâion 
peut  en  changer  la  nature.  Il  eft  per- 
mis ,  par  exemple  ,  d'employer  une 
certaine  quantité  de  temps  à  manger. 


a 


«ONNES    OEuVRES.  5^5 

à  s'habiller ,  à  dormir  à  fe  repofcr , 
à  fe  divertir.  Mais  il  ne  s'enfuit 
pas  de  U  qu'on  ne  pèche  en  confu- 
mant  trop  de  temps  à  quelle  que  ce 
foit  de  CCS  chofes.  Il  eft  certain  mê- 
me que  cela  feul  fait  une  infinité  de 
péchez. 

N'y  ayant  donc  aucune  de  ces  cir- 
conilances  qui  ne  puifTe  changer  la 
nature  de  nos  aétions ,  6c  les  rendre 
mauvaifes  ,  de  bonnes  qu'elles  peu- 
vent être  d'elles  mêmes ,  il  eft  clair 
que  nous  n'en  devons  jamais  faire  au- 
cune ,  fans  prendre  garde  s'il  n'y  a  rien 
dans  la  conjonéture  particuliei*e  où 
nous  nous  trouvons ,  qui  fà{{c  cet  ef- 
fet à  l'égard  de  l'aétion  que  nous  al- 
lons faire  ,  6c  que  négliger  ce  foin 
c'eft  s'expofer  au  danger  de  pécher 
êc  d'offenfer  Dieu  en  faifant  les  cho- 
fes mêmes  qu'il  a  commandées. 

On  peut  voir  encore  par-  là  com- 
bien il  eft  difficile  déjuger  de  la  bonté 
d'une  aftion.  En  effet,  pour  ne  s'y  pas 
tromper  il  faudroit  premièrement 
connoître  toutes  les  circonftancesqui 
l'accompagnent ,  6c  fa  voir  enfuite  ce 

C  3  que 


5*4       Traite'    des 

que  chacune  de  ces  circonftances  con- 
tribue vi  la  rendre  bonne  ou  mauvaife. 
li  faudroit  les  comparer  exaclement 
ks  unes  avec  les  autres ,  parce  qu'en 
effet  il  y  en  a  de  celles  qui  ne  font  leur 
effet  que  lors  qu'elles  font  feules ,  6c 
qu'il  arrive  fou  vent  qu'elles  font  ef- 
facées 6c  contrebalancées  par  •  d'au- 
tres. Comme  il  n'y  a  peut-être  per- 
fonne ,  qui  puilîe  fe  vanter  de  con- 
noître  exaélement  tout  ceci ,  fur  tout 
à  l'égard  de  chaque  acbion  particuliè- 
re ,  il  efc  clair  qu'il  n'y  a  perfonne  qui 
foit  en  état  de  prononcer  là-deffus. 
C'efl  ce  qu'il  feroit  à  fouhaitter  que 
l'on  voulut  bien  confîderer .  Rien  ne 
feroit  plus  efficace  pour  repnmer  cette 
liberté ,  ou  pour  mieux  dire  cette  li- 
cence exceffive  6c  infup portable ,  que 
la  plupart  fe  donnent  de  juger  des  ac- 
tions de  leurs  prochains,  ôc  de  pronon- 
cer là  deflus  d'un  ton  auffi  ferme,  & 
d'une  manière  auffi  décifive ,  que  s'ils 
avoient  toutes  les  lumières  neceflaires 
pour  ne  courir  aucun  rifque  de  s'y 
tromper, 

CHA^ 


BONNES  OEuVRES.  ^f 


CHAPITRE    VIII. 

Quatrième  condition.     ZJne  bonne  aUion 
doit  avoir  une  bonne  fin. 

Rien  n'ell:  plus  eiTentiel  à  une  bon- 
ne action ,  qu'une  bonne  fin .  La 
fin  eftdans  la  Morale  ce  que  font  les 
premiers  principes  à  Pégard  de  la  con- 
noifiance.  Tout  dépend  de  là,  &  fi 
la  fin  qu'on  fc  propofe  ed  mauvaife, 
l'action  quelle  qu'elle  foit  d'ailleurs, 
ne  fera  jamais  innocente.  C'efl  la 
doctrine  confiante  de  S.  AuguiHn. 
Il  foûtient  que  ce  qui  diftingue  les 
vertus  des  vices  ne  confiflc  pas  tant 
dans  ce  que  l'on  fait ,  que  dans  la  fin 
qu'on  {c  propofe  en  lefaifant.  Nove- 
ris  ^  dit -il  (ci)  ,  non  offictis  ,  fedfîmbus  ^ 
a  zntiis  difcernendas  ejfe  virtutes  ;  ojfictum 
eft  apttem  quod  faaendunt  efl'^  finis pr opter 
cjuem  factendpim  efi.  Cum  ttacjue  jactt 
homoaliquid^  ubi  peccare  non  vidctur  ^  fi 
^lon  proptcr  hoc  factt  ,   proptcr  quodfacere 

C  4  dc' 

(a)  Aug.  cont.  Jul.  lib.  4.  cap.  3. 


56  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

aehet  peccare  convincitHr.  C'eft  pour- 
quoi il  conclut  que  la  meilleure  ac- 
tion qu'il  foit  poffible  d'imaginer ,  fi 
elle  n'a  pas  une  bonne  fin ,  non  feule- 
ment n'eft  pas  bonne ,  mais  eft  cri- 
minelle. Ô^ici^md  hom  fit  ab  homine , 
(^  non  propter  hoc  fit  ^  propter  quod  fieri 
ver  a  fnpientia  pracipit  y  etjt  officia'  vtdea- 
tur  horiHm^   tpfo  non  reBo  fine  peccatum 

'fi- 

Mais  avant  que  de  défigner  cette 
fin  5  il  faut  remarquer  qu'il  ne  s'agit 
pas  ici  de  la  ^n  prochaine  6c  immé- 
diate, mais  de  la  dernière.  En  effet, 
la  £.n  prochaine  ôc  immédiate  n'eft 
d'ordinaire  qu'un  fimple  moyen» 
G'eft  la  dernieix  fin  qui  mérite  pro- 
prement ce  nom ,  &  c'eft  elle  auiîî 
qui  fait  conftamment  ôc  univerfelie- 
ment  les  bonnes  6c  les  mauvaifes  ac- 
tions. 

Cela  pofé ,  je  dis  que  la  dernière 
fin  que  nous  devons  nous  propofer 
dans  nos  aftions  c'eft-  Dieu.  Comme 
il  eft  le  premier  principe  de  toutes 
chofes ,  il  eft  jufte  qu'il  en  foit  auffi 
i a  dernière  fin.     Et  c'eft -là  auffi  ce 

que 


BON^NES   OEuVRES.  ^ 

que  PEcritiirc  nous  apprend  en  pîu- 
iîeurs  endroits.  Dieu  a,  fait  tsut  four, 
lui  même  ^  nous  dit  le  Sage  (d).  En 
lui  j  j>ar  lui ,  &  pour  lui  font  toutes  chofes , 
nous  dit  P Apôtre  S.  Paul  {b).  Pat 
eonfequent  c'efh  lui  feul  que  nous  de- 
vons nous  prapofer  pour  dernière  fin 
de  nos  actions.  Mais  c'efl  ce  qui  em- 
porte trois  diverfes  chofes ,  qu'il  eft 
bon  de  ne  pas  confondre. 

I.  Nous  devons  avoir  pour  but  dîins 
toutes  nos  actions  de  poifeder  Diç;\î. 
En  eftet  il  eil  naturel  à  Phomme ,  non 
feulement  de  fouhaiter  le  bonheur, 
mais  encore  de  ne  rien  faire  que  dans 
ce  delîein .  Ainfi  le  bonheur  de  Phom- 
me ne  conliilant  qu'en  la  poileffion  ds: 
Dieu ,  il  eft  évident  que  cette  pofîcf- 
fion  doit  être  la  fin  de  nos  actions.  Par 
€onfequent  le  principe  de  ces  a6i:ions 
doit  être  cet  amour  de  Dieu, qu'on  ap- 
pelle communément  amour  de  concu- 
pifcence ,  ou  amour  d'intérêt. 

IL  Dans  tout  ce  que  nous  fiifons 
nous  devons  penfer  à  plaire  à  Dieu , 
Se  à  le  fervir.      Nous  mus  étudions  , 

C  s  ^it 

C4  Pfov.XVl.4.         Q>)  Rom,  x:. 36. 


5^8  Tr  aï  te*  des 

dit  S.  Paul  (a)^  de  lui  être  agréables prt* 
fens  &  abfem.  Et  S.  Pierre  dit  (J?)  que 
mus  fommes  une  facrtficature ,  four  offrir 
des  facrifices  ffirituels  agréables  a  Dieu  par 
[onFtls.  S.  Paul  de  même  ailïïre  (c) 
que  Je  fus  Chrift  eft  mort  pour  tous  ^  afin: 
que  ceux  qmvivent ^  ne  vivent plu^k eux 
mêmes ,  mais  a  celui  qui  eft  mort ,  &  refi» 
fufcité pour  eux, 

III. Nous  devons  avoir  enveuëd'a- 
vancer  par  nos  aftions  la  gloire  de 
Dieu .  Fait  es  luire  vôtre  lumière  devant 
les  hommes  ^  nous  ditjefus  Chrift  (^) 
^fin  que  les  hommes  voyant  vos  bonnes  œu» 
vr es  glorifient  votre  Père  qui  eft  dans  lei 
deux,  Et  S.  Paul  {e) ^  Soit  que  vous, 
mangitz^ ,  ou  que  vous  beuviez. ,  ou  que  vous 
fafiiê^.  quelque  autre  choje ,  faites  le  tout  k 
iagloire  de  Dieu.  Ailleurs  (f)  il  veut  que 
les  Philippiens  foient  remplis  de  fruits  d& 
fuHice ,  a  Iagloire  &  louange  de  Dieu, 

Voilà  ce  que  c'eft  que  rapporter 
nos  aftions  à  Dieu ,  6c  qu'en  faire  la 
dernière  fin  de  tout  ce  qu'on  fait.  Je 

dis 

{a)  II.;Cer.  V.  p.  (h)  î.  Pkr.  H.  5. 

(f)  Ïï-Car.  V.         {d)  Matt.  V.  1^, 
{e}  LQov,  X.         (/)  PhJJ.I.  SX, 


BONNES  OEllVREr.  ^9 

dis  maintenant  que  ce  devoir  eft  d'au- 
tant plus  jufte,  qu'on  ne  fauroir  y 
manquer  fans  tomber  dans  un  defor- 
dre  effi*oïable.  En  effet,  ii  Dieu  n'eft 
pas  la  dernière  iîivde  nos  actions,  il 
Faut-nécelTairement  ou  que  nous  en 
ayons  quelque  autr£  ,  ou  que  nous 
n'en  ayons  aucune. 

Je  ne  fai  fi  ce  dernier  eft  poffible. 
Selon  tous  les  Philofophes ,  l'hom- 
me ne  fauroit  agir  fans  fe  propofer 
quelque  but.  Mais  fupporans  que 
cela  fe  puiffe.  Il  efl  certain  au  moins 
qu'agir  fans  favoir  pourquoi  on  agit, 
&  fans  avoir  aucun  but ,  aucune  fia 
qu'on  fe  propofe ,  ce  n'eil  pas  agir 
fagement  6c  judicieufement.  C'eit 
agu'  d'une  manière  foie  &  étourdie; 
6c  par  confequent  indigne  d'un  hom» 
me ,  &  à  plus  forte  raifon  d'un  Chré- 
tien. 

Que  fi  on  a  quelque  fin  diflinfte 
de  Dieu ,  il  faut  de  neceiîité  que  ce 
foit  une  créature.  Mais  y  a-t-il  au- 
cune créature  ,  quelque  excellente 
qu'elle  puiffe  être  ,  dont  on  puiflib 
;laire  fa  dernière  fin  ?  Lui  donner  cet- 

C  6  te 


tf  O  T  R  A  ï  T  E^     D  E  s 

te  qualité  n'eft-ce  pas  fe  rendre  cou- 
pable d'an  double  excès ,  l^un  de  ravir 
à  Dieu  ce  qui  lui  appartient ,  l'autre 
de  donner  à  cette  créature  ce  qui  ne  lui 
appartient  point?  N'eft-ce  pas  là  en- 
core une  véritable  idolâtrie  f  Car  enfin 
rapporter  tout  à  Dieu  comme  à  nôtre 
dernière  fin  eft  le  plus  grand  honneur 
qu*on  puiffe  lui  rendre. C'eft le  culte  lé 
plus  parlait ,  6c  l'adoration  la  plus  pro- 
fonde ,  qu'il  foit  poffîble  de  lui  offrir.. 
Par  xonfequent  déférer  ce  culte,  cette 
adoration,  cet  honneur,  à  une  créa- 
ture quelle  qu'elle  foit ,  c'eft;  idolâtrer. 
C'eft  principatement  fur  ces  veritez 
que  S .  Auguilin  a  fondé  ce  qu'il  enfei* 
gne  fi  conftamment  en  divers  endroits 
de  fes  Oeuvres ,  êc  que  les  Pères  qui 
l'ont  fuivi ,  ont  foûtenu  avec  tant  de 
force  y  favoir  que  les  Infidelles ,  qui  ne 
connoiiTeut  point  le  vrai  Dieu ,  ne  fau- 
roicnt  faire  de  bonnes  œuvres.  Il  dit 
que  ces  œuvres  peuvent  bien  avoir  de 
l'éclat  &:  de  l'apparence ,  mais  qu'elles 
ne  fauroient  avoir  de  véritable  bonté. 
(a)  Smt  Qperâqtiig.  vidèntur  bûnajtnefidâ 

(â)  Aog.  m  Joaiî.  Traâ.  2^» 


BONNES  OEuvRëS.  6l 

•  Chnfii ,  &  non  Çunt  bona  ,  c^ma  non  refe-* 
runtur  ad  eumfinem  ex  quo  ]unî  bona.  Il 
y  a  des  œuvres  faites  fans  la  foi  de  ?ejus^^ 
Chnft ,  qui  paroijfent  bonnes ,  mais  qui  ne 
le  font  pas ,  farce  qu'ion  ne  lesrapporte  pas  k 
"  la  fin  qui  fait  les  bonnes.  Je  ne  rapporte 
pas  les  autres  endroits  de  ce  Père ,  6c 
de  Tes  Difciples ,  où  ils  foûtiennent  les 
uns  &  les  autres  cette  vérité.  On  peut 
les  trouver  dans  Janfenius  defiatu  na^ 
turéi,  lapfA.Lib.  IVl 

Les  Jefuites ,  &  pîuiîeurs  autres^, 
répondent  qu'à  la  vérité  ces  Infidèles ,, 
quineconnoifîentpointle  vrai  Dieu,,, 
ne  fauroient  lui  rapporter  formelle- 
ment ôc  exprefTement  les  œuvres 
qu'ils  font ,  mais  que  rien  n'empêche 
qu'ils  ne  les  lui  rapportent  d'une  ma- 
nière implicite ,  qui  confifte  à  faire 
deschofcs,  qui  peuvent  fervir  à  glo»- 
rifier  I>ieu.  Ils  di-fent  qu'encore  que 
les  Infidelles  ne  fâchent  pas  que  ce 
qu'ils  font  peut  avoir  cet  ufage ,  ôc 
qu'ainfi  ils  n'ayent  garde  d'^y  penfer 
lors  qu'ils  agillent ,  celafcul  que  Dieu. 
peut  en  être  glorifié  fuffit  pour  rendre 
leurs  aftions  bonnes  Se  louables . 

Mais 


êz  T  R  A   I  T  Ê*    D  E  s 

Mais  outre  que  S .  Auguflin ,  Se  le^ 
Pères  qui  Pont  fuivi  en  ont  jugé  au- 
trement, il  me  femble  que  cette  pen- 
féeeft,  non  feulement  faulTe,  mais 
abfurde,  6c  infupportable.  Car  en- 
fin fi  pour  faire  une  bonne  ac- 
tion ,  il  fufiîfoit  qu'elle  puiiîè  fèrvir 
à  avancer  la  gloire  de  Dieu ,  non  feu- 
lement les  aâiions  indifférentes ,  tel- 
les que  font  les  civiles  &  les  naturel» 
les ,  mais  encore  les  plus  criminelles^ 
pourroient  être  bonnes.  Car  qui  peut 
douter  qu'elles  ne  fervent  toutes  à 
avancer  la  gloire  de  Dieu.  Qui  peut 
douter  que  Paélion  des  Juifs  qui  cru- 
cifièrent nôtre  Sauveur  n'ait  contri- 
bué extrêmement  au  falutdumonde^ 
&  par  confequent  à  la  gloire  qui  eu 
revient ,  à  la  fageiîe  &  à  la  miferi- 
Gorde  de  Dieu?  qui  ne  fait  ce  quejo- 
ieph  difoit  à fes frères ,  vGHsPavez,pen^ 
féen  mal ,  mais  J^ieu  Pafenfé  m  bien  ? 

Ll  faut  donc  quelque  cbofe  déplus 
que  ce  rapport  implicite  dontf)n  nous 
parle ,  pour  faire  de  bonnes  aârions^ 
Il  faut  un  rapport  exprés  &  formel-j^ 
infeparabk  d'une  pemée  aâuelle,  6c 

444 


BONNES  OEuvRESa  é^. 

par  confequent  d'une  connoiflance 
de  la  fin  à  laquelle  on  rapporte  ce 
qu'on  fait.  Sans  cela  il  n'y  fauroit 
avoir  d'œuvre  qui  foit  vraiment  bon- 
ne. 

En  efïet,  on  ne  peut  don  ter  que  rap- 
porter dire6tement  ÔC  formellement 
.nos  a&ions  à  Dieu ,   comme  à  nôtre 
derniexx  fin,  ne  foit  quelque  chofe 
de  bon  6c  de  louable ,  &  qui  par  con- 
fequent plaît  à  Dieu.  Mais  fi  celaeil 
pourquoi  ne  veut  -on  pas  qu'il  nous 
l'ait  commandé  dans  les  endroits  que 
j'ai  rapportés ,  &  dont  on  ne  peut  nier 
que  le  fens  propre  &;  naturel  ne  foit 
celui-ci?   Pourquoi  par  exemple  ne 
veut- on  pas  que  S.  Paul  ait  regardé  à 
ceci  lors  qu'il  nous  a  dit ,  Quoi^jue  ce 
(bit  que  vous  faffiez^^  faites-le  tout  a  la  glot- 
te de  Dieu  ,   ou  pour  la  gloire  de  Dien  î: 
Pourquoi  faut- il  donner  la  gêne  à  ce 
paflage ,  6t  aux  autres  femblabks  ^ 
pour  leur  faire  dire  quelque  autre 
chofe  ? 

Enfin,  on  ne  peut  nier  ,  m  que: 
Dieu  ne  doive  être ,  êc  ne  foit  de  droit^ 
la  dernière  fia  de  toutes  chofes^,  ni 


^4       Traite'    î>  e  s 

que  s'en  propofer  quelque  autre 
ne  foit  un  renverfement  criminel. 
Comme  donc  il  eft  impoflible  de  ne 
pas  rapporter  formellement  fes  ac- 
tions à  Dieu  5  fans  les  rapporter  for- 
mellement à  quelque  autre  chofe  , 
je  ne  voi  pas  comment  on  p&ut  foû:^ 
tenir  qu'on  peut  faire  une  bonne  ac- 
tion fans  penfer  à  Dieu.  A  quelque 
autre  ehofe  qu'on  penfe  on  dérobe  à 
Dieu  ce  qui  lui  appartient  ,  &  on  le 
tranfporte  à  des  objets  aufquels  cet 
honneur  n'appartient  point ,  ce  qui 
fait ,  non  feulement  un  péché ,  mais 
un  double  péché. 

Il  faut  cependant  remarquer  que 
lors  qu^on  dit  qu'il  faut  rapporter 
cxpreflement  6c  formellement  nos 
âxStions  à  Dieu  ,  on  n'entend  pas 
qu'il  y  faille  penfer  aécuellement 
pendant  tout  le  temps  qu'on  met  à 
agir.  Cela  n'eft  pas  nécelTaire.  Il 
fuffit  d'un  coté  qu'on  y  aitpenfé  lors 
qu'on  a  réfoîu  Paélion ,  &  de  Pàutre 
que  cette  deftination  de  l'action  n'ait 
pas  été  révoquée  par  une  deftination 
nouvelle.     L^rs-  qu'un  homme  va 

quel* 


BONNES   OEuVRES.  6f 

quelque  part,  iî  n'eft  pas  neceflaire 
qu'à  chaque  pas  qu'il  fait  il  penfe  ac- 
tuellement au  lieu  où  il  va.  Il  fuffit 
qu'il  y  ait  penfelors  qu'il  eft  parti,  & 
que  dans  la  fuite  il  n'ait  point  chan- 
gé de  deffein.  La  même  chofeaiieu 
dans  toute  forte  d'aftions ,  ôc  par  con- 
fequent  dans  les  bonnes. 


CHAPITRE    IX. 

Cm^meme  condition.     Uamour  de  1>ieii 

doit  être  le  principe  de  nos  bonnes 

œuvres, 

CEtte  condition  efl:  une  fuite  im- 
médiate ,  ou  peut-  être  même 
une  {impie  explication  de  la  précéden- 
te. En  effet,  il  faut  fàvoir  que  dés  là 
même  qu'on  agit  pour  une  fin ,  ou 
aime  cette  fin,  puis  que  fi  on  la  haïf- 
foit,  ou  même  fi  on  la  méprifoit,  6c 
fi  on  la  regardoit  avec  indifférence, 
elle  ne  porteroit  pas  à  agir.  C'eft 
pourquoi  félon  toute  la  Philofophie 


66  T  R  A  1  T  e'     D  E  s 

il  efl:  effentiel  à  la  fin  d'être  bonne , 
ou  véritablement ,  &  en  elle  même , 
ou  du  moins  dans  l'imagination  de 
cel  ai  qui  fe  la  propofe .  Bonum  &  finis 
converîmitur ,  difent  d'ordinaire  les 
Philofophes. 

Si  donc  Dieu  doit  être  la  dernière 
fin  de  nos  aârions ,  il  eft  évident  que 
fon  amour  doit  en  être  le  principe ,  6c 
c'eit  là  bien  moins  une  confequence, 
qui  joigne  enfemble  deux  veritez  dif- 
tinÔes,  qu'une  même  vérité  exprimée 
diverfement  ,  ôc  propofée  en  deux 
manières  un  peu  différentes. 

Quoi  qu'il  en  foit,  il  eft  certain  que 
l'amour  de  Dieu  eft  abfolument  ne- 
ceflaire  à  toute  forte  de  bonnes  œu- 
vres. C'eft  ce  que  S.  Paul  fait  enten- 
dre fort  clairement  lors  qu'il  dit  que 
fouflfrir  le  martyre ,  6c  donner  tout 
fon  bien  aux  pcvres,  fans  charité, 
n*eft  ne  rien  faire .  Dire  ceci  n'eft-ce 
pas  dire  que  la  charité  doit  être  le  prin- 
cipe de  ces  deux  aélions ,  êc  par  confe- 
quent  de  toutes  les  autres  f 

C'eft  là  encore  ce  qu'il  infinuë  lors 
qu'il  allure  que  la  charité  eft  l'accom- 

plif. 


BONNES   OEuVRES.  67 

pliiTement  de  la  loi ,  ce  qui  a  beaucoup 
de  conformité  avec  ce  que  Jefus  Chrift 
dit  dans  PEvangile ,  que  toute  la  loi , 
te  tous  les  Prophètes  fe  reduifent  à  ces 
deux  points,  que  nous  aimions  Dieu 
de  tout  nôtre  cœur ,  êc  nôtre  prochain 
comme  nous  mêmes.  Lafin  du  commun^ 
dément^  dit  ailleurs  l'Apôtre  S.  Paul , 
€efl  la  charité  qui  procède  d'^un  cœur  pur ,  Qt 
d'aune  bonne  cenfciencs  ^  &  d'aune  fof  non 
feinte.  I.  Tim.I.f, 

On  dira  peut  être  que  cette  charité  , 
dont  ilefl  parlé  dans  tous  ces  endroits , 
n'eil  pas  l'amour  de  Dieu ,  mais  uni- 
quement l'amour  du  prochain  ,  ÔC 
qu'ainfî  la  preuve  que  'fcn  tire  n^eft 
pasfolide.  Mais  j'ai  deux  chofes  à  ré- 
pliquer. 

La  première ,  que  quand  même  ee 
qu'on  prétend  feroit  véritable,  ma 
preuve  ne  laifTeroit  pas  de  fubiîiler. 
En  efFet,{i  nous  aimons  régulièrement 
le  prochain,  nous  ne  l'aimerons  qu'à 
caufe  de  Dieu ,  parce  qu'il  eft  l'enfant 
de  Dieu ,  parce  qu'il  porte  l'image  de 
Dieu ,  parce  que  Dieu  l'aime ,  parce 
que  Dieu  veut  que  nous  l'aimions. 


^8  T  R  A  I  T  E*     D  E  s 

Une  affeftion  qui  viendroit  d'une  au- 
tre principe  feroit  une  affection  pu- 
rement humaine ,  de  Pordre  de  ceU 
les  qu'on  voit  parmi  les  Payens ,  ÔC 
parmy  les  Turcs ,  mais  ce  ne  feroit  pas 
une  véritable  charité.  Comme  donc  ^ 
c'eft  aimer  Dieu  que  d'aimer  le  pro- 
chain à  caufe  de  Dieu  ,  il  eft  clair' 
que  dire  que  l'amour  du  prochain 
eft  nécefTaire  pour  faire  de  bonnes 
œuvres  ,  c'eft  dire  qu'on  ne  peut 
fe  palier  pour  cela  de  l'amour  de 
Dieu. 

J'ajoute  en  deuxième  lieu  que  ce 
que  cette  objeélion  fuppofe  n'eft  pas 
véritable.  Ce  n'eft  pas  l'amour  du 
prochain  qui  eft  la  fin  6c  l'accom- 
plifîement  de  la  Loi.  Elle  eft  tout 
au  plus  la  fin  Ôc  l'accomplifTement 
de  la  féconde  Table.  Encore  n'eft» 
ce  qu^en  la  manière  que  je  viens 
d'indiquer  ,  c'eft  à  dire  en  renfer- 
mant l'amour  de  Dieu.  Mais  pour 
ce  qui  regarde  la  première  Table ,  el- 
le tend  direârement  6c  formelle- 
ment à  l'amour  de  Dieu.  C'eft  pour- 
quoi Jefus  Chrift  dit  expreftement 

que 


BONNES  OEuVRES.  69 

que  la  Loi  6c  les  Prophètes  fe  redui- 
fent  à  ces  4eux  devoirs,  Pun  que 
nous  aimions  Dieu  de  tout  nôtre 
cœur ,  l'autre  que  nous  aimions 
nôtre  prochain  comme  nous  -  mê- 
mes. 

J'ajoute  qu'il  y  auroit  quelque 
chofe  de  bizarre  à  dire  que  l'amour 
du  prochain  eft  le  but ,  la  fin ,  &  le 
centre  de  cette  partie  de  la  Loi  de 
Dieu,  qui  nous  ordonne  de  croire 
en  lui ,  de  l'aimer ,  de  l'adorer ,  de 
le  craindre,  de  lui  obeïr.  Quoi 
donc  ians  la  confideration  du  pro- 
chain nous  ne  ferions  pas  tenus  de 
nous  aquitter  de  tous  ces  devoirs? 
Rien  ne  me  paroît  plus  abfurde 
que  cette  peniee  ,  au  lieu  que  rien 
ja'eft  plus  raifonnable  que  de  di- 
re que  tout  ce  que  Dieu  nous 
prefcrit  dans  fa  fainte  Loi  abou- 
tit à  l'aimer,  ÔC  à  aimer  le  pro- 
chain. 

Ceci  eft  d'autant  plus  naturel  que 
l'Ecriture  nous  apprend  ailleurs 
que  l'amour  de  Dieu  eft  le  grand 

motif. 


70  T  R   A   1  T  E*      D   E  s 

motif,  qui  nous  porte  à  faire  ce  qu^îl 
ordonne.  Témoin  ce  que  Jefus-Chrift 
nous  dit  au  chap.  X.  de  l'Evangile  fe-  ^ 
Ion  S .  Jean ,  Celm  qui  a  mfs  commande" 
mem^  &  le  s  garde ,  ceft  celui  qui  m\aime.  Si  ■ 
quelqtî^Hn  nPaime ,  il  garder  a  ma  parole.  Ce^ 
Iniqui  ne  nP aime  f  oint  ne  garde  point  mes 
paroles,  Si*voHs n^ aimez.  ^gardez.mes  com^ 
mandemens.  Et  S .  Jean.  L? amour  de  Dieu 
efi  vraiment  accompli  en  celui  qui  garde  Ça 
parole  I.  Cath.  II.  5'.  C^efl  ici  l"* amour  de 
Dieu^  que  nous  gardions  fis  commandemens . 

v.g. 

Je  fuis  donc  perfuadéque  par  cette 
charité  dont  il  eft  parlé  dans  les  en^ 
droits  que  j'ai  rapportés ,  il  faut  en- 
tendre l'amour  de  Dieu ,  ôc  de  tout 
ce  que  nous  aimons  à  caufe  de  Dieu. 
Ainfi  une  telle  charité  devant  être  le 
principe  de  nos  bonnes  œuvres ,  il  eft 
certain  qu'elles  ne  fauroiènt  être  véri- 
tablement bonnes ,  fi  ce  ne  font  les 
fuites  8c  les  efîetsde  l'amour  de  Dieu. 

Je  viens  de  rapporter  un  palTage^qui 
prouve  direârement  cette  vérité .  (^elui 
qui  ne  m^aime  point  y  ditlc  Fils  de  Dieu, 
regarde  point  mes  paroles.  Rien  ne  feroit 

plus 


'  BONNES    OEuVRES.  Jl 

plus  faux  que  ceci  ii^on  pouvoir  faire 
:  des  œuvres  véritablement  bonnes  par 
quelque  autre  principe  que  par  celui 
de  l'amour  de  Dieu,  Dans  cette  fup- 
pofition  on garderoit fa  parole,  6c on 
ne  Paimeroit  point.  Ainfi  Jefus  Chriffc 
difant  que  cela  efl  impofEble ,  il  nous 
flùt  entendre  par  là  que  ce  n'eft  pas  fai- 
re ce  qu'il  ordonne ,  que  de  ne  le  pas 
''  ire  pour  l'amour  de  lui . 

C'efb  ce  qu'on  peut  entore  prouver 
rar  une  autre  coniîderation.  L'Ecri- 
re en  une  infinité  d'endroits  promet 
la  vie  éternelle,  6c  toute  la  gloire  du 
Ciel,  à  nos  bonnes  œuvres.  Elle  fait 
cependant  entendre  que  ce  Ciel  n'efl 
pas  deftiné  pour  ceux  qui  n'aiment 
point  Dieu. ^/^W^»'//»,  nous  dit  l'A- 
pôtre S.  Paul ,  rPaime  le  Seigneur  fefus^ 
qtitl  foit  anatheme  maranatha.  Si  quel- 
cjH^un^  difoit-ii  lui  même,  mmefonpere  ou 
fa  mère  plus  qjie  moi^il  tPefipas  digne  de  moi. 
Le  moyen  d'accorder  ces  deux  ve- 
ritez  autrement  qu'en  difant  que  ces 
œuvres  aufquelles  l'Ecriture  promet 
la  gloire  du  Ciel  ,  font  des  œuvres 
dont  l'amour  de  Dieu  eft  le  principe  ? 

En 


j%         Traite'   DES 

En  effet,  s'il  en  Étoit  autrement  on 
pourroit  faire  de  bonnes  œuvres  fans- 
aimer  Dieu.  Et  fi  cela  étoit ,  que  de- 
viendroit-on  ?  feroit-on  fàuvé  ?  Mais 
fi  on  l'étoit ,  comment  fiibfifteroit 
ce  que  PEcriture  nous  dit ,  qu'il  eft 
impoffibie  de  Pêtre  fi  on  n'aime  Dieu? 
Seroit-on  damné?  Mais  fi  on  Pétoit, 
que  deviendroient  les  promefies  que 
Dieu  fait  en  tant  d'endroits  à  nos 
bonnes  œuvres  ?  Il  n'y  a  donc  point 
d'autre  voie  pour  accorder  tout  ceci, 
que  de  dire  qu'il  n'y  a  point  de  bon- 
nes œuvres  fans  l'amour  de  Dieu. 

Sur  ce  fondement  S.  Auguftinfait 
entrer  l'amour  de  Dieu  dans  la  défi- 
nition de  toutes  les  vertus  morales, 
comme  une  chofe  qui  leur  eft  efîen- 
tielle  ,  ôc  qu'il  eft  impoflîble  d'en 
feparer  fans  les  détruire.  Il  dit  que 
la  prudence  n'eft  auti^  chofe  qu'un 
amour  circonfpect  6c  précautionné, 
qui  fait  difcerner  ce  qui  plait  à  Dieu 
d'avec  ce  qui  Poffenfe ,  que  la  jufti- 
ce  eft  l'amour  foûmis,  qui  fe  con- 
tente de  la  portion  que  Dieu  lui  a  af- 
Cgnée ,  fans  porter  la  main  fur  la  por- 
tion 


BONNES  OEuVRES.  75 

tion  des  autres  ;  que  la  force  eft  Pa- 
mour  conftant,  qui  fait  entreprendre 
&  exécuter  les  chofes  les  plus  diffi- 
ciles ,  6c  fupporter  les  plus  rudes  , 
pour  plaire  davantage  à  Pobjet  aimé; 
que  la  tempôrance  eft  l'amour  pur , 
qui  fait  fe  conferver  tout  entier  à  ce 
même  objet. 

Ce  même  Père  ,  auffi  bien  que 
Léon  I.  foûtient  qu'il  n'y  a  que  deux 
amours ,  qui  foient  les  principes  de 
nos  aftions,  l'amour  du  Créateur, 
&  celui  de  la  créature.  Il  dit  que  le 
premier  eft  le  principe  des  bonnes 
œuvres,  &  le  fécond  celui  des  pé- 
chez. Voyez  Janfenius  deftata  na- 
tHYâ,  la^ÇdL  hib.  y  cap,  19. 

Ce  fentiment  a  divers  paitifans 
dans  la  communion  Romaine ,  mais 
il  y  a  auffi  beaucoup  d'adverfa-ires. 
Plufieurs  foûticnnent  que  la  charité 
6c  la  cupidité  ne  font  pas  les  leuls 
motifs  qui  nous  font  agir.  Ils  en  in- 
diquent un  troiliéme ,  qui  eft,  félon 
eux,  la  beauté  des  aél'ions  louables  & 
vcrtueufes ,  6c  leur  conformité  avec 
les  maximes  de  la  droite  i*aifon.     Ils 

D  difent 


74  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

difenf  qu'on  peut  aimer  la  vertu  pour 
la  vertu  même ,  &  fans  faire  aucune 
attention  aux  avantages  qui  peuvent 
en  revenir.  Ils  foûtiennent  qu'il  y  a 
eu  plufîeurs  Payens  qui  n'ont  eu  que 
ce  feul  motif  pour  faire  ces  grandes 
affions  qui  les  ont  faits  admirer ,  & 
cela  pofe  ils  prétendent  que  fi  ces  ac- 
tions n^avoient  pas  cette  efpece  de 
bonté  ,  qu'ils  appellent  une  bonté 
Theologicfue  6c  fiirnaturelle^  elles  avoient 
au  moins  cette  autre  bonté,qu'ils  nom- 
ment morale ,  ÔC  ThiloJbphi<jue  ,  6c  qui 
les  rendoit  dignes  de  louange ,  bien 
loin  que  ce  fulTent  autant  de  péchez. 

Mais  premièrement  ils  s'éloignent 
en  cela  du  fentimcntde  S.  Auguftin, 
qui  n'a  pas  feulement  foûtemi  que  ces 
aélions  n'étoient  pas  véritablement 
bonnes ,  mais  a  dit  fans  rien  ménager 
que  c'éîoient  de  véritables  péchez. 

il  ne  s'eft  pas  contenté  de  le  dire. 
Il  l'a  prouvé  par  pîufieurs  raifons, 
dont  l'une  des  plus  confiderables  efl 
celle-ci,  que  la  vertu  étant  une  créa- 
ture, s'y  -arrêter,  ne  la  rechercher 
que  pour  elle-même ,   ôc  par  confe- 

quent 


BONNES  OEUVRES.  '/f 

quent  en  faire  fa  dernière  fin ,  c'eft 
faire  fa  dernière  fin  d'une  créature , 
ce  qui  ne  peut  être  que  criminel,  cet- 
te ffloire  n'appartenant  qu'au  feul 
Créateur. 

On  pourroit  peut-être  ajouter  que 
la  vertu  feparée  de  toute  relation  à 
Dieu ,  6c  confiderée  telle  qu'elle  fe- 
roit ,  fi  par  une  fup^ofition  impolîî- 
ble.  Dieu  n'cxiftoit  pas ,  n'eft  rien 
qu'un  fantôme,  qui  n'a,  ni  aucune 
beauté,  ni  aucune  neceffité.  Mais 
comme  ceci  fouffre  de  grandes  diffi- 
cultez ,  6c  ne  peut  être  éclairci  fi  on 
n'entre  dans  de  longues  difcuiÏÏons , 
qui  ne  font  pas  de  ce  lieu ,  je  n'ofe- 
rois  m'y  appuyer ,  ni  confeiller  à  mon 
Lefteur  de  le  faire. 

J'aimerois  mieux  dire  une  autre 
chofe,  qui  eft  plus  fenfible.  C'eft 
qu'aimer  la  vertu  pour  elle  même, 
6c  à  caufe  de  Ql  propre  beauté ,  c'eft 
uniquement  l'aimer  parce  qu'elle 
nous  rend  plus  parfaits,  6c  plus  ac- 
complis. C'efl  par  confequent  l'ai- 
mer à  caufe  d.e  nous  mêmes,  6c  par 
lî n  mou  veracnt  d'amour  propre .    Par 

D  a  coa- 


y6  T  R  A  I  te'    T»  E  s 

confequcnt  encore  c'eft  l'aimer  cri- 
minellement ,  puis  que  c'eft  faire  de 
foi  même  fa  dernière  fin. 

Ce  n'efl:  pas ,  je  l'avoue ,  aimer  la 
vertu  5  parce  qu'on  la  confidere  com- 
me le  moyen  de  plaire  aux  autres. 
Mais  c'eft  l'aimer  parce  qu'on  la  con- 
fîdere  comme  le  moyen  de  fc  plaire 
à  foi  rnême,  &  de  s'applaudir  à  foi- 
même.  C'eil  toûjourslfe  chercher  foi- 
même  ,  Se  vouloir  jouir  de  foi  mê- 
me. 

On  dira  peut-être  qu^à  la  vérité  c€ 
que  je  viens  de  dire  peut  arriver ,  mais 
qii'il  peut  arriver  auffi  qu'on  aime  tel- 
lement la  vertu ,  qu'il  n'entre  aucun 
mouvement  d'amour  propre ,  aucu- 
ne veuë  d'intérêt ,  dans  cet  amour 
qu'on  lui  porte.  On  dira  qu'il  pa- 
roît  bien  qu'on  l'aime  quelquefois  de 
cette  manière  ,  puis  qu'on  l'aime  , 
non  feulement  en  foi -même,  mais 
dans  les  autres ,  fans  en  excepter  les 
plus  mortels  ennemis  .  d'oîi  l'on 
conclura  que  ce  que  je  viens  de  dire 
n'eil;  pas  perpétuel ,  ce  qui  fuiîîtpour 
détruire  la  preuve  que  j'en  ai  tirée. 

Cette 


BONNJES   OEUVRES.  77 

Cette  obje<3:ion  eft  aflez  fpecieiife, 
mais  elie  n'a  point  de  folidité.  J'a- 
voue qu'on  peut  aimer  6c  eftimer  la 
vertu  dans  les  autres  ,  même  dans 
des  ennemis.  Mais  je  ne  conviens 
pas  que  l'amour  propre  n'y  ait  au- 
cune part.  Je  foûtiens  au  contraire  que 
c'en  cil  le  véritable  principe.  11  y 
entre  même  en  plufieurs  façons. 

On  aime  la  vertu  dans  un  ennemi , 
pour  pouvoir  fe  dire  à  foi  même  qu'on 
efl  équitable  ,  6c  qu'on  fait  rendre 
juttice  au  mérite  par  tout  oîi  on  le 
voit ,  fans  fe  laiiTer  aveugler  par  la 
pafîîon. 

On  aime  la  vertu  par  tout ,  parce 
qu'elle  eft  utile  par  tout.  Ainiî  on 
fouhaitteroit  que  tout  le  m.onde  en 
fuivît  les  loix ,  parce  qu'on  en  profi- 
teroit ,  6c  qu'on  feroit  incomparable- 
ment plus  heureux  qu'on  n'eft. 

On  aime  la  vertu  dans  les  autres,  par- 
ce qu'on  eft  bien  aife  de  fe  pouvoir  di- 
^  re  que  les  autres  en  jugent  de  même 
que  nous  ,  6c  qu'ainii  nous  avons 
raifon  de  nous  y  appliquer.  En  un 
mot ,  nous  fommes  bien  aifes  de  voir 
D  l  que 


yS        Traite*    DES 

que  les  autres  aiment  ce  que  nous  ai- 
mons ,  par  la  même  raifon  qui  fait  que 
nousfommes  ravis  de  voir  qu'il  croy- 
cnt  ce  que  nous  croyons  ,  ÔC  qu'ils 
penfent  fur  chaque  chofe  ce  que  nous 
cnpenfons.  Nous  voulons  avoir  des 
garents  de  la  folidité  de  nos  juge- 
mens  |iôc  de  la  régularité  de  nôtre  con- 
duite. 

En  un  mot,  Pamour  propre  fe  mêle 
toujours  dans  ce  que  nous  croyons 
faire  fans  intérêt ,  ôc  il  n'y  a  qu'un 
moyen  de  s'affranchir  de  fes  illufions 
ôc  de  fes  furprifes.  C'efl:  de  n'aimer 
que  Dieu ,  &  de  ne  rien  faire  qu'à  cau- 
fe  de  lui . 

îl  me  rcfte  encore  une  difEculté  à 
éclaircir.  Quelqu'un  peut-être  dira 
qu'il  y  a  bien  de  la  difïèrence  en- 
tre rapporter  fes  afitions  à  Dieu  , 
&  les  faire  par  amour  pour  Dieu .  En 
effet  on  peut  les  faire  par  un  pur  efprit 
d'obeïiTance  6c  de  foûmiffion  pour  fes 
volontez ,  ce  qui  ne  paroît  pas  moins 
louable ,  que  de  les  faire  par  un  mou- 
vement d'amour.  Car  enfin  fa  gran- 
deur fuprêrae  nous  engage  aum  for- 
^  terne  ne 


BONNES    OEUVRES.  7^ 

tement  à  lui  obeïr ,  que  fa  bonté  à 
Paimer. 

Mais  il  eft  aifé  de  répondre  qu'à  la 
vérité  lafoûmifGonpourla  volonté  de 
Dieu  eft  un  motif  excellent  pour  nous 
porter  à  faire  de  bonnes  œuvres.  Mais 
c'eft  à  condition  qu'elle  foit  jointe  à 
l'amour,  &;  qu'elle  en  foit  même  l'ef- 
fet Scia  fuite.  Il  n'en  eft  pas  de  même 
fi  elle  vient  d'ailleurs.  En  effet.  Ci  on 
ne  fe  foûixiet  à  la  volonté  de  Dieu ,  que 
parce  qu'on  appréhende  d'en  être  pu- 
ni ,  c'eft  une  obeïflànce  d'efclave ,  à 
laquelle  Dieu  n'a  aucun  égard.  Mais 
fi  on  lui  obéît ,  parce  qu'on  ne  veut 
pas  1  ui  déplaire ,  il  paroît par  là  même 
qu'on  l'aime,  6c  ainfi  ce  motif  n'eft 
pasdiftinéb  du  premier.  C'eft  ce  que 
Jefus  Chrift  nous  apprend  lors  qu'il 
dit  que  fi  quelqu'un  l'aime ,  il  garde- 
ra fescommandemens.  Il  faut  enten- 
dre par  là  qu'on  ne  lui  obéît  que  parce 
qu'on  l'aime. 

Il  eft  d'ailleurs  impoffible  de  lui 

obeïr  fans  l'aimer,  caril  n'y  a  rien  qu'il 

nous  recommande  plus  fortement  que 

de  l'aimer.   Par  confequeat  ne  le  pas 

D  4  aimer 


8o  Traite'  DES 

aimer  Aft  lui  defobeir ,  c'eft  violer 
la  plus  fainte ,  &  la  plus  indirpenfa* 
bk  de  fes  loix. 


CHAPITRE    X. 

jQpie  Pamonr  de  Dieu^   ^tfi  doit  être  le 

principe  de  nos  bonnes  œuvres  ^  efi  un 

amoHY  de  bienveiilanee , 


E  fuis  donc  perfiiadé  qu'une  œu- 
vre ne  peut  être  bonne  ,  fi  l'a- 
rRour  de  Dieu  n'en  eft  le  princi- 
pe. Mais  de  quel  ordre  faut-il  que  foit 
cet  amour  ?  On  convient  dans  les  Eco- 
les de  la  Théologie  qu*il  y  a  un'dou- 
ble  amour  de  Dieu,  l'un  qu'on  ap- 
pelle de  bienveillance ,  ôc  l'autre  de  can- 
eupifcence.  Par  ce  dernier  nous-nGM.is 
attachons  à  Dieu  comme  à  nôtre  fou- 
verain  &  unique  bien.  Nous  l'aimons, 
parce  que  nous  voulons  être  heureux, 
6c  que  nous  ne  pouvons  l'être  qu'en 

le 


BONNES  OEuVRES.  Si 

îe  pofledant.  Par  le  premier  nous 
fbuhaittons  de  luiobcïr,  delefervir, 
de  le  glorifier ,  6c  de  le  voir  fervi ,  ôc 
glorifié  par  toute  la  terre.  Nous  fom- 
mes  fenfibles  aux  outrages  qu'on  lui 
fait  par  tout,  6c  û  nous  ne  fommes 
pas  en  état  de  lui  procurer,  ni  même 
de  lui  fbuhaitter  des  biens  qu'il 
n'ait  pas,  puis  qu'il  les  pofiede  tous  fans 
exception,  nous  fommes  du  moins 
bien  aifes  de  favoir  qu'il  en  eil:  pour- 
vu fi  abondamment  ,  &  de  le  von* 
ainfi  élevé  par  defilis  le  reile  des  Etres. 
L'amour  propre  eil:  le  principe  de  Ta- 
mour  de  concupifcence.  Mais  ce* 
lui  de  bienveillance  a  fon  origine, 
en  partie  dans  l'admiration  de  ce  que 
Dieu  eft  en  lui-même ,  &  en  partie 
dans  la  reconnoifiance  que  nous  a- 
vons  de  ce  qu'il  a  fait  pour  nous. 
Ce  dernier  eil  un^  mouvement  di- 
re<Sb  ,  par  lequel'  nous  rapportons 
tout  à  Dieu ,  êc  le  premier  elt  un 
mouvement  réfléchi  ,  par  leqtieî 
-nous  rapportO'ns  en  quelque  forte 
Dieu  à  nous.mêm.es.  On  demande 
.  ;:  ,'...i),  j       .  -  ■.■      donc 


Si  T  R  A  I  T  e'  D  E  s 

donc  lequel  de  ces  deux  amours  doîc 
être  le  principe  de  nos  bonnes  œuvres. 

C'eft  à  quoi  je  réponds  fans  hefiter 
que  c'eft  Pamour  de  bienveillance. 
La  principale  raifonque  j'ai  de  le  di- 
re ,  c'eft  que  fi  l'on  pouvoit  faire  de 
bonnes  œuvres  fans  avoir  pour  Dieui 
cette  efpece  d'amour ,  qu'on  appelle 
de  bienveillance ,  on  pourroit  en  fai- 
re fans^charité.  En  eifetjtoiis  les  Théo- 
logiens conviennent,  que  cet  amour 
de  Dieu ,  qu'on  appelle  de  concupif- 
cence ,  n'appartient  pas  d  la  charité , 
mais  à  l'cfperance  Chrétienne.  L'ef- 
perance  emporte  deux  chofes  ,  l'.i- 
mour  du  bien  qu'on  efpere ,  &;  l'aH- 
feurance  qu'on  a  de  lepofîeder.  Car 
on  n'efpere ,  ni  ce  qu'on  méprife ,  ni 
ce  qu'on  regarde  comme  impofTible. 
jLÏnû  l'efperance  Chrétienne  ayant 
pour  objet  Dieu  même ,  6c  iâ  pofîèfi 
iîon,  ce  qui  fait  qu'on  l'appelle  une 
vertu  Theologique  &  furnaturelle , 
11  eft  clair  qu'elle  renferme  eflentiet 
lement  cet  amour  de  Dieu  qu'on  ap- 
pelle de  concupifcence. 

Il  eft  certain ,  au  refte ,  que  Pefpe- 

ran. 


BONNES    OEUVRES.  Sj 

rance  efl  une  vertu  diftinéle  de  la  cha- 
rité. Car  outre  que  toute  la  terre  en 
convient,  S.  Paul  ne  nous  permet  pas 
d'en  douter  diiant  d'un  côté  que  la  foi, 
l'efperance ,  6c  la  charité ,  font  trois 
thofes .  Qy  maint enant  ces  trois  chofes  de^ 
meurent  ;  5c  foûtenant  de  l'autre  que 
la  charité  eft  la  plus  grande ,  êc  la  plus 
excellente  des  trois ,  ce  qui  ne  pour- 
roit  fubfîfter  (î  la  charité  étoit  la  même 
chofe  que  l'efperance. 

Rien  donc  n'eil  plus  vrai  que  et: 
que  j'ai  dit  que  fî  l'on  pouvoit  Î2kx:Q.àz. 
bonnes  œuvres  fans  cette  efpece  d'a« 
mour  de  Dieu ,  qu'on  appelle  de  bien- 
veillance ,  on  pourroit  en  faire  fans 
charité.  Cette  confcquence  eft  necel^ 
faire ,  6c  on  ne  peut  la  nier  fans  re- 
jetter  le  principe  d'où  je  la  tire.  Elle 
eft  pourtant  faufle  ,  comme  on  a  peu 
le  voir  dans  le  chapitre  précèdent. 
Ainfl  il  n'y  a  point  de  doute  que  k 
principe  ne  le  foit ,  &  qu'ainfi  il  no 
Toit  vrai  de  dire  que  l'amour  de  Dieu,, 
qui  eft  fi  neceffaire  pour  faire  de  bon- 
nes^œuvres  efl  un  amour  de  bieiiveii^ 
lance,. 

J>  ù  Il.Voi- 


§4  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

IL  Voici  une  féconde  preuve ,  qui 
confirmera  cette  première.  Si  l'a- 
mour de  bienveillance  n'étoit  pas  ne- 
cellaire  pour  faire  de  bonnes  oeuvres, 
on  pourroit  en  faire  fans  être  ,  ni 
jullifié,  ni  régénéré,  ni  par  confe- 
quent  en  état  de  grâce.  La  raifon  en 
ell  que  rien  n'eft  plus  eflenticl  à  Pétat 
de  grâce  que  cetamourde  Dieu  qu'on 
appelle  de  bienveillance.  Imaginons- 
nqus  un  homme  abfolument  dépour- 
veu  de  cet  amour.  Imaginons-nous 
qu'il  n'ait  aucun  mouvement  de  zèle 
pour  la  gloire  de  Dieu  ,  aucun  defir 
de  le  voir  fervi  ôc  adoré ,  aucune  dou- 
leur des  outrages  que  les  Impies  lui 
font  chaque  jour.  Qui  croira  qu'un 
tel  homme  puifTe  fe  vanter  d'être  du 
nombre  de  fes  enfans.?  Qui  croira 
qu'il  ait  reçu  ,  ni  la  juftification  , 
ni  la  régénération  ?  Qui  croira  en 
un  mot  qu'il  foit  en  état  de  grâ- 
ce? 

G'efl:  pourtant  une  chofe  certaine 
6<:  inconreftable ,  qu'on  ne  fera  jamais 
de  bonnes  œuvres,  fi  on  n'a  été  ré- 
généré par  la  grâce  de  Jefus  Chrifl. 

C'eil 


BONNES  OEUVRES.  Sj* 

C'efl  ce  grand  Sauveur  qui  nous  ap- 
prend cette  vérité.  Vouiles cennoltrez^k 
leurs  frmts.Cfietlle-t'Cn  desgrapes  des  epiner^ 
oU  désignes  des  chardons  ?  Ainjitont  bon  aT' 
bre  fan  de  bons  fruit  s ,  mais  le  mauvais  arbre 

i:  fait  de  mauvais  fruits.  Le  bon  arbre  ne 
peut  faire  de  mauvais  fruits  ^  ni  le  mau^ 
vais  arbre  faire  de  bons  fruits.  Matt.  VIL 
16.  17.  18.  Comme  le  far  ment  ne  peut  de 
lui  même  porter  de  fruit ,  r/7  ne  demeure  an 
fep  ,  ni  vous  auffi  femblablement ,  fi  vous 
ne  demeurez,  en  moi^  car  hors  de  mopvous 
ne  pouvez,  rien  faire.  Jean  XV.  4. 5.  Et  S. 
Jean  I .  Ep .  lï .  5'.  Celui  qui garrde^a  pa- 
rôle ,  f  amour  de  Dieu  efi  vraiment  aceom^ 
fli  en  lui ,  &  par  cela  nous  favons  que  nous 

*  fommes  en  lut.  Et  II.  29.  Quiconquâfait 
juflice  eflné  deDieu, 

N'étant  donc  pas  poffible,'ni  de  fai- 
re de  bonnes  œuvres  fans  être  régé- 
néré, ni  d'être  régénéré  fans  aimer 
Dieu  d'amour  de  bienveillance  ,  il 
faut  reconnoître  que  Pamour  de 
bienveillance  doit  être  abfolumcnt 
nécefiaire  pour  faire  de  bonnes  œu- 
vres. 
IIÏ  .On  ne  peut  nier  que  ne  pas  aimer 

Dieu 


86  T  R  A  1  T  E*    D  E  s 

Dieu  d'amour  de  bienveillance  ne 
foit  un  pcché.  Quoi/'  n'être  pas  tou- 
ché de  tout  ce  que  Dieu  a  fait  pour 
nous.  Savoir  qu'il  nous  a  créés,  qu'il 
nous  a  rachettez ,  qu'il  nous  a  donné 
fon  Fils ,  Ton  propre  Fils,  qu'il  l'a  ex- 
pofé  pour  nous  à  la  cruelle  mort  de  la 
Croix ,  qu'il  nous  referve  fon  Ciel , 
qu'il  veut  être  lui  même  nôtre  por- 
tion,  &  nous  admettre  à  la  pofTefiîon 
des  tréfors  de  {on  efîence  immortelle , 
favoir,  dis-je,  toutes  ces  chofes,  6c  n'en 
être  nullement  touché ,  n'avoir  aucun 
mouvement  de  reconnoiirance  pour 
tant  de  bontez ,  n'avoir  aucun  defir  de 
plaire  à  un  Dieu  û  bienfaifant  ôc  fi 
charitable ,  ne  vouloir  rien  faire  pour 
le  fervir.  N'eU-ce  pas  là  Pinfeniibi- 
lité  du  monde  la  plus  criminelle  ? 

Comment  donc  eft-il  pojfîible  qu'un 
èiomme  qui  non  feulement  fe  rend'- 
coupable  d'un  tel  péché ,  mais  qui  s'y 
obftine ,  &  qui  pafle  toute  fa  vie  fans 
s'en  affranchir,  en  pratiquant  le  de- 
voir qui  lui  eu  oppofé,  foit  l'objet 
de  l'amour  de  Dieu,  comme  il  iefe- 
roit  il  dans  cet  état  il  pouyoït  faire  de 

bon- 


BONNES    OEuVRES.  8/ 

bonnes  œuvres  ?  L'état  où  il  demeu- 
re toiijours  n'eft-il  pas  un  état  dépê- 
ché ,  6c  d'oppofition  à  la  Loi  de  Dieu? 
Mais  ce  n'eft  pas  tout,  N'eft-il  pas 
vrai  qu'il  pèche  a6buellement  toutes 
les  fois  qu'il  fait  quelque  a6be  de  cet- 
te autre  efpece  d'amour  ,  qu'on  ap- 
pelle de  concupifcence  ?  Par  cet  a* 
mour  il  defire  de  pofleder  Dieu  ,  6c 
par  confequent  il  fuppofe  que  Dieu. 
veut  fe  laifler pofTeder  à  nous.  Mais 
penfer  aftuellement  à  ceci ,  avoir  dans 
l'efprit  que  Dieu  eft  afleis  bon  pour 
nous  admettre  un  jour  à  fa  polîèilion^ 
6c  n'être  pas  touché  dans  ce  moment 
même  de  cet  excès  de  bonté ,  n'eit- 
ce  pas  un  crime  efiroyable  ? 

IV.  Si  l'amour  de  concupiicence 
fuffifoit  pour  porter  à  faire  de  bonnes/ 
œuvres  ,  'l'apprehenfion  de.  l'enfer 
pourroit  faire  le  même  effet.  Car 
enfin  craindre  Penfer ,  c'eft  craindre 
de  perdre  Dieu,  6c  craindre  de  perdre 
Dieu,  6c  defirer  de  le  pofl'eder,  eft 
dans  le  fond  une  même  chofe. 

V.  On  diflins:ue  d'ordinaire  trois 
divers  ordres  de  perfonnes ,  qui  s'ap- 

pii- 


88  T  R  A  ï  T  E'     D  E  s      • 

piiquent  bien  OU  mal  à  faire  ce  que  - 
Dieu  commande  ,  les  efclaves ,  les  - 
mercenaires,  6c  lesenfans.  Les  pre- 
miers le  font  par  un  mouvement  de 
crainte ,  &  pour  éviter  la  punition  que 
méritent  ceux  qui  ne  le  for^î  pa-s.  Les 
féconds  le  font  par  un  principe  d'in- 
térêt ,  &  pour  fe  procurer  la  recom- 
penfe  que  0ieu  promet  aux  obferva- 
teurs  de  fes  Loix:  &  les  derniers  le 
fo^it  par  amour  pour  la  juftice  ,  &c 
par  reconnoilîance  pour  les  bienfaits 
de  celui  qui  leur  prefcrit  ces  devoirs. 
Si  Pamour  de  concupifcence  pouvoit 
être  le  principe  de  nos  bonnes  œuvres, 
ce  feroit  fort  mal  à  propos  qu'on  fe- 
roit  cette  diftinélion.  Les  enfàns  ne 
feroient  en  rien  differens  foit  des  efcla- 
ves ,  foit  des  mercenaires.  Ain£  il  faut 
renverfef  tout  ceci  5  ou  reçonnoître 
que  Pamour  de  Dieu ,  qui  eft  le  princi^ 
pe  de  nos  bonnes  œu  vres,efl:  un  amour 
de  bienveillance. 


CHA. 


BONNES  OEUVRES.  89 


CHAPITRE    XL 

j^e  cet  amour  de  Dieu ,  e^ui  doit  être  h 
principe  de  nos  bonnes  œuvres  ^  ejî  un 
amour  dominant ,  &  qui  préfère  Bien 
a  toutes  chofes. 

E  fuis  donc  très  perfuadé  que  pour 
faire  une  bonne  œuvre ,  il  faut  la 
faire  par  un  mouvement  de  cet 
amour  de  Dieu  ,  qu'on  appelle  de 
bienveillance ,  Mais  voici  une  féconde 
queftion  qui  paroît  beaucoup  plus: 
embarraflante  que  celle  que  je  viens 
de  décider.  On  demande  fi  cet  amouF 
de  Dieu ,  de  quelque  nature  qu'il  foit, 
doit  être  un  amour  dominant ,  6c  qui 
préfère  Dieu  à  tout  lans  exception. 
On  demande  û  un  homme,  qui  ai-» 
me  quelque  chofe  plus  qu'il  n'ai- 
me Dieu  ,  fait  une  bonne  aftion 
en  aimant  Dieu  plus  que  quelque  cho- 
fe,  6c  en  s'en  privant  volontairement 
pour  l'amour  de  lui . 

-      Pour 


90  T  R  A  I  T  E^    DJÊ  s 

Pôiir  foulager  l'imagination  arrê- 
tons nous  au  cas  que  j'ai  pofé  dans  le 
fécond  volume  de  mes  Elîais.  Ima- 
ginons nous  un  de  ces  idolâtres  du 
faux  honneur ,  qui  ont  mieux  aimé 
perdre  tout  leur  bien  ,  ôc  tous  les 
avantages  qu'ils  trou  voient  en  Fran- 
ce, que  d'abandonner  leur  Religion, 
&  qui  neantmoins  font  toujours  prêts 
à  (2  venger  des  outrages  qu'on  pour- 
ra leur  faire ,  &  à  poufler  leur  ven- 
geance jufqu'aux  dernières  extremi- 
tez.  Tous  ceux-là  ont  aimé  Dieu  plus 
qu'ils  n'aimoient  ce  qu'ils  ont  perdu 
pour  l'amour  de  lui,  comme  ils  ai- 
ment le  faux  honneur  plus  qu'ils  n'ai- 
ment Dieu.  On  demande  lî  le  facri- 
fice  qu'ils  ont  fait  à  Dieu  en  fortant 
de  France  eft  une  bonne  aétion,  dont 
Dieu  leur  tienne  compte,  ou  fi  c'eil 
une  aftion  inutile ,  ôc  par  confequent 
mauvaife. 

Janfenius  ,  Contenfon  ,  ôc  Huy- 
gens  do6beur  de  Louvain ,  ne  s'y  ar- 
rêtent point.  Ils  foûtiennent  que  tou- 
te action  qui  part  d'un  véritable  a- 
mour  pour  Dieu ,  foit  fort ,  foit  foi- 

ble, 


BONNES  OEuVRES.  91 

ij  ble ,  eft  une  bonne  aétion ,  6c  à  la- 
ji  <jiielle  Dieu  a  égard .  Il  eft  vrai  qu'au- 
j  tant  que  j'en  puis  juger  par  tout  ce 
il  qu'ils  difent  fur  d'autres  fujets ,  ils 
j  ne  veulent  pas  que  cette  a6Hon  me- 
I  rite  la  vie  éternelle.  Car  ils  preten- 
|!  dent  qu'une  aétion  ne  fauroit  être 
I  jneritôire  de  la  vie  éternelle  ,  iî  un 
I  amour  dominant  n'en  eft  le  princi- 
pe, 

Je  ne  connois  pas  un  feul  de  nos 
'  Théologiens  qui  ait  traitté  cette  quef- 
tion.  Ils  n'ont  pas  accoutumé  d'en- 
trer dans  de  tels  détailsjMai's  je  ne  dou- 
te pas  que  s'ils  s'y  fuflent  appliquez 
ils  ne  i'euffent  décidée  d'une  maniè- 
re oppofée  au  femiîïient  des  trois  Au» 
teurs  que  j'ai  indiquez.  En  effet,  nos 
Théologiens  conviennent  de  deux 
veritez ,  dont  ce  que  je  dis  eft  la  fui- 
te. L'une  que  ceux  que  là  grâce  n'a 
pas  encore  régénérez  ,  ne  fauroieiot 
faire  de  bonnes  œuvres.  L'autre  que 
ceux  qui  n'aiment  pas  Dieu  par  def- 
fus  tout  ne  font  pas  encore  régéné- 
rez. Si  on  admet  ces  deux  veritez  il 
faut  necelTairement  avouer  que  ceux 

(jui 


92  Traite'  DES 

qui  aiment  quelque  chofe  plus  qu'iliK 
n'aiment  Dieu  ne  font  pas  en  état  <k| 
faire  de  bonnes  œuvres. 

Cependant  ces  deux  veritez  fontl 
inconteftables.   L'Ecriture  les  attef-l 
te  nettement  ôc  formellement.    Elle' 
nous  dit  qu'un  mauvais  arbre  ne  fau^- 
roit  porter  de  bons  fruits.  Elle  nous^ 
dit  que  de  nous-mêmes,  comme  de- 
nous.-mêmes,  nous  nefaurions  avoif 
une  bonne  penfée ,  bien  loin  de  pou- 
voir faire  une  bonne  aélion.     Elle 
nous  dit  que  la  chair  ne  fe  rend  point 
fujette  à  la  Loi  de  Dieu  ,    ajoutant 
même  qu'elle  ne  le  peut.  Elle  dit  enfin 
que  fi  quelqu'un  ne  hait  fon  père  &;  fa 
mère,  fa  femme  &fesenfans,  fes  frè- 
res &  fes  fœurs ,  même  fa  propre  ame, 
c'efl  à  dire  fa  propre  vie ,  il  ne  peut  ê- 
tre  le  Difciple  de  JefusChrifb. 

Je  ferai  voir  dans  la  fuite  qu'il  n'y  a 
point  de  bonnes  œuvres  fans  la  foi ,  êc 
j'ai  fait  voir  ailleurs  que  la  foi  eft  infe- 
parable  de  la  pieté ,  6c  incompatible 
avec  un  pèche  d'habitude ,  tel  qu'efl 
fans  doute  un  amour  permanent  qui 
préfère  quelque  chofe  à  Dieu.     Si  on 

m'a- 


BONNES  OEuVRES.  9^ 

,  j  m'avoue"  ces  deux  veritez  on  ne  fauroïc 
!  S  me  nier  que  Pamour  de  I>ieu,  je  dis 
1  un  amour  dominant ,  ne  foit  abfolû- 
Iment  necefTaire  pour  faire  de  bonnes 
œuvres. 

Le  caraârere  par  lequel  JeAis  Chrift 
;  diftingue  la  foi  juftinante  de  la  foi  à 
j  temps,  c'ell;  que  la  première  efl:  un 
I  grain  lemé  dans  le  coeur,  &  qui  dans 
il  la  fuite  porte  du  fruit ,  au  lieu  que  la 
I  féconde  n^cn  porte  point.     Ce  fruit 
In'eft  autre  que  les  bonnes  œuvres. 
ICeil  ce  qui  ne  fouffre  point  de  diffi- 
culte.  Mais  fi  cela  eft,  là  foi  à  temps  ne 
Ifàùroit  produire  de  bonnes  œuvres. 
[  Il  eft  cependant  certain  que  la  foi  de 
iceux  qui  aiment  quelque  choie  plus 
I  uu'ils  n'aiment  Dieu ,    n'eft  pas  une 
^foijuftifiante.  C'efttout  au  plus  une 
foi  à  temps.    Ceci  encore  eft  incon- 
teftable  dans  nos  principes.    Il  doit 
Pêtre  par  confeguent ,  en  fuppofant 
ces    mêmes    principes  ,    que    ceux 
qui  aiment  quelque  chofe  plus  qu'ils 
n'aiment  Dieu ,    ne  font  jamais  au- 
cune œuvre  qui  foit  véritablement; 
bonne. 

C'cft 


94         Traite'   DES 

C'eft  ce  qu'on  peut  encore  prou- 
ver par  une  autre  confideration.  11 
n'y  a  point  de  bonnes  œuvres ,  dont 
le  dehors  ne  paroifîc  dans  la  vie ,  6c'; 
dans  les  aébions  de  ceux  qui  aiment 
quelque  chofe  plus  qu'ils  n'aiment 
Dieu.  Ils  prient  Dieu.  Ils  paroijC- 
ient  zélés  pour  fa'verité.  Ils  enfoû- 
tienncnt  les  intérêts.  Ils  fouffrent  pour 
elle.  Ils  fe  laiiTent  enlever  leurs  biens. 
Quelquefois  même  ils  fe  laifîent  ôter 
la  vie .  Ils  font  des  aumônes  confidera- 
bles.  En  un  mot,  fî  on  ne  peut  pas  dire  : 
que  parmi  ces  gens  là  il  y  en  ait  de  ceux 
qui  pratiquent  toutes  les  bonnes  œu-^' 
vres  fans  exception ,  il  eft  certain  au 
moins  qu'il  n'y  a  point  de  bonne 
œuvre  que  quelqu'un  d'entre  eux 
ne  faife. 

Si  ces  œuvres  étoient  véritable- 
ment bonnes,  comment  fe  pourroit-' 
il  que  ces  gens -là  viniTent  à  périr  ^j 
Car  enfin  il  n'y  a  aucune  de  ces 
œuvres  à  laquelle  l'Ecriture  ne  pro- 
mette le  falut  Se  la  vie  éternelle. 
Peut-on  foûtenir  la  vérité  immuable  i 
de  ces  promeiîes ,   à  moins  que  de  .< 

dirr 


BONNES  OEUVRES.  gj 

dire  qu'elles  ne  s'adrefîent  qu'à  ceux 
qui ,  non  feulement  font  ces  œuvres, 
mais  qui  les  font  en  la  manière  en  la- 
quelle Dieu  veut  qu'on  les  faffe ,  & 
qu'ainfi  celles  de  ces  gens  n'ont  que 
le  dehors  des  bonnes  œuvres ,  6c  n'en 
ont  pas  ^'intérieur  &  la  vérité  i* 

Toutcekmeperfuade  que  les  œu- 
vres de  ceux  qui  aiment  quelque  cho- 
fe  plus  qu'ils  n'aiment  Dieu,  ne  font 
pas  véritablement  bonnes.  Mais  quand 
même  on  ne  voudroit  pas  me  l'avouer, 
on  ne  me  conteftera  pas  au  moins 
qu'elles  ne  foient  inutiles,  &:  qu'elles 
ne  laifîent  périr  éternellement  ceux 
qui  les  ont  faites.  Cela  mefuffit,  ôc 
réduit  la  difpute  à  trés-peu  de  chofe. 
Car  enfin  quelle  peut  être  la  bonté  de 
ces  œuvres  ,  qui  n'empêchent  pas 
ceux  qui  les  font  d'être  les  objets  de 
la  haine  de  Dieu  fur  la  terre,  &  les 
vi6times  de  fa  juftiçe  dans  la  vie  ave- 
nir? Ne  faut-il  pas  que  ce  foit  uiïe  bon- 
té bien  mince ,  8c  nullement  en  état 
d'entrer  en  comparaifon  avec  les  œu- 
vres qui  font  les  fruits  d'un  amour  do- 
minant ,  6c  qui  préfère  Dieu  à  toutes 
chofes  ?  CHA^ 


96        Traite*    des 

CHAPITRE    XII. 

Sixième  condition.     Vue  honne  œuvre  doit 
être  faite  avec  foi, 

IL  n'y  a  peut-être  point  de  condi- 
tion que  S.  Auguftin ,  ôc  les  autres 
Pères ,  exigent  plus  fouvent ,  ni  plus 
formellement  que  la  foy.  Ils  foû- 
tiennent  que  les  Infidelles  ne  fau- 
roient  faire  de  bonnes  œuvres.  Quel^ 
le  honne  œuvre ,  dit  S.  Auguftin  {a) 
y  f  eut-il  avoir  avant  la  foi  ^  fuis  que  CA» 
pôtre  nous  dit  que  tout  ce  qui  efl  fait  fans 
foi  eft  unpeché?  Quelque  état ,  difoit-il  ail- 
leurs {h)  <jH^ on  fajje  des  œuvres  desInfideU 
les  ^  nous  favons  ^ue  le  jugement  de  S,  Paul 
eft  certain  &  inconteflahle ,  Tout  ce  qui  efi 
fait  fans  foi  efi  un  péché.  S,  Profper  d-c 
même  (cj, 

(arjinos  allions  quoi  cjue  bonnes  en  foi , 

Ne  font  des  fruits  natf ans  du  germe  de  la] 

foi ,  Q^elJ^ 

{a)  Aug.  in  Joan.  Traft.  86.         (b)  De  gcft^ 
Pd.  cap  14.,  {c)  Pfofp.  de  ingrat,  cap.  16^. 


BONNES    OEuVRES.  gf 

QuelijHe  attrait  Jpedeux  qui  nom  les  ren^ , 

de  atmcibles , 
Ellejfont  desséchez,  qui  nous  rendent  cofi^ 

gables. 
'Et  leur  gloire fler  lie  enflant  la  volonté  ^ 
a^ugmentefonpipplice  avec  fa  vanitc\ 

Tous  nos  Théologiens  foûtiennent 
la  même  chofe ,  mais  tous  n'en  don- 

'nent  pas  les  mêmes  preuves.  La  plu- 
part font  exa6tement  valoir  ces  pa- 
roles de  S.  Paul,  ^ue  S.  Auguftin 
aufli  a  produites  dans  les  endroits  que 

^  j'ai  rapportez.  Tout  ce  qui  eft  fait  fans 
foi  efl  un  péché  (a).  Mais  je  crains  que 
cette  preuve  ne  foit  pas  folide.  Se- 
lon toutes  les  apparences  la  foi  en  cet 
endroit -là  n'eft  pas  cette  vertu  qui 
nous  juftifie.  C'eft  une  perruafion 
forte  de  la  bonté  &  de  l'innocence  de 
"ce  qu'on  fait.  S.  Paul  parle  de  ceux 
qui  n'ofoient  manger  des  viandes 
que  la  loi  avoit  deffendues  ,  &  dit 
fur  ce  fujet ,  ^y\/Cais  celui  qui  en  fait 
ferupule  ,  efh  condamné  s^il  en  mange  , 
car  il  n^en  inange  point  avec  foi.  Or 
tout  ce  qui  n^efl  point  de  la  foi  efi  un  péché. 

E  II 

{a)  Rom. XIV,  23.  * 


y 


98  Traite'    des 

Il  oppofe  la  foi  à  la  craiete  qu'on  a 
de  pécher  en  faifant  une  aâ:ion  qui 
n'eft  pas  évidemment  innocente.  Ce-: 
pendant  il  eil  certain  qu'on  ne  s'af- 
franchit pas  toujours  de  cette  forte 
de  crainte  par  des  aétes  de  foi  divi- 
ne. Il  efl  même  afîe^i  rare  qu'on  le 
puiiTe.  Il  fuffit  qu'on  ait  une  certitu- 
de raifonnable ,  6c  fort  au  deiTous  de 
la  foi ,  comme  je  l'ai  fait  voir  dans 
mon  Traité  de  la  Confcience,  Ainfî  il 
eft  fort  croyable  que  cette  foi  dont 
parle  S.  Paul  eft  trés-differente  de  cel- 
le dont  nous  parlons. 

Je  croi  qu'il  y  a  plus  de  folidité 
dans  la  preuve  de  cette  vérité,  qu'on 
prend  de  ce  que  S.  Paul  difoit  Heb. 
XI.  6.  qu^il  efl  iînpoffible  de  plaire  k  Dieu 
fans  la  foi.  En  cfîet,  S.  Pierre  nous  ap- 
prend au  livre  des  Aétes  (a)o^uc  Bien 
na  point  d^ égard  a  P apparence  desperfennes^ 
mais  qtt  en  toute  nation  celui  qui  le  fert  ^  & 
s'adonne  a  la  jufiice ,  Ifti  efl  agréable.  Si 
donc  les  Infidelks  pouvoient  faire  d^ 
bonnes  oeuvres ,  ils  pourroient  être 
agréables  à  Dieu.   Et  s'ils  pouvoient 

l'être  5 


BONNES    OEuVRES,  99 

rêtre ,  que  deviendroit  ce  que  dit  S. 
Paul  qu'il  eft  impoffiWe  de  lui  être 
agréable  fans  la  foi  ? 

D'ailleurs  l'Ecriture  nous  apprend 
que  la  foi  purifie  nos  cœurs.  Cefl 
ce  que  S.  Pierre  afleure  en  autant  de 
mots  au  livre  des  aébes  (a).  Elle  fait 
par  confequent  entendre  par  là  que 
ceux  qui  ne  poiTedent  pas  cette  vertu 
font  remplis  d'ordure  6c  d'impureté, 
comme  en  efïèt  S.  Paul  dit  exprcfîè- 
ment  (l^J  que  rien  rPefi  par  anx  fomllez, 
^  aux  Infidelles ,  mais  que  leur  entende^ 
ment  &  leur  confcience  font  foMUs  ;  qu'à 
la  vérité  ils  font  profeffion  de  connaître 
Dieti ,  mais  quils  le  renient  par  leurs  œtt' 
vres ,  étant  abominables  &  rebelles ,  0* 
réprouvez^  a  toute  bonne  œuvre.  Cela  é- 
tant  que  faut-il  attendre  de  ces  gens 
là?  Des  âmes  auffi  impures,  que  le 
font  celles  des  Infidelles,  félon  l'Ecri- 
ture ,  font-elles  capables  de  faire  des 
-œuvres  véritablement  bonnes  ?  Ne 
faut-il  pas  que  l'effet  porte  l'impref- 
fion  des  qualitez  de  la  caufe  qui  le 
produit  i*  Qui  ejl-ce  qui  tirera  le  net  de  ce 
Ê  2  qui 

{/)  Aa.XV.9,  (0  Tit.I.i/.i<S, 


loo  Traite'  des 

cjui  efi  fouillé}  difoiten  ce  fens  lefaint'! 
homme  Job.  (a). 

Enfin  cette  vérité  eft  une  fuite  ne- 
cefTaire  de  celles  que  j'ai  prouvées  dans 
les  chapitres  precédens.  J'ai  fait  voir 
que  pour  faire  une  bonne  action  il  faut 
la  rapporter  à  Dieu ,  comme  à  fa  der- 
nière fin.  Et  comment  le  fera-t-on, 
fi  on  ignore ,  d'un  côté  que  Dieu  eft 
la  dernière  fin  de  toutes  chofes ,  6c 
de  l'autre  qu'il  eft  de  nôtre  devoir  de 
lui  rapporter  nos  aélions.''  Et  com- 
ment découvrira-t-on  des  veritez  de  la 
nature  de  celles-ci  fans  la  foi? 

Pour  faire  une  bonne  œuvre  il  faut 
aimer  Dieu  fouverainement ,  &  par 
deifus  tout.  Et  comment  l'aimera- 1- 
on  de  cette  manière ,  fi  on  ne  le  croit 
alfez  mifericordieux  pour  nous  faire 
grâce }  Et  comment  le  croira-t-on  tel 
lans  la  foi  ? 

On  objecte  ce  que  dit  S.  Paul  (b) 
que  les  Gentils  qui  n'ont  point  de  foi  font  na^ 
ttirellement  les  chofes  qui  font  de  la  Loi, 
Mais  il  eft  aifé  de  répondre  qu'il  y  a 
bien  de  la  différence  entre  faire  ce 

que 

(rf)  Job.  XIV.  4.        (^;  Rom.  II.  14. 


BONNES  OEllVRES.  ICI 

que  la  loi  ordonne  ,  6c  le  faire  en  la 
manière  en  laquelle  la  loi  ordonne 
de  le  faire.  Les  Payens  font  le  pre- 
mier, je  l'avoue.  Ils  font  plufîeurs 
chofes  que  la  loi  prefcrit.  Ils  rendent 
à  chacun  ce  qui  lui  appartient.  Ils 
honorent  ceux  qui  les  ont  mis  au 
monde.  Ils  s'abftiennent  de  l'homi- 
cide, de  J^adultére,  du  larcin,  du 
faux  témoignage.  Mais  ils  ne  font 
pas  tout  cela  par  un  'bon  principe, 
ils  ne  rapportent  pas  ces  a6tions 
à  Dieu.  Ils  marchent,  mais  hors  du 
chemin ,  &;  par  confequent  plus  ils 
s'avancent  ,  plus  ils  s'égarent.  Je 
fai  qu'on  donne  d'autres  fens  à  ce  paf- 
fage ,  mais  celui-ci  me  paroît  le  plus 
naturel.' 

On  objeéle  encore  ce  que  l'Ecritu- 
re dit  que  Içs  Sages-femmes  d'Egypte 
craignirent  Dieu ,  ëc  que  Dieu  recom- 
penfa  le  refus  qu'elles  firent  d'obeïr 
aux  ordres  injuftes  de  Pharaon.  Mais 
il  eft  étonnant  qu'on  fe  ferve  d'une 
preuve  auffi  foible  que  celle-ci  .Car  en- 
fin comment  prouve-t"'on  que  ces  fem- 
mes fufTent  infidelles  ?C  'ell ,  dit-on , 

E  3  qu'el- 


102  T  R  A  I  T  e'  D  ES 

qu'elles  étoient  Egyptiennes.  Je  veux» 
qu'elles  le  fuflent.  Eft-ce  qu'on  n'a 
jamais  veu  de  Payen  amené  à  la  foi? 
Eil-il  plus  difficile  de  croire -que  la 
grâce  ait  pu  donner  la  foi  à  des  fem- 
mes Egyptiennes ,  qu'à  Rahab  ^  ou. 
à  Corneille  le  Centcnier  ? 

Mais  j'ajoute  que  l'Ecriture  dit 
expreilement  que  ces  Sages-  femmes 
étoient  Hebreuës.  Le  %py.  d'Egypte  ^ 
dit-elle  {a)  commanda  aux  Sages-femmes- 
Hebreués  êcc. 

Rien  donc  ne  nous  doit  empêcher 
de  reconnoître  qu'on  ne  fera  jamais, 
de  bonnes  oeuvres  fi  on  n'a  la  foi. 
Mais  quelle  eft  cette  foi ,  qui  efl  il  ne- 
celîaire  pour  cet  effet  ?    Contenfon 
Thomifte  moderne ,   &  fort  éloigné 
en  tout  le  refte  des  fentimens  des  Jfe-^ 
fuites ,  ne  demande  qu'une  foi  humai» 
ne ,  ôc  naturelle ,  qui  fafTe  connoître 
Dieu  comme  premier  principe   de 
toutes  chofes .  Janfenius  demande  une.  ; 
foi  divine,  Chrétienne,   &  farnatu*' 
relie.  Mais  i  1  ne  croit  pas  qu'il  foit  ncr 
ceffaire  que  ce  foit  une  foi  formée ,  & 

accom» 


BONNES    OEuV^ES.         lOg 

accompagnée  de  k  charité.  Mais  tout 
■  ce  que  j'a-j  dit  jufqu'ici  fait  voir  le  con- 
traire. 

En  effet,  les  preuves  que  j'ai 
données  dans  ce  chapitre  même  de 
la  nécpffité  de  la  foi,  ou  ne  prouvent 
rien  ,  ou  prouvent  que  c'eft  la  foi 
juftifiante  qui  eit  neceflaire.  Et 
d'ailleurs  j'ai  fait  voir  dans  le  cha- 
pitre précédent  que  pour  faire  de 
bonnes  œuvres  il  faut  non  feule- 
ment aimer  Dieu ,  mais  encore  Pai- 
mer  fouverainement,  &  par  deilus 
tout.  Celafeulne  fait-il  pas  voir  que 
la  foi  neceifaire  pour  faire  de  bonnes 
œuvres  eftune  véritable  foi ,  une/oi 
ju'ftifiante ,  6c  infeparable  de  la  cha- 
rité? 

D'ailleurs  fi  pour  faire  une  bonne 
aélion ,  il  ne  faloit  autre  chofe  qu'une 
foi  humaine,  &  naturelle,-  comme 
Contenfon  le  prétend  ,  on  pourroit 
fah*e  de  bannes  œuvres  fans  lefecours 
de  la  grâce.  Car  dans  Tefprit  de  qui 
pourroit-il  tomber  que  la  grâce  foit 
néeeflairc  pour  la  production  d'une 
foi  humaine  ,  6c  naturelle?  Dés  là 
E  4  qu'el- 


104  Traite*  DES 

qu'elle  efl  telle ,  elle  eil  la  produâion  J 
de  la  nature ,  &  n'efl  nullement  Pou--  \ 
vrage  du  S.  Efprit.  Dnx  cependant 
qu'on  peut  faire  de  bonnes  œuvres 
fans  la  grâce  ,  c'eft  le  Pelagianifme 
tout  pur.  C'efiicequi  a  attiré  les  ana- 
thèmes  de  Taucienne  Enîifc  fur  cette 
hereiie. 

Le  fentiment  de  Janfenius  paroît  un 
peu  plus  raifonnable  que  celui  de 
Contenfon.  Il  demande  une  foi  di- 
vine &.furnaturellc,  en  quoi  il  eft 
bien  fondé.  Mais  il  fe  trompe  en  ce 
qu'il  fe  contente  d'une  foi  informe. 
Car  outre  que  la  foi  informe  n'eft 
pas  une  foi  divine  ,.  comme  je  l'ai 
prou^vé  dans  le  Traité  que  j'ai  publié 
fur  cette  matière,  outre  cela,  dis-je, 
s'il  ne  faloit  qu'une  foi  informe  pour 
faire  de  bonnes  œuvres  ,  il  feroit 
trés-poffible  d'en  faire  de  telles  fans 
la  charité.  Et  cecipofé  que  devien- 
dra ce  que  dit  S.  Paul  qu'il  ne  fert 
de  rien  fans  la  charité  de  donner  fon 
corps  pour  être  brûlé,  &  de  diflri- 
buer  tout  fon  bien  pour  la.  nourritu- 
re des  pauvres.^   EU -ce  donc  qu'il 

ne 


:bonnes  oeuvres.  loy 
ne  fert  de  rien  de  faire  de  bonnes  œu- 
vres ?  n'eil-ce  pas  là  le  comble  de  Pab- 
furdité? 

Je  conclus  de  tout  ce  que  je  viens 
de  dire  que  pour  faire  de  bonnes  ac- 
tions il  faut ,  non  feulement  une  foi 
divine  6c  furnaturelie  ,  mais  line 
foi  opérante  par  la  charité ,  une  foi 
vraiment  jultifiante  ,  6c  qui  nous 
mette  en  état  de  plaire  à  Dieu. 

Quelques  -  uns  de  nos  Théolo- 
giens en  rendent  une  raifon,   qui  ne 

;  me  paroît  pas  bienfolide.     Ils  difent 
que  ce  qui  rend  la  foi  juilifiante  û 
.neCefîaire  pour  faire  de  bonnes  œu- 
vres ,   c'eft  qu'il  n'y  a  qu'une  telle 
foi  qui  nous  aplique  le  mérite  de  Jefus 

'  Chrift,  6c  que  c'eil  ce  mérite  qui  cou- 
vre les  défauts  ôc  les  imperfeélions  de 
nos  œuvres.  ' 

Si  on  fe  contentoit  de  dire  que  la  foi 
eft  néceffaire  pour  faire  de  cette  ma- 
nière que  Dieu  accepte  nos  bonnes 
œuvres,  ôc  en  fupporteles  imperfec- 
tions 5  on  ne  diroit  rien  que  de  vérita- 
ble j  rien  qui  ne  foit  très  conforme  à  ce 
E  5  que 


io6       Traite^    bes 

que  dit  PApptre  S.  Pierre  ,  que  no« 
facrifiees  fpirituels  font  agréables  à' 
à  Dieu  parJefusChrift.  Mais€en?e{t/ 
pas  là  tout  ce  qui  fait  toute  la  bonté  de- 
nos  aftions.  Elles  la  tirent  d'ailleurs ,. 
de  la  grâce ,  comme  de  fa  fource  &  de 
fon  principe,&  de  la  conformité  qu'el- 
les ont  avec  la  Loi  de  Dieu ,  tant  dans  * 
leur  fubftance ,   que  dans  la  manière 
en  laquelle  nous  les  faifons ,  comme 
de  ce  qui  en  fait  la  forme  &  Peffence»^ 
Oeft-làce  qui  les  rend  bonnes,  non 
le  mérite  de  Jefus  Chrift ,  qui  en  cou- 
vre les  imperfeétions. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'arrefter  a  cet- 
te raifon ,  &  le  meilkur  eft  de  fe  con- 
tenter des  autres  que  j'en  ai  données» 


4 


BONNES  OEuVRES.  I07 


CHAPITRE    XIII. 

I   Septième  condition  necej^aire  pour  faire  de 
bonnes  œHvres,    Les  faire  fans  ré- 
pugnance,. 

TOutes  ces  conditions  ne  fuffi- 
fent  pas  pour  faire  des  œuvre* 
qui  foient  vraiment  bonnes.  Il  y  en 
a  une.  feptiéme ,  qui  eft  très  -  necef- 
faire.  C'eft  qu'on  les  faiTe  avec  joie, 
ou  du  moins  fans  répugnance.  C'eit 
ccque  S.  Paul  nous  apprend  fur  le  fu- 
jet  de  l'aumône ,  l'une  des  plus  ex- 
cellentes de  nos  bonnes  œuvres.  Que 
thacun  ^  dit-il ,  fajfe  félon  qHil  a  propofé 
en  fin  cœur ,  non  point  a  regret^  onpar  con^ 
trainte ,  car  Dieu  aime  celui  qui  donne  gaie- 
ment,  IL. Cor.  IX.  7.  S.  Jaques  veut 
même  que  la  ioie  accompagne  les  ac- 
tes de  lapatience.  Témoin  ce  qu'il  dit 
dés  l'entrée  de  fon  Epitre.  Mesfre-  ■ 
res,  tenez^pGur  une  parfMte  joje  ^  lorsque, 
vous.  îomkere;^  en  diverfej  tentMions  -  Et 

E  6  tous 


io8        Traite'    des 

tous  les  Apôtres  étoient  iî  pénétrez 
de  cette  vérité,  qu'ayant  été  fouet- 
tez par  les  Juifs ,  ils  faifoient  paroî- 
tre  des  tranfports  de  joie  ,  d^avoir  été 
rendus  dignes  de  Çouffrir  de  Popprobre  pour 
le  nom  de  feJHs  Chnft.  Enfin  'le  Roi 
Salomon  nous  apprend  que  cette  joye 
doit  accompagner  toute  forte  de 
bonnes  œuvres  fans  exception.  C'efl^ 
dit-il  3 /»[<?  la  joie  aujufie  défaire  ceqm  efi 
droit. 

Il  efl:  certain  ,  en  effet ,  que  lors 
qu'on  fait  le  bien  à  regret  6c  avec  ré- 
pugnance, on  le  fait  fort  mal,  6c  onJ 
corrompt  par  là  tout  ce  qu'il  peut  y 
avoir  de  louable  dans  Paétion  même. 
Mais  comme  ceci ,  quoi  que  vérita- 
ble ,  peut  être  mal  pris ,  il  fera  bon 
de  fe  donner  quelque  foin  pour  Pcx- 
pliquer  un  peu  nettement. 

je  fuppofe  en  premier  lieu  qu'il 
n'efl  que  trop  ordinaire  de  voir  dans 
les  autres  ,  &  d'éprouver  en  nous 
mêmes  ,  que  lors  qu'il  Te  prefente 
quelque  occafion  de  faire  de  bonnes 
œuvres  d'un  certain  ordre  ,'  on  ne 
peut,- ni  s'y  refoudre  5  ni  fur  tout  en 


cxé' 


BONNES     OEuVRES.  icg 

exécuter  la  réfolution  fans  de  grands 
combats ,  6c  fans  fe  faire  de  la  vio- 
lence. Ceci,  je  l'avoue,  n'eftniégal, 
ni  perpétuel.  En  efièt,  il  y  a  de  ces  œu- 
vres qui  ne  coûtent  rien,  ^- qu'on 
peut  faire  d'un  côté  fans  renoncer  à 
aucun  intérêt  tant  foit  peu  confidera- 
ble,  6c  de  l'autre  fans  s'oppoferâpas 
un  de  nos  penchans ,  du  moins  à  pas 
unde  ceux  qui  font  un  peu  forts ^  6c 
Et  alors  on  s'y  réfout  fans  beaucoup 
de  peine.  Faut- il,  par  exemple ,  qu'un 
homme  riche ,  6c  qui  n'efl  pas  naturel- 
lement avare ,  fe  faflè  une  fort  grande 
violence  pour  fe  refoudre  à  donner  un 
très- petit  fecours  à  un  povre,  à  qui 
il  eft  nccelfaire ,  6c  qui  peut  fe  paiTer 
d'un pîiis  grand? 

Mais  il  efl:  vrai  auilî  qu'il  y  a  de  cer- 
taines œuvres  qu'on  ne  peut  faire  fans 
iê  priver  de  tout  ce  qu'on  aime  le 
plus,  6c  fans  gêner  terriblement  nos 
plus  fortes ,  6c-plus  naturelles  incli- 
nations. Quels  efforts,  par  exemple, 
ne  faut- il  pas  à  un  homme  naturelkr 
ment  interelTé  pour  fe  réfoudre ,  foit 
à  abandonner  tout. fon  bien ,  .pour 

la 


î  To        Trait  e'   des 

'  la  deffenfe  de  la  vérité ,  Toit  à  s'en  prf- 
ver  volontairement  pour  faire  une  ref^  - 
titution  qu'il  croit  neceiTaire  ?  Quels 
combats  n'eft  pas  obligé  à  fe  livrer  urt 
homme  qui  aime  la  vie ,  ôc  que  Dieu 
appelle  à  fceller  par  le  martyrela  pro- 
fefîion  de  fa  vérité  ?  Quelle  vialence 
n'eft-on  pas  contraint  de  fe  faire  pour 
fe  voir  outragé  infolemment  fans  s'en 
émouvoir  ? 

Je  fuppofe  en  deuxième  lieu  que  les 
répugnances  qu'on  fentii^ns  ces  occa- 
fionsfontinjuftes  &  criminelles.  El- 
les viennent  premièrement  d'un  mau- 
vais principe ,  d'une  attache  exceiïive 
aux  biens  fenfibles  &  péri  (Tables ,  d'ua 
amour  aveugle  6c  déréglé  de  nous  mê- 
me mes  ,  en  un  mot,  de  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  criminel  en  nous ,  6c  qui  s'op- 
pofeleplusefficacementà  nôtre  iàlut. 
Car  enfin  fi  nous  étions  à  cet  égard 
dans  les  difpofitionsoù  nous  devrions 
être  5  il  n'y  a  point  de  doute  que  nous 
ne  fifîians  avec  plaifir ,  ^  fans  aucune 
répugnance  tout  ce  qui  fe  pi-elènte  à 
faire  dans  ces  occalîons. 

Eu  deuxième  lieu^  elles  marquent  ^ 

ou 


BONNES  OE LIVRES.  IIB 

OU  une  incrédulité  totale  ,  ou  du 
moins  une  extrême  foibleiîe  de  foi.. 
Car  enfitt  fi  nous  étions  perfuadés  un 
peu  fortement  des  veritez  du  Talut  ^ 
tous  les  intérêts  de  la  terre  ne  nous, 
feroient  rien.  Nousles  regarderions, 
avec  le  dernier  mépris ,  ôc  il  ne  nous 
faudroit  point  faire  d'effort  pour  y 
renoncer  toutes  les  fois  qu'ils  feroient 
obflacle  à  l'acquifition  des  biens  éter* 
nels ,  que  Dieu  referve  à  fes  enfens. 
dans  le  Ciel.  Ainfî  ne  pouvoir  fe 
refoudre  à  quitter  les  biens  de  la  ter- 
re ,  c'eft  faire  voir  qu'on  ne  compte 
gueres  fur  ceux  du  Ciel ,  ce  q^ui  eft 
vifiblement  un  défaut  de  &i. 

Sur  tout  ces  répugnances  font  voir 
qu'on  manque  d'amour  pour  Dieu.. 
Car  enfin  fi  on  l'aimoit ,  comme  on 
devroit ,  ne  fe  porteroit-on  pas  avec 
plaifî r ,  &  d  "  tout  fon  pouvoir ,  à  faire 
tout  ce  «^u^ilpourroit  exiger  de  nous? 
Ainfi  ne  le  faifant  qu'avec  peine,  il 
paroît  clairement  que  nous  ne  l'ai- 
mons que  foiblement  êc  knguifTam- 
ment,  ce  quiiae  peux  être  qu'infup- 
portable^ 

Ces. 


Vil  Traite'  DES 

Ces  rcpugnaiices  étant  fî  vifîble- 
mcnt criminelles,  je  dis  en  premier 
lieu  que  plus  on  en  a  à  faire  quelque 
bonne  aâiion ,  moins  }'a6lion  eft  bon- 
ne, 6c  qu'au  contraire  plus  on  a  de 
joye  &  de  plaifir  à  la  faire,  plus  l'ac- 
tion eft  louable,  &  agréable  à  Dieu. 
C'eft  là  à  mon  fens  une  chofe  qui  ne 
fouffre  point  de  difficulté. 

Mais  5  dira-t-on ,  ces  répugnances 
corrompent-elles  de  telle  forte  la  bon- 
té de  l'aélion ,  qu'elle  doive  pafTer 
pour  mauvaife  6c  pour  criminelle 
dés  là  qu'il  a  falu  fe  faire  quelque 
violence  pour  s'y  refoudre  ?  C'eft  à 
quoi  la  difficulté  fe  réduit. 

Pour  la  lever  je  réponds  qu'il  y  a 
des  répugnances  de  telle  nature, 
qu'elles  rendent  l'aébion  abfolument 
mauvaife,  èc  qu'il  y  en  a  auffi  de  tel- 
les, qu'elles  ne  la  rendent  qu'impar- 
faitement bonne.  Tout  dépend  de 
favoir  ce  qu'on  fait  à  Tégard  de  ces] 
répugnances.  Les  approuve- 1 -on  ? 
Les  fouffi*e-t-on  ?  Les  combat-on 
même  fans  aucun  fiiccez,  en  forte 
qu'elles  durent ,   Se  qu'elles  fubfif^ 

tent 


BONNES  OEuVRES.  Il^ 

,  tent  pendant  tout  le  temps  qu'on  a- 
git?  Si  cela  eft  ,  Pa61:ion  n'eft  pas 
;  bonne ,  6c  tout  ce  que  j'ai  dit  dans 
^  le  commencement  de  ce  chapitre  le 
[1  prouve  allez. 

Mais  fî  on  les  combat,   iî  on  les 
furmonte ,  fi  on  les  étouffe ,  il  arrive 
[;  deux  chofes.  L'une  que  l'action  n'eft 
[pas  parfaitement  bonne ,  l'autre  qu'el- 
|le  ne  laifle  pas  de  l'être  véritablement. 
[S'il  en  étoit  autrement  àpeinearrivc- 
Sroit-il  aux  plus  faints  de  faire  de  bon- 
nes œuvres .  Et  en  effet,  pour  ne  fentir 
jamais  de  ces  répugnances  il  faudroit 
[que  l'amour  dubienfenfible  futabfo- 
flûment  détruit  &  anéanti  dans  nos 
cœurs  .11  faudroit  que  l'amour  de  Dieu 
fût  non  feulement  le  principe  domi- 
nant, miais  l'unique  principe  de  nos 
actions.  En  un  mot,  il  faudroit  que  nô- 
tre fainteté  fût  parfaite ,  êc  femblable 
i  celle  des  Anges.  Comme  il  s'en  faut 
beaucoup  que  cela  ne  foit,  &  que  la 
chair  demeure  toujours  au  dedans  de 
nous  avec  l'efprit,il  arrive  qu'elle  s'op- 
pofe  aux  infpu'ations  de  l'efprit,  ôc  que 

tout 


! 


rr4         Traite*  d^es. 

tout  ce  que  Pefprit  peut  faire ,  c'eft  de 
va' na'efcs  répugnances.  Mais  cette 
viébaire  fuppofe  un  combat ,  ôc  par 
confequent  des  efforts ,  6c  des  mouve- 
mensoppofezà  ceux  de  Pefprit. 

Je  croi  donc  qu'il  faut  diUinguer 
trois  diÔerentes  manières  d'agir.  La 
première  confifte  à  faire  le  bien  avee 
une  joye  parfaite ,  6c  fans  aucun  mou- 
vement de  répugnance  ,  qu'il  faille 
combattre.  La  féconde  c'eft  de  le  fai- 
re avec  des  mouvemens  de  répugnan- 
ce ,  que  Ton  combat ,  qi/e  l'on  fur- 
monte  ,  6c  que  l'on  étoum^^ .  La  troi- 
fîéme  de  le  faire  avec  des  ftiouvemens 
de  répugnance  ,  qui  durent  ,  6c  qui 
fubfîftent ,  foit  qu'on  les  combatte  , 
foit  qu'on  les  approuve. 

La  première  de  ces  trois  manières 
d'agir  eflile  partage  des  parfaits,  tels 
que  font  les  Anges,  8c  les  Efprits  bien*jj 
heureux.  La  troiiiéme  eli  celle  des 
pécheurs .  La  féconde  eft  celle  des  en* 
fans  de  Dieu  fur  la  terre .  L^a  première 
rend  l'action  parfaitement  bonne.  La 
féconde  la  rend  criminelle.  La  troi- 
fiéme  fait  qu'elie  n'èft  bonne  qu'im- 
parfaitement. Toutj 


BONNES   OEuVRES.  I  ï  jT 

Tout  cela  fait  voir  clairement  qu'un 
des  plus  grands  foins  que  nous  devions 
prendre ,  lors  qu'il  fe  prefeRte  quel- 
que occafion  de  faire  de  bonnes  oeu- 
vres ,  c'eft  celui  d'étouffer  prompte-  " 
ment  ces  répugnances  dont  nous  ve- 
nons de  parler,  &de  confîderer  l'cf*^ 
fet  qu'elles  ne  manqueroient  pas  d'o- 
pérer ,  fi  nous  négligions  de  prendre 
ee  foin.  Elle  nous  feroient  perdre  le 
fruit  de  nos  bonnes  œuvres  ,  6c  de 
cette  manière  nous  priveroient  à  là 
fois  5  6c  du  bien  fpirituel ,  que  la  bon- 
ne œuvre  étoit  en  état  de  nous  pro- 
curer 5  6c  du  temporel,  auquel  la  San:- 
ne  œuvre  nous  fait  renoncer. 

En  ne  faifant  pas  la  bonne  œuvre , 
on  perd  le  bien  fpirituel ,  8c  on  con- 
fervc  le  tempoixl .  En  la  faifant  bièn^ 
on  perd  le  temporel ,  ôc  on  fe  procu- 
re le  fpirituel .  En  la  failân  t  mal ,  com- 
me on  fait  en  la  faifant  avec  répugnan- 
ce ,  on  perd ,   6c  le  temporel ,  6c  le 

fpirituel  tout  enfemble. 

Cela  étan]:,  qui  ne  voit  qu'il  eft  de 
notre  devoir  d'étoufïèr  ces  repugnan-  . 
ces  3  dés  le  moment-  qu'elles  fe  for» 

ment 


ii6        Traite'    des 

ment  dans  nôtre  cœur?  Mais  com-' 
me  il  eft  difficile,  ou  pour  mieux  di- 
re impoflible  d'étouffer  ces  répu- 
gnances ,  {1  on  laiffe  fubfîfter  le  prin- 
cipe qui  les  produit ,  &  que  ce  prin- 
cipe n'ell  autre  que  l'attache  excefîî- 
ve  que  nous  avons  pour  les  biens  fen* 
fibles ,  le  principal  foin  que  nous 
devions  prendre  pour  cet  effet ,  c'eft 
de  nous  affranchir  de  cette  malheu-i 
reufe  imperfeétion ,  qui  eft  la  princi-; 
pale  fource  de  tous  nos  defordres.  Je 
ne  dis  pas  au  refte  ce  qu'il  faut  faire 
pour  y  reuffir ,  en  ayant  parlé  affez  am- 
plement dans  le  fécond  Tome  de  mes 
EiTais  de  Morale.  Difc.  IIL 


CHA- 


BONNES  OEuVRES.  11^ 


CHAPITRE   XIV. 

J^e  lors  qu^on  a  fait  une    bonne  a5licn 

U  ne  faut  pas  regretter  le  bien  temporel 

qt^elk  a  fait  perdre, 

CE  que  je  viens  de  dire  me  fait 
fouvenir  d'un  autre  défaut  fort 
femblable  à  celui  dont  j'ai  parlé,  puis 
qu'il  part  d'un  même  principe,  6c 
produit  le  même  effet ,  qui  eft  celui 
de  nous  faire  perdre  le  fruit  de  nos 
bonnes  œuvres.  Je  parle  du  regret 
que  nous  avons  après  avoir  fait  l'ac- 
tion ,  au  bien  temporel ,  auquel  cet- 
te action  nous  fait  renoncer. 

Ce  défaut  efl  fort  ordinaire  ,  par- 
ce qu'il  l'eft  extrêmement  d'aimer 
avec  excès  le  bien  temporel.  On 
croit  communément  que  ce  fut  là 
ce  qui  fit  périr  la  femme  de  Lot. 
Elle  regarda  en  arrière  en  fe  fau- 
vant  de  Sodome  ,   8c  félon  toutes 

les 


ii8  Traite'  DES 

les  apparences  ce  regard  fut  une  faU 
te  du  mouvement  de  foncœur.  ElleJ 
regretta  ce  qu'elle  a  voit  quitté  danél 
cett^  deteftable  ville ,  Se  cefentimenti 
injufte  lui  attira  le  malheur  qui  Pacca^J 
bla  5  étant  changée  en  une  flatuë  deJ 
feL 

Les  murmures  des  Ifi-aëlites  dans  le 
defert  font  encore  un  exemple  de  ce 
que  je  dis.  Ces  ingrats  ne  fe  fouve-< 
noient  plus  parmi  les  douceurs  de  lai: 
liberté  dont  ils  joiiifToient ,  des  ri- 
gueurs 6c  des  amertumes  de  leur  fervi- 
tude .  Ils  avoient  oublié  les  traitemens 
barbâi;cs  6c  infupportables  ,  qui  Ics^ 
avoient  fait  gémir.  Ils  ne  faifoient  at- 
tention qu'aux  avantages  qu'ils  y  trou- 
voient.  Ils  regrettoient  les  viandes 
grofîieres  dont  ils  s'y  gorgeoient.  Ce 
fut  là  ce  qui  leur  attira  la  plupart  des 
fléaux ,  qui  les  accablèrent. 

Toute  l'Epître  aux  Hébreux  ne 
t^nd  qu'à  prémunir  les  fidelles ,  auf- 
quek  elle  eft  adrefTée ,  contre  le  dan- 
ger,auquel  ils  étoient  expofez,de  tom- 
ber dans  un  manquement  femblable. 
Ils  avoient  embraffé  l'Evangile  avec 

beau- 


BONNES   OEUVRES.  II9 

beaucoup  d'ardeur  6c  de  fermeté.  Ils 
I  avoicnt  furmonté  courageufemcnt  les 
i  tentations ,  aufquelles  leur  foi  naifFan- 
te  fe  trouva  expofée .  Ils  avoient  fouf- 
fert  avecjoye  le  ravifTement  de  leurs 
biens.     Mais  S.  Paul  apprehendoit 
qu'ils  fe  relâchafîènt  de  cette  premie- 
j  re  ferveur  ,   &  qu'avec  le  temps  ils 
j  vinflent  à  regretter ,  d'un  côté  le  re- 
|pos  dont  ils  avoient  joiii  dans  le  Ju- 
daïfme  ,   &  de  l'autre  la  pompe  6c 
l'éclat  fendble  de  cette  Religion  char- 
nelle .  C'eft  pour  leur  infpirer  les  ien- 
timens  oppofez  à  ces  manquemens 
qu'il  leur  écrit  cette  Epître ,  6c  c'eft- 
là  le  but  qu'il  fe  propofe  depuis  le 
commencement  jufqu'a  la  fin. 

L'état  oîi  il  a  pieu  à  Dieu  de  nous 
réduire ,  nousexpofe  à  une  tentation 
perpétuelle  ,  qui  nous  porte  forte- 
ment à  ce  grand  péché ,  6c  nous  mec 
dans  un  danger  vifible  de  le  commet- 
tre. Il  nous  amis  dans  la  néceffité  de 
nous  bannir  de  nôtre  patrie,  6c  de  nous 
priver  de  toutes  les  douceui^ ,  6c  de 
tous  les  avantages  que  nous  y  trou- 
vions.   11  nous  a  difpcrfez  en  divers 

en- 


I20        Traite^    DES 

cndraits,6c  il  permet  que  nôtre  difpcr- 
fion  foit  accompagnée  de  prefque  tous 
les  dégoûts  ,  qui  fuivent  ordinaire- 
ment  les  exils.  C'eftce  qu'il  n'efb  pas 
necefîaire  d'exaggerer.  Nous  ne  le 
fentons  que  trop ,  &  fî  l'idée  que  nous- 
nous  en  faifons  n'eft  pas  jufte,,  ce  n'efl 
pas  qu'elle  foit  trop  foible ,  c'eft  qu'el- 
le eft  trop  forte ,  éc  que  nous  ne  Ten- 
tons pas  allez  les  douceurs  dont  ces  dé^ 
goûts  font  accompagnez. 

Qu^ileft  naturel  dans  cette  fitua- 
tion  de  regretter  ce  qu'on  a  quitté  ! 
Qu'il  eft  difficile  que  cela  n'arrivé , 
non  une  fois  ou  deux  ,  mais  trés- 
fouvent  ;  6c  fi  je  l'ofe  dire ,  à  toute 
heure!  Qu'il  faut  être  tout  autre- 
ment détaché  de  la  terre,  que  nous 
ne  le  fommes ,  qu'il  faut  avoir  un  tout 
autre  fonds  de  pieté ,  ôc  d'amour  pour 
Dieu ,  ôc  pour  fa  vérité  que  ce  qud 
nous  en  avons ,  pour  ne  tomber  jamais' 
dans  ce  manquement  ! 

Il  n'eft  aufîî  que  trop  ordinaire  de 

voir  qu'on  y  tombe.     Cependant  y 

tomber  c'eft  répondre  trés-mal  à  nô-i 

tre  devoir.   Car  prçmiérementil  pa-J 

"^  roit 


I 


BONNES    OEuVRES.  121 

roît  par  là  qu'on  a^gi  tcmerairement 
ôc  imprudemment  lors  qu'on  a  for- 
mé la  réfolution  de  faire  la  bonne 
œuvre  qui  n  fait  perdre  le  bien  qu'on 
regrette.  Il  paroît  qu'on  n'en  prévoy- 
oit  pas  toutes  les  fuites  ,  6c  qu'on 
ne  fa  voit  pas  à  quoi  on  s'enga- 
geoit.  Il  paroît  qu'on  n'a  pas  pratique 
Pavis  que  le  Sauveur  du  monde  nous 
donne  dans  fon  Evangile  :  Qf^i  efl 
celui  d'entre  vous  ,  qm  voulant  hajlir 
une  tour  ^  premièrement  ne  s^ajjeje^  ^ 
ne  calcule  les  dépens ,  s'^il  a  pour  la  para- 
chever  ?  De  peur  q^î^ après  qutlaurapoféie 
fondement ,  &  n'aura  peu  achever ,  tous  ■ 
oeux  qui  le  V errent  ne  commencent  afe  mO' 
quer  de  Itd ,  difant  cet  homme  a  commencé 
de  bâtir ,  &napeti  achever .  O/^  qui  efl  le 
%oy  qui  parte  pour  donner  bataille  a  un  au- 
tre Roi  ^  quipremiérementnes'^ajfeye ^  drne 
confiilte ,  s* il  pourra  avec  dix  mille  aller  ren- 
contrer celui  qui  vient  avec  virgt  mille  con- 
trelui?  Autrement -ce  IR^y  la  étant  encore 
loin  il  envoyé  une  Amhajfade  ^  &  demande 
les  moyens  de  paix,  (t^injt  d,onc  chacun  de 
iiGUS  qui  n€  renome  a  tout  ce  qu'ail  a  ne  peut 


122  Traite*  DES 

Jtre  mon  Difiiple.  Luc.  XIV.  28— 33. 

Si  on  avoit  fiiivi  exaétcment  cette .: 
régie ,  fi  avant  que  d'entreprendre  la 
bonne  a6lion  qu'on  a  faite,  on  s'étoit. 
affis ,   6c  qu'on  eût  bien  balancé  les 
deux  partis  qui  fe  prefentoient ,  fi  on 
en  eûtpréveu  les  inconveniens  ôc  les 
confequences ,  6c  que  nonobftant  tout 
cela  on  eût  pris  determinément  la  ré- 
folution  qu'on  a  formée ,  on  ne  s'en 
rcpentiroit  pas  dans  la  fuite.   On  ver- 
roit  qu'il  n'arrive  rien  qu'on  n'ait  pré- 
veu^  ëcméprifé,  le  regardant  com- 
me infiniment  au  delTousde  l'avanta- 
ge qu'on  trouve  au  parti  qu'on  a  pris.  4 
Comme  on  en  juge  autrement  après 
avoir  fait  l'aélion ,  il  paroît  qu'avant  j 
que  de  l'entreprendre  on  n'avoit  pas 
examiné  avec  aflez,  de  maturité  6c 
d'application  ce  qui  fe  prefentoit  à 
faire ,  ôc  qu'ainfi  on  a  agi  téméraire-  \ 
ment. 

Quelqu'un  peut-être  dira  que  cette 
confequence  n'cil  pas  nécelîàire.  Il  efl 
très  poiîible  qu'on  ait  tout  préveu , 
lors  qu'on  a  formé  la  réfolution  àont  il 
s'agit,   ëc  qu'on  ait  jugé  alors  qu'il 

'  falloir 


BONNES   OEUVRES.  I25 

faloit  la  prendre ,  mais  que  prefente- 
ment  on  en  juge  d'une  autre  ma- 
nière. Dans  cette  fuppofîtion  Fac- 
tion aura  été  bonne ,  éc  ainfî  on  ne 
peut  pas  dire  qu'on  ait  agi  téméraire- 
ment. 

J'avoue  que  ceci  n'eft  pas  impoffi- 
ble.  Je  prétends  feulement  qu'il  eft 
rare ,  6c  que  le  contraire  arrive  le  plus 
fouvent.  J'ajoute  que  fila  dirpofitioh 
oij  l'on  fe  trou  voit,  lors  qu'on  a  fait, 
ou  refolu Tadion 5  étoit bonne,  celle 
on  l'on  fe  trouve  lors  qu'on  a  du  regret 
au  bien  que  l'on  a  perdu  ,  eil:  trés- 
mauvaife.  Alors  on  ne  balançoit  pas 
à  préférer  fon  devoir  à  l'intérêt  tem- 
porel. Aujourd'hui  au  contraire  on  eil 
plus  fenfible  à  'l'intérêt  temporel, 
qu'à  tout  ce  que  le  devoir  a  de  plus  in- 
violable &  de  plus  facré ,  ce  qui  fait 
voir  clairement  deux  chofe?. 

La  première  qu'on  n'eft  pas  pre- 
fentement  dans  la  difpofition  ,  que 
Jefus  Chrill  reprefente  comme  fiab- 
folûment  necelîaire ,  dans  les  paroles 
qui  précèdent  immédiatement  celles 
que  j'ai  rapportées ,   Si  quelqu'un  veut 

F  2r  venir 


1 24  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

venir  après  moi ,  &  ne  hait  [on  père  &  pi 
mère ,  fa  femme  &fes  enfans  ^fes  frères  d" 
fes  fœurs ,  même  fa  propre  ame ,  il  ne  peM 
ètye  mon'T^tfciple.  Et  quiconque  ne  char^ 
ge  fur  foi  pi  Croix ,  ô"  ^e  vient  après  moi , 
tl  ne  peut  être  mon  Difciple.  L^uc .  XIV. 
a6.  27. 

Il  paroît  qu'on  ne  hait  pas  le  bien 
temporel,  qu'on  regrette ,  c'efl  à  di- 
re qu'on  ne  Paime  pas  moins  que  Je- 
fus  Chrift ,  puis  que  fi  on  le  faifoit,  l'a- 
vantage qu'on  trouve  à  s'attacher  à  Je- 
fus  Chriil ,  feroit  oublier  ce  vain  inté- 
rêt. Il  paroît  encore  qu'on  eft  précifé- 
ment  dans  la  difpofition  que  Jefus 
Chrifl  défigne  .dans  un  autre  endroit 
de  Ton  Evangile ,  lors  qu'il  afTeure  que 
celui  qui  met  lamain.aia  charrue ,  cr  regar» 
de  en  arrière ,  'rveflpas  bien  difpofèpour  le  Ro- 
yaume des  deux. 

La  féconde  chofe  qui  paroît  par  tout 
ce  queje  viens  de  dire,  c'eft  qu'on  eft 
bien  éloigné  de  remplir  un  autre  de- 
voir que  l'Evangile  prefcrit.  Il  veut 
que  nous  marchions  de  force  en  force ,  6c 
que  chacun  de  nos  progrés  foit  un 
acheminement  à  un  plus  grand.  C'jeft 

ce 


BONNES   OEuVRES.  I^f 

ce  que  j'ai  prouvé  amplement  dans  le 
troificme  Traité  de  ma  Morale  abré- 
gée. Danslafuppofition  que  j'exami- 
ne on  fiiit  le  contraire.  Non  feulement 
on  n'avance  pas ,  maison  recule.  On 
avoit  commencé  par  l'efprit ,  comme 
les  Galates ,  &  on  finit  par  la  chair.  Au 
lieu  de  croître  en  J .  C.  on  devient  pe- 
tit ,  procédé  infupportable ,  &  dont 
on  ne  fauroit  avon*  trop  d'horreur. 

On  dira  peut-être  que  ceci  même 
n'eil,  ni  necefiaire,  ni  perpétuel.  On 
dira  que  ces  regrets  ne  vont  pas  tou- 
jours jufqu'à  condam^ner  Paétion 
cju'on  a  faite ,  que  peut-être  la  feroit- 
on  encore  aujovird'hui ,  fi  elle  étoit  à 
faire,  6c  qu'à  tout  prendre  on  efi;bien 
aife  de  l'avoir  faite ,  mais  que  tout  ce- 
la n'empêche  pas  qu'on  ne  fente  les  in- 
commoditez  où  l'on  s'eft  jette. 
J'avoue  encore  une  fois  que  ceci  n'efl 
pas  impofiible.Mais  dans  cette  fuppofi- 
îionje  dirai  que  cette  fenfibilité  qu'on 
ne  nie  pas  qu'on  n'ait  pour  les  incom- 
moditez  qui  fuivent  1  aâ:ion  qu'on  a 
faite,n'e{]:  en  rien  différente  des  répug- 
nances 5  dontj'ai  parlé  dans.le  chapitre 
F  3  pré- 


ia6  Traite'  des 

précèdent,  j'ai  fait  voir  au  refte  que 
ces  répugnances  font  infupportablcs, 
&  gâtent  toute  la  bonté  de  Padion  , 
lors  qu'elles  durent  trop  longtemps, 
ÔC  que  l'amour  de  Dieu  ne  les  itouffe 
pas  tout  incontinent.  Mais  quand 
ell-ce  qu'on  peut  dire  avec  plus  de  rai- 
fon  6c  de  fondement  qu'elles  durent 
trop  long-temps  ,  que  lors  qu'elles 
fubiiftent,  non  feulement  pendant 
tout  le  temps  qu'on  met  à  faire  l'ac- 
tion ,  mais  encore  après  que  l'a6tion 
cfl:  faite ,  quelquefois  même  des  an- 
nées entières  après  l'aéiiion ,  comme 
il  arrive  dans  le  cas  particulier,  où 
nous-nous  trouvons.? 

Je  conclus  de  tout  ce  que  je  viens 
de  dire  que  lors  qu'on  a  fait  quelque 
bonne  aftion ,  il  faut  en  avoir  de  la 
joye,  6c  que  cette  joye  doit  être  pure, 
parfaite  &  entière.  Il  faut  s'en  félici- 
ter foi  même ,  6c  en  rendre  grâces  à. 
Dieu  ,  fans  faire  aucune  attention 
aux  biens  temporels ,  que  cette  aébion 
peut  coûter.  11  faut  le  mettre  dans  la 
difpolition  décelai  dont  Jefus  Chrift 
parle  dans  fon  Evangile ,  6c  qui  ayant 

feut 


BONNES   OEuVRES.  izy 

feu  qu'il  y  avoit  un  trélbr  ineflima- 
-blc  caché  ôc  enfoui*  dans  un  champ, 
a  achetté  ce  champ ,  &  y  ayant  trou- 
vé le  tréfor ,  eft  bien  éloigné  d'avoir 
du  regret  à  ce  qu'il  lui  coûte . 

C'etoit  la  difpoiition  de  S.  Paul, 
lors  qu'il  difoit  aux  Philippicns ,  Si 
i^Helquun  s^eftime  avoir  de  quoi  fe  confier 
en  U  chair  ^  fen  ai  encore  davantage  ^  moi 
qui  ai  été  circoncis  le  huitième  jour ,  cjmfuis 
de  la  race  d'^IJra'el ,  de  la  îrihu  de  Benjamin , 
Hébreu ,  né  des  Hébreux ,  Phartfen  de  Re» 
iigion  j  quant  au  z.ele ,  perfecutant  PEgltfe^ 
cjuant  a  lajuftice  qui  efi;  en  la  loi ,  étant  Çans 
reproche.  ^jM^ais  ce  qui  m  étott gain ,  je  l'ai 
réputé  m"^ être  dommage  pour  P amour  de  fe- 
fks  (^hrifi.  Afaisje  repute  toutes  chojQs  m^é' 
tre  dommage  pour  P  excellence  de  la  connoif- 
fance  de  fefus  Chnfl  mon  Seigneur .,  poàr 
r  aînour  duquel  je  me  Cuis  privé  de  toutes  ces 
chûfes ,  ciT  les  regarde  comme  de  Pord^ure  afi,n 
q  ue je  gagne  fefus  Çhnft.  Phil.  III.  4.  y. 
6.7.8. 


F  4  CHA- 


-•m 

Il8  T  R  A  I  te'     HE  s 

1%  ^y^  m,  .->'^;,  6%  ^y^  ^^^y^-^f^  ^^  •  %  #  -s  •■^î'^  -"%  s  # 


r 


CHAPITRE    XV. 

Huitième  condition.     T^cs  hannes  œuvres 

doivent  être  accompagnées  de  tous,  les- 

fcntimens  d' fine  profonde  Immihté, 

A  joye  dont  i'ai  parlé  dans  les 
chapitres  precedens,  Se  que  j'ai 
dit  que  nos  bonnes  œuvres  doivent 
nous  donner ,  peut  bien  être  aulU  vi- 
ve, &  aulli  fenfible  que  Pon  voudra, 
pourveu  qu'elle  foit  exempte  d'or- 
gueil &  de  vanité.  Mais  rien  ne  fau- 
roît  la  rendre  plus  criminelle ,  &  pour 
^'  dire  quelque  chofe  de  plus  fort ,  rien 
ne  fauroit  rendre  nos  bonnes  œuvres 
plus  odieufes,  ôcplus  infupportablcs 
à  Dieu ,  que  l'orgueil ,  qui  en  naît 
q^uelquefois,  6c  dontelles  font  le  prin- 
cipe &  le  fondemeiit.  C'eft  ce  qui  ar- 
rive en  deux  manières ,  qu'il  importe 
de  ne  pas  confon dre . 

La  première  a  lieu ,    lors  que  fans 
jctter  aucun  regard  fur  les  autres ,  6c 

ne 


I^ONNES  OEUVRES.  lip 

ne  faifant  attention  qu'à  nous-  mêmes , 
nousfomme&contensde  nous-mêmes , 
en  confequence  des  bonnes  actions 
que  nous  avons  faites ,  nous-ndus  en 
félicitons ,  nous-nous  en  applaudiilbns 
en  fecret ,  &  trouvons  que  nous  fouî- 
mes bien  éclairez  ,  bien  judicieux  , 
bien  vertueux ,  &  pour  tout  dire  en 
un  mot ,  bienlouables^,  &  bien  dignes 
de  nôtre  eftime ,  d'avoir  fait  ce  que 
nous  venons  de  faire.  G'efl-là  ce  que 
l'Ecriture  appelle  encenferfis  -propres 
rets,  & facrtfier-a  feS'filez^,  C'éfl;  en  un 
mot  s'attribuer  la  gloire  du  bien  que 
l'on  fait,  6t  faire  voir  qu'on  ignore 
deux  veritez ,  que  j'efpere  de  prouver 
fortement  dC  évidemment  dans  la: 
fuite. 

La  premiére,que  nos  meilleures  œu- 
vres ont  de  grands  deffauts,  qui  font 
qu'elles  ont  befoin  detoutlefupport^. 
à  de  toute  l'indulgence  dé  Dieu  ^ 
pour  faire  qu'elles  ne  provoquent 
pas  efficacement  fa  colère.  Car  cn^ 
fin^ii  nous  étions  bien  fortement per- 
fuadez  de  cette  vérité,  ce  qu'il  y  a 
de  defeâ:ueux  dans  nos  bonnes  actions 
F  5".  auroit. 


r^O  Tr  A   I  T  E*     DE  5 

auroit  bien  plus  de  "force  6c  d'efficace 
pour  nous  humilier  ,  ÔC  pour  nous 
confondre ,  que  tout  ce  qu'il  peut  y 
avoir  de  bon  n'en  fauroit  avoir  pour 
nous  porter  à  nous  applaudir. 

La  féconde  que  ce  peu  même  qu'il 
y  a  de  bien  dans  nos  a6tions,  ne  vient 
pas  de  nous ,  êc  n'eft  pas  la  produftion 
de  nôtre  miferable  nature.  C'eft  un 
effet  de  la  grâce ,  qui,  comme  le  dit 
l'Ecriture ,  produit  en  nous  avec  efficace 
kl  volonté  dr  PaBion  félon  fin  bon  plaijïr. 
Cela  étant,  la  veuë  de  ce  bien  qui  eft  en 
nous ,  doit  bien  nous  infpirer  de  la  re- 
€onnoilfance  pour  les  bontez  de  celui 
qui  l'a  opéré  en  nous ,  elle  doit  encore 
nous  infpirer  de  la  joye  par  cette  confî- 
derationque  ce  fommes  nous-mêmes 
qui  fommes  les  objets  de  cette  bonté . 
mais  elle  ne  doit  nullement  nous  por- 
ter à  nous  eneftimer  davantage.  Nous 
devons  toujours  nous  dire  à  nousmê- 
V^ts^QjfaS'tu^  0  homme  ^  que  tun^ajes  reçu  y 
drfitu  [^asrecâ  pourquoi  t^en  glorifie  tu  ^com^ 
mefttu  ne  ÏAvoispoint  reçu  ?  Nous  devons 
imiter  l'excellent  Apôtre ,  qui  nous  a 
fourni  ces  pai'oles ^ôc  qui  venant  de  dire 

qLu'il 


BONNES    OEuVRES.  l^I 

qu'il  a  travaillé  plus  que  tous ,  n'a  pas 
oublié  ce  corrcélif ,  Toutefois  non  pint 
moi  y  mais  la  grâce  de  Dieu ,  qui  efi  avec 
moi. 

L'autre  manière  en  laquelle  l'or- 
gueil corrompt  nos  bonnes  actions, 
ell  plus  ordinaire,  &  en  quelque  for- 
te plus  dangereufe.  Elle  conlifle  à 
jetter  un  regai*d  fecret  fur  les  autres 
hommes ,  clans  la  conduite  defquels 
on  ne  remarque  pas  l'aélion  dont  on 
s'applaudit.  On  fe  dit  à  foi  même ,  Tel 
GT  tel  n^  en  font  pas  autant.  Ils  ont  les  mêmes 
moyens ,.  les  mêmes  motifs ,  Cr  les  mêmes 
occaftons.  Cependant  ils  ne  font  pas  ce  que 
je  fais  ^  ce  qui  revient  à  peu  prés  à  la 
prière  du  Phariiien ,  qui  difoit  à  Dieu,, 
Seigneur  ^  je  te  rends  grâces ,  de  ce  que  je  ne 
fuis  pas  comme  lerefie  des  hommes  ^raviffeur^. 
injujle^  adultère ,  ni  même  comme  ce  péager, 
fe  jeune  deux  fois  iHjemaine ,  ^  paye  la  dt^ 
ms  detoutce  quejepofede. 

Voici  en  efiét  une  remarque ,  que 
je  croi  importante ,  6c  que  je  ne  me 
ibuviens  pas  d'avoir  faite  dans  mon 
Traité  d.e  torgueiL  Nous  n'avons  pas 
beaucoup  de  répugnance  à  nous  abaif- 

F  6.  fer 


1^1  T  R  A  î  T  E*    DES 

fer  pourveuque  nous  abaifîions  toute 
ia  terre  avec  nous.  Qu'il  s'agifTe  du 
genre  humain  en  gênerai.  Nous  en 
dirons  fans  peine  tout  le  mal  poflible, 
&L  nous  ne  nous  foucierons  pas  mê- 
me de  nous  en  excepter.  Nous  ne 
fommcs  nullement  feniibles  fur  le 
chapitre  de  tout  ce  qui  nous  cft  com- 
mun avec  tous  les  autres.  Qu-on 
l^éieve ,  ou  qu'on  l'abaiiTe ,  c'eft  ce 
qui  nous  importe  fort  p$u.  C'eft 
fur  ce  que  nous  avons  de  particulier 
êc  de  perfonnel  que  nous  fommes 
extrêmement  délicats.  Nous  vou^ 
Ions  toujours  qu^il  y  ait  quelque  dif- 
tin6tion  à  faire  de  nous  aux.  autres» 
Nous  defcendrons  auiîî  bas  que  l'on 
voudra,  pourveu  que  l'on  mette  les 
autres  encore  plus  bas.  C'eft  cette 
diilinélion  qui  eft  le  dernier  retran- 
chement de  l'orgueil  ,  &  c'eit  fur 
quoi  il  ne  peut  fouffrir  qu'on  l'atta- 


que. 


Cela  étant,  nous  n'aurons- pas  beau- 
coup de  peine  à  avouer  que  le  bien 
que  nous  faifons  eft  imparfait  ,  6c 
qu'il  vient  de  Dieu  ,  pourveu  que  i 

d'aal- 


BONNES  OEuVRES.  Î55 

d*ai]leurs  on  nous  permette  de  croire 
que  nous  faifons  quelque  chofe  que 
les  autres  ne  font  pas ,  &  qu'ainfi  il 
BOUS  eft  permis  d^'avoir  plus  d'ellime 
&  de  complaifançe  pour  nous,,  que 
pour  eux . . 

Mais  pour  forcer  Porgueil  jufques 
dans  ce  dernier  retranchement ,  il 
faut  confiderer  ce  que  dit  faint  Paul  y 
'jQu'efi-ce  qm  te  difcerûe  ^  &  qui  met  de 
la- différence  entre  toi  &  un  autre? 
Il  faut  reconnoître  que  ce  qui  nous 
diilingue  des  autres,  ne  vient  pas  de 
BOUS,'  mais  de  Dieu.  Il  faut  demeu- 
rer convaincu  que  li  Dieu  eût  don- 
né les  mêmes  fecours ,  internes ,  ÔC 
externes ,  à  ceux  qui  ne  font  pas  ce  que 
nous  faifons,  ils  le  feroidnt  de  même 
que  nous .  U  ne  faut  que  cela  feul  pour 
anéantir  nôtre  orgueil ,  6c  en  effet  je 
ne  voi  pas  quel  fondement ,  quelle 
raifon:,  quel  prétexte  même ,  ii  peut 
nous  reiler  après  cela  pour  non  s  éleven 

On  peut  au  refte  ,  appliquer  ici 
tout  ce  que  je  viens  de  dire  des  re«. 
pugnances  qu'on  fent  en  faifant  le- 
bien  ,  ôc  chacun  le  pouvant  faire 

de 


î54  Tr  A  I  T  E^    I>E  S 

de  loi  même,  je  ne  m'amuferaipas  à 
redire  fur  l'un  de  cesfujetsce  que  j'ai 
^  d  éja  d  it  fu  r  l'autre , 

J'ajouterai  feulement  que  lors  qu'en 
faiiant  quelque  bonne  a6lion  nous 
fentons,  foit  quelque  répugnance  , 
foit  quelque  mouvement  de  vanité,  il 
ne  faut  pas  celfer  pour  cela  d'agir.  Il 
faut  feulement  combattre  ce  mouve- 
ment intérieur,  que  nous  condam- 
nons. C'eil  la  règle  qu'on  die  que  S,. 
Bernard  avoit  accoutumé  de  fuivre. 
Lors  qu'en  faifant  quelque  bonne  ac- 
tion il  fentoit  en  foi-même  quelque 
chatouillement  de  vanité ,  il  lui  adref- 
foit  la  parole ,  &C  difoit,  Tu  ne  me  l'as 
pas  fait  entreprendre ,  CT  tune  ri^empêche" 
ras  pas  de  P exécuter.  Non  frfiepi  pr opter 
te  ^  necdeferam  pr  opter  te.  Rien  ne  me 
paroît  plus  judicieux  que  cette  con- 
duite, &jefouhaite  que  chacun  en 
foile  autant  lors  qu'il  fe  trouvera,  dans 
fc  même  cas,: 


CHA- 


B-ONNES  OEuVRES.  î^f 


CHAPITRE   XVI. 

,  ,Qjie  nos  bonnes  œuvres  font  les  effets  &  les 
productions  de  U  grâce, 

CE  font  là  les  conditions  les  plus, 
neceiîàires  pour  faire  que  nos, 
œuvres  foient  vraiment  bonnes.  Ce- 
la feul  fait  voirclairement qu'on  n'eri: 
ferait  faire  de  telles  par  les  feules  for- 
j  ces  de  la  nature..  Il  faut  pour  cela 
i  un  fecours  furnaturel.  Il  faut  que  le 
S.  Efprit  nous  aififte ,  6c  que  fa  grâce 
nous  fortifie. 

I.  Car  premièrement  j'ai  fait  voir 
qu'il  eftimpoïîible  défaire  de  bonnes» 
œuvres ,  fi  on  n'a  la  foi  &  la  charité.. 
Mais  le  moyen  d'avoir  ces  deux  ver* 
tus  fans  la  grâce  ?  N'èfi;  -  ce  pas  elle, 
qui  les  produit  dans  nos  cœurs  ?  ne 
voyons  nous  pas  que  S .  Paul  prie  Dieuj 
qu'il  lui  pkife  de  rendre  les  Thefialo- 
Biciens  dignes  de  fa  vocation ,  cju'^tl  ac^ 
^om^l^Jfe  en  eux,  tml  le  bon  flatjir  de  fik 

bon^. 


1^6        Trait  E*^  des 

ùorj/j  &  Pœuvre  de  la  foy  pmjfamment 
(a).  Ne  dit-il  pas  aux  Philippiens ,  (b\ 
qu'il  leur  a  été  donné  gratuitement  pour^ 
fefiis  (^hrtfi  ,    &  de  croire  &  de  foujfrir 
pur  [on  nom'l  Et  pour  ce  qui  regarde 
Pamour  de  Dieu ,  ne  favons  nous  pas 
ce  que  Moyfe  dit  à  Pancien  peuple 
{c)   U Eternel  ton   Tiieu   circoncira,    ton 
cœur ,  &  le  cœur  de  ta  pcflerité  ,  afin  que. 
tu  aimes  t Eternel  ton  Dieu  de   tout  ton . 
cœur  y  ^  de  toute  ton  ame ,  &  cjue  tu  vi^ 
"jes.     Ne  voyons  nous  pas  que  faint 
Paul  (d)  voulant  faire  Pénumeration 
des  fruits  de  PEfprit  lîiet  la  charité^ 
au  premier  rang  ?     Les  frmts  de  PEfi] 
prit  font  la  charité^  la  joje  ^  la  paix  ^  '&c.  ' 
Ne  voyons  nous  pas  que  faint  Jean 
ait  expreiîement  {e),  que  Aï  chanté  efl 
de  Dteu^  6c  que  quiconque  avr/te  éfl  néde 
*J^ieu?  Ainfi  la  foi  ôc  la  charité  étant 
les  productions  de  la  grâce,  iî  eil 
évident  que  cette  grâce  cil  abfolu- 
nient  neceflaire  pour  faire  de  bonnes 
ceuvres ,  puis  que  les  œuvres  ne  font 

jamais 

{à)  lî.ThefT.  I.         {l)  Fhil.î.sp. 
{c)  Deut.  XXX.6.     {d)  Gai;  V.  2z. 
(«.  l.J-aa.  iV.  7. 


BONNES  OEuVRES.  157' 

jamais  bonnes ,  fi  elles  ne  font  faites 
avec  fci  ôc  avec  chanté. 
i      II.  Mais  outre  cette  preuve  indi^ 
JTefte  nous  en  avons  un  grand  nom- 
I  bre  d'autres ,  qui  font  plus  dire6les, 
èi  en  même  temps   convaincantes. 
'Car  premièrement  l'Ecriture    nous 
dit  nettement  6c  fans  détour  ,   que 
nous  fommes  de  nous-mêmes  incapa- 
bles de  faire  le  bien.     Le  mauvais  ar» 
bre ,  dit  Jefus  Chriit  (a) ,  ne  -peut  por-' 
ter  de  bons  fruits^     Sans  moi^  difoit-ii 
ailleurs  (h)  vous  ne  pouvez^  rien  fdre^ 
Comment  pourriez,  vous  bien  parler  étant 
méchans,  difoit-il  aux  Pharifiens  (c). 
Nul  ne  peut  venir  a  moi  fi  le  l?ere  qui  7rP(^ 
envoyé  ne  le  tire' (d).  S.Paul  n'eft  pas 
moins  formel  fur  ce  fujet.     Il  dit  {e) 
que  d^  nous  mepnes ,  nous  ne  fomm^es  pas 
^uffifans  de  penfer  feulement  une  bonne  cho^ 
'e.     Il  dit  (/)  que  la  chair  ne  fe  rend 
as  fujette  a  la  Loi  de  Dieu ,  &.  que  mef- 
me  elle  ne  le  peut, 

m.  Tous 

(^).  um.  vîli  18. 

{h)  Jean.  XV.  4.  (0  M2tth.XII.54,. 
{d)  Jean  VI.  44.  {i)  II.  Cor.  Uî.  j^. 
(/)  Rom.  VUi.  7. 


138  T   R   A  I  T  E*      D  E  s 

III.  Tous  ces  padage-s  difent  nette- 
ment àc  formellement  que  l'homme 
dans  fon  état  naturel  fe  trouve  réduit  ; 
à  une  impuilîance  abibluë  de  faire  le;| 
bien.  On  peut  y  en  ajouter  plu  (leurs  | 
autres ,  qui  à  la  vérité  font  figurez , 
èc  métaphoriques ,  mais  qui  déiignent 
vifîblementlamêmechofe.     Ce  font 
£eux  qui  nous  apprennent  que  Phom- 
me  efl  aveugle  à  l'égard  des  chofes  du 
Ciel ,  ôc  que  fon  efprit  eft  rempli  d'é- 
paiflès  ténèbres ,   qu'il  ell  efclave  dû 
péché  Ôc  du  démon ,  qu'il  efl  foible  & 
impuilTant ,  qu'il  efl  malade ,  &  enfia 
qu'il  efl  mort. 

On  y  peut  ajouter  encore  tous  ceux; 
qui  nous  reprefentent  les  opérations 
de  la  grâce  comme  une  illumination^ 
eomip.e  un  affranchiffement ,  comim 
une  création  ,  comme  une  viviiica 
tion ,  &  comme  une  vi6loire  que  Je 
fus  Chrifl  remporte  fur  nous,  fur  1 
péché  5  &C  fur  le  Démon ,  qui  s'étoi 
rendu  maître  de  nos  cœurs.  Tout  c 
la  joint  enfemble  nous  donne  un 
grande  idée  de  la  dépravation  de  nô. 
tre  nature,  6c  nous  fait  entendre  bie 

nette- 


BONNES  OEuVRES.  Igç 

lettemenc- que  pour  faire  le  bien  il 
lous  faut  de  toute  néceiîî té  unfecoui*s 
"urnaturel ,  qui  nous  mette  en  état  de 
"aire  ce  que  nous  ne  ferions  jamais  de 
îous  mêmes. 

IV .  Outre  tout  cela  PEcriture  nous 
ifTeure  pofitivement  que  la  grâce  pro- 
iuit  en  nous  les  bonnes  œuvres  qu'il 
3lOus  arrive  de  faire.  Que  peut-oa 
magîner  de  plus  fort  que  ce  que  S. 
Paul  dit  aux  Philippiens  (^^  que  c^efi 
Dtea  qui -produit  en  noHS  avec  efficace' le 
vouloir  &  le  parfaire  félon  fan  bon  plaifir  ?: 
Uvous  a  été  donné  gratuitement  pour  Chrift^, 
iit  ailleurs  ce  même  Apôtre  ,  de 
iroire  &  de  foujfrir  pour  fon  norrp.  C'eit 
pourquoi  ce  faint  homme  attribue  à 
la  grâce  tout  ce  qu'il  fait  de  plus  é- 
clatant.  f'^ai  travaillé  plus  que  tous  ^ 
iotnefots  non  point  moi ,  mais  la  grâce  de 
Dieu ,  cjui  cfh  avec  moi.  ?e  fms  crucife_ 
nvec  fefus  Chrifl ,  &vîs  ,  non  point  mainte-^ 
nant  moi ,  mais?.  Chrift  vit  en  moi.  Pou^ 
voit- il  dire  d'une  manière  plus  forte 
que  tout  ce  que  nous  faifons  de  bien  eft 
un  efiet  de  la  grâce ,  qui  le  fait  en  nous? 

V.  Si 

ia)  Phii. 


140       Traite'    des 

V.  Si  nos  bonnes  œuvres  étoieiit 
les  productions  de  nôtre  nature ,  iJ 
ne  faudroit  que  nous  exhorter  à  Ici 
faire  ,   pour  nous  y  porter  efficace^ 
nient;  6c  il  y  auroit  quelque  chofi 
d'abfurde  &  de  ndicule  à  dcmandei 
à  Dieu  que  noU'S  les  fi  liions.     Cette 
Gonfequence  efc  neceflaire  ,  &  il  évi. 
dente,   que  les  Payens  eux  mêmes 
Pont  apperçuè?.     En  efiet  Ciceroa^ 
qui  ne  iavoit  ce  que  c'eft  que  la  gra 
ce,  difoit  (a)  que  tous  les  hommes  dii 
inonde  conviennent ,  qu'il  faut  bien 
demander  le  bonheur  à  Dieu,  mais 
q^ue  chacun  doit  chercher  la  iageflè, 
en  foi  même,     fuducium.  hcc  omnium 
morti^ilium   efl  ,   fortunam  a  Deo  petefp* 
dam  ,    k  fe  ipfo  fumenâam   ejfe  fapien» 
tiam. 

Il  eft  pourtant  vi*ai  que  les  Saints 
ont  toujours  demandé  à  Dieu  ,  6€. 
pour  eux-mêmes,  &  pour  les  autres, 
la  grâce  neceiîaire  pour  faire  de  bon-; 
nés  œuvres.  C'a  été  toujours  Punj 
des  principaux  articles  de  leurs  prie-' 
rjs.     Ils  ont  conçu  cette  demaixle 


cm 


(a)  Cic.denat.Deor.  libjfl 


Il  BONNES   OEUVRES.  Î4Î 

Mîi  des  termes  extrêmement  forts. 
i/"oici ,  par  exemple ,  ce  que  S .  Paul 
lit  aux  Hebreîix  (aj.      Le   Dîen  de 

,  'aix ,  cjui  ar amené  des  morts  le  grand  Paf- 
\Hr  des  brebis  par   le  fang  de  P alliance 

àernelle  ^favoir  notre  Seigneur  fefm  Chrifi^ 

\wHS  rende  accomplis  ^n  toute  honne  œu- 
re ,  pour  faire  pivolonte\  faifant  en  vous 
qui  lui  efl  agréable  par  ^fus  Chrifi, 
'es  dernières  paroles  ne  font- elles  pas  déci- 
ves ?  Ce  qu'il  dit  aux  Thefialoni - 
iens  n'ell:  pas  moins  fort.  Le  Dieu 
e  paix  veuille  vous  fanBifier  entièrement  ^ 
r  votre  efprit  entier ,  &  Pâme  &  le  corps ^ 
it  confervé  fans  reproche  a  la  venue  de 
être  Seigneur  fefus  Chr'ifi,     I.    ThefT. 

VI.  Si  nos  œuvres  ctoient  nos 
ropr£S  produâ:ions  ,  ce  feroit  à 
ousà  les  promettre  à  Dieu,  6c  ce 
e  feroit  pas  à  Dieu  à  nous  les  faire , 
fperer.  C'eft  pourtant  ce  que  nous 
oyons  qu'il  fait.  Témoin  ces  paroles 
.'Ezechiel  (b},  ^e  fer^i  qprils  n'auront 
H  un  cœur ,   &  mettrai  en  mx  un  Efprit 

non' 

(^)  Heb  XIII.  20.  21. 
{h^  Ezech.  XI.  i^.io 


142.        Traite'    des 

nouveau ,  &poterai  le  cœur  de  fierre  hm 
de  leur  chair\  &  leur  donnerai  un  cœm 
de  chair ,  afin  qpPils  mar<:hent  en  mesftatuts, 
Çj*  c^H  ils  gardent  mes  ordonnances ,  &  cjh^H 
iesfapnt.  Et  ailleurs  (a),  fe  mettra, 
mon  Efprit  au  dedans  de  vous  ^  &  ferai  qm 
'VOUS martherez^en mes fiatuts ^  0"  que  vom 
garderez^  mes  ordonnances  ^  c^  les  ferez., 

VII.  Si  les  bonnes  œuvres  venoieni 
uniquement  de  nous ,  nous  pourrioa* 
bien  nous  en  féliciter  nous  mêmesi 
mais  il  y  auroit  quelque  chofe  de  ridi- 
cule à  en  rendre  grâces  à  Dieu .  Commt 
chacun  fe  procure  la  venu ,  diibit  Cice- 
Ton ,  il  nj  a  jamais  eu  de  Sage  qui  en  au 
rendu  grâces  a  Dieu^,  La  confequenct 
cft  neceiîàire ,  il  faut  Pavouer ,  maiî 
il  faut  bien  que  le  principe  foit  faux. 
Car  enfin  les  Saints ,  plus  fages  fan: 
comparaifon  que  les  Philofophes  dii 
Pagânifme  ,  ont  remercié  Dieu  , 
6c  de  leurs  bonnes  ceuvres  ,  6c  de 
celles  de  leurs  prochains,  Nou* 
devons  toujours ,  difoit  S.  Paul  aux  fi- 
délies  de  Thefiiilonique  [h)  ,  rendn 
grâces    a  Dieu    de    vous    comme    cefi 

bien 
CO    Eze,  XXXVI.  17.    (^)II.Tiieir.I.3. 


BONNES    OEUVRES.  I43 

fien  ratfon  ,  M'^autant  que  votre  foi  croit 

trandemem ,  '&  qtte  la  chante  de  chacun  de 

\'Qusabond.e  de  Chu  envers  l'autre.  Il  dit  à 

j>eii  prés  la  même  chofe  aux  fidelles 

|es  autres  Eglifes ,  à  qui  il  écrit ,  &  on 

k'a  pour  s'en  afTeurer ,  qu'à  lire  les 

ipremieres paroles  de  fes  Epîtres.  On 

jjr  verra  que  cet  Apôtre  les  commence 

outes  par  des  aélions  de  grâces  qu  il 

>refente  à  Dieu  en  reconnoiffance  de 

a  grâce  qu'il  a  faite  aux  fidelles,  leur 

bnnant  le  moyen  de  faire  les  œuvres, 

ont  le  bruit  eft  parvenu  jufqu'à  lui. 

Cefentimentmême  eft  (i  commun 

lans  l'Eglife ,  que  le  Fils  de  Dieu  l'at- 

ribue  à  cePharifien,  qu'il  nous  re- 

>refente  comme  un  monilre  de  va- 

uté.     Seigneur^   lui  fait-il  dire ,  j> /^ 

ends  grâces  de  ce  que  je  ne  Cuis ^ as  comme 

refle  des  hommes  ^  ni  même  comme  ce  Péa- 


er  &c. 


VIIÏ .  Si  nous  étions  les  feuls  auteurs 
e  nos  bonnes  œuvres ,  il  nous  feroit 
)ermis  de  nous  en  applaudir ,  6c  de 
lous  en  glorifier.  On  nous  loue  a  eau- 
?  de  U  venu ,  ^ifoit  Ciceron ,  &  nous- 
\Qtis  en  glorifions ,  ce  que  nom  ne  ferions  pas 

fi 


144  ■  T  R  A  I  T  e'    DES 

fi  c^étoit  un  don  de  Die^.  Mais  comme 
l'Ecriture  nous  le  défend  ,  il  faut 
croire  que  nos  œuvres  viennent  d'ail- 
leurs que  de  nous.  jQjfas^tH,  S  hom' 
me,  que  tu  nayes  reçu}  Et  fi  su  tas  re- 
çû  ^  fourquoy  t'en  glorifie  tu  ^  compte  fi  th 
ne  Pavois  point  reçâ  f 


I 


CHAPITRE    XVII. 

Que  les  enfans  de  Dieu  font  des  ceuvm 
qui  font  véritablement  bonnes» 

C'Eft  là  ce  qu^il  y  a  de  plus  né- 
celTaire  pour  faire  de  bonnes 
œuvres.  De  forte  que  fi  on  en  fait 
de  celles  qui  ne  manquent  d'aucune 
de  ces  conditions ,  il  n'y  a  point  de 
doute  qu'on  n'en  fafle  de  celles  qu'on 
peut  appeller  bonnes ,  fans  s'écarter 
de  la  propre  6c  naturelle  fignifica' 
tion  de  ce  mot.  Il  eft  pourtant  vrai 
que  toutes  ces  conditions  fe  trouvent 
dans  pluiieurs  des  œuvres  des  enfans 
de  Dieu. 

Elles. 


BONNES  OEuvRî:y.  145' 
Ellcîî  font  commandées  de  Dieu ,  ëc 
conformes  dans  Jeur  fonds ,  &  dans 
leurrubftance,àrafainteLoi.  11  nous 
a  commandé  de  croire  en  lui ,  de  le  r€- 
Yerer ,  de  l'aimer,  de  Padorer,  de 
l'invoquer,  de  lui  rendre  grâces  de 
fes  bienfaits ,  de  rendre  à  chacun  le 
fien,  d'afîiiler  les  povres ,  d'inftruirc 
les  ignorans  ,  de  confoler  les  affli- 
gez ,  de  protéger  ceux  qu'on  oppri- 
me ,  de  fôuiFrir  les  maux  dont  il  lui 
plaît^de  nous  yiiiter.  Et  pluiieurs  le 
font. 

Ils  font  d'ailleurs  tout  cela  en  la  ma- 
nière en  laquelle  Dieu  veut  qu'on  le 
faile.  Ils  le  font  volontairement.  Ils 
le  font  avec  foi  $c  avec  am^our.  Ils  le 
font  pour  plaire  à  Dieu ,  êc  pour  avan- 
cer fa  gloire .  Qui  peut  douter  après  ce- 
la que  ce  ne  foient  de  bonnes  a6tions  ? 

Mais  rien  ne  prouve  plus  fortement 
cette  vérité ,  que  l'origine  de  ces  ac- 
tions. Nous  avons  fait  voir  qu'elles  ne 
v'ennent  pas  delà  nature,  mais  de  la 
grâce.  Nous  avons  prouvé  que  ce;  font 
les produél ions  6c  les  ouvrages  du  S. 
Efprit.  Cela  feul  ne  fait-il  pas  voix  que 

G  ce 


146  Traite*  des 

ce  ne  font  pas  des  péchez',  comme  on 
nousaccufe  de  Penfeignerf  Car  d'un 
côté  ne  feroit-ce  pas  blafphcmer  con- 
tre ce  glorieux  Efprit ,  que  de  Pac- 
cufer  de  produire  en  nous  des  péchezf 
Etde.Pautre  fommes  nous  de  telle 
façon  difpofez  qu'il  nous  faille  un  fe- 
cours  furnaturel  pour  commettre 
quelque  péché  que  ce  foit? 

Nos  œuvres  font  agréables  à  Dieu. 
C'efl  ce  que  PEcriture  afîèure  en  di-  ' 
vers  endroits.  Il  faut  donc  qu'elles 
foient  bonnes.  Car  fi  elles  ne  Pétoient 
pas,  elles  lui  déplairoient.  Selon  le 
Prophète ,  fis  jeux  fom  trop  purs  pour  voir 
le  mal^  c'eil  à  dire  pour  Papprou-| 
ver.  ^ 

On  dira  peut-être  que  li  nos  œuvres 
lui  font  agréables ,  ce  n'eft  pas  par  el- 
les-mêmes qu'elles  le  ibnr ,  mais  par 
Jefus  Chrift ,  dont  le  mérite  en  cou- 
vre les  imperfe étions.  C'efl  ce  que 
je  n'ai  garde  denier.  Mais  je  dis  qu'il 
y  a  bien  de  la  difièrence  entre  cou- 
vrir les  défauts  d'une  œuvre  imparfai- 
tement ,  mais  auffi  véritablement  bon- 
ne ,  &  obtenir  le  pardon  d'une  aftion 
mauvaifc.  Le 


BONNES  OEuVRES.  147 

Le  mérite  de  Jefus  Chriil:  fait  le 
■premier  de  ces  deux  effets  à  Pégard 
de  nos  bonnes  œuvres ,  comme  nous 
le  verrons  dans  la  fuite.  Mais  il  ne 
fait  le  fécond  qu'à  l'égard  de  nos  pé- 
chez. Et  comme,  bien  que  le  méri- 
te de  Jefus  Chrift  nous  obtienne  la 
remifîîon  de  nos  péchez,  on  ne  peut 
pas  dire  qu'il  rend  ces  pecîiez  agréa- 
bles à  Dieu  ,  comme  l'Ecriture  le  dit 
de  nos  œuvres ,  il  faut  necelîairement 
reconnoitre  que  ces  oeuvres ,  que  le 
mérite  de  Jefus  Chrift  rend  agréables 
à  Dieu.,  ne  doivent  pas  être  des  pé- 
chez, mais  des  œuvres  véritablement 
bonnes ,  quoi  que  mêlées  de  plufieurs 
défauts. 

Dieu   n^approuve  pas  feulement 
nos  œuvres.     11  les  recompenfè  en- 
i  core  magnifiquement.     Abraham^  ne 
cram  pemt ,  je  fuis  ton  bouclier  &  ta  re» 
comfenfe.     RejouijfeTi'VOHs ,  var  votre  re^ 
compenfe  eft  grande  dam  le  Ciel.    Un  ver* 
\  re  d'^eau  froide  ne  demeurera  fas  fans  re^ 
'\  €omfenfe.    Ceci  arriveroit-il  fi  toutes 
nos  bonnes  œuvres  étoient  des  pé- 
chez ?  Recompenfè -t'on  les  outra- 
G  %  ges? 


Ï48  .        T  R  A  ï  T  e'    D  E  s 

gesf  Et  n'efl-ce  pas  une  grande  grâ- 
ce de  les  oubliera'  n'efl-œ  pas  là  auffl 
ce  que  Dieu  promet  ? 

Nos  œuvres  font  neceflliires ,  com- 
me j'efpere  de  le  faire  voir  dans  la  fui- 
te .  Le  feroient-elles, (î  elles  étoient  de 
véritables  péchez  ?  Faut  -  il  pécher 
pour  parvenir  aufalut? 

Les  péchez  nous  éloignent  du  Ciel, 
6c  les  bonnes  œuvres  nous  y  condui- 
fent.  Elles  font  le  chemin  qui  nous 
meine  au  trône ,  quoi  que  ce  ne  foient 
pas  le  fondement  du  droit  que  nous  y. 
avons.  Nousenapprocheroient  elles, 
ii^c'étoient  autant  d'outrages  que  l'on 
fit  à  Dieu  ? 

Nos  œuvres  glorifient  Dieu.  C'efl 
ce  que  j'ai  juftifié  dés  le  premier  cha- 
pitre de  ce  Traité.  Elles  répandent 
de  tous  cotez  la  bonne  odeur  de  l'E- 
vangile. Elles  confondent  les  enne- 
mis de  la  vérité.  Feroient-elles  tous 
ces  effets  ,  fi  c'étoient  autant  de  pe-^ 
chez? 

C'eil-là  la  véritable  &  confi:ant( 
dpftrine  de  nosEglifes,  comme  M.' 
le  Blanc  l'a  fait  voir,  6c  par  letémoL 

ignage 


BONNES   OEUVRJÎS.  149 

,  lage  de  nos  meilleurs  Ecrivains, 
iv  par  les  propres  paroles  de  nos  Con- 
ieffions  de  foi.  De  forte  que  rien 
n'eft  plus  injufbe  ,  que  Pacufation 
dont  on  nous  charge ,  foute nant  que 
nous  croyons  6c  enfeignons  le  con- 
traire. 

Je  fai  que  pour  appuyer  cette  ac- 
cufation,  on  produit  quelques  expref- 
:ons  un  peu  dures  d'un  petk  nombre 
e  nos  Auteurs.  Mais  outre  que  les 
excès  de  quelques  particuliej's  ne  doi- 
vent pas  être  imputez  à  tout  le  corps 
qui  les  defavoue ,  il  eil  certain  que 
ces  exprefîions  mêmes  peuvent  rece- 
voir un  bon  fens ,  6c  il  paroît  d'ail- 
leurs que  ce  fens  efl  celui  qu'il  leur 
faut  donner,  cela  ,  dis -je  ,  paroît 
par  d'autres  endroits  ,  où  ces  mê- 
mes Auteurs  ont  dit  fans  détour  ce 
que  nous  croyons,  fa  voir  que  nos  œu- 
vres foiit  bonnes,  ôc  le  font  vérita- 
blement.   - 

On  dira,  peut-être ,  que  quoi  qu'il 

en  foit  de  nos  Théologiens  ,   Efaie 

dit  formellement  le  Contraire ,   foû- 

tenant  que  toutes  nos  juflices  jont  comme 

■  G  3  un 


I JO  T  R  A   I  T  E*    D  E  s 

fin  drapeau  J(. mile .  Ef.  LXIV.  6.  Mais, 
il  eil  aifé  de  répondre  que  ce  que  le 
Prophète  dit  en  cet  endroit ,   ne  re- 
garde ,  ni  tous  les  hommes ,   ni  me-. 
me  tous  les  pécheurs ,  mais  feulement 
les  Juifs  de  fon  temps.      G^efl  une 
humble  confefîion  qu^il  fait  à  Dieu 
de  Pétat  dépljorable  de  l'ancienne  E- 
glife  ^  6c  des  péchez  par  lefquels  elle' 
av.oit  attiré  fur  elle  cet  êpouventable 
fléau  ^  qui  Paccabla  '  quelque  temps»' 
après ,  je  yeux.dii'e  la  captivité  de  Ba* 
byione; 

Ce  il  ce  qui  paroît  clairement  fi 
Pon  confidere  l'endroit  dans  toute  fon- 
étendue.  Le  voici*  Nous  fommes.  tous 
devenus  comme  une  chofe  fonillée  ^  (fr  ton- 
tes  nos  juiftices  font  comme  U  drapeau  fomU 
téj  nou^s,  [vînmes-  tous  décheus  comme  les 
feuilles.^  C^nos  in^mtez^  nous  ont  tranfpor^. 
Uz.  comme  le  vent.  Et  il  n''j- oi  personne  qui^ 
reclame  ton  nom^  cjui  Ce  réveille  pour  fe  te* 
nir ferme  a  toi,,  Cefl  pourquoi  tu  as  ca^ 
ché  ta  face  arrière  à.e  nous ,  (3"  nous  as  faits 
fondre  par  la  for  ce  de  nosini^uitez., 

Qni  ne  voit  qu'il  s'agit  là ,  non  de 
t-ous  ics  juftes  qui  ont  jamais  été ,  & 

qui 


BONNES     OEuVRES»  I5I 

qui  feront  jamais  dans  le  mondé,  non 
même  des  juftes  d'alors  ,  mais  des 
pécheurs  feulsf  Encore  n'eil-ce  pas 
tout.  Qui  ne  voit  qu'il  s'agit  de  ces 
fe-uls  pécheurs,  qui  dans  ce  temps-là 
vivoient  dans  la  communion  exté- 
rieure de  l'Eglife/'  En  effet  pourroit- 
on  dire  des  juftes,  qu'ils  ne  recla- 
moient  pas  le  nom  du  Seigneur ,  ôc 
qu'ils  ne  s'excitoient  pas  pour  tenir 
ferme  devant  lui?  Quels  juftes  au- 
roient-ils  été,  fi  on  eût  peu  leur  faire 
de  tels  reproches  ?  Ceci  donc  ne  re- 
garde pas  les  gens  de  bien  ;  mais  les 
impies ,  6c  les  reprouvez ,  qui  faifoient 
par  tout  le  grand  nombre.  C'eft  ce 
que  Calvin  reconnoît  dans  fon  Com- 
mentaire fur  Ge4)affage» 


O  A-  C  Al  A» 


1 5i  T  R  A  1  T  e'    D  E  s 


CHAPITRE    XVIIL 

Que  les. œuvres  des  enfans  de  Die-u  ne  font- 
bonnes  qHi?r/farfaiter/^€nt, 

E  que  je  viens  de  dire  fait  afTez 
voir  que  les  œuvres  des  enfans 
de  Dieu  ont  une  véritable  bonté. 
Mais  il  faut  bien  fe  garder  de  s'im?.* 
f^iner  que  cette  bonté  foit  une  bonté 
parfaite  &  achevée.  Elle  a  fes  dé- 
fauts &  fes  manquemens,  qui  font 
que  ks  plus  excellentes  de  ces  œu-^ 
vr^s  ont  befoin  du  fùpport  &  de  la 
mifericorde  de  Dieu  ,  6c  font  hors 
d'état  de  foûtenir  l'examen  de  ^fa  fe- 
vere  jufiice  ^  fuivant  cette  parole  cé- 
lèbre de  S..  Auguilin ,  C^tdheur  a  U 
vie  des  hommes^  quelque  louable ,  qu  elle 
fmfeêtre^JtDtpiU  regarde  fins  miféri^ 
corde. 

Je  fai  que  ces  œuvres  font  bonnes 
dans  leur  fond  &  dans  leur  fubftance^ 
étant  toutes  commandées  de  Dieu  ,  8c. 

é.tan.t: 


p 


BONNES   OEUVRES.  îf^ 

I  étant  en  cela  même  conformes  à  fa 
■:.  iainte  loi,   la  règle  parfaite  de  la  julli- 
I  ce.  Je  fai  encore  qu'elles  font  bonnes 
I  dans  la  forme  &  dans  la  manière,  é- 
tant  accompagnées  des  conditions  , 
qui  leur  font  les  plus  necejGTaires.     Je 
fai  enfin  qu'on  les  fait  par  de  bons 
principes ,  étant  faites  avec  foi ,  &  par 
un  mouvement  d'amour  pour  Dieu , 
par  un  véritable  defir  de  lui  plaire. 
Mais  je  fai  auffi  que  ces  principes  in- 
ternes de  nos  actions  ne  font  pas  tels 
qu'ils  devroient  être 

Nôtre  foi  eft  toujours  foible  ,^6c 
beaucoup  moins  feriirc,  qu'il  ne  feroit 
juile  qu'elle  fût.  C'eft  pourquoi  les 
Saints  ont  toujours  demandé  à  Dieii 
qu'il  lui  plût  de  la  fortifier  &  de  Pi^jt 
fermir.  Témoin  la  prière  des  Apôtres^ 
Seiçne^r  augmente  nous  la  foi  ,  ôc  celle 
du  Père  de  Tenfant  lunatique ,  fecroi^. 
Seigneur^  mais fkkvien  a  .mon  incréduli- 
té. De  là  vient  que  faint  Paul  après 
avoir  rendu  témoignage  à  la  foi.  des 
Ephefiens  ,  ne  laiile  pas  de  de- 
mander à  Dieu  en  leur  faveur 
lîËfprit  de  fagcile  &  de  révélation,^ 
G  5  favoir. 


if^        Traite^    i>e  s 

lâvoir  5,  ajoute- t-il ,  les  yeux  de  leur 
entendement  illuminez  ,  afin  qu'ils 
fiicbent  quelle  eft  Pefpérance  de  leur 
vacation,  6c  quelles  font  les  richefîes 
de  la  gloire  de  leur  héritage. 

Je  disla  mêmechofede  Pamaur  de 
Dieu,  qui: eft  un  principe  plus  pro- 
chain &  plus  immédiat  de  nos  œuvres 
que  la  foi  même.  Cet  amour  n'a  ja^ 
mais  la  ferveur  6c  la  véhémence  qu'il 
devroit  avoir.  Jamais  nous  n'aimons 
Dieir  de  tout  nôtre  cœur,  de  tou- 
te nôtre  ame  ,  6c  de  toute  nôtre 
penfée.  Jamais  nous  n'aimons  Dieu- 
avec  les  mêmes  tranfports  6c  la  mêma 
ardeur ,  avec  laquelle  les  amBitieux: 
foûpirent  après  les  vaines  grandeurs 
du  monde  ^  les  avares  après  leurs  rir 
chefles ,  les  volupteux  après  les  plai- 
firs. 

Fer  forme  ^  di  t  S .  Auguft  i  n  dans  fa  29 1 
Lettre  à  S.  Jérôme,  perjome-  na  fen-^ 
dant  cette  vie  ^  cette  charitd pleine  ^  para- 
fait e  ,  <^pti  ne  pefit  pins  être  am  ment  de.  Que 
fi  sUe  peut  être  auçmentéje ,  ce  qui  lui  man-^ 
(jue  de  ce  cju^elle  devroit  avoir ^  fait  un  dé- 
faut 5  ^  ce  défaut  fait  qu'il  nj  a  point  de 

h 


BONNES    GEUVRES.  ÏJf 

,  jafiefHr  la  terre ,  ^Htfajfe  du  bien ,  &  '^ui  ne 
pèche.     Ce  défaut  fait  que  nul  vivant  ne 

\  fera  jujlifié  en  prefence  de  Dieu.  Ce  dt^ 
faut  fait  que  f- nous  difons  que  nom  n^ avons 
point  de  péché ,  mus-nom  trompons  nouS" 
mêmes  ^  &  la  vérité  n^efl pas  en  nous.  Cefh 

\\  pourquoi  auffi  quelques  progrés  que  nous 
puiffions  faire  ^  nous  devons  dure  ^  Seigneur ^ 

I  pardonne  nous  nos  péchez..  Et  dans  un 
autre  endroit.  On  pèche ,  &  lors  qu'ion 
n'a  point  de  charité ,  0"  lors  qu'on  n'en  a, 
pas  autant  quilfaudroit ,  foit  quon  puiffe 
éviter  ceci ,  foit  qtî^on  ne  le  puiffe.  De  per~ 
fcft.juftit.refp.  if. 

Mais  cette  vérité  eft  fi  évidente 
<|u'il  ne  faudroit  que  s'oblerver  ^vec 
tant  foit  peu  de  foin  5  6c  que  prendre 
garde  à  ce  qui  fe  pafîe  au  dedans  de 
nous  5  pour  en  demeurer  convaincu. 
On  ne  fait  jamais  une  œuvre ,  qui  ait 
quelque  beauté ,  6c  confèquemment 
quelque  difficulté  particulière ,  fans 
être  obligé  à  vaincre  des  répugnances 
que  la  chair  y  oppofe ,  6c  qu^elle  foû- 
îéve  au  fond  de  nos  cœurs.  Quels 
combats  ,  pur  exemple,  ne  faut -il 
pas  foûtenir  contre  les  foiblelfes  de 

G  6  la 


I  fô  T  R  A  I  T  E^     D  E  s 

la  nature,  lors  qu'on  efl appelle , (bib 
il  abandonner  tout  fon  bien  pour  la: 
profefiion  de  la  vérité,   {bit  à  fceller. 
cette  vérité  par  le  martyre  ?     Je  fai 
^   qu'on  en  vient  à  bout.  Mais  je  fai  auf- 
û  qu'il  en  coûte  cher  à  la  nature ,  ëc 
qu'on  ne  remporte  cette  viétoire  qu'a* 
prés  de  rudes  combats  ,  qui  font  que 
l'aétion   n'eil:  pas.  à  beaucoup  prés^ 
auffi  belle  qu'elle  feroit ,.  ii  l'efprit- 
étoit  tellement  maître   de  la  chair  ^ 
qu'il- ne  trouvât  point  de  refîilance. 
qu'il  lui  falût  vaincre. 

Les  diftraélions  qui~  nous  arrivent: 
dans  nos  prières  ,  dans  l'ouie  6c  la 
lecture  de  la  parole  de  Dieu ,  prou- 
vent encore  la  même  chofe.  Les 
plus  faints-  n'en  font  pas  exempts  V 
5c  il'  n'y  a  perfanne  qui  ne  s'en  plai- 
gne.. Peut-on  cependant  nier  que 
cela  n'altère  &  ne  diminue  confide- 
rablement  la,  bonté  de  nos  actions? 
Je  dis  lame  me  chofe  de  certains  mou- 
vemens  de  vanité  ,  dont  on  fe  fent 
cbùtouillcr  loi*s  qu'on  fait  quelque 
îtclion.  d'éclat,  6c  qui  a  quelque  cho- 
fe 


B0NNES  OEuVRES.  l:^=f 

jE  d^'extraoïxlinairc.  On,  les  réprime  j 
©nies  étouffe,  je  Pavoiië.  Mais  on. 
ne  les  étouffe  qu'après  qu'ils  fe  fons 
formez ,  6c  qu'ils  ont  par  confcquent 
fali  l'aétion  qui  en  eille  fujet. 

La  raifon.  de  tout  ceci  c'eft  que- 
lors  que  la  grâce  nous  régénère ,  elle 
ne  détruit  pas  tout  à  fait  ce  principe 
de  corruption  qu'elle  trouve  en 
nous.  Elle  fe  contente  de  le  morti- 
fier, ôc  de  l'affoiblir ,  jufqu'à  ce  qu'il 
foit  anéanti  par  la  mort..  ILfubfifte 
toujours  dans  les  plus  faintsjufqu'aux 
derniers. momens  de  la  vie,  6c  s'op- 
pofe  de  toute  fa  force  à  tout  ce  que 
nous  pouvons  faire  de  meilleiu*..  C'eft 
là  ce  combat  de  la  chair  contre  l'ef- 
prit,  dont  parle  faint  Paul  Gai.  V, 
17.  Z.^  c/?/i/r ,  dit  -  il ,  convoite  contre 
Pejprît  ^  &Pefprit  contre  la  chair  ^  ér  ces. 
ohofes  font  oppoÇées-Pune  a^  ï  autre  ^tellement  y. 
ajbûte-t-iL,,  qtie  vous  ne.  faites  ^as  ce  que 
■vous  voudriez^. 

De  là  vient  que  nos  meilleures- 
©euvres  reçoivent.  Pimprelîion  de  ce,' 
double,  principe  ,  &  que  ce  que  ki 

grâce: 


m 


îv^S  TT  R  A  I  T  e'    D  E  s 

grâce  y  met  de  bien  efl  afïbibli,  & 
©ffufqué  parla  chair.  De  là  vient  en-, 
€ore  que  nos  meilleures  œuvres  ont 
Befoin  que  le  mérite  de  Jefus  Chrift 
en  couvre  les  imperfèftions.-  Etc'clt 
là  aufli  ce  que  S.  Pierre  nous  fait  clai- 
rement entendre  ,  lors  qxiHl  afleure 
que  les  facrifices  fpii'i tuels  que  nous 
offrons  à  Dieu ,  lui  font  agréables  par 
Jefus  Chnil.  Ils  le  feroientpai*  eux- 
mêmes  ,  s'ils  n'avoient  point  de  dé- 
fauts-.  Mais  iljkut  bien  qu'ils  en 
aient ,,  puis^  que  nous  avons  befoin 
du  mérite  de  ce  grand  Sauveur  pour 
ies  rendre  agréables  à  fon  Père  5.  à 
qui  nous  les  prefentons». 


CHLfl-- 


BOÎ^NES  OEUVREÎ.  tf^ 


CHAPITILE   XIX. 

Comment  ilfe  ^eutcfuemsaSiions  efïantim^ 

parfaites  j  elles  (aient,  verital?!^ 

ment  bonnes, 

E  conclus  de  tout  ce  que  je  viens 
de  dire  que  nos  œuvres  font  bon- 
nes5&  vraimenrbonneSjSt  qu'avec 
cela  neantmoins  elles  ne  lâiflènt  pas; 
d'avoir  di:s  défauts .     Mais^  dit  -  on  ^^ 
la'eft-ce  pas  là  une  véritable  contra- 
diftion?  Car  n'eil-il  pas  vra  qu'il  y 
a  cette  différence  entre  le  bien,  et  le 
mal  ,  qu'un  feul  défaut:  fuffit  pour/ 
faire  le  mal,  6t que plufieurs  perfec-> 
tions  ne  fuffifent  pas  pour  faire  le  bien,.^ 
lors  qu'il  yen  manque  une  feule  quic 
étoit  neceflaire  ?  Sofmm  ex  intégra  cau^^ 
sa  5  maltim  excjuoms  defeBu ,  dit-on  or- 
dinairement. Si  donc  aos  œuvres  on^- 
un  feul  défaut,  ce  feront  de  vérita- 
bles péchez,  &  à  plus  forte  raifoixfii 
eUeaeaont  plufieurs- 


Ï^O  T  R  A  I  T  E      0E  S 

D'ailleurs,  dans  cette  fuppofitiodi 
quelle  diflerence  y  aura-t-il  entre  lei 
;  àftions  des  enfansde  Dieu,  êc  celles"^ 
de  plufieurs    pécheurs.      Celles -cr. 
Ibnt  bonnes  dans  leur  fubflance ,  ôr.| 
ne  font  mauvaifesque  dans  la  maniera;- . 
Si  celles  des  enfans  de  Dieu  ont  le. 
même  défaut,  d'où  vient  que  Dieu 
accepte  les  unes  ,  &  rejette  les  au-- 
ti*es?     Un  tel   procédé  n^efl-il  pas. 
direâiement  oppofé  à  ce  que  dit  TA- - 
pôtre-fâint  Pierre  f  Enveïitéfapferçou, 
CjUe.jyieu  n^ a, -point  d'égard  a  ^apparence- 
des  perfonnei^  mais  qu'en  toute  ^nation,  cC'- 
lui  qui  le  eraim  ,    dr  s"^ adonne  a  la  ju(li~ 
ce  ,.  lui  efi  agréable,     A<3:.  X.  verfet 

Ces  deux  objeétions  paroiflent  prei- 
fentes ,  mais  nos  Doéleurs  y  ont  ré- 
pondu.fort  folidemcnt.  Ils  ont  re- 
marqTî-é  que  nos  aébions  peuvent  a- 
voir  deux  divers  ordres  de  défauts , 
les  uns  qu'on  peut  nommer  eile-ntiels, 
les  autres  accidentels..  Je  mets  au 
premier  rang  Pabience  de  quelqu'u- 
ne des  conditions,  que  j'aiindiquées 
dans  les  chapitres  précedens.  De  cet- 


BONNES    OEuVRES.  î6ï 

manière  une  a6tion  efl  dcfc61:ueu= 
i  j,  lors  qu'elle  n'eft  point  comman- 
dée, ou  que  l'étant  elle  n'eft  pas  vo- 
lontaire ,  ou  qu'étant  commandée  6c 
volontaire  on  ne  la  rapporte  pas  à  Dieu 
comme  à  fa  dernière  fin,  lors  que  la 
foi  ôc  la  charité  ne  portent  pas  à 
la  faire. 

Les  défauts  accidentels  font  ceux , 

uiconfiftent  dans  l'imperfection  de 

ces  mouvemens  intérieurs,   qui  font 

leur  bonté.     Par  exemple,  lors  que  la 

i  foi  n'eft  pas  aiTez  ferme ,  ni  la  charité 

affez  fervente.  Cela  fait ,  non  une  im- 

I  perfeéîrion  d'eftence ,  mais  uneimper- 

\  feébion  de  degrez ,  6c  par  confequent 

une  imperfeétion  accidentelle. 

Les  défauts  du  premier  ordre  ren- 
dent mauvaife  l'aâion  où  ils  fe  trou- 
vent :^  Et  c'eft  ce  qu'on  voit  dans  les 
actions  des  pécheurs ,  que  la  grâce  n'a 
pas  encore  régénérez.  Elles  man- 
quent toujours  de  quelque  condition» 
eÛentiellement  neceffaire ,  tel  qu'eft; 
en  particulier  le  rapport  de  l'ac- 
tion à  Dieu  comme  à  fa  dernière  fin.. 
Ce  défàu^t  étant    eftentiel  ^    il  fais 

qug; 


I  6l  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

que  Paétion  n'efl  nullement  bonne., 
ou  nel'eft  du  moins  qu'en  apparence» 
Mais  les  défauts  du  fécond  ordre  ne 
font  pas  le  même  effet.  Ils  font  bien- 
que  Paftion  n'efl  bonne  qu'imparfai- 
tement, mais  ils  ne  font  pas  qu'elle 
foitmauvaifè. 

Il  y  a  donc  bien  de  la  différence  en- 
tre les  aâiions  de  Dieu ,  &:  celles  des 
pécheurs.  Celles  des  derniers  ont  de»  . 
défauts  effentiels ,  ôc  par  confequent 
font  de  véritables  péchez.  Celles  des- 
premiers  n'ont  que  des  défauts  acci^ 
dentels ,  6c  par  confequent  ne  laiffent 
pas  d'être  bonnes.  Ainfî  il  n'eft  pas 
étonnant  que  Dieu  rejette  tes  unes  ôc 
accepte  les  autres. 

Un  Scholaflique  moderne ,  &  fort 
cftimé  dans  la  communion  Romaine , 
nommé  Vincent  Contenfon,  va  beau- 
coup plus  loin.  Il  foûtient  qu'une 
aétion  peut  être  bonne ,  étant  faite  par 
deux  motifs  ,  l'un  bon  ,  6c  l'autre 
mauvais.  Voici  l'exemple  qu'il  en 
donne.  Un  homme  va  à  PEglife 
pour  y  faire  fes  dévotions.  Il  trou- 
ve à  la.  porte  un  povre  qui  lui  deman- 
de 


BONNES  OEuVRES.  165 

de  Paumône.  IleftaiTez  charitable 
pour  la  lui  donner.  Mais  peut-être 
ne  ladonneroit-il  pas  fl  promptement,. 
ou  fl  largement,  fi  perfonne  ne  1ère- 
gardoit.  II  Mt  qu'il  eil  veu  de  plu- 
fieurs,  qui  prennent  garde  à  cequ^il 
fera.  Ainfî  la  vanité  fè  joint  à  la  cha- 
nté, &  fait  qu'il  s'em p relie  à  donner^ 
èc  donne  même  plus  abondamment 
qu'il  ne  fèroit  ians  cela.  Par  confé- 
quentla  charité  &  la  vanité  s'uniiTent: 
enfemble  pour  porter  cet  homme  à 
don  ne  r  l'aumô  ne . 

Le  cas  eft ,  non  Êulement  poflible^ 
mais  très  ordinaire.  Toute  laqiief- 
tion  fë  réduit  à  fa  voir  fi  une  telle  au^ 
mône  doit  pafièr  pour  une  bonne  œu- 
vre, ou  pour  un  péché.  Côntenfon 
foûtient  qu'elle  eft  l'un  6c  Pautre, 
Il  paiTe  même  jufqu'à  foutenir  que 
s'il  en  étoit  autrement  à  peine  les  plus, 
feints  feroient-ils  de  bonnes  œuvres,, 
n'y  en  ayant  prefque  aucune,  dont 
quelque  défaut  femblable  n'altère  la 
pureté.  Voici  fcs  paroles.  %atiokpf- 
uriori  efi.^  (jmajkpe  ^  &  fere  femper  ^  con^ 
iingit  a^  hj  bonos  fipervememis  finis ,  vd^ 


l6.'^  T  R  A  î  T  e'    D  EJ  s 

6trc'4nftanîiarum  malhia  ,  veluti  terrent 
halttti  ohnuhJUri  :  cum  enim  nullus  fé^- 
r.e  fit  atitis  bonus  in  viris  etiam  -fanEii^ 
qnmtumvis  vigilantihm  ,  cm  tn  hac  ^'/- 
ta  non-  défit  t^ltqua  circumftantia  ;  vel  non. 
admifi:eàîHr  altqua  mala  ,  licet  levis ,  fe- 
c^ueretHr  mdlum  d^ri  aU^Pim  meritorium  ,.' 
fi  qUavu  circundantia  'veniah  in  aBum 
quemlibet  heroicum  urepente ,  tota  bonttas^ 
extingnatur  s  merituryu  emm  foli  innixum 
efi  bonitdti ,.  qnâ  ajfumptâ  omnis  ope' 
vum  fruBus  perdatur  necefje  efi.  Confie^ 
qmns  dutem  efi  valde  durptm ,  irm  &  Ta* 
trum  dolhintz  ,  es  fi^avi  ,  &  fi>Uto  fitm» 
miProviforis  modo  agendirepugnans.  Et 
enim  Itcet  SanBi  fat^antUr  omnes  jufiitias 
Çnas  efie  tanquam  pannum  menfi-ruat^  , 
ideoque  fie  fiervQS  inutiles  pY(zdiçent\  non  ta* 
men  defpond.ent  dnimum  ,  nec  corde  ca^ 
âunt  ^  fied  boms  operibus  incejfanter  infif-^ 
tunt ,  fiientes  quod  Deus  ,  qui  fcrMatnr 
renés ,  c^  cord,a,  feparabit  pretiofiûm  a  vi-^ 
U.  c^c.  Cont.  Theol.  mentis  &-  cordis 
Ub.  KL  Dijf.  2.  cap.  i.fpec.  2. 

I 
Il  attribue  le  même  fentiment  à 

Cajetan ,  ôc  à  un  Dominicain  Efpa- 

gnol. 


BONNES  OEuVRES,  l6y 

gnol ,  fort  eilimé  dans  fon  ordre  , 
nommé  Jean  de  faint  Thomas.  Les 
raifons  qu^il  en  donne  dans  la  fuite 
me  paroilfent  un  peu  ab  lirai  tes. 
Mais  en  voici  de  plus-  aifées  à  com- 
prendre ,  6c  de  plus  proportion- 
nées à  la  capacité  de  toute  forte  d'ef- 
prits.  - 

Premièrement ,  on  ne  peut  douter 
<que  Dieu  n'ait  diverfes  fois  recom- 
penfé  de  cette  forte  d'actions.  L'e- 
xemple jlcs  Sages-femmes  d'Egypte, 
ÔC  celui  de  Rahab ,  le  font  voir  avec 
■évidence.  Elles  firent  de  bonnes  ac- 
tions ,  les  premières  en  épargnant  les 
enfans  des  Ifraëlites,  6c  la  féconde 
en  cachant  leurs  Efpions.  Mais  el- 
les fouillèrent  k  bonté  de  leurs  ac- 
tions par  des  menfonges.  Et  Dieu 
nonobftant  ces  menfonges  recompen- 
fa  leurs  aétions.  Ne  peut-on  pas  en 
conclure  qu'il  y  avoit  quelque  cho- 
fe  de  bon  dans  ces  aétions  ?  Car  enfin 
eft-il  concevable  que  Dieu  ait  recom- 
penfé des  péchez? 

On  dira  peut  être  que  cette  raifon  n'efb 
pas  bonne ,  puis  que|felon  S .  Auguftin 


a66  T  R  A  I  T  e'    D  ES 

Dieu  recompenfa  les  vertus  moralcfj 
des  anciens  Romains  en  Icurdonnanél 
l'Empire  de  l'Univers ,  quoi  que  fe«J 
Ion  ce  iPere  ces  vertus  ne  fuflent  qu( 
des  péchez  éclatans  ,  fplendida  feccata^ 
Je  réponds  que  je  ne  fau rois  admettre 
cette  penfée  de  S.  Augullin.     Il  y/ 
avoit  tant  d'injuftice  ,  tant  d'ambi- 
tion ,  tant  d'orgueil ,  dans  ces  vertus 
Romaines,   que  je  ne  puis  me  per-- 
fuader  que  Dieu  les  ait  recompenfées,  ^ 
D'ailleurs  la  recompenfe  ne  me  pa-  ' 
roît  pas  digne  de  Dieu.     Les  Ro- 
mains ne  fe  rendirent  les  maîtres  du. 
inonde  que  par  leurs  victoires,  &  ils 
remportèrent  ces  viétoires  par  tant 
d'aâions  de  violence ,  d'injullice ,  6c 
de  cruauté,  que  je  ne  puis  me  refou- 
dre à  les  regarder  comme  des  bene- 
diftions  de  Dieu,.  Elles  me  paroifTent 
plutôt  des  effets  redoutables  de  fa  co- 
lère.    Ainfî  ma  raifon  fubfifte  ,  & 
6c  cette  objeftion  ne  l'affbiblit  point. 
II.  Je  ne croi pas  qu'on  me  nie  que. 
toute  action  infpirée  en  partie  par  la 
charité ,  ne  foit ,  au  moins  à  cet  égard, 
l'effet  delagrace,  &  que  le  S.  EQ^rit 

•    ne 


BONNES  OEuvRES.  \6'J 

nefoitle  véritable  Auteur  de  toute  la 
part  que  la  charité  y  peut  avoir.    Et 
en  effet  d'oii  eft-ce  que  cette,  charité, 
foit  aétuelle,  foit  habituelle  ,  pour- 
roit  venir  que  de  la  grâce  ?  êc  ii  fans 
la  grâce  on  pou  voit  agir  en  partie  par 
charité,  en  partie  par  vanité ,   pour- 
quoi fans  cette  même  grâce  ne  pour- 
ri roit-on  pas  agir  uniquement  par  la 
|charité?  Que  li  le  S.  Efprit  a  quelque 
[part  dans  cette aétion,  qui  peut  dou- 
jter  qu'elle  ne  foit  bonne  ,  au  moins 
(en  partie?  Car  enfin  ne  feroit-ce  pas  un 
[blafphémeque  de  dire  qu'il  cfl  TAu- 
rteur  d'un  péché? 

f      IIL  L'aumône ,  dont  il  s'agit ,  eft 
compofée  de  trois  aétes.     Il  y  a  pre- 
j  mierement  un  mouvement  de  chari- 
\  té.     Il  y  a  en  deuxième  lieu  un  cha- 
touillement de  vanité,     Il  y  a  enfin 
une  aébion  externe  &  fenfible .  Il  n'efi; 
pas  impofîîble  que  ces  trois  acl:es  foient 
diftinàs ,  6c  feparez  Pun  de  l'autre  , 
quoi  qu'ils  fe  fuiventde  prés«     Il  eft 
très  pofiible  qu'on   refolve  d'abord 
[par  un  principe  de  charité  de  donner 
'  Paumône^  qu'en  fuite  la  vanité  s'y 

mêle. 


•î63  Traita'  D^ s 

mêle ,  &  qu'enfin  on  la  donne  en  ver- 
m,  6c  par  la  force  de  ces  deux  a6tes. 
Il  eft  même  croyable  que  c'eft-là  ce 
qui  arrive  ordinairement.  Cepen- 
dant ceci  pofé  il  n'y  a  point  de  doute 
que  le  premier  acte  ne  foit  bon ,  ôc' 
toute  la  difficulté  fe  réduit  au  troifié- 
me.  Mais  comme  les  a6tes  externes 
n'ont  d'eux  mêmes  aucune  bonté ,  ni 
aucune  malice  morale ,  &  que  c'eft 
-proprement  dans  les  internes  que  cet- 
te bonté  ÔC  cette  malice  refident ,  c'eft 
fort  improprement  qu'on  appelle  les 
externes  bons  ou  mauvais.  Ainfiàcet 
égard  la  queftion  fe  réduit  â  tres-peu 
de  chofe,  Ôc  n'eft  peut-être'  qu'une 
pure  queftion  de  mots. 

Tout  cela  fait  que  le»  fentiment  de 
Cpntenfon  me  paroît  allez  probable/ 
C'eft  tout  ce  que  j'en  puis  dire ,  ôc  je 
n'ai  garde  (Je  le  donner  pour  certain. 


GHA-L 


I 


BONNES    OEuVRE*.  l6^ 


CHAPITRE    XX. 

*D'^o^  vient  que  nos  bonnes  œtivres  font  Im^ 
parfaites. 

TOut  ce  qne  je  viens  de  dii-efalt 
voir  que  nos  bonnes  œuvres  ne 
font  jamais  fans  quelque  défaut.  Mais, 
dira- 1- on ,  d'où  cela  vient-il  ?  Il  n'y  a 
point  de  doute  que  la  véritable  fource 
■de  ce  défordre  ne  foit  la  dépravation 
de  la  nature,  à  laquelle  la  gracq  ne* 
remédie  qu'imparfaitement.  Elle  ne 
détruit  pas  abfolument  cette  chair  , 
ce  principe  de  mal ,  que  nous  avons 
porté  en  venant  au  monde.  Elle  fc 
contente  de  PafToiblir.  Gomme  d'ail- 
''leurs  il  fe  mêle  dans  toutes  nos  ac- 
tions ,  il  n'eft  pas  étrange  qu'elles 
foient  fi  defeârueufes. 

Mais,  dira-t-on  ,  d'oii  vient  que 
la  grâce  ne  détruit  pas  abfolumentce 
principe  de  corruption  ôc  de  défor- 
dre? Il  y  a  bien  des  Théologiens  qui 

H  fou- 


I  70  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

foûtiennent  que  Dieu  ne  trouve  pas  à 
propos  de  le  faire  ,  parce  qu'il  veut 
nous  tenir  en  exercice  d'humilité ,  n'y 
ayant  rien  de  plus  mortifiant  pour 
nous  que  de  voir  que  quelques  ef- 
forts que  nous  puiffions  faire,  il  ne 
nous  arrive  jamais  de  faire  rien  d'a- 
chevé. 

Mais  il  efl  étonnant  que  d'habiles 
gens  aient  pu  fe  payer  d'une  penfée, 
fi  faufTe ,  ôe  fi  je  l'ofe  dire ,  fi  abfur- 
de.  Car  comme  nôtre  corruption 
n'a  rien  de  plus  criminel  que  l'or- 
gueil ,  ni  la  fainteté  quoi  que  ce  foit 
de  plusefientiel  que  l'humilité,  dire 
que  Di(:u  laifleftibfifter  nôtre  corrup- 
tion pour  nous  humilier  ,  c'efb  dire 
qu'il  laifie  fubfiflier  nôtre  orgueil  afin 
de  nous  rendre  plus  humbles,  ce  qui 
eft  vifiblement  ridicule.  En  effet  fi 
nous  étions  parfaitement  faints ,  nous 
ferions  parfaitement  humbles,  6c  nous 
n'aurions  aucun  befoin  de  cet  étrange 
fecours  pour  triompher  de  l'orgueil. 

Je  ne  faurois  donc  admettre  cette 
raifon ,  êc  je  trouve  quelque  chofe  de 
bien  plus  plaufible  dans  les  fui  vantes. 

L  Cha- 


BONNES  OEUVRES.  171 

I.  Chacun  peut  remarquer  fans  peine 
que  la  maxime  la  plus  confiante  de  la 
SagefTe  infinie ,  c^eft  de  ne  faire  jamais 
paffer  les  fujets  d'une  extrémité  à  l'au- 
tre, que  par  un  milieu,  oîielle  les  re- 
tient pendant  quelque  temps.  On  le 
voit  dans  la  nature .  On  pafle  par  Pen- 
fance ,  par  Padolefcençe ,  par  la  jeu- 
neffe ,  avant  que  de  venir  à  l'âge  vi- 
ril.    Un  arbre  ne  fc  forme  pas  en  un 

jour.  Ce  n'eft  d'abord  qu'un  grain  de 
femence.  Quelque  temps  après  ce 
grain  pouffé  un  germe.  Ce  germe 
croît  ëc  fe  fortifie  par  des  progrés  in- 
fenfibles ,  &  il  faut  bien  des  années^ 
avant  que  ce  foit  un  grand  arbre.  Le 

'  crepufcule  joint  enfemble  la  nuit  6c 
le  jour.  On  peut  remarquer  la  même 
chofe  dans  toutes  les  Economies  delà 
grâce.  Pourquoi  trouveroit-on  étran- 
ge qu'on  le  voie  dans  la  faintetéi'N'efl- 
il  pas  naturel  qu'on  ne  paffe  des  ordu- 
res du  péché  régnant  à  la  parfaite  fanc- 
tification ,  que  nous  efperons  de  pof- 
feder  un  jour  dans  le  Ciel,  qu'on  n'y* 

'  paffe ,  dis -je ,  qu'en  parcourant  tous 
les  degrez  d'une  fainteté  imparfaite  & 
defedueufe,  Hz  II. 


i72r        Traite'    des 

II.  La  régie  de  S.  Paul  me  paroît 
trés-]ufte  &  trés-raifonnable.  "^{^1  ne 
fera  couronné^ ,  s'il  n*a  légitimement  com' 
battu.  Il  eft  jufle  que  nous  luttions  con- 
tre nos  imperfcéiions ,  avant  que  de 
pofleder  Thonneur  du  .triomphe.  Si 
d'abord  après  nôtre  converfion  nôtre 
iâinteté  étoit  parfaite' &  accomplie, 
nôtre  état  feroit  un  état  de  paix  6c  de 
calme.  Mais  n'eft-il  pas  ju fie  d'a- 
cheter en  quelque  façon  les  dou- 
ceurs de  cette  paix  par  les  fatigues  & 
par  les  efforts  du  combat  ?  Ne  faut-. 
il  pas  que  la  guerre  précède  la  victoi- 
re, 6c  la  V ivoire  le  triomphe.^  ; 

III.  J'ai  de  la  peine  à  me  perfuader 
que  s'il  y  avoit  quelque  homme  par- 
fait fur  la  terre ,  Dieu  l'y  laifiat  un 
moment.  Il  cueilliroit  d'abord  ce 
frui^,  qui  feroit  parvenu  à  une  telle 
maturité.  Et  en  effet,  une  terre  rem- 
plie de  tant  de  défordres ,  où  l'igno- 
rance, l'erreur,  &  le  vice  dominent 
avec  tant  d'empire  ,  eft-.elle  un 
fcjour  ciigne  d'un  homme  ,  dont 
la  fainteté  n'eût  point  de  défaut  ? 
C'eft-ce  qu'il  eft  makifé  de  s'imagi- 
ner. 


BONNES   OEuVRES.  I75 

ner.  Comme  donc  le  monde  ne  pou- 
voit  fe  pafler  de  fainteté ,  &C  qu'il  n'en 
pou  voit  avoir  de  parfaite ,  il  étoit  de 
la  bonté  de  Dieu  de  lui  en  donner  une 
qui  eût  des  imperfeétions . 

IV.  ^  Rien  nefiiit  voir  plus  évidem- 
ment le  néant  de  la  créature ,  que  cette 
irnperfe6tion  de  nos  bonnes  œuvres. 
Comiig^nt  feroit  -  il  polTible  de  s'en 
convaincre  plus  fortement ,  qu'en 
confiderant  que  même  avec  le  fecours 
d'une  grâce  furnaturelle  ,  nous  ne 
pouvons,  ni  nous  empêcher  de  com- 
mettre divers  péchez  5  ni  faire  des  œu- 
vres qui  foient  fans  défaut  f  Comme 
donc  il  étoit  bon  pour  la  gloire  de 
Dieu  que  la  foiblefTe  de  l'homme  pa- 
rût, iln'eft  nullement  étonnant  qu'il 
ait  permis  cet  eÔet,  qui  fert  au  moins 
à  ce  grand  ufage. 

V.  J'ajoute  que  rien  ne  met  dans 
un  plus  grand  jour  toute  l'étendue  de 
labonté^  de  lamifericordedeDieu. 
Ne  faut-il  pas  qu'elle  foit  immenfe  6c 
inépuifable ,  puis  que  non  feulement 
il  fupporte  de  telles  imperfeétions 
dans  fes  chers  enfans,  mais  encore 

H  5  que 


174  Traite-  des 

.que  nonobilant  ces  imperfe<?l:ions ,  it 
les  couronne  de  toute  la  félicité  de  fbiit 
Ciel  ?  Ainfi  la  gloire  de  Dieu  étant  la^ 
dernière  fin  de  toutes  chôfes,  cesim- 
perfeébions  ,  qui  lui  donnent  tant  de 
relief ,  ne  doivent  en  aucune  façoa 
nous  furp  rendre. 

Je  ne  prétends  pas  au  refte  que  ces^ 
raifons  foient  précifement  celles  qui 
:Ont  déterminé  la  fagefle  éternelle  a  ce 
qu'elle  a  fait.  Je  fuis  très  éloigné  d'u- 
ne penfée  fi  préfomptueufe.  Mon 
dcffciiî  eft  de  faire  voir  qu'à  ne  juger 
.de  cette  conduite  de  Dieu  que  par  des 
yeuës  purement  humaines ,  on  la  trou- 
vera pleine  de  fagefiTe  ,  &  digne  de  lui  » 
ce  qui  n'empêche  nullement  qu'il 
n'ait  eu  de  tout  autres  raifons ,  incom« 
jpàrablement  plus  grandes  &  plus  fu- 
blimes  ^  que  toutes  celles  que  nous 
pouvons  découvrir,  pour  faire  ce  qu'il 
a  fait. 


CHA« 


BONNES     OEUVRIES.     .    IJ^ 


Oiâdi 


CHAPITRE   XXI. 

Si  les  bonnes  œuvres fon t  necejfatres .  Qu'el- 
les le  fint  au  moins  de  cette  elpecedene^ 
cejfité ^  qu'ion  appelle  communément  de 
précepte. 

LA  quelllon  qui  fait  la  matière  de 
ce  chapitre ,  6c  des  deux  fuivans, 
eft  de  la  dernière  importance.  On  de- 
mande il  les  bonnes  œuvres  font  ne- 
eefTaires.  Il  y  a  quelques  Théolo- 
giens Proteflans  ,  tant  Luthériens, 
qne  Reformez ,  à  qui  cette  neceffité 
a. fait  peur.  Ils  ont  cmint  que  fi  une 
fois  elle  étoit  reçue  ,  on  en  conclût 
'dans  la  fuite  que  les  bonnes  œuvres 
font  méritoires ,  ce  qu'ils  regardoient 
avec  raifon  comme  un  écueil  qu'on 
doit  éviter.  C'eil  pourquoi  ils  ont 
creu  qu'on  doit  fe  garder  d'attribuer 
de  la  nécelîité  a  nos  bonnes  œuvres. 
Mais  en  premier  lieu  il  eft  certain 
que  la  crainte  qui  les  a  retenus  n'a  au- 

H  4  cun 


iy6  Traite'  DBS 

cun  fondement.  Il  n'y  a  point  de 
confequence  à  tirer  de  la  neceîîité  au 
mérite ,  6c  il  y  a  dans  le  monde  ,  &z 
dans  la  Religion  une  infinité  de  cho- 
fes  ,^  qui  pafTejit  pour  ablblument  né- 
ccllaires  ,  6c  que  perfonnene  re- 
garde comme  méritoires  .11  n'y  a  point 
d'emploi ,  ni  de  dignité,  civile,  ou 
Ecckfiaflique,  qu'on  puilîé  obtenir 
fans  avoir,  ou  un  certain  âge,  ou  une 
certaine  naiflance  ,  ou  de  certaines 
qualitez.  Perfonne  pourtant  ne  dira 
que ,  ni  cet  âge ,  ni  cette  naiflance , 
ni  ces  qualitez,  méritent  ces  emplois 
6ccesdignite2. 

Mais  n'allons  pas  fî  loin.  Ceux-là 
mêmes  qui  ne  peuvent  fouffrir  qu'on 
dife  que  les  bonnes  œuvres  font  necef- 
faires ,  ne  laiffent  pas  de  dire  que  la 
foi  i'efl.  Ils  ne  croyent  pourtant  pas 
que  la  foi  mxrite  ce  qu'elle  obtient. 
Perfonne  même  ne  le  croît,  6c  l'E- 
glife  Romaine  en  particulier  ,/ qui 
comme  chacun  fait  garde  fi  peu  de 
mefures  fur  cette  matière,  ne  croit 
pas  que  la  foi  mérite  ce  que  Dieu  lui 
accorde ,  comme  on  le  verra  dans  la 
fuite  c  ^  Il 


BONNES   OEUVRES,  lyj 

Il  n'y  a  donc  point  de  coniequence 
à  tirer  de  la  neceiîité  au  mérite  ,  ni 
dans  les  principes  de  PEglife  Romai- 
ne, ni  dans  les  nôtres,  &  j'ajoute  qu'il 

a  de  l'imprudence  à  foùtenir  le  con- 
traire .  Car  fi  cela  paflbit  une  fois  pour 
conllant,  ilferoit  extrêmement  diffi- 
cile d'empêcher  la  plupart  du  moi'i- 
de  de  croire  que  les  bonnes  œuvres 
font  méritoires ,  puifqu'il  efl  lî  cer- 
tain qu'elles  font  ce  que  toute  la  terre 
entend  par  le  terme  de  necelîaires .Voi- 
ci enefîetleraifonnement  qu'on  fera. 

Vous  reconnoiffez  qu'on  ne  peut 
nier  que,  les  bonnes  œuvres  ne  meri» 
rent  le  Ciel ,  s'il  efl:  vrai  qu'elles  foient 
necefîàires  pour  le  pofleder.  Orell-il 
qu'elles  font  ncceiîliires  pour  cet  effet. 
Donc ellesibnt méritoires.  Rienn'efl 
plus  aifé  que  de  prouver  la  mineure  , 
pourveu  qu'on  la  prenne  au  fens  au^ 
qtiei  toute -la  terre  entend  cette  façon 
de  parler  comme  on  le  verra  dans  la 
fuite.  Ainfi  la  confequencc  paiTera 
pour  incontcflable. 

On  aura  beau  après,  cela  chicaner  fiir 

ie fensdu mot.  L.'ufige conilant qu'il 

-      H  5  '  a  dans 


1 78  T  R  A  î  te'      de  s 

a  daiîs  îe  langage  de  tous  les  hommes 
prévaudra  fans  peine  fur  tout  ce  que 
Pon  pourra  dire ,  6c  empêchera  que 
ceci  ne  fafîe  aucune  impreffion  fdr  l'ef- 
prit.  Voilà  ce  qu'on  gagne  à  vouloir 
trop  fuir  une  erreur.  '  On  y  retombe 
à  force-  de  tâcher  de  s'en  éloigner ,  ôc 
on  l'affermit  en  ne  fe  prenant  pas  com- 
me il  faut  àfàire  ce  qu'on  peut  pour  la 
ruiner.  . 

Il  y  a  encore  un  aîitre  danger,  au- 
quel on  s'expofe  par  là.  En  effet,  s'il 
paffoit  une  fois  pour  certain  que  les 
bonnes  œuvres  ne  font  pas  neceffaires, 
il  n'y  auroit  rien  de  plus  naturel  que 
d'en  conclure  qu'on  peut  en  négliger 
la  pratique  fans  renoncer  au  fakt.  Je 
veux  même  que  cette  confêqucnce  ne 
foit  pas  Julie.  On  ne  peut  au  moips 
me  nier  qu'elle  ne  le  paroifle  à  tous 
ceux  qui  ne  font  pas  Théologiens.  On 
ne  peut  nier  qu'elle  n'ait  quelque  cho- 
fe  qu i  frappe  ôc  qui  éblouît ,  ÔC  qui  fait 
uneim.preffîon  extixmement  vivx  fur 
les  efprits  du  vulgaire.  Qu'on  voyc 
cependant  s'il  eft  poffible  d'imaginer 
un  dogme  plus  jpernicieux  ,  ni  plus 

detef- 


BONNES  OEuVRES.  I  79 

déteftable  que  celui  de  dire  qu'on  peut 
négliger  la  pratique  des  bonnes  œu- 
vres fans  fe  fermer  la  porte  du  Ciel. 
C'eil  à  quoi  il  eût  été  à  fouhaitter 
qu'on  eût  fait  autant  d'attention  , 
qu'on  en  a  fait  au  vain  êc  imaginaire 
danger  de  donner  quelque  avantage 
aux  défenfcurs  du  mérite . 

Au  fond  je  fuis  fort  trompé  fi  toute 
la  conte  dation  qu'il  y  a  fur  xeci  ne 
vient  de  ce  qu'on  n'a  pas  obfervé  en 
"cette  occafion  ce  que  les  nouveaux 
Philofophes  recommandent  fi  forte- 
ment fur  toute  forte  de  matières.  C'efi; 
de  n'entreprendre  jamais  de  décider 
^aucune  queftion,  qu'après  en  avoir 
défini  exaftement  tous  les  termes.  Si 
on  avoit  pratiqué  cette  régie  en  cette 
occafion,  fi  on  avoit  bien  fixé  la  figni- 
'fi cation  du  terme  de  nécefaire^  la  déter- 
minant à  un  certain  fens  clairement  6c 
nettement  exprimé  ,  chacun  auroit 
yeu  fans  peine  l\  on  doit  l'admettrCjOU 
Icrejetter. 

Le  terme  de  nécefifaire  efi:  fort  équi- 
voque. Il  a  plufieurs  fignifications , 
'pa];mi  icfquelies  il  y  en  a  de  celles 

H  6  au'on 


iSo  Traite*  des 

qu'on  peut  appliquer  aux  bonnes  œu- 
vres, &  d'autres  qui  ne  leur  conviea- 
nent point,  llyaen  premier  lieu  une. 
certains  neceilité ,  qu'on  appelle  com- 
munément de  précepte ,  6c  qui  convient 
à  tout  ce  qui  nous  a  été  commandé  de 
DieUjôcqu'on  ne  peut  négliger  fans  lui 
derobeir  &  fans  l'ofenfer.  De  cette  ma- 
nière le  nécellaire  efc  oppofé,  d'un  cô- 
té à  ce  qui  n'eil  que  permis ,  êc  de  l'au- 
tre à  ce  qui  n'eft  queconfeillé  comme 
un  bien  plus  grand  ,  à  la  vérité ,  &  plus 
excellent ,  mais  dont  on  peut  fe  pafTer . 

Mais  peut-on  nier  que  Les  bonns.s 
œuvres  nefoientnecelîaires  encefens 
là?N'efl-il  pas  vrai  que  Dieu  ne  fe  con- 
tente pas  de  nous  permettre50U  de  nous 
confeilkr  de  les  faire ,  mais  qu'il  nous 
le  commande ,  nous  l'ordonne,^  nous 
y  oblige ,  nous  menaçant  même  de  là 
vengeance ,  au  cas  que  nous  venions  à 
les  négligera  N'efb-ilpas  vrai  même 
qu'il  y  a  tout  un  ordre  de  pcçhez ,  qui 
'  ne  confident  qu'en  celafcul  ?  Je  parle 
de  ceux  d'omiiiion.. 

Mais  ceci  ell;  Ç\  inconte  fiable  ,  que 
cefëroit  abufer  de  la  patience  de  mes 
Lefteurs  ^  que  de  m'amufer  à  en  don- 
ner 


I 


BONNES  iOEuVRES.  ïSï 

ner  des  preuves  .11  fera  bien  plus  à  pro- 
pos de  dire  un  mot  fur  une  quelliion 
importante,qui  le  prelente  fur  ce  fujet. 
On  demande  quand  c'efl  que  Pomif- 
fion  des  bonnes  deuvresell:  criminelle. 
Pour  répondre  à  cette  quellion  je  dis 
en  premier  lieu  qu'elle  ne  Pefl:  pas  tou- 
jours.Si  elle  l'étoit  toûjours,il  ne  feroit 
jamais  permis' de -^'^^rmir,  puis  qu'en 
dormant  on  :  -  >it  faire  aucune 

bonne  œuvre.  Aï  ...  les  Theolosfiens 
ont  accoutume  de.  re  que  les  précep- 
tes affirmatifs ,  qui  font  ceux  qui  pre« 
fçnvent  les  bonnes  œuvres,  obligent  à 
la  YcntétQHjoim ,  mais  n'obligent  pas  î 
toujours.  ^  c'eft  à  dire  qu'à  la  vérité  on  y 
eil  toujours  ailujetti ,  mais  qu'on  n'efl: 
pas  obligé  à^  travailler  fans  relâche  à 
icsobferver.  ' 

lleil  dçnc  certain  que  Pomiffion  des 
bonnes  œuvrer  eft  quelquefois  crimi- 
nelle, 6c  que  quelquefois  auffi  elle  jie 
iPeft  pas,.  Mais  quand  eft-ce  qu'elle 
l'eft  ?.  Plufieurs  difent  qu'elle  efl  cri- 
minelle,, lors  que  trouvant  PoGcafion 
de  faire  quelq^ac  bonne  œuvre  on  Ae  la 
fait  pas  .Mais  ^  n  éfct  cette  réponfe  n'efb 
pasfolide,  C*rii:cequedeux  coniide- 
rations  font  voir  clairement,  La^ 


iSx  Traite'  des 

La  première,  qu'il  eft  certain  qu'on 
ne  pèche  pas  toutes  les  fois  qu  ayant 
Poccafion  de  faire  quelque  bonne  œu^ 
vre,  on  ne  la  fait  pas.  Il  arrive  tres- 
fouvent  que  deux  bonnes  œuvres  font 
incompatibles,  6c  qu'il  faut. omettre 
l'une  pour  faire  l'autre.  C'eft  ce  qui 
arrive  en  mille  façons ,  que  chacun 
peut  imaginer.  Figurons-nous  donc 
que Poccaiion de"  tiîc  deux ,  ou  plu- 
fieurs  de  ces  bonnes  œuvres  fc  pre- 
fente  tout  à  la  fois .  Il  eft  certain  qu'on 
ne  pèche  pas  en  omettant  l'une  pour 
faire  l'autre,  6c  ainfi  il  n'eft  pas. vrai 
que  les  bonnes  œuvres  foient  nécelTài- 
res  toutes  les  fois  qu'on  en  trouve  Poc- 
caiion. 

La  féconde  confideration  qui  fait 
voir  que  la  necefîité  des  bonnes  œu- 
vres doit  avoir  quelque  autre  régie 
quel'occafion ,  c'eft  qu'il  ne  faut  pas 
toujours  attendre  que  Poccafion  d'en 
faire  s'offre  d'elle-même.  Il  faut  quel- 
qurfois  la  chercher.  Qui  doute  que 
la  véritable  amitié  ne  porte  fouvent  à 
rechercher  les  moyens  &  les  occafions 
de  rendre  du  fervice  ^  ceux  que  l'on  ' 

aime  ? 


BONNES    OEuVRES.  iSj 

[  aime?  5cquipeutdouter  que  la  pieté 
I  ne  doive  être  tout  au  moins  auffi  agif- 
I  ^nte,  ôc  aufTi  empreflee ,  que  la  plus^. 
1  tendre  amitié  ? 

D'autres  difent  que  Pomiffian  tû 
criminelle,  lors  que  d'un  côté  on  peut^ 
I  &  que  de  l'autre  on  doit  faire  l'aétioii 
(qu'on  omet.  Cette  régie  eil:  certaine , 
I  mais  elle eft  de  tres-peu  d'ufage.  Cai^ 
[i  la  difficulté  confiée  à  favoir  quand 
c'eil  qu'on  doit  faire  l'aétion  com- 
mandée ,  6c  c'eft  ce  que  cette  régie  ne 
I  nous  apprend  pas. 

Pour  tâcher  de  dire  quelque  chofe 
de  plus  précis ,  il  faut  remarquer  er^ 
premier  lieu  qu'il  y  a  trots  fortes  de 
commandemens ,  qu'on  trouve  dans 
l'Ecriture..  Les  premiers,  marquent 
eux  mêmes  les  temps  &  les  occafions ,, 
où  nous  les  devons  ob  fer  ver.  Tel  eu. 
Je  commandement  de  la  circoncifîon , 
celui  du  Sabbat ,  celui  de  la  Pafque , 
êcc.  Les  féconds  fant  des  commande- 
mens vagues  &:  indéterminée  ^  qui  ne 
marquent  aucune  occafion  particuliè- 
re, où  l'on  doive  les  obferver  ,  tels 
que  font  ceux  qui  nous  ordonnent  de 

croire 


184        Traite'    des 

croire  en  Dieu ,  de  l'aimer,  d'aimeri 
prochain  &c.  Les  dernières  tiennei 
quelqtte  chofe  des  uns  &  des  autres.  ~ 
marquent  quelques  occafions  partici 
lieres  ,  où  l'on  doit  faire  ce  qu'ils  orl 
donnent ,  ôc  laiflent  les  autres  fans  1( 
marquer.  Tel  eft  le  commandemeu| 
de  la  prière ,  &  tel  encore  celui  de  Paii* 
mône.  L'Ecriture  nous  marque  di" 
vers  cas  aufquels  on  doit  remplir  cei 
devoirs ,  mais  elle  ne  les  marque  p^f 
tous,  êc  fe  contente  de  nous  dire  fuï 
la  plupart  des  chofes  allez  gênera^ 
les. 

Il  n'y  a  aucune  difficulté  à  l'égard 
des  actes  commandez  par  les  précep- 
tes du  premier  ordre ,  ôc  même  pour 
ceux  du  troifiéme  dans  les  c^  mar- 
quez par  la  Loi.  L'omiffion  eft  vifi^ 
blement  criminelle ,  lors  qu'on  laiile 
paffer  les  occafions  aufquelles  il  falloit 
les  faire.  Ainfi  la  difficulté  fe  réduis 
aux  aétcs  qui  ne  font  prefcrits  que  par 
des  préceptes  indeterminez. 

Il  faut  remarquer  en  deuxième  lieu 
que  félon  S.  Paul  la  fin  du  commande- 
ment eft  la  charité,  &  que  d'ailleurs 

cette 


BONNES   OEuVRES.  185' 

,cette  vertu  doit  être  le  principe  6c  la 
fource  de  noa  bonnes  œuvres.  Ainfî 
!on  ne  doit  pas  craindre  de  fe  tromper 
!fî  on  dit  que  les  bonnes  œuvres  font 
jnéceflaires ,  lors  que  la  charité  de- 
;  mande  qu'on  les  fafiè.     Cette  chari- 
ité  au  refte  a  trois  objets ,  Dieu,  nô- 
ftre  prQchaiji  5  &  nous-mêmes.  Nous 
devons  aimer  Dieu  ,    8c  Paimei*  de 
tout  nôtre  cœur ,   de  toute  nôtre  a- 
îne,;6c  de  toute  nôtre  penfée.  Nous 
^evoiis  aimer  nôtt^e  prochain  comme 
hous-mêmes.     Nous  devons  nousai- 
''m^r  nous-  mêmes ,  mais  nous  aimer 
fagement ,    6c  judîcieurcment  ,   tâ- 
chant de  nous^  procurer    les    vrais 
ibieriis,  qui  font  les  fpirituels  Sc  les 
éternels.      '         -  ,         . 

If  faut  remarquer  en  troîfiéme  lieu 
que  non  feulement  il  n'y  a  aucun  de 
ces  trois  amours,  qui  ne  nous  oblige 
à  faire  quelque  bonne  œuvre  ,  mais 
qui  ne  nous  y  portât  aéiiuellement 
.éc  efîicace^ient  ,  s'il  étoit  tel  qu'il 
devroit,  êtrc.  En  effet  fi  nous  ai- 
mions Dieu  de  tout  nôtre  cœur  , 
pourrions  -  nous  nous  difpenfer  de 
^  faire 


i86        Trait  e'    des 
fiiire  les  oeuvres ,  qui  d'un  côté  peu 
vent  fervir  à  avancer  fa  gloire  6c  d 
l'autre  peuvent  nous  mettre  enétatçi 
îui  plaire ,   6c  de  nous  attirer  de  plu 
•en  plus  fan  amour  ?   Si  nous  aimior 
tous  nos  prochains  comme  nous  mé 
mes  ,  négligerions -nous  aucune  de 
chofes  5  qui  peuvent  avancer  leur  ù 
lut,  ou  remédier  à  leurs  necefîitez 
foi t  corporelles  5   foit  fpirituelles?  t 
BOUS  nous  aimions  régulièrement  nou 
mêmes ,   ne  ferions-nous  pas  tout  c 
qui  peut  fervir  à  avancer  l'ouvrage  d 
nôtre  propre  falut ,  ôc  à  nous  affermi 
de  plus  en  plus  dans  la  foi,  oc  dans  l 
pieté? 

C'eftcequine  fbuffre  point  dedif 
fi  culte.  Cependant  tout  ceci  pofé 
qui  ne  voit  que  toutes  ks  oeuvres ,  auf 
quelles  l'un  ou  l'autre  de  ces  trois  a- 
mours  nous  porteroit  efficacement ,  £ 
nous  le  pofledions  dans  fa  perfeébioni 
font  neceifaires  de  neceffité  d( 
précepte ,  6c  qu'on  pèche  fi  on  ne  lej 
faitf 

Qu'on  jiige  par  là  du  prodigieux 
nombre  des  péchez , .  que  les  plus  juf 

tes 


it 


D 


C 


BONNES    OEuVRES.  187 

tes  &  lespîus  parfaits  commettent ,  je 
ne  dirai  pas  dans  tout  îe  cours  de  leur 
vie  ,  mais  dans  chacune  des  parties 
tant  fait  peu  co^ifiderables  de  cette 
vie.  Qu'on  juge  jufqu'à  quel  excès  il 
feut  que  Dieu  porte  fon  fupport  & 
fon  indulgence  pour  ne  pas  perdre 
éternellement  tous  les  hommes  fans 
exception.  Qu'on  juge  de  la  recon- 
noiflance  que  nous  lui  devons  de  ce 
qu'il  nefè  tient  pas  à  cet  égard  à  la  ri- 
gueur de  Tes  droits.  Que  l'on  confi- 
dere  enfin  à  quel  point  nous  devons 
nous  humilier,  ou  pour  mieux  dire 
nous  anéantir  en  fa  prefence ,  puisque 
ceci  feul  nous  fait  voir  d'une  manière 
!-fi  fenfible  ôc  fi  évidente  l'abîme  de  dif- 
férence qu'il  y  a  entre  nôtre  conduite. 
.&:  nôtre  devoir; 

En  effet  a  peine  y  a-t-il  aucun  mo- 
ment en  la  vie,  ou  l'un  ou  l'autre 
I  de  ces  trois  amours  ne  nous  obligeât  à. 
agn'.  Et  cependant  il  y  en  a  incompa» 
rablement  davantage,  où,  je  ne  dirai 
pas  les  Chrétiens  froids  &  relâchez  ^ 
mais  les  plus  fervens,  &  les  plus  par- 
faits 5  ne  font  rien  qui  puiffe  pafl^er 

pour 


l88  T  R  A  I  T  eV  D  ES 

pour  une  bonne  œuvre ,  que  de  ceu:l 
où  ils  s'appliquent  à  ce  travail.  Il 
y  en  a  donc  tres-peu  oti  ils  ne  pehent 
C'eft-ce  qui  ne  fouffre  point  de  diffij 
culte. 

Mais  pour  revenir  à  nôtre  fujet 
on  demandera  fi  cette  règle ,   qui  ef  1 
fi  confiante  dans  le  fens  affirmatif 
l'eft  auffi  dans  le  négatif,  je  veux  di» 
re  fi  comme  il  eft  certain  que  toute:] 
les  avions  particulières  ,  aurquellei 
Pun  ou  l'autre  de  ces  trois  amoun 
nous  engage  ,  font  neceflaires  ,   on. 
peut  dire  auffi  qu'il  n'y  a  que  ces  mê- 
mes aétions  qui  le  foient. 

C'eft  dequoi  je  ne  doute  point.  Ce 
qui  me  le  perfuade  c'eft  que  s'il  y  a- 
voit  quelque  a6lionquifûtnecefi"aire, 
fans  que  la  charité  nous  y  appellât,  il 
ne  feroit  pas  vrai  de  dire  que  cette 
vertu  eft  l'accomplifiement  de  la  loi, 
comme  l'Apôcre  l'afieure  en  autant 
de  mots.  Jefus  Chrift encore  n'aura 
pu  dire  que  toute  la  loi,  ôc  tous  les 
Prophètes  ,'  dépendent  de  ces  deux 
points  ,  que  nous  aimions  Dieu  de 
tout  nôtre  cœur,  &  nôtre  prochain 

com- 


BONNES    OEUVRES.  189 

comme  nous  mêmes.  Enfin  je  fuis 
perfuadé  qu'on  ne  fauroit  indiquer 
iucune  action  nécefTaire  à  laquelle  la 
ii:hanté  ne  nous  porte  efficacement. 


CHAPITRE    XXII. 

\Qjie  les  bonnes  œuvres  font  ne'cejfaires  en  ce 

Jcns  5  ^/^V/  efi  impoffible  d'hêtre fanvé ^ 

Jî  on  n  en  fait  aucune, 

LE  chapitre  précédent  a  fait  af- 
fez  voir  que  nos  bonnes  œuvres 
[ont  necelTaires ,  au  moins  de  cette  ef- 
pece  de  nécefîité ,  qu'on  appelle  com- 
munément de -précepte.  J'ajoute  pre- 
ientement  qu'elles  le  font  encore  en 
un  autre  fens ,  qui  eft  le  premier  qui 
fe  prefente  à  l'efprit ,  lors  qu'on  voit , 
bu  qu'on  entend,  que  cette  qualité 
leur  eft  attribuée.  C'efl  qu'il  eft  im- 
poffible  d'être  fauve  fi  on  n'en  fait  au-i 
cune,  c'eft  qu'il  n'eft  jamais  arrivé , 
&  qu'il  n'arrivera  jamais  qu'un  hom- 
me qui  n'ait  point  fait  de  bonnes  œu- 
vres, ait  été  fauve.  Ce. 


190  Traite'  des 

Ce  fens  n'a  rien  que  d'incontefta] 
ble,  6c  il  fàudroit  n'avoir  jamais  lei 
l'Ecriture  fainte,  ou  la  regarder  coi 
me  un  ouvrage  purement  humain,  il 
fàudroit  même  n'avoir  aucun  fentil 
ment  de  pieté  &  de  religion  ,  poi 
faire  difficulté  de  le  reconnoitre.  Qu'| 
a-t-il  furquoi  l'Ecriture  fainte  fe  for 
expliquée ,  ni  plus  clairement,  ni  plu 
fortement?  Et  quand  aurois-je  tait'i 
fi  j'entreprenois  de  rapporter  toutcr 
les  preuves  de  cette  vérité  capitale 
que  ce  facré  livre  nous  fournit  ? 

Que  peut-on  imaginer,  par  exem- 
ple, de  plus  exprés,  que  ce  que  S .  Jean-^ 
Baptifte  difoit  aux  troupes  dans  le  dé 
fert  ?  La  coignée  efl  déjà  mife  à  la  7'acim 
des  arbres»    l^out  arbre  donc ,  citii  ne  forti 
point  defruitys'en  va  être  couf  é& jette  an fei^ 
La  parabole  du  figuier  a  encore  k 
même  fens ,  &  nous  étale  la  même  vé- 
rité fous  une  image  fort  aprochantedc 
celle-ci.  En  effet  on  ne  peut  nier ,  ni 
que  ces  arbres ,  dont  il  eft  parlé  en  ces 
deux  endroits ,  ne  foient  les  hommes, 
ni  que  les  fruits  q  ue  ces  arbres  doivent 
porter,  ne  foient  les  bonnes  œuvres, 

nii 


BONNES  OEuVRES.  191 

Il  enfin  que  le  feu  dont  ces  arbres  font 

lenacez  ,    ne  foit  celui  de  l'enfer. 

ycû:  donc  une  vérité  certaine  ÔC  indu- 

litable ,   que  tous  ceux  qui  ne  font 

)oint  de  bonnes  œuvres  feront  la 

)roie  de  l'enfer  ,  ce  qui  eft  tout  ce 

[u'on  entend  lors  qu'on  dit  que  les 

)onnes  œuvres  font  nécciîaires. 

iii  I  Cette  même  Ecriture  dit  que  la 

-  ïioilfon  delà  gloire  fera  en  quelque 

"î  brte  proportionnée  à  ce  qu'on  aura  fe- 

C|  aé  par  de  bonnes  œuvres,  CequePhom^ 

neaHrafem€\  dit  S .  Paul,  il  le  moijfonne" 

'^fa:iîuj[i.  Et  ailleurs,  Celui  qui  aura  fe^ 

iC  né  chichement  recneillira  aujfi  chichement  ^ 

i  f"  celui  (fui  aurafemé  libéralement  recuetU 

'M  ira  libéralement.    Mais  fi  cela  eft ,  qui 

t«  5eut  douter  que  celui  qui  n'aura  rien 

femé  ne  foit  réduit  par  là  même  à  l'im- 

poflibilité  de  rien  recueillir  ? 

£•     Elle  dit  que  perfinne  ne  fera  couronné^ 

'"^il  n  a  combattu  légitimement.     Quelle 

:ll  cette  couronne ,  que  celle  du  Ciel  ? 

Et  quel  eft  ce  combat ,  que  celui  de 

la  pieté,  qui  n'eft  autre  chofe  quere- 

xercice  des  bonnes  œuvres  ? 

E>\lcdit<]}Xcfrnylafm^ifcatiQn  nul  ne 

verm 


jf^z  Traite'  d  es 

verra  le  Seigneur.  Et  peut-on  repatérJ 
ni  en  effet ,  ni  même  par  la  penfée ,  h| 
fanftification  de  la  pratique  des  bon* 
nés  œuvres  ? 

Elle  dit  que  la  repent^nce  eft  abfo* 
lurnent  neceilaire  pour  le  falut,  &  quel 
Pobilination  6c  Pimpenitence  ne  doit] 
s'attendre  qu'à  la  condamnation  6c  à 
la  mort.  Par  ta  âmeté  ^  dit  S.  Paul, 
&  ton  cœur  qui  e fi  fans  refentance,  tu  ta- 
mafes  un  tréfor  décolère  ^  four  le  jour  de  U 
colère ,  ^  de  la  déclaration  du  jufle  juge- 
ment  de  Dieu.  Mais  elle  nous  alîeure 
auffi  que  la  repentance  eft  vaine ,  fi  el- 
le n'eft  accompagnée  de  la  prati-* 
que  des  bonnes  œuvres.  Faites  des 
fruits  convenables  a  la  repeniance  ,  àl* 
foit  encefensS.  Jean-Baptifte  dans  le 
ciéfert.  Voyez  auffi  Efai  I.  i6.  17. 
mais  fur  tout  Ezech  XVIIL  6.j.  8.9. 

Elle  ditd'uncôté  qu'il  eft  impoffi- 
ble  d'être  fauve  fans  la  foi ,  de  l'autre 
que  la  foi  eft  infeparable  des  bonnes 
œu  vres .  Celui  cjui  ne  croit  point ,  ejl  dé- 
jà condamné .^  difoit  Jefus  Chrift ,  &  U^ 
V  colère  de  Dieu  demeure  fur  lui .  Et  pou r 
le  fécond,  S.  Jaques  ne  dit-il  pas  qu^e 

corn-- 


BONNES    0EUV>RES.  Ip^ 

comine^é  cor f  s  [ans  fefpnt  efl  mort ,  aufjl  la 

foi  fans  les  œuvres  efl  morte  ?  Et  S.  Jean  que 

fi  quelqu'un  fe  vante  de  connoître  Dieu, 

.  &  ne  garde  poinc  Tes  commandemens , 

c  eft  un  menteur. 

Elle  dit  d'un  côté  qu'il  efl  jmpofTiblc 
d'être  fauve  fi  on  n'aime  Dieu,  6c  de  l'au- 
tre que  l'amour  de  Dieu  eil  infeparable 
:  de  la  pratique  des  bonnes  œuvres.     Si 
■  quelqu  un  n  aime  f  oint  le  Seigneur  fefus, 
1   qu^ilfoit  anatheme  maranMa^  difoit  i'A- 
pôtre  S- Paul  :  Etjefus-Chriil,  SiqueU 
quun  rypaime  il  gardera  mes  commande^ 
mens.  Vous  ferez,  mes  amis  ^fi  vous  faites  tout 
.  cj  que  je  vous  ai  commandé. 

Elle  dit  qu'il  eft  impoffible  d'être  (lui- 
véians  la  charité,  même  en  foufFrant  le 
ngartyre,  &:  en  donnant  tout  fon  bien 
àuxpovres.  C'eftlado6brine  de  S.Paul 
I.  Cor.  XIII.  Elle  dit  pourtant  qu'il  eft 
impofRbîe  d'avoir  de  la  charité ,  fi  on  re- 
r  ftife  d'affifter  les  povres ,  ce  qui  fait  l'une 
des  plus  excellentes  de  nos  bonnes  œu- 
vres. Si  quelqu'un .^nom  dit  l'Apôtre  S, 
Jean ,  ayant  des  biens  de  ce  monde  voit  fon 
frère enne'cejfne\  &  lui  jermefes entrailles ^ 
comment  efi-ce  que  la  charité  de  Dieu  demen^ 
reenlui'^. 


1^4      T  R  A  î  te'    E)  es  ' 

Enfin,  fi  on  pou  voit  être  fauve  fans 
avoir  fait  de  bonnes  œuvres,  il  faudroit 
necefiâiretnent,ou  que  leur  onliffion  ne 
fût  pas  un  péché,  ou  que  ce  péché  pût 
être  pardonné  fans  qu'on  s'en  repentît, 
ou  qu'on  pût  s'en  repentir  fans  s'en  cor- 
riger. Comme  on  ne  peut  dire  aucune 
dé  ces  trois  chofes ,  ôc  que  le  contraire  efl: 
certain  &  inconteftable ,  il  faut  nécelîài- 
rement  reconnoître  qu'il  eft  impoffible 
d^être  fauve  fans  faire  de  bonnes  œuvres, 
»&qu'ainfi  elles  font  abfolument  necef- 
iàires. 


CKAPITRE  XXIIL 

De  quelle  nature  eH  la  mcejjîtédes  bonnes  œii^ 
Vrej".  Sic^eftunenecejjitédemoyen, 

L  faut  remarquer  en  deuxième  lieu 
qu'il  y  a  une  double  t&cxœJafhifïqHe 
6c  la  morale,  La  première  convient  aux 
chofes  qui  produiiènt  réellement  leur  ef- 
fet. Ainfi  le  feu  brûle,une  boule  qui  eft  en 
mouvement,  &  qui  en  rencontre  une  au* 
tre ,  la  poulîè,  &  la  meut,  ôcc.  La  fécon- 
de convient  aux  quàlitez,  auxaftions, 
Se  aux  autres  caufes  femblables  ,  qui 

con- 


BONNES  OEuVRES.  Ipj* 

.,  contribuent  à  la. produâion  de  cer- 
1  tains  effets  ,  non  en  les  opérant  im- 
ï  mediatement ,  mais  en  fervant  de  mo- 
tifs, pour  porter  les  agens  libres  à  les 
^.produire.     Ainfi  le  travail  d'un  ou- 
vrier lui  fait  obtenir  fon  falaire ,  por- 
tant celui  qui  le  lui  a  promis  fous  cette 
condition  à  le  lui  donner. 

Comme  il  efl:  certain  que  les  bon- 
nes œuvres  n'opèrent  pas  phyfique- 
ment  le  falut ,  6c  qu'il  n'y  a  que  Dieu 
feul  qui  le  produife  en  cefens,  il  eft 
certain  qu'on  ne  peut  leur  attribuer- 
cette  efpece  de  neceffité,  6c  qu'en  ef- 
fet elles  ne  font  pas  necefTaires  pour 
être  fauve  en  la  même  manière ,  en  la- 
quelle il  eft  nécefîaire  de  refpirer ,  de 
manger  ,  6c  de  boire,  pour  vivre. 
Ainfi  la  queftion  fe  réduit  à  lanecef- 
iîté  fondée  fur  l'efficace  morale. 

Nous  bomant  donc  à  cette  efpece 
de  neceffité ,  je  dis  qu'il  y  en  a  de  trois 
principales  efpeces. 

Il  y  a  premièrement  une  neceffité, 
que  nos  Théologiens  appellent  com- 
munément defrefence^  6c  qui  convient 
à  tout  ce  qui  ne  contribuant  rien  à  la 

I  s  pro- 


196  Traite'  de  ? 

production  d'un  effet ,  cil  une  fuit<i 
infeparable,  ou  tout  au  moins  un'i 
marque  feu re  ôc  certaine  de  ce  qui  M 
produit.  Ainfi,  afin  qu'une  pièce  d'ô 
ait  cours,  il  faut  qu'elle  aituncertaiil 
degré  de  pelanteur  ,  proportionné  ; 
fon  volume,  parce  que  il  elle  ne  P; 
pas ,  on  jug e  qu'elle  efi:  faufîe . 

Il  y  a  en  deuxième  lieu  une  neceflî 
té  qui  convient  à  cette  efpece  de  con- 
dirions  ,  fans  lefquelles  l'effet  n'ef' 
jamais  produit ,  mais  qui  peuvent  ê- 
tre  poféesfans  que  l'effet  fuive.G'eftct 
qu'on  appelle  dans  l^Kcolc ^Conditioner 
fine  qutbus  non.  Ainfi  il  n'y  a  point  de 
Dignité, foit  Civile, foit  Ecclefiafti- 
que ,  qui  ne  demande  neceffairemeitl 
un  certain  fexe ,  un  certain  âge ,  àt 
certaines  qualitez ,  fans  lefquelles  il 
efl:  impoffible  d'y  être  promu ,  mai^ 
qui  ne  fufîifent  pas  pour  l'être. 

Il  y  a  en  troifiéme  lieu  une  necefîîté, 
qui  convient  à  cette  forte  de  condi- 
tions ,  fins  lefquelles  l'effet  n'eil  ja- 
mais produit,  &  qui  ne  font  jamais 
pofées  que  l'effet  ne  fuive.  G'efl  ce  qui' 
peut  venir  de  trois  caufes, 

Qiel- 


BONNES    OE  U  V  R  E  S.  T97 

Quelquefois  cela  vient  d'une  loi 
ipofitive,  &  arbitrai  r-e  ,  fans  qu'il  y 
^ ait  aucune  liaifon  naturelle  entre  la 
'  condition  Ôc  PeHèt .  Ainfi  il  étoit  ne- 
■  celîaire  que  le  premier  homme  s'abfl 
'tînt  du  fruit- défendu  pour  éviter  la 
i  mort  5  6c  pour  demeurer  dans  le  jar« 
din. 

Quelquefois  cela  vient  de  la  natu- 
re des  chofes  mêmes  5  qui  font  telles, 
que  l'agent  ^n  juge  toujours  d'une 
certaine  façon ,  6c  eniuite  fe  porte  à 
produire  l'effet ,  fans  qu'il  y  ait  aucu- 
ne relation  de  juflice ,  ni  confequem- 
ment  de  mérite ,  entre  la  condition  5c 
l'effet.  Ainii  un  bon  Maître  recom- 
pénfe  un  efclave ,  qui  lui  a  rendu  quel- 
que ferviceconfiderable. 
~  Quelquefois  enïïn-ceîâ  vient  de  l'é- 
galité qui  fe  trouve  entre  la  condition 
ëc  l'effet ,  cqm  me  il  arrive  dans  les  ac- 
tions méritoires.  11  eft  neceffaire  de 
cette  façon  qu'un  ouvrier  travaille 
afin  de  gagner -fon  falaire. 

Ce  font  là  les  principales  efpeces  de 
néceffité qu'on  peut  remarquer  dans  les 

I  3  cho- 


198  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

chofes  qu'on  regarde  comme  necefîai- 
res.  Rien  n'eft  maintenant  plus  aifê 
que  de  voir  quelles  font  celles  qui  coa- 
viennent  ou  ne  conviennent  pas  à  nos 
bonnes  oeuvres  par  rapport-  à  la  vie 
éternelle. 

Il  eil  clair  en  premier  lieu  qu'on  ne 
p_eut  leur  coutelier  la  necefîlté  de  pre» 
îence.  Tout  ce  que  j'ai  dit  dans  le  cha- 
pitre précèdent  le  fait  allez  voir. 

Je  ne  dis  pas  tout  à  fait  la  même  cho- 
fe  de  la  féconde.  Il  y  a  de  nos  Théo 
ïogiens  qui  Pattribiient  à  nos  bonnes 
œuvres ,  6c  qui  difent  qu'elles  font  des 
conditions  fans  lefquelles  on  n'eft  pas 
fauve.  C'eft  lefentimentde  Pareus, 
rapporté  par  M.  le  Blanc.  C'eft  en^ 
core  celui  de  M.  Bull.  D'autres  le 
nieat.  Mais  il  me  femble  qu'à  fuivre 
l'idée  que  j'en  ai  donnée  on  ne  peut 
douter  que  cette  qualité  ne  convienne 
à  nos  bonnes  œuvres.  Quoi  qu'il  en 
foit,  s'il  y  a  quelque  difpute  fur  ce  fu- 
jet ,  c'ell  une  difpute  de  mots ,  qu'on 
peut  terminer  en  convenant  de  ce 
qu'on  entend  par  cette  expreffion. 

A  l'égard  de  la  trpilîéme  5  il  eft  cer- 
tain 


BONNES  GEtlVRES.  199 

tain  en  premier  lieu  que  les  bannes 
œuvres  ont  les  deux  carafteres  qui  la 
font  connoître.  D'un  côté  on  n'eil 
jamais  iauvéilins  les  oeuvres.  De  l'au- 
tre on  ne  fait  j-amais  les  œuvres  fans  ê- 
tre  faiivé.  Mais*  comme  j'ai  dit  que 
cette  troifiénie  efpecede  neceflite  fe 
fubdivife  en  trois  au  très,  pour  en  bien 
juger  il  faut  parcourir  ces  trois  efpe- 

:  ces  inférieures  &  particulières . 

On  ne  peut  pas  dire  en  premier  lieu 
que  la  néceffité  des  bonnes  œuvres  foit 
delà  nature  de  celles  qui  vient  d'une 
loi  arbitraire ,  6c  qui  n'a  aucun  fonde- 
ment dans  la  nature  de  la  chofe  mê- 
me. Car  enfin  les  bonnes  œuvres 
font  d'elles-mêmes  très -agréables  à 
Dieu ,  êc  fa  bonté  le  porte  efficace- 
ment ,   êc  comme  naturellement ,  à 

-  les  recompenfer. 

D'un  autre  côté  on  ne  peut  dire 
que  nos  bonnes  œuvres  méritent  la 
recompenfe  que  Dieu  leur  accorde. 
C'eil  ce  qu'on  verra  dans  la  fuite. 
Ainfi  les  bonnes  œuvres  ne  font  ne- 
celTaires,  ni  en  ce  troiiiéme  fens,  ni 
au  premier,  mais  elles  18  font  au  fe- 
I  4  cond , 


200  Traite'  DES 

cond,  parce  d'un  côte  que  la  fainteté 
de  Dieu ,  6c  Paverfion  qu'il  a  naturel- 
lement pour  le  crime,  le  porte  à  refti- 
fer  l'entrée  de  fon  ciel  à  ceux  quis'ob- 
jftment  à  ne  pas  faire  de  bonnes  œu- 
vres, 6c  de  l'autre  que  fa  bonté  ne  lui 
permet  pas  de  laifTer  fans  recorapenfe 
les  bonnes  aftions  de  ceux  qui  le  fer- 
vent. 


CHAPITRE    XXÏV. 

OhPon ré^onà^a quelques quefliôns  touchant 
la  nécèjjité des  bonnes  œuvres . 

CE  que  je  viens  de  dire  fait  afTez 
voir  que  les  bonnes  œuvres  font 
neceffaires  de  cette  efpece  de  nécefîî- 
té,  qu'on  peut  appeller  de  moyen. 
Mais  cela  pofé  l'on  demande  li  on 
doit  attribuer  une  telle  necefîite  à  tou- 
te forte  de  bonnes  œuvres.  C'eft  à 
quoi  il  eft  aifé  de  répondre  qu'elles 
ne  font  pas  toutes  également  necef- 
faires. Il  y  en  a  de  celles  dont  la  ne- 
cclîité  eil  abfoluë.     Telle  eft  celle 

des 


BONNES   OEuVRES.  201 

des  aâies  internes  de  foi ,  d'efperan- 
ce ,  de  charité ,  d'humilité  &c.  Qucî 
Chrétien  ,feroit-on ,  fi  on  ne  iaifoit 
jamais  de  ces  actes  ? 

Mais  il  y  en  a  d'autrcs  dont  la  ne- 
ceffîté  n'eft  pasauffi  grande.  Telles 
font  les  actions  fenûbles  ôc  extérieu- 
res, la  confeilion  de  la  vérité  ,  le 
martyre  ,  Paumône  ,  la  proteâion 
qu'on  donne  à  ceux  qui  font  oppri- 
mez, &c.  On  peut  ne  pas  faire  de 
CCS  œuvres  fans  renoncer  au  falut.  Il 
y  a  même  des  occafions ,  où  ce  n'eft 
pas  pécher  que  de  ne  les  pasfan^e. 

La  raifon  de  la  différence ,  c'efl  pre- 
mièrement que  les  aétes  internes  font 
beaucoup  plus  en  nôtre  puiffanceque 
les  externes.  Nous  ne  pouvons  pas 
toujours  faire  ces  derniers  ,  quoi  que 
nous  le  fouhaittionâ,  foit  parce  que 
nous  n'en  avons  pas  les  occafions  , 
(bit  parcÇj  que  nous  n'en  avons  pas 
les  moyens.  Mais  fi  nous  vou- 
lons fortement  6c  fincerement  croi^ 
re  en  Dieu  ,  l'aimer  ,  aimer  nos 
prochains  ôcc.  nous  le  pouvons  , 
6c  rien  i^e  fauroit  nous  en  empêcher. 

If  II 


Î02  T   R   A  I  T  E^  ,  D  E  S 

11  étoitdônc  de  la  fagelFe  6c  de  la  boni- 
te de  Dieu  de  ne  pas  exiger  les  œuvres 
externes  de  la  même  manière  que  les 
internes.  ~ 

En  deuxième  lieu  les  externes  n'ont 
pas  une  liaifon  auffi  neceflaire ,  Ôc  auffi  .^ 
inviolable ,  avec  la  véritable  fanftifi- 
cation,  que  les  internes.  Sans  ces  der-i 
niers  il  efl:  évident  qu'il  n^y  peut  avoirs 
de  véritable  fan61:ification.     Car  en  ( 
quoi  ell-ce  que  la  fanélifi cation  con- 
fifte  que  dans  les  vertus?  Et  que  font 
les  vertus  fans  les  a6tes?  Mais  il  n'erL; 
efl:  pas  de  même  des  aéles  externes.. 
Les  vertus  mêmes ,  dont  ces  aâies  font 
l'exercice ,  peuvent  fubiifter  fans  eux^ 
ôc  il  efl ,  par  exemple ,  très  pofTible^ 
qu'un  homme  ait  de  la  charité  fans 
donner  l'aumône.   Il  ne  faut  pour  le 
concevoir  que  pofer  un  homme  fi  po- 
vre,  qu'il  n'ait  abfolumcnt  rien  qu'il 
puiiîè  donner. 

Mais  il  y  a  fur  ceci  trois  remarques 
très-importantes  à  faire .  La  première, 
que  quoi  que  les  œuvres  externes  ne 
foient  paKoûjours  néce flaires ,  il  n'eil 
pas  à  dire  qu'elles  ne  le  foient  jamais. 

Elles 


BONNES  OEUVRES.  tô5 

Elles  le  font  fans  doute  toutes  les  fois 
que  leur  ômiflionferoit  une  preuve  de 
Pabfence ,  ou  de  la  fauiTeté  de  la  vertu, 
dont  elles  font  l'exercice.  C'efl  ce  que 
S.  Jean  nous  apprend  fur  le  fujet  de 
l'aumône.  Si  quelqu'un ,  dit-il ,  etymt 
des  biens  de  ce  monde  voit  Confrère  en  nécef- 
fie\  &  lui  ferme  Jh  entrailles  ,  comment 
eft-ce  que  lût,  charité  de  Di-eu  demeure  en 
Im  ?  Qn  peut  dire  la  même  chofe  des 
autres  femblables. 

Mais  lorsque  l'omiffion  de  l'œuvre 
n'induit  pas  qu'on  manque  de  la  ver- 
tu ,  dont  cette  œuvre  eft  l'exercice  , 
on  peut  dire  qu'elle  n'eft  pas  necelTai- 
faire.  Celaell  évident  par  l'exemple 
du  povre ,  qui  n'eft  pas  en  état  de  don- 
ner l'aumône ,  6c  par  plufîeurs  autres 
qu'il feroit  facile  d'y  ajouter,  &  que 
chacun  apperçoit  afîèz  de  foi-mêrnc. 
C'eftici,  fi  je  ne  me  trompe,  la  règle 
k  plus  certaine  qu'on  puilTe  établir  fur 
cefiijet. 

Il  faut  remarquer  eh  deuxième  lieu 
que  iî-1'exercice  aéliiel  des  bonnes  œu- 
Yî^s  n'eft  pas  toujours  necelTaire ,  el- 
les le  font  toujours  à  l'égard  de  ladif- 

I  6v  poli- 


204*        Traite'  DES 

poiition  ,  &  de  la  préparation  du 
cœur.  Je  veux  dire  quenous  devons 
être  toujours  prêts ,  Se  en  état  de  les 
faire,  au  cas  que  Dieu  nous, en  offre 
les  occ-afions.  Nous  devons  toujours 
avoir  en  nous  le  principe  8c  la  racine 
des  bonnes  œuvres ,  fi  nous  ne  produi- 
rons pas  toûJQurs  ces  fruits .  Car,  com- 
me on  l'a.veu,  le  principe ,  êc  la  racine 
des  bonnes  œuvres  c'eli  la  charité ,  6c 
la  charité  efb  une  vertu  dont  il  n'eft  ja- 
mais permis  de  manquer  ,  êc  fans  la- 
quelle on  n'eil  rien. 

Enfin  il  faut  remarquer  qu'il  y  a 
bien  de  la  différence  entre  dire  que  les 
bonnes  œuvres  font  tellement  necef- 
faires ,  que  fi  on  n'en  fait  jamais  aucu- 
ne 5  ileff  impofiible  qu'on  foit  fauve , 
&  dire  qu'elles  font  tellement  necef- 
faires ,  que  û  on  en  omet  une  feule ,  il 
faut  qu'on  periffe.  Le  premier  de  ces 
deux  fcns  eft  tres-véritable ,  6c  tout  ce 
que  j'ai  dit  jufqu'ici  le  fait  affez  voir. 
Lx  fécond efl  faux.  Car  enfin  fi  Dieu 
*  ne  pardonnoit  jamais  l'omifiion  d'au- 
cune des  œuvres  qu'il  a  commandées , 
il  n'y  auroitperfonne  qui  fe  fiiuvât. 

C'eil 


^-' 


BONNES  OEUVRES.  lOJ 

C'eft  par  là  qu'on  peut  répondre  à 
une  objeâiion,  qu'on  nous  fait.   On 
nous  dit  qu'il  eft  très  poiîible  qu'un 
homme  fe  repente  aux  derniers  mo- 
mens  de  fa  vie ,  6c  par  confequent  dans 
un  temps,  où  iVlui  eft  impofÏÏble  dé 
faire  de  bonnes  œuvres .    Mais  ce  que 
je  viens  de  dire  détruit  abfolument 
;  cette  objection .    Premièrement  fi  cet 
homme  ne  fait  pas  des  œuvres  exter- 
nes, il  en  fait  d'internes.     Il  a  de  la 
douleur  de  fes  fautes ,  il  les  detefte , 
;  il  en  demande  le  pardon  à  Dieu ,  il 
J. implore  fa  miiericorde  ,  il  a  de  la 
■  confiance  en  fa  bonté ,  il  l'aime ,  il  a 
du  mépris  pour  la  terre,  il  foûpire 
j  après  le  bonheur  du  Ciel,  il  s'anéan- 
'  tit  devant  Dieu  par  un  vif  fentiment 
de  fon  indignité  6c  de  fa  balTefîè.  Et 
ne  font -ce  pas  là  autant  d'œuvres 
excellentes  f  il  en  fait  même  d'exté- 
rieures ,  s'il  en  a  le  moyen  6c  les  oc- 
cafions.  Si  ces  moyens  6c  ces  occafions 
lui  manquent,  cette  omiffionne  lui  eft 
point  imputée. 
V     On  demandera  encore  fi  Dieu  ne  fup- 
porte  point  l'omiffion  des  œuvres  mê- 
mes 


2o6  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

qu'il  a  commandées,  qu'on  peut,  & 
qu'on  doit  faire,  Ôc  dont  on  a  les  mo-^ 
yens  ôc  les  occafions .  Je  réponds  que 
-ceci  ne  fouffre  point  de  difficulté. 
Non  feulement  Dieu  pardonne  tou- 
tes ces  omiffions  à  ceux  qui  s'en  re- 
pentent ,  8c  qui  s'en  corrigent ,  mais 
il  en  fupporte  même  quelques-unes  en 
îa  perfonne  de  fesenfans,  quoiqu''ils 
ne  s'en  corrigent  point  tout  à  fait.  Il 
faut  bien  que  celafoit,  puis  qu'il  n'y 
a  point  de  fidelle  qui  ne  falîë  quel- 
qu'une de  ces  omiffions  au  dernier 
moment  de  fa  vie ,,  6c  par  eonfequent 
dans  un  temps ,  où  il  lui  efl  impoffir- 
bîe  de  fe  corriger.  Ainfi  fi  Dieu  ne 
fupportoitceci,  il  n'y  auroit  perfon- 
ne quineperît.  ^ 

Enfin  on  demandera  jufqu'oîi  c'eft 
que  va  ce  fupport  de  Dieu ,  ôc  quelles 
font  les  omiffions  qu'il  foufïre  en  la 
perfonne  de  fes  enfans  ,  Se  qu'elles 
celles  qu'il  punit.  Il  femble  d'abord 
qu'il  y  ait  de  la  témérité  à  répondre  à 
cette  queflion.  Car  fur  quoi  peut-on 
£c  fonder  pour  prononcer  là-deilus  ^ 
Je  croi  pourtant  que  la  régie  que  j'ai 

indi* 


BONNES    OE  LIVRES.  ît'GT* 

indiquée  dans  un  autre  endroit  de  ce. 
chapitre  peut  être  de  quelque  ufage 
fur  ce  fujet.  Dieu  ne  fupporte  en  qui 
que  ce  fok  Pomiiîion  des  œuvres ,  qui 
eft  incompatible  avec  la  vérité  de  la 
iànétification  &:de  la  pieté.  Mais  il 
fupporte  celle  qui  peut  fubiifler  avec 
cette  pieté  &  cette  fanéliifi cation ,  6c 
qui  fait  voir  fimplement  qu'elle  elt 
imparfaite  &  defeéîiueuie ,  fans  prou- 
ver qu'elle n'eft  pas  véritable. 

C'efl  ce  qu'on  peut  tenir  pour  conf- 
tant.  Mais  li  on  me  dem.andoit  juf- 
qu'oii  cette  omifîîon  peut  aller  fans4- 
tre  une  preuve  de  la  fanileté  de  la  fane- 
tification ,  je  ne  croi  pas  qu'iifût  poffi- 
ble  de  répondre  folidement  à  cette 
queftion.  Je  fuis  perfuadé  que  c'elt 
ici  l'un  de  ces  fecrets ,  que  Dieu  s'eft 
refervez ,  ôc  qu'il  ne  découvre  à  per° 
fonnic .  Je  croi  au  moins  que  quoi  qu'il 
en  foit  des  Anges  6c  des  bieniieureiix  ^ 
les  hommes  pécheurs  êc  mortels  l'i- 
gnorent. 

Voilà  en  peu  de  mots  quelle  eft  la 
neceffité  des  bonnes  oeuvres.     Cette 
aéceffité  étant  telle  y  a'eft-il  pas  éton- 
nant 


ao8  Traite'  DES 

liant  que  les  Chrétiens  y  aient  fi  peu 
d'égard ,  &  qu'ils  foient  fi  negligens 
pour  la  pratique  de   ces  œuvres   fi 
necefiaires  ?  Ils  croient  tous  un  juge- 
ment ,  une  vie  à  venir  ^  uh  Paradis , . 
6c  un  Enfer,  car  je  ne  parle  mainte-  | 
nant ,  ni  des  Deïfles ,  ni  des  Athées ,  [ 
je  parle  de  ceux  qui  ont  quelque  per- 
fiiafion  forte  ou  foible,   des  veritez 
du  falut,  6c  qui  font  les  feuls  qu'on 
peut  appeller  Chrétiens,   à  prendre 
ce  mot  dans  fa  fignification  la  plus 
étendue.     Ils  fouhaittent  d'éviter  cet 
Enfer,  6c  de  goûter  les  douceurs  de 
ce  Paradis  5    6c,  ils  favent  d'ailleurs 
qu'il  eft  impoflible  de.  réufiir ,  ni  dans 
l'un,  ni  dans  l'autre  de  ces  deiîeins , 
fans  faire  de  bonnes  œuvres.     Com- 
ment fe  peut -il  qu'ils  les  négligent 
ayant  un  tel  défir,  6c  une  telle  per- 
fuafion? 

En  effet  l'un  ou  l'autre  ôté ,  j'a- 
voue que  cette  négligence  n'a  rien 
qui  doive  furprendre.  Il  feroit  na- 
turel qu'on  négligeât  des  œuvres  af^ 
fez  contraires  à  nos  penchans ,  fi  on 

ne 


4 


l-  BONNES  OEuVRES.  209 

[ne  fe  fbucioit  pas  de  périr,  ou  fi  s'en 
ifoucianc  on  croyoit  que  les  fair'e  n'eft 
pas  un  m^oyen  propre,  n'eft  pas  mê- 
•  ine  un  moyen  néceiTaire  pour  fe  fau- 
!ver.  Mais  que  voulant  fb  iauver  , 
ôc  fâchant  qu'on  ne  le  peut  fans  fan*e 
de  bonnes  œuvres  ,  on  n'en  falîe 
point ,  c'eft  ce  qu'an  auroit  de  la  pei- 
ne à  comprendre  fi  on  ne  le  voyoit 
«tous  les  jours ,  $c  fi  chacun  de  nous 
|n'en  fourniiîoit  un  exemple. 

Mais*ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  de  dé- 
plorer ce  défordre.  J'ai  dit  ce  que 
j'en  penle  dans  le  premier  Volume  de 
mes  EiTais  de  Morale  Difc.  L 


CJ  H  A- 


aïO  T  R  A  I  T  E*     D  E  s 


CHAPITRE   XXV. 

Si  nos  bonnes  œuvres  font  méritoires,  Re^- 
flexions  Jhr  le  fentiment.  de  quelqueii 
DoUeurs  de  la  Communion  %omain&t 
fur  ce  fijet, 

E  qu€  je  viens  de  dire  fait  voir 
_    clairement  comment,  5c  en  quel 
fens  les  bonnes  œuvres  font  neceffai-- 
res.  Il  faut  voir  maintenant  lî  elles  font: 
méritoires ,   comme  PEglife  Romai-- 
ne  Palleure.     Mon  deflein  au  reflè 
n^eft  pas  de  traiter  à  fond  cette  qiief* 
tion.     Il  faudroit  pour  cela  un  ou» 
vrage  à  part  beaucoup  plus  grand  que  : 
celui-ci.    Je  m'y  étendrai  feulement 
tout  autant  que  je  lejugerai  necelîaire 
pour  donner  quelque  intelligence  de 
la  matière ,  êc  pour  mettre  quelque 
proportion  entre  ce  que  je  dirai  fur 
cette  queftion,  6c  ce  que  j'ai  dit  fur 
les  autres ,  qui  font  ce  Traité. 
Il  s'agit  ici  uniquement  de  favoir  fi 

ce 


BONNES  OEuVRES»       "211 

2  que  PEglife  Romaine  enfeignc 
lur  ce  fujet  eft  véritable.  Il  faut  par 
confequent  commencer  par  tâcher 
d^expliquer  k  plus  nettement  ôc  le 
plus  fidellement  qu'il  fera  poffible  la 
créance  de  nos  Adverfaires  fur  cette 
q ueftion .  Voici  en  peu  de  mots  ce  que 
c'efr. 

Ils  diftingiient  en  premier  lieu  un 
double  mérite  y  Pun  qu'ils  appellent 
de  congruiîe\  ou  de  bienfeance ,  l'au- 
tre qu'ils  appellent  de  condignité  \  ôc 

;  ils  ajoutent  pour  la  plupart  que  le  pre- 
mier de  ces  deux  mérites  ne  porte  ce 
nom  qu'improprement ,  au  lieu  que 
ce  nom  convient  proprement  au  fe=t 
€ond .  Ils  font  au  refte  confîfter  la  dif- 
férence de  ces  deux  efpeces  de  méri- 
te en  ce  que  celui  de  congruité  n'eft 
fondé  que  fur  la  bonté  6c  la  libérali- 
té de  Dieu,  au  lieu  que  celui  de  con- 
dignité  emporte  une  relation  dejufti» 

\  ce.  Voici  les  propres  paroles  de  Tho- 
mas d'Aquin .  On  dit  qu^un  homme  mé- 
rite d'^un  mérite  de  condigmte\  lors  qu'ail  y  <s 
de  C  égalité  entre  la  recompenje  ^  le  mérite 

\  fi/on  Knejufte  ejUmation  :  Et  on  dU  qu'en 


aia        Traite'    d  e^ 

mérite  d^un  mmte  de  congrue  ^  lors  qu^ il 
ny  a  pas  une  telle  ^égalité  ,  wms  que  cey 
Im  cjui  donne  fait  libéralement  un  prejent'^ 
quil  luifiedhien  défaire.  Dieiîur  aliquis- 
mereri  ex  condtgno  ,  quando  invenitur  <€- 
qualttas  inter  pr&mium  &  meritum  fecun- 
dum  eflimaîionem:  ex  congruo  autem  tan- 
tum  qti^mdo  talis  aqualitas  non  invenitur^ 
fed  folum  fecundum  liberalttatem  dantis 
munus  tYîhmîur ,  quod.  dantem  decet, 
Th0m.in2.dift.  27.0.1.  Art.  3. 

Si  lors  que  PEgliie  Romaine  {oxi^ 
tient  que  les  bonnes  œuvres  font  mé- 
ritoires ,  elle  entendoit  feulement 
qu'elles  le  font  de  cette  efpéce  de 
mérite  ,  qu'elle  appelle  de  congrmte\ 
il  n'y  auroit  entre  elle  6c  nous  à  cet 
égard  qu'une  limple  difpute  de  mots, 
êc  nous  ferions  d'accord  fur  la  chofe 
même.  En  effet,  nous  n'avons  gar- 
de de  nier  que  ce  ne  foit  une  a6tion 
digne  de  la  bonté  6c  de  la  libéralité  , 
de  Dieu ,  de  recompenfer  les  fervi-  I 
CCS  de  fes  chers  enfans.  C'eil  pour- 
quoi auiTi  il  y  a  quelques-uns  de  nos 
Théologiens  ,  particulièrement  le 
Do6teur  Twilfe  ,    qui  ne  font  pas 

fcru» 


BONNES   OEUVRES.  21^ 

fcrupuîe  de  dire  que  nos  bonnes  œu- 
vres mentent  de  congrm. 

Les  autres  à  la  vérité  n'approuvent 
pas  cette  façon  de  parler.  Mais  il 
faut  avouer  aufîi  qu'une  difpute  qui 
ne  roule  que  fur  des  mots  eft  bien 
légère,  6c  mérite  peu  de  partager  les 
Chrétiens.  Quoi  qu'il  en  foit,  l'E- 
glife  Romaine  l'entend  autrement, 
&  le  mérite  qu'elle  attribue  à  nos 
bonnes  œuvres,  efl:  un  mérite  decon- 
dignité ^  6c  proprement  dit.  G'efl  ce 
qui  paroît  non  feulement  par  le  lan- 
gage de  tous  fes  Docteurs ,  mais  en- 
core par  la  décifîon  formelle  de  fon 
Concile  de  Trente.  St  quelqu^un  , 
dit  -  il ,  foûtient  qt-te  les  bonnes  œuvres 
de  Phomme  jufitfié. ...  ne  méritent  -pas 
véritablement  P augmentation  de  la  grâce , 

la  Vie  éternelle &  l? augmentation  de  la 

gloire ^qtCtl foit anatheme ,  Self.  6.  can.  56. 

Mais  quoi  que  ceci  palTe  aujourd'hui 
pour  confiant,  il  ne  laiile  pas  d'être 
vrai  qu'il  y  a  dans  le  'îtm  de  l'E^glife 
Romaine  une  grande  di  ver  fi  té  à^'LtXï- 
timens  fur  cette  matière.  La  rai  fon  en 
eft  qu'ils  ne  fe  font  pas  tous  une  même 

idée 


114  T  R  A  I  T  E^    D  ES 

idée  du  mérite  de  condignité ,  les  uns 
exigeant  pour  cela  une  chofe ,  les  au- 
tres une  autre. 

Les  conditions  qu'on  exige.^pour 
faire  un  mérite  de  condiguité  ,  ibnt 
de  deux  ordres.  Les  unes  font  celles 
dont  tous  conviennent ,  n'y  ayant  au- 
cun de  leurs  Doébeurs  qui  n'avoue 
quelles  font  abfolument  neceflaires. 
Telles  font  ces  fîx ,  que  l'aftion  foit 
volontaire,  qu'elle  foit  libre ,  qu'el- 
foit  bonne ,  qu'elle  foit  faite  avec  le 
fecours  de  la  grâce ,  que  celui  qui  la 
fait  foit juftifié ,  qu'il  foit  c^s  l'état 
de  voie  ,  c'eil  à  dire  qu'il  ne  foit 
pas  encore  admis  à  la  pofîeflion  du 
bonheur.  Il  y  en  a  deux  autres ,  dont 
tous  ne  conviennent  pas.  L'une  qu'il 
y  ait  de  Pégalité  entre  la  valeur  de 
l'aôion,  6c  la  recompenfe.  L'autre 
que  la  recompenfe  foit  accordée ,  non 
par  bonté,  non  par  libéralité,  mais 
parjuftice.  Comme  c'eft  de  ces  deux 
conditions  que  dépend  la  déciiîon  de 
cette  queftioh,  ce  font  les  feules  auf- 
quelles  je  vai  m'attacher. 

Je  commence  par  la  première,  & 

je 


BONNES  OEuVRES.  IIJT 

je  remarque  d'abord,  qu'il  y  a  fur  ce 
fujct  deux  fentimensdireftementop- 
pofez  parmi  les  Docteurs  de  la  com- 
munion Romaine.  La  plupart  foû- 
tiennent  que  le  mérite  proprement  dit 
fuppofe  neceflairement  de  l'égalité 
entre  la  bonté  de  l'aélion  meritotre 
de  la  recompenfe.  C'eft-làen  parti- 
culier la  penfée  de  Bellarmin  ,  de 
Suarez,  de  Tanner,  ôc  d'Arriaga. 

D'autres  au  contraire  foûtiennent 
que  cette  égalité  n'eft  nullement  ne- 
«ceflaire.    Il  fuffit  félon  eux  que  Dieu 
■  ait  promis  volontairement  à  l'homme 
quelque  bien,  ou  quelque  avantage, 
àconditioaquecet  homme  falTe  quel- 
que chofe  qu'il  lui  prefcrit ,  8c  que 
celui-ci   remplifTe   cette  condition. 
,  Cela  feul  pofé  ils  foûtiennent  que  fon 
aétion  fera  méritoire.  Bellarmin  attri- 
bue ce  fcntiment  a  Scot ,  &  à  André 
de  Vcga ,  &:  Fr.  L'Ami  à  Grégoire 
de  Rimini  ,   ôc  à  tous  les  Scotiftes. 
Entre  les  modernes  Conink,  Con- 
tenfon ,  George  de  Rhodes ,  6c  Pla- 
tefius  le  foûtiennent. 
^    Si  toute  l'Eglife  Romaine  embraf- 

fQÏt 


^ 


2Ll6  T   R   AI  T  e'      D  E  S 

foit  ce  fécond  fentimenr ,  nous  n'au 
rions  point  de  difpute  avec  elle  fm 
cette  matière.  En  effet,  nous  nenions.î 
ni  que  Dieu  n'ait  promis  de  recom- 
penfer  nos  bonnes  aéiions ,  ni  qu'iv 
ne  foit  impoffible  que  cette' promeffi 
ne  s'exécute.  Ainli  fi  par  le  meritÉ 
on  n'entendoit  aucune  autre  choft 
qu'un  droit  fonde  fur  la  fidélité  di 
Dieu,  &  fur  la  vérité  immuable  d< 
fes  promeifes  ,  on  ne  pourroit  niei 
que  nos  œuvres  ne  foient  méritoires 

Mais  outre  que  le  gros  des  Do6i:eur; 
de  la  Communion  Romaine  foûtien 
formellement  le  contraire ,  je  ne  Voi 
pas  comment  il  efl  polTible  d'accor 
der  ce  fentiment ,  ni  avec  les  maxi- 
mes les  plus  confiantes  de  leur  Ecole, 
ni  avec  lesdécifions  les  plus  nettes  de 
leur  Concile. 

Car  premièrement  ceci  ruine  Ja  dif- 
tinétion  du  mérite  de  congru ité ,  6c  de 
condignité  ,  qui  efb  fi  univerfelle- 
ment  reçue  parmi  eux.  En  eflet ,  li 
la  promelîè  de  Dieu  fufîît  poiu*  faire 
un  mérite  de  condignité ,  le  mérite 
de  condignité  n'aura  rien  de  plus  que 

celui 


ÏÎO^ÎNES   OEuVRES.  217 

celui  de  coiigruité.  Laraifonen  eft 
qu'il  y  a  bien  des  grâces,  que  Dieu 
promet  à  de  certaines  a6bions,  ôcquc 
ces  actions  pourtant  ne  mentent  félon 
l'Eglife  Romaine  que  de  cette  efpece 
de  mérite ,  qu'on  appelle  de  congrmté. 

Par  exemple.  Dieu  promet  la  re- 
miffion  des  péchez  à  lu  foi.  Qu'il  vous 
joit  notoire  ^  difoit  faint  Paul  aux  Juifs 
d'Antioche  de  Pifidie  Ad  XIII.  38. 
59.  (^ae  la  remtjfion  des  pJchez,  vous  eft 
offerte  en  le  fus-  Çhrifl ,  &  i^jtie  de  tout  ce 
dont  vous  n'avez,  pu  eftre  juftifiez.  par  la 
:  Loi  deçjM^ojfe ,  quiconque  croit  eft  jufti^ 
fié  par  lui  II  la  promet  à  la  conver^ 
fîon.  <!^mande^'Vous  ^  &  vous conver->- 
tijfez ,  afin  que  vos  péchez^  feient  effaceK, , 
difoit  S.  Pierre  aux  Juifs  dé  Jerulàlem 
A6t.  lïl.  19.  Il  la  promet  au  pardon 
des  injures.  Si  vous  quitte?^  aux  hommes 
leurs ofenfes,à\t],Chri^M2itU  VI.  14. 
"îjotre  Père  celefte  vous  quitera  auffïles  vôtres^ 

On  avoue  pourtant  qu'il  eft  im- 
poffible  de  mériter  la  remiffion  des 
péchez  par  un  mérite  de  condigni- 
té  6c  proprement  dit.  Car  outre 
que  tous  les  Docteurs  de  l'E- 
glife  Romaine  en  conviennent ,  le 
K  Con- 


ai8         Traite'     des 

Concile  de  Trente  l'a  décidé  nette-^ 
ment.  Il  dit  que  la  juftification  efl  pu- 
rement gratuite,  6c  que,  ni  la  foi ,  ni  les 
oeuvres  ne  la  fauroient  mériter.  Gratis 
mtem  juflifican  ideo  dicilur ,  quia  nïhil  eo-. 
Yum^qU(ZJuflificationemfY(ZcedHnt^Çivefiâes^ 
Jive  opéra  ^  jHflificationis  gratiam  fr orner e^ 
tur.  Si  enim  gratiaefl  ^jam  non  ex  operi^ 
bus  ,  alîoqmn  ,  ut  idem  Apoftolus  inquit , 
gYaîiajam  non  efi gratin,  SefT,  VL  cap. 
8. 

Que  deviendra  tout  ceci ,  fi  pour 
faire  un  mérite  de  condignité  il  ne  faut 
autre  chofe  qu'une  promefTe  ?  Pour- 
ra-t-on  nier  dans  cette  fuppofition  que 
la  foi,  que  la  converfion ,  que  le  par- 
don des  injures ,  ne  méritent  k  remif- 
fion  des  péchez ,  puis  que  Dieu  la  leur 
a  promife  fi  expreffement,  quoi  que 
le  Concile  de  Trente  ait  défini  fi  for- 
mellement le  contraire  ? 

C'ell-là ,  fi  je  ne  me  trompe ,  la  'vé- 
ritable raifon  qui  a  fait  que  Mr.  de 
Meaux ,  qui  n'a  rien  négligé  de  ce  qui 
lui  a  paru  propre  à  adoucir  les  dogmes 
de  fon  Eglife ,  6c;  à  leur  ôter  ce  qu'ils 
ont  de  plus  abfurde  £c  de  plus  outré, 

ne- 


BONNES  OEUVR  ES.  2I9 

nes'eftpasarrêtéà  ceoi  dansfbn  Expo- 
fitton  de  U  Foi  Catholique ,  5c  a  mieux  ai- 
mé chercher  Padouciiîement  de  ce  do- 
gme dans  ce  qu'il  y  fait  entrer  la  grâce, 
ëc  le  mérite  de  Jefus-Chrift.  Il  a  veu 
fans  doute  que  le  fentiment  dont  je 
parle  eft  direftement  oppofé  aux  déci- 
dons du  Concile  fur  lequel  il  s'appuie. 
C'eft  pourquoi  il  n'en  a  rien  dit  ;  en 
quoi  il  a  agi  avec  plus  de  bonne  foi  que 
Mrs .  de.  Valembourch ,  qu i  nous  per- 
mettent d'entendre  par  le  mérite, 
qu'ils  veulent  que  l'on  reconnoiile , 
une  aârion  qui  n'ait  que  ces  quatre 
conditions,qu'elle  foit  i .  l'aétion  libre 
%.  d'uîi  voyageur  3 .  juilifié ,  4 .  &  faite 
par  le  fecours  de  la  grâce .  Vd\  de  ?^m'- 
tis y  cap.  ijT.  '       . 

Pour  revenir  1  nôtre  fujet,  Arria- 
ga  prouve  encore  la  même  chofe  par 
une  autre  confideration ,  qui  ne  me 
paroît  pas  à  méprifer.  Il  ait  que  fi  la 
promefte  de  Dieu  peut  fuppléer  le  dé- 
faut d'égalité,  qui  doitfe  trouver  en- 
tre l'aéiion  5c  la  recompenfe ,  on  ne 
fauroit  donner  aucune  raifon  folide  de 
ce  que  Dieu  n'a  point  promis  le  Ciel 

K  %  aux 


^SLo        Traite'    des 

aux  afbions  faites  par  les  feules  forces 
de  la  nature.  S'il  Pavoit  fait,  ces  ac- 
tions purement  naturelles  feroient 
aufîi  méritoires  que  celles  que  la  grâ- 
ce donne  le  moyen  de  faire.  Puifqu'il 
ne  l'a  pas  fait,  on  doit  en  conclurre  que 
pour  faire  un  véritable  mérite  il  faut 
quelque  chofe  de  plus  qu'une  aélion ,  à 
laquelle  une  recompenfe  ait  été  pro- 
mife. 

Enfin,toute  l'Eglife  Romaine  con- 
vient que  le  don  de  la  perfeverance  efl 
un  don  purement  gratuit ,  que  perfon- 
ne  rie  peut  mériter  d'un  mérite  de  con^ 
dignité.  Voyez  Thom.  i.  2.  quseft. 
1 14.  art.  9.  On  croit  pourtant  que 
Dieu  l'accorde  ,  au  moins  pour  un 
temps ,  à  tous  ceux  qui  la  lui  denian- 
dent ,  de  en'effet  il  n'y  a  rien  qu'il  n^ait 
promis  à  la  prière .  Tomes  les  chofes ,  di- 
Îbitjefus-Chrift,  ^i^e  vous  demanderez, 
au  Père  en  mon  nom ,  il  vous  les  accordera. 
On  meritcroit  donc  cette  grâce  en  la 
demandant ,  fi  pour  mériter  il  ne  faloit 
que  remplir  une  condition  attachée  à 
une  promeiîe.  Puis  que  nonobflant 
cette  promcilc  le  don  de  la  perfeveran- 
ce 


BONNES     OEuVRES.         2.21 

t  ce  eft  un  don  purement  gratuit,  il  faut 
•  nécefîairement  avouer  que  pour  méri- 
ter il  faut  quelque  cliofe  de  plus  que 
■  remplir  de  telles  conditions.     Il  faut 
faire  des  a6tions  dont  la  bonté  égale  le 
prix  de  larecompenfe. 

CHAPITRE    XXVL 

Qu'il  rPy  a  point  â'^égdiîé  entre  la  honte 

de  nos  œuvres  ^  ^  la  reco?7îpenj€  que 

Dieu  nom  promet. 

IL  paroît  par  tout  ce  que  je  viens  de 
dire  que  nos  œuvres  ne  fauroient 
être  méritoires,  il  leur  bonté  n'égale 
le  prix  ôc  la  valeur  de  la  recompenfe 
que  Dieu  leur  accorde.  Il  ne  refte 
maintenant  qu'à  voir  fi  on  peut  dire 
qu'il  y  ait  une  telle  égalité  entre  ces 
deuxchofes.  On  verra  clairement  par 
là  fi  ces  œuvres  font  méritoires . 

Quelques  Doéteurs  de  l'Eglife 
Romaine  l'affûrent  ,  comme  je  Tai 
déjà  remarqué.    Mais  il  eft  étonnant 

K  3  qu'ils 


2^^  Traite'  DES 

qu'ils  ayent  pu  digérer  une  abfurdi-^ 
té  il  palpable.  Premièrement  S.  Paul 
s'eft  expliqué  formellement  là- deii  us, 
difant  aux  Romains  VIII .  que  tom  hten 
compte  les foujfrances  du  temps  prefent  ne  font 
pointacontrepefer  avec  la  gloire  cjui  doit  ê-~ 
tre  révélée  enîa  perfonne  des  enfans  de 
Dieu. 

M^is outre Pautorité de  S.  Paul,  la 
chofe  me  paroît  de  la  dernière  éviden- 
ce. Car  enfin  la  bonté  de  nos  œu- 
vres ell:  très  limitée ,  comme  le  refte 
de  ce  qui  eit  en  nous ,  &  la  recom.pen- 
fe  que  Dieu  promet  à  ces  œuvres  elt 
infinie.  Elle  Pefl  même  en  tout  fens. 
C'eil  la  poileffion  d'un  bien  infini, 
puis  que  c'cfl;  la  poileffion  de  Dieu 
même,  qui  veut  bien  faire  le  bonheur 
des  Saints,-&  être ,  non  feulement  leur 
rémunérateur,  mais  encore  leur  re- 
compenfe.  Abraham  ne  crain  point,  fe 
fuis  ton  bouclier ,  d"  t^  recompenfe  treugran^ 
de.  C'eft  d^aiileurs  un  bonheur  éter- 
nel ,  êc  dont  la  poileffion  &  la  durée  ne 
finira  point.  Comment  après  qû-x 
peut-on  foûtenir  qu'il  y  ait  quelque 
égalité  entre  ces  deux  chofes^  fi  vifi- 

ble» 


BONNES    OEu  VRES.^  %1^ 

blement,  6c  ii  prodigieufement  iné- 
gales.^ 

On  tâche  d'éluder  îa  force  de  cette 
preuve  par  deux  réponfes  contraires. 
Les  uns  difentiqu'à  la  vérité  il  n'y  a 
point  d'égalité ,  ni  de  proportion  en- 
tre nos  œuvres ,  6c  le  bonheur  que 
Dieu  nous  promet ,  lî  l'on  s'arrefle  à 
ce  que  nos  œuvres  font  en  elles  mê- 
mes, ôc  qu'elles  tirent  de  nos  feules 
forces,  mais  qu'il  en  eft  autrement  fi 
on  confidere  tout  le  prix ,  &:  toute  la 
dignité  qui  leur  vient,  d'un  côté  de 
la  grâce  furnaturelle  ,  qui  en  eil:  le 
principe ,  6c  de  l'autre  de  la  qualité 
d'enfans  de  Dieu  ,  que  nous  avons 
l'honneur  déporter. 

Les  autres  difent  qu'à  la  vérité  l'ex- 
cellence de  nos  œuvres  eft  affez  bor- 
née ,  mais  qu'au iîi  le  bonheur  queDieu 
leur  promet  n'eil  pas  infini.  Ils  di- 
fent qu'encore  que  ce  bonheur  con- 
fifte  en  la  polTefiion  de  Dieu ,  qui  eil; 
un  bien  infini,  il  eil  fini  en  lui  même. 
Dieu  ne  pouvant  être  pofiedé  que 
d'une  manière  proportionnée  à  notre 
nature ,  qui  eil  elîèntieikment  limi- 
tée. K  4  Mais 


Z^4  aT  R  A  I  T  e'    des 

Mais  ces  deux  réponfes  font  ,égaîç* 
ment  frivoles.  Car  pour  la  première 
je  ne  conviens  pas  que  la  dignité  de 
Pouvrier  augmente  toujours  le  prix 
de  Pouvrage.  Qui  voudroit  dire  , 
par  exemple,  qu'un  tableau  fait  p'ar  un 
Prince  vaut  davantage  qu'un  autre  ta- 
bk?tu  d'une  égale  bonté,  fait  par  un 
Peintre  ordinaire? 

D'ailleurs,  fi  un  enfant  de  Dieu ,  6c 
un  pécheur  faifoient  deux  aélions  éga- 
lement bonnes  ,  6c  également  con- 
formes à  la  Loi  de  Dieu ,  je  foûtiens 
que  celle  du  premier  ne  Ceroit  pas  plus 
méritoire  que  celle  du  fécond.  C'eil 
ce  qu'il  efc  aifé  de  prouver  par  une 
confideration ,  que  j'ai  déjà  touchée 
dans  mon  Traité  de  la  foi.  C'eil:  que 
Paétion  de  Pcnfant  de  Dieu  ne  feroit 
pas  plus  louable  que  celle  du  pécheur. 
Au  contraire  celle  du' pécheur  feroit 
plus  louable  que  celle  de  Penfmt  de 
Dieij.  Laraifoneneftque  plus  on  cix 
aidé  à  faire  une  aélion ,  moins  on  efl: 
louable  de  Pavoir faite.  Ainfi  l'enfant 
de  Dieu  étant  plus  aidé  que  le  pé- 
cheur, puis  qu'il  a  tout  le  fecours  de 

k 


BONNES   OEuVRES.  21f 

la  grâce  que  l'autre  n'a  pas ,  il  cil  évi- 
dent qu'il  eft  moins  louable. 

Mais  voici  quelque  chofe  de  plus 
prenant.  Je  demande  fî  cette  dignité, 
qu'on  veut  que  la  grâce  habituelle,  ôc 
Ja qualité  d'enfant  de  Dieu,  ajoutent 
à  l'excellence  &  à  la  bonté  naturelle  de 
nos  bonnes  œuvres  ,  cil  une  dignité 
finie,  ou  infinie.  Qiiclque  parti  que 
l'on  prenne,  on  fe  jette  dans  des  em- 
barras ,  d'oii  l'on  ne  fauroit  fe  ti- 
rer. 

Si  onditquecettedignité  eft  finie, 
ma  preuve  fubfifte  dans  toute  la  force. 
]  )ans  cette  fuppofition  il  eft  vrai  de  di- 
re qu'il  n'y  a  aucune  proportion  entre 
la  bonté  de  nos  œuvres  ,  à  quelque 
égard  qu'on  les  confidere,  6c  la  re- 
compenfe  que  Dieu  leur  promet.. 
Car  quelle  proportion  peut  avoir  le 
fini  avec  l'infini? 

Si  on  dit  que  cette  dignité  eil:  infi- 
nie ,  on  dit  une  chofe  abfurde ,  5c  con^ 
traire  à  la  propre  créance  de  la  coiïi- 
munion  Romaine.  Car premiéi-emeiu 
il  s'enfuivra  de  la  qu'un  fimple  homi- 
me  3  millement  uni  à  la  Divinité ,  aura 

KA 
5  pu- 


2.2.6  Tr  A  ITe'    D  E  S 

pu  rachetter  tout  le  genre  humaine 
En  effet,  il  ne  falloit  pour  cela  qu'of- 
frir à  Dieu  un  facrifice  d'un  prix  in- 
£m.  Et  c'efl:  ce  que  le  dernier  des^ 
hommes  pourra  faire  dans  cette  fup- 
poiition  avec  le  fecours  de  la  grâce.. 
Ainfi  ce  fera  fans  aucune  néceffité  que 
le  Fils  de  Dieu  fe^fera  fait  homme ,  6c 
aura  enduré  la  mort.  î 

D'ailleurs  ,  dans  cette  fappofition 
toutes  les  bonnes  œuvres  qu'un  enfant^ 
de  Dieu  viendra  à  faire  avec  le  fecours  ^ 
delà  grâce  de  quelque  nature  qu'elles 
foient  d'ailleurs ,  &  qu'elle  qu'en  foit 
lamcilitê ,  ou  la  difficulté ,  feront  éga- 
lement méritoires.  En  effet,  elles  fe- 
ront toutes  d'une  valeur  infinie  ,  ôc 
chacun  comprend  affez  de  foi-  même 
qu'il  eil  impofîible  qu'il  y  ait  aucune 
inégalité  entre  deux  fujets  infinis^, 
puifque  fi  l'un  excedoit  l'autre  ^  ce- 
lui qui  feroit  excédé  ^  finiroit  à  l'en- 
droit oh  il  commenceroit  de  l'être. 
Ainfi  toutes  les  bonnes  œuvres  fe- 
roient  également  bonnes.  Elles  ne 
cederoient  même  en  rien  à  celles  de 
Jefus-Chnft  ^  ce  qui  paraîtra  fans  dou- 


BONNES  OEUVREST         *11J 

te  infupportable  à  tous  les  Chrétiens. 

Ai  niî  cette  première  réponie  ne 
peut  fubiîfter.  La  féconde  n'eftpas 
meilleure.  Je  veux  en  effet  que  cha- 
que moment  delà  poifeffion  du  bon- 
heur foit  d'un  prix  fini  6c  limité. 
Qui  peut  douter  que  la  poiîefîîon  éter- 
nelle de  ce  bonheur  n€  foit  d'un  prix 
infini ,  puis  qu'elle  ne  doit  être  ja- 
mais terminée  f  En  efîet ,  il  eil  fans 
difficulté  que  la  durée  d'un  bien  en 
augmente  le  prix  à  proportion ,.  n'y 
ayant  perfonne ,  qui  ayant  le  choix 
de  deux  biens  égaux  en  tout  le  refte  5, 
mais  inégaux  dans  leur  durée ,  ne  pré- 
fère le  plus  durable  a  celui  qui  \^z^ 
moins .  Ainii  la  poifeffion  du  bonheur 
ne  devant  jamais  finir  ,  il  eft  clair 
qu'elle  eft  d'une  valeur  infinie. 

Il  eft  pourtant  vrai  que  Dieu  pro« 
met  la  durée ,  ôc  la  continuation  éter- 
nelle du  bonheur  aux  obfervateurs  de 
fes  loix.  C'ell  ce  qui  n'eft  pas  contef- 
îé.  Qui  peut  après  cela  douter  que  ce 
lie  foit  là  une  recompenfe  gratuite? 

J'ajoute  queje  ne  fai  Ç\  on  peut  dire 
Qu'il  n'y  â-  rien  d'infini  dans  le  bon- 

K  6  heur 


2<z$        Traite'^    des 

heur  des  Saints.  Conlïamment  ils  poS 
fedent  Dieu ,  quoi  qu'ils  ne  le  poile- 
dent  pas  parfaitement.  Comme  donc 
il  n'y  a  rien  en  Dieu ,  qui  ne  foit  d'un 
prix  infini,  je  crains  qu'il  y  ait  de  lai 
témérité  à  foûtenir  qu'il  n'y^a  aucun: 
fens  où  l'on  puiiTe  dire  que  la  félicité 
de  ceux  qui  le  poiîedent  eft  infi- 
nie. 

Enfin,  je  dis  que  quand  même  le 
bonheur  des  Saints  feroit  fini  &  bor- 
né en  tout  fens ,  il  feroit  toujours  de 
beaucoup  plus- grand  que  la  bonté  de 
nos  œuvres.  C'efl  ce  que  deux  cho- 
fesfont  voir  clairement.  La  premiè- 
re que  îa  bonté  de  nos  œuvres.  efL  trés- 
défecl,ueufe  ,  6c  très  -  imparfaite  , 
comme  on  l'a  veu  dans  l'un,  des. 
chapitres  précedens..  Au:  contraire 
le.  bonheur  des  Saints  efl;  parfait  ÔC 
achevé ,  remplifîànt  abfolument  leurs 
fouhaits ,  Se  les  reduifant  à  une  heu- 
reufe  impuiffance  d'en  faire  aucun 
autre. 

Sans  cela  même  la  bonté  de  nos  • 
œuvres  eft  très- bornée.     La  raifon 
enxfc  que.  k  foibleiiè  efl  u^e  imper- 

fcc-. 


BONNES  GEUV^IES.  225 

feûion ,  qui  ne  nous  abandonne  ja- 
mais, pendant  cette  vie.  Ainfi  il  ne 
faut  pas  attendre  de  nous  de  fort 
grands  efforts.  La  gloire  au  contraire 
ell;  un  bien  fouverainement  excel- 
lent ,  ôc  un  elièt  admirable  de  la  bonté 
&  de  la  libéralité  de  Dieu  envers 
nous. 

Tout  cela  fait  que  la  bonté  de  nos 
œuvres  n'a  rien  quiapprochede  l'ex- 
cellence des  biens  que  Dieu  nous  pro- 
met.    C'e.ft  ce  qui  fait  dire  à  S.  Au- 
guftin  que  je  repos  éternel  des  Saints 
ne  feroit  pas  cher  s'il  falloit  i'aquerir 
par  un  travail  éternel,     ^y^terno  Ubo- 
re  digviaefl  dterna.  cjuies  com^arari.    Aug. 
in  Pfal.  93.    Saint:  Fulgence  de  mê- 
me foûtient  que   la  grandeur   de  la 
recompenfe  que  Dieu  nous  açcor- 
\  de  excède  infiniment  le  mérite  de 
[  nos  "actions.      Vtta  mterna  gratta   non 
injpifie  dicitur ,    quia  non  folum  donis  fuis 
^DeMs  fiia  dona  reddit ,   fed  cjma  tantum  - 
îhi  eliam  gratia  di.vin£  retributionis  exhi- 
ber at  ,    ut  încomparabihter   atque  inejfa--- 
btliter    omne    tventum     quantumvis    bo' 
■  n^  y   &  ex  Deo  daî-x  humante  volnntatts , 

(itque-: 


2,50  Traite*  DES 
aîcjfie  operattonis  excédât.  Fulg.  ad  Monim, 
Ub.l.caf.  10.  Enfin  Grégoire  I.  foû- 
tient  qu'il  n'y  a  point  d'œuvre,  ni  de 
travail ,  qui  puiffe  entrer  en  compa- 
raifon  avec  la  vie  éternelle.  Ifii  nam- 
que  beat  A  vitéi ,  in  qua  cum  Deo  ^  ^&  de^ 
*Deo  "jiviîur ,  nullus  potefl  aquari  labor , 
nulla  opéra  comparari  Greg.  m  Pfal,  7. 
panit.  Il  n'eft  pas  même  jufqu'à 
Bellarmin  qui  ne  reconnoilTe  cette 
vérité.  Neoari  non  potefl  quin  beatitu^ 
do  longe  excellât  aUioni  mentor i<z,  Bell.de 
jufltf.lib.^.cap.i%, 

C'eft  donc  une  vérité  certaine  & 
inconteftable  que  la  bonté  de  nos  œu- 
vres n'approche  point  de  l'excellence 
de  la  gloire  que  Dieu  leur  promet. 
Ainfi  n'y  ayant  point  d'égalité  entre 
le  travaille  la recompenfe ,  il  ne  fau- 
roit  y  avoir  de  mérite  proprement  dit. 


CrfA« 


BONNES  OEUYRES.  l^l 

CHAPITRE   XXVIL 

'  Si  le  droit  que  nos  bonnes  oeuvres  nous  don^ 

nent  fur  la  vie  éternelle  efi  un  droit  qui 

tire  fon  origine  delajujlice, 

E  ne  m'arrêterai  pas  davantage- 
fur  la  première  condition  du  mé- 
rite proprement  dit.     Je  pafle  à 
ià  féconde ,  qui  confifte  dans  la  natu- 
re du  droit  qu'un  tel  mérite  donne  fur 
la  recompenfe.     Ce  droit  peut  être 
fondé  fur  trois  chofes.      Première- 
ment fur  la  fidélité  de  Dieu ,  &;  fur 
rimpoffibilité  abfoluë  qu'il  y  a  que  ce 
qu'il  a  promis  ne  s'exécute.  En  deu- 
xième lieu  fur  cette  efpecede  juilice^ 
qu'on  appelle  Sftrihutive.    En  troilié- 
,  me  lieu  fur  cette  autre  efpece  de  juf- 
1  ticc/,  qu'on  nomme  commutmve  êc  qui 
rend  à  chacun  ce  qui  lui  appartient 
véritablement. 

Il  y  a  fur  cela  deux  chofes  qui  me 
I  paridlftut  inconteftaHies,.      L^  pre- 

mie- 


,252-  T  RA  I  T  e'    D  E  s 

iniere  quefîparunea6tion  méritoire, 
on  entcndoit  une  aétion  qui  donne 
quelque  droit  à  la  recompenfe ,  mais 
un  droit  fondé^uniquement  fur  la  fidé- 
lité de  Dieu,  6c  fur  la  vérité  immua- 
ble de  fes  prome{res,perronne  ne  pour- 
roit  nier  que  nos  bonnes  œuvres  ne 
meritaiTent.  '  Car  qui  doute  ,  ni  que 
Dieu  ne  leur  ait  promis  une  recom- 
penfe, ni  que  la  fidélité  de  Dieu  nci 
rengage  à.tenir  ce  qu'il  a  promis .? 

D'un  autre  côté,  il eil certain  que 
lors  que  Dieu  recompenfe  nos  bonnes 
œuvres ,  ce  n'eft  pas  en  vertu  de  cette 
juftice  ,  qu'on  nomme  commutmve. 
C'eft  ce  que  plulieurs  chofes  font  voii 
clairement. 

1.  Il  eil  confiant  que  la  juilice 
commutative  obferve  l'égalité  Ari- 
thmétique ,  comme  je  le  ferai  voir 
tout  à  l'heure .  Par  confequent  iî  Dieu 
en  recompenfant  nos  œuvres  fuivoit> 
les  règles  de  cette  juilice ,  il  ne  nous 
donneroit  qu'une  recompenfe  égale  à 
la  bonté  de  nos  œuvres.  C'eft-là  pour- 
tant ce  qu'on -ne  peut  dire  qu'il  fafîè, 
comme  je  viens  de  le  faire  voir  dans  1g|| 

cha- 


,  BONNES  OEUVR ES.  255 

chapitre  immédiatement  précèdent. 

IL.  Afin  que  Dieu  pût  obferver  les 
loix  de  la  jufliice  commutative  à  l'é- 
gard de  l'homme  ,  il  faudroit  qu'il 
pût  recevoir  quelque  chofe  de  Tlioni- 
me,  que  Phomme  fût  en  état  de  lui. 
donner.  JViais  c'eil  ce  qui  eil  impoffi- 
ble,  l'homme  n'ayant  rien ,  &  ne  pou- 
vant, ni  rien  avoir,  ni  rien  faire ,  fur 
quoi  Dieu  n'ait  incomparablement 
plus  de  droit  que  l'homme.  C'ell  ce 
que  S .  Paul  fait  entendre  par  ces  paroi- 
les ,  Qui  efl  ce  cjui  lui  a  àonné  le  premier  y 

,  c^  il  Imfera  rendu  ? 

lîl.  La  même  chofe  paroît  de  ce 
que  c'ell  Dieu  qui  donne  à  Phomme 
ce  que  Phomme  peutofFrirt  Dieu,  les 
bonnes  œuvres,  que  nous  faifonsétaiït 
des  effets  &  des  produârions  de  la  grâ- 
ce. Ainfi  ces  œuvres  bien  loin  de  nous 
donner  quelque  droit  fuirDieu,en  don- 
nent à  Dieu  un  inconteilable  far  nous. 

j^     IV.    Ces  deux    dernières   raifons 

'fontdeContenfon.  J'y  en  ajoute  une 
autre^qui  ne  me  paroît  pas  moins  forte. 

i  C'eft  que  quand  même  nos  œuvres  ac^- 
q^uerroient  q^uelque  droit^elles  ne  Pac- 

quer- 


254  Traite'  DES 

querroient  pas  à  nous ,  mais  à  Dieirj 
Laraifonen  eft  qu'étant  nous  mêmeï 
à  Dieu,  tout  ce  que  nous  acquérons 
nous  l'acquérons  à  lui ,  comme  tout  a 
qu'un  efclave  peut  gagner  par  fon  trai 
vail ,  n'eft  pas  à  lui ,  mais  àibn  maître 

Tout  ce  que  je  viens  de  dire.efk  afTes 
aifé.  Maisiln'en  ell  pas  de  même  df 
ce  qui  fuit.  II  n'eft  pas  auiE  facile  d( 
dire  fi  nos  bonnes  œuvres  ne  nou: 
donnent  pas  fur  la  recompenfe  m 
•droit  quinaifle  de  la  juitice  diftribu- 
îive ,  comme  le  prétendent  pluiieur 
Dofteurs  de  la  Communion  Romaii 
ne. 

Cette  difficulté  vient  de  ce  qu'or 
ne  fait  pas  bien  diftinâlement  ce  qu< 
c'eft  que  la  juftice  diftributive.  lleî 
Auteurs  qui  en  parlent  ne  s'expliquent 
pas  là  delIusaiTez  nettement.  Ceus 
qui  s'expliquent  avec  le  moins  de  con- 
fufion  s'arrêtent  à  deux  principa.ux 
caraéteres. 

Le  premier,qu'au  lieu  que  la  juftice 
commutativé  établit  par  tout  une  éga- 
lité Arithmétique,  la diftribution  ne 
pofe  qu'une    égalité   Géométrique. 

Voi- 


BONNES  OEUVRES.  2,35* 

Voici  ce  qu'on  entend  par  ces  expref- 
fions  obfcures  ôc  enigmatiques.  L'é- 
galité Arithmétique  eft  l'égalité  des 
chofes,  &  régalité  Geometriqire  eft 
l'égalité  des  rapports.  Eclairciffons  la 
chofc  par  un  exemple. 

Un  débiteur  accablé  de  debtes ,  & 
2c  ne  pouvant  fatisfaire  fes  créanciers ,, 
traite  avec  eux  à  cinquante  de  perte 
pour  cent ,  en  forte  que  chacun  de  ces 
créanciers  perd  juilement  la  moitié  de 
ce  qui  lui  eft  dû.  On  ne  voit  pas  dans 
ce  Traité  l'égalité  Arithmétique ,  puis 
que  pas  un  des  créanciers  ne  reçoit 
tout  ce  qui  lui  eft  dû.  Maison  y  voit 
l'égalité  Géométrique ,  parce  que  cha- 
cun reçoit  la  moitié ,  &  que  cinq  cens^ 
par  exemple,  font  âuffi  bien  la  moitié 
.  de  mille ,  que  mille  celle  de  deux  mil- 
le. 

Les   Théologiens  dont  je  parle  , 
,  du  nombre  defquels  eft  Gontenfon  , 
ne  font  confifter  la  juftice  diftributi- 
.  ve  qu'en  cela  feul ,   Se  fur  ce  fonde- 
j^  ment  ils  foûtiennent  que  Dieu  recom- 
penfant  nos  bonnes  œuvres ,  le  fait  fé- 
lon les  règles  de  la  juftice  diftributi- 


ve 


w?. 


2.56  Traite'  des 

ve ,  parce  qu'il  obferve  Pégalité  Geô 
métrique  ,  recompenfant  chacun 
proportion  des  bonnes  œuvres  qu^ 
a  faites ,  en  forte  que  la  fecompen: 
de  celui  qui  en  a  fait  cent  eftle  doub! 
plus  grande  que  celle  d'un  autre,  qi 
n'en  a  fait  que  cinquante. 

Ainfi  fuivant  ces  Théologiens  un 
aftion  eil;  méritoire ,  lors  que  la  r( 
compenfelui  eft  rendue  félon  les  loi 
delajuftice  diftributive ,  &  félon  C( 
mêmes  Théologiens  la  jufbice  diflr 
butiveeft  celle  qui  établit  une  iimp. 
égalité  Géométrique  ,  recompenfar 
plus  largement  ceux  qui  ont  plus  tn 
vaille,  Ôc donnant  avec  plus  derefei 
ve  &  de  retenue  à  ceux  qui  ont  fa: 
moins  de  bonnes  œuvres. 

Si  on  donne  ce  fens  à  ces  deux  ter 
mes,  comme  il  eft  certain  qu'on 
peut,  puis  que  les  définitions  des  ter 
mes  font  arbitraires ,,  rien  ne  nous  em 
péchera  d'avouer  que  les  bonnes  œu 
vresfont  méritoires.  En  effet ,  non 
ne  nions ,  ni  que  Dieu  ne  les  recom 
penfe ,  ni  qu'en  les  recompenfant  i 
n'obferve    Pégalité     Géométrique- 

don- 


EONNJIS    OEuVRES.  I37 

îonnant  plus  à  ceux  qui  ont  fait 
plus,  6c  moins  à  ceux  qui  ont  fait 
moins. 

Je  fai  qu'il  y  a  parmi  nous  quelques 
Théologiens  qui  tiennent  que  la  feli- 
:ité  des  Saints  fera  abfolument  égale, 
î^ais  outre  que  leur  nombre  eft  af- 
jez  petit ,  ils  ne  font  entrés  dans  ce 
entiment ,  que  parce  qu'ils  n'ont  pas 
?ien  compris  lefensde  la  parabole  des 
mvrierSjque  le  père  de  famille  envoya 
ans  fa  vigne  pour  y  travailler.  Ils 
^nt  creu  que  cette  parabole  marque  ce 
[ui  arrivera  au  dernier  jour,  &  ils  en 
mt  conclu  que  tous  feront  recompen- 
bz  également. 

Mais  il  n'y  a  pas  long- temps  que 

['autres  Savans  ont  fait  voir ,  qu'il  s'a- 

;it  là  y.  non  du  dernier  jugement ,  mais 

[iniquement  de  la  vocation  des  Gen- 

ils,  quia  fait  voir  la  vérité  de  la  con- 

ji  lufion  de  la  parabole ,  qui  en  renfer- 

j  pe  le  fens ,  &  en  découvre  le  but  ,  Les 

^  femiers  feront  derniers^  &  les  derniers  jeront 

remiers.'D'^^iWcuYS,  le  contraire  paroît 

îlairement,6{:par  la  parabole  destalens, 

k:par  ee  que  dit  S.  Paul  1  Cor.  XV. 


258        Traite*    des 

Autre  efl  U gloire  àti  Soleil  y  autre  U  glom 
de  laLtine ,  autre  U  gloire  des  étoiles^  car  um 
étoile  eft  différente  de  P  autre  étoile  en  gloire: 
Ainfifera  laréfurreBion  des  morts . 

Ainfîje  croi  qu'il  peut  palier  poui 
conftant ,  que  Dieu  obferve  dans  fcî 
recompenfes  Pégalité  Géométrique. 
Par  confequent  fi  on  n'entend  que  ce- 
la  feul  lors  qu'on  dit  qu'en  recompen- 
fantil  exerce  cette  juftice,  qu'on  ap. 
pelle  diftributive ,  on  ne  dit  rien  qu. 
puiiîe  être  contefté  raifonnablement 
Le  fécond  caraftere,  c'eft  qu'au  liei 
que  la  juftice  commutative  fuppofe  urj 
droit  étroit ,  ôc  proprement  dit ,  lî 
^diftributive  ne  fuppofe  qu'un  droii 
imparfait.  Mais  lors  qu'on  deman- 
de ce  quec'eft  qu'un  droit  imparfait} 
on  ne  dit  rien  que  de  fort  confus.  Q 
que  j'y  entrevois  de  plus  diftinft ,  c'efl 
que  ce  droit  imparfait  naît  d'ordinai- 
re  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  deu5 
chofes.  L'une  eft  le  droit  étroit  d'ut 
tiers  avec  lequel  l'imparfait  a  quelque 
liaifon.  L'autre  eft  la  reconnoiifance. 
Voici  un  exemple  du  premier.  IJ 
importe  au  public  que  certainçs  digni- 

te:  ' 


BONNES     OEuVRES.         2^9 

tez ,  Civiles ,  &  Exiclefiafbiques/oient 
^poifedéespar  ceux  qui  font  le  mieux 
en  état  de  s'en  aquitter.     Ceux  qui 
[nomment  à  ces  dignitez ,  n'ayant  pour 
Iguide  que  leur  intérêt  ou  leur  pafîion, 
les  donnent  à  des  perfonnes  incapables 
[de  s'en  aquitter ,  ôcles  refufent  à  ceux 
qui  en  pourroient  faire  un  meilleur 
ufage.  Ils  font  par  là  un  double  tort, 
)L.'un  au  public ,  l'autre  aux  particu- 
iers,  à  qui  ils  devroient  donner  ces 
emplois.     Parle  premier  ils  pèchent 
contre  la  juftice  commutative.     Par 
le  fécond  ils  pèchent  contre  la  juftice 
Jiftributive ,  &  n'ont  point  d'égard  à 
Lin  droit  imparfait ,  qui  n'eft  qu'une 
'uite  indireéte  d'un  droit  étroit^ôc  par- 
lait, que  le  public  a  d'avoir  des  per- 
Ibnnes ,  qui  s'aquittent  bien  des  em- 
plois dont  l'exercice  le  concerne. 

A  l'égard  du  fécond,  imaginons- 
nous  un  maître,  à  qui  un  valet  rend  un 
fervice  important  dans  une  occaiion 
extraordinaire ,  mais  qui  foit  tel  que 
le  maître  ne  fe  foit  pas  obligé  à  l'en  re- 
compenfer.  Je  dis  que  ce  maître  n'eft: 
cas  tenu  de  le  faire ,  par  les  loix  de  la 

jtiftice 


i^o  Traite'  des 

juliice  commutative,  mais  il  Te  11  par: 
celles  de  la  reconnoiiîance.  Au  reife;: 
la  reconnoiiîance  n'eil:  pas  d'un  droit l 
étroit.  C'eft  pourquoi  il  n'y  a  point 
de  Tribunal  dans  le  monde,  devant  le- 
quel on  fafle  appeller  les  ingrats ,  ni 
quipunifle  ceux  qui  font  convaincus 
de  l'être  :  Et  iile  ferviteur  dont  nous, 
parlons  faifoit  un  procès  à  Ton  maître 
pour  lui  demander  la  recompenfe 
qu'il  a  méritée ,  il  n'y  a  point  de  dou- 
te qu'il  ne  fût  débouté  de  fa  préten- 
tion. 

Mais  il  eft  clair  que  ni  l'une  ni  l'au- 
tre de  ces  deux  chofcs  ne  peut  avoir 
lieu  en  cette  occafion.  Non  la  pre- 
mière, parce  que  comme  nous  n'a- 
vons point  de  droit  fur  Dieu,  je  par- 
le d'un  droit  étroit  &  proprement  dit, 
il  n'y  a  point  auiîi  de  tiers  qui  eiil  ait 
quelqu'un.  Il  eft  bien  vray  que  Dieu 
eft  le  Diredeur  &  le  Monarque  du 
monde,  &  que  cette  qualité  lui  donne 
une  autorité  fupréme  fur  ce  monde , 
qui  eft  fon  Empire.  Mais  elle  ne 
donne  aucun  droit  au  monde  fur  Dieu. 
S  pourroit  le  détruire  &  l'anéantir 

fans 


BONNES   OEUVRES.  24Ï 

fans  incéreHer  fajulHce.  Parconle- 
quent  il  n'y  a  point  de  Tiers  dont  le 
droit  proprement  dit  fonde  un  droit 
indireâ:  que  nous  ayons  fur  la  reconi- 
penfe. 

Je  dis  la  même  chofe  de  la  reconnoif- 
fance.  Il  efl;  inconcevable  que  Dieu  en 
doive  aucune  à  qui  que  ce  foit.  Car 
■outre  qu'il  efl:  hors  d'état  de  rien  rece- 
vons, il  a,  comme  je  Pai  déjà  dit,  un 
droit  abfolu,  6ç  inaliénable ,  fur  nos 
perfonnes,  fur  nos  fer  vice  s,  &;  géné- 
ralement fur  tout  ce  que  nous  pouvons 
faire.  Ainfi  il  ne  peut  devoir  aucune 
reconnoiflance  à  qui  que  ce  foit, 

Lareconnoifîancen'a  lieu  qu'à  l'é- 
gard des  fer  vices,  aufquels  on  n'étoit 
point  obligé.  Si  ces  fervices  étoient 
dûs  d'ailleurs  ,  fur  tout  s''ils  l'é- 
toient  en  juflice  ,  on  ne  mérite  ati- 
cune  reconnoilTance  lors  qu'on  les 
rend  ,  comme  un  débiteur  ne  mé- 
rite rien  auprès  de  fon  créancier  , 
lors  qu'il  lui  paye  ce  qu'il  lui  doit. 
Un  efclave  de  même  ne  mérite  aucu- 
ne reconnoiflance  en  rendant  à  fon 
maître  cette  forte  de  fervices  communs 
L  Se 


^i\z  Traite'  des 
6c  ordinaire  ,  aufquels  fa  fervitude 
Pengage.  Ainfî  ce  que  nous  fommes 
à  l'égard  de  Dieu  nous  mettant  dans 
une  obligation  étroite  &  indifpenfa- 
blc  de  lui  rendre  tous  les  ferviccs 
dont  nous  fommes  capables  ,  il  cft 
clair  qu'en  les  lui  rendant  nousnefai- 
fons  rien  qui  l'oblige  à  aucune  recon- 
noifTance  envers  nous. 

C'étoit-làviiiblement  lapenfce  du 
Sauveur  du  monde,   lors  qu'il  difoit 
aux  Apôtres,  ^Q^i  eft  celm  d'entre  vous  ^ 
cjui  ait  unferviteur  labopirant  où  paijfant  le 
bétail^  qui  le  voyant  retourner  des  champs^ 
îui  dife  ,    avance  toi  incontânent ,  ^  te. 
mets  a  table  ^  ^  ne  lui  difs  plutôt  ,   Ap- 
prefle  mot  afouper ,    &  te  trvujje ,    &  me 
[ers ,  jufqua  ce  que  faje  mangé  &  heu ,  c^ 
af  rcs  cela  tu  mangera  r  CT  boiras  ?  Sait-  ilrré 
aceferviteurla  de  ce  qu'Ida  fait  ce  qui  luy 
avoit  été  commande?  Je  ne  lepenfe  pas.  Vous 
^uffi  Çembiahiement ,  quand  vous  aurez^fait 
tentes  les  chofes ,  qui  vous  font  commandées^  ■ 
dites ,  Nous  fommes  des  ferviteurs  inutiles^  \ 
dapstant  que  ce  que  nous  étions  tenus  de  fat"  ] 
re  nous  Pavons  fait. 

Je  conclus  de  tout  ce  que  je  viens  de 

di- 


BONNES  OEuVRES.  243 

dire  qu'il  n'y  a  aucune  efpece  dejufti- 
ce  qui  oblige  Dieu  à  nous  rccompen- 
rer,6c  qu'auid  il eftimpoiîible qu'au- 
cune de  nos  œuvres  foit  méritoire, 

CHAPITRE  XXVIII. 

Où  l'on  répond  aux  objeElions. 

E  ne  m'arrêteray  pas  davantage  à 
prouver  cette  vérité.     Les  livres 
^  de    nos   Théologiens  font  rem- 
y.  plis  des. preuves  qu'ils  en  ont  don- 
nées..   Je  refondrai  feulement  en  peu 
■   de  mots  les  plus  fpecieufes  des  objec- 
•   tions  qu'on  nous  fait. 

I.  La  plus  frappante  de  toutes  eft 
prifedu  chapitre  iV.  de  PEpître  aux 
Romains,  oti  l'Apôtre  dit  que  la  re- 
compenfe  n'eil  pas  imputée  comme 
une  grâce  à  celui  qui  fait  les  œuvies, 
mais  comme  une  chofe  deuë ,  ce  qui 
femble  induire  que  tous  ceux  qui  font 
de  ces  œuvres  dont  l'Apptre  parle  , 
méritent  la  recompenfe  que  Dieu  leur 
accorde. 

L  a  Tous 


244         Traite^  des 

Tous  nos  Théologiens  répondent 
que  ceci  bien  loin  de  fa vorifer  les  pré- 
tentions de  nos  Adverfaires ,  les  ren- 
verfe ,  parce  que  S.  Paul  ne  le  dit  que 
pour  faire  voir  que  nous  ne  fommes 
pas  fauvez  par  cette  voie ,  qu'il  mar- 
que par  ces  paroles ,  mais  par  un  autre, 
qu'il  indique  auverfet  fuivant.  Voi- 
ci en  effet  le  raifonnement  de  cet 
Apôtre  dans  toute  fon  étendue,  Qmc 
dît  l"^ Ecriture  ?  <iy4hraham  a  cru  a  Dieu  ^ 
c!r  il  lui  a  été  imputé  a  juftice.  Or  a  ce- 
lui qui  fait  les  œuvres  le  jakire  né  lui  efi 
poinuimputé  comme  une  grâce ,  mais  corn- 
me  une  chofe  due.  çj^fais  a  celui  qui  ne 
fait  pas  les  œuvres ,  mais  qui  €roit  en  ce^ 
lut  quijuflifie  le  méchant  ^  fa  foi  lut  ejl  im- 
putée a  jufiice. 

Le  fens  de  Ciint  Paul  efl  viiible- 
ment  celui-ci.  11  fuppofc  qu'on  ne 
peut  être,  ni  fauve,  nijuftifié,  que 
par  l'une  ,  ou  l'autre  de  ces  deux 
voyes,  par  la  foi,  ou  par  les  œuvres. 
Il  remarque  qu'il  y  a  cette  difference 
entre  ces  deux  voyes ,  que  ce  qu'on 
obtient  par  la  première  ell:  accordé 
comme  une  grâce  ,  au  lieu  que  ce 

qu'on 


BONNES    OEuVRES.  245* 

qu'on  gagne  par  la  féconde  efl  rendu 
comme  une  chofe  due.  Amii  l'E- 
criture difant  qu'Abraham  ?.  été  juf- 
tifié  par  la  foi,  elle  fait  entendre  par 
là ,  qu'il  Pa  été  par  la  grâce  ,  &c  par 
confequent  qu'il  ne  Pa  pas  été  par  les 
œuvres.  Et  comme  il  ne  produit  cet 
exemple  que  pour  faire  entendre  et: 
qui  arrive  à  chacun  de  nous,  bien 
loin  d'infinuer  que  le  falut  nous  foit 
accordé  comme  une  chofe  due,  il 
fait  entendre  fort  nettement  le  con- 
traire. 

Ce  que  nos  Théologiens  difcnt  cû 
tres-veritable  ,  mais  n'épuife  pas  la 
difficulté.  En  efiet,  S.Paul  dit  que 
Il  quelqu'un  faifoit  les  œuvres,  c'eft 
à  dire  s'il  accomplilîbit  parfaitement 
la  loi,  la  recompenfc  que  Dieu  luiea 
donneroit ,  ne  feroit  pas  une  grâce , 
mais  une  chofe  due.  J'avo.uë  au  ref- 
te  que  ceci  ne  prouve  pas  que  nous, 
qui  n'accompliiîbns  pas  parfaitement 
cette  loi ,  Se  qui  par  confequent  ne 
faifons  pas  les  œuvres  dont  PA- 
pôtre  parle  ,  puiiîions  mériter  le 
Ciel.  Mais  tout  ceci  femble  induire 
L  3  qu'on 


24^  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

qu'on  le  meriteroit  ,  fi  on  accom« 
piilToic  parfaitement  cette  loi .  Cepen- 
dant ceci  ne  peut  être  vrai  fans  ren- 
verfer  la  plupart  des  preuves ,  dont 
nous  nous  fommesfervis  dans  les  cha- 
pitres precedens ,  6c  qui  ne  peuvent 
être  folides ,  s'il  n'eli:  impoffible  de 
mériter  le  Ciel,  même  en  accomplif- 
fantlaLoi. 

Pour  lever  donc  la  difficulté ,  il  faut 
ajouter  deux  choies.  La  première 
qu'il  y  a  deux  fortes  de  grâce ,  cha- 
cune defquelles  exclut  le  mérite.  La 
première  eft  une  grâce  fimple  ,  qui 
confilie  à  donner  ce  qu'on  ne  doit 
point,  &  qui  n'a  point  été  mérité.  La 
îêconde  eil  la  grâce  Evangelique ,  qui 
confiile^à  donner  le  contraire  de  ce 
qu'ion  a  mérité ,  accordant  le  Ciel ,  8c 
fa  gloire  à  ceux  qui  avoient  m.erité 
l'enfer.  Lors  que  S.Paul  dit  que  lare- 
eompenfe  n'efl:  pas  imputée  pour  grâ- 
ce à  ceux  qui  font  les  œuvres  ,  fon  fens 
eit  que  ce  n'efl  pas  une  grâce  Evange- 
lique ,  ce  qui  n'empêche  pas.  que  ce 
ne  foit  une  grâce  fimple. 

La  féconde  chofe,  qu'il  faut  ajou- 
ter 


BONNES  OE LIVRES.  247 

ter,  c'eft  que  les  chofespromifes  font 
deiîës.  en  quelque  manière,  non  en 
juilice,  foit  diftributive ,  foit  com- 
mutative,  mais  iimplement  en  vertu 
de  la  fidélité  de  Dieu ,  6c  de  la  vérité 
immuable  de  Tes  promelles.  C'eft  en 
ce  fens  que  S,  Paul  aflure  que  la  re- 
compenfe  de  celui  qui  feroit  les  œu- 
vres feroitunerecoinpenfedeuë,  non 
u ne recompenfe  gratuite.  Ainfi  cette 
objection  ,  qui  paroiiioit  tout  d'un 
coup  aHezembarrailànte,  n'a  rien  de 
convaincant. 

IL  La  féconde  eft  prife  de  ce  c::.é 
S.  Paul  dit  à  Timothée ,  ^'m  comhattH- 
le  bon  combat ,  fâi  achevé  U  courfe  ,  fay 
gardé  la  foi.  Quant  au  refle  la  couronne 
de  jufiice  nPefl  yefervée  ,  laquelle  le  Set' 
gneur ,  jufle  fnge  me  rendra  en  cette  joHrnég- 
la.  II.Tim.lV.  7.  8.  On  remarque 
deux  chofes  dans  ce  paiîage.  L'une 
que  S.  Paul  appelle  la  couronne  qui 
lui  eft  refcrvée ,  une  couronne  dejuftice. 
L'autre  qu'il  dit  que  c'eft  le  jufle  fuge 
qui'la  lui  rendra.  Et  on  conclut  de 
l'une  &  de  l'autre  de  ces  deux  remar- 
ques ,  que  S .  Paul  meritoit  ce  qu'il  at- 
tendoit.  L  4  Mais 


24S         Traite^  *d  e  $ 

Mais nï l'une,  ni  l'autre  de  ces  re- 
marques ne  prouve  rierh  Non  lapre-« 
miére,  parce  que  fi  Pon  confulte  le 
Grec  on  verra  que  S.  Paul  n'appelle 
pas^  la  couronne  dont  il  parle ,  une  cou^- 
tonne  de  jufttce  ^  pour  dire  que  c'eft  la 
juftice  qui  la  rendra ,  mais  la  couronne- 
de  la  juftice ,  pour  dire  qu'elle  fera  ren- 
due à  la  juftice,  c'eft  à  dire  à  la  pieté, 
êc  àla  famteté  de  ceux  qui  comme  S^ 
Paul  auront  combattu  le  bon  combat, 
&  gardé  la  foi.  Ainiî  tout  ce  qu'on 
peut  conclurre  d'ici ,  c'eft  que  Dieu 
couronne  nos  bonnes  œuvres,  &  fi 
on  veut,  qu'il  les  recompenfe.  Mais 
il  ne  s'enfuit  pas  de  là  que  cette  recom- 
penfe foit  due  en  juftice. 

Pour  ce  qui  regarde  l'autre  remar- 
que, la  preuve  qu'on  en  tire  n'eftpas 
meilleure,  La  raifon  en  eft  que  la 
juftice  dans  le  langage  de  l'Ecriture 
ne  figniiie  pas  feulement  cette  vertu 
rigoureufe  ,  qui  rend  à  chacun  le  ften. 
Ce  mot  défigne  aufti  fou  vent  la  bonté , 
la  douceur,  &  la  mifericorde.  C'eft 
ce  qui  paroît  par  un  très-grand  nom- 
bre d'exemples ,  q^ue  nos  Théologiens 

onx 


BONNES  OE  U  V  R  E  S.  149^ 

©nt  ramaiîës,  mais  fur  tout  par  deux, 
qui  font  les  feuîs  que  je  produirai.  Le 
premier efl  celui  de  I.  Jean.  1. 9.  oii il 
efl  dit  que  fî  nous  confeiTons  à'  Dieu 
nos  péchez,  d  efl  fidèle  &  jafie  -pour  nous 
les  pardonner.  On  convient  que  le  par- 
don des  péchez  ne  peut  être  mérité. 
Ainli  il  faut  necellairement  que  lajui^ 
ticedont  parle  S.  Jean,  foit  la  bonté 
6c  la  mifericorde.  L'autre  exemple  eft 
€elui  de  Matth.  1. 19.  où  ileitditque 
Jofeph  s'étant  apperçu  de  la  groflef- 
fe  de  la  fainte  Vierge ,  &  ne  voulant 
pas  la  diffamer  g  farce  qu'il  étoit  jufle^  il 
refolut.de  la  répudier  fecretement.  E- 
tre  jufte  en  cet  endroit ,  c'eil  avoir  de 
la  bonté  &  de  la  douceur. 

Il  y  en  a  cent  autres,  où  cetermefe 
prend  en  ce  fens.  Àinlî  rien  v^c& 
plus  naturel  que  de  le  lui  donner  en 
cet  endroit ,  6c  de  dire  que  ce  jufte 
Juge  qui  doit  couronner  ^.  Paul  eft 
un  Juge  bon ,  doux ,  mifericordieux^ 
6c  clément ,  ce  qui  n'a  rien  de  contrai^^ 
re  à  nôtre  créance .. 

On  peut  répondre  encore  d'une  autre 
manière .  On  peut  dire  que  dans  tout  ce 

L5 


/ 


afo         Traite*  de  s 

pallàge  S.  Paul  fait  vifiblement  allu- 
iion  aux  Jeux  delà  Grèce.  C'eft  ce 
que  tous  les  Interprètes  ont  remarqué. 
Comme  donc  dans  ces  Jeux  il  y  avoit 
des  Juges  qui  couronnoient  lès  vain- 
queurs ,  &  qui  ne  le  faifoient  pas  tou- 
jours d'une  manière  conforme  à  la  vé- 
rité &  àla juftice ,  S.  Paul  par  ce  mot 
fait  entendre  quie  Jefus-Chriil  ,  qui 
eft  le  Juge  de  nos  combats ,  n'en  ufera 
pas  de  la  forte  ,  qu'il  n'y  aura  point 
d'acception  des  perfonnes  dans  fon  ju- 
gement 5  6c  qu'il  traitera  chacun  fé- 
lon fes  œuvres ,  ne  couronnant  aucun 
autre  que  les  vainqueurs ,  ce  qui  n'em- 
porte nullement  que  ceux  qu'il  cou- 
ronnera aient  meritécet  honneur. 

III.  On  objeâre  encore  ce  que  faint 
FaulditlI.  Tiieir.  I.  6.  7.  refi  c^uec'^fi 
une  chofe  jfifle  envers  Dieu  (^pî'il  rende  af« 
faUtonaceuxquivous  ajfiigent  .^  0"  a  vous 
f fit  êtes  affligez,  relâche  avec  nom.  Cet 
Apôtre  dit  qu'il  eiljufle  envers  Dieu 
^u'il  nous  donne  du  relâche  après  nos 
fôuffrances.  Et  parce  qu'on  pour- 
roit  dire  que  dans  l'Ecriture  la  juflice 
eft  tantôt  la  fidélité,  tantôt  la  bonté 

&la 


BONNES   OEUVRES.  ïjî 

&  la  mifericorde ,  on  réplique  que  ce 
terme  ne  peut  avoir  ce  fens  en  cet  en- 
droit particulier ,  parce  que  cette  juf- 
tice  dont  parle  S.  Paul  ,  eft  précife- 
ment  la  même  qui  punit  les  perfecu- 
teurs ,  comme  il  paroît  de  ce  que  faint 
Paul  ne  répète  pas  ce  mot ,  mais  dit 
fimplement  que  c'eil  une  chofe  jufte 
envers  Dieu ,  d'un  côté  qu'il  afflige 
nos  perfecuteurs ,  6c  de  l'autre  qu'il 
nous  donne  du  relâche.  Ainfi  n'étant 
pas  polTible  qu'un  mot  ambigu,  6c 
non  répété ,  ait  à  la  fois  deux  {ignifi- 
cations  différentes ,  &  que  d'ailleurs 
la  juilicé  qui  punit  efh  une  juftice  pro- 
prement dite ,  il  femble  que  celle  qui 
donne  du  relâche  doive  être  de  même 
nature. 

Pour  répondre  à  cette  objeélion, 
qui  eft  affez  fpecieufe ,  je  dis  en  un  mot 
qu'il  eft  infiniment  remarquable  que 
S.  Paul  ne  dit  pas  que  c'eft  une  choie 
jufte  envers  Dieu  qu'il  nous  reeom- 
penfe ,  ou  qu'il  nous  couronne ,  mais 
feulement  qu'il  nous  donne  du  relâ-» 
ehe ,  c'eft  à  dire  qu'il  faiTe  cefTer  nos- 
fouffraaccs.'    Il  ne  parle  pas  même 

L  6  de 


25'2'  Traite'  des 

de  toute  forte  de  foufirances  ,  mais 
feulement  de  celles  que  la  profefîîon 
de  la  vérité  nous  attire.  C'efl  de  cel- 
les-ci feules  qu'il  s'agit  dans'  cet  en- 
droit. 

'    Cela  pofé,  il  n'y  a  rien  de  contraire 
à  nôtre  créance  à  foûtenirque  lajufti- 
ce  de  Dieu  demande  que  nos  fouffran- 
ces  finiiîènt.     La  raifon  en  eft  que 
fouffrant    pour  fa    caufe   c'eft  très-  « 
injuflement  que  nous  fouflrons.     Itj 
cil  donc  de  fa  juftice  de  faire  cefler 
ces  fouffrances ,   ce  qui  n'a  point  de  ^ 
lieu  à  l'égard  des  affiiélions  que  Dieu 
nous  envoyé  pour  nous  châtier.     En 
un  mot,  ceci  revient  à  ce  qu'on  dit  or- 
diî^airement  parmi  nous ,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  la  juilice  de  la  caufe 
que  l'on  foûtient  avec  celle  de  la  per- 
fonne  qui  la  foûtient. 

iV,  On  fait  encore  ^f^loir  ce  que 
l'Eeriture  dit  en  quelques  endroits^ 
que  les  enfansdc  Dieu  font  dignes  de 
Ta  vie  éternelle.  Mais  cette  expref- 
fîon  n'emporte  pas  néceiiairement  un 
mérite  proprement  dit.  C'efl:  ce  que 
plufieursconfiderations  font  voir  avec 
évidence^  1.  Lors 


BONNES   OEUVRES.  ifj 

I.  Lors  que  plufieurs  concurrens 
fc  prefentent  pour  briguer  une  même 
charge ,  rien  n'efl:  plus  ordinaire  que 
de  dire  qu'ils  en  font  tous  dignes,  quoi 
qu'on  reconnoifie  qu'il  y  en  a  un  plus 
digne  que  les  autres.  Cette  dignité 
qu'on  attribue  à  tous  n'emporte  aucun 
droit  fondé  fur  la  juilice ,  foit  diftiâ- 
butive,  foit  commutative.  La  corn- 
mUitative  n'a  pas  lieu  en  cette  occa- 
fion  ,  6c  la  diftributive  veut  qu'on 
préfère  le  plus  digne.  Cette  expref- 
Son  donc  n'emporte  pas  neceiTaire- 
ment  un  mérite  proprement  dit.  Elle 
fait  feulement  entendre  qu'on  a  les 
qualitez  nécelTàires  pour  obtenir  C€ 
que  l'on  demande. 

ÎI.  Il  n?y  a  point  de  doute  que  lors 
qu^il  eH  dit  dans  l'Apocalypfe  que  les 
bienheureux  font  dignes  de  porter  des 
robes  blanches ,  ceci  ne  s'entende  des 
enfans  baptifez  ,  de  même  que  des 
adultes.  Il  eft  pourtant  vrai  que  les 
enfans  ne  méritent  rien.  Ainfi  la  di- 
gnité n'emporte  pas  neceiTairementle 
.mérite. 

III .  Lors  que  J ,  C.  envoya  fes  Apô- 
tres 


25^4  Traite'  des 
très  pour  prêcher  l'Evangile  dans  h 
Galilée,  il  leur  ordonna  qu'entraru: 
dans  chaque  ville  ils  s'informaiîent 
s'il  y  avoit  quelqu'un  qui  fut  digne  de 
les  recevoir.  Sur  quoi  Contzen  Jefui- 
te  Allemand  remarque  fort  judicieu- 
fement ,  ce  me  femble,  qu'il  eil  impof- 
fible  que  Jeflis  Chrift  entende  une 
dignité  interne ,  telle  qu'eft  celle  du 
mérite  proprement  dit.  Car, -dit-il, 
quiauroit  pu  inftruire  les  Apôtres  fur 
un  telfujft.^  Il  entend  feulement  des 
gens  ,  dont  la  conduite  externe  fût 
honnête  &  édifiante.  . 

Tout  cela  fait  voir  que  cette  expref- 
fion  n'empprte  pas  nécefîairement  un 
mérite  proprement  dit,  6c  qu'ainfî  la 
preuve  qu'on  en  tire  n'eft  pas  con- 
vaincante. 


CHA- 


BONNES  OEuVRES.  7,ff 


CHAPITRE    XXIX. 

5i  nos  bonnes  œuvres  fatisfont  a  lajiifticed& 

JDtêH  pour  la  peine  temporelle  âem 

a  nos  péchez. 

CK  que  je  viens  de  dire  fuiEr  pour 
voir  à  quel  point  PEglife  Ro- 
maine fe  trompe, lors  qu'elle  aiTûrc  que 
nos  bonnes  œuvres  méritent  le  Ciel, 
Elle  ne  s'écarte  pas  moins  de  la  véri- 
té lors  qu'elle  ibutienrque  c'eft  là  l'un 

.  des  moyens  de  fatisfaire  à  la  juftice  de 
Dieu  pour  l'outrage  qu'on  lui  a  fait 
par  le  crime.  11  efb  vrai  qu'elle  ne 
le  prétend  pas  abfolument  ,  ÔC  fans 
diftin61:ion.     Elle  dit  qu'il  y  a  deux 

-  ehofès. dans  le  péché,  la  coulpe,  6c 
l'obligation  à  la  peine.  La  coulpe 
eft  apparemment  l'ofienfe  que  le  pé- 
ché fait  à  Dieu,  je  dis  apparemment ^ 
parce  qu'il  eil  aflez  difficile  de  dire 
precifement ,  ÔC  avec  certitude ,  ce 
qu'on  entend  par  cette  expreffion. 
La  peine ,  à  laquelle  le  péché  oblige, 
eil  double ,  l'éternelle  ,   qu'on  doit 


23» 6         Traite'   des 

foufirirdans  Penfer,  6c  la  temporel- 
le ,  qu'on  foiiffre  à  ce  qu'on  nous  dit, 
en  partie  fur  la  terre,  Cependant  cet- 
te vie ,  en  partie  dans  le  Purgatoire 
5c  après  la  mort. 

Cela  pofé  de  la  forte,  on  dit  que  ni 
nos  fouffrances ,  ni  nos  bonnes  œu- 
vres ,  ni  rien  qui  foit  purement  hu- 
înain ,  ne  fauroit  fatisfau'e  à  la  juilice 
de  Dieu  ,  foit  pour  la  coulpe,  foit 
pour  la  peine  éternelle.  Mais  on  pré- 
tend que  nos  bonnes  œuvres ,  fur  tout 
celles  qu'on  nomme  pénales ,  fatisfont 
pour  la  peine  temporelle  due  à  nos 
péchez  ,  &  garantifîènt  de  ce  qu'on 
devroit  fouffnr  fans  cela ,  foit  pendant 
la  vie,  foit  après  la  mort  dans  le  Pur- 
gatoire. 

On  fe  fonde  principalement  fur  ce 
que.  le  Prophète  Daniel  dit  au  Roi , 
Nébucadnetzar Dan.  IV.  zj,  %achetts 
tespechez^-par Paumone ^  Ô"  tes  iniquitez^en 
fatfant  miféricorde  aux  povres^  Mais  on 
peut  dire  de  cette  objeârion,  qu'elle  ne 
prouve  rien  ,  parce  qu'elle  prouve 
trop.  En  effet ,  ou  elle  ne  prouve  rien, 
ou  elle  prouve  que  les  bonnes  œuvres 

peu- 


BONNES  OEuVRES.  ^f/ 

peuvent  fatisfaire ,  &  pour  la  coulpe  ^ 
êc  pour  la  peine  éternelle,  auflî  bien 
quepourlatemporeîle.Careniinàqui 
pourroit-on  perfuader  que  leProphéte 
le  Toit  contenté  d'apprendre  à  ce  Prin- 
ce ce  qu'il  devoit  faire  pour  fe  mettre  à 
.  couvert  des  peines  temporelles ,  qu'on 
:  fouffredans  le  Purgatoire ,  &  qu'il  ne 
l-lui  ait  rien  dit  pour  lui  apprendre  à  pre- 
■  venir  celles  de  l'enfer.    Quand  même 
on  avouèroit  qu'il  regardoit  aux  pre- 
mières, qui  pourroit  douter  qu'iki'eùt 
principalement  en  veue  les  fécondes? 
Cependant  {i  on  l'avoue ,  &  fi  on  pre- 
I- tend  d'ailleurs  que  la  rédemption  dont 
parle  Daniel ,   ell  une  véritable  fatis- 
îaclion ,  il  faudra  neceiîàirement  foû- 
tenir  que  l'aumône  peut  fatisfaire, 
\  même  pour  la  peine-  éternelle  ,    ce 
■que  nos  Adverfaires  ne  prétendent 
point. 

Il  faut  donc  entendre  autrement  ce 
que  le  Prophète  dit  dans  ce  palTage. 
Sonfens,  fije  ne  me  trompe,  efb  que 
Nébucadnetzar  devoit  tâcher  de  faire 
■jfa  paix  avec  Dieu  5  &;fe  mettre  à  cou- 
Ycrt  de  fes  jugemens  par   une  fin- 

cere 


2,58         Traite'    des 
cere  8c  véritable  converfion  ,  laquel- 
le devoir  chansier  de  telle  forte  Ion 
cœur,  que  ce  changement  parut  au 
dehors  par  toute  la  iuiie  de  ces  aurions, 
êc  par  la  pratique  confiante  -de  toute 
forte  de  bonnes  œuvres,  telles  que  font 
en  particulier  les  aumônes.     En  un 
mot,  l'avis  que  le  Prophète  donne  à. 
Ncbiicadnezar  eii:  au  fond  le  même 
que  S.  Jean  Baptiile  donnoitaux  Scri-- 
bes  &c  aux  Pharifiens  qui  écoutoienf 
fa  prédication,  lors  qu'il  leur  difoit. 
Faites  des  frmts  convenables  a  la  repentUri' 
ce. 

On  nous  oppofe  en  deuxième  lieu 
Pexempîe  de  David ,  qui  ne  lailTe  pas 
d'être  châtié  de  fon  péché,  après  mê- 
me que  Dieu  le  lui  eût  pardonné.  Mais 
rienn'eft  plus  aifé  que  de  répondre  à 
'Cette  objeélion.  Nous  ne  nions  pas 
que  Dieu  ne  châtie  fés  enfans  lors  mê- 
me qu'il  leur  pardonne.  .  Nous  nions 
feulement  qu'il  les  punifle  après  leur 
avoir  pardonné.  Ces  deux  chofesau. 
refle  font  tres-differentes  l'une  de  l'au- 
tre .  La  punition  eft  un  aéte  de  la  juf- 
tice ,  &  le  châtiment  eil  un  effet  de  l'a- 
mour. 


BONNES    OEuVRES.  Ifg 

mour.  Dieu  ne  châtie  ceux  qui  ont 
péché  que  pour  les  corriger ,  mais  il 
les  punit  pour  d^autrcs  raifons ,  com- 
me ilparoît  de  ce  qu'il  punit  ceux-là 
'  mêmes ,  à  qui  il  refufe  Paccés  de  fa 
grâce  5  comme  les  Démons  &:  les  dam  - 
nez.  Ainlî  quoique  Dieu  ait  châtié 
David,  il  ne  s'enfuit  nullement  qu'il 
l'ait  puni. 

On  fait  encore  valoir  ce  que  faint 
Pau  1  dit  aux  Colofîie ns  1 .  24.  f^iccom^ 
fUs  le  refie  des  ajfUtîioTJs  de  ?ejm  Chrifi  en 
-ma  chair  pour  fon  cor j>s^  qui  eft  l^Eglife. 
On  prefle  deuxchofes  dans  ces  paro- 
les, l'une  ce  que  S.  Paul  dit  qu'il  man- 
que qu  Ique  chofe  aux  fouffrances  de 
Jcfus  Chrill,  difant  qu'il  y  a  quelque 
refte  à  y  ajouter,  l'autre  que  ce  que 
S .  Paul  fouffre ,  il  le  foufire  pour  TE» 
glife,  ce  qui  femble  induire  que  ce 
qu'il  fouffre  eft  imputé  à  l'Eglife ,  6c 
qu'ainfi  il  fatisfait  pour  l'Eglife.  Mais- 
ni  l'une ,  ni  l'autre  de  ces  deux  chofes 
ne  prouve  rien  contre  nous. 

Non  la  première  ,  parce  qu'iLy  a 
eu  deux  fortes  de  fouffrances  en  Jefus- 
Chriil; .  Il  a  été  fujet  aux  premières  en 

qua- 


26o        Traite'    des 

qualité  de  Rédempteur  de  PEglifc  ,(i  r 
comme  chargé  de  nos  crimes.  Il  a  éi; 
expofé  aux  fécondes  en  qualité  de  ehdi 
de  PEglife ,  &  comme  étant  le  ma 
dele  de  toiîs  les  Saints  qui  croient  e: 
lui .  Il  n'a  rien  manqué  aux  première. 
6c  il  eft  impoffible  d'y  rien  ajoute: 

-  Mais  les  fécondes  ne  feront  confom 
mées  qu'au  dernier  jour.  Jufqu'aloi 
il  y  aura  toujours  quelque  chofe  à  ajoi 
ter!  Saint  Paul  ne  regarde  qu'àcel! 
dans  le  pailage  qu'on  noqs  oppofc 
Par  confequent  il  ne  dit  rien ,  dor 
on  puiiTe  tirer  aucun  avantage  contr, 

,  nous. 

On  ne  peut  non  plus  nous  oppoie 
ce  que  cet  Apôtre  dit  que  c'eft  pou 
l'Eglife  qu'il  fouifre.     En  eiîet,  il  ef 
'  très- certain  qu'il  fouffroit,  &  pour  h 
caufe  de  l'Eglife,  &  pour  l'utilité  5 
le  bien  de  l'Eglife ,  6c  pour  lui  donnei 
un  exemple  de  confiance  6c  de  ferme- 
té  5  pour  ne  pas  parler  des  autres  uti- 
litez  que  nous  tirons  des  travaux  d.c 
cet  excellent ferviteur de  Dieu.  Mais. 
il  ne  s'enfuit  pas  de  là  que  fes  fouffran- 
ces  aient  été  fatisfaccoircs  pour  les  pe- 

cliex 


BONNES    OEuVRES.  2,6ï 

chez  de  PEglifc.Ôc  il  fait  entendre  bien 
[nettement  le  contraire ,  lors  qu'il  dit 
îaux  Corinthien 5  ,  Pa^d  a-t-il  été  crucu 
fié  pour  vous  ? 

i  Je  ne  m'étends  pas  davantage  fur 
tout  ceci,  quieftaflezaifé.  Sionfou- 
haitte  quelque  chofe  de  plus ,  on  n'a 
Qu'avoir  l'ouvrage  de  Mr.  Daillé  fur 
•  cette  matière. 

:; 


CHAPITRE  XXX. 

iDherfes  preuves  ^uifont  voir  que  nos  bon- 
nes œuvres  nefontpasfatisfavloires. 

N  a  pu  voir  dans  le  chapitre 

_  précèdent  la  foiblefTedes  objec- 
,'fions  de  nos  Adverfaires.    On  va  voir 

laintenant  la  force  des  preuves  que 
•flous  leurcppofons  fur  cette  matière. 
'  ^oici  quelques-unes  de  celles  qui  me 

àrafTent  les  plus  convaincantes. 

;  I.  Premièrement  on  nous  dit  que 
'fes  bonnes  œuvres  ne  font  pas  tant  ia- 
iisfaéloires  parce  qu'elles  font  bonnes, 
'|[ue  parce  qu'elles  font  pénales ,  6c 

on 


'^6^  Traite^  des 

on  ajoute  qu'elles  font  pénales ,  parcei 
qu'elles  font  rudes ,  fàcheufes ,  6c  de- 
fagréîibles  à  nôtre  chair.  Voyez  Eflim 
in  4.  difl.  15.  §.  24,  Mais  fi  cela  eft  il 
s'enfuivra  que  plus  elles  feront  péni- 
bles &  difficiles  5  c'efl  adiré  que  plm 
on  aura  de  répugnance  à  les  faire,  plm 
elles  feront  fatisfa6i:oires.  ' 

Mais  n'eft-ce  pas  là  le  comble  de 
l'abfurdité  ?  Car  qui  ne  fait  que  plu; 
on  a  de  peine  à  faire  une  bonne  œuvre, 
moins  elle  eil  bonne  ,  6c  agréable  l 
Dieu  ?  Qui  ne  fait  que  toutes  ces  repu-i 
gnances  qu'il  faut  vaincre,  font  au- 
tant d'oppoiîtions  à  la  Loi  de  Dieu , 
êc  par  confequent  autant  de  péchez; 
C'eftce  quej'ai  fait  voir  dans  Pun  de; 
chapitres  precedens, 

II. D'ailleurs,  dire  que  nous  fomme 
obligez  à  fatisfaire  à  la  juflice  de  Dieu 
pour  nos  crimes,  n'eft-ce  pas  dire  Pu^ 
ne,  ouPautredecesdeuxchofes,  01 
que  Jefus-Chriftn'apas  fatisfait  plei 
nement  6c  parfaitement  pour  nous ,  01 
que  Dieu  fe  fait  payer  deux  fois  un< 
même  debte ,  puis  qu'après  avoir  ét< 
fatisfait  par  fon  Fils ,  il  veut  que  nou: 

faf 


i-  ■  TBONNES  OEu  VRES.  265 

I  faflîons  enfuite  la  même  chofe  ? 

Je  fai  ce  qu'on  a  accoutumé  de  ré- 
pondre. On  dit  que  Jefus-Chriftafa- 
tisfait  pleinement  &  parfaitement  pour 
lacoulpe,  6c  pour  la  peine  éternelle, 
mais  qu'il  nous  lailTe  la  peine  tempo- 
relle à  fouffrir,  fi  nous  ne  nous  en 
mettons  à  couvert  par  des  œuvres  fa- 
tisfaétoires.  Mais  il  y  a  très -peu  de 
luicerité  dans  cette  réponfe.    L'Egli- 

Sz  Romains  eft  perfuadée  que  Jefus 
Chriilaaudi  bien  fatisfait  pour  la  pei- 
ne temporelle ,  que  pour  l'éternelle. 
3£n  effet  elle  foû tient  que  ce  Tréforde 
jÈtisfactions  furabondantes  ,  que  le 
Pape  applique  par  fes  indulgences,  Sc 
6c  les  Confeifeurs  par  l'abfolution 
qu'ils  accordent ,  elle  foûtient,  dis -je, 
que  ceTréfor  n'efl:  pas  feulement  com- 
pofé  des  fatisfacticns  furabondantes 
des  Saints,  mais  qu'il  l'eft  principale- 
ment de  celles  de  Jefus-Chrift.  Si  ce- 
la eft,  qui  ne  voit  que  Jefus-Chrift  a 
^ufîibien  fatisfait  pour  la  peine  tempo- 
bile  ,  que  pour  l'éternelle ,  6c  qu'ain- 
fi  ma  preuve  fubiîile  ? 

111.  J'ajoute  que  s'il  y  avoit  quel- 
que 


i 


^^4  'T  R  AI  T  eJ    D  E  S 

queaftion  qui  pût  fatisfaire  la  juftice 
de  Dieu  pour  nos  crimes ,  il  faudroit 
que  ce  fût  une  aélion  à  laquelle  nous 
ne  fufîions  point  obligez.  Car  fi  c'eft 
une  aâion  que  nous  foyons  d'ailleurs 
tenus  de  faire ,  il  eft  bien  vrai  qu'en 
la  faifant  nous-nous  aquittons  de  l'o- 
bligation où  nous  étions  de  la  faire , 
mais  nous  ne  faifons  que  cela  feul ,  6c 
ne  couvrons  pas  par  là  d'autres  man- 
quemens ,  où  nous  pouvons  être  tom- 
bez. 

Par  exemple,  je  fuis  redevable  àua 
Seigneur  temporel ,  ou  àun  créancier, 
d'une  rente  annuelle  que  je  dois  lui 
payer  à  un  certain  jour.  Je  laiflè  paf- 
ferdeuxou  trois  ans  fans  la  lui  payer. 
Enfuite  je  la  lui  paye  pour  la  troifiéme, 
&C  pour  la  quatrième  année.  N'y  au- 
roit-il  pas  quelque  chofe ,  non  feule- 
ment d'injufte,  mais  de  ridicule  ,  à 
prétendre  que  ce  payement  que  je  fais 
pour  la  troifiémeéc  pour  la  quatrième 
année ,  m'aquitte  non  feulement  de  ce 
que  je  devois  pour  ces  deux  années, 
mais  encore  de  ce  que  je  devois  pour 
les  précédentes  ? 


BONNES  OEuVRES.  l6j 

Il  en  eft  de  même  de  nôtre  fujet. 
En  donnant  une  aumône ,  par  exem- 
ple ,  on  fait  ce  qu'on  doit  dans  la  con- 

,  jonàureoù  l'on  fe  trouve.  On  s'af- 
franchit de  l'obligation  où  l'on  étoit 
de  la  faire.  On  yfatisfait.  Maison 
ne  fatisfait  pas  par  là  pour  un  adultè- 
re ,  pour-un  homicide ,  ou  pour  un 
larcin,  qu'on  avoit  commis  quelque 
"temps  auparavant. 

On  dira  peut-être  que  cette  raifon 
ne  prouve  rien  à  l'égard  des  œu- 
vres furerogatoires.     J'en  conviens. 

:    Mais  outre  que  j'ai  fait  voir  dans  mon 

i  Traité  de  la  Confcience  9  qu'il  n'y 
en  a  point  de  telles  ,  n'eft-ce  pas 
quelque  chofe  que  de  prouver  qu'au 

'  moins  les  œuvres  commandées  ne  fa- 
tisfont  point?  Ceci  n'efi  il  pas  direc- 
tement oppofé  aux  prétentions  de 
l'Eglife  Romaine  ? 

IV.  La  manière  en  laquelle  l'E- 
criture exprime  le  pardon  que  Dieu 
nous  accorde,  fait  voir  encore  bien 
clairement  qu'après  avoir  reçu  cette 
grâce  il  ne  nous  refte  abfolument  rien 
M  àex- 


^66  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

à  expier.  Elle  dit  que 'Dieu  pardon- 
ne nos  péchez  >  qu'il  les  efface  de  fon 
livre ,  qu'il  les  efiàce  de  Ton  fouvenir, 
qu'il  les  jette  derrière  fon  dos ,  qu'il 
les  plonge  au  fond  de  la  mer ,  qu'il  les 
diflipe ,  comme  quand  le  Soleil  diflipe 
unnu?ge,  qu'il  les  éloigne  tout  autant 
que  l'Orient  eft  éloigné  de  l'Occident, 
que .  s'ils  étoient  rouges  comme  le  ver- 
millon, il  les  fait  devenir  plus  blancs 
que  la  neige ,  qu'on  aura  beau  les  cher- 
cher, mais  qu'on  ne  les  trouvera  point. 
Ces  expreffionsfoitesnefont  elles  pas 
entendre  bien  nettement  que  le  par- 
don que  Dieu  nous  accorde  ,  eft  un 
pardon  entier  ôc  abfolu/'  Et  feroit-il 
poffible  de  les  accorder  avec  ce  que 
l'Eglife  Romaine  dit  qu'après  que 
Dieu  nous  a  reçus  en  fa  grâce ,  il  ne 
laiffe  pas  de  nous  punir  pendant  une 
longue  fuite  de  fîecles ,  comme  on 
prétend  qu'il  le  fait  dans  le  Purga- 
toire ? 

V.  Ce  que  S.  Paul  dit  qu'il  neref- 
te  plus   aucune  condamnation  pour 
ceux  qui  font  en  Jefus-Chrift  Rom. 
VIII.   I.  prouve  encore  bien  forte- 
ment 


BONNES   OEuVRES.  167 

ment  cette  vérité.  Car  enfin  fi  Dieu 
punifibit  ceux  qui  font  en  Jefiis- 
Chrift ,  c'eft  à  dire  ceux  qui  fi^nt  unis 
à  ce  grand  Sauveur,  par  une  foi  vi- 
_' ve ,  &  opérante  par  la  charité ,  il  les 
y  condamneroit ,  n'y  ayant  point  de 
condamnation  fans  punition.  Et  fi 
Dieu  les  y  condamnoit-,  S.  Paul  di- 
roit-il  fi  fortement  qu'il  n'y  a  plus  au* 
cune  condamnation  pour  eux. 

VI.  Enfin  le  principal  ufage ,  au- 
quel on  deftine  les  fatisfaébions  hu- 
maines ,  c'efi:  de  mettre  ceux  qui  les 
font  à  couvert  des  flammes  du  Purga- 
toire. Car  pour  les  fou  fîrances  de  cette 
vie ,  outre  qu'elles  ne  font  pas  à  beaur 
coup  prés  auffi  rudes ,  on  (ait  que  les 
plus  faints  n'en  font  pas  exempts.  Mais 
peut-on  imaginer  quoi  que  ce  foit  de 
plus  contradictoire  que  la  do6trine  de 
l'Eglife  Romains  fur  ce  fujet  ? 

Lors  qu'il  s'agit  de  Pintercefiîon 
des  Saints,  elle  exaggere  à  l'infini  le 
crédit  qu'elle  kur  attribue  auprès  de 
Dieu.  Elle  dit  que  comme  leur  fain- 
teté  efl:  parfaite,  &  abfolument  exemp- 
te des  défauts  aufquels  les  plus  avancez 

Ma  (bat 


"2,68  Traite'  des 

font  Rijets  pendant  cette  vie ,  leurs  priè- 
res font  auiîi  plus  efficaces,  &  tellement 
efficaces,  que  Dieu  ne  leur  refufe  au- 
cune des  grâces  5  qu'ils  peuvent  lui  de- 
mander. En  particulier  il  n'y  a  point 
d'excez  où  ils  ne  le  portent  lors  qu'il 
eil  queftion  de  parler  du  pouvoir  qu'a 
la  fainte  Vierge  fur  fbn  glorieux  Fils. 
Ils  difent  qu'il  n'eft  pas  poffible  quece 
grand  Sauveur  lui  refufe  quoi  que  ce 
foit,  &  la  plupart  de  leurs  Dofteurs 
difent  fur  ce  fujet  des  chofes,  les  unes 
ridicules  5c  extravagantes ,  les  autres 
impies  ÔC  blafpliematoires.  Laifîbris 
ces  excez ,  ôc  arrêtons  nous  à  ce  que 
les  plus  modérez  prétendent.  C'eftque 
les  demandes  de  la  fainte  Vierge ,  cel- 
les des  Apôtres,  des  Martyrs,  celles  du 
refte  des  Saints,  enfin  celles  des  Anges, 
6c  généralement  de  tous  les  Efprits 
bienheureux,  font  tres-efficaces,& ob- 
tiennent avec  la  dernière  facilité  tous 
les  effets  de  la  bonté  6c  de  la  miferi^ 
corde  de  Dieu  pour  les  hommes. 

Ils  conviennent  encore  que  ces  Ef^ 
prits  bienheureux  ont  beaucoup  plus 

de 


BONNES   OEUVRES.  269 

de  charité  ôc  de  tendreiTe  pour 
nous,  que  nous  n'en  avons  lés  uns 
pour  les  autres  ;  &  c'eft  là  en  eflet 
une  chofe  qui  ne  leur  peut  être  con- 
teitée. 

J'ajoute  en  troinéme  lieu  que  fé- 
lon PEglife  Romaine  les  Saints 6c les 
Anges  ne  peuvent  ignorer  l'état  des 
âmes  ,  qui  foulTrent  dans  le  Pur- 
gatoire. .  Pluiieurs ,  d'entr'eux  le  fa- 
vent  par  expérience  ,  ayant  palTé 
par  ce  triile  lieu  avant  que  d'être 
reçus  dans  le  Ciel,  &  tous  enfem- 
ble  le  favent  par  une  autre  voie  , 
je  veux  dire  par  la  contemplation 
de  la  face  de  Dieu  ,  en  laquelle 
on  prétend  qu'ils  voient  toutes  cho- 
fes. 

Tout  cela  joint  enfemble  comment 
fe  peut-il  ,  d'un  côté  que  tous  les 
Anges  6c  tous  les  Saints  fâchant  fî 
diftinclement  quelle  eft  la  rigueur 
des  peines  ,  que  ces  âmes  fouffrent 
dans  le  Purgatoire  ,  êc  prenant  tant 
d'interê];  en  ce  qui  les  touche ,  ne  de- 
mandent pas  à  Dieu  leur  foulagement 
.  M  3  5c  leur 


^jo        Tra  ite'des 

êc  leur  délivrance,  &de  l'autre  qu'a- 
yant tant  de  crédit ,  Si  le  demandant 
fi  inftamment  ,  ils  ne  l'obtiennent  ? 
Comment  fe  peut-il  qu'il  y  ait  une  feu- 
le ame  qui  y  demeure  tant  foit  peu 
de  temps,  &  (|ue  les  prières  de  tant  de 
Saints  n'en  retuxnt  un  moment  après 
que  la  juilice  divine  l'y  a  condamnée  ? 
Qii'on  dife  ce  qu'on  voudra.  Ja- 
mais on  n'accordera  toutes  ces  propo- 
rtions les  unes  avec  les  autres  ,  6c  il 
faut  necefTairement  reconnoître ,  ou 
que  le  crédit  des  Saints  n'eft  pas  à 
beaucoup  prés  auiî?  grand  qu'on  nous 
fait  entendre  lors  qu'on  veut  nous  por- 
ter à  les  invoquer ,  ou  que  les  âmes  des 
juflcs  ne  font  pas  un  fort  long  féjour 
dans  le  Purgatoire,  &  qu'ainfi  les  fa- 
tisfaâiions  ne  font  nullement  neceflài- 
res,. 


CHA- 


BONNES  OEUVRES^  27I 


CHAPITRE    XXXL 

Si  les  bonnes  œuvres  nous  juflifient, 

ette  que{l:ion,toure  fimple  qti'el» 
le  paroi tjHe  lailîe  pas  d'en  renfer- 
mer piuiieurs  différentes.  Cela  vient 
de  ce  que  PEglife  Romaine  prend  le 
terme  de  juftifier  en  un  rens,&  les  Pro- 
teftans  en  un  autre.  t'Eglife  Ro- 
maine parjuftilier  entend  rendre  jufte 
par  Pinfufion  de  la juiiice  inhérente , 
q.uifelon^lle  n  eft  autre  cîiofe  que  îa 
charité  :  Et  les  Proteflans  entendent 
par  cette  expreffion  abfoudre,  déclarer 
jufte,  donner  gain  de  caufe. 

D'ailleurs  tant  PEglife  Romaine^' 
que  les  Protellans  ,  diilinguent  une 
double  juftifi cation,  que  chacun  de  ces 
partis  défigne  &  conçoit  à  fa  manière, 
L'Eglife  Romaine  exprime  fa  diilinc- 
tion  en  difant  qu'il  y  a  une,  première  , 
&  une  féconde  juftification.  La  pre- 
mière eft  Pinfufion  des  habitudes  fur- 
M  4  natu- 


272'         Traite'  des 

naturelles,  dont  la  principale  efl  cel- 
le de  la  charité.  La  féconde  efl  Pau- 
gmentation  de  ces  habitudes,  qui  les 
met  en  état  d'agir  plus  fortement,  ÔC 
d'une  manière  plus  achevée. 

L4es  Protellans  de  leur  côté  diflin- 
guent  une  double  jullification  ,  celle 
du  pécheur ,  5c  celle  du  jufle .  La  pre- 
mière n'éft  autre  chofe  que  la  remif- 
fion  des  péchez,  ôc  la  collation  du  droit 
à  la  vie  éternelle.  La  féconde  peut 
être  coniiderée  à  deux  égards ,  com- 
me une  aétion  de  Dieu,  6c  comme 
uneaétionde  Phomme.  La  raifonea 
eil  que  PEcriture  dit  également  en  ce 
fens ,  &  que  Dieu  jufliiie  le  juile ,  5c 
que  le  juile  fe  j  ufc ifie . 

La  jullification  du  Jufte,  confiderée 
comme  une  action  de  Dieu,  emporte 
trois  chofes-  L  Qtie  Dieu  reconnoît 
pour  juile  celui  qui  Pefl  effeélive- 
ment,  II.  Qu'il  le  déclare  tel.  III. 
Qu'il  le  traite  comme  juile.  Larai- 
fon  en  eil  qu'il  y  a  cent  endroits  dans  | 
l'Ecriture  ,  oii  juilifier  n'eil  autre  | 
chofe  que  déclarer  juile.  Ainii  rien 
n'eil  plus  naturel  que  de  dire  aue  Dieu 

jufti- 


BONNES  OEUVR ES.'  2,75 

juftiiie  le  jufte  lors  qu'il  le  déclare 
jufte.  Mais  comme  il  ne  déclare  ja- 
mais qui  que  ce  foit,^  qu'il  ne  le  ju- 
ge en  foi  même  tel  qu'il  le  déclare ,  il 
faut  tenir  pour  certain  que  dés  là  que  _ 
Dieu  déclare  un  homme  jufte ,  il  le  re- 
connoît  pour  jufte ,  êc  le  regarde  com- 
me jufte.  Enfin  ce  n'eft  pas  feulement 
par  des  paroles  qu'il  déclare  juftes 
ceux  qui  le  font.  Il  fait  encore  la  mê- 
me chofe  par  des  aétions .  Ainfi  tout  ce 
qu'il  fait  à  l'égard  de  fes  enfans ,  ôc  qui 
induit,  oufuppofe,  qu'il  les  regarde 
comme  juftes,  tout  cela,  dis-je,  doic 
paÛer  pour  une  déclaration  telle  que 
Dieu  fait  de  leur  juftice ,  êc  par  con- 
fequent  pour  une  juftification. 

Au  refte  quand  je  parle  de  déclarer 
jufte ,  je  n'entends  pas  fîmplementab- 
foudre ,  6c  décharger  de  la  condam- 
nation que  l'on  méritoic .  Je  n'entends- 
pas  déclarer  jufte  d'une  juftice  impu- 
tée. Ceci  regarde  la  juftification  du 
pécheur.  J'entends  déclarer  jufte 
d'une  juftice  inhérente,  laquelle  eft 
Hncére ,  quoi  qu'elle  ne  foit  pas  par- 
Élite  5.  coîjame  elle  fera  dans  le  CieL. 
■   M  s  C'eft- 


^74  Traite*  des 
C'efl;  dire  que  la  foi  de  cet  homme 
efl  une  foi  vive ,  qu'il  aime  Dieu  vé- 
ritablement 6c  fincerement  ,  en  un 
mot  qu'il  â  tout  ce  qu'il  faut  pour  ê- 
tre  du  nombre  des  enfans  de  Dieu ,  ÔC 
des  héritiers  de  fonCiel. 

Enfin,  il  eft  remarquable  qu'il  y  a 
deux  fortes  de  bonnes  œuvres.  Les 
unes  ne  font  autre  chofe  que  des  mou- 
vemens  internes  du  cœur  ,  tels  que 
font  principalement  les  aétes  de  la  con- 
trition, qui  renferme  elFentiellement 
FamourdeDieu,  la  douleur  qu'on  a 
de  lui  avoir  déplu  ,  l'efperance  du 
pardon ,  6c  le  deiir  de  fe  corriger  êc  de 
vivre  mieux.  Les  autres  font  les  œu- 
vres externes  que  la  Loi  de  Dieu  nous 
prefcrit,  les  prières,  les  aétions  de 
grâces ,  les  aumônes ,  les  reftitutions^ 
^  les  autres  a6lions  femblables. 

Tout  cela  étant  ainiî  démêlé,  rien 
îa'eftplus  aifé  que  de  fe  faire  une  idée 
nette  6c  précife  des  divers  fentimens , 
qu'on  a  fur  cette  matière  ,  6c  confe- 
quemment  des  difputes ,  qui  partagent 
à.  cet  égard  les  Chrétiens,     Premié- 

xement 


1 


BONNES   OEuVRES.  a/jT 

rement  PEglife  Romaine  prétend  que 
les  deux  jultifications  qu'elle  pofe  ie 
font  par  les  œuvres  ,  mais  diverfe- 
ment.  Elle  croit  que  la  féconde  julli- 
fication,  qui  n'eil  autre  chofe  que  l'au- 
gmentation des  habitudes  farnaturel- 
les  5  eil  une  faveur  qu'on  obtient  de 
Dieu  en  la  méritant  d'un  mérite  de 
condignité  ,  6c  proprement  dit ,  & 
qu'on  la  mérite  au  relie  par  toute  forte 
de  bonnes  œuvres ,  internes ,  &  ex- 
ternes, pourveu  feulement  qu'elles 
foient  faites  avec  le  fecours  de  la  grâ- 
ce habituelle  qu'on  a  reçue  par  la  pre- 
mière juftification. 

Pour  ce  qui  regarde  cette  première 
juiliii cation ,  ellecroit  qu'on  l'obtient 
de  Dieu ,  non  par  des  œuvres  ex- 
ternes ,  lefquelles  11  elles  font  bonneSj, 
font  des  fuites  de  la  première  juilifica» 
tion ,  ôc  non  des  caufes  qui  la  produi- 
fent ,  mais  parles  aéles  internes  de  foi 
ôc  de  contrition,  que  le  pécheur  ne 
produit  jamais ,  que  Dieu  ne  le  jufti- 
fie  tout  incontinent ,  verfant  dans  for^ 
cœur  l'habitude  de  la  chanté.  Ils  ajou- 
tent que  ces  actes  internes  ne  méritent 

M  6  pas^ 


%j6  T  R  A  I  T  eVd  E  s 

pas  la  première  juilificaiion  d'un  mé- 
rite de  condignité ,  &  proprement  dit, 
mais  feulement  d'un  n:|^erite  de  con- 
gruité ,  &  de  bienfeance . 

Les  Sociniens ,  ôc  les  Remontrans, 
qui  prennent  comme  nous  le  terme  de 
juilifier  au  fens  du  barreau ,  &  qui  font 
confiiler  principalement  cet  aâ:e  dans 
la  remifïion  des  péchez,  difent  que 
Dieu  l'accorde ,  mais  par  pure  grâce, 
à  la  converiion ,  qui  comprend  les  ac- 
tes de  foi,  de  contrition,  6c  d'amen- 
dement', &:  par  confequent  une  Ion* 
gue  fuite  de  bonnes  œuvres ,  internes, 
&  externes.  D'où  ils  concluent  qu'un 
homme  qui  ne  fe  repentiroit  qu'aux 
derniers  mom'cns  de  fa  vie ,  quelque 
vive ,  êc  quelque  fincere ,  que  fa  re- 
pentance  pût  être  ,  pourroit  ne  pas 
laiiTer  de  périr,  parce  que  fa  repen- 
tance  n'étant  pas  fui  vie  des  fruits  qu'el- 
le doit  prodmre ,  elle  ne  feroit  pas  tel- 
le que  Dieu  l'exige  de  nous. 

^lais  quoi  que  nous  ne  doutions  pas 
que  la  contrition  ne  foit  abfolument 
neçellaire  pour  obtenir  la  remiiîion  des 
jpechez,  nous  ne  croyons  pas  qu'elle 

le 


BONNES    OEuVRES.  277 

i»  le  fbit  en  la  même  manière  que  la  foi. 
Et  en  effet  l'Ecriture,  qui  dit  fi  fou- 
vent  qu'on  eft  juftifié  par  la  foi ,  ne  dit 
jamais  qu'on  l'eft  par  la  contrition.  La 
raifon  en  eft  que  la  foi  a  une  efficace 
particulière  pour  la  production  de  cet 
effet ,  étant  celle  qui  embrafle ,  6c  qui 
nous  applique  le  mérite  de  Jefus- 
Chrift  5  ce  que  la  contrition  ne  fait  pas. 
Mais  cecin'eftpasde  ce  lieu.  Peut- 
être  en  parlerons  nous  plus  à  fond  dans 
un  autre  ouvrage , 

Pour  ce  qui  regarde  la  juftification 
du  jufte ,  nous  croyons  premièrement 
que  c'eft  par  fcs  œuvres  que  le  jufte 
met  en  évidence  la  Sincérité  de  fa  foi. 
En  deuxième  lieu  que  û  Dieu  le  re- 
connoic  jufte ,  le  déclare  jufte ,  ôc  le 
traite  comme  jufte  ^  c'eft  en  confe- 
quence  des  bonnes  œuvres  que  ce  juf- 
te a  faites,  6c  de  l'application  avec  la- 
quelle il  s'eft  attaché  à  la  pratique  de  la. 
pieté. 

On  peut  voir  maintenant  en  quoi 
c'eft  que  confifte  la  difpute  qu'il  y  a  fur 
ce  fuiet  entre  les  Chrétiens.  Les  trois 
plus  confiderabks  conteftations  qu'il 

y  ait 


278  T  R  A  I  T  e'     D  E  s 

y  ait  là  deffus  font  celles-ci.     I.  L'E- 
glife  Romaine  foùtient  que  nos  bonr 
nés  œuvres  méritent  proprement ,  6c 
par  un  mérite  de  condignité  ,  l'au- 
gmentation des  habitudes  furnaturel- 
les  que  la  grâce  opère  en  nos  cœurs  : 
Etc'eft^e  que  nous  ne  pouvons  ad- 
mettre.  II.  Les  Sociniens  6c  lesRe- 
montrans  foûtiennent  que  Dieu  at- 
tend à  nous  pardonner  nos  péchez  juf- 
qu'à  ce  que  nous  ayons  juftifié  là  fîn- 
cerité  de  nôtre  converflon  par  une 
longue  fuite  de  bonnes  œuvres;  Et 
nous  foûtenons  le  contraire.  lïl.  Nous 
foûtenons  que  lors  que  Dieu  nous  par- 
donne nos  péchez  il  le  fait  en  confide- 
ration  de  la  fatisfaftion  de  fon  Fils  ^ 
«qu'ils  nous  impute ,   6c  que  nous  ac- 
ceptons par  la  foi  :   Et  les  Sociniens 
prétendent  qu'il  n'a  égard  qu'à  nôtre 
converflon ,  dont  il  fe  contente  par  pu- 
re grâce ,  fans  exiger  quoi  que  ce  fbit 
davanta2;e. 

Mais  on  voit  bien  qu'aucune  de  ces 
trois  difputes  n'eft  proprement  de  ce 
lieu.  La  première  efl  fuffifamment 
décidée  par  tout  ce  quej'ai  dit  dans  les 

cha- 


BONNES    OE  LIVRES.  279 

cliapitres  precedens ,  où  j'ai  fait  voir 
que  les  plus  excellentes  de  nos  bonnes^ 
œuvres  ne  font  nullement  méritoires. 
J'ai  éclairçi  'fuffifamment  la  féconde 
dans  ma  ^SHort  des  fufles  Liv.  4.  chaf. 
8.  ôc  dans  inon  Traité  de  la  foi  divine 
Liv.  3.  chap.  10.  Et  pour  ce  qui  regarde 
la  troifiéme ,  c'eft  une  quefbion  qui 
n'eft  pas  proprement  de  nôtre  fujet , 
&  qui  demanderoit  d'ailleurs  un  Trai» 
té  à  part ,  fi  d'autres,  ne  l'avoient  fuf- 
fifammentéclaiixi.  ^  . 

Pour  ce  qui  regarde  ce  que  PEgli- 
fe  Romaine  appelle  la  première  jufbi- 
fication ,  c'eft  à  dire  l'infuiion  des  ha- 
bitudes furnaturelles ,  il  eft  malaifé 
d'y  trouver  la  matière  d'une  difpute 
bien  réelle ,  ÔC  bien  importante .  Pre- 
mièrement on  convient  de  part  6c 
d'autre  du  principal.  On  convient 
que  Dieu  répand  ces  habitudes  dans 
l'ame  de  ceux  qui  feconvertilTent  ve» 
ritablement  à  lui.  On  convient  que 
ceux  qui  fe  convertiilent  le  font  par 
les  aâies  internes  de  foi.  On  convient 
enfin  quecesaâresnefont  pas  les  pro- 
du.£tions  de  la.  nature  ^  mais  les  effets 

de 


aSo  Traite'  des 

de  la  grâce.     Ainfi  toute  la  queilion 
qu'il  y  peut  reiler,    c'ell  I.  de  (avoir 
Il  Dieu  attend  à  orner  Pâme  de  ces  ha- 
bitudes jufqu'à  ce  qu'on  ait  fait  ces 
aâcs,  fi  au  contraire  Pinfufion  des 
habitudes  précède  les  aétes ,  ou  fi  en- ■ 
fin  le  tout  fe  fait  à  la  fois.  II.  Sien  fup-- 
pofant  le  premier  il  eft  vray  de  dire 
que  c^s  aâes  méritent  ces  habitudes 
d'un  mérite  de  congruiré.  III.  Si  cet-- 
te  infufion  eft  ce  que  l'Ecriture  défi-  ■ 
gne  lors  qu'elle  dit  que  Dieu  juftifie 
le  pécheur. 

Je  croi  qu'il  eft  impofiîble  de  déci- 
der fûrement  ôc  folidement  la  pre- 
mière de  ces  trois  queftions.  Les  trois 
manières  aufquelles  j'ai  dit  qu'on  peut 
combiner  les  actes  de  contrition  ,  6c 
Pinfufion  de  la  charité ,  font  égale- 
ment pofiibks.  Ainfi  la  raifonnefau- 
roit  décider  laquelle  des  trois  eft  la  ve-  ' 
ritable.  Et  pour  ce  qui  regarde  la  ré- 
vélation 5  qui  eft  celle  qu'il  faudroit 
uniquement  confulter  fur  une  matiè- 
re comme  celle-ci ,  je  n'y  voi  rien  qui 
puifie  nous  éclaircir  là  deflus.  Ainfi 
je  fuis  perfuadé  que  le  meilleur  feroit 
de  laifier  cette  queftion  indécife. 


BONNES   OEuVRES.  2.8l 

Je  dis  à  plus  forte  raifon  la  même 
chofe  de  la  féconde ,  dont  ladécifion 
dépend  vifiblement  de  celle  delà  pre- 
mière .  Car  comment  pourra  - 1  -  on 
favoir  fi  Pune  de  ces  chofes  obtient 
l'autre ,  fi  on  ne  fait ,  ni  iî  l'une  pré- 
cède l'autre ,  ni  pofé  qu'elle  le  faiîe , 
laquelle  efl  celle  qui  précède ,  ou  cel- 
le qui  fuit  ? 

J'ajouterai  cependant  que  ce  terme 
de  mente  ,  même  de^  congruité ^  nous 
choque,  &  non  fans  raifon,  comme 
je  l'ai  déjà  remarqué  dans  un  autre  en- 
droit. Pour  ce  qui  regarde  la  choie 
même ,  je  ne  voi  pas  grand  inconvé- 
nient à  dire  qu'il  efh  digne  de  la  bon- 
té de  Dieu  d'accorder  aux  bonnes  ac- 
tions de  fes  enfans  des  grâces  qu'ils  ne 
méritent  point  en  jullice,  ôcqu'ainfl  fî 
on  réduit  à  ceci  le  fens  de  cette  exprçf- 
flon ,  l'exprcffion  pourra  bien  être  tou- 
jours incommode ,  mais  la  chofe  mê- 
me n'aura  rien  dont  on  doive  être  cho- 
qué. 

Pour  ce:  qui  regarde  la  troifiéme 
queftion,  il  eft  certain  que  l'Eglife 
Romaine  fe  trompe  lors  qu'elle  foû- 

tient 


aSx  Traite'  des 

tient  que  la  juilification  dont  l'Ecri- 
ture fainte  nous  parle  ,  lors  qu'elle 
dit  que  Dieujuftifie  le  pécheur,  n'eft 
autre  choie  que  Pinfulion  des  habitu- 
des furnaturelles.  Mais  comme  il 
n'y  a  aucun  de  ceux  de  nos  Théolo- 
giens qui  Ont  traitté  cette  matière ,  qui 
n'ait  prouvé  demonftrativement  le 
Contraire ,  6c  que  je  n'ai  rien  à  ajouter 
à  ce  qu'ils  en  ont  dit,  j'efpére  qu'on 
ne  trouvera  pas  mauvais  que  je  ne  m'y 
arrête  point  prefentement. 


CHAPITRE  XXXII. 

réflexions  jur  ce  que  S.  jaques  dit  fnr 
ce  fui et. 


COmme  tous  ceux  qui  prétendent 
que  l'homme  efl:  juftiiié  par  fcs 
œuvres  fe  fondent  principalement  lur 
l'autorité  de  S.  Jaques ,  qui  fembleen 
efïet  s'être  expliqué  allez  nettement 
là  deflus  fur  la  fin  du  chapitre  IL  de 
fa  Catholique,  il  n'y  aura  point  de 

mal 


BONNES   OEuVRES.  iSj 

mal  à  faire  quelques  reflexions  fur  ce 
qu'il  en  dit. 

Je  dis  donc  en  premier  lieu  que  PE- 
glife  Romaine  ne  peut  tirer  aucun 
avantage  de  cet  endroit  de  S.  Jaques , 
foit  pour  appuyer  fa  créance  ,  foit 
pour  ébranler  la  nôtre.  Que  peut-elle 
conclurre  de  ce  que  cet  Apôtre  nous- 
dit?  G'eft  dit  elle,  quelajuflification 
ne  fe  fait ,  ni  par  la  foi  fans  les  œu- 
vres ,  ni  par  les  œuvres  fans  la  foy , 
mais  par  l'union  ôc  le  concours  de  ces 
deux  caufes  qui  agilfent  enfemble. 

Mais,  dirai-je,  quelle  eft  cette  jus- 
tification ,  qu'on  prétend  que  la  foi  ÔC 
les  œuvres  opèrent  conjointement  ? 
Eil-ce  la  première ,  ou  la  féconde  ? 
Si  e'efl  la  première ,  je  demande  en- 
core quelles  font  les  œuvres  qui  la 
produifent,  ou  qui  l'obtiennent  ?  Sont- 
ee  les  aéte s  internes  de  foi  ^  de  contri- 
tion, 8c  d'amour.  Mais  comment 
peut-on  foûtenirque  S.  Jaques  fafïe 
dépendre  la  première  juftification  de 
ces  œuvres,  puis  qu'il  n'en  dît  pas  un 
mot  ?  Il  parle  uniquement  des  œuvres 
fenlibles  ôc  extérieures ,  des  aumônes 


284         Traite'    des 

•3^.  16.  de  Poblation d'Ifaac  f.Ti.dc 
ce  que  Rahab  fit  pour  les  Efpions  de 
Jofué  # .  2^.  Pour  la  contrition  6c  Pa- 
mour  de  Dieu  il  n'en  parle  point. 

L'Eglife  Romaine  a  - 1  -  elle  donc 
delTein  de  prouver  par  l'autorité  de  S. 
Jaques  que  la  première  jullification  fe 
fait^  ou  s'obtient ,  par  des  œuvres 
fenfibles  6c  extérieures  ?  Si  cela  eft , 
elle  difpute  contre  elle-même.  Car 
elle  croit  que  les  œuvres  de  cette 
efpece  bien  loin  d'opérer  la  premiè- 
re juftification,  ne  la  précèdent  pas, 
•mais  la  fuivent ,  fui vant  cette  parole 
célèbre  de  S .  Auguflin ,  'Bona  opéra  non 
"pTâLceàimt  jufttficmàHm  ^fed  fequtintHr  jptf' 
tificatum. 

D'ailleurs  qui  ne  yoitque  S.  Jaques 
ne  parle  de  prés  ni  de  loin  de  la  pre- 
mière juitification  ?  N'eft-ce  pas  là 
une  chofe  qui  paroît  plus  clair  que  le 
jour  par  l'exemple  d'Abraham ,  que 
S.  Jaques  produit,  &  qui  eft  celuy 
qu'il  prelFe  le  plus.?  Il  dit  que  ce  Pa- 
triarche fut  juftifié  par  fes  œuvres 
lors  qu'il  offrit  fon  fils  Ifaac  fur  l'au- 
tel .  Mais  qui  ne  fait  que  lors  qu'Abra- 
ham 


BONNES    OEuVRES.         aSj' 

ham  donna  à  Dieu  cette  grande  preu- 
ve de  fon  refpe6t ,  il  y  avoit  déjà  du 
temps  qu'il  étoit  juflifîé  ?  Selon  Pe- 
tau  il  s'étoit  pafîe  55.  ans  depuis 
qu'il  avoit  quitté  la  Chaldée  pour 
obeïr  à  la  vocation  de  Dieu ,  jufqu'à 
ce  qu'il  reçût  l'ordre  d'immoler  liàac. 
Depuis  fa  vocation  il  avoit  donné  des 
preuves  continuelles  de  fa  foi  6c  de  la 
pieté,  comme  on  peut  le  voir  dans 
Phiftoire  Sainte ,  &  dans  ce  que  faint 
Paul  en  rapporte  au  chapitre  XI.  de 
fon  Epitre  aux  Hébreux.  Ainfi  ileft 
impoffible  que  cette  juftification ,  qui 
félon  S.  Jaques  lui  fut  accordée  lors 
qu'il  offrit  à  Dieu  fon  enfant ,  fût  de 
l'ordre  de  celles  qu'on  nomme  pre- 
mière ,  &  par  confequent  il  ne  fe  peut 
que  S.  Jaques  fe  foit  propofé  de  prou- 
ver par  là  que  la  première  juftification 
fe  fait  par  les  œuvres .' 

Se  reduira-t-on  donc  à  prouver  par 
le  témoignage  de  cet  Apôtre  ,  que 
c'eft  non  la  première ,  mais  la  fécon- 
de juftification  que  les  œuvres  nous 
font  obtenir  ?  Si  cela  eft  on  ne  prou- 
ve rien  contre  nous.  Car  y  a-t-il  au- 
cun 


2S6         Traite'    des 

cun  de  nos  Auteurs ,  qui  refufe  de  re- 
connoître  que  Dieu  recompenfe  la 
pieté  de  Tes  enfans ,  6c  les  foins  qu'ils 
prennent  de  lui  obeïr ,  qu'il  les  re- 
compenfe ,  dis-je ,  par  une  nouvelle 
efTufion  des  graces  de  fon  efprit? 

Mais,  dira-t-on,  vous  ne  voulez 
pas  reconnoître  que  nos  bonnes  œu- 
vres méritent  cette  recompenfe .  Nous 
ne  le  reconnoiffons  pas,  je  l'avoue, 
"^ais  S.  Jaques  Palîeure-t-il  ?  Ya-t-il 
dans  tout  ce  paiîàge  un  feul  mot  tou- 
chant le  mérite  ? 

Je  ne  voi  donc  rien  dans  cet  endroit, 
que  l'Eglife  Romaine  nous  puifTe  op- 
pofer.  S'il  yavoit  quelqu'un  qui  pût 
s'en  prévaloir  contre  nous ,  ce  feroient 
les  Sociniens  6c  les  Remontrans,  dont 
le  fentiment  paroît  beaucoup  plus 
conforme  à  tout  le  difcours  de  S.  Ja- 
ques que  celui  des  Do6teurs  de  Ro- 
me. Premièrement  ils  ne  donnent  pas 
au  terme  de  juftifier  un  fens  différent 
de  celui  qu'il  a  d'ordinaire  dans  l'E- 
criture, comme  fait  l'Eglife  Romai- 
ne. Ils  le  prennent  comme  nous  au 
fens  du  barreau,  6c  d'ailleurs  les  œu- 
vres 


BONNES    OEUVRES.  287 

vres  aufquelles  ils  donnent  le  pouvoir 
de  nous  juftifier ,  ne  font  pas  feulement 
des  a6les  internes  de  foi ,  de  contrition , 
6c  d'amour,  mais  toute  forte  de  bonnes 
oeuvres  internes,  êc  externes,  ce  qui 
nous  empêche  de  faire  valoir  contre 
eux  quelques-unes  des  preuves  dont 
nous-nous  fervons  contre  PEglife  Ro- 
maine. Mais  quoi  qu'il  en  foit ,  il  nous 
en  refte  de  très  folides  que  nous  leur 
pouvons  oppofer. 

Ils  prétendent  que  S.  Jaques  parle  de 
la  juftification  du  pécheur ,  6c  en  effet 
nous  ne  fommes  en  difpute  avec  eux  que 
fur  celle-ci  feule.  Mais  n'eft-il  pas  vrai 
que  l'exemple  d'Abraham  ,  que  cet 
Apôtre  produit,  fait  voir  clairement 
qu'il  parle  auffi  peu  de  ce  que  nous  ap- 
pelions la  juftification  du  pécheur ,  que 
de, ce  que  TEglile  Romaine  appelle  la 
première  jullification .?  Eft-il  plus  aifé 
d'appliquer  la  preuve  que  S.  Jaques 
I  prend  de  cet  exemple ,  à  Tune  de  ces 
jjuftificationsqu'à  Tautre? 

Les  Sociniens  6c  lesRemontransre- 
connoiflènt  que  la  juftification  confiftc 
principalement  dans  la  remiffion  des 

pe- 


i88  Traite'    d  es 

pcchez.  Mais  quel  péché  Dieu  par- 
donna-t-il  à  Abraham  lors  que  ce  Pa- 
triarche luy  ofirit  fon  fils?  Quand  mê- 
me il  lui  en  auroit  pardonné  quelqu'un, 
comment  pourroit-on  le  prouver?  Et 
fî  S.  Jaques  le  prétendoit,  ôcavoitdef- 
feinde  le  faire  entendre  ,  feroit-il  pofîi- 
ble  d'en  trouver  la  preuve  dans  ce  qu'il 
dit?    ^ 

D'ailleurs,  ne  peut-on  pas  faire  voir 
qu'il  efl  impoffible  que  S.  Jaques  ait  eu 
la  penfée  que  les  Sociniens  ôc  les  Re- 
montràns  lui  attribuent,  en  prouvant 
que  cette  penfée  qu'ils  lui  attribuent  eil 
aireârement  oppofée  à  ce  quel'Ecritu* 
re  nous  dit  en  d'autres  endroits.?  On  y 
trouve  plufîeurs  exemples,  que  j'ai  pro- 
duits ailleurs  5  du  pardon  que  Dieu  a  ac- 
cordé â  des  pécheurs  dés  le  moment 
qu'ils  ont  imploré  fà  grâce,  &  fans  at- 
tendre qu'ils  juflifiafîcnt  la  fincérité  de 
leur  repentance  par  des  œuvres  fenfi- 
bles  ôc  extérieures.  Celafeul  nefuffit- 
il  pas  pour  prouver  que  la  penfée  de 
cet  Apôtre  n'eft  pas  celle  des  Sociniens 
&  des  Remontrans  ? 

Quel  efl;  donc  le  fens  de  S.  Jaques? 


BONNES   OEuVRES.  289 

Il  n'eft  pas  bien  difficile  de  l'indiquer. 
Selon  toutes  les  apparences  cet  Apôtre 
a  en  veuë  les  Difciples  de  Simon  le  Ma- 
gicien, qu'on  appelle  ordinairement 
Gnoftiques,  ôcc'eft  là  en  ejBfetlefen- 
timent  d'Ëftius,  de  Hammond ,  "&  de 
plufieurs  autres.  Ces  hérétiques  foû- 
tenoient  principalement  que  ce  qui 
nous  fauve,  c'eft  une  nue,  6c  fimple 
cônnoiflance  de  la  vérité ,  qu'ils  appel- 
loient ,  tantôt  foi,  &  tantôt  Çnofe ,  mais 
qui  quoi  qu'il  en  foit  peut  fubfillier ,  & 
faire  fon  effet,  fans  être  accom^pagnce 
de  la  pratique  des  bonnes  œuvres,  & 
cequiefl  plus  horrible,  quoi  qu'elle 
n'empêche  pas  de  fe  porter  aux  plus 
énormes  excez. 

Pour  détruire  cette  abominable  doc- 
trine, S. Jaques  foûtient  deux  cliofes. 
L'une  que  la  foi  feparéedes  bonnes  œu- 
vres ,  &  à  plus  forte  raifon  fubiiftant  a- 
vec  la  pratique  des  plus  grands  péchez^ 
eft  une  foi  morte,  vaine ,  ôc  inutile ,  in- 
capable de  nous  juiliiier  &  de  nous 
fauver.  L'autre  que  Dieu  ne  regarde 
comme  fes  enfans,  nereconnoit  pour 
tels ,  6c  ne  traite  comme  tels,  que  ceux 
qui  s'appliquent  à  la  pratique  des  bon- 
nes œuvres.  .  N  Rien 


290  Traite'  des 

Rien  ne  pouvoit  être  plus  oppo- 
fé  aux  erreurs  des  Gnoftiques  que  ces 
deux  veritez ,  rien  n'en  fait  voir  plus  J 
évidemment  le  venia  &  la  faufleté.  ^ 
Il  eil  certain  auffi  que  tout  ce  que 
S.  Jaques  dit  dans  cet  endroit  ne  tend 
qu'à  appuyer ,  tantôt  Pune  6c  tantôt 
l'autre ,  ou  pour  mieux  dire  qu'à  les  à 
appuyer  toutes  deux ,  avec  cette  feu- 
le différence,  qu'il  regarde  principa- 
lement à  la  première  dans  les  fix  pre- 
miers verfets ,  &  à  la  féconde  dans  les 
fept  derniers  ,    depuis  le  vingtième  / 
jufqu'à  la  fin  du  chapitre. 

Il  exprime  la  première  en  difant  que 
la  foi  fans  les  œuvres  eft  morte ,  qu'el- 
le ne  peut  ,  ni  nous  fauver ,  ni  nous 
juflifier.  Il  exprime  la  féconde  en  di- 
fant que  l'homme  eft  juftifié  par  fes 
œuvres,  ce  qu'il  faut  entendre,  non 
de  la  juftification  du  pécheur ,  mais 
de  celle  du  jufte ,  telle  que  je  l'ai  con- 
çue. C'eft  ce  qui  paroît  par  tout  ce  que 
cet  Apôtre  dit  fur  cefujet. 

Quel  autre  fens  peut-on  donnerau 
verfet  18.  t^Komre  moi  ta  j 01  fans  tes 
&uvr€S^  &  je  te  înontrerdi  ma  foi  par  mes 

ŒH-vres? 


B0NNE15  OEUVRES."         I91 

muvres  ?  Qui  ne  voit  qu^il  ell  là  par- 
lé, non  d'une  juftification  qui  rend 
jufte  celui  qui  ne  Tétoit  pas  aupara- 
vant, mais  d'une  juftification  qui  fait 
voir  qu'on  l'eft  en  efîet  ? 

N'eil-ce  pas  là  encore  ce  que  prou- 
ve l'exemple  d'Abraham  ?  Car  com- 
ment eft-ce  que  l'oblation  qu'il  fît  a 
Dieu  de  fon  fils ,  le  juftifia  ,  qu'en 
mettant  en  évidence  la  fermeté  de  fa 
foi,  6c  en  obtenant  de  Dieu  cette  dé- 
claration fi  folemnelle ,  ôc  qui  lui  fit 
tant  d'honneur ,  f^ai  maintenant  connu 
que  tu  crains  Dieu ,  fuii  que  tu  n'^as  foim 
épargné  ton  fils  ^  ton  unique  four  moi  ? 
Gen.XXlI.iz. 

N'cft-ce  pas  là  ce  que  prouve  ce 
qui  eft  remarqué  au  f,  23.  qu'alors 
.  fut  accompli  dans  toute  fon  étendue 
ce  que  l'Ecriture  avoit  dit  par  rap- 
port à  une  autre  aârion  ,  qui  avoit 
précédé,  ay^braham  a  creu  a  DieM,  ^ 
cela  lui  a  été  imputé  a  JHfiice ,  &  il  a  été 
appelle  ami  de  Dieu}  Qu'on  péfe  ces 
dernières  paroles,  êc  on  verra  que  S» 
Jaques  parle  de  la  juftification  d'un 
jufte, 

N  7.  N'efU 


2-92'  Traite'  des 

N'eft-ce  pas  là  enfin  ce  que  prouve 
Pexemple  de  Rahab  ?  Celte  femme  fut 
traitée  comme  julle  étant  exceptée  de 
l'interdit  de  Jéricho ,  &  prefervée  d'un   ^ 
malheur  auquel  fa  naifîance  l'afTujet- 
tiflbit.      Mais  comment   obtint -elle 
cette  grande  grâce?  Ce  fut  en  recevant  J 
les  Efpions  de  Jofué ,  en  leur  donnant   * 
le  moyen  de  fe  fauver,  6c  rifquant  fa 
vie  pour  leur  donner  ce  fecours. 

En  un  mot^  qu'on  donne  à  S .  Jaques 
le  fens  &  l'intention  que  je  lui  attribue. 
Qu'on  fuppofe  qu'il  veut  prouver  les 
deux  veritez  que  j'ai  indiquées.  On  ne 
trouvera  pas  un  feul  mot  dans  tout  ce 
qu'il  dit  qui  foit  inutile ,  6c  qui  ne  fàf- 
fê  admirablement  cet  efiet .  Au  contrai- 
iT  tout  autre  defiein  qu'on  lui  donne  il 
y  aura  toujours  quelque  chofe  qui  ne 
ferviradeiien.  On  lui  attribuera  mê- 
me des  raifonnemens ,  qui  n'auront  ni 
force^ni  vraifembjance,ou  pour  mieux 
dire  qui  feront  li  foibles,  &  fi  peu  prcf- 
fans,  qu'un  homme  médiocrement  ju- 
dicieux auroit  honte  de  s'en  fervir.  Ce- 
la feuinc  fuffit-il  pas  pour  faire  voir  que 
le  fcns  que  j'attribue  à  cet  Apôtre  cil  le 
véritable  ?  Mais 


BONNES    OEUVRES.  2^5 

Mais,  dira-t-on,  pourquoi  S.  Jaques 
ne  parle-t-il  que  de  ia  juftification  du 
jufte  ?  Pourquoi  ne  dit-  il  rien  de  lajui- 
tification  du  pécheur  ?  C'efb  parce  que 
les  hérétiques  qu'il  attaque  dans  cet 
endroit  ne  reconnoifibient  que  la  pre«" 
miere.llsnefe  mettoient  point  en  pei- 
ne de  ia  remiffion  des  péchez.  Ilscroi- 
oient,  comme  S.  Irenée  le  remarque 
liv,  I.  chap.  20.  que  toute  forte  d'ac- 
tions font  indifférentes.  Ainii  la  jufti- 
fication du  pécheur  eft  une  grâce  qui 
leur  étoit  inconnue.  Mais  quoi  qu'il  en 
(oit,  ils  croyoient  qu'il  étoit  neceftaire 
de  plau*e  à  Dieu,  &  d'être  les  objets  de 
fon  amour  &  de  fa  faveur.  C'eft  ce 
qu'on  obtenoit,  félon  eux ,  non  par  les 
œuvres,  mais  par  la  foi,  ou  comme  ils 
parloient  d'ordinau'e,  par  la  conoiflànce. 

Que  filloit-il  faire  pour  les  réfuter  ? 
Faiioit-ii  parler  de  ce  qui  peut  être  ne- 
ceilâire  pour  obtenir  la  remilîion  des 
péchez?  Rien  n'auroit  été  plus  inu- 
tile que  tout  ce  qu'on  auroit  pu  dire 
fur  ce  fujct.  Il  .fiUoit  établir  deux  cho- 
fes.  L'une  que  la  foiians  les  œuvres  eft: 
inutile.  L'autre  que  les  œuvres  font 
N  5  abfo- 


Î94        Traite'    des 

abfolument  necefTaires  pour  faire  que 
Dieu  nous  regarde  comme  ies  en- 
fans  ,  qui  eft  ce  qu'il  fait  par  cette  jus- 
tification que  nous  appelions  la  jufti- 
fication  du  jufle.  C'efl-là  ce-  qu'il 
falloit,  &dire,  éprouver,  &  c'eft 
là  auffi  ce  que  faint  Jaques  ditexpref- 
fement ,  ôc  qu'il  prouve  de  la  manière 
du  monde  la  plus  folide. 

D'ailleurs,  S.  Jaques  n'avoit  deiTeiri 
de  prelFer  que  la  necefîîtédes  œuvres 
fenlibles  6c  extérieures  ,  parce  que 
c'étoient  les  feules ,  qui  lui  donnoient 
le  moyen  de  convaincre  fes  Adver- 
faires ,  En  effet ,  s'il  fe  fût  contenté 
d'en  exiger  d'internes,  ils n'auroient 
pas  manqué  de  répondre  qu'ils  en 
faifoicnt  aiTez  de  cet  ordre.  Mais 
comme  ils  n'en  faifoient  pas  d'exter- 
nes ,  cet  Apôtre  efl  bien  aife  de  leur 
en  faire  voir  la  neceiîité.  Comme 
donc  ces  œuvres  externes  ne  font  nul- 
lement necelîaires  pour  obtenir  la  re- 
miflion  des  péchez,  comme  il  eft  cer- 
tain au  moins  qu'il  ne  faut  pas  qu'elle 
précède  la  réception  de  cette  grâce , 
quoi  qu'il  ibit  abfolument  neceffaire 

qu'el- 


BONNES    OEUVRES.'  ^gf 

qu'elles  la  fuivent ,  on  voit  claire- 
ment que  cet  Apôtre  aeuraifondene 
pas  parler  de  ce  qui  nous  fait  obtenir 
ce  grand  avantage ,  6c  de  fe  borner  à 
la  jultification  ,  que  nous  appelions 
du  jufte ,  6c  qui  lui  donnoit  lieu  de 
prefler  la  neceffité  des  œuvres  dont  il 
s'agiiToit. 

CHAPITRE    XXXIÎI. 

I  Véritables  effets  des  bonnes  œuvres, 

CE  que  j'ai  dit  jufqu'ici  fait  voir 
que  nos  bonnes  œuvres  ne  peu- 
vent ni  mériter  quoi  que  ce  foit  de- 
vant Dieu ,  ni  iatisfaire  à  fa  juftice 
pour  nos  péchez ,  OC  que  fî  ellesjufti- 
fient  le  jufte ,  elle  ne  fauroient  faire 
le  même  efîet  envers  le  pécheur.  Qiie 
font  elles  donc ,  &  quels  font  les  ef- 
fets qu'elles  produifent?  C'eftceque 
je  vai  rechercher  prefentement. 

On  peut  réduire  à  trois  ordres  les 

efïèts  de  nos  bonnes  œuvres.     Elles 

opèrent  les  premiers  par  rapport  à 

N  4  Dieu 


^96  Traite'  DES 

Dieu ,  les  féconds  par  rapport  aux  au- 
tres hommes ,  ëc  les  troiiiémes  par  rap-' 
port  à  nous. 

Elles  en  produifent  deux  confide- 
rablcs  par  l'apport  à  Dieu.  L'un  qu'el- 
les i'honorertt  5  l'autre  qu'elles  le  font 
honorer. 

Car  pourle  pre  mier,  toutes  les  bon- 
nes œuvres  que  nous  faifons,  font,  non 
feulement  tout  autant  de  preuves,  mais 
encore  tout  autant  de  parties  de  l'hon- 
neur que  nous  lui  devons ,  ÔC  qu'il  efl 
fi  Julie ,  6c  fi  neceflaire  de  lui  rendre. 
Si  elles  font  véritablement  bonîies  , 
comme  nous  le  fuppofons,  nous  les 
faifons  p-^r  un  principe  d'amour  pour 
lui ,  pnr  un  véritable  defir  de  lui  piaire, 
par  un  mouvement  de  refped;  &  de 
foûmilTionpouria  volonté.  C'eft  ce 
que  j'ai  fait  voir  clairement  dans  ce 
Traité  même.  Et^n'efl-ce  p.s  en  cela 
que  conilile  l'honneur  &c  le  fervicè 
que  nous  lui  devons?  N'ell-ce  pas  là 
l'hommage  que  fa  grandeur  :xige  de 
nous? 

D'un  autre  côté,  rien  ne  porte  plus 
eiBcacement  le  reite  des  hommes  à  fer- 

vir 


"BO-NNES    OEuVRES.  I^J 

^  yirDicu6c  aie  glorifier,  rien  ne  leur 
infpire  plus  de  rcipeftSc  de  vénération 
pour  la  vérité,  que  la  vie  pure  &  exem- 
plaire de  ceux  qui  la  profefîènt.  C'eil 
fur  ce  fondement  que  le  Sauveur  du 
monde  difoit  autrefois  à  fes  Difciples. 
Fuites  Imre  votre  y.miere  devant  les  hommes ^ 
afin  cjîie  les  hommes  vej^mt  vos  bonnes  œu- 
vres glorifient  votre  T'ere  qui  efi  dans  les 
Qcux.  Et  S.  Pierre,  Ajez^vètre conver^ 
fiition  honnefte  envers  les  Gentils ,  afiji  (jn'^en 
.eequ^ils  dstratient  de  vohs  coynme  d>e  mal- 
faiteurs ,  ils^lorifient  Dieu  au  jour  d.e  la  vi^ 
fit at ion  pour  vos  bonnes  œuvres  qpPds  auront 
veues.  l.Ep.lI.  12. 

Ceci  commence  déjà  de  découvrir 
,  l'efficace  des  bonnes  œuvres  par  rap- 
port au  refte  des  hommes.  N'eft-ce 
pas  en  effet  en  avoir  beaucoup  à  leur 
égard ,  que  de  leur  infpirer  de  Pamour 
6c  du  refpeét  pour  la  Religion,  6e  pour 
le  Dieu  que  cette  ^Religion  honore? 
Quel  pi  us  gi'and  bien  pourroit-on  leu  r 
faire?  Et  à  quoi  eil-ce  que  k  chanté 
que  nous  leur  devons  peut  nous  porter 
plus  fortement  qu'à  ceci?  Agir  de  la 
forte  c^Q-Çi  les, édifier ^  félon  Icllyle  dç 
l'Ecriture,  c'eft  à  dire  travailler eftU 

N  f  race- 


a^B  Traite'  i>ES 
cacementà  leur  falut,  les  unir  à  J.  C. 
le  Chef,êc  le  fondement  de  PEglire,les 
laire vivre  6c  croître  en  lui.  Faire  le 
contraire  c'eft  les  fcandalizer ,  c'ell 
leur  fermer  la  porte  du  Ciel,  de  par  là 
commettre  un  péché ,  qui  doit  être 
bien  atroce,  puis  que  Je  fus  Chrift 
prononce  un  li  terrible  ajiathemc 
contre  ceux  qui  s'en  rendent  coupa- 
bles, fj^dheur^  dit- il,  a  ceint -par  qui 
le  fcandale  arrive.  Il  lui  vaudrait  mieux 
(ju^on  lui  attachât  une  meule  au  cel  ^  & 
qu'ion  lejeîtât  en  la  mer. 

Les  exemples  en  gênerai ,  6c  de 
quelque  nature  qu'ils  foient ,  ont 
beaucoup  de  pouvoir  pour  porter  la 
plûpart.des  hommes  à  les  fuivre.  On 
poLirroit  peut  -  être  définir  l'homme 
un  animal  imitatif ,  fans  s'éloigner 
beaucoup  de  la  vérité.  Il  y  a  en  effet  en 
nous  une  pente  fecrete ,  qui  nous  por- 
te à  faire  ce  que  nous  voyons  faire  aux 
autres.  Mais  les  bons  exemples  ont 
ceci  de  particulier ,  qu'ils  détruifent 
efficacement  un  préjugé,  qui  fait  l'un 
des  plus  grands  obftacles  à  la  con- 
yerfion ,  &  à  k  pratique  des  bonnes 

œu- 


BOÎTNES   OEuVRES.  299 

œuvres.  On  s'imagine  qu'elles  font, 
non  feulement  difficiles  à  pratiquer , 
mais  impoffibles.  C'eft  ce  qui  fait 
que  la  plupart  ne  s'y  appliquent  point. 
Mais  on  revient  fans  peine  de  cette  er- 
reur ,  lors  qu'on  voit  pratiquer  aux 
autres  ces  mêmes  œuvres ,  qu'on  re- 
gardoit  comme  impoffibles ,  ôconre- 
connoît  par  là  que  c'eft  nôtre  lâche- 
té ,  non  la  nature  des  chofes  mêmes  , 
qui  nous  empêche  d'en  faire  autant. 

Outre  ces  biens  fpirituels ,  les  bon- 
nes oeuvres  en  font  un  grand  nombre 
de  temporels.  Qtie  deviendroient  les 
foibles ,  &  les  miferables ,  s'il  n'y  a- 
voit  5  ni  juftice ,  ni  charité ,  dans  le 
monde  ?  D'oii  pourroient-ils  atten- 
dre ,  ni  proteâion  lors  qu'on  les  op- 
prime, ni  confolation  lors  qu'ils  fouf- 
îrent ,  ni  affiftance  lors  qu'ilsfe  trou- 
vent en  neceffité  ? 

D'ailleurs,  combien  n'y  a-t-il  pas 
d'impies  dans  le  monde ,  que  la  jufti- 
ce divine  a-ccableroit  de  tout  le  poids 
de  fa  vengeance ,  fi  elle  n'étoit  rete- 
nue par  l'amour  qu'elle  a  pour  les 
gens  de  bien ,  qui  en  fouffriroient  ? 
N  6  lÂïD^ 


5oo  Traite*  des 

L'impure,  ladeteftable  Sodome,au- 
roît  été  épargnée,  s'il  y  eût  eu  dix 
juRcs  d'ans  Ton  enceinte  :  Et  le 
Prophète  Efaïe  alîeure  que  ïi  le  peu- 
ple d'Ifraël  n'eût  euuû  petit  re-ile  de 
gens  de  bien,  ilauroit  été  traitté  avec 
la  même  rigueur  que  cette  ville  abo- 
minable. Ainii  lors  qu'on  voit  que  la 
juilice  Divine  épargne  des  villes,  ou 
des  provinces ,  dont  le  débordement 
extrême  provoque  vifiblement  fa  co- 
lère, on  a  lieu  de  fe  perfuader  que 
c'eil  la  pieté  d'un  petit  nombre  de 
bonnes  âmes,  qui  confervent  leur  pu- 
reté parmi  tant  d'ordures ,  qui  arrê- 
te, ou  du  moins  qui  fufpcnd,  la  pe- 
fan teiir  de  Tes  coups . 

Mais  les  principaux  effets  de  nos 
bonnes  œuvres  font  ceux  qu'elles. pro- 
duifcnt  par  rapport  à  ceux  qui  les  font. 
Il  y  en  a  pluiieurs  de  cet  ordre. 

1.  Le  premier  c'eft  qu'elles  les  pre- 
fcîrvent  des  péchez  qu'ils  commet- 
troicnt  en  ne  les  faifant  pas ,  &  de  tou- 
tes ks  fuites  funefces  que  ces  péchez 
pourroient  avoir ,  foit  dans  le  temps , 
Toit  dans  l'éternité.  Ileil  certain  en  ef- 
fet 


BONNES  OEuVRES.  ^OT 

fet  que  Pomifîîonde  chaque  bonne  œu- 
vre sll  un  péché  particulier.  Ce  n'ell 
pas  tout.  C'eft  u  n  péché  qui  provoque 
la  colère  de  Dieu ,  6c  qui  nous  expojfe  à 
fa  haine  &  à  fa -vengeance .  Témoin  ce 
que  SJean-Baptifle  difoit  autrefois, L<« 
coignée  efl  déjà  mife  a  la  racine  des  arbres. 
Tout  arbre  donc  qui  ne  porte pomtde  hon fruit 
s'en  va  être  coHpe\(Jrjeîîéaufeu.  Par  confé- 
quentnepas  faire  de  bonnes  œuvres, 
c'efl  d'un  côté  manquer  à  fon  devoir, 
&  offenfer  Dieu ,  &  de  l'autre  s'attirer 
le  plus  grand  de  tous  les  malheurs .  Par 
confequent  encore  les  pratiquer ,  c'eft 
fe  mettre  à  couvert  de  l'un  6c  de  l'autre 
de  ces  deux  dangers,  &  de  cette  maniè- 
re travailler  utilement  pour  foi-même. 
IL  Faire  de  bonnes  œuvres,c'efl  félon 
,  S  .Pierre  aBerm ir  nôtre  vocation  &  nô- 
tre éleélion.  C'eft  donner  des  fonde- 
més  folides  à  tout  ce  que  nous  pouvons 
avoir  de  joie  &  de  confolation  dans  le 
monde.  D'où  cette  confolation  &  cette 
joie  pourroient-elles  venir  que  de  la 
perfuafion  de  l'amour  de  Dieujdu  fen- 
timent  de  fa  grâce ,  &  de  l'efperance  de 
fa  gloire  ?  Et  comment  pQUVons'-nous 

nous 


5ox  Traite'  des 
nous  affeurer  ,  ni  que  Dieu  nous  ai^*^ 
nie ,  je  parle  de  cet  amour  de  com- 
plaifance ,  dont  il  n'honore  que  fes 
chers  enfans,  ni  qu'il  nous  a  pardon- 
né nos  péchez ,  ni  qu'il  nous  referve 
^  fon  Ciel  ôc  fa  gloire ,  que  par  les  pé- 
chez dont  nous  nous  abftenons,  & 
par  les  bonnes  œuvres  que  nous  fai- 
ibns  ?  La  fecurité  ,  la  léthargie  fpi- 
rituelle,  peut  venir  d'ailleurs ,  je  l'a- 
voue. Mais  la  paix  6c  le  calme  de  la 
confcience,  la  joie  Chrétienne,  les 
confolations  folides,  nefauroient  ve- 
nir que  de  là. 

J'avoue  que  la  joye  &  la  confbla- 
tion  viennent  immédiatement  de  la 
foi.  Mais  qui  ne  fait  que  leur  folidi- 
lé  dépend  uniquement  de  la  certitu- 
de que  nous  avons  que  nôtre  foi  eft 
vive  6c  fîncére  ?  Car  fi  par  malheur 
c'étoit  une  foi  morte,  6c  femblableà 
celle  des  ouvriers  de  l'iniquité ,  n'eft- 
il  pas  certain  que  cette  joie ,  que  cet- 
te confolacion  feroient  une  faufTe  jo- 
ye ,  une  fauilè  confolation ,  qui  n'au- 
roient  point  d'autre  èfiet  que  de  nous 
conduire  plus  doucement  6c  plus  tran- 
quille-   ' 


BONNES  OEuVRES*  505 

quillement  dans  l'enfeif  Nous  ne  fom- 
mes  donc  afleurez  que  nôtre  joye  efl: 
folide ,  qu'à  proportion  de  la  certitu- 
de que  nous  avons  que  nôtre  foi  ell 
vive.  Et  comme  nous  ne  pouvons 
favoir  que  nôtre  foi  eft  vive ,  que  par 
nos  œuvres ,  il  eft  évident  que  nos 
œuvres  font  en  un  fens  le  fondement 
de  nôtre  joye  ,  Ôc  la  fource  de  nôtre 
confolation. 

III.  Elles  avancent  encore  nôtre 
fan6tification  ,  &  ajoutent  de  nou- 
veaux'traits  à  l'image  de  Dieu  dans 
nos  cœurs  ,ou  du  moins  rendent  plus 
vifs  ceux  que  leS..Erprit  y  av oit  tra- 
cez. J'ai  déjà  fait  voir  de  quelle  ma- 
nière ceci  fe  fait ,  &  il  n'eft  pas  ne- 
eefîaire  de  le  redire.  Il  fuffira  de 
remarquer  que  cet  effet  eft  très  con- 
fiderable.  Car  enfin  la  fainteté  fait 
le  plus  grand  &  le  plus  précieux  de 
nos  avantages ,  &  rien  ne  nous  élevé 
au  defîiis  du  refte  des  hommes ,  uu» 
tant  que  celui-ci  feul. 

IV.  Enfin,  les  bonnes  œuvres  font 
agréables  à  Dieu,  comme  l'Ecriture 
fainte  l'affeureen  divers  endroits.  Par 

exem- 


504  Traite'    des 

exemple  S.  Pierre  foûtient  que  tous 
les  Chrétiens  font  autant  de  Sacrifi- 
cateurs, qui  offrent  à  Dieu  da  fiicnfi- 
€es  fptriîuels ,  -c^ui  lui  font  agréables  par  fe- 
fus'Chrift:  Et  S,  Paul  nous  exhortant 
à  la  libéralité  6c  à  la  communication 
aiTeure  que  Dieu  prend  plaifir  à  de  tels 
lacrifiçes,  Cela  étant  il  n'y  a  point  de 
doute  que  nos  bonnes  oeuvres  ne  nous 
attirent  l'amour  ôcla  bienveillance  de 
Dieu ,  ôc  par  confequent  ne  nous  pro- 
curent tous  les  effets  de  cette  bienveil- 
lance 6c  de  cet  amour  ,  foit  dans  le 
temps,  foit  dans  l'éternité.  Auffi  vo- 
yons- nous  que  l'Ecriture  appelle  en 
div^ers  endroits  les  bienfaits  de  Dieu 
une  rccompenfe  de  nos  bonnes  œu- 
vres, une  rétribution  qu'il  leur  rend, 
un  payement  de  ce  que  nous  lui  avons 
prêté  ^  une  moiilbn  qui  nous  dé- 
dommage de  tout  ce  que  nous  avons 
femé,  ëcc. 

J'avoue  que  cette  moiffon ,  ce  paye- 
ment, cette  rccompenfe,  ne  font  pas 
des  biens  que  nous  ayons  méritez ,  6c 
qui  nous  foie nt  dûs  en.^juftice.  J'aifiit 
i^oir  fuffifammcnt  le  contraire.   C'elt 

à  la 


BONNES    OEUVRES.  50^ 

â  k  bonté,  &  à  la  libéralité  de  Dieu , 
^  que  nous  en  fommes  redevables .  Mais 
puis  que  les  bonnes  œuvres  invitent, 
ibllicitent,  excitent,  émeuvent  cet- 
te bonté,  6c  cette  libéralité  de  Dieu, 
puifqu'eîles  nous  en  procurent  les  ef-' 
Icts ,  il  eft  clair  que  leur  efficace  va  juf- 
ques  là ,  6c  qu^ainfi  on  peut  compter 
lapolTeffionde  ces  biens  parmi  les  ef- 
fets de  nos  œuvres. 


CHAPITRE   XXXIV. 

jQj4e  rien  rPeft  -plus  jufie ,  rien  plfis  raifort' 
ndble  que  de  s^appliquer  fortement  a  la 
■pratique  des  bonnes  œuvres, 

CE  que  je  viens  de  dire  fait  voir 
clairement  avec  quel  foin,  Oc  avec 
quelemprefîèment  nous  devons  nous 
attacher  àfaire  de  bonnes  œuvres.  Car 
enfin  que  pouvons  nous  faire, ni  déplus 
juile,de  plus  excel]ent,de  plus  beau  en 
foi,  ni  de  pluautile,foit  pour  nous-mê- 
mes , 


5o6        Traite'   des 

mes ,  *  fbit  pour  les  autres  ?  Que  font 
au  prix  de  ceci  les  autres  foins  qui 
nous  occupent  ?  Nous  travaillons 
comme  des  forçats  depuis  Penfancc 
jufqu'à  la  mort,  Pun  à  une  chofe,  l'au- 
tre à  une  autre.  Mais  qu'elle  que  ce 
foit  des  occupations  ,  qui  partagent 
de  cette  façon  notre  vie ,  eft-elle  com- 
parable à  pas  un  de  tous  ces  égards  à 
celle  de  pratiquer  ce  qu'il  a  pku  à 
Dieu  de  nous  ordonner? 

Toutes  nos  occupations  ont  quel- 
que chofe  de  bas ,  de  vil ,  &  d'abjet. 
Toutes  font  vaines  &  frivoles,  &  ne 
noiiïs  procurent  point  d'avantage,  ou 
ne  nous  en  procurent  que  de  tres-le- 
gers.  .  Celle-ci  feule  répond  digne- 
ment ,  Se  à  la  noblefle  de  nôtre  na- 
ture ,  &  au  rang  où  la  grâce  nous  a 
élevez.  Celle- ci  feule  nous  procure 
des  biens  éternels ,  6c  infiniment  pré- 
cieux. 

C'eft  pour  cela  feul  que  Dieu  nous 
a  donné  cette  vie.  C'eft  pour  cela 
feul  qu'il  nous  a  créez ,  rachettez ,  ÔC 
régénérez.  7\[^hs  fimmes  ^  dit  S.  Paul, 
P ouvrage  de  Dku,  créés  en  fejuS'Chrtfta 

de 


à 


BONNES   OEuVRES.  507 

de  bonnes  œuvres ,  cjne  Dieu  a  prepare'es  afin 
que  nous  marchions  en  elles.  Quel  abus 
donc  ne  ferons  nous  pas  de  Tes  biens , 
&  des  eâèts  de  (à  libéralité,  fi  nous  ne 
les  employons  à  cet  ufage? 

Il  nous  en  prefente  chaque  jour  quel- 
que nouvelle  occafion.  Il  nousen  don- 
ne les  moyens.  Ces  moyens  ôccesoc- 
cafions  que  font-ce  qu'autant  de  talens 
que  nous  devons  tâcher  de  faire  valoir 
par  nos  foins?  Ne  le  faifant  pas,  nous 
commettons  le  péché  du  fêrviteurdeia~ 
parabole,  qui  enfouît  le  talent  que  ion 
Maître  lui  avoit  confié,  ôc  nous  ne  man- 
querons pas  d'être  traitez  comme  lui, 
éc  d'entendre  ce  terrible  Arrêt,  fêtiez^ 
le  Çe'nnîenr  innutileaux  ténèbres  de  dehors^ 
OH  il  y  a  des  fleurs ,  &  du  grincement  de 
dents. 

Mais  tâchons  d'approfondir  un  peu 
tout  ceci.  Il  y  a  trois  principaux  mo- 
tifs qui  nous  font  ordinairement  agir. 
Nous  voulons  premièrement  être  heu- 
reux, 6c  nous-nous  portons  naturelle- 
ment à  faire  tout  ce  qui  nous  paroït 
propre  à  nous  procurer  plus  de  bonheur 
que  nous  n'en  avons.    Nous  voulons 

être. 


5o8        Traite'   des 

être  parfaits  5c  accomplis  ,  &  rien 
n'eft ,  ni  plus  naturel ,  ni  même  plus' 
jufte,  que  de  tâcher  de  nous  acquérir 
toutes  les  perfeélions ,  dont  nous  Tom- 
mes capables.  Enfin, chacun  fe porte 
naturel leinent  à  agir  de  la  manière  qui 
lui  paroît  la  plus  digne  de  lui ,  &  la 
plus  coipvenable ,  foit  à  fa  naiiîance , 
foit  à  fon  âge ,  foit  â  fon  rang  ^  foit  aux  J 
autres  chofes ,  qui  font  l'état  où  il  f^ 
trouve. 

Ce  font  là  les  plus  prefTans  des  mo-' 
tifs  qui  nous  déterminent  à  faire  ce  que 
nous  faifons.  Ilefl  pourtant  vrai  que 
parmi  cous  ces  trois  motifs  il  n'y  en  a  '' 
pas  un  qui  ne  nous  oblige  de  la  manière 
du  monde  la  plus  indifpenfable  â  nous 
appliquer  de  toutes  nos  forces  à  la  pra- 
tique des  bonnes  œuVres. 
-    Je  commence  par  le  premier,  &je 
remarque  d'abord  qu'il  y  a  un  double 
bonheur ,  qu'on  peut  rechercher ,  l'un 
parfait  &  achevé ,  qui  ne  fe  trouve  qu( 
dans  le  Ciel  ;  l'autre  imparfait  &  com-..^ 
mencé  ,   qu'on  peut  poileder  fur  la- 
terre.  La  confideration  de  l'un  &  de 
l'autre  doit  nous  porter  eiîicacementâ 
ce  queje  dis.  Car 


I 


BONNES    OEUVRES.  ^09 

Car  pour  le  premier ,  n'ai-je  pas  fait 
voir  dans  Tun  des  chapitres  precedens 
que  les  bonnes  œi^vres  font  tellement 
necefîàires ,  que  û  on  refufe ,  ou  fi  on 
néglige  d'en  faire ,  il  eft  abfolument  im- 
poÔible  que  l'on  fe  fauve?  Et  n'elt-cc 
pas  là  en  efièt  une  vérité  que  l'Ecriture 
attefle  de  la  manière  du  monde  la  plus 
expreffe  en  une  infinité  d'endroits  difle- 
rensf  N'eft-ce  pas  là  encore  une  cbofe , 
dont  tous  les  Chrétiens  conviennent? 
Comment  donc  peut-on  fe  refoudre  à 
li'en  pas  faire ,  fi  on  a  quelque  defir  d'é- 
viter Tenfer ,  6c  de  fe ûmvcr. 

On  dira,  fans  doute,  qu'il  y  a  bien  de 
îadifièrence  entre  ne  faire  jamais  de 
bonnes  œuvres,  6c  ne  faire  pas  toutes 
celles  que  Ion  pourroit,  ôc  que  l'on 
devroit  pratiquer.  On  dira  que  c'efl:  le 
premier  qui  bannit  du  Ciel ,  mais  que 
le  fécond  ne  nous  empêchera  pas  d'y 
être  reçus. 

Je  conviens  de  l'un  6c  de  l'autre  j 
mais  je  dis  en  premier  lieu  que  comme 
il  y  a  telle  omiffion  des  bonnes  œuvres 
qui  ne  ferme  pas  la  porte  du  Ciel, 

il 


5i©  Traite'  DES 

il  y  en  a  telle  autre  qui  fait  cet  eôêt.  J*ai 
tâché  d  en  marquer  la  difièrence  dans 
l'un  des  chapitres  précedens ,  6c  j'ai  die 
en  un  mot  que  PomijfÏÏon  qui  eft  in- 
compatible avec  la  iîncerité  des  vertus, 
dont  ces  oeuvres  devroient  être,  l'exer- 
cice, eft  celle  qui  bannit  du  Ciel,  6c 
non  celle  qui  en  fait  voir  Amplement 
la  foibleflè  6c  Timperfeâion.  Je  n'en- 
tends que  de  la  première  de  ces  deux 
efpeces  d'omiffion  ce  que  je  viens  de 
dire ,  6c  il  faut  bien  fe  garder  d'en  fai- 
re l'application  à  la  féconde.  Mon  fens 
eft  que  puis  qu'il  y  a  une  certaine  quan- 
tité de  bonnes  œuvres,  qui  eft  abfolu- 
ment  necefîaire  pour  ne  pas  périr,  il 
faut  en  faire  tout  au  moins  dans  cette 
quantité  précilè,  ou  renoncer  aufalut. 
C  eft  là  tout  ce  que  je  prétends ,  6c 
c'eft  ce  qui  ne  peut  m'être  contefté. 

J'ajoute  en  deuxième  lieu  que  quand 
même  on  feroit  bien  feur  qu'on  a  dans 
l'ëtat  où  l'on  (ê  trouve  tout  ce  qui  eft 
neceflaire  pour  (ê  iauver,  cet  intérêt 
ne  laiflè  pas  de  nous  obliger  à  faire  en-  ^ 
core  de  nouveaux  eflbrts  pour  mettre^ 
nôtre  falut  dans  une  plus  grande  feu- 

rcté 


m 


BONNES    OEUVRES.         5ir 

reté.  La  raifon  en  eft  qu'on  peut  ê- 
tre  attaqué  dans  la  fuite  de  quelque  ten- 
tation  impréveuë ,  Ibus  Pefiort  de  la- 
quelle le  degré  de  fanctification ,  que 
nous  poflèdons ,  ne  nous  empêchera 
pas  de  fuccomber.  Si  donc  nous  étions 
leurs  de  mourir  dans  un  moment,  nous 
pourrions  peut-être  nous  contenter  de 
ce  que  nous  poflèdons.  Mais  comme 
nous  pouvons  vivre,  6c  que  cette  pro- 
longation de  nôtre  vie  peutnou^  expo- 
fer  à  de  terribles  dangers,  il  eft  évi- 
dent que  la  prudence  nous  oblige  à 
prendre  toutes  les  précautions  poffibles 
pour  nous  mettre  en  état  de  les  éviter, 
à  quoi  nous  ne  pouvons  travailler  plus 
efficacement  qu'en  nous  appliquant  à 
faire  de  bonnes  œuvres,  puifque  c'eft 
par  ce  moyen  qu'on  sMïèrmit  de  plus 
en  plus  dans  la  pieté. 

Enfin ,  je  dis  que  nous  ne  devons  pas 
feulement  travailler  à  nous  'fauver. 
Nous  devons  encore  faire  nos  efforts 
pour  nous  acquérir  le  degré  de  gloire 
le  plus  eminent  8c  le  plus  fublime  que 
nous  pourrons.  J'ai  déjà  dit  que  le 
bonheur  des  Saints  eft  tres-inégal ,  êc 

qu'il 


5l2  T  R  A  I  T  e'    D  E  s 

qu'il  y  en  a  de  plus  avantngcufemcnt 
partagés  les  uns  que  les.  autres.  Si 
cela  eft  ne  devons  nous  pas  tâcher  d'en 
acquérir  le  plus  que  nous  pourrons  ? 
Et  n'eft-il  pas  vrai  qu'il  n'y  a  aucun  des 
degrez  poflibles  de  ce  bonheur ,, auquel 
il  nous  (oit  permis  de  renoncer,  comme 
en  cfïèt  oîinele  fauroit  (ans  une  profa- 
nation extrême.  Il  eil  cependant  cer- 
tain que  nous  n'avons  point  d'autre 
voie  pour  reufiîr  dans  ce  deiîèiri  que  la 
pratique  des  bonnes  œuvres. 

Tout  cela  fait  voir  que  la  confidera- 
tion  du  bonheur  parfait,  que  Dieu  re- 
fêrve  à  fes  enfans  dans  Ion  Ciel ,  doit 
nous  porter  efficacement  à  faire  le  plus 
de  bonnes  oeuvres  que  nous  pourrons. 
Celje  du  bonheur  imparfait,  &:  com- 
mencé ,  que  nous  polîedons  fur  la  ter- 
re même  ,  nous  y  engage  auffi  d'une 
manière  bien  preflànte.  Ce  bonheur 
commencé  confifte  principalement 
dans  la  joie  fpirituelle ,  que  nous  don- 
ne la  certitude  que  nous  avons  que  nô- 
tre paix  eil:  faite  avec  Dieu,  qu'il  nous 
a  pardonné  tous  nos  péchez.  Se  les  a 
lavez  au  fang  de  fonFils,  qu'il  nous 


regar- 


BONNES   OEuVRES.  515 

regarde  comme  Tes  enfans ,  en  un  mot 
que  nous  fommes  véritablement  dans 
cet  heureux  état ,  qu'on  appelle  Pé- 
tât de  grâce/  On  ne  peut  en  effet  dou- 
ter ,  ni  qu'il  ne  foit  impoilible  de  jouir 
d'ua  contentement  folide ,  fi  Pon  cû, 
en  doute  fur  ce  fujet ,  ni  qu'on  n'ait 
lieu  d'être  très- content  &  très  farisfair, 
fi  on  eil  bien  certain  de.  poileder  ce 
grand  avantage.  Cela  eft  évident,  ôc 
ce  feroit  perdre  volontairement  le 
temps  5  que  de  s'amufer  à  en  donner 
des  preuves. 

Je  demande  maintenant  par  quelle 
autre  voie  on  peut  avoir  cette  certitu- 
de, que  par  le  foin  que  Pon  prend  de 
faire  de  bonnes  œuvres.  Ce  n'eftpas 
par  des  révélations  immediateSjCe  n^eil 
pas  par  quelque  voix  bailè,  que  le  S. 
Efprit  forme  dans  nos  cœurs  que  Dieu 
nous  apprend  cette  vérité  confolante. 
C'eft  parles  reflexions  qu'il  nous  don- 
ne le  moyen  de  faire  far  Pétat  de  nôtre 
cœur ,  que  rien  ne  nous  découvre auilî 
nettement ,  &  auili  certainement,  que 
la  confideration  des  actions  bonnes  6c 
niauvaifes,  que  nous  faifons,  comm^ 

O  je 


5î4         Traite*    des 

jcl'iii  f^iit  voir  dans  mon  Traité  de  la 

Conicicnce. 

N'y  ayant  donc.qiie.ee  fcul  moyen 
de  nous  procurer  la  paix  ôc  le  repos  de 
la  confcience ,  qui  fait  toute  la  douceur 
de  la  vie ,  &  toute  lajoie  de  nos  cœurs, 
chacun  voit  fons  peine  Pinterêt  que 
nous  avons  à  l'employer,  &  par  con- 
fequent  à  ne  perdre  aucune  occafion 
de  faire  ces  œuvres ,  qui  font  un  fi  heu- 
reux effet. 

C'eft  là  ma  première  confideration. 
Lafeconde  n'eil  pas  moins  prenante. 
11  efl:  naturel  ,  il  ell:  jufLe  même, -de 
prendre  tous  les  foins  poffibles  pour 
tâcher  de  nous  rendre  les  plus  parfaits 
que  nous  pourrons.  C'efl:  là  auffi  l'un 
de  nos  plus  violens  defirs,  mais  qui  fert 
de  peu  5  parce  qu'il  fe  rencontre  que 
nous  avons  tous  une  idée  très  faulTe  de 
cette  perfcclion,  que  nous  n'igno- 
rons pas  que  nous  devons  tâcher  de 
nous  procurer.  Nous  la  faifons  con- 
lifler  en  des  chofes ,  dont  la  plupart 
font  aiièz  vaines ,  &  les  autres  méri- 
tent fî  peu  le  nom  que  nous  leur  don- 
nons 5  que  ce  font  de  véritables  imper- 
'  fcélions , 


BONNES   OEuVRES-  315" 

fcâions  ,  de  véritables  défauts,  qui 
nous  attirent  la  haine  de  Dieu ,  &  de- 
vroient  nous,  attirer  le  mépris  des 
hommes.  ' 

Les  véritables  perfeftions  de  l'hom- 
me font  celles  qui  font  corn  prifcs  dans 
la  pieté.  Telles  font  la  lumière,  la  pé- 
nétration ,  &  la  folidité  de  l'efprit , 
l'étendue  &  la  clarté  de  nos  connoif- 
fances,  la  véritable  prudence  ,  la  vé- 
ritable fageile ,  la  véritable  vertu ,  les 
beaux  fentimens ,  les  bonnes  acbions , 
la  régularité  de  la  conduite,  l'intrépi- 
dité dans  les  périls ,  la  conilance  &  la 
fermeté  dans  les  maux,  &  la  modéra- 
tion dans  la  profperité  ôc  dans  l'abon- 
dance. Voilà  ce  qui  fait  la  beauté  de 
Pâme,  fii force,  fa  grandeur,  fon élé- 
vation. Voilà  ce  qui  la  rend  agréable  à 
Dieu ,  &  qui  lui  attire  l'amour  ec  Pap- 
pi'obation  des  Anges ,  Peilime  &  l^ 
refpect  des  fages  ôc  des  vertueux .  Voi- 
là enunip.otnôtre  unique  perfeclion» 

Je  demande  maintenant  quel  autre 
moyen  nous  avons  pour  nous  acquérir 
cette  perfe(51:ion ,  quel  moyen ,  dis-je, 
qui  foit  auffi  utile ,  Ôc  auffi  efficace  que 

O  z  h 


gi6        T  R  A  I  teVdes 

la  pratique  des  bonnes  œuvres.  Qu'on 
ne  m'allègue  pas  la  prière.  Car  outre 
que  la  prière  eft  Pune  de  ces  œuvres 
dont  je  parle,  outre  cela,  dis-je,  qui 
ne  fait  que  iî  cette  œuvre  même ,  toute 
excellente  qu'elle  e,ft,n'cA:accompa. 
gnée  des  autres ,  elle  eft  inutile  ?  Pour, 
reuffir  dans  ce  deilein ,  il  faut  d'un  co- 
te prier,  &  de  l'autre  agir,  11  fiiut  avoir 
l'œilauCiel,  êc la mam à  l'œuvre.  Il 
faut  travailler,  &  implorer  la  bene- 
diârion  de  Dieu  fur  nôtre  travail . 

Ltsbonnes  aclions font  deux  effets. 
Premièrement  elles  fortifient  &  affer- 
miiîent  les  habitudes  faintes  des  ver- 
tus, dont  elles  font  l'exercice.  C'efc 
C€  qui  leur  eil:  commun  avec  le  refle 
des  ades ,  bons ,  ir.auvais  &  indiffe- 
rens.  En  deuxième  lieu  elles piaifent 
à  Dieu .  El  les  nous  attirent  fa  bienveil- 
lance ,  &  tous  les  effets  par  lefquels  il 
'lamanifefte ,  fes  fiiveurs ,  fes  grâces , 
fi  bénédiction.  Qiîi  doute  d'ailleurs 
que  parmi  les  grâces  qu'il  nous  accor- 
de celles  qu'il  répand  avec  le  plus^de 
nlaiin-fai:  nous  nefoient  celles  de  fon 
S  Ffnrit  qui  affermiffent  nôtre  foi, 
6caugmentcnt  notref>iete?  1^ 


BONNES   OEuVRES.  517 

H  vu  donc  ccrtinn  qu'il  n'y  a  point 
de  meilleur  moyen  pour  nous  rendre 
plus  parfaits  &  plus  accomplis  que 
nous  ne  (bmmes,  que  de  nous  appli- 
quer fortement  à  la  pratique  des  bon- 
nes œuvres.  Ce  fera  d'un  autre  côté  '^ 
aîjjr  d'une  manière  diQ;ne  de  nous,  Se 
qui  reponde ,  &;  à  ce  que  nous  fommes, 
6c  au  rang  que  nous  tenons,  foit  dans 
la  nature,  foit  dans  la  grâce,  de  quoi 
j'ai  déjà  dit  que  ceux  qui  fe  négligent 
le  plus ,  &  qui  font  paroître  le  moins 
de  jufteire  omis  leur  conduite  ^  pren- 
ne n  t  quel  qu  e  foi  n . 

Nous  fom.mes  des  hommes ,  c'efl  à 
dire  des  animaux  raifonnables.  Qu'y 
peut-il  donc  avoir  de  plus  digne  que  de 
nous  conduire ,  non  par  la  brutalité 
de  nos  paffions ,  maais  parles  lumières 
delà  raifon,  de  du  bon  fens,  comme 
nous  faiibns  toutes  les  fois  que  nous- 
nous  abftenons  du  péché  y  6c  que  nous 
faifons  quelque  bonne  œuvre  ?  Car  en- 
fin il  n'y  en  a  pas  une  dont  la  raifon  ne 
nous  découvre  la  beauté,.  6c  la  necef- 
£té. 

Nous  fommes  les  eafans  de  Dieu  , 
O  3  Ôdeç 


5iS  Traite'  DES 

6c  les  héritiers  de  fa  2:loire  5c  de  fon 
Royaume.  Qu'y  peut-  il  donc  avoir 
de  plus  indigne  de  nous ,  que  de  nous 
rendre  volontairement  les  efclavcs  de 
nôtre  chair ,  c'eil  à  dire  de  ce  qu'il  y  a 
déplus  vil  en  nous,  du  péché,  6c  du" 
Démon  même,  comme  nous  faifons 
toutes  les  fois  que  nous  nous  plon- 
geons dans  le  vice  ?  Qiioi  au  contrai le 
de  plus  convenable  ace  que  nous  fem- 
mes^ que  d'agir  faintement  6c  inno- 
cemment ,  6c  pour  tout  dire  en  un  miOt,. 
d'une  manière  conforme  à  cet  être 
nouveau  que  la  régénération  nous  a 
donné?. 

Nous  fommes  les  Difciples  de  Je  fus 
Chriil  5  qu'il  élevé  dans  fon  Ecole ,  6c 
qui  entendons  chaque  jour  fes  faintes 
leçons.  Et  quel  honneur  faifons  nous 
à  fi  difcipline ,  fi  nous  n'obfervons  pas 
fes  préceptes,  ce  qu'on  ne  peut  faire 
qu'en  agiifant  f lintement  ?  En  effc t  ce 
n'eft  pas  à  faire  des  recherches  curieu- 
fes,  6c  des  raifonnemcns  fublimes,  que 
Jefus- Chriil;  nous  inlb'uit.  Ce  il  à  pra- 
tiquer ce  qu'il  nous  commande.  Si 
nous  ne  le  faifons  point ,  outre  que 

nous 


BONNES    OEuVRES.  519 

nous  prolî tons  trcs  mal  de  nos  avanta- 
ges, nous  attirons  du  blâme  fur  nôtre 
iàinteprofcilion. 

Nous  Tommes  tout  autant  de  plante^ 
myfliiques ,  qu'il  arroie de  fà grâce ,  ôc 
qu'il  anime  de  Ton  Efprit.  Etqu'ell-ce 
quipeut  mieux  convenir  à  des  plantes, 
Toit  proprement,  foit  improprement 
dites ,  que  de  produire  d'excellens 
fruitsr'Et  quels  font  les  meilleurs  fruits 
des  plantes  myftiques ,  que  les  bonnes 
œuvres  ? 

Nous  avons  à  Dieu  des  obligations 
infinies.  Il  nous  a  fiit  mille  biens  que 
nous  connoiffons ,  £c  mille  autres  que 
lyous  ignorons.  Nous  lui  en  devons 
par  confequent  une  éternelle  recon- 
noilîànce ,  ôc  nous  ne  pouvons  en  man- 
quer fans  nous  rendre  coupables  d'une 
ingratitude  la  plus  lâche ,  6c  la  plus 
honteufe ,  qu'il  foit  polîible  d'imagi-  . 
ner.  Ileil  pourtant  vrai  que  la  princi- 
pale reconnoiiTance  que  Dieu  attend 
de  nous ,  c'eil  la  pratique  des  bonnes 
œuvres.  Ce  font  là  les  facrifices  de 
fa  nouvelle  alliance.  Ce  font  des  re- 
mercîmens  réels  6c  effeâiifs ,  tout  au- 
trement exccllens  que  ceux  qui  ne 
O  4  CDU-» 


320  Traite'    DES 

CQnfiilent. qu'en  des  paroles.  Com- 
ment donc  pouvons  nous  négliger  de 
les  lui  offrir,  fi  nous  avons  quelque 
reconnoiHance  pour  fesbontez? 

Toutcelafait  voir  qu'il  n'y  a  aucun 
des  motifs,  par  lefquels  nous  nous 
conduirons ,  qui  ne  nous  porte  effica* 
cément  à  faire  de  bonnes  oeuvres.  S'ils 
fuffifent  pour  tout  le  refle  ,  pour- 
quoi ne  fuffiroient-ils  pas  pour  ceci  ? 
S'ils  font  bons ,  pourquoi  n'y  défére- 
rions nous  pas  dans  cette  occafion  par- 
ticulière? ôc  s'ils  ne  le  font  pas,  pour- 
quoi nous  déterminent-ils  dans  les  au- 
tres.^ En  un  mot  il  faut  neceiîaire- 
ment ,  ou  condamner  toute  nôtre  con- 
duite 5  ou  nous  appliquer  à  la  pratique 
des  bonnes  œuvres ,  ÔC  en  faire  le  prin- 
cipal de  nos  foins. 


CBA^ 


BONNES    OEUVRES.  ^Zl 


CHAPITRE   XXXV. 

Ceif^ecefi  qu'on  doit  faire  pour  remplir  le 

devoir  may  que  dans  le  chapitre 

pread^ent, 

Ais  qii'efl-ce  qu'emporte  ce 
foin  que  nous  devons  prendre 
de  faire  de  bonnes  œuvres?  C'efl:  ce 
qu'il  eil  bon  de  marquer  un  peu  plus 
diftinélement.  Je  dis  donc  en  premier 
lieu  que  nous  y  devons  travailler  fans 
intermiflion  &  fans  relâche .  Il  eil  vm 
que  le  Prophète  nous  dit  qiie  Phomme 
de  bien  eit  un  arbre  qui  porte  fon  fruit  en  fa 
faifon.  Mais  il  eft  vi'ai  auffi- qu'il  n'y  a 
point  de  temps  qui  nefoitla  faifon  de 
quelque  bonne  œuvre .  Il  eft  bien  vrai 
qu'on  n'eft  pas  toujours  appelle  à  les 
faire  toutes.  Mais  ilefbvrai  auffi  qu'il 
eft  malaifé  de  trouver  un  temps  fi 
court ,  qu'on  ne  foit  obligé  à  en  faire 
aucune.  Et  en  effet,  quand  eft-ce  que 
nous  pouvons  manquer  d'occafions 

O  j  d'à- 


52X  Traite'  des 

d'agir,  ou  pour  la  gloire  6c  le  fervice 
de  Dieu ,  ou  pour  le  bien  temporel  ou 
fpirituel  de  notre  prochrjn ,  ou  pour 
l'avancement  de  nôtre  propre  falut  ? 

IL  Nous  devons  nous  imprimer 
profondement  dans  Pefprit  cette  véri- 
té capitale  ;  qu'il  n'y  a  point  de  perte 
qui  foit,  ni  plus  grande  en  elle  mê- 
me, ni  plus  difficile  à  reparer,  que 
celle  des  occafions  de  faire  quelque 
bonne  œuvre.  Toutes  les  fois  que  ce 
malheur  nous  arrive ,  nous-nous  pri- 
vons parla  de  tous  les  avantages  tem- 
porels ,  fpirituels  ,  6c  .éternels,  que 
nous  pouvions  nous  procurer  en  fai- 
fant  ce  que  nous  devions .  Et  comme 
ces  avantages  étoient  très  grands ,  il 
ell  évident  que  la  faute  que  nous  com- 
mettons en  y  renonçant ,  ell  indigne 
d'être  fupportée.  Nous  devons  nous 
en  faire  à  nous  mêmes  de  fanglans  re- 
proches, Ôc  conliderer  de  combien 
ces  reproches  font  plus  juiles  que  ceux 
que  nous-nous  faifons  en  une  Hgfînité 
d'occafons ,  étant  certain  qu'il  n'y  en 
a  aucun  qui  approche  de  celui-ci. 

Quels  reproches  ne  fe  fait  pas  un 

Mar- 


BONNES    OEUVRES.  525 

Marchand ,  lors  que  par  parciTe  6c  par 
négligence  il  a  perdu  Poccafion  de 
faire  un  profit  confiderable  ?  Qiiels 
reproches  ne  fe  fait  pas  un  ambitieux , 
lors  qu'il  ne  s'eil  pas  prévalu  des  moy- 
ens qu'il  avoit  de  s'élever  à  quelque 
degré  de  grandeur,  auquel  il  pouvoit 
prétendre  ?  Et  cependant  qu'y  a-t-il , 
ni  dans  cette  élévation  ^,m  dans  ce  pro- 
fit, qui  puifie  entrer  en  comparaifon 
avec  les  avantages  que  l'on  auroit  re- 
tirez des  bonnes  œuvres  que  l'on  pou- 
voit faire ,  6c  dont  on  a  neghgé  les  oc° 
cafions  ? 

lïl.  Nous  ne  devons  pas  nous  con- 
tenter de  faire  de  bonnes  œuvres  de 
deux ,  ou  de  trois  efpeces .  Nous  de- 
vons en  faire  de  tous  ordres ,  de  tou- 
tes efpeces,  de  publiques  &  de  parti- 
culières, d'internes  8c  d'externes,  de 
celles  qurfont  les  effets  de  l'amour  de 
Dieu ,  de  la  chanté  ^  de  l'humilité,  de 
lajiîfcice,  delafainteté,  6cc.  Il  n'y 
en  a  aucune  à  laquelle  nous  nefoyons 
obligez,  au  moins  lorsque  l'occafion 
s'en  prefente ,  6c  il  y  en  a  même  de  cel- 
les, dont  nous  ne  devons  p^s  attendre 

les 


V 


5^4         Traite'    des 

les  occaiions.  Nous  devons  les  cher- 
cher avec  emprcircmcnt  ôc  avec  ar- 
deur. 

D'ailleurs,  il  n'y  a  aucune  efpece  de 
bonnes  œuvres  ,  qui  n'ait  quelque 
chofe  de  particulier ,  qui  nous  oblige 
à  nous  y  appliquer.  Par  exemple  les 
bonnes  actions  fcniîbks  6c  extérieu- 
res 5  font  beaucoup  plus  propres  que 
les  intérieures  d  gloniier  Dieu  ,  &Z  à 
édifier  nos  prochains.  Ainfi  nous  ne 
pouvons  les  négliger  fans  manquer  à 
ces  deux  devoirs.  D'un  autre  côté  les 
internes  ont  cet  avantage  qu'elles  font 
incomparablement  plus  aifées ,  cC  que 
nous  avons  toujours  les  moyens  6c  les. 
occafions  de  les  faire,pourveuque  nous 
le  veu'illions,  ce  qu'on  ne  peut  dire 
des  externes .  Ain-fi  il  n'y  en  a  aucune , 
à  laquelle  quelque  coniideration  pai- 
ticuliere  ne  nous  engage. 

IV.  Ceci  n'empêche  pas  que  nous 
ne  devions  nous  appliquer  principa- 
lement à  celles  qui  ont  le  plus  de  rap- 
port à  nôtre  vocation,  &  a  nôtre  état.' 
11  y  a  même  de  certaines  chofes ,  qui 
appartiennent  de  telle  forte  à  d'autres 

qu'à 


BONNES   OE  LIVRES.  515* 

qu'à  nous,  que  nous-noas  rendrions 
trcs-dî2:nes  de  blârac  fi  nous-nous  y  in- 
gênons  mal  a  propos.  Mais  ileft  ex- 
trêmement remarquable  que  ceci  n'a 
lieu  qu'à  l'égard  des  a6tions  externes, 
ou  pour  mieux  dire  à  l'égard  de  quel- 
ques unes  de  ces  actions .  Car  pou  r  les 
internes  il  n'y  en  a  aucune  qui  ne  foit 
du  devoir  de  tous  fans  exception ,  &  il 
n'y  a  perfonne  qui  doive  craindre  de 
fe  mêler  de  ce  qui  ne  le  concerne  pas , 
q;aand  il  n'en  laifîcra  aucune  de  cet 
ordre  qu'il  ne  pratique.  Il  y  en  a  mê- 
me pluiîeurs  d'externes ,  dont  on  peut 
dire  la  même  chofe. 

V.  Nous  ne  devons  pas  nous  con- 
tenter de  faire  des  œuvres  qui  Ibient 
bonnes  en  leur  genre,  telles  que  font 
toutes  celles  que  Dieu  a  commandées. 
Nous  devons  encore  tâcher  de  faire 
qu'elles  foient  vraiment  bonnes  ,  pre- 
nant garde  qu'il  ne  leur  manque  au- 
cune des  conditions  que  j'ai  indiquées 
dés  Pcntréede  ce  Traité.  S'ilenétoic 
autrement,  il  ne  feroitpas  feulement 
vrai  de  dire  qu'elles  nous  feroient  inu- 
îilcs.  Elles  nous  feroient  encore  nui- 

fiblcs 


52^  Traite'  des 

fibles  6c  pernicieufcs .  Car.  comme  on 
Pa  veu  ,  elles  ne  peuvent  manquer 
de  ces  conditions  fans  devenir  de  véri- 
tables péchez ,  qui  ofTenfent  Dieu ,  6c 
qui  provoquent  efficacement  fa  colcre. 
Ainfife  gêner  pour  en  iltire  de  telles, 
c'eftfe  donner  de  la  peine  pourfe  ren- 
dre plus  criminel  &  plus  malheureux. 
Vï.  Nous  ne  devons  pas  feulement 
faire  en  forte  que  nos  œuvres  foient 
vraiment  bonnes ,  &c  conformes  à  la 
volonté  de  Dieu.  Nous  devons  enco- 
re tâcher  défaire  qu'elles  ayent  toute 
labontépoffîble,  faifant  en  forte  que 
chacune  des  conditions  necelîaires 
pour  cet  effet  s'y  trouve ,  non  feule- 
ment en  quelque  degré,  mais  dans  le 
degré  le  plus  erninent  qu'il  fera  poffi- 
ble,  tâchrdit d'approcher  le  plus  que 
nous  pourrons  de  la  perfeélion .  Il  faut 
en  effet  afpirer  à  cette  perfeétion ,  quoi 
que  nous  ne  puiiîions  y  arriver  ,  6c 
nous  fou  venir  toujours  qu'entre  le  de- 
gré précis ,  où  nous-iious  trouvons , 
5c  le  plus  haut  de  ceux  où  nôtre  devoir 
nous  appelleroit,  il  y  en  a  un  très  grand 
nombre  d'autres ,  qui  font  tous  pofli- 

bles. 


BONNES    OEuVRES.  517 

blcs,6c  aufqucls  nous  ne  pouvons  man- 
quer de  nous  élever  fans  une  négligen- 
ce extrême. 

VIL  Apres  avoir  fait  de  bonnes  œu- 
vres, nous  devons  éviter'avec  tout  le 
foin  poffibie  d'en  perdre  le  fruit ,  &  de 
nous  priver  des  avantages  que  nous  en 
pouvions  retirer.  C'eft  ce  qui  peut  ar- 
river en  plufieurs  façons.   Première- 
ment en  nous  repentant  de  les  avoir 
faites ,  comme  il  arrive  toutes  les  fois 
que  nous  fommes  cxceffivement  fenfi- 
bles,  foit  à  la  perte  des  biens  tempo- 
rels ,    aufqueîs  nous  avons  renoncé 
pour  nous  acquitter  de  nôtre  devoir, 
foit    aux    incommoditez    aufquelles 
îious-nous  fommes  expofez  par  là.  On 
fiiit  encore  la  même  faute,  lors  que  les 
bonnes  œuvres  que  l'on"  a  faites  infpi- 
l  rent  de  la  vanité ,  6c  fDnt  qu'on  s'en  ap- 
'  plauditenfecret,  ou  même  qu'on  s'en 
vante  tout  ouvertement.   Il  vaudroit 
mieux  ne  les  avoir  point  faites ,  que 
d'y  trouver  l'occafion  d'un  péché  auffî 
iinfiipportable  à  Dieu  que  l'orgueil, 
■  dans  lequel  on  peut  s'affeurer  qu'il  y 
a  incomparablement  plus  de  mal ,  qu'il 
n'y  a  de  bien  dans  les  œuvixs  qui  le 

font 


528  T  R  AIT  t'    DES 

font  naître.  Enfin  on  perd  le  fruit  de 
fes  bonnes  œuvres  lors  qu'on  tombe 
dans  le  péché.  Car  alors  on  n'efl  pas 
feulement  dans  Pétat  cù  Pon  feroit  iî 
on  n'avoit  jamais  fait  de  bonnes  œu* 
vres.  On  eft  dans' un  état  incompara- 
blement plus  fâcheux,  les  rechûtes 
qui  fuiventia  converfion,  étant  quel- 
que chofe  de  beaucoup  plus  infuppor- 
table  à  Dieu,  que  les  péchez  qui  Pont 
précédée  j  fuivantceque  dit  PApôtre 
S. Pierre,  quai  nous  vaudroit  mieux 
n'avoir  jamaîs  connu  la  voie  de  la  jufti- 
ce,  que  fî  après  l'avoirconnuè  nous 
venions  à  nous  détourner  du  fàint 
commandement  qui  nous  û  été  donné. 
IL  Fier.  II. 

'  Ce  font  là  les  principaux  foins  que 
nous  devons  prendre  à  cet  égard,  6c 
que  nous  prendrons  en  effet,  fi  nous  ; 
avons  tant  foît  peu-à  cœur  les  intérêts  ' 
de  nôtre  falut,   fi  nous  avons  une  foi 
vive ,  &  une  charité  fincere ,  en  un  moc 
fi  nousfommesde  véritables  enfans  de  ■ 
Dieu  3  n'y  ayant  rien  de  plus  efientieLi 
à  tout  ceci,  que  ces  foins,qui  font  d'ail- .? 
leurs  fi  juilcs  6c  fi  raifonnablcs. 
F    I    N. 


•imi^ML 


.iiKJiiiJHâ^