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JOHN M. KELLY LIDKARY
Donated by
The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor
University of
St. Michael's Collège, Toronto
H9LY REDEEMER LIBRARY, WINDSOR
TRAITE
LA VRAIE RELIGION
TRAITÉ-^
HISTORIQUE ET DOGMATIQUE
LA VRAIE RELIGION î ï 2^"?
LA RÉFUTATlOîf DES ERBEUKS QVl Ltl ONT ETE OPPOSEES
DA>S LES DIFFÉRENS SIÈCLES ,
Par M/ l'Abbé BERGtER ,
Chanoine de i Eglise de Paris , Confesseur du Roi , etc., etc.
Cun> essemus parvuli,sub elcnnentis Lu jus
miindi eramus seivientes ; at ubi venit pie-
nitufîo tenjporis,niisit Deus Filiucu suuin
nt adoptionem filiorum reciperemu;«
Galat. c. 4. t' ^-
TOME PREMIER.
TOURNAT,
CH. CASTERMAN-DIEU , Imprimeur-Libraire
BLE DE TOVT y ^.° 10.
HeLY REDEEMEftlSâ^WmtJ^OR
S?~'0V6^'^
>" -À
TRAITE
HISTORIQUE ET DOGMATIQUE
DE LA
VRAIE RELIGION.
INTRODUCTION.
DESSEIN DE LA PROVIDENCE DANS l'ÉTABLISSE?.IENT
DE LA RELIGION ; ORIGEŒ ET PROGRES DE l'iN-
CRÉDULITÉ j PL.VN ET DHISION DE CET OUVRAGE.
D.
SI-
•lEU , disent les Pères de l'Église , donne au genre
humain des leçons convenables à ses dift'érens âges
^'^ ; comme un père tendre , il a égard au degré de
capacité de son élève : il fait marcher l'ouvrage de
la Grâce du même pas que celui de la Nature , poiu'
démontrer qu'il est l'auteur de l'un et de l'autre.
Tel est le principe duquel il faut partir , pour con-
cevoir le plan que la sagesse éternelle a suivi , en
prescrivant aux hommes la Religion.
Ce plan renferme trois grandes époques relatives
aux divers états de l'humanité. Dans les siècles
voisins de la création , le genre humain , dans une
espèce d'enfance , n'avoit encore d'autre société
que celle des familles , d'autres lois que celles delà
nature , d'autre gouvernement que celui des pères
(t Tertull. 1. de Yirgin. Velandis , c. i. S. Aug. , 1. de verà
Relig. , c. 26 et 27 etc. Theodoret. Haer. Fab. 1. 5 , c. 17. De
Provid. Oral. 10 , etc.
1> 1
2 INTRODUCTION'.
et des vieillards. Dieu révéla aux patriarches une
religiati domestique , peu de dogmes, un culte
simple , une morale dont il avoit gravé les prin-
cipes ou fond des cœurs. Le chef des familles étoit
le pontife-né de cette religion primitive. Emanée
de la bouche du Créateur , elle devoit passer des
pères aux enfans , par les leçons de l'éducation. La
tradition domestique , les pratiques du culte jour-
nalier , la marche régulière de l'univers , et la voix
de la conscience , se réunissoient pour apprendre
aux hommes à n'adorer qu'un seul Dieu. Ce pre-
mier lien de société , ajouté à ceux du sang, étoit
assez puissant pour unir les diverses branches d'une
même famille , et pour former insensiblement des
associations j)lus étendues.
Cette idée de la religion primitive n'est pas de
nous , elle est tirée des li\Tes saints. L'ecclésias-
tique , après avoir parlé de la création de nos
premiers parens, ajoute : « Dieu les a remplis de
« la lumière de l'intelligence , leur a donné la
« science de l'esprit , a doué leur cœur de sen-
« timent , leur a montré le bien et le mal ; il a
« fait luire son œil sur leurs cœurs , afin cpi'ils
« vissent la magnificence de ses ouvrages , qu'ils
« bénissent son saint nom , qu'ils le glorifiassent
« de ses merveilles et de la grandeur de ses œuvTes.
« Il leur a prescrit des règles de conduite et les a
u rendus dépositaires de la loi de vie. Il a fait avec
« eux une alliance éternelle , leur a enseigné les
« préceptes de sa justice. Us ont vu l'éclat de sa
« gloire , ont été honorés des leçons de sa voix ;
« il leur a dit : fuyez toute iniquité , il a ordonné
<( à chacun d'eux de veiller sur son prochain ^'\ »
Mais la religion révélée de Dieu , est un joug
que l'honmie consent difficilement à porter : s'il
(i Eccle. c. 17 , ;^. 5 et suiv.
IXTRODUCTIOX. O
n'ose le secouer absolument , il cherche à le ren-
di'e moins incommode. La négligence des pères ,
l'indocilité des enfans , la jalousie , l'intérêt , la
crainte , passions incpiiètes et ombrageuses , iii'ent
interromi)re peu à peu les pratiques du culte com-
mun , et oublier la tradition domestique. L'homme
se lit autant de divinités qu'il j a d'êtres dans la
nature , il ne suivit que son caprice dans le culte
qu'il leur rendit. Bientôt il y eut autant de religions
que de peuplades ; chacune voulut avoir ses dieux
tutélaires ; cette division fatale est une des causes
qui ont le plus retardé les progrès de la civilisation.
§11.
Après plusieurs siècles , un grand nombre d'hom-
mes se rémiirent , commencèrent à suivre des lois
et des usages communs , à former un peuple , une
républicjue , un royaume. Mais ces nations nais-
santes , toujom's en défiance les unes à l'égard des
autres , demem'èrent dans un état de guerre ; elles
ne s'approchoient que pour se dépouiller et s'entre-
détruire ; tout étranger étoit censé un ennemi.
Déjà plongées dans l'erreur, comment pouvoient-
elles être corrigées ? comment faire revivre la
révélation donnée à nos premiers pères ? Dieu
donna aux Hébreux une religion iiationale , incor-
porée aux lois et à la constitution de leur répu-
blique , ou plutôt destinée à la fonder. Relative au
climat , au génie de cette nation , aux dangers dont
elle étoit environné , elle étoit faite non pour un
peuple déjà policé , mais qui ahoit le devenir. C'est
donc relativement à l'intérêt politique, à l'utilité
nationale qu'il faut l'envisager , pour en voir la
sagesse , et pom- estimer le temps de sa durée.
Telle est encore l'idée que nous en donne le
4 INTRODUCTIOX.
même autem* sacré : « Dieu . dit-il , a proposé un
« chef à chaque nation ; mais il a réservé pour sa
« part les Israélites. Il a éclairé toutes leurs dé-
« marches , comme le soleil répand sa lumière sur
« toute la nature ; ses jeux n'ont cessé de veiller
<( sur leurs actions : leurs iniquités n'ont point
« eflacé l'alliance qu'il avoit faite avec eux ^'\ »
L'homme s etoit égaré en prenant pour des dieux
les différentes parties de la nature ; Dieu frappa de
grands coups sur la nature , 7)0ur faire sentir aux
hommes qu'il en étoit le maitre. Il effraya les Egy]i-
tiens , les Chananéens , les Assyriens , les Hébreux ,
pai' des prodiges de terreur. J^ exercerai y dit-il,
ines jugemens éiir les dieux de VEgi/ple ; il dé-
clare qu'il fait des miracles , non pour les Hébreux
seuls , mais pour apprendre à tous les peuples qu'il
est le Seigneur ^'^. Il les fit en effet sous les yeux
des nations qui jouoient le plus grand rôle dans le
monde connu.
Dieu ne révéla point de nouveaux dogmes , mais
il annonça de nouveaux desseins. La croj-ance de
Moïse et des Hébreux étoit la même que celle
d'Adam et de Noë ; le décalogue est le code de
morale de la nature : le culte ancien fut conservé ;
îuais Dieu le rendit plus étendu et plus pompeux :
dans une société policée , il falloit un sacerdoce ;
la tribu de Lévi en fut chargée à l'exclusion des
autres. La tradition nationale étoit l'oracle que
les Hébreux dévoient consulter ; toutes les fois
qu'ils s'en écartèrent , ils tombèrent dans l'idolâ-
trie ; dès qu'ils voulurent fraterniser avec leurs
voisins , ils en contractèrent les vices et les erreurs.
Mais Dieu ne laissa point ignorer ce qu'il avoit
résolu de faire dans les siècles suivans. Par la
(i Eccl. il. i!\. et suiv. — ("2 Voyez la sccouùc partie de
cet ouvrage, cbap. i, art. i, ^ i 7.
DxTRODUCTION. ^'
bouche de ses propliétes, il annonça la vocation
future de toutes les nations à sa connoissance et
à son culte. La religion juive n'étoit qu'un prépa-
ratif à la révélation plus ample et plus générale
que Dieu vouloit donner , lorsque le genre humain
seroit devenu capable de la recevoir.
§ ni.
Ce temps étoit arrivé quand le Fils de Dieu vint
annoncer , sous le nom à' évangile ou de bonne
nouvelle , une religion universelle. La révélation
précédente avoit eu pour but de former un royaume
ou une réimblicfue siu' la terre ; J.-C. prêcha le
royaume des deux. Une grande monarchie avoit
englouti toutes les autres ; tous les peuples policés
étoient devenus sujets du même souverain. Les
arts , les sciences , le commerce , les conquêtes ,
les communications établies , avoient enfin disposé
les peuples à fraterniser , et à se réunir dans une
seule E'glise ;.le Fils de Dieu envoie ses Apôtres
prêcher l'évangile à toutes les nations. J'en ferai ,
dit-il , un seul troupeau sous un même pasteur ^'\
Si ce dessein n'avoit pas été conçu dans le ciel ,
il seroit le plus beau qui eut pu se former sur la
terre ; et si Jésus-Christ n'étoit pas Dieu , il seroit
encore le meilleur et le plus grand des hommes.
Ceux-ci étoient moins grossiers et moins stu-
pides que dans les siècles précédens ; aussi les signes
de la mission du Sauveur n'ont point été des pro-
diges de teiTeur , mais des traits de bonté : les
moeurs étoient plus douces, mais plus voluptueuses ;
il falloit une morale austère pour les corriger. Une
philosO})hie curieuse et téméraire n'avoit laissé
subsister aucune vérité ; il falloit des mystères-
(i Fiet uuum ovile et unus Pastor. Joan. io, ;^. 16,
^ INTRODUCTION.
pour la confondre et pour réprimer ses attentats.
Les usages de la vie civile avoient acquis plus de
décence et de dignité : il falloit un culte noble et
majestueux. Les connoissances circuloient d'une
nation aune autre; la tradition unicerselle , ou
la catholicité , étoit donc la base sur laquelle l'en-
seignement devoit être fondé. Telle est en effet la
constitution du Christianisme.
Ce n'est pas le connoître que de l'envisager
comme une religion nouvelle , isolée , qui ne tient
à rien , qui n'a ni titres , ni ancêtres. Ce caractère
est l'ignominie de ses rivales ; ainsi elles portent
.sur leur front le signe de leur réprobation. Le
christianisme est le dernier trait d'un dessein formé
de toute éternité par la providence , le couron-
nement d'un édifice commencé à la création ; il
s'est avancé avec les siècles, il n'a paru ce qu'il
est qu'au moment où l'ou^Tier j a mis la dernière
main. Aussi les Apôtres nous font remarquer que
le Verbe éternel oui est venu instruire et sanctifier
Jes hommes , est cplui-là même cpii les a créés ^*>»
Saint Augustin , dans ses livres de la cité de Dioi ,
envisage la vraie Religion connue une ville sainte ,
dont la construction a commencé à la création ,
et ne doit être finie que quand ses habitans seront
tous réunis dans le ciel.
Ce plan sublime n'a pu éclore dans l'esprit d'un
homme ; il embrasse toute la durée des siècles ;
ceux mêmes qui dans les premiers âges ont con-
couru à son exécution , ne le connoissoient pas.
C'est Jésus-Christ qui nous l'a révélé. Saint Jean ,
au commencement de son évangile , saint Paul ,
dans sa lettre aux Calâtes , et dans le premier
chapitre de l'épître aux Hébreux , l'ont clairement
développé. Le Christianisme est la religion du
( 1 Joan. c. I. Hébr. c. i.
IXTRODUCTIOX. 7
sage , de riiomme parvenu à l'âge viril et à la
maturité parfaite ^'>.
L'auteur de l'ecclésiastique , qui a si bien pré-
senté les deux premières époques de la révélation ,
ne pouvoit peindre la troisième ; il l'a précédée de
plus de deux cents ans ; mais il prie Dieu d'accom-
plir ses promesses et les prédictions des anciens
prophètes 5 « afin , dit-il , que l'on reconnoisse la
« fidélité de ceux qui ont parlé en votre nom , et
« pour apprendre à toutes les nations que tous les
« siècles sont présens à vos yeux ^'\ »
§ IV.
Un signe non équivoque de l'opération divine
est la constance et l'uniformité ; ce caractère brille
dans la nature , il n'éclate pas moins dans la reli-
gion. Dieu n'a point enseigné aux hommes dans un
temps le contraire de ce qu'il leur avoit dit dans
un autre ; mais à certaines époques il leur a révélé
des vérités , dont il ne les avoit pas encore instruits
auparavant. La croyance des patriarches n'a point
été changée par les leçons de Moïse ; le symbole des
Chrétiens, quoique plus étendu, n'est point opposé
à celui des Hébreux. Le code de morale donné à
Adam se retrouve dans le Décalogue ; celui-ci a
été renouvelé , expliqué et confirmé par Jésus-
Christ ; mais la religion parfaite et immuable dès
sa naissance , parce qu'elle est l'ouvrage de la
sagesse divine , a souvent été défigurée par l'aveu-
glement et par les passions de l'homme. Dieu ne
change point ; l'homme varie continuellement.
Plus il oublie et méconnoît les leçons de son Créa-
teur , plus il est nécessaire que ce père sage et bon
(1 EpLes. c. 4, ;^. i3. — (2 Eccli. c. 36. jf. i&.
û- INTRODUCnOX,
les renouvelle , les rende plus étendues et plus
frappantes.
Dans les éjararemeus de l'homme , rien d'uni-
forme : la vérité est une , les erreurs changent à
l'infini ^'^ , un peuj)le nie ce cpie l'autre affirme ,
les opinions d'un siècle sont effacées par celles du
siècle suivant. Tantôt les ])hilosophes ont enseigné
qu'il y a autant de dieux que d'êtres dans la nature ;
tantôt qu'il n'y en a ])oint du tout. Dans un temps ,
ils ont confondu la divinité avec l'éune du monde ;
dans un autre , ils ont cru que Dieu étoit l'artisan
du monde ; mais qu'il ne se méloit point de le gou-
verner. Les uns nous ont accordé une âme, les
autres nous l'ont refusée ; ceux-là coml^attoient
pour la li])erté humaine , ceux-ci pour la fatalité :
telle secte croyoit à la vie future , telle autre n'y
ajoutoit point de foi. Les plus anciens enseignèrent
une morale assez pure ; leurs successeurs la cor-
rompirent , ou la sapèrent par les fondemens. Dans
tous les lieux du monde on raisonnoit sur la reli-
gion; dans aucun l'on n'osoit y toucher, de peur
de la rendre pire. Le pçui)le suivoit à l'aveugle les
leçons de ses conducteurs , et les traditions de ses
ancêtres ; fables , contradictions , dérèglement par-
tout.
Au milieu de cette nuit profonde , un rayon de
vérité brille dans un coin de l'univers , une Religion
pure y subsiste ; elle descend en droite ligne du
j>remier hojnme , par conséijuent du Créateur ,
elle s'est perpétuée dans une seule branche de
familles successives. Lorsqu'elle est prête à s'étein-
di'e , Dieu paroît de nouveau et se fait entendre : il
})arle en maître souverain de la nature ; les Hébreux
étonnés treml)lent , écoutent dans le silence. Il
faut les séparer de toutes les nations livrées à l'er^
(i Thcodorcf, de Provid. Orat. i. p. 3Qr.
INTKODUCTION, 9
reiir , les assujettir par une loi sévère. Vingt fois
ils veulent en secouer le joug , autant de fois ils
sont forcés de le reprendi'e. Lors même qu'ils y
])aroissent le plus soumis , ils en prennent les
dogmes de travers , en corrompent la morale ,
altèrent le sens des promesses divines. Dieu ce-
pendant est fidèle à les accomplir ; au moment
qu'il a mai'qué d'avance , son Verhe incarné paroît
j)armi les hommes , revêtu de tous les caractères
de la divinité. Amioncé par les prophètes, attendu
j)ar les justes , précédé par des prodiges , né du
sang le plus noble qu'il y eût dans l'univers , il
reçoit le nom de Sauveur ; admirable par sa
doctrine , étonnant par ses miracles , respectable
pai' ses vertus, aimable par ses bienfaits , il prêche
le royaume des cieux. ^lais cette lumière luit dans
les ténèbres, il est méconnu-, rejeté, condamné
})ar la nation même cju'il venoit instruire et sauver.
Il meurt , ressuscite , monte au ciel , ordonne et
prédit la conversion du monde , elle s'accomplit ;
le Christianisme est établi , il subsiste depuis plus
de dix-huit cents ans , malgré les efforts renoissans
des incrédules de tous les siècles. Voilà le tableau
que nous avons à exposer. On ne peut y mécon-
noître la main de l'intelligence toute-puissante
et éternelle , qui d'un coup d'œil embrasse tous
les siècles ^'> , voit toutes les révolutions que doi-
vent subir ses créatures , trace dés le premier ins-
tant le plan qu'elle sui^Ta dans toute la durée des
temps.
§ V-
Pour en saisir l'ensemble , nous avons trois
signes , qu'il ne faut pas séparer. Dans l'histoire
(1 Tu es Deus conspector sœculorum. EccH. c. 36. jf, ig^
1^- K
10 INTRODLXTIOX.
de la Religion que nous présentent les écrivains
sacrés , nous voyons :
1.° Une chaîne de faits qui se succèdent, qui
ne laissent aucun vide , où l'on ne peut rien dé-
placer. L'ordi-e des générations et des événemens
nous conduit d'Adam à Noè , de iSoé à Abraham ,
de celui-ci à Moïse , de JNIoïse à Jésus-Clirist. La
création et la chute de l'homme , le déluge uni-
versel et la dispersion des peuples, la vocation
d'Abraham et les prédictions qui regardent sa
postérité , sont trois grandes époques auxquelles
se rapportent les faits intermédiaires , et qui pré-
parent de loin la révélation donnée par Moïse.
Celle-ci nous fait envisager la venue du Messie
et la conversion des peu{)los comme le terme
auquel tous ces préparatifs doivent aboutir. Voilà
un plan général , un dessein suivi , qui démontre
que rien n'est arrivé par hasard , et que rien n'a
été écrit sans raison ; ce n'est point ainsi que sont
tissues les annales mensongères des autres peuples,
auxquelles les philosophes trouvent bon de donner
la préférence.
2.° Une chaîne de vérités prouvées par ces faits
mêmes , toujours relatives aux besoins actuels et
à la situation dans laquelle se trouve le genre
humain. Sous la première époque , tout concoiut
à inculquer ce dogme cai)ital , qu'il y a un seul
Dieu Créateur , dont la providence dirige tous les
événemens , et qu'il gouverne en maître al^solu le
monde qu'il a tiré du néant. Sous la seconde, tout
se rapporte à démontrer que ce même Dieu est
le fondateur de la société civile , l'ai'bître souverain
de la destinée des peuples , qu'il les })lace et les
déplace, les élève ou les humilie, les éclaire ou
les laisse dans l'aveuglement , connue il lui plaît.
Sous la troisième , le but principal de la révélation
INTRODUCTION. 1 i
est de nous convaincre que Dieu est encore l'auteur
de la sanctification de l'iiomme , que le salut n'est
point l'ouvrage de la volonté seule , mais de la
grâce divine et des mérites du médiateur.
Ainsi , depuis la notion du Créateur et la pre-
mière promesse faite à l'homme pécheur , l'étendue
et la clarté de la révélation va toujours en aug-
mentant , à mesure que l'homme devient capable
de leçons plus amples et plus pai'faites, jusqu'à la
manifestation pleine et entière de la grâce et de la
vérité par Jésus-Christ. Par la révélation primitive ,
la loi naturelle ne paroît connue cjii'autant qu'il
étoit nécessaire pour la prospérité des familles , et
pour engager les hommes à se rapprocher. Dieu
tolère dans les patriarches des abus qui dévoient
être retranchés dans la suite des temps j mais qu'il
eut été difficile d'arrêter pour lors , et qui ne pou-
voient encore produire d'aussi mauvais effets que
chez les peuples mieux civilisés. La loi de Moïse
supprime ou diminue une partie de ces abus : mais
le droit des gens , ou le droit d'mie nation à l'égai'd
d'une autre , est encore très-peu connu. Il étoit
nécessaire que les Hébreux demeurassent isolés
et dans l'état de sé})aration dans lequel tous les
peuples vivoient pour lors. C'est seulement par
l'évangile que les grands prmcipes de morale so-
ciale, de charité universelle, d'Az^maT^zVé/^ ont été
enfin développés ; les anciens philosophes n'en
étoient pas mieux instruits que les autres hommes.
Ici on reconnoit encore la sagesse de la providence ,
qui ne donne à ses enfans que les leçons dont ils
sont susceptibles , et n'exige d'eux des vertus que
s^lon le degré de leurs connoissances.
3.° Une chaîne d'erreurs et d'égaremens chez
les hommes indociles , erreurs qui viennent tou-
jours de la même source , de leur révolte contre
1 2 LNTRODUCTIOX.
l'autorité divine. Sous la loi de nature , ceux qui
se sont écartés de la tradition dumentique sont
tombés dans le polytéisme , et y ont persévéré ;
ils ont adoré les ouvrages du Créateur sans l'adorer
lui-même : leur culte n'a été cpi'un chaos de pro-
fanations. Tel est encore l'état des peuples chez
lesquels le flambeau de la révélation ne s'est point
rallumé ; aucun progrès de la raison humaine y
pendant soixante siècles , n'a été capable de les en
tirer. Sous la loi mosaïque , lorsque les Juifs ont
méconnu leiu' li'adition nationale, ils. se sont
])longés dans l'idolâtrie ; comme toutes les nations
voisines, ils ont adoré l'ouvrage de leurs mains,
sont devenus aussi aveugles que si Dieu n'avoit
jamais daigné les instruire. Dans le sein du
Christianisme , quiconque abandonne la tradition
nniverselle ou la catholicité , tombe dans l'hé-
résie , qui n'est qu'une philosophie erronée ; mais
s'il raisonne de suite , il n'y demeure pas long-
temps, il ])asse rapidement au déisme, au maté-
rialisme , au i)yrrhonisme absolu : ou il adore le
Dieu de Spinosa , ou il n'adore rien du tout. Nous
verrons dans un moment le tissu des conséquences
qui conduisent à cet abyme ; l'enchaînement n'en
fut jamais aperçu })ai' ceux-mémes qui s'y trouvent
enlacés.
§ VI.
Parmi tous ces grands génies qui attaquent
aujourd'hui la religion , en est-il quelqu'un qui
ait entrepris de renverser le plan général de la
révélation , ou qui ait fait de fortes objections
pour le détruire ? Pas un seul ne s'en est seulement
douté. A les entendre , il semble que la religion
soit un hors-d'œuvre dans la société , et que l'on.
INTRODUCTION. 1 3
ne saclic pas d'où elle est venue ; que Jésus-Christ
soit arrivé sur la terre sans être prévu ni attendu ;
que le Christianisme soit le résultat des idées d'un
homme singulier , qui a rêvé qu'il étoit destiné à
changer la face de l'univers.
Ce n'est point ainsi qu'il est représenté dans
nos livres saints. « Jésus-Christ , disent ses Apô-
(( très, n'est pas seulement d'aujourd'hui , il étoit
« hier , et le même pour tous les siècles '^'\ Il
« étoit dans les décrets éternels avant la nais-
« sance du monde ^'\ C'est l'agneau immolé dés
« la création ^^\ L'ouvrage qu'il a consommé
u développe enfin un mystère caché dans le sein
« de Dieu dés le commencement des siècles , et
« fait comprendre la sagesse de sa conduite et
« de ses desseins éternels *■'*■. » Jésus-Christ a
fait de l'ancien et du nouveau Testament une
seule et même alliance ^^\ Conséquemment saint
AugTistin soutient que le Christianisme a existé
depuis la création ^^) , et M."" Bossuet , que
la religion est la même depuis l'origine du
monde '--K
Entreprendre de prouver la vérité et la divi-
nité du Clu'istianisme , sans avoir égai'd aux deux
époques de la révélation qui ont précédé , ce seroit
lui dérober la plus frappante de ses preuves , juger
du coin d'un tableau, sans envisager l'ensemble,
mettre notre religion de niveau a^ec celle des
Lidiens et des Chinois. Non ; elle tient à l'ori-
gine du monde, et doit durer autant que lui. I^es
autres ne sont que des excrescences ou des taches
qui obscurcissent et détigurent le plan général ,
(i Hebr. c. i3, ir. 8. — (2 i. Petri , c. i , ;^. 20. — (3
Apos. c, i3, ^. 8. — (4 Ephes. c. 3, f/: 9 et 10. — (5 / ent
utraque unum. Ibld c. 2, ^. i^. — (6 iîetiact. 1. 1, C. i3 ,
li, 3. Epiât. 102, q. 2. ~ (7 Disc, sur l'Hist. univ. 2 pari.,
art. u
1 i INTRODUCTION.
OU tout au plus des ombres qui ne servent qu'à
mieux faire sortir les traits de lumière.
De même que la religion domestique des pa-
triarches n'a dii persévérer que jusqu'au moment
où les peuplades dispersées se rassembleroient
pour former des corps de nation; ainsi la religion
nationale des Hébreux n'a du se maintenir que
jusqu'à l'époque à laquelle les peuples mieux ci-
vilisés seroient capables de composer une société
religieuse imiverselle. En suivant le fil de lliis-
toii'e dans notre troisième pailie , nous verrons
que cette constitution même du Christianisme a
empêché les peuples de l'Europe de retomber dans
la bai'barie. Une quatrième révélation générale est
donc impossible , elle ne seroit plus analogue à
aucun état de la nature humaine. Tant cp.ie l'uni-
vers sera policé , il doit être Chrétien ; il ne peut
être bien civilisé que par l'évangile. Jésus-Christ
a embrassé dans son plan toute la durée du
monde , lorsqu'il a promis à son Eglise d'être
avec elle jusqu'à la consommation des siècles.
Long-temps avant la mission de Moïse , le Messie
avoit été annoncé comme un législateur qui
devoit rassembler les peuples; aucune prophétie
ne nous parle d'un nouvel envoyé : lorscpie Dieu
lui-même a daigné venir nous instruire en per-
sonne , quel pourroit être le maître capable de
nous donner de meillem-es leçons?
Jésus-Christ a reçu de son père le souverain-
domaine sur toutes choses ^'^ , tout a été créé
par lui et pour lui , rier> ne subsiste qu'en lui
^'^ ; son régne dans le ciel est éternel ^^^ , et il
ne cessera sur la terre que quand tous ses en-
nemis seront abattus à ses pieds ^'\
(i Matl. , c. 1 1 , ;^. 97. — (2 Coloss c 1 , 3^ . iG et 17. —
(3 -2 Pet. j c. 1 , ;J^. 1 1. — (4 i Cor. c. i5 , ^. 25.
INTRODUCTION. 1 5
§ VIL
ORIGINE ET PROGEis DE L 'INCRÉDULITÉ.
D'où peut donc Tenir l'irréligion , qui de nos jours
s'est répandue dans l'Europe entière? La peste noire
qui au quatorzième siècle ravagea une partie de
notre hémisphère, ne fit pas de progrès plus rapi-
des. Les auteurs sacrés ont constamment attribué
à l'esprit de ténèbres les erreurs des héréticjues,
les superstitions des idolâtres, les artifices mali-
cieux des incrédules ^*> , et ils nous ont appris
à connaître les moyens dont il se sert. Disons-
le hardiment, nous n'ayons que trop de preuves
à produire ; l'incrédulité est fille de l'ignorance ,
dans un siècle qui se croit très-instruit , la Religion
n'est pas connue. Mais cette ignorance même tient
à d'autres causes ; il en est de générales et de
particulières ; l'histoire en est tracée dans celle
des peuples qui nous ont précédés.
Ce n'est pas la première fois que cette maladie
épidémique a paru dans le monde. Les Grecs ,
parvenus au comble de la prospérité par leurs
victoires sur les Perses , se précipitèrent dans
répicuréisme; Rome, maîtresse du monde, char-
gée des dépouilles de l'Asie , fit entrer dans ses
murs avec le luxe cette odieuse philosophie; les
Juifs, délivrés de la persécution des rois de Syrie,
et enrichis par le commerce d'Alexandrie, virent
éclore le saducéisme , qui n'étoit qu'un épicuréis-
me grossier. Selon les observations de plusieurs
jx)litiques modernes , les mêmes vaisseaux qui ont
voiture dans nos ports les trésors du nouveau
monde, ont dii y apporter le germe de l'irréligion
avec la maladie honteuse qui empoisonne les sour-
ces de la vie.
( i Fphes. c. 5 , ;f » 12,
1 6 INTRODUCTION".
A la suite du luxe, marche la philosophie, qui
n'est elle-même qu'un luxe de connoissance. Une
nation qui s'applaudit d'avoir quitté les mœurs
agrestes de ses aïeux , se fait prescp.ie un point
d'honneur de renoncer à leur croyance. [N'e seroit-
il pas aussi indécent de conserver l'antique reli-
^on de nos pères, cpie de porter les mêmes habits?
L'esprit devenu calculateur, suppute les avantages
d'une nouvelle façon de penser , comme il estime
le produit d'un nouveau commerce , ou d'une
branche d'industrie ; nos i)hilosophes ont porté
l'exactitude jusqu'à évaluer la dépense du pain
béni et des cierges ^'^ : bientôt l'on marchande
combien coûte la vertu, et l'on juge ordinairement
qu'elle est trop chère.
Chez un peuple corrompu par l'amour eÔréixé
des plaisirs , plus la Religion est sainte , plus
elle doit devenir odieuse ; sa morale se trouve
si éloignée du ton générale des mœurs , qu'elle
ne peut manquer de paroitre impraticable : l'es-
prit énervé par les foiblesses du cœur, n'envisage
plus cette morale qu'avec eflroi. On est descendu
de sa hauteur par une pente imperceptible ; on
ne se sent plus assez de force pour regagner
le sommet. On ai'gumente pour prouver qu'il est
inaccessible , que la tête y tourne , que l'on ne
peut y respirer : les philosophes qui promettent de
le démontrer , sont sùi's de trouver des auditeurs
dociles. Les uns et les autres s'applaudissent de
leur sagacité , vantent les i)rogrès des lumières du
siècle, donnent l'irréligion comme le résultat des
connoissances qu'ils ont accpiises ; ce n'est que
l'eftet des vices qu'ils ont contractés. Si nous pou-
vions nous flatter d'avoir plus de vjertus que nos
jières, il nous seroit permis de penser que nous
sommes aussi beaucoup plus éclairés,
(i Eucyclop. Pain béni.
rNTRODUCTIOX, Ï7
Les panégyristes- même du siècle présent nous
font remarquer que l'âge de la philosophie annonce
<( la yiellesse des empires, qu'elle s'efibrce en vain
« de soutenir. C'est elle qui forma le dernier siècle
« des belles républiques de la Grèce et de Rome :
« Athènes n'eut de philosophes que la veille de sa
(( ruine , qu'ils semblèrent prédire. Cicéron et
« Lucrèce n'écrivirent sur la nature des dieux et
« du monde, qu'au bruit des guerres civiles qui
« creusèrent le tombeau de la liberté ^'\ -> Triste
réflexion ! Si les flambeaux de la philosophie n'é-
toient que des torches funèbres destinées à éclairer
les funérailles du patriotisme et de la vertu , il
de"SToit être défendu , sous peine de la vie , de les
allumer jamais.
Un autre spéculateur observe que le laboureur
est nécessairement superstitieux , le matelot impie ,
le guerrier fataliste, l'habitant des villes indifférent
''\ Quelle philosophie que celle qui dépend de la
profession que l'on exerce ou du séjour cp.ie Ton
habite !
Mais il est bon de voir par cjneis progrès insensi-
bles, par quel enchaînement de consécpiences elle
est parvenue à ce point àUndifférence , que l'on
veut nous faire envisager comme le comble de la
sagesse,
§ VIII.
11 y a un fait constant, et dont plusieurs philo-
sophes sont convenus ; c'est que les nations féroces,
cpii ravagèrent l'Europe au cinquième siècle et
dans les âges suivans , auroient étouflé jusqu'au
dernier germe des connoissances humaines, si la
( I Hist. (les Etaljliss. des Eiirop. clans les Indes, tome YII >
ç. i3. — (2 Aux maues de Louis X\' , t. I , p. 29-,
1 o INTRODUCTION.
Religion n'avoit opposé des barrières àleiu' fureur.
Les ecclésiastiques obligés à l'étude par leur état ,
conservèrent une foible teinture des sciences rpii
avoient été cultivées sous la domination des Ro-
mains. Il y eut toujours des écoles établies dans
l'enceinte des chapitres et des monastères pour
l'instruction de la jeunesse; le nom de Clerc devint
synonyme à celui de Lettré. La langue latine consa-
crée aux offices de l'Eglise, quoique fort déchue de
son ancienne pureté , fut dans la suite un secours
pour reprendre la lecture des anciens auteurs. Dans
le loisir du cloitre, les moines s'occupèrent à ras-
sembler et à copier les écrits que le génie destructeur
des bai'bares avoit épargnés : à la renoissance des
lettres, les archifiés des églises et des monastères
ont été les uniques dépôts où l'on a retrouvé les
monumens des siècles précédens.
La pompe extérieure du culte divin contribuoit
à entretenir un reste de goût pour les arts , les
rapports nécessaires avec le siège de Rome et les
pèlerinages de dévotion, furent pendant long-^
temps le seul îicîi de communication entre les
différentes nations de l'Europe; la trêve de Dieu
établie par un motif de religion , suspendit par
intervalles les ravages de la guerre. Un des objets
de l'institution de<plusieurs fêtes, fut d'interrompre
les travaux des serfs , accablés sous la tyrannie
féodale. Avant l'établissement des foires et des
marchés publics, les apports ou le concours des
peuples aux fêtes et au tomljeau des Saints , fm'ent
le rendez-vous ordinaire des négocians ^'\
Si donc il s'est trouvé quelques vestiges d'huma-
nité , de mœurs, de police, de lumières parmi les
hommes au quinzième siècle, c'est incontestable-
( T La première foire franche en France a commencé à Saiat-
Penis. Hist. des Etabliss. des Europ. dans les Indes, t. II. p. 2.
DÎTRODUCTION. 1 9
ment au christianisme que l'on en est redevable ^'\
Sans la résistance que le zèle de religion opposa aux
tentatives réitérées des Mahométans, ils auroient
envahi l'Italie et les Gaules; tout étoit perdu.
Lorsque les premiers littérateurs commencèrent
à reprendi'e le fil des connoissances humaines , on
n'avoit pas lieu de prévoir que leurs successeurs se
serviroient bientôt , pour attaquer la Religion , des
secours mêmes qu'elle leur avoit conservés , et
tourncroient contre elle les armes qu'ils avoient
reçues de sa main : la révolution fut aussi prompte
qu'elle avoit été imprévue.
11 étoit impossible qu'au milieu des ténèbres qui
avoient couvert la face de l'Europe pendant plu-
sieurs siècles, il ne se fût glissé des abus dans la
Religion , que les mœurs du clergé ne se sentissent
de la licence qui avoit régné dans tous les états ;
c'est de là que l'on est parti pour lancer les pre-
miers traits contre la constitution même du Chris-
tianisme.
Ceujc qui s'annorieèrent au seizième siècle, sOua
le titre de réformateurs , sentirent ces abus ; ils
crurent y remédier en détruisant le principe auquel
ils les attribuoient , savoir , l'autorité de l'Eglise.
Ils ne virent pas qu'ils faisoient une brèche par
laquelle toutes les erreurs alloient ^bientôt pénétrer;
que pour renverser successivement tous les dogmes
et les fbndemens mêmes de la foi chrétienne , il n'y
avoit qu'à suivre la route qu'ils venoient de tracer.
En eflet , bientôt en imitant leur méthode , les
Sociniens rejetèrent tous les dogmes qui leur pa-
rurent incompréhensibles, citèrent au tribunal de
la raison les oracles de la parole divine. Instruits
par cet exemple , les déistes ne voulurent plus
(1 Vues pbilos. de Pre'monval , lome I , p. i5^. Hume,
histoire de la maison de Tudor , tome II, p. 9.
20 ESTRODUCTION.
admettre aucune révélation , révoquèrent en doute
plusieurs vérités de la Religion naturelle 5 enlin le
matérialisme , armé de leurs argumens . osa lever
sa tète altiére , et nier l'existence de Dieu. Les
scepticfues frappés du choc de ces divers systèmes,
conclurent cju'il n'y a rien de certain ; qu'en fait
de religion et de morale, un philosophe doit s'en
tenir au doute absolu. De là est née V indifférence
pour toutes les oi)inions , à laquelle on donne le
nom de tolérance. Dans l'excès du délire, l'esprit
humain ne peut aller plus loin.
§ IX.
Cette progression surprenante est clairement
mai'quée par les époqiics des personnages qui ont
été à la tète de ces différens partis , et par la date
de leurs ouvrages. Luther commença de dogmat -
ser en 3617 ; Calvin en i532 ; Lelio , Socin et
Gp-ntilis, vers iCiCiO. Viret, Vnr. des réformateurs ,
a parlé des premiers déistes dans son instruction
chrétienne, en 1563. Vanini , athée décidé, fut
exécuté en 1619; Spinosa n'a paru cpie quai'ante
ans après ; La Motte le Veyer et Cayle , deux scep-
tiques , ont écrit sur la lin de ce même siècle ;
Montagne les avoit i)récédés.
En Angleterre, les progrès de l'incrédulité ont
été les mêmes. Après les divers combats des dillé-
rentes sectes protestantes et sociniennes. le déisme
y eut des prosélytes. Le Lord Herbert de Cherbury,
premier auteur anglois qui l'ait réduit en système,
publia son livre, De Veritate y en 1621. Hobbes,
Toland, Blount , Shastesbury , Tindal , Morgan,
Chul)b , Collins , Woolflon , Boliiigbroke , sont
ve/ius à la suite. Ce dernier, de même que Hobbes.
INTRODUCTION. 2 1
et Toland, a semé des principes d'athéisme dans
ses oinTao^es; David Hume, plus récent, a professé
le scepticisme dans les siens.
Nos incrédules françois, qui parlent aujourd'hui
si haut , n'ont été cpie les échos et les copistes des
Anglois ; c'est un fait aisé à yérilier. Us ont com-
mencé par enseigner le déisme; insensiblement ils
en sont venus au matérialisme pur; ])our achever
la dégradation, le pyrrhonisme absolu se montre
à découvert dans la plupart de leurs livres. Nous
citerons ci-aprés quelques-unes de leurs maxi-
mes ^'\
Ce phénomène constamment renouvelé ne peut
être un eÔet du hasard : déjà on l'avoit remarqué
chez les anciens philosophes. Trois cents ans avant
notre ère, les dogmes de la religion naturelle et de
la morale avoient été trop foiblement établis par
Pythagore , paj Socrate , Platon et Ai'istote-, qui
avoient précédé cette époque ; ils avoient mêlé des
erreurs à ces vérités essentielles. Les épicuriens et
les cyniques qui parurent alors attaquèrent , les
uns l'existence de la divinité ou du moins sa pro-
vidence ; les autres les lois de la morale. Leurs
égaremens furent remplacés par les hypothèses de
Pyrrhon et de ses descendans, qui ne vouloient
admettre aucune vérité.
D n'en faut pas davantage pour convaincre un
esprit di'oit, non-seulement de la nécessité de la
révélation , mais du besoin que nous avons d'une
autorité visible pour nous guider en matière de
religion , l'une de ces vérités découle évidemment
( I Les sectateurs des divers systèmes d'incrédulité ne sont
appuyés sur aucune preuve positive, mais sur les difiicultés
qu'ils voient dans les (»pinions de leurs adversaires. Des diffi-
cultés et des objections peuvent inspirer des doutes, elles
n'opèrent point la couviction. En général , les incrédules sont
floltans, incertains et non persuadés.
22 INTRODUCTION.
de l'autre. L'auteur de l'article Unitaires , dans
l'encyclopédie, a très-bien montré la progression
que doit faire un raisonneur , dés cju'il a û'anclii la
barrière de l'autorité ^'). Sur ce point important ,
les principes sont exactement d'accord avec les
faits , ils servent d'appui les uns aux autres.
SX.
Le premier essai des novateurs fut d'attaquer
l'autorité de la tradition , ils ne virent pas qu'en
renversant la tradition des dogmes , ils sapoient
du même coup la tradition des faits. Car enfin on
ne conçoit pas pom-quoi il est plus difficile aux
hommes de rendre témoignage Je ce qu'ils ont
entendu, que d'attester ce qu'ils ont vu : s'ils sont
indignes de croyance sur le premier chef , nous ne
voyons pas quelle confiance on peut leur accorder
sur le second. Dès que la tradition des faits est
aussi caduque et aussi incertaine que la tradition
des dogmes , le Christianisme ne peut se soutenir ;
il est appuyé sur des faits. Tous les ai'gumens que
l'on a rassemblés contre l'infaillibilité de la tradition
dogmaticfue , ont donc S3rvi à ébranler en général
toute certitude morale ou historique ^'\ Celle-ci
étant intimement liée à la certitude physique ,
comme nous le ferons voir, les coups portés à l'une
ne ])ouvoient manquer de retoml)er sur l'autre.
Quand on est parvenu à douter des vérités phy-
siques , il ne reste qu'un pas à faire pour contester
les principes métaphysiques sur lesquels portent
nos raisonnemens. A proprement parler , ces trois
espèces de certitudes sont appuyées sur le même
( I Voyez encore Bayle , dict. crit. art. ylcoata. Apol. pour
'les Cathol. Tome 2 , c. 4» — (2 Voyez Daillc , de usa
Patruin,
INTRODUCTION. 2 D
fondement, sur le sens commun ^'' ; l'on ne peut
donner atteinte à l'une, sans diminuer la force des
autres.
Dans la vue de détruire l'autorité de la tradition
dogmatique , les novateurs soutinrent c[ue les pas-
teurs de l'église avoient changé la doctrine des
Apôtres , que la plupart de nos dogmes sont de
nouvelles inventions de la théologie. Aujourd'hui
les incrédules nous apprennent que les Apôtres
mêmes ont changé la doctrine de Jésus-Christ ,
que le Christianisme, tel que nous le professons,
a été fabriqué par saint Paul et psir ses sectateurs.
Julien avoit fait cette rare découverte , il l'a trans-
mise aux docteurs modernes ").
Pour décréditer les témoins de la tradition, les
critiques protestans se sont déchaînés contre les
pères de l'église ; ils ont suspecté leur doctrine ,
leur morale , leur capacité , leur conduite , leur
bonne foi ^^\ Des anciens Pérès aux Apôtres , la
distance n'est pas longue , les déistes l'ont franchie ;
ils ont appliqué aux Apôtres les mêmes reproches
que l'on avoit faits à leurs successeurs ^^) 11 n'est
pas une seule de leurs objections contre les écrits
des Pères qui n'ait été rétorquée contre ceux des
Apôtres. Les mêmes ai'gumens que les critiques
avoient faits contre l'authenticité de certains livres
de l'écriture , ont été tournés par les incrédules ,
contre tous les autres livres; les objections que l'on
oppose actuellement aux miracles du Christia-
(i VoytïBeallies , an essai on the nature ad imrautabilify of
Truth. — (2 Hibt. crit. de J.-C. Tableau des Saiuts. Examen
crit. de S. Paul , etc. — (3 Daillé , de usii Patrum. Si les
Apôtres eux-mêmes n'ont pas e'té exempts d'erreurs et de foi-
Liesses , faut-il s'étonner que leurs disciples les plus zélés eu
aient été susceptibles? Barbeyrac , Traité de la Morale des
Pères, c. 8 , ^ 89, etc. — (4 Première lettre écrite de la
Montagne, page 23 et 29. Troisième lettre, page 97 , 98 , 118.
U l • rS'TIlODUCTIOX.
nisme, ont été forgées pai' les protestaiis contre
les miracles opérés dans l'église romaine.
Lorsqu'il fut question d'examiner la mission des
prétendus réformateurs, les catholiques objectèrent
que des liommes qui avoient été sujets à toutes les
passions humaines et ci des erreurs dont leurs dis-
ciples étoient forcés de rougir, ne pouvoient avoir
été suscités de Dieu pour réformer l'église. Pour
se tirer de ce mauvais pas, les novatem's répon-
dirent c[ue les Apôtres mêmes avoient été sujets aux
erreurs et aux passions humaines , et s'eôbrcérent
de le prouver. De ces accusations, cpioique fausses,
les déistes conclurent que les Apôtres n'ont point
été envoyés de Dieu pour éclairer et corriger les
honmies : bientôt cette criticpie impie s'est jetée
sur Jésus-Christ même , a noirci sa doctrine , ses
mœurs, ses intentions, ses vertus, et a tiré contre
lui la même conséc{uence. Les sociniens, devenus
déistes , afléctèrent de faire de pompeux éloges
de Jésus-Christ ; mais ils vomirent des torrens de
bile contre ^Nloïse ^'^ : leurs successeurs , moins
hyj^ocrites, ont également blasphémé contre l'un
et l'autre. Les manichéens et les marcionites, qui
soutenoient que la religion juive étoit trop grossière
jx)ui' avoir été révélée par un Dieu infiniment sage ,
prétendoient aussi cjue ce monde est trop imparfait
\K>ui être l'ouvrage d'un Dieu infiniment bon :
ainsi s'enchaînent les erreurs.
Si nous disons aux protestans qu'un fidèle doit
user de sa raison pour connoître cpielle est la véri-
table église , et pour peser les preuves de son
infaillibilité , mais qu'après l'avoir connue , il doit
se laisser guider par cette autorité : absm'dité î
s'écrient-ils; il s'ensuivroit que l'église peut en-
seigner toutes sortesd'erreurs sans que ses membres
(i Voyez Morgau, morale philosopher, etc.
INTRODUCTION. 2!i
aient droit de consulter leur raison , pour savoir
s'ils doivent les admettre ou les rejeter. Est-il plus
difficile à la raison de juger quelle est la vraie
doctrine , que de savoir quelle est la véritable
église? Très-bien, ont réplicfué les déistes: selon
vous , on ne peut juger de la mission de Jésus-
Christ et des Apôtres ni de l'inspiration des li\Tes
saints que par la raison ; donc c'est encore à elle
de voir si leur doctrine est ^Taie ou fausse , au-
trement Jésus -Christ , les Apôtres , l'écritm'e ,
pourroient enseigner toutes sortes d'erreurs sans
que nous eussions di'oit de consulter la raison pour
savoir si nous devons les admettre ou les rejeter.
En vertu de cette rétorsion , il a fallu convenir
que c'est à la raison en dernier ressort de juger
quelle est, dans l'écriture même, la doctrine digne
ou indigne de Dieu , par conséquent révélée ou
non révélée. Alors l'écriture ne nous impose pas
plus d'obligation de croire , que tout autre livre.
C'est le déisme pur. Dans les ou\Tages faits par
les protestans contre les déistes; nous n'avons vu
aucune réponse à cet argument.
Les diftérentes sectes , pour s'établir , deman-
dèrent la tolérance , bien résolues de ne pas
l'observer lorscpi'elles auroient acquis des forces.
Selon les principes qu'elles posèrent , la tolérance
doit être illimitée; les juifs, les mahométans, les
païens , les déistes , les athées , ont autant de droit
d'y prétendi'e qu'un hérétique quelconque. Ce point
a été démontré de concert par les catholicpies , par
les protestans , par les incrédules "'. En effet, toutes
les raisons sur lesquelles les calvinistes avoient
exigé la tolérance , ont été retorquéas contre eux-
(i Papin,surla tolérance des protestans. Bayle,com. philos.
II. part. c. 7. Traité sur la tolér. C. 22. Hume, bist. uat. de la
rtlig., p. 68.
1. 2
2 6 INTIlODrCTIOX.
mêmes par les sociniens ^'>. Les déistes à leur tour
s'en sont servis pom* prouver qu'il étoit permis de
doc-matiser ^''\ Enfin , les athées les font valoir
aujourd'hui enlem' faveur, et s'en autorisent pour
enseigner impunément le matérialisme ^'\ Il est
ainsi démontré par le fait , aussi bien que par le
raisonnement , que la tolérance universellement
réclamée est l'aliment de toutes les erreurs et la
destruction de toute religion.
§XI.
Si nous suivons la progression des controverses
qui se sont élevées successivement , nous ne
verrons pas moins l'eflét que devoit produire
le principe d'où l'on est parti , et la chaîne
de conséquences qu'il a fallu parcourir. Dés que
les réformateurs se furent élevés contre l'auto-
rité de l'église, et qu'ils s'arrogèrent le droit de
juger du sens de l'écritm-e, ce li^Te divin , loin de
concilier les opinions et de réunir les esprits, ne
servit qu'à les diviser. Les mêmes ar/^umens par
lesquels les calvinistes avoient attaqué le mystère
de l'eucharistie , servirent aux sociniens pour
combattre tous les autres mystères. La plus forte
objection que les premiers aient cru faire contre la
transsubstantiation, a été tournée par David Hume
contre tous les miracles ^^\ D'autres sont allés plus
loin. Si Dieu ne nous a ])oint enseif]fîié d'autres
vérités que celles qui paroi ssent d'accord avec la
lumière naturelle, on ne voit pas pourquoi la ré-
(i Bossuet,6. Avcrt. aux piolest. III. Part. — (2 Emile,
tome m , ?• i;^- Lettre à M. de Beaimiont, p. 74' — (3 Syst.
delà nat. tome II, c. n, 12, i3. (4 "Noyez ci-apres, tome IV,
dissert, sur la cert. art. 2, § 11. L'auteur d'Emile a tros-bien
prouvé* aux protestaus, quen ét.-.blis>ant le deisnie, il n avoii
fait que suivre les principes fnndameutaux de la réforme.
Deuxième lettre écrite de la Montagne, p. 4; , 69.
D^TRODUCTIOX. 27
veîatioîi étoit nécessaire. Dés cfue le ciiristianisme
enseigne des mystères , il y a lieu de douter si c'est
une religion révélée, si les preuves de cette révélation
sont assez certaines 5 un raisonneur commence par
préjuger c|u'elles sont fausses. Il n'est pas besoin,
selon lui , de preuves surnaturelles pour établir de s
vérités conformes aux lumières de la nature j aucune
preuve , selon lui , ne peut nous obliger à croire des
dogmes contraires à nos idées naturelles. On a donc
contesté les prophéties et les miracles; on a sou-
tenu qu'ils sont non-seulement faux , mais im-
possibles : pour le prouver , on a eu recours au
système de la nécessité ou de la fatalité , qui tient
au matérialisme. Mais si les preuves du christi-
anisme sont autant de fables, si cette religion C£ui
paroît si sainte n'est qu'une imposture , y a-t-il
une providence qui veille sur la religion, un Dieu
qui exige de l'homme un culte, et qui lui impose
des lois? Lorsqu'un pareil doute vient à éclore, on
n'est pas loin de l'athéisme.
Les déistes ont encore attac{ué la révélation ,
parce qu'elle n'a pas été donnée à tous les honmies;
on leur a montré que leur prétendue religion na-
turelle est dans le même cas, cfu'elle a été méconnue
par les païens , cpi'elle est ignorée des ])eu})les
barbares : nouvelle objection contre la providence;
les athées l'on fait valoir. On a démontré aux déistes,
que quiconque admet un Dieu , admet des mys-
tères ; Cfue plusieurs attributs de Dieu sont in-
compréhensibles , et semblent inconciliables. Pour
ne pas reculer, nos déistes révocfuent en doute tous
les attributs de la divinité cpie l'on ne conçoit pas.
D n'est pas difficile aux athées de tourner en ridicule
un Dieu dont les déistes n'osent rien affiinner.
Ceux-ci fondent leur incrédulité sur l'insuffisance
des témoiEfnages de la révélation; les premiers éta-
28 IXTRODUCTIOX.
blissent la leur sur l'insuffisance des preuves que
fournit la raison. Selon les déistes , la providence
n'a pas assez fait de bien aux hommes dans l'ordre
de la grâce ; selon les athées , elle n'en a pas assez
fait dans l'ordre de la natiu'e . puiscjii'il y a du mal
dans le monde. Mais prendrons-nous ]:)Our mesure
de la bonté divine l'entêtement des esprits opi-
niâtres et l'ingratitude des mauvais coeurs ? En
comparant la justice divine à la justice humaine,
les déistes et les sociniens ont soutenu que Jésus-
Christ n'a pas pu satisfaire pom' nous: en com-
parant la bonté divine à la bonté humaine . les
athées concluent que l'existence du mal anéantit
le dogme de la providence.
§ XII.
L'axicme sacré des uns et des autres, est que
l'homme ne doit écouter que sa raison , ne se rendre
qu'à l'évidence, rejeter tout ce qui lui paroit faux
et absurde. Voyons les divers usages cpie l'on a
fait de cette maxime séduisante.
Je vois clairement que telle loi . telle discipline .
tel usage religieux est un abus . que la raison . le
l)on ordre, le bien public, en exigent la réforme.
Donc je dois travailler à introduire une discipline
contraire malgré tous les obstacles, rompre, s'il
le faut , toute société avec ceux qui s'obstineront
à maintenir l'usage actuel : voilà le fondement de
la conduite de tous les schismatiques.
Je conçois avec une évidence invinci])le. qu'il
n'y a qu'un seul Dieu ; la divinité de Jésus-Christ
est donc une erreur : qu'un corps ne peut pas être
en différens lieux au même moment ; la présence
réelle de Jésus -Christ dans toutes les hosties
consacrées, est donc un dogme absurde : que Dieu
INTRODUCTION. 29
ne peut pas être un et trois : le mystère de la Trinité
est donc une contradiction. Les passages de l'écri-
ture , qui senil)lent prouver la divinité du Verbe ,
la présence réelle , ou la Trinité , doivent être
explicfués par d'autres qui me paroissent dire le
contraire. Ainsi ont raisonné les ai'iens, les so-
ciniens, les protestans et tous les sectaires qui ont
paru depuis la naissance de l'Eglise.
Je suis intimement convaincu que Dieu ne peut
pas révéler des dogmes absurdes , inintelligibles ,
contradictoires , indignes de sa sagesse et de sa
véracité suprême ; je vois de pareils dogmes dans
toutes les religions qui se disent révélées ; donc
lOutes ces prétendues révélations sont des chi-
mères ; donc toutes les preuves sur lesquelles on
veut les appuyer sont fausses ; donc il faut s'en
tenir à la religion naturelle. Tel est le système
des déistes.
Il n'est pas possible de douter qu'un Dieu qui
prendroit intérêt au culte des hommes , ne leur
en révélât directement , actuellement et sans in-
terruption , la fotme ; il ne soufi'riroit pas qu'ils
le lui refusassent par une ignorance invincible.
S'il y avoit un Dieu , s'écrioit Toland , et un
Dieu oui s'intéressât au bonheur des humains ,
sans doute il prendroit pitié de l'état d'incerti-
tude et d'ignorance ou je suis ^'\ C'est le langage
de ceux qui soutiennent l'indifférence des reli-
gions , et qui n'en veulent aucune.
Il est évident qu'un être doué de qualités in-
compatibles , dont les attributs sont inconciliables
et contradictoires , n'existe pas. Or , quelque soit
l'idée cpie l'on veut me donner de Dieu , non-
seulement je n'y conçois rien, mais j'y vois des
contradictions formelles : donc Dieu n'existe pas,
(' Dial. surràme,p. 6^.
1
^0 Es'TRODUCTION.
et ne sauroit exister. Les athées ne cessent de
répéter cette prétendue démonstration ^'\
Un philosophe ne doit admettre que ce qu'il
conçoit , et dont l'existence lui est démontrée. Or ,
ce qu'on dit des esprits, ou des substances dis-
tinguées de la matière , est inconcevable ; leur
qualités, leurs opérations, leur manière d'être,
sont autant de mystères inintelligibles , et dont
on ne peut avoir une idée claire. Je ne conçois
que des corps , mes sens ne peuvent m'attester
l'existence d'un être distingué de la matière :
donc tout est matière , les esprits sont des chi-
mères. Voilà le grand ai'gument des matérialistes.
Puisqu'un philosophe ne doit admettre que ce
qu'il conçoit , je ne puis affirmer l'existence
d'aucun être quelconque. L'essence de la matière
et la plupart de ses propriétés sont inconcevables.
Ce que l'on dit du temps ou de la durée, soit finie,
soit infinie , de l'espace créé ou incréé , du mou-
vement , de la divisibilité de la matière, du prin-
cipe intérieur des opérations de l'homme , des
causes physifjues , etc. , est inintelligible ; il n'est
pas un seul de ces objets sur lequel on ne puisse
faire des questions insolubles. D'ailleurs les sens
nous trompent , ils ne nous attestent que des
apparences, leur témoignage ne doit jamais pré-
valoir sur celui de la raison. Donc il n'y a rien de
certain ; l'on doit tout au i)lus admettre des pro-
Ijabilités et des vraisemblances. Ainsi ont parlé
les acataleptiques , les académiciens , les scepti-
ques , les pyrrhoniens , souvent copiés par les
])hilosophes modernes ^').
(i Syst. de la nat. tome II, c. 2. Traité des erreurs popul. ,
p. 114 , etc. (2 Quiconque ne se rcndioil recllcnuiit qu'n Tcvi-
dence, ne seroit guère assure (jue de sa proiTC existence. De
l'esprit , tome I, noie p 22.
INTRODUCTION. 01
§XI1L
Si la maxime sur lacjpelle se fondent les in-
crédules est vraie , le i)yrrhoni5me est donc le
seul système raisomial^le. Après avoir supi)Osé cpie
l'évidence de nos idées doit être la seule règle de
nos jugemens , on prouve doctement que cette
évidence est réduite à rien. Un philosophe ne la
voit que dans ses propres opinions , quelque ab-
surdes qu'elles soient d'ailleurs ^').
Pour résumer en deux mots; les protestans ont
dit : nous ne devons croire que ce qui est ex-
pressément révélé dans l'Ecriture , et c'est la
raison qui en détermine le \Tai sens. Les soci-
niens ont répliqué : donc nous ne devons croire
révélé que ce qui est conforme à la raison. Les
déistes ont conclu : donc la raison suffit pour
connoitre la vérité sans révélation ; toute révé-
lation est inutile , par conséquent fausse. Les
athées ont refais : or ce que l'on dit de Dieu et
des esprits est contraire à la raison ; donc il ne
faut admettre que la matière. Les pyrrhoniens
viennent fermer la marche , en disant : le ma-
térialisme renferme plus d'absurdités et de con-
tradictions que tous les autres systèmes : donc
il ne faut en admettre aucun ^"'\
Selon un déiste anglois , de même que le cal-
(i Jeu'ose cire craucun avis; je ne vois qii'incnmpréhensibilité
dnns l'un el diius Tautre système. Quest. sur l'encyclop. Idée ,
ëect. I. AdoiLZ Dieu , soyez houncte homme, el croyez que
deux et deux font quatre. Dict. philos. Nécessaire. — (2 ['a
tr.Tçant cette frcnéalogie impure, nous n'avons aucune inten-
tion de chagriner les protestans ; s'ils rnt'connoissent leurs
desccndans , ceux-ci, plus honnêtes , ne renient point leurs
ancêtres : ce sont les protestants , rlisent-ils , qui ont commencé
la révolution; mais ils ne sont pps alle's assez loin. Euûo j l'on
est aile ii loin, qu'il Tialra uJceisaiiioieut reculer.
02 INTRODUCTION.
yinisme a produit des enthousiastes dans son
origine , il a fait éclore enfin des athées. Un
athée n'est qu'une espèce d'enthousiaste idolâtre
de sa raison , qui déclame contre Dieu et sa pro-
vidence ^'\
Ainsi le premier pas dans la carrière de l'erreur
a conduit nos raisonneurs téméraires au dernier
excès d'aveuglement ; ainsi la raison li\Tée à
elle-même ne trouve plus de bornes où elle puisse
s'arrêter , elle est entraînée par le fil des consé-
quences beaucoup })lus loin qu'elle n'avoit prévu.
Tout homme qui a suivi la naissance et le pro-
grés de différentes opinions , est convaincu ,
qu'entre la vérité établie par la main de Dieu et
le pyrrhonisme absolu , il n'y a point de milieu
ou l'esprit humain puisse demeurer ferme. Qui-
conque se picjiie de raisonner , doit être chrétien
catholicpie , ou entièrement incrédule , et pyrrlio-
nien dans toute la rigueur du terme.
Nos adversaires mêmes ont confirmé par leur
aveu la vérité de cette . théorie ; ils disent que le
christianisme , une fois détruit , l'existence de
Dieu et l'immortalité de l'àme ne tiennent pres-
que plus à rien; mais que si l'on admet un Dieu ,
l'on est forcé de dévorer toute la suite des consé-
cjuences qu'en tirent les superstieux , c'est-à-
dire , les chrétiens ; que ceux-ci raisonnent plus
conséquemment , et sont plus d'accord avec eux-
mêmes que les déistes ; que le déisme est un
système où l'esprit humain ne peut pas long-temps
s'arrêter ^'\ C'est donc uniquement la crainte des
conséquences qui conduit les incrédules à l'athé—
(i Morgan, moral philosoplier , tome I, pag. jjc). — (2 Syst.
tle la nat. tome H, c. 7 , p. 221 rt snil^. c. r.i , p. .^57. FrcmitMe
lettre, à Sophie, p. 5. Douxièiue lettre-, p. 4». Dial. jinr Tàme ,
p. 145, 14G, Le Lou sens, § 117 , 118.
INTRODUCTION. .'ij
isme : de peur d'être forcés à croire trop , ils
prennent le parti de ne rien croire du tout. Leur
manière de philosopher , dit un encycloj)édiste ,
n'est au fond que l'ai't de décroire ^'\ De même
que les sociniens ont démontré aux protest ans
qu'ils n'avoient pas suivi leur ])rincipe jusqu'où
il peut aller , et s'étoient arrêtés sans savoir pour-
cpjoi; iin déiste prouve aux sociniens cpi'ils sont
coupables de la même inconséquence. Mais un
athée retombe sur les déistes , et leur montre
qu'ils sont eux-mêmes des raisonneurs pusilla-
nimes , et qu'ils se contredisent ; enfin un pyrrho-
nien , à son tour , fait voir aux athées qu'ils
déraisonnent , qu'un dogmatique quelconque prête
le flanc à ses adversaires , et se trouve bientôt
percé de ses propres traits. Nous demandons si la
dispute étant réduite à ce point , le triomphe de
la religion peut encore paroître douteux ; pour
se débarrasser de ses ennemis , elle n'a qu'à kur
laisser le soin de s'entre-détruire.
J XIV.
Quand on connoît les vrais motifs qui déter-
minent la plupart des déserteurs de la religion,
l'on n'est plus tenté de leur prêter l'oreille , ils
ont eu la complaisance de les dévoiler eux-mêmes.
Avant d'aller plus loin , écartons d'abord une
pierre de scandale. Nous déclarons , une fois pour
toutes , que sous le nom de philosophes ou d'îVz-
crêdules y nous entendons les auteurs de cette
foule de livres impies , dans lesquels la religion
est attaquée sans ménagement , et dont nous ré-
futerons les principes dans notre ouvrage. Nous
faisons profession d'ignorer si ces auteurs sont
(i Kucyclop. Unitaires, p. 3<jG .
1. 2.
OHt INTRODLXTION.
vivans ou morts , nationaux ou étrangers , connus
ou inconnus ; nous ne voulons les peindre cfue par
leurs écrits ; nous attaquons les livres et non les
personnes. Nous ne citerons nommément que ceux
dont les ouvrages sont généralement avoués , et
nous n'alléguerons d'autres faits que ceux qui ré-
sultent de ces ouvrages mêmes. En nous bornant
à cette preuve irrécusable , nous soutenons que
le libertinage et les passions sont les vraies causes
de l'incrédulité. Le tableau que nous allons tracer
paroîtra peut-être trop noir ; mais il vient de la
jH'Opre main de nos adversaires.
« Si nous remontons , dit l'un d'entr'eux , à la
« source de la prétendue philosophie de ces mau-
« vais raisonneurs , nous ne les trouvons point
« animés d'un amour sincère pour la vérité ; ce
« n'est point des maux sans nombre que la su-
(( perstition a faits à l'espèce humaine , dont
« nous les verrons touchés ; nous verrons qu'ils
« se trouvent gênés des entraves importunes que
«: la religion , quelque fois d'accord avec la rai-
« son , mettoit à leurs déréglcmens. Ainsi c'est
(( leur perversité naturelle qui les rend ennemis
« de la religion , ils n'y renoncent que lorsqu'elle
« est raisonnable ; c'est la vertu qu'ils haïssent
« encore plus que l'erreur et l'absurdité. La su-
« perstition leur déplaît , non par sa fausseté, non
« par ses conséquences fâcheuses , mais par les
« obstacles qu'elle 0})pose à leurs passions , par
« les menaces dont elle se sert pour les efirayer.
« par les fantômes qu'elle emploie pour les forcer
<i:- d'être vertueux.... »
(( Des mortels emportés par le torrent de leurs
«passions, de leurs habitudes criminelles, delà
« dissipation , des i)laisirs , sont-ils bien en état
« de chercher la vérité , do méditer la nature hu-
ESTRODUCTION. 05
« mairie , de découyrir le système des mœm:s , de
« creuser les fondemens de la vie sociale ? La
« philosophie pomToit-elle se glorifier d'avoir pour
« adhéraiis , dans une nation dissolue , une foule
« de libertins dissipés et sans mœurs , qui mé-
« prisent sur parole une religion lugubre et fausse ,
« sans connoitre les devoirs qu'on doit lui subs-
« tituer ? Sera-t-elle donc bien flattée des homma-
« ges intéressés , ou des applaudissemens stupides
« d'une troupe de débauchés , de voleurs publics,
« d'intempérans , de voluptueux , cpii , de l'oubli
« de leur Dieu et du méju'is qu'ils ont pour son
« culte , concluent qu'ils ne se doivent rien à eux-
« mêmes ni à la société , et se croient des sages ,
« parce que souvent , en tremblant et avec re-
« mords , ils foulent aux pieds des chimères qui
« les forçoient à respecter la décence et les
« mœurs ">. »
Nous n'aurions pas osé dire d'aussi terribles
vérités , mais il nous est permis de les copier ;
les incrédules ne peuvent être mieux définis que
par les maitres qui les ont formés.
L'autem- du Système de la Nature ne s'est pas
exprimé avec moins d'énergie . en recherchant les
causes qui peuvent porter à l'athéisme et à l'irré-
ligion. La première est , selon lui , l'indignation
(ju'insf)ire à tout homme qui pense , la vue des
maux qu'ont produits dans le monde l'idée de Dieu
et la religion. La seconde , est la crainte impor-
tune que doit faire naître dans l'esprit de tout
raisonneur conséquent, l'idée d'un Dieu tel que
ses aÔi'eux ministres le peignent , c'est-à-dire ,
d'un Dieu vengeur du crime , et rénumérateur de
la vertu. La troisième , sont les passions et les
intérêts des hommes qui les poussent à faire des
recherches.
(i Essai sur les préjuges, c. 8 ; p, i8i et suiv.
56 INTRODUCTION.
La question est de savoir si un esprit préoccupé
par l'indignation , par la crainte , par les passions,
est fort en état de faire des recherches avec succès,
et de découvrir la vérité.
« Nous conviendrons , dit-il , que souvent la
« corruption des mœurs , la débauche , la licerxe,
« et même la légèreté d'esprit , peuvent conduire
« à l'irréligion ou à l'incrédulité ; mais on peut
« être libertin , irréligieux , et faire parade d'in-
(( crédulité sans être athée pour cela.... Bien des
« gens renoncent aux préjugés reçus par vanité
« et siu: parole ; ces prétendus esprits forts n'ont
« rien examiné par eux-mêmes , ils s'en rappor-
(( tent à d'autres qu'ils supposent avoir pesé les
« choses plus miïi'ement Un voluptueux , un
(( débauché enseveli dans la crapule , un ambi-
« tieux, un intrigant, un homme û'ivole et dissi-
« pé , une femme déréglée , un bel esprit à la
« mode , sont-ils donc des personnages bien ca-
« pables de juger d'une religion qu'i's n'ont point
» approfondie, de sentir la force d'un argument,
« d'eml)rasser l'ensemble d'un système ?.... Les
« hommes corrompus n'attaquent les dieux, que
« lorsqu'ils les croient ennemis de leurs passions».
Cependant , selon le même auteur , u il faut être
« désintéressé, pour juger sainement des choses; il
« faut des lumières et de la suite dans l'esprit ,
u pour saisir un grand système. Il n'appartient
« qu'à l'honmae de bien d'examiner les preuves de
« l'existence de Dieu , et les principes de toute
« religion L'homme honnête et vertueux est
« seiil juge compétent dans une si grande allaire
« ^') ».
Si , avant de lire un livre écrit contre la reli-
gion, l'on commençoit par demander : l'auteur
(i Système de la uut. tom. II. cha^i. i3, p. 3Go et suiy.
rXTRODUCTIOX. 3;
est-il un homme de bien , vertueux , honnête ,
sage , désintéressé ? il est fort douteux qu'aucun
de ces ouvrages fut dans le cas de faire fortime.
Un troisième dit avec franchise : « J'aime mieux
« être anéanti une bonne fois , que de briiler tou-
« jours ; le sort des bétes me paroit plus dési-
« rable que le sort des damnés. L'opinion qui
« me débarrasse de craintes accablantes dans ce
« monde , me paroit plus riante que l'incertitude
« où me laisse l'opinion d'un Dieu sur mon sort
(( éternel.... On ne vit point heureux quand on
« tremble toujours. Un Dieu qui damne éternel-
« lement , est évidemment le j)lus odieux des êtres
« que l'esprit humain puisse inventer '^"' »
\ oilà donc la source dans laquelle nos philo-
sophes ont puisé tant de lumières, la craîïite de
brider toujours ; mais cette crainte n'entre point
dans une âme pm-e , honnête , vertueuse : l'enfer
n'est destiné qu'aux médians. Avouer que l'on est
tourmenté par cette idée , c'est recomioître que
l'on n'a pas la conscience nette. •Nos adversaires
préfèrent , non l'opinion la plus vraie et la mieux
prouvée, mais la plus riante et la plus commode j
c'est le goût et non le raisonnement qui les dé-
termine.
L'un des derniers qui aient écrit , convient de
même qu'entre la religion et l'athéisme , c'est le
cœur , le tempérament , et non la raison qui
décide du choix ').
L'auteur du livre de l'Esprit n'avoit pas trop
])onne opinion de ses confrères. <( Peut-être , dit-
« il, nos auteurs sont-ils quelquefois plus soigneux
« de la correction de leurs ouvrages , que de celle
<' de leurs mœurs , et prennent-ils exemple sur
(i Le bon ?en?<, § 108 , xSa, 188, — (a Aux m".ne3 de Louis
XV, p. 291.
38 INTRODUCTION.
« Averroès , ce philosophe qiii se permettoit , dit-
« ou, des friponneries, qu'il regardoit, non-seu-
« lement , comme i)eu nuisibles , mais même
« comme utiles à sa rcpution ^'\ »
Un autre avoue qu'au terme de la caducité ,
les principes de religion reprennent l'ascendant ,
parce qu'alors nous n'avons plus besoin des raisons
qui nous tranquillisoient au sein des plaisirs ^"\ 11
est donc bien décidé que l'on n'est incrédule qu'au-
tant que l'on a besoin de raisons pour se tranquil-
liser au sein des plaisirs.
s XV.
Peut-être en est-il plusieurs qui ne méritent
point ce reproche , et cpii ont au moins des
mœurs décentes. JMais ce n'est point à nous de
faire des recherches sur leur conduite ; nous ne
pouvons en juger mieux que sur leur propre té-
moignage. Or il est difficile d'avoir bonne opinion
de maîtres , qui , de leur aveu , ont formé tant
de disciples corrompus , et de nous fier à des
principes toujours adoptés par les cœurs vicieux
et par les esprits pervers.
Selon eux , nous attribuons mal-à-propos à
l'incrédulité les vices qui viennent plutôt du luxe
et des passions ^'\ Soit. Donc ils ont encore plus
de tort de les attribuer à la religion. Mais dans (p.iel
cas les passions causeront-elles ])lus de ravage :
sous le joug de la religion qui les condamne ,
ou sous le règne de l'incrédulité qui leur lâche
la bride? Jamais le luxe ne fut porté à l'excès
chez une nation , sans traîner à sa suite le liber-
(i De l'espril. a dise. c. G , p. \.\-2. — (a Dial, sur TSmo, p.
iSr» tt 5U/V. — (3 Hist. des établies, dis Europ. dais Iciludt.s,
INTRODUCTION. 5()
tinage d'esprit et de cœur. Que la philosophie
incrédule soit fille du luxe conune tous les autres
vices , c'est ce que nous n'ignorons pas ; un tel
père ne fera jamais honneur à ses enfans.
« L'athéisme, disent-ils, n'est point fait pour
« le vulgaire, ni même pour le plus grand nom-
u bre des hommes.... Des êtres ignorans , mal-
« heureux et tremblans , se feront toujours des
« dieux.... Les principes de l'athéisme ne sont
« point faits pour le peuple , ni pour les esprits
« frivoles , ni pour les hommes ambitieux et
« remuans , ni pour un grand nombre de per-
« sonnes instruites d'ailleurs , mais qui n'ont pas
« assez de courage ^'\ » Cependant l'on répète
sans cesse la maxime , que la vérité est faite pour
tout le monde ; d'où il s'ensuit clairement que
l'athéisme n'est pas la vérité.
« Leucipe , Démocrite , Epicure , Straton et
quelques autres Grecs , osèrent déchirer le voile
épais du préjugé, et prêcher l'athéisme; ils ne
furent pas écoutés. Chez les modernes, Hobbes,
Spinosa, Bayle, etc. ont marché sur les traces
« d'Epicure ; mais leur doctrine ne trouva que
« peu de sectateurs dans un monde trop enivré
« de fables pour écouter la raison.... Ceux cpii
« ont eu le courage d'annoncer la vérité , ont
(( été communément punis de leur témérité ^'\ »
Il est fort dangereux que nos docteurs de la vé-
rité n'aient encore aujourd'hui le même sort.
Ds demandent « quel mal on peut faire aux
(( hommes en leur proposant ses idées? Le pis-
« aller est de les laisser dans le doute et dans
« la disiutej n'y sont-ils pas déjà? ^"^ » Mais
(i Syst. de la nat lomc 11, c. 10,^12 ,. i3 , p 817, 352 , 38i. Le
bon .-ens , § iqd. — ("2 Le boa sous , ^ 204 — (3 Sysl. do la uat»
tome II, c. uet i3, p 33 1, 384.
40 INTRODUCTION.
ils observent que , pour bien des gens , leiu' ôter
les idées de Dieu , ce seroit leur arracher une por-
tion d'eux-mêmes ^'^ ; que le doute sur ce sujet
n'est rien moins qu'mi oreiller conunode ^'^ ; que
le doute , en fait de religion , est un état plus
cruel que d'expirer sur la roue ^'>. Rendons grâces
à ces maîtres charitaj^les qui veulent nous arra-
cher une portion de nous-mêmes , et nous mettre
dans un état pire que d'expirer sur la roue. Si ,
après des déclarations aussi précises , ils viennent
à bout de séduire quelqu'un , il a grande envie
d'être séduit. Montagne , parlant d'eux , les ap-
peloit hommes bien misérables et écervelés , qui
tâchent d'être pires qu'ils ne peuvent ^*\
§ XVI.
On croit peut-être que les incrédules moderne.^
ont fait des découvertes dont les anciens n'avoient
aucune connoissance , qu'ils ont créé de nouveaux
systèmes ; erreur. Ils ont puisé leurs matériaux
dans des sources abondantes et qui ne sont point
inconnues. Pour attaquer les vérités de la religion
naturelle, ils ont ramené sur la scène les objec-
tions des épicuriens , des pyrrhoniens , des C}'-
niques , des académiciens rigides , et des cyré-
naïques ; c'est une doctrine renouvelée des Grecs.
Mais ils ont passé sous silence les raisons pai-
lesquelles Platon , Socrate , Cicéron , Plutarque ,
et d'autres , ont réfuté toutes ces visions. Contre
l'ancien Testament et la religion juive , ils ont
rajeuni les difficultés et les calomnies des mani-
chéens, des marcionites, de Celse, de Julien, de
(i Syst. delà nat. tom. II, c. »3 , p. 388. — (i Le Ion KrM.<! ,
§ ri3. — (3 Dial. sur Tame , p. )3y. — (4 tssai sur le nicrilc
et lu ve;lu, 1. x> p. C>.
INTRODUCTION. 4l
Porphire , et des autres philosophes ; le plus cé-
lèbre de nos adversaires en est convenu ^'\ On
en retrouve la plupai't dans Origène , dans Ter-
tulien , dans saint Cyrille , dans saint Augustin ,
et dans les autres Pères de ces temps-là ; mais
les incrédules ont supprimé les réponses de ces
auteurs.
Lorsqu'il a fallu combattre le christianisme ,
nos adversaires ont encore été m.ieux servis ; ils
ont copié les livres des Juifs , et ceux des Maho-
métans ^'\ Les écrits dlsaac Orobio, le Munimen
fidei y tous les autres ou\Tages compilés par
Wagenseil '^'^ , sont hachés et cousus par lam-
beaux dans les livres des déistes ; on doit en rendre
la gloire aux rabbins. Contre le catholicisme ils
ont extrait les reproches de tous les héréticfues ,
sur - tout des controversistes protestans et des
sociniens. Enfin , pour suspecter les titres de notre
croyance, ils ont .fait sérieusement usage d'une
méthode que le P. Hardouin n'avoit hasai'dée que
comme un jeu d'esprit sur un sujet très-indifférent.
On verra dans notre ouvrage la chaîne de tradition
par laquelle ces sublimes découvertes sont venues
jusqu'à nous, et nous aurons soin de restituer à
chacun ce qui lui appartient.
Les premiers incrédules françois auroient peut-
être rougi de puiser leurs réflexions dans des sour-
ces aussi impures ; ils copioient les Anglois , sans
savoir d'où ceux - ci avoient emprunté tant de
richesses littéraires. Le poison étoit du moins
présenté alors sous un masque de décence. Ceux
d'aujourd'hui ont eu moins de délicatesse ; ils ont
fait couler de leur plume tout le fiel que les rabbins
(i Quest. sur Tencyclop. Contradiction, paçe 121. —fa V.
Maracci , Prodom. ad réfutât. Mcoranni. — (3 Tela ignea
Satanœ.
42 INTRODUCTION.
ont vomi contre Jésus-Christ et contre l'évangile ,
sans en adoucir l'amertume , et toute la bile des
controversistes protestans contre l'Eglise romaine;
ils se sont même eftbrcés d'enchérir siu: les uns et
les autres. Grâce à leur intrépidité . il n'est plus de
blasphèmes, de sarcasmes, d'invectives, de gros-
sièretés , auxquelles nous n'ayons été forcés de
nous endmcir.
§ XVII.
Cependant ils nous accusent d'ignorance , de
crédulité , d'aveuglement , de prévention. Selon
eux , nous ne tenons à la religion que par préjugé
de naissance , par respect pour l'autorité de nos
maîtres et de nos aïeux, par négligence do réfléchir
et de consulter la raison ; nous commençons par
croire avant d'examiner. Soit pour un moment.
Nous soutenons qu'il n'y a point d'écrivains plus
crédules , ni d'espèce plus moutonnière que les
prétendus philosophes. Déjà ils conviennent rpie la
plupart renoncent à la religion par vanité et sur
parole y s'en rapport<^nt à cF ait très , sont très-peu
en état d'approfondir une question, et de sentir la
force ou la foiblesse d'un argument. Ce n'est donc
pas la raison , mais l'autorité qui les détermine.
Qu'un incrédule quelconque ait avancé il y a
cinquante ans un fait bien faux , bien absurde ,
cent fois réfuté ; il n'en est pas moins répété par
vingt auteurs qui se suivent à la file, sans cpi'un
seul ait daigné vérifier la chose. Co})ier aveuglement
Celse et Julien, les Juifs, les sociniens, les déistes
anglois , les controversistes de toutes les sectes ,
sans choix, sans critique, sans précaution ; com-
piler, répéter , extraire, affirmer ou nier au ha-
aai'd, parce que d'autres ont fait de même, ce
INTRODUCTION". ^IJ
n'est pas être crédule? Lorsque le déisme étoit
à la mode , tout philosophe étoit déiste ; le plus
hai'di a osé dire : Tout est matière ^ et a fait
semblant de le prouver : à l'instcmt la trouj)e
docile a répété en grand chœur, tout est matière ,
et a fait un acte de foi sur la parole de l'oracle,
\ oilà où ils en sont. Les plus incrédules, en fait
de preuves , sont toujours les plus crédules en
fait d'objections.
Avant de voir ce que l'on peut objecter contre
la religion , quelle étude la plupai't des lecteurs
ont -ils faite de ses preuves ? Aucune. Est -il
étonnant que dans la force des passions , sans
aucun préservatif contre l'erreur, un jeune homme
soit aisément séduit par les fausses lueurs des
raisonnemens philoso})liiques , par les faits qu'on
lui déguise, par le ridicule que l'on jette sur la
religion? Tout lui paroit clair, évident, démontré
dans les écrits des incrédules ; il ne soupçonne
pas seulement qu'il y ait une réponse à leur faire.
Les impressions qu'il reçoit se gravent profon-
dément ; elles plaisent à son esprit et à son cœur ;
à moins d'un miracle , il en tient pour la vie. Dés
qu'il a parcouru quelcjues brochm*es , il se croit
un docteur , ce n'est qu'un ignorant.
Après avoir lu pendant vingt ans tous les ou—
\Tages écrits contre la religion, après s'être rempli
J'esprit d'objections, de sophismes, de préventions,
de fausses anecdotes , un homme qui se picjue
d'impartialité, se résout enfin à lire un ou deux
de nos apologistes. S'il ne trouve pas d'abord de
quoi satisfaire à toutes ses difficultés, et calmer
tous ses doutes , il en conclut que la religion n'est
pas prouvée, cpie les argumens de ses ennemis sont
insolubles. Il semble voir un malade qui a travaillé
pendant vingt ans à se ruiner le tempéraiiient , et
44 INTRODUCTION.
qui veut que son médecin le guérisse ou le soulage
en huit jours. L'habitude de raisonner de travers
se contracte aussi aisément que le dérangement
d'estomac ; quand il faut en revenir , c'est autre
chose. Dès que l'on envisage la religion comme un
procès , comme une question de controverse , et
que l'on veut faire la fonction de juge, il est fort
dangereux que la balance ne penche du côté qui
paroît le plus commode. Je me trouve , dit-on
alors, dans un scepticisme nécessité. Je le crois;
après avoir pris d'aussi bonnes mesures pour y
réussir , il seroit fort étonnant que vous n'en fussiez
pas venu à bout.
Pai'mi nous , tout est mode et goût passager.
Sous François I et ses successeurs , il étoit du bel
air de se faire huguenot et anti-papiste; sous la
minorité de Louis XIV , il falloit être frondeur et
anti-mazatip , pendant la régence , il étoit beau
de déclamer oontre Home et contre la bulle ; au-
jourd'hui , c'eot nn mérite de se donner pour phi-
losophe incrédule : Quel travers nouveau le siècle
prochain verra-t-ii éclore?
§ XVI IL
Celui dont nous nous plaignons seroit moins
odieux , s'il n'inspiroit pas tant de calomnies. Les
prêtres, disent nos adversaires, ne sont chrétiens
que pai' décence et par intérêt ; leur conduite dé-
ment évidemment leur croyance; lorsqu'on a des
liaisons familières avec eux , on s'aperçoit bientôt
qu'ils ne sont pas fort chargés d'articles de foi ^*>.
Avant de ré[)ondre à ce reproche, voyons si les
philosophes sont eux-mêmes exempts de toutes
vues d'ambition et d'intérêt.
(l Gazette littéraire de Dcux-Ponls, 177'!, n." 6a, art. i.
INTRODUCTION. 45
. Plusieurs poussent très -loin les prétentions.
Selon eux, tout écrivain de génie est magistrai-
né de sa patrie; il doit l'éclairer, s'il le peut : son
droit, c'est son talent ^'\ Voilà leur mission fondée
sur un titre authenticpie , sur la bonne opinion
qu'ils ont d'eux-mêmes. Les gens de lettres , disent-
ils , sont les arbitres et les distributeurs de la gloire
^*^ : il est donc juste qu'ils s'en réservent la meil-
leure part. L'un nous fait observer qu'à la Chine
le mérite littéraire élève aux premières places ;
et, à son grand regret, il n'en est pas de même
en France ''\ L'autre dit cpie les philosophes vou-
droient approcher des souverains ; mais que par
l'ambition et les intrigues des prêtres , ils sont
bannis des cours ^'^\ Celui-ci souhaite que les sa-
vans trouvent dans les cours d'honorables asyles ,
qu'ils y obtiennent la seule récompense digne d'eux,
celle de contribuer par leur crédit au bonheur des
peuples auxquels ils auront enseigné la sagesse.
Mais si l'on veut , dit-il , que rien ne soit au-dessus
de leur génie, il faut que rien ne soit au-dessus
de leurs espérances ^^\ Rai'e modestie ! Celui-là
vante les progi'ès qu'auroient faits les sciences ,
si on avoit accordé au génie les récompenses pro-
diguées aux prêtres ^*^\ Tantôt ces hommes désin-
téressés se plaignent de ce c|ue les prêtres sont
devenus les maîtres de l'éducation et des richesses ,
pendant que les travaux et les leçons des philo-
sophes ne servent qu'à leur attirer l'indignation
])ublique ^'^ Tantôt ils opinent qu'il faut dépouiller
les prêtres , pour enrichir les philosophes ^^\ Enfin ,
( I Hist. des établiss. des Europ. dans les Indes, tome Vil,
c. 2, p. 59. — (2 Encyclop, Gloire. — (3 III Dial. sur l'âme,
p. 66. — (4 Essai sur les préjuges, c. i4,p.378. — (5 OEuv.
de J.-J. Eousseau, tome 1 , r>. 43. — (6 Syst. de la nat. t. 2,
c. 8. — (7 Syst. de la ud^i/ihid, et c. 11. — (8 Christian,
dévoilé, préf. p. 25.
46 LXTRODUCTIOX.
concluent-ils, si on ne peut pas guérir les hommes
de leurs préjugés de religion , cfu'ils en pensent ce
qu'ils voudront; mais que les princes et les sujets
apprennent au moins à résister cfuelquefois aux
passions des odieux ministres de la religion ^'\
Consolons-nous ; ce n'est plus à la religion qu'en,
veulent les philosophes ; c'est aux privilèges , au
crédit, aux biens du clergé; s'ils peuvent réussir
à s'en emparer , ils croiront en Dieu , tous les
argumens seront résolus.
§ XIX.
Comment prouve-t-on que les prêtres ne sont
chrétiens que par intérêt? Par les fautes -sTaies ou
prétendues qu'ils ont commises depuis la naissance
de l'église. On en reproche aux Papes, aux Evo-
ques , aux i\linistres inférieurs ; les protestant
sm'tout ont fourni là-dessus de bons mémoires.
C'est s'arrêter en beau chemin; il falloit pousser
l'induction jusqu'où elle peut aller.
On connoit d'habiles jurisconsultes, dont la
conduite n'est pas un modèle d'écjuité ; des mé-
decins cjui, après avoir disserté savamment sur
la nécessité du régime, ne l'observent pas mieux
que leurs malades ; des philosophes dont les ac-
tions et la morale ne sont pas toujours d'accord.
<( Toutes les fois , dit un écrivain très-connu ,
(( que je songe à mon ancienne simplicité , je
« ne puis m'empècher d'en rire. Je ne lisois pas
« un livre de morale ou de philosophie, que je ne
(( crusse y voir l'àme ou les principes de l'auteur ;
« je regai'dois tous ces graves écrivains comme
« des hommes modestes , sages , vertueux , irré-
« prochables. Je me formois de leur commerce
{i Sy,^t. fie la oat l- II, c, lo, p. SfQ,
INTRODUCTION'. -t7
« des idées angélic|iies , et je n'aurois aj)i)rocIié de
« la maison de l'un d'eux , que comme d'un sanc-
« tuaire. Je ne coraprenois })as que l'on ])iit s'éga-
« rer , en démontrant toujours 5 ni mal faire , en
« pai'lant toujours de sagesse. Enfin , je les ai ^-us ;
« ce préjugé puérile s'est dissipé , et c'est la seule
« erreur dont ils m'aient guéri ^'\ » Donc les
pliilosoj)hes ne croient pas plus à la morale que
les prêtres à la religion.
Voilà l'ai'gument dans toute sa force. Que ré-
pondent les j)liilosoplies ? Que , « cjruand un liom-
« me , entraîné par ses passions , paroi t oublier
« ses principes, il ne s'ensuit pas qu'il n'en a
« point , qu'il n'y croit pas , ou que ces principes
« sont faux ; cpie le tempérament est plus fort que
« les systèmes, et que les passions l'emportent
« sur la croyance ^'\ » Ainsi les prêtres sont
justifiés ou du moins excusés par leurs propres
dénonciateurs.
Supposons que ceux-ci soient yenus à bout d'en
séduire quelques-uns qui ont eu des liaisons trop
familières ayec eux ou ayec leurs écrits ; il s'ensuit
que ces foibles théologiens n'en sayoient pas assez
pour sentir la fausseté des raisonnemens des in-
crédules. Cette yictoire n'est pas assez brillante
pour en faire trophée contre la religion. Semblables
aux païens qui insultoient aux chrétiens apostats ,
nos sages philosophes ne pardonnent ni à ceux qui
leur résistent , ni à ceux qui ont succombé sous
leurs sophismes. Belle récompense de la docilité
que l'on a pour eux !
s XX.
Personne ne disconyient aujourd'hui du ressort
secret qui a fait agir les hérétiques , lorsqu'ils ont
(1 Préface de*^arcisse. (a ?ysl. delà uat. t. II, c, 12, p. S^^,
4o INTRODUCTIGX.
troublé le re})Os de l'église et de la société; ils
étoient conduits par reiithousiasine , par le fa-
natisme. Les philosophes ont éloquemment dé-
ploré les ravages de ce vice dangereux ; ils en ont
donné le nom à toute espèce d'attachement à une
religion vraie ou fausse ; les athées regardent
comme des fanatiques tous ceux qui croient un
Dieu ^'\ Si l'on doit appeler fanatisme le faux
zèle allumé au foyer des passions, pouvons-nous
en méconnoître les symptômes dans ceux-mémes
qui déclament contre lui? Un homme qui se croit
né pour instruire les nations résolu de braver les
lois et l'autorité des souverains, pour établir sa
doctrine , très-peu délicat sur le choix des moyens
et des prosélytes , ennemi déclaré de tous ceux qui
s'opposent à ses desseins , appliqué à les rendre
odieux et méprisables , toujours prêt à. se porter
aux derniers excès contre eux, éi bouleverser la
société , s'il le faut , pour aftermir le régne de
ses opinions; si ce n'est pas un fanatique, nous
ne savons plus quelle idée l'on doit attacher à
ce nom.
Ils disent cpie la liberté naturelle à l'esprit
humain , rindéj>endance , moins amouvense de
la vérité que de la noiioeauté , fait souvent rejeter
le christianisme dans sa vieillesse , comme elle
le fit adopter à sa naissance *^'\ Serons - nous
encore dupes de l'amour de la vérité dont nos
adversaires sont embrasés ?
Quelques-uns ont poussé la démence jusqu'à
se faire un mérite de leur haine contre les dé-
fenseurs de la religion. « J'ai été , dit l'un d'en-
(( tr'eux , s'adressant à Dieu même , j'ai été
(l Lettre Je Tiasib. à Leucippe, pag. 26. Sy.«t. de la na^, t.
II. Ci 7^ p. 224- — (3 Ilist. dfs ctaUliss. des Eiirop. dans IcJ.
ludes^ toiue vit , c. a,
INTIIODUCTÏON. 49
« lennemi do ceux qui opprimoient la société. »
Il prétend que s'il y a un Dieu , il doit tenir compte
à un athée des invectives qu'il a vomies contre les
souverains et contre les prêtres '•'^ Y eut-il jamais
de fanatisme mieux caractérisé?
Le fanatisme, dit l'oracle des incrédules, est
une folie religieuse , sombre et craelle ; c'est une
maladie de l'esprit qui se gagne comm.e la petite
vérole ; les livres la communiquent beaucoup
moins que les assemblées et les discours ^". Met-
tons folie anti-reliyieuéè , la définition ne sera
pas moins juste.
Y a-t-il moins de danger pour un génie ardent
de concevoir une haine aveugle contre la religion ,
que de se livrer à un zélé inconsidéré pour elle?
Le premier de ces deux excès trouve plus d'aliment
que le second dans les penchans du cœur. Si l'un
mérite le nom de fanatisme , quel titre donnerons-
nous à l'autre ?
Un homme sensé qui pomTa soutenir la lecture
de la harangue adressée à Dieu dans le système de
la nature ^^^ , y reconnoîtra le vrai langage d'un
énergumène , ou d'un réprouvé condamné aux
flammes éternelles.
§ XXÏ.
Quoi, dira-t-on, vous osez taxer de fanatisme
des philosophes qui ne prêchent que la tolérance ,
qui ne cessent de déclamer contre la fureur avec
laquelle les hommes se sont égorgés pour des
opinions ?
jVe soyons pas dupes d'un mot. Tolérance ,
dans le style de nos adversaires , signifie la même
(t Syst. de la nat., tome II, c. îo, p. 3o3.*— (a Quest. sur
rrncyclop. Fanatisme, —(à Syst. de la nat. ibid»
1. 3
.>« IXTnODUCTÎO.V.
chose que liberté dans la ])ouche des séditieux,
<( Nom spécieux, dit très-bien un ancien; qui-
<i conque a voulu se rendre le maître et asservir
« ses semblables , n'a jamais manqué de s'en
« décorer ^'\ » On sait ce que les ambitieux en-
tendent par-là; ils veulent la liberté pour eux,
et l'esclavage pour les autres; c'est précisément
ce cfue nous voyons. Lorsque les philosophes
étoient déistes , ils jugeoient l'athéisme intolé-
rable, ils décidoient qu'on doit le bannir de la
société : depuis qu'ils sont devenus athées , ils
disent que l'on ne doit })as souffrir le déisme ,
parce qu'il est intolérant , aussi bien que les re-
ligions révélées. Ces docteurs pacifitp^ies sont donc
l)ien résolus de n'établir la tolérance que pour
leurs propres opinions , et de déclarer la guerre
à toutes les autres ^'\ S'ils ont droit d'attaquer
la religion , parce qu'elle est intolérante , nous
ne souunes pas moins fondés à détester l'incré-
dulité , puisqu'elle est encore moins tolérante cjue
la religion,
« Il est peu d'hommes , dit le li-vTe de l'Esprit ,
a s'ils en avoient le pouvoir , qui n'employassent
i( les tourmens pour faire généralement ado})ter
(( leurs opinions.... Si Ton ne se porte ordinai-
<^ rement à certains excès rpie dans les disputes de
« religion , c'est que les autres disputes ne four-
« nissent pas les mêmes prétextes , ni les mêmes
<( moyens d'être cruel. Ce n'est qu'à l'impuis-
« sauce qu'on est en général redevable de sa
<( modération ^^\ » L'auteur du système de la
nature avoue de même . qu'il est difficile de ne
pas se fâcher en faveur d'un objet que l'on croit
très-important ^*\ Or , tout philosophe regarde
(i Tacite, hist. 1. 4 î n- /S. — (2 V. ci-après, c. ix,art. 3,
3, Note p. io3. — (4 Syst.
rSTRODUCTloNv Ol
son S3\->tème comme très-important , et nous ne
savons pas encore à quelles extrémités il est ca-
pable d'en venir , lorsqu'il est fâché. Mais quand
nous lisons que « celui qui pai'viendi'oit à détruire
<( la notion fatale d'un Dieu , on du moins à di-
« minuer ses terribles influences, seroit à coup
« siïr l'ami du genre humain ^'> , » nous croyons
avoir lieu de nous défier d'une pareille amitié.
N'espérez plus de paix , nous crie un de ces
bénins philosophes , après avoir vomi six pages
d'injures et de calomnies contre les prêtres ; 7i' es-
pérez plus de paix ^'\ Si malheureusement il faut
nous résoudi'e à la guerre , nous nous sentons assez
de forces pour la soutenir encore long-temps.
Dans les commencemens , les sectaires du sei-
zième siècle étoient des agneaux : ils demandoient
humblement la tolérance : devenus assez forts ,
ils se conduisirent en lions furieux ; ils voulurent
tout détruire. Les incrédules, héritiers de leurs
principes et de leur haine , seroient-ils plus doux
en pareil cas? Ce que nos pères ont essuyé pendant
près de deux siècles, ne nous a que tro]) instruits
des excès auxquels le fanatisme anti-religieux est
capable de se porter. L'incrédulité , plus ou moins
étendue, plus ou moins ambitieuse dans ses pré-
tentions , se ressemble par-tout ; son génie est
toujours le même ^^\
§ XXIL
Rassurons-nous ; la discorde suffit pour faire
avorter les desseins de nos adversaires. Tant qu'ils
se sont bornés à prêcher le déisme , ils pouvoient
de la nat. tome II, c. 7 , p. 224. — (i Svstème de la nature,
tome II, c. 3, p. 88 : c. 10, p. Si;. — [2 Let. à TAut. du
Dict. des trois bièc. p. 86. — (3 Aunalespol. etc. tome 3, u.»
iSj p. 81.
02 rSTRODUCTIOX.
paroi tre redoutables; ils mettoieiit les théologiens
sur la défensive ; ils proposoient des objections
souvent embarrassantes ; ils sembloient ne donner
aucune atteinte à la morale : on voyoit toujours
un Dieu , une religion , une base aux devoirs de
la société. Par cet artifice ils ont séduit d'abord un
grand nombre de lecteurs trop peu instruits pour
apercevoir les conséquences funestes de leurs prin-
cipes ; ils ont eu la maladresse de les dévoiler. En
renversant le déisme pour lui substituer le maté-
rialisme , ils ont écrasé la vipère sur sa morsure ;
ils ont mis au grand jour la discordance des sys-
tèmes d'incrédulité , les excès où ils conduisent ,
la fragilité de l'édifice qu'ils avoient construit à si
grands frais ; ils ont donné lieu aux théologiens de
démontrer que cette nouvelle hypothèse détruit
jusqu'à la racine les fondemens de la morale , de
la vertu , des devoirs de l'homme , et tous les liens
de société ; qu'en suivant le fil des conséquences ,
il faut se retrancher dans le doute absolu , ressus-
citer la doctrine absm'de des c}Ténaïques, les in-
famies des cyniques , l'entêtement révoltant des
pyrrhoniens.
Il n'y en a pas deux qui pensent de même. L'un
tâche de soutenir les débris cliancelans du déisme ;
l'autre professe le matérialisme sans déguisement :
quelques-uns biaisent entre ces deux opinions ,
défendent tantôt l'une et tantôt l'autre, ne savent
de quel principe partir, ni où ils doivent s'arrêter.
Ce que l'un établit, l'autre le détruit : il n'est pas
une seule question de fait ou de raisonnement sur
laquelle ils soient d'accord ^'\ Est-il difficile de
])révoir la chute d'une républicpie aussi mal réglée ,
où régne une anarchie et une confusion générale ?
(i L'auteur d'Emile les a peints d'après nature, tome III,
p. 25 et 37.
INTRODUCTION. :>:>
Si les déistes se réunissent à nous pour combattre
les athées , ceux-ci empruntent nos armes pour
attaquer les déistes ; nous pourrions nous borner
à être spectateurs du combat.
Ainsi Dieu veille sur la religion cpi'il a lui-
même établie, il livre ses ennemis à l'esprit de
vertige. Le psalmiste a tracé leur destinée , en
parlant d'un autre objet. « Une nation bruyante
« de philoso])hes s'est rassemblée , un peuple de
« raisonneurs a conjuré contre le Seigneur et
« contre son Christ. Brisons, disent-ils, les liens
« qui tiennent notre raison captive ; secouons le
« joug de la religion qui nous importune. Celui
« qui réside dans le ciel se joue de leurs vains
« projets, ils les cou^Tira de conflision, et leur
« parlera en maître irrité ; le souffle de sa colère
« troublera leurs sens et leurs idées ^'\ »
S'il a permis cpe les docteurs du mensonge
jouissent pendant quelque temps d'une réputation
brillante , le jugement qu'il a exercé sur eux doit
faire trembler leurs imitateurs. Il menace de punir
avec la même sévérité ceux cpii se laissent volon-
tairement séduire pai' leurs prestiges ^'\
§ XXIIL
PLAN DE CET OUVTIAGE»
Le progrés des systèmes d'incrédulité , la mar -
che de leurs sectateurs , nous prescrivent le plan
que nous devons suivi'e pour combattre l'erreur
dans ses divers périodes. Il seroit nécessaire de
donner d'abord une idée des différentes espèces de
certitude , d'établir sur-tout d'une manière solide
les fondemens de la certitude morale ; de répondre
(i Psaume 2 , ;^. i. — [2 1 T'i.-ss. c. 2 , X'* »^ ^t 11.
'5 * INTRODUCTION".
aux objections des sceptiques. Ce préliminaire
paroît essentiel à un traité historique de la re-
ligion ; mais il nous détourneroit trop long-temps
du dessein principal : nous remettrons cette dis-
cussion à la fin de notre première partie.
La connoissance et le culte de la divinité re-
montent à la naissance du monde ; Dieu , en créant
l'homme , lui a imposé ce devoir , et lui a donné les
moyens de le remj)lir ^'^ ; il lui a enseigné , non-
seulement les vérités dont une raison cultivée est
capable d'apercevoir l'évidence . mais encore des
dogmes que l'esprit humain ne pouvoit décou^Tir
sans lumière surnaturelle. 11 n'y a donc jamais eu
d'autre religion naturelle, que la religion révélée.
C'est à prouver ce point important que nous des-
tinons la première ])ai'tie de notre ouvrage.
A n'envisager d'abord que l'histoire de cette
révélation primitive, telle que nous la trouvons
dans les livres saints , elle j)orte déjà en elle-
même un cai'actère de vérité ; les eflbrts qu'ont
faits les incrédules pour donner une autre origine
à la religion, n'aboutissent à rien; lem's conjec-
tures sont fausses et insoutenables : il ne nous
sera pas difficile de les détruire. La religion étoit
nécessaire à l'homme pour son propre bonheur ,
pour s'attacher à ses semblables par les liens de la
vertu , pour former avec eux une société dont il ne
]iouvoit se passer ; Dieu , qui l'y avoit destiné , n'a
pas laissé ce dessein sans exécution ; il n'a pas
créé l'homme; dans l'état de pure animalité , en
lui abandonnant le soin de s'en tirer lui-même.
Dès que Thomme a ]ierdu de vue le flambeau de la
révélation , il s'est plongé dans l'erreur : un examen
suivi de toutes les religions anciennes nous con-
vaincra de ce fait humiliant. Si , dans une petite
(i S. Aug. (le Civ. Dci, 1. 7, c. 82.
ESTRODUCTIOX. OJ
partie de l'univers , une religion pure s'est conser-
vée , l'homme n'en étoit pas redevable à ses propres
recherches. Les méditations des philosophes , loin
de dissiper les ténèbres , n'ont servi qu'à les rendre
plus épaisses ; l'erreur est toujours partie de la
main des hommes ; la vérité ne pouvoit venir que
de Dieu.
Nous apporterons les preuves de tous les dogmes
enseignés par la révélation primitive , de l'existence
et de l'unité de Dieu , de la création , des attributs
divins , de la providence ; nous réfuterons les diver.^
systèmes d'athéisme. L'homme ne peut connoître
ses devoirs , s'il ignore sa propre natm'e et sa des-
tinée ; la religion seule lui montre ses privilèges et
ses espérances , elle l'annoblit et l'élève j la philo-
sophie s'est attachée à le dégrader et à l'abrutir :
nous nous vengerons de ses attentats. Il suffit de
rentrer en nous-mêmes pour ententbe la voix d'un
Dieu législateur qui nous prescrit des devoirs ;
point d'autre fondement solide pour appuyer la
morale , que cette loi naturelle ; toutes les hypo-
thèses imaginées par les différentes sectes de phi-
losophes sont vaines et fausses ; point de morale
pure que celle que Dieu a enseignée à nos premiers
pères : nous en exposerons les principaux devoirs.
Nous démontrerons que la prétendue religion na-
turelle des déistes n'est qu'une irréligion déguisée.
Telles sont les matières qui rempliront la première
pai'tie de ce traité.
Par la conduite de Dieu envers le gem'e humain ,
dès l'origine du monde ; pai' les égaremens des peu-
j)les qui ont oublié la révélation primitive , par les
erreurs des philoso})lies anciens et modernes , il est
prouvé , jusqu'à l'évidence , que la raison seule est
un guide très-foible , qu'elle n'a jamais su dicter à
rbx)mme ce qu'il devoit croire et pratiquer. Au
56 INTRODUCTION.
moment où la première révélation étoit prés de
s'éteindre , d'être méconnue par-tout , il a fallu .
pour en conserver les restes , une ré^ élation nou-
velle , attestée par des signes éclatans : nous prou-
verons que Dieu l'a donnée aux Hébreux par le
ministère de Moïse : elle a été revêtue de tous les
caractères propres à faire sentir qu'elle étoit éma-
née de l'autorité divine ; elle étoit exactement
proportionnée aux besoins de l'homme dans les
circonstances où il se trouvoit. Ce bienfait accordé
aux Juifs pouvoit servir à éclairer les peuples cé-
lèbres qui en ont été les témoins , s'ils avoient
voulu en profiter. Ce n'étoit néanmoins qu'une
préparation à la révélation plus solennelle , plus
complète , plus générale , que Dieu vouloit donner
par Jésus-Christ. Par les leçons de ce divin maitre.
le plan de la providence a été pleinement dévoilé.
Nous le ferons voir dans notre seconde partie; nous
v répondrons aux objections tles incrédules contre
l'ancien testament , à celles des Juifs sur l'accom-
])lissement des prophéties , et sm' la vraie desti-
nation de la loi de Moïse.
La troisième sera employée à exposer l'histoire .
les preuves, les dogmes , la morale . la constitution ,
la discipline du Christianisme . l'heureuse lin à la-
quelle il doit nous conduire. Par la manière dont il
s'est éta])li , nous connoîtrons comment il a dû se
perpétuer ; nous suivrons exactement les effets de
cette gTande révolution. Les divers combats que
l'Église a été obligée de soutenir dans tous les
siècles, retraceront à nos yeux l'image de ceux
qu'elle essuie aujourd'hui. Nous verrons constam-
ment les mêmes attaques et les mêmes moyens de
défense , une obstination toujours égale de la part
de ses ennemis , une résistance non moins cour-i-
geuse de sa part , et une sécurité inaltérable fondée
sur les promesses de Jésus -Christ.
INTRODUCTION. 67
Dans les divers états de la religion , Dieu a
toujours révélé aux hommes des mystères incom-
j)réliensibles : la foi humble et soumise à sa parole
est une partie essentielle de l'honm^iage que nous
devons à la divinité. La manière dont la révélation
a été fondée dans ses différentes époques , démontre
à toutes les sectes de mécréans cpie, depuis l'origine
du monde , Dieu a voulu conduire l'homme , non
par l'examen de la doctrine qu'il a daigné lui
enseigner , mais par la soumission à l'autorité
qu'il lui a plu d'établir. Une doctrine révélée ne
peut se transmettre autrement.
§ XXIV.
Cette manière de prouver historiquement la
religion , nous a paru la plus propre à en dé-
montrer la vérité , et à faire voir que l'homme
n'en fut jamais l'auteur. Dans cette matière si
intimement liée à son bonheur , il n'a rien dé-
couvert par ses propres lumières ; il n'a connu
la vérité qu'autant que la révélation la lui a mon-
trée : dés qu'il a fermé les yeux à la lueur de ce
flambeau , il est demeuré dans les ténèbres de
l'erreur ou il y est promptement retombé : c'est
dans les siècles les plus éclairés qu'il s'est le plus
honteusement égaré. La vraie religion sortie des
mains de Dieu à la naissance du monde , a par-
couru toute la durée des siècles , portant toujours
avec elle les marcjues de son origine ; elle doit
subsister autant cpie la race des hommes , à moins
que leur nature ne change. Plus ou moins connue ,
plus ou moins développée , transportée sous un
climat ou sous un autre , elle a toujours été la
même pour le fond, et appuyée sur les mêmes
preuves *^'\
(i St. k-.iz, de Civit. Dei, I. 7, c. 32 ; 1. id, r. 3?.
1. ^ 5.
58 INTRODUCTION".
Quand nous disons que Dieu a eu soin de la
proportionner aux dififérens âges du genre humain ,
nous ne faisons que répéter une réflexion de S,
Paul. « Lorsque nous étians encore cnfans , dit-il ,
« nous étions asservis à des leçons élémentaires ,
« telles que le monde étoit capable de les recevoir :
« mais lorsque les temps fixés pai' la sagesse divine
« ont été accomplis , Dieu a envoyé son fils unique
« incarné dans le sein d'une femme et assujetti à
« la loi , pour racheter ceux qui étoient sous la loi
<( et nous adopter pour ses enfans ^'\ » Tel est le
plan dont nous nous faisons un devoir de ne pas
nous écarter.
C'est celui qu'a tracé S. Augustin dans son
ouvrage de la cité de Dieu j depuis le li^Te XI
jusqu'à la fin.
C'est encore celui qu'a suivi le savant Bossuet
dans son discours sur l'histoire universelle. Nous
nous croirions heureux , si nous pouvions réussir à
étendre et à rendi'e sensibles les traits que ce grand
maître à su réunir avec tant d'art et d'éloquence
dans un seul tableau , et fondre cet excellent dis-
cours dans notre ouvrage.
En gardant ainsi l'ordi'e chronologique, nous
aurons lieu de traiter toutes les questions que les
incrédules ont excitées, d'examiner leurs systèmes,,
de résoudre leurs objections, de passer en revue les
li^Tcs qu'ils ont publiés , d'en réfuter au moins
.sommaiiement les principes et les conséquences.
La suite des eneurs sera constamment placée à
côté de celle des vérités ; nous tacherons de
n'omettre aucune des difficultés qui méritent
quelque attention. Les discussions fréquentes dans
lescpielles nous serons forcés d'entrer , pourroient
faire perdre le fil des idées ; mais dans les réflexions
(. Galatjc 4, ^. 3.
INTRODICTION. 5^
' que nous placerons à la tête de chaque partie de
notre ou\Tage , nous aurons soin de renouer la
chaîne, et de la remettre sous les yeux du lecteur.
Dans cette vaste carrière , nous ne nous ferons
aucun scrupule de copier les anciens et les mo-
dernes , les philosophes et les théologiens , les
orthodoxes et les mécréans : tout ce qui est vrai
nous appai'tient de droit. Nous n'aspirons point
à la gloire de forger des systèmes ; nous nous
bornons à exposer ce que Dieu a fait , et les raisons
qu'il a eues de le faire. De leur côté , les incrédules
n'ont rien créé ; leurs erreurs , aussi bien que nos
vérités , sont une tradition. L'histoire que nous
. avons à donner n'est point le détail des recherches
que l'esprit humain a été obligé de faire pour
décou\Tir ces vérités précieuses j c'est plutôt le
récit des efïbrts insensés que la philosophie a faits
pour les obscurcir.
L'essentiel est de montrer que la religion est
un dessein que Dieu a constamment suivi dés le
commencement du monde , auquel il a fait servir
toutes les grandes révolutions , dans lequel il n'y a
rien d'isolé ni d'inutile. De tous temps , les diffi-
cultés que l'on peut former contre cette conduite
de la providence , ont occupé les esprits ; la curio-
sité humaine n'a point cessé d'échouer contre le
même écueil ; en se décorant du nom de philo-
sophie , elle n'a servi qu'à égarer les hommes.
§ XXV.
On nous reprochera sans doute d'avoir ras-
semblé trop d'objections minutieuses , de les avoir
répétées sous différentes questions , et de les avoir
prises dans différens plagiaires. Nous avons senti
L-e défaut : mais nous avons voulu éviter de donner
6o INTRODUCTION.
à des adversaires pointilleux aucun sujet de plainte :
ils pourront se convaincre que nous avons cherché
des objections de toutes parts , que nous n'en avons
dissimulé ni aftbibli aucune. Dans un ou\Tage dont
toutes les parties se tiennent , une preuve , une dif-
ficulté appartient souvent à plusieui's questions ;
les répétitions sont donc inévitables. Il s'en faut
encore beaucoup que nous ayons épuisé toutes les
matières. Un sujet aussi fécond fournira toujoms
de nouvelles vues à ceux qui entreprendront de le
traiter. Nous désirons sincèrement que des écri-
vains plus habiles suppléent à notre défaut , et
coiTigent les méprises c[ui ont pu nous écha})per.
Peut-être encore que nos adversaires voucbont
tirer avantage de la longueur de notre travail. Il
paroît, diront-ils, que les preuves de la religion
ne sont pas fort claires ni fort aisées à saisir ,
jmiscpi'il est besoin de dix ou douze volumes pour
les mettre au jour. Où en sommes-nous , s'il faut
lire tout cela avant de savoir s'il y a un Dieu , et
cpiel culte nous devons lui rendre ?
Nous les prions de ne pas nous rendi'e respon-
sables de leur propre crime , de ro})iniàtreté avec
laquelle ils ont attaqué la religion , de la multitude
d'hypothèses qu'ils ont forgées , de calomnies qu'ils
ont inventées , de pièges qu'ils ont tendus aux lec-
teurs. Notre travail n'est devenu nécessaire que
pour réparer le mal qu'ils ont fait. Un esprit droit,
un cœur vertueux n'a pas besoin de livres i)our
croire et adorer un Dieu ; la nature , l'humanité
entière , la conscience lui prêchent assez ce devoir.
Cependant les philosophes ont tait des volumes ,
pour prouver qu'il n'y a point de Dieu ; il en faut
d'autres pour les réfuter. Mais ces réfutations ne
sont utiles qu'à ceux qui ont eu la témérité de lire
et de goûter les rêves des incrédules : les sages n*en
INTRODUCTION. 6l
ont pas besoin , ils croient en Dieu aussi aisément
et aussi fermement que nos pères. Quant aiï chris-
tianisme , il porte ses preuves sur son front. Le
seul exposé du i)]an de la providence . tel que nous
l'avons fait au commencement de cette introduc-
tion , la liste des errem\s qu'il faut ])arcourir , dès
({ue l'on cesse d'être chrétien catholique , sont une
démonstration invincible contre lacfuelle les in-
crédules ne feront jamais aucune objection solide.
Ils doivent sentir enfin que des attaques de
troupes légères , des incursions faites à di'oite et
à gauche , sans règle et sans méthode , sont de
foibles moyens pour renverser un système complet ,
lié dans toutes ses parties , qui embrasse toute la
suite des siècles , cjui depuis la création subjugue
les esprits , gouverne les hommes , affermit la
société. Pour lui porter un coup décisif, il faudroit
en attaquer l'ensemble . lui opposer un coi"ps de
doctrine mieux conçu , mieux prouvé , plus soli-
dement établi. Insulter les dehors de la place .
donner l'alai'me aux sentinelles, harceler quelques
postes avancés , ce n'est point vaincre l'ennemi.
Le parti le plus sage seroit désormais de garder
le silence : les philosophes auront peine à s'y
ré.soudre ; s'ils cessoient de faire du bruit , ils
n'existeroient plus.
TRAITE
HISTORIQUE ET DOGMATIQUE
DE LA
VRAIE RELIGION.
PREMIÈRE PARTIE.
DE LA RÉVÉLATION PRI>nTIVE.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.
VLXS ET DIVISION DE CETTE PRElVIffiRE PARTIE ;
PREUATES SO:^nL^IRES d'une RÉYÉLATION PRl-
mTIVE.
§1-
j_jE respect pour l'antiquité n'est point , comme
le prétendent les incrédules , un préjugé absurde et
mal fondé ; l'homme a besoin d'instruction ; la
docilité est la source la plus féconde de nos connois-
sances? Où en serions-nous, si nos aïeux n'avoient
})as pensé avant nous , et si nous n'avions pas le
secours de leurs réflexions , pour étendre et confir-
mer les nôtres ! Quand on imagine que le genre
humain est subitement sorti des entrailles de la
terre , a été réduit d'abord à la condition des bru-
tCvS , sans idées , sans connoissances , avec une
faculté de raisonner très-imparfaite , on doit sup-
[K)ser que ses premières notions se sont ressenties
64 TRAITÉ
de sa stu}yidité , que s'il s'est fait une' religion , elle
ne mérite pas de nous occuper. 11 faut , dans cette
hypothèse , fermer les yeux sur une longue suite de
générations , ne considérer notre espèce que dans
les siècles , où , instruite par l'expérience , exercée
par les arts , façonnée par l'habitude de la société ,
elle a pu déployer ses talens naturels.
Mais si le premier homme est l'ouvrage de Dieu
même , s'il est sorti des mains du créateur a\ec les
dons et les connoissances qui étoient nécessaires au
rang qu'il devoit occuper dans l'univers, les notions
gravées dans son âme par la sagesse divine , méri-
tent tous nos respects ; la tradition descendue d'une
source si pure a droit de nous subjuguer.
Il est consolant d'envisager la religion comme la
plus ancienne institution cfuil y ait au monde ; de
pouvoir nous convaincre que nous croyons les
mêmes vérités , que nous suivons la même morale
que notre premier père , que nous adorons le même
Dieu aucp-iel il a rendu ses hommages ; que cet lié-
ritage paternel , transmis jusqu'à nous par une
succession non-interrompue , doit passer aux der-
nières générations de l'univers. Enfans d'une fa-
mille dont Dieu est le père , pouvons-nous voir
sans douleur une partie de nos frères renoncer aux
titres et aux droits de leur naissance , abjurer le
sang duquel ils sont descendus?
Un homme sensé ne se persuadera jamais que
Dieu , en créant notre espèce , l'ait abandonnée
aux foibles lueurs d'une raison très-lente dans sa
marche, et sujette à s'égarer, qu'il l'ait exposée au
danger de demeurer long-temps sans religion , ou
de s'en former une fausse , qu'il l'ait comblée de
bienfaits , sans lui appremh'e l'usage qu'il en devoit
faire , sans lui montrer seulement la main à laquelle
il en étoit redevable. Dans les premiers temps qui
DE LA VR.VIE RELIGION. 65
suivirent la naissance du monde , l'homme occupé
à pourvoir à ses besoins , sans étude et sans expé-
rience , étoit fort peu disposé à réfléchir sur les
})hénomènes de la nature , et sur la marche régu-
lière de l'univers , à en conclure l'existence d'Un
seul Dieu , créateur et conservateur de toutes
choses. Il le pouvoit sans doute , mais il ne l'a
fait nulle part. Après six mille ans de durée, nous
ne voyons pas un seul peuple qui ait tiré cette
consécjuence si simple et si naturelle ; tous ont
donné dans un polythéisme grossier. L'homme ,
récemment formé, seroit tombé sans doute dans
les mêmes erreurs et dans la même stupidité que
les peuplades , cpii se sont éloignées de bonne heure
du berceau du genre humain , et les nations sau-
vages cpie l'on a découvertes dans les derniers
temps. L'homme , sans religion , est peu différent
des animaux ; égaré par les sens et par les passions ,
il se rapproche encore de leur espèce. Il n'est ca-
pable de société et de vertu , qu'autant qu'il est
instruit de son origine , de sa destinée , de ses de-
voirs envers Dieu , et envers ses semblables. De
quoi lui auroient servi les facultés dont il étoit
doué . si elles dévoient demeurer long-temps sans
exercice? Dieu auroit laissé son ou\Tage imparfait.
En donnant aux animaux un instinct sur , qui les
conduit d'abord au but de leur destination , il les
auroit traités plus favorablement que l'homme.
Quiconque n'a point embrassé l'athéisme , ne
croira jamais que le genre humain ait subsisté
])endant plusieurs générations , sans aucune notion
de la divinité , sans morale et sans religion ^'\
Mais sommes-nous réduits à des présomptions ,
à de sim])les raisons de convenance , pour affirmiT
fi M('m. de l'Acad df-s Insrrijt t. XLH, in 12., f. 173 et
sui'j. tome LXl , page ^^oj loine LXII, p. 348, etc.
bb TILUTE
que Dieu a révélé aux premiers hommes la croyan-
ce , le culte , la morale dont ils avoient besoin? Les
incrédules le diront sans doute. Ils se trompent :
indépendamment de's livres saints qui nous l'as-
surent , nous avons des preuves positives , des
preuves de fait , d'une révélation aussi ancienne
que le monde. Le détail de ces preuvres est l'exposé
du plan de notre première partie. .
§ II.
Première preuve. La religion n'a pas suivi la
marche des comioissances humaines ; les nations
encore récentes avoient une croyance plus pure ,
un culte plus simple , qu'elles n'ont eu dans la
suite , lorsqu'elles ont été mieux policées et plus
instruites. Elles avoient d'abord adoré un seul
Dieu , bientôt elles en ont encensé j)lusieurs ; le
polythéisme et l'idolâtrie, introduits peu à peu
chez tous les peuples , Oiit entraîné après eux un
torrent de désorch*es. Cet abus , né des passions
humaines, de l'if^norance , de l'intérêt, appuyé
par la fausse politique des législateurs , est devenu
général : nous le montrerons dans, le chapitre
premier.
Si parmi les monumens de l'antiquité il y a une
liistoire qui exj)lique ce phénomène singulier, qui
nous aj)prenne la manière dont la religion a été
donnée à l'homme, et les causes qui l'ont altérée
j)armi ses descendans ; nous sommes forcés de nous
y tenir , puisque , hors de là , nous ne concevons
plus rien. Selon les incrédules, les juvnn'ères idées
de religion naturelle sont venues de l'ignorance et
tlo la crainte ; telle est la source de toutes les ab-
surdités et de tous les crimes qui l'ont déshonorée
dès son origine. Donc . si la religion primitive ne
DE LA VRAIE RELIGION. 67
porte l'empreinte ni de l'ignorance , ni de la crainte ,
ni des autres passions humaines ; si elle est sage ,
pm'e , sainte , respecta])le , elle ne vient point
comme les autres d'une source empoisonnée , c'est
un don surnaturelle du créateur.
Deuxième preuve. La religion est nécessaire à
r homme pour son bonhem' , pour le porter à la
vertu , pour serrer les liens de la société : nous le
j)rouverons dans le chapitre IL D'autre côté . les
incrédules soutiennent que la seule religion dont
l'homme soit capable ^ dans l'état de la nature, est
le polythéisme et l'idolâtrie , fausse religion qui a
toujours fait le malheur de l'homme et celui de la
■ société. Donc , une religion primitive qui réprouve
le polythéisme , née cependant avant l'époque de
la civilisation , conservée sans altération pendant
plusieurs siècles , n'est point l'eôét de la civilisation,
ni des progrés de la raison . mais ime révélation faite
aux premiers hommes.
Troisième preuve. Les nations mêmes plus civi-
lisées, qui avoient fait le plus de progrés dans les
sciences et dans les arts , n'ont eu que des reiigion9
fausses et absurdes : nous en serons convaincus par
l'examen que nous en ferons dans le chapitre IIL
Donc , si une suite de familles qui n'ont été célè-
bres, ni par les sciences, ni par les aits, et qui
n'ont point eu d'autres moyens naturels pour s'ins-
truire que les autres peuj)les , ont eu cependant une
religion plus sensée et plus parfaite , elle n'est point
de leur invention , mais l'ouvrage de la sagesse
divine ; Dieu leur a donné d'autres leçoAs que
celles de la nature.
Quatrième preuve. Les philosophes mêmes, mal-
gré leurs méditations et leurs recherclies , n'ont été
ni plus sages , ni plus éclairés en fait de religion et
de morale que le gros des nations. Nous ferons dans
68 TKVITÉ
ce même chapitre III , rénumération de leurs er-
reurs, lis ont avoué que l'esprit humain est tro])
borné pour oonnoître la nature divine et les devoirs
de riiomme sans le secours de la révélation : nous
citerons leurs paroles. Après six mille ans , les na-
tions infidèles modernes ne sont pas plus avancées
que les anciennes. Donc une religion vraie, sensée,
raisonnahle . iiTépréhensible . plus ancienne c{ue la
philosophie , n'est point ])artie de la main des hom-
mes , mais de la bouche de Dieu même.
Cinquième preuve. Nous trouvons chez plusieurs
peuples , qui n'ont eu aucune liaison entr'eux , des
dogmes et des usages dont la raison est incapable
d'apercevoir la vérité et l'utilité , qui font néan-
moins partie de la religion des patriai'ches : nous le
verrons dans la suite de notre ouvrage. Il faut donc
que ces dogmes et ces usages remontent à une tra-
dition plus ancienne que la dispersion des peuples ;
ils viennent d'une tige commune de lacpielle tous
sont sortis : ils attestent une révélation.
Mais la religion primitive est-elle véritablement
telle que nous la supposons , ^Taie , conforme aux
plus ])ures lumières de la raison , démontrable , soit
dans le dosfme , soit dans le culte , soit dans la mo-
rale ? Nous le prouverons en détail dans les chapi-
tres suivans jusqu'au douzième.
Sixième preuve. Dans ce douzième chapitre .
nous démontrerons que la religion prétendue na-
turelle , imaginée par les déistes , est impossible :
qu'elle n'a jamais existé ; qu'elle se réduit à l'in-
difiérence pour toutes les religions , ou à l'irréligion
formelle.
§ m.
Telle est la division de notre première partie.
Dans le chapitre premier , nous tracerons l'histoire
DE LA VRAIE RELIGION. 69
et rorigiiie de la religion primitive. Daj.sle second,
nous prouverons sa nécessité. Dans le troisième ,
nous donnerons une notion de toutes les religions
connues. Le quatrième sera enii)loyé à exposer les
j)reuves de l'existence de Dieu , et à réfuter les
athées. Dans le cinquième , nous démontrerons
l'unité de Dieu , ses jnincipaux attributs , sa pro-
vidence , et nous traiterons la question de l'origine
du mal. Le sixième aura pour objet la nature de
l'homme , la spiritualité , la liberté , l'immortalité
de l'àme. Nous examinerons dans le septième , si
Dieu n'a pas pu révéler des mystères aussi bien cpie
des vérités démontrables par la raison. Nous po-
serons dans le huitième les fondemens de la morale ;
nous ferons voir qu'elle suppose nécessairement un
Dieu législateur ; que tous les systèmes de morale
des philosophes anciens et modernes sont faux et
insuffisans. Dans le neuvième , nous exposerons les
principaux devoirs de la loi naturelle , et d'abord
ceux qu'elle prescrit à l'homme envers Dieu. Dans
le dixième , ceux cju'elle lui impose envers lui-
même. Dans le onzième , ce qu'elle lui commande
envers la société. Dans le douzième enfin , en faisant
une revue de l'espace que nous aurons parcouru ,
nous démontrerons contre les déistes la nécessité
de la révélation , conséquemment le besoin de celle
que Dieu a donnée aux Hébreux , pour rétablir et
confirmer la première, et pour disposer le genre
humain à celle qu'il vouloit donner par Jésus-
Christ.
Cette ])remière partie de notre ouvrage porte
donc sur un argument démonstratif , qui renverse
tous les systèmes d'incrédulité. Nous disons : une
religion plus ancienne et plus parfaite que toutes
les autres , exactement conforme aux besoins de
l'homme , plus sensée cjue la doctrine des philo- /
]70 Til VITE
sophes de tous les siècles , supérieure à toutes les
t'onnoissances accjuises par la raison . est certai-
iieinent révélée et divine. Or , telle est la religion
d'Adam et des patriarches , selon le tableau que
nous en tracent les li^Tes saints : donc cette religion
est véritablement révélée : sans la révélation . elle
n'auroit jamais existé ; elle n'est point naturelle
dans ce sens , que l'homme l'ait formée par les
seules lumières de la nature.
La marche que nous venons de nous prescrire ,
ne paroi tra peut-être pas , au })remier coup d'œil ,
la plus conforme à l'ordre didactique ; elle ne l'est
})as du moins au plan communément suivi. Mais
Dutre l'avantage qu'elle nous donne de démontrer
une vérité capitale et méconnue par tous les incré-
dules , elle nous a semblé préférable à tous égards.
Dans un Traité histirîqjie et dogmatique de la
Religion , il est convenable de commencer pai' les
questions de fait sur lesquelles l'histoire nous sert
de guide. Le lecteur aura moins de dégoiit pour ces
matières , que pour les disputes abstraites et méta-
physicpies qui viendi'ont à la suite. Si nous avions
j)rinci})alement appuyé la religion sur des raison-
nemens philosophiques , il eût semblé que nous
adoptions la méthode des déistes , et notre dessein
est de montrer que cette méthode est fausse. La
révélation est notre guide principal ; c'est à la
lumière de ce flambeau que nous voulons marcher :
il falloit donc en jn'ouver d'abord l'existence, afin
de pouvoir fonder nos raisonnomens sur cette base.
Nous espérons qu'un lecteur judicieux sentira la
justesse de ce procédé , à mesure qu'il avancera
dans l'ordre des matières.
Toutes nos discussions seront longues et diffi-
ciles. Si nous pouvions nous borner à exposer les
dogmes de la religion primitive et leurs preuves ,
DE LA VE-AIE RELIGION. 7 1
•l'ouvrage seroit l^eaucoup plus court : mais il faut
les mettre à couvert des atteintes cpie la curiosité et
l'opiniâtreté des philosophes n'ont cessé de leur
porter. Le nombre des vérités dont l'homme a eu
besoin dans tous les temps pour se conduire , est
très- borné ; la liste de ses erreurs est immense ,
<'t depuis six mille ans il continue à les reproduire.
§ IV.
Mais , dira-t-on , selon les notions que vous vous
proposez d'établir , il n'y a jamais eu de religion
natm'elle parmi les hommes , puisqu'elle a toujom's
été un effet de la révélation : rien n'est plus contraire
aux idées généralement reçues.
Nous répondons que la religion prescrite aux
premiers hommes , étoit très-naturelle dans ce
sens . qu'elle étoit très-conforme aux besoins de
l'humanité , à la nature de Dieu et à la nature de
l'homme ; lorsque nous en sommes instruits , nous
pouvons, pai' les lumières de la raison , en sentir et
en démontrer la vérité. Mais elle n'est point natu-
relle dans ce sens , qu'aucun homme soit parvenu
par ses propres recherches à en découvrir tous les
dogmes et tous les préceptes , et à les professer dans
leur pureté. Personne ne l'a connue que ceux qui
l'ont reçue par tradition. Le seul moyen d'estimer
ce que l'homme i)eut faire , est d'examiner ce qu'il
a fait dans tous les temps , dans tous les lieux , dans
toutes les circonstances où il s'est trouvé.
Autre chose est de découvrir une vérité par la
seule réflexion , autre chose de se la démontrer
lorsqu'elle est connue. Les déistes affectent de
confondre ces deux manières, c'est un paralogisme ;
les philosophes anciens et modernes ont su en faire
la distinction.
72 TRAITE
« Dès qu'imc olicse nous est connue , dit Locke ,
<^ elle ne nous paroît plus difficile à comprendre ,
« et nous croyons que nous l'aurions découverte
« par nous-mêmes sans le secours de personne 5
« nous nous en mettons en possession comme d'un
bien qui nous est propre, quoique nous ne l'ayons
pas acquis par notre propre industrie.... Il y a
« quantité de choses dont la croyance nous a été
inculquée dés le berceau , de sorte que les idées
nous en étant devenues familières et pour ainsi
dire naturelles sous l'évangile, nous les regardons
comme des vérités qu'il est aisé de voir , et de
prouver jusqu'à la dernière évidence , sans con-
sidérer que nous am'ions pu en douter ou les
ignorer pendant long-temps , si la révélation
n'en eut rien dit. Ainsi , plusieurs sont redevables
à la révélation sans s'en apercevoir ^'\ »
Cicéron a eu la même pensée sur un autre objet.
Il n'y a point , dit-il , d'esprit assez pénétrant
pour découvrir par lui-même des vérités aussi
sublimes , si on ne les lui montre pas ; et cepen-
dant elles ne sont pas assez obscures pour qu'un
bon esprit ne les comprenne parfaitement lors-
qu'on les lui montre ^'\ »
^ Les li^Tes d'Euclide et les principes deNewton,
« dit un déiste anglois , contieiment sans doute des
« vérités naturelles et évidentes ; cependant il n'y
<( a qu'un insensé qui ose prétendi'e que , sans ces
u livres , il auroit tout aussi bien découvert les
« vérités qu'ils renferment , et que nous n'avons
« aucune obligation à leurs auteurs. Ainsi les le-
« çons de J.-C. nous j)aroissent des vérités trés-
« natm-elles et très-raisonnables , depuis cpi'il les
« a placées sous nos yeux dans le plus grand jour,
(i Christiau. raisono. tome I, chap. i^, p. 294.— (2 De
3i.
DE LA VRAIE RELÎGIOX. ;'0
« et lorsque nous voulons les examiner a>ec une
<( raison dégagée de préjugés. Cependant le peuple
« n'en avoit jamais oui parler auparavant , et il
« n'en auroit jamais rien su sans le secours de ce
« maître divin ^'\ »
L'auteur des pensées sur l'interprétation de la
nature , a fait à peu-prés la même observation ^'^ ;
Bayle la confii'me ^^\
Vainement les déistes disent que les devoirs de
la religion naturelle sont fondés sur des relations
essentielles entre Dieu et nous , entre nous et nos
semblables , et qu'ils sont gravés dans le cœur de
tous les hommes. Si l'éducation , les leçons de nos
maîtres , l'exemple de nos concitoyens , ne nous
accoutument point à en lire les caiactéres . c'est un
livre fermé pour nous. Une expérience générale , et
qui date de six mille ans , doit nous convaincre que
la raison humaine , privée du secours de la ré-
vélation, n'est qu'un aveugle qui marche à tâtons
dans le plus grand jour.
D'ailleurs pour que la religion naturelle soit la
religion d'un peuple entier , ce n'est pas assez que
chaque particulier ait un degré suffisant de capacité
pour la connoître , il faut qu'il ait encore la droiture
et le courage de la professer publiquement au mi-
lieu de ceux qui la méconnoissent. Où montrera-t-
on dans l'univers ces partisans zélés de la religion
naturelle? Si quelques philosophes l'ont connue,
ils ne l'ont enseignée à personne ; saint Paul le leur
reproche ^*^ ; Comment seroit-elle devenue la reli-
gion du peuple ?
(i Morgan, Moral pliilosopher, tome I, p. i44' — (^ ^•
58, p. 92. — (3 Contin. des Peusces div. 5 jj 21, p. 216.
— (4 Rom. c. I, ;^. 18.
^ 1. 4
7 i TRAITE
§ V.
C'en est assez pour démêler l'équivoque sur
laquelle les déistes ne cessent de jouer. La religion
naturelle, disent-ils, est le culte que la raison, laissée
à elle-même et à ses propres lumières , apprend
qu'il faut rendre à l'Etre suprême , auteur et
conservateur de toutes choses"). Ceux qui donnent
cette définition s'entendent-ils eux-mêmes ?
L'élis disent que le polythéisme et l'idolâtrie est
la seule religion que l'homme soit capable d'ima-
giner dans Tétat de nature ; c'est donc aussi la seule
religion que nous enseigne la raison laissée à elle-
même et à ses propres lumières.
2.°Za raison humaine, prise dans un sens abs-
trait 5 est une chimère. Dans un sauvage et dans un
homme instruit, dans un païen et dans un cln'étien ,
dans un philosophe et dans un ignorant , la raison
est-elle la même , douée de la même pénétration et
de la même étendue? Dans lequel de ces individus
la prendrons- nous, pour savoir ce qu'elle peut ou
ne peut pas faire? « Ceux qui veulent juger des
u forces de la raison humaine , en fait de morale
(( et de religion, dit le même déiste anglois, doi-
« vent jeter les yeux sur les parties du monde où
u la révélation n'a jamais pénétré; cette vae les
« rendra moins satisfaits d'eux-mêmes , et plus
u reconnoissant envers Dieu du bienfait de l'évan-
(( gile. Si la religion naturelle , dans l'état présent
u de corruption de l'humanité , étoit si clairement
« et si profondément gravée dans tous les cœurs ,
« il seroit fort singulier que les Chinois , les In-
« diens , les Egyptiens , les Grecs , n'eussent pas
(( enfanté un système de religion naturelle aussi
li parfait que le christianisme '). »
(i Encyclopédie, art. Religion. — {2 Morgan, ibid.
DE LA VRAIE RELIGION'.
r'^
3.*^ La raison n'est jamais laissée à elle-même ,
si ce n'est dans un sauvage abandonné parmi les
animaux dès sa naissance ; tout homme dans son
enfance reçoit une éducation bonne ou mauvaise ;
il suit avec une égale facilité les leçons de l'une et
de l'autre. Or , de cruelle religion naturelle sera
capable un sauvage élevé dans les forêts parmi les
ours ?
Admettre une religion naturelle dans un sens
indéfini , c'est affirmer que l'homme peut s'en tenir
à la religion qui lui sera donnée par le hasard de
sa naissance ; que s'il est assez stupide pour ne
])ouvoir s'en forger une , il est dispensé d'en avoir.
De quel front les partisans de ce système viennent-
ils nous parler d'une religion universelle , la seule
nécessaire , la seule indispensable ?
De deux choses l'une , diront-ils ; ou l'homme
abandonné à lui-même peut connoître Dieu . le
cuite qui lui est dû, les devoirs essentiels de la mo-
rale , ou il ne le peut pas. S'il le peut , donc la
révélation n'est pas nécessaire j s'il ne le peut pas,
donc il n'est plus coupable lorsqu'il les viole , parce
qu'il les ignore ; Dieu ne peut avec justice lui im-
puter ses égaremens, ni l'en punir.
Réponse. Il falloit conclure : donc aucune reli-
gion, soit naturelle, soit révélée , n'est nécessaire;
puisque l'homme qui les ignore invinciblement
l'une et l'autre , ne peut pas en être puni. Disons
mieux : l'homme a été créé pour qu'il fasse son
salut par la connoissance de Dieu et de ses devoirs,
et non par l'ignorance invincible; par des vertus
méritoires , et non par des crimes involontaires ;
par la religion , et non par la stupidité ou l'ani-
malité. Il est destiné à connoître ses devoirs, non
par lui-même, ou abandonné à lui-même, mais
par les leçons de l'éducation, et par l'enseignement
^b TRAITE
(le la société ; les philosophes mêmes ne les appren-
nent point autrement. Or, il est clair que dans
une société corrompue par une fausse religion, le
salut de l'homme est en plus grand danger que
chez une nation éclairée par la vraie religion.
Toute la question se réduit donc à savoir quelle
religion il y aura dans une société quelconque
privée de la révélation : nous le savons par une
expérience aussi ancienne que le monde. Toute
nation qui n'a pas été guidée par la révélation , n'a
eu qu'une religion fausse et absurde: aucun homme,
élevé dans une fausse religion , n'est parvenu de
lui-même à s'en faire une meilleure : voilà les faits
certains sur lesquels nous devons raisonner. Lors-
cpie l'homme est né imbécille , ses erreurs et ses
vices ne lui sont plus imputables , il est incapable
de pécher et de se damner ; en conclura-t-on que
la raison n'est donc pas nécessaire à l'homme ^
Nous traiterons cette question avec le plus grand
soin dans le chapitre douzième.
DE LA VRME RELIGION.
l W»<% V» V<ft^%%^ %/^^ W%^ V** '
CHAPITRE PREMIER.
ORIGLVE DE LA RELIGION PRIMITH^E.
J_jORSQu'iL a été question de savoir ce que rhomme
est capable ou incapable de faire en matière de re-
ligion , les incrédules . selon leur coutume , se sont
li\Tés aux conjectures les plus téméraires ; ils ont
aussi mal vu le point d'où ils ont fait partir la nature
humaine , que le terme où ils l'ont fait aboutir. Selon
eux, l'homme né dans l'état de pure animalité, sans
autre guide que les sens , éprouva bientôt que les
phénomènes de la nature lui étoient tantôt nuisi-
bles , et tantôt favorables. Entraîné par un instinct
aveugle à prêter de la vie et de Tintelligence à tous
les corps qui se meuvent, il imagina dans l'univers
autant de génies invisibles , qu'il y a de corps en
mouvement ; il les nomma des dieux. L'expérience
de leur pouvoir , la crainte de leur colère , le désir
de se les rendre propices , engagèrent l'homme à les
honorer. Il est donc clair , concluent nos spécula-
teurs , que la première religion des hommes a été
le polythéisme. Mais il faut qu'insensiblement
l'homme réfléchisse et acquière des idées moins
grossières. Il se forme des penseurs ou des philo-
sophes , qui recherchent quelle est la première
cause de toutes choses , quel est le pouvoir supérieur
qui régit la nature. A force de subtiliser , ils sont
parvenus à imaginer qu'il y avoit dans l'univers une
gi'ande âme répandue dans ses différente^ parties ,
et qui en règle les mouvemens ; ils l'ont regardée
dés lors comme le Dieu suprême duquel dépendoient
78 TRAITÉ
les autres génies ou esprits préposés aux divers
phénomènes. Mais cette idée d'un seul Dieu a été
le fruit tardif des méditations humaines ; c'est le
dogme qu'ont adopté les Juifs et les Chrétiens ^'\
Cependant les anciens philosophes ont connu et
professé aussi clairement qu'eux l'unité de Dieu et
sa providence; ils n'ont ignoré, ni la nature de
l'homme , ni sa destinée ; ils ont enseigné les
grandes vérités de Ici morale.
Cette prétendue religion philosophique a été
nommée par les déistes , la religion naturelle.
Qu'elle se soit formée plutôt ou plus tard , cela est
égal , il suffit qu'elle existe , pour prouver que la
révélation n'est pas nécessaire. Selon cette fausse
théorie , l'homme a passé successivement de l'excès
de l'ignorance et de la stupidité , au faite des lu-
mières et des connoissances. « Ainsi l'idolâtrie est
« le premier pas de l'esprit humain dans l'histoire
« naturelle de la religion ; c'est de là qu'il s'avance
« au manichéisme , du manichéisme à l'unité de
« Dieu , pour revenir à l'idolâtrie , et tourner dans
« le même cercle ^'\ »
Vainement nous demanderions aux incrédules
des preuves positives de ce fait ; leur méthode n'est
pas de prouver ; nous concevons que cette manière
est possible ; donc cela s'est fait ainsi. Ils ne vont
pas plus loin.
Mais l'histoire nous apprend que l'homme n'a
été , ni aussi stupide dans les «-ommencemens , ni
.lussi éclairé dans la suite , que le supposent les
|)hilosophes. Nous ajoutons que si le genre humain
avoit été créé dans l'état de brutalité et de barbarie,
dans lequel on a trouvé quelques individus abandon-
nés , il y auroit persévéré pendant une longue suite
(i Syst. de la nat. Hist. nat. d£ la rcl. Dict. pbil. idoîdlrie ,
etc. Emile j tome II, p. 3\6. — [2 Enrycl. art. Japonais.
DE LA VR.VIE RELIGION. 79
(le siècles ; il y seroit peut-ctre encore. Pour savoir
ce qui en est , nous aurons recours à l'histoire , aux
monumens , aux traditions des peuples , et non à
des raisonnemens et à des conjectiires. Dans l'ar-
ticle premier de ce chapitre , nous rechercherons
quelle a été la religion des premiers hommes ou des
patrieu'ches : dans le second , si la connoissance d'un
Dieu est l'effet de l'ignorance et de la crainte des
hommes encore sauvages : dans le troisième , si
c'est le fruit des leçons des philosophes ou de la
politique des législateurs. La réponse à ces trois
questions sera la réfutation complète des conjec-
tures de nos adversaires.
ARTICLE L
DE LA RELIGION DES PATRIARCHES.
X OUR connoître quelle a été la religion primitive ,
dans quelles archives trouverons-nous des monu-
mens assez anciens et assez authentiques ? quel est
le peuple dont les annales nous feront remonter jus-
qu'à la création , mettront sous nos yeux l'état du
genre humain dès son origine, nous apprendront ce
qui a été cru et pratiqué par nos premiers pères ?
Les Romains et les Grecs ont été instruits , autant
qu'il étoit possible de l'être ; mais ils sont trop mo-
dernes : les nations plus anciennes , desquelles ils
ont tout emprunté , se perdent dans la nuit des
fables. Les unes nous donnent des listes immenses
de dieux prétendus et de rois qui se sont succédés ,
8o TRAITÉ
OU de ridicules généalogies , ou une histoire sèche
de princes et d'empereurs ; les autres s'égarent
dans un calios d'allégories qu'elles n'entendent
])lus : toutes gardent le silence sur l'article essentiel
que nous cherchons.
La seule nation juive a su lier sa propre histoire
à celle de la religion. A ne considérer que la manière
dont elle est tissiie . elle l'emporte déjà sur les au-
tres ; la simplicité du style , la clarté et l'enchaî-
nement des faits , le ton de candeur qui y règne ,
la sûreté de la tradition , dans laquelle il paroit que
l'historien a puisé , le tahleau qu'il trace des an-
ciennes mœurs , les détails géographicp.ies dans
lesquels il entre , la prééminence qu'il accorde aux
autres nations sur la sienne , suffisent pour nous
inspirer la confiance. Nous aurons lieu dans la suite
de prouver l'authenticité de ce monument , et de
répondre aux objections par lesquelles on a voulu
le rendre suspect. Nous ne l'envisageons ici que
comme une histoire ordinaire , que son antiquité
et les caractères de vérité , dont elle est revêtue ,
doivent nous faire respecter. En la comparant au
livre de Job , qui paroit être au moins de même
date , et qui est frappé au même coin , nous ap-
prendrons quelle a été la croyance des ])atriarches,
ou la religion des premières familles qui ont peuplé
l'univers.
§ n.
Bien diiî'érent des autres écrivains , qui nous
laissent dans l'ignorance sur l'origine de toutes
choses , Moïse commence son histoire par la plus
importante des vérités. Au commencement. Dieu
créa le ciel et la terre. Point de matière préexistante
de laquelle Dieu ait eu besoin , point de dieux infé-
DE L\ VRVÎE RELIGION. 8l
rieurs qui l'aient aidé ; il a tout fait seul. Toute
l'énergie de l'opération divine est rendue par ces
mots : Dieu dit, que la lumière soit , et la lumière
fut; expression sublime dont un païen même a été
frappé ^'\ Dieu opère par le seul vouloir '^'\
Le même pouvoir créateur donne successivement
l'être aux différentes parties de la nature 5 la mer
rassemble ses eaux , les astres brillent dans l'éten-
due des cieux , les plantes et les animaux sortent du
sein de la terre , la mer enfante les poissons et les
oiseaux. La même parole vivifiante donne aux
créatures animées et aux plantes , un principe de
fécondité pour se reproduire. L'homme instruit par
cette leçon , pouvoit-il être tenté d'adorer , comme
autant de dieux , les êtres dont il étoit environné ?
Dieu n'agit point avec l'impétuosité d'une cause
aveugle et nécessaire , mais avec intelligence et
liberté. Il a fait le monde en six jours 5 il pouvoit
le créer en un moment. ^Maître de borner comme il
lui plaît les effets de son action toute-puissante , il
fait sortir du néant les créatures successivement et
avec ordre ; la sagesse préside à toutes ses produc-
tions. Dieu vit ce qu'il avoit fait, et tout étoit
hieii ^'>.
Avant de créer l'homme. Dieu semble se re-
cueillir en lui-même, Faisoris l'ho7ntne à notre
image et à notre ressemblance. Il forme un corps
du limon de la terre , il l'anime d'un souffle divin ^^> ;
l'homme est vivant , il respire , il est fait à l'image
de Dieu. Pour inculquer cette grande vérité , l'his-
(i Lon^fn, Traité du sublime. — (2 Sat est voluntas uhi
eut summa potestas . S. Aug, 1. contra PrisciJl. c. 2, n.° 2
et 3. — (3 Gen. ci, i^. 3i. — (4 L'hébreux PDWi Spintus,
est évidemment sjnooyme du grec KcoCy Mens, Ame : il
est dit, Job, c. 32, ;^. 8, que c'est le souffle de Diru nOl^J
qui doime Tinteili^euce j il n'est donc pas ici question d'un
souffle matériel.
1. 4.
82 TRAITÉ
torien la répète trois fois. Tel est le titre de la
grandeur de l'honime; il n'est pas seulement un
corps , un composé de matière mise en mouvement ;
il est l'image d'un Dieu-Esprit, intelligent, libre,
immortel , maître de la nature ; il est associé à cet
empire. Croissez, dit le Seigneur, inultipliez ,
remplissez la terre , soumettez à vos lois tout ce
qui respire :je vous donne les plantes et les fruits
pour votre nourriture ^'\ En vertu de cet ordre
suprême , l'homme a di'oit de tourner à son usage
toutes les richesses que renferme l'univers. Point
d'autre distributeur des dons, de la nature que le
créateur lui-même ^ \
Il falloit à l'homme une compagne, elle est
tirée de son propre corps. Dieu veut que l'époux
regarde son épouse comme une portion de soi-
inème ; et la fécondité qu'il leur accorde , est l'etlét
d'une bénédiction particulière "\ Ainsi le mai'iage
est consacré, réduit à l'unité, et rendu indisso-
luble. Tous les hommes naissent d'une même tige ,
afin qu'ils soient à jamais, quoique multipliés et
dispersés , une seule et même famille ^').
L'homme libre , ca|)able d'obéissance , la devoit
à son créateur. Dieu lui impose une loi , lui défend
de toucher à un fruit particulier. Par la séduction
de l'esprit tentateur , la femme succombe au désir
d'en manger ; elle entraîne son époux dans sa dé-
sobéissance. Dieu , présent par-tout , voit leur
crime , le leur reproche , les condamne à souffrir
et à mourir ; l'homme déchu de l'innocence , devint
mortel et malheureux. Un bienfaiteur offensé a
droit de punir avec rigueur ; mais Dieu juste , sans
(i Gen. c. I, ^. 28. — (a Les païens qui adoroient d'au-
tres bieufaileti'-s , dii datores bonorum , éloi.-ut doiic ('an
Teneur. — (3 G«u. c. i. ^. 28. — (4 St.
12, c. 21 ti\ 26,
DE LA YKXIE RELIGION. OJ
cesser d'être bon , annonce un médiateur , qui
écrasera la tête du tentateur , caché sous la forme
du serpent ; il console l'homme confus et pénitent
par l'espérance du pardon ^'\
§ III.
Les suites de ce premier péché ont été déplo-
rables. La nature humaine n'est plus telle qu'elle
étoit sortie des mains de Dieu ; à peine y reconnoît-
on encore son image. La raison afibiblie a perdu
l'empire absolu qu'elle avoit sur les passions ; mais
le libre arbitre n'a pas été détruit. Dans le temps
que Caïn méditoit un crime , Dieu lui déclare qu'il
est le maître de réprimer ses penchans , que sa
conscience lui fera sentir le bien ou le mal qu'il
aura fait ; malheureusement cette voix intérieure
est souvent étouffée ^'\
En se laissant dominer par les passions, l'homme
oublia bientôt son Dieu et ses devoirs; ses vices
devinrent habituels , l'iniquité couvrit la face de la
terre. Dieu voulut en tirer une vengeance , capable
d'efifrayer les races futures. Maître de détruire par
une seule parole l'univers créé par un seul acte de
sa volonté , il fait servir les élémens mêmes à la
punition des coupables , pour démontrer qu'il dé-
pend de lui de suspendre et de changer les lois qu'il
a librement données à la nature. Un déluge uni-
versel détruit tous les êtres vivans, et fait de la
terre une vaste solitude. Un seul juste est sauvé
avec sa famille pour la repeuplei'. Le souvenir de
cette révolution s'est conservé chez la plupart des
nations ^^> , et la constitution actuelle du globe en
montre encore les ves liges. Monument terrible de
(1 Gen. c. 3, ;^. i5. — (2 Gea. c 4, ^. 7 —(3 Huet,
Quœst. Alaet. !. 2, c. 12. n." 5.
B i TRAITÉ
la justice divine et des inicpiités qui en avoient
attiré les rigueurs.
Par ce petit nombre d'événemens , qu'il étoit
impossible d'oublier , Moïse instruit suffisamment
tous les peuples , en peu de paroles , il nous donne
les plus grandes idées de la nature de Dieu et de la
nature de l'homme. Dieu est éternel , il existoit
avant le monde ; il est unique, puisque tout est son
ouvrage ;. il a tiré l'univers du néant , puisque tout
a commencé. 11 est tout-puissant, un seul acte de
sa volonté a fait toutes choses , et il interrompt ,
quand il veut , le cours de la nature. 11 est indé-
pendant et libre ; il a tout arrangé comme il lui a
l)lii ; il est présent par-tout , puisque tout lui est
connu ; il veille à tout par sa providence ; tous les
événemens sont un efïét de ses décrets. Parce qu'il
est souverainement bon , il a pourvu aux besoins
de toutes les créatures ; parce qu'il est juste et saint,
il punit le crime , et récompense la vertu.
L'homme , image d'un être si parfait , n'est donc
pas seulement un corps ; ce n'est que par son âme
qu'il peut ressembler à Dieu. Cette àme est spiri-
tuelle , intelligente, active, libre, immortelle,
puisque Dieu possède tous ces attributs. Comme
enfant d'un père coupable , l'homme est condamné
à mourir ; mais Dieu lui a promis le pardon : Adam
devoit donc survivre à son corps , puisqu'il devoit
avoir part un jour à la grâce du Rédempteur.
C'est ainsi que ^Moise nous trace les dogmes crus
et professés dés le commencement du monde ; ainsi
il nous donne en abrégé le symbole de la foi des
premiers hommes , et nous en montre les princi-
paux articles gravés en caractères ineffaçables sur
le tableau de l'univers. Nous prouverons dans la
' suite que ce qu'il nous enseigne est conforme aux
paires lumières de la raison et de la philosophie.
DE LA VR.UE RELIGION. 85
La création , la propagation du péché dans la
race humaine , la promesse d'un sauveur , ne sont
point des vérités que l'homme ait pu découvrir par
les lumières naturelles ; il n'a pu les savoir que pai*
révélation. Quelqu'étranges qu'elles nous parois-
sent , Dieu a voulu qu'elles fussent transmises aux
descendans des patriarches. Cette foi a subsisté
constamment parmi eux ; elle a passé , par tradition ,
des pères aux enfans. C'étoit assez d'enseigner aux
hommes ce que Dieu a fait , pom' leur apprendi'e ce
qu'ils lui doivent.
§ IV.
De tous ces dogmes s'ensuit la nécessité d'une
religion. Le culte extérieur est établi dès l'origine
du monde ; un jour de repos est consacré à ce devoir
important ^'\ Les enfans d'Adam ofirent à Dieu en
sacrifice les fruits de la terre et les prémices de leurs
troupeaux ; mais Dieu n'agrée que les dons accom-
pagnés de la piélé intérieure. Enos se rend recom-
mandable par cette vertu ^'\ Noè , sauvé du déluge ,
bâtit un autel , oflre un holocauste , fait un choix
des victimes ^^>. Bientôt le sacerdoce devient une
dignité à laquelle sont attachés des honneurs et des
privilèges ^'\ Le soin des tombeaux et les honneurs
funèbres rendus aux morts , attestent les espérances
des patriarches, et leur foi à l'immortalité '' . Ils
regardent le vœu et le serment comme des actes de
religion ^"^^ ; ils sont persuadés que Dieu préside aux
traités et aux alliances ^'\
(i Gen. c. 2, ;^. 3. — (a Ibid. c. 4? )^. 3, 4) 26. Dans le.s
Dialogues sur rame, p. a6 et i33, l'auteur fait dire à u:j Sa-
duceen, qu'Enos fui Je premier qui cor.miença à invoquer le
nom du Seigneur : que signiBe dont le culte que rendent a Dieu
Gain et Abel ? — (3 Gen. c. 8, ;^. 20. — (4 Ibid c. i:^, ^. 18:
ch. 28 , ]|J . 22. — (5 Ibid. c 23 , ;^. 4 : ch. ^g^\. 29. — (6 Ibid.
c. i4, ;i^. 22 : ch. 28, ^. 3o. — (7 Ibid.c. 3?, f . 5o.
86 TKUTÉ
La morale , partie essentielle de la religion , est
appuyée sur le même fondement , sur l'idée d'un
Dieu rémunérateur et vengeur , dont la proyidence
est attentive à toutes choses , sur la dignité de la
nature humaine , sur les liens de la fraternité , qui
unissent tous les hommes. Si les consécpiences qui
découlent de ces vérités étoient exactement ob-
servées 5 elles suffir oient pour rendi'e la société
paisible et heureuse.
La manière dont Dieu a institué le mariage ,
fait voir quels sont les devoirs mutuels des époux ;
l'histoire d'Abraliam en Egypte , montre la sévérité
avec laquelle Dieu punit l'adultère j celle de Noè ,
le respect que les enfans doivent à leur père ; celle
d'Agar , l'oLéissance que les serviteurs doivent à
l^urs maîtres. La frayeur , les remords , la punition
de CaVn font comprendi'e l'énormité du meurtre.
Dieu le défend par une loi expresse aux enfans de
Noè' ; et pour leur en inspirer plus d'horreur , il
leur interdit le sang des animaux ^'\ Le vol est
représenté par Jacol) comme un crime digne de
mort ; la fraude, comme un vice odieux ^'''> ; l'im-
pudicité 5 contrau'e au vœu de la nature , est appelée
w«e ahoniitiatioïi , qui crie vengeance contre le
ciel ^'\ En général , lliistoire des patriarches nous
montre , dans plusieurs d'entr'eux , des exemples
frappans de justice , de modération , de charité ,
d'hospitalité , de douceur, de patience , et de toutes
les vertus sociales. Un juste , dans tous les temps ,
fat un homme soumis à Dieu , et bienfaisant envers
ses semblables. Ce qui rend i)lus recommandable
ceux dont nous parlons , c'est un respect pour la
divinité , un sentiment vif de sa présence , une
confiance à son pouvoir et à sa bonté dont il
(i Gen. c. 0 , ;^. 4. — (2 Ibid. c. 3i , ^ . 32 , 41. — (3 Ibid. c.
i3, i[. i3. ch. 19, if. 5.
DE LA VRAIE RELIGIO.V. 8;
n'y eut jamais d'exemple dans les fausses re-
ligions.
§ V.
C'est ainsi que récriture nous peint le saint
liomme Job. Selon M. Goguet , il a yécu du temps
de Jacob ; selon S. Augustin , trois générations
après ; selon M. Huet , peu de temps avant Moïse
"\ Quel cpie soit l'auteur de son livre , il professe
la même croyance et la même morale que celui de
la Genèse ; il publie la puissance et la sagesse de
Dieu dans l'ouvrage de la création , sa providence
dans le gouvernement du monde , la connoissance
qu'il a de toutes choses , sa sainteté , sa miséri-
corde , sa justice , l'excellence de la nature de
l'homme , sa naissance souillée par le péché ,
l'espérance d'un rédemptem' et d'une vie future.
« Interrogez, dit-il, les animaux, et ils vous
« instruiront ; parlez aux oiseaux du ciel , aux
« poissons de la mer , aux plantes et aux pro-
« ductions de la terre , ils répondront tous d'une
voix : C'est la main du Seigneur qui nous a
faits. 11 a donné la vie à tout ce qui respire :
l'esprit qui anime le corps de l'homme est
l'ouvrage de Dic^u.... C'est lui cpii m'a créé,
« qui a pétri de ses mains l'ai'gile dont j'ai été
formé.... Le souffle du tout-puissant a rendu
vivant un corps tiré du limon de la terre ^ \
« C'est lui qui fait régner les vents dans le
« vide immense des cieux , et cpii y tient la terre
u suspendue ; il renferme les eaux dans la vapeur
« des nues , et il les fait tomber quand il lui [)la]t :
(i V. Lowth, De sacra poéai Hehrœorum , avtf les notes
cl« Michaelis, p. 65o. — (a Job. c. lo, :^. 8 : ch. 12, ^, 7 •
83 TRAITÉ
<K son I ouvoir les a rassemblées dans les vastes
« abymes de la mer , et sa sagesse dompte l'im-
« pétuosité des flots. C'est lui qui fait briller les
« astres dans le ciel , et qui les conduit par la
« main dans leur marche tortueuse ^'K
« Où étiez-YOus , dit le Seignem' , lorsque je
posois les fondemens de la terre, lorsque j'en
réglois les dimensions , que j 'en traçois la gran-
deur et la figure, lorsque je recevois l'hommage de
l'étoile du matin , et les louanges des esprits qui
sont mes enfants? qui a donné à la mer des
« barrières invisibles , lorsqu'elle sortoit des
abymes comme du sein de sa mère, lorscjue je
l'enveloppois de nuages et de noires vapeurs ,
comme des langes de l'enfance ? Je lui ai prescrit
à mon gré les bornes où je la tiens captive ; je lui
« ai dit : tu avanceras jusques-là et tu n'iras pas
« plus loin ; sur ce sable se brisera l'orgueil de tes
« flots ^'\ ))
Job reconnoît expressément que Dieu peut faire
des miracles, et suspendre, quand il le veut, le
cours de la nature ^^\
Les malheurs de ce saint homme sont repré-
sentés , comme un efiet de la jalousie de l'esprit
tentateur ^^' ; mais Job n'oublie jamais que la pro-
vidence divine dispose de toutes choses. « Dieu
m'avoit donné des biens , il me les a ôtés ; rien
n'est arrivé que ce qui lui a plu : que son nom
soit béni.... C'est à lui qu'appartiennent la sa-
gesse, la puissance, la justice, la providence;
il voit la fourberie des médians , et les laimes
des innocens qui en sont la victime ; souvent il
trompe les desseins des sages ; il laisse aveugler
les juges; il humilie les rois; il couvre d'o|^
(i Job. c. î6, ;^. 7. — (2 Ibid. c- 38 , 3^. 4. — (3 Ibid. c. 9,
ir, 5.- (4 Ibid. c. i,X^. 6: c. a, i, i.
DE LA VRAIE RELIGION. 89
« probre les chefs du peuple et les grands ; il
(( oii'usque les lumières des vieillards ; il rend les
« princes méprisables, et tire les pauvres de l'op-
« pression.... Il peut tout , et aucune pensée ne lui
« est cachée ^'\ »
§ VI.
L'erreur des amis de Job étoit de penser que Dieu
n'afflige jamais les justes. Ce faux principe est
recueil dans lequel la philosophie a donné de tout
temps ; c'est lui qui a enfanté dans la suite le
manichéisme, qui a suggéré tant d'objections contre
la providence , et dont les athées se servent encore
aujourd'hui pour attaquer l'existence de Dieu. Job
réfute ces murmures injustes par les mêmes raisons
dont nous nous servons encore.
1.° Il fait parler le Seigneur lui-même, pour
apprendre aux hommes que sa conduite et ses des-
seins sont impénétrables , et cpi'il n'en doit compte
à personne ^"'\ Nous démontrerons la justesse de
cette réflexion , en traitant la question de l'origine
du mal.
2.° 11 pose pour principe que l'homme est souillé
par le péché dés sa naissance : « Qui peut rendre
« piw l'homme forîné d'un sang impur , sinon
(( Dieu seul ^'> ? Que l'homme n'est jamais exemi)t
« de tout péché aux yeux de Dieu ' '. Les afflictioiis
(( qu'il éprouve peuvent donc toujours être le chà-
« timent de ses fautes. »
3.° Job soutient que Dieu dédommage ordinai-
rement en ce monde le juste affligé, et punit l'impie,
qui oublie le Seigneur et l'outrage dans la prospérité
^^\ La confiance de ce saint homme à la bonté et à
(i Job Cl, jf 21 : c. ip, •$^. i3 : r. \i^ ir. 2. — (2 Ibid. c.g, t.
38. —(3 Ib c. Kj, V. ^- — ( i IIj. c. 0, .V'. 2. —(5 Ib. c. 21, 24, 27.
90 TRAITK
la justice Je Dieu , est confirmée par les bienfaits
dont il est comblé sur la fin de ses jours ^'\
4.° Il ne borne point ses espérances à la vie
présente; il compte sur un état à venir. « Quand
u Dieu m'ôteroit la vie, dit-il, j 'espérerois encore en
« lui.... Je sais que mon Rédempteur est vivant,
« qu'au dernier jour je me relèverai de la terre ;
« que je serai de nouveau revêtu de ma dépouille
« mortelle ; que je verrai mon Dieu dans ma chair ;
« que mes yeux auront cette consolation : c'est
« Tespérance que je conserve dans mon cœur....
« Les leviers de ma bière porteront mon espé-
« rance, elle reposera avec moi dans la poussière
(( du tombeau ^'\ » Il peint le séjour des morts
comme une terre ténébreuse , couverte des ombres
de la mort , où il n'y a que misère , obscurité , dé-
sordre et tristesse éternelle ^^\ Pou voit-il entendre
par là le néant ou un état dans lequel on ne sent
])lus rien? Il dit à Dieu : « L'homme sorti du
(( sein de sa mère, n'a qu'une vie courte et misé-
« rable; il naît et se fane comme une fleur, il fuit
« comme l'ombre ; rien de stable pour lui. Vous ne
« dédaignez pas cependant de fixer sur lui vos
« regards, et de le citer à votre tribunal. Qui le
« justifiera lorsqu'il est coupable ? Vous avez comp-
<c té le nombre de ses jours , il ne peut les prolonger.
(( Accordez-lui donc quelques momens de repos ,
« jusqu'à celui auquel il attend , comme le merce-
<( naire, le salaire de son travail. » c. i4, ;^. i. C'est
donc à la mort que le juste doit recevoir le salaire
qui lui est du.
La destinée d'Abel , telle que Moïse la présente ,
auroit suffi pour désespérer tous les justes, s'il n'y
nvoit rier eu à attendre pour eux après cette vie.
(i Job c. 42. — (1 Ibid.c. i3 , ;^. i5 ; ch. 17 , y 16. Hebr. :
"J; t' ï5. — (3 Job c. 10, j^. ai.
DK LA VRAIE RELIGION. 91
Par l'apologie que Job fait de sa conduite , il
nous fait connoître quelle étoit sa morale , ce qui
étoit , selon lui , \'ice ou \ertu. Il prend Dieu à
témoin qu'il a été chaste , ennemi de l'orgueil et de
l'injustice , libéral et compatissant à l'égard des
} auvres, bienfaisant envers ses ennemis, juste et
équitable envers tous les hommes. Il regarde le vol ,
la violence, l'oppression, la fourberie, l'adultère,
l'injustice à l'égard des pauvres et des foibles , com-
me des excès qui provocp.ient la vengeance divine ^^K
Il parle d'un culte extérieur de religion , dTiolo-
caustes et de sacrifices pour les péchés , de prêtres
et de victimes choisies, de vœux et de prières,
de pratic|ues de pénitence pour appaiser le Sei-
gneur ''\
Il y a donc une conformité parfaite entre Job et
Moïse ; ils font le même tableau de la religion , que
Dieu avoit donnée aux patriarches , et qui a subsisté
pendant deux mille cinq cents ans depuis la création.
Nous la comparerons avec la croyance et les pra-
tiques des peuples qui ont perdu de vue la tradition
primitive : on verra dans les religions humaines ,
l'empreinte de la source viciée de laquelle elles sont
sorties. Elles nous montrent une nature dégradée
et abâtardie , un esprit esclave des sens , un cœur
asservi à l'amour des biens sensibles. On y trouvera
des dogmes faux et absurdes , une morale cor-
rompue , un culte superstitieux et criminel. Sur ce
[)aralléle seul , il est aisé de discerner la religion qui
vient de Dieu , d'avec celles qui sont l'ouvrage
des hommes.
0 Job c. 24 et 3i. — (2 Ibid c. i , :^ .5 : ' 1». ^"2 -, i" ■ 19 : c'a.
42, X'. ^« et suiv.
92 TRAITE
S VII.
La première, comme nous l'avons déjà observé ,
peut être appelée Religion naturelle, dans ce sens,
que ses dogmes, son culte, sa morale , sont parfai-
tement conformes aux pures lumières d'une raison
éclairée et suffisamment instruite ; mais non dans
ce sens , que les hommes soient parvenus , par les
seules lumières de la nature, et sans aucune ré-
vélation divine, à connoître cette religion et à la
conserver. L'histoire sainte ne nous présente point
les vérités qu'elle enseigne , comme le û'uit des
recherches et du raisonnement des hommes, comme
des découvertes qu'ils aient faites successivement.
C'est Dieu qui a pailé à Adam et à ses enfans , à
Enoch, à Noé, à Job et à ses amis; c'est Dieu et
non la philosophie , qui a été le premier maître du
genre humain.
Un homme instruit par ces leçons divines , qu'il
n'y a qu'un seul Dieu créateur , etc. peut très-bien
réussir à se démontrer ces vérités. De tous les hom-
mes qui ont perdu le fil de la tradition primitive, il
n'y en a pas un seul qui ait été assez habile pour les
découvrir par la voie du raisonnement, ou çlu moins
cpii les ait enseignées.
On aperçoit aisément que cette religion primi-
tive et naturelle étoit prouvée par des faits incon-
testables et par des monumens exposés à tous les
yeux. Dieu voulut encore confirmer par un autre
moyen la foi des patriarches. Par une providence
particulière , il leur accorda plusieurs siècles do
vie , afin de rendre la tradition plus siu^e et la
mémoire des événemens plus vive et plus présente.
Lamech , père de Noé , avoit vu Adam ; Noé lui-
même avoit vécu pendant six ceints ans avec Mathu-
DE L\ \11AIE RELIGIOX. 9^
salera son aïeul , qui étoit âgé de 345 ans lors-
qu'Adam mourut. Les vieillards contemporains de
Noè. avoient eu la même facilité de s'instruire de
l'époque de la création ; tous reconnoissent Adam
pour tige primitive du genre humain : l'état de la
nature entière attestoit la nouveauté du monde.
Après le déluge la même chaîne de tradition sub-
sista. Theiré , père d'Abraham , avoit vécu plus
d'un siècle avec Arphaxad et Phaleg , qui avoient
conversé avec Noè pendant deux cents ans. Abra-
ham vivoit encore lorscfue Jacob vint au monde ; et
Caath, aïeul de INIoïse, avoit passé sa vie avec les
enfans de Jacob. Il n'y a que cinq personnes, tout
au plus , entre Moïse et Noè. Si l'on considère le
respect que dévoient avoir les jeunes gens pour
ces vieillards vénérables, l'empressement avec le-
quel ceux-ci dévoient raconter à leur postérité les
grands événemens dont ils avoient été témoins , ou
qu'ils avoient appris de leurs pères; on comprendra
que IMoïse devoit en être parfaitement instruit , et
que, dans l'histoire de la Genèse, il parloit à des
hommes qui n'en étoient pas moins informés que
lui.
De nouveaux monumens venoient à l'appui des
anciens, et les usages religieux retraçoient conti-
nuellement les leçons des ancêtres. L'usage de
compter sept jours pour une semaine et de chô-
mer le septième , rappeloit la mémoire de la
création du monde ; les misères de la nature hu-
maine ne prouvoient que trop bien la perte de
sa première innocence ; les vestiges du Paradis
terrestre , que le déluge n'avoit pas entièrement
effacés, dévoient encore faire couler les larmes de
Noè et de ses enfans. Les marques sensibles de
l'inondation générale , répandues sur toute la face
du globe , réveilloient sans cesse l'idée de la jus-
^± TRAITE
lice diviîie : la tradition du genre humain sauvé
des eaux du déluge dans une arche , s'est conservce
de tout temps chez les orientaux ^'\ Les sacrifices
oflerts pour le péché et les expiations apprenoient
aux hommes qu'ils étoient nés couj)ablesj les ruines
de Babel ont perpétué , pendant une longue suite de
siècles, l'idée de leurs projets insensés, et de la
confusion des langues.
De nouveaux prodiges fréquemment accordés
aux patriarches, les ordres précis qu'ils recevoient
du ciel, des chàtimens éclatans, tel que l'embra-
sement de Sodome, prêchoient à haute voix une
])rovidence attentive à ce qui se passe sur la terre.
A mesure que les justes recevoient des marques de
sa j)rotection , ils élevoient un autel , un monceau
de pierres , une colonne ou quelqu'autre signe ,
pour en faire souvenir leur postérité.
Dans ces premiers âges du monde, les hommes
mai'choient donc au milieu des munumens de leur
foi : il est étonnant qu'à la vue de cette multitude
de témoins, ils aient osé méconnoître et oublier
le Seigneur de toutes choses. Mais la voix des
passions fut plus puissante que celle de la nature,
de la raison, de la religion et de l'histoire. Malgré
tant de leçons qui annonçoient un seul Dieu, cette
race insensée ne tarda pas d'en adorer plusieurs.
§ VIII.
Peu de temj)S après le déluge, nous voyons le
polythéisme et l'idolâtrie établis chez les Chal-
déens; les livres saints nous apprennent que les
ancêtres d'Abraham avoient donné dans cette er-
(i Lucit-n, de Ded Syrio et de Saltatione. Voyez Thisfoire
véritable des temps fabuleux , tome I , p. 23o et suiv. L'hii-
toire do l'astronomie aucicime, tic.
DE LA VRAIE RELIGION. 0 >
leur ^'\ Laban, contemporain et parent de Jacob,
nomme ses dieux les idoles cpie sa fille lui avoit
dérobées. Jacob , avant d'offrir un sacrifice au Sei-
gneur , ordonne à tous ceux de sa maison , qui
avoient des idoles semblables, de les lui apporter,
et il les enfouit dans la terre ^'\ Job pai'le de l'ado-
ration du soleil et de la lime comme d'un crime,
mais qui étoit connu cbezles peuples parmi lesquels
il babitoit ^''K Du temps de Joseph , les augures et la
devination étoient en usage chez les Egyptiens: ils
poussoient déjà la superstition jusqu'à regarder les
étrangers comme des profanes, et ne vouloir point
manger avec eux ^^\
« Aveuglement déplorable! s'écrie l'auteur du
li\T.'e de la sagesse ; vaine illusion des hommes ,
qui n'ont point la connoissance de Dieu! En-
vironnés de ses bienfaits , ils n'ont pas vu la
main cpii les répand; à la magnificence des ou-
« vrages de la nature , ils n'ont pas su en recon-
« noître l'ouvrier. Ils se sont persuadés que le feu ,
« l'air, les vents, les étoiles, l'eau, le soleil et la
« lune, étoient les dieux qui gouvernent le mon-
<( de.... Plus malheureux encore de mettre leui*
« confiance dans des statues mortes et inanimées ,
« ils appellent des dieux , l'ou-vTage de la main
« des liommes , l'or , l'argent , artistement tra-
« vailles , des figures d'animaux , de pierres fa-
<( çonnées au gré d'un ouvrier.... L'homme se fait
« un dieu d'un tronc inutile , auquel il donne sa
« propre figure ou celle d'un animal; il le peint de
« diverses couleurs; il lui bâtit une demeure; il
u l'attache à un mur, où ce dieu ne pourroit se
(( soutenir sans le secours du fer dont il est percé.
(i Josué, c. a4« ^' 2. Judith, c, 5, J^. 8. — (2 Gen. c. 3i ,
t. 19 t-t 3o: ch' 35, ^. 2 et 4. — (3 Job, c. 3i, f. 26. — .
(4Géu.c. 43,;^. 23: c. 44,;^.5eti5.
9 6 TilAITÊ
« L'}iomme le consulte sur ses biens, sur le sort.
« de ses enfans, sur le succès d'une alliance; il lui
« fait des vœux ; il ne rougit point de parler à une
<( idole stupide ; il demande la santé à un être
(( insensible, la vie à un mort, du secoui's à un
« tronc inanimé ^'\ »
Les i)lus anciens écrivains de l'histoire profane .
n'ont connu aucun peuple, à l'exception des Juifs ,
qui n'ait été infecté de l'idolâtrie; et cet égarement
a toujours fait oublier les principes les plus essen-
tiels de la morale. La prostitution , l'impudicité
contre nature , les sacrifices de sang humain , la
haine des étrangers , paroissent aussi anciens que
le culte des fausses divinités. Ce n'est pas sans
raison que le même auteur sacré a dit , que ce culte
abominable étoit la source et le comble de tous
les crimes ^'); mais il ajoute qu'il n'étoit pas de la
plus haute antiquité ^^\
Il est donc certain, par l'histoire la plus authen-
tique, et la plus croyable cfu'il y ait dans l'univers ,
que la -sTaie Religion jiaturellenest point l'ouvrage
des hommes, mais un don que Dieu leur a fait, et
cpi'ils n'ont pas su conserver ; que dés qu'ils se sont
livrés à leurs propres idées, ils l'ont méconnue,
défigurée, changée en superstition et en crimes.
La philosophie , loin de corriger l'erreur , n'a fait
que la confirmer. Les premiers peuples qui ont
cultivé les sciences , les Egyptiens et les Chaldéens .
ont été les premiers idolâtres. Cet aveuglement,
fruit malheureux , mais infaillible de l'orgueil et
de la corruption humaine , a toujours été le même .
et a toujours produit les mêmes effets. L'homme
])rivé de la vraie religion, s'en fait une fausse;
et souvent, à force de raisonner, il tombe dans
l'athéisme et l'irréligion.
(i Sap. ch. i3. — (2 Ibi<I c. i4, ^. 27. — (3 Ibid. y. i3.
DE LA VRAIE RELIGION. 97
Cependant , malgré les progrès du polythéisme ,
qui s'étendit de jour en jour, la notion d'un seul
Dieu créateur et maître de l'univers , ne fut point
entièrement effacée de la mémoire des hommes;
l'on en retrouve des vestiges, même chez les peuples
plongés dans la superstition la plus grossière.
C'est un reste précieux de la religion primitive ,
un monument subsistant de la tradition de nos
premiers pères , que l'ignorance et les passions
n'ont pu détruire. Il est important d'établir ce fait ,
à cause des conséquences qui en résultent ; les
écrivains sacrés et profanes se réunissent pour en
rendre témoignage.
Lorsqu' Abraham sortit de la Chaldée , par ordre
de Dieu, pour venir habiter la Palestine , son pre-
mier soin, dans tous les lieux où il séjourna, fut
d'ériger des autels au Seigneur , et d'invoquer son
saint nom ^'\ Nous ne voyons pas qu'il ait été
troublé dans ce culte par les Chananéens , maîtres
de ces contrées , ni qu'ils lui aient témoigné de
l'aversion ; nous remarquons au contraire que ces
peuples connoissoient et adoroient le même Dieu
qu'Abraham. Après la victoire remportée par ce
patriarche sur le roi de Sennaar et sur ses alliés,
Melchisédech , roi de Salem, prêtre du Dieu très-
haut, accompagné du roi de Sodome, bénit Abra-
ham au nom de ce même Dieu qui a créé le ciel
et la terre ^').
Abimélech , roi de Gérare dans le pays des Phi-
listins , professe la même foi qu' Abraham ; il croit
que la justice divine punit le crime et épargne les
Isaïe , c. 4° ) ;^ . 18 , et suir.
(1 Gén. C.12, ^.^:c. i3, i^.4,i8 : c, 21,;^. 33. — (2 Ibid. c.
14,;^. 17.
1. 5
go TR-UTE
iîinocens ■'\ Ce roi , suivi du général de ses troupes,
fait alliance avec Abraham au nom de Dieu ,
persuadé que Dieu protège ce patriarche ^'\ Qua-
rante ans après , les mêmes personnages renou-
vellent le traité avec Isaac , et tiennent encore le
même langage ^^>. Les habitans de Heth vendent
à Abraham le droit de sépulture parmi eux , et le
regardent comme un homme pui^tant protéyé de
Dieu ^'\
Lorsqu'il envoie son économe dans la Chaldée
chercher une épouse à Isaac , Laban et Bathuel ne
font mention que d'un seul Dieu qui conduit tous
les événemens ^^\ Ils conservent les mêmes idées
long-temps après , en faisant alliance avec Jacob ;
ils prennent à témoin le Dieu d'Abraham et de
Nachor . qui voit et entend leurs sermens, qui punit
la foi violée , et ils lui oftient des victimes '^^' ;
preuve certaine que les idoles de Laban n'avoient
pas éteint le culte du -sTai Dieu dans sa famille.
Les ]\Ioabites et les Ammonites , descendans de
Lot neveu dAl)raham. les Syriens issus de Nachor,
les Ismaélites et les ]Madianites, enfans d'Abraham,
nés d'Agar et Céthura, les Iduméens dont Esaii
étoit le père , ne purent oublier , dans peu de temps ,
les leçons et la croyance de leurs aïeux. Jéthro ,
})rêtre ou chef d'une tribu de Madianites , dont
Moïse épousa la fille , connoissoit le ^Tai Dieu ; il
le bénit des prodiges qu'il a faits pour tirer son
peuple de l'Egypte; il le reconnoît pour Dieu su-
prême , et lui offre des sacrifices ''^ Les amis de
Job , qui étoient Ai'abes ou Iduméens comme lui ,
ne parlent point d'un autre Dieu que du Créateur
de toutes choses.
(t Gén. c. ao. — ( 2I)). c. 21, •^. 11. — (3 Tb. r. 26, i^. 28.
— (41b.c. 23, ^.6. — (5Ib.c. 24, ;^, 48. — (G Ib. c. 3o et Si
— (7 Exod. c. 18, }^. 10 et suiv.
DE LA -STIAIE PŒLIGION. 99
Balac , roi des I^Joabites , cjui avoit fait venir
Balaam, pour maudire les Hébreux, coiinoissoit le
même Dieu qu'eux, il le nomme simplement le
Seigneur. Balaam n'en nomme point d'autres dans
ses prédictions que le tout-puissant; il dit que c'est
Dieu qui a tiré Israël de l'Egypte , et qui inspire les
prophètes ^'\ Le culte de Béelphégor, établi pour
lors chez les Moabites , n'avoit donc pas encore
étouô'é la connoissance du souverain Seigneur
de l'univers.
En Egypte même, où l'on place le berceau de
l'idolâtrie, la notion d'un seul Dieu s'est conservée
très -long -temps. Lorsque Joseph paroît devant
Pharaon , et lui explique ses songes , ce roi re-
comioît que Joseph est rempli de l'esprit divin ;
que Dieu lui a révélé l'avenir ^^\ Quand l'ordre fut
donné, sous un de ses successeurs, de faire périr
tous les enfans mâles d^es Hébreux, il est dit que
les sages-femmes Egyptiennes craignirent Dieu ,
et n'exécutèrent point cet ordre cruel ^^>. A la vue
des miracles de Moïse , les magiciens disent : Le
doigt de Dieu est ici: et Pharaon : Le Seigneur
est juste, mon peuple et moi sommes des impie».
Près de périr dans la mer rouge, les Egyptiens s'é-
crient : Fuyons les Israélites , le Seigneur comhat
pour eux contre nous ^^\ Cependant les Egyptiens
adoroient déjà le bœuf Apis, et Pharaon avoit ré-
pondu d'abord à Moïse qu'il ne connoissoit pas le
Seigneur ^^\ Concluons-en que l'idolâtrie étoit déjà
très-enracinée parmi les Egyptiens , et la connois-
sance du vrai Dieu fort aÔ'oiblie. Les miracles de
Moïse aiu'oient dii la renouveler ,' si l'aveuglement
des hommes étoit moins difficile à guérir.
(i Numer. c, 22 et suiv. — (2 Géu. c. 4i , jjr . 38. — (3 Éxod.
""' V^t;'i' ""i^ l^'"^^ ""• c' î* '^J ^- 9> >^- 27 : c. 14, f. 25!
— (5 Ibid. c. 5, ;^. 2 : c. 8, ;^. 26.
1 00 TR-VITE
Rarap , femme née à Jéricho , parmi les Chana-
néens , reçoit chez elle les espions des Héhreux, et
avoue que leur Dieu est le Dieu du ciel et de la terre
^'). Adonibezech, dans son supplice, reconnoît la
justice de Dieu , qui lui rend le même traitement
qu'il a fait aux autres rois *^'\
Plusieurs siècles après, les monarques de l'O-
rient se servent encore des mêmes expressions.
Lorsque Salomon fut élevé sur le trône, le roi de
Tyi' rendit grâces au Seigneur du ciel et de la terre
de ce qu'il avoit donné à David un successeur digne
de lui ^^K La reine de Saba , étonné de la sagesse et
de la magnificence de Salomon , rend à Dieu le
même hommage ^'^ Cyrus , dans ses édits , publie
que ses victoires sont un don du Dieu du ciel ^^^.
Darius ordonne aux Juifs de faire pour lui des vœux
au Dieu du ciel ^^\ Assuérus le nomme ainsi dans
un décret adressé à tout son empire ^^\ Nabucho-
donosor, puni de son orgueil , s'humilie devant Dieu
^^K Les habitans de Ninive le connoissoient sans
doute, puisqu'ils firent pénitence à la prédication
de Jonas, qui leur parloit de sa part ^°\ Achior chef
des Ammonites, rend témoignage du culte que les
Israélites ont toujours rendu au seul Dieu du ciel ,
et des prodiges qu'il a opérés en leur faveur ^'°>.
De là on doit conclure que si toutes ces nations
sont tombées dans l'idolâtrie, leur aveuglement à
été très-libre et très-volontaire ; Dieu leur avoit
donné assez de facilité pour le connoître et assez de
motif pour persévérer dans son culte. Les incrédules,
qui ne cessent de calomnier la providence sur ce
point , ne sont pas moins inexcusables que les
idolâtres.
(i Josuë, c. a, y. n. — (2 Jucl. c. 1, \V. 7. — - (3 3. Reg. c. 5,
jj-, ^. — (43. Ibid.c. 10, i^, 9.— (Di.Esdr.c. i. f. 2. — (6 i.
Ibid., c. 6, t, 9. — (7 Esther, c. 16, f. 16. — (8 Dan. c 4, ;^.
3i. — (9 Jonas, c. 3. — (10 Judilli, c. 5.
I
DE LA YRXIE RELIGION. 101
§x.
Ajoutons au témoignage des livres saints celui
des auteurs profanes ; il en résultera, non-seulement
que les écrivains juifs ont été bien instruits , mais
encore que le polythéisme et l'idolâtrie n'ont point
été la première religion du genre humain.
Pour commencer par les Egyptiens, nous lisons
dans Lucien , que ces peuples n'avoient ancienne-
ment point de statues ou d'idoles dans leurs temples ;
il ajoute, qu'il a vu dans la wSyrie plusieurs anciens
temples où il n'y avoit aucune image , aucune
représentation ^'\ Or , on sait que les peuples n'ont
pas été plutôt polythéistes , qu'ils ont essayé de
représenter leurs dieux , et ont rendu un cult^ à des
images. Selon Plutarque , les Thébains ne recon-
noissoient aucun dieu mortel ; ils n'admettoient
d'autre premier principe que le dieu Cneph ou
Cnuph , qui est sans commencement et n'est point
sujet à la mort ^'\ Les prêtres égyptiens , inter-
rogés par César sur le culte qu'ils rendoient aux
animaux , répondirent qu'ils adoroient en eux la
divinité dont ils étoient les symboles '■'^ Synésius
leur attribue cette même croyance ^^\ « Selon les
« Egyptiens, dit Tambliquc , le premier des dieux
« a existé seul avant tous les êtres. Il est la source
« de toute intelligence et de tout intelligible. Il
« est le premier principe , se suffisant à soi-même ^
« incompréhensible, le père de toutes les essences
« ^^\ » Ils le représentoient par un serpent à tête
d'épervier, placé au milieu d'un cercle environné
de flanmaes , ou sous la figure d'un homme , de la
(i Lucien , de Deâ Syrià. — (2 De Iside et Osiride, c. 10. —
(3 Lucain, Fharpal, 1. i. — (4 Synes. Calvitiei Encom. — (5
lambîic. de Misleriis ^gypt. Eusèbe, Prép. Eyang. L 3, c, 11.
1 02 TR.A.ITÉ
bouche duquel sortoit un œuf qui étoit le symbole
du monde ; mais on ne peut pas prouver qu'ils lui
aient rendu un culte.
Selon le fragment de Sanchoniathon , les Phé-
niciens ayoient une cosmogonie semblable à celle
de Moïse ; ils admettoient par consécpient un seul
Dieu créateur. M. de Gébelin a fait voir pai' l'ex-
plication de cet ancien monument , que le traduc-
teur grec en avoit mal rendu le sens; qu'en rame-
nant les termes à leur vraie signification , l'auteur
phénicien se trouve d'accord avec le législateur des
Hébreux ^'\
Les anciens Chaldéens faisoient profession de
croire qu'il n'y a qu'un seul premier principe de
toutes choses , existant par lui-même , plein de
bonté et de lumières ^"\
Nous verrons, dans le chap. 5, que les Chinois,
les Indiens , les Perses , ont connu , dés les premiers
temps, un seul Dieu créateur , et que cette notion
subsiste encore dans leurs livres, malgi'é l'idolâtrie
à laquelle ils sont livrés.
Les Grecs, dont la superstition a infecté tout
l'univers , n'adoroient qu'un seul Dieu dans les
premiers temps. ^L'' Boivin l'aîné l'a prouvé par les
témoignages exprès d'Anaxagore , de Stace , de
Platon , de Pronapidés précepteur d'Homère, et du
fragment de Sanchoniathon ^^\ Aristote de Mundo,
c. VI, dit que c'est une tradition ancienne, trans-
mise partout des pères aux enfans, que c'est Dieu
qui a tout fait, et que c'est lui qui conserve tout
^''>. Platon a dit la même chose en mêmes ter-
(i Allt'gor. orient, p. ii et 95. V. MJm. de l'acad. des
inscript. toQie LXI, in-i3 , p. 243. — (2 Stanley, hist. de la
Pliilos. orient. Brucker, hist. ciit. pliilos. 1. 2, c. i, § iS ,
tome I, p. \32. — (3 Mcm. de Tacad. des Ins-^rip. , tome 11, de
Thist. in-12 , p. t , et tome LVl des mi'm. p. 2. — (4 V. à la
suite d'Ocellus Lucaniis, par M. Ba lieux.
DE LA YRAJE RELIGION. 100
mes^'\ Plutarqiie assure qiie cette doctrine remonte
jusqu'aux premiers temps ; qu'elle n'est d'aucun
auteur connu ; que de tout temps elle a été com-
mune aux Grecs et aux Bai'bares ^'\ Ocellus Luca-
nus , le plus ancien philosophe dont nous ayons des
écrits , parle de Dieu comme d'une intelligence
unique et attentive aux actions des hommes ^^>.
C'étoit la doctrine traditionnelle des sages qui
l'avoient précédé.
Théophraste , dans Porphyre , dit , que la reli-
gion , dans ses commencemens, étoit fondée sur des
pratiques très-pures. On n'adoroit alors aucune
figure sensible : on n'offroit aucun sacrifice sanglant
^^'; on n'avoit pas encore inventé les noms et la
généalogie de cette foule de dieux, qui ont été
honorés dans la suite : on rendoit au premier prin-
cipe de toutes choses des hommages innocens , en
lui présentant des herbes et des fruits pour recon-
noître son souverain domaine ^^K
Hérodote nous apprend que les Pélasges , pre-
miers habitans de la Grèce , honoroient confusé-
ment des dieux qu'ils ne distinguoient point , et
auxquels ils ne donnoient point de noms ^^\ S'ils
en avoient adoré plusieurs , ils auroient été forcés
de les distinguer par des noms.
Hésiode , plus ancien que les auteurs précédens ,
fournit plusieurs preuves de la même vérité, i."
Dans la théogonie il peint Cœlus , et après lui
Saturne , comme des dieux jaloux , qui ne vouloient
point partager l'empire avec les Titans ou avec les
enfans de la terre ^^>. Apollodore dit de même au
commencement de son histoire des dieux , que
(i Plato de legib. 1. 4- — (2 Plutarque, de Iside et Osir. —
(3 Ocellus Lucanus, c. 4- — (4 Thcophraste ne pouvoit pas
savoir que les Patriarches avoient offert à Dieu des animaux. —
(5 Porpl.yr de l'abslin. animal. 1. a, u,o 25. — (6 Hérodote, 1.
2, n.oGj — (7 Thcogoa. ;^. i5G.
1 o4 TILUTÉ
Cœlus est le premier qui ait régiié sur tout V uni-
vers. 2.° Dans les travaux et les jours d'Hésiode,
nous lisons que , sous Saturne , les hommes ne
rendoient point de culte aux dieux bienheureux qui
habitent l'Olympe ' '\ 5.° Selon lui , c'est à Sicyone
que les hommes disputèrent contre les dieux pour
savoir quel culte on leur rendroit ^'\ Ayant cette
époque , le polythéisme et l'idolâtrie n*étoient donc
pas encore établis.
Sophocles a osé dire sur le théâtre d'Athènes :
« Dans la vérité il n'y a qu'un Dieu ; il n'y en a
(( qu'un qui a formé le ciel , la terre , la mer et les
(( vents. Cependant la plupart des mortels , par
« une étrange illusion , dressent des statues des
« dieux , de pierre , de cuivre , d'or et d'ivoire ,
« comme pour avoir une consolation présente
« dans leurs malheurs. Ils leur offrent des sacri-
« fices ; ils leiu' consacrent des fêtes , s'imaginant
« vainement que la piété consiste dans ces céré-
(i monies ^'\ »
A la naissance de Rome , les peuples d'Italie ne
connoissoient point encore l'idolâtrie gi'ecque à
laquelle ils se livrèrent dans la suite. Numa , légis-
lateur des Romains , leur avoit enseigné une re-
ligion plus pure. « Il leur défendit , selon Plutarque ,
« de s'imaginer que Dieu eiit la forme d'homme
« ou de béte ; et il n'y avoit parmi eux ni statue
ni aucune image de Dieu. Pendant les cent
soixante premières années , ils bâtirent des
temples et autres lieux saints : mais ils n'y mi-
rent jamais aucune figure de Dieu ni moulée ni
peinte , estimant que c'étoit un sacrilège de
représenter , par des choses périssables et ter-
restres , ce qui est éternel et divin , et qu'on
{i Travaux, elc. 1. 135. — {i Théog. i^ . 535. — (3 Eusibc,
pnppar. Iiv&iig. 1. i3 , c. i3.
DE LA VRAIE RELIGION. 100
(^ ne pouvoit s'élever à la divinité que par la
« pensée ^'\ »
Varron , cité par S. Augustin , atteste le même
fait. « Si cet usage eut toujours duré , dit-il , le
(( culte des dieux seroit plus pur. » Il le confirme
par l'exemple des Juifs ^'K
Les peuples mêmes plus occidentaux et plus
éloignés des lieux où la première tradition devoit
se conseryer ; les Gaulois , les Germains , les Bre-
tons , les autres nations du nord ne paroissent être
devenus polythéistes que par le commerce qu'ils
ont eu avec les Romains. Dans les premiers temps
où ils ont commencé à être connus , ils n'adoroient
qu'un seul être suprême. César , Pline , Tacite ,
Celse dans Origène , et d'autres écrivains , en
portent ce jugement , et on peut le confirmer par
VEdda , ancien livre des Islandois.
Parmi le grand nombre des nations , autrefois
inconnues , que les voyageurs modernes ont dé-
couvertes , il n'en est prescpie aucune chez lacpielle
ils n'aient trouvé, au milieu des ténèbres d'une
superstition grossière , des signes évidens de la
notion d'un seul Dieu suprême , quoiqu'on ne lui
rende aucun culte. Ce fait essentiel a été prouvé
par plusieurs écrivains , qu'il SCToit trop long de
copier ^^>.
Nous ne rapporterons point les témoignages des
philosophes sur l'unité de Dieu. Eusèbe , dans sa
préparation évangélique ; M. Huet , Quœstiones
alnetanœ ; Cudworth, dans son système intel-
lectuel ; M. de Burigny , dans sa théologie des
païens , les ont rassemblés. 11 nous paroît moins
(i Plutarque, vie de Numa. — (2 S. Aug. do C\v. Dei , I. 4 »
C. 3î. — . (3 Hocke, Relig.nafur. et reyelaliE priripia, tome I
in-^.o p. m. L'existence de Dieu, démontrée par les naerveilles
de la nature, 11.» Partie, p. i3, nGetsaiy.
1. 5.
106 TRVITÉ
nécessaire de connoître sur ce point l'opinion des
philosophes , que la croyance générale des peuples.
Les contradictions éternelles de toutes les sectes de
philosophie ; l'idée fausse qu'elles ont eue la plupart,
que Dieu est l'âme du monde , qu^l est le grand
tout y OU la nature entière , répand sur les textes les
plus clairs en apparence une ohscurité et un doute
qu'il n'est pas possi])le de dissiper : nous le verrons
dans le chapitre troisième.
s XI.
Il est incontestable que le dogme de l'unité de
Dieu a subsisté chez toutes les nations , avec la
coutume absurde d'en adorer plusieurs : les incré-
dules le reconnoissent aussi bien que nous; mais
ils prétendent que le polythéisme et l'idolâtrie sont
plus anciens sur la terre que la croyance d'un Dieu
suprême et unique. Cette croyance , selon eux , est
le fruit tardif des méditations humaines et des
leçons de la philosophie. Rassemblons , en peu de
mots, les preuves du contraire.
1.° Les philosophes , les historiens, les poètes,
attestent, comme les li\Tes saints , que la croyance
d'un seul Dieu , créateur et gouverneur du monde ,
est le dogme ancien , dont on ne connoît ni le
commencement ni l'auteur. Ils sont dignes de foi
sans doute ; ils touchoicnt de plus prés à l'origine
des choses , que les incrédules du dix-huitième
siècle ; l'ignorance et l'opiniâtreté de ceux-ci ne
prévaudront jamais sur la déposition constante et
unanime de toute l'antiquité.
2.° La croyance d'un Dieu suprême se trouve
chez des nations sauvages , qui n'ont eu ni rai-
sonneurs ni philosophes ; donc elles ne l'ont pas
reçue d'eux. Siu' cpioi fondés , jugerons-nous qu'ils
DE LA ^TLVIE RELIGION. IO7
l'ont introduite chez les anciens peuples , dans un
temps où ceux-ci étoient encore à demi-sauvages.
5.° La plupart des incrédules sont d'avis que
la croyance des peuples ne s'est pas formée par
le raisonnement ; qu'en fait de religion, les peuples
n'ont jamais raisonné ; que les enfans ont reçu
sans réflexion les fables et les rêveries de leurs
pères. Lorsque ces sublimes docteurs se seront
accordés , nous verrons si leur autorité peut être
de quekpie poids.
4.'' Si , après avoir adoré plusieurs dieux pen-
dant long-temps, les peuples avoient enfin dé-
couvert qu'il y a un seul Dieu suprême , sans doute
ils lui auroient rendu un culte , ils lui auroient bâti
des temples , comme ils ont fait lorsqu'ils adop-
toient un dieu nouveau. Cela n'est arrivé nulle
part ; nous défions les incrédules de citer , hors
de la Judée , un seul autel érigé sous le titre du
Dieu suprême, créateur de toutes choses. Que le
culte de plusieiurs dieux , récemment adoptés , ait
étoufïé peu à peu le culte primitif du créateur ,
cela se conçoit. Il est dans le génie de tous les
peuples d'oublier les usages simples et sensés de
l'anticpiité , pour prendre des rites plus pompeux
et plus rians ; il est natm-el que de nouvelles dévo-
tions fassent tomber les anciennes. Mais que des
nations , convaincues depuis peu de temps de
l'unité de Dieu par le raisonnement, aient con-
tinué d'adorer une foule de dieux inférieurs , sans
rendre aucun honneur au Dieu suprême ; voilà ce
que l'on ne comprendra jamais.
5.0 Lorsqu'il est question d'expliquer com-
ment les peuples ont passé du polythéisme à l'unité
de Dieu , les philosophes ne proposent cpje des
conjectures absurdes : nous le verrons dans l'article
suivant. Donc la supposition sur laquelle ils rai-
sonnent est aussi fausse que leur explication.
Iû8 TRAITÉ
6.° Au moment où l'unité de Dieu et son culte
exclusif ont été prêches à l'univers par les apôtres ,
les philosophes se sont élevés contre ce dogme avec
autant de fureur que les peuples. S'ils avoient dé-
couvert par lem's raisonnemens, que cette croyance
étoit la seule vraie , la seule raisonnable , am'oient-
ils eu autant de répugnance à l'adopter?
Quitter mie vérité qui gène les passions , pour
embrasser une erreur qui les flatte , est un chan-
gement très-aisé 5 il n'est besoin pom' cela que du
penchant de la nature : renoncer à cette erreur ,
jx)ur revenir à la vérité , c'est une conversion pour
laqueUe il faut souvent tout l'appareil de la puis-
sance divine ; les plus grands prodiges suffisent à
peine pom' l'opérer.
§XII.
Si l'on veut remonter à la source du polythéisme
et de l'idolâtrie , on sentira combien il étoit aisé à
l'esprit de mensonge d'y entraîner les peuples,
même instruits de l'unité de Dieu , c'a été l'ou-sTage
des passions humaines ; tous les vices y ont contri-
bué. L'intérêt , l'homme s'est persuadé qu'un seul
Dieu chargé du gouvernement de tout l'univers , ne
seroit pas assez attentif à ses besoins et à ses désirs ,
ni assez prompt à y pourvoir ; il a voulu préposer
un dieu particulier à chaque objet de ses vœux. La
vanité , l'esprit de propriété en est un eflét ; l'hom-
me l'a porté jusque dans la religion ; il s'est flatté
que le dieu qu'il choisissoit pour tutélaire , et au-
quel il rendoit un culte particulier, auroit plus
d'attention pour lui que pour les autres hommes ,
lui accorderoit de plus grands bienfaits. La ja-
lousie : un homme envieux de la prospérité de son
voisin , a imaginé que cet heureux mortel avoit ,
DE LA VTIAIE RELIGION. 109
|)Oiir ainsi dire , un dieu à ses gages ; il a voulu
avoir le sien. L'on trouve souvent pai'mi le peuple
des hommes rongés par la jalousie , qui attribuent
à la magie et aux sortilèges la prospérité de leurs
rivaux. Cette manière de penser s'est communiquée
aux nations entières ', les guerres fréquentes , dans
les premiers temps, ont oausé des schismes dans la
religion , et , à son tour , la différence de religion a
entretenu les haines nationales. La molesse et l'es-
prit d'indépendance : un culte public, déterminé ,
assujetti à des formules inviolables , est gênant ;
une religion domestique est plus commode , elle
s'arrange comme ont veut. La légèreté et l'incon-
stance : on veut du nouveau en fait de religion
comme en toute autre chose ; les dévotions mo-
dernes et ai'bîtraires l'emportent toujours sur ce
qui a été prescrit et praticjiié de tout temps. Le
libertinage d'esprit et la corruption du cœur : les
uns ont trouvé la religion primitive trop simple ,
les autres trop bornée ; ceux-ci ont adopté un dieu
par préférence , ceux-là un autre. Dans les temps
d'ignorance , le peuple ne manque jamais de mêler
des indécences et des absurdités dans le culte
divin ; cet abus enfante bientôt des erreurs. Le
premier qui s'avisa de déifier ses propres passions
ne tarda pas d'avoir un grand nombre d'imi-
tateurs.
Il est donc infiniment plus aisé de comprendre
comment les hommes , instruits d'abord de l'unité
de Dieu , se sont livrés au polythéisme , que de
concevoir comment ils auroient pu passer du
polythéisme à la foi d'un seul Dieu. Cette facilité
même , trop bien prouvée par l'expérience . suffit
pour nous convaincre de la nécessité d'une révé-
lation primitive.
Vainement les incrédules objectent que cette
110 TRAITE
révélation , selon nous si nécessaire , a été insuffi-
sante et inutile , puisque l'homme s'est égaré si
prom})tement après l'avoir reçue. Aveugles rai-
sonneurs ! La raison a été aussi inutile ; l'homme
-ne l'a point écoutée : la philosophie a été imjmis-
sante ; elle n'a corrigé aucune nation ; elle a été
pernicieuse , puiscpi'elle a conlirmé toutes les
erreurs et. en a forgé de nouvelles. S'ensuit-il
que Dieu ne devoit accorder à l'homme ni rai-
son , ni philosophie , ni secours naturels , ni
moyens surnatm'els ? Tout est inutile à l'homme
opiniâtrement aveugle et pervers ; aucun secours
n'enchaine sa liberté , et ne lui ôte le pouvoir de
se perdre. ^lais lors même que Dieu prévoit l'al^us
futm' de ses dons , il n'est pas moins de sa sagesse
et de sa providence de lesrépandi'e : l'homme pour
lors ne peut attribuer qu'à soi-même sa faute et
son malheur.
On demandera peut-être : Si tous les peuples ,
au milieu des ténèbres du polythéisme , ont néan-
moins conservé la notion d'un Dieu suprême , en
quoi consiste le crime des idolâtres ?
Nous répondrons avec S, Paul , qu'il consiste
en ce qnai/cuit coimu Dieu , ils ne l'ont pas
glorifié comme Dieu ^'\ i.° Ils ne lui ont rendu
aucun culte ; ils ont oftert leur encens aux astres ,
aux élémens , à toutes les parties de la nature ,
ou aux prétendus génies dont on les supposoit
animés ">'> : nous prouverons dans la suite , -que
ce culte insensé ne pouvoit se rapporter à Dieu.
2.° Ils n'ont point reconnu sa providence ; ils
ont pensé que Dieu , oisif et content de sa propre
félicité, abandonnoit le soin de l'univers à des
génies, démons, ou intelligences inférieures ; c'est
fi Fom. c. I, j^. 21. — (a Mttu. de l'acad. des inscr. îorn.
LXli , in-ia. ^i. 3G4 tl suiv.
DE LA YBATE RELIGION. 111
à celles-ci qu'ils ont adressé tous leurs hommages.
NouVel outrage à la divinité. Conséquemment les
philosophes ont enseigné qu'il ne lalioit point
rendi'c de culte au Dieu suprême ; mais seulement
aux dieux secondaires *•'>. 5.^ Ils ont encore dé-
gradé la nature divine , en l'attribuant à des êtres
qu'ils croyoient sujets à tous les vices et à toutes
les passions humaines. Pour justifier leurs propres
foiblesses , ils ont osé les encenser dans ces dieux
imaginaires qu'ils s'étoient formés. 4.° Ils ont
prétendu honorer la divinité par un culte purement
extérieur, sans aucun acte de vertu , par des céré-
monies bizarres et absurdes , souvent par des cri-
mes ; ce qui est le comble de l'aveuglement et
de la corruption.
Dieu avoit suffisamment prévenu ce désordre ,
en révélant à notre premier père une religion pure ,
qui devoit se perpétuer parmi ses descendans. Ceux
qui en ont secoué le joug dans la suite , pour s'en
faire une plus conforme à leurs désirs , sont seuls
responsables de tous les maux qui se sont ensuivis.
ARTICLE IL
LA RELIGION EST-ELLE UN EFFET DE L IGNORANCE
ET DE LA CRAINTE DES PIŒMIERS HOBBIES ?.
§1.
Ju 'origine de la Religion , telle que nous venons
de l'exposer, étoit trop respectable pour être goûtée
par les incrédules ; ils lui en ont cherche i;ne qui
(i Porphyre de fabst. 1. 2 , n.° 34 , 3;.
1 1 2 TRAITE
s'accorde mieux avec leur dessein , qui est d'avilir
ce sentiment et de le faire envisager comme une
foiblesse dont un bomnie instruit doit rougir.
Frappés de l'unanimité de tous les peuples à pro-
fesser une religion , obligés d'assigner la cause de ce
pbénomène, ils ont cru la trouver dans les passions
les plus abjectes du cœur humain. La crainte , di-
sent-ils , que durent inspirer aux hommes , encore
sauvages , les difiérentes opérations de la nature ,
et l'ignorance des causes physiques , leur ont fait
croire que toutes les parties de l'univers étoient
animées par des génies ou intelligences supérieures
à l'homme , qui distribuoient à leur gré les biens et
les maux. L'on a cru cju'il falloit gagner leur bien-
veillance et les appaiser par des respects et par des
offrandes. Telle est , selon les incrédules anciens et
modernes, l'origine de la religion chez tous les
peuples ^'^ ; d'où ils concluent que le polythéisme a
été la première croyance , et l'idolâtrie le premier
(^Ite. Tous ont regardé cette maxime d'un aincien
poète : Primus in orbe deos fecit timcr , comme
un principe incontestable. Pour l'établir, M. Hume
a fait V histoire naturelle de la religion; cet ou-
vrage a été solidement réfuté ^''"^ : nous abrégerons ^
autant qu'il sera possible, les réflexions qui démon-
trent la fausseté de sa théorie.
Lorsqu'il est c[uestion d'un fait , c'est par l'his-
toire , et non par des conjectures , qu'il faut l'éta-
blir. De simples probabilités peuvent nous éblouir ,
(i Lucrèce, 1. ï, ^. i52. L. 5, ;^. 83, 1182, 1217. Spinosa,
préface du Traité theologico-polit. Hobbes, Lévialhan, I part,
c. 12. Fables des abeilles , tome IV, p. 20. Lettre de Trasibule,
p. 161. Emile, tome II , p. 3 16. Syst. de la nat. H. part. c. i.
Dict. philos. Idolâtrie, Religion. Le bon sens, ^10. 110, ii3,
i83. Lucvclop. art. Japonois, etc. Hist. des établiss. des Europ.
dans les Indes , tome VII , c. t. — (2 Examen de Thist. natur,
de la relig. Le'land, nouv. démons tr. Ev. lome I , c. 2 , p. 66^
DE LA VILVrE RELIGION. 110
et nous trompent presque toujours; vingt raison-
nemens ne feront jamais que ce cpii est ne soit pas.
Il est ridicule pour les philosophes de forger des
événemens , afin de les faire cadrer ayec leurs opi-
nions, au lieu de prendre les faits certains pour
base des systèmes de philosophie. Par -là ils s'épar-
gnent la peine de consulter les monumens \ mais ils
nous donnent leurs rêves au lieu d'histoire.
« C'est un fait incontestable, dit jM. Hume,
« qu'en remontant au-delà d'environ 1700 ans,
« on trouve tout le genre humain idolâtre ; et plus
(( nous perçons dans l'antiquité , plus nous voyons
« les hommes plongés dans l'idolâtrie. » Ce n'est
pas la peine, selon lui , d'excepter une ou deux na-
tions tout au plus, dont le théisme n'étoit pas
assez épuré ^'\ Il pense donc que les premiers
adorateurs d'un seul Dieu , qui méritent d'être
comptés , sont les chrétiens ; c'est J.-C. qui a
enseigné le premier qu'il n'y a qu'un seul Dieu ,
créateur et souverain maître de l'univers.
Nous avons solidement prouvé le fait contraire.
M. Hume se trouve ici aux prises avec la fouie des
déistes , qui , pour combattre la nécessité de la
révélation , soutiennent que le pur théisme a été
noi>-seulement la plus ancienne religion de l'uni-
vers, mais la religion de tous les sages , dans tous
les siècles et chez toutes les nations ; qu'au milieu
des fables et des superstitions de l'idolâtrie , on
retrouve toujours la notion d'un Dieu suprême,
dont les divinités inférieures n'étoient que les
agens et les ministres ^'>. Si M. Hume objecte que
ce théisme n'étoit pas assez épuré , les déistes
(iHist. nat. de la religion, n.o i , p. 4. — (2 Cherbury, de
relig. gentiliura. Philos, de Tliist. c. 3o, p.i38. F.XTmtn iai-
porlant de Bolingbr. Proèm. Dict. philos, art. Idolâtrie. Exa-
men ciit. des apol. de la relig. chict. c. 9.
1 1 tt TfLUTE
répliqueront qu'il étoit aussi pur qu'il le fal-
loit.
En attendant que nos adversaires se soient
accordes , nous observerons qu'avant les Chré-
tiens , les Juifs étoient théistes décidés ; la doctrine
de l'unité de Dieu , créateur et seul maître de
l'univers , est consacrée dans tous leurs li^Tes.
Ce théisme étoit très - épuré , puisque c'est le
même que J.-C. a prêché. La loi juive inspire
la plus grande horreur pour le culte des idoles ,
même pour la plus légère apparence de ce culte.
Il n'est pas possible d'en disconvenir.
Nous avouons que le théisme des philosophes
n'a jamais été épuré, puisque, sous le nom de
Dieu , ils entendoient l'dme du monde ; mais cette
doctrine philosophicpie n'étoit ni celle des pa-
triarches , ni celle de Moïse , ni celle des nations
qui n'ont point eu de philosophes.
M. Hume soutient que tous les vieux monumens
nous présentent le polythéisme , comme la doctrine
établie et publiquement reçue. Mais quels sont ces
vieux monumens ? Il n'en a cité aucun. Les plus
anciens monumens de l'histoire grecque , les
poètes , les philosophes , les mythologues , les
historiens, attestent que, chez les Egj-ptiens , les
Phéniciens , les Perses , les Chaldéens , les Grecs
et les Romains , le polythéisme avoit été pré-
cédé par une croyance plus raisonnable , par le
culte d'un seul Dieu.
Il convient que la doctrine cpii établit un seul
Dieu suprême , créateur du l'univers , est fort an-
cienne , qu'elle s'est répandue dans des pays vastes
et fort peuplés ^*\ Seroit-elle fort ancienne , si
elle ne rcmontoit pas au-delà de dix-sei)t cents
ans ?
(i Ilist. natur. de la Relig. n." 6, p. ^q.
DE L\ VR.VIE RELIGION. 11 D
L'histoire de Moïse , qu'il a dédaigné de consul-
ter, méritoit quelque attention ; c'est un vieux
monujnent y et le plus vieux que nous connoissions.
Quand on ne le considérer oit que comme une pro-
duction humaine , la narration y est plus exacte ,
plus suivie , plus sensée , mieux appuyée , et re-
monte plus haut que toutes les histoires profanes.
Elle nous atteste que la religion du premier
homme , et de ses descendans immédiats , fut le
pur tliéisme , qui , de l'aveu de M. Hume , est la
seule croyance raisonnable qu'il y ait sur cette
matière. Ce phénomène a-t-il pu pai'oître indif-
férent à un philosophe , qui prétend découvrir les
])remières idées que les hommes se sont formées
de la divinité ?
S IL
M. Hume a voulu fonder sa théorie , non srr
l'histoire , mais sur des raisonnemens : seront-ils
assez forts pour détruire \es faits et les témoignages
que nous lui opposons ?
Pour peu , dit-il , que l'on médite sur les progrés
naturels de nos connoissances , on sera persuadé
que la multitude ignorante devoit se former d'abord
des idées bien basses et bien grossières d'un pou-
voir supérieur. Comment veut-on qu'elle se soit
élevée tout d'un coup à la notion de l'être tout
parfait , cfui a mis de l'ordre et de la régularité dans
toutes les parties de la nature ? Croira-t-on cjne
les hommes se soient représenté la divinité comme
un esprit pur , comme un être tout sage , tout puis-
sant , immense , avant de se la représenter comme
un pouvoir borné , avec des passions , des appétits,
des organes mémessend)lables aux nôtres? J'aime-
rois autant croire que les palais ont été connus
1 1 b TRAITE
avant les chaumières , et que la géométrie a pré-
cédé l'agriculture. 11 seroit al^surde de supposer
que les hommes ont découvert la vérité , pendant
qu'ils étoient ignorans et barbares ; qu'aussitôt
qu'ils ont commencé à s'instruire , ils sont tombés
dans l'erreur ^'\
Réponse. M. Hume commence par supposer ce
qui est en question. Il s'agit de savoir si l'homme a
été créé ignorant et barbare, n Dieu l'a abandonné
à ses propres forces , ou plutôt à sa foiblesse , sans
daigner l'instruire. Dans cette hypothèse , nous
convenons qu'il se seroit perfectionné très-lente-
ment ; plusieurs siècles se seroient écoulés avant
qu'il put s'élever jusqu'à l'origine de son être.
Mais M. Hume détruit lui - même sa propre
Supposition. Il reconnoît que Tunivers, par con-
sécpient l'homme , est l'ouvrage de Dieu. Il dit
que cette croyance , inséparable de la nature hu-
maine, est une marque que le divin ouvrier a
imipHméà son ouvrage ^'^. Dieu a-t-il pu imprimer
cette marque à l'homme , et le laisser dans la
cfriîelle nécessité de l'eflacer par la grossièreté de
ses idées? L'homme a-t-il pu conserver la notion
d'un Dieu créateur , sans y attacher celle de toute
puissance et de toute perfection ?
Plus notre philosophe a employé d'élocpience à
développer la marche des idées populaires et gros-
sières qui ont plongé l'homme dans l'idolâtrie , le
penchant presqu'invincible qui l'y a prcci{)ité ,
mieux il nous fait sentir combien il étoit nécessaire
que Dieu donnât une révélation pour prévenir cet
aveuglement ; mieux il a prouvé que le théisme des
premiers hommes n'a point été l'ouvrage de leurs
réflexions , mais un don du créateur. Le palais a
(i Hist. nat. (le la rvW^. n." t. p. 5 et 6. Emile, tome II, p.
3l:f. — (2 Ilist. uat. de la nlig. n." j5 5 p. 12S, i3i.
DE LA ^TIAIE RELIGION'. IJ7
tlonc été connu avant les chaumières ; mais l'hom-
me n'en a point été l'architecte ; c'est Dieu seul.
L'homme n'est point tombé dans l'erreur aussitôt
qu'il a commencé à s'instruire , mais aussitôt
qu'il a négligé les moyens d'instruction que Dieu
lui avoit donnés, savoir : la tradition primitive,
les leçons de ses pères , les pratiques extérieures de
religion.
Votre raisonnement prouve trop , dira, peut-être .
M. Hume ; il s'ensuivroit que Dieu n'a pas pu laisser
tomber tous les peuples dans l'idolâtrie : ils s'y sont
plongés néanmoins , le fait est incontestable. Que
cela soit arrivé un peu plutôt ou un peu plus tard ,
cela est égal ; la providence n'est pas mieux justifiée
dans un de ces cas que dans l'autre.
Réponse. La diÔérence est infinie. Selon M.*
Hume, le genre humain est tombé d'abord dans
l'idolâtrie par nécessité, par impuissance de faire
mieux, paixe que Dieu l'a abandonné à lui-même,
parce que des raisonnemens abstraits sur la natiu:e
des êtres et sur l'ordre des choses , étoient au-dessus
de sa portée. Selon nous , il y est tombé par sa faute;
Dieu s'étoit révélé au premier homme et à ses
enfans , ils dévoient transmettre la religion à leur
postérité; Dieu d'ailleurs avoit imprimé le sceau de
sa puissance et de sa sagesse à toutes les parties de
l'univers.
Pour devenir idolâtre, il a fallu que l'homme
fermât les yeux sur la tradition primitive, sur les
pratiques journalières du culte divin , sur le tableau
de l'univers , et refusât d'écouter la voix de sa
propre conscience. Il n'avoit point été créé igno-
rant et barbare , il l'est devenu par sa faute ; ainsi
nous l'attestent les livres saints et l'histoire pro-
fane. La providence est donc justifiée; l'idolâtrie
fut un crime , et non un effet de la nécessité.
Il8 TR-UTÉ
§ III.
M/ Hume soutient que cela est impossible; c'est
son second argument. Selon lui . il ne se peut pas
faire que l'homme ait passé du théisme à l'idolâtrie.
Les mêmes raisonnemens, dit-il, qui lui ont per-
suadé l'existence de TEtre suprême , et qui ont
répandu cette opinion , dévoient encore plus aisé-
ment la conserver. Il est infiniment plus difficile
de découvrir et de prouver une vérité, que delà
maintenir lorsqu'elle est découverte et prouvée ^^K
Réponse. Il y a dans ce raisonnement deux péti-
tions de principe et une contradiction i.°M/ Hume
dit ailleurs , que les hommes tendent naturellement
à passer de l'idolâtrie au théisme, et du théisme à
r idolâtrie ^'^ : de quelque mamiére que le théisme
ait été d'abord établi , il a donc pu dégénérer en
idolâtrie, nous avons fait voir que ce passage étoit
fort aisé , et que toutes les passions y ont contribué.
2.° jM.'^ Hume suppose que les hommes ont ac-
quis la connoissance d'un seul Dieu par la voie du
raisonnement ; nous avons prouvé que c'est par
révélation. Celle-ci devoit serA'ir sans doute à
éclairer le raisonnement ; et le raisonnement à son
tour devoit confirmer la révélation. L'homme ce-
j>endant a pu abuser de ce double secours, puisqu'il
l'a fait. Quelque éclatante que soit la lumière natu-
relle ou surnaturelle accordée à l'homme , il peut
toujours y résister et suivre le mouvement de ses
passions. Ce phénomène seroit peut-être incroyable,
si nous n'en étions pas témoins tous les jours. Mal-
gré la voix de la nature, malgré le flambeau de la
révélation, il y a parmi nous des athées: est-il
(i Hist. natur. de la relig. n.o i, p. io. — (a Ibid. n.» 8, p,
63. Encyd. art. Japonais,
DK LA VRAIE RELIGION. lig
étonnant que, malgré les mêmes guides, il y ait
eu des idolâtres? je soutiens que ceux-ci sont plus
pardonnables que les premiers.
S.'^ }>lJ Hume suppose, qu'au milieu de Fidolâtrie,
l'opinion de l'existence de l'Etre suprême ne s'est
pas conservée : nous avons fait voir qu'on la re-
trouve chez toutes les nations, et nous le prouverons
encore ailleurs.
Ce seroit perdre le temps , que de suivre plus en
détail la théorie de M.' Hume, ce sont toujours
les mêmes argumens ressassés : dés qu'ils sont
contraires à des faits incontestables et à ses propres
réflexions , ils ne méritent plus un examen sérieux.
§ IV.
Une seconde question qui a excité sa curiosité ,
est de savoir comment, au milieu d'un polythéisme
universel , la croyance d'un Dieu unique a pu s'é-
tablir. Ce problème est fort aisé à résoudre par
l'histoire sainte. Dieu avoit enseigné lui-même cette
doctrine à nos premiers pères ; il l'a conservée chez
les patriarches , il l'a renouvelée chez les Juifs ; on
en trouve des vestiges chez toutes les nations. Jésus-
Christ l'a fait annoncer dans la plus grande partie
du monde par ses apôtres ; ils l'ont établie malgré
la résistance opiniâtre des philosophes et des peu-
ples ; elle ne subsiste dans sa pureté que chez les
nations éclairées par l'évangile. Telle est en deux
mots l'histoire de la naissance et de la propagation
de cette croyance , la seule vraie , la seule rai-
sonnable , comme M."" Hume le reconnoît.
Mais il n'a pas voulu sui^Te une théorie si simple.
« Une nation idolâtre, dit-il , du nombre des dieux
« qu'elle adore, en choisit un qu'elle met au pre-
« mier rang; on flatte ce dieu, on le courtise , on
T20 TRAITE
« exalte ses attributs; c'est à qui renchérira sur
« ses titres; l'idée qu'on s'en forme s'agrandit de
« jour en jour : à la fin, enivré d'éloges et d'encens.
« à force d'exagérations et de pieuses hyperboles.
« ce dieu devient l'être suprême , l'être infini ,
« l'être par excellence ; le créateur et le maître de
« l'univers '\ »
Réponse. Pourroit-on citer l'exemple d'une na-
tion , d'une société , d'un seul particulier , qui , par
cette route, soit parvenu à la notion d'un Dieu
unique et souverain? Est-ce ainsi que s'est formé
le théisme des anciens philosophes , celui des Juifs
ou celui des Chrétiens ? Il n'est point ici question
de raisonner en l'air , mais de citer des faits.
1." ^iJ Hume suppose donc cju'à force de pieuses
hyperboles , le peuple peut parvenir à se former les
idées abstraites à' infinité, de simplicité, de spiri-
tualité , de souveraine perfection , de création , etc.
Cependant il est parti d'abord de la supposition
contraire. Mais si le peuple peut aller jusques-là ,
ne lui seroit-il pas encore plus aisé de concevoir
tout d'un coup l'absurdité du polythéisme, déjuger
que l'ordie et le dessein de l'univers n'ont pu venir
cjue d'une seule cause intelligente et sage?
On dira sans doute que , chez les Romains , Ju-
piter étoit ainsi devenu le dieu suprême, le seul
optimus maximus (et ce sera une erreur) ; malgré
ce titre pompeux, Jupiter, dans l'esprit du peui)le,
n'en étoit pas moins le fils de Saturne , le mari de
Junon , le taureau d'Europe , le cigne de Léda ; le
culte des autres divinités ne subsistoit pas moins.-
On a ti'ouvé dans les Alpes l'inscription, Deo Pe-
nino optinio maximo : le dieu Peninus étoit-il le
dieu souverain? Jamais le peuple romain n'a rêvé
que Jupiter eut créé le ciel et la terre, «t fût le seul
(i Hist. natal", dç la relig. n.» G , p. 53.
DE I.V TRAIE RELIGIOX. 1 2 i
maître de l'univers; il adoroit Neptune, comme
dieu souverain des mers ; Pluton , comme dieu des
enfers; Vulcain, comme auteur du feu, etc Les
fêtes de Jupiter ne sont pas les plus célèbres ni les
plus magnifiques dans le calendrier des Romains.
2." Si la flatterie et la vanité eussent engagé les
Romains à faire un choix entre leurs divinités , il
est à présumer qu'ils auroient préféré Quirinus ou
un autre dieu indigéte, à Jupiter qu'ils aboient
emprunté des Grecs. Il en est de même des autres
nations.
5.° Si les peu})les polytliéistes étoient parvenus,
par réflexion ou j)ar adulation, à reconnoître un
seul dieu suprême, ils lui auroient rendu, ou un
culte exclusif, ou un culte principal et diflérent de
celui qu'ils rendoient aux divinités secondaires.
Il seroit absurde qu'un dieu qui seroit honoré
lorsqu'on lui supposoit des égaux , cessât de l'être
au moment où il est devenu le dieu suprême. Or ,
la plupart des nations idolâtres, anciennes ou mo-
dernes , qui ont eu une idée confuse d'un Dieu
souverain , ne lui ont rendu aucun culte ; elles ont
supposé qu^il se déchargeoit du soin de l'univers
sur des dieux subalternes, et c'est à ceux-ci qu'elles
ont borné leurs hommages. Donc il est faux que
ces nations aient acquis l'idée d'un Dieu suprême
par la voie que M.^ Hume imagine.
Par une autre bizarrerie, il aflécte souvent de pein-
dre le polythéisme comme une religion plus douce ,
plus sociale, plus propre à relever le courage, su-
jette à moins d'absurdités que le théisme; quoique,
de son propre aveu , celui-ci soit la seule croyance
raisonnable. Ainsi , selon lui , la folie est plus soci-
able et plus utile que la raison ; mais aucune con-
tradiction ne l'étonné. Tantôt il dit que l'idolâtrie
bannit tout sentiment d'humanité , tantôt qu'il n'y
1. 6
t22 TRAITE
a rien de plus tolérant qiie l'idolâtrie. Quelquefois
la superstition lui pai'oit commode et riante; d'au-
tres fois , il la trouve chagrine , insupportable ,
enfantée par la crainte et la stupidité. Ici il re-
présente la mythologie païenne comme remplie
d'absurdités ; là , elle lui semble tout-à-fait plau-
sible ; il n'y voit point de contradiction formelle.
Rien de constant , rien de suivi dans les idées de ce
sophiste , que sa haine contre la vraie religion.
§ V.
L'auteur du système de la nature a fait tous ses
efforts pour établir la même opinion que ^Ij Hume.
Selon lui, s'il n'existoit point de mal dans le monde,
riiomme n'auroit jamais pensé à la divinité. Ce
sont les besoins continuels , l'inclémence des sai-
sons, les disettes, les contagions, les accidens, les
maladies, qui l'ont rendu religieux. L'ignorance
des causes naturelles lui fait regarder avec éton-
nement et avec frayeur les phénomènes les j^lus
simples; à plus forte raison, les con^-ultions de la
nature, telles que les inondations , les tremblemens
de terre, les volcans j il les attribue à des agens
invisibles, doués d'un pouvoir supérieur, et souvent
appliqués à troubler sa félicité. C'est donc dans le
sein de l'ignorance, des alarmes et des malheurs
que les hommes ont puisé les premières notions de
la divinité. Telle est l'opinion de tous les maté-
rialistes '\
Réponse. Oublions pour un moment les preuves
que nous avons données de la véritable origine de
!a reli<^ion; et avant de réfuter les vaines spécu-
f-i Syst. de la nat. H. T^rt. c. \. Le bon sens , § lo et suir.
Ili'^t des établiss. des Europ. dans les Iodes, tome III ,1-8,
i>. 3o2.
DE LA VRAIE RELIGION. 123
latioiis de nos adversaires , voyons les conséquences
cjue l'on en peut tirer.
Il s'ensuit , i.° que le dessein formé par les
incrédules de détruire la religion . d'eflacer parmi
les hommes l'idée de Dieu , est le projet le plus
chimérique et le plus insensé que l'esprit hmnain ait
pu concevoir. Pour l'exécuter, il faudroit changer
la nature de l'homme, étouÔér en lui le sentiment
de ses besoins et de ses maux , lui ôter le rai-
sonnement et la réflexion. Tant cju'il verra dans
l'univers des phénomènes capables de l'étonner ou
de l'affliger , de le réjouir ou de l'efîrayer , il ne
manquera pas de les attribuer à un dieu. « Les
« anciennes révolutions de la terre , disent les
<( athées , ont fait naître les premiers dieux : de
« nouvelles révolutions en produiroient de nou-
« veaux , si les anciens venoient à s'oublier ^'\ »
C'est donc un trait , non-seulement de folie , mais
encore de cruauté, de vouloir ôter à l'homme le
seul sujet de consolation qu'il ait dans les maux
dont il est assailli. Aussi long-temps cfue l'univers
sera le même , et que l'homme sera raisonnable . il
comprendra que les phénomènes de la natiu-e ne
peuvent être produits que par l'action d'une pre-
mière cause intelligente , puissante , attentive .
occupée à la gouverner.
Il s'ensuit 2.° que l'on chercheroit vainement
sur la terre un peuple sans religion. Selon ro])iMioii
des incrédules , plus les hommes sont grossiers .
ignorans , barbares , malhem'eux , plus ils sont
déterminés à supposer dans la nature des agens
supériem\s qui distribuent les biens et les maux ,
dont il est important de gagner la bienveillance
et d'appaiser la colère , auxquels on ne peut se
Syst- de la nat. II. jart. c. 10 , p. 3i;. Coi:lazicn sacrée c
14, p. 146.
12^ TRAITE
dispenser de rendre un culte et des hommages. Les
sentimens de religion doivent donc être plus vifs ,
l)lus continuels , plus ineÔaçables chez les nations
sauvages, que parmi les peuples policés. Nous ver-
rons dans un moment si cela est vrai.
Il s'ensuit, S.*' que la religion n'est point un effet
de la fourberie des prêtres, ni de la politique des
législateurs, comme les incrédules le prétendent.
Elle est née, selon eux, chez les hommes encore
sauvages et ignorans, avant qu'ils eussent été ins-
truits par d'autres hommes ; la misère , la crainte ,
le désespoir , ont été leurs premiers maîtres. C'est
ainsi que nos adversaires se percent de leurs pro-
pres traits.
s VI.
Mais il y a des preuves plus positives de la faus-
seté de leur théorie.
En premier lieu, si la croyance d'une divinité
étoit l'effet de l'ignorance ou de la crainte des
liommes encore sauvages , celte notion auroit dii
s'affoiblir par degrés , ou s'évanouir à mesure que
les peuples sont devenus policés et instruits ; il y
auroit moins de religion chez les peuples civilisés
que chez les nations barbares. Nous voyons tout le
contraire. Lorsque les hommes passent de l'état de
barbarie à l'état de société , la religion , loin de
s'affoiblir , acquiert de nouvelles forces , reçoit une
forme constante , prend un extérieur plus pom^
peux, devient partie de la législation.
En second lieu , sur quel fondement les incré-
dules attribuent-ils les notions religieuses à la
tristesse et à la terreur, plutôt qu'à l'admiration
et à la reconnoissance ? C'est , disent-ils, que les
passions tristes , la crainte . la douleur , la défiance ,
1
DE LA MIAIE RELIGION. 12.)
nous font plus souvent fléchir les genoux que les
passions agréables; les hommes deviennent plus
superstitieux, à mesure qu'ils éprouvent un plus
grand nombre d'accidens dans le cours de la
vie ^'\
Nous convenons que les athées commencent à
croire en Dieu , lorsqu'ils ont la fièvi'e ; mais il ne
s'ensuit pas qu'il en soit de même de tous les
croyans. L'homme , ordinairement dur , injuste ,
insolent dans la prospérité , devient humain ,
compatissant, modeste, dans le malheur ; s'ensuit-
il que ces sentimens naissent des passions tristes ,
et non de la nature ou de la raison ? Voilà les so-
{)hismes sur lescfuels nos adversaires prennent le
droit d'insulter à la religion.
En troisième lieu , quand les religions fausses et
ia superstition seroient filles des passions tristes ^
en est-il de même de la religion vraie ? La vérité
ne peut venir de la même source que l'erreur. Nous
soutenons que l'idolâtrie même, avec toutes ses
superstitions , est venue plutôt de la connoissance
et de l'admiration , cpie de la tristesse et de la
crainte. La preuve sera un peu longue ; mais on ne
sauroit mettre dans un trop grand jour l'ignorance
affectée et Ja prévention des incrédules.
§ VIL
1." Selon les historiens sacrés et profanes, la
plus ancienne idolâtrie est le culte des astres et des
élémens , parce que l'on a cru que ces divers êtres
étoient animés. Quels fléaux , quels malheurs les
hommes ont-ils éprouvés de la part des astres? Il
est évident que l'admiration et la reconnoissancc
(i lîiiiue, List, natur. de hx rilig n." 3, p. 2Q, 20.
126
TRAITE
ont dicté les hommages qu'on leur a rendus. On
peut s'en convaincre par les hymnes que les anciens
poètes ont composés à l'honneiu- du soleil et de la
lune. Homère , Orphée . Callimaque , et d'autres ,
ont célébré leurs bienfaits. ÎNIoïse. Job, l'auteur du
livre de la sagesse, en proscrivant ce culte , sup-
posent qu'il étoit in.spiré par l'admiration ^'\
2.° Platon, les stoïciens et presque tous les
})hilosophes pensoient que les astres étoient vivans
et animés ^'\ Ce n'est ni la frayeur ni la tristesse
qui leur avoient donné cette idée ; elle étoit bien
plus pardonnable aux peuples grossiers. De là est
venue l'adoration des astres.
Il en est de même du culte des élémens. L'homme
sans doute les envisagea d'abord dans leur état or-
dinaire : or , dans cet état . ils servent à son usage ,
à sa conservation , à son bien-être , beaucoup plus
cpi'à sa destruction. L'air lui est nécessaire pour
respirer , le feu pour le chauffer , l'eau pour le dé-
saltérer , la terre lui fournit des alimens. S'il leur a
rendu un culte , c'est donc par reconnoissance des
avantages qu'il en tiroit. Si les livres saints ont si
souvent répété que Dieu a ûiit pour l'homme les
différentes pairties de la nature , c'étoit afin de
jirévenir l'erreur des peuples qui ont adoré tous ces
êtres , après avoir oublié le créateur.
5.° Est-ce la crainte et non la reconnoissance
qui a fait déifier les héros , les hommes célèbres qui
avoient rendu de grands services à leurs sembla-
bles? Méconnoitre l'origine de cette apothéose ,
c'est calomnier gTatuitement le genre humain. Si
f'i es un Dieu , disoient les Scythes à Alexandre;
/// dois faire du bien aux honunes ^ et non pas leur
(i Deut. c. 4, t, 19. Job, c. 3i , f. 26. et 27. Sap c. i3. —
(a Cic. de nat. deor. I. 2, n.° 3c), 42. Mcni fl • lacad. d:3 ius.
tonieXLII, iu-ia, ji. iSi. Tome LVI, p. 4^-
DE LA VILilE RELIGION. 12/
vfer ce qu ils possèdent ^'\ Les Scythes , sans être
])liilosophes , comprenoient qiie le pro])re de la
divinité est de répandre des bienfaits , d'inspirer
l'amour , et non la crainte.
4.° Pai^mi la multitude des divinités, chantées
})ar Hésiode et par Homère, il n'y en a pas la
dixième partie que l'on puisse regarder connne des
êtres malfaisans par leur nature. L'épithète ordi-
naire qu'ils leur donnent est celle de bienfaiteurs :
DU datores bonontm. Le nom de Pater , donné à
la plupart des dieux ; celui de Mater , attribué aux
déesses , ne sont certainement pas des signes de
irayeur ni de défiance.
5.° Les fêtes et les assemblées religieuses , dans
les premiers temps , et chez toutes les nations , loin
d'avoir rien de lugubre , annonçoient plutôt la re-
connoiss^ce et la joie; elles se passoient en festins,
en danses , en canticpies analogues à la grossièreté
de ces temps-là. Nous ne connoissons point de
fêtes anciennes dont un événement funeste ait été
l'objet. Celles des Grecs et des Romains n'avoient
[)oint pour but de retracer la mémoire des anciens
malheurs , mais plutôt de retracer des événemens
heureux. On peut s'en convaincre par les fastes
d'Ovide et par leli^Te deMeursius , sur les fêtes des
(irecs. Le deuil , la tristesse, la crainte , n'étoient
assurément pas les sentimens dominans dans les
fêtes de Gérés, de Bacchus et de Vénus ^'\
L'auteur de l'antiquité dévoilée par ses usages a
soutenu le contraire ; mais la plupart des raisons
qu'il allègue se tournent en preuves contre lui ^^>.
Ces fêtes étoient relatives aux travaux du labou-
rage ; on les célébroit après les semailles , après les
fi Quiute-Curce, 1. 7, c 8. Bayle,dict. crit. Périclès, R.—
(0. V. ITiist. du calendrier, p. 2i5 et suiv. — (3 Atitiq. lié-
voile'e, 1. 2, G. 1.
128 TRAITÉ
moissons , après les vendanges : donc elles avoient
rapport aux bienfaits de la divinité. Les premières
assemblées des hommes encore sauvages ont été
formées par la religion. Or , ce n'est ni la tristesse
ni la crainte, qui rassemblent les hommes , c'est la
joie. Les fêtes avoient si peu de rapport aux mal-
heurs du genre humain , que , chez les Romains,
festus et fesiiciis signifioient heureux ou agréable ,
et infestus , mallieureux.
6.° Par les offrandes que l'on faisoit aux dieux ,
par les sacrifices , on se proposoit de gagner leur
bienveillance , de leur rendre grâce de leurs dons ,
d'en obtenir de nouveaux ; ces sacrifices étoient
suivis d'un repas , où l'on se li>Toit à la joie. Ceux
mêmes qui avoient pour objet l'expiation du péché ^
apprenoient aux hommes que la divinité est portée
à la clémence , qu'elle se laisse toucher par les
hommages et par le repentir de ceux qui l'ont
offensée. La maxime dominante du paganisme
étoit que les dieux comblent de biens leurs ado-
rateurs , et punissent les impies ^'\ On les regar-
doit donc en général comme des maîtres sensibles
au culte des hommes, et non comme des tjTans,
toujours enclins à faire du mal. Plutarque , dans un
traité contre les épicuriens "^ , fait un détail très-
ample des consolations et des plaisirs que procuroit
aux hommes le culte des dieux \ il le fait envisager
comme une des princii)ales sources du bonheur de
la vie.
7.° S'il y a dans l'univers une religion grossière,
et digne d\in peuple stupide , c'est le culte que les
nègres rendent à leurs fétiches. Ils honorent sou-
vent une pierre , une fleur , un arbre , une souris ,
un insecte : est-ce parce qu'ils les regardent comme
(i Hésiode, travaux. L. 336. — (a Que l'on ce peut vivre
heureux, eu suivant Epicure, u.» 20 tl -ai.
DE LA VRAIE IIELIGION. 12()
des êtres plus puissans qu'eux , et en état de leur
faire du mal ? Rien moins. Ils se persuadent qu'en
vertu de la consécration de leurs prêtres , un cail-
lou , une fleur , un bouquet de plumes , deviennent
pour eux le gage de la présence et de la protection
des génies invisibles, qu'ils regardent comme leurs
dieux. Ces espèces d'amulettes sont donc pour eux
un objet de confiance , et non de crainte. S'ils pen-
soient que leurs dieux sont des êtres malfaisans , ils
ne les croiroient pas disposés à répandi'e des biens
à si bon marché.
Que Ton envisage le paganisme de quel côté l'on
voudra, dans son objet, dans ses dogmes , dans ses
pratiques , dans ses fables , on n'y verra point cet
aspect lugubre , sous lequel les athées envisagent la
religion. Si l'icoîàtrie avoit épouvanté ou contristé
les hommes, ele n'auroit pas duré si long-temps \
il n'auroit pas été aussi difficile de la détruire.
s VIII.
Les incrédules ont-ils mieux rencontré, lors-
qu'ils ont fait naître les notions d'un Dieu, des
convulsions de la nature, des désastres qui ont
affligé le genre liumain? Toutes les raisons que
nous venons d'alléguer détruisent déjà cette su[>-
position ; mais il en est d'autres que nous ne devons
point négliger.
Il faudroit prouver d'abord , que les hommes
n'ont connu un Dieu qu'après avoir essuyé les
fléaux et les malheurs dont parlent les athées. Ces
calamités n'ont pas été continuelles : souvent il
s'est écoulé des siècles , sans que l'on ait vu ni
déluges , ni tremblemens de terre , ni éruptions de
volcans. Dans cet intervalle , les hommes ont-ils
penlu la notion d'une divinité? Ont-ils cessé d'avoir
i. 6.
1^0 TR.UTE
une religion ? Elle se trouve chez des peuples qui
ne conservent aucun souvenir des révolutions ar-
rivées sur le globe.
Si la frayeur seule avoit rendu les hommes reli-
f]fieux ou superstitieux , ils n'auroient point connu
d'autres divinités que celles dont ils croyoient avoir
éprouvé la colère ; les peuples , désolés par un dé-
luge . n'auroient adoré que le dieu des eaux : les
nations , effrayées par un volcan , auroient borné
leur culte à Vulcain ; la terre seule auroit eu des
autels dans les lieux où elle auroit tremblé ^'^ ; les
contrées dévastées par la contagion , n'auroient
offert des sacrifices qu'à la peste ou à la mort. Ce
n'est point ainsi que la religion s'est formée dans
aucun lieu. Les Péruviens , encore sauvages , ado-
roient le soleil , comme une divinité bienfaisante ;
au contraire , les nègres le maudissent , lorsqu'il
les brille par sa chaleur , et ne lui rendent aucun
culte ; en récompense , ils rendent de grands hon-
neurs au dieu des eaux. Les Phéniciens , dans les
premiers temps , ont adoré les élémens et les pro-
ductions de la terre dont ils se nourrissoient ^'\
Les Egyi:)tiens ont honoré les animaux utiles beau-
coup plus que les animaux nuisibles , et les plantes
salutaires plutôt que les poisons. Les Parsis adorent
le feu comme symbole du bon ju'incipe ; ils mau-
dissent le mauvais , et ne lui rendent point de culte.
Les Indiens reconnoissent Brahmah onBrimha
pour le créateur ; les Chinois rendent leurs hon-
neurs au ciel , ou à l'intelligence qui y réside ,
comme au ])rincipe de toutes choses. Enfin , les
])atriarches antérieurs au déluge ont adoré le même
Dieu que leurs descendans ont encensé depuis cette
grande révolution.
(i Selon Kausauias, la Gièce t'ioit pleine d'autels et de
temples érigés à la terre; mais il u\n cite pas vv seul sous ie
nom de la terre tremblante, — (2 Fragmeul de Sanchoniaton.
DE LA MIAIE RELIGION. 101
Voilà ]es plus anciennes religions dont nous
ayons connoissance ; aucune n'est fondée sur des
idées effrayantes ; aucune n'a imaginé un Dieu
ennemi de notre félicité. Nous cherchons en vain
dans les difiérens cultes de l'univers des vestiges du
trouble , de la terreur , du désespoir qui ont forcé
les peuples à tourner vers le ciel leurs yeux haigiiés
de larmes. Nous voyons seulement l'intérêt seul
présider à toutes les fausses religions , l'homme
occupé à former des vœux mercenaires , à de-
mander des biens temporels , et rien davantage.
Mais les athées, dans leurs rêves mélancoliques,
ont imaginé que tous les hommes étoient aussi
tristes et aussi tremblans qu'eux.
Tantôt ils soutiennent que les idées de la reli-
gion et de la divinité sont un effet de la crainte ;
tantôt ils avouent que la crainte importune d'un
Dieu vengeur est la source la plus ordinaire de
l'athéisme ^''. La même passion peut-elle inspirer
deux sentimens contraires , la religion et l'irré-
ligion ?
Il n'est que trop vrai que les passions tristes , la
crainte, l'humeur noire, l'ingratitude envers la
providence , le mépris du genre humain , plongent
les philosophes dans l'athéisme ; l'ignorance pré-
somptueuse y contribue pour une très - grande
part : nous en verrons assez de preuves ; mais il
nous paroi t impossible que ces mêmes vices air-nt
donné naissance à la religion.
§ IX.
Ecoutons néanmoins leurs objections. C'est
évidemment , disent-ils , l'ignorance des causes
naturelles, qui a fait imaginer aux peuples sau-
(iLucrècr, I. i^ ;^. 80. Syst. de la rat. Il.pa.t.C. ï3,p.3Go.
102 TRAITE
vages un pouyoir inconnu^ une ou plusieurs in-
telligences occupées à régir la nature ; donc c'est
elle qui a inspiré les premiers sentimens de re-
ligion.
Réponse. Ne confondons point l'erreur avec la
vérité. L'homme , quelque ignorant qu'il fût , a
très-bien senti que la matière ne se meut point
elle-même ; qu'elle a besoin d'un moteur ; qu'un
mouvement réglé , des révolutions périodiques ,
des effets liés constamment à leurs causes , des
parties qui forment un tout , des êtres doués de
tous les organes nécessaires à leur conservation ,
etc. ne sont point l'ouvrage d'une nécessité aveu-
gle , d'une nature matérielle , mais d'une cause
intelligente. Ce jugement uniforme chez tous les
hommes , n'est point l'eflèt de l'ignorance , mais
une leçon du bon sens ; c'est une vérité démon-
trable , et qui suffit pour fonder la religion.
Lorsque les peuples , peu instruits , ont jugé
qu'une seule intelligence ne suffisoit point i>our
conduire toute la nature , que chacune de ses parties
étoit animée par un g?nie ou par un moteur parti-
culier, ils se sont trompés; ce jugement erroné est
la source du polythéisme , et il vient de l'ignorance :
mais il n'est pas la cause première cpii a donné l'idée
de la divinité. Dans le fait, Dieu s'étoit révélé lui-
même dés le commencement du monde; et dans
les principes, la nécessité démontrée d'un moteur
ne prouve pas qu'il en faut plusieurs.
Les peuples polythéistes ont donc péché dou-
blement ; ils ont négligé les moyens de conserver
la révélation primitive, et ils ont tiré une fausse
conséquence de ce principe vrai , que la nature eii
mue par une intelligence. Conclure de là, que la
notion d'un dieu, et le culte de plusieurs dieux.
(;nt la même origine, viennent l'une et l'autre de
l'ignorance, c'est faire un sophisme grossier.
DE LA VRAIE RELIGION'. IJJ
Outre les génies, bons ou mauvais, adorés par
les peuples polythéistes, tous les peuples adnietteiit
plus ou moins clairement un Dieu suprême , cré-
ateur du monde , qu'ils placent dans le ciel , et
auquel la plupart ne rendent aucun culte. Voilà
ilonc, d'un côté, une religion fausse, inspirée par
l'ignorance et par les passions ; de l'autre , une
croyance vraie , confirmée par la raison , et que la
tradition seule a pu perpétuer. Peut-on de bonne
foi confondre l'une avec l'autre, comme font les
incrédules ?
§ X.
On ne peut méconnoltre , disent-ils , la source
des notions religieuses , lorsqu'on voit que la plu-
part des nations se sont fait de la divinité une idée
terrible. De là sont venus tous les cultes bizaiTes ,
absurdes , cruels , qui ont déshonoré le genre hu-
main, les terreurs paniques dont il a été tourmenté,
les sacrifices abominables qui ont souillé les autels.
Si l'homme n'avoit pas envisagé la divinité comime
une puissance toujours irritée, se seroit-il avisé de
répandre le sang des animaux pour l'appaiser ,
d'immoler ses semblables? Les pères auroient-ils
eu la barbarie d'égorger leurs propres enfans par
un motif de piété ^'K
Réponêe. C'est toujours le même sophisme de
confondre les notions religieuses vraies , puisées
dans la révélation ijrimitive , et confirmées par la
raison , avec les notions superstitieuses, adoptées
dans la suite des siècles , et suggérées par le.-»
passions.
(i Coniagion sacrée, c. i^ p 2 et 17. Sj-.t. de la u-il. II. part»
c. J -» p. I i. Le bou SCU3. Préfiice , p. iv.
iDi TRAITE
Pour que l'objection des incrédules put prouver
quelcfue chose . il faudroit démontrer, i.° cpie tous
les excès, enfantés par la superstition, sont aussi
anciens cpie la notion d'un Dieu , et que la religion
en a été infectée dès son origine : 2.*^ cjne si des
peuples , naturellement bai'bares et corrompus .
ont commis des crimes , sous prétexte de religion ,
c'est elle qui les a rendus tels , et non pas leur
mauvais caractères qui a dénaturé la religion. Il
n'est pas difficile de la justifier sur ces deux chefs.
En premier lieu , l'idée que nous donne de Dieu
la révélation, faite au premier homme , n'étoit pas
capable d'inspirer, ni la tristesse, ni la frayeur, ni
la cruauté ; mais plutôt la reconnoissance, l'amour,
la confiance envers le créateur , la bienveillance ,
et la chai'ité envers nos semblables : cela est évi-
dent , par le tableau que nous en avons tracé ,
d'après les livres saints. D'ailleurs, l'aspect de la
nature, les marques de bonté que Dieu a répandues
sur tous ses ou^Tages , nous montrent la main d'un
bienfaiteur et d'un père, et non la colère d'un tyran.
Nous le démontrerons dans la suite, en répondant
aux blasphèmes des athées contre la providence.
En second lieu , nos adversaires eux-mêmes ont
absous la religion des pernicieux efléts qu'ils lui
imputent. « L'homme , disent-ils , d'un tempé-
« rament mélancolique, aigri par des malheurs et
« des infirmités ; l'homme chagrin et d'une humeur
(( fâcheuse . ne peut voir dans ce monde que dé-
« sordre , diÔ'ormité , malice , vengeance de la part
« d'un dieu fantasque et jaloux. Ce sont ces idées
<( sombres , qui ont fait éclore sur la terre les cultes
« bizarres , les superstitions cruelles et insensées ,
« tous les systèmes absurdes , toutes les notions et
« les opinions extravagantes... La divinité doit
« nécessairement prendre la teinture du caractère
DE LA VRAIE RELIGION. l35
« des hommes ^'\ » C'est donc le caractère des
hommes , ce sont leurs passions , qiii ont défiguré
la notion d'un Dieu , et qui ont produit tous les
maux qui se sont ensuivis. C'est la méchanceté
naturelle des peuples, qui a perverti leur religion ,
et non la religion qui leur a inspiré la méchan-
ceté.
En effet , lorsqu'on examine de près les fausses
religions , l'on y voit l'empreinte du cai'actère
particulier des nations qui les ont créés ; l'homme
a prêté ses passions aux dieux qu'il s'est forgés. Un
peuple cruel ( et tous l'ont été ) a cru que la divi-
nité respiroit comme lui le sang et le carnage ; un
])euple voluptueux et fourbe , tel que les Grecs , a
fait , de ses dieux , autant de monstres de lubricité
et de mauvaise foi ; les Romains , dont l'orgueil et
la férocité sont connus , ont prétendu tenir des
dieux le di'oit de tout asservir. La religion a donc
été la victime et non la cause de toutes les passions
humaines , elle n'a eu aucune part aux usages
insensés dont les athées lui font un crime.
1 .° Les terreurs paniques des idolâtres sont venues
d'une folle confiance aux songes , aux pronostics ,
et d'une curiosité effrénée de pénétrer dans l'avenir.
Cicéron , qui en fait un tableau pathétique ''^ , ob-
serve que les philosophes approuvoient toutes ces
puérilités. Si l'on peut en rendre la religion res-
ponsable , on doit attribuer de même à la philo-
sophie , les égaremens de ses sectateurs , et à la
rai§on , le délire des insensés.
(i S^ st. de la naf. ÎT. part. c. 7 . y.
c ?, p 23. — (2 De (livmit. I. 3, n.'^
4y-
l56 TR-UTÉ
S XI.
2.^ Il est faux que les sacrifices sanglans aient
été établis , parce que l'on supi)0s6it un Dieu irrité
et sanguinaire. Il étoit naturel de faire des offi'andes
à la divinité , pour lui témoigner de la recon-
noissance , et pour en obtenir de nouveaux bienfaits.
Les peuples agriculteurs lui ont présenté les fruits^
de la terre ; les peuples bergers , chasseurs et pé-
cheurs , lui ont ofiért les prémices de leurs trou-
peaux, de leur chasse et de leur pèche ; parce qu'ils
ne pouvoient offrir que ce qu'ils avoient , et les
alim^ns dont ils se nourrissoient. Caïn , le premier
qui ait cultivé la terre , en offroit les fruits ; Abel ,
pasteur, immoloit des animaux ^'- : cela ne prouve
point qu'Abel ait eu de la divinité une idée moins
pure et moins favorable que son frère.
5.° Porphp'e attribue l'origine des sacrifices
sanglans , à la même cause que nous ; quant aux
victimes humaines , il prétend que leur usage est
venu de la distinction que l'on a faite entre les
génies bons et mauvais , qu'on ne sacrifioit des
hommes qu'à ces derniers ^'\ Cette coutume bar-
bare est donc beaucoup plus récente que l'origine
de l'idolâtrie ; tant que les peuples se sont bornés
à révérer les astres et les élémens , ils ne sont point
tombés dans cet excès.
Nous ne doutons point qu'il ne soit venu de l.i
malice du démon ; l'écriture sainte nous le fait
comprendre ^'> , mais il a pu naître d'un usage très-
innocent en lui-même. César et Diodore de Sicile
nous apprennent que les Gaulois n'immoloient
ordinairement que des criminels ^*\ La coutume
(i Gen. c. ^1 t. 3. — (2 Df abslin., I. 2, n.» 9, 23, 3^y.
3f), 58, fie. — '3 Join. c. <** , L. /jH- — [ï ^^^sar, coinaiçul.
L Cx Miud. liiit. i. 5.
DE L.V ^-RAIE IU:LIGI0N-. 15/
s'étoit d'abord établie d'accompagner cet acte de
justice d'imprécations contre le coupable , et de
prières par lescpielles on demandoit à Dieu de faire
tomber sur sa tète les péchés du peuple; il n'en
fallut pas davantage pour faire regarder cette exé-
cution comme un sacrifice agréable à la divinité :
insensiblement on poussa la fureur jusqu'à immoler
des innocens.
Les guerres, toujours cruelles dans les premiers
temps , contribuèrent encore à inspirer cette bar-
barie. Le peuple vainqueur , regardoit ses propres
ennemis, comme les ennemis de ses dieux. Parce
qu'il vouloit assouvir sa vengeance par l'effusion
du sang des vaincus, il se persuada que la divinité
étoit aussi vindicative que lui-même ; que le sacri-
fice des prisonniers pouvoit appaiser le ciel dans
des temps de calamité. De là , l'usage barbare ,
établi dans de certaines contrées, d'immoler les
étrangers , parce qu'on les regardoit comme au-
tant d'ennemis.
Des païens mêmes ont senti l'absurdité d'imputer
cette infamie à la religion. Euripide fait ainsi rai-
sonner Iphigénie en Tauride , acte II , sur la pré-
tendue cruauté de Diane. « Cette déesse écarte de
« ses autels les profanes dont les mains impures
« sont souillées d'un meurtre.... Et je croirai qu'elle
« prend plaisir à voir couler le sang des victimes
« humaines? Non.... Les sauvages hahitans de ces
« climats , parce qu'ils aiment le carnage , ont
« attribué à la divinité leur barbare inclination.
« J'en justifie les dieux , et je ne })uis penser
« qu'aucun d'eux soit coupable d'un crime "\ »
Dans les Troyennes , acte IV , lorsrpi 'Hélène
rejette sur Vénus sa fuite avec Paris, Hérube lui
répond : « Cessez de rendre les divinités complices
(i Tîu'àlre des Grtcs, tome IH, p lj.
Idô TRAITE
« de VOS crimes , ou plutôt de les avilir pour vous
« justifier.... C'est le fol amour de Paris, c'est
« votre foihlesse qui vous a tenu lieu de Vénus ;
« tout devient divinité pour les coupables mor-
(( tels ^'\ »
Les poètes anciens ont donc été plus raisonnables
cp.ie les philosophes modernes. Il résulte seulement
de nos observations , que les peuples qui ont aban-
donné les leçons de la religion primitive, et qui
sont devenus sauvages après la dispersion des
hommes, ne pouvoient manquer de se faire une
religion fausse et conforme à leur caractère : preuve
démonstrative de la nécessité d'une révélation dés
le commencement du monde , pour prévenir les
égaremens de la raison.
Nous nous sommes étendus sur cette objection,
parce qu'elle revient continuellement dans les écrits
des incrédules : ici , ils l'emploient pour déguiser
l'origine de la religion ; ils la répéteront ailleurs
pour la calomnier dans ses effets : tantôt ils s'en
servent pour justifier l'athéisme, tantôt pour exiger
la tolérance. Il étoit à propos de démontrer d'abord
qu'elle n'a pas le sens commun,
s XII.
Ils ne manqueront pas d'en faire une autre qu'il
est bon de prévenir. Nous voyons, diront-ils . dans
la religion même que vous supposez révélée, l'em-
preinte des passions tristes qui ont rendu tous les
peuples superstitieux. Un de ses dogmes est que
l'homme naît coupable, enfant décolère, condamné
aux soufl'rances et à la mort ; que la justice divine
est irritée contre lui , avant même qu'il ait péché
volontairement -, que les misères et les fléaux qu'il
(i Tht-Htre dt^s Grecs, tome IV, ji. 525»
DE LA \TIAIE RELIGION. 109
éprouve ; sont une punition de la désobéissance de
son premier père. Cette religion, comme toutes les
autres, est donc née de la tristesse et de la crainte,
du sentiment vif que l'homme a eu de ses maux,
elle ne réveille en nous que des idées sombres et
affligeantes. Il paroît par le récit de Moïse , dit
l'Encjclopedie , cjue le culte de notre premier père
fut plutôt le fruit de la crainte, que celui de la
gratitude ou de resi>érance. Gen. c. 3 , y. lo ^'\
Réponse. Les incrédules disconviendront-ils de
lamisére et des souôrances de l'homme sm' la terre?
Non , sans doute ; ils sont les premiers à les exa-
gérer , pour nous faire douter de la providence. Il
faut donc , ou que ces maux soient la condition
naturelle de l'homme , ou cpi'ils soient la peine du
péché ; il n'y a pas de milieu. Nous demandons
laquelle de ces deux suppositions est la plus propre
à nous consoler . et à nous donner une grande idée
de la bonté de Dieu. L'athée qui soutient que ces
maux sont la destinée nécessaii'e de l'homme, l'efièt
d'une nature aveugle ; qu'après en avoir subi la lof ,
l'homme n'a rien à espérer que le néant, a-t-il
une perspective plus agréable que nous , qui en-
visageons ces maux comme la peine et l'expiation
du péché , q\ii crojons qu'en les souffrant avec
patience , nous sommes siirs d'avoir un sort heu-
reux dans l'autre vie par les mérites du Rédempteur?
Nous sommes du moins consolés et soutenus par
l'espérance ; et , selon les athées eux-mêmes , c'est
h haume souverain de tous les viaux ^'\ Pour
eux , il n'est aucune ressource que la mort et le
désespoir.
Est-ce la tristesse qui a fait imaginer aux pre-
miers habitans de la terre , que l'homme avoit été
fi Encyclop. art. Liturgie. -^ (2 Syst. de la nat. t. I , c 14 ,
110 TR.\ITE
créé dans l'innocence et destiné à un bonheur
éternel? Est-ce la crainte qui leur a persuadé
qu'après son péché ^ leur Dieu a promis le pardon ,
et un médiateur qui le rétabliroit dans tous ses
droits , qu'en vertu de cette promesse , les souf-
frances de cette vie , supportées avec patience ,
sont un titre pour obtenir une immortalité bien-
heureuse ? Si nous adorons un Dieu irrité , nous
le croyons du moins compatissant , miséricordieux ,
enclin à pardonner . assez bon pour nous aimer
encore , quoique pécheurs , et cjui a porté la clé-
mence jusqu'à donner son propre fils poiu- notre
rédemption. Il nous paroît que cette idée est moins
triste que celle d'une nature marâtre et inexorable ,
telle que la conçoivent les athées.
Y a-t-il un raisonnement plus absurde que
celui-ci ? L'homme veut une religion , parce qu'il
a besoin de consolation dans ses maux ; donc il
faut la lui ôter pour le réduire au désespoir ?
Alors sera-t-il plus à son aise ?
L'auteur de l'article lituvffie abuse évidemment
du passage de la Genèse. Adam dit à Dieu : J'ai
entendu votre voix dans le paradis, et j'ai été
saisi de crainte: parce que fêtois nu , je me
suis caché. Quel rapport y a-t-il entre cet aveu
et le culte qu'Adam rendoit à Dieu , soit avant ,
soit après son péché ? Quand il auroit persévéré
dans l'innocence , auroit-il été dispensé d'adorer
Dieu? Après sa condamnation, le regret d'avoir
offensé Dieu , devoit sans doute faire partie de
son culte ; mais Dieu lui avoit promis le pardon :
l'espérance devoit donc aussi animer ses hom-
mages.
DE L\ VRAIE RELIGION. 1^1
SXllT.
Nous avons vu l'embarras dans lequel s'est
trouvé M. Hume , quand il a voulu expliquer
comment l'homme a passé de l'idolâtrie à la
connoissance d'un seul Dieu ; l'auteur du système
de la nature ne s'en est pas mieux tiré.
Selon lui , la première théologie de l'homme
lui fit d'abord craindre et adorer les élémens , ou
les génies dont ils étoient animés , ensuite les
héros. A force de réfléchir , il crut simplifier les
choses , en soumettant la nature entière à une
intelligence souveraine , à une âme universelle
qui mettoit tout en mouvement. L'auteur pré-
tend cjne le grand tout . l'univers , la nature des
choses, étoit le véritable objet du culte de l'an-
tiquité, païenne ; Orphée nous l'apprend dans un
hymne au Dieu Pan. En distinguant la nature
de sa j)ropre énergie , on fit de cette énergie
même , un être incompréhensible que l'on nomma
Dieu. Ainsi , l'idée de l'unité de Dieu fut une suite
de l'opinion que Dieu étoit l'âme de l'univers ;
cependant elle ne put être que le fruit tardif des
méditations humaines ^'\
Réponse. Nous avons prouvé que la première
théologie de l'homme n'a pas été d'adorer les élé-
mens , mais d'adorer un Dieu créateur des élémens ;
les preuves que nous en avons données , ne se
détruisent point par une simple conjecture qui ne
I)orte sur rien.
Pour donner du poids à celle-ci , il faudroit nous
apprendre : i .** Quelle nation a honoré la nature
comme un dieu unique , sous le nom de Pan , et
en quel lieu de l'univers Xâme du 7nonde a eu des
(i Syst. de la nat. II. part. c. i . , p. i6 : c. 2 , p. 34 , 38 , ^a.
l42 TRAITE
temples et des autels. Chez les Grecs et chez les
Romains , Pan étoit ie dieu des bergers ; il ne tenoit
pas un rang fort honorable dans la mythologie
^'\ Un hymne isolé , dont on ne connoît ni l'au-
teur , ni la date , est une foible autorité pour pla-
cer ce Dieu à la tête de tous les autres.
2.° Les Juifs et les Chrétiens, qui ont toujours
été adorateurs d'un seul Dieu , sont-ils parvenus
aie connoître par la voie que l'auteur a tracée?
A quelle époque doit-on fixer cette découverte ?
5ous convenons que la plupart des philosophes
grecs ont regardé Dieu comme l'àme du monde,
et ils supposoient le monde éternel ; mais nous
demandons s'il y a eu un seul peuple , une seule
société , qui ait adopté cette rêverie philosophique ,
et qui en ait fait la base de la religion ; si c'est à
l'école de ces philosophes cpie ]Moïse a été instruit ,
lui qui a vécu plusieurs siècles avant eux. Lorsqu'il
a enseigné l'unité de Dieu , loin de le représenter
comme l'âme du monde , et le monde comme coé-
ternel à Dieu , il a dit formellement , que Dieu est
le créateur du monde , qu'il existoit par conséquent
avant le monde. Nous voudrions savoir dans quelle
académie de philosoplies il a puisé cette maxime
contre laquelle tous les philosophes se sont élevés.
3.° Bayle a démontré que les systèmes des phi-
losophes , loin d'avoir rendu plus facile la connois-
sance d'un seul Dieu et d'une providence , l'ont au
contraire rendu plus difficile ; qu'en raisonnant
conséquemment, un Athénien, convaincu de l'ab-
surdité du polythéisme, n'en étoit pas plus avancé
pour s'élever à la notion d'un être unique , souve-
rain maître de la nature , dés qu'il vouloit consulter
les philosophes ^'\ Nous le prouverons nous-mêmes
(i Homère, hymne au Dieu Tan. — ("2 Contin. des pensées
divers., § io4 etsuiv. OEuv. tome III, p. 33o.
DE LA VRAIE RELIGION'. l45
dans la suite. Il est donc faux que la notion d'un
seul Dieu , telle qu'elle est consignée dans les livres
saints , soit , en aucun sens , le fruit des médita-
tions philosophiques.
4.° Nous avons vu que cette notion se trouve
chez des nations qui n'ont jamais eu de philoso-
phes , dans des siècles où la philosophie n'existoit
pas encore ; qu'elle se montre au milieu des ténè-
bres du paganisme le ])lus grossier. Donc elle n'est
point le résultat des réflexions humaines , mais une
tradition , comme Aristote , Platon , Plutaïque le
témoisfnent.
•&'
s XIV.
L'Auteur de V Antiquité dévoilée par ses usages,
et des Recherches sur l'origine du despotisme
oriental, a imaginé , sur la naissance de la religion ,
un système singulier , mais qui porte sur le même
fondement que celui don+ nous venons de prouver
la fausseté. Selon lui , toutes les religions sont nées
de la frayeur et de la tristesse dans laquelle le genre
humain a été plongé par le déluge universel ; les
usages civils et religieux de tous les peuples du
monde , ont un rapport sensible à cette grande ré-
volution; la plupart ont été institués pour en rap-
peler le souvenir. Quelques individus échappés du
naufrage presque général du genre humain, réduits
à une misère extrême, conservèrent une idée pro-
fonde de la vengeance divine, et ân-ent religieux à
l'excès. Ils craignoient sans cesse devoir arriver un
nouveau bouleversement du monde , sur-tout à
r.hacpie révolution périodique des astres : tous les
mois, toutes les années, tous les sept ans, tous les
cinquante ans , ou à chaque centaine d'années , la
crainte renaissoit. Ces différentes époques furent
H^4: TRAITE
marquées par des fêtes , c'est-à-dire, par des jours
d'assemlilée , dans lesquelles on commençoit par
s'affliger , parce que l'on crojoit toucher à la fin du
monde; ensuite on se réjouissoit en voyant le pé-
riode se renouveler , et la marche de l'univers con-
tinuer comme à l'ordinaire. C'est ce que l'auleiu'
appelle le génie cycliqïie et apocaliptique des an-
ciens peuples. De là encore la frayeur que Ion avoit
des éclipses et de^ com,ètes. parce qu'elles sem-
Lloient annoncer un dérangement prochain dans
la nature.
A mesure que la terre se repeupla, et que les
sociétés se formèrent , on sentit la nécessité d'un
chef; les hommes excessivement religieux , ne vou-
lurent avoir d'autre clief, ni d'autre souverain que
Dieu : aussi tous les anciens gouvernemens furent
théocratiques. Comme il fallut représenter le Dieu
Monarque par des signes extérieurs , on lui érigea
un trône , un palais : on lui établit des officiers et
des ministres. Cet usage a produit les plus grands
abus, i.'' Les signes extérieurs de la présence de
Dieu furent divinisés ; c'est ce qui a fait naitre l'i-
dolàtrie. 2.'' La frayeur, toujours subsistante, a
inspiré toutea les superstitions, les expiations de
toute espèce, les sacrifices sanglans, les victimes
de sang humain , la foi aux songes, aux pronostics,
etc. 5," Les prêtres revêtus d'adord d'une autorité
sans bornes, comme ministres et représentans de
la divinité, en ont abusé pour tromper, pour ef-
frayer, pour subjuguer les hommes, et les réduire
en esclavage, i.*^ Lor.squeles peuples, lassés de ce
joug, ont voulu avoir des rois, ils ont régardé ceux-
ci à leur tour, comme les lieutenans delà divinité,
comme revêtus du même pouvoir suprême et absolu.
De là l'origine du despotisme chez toutes les na-
tions, principalement chez les orientaux.
DE LA \Tl-\IE RELIGION. 1^5
Réponse. Au premier coup d'œii, on aperçoit
ici l'abus du génie systématicpie. Il n'étoit pas pos-
sible de faire un plus long circuit, pour arrivera
un résultat aussi simple , ni de recourir à des expli-
cations plus forcées, pour rendre raison de plusieurs
usages très-naturels. L'auteur, qui avoit l'imagi-
nation frappée du déluge, a tout rapporté à ce
grand événement; il a cru en voir les signes par-
tout; il y attribue des institutions qui n'y ont évi-
demment aucun rapport.
Le principe sur lequel il se fonde , savoir , que la
religion a été inspirée par la crainte et par la
tristesse, est déjà suffisamment réfutée par les ré-
flexions que nous avons faites : quelques observa-
tions sur les conséquences achèveront de détruire
ce ù'ivole édifice ; il est bâti en l'air.
s XV.
L'auteur admet l'existence des hommes avant
le déluge. Est-il bien certain que ces hommes anté-
diluviens n'avoient point de religion , ou qu'ils en
étoient redevables à la mémoire d'un autre déluge
précédent ? Voilà ce qu'il auroit fallu éclaircir
d'abord. Si ces hommes avoient été athées et ma-
térialistes, ils auroient regardé le déluge comme
un efiét nécessaire des causes physiques, comme
une de ces révolutions de la nature dont les athées
nous menacent. Nous ne voyons pas comment le
déluge auroit pu les convertir, et leur donner la no-
tion d'un Dieu.
jNIais bornons-nous aux observations mêmes de
notre auteur. 1.° Envisager les hydrophories ^ ou
l'usage de porter etde verser de l'eau dans les fêtes,
comme un signe commémoratif du déluge , c'est
7
1 tb TRUTE
une vaine imagination ^'\ Le polythéisme a com-
mencé par l'adoration des astres et des élémens ;
on a rendu des honneurs au feu comme on en ren-
doit à l'eau ; on portoit du feu dans les fêtes et les
sacrifices , aussi bien que de l'eau : il falloit de l'eau
pour laver les victimes et les oflrandes , comme il
falloit du feu pour les consumer. D'ailleurs les sa-
crifices ont toujours été accompagnés de libations
ou d'effusions de liqueurs ; les hommes offroient
à la divinité leurs alimens , comme un tribut de
reconnoissance : on détruisoit les comestibles par
le feu : on répandoit la boisson autour de l'autel.
Lorsque le vin fut connu , il fut préféré pour les
libations. Les efïusions d'eau n'avoient pas plus de
rapport au déluge que les efïusions de vin ou de
bière. Le culte rendu à l'eau n'y fait pas plus d'al-
lusion que l'adoration du feu chez les Perses.
2.° Le respect cpie l'on avoit pour les montagnes,
ne venoit point de ce que les hommes s'y étoient
réfugiés pendant le déluge '\ On a choisi le sommet
des montagnes pour y offrir des sacrifices, parce
que l'on croyoit j être plus près du ciel , par consé-
quent des dieux , lorsqu'on adoroit les astres. On
préféroit les plus hautes, par la même raison. Leur
sommet , consacré par les exercices de religion ,
devenoit respectable ; on croyoit que les dieux y
étoient descendus , pour y recevoir l'encens et les
hommages des hommes. Il n'y a point là de mystère
ni de relation au déluge.
5.° Dans les fêtes et les sacrifices , les peuples
commençoient par donner des marques d'affliction
et de pénitence , parce qu'ils vouloient se purifier de
leurs fautes , afin de rendre leur culte plus agréable
a Dieu. Ils tinissoient par des signes de joie , parce
(t L'Antiquité dévoilée par ses usages, 1. i, c. i, 2, 3, 4*
— (2 Ibid. 1. 2, c. 2.
DE LA VRAIE RELIGIOX. 1 !;•
qu'ils croyoient que Dieu, fléchi par leurs hom-
mages , étoit plus disposé à leur accorder des bien-
faits. Par le même principe , nous jeûnons la veille
des grandes fêtes en signe de pénitence ; nous finis-
sons avec joie la solennité , persuadés que Dieu a
bien voulu agréer le culte que nous lui avons rendu.
Nous ne pensons en cela , ni au déluge , ni à la fin
du monde ^'\
4.« L'usage de marquer les divers périodes du
temps par des fêtes , ne prouve rien , sinon que les
assemblées de religion servirent d'abord à mettre
de l'ordre dans la société. Supposons , si Ton veut ,
que la division du temps , par semaines , ou par sept
joiu's , ait rapport au cours de la lune , parce que
l'année fut composée de mois lunaires : ce rapport
n'a point été inconnu aux Hébreux , puisque Moïse
dit que Dieu a fait le soleil et la lune , pour distin-
guer les temps ; le Psalmiste a répété la même chose
^'\ Mais Moïse a donné des preuves d'une sagesse
supérieure , en rapportant la semaine aux sept jours
de la création ; il prévenoit par là l'erreur de ceux
qui ont adoré les astres. Notre auteur lui-même
convient que Moïse , en supprimant les dogmes lu-
gubres et apocalyptiques, s'est conduit plus sa-
gement que les législateurs grecs et romains ^').
Il est tout simple que des hommes religieux
aient réglé l'ordre de la société par des fêtes et des
assemblées religieuses à chaque période du temps :
mais qu'ils aient cru que la fin du monde arriveroit
toutes les semaines , tous les mois , toutes les années,
ou à chaque siècle , c'est une imagination bizarre à
laquelle ils n'ont jamais pensé , et dont on ne peut
donner aucune preuve solide.
(i IJn philosophe accoutumé à plaisanter sur tout, dit que
l'on jeûne les veilles des fêtes pour mieux manger le lendemaiu.
( Quest. sur TEncyclopédie, Antiquité, sect.'S. — (2 Psaume
io3. — (3 Anliq. dévoil. I. 5 , c. 3 . t. III , p. 263.
1 iô TRAITE
5.° Les fêtes périodiques de chaque saison ctoient
relatives aux travaux du labourage ^'^ : ces réjouis-
sances champêtres subsistent encore par-tout. Il
n'est pas à présumer que les hommes se soient rap-
pelé le déluge n^ la fin du monde , pour s'encourager
aux travaux de l'agriculture ; et ily auroit de la folie
à prétendre cpie le jeune des quatre-temps , chez
nous , a du rapport à l'un ou à l'autre.
6.° L'on n'a pu craindre les éclipses , les comètes ,
les aurores boréales , et les autres météores , sans
penser à la destruction de l'univers. Tout objet
nouveau, frappant, extraordinaire, cause de l'éton-
nement , et donne aisément de la frayeur. Une
altération dans la lumière du soleil et de la lune ,
devoit épouvanter les peuples qui adoroient ces
deux astres. Les Juifs , en vertu des leçons de Moïse
et des prophètes , étoient à couvert de cette vaine
terreur : JXe craignez point, dit Jérémie , les signes
du ciel y comme fo7itles autres nations ^'\ L'astro-
nomie , dit-on , en dévoilant les causes de ces phé-
nomènes , a rassuré les esprits ^') ; cela est certain ;
mais la révélation avoit pris cette précaution avant
qu'il y eut des astronomes.
Toutes les preuves que l'auteur a rassemblées
pour démontrer le prétendu génie funehre et apo-
calyptique des anciens peuples , se réduisent à
rien.
§ XVL
Il n'a pas été plus heureux dans la recherche de
effets que la religion a produits sur la politique.
Est-il vrai que tous les anciens gouvernemens
(i Origine des dieux du paganisme; rem. sur la théog. j^.
417 , 940. Hist. ducal, etc. — (2 Jt;rcmie,c. 10, f^ . 1. (3 Hist.
de l'ast. ancienne, dise, prël. p. xj.
DE LA YJLUE RELIGION. 11?)
aient été théocratiques?La théocratie n'a point eu
lieu chez les Romains, chez les Grecs , chez les Hé-
breux avant la mission de Moïse, chez les Egyptiens,
chez les Chinois, ni chez les sauvages j cependant
le despotisme s'est établi chez la plupart de ces
peuples. La première autorité civile qui ait été
connue, a été celle des pères, des chefs de famille,
des anciens; et le pouvoir monarchique y a succédé
immédiatement. Les Chinois regardent leur gou-
vernement comme fondé sur l'autorité paternelle ;
et il est despotique , aussi bien que cette autorité.
Les juges qui ont gouverné les Hébreux pendant
quatre cents ans-, n'étoient pas prêtres , à la réserve
d'Héli.
Il n'est pas plus vrai que l'idolâtrie ait commencé
par adorer les symboles de la présence du dieu
monarque. Selon les auteurs sacrés et profanes , son
commencement a été le culte des astres et des élé-
mens : c'étoit dans un temps où les peuples, encore
à demi sauvages , ne connoissoient ni monarque ,
ni chefs revêtus d'une grande autorité. Selon l'au-
teur lui-même , ces symboles étoient un trône , un
palais. Y a-t-il aucun peuple qui ait adoré des
trônes ou des palais ? Nous voudrions savoir cpielle
relation il y a entre le culte rendu aux animaux
par les Egyptiens, et les symboles de la présence
de Dieu.
Il est faux que la crainte seule ait enfanté toutes
les superstitions de l'idolâtrie; les autres passions ,
telles que l'intérêt, la vanité, la jalousie, la volupté,
la vengeance , y ont contribué pour une très-grande
part.
^ On calomnie les prêtres , lorsqu'on les accuse
d'avoir été les principaux auteurs des pratiques
superstitieuses , même dans les fausses religions ;
souvent les i)hilosophes y ont influé plus que les
100 TRAITE
prêtres, entr'autres ceux dont parle Cicéron ^'\
Les prêtres , cpielquefois aussi crédules , et non
moins ignorans que le peuple , n'ont fait que suivre
le torrent des erreurs communes. Les sauvages
n'ont point de prêtres, et ils sont très-superstitieux;
les protestans n'ont plus de prêtres , et ils ont con-
servé des superstitions ^') ; les Anglois ne respectent
guère les prêtres, et on les accuse de joindre la
superstition à l'athéisme. Les lettrés chinois ne
sont pas des prêtres, et ils sont plus superstitieux
que des femmes : on a ^ti chez les Grecs comme
chez nous , des philosophes incrédules en santé , et
qui , dans une maladie , poussoient la superstition
à l'excès ^ >.
Que le pouvoir des prêtres , transporté aux rois ,
ait engendré le despotisme , c'est une autre vision.
Le despotisme n'a ordinairement lieu que dans les
grandes monarchies ; et toutes se sont formées par
des conquêtes. Où il n'y a pas un grand corps de
milice , toujours prêt à exécuter les ordi'es du
prince , il est impossible que son pouvoir soit despo-
tique. Nous venons d'observer que le despotisme a
pu naître de l'autorité paternelle , toujours illimitée
chez les peuples sauvages ^^\ Il faut un pouvoir ab-
solu pour gouverner des sociétés naissantes.
Nous aiu:ions pu nous dispenser de réfuter un
système aussi mal fondé , et dont l'auteur fournit
continuellement des preuves contre lui-même. ]Mais
il est bon de voir en combien de manières les incré-
dules se sont tournés et retournés pour rendre la
religion méprisable et odieuse dans son origine, et
combien leur haine est impuissante.
(i De diviuit. 1. 2, n.° i49- — (a Les peuples du pays de
Vaud sont très-superstitieux. Nouv. Ht'Ioïse, VI. Part. kt. 11.
Espion chinois, t. VI, lelt. i8, p. 71. — (3 Diugène Laèrce, 1. 4;
vie de Bien. — (4 V. observations sur les commcncrm-us de la
société, par Millar.
DE LA VR.iIE RELIGION. ibl
Peut-on s'empêcher d'admirer leur affectation?
Pour répandi'e des nuages sur le berceau de la reli-
gion, ils s'attachent à suivre le fil de toutes les erreurs
humaines , à en exposer les variations , sans dire un
mot de la vérité connue dès le commencement du
monde , ni de cette tradition vénérable qui , par
une chaîne de soixante siècles, l'a transmise jus-
qu'à nous.
C'est que l'existence de cette seule religion véri-
table , la manière dont elle s'est perpétuée , les
monumens qui l'attestent , l'histoire qui nous en
développe la succession , sont un écueil contre lequel
viennent se briser les futiles imaginations et les
vains systèmes de la philosophie. H y a eu une
religion dés la naissance du genre humain : depuis
six mille ans, Dieu est adoré comme ciéateur de
l'univers ; on croit les mêmes dogmes pour le fond ,
et on Y)rofesse la même morale. La terre a éprouvé
des révolutions, les nations se sont anéanties, les
monarchies se sont abîmées, les arts et les sciences
ont été , tantôt connus , et tantôt ignorés ; les
mœurs ont changé , les opinions humaines se sont
successivement dissipées : la religion seule d'Adam
a subsisté , a bravé les outrages du temps et de la
philosophie. Raisonneurs modernes, il est trop taixl
])Our la détruire ; vos prédécesseurs y ont échoué.
Vous tirez en vain de la poussière leurs systèmes
oubliés; vos écrits passeront comme les leurs ; vos
efforts insensés ne serviront qu'à mieux affermir
l'empire de la rehgion.
1 02 TR.iITE
ARTICLE III.
LA RELIGION EST-ELLE L-XE IN^TENTION DE LA
POLITIQUE ?
§1.
J .A3IAIS Terreur n'est d'accord avec elle-même ;
les incrédules n'ont pas encore pu se réunir à
suivre le même plan de dispute , ni le même sys-
tème ; il n'est pas une seule cjuestion sur lacpielle
ils n'aient soutenu le pour et le contre. Pendant que
les uns décident que la religion est un efict de la
foiblesse et de l'ignorance, naturelle à l'homme
dans l'état de barbarie ; les autres prétendent
qu'elle est un fruit de la réflexion et de la sagacité
des législatem's , qui ont réuni les nations en corps
de société ; et cette opinion est fort ancienne ^'\ Il
en est qui ont voulu réunir ces deux suppositions ''^^
mais elles sont incompatibles. Si la croyance d'un
Dieu est un préjugé des honmies sauvages , timides ,
ignorans et malheureux , les premiers législateurs
qui les ont rassemblés en société , ont trouvé ce
j)réjugé déjà subsistant et établi ; ils n'ont fait que
s'en servir pour appuyer les lois et les institutions
politiques. Si au contraire ils l'ont imaginé , on ne
peut pas dire que les peuples , encore dispersés , y
soient tombés par ignorance. 11 faut donc néces-
(iCicero, de nat. Deor. 1. i , n.» n8. Plato, de legib. I.
10. — (a Syst. de la nat. II. part. c. i, p. 7, 36. rh. 11, p. 2().
Lebouscns. § ioeli5. Syst. social, introd. p. 5, cl II. prt,
c. a.
DE LA VE_\IE RELIGION. t55
sairemeiit opter entre ces deux opinions. Nous
avons suffisamment réfuté la première ; nous n'au-
rons pas plus de peine à détruire la seconde.
En premier lieu , un fait aussi important ne doit
point être avancé , ni admis sans preuve. Parmi les
législateurs anciens ou modernes , dont l'histoire
fait mention , y en a-t-il un auquel on puisse at-
tribuer la première notion que les peuples ont eue
d'une divinité, et qui puisse en être regardé comme
l'auteur ? Peut-on fixer le temps et le lieu où l'un
de ces anciens sages a introduit , pour la première
fois , l'idée de religion chez un peuple athée? Si les
incrédules ne peuvent rien alléguer pour appuyer
leur conjecture , nous ne sommes pas obligés de les
croire sur leur parole.
On connoît le premier philosophe qui a entrepris
de désabuser les hommes des préjugés de religion ;
les disciples d'Epicure lui font honneur de ce pro-
jet : pourquoi n'a-t-on jamais oui pai'ler de cekii
qui les a introduits le premier dans le monde ?
En second lieu , les notions d'une divinité . et
les pratiques d'un culte religieux , se trouvent éta-
blies chez des nations qui n'ont jamais eu de lé-
gislateurs , chez des insulaires encore sauvages. On
n'a pu jusqu'ici déi^ouvrir , sur la terre , une seule
peuplade entièrement privée de ces notions : elles
ne sont donc point l'ouvrage des législateurs , ni
des politiques.
D est vTai que tous les législateurs ont recom-
mandé la religion , lui ont donné une forme fixe ,
ont fondé leurs lois sur la croyance d'une provi-
dence qui gouverne l'univers , qui punit et récom-
pense. Il ne s'ensuit pas de là , qu'avant eux les
peuples n'eussent aucune de ces idées , et n'eussent
jamais pensé à un Dieu. Autre chose est de créer
une nouvelle opinion , autre chose de faire servir
1. 7.
1 5 fc TRAITE
une ancienne croyance à fonder un nouvel établis-
sement.
Outre la foi d'un Dieu et d'une providence , les
législateurs ont encore fondé la société sur la bien-
veillance mutuelle que la nature a donnée aux
hommes , sur l'attachement qu'ils contractent dès
l'enfance pour leur patrie , sur le désir de la louange
et la crainte du blâme , sm' l'amour du bonheur.
Ont-ils pour cela créé , dans l'homme , ces divers
sentimens ? En sont-ils les auteurs? Avant de vivre
en société , l'homme n'avoit-il ni bienveillance
naturelle, ni attachement à sa terre natale, ni
honte , ni honnem- , ni désir du bien-être ? La
société , sans doute , a développé et fortifié ces
principes ; mais elle n'en a pas créé le germe : il
en est de même de la religion.
§ II.
En troisième lieu, ou ces hommes habiles que
l'on donne pour auteurs de la religion , croyoient
eux-mêmes un Dieu , avant de le faire connoitre
aux autres , ou ils n'en croyoient point. S'ils ad-
mettoient tous un Dieu , comment tant d'esprits
divers , moins ignorans que les autres , et qui ont
vécu dans des temps , dans des lieux , dans des
climats si diflérens , en Europe , en Asie , au Pérou ,
à la Chine , au Nord et au Midi . ont-ils eu tous la
même opinion , le même préjugé , qui n'est qu'un
travers d'esjnut , selon les incrédules ? Comment
se sont-ils persuadés tous que cette croyance seroit
utile aux honmies , si elle leur est réellement per-
nicieuse , comme le soutiennent les athées ? On
conçoit aisément que la même vérité a pu subju-
guer tous ces sages : mais qu'ils aient été tous
séduits par une double erreur , sans qu'aucun ait
DE LA VRAIE IIELIGIOX. ibj
pu s'en garantir , voilà un mystère que nous ne
<X)mprendrons jamais.
Nous croyoient-ils rien ? Tous ont donc été des
fourbes et des hypocrites. Ils ont fait semljlant de
croire , et d'adorer un Dieu , pour engager les peu-
I)les à subir le joug de la religion et des lois ; ils ont
usé de mensonge et d'imposture ; et , sous prétexte
de rendre les hommes plus heureux , ils ont aggra\é
leur malheur. Mais de quelles raisons , ou de quels
artifices se sont-ils servis pour faire naitre dans
l'esprit de tant d'hommes féroces et sauvages , une
idée qui n'y étoit jamais venue? Comment ces
hommes répandus sur la surface du globe , nés
dans l'athéisme , avec des inclinations si diflé-
rentes , mais tous jaloux de l'indépendance , se
sont-ils accordés à recevoir le même joug et la
même erreur , si la nature et la raison ne les y
ont pas déterminés ^''?
Parmi ce grand nombre d'athées politiques , pas
un seul n'a eu le courage d'être de bonne foi. Tous
convaincus que l'athéisme est la seule doctrine
vraie et utile aux hommes , ils leur ont envié et
dérobé le bonheur ,• ils ont eu la fureur de les
ranger tous sous le joug accablant et meurtrier
de la religion. Pas un n'a tenté de former une
société d'athées , de prouver au genre humain ,
que dcins un état policé, l'on peut se passer de
dieux , de religion , de prêtres , de paradis , d'enfer
et de tout leur cortège. Sous de feintes démons-
(i Un athée moderne observe fort judicieusement, que le
premier bruit qui se répandit dans le monde sur l'existence
de Dieu, dut jeter l'univers dans la plus profonde perple-
xité. Traité des erreurs popul. c. 2, p. 42. En ef]i-t ,
si tous les peuples avoienl été d'abord athées, ce prerxiier
bruit auroit dû Us etri.-ijer autant qu'il épouvante ceux
d'aujourd'hui; hfnrensoment ils ont été familiarisés avec
ce bruit, dej^uis le commenceuient du monde.
l56 TRAITÉ
trations de bienveillance , ils ont tendu un piège à
leurs semblables ; ils ne les ont rassemblés que
pour les asservir et les rendre malheureux. En
vérité les incrédules ont une excellente opinion de
leurs anciens confrères; ils en ont fait un portrait
bien flatteur.
En quatrième lieu , si les législateurs n'avoient
établi la religion que par politique . sans y croire ,
et uniquement pour dominer , ils auroient suivi .
jwir intérêt , le système de Hobbes ; ils auroient
posé pour principe , que la religion doit dépendre
entièrement de la volonté du législateur ; que c'est
au souverain seul de prescrire ce que l'on doit
croire et pratiquer ; que Dieu tient pour bon et
juste tout ce qu'il plaît au prince et aux magistrats
d'approuver et de commander. Aucun n'a enseigné
cette doctrine ; tous ont jugé que Dieu seul a droit
de prescrire le culte qui lui est dii , que la religion
oblige le prince et les sujets.
>^ous sommes donc forcés de supposer que les
fondateurs de la société se sont trompés tous , soit
en croyant l'existence de la divinité, soit en jugeant
que cette notion seroit utile , et qu'ils n'en ont pas
pré\-u les suites. Mais l'embarras augmente : i.° les
mêmes apparences qui ont séduit tous ces législa-
teurs , ont pu faire la même illusion à la multitude ,
sans que les premiers y aient trempé pour rien.
Voilà toujours le genre humain tout entier entraîné
dans la même erreur, sans que l'on puisse en
assigner la cause. Par quelle fatalité aucun légis-
lateur ne s'est-il trouvé athée, et aucun athée
n'a-t-il eu le courage d'être législateur? 2.^^ Pai'mi
tant de peuples, que l'expérience am'oit du con-
vaincre des funestes effets de la religion , comment
ne s'en est-il pas trouvé un seul qui ait été tenté de
rompre ces entraves meurtrières . de vivre sans
DE LA MIAIE lŒLIGION. IJ7
Dieu et sans religion ? Pourquoi les prédicateurs de
l'athéisme , qui ont paru de temps en temps , ont-ils
été si mal accueillis, pendant que les fondateurs de
religion se sont attirés des prosélytes dans tous les
temps et dans tous les lieux ?
!^'ous convenons que , parmi les politiques, il y
a eu des imposteurs qui ont feint de prétendues
révélations et un commerce secret avec les dieux ,
pour se concilier plus d'autorité , et pour établir un
culte particulier. Mais cette feinte même suppose
qu'ils parloient à des hommes persuadés de l'exis-
tence d'une divinité ; un peuple athée n'ajoutera
jamais foi à des révélations.
§ III.
Il n'est pas aisé de savoir quelle idée les incré-
dules se sont formée des anciens législateurs. « Ce
« fut communément . disent - ils , du sein des
« nations civilisées , que sont sortis tous les per-
(( sonnages qui ont apporté la sociabilité , l'agri^-
« culture , les arts , les lois , les dieux , les cultes et
« les opinions religieuses , à des familles ou hordes
« encore éparses et non réunies en corps de na-
« tion.... En rendant leur existence plus heureuse ,
<( ils s'attirèrent leur amour et leur vénération ; ils
« acquirent le di'oit de leur prescrire des opinions ;
<( ils leur fii^ent adopter celles qu'ils avoient eux-
« mêmes inventées ou puisées dcuis les pays civi-
« lises d'où ils étoient sortis ^'\ >) Ces premiers
instituteurs des nations ne leur ont parlé que par
des fables , par des allégories , en se réservant le
droit de les leur expliquer, ou plutôt de las tromper :
(1 Syst. de la r at. IT. part. c. 1 , p. 29.
i tt |. Essai sur ies j réjîi'^r.s, c. 14.
Conlajion sacrc'e, c.
l5o TILUTE
leurs leçons furent dictées par Tintérét , par l'im-
posture , par l'imagination en délire <^'>.
Voyons si ce tableau injurieux résout la dif-
ficulté.
i.'' Si les premiers législateurs ont reçu leurs
idées chez une nation civilisée , dans quelle source
cette nation civilisée les a-t-elle puisées elle-même?
Il est ridicule de nous renvoyer d'une nation à une
autre , à l'infini , sans assigner jamais la première
origine des idées de religion et de civilisation. Selon
nos adversaires , tous les peuples ont commencé par
l'état sauvage et stupide : il faut donc trouver ,
quelque pai't , la source première des notions qui
ont donné commencement à l'état de société ; un
premier législateur , qui n'ait emprunté ses idées
d'aucun autre peu})le. C'est ce que nous cherchons ;
et . selon nous , ce premier législateur est Dieu.
2.° Ou le premier politique qui a inventé la
religion , y croyoit lui-même , ou il n'y croyoit
pas : en la donnant aux hommes , il a voulu leur
faire du bien ou du malj il n'y a pas de milieu. Ce
seroit une absurdité de supposer qu'il a été tout à
la fois crédule et imposteur , sincère et fourbe , bon
et méchant ; qu'il a voulu rendi'e l'existence des
peuples plus heureuse , en leur donnant des liens
de société , les lois , les arts , et qu'il a voulu la
rcncke malheureuse en leur donnant la religion.
S'il a été de bonne foi , quelle est la source de son
erreur cpii est devenue commune à tous les législa-
teurs et à tous les peui)les ? Selon les incrédules , la
religion est la boite de Pandore , de laquelle sont
sortis tous les maux du monde ; c'est le plus funeste
présent qu'un misanthrope ait pu faire à l'huma-
jiité : elle a couvert la terre d'un déluge do maux :
(i Syst. de la nat» II. part, ci, p. 2g. Conlagion sacrt'c , c»
1 et 4. Essai sur les pn-ingés , c. i^.
t)E LA YRXTE iŒLIGION. iSg
celui qui parviendroit à ôter du monde la notion
funeste d'un Dieu , seroit à coup sur l'ami du genre
humain ^'- ; et , par une fatalité déplorable , aucun
législateur n'a cru pouvoir se passer de ce fléau :
sans cette notion funeste , tous les peuples se-
roient encore sauvages et abrutis.
Si le premier auteur de la religion a été intérieu-
rement un athée . un incrédule , un fourbe qui a
trompé les hommes pour dominer sur eux j cela ne
doit pas nous donner une idée fort avantageuse des
incrédules en général. Il est fâcheux que la boite de
Pandore soit partie de la main d'un athée ; ses suc-
cesseurs viennent un peu tard pour ré})arcr les maux
qu'il a faits.
3.° Nous examinerons dans le chapitre suivant ,
s'il a été possible de policer les peuples sans le se-
cours de la religion ; si les sages , qui ont rendu ce
service à l'humanité , méritent les noms d'impos-
teurs , d'hommes ambitieux , ou de cerveaux dé-
rangés , que les incrédules ne rougissent point de
leur donner.
s IV.
Il seroit inutile de réponcke aux clameurs de
ceux qui prétendent que ce sont les prêtres qui ont
forgé la religion pour leur intérêt ^'>. C'est d'abord
une absurdité de supposer qu'il y a eu des prêtres
avant qu'il y eût une religion. M. Kume , qui n'est
rien moins que prévenu en leur faveur , avoue de
bonne foi qu'ils ne sont point les premiers auteurs
de la religion ou de la superstition , qu'ils peuvent
tout au plus avoir contribué à l'entretenir "-^K Nous
(i Lucrèce, 1. i , f. 85. \. 5, il logS. Syst, de la nat. IL
part. c. 3, p. 85. Contagion sacrée, c. 2, Syst. scciaL etc.
— (a Les trois Imposteurs, c. 3. Le bon Sens j ^ 199 tt 200,
Onzième lettre à Sop' e. — (3 Ilisl. nat. de la i^dig. n.'
1 6o TK.VITÉ
verrons ailleurs , que les anciens philosophes mé-
ritent beaucoup mieux ce dernier reproche que les
prêtres.
D'ailleurs les mêmes argumens qui prouvent que
la religion n'est point l'ouvrage des politiques ,
démontrent que ce n'est point une invention des
})rêtres. Le nom ou la qualité de ceux auxcjuels
on attribue cette institution , ne fait rien à la
chose.
Quand il seroit vrai , comme d'autres le sou-
tiennent , que la religion , dans tous les pays du
monde , est un fruit de l'éducation , qu'en résul-
teroit-il? Il ne s'ensuivroit pas qu'elle n'est point
natui'clle à l'homme. i.° Il faudroit remonter à la
source première de cette éducation , et assigner la
raison pour laquelle elle est devenue générale : l'on
n'en trouvera jamais d'autre source que Dieu lui-
même. 2.° La sensibilité au point d'honneur .
l'amour de la patrie, l'attachement aux lois, sont
sans doute un eftét de l'éducation; ces sentimens
sont à peu près nuls , lorsqu'ils n'ont point été
cultivés : ils n'en sont pas pour cela moins naturels.
3.° L'on doit raisonner de l'éducation bonne ou
mauvaise, comme de l'agriculture. De même que
les arbres plantés dans un bon terrain , et cultivés
avec soin , donnent les fruits k's meilleurs ; ainsi
les hommes les mieux instruits ont les idées les
plus vraies et les plus saines. Et de même que les
fruits de la culture ne sont pas moins naturels que
les fruits sauvages ; ainsi les vérités conçues et
adoptées |)ar une raison mure et formée avec soin ,
sont les productions de la nature les plus précieuses.
On auroit donc tort de les regarder comme des
erreurs d'éducation , parce que la raison sans cul-
ture ne les auroit pas produites. Mais , encore une
fois , la religion , dans son origine , vient de Dieu
et non des hommes.
DE LA MIAIE RELIGION. ibl
11 est évident cfue les conjectures, les supposi-
tions , ks vains systèmes des incrédules sur l'ori-
gine de la religion , loin de détruire le fait d'une
révélation primitive , servent à l'établir invin-
ciblement. C'est la seule hypothèse solidement
prouvée , la seule qui lie la chaîne des événemens ,
la seule qui puisse se concilier avec la sagesse de
Dieu et avec la nature de l'homme. Sur les autres
questions , comme sur celle-ci , nous verrons sans
cesse nos adversaires déconcertés, opposés les uns
aux autres , incertains , chancelans dans leurs
opinions , forcés , par leurs contradictions mêmes,
de rendi'e témoignage à la vérité.
1 62 TR.UTÉ
CHAPITRE DEUXIEME.
DE L UTILITE ET DE LA NECESSITE DE LA RELIGION.
IjA rature inspire à l'iiomme l'amour de la
vérité, et le désir de la connoitre : cette inclination
brille en nous dès l'enfance ; elle est plus ou moins
puissante , plus ou moins active dans les divers
individus ; mais elle est naturelle à tous. 11 n'est
personne qui ne soit affligé , lorsqu'il reconnoît
qu'il a été trompé , ou qu'il s'est abusé lui-même ;
le mensonge est regardé comme un vice , chez tous
les peuples La découverte d'une nouvelle vérité
dans les sciences , répand dans l'àme un plaisir i)ur
qu'aucun fâcheux retour ne peut empoisonner :
c'est ce qui soutient le savant dans ses travaux ;
c'est par ce charme secret que l'étude devient une
passion ; c'est ce qui donne au philosophe une si
haute idée de lui-même. La vérité est l'aliment
nature] de l'esprit ; l'erreur ne peut nous plaire
qu'autant qu'elle pai'oît revêtue des caractères
de la vérité , ou qu'elle favorise des passions
impérieuses.
Les incrédules mêmes se fondent sur ce principe
pour enseigner leur doctrine. La vérité , disent-ils,
n'est jamais nuisible; il est toujours avantageux à
l'homme de la connoître : « Ne lui faisons point
« l'injure de croire que la vérité n'est pas faite pour
« lui ; son esprit la cherche sans cesse , son cœur
« la désire , son bonheur la demande à grands cris.
« L'erreur est la vraie source des malheurs de notre
DE LA ^TLUE RELIGION. lG5
« espèce; nulle erreur ne peut être avantageuse au
« genre humain ^'\ »
En partant de ce principe, nous ayons peine à
comprendi'e comment on peut concilier dans l'hom-
me cet amour dominant pour la vérité , avec le
penchant invincible qui le porte à la religion , si
toute religion est ime erreur. La nature auroit-elle
revêtu cette erreur de toutes les apparences de la
vérité , pour tendre à l'homme un piège inévitable?
L'on assure, d'un côté , que la vérité est faite pour
l'homme en général; et, de l'autre, que l'a théisme
n'est point fait pour le grand nombre des hommes
^'^ : il faut donc que l'athéisme ne soit pas la vérité.
Le peuple , disent nos philosophes, n'est point en
état de cultiver les sciences abstraites , ni de faire
des raisonnemens profonds : soit. Il s'ensuit déjà ,
que la plupart des partisans de l'athéisme le pro-
fessent sans l'entendre; car, en vérité, ce ne sont
rien moins que de profonds raisonneurs.
Il seroit bien singulier que la plas intéressante
des questions, de laquelle dépend notre sort présent
et à venir, fût la plus diiïicile à éclaircir. Pour
devenir athée , il faut se plonger dans des médita-
tions abstraites , s'alambiquer le cerveau par des
hyi)0thèses inintelligibles : nous savons assez que
la plupart de ceux qui s'en glorifient n'y ont i)as
mis tant de façons. Il en coûte beaucoup moins
pour croire en Dieu ; il sufiat d'avoir du bon sens ,
et d'ouvrir les yeux.
Nos raisonneurs conviennent encore, que « l'u-
« tilité doit être la seule règle et l'unique mesure
« des jugemens que l'on porte sur les opinions, les
« institutions, les systèmes et les actions des êtres
(i Syst de lanal. H. part. c. i3,p. 387: c 8, p 233, 208,
Le bon srns, § 180. ~ (2 Syst. de- Ja nat. ibid. c. i3, p. 38i,
Le \)oii sens, ^ uj5.
3 6 f TRAITE
« intelligens. C'est d'après le bonheur que ces cho-
« ses nous procurent , que nous deyons y attacher
« notre estime : dès cju'elles sont inutiles, nous
<( devons les mépriser ; dés qu'elles sont perni-
« cieuses nous devons les rejeter : et la raison nous
« prescrit de les détester à proportion de la gi'an-
« deur des maux qu'elles nous causent ^'\ » Si donc
on peut démontrer que la religion est utile et né-
cessaire ; que sans elle l'homme est malheureux ,
méchant, insociable; il s'ensuit que l'irréligion est
la plus pernicieuse de toutes les erreurs , et cju'on
ne peut trop la détester. Tant pis pour ceux qui la
prêchent.
Or , soit que l'on considère l'honmae isolé , et
simplement comme habitant du monde , soit qu'on
l'envisage comme destiné à former une société
naturelle avec ses semblables, et à être membre
d'une société politique, la religion lui est nécessaire-
sous ces divers aspects ; nous le prouverons dans
trois articles. Mais cette cpiestion ne peut être entiè-
rement éclaircie que dans le chapitre YTÏl et les
suivans où nous établirons les ATais fondemens de
la morale et de l'autorité civile : nous nous bornons
ici à examiner les besoins de l'homme. Comme les
incrédules attribuent à la religion tous les maux
qui régnent dans le monde, nous prétendons non-
seulement la justifier de ce reproche 5 mais le faire
retomber sur l'athéisme. Jamais contestation ne fut
plus intéressante, ni plus digne d'occuper un esprit
raisonnable^
(i ?y>t. df la nat. II. part c. 8, p. 333.
8
I
DE LA VRAIE RELIGION- l65
ARTICLE I.
LA RELIGION EST NÉCESSAIRE A l'H0->DLE ,
CONSIDÉRÉ SEUL , ET POUR SON BONHEUR PAR-
TICULIER.
D.
s I-
Uns quelque état que riiomme puisse se trouver,
il lui faut un motif de sécurité pour le tranquilliser
sur son sort présent et à venir ; il a besoin de conso-
lation dans ses peines , d'un frein pour réprimer ses
passions , d'un principe qui le porte efficacement à
la vertu ; la religion seule peut lui procurer ces pré-
cieux avantages; rien ne peut y suppléer.
Pour s'en convaincre , il suffit de jeter un coup
d'œil sur les vérités qu'enseigne la religion primi-
tive ; toutes ont pour but de nous consoler, de nous
encourager , de nous inspirer la confiance , la paix ,
la soumission à Dieu , l'attachement à nos sem-
blables. Elle apprend à l'homme qu'il n'est point
une production du hasard , ou d'une nature aveugle ,
mais l'ouvrage des mains de Dieu , l'objet des
attentions de sa providence. A son usage sont desti-
nées les richesses que renferme l'univers , l'industrie
dont il est doué lui asservit presque tous les êtres.
En formant une société avec ses semblables, en
réunissant ses forces aux leurs, il devient maître
des animaux les plus redoutables ; Dieu les lui a
soumis. S'il fait un usage modéré des dons de la
nature , s'il la rend féconde par son travail , il trouve
en elle une source de biens qui ne tarit jamais. Son
sort n'est point borné à cette vie passagère ; Le désir
1 66 TRAITÉ
de l'immortalité , désir qu'il ne peut étouffer , est le
garant de ses esi)érances , et Dieu les a confirmées
par sa parole. S'il est réduit à souffrir ici bas, c'est
une épreuye momentanée , une expiation de ses
fautes , un contrepoids contre la violence des pas-
sions ; dans ses peines , l'attente certaine d'un avenir
heureux soutient son courage.
Il ne craint point de voir déranger Tordre que
Dieu a établi dans la nature; la sagesse y a présidé ,
la bonté suprême nous répond de sa perpétuité. Dieu
ne le changera point sans raison : l'ordre physique
a une liaison essentielle avec l'ordre moral; celui-ci
est immuable , il est appuyé sur la justice et la
sainteté de son auteur. Dieu, en nous créant, nous
a inspiré une confiance entière à l'évidence de nos
idées, à la voix du sentiment intérieur, à la dispo-
sition de nos sens , au témoignage des autres
hommes : sans cette confiance , l'ordre moral ne
pourroit subsister, toute société seroit impossible,
notre destruction prochaine seroit assurée.
La loi et les principes de justice que je sens
gravés dans mon cœur sont les mêmes dans tous
les hommes ; ils sont le gage d'une siireté et d'une
confiance mutuelle ; c'est à cette leçon de la cons-
cience que Dieu renvoyoit le premier des mal-
faiteurs. Je sens que je dois regarder les autres
hommes comme mes frères ; j'ai donc lieu de comp-
ter sur leur bienveillance réciprocjue ; la satisfaction
secrette que je goûte à faire le bien, me répond de
la vertu de mes semblables. S'il se trouve des âmes
vicieuses, capables de résister à ce doux penchant,
et qui cherchent leur bonheur dans le crime , ce
sont des ennemis cp.ie Dieu li\Te à la vengeance
publique , et qu'il punira lui-même en ce monde ,
ou en l'autre. Dès cpie je connois des hommes qui
croient aussi bien que moi un Dieu juste, et une
DE LA VRAIE RELIGION. l6-
autre vie , je ne cours aucun risque de m'associer
avec eux. Au milieu d'une société d'athées , sur
quoi pourrois-je fonder ma confiance.
Si Adam , devenu malheureux après son péché ,
à portée de compai'er ses peines présentes à sa
félicité passée, n'avoit eu la religion pour se sou-
tenir , quel eût été son désespoir ! Sans doute il eut
attenté à sa vie. Bientôt il vit dans ses enfans le sort
réservé à sa postérité ; la mort d'un de ses fils lui
montra la fin qu'il devoit attendre lui-même :
pendant neuf siècles consécutifs , il eut sous les
yeux le tableau des misères dont sa faute étoit la
source. Mais Dieu lui avoit promis un médiateur
qui fermeroit les plaies de la nature humaine ; la
confiance à cette promesse lui fit supporter sa lon-
gue pénitence.
Quelle eut été la désolation de Job , dans l'état
où il se trouvoit , si , avec sa santé et sa fortune , il
eut perdu sa religion et la confiance en Dieu ? Dé-
pouillé de ses biens , privé de ses enfans , outragé
par son épouse , calomnié par ses amis , abandonné
de ceux qu'il avoit secourus , couvert de plaies ,
exténué par la douleur , il étoit sans ressource en ce
monde : Dieu lui restoit. Job conserve la paix dans
son cœur , sa vertu triomphe de l'adversité ; il laisse
aux siècles futurs un exemple frappant des efléts de
la religion. Nous n'en connoissons point de sem-
blable parmi les athées.
De quelle âireur sont-ils donc animés contre le
genre humain , lorscpi'ils travaillent à lui ôter ce
soutien? ils avouent que l'espérance est le haume
souverain de tous les maux ^*) ; qu'elle nous console
des peines de cette vie plus que toute autre chose ;
que c'est un cordial puissant qui adoucit toute
potion amére, même la dernière ^') : et ils veulent
(i Syst. de la nat. I. part. c. 14 , p. 309. — {1 Boliogbrok,e ,
l68 TllAITÉ
nous la ravir. Je plains les vraies athées , dit un
de nos philosophes ; toute consolation me semble
morte pour eux ^'\ Plaignons-les donc, si nous ne
pouvons pas les guérir.
s II.
Voici le tableau que nous a tracé de l'homme un
ancien philosophe, qui n'admettoit ni Dieu, ni
religion. « Parmi les divers animaux , la préémi-
(( nence est due à l'homme ; c'est à son usage que
u la. natm-e semble avoir destiné toutes ses produc-
« tions ; mais elle lui fait acheter si chèrement ses
« dons , qu'elle psiroit moins agir à son égard
« comme une mère tendre , que comme une cruelle
« marâtre. Il est le seul des animaux qui ait besoin
« de vêtemens empruntés , pendant qu'elle donne
« aux autres diôérentes espèces de couverture ; des
« coquilles , une peau crustacée , un cuir , des
« pointes, du duvet, des soies, du poil, des plumes,
« des ailes , des écailles , une toison. Elle a revêtu
« les arbres et les plantes d'une écorce souvent
« double, pour les garantir du froid et de la chaleur.
« Au moment de la naissance, elle laisse, comme
(( par dédain, l'homme nu étendu sur la terre, et
« lui fait commencer sa vie par des cris et par des
u pleurs ; il n'arrive à aucun enfant de rire avant le
« quarantième j our . A ce triste début succèdent des
u liens , dont les petits des animaux sont exempts :
« le lils aîné de la nature, l'animal qui doit com-
« mander aux autres , a les pieds et les mains en-
« chaînés , il pleure , il souft're , sans autre crime
« que d'être né. Quelle folie de penser qu'une telle
« entrée dans le monde lui donne droit de s'énor-
CEuv. tome V, p. S;.),
(i Peusiies philos, u.^ 22.
DE LA VRAIE RELIGIOÎi. iLV)
gueillir ! Bientôt viennent les maladies , les
remèdes plus fâcheux encore, mille manières de
guérir , toujours remplacées par d'autres. Les
animaux sentent d'abord ce qu'ils sont ; ils com-
mencent , les uns à courir , les autres à voler ,
ceux-ci à exercer leurs forces, ceux-là à nager :
l'honmie ne sait rien , s'il n'est instruit ; ni
marcher , ni parler , ni se nourrir : la nature ne
lui apprend qu'à pleurer. C'est ce qui a fait penser
« à plusieurs qu'ilv audroit mieux ne jamais naître ,
ou périr d'abord. Les larmes, l'amour effréné des
plaisirs , l'ambition , l'avarice , l'attachement
excessif à la vie , la superstition , la perspective
du tombeau , le désir d'exister encore au-delà ,
sont réservés à l'homme seul. Aucun animal n'a
« une vie plus fragile , ni des passions plus violentes,
« n'est plus troublé dans la frayeur , plus emporté
dans la vengeance. Nous voyons les autres sym-
pathiser avec leur espèce , se rassembler , se
réunir contre leurs ennemis ; les lions n'exercent
point leur férocité contre les lions ; les serpens
« ne dévorent point les serpens ; les monstres ma-
« rins ne font la guerre qu'à ceux d'une autre
« espèce : l'homme n'a point d'ennemis plus à
<( craindre que ses semblables ^'^ »
Ce détail de nos misères, auxquelles tout homme
cpji ne croit pas un Dieu ne voit point de remède ,
fit penser autrefois , à plusieurs philosophes , que
les âmes humaines avoient existé avant d'être unies
à des corps , qu'elles y étoient enfermées par la
justice divine conmie dans une prison , pour y ex-
pier , par les souffrances de ce monde , les crimes
qu'elles avoient commis dans un état précédent ^'\
(i Pline, hist. nat. 1. 7, Proem. — (2 lamblique , eilicfrt.
à la phil. c. 8. S. Aug. 1. 4. coutre Julien , c. 12 , n.°6o.
1. 8
170 TRAITE
Ils soupçonnèrent un péché originel , sans être
éclairés par la révélation.
Portons , pour un moment , le flambeau de la
religion sur ce sombre tableau , et voyons s'il n'en
éclaircira pas les traits. La prééminence est due à
l'homme, dit le triste Pline ; à son usage sont des-
tinés tous les dons de la nature ; il aura bien du
malheur, si, dans une source aussi féconde, il ne
trouve pas abondamment de quoi pourvoi^ à tous
ses besoins. Il lui faut des vètemens empruntés ;
mais il a des mains pour les faire ; bientôt il choisira
dans la dépouille des plantes et des animaux, non-
seulement les vètemens les plus nécessaires , mais
les plus agréables et les plus commodes. Les pleurs
accompagnent sa vie ; mais elles avertissent une
mère attentive qui accourt au premier cri : et dans
ce rapport de sensimlité , brille déjà le germe des
tendres affections cpii fonderont la société. Les liens
pourroient être supprimés; les enfans des sauvages
en sont exempts : ce qui vient de la paresse ou de
l'imbécillité de nourrices , ne doit pas être mis sur
le compte de la nature. Avec la sobriété, les maladies
.seront rares , et avec de la patience , les médecins
ne seront pas fort nécessaires. Les animaux sont
d'abord ce qu'ils doivent être , parce que leurs fa-
cultés sont très-bornées, et qu'ils sont destinés à
vi^Te isolés : l'homme doit tout apprendre , parce
qu'il doit être reconnoissant et sociable ; il goûtera
dans la réflexion et dans la vertu des plaisirs purs ,
dont les animaux sont incapables. Si les passions
lui livrent des combats , il a dans sa conscience et
dans sa raison , un frein pour les domi)ter : le prix
du triomphe vaut bien ce qu'il lui en coûtera pour
l'obtenir. Qu'il méprise la superstition ; c'est un
effet de l'ignorance et des passions mal réprimées :
cpi'il interroge la nature , cpi'il écoute la voix inté-
DE LA "STl-UE RELIGION. 171
rieiire , qu'il consulte la tradition primitive ; elles
lui apprendront la religion. Dieu , qui lui a donne
ces guides, y ajoutera de nouvelles lumières, s'il
est lidéle à les lui demander. Il peut envisager jEroi-
dement le tombeau dés qu'il sent en soi-même un
gage d'immortalité. Qu'il soit bienfaisant et juste ,
il n'aura point d'ennemis pai'mi ses semblables ;
s'ils paient ses services d'ingratitude , il a dans le
ciel un juge , un vengeur , un père , qui saura le
dédommager.
§ III. .
Les athées modernes ont gémi , comme les an-
ciens, sur la malheureuse condition de l'iiomme ;
ils ont même exagéré ses peines , pour avoir sujet
d'accuser la providence , et de soutenir que l'homme
n'est point l'ouvrage d'une divinité bienfaisante.
(( Dans cet être sensible, intelligent, pensant, qui
(( se croit l'objet constant de la prédilection divine ,
(( nous ne voyons , disent-ils , qu'une machine plus
« mobile , plus frêle , plus sujette à se déranger par
« sa grande comi)lication que les êtres les plus
« grossiers. Les bêtes dépourvues de nos connois-
« sances , les plantes qui végètent , les pierres
« privées de sentiment , sont , à bien des égards ,
« des êtres plus favorisés que l'homme ; ils sont au
« moins exempts des peines d'esprit , des tourmens
(( de la pensée , des chagrins dévorans , dont celui-
u ci est si souvent la proie ^'\ »
Ce ton plaintif est une preuve convaincante de
la bonne foi des athées. Ils disent que la religion
nous rend malheureux ; qu'il faut étouffer la notion
effrayante d'un Dieu pour être tranquille et heureux.
(1 Syst. de la nat. tome II , c. 5 , p. i55. Le bon sens, § 94.
QuesU sur L'eucycl. Homme , p. 94.
i ;- 2 TRAITE
Depuis qu'ils ont renié Dieu , ils ne cessent d'invec-
tiver contre la nature , d'envier la condition des
brutes et des pierres. Ce sont les damnés qui nous
invitent à leur aller tenir compagnie dans l'enfer.
Quiconque aura le courage de lire leurs écrits ,
y verra un fond d'idées sombres , une teinture de
mélemcolie qui les démasque ; le mécontentement ,
le cbagrin , le désespoir y percent de toutes parts.
Ne soyons pas surpris si la plupart ont prêché le
suicide ; c'est une suite naturelle de l'humeur noire
qui les tourmente. Selon eux , la vie présente est
plus agréable , quand on a perdu l'idée et la crainte
d'un maître suprême ; et lorsqu'ils y sont parvenus ,
ils ne trouvent rien de si beau que de finir promp-
tement cette félicité merveilleuse.
Sans l'idée de Dieu et de sa providence , l'ordie
de la nature , les lois physiques , par lesquelles l'uni-
vers se conserve , ne portent sur rien. Nous ne savons
plus si* le cours des choses continuera d'être le mê-
me ; si le hasard qui a formé ce monde , ne le
détruira pas dans quelcpies momens, ne nous écra-
sera pas sous ses ruines , ne fera pas tout retomber
dans le cahos. L'ordre qui a subsisté jusqu'à présent,
n'a aucune liaison nécessaire avec celui qui doit
sui\Te ; le hasard n'observe ni régie ni constance :
dans cette hypothèse, rien n'est permanent ni
assuré. Le poète de l'athéisme, Lucrèce, nous le
fait remarquer : « Peut-être , dit -il , des tremble-
« mens de terre causeront dans peu de temps un
« bouleversement affreux dans tout le globe ;
« peut-être tout s'abymera-t-il bientôt avec im
« fracas épouvantable. » Par une contradiction
qui lui est ordinaire , ce poète qui bannit du
monde la divinité, conjure la fortune de détcurner
ce malheur :
Ï)E LA \'RAIE RELIGION. 17:>
Qacd procul a nobis flecUt fortuua guberriaBs^*\
Un de ses disciples nous avertit que le mouve-
ment dispersera peut-être un jour les parties dont
il a formé ces masses merveilleuses , desquelles le
système de l'univers est composé; que nous ne
savons pas si la nature ne rassemble point actuel-
lement dans son laboratoire immense les élémens
propres à faire éclore des générations toutes nou-
velles , et qui n'auront rien de commun avec celle
des espèces existantes à présent , et à former un
autre univers ^'\ Selon les athées , notre sort pré-
sent et futur n'est fondé que sur un peut-être.
Dans cette hypothèse insensée, plus de certitude
sur ce qui nous intéresse de plus près. Quand nous
nous fions à nos sens , que savons-nous si nous
n avons pas affaire à de faux témoins? Savons-
nous même si notre cerveau n'est pas conformé de
manière que nous prenons toujours le faux pour le
vrai ? Sommes-nous certains que demain tous les
hommes ne s'accorderont pas à nous tromper? etc.
Voilà du moins un argument personnel que les
sceptiques sont en droit de faire aux athées ; et
auquel ceux-ci n'ont rien à répondre. C'est par-là
que l'athéisme a frayé le chemin au scepticisme :
mais nous en prouverons ailleurs l'absurdité.
§ IV.
D n'est pas au pouvoir de l'homme de borner scp/
soins , ses vues , ses espérances à la vie présente ; il
est déterminé , par la nature , à porter ses regards
dans l'avenir , à se promettre l'immortalité ; c'est
ce qui lui adoucit les frayeurs et les angoisses de la
(i Lurrr. î. 6, ijr. y8. — (2 Syst. de la nat. I. part. c. 3, p^
•JQ., c. 6, p. 86.
i 7 ± TRAITE
mort. Il n'envisage point de sang froid la perspec-
tive d'un anéantissement total ; il ne peut s'y
résoudre que dans un moment de désespoir. S'il
n'y a rien pour lui au delà du tombeau , il est réduit
à lutter toute sa vie contre un désir insensé , contre
un penchant tyrannique qui ne sera jamais sa-
tisfait.
« Les anciens et nouveaux épicuriens , dit un
u philosophe anglois , excitent mon indignation ,
« lorsqu'ils vantent , comme une grande acquisi-
« tion , la certitude où ils sont , que tout meurt avec
« le corps. Si cela étoit vrai, cette découverte seroit-
« elle bien consolante?... Je n'hésiterois pas à
« choisir , si on me proposoit d'exister après ma
<( mort ou de mourir tout entier ^'\ »
Les athées répondent que cette espérance seroit
consolante , si elle n'étoit troublée par la crainte
d'être éternellement malheureux ; mais que la vue
de cette alternative suffit pour empoisonner toute
la vie. Qui a lieu de craindre ? Les scélérats , et non
les gens de bien : l'espérance de ceux-ci est ferme,
tranquille, sans mélange d'inquiétude ni de défian-
ce. La situation contraire des athées ne prouve ,
ni leur goût pour la vertu , ni le calme de leur âme.
Sublimes docteurs , qui voulez me faire ramper
avec les brutes , pardonnez à mon impuissance ;
mon corps se refuse à l'effort que vous exigez de
moi. Ma tête, élevée vers le ciel , porte, malgré
moi , mes regards vers l'auteur de mon être , me
fait envisager le séjour qui m'est destiné, et la
main qui m'a comblé de bienfaits *>'>. Mon âme
(i Bolingbroke, OEuv. t. 5 , p. 49'-
(2 Pronaque cum spectcnt animalia cictera terram ,
Os houiini sublime dcdit, cœltioiqtie lueri
Jussit, ttaiiectusad sideia tolltrc vuUus.
Ovide.
DE LA VR.UE IIELIGIOS'. IfO
sensible , reconnoissante , portée à la vertu , se
révolte encore contre l'anéantissement dont vous
la menacez. Elle se sent assez forte pour subsister
sans la matière ; elle embrasse l'éternité dans ses
désirs et dans ses projets. Un acte de vertu vaut
mieux qu'un siècle de cette vie , que vous peignez
si malheureuse.
Mais , dans le système des athées , il n'y a plus
ni vice ni vertu. Les appétits naturels sont la seule
règle des actions humaines , comme ils sont le seul
principe des mouvemens des animaux ; le conten-
tement des passions est le seul bonheur ; l'homme
li'a ni la liberté d'y résister . ni aucune raison de
les combattre. Dès qu'il peut les assouvir, il en a
le droit ; tout ce qui contrarie la nature est un
vice; tout ce qu'elle commande est une vertu. Si ,
en cherchant son bien-être , l'homme nuit à celui
des autres , c'est un malheur pour eux , mais ce
n'est pas un crime pour lui. Concentré en lui-
même , sans aucune relation avec ses semblables
que celle de l'utilité , il peut regai'der tous les êtres
qui l'environnent comme les instrumens de sa
félicité : peu lui importe que le genre humain
souffre , pour\Ti que lui-même soit heureux.
Si j'ai le droit de penser ainsi à moi seul , et de
rapporter tout à moi , il n'est aucun de mes sem-
blables qui n'ait le même privilège ; dès lors , quel
fond puis -je faire sur leur bienveillance, leur
équité, lem's services? Quelle siireté y aura-t-il
pour moi à vivre avec eux ? Ce sont autant d'en-
nemis prêts à me sacrifier à leur utilité ; je dois
donc les ftiir , et \iYre dans une crainte continuelle
de leur méchanceté.
176 TILVITÉ
S V.
A quelle cause peut -on attribuer les divers
outrages faits à la nature humaine dans tous les
temps et dans tous les lieux , par les tyrans qui
1 ont asservie , et qui en ont fait le jouet de leurs
caprices ; par les vainqueurs barbares qui se sont
abreuvés de sang ; par les maîtres brutaux cpii ont
traité leurs esclaves comme de vils animaux ; par
les pères dénaturés qui ont étoufi'é leurs enfans ou
les ont empêchés de naître ; par les législateurs
aveugles et par les philosophes qui ont approuvé
tous ces crimes ? N'est-ce pas à l'ignorance ou à
l'oubli volontaire de la dignité de l'homme ? Si ces
monstres divers avoient été persuadés que l'homme
est créé à limage de Dieu , que nous sommes tous
frères , tous chers à la providence du créateur , tous
destinés au bonheur éternel promis à la vertu ,
auroient-ils été capables des excès auxcpiels ils se
^ïOnt portés ? L'homme, frappé de ces vérités lumi-
neuses et consolantes , ne doit-il pas être moins
t-xposé à se livrer aux crimes honteux et brutaux
qui déshonorent l'humanité ?
Dés que l'on établit pour maxime que l'homme
n'est qu'un vil composé de matière, je ne vois plus
en quoi tous ces fléaux de notre espèce ont été
repréhensibles. Ils ne sont pas plus punissables
que les lions et les tigres. En se jouant de la vie ,
de la liberté, des mœurs, du sort de ceux que le
hasard avoit mis à leur discrétion , ils ont raisonné
conséquemment ; ils ont traité l'homme comme
nous traitons un animal ou un tronc de matière
insensible. S'ils n'ont pas été athées ou matéria-
listes par principes , ils l'ont été par stu])idité et
par passion : cela étoit fort égal pour leurs mal-
heureuses victimes.
DE LA VRAIE RELIGION. \nj
Dans ces situations accablantes d'un peuple
oj)primé par des rois sanguinaires ou abrutis ,
d'un troupeau d'esclaves livrés aux passions d'un
maître cruel et dissolu , d'une multitude asservie
à des lois absurdes , quelle consolation reste-t-il
aux infortunés pour adoucir leur misère ? S'ils
pensent comme leurs oppresseurs , quelle ressort
peut encore donner à leur âme un reste d'énergie?
Un destin inexoraljle a tout ordonné ; le ciel et la
terre sont sourds à leurs plaintes.
C'est alors que la religion vient au secours des
malheureux, et ranime leur courage. Elle leur
apprend qu'il y a dans le ciel un juge suprême
qui entend leurs cris , et qui est touché de leur
sort , qui exercera une justice sévère contre les
auteurs de leurs maux , qui dédommagera tôt ou
tard les innocens de leurs souffrances. Elle les
autorise à réclamer les droits de l'humanité , à
citer au tribunal de la justice divine les insensés
qui se flattent de l'impunité. Que sait-on si des
plaintes, fermes et appuyées par des motifs religieux,
ne toucheront pas enfin ces hommes durs qui se
croient les seuls dieux de la terre? Combien de fois
un appareil de religion n'a-t-il pas fait tomber
le fer des mains d'un vainqueur affamé de car-
nage?
Pour conserver dans l'homme quelques étincelles
de vertu , de force , de fermeté dans le malheur , ij
est essentiel de ne point l'avilir ; il peut se relever
et trouver des ressources , tant qu'il est capable de
sentir ce qu'il vaut ; mais s'il oublie sa pro})rc
nature, ce n'est plus qu'un animal qui a dé-
généré.
s:
1'^ TRAITÉ
§ VI.
Si quelqu'un se flattoit de pouvoir goiiter le
])Onheur et la paix dans rincrédulité, je le conju-
rerois de peser les réflexions suivantes d'un maté-
rialiste moderne. « Pour des hommes foibles et
« corrompus , une religion dogmatique et la
« supposition d'une i»remiére cause , deviennent
<( nécessaires. Si vous êtes d'un tempérament dé-
« licat , tendre , craintif, n'entreprenez jamais de
'( sortir du théisme ou de la croyance d'un Dieu :
« le reste de votre vie sei'oit un combat continuel
« entre la raison et les préjugés de religion.... Une
origine divine , l'attente d'un bonheur éternel ,
'( flattent l'amour-propre , et peuvent produire
de grandes choses , aussi bien que l'envie de se
rendi-e recommandable à la postérité.... Tant
que l'espérance d'un bonheur éternel subsiste ,
un théiste n'a point à se [)laindre de ce qu'il
lui a sacrifié.... Le passage d'une croyance à
une autre croyance n'est rien en comparaison
de ce qu'il y a à faire pour parvenir à ne croire
rien. Quoiqu'il ne s'agisse que d'opinions spé-
culatives , il se fait une révolution dans le phy-
sique , et cette refonte de tout l'être demande
une organisation vigoureuse , à laquelle il ne
manque rien pour former d'immuables réso-
lutions.... Mais au terme de la caducité , la
terreur naturelle d'une destruction prochaine
se joint à l'ascendant qu'ont eu sur nous nos
premiers principes de religion : nou^ nacons-
plus besoin de ces raisons (jni nous trcuiquil-
lisoient au sein des plaisirs , et qui étaient
le mobile de notre supériorité cuv opinions....
u ?>Iai5 si l'on a bien approfondi une vérité en
DE LA VR-ilE IIELIGION. 379
( santé , et qu'on l'ait admise sur de solides
«V ibndemens , comme ce qui est vrai de sa ua-
« ture l'est toujours , c'est en vain qu'on en
i( changera les termes pour la détruire en moi ;
« je peux sans risque m'en tenir à la première
« démonstration ^'K »
On ne peut pas avouer plus clairement i .° Qu'avec
un esi)rit di'oit et un cœur vertueux , il n'est pas
possible de devenir incrédule consommé ; que , pour
atteindre là , il faut U7ie révolution dans le physique,
ou un renversement de cerveau. 2.° Qu'au terme de
la caducité , les prétendues raisons , qui trancfuil-
lisoient au sein des plaisirs , dis])ai'oissent et font
j)lace aux remords : l'auteur avoue que cet état est
})lus cruel que d'expirer sur la roue ''>.5.'' Qu'à moins
d'avoir des démonstrations aussi claires que le jour
de la fausseté de la religion , c'est un trait de folie
d'embrasser l'incrédulité pour se tranquilliser dans
les plaisirs. Et où sont les démonstrations des incré-
dules? 4.° Que le souvenir de notre origine et
l'espérance d'un bonheur éternel , sont pour l'hom-
me le plus doux motif de consolation . et le ressort
le plus puissant pour l'exciter à la vertu ; que comme
ces deux grands mobiles ne s'afîbiblissent jamais
dans mi homme vertueux , il n'a point de repentir
à craindre . et qu'il ne doit pas regretter à ce prix les
sacrifices qu'exige la religion , puisqu'il en est
déjà dédommagé dans cette vie ])ar l'heureux calme
qu'elle lui procure. 5.° Que quand, par impossible ,
nos espérances pour l'autre vie seroient fausses , le
j)arti le plus sage et le plus avantageux seroit encore
de viATe en ^Tai chrétien : or, quiconque vivra ainsi ,
ne sera jamais tenté de donner dans l'inéligion.
G.'' Que puisque les incrédules ne peuvent alléguer
aucuac démonstration solide ni capable de produira
'1 Diiîogues sur râuic , p. i3n et 5u:v. — (2 Ib ,1. j). ij^.
1^0 TRAITÉ
eu eux une ferme persuasion, ils nous en imposent
lorsqu'ils se vantent d'être parfaitement tranquilles;
que cette bravoure d'appareil n'est qu'une vanité'
imërile et une aÔectation ridicule. Ce fait est con-
formité par l'aveu de tous ceux qui, revenus du
libertinage, se sont remis entre les bras de la reli-
oion; ils confessent in génuement qu'ils n'ont jamais
été tranquilles dans l'incrédulité ; cpi'au moment
même où ils feignoient de braver le danger , ils
trembloient de peur intérieurement.
§ VII.
L'auteur du système de la nature , malgré le ton
dogmatique et impérieux qui régne dans son ou-
vrage , a fait à peu prés la même confession. Il
reconnoît que l'idée d'un Dieu , inculquée dès l'en-
fance la plus tendre , ne paroît pas de nature à
pouvoir se déraciner de l'esprit du plus grand
nombre des hommes ; qu'il est entièrement impos-
sible de la détruire : qu'un sage ne peut se proposer
autre chose , cpie de fournir aux personnes , accou-
tumées à penser, des raisons pour douter ^'\Nous
avons rapporté ailleurs le mot de Toland , par lequel
il exprimoit ses agitations ^'\ Voilà donc où se
réduit la prétendue conviction , la paix , la tranquil-
lité de ces sages maîtres, à douter et à tourmenter
par leurs doutes ceux qui veulent leur prêter l'oreille.
C'est donc un zèle infernal cpii les porte à répandre
leur doctrine, à jeter le trouble et l'inceititude dans
les esprits tranquilles au sein de la religion.
Nous prions le lecteur de se rappeler les autres
passages des incrédules , que nous avons cités dans
lintroduction à cet ouvrage, § li et i3, de les
fi ?v r (\- la v-xx. t. IT. c. Il; p 33i : c. i3 , p. 38ï , îSj.
— (2 Introd. § 12.
DE LA VRAIE RELIGION. idi
comparer avec ceux-ci , et d'en conclure quelle doit
être la situation intérieure de ceux qui parlent si
haut contre la religion.
D'autres conviennent sans détour , que la religion
est naturelle et avantageuse à l'homme. Shasteshury
dit que l'homme n'est pas né seulement pour la
vertu , l'amitié , l'honnêteté , la fidélité , mais encore
pour la religion et la piété ; qu'il doit se soumettre
généreusement à l'ordre des choses, plier son ju-
gement à la volonté de la cause suprême qu'il
reconnoît entièrement juste et parfaite ^'\ Boling-
broke avoue que l'homme est une créature religieuse
aussi bien que sociable , faite pour connoître et
adorer son créateur , pour apprendre ses volontés
et les suivre. Les grandes facultés de la raison , dit-
il , et les moyens d'instruction , nous ont été donnés
en plus grande abondance qu'aux autres animaux ,
pour nous mettre en état de remplir les glorieux
desseins de notre destination , dont la religion est
indubitablement l'objet principal. C'est en cela que
consiste la dignité de notre espèce, et sa supériorité
sur toutes les autres '\
Tel étoit le langage unanime de tous nos pliilo-
sophes, lorsqu'ils nous préchoient le déisme ; ils ont
pris un autre style depuis qu'ils se sont convertis
au matérialisme. Mais l'homme ni la religion n'ont
point changé de nature au moment où ces graves
doctem's ont changé d'opinion. Jusqu'alors ils
étoient convenus que la religion est utile, conso-
lante, indispensable à l'homme; comment lui est-
elle devenue tout-à-coup incommode et pernicieuse?
Ils connoissoient alors , comme aujourd'hui , les
prétendus inconvéniens qui en résultent, puisqu'ils
ne font contre elle que des objections sm-années ,
(i Charscterislics, tome IN , p. 22}. — .'2 OEuv. tome V,
p. 3^0, 3r)0, '',;o.
102 TRAITE
dont la plupart ont au moins deux mille ans d'an-
tiquité. Depuis \ingt ans, la religion a-t-elle causé
de plus grands maux qu'elle n'avoit faits depuis le
commencement du monde? Les derniers écrits des
incrédules sont donc réfutés d'avance par leurs
ouvrages antérieurs ; mais malgré le ridicule dont
ils sont couverts, nous ne refusons point encore de
les enteudi'e.
§ vni.
Première ohjection. C'est rendre à l'homme un
service essentiel, que de le délivrer de la crainte
d'un aveniv incertain, et de l'idée importune d'un
Dieu vengeur. « Qui peut supporter, disoit l'épi-
<( curien Velleïus , le joug d'un maître éternel que
« l'on doit craindre jour et nuit , qui prend soin de
« tout , qui pense à tout , qui voit tout et qui s'en
u occupe , d'un Dieu cui'ieux et aflairé qui n'oublie
« rien ^'^ ? » Lucrèce nous vante le projet formé par
Epicure, de détrôner les dieux, comme un triomphe
qui rend à l'homme sa liberté natm'elle , et le met
j la place des tyrans qu'il redoutoit ^". Les athées
modernes n'ont fait que répéter et coumienter ces
réflexions.
Réponse. C'est un beau projet sans doute de
mettre à leur aise tous les scélérats , de calmer les
remords qui les déchirent , de leur ôter le seul û'ein
qui pourroit les retenir ou les faire rentrer en eux-
mêmes. C'est rendre un service important aux gens
de bien , de leur apprendi-e qu'ils n'ont rien à
espérer de leurs vertus ; que s'ils souflient ici bas ,
ils ne peuvent rien attendre de mieux après la mort.
Le succès de cette entreprise ne manqueroit i)as de
(i Cicero, de nat. Dcor. I. i , u.<» 5 |. — (i Lucrèce , I. i ,
i. 80.
DE LA VRAIE RELIGION. i 85
produire les plus heureux eftets dans le inonde.
Pour la couronner , il ne resteroit qu'à détruire
encore les lois civiles , parce qu'elles gênent la
liberté de l'homme j les peines afflictives, l'infamie,
parce qu'elles sont un objet de crainte : alors les
niéchans n'auront plus aucun obstacle qui les em-
pêche de faire ce qu'ils jugeront à propos.
Parce que la religion est un frein, ce n'est pas
une raison de la détruire , mais un motif de la con-
server. L'homme, né avec des passions fougueuses,
seroit le plus intraitable de tous les animaux, si on
ne lui mettoit des chaînes; la société seroit impos-
sible , la terre ne seroit pas habitable, s'il n'y avoit
aucun objet de terreur pour réprimer les malfai leurs.
On ne peut donc trop multi})lier les moyens de i)ré-
venir leurs attentats , ni élever autour d'eux de
trop fortes barrières. Il faut que l'homme craigne
pour être vertueux et raisonnable; lorscpi'il l'est, la
religion n'est plus pour lui un sujet de crainte , mais
de consolation. S'il y a des dieux , disoit l'empereur
.Marc-Antonin , les gens de bien ne doivent pas
craindre la mort ; s'il n'y en a point , que sont-ils
sur la terre ?
Il étoit pardonnable aux épicuriens d'envisager
les dieux du paganisme comme des t^Tans auxquels
on ne pouvoit plaire que par le crime , de proscrire
un culte qui , loin de rendre les hommes meilleurs ,
les rendoit souvent plus médians , de déclamer
contre une religion absurde et corrompue. Mais le
Dieu que la nature nous montre , et que la vraie
religion nous prêche, ne ressemble point aux dieux
d'Athènes et de Rome. Ce n'est point un maître
bizarre, injuste , vicieux , capable de faire du mal
aux hommes pour se repaître de leurs larmes ; il
est juste, sage , bienfaisant, miséricordieux, digne
de notre amour et de notre confiance : c'est le Dieu
1 d-k TR-llTE
(les cœurs vertueux; il n'est à redouter que pour les
mëchans.
En témoignant tant d'aversion pour la religion .
quelle idée les incrédules veulent-ils nous donner
de leur propre cœur? Ils ne veulent pas que le
crime ait rien à craindre après cette vie ; quel intérêt
les engage aie protéger? Us ôtent tout espérance à
la vertu souffrante ; est-ce une preuve d'amitié
pour elle ?
Sans cesse ils répètent que l'idée de Dieu inspire
l'efîroi ^'K Nous ne doutons pas que cette idée ne les
tasse souvent trembler ; qu'ils soient vertueux et
religieux , ils ne trembleront plus.
s IX.
Deuxième objection. La religion rend l'homnif
l^eureux et lâche; toujours frappé de l'idée d'uji
Dieu irrité , il vit dans la crainte des maux de ce
monde , et dans la frayeur d'une éternité malheu-
reuse ; il seroit incapable d'imiter la constance des
stoïciens, qui attribuoient tout au destin. Dés qu'il
croit que ses maux sont un ordre du ciel , il ne lui
est pas permis d'y chercher du remède ; il ne doit
attendre de ressource, ni de lui -même, ni des
autres ^'\
Répoîise. Tous ces reproches sont faux et ab-
surdes. Que l'homme soit athée ou non , en est- il
plus à l'abri des maux de cette vie? Les fléaux
tombent-ils plutôt sur ceux qui ont une religion ,
que sur ceux qui n'en ont point? Il est donc faux
que les premiers en doivent être plus affectés que
les sjconds. Les su])plices de l'autre vie sont pour
'i Le bon sens. Préface, p. ij, 63 . C6 ) i20,j83,i8S. — •
(a Ibid. p. iij , 5 108 , etr.
DE LA VRAIE RELIGION. l83
les médians ; un athée a donc plus de sujet de les
redouter cfu'un croyant.
Dans l'état de souffrance , tout l'avantage est
évidemment pour celui-ci ; il sait cjue la justice
divine se laisse fléchir par nos prières ; que par la
patience il peut mériter un bonheur éternel : voilà
deux motifs de courage dont l'athée est absolument
privé. Conçoit-on que ces motifs puissent rendre
un homme lâche?
Il est faux que les stoïciens aient montré plus de
constance que les patriarches , que les saints de
l'ancien et du nouveau testament. Aucun plilosophe
n'a jamais été mis aux mêmes épreuves que Job ; et
nous présumons qu'un stoïcien , à la place de ce
saint homme , auroit fait une triste figure, Cicéron ,
d'ailleurs , a très-bien observé que les principes du
stoïcisme ne convenoient point à l'humanité en
général ^'\ La constance de quelques stoïciens étoit
plutôt un effet d'orgueil et d'opiniâtreté , que de la
réflexion : les sauvages poussent plus loin qu'eux
l'insensibilité dans les supplices ^'\
Il est encore faux que la croyance d'une provi-
dence nous empêche de recourir aux remèdes hu-
mains : la religion ne nous défend pas plus les
ressources temporelles dans les souffrances , que le
travail et l'industrie dans la prospérité.
Depuis le commencement du monde , tous les
peuples ont cru à la providence : dira-ton cpi'aucun
n'a été actif, industrieux , attentif à ses intérêts ,
occupé de son bonheur temporel ; qu'il faut être
athée pour avoir de la raison et du bon sens ? Nous
verrons au contraire , que de tout temps les athées
ont été les plus inutiles et les plus insensés de tous
les hommes ; que tous les peuples chez lesquels
(i Pro Mnraena,n.<» 60. — (2 Voyages de Lt Beau. Recherches
pliilo;. sur les Américains, tome I, p. ^i.
1 36 TRAITÉ
l'athéisme s'est introduit , ont couru a leur
ruine.
§ X.
Ti'oisîenie objection. L'espérance d'un bonheur
éternel dans l'autre vie , n'est fondée que sur notre
orgueil : nous nous persuadons que l'homme est
fait pour être heureux ; que s'il ne l'est pas en ce
monde , il le sera dans Tautre ; que s'il en arrive
autrement , c'est qu'il a péché. Tel est le préjugé
([ui a fait naître la croyance d'une chiite originelle,
et la rêverie de la préexistence des âmes. L'une de
ces opinions n'est pas mieux fondée que l'autre.
L'homme souÔre aussi bien que les animaux ,
parce qu'il est de l'essence d'un être sensible d'être
sujet à la douleur ; dirons-nous que les brutes sont
coupables d'un péché originel "^'^
Réponse. Avant d'examiner toutes ces supposi-
tions , nous demandons d'abord aux athées laquelle
de ces deux croyances est la plus consolante ; que
nos souffrances viennent de l'essence des choses ,
de la nécessité , du destin , ou qu'elles nous sont
envoyées par la providence ; que nous sommes nés
pour être heureux ici ou ailleurs , ou que nous
sommes nés pour n'être jamais heureux. Nous
tiennent-ils la parole qu'ils nous ont donnée de
nous délivrer des idées tristes , en tious débarras-
sant de la religion ? Y a-t-il une idée plus triste et
plus désolante que celle du destin ? « Il vaudroit
« encore mieux , dit Epicure , croire les fables
« populaires touchant la divinité , que de nous
« mettre sous le joug de cette fatale nécessité
« introduite par quelques physiciens. Du moins
'( y a— t-il quelque espoir d'appaiser la colère de
(i Le bon stns , ^ ytj.
DB LA VRAIE RELIGION. 107
« ces dieux par un culte , quel qu'il soit ; mais
« rien ne peut fléchir l'impitoyable nécessité ^'\ »
Le patriarche des athées a mieux raisonné qu'eux.
L'espérance du bonheur éternel n'est point fon-
dée sur notre orgueil , mais sur la notion d'un Dieu
l)on , juste , sage , qui a créé l'iiomme ; il ne l'a pas
destiné à être malheureux sans être coupable. Tan-
tôt les athées accusent la religion de nous oter le
courage , et tantôt de nous inspirer de l'orgueil :
r'est l'athéisme qui , en nous ôtant toute espérance .
nons avilit et nous dégrade.
Que la préexistence des âmes soit un rêve , cela
ne prouve pas cjue la révélation du péché originel
est fausse. Les souflrances des animaux , leur na -
ture , leurs opérations , sont un mystère pour les
athées aussi bien que pour nous ; personne n'est
en état de démontrer , par un calcul exact de leurs
sensations , si leur sort est heureux ou malheureux :
or l'ignorance ne prouve rien. La justice et la bonté
divines sont démontrées par des raisonnemens mé-
taphysiques , aussi bien que par l'expérience ; c'est
de là qu'il faut partir pour juger des phénomènes
qui nous sont inconnus , et non de ces phénomènes
inconnus pour attaquer des vérités suffisamment
prouvées. Que nous importe le sort des animaux ,
pourvu que nous soyons assurés du nôtre ?
Lecteur sensé , voyez la perspective que l'incré-
dulité donne à ses sectateurs ; une vie courte et
malheureuse , qu'ils peignent eux-mêmes comme
le don d'une nature marâtre , et l'incertitude entre
le néant futur et une éternité de malheur : rien de
])lus. A cet aspect , peut-on hésiter un moment
entre l'athéisme et la religion?
(i Lettre à Mcne'cée , n." 14.
S8 TR-^ITÉ
S XI.
Quatrième ohjectionA." L'on a cru , dans tonte.^
les religions , que Dieu prenoit plaisir aux tourmens
de ses créatures; que le meilleiu' moyen de lui
plaire , étoit de se traiter durement ; que moins
l'homme épargneroit son corps , plus Dieu auroit
pitié de son âme : ce préjugé régne encore chez les
chrétiens , chez les mahométans , chez les païens ^'\
Il ne peut servir qu'à rendre l'homme ennemi de
soi-même et de son propre bonheur.
2.° L'homme a supposé la divinité toujours
irritée contre ses créatures ; il attribue à sa colère
les calamités , les désastres , les fléaux qui sont la
suite nécessaire des lois de la nature ; c'est ce qui
fait recourir aux prières , aux expiations , à la
pénitence. Ces idées lugubres ont fait de la terre
un séjour de larmes, et de la religion une fiè-sTe
mélancolique.
S.'' En persuadant à lliomme qu'il est né pour
souffrir , la religion lui fait conclure que la vertu
n'est pas un moyen de se rendre heureux sur la
terre ; elle casse le ressort le plus capable de porter
l'homme à la vertu , de l'engager à travailler à son
bonheur et à celui de ses semblables.
Réponse. Ces idées lugubres n'ont de réalité
que dans l'imagination des incrédules. S. Augustin
les a réfutées il y a treize cens ans ^ \ En premier
lieu , les philosophes qui ont prêché la tempérance
et la mortification des sens , n'ont point fondé
cette morale sur le désir de plaire à Dieu et de
l'appaiser , mais sur la nécessité de dompter les
appétits du corps, pour perfectionner les fonctions
(i Tindal, (Ihristian. ?ussi anrien qup le monde, c. 8, p. 77.
— (2 Scrm de ulilit. Jejunii^ c. 3, u." i.
DE LA VR-^IE rjELIGION'. lu;^
de l'âme. Ceux d'entre les épicuriens qui se conten-
toient de j)ain d'orge, ne pratiquoient pas le jeûne
à l'honneur de la divinité à laquelle ils n'attri-
buoient aucune providence ^'\ Si cette morale dé-
plaît aux épicuriens modernes , leur goût ne prouve
rien : si au contraire des esprits austères et mé-
lancoliques ont quelquefois poussé trop loin la
haine d'eux-mêmes et les macérations, la reli-
gion n'en est point responsable j elle défend tous
les excès.
En second lieu , les fléaux qui aiTivent , sont ,
ou la suite nécessaire des lois de la nature , ou
un effet des volontés de son auteur ; il n'y a pas de
milieu. Laquelle de ces deux suppositions est la
plus consolante et la plus capable de nous inspirer
du courage ? On peut fléchir la divinité -, mais ii
ny a point de remède contre la nécessité. Quand
la première supposition seroit une erreur , cjuel
mal produit - elle ? Elle console l'homme , elle
l'engage à renoncer au crime , à faire de bonnt;S
jbeuvres ; est-c€ un malheur?
En troisième lieu , que l'homme se croie né peur
souffrir ou pour être heureux , il ne comprend pas
moins que la vertu est la seule consolation solide
dans les afflictions , et le plus juste sujet de conten-
tement dans la prospérité. Vainement il se flatteroit
de l'espérance d'un bonheur parfait sur la terre ,
pendant qu'une expérience universelle et constante
lui prouve le contraire. Mais cette même expérience
lui apprend que la vertu est le seul moyen de nous
procurer ici bas un sort , sinon parfaitement heu-
reux , du moins supportable, par l'espérance qu'elle
fleule peut nous donner d'un bonheur éternel. Les
hommes les plus exercés à souffrir . ne sont pas
ordinairement les plus médians , et les épicuriens
(i Porphyre, de l'abstin. 1. 1 , n.» 48.
190 TPcVITÉ
heureux ne sont pas les citoyens les plus utiles au
monde. A qui la vertu doit-elle être plus chère , à
celui qui n'espère rien après la mort , ou à celui
qui croit qu'elle sera récompensée par un bonheur
infini ? Nous en appelons à l'expérience , et nous
en donnerons les preuves dans l'article suivant.
ARTICLE IL
NECESSITE DE LA RELIGION , POLTl FONDER LA
SOCIÉTÉ ENTRE LES HOI\DIES.
§1. ,
Avant qu'il y eût des philosophes , on n'avoil
jamais mis en question si l'homme est né pour la
société , s'il lui est moins avantageux de vivre isolé
et sauvage , que de se réunir à ses semblables. La
plupart des peuples ont fait , dans leur origine ,
l'expérience de la vie errante et nomade ; leurs
l)esoins mutuels les ont forcés de se rapprocher.
Depuis qu'ils ont goiité les avantages de la société
civile , aucun n'a regretté l'état de ses ancêtres, et
n'a été tenté d'y retourner. Les premiers auteurs
de la police et des lois , ont été universellement
regardés comme les bienfaiteurs du genre humain.
Il est certain que les sauvages sont naturellement
tristes et mélancoliques; à tout prendre , il y a peu
de différence entre leur condition et celle des brutes.
Réduits souvent à manquer du nécessaire , ils n'ont
point de subsistance assurée; obstacle invincible à
la population : toujours emportés par des passions
DE LA VII.UE RELIGION. J^L
excessives, ils semblent dominés par le seul instinct ;
cruels à l'excès dans la vengeance , ils n'ont au lieu
de courage qu'une fureur aveugle ^'\ Les différentes
hordes . presque toujours ennemies, ne cessent do
s'entre-détruire pour jouir d'un terrein plus vaste
et plus })euplé de gibier. Partout où les hommes
sont dispersés , réduits à quelques familles vaga-
bondes , la terre n'est qu'un désert habité par les
betes féroces et venimeuses "'\ Pour juger sainement
de cet état, il ne faut point consulter les philosophes
à système , mais les voyageurs , les témoins ocu-
laires.
A moins que les hommes ne soient réunis , ils
ne peuvent jouir des dons de la nature , déployer
leurs facultés ni leur industrie ; par la jonction de
leurs forces , ils exécutent ce que ne pourroient
entreprendre des particuliers isolés. La terre, rendue
féconde par la culture , fournit le nécessaire et
souvent le superflu à un peuple immense ; l'homme
n'est plus réduit à disputer sa pâture aux lions et
aux tigres : six lieues quarrées de terrein cultivé ,
peuvent nourrir plus de monde , que cent lieues de
terre en friche. Comparez aux fertiles contrées de
l'Europe , les vastes solitudes de l'Amérique , cou-
vertes de bois , de marais , de vapeurs pestilentielles ,
d'herbes empoisonnées , de reptiles dangereux ; et
voyez ce que produit la société parmi les hommes.
Ceux qui prétendent que , dans la vie sauvage ,
l'homme est plus paisible et moins vicieux que dans
l'état de société , nous en im])Osent. Pour faire un
(i Les Algonquins réunis aux. Iroquois pour une partie de
chasse, et jaloux, de ce que ceux-ci avoicnt été plus heureux ,
les massacrèrent pendant qu'ils dornioicnt. îlisl. des étaLli«s.
des Europ. dans les Indes, t. VI, I. i5, p. 32, 4i, 54. —
(2 Ibid. p. 14 et suiv. Reclierches philos, sur les Amer, tome 1 ,
p. n3. Orig. des loix , elc. I. part. 1. 6, c. 4. Hisl.natur. toi.c
IX, p. xiij. Hist. dcrAméiique par M. Robertsou, etc.
i^2 TRAITE
j)arallèle exa-ct, il faudroit comparer mille familles
réunies par la vie civile , avec un nombre égal de
familles sauvages , ou un égal nombre d'hommes :
calculer ensuite combien , dans un espace de vingt-
ans , il se commet de crimes chez les uns et chez les
autres , et combien il se fait d'actes de vertu. J'ose
affirmer que l'avantage seroit pour le moins qua-
druple du côté des premières. Mais ce calcul n'est
pas aisé , et sans cela les spéculations se trouvent
fautives.
Vainement un philosophe a em])]oyé tout l'art
imaginable à prouver , que la vie sauvage est l'état
naturel de l'homme ; que la société n'a servi qu'à
le corrompre et à le rendre malheureux ^'^ ; c'étoit
prétendre , en d'autres termes . que })lus l'homme
se rapproche des brutes , plus il est parfait : nous
réfuterons ses sophismes dans le chapitre XI. Un
autre prétend que les sauvages sont beaucoup plus
heureux que le.3 peuples policés ^'\ et il prend lui-
même la peine de prouver ailleurs le contraire ^'\
Tous ces prestiges de philosophie n'étoufferont
jamais la voix de la natm^e, ni les lumières du sens
commun. Nous sentons que nous sommes faits pour
nos semblables et qu'ils sont faits pour nous . que
les ser>'ices mutuels nous rendent la vie plus
agréable. Les mouvemens de l'amitié, les liens du
sang , le commerce social , sont le plus doux charme
de la vie ; la satisfaction de faire du bien est souvent
plus vive que celle d'en recevoir ; hors de l'état de
société , la vertu est presque sans exercice , et la
j)lupart des facultés de l'homme ne sont d'aucun
usa^e.
(i Discourï sur les fondemens de l'inégalité et sur les effets
des sciences et des arts. — (2 Hist. des établiss. des Européens
dans les ludes, tome M, 1. 17, p. 198. — (3 Ibid. l. i5. 1. p.
1 i et suiv. Le tableau de la rie sauvage.
DE LA YRME RELIGION. 1C)3
§11.
La première intention du créateur étoit de ras-
sembler les habitans du monde , et non de les
disperser, puisqu'il n'avoit formé qu'un seul couple ,
duquel le genre humain devoit naître. Le mariage,
institué pour être le premier lien de société , n'auroit
pu produire cet effet , si l'engagement n'avoit été
perj)étuel et indissoluble : pour le rendre tel , Dieu
y imprima le sceau de la religion par une béné-
diction particulière ^' . Une union passagère entre
les époux seroit entièrement semblable à celle des
animaux , et ne formeroit pas une société plus
parfaite . Lorsque la passion brutale est assouvie ,
les deux sexes se séparent , et ne se doivent plus
rien. Si quelques-uns demeurent réunis jusqu'à ce
que les petits puissent se passer d'eux , après ce
terme , ils ne se connoissent plus ; le hasard forme
un nouveau couple l'emnée suivante. Par une con-
duite semblable parmi les hommes , il n'y auroit
point de rapport durable entre les pères et les
enfans , point d'éducation suivie , point de com-
munication de connoissances , point de secours
mutuels ; les hommes ne se trou ver oient pas plus
liés les uns aux autres, que s'ils étoient fortuitement
sortis du sein de la terre , comme les arbres et les
plantes.
C'est aussi le système de nos moralistes incré-
dules. « Les enfans, disent-ils, ne restent liés au
<( père qu'aussi long-temps qu'ils ont besoin de lui
(( pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse , le
« lien naturel se dissout. Les enfans exempts de
vi l'obéissance qu'ils dévoient au père , le père
exempt des soins qu'il devoit aux enfans , rentrent
(i Gen. c. I, y . a8 : c. 4) ;^. I.
^' 9
<(
3 9 4 TRAITÉ
« tous également dans l'indépendance ^'\ )> Mais
l'auteur de cette décision auroit dû nous apprendie
pourquoi le père doit des soins à ses enfans , quel
motif peut l'engager à les conserver , s'il n'a rien à
en espérer dans la suite. Il est clair que cette morale
est un attentat contre la société , dont elle détruit
le premier lien ; qu'elle met en danger la vie des
enfans, sous prétexte d'assurer leur indépendance.
En donnant le jour à des enfans, un homme
s'engage à les élever et à les nourrir , pair conséquent
à être attentif, humain, bienfaisant, compatissant.
Ces nouveaux membres , dont il em-ichit la société ,
qu'il regarde comme son propre bien, ou plutôt
comme une portion de soi-même , sont autant de
chaînes qui l'attachent à sa patrie et aux devoirs
civils, autant de gages qui tiennent à son cœur, et
par lesquels il peut être puni , s'il trouble l'harmonie
publique. Mais il est absurde de supposer que ces
devoirs du père ne sont compensés par aucun devoir
de reconnoissance de la part des enfans. Nous
démontrerons le contraire dans le chapitre XI , en
parlant de l'autorité paternelle.
Dieu vouloit que l'homme fut une créature rai-
sonnable , et non une brute , qu'il eut une religion ,
des connoissances et des vertus ; il ne pouvoit les
acquérir que par la société. Les tendres noms
d'époux , de père , de frère , de parent , d'allié ,
dévoient être le germe des afléctions sociales , faire
la consolation de l'homme au milieu des peines
auxqelles il étoit condamné. Les enfans d'Adam ,
élevés par ses soins , sentirent , dés leur naissance ,
les douceurs de l'amitié, de la reconnoissance, de
la joie domestique , et les avantages d'une éducation
commune. La nécessité de cultiver la terre , et de
se défendre contre les animaux féroces, était un
(i Contrat social, I. i , c. a»
I
DE L\ VAVIE RELIGION. \(j3
motif de plus pour ne point se séparer. Lorsque les
générations lurent multipliées, Adam, déjà vieux,
se vit à la tête d'un peuple nombreux , dont la nature
l'avoit rendu chef, auquel il étoit chargé de donner
des principes de religion , des leçons de morale ,
des exemples de vertu , et qui avoit appris dés l'en-
fance à le respecter , et à lui obéir.
Après le déluge , le genre humain , concentré
une seconde fois dans la famille d'un seul homme ,
se renouvela de même. Dieu donna un nouveau
poids à l'autorité paternelle, par l'efiet de la malé-
diction que Noé prononça contre la postérité de
Cham. Ce ne fut qu'à la confusion des langues, que
les familles se séparèrent pour former autant de
peuplades. Les particuliers qui , par une humeur
farouche , et par amour de l'indépendance , s'écar-
tèrent au loin , commencèrent bientôt à éprouver
les misères et l'ignorance , inséparables de la vie
vagabonde et sauvage. La peinture de cet état , dont
le souvenir s'est conservé chez plusieurs nations ,
n'est propre qu'à exciter la compassion ^'\ On y
voit la même stupidité , la même disette , la même
barbarie , que l'on a retrouvée chez les sauvages du
nouveau monde. L'oubli des vertus sociales est de
même date que celui des leçons que la religion
primitive donnoit aux hommes.
Avant cette révolution , l'exercice du culte divin ,
toujours pratiqué en commun parmi les familles
rassemblées , formoit de nouveaux noeuds entre les
habitans de la même contrée. De tout temps, selon
l'histoire de Moïse ; dès les temps héroïques , selon
les auteurs profanes , les sacrifices . suivis d'un repas
commun , furent le sceau des alliances , le gage du
droit d'hospitalité, le symbole d'amitié fraternelle.
Avoir participé aux mêmes actes de religion , étoit
(i Origine des lois , etc. I. Part. 1. 6, c. 4? et tome Yl^ p. s^^T^r^ ^^
/
\ um, !i;!iOfï!iùKf:
V
igG TÎLUTÉ
UQ litre sacré que l'on n'osoit plus violer. C'est aux
pieds des autels , sous les yeux de la divinité , que
les hommes ont formé leurs associations , se sont
liés par des sermens , ont contracté des engagemens
mutuels. Dans les assemblées religieuses, ils ont ap-
pris à se regarder comme frères, indépendamment
de liens du sang , à délibérer sur leurs intérêts
communs, à établir entre eux une police constante.
Au milieu des fêtes, des cérémonies, des chants
sacrés, ils ont fait éclater les premiers transports
de joie, ils ont senti les mouvemens de l'amitié, ils
ont étoufté les haines et la jalousie. C'est là qu'ils
ont oublié leurs travaux et leurs peines , qu'ils ont
commencé à goûter la paix et le bonheur.
Tous les usages religieux sont , dans leur origine ,
autaTit de leçons destinées à inspirer des vertus
sociales; nous le verrons, en parlant de culte exté-
rieur de religion , dans le chapitre IX. Le père de
famille, ministre ordinaire de ce culte , en devenoit
plus respectable ; il réunissoit en lui le sacerdoce ,
le pouvoir civil et l'autorité que donne un âge
avancé. L'écriture nous peint Melchisédech comme
roi et pontife de son peuple ; les historiens et les
I)oètes nous donnent la même idée des anciens
rois ^'K
Telle est , selon l'histoire , l'origine de la société
naturelle et civile : telle est la base sur laquelle ont
été fondées la morale et les lois ; les spéculations de
la saine philosophie s'y trouvent d'accord. Voici les
réflexions qu'a faites sur ce sujet le savant auteur
de riiistoire naturelle.
(t Anius idem Rex hominum j Plicehique sacerdos , Virs. I.
3, jjr.^o. Hérod. 1.6,n.>^56.
DE LA VRAIE RELIGION. 197
S in.
« Parmi les hommes , la société dépend moins
des convenances physiques , que des relations
morales. L'homme a d'abord mesuré sa force et
sa foiblesse ; il a comparé son ignorance et sa
curiosité ; il a senti que seul il ne pouvoit suffire
ni satisfaire par lui-même à la multiplicité de ses
besoins ; il a reconnu l'avantage qu'il y avoit à
renoncer à l'usage illimité de sa volonté , pour
acquérir un droit sur la volonté des autres ; il a
réfléchi sur l'idée du bien et du mal, il l'a gravée
« au fond de son cœur ; à la faveur de la lumière
« naturelle , qui lui a été départie par la bonté du
« créateur , il a vu que la solitude n'étoit pour lui
qu'un état de danger et de guerre y il a cherchxî
la sûreté et la paix dans la société ; il y a porté
ses forces et ses lumières , pour les augmenter ,
en les réunissant à celles des autres. Cette réunion
est de l'homme l'ouvrage le meilleur ; c'est de sa
raison l'usage le plus sage. Eu effet , il n'est
tranquille , il n'est fort , il n'est grand , il ne
commande à l'univers , que parce qu'il a su se
commander à lui-même , se dompter ^ se sou-
« mettre , et s'imposer des lois ; l'homme , en un
« mot . n'est homme , que parce qu'il a su se
« réunir à l'homme.
« Il est vrai cpie tout a concouru à rendre
l'homme sociable ; car , cpioique les grandes
sociétés , les sociétés politiques dépendent cer-
tainement de l'usage , et quelquefois de l'abus
qu'il a fait de sa raison , elles ont sans doute été
précédées par de petites sociétés , qui ne dépen-
doient , pour ainsi dire , que de la nature. Une
<( famille est une société naturelle, d'autant plus
igS TRAITÉ
« stable , d'autant mieux fondée , qu'il y a plus de
« besoins , plus de causes d'attacbement. Bien
« diflërent des animaux , l'homme n'existe presque
« pas encore , lorsqu'il vient de naître : il est nu ,
u foible , incapable d'aucun mouvement , privé de
« toute action , réduit à tout souftrir ; sa vie dépend
des secours qu'on lui donne. Cet état de l'enfance
imbécille , impuissante , dure long-temps ; la
nécessité du secours devient donc une habitude,
qui seule seroit capable de produire l'attache-
ment mutuel de l'enfant et des père et mère.
« Ainsi , la société , considérée même dans une
seule famille , suppose dans l'homme la faculté
raisonnable ; la société , dans les animaux qui
semblent se réunir librement et par convenance ,
« suppose l'expérience du sentiment ; et la société
des bétes , qui , comme les abeilles , se trouvent
ensemble sans s'être cherchées , ne suppose rien :
cjuels qu'en puissent être les résultats , il est clair
qu'ils n'ont été ni prévus , ni ordonnés, ni conçus
« par ceux qui les exécutent , et qu'ils ne dépendent
« que du mécanisme universel , et des lois du
« mouvement établies par le créateur ^'\ »
« Dans l'état même de nature , la première
éducation , l'éducation de nécessité exige autant
« de temps que dans l'état civil , parce que , dans
tous deux , l'enfant est également foible , égale-
ment lent tî croître ; que par conséquent il a be-
soin de secours pendant un temps égal ; qu'eniin
il périroit , s'il étoit abandonné avant l'âge de
trois ans. Or , cette habitude nécessaire , conti-
« nuelle et commune entre la mère et l'enfant ,
« pendant un si long temps , suffit pour qu'elle lui
« conmiunique tout ce qu'elle possède ; et quand
(i Hisl. nat. Disc, sur la nat. des anim. tome V, îu-ia.
p- 3:i.
«
DE LA \TUIE RELIGION. jgg
« on voudroit supposer faussement que cette mère ,
« dans l'état de nature , ne possède rien , pas même
« la parole ; cette longue habitude , avec son en-
<^ fant , ne suffiroit-elle pas pour faire naître une
« langue ? Ainsi cet état de pure nature , où l'on
« suppose l'homme sans pensée , sans parole , est
« un état idéal , imaginaire , qui n'a jamais existé ;
« la nécessité de la longue habitude des parens à
« l'enfant produit la société au milieu du désert ;
« la famille s'entend par signes et par sons ; et ce
« premier rayon d'intelligence entretenu , cultivé ,
« communiqué , a fait ensuite éclore tous les
« germes de la pensée : comme l'habitude n'a pu
« s'exercer , se soutenir si long-temps , sans pro-
« duire des signes mutuels et des sons réciproques ;
« ces signes ou ces sons , toujours répétés , et
« gravés peu à peu dans la mémoire de l'enfant ,
« deviennent des expressions constantes ; quelque
« courte qu'en soit la liste , c'est une langue qui
« deviendra bientôt plus étendue , si la famille
« augmente , et qui toujours suivra , dans sa
« marche . les progrès de la société. Dès qu'elle
« commence à se former , l'éducation de l'enfant
« n'est plus une éducation purement individuelle ,
« puisque ses parens lui communiquent non-
« seulement ce qu'ils tiennent de la nature , mais
« encore ce qu'ils ont reçu de leurs aïeux , et de la
« société dont ils font partie ; ce n'est plus une
« communication faite par des individus isolés ,
« qui , comme dans les animaux , se borneroit à
« transmettre leurs simples facultés ; c'est une ins-
« titution à laquelle l'espèce entière a part , et dont
« le produit fait la base et le lien de la société ^'\ »
Sénéque avoit déjà fait autrefois une partie de
CCS réflexions ^'\
(i Hist. nat. t. XIÎ, p. .^9.— (aSeacque, de Btuef. I.4, c. 18.
200 TRAITE
Le procédé de la nature , dans la formation de la
société humaine , est donc exactement tel qu'il
nous est indiqué dans les livres saints ; puisque par
ia nature f on ne peut entendi'e autre chose que
Dieu , qui en est l'autem*. Pour en rendre l'eflet
plus sur , Dieu voulut y ajouter la sanction et le
secours de la religion. M. de Buflon a vu l'honmie
des mêmes yeux que les écrivains sacrés , et ceux-
ci ont vécu dans des siècles où la philosophie
n'existoit pas encore. Qui leur a donné des vues si
sages et si profondes ? Nous verrons , dans un
moment , si les incrédules ont mieux rencontré
dans leur théorie.
Dés qu'il est évident que l'homme a été destiné à
la société par la nature , ou plutôt par le créateur ,
il ne Test pas moins que Dieu , en créant l'homme ,
n'a pu se dispenser de lui mriposer les devoirs , sans
lesquels la société ne peut subsister. Un être infi-
niment sage ne peut vouloir la fin , sans vouloir les
moyens ; autrement il se contrediroit lui-même. Il
résulte donc de la destination naturelle de l'homme,
que Dieu lui a imposé des lois , lui a donné une
morale , et lui en a commandé l'observation ,
comme nous l'apprennent les livres saints : c'est
ce que nous appelons la loi iiaturelle. Sans cette
loi émanée de l'autorité divine, intimée à l'honrune
par la conscience , par la raison , par la révélation
primitive , il ne peut y avoir d'obligation morale
proprement dite , point de devoir rigoureux , point
de droits réciproques entre les hommes , point de
vice ni de vertu. Nous le démontrerons , par l'exa-
men que nous ferons , dans le chap. ^111, des divers
systèmes , que les philosophes ont imaginés , pour
fonder une morale indépendamment de Dieu et de
la religion. Il suffira , pour le présent, de jeter un
coup d'œil sur celui qui domine aujourd'hui parmi
les incrédules.
DE LA VRAIE RELIGION. 20 L
S IV.
Ils posent pour principe , que , dans l'état de
pure nature , l'iiomme a droit à tout , que son
droit s'étend aussi loin que ses forces , que le droit
de nature ne lui interdit ni la diétcorde, ni la haine,
7ii la colère , ni la frande , ni rien enfin de ce que
veut r appétit. Pour faire cesser cet état de guerre
mutuelle, il a fallu que l'homme se défit de s&ii
droit naturel pour le posséder en commun, et
renonçât aux désirs de son appétit pour le sou-
7nettre à la puissance et aux volontés de la société.
D'où il s'ensuit que nul ne promet , sans fraude ,
de renoncer au cîroit qu'il a sur toutes choses ; que
personne ne tiendi'a effectivement sa promesse , s'il
n'y est incité par la crainte d'un plus grand mal ,
ou par l'espérance d'un plus grand bien.... D'où
nous devons conclure que nulle obligation n'est
valide qu'autant qu'elle est utile , que sans cette
circonstance , tout contrat est de nul effet.
Voilà le système de Spinosa , cpii est originai-
rement celui d'Epicure : Spinosa n'a fait que le
développer ; Hobbes l'a soutenu dans ses ouvrages.
On le retrouve dans le système de la nature , dans
le livre de l'esprit , dans le système social , dans
tous les écrits des matérialistes ^'\ La plupart ont
compris , que la convention ou le contrat , dont
parle Spinosa , est inutile 5 ils définissent la vertu ,
ce qui est vraiment et constamment utile à
Vkomme vivant en société , et le vice , ce qui
lui est constamment nuisible : l'homme , disent-
(i Dioecae Laèfce, L 10 , § i5o, \^.\. Morale d'Épicure ,
par M. Battfux , t^. il\^. Spinosa, trriet. theol. polit, c. 16.
Hobbes, leviathan , I. Part. c. ï3 et i4- Du corps politique,
c, î. v'^yst. (le la uat. t. I , c. 9 , p. i34 , etc. Contrat social ,1.
1 , c. S. De Tesprit, tome I. 2.« discours , etc. , etc.
1. 9.
202 TRAITÉ
ils , est déterminé à pratiquer l'une et à éviter
l'autre , par la connoissance de son véritable in-
térêt , par le même instinct qui lui fait rechercher
le plaisir et fuir la douleur. Socrate s'est déjà élevé
autrefois contre ce système ^'\
Pour le réfuter , il y a deux choses à faire ; la
première , de prouver que la convention imaginée
par Spinosa est illusoire ; la seconde , de démontrer
que la notion du vire et de la vertu , donnée par les
matérialistes , est fausse et absurde.
En premier lieu , une convention , un contrat .
une promesse, ne peuvent fonder une obligation ,
à moins quil n'y ait ime loi antérieure qui oblige
l'homme à tenir sa pai'ole , à observer les engage-
mens qu'il contracte. Si c'est la volonté seule de
l'homme qui l'oblige , il est clair que l'obligation
ne dure qu'autant que persévère la volonté ; la
même cause qui a formé l'obligation peut la rom-
i re. Supposer la volonté obligée , sans une loi qui
l'oblige , c'est admettre un eÔ'et sans cause. Spinosa
le reconnoît en avouant que tout contrat est de nul
effet , à moins que l'homme ne soit déterminé à
l'accomplir , par la crainte d'un plus grand mal ,
ou par l'espérance d'un plus grand bien ; que nulle
obligation n'est valide , qu'autant qu'elle est utile.
C'est donc l'utilité ou l'intérêt qui fait toute la
force de l'obligation; le contrat supposé ne change
absolument rien à la nature des choses.
Ce contrat ne peut lier aucun particulier, à
moins qu'il n'y consente ; les pères n'ont pas pu
contracter pour les enfans , au préjudice du droit
de la nature ; ce droit réclame toujours en faveur
des derniers : tout homme qui peut impunément
violer le contrat , ne pêche contre aucune loi. En
vertu de quel principe seroit-il tenu de l'observer ?
(1 V. Plalou, /. Jj de la rej)ubllque.
DE LA VRAIE RELIGION. 200
Parce qu'on j^eut l'y forcer. Donc l'obligation se
réduit toujours à la nécessité de céder à la force ,
et n'est qu'une impuissance de résister, tout comme
avant la convention : la force par elle-même ne peut
lier la conscience.
Pour admettre la nécessité d'une convention , il
faut supposer que les hommes sont sortis du sein
de la terre , ou sont tombés des nues , sans avoir
aucune relation naturelle les uns avec les autres ,
et qu'ils seroient encore dans cet état, s'ils n'en
étoient pas sortis volontairement : supposition
chiméricpie. Ce n'est pas ainsi que le genre humain
a été formé ; Dieu a fait descendre tous les hommes
d'un seul couple , afin qu'ils fussent tous frères ; le
lien de fraternité les unit dés leur naissance , et de
là découlent leurs devoirs mutuels. Si deux hom-
mes , partis des deux pôles , se rencontroient for-
tuitement dans un désert , il leur seroit défendu .
par la loi naturelle , de se nuire , et s'ils le faisaient ,
ils seroient coupables.
Le prétendu contrat , ou plutôt la loi de société,
vient de Dieu , et non des hommes ; il l'a portée
sans les consulter , et poui* leur avantage : cette loi
naturelle veille à leur conservation avant mémo
rpi'ils soient nés ; la seule qualité d'homme les y
soumet , et ils seroient fort à plaindre si cela
n'étoit pas.
s V.
En second Heu , l'opinion qui réduit les devoirs
de l'homme au seul calcul de ses intérêts , est
fausse , contradictoire , pernicieuse , destructive
de toute morale et de toute vertu.
1.° 11 est faux que la vertu soit toujours le parti
le plus utile et le plus avantageux à l'homrae pour
20^ TRAITE
ce monde ; il y a des cas où un crime seroit beau-
coup plus utile qu'un acte de vertu. Un homme
qui , dans le plus grand secret, m'a confié un dépôt
considérable , vient à mourir subitement. Je ne
cours aucmi danger en gardant ce dépôt dont per-
sonne n'a connoissance. Si je le rends aux héritiers
du défunt , je m'exposerai à passer pour un fripon ;
ce sont des âmes basses et avides qui me soupçon-
neront d'en avoir retenu une partie , et qui le
publieront. Où est l'utilité qui me reviendra de la
restitution du dépôt? On me fait un procès injuste,
où il va de ma réputation et de ma fortune ; il ne
tient qu'à moi de le gagner par un faux serment
dont on ne pourra jamais me convaincre : suis-je
autorisé par mon intérêt à le faire? Socrate pouvoit
se soustraire à la mort , en s'évadant , selon le
conseil de ses amis ; ses concitoyens lui auroient
su gré de leur avoir épagné un crime ; revenus de
leur ivresse momentanée , ils l'auroient comblé
(i'honneuv : Socrate a-t-il commis un crime en
buvant la ciguè ? Où est l'intérêt qui engage
Aristide mourant , à pardonner l'ingratitude des
Athéniens ; qui porte un citoyen vertueux à s'im-
moler pour sa patrie ; qui détermine un voyageur
à soulager un inconnu , qu'il ne reverra jamais ;
qui excite un homme généreux à cacher , sous un
silence impénétrable , les libéralités qu'il fait?
Les matérialistes déclament contre la provi-
dence , parce qu'elle permet que la vertu soit
malheureuse sur la terre ; et par une contradiction
révoltante , ils s'efforcent de prouver que la vertu
porte toujours avec soi , en ce monde , sa projn'c
récompense.
2.'^ Ils confondent le bien moral, ou la vertu ,
avec le bien physique ; l'obligation morale de
pratiquer la vertu , par cho'x , avec la néces.^ité
DE LA VRAIE RELIGION. 20 J
physique et naturelle qui nous fait rechercher le
hien-être. Or, il n'y a aucune obligation morale ,
pour l'homnie , de se procurer le bien-être; souvent
il peut s'en priver pour des motifs très-louables ;
mais il n'est jamais louable d'omettre un acte de
vertu. L'homme qui renonce à un bien sensible ,
sera , si l'on veut , un imprudent ; il n'est pas pour
cela coupable d'un crime. Selon les athées, l'homme
peut renoncer à la vie , à sa conservation , à son
Otre , sans violer aucune loi ; et ils lui font une loi
de se procurer le bien-être.
5.° Le mot intérêt , dit un docteur matérialiste ,
est le synonyme d'injustice , de corruption , de
malice, de petitesse, dans un avare , un courtisan ,
un tyran : dans l'homme de bien , intérêt signifie
équité , bienfaisance , grandeur d'âme , désir de
mériter l'estime des autres ^'\ L'intérêt est donc
un piotée qui prend la forme du caractère , du
tempérament , des passions de tous les hommes.
En quel sens un motif aussi versatile peut-il être
un ressort général de vertu ?
Chez les natioms dont le luxe a cori*ompu les
mœurs, il est impossible que la vertu soit une
voie assm'ée pour gagner l'estime et la faveur
■ publique. Un homme d'une austère probité, est
un censeur incommode , un citoyen dyscole , avec
lequel on ne peut pas commercer ; c'est Aristide
aa milieu d'Athènes. Le vice adroit , souple , insi-
nuant , doit être alors le mérite le plus accrédité ;
la vertu , loin d'être utile , peut être un sujet de
haine et de proscription. Il s'ensuivToit donc que ,
quand les mœurs des nations changent , les idées
de vice et de vertu subissent la même révolution ;
que plus un peuple est vicieux , plus il a droit de le
devenir. Les athées conviennent que , dans ces
(i Syst. social , l. part. c. 5 , c, (\. p. 63.
206 TRAITÉ
« irconstances , l'iiomine vertueux est réduit à se
contenter du témoignage de sa conscience : et que
lui témoignera-t-elle ? Qu'il a été un insensé, et
qu'il a mal calculé ses intérêts. Il sera forcé de
dire, comme Brutus mourant : O vertu, je re-
connois que tu n'es quun vain nom; les scélérats
qui ont trahi leur j)atrie , ont été plus sages que
moi ^'\
§ VI.
Le fondement des vertus sociales et de nos de-
voirs , doit être certain , immuable , universel , le
même à l'égard de tous les hommes; il faut un
intérêt plus solide , plus puissant , plus constant ,
([ue les avantages passagers de cette vie. Ceux-ci
varient selon les circonstances , selon le génie et
les passions particulières de chaque individu , selon
les mœurs et les usages des nations. 11 faut une loi
suprême et immuable , indépendante du caprice et
de l'opinion des hommes. Dés qu'il y a un être
souverain , créateur de l'homme , dont la provi-
dence veille sur toutes choses , qui lui commande
d'aimer , de secourir , de servir ses semblables , de
ne leur jamais nuire, sous peine d'être puni en ce
monde ou en l'autre , qui lui intime cette loi par
la voix de la conscience ; il n'est plus personne qui
ne soit vivement intéressé à remplir cette obliga-
tion, puisque tout homme est certain d'être , tut
ou tard , récom]>ensé de ses vertus , ou puni de ses
crimes , quel que soit d'ailleurs l'avantage ou le
désavantage qui peut lui en revenir dans la so-
ciété.
ï)ès lors, les idées du juste et de l'injuste, du
bien et du mal , du vice et de la vertu , sont cer-
(i Dict, Cfil. Brutus ( Marcus Junius ) C.
DE LA y RAIE RELIGION. 207
taines , immuables , comme la volonté éternelle de
Dieu ; tout homme peut lire ses devoirs dans le
ioud de son cœur. Il sent que la vertu n'est jamais
plus héroïque , et plus digne d'une récompense
immortelle , que quand elle fait , ici bas , le mal-
heur de celui qui la pratique. L'homme puise dans
la religion , dans la croyance d'un Dieu et d'une
autre vie , un motif solide et infaillible d'être ver-
tueux , bienfaisant , soumis aux lois , de réprimer
ses passions , de remplir tous les devoirs de la
société ; il y trouve une espérance capable de le
soutenir et de le consoler dans les disgrâces. C'est
alors seidement, que le témoignage de la conscience
])eut nous dédommager de l'injustice de nos sem-
blables.
Ce motif invariable ne porte aucun préjudice
aux avantages temporels de la vertu ; c'est un trait
de mauvaise foi de la part des incrédules de su[)-
poser le contraire. Lorsque les hommes sont assez
équitables pour rendre à la vertu la justice qui lui
est due , la religion ne défend point à l'homme d'y
être sensible. Jamais les livres saints n'ont décidé
que l'homme ne doit point chercher son bonheur
temporel dans la vertu ; la maxime contraire y est
formellement enseignée : V affliction et la douleur,
dit un apôtre , sont le partage de tout homme qui
fait le mal; gloire , honneur et paix à quiconque
fait le bien y soit Juif , soit Gentil '^'\ Les béné-
dictions temporelles que Dieu accordoit aux pa-
triarches , ne leur ôtoient pas l'espérance d'un
bonheur éternel. Jésus-Christ commande de cher-
cher , en premier lieu , le royaume de Dieu et sa
justice ; et il ajoute que le reste nous sera donné
par surcroit ^'>. 11 ne veut pas que l'on envisage les
biens temporels comme motif principal , parce
^i Rom. c, a , ;^. 9 et 10. — ;2 ^:atl. c. G.
208 TILUTÉ
que ce motif peut manquer ; mais loin de l'inter-
dire , il le propose du moins en second lieu. Voilà
donc , dans la religion même , deux motifs au lieu
d'un pour nous engager à être vertueux ; lorsque le
second manque , le premier ne peut pas manquer.
Jugeons par-là de la justesse du raisomieraent
des incrédules. Des récompenses éloignées , disent-
ils , dans un avenir incertain , touchent foiblement
les hommes ; voilà pourquoi la religion produit si
peu d'effet parmi eux : il faut donc leui' en proposer
qui soient présentes, sensibles , palpables , et laisser
là les autres.
Aveugles raisonneurs ! La religion a-t-elle jamais
anéanti les récompenses présentes de la vertu ?
L'homme , craignant Dieu , auquel il arrive de
j)écher contre sa conscience, oublie donc tout à la
fois les récompenses temporelles et le bonheur
éternel attachés à la vertu. Alors les unes et les
autres sont également inefficaces à son égard.
S'ensuit-il qu'il faut les supprimer également ? La
vertu peut-elle procurer de plus grands avantages
temporels à un athée qu'à un homme religieux ?
s VII.
Pour achever de démontrer que la vertu ne j^ut
avoir d'autre base solide que la religion , nous
ajouterons ici Taveu des philosophes anciens et
modernes , même des incrédules ; il est d'autant
plus frappant , qu'ils l'ont fait contre l'intérêt de
leur système.
Chrysippe , chef des stoïciens , convenoit que le
seul et véritable fondement de la morale, est la
volonté de Dieu , interprétée par le sentiment moral .
et la différence essentielle des choses. Zenon pensoit
DE LA VILVIE RELIGION. 20 0
(le même ^'\ C'étoit une contradiction avec les
principes du stoïcisme : Plutai'que a eu raison de la
leur reprocher ^'K
Cicéron , après avoir épuisé toutes les ressources
de son génie à prouver qu'il y a un droit naturel , des
actions justes de leur natm-e, et indépendamment
de l'institution des hommes, n'ose se flatter cpie ses
jn'incipes seront approuvés de tous les philosophes ,
ni ses preuves assez solides pour tenir contre leurs
objections. Il demande grâce aux sceptiques ; à
Arcésilas et à Carnéade; il craint que s'ils venoient
l'attaquer, ils ne fissent de trop grandes brèches
dans l'édifice qu'il avoit construit ; il ne se sent pas
assez de forces pour les repousser; le désire seu-
lement de les appaiser '^^\ Or , à quoi peut aboutir
une morale que le moindre souffle de scepticisme
peut renverser ? il lui manquoit l'appui de la
religion.
Pline , qui ne croyoit ni Dieu , ni providence , a
cependant reconnu l'utilité de cette doctrine. « Il
« est avantageux , dit-il , que l'on croie que les
« dieux font attention aux choses humaines ; que
« si les malfaiteurs tardent si souvent à être punis ,
« à cause de la multitude des soins dont Dieu est
« occupé, ils n'échappent jamais au châtiment,
« que l'homme n'a point été créé semblable à Dieu
<( pour se rapprocher des brutes , par la bassesse de
« ses inclinations ^^\ »
Pomponace, qui ne s'est rendu que trop suspect
d'athéisme, dit que, si tous les hommes étoient nés
avec un excellent caractère , la beauté de la vertu
et ses avantages suffiroient pour les engager tous
(i Cir. de nat. deor, 1. i, n.° i^. — (2 Plutarque , contrad.
des stoïcien», u.» 7, et 8. — (3 Cic. 1. i , de legib. \. S. Aug.
de Civit. Dei. 1. 2, c. 21. Biyle Dict. crit. carnacce. H. —
(i ni>t. nat. 1. 2, c. 7.
2 1 O TRAll'E
à bien faire ; mais que, comme le très-grand nom-
bre a de mauvaises inclinations , il a fallu , pour le
bien commun , imaginer les peines et les récom-
penses de l'autre vie , parce que cette croyance peut
être utile à tous les hommes ^'\
Spinosa parle de même. <( Si tous les hommes ,
« dit-il , étoient d'un tempéramment à ne rien
« souhaiter que de raisonnable , il est certain que ,
« poiu' vivre ensemble , ils nauroient pas besoin
« de lois ; il siilfiroit de les instruire d'une bonne
« morale.... Mais la nature humaine est bien ëloi-
<t gnée de cette modération ; tous courent à leur
« intérêt.... et vont aveuglement où leur appétit les
<( entraîne. Delà vient que l'autorité et la violence
« sont le maintien des sociétés , et qu'il y faut
« absolument des lois qui tiennent en bride la
K licence eflrénée des hommes , et répriment leur
« insolence. » Après avoir remarqué que la crainte
est un état violent, et un joug que les hommes sont
toujours tantes de secouer, il ajoute : « Voilà la
(( raison cpii obligea Moïse , divinement inspiré , à
« introduire la religion dans sa république, afin
« que le peuple fit son devoir , plus par dévotion
« que par crainte. » Enfin il dit que celui qui n'a
aucune idée de Dieu, ni par l'histoire de la révé-
lation , ni par la lumière naturelle , s'il n'est impie
et réfractaire , est un brutal , cfui n'a que le nom
d'homme , et que Dieu n'a doué d'aucune bonne
qualité ^'\
Bayle, qui a employé toutes les subtilités possi-
bles, pour prouver qu'une société d'athées |)Ourroit
subsister , rend quelquefois hommage aux effets
salutaires de la religion , et en avoue la nécessité.
(i De immort, animne, p. ia3. V. I. Dissert, tirée de \Var-
burthon, p. 53,5;.— (2 Tract. ihJol polit, c. Sj traductiou,
p. i3/, , 13;, 1^4.
DE LA MLilE RELIGION. 2 1 1
« On a reconnu de tout temps , dit-il , que la religion
« étoit un des liens de la société , et que les sujets
« n'étoient jamais mieux retenus dans l'obéissance
« que lorsqu'on savoit faire intervenir à propos le
« ministère des dieux.... N'en déplaise à Cardan,
« une société d'athées , incapable qu'elle seroit de
« se servir des motifs de religion pour se donner
« du courage , seroit bien plus facile à dissiper
« qu'une société de gens qui servent des dieux :
« et quoiqu'il ait quelque raison de dire que la
« croyance de l'immortalité de l'âme a causé de
« grands désordres dans le monde , par les guerres
« de religion qu'elle a excitées de tout temps , il
« est faux , même à ne regarder les choses que ])ar
« des vues de politique , qu'elle ait apporté plus
« de mal que de bien , comme il voudjoit le faire
« accroire ^*\ »
Bayle cite le traité dans lequel Plutarque a dé-
montré aux épicuriens que la doctrine qui rejette
la providence de Dieu et l'immortalité de l'àme , ôte
à l'homme une infinité de consolations pendant sa
vie, et le réduit au désespoir, quand il faut mourir j
et il avoue que Plutarque a prouvé ce point très-
solidement ^ \
Il le confirme ailleurs, par l'exemple de Brutus ,
qui termina sa vie en injuriant la vertu , et en se
repentant de l'avoir pratiquée. Ce Romain , dit-il ,
n'avoit pas tout le tort que l'on s'imagine. « Si l'on
« ne joignoit pas à l'exercice de la vertu , ces biens
« à venir que l'écriture promet aux fidèles , on
« poiurroit mettre la vertu et l'innocence au nombre
« des choses sur lesquelles Salomon a prononcé
« son aiTet définitif: Vanitti des vanités , et tout
est vanité. S'appuyer sur son innocence , seroit
(i Pensées sur la comète, § io8 et i3i. — • (2 Dict. crii. Epi^
/re. R.
«
2 1 2 TR-UTE
« s'appuyer sur le roseau cassé , qui perce la main
« de celui qui veut s'en servir ^'\ »
En parlant des Saducéens , il observe qu'en rui-
nant le dogme de l'immortalité de l'âme , on ôte à
la religion toute sa force , par rapport à la pratique
de la vertu : il le prouve par deux remarques. L'une ,
« qu'il n'est presque pas possible de persuader aux
« gens qu'ils prospéreront sur la terre , en vivant
« bien , et qu'ils seront accablés de la mauvaise
« fortune , en vivant mal , parce que l'expérience
« paroît contraire : l'autre , que les orthodoxes
« peuvent se flatter de cette espérance tout comme
« les Saducéens , et qu'ayant de plus la ressource
« de l'éternité , ils seront plus en état de faire
« influer la religion sur leur morale pratique ''\ »
§ VIII.
Bolingbroke avoue que la doctrine des récom-
p«ises et des peines futures est propre à donner de
la force aux lois civiles , et à réprimer les vices des
particuliers. La raison , dit-il , qui ne peut pas
l'admettre sur les principes de la théologie natu-
relle , ne doit pas la rejeter dans les principes de la
bonne politique ^^\ « L'utilité de maintenir la
<( religion , et le danger de la négliger , ont été
« extrêmement visibles dans toute la durée du
« gouvernement romain Quoique la religion
« établie par Numa fiU absurde , cependant la
« crainte d'un pouvoir suprême, la croyance d'une
« providence qui régloit toutes choses , produi-
« sirent les merveilleux effets que Polybe , Cicéron ,
« Plutarque et Machiavel leur attribuent.... L'oubli
(i Dict. crit. Brutus ( Marc. Juiiius. ) C. D. (2 Saducéens ,
K. Contin. de pensées div. § i53. (3 Œuvres, tome V , p.
3i2. 48j.
DE LA TRAIE RELIGION. 210
« et le mépris de la religion furent îa cause prin-
(( cipale des maux que Rome éprouva dans la suite ;
« la religion et l'état déchurent dans la même
« proportion ^'\ »
Sliastesbm'T , après avoir soutenu que . sans la
croyance d'un Dieu , l'homme peut sentir les
avantages de la vertu , et en avoir une haute idée ,
ajoute : « Néanmoins il faut avouer que la pente
« naturelle de l'athéisme est très -différente ; il
<( tend à retrancher toute affection à ce qu'il y a
« de plus aimal)le et de plus digne de l'homme.
« Peut-on être porté à aimer ou à admirer quelque
« chose , comme ayant rapport à l'ordre de l'uni-
(( vers , quand on regarde l'univers comme un
(( cahos de désordres?... Rien n'est plus capable
« d'exciter à la vertu , et de détourner du vice ,
« que la présence d'un Etre suprême , témoin et
« juge de ce cpii se passe dans l'univers ; et c'est
« un grand défaut dans l'athéisme de retrancher
« ce motif.... Croire que les mauvaises actions
» auxquelles nous sommes entraînés par des pas-
« sions violentes , sont punies par la justice divine ,
<( est le meilleur remède contre le vice , et le plus
« grand encouragement à la vertu ^'\ »
David Hume s'est expliqué d'une manière encore
plus forte. « Ceux qui s'efforcent , dit-il , de désa-
« buser le genre humain de ces sortes de préjugés
« ( de religion ) sont peut-être de bons raisonneurs ;
« mais je ne saur ois les reconnoître pour bons
(i citoyens , ni pour bons politiques ; puisqu'ils
« affranchissent les hommes d'un. des freins de leurs
« passions ; et qu'ils rendent l'infraction des lois
de l'équité et de la société plus aisée et plus sure
.((
c^
« à cet égard
(i Bolingl). t. TV, p. 428. — (2 recherches sur le mérit* et
layertu, 1.1. 111. part. § 3. «-(3 Essai, OEuy. tome lit, p. 3oi.
2 1 k TR VITE
L'auteur de la lettre de Trasibule à Leucii)pe,
soutient dans un endroit , que l'opinion de l'exis-
tence de Dieu ne sert de rien pour rendre les
hommes meilleurs ; mais dans la suite il se rétracte ,
et convient que les fictions de la vie à venir sont
très-avantageuses au genre humain. « Le commun
« des hommes , dit-il , est trop corrompu et trop
« insensé , pour n'avoir pas besoin d'être conduit
4v à la pratique des actions vertueuses, c'est-à-dire,
(\ utiles à la société, par l'espoir de la récompense,
« et détourné des actions criminelles par la crainte
« des châtimens. C'est là ce qui a donné naissance
« aux lois ; mais comme ces lois ne punissent ni
« ne récompensent les actions secrètes , et que ,
« dans les sociétés les mieux réglées , les coupables
« puissans et accrédités trouvent le secret de les
«
«
éluder, il a fallu imaginer un tribunal plus
redoutable que celui du magistrat. On a supposé
« qu'à la mort nous entrions dans une nouvelle
« vie, etc.... Cette opinion sans doute est le plus
« ferme fondement des sociétés ; c'est elle qui porte
« les hommes à la vertu , et les détourne du crime
« *•". » Toland , dans ses lettres philosophiques , dit
la même chose ^'\
Dans les nouvelles libertés de penser , un philo-
sophe , après avoir attaqué l'existence de l'âme et
l'existence de Dieu , soutient que la morale n'est
fondée que sur l'amour propre, et finit par ces mots :
« Ce n'est pas que cette morale ne fut dangereuse
« en général ; elle n'est bonne à prêcher qu'aux
¥. honnêtes gens , et le peuple ne seroit pas arrêté
« par ce sentiment délicat d'amour-propre ; mais
« est-ce la faute de la morale ^^ ? ;> Et quelle morale
(i Lettre de Trasib. p. 169 et 282. (2 Seconde kttre § i3,
p. 80. — (3 Nouv. iib. de penser , p. i5o et 171.
DE LA VRXTE RELIGION'. 2l5
plus fautive que celle qui ne convient pas au peuple,
et qui est dangereuse en général.
L'auteur du système de la nature observe « que
« dans une société nombreu-se , fixée et civilisée , les
« besoins venant à se multiplier , et les intérêts à
« se croiser , Von est obligé de recourir à des
« gouvernemens , à des lois , à des cultes publics ,
« à des systèmes uniformes de religion , pour main-
« tenir la concorde,.... qu'ainsi peu à peu la morale
« et la politique se trouvent liées au système re-
« ligieux ^'>. »
Enfin , dans les dialogues sur l'âme , un maté-
rialiste , après avoir décidé que la loi éternelle de
faire le bien et d'éviter le mal n'a d'autre base que
la nécessité d'aimer le plaisir et de fuir la douleur ;
qu'une morale très-simple et très-pure découle de
là comme de sa source, se propose cette objection :
« S'il n'est aucun objet ou aucun Dieu auquel on
« rapporte ses actes , et qui en juge , pour ensuite
« y proportionner les récompenses et les peines ,
« ces actes me paroissent indifïérens en eux-
« mêmes ; et pourvu qu'ils ne blessent point la îoi
<( nationale, ou que ses ministres V ignorent , ils
« sont toujours bons , s'ils tournent à l'avamtage
<( de celui qui les produit ^'^- » L'argument étoit
pressant , et méritoit une réponse : l'auteur a trouvé
bon de n'en donner aucune ; son silence vaut une
démonstration.
Voilà parmi nos adversaires une tradition assez
constante de la nécessité de la religion, pour fonder
la morale et la société. Il faut que la vérité soit bien
puissante, pour leur airacher des aveux qui ren-
versent lem's systèmes , et qui les couvrent d op-
probre. Il en résulte clairement qu'un athée ne
(i Syst. de lanat. t. II, c. i3, p. 877, 879. (2 Dial. sur l'àme,
p. 119, 120, laa. y. encore Emile, t. III, p. uo et 191.
2 l b TRAITE
peut avoir aucun motif solide de pratiquer la vertu
et de remplir les devoirs de l'humanité.
§ IX.
Bayle , qui a profité plus qu'aucun autre , du
privilège de soutenir le pour et le contre , a fait
tout son possible pour ébranler une vérité dont il
étoit convenu plus d'une fois; ses objections ont
été copiées par tous les incrédules : nous les abré-
gerons sans les affbiblir.
Ce subtil raisonneur, poussé par ses adversaires .
a été forcé d'avouer que les principes de l'athéisme
conduisent directement à la corruption des mœurs,
et à des cùnséquences affreuses ; que si les athées
raisonnoient conséquemment , ils se li\Teroient à
toutes sortes de crimes ^" : mais il soutient qu'ils
se contredisent dans la pratique , et qu'ils ont cela
de commun avec ceux qui ont une religion, puisque
les chrétiens mêmes ne suivent point dans leur
conduite les maximes de l'évangile. 11 conclut qu'en
général , l'homme n'agit point selon les opinions
qu'il peut avoir adoptées ; que l'on ne peut pas juger
des mœms d'un pso-ticulier , ni d'une nation , par
la croyance qu'ils professent.
Très-peu de chrétiens , dit-il , vivent selon la
morale de leur religion ; les crimes sont presque
aussi communs parmi nous que parmi les infidèles.
Les soldats clirétiens seroient des lâches, s'ils sui-
voient les maximes de l'évangile ; si les femmes sont
chastes, c'est plutôt par honneur, que par religion.
Il est prouvé , par l'histoire , que les plus grands
scélérats n'étoient pas des incrédules ; que les
princes les plus corrompus n'avoient pas abjuré
leur foi ; à la naissance de la prétendue réforme, les
(i PcQiécs div. âur la couiùlc, ^ 129. Continuation, ;^ i49-
DE LA VRAIE RELIGION". 217
courtisans les plus débauchés étoient ceux qui
témoignoient le plus de zélé pour le catholicisme ,
et de haine contre les protestans. Donc, s'il y a
encore des mœurs parmi nous , cela vient plutôt de
la crainte des lois humaines , que d'un fond de
respect pour la loi divine. Les confessions , les
conmiunions et les autres pratiques produisent
très-peu d'effet ; en général, la religion est un û'ein
trés-foible pour contenir la plupart des hommes :
les passions sont à peu-prés l'unique ressort de leurs
actions.
Quant aux athées , leurs opinions ne conduisent
pas nécessairement à la corruption des mœurs ,
parce qu'indépendamment de la religion , il y a
des principes d'honnêteté et de vertu , fondés sur
l'essence des choses. Les athées peuvent être retenus
par la considération de l'excellence et de la beauté
de la vertu , par le point d'honneur , par l'envie de
s'immortaliser , par l'intérêt du système , et pour
ne pas rendre leur secte odieuse ; ils pourroient
donc former une société toute semblable à une.
société de païens. Il y a eu des athées vertueux . on
peut en citer plusieurs ; on connoit des nations qui
n'ont aucune idée de Dieu ni de religion ; d'autres
qui croient l'immortalité de l'àme , sans admettre
l'existence de Dieu. Si donc il y a des athées vi-
cieux , cela ne vient pas de leur système , mais de
ce qu'ils suivent leurs passions comme le reste des
hommes '•.
fi Pensées sur la comète, § 12901 suiv. Contiu. § i38 el suir.
Réponse aux Quest. d'ua provinc. III. part. c. 29 et suiv. Dict.
cr, Arcésilus , K. Gui-Patin , C
1. 10
2l8 TRAITÉ
S X.
Réponse. Remarquons d'abord trois ou quatre
contradictions dans les argumens de Bayle ; nous
répondrons directement ensuite.
11 pai't de ce principe , que l'homme ne suit point ,
dans la pratique , les maximes spéculatives qu'il
fait profession de croire , que l'on ne peut pas juger
des mœurs par les opinions ; et pour juger des
mœurs qui régner oient dans une société d'athées ,
il se fonde uniquement sm' leurs opinions, touchant
la beauté de la vertu , le point d'honneur, la gloire
de s'immortaliser , etc.
Il convient qu'il n'y a point d'annales qui nous
apprennent les mœurs et les coutumes d'une nation
plongée dans l'athéisme , cfu'ainsi Von ne peut pas
en décider par l'expérience ^'\ 11 soutient néan-
moins qu'il y a des nations en société , qui ne
connoissent aucune divinité. Que ne consultoit-il
leurs annales , pour nous apprendre quelles sont
les mœurs d'une société où l'on ne croit pas en
Dieu?
Il va plus loin : il avoue qu'il est impossible que
l'athéisme s'établisse chez une nation policée ; que,
« s'il y a des peuples qui n'admettent aucune divi-
« nité , ils ont été dans cet état dés leur première
(( origine ; ils ne sont jamais sortis de cette an-
<( cienne et barbare condition où le genre humain
« a croupi jusqu'à ce qu'il eut reçu des lois et une
<( religion ^'\ » L'expérience atteste donc qu'il n'y
eut jamais de société policée sans religion. Sur quel
fondement Bayle soutient-il que ce phénomène est
possible , quoiqu'il n'ait jamais existé ? Pour juger
(i Pensées sur la com, § 120 eti45. — (2 Contin. de pensées ,
DE LA \TL\rE RELIGION. 219
de l'efficacité des principes de religion , il veut qiu»
Ton consulte l'expérience , et non le raisonnement :
pour savoir quels effets produiroit l'athéisme , il
veut que le raisonnement décide contre l'expé-
rience.
Pour excuser l'athéisme, il soutient que l'homme
ne suit pas , dans sa conduite , les dogmes qu'il
professe ; et pour rendre odieux Je paganisme , il
s'attache à prouver que l'opinion que les païens
avoient conçue de leurs dieux , devoit les porter au
mal ^'\
Malgré les roues , dit -il , malgré les magistrats et
les prévôts , combien se fait-il de meurtres et de
brigandages jusque sur les lieux où l'on exécute les
criminels? Pour conclusion, il ajoute cfue la justice
humaine fait la vertu de la plus grande pai'tie du
monde ^'\ Il nous paroît qu'il falloit conclure tout
le contraire.
§ XL
Mais nous sommes obligés de démontrer que les
raisonnemens de Bayle ne sont que des sophismes.
j^'oublions pas l'aveu qu'il a fait , que l'athéisme
conduit à la corruption des mœurs , et à des consé-
quences affreuses , quand on veut raisonner. Qu'il
y conduise nécessairement q\ toujours , ou qu'il y
conduise rarement , parce que les athées se contre-
disent , cela nous est égal.
En premier lieu , pourquoi les athées sont-ils
forcés de contredire leurs opinions dans la pra-
tique ? C'est qu'ils vivent dans des sociétés où il y
a une religion ; ils sont obligés d'agir à l'extérieur
comme ceux qui croient un Dieu ; s'ils vouloient
suivre les conséquences de leurs principes , ils
(i Coalio. de Pensées. |^ 126 et suiy. — (2 Pensées div. $ i6i.
220 TRAITE
seroient traités en ennemis de l'humanité : ils ont
un intérêt très-vif de prévenir , par la régularité de
leur conduite, les effets de la haine qu'inspirent
leurs opinions. Seroit-ce la même chose , si la
société étoit uniquement composée de leurs sem-
blables ? Le motif qui les détermine n'auroit plus
lieu.
Les exemples vrais ou faux d'athées vertueux ,
cités par Bayle , ne prouvent donc rien. C'étoient
des philosophes placés au milieu d'une nation con-
vaincue de l'existence de la divinité , qui avoit reçu ,
avec la religion, ses lois , sa police , ses mœurs , ses
principes d'honnêteté et de vertu. Les circonstances
seroient très-diflérentes , si de tels philosophes vi-
voient parmi un peuple athée.
A qui sont-ils redevables de leurs maximes sur
l'honneur , sur l'essence et la beauté de la vertu ,
sur la gloire de s'immortaliser , et des habitudes
louables qu'ils peuvent avoir contractées ? A leur
éducation , à la société dans laquelle ils ont pris
naissance , à la religion qui y régne. La question
est de savoir si, chez une nation athée dés son ori-
gine , il y auroit des principes d'honneur, des idées
de vertus , des notions de gloire immortelle, etc. ou
si , chez un peuple policé , qui tomberoit dans un
athéisme universel , ces principes et ces idées se
souliendroient long-temps. Bayle convient qu'il n'y
en a point d'exemple ; sur quoi fondé juge- t-il qu'il
peut y en avoir ?
Ces principes des athées ne peuvent faire im-
pression que sur des philosophes , sur des esprits
cultivés , ce ne sont point là les ressorts qui font
agir le peuple. Lorsque Bayle parle d'une société
d'athées , sans doute il entend une société composée
comme toutes les autres , non-seulement de riches ,
de savans , d'hommes bien élevés j mais encore de
DE LA VRAIE RELIGION. 22 1
pauvres , cVignorans, de gens grossiers et sans édu-
cation. De quel usage seroient pour ces derniers des
principes philosophicpies ? Nous voudrions savoir
de quels motifs on se serviroit pour les engager à se
contenter de l'humiliation de leur état , et à se sou-
mettre à l'autorité de ceux qui voudroient com-
mander.
Si par une société d'athées on entend un peuple
entier de raisonneurs, on bâtit une chimère ab-
surde. Quand elle seroit possible , on peut hardi-
ment affirmer cpie ces génies supérieurs ne s'accor-
deroient pas long-temps.
Bayle ne fait donc cpi'un sophisme , en compa-
rant une poignée d'athées placés au milieu d'une
société gouvernée par la religion , avec une nation
entière d'athées où personne ne croiroit en Dieu.
§ XII.
En second lieu , la maxime sur laquelle il se
fonde . est-elle vraie ? L'homme , dit-il , ne suit
point dans la pratique les opinions qu'il adopte
dans la spéculation. Cette décision est fausse , parce
qu'elle est trop générale. L'homme est sujet à se
contredire , lorsque ses opinions sont opposées à
ses passions ; alors celles-ci , plus fortes que la
croyance , l'emportent souvent sur tous les motifs
qui devToient le détourner du crime. iMais l'homme
sera-t-il encore tenté de se contredire , lorsque la
croyance et les passions seront d'accord? Il y auroit
de la folie à fonder la vertu des athées sur l'espé-
rance d'une contradiction. Dès qu'un athée ne.
.seroit plus gêné par l'opinion publique , il y a cent
à palier contre un , qu'il raisonneroit et agiroit
j -conséquemment.
22 2 TRAITE
Ceux qui ont une religion pure et une mauvaise
conduite , résistent tout à la fois aux motifs reli-
gieux, et aux motifs que la raison suggère aux
athées ; car enfin , un homme qui croit un Dieu ,
n'est pas moins sensible qu'un athée au point
d'honneur , à la beauté de la vertu . etc. Et l'on
suppose qu'en supprimant l'un de ces deux freins ,
les passions ne seront pas plus à leur aise , et ne
causeront pas plus de ravage ; c'est une dérision.
Si la multitude des crimes prouve la foiblesse et
l'inutilité de la religion , elle ne démontre pas moins
la foiblesse et l'inutilité des motifs qui nous enga-
gent à la vertu. Il est donc absurde de compter sur
ceux-ci , lorsqu'ils seront seuls et sépai'és de la
religion qui les renforce.
Bayle décide que les passions dans l'état de gène
où elles sont retenues par la religion , par les motifs
humains, par les lois civiles, sont encore à peu
près l'unique ressort des actions des hommes : et
il suppose que les passions des athées , aftranchies
tlu premier de ces liens , ne seroient plus l'unique
ressort de leurs actions. Il est difficile de dérai-
sonner plus complètement.
Selon lui , si les femmes sont chastes , c'est plutôt
]iar honneur que par religion ; soit. Celles qui n'au-
roient plus de religion seroient-elles plus sensibles
à l'honneur que les autres? Que l'on demande à
tous les incrédules du monde, s'ils aimeroient mieux
ime épouse athée , qu'une épouse chrétienne.
Il y a eu des scélérats qui n'étoient pas incré-
<lules , et de mauvais princes qui aftectoient de la
piété ; je le veux. Auroient-ils été moins méchans ,
s'ils avoient professé l'athéisme ? Ils ont bravé les
lois divines et humaines, les lumières de la raison,
et les sentimens de la nature ; l'insuffisance de ces
liens réunis pour contenir des passions fougueuses ,
DE LA VRAIE RELIGION. 22.1
ne prouve poijit qu'aucun d'eux soit superflu, mais
qu'il faudroit les renforcer si on le pouvoit.
Sous Charles IX et Henri III , les courtisans les
plus corrompus paroissoient les plus zélés contre
les Huguenots ; je le crois. Cela prouve que leur zèle
venoit d'une autre source que de la religion : il est
fort incertain si la plupai't croyoient un Dieu.
Nous démontrerons ailleurs, que les maximes de
l'évangile ne tendent point à faire des lâches.
§XIII.
Les faits que Bayle a cités ne prouvent rien , et
il a supprimé ceux qui le réfutent invinciblement ;
il en appelle à l'expérience : c'est à ce tribunal que
nous le citons lui-même.
Polybe atteste que l'épicuréisme, devenu presque
général chez les Grecs, corrompit les mœurs, altéra
les principes du gouvernement , causa la chute
de leurs républiques. Bolingbroke et Montesquieu
observent que cette même philosophie , portée à
Rome , y produisit le même eflet. L'auteur du
dictionnaire philosophique , qui a voulu étayer le
paradoxe de Bayle, convient que, du temps de César
et de Cicéron , les sénateurs et les chevaliers
romains , plongés dans l'athéisme , étoient des
voluptueux , des ambitieux , tous très-dangereux ,
et qu'ils perdirent la république '\ Dans un autre
ouvrage, il s'attache à montrer, par une nmltilude
d'exemples , que l'athéisme peut tout au plus laisser
subsister les vertus sociales dans la tranquille
apathie de la vie privée ; mais qu'il doit porter à
tous les crimes dans les orages de la vie publique.
« Une société particulière d'athées , qui ne s*'
« disputent rien , et qui perdent doucement leurs
(i Dict. philos, art. Athée.
2 2+ TRAITE
<( jours dans les amusemens de la volupté, peut
« durer quelque temps sans trouble ; mais si le
« monde étoit gouverné par des athées , il vaudroit
« autant être sous l'empire immédiat de ces êtres
« infernaux , qu'on nous peint achrirnés contre
« leurs victimes. >> Telle est sa conclusion ^'\
Est-ce . par hasard , que les épicuriens soutenoient
que la volupté est le souverain bien de l'homme ?
Non , c'étoit une conséquence naturelle de leur
système. Dans Ttij-pothése de l'athéisme , l'homme
est à lui-même sa dernière fin ; le plaisir , le bien-
être , sont tellement sa loi suprême , que , s'il ne
peut en jouir en ce monde , il doit en sortir et se
donner la mort. Mais cette loi qui engage l'homme
à renoncer à la vie , n'est-elle pas aussi capable de
ie faire renoncer à la vertu , lorsqu'il ne peut la
])ratiquer sans s'incommoder? La conduite connue
des épicuriens en décidera. Plutarque en est témoin.
(X La morale d'Epicure , dit ce philosophe , a-t-elle ,
<c je ne dis pas égorgé les tyrans; a-t-elle produit ,
« je ne dis pas un héros , un législateur , un chef
« de nation , un ministre de Cfuelque roi . un dé-
u fenseur du peuple , un homme qui ait souflért
{( pour la justice , qui soit mort pour elle ; mais un
« homme qui se soit seulement embarqué pour sa
(( patrie , qui ait fait pour elle la moindre dépense ?
« Qu'on nous en cite un seul qui ait travaillé pour
« le bien public. Métrodore, une fois en sa vie.
« fit un voyage de quarante stades (une lieue et
<( demie ) pour rendre un service à un certain
« Mithra , officier du roi Lisimaque ; Epicure en
« écrivit des lettres à tout l'univers : c'étoit l'eflbrt
« d'une vertu sublime. Qu'auroient - ils dit , si
(( comme Aristote , ils eussent rebâti leur î)atrie ,
u et s'ils l'eussent , comme Théophraste . remise
(i Homëlif sur riillu-isme.
BE LA VRAIE RELIGION. 22.)
deux fois en liberté ? Le Nil n'eiit point produit
assez de papier })Our céléhrer tant de gloire. >Iais
ce qui me paroit insupportable, ce n'est point
que , de tous les })liilosoj)hes , ils soient les seids
qui ne fournissent point leiu' contingent à la
société , tandis que les poètes mêmes , jusqu'aux
comiques, plaident la cause du bien [mblic et des
lois. C'est que , s'ils parlent du gouvernement ,
c'est pour défendre d'y prendre aucune part ;
s'ils parlent de l'éloquence , c'est poiu: la mettre
« au rabais ; s'ils parlent de la royauté , c'est pour
« vanter le bonheur des courtisans. Ils tournent
en ridicule les héros amis de la liberté et de la
gloire. Quétoit-ce quEpatninondas? peu de
« chose y un corps sans âme, une âme de hais:
encore n'avoit-il que Vécorce : quelle mouche le
piquoit pour aller courir comme un fou par tout
<' le Péloponèse, tandis qu'il pouvoit V'ester chez
' lui tranq}(illement assis f la tête dans son
" bonnet ' ? »
Ce rej)roche de Plutarque n'est point une fausse
imputation: Epicure , dans le portrait du sage, a
dit : Le sage n'a ni femme ni enfans ; il n'est ni
magistrat, ni chef dans sa nation ^^\ A quoi sert-
il donc dans le monde.
L'éj)icuréisme dogmatique n'a pas produit des
pifets moins merveilleux parmi les modernes. Car-
dan s'est peint lui-même comme un homme frivole
et vain , plein de mépris pour la religion , vindicatif,
envieux , sombre et mélancolique ; adonné à la
magie, fourbe et perfide, ingrat, débauché, calom-
niateur , sans probité et sans pudeur ^\ Averroès
se permettoit les fi:ipoimeries qu'il croyoit utiles à
(i Plutarque coutre Colotès, c. 29 et 3o. — (aMoraîe d'Epir.
par M BattfuK , p. 273. -— (3 De iruaiort. auitu. V. i. Disstii.
3 0.
L>2b TRAITE
sa réputation. Vanini fut aussi déréglé dans ses
mœurs, qu'il étoit absurde dans ses opinions. Nous
avons vu dans l'introduction à cet ou^Tage , le
])ortrait de la plupart des incrédules, tracé de leur
propre main.
En quel temps , en quels lieux l'athéisme a-t-il
coutume de naître ? est-ce chez les peuples dont les
mœurs sont pures , ou chez les nations corrompues
par le luxe : parmi les hommes vertueux ou parmi
les débauchés ? Ici , nous attestons encore l'expé-
rience et le témoignage de l'histoire. Que l'athéisme
soit le père ou l'enfant de la corruption , l'une de
ces généalogies n'est pas plus honorable que l'autre.
§ XIV.
Bayle s'est attaché à prouver que l'athéisme est
moins pernicieux et moins à craindre que l'ido-
làtrie ; qu'il eiit été plus avantageux aux païens de
n'avoir aucune religion , que d'en avoir une aussi
corrompue. Il dit : i.° que l'athéisme est moins
injurieux à Dieu ; que c'est un moindre crime de
nier son existence , que de lui attribuer des vices
et des passions incompatibles avec la nature divine.
<K J'aimerois mieux , dit Plutarque , qu'on pensât
(( qu'il n'y eut jamais de Plutarque au monde , que
« de croire que Plutarque est injuste , colère ,
<( inconstant , jaloux, vindicatif, et tel qu'il seroit
u bien fâché d'être. » 2.° Que l'athéisme est moins
pernicieux à la société. L'idolâtrie portoit l'homme
au crime par l'exemple des dieux vicieux qu'elle
jiroposoit à son culte ; elle réveilloit et enflammoit
les passions : l'athéisme les laisse telles qu'elles
sont ^'\ Les incrédules n'ont pas manqué de répéter
à tout propos cette observation ^'\
(i Pensées div. 5 n4 et suiv.Coîitin. § 78, i2G,etc.--(2 Pen-
sées philos. n.'»i3. ?jst. delà nat. t. Il, c n, p. 34j.
DE LA VRAIE RELIGION. 1^127
Réponse. La première raison alléguée par Bayle ,
est absolument étrangère à la question que nous
traitons; quand on soutient la nécessité Je la reli-
gion pour fonder la société , il ne s'agit pas des
intérêts de Dieu , mais de l'homme. La grièveté du
})écbé ne se tire pas seulement de la nature de
l'injure qu'il fait à Dieu , mais du plus ou du moins
de connoissance et de malice avec lesquelles on le
commet ; l'idolâtrie étoit un eftét de l'éducation et
de la stupidité des peuples : l'athéisme est ordi-
nairement un vice personnel , raisonné et réfléchi.
La différence est très-grande de ce côté-là.
La seconde raison n'est pas plus solide ; plusieurs
écrivains l'ont réfutée. On étoit persuadé dans le
paganisme , qu'il y a une providence qui punit le
crime , le parjure , la perfidie , la vengeance , la
cruauté , etc. Or , dans toute société policée , il
est certainement plus avantageux d'avoir cette
croyance que de ne pas l'avoir.
« Le raisonnement de Bayle . dit Montesquieu .
« n'est qu'un sophisme fondé sur ce qu'il nest
(( d'aucune utilité au genre humain que l'on croie
« qu'un certain homme existe , au lieu qu'il est
« très-utile que l'on croie que Dieu est. De l'idée
« qu'il n'est pas suit notre indépendance . ou si
« nous ne pouvons pas avoir cette idée , celle de
« notre révolte. Dire que la religion n'est pas un
« motif réprimant , parce qu'elle ne réprime pas
« toujours, c'est dire cjue les lois civiles ne sont
« pas un motif réprimant non plus. C'est mal
« raisonner contre la religion, que de rassembler
« dans un grand ou\Tage une longue énumération
« des maux qu'elle a produits , si on ne sait pas de
« même celle des biens qu'elle a faits. Si je voulois
« raconter tous les maux qu'ont produits dans le
<( monde le^ lois civiles , la monarchie , le gou-
2L'U TRAITE
« vernement républicain , je dirois des ciiosos
(( eftroyables.... La question n'est pas de savoir
« s'il vau droit mieux qu'un certain homme ou un
« certain peuple n'eût point de religion que d'en
« abuser ; mais de savoir quel est le moindi'e mal ,
« que l'on abuse quelquefois de la religion , ou qu'il
« n'y en ait point du tout parmi les hommes ^". >>
Plutarque lui-même a prouvé , contre les épicu-
riens , que la superstition est moins pernicieuse qu- •
l'athéisme ^'\
Nous convenons que les fables du paganisme
étoient capables de porter au crime ceux qui les
cro} oient ; mais l'influence de ces exemples perni-
<:ieux étoit arrêtée en partie : i.°par la croyance
générale d'une providence , qui punissoit le vice et
récompensoit la vertu; 2.'' par les mêmes motifs qui
l)euvent influer sur les athées , et dont Bayle exalte
si fort le pouvoir. Jamais les païens les plus insensés
n'ont cru qu'un homme dut être placé dans le ciel ,
pour avoir imité la lubricité de Jupiter, ou les bri-
gandages de Mercure.
Il est faux que l'athéisme, dans aucun cas, laisse
les passions de l'homme telles qu'elles sont. 1 ."Nous
avons vu par expérience les efl'ets que l'athéisme a
opérés chez toutes les nations parmi lesquelles il a
fait des progrés. 2.° Nous sommes convaincus par
les écrits des athées , de la haine qui les anime
contre la religion, et contre ceux qui la professent.
Furieux de l'opprobre dont les couvre leur système .
de la résistance qu'ils éprouvent, de la rigueur du
sort qui les attend , des remurds qui les déchirent ,
ils s'en i)iennent à Dieu et aux hommes , exaltent
leur bile contre le ciel et la terre. Nous en verrons
plusieurs traits dans le cours de cet ou\Tage.
(i Esprit des lois. 24, c. 2. — (2 Que V n ne peut vivre
!.e.-.icux, eu oui\anl Ep'curC; n,^ 20
BF. L\ MIAIE RELIGION. 2'->9
§ XV.
L'auteur du dictionnaire pbilosophicfue prétend
que Bayle auroit dû j)lut6t examiner quel est le
[)lus dangereux , du lanativsme ou de l'athéisme.
<( Le fanatisme , dit-il , est certainement mille fois
« plus funeste ; car l'athéisme n'inspire point de
« passion sanguinaire , mais le fanatisme en ins-
« pire ; l'athéisme ne s'oppose pas aux crimes, mais
« le fanatisme les fait commettre. »
Il apporte en preuve les guerres et les meurtres
causés par zèle de religion , en France, en Angle-
terre, en Hollande; l'assassinat de plusieurs princes,
les juges qui condamnent à la mort ceux qui n'ont
d'autre crime que de ne pas penser comme eux , les
convulsionnaires de Paris , les actions d'Aod , de
Judith , de Samuel , de Polieucte '\
Réponse. Nous discuterons tous ces faits dans la
suite ; nous ferons voir que les uns sont attribués
mal à propos à la religion , que les autres sont faus-
sement cités comme des crimes. Il sufîii'a , dans ce
moment , de considérer le fanatisme dans sa cause
et dans ses efléts.
1 ."^ Quelle en est la source? Les philosophes nous
l'apprennent. Selon Bayle , la vertu d'un fanatique
est , pour l'ordinaire , une vertu de vapeurs , un
dérèglement d'organes , un dérangement de quel-
ques fibres du cerveau ^"'. Selon David Hume , la
crainte , la mélancolie , la foiblesse d'esprit, enfan-
tent la superstition ; l'espérance , l'orgueil , la i)ré-
somption , une imagination échaufiée , jointes à
l'ignorance , sont les -vraies sources du fanatisme '\
(iDict. philos^ ^thée , fanatisme. — (2 Dict. crit. Savo-
rarole M. — ^3 Essiis mt.'idux. tt poUtif^ues. 12. <= Ki^ai , t. 1 ,
p. i63.
2J0 TR.\ITE
Selon rencyclopédie , le fanatisme est l'efifet d'une
fausse conscience qui abuse des choses sacrées , qui
asservit la religion aux caprices de l'imagination ,
et au dérèglement des passions ^'\ Dans le système
delà nature , et dans la contagion sacrée, on attri-
bue de même le fanatisme au dérèglement de l'ima-
gination , et l'on convient que les mêmes causes ,
qui produisent la superstition , engendi'ent aussi
l'athéisme ^'\ Sliastesbury et d'autres philosophes,
reconnoissent qu'il y a eu des athées fanatiques ^^ ' ;
nous avons prouvé nous-méme qu'il y en a encore
^^\ L'auteur même du dictionnaire philosophique
regarde le fanatisme comme une espèce de dé-
mence , puisqu'il dit que les lois civiles , aussi bien
que la religion , sont un frein trop foible pour en
prévenir et poiu' en modérer les accès.
Il est donc clair qu'une imagination déréglée
peut enfanter également le fanatisme , la supers-
lition et l'athéisme ; qu'aucune de ces maladies
n'entrera jamais dans une tète bien faite ; que la
religion n'est pas plus responsable de l'une que de
l'auti'e , parce qu'elle n'a pas la vertu de guérii' les
cerveaux mal organisés.
2.° Dès que la cause est connue , il est aisé d'en
comparer les eÔ'ets : pour savoir si un fanatique
peut faire plus de mal qu'un athée , il n'est question
que de savoir si l'imagination du premier est })lus
allumée , et les passions plus exaltées que celles du
second. Cela dépend du tempérament de chaque
individu.
On dira , sans doute , que , par l'expérience, il
est certain que le fanatisme a produit plus de crimes
(i Encyclop. Fanatisme. — (2 Syst. de la uat. tome II , c. 6 ,
jt. 2i3 et suiv. Cont. sacit'e , c. 2, p. 23. — (3 Lettie sni
i'euthousiasine , § 7. Recueil de Leibuilz , etc. tome II , p. 333.
— (4 Ci-des>u= , introd. ^ 20.
DE LA VRAIE RELIGION. 2Ô1
que ratliéisnie; soit. Il s'ensuit seulement que ceux
qui ont abusé de la religion , sont en plus grand
nombre que ceux qui 1 ont reniée , paixe qu'il laut
un degré de démence de plus , pour être athée , que
pour être fanaticfue.
L'athéisme , dit-on , n'inspire point de crimes ,
mais le fanatisme en inspire ; pourquoi ? parce que
les athées , toujoiurs détestés , et toujours en trop
î)etit nombre pour satisfaire leur fureur , ont été
obligés d'être tranquilles pour éviter leur perte : au
lieu que les fanatiques , couverts du manteau de la
religion , n'ont rien eu à redouter de la haine pu-
blique. Mais l'impuissajice des athées est une foible
raison , pour prouver la bonté de leur caractère.
On cite avec emphase l'exemple d'un fanaticpie .
nommé Diaz , qui , de sang fi'oid , partit de Pvome
jiour aller assassiner son frère , parce que celui-ci
étoit protestant ^'\ C'étoit un forcené , sans doute.
Mais pour imputer au fanatisme seul , ce crime
atroce , il faut commencer par prouver , qu'avant
ce temps , Diaz aimoit tendrement son iî'ére . et
n'étoit pas foncièrement un mauvais cœur.
Dans l'encjclopédie , l'auteur d'une tirade fou-
gueuse contre le fanatisme , prouve très- docte-
ment , que «:ette maladie a régné constamment
depuis le commencement du monde jusqu'à nous .
chez tous les peuples , dans toutes les religions , et
dans tous les climats; c'est-à-dire , qu'il a démontré
que tous les peuples ont été attaqués de démence et
de frénésie; j'y consens. Qu'en résulte-t-il , et quel
remède faut-il y api)orter ? Un peu de tolérance et
de modération. Fort bien ; il faut être sage , afin de
ne pas être fou , et se bien porter , pour ne pas être
malade. En vérité la découverte est sublime.
Le fanatisme n'a lieu que lorsque les esprits sont
(i Dict. philos. Fanatisme, Quest. sur lonr cl. raêaae art.
'2 32 TRAITE
d'ailleurs en fermentation , et c{iie la religion paroi t
être en péril ; c'est une fièvre passagère dont les
accès ne sauroient être fréquens , et qui s'aÔbiblit
par ses propres eftbrts. « Sa fureur , dit M. Hume .
« ressemble à celle du tonnerre et de la tempête ,
« qui s'épuise en peu de temps, et laisse ensuite
« l'air plus calme et plus serein. » L'athéisme est
un poison lent , qui détruit le principe de l'esprit
social , et dont les eÔèts sont incurables. « Si
« l'athéisme , dit l'auteur d'Emile , ne fait pas
<( verser le sang des hommes , c'est moins par
« amour pour la paix , que par indiftérence pour
<< le bien ; comme que tout aille , peu importe au
(> prétendu sage , pour^-u qu'il reste en repos dans
<> son cabinet. Ses principes ne font pas tuer les
« hommes, mais ils les empêchent de naître , en
>( détruisant les mœm's qui les multiplient , en les
« détachant de leur espèce , en réduisant toutes
" leurs aÔ'ections à un secret égoïsme , aussi fu-
<> neste à la population qu'à la vertu. L'indifférence
« philosophique ressemble à la tranquillité de l'état
« sous le despotisme : c'est la tranquillité de la
« mort ; elle est plus destructive que la guerre
« même ^'\ »
s XVI.
Mais les incrédules attribueront éternellement à
la religion , les vices mêmes qu'elle défend , et qui
sont le plus contraires aux leçons qu'elle nous
donne. Loin de réunir les hommes , disent-ils , elle
sert à les diviser. N'a-t-on pas vu , dès les premiers
temps , les Eg}i)tiens fuir la société des autres na-
ti.)ns, regarder comme des pro})hanes tous ceux
qui a voient des mœurs diflérentes des leurs? D'au-
(i Emile , tome- lU ; p. )83. Note.
DE LA VRAIE RELIGION. '25.^
très ont poussé la barbarie jusqu'à immoler les
étrangers . et même leurs propres enfans , aux
dieux qu'ils adoroient : la Bible même nous ap-
prend que l'idolâtrie a été la source de tous les
crimes.
Il ne seryiroit à rien de répondre , que ce n'est
point la religion , mais la superstition qui a enfanté
tous ces crimes. D'où vient la superstition , sinon
de la religion même? L'homme ne seroit jamais
superstitieux s'il étoit athée ^'\
Réponse. Autant vaudj'oit soutenir que c'est la
• irculation du sang qui produit la fièvre ; cet acci-
dent n'auroit pas lieu , si le sang ne circuloit pas :
« *u que c'est le droit de propriété qui fait commettre
ie vol 5 ce crime seroit impossible, si tous les biens
(Hoient communs.
La vérité peut-elle être cause de l'erreur? Une
vertu peut-elle enfanter le vice qui lui est opposé ?
(^est la stupidité , l'ignorance , les passions , et non
' \ religion , qui rendent l'homme superstitieux.
Jamais il n'auroit cru honorer la divinité par des
crimes ; jamais il ne se seroit fait des dieux sem-
i:)]ables à lui-même , si les passions n'avoient étoufïé
♦ n lui les notions primitives , et les lumières de la
raison.
Les anciens épicuriens faisoient à la raison , le
même reproche que leurs successeurs font à la
religion. De quoi sert à l'homme , disoient-ils ,
cette faculté dont il est si fier et si jaloux , sinon à
le rendre insensé et criminel? Ne lui seroit-il pas
plus avantageux d'en être privé, et d'être réduit au
seul instinct comme les animaux ^'^ ? Pour adopter
cette belle philosophie , il faudra renoncer à la
raison , aussi bien qu'tà la religion, de peur d'abuser
de l'une et de l'autre.
(i Syst. £0C. I. part. c. 3. Syst. de la nat. de. — (2 Cic. de
2d± TRAITE
Parce qu'un peuple a eu la vanité de se croire
plus sage , mieux policé , mieux instruit que ses
voisins , il les a regai'dés comme des barbares aussi
méprisables que les brutes , et qui ne méritoient pas
de vivre ; il s'est cru dispensé envers eux , de tous
les devoirs de l'humanité. Parce qu'il étoit cruel ,
vindicatif, et qu'il vouloit répandre le sang de ses
ennemis, il a cru que la divinité se plairoit, comme
lui , à ce sacrifice abomina])]e. Brutalement volup-
tueux , il a prétendu honorer Dieu par l'impudicité.
Avide de biens temporels , il a imaginé que Dieu ,
aussi intéressé que lui , ne demandoit que des of-
frandes , et le dispensoit d'être bon et vertueux.
Ce sont donc des passions effrénées et stupides
qui ont étouffé en lui les lumières de la raison , et
les sentimens de religion.
Nous avons déjà fait voir ailleurs , que ces sen-
timens n'ont jamais pu donner lieu à l'usage bar-
bare d'immoler des enfans. La coutume de les
exposer , comme faisoient les Romains ; de les
étouffer 6u de les noyer , comme font encore les
(^.hinois ; de les enterrer avec leur mère , pour être
dispensé de les nourrir , comme le pratiquoient les
Américains ; de les faire périr avant leiu* naissance ,
comme ont fait tant d'autres peuples, n'est pas
moins abominable : la religion n'y a point de part ;
c'est l'eff'et d'un intérêt sordide et mal entendu :
mais plusieurs philosophes l'ont approuvée en cer-
tains cas ^'\ Nous en prendrons-nous à la philo-
sophie ?
Lorsque la stupidité d'une nation est parvenue
au point de faire moins de cas d'un enfant nou-
veau né , que d'un animal , il n'est pas surprenant
qu'elle en fasse un sacrifice ; elle ne i)eut faire ,
nat. dtor. I. 3 , n.«» 60 et suiv.
(i Platon de ujub. 1. 5. .\ii6lole, politic. 1. 7. c. 16.
DE LA VRAIE RELIGION. 2 55
selon ses idées , une offrande plus vile à ses
dieux.
Est-ce la religion qui avoit inspiré aux Romains
le mépris brutal Cju'iîs faisoient de leurs esclaves?
C'est leur sotte vanité. On les a vus en faire mourir
quatre cents , pour le meurtre d'un seul citoyen ,
sans que l'on eut pu prouver qu'un seul de ces mal-
heureux fût coupable ^'^ ; ils auroient pu , par la
même raison , les immoler à leurs dieux , sans
croire faire une offrande de grande valeur. Dans
Juvénal , une femme furieuse , prête à tuer un
esclave par caprice , demande à son époux si im
esclave est donc un homme *^ \
Pour trouver la source des divers outrages qui
ont été faits à la nature humaine , il faut considérer
jusqu'à quel point elle étoit avilie chez la plupart
des nations. 3,Iais la religion , loin d'avilir l'homme,
est la seule lumière qui puisse lui faire connoitre sa
véritable grandeur ; jamais la philosophie n'a su la
lui montrer. L'athéisme , en le dégradant , n'est
propre qu'à le replonger dans tous les excès par
lesquels il s'est déshonoré , lorsqu'il a perdu de vue
] es leçons que Dieu lui avoit données dès le com-
mencement du monde.
Sans la religion , point de morale solide , point
de motif assez puissant pour porter l'homme à la
vertu , peint de liens indissolubles de société parmi
nous : cette vérité nous paroit démontrée, soit par
les preuves que nous en avons données , soit par la
foiblesse des objections des incrédules. L'athéisme
rétrécit les âmes , les concentre dans la bassesse
de l'amour-propre , rend toutes les actions mer-
cenaires , étouffe les sentimens de générosité et
d'amour du bien public , divise les hommes et les
(i Tacite, annal, 1. 14, c. 43. — (:? Juvco. SaL 6, ^.
2^0 TRAITE
rend isolés, doit par conséquent les rendre méchans
et malheureux.
On ne cesse de répéter que la religion divise les
hommes ; certainement ce n'est pas elle qui divise
aujourd'hui les philosophes , puisqu'ils n'en ont
plus : il n'y en a pas deux d'entre eux qui soient
d'accord sur une seule question. Il faut donc cpie la
philoriopliie soit aussi ])ernicicuse que la religion.
Lorsqu'ils veulent justifier l'athéisme , ils disent
que nos opinions n'influent en rien sur notre
conduite ; quand il s'agit de calomnier la religion,
ils soutiennent que la croyance de l'homme est
toujours le mobile qui le fait agir. Rien de constant
chez eux cpie les contradictions.
ARTICLE III.
NÉCESSITÉ DE L.V RELIGION POUR FONDER Li:
CORPS POLITIQUE.
§ I-
Oklon la constitution primitive du genre hu-
main, l'autorité paternelle devoit être le fondement
et le modèle du pouvoir politique. La vie très-longue
des patriarches, et la vénération toujours accordée
à la vieillesse , leur donnoient naturellement un
empire trés-étendu sur leur famille ; le sacerdoce
qu'ils avoient coutume d'exercer , rendoit encore
plus respectable une autorité qui leur étoit déférée
par la nature , et qu'ils avoient cimentée par des
bienfaits. L'histoire profane, d'accord sur ce point
DE LA VRAIE RELIGION. 20]
ii\ ec les livres saints , nous représente les anciens
rois comme de vénérables vieillards , qui , par leur
prudence , leur bonté , leur attention à maintenir
l'ordre public , avoient acquis le droit de comman-
der aux peuples , et de faire respecter leurs lois.
Si les hommes , fidèles aux devoirs de la nature
et de la religion, avoient toujours vécu ensemble
comme frères , et n'avoient connu que les vertus
pacifiques , ils n'auroient pas eu besoin d'une au-
tre forme de gouvernemeut. Mais après la disper-
sion du gem-e humain , lorsque les différentes peu-
l)lades furent devenues étrangères les unes aux
autres , elles ne tardèrent pas à être ennemies ; la
violence , la guerre , le brigandage , commencèrent
à régner. Plusiem's familles furent obligées de se
rassembler , de choisir des chefs , de former un
corps , pour opposer la force à la force ; les hommes
aguerris à poursuivre les bêtes féroces , firent usage
de leurs talens pour dompter et pour détruire leurs
semblables ; un chasseur courageux , devint le pre-
mier héros et le modèle des conquérans ^*\ Le droit
barbare du plus fort fut substitué au droit de la
nature ; un chef de peuplade fut censé le roi el le
père de ceux qui s'étoient unis à lui , parce qu'il en
étoit le défenseur.
11 se trouva néanmoins des sages , parmi le^
hommes accoutumés à la guerre et au carnage.
Touchés du sort de ces animaux farouches , qui ne
s'approchoient que pour s'entre-détruire , ils for-
mèrent le projet de les réunir en corps de société,
de leur faire comprendre les avantages qu'ils trou-
veroient à vi^Te sous les mêmes lois, à joindre leurs
forces et lem's travaux pour l'intérêt commun ; tous
employèrent le même mobile , la religion.
C'est un fait certain par l'histoire , que les pre-
(i Gen. c. 10 , il . 9.
2 58 TRAITÉ
luiers législateurs se sont servis de la religion pour
retirer les hommes de la vie errante et sauvage , et
jMzrur les rassembler dans un corps de société ; les
fondateurs des états et des empires ont commencé
par établir le culte de la divinité , pour servir de
base à leurs lois et à leurs institutions. Menés, chez
les Egyptiens ; Zoroaste , chez les Perses ; Zamoxis ,
chez les Scythes ; Fo-Hi , chez les Chinois ; Orphée ,
Minos , Cécrops , chez les Grecs ; Zaleucus , chez les
Locriens ; Numa , chez les Romains ; Manco-Capac ,
chez les Péruviens , ont été les instituteurs du culte
public uniforme, et delà police. Parmi tant de nations
diflérentes , et dans toute la durée des siècles , il ne
s'est pas trouvé un seul homme d'état , pas un
])hilosophe , qui ait conçu le projet d'établir une
république sans religion. « Vous réussiriez plutôt,
« dit Plutarqne , à bâtir une ville en l'air , que de
« ti'ouver dans le monde un état politique où l'on
<( ne reconnoisse aucune divinité ^'\ » C'est un des
argumens qu'il emploie pour démontrer l'impru-
dence des épicuriens , qui travailloient à détruire la
religion.
Tous les anciens sages ont parlé de même. « Que
« les citoyens, dit Cicéron, ajirés Platon son mai-
« tre , tiennent pour maxime fondamentale , que
<( les dieux sont les maîtres et les aibîtres de toutes
<( choses ; que tous les événemens arrivent par leur
<( puissance , par leur volonté , et comme il leur
<( plaît; qu'ils sont les bienfaiteurs du genre hu-
« main ; qu'ils connoissent le caractère , les actions
« et les fautes de chaque particulier : qu'ils ont
« égard à l'intention et à la manière dont on s'ac-
<( quitte du culte divin ; qu'ils savent distinguer les
<i I)ons des médians ^'\ »
Zaleucus, dans le prologue de ses lois, part du
(i Fiutarquf, coutre Colotès, — [2 Cic. de Leg. 1. 1.
Di: LA VRAIE RELIGION. 2O9
même principe. « Tous ceux qui habitent la cité et
« son territoire , doivent croire et tenir pour certain
<( qu'il y a des dieux ; nous en sommes convaincus
« dés que nous regardons le ciel, l'univers et le bel
« ordre qui régne dans toutes ses parties. Ce n'est
point là l'ouvrage du hasard ni de l'industrie
« humaine. On doit honorer et servir les dieux
« conmie auteurs de tous les biens qui nous ar-
« rivent , veiller sur soi-même , et bannir de son
*( cœur toute passion criminelle ; car Dieu n'est
Ai point honoré par les méchans , ni gagné par des
u oiïi'andes, ni séduit par les spectacles du théâtre,
« comme un méchant homme ; on ne peut hii
« plaire que par la vertu , par la justice , par les
bonnes œu\Tes. Que chacun s'efforce d'être bon
par aflêction et en effet , pour se rendre agréable
à Dieu ; qu'il craigne moins de perdre ses biens
que l'honneur et la vie ; celui-là est le meilleur
citoyen , qui fait moins de cas des richesses que
« de la vertu et de la justice. Que ceux qui ont
« peine à goûter ces vérités , et dont le caractère
u est enclin à mal faire , se souviennent qu'il y a
« des dieux, et qu'ils punissent les méchans : qu'ils
<( envisagent le dernier moment de leur vie : alors
<t on se souvient du mal que l'on a fait , on sent les
(( remords , et l'on voudroit avoir mené une vie
« innocente. On ne doit donc jamais perdre de vue
<( cet instant fatal ; il doit nous servir de règle
u dans toutes nos actions ^'\ »
Les philosophes mêmes , qui , dans leurs écoles ,
poussoient la licence jusqu'à nier l'existence de
Dieu , et faisoient valoir les aa-gumens des athées ,
parloient un langage tout différent, dès qu'il étoit
question de politique et de législation. Cicéron ,
qui , dans son livre de la nature des dieux , semble
(i Stobee, serm. ^2,
24:0 TRAITE
regarder leur existence comme problématique , eu
fait un dogme fondamental dans son livre des lois.
Si Epicure lui-même avoit eu une république à
former , il auroit été forcé de contredire son sys-
tème, et de donner une religion au peuple qu'il
auroit youlu policer. De là les incrédules ont conclu,
trés-mal à propos, que la religion étoit une inven-
tion des législateurs ; elle existoit avant eux ; ils
n'ont fait tout au plus qu'en régler la forme ; et
tous ont senti que sans elle il leur étoit impossible
de mettre aucune subordination parmi les hommes.
§ II.
Sur quoi seroit appuyée l'autorité des souverains
et des magistrats ? Pourquoi seroit-on tenu de leur
obéir , s'il n'y a pas , avant toute loi civile , une loi
naturelle , un décret du législateur suprême qui
oblige tous les membres du corps politique à res-
pecter ceux qui tiennent sa place dans la société ,
qui ordonne à tout citoyen de rendre , par recon-
noissance , ses services à ceux qui le gouvernent ,
pour son bien , qui lui fait un devoir de supporter
les charges d'une société dont il ressent les avan-
tages , qui établit ainsi entre les supérieurs et les
inférieurs un commerce mutuel de bienfaits et de
subordination ?
L'on dira sans doute que la société ne pourroit
subsister autrement ; qu'ainsi tout particulier doit
sentir qu'il est de son intérêt d'être soumis et de
concourir au bien public. Il le doit assurément ,
mais il sent qu'il est encore plus de son intérêt de
jouir de tous les avantages de la société , sans y rien
mettre du sien , s'il le peut. Toute son attention se
portera donc à tirer le meilleur parti possible de la
société , et ù ne contribuer que le moins qu'il pourra
DE L Y VRAIE RELIGIOX. 2 1 1
aux charges qu'elle impose ; à paroître bon citoyen
au dehors, saufà se dédommager en secret, lorsque
l'occasion s'en présentera. Or , dès que cet intérêt
particulier sera devenu général dans la société , elle
doit nécessairement se dissoudre.
Rien n'est donc plus évident , même selon la
lumière naturelle, que cette maxime de la religion :
toute puissance vient de Dieu ^'\ C'est Dieu qui ,
par la loi naturelle , a donné la sanction à tous les
gouvernemens , quels qu'ils soient -, le bien général
de l'humanité l'exigeoit ainsi. Il commande aux
souverains la justice , la sagesse , la bonté , afin
qu'ils soient les images de sa providence ; aux sujets,
la fidélité , le zèle , la soumission. Au tribunal de sa
justice souveraine , les premiers sont comptables
de leur administration , et les seconds de leurs ser-
vices. Dès-lors ce n'est plus la force qui doit régner,
c'est le droit et l'équité , toute oppression est un
crime, et toute révolte un attentat. Les lois, revê-
tues d'un caractère sacré, n'exercent pas seulement
leur empire sur la conduite extérieure , mais sur la
conscience; résistera la puissance légitime , c'est
désobéir à Dieu ^'\ Les païens mêmes ont eu cette
idée de la royauté , lorsqu'ils ont dit que les rois
sont les lieutenans de Jupiter , et que c'est lui qui
les a placés sur le trône ^^\
Dès-lors l'autorité n'a plus rien d'odieux, elle est
émanée de Dieu même pour le bien général des
hommes; la soumission n'est plus pénible, c'est un
devoir prescrit par le souverain législateur. En
sanctifiant l'obéissance , la religion en adoucit le
joug ; elle console les petits et les foibles , en leur
faisant envisager leur sort comme un ordre de la
(i Rom. c. i3 , ;Jr. I. -_ (2 Ibid. f. 2. — (3 Hésiode, Theog.
^. 8o et suiv. In unamquamque gentem prœposuit Rectorem.
Eccli. c, 17 , -p , \\.
1. Il
2 ±2 TR AÏTK
j)rovidence ; elle inspire l'humanité aux grands, €»
leur apprenant que leur élévation n'est point l'ou-
vrage d'une fortune aveugle , mais d'un décret du
ciel ; que plus ils sont au-dessus des autres , plus
leurs devoirs sont importans et inviolables.
s m.
Les pliilosoplies ont cru faire une découverte
merveilleuse , en établissant le pouvoir politique
sur un contrat social, sur une convention mutuelle
entre les sujets et le j^ouverain , par laquelle le
peuple s'est obligé à obéir, sous condition que le
souverain feroit usage de son pouvoir , pour pro-
curer le bien public : convention révocable , et qui
est censée nulle , dès que la condition n'est pas
remplie de la part de ce dernier. La plupart sup-
posent que le peuple n'a confié au souverain que
l'usage de la puissance suprême , et qu'il s'en est
réservé à lui-même la propriété dont il ne peut se
dépouiller -'\ D'autres , moins aveugles , ont senti
l'absurdité , et les periikieuses conséquences d'un
prétendu pacte que le peuple peut annuUer quand
il lui plait ; ils ont décidé que le contrat social est
absolu et indissoluble , qu'il n'est ni conditionnel
ni révocable '^'\ '
Lorsque nous demanderons à ces derniers , pour-
quoi le pacte en question est de sa nature perpétuel
et irrévocable , ils répondront sans doute que l'in-
térêt général des nations , le bien commun, l'exigent
ainsi. Cela est clair. Mais si le bien commun, et
par conséquent la loi naturelle exige , que, dés leur
nai.ssance , et avant toute convention, les sujets
soient tenus d'obéir au souverain qui existe ,
(i Contrat, social. Syst de la nat. Elabliss. des Europ. dans
les ïndcs . et?. — {2 Eucyrbp. autorité polit. Gouvern.
DE LA VRAIE RELIGION. 2^5
n'avons-nons pas droit de conclure que la conven-
tion supposée est une chimère, puisqu'elle est inu-
tile? Or, nous le démontrerons ailleurs, et nous
prouverons que la loi naturelle y a pourvu. Les
mêmes raisons qui font sentir l'inutilité et l'ab-
surdité d'une convention pour former la société
naturelle entre les hommes , ne sont pas moins
fortes à l'égard de la société politique ; l'applica-
tion en est aisée, nous ne les répéterons pas.
Il est étonnant que des philosophes si éclairés
n'aient pas vu , qu'en voulant armer le foible contre
le fort , ils produisent un effet tout contraire , et
qu'ils déchaînent le fort contre le foible. Un sou -
verain , convaincu que son autorité est à la discré-
tion du premier séditieux, sera toujours tenté de
se faire un rempart contre les attentats , de sub-
juger tous les esprits pair la crainte , d'anéantir
jusqu'à la moindre idée de liberté. Une autorité
précaire, chancelante, incertaine, devient néces-
sairement soupçonneuse , inquiète , jalouse , dé-
fiante à l'excès , dégénère bientôt en tyrajinie.
Cette réflexion n'a pas seulement lieu à l'égard
du pouvoir monarchique, mais à l'égard de la sou-
veraineté en général. Dans les républiques mêmes ,
et sous le gouvernement populaire, tous les parti-
culiers n'ont pas également part à l'administration.
Il y a toujours différentes classes de citoyens ou
d'habitans, dont les uns participent au droit légis-
latif . les autres en sont exclus ; souvent il y a eu
des esclaves dont le nombre excédoit de beaucoup
celui des hommes libres ^'\ Si la religion ne sert de
frein aux uns et aux autres, l'ordre supérieur tendra
toujours à opprimer l'ordre inférieur ; celui-ci à
(i Tl y avoit à Athènes, vin;ït et uu mille citoyens , et qui-
tte cent mille enclaves, Athènes, 1.6, c. 20. La proportion
était pour le moins la même à Rome,
24:i: TRAITE
secouer le joug de la dépendance , et à rétablir
l'égalité ; l'un et l'autre seront continuellement
aux prises , et la force seule décidera ; dans toutes
les sociétés, les séditions seront inévitables.
Dans des temps orageux où l'esprit de vertige
avoit perverti toutes les idées , quelques théologiens
ont soutenu que la souveraineté étoit fondée sur un
pacte révocable ; plusieurs incrédules en ont fait
un crime à la religion. Aujourd'hui , au milieu du
calme et de la paix, de prétendus philosophes nous
donnent cette même doctrine comme la base du
droit public.
§ IV.
Mais tout ce qui porte lempreinte de la religion
est odieux aux incrédules ; leur grande ambition
est de pouvoir prouver que l'on peut se passer
d'elle. Pour rendre , disent-ils , la société paisible
^t heureuse , il suffit d'avoir de bonnes lois civiles ,
de distribuer à propos les récompenses et les pei-
nes ; tous les citoyens seront sages et vertueux, dés
qu'ils auront intérêt de l'être. Les hommes sont
plus touchés des avantages qu'ils peuvent goûter
ici-bas , et des maux qu'ils peuvent souÔrir , que
des objets qu'on leur présente dans un avenir éloi-
gné et incertain ; ils sont plus aftectés par l'envie
de plaire à un maitre qu'ils voient , qu'à un Dieu
qu'ils ne voient pas ; en général , l'homme craint
plus ses rois et ses magistrats , qu'il ne respecte
ses dieux. Ainsi ont raisonné Bayle et tous les
incrédules ^'\ Examinons leurs maximes.
1 .« Depuis le commencement du monde l'on n'a
vu , chez aucune nation , de bonnes lois civiles ,
fi Pensées div. § 162. Contin. § i38. Christian, dévoile, c.
II "et ^G. Sjst. de la uat. t. I, c. 14. Svst. social, I. part. c. ^.
DE LA XRXIE RELIGION. 2kO
une sage police , un gouvernement sans religion.
Aucun législateur n'a essayé de soumettre les peu-
ples aux lois , sans la croyance d'un Dieu et d'une
autre vie ; il y a de la folie à regarder comme pos-
sible une entreprise qu'aucun sage n'a jamais osé
tenter. « Cherchez , dit M. Hume , un peuple qui
« n'ait point de religion ; si vous le trouvez , soyez
« .siir qu'il ne diffère pas beaucoup des béies bru-
« tes ^'\ » Les lois , quoique revêtues de l'autorité
divine , quoiqu'envisagées comme un bienfait du
ciel , sont encore assez mal observées , et l'on
ose soutenir qu'elles paroîtront plus respectables ,
lorsqu'on saura qu'elles sont simplement l'ouvrage
des hommes. Peut-on déraisonner plus grossiè-
rement que de dire : les méchans violent les lois ,
sans craibdre Dieu qui le défend, sans redouter
les rois et les magistrats , qui sont armés du glaive
pour les faire exécuter ; mais ils ne les violeront
plus , lorsque le premier de ces objets de terreur
leur sera ôté ? Un seul motif de crainte sera donc
plus fort que deux.
2.° Quand les lois civiles , réduites à la seule
force coactive , seroient aussi puissantes que le
soutiennent les incrédules , il y auroit encore de
la cruauté à employer le glaive et les chaînes pour
faire faire à l'homme ce que l'on peut obtenir de
lui par un moyen beaucoup plus doux , par la rai-
son , et par les motifs de religion. « Ceux qui ont
« soutenu , dit un politique moderne , cpie la re-
« ligion étoit inutile au gouvernement , que les
« roues et les potences suffisoient pour eflrayer les
« malfaiteurs et entretenir le bon ordre , ont dit
« une grande sottise. Toutes les fautes commises
« contre les lois sont-elles donc de nature à mé-
(i Hist. nat. de la relig. p. i33. Hist. de l'Amérique , par
Piobertsou j t. H , p. 432.
246 TILUTÉ
« riter la mort , ou des chàtimens corporels , ou
« des punitions qui aillent à la ruine d'un citoyen ?
u Préférera -t- on d'airiver par la violence et la
« cruauté , à un but auquel on peut venir par une
<K voie aussi douce et aussi aimable que le culte
« divin *^'^ ? »
Si les incrédules vouloient se souvenir que
1 homme n'est pas une brute, ils sentiroient qu'on
ne doit pas le conduire comme celle-ci , par l'ap-
pât d'une proie sensible et présente , ou par la
crainte du bâton toujours levé. S'il y a des carac-
tères féroces , qu'on ne peut pas réduire par un
autre moyen , ils ne sont pas le jjIus grand nombre
de notre espèce.
3.'' Les lois humaines ne peuvent avoir inspec-
tion que sur les actions publiques et connues ; tout
ce qui se fait dans les ténèbres et sans témoins ,
leur échappe ; un hypocrite , un homme adroit à
déguiser son caractère et sa conduite n'a rien à
redouter de leur part. S'il n'y a pas une autre jus-
tice à craindre que celle des hommes , un très-
c]jrand nombre de crimes demeure nécessairement
impuni , les vertus cachées par modestie sont pri-
vées de toute récompense.
Souvent , c'est l'intention seule qui fait le crime
ou le mérite d'une action; les hommes ne peuvent
en juger ; Dieu seul connoît le fond des cœurs. Si
toute la morale étoit réduite au texte des lois ci-
viles , la conscience seroit nulle ; son témoignage
ne serviroit plus de rien. L'homme vicieux et
Iburbe j)rendra volontiers ses semblables pour ju-
ges et pour arbitres; l'homme vertueux, infortuné
et mal adroit , seroit réduit au désespoir , s'il ne
pouvoit appeler à un autre tribunal qu'à celui de
(i BielftlJ, inst. polit. Y. Journ. dts savans , Juin 1769,
1008.
DE LA VItUE PcELiGIOX. 2 ±;
la société. Dans tous les siècles , chez toutes les
nations, l'on s'est récrié sur l'injustice des hom-
mes , sur la témérité et la partialité de leurs juge-
mens ; et l'on voudroit qu'ils décidassent seuls de
notre sort !
4.° Les lois civiles ne peuvent prescrire tous les
devoirs de société ; elles se bornent à défendre et à
punir les crimes qui peuvent la troubler. « La
« vertu , dit Sénéque , est bien imparfaite , lors-
« qu'on ne fait d'autre bien que celui qui est
« commandé par les lois ; la règle de nos devoirs
« est beaucoup plus étendue que celle de la justice
« rigoureuse. Combien de choses qu'exigent la
« piété , l'humanité , la libéralité , l'équité , la
« bonne foi , dont les lois ne font aucune men-
« tion ^'^ ? » Point de lois assez détaillées ni assez
fortes pour faire observer tous les devoirs de la
reconnoissance , de l'amitié , de l'hospitalité , de
la charité , de la tendresse envers nos proches , de
Tamour de la patrie ; pour punir l'avarice , la du-
reté , l'ingratitude , la perfidie. « Les législateurs
« ont pu croire , dit M. d'Alembert , que les hom-
« mes se feroient justice eux-mêmes sur ces vices,
« en punissant les coupables , soit par la honte ,
« soit par le mépris ; mais s'ils ont pensé de la
« sorte , ils ont eu trop bonne opinion du cœur
« humain ^'-\ » Il y a une meilleure raison de leur
conduite , c'est qu'ils n'ont pas pu faire autrement.
§ V.
5.'' Dans le cas où une nation n'auroit d'autre
principe de morale que des lois , il faudroit non-
seulement qu'elles fussent multipliées à l'infini ,
(i De ira , 1. 2, c. 27. — (2 Elémens de ihilosopliie, n." 8 ,
p. 88.
'Jïu TRAITE
mais qu'elles fussent extrêmement sévères , et
exécutées avec la dernière rigueur : Bayle en est
convenu '^'\ Il faudroit établir dans la société une
inquisition qui réduiroit les citoyens à un esclavage
et à une frayeur continuelle ; les moindres délits ,
les plus légères omissions deviendi'oient la matière
d'un procès criminel , d'une discussion par-devant
des censeurs publics : il en seroit de même des ac-
tions vertueuses qu'il faudroit récompenser. Voilà
les j)arens, les amis, les voisins devenus délateurs
les uns des autres , toujours aux prises, continuel-
lement occupés à s'accuser mutuellement ou à se
défendre , les passions toujours éveillées , la société
en combustion.
Toute la sagacité humaine peut-elle suffire pour
juger à quel point un particulier est coupable pour
nn péché d'omission , jusqu'à quel degré il est ex-
( usable })ar le défaut de lumières et de génie , par
les soins qui ont pu le distraire , par la stupidité
et l'insensibilité de son caractère , par le défaut de
])révoyance et de réflexion sur les conséquences ?
Dans le tribunal établi par la religion , le casuiste
le plus expérimenté se trouve souvent fort embar-
l'assé pour décider si un coupable qui s'accuse lui-
même , est véritablement criminel , quelle est
l'énormité de sa faute, quelle réparation, quelle
satisfaction il faut lui j)rescrire : et l'on fera de
cette discussion très-épineuse un procès à juger
sur des indices et sur des dépositions de témoins?
En vérité , ceux qui osent proposer ce ])lan de
gouvernement sont des politiques fort habiles.
D'autre coté , i)lus les lois civiles sont sévères ,
moins elles sont efficaces ; elles sont la marque
d'un caractère atroce dans le législateur et dans la
nation pour laquelle elles sont faites : elles ne
(i Penscts div. § 62. \. encore Vie de St'iiè4ue , p. 34;.
DE LA VRAIE RELIGION. 249
peuvent servir qu'à inspirer des mœurs féroces , à
endurcir les hommes aux châtimens , à étoufler le
point d'honneur. IMontesquieu l'a prouvé démons-
trativement par les lois japonoises ^'\ Sous de pa-
reilles lois , les peuples sont nécessairement vic-
times du despotisme le plus absolu et le plus
cruel.
6.° Quelque sévères , quelque multii.tliées que
puissent être les lois , elles n'ont plus de force , s'il
n'y a pas des mœurs ; la religion seule peut en
donner. Quid vanœ sine inoribus leges proficiunt,
disoit Horace ; tous les sages l'ont répété après lui.
Peu de lois suffisent à des âmes honnêtes ; il n'y en
a jamais assez pour les médians. Le trop grand
nombre de lois est un signe certain de la corrup-
tion d'un peuple : in corruptissimâ republicâ
pluvimœ leges. La science des lois devient alors
un dédale où se perdent les plus habiles ; plus le
nombre des coupables augmente , plus les lois de-
viennent inutiles , et plus on trouve de moyens de
les éluder. Dans les commencemens de la républi-
que , les Romains avoient très-peu de lois ; à me-
sure qu'ils devinrent riches , adonnés au luxe ,
voluptueux , injustes , corrompus , il fallut multi-
{)lier les lois , les i)eines, les supplices : mais cette
foible barrière ne put arrêter le torrent des crimes ,
parce que la religion avoit fait place à l'épicu-
réisme. Montesquieu observe très -bien que les
supplices ne donnent pas des mœurs ^'■.
§ VI.
7.° « Les lois sont nécessaires, dit un écrivain
« sensé ; l'effet en est prompt. C'est un mur d'ai-
(I Esprit des lois , I. 6 , c. i3 , 1. 12 , c. 37 . — (2 Ibid.
h '9i c- »7.
i- 11.
200 TRAITE
<K raiu qu'il faut se hâter d'élever autour des pas-
« sions , pour les j enfermer comme des bètes
« féroces , en attendant qu'on puisse les dompter
u par la douceur , et les faire contribuer au bien
(( général. Mais la loi ne suffit point ; elle est sé-
« vére et inexorable ; elle n'entre point en dis-
« cussion ; elle n'entend ni remontrances ni ex-
u cuses ; la loi est le tyran de l'univers moral ;
« elle ne fait que des esclaves , parce qu'elle n'a
<^ que des supplices , et ce n'est ni le fer ni le feu
« qui changent la façon de penser des hommes.
« D'ailleurs , elle ne prévoit ni le temps ni les
(( abus ; elle n'est point sous tous les yeux ; elle
« n'entre point dans le détail des devoirs récipro-
i( ques. Si elle coupe les branches du mal , elle
« n'en coupe point les racines 5 si elle ordonne des
« vertus , elle ne les fait point aimer. Elle laisse
K l'ignorance dans l'esprit , et la corruption dans
u le cœur , parce qu'elle ne règle que l'extérieur
« du citoyen.
u Enfin , la loi vieillit comme tout le reste ; le
<^ glaive de l'autorité s'émousse avec le temps.
(( Une génération ])asse , une autre survient ; on
(( ignore ou l'on feint d'ignorer ce qui gène une
u volonté dépravée. La loi ne fait i)lus équilibre
« avec l'amour de la liberté , qui entraîne le cœur
<« vers 1 indépendance. L'intérêt particulier , ce
<^ monstre quelquefois enchaîné , jamais détruit ,
« s'excite ets'anime; et si le prince n'en prévient
« les tristes effets , le feu des passions menace
<^ encore une fois de tout embraser. H faut donc
% que le souverain , ai)rés avoir établi de bonnes
(( lois , vienne à leur secours , en les faisant goûter
« aux passions humaines par la douceur de la
u persuasion ^'\ » Et quels motifs de persuasion
(i Droit public de Frauce . dise. prcl. p. 2X
DE LA YllAlE IIEI.IGION. 2 )1
]>lus toiichans et plus efficaces que ceux dont la
religion est la source ?
8.*^ « La nature des lois humaines, dit Montes-
« quieu , est d'être soumises à tous les accidens
(( qui aiTivent . et de varier à mesure que les yo-
(^ lontés des hommes changent ; au contraire , la
(( nature des lois de la religion est de ne varier
« jamais ^'\ » C'est donc ne pas avoir les pre-
mières notions de la morale , que de l'établir sur
les lois civiles ou politiques , et de ne donner aux
hommes aucune autre règle. Lorsque les incrédules
veulent attaquer la certitude et l'évidence de la loi
naturelle , ils citent avec emphase la multitude de
lois fausses , absurdes , pernicieuses, que l'on trouve
chez la plupart des peuples anciens et modernes ;
i , par une inconséquence grossière , ils préten-
dent que l'homme n'a pas besoin d'une autre règle
de conduite que la volonté arbitraire des légis-
lateurs.
On pourroit faire un livre entier pour démon-
trer l'absurdité du système de nos politiques sans
religion.
Il est évident que la principale force des lois
civiles vient de la loi intérieure que le créateur a
gravée dans le cœur de tous les hommes , qui leur
ordonne de se soumettre à l'autorité souveraine ,
])arce que Dieu l'a établie j d'observer les lois ,
parce que Dieu en est le vengeur. Cette loi éter-
nelle n'est sujette à aucun des défauts qui rendent
toutes les autres insuffisantes. « La loi du Seigneur ,
« dit le prophète, est irrépréhensible; elle ne nous
« laisse ignorer aucun de nos devoirs ; elle ne se
(( borne point à l'extérieur , elle domine sur les
« âmes et sur les plus secrètes pensées du cœur ;
« ses promesses et ses menaces sont infaillibles ,
(i Esprit des lois, I. 26 , c , 2.
2i>2 TRAITE
« et son langage se fait entendre aux plus igno-
« rans. » Lex Domini imniaculata , conoertens
animas ; testinioniian Domini fidèle , sapientiam
prœstans parvulis ^'\
Ces réflexions suffisent pour détruire l'opinion
deliobbes, qui soutient que la religion n'a d'autre
force que celle qu'elle emprunte des lois civiles ;
qu'il dépend du gouvernement de donner aux su-
jets quelle religion il lui plaît, et que ceux-ci sont
obligés de la recevoir. Puisque les lois civiles elles -
mêmes tirent de la religion leur plus grand pou-
voir , il est absurde de prétendre que ce sont elles
qui rendent la religion obligatoire : c'est donner
dans un cercle vicieux qui ne porte sur rien.
s VII.
Pour assurer le repos et le bonheur de la société ,
l'ordre et la paix parmi les citoyens, l'influence et
lautorité du gouvernement , trouverons-nous une
ressource plus puissante dans les peines et les ré-
compenses que les hommes peuvent donner ? Nous
avons déjà fait sentir une partie des inconvéniens
attachés à leur distribution ; la difliculté de dis-
cerner quelles sont les actions vraiment louables
et dignes de récompense , l'impossibilité d'en con-
noitre les motifs , les préventions , les erreurs , les
passions , les foiblesses , tristes apanages de Thu-
manité , dont les chefs de la société ne sont i)as
plus exempts cpie les membres et qui rendent né-
cessairement fautifs la plupart des jugcmens qu'ils
portent sur le mérite des hommes.
Que sera-ce lorsque les dépositaires de l'autorité,
qui tiennent dans leurs mains les peines et les
récompenses, n'auront point de religion? qui sera
(i l'saume iB , jj^ . 8.
DE LA VRAIE RELIGION. 20 J
garant de leur impartialité? « Quand il seroit inu-
« tile , dit Montesquieu, que les sujets eussent une
« religion, il ne le seroit pas que les princes en
<( eussent , et qu'ils blanchissent d'écume le seul
« frein que puissent avoir ceux qui ne craignent
« point les lois humaines. Un prince qui aime la
« religion et qui la craint , est un lion qui cède à
« la main qui le flatte et à la \ oix qui l'appaise.
« Celui qui craint la religion et qui la hait , est
« comme les bêtes sauvages qui mordent la chaîne
« qui les empêche de se jeter sur ceux qui passent.
<^ Celui qui n'a point du tout de religion , est cet
« animal terrible qui ne sent sa liberté que lorsqu'il
« déchire et qu'il dévore ^'\ » Tels sont les monstres
que nos philosophes veulent former pour mettre à
leur discrétion le sort des peuples.
Y a-t-il dans l'univers un gouvernement assez
riche et assez puissant pour payer dans chaque
î)ai'ticulier tous les services qu'il peut rendie à la
société, toutes les vertus qu'il peut pratiquer, tous
les sacrifices dont un homme de bien est capable ?
On dira qu'il ne s'agit pas de répandre des richesses,
mais d'accorder des honneurs 5 l'un est-il plus aisé
que l'autre ? Une marque d'honneur devenue troj)
commime cesse d'être honorable , n'est plus une
distinction ; une note d'infamie presque générale
ne produit aucun effet , on n'en rougit plus. Chez
une nation corrompue , l'honneur n'est plus d'au-
cune valeur ; toute la puissance humaine ne viendia
j)as à bout de rendre sensibles à l'honneur des âmes
avilies par l'intérêt.
Un de nos politiques, après avoir vanté les heureux
effets que produit à la Chine le plan merveilleux de
gouvernement imaginé par les philosophes, à senti
]'oî)jection que l'on pouvoit tirer de cet exemple
(i Esprit des lois , I. 2 j , c. u.
25 i TRAITE
même. « On nous dira peut-être que ces usages
« établis à la Chine , n'ont pas fait de ses liabitans
« des hommes plus vertueux que d'autres ; que
« bien des relations s'accordent à les peindre com-
« me des foiirbes , des voleurs , des hommes Irés-
« vicieux. Nous répondrons qu'au moins certaines
« vertus , la piété filiale sur-tout , y sont trés-
« religieusement observées , et que d'ailleurs nul
« peuple sur la terre n'a poussé plus loin son
« industrie. Enfin , nous dirons que , nonobstant
« ses institutions si sages , le gouvernement chinois
« est despotique, et que le despotisme , par sa né-
« gligence , permet à toutes sortes d'abus de s'in-
(( troduire , ou , par ses violences et ses caprices ,
« anéantit les eôets des institutions les plus utiles :
u la forme reste , le fond disparoît ^'\ »
Voilà donc tout ce qu'a pu produire le système
sublime de nos professeurs de politique ; il a inspiré
aux Chinois la piété filiale , et les a débarassés de
toutes les autres vertus. Mais c'est le despotisme
qui a fait tout le mal : soit. Il reste à savoir si le
plan que l'on nous propose peut avoir lieu dans un
gouvernement qui ne soit pas despotique, et s'il ne
conduit j)as nécessairement au despotisme : or nous
soutenons qu'il y conduit. La piété filiale des Chi-
nois n'est autre chose qu'une crainte servîle et
excessive des enfans à l'égard du pouvoir despotique
rt illimité des pères. Nous le verrons en parlant de
la religion des Chinois.
Rien n'est plus étonnant que la bizarrerie de nos
adversaires. Les uns prétendent que c'est un abus
de faire envisager à l'homme de bien les peines et
les récompenses de l'autre vie ; que c'est rendre la
vertu mercenaire ; qu'il est beaucoup mieux de
Taimer et de la pratiquer pour elle-même ^"K Les
(i Syst. social , II. part, c 7 7 f. ^« — (a Shaslesbury, essai
DE LA XRAÏE RELIGION. 255
autres soutiennent qu'il faut lui montrer une ré-
compense certaine , même en ce monde ; que c'est
le seul moyen efficace de rendre l'homme vertueux.
Comment accorder des sentimens si opposés ?
s VIII.
Les principes sur lesquels ils s'appuient sont
tous faux. Il n'est pas vrai qu'en général l'homme
soit plus constamment sensible aux biens et aux
maux de ce monde qu'à ceux de l'avenir ^'K Cela
ne lui arrive que pendant l'eflervescence passagère
des passions ; mais cette fièvre n'est pas continuelle ;
la religion reprend ses di^oits , cause des remords ,
engage souvent à réparer le mal produit par les
passions. Quel attrait peuvent avoir pom' l'homme
prêt à mourir , les récompenses et les biens de ce
monde ?
Il est encore faux qu'en général l'homme craigne
plus son roi que son Dieu ^'\ A-t-on oublié la
multitude de ceux qui ont mieux aimé perdre la vie
sous le glaive des rois , que de trahir leur religion?
Tout homme sait très-bien que les regards de son
roi ne le suivent pas par-tout , mais que Dieu ne le
perd jamais de vue. Il peut, par la suite se soustraire
au pouvoir d'un souverain , mais par-tout Dieu le
poursuit par les remords de sa conscience, u Où
« irai-je , Seigneur , disoit le prophète , pour me
« dérober à votre connoissance , et pour éviter vos
(( regards? Si je montois au ciel, c'est le séjour
« que vous habitez ; si je pénétrois dans les en-
« trailles de la terre , je vous y trouverois encore.
sur la raillerie , II. pari. sect. 3. Exposition du système de
S])inosa, par Boulaiuviliiers, p. 48.
(1 iSjst. soc. Ibid. p. 84. Le bon sens , § i^i. — (a Syst. de
la nal. Llnislianibnie dt;\oile.Lc Lou teus , ^ 175, etc.
256 TRAITÉ
« Quand j'aurois les ailes de l'aurore pour fuir au-
« delà des mers , votre main m'y conduiroit et me
(( tiendroit en son pouvoir. J'ai dit , peut-être les
(( ténèbres me couvriront de leurs ombres , je
« cacherai mes voluptés criminelles sous le voile
« de la nuit : hélas ! les ténèbres n'ont rien d'impé-
« nétrable pour vous , le jour et la nuit sont éga-
« lement découverts à vos yeux ^'\ »
Nouvelle inconséquence des ennemis de l'a reli-
gion ; ils travaillent à la détruire pour délivrer
l'homme de la crainte d'un Dieu vengeur, et ils
disent que l'honune craint moins Dieu que son roi.
Ils veulent donc nous laisser sous un joug plus
pesant que celui qu'ils feignent de nous ôter. Où
est le service qu'ils aflbctent de nous rendre.
Disons mieux ; un citoyen ne redoute et ne res-
pecte son roi , que parce qu'il craint son Dieu. Si
les souverains étoient dépouillés du caractère sacré
dont Dieu les a revêtus , leur pouvoir ne tiendroit
])lus à rien; le moindre souffle de sédition, le pre-
mier accès de vertige suffiroit pour renverser leur
trône , et fouler aux pieds leur autorité. Les rois
qui protègent et soutiennent la religion, travaillent
à leur propre sécurité et au repos des peuples.
§ IX.
Cent fois nous aurons lieu de remai'quer qu'il
n'y a rien de constant , rien de suivi dans les décla-
mations des incrédules ; ils font à la religion des
reproches contradictoires. Les uns disent qu'en
rendant sacrée la majesté des rois , la religion les
autorise à opprimer leurs sujets ; qu'elle réduit
ceux-ci à la servitude , et leur ôte le courage de
secouer le joug de la tyrannie. D'autres soutiennent
(i r^aume i38.
DE LA VILUE RELIGION. 20 j
cfue la religion met des entraves au pouvoir souve-
rain , assujettit les rois aux caprices des peuples ,
parce que toutes les fois crue le prince veut gêner ses
sujets sur leur croyance, ils sont prêts à se révolter
contre lui. Souvent le même écrivain a insisté sur
ces deux o])jections , a voulu les prouver l'une et
l'autre ^'\
Réponse. Que faudroit-il pour contenter nos
adversaires? Que les rois exerçassent le despotisme
sur la croyance de leurs sujets, et qu'ils eussent les
mains liés sur tout autre chef? Beau plan de poli-
tique ! Mais pourvu que la religion soit une fois
anéantie , les incrédules s'inquiéteront fort peu de
lautorité souveraine.
Leur contradiction même suffit pour justifier la
religion, et pour démontrer qu'elle garde un juste
milieu ; elle sert également de sauve- gai'de contre
l'abus de l'autorité , et de frein à la licence des
peuples; si elle étoit toujom's écoutée, elle con-
tiendroit les uns et les autres dans les bornes de la
justice et de la raison. Elle ne permet point aux
premiers de se rendre arbitres de la croyance des
peuples; c'est à Dieu seul de la prescrire, et de
révéler ce qu'il juge à propos. Elle défend aux
seconds d'attenter à l'autorité souveraine, pai'ce
que Dieu l'a établie pour leur tranquillité et leur
bonheur. Lorsque les uns ou les autres s'écarteront
de cette sage régie , ils ne peuvent attendre que des
malheurs. L'abus de l'autorité fait naître des sédi-
tions, et les séditions n'aboutissent presque jamais
qu'à rendre plus pesant et plus dur le joug de
l'autorité. Si un prince manquoit de religion , il
chercher oit à opprimer les peuples pour se rendre
(i Chrisliau. dévoilé, c. 14. Système de la nature, tome II ,
c. 8. Le bon sens , $ i43 et suiv. i'oliti'juc naturelle, lotce II ,
dise. 5 , Js 7 et ig.
200 TR.UTE
])lus absolu ; et si la religion n'inspiroit aux peuples
l'obéissance , ils ne \oudroient plus supporter la
domination même la plus douce et la plus modérée.
Témoins tous les incrédules , qui ne cessent de
déclamer contre les rois , depuis qu'ils ont renié
Dieu.
§ X.
Dès que vous admettez , disent-ils , un Dieu et
une religion, vous devez vous attendre à yoir éclore
difiérentes religions , par conséquent les disputes ,
les dissentions, les guerres, la haine, la fureur. Le
plus court est de n'en souffrir aucune ou du moins
de n'en admettre aucune exclusivement ; de laisser
à chaque particulier la liberté de choisir la croyance
et le culte qui lui plaira davantage. On a écrit des
^olumes entiers sur ce lieu commun.
Réponse. Par ce bel argument , Ton démontre
clairement qu'il faut tout détruire, ne laisser sub-
sister aucune des institutions humaines. Etabli-
rons-nous des lois? Bientôt nous verrons éclore
des lois absurdes , injustes , pernicieuses , et tous
les maux qui s'ensuivent d'une mauvaise législation.
Souffrirons - nous une autorité pour nous gou-
verner ? Des hommes ambitieux et injustes en
abuseront , les peuples seront esclaves , ou se ré-
volteront; de là les guerres civiles, les massacres,
la désolation sur toute la face de la terre. Faut-il
introduire le droit de propriété? Dés ce moment ,
les dissensions , les procès , les usurpations sont
inévitables; il y aura des riches et des pauvres, des
oppresseurs et des opprimés, des ravisseurs puissans
et des foibles dépouillés ; la fraude , l'injustice , la
violence ravageront la société. Doit-on cultiver les
aits et les sciences? Les travaux les plus nécessaires
DE L\ YR.UE RELIGION. 209
seront avilis et négligés , le luxe s'introduira et
traînera la corruption à sa suite; le crime deviendra
plus adroit , la malice plus raffinée , la politesse
prendra la place de la vertu. Bannissons donc les
lois , les gouvernemens , la propriété , les sciences ,
les arts et tout leur cortège; vivons comme les
brutes , et nous serons heureux. Courage , philo-
sophes intrépides , l'ouvTage avance , bientôt il sera
consommé.
Les Tartares iNIant-Chéoux, vainqueurs des Chi-
nois, veulent leur couper les cheveux; ces derniers
attaquent lems conquérans et en triomphent : le
czar veut faire raser les Russes ; ils se révoltent : le
roi d'Angleterre entreprend de donner des culottes
aux montagnai'ds écossois ; ils s'arment : le roi
d'Espagne essaye de changer cpielque chose à l'ha-
billement de ses sujets ; ils se mutinent : des la-
boureurs sont prêts à se révolter , parce qu'on veut
les obliger à mettre des socs de fer à leur charrue ,
au lieu des socs de bois dont ils se servoient. Voilà
des dissensions pour peu de chose. Donc les hom-
mes ont tort d'avoir des cheveux , de la barbe , des
habits , des culottes , et des socs à leur charrue.
Les passions humaines abusent de tout , prennent
feu sur tout , changent le bien en mal ; cela est
incontestable. S'il y avoit moins de liens pour les
garrotter, causeroient-elles moins de ravages? Dans
l'état sauvage, elles ont moins d'objets pour s'exer-
cer ; mais une fois éveillées , elles sont indomptables.
Les hommes ne s'égorgent pas pour la possession
d'une province , ils se tuent pour un fruit ou pour
une pièce de gibier. La faim et la misère font chez
eux ce que l'ambition fait chez nous. Un sauvage ,
dit-on , est plus content de sa nudité et de sa crasse ,
((u'un grand seigneur ne l'est de tout le faste qui
l'environne. Je le crois ; un ours et un singe ont
'26 O TR.ilTÉ
aussi le même goiit , et cela prouve qu'un homme
civilisé et un homme dans l'état d'animalité , sont
deux êtres fort différens.
Avoir une fausse religion , des lois vicieuses , un
gouvernement tyrannique , une propriété chance-
lante , des arts corrompus par le luxe , c'est sans
doute un très-grand malheur pour une nation.
■Mais vivre sous une religion sainte , sous des lois
sages , sous un gouvernement modérée .jouir d'une
propriété paisible et de tous les agrémens que pro-
curent les sciences et les arts , n'est-ce pas le plus
haut point de félicité auquel un peuple puisse aspirer
sur la terre ? Cherchons donc à nous donner tous
ces avantages , et sachons les estimer lorsque nous
en jouissons : telle est la vraie sagesse. Vouloir
tout détruire , peirce que l'on s'est fait un plan de
tout blâmer . ce n'est plus philosophie . c'est dé-
mence et frénésie pure.
Si on laisse à chaque particulier la liberté de
régler sa croyance comme il lui plaît, on doit
aussi lui permettre de ne rien croire , lorsqu'il le
juge à propos. La religion sera-t-elle encore un lien
de société, ou un gage de sûreté entre les hommes?
Il ne dépend pas de nous de juger que la vérité et
l'erreur sont des choses indifférentes. Regarder la
religion comme une affaire de goût et de caprice ,
c'est insulter à la raison aussi bien qu'à la religion.
§XI.
Quand vous auriez éprouvé , disent les incré-
dules , que la religion est nécessaire au repos et au
bonheur de l'homme , à la sûreté du commerce
social , à l'influence des lois et du gouvernement ,
il ne s'ensuivroit pas encore qu'elle est vraie. Il y
a eu des erreurs utiles ; les fausses religions peuvent
DE L-V \TIAÎE RELIGION". 26 1
Servir à réprimer les passions aussi-bien que les
religions \Taies ; puisque , selon YOtre façon de
penser , la plupart des nations , quoique policées
et florissantes, ont été dans Terreur sur la religion.
Réponse. Cette difficulté n'est embarassante que
pour ceux cp.ii la proposent. 1° Tous les incrédules
soutiennent que la vérité est toujours utile ; il est
donc impossible que l'erreur le soit ; la même pro-
priété ne peut convenir aux deux contraires. Si
toute religion étoit fausse , toutes seroient perni-
cieuses à tous égards. 2.*' Il est évadent que les
religions les plus fausses portent suj un princij)e
vrai ; savoir , qu'il j a une puissance supérieure à
l'homme , quelle qu'elle soit , qui lui impose des
lois , qui a égard à ses actions , qui punit le crime
et récompense la vertu : cette vérité universellement
crue et professée, est la base de toute religion. Or,
c'est ce même principe certain et démontré qui
opère dans la société les heureux effets qui résultent
de la religion , quelles que soient les erreurs que
les hommes y ajoutent d'ailleurs.
Soit qu'un peuple croie que la puissance qui
gouverne le monde est unique , ou partagée entre
plusieurs êtres differens ; soit qu'il lui donne le
nom de Jupiter , de Bélus, de Mithras, de Tien , ou
tel autre qu'on voudra ; soit qu'il lui suppose des
attributs qui conviennent ou qui ne conviennent
point au souverain maitre de toutes choses ; soit
qu'il lui rende un culte plus ou moins raisonnable ,
le principe fondamental de sa croyance et de sa
conduite est toujours vrai , toujours capable de lui
donner une morale plus ou moins pure , de lui faire
sentir la nécessité d'être vertueux, soumis aux lois ,
bienfaisant envers ses semblables.
La religion des Romains , cpioique fausse , ren-
doit ce peuple idolâtre de sa patrie, capable de tout
T
262 TRAITÉ
entreprendre et de tout souffrir pour sa conser-
vation et sa gloire , lui inspiroit , malgré son ca-
ractère farouche et séditieux , la soumission aux
magistrats, donnoit aux sénateurs un moyen d'ar-
rêter , par les aruspices et les augures , toutes les
entreprises dont ils prévoyoient le mauvais succès.
Une fausse religion peut donc produire du bien par
la croyance d'une providence qui règle toutes cho-
ses . et qui dispose de tous les événemens. La fausse
application qu'une nation en fait ne détruit point
les conséquences directes qu'elle en tire.
Mais ce n'est point sur l'utilité sçule que nous
fondons la vérité de la religion dans les différentes
époques de la révélation ; c'est sur des preuves évi-
dentes et démonstratives , auxquelles les incrédules
n'opposent que de vaines subtilités : nous le ferons
voir , lorsque nous examinerons en détail ses dog-
mes et ses préceptes. Il est constant néanmoins que
son utilité , ou plutôt sa nécessité indispensable est
déjà une très-forte preuve de sa vérité.
§ XII.
Vous avez tort , s'écrient nos profonds raison-
neurs ; la religion est inutile, elle ne sert à réprimer
ni les peuples ni les rois , tous les peuples ont une
religion , et tous sont vicieux et corrompus ; les rois
croient un Dieu et une autre vie , et tous sont des
tyrans qui rendent leurs sujets malheureux. Quand
les peuples, les rois et leurs ministres seroient tous
athées, ils ne pourroient pas être plus méchans. La
religion est la boite de Pandore , de laquelle sont
sortis tous ces maux. Elle a perverti les peuples ,
en leur commandant de vaines pratiques au lieu de
vertus, souvent en leur ordonnant des crimes; elle
a gâté les princes , en leur disant que leur autorité
DE LÀ 'V'RAJE RELIGION. 2G5
vient de Dieu , qu'ils ne doivent en rendre compte
qu'à Dieu ; elle perpétue le malheur des nations ,
en leur ôtaiit la liberté de secouer un joug qui les
écrase , en leur disant que leurs maux sont des
châtimens de leurs crimes , au lieu qu'ils sont
l'effet de l'injustice et de la tyrannie de ceux qui
les gouyerneut ^".
Réi^onse. Nous rougissons de mettre sous les
yeux des lecteurs (!e langage insensé , dicté aux
incrédules par le fanatisme anti-religieux ; mais il
retentit dans tous leurs écrits, et ces ou\Tages sont
entre les mains de tout le monde. Puisqu'ils n'ont
pas osé tirer la conclusion , suppléons à leur si-
lence : donc il faut faire main basse sur la religion
et sur les prêtres, sur les rois et sur les ministres ;
exterminer une fois pour toutes les auteurs de nos
maux , ne prêter l'oreille et n'obéir cfu'aux philo-
sophes athées.; alors le genre humain sera heu-
reux.
Les anciens épicuriens raisonnoient encore
mieux. La raison , disoient-îls , est inutile ; elle
ne rend sages ni les peuples ni les rois; tous les
peuples se croient raisonnables, et tous sont vicieux
et corrompus. Les rois se piquent de raisonner , et
tous rendent leurs sujets esclaves et malheureux :
quand les peuples , les rois et leurs ministres se-
roient imbécilles ou frénétiques , ils ne seroient pas
plus médians. La raison est pernicieuse ; c'est
l'abus que l'on en fait qui produit tous ces maux
Elle suggère de faux raisonnemens aux scélérats ,
pour justifier les passions : pour innocenter tous les
crimes; aux rois, pour se dissimuler l'excès de
(i Syst. de la nat. tome II , c. 8 , p. 289 et suiv. Le bon sens ,
$i4oetsuiv. 173, 179, etc. Hist. des ëtabliss. des Europ. dans
les Indes , tome VI , 1. 16, p. i3o ; 1. 18 , p. 422 , etc. Essai sur
les préjugés , c. 2, p. 25. Politique naturelle, t. II , dise. 5 ,
5 7 el 19, etc. , etc. En^^cîop. art. vingtième , ajouté.
2b ± TflAiTE
leur despotisme ; aux ministres , pour pallier leurs
injustices et leurs vexations ; aux conqnérans , pour
s'aveugler sur leur am'oition et leurs rapines , etc.
<''\ Mortels , renoncez à la raison , suivez l'instinct
comme les animaux ; ils n'ont ni prêtres , ni rois ,
ni conquérans; c'est le seul moyen d'être heureux.
11 ne tient qu'à nos adversaires de répéter la
même invective contre les lois , contre le zèle de Ifi
patrie . contre le point d'honneur , contre l'amour
de la gloire , contre la philosophie même ; cette
dernière maladie n'est pas celle qui a produit le
moins de maux.
Savans docteurs , anciens et modernes , cpi'avez-
vous prouvé ? Que l'homme abuse de la raison et
de la religion , des lois et de la morale , des pen-
chans utiles , des facultés naturelles et acquises ,
tout comme vous abusez vous-mêmes de la phi-
losophie en déraisonnant. On le savoit il y a long-
temps. Mais si les conséquences que vous en tirez
ne vous font pas rougir , vous êtes les plus incu-
rables de tous les hommes.
Il est faux que la religion ( j'entends la vraie
religion ) commande des pratiques extérieures au
lieu de vertus; il est encore plus faux qu'elle or-
donne des crimes. Nous défions les incrédules de
citer dans la morale révélée aucune vertu qui ne
soit commandée , ou aucun crime qui ne soit dé-
fendu. En récompense , nos adversaires sont d'avis
que la tolérance eflace tous les crimes ; ils ont
voulu justifier tous les impies , dés qu'ils ont été
tolérans.
La raison, aussi bien que la religion , dit aux
rois que leur autorité vient de Dieu ; qu'ils en doi-
vent rendre compte à Dieu , parce qu'il est absurde
qu'ils la reçoivent du peuple , qu'ils en rendent
(i Cic. de Baï. deor. 1.3, u." 66 et suiv.
Di: LA VRXUZ RELIGION. 26)
compte au peuple , que le peuple soit roi , et quo
le roi soit sujet et justiciable du peuple. La simple
notion des termes suffit pour le faire sentir.
Ni la raison, ni la religion ne permettent au peu-
})le de secouer le joug qui lui est nécessaire , du-
quel dé[)endent l'ordre et le repos de la société ,
et qu'il ne pourroit briser sans éprouver tous les
malheurs de l'anarchie. Ceux qui travaillent à le
révolter contre ce joug salutaire, sont des sédi-
tieux , qui jouent un jeu à mettre la société en
trouble et en combustion ; ils sont fort heureux de
ce que leur folie inspire à ceux qui gouvernent ,
plus de pitié et de mépris que d'indignation.
Jamais il n'y eut de peuple athée; il n'y en aura
jamais , parce que jamais un peuple entier ne sera
composé de raisonneurs insensés. Nous ne connois-
sons point de souverain qui ait fait })rofe3sion ou-
verte d'athéisme , parce que tous ont senti qu'ils
avoient besoin d'une religion pour eux et pour leurs
sujets. Mais si malheureusement quelques - uns
viennent à s'infatuer des principes de nos philoso-
phes , plaignons d'avance les peuples soumis à leiur
domination : tôt ou tard ces princes seront les
fléaux de la terre ; par-tout ils }iOrteront le despo-
tisme et la dévastation. C'est tout le service qiie
l'athéisme, prêché de toutes parts, peut rendre au
genre humain.
Il est faux que le despotisme soit le fruit de la
religion; l'on pourroit dire avec autant de justice,
qu'il est le fruit de la raison , puisque les mêmes
principes , qui nous font sentir la nécessité d'une
autorité politique pour gouverner les nations, nous
funt comi)rendre aussi , que cette autorité doit être
sacrée et inviolable; autrement elle n'auroit aucun
empire sur les peuples, et ceux-ci n'auroient aucun
motif solide de la respecter. Aussi un de nos plii-
1. 12
2 66 Trx.uTÉ
losoplies a tourné , contre la raison même , le re-
l)roche que ses confrères font à la religion , lors-
qu'il a dit : « L'homme ayant reçu le rayon de la
(^ divinité , qu'on appelle raison , quel en est le
« fruit? C'est d'être esclave par toute la terre ^*\ »
La religion ne conseille ni n'approuve aucune
espèce de gouvernement , plutôt qu'une autre ,
pai'ce que tous bien administrés, peuvent procurer
le bien de l'humanité : mais elle donne des pré-
ceptes généraux, dont l'exécution les rendroit tous
sages , modérés , heureux. Elle commande indi-
stinctement l'obéissance à l'autorité quelle qu'elle
soit , parce que la société ne peut subsister sans
cette subordination. Le despotisme , pris en ri-
gueur, n'est établi chez aucune nation chrétienne,
au lieu qu'il l'est chez la plupart de celles qui ne
connoissent point l'évangile. A ce seul fait , peut-
on ne pas voir l'aveuglement des incrédules ?
Nous soutenons au contraire , que chez un peu-
jde athée , s'il pouvoit y en avoir un , ou il n'y
auroit ni autorité , ni subordination quelconque ,
ou cette autorité seroit nécessairement tyrannique ,
parce qu'elle n'auroit d'autre ressort que la force
et la crainte pour se faire obéir.
Nous serons obligés de répondre encore plus
d'une fois aux déclamations absurdes des incré-
ilules, parce qu'ils ne cessent de les répéter à toute
occasion.
§ XIIL
La nécessité de la religion , pour faire le bon-
heur de l'homme , pour servir de fondement à la
inorale, pour donner de la force aux lois de la so-
ciété , est démontrée par le fait , puisqu'il n'y eut
(• Dict. philos, art. Egalité,
DE LA VRAIE RELIGION. 26"
jamais de nation policée sans religion. Dés que
l'athéisme s'est introduit chez un peuple , et qu'il
y est devenu commun , il n'a jamais manqué d'en
causer la ruine. Ou il a produit la corruption des
moeurs , ou il l'a rendue incurable. On a cessé de
respecter les lois , dés que l'on a oublié que Dieu
en est le vengeur ; l'autorité n'a plus eu de ressort ,
dès qu'elle a été dépouillée du caractère qui la ren-
doit vénérable aux yeux des peuples.
De ce fait incontestable , nous concluons , que
la religion est incorporée, pour ainsi dire, à la
constitution de l'homme ; il ne peut être raison-
nable sans être religieux. L'athéisme ne peut entrer
dans son cœur , ni dans son esprit , sans le dégrader
et l'abrutir. Au milieu d'une société, dont la reli-
gion est toujours la base , cet eflét ne peut pas être
sitôt sensible ; mais il éclateroit au moment où
l'athéisme pourroit se montrer sans rougir , et
.suivre en liberté les funestes conséquences de ses
principes.
Il est impossible de concevoir que l'homme ait
été formé par le hasard , ou par une cause pure-
ment matérielle et aveugle ; nous le démontrerons
dans la suite : il a donc reçu l'être d'une cause in-
telligente qui savoit ce qu'elle faisoit , qui a prévu
les suites et les effets des penchans , et des facultés
dont elle l'a doué. C'est le créateur lui-même qui
non-seulement a mis dans l'homme le penchant
invincible qui le porte à la religion , mais qui en a
fait dépendre ses vertus et son l)onheur. Or , lui
imprimer ce penchant, sans lui donner les moyens
de le diriger, c'est une contradiction dont Dieu est
incapable , qui répugne à sa sagesse et à sa bonté.
De deux choses l'une ; ou Dieu a révélé immédia-
tement à l'homme , en le créant , la religion telle
qu'il la falloit pour le rendre sage et heureux . ou
3 68 TRAITÉ
il lui a donné la faculté de la découvrir j>ar soi
propres lumières, de se former un spnbole de
croyance et un code de morale capables de !«'
conduire au même but. Les liM'es saints nous eu-
.^eignent la première de ces deux hypothèses ; les
incrédules , sur-tout les déistes , ont embrassé la
.seconde.
C'est à l'histoire seule de terminer cette grande
contestation. Dans aucune contrée de l'univers ,
trouverons-nous une religion pure , vraie , raison-
nable, dont l'homme soit l'unique auteur, et qu il
se soit formée sans le secours d'aucune révélation?
La philosophie, par ses réflexions, est-elle jamais
pai'venue à créer une religion aussi parfaite , que
celle dont les patriarches ont fait profession dès le
commencement du monde? Cette question sera
l'objet du chapitre suivant.
DE hjL VRAtE RELIGION. 269
CHAPITRE TROISIEME.
DES DIFFERENTES RELIGIONS ANCIENNES IVT
MODERNES.
SI-
Il est déjà suffisamment prouvé que Dieu , dés le
commencement du monde , a révélé aux hommes
la religion par laquelle il vouloit être honoré ; les
dogmes , le culte , la morale , les lois , qui conve-
noient le mieux au genre humain encore enfant.
La conservation de ce dépôt dépendoit du zèle et
de la piété des pères , de la docilité des enfans , de
la réunion des familles en société religieuse : sur
tout de la pureté des mœurs : toute altération dans
la religion, vient toujours de prés ou de loin de la
corruption du cœur ; mais l'homme est toujours
libre; la lumière de la foi, non plus que celle de la
raison , ne lui fait point violence ; les passions ne
résistent que trop souvent à l'une et à l'autre.
Plusieurs particuliers, par humeur farouche, pir
esprit d'indéi)endance , ou par d'autres causes , .se
sépai-èrent , perdirent de vue les leçons publiques
de religion, oublièrent la tradition primitive,
tombèrent peu à peu dans l'ignorance et dans la
barbarie ; leurs enfans furent élevés de même. Ces
l)euplades écartées se trouvèrent bientôt dans le
même état , dans lequel auroit été toute la masse
du genre humain , si Dieu n'avoit pas daigné
l'instruire.
270 TR.UTÉ
L'écrivain sacré semble avoir attribué à cette
cause la différence qu'il j avoit entre les familles
fidèles à Dieu , et celles qui se pervertirent avant le
déluge. Il représente Gain , le premier des mal-
faiteurs, fuyant la présence du Seigneur, ou les
lieux sanctifiés par son culte, pour se retirer dans
une terre éloignée et déserte ^'\ En parlant au
contraire de la piété et des vertus de Noë , il fait
remarquer qu'elles étoient en lui un héritage de
famille ; que Noë inarcha ou vécut avec Dieu ,
c'est-à-dire, dans l'exercice habituel et journaliei
de son culte "\ Après le déluge , les mêmes causes
diirent produire les mêmes efléts.
Il est aisé de passer de la vérité à l'erreur, lorsque
les passions y trouvent leur avantage : pour revenir
de l'erreur à la vérité qui nous gêne , il faut se faire
violence ; un particulier a de la peine à s'y résoudre ;
cela est encore plus difficile à une peuplade entière.
Toutes conservèrent long-temps l'idée confuse d'un
seul Dieu , créateur du monde ; mais , à force de
négliger son culte, cette notion spéculative demeura
sans effet ; elle ne les empêcha point de tomber
dans le polythéisme , et dans tous les désordres
qu'il traîne à sa suite. Nous verrons dans quelques
momens de quelle manière arriva cette révolution.
Cependant , un essaim de philosophes soutient
que les peuples ont suivi une marche contraire ;
qu'après avoir été , dans leur origine , stupides ,
polythéistes , idolâtres , ils se sont éclairés peu à
peu ; qu'à force de méditer , les plus sages ont dé-
couvert l'unité de Dieu , sa providence , la vie à
venir , les préceptes essentiels de la morale. Si
l'idolâtrie grossière , disent-ils, a été la religion des
ignorans et du peuple , le tliéisme pur a été la
croyance des hommes instruits. La prétendue ré-
(1 Gtu. c. 4 ^ ;^« 14 et »^' — (2 Il^itl. c. 6, y. 9.
DE LA -STLilE RELIGION. 27 1
vélation primitive est donc une chimère ; eile ne
fut jamais nécessaire; la raison, les réflexions,
l'instinct moral , suffissent à l'homme pour se
former une religion très-pure. Ce chef-d'œuvre (h;
la philosophie est nommé par eux la relicfimi
71 a tu relie.
s H.
Il est difficile de concevoir en cpiel sens on peut
nommer nainrelh , une religion dont on ne voit
aucun vestige, chez aucun peuple privé de la révé-
lation ; qui , selon ses partisans mêmes , n'a pas été
connue de la millième partie du genre humain , qui
n'est jamais entrée dans l'esprit du peuple , pour
lacpieîle la nature humaine semhle avoir eu toujours
une répugnance invincible. Mais nous aurons bien
d'autres mystères philosophiques à éclaircir.
Quand cette religion auroit existé parmi les
sages , il s'ensuivroit encore que la révélation a été
nécessaire pour en instruire le peuple , puisque les
premiers n'ont jamais pu ou n'ont jamais voulu la
lui communiquer. Dieu , créateur et père de tous
les hommes , n'exige pas moins les hommages des
ignorans que ceux des savans , il ne veut pas moins
leur salut ; une religion pure nous paroît encore
plus nécessaire au peuple qu'aux philosophes, puis-
que chez lui rien ne peut y suppléer. Pai'ce qu il
s'est trouvé quelquefois des génies supérieurs , qu i
se sont formés seuls , sans avoir reçu aucune édu-
cation , il ne s'ensuit point que l'éducation ne soit
pas nécessaire au commun des hommes.
Il y a plus : lorsque le déisme étoit l'opinion
dominante parmi les incrédules , ils ont vanté la
sagesse des Égyptiens , des Chinois , des Indiens ,
des Perses, des Grecs et des Romains: les .sages fie
'X'I'I TiiAlTK
ces nations avoient tout tu et tout enseisrné : en
fait de religion, ils en sa\oient plus que les Juifs et
que les Clu'étiens ; leur religion naturelle valoit
mieux que notre religion prétendue réyélée. Il fal-
loit l'affirmer ainsi pour décréditer la révélation.
Aujom'd'hui tout est changé , tout ce merveilleux
a disparu. Les incrédules , devenus matérialistes ,
ont décidé souverainement que toute religion est
une erreur et un fléau pour l'humanité ; que le
déisme n'est pas moins absurde que les religions
révélées. En Egypte et à la Chine , dans les Indes
et dans la Perse . en Grèce et à Rome , les philo-
sophes n'ont été que des visionnaires; ils ont adoré
i'âme du monde , ou V énergie de la nature , dont
ils avoient fait un être réel "\ Epicure et quelques
autres, qui n'ont admis que la matière , ont été les
seuls sages. Jamais métamorphose n'a été plus
subite et plus complète.
Mais nous ne devons nous fier aux incrédules
d'aucune secte ; il nous faut des témoins mieux
instruits et plus sincères j nous consulterons les
historiens , les voyageurs , les monumens ; nos
adversaires n'en ont pas pris la peine. Nous par-
lerons en premier lieu de la religion des Eg)-ptiens,
ensuite de celle des Chinois , de celle des Indiens ,
de celle des Parsis ou disciples de Zoroastre ; de
celle des Grecs et des Romains ; nous jeterons un
coup d'œil sur la croyance et les précei)tes de mo-
rale des anciens philosophes ; nous finirons par
l'examen de l'état des nations barbares , et de la
morale des philosophes modernes. Ce sera la ma-
tière de sept articles. Nous traiterons du mahomé-
tisme , à l'époque de sa naissance , dans la troi-
sième partie de notre ouvrage.
Si nous parvenons à prouver qu'aucune des
(i Syslème de la nalun- , tuiue II , c, i , p. if>, c. 2 , p. 34-
DE LA ViLUE REEIGIOX. :/;.^
nations déchues de la tradition primitive, n'a eu
une religion pure, sensée , raisonnable ; on verra
par -là de quoi la raison humaine est capable en
iait de religion. Car enfin , si malgré les progrès
que ces peuples ont pu faire dans les arts, les
sciences, la législation, ils n'en ont pas été plus
avancés dans la connoissance de Dieu et de la saine
morale , à plus forte raison , les peuplades encore
au berceau ont eu besoin d'une lumière surnatu-
relle; la religion pure et sainte des premiers hommes
ji'a pas été l'ouvrage de leur réflexion , mais d'mie
révélation divine.
Selon ce j)rincipe , diront les déistes , les peuples
nés dans l'idolâtrie n'ont pas été coupables d'y
persévérer. Ceux qui abandonnèrent la révélation
})rimitive , fiu'ent criminels sans doute , mais leurs
ilescendans ne sont plus responsables de cette faute.
Ou la raison leur a suffi pour se faire une religion
meilleure , ou Dieu n'a pas pu les punir d'une er-
reur involontaire.
Réponse. De ce que les peuples n'ont point
écouté la raison , il ne s'ensuit pas qu'il leur ait
été impossible de le faire. Presque tous ont con-
servé l'idée confuse d'un seul Dieu créateur : qui
les empéchoit de lui rendi'e leur cul*e , plutôt qu'à
des dieux imaginaires ? L'erreur n'est plus excu-
sable , lorsque ce sont les passions qui la produi-
sent. Tous ont jjéché , dit saint Paul, donc tous
oM besoin de la lumière de Dieu : il déclare que
tous ont été inexcusahlcs ; ce n'est donc point à
nous de les excuser ^'\
Quand cela seioit possible , étoit-il indifférent
jx)ur eux d'être absous à cause de leur aveugle-
ment , ou d'être sauvé par la révélation ? Le bon-
heur de l'i.omme est sans doute de faire son salut .
(1 irnii. c. 1 , y- '•^'^ • ^' "^ ; A • -3.
i. 12.
•2';-t TRAITE
]>ar la connoissance de ses devoirs, et non par
l'ignorance invincible ; par des vertus , et non par
des crimes involontaires. Autrement, il faudra dire
qu'il lui est indifférent d'être raisonnable ou imbé-
cile , puisque le défaut de raison le met à couvert
de châtiment.
ARTICLE I.
DE LA RELIGION DES ÉGYPTIENS.
SI-
JT ARMi les anciens peuples, les Égyptiens parois-
sent les j)lus dignes d'exciter notre curiosité. Ils
sont les premiers qui aient cultivé les sciences et
Jes arts ; c'est chez eux que les premiers philoso-
})hes de la Grèce sont allés s'instruire. La liaison
qui se trouve entre l'histoire sainte et celle de
I Egypte , rend celle-ci plus intéressante : mais ses
commencemens sont couverts de ténèbres. Lorsque
Solon , Pythagore , Hérodote , Platon , allèrent en
Egypte , ce royaume avoit subi des révolutions ; il
avoit été subjugué par les rois pasteurs , par les
Ethiopiens , par les Perses ; })Iusieurs de ses anciens
usages dévoient être changés. Ces étrangers d'ail-
leurs n'entendoient point la langue égyptienne • ils
ne pouvoient consulter les anciens monumens ; ils
s'en rapportèrent au récit des prêtres ; et il est
})robable qu'ils furent trompés en plusieurs choses.
Cette nation s'attribuoit une antiquité prodi-
gieuse ; on a souvent opposé ses annales à celles des
Juifs : il faut voir si cette antiquité est solidement
DE LA VBAIE RELIGION. 2jj
prou\ée. La religion des Egyptiens paroît absurde ;
y a-t-il quelque moyen de la justifier ?
Selon les dynasties ou suites des rois , données
par Manétlion , conservées par Jules Africain et
par le Syncelle , la monarchie des Egyptiens re-
monteroit plus haut cpie la création du monde.
Mais plusieurs savans ont fait voir que ces dynas-
ties sont collatérales , et non successives ; les rois ,
dont elles ont conservé les noms seuls , ont régné
en même temps sur divers cantons de l'Egypte.
Par vanité , les Egyptiens ont mis ces listes bout
à bout , et en ont fait une chaîne immense de ré-
gnes successifs. M. D'Origny l'a très-bien prouvé ;
il a fait voir , par difiérentes observations , par le
témoignage des anciens , par le rapprochement de
j)lusieurs faits , que la chronologie égyptienne est
exactement d'accord avec celle du texte hébreu de
Moïse. Le concert de ces deux monumens , qui
n'est point l'effet du hasard , prouve la vérité de
l'une et de l'autre ^'\
Plus récemment encore, l'auteur de Vhiétoire
véritable des temps fahuleux , a prouvé avec beau-
coup de \Taisemblance , rpie l'histoire d'Egypte ,
n'est autre chose qu'une traduction fautive , et un
commentaire grossier des livres de Moïse et des
autres écrivains sacrés.
L'auteur des recherches philosophiques sur \tii
Egyptiens et sur les Chinois , pense différemment ;
il croit le monde beaucoup plus ancien que l'hig-
toire sainte ne le suppose. Selon lui , c'est un abus
de vouloir ajuster les annales des Egyptiens avec
relies des Juifs ; cela ne sert qu'à embrouiller la
chronologie; ce n'est point par l'histoire qu'il làut
juger de l'antiquité des peuples , mais par leurs
(i Chrcnol. des rois du grand empire drs Égyptiens, i vol.
in-iû. Paris, 176G.
2j6 TRAITE
progrés dans les arts. Il est ridicule, dit- il , de
placer plusieurs royaumes à la fois dans l'Egypte ,
dont le sol a beaucoup moins d'étendue qu'on ne
l'avoit cru jusqu'ici. Les dynasties de Manéthon
sont donc un catalogue de rois qui ont régné suc-
cessivement sur toute l'Egypte , et non une liste de
règnes collatéraux ^'\
Tenons-nous en garde contre le ton décisif de
cet auteur ; il est aftecté pour cacher le foible des
j)reuYes et des raisonnemeus. Il falloit réfuter le
système de M. D Origny , au lieu d'en parler avec
mépris. Pour bâtir une chronologie solide , notre
critique veut des écrivains philosophes , des rai-
sonneurs qui , sans avoir égard aux historiens, aux
laits , aux monumens , fixent l'antiquité des na-
tions sur des conjectures physiques , avancées au
hasard. Cette méthode est fausse , n'engendre que
des erreurs, ne })eut éblouir que les ignorans: en
voici les })reuYes.
§ II.
1.^ Pendant que l'auteur des recherches veut
prouver l'antiquité des Egyptiens par leurs progrès
dans les arts , un autre , non moins philosophe ,
prétend démontrer l'antiquité des Chinois et des
Indiens , ])ar l'état d'imperfection où l'on a trouvé
chez eux les sciences et les arts ^'K Ainsi l'on prou-
vera l'éternité des nations par leur ignorance , aussi
l)ien que par leur science , c'est une dérision.
Eniin , un troisième , encore plus philoso])he que
les précédens, décide que (^ l'ordre naturel des
« choses semble démontrer que rEgyi)te lut une
(i Rechetr. i-liilo^.sur lesF.gypt. t. I,S(ct. i, p. 19: t. II,
sect. ç), p. 3oo. — (2 Hist. des élahliis. dvs Euioptieus dans
lus liid-5. lomel, p. 38 et j).
DE LA VRAIE lUiLIGlON. 1^77
*> des dernières terres habitées ^'-. » Nous voilù
bien instruits.
Ce même auteur des recherches observe , qu'à
la Chine , la partie civilisée occupe les bords de la
mer et des rivières j mais que l'intérieur des terres
est inculte, que Ton y trouve des })euples nomades ,
indépendans , sauvages. Voilà sous le même ciel et
dans le même continent , la barbarie placée à côté
des arts et de la civilisation. En conclurons-nous
(pie les habitans des côtes sont plus anciens que
ceux de l'intérieur des terres ? Ce philosophe de-
voit sentir qu'il fournit des preuves contre l,ui.
De même , à côté des Egyptiens civilisés . les
historiens nous montrent les Troglodytes et les
.Tchtyopphages , qui , placés sur le bord de la mer
louge et accoutumés à vivre de leur pêche , sont
demeurés dans la barbarie. Il ne s'ensuit pas que
les Egyptiens fussent beaucoup plus anciens que
les Troglodytes. Par-tout ailleurs . les peuples ont
commencé })ar vivre de chasse et de pêche avant de
cultiver la terre.
2.'' Le progrès des arts et de la civilisation chez
un peuple , dépend non- seulement des causes i)hy-
siques et morales , mais encore de plusieurs évé-
nemens fortuits. Tout peuple sédentaire forcé de
cultiver la terre pour subsister , sera bientôt civi-
lisé; c'est le cas des premiers habitans de l'Egypte.
Dans la plus grande partie de ce pajs , la vie i)as-
torale étoit impratiquable . le sol y est régulière-
ment couvert d'eau tous les ans, pendant trois mois.
On ne pouvoit y vivre de chasse , de pêche , ni de
bétail pendant tout ce temps-là ; il falloit donc des
y)rovisions de grains et de fiuits. Les premiers
colons furent d'abord obligés de construire des
iiabitations plus élevées cpie les eaux , et de tirer
(1 l'Iiilo.K de rhijt. c. 19. p. 97.
2 7U TRAITE
leur subsistance de la terre après l'écoulement ; la
fertilité du sol les y invitoit. Il est impossible que
l'Egypte ait jamais été habitée par un peui)le privé
des arts. Voilà , sans aucun mystère , l'origine de
l'aversion qu'avoient les Egj'ptiens pour la \'ie
pastorale , et de l'habitude dans laquelle ils étoient
de manger très-peu de viande ; l'auteur des re-
cherches pouvoit s'épargner la peine d'en chercher
d'autres raisons.
Pour que les arls aient été connus d'abord en
Egypte , il suffit qu'un des petits- fils de Noé , j)lus
industrieux et plus hardi que les autres , y ait fixé
son séjour. La nature du sol ne permettoit point
à sa famille de se séparer , ni de demeurer dans
l'inaction , ni d'oublier les arts , dont Noé lui-
même avoit conservé l'usage '\ Un seul homme ,
né à propos , fait faire plus de progrès à une na-
tion , dajis vingt ans , qu'elle n'en auroit fait sans
lui pendant plusieurs siècles. Si Pierre-Ie-Grand
ne fut pas né en Moscovie , les Russes seroient
peut-être encore tels qu'ils étoient il y a trois cents
ans. Le seul Monco-Capac porta , par une révo-
lution subite , le génie des Péruviens à un degré
d'industrie , dont les autres Américains n'avoient
aucune idée. On voit encore souvent dans les vil-
lages le fils d'un laboureur ou d'un berger devenir
habile mécanicien. L'auteur des recherches observe
lui-même , qu'il auroit peut-être fallu aux Grecs
plus de mille ans pour inventer l'alphabet qui leur
fut apporté en un jour. Comment donc juger de
l'antiquité d'une nation précisément })ar son pro-
grès dans les arts ?
Une peu[)lade rassemblée , forcée par la nature
(i L'auteur de l'hisloire vdrilablc des temps fabuleux , a
prouve', d'une manière con>-aiiicanle, queMéuea, premier roi
des Egyptiens , est Noè lui-même , toiuo I , p. 22() et smv.
DE LA VRAIE RELIGION. 279
du séjour qu'elle habite , à cultiver les arts néces-
saires , ne tarde point de se procurer des commo-
dités , d'inventer des arts d'agrément , lorscpie la
culture ne peut l'occuper pendant toute l'année.
Telle a été précisément la position des Egyptiens.
Il leur a fallu tailler le marbre , le granit , le ba-
salte , parce que leurs carrières en étoient remplies ,
et ce seul travail suppose une iinfinité de connois-
sances. Pendant que l'on bâtissoit en Chaldée avec
de la brique cuite au soleil , il falloit employer en
Eg}q)te la pierre la plus dure qu'il y eut au monde.
La nécessité est la mère de l'industrie 5 ce proverbe
trivial est la clef de la plupart des découvertes.
Sans doute , dit notre critique , les Egyptiens
n'ont pas su tailler les pierres précieuses d'abord
en sortant de la barbarie. On le conçoit. Mais il
falloit commencer par examiner si les habitans de
rEg}-pte ont jamais été dans la barbarie, si ce pays
a pu être habité par un peuple sauvage et stupide ,
si un tel peuple auroit été assez hardi pour affronter
les inondations du Nil. A moins que l'on ne sup-
}}Ose , avec l'écriture sainte , que ce séjour a été
l'hoisi par un des descendans de Noé déjà instruit ,
familiarisé avec les eaux et avec les arts les plus
nécessaires ; il est impossible de concevoir que
l'Egypte ait été une des premières terres habitées.
La Genèse nomme l'Egypte et ses premiers colons
a^nVD , les faiseurs de levées ou de chaussées pour
enfermer les eaux : à ce seul trait , il paroît que
l'historien des Juifs est plus judicieux que tous les
écrivains philosophes '\
V. Queit. sur fcuc^clop. Histoire des luonumctu.
28o TRAITÉ
§ m.
C'est donc une très-mauvaise méthode de vou-
loir juger de l'aiiticpiité d'une nation , précisément
par le progrés qu'elle a fait dans les arts , sans
tenir aucun comi)te des causes physiques , des
causes morales , des événemens fortuits , qui ont
pu accélérer ou retarder la civilisation. Comment
combiner l'action de ces difiérens ressorts sans le
secours de l'histoire ? Une philoso])hie aventurière ,
qui veut plier les événemens à ses courtes idées , ne
j)eut enfanter que des visions. Peut-on pardonner
à ses partisans le mépris qu'ils afiectent pour des
écrivains plus circonspects , qui ont pris l'histoire
et les faits pour base de leurs réflexions?
5.° L'auteur des recherches pense que les pre-
miers habitans de l'Asie sont venus des hauteurs
de la Tartarie ; que ceux de l'Egypte sont descendus
des montagnes d'Ethiopie. Nous ne lui demande-
rons pas qui les y avoit fait naître ; si les montagnes
ont la vertu de produire des hommes comme des
champignons. Cette question néanmoins méritoit
d'être éciaircie. Si les Tartares orientaux et les
montagnards d'Ethiopie sont les i)Ius anciens pcu-
]>les du monde , sont-ils aussi les plus civilisés , et
jugerons- nous de leur antiquité i)ar le progrés
qu'ils ont fait dans les sciences et dans les arts ?
En soutenant que les Ethio])iens sont i)lus ancieJis
que les Egyptiens , notre critique reconnoît cepen-
dant , que les premiers étoient moins policés que
les seconds , et moins habiles dans les arts. 11 est
donc forcé d'avouer que sa prétendue règle est
iantive.
4.'' Nous ne savons rien des Egyj tiens , j)ar
l'histoire profane , avant Hérodote j il a vécu i)lus
DE LA VRAIE RELIGION. Liui
de dix-huit cents ans après l'arrivée des premiers
colons en Egypte : il n'a presque rien dit de l'état
des arts et des sciences dans ce pays-là ; on ne
peut le connoître que par le témoignage d'écrivains
qui lui sont postérieurs de 4 à 5oo ans. Comment
pouvons-nous , sans nionumens , juger de la rapi-
dité ou de la lenteur des progrés que les Egyptiens
ont faits pendant plus de deux mille ans dans la
découverte des arts ? L'auteur des recherches phi-
losophiques n'est jamais embarrassé par le défaut
de preuves. Dés qu'il est question d'un art cpiel-
conque , je crois , dit-il, que cet art a été cultivé
})ar les Egyptiens dès les premiers temps. Il le
croit , parce qu'il lui plait de le croire ; })oint d'au-
tre raison. Telle est sa méthode de prononcer sur
l'antiquité des peuples.
L'ancienneté des pyramides dont un autre phi-
losophe veut se prévaloir , ne prouve pas d'avan-
tage ) il dit qu'Hérodote , qui vivoit il y a 2200 ans ,
ne put apprendi'e des prêtres égyptiens dans quel
temps on les avoit élevées ^*'. Il en résulte de deux
choses l'une 5 ou que les prêtres d'Egypte étoient
fort ignorans dans leur propre histoire , ou que leur
entêtement , pour une antiquité chimérique , les en-
gageoit à dissimuler la véritable date de la con-
struction des p}Tamides.
Est-il impossible qu'il y ait eu plusieurs royau-
mes , ou plusieurs dynasties de rois contemporains
dans un pays aussi borné que l'Egypte ? On sait ce
qu'étoient les rois dans les premiers âges du monde,
des chefs de peuplades , dont les états étoient ordi-
nairement renfermés dans le territoire d'une seule
ville. C'est l'idée que nous en donnent les écrivains
sacrés et profanes. La Genèse place cinq rois dans
une seule vallée , qui pouvoit avoir dix lieues de
(i Quest. sur l'encyclop. art. Histoire , p. 20.
282 TRAITÉ:
long sur cinq ou six de large. Le Péloponnèse , est
certainement moins étendu que l'Egypte j Homère
suppose au moins dix ou douze rois dans cette seule
partie de la Grèce. Si l'on avoit mis bout à bout les
listes des rois de ^Corinthe , de Sicjone , d'Argos ,
de Mycénes , d'Elis , de Sparte , etc. , on auroit
formé des dynasties plus longues que celles de
Manéthon. Où est donc le ridicule de supposer ,
comme la plupart des historiens , six dynasties
collatérales dans toute l'étendue de l'Egypte , dans
les siècles dont nous parlons ?
Mais ces écrivains ont placé un royaume dans
l'île Eléphantine , qui peut avoir quatre cents toises
en largeur sur huit cents toises en longueur ^'^
Il n'en est rien : l'on n'y a pas supposé un
royaume, mais la demeure d'un roi. Scroit-il
étonnant qu'un roi , qui avoit ses domaines de
part et d'autre du Nil , eut fixé sa demeure dans
une ile qui en étoit le centre ? L'erreur n'est point
ici de la part de ceux qui ont placé le chef-lieu
d'un petit état dans une île : mais de la part d'un
philosophe , qui veut nous montrer en Egypte un
royaume puissant , dans des siècles où les peuples
voisins avoient autant de rois qu'il y avoit de villes
ou de bourgs habites.
S IV.
Notre objet principal est la religion de l'Egypte.
Ce pays passe pour avoir été le berceau de l'idolâ-
trie. Il est donc à propos d'examiner comment
cette erreur a pris naissance , et s'est répandue
parmi les peuples. Cette discussion est nécessaire
pour concevoir , non-seulement les superstitions
Recherches philosophiques sur les Egyptiens tt les
20.
DE LA VR-\IE RELIGION. '285
des Egy^itiens et de toutes les nations polythéistes ,
mais encore la foiblesse des raisons par lesquelles
plusieurs déistes ont voulu les justifier ou les ex-
cuser.
Un préjugé commun à tous les peuples ignorans ,
est de croire toute la nature animée. Aux yeux des
sauvages , tout être qui se meut a une àme , tout
mouvement vient d'un esprit ; souvent ils en pla-
cent dans les créatures mêmes insensibles et privées
de mouvement. Les astres "^ , les élémens, la mer,
les rivières , les fontaines , la pluie , le tonnerre , les
météores , tout ce qui fait du bruit ; les cavernes ,
les rochers , les échos , les animaux , les arbres
mêmes et les plantes , ont été regardés comme la
demeure d'une infinité d'intelligences actives , qui
])roduisoient tous les effets dont nos sens sont
frappés. Comme tous ces êtres ont quelque relation
avec nos besoins ; que les divers phénomènes de la
nature nous sont tantôt avantageux et tantôt nui-
sibles , le bien et le mal qui nous en reviennent
ont été attribués à ces esprits ou génies que l'on
supposoit y présider : on a conclu qu'il falloit les
honorer pour attirer leur bienveillance , et pour
prévenir leur colère.
Un autre préjugé dont l'homme ne peut se
défendre , parce qu'il vient des bornes de son enten-
dement, est de concevoir tous les êtres intelligens
semblables à lui , de leur attribuer les mêmes
penchans , les mêmes besoins , les mêmes goiits
qu'il sent en lui-même. Il nous est impossible
d'exprimer les opérations des esprits par d'autres
termes que ceux dont nous nous servons pour ex-
(i Les Indiens, les Chaldeens , les Mages, Pythaj^ore,
Platon, Ciceron, Yarron, Julien, ont cru les astres auimt^s;
cette croyance a été' la source de l'idolâtrie et de l'astrologie
judiciaire. M. de l'Acad. des Inscr, t. LVI, p. 45*
28 i TRAITÉ
primer les nôtres. Il a donc fallu adapter aux
prétendus génies , maîtres de la nature , les ex-
pressions usitées à l'égard des honinies ; toutes les
opérations de ces génies sont devenues des actions
humaines ; on leur a prêté toutes les affections de
l'humanité , l'amour et la haine , la pitié et la
Tengeance , l'orgueil et la soif des honneurs , les
caprices, les passions et les vices , apanage de notre
nature. Tout ce cjui se passe dans l'univers , tous
les phénomènes du monde physique étant regardés
comme autant d'opérations des dieux ou génies ,
le langage moral est devenu celui de la physique.
Lorsqu'il tonne , c'est Jupiter irrité qui lance la
foudre ; s'il fait un orage , c'est Junon fiu'ieuse qui
fait éclater son courroux ; la pluie qui trouhle les
fontaines , est Jujnter qui corrompt les nymplics ;
la mer agitée est Neptune qui soulève les flots et
submerge les vaisseaux. Delà toutes les rêveries des
fables , et toutes les absurdités de la mythologie ^'\
S'il y a une erreur pardonnable aux peuples
igiiorans, c'est d'avoir cru les animaux doués d'in-
telligences et souvent inspirés par un génie; les
efiets de lem' instinct sont encore un mystère pour
nous ^'\ Personne n'est scandalisé d'entendre une
femme converser avec son chien , son chat , son
singe ou son perroquet ; on excuse même les enfans ,
lorsqu'il se mettent en colère contre une table qui
jos a blessés, ou contre une pierre qui les a fait
tomber. Coimne les animaux semblent souvent
annoncer d'avance les divers changemens de l'air ,
le beau temps ou la pluie , la plupart des jîeuples
loui* ont attribué l'esprit prophétique : non-seu-
(i C'est aiu.-^i que S. Aui^uslju a expliqué i'oiii^ine du yjoly-
llicisme et de ridol;fhie, 1. du yerà Relig. c. 87 , u.'^ G8. —
u La ])luf>arl des philosophes oui supposé dans les brûles une
JMtic laisoui.able. Celse , daus Oiig. 1. 4 "•" ^'l ^^ ^uiv. Poi-
1 liyjc, de absliu. 1. 3, uy '6.
DE L\ VP^\TE RELIGIOX. 28.-»
lement les Egyptiens, mais les Grecs et les Romains
les ont consultés avec toute la gravité possible. Si
ces derjiiers ne lem' ont pas rendu un culte , c'est
qu'ils ont raisonné moins conséquemment que les
Egyptiens.
§ V.
Dés que les peuples ont eu l'imagination frappée
d'une multitude de dieux ou de î>-énies répandus
dans toute la nature , l'esprit mercenaire et sensuel
qui engageoit l'homme à leur rendre un culte , lui
a fait bientôt oublier le créateur de toutes choses ,
et sa providence. Il vouloit des biens temporels ,
c'étoit l'unique objet de ses vœux ; il s'est adressé
aux esprits cpi'il supposoit en être les distributeurs.
Plus il a multiplié ces bienfaiteurs imaginaires ,
plus il a méconnu Dieu dans ses ouvrages , et la
bonté infinie dans ses dons. Il étoit impossible que
le créateur fut encore l'objet du culte religieux ,
lorsque tant d'usurpateurs avoient pris sa place.
Nos désirs , dit très-bien un auteur moderne , sont
des prières que nous adressons aux objets qui
semblent nous promettre le bonheur. Ainsi tout
désir est un culte , et c'est le culte du cœur ; c'est
le principe de la religion naturelle. Ceux qui ne
remontent point à la première cause . ont autant
de dieux qu'il y a d'êtres capables de leur procurer
le bien-être : dés que l'homme sait désirer , il sait
se faire des divinités '\ D n'est donc pas étonnant
{{ue , malgré un reste de tradition qui subsistoit
encore sur l'unité de Dieu , foible rayon de la lu-
mière primitive , le souyerain Seigneur de toutes
(i Téraoi>ii. du Sens intime., t. I, p. iio. Boc ah homim
colitur qiiod diligit , S. Aug. lu S, 77, n.° x|.
236 TRAITE
choses n'ait eu des temples ni des rutels dans aucun
lieu du monde, excepté dans la Judée.
A moins de s'aveugler au grand jour, on ne peut
pas imaginer , comme le veulent quelques déistes ,
que le culte des génies ait été secondaire ou relatif;
qu'un Egyptien qui adoroit Osiris , un Grec qui
encensoit Jupiter , aient rapporté leurs hommages
au souverain Dieu de l'univers. Cela seroit bon , s'ils
avoient supposé que ces deux personnages étoient
sourds et aveugles, incapables d'entendie et d'exau-
cer les vœux qu'on leur adressoit : mais on leur
attribuoit la connoissance de toutes choses , et un
pouvoir suprême , du moins sur certains objets.
Jamais les païens n'ont prié Jupiter , ou tel autre
Dieu, d'être leur intercesseur auprès du Dieu sou-
verain; jamais on ne montrera, dans le culte du
paganisme , aucun vestige de rapport au créateur
de l'univers. Chacun des dieux avoit la surinten-
dance absolue .sur une partie de la nature. Si Jupiter
étoit maître dans le ciel et dans les airs , Neptune
n'étoit pas moins despote sur les mers , et Pluton
dans les enfers ; Jupiter n'avoit rien à y voir. Le
degré de la puissance de chacun étoit relatif à
l'étendue de son domaine , et non à la supériorité
de sa nature ; tous étoient censés éternels , im-
mortels , inamovibles dans leur empire. Mais par
un travers ordinaire aux philosophes, ceux-mémes
qui nous accusent d'idolâtrie , parce que nous
attribuons aux saints un simple pouvoir d'inter-
cession , et qui blâment ce culte .secondaire , veulent
justifier les païens , en soutenant que l'honneur
rendu aux dieux étoit secondaire, relatif, subor-
donné au culte du Dieu souverain ; ils nous font la
grâce de nous supposer plus stupides et plus aveu-
gles que les idolâtres mêmes.
Pour prouver que le vrai Dieu étoit adoré chez
DE LA ^T.AIE RELIGION. 287
ies peuples polythéistes , il faut montrer quelque
part un culte adressé directement à lui , ou une
profession de foi claire et précise , par laquelle ces
peuples aient reconnu que leurs dieux dépendoient
d'un maître plus grand qu'eux , et qui étoit d'une
nature différente. Sans cela , nous sommes forcés
de ju^^er que le culte adressé à chacun des dieux
<?toit direct , absolu , et ne remontoit pas plus haut.
Nous avons exposé plus au long l'origine de l'ido-
lâtrie dans un autre ouvrage ^'\
Les auteurs sacrés et les pères de l'église n'ont
donc pas eu tort de dire que les dieux des païens
étoient des dénions *^'' . Il a été fort aisé aux anges
de ténèbres de se faire adorer par des hommes qui
pensoient que toute la nature étoit remplie de
génies puissans , capables de faire du bien et du
mal , et que ces prétendus dieux venoient habiter
dans leurs simulacres. Les moindres prestiges de
l'esprit infernal ont suffi pour confirmer cette er-
reur ; il n'est pas étonnant c{ue les premiers prédi-
cateurs du christianisme aient eu tant de peine à
la détruire.
§ VI.
L'auteur des recherches philosophiques avertit
que la religion des Egyptiens est un al)yme , dont
il est impossible de sonder les profondeurs ; que l'on
ne doit pas se flatter d'expliquer par un seul sys-
tème mille superstitions différentes , dont quel-
ques-unes sont même inexplicables dans tous les
systèmes ^'\
(i L'origine de dieux da paganisme , etc. 2 vol. in-12. V. les
Mémoires de Tacadëmie des inscript, tome XLII,iu-i2,p.
173. S. Augustin l'a conçue de même, 1. de verâ relig. c. 87 ,
11." 68. — (2 Deut. c. 32, v. 17. Ps. 95. ^. 5 : ps. io5, y.
I D7; Baruch, c. 4 , i'. 7 ; i Cor. c. 10, i/ . 20, etc. — (3 Recher-
I ches philosophiques sur les Egyptiens, t. II, sect. 7 ? p- 107.
2 88 TRAITÉ \
S'il âvoit eu les notions générales que nous
venons de donner , peut-être en eùt-il jugé diflé-
remment. Sans entrer dans le détail de toutes les
pratiques absurdes des Egyptiens , il nous paroît
qu'il n'en est aucune qui ne puisse être expliquée
par le système général de l'idolâtrie , par l'opinion
dans laquelle ont été tous les peuples polythéistes,
que toutes les pai'ties de la nature étoient animées
par un esprit , ou par un génie particulier , que ces
génies étoient multipliés à l'infini ; qu'ils étoient
la cause de tous les phénomènes , et du bien et du
mal qui en reviennent aux hommes; qu'il falloit
par conséquent les honorer , etc.
Nous convenons, avec cet auteur, que les Egyp-
tiens n'étoient point athées : aucun peuple ne l'a
jamais été : mal à propos, quelques écrivains les
ont accusés de spinosisme ; ce rêve métaphysique
n'est entré dans la tète d'aucune nation : nous pen-
sons même qu'ils n'ont point donné dans l'idée des
philosophes , qui regardoient la divinité comme
une grande âme répandue dans toutes les parties
de l'univers ; cette opinion est trop abstraite pour
avoir jamais été la croyance populaire. Nous avons
vu que , dans les commencemens , les Egyptiens ,
encore fidèles à garder la tradition primitive , ado-
roient un seul Dieu , pur esprit , créateur et gou-
verneur du monde ; nous l'avons prouvé par le
témoignage des auteurs sacrés et profanes ^'\ Mais
il nous paroît que ces peuples ont commencé de
bonne heure à dèfigui'er cette idée ])ar les supers-
titions grossières auxquelles ils se sont livrés.
Selon l'auteur des recherches , les différentes
di"v^nités des Egyptiens étoient les divers attributs
de Dieu personnifiés. Il auroit fallu prouver ce fait
important ; il n'est pas prouvé. C'est une foible
(l Ci-dessus , cliaj'. I. art. i, ^9 et 10.
DE LY VUATE RELIGION. 289
raisoji de dire, que la Neith Egy[)tienne étoil l.\
sagesse divine, le même personnage que la Minerve
des Grecs et des Romaiijs. Minerve , chez ces der-
niers , étoit plutôt l'industrie humaine , que la
sagesse divine , puisque c'étoit l'intelligence parti-
culière qui présidoit aux sciences et aux arts.
Il est encore plus douteux si Cneph ou Cnuphis
est la bonté de Dieu personnifiée; cette conjecture
ne porte sur rien. Quand elle seroit mieux appuyée ,
comment prouvera-t-on qu'Isis, Osiris , Horus ,
Anubis , Thot , Bubastis , Apis ou Serapis , Harpo-
crate , etc. étoient les attributs de Dieu person-
nifiés ? Les Grecs ont cru retrouver la plupart de
leurs dieux dans ceux d'Egypte , parce que c'étoient
à peu prés les mêmes symboles : or , les dieux des
Grecs n'étoient pas les attributs de Dieu person-
nifiés , mais les différentes parties de la nature
divinisées , ou plutôt une multitude de génies que
l'on supposoit y présider. Les Indiens paroissent
être les seuls peuples qui adorent les attributs de
Dieu personnifiés ; et l'auteur avoue qu'ils n'ont
point les mêmes idées que les Egyptiens '■'■. Dés
que l'auteur est parti d'un faux principe , il n'est
pas surprenant qu'il n'ait pas vu plus clair dans la
religion des Egyptiens.
La question principale est de savoir , si les
Égj'ptiens rendoient un culte direct au Créateur ;
s'ils lui ont bâti des temples ; si c'étoit à lui que
s'adressoient leurs hommages , lorsqu'ils adoroient
Osiris , Isis , Horus , Anubis , etc. En supposant
même que quelques-uns de ces personnages fussent
les attributs de Dieu personnifiés , ce qui est faux ,
il faudroit encore examiner si la manière dont ils
étoient représentés n'étoit pas propre à faire entiè-
rement oublier le créateur lui-même , comme cela
(i Recherches philosophiques, tome II , secl. 7 , p. i53.
1. 10
290 TRA.ITE
est arrivé aux Indiens: si les Egyptiens ont été plus
raisonnables que les Grecs et les autres peuples
polythéistes, chez lesquels tout étoit adoré, excepté
Dieu.
Notre critique avoue lui-même , que les Egyp-
tiens ont été dans le même préjugé que tous les
autres peuples ; que la croyance des bons et des
mauvais génies se retrouve chez toutes les nations,
surtout chez les nations ignorantes et grossières ;
que les Egyptiens se sont obstinés à retenir toutes
les vieilles notions de l'état sauvage ^'^ : or , adorer
les attributs de Dieu personnifiés , n'est certai-
nement pas une des notions de l'état sauvage.
Ce principe une fois posé . il est clair que l'objet
direct du culte des Egyptiens et de tous les peuples
polythéistes , étoit , non le créateur de toutes cho-
ses , ni ses attributs personnifiés , mais les génies
ou esprits particuliers que l'on supposoit résider
dans chacune des parties de la nature , soit animées,
soit inanimées; que les hommages étoient adressés
à chacun de ces esprits individuels , et ne remon-
toient pas plus haut.
Nous n'avons donc pas besoin de savoir avec
certitude,, ce que c'étoit que les diftérentes divi-
nités de l'Egypte ; qu'Osiris ait été ou le soleil , ou
le Nil , ou Bacchus , ou les liqueurs en général ;
qu'Isis soit la lune , ou la terre , ou la fécondité ;
Anubis, la canicule, ou Mercure, ou Esculape , ou
le Génie des embaumeurs : cela est égal. Nous ne
soutenons pas moins qu'en adorant l'un ou l'autre
de ces personnages, les Egyptiens ne pensoient, en
aucune manière , à Dieu , créateur de toutes choses ;
cjue leur attention et leur culte se bornoient à l'es-
prit individuel , représenté par tels ou tels sym-
boles , et dont ils avoient l'imagination frappée j
(i Recherches ibid. , p. 182.
DE L.V VRAIE RELIGION. ogi
que cet esprit ou dieu fantastique n'étoit point le
vrai Dieu. Nous le prouverons de nouveau , en trai-
tant de la religion des Grecs et des Romains.
§ VII.
Les Égyptiens rendoient un culte religieux aux
animaux. L'auteur des recherches en donne trois
raisons : i.° l'utilité des animaux ; 2.® la connois-
sance de l'avenir qu'on leur attribuoit , les augures
que l'on en tiroit ; 5.° des motifs de politique. Le
culte rendu au crocodile et à certains poissons ,
engageoit les peuples à nettoyer soigneusement les
canaux , et à les tenir en bon état. Cette raison est
tirée d'un peu loin : mais admettons le tout sans
difficulté.
Toutes ces idées seroient-elles venues dans l'es-
prit des Egy])tiens, s'ils n'avoient pas été persuadés
que les animaux avoient une âme , un génie intel-
ligent , auteur de leurs opérations? Non. C'est donc
à ce génie que les Egyptiens attribuoient l'esprit
prophétique , et des connoissances supérieures à
celles des hommes ; c'est à lui qu'ils témoignoient
leur reconnoissance des services qu'ils tiroient de
tel animal ; c'est pour lui qu'ils entretenoient les
canaux ou les lieux dans lesquels ce génie paroissoit
se plaire davantage. C'est donc à lui que le culte
étoit adressé : et il n'alloit pas plus loin.
Celse , tout philosophe qu'il étoit , avoit les
mêmes idées que les Egyptiens : il soutient que les
animaux ont plus de raison , plus de sagesse , plus
de vertu que l'homme , et sont dans un commerce
plus intime avec la divinité ''\
Selon notre auteur , le culte rendu aux animaux
n'étoit que secondaire; on les honoroit seulement ,
292 TRAÎTÉ
parce cfii'ils étoient consacrés à ces mêmes divi-
nités que les Grecs et les Romains empruntèrent
des Egyptiens dans la suite. Dans la préfecture de
Lycopolis, dit-il, on n'adoroit pas plus le loup qu'on
n'adoroit la chouette de Minerve à Athènes , l'aigle
de Jupiter à Rome , la belette à Thèbes , ou la
souris dans la Troade ^'\
Cette réflexion ne satisfait point. 1.° Nous
avouons volontiers que l'objet direct du culte des
Egyptiens étoit, en général , le même que celui des
Grecs et des Romains : or , l'objet direct du culte
de ceux-ci n'étoit ni le vrai Dieu , ni ses attributs
personnifiés , mais les génies préposés aux diffé-
rentes parties de la nature , et multipliée, à l'infini ,
et qui. n'avoient rien de commun avec le vrai Dieu.
Toute la question se réduit à savoir si les Egyptiens
admettoient un de ces génies particuliers dans cha-
que animal, et qui en étoit l'àme , ou s'ils pensoient
que ce génie placé hors de l'animal avoit pris l'es-
pèce entière sous sa protection , et en dirigeoit les
opérations. Quelque parti que l'on prenne sur ce
point , cela est égal. Ce jieuple croyoit certaine-
ment que le génie protecteur des loups n'étoit pas
le même que le génie ami des boucs , des chats , ou
des crocodiles; les adorateurs de ces divers animaux
n'ont jamais cru adorer tous le même génie sous
divers symboles , puisqu'ils se haïssoient et se fai-
soient la guerre à cause de la diftèrence de leurs
dieux. Supposons encore qu'ils aient cru que le
génie des loups résidoit dans le seul loup qu'ils
avoient consacré , et non dans les autres ; cela
revient au même : il s'ensuit toujours que le culte
étoit adi'essé à un génie individuel très-diiïérent du
créateur de toutes choses.
2° Jamais les Athéniens n'ont bâti de temples à
(i Recherches philos, ibid. p. i58.
DE LA VRAIE RELIGION'. ^Q.")
la chouette ; les Romains n'ont point élevé d'autels
à l'aigle : les Thébains n'ont point consacré de
chapelle à la belette ; mais les Egyptiens ont cer-
tainement eu des temples pour le bœuf Apis , ])0ur
le bouc de Mendés , etc. où ces animaux rece voient
leur encens. Qu'ils aient raisonné plus ou moins
mal que les Grecs, cela est indifîérent ; il en résulte
toujours qu'ils ont cru que ces animaux étoient
dirigés , ou par la présence intérieure d'un génie ,
ou par sa protection extérieure. Dans l'un et dans
l'autre cas , ce génie a évidemment été le seul objet
direct , immédiat et exclusif de leur culte ^".
Mais , dira-t-on , les Egyptiens révéroient par-
ticulièrement la #e///e^ ou Vognon tnarin , parce
que c'étoit un remède souverain contre la maladie
nommée tympanite. Il n'est pas probable qu'ils
aient été assez stupides pom' s'imaginer que cette
plante étoit animée , qu'elle étoit la demeure d'un
génie. Ils ont donc révéré cette plante comme le
bienfait d'une divinité cpielconque , comme un gage
de son amitié : sans doute il en étoit de même des
animaux.
Réponse. Soit ; nous n'en sommes pas plus avan-
cés. 1.° Il n'est pas plus étonnant de voir les Eg}p-
tiens placer une àme ou un génie dans une plante ,
cfue de voir un bel esprit grec loger une nymphe
dans une fontaine , ou se persuader qu'une statue ,
dés qu'elle est consacrée , est animée par le dieu
qu'elle représente. On voit une plante croître , se
renouveler , prendre par la végétation une vertu
particulière , produire des effets merveilleux : voilà
du mouvement : or, selon l'idée de tous les peuples
(x II paroît que lesEgypliens supposoknt dans les animaux
une àme semblable à celle de l'homme ; que de là est venue la
roui urne de reprf'senter leurs dieux avec ua corps humain,
surmouté de la tète d'ua animal.
29^ TRAITE
grossiers , tout mouvement vient d'un esprit. L'oii
nous avertit que les Egyptiens se sont obstinés à
conserver toutes les notions de l'état sauvage ; il
ne faut pas l'oublier.
2.° Que la divinité des ognons soit errante dans
les jardins, comme Gérés dans les moissons, et
Pomone dans les vergers , ou qu'elle réside dans la
plante même ; cela ne fait rien au fond de la chose.
Les Egyptiens attribuoient-ils l'ognon maiûn à
Dieu seul créateur , et père de toute la nature, ou
à un génie particulier borné à cette production?
Voilà le nœud de la difficulté. Nous soutenons qu'ils
l'attribuoient à un génie particulier , parce que telle
a été la notion de tous les peuples polythéistes , sans
exception.
3.° Selon la croyance des Egyptiens , les ani-
maux prédisoient l'avenir: donc ils les ont crus
animés par un génie doué de cette comioissance ,
capable d'être touché de leurs hommages et d'exau-
cer leurs vœux. Quand il seroit prouvé que le culte
rendu à une plante étoit relatif, il ne s'ensuit pas
que le culte rendu aux animaux fut de même
espèce.
Nous verrons , dans la suite , que toutes les
tournures que l'on a prises pour prouver cjue le
culte des païens se rapportoit à l'être suprême ,
sont de vaines imaginations dont les peuples n'ont
jamais eu la moindre idée , et qui sont réfutées par •
le témoignage exprés des anciens. Pour admettre
cette relation , il faut supposer dans les païens la
notion d'une providence universelle : or ils ne l'ont
j)as conservée , et s'ils l'avoient eu constamment ,
ils n'auroient adoré qu'un seul Dieu.
Dans les questions sur l'encyclopédie , l'auteur
s'évertue à prouver que les Egyptiens n'adoroient
ni les plantes , ni les animaux ; qu'Isis et Osiris
DE LA VRAIE RELIGION". 29O
étoient le véritable objet de leur culte ^'\ Dans un
sens , cela est vrai ; le culte des Egyptiens ne
s'adressoit pas précisément à un ognon ou à un
chat , mais au génie ou esprit particulier qui rési-
doit dans ces objets , et c|ui les avoit produits. De
même le culte des statues , chez les Grecs et chez
les Romains , ne se bornoit pas absolument à la
statue , mais au Dieu qu'elle représentoit , et qui y
résidoit en vertu de la consécration de la statue. Le
culte rendu à Osiris et à Isis n'empéchoit pas celui
de plusieurs autres dieux ou génies , puisque les
Egyptiens étoient polythéistes. Ce même philo-
sophe croit néanmoins que le bas peuple d'Egypte
prenoit communément pour une divinité la hête
consacrée : cela peut être , et il en résulte que cette
religion étoit absurde et abominabk.
§ VIII.
Rendons justice à Tauteur des recherches ; il ne
s'est pas obstiné à justifier ni à excuser la religion
des Egyptiens. Il blâme sans détour les supersti-
tions dont elle étoit remplie; il condamne le culte
des animaux en général ; la licence qui régnoit dans
les processions et les pèlerinages , la discipline san-
glante que se donnoient des dévots : les obscénités
qui se commettoient dans l'installation du bœuf
Apis , les dépenses excessives que l'on faisoit pour
embaumer certains animaux ; en un mot , mille
absurdités qui auroient dii empêcher , dit-il , qu'on
ne rendît cet oracle si fameux , par lequel les Egyp-
tiens furent déclarés le plus sage de tous les peu-
ples ^"\ i' if t
Il fait observer d'ailleurs, que ce sont les femmes
de la lie de la nation qui ont commis anciennement
1 Art. TUsIoiret p. 28-3 1. — (2 Recherches ibid. p. i;o.
296 TILVITÉ
en Egypte tous les excès dont il est tant parlé dans
i'iiistoire ; elles dansoient dans les orgies, portoient
le phallus d'une manière presque incroyable , se
travestissoient en chérubins en s'appliquant des
aîles aux épaules . se lamentoient aux portes des
temples d'Isis. Elles se signaloient à la fête de
Bubaste et à la procession de Canope , insultoient
les passans sur le Nil , se rendoient furieuses en
prenant de fortes doses d'opium ; et c'est yraisem-
blablement pendant ces accès* de fureur, qu'elles se
prostituoient en public à des boucs , au canton de
Mendès. Dans les premiers jom's de l'installation du
bœuf Apis , elles se présentoient à lui dans une pos-
ture qui fait rougir, u II n'y a pas d'exemple , dit-
(( il , d'un pareil délire de religion , sinon chez les
« Juifs qui se déshabillèrent aussi pour danser au-
« tour du veau dans le désert. Je ne sais pourquoi
(( l'Anglois Schukford a prétendu révoquer ce fait
<( en doute , tandis que les Juifs eux-mêmes ne le
« nient point ^'\ »
Il étoit fort inutile de citer ici les Juifs. Quand
ils auroient imité une fois les infamies de l'Egypte,
en sortant de ce pays dangereux , cela ne prouyeroit
rien , ni en faveur des Egyptiens , ni contre la re-
ligion des Juifs qui proscrivoit toutes ces abomi-
nations , ni contre leur législateur qui en tira U7ie
vengeance éclatante. ÎNIais l'accusation que l'on
ibrme ici contre eux n'est point prouvée. Lorsqu'il
est dit dans le texte , qii^arofi avait fait dépouiller
le peuple afin de V humilier devant ses ennemis ^'^ ;
les plus habiles interprètes entendent qu'il l'avoit
dépouillé de ses armes pour le mettre sans défense ,
et non qu'il lui avoit fait quitter tous ses habits.
L'idolâtrie des Juifs ne fut pas universelle , puisqu'il
(i Rechrrc. t. I, sect. 1 , p. |7 et suiv. — (a Exode, c. 32,
i! . u5, Hebr.
DE LA VBAIE RELIGION. 297
n'y eut qu'environ trois mille hommes lues en
punition de ce crime. Le culte de Vénus et de
Priape , chez les Grecs et chez les Romains , n'étoit
pas plus honnête que celui d'Apis chez les Egyp-
tiens.
Notre auteur juge que ceux-ci avoient emprunté ,
leur religion des Ethiopiens; ils les imitoient dans
la coutume abominable de sacrifier des hommes ;
ils immoloient des étrangers ou des hommes roux
sur le tombeau d'Osiris , ou sur des pierres consa-
crées au soleil , et des femmes à l'honneur de la
lune. Mais ces atrocités , dit-il , furent abolies sous
Je régne de Pharaon Amosis , et l'on n'en retrouve
plus de traces depuis ce temps-là ^'\
Cependant Plutarque , appuyé du témoignage de
Manéthon , accuse encore les Egyptiens d'avoir im-
molé des hommes à Typhon dans certains temps ,
et aux jours qu'ils appeloient Cynades ''\
§ IX.
L'auteur des recherches observe très-bien que
les Egyptiens n'admettoient point la métempsy-
cose , mais qu'ils croyoient l'immortalité de l'àme
et la résurrection future des corps. Cela est prouvé
par leur coutume d'embaumer les morts , par la
crainte cfu'ils avoient de mourir dans les flots et
d'être privés des funérailles , .par la prière que l'on
récitoit pour les morts et que Porphyre a conser-
vée , par la doctrine du purgatoire , que les Egyp-
tiens nommoient Amenthés. Ils étoient persuadés
que l'àme de ceux qui avoient pratiqué la vertu ,
alloit jouir du bonheur dans le séjour des dieux ^'\
Il est assez étonnant qu'un peuple si aveugle sur la
(1 Rfcberc. t. II, sect. 7 , p. itael ii3. — (2 De IsJcle et
Osir. c. 28 — (3 Recherchcâ ibid. p. 171 et suiv.
1- ]5.
'2Cjij TRAITE.
nature et le culte ck la divinité , ait conserTe une
croyance aussi sensée touchant la destination de
l'homme.
On prétend communément que les lois , le gou-
vernement 5 la police des Egyptiens étoient tres-
sages. Aucune nation , dit M, Goguet , de quelque
côté qu'on l'envisage , n'a fait , dans les anciens
temps, plus d'honneur à l'humanité; lois, sciences,
arts , morale , politique ; les Egyptiens en tous
genres oflrent de grands modèles ^' . i\Iais l'auteur
des recherches s'inscrit en faux contre toutes ces
merveilles , malgré le témoignage des anciens. Il
prouve qu'en Egypte la servitude domestique étoit
établie , par conséquent la polygamie , le concu-
binage et l'usage barbare de faire des eunuques. Il
cite des traits qui semblent démontrer que les
mœurs de l'Egypte étoient très-corrompues ; il est
iinj)0ssible qu'elles aient été pures avec une religion
aussi licencieuse.
Quand on admettroit tout ce que les Grecs ont
dit à l'honneur des Egyptiens , cela ne serviroit
qu'à mieux prouver la nécessité de la révélation
divine , pour donner aux hommes une religion
sensée et raisonnable. Les Egyptiens si éclairés en
l'ait de sciences, d'arts, de législation , de politique,
ont été la nation la plus aveugle en fait de religion.
Loin de rectifier chez eux le culte, à mesure qu'ils
ont acquis de nouvedjl es lumières, ils ont augmenté
avec le temps le cahos de leurs superstitions. Les
excès que ^îo>se leur reproche, subsistoient encore
parmi eux , quinze cents ans ai)rés, lorsqu'ils eurent
été conquis par les Grecs et par les Romains. Un
reste de la tradition primitive s'est conservé chez
eux ; ils ont retenu l'idée d'un Dieu , unique créateur
♦ t conservateur du monde , mais ils ne lui ont rendu
( i Orig. dfs lois , etc. l. i , c. i , art. 4.
DE LA VTxAIE RELIGION. 299
aucun culte ; ils ont prodigué leur encens à des
divinités imaginaires , aux animaux les plus stu-
pides , aux plantes dont ils se nourrissoient. Si
l'idée d'un seul Dieu eut été le fruit de leurs réfle-
xions, elle auroit influé sans doute sur leur religion
pratique ; ils auroient réformé peu à peu ce qu'elle
avoit de plus révoltant. Ce reste précieux de l'an-
cienne croyance ne leur a servi de rien ; ils ont
constamment fermé les yeux sur les conséquences.
Vainement, pour expliquer ce phénomène, les
incrédules ont recours à leur expédient ordinaire :
ce sont les prêtres , disent-ils , qui ont plongé et
entretenu les Egyptiens dans l'erreur et la supers-
tition. Ils accusent les prêtres d'être cause de
l'idolâtrie en général , et de toutes les erreurs des
païens ^'\ L'auteur des recherches philosophiques
soutient que les prêtres d'Egypte n'avoient aucun
intérêt ni aucun motif de fomenter la superstition :
ils jouissoient d'un revenu fixe en fonds de terre ,
que l'on laissoit à des fermiers pour un prix mo-
dique , et qui par-là même a pu se soutenir sur un
pied toujoiu-s égal. Sur ce produit , ils étoient
obligés de fournir à l'entretien des temples et aux
frais des sacrifices ; de nouvelles superstitions dé-
voient donc leur être plus onéreuses qu'utiles ^'\
Il est fort incertain si ces prêtres , malgré leur
capacité dans l'astronomie , l'histoire , la jurispru-
dence , en savoient plus que le peuple sur la nature
divine.
La vraie raison de ce fait étrange , est que la
connoissance de Dieu ne fut jamais le fruit des
méditations humaines, mais un don de la bonté
divine , un eff'et de la révélation. Quelques déistes
(i Onzième lettre à Sophie, p. i5o. Morgan, tome I , p. 2^î
24a. De rhomme, par J.-P. Marat, dise, prelim. p. v
(2 ilecherches , U II , sect. 7 , p. i3§.
000 TRAITE
sont convenus que peu d'honiines apprennent à
connoître Dieu par le spectacle de la nature ^''. Sur
ce point les peuples n'ont fait aucun progrès par
leurs propres lumières ; ils ont perdu plutôt que
d'acquérir ; j amais par eux-mêmes ils n'ont corrigé
une religion fausse et absurde , pour adopter une
croyance raisonnable. Ai)rès avoir reçu celle-ci
comme un dipùl dont ils dévoient être jaloux , ils
n'ont fait que l'altérer et la défigurer dans la suite
des siècles. Nous verrons le même phénomène chez
toutes les nations.
Ln autre défaut , que les incrédules ne pardon-
neront point aux Egyptiens , est leur intolérance;
aucun peuple ne l'a portée plus loin. Us regardoient
tous les étrangers comme des profanes; ils ne vou-
loient point manger avec eux ; ils se seroit cru
souillés pour les avoir touchés au visage , ou pour
avoir seulement respiré leur haleine. Us ne sor-
toient jamais de chez eux, de peur d'y rapporter
les coutumes et les mœurs des autres peuples ^".
§ X.
Selon l'auteur des recherches, Platon étoit con-
vaincu qu'un peuple civilisé ne sauroit avoir une
religion raisonnable , et ce sentiment paroit avoir
été répandu parmi tous les législateurs de l'anti-
quité. Une opinion si fausse et si bizarre , dit-il .
n'a été fondée rpie sur le prétendu danger que ces
législateurs trouvoient à faire des innovations dans
les pratiques religieuses , qui leur venoient des
sauvages ou des premiers habitans de la contrée ,
que Platon nomme les indigènes. ^'\
(i Essai sur le mérite et la vertu, 1. 1 , TTI. part. p. 6t. —
[o Gen. c. 4^ 1 ^- 3i. Hciodote « I. i , c. 4'* Strabon , 1. 17.
(H Rcclieichcs ibiJ. , p. 109.
DE LA VRAIE RELIGION. 3oi
Mais ce philosophe n'a point enseigné l'absurdité
qu'on lui prête. Il donne pour avis à un législateiu' ,
de ne jamais toucher à la religion , de peur de lui
en substituer une moins certaine que celle qu'il
trouve établie ; car il doit savoir, ajoute Platon ,
qu'il neét pas possible à une nature mortelle
d'avoir rien de certain sur cette matière ^'\ Platon
étoit donc plus modeste ou plus sincère que les
déistes d'aujourd'hui. 11 jugeoit que l'honirae a
l'esprit trop borné pour se former une idée juste de
la nature divine et du culte qui lui est dû ; que
nous ne pouvons avoir rien de certain là-dessus , à
moins que Dieu lui-même ne se fasse connoître par
la révélation. Si cela étoit impossible à un philo-
sophe aussi éclairé que Platon, à plus forte raison
aux peuples grossiers et très-peu policés dans les
premiers âges du monde. Ce n'est donc pas parce
que Platon respectoit les pratiques religieuses des
sauvages ou indigènes , qu'il craignoit de les ré-
former ; c'est parce qu'il ne voyoit rien de mieux
à leur substituer. Les Grecs , encore sauvages ,
n'étoient ni polythéistes , ni superstitieux ; ils ne
connoissoient et n'adoroient qu'un seul Dieu; nous
l'avons prouvé par les monumens de leur histoire.
Cette religion pure, loin de se perfectionner à me-
sure qu'ils s'instruisoient , ne ht que s'altérer et se
ï)ervertir. Les incrédules ont beau s'obstiner à
fermer les yeux sur ce fait important , à soutenir
que les peuples ont marché dans un sens contraire ;
leur entêtement ne prévaudra jamais aux preuves
uniformes que nous voyons dans tous les lieux de
lunivers.
Notre critique demande pourquoi Ton trouvoit,
chez plusieurs peuples de l'antiquité , des religions
si Toiles et des lois si sages. « La raison en est. dit-
(i Platon dans l'Epinomis.
002 TRAITE
« il , que la plus grande partie du culte religieux
« avoit été imaginée dans des temps où les hommes
(( étoient encore sauvages ; les lois au contraire
(( furent faites lorsque la vie sauvage eut cessé. Or,
<( la maxime de ne rien innover fit subsister chez
« des nations , d'ailleurs bien policées , beaucoup
« de pratiques religieuses qui venoient des bar-
« bai'es. L'erreur des législateurs dont on a parlé ,
« consiste en ce qu'ils n'ont point distingué l'es-
« sence de la religion d'avec des choses purement
« accessoires. D'ailleurs , comme les lois les reu-
« doient odieux à tous ceux qui étoient corrompus
« par le vice, ils ne voulurent pas accumuler les
c( dangers sur les dangers , ni se rendre odieux
« encore à ceux qui étoient corromj)us par la
« superstition ^'\ »
Ces réflexions ne sont ni justes, ni satisfaisantes.
1 .*' Il est faux que les superstitions les plus gros-
sières aient été établies par les peuples encore
barbares et sauvages. Les Grecs , dans cet état ,
adoroient le vrai Dieu , et lui rendoient un culte
pur , simple , innocent ; devenus policés , ils ima-
ginèrent chaque jour de nouvelles superstitions ;
les fables et les indécences sont toujours allées en
croissant. Il en fut de même chez les Romains. Au
siècle d'Abraham , les rois d'Egypte connoissoient
le \Tai Dieu ; du temps de Moïse , ils faisoient
profession de ne plus le connoitre; même révo-
lution chez les Chananéens.
2.'' C'est reculer la difficulté, et non la résoudre.
Comment des législateurs assez éclairés pour don-
ner à leurs concitoyens les lois les plus sages , ne
l'ont-ils pas été assez pour distinguer, dans la
religion, l'essentiel d'avec l'accessoire? Voilà tou—
jours le même embarras. Puisqu'il y a eu des phi—
(i Recherches ibid. , p. iG8.
Di: LA VRAIE RELIGION. 5o3
losopbes assez courageux pour nier la di^ inité , et
tourner en ridicule la religion , comment ne s'en
est-il trouvé aucun assez judicieux pour distinguer
les superstitions et les fables d'avec les dogmes
vrais et les pratiques utiles? Nous cherchons vai-
nement ce sage dans l'antiquité.
5.° Il est faux que les législateurs se soient rendus
odieux en donnant des lois , ni qu'ils aient couru
aucun danger. Souvent ils en ont été priés par les
])euples; on a érigé des monumens à leur mémoire.
L'auteur a cité pour exemple Solon ; or, Solon avoit
été déclaré archonte et souverain législateur , par
un décret unanime des Athéniens ; il eut assez
d'autorité pour casser la plupart des lois de Dra-
con , et pour établir une forme de gouvernement.
Lorsqu'il sut que ses lois avoient été négligées
pendant son absence, il vint reprocher aux Athé-
jiiensleur lâcheté et leurs séditions. Qui l'empéchoit
de leur reprocher aussi leurs superstitions? Cet
exemple prouve contre l'auteur même.
La vraie raison de la timidité des législateurs ,
est celle que Platon a donnée. Tous ont compris
que , pour prescrire aux hommes une religion , ou
])Our réformer celle qui étoit établie , il falloit une
autorité divine ; que l'esprit de l'homme étoit trop
borné pour discerner avec certitude quel étoit le
(îulte agréal^le à la divinité. Par-là , ils ont attes-
té authentiquement la nécessité d'une révélation.
Nous rassemblerons les passages des anciens su?
ce sujet dans Tarticle sixième.
§ XL
Nous chercherions vainement , dans les écrits de
nos philosophes , à nous instruire sur la nature et
les effets du gouvernement des Egyptiens; nous n'y
5ot TRAITÉ
trouverons que des contradictions. L'un pense que
si leurs lois n'étoient pas les meilleures possibles ,
elles étoient au moins les meilleures pour eux, puis-
qu'elles ont eu un si grand succès ; que la longue
durée de cette monarchie, l'abondance qui régnoit
dans son sein , les éloges de tous les peuples et de
tous les âges, doivent établir le préjugé le plus
favorable sur ce que nous ne connoissons pas ^'\
D'autres disent que , dans les temps fabuleux , les
Eg}'ptiens eurent des lois et une police admirable ;
mais que, dans les temps de l'histoire, c'est, après
la race des Hébreux , le peuple le plus lâche et le
plus vil ; qu'il y a toujours eu , dans leur caractère
ot dans leur gouvernement , un vice radical qui en
a toujours fait de vils esclaves ^'K Le premier prend
pour vraies les conquêtes d'Osiris ou du Bacchus
(les Egyptiens ; le dernier les regarde comme des
fables. Pendant que l'auteur des recherches juge
que les prêtres Egyptiens étoient occupés très-
utilement pour le public "^ , un autre décide que
cette quantité de prêtres étoit une très- grande
suj^erfluité , un luxe d'ignorance , le plus nuisible
de tous *^'\ Comment ce luxe d'ignorance a-t-il pu
produire, selon le même auteur, les meilleures lois
possibles ^ui ont eu un si grand succès? C'est un
mystère qu'il ne nous est point donné de concevoir.
Nous en trouverons bien d'autres chez les oracles
de la philosophie. Personne n'a mis la foi humaine
à de plus fortes épreuves.
(i De la ft'lirili! publique , t. I, c. i , p. 4- — (2 Tableau (?u
j^enie liuniain , p, 18. Dict, pliilos. j4pi!i. — (3 Recherches,
lome II, secl. ; , p. 141. — (4 ^^^ 1^ félicite publique , t. I ,
c. vi, p. 18.
DE LA ^TIAIE RELIGION. 00 J
ARTICLE IL
DE LA RELIGION DES CHINOIS.
S I-
Oi les éloges qiie plusieurs de nos philosophes ont
laits de l'histoire , de la religion , des mœurs , du
gouvernement des Chinois , étoient vrais, ce peuple
seroit le plus ancien , le plus sage , le plus heureux ,
le plus estimable de l'univers. Selon l'auteur de la
philosophie de l'histoire , on ne peut douter de
l'antiquité , de la vérité , de l'authenticité des an-
nales de la Chine ; elles sont confirmées par des
observations astronomiques , et par le témoignage
unanime des voyageurs : les Chinois ont excellé de
tout temps dans la morale et dans la législation ;
leur religion est simple , auguste , libre de toute
superstition et de toute barbarie ; leur gouverne-
ment est fondé sur le pouvoir paternel ^'\ Ceux qui
ne croient point tous ces prodiges , sont des igno-
rons insensés ^'^. L'auteur de l'histoire philoso-
phicfue des établissemens des Européens dans les
deux Indes , enchérit encore sur le merveilleux des
lois , des mœurs , du gouvernement des Chinois ; il
ne dit rien de leur religion , parce qu'il ne veut pas
qu'un peuple ait aucune religion ^^\
Mais comme il faut que les philosophes soient
toujours aux prises , et se réfutent mutuellement
(i Philos.de l'hist. c. 17 et 18. Dict.phil. Chine. Essai sur
l'hist. Ëte'n. c. i et 2. Quest. sijr l'encyclop. De la Chine , etc.
— (2 Quest. sur l'encyclop. Éternité , p. 33; . — (3 Tome I ,
' 1. i , p. 68 et suiv.
5o6 TRAITÉ
sur toutes les questions , d'autres ont donné dana
l'excès contraire. L'auteur des recherches philoso-
phiques sur les Egy])tiens et sur les Chinois . s'in-
scrit en faux contre tout ce que l'on a écrit en faveur
de ces derniers. A ses yeux , c'est le peuple le plus
vil , le plus ignorant , le plus corrompu , le plus
fripon qu'il y ait sous le ciel : ses annales sont fabu-
leuses , ses lois et son gouvernement sont absurdes^
ses moralistes de plats pédagogues , la population
et la prospérité de cet empire sont des chimères j
les faiseurs de relations qui ont dit le contraire ,
sont des imposteurs '^'\ L'auteur du roman de la
nouvelle Héloïse en a jugé à peu prés de même ^*^,
M. Sonnerat dans ses voyages en parle encore plus
mal. Auquel de ces divers oracks devons^ nous
ajouter foi ?
Il y avoit lieu d'espérer que les nouveaux mé-
moires, concernant les Cliinois, qui viennent de
})aroître ^'^ , dissiperoient nos doutes ; ils contri-
buent à les augmenter. Dans le premier tome , il y
a un savant mémoire du P. Ko , Chinois de nation ,
mais élevé en France , qui nous donne assez mau-
vaise opinion des annales , de la chronologie , de la
législation et de la religion actuelle de sa patrie.
Le second volume contient un autre mémoire âa
P. Amiot , missionnaire françois , qui s'attache à
justifier les annales, la croj^ance et les mœurs de
la Chine ; ensuite on y trouve une réfutation com-
plète de tout ce qu'avance l'auteur des recherches
philosopliiqiies sm* les Egyptiens et sur les Chinois.
Quel parti prendi'e au milieu de ces contradictions?
Le préjugé pai'oît être en faveur du P. Ko. Plus
intéressé qu'un étranger à la gloire de sa patrie, il
(i Tome I et II. — (2 Tome II, p. 2r4. OEuvres de J.-J.
Housseau , tome I , p. 14. — (3 Chez. ^Iton , 1776 et suiv.
3 vol. iii-J,
DE LA VÎL\IE RELIGION. 00/
a SU néanmoins se préserver de l'enthousiasme ,
dont quelques autres missionnaires paroissent sai-
sis. Ce qu'il dit est confirmé , non-seulement par
les lettres du P. Parrennin à M. de ^Mairan , mais
par le Chou-King , livre classique des Ciiinois ,
dont M. de Guignes nous a donné la traduction :
ce titre original doit prévaloir sur toutes les rela-
tions et sur tous les raisonnemens. En prenant
pour certain ce qui est tiré de ce livre , ou avoué
par les écrivains des deux partis , nous marcherons
en sûreté ; si cette méthode ne nous conduisoit pas
a la certitude , nous ne pourrions y parvenir par
au cime autre.
D'abord , nous n'avons aucun intérêt à mécon-
noître ou à déguiser la vérité ; quand il seroit in-
contestable que l'empire Chinois a été fondé par
Fo-Hi , 2940 ans avant l'ère chrétienne , il ne
s'ensuivroit rien contre la vérité de notre histoire
sainte , puisque , selon la chronologie des Septante,
qu'il est trés-permis de suivre , la dispersion des
peuples s'est faite 2966 ans avant notre ère. Quand
il seroit vrai , comme nous le croyons , que l'an-
cienne religion de la Chine a été l'adoration ex-
clusive d'un seul Dieu , on n'en pourroit rien
conclure contre la nécessité de la révélation : cette
religion primitive venoit immédiatement des pa-
triai'ches ; elle ne s'est pas conservée long-temps à
la Chine dans sa pureté. Déjà dans le Chou-Ring
elle est corrompue par un mélange de polythéisme ;
aujourd'hui elle ne subsiste plus que dans les livres
et dans quelques cérémonies d'appareil : quant à la
pratique , l'empereur , les princes . les mandarins ,
les lettrés, sont idolâtres <^'^ ; quelques-uns sont
athées ; le peuple est livré aux superstitions des
(i Me'm. du P. Ko , p- 75 , 101 , 126 , 253 , 2G0. Mena, du
P. Amiot , p. 27 , 29 , 154.
3o8 TRAITÉ
Bonzes et à l'idolcUrie la plus grossière. La pureté
des mœurs , la sagesse des lois , la prospérité de la
nation . fussent-elles cent fois mieux prouvées , ne
pourroient être attribuées aux salutaires influences
du déisme ; et il y a loin de ce qu'est aujourd'hui la
Chine à ce qu'elle seroit , si elle étoit chrétienne.
§n.
, Un préliminaire indispensable est d'avoir une
notion des fameux kings , ou li^Tes classiques des
Chinois.
Le premier est l'Y-King ; on l'attribue à Fo-Hi :
mais dans quel sens ? De l'aveu de tout le monde ,
Fo-Hi est seulement auteur des trigrammes ou
d'une espèce d'hiéroglyphe , composé de trois li-
gnes diversement combinées ; ce n'est pas là un
livre. Le premier auteur qui ait entrepris de dé-
chiffrer cette énigme , est le prince Ouen Ouang ,
1122 ans avant Jésus - Christ , 1818 ans après
Fo-Hi ^'\ Qu'il ait été inspiré ou instruit par une
tradition de dix-huit siècles , cela nous est indif-
férent. I] est absurde de confondre cette explication
avec l'hiéroglyphe même , et de nous la donner
comme un livre composé par Fo-Hi. Bien plus .
cette ancienne explication est perdue ; IT-King .
toi qu'on l'a aujourd'hui . est l'ouM'age de Confu-
cius , qui n'a vécu que 5oo ou 55o ans avant J.-C.
Ce li^Tc est nommé autrement le livre des princi-
|>es , et le livre des sorU , parce que les Chinois ,
toujours superstitieux , s'en servent pour pratiquer
la divination. Plusieurs lettrés prétendent trouver
le matérialisme , aussi bien que la connoissance do
l'avenir , dans les trigrammes de Fo-Hi : on peut y
trouver tout ce qu'on veut.
(i Ilnd. Ko, pageSi, 4-» '^a. Amiot , png. 43,84.
DE LA VRXTE IIELTGIOK. OO9
Le second est le Chou-King , dont nous avons la
traduction. Ce n'est ni un livre historique , ni un
ouvrage suivi ; c'est une compilation de faits , de
leçons morales , de maximes sur le gouvernement ,
sans ordre et sans méthode : Confucius en est en -
core l'auteur. Il l'a compilé , dit-on , sur d'anciens
mémoires : soit. De quelle date étoient ces vieux
monumens? On n'en sait rien , Confuciu 3 lui-même
l'ignoroit , puisqu'il n'a point mis de chronologie à
cet ouvrage ; celle qu'on y voit aujourd'hui est de
l'invention de quelques historiens , très-postérieurs
à ce philosophe ; encore ne s'accordent -ils sur au-
cune des époques qu'ils ont voulu fixer -'\
Le troisième est le Tchéou-Li , autrement nom-
mé Li-Ki , fait par Confucius , et augmenté ou
corrigé dans la suite ; ce n'est autre chose que le
Chou-King , mêlé avec le cérémonial de la na-
tion ''\
Le quatrième est le Ché-King , recueil d'odes
ou de cantiques , qui se chantoient dans les céré-
monies publiques , sous la dynastie des Tchéou ,
sous laquelle vivoit Confucius , et qui avoit com-
mencé 600 ans avant lui ^^\
Le cincjuième étoit l'Yo-King , qui traitoit de la
musique; il ne subsiste plus. Il est évident qu'aucun
de ces li^Tes classiques, tels qu'ils sont aujourd'hui ,
n'est plus ancien que Confucius , et l'on ne peut
constater la date d'aucun des mémoires ou des
monumens dont il s'est servi. Qui n'admirera la
hardiesse d'un de nos pliilosophes , qui affirme que
les cinq kings ont été écrits 2 3 00 ans avant notre
ère vulgaire , et qu'aucun lettré de la Chine n'en
doute ^*^ ? La vérité est qu'ils ont été écrits 55o ans
(1 V. le Chou-King, mém. du P. Amiot, p. 60, 63. M. du
P. Ko, p. 69. — (q Ibid. Amiot, p. 67; Ko, p. 44- — (^ Amiot,
p. ^4. — (4 Philos, de i'hist. c. 18.
/
5 1 0 TRAITÉ
tout au plus avant cette ére : il n'est à la Chine
aucun autre livre plus ancien : les lettrés en con-
viennent ; aucun de ces livres ne peut servir à
confirmer l'histoire ou la chronologie des Chinois ;
nous le verrons ci-aprés.
§ m.
Le plus ancien livre historique des Chinois est le
Tchun-Tsiéou , autre ouvrage de Confucius ; c'est
une histoire abrégée du royaume de Lou , dans
leqpiel ce philosophe étoit né. Elle commence à la
49.^ année de Ping-Ouang , ou Pim-Vang, 722 ans
avant Jésus-Christ , et parcourt un espace de 2 ±2
ans , jusqu'à l'an 480 avant notre ére.
C'est seulement io4 ans avant J.-C. que Seé-
Ma-Tsien , premier historien chinois , entreprit de
donner une histoire générale de la Chine, ou plutôt
une simple chronique ; il remonta jusqu'au règne
de Hoang-Ti , que l'on suppose avoir commencé
2698 ans avant J.-C. mais il n'avoit point de mé-
moires authentiques que les kings de Confucius , et
l'on n'en a point recouvré d'autres depuis. Plus de
700 ans après cet historien , un autre , nommé
Seé - Ma - Tchin , entreprit de remonter jusqu'à
Fo-Hi , ou à deux siècles plus haut que le règne de
Hoang-Ti. Ainsi plus les historiens chinois sont
modernes , plus ils ont reculé dans l'antiquité la
fondation de leur monarchie ; mais enfin ils n'ont
point eu de monumens plus anciens que les kings :
Confucius n'y a mis aucune chronologie , ni au-
cune position géographique ; il a fallu deviner la
date et la scène des événemens. Ce sont des conjec-
tures , et rien de plus.
N'oublions pas que ,191 ans avant Jésus-Christ ,
55o ans après Confucius , l'empereur Tsin-Ché-
RE LA VRAIE PJilLIGIOX. 3ll
Hoang-Ti fit Imiler tous les livres d'histoire et de
morale , et en particulier le Chou-King, dans toute
l'étendue de son empire. Environ cinquante ans
après cette persécution , l'on ne put retrouver
qu'un seul exemplaire de ce Vivre , écrit sur des
tablettes de banil30u , dont plusieurs étoient ron-
gées des vers ; de là les lacunes , les transpositions ,
le désordre qui régne dans cet ouvrage. Ajoutons
enfin que les caractères chinois ont changé plu-
sieurs fois ; que quand il fallut déchiflrer le Chou-
King , écrit en caractères antiques , on ne fut pas
peu embarrassé ^'\ Sans nous arrêter à toutes les
incertitudes qui résultent de ces faits , accordons
aux partisans des antiquités chinoises , que les
ouvrages de Confucius et de Seé-Ma-Tsien sont
authentiques , et subsistent tels qu'ils sont sortis
de leurs mains ^'\ La question de savoir sur quel
fondement l'on a pu fixer les époques , la suite des
dynasties , la succession des empereurs pour con-
clure que l'empire de la Chine étoit formé il y a
plus de 4ooo ans ^^\.
s IV.
On nous dit que les Chinois ©nt joint Fhîstoire
du ciel à celle de la terre ; qu'ils ont constamment
marqué leurs époques par les éclipses et par les
conjonctions des planètes : cela est-il vrai ?
Confucius , dans son histoire ou chronique du
royaume de Lou , fait mention de trente-six éclip-
ses ; la première tombe dans l'année 720 avant
notre ère , et la trente-sixième dans l'année 496 j
plusieurs n'ont pu avoir lieu ; mais admettons-les
(i Chou-Kiflg, p. 356, 38o. Mena, du P. Amiot, p. ?9.
Lettre écrite de Pékin, en 1764? ?• 47* — (^ Mém. du P.
Amiot ♦ p. 91. — (3 Philos, de i'hist, c. 18 , £tc.
J i 2 TP..UTE
pour un moment ^'\ Le Ghé-King ou livre de can-
tiques parle d'une éclipse de soleil . qui a dû arriver
le b septembre 776 avant Jésus-Christ, 56 ans
avant celle dont parle Confucius ^' . Supposons-la
encore certaine ; cela ne nous mène pas fort loin.
Le Chou-Ring fait mention d'une autre qui a du
arriver le 12 octobre, l'an 21 55 ans avant notre
ère ^' . Mais il y a 1079 ^^^ entre cette éclipse et
les suivantes ; n'a-t-elle pas pu arriver dans cette
intervalle immense ? On ne le démontre point. Il
est^ien singulier que les Chinois , après avoir été
d'abord d'habiles astronomes , aient passé treize
siècles sans rien observer ; que Confucius , qui
place trente-six éclipses en 2 42 ans, n'en mette
aucune dans un espace de i3oo ans.
Cette éclipse , dont parle le Chou-King est ar-
rivée, dit-on, sous l'empereur Tchoun-Kang; soit.
En quel temps a-t-il régné? Selon les uns , il a
commencé en 2159 ou 21^7 avant notre ère; selon
d'autres, en 1212 ou 2016 ^*^ En quel lieu de la
Chine a-t-elle été observée ? on n'en sait rien. Elle
sest faite dans la constellation Fang ; mais nous
sommes avertis qu'il n'est pis possible de prouver
qu'elles sont les constellations dont il est parlé dans
le Chou-King, le Ché-King ^^^ ^ etc. Le P. Gaubil et
le P. Amiot placent cette éclipse en 21 55 ; M. Fre-
ret, d'après M. Cassini, la mettoit en 2007 '^'. U y
a sept sentimens divers parmi les Chinois sur la
vérital)le date ^"\ Comment peut-elle servir à fixer
la chronologie? Si l'on veut déterminer l'époque de
Tchoun-Kang par l'éclipsé, et celle-ci par le règne
de cet empereur , on fait un cercle vicieux et une
(i Mcm. du H. Amiot , p. 86 et 98. Méoi. du P. Ko , p. 48.
— (2 Méai. du P. Amiot , p. 87 , 89 , 255 , 270. — (3 Ibul.
p. 102, 256, 272. — (4 Chou-King, p. 6^. — (5 Mem. du
P. Ko, p. 'i!\o. — (6 Chou-Kii.g , préf. p. xxx. — (7 Mém.
du P. Ko , p. "i^O,
DE LA VRAIE RELIGrON. 5lj
pétition de principe. Un philosophe a beau répéter
que cette éclipse est un monument incontestable ,
qu'elle est reconnue véritable par tous les savans ^' ,
il devoit commencer par démontrer qu'elle n'a pas
pu arriver plus tard que 2ii5 ans avant notre ère.
L'histoire de la Chine parle d'une conjonction de
cinq planètes , arrivée sous Tchoan-Hiu , petit fils
de Hoang-Ti , l'an 2449 ^^ant Jésus- Christ ^".
Nous n'en sommes pas plus avancés : le P. Amiot ,
malgré ses préventions , convient que les lettrés
chinois doutent en quel temps vivoient Tchoan-Hiu
et Hoang-Ti.
Conclure de ces observations trés-suspectes, <ïue,
plus de deux mille ans avant notre ère. les Chinois
avoient des astronomes , une année solaire , des
intercalations , des instrumens , etc. -, que l'histoire
chinoise remonte d'une manière certaine jusqu'à
l'an 2657 ^^' , c'est raisonner sur de pures suppo-
sitions. Quand l'auteur de la philosophie de l'his-
toire affirme que , chez les Chinois il n'y a nulle
différente manière de compter, nulles chronologies
qui se contredisent ; que chaque régne de leurs
empereurs a été écrit par des contemporains ; il en
impose à ses lecteurs. Avant Confucius, il n'y a pas
un seul régne dont la date soit fixée sans contes-
tation '^\ Aucun écrivain antérieur n'a donné ni
catalogue d'empereurs , ni suite de dates et de
dynasties , ni abrégé d'histoire de la monarchie :
ceux qui ont voulu le faire dans la suite ne s'ac-
cordent point avec les Kings , très-peu avec eux-
mêmes, presque jamais les uns avec les autres : les
plus habiles lettrés chinois ne tiennent à aucune
chronologie ^^\
(i Qiiesl. surTencyclop. histoire , p. 22. — (2 Mém. du P.
Aruiot , p. 125. Mém. du P. Ko, p. i3i , 147. — (3 Amiot,
p. io5. — (4 V. le Chou-Iung. — (5 Mem. du P. Ko , p. nj ,
89, 127,241.
i. i4
Ù l i TRAITE
Il y a plus : en 1720 , les astronomes chinois ont
mis dans leurs tables et dans leurs annales , une
fausse conjonction de sept planètes, malgré la ré-
clamation des mathématiciens européens ; l'em-
pereur a confirmé cette erreur par un édit ^'\
Viendra-t-on encore nous vanter la certitude des
observations chinoises?
s V.
Nous n*insisterons point sur les fables dont on a
farci les commencemens de l'histoire de la Chine ^*\
Elles sont néanmoins gravement répétées par l'em-
pereur actuel, dans son éloge delà ville de Mouk-
den ^^'; celles qui se trouvent dans les deux premiers
chapitres du Chou-King , suffiroient seules pour
décréditer ce livre. Il y a plusieurs faits incon-
testables qui peuvent nous faire concevoir en quel
temps la Chine a commencé à se policer , et com-
ment l'on a trouvé le secret d'en allonger l'histoire
et la chronologie.
Environ l'an 1122 avant notre ère, Vou-Vang,
fondateur de la troisième dynastie , nommée
Tchéou , vint de l'occident avec trois mille hom-
mes , s'empara de l'empire ou plutôt du royaume
des Changs, renferma dans une seule ville tous les
sujets du prince détrôné , et leur donna des lois ^*\
On convient qu'à cette époque et dans les temps
suivans, la Chine fut divisée en plusieurs royaumes
indépendans, et on ne peut pas prouver qu'il y eut
alors un souverain principal , dont les autres fus-
sent tributaires ou feudataires ^^ . La Chine étoit
(c Tacite, par M. Brotier, in-12. , t. VI, p. 35; . — (2 Me'm.
du P. Ko, p. loi , i83. — (3 Page i3 et notes p. 216. —
('^ Chou-King, préf. p. vij , et 1^6 et suiv. — (5 Mém. du
r. Ainiot , p. 1 13 , 13; , 287. Mctn. du P, Ko , p. 26 , 97.
DE LA VRAIE RELIGION. 3 i 5
encore très-peu peuplée , puisque 800 ans après y
la partie méridionale étoit à moitié sauvage ^' .
Pendant tout cet intervalle , il y eut des troubles ,
des guerres continuelles entre les divers souverains,
et très-peu de communication entre leurs diÔérens
états '\ Avant cette dynastie des Tcliéou , il n'est
point de monument authentique d'un empire de la
Chine ; il ne s'est formé que long-temps après par
la réunion de ces souverainetés isolées.
Vers l'an 55o avant Jésus-Christ , Confucius fit
l'histoire ou la chronique du royaume de Lou ;
d'autres pouvoient avoir fait avant lui celles des
royaumes voisins , des souverains qui y avoient
régné . de la police qu'on y observoit. Dans le
Chou-King , il compila ces divers mémoires , en
recueillit les faits principaux , se contenta de nom-
mer les personnages , sans distinguer les temps ni
les lieux où les événemens s'étoient passés. En
composant sa chronique , il n'avoit pu remonter
plus haut qu'à deux cents ans avant lui , et il avoit
fixé la chronologie par les écli[)ses ; en faisant le
Chou-King , il ne put rien déterminer , parce que
les faits étoient plus anciens , et que ses mémoires
n'étoient pas fort exacts. Des écrivains très-posté-
rieurs ont voulu y mettre un ordre quelconque; ils
ont placé bout à bout des dynasties collatérales ,
des personnages et des événemens contemporains ;
ils ont ainsi allongé la succession des règnes , pour
donner à leur monarchie une antiquité plus res--
pectable : à force de calculs , de conjectures , de
disputes , on est enfin parvenu à donner un air de
vraisemblance à cet ou^Tage d'imagination.
Que l'on attribue à quel prince on voudra la
fondation de l'empire chinois avant la dynastie de
(i Mém. du P. Ko , p. 168 , 169. — {2 Amiot , p. qS , 114
Kî, p. 26, 9;.
-J lO TRAITE
Tcli^ou , jamais on ne pouiTa fixer avec certitude
le temps auquel ce fondateur a vécu ; point de
livres, point de monumens, point de lumière avant
cette dynastie ; tout ce qui précède est placé au
hasard. Selon le témoignage du P. Ko , il n'y a pas
de lettré à la Chine qui ne sache que la chronologie
ne remonte , d'une manière probable et satisfai-
sante, que jusqu'à l'an 8ii avant Jésus-Christ ^'\
Environ cent ans après, c'est-à-dire, en 776,
€ommencent les olympiades chez les Grecs , et la
certitude de leur chronologie ; l'an 747 est chez
les Chaldéens le commencement de l'ère de Nabo-
îiassar ^'\
Les partisans des antiquités de la Chine disent
que les matériaux dont ses annales sont composées,
ont été comparés, discutés, corrigés par les savans
les plus habiles, pendant près de 1800 ans ^^\ C'est
peut-être ce qui doit nous rendre cette histoire plus
suspecte : si elle avoit été moins fabuleuse et moins
hasardée , il n'auroit pas fallu tant de temps , ni
tant de discussions pour tout concilier. Malgré les
efforts de tous ces savans , les doutes ne sont pas
dissipés ; eux-mêmes ne sont pas d'accord ; quand
ils le seroient, nous ne pourrions encore rien faire
de mieux que d'examiner leurs preuves.
s VI.
La religion des Chinois est l'article qui nous
intéresse davantage. Que dès les premiers temps ce
peuple ait adoré un Dieu , gouverneur de l'univers,
sous le nom de Tien, de Ti , ou de Chang-Ti : qu'il
ait cru la providence divine , l'immortalité del'àme
(i Mém. du P. Ko , p. 240. Tome II des raéra. , p. 5i2, 55r.
— (2Cbou-King, pref. p. xxxij ei 807. — (3 Mém. du I'..
Amiot , p. i4(3.
DE LA \TL\IE IlI;LIGIÛ^^ 3lf
et la vie à venir , c'est un fait prouvé par le Chou-
Ring ; mais il y a plusieurs observations à faire.
1 .° De l'aveu des missionnaires , cette religion
primitive ne subsiste plus à la Chine que dans les
livres ; l'empereur, les lettrés , les grands . le peuple ,
sont idolâtres ; la religion de Fo , venue des Indes ,
celle des Lamas , apportée de la Tartarre , sont
non-seulement tolérées, mais universellement pra-
tiquées : il y a long-temps que cette révolution
fatale a commencé ^'^ ; et nous allons prouver cpi'clle
étoit inévitable.
2.*^ La doctrine essentielle de l'unité de Dieu et
de sa providence générale , n'est point assez clai-
rement enseignée dans les livres des Chinois; le
culte extérieur que ces livres prescrivent , loin
d'inculquer au peuple cette grande vérité , semble
n'avoir d'autre but que de la lui faire oublier. En
efiét, ces livres supposent une multitude d'esprits,
moteurs de la nature , et préposés à ses diÔérentes
parties, ci la terre, aux vents, aux montagnes, aux
rivières, aux villes , aux provinces ''. Cette opinion,
si analogue aux idées des ignorans , a fait naître le
polythéisme chez toutes les nations ; comment ne
î'auroit-elle pas produit chez les Chinois , esprits
foibles et superstitieux s'il en fut jamais? L'em-
pereur seul a le droit de sacrifier au Chang-Ti ou
souverain du ciel ; le peuple ne doit adresser son
culte qu'aux esprits et aux ancêtres ; c'est la doc-
trine expresse de Confucius ^^\ Il n'y avoit pas de
moyen plus sur de rendre bientôt toute la Chine
idolâtre.
5.° Nous ne voyons point dans le Chou-King ,
(i Méra. du F. Ko , p. 75 , loi , 126 , 253 , 260. Mém. àa
V Amiol , p. 27 , 79 , 154. — (2 Chou-Kiue , p. 28 , 29 , 87 y
I 5i , etc (3 Confucius du P. Douplet , l."3 , I. part. p. 21.-
tsM,i; ac Lt'iLiiilz, t. I , p. 348 et suiv.
3 l 8 TR.UTE
ni dans les autres livres , une différence marquée
entre l'esprit qui préside au ciel , et ceux cjui gou-
vernent les autres parties de la nature ; on donne à
tous le nom de Chang-Ti ^*\ Il n'est dit nulle part
que le premier est éternel , et que les seconds sont
créés ; que l'un est puissant par lui-même , et que
les autres n'ont qu'un pouvoir emprunté ; que le
Chang-Ti est le seul maître , et que les esprits ne
sont que ses ministres. « L'esprit qui préside à la
« terre , dit l'empereur actuel , lui donna cette
(( merveilleuse fécondité , dont nous sommes té-
« moins dans nos climats ^'\ » Ce n'est donc pas
Dieu qui a rendu la terre fertile , mais un génie
particulier ; c'est à lui et non à Dieu que s'adressent
les sacrifices que l'on offre à la terre. On ne peut
méconnoître ici le même préjugé qui fit établir,
chez d'autres peuples , le culte de Rhéa , de Cybèle
et de Cérés.
Vainement , on veut pallier ce polythéisme , en
soutenant que le culte du Chang-Ti et celui des
esprits sont différens ; que l'on offre au premier des
sacrifices proprement dits ; que les honneurs ren-
dus aux esprits et aux ancêtres ne sont que des
cérémonies ^^^ : distinction frivole. Dans le Chou-
King , il est dit que l'on sacrifia un bœuf dans le
temple du ciel, et le lendemain, un bœuf, une
brebis et un pourceau dans le temple de la terre ^*^ ;
que le roi offrit un bœuf dans la salle des ancê-
tres ^^- ; que le roi Tchin-Vang sacrifia un bœuf à
chacun de ses ancêtres Ven-Vang et Vou-Vang ^^\
« J'immolai , dit l'empereur actuel , sur le tombeau
« de mes ancêtres , une victime que j 'offris en leur
<( honneur ^■\ »
(i Mém. de M. Msdelou , Chou-Kiug, p. 429. — (2 Eloge de
la ville de Moukden , p. 100. — (3 Mt'm. du P. Amiot , p. i5 ,
34. — (4 Chou-Ring, IV. part. c. la, p. 208. — (5 Ibid. ,
I. part. c. 2, p. i5. — (6 Ibid. , IV. part. c. i3 , p. 219. —
(7 Elogf de la ville de Moulvden; p. 5 tt 55
DE LA VRAIE RELIGION. 019
Un voyagenr, témoin oculaire, parle d'un sa-
crifice offert à Confucius , par les lettrés , où l'on
immole des pourceaux et des chèyres ; il avoit
assisté à un sacrifice offert aux ancêtres d'un man-
darin dans un temple bâti exprés ^'\ Les paroles
que l'on adresse aux morts , les offrandes cfu'oii
leur fait , l'immolation des victimes . les chairs
mangées par les assistans , tout démontre un sa-
crifice dans la rigueur du terme ; il n'en est point
de mieux caractérisé dans l'idolâtrie grecque et
romaine ; c'est le culte des dieux mânes , sans
aucune différence.
Selon le P. Martini , le serment du gouverneur
d'une ville se fait devant la statue qui représente
le génie tutélaire de cette ville ^'^ . Comment ose-
t-on dire que le gouvernement chinois n'eut jamais
aucune idole ^^^ ? Il n'est pas étonnant qu'après de
longues disputes , et après tous les examens pos-
sibles , ces divers cultes aient été proscrits par le
saint-siége.
s VII.
4.° La croyance aux esprits et aux mânes a
infatué les Chinois de la confiance à la divination ,
aux songes , aux pronistics , aux sortilèges , à la
magie. Dans le Chou-King, les princes ont recours
aux sorts de la tortue, aux présages de toute espèce
dans les aff'aires importantes ; les sorts tirés de
l'Y-King , sont d'un usage journalier parmi les
lettrés : il n'est point de nation plus crédule , plus
superstitieuse , plus peureuse que les Chinois. Leurs
vieilles chroniques sont remplies de fables puériles.
(i Voyages de Le Gentil, t. II, p. i35. — (2 Essai sur la
population de rAmérique , t. IV , I, 8, c. i5, p. 322. —
,3 Qu'vist. iur rciif-yclop, . conscience , idoldlrie ; p. i5i , etc.
320 TRAITÉ
On nous en impose quand on veul nous persuader
que ces inepties n'ont cours que i)armi le peuple ,
et que les lettrés n'y ajoutent aucune foi ^'^ ; ils
sont aussi stupides sur ce point que les anciens
philosophes.
De quel front l'auteur de la philosophie de l'his-
toire avance-t-il que les Chinois ne croient pas
l'immortalité de l'àme? Si cela étoit , pourquoi
consulter les morts et leur offrir des sacrifices?
Dans le Chou-King , un empereur dit à ses sujets :
« Lorsque je fais de grandes cérémonies à mes an-
ce ce très , les vôtres sont à côté des miens , et ont
« part à ces cérémonies ^''. » Un ministre, pen-
dant la maladie du roi Vou-Yang, fait cette prière
à ses trois ancêtres : « ^^otre successeur est dange-
(( reusement malade j le ciel a confié à vous trois
(( le soin de son fils ; moi , Tan , je me dévoue à la
<c mort pour lui.... Hélas ! ne laissez pas perdi'e la
« précieuse commission que le ciel lui a donnée. »
Après avoir consulté les sorts , il dit : « J'ai connu
« les volontés des trois rois prédécesseurs ; ils mé-
<t ditent l'affermissement éternel de notre djnas-
« tie ; j'espère qu'ils vont donner des marques de
« leur amour pour notre souverain ^^\ » Dans
plusieurs endroits , il est dit que les âmes des bons
empereurs sont dans le ciel ^^\
Sans multiplier les citations , il est évident que ,
selon la croyance constante des Chinois , les gens
de bien , après leur mort , sont dans un état de
})éatitude et de puissance , dans lequel ils peuvent
éclairer, secourir, combler de biens, leurs descen-
dans : tel est le motif des lois qui commandent de
les honorer. Il est donc f lUx que les lois de la
(i Phil. de l'hist. c. 18 , p. 9^ — (a Chou-King , III. part,
r. 7, p. 114. — (3 Ibid. , IV. part, c 5, p. 179, 180. —
(4 lhk\. , III. pari. C 7 , p. ii4- i\ • part. c. 5 , p. 179, 180.
DE LA MLUE RELIGION. 02 i
Chine ne parlent point de récompenses , ni de
peines après la mort : dés que l'on croit que les
bons sont heureux , il n'est pas possible de sup-
poser que les méchans partagent leur bonheur.
Nous convenons que , sur ce point essentiel . la
doctrine des livres chinois est très - imparfaite ;
qu'elle a dii influer foiblement sur leur morale :
aussi cette morale n'est rien moins qu'irrépré-
hensible.
§ VIII.
D'abord le Chou-King n'enseigne point clai-
rement la liberté de l'homme ; il semble établir
une espèce de fatalité , une liaison constante entre
les phénomènes de la nature et les actions hu-
maines. Dans un même chapitre , il est dit :
K Quand la vertu règne , la pluie vient à pro-
« pos;.... lorsque les vices dominent, il pleut
« sans cesse, ou le temps est trop sec... Si la
« constitution de l'air est conforme au temps, il
« n'y a aucune difficulté dans le gouvernement :
« s'il y a du dérangement dans la constitution de
« l'air , les grains ne mûrissent pas , le gouverne-
« ment est en désordre , les gens vertueux de-
« meurent inconnus , et la paix n'est pas dans
« les familles ^'\ » Dans la première partie de
ce passage , on suppose que la conduite des
hommes influe sur les phénomènes de la nature :
dans la seconde , que c'est l'état de la nature qui
décide de la conduite des hommes. Comment
concilier cette doctrine ? Nous pensons , comme
l'auteur des recherches philosophiques sur les
Egyptiens et sur les Chinois , que la doctrine de
Confucius . touchant les sorts , a du introduire le
(1 Chou-King , c. 4 ? p. î;'? , 173.
1. i4.
022 TRAITE
dogme de la fatalité chez un peuple capable de
raisonner ^'\
2.° Ce même Chou-King ne prescrit envers l'être
suprême , qu'un culte purement extérieur ; il ne
commande , ni la soumission à la diyine provi-
dence , ni la confiance à sa bonté , ni la recon-
noissance pour ses bienfaits ; toute la religion
lionsiste en cérémonies , encore s'adressent-elles
moins à Dieu qu'aux esprits , et aux ancêtres ;
l'empereur seul a droit de sacrifier au Chang-Ti.
Dés que les Chinois supposent , comme les païens,
que Dieu abandonne le gouyernement de ce monde
aux esprits , il est naturel que l'on s'adresse à ces
derniers plutôt qu'à Dieii ; c'est ce qui a étouffé le
culte primitif chez toutes les nations.
En troisième lieu , l'obéissance aux lois , aux
magistrats , au souverain , aux pères et mères ,
n'est point ordonnée comme un moyen de plaire
à Dieu , et de mériter les récompenses de l'autre
vie , mais comme un ordre purement civil , duquel
doivent résulter la paix, l'abondance, la prospérité
temporelle. Le rituel , ponctuellement suivi , a le
pouvoir de régler les saisons, de fertiliser la terre,
de prévenir les fléaux et les malheurs ; la vertu
n'entre pour rien dans ce culte mercenaire , non
plus que dans celui des païens.
4.° 11 n'est point parlé dans le Chou-King , de la
fidélité mutuelle des époux , de l'amour fraternel ,
de la charité envers les esclaves et envers les
j)auvres , de la probité dans le commerce , de la
chasteté , ni de la pudeur. Dans les ouvrages de
Confucius et de ses disciples , la morale est froide ,
monotone , sans motifs et sans fondemens , aussi
vague que celle des païens. Ces moralistes ne con-
damnent , ni le despotisme des princes , ni l'escla-
(i Kcrhcr'^hes , t. U , p. 260,
DE LA VILUE RELIGION. 523
vage , ni le pouvoir t}Tannique des pères et des
maris , ni le meurtre des enfans, ni la polygamie ,
ni la clôture des femmes ; signes non équivoques de
la corruption des mœurs.
Que répondent à ces reproches les apologistes
de la morale chinoise ? Ils disent , qu'à tout pren-
dre , elle est moins répréhensible que celle des an-
ciens philosophes , grecs et romains ; qu'elle seule
a pu sauver le gouvernement et la législation de
l'empire chinois , au milieu des révolutions ter-
ribles qu'il a souffertes , et y conserver la paix
depuis plus d'un siècle ; que l'on ne trouveroit
dans aucun livre chinois une morale aussi détes-
table que celle de nos philosophes modernes ; qu'il
seroit absurde de mettre la morale de la Chine eu
parallèle avec celle de l'évangile ^'\ Ces raisons
peuvent embarrasser sans doute un pai'tisan de la
nouvelle philosophie ; mais elles ne suffisent point
pour justifier entièrement la m.orale des Chinois ,
ni les éloges outrés que certains écrivains en ont
faits.
§ IX.
11 reste encore à savoir jusqu'à quel point cette
morale influe sur la conduite du peuple , quel est
en général le ton de ses mœurs. L'auteur des re-
cherches philosophiques reproche aux Chinois la
polygamie , le di'oit bai'bare accordé aux pères de
tuer leurs femmes et leurs filles , de vendre , d'ex-
])Oser , ou d'étouffer leurs enfans, la débauche la
j)lus brutale, la multitude des esclaves et des eu-
nuques. Avant la conquête des Tartares , il y en
avoit douxe mille attachés à la cour; toutes les
charges de l'empire étoient entre leurs mains j
(i Nonv. a:étn, coûcernanl les Chincis , t. H , p. S^o.
D'2 i TRAITE
( 'cloit la coutume d'immoler des esclaves aux fu-
nérailles des empereurs et des grands : cet usage
/l'est pas encore aboli. Avant cette même conquête ,
il y avoit des lieux publics destinés aux débauches
contre nature. De tout temps , les Chinois ont été
accusés d'un penchant invincible au vol et à la
Iriponnerie : il a été impossible d'établir parmi
eux l'usage de la monnoie , parce que tous seroient
faux-monnoyem's.
« Si les Chinois ont la propriété de leurs biens,
« ils n'ont pas celle de leur j)ersonne ; l'ai'bî traire
« des punitions y avilit les unies , et fait de pres-
« que tout Chinois un négociant fripon, un soldat
<( poltron , un citoyen sans honneur ^' . »
Leur malpropreté est dégoûtante : ils mangent
les rats , les chauve-souris , les chats, les chiens ,
les chameaux , les chevaux , non-seulement lors-
(ju'ils meurent de vieillesse, mais encore lorsqu'ils
périssent de maladie; abus qui rend le peuple sujet
il la lèpre contagieuse , et la police ne se met i)oint
en peine d'y pourvoh'. Les empereurs et les grands
ont la folie de prendi'e un prétendu breuvage d'im-
mortalité , et s'empoisonnent par l'ambition de se
rendre éternels ^"\ La plupart des voyageurs con-
firment ces accusations : l'on convient , à présent ,
que le P. Duhalde a trop flatté le portrait des Chi -
nois ; que ce peuple a tous les grands vices , \'o\~
t,'ueil principalement ^'\
Les auteurs des nouveaux mémoires concernant
Its Clnnois , répondent que la plupart de ces re-
proches so;it faux et calomnieux : d'autres n'ont
été vrais que dans le temps des troubles qui ont
a^ité la Chine. Ils ajoutent que la dynastie régnante
(i De riiomme , t. Il , noie i4 , p. 98. — (2 Pecherches phi-
o^. tome l, p. 9, 10, 3î, 55, 70, 80, 179. Tome II, p.3i,
'>.iC, e'.c. — (> Lettres td.f. looic XX'X, p. i52.
DK LA MLilE IILLICION. 025
a corrigé la j)lus grande partie des anciens désor-
dres ; que si le peuple y tonribe encore quelquefois ,
c'est malgré la défense des lois , et paixe qu'il est
plongé dans les superstitions de l'idolâtrie '' . Con-
séqueniment ces mêmes écrivains nient que l'au-
torité des pères soit excessive ou tyrannique ; qu'ils
aient droit de tuer leurs femmes , ni leurs filles ; de
mutiler , ni d'étouffer leurs enfans : il ne leur est
permis de les vendi'e que dcins le cas de nécessité
L'xtréme , et qu'autant que les enfans y consentent.
Ils nient qu'à la Chine la condition des femmes
soit malheureuse ; que celle des esclaves soit aussi
dure que le sort des nègres dans nos colonies ; que
leur nombre soit aujourd'hui considérable, non
plus que celui des eunuques. Ils s'inscrivent en faux
contre la multitude des enfans étouÔés , noyés , ou
écrasés dans les rues; ils soutiennent que ce sont
des enfans morts naturellement , mais abandonnés ,
sans sépulture : les marchands chinois, disent-ils,
sont souN ent moins fripons que les Européens , c{ui
\ iennent trafiquer à la Chine.
Cependant ces apologistes ne contestent ni la
polygamie des grands , ni l'imjmdicité génér£de ,
ni l'ancien usage d'immoler des esclaves aux funé-
railles , ni la malpropreté du peuple , ni la négli-
gence de la police , ni la folie du breuvage d'immor-
talité : ils conviennent que les idolâtres ont assez
souvent la barbarie de dévouer des enfans à l'esprit
des fleuves , et de les noyer par superstition. Voilà
déjà bien des désordres incontestables.
Sans vouloir disputer sur le reste, il nous i)arojt
fscheux qu'il ait fallu une dynastie de Tartares pour
léfbrmer les mœurs des Chinois, et supi)rimer des
abus encore plus crians (jue ceux qui régnent au-
jourd'hui : nous en concluons que la morale su-
(i N'cuv. Qv.'cu. t. II, p. 370, 38 j, ?ç)5^ ^ooj ^\l , elc.
326 TRViTÉ
blime de Confucius et de ses disciples n'a jamais
])roduit beaucoup d'eft'et. Comme les lois n'ont de
ibrce à la Chine qu'autant qu'il plaît aux empe-
reurs , il est évident que , yu la facilité des révolu-
tions dans ce vaste empire, on y est toujours en
danger de retomber dans les anciens malheurs.
Au reste nous applaudissons à la réflexion de ces
missionnaires , lorsqu'ils disent que l'Europe est
redevable à l'évangile , et non à une autre cause ,
<ie la supériorité actuelle de ses lumières et de ses
mœurs.
s X.
Quant à la police , aux lois , au gouvernement de
la Chine, ils récusent le jugement qu'en ont porté,
Montesquieu , l'auteur des recherches philosophi-
ques , et d'autres modernes : ils ne veulent pas que
l'on ajoute foi aux relations des voyageurs , tels
que les envoyés de la cour de Russie , l'amiral
Ânson, et d'autres, même à ce qu'on lit dans quel-
ques volumes des lettres édifiantes ^'\ A qui donc
devons-nous désormais nous fier ?
Cependant il est difficile de ne pas souscrire aux
réflexions de Montesquieu, lorsqu'elles sont fondées
sur des faits incontestables. « On a voulu , dit-il ,
« faire régner à la Chine les lois avec le despo-
« tisme ; mais ce qui est joint avec le despotisme
« n'a plus de force : nous voyons donc à la Chine
« un plan de tyrannie constamment suivi , et des
« injures faites à la nature humaine avec régie ,
« c'est-à-dire , de sang froid.... On y a puni de
« mort un simple mensonge , et la plus légère
(( inadvertance.... Aussi la Chine a eu vingt-deux
u révolutions générales , sans compter les parti-
al LtWieic.lif. t. XXIV, p. 65 etsuiv.
DE LA VRAIE RELIGION. 52 J
« culières , et son gouvernement est de telle na-
« ture , que les révolutions y sont inévitables ". »
En eflet , aucun empereur n'a eu encore assez de
pouvoir ou assez de sagesse pour régler la succes-
sion dans la maison régnante ; il n'y a eu nulle
pai't plus de souverains détrônés , empoisonnés ,
égorgés. On ne connoît à la Chine aucun code de
lois fixes j les édits ne sont en vigueur que pendant
la vie de celui qui les a publiés , et aucune loi n'a
de force que par la volonté actuelle du prince.
Celles de la dynastie régnante s'éloignent en plu-
sieurs choses du Chou-King , par conséquent des
anciennes lois de l'empire '''.
La jurisprudence criminelle est atroce , puisque
l'on extermine toute la famille du coupable ; on
punit ses par ens jusqu'au neuvième degré, quoique
leur innocence soit avérée et hors de sou})çon. Les
corvées auxcpielles le peuple est assujetti sont fré-
quentes et rigoureuses ; les impôts excessifs j les
vexations envers les laboureurs et les marchands
recommencent sans cesse et sont sans remède ; les
mandarins sont la plupart des âmes vénales sans
honte et sans principes. On ajoute que la Chine
est dévorée par des millions de moines , et perpé-
tuellement agitée par la guerre religieuse de deux
sectes ennemies et irréconciliables ''^\ L'empereur
même est obligé de ménager les lamas , sans quoi
ils seroient assez puissans pour faire révolter les
Tartares qui habitent au-delà de la grande mu-
raille ^*\ Le tribunal des rites est une inquisition
redoutable , qui a fait couler plus de sang que tous
ceux d'Europe réunis ^\
(i Esprit des lois, 1. 7, c. 7, 1. 8, c. 21, 1. 12, c. 7. — (2 Mem.
du P. Ko. p. 94- — (3 Recberches philos, t. I, p. 11,75. Tom.
II, p. 238, 345. — (4 Nouv. mcm. tmoe II, p. 567, 568. —
(5 Ibid. Touic I, nuit-, p. 476.
528 TRAITÉ
Nous ne doutons point que l'empereur actuel ne
soit un grand homme : mais comment excuser un
trait de cruauté de sa part , qui est tout récent ?
Après la conquête du royaume de Siao-Kin-Sivan ,
le roi de ce pays , sa femme , ses enfans , et les
principaux de sa cour ont été conduits à Pékin ,
présentés à l'empereur, et massacrés par ses ordres.
Ce traitement barbare a eu, dit-on, pour motif la
mort d'un gendre de l'empereur tué dans cette
guerre : on n'a épargné de cette malheureuse fa-
mille qu'une princesse de cinq ans ^". Il faudroit
bien des traits de clémence et de justice pour faire
oublier cette atrocité : elle démontre qu'à la Chine
le droit des gens n'est pas connu; elle rend croyable
tout ce que les voyageurs ont dit des mœurs
cruelles des Chinois.
§ XI.
Selon les nouveaux mémoires , la population de
cet empire se monte à prés de deux cent millions
d'habitans : c'est plus qu'il n'y en a dans l'Europe
entière. Sous le régne de trois empereurs consé-
cutifs , tous trois instruits , laborieux et fermes ,
l)endant près de i5o ans de paix, la Chine est
parvenue à un point de prospérité dont on n'a
aucune idée en Europe ^'\ Nous voulons bien le
croire. Combien de temi)s durera ce prodige , qui
tient uniquement au caractère personnel des sou-
verains? Dans un gouvernement despotique, trois
règnes de suite, longs, sages, paisibles, heureux sont
une merveille dans l'histoire de l'univers; mais ce
(i Extrait d'une lettre de Canton , du 16 juin I7"6. Gazette
de France du 27 avril 1778, n.° 34, p. 1^3. — (a ISouv. mém.
t. II, i. 375, 4.4, 4.^,
DE LA ATLUE RELIGION. 5 29
qui s'écarte du cours ordinaire des choses , ne fait
pas règle , et l'on n'en peut rien conclure.
L'auteiu' de l'histoire des ctablissemens des Eu-
ropéens dans les Indes a raisonné sur les Chinois
en philosophe , c'est-à-dire qu'il s'est réfuté lui-
même et s'est contredit sur tous les chefs. Il prétend
prouver l'excellence du gouvernement de cet em-
pire , par sa population excessive. La popolation ,
dit-il , est la mesure de la sagesse de l'adminis-
tration , et la mai'que infaillible de la prospérité
d'une nation ^'^. Mais il avoue que cette population
de la Chine est un efîét naturel du climat et de la
fertilité du sol ; que le gouvernement ne s'en mêle
point. La population , dit- il , y est si excessive , que
« la politique devroit peut-être pjendi'e autant de
<' soin pour l'arrêter , qu'elle en prend ailleurs
« pour l'augmenter ^'\ » Dans un autre endroit ,
il ajoute : « La Chine, par une politique inhumaine
« et mal entendue , aime mieux laisser périr une
« partie de sa population , que d'envoyer la sura-
<^ bondance de ses sujets dans des terres voisi-
« nés '^^\ » Cette politique inhumaine est-elle en-
core une preuve de la sagesse de l'administration ?
II assure que , dans les temps d'abondance , on
forme des magasins pour les temps de disette ; et
il observe que , selon les annales de l'empire , il y
a peu de mauvaises récoltes qui n'occasionnent des
révoltes '^^' ; où sont donc les magasins ?
II vante la cérémonie que fait tous les ans l'em-
pereur de la Chine , de conduire la charrue , et de
labourer lui-même la terre. « Cette fête politique,
« dit-il , dont le but est d'encourager au travail ,
<( devroit être substituée dans nos climats à tant
« de fêtes religieuses . qui semblent inventées par
(1 Hist. (ks efal.Iiss. t. î , 1. 1 , p. 98. — (2 Ibid. p. 92. —
(3 Ibid. 1. 2, p. i4«. — (4 Hjid. 1. 1, p. 91 et 92.
o:)0 TiLilTE
<( la fainéantise pour la stérilité des campagnes ^'\»
«< Mais un autre philosophe nous avertit que
cette cérémonie n'est qu'un vain appareil de faste,
étalé par l'empereur de la Chine aux yeux de se?î
courtisans ; que le peuple n'y assiste jamais ; que
les lettrés se laissent croître les ongles , afin de
montrer qu'ils ne sont pas laboureurs '\ Voilà
comme le labourage est en honneur à la Chine.
Notre panégyriste des Chinois assure que l'amour
et riionneur sont les deux principaux ressorts du
gouvernement chinois ; qu'ils y ont plus d'influence
que la crainte : il se réfute ensuite , en disant que
les rites de la Chine mettent quelquefois les céré-
monies à la place du sentiment; qu'ils ont tellemeiit
réglé les actions de l'homme , qu'un Chinois n'a
presque plus besoin de sentiment ; que ces rites
donnent plus à la mémoire qu'au sentiment ^^\ Or,
un peuple qui agit machinalement , par habitude
et par mémoire plutôt que par sentiment , est -il
fort sensible à l'amour et à l'honneur? Un mandarin
dégradé porte devant lui , avec autant d'effronterie ,
les marques de sa dégradation , qu'il étaloit aupa-
ravant les signes de son élévation : c'est ainsi que
les Chinois sont sensibles à l'honneur.
Selon lui , Confucius est le premier de tous les
législateurs, parce qu'il a sur eux l'avantage de ne
pas employer la superstition pour faire recevoir la
morale et les lois *^'*>.
1 ."^ Confucius n'est point législateur, il a fait pro-
fession de n'enseigner que ce qu'il a trouvé dans les
écrits des sages de sa nation ; et plusieurs savans
sont persuadés qu'il a été instruit par des philo-
sophes indiens ^^\ La Chine est moins gouvernée
(i Hist. des élabliss. t. I, 1. i, p. 89. — (2 Recherches phil.
tome î, p. 11. — (3 Hist. drs étahliss. ibid. p. 96 et suiv. —
(i Ibid. loiue II, I. 7. p. no. — (5 .Vcin. dt Tacad. des iusci ii-.
DE LA VRAIE RELIGION. 53 1
par des lois que pai' des usages , par une vieille
routine , et par la volonté despotique des empereurs.
2.*' Il n'est point de superstition plus grossière que
d'enseigner, comme fait le Chou-King, que le culte
rendu aux esprits et aux ancêtres , a le j)Ouvoir de
régler le cours de îa nature , de produire la fertilité ,
la paix , l'abondance. 5.° Dans le Li-Ki , autre ou-
TTage de Confucius , il est dit que toute législation
et toute morale sont fondées sur la religion ; que ,
sans cette base , les devoirs de l'homme ne portent
sur rien ^'\ Confucius a donc , comme tous les
législateurs , employé la religion ou la superstition
pour faire observer la morale et les lois.
Par un secret retour sur eux-mêmes , nos phi-
losophes nous vantent les talens , les lumières , les
vertus, le sage gouvernement des lettrés : ne soyons
point dupes de cette forfanterie. A la Chine , comme
ailleurs , malgré les défenses les plus sévères , le
grade de lettré et les honneurs se vendent ; on y
parvient par argent ; les examens se réduisent
presque à savoir si un homme sait lire et écrire ,
parce que c'est un art très-difficile chez les Chinois.
En général, les mandarins ou. magistrats , tous
tirés du corps des lettrés , sont trés-ignorans et
très-corrompus ''\
s XII.
Ce qui mérite une attention particulière , c'est
îa marche qu'a suivie la religion chez les Chinois ,
comme chez les autres nations. Selon leurs anciens
livres , leur religion primitive étoit celle des pa-
triarches, le culte d'un seul Dieu créateur. Si nous
tome LV, in-i2. p. ^\8.
(i Nouv. niem. lome II, p. 446. — '2 Ltrtlres éciil'. t. XXIX,
p. 2G8. Tome XXX, p. 117 ^36^l'^6/
J02 TRAITE
en croyons les missionnaires , les idées de la plus
haute antiquité portent toutes sur la tradition
constante et uniforme de la création du monde.
On y retrouve la semaine, ou le cycle de sept jours ,
fondé sur l'histoire même de la création j il y a une
conformité frappante entre les idées de ces siècles
reculés , et celles que Moïse nous a transmises
d'après les patriarches "\
Que cette religion ait été portée à la Chine plutôt
ou plus tard , cela est indifférent ; elle n'y a pas été ,
non })lus qu'ailleurs, le fruit des méditations phi-
losophiques , elle est venue de la révélation primi-
tive. Les anciens sages chinois ne la donnent point
comme leur ouvrage ; ils rappellent sans cesse les
peuples à l'antiquité et aux leçons de leurs pères ;
selon eux , toutes les erreurs et tous les vice»
viennent de la négligence à suivre les instructions
et les exemples des anciens : ce génie traditionnel
ijst un caractère peurticulier de la nation chinoise
en général.
Cependant , malgré cette sauve-garde, la croyance
primitive ne s'est pas conservée pm'e à la Chine
i)endant un grand nombre de siècles. Confucius
se plaignoit de son altération ; et nous avons vu
qu'il a contribué lui-même à établir et d perpétuer
cet abus. Depuis ce philosophe , le culte de Dieu a
été étouffé par l'idolâtrie ; elle est universellement
établie dans cette partie du monde depuis plus de
deux mille ans. L'ancienne croyance ne subsiste
plus que dans les livres; il ne reste de lareligiou pu-
blique , autrefois pratiquée , que le sacrifice oflért
au Dieu du ciel par l'empereur , une seule fois
l'année , dans le temple destiné à ce seul usage "\
(iOmme le polythéisme a renversé toutes les tètes ,
(i Nouv. tném. tome I , p. C)4 • ^29, i3o. — (a Nouv. meaa.
coiiCfrijaL.t Ilî Chiuuii , t-uic L , p. ly , 2j3 , 2Gj.
DE LA VRAIE RELIGION. 00.1
il n'est pas facile Je deviner quelle idée l'empereur
et les lettrés se forment aujom'd'liui du Chang-Ti ,
ou Dieu du ciel ; il est fort à craindre qu'ils n'en
aient la même notion que les Grecs et les Romains
s'étoient formée de Jupiter.
Ainsi, à mesure que les Chinois se sont instruits
et policés, loin d'épurer leur religion, ils l'ont dé-
figurée et méconnue ; ils l'avoient altérée d'abord
par le mélange du culte rendu aux esprits et aux
ancêtres; ils ont fini par adopter l'idolâtrie la plus
grossière : leurs anciens livres ne servent qu'à les
rendre plus inexcusables.
Voilà ce que les philosophes n'ont eu garde de
remarquer ; mais cet exemple est une nouvelle
preuve de la nécessité qu'il y a eue de renouveler
la révélation primitive dans la suite des siècles, et
de donner au genre humain des leçons plus éten-
dues , à mesure qu'il avançoit dans la carrière de
la civilisation. Nouveau témoignage par conséquent
ajouté à la narration des livres saints , cpii nous
fait sentir combien nous sommes redevables à la
bonté divine de ce qu'elle a daigné nous instruire
par Jésus-Christ.
ARTICLE III.
jDE LA RELIGION DES INDIENS OU BRA]>nNE5.
§1.
J_jES philosophes de rinde , nommés aujourd'hui
Bramer , ou Bramînes , étoient appelées Brach-
jnanes et Gymnosophistes par les anciens auteuns
srecs et latins ; la religion des Indiens eu G^ntoux
5.>i TRAITE
est leur ouvrage. Nous n'avons pas encore une
traduction fort ample de leurs livres sacrés. Pour
juger de leur doctrine , nous avons été obligés jus-
qu'ici de nous en rapporter à des extraits et aux
relations des voyageurs ; MM. Lord ^'' , Holwel ^'\
Dow ^^' , Anquetil ^^ , et les mémoires de l'aca-
démie des inscriptions , ont été nos guides ^^^
Heureusement l'on vient de nous donner la tra-
duction de VEzour-p^edam^ avec des observations
savantes et judicieuses , et le code des lois des
Gentoux , ou réglemens des Brames , avec les ré-
flexions des deux auteurs qui l'ont traduit , l'un en
anglois , l'autre en françois. La vérité commence à
se faire jour, et à dissiper nos doutes.
Les li\Tes indiens, connus sous le nom de Bha-
dheJi, Bédas, Bédang, J^édani, f^eidam, Shastah,
Shasters , Pouranam , etc. sont écrils en langue
satucrete ou satiêcrétane , qui n'est plus vivante ,
que les Brames seuls étudient; mais ils en refusent
la connoissance au peuple et aux étrangers , et
cacbent soigneusement leurs livres. Ces écrits mys-
térieux ne se ressemblent guère , selon les notices
que l'on nous en a données. Quels sont les plus
anciens et les plus autbentiques? Rien de constant
là-dessus parmi les critiques européens , non plus
que parmi les Brames. Comme ceux-ci sont divisés
en plusieurs sectes , selon la coutume des philo-
sophes , chacun prétend que ses livres sont les plus
anciens et les plus purs ; que ceux des autres sectes
ont été forgés ou falsifiés ''\
Cependant tous les Brames, à ce qu'on prétend,
se réunissent à publier que Bvahma ou la sagesse
(i Cité dans Tbist. univ. tom. XIX, 1. i3 , c. 8. — (2 Evé-
Dtmcns hist. du Bengale — (3 Dissert, sur les mœurs, la
rtligion et la philosopliie des Indous. — (4 Relation d'un
Toyage dans les InJes, Zend, Avcsta, tome I. — (5 Tome LV
cl LVI ; in-ia. — (6 l^zour-Vt'dam, tome II , p. q 19,
DE LA VRAIE RELIGION*. 553
divine est venue rapporter sur la terre le Vèdain
ou le li^Te original de leur religion , il y a environ
4900 ans, par conséquent avant le déluge universel,
selon notre supputation commune ^'\ Mais ils con-
"Nnennent aussi que la doctrine des livres originaux
de Bralima ne s'est conservée pure que pendant
mille ans ; qu'à cette époqvie , et dans l'espace de
cinq cents ans, il s'en est fait divers commentaires;
que la doctrine de ces livres nouveaux a été la
source de l'idolâtrie indienne et des schismes qui
se sont formés parmi les Brames ^'\ Cela n'empêche
pas que tous ces commentateurs ne prétendent
avoir écrit suivant les ordres de Brahma, et rendu
fidèlement l'ancienne doctrine ^^\
Le Vèdam ou Bédang , original de Brahma sub~
siste-t-il encore? A-t-il jamais existé? Nous n'en
voyons aucune preuve. Quand les Brames l'au-
roient eu autrefois , les divers commentateurs qui
en ont altéré la doctrine , étoient intéressés à le
supprimer pour cacher leur mauvaise foi \ la secte
qui prétend l'avoir suivi plus exactement que ses
rivales, seroit engagée à le représenter aujourd'hui
pour les convaincre de leur erreur.
Ces commentaires même ou Shasters remon-
tent-ils jusqu'à une époque de Sgoo ans? Il faudroit
une forte dose de crédulité pour admettre ce fait.
Le style de ces livres ne ressscmble en rien à celui
de l'antiquité : les opinions philosophiques cpii y
régnent , sont les mêmes que celles des Grecs ; il
n'y a point de chronologie, point de dates suivies,
point de détails géogra[)hiques exacts. Le savant
éditeur de YEzour-Fédam prouve très-bien la
nouveauté de tous ces livres *^^'. Il accuse avec raison
fi Dovr, p. 97, Holwel. II, Part. p. 14? *"t i4'- — (^ Dow, p.
4^>. Holwel , c. 4 î p. iG et suiv. — (3 Code des Gentou^, préf.
p. 3o. — (4 Tome I , p. i3a , ijS.
536 TRAITE
HoJwel et Dow d'enthousiasme et d'un défaut de
sincérité sur l'antiquité des Shasterê , sur les dog-
mes de la philosophie et de la religion des Indiens ^'- ;
et il réfute ce qu'en a dit l'auteur de la philosophie
de l'histoire, qui n'étoit pas assez instruit ^'\
Vainement le traducteur anglois du code des
Gentoux veut-il encore soutenir l'antiquité de ces
livres ; vainement il prétend que l'on n'a pas pu les
supposer ni les interpoler ; qu'aucun peuple n'offre
des annales d'une autorité aussi incontestable que
celle qui nous a été transmise par les anciens Bra-
mes ^'\ Enthousiasme pur. L'éditeur de VEzour-
yédam nous apprend , de son côté , que les plus
savans parmi les Brames ajoutent peu de foi à la
chronologie fabuleuse de leur nation ; qu'elle n'est
fondée que sur des périodes astronomiques ^^\ M.
Bailly la déjà fait voir dans son histoire de l'an-
cienne astronomie : sur ce point le prestige est
dissipé.
§11.
L'essentiel est de savoir si la doctrine des livres
indiens est sage et vraie. INI. Dow, qui a consulté
les Brames méridionaux de l'Inde, qu'il croit être
les mieux instruits, nomme leur livre le Bedcmd
de Brahma ; il a été fait , dit-il . par un philosophe
ou prophète, nomml' Béas jf-JLmi y il y a, selon
les Brames, environ quatre mille ans. « Il enseigne
« qu'il n'y a qu'un Dieu immatériel , éternel ,
<( tout-puissant , qui connoît toutes choses , qui
<( est présent par-tout , qui a créé la matière ,
« l'univers, et rhomme. Dieu a donné à celui-ci
<^ une àme différente de celle des animaux , douée
(i Pr^f. p. vj et vij. — (2 Observ. prclim. p. i5o. — (3 Pref.
y. xxsj et xxxij. «- (4 Tome II, ticlairciss. p. 21G.
DE L.V VRXJE RELIGION". 53 J
{( de raison , capable de discerner le bien et le mal.
(( Si l'homme suit cette lumière , autant qu'il est
« en son pouvoir , son âme , dégagée des liens du
« du corps par la mort , sera absorbée dans l'es-
« sence divine , pour ne plus jamais animer la
« chair : l'àme des méchans , au contraire , sera
punie en enfer pendant un temps limité, et retour-
nera ensuite animer d'autres corps. Ces livres
n'établissent pas moins clairement la providence
de Dieu, et le libre arbitre de l'homme ^'\ »
M. Dow demande si nous, qui professons le Chris-
tianisme, avons des idées plus sublimes de l'être
suprême, que ces Indous à qui nous prodiguons
les noms détestables de païens et d'idolâtres.
Voilà du merveilleux ; il ne se soutiendra pas.
^î. Dow convient qu'en admettant un seul Dieu
éternel , le Bédang personnifie ses attributs , ie
pouvoir créateur, sous le nom de Brimha ou Bir-
fïtah: la providence ou la puissance conservatrice,
sous le nom de Bishen, que d'autres prononcerrt
Bisinoo ou Vhchnoui le pouvoir destructeur qui'
apelle Sila ou Sieh; d'autres livres le nomment
Chih , Budder, Budva , etc. Il fait la même chose
de la raison humaine ; il la fait parler sous le nom
de Narud. Tous ces personnages allégoriques pris
pour des êtres réels , pour des anges , des intelli-
gences , ou des dieux , sont devenus l'objet des
fables , et du culte des Indiens.
Beass-Muni , après avoir exposé la créatior ,
d'une manière philosophique et raisonnable, en fait
une autre histoire ridicule , où tous les attributs
de Dieu et les passions humaines deviennent autant
d'esprits ou d'anges, qui naissent les uns des autres,
qui parlent, agis.sent, produisent et arrangent tou-
tes choses. Dieu , qui , dans la première narration ,
(iDow, p, 5o, 52, 57.
1. xS
3ÔQ TRAITE
avoit été représenté comme un pur esprit , esî
peint dans la seconde comme corporel. De son
nombril sort Brimha , esprit couleur de feu. qui
a quatre têtes et quatre bras , et qui fait éclore
d'autres esprits des différentes pai'ties de son corps.
Tel est le fond de la croyance et de la religion des
Indiens ; ils prennent toute cette narration à la
lettre '\
§ in.
La manière dont M. Dow excuse le procédé de
Beass-Munî, est singulière. « L'auteur du Bédang.
« dit-il , pensant peut-être que le catéchisme plii-
« losophicpie , que nous venons de traduire , étoit
K trop simple et trop pur pour des esprits supers-
« titieux et bornés , a inséré , dans son ouvrage ,
« un récit allégorique de la création , tout-à-fait
« étrange, pour servir de théologie au vulgaire....
« Ce fut là la grande source qui corrompit la reli-
« gion du peuple de llnde , si pourtant le peuple
a besoin de causes accidentelles pour corrompre
ses idées sur une matière aussi délicate et aussi
mystérieuse ^'\ Tel est , dit-il encore, l'étrange
système de religion qu'imposa sur le vulgaire la
fourberie des prêtres païens , toujours prompts
dans tous les temps , dans tous les climats , à
tirer avantage du penchant des peuples à la su-
perstition. Il y a cependant une chose à dire en
faveur de la doctrine des Indiens ; c'est qu'en
même temps cpi'elle enseigne la morale la plus
pure . elle est encore formée systématiquement
.sur des idées philosophiques ^'\ »
On ne peut pas avouer plus clairement , i .'^ que
(i Do-Nv , p. 68. Codé des Geotoux , prëf. p. xiij. -*
{1 Dow, p. 7G. — (3 Ibid. p. i3;.
DE LA ^Tv.UE RELIGION*. Ô09
ridolàtrie , dajis les Indes , est moins l'effet de
l'ignorance et de la grossièreté da peuple , que de
la fourberie des Brames ; il est absurde de rejeter
sur les prêtres païens en général, ce trait de mau-
vaise foi philosophique. 'j.° Loin de s'attacher à
guérir la superstition des Indiens , les Braunes ont
travaillé , de tout temps , à l'entretenir pour leur
intérêt , et retranchent encore aujourd'hui au peu-
ple le moyen de s'éclairer. 3.° En liant les fables
indiennes à des idées philosophiques , on les a ren-
dues plus difficiles à détruire que si elles n'étoient
fondées sur rien. Les stoïciens rendirent le même
service au polythéisme et à la mythologie des
Grecs -' ' ; tels ont été les bienfaits de la j^hilosophie
envers tous les peuples , et dans tous les climats.
4.° Le traducteur anglois du code des Gentoux ,
s'élève avec raison contre les savans qui ont voulu
tourner ces fables «n allégories ^'\ Aussi nous
verrons comment Beass-Muni , sous le nom de
Biache, est traité par l'auteur deVEzour-Z^edam.
s IV.
Ce n'est pas tout. Ce même Bédang , exalté par
M. Dow , enseigne que l'intelligence humaine est
une portion de la grande àme de l'univers. « Par
une suite de ce principe fondamental de la
croyance des Indous, qu« Dieu est l'âme du
monde , et en conséquence répandu dans toute
la nature , le ^-ulgaire révère tous les élémens et
tous les grands objets naturels, comme conte-
nant une portion de la divinité ; et il est fort
difficile sans doute à de foibles esprits , de se
figurer l'immensité de l'être suprême sans tom-
ber dans cette erreur. C'est cette vénération pour
(i Cic. de nat. deor. 1, 2. — (2 Préf. p. xj.
j-kO TR.UTE
« difFérens objets , il n'en faut pas douter , qui a
« donné naissance parmi le peuple à la croyance
« des intelligences subalternes 5 mais les Bramines
u instruits s'accordent tous à nier l'existence de
« ces divinités inférieures , et tous leurs livres
<( religieux de toute antiquité confirment ce sen-
« timent ^'\ » Ainsi , l'idée sublime de l'être su-
prême , que nous vantoit M. Dow , se réduit au
panthéisme des stoïciens.
Après nous avoir parlé d'un enfer et de la puni-
tion des méchans , ce critique nous avertit que
« les Bramines les plus éclairés assurent que l'en-
« fer , dcïit il est question dans le Bédang , n'est
K qu'un épouvantait pour le vulgaire , et un moyen
« pour fortifier le pouvoir des obligations morales
(( sur les esprits , qu'il n'y a point d'autre enfer que
« la conscience , le remords et les suites funestes
« qui sont inséparablement attachées aux mau-
« vaises actions ^'^ »
De même qu'il n'y a point d'enfer pour les mé-
chans . il n'est point non plus de récompense pour
les gens de bien : l'àme de ceux-ci , lorsqu'elle est
suffisamment purifiée , se réunit à la divinité ,
comme une goutte d'eau à l'Océan, est absorbée
dans l'essence divine , d'où elle est émanée origi-
nairement ; alors elle se trouve dans un état d'in-
sensibilité parfaite , également incapable de peine
et de plaisir ; état qui , dans le fait , est la même
chose que l'anéantissement ^^\ C'est encore le
stoïcisme pur.
M. Dow a donc voulu nous en imposer, lorsqu'il
a exalté l'orthodoxie et la sublimité de la doctrine
des Brames. Ils n'admettent qu'un Dieu ; mais ils
le partagent en autant de morceaux qu'il y a d'êtres
(ï Dow, p. Go, 98, 123. — (2 Ibid. p. 79. — (3 IbiJ.
p. Go , ()3.
DE LA \T.AIE RELIGION. 0-±l
dans rimivers : ils parlent de la création ; mais
t.lle est impossible si Dieu est l'àme du monde.
Quand ils proposent des peines et des récompenses
à venir , c'est pour en imposer au vulgaire. Ils
tiennent la liberté de l'homme : et comment l'ac-
corder avec l'àme universelle du monde ? Ils ensei-
1,'nent la morale la plus pure : mais elle n'a point
de sanction : nous verrons à quoi se réduit cette
pureté. Ainsi s'évanouit le merveilleux de cette
doctrine si antique et si respectable.
§ V.
Le Shaster des Brames du Bengale et du nord
de l'Inde , est nommé par M. Hohvel , Chartah-
Bade, et par M. Dow, Shastet'-2\ éadivsen : il est
attribué à un philosophe , nommé Goutam. Celui-ci
accuse l'auteur du Bédcmg d'être idéaliste, d'avoir
})ensé que toute la nature n'est qu'une illusion ;
système de philosophie , dit M. Dow , adopté par
un grand nombre de Bramines ^'-' : le reproche de
Goutam peut donc être bien fondé.
Ce même Chartah-Bade nous apprend qu'il y
a, pai'mi les Bramines. des athées, des matérialistes .
fpii soutiennent qu'il n'y a point d'autre Dieu que
l'univers: qu'il n'y a ni bien ni mal dans le monde ;
que l'àme est une chimère ; que les animaux exis-
tent par le seul mécanisme de lem's organes , ou
pai' la fermentation des élémens ; cfue toutes les pro-
ductions naturelles ne sont que l'eflét du concours
fortuit des choses ^'\ Goutam réfute ces opinions ^
j)ar les mêmes raisons dont on s'est servi contre
les épicuriens.
Il semble supposer que l'àme humaine ou l'àme
vitale est diôérente de la grande àme de l'univers :
(i Dow ; p. 92 et y5. — (2 Ibid. p. 109.
3 ±2 TILIITÊ
mais il retombe bientôt dans l'hypothèse des stoï-
ciens, en décidant que les plantes, aussi bien que
les animaux , possèdent une partie de l'àme \itale
du monde ; que l'âme des animaux est de même
espèce , et a les mêmes facultés que celle de l'hom-
me ; que celle-ci , purifiée par la piété et la yertu ,
est absorbée dans la grande âme de la nature , pour
ne plus animer la chair. ^'\
Une erreur non moins importante, est de détruire
la providence , en feignant de l'admettre. Selon
M. Dow , il établit d'abord une providence parti-
culière ; ensuite il suppose que Dieu ne fait jamais
usage de son pouvoir ; qu'il reste dans un éternel
repos , sans prendre aucune part aux affaires im-
maines , 7ii au cours des opérations de la nature ^'\
M. Holwel , de son côté , nous apprend que le
Chartah-Bade n'admet point la prescience de Dieu
louchant les actions humaines, parce qu'elle dé-
truiroit la liberté ^^\ La création y est racontée,
comme dans le Bédang , en style allégorique ; les
attributs de Dieu et ses opérations y sont person-
nifiés 5 ce sont autant d'esprits ou d'anges diflérens.
Dieu en produisit un nombre infini, dont plusieurs
lui demeurèrent fidèles ; d'autres se révoltèrent.
Dieu , pour les punir , les a condamnés à loger
dans les corps humains , et dans ceux des ani-
maux : ils ne rentreront dans la béatitude, qu'après
avoir été purifiés par différentes transmigrations,
('e dogme de la métempsycose est enseigné dans le
Cliartah et dans le Bédang *■''' j il n'est pas sans
difficultés.
En effet , si les esprits ne sont que divers attri-
buts de Dieu personnifiés, par consécpient des êtres
(i Dow, p. 98, loi, 102, ii3. — (2 Tbid. p. ii^. — (3 Hol-
wtl, c. 4) P- 53. — (4 t)ow, p. Go, C\^ 78. nolwtl, c. 4»
p. fi;, 72.
DE LA VRAIE IIELÎGIOX. 010
Mnaginaires , comment sont-ils les âmes des hom-
nies et des animaux ? Car enfin , ces âmes sont des
substances réelles et agissantes , et non des per-
sonnages allégoriques ou des rêves de l'imagina-
tion. Voilà ce que M. Dow ni ^I. Hoiwel ne nous
apprennent point.
L'éditeur de l'Ézour-Védam conclut , avec rai-
son , que « l'existence de l'àme du monde et le
« panthéisme sont les principaux dogmes de la
« philosophie et de la religion des Indiens. Plu-
« sieurs passages du Bagavadam et des Shasters,
« cités par MM. Hoiwel et Dow , démontrent le
*< matérialisme de la plupart des Brames ' . »
§ VI.
1/ É zour-Védam est-il plus orthodoxe ?I1 dit de
très-belles choses sur l'unité , l'éternité, la sagesse,
la providence de Dieu , et sur la vie à venir ; mais
il y mêle des fables puériles et absurdes , des con-
tradictions , des traits d'ignorance grossière. « Les
« détails de mythologie qu'il renferme , ressem-
« blent parfaitement à ceux du Bagavadam , et
« sont encore aujourd'hui reçus dans l'Inde ^'\ »
C'est le cahos le plus bizarre que l'esprit humain
ait pu produire.
Cependant le philosophe Chumontou , auteur de
ce livre , reproche continuellement à Biachp, qui
paroît être le même que Béass-Muni ^ d'avoir
enseigné dans ses Pouranams toutes sortes d'er-
reurs ; d'avoir été l'auteur de l'idolâtrie et des
.superstitions du peuple de l'Inde ^^^ : il y a certai-
nement contribué lui-même par ses fables. Ainsi ,
les écrivains des divers shasters se sont mutuelle-
(,i Ezour-Védam^ tome II, p. 288. — (2 Ibid. tome T. p.
171. ~ (3 Ibid. 1. I , c. 2 , p i8r , etc.
344 TRAITÉ
nient accusés du même crime , et se sont toujours
rendus complices les uns des autres.
Le shaster qu'a consulté M. Lord n'est pas plus
{»ur ^'\ Il a fait l'iiistoire de la création du monde
lîune manière assez raisonnable; mais il person-
nifie les objets comme le Bédany et le Chartah;
il trace la généalogie et les aventures fabuleuses de
divers personnages ; c'est toujours le même fond
de mythologie. Il admet quatre differens âges du
monde ou quatre époques auxquelles le monde a
fini et recommencé ; on j remarque plusieurs cir-
constances , C£ui paroissent évidemment emprun-
tées de nos livres saints ^'\
Par ce simple exposé, il est clair que la doctrine
des Brames n'est ni sage, ni constante, ni d'accord
avec elle-même , ni fort ancienne. Us disputent
comme les philosophes grecs , s'accusent les uns
les autres d'imposture , et se détestent cordia-
lement. Les uns croient le monde éternel; d'autres
admettent une espèce de création : ceux-ci sup-
posent un Dieu spirituel , ceux-là un Dieu étendu
et divisible ; les uns enseignent la providence , les
autres la nient. Ils ne sont d'accord ni sur la nature
de l'àme , ni sur sa destinée ; tantôt ils admettent
un enfer, et tantôt ils le rejettent. Us ne sont réunis
([u'en un seul point , qui est de tromper le peuple,
ele l'entretenir dans l'ignorance et dans l'erreur, et
de profiter de son imbécilité. C'est ainsi que les
auteurs anglois de l'histoire universelle peignent les
Brames en général.
(i Hist. univ. tom. XIX, J. i3 , c. 8 , stct. i, p. qS
• t suiv. — (2 Méra. de l'acad. des iuscripl. L. LV , iu- 12. ,
p. 371.
f
DE LA VILVIE RELIGION. 0 ±0
§ VII.
La morale est un point très -important : selon
M. Dow. celle des shasters est très-pure. M. Lord
t-n a donné le sommaire ; elle se réduit à huit pré-
ceptes. Par le premier , il est défendu de tuer au-
cune créature vivante , parce qu'elle a une âme
aussi bien que l'homme. Le deuxième interdit les
regards dangereux , la médisance , l'usage du ^ul
et de la chair des animaux, l'attouchement des
choses impures. Le troisième prescrit le culte
extérieur , les ablutions , et les prières. Le qua-
trième condamne le mensonge dans le commerce.
Le cinquième ordonne de faii'e l'aumône. Le sixiè-
me défend les injures, la violence, l'oppression. Le
septième commande des fêtes , des jeunes , des
veilles. Le huitième interdit le vol et l'injustice.
Cette morale seroit plus sage , si elle ne méloit
point aux préceptes de la loi natm'elle des ordon-
nances absurdes , telle que la défense de tuer les
animaux même nuisibles, les bètes féroces et les
insectes ; cela ne peut être utile dans aucun lieu du
inonde. Défendre de toucher des choses dont l'im-
pureté est imaginaire , attacher trop de vertu aux
ablutions et à d'autres pratiques arbitraires, est un
mauvais moyen de renforcer la morale.
Ce mélange a produit dans les mœurs de l'Inde
un effet très-fàcheux. « Il nj a pas au monde , dit
« M. Hohvel , de peuple plus corrompu , plus mé-
chant , plus superstitieux , plus chicaneur que
les Indiens , sans en excepter le commun des
Bramines. Je puis assurer que pendant près de 5
ans que j'ai présidé à la cour de Calcuta , il ne
« s'est jamais commis de crime ou d'assassinat
auquH les Bramines n'aient eu nart. Il en faut
1. i5.
546 TRAITÉ
« excepter ceux cjui vivent retirés du monde , qui
« s'adonnent à l'étude de la philosophie et de la
« religion , et qui suivent strictement la doctrine
« du Chariah-Bade de Bramah j je puis dire , avec
« justice , que ce sont les hommes les plus parfaits
« et les plus pieux qui existent sur la surface du
<( globe ^'\ »
Les Indiens ont des hôpitaux pour les animaux ,
où ils nourrissent, par dévotion , jusqu'à des mou-
ches, des puces, et des punaises ; mais ils n'en ont
])oint pour les hommes ^^^. Ds portent la polvgamie
au plus grand excès , aussi bien que les mahomé-
tans ; ils y ajoutent encore le concubinage : le culte
infâme du Lingam établi dans les Pagodes, n'est pas
pi'opre à inspirer la pureté des moeurs ^^'.
§ VIII.
On ne doit pas être étonné de ce que leurs lois se
ressentent du même défaut. Nous ne pouvons nous
empêcher de souscrire au jugement qu'en a porté le
traducteur françois de leur code.
« Ce code , dit-il dans son avertissement , an-
« nonce un peuple corrompu dés l'enfance , et les
« distinctions odieuses des castes en souillent tou-
<' tes les pages ; le législateur ignore les grands
« principes du droit naturel , et on voit qu'il
«< s'adresse à des hommes opprimés et malheu-
« reux, sans être enflammé de zélé pour leur bon-
« heur.... En général ces lois manquent de suite ,
« de proportion , de justesse ; on y trouve des
« contradictions surprenantes.... Quelques-unes
« statuent des peines indécentes et contraires à
« l'honnêteté publique.
(i îlohvel. c. 7 , p. i83. — (2 Zend-AvesU , t. I , p. 3Ga-
^ (3Hist.univ. t. XIX, p. \\^.
DE LA TRAIE RELIGION. 0 j-j
« il y a des peines atroces contre des actions
'< innocentes, ou même contre des actions rai-
. sonnables ; telles que celle de yerser de l'huile
« amère chaude dans la bouche d'un aooder ou
« homme du peuple qui lit les livres sacrés , et de
« lui boucher les oreilles a\ec de la cire , après les
'< avoir remplies d'huile chaude, s'il écoute la lee-
« ture des Bédas et du shaster , etc.
« Ce qui révolte le plus , c'est l'acharnement des
« législateurs contre les femmes : par-tout ils
« outragent et maltraitent le sexe j ils ne se con-
« tentent pas de l'opprimer sous des réglemens
« tyranniques , ils le déshonorent , en l'accusant
\< d'une débauche insatiable , de tous les vices. Les
« sauvages et les peuples bai'bares tourmentent les
(^ femmes ; mais aucun code n'a consacré leur
u bassesse et leur infortune d'une manière aussi
« chocpiante que celui des Gentoux.
« En général , l'esprit de ces Brames , qui sont
<( législateurs depuis un temps immémorial dans
« l'Inde, est si plein de préjugés, qu'après avoir
« donné des preuves éclatantes de sagesse , il re-
tombe tout-à-coup dans l'absurdité
;)
Selon le discours préliminaire de ce code , les
quatre grandes castes ou tribus primitives sont
nées des quatre principaux membres de Brcihma.
I,e Brame tient de la bouche (sagesse) pour prier,
lire et instruire; le 6'/je/j/eree vient du bras (force)
pour tirer l'arc, combattre et gouverner ; le Bic€
vient du ventre et des cuisses (nourriture) pour
cultiver la terre et commercer ; le Sooder vient
du i)ied (sujétion) pour travailler, servir, voya-
ger ' '. Ces diflérentes castes ne veulent former
entre elles aucune alliance , aucune société ; les
(i Corle des Gentoux, avert. du traduct. p. fj et suiv. —
(2 Pre£. du Jraduct anglois , p. xxxvj.
Oio TRAITE
hommes d'une caste supérieure regardent avec
mépris , et même avec une espèce d'horreur reli-
gieuse , ceux d'une caste inférieure. Lorsque les
Brames et les Naïres , qui sont les plus honorés ,
vont faire leurs dévotions à une Pagode, ils se
croiroient souillés par la rencontre d'un homme
d'une tribu moins noble que la leur ; ils crient à ce
malheiu:eux de s'éloigner , et s'il n'obéissoit pas ,
ils sont en droit de le tuer ^'\ Par-tout ailleurs la
religion , la morale , les lois tendent à réunir les
hommes, dans l'Inde eljes les divisent pour jamais.
Que dirons-nous de la loi cruelle qui engage les
femmes à se brûler a])rés la mort de leiu: mari ?
« Il est convenable , dit cette loi , qu'une femme
<( se brûle avec le cadavre de son mari ; toute
« femme qui se briile ainsi accompagnera son
u mari en paradis.... Si elle ne peut pas se brûler,
<( elle gardera une chasteté inviolable ^'\ >> M.
Hohvel a été témoin de plusieurs de cesdévoue-
niens ; les Brames ont soin d'inculquer aux filles ,
dès l'enfance , que c'est un acte de vertu héroïque
tpii leur assure le salut. Celles qui ont le courage
de le faire comblent de gloire leur famille , et pro-
<rarent à leurs enfans les établissemens les plus
avantageux. La tendi'esse maternelle se joint au
Janatisme et au point d'honneur pour les y dé-
terminer : quand une fois elles s'y sont engagées ,
elles ne peuvent plus s'en dédire ; on les force d'ac-
complir kur vœu '^ ; cruauté qui fait frémir.
s IX.
Comment le traducteur anglois de ce code a-t-il
pu cutreprendre l'apologie de toutes ces lois ab-
(i Zeiid-Avesta , tome I, p. i38. — (a Code des Genloux ,
c. 20, p. 26;. — - (3 Ilolwel, p. ii5 et suiy.
DE LA VRAIE RELIGION'. 349
surdes? Nous n'entrerons pas dans l'examen de ses
raisons , elles se réfutent elles-mêmes. La compa-
raison qu'il fait de plusieurs de ces lois à celles de
Moïse, n'est pas juste. En parlant de celles-ci nous
ferons voir que Moïse avoit pris des précautions
auxquelles les législateurs indiens n'ont pas pensé :
il avoit des raisons locales , qui ne sont pas les
mêmes pour les Indes. Quand le parallèle seroit
])lus juste , il s'ensuivroit toujours que les lois des
Gentoux , non plus que les lois juives, ne convien-
nent point à l'état des nations parfaitement civi-
lisées.
On est encore plus étonné de voir ce traducteur
faire l'éloge de l'humanité , du désintéressement ,
de la charité , de la tolérance des Brames. Les
privilèges qu'ils ont attribués à leur caste , la
sanction de la religion qu'ils y ont ajoutée , ne
sont pas une forte preuve de désintéressement ni
de charité ; les supplices cruels , ordonnés par le
chap. XVII, sect. 5 , de leur code, prouvent encore
moins la douceur de leur caractère ; leur conduite
envers les femmes en démontrent l'atrccité. L'édi-
teur de V E zour—J^éclani a très-bien dévoilé le
l)rincipe de leur tolérance. <( Les Brames , dit-il ,
<v ne prêchent aujourd'hui la tolérance, que parce
« qu'ils gémissent sous un joug étranger ; s'ils
« avoient la même autorité qu'autrefois , ils de-
« viendroient bientôt oppresseurs ; leur code dé-
« montre évidemment leur tolérance ^^\ »
Il est donc prouvé d'une manière incontestable ,
que les philosophes de l'Inde y ont introduit une
doctrine fausse , un culte superstitieux et absurde ,
des mœm's très-corrompues , des lois injustes et
j)ernicieuses : la philosophie n'a rien fait de mieux
dans aucun lieu de l'univers.
(i Ezour-Vtdaoi , t. I , p. 74 • t. II, p. 254»
53o TR.UTR
§ X.
L'auteur de la philosophie de l'histoire , a rai-
sonné au hasard sur les livres , les dogmes , les lois
des Indiens ". Selon lui , le dogme de la transmi-
gration des âmes étoit fort utile à la morale ; ii
inspiroit de l'horreur pour le meurtre , et une cha-
rité universelle : aussi les Indiens sont encore les
plus doux des hommes.
Tout cela est démontré faux '^ si les Indiens ont
heaucoup de charité pour les bctes , ils en ont très-
})eu pour les hommes : c'est par les faits qu'il faut
en juger , et non par des conjectures.
« Ce n'est pas, dit-il , que les Indiens sussent ce
« que c'est qu'une ame ; mais ils imaginoient que
« ce principe, soit aérien, soit igné, alloit succes-
u sivement animer d'autres corps. »
Excepté les matérialistes, personne n'a pris l'àme
liumaine pour un principe igné ou aérien; et les
matérialistes n'admettent point de transmigration.
Les Indiens croient que les âmes sont ou des anges
rebelles ou une émanation de la substance divine :
l'auteur le reconnoît sur la fin du chapitre; il exalte
cette opinion qui a été celle des divins Antonins :
or les Antonins étoient stoïciens; ils ne croyoient
pas que l'âme fût de l'air ou du feu.
« La religion clirétienne , continue le i)hilosophc,
« est aussi ennemie du sang que la pythagoiicienno;
(( mais les peuples chrétiens n'ont jamais observé
« leur religion , et les anciennes castes indiennes
« ont toujours pratiqué la leur : c'est qne le P3*tlia-
« gorisme est la seule religion du monde qui ait su
u se faire de l'horreur du meurtre une piété liliale
« et un sentiment religieux, »
(l HLilos. (le Dbist. , c. 17..
DE LV VRAIE RELIGIOX. ô5l
Nouvelles observations fausses. Dès le commen-
cement du monde, Dieu a dit : « Si quelqu'un verse
« le sang humain , son propre sang sera versé ,
« parce que V homme est fait ùri7nag e de D ieu '^ .»
Voilà un sentiment religieux qui détourne du meur-
tre. Ce crime est infiniment plus rare chez les na-
tions chrétiennes que partout ailleurs . et il n'y a
nulle part plus de sang répandu que dans les Indes.
Il demande comment ces mènies peuples , qui se
faisoient un crime d'égorger un animal, ont pu
engager les femmes à se brûler sm' le corps de leur
mari : c'est, dit-il , que le fanatisme et les contra-
dictions sont l'apanage de la nature humaine. Donc
il a tort de juger des mœurs et de la conduite des
peuples par les dogmes de leur religion.
Ce philosophe bronche à chaque pas , lorsqu'il
veut parler de l'ancienne langue sacrée des Indiens,
du Zend des Perses, des Kings chinois, du Sadder,
du Védam ,'• etc. Nous avons vu que les Kings sont
louvrage de Confùcius ; le Sadder des Perses ne
remonte pas plus haut qu'à l'an 1490 ^'' : VEzoïtr-
Védam est postérieur au scliisme des Brames : il
est donc faux que ces trois ouvrages soient les plus
anciens livres cfui soient au monde.
Il veut prouver l'authenticité et l'antiquité du
rituel des Brachmanes , par les folies , les visions ,
les superstitions dont il est rempli ; excellente dé-
monstration! Selon les Brames, leur religion a été
j)ure d'abord , et a été corrompue mille ans après.
Les erreurs contenues dans leurs Hatcs en dé-
montrent donc la nouveauté , et non l'antiquité ;
mais cette nouveauté est prouvée d'ailleurs. Il con-
vient , dans un autre ouvrage . que ces livres sont
remplis de contradictions ^' .
(i Gen. c. 9, ^. 6 — fsZend-AvesIa, t. I, ïl. Part,
p. x.xxiv. — ^3 Qucsl. sur rKuoyciop. Drachmants.
,)02 TRAITE
S XI.
L'auteur de l'histoire des établissemens et du
commerce des Européens dans les Indes , n'est pas
mieux instruit , ni plus sensé. Il prétend prouver
l'antiquité des lois et de la religion des Indiens ,
parce que ce peuple n'a fait aucun progrés dans la
ciyilisation depuis qu'il les a reçues ^'\ Raison-
nement absurde. Cela prouve seulement que cette
religion et ces lois sont fort mauvaises. La civili-
sation d'un peuple peut être accélérée ou retardée
par des causes accidentelles , qui ne i)euvent être
conjiues que par l'histoire et par les monumens.
Il dit que , selon l'opinion la plus vraisemblable ,
Brama n'est qu'un être symbolique , et il s'obstine
à l'envisager comme un souverain et un légis-
lateur ''-K
Selon lui, l'esprit de dispute et d'abstraction qui
a gâté notre philosophie scholastique . a fait plus
de progrés parmi les Brames , et leur a dicté des
dogmes plus absurdes que le platonisme n'a fait
chez nous ^ . Bel avantage qu'ont eu les Indiens
d'être enseignés par des philosophes ! Cependant
l'auteur prétend aillem's , que les diiiérentes sectes
des Bramines ne disputent point ^^\
En parlant de leui's mœurs , il dit que ceux qui
\iventdans la société sont communément des Iri-
I)ons, qui se persuadent que l'eau du Gange les
purilie de tous leurs crimes; que ceux qui vivent
dans la solitude sont des imbécilles, ou des enthou-
siastes livrés à l'oisiveté , à la superstition , au délire
de la métaphysique ^ \ i\I. Hoh'S el dit au contraire ,
que ces derniers sont des hommes très-sages et
trés-vertueux. Qui des deux a raison?
(I Tome I. 1. 1 , p. 38. —(2 ll.id. p. 3o, 3i. — (3 Hist. dts
tUbJiss. t. I, 1. I , p, 3i. — (i Ibid. p. 4^- — (^- ll>'ti.
DE LA ^-RAIE IIELIGION. 355
D pense que le doçme de la transmigration des
âmes donne aux Indiens une idée plus consolante
du bonheur futur, que l'espérance des plaisirs sj)iri-
tuels et d'une béatitude céleste 5 que celle-ci fatigue
l'imagination sans la satisfaire ''\
Pensée sublime sans doute. Mais , 1.° il a jugé
cjue le dogme de la transmigration avoit été ima-
giné par un dévot mélancolique , et d'un caractère
(lur ""'^ Comment cela peut-il s'accorder? 2.° Y a-
t-il beaucoup de consolation pour les Indiens , à
imaginer que leur aine passera peut-être dans le
corps d'un reptible , d'un cheval de poste , ou d'un
animal féroce? Alors c'est un état d'expiation , de
})énitence , de châtiment , et non un bonheur. S.*"
Les Indiens croient que l'âme d'un homme sage et
vertueux va se rejoindre à l'être suprême, et s'ab-
sorber dans l'essence divine. Cette béatitude , si
c'en est une , nous paroît beaucoup plus mystique
et moins flatteuse pour l'imagination , que celle
qui nous est promise par la vraie religion. Mais nos
j)hilosophes approuveront plutôt toutes les folies de
l'univers , cpe les dogmes du Christianisme.
Sur la distinction des castes , il convient que les
lois de Brahma semblent avoir condamné une partie
de la nation à la douleur et à l'infamie. « Quelle
« est , dit-il , la cause de cette inégalité barbai'e ?
« N'en doutons point ; c'est la même qui })erpétue
« sur ce globe déplorable les malheurs de tous les
« peuples. » Cette cause , l'auteur l'a indiquée ail-
leurs ; c'est la religion. « Brama , continue-t-il ,
« voulut sans doute donner aux difiérentes pro-
<^ fessions une consistance politique , en les consa-
<< crant jjar la religion ^'^\ »
Quelle sagesse dans ce raisonnement ! 1 .° Il est
f I Hist. des étaLliss. t. I, ï. i. p. 36. — (2 IbiJ. ~ (3 Ibid.
p. 37,40,41.
OJi TRAITE
a])siirde de rejeter le crime de la religion des Indiens
sur les autres , qui n'ont pas consacré le même abus.
La vraie religion ne prêche aux hommes que la fra-
ternité , la douceur , la charité mutuelle. Un des
avantages du Christianisme prêché dans les Indes ,
est de consoler les malheureux , qu'un préjugé na-
tional et cruel a condamnés à la douleur et à l'in^
faraie.
2° L'auteur observe qu'au pèlerinage que font
les Indiens au temple de Jagrenat, qu'il prend pour
l'être suprême , toutes les castes, toutes les condi-
tions se trouvent réunies , présentent ensemble
leurs offrandes , boivent et mangent à la même
table ^^^ ; voilà du moins une occasion dans la-
quelle la religion rappelle aux hommes leur égalité
naturelle.
5.° Qui sont les auteurs de la religion des In-
diens? Ce n'est pas Brahma , être imaginaire; ce
sont les philosophes de l'Inde , le.s Brames. Il fau-
droit donc déclamer contre la philosophie plutôt
que contre la religion ; mais ni l'une ni l'autre ne
sont responsables des excès par lesquels les insensés
anciens ou modernes les ont déshonorées toutes les
deux.
§ XII.
N'importe , un philosophe ne démord point.
Selon celui-ci , ce sont les préjugés de religion
(|ai ont dénaturé par-tout la raison humaine, qui
ont étoufïë jusqu'à l'instinct qui révolte les ani-
maux contre l'oppression et la tyrannie , qui ont
persuadé aux peuples qu'ils appartiennent en pro^
priété à un petit nombre d'hommes qui les oppri-
ment. Il invite les philosophes de toutes les nations
(i Flist. dt;s t'tabl. t. IJ. r>^
DE LA VRAIE RELIGION. 555
à éclairer leurs frères , à révéler tous les mystères
qui tiennent l'univers à la chaîne. « Des millions
« d'esclaves . dit-il , sont prêts à exterminer leurs
« femmes aux premiers ordres de leurs maîtres ;
« il ne faudroit qu'un mot peut-être, pour donner
« un autre objet à leur valeur ^'\ »
En effet, ce seroit un exploit de valeur héroïque ,
si tous les esclaves égorgeoient leurs maîtres, de
peur d'en recevoir l'ordre d'exterminer leurs fem-
mes. Est-ce un homme sensé qui prêche cette
morale ?
Il est faux que l'esclavage soit né des opinions
religieuses 5 nous verrons ailleurs qu'il est né de la
nécessité , ou de la difficulté des moj-ens de sub-
sistance , chez les peuples encore nomades. La
vraie religion, loin de l'approuver, n'a cessé , dans
tous les siècles , de rappeler aux hommes le sou-
venir de leur origine commune , de leur fraternité
naturelle , de leur qualité d'enfans du Créateur.
Les anciens philosophes n'ont jamais condamné
l'esclavage ; et si les modernes étoientles maîtres ,
ils en aggraveroient encore le joug; plusieurs d'en-
tr'eux , qui font semblant de déclamer contre cet
abus , sont intéressés dans la traite des Nègres , et
font valoir leur argent par ce commerce. Selon
leurs absurdes sj^stémes , les hommes ne sont
qu'une troupe d'animaux , dont les plus forts ont
droit d'opprimer les plus foibles , lorsqu'il est de
leur intérêt de le faire. Quand les Romains furent
devenus épicuriens et incrédules , le sort de leurs
esclaves devint cent fois pire qu'il n'étoit aupa-
ravant.
11 n'est aucun lieu de Tunivers , où l'on voie
mieux que dans les Indes, de quoi les philosophes
sont capables. Ils y ont anobli leur profession , et
(1 Hist. des établisîi. t. I , L i , p. 4 i et 42»
5j(i TRAITE
ont avili toutes les autres; ils ont dénaturé la reli-
gion et la morale, ont plongé exprés le peuple dans
la superstition et dans l'erreur , ont consacre toutes
leurs rêveries , et ont fait passer leurs li\Tes pour
rou\Tage de la sagesse divine. Plusieurs ne croient
]ms seulement l'existence de Dieu , ils sont athées
et matérialistes , et se rendent ministres d'une
religion qu'ils ont forgée pour asservir le peuple.
Ils n'enseignent la métempsycose que par politique,
en contredisant lem's propres principes ^".
Mais il en est de la religion des Indes comme de
toutes les autres ; elle paroît plus })ure dans sa
source que dans les écrits des Brames ; ce sont eux
qui l'ont altérée. Ce phénomène , uniforme partout .
démontre qu'il j a eu une révélation primitive ,
puisque les peuples , encore ignorans et grossiers ,
ont eu une croyance plus raisonnable et plus vraie,
que dans les temps où ils ont cultivé les sciences ,
et que le souvenir de cette révélation s'est conservé
confusément dans leurs livres. Les incrédules , en
cherchant des objections contre ce fait , qui dé-
concerte leurs systèmes , ne réussissent qu'à nous
en fournir de nouvelles preuves , et à le rendre plus
incontestable.
Lorsqu'ils étoient déistes, ils ont vanté la religion
des Indiens; à présent qu'ils sont matérialistes , ils
cherchent à décrier toutes les religions de l'univers.
(i Mena d- l'AcaJ. d-s iusciipt. l. LVI , iu-12. p. i3g.
DE LA VRAIE RELIGION,
ARTICLE IV.
DE LA RELIGION DE ZOROASTRE ET DES PERSES-
§1-
VjE que les anciens auteurs grecs et latins avoient
dit de la religion des [Mages et des Perses, sectateurs
de Zoroastre , se réduisoit à fort peu de chose :
l'ouvrage même de M. Hvde ne nous en avoit donné
qu'une idée très-imparfaite. M. Anquetil , qui a
fait exprés le voyage des Indes , pour chercher les
ouvrages de Zoroastre , les a rapportés en France
dans la langue originale, et en a donné la traduc-
tion sous le titre de Zeiid-Avesta. D'après ce
monument . et d'après les réflexions du savant
traducteur , nous pouvons enfin juger de cette re-
ligion avec oonnoi3sance de cause.
On ne peut former aucun doute raisonnable sur
l'authenticité de ces écrits. Ce sont les livres sacrés
d'un peuple répandu dans la Perse et dans l'Inde ,
qui en suit la doctrine et la morale depuis plus de
deux mille ans. Ds ne remontent point à une an-
tiquité fabuleuse , puisque leur auteur n'a vécu
qu'environ six cents ans avant Jésus-Christ. Le
respect des Perses pour ces livres, cpi'ils regardent
comme inspirés , Suffit pour nous garantir leur
fidélité à les conserver ; ils n'auroient pas pu les
altérer depuis leur dispersion. S'il y a des fables ,
elles ne tiennent point au fond de la doctrine ;
personne ne les atteste connne témoin oculaire ;
on peut les laisser pour ce qu'elles valent. Enfin ,
558 TRAITÉ
quand ces livres ne seroient pas de Zoroastre mcmc,
mais de ses disciples , ils renferment une religion
particulière. C'est le seul objet que nous nous pro-
posons d'examiner.
Au premier aspect, rien de plus imposant que la
pi'ofession de foi d'un Perse , disciple de Zoroastre.
Un seul Dieu suprême, tout-puissant, éternel, est
le créateur de toutes clioses , il a créé d'abord deux
intelligences ou esprits; l'un nommé Ormudz, qui
est le principe de tous biens; l'autre noxnmçAliri-
man , qui est l'auteur du mal. L'un et l'autre ont
produit une multitude d'autres esprits , les uns
bons , les autres mauvais , qui régissent les diflé-
rentes parties de la nature. L'homme a une àme
spirituelle , libre , immortelle : il y a un enfer pour
punir les méchans , une béatitude éternelle destinée
aux justes, une résurrection des corps. L'incli-
nation que nous avons au mal est la suite du péché
originel commis par le premier homme et par la
première femme ".
La morale de Zoroastre paroît d'abord aussi pure
que ses dogmes ; il prescrit tous les devoirs de re-
ligion envers Dieu, la prière, la reconnoissance, le
repentir , et la confession des péchés ; les pratiques
extérieures qu'il recommande sont innocentes : le
culte que les Perses rendent au feu est purement
relatif; cet élément est le symbole de la divinité
qui vivifie toute la nature. Il ordonne plus rigou-
reusement encore les devoirs de justice et d'huma-
nité; il défend les péchés de pensées , de paroles et
il'actions; l'injustice, la fk'aude, la violence, l'impu-
(i Zend-Avesta, t. Il, p. 378, .S«)2 et suiv. De même que le
fdoçme primilrf de l'immorlalile do Tame a donné occasion de
déiOer les morts, raucienne croyance touchant les bous et les
mauvais anges peut avoir fait naître le système des deux prin-
cipes : mais les philosophes orientau.\, i|ui l'ont adopté, rai-
^couioieni fort maL
dt: la VR.viE nrLir.ioN. 559
ciicité ; il veut que la plupart des crimes soient
punis de mort ; il ne prescrit point d'austérité ; il
ne commande que de bonnes œuvres : prêter sans
intérêt , planter un arbre , mettre un enlant au
monde , nourrir un animal utile, etc. sont des
actions méritoires. Aussi , ûe l'aveu de tous les
voyageurs, les Perses dans l'Inde, les Guébres dans
la Perse , sont le plus doux , le plus paisible , le
plus sociable de tous les peuples.
Tel est le tableau qu'un philosophe prévenu
n'auroit pas manqué de tracer de Zoroastre , de sa
doctrine , de ses sectateurs ; c'est ainsi que Hyde
-en avoit parlé ^' . M. Anquetil en a jugé plus sen-
sément , sans enthousiasme et sans partialité ; il ne
dissimule ni le bien ni le mal ; il en juge en cri-
tique éclairé. Nous pouvons nous en tenir à ses
réflexions : elles seront courtes , parce qu'elles sont
décisives. Ceux qui voudront s'instruire plus am-
plement , feront bien de cousulter l'ouvrage même
de ^L Anquetil.
s 11.
La vie de Zoroastre est tirée de ses propres ou-
yrages et de ceux de ses disciples, des écrivains
orientaux rapprochés des auteurs grecs et latins.
Il a paru , selon M. Anquetil, 55o ans avant Jésus-
Christ : le docteur Hyde est de même avis -^K A peu
prés dans le même temps , Confucius travailloit à
débrouiller le cahos de l'histoire chinoise , ras-
sembloit les leçons des anciens sages , et enseignoit
la morale à' sa nation. Phérécide le Syrien, maître
de Pythagore , instruit chez les Phéniciens jetoit
(i II a été réfuté par M. l'abbé Foucher, Mém. de Tacad. de*
inscript, t. XLI , in-12. p. 189 et suiy. — (2 De fielig. vfct*
Persarum., c. 2^.
56o TRAITÉ
les premiers fondemens de la philosophie grecque:
les Juifs transportés au-delà de l'Euphrate par les
rois d'Assyrie, attendoient la fin de leur captivité:
les Perses avoient ouhlié leur ancienne religion ,
n'adoroient plus que les astres et les mauvais gé-
nies , étoient adonnés à la magie et aux supers-
titions : Zoroastre forma le dessein de leur donner
un culte plus raisonnable.
Il se retira dans la solitude pour arranger son
système. A son retoiu' il fit rinsj)iré et le prophète,
gagna son roi par la persuasion; séduisit le peuple
pai' des prestiges , subjugua ses adversaires par la
crainte. Enflé de ses succès, il fit mettre des armées
en campagne pour établir sa doctrine par la aîo-
lence ; il fut tout à la fois enthousiaste , imposteur,
orgueilleux et sanguinaire. « Voilà, dit M. Anquetil,
« Zoroastre tel que je le conçois : esprit sublime,
(( grand dans les idées qu'il s'étoit formées de la
« divinité , et des rapports qui unissent tous les
<( êtres; pur dans sa morale, et ne respirant d'abord
« que le bien de l'humanité. Un zèle outré lui fait
« employer l'imposture ; le succès l'aveugle ; la
« faveur des princes et des peuples lui rend la
« contradiction insupportable , et en fait un per-
« sécuteur , qui voit de sang froid les fleuves de
« sang arroser ce qu'il appelle l'arbre de sa loi '\ ^)
Dans sa doctrine, l'erreur et la vérité, la sagesse
et la folie forment le mélange le plus bisarre et le
plus étonnant. Son dogme des deux principes , cpii
fut adopté dans la suite par les manichéens et par
d'autres sectes , ne montre pas un raisonneur ])ro-
Ibnd. En traitant la question de l'origine du mal ,
nous démontrerons que la supposition de deux
principes ne peut satisfaire la raison, et ne résout
aucune difficulté. Que Dieu soit par lui-même l'au-
(i Zend-Avesta, t. I, 11. Part. p. 70.
DE L\ VRAIE RELIGION. 36 1
teur du mal. ou qu'il ait créé un mauvais |)iinci})e
qui devoit le produire , et dont il prévoyoit la
malignité , cela revient au même ;. l'un n'est pas
plus aisé à concevoir que l'autre.
Il en résulte , dans la religion des Perses , un
inconvénient cfue le législateur auroit dii prévoir.
Le culte n'est point adi'essé directement au Dieu
suprême , que Zoroastre nomme le tetnps sans-
home y OU l'éternel ; mais à Ormudz , principe de
tout bien , et qui n'est qu'une créature. Dans les
prières des Perses, dans leurs cérémonies, Ormudz
est le seul objet de leur confiance et de leurs vœux ;
c'est lui seul qu'ils adorent, sous l'emblème du feu ;
Xtjternel n'est jamais nommé ni invoqué. On ne
peut pas dire cpi'ils reconnoissent plusieurs dieux :
mais ils n'honorent qu'un être dépendant et secon-
daire. Ils font un outrage à la divinité , en supposant
qu'elle a remis sa })rovidence entre les mains d'une
créature dont le pouvoir est borné , et toujours
arrêté par celui de son ennemi. Il est même difficile
d'excuser d'idolâtrie le culte qu'ils rendent au feu,
puisque cet élément , selon leur idée , est Ormudz
personnifié ^'^.
Selon l'opinion d'un savant académicien , l'or-
thodoxie des Perses sur l'unité de Dieu est pour le
moins fort douteuse. Ils ont adouci leur doctrine
extérieure par ménagement pour les Mahométans,
zélés sectateurs de l'unité de Dieu. Ils regardent le
feu comme une portion de la divinité. Hjde a été
forcé d'en convenir. Ils sont donc idolâtres ou sa-
baites ^*\ aussi bien que leurs ancêtres ^^'.
La cosmogonie ou l'histoire de la création dans
les livres de Zoroastre, est remplie de fcbles ab-
(i ZenJ-Avesta, tome I, II. Part. p. 180. — (sMém. di
Tucad. des inscript, tome LVI, p. 336 et suiv. — (3 Isaïa ,
c. 4^- Ezéch c. 8.
1. 16
562 TRAITÉ
surdes et de puérilités. Tous les êtres réels ou
imaginaires , sont gouvernés et i)rotégés par un
génie bon ou mauvais : le ciel, la terre, les astres,
les eaux , et toutes les parties de la nature , sont
peuplés d'intelligences , d'anges ou de génies : les
moindres phénomènes sont un effet de leur pouvoir:
c'est à tous ces êtres que les Perses rendent sans
cesse leurs hommages ^'\ Leur imagination , frap-
pée de la présence de tous ces esprits, n'est jamais
tranquille : à tout moment , pour toutes les actions ,
ils ont des prières à faire à ces différens génies. Ils
invoquent la terre , les vents , les eaux , les arbres ,
les fruits, les villes , les rues, les maisons, les mois,
les jours , les heures, etc. ou l'esprit qui j préside.
Ce sont des prières qui ne finissent point , et qui
n'ont pas le sens commun ' . Si un Perse étoit
exact à observer son rituel et toutes les formules
qui lui sont prescrites , il ne lui resteroit pas un
instant pour remplir les devoirs de la vie civile ;
toute sa religion se réduit à un cérémonial con-
tinuel.
§ in.
La morale de Zoroastre renferme à la vérité plu-
sieurs préceptes très-sages ; elle prescrit de vraies
vertus , mais ces leçons utiles sont étouffées par la
multitude de choses indifférentes , qui sont rigou-
reusement prescrites . ou défendues comme des
crimes. Il est absurde de croire que ce sont des
péchés à peu près égaux , de faire tort ou violence
à un homme , et de blesser un animal ; de commettre
un adultère , et d'approcher d'un corps mort ; de
mentir pour tromper son prochain , et de toucher
(i Zenrl-AvcsU, tome II; p. 3|3 et suiv. — (a Ibid.
ïome Ij II part. p. 8i.
DE LA VRAIE RELIGION. 363
des ongles ou des cheveux coupés. Si un Perse avoit
craché dans le feu , ou l'avoit soufflé , ou y avoit
jeté de l'eau, il se croiroit digne de l'enfer ^'\
Cette multitude de péchés ou d'impuretés imagi-
naires, met les Perses dans la nécessité de recourir
à des purifications continuelles ; les plus efficaces
se font avec l'urine de bœuf, et ils ont le courage
d'en boire : la plupart de leurs cérémonies sont
d'une malpropreté qui fait soulever le cœur ^'\
Leur usage de ne point enterrer les morts , mais do
les laisser corrompre au grand air , et dévorer par
les oiseaux carnassiers , suffiroit pour infecter les
vivans dans des climats moins chauds et moins secs
que ceux de la Perse et de l'Inde.
Les préceptes de charité et de justice regardent
tous les hommes ; mais selon la manière dont les
Perses les entendent , ils ne sont guerre applicables
qu'aux sectateurs de leur religion. Une croyance
minutieuse, jointe à l'exemple de leur législateur,
leur inspire un fond de mépris et d'aversion pour
tous ceux qui professent une religion différente. La
cruauté avec laquelle ils punissent les criminels ,
quand ils en sont les maîtres , décèle en eux un
caractère atroce : on a vn une mère servir elle-
même de bourreau à sa fille , qui s'étoit laissée
séduire '■-. Prononcer la peine de mort indifférem-
ment pour des crimes , dont les conséquences ne
sont pas également pernicieuses , est un abus qui
marque peu de sagesse et de discernement dans le
législateur.
Si les Perses en général paroissent doux , obli-
geans , sociables , d'un commerce sur et paisible ,
cela vient moins de leur croyance et de leur morale,
que de l'état d'esclavage et d'impuissance où ils sont
(i Zend-Avesta , tome II, p. 28 et suiv. — (2 Ibid. t. II,
p. 544. — (3 Ibid.' 5 t. II , p. 606, 608.
56 i TR.UTÊ
réduits , sous la domination des Maliométans qui
les haïssent et les méprisent. Mais s'ils étoient les
maîtres dans une contrée , leur joug seroit aussi
redoutable que celui des Musulmans qui les op-
priment.
De quelque manière que l'on envisage cette reli-
t;ion , sa croyance , sa morale , son culte , ses usages,
elle décèle un i)euple esclave , ignorant , qui suit
machinalement les opinions qu'on lui a données ,
par un respect aveugle pour la tradition de ses pères
et l'autorité de ses docteurs.
Un de nos philosophes , qui connoissoit mieux
sans doute la religion des Perses que ceux-mêmes
(|ui l'ont vu pratiquer, affirme d'un ton décisil ,
que les Perses , sans avoir été favorisés d'une révé-
lation , a voient des idées plus saines , plus nobles ,
plus universelles de la divinité , que les Hébreux ;
qu'ils ont toujours adoré un Dieu unique, un Dieu
universel, un Dieu parfait, un Dieu de l'univers
entier. Zoroastre , dit-il . a enseigné le dogme des
peines et des récompenses de l'autre vie et du ju-
gement dernier , d'une façon toute aussi précise que
le Christ: il ne prétendit point être l'inventeur de
ces doctrines, ni les avoir découvertes à l'aide d'une
révélation particulière. Il n'est point vTai que les
Perses croient le mauvais principe indépendant du
bon; leurs idées sont les mêmes que celles des Juifs
t't des chrétiens , cpii admettent un Dieu tout-puis-
sant , et un diable qui sans cesse rend ses projets
inutiles ^'\
Voilà comme nos sublimes docteurs savent tout ,
hans avoir rien appris, contredisent sans pudeur les
témoins oculaires et les monumens. 11 est faux que
Zoroastre ne se soit point vanté d'avoir eu une
révélation particulière ; mais supposons-le : s'il n est
(i Esprit du Ju.laisme j c. lo, p. i5i.
DE LA VRXm RELIGION. 365
pas l'inventeur de sa doctrine , il l'a donc reçue par
tradition ; et cela paroît très-probable , lorsqu'on
fait attention qu'il a yécu dans un pays où les
Juifs étoient très-répandus : mais s'il a connu leur
croyance, il l'a certainement altérée , et ce qu'il y
a mis du sien ne l'a pas rendue meilleure. Il est
encore faux que les Perses croient le mauvais prin-
cipe dépendant du bon ; leurs livres attestent le
contraire.
L'auteur des cpiestions sur l'encyclopédie , con-
vient qu'on ne peut pas lire deux pages de l'abo-
minable fatras attribué à Zoroastre , sans avoir pitié
de la nature humaine; cependant, selon lui, aucun
moraliste ne nous a laissé une aussi belle maxime
que celle de ce législateur : Quand lu doutes si une
action est honne ou mauvaise, abstie?is-toi de la
faire ^'\ Il faut que notre philosophe n'ait jamais
lu le nouveau testament ; il y auroit vu le même
précepte en d'autres termes : Abstenez-vous , dit
saint Paul . de toute apparence de mal. Toute ac-
tion (£ui n'est point selon la croyance que Vo-n a ,
est un péché '\
§ IV.
L'auteur de la philosophie de l'histoire a j)arlé
aussi par inspiration de la religion des Perses ; il
ne la connoissoit pas mieux que celle des Indiens.
« Les Parsis ou les Perses , dit-il , prétendoient
<' avoir eu parmi eux , il y a six mille ans , un
« ancien Zerdust , un prophète c{ui leur avoit
« appris à être juste , à révérer le soleil , comme
« les anciens Chaldéens avoient révéré les étoiles ,
« en les observant. Je me garderai bien d'affirmer
(i Quest. sur l'encyclop. Zoroastre. — (2 I. Thess. c. 5 ,
f . 22. Rom. c. i4 j i^ > 23.
566 TR.UTÉ
« que ces Perses et ces Chaldéens fussent si justes ,
<( et de savoir précisément en quel temps vivoit
u leur second Zerdust , qui rectifia le culte du so-
<( leil , et qui lem- apprit à n'adorer que le Dieu ,
« auteur du soleil et des étoiles ''\ »
Il j a ici presque autant de bévues que de mots,
i .° Les Perses n'ont jamais reconnu deux Zerdust
ou Zoroastre ; ils ne connoissent que celui dont ils
suivent actuellement la doctrine. Ils ne prétendent
point qu'il ait vécu il y a 6000 ans : on voit par ses
ouvrages mêmes et par ceux de ses disciples , cpi'il
a vécu sous Hystaspes; qu'ainsi sa religion n'a pas
plus de 24:00 ans d'antiquité. 2." Il est absurde de
distinguer les adorateurs du soleil d'avec les ado-
rateurs des étoiles ; le soleil a toujours été le prin-
cipal objet du sabisme , ou de ceux qui ont révéré
les astres. Zoroastre , loin d'apprendre à ses sec-
tateurs à révérer le soîeil , a voulu au contraire
détruire la religion des Cbaldéens , qui adoroient
les astres en général , par conséquent le soleil et
les étoiles. 3.^ Zoroastre n'a point recommandé à
ses disciples de n'adorer que Dieu : Ormudz ,
principal objet de l'adoration des Perses , n'est
})as Dieu , mais une créature. C'est sans doute un
abus grossier de leur part de reconnoître un Dieu
suprême , et de borner leur culte à un être créé :
voilà ce qu'un pliilosophe instruit aiu'oit remarqué.
•K^ Les Perses , outre les honneurs qu'ils rendent à
Ormudz , invoquent encore tous les êtres naturels
et imaginaires, toutes les parties de l'univers sans
exception : il est donc faux que Zoroastre leur ait
appris à ne rendre leur culte qu'à Dieu.
« Zerdust , continue le philosophe , écrivit ou
« commenta, dit-on, le livre du Zend , que les
« Parsis , dispersés aujourd'hui dans l'Asie , ré-
(1 Philos, tic riiist, cil.
DE LA. YR-VIE RELIGION. 067
<■ vèrent comme leur bible. Ce livre est peut-être
u le plus ancien du monde après les cinq Kings
« chinois ; il est écrit dans la langue sacrée des
« Chaldéens. »
Nouvelles erreurs. Les livres Zend sont les Zend-
Avesta , que M. Anquetil nous a donnés ; Zoroastre
n'en est point le commentateur , mais l'auteur :
cest la croyance constante des Perses. Ces livres
ni ceux des Chinois , ne sont point les plus anciens
qu'il y ait au monde ; ceux de Moïse les ont pré-
cédés de plusieurs siècles. Le Zend n'est point la
langue sacrée des Chaldéens ; c'étoit , du temps de
Zoroastre , la langue vulgaire des Perses et des
peuples qui demeuroient à l'occident de la mer
Caspienne <^'\
<( Je m'en rapporte , ajoute le critique , au
« Sadder , à cet extrait du Zend , qui est le ca-
« téchisme des Parsis. J'y vois que ces Parsis
f croy oient depuis long- temps un Dieu , un dia-
« ble , une résurrection , un paradis , un enfer.
« Ils sont les premiers , sans contredit , qui ont
« établi ces idées ; c'est le système le plus an-
« tique, et qui ne fut adopté par les autres na-
« tions qu'après bien des siècles , puisque les
« Pharisiens , chez les Juifs , ne soutinrent hau-
« tement l'immortalité de l'âme et le dogme des
« peines et des récompenses après la mort , que
<^ vers le temps d'Hérode. »
Rien de vrai dans tout cela. Le Sadder n'est
point le catéchisme des Parsis : c'est un recueil
de morale et de cérémonies qui n'a été fait qu'en
14^5 ^'^ ; il n'a pas trois cents ans d'antiquité.
Les Parsis n'ont pas attendu jusqu'à cette époque
pour avoir un catécliisme. Puisque la crojance
(1 Zend-AvesU , t. I , IL part. p. 425 et suiv. — (2 Ihid.
p. 34.
368 " TRAITÉ
li'un paradis et d'un enfer est le système le plus
antique , les Parsis n'en sont pas les premiers
auteurs , eux qui datent seulement de 55o ans
avant Jésus -Christ. Les Juifs étoient alors ré-
pandus dans la Chaldée , dans la Médie , sur les
côtes de la mer Caspienne ; ils avoient les livres
de Moïse qui leur ont transmis la croyance des
patriarches , et ceux - ci croyoient l'immortalité
de l'àme : nous l'avons déjà fait voir , nous y
reviendrons encore. Selon la plupart des incré-
dules , les Juifs ont puisé cette doctrine chez les
Chaldéens pendant la captivité : notre auteur,
plus savant qu'eux tous , prétend que les Juifs ne
l'ont connue que vers le temps d'Hérode. Tout au
contraire , c'est vers ce temps-là que les Sadu-
céens commencèrent à la nier. Les Chinois , les
Egyptiens , les Indiens , ont cru l'immortalité de
l'âme long-temps avant les Parsis ; nous l'avons
va : cette croyance est aussi ancienne que le
monde ; elle se trouve chez tous les peuples sans
exception.
« Remarquons encore, dit-il , que le baptême,
« l'immersion dans l'eau , })Our purifier l'àme par
« le corps , est un des préceptes du Zend. La
<( source de tous les rites est venue peut-être des
« Persans et des Chaldéens , jusqu'aux extrémités
« de l'occident. »
Fausse conjecture. Il y avoit des rites chez les
Egyptiens , chez les Chinois , chez les Imlicns ,
chez les Phéniciens , avant que les livres de Zo-
rcasire fussent écrits ; Moïse avoit prescrit aux
Juifs des purifications plus de 900 ans auparavant ;
les Grecs en usoient au temj)s d'Homère , et celui-
ci a précédé Zoroastre de plusieurs siècles. Tous les
]>euples , sur-tout ceux des climats méridionaux ,
oiit connu ce symbole, parce qu'il est naturel et
DE LA VUAIE RELIGION. 669
énergique. On ne l'a point employé dans les pre-
miers temps jiour purifier' l'âme par le corps ,
mais pour reconnoître , en se lavant le corps , que
l'on avoit besoin de purifier l'àme par la pénitence
et par le changement de yie. Si les Indiens ont cru
que l'eau du Gange avoit la vertu de purifier l'àme ,
c'est une erreur et un abus qu'il ne faut pas imputer
à toutes les religions.
s V.
Des Perses notre philosophe passe aux Babylo-
niens. 11 accuse de mensonge Hérodote , qui a dit
qu'à Babylone les femmes étoient obligées de se
prostituer une fois aux étrangers dans le temple de
Mylitta ou de Vénus ^'\ Cette infamie , dit-il , ne
peut être dans le caractère d'un peuple policé.
Mais le récit d'Hérodote est confirmé par Stra-
bon ^'^ ; le prophète Jérémie écrivant aux Juifs de
Babylone, les prévient contre ce désordre "'. Voil-»
trois auteurs qui , en diôërens temps et en dififé-
rens lieux , attestent la même chose. Lucien dit
qu'à Biblos en Egypte, pendant la fête lugubre
d'Adonis , les femmes qui ne vouloient pas faire
couper leurs cheveux , étoient obligées de se pro-
stituer aux étrangers ^^\ Justin attribue la même
infamie aux femmes de Cypre à l'honneur de
Vénus ^\ Valére-Maxime dit , que la même cou-
tume régnoit à Sicca en Afrique ''^'. Saint Augustin
l'attribue encore aux femmes de Phénicie ''^'. Les
voyageurs modernes ont trouvé des peuples réunis
en société , qui offrent aux étrangers leurs sœurs et
(1 Hérodote, 1. 1 , $ 199. — (2 Strabon , 1. 16, p. 1081. •—
(3 Baruch, c. 6 , ;^. 42, — (4 Lucien, de ded Syriâ. —
('j Justiu. L 22. — (6 Yal.-Max. I. 2, c. 6. — (7 S. Au?, d^
lu. Uei , L 4 , c. 10.
1. j6.
570 TR.UTÈ
leurs filles '\ Les Babyloniennes n'ont donc pas
été les seules coupables de ce commerce honteux.
Si l'on ne doit ajouter aucune foi aux historiens,
lorsqu'ils rapportent des coutumes abominables
établies chez les anciens peuples^ on ne doit pas
donner plus de croyance aux voyageurs quoique
témoins oculaires. Pourrions-nous croire le culte
infâme cpie les Indiens rendent au Lingam . l'épreu-
ve honteuse à laquelle se soumettent les filles des
Bramines , si ces faits n'étoient attestés par des
témoins de toutes les nations qui n'ont pu avoir
aucun intérêt de nous tromper ? 11 est bon de faire
attention que les Babyloniens n'étoient point sec-
tateurs de Zoroastre , mais polythéistes et idolâ-
tres ; ils ador oient Vénus , déesse de la prosti-
tution.
« Je ne croirai pas davantage , dit-il , Sextus
« Empiricus , qui prétend que chez les Perses la
« pédérastie étoit ordonnée. »
Sextus Empiricus ne dit point qu'elle étoit or-
donnée , mais qu'elle étoit en usage ^'\ Plutarque
le suppose dans le livre même où il s'attache à
contredire Hérodote. Ce même désordre a été com-
mun et public chez les Chinois , chez les Indiens ,
chez les Tartares , chez les Grecs et chez les Ro-
mains , à la honte de l'humanité , souvent malgi'é
les lois qui le défendoient : c'est un fait attesté par
les historiens. L'histoire ne doit point être forg('e
par des raisonnemens , ni sur de [)rétendues pro-
babilités , mais appuyée par des témoignages.
« Strabon, continue l'auteur, dit que les Perses
n épousoient leurs mères ; une telle loi n'est pas
u croyable. »
11 n'est pas question d'une loi , mais d'un abus
(, Voyage de Banckselde Solander, tome II, c. i;, p. \6o.
^ ^-2 Byi olipos. 1. 1 , c. i4 , p. 38.
DE LV VIL^IE RELIGION. 574
énortne passé en coutume, et dont on ne rougissoit
plus. Sextus Empiricus , Dion Chrysostome , un
autre philosophe nommé Sextus, confirment ce que
dit Strabon , et attribuent ce désordre à la \ie
molle, efféminée, voluptueuse des Perses ^'■' ; l'em-
pereur Julien dépose du même fait ^'^ : Plutarque
dit qu'Alexandre réforma ce désordre ^^\
L'auteur de la philosophie de l'histoire , réfuté
sur tous les chefs par des preuves sans réplique , a
répondu par des plaisanteries et par des injures ,
dernière ressource d'un philosophe confondu. Il
n'en a pas moins répété ses rêveries dans les ques-
tions sur l'encyclopédie ^"'^ Là , ces écrivains , si
zélés pour la pureté des mœurs des Babyloniens ,
avouent toutes les turpitudes des Egyptiennes de
Mendès , dont nous avons parlé dans l'article I de
ce chapitre ; il réfute ainsi le principe sur lequel il
s'est fondé , que de pareilles infamies ne peuvent
être dans le caractère d'aucun peuple policé. Mais
cette contradiction n'est pas sans motif: dans la
philosophie de l'histoire , il vouloit justifier les Ba-
byloniens contre la censure de Jérémie; et dans les
questions, il avoit dessein de faire retomber sur les
Juifs les turpitudes des Egyptiens. La philosophie
de nos adversaires , en fait d'histoire , consiste à
dire le pour et le contre, selon l'intérêt du moment.
On peut consulter sur les mêmes faits Leland ,
dans sa nouvelle démonstration évangélique , et
Goguet , dans l'origine des lois , des sciences et des
arts.
Un autre philosophe nous apprend qu'au Japon
il y a une secte qui se livre à l'impudicité par motif
( Supplément à la philosophie de l'histoire, page 86 et suiv.
— (2 Dansas. Cyrille , 1. 4 , p. i38. —(3 De la fort. d'Alëxand.
1. 1, n.° 3. — (4 Quest. sur TEncycIop. j^mour socratique ,
Babel , Doues. ^
ti'1 TRAITE
de religion : pour la perfection de nos mœurs, il
voudroit que cette abomination fut établie par-
tout ^'-. Pendant que l'on juge qu'une telle infamie
ne peut être dans le caractère d'un peuple policé ,
l'autre décide qu'elle devroit faire partie de la po-
lice. Tels sont les hommes qui s'érigent aujourd'hui
en précepteurs des nations.
ARTICLE V.
DE LA HELIGIOX DES GRECS ET DES ROMALN'S.
§1-
J_jES plus anciens monumens que nous ayons pour
nous instruire de la religion grecque , sont les
j)oémes d'Homère et d'Hésiode: ils parlent du poly-
théisme comme d'une croyance établie chez eux
depuis long-temps , et beaucoup plus ancienne
qu'eux. Cependant, plusieurs siècles après, les écri-
vains de la Grèce attestoient encore, que, dans les
premiers âges , on n'adoroit point cette multitude
de divinités dont parlent Hésiode et Homère ; ils
accusent même ces deux poètes d'avoir contribué
à établir et à confirmer l'erreur.
Au commencement de cette première partie de
notre ouvrage , nous avons prouvé , par le témoi-
gnage des historiens , des philosophes , d'Hésiode
lui-même , que les premiers habitans de la Grèce
(i llist. dfs élabliss. des Europt'eiis dans les Indes, l. i,
p. io3 et \o\.
DE LA YR-ME RELIGION. 5; 3
ne connoissoient et n*ador oient qu'un seul Dieu.
En traitant de la religion des Egyptiens , nous avons
exposé la suite des idées fausses , par lesquelles les
Grecs et les autres peuples sont devenus polythéistes
et idolâtres, et nous avons établi plus au long cette
même théorie dans un autre ouvrage ^''. Ainsi les
Grecs , loin d'épurer leur religion à mesure qu'ils
sont devenus plus éclairés , n'ont fait qu'en au-
gmenter l'absurdité et la corruption ; les fables et
les abus sont toujours allés en croissant.
Plusieurs auteiurs prétendent que la religion des
Romains , dés la fondation de leur ville , fut la
même , pour le fond , que celle des Grecs ; mais
cette opinion ne s'accorde point avec ce que les
Romains eux-mêmes racontoient de Numa , qu'il
leur avoit appris à envisager la divinité comme un
être éternel et invisible , vers lequel on ne peut
s'élever que par la pensée ; qu'il leur avoit défendu
de représenter Dieu par aucune image corporelle '\
Cette doctrine est aussi incompatible avec le poly-
théisme, qu'avec l'idolâtrie.
Que les Romains aient adopté plus- tôt ou plus
tard les idées et les dieux des Grecs , cela est indif-
férent au fond de la question. Nous conviendrons
encore , si l'on veut , de ce qui est dit dans l'ency-
clopédie, qu'en adoptant la théologie ou la mytho-
logie des Grecs , les Romains en retranchèrent
d'abord ce qu'elle avoit de plus révoltant ; qu'ils
voulurent des dieux i)lus respectables , des dogmes
j)lus sensés, un merveilleux moins fanatique, un
culte plus sage ^^'. Il n'est pas moins vrai qu'à la
longue , en apprenant les sciences et les arts des
Grecs , ils en adoptèrent toutes les erreurs ; qu'ils
multiplièrent à l'infini le nombre des dieux , et les
(i Origine des dieux du Paganisme, etc. — (aPlutarque,
vie de rSuma. — (3 Encj cl. Rtlig. des Grecs et deo Romaios.
5;74 TRAITE
rendirent encore plus méprisables : qiie îeni' 5*eli-
gion, loin de se perfectionner avec le temps, subit
le même sort que celle qui lui a\ oit servi de modèle ;
qu'à la naissance du Christianisme, il n'y a voit plus
de diflfcrence entre la fille et la mère.
La multitude des dieux , que chaque peuple et
chaque particulier pouvoit forger à son gré ; les
fonctions viles et abjectes dont on les chargeoit ;
les mauvaises inclinations et les vices qu on leur
attribuoit ; les moyens absurdes et souvent cri-
minels par lesquels il falloit les honorer, tout con-
tribuoit à dégrader la divinité , à rendre la religion
ridicule et odieuse.
Comment ces deux peuples , devenus plus éclairés
par la culture des sciences , des arts , de la légis-
lation, de la philosophie, ont-ils pu conserver une
religion monstrueuse formée par leurs ancêtres
ignorans ? Comment , dans la multitude des sages ,
qui ont paru pai'mi eux pendant plus de huit cents
ans , ne s'en est-il trouvé aucun qui ait travaillé à
établir une croyance et un culte plus raisonnables?
Comment , lorsque l'évangile a été annoncé , et
l'unité de Dieu prêchée par-tout , ces mêmes philo-
sophes se sont-ils obstinés à maintenir le poly-
théisme et à justifier l'idolâtrie ? C'est à leurs
successeurs , non moins entêtés qu'eux , de nous
expliquer ces phénomènes. XI en résulte évidem-
ment qu'une religion pure et sensée ne fut jamais
l'ouvrage des hommes ; si la raison humaine étoit
capable de ce prodige, il auroit dii s'opérer dans la
Grèce et en Italie. Vingt siècles auparavant , nous
le trouvons dans un coin de l'Asie parmi des
hommes encore très-grossiers ; vainement nous le
cherchons par-tout ailleurs. 11 faut donc que Dieu-
lui-même enseigne aux hommes, par la révélation ,
les dogmes , le culte , la morale , capables de les
DE LA \Tl.\IE RELIGION. 3r5
rendre sages et vertueux ; qu'il maintienne ce dé-
pôt par une providence continuelle , sans quoi le
tout ne tardera pas d'être méconnu et altéré. Des
conjectures . des raisonnemens philosophiques , ne
prouveront jamais rien contre une expérience cons-
tante.
§u.
La religion païenne , loin de contribuer à ren-
forcer la morale , la détruisoit par le principe ; elle
ne présentoit aux hommes que des dieux vicieux à
imiter. Il j eut sans doute, parmi les païens . des
hommes sages et vertueux ; mais ils ne puisoient
pas dans leur religion les principes de leur conduite ;
un naturel heureux , un sens droit , un caractère
ennemi du trouble et de la bassesse des passions ,
l'amour de la gloire et de l'estime publique , opé-
roient en eux ces heureux efiéts : mais le commun
des hommes a besoin d'un autre mobile pour se
porter à la vertu.
C'étoit une maxime établie chez les philosophes ^
que l'on devoit demander aux dieux la santé , la
prospérité , les richesses ; mais que l'homme devoit
se donner à lui-même la sagesse et la vertu '^
« Quelle relation y a-t-il , dit Cicéron , entre
a le culte des dieux et nos devoirs? A-t-on jamais
« consulté un aruspice sur la conduite que l'on
« doit observer envers les par en s , les frères , les
« amis , sur l'usage que l'on doit faire des biens ,
« des honneurs, de l'autorité? Ce soin regarde les
« sages , et non les ministres du culte divin ^'\ »
Ce même philosophe , traitant des fondemens de
la morale, pose pour principe, que l'obligation de
(i Cic. de Hat. dcor. 1. 3. n.» 87 ,88. Horace, I. i. Ep. i8.
Se'aeque, lettre \i* — (2 ILid. de diym. L x.
o;6 TRAITE
pratiquer la vertu n'est point fondée sur la crainte
d'encourir la colère des dieux , ni d'en être puni ,
mais sur la justice et la bonne foi : « Tous les
« philosophes , dit-il , tant ceux qui croient la
« providence, que ceux qui la nient, conviennent
« que Dieu ne se met en colère contre personne ,
(( et qu'il ne fait de mal à qui que ce soit ^'\ »
Ainsi l'on demandoit aux dieux la santé , la pros-
j)érité , les richesses , non comme une récompense
de la vertu , mais comme le salaire du culte exté-
rieur qu'on leur rendoit.
Ce n'est pas sans raison que les pères de l'église
ont reproché aux païens ce défaut essentiel de leur
religion. Saint Augustin leur prouve par le fait et
par les principes , que jamais leurs dieux n'ont
donné aux hommes des leçons de vertu. Il leur de-
mande dans quelle école ils ont enseigné une morale
divine , et qui sont ceux de qui on peut l'appren-
dre *\ Or, une religion qui ne contribue point à
rendre l'homme vertueux, ne sert à rien.
K A quoi aboutit , disoit Lactance , le culte su-
« perstitieux que l'on rend aux dieux? quel en est
<* le principe , le but , l'utilité ? quels motifs peuvent
« engager ses sectateurs à le conserver et à le
H défendre? Je n'y vois que des rites extérieurs. La
« vraie religion est mieux d'accord avec elle-mé-
« me ; elle nous enseigne la justice ; elle nous suit
« par-tout , parce qu'elle est dans le cœur, et qu'elle
<( offre à Dieu le sacrifice de l'esprit. Là , on n'exige
« que le sang des bétes , la fumée de l'encens , les
a libations et les offrandes : ici , Dieu nous de-
« mande un cœur vertueux , une vie pure , une
« ame innocente. Dans les temples des dieux on
« voit des adultères, des femmes perdues, des im-
(i De Officils, 1. 3 , c. 29. — (2 S. Aug. de Ci?. Dii , I. 2 ,
c 4 <it6 : 1. 5, c. 27.
DE LA MIAIE RELIGION. 5^7
« pudiques , des gladiateurs , des ravisseurs du bien
« d'autrui , des empoisonneurs, qui ne demandent
« autre chose que l'impunité de leurs crimes : les
« adorateurs du vrai Dieu ne croient aucun péché
« permis. Si quelqu'un s'approche des autels avec
« une conscience souillée , il entend les menaces
<( d'un Dieu qui voit le fond des cœurs, qui déteste
« le mal , qui commande la justice et la bonne foi ;
« il lui est impossible de faire des prières injustes,
« ou de former des vœux criminels ' '\ » Tels étoient
néanmoins ceux que faisoient les païens dans leurs
temples ; Ovide et Pétrone en sont témoins.
Nous convenons que plusieurs sages parmi les
païens , ont senti l'abus de leur religion , et ont
tâché de le corriger. Zaleucus , dans le prologue de
ses lois , Cicéron , dans ses livres des lois, avertissent
que l'on doit adorer les dieux avec un cœur pur ;
les poètes mêmes , Perse , Juvénal , Pétrone , et
d'autres, reprochent aux païens leurs vœux merce-
naires et injustes, leur piété apparente et hypocrite :
mais ces leçons, quoique très-sensées et très-éner-
giques, ne pou voient et ne dévoient produire aucun
efiet.
1.° C'étoit une contradiction , avec la maxime
de Cicéron lui-même et des autres philosophes ,
que les dieux ne punissoient point le crime , que
les méchans n'avoient rien à redouter de la colère
divine; d'où il s'ensuivoit clairement que l'homme
vertueux n'avoit rien à espérer non plus de leur
])ienveillance. Les dieux exigeoient de l'encens et
des offrandes , rien de plus 5 on les servoit à leur
gré.
2.° Une morale pure étoit encore plus opposée
à la croyance vulgaire , à ce qu'on racontoit des
(i Lact. Divin. Inst. L 5, c. 19. Euseb. Praep. Evang. l. 4-
Dcraoustr. 1. 5, Fraef. S. Athau. Orat. contra geiilts.
3'/ 8 TRAITÉ
crimes commis par les dieux ; crimes consacr^^s
par le culte public . par les fêtes et les cérémonies
païennes '\ Les dieux pouvcient-ils désapprouver
dans leurs adorateurs une conduite qu'ils s'étoient
eux-mêmes permise ? Pouvoit-on plaire , par la
chasteté , à Vénus , déesse de l'incontinence , et
qui inspiroit l'amour impudique -, par la probité ,
à Laverne et à ^lercure . protecteurs des iiloux et
des voleurs ; par la doucem' , à Mars , dieu de la
guerre et de la vengeance ; par la sobriété , à
Bacchus , dieu du vin et patron des intempérans ?
Toute morale qui ne sort i)Oinl du fond même de
la religion , ou qui la contredit , doit nécessaire-
ment être vaine et sans eftet.
3.° Quand les maximes des sages auroient été
mieux liées avec les opinions dominantes ; quand
elles auroient porté sur un fondement solide , le
peuple ne pouvoit en être suffisamment instruit. Il
n'y avoit pas des hommes chargés par état de lui
enseigner la morale ; les prêtres ne lui apprenoient
que les pratiques extérieures du culte ; les spécu-
lations des philosophes n'étoient pas à sa portée ;
jamais il n'a été admis à fréquenter leurs écoles. Il
étoit donc condamné à ignorer ses devoirs , ou du
moins à n'en avoir que les notions vagues , que
l'instinct naturel donne à tous les honmies.
Un défaut non moins essentiel , c'est que , chez
les païens, la morale n'étoit soutenue par aucune
sanction divine clairement connue ; le peuple n'a-
voit aucune certitude des peines, ni des récom-
penses de l'autre vie. Les fables , pai' lesquelles les
poètes avoient défiguré la croyance des enfers ,
n'étoient propres qu'à la rendre ridicule et à ré-
volter tout homme sensé. Etre privé de la sépul-
ture , étoit un plus grand malheur que de mourir
(i V. 1(5 fàsies d'Ovide.
DE LA VR-UE RELIGION. 5^9
dans la pratique actuelle du crime ; les supplices
du Tartare n'étoient destinés qu'aux scélérats qui
avoient effrayé la société par leurs forfaits. La
peinture des Champs-Elysées n'est pas assez at-
trayante pour engager l'homme à vaincre ses pas-
sions ; le désir de revoir la lumière , dont on sup-
posoit que les morts étoient possédés , ne prouvoit
pas que leur sort fiit digne d'envie , ou valût la
peine d'être acheté par de grands sacrifices. D'ail-
leurs , qui avoit révélé aux poètes les mystères du
royaume de Pluton ? Sur quelle preuve appuyoient-
ils le tableau bizai're qu'ils osoient en tracer ?
Juvénal atteste que de son temps personne n'y
croyoit plus.
L'enfer des anciens , dit un célèbre philosophe ,
n'étoit , à proprement parler , qu'un purgatoire.
Après mille ans d'expiation , les âmes alloient
boire de l'eau du Léthé , et demandoient instam-
ment à rentrer dans de nouveaux corps , et à
revoir la lumière du jour. C'étoit faire un très-
mauvais marché , je l'avoue , que de revenir au
monde. Car , qu'est-ce que vivre encore sur la
terre pendant 66 ans , tout au plus , et y souffrir
les maux ordinaires de l'humanité , pour aller
encore ensuite passer mille ans à recevoir la dis-
cipline dans les enfers ? Il n'y a point d'âme à mon
gré qui ne se lassât de cette éternelle vicissitude ,
d'une vie si courte , et d'une si longue pénitence *'>.
La morale des païens n'étoit donc fondée , ni sur
des raisonnemens clairs et solides , ni sur l'exemple
des dieux, ni sur des avantages certains pour la vie
présente , ni sur une foi ferme de la vie future ; elle
n'étoit, ni simple , ni constante, ni populaire.
(i Quest. sur TEDCycIop. Résurrection.
JûO TRAITE
§ ni.
Oserons-nous parler du culte religieux du paga-
nisme , sans crainte de souiller notre plume par
des détails indécens? Nous sommes forcés d'en
supprimer une partie. Les pères de l'église ont pu .
sans danger , reprocher aux païens des désordres
qui étoient publics , et dont personne ne rougis-
soit ; mais il n'est plus permis de rappeler un sou-
venir capable d'alarmer la pudeur.
Les dieux étoient honorés par des offrandes, par
des libations , par l'immolation des animaux ; Ton
sait à quel abus ces sacrifices ont donné lieu. Chez
la plupart des peuples connus , les autels furent
souillés du sang des humains ; une superstition
barbare étouffa les senti mens les plus vifs de la
nature ; on \it les pères et les mères , dans des
calamités publiques , immoler aux dieux leurs
'propres enfans ^'\
DâïisV article Relig ion des Grecs et des Romains
de l'encyclopédie , on a soutenu que Rome n'offrit
jamais de ces sacrifices barbares, qu'aucune vic-
time humaine ne souilla leurs autels. Mais , dans
l'article Idolâtrie , on reronnoit que les Romains
eux-mêmes tombèrent dans ce crime de religion ;
et Plutarque rapporte qu'ils immolèrent deux Grecs
et deux Gaulois , pour expier les galanteries de trois
Vestales. On pourroit en citer d'autres exemples.
Les fêtes se célébroioit par les jeux du cirque ,
par les spectacles du théâtre, par des combats de
gladiateurs. Les sages du paganisme , les poètes
mêmes, ont déclamé contre la cruauté et la licence
qui régnoient dans ces jeux ; ils les peignent comme
une école de barbarie et d'impudicité. A peine
(i Nouv. dt'raonstr. Evang. de Lelaud , t. I , p. Zic),
DE LA ATcAIE RELIGION. 58 1
osons-nous lire dans les anciens ce qui se passoit
dans les bacchanales , dans les jeux fx oraux , dans
les mystères de la bonne déesse , dans les fêtes de
Vénus et de Cybèle , dans le culte d'un autre dieu
plus infâme encore. Il sembloit que la j)rovidence
divine eût livré les Pv.omains et les Grecs . si éclairés
d'ailleurs , à un esprit de vertige , quand ils s'agis
soit de la religion. Dans les malheurs publics , on
vouoit à Vénus un certain nombre de courtisannes :
lorsque l'état étoit menacé de quelque fléau . un
mo5-en efficace pour fléchir la colère du ciel étoit
de dévouer à la mort un nombre de gladiateurs.
Dans les siècles moins corrompus, on se contentoit
d'aîler en cérémonie , et avec toute la gra\ité pos-
sible , planter un clou dans le mur du temple de
Jupiter '^'^
Les temples étoient ornés de tableaux , qui re-
pvésentoient les aventures scandaleuses des dieux ;
on ne pouvoit entrer dans ces lieux destinés à être
le sanctuaire de la vertu, sans avoir les yeux blessés
par l'image du vice. Les spectacles étoient si indé-
cens , que l'empereur Julien défendit aux prêtres
païens d'y assister. Pendant que l'encens fumoit
dans toute la Grèce à l'honneur de l'amour impu-
dique, il n'y avoit pas un seul autel érigé à l'amour
conjugal ; un païen même a fait cette réflexion .
Le lecteur doit se rappeler ce qui a été dit dans
l'article précédent sur la prostitution établie par
jnotif de religion.
§ IV.
Un philosophe moderne, qui sest obstiné dans
tous ses livres à justifier les païens , dit que chez
(i Mem. de Tacad. des inscript, t. VII in-12 , p. 3oo. -^
(2 Allau. Deijuos. 1. i3.
3o2 TRAITE
les Romains , ni chez les Grecs , il n'y eut jamais
de temple dédié à Mercure fripon, à Vénus l'impu-
dique, à Jupiter l'adultère '.
// ny en eut jamais! Quoi! les temples dédiés à
Laverne ne l'étoient pas à la friponnerie ? Vénus
Migonitis , chez les Grecs, étoit-elle autre chose
que l'impudicité personnifiée? Les autels de Jupiter
Séméléen ne rappeloient-ils pas le souvenir de ses
adultères ? Athénée , Pausanias , Ovide , et cent
autres auteurs, en sont garans. Le Phallus, honoré
dans les mystères de Bacchus , étoit un symbole
abominable.
Nous n'entrerons point dans le détail des diffé-
rentes espèces de divination. C'étoit un acte de
religion , par lequel on consultoit les dieux sur les
allai res les plus importantes ; mais aux yeux d'un
homme sensé, cette cérémonie n'étoit qu'un assem-
blage de puérilités propres à tourner le culte en
dérision. Comment les Romains pouvoient-ils se
figurer que les dieux avoient écrit l'avenir dans les
entrailles d'une victime ;. qu'ils l'annonçoient par
le chant ou par le vol d'un oiseau, par rap])étit des
poulets sacrés, par le premier objet qu'un homme
rencontroit en sortant de sa maison? Cicéron fait
5ur ce sujet des réflexions fort sensées , mais très-
humiliantes pour la philoso])hie.
« Autant il est nécessaire, dit-il, d'étendre et
« d'affermir la religion par la connoissance de la
« nature . autant il faut déraciner la superstition.
« Ce monstre, toujours attaclié sur nos pas, nous
« poursuit et nous tourmente ; si on entend un
« devin , si un présage fra[)pe nos oreilles , si on
<( offre un sacrifice , si on élève les yeux vers le
« ciel , si on rencontre un astrologue ou un augure :
« s'il fait un éclair , s'il tonne , si la foudi'e tombe ,
(i Quest. sur rcncvcl. art. athéisme, sect. i,
DE LA VRAIE IlELIGION. .)(;,>
<( s'il arrive quelque chose d'extraordinaire qui ait
« l'air d'un prodige , et il est impossible qu'il n'en
« aiTive pas souvent , jamais on n'a l'esprit en
« re{X)s. Le sommeil même, destiné à être Je remé-
« de et la fin de nos travaux et de nos inquiétudes ,
« devient , par les songes , une nouvelle source de
« soucis et de terreurs. L'on y fer oit moins d'at-
« tention , l'on parviendroit à les mépriser , s'ils
«. ne trouvoient un appui chez les philosophes mé-
M me les plus éclairés, et qui passent pour les plus
« sages ^'\ »
Saint Augustin reproche aux philosophes d'avoir
ajjprouvé la magie , et il est vrai que plusieurs l'ont
])iatiquée.
Nous ne parlerons point non plus de la multitude
d'oracles rendus par les dieux , ou , si l'on veut ,
forgés par leurs ministras , ni des prétendus pro-
diges par lesquels on supposoit le paganisme con-
firmé. Les uns sont des événemens naturels dont
on ne découvroit pa3 la cause ; les autres étoient
des prestiges ménagés par artifice. S'il en est quel-
ques-uns qui paroissent accompagnés de circons-
tances surnaturelles , ils ont été inventés après
coup ; ils ne sont munis d'aucune preuve qui puisse
en constater la réalité. Enfin , s'ils sont réels , on
doit les attribuer à l'esprit infernal.
Il résulte de ces observations , qu'une religion si
absurde dans ses dogmes , si corrompue et si per-
nicieuse dans ses praticpies , si funeste dans ses
effets , étoit un des plus grands fléaux qui ait jamais
pu affliger l'humanité. Elle retenoit les esprits dans
une enfance perpétuelle , et les frappoit d'un aveu-
glement incurable. Quand on pense qu'elle a régné
prés de deux mille ans chez les deux peuples les
plus instruits de l'univers ; que pour établir le
(t Cic. de Divin, i. 2 , u." i^ç).
53 i TR.UTÉ
Christianisme sur ses ruines , il a fallu plus de trois
siècles de combats ; que la philosophie lui a prêté
toutes ses forces , et a tenté l'impossible pour la
soutenir ; que les incrédules osent encore aujour-
d'hui reprocher à notre religion la victoire qu'elle
a remportée sur l'idolâtrie , et semblent en re-
gretter la perte ; on ne sait lequel de ces divers
j)liénoménes doit causer le plus d'étonnement.
§ V.
On croira peut-être que nous accusons mal à
propos les i>hilosophes d'avoir approuvé la religion
païenne , et de lui avoir donné , pour ainsi dire ,
leur sanction ; il est nécessaire d'en fournir les
preuves.
Zaleucus, disciple de Pythagore , dans le prolo-
gue de ses lois , après avoir donné de très-bonnes
leçons sur la pureté du culte divin , établit pour
maxime , que les citoyens doivent honorer les
dieux selon les rites de leur patrie , et regarder
ces rites comme les meilleurs ^'\ Epictéte est de
même avis *^'\
Platon dit qu'un législateur sensé se gardera
bien de rien innover dans la religion , de peur de
lui en substituer une autre moins certaine ; il
craindra de changer un culte autorisé par les
lois ou par les usages de sa patrie : car il doit
savoir qu'îV n'est pas possible à une nature mor-
telle d'avoir rien de certaiîi sur cette matière *-'\
Il faut , dit-il ailleurs , s'en rapporter sur ce point
aux anciens, qui se sont donnés pour enfans des
dieux , et qui dévoient connoître leurs parens. On
ne peut pas rejeter leur témoignage , quoiqu'il ne
(r S lobée , Serm. [\i. — (2 Epict. Enchir. u.o !\i. —
3 IMalon , dans rEpinouiis.
DE LA VU AIE RELIGION^ 585
soit appuyé d'aucune raison évidente, ni probable :
mais , puisqu'ils en parloient comme d'une cbose
certaine et connue, tenons-nous-en aux lois et
à ce témoignage ^'\ Gicéron a répété la même
maxime.
« L'on doit , dit-il , regarder ce qu'il y a de
« meilleur comme le plus ancien , et ce qui tient
(( de plus prés à la divinité.... Garder les rites de
u nos ancêtres , c'est nous attacher à la religion
« donnée par les dieux mêmes , puisque l'antiquité
(( remonte jusqu'à eux ". »
Dans ses li\Tes sur la nature des dieux , il fait
dire à un pontife : « Je dois défendre la croyance
« que nous avons reçue de nos anciens , sur les
« dieux , sur leur culte , sur les sacrifices , sur les
(( cérémonies. En effet , je l'ai toujours soutenue
(( et je la soutiendrai toujours ; les discours d'un
« savant ou d'un ignorant ne me feront jamais
« départir d'une opinion que je tiens de mes
« pères ^^'. )>
Les philosophes des siècles suivans ont raisonné
de même ; c'est ce qui enflamma leur zélé contre le
Christianisme : sans vouloir en examiner les preu-
ves , ils le rejetèrent précisément parce qu'il étoit
nouveau.
Epicure même . obstiné dans son école à nier la
providence, et convaincu de l'absurdité de la reli-
gion vulgaire , Tobservoit comme les autres. On
sait le mot de Dioclès : Jamais Jupiter ne me
paroît plus grand que quand je vois Epicure à
ses pieds. Ce philosophe , par une hypocrisie
honteuse , écrivit des livres sur la piété envers
les dieux ^"^^ Cotta en a plaisanté dans Gicéron ^'.
(i Dans le Timée. — (2 Cic. de legib. J. 2, n.» 44 cl 6\.
— (3 De M'Ai, cleor. 1. 3 , initio. — (4 Diogène Luèrce , J. 10.
§ 2-. — (5 De nal. cleoi. 1. i , c. 4».
1. J7
5u6 TRAITÉ
Sou veut ses disciples se firent prêtres et propliètcs
des dieux , dont ils nioient la providence ; ils con-
sul toient les oracles et les expliquoient au peuple ,
quoiqu'ils n'y eussent aucune foi ^'\
Sénèque , dans son livre de la superstition , m\e
nous n'avons plus , après avoir rapporté les inep-
ties qui se faisoient dans le temples , ajoute : « Un
<( sage observera tous ces usages , non comme
« capables de plaire aux dieux , mais comme
u })rescrits par les lois.... Nous continuerons d'a-
« dorer cette vile multitude de dieux , qu'une
« ancienne et longue superstition a rassemblés .
<( en nous souvenant que leur culte est foadé sur
« la coutume, et non sur aucune utilité réelle ^'\ »
Porphyre cite une loi de Dracon , qui ordonne
de respecter les dieux et de les honorer , gelon les
lois reç}ies ^^'. Celse et Julien ont fait un crime
aux Juifs et aux Chrétiens , de ce qu'ils ne vou-
loient pas adorer les dieux du paganisme ; cepen-
dant Celse excuse les Juifs , en disant qu'il est
convenable que chaque peuple conserve les lois et
Il religion qu'il a reçues de ses ancêtres ^*\
§ VI.
Un déiste de nos jours prétend que la religion
païenne , malgré sa corruption , n'influoit point
sur la morale. « Jetez les yeux , dit-il , sur toutes
« .les nations du monde , parcourez toutes les his-
« toires. Parmi tant de cultes inhumains et bi-
<( zarres , ])armi cette prodigieuse diversité de
<( mœurs et de caractères , vous trouverez par-
<v tout les mêmes idées de justice et d'honnêteté ,
(i Epicl. Dissert. 1. a , c. 20 , § 2 , 3 , 4. — {2 S. Aupr. de
Civ. Dei,l. 6, c. 10. —(3 Porphyre, de l'abst. 1. 4, n.o^a.--
Cj DansOrig. 1. 5, n.»25.34.
DE LA VRAIE RELIGION'. 5 3;
« par-tout les mêmes notions du bien et du mal.
« L'ancien paganisme enfanta des dieux abomi-
(( nables , qu'on eiit punis ici-bas comme dos
<( scélérats , et qui n'oft'roient pour tableau du
« bonbeur suprême, que des forfaits à commettre
« et des passions à contenter. Mais le vice armé
« d'une autorité sacrée , descendoit en vain du
« séjour éternel , l'instinct moral le repoussoit du
<< cœur des bumains. En célébrant les débaucbes
« de Jupiter, on admiroit la continence de Xéno-
« crate ; la cbaste Lucrèce adoroit l'impudique
<( Vénus ; l'intrépide Romain sacrifioit à la peur ;
« il invoquoit le dieu qui mutila son père , et
« mouroit sans murmure de la main du sien : \çs
« plus méprisables divinités furent servies par les
<( plus grands hommes. La sainte voix de la na-
« ture , plus forte que celle des dieux , se faisoil
« respecter sur la terre, et sembloit reléguer dans
« le ciel le crime avec les coupables -'\ )>
Cette réflexion prouve très-bien que la supers-
tition païenne n'a pu entièrement étouffer les prin-
cipes de la loi naturelle gravés dans tous les cœurs ;
qu'il s'est trouvé de temps en temps des sages, qui.
par la force d'un excellent caractère , d'un esprit
supérieur , d'une passion vive pour la gloire , et
souvent des circonstances où ils .se sont trouvés ,
ont triomphé des obstacles que la religion publique
opposoit â la vertu. Mais ces prodiges sont rares ,
ils ne font pas règle ; il est question d'examiner
les effets que le paganisme devoit produire sur les
peu[)les en général , et non sur quelques individus
mieux organisés que les autres.
Les principes généraux de morale ont toujours
sub.sisté ; mais combien d'erreurs et d'aljus dans
les consécpiences et dans leur application aux cas
(i Enail'", inme III. p. 98.
588 TRAITÉ
particuliers! Nous n'alléguerons point la multitude
des lois injustes, des usages absurdes, des coutumes
cruelles ou impures que les sceptiques ont ras-
semblés , pour prouver que la morale n'a jamais
été constante et uniforme chez les différens peuples;
nous en parlerons ailleurs : il faut nous borner à
citer des faits et des témoignages , qui démontrent
la funeste impression que le paganisme faisoit sur
les mœurs.
« Je n'ignore point , disoit Denis d'Haï icarnasse ,
« qu'il y a quelques fables grecques qui peuvent
« être utiles , ou pour consoler 1 homme dans ses
« maux, ou pour le délivrer des vaines terreurs et
(( le tranquilliser , ou pour lui [U'ocurer d'autres
{( avantages. Je me fais cependant scrupule de les
« rai)porter , et je leur préfère la théologie des Ro-
« mains , persuadé que ces fables ne sont bonnes
« qu'à ceux qui sont en état d'en pénétrer le sens ,
« et ils sont en petit nombre. Le peuple et le com-
<( mim des philosophes les prennent du mauvais
<( côté , et il en résulte l'un de ces deux incon-
« véniens : ou ils conçoivent du mépris pour les
« dieux sujets aux infirmités humaines , ou ils se
« fondent sur cet exemple pour se livrer aux crimes
<( les plus honteux '\ »
En effet . Euripide met souvent cette excuse à la
bouche des héros de ses tragédies, lorsqu'ils veulent
commettre une mauvaise action. Platon observe
que les Cretois , livrés à l'amour impur des gar -
çons, ne mancpioient pas de s'autoriser de l'exemple
de Jupiter qui avoit aimé Ganiméde ^'\. Dans l'eu-
nuque de Térence , un jeune homme s'enhardit au
crime à la vue d'un tableau de Jupiter , qui séduit
Danaé ' '' \ Ovide soutient que les figures obscènes,
(i Denis d'Halicarn. 1. 2. — (a Pla'on, de Lcgib. 1. i. —
[3 Eunucb. acl. 3 , scèue V.
DE LA VR.VIE ÏIELIGIOX. JOv)
exposées dans les temples, allunioient des passions
criminelles dans le cœur des spectatems ^' . Il rap-
porte dans ses fastes les prières insensées que les
marchands et les voleurs adressoient à Laverne.
Lucien peint avec des couleurs , qui ne sont que
trop \ives, les désirs honteux qu'excitoient la nu-
dité des statues, et le libertinage afireux qui en
résultoit ^'\
s VII.
Platon , qui désapprouvoit en général les tableaux
impudiques , ne blâme point ceux des dieux qui
vouloient être honorés par ces infamies; il con-
damne l'intempérance , excepté dans les fêtes de
Bacchus. Juvenal et Perse reprochent aux Ro-
mains, que la religion ne servoit plus que de voile
et d'aliment au crime. Les pères de l'église, témoins
oculaires des désordres qui régnoient dans les tem-
ples et sur les théâtres , en ont fait rougir les païens:
on feroit des volumes entiers , en compilant leurs
témoignages ^''\ La magie, les sortilèges, les folies
autorisées par la religion païenne , pouvoient-elles
s'allier avec des mœurs pures? Celles des Grecs et
des Pvomains ne se sont que trop ressenties des fu-
nestes influences de leur religion. Quelques exem-
ples de vertu , cités au milieu d'un déluge de crimes ,
ne peuvent servir à justifier le paganisme : il n'est
pas douteux que plusieurs citoyens d'x\thénes et de
Pvome ont été plus dignes de vénération , que les
dieux qu'ils adoroient. Platon, dit saint Augustin,
auvoit mieux mérité les honneurs divins que Ju-
I)iter ^*\
(i Ovid. Trist. 1. 2. — (2 Dial. Minores. — fS Voy. sur-tout
Tl»(?odoret Therapeut. i. Disc. p. 485. — {\ S. Aug. du Civ.
Dti , 1. 2 , c. i^- TcTtuIl. Apol, c. 1 1.
•90 TRAITE
Mais c'est la religion qui doit régler les moeurs,
et non les mœurs qui doivent réformer la reliî,'ion ;
de même que les lois civiles sont destinées à diriger
la conduite extérieure des hommes, et non celle-ci
V rectifier les lois. Les lois les plus sages ne pré-
viennent pas tous les crimes, parce que les passions
l'emportent souvent sur la crainte des cliàtimens :
mais si les lois sont fausses, injustes, défectueuses ,
la société ne peut être heureuse , ni bien réglée.
Ainsi , une religion sainte et irrépréhensible n'é-
touffera pas tous les vices, parce qu'ils sont naturels
H l'homme , mais si elle ne le rend pas moins
méchant , elle est inutile ; si elle lui donne des
leçons capables de le pervertir, elle est pernicieuse.
Or, celle des Grecs et des Romains étoit fausse
dans ses dogmes , corrompue dans son culte , "vi-
cieuse dans ses maximes ; elle devoit donc être
iùneste dans ses effets : l'histoire atteste la vérité
de cette conséquence. Nous verrons dans l'article
suivant, si les opinions et la morale des philosophes
étoient capables de remédier au mal et d'en arrêter
les progrés.
On objecter.i encore que le vice essentiel de la
religion païenne étoit corrigé par les lois ; que les
Egyptiens, les Grecs, les Romains, quoiqu'aveugles
en fait de religion , n'ont pas laissé d'avoir une
législation et une police très-sages.
Je ré])onds : i .*' que ces lois mêmes commandoient
la religion, en autorisoient les erreurs et les abus ;
il étoit absurde de défencke et de punir , pour le
bien de la société, des crimes consacrés par la reli-
gion : mettre la religion et les lois en contradiction ,
étoit un moyen sur de les énerver réciproquement;
c'est ce qui est arrivé. 2.° Que les lois n'ayant ins-
pection que sur la conduite extérieure des hommes,
laissoient toujours dans les cœurs le fond de cor-
DE LA VR-UE RELIGION. O91
ruption que la religion y faisoit germer : celle-ci ,
d'accord avec les passions , devoit rendre l'homme
vicieux dans toutes les circonstances où il pouvoit
l'être im})uncment. S.*^ Qu'il s'en faut beaucoup
que la législation ait été irrépréhensible chez les
peuples mêmes dont on nous vante la sagesse ;
])lusieurs de leurs lois étoient évidemment con-
traires à la raison et au droit naturel : nous le
lerons voir dans l'article suivant.
§ VIII.
Un savant auteur ang^ois a composé un ouvrage
exprès pour faire l'apologie du paganisme ; il a
traité ce sujet avec toute la sagacité et l'érudition
possibles. Le lecteur doit être curieux d'en voir le
résultat ^'\
Il pose pour principe , que toute religion véri-
iable doit professer les cinq dogmes suivans : 1.°
(ju'il y a un Dieu suprême : 2." qu'il doit être le
principal objet de notre culte : 3.° que ce culte
consiste principalement dans la piété intérieure et
dans la vertu : 4.° que nous devons nous repentir
de nos ])écliés, et qu'alors Dieu nous les pardonnera:
j.° qu'il y a des récompenses |)0ur les justes, et des
supplices pour les méchans. Il entreprend de prou-
ver que ces cinq vérités ont été connues et professées
dans la religion grecque et romaine.
Il observe d'abord que , chez les anciens , le nom
de Dieu n'avoit i)as le même sens que nous lui
donnons; il ne signifioit pas toujours le Créateur
unique et le souverain maître de toutes choses ,
mais seulement un être d'une nature supérieure à
la nôtre. Il ajoute que le commun des Grecs et des
Humains , même plusieurs philosophes , étoient
(i Le lovd Herbert Je Chcibury, de Reli^wne GentiliiiTH.
092 TRAITE
persuadés que le Dieu suprême , renfermé , pour
ainsi dire , en lui-même , et uniquement occupé de
son bonheur, avoit abandonné le soin de l'univers
à des génies ou intelligences d'une nature inférieure
à la sienne , et leur avoit confié le sort des hommes.
Il en conclut que le culte rendu à ces dieux de se-
»'ond ordre , étoit symbolique et relatif, et ne dé-
togeoit point au culte dii au Créateur.
Ainsi , dit-il , les païens ont adoré les astres ,
parce qu'ils les croyoient animés ; les élémens ,
parce qu'ils les envisageoient comme une produc-
tion de la divinité. Ils ont honoré le ciel sous le
nom de Jupiter ; l'air , sous celui de Junon ; le feu ,
sous ceux de Vulcain et de Vesta ; l'eau , sous l'em-
blème de Neptune ; la terre , sous ceux de Plut on ,
de Cybéle , de Rhéa , de Gérés , etc. Ils honoroient
ainsi le créateur dans ses bienfaits. Apollon est le
soleil ; Diane est la lune ; Vénus , Mars , Saturne ,
Mercure , sont les planètes ainsi nommées. Le titre
cptimus maximus , constamment donné au Dieu
suprême , attestoit sa providence ; les i)ersonnages
dont nous venons de parler , n'en étoient que les
lieutenans.
On croyoit que le culte intérieur, la reconnois-
sance , la contiance , la soumission , étoient dues
au Dieu suprême ; les païens , dans leurs peines ,
élevoient les yeux au ciel, et invoquoient la divi-
nité unique ; les cérémonies , l'encens et les sacri-
ilces , étoient pour les dieux inférieurs.
Les honneurs divins , accordés aux héros bien-
iaiteurs de l'humanité , étoient un témoignage pu-
l>lic de la croyance de l'immortalité de l'àme , et
des récompenses promises à la vertu. Hercule,
Bacchus, Esculape, Romulus ouQuirinus. étoient
des modèles que l'on proposoit aux peuples : le
nom de dieux, qu'on leur donnoit, ne signiiioit
DE L\ VRAIE RELIGION. 09.^
que saints ou bienheureux. Ce que l'on disoit des
enfers , faisoit assez comprendre qu'il y avoit des
supplices réservés aux méchans. En divinisant les
vertus , en leur bâtissant des temples , on appre-
noit aux hommes qu'elles étoient le seul moyen de
})arvenir au bonheur éternel. Ainsi furent honorées
la piété, la concorde, la paix, la pudeur, la bonne
foi , l'espérance , la droite raison , sous le nom de
mens etc. , auxquelles on avoit érigé des autels.
Les expiations faisoient souvenir que l'homme
criminel doit se repentir , et changer de vie pour
se réconcilier avec la divinité , et prévenir les clià-
timens dont il est menacé ; souvent même on lui
ordonnoit des jeunes et des aumônes. S'il s'est
glissé des fables et des absurdités dans la religion,
si les pratif{ues , d'abord innocentes, sont devenues
criminelles et ridicules , l'on ne doit point s'en
])rendre au peuple, mais aux prêtres qui avoient
intérêt à les introduire et à les fomenter , pour
rendre leur ministère nécessaire. Les sages n'ont
cessé de réclamer contre ces abus.
L'auteur observe enfin , que les pères de l'église ,
en attaquant le paganisme , n'en ont présenté que
ie côté désavantageux ; qu'ils ont passé sous silence
ce qu'il avoit encore de Î3Cn et d'utile.
Tel est le système dont le lord Herbert de Clier-
])ury s'applaudissoit comme d'une découverte plus
heureuse que toutes celles d'Archimède '\ et qu'il
a encore soutenue dans ses autres ouvrages '\ C'est
là que les déistes ont puisé ce qu'ils ont dit , pour
justifier le paganisme , et la plujjart des objections
qu'ils ont faites contre la nécessité et l'utilité de la
révélation.
Pour réfuter en détail toutes les preuves et les
(i De Belig. Genlil. c. 16, p. a 18. — [2 De leritate , de
lausis errorum , de Il-jligroiie luïci.
1. 1;.
09 1 TRAlTi^
réflexions de cet autour, il faudroit un li\re entier ;
mais sans soi tir du sien , il nous foiunit assez
il'argumens à lui opposer. Dans le dernier clia-
})itre , après s'être épuisé à disculper les j^aïens, il
est forcé de convenir que leur opijiion , sur la pro-
vidence , dégradoit la divinité ; que le culte des
dieux inférieurs lui étoit injurieux ; que le peuple
n'entendoit peut-être pas troj^ bien le culte sym-
bolique ; que Ion ne peut pas l'absoudre d'idolâtrie ;
que les fables avoient absolument étoulTé la reli-
gion ; que l'abus étoit irréformabîc ; que c'est ce
qui a fait le triomphe du Christianisme.
Nous pourrions nous en tenir à cet aveu , ou
})lutôt à cette rétractation ; mais puisque certains
incrédules se iront j)lù à relever les débris d'un
système renversé par son propre auteur , il est à
j)roi)os d'en examiner les principaux fondemens.
SIX.
En supposant , pour un moment , que les cinq
articles de foi , propose i par Cherbury , suffisent
j)oui' former un symbole complet et une religion
l)arfaite; nous demandons dans quelle source il les
a puisés ; par quel monument l'on peut prouver
que c'étoit là le catéchisme des Grecs et des Ro-
mains ; quel est celui des anciens auteurs qui les a
exposés nettement contre la croyance publique et
universelle ? Si Cberbury veut être sincère , il
avouera qu'il a emj)runté du Christianisme son
plan de religion païenne ; que sans l'évangile , il
n'en auroit jamais eu l'idée ; qu'il n'est parvenu à
corriger les dogmes anciens qu'en les rapiirocliant
des nôtres ; que la révélation lui a servi de bous-
sole et de fil pour se conduire dans ce labyrinthe
dVireurs. Or. il est ridicule de prêter aux païens
DE LA VRAIE IIT.LIGION. 09J
lies lumières dont nous ne sommes rL^devables
qu'aux leçons de Jésus-Christ.
Pour former cette profession de foi , l'auteur a
été réduit à fouiller dans les écrits de tous les
siècles, chez les philosophes, les historiens, les
poètes ; de rassembler mille lambeaux épars ; de
rapprocher les ditïérens traits de vérité qu'il a cru
a-iercevoir dans les ténèbres de la mythologie : de
forcer le sens de i)lusieurs passages : de donner aux
pratiques du culte , un objet que n'ont jamais
découvert ceux qui eji étoient témoins. Quand ses
conjectures seroient aussi certaines qu'elles sont
hasardées, qu'en résulteroit-il pour la justification
du paganisme ou de la religion populaire ? Rien ;
le peuple d'Athènes ni de Pvome n'étoit pas en état
de faire la même opération qu'un savant du dix-
septiéme siècle , de {)0sséder la même érudition ,
de confronter des monumens dont plusieurs n'exis-
toient pas encore.
S'il j eut jamais, parmi les anciens, un homme
capable de voir le fort et le foible de la mythologie ,
c'étoit Varron : l'on sait le jugement qu'il en a
porté. Cherbury a cité ses paroles ; et c'est j)eut-
étre ce fameux })assage qui lui a enfin dessillé les
yeux. « 11 y a , dit ce savant Romain , trois es{)èces
« de théologie \ l'une est nommée fabuleuse ; Tau-
' tre est physique , la troisième est civile : la
" première est celle des poètes ; la seconde est
<' propre aux philosophes ; la dernière est ])Our le
« peuple. La théologie fabuleuse enseigne plusieu3\s
« choses contraires à la nature et à la dignité des
« dieux immortels. Que l'un soit ué de la tête ,
« l'autre de la cuisse , l'autre du sang d'un autre
u dieu: que les uns aient été voleurs, les autres
« adultères , les autres esclaves d'un homme : ce
n sont-là des traits indi-rnes. non-sculcment de
596 TRAITÉ
<< la divinité . mais de l'homme le plus \il. La
« théologie physique se trouve dans les écrits
« des philosophes , qui demandent quels sont les
<( dieui, où ils sont , quelle est leur nature; s'ils
(. existent de toute éternité , ou depuis un temps ;
« s'ils sont de feu , comme le prétend Heraclite ;
« si c'est une combinaison de nombres, comme le
« veut P} thagore ; s'ils viennent des atomes ,
v^ comme le soutient Epicure : autant ôe cpies-
« tions boimes à traiter dans les écoles , mais
<k intolérables en jjiiblic. I.a théologie civile est
« celle qui apprend aux citoyens . et sur-tout aux
« prêtres, ce qu'ils doivent pratiquer, quels dieux
u ion doit honorer , quels sacrifices il convient
<v d'offrir, La première de ces théologies est faite
<v pour le théâtre ; la seconde pour les savans ; la
«. troisième , pour la société civile "\ »
Il est clair que Varron n'approuvoit ni la pre-
mière ni la seconde ; qu'il n'admettoit la dernière
que par principe de politique , comme tous les
philosophes. Saint Augustin n'a pas de peine à
démontrer que la théologie civile étoit ab.solument
la même que celle des poètes ; que les fables étoient
le sujet du culte public , et la seule croyance dont
le peuple eiit connoissance ; que la censure du
théâtre et des poètes retom]:)oit de tout son poids
sur la religion civile \ Si \'arron avoit cru que le
culte fût symbolique , et relatif à un seul Dieu
suprême , est-il probable qu'il n'eût rien dit pour
en faire sentir la justice et la nécessité? Cudworth
qui avoit entrepris l'apologie du paganisme , aussi
bien que Cherbury , est forcé d'avouer que saint
Augustin avoit raison ^\
Enfin, quand on supposeroit que les philosophes
(1 S. Ang. «le Civ. Dti , 1. 0 . r. 5. — (2 Ibiil. c. 6 et 7. —
(3 (ndw >ill». Sysc. iutell. p. ^7;.
DE LA \TLKÏE RI:LIGI0N. 5y7
grecs et romains ont envisagé la religion des
mêmes yeux que Cherbiiry , en ont-ils donné
c«lte idée au peuple ? Il ne recevoit d'autres in-
structions religieuses, que celles des prêtres; et,
s<:'lon notre critique, les prêtres étoient les auteurs
des fables , €t de tous les abus ; le peuple , l>omé à
des leçons aussi suspectes , ne i>ouyoit yoir dans sa
religion que ce qu'on lui montroit , des indécences
et des absurdités. Cherhiu^y convient que les spé-
culations des i)liilo£Opbes étoient bors de la portée
(lu peuple -". Quand ils auroient admis un Dieu
suprême et un culte symbolique , ce mystère n'eût
I>oint été révélé au peuple : mais il est Taux ([ue les
uns ni les autres aient jamais eu les idées que
Cberbury leur prête.
§ X.
Entrons dans le détail. Où cet auteur a-t-il vu
le premier article du symbole des païens ; que le
Dieu suprême , content d'avoir créé le monde et
réglé son cours par des lois immuables , avoit
laissé le soin de le gouverner à des génies d'une
nature inférieure à la sienne? En quel lieu du
monde a-t-on connu un Dieu éternel et créateur,
et des dieux créés , dépendans , subordonnés à ce
premier être ? Oui sont ces philosopbes les plus
•safjes et les j)lus profonds , qui ont eu , selon
Cberbury , cette notion de la divinité et de sa
provideMce ? Peut-être les platoniciens du qua-
trième siècle, qui , éclairés malgré eux par les
lumières de l'évangile, par les objections des pères
de l'église , par leurs disputes avec nos apologistes ,
avoient imaginé ce système , un peu moins révol-
tant que celui de leurs prédécesseurs. Mais trouve-
(i Ue Relig. Genli^. c. i3 , p. lOo,
5j8 TRAITK
t-011 cette idée dans Pythagore , dans les écrits
des stoïciens . dans ceux de Platon ou de Ciccron ,
ou dans quelque philosophe antérieur au Christia-
nisme? Quand elle y seroit , le peuple , infatué des
fables et de la généalogie des dieux , en a t-il connu
de deux es})éces? Eniin , quand elle auroit été la
croyance publique , selon Cherbury lui-même ,
c'est une erreur qui blesse la majesté divine. Il est
absurde , dit-il , de supposer que Dieu ne peut ou
iie veut pas prendre soin de ses créatm'es : qu'il ne
s'informe point si ses lieutenans gouvernent bien
ou mal ; que l'homme n'est en sûreté qu'autant
(ju'il est protégé pai' des génies , ou des êtres infé-
rieurs à Dieu ^'\
L'éjiithéte optimus niaximus ne peut être don-
née au Dieu suprême, pour attester sa providence ,
j)cndant qu'on suppose qu'il n'a {)lus de ])rovi-
dence , et qu'il l'a remise à d'autres : ici Cherbury
tombe dans une contradiction palpable.
Dés que le Créateur , tout occupé de son i)ropre
l.onhem' , avoit remis le soin de l'univers et du
genre humain à des êtres inférieurs ; il s'ensuit
<jue ce créateur oisif ne faisoit aucune attention
au culte que Ion pouvoit lui rendre ; que l'on ne
devoit attendre de lui ni bienfait, ni châtiment.
Dans cette hypothèse , quel motif pouvoit engager
les hommes à })enser à lui dans le culte qu'ils ren-
doient aux esprits , gouverneurs du monde ? Cicé-
ron , Plutarque , et d'autres , ont démontré aux
éj)icuriens , que des dieux oisil's ne méritoient
uucun culte : donc un créateur oisif ne pouvoit
avoir aucune paît au culte que l'on rendoit à ses
iieutcjians. Selon Porphyre, le dieu suprême des
platoniciens, étoit Vùme du monde : ce philo$o])he
«'Il conclut j que l'on ne doit faire aucune oli'rande
p 2i6 . 23l.
Di: L\ Ml AIE RELIGION. 099
au Dieu su})rciiie , ni s'adresser à lui pour aucun
j)esoin ; mais seulement aux dieux secondaires ^'K
Celle décision sape par le fondement les conjec-
tures du lord Clierbuiy , sans cesse répétées par
Jes incrédules. Accuserons-nous Porph} re de n'avoir
j)as entendu les anciens j)hilosophes '^ ?
Nous convenons que , chez les païens , le nom de
Dieu n'avoit pas le même sens que nous lui don-
)ions j ce nom dégradé ne signiiioit plus une nature
unique , éternelle , incommunicable. De là même ,
nous concluons que les paiois n'avoient point
1 idée qu'on leur attribue. S'ils l'avoient eue, ils
auroient senti que c'étoit une profanation de don-
ner le même nom à l'être éternel , et à des êtres
créés dépendans de lui ; qu'il étoit indigne de la
sagesse et de la bonté du Créateiu' d'abandonner à
d'autres le soin de son ouvrage. IMais puisque le
nom de Dieu ne désignoit point l'être souverain ,
quel autre nom les païens a voient-ils pour l'expri-
mer? Il seroit étrange qu'ils n'eussent j.'oint eu de
nom pour indiquer ce })remier être , qui étoit ,
selon Clierbury , le principal objet de leur ado-
ration.
L'on convient , dit-il , que la notion d'un Dieu
suprême étoit très-obscure et trés-imparlaite chez
les païens , ou })ar la négligence ou j)ar la malice
des prêtres , qui détournoient le peuj)le de cette
connoissance , i)Our dominer plus impérieusement
sur lui '^ j que l'esprit des hommes étoit j)iongé
dans des ténèbres si i)roiojides , qu'à i)eine la
lumière divine pouvoit encore briller à leurs yeux.
(Comment donc , au milieu de ces ténèbres épais-
ses , le vrai Dieu pou voit-il encore être l'objet
l'iincipal du culte des païens?
(1 Poq.liyr. (le ahstia. 1. 3, n o 34 , 3; , 38. — (2 Ouest,
sur Penryciop. IJieu , Vldolâirie ^ etc. Bible cxpl-quee, p. 4^5.
— (3 Dv Puljg. Gcnlil. c. iJ, p. iG;.
400 TJIAITE
Pour prouver que les païens adoroient le Dieu
suprême , on nous cite les hymnes d'Orphée ,
comme si on ne savoit pas que ces hymnes ont
été forgées par les platoniciens du second , du
troisième , ou du quatrième siècle. Celse , qui
soutient . contre les Chrétiens , qu'il faut adorer
les génies ou dieux secondaires , comme ministres
du Dieu souverain, ne dit rien du culte qu'il faut
rendre au Dieu souverain lui-même ; il suppose ,
comme Porphyre , que tout le culte extérieur de-
voit être pour les dieux secondaires ^'\
s XI.
Dans leurs peines , les païens élevoient les yeux
et les mains vers le ciel , mais ils croyoient que
Jupiter et les autres dieux habitoient dans le ciel ;
ce geste par lui-même ne prouve rien. Tertullien
remarque , à la vérité , que dans leurs prières ,
dans leurs sermens , dans leurs exclamations , les
païens nommoient simplement, Dieu, hon Dieu!
grand Dieu' s'il plaît à Dieu, Dieu le voit.
Dieu me le rendra : il appelle ces expressions
indélibérées, le témoiijnaf/e d'une âme naturel-
le ment chrétienne ^'\ Il est question de savoir s'ils
attachoient à ces paroles le même sens que nous ;
s'ils n'entendoient pas un Dieu indéterminé et en
général ; si dans leurs ju'atiques de religion , ils
n'avoient pas toujours l'esprit occupé dune diNÎ-
nité particulière.
Quand l'auteur dit que les païens , en adorant
Jupiter ou le ciel , adoroient Dieu connue l'àme du
ciel ; que Jupiter n'étoit qu'un syml)ole , non plus
cpie le soleil , qu'ils adoroient Dieu dans le soleil ,
4^'tc. il ne prend pas garde qu'il se réfute lui-même.
(i Dans Orig. 1. 8 , n.» 2 et 23. — (a Terlull. Apolog. c. i8.
DE LA VRAIE RELIGION. 4oi
îl prouve , par des témoignages exprès , que les
philosophes croyoient le ciel et les astres animes ,
ou habités par des intelligences ^'^ : à plus forte
raison le peuple en étoit-il persuadé . jmisqiie c'a
été l'opinion de toutes les nations. Donc c'est à
l'intelligence particulière qui résidoit dans le ciel ,
ou dans le soleil , qu'ils adi'essoient leurs vœux. Ils
attribuoient à ce génie le pouvoir de les entendre
et de les exaucer : ils ne remontoient donc pas plus
haut. Lorsque dans une assemblée , je salue un
particulier, il est ridicule de penser que je n'en
veux pas à lui , mais à un autre. Quel dogme , quel
signe y a-t-il dans le paganisme , qui prouve qu'en
adorant le soleil , être animé et intelligent , les
païens avoient en vue je créateur du soleil ?
Une preuve du contraire , c'est que les païens
ne s'adressoient point au même personnage pour
leurs difîérens besoins. Ils demandoient la pluie à
Jupiter et à Junon , plutôt qu'à Mercure ; la santé
à Esculape, et non à Bacchus ; les navigateurs ne
faisoient point de vœux à Mars , mais à Neptune ;
on recommandoit les morts à Pluton , et non à
Saturne , ou à tel autre Dieu. On ne les invoquoit
point comme de simples intercesseurs , et comme
nous prions les saints, mais comme des puissances
absolues et souveraines chacune dans leur dépar-
tement.
Supposer que les païens adoroient , dans Vénus
et dans Priape , la force générative de la nature ;
c'est prêter au peuple une idée métaphysique et
subtile , un songe creux de quelques philosophes ,
appliqués à chercher un sens raisonnable dans une
mythologie absurde. Les fables, les fêtes, le culte ,
propres à ces infâmes divinités , présentent des
f I De Rclig. Genlil. c. 7 , p. /|0 ; c 9, p. 67 V. Mt'm. de
Tac. des iuscr. t. LVI , in-i2. . p. 45.
±0 2 TR-UTE
idées trop grossières , pour que l'on y trouve autre
chose que des crimes. Cicéron lui-même dit que
l'amour sensuel et la volupté ont été divinisés ,
parce que ce sont des passions impérieuses qui
maîtrisent l'homme , et semblent exercer sur lui
un pouvoir plus qu'humain ^'\ Il est difficile de
croire que le peuple ait mieux entendu que Cicéron
cet article de la doctrine grecque et romaine : or ,
dans le sens de ce j)hilosophe , quelle relation y
a-t-il entre Vénus et le Dieu souverain ?
§ XII.
Lorsque Cherbury prétend que les païens lui
rendoient un culte intérieur, et réservoient aux
dieux du bas étage l'encens et les sacrifices ^'\ il
nous fait assez entendre que ce culte invisilile n'est
constaté par aucun signe , n'a laissé aucune trace
dans la religion païenne : les déistes l'ont deviné ,
et l'affirment sans preuve. Cicéron , qui rapporte
les opinions de tous les philosophes , Jie ])arle ni
d'un Dieu suprême, ni d'un culte relatif. S'il ne le
connoissoit pas, il n'est p:is à présumer que le peu-
ple ait été plus clairvoyant que lui. Aussi , après
i)ien des efforts, Cherbury avoue enfin que le peu-
ple n'entendoit peut-être pas trop bien ce culte
symbolique et relatif '^^ : il pouvoit supprimer le
peut-être, et convenir que le peuple n'y entendoit
rien du tout.
Après la naissance même du Christianisme, Celsc,
P()rph3re, Apulée, lamblique , Proclus , Hiéroclès,
appliqués à justifier l'idolâtrie, n'ont jamais sou-
tenu que ce culte fût relatif. Ils blâment les Juifs
et les Chrétiens de borner leur culte au seul Dieu
(i De nat. deor. 1 2 . n." fir. — (-2 De relig. (ieulil. c. i\ ,
DE LA VRAIE RELIGION. ±00
créateur , et de ne vouloir pas adorer les autres :
jamais ils n'ont dit que les honneurs rendus à
ceux-ci se raj)pcrtoient au Dieu suprême. PorpJi3-re
.soutient au contraire , que Ton ne doit rendre au-
cun culte au Dieu suprême ^".
Mais Julien convient que les Chrétiens adorent
le même Dieu , souverain de l'univers , que les
païens honorent sous d'autres noms ^'\ Maxime
de Madaure dit cjue les païens , sous des noms
divers, adorent réternelle puissance du Dieu sou-
verain , répandue dans toutes les parties de la
nature ^'\ Ils doivent le savoir.
Réponse. Ce subterfuge de deux philosophes ,
poussés à bout par les Chrétiens , ne prouve pas
])lus que l'opinion des déistes modernes : elle est
contraire à la doctrine de tous les anciens. Selon
eux , le Dieu suprême étoit aussi oisif que les dieux
d'Epicure : a-t-on jamais cru que ceux-ci méri-
tassent aucune espèce de culte ? Si les hommages
lies païens avoient eu quelque rapport au Dieu su-
prême , l'auteur du livre de la sagesse , et S. Paul ,
ne les auroient pas condamnés avec tant de ri-
js^ueur ^"^ ; Sophocles , Plutarque et d'autres ne les
auroient pas blâmés ; les anciens ne les auroient
])as justifiés par le seul motif du respect dû aux
lois.
Les incrédules ont o.sé soutenir que les Juifs
n'ayant eu qu'une fausse idée de la divinité, le
culte qu'ils lui rendoient ne j)ouvoit se rapporter
au vrai Dieu '^ : et ils nous persuaderont que le
culte des païens y avoit rapport !
li est faux que l'épithéte uptimus maximus ait
(i De Pabslin. 1. i , n." 34. — (2 Lettre 63 à Théodore. —
(3 Qaesl. sur l'encyrlop. Dieu , Idolâtrie. — {\ Sap. r. i3 ,
H^ . I , et 5uiv. liooj. c. I , j^. 20 et suiv. — (5 Moigru , t. II ,
}). 119, if^5.
^0± TILVITE
désigné le Dieu suprême ; on a trouvé , dans les
Alpes , l'inscription , Deo Penino optimo moxi-
mo ^'^ : le dieu Péninus n'étoit certainement pas le
Dieu suprême. Ce titre ne signifie rien de plus à
l'égard de Jupiter. Celui-ci n'étoit ni le créateur
du monde , ni le seul maître de la nature , ni le
souverain de tous les autres dieux ; il ne les avoit
j)as créés ; plusieurs étoient plus anciens que lui ,
puisqu'il étoit fils de Saturne , et petit-fils de
Cœlus. Il étoit , si l'on veut , le plus grand , parce
qu'il faisoit trembler les autres par son tonnerre ;
mais il n'étoit pas d'une nature différente de la
leur. Homimun sator atque deoritm , signifie qu'il
avoit beaucoup d'enfans , dont les uns étoient des
dieux , les autres , des hommes.
On nous demande s'il y a un seul livre , une
médaille , une inscription , où il soit parlé de
Neptune , de Mars , et des autres dieux , comme
d'un être formateur et souverain de toute la na-
ture ^'\ Nous demandons de notre côté , si jamais
ce titre pompeux a été donné à Jupiter , et s'il lui
convient en aucun sens.
Que l'on envisage le paganisme de quel côté l'on
voudra . on n'y verra aucun vestige d'un culte
relatif, ni d'une providence universelle, dont les
dieux inférieurs n'aient été que les ministres : c'est
une absurdité d'attribuer aux païens une idée dont
nous sommes redevables à la révélation.
§ XIII.
Nous convenons que les honneurs divins . ac-
cordés aux héros , sont un ti'moignage de la foi
des païens à l'immortalité de l'àme ; mais Cherbury
(i Tacite de M. Brolier, in-i2. , t. IV, p. \ lo. ^- (2 QueSt.
sur IViiryrK)|>. Dieu, Ldûldlrie.
EE LA VRAIE RELIGION. 4o5
lui-même avoue l'abus des apothéoses. i.° L'on a
placé dans le ciel des hommes très-méchans , plus
dignes de châtiment que de récompense ; le culte
qu'on leur rendoit , loin de porter les peuples à la
vertu ; étoit capable de les enhardir au crime , de
leur persuader que la qualité d'homme de bien étoit
la moins nécessaire de toutes , pour être placé dans
le séjour des dieux.
2.*^ La difficulté de distinguer dans la suite ces
hommes déifiés d'avec les dieux naturels et an-
ciens , les a fait confondre , a persuadé à plusieurs
que tous les dieux avoient été des hommes , a mis
dans la mythologie un chaos inexplicable. Jupiter
est tantôt l'air ou le ciel , tantôt une planète ,
tantôt un roi de l'île de Crête., tantôt la nature
entière : Jupiter est quodeiimque vides , quocum-
que nioveris. Cherbury lui-même s'est perdu dans
ce labyrinthe comme tous les autres mytholo-
gues ; le peuple étoit encore moins en état de s'en
tirer, et d'envisager, sous ces divers emblèmes, le
Dieu souverain.
3.° Il est impossible de comprendre comment
un culte aussi compliqué pouvoit se rapporter à
l'être suprême. « A moins , dit Cherbury , que
« nous ne trouvions le culte symbolique du Dieu
« souverain dans celui des planètes ; celui des
« planètes , dans celui des héros ; et celui des
« héros , dans l'honneur rendu à leurs statues ;
« on doit absolument le rejeter ^'\ » Cette gra-
dation est-elle concevable ? On comprend que les
païens honoroient un héros dans la statue qui le
rcprésentoit ; s'ils avoient rêvé que son âme habi-
toit une planète , ils pouvoient encore lui adresser
leurs vœux dans ce séjour prétendu : mais que cet
Jionneur ait eu pour objet direct ou indirect le
(i De reli?. Gentil, c. 16, p. 223,
\<)h TRAITE
Dieu souverain , c'est une imagination bizarre et
sans fondement. Des scélérats , tels que Jupiter ,
Hercule , Mercure , etc. n'ont jamais pu être le
symbole du Dieu souverain. Que leurs crimes
fussent réels ou imaginaires , qu'ils leur fussent
attribués dans la fable ou dans l'iiistoire . cela est
égal ; il s'ensuit toujours que l'on encensoit en eux
le crime , et non la vertu.
4." L'adulation , poussée à l'excès . porta les
Pxomains à déifier des empereurs, -dont la mémoir.^
méritoit l'exécration publique. Cherbury convient
que ce fut le comble de la profanation et de l'igno-
minie, une injure atroce faite à la divinité ''. ]\Iais
Jupiter et plusieurs autres ne valoient guère mieux
que les empereurs.
Des autels élevés aux vertus morales , à la con-
corde , à la paix , etc. auroient été sans doute une
excellente leçon ])Our les bommes , si l'on n'en
avoit pas aussi érigé aux vices, à l'amour sensuel ,
à la volupté , à la vengeance , à la fourberie , à
l'intempérance , et si on ne les avoit pas honorés
dans les personnages qui en portoicnt le caractère.
Le culte de ceux-ci devoit faire plus de mal , que
l'encens brûlé cà l'honneur des vertus ne pou voit
faire de bien. Des temples dédiés à Bellone , à la
fortune , à la fièvre , à la mort , ne pouvoicnt
avoir aucune influence sur la pureté des mœurs.
On dira peut-être que les païens avoient bàli
des temples aux vices dans la même intention qu'à
la peste , pour en être délivrés , et non pour les
canoniser par-là. Cela est faux. On ne demandoit
point la chasteté à Vénus , le désintéressement à
Mercure , la probité à Laverne , ni la piété filiale à
Jupiter ; ce culte auroit été contraire au caractère
des personnages et à la maxime des philosophes ,
(i De relig. Gentil, c. i6, p. 226 et suiv.
DE L\ VRAIE RELIGION'. 4o-
qiîi enscignoicnt que nous devons demander aux
dieux la santé et la fortune , et attendre de nous
seuls la sagesse et la \ertu. On peut voir dans les
fastes d'Ovide , par quel motif les Romains avoient
établi des fêtes et des cérémonies à l'honneur des
dieux; la vertu n'}- entroit pour rien. Lorsque ]cs>
(irecs voulurent invoquer Vénus , [)Our préserver
les deux sexes des désordres contre nature . il
fallut caractériser cette divinité par un nouveau
titre ; on la nomma Fénus Âpostrophia ou Epis-
trophia , Vénus qui détourne; preuve certaine que
son culte ordinaire n'avoit pas le même objet.
§ XIV.
Selon Cherbury . les expiations , pour être effi-
caces , dévoient être accompagnées de repentir du
péché et de la volonté de se corriger, même de sa-
tisfaction pour tous les crimes qui avoient causé
du dommage au prochain ; ainsi rien ne manquoit
à la pénitence chez les païens.
3Iais il auroit dû nous dire s'il a lu cette morale
dans le rituel des pontifes de l'ancienne Rome , et
dans quels monumens elle est consignée. ] ."^ 11
convient lui-même que les prêtres enseignoient
tout le contraire ; qu'ils s'arrogeoient le pouvoir de
réconcilier l'homme avec Dieu par de pures céré-
monies ^'\ 2.° Il cite plusieurs sages de l'antiquité .
qui ont censuré cette doctrine des prêtres ; cela
n'auroit pas été nécessaire si la croyance vulgaire
n'y eut ^té conforme. 3.° Lorsqu'Enée , sortant du
combat , dit qu'il ne lui est pas permis de toucher
ses dieux pénates, avant d'avoir lavé ses mains dans
une eau vive, il n'est pas présumable qu'il ait eu
beaucoup de regret d'avoir tué un grand nombre
(i Dsrelig. Gentil, c. i5, p. 197.
4o8 TîllITÉ
d'ennemis. Oreste , coupable du meurtre de sa
mère, et purifié parle sang d'un taureau, soutient
que son action a été légitime ; qu'il l'a faite par
l'insi)iration d'Apollon; et ce dieu lui-même firend
sa défense ^'\ 4.'^ Les expiations n'étoient pas seu-
lement prescrites pour se purifier d'un crime, mais
pour écarter un mauvais- présage , pour éviter un
danger , pour avoir touché un cadavre , etc. Or ,
établir des expiations pour des choses indifférentes ,
comme pour des actions criminelles , leur attribuer
la même vertu dans l'un et l'autre cas , c'est très-
mal servir la morale.
Quand la foi aux expiations auroit été fondée
sur une doctrine plus pure, cela ne prouveroit
encore rien. Il s'agiroit de savoir quelles actions les
païens mettoient au rang des crimes ; on ne peut
])as les accuser d'avoir eu des casuistes fort sévères.
Plusieurs crimes étoient consacrés par la religion ,
d'autres tolérés par les lois ; jamais les paietàs
n'ont cru avoir besoin d'expiation pour tous ces
désordres.
Cherbury lui - même , attentif à se réfuter .
observe que , si les prêtres païens avoient voulu
être trop rigides en fait de morale, on leur auroit
répondu : i." Que Dieu est un bon père, et qu'il
a pitié de ses enfans : 2.° Que l'homme est fragile,
et qu'il a besoin d'indulgence : 3.° Que quand il
pêche , ce n'est pas par malice , ni pour outrager
Dieu, mais pour son propre intérêt ou son plaisir :
4.° Que les peines de cette vie sont assez rigou-
reuses pour châtier le pécheur ; 5.'' Que s'il en iaut
d'autres. Dieu peut encore le punir pour un temps
dans l'autre vie ^*'. Assurément les prêtres n'au-
roient eu rien à répondi'e à de si bonnes raisons :
(i Eschile, Euncéaides, acte IV , scène i , et acte V, scène i.
— [1 De relig. Gtntil. c i5, p. 199.
DE L\ \llA.m RELIGIOy. 4o3
ChcrLniry a tort de les blâmer avec tant d'aigreur ;
à leur place il auroit fait comme eux. Voilà où se
réduit la sainte morale du paganisme embrassée
par les sectateurs de la religion naturelle.
Cependant Cherbury rejette sur les prêtres tous
les abus et les erreurs dont le paganisme étoit in-
fecté. Ce sont eux , dit-il , qui ont inventé les fa-
bles , qui ont corrompu la doctrine , énervé la
morale , introduit les cérémonies , pour dominer
sur le peuple , pour se rendre arbitres de la reli-
gion , et qui l'ont étouflée sous un amas de folies
et de superstitions.
Soit ; peu nous importe de savoir par qui la
religion païenne avoit été corrompue , dés que
l'on avoue qu'elle l'étoit. Cherbury convient qu'au
moyen des additions qui y ont été faites successi-
vement par les philosophes , par les prêtres , par
les poètes , tout l'édifice de la vérité s'est écroulé
sous ce poids ^'\ Il ajoute ailleurs . que les magi-
strats ont autorisé , par politique , les fables et les
choses incertaines que l'on mèloit à la religion ^'\
Voilà bien des malhonnêtes gens qui se sont réunies
aux prêtres pour tromper le peuple.
§ XV.
Nous n'avons certainement aucun intérêt à dis-
culper les ministres de la religion i)aïeniie: mais il
est bon de rendre justice à tout ie monde . de rap-
porter les faits à charge et à décharge.
1.° Ce ne sont point les prêtres seuls, c'est le
peuple et les philosophes qui oiit cru les autres et
toutes les parties de la nature animi's par des gé-
nies : telle est la source première du p MvMiéisine
et des difiérentes branches du pagani^^me. Dans le
(t De relig. Geotil. c. i5 , p. 210. — (2 Ih d. p. ^la,
1. lii
4lO TRAITK
second livre de Cicéron , sur la nature des dieux ,
le stoïcien Balbus établit l'idolâtrie sur ce fonde-
ment , et la justifie dans tous ses points ; Cicéron
finit par lui applaudir. Au contraire , Cotta , aca-
démicien , prêtre et pontife , l'attaque , réfuté les
raisons de Balbus , n'appuie la religion que sur la
tradition des anciens , et sur l'autorité des lois. A
la fin de ses li^Tes de la divination , Cicéron accuse
encore les philosophes d'en être les protecteurs ; il
les rend responsables des vaines terreurs et de la
Iblie du vulgaire. Or , Cicéron n'est point suspect
sur ce point ; il n'étoit ni prêtre , ni pontife , il
étoit magistrat , orateur et philosophe.
2." Cherbury lui-même avoue que les prêtres
ont emprunté des philosophes , le fond de leur
doctrine sur les dieux supérieurs et inférieiu-s ; il
rassemble toutes les raisons capables de la rendre
plausible et de la persuader au peuple. C'est donc
mal raisonner , que de la présenter ensuite comme
l'ouvrage de l'imposture des prêtres '\ Ceux-ci
étoient-ils obligés d'être plus sages et mieux in-
struits que les philosophes et les magistrats qui
ont soutenu cet édifice de mensonge dans toutes
ses parties?
5.° Souvent , chez les Romains , le sacerdoce et
la magistrature ont été réunis; dans la suite le sou-
verain pontificat fut aftécté aux empereurs ; ils
réunissoient toute l'autorité civile et religieuse.
Qui les empêchoit de retrancher alors tous les
abus qui défiguroient la religion? Ils ne l'ont pas
tenté. Lorsqu'on leur a prêché une religion plus
pure , ils se sont joints aux philosophes pour la
persécuter et l'anéantir.
(I Derelig. Gentil, c. i4, P- ^70, 180. L'auteur des Lettres
n Sopl.ie, et d'autres inciédulcs , u;.i laisonue de même. V.
1.
let.re, p.i>8.
DE L\ ^^TIATE RELTGÎOV. 4ll
4." Quand le culte anroit été })lus pnr et la
croyance plus raisonnable , le ministère des prê-
tres n'auroit pas été moins nécessaire : pai'-tout
où il y a eu un culte quelconque , il a fallu des
prêtres. Nous présumons même , que plus ils ont
été instruits , sincères , vertueux , plus ils ont été
respectés; leur intérêt bien entendu n'a donc ja-
mais été de tromper le peuple.
5." Cherbury ajoute, que quand Mutius-Scévola ,
souverain pontife , Varron , l'empereur Julien , les
platoniciens et les stoïciens , ont voulu purger le
paganisme de ses ordures , ils n'ont pas pu en
venir à bout , parce que le mal étoit invétéré. Mais
il leur fait un peu trop d'honneur. Scévola et Var-
ron , loin d'avoir voulu corriger le paganisme, Ont
cru qu'il falloit laisser croupir le peuple dans ses
erreurs , et qu'il étoit dangereux de lui montrer la
vérité. Scévola ne vouloit point qu'on lui révélât
qu'Esculape , Hercule , Castor et Pollux , étoient
des hommes et non des dieux. Varron étoit d'avis
qu'il y a bien des choses ^Taies , qu'il n'est pas à
propos de faire connoître au peuple , et qu'il y en
a d'autres trés-fausses qu'il est expédient de lui
laisser croire ^". Cicéron pensoit qu'il ne falloit
point agiter devant le peuple les disputes philoso-
phiques , de peur qu'elles ne détruisissent la religion
publique '\ L'empereur Julien et les autres philo-
sophes de son temps , ont soutenu la théurgie , la
magie , la divination , les fables et les absurdités
du paganisme : nous le verrons ailleurs.
(i S. Aug. de civ. Dei , 1. 4) c. 27 , 3i. Strabon a pense J«
même , géogr, I. 1 , p. i3, — (2 Lactance , divin, inst. 1. 2 ,
c. 3.
112 TRIITE
§ XVI.
Si tous ces grands hommes n'ont eu ni le ])ou--
\oir , ni la volonté d'éclairer le peuple , à qui étoit-ii
donc réservé de détromper l'univers? A l'évangile :
Cberbury lui rend cet hommage , et il est remar-
(juable dans la bouche d'un déiste. « Le Christia-
<( nisme , dit-il, tira des ténèbres et confirma , par
« l'autorité divine . tout ce qu'il y avoit de bon et
<( d'utile dans la doctrine des pliilosophes : il pres-
« cri^-it à ses sectateurs toutes les vertus et tout ce
<( qui pojvoit sanctifier les mœurs. Le paganisme
« demeura sans force et sans vigueur j il n'en resta
« que la lie et de quoi fournir un triomphe aisé aux
« pères de l'église ^' . »
C'est donc mal à propos que Cherbury accuse les
pères de n'avoir montré dans le paganisme que les
superstitions , et d'avoir supprimé les leçons utiles
de morale qu'il donnoit ^ \ Celse , Julien , Porphyre ,
Maxime de [Nladam'e , ne leur auroient pas pardonné
cette infidélité. Les pères ont discuté avec leurs ad-
versaires le culte et les conséquences morales , aussi
bien que les dogmes du paganisme ; ils ont démon-
tré que , sur ces trois points , il étoit également
vicieux : nous l'avons prouvé nous-mêmes : et
Cherbury est forcé d'en convenir à la dernière page
de son ouvrage. C'est lui-même qui est tombé dans
le défaut qu'il reproche aux pères de l'église. Il fait
sonner bien haut les autels élevés à la vertu dans
le paganisme , et il ne dit rien de ceux que l'on
avoit érigés aux vices : il cite avec emphase les
dieux que l'on pouvoit regarder comme les lieu-
tenans de la providence ; il passe sous silence ceux
dont le ministère étoit honteux et aboininable ; il
(i De rclig. Gentil, c, iG, p. a3o. - ( Ibid. c. i4 , p. iSt.
DE LA \TIAIE RELIGION. ti)
fait valoir les exemples capables de porter l'homme
à la vertu ; il glisse légèrement sur ceux qui favo-
risoient les passions criminelles : il attribue à la
malice des prêtres , des abus dont on étoit plutôt
redevable à l'aveuglement des philosophes ; il cite
la censure que ceux-ci ont faite des absurdités de
l'idolâtrie ; il supprime les raisons et les prétextes
dont ils se sont servis pour éterniser son régne sur
la terre.
Vainement les incrédules feroient de nouveaux
efforts pour pallier les vices essentiels du paga-
nisme ; vainement ils voudroient disputer à la
religion chrétienne , la justice et l'utilité de son
triomplie. Ils n'auront jamais plus de sagacité ,
plus d'érudition , plus de connoissance de l'anti-
quité , que le lord Cherbury. Les aveux qu'il a été
obligé de faire, après avoir amplement discuté cette
matière, serviront toujours de réponse à ceux qui
essayeront de relever son système.
S XVIL
Mais les déistes ne se rebutent point aisément ;
loin de profiter de cet exemple , ils ont poussé la
hardiesse beaucoup plus loin. Ils affirment que tous
les philosophes babyloniens, persans, égyptiens,
Scythes , gi'ecs et romains , admettoient un Dieu
suprême , un Dieu unique ; que toutes les autres
divinités n'étoient que des êtres intermédiaires ;
que l'unité de Dieu et la vie future étoient expres-
sément enseignées dans les mystères ; qu'il n'y eut
jamais de peuple, ni de gouvernement idolâtre ,
dans la force du terme ; que les païens ne furent
jamais assez insensés pour regarder une statue
comme un dieu ou comme un être animé ; qu'ils
n'étoient pas plus idolâtres que nous le sommes
^li TRAITE
en rendant un culte aux images j que le fond de
leur mythologie étoit trés-raisonnable. Voilà ce
que l'on a répété dans huit ou dix ouvrages diôé-
rens ^'\
Nous verrons dans l'article suivant , s'il est vrai
que les philosophes aient admis un Dieu suprême ,
ou un Dieu unique , et dans quel sens ; nous nous
bornons ici à examiner si les païens n'étoient pas
idolâtres , et si on peut nous accuser de l'être.
« Les anciens , dit-on , ne croyoient pas qu'une
« statue fût une divinité : le culte ne pouvoit donc
« pas être rapporté à cette statue , à cette idole. »
Nous soutenons le contraire , et nous n'aurons pas
de peine à le prouver.
Personne n'ignore la supercherie dont les prêtres
chaldéens s'étoient servis., pour persuader au roi
de Babylone que la statue de Bel étoit une divinité
vivante , qui buvoit et mangeoit les provisions que
l'on avoit soin de lui oflrir tous les jours : l'his-
toire en est rapportée dans le livre de Daniel ''- .
Diogène Laèrce nous apprend que le philosophe
Stiipon fut chassé d'Athènes, pour avoir dit que
la Minerve de Phidias n'étoit pas une divinité ^^\
Nous lisons , dans Tite-Live , que Herdonius
s'étant emparé du capitole , avec une troupe d'es-
claves et d'exilés , le consul Publius-Valérius re-
présenta au peuple , que Jupiter , Junon , et les
autres dieux et déesses , étoient assiégés dans leur
demeure ^^\
(i Christian dévoilé, c 7, p. 91. Méipuges de liUér. tome
ni , c. 61 ; suite des mélanges, tome H', p. 343, Fhiiosop. de
l'Iiist. c. a3, p. 1 12 : r. 3o, p. 38 : c. 5o, p. 25i. Dict. philos,
nrt. Idolâtrie et Religion. Kucycl. art. Idolâtrie Traité sur
la tolér. c. 7, p. 5o. De la ftïicilé publique , sect. i,c. 2,
p. i56. Questions sur renryclop. art. yi dorer , Idolâtrie, etc.
— (2 Dan. c. 4» — (3 Diog. Laercc 5 I. 2, vie de Slilpon. —
(4 Tite-LivCjl. 3, c. 17.
DE LA VR.VIE RELIGION. ^10
Cicéron , dans ses harangues contre Verres , dit
que les Siciliens n'ont plus de dieux dans leurs
villes auxquels ils puissent avoir recours , parce
que Verres a enlevé tous les simulacres de leurs
temples ^'\
Pausanias , parlant de la statue de Diane-Tauri-
que , auprès de laquelle les Spartiates fouettoient
leurs enfans jusqu'au sang , dit qu'il est comme
naturel à cette statue d'aimer le sang humain ,
tant l'habitude qu'elle en a contractée chez les
barbares s'est enracinée en elle ^'\
Porphyre enseigne que les dieux habitent dans
leurs statues , et qu'ils y sont comme dans un lieu
saint : même doctrine dans les livres d'Hermès ^^\
lamblique avoit fait un ou\Tage , pour prouver
que les idoles étoient divines , et remplies d'une
substance divine '^'^^.
Procîus dit formellement , que les statues atti-
rent à elles les démons ou génies , et en contien-
nent tout l'esprit en vertu de leur consécration ^^ .
Vous vous trompez , dit un païen dans Arnobe ,
nous ne croyons point que l'airain , l'argent , l'or
et les autres matières dont on forme les simulacres ,
soient des dieux,; mais nous honorons les dieux
mêmes dans ces simulacres , })arce que dès qu'on
les a dédiés , ils y viennent habiter ^^\
Un poète a dit dans le même sens , que l'ouvriei'
qui taille des statues , n'est point celui qui fait les
dieux , mais bien celui qui les adore et leur offre
son encens
17)
Maxime de Madaure écrit à saint Augustin : « La
« place publique de notre ville est habitée par un
(i Act. 4 •> ds Signis. — (2 Pausan. 1. 3 , c. 16. — (3 Euscb.
presp. evang. 1. 5, c. i5. S. Aug. de civ. Dei , 1. 8 , c. 23. —
(4 Hhotius, Biblioth. cod. 216. — (5 Lib. de sacrif. et magià,
(6 Arnob. 1. 6. n.° 27. — (7 Martia] , épigruru.
4l6 TRAITÉ
« grand nombre de divinités , dont nous ressentons
« le secours et l'assistance ^'\ »
Enfin , pour que rien ne manque à la preuve ,
l'auteur mém€ du dictionnaire philosophique avoue
que , selon l'opinion régnante , les dieux avoient
choisi certains autels , certains simulacres , pour y
venir résider quelquefois, pour y donner audience
aux hommes, i)Our leur répondre *^'\
Donc le culte s'adressoit à la statue comme
séjour de la divinité , comme gage de sa présence ,
comme figure animée par tel dieu. Si cet abus ne
doit pas être appelé idolâtrie , comment faut-il le
nommer ? Les pères de l'église, nos apologistes, les
li^Tes saints , n'ont pas reproché autre chose aux
païens ^^\ Ainsi , l'auteur démontre l'erreur des
païens , en voula)it les en absoudre ; et pour l'in-
struction des races futures , cet article précieux a
été inséré dans l'encyclopédie, avec toutes les con-
tradictions qu'il renferme.
La folie des idolâtres est prouvée encore par les
miracles qu'ils racontoient de statues qui avoient
parlé , ou fait des signes , ou rendu des oracles ;
par l'usage d'enchaîner les idoles, pour retenir la
divinité même qui les habitoit ; par la coutume de
rendre aux idoles , dans les temples , les mêmes
services que Ton auroit rendus à la personne des
dieux. De là , les transports de colère des Chinois,
et de quelques autres peuples stupides , qui mal-
traitent leurs idoles et les couvrent d'outrages ,
lorsqu'ils en sont mécontens , etc. Les anciens
païens n'ont pas été plus raisonnables que les
idolâtres modernes.
(i Lettre 16, de S. Aug. — (i Dict. philos, art. Idolâtrie ,
p. 55. Quest. sur l'Êncyclop. Idoles. — (3 V. Alheuas;. légat,
pro Christion. Tertull. de Idol. c. 7 , Oi ig< ne coutte Ctls»",
1. 3 , etc.
r>E LA MIAJE RELIGION. 1 1 7
§ XVIII.
Si on nous demande en quoi consistoit le crime
de ce culte , en quoi il outrageoit le vrai Dieu , en
quoi il blessoit la raison j la réponse n'est pas dif-
iicile.
1 .° La plupart des idoles ne représentoient que
des êtres imaginaires; les j)rétendus démons ou
génies, maîtres de la nature^, tels que Jupiter, Ju-
non , Neptune , n'existoient que dans le cerveau
des païens. Soit qu'on les crût tous égaux et indé-
pendans, soit qu'on les crut subordonnés à un Dieu
suprême , c'étoit outrager sa providence , que de
supposer qu'il ne daignoit ])rendre aucun soin des
hommes; qu'il abandonnoit leur sort au caprice
de plusiem's esprits bizarres, souvent injustes et
malfaisaus , qui ne tenoient aucun compte de la
vertu de leurs adorateurs , mais seulement de.-s
hommages extériem-s qu'on leur rendoit. C'est un
abus inexcusable de leur rendi'e un culte pompeux ,
pendant que le créateur, souverain maître de l'uni-
vers, n'étoit adoré dans aucun lieu.
2.° Il y avoit de l'aveuglement à revêtir ces dieux
fantastiques des attributs incommunicables de la
divinité , tels que la toute-puissance , la connois-
sance de toutes choses , la présence dans tous les
lieux consacrés; pendant qu'on les supposoit d'ail-
leurs vicieux et protecteurs du crime.
5.° Les idoles représentoient : les unes, des objets
scandaleux , tels que Bacchus , Vénus , Cupidon ,
Priape, Adonis , le dieu Crepitus, etc. ; les autres,
des objets monstrueux, tel qu'Anubis, Atergatis ,
les Tritons, les Furies, etc. ; les autres, des person-
nages accompagnés de symboles indécens ; Jupiter
avec l'aigle , qui avoit enlevé Ganymède ; Junon
1. 18.
4l3 TRAITÉ
avec le paon , figure de l'orgueil ; Vénus avec des
colombes , animaux lubriques , etc. Presque toutes
étoient des nudités révoltantes.
4.° C'étoit une opinion folle de croire qu'en vertu
d'une prétendue consécration , ces démons ou gé-
nies venoient liabiter dans les statues , comme
l'assuroient gravement les philosophes ; que , par
le moyen de la théurgie, de la magie, des évoca-
tions, l'on pouvoit animer une statue et y renfermer
le dieu qu'elle représentoit.
5.° I]n nouveau trait de démence étoit de mêler
encore, dans le culte de pai'eils objets, des céré-
monies absurdes ou infâmes, l'ivrognerie, la pros-
titution , l'eflusion du sang humain ; à supposer
que la divinité pouvoit être honorée par des crimes,
({u'elle attaclioit ses bienfaits à des gestes ridicules
ou a des vœux criminels.
Tel est cependant le spectable que le paganisme
nou5 ofire dans tous les temps , mais sur-tout dans
les derniers siècles.
Il est fort singulier que les philosophes modernes
entreprennent de justifier un culte , que plusieurs
anciens ont condamné. Nous avons déjà vu que
Plutarque s'est plaint de la folie des Grecs, et en a
déploré les elléts. Ils ont manqué de sagesse , dit-il ,
en représentant les dieux par des statues, et en
leur rendant un culte; de là sont nés la superstition
parmi le peuple , le mépris de la religion , et l'a-
théisme parmi les philosophes ^'\ Varron et So-
phocles ont pensé de même.
"Peut-oa sérieusement faire au Christianisme au-
cun des reproches dont nous chargeons la religion
païenne? Nous n'adorons que Dieu ; lui seul est le
dernier terme de nos hommages. Si nous honorons
les anges et les saints , nous ne leur attribuons
(i De I<ide et Osir. c. 3^.
DE LA MIAIE IIELIGION. éig
d'aulre pouvoir , que d'intercéder pour nous auprès
de Dieu , nous ne leur supposons d'autres mérites
que ceux que Dieu leur a donnés. Nous n'avons
jamais rêvé qu'ils vinssent habiter dans leurs ima-
ges , ni que ces figures fussent douées d'aucune
vertu surnaturelle. L'église proscrit absolument
toute indécence , toute espèce d'abus contraire à
la piété intérieure ; elle ordonne aux pasteurs de
réprimer sur ce point la licence des artistes, et de
prévenir les erreurs des peuples. Nous reviendrons
à ce sujet dans la suite. - *
§ XIX.
Mais nos adversaires nous renvoient aux leçons
que l'on donnoit aux païens dans les mystères ; il
laut donc y jeter un coup d'œil , et savoir ce qui
en est.
« Dans le chaos des superstitions populaires, dit
« un philosophe, il y eut une institution salutaire
« qui empêcha une partie du genre humain de
« tomber dans l'abrutissement , ce sont les mys-
« téres; tous les auteurs grecs et latins qui en ont
« parlé , conviennent que l'unité de Dieu , l'immor-
« talité de l'àme , les peines et les récompenses
« après la mort , étoient annoncées dans cette
« cérémonie sacrée. On y donnoit des leçons de
« morale; ceux qui avoient commis des crimes les
« confessoient et les expioient. On jeùnoit , on se
« purifioit, on donnoit l'aumône. Toutes les céré-
« mouies étoient tenues secrètes sous la religion du
« serment, pour les rendre plus vénérables ^'\ »
Le savant évêque de Glocester , Warburthon ,
s'est attaché à prouver ce fait ; c'est de lui que
(i Philos, de Thist. c. 23 ,3^. De la ftilicité publique, sect.
I, c. 2j p. i55.
-12 0 IT^UXK
l'auteur de la philosophie de l'histoire a emprunta
ce qu'il a dit des mystères du paganisme , mais en
y mêlant de vaines imaginations auxquelles il seroit
inutile de nous arrêter. Selon ^Yarburthon , les
initiés apprcnoient trois choses ; i .° l'origine de la
société civile ; 2.° le dogme des peines et des ré-
compenses futures; 5.° la fausseté du polythéisme,
et le dogme de l'unité de Dieu ^''.
M. Leland , après avoir pesé toutes les preuves de
Warburthon , ne les a pas jugées convaincantes ; il
persiste à nier que l'on ait enseigné dans les mys-
tères la fausseté du polythéisme et le dogme de
l'unité de Dieu : les raisons par lesquelles il prouve
le contraire , paroissent très-fortes ; nous les rap-
porterons en abrégé '-'\ Mais avant d'entrer dans
cette discussion , il est bon de montrer qu'elle n'est
pas fort importante.
1 .° Supposons vraie, pour un moment, l'opinion
de Warbnrthon ; il s'ensuit que l'unité de Dieu et
la fausseté du polythéisme n'étoient ix)int connues
du commun des païens ; que le peuple n'en avoit
aucune idée ; quil avoit même pour ce dogme es-
sentiel une aversion décidée , puisqu'il falloit le
cacher sous le voile des mystères , et ne le révéler
fpi'à un petit nombre d'initiés. Pom*quoi cette afi'ec-
tation de tenir dans le secret une vérité utile et
salutaire à tous les hommes , si la religion païenne
l'enseignoit d'aillem's publiquement ; si le culte
extérieur, symbolique et relatif, annonçoit à tous
un Dieu suprême et unique, comme le soutiennent
nos adversaires? La défense , sous peine de moit ,
de révéler le secret des mystères , la crainte de voir
tomber la religion publique , si ce secret venoit à
être connu , nous paroissent démontrer la fausseté
(i Voy. les di<jsert. tirées de ^Va^burlllO^ , to:ae I, disseï f.
DE LA VR-VIE RELIGION. ^2 1
de tout ce qu'on allègue pour justifier le culte du
paganisme. Quant au dogme de la \ie future, nous
convenons qu'il a été connu par-tout, indépen-
damment des mystères.
2.° Warburtlion a employé beaucoup d'érudition
et de sagacité à montrer que la descente d'Enée
aux enfers, peinte par Virgile dans le sixième livre
de l'Enéide , n'est autre chose que l'initiation de
son héros aux mystères d'Eleusis , et un tableau de
ce qu'on faisoit voir aux initiés; il a rendu ce sen-
timent très-probable "^'^ Voilà donc les mystères
pleinement dévoilés par Virgile : qu'y voyons-nous?
Une peinture des enfers , le dogme de la transmi-
gration des âmes , et la doctrine des stoïciens sur
l'àme du monde ^-\ Or cette doctrine , loin d être
opposée au polythéisme et à l'idolâtrie , les con-
firme au contraire. C'est sur ce fondement que le
stoïcien Balbus les établit dans le second livre de
la nature des dieux , et que Cicéron paroi t les
admettre lui-même. Ce système , loin d'être opposé
à la religion païenne , lui donne une base philoso-
phique : nous ne voyons pas pourquoi on le caclioit
sous le voile des mystères avec tant de précaution.
3.° Les plus zélés partisans des mystères con-
viennent que la corruption s'y glissa; qu'ils de-
vinrent une école de crimes et d'abominations. Ce
fait est attesté , non-seulement par les pères de
l'église , mais par les auteurs profanes. En quel
temps cette dépravation est-elle arrivée? Nous n'en
savons rien. Quelle qu'en soit la date , il est certain
que dés lors les mystères, loin de contribuer à ins-
truire les hommes et à les corriger , ne firent qu'au-
gmenter les erreurs et le dérèglement des mœurs.
Les mystères ne forment donc aucun préjugé contre
l'utilité et le besoin de la révélation ; ils les prouvent
(i Dissert. 6. — (2 Eaéi>le, 1. G, ;^. 724.
^2 2 TRAITE
au contraire. Nous avons donc très-peu d'intérêt
de savoir ce qu'ils étoient dans l'origine ; voyons
néanmoins ce qu'en a pensé M. Leland.
§ XX.
Il observe d'abord , que les plus ardens défenseurs
des mystères , ceux cjui les ont vantés davantage ,
sont les philosophes postérieurs à la naissance du
Christianisme. Apulée, ïamblique, Hiéroclès, Pro-
clus , etc. Ils vouloient en tirer avantage pour sou-
tenir l'idolâtrie chancelante , pour affoiblir l'im-
pression que faisoit sur les esprits la morale pure
et sublime de l'évangile. Leur témoignage est donc
fort suspect , sur-tout dans un temps où , de l'aveu
de tout le monde , les mystères avoient dégénéré.
Au rapport de saint Augustin , Porphyre avouoit
qu'il n'y avoit trouvé aucun moyen efficace pour
|)urifier l'âme ^'\
Si l'on y avoit donné d'excellentes leçons de mo-
rale , est-il probable que Socrate en eût fait si peu
de cas ; qu'il eut refusé constamment de se faire
initier; qu'il se fut ainsi exposé à rendre sa religion
suspecte ? est-il -vTaisemblable que l'on eut caché
avec tant de soin une doctrine capable de porter
l'homme à la vertu? Les mystères de Bacchus et
de Vénus qui retraçoient leurs aventures , tout
comme ceux d'Eleusis peignoient la vie de Gérés ,
n'ont jamais ])U être propres à inspirer la régularité
des mœurs. Les symboles du Ktéis et du Phallus.
))ortés dans les mystères , de quelque manière qu'on
les envisage , ne sont qu'une leçon scandaleuse ,
|)lus capable d'enllammer les passions que de les
réprimer.
En second lieu , parmi tous les passages des an-
(i S. Au^'. de ciy. Dti j 1. lo, c. 32.
DE LA \TIAIE RELIGION. 4:2J
ciens , cités par Warburtlion , il n'y en a pas un
seul qui prouve clairement que l'unité de Dieu étoit
enseignée dans les mystères. Peut-on su{)poser que
la doctrine des hiéropliantes fût plus pure et ])]us
sensée que celle des philosophes? Or, nous verrons
qu'aucune secte de ceux-ci n'a professé clairement
l'unité de Dieu. Quand il seroit mieux prouvé que
les hymnes d'Orphée et de Cléanthe étoient récitées
dans les mystères , ce qu'ils disent de l'unité de la
nature divine ne conclut rien ; ce dogme , entendu
à la manière des stoïciens , servoit de base à la plus
grossière idolâtrie.
En troisième lieu , Warburthon suppose que l'on
apprenoit aux initiés , que les dieux adorés par le
vulgaire avoient été des hommes ; qu'ainsi l'on
anéantissoit le polythéisme et la religion populaire.
Fausse conséquence. L'apothéose des héros a tou-
jours été une des branches de l'idolâtrie, et non un
usage propre à la décréditer. Les Cretois qui pré-
tendoient avoir chez eux le berceau de Jupiter , ne
riionoroient pas moins comme le souverain des
dieux. Lorsque le livre d'Euhémère annonça aux
(irecs que leurs dieux avoient tous été des hommes,
il ne causa aucune révolution dans le culte public.
D'ailleurs , si les mystères avoient pu y donner
atteinte, les magistrats, défenseurs nés de ce culte ,
eussent-ils pris les mystères sous leur protection ?
Le peuple d'Athènes , presque tout composé d'ini-
tiés , auroit-il pu être tout à la fois infatué des
mystères et de la religion de ses ancêtres , dont les
n^ystéres dévoient le désabuser? Lorsqu'Alcibiade,
dans l'ivresse , tourna en ridicule l'histoire de Gérés
et de Proserpine, représentée dans les mystères, le
peuple se mit en fureur contre lui , et cria au blas-
j)hême : ce zèle ne s'accorde guère avec l'idée d'un
seul Dieu , et de la fausseté du polythéisme.
42* TPcUTÉ
Enfin 5 si les mystères avoient été tels que War-
burthon les représente , les premiers philosophes
convertis au Christianisme , saint Justin , Arnobe ,
Athénagore, saint Clément d'Alexandrie, etc. n'en
auroient-ils pas tiré avantage pour prouver aux
païens l'unité de Dieu ? Plusieurs d'entr'eux sans
doute avoient été initiés; le dernier sur-tout, très-
instruit de ce qui se passoit dans les mystères,
déclare qu'il va en révéler le secret ; et il les peint
comme une école d'erreur, de corruption, d'im-
piété.
L'auteur des recherches philosophiques sur les
Egyptiens et sur les Chinois, nous apprend que les
mystères étoient devenus mie branche de finance
pour la république d'Athènes , et qu'il en coiitoit
fort cher pour être initié ^'\ Cette nouvelle cir-
constance n'est pas propre à inspirer beaucoup de
respect pour la cérémonie.
Les philosophes qui ont entrepris la défense du
paganisme contre les attaques des pères de l'église ,
se sont prévalus tant qu'ils ont pu de ce qui étoit
enseigné dans les mystères. Celse objecte aux chré-
tiens , que le dogme des peines éternelles ne leur
est point particulier ; qu'il est enseigné aux initiés
dans les mystères ; que les récompenses réservées
aux justes , et les supplices destinés aux méchans
dans l'autre vie , sont admis })ar-tout le monde ^'\
Si le dogme de l'unité de Dieu eut aussi fait partie
des mystères , Celse , ne l'eiit-il pas remarqué de
même ? Au contraire , il soutient la pluralité des
dieux dans tout son livre , et blâme les chrétiens
de ce qu'ils ne veulent pas adorer les génies.
Il est donc évident que les mystères, loin d'avoir
pu corriger le monde du polytliéisme et de l'ido-
(i Recherches philos, sur les Efîyptiens, tome II , scct. 7,
p. i52, — C2 0iig coutic ClIsc, I. 8, p. 408, 409.
DE LA VRAIE RELIGION. 425
latrie, n'étoient destinés qu'à perpétuer leur règne
chez toutes les nations.
s XXL
Ohjection. Vous supposez , très-mal à propos ,
diront les déistes , que le culte public et les fables
avoient eôacé , chez les païens, la notion d'un seul
Dieu ; les poètes l'ont professée publiquement sur
le théâtre d'Athènes. L'auroit-on soulïert , si ce
dogme n'ayoit été universellement cru et connu ,
ou s'il avoit été incompatible avec la religion do-
minante ? Dans les Troyennes d'Euripide , acte R^,
Hécube fait cette apostrophe singulière à Jupiter :
« Puissant moteur de l'univers, vous dont la terre
(( même est le trône ; être impénétrable à nos lu-
« mières , qui que vous soyez , soit une nature
« nécessaire , soit l'esprit des mortels , je vous
« adore. C'est vous dont l'équité , par des routes se-
« crêtes, conduit les choses humaines à ses fins ^*^.»
Vous avez cité vous-même cet autre passage de
Sophocles : « Dans la vérité , il n'y a qu'un Dieu,
il n'y en a qu'un qui a formé le ciel , la terre , la
mer et les vents. Cependant la plupart des mor-
tels , par une étrange illusion , dressent aux dieux
des statues de pierre, de cuivre, d'or et d'ivoire,
« comme pour avoir une consolation présente dans
« leurs malheurs. Ils leur offrent des sacrifices, ils
« leur consacrent des fêtes , s'imaginant vainement
u que la piété consiste dans ces cérémonies ^'\ »
Didyme d'Alexandrie, dans un traité de la Trinité ,
qui vient d'être puplié, a cité, 1. 2, c. 27, deux
passages , l'un de Platon , ancien poète comique ,
(1 Théâtre des Grecs, tome IV, c. i3. — (2 Eusèb. prœp.
" i3
'±2b TRAITE
l'autre de Philémon, qui établissent l'unité de Dieu
aussi clairement que celui de Sophocles ^'\
Or, les poètes, en tenant ce langage, ont suivi .
ou la croyance commune, ou les opinions philoso-
phiques : dans le premier cas, il en résulte que
l'unité de Dieu étoit la croyance commune ; dans
le second, il s'ensuit cjne du moins les philosophes
ont connu clairement , et professé hautement l'uni-
té de Dieu.
Réponse. Ce langage des poètes est sans doute
une opinion philosophique ; Euripide avoit été
disciple de Socrate. Si l'on veut y regarder de près,
on verra cpie le moteur de Vuniuers, confondu avec
r esprit des mortels , n'est autre chose que l'àme
universelle du monde , selon le système de Pytha-
gore et des stoïciens , exposé par Virgile dans la
description des enfers. Il est très-probable que So-
phocles et les autres poètes ne concevoient pas la
divinité autrement. Or , en parlant de la religion
des Indiens, nous avons déjà fait voir que ce systè-
me ne favorise ni l'unité de Dieu , ni la pureté de
son culte , ni la morale, ni le dogme des peines et
des récompenses futures ; il les détruit au con-
traire par le fondement ; nous le prouverons encore
ailleurs.'
Mais supposons , pour un moment , que la doc-
trine , enseignée sur le tliéàtre d'Athènes , ait été
plus orthodoxe , l'on ne pourra encore en tirer
aucune conséquence , ni en faveur de la croyance
commune, ni pour l'honneur de la philosophie.
Les Athéniens laissoient à leurs poètes di'ama-
tiques la liberté de parler contre la religion : il n'est
pas possil)le de pousser plus loin la licence, que l'a
fait Aristophane ; il a couvert de ridicule les dieux ,
(i Voy. Dauû 1 , traduit par les Septante, S.*" Dissert. p.
4o3 fl4o5.
m: LA \lL\IE RELIGIOK. 427
leurs fables , leur culte , sans qu'il lui en soit rien
arrivé , et sans que l'idolâtrie ait rien perdu de son
crédit. Les poètes étoient sans conséquence ; on
s'amusoit de leurs saillies, et toutes choses alloient
leur train. Aussi ne raisonnent- ils pas toujours de
même ; leurs discours sont ordinairement confor-
mes à l'opinion vulgaire ; ils parlent des dieux com-
me le peuple. Ils sont même les auteurs de la plupart
des fables ; ils les ont accommodées au goût et aux
préjugés de leurs auditeurs. L'inconstance de leur
langage ôte donc toute espèce d'autorité et de force
aux vérités qu'ils ont rencontrées par hasard. Dès
qu'un dogme n'est point constant, uniforme, suivi
dans la pratique , il n'est plus d'aucune utilité , il
ne produit aucun effet.
11 en est de même des philosophes. Tantôt ils
parlent de Dieu , et tantôt des dieux : ici , ils sem-
blent blâmer l'idolâtrie; là , ils l'approuvent et la
confirment; ils citent quelquefois l'ancienne tradi-
tion , et ils l'abandonnent. Rien de constant dans
leur doctrine ; la vérité y est noyée dans les erreurs.
Quel fond peut-on faire sur de pareilles leçons?
Quel fruit le peuple peut-il en tirer? Leurs contra-
dictions n'ont pu enfanter que des doutes; et lors-
que la vérité s'est fait entendi'e , ils ont réuni toutes
leurs forces pour étoufi'er sa voix. Nous allons le
démontrer dans l'article suivant.
Lorsque les incrédules s'obstinent à soutenir que
les grandes vérités de la religion naturelle ont été
connues dans le paganisme , ils ne voient pas que
ce fait, s'il étoit vrai , tourneroit à la condamnation
des païens. Dans cette hypothèse ^ comment excuser
l'idolâtrie, généralement pratiquée? comment jus-
tifier l'indolence des philosophes , qui n'ont pas
osé , ou n'ont pas daigné détromper le peuple ? Plus
indulgens cpie n05 adversaires , nous convenons ,
4 2 0 TRVITE DE LA. VRAlE RELIGION.
avec les pères de l'église , qu'avant la venue Je
Jésus-Christ le commun des païens étoient excu-
sables y'^/^g'î^^à U7i certain point '^ . et plus dignes
de pitié que de colère. Nous en concluons, avec les
Apôtres, que la venue de ce divin maître a été le
plus grand bienfait de la miséricorde divine, et que
uous ne pouvons assez en bénir sa providence.
(i Tht'odoret, Thërapeut. 2 dise. p. 485. i Cor. c. i2. ;^.a.
FL\ DU TOME PREMIER.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME.
INTRODUCTION. Dessein de la providence dans rétablisse-
ment de la religion ; origine et progrès de l'incrédulité ;
plan et division de cet ouvrage. tage i
§ I. Première époque de la révélation; loi de nature. id.
» II. Seconde époque; loi nationale donnée aux Juifs. 3
» m. Troisième époque ; loi universelle donnée par J.-C. 5
)) W. Uniformité du plan de la providence. 7
)> V. Chaîne des faits; des dogmes, des erreurs. 9
M VI. Nécessité de ne point séparer les trois époques. 12
» VII. Origine etprogrèsderincrédulité; leluxedesnatioiîs.iS
» VIII. Services que le Christianisme a rendus aux lettres. ^7
» IX. Principes de la prétendue réforme des protestans. 20
» X. Enchaînement de ces principes. 22
» XI. Progrès des controverses. 26
» XII. Abus de la maxime , qu'il faut consulter la raison. 28
)) XIII. Point de milieu entre le catholicisme et le pyrronisms.3 i
n XIV. Libertinage , source principale de Pirréligiou. 33
» XV. Folie du projet des incrédules. 38
» XVI. Sources dans lesquelles ils ont puisé leur doctrine. 4^
j> XVII. Leur crédulité sur tout ce qui les favorise. 4-*
B XVIII. Jalousie et malignité de leur part. 44
» XIX. Leur haine contre les prêtres, 4^
» XX. Traits de fanatisme ir religieux. 47
» XXI. Intolérance des incrédules. 4y
» XXII. Variations et divisions parmi eux. ôi
» XXII I. Plan de cet ouvrage. 53
» XXIV. Avantages de l'ordre chronologique. 5?
» XXV.^ Inconvéniens que l'on ne peut éviter. 5()
TRAITÉ HISTORIQUE ET DOGMATIQCB DE LA. VRAIE REL1G10^ .
AVEC LA RÉFUTATION DES ERREURS QUI 1 Cl ONT ÉTÉ OPPOSEES ,
DANS les DIFFÉRÉES SIÈCLES. 63
Première Partie. De la révélation donnée aux premiers
hommes. id.
Observations préliminaires. Plan et division de cette première
partie; ]>rtuves sommaires d'une révélation primitive, id.
5 1. Dieu n'a point créé Thomme sans religion. id.
» n. Preuves qu'il la lui a révélée. Cf>
» ni. Division de la première partie. 68
I. 19
4:3 O TABLE.
§ IV. En quel sens la religion primitive etoit naturelle. "i
)) V. Equivoque sur laquelle se fondent les déistes. ^4
Chapitre 1. Origine de la religion primitive. 77
Marche de l'esprit humain , imaginée par les incrédules. id,
j4rticle I. De la religion des patriarches. 79
^ I. Monumens qui nous en instruisent. id.
» II. Dogmes enseignés dans la Genèse. 80
H ni. Suites du péché originel. 83
» lY. Culte extérieur et moral de ce premier âge. 85
» y. Mêmes vérités enseignées dans le livre de Job. 87
« VI. Apologie qu"'il fait de la providence. 8q
» VII. En quel sens celte religion est naturelle ; ses preuves
de fait. 92
)) VIII. Naissances du polythéisme et de ridolâtrie. 94
» IX. Notion d'un seul Dieu conservée par-tout. 97
« X. Témoignages des auteurs profanes. loi
» XI. L'idolâtrie n'est point la première religion. 106
M XII. Elle a été l'ouvrage des passions, 108
Arlicle II. La religion est-elle un efîétde l'ignorance et de la
crainte des premiers hommes ? m
5 I. L'histoire seule peut nous instruire sur ce point. id.
i) II. Faux raisonnemens par lesquels on l'attaque. ii5
■» II [. Fausses suppositions des déistes. 118
T) IV. Fausse théorie de M. Hume, sur le dogme de l'unité de
Dieu. 119
» V. Autres spéculations d'un matérialiste. 122
» VI. Réfutation de cette théorie. 124
» VII. L'idolâtrie est née plutôt de l'admiration et de la
recounoissauce. _ i25
)) VIII. Les ;évolulionsdelauaturcn'y ont point contribué. 129
» IX. L'ignorance des causes naturelles a produit le polyt.^ i3i
» X. L'idée de Dieu n'a rien de terrible. i33
)> XI. Origine des sacrifices. i3G
1) XII. La religion primitive n'a rien d'effrayant. i38
» XIIl. La notion d'un seul Dieu ne vient pas des philos. i4 1
» XIV. Système de l'auteur de l'antiquité dévoilée. i43
)) XV. Réfutation de ce système. j45
» XVI. Fausse théorie sur la source du despotisme. i^^
Article III. La religionest elle une invention de la politique? i52
(i I. Contradiction de cette supposition avec la précédente, id.
)) 11. Preuves qui la détruisent. i54
M III* On nous donne une idée fausse des législateurs. 137
M IV. Aussi bien que des prêtres et de l'éduca ion. iSg
Chapitre II. De l'utilité et de la nécessité de la religion. 162
Le désir de connoître la vérité est naturel à l'homme. id.
Article I. La religion est nécessaire à l'homme, considéré seul
et pour son bonht-ur particulier. i65
§ 1. Elle fait sa sûreté , sou repos et sa consolation. id.
TABLE. 43 1
§ II. Tableau tic rhomnie dans l'athéisme. i65
)> III. Sombres iik'es qui tourmentent les alhe'es. 171
» IV. II n\ a pour eux ni bonheur ni vertu. 173
)) V. La rciigiou est une ressource contre roppression. 177
» YI. Aveux, humilians d'un athée. 170
» ^ II. llommagesque plusieurs incrédules u-ndcutà larelig.180
î) VIII. Première objection. Un Dieu attentif à tout inspire la
crainte. 182
» IX. Deuxième objection. La religion rend rhomnie peureux
et lâche. '84
>i X. Troisième objection. L'espérance du bonheur éternel vient
de Torgueil. 186
T) XI. Quatrième objection. Toutes les religions prescrivent à
l'homme de se tourmenter. 188
Article II. Nécessité de la religion pour fonder la sociélé entre
les hommes. 190
5 I. L'homme est né pour la société. id.
') II. Dieu Ta étalilie par le mariage et par la religion. 198
» III. Réflexion de M. de Buflou. 197
5> IV. La sociélé n'est point fondée sur un contrat. 201
y* V. L'intérêt n'en est pas le seul fondement. 2o3
)> VI. 11 faut une loi naturelle. 206
3 VII. Aveu des anciens philosophes. 208
r> VIII. Et de plusieurs incrédules modernes. 212
« IX. Objections de Bayle. 216
» X. Contradictions de cet auteur. 218
» XI. Réponse directe à ses sophismes. 219
» XFI. Fausseté de son principe. 221
» XIII. Funestes effets de Tépicuréisme. 223
» XiV. L'idolâtrie est moins pernicieuse. 226
" XY. Le fanatisme cause moins de maux. 229
M XVI. Il est faux que la religion divise les hommes. 232
Article in. Nécessité de la religion pour fonder le corps
politique. 236
5 I. Autorité paternelle , première source du gouvernement, id.
j> II. La loi naturelle lui donne la sanctification. 240
» III. II n'est point fondé sur un contrat. 242
M IV. Les lois civiles ne suffisent point. 2^4
« V. Preuves de cette vérité. 247
» VI. Autres preuves. 249
» VII. Les peines et les récompenses sorit insuffisantes. 252
» VIII. Faux principes des incrédules. 255
» IX. Reproches injustes de leur part. 256
» X. Prétendus inconvénicns de la religion. 258
» XI. En quoi les fausses religions sont utiles. 260
y> XII. La religion n'autorise point les abus du pouvoir. 262
» XIII. L'homme ne peut vivre sans religion. 26G
Chapitre III. Des différentes religions anciennes et mo-
dernes. .^Gg
432 TABLE.
§ I. De quelle manière la religion primitive s'est altérée. 169
» II. Variations des incrédules sur la croyance des anciens
peuples. 271
article I. De la religion des Egyptiens. 3^4
5 I. Prétendue antiquité de ce peuple. id.
» II. Elle ne peut èlre prouvée par le progrès des arts. 276
)> III. Il faut consulter l'histoire. 280
» lY. Origine de l'idolâtrie eu Egypte et ailleurs, 282
3) V. Son opposition au culte du yrai Dieu. 285
M VI, Quels étoient les dieux des Egyptiens, 287
» VI[. Raisons du culte rendu aux animaux. 291
M VIII. Indécences dans la religion de l'Egypte. 295
» IX. Croyance de l'immortalité , mœurs corrompues. 297
« X. Pourquoi tant d'erreurs chez une nation policée, 3oo
» XI. Des lois et du gouverneraeut des Egyptiens. 3o3
uirtich II, De la religion des Chinois. 3o5
§ I. Contradictions entre les divers mémoires sur la Chine, id,
n II. Notice df'S livres classiques des Chinois. 3o8
» tll. Imperfection et incertitude de leur histoire. 3io
>j IV. En quoi consiste leurs observations astronomiques. 3ii
» V. En quel temps leur monarchie a commencé. 3j5
» VI. Imperfection de leur croyance sur la divinité. 3 16
)) Vil. Foi à l'imînortalité de l'àme. 319
» VIII. Leur morale est très-défectueuse. 320
» IX. Corruption de leurs mœurs. SaS
]) X. Mauvais gouvernement. 326
» XI. Contradictions d'un philosophe sur les Chinois. 3^8
» XII. Altération de la religion primitive parmi eux. 33 c
jirticle III. De la religion des Indiens, ou Bramines. 333
ij I. Prétendue antiquité des livres saciés des Indiens. id.
1) II. Erreurs enseignées dans le Bédang. 336
» m. Fourberies des philosophes indiens. 338
)) IV. Erreurs sur l'âme humaine. 339
)) V. Doctrine du Chartah-Bhade aussi fautive. 3.41
» IV. Doctrine de l'Ezour-VéJam, etc. 3ij3
» VII. Morale des Bramines et mœurs des Indiens. 345
» VIII. Défauts essentiels de leurs lois. 346
M IX. Mauvaise apologie que Ton en a faite. 348
» X. Visions de l'auteur de la pliilosophie do l'histoire. 35o
)> XI. Rêverie d'un autre philosophe. 33'2
» XII. Excès auxquels il s'est livré. 354
A rticle IF. De la religion de Zoroastre et des Perses. 35^
^ I. Livres de Zoroastre apportés des Indes. id.
» II. ^ ie de ce législateur , ses t'ogmes. 35G
» in. Sa morale. 362
» IV. Erreurs de la philosophie de l'histoire sur Us Perses. 365
» V. Sur les mœurs des Babyloliens. 369
Article F- Ue la leliçion des Grecs et des Romains. 3;2
T.iBLE. 435
^ I. Mêmes dieux dans la Grèce et à Rome. 872
» II. Influence de ridolàtrie sur la morale. 3^5
» III. Culte absurde et scandaleux. 38o
» IV. Divination, oracles , etc. 38i
» V. Les philosophes ont approuvé tous ces abus. 384
M "VI. Influences de ce culte sur les mœurs. 386
» VII, Les lois ne sulfisoient pas pour y remt-dier. 38i)
)) VIII. Apologie du paganisme, par un déiste anglois. 3oi
» IX. Réfutation de ses conjectures. 894
» X. Les Païens n'adoroicnt point un Dieu suprême. Sg^
ï) XI. Le culte ue s'adressoit point à lai. 4oo
M XII. L'idolâtrie n'étoit point un culte relatif. 4o2
» Xlir. Abus du culte des héros. 4o4
» XIV. Abus des expiations. 407
» XV. Les philosophes ont été plus coupaldes que les prê-
tres. 409
» XVf. Aveux importans du déiste anglois. 4^2
» XVII. Les idoles étoient adorées. 4i3
» XVIÎI. Crimes de ce culte, 4ir
» XIX. Mystères du paganisme, éloges qu'on e» a faits. 4 "9
» XX. Réfutation. 422
)> XXI. Quelques vérités échappées aux poètes, ne prouvent
rien. 425
l\y LE LA TABLE Ul FSf.MlEr, TOLl M».
APPROBATION.
3'ai lu par ordre de monseigneur le Garde des sceaux , uil
manuscrit qui a pour titre : Traité historique et dogmatique
de la vraie Religion. Il convient à un e'crivain accoutumé à
entrer en lice avec les incrédules, d'exécuter un plan d'ouvrage
aussi intéressant pour la religion. Les principes épars de ceux
qui Tont attaquée dans les différens siècles, sont rassemblés
pour former leur corps de doctrine, autant que leurs contra-
dictions multipliées le permettent. Tous les reproches qu'ils
ont faits à la religion sont discutés, et par-tout la religion
triomphe. Un plan aussi vaste a demandé beaucoup de recher-
ches et de travail , et il a dû être rempli avec une étendue pro-
portionnée à l'abondance des matières. La manière dont elles
sont traitées convaincra le public, que l'auteur n'a point passé
de justes l)ornes dans le nombre des volumes qu'il présente.
A Paris, ce i4 novembre 1778.
De la Hogle , Doct. et Prof, de Sorbonne.
PERMISSION.
Vo les précieux avantages que la religion peut retirer de
la lecture du Traité de la vraie Religion par Bergier,
nous permettons à M."" Casterman-Dieu de le réimprimer ,
aux conditions énoncées dans son prospectus.
Touniay, le g Août 1826,
P..J.
D^
BX 1750 Ai B465 1827 V. i
SMC
Bergier M-
Traite historique et
dogmatique de la vraie
religion
47231428
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