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University of British Columbia Library
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LES FORETS
Une Sapinière près de Leviers (Doubs), (photographie de
M. Juvanon du Vachat).
É PRATIQUE DE SYLVICULTURE
LES FORÊTS
I' A H
L. BOPPE
Directeur honoraire de L'École Nationale des Eaux et Forêts de Nancy,
Membre du Conseil supérieur de l'Agriculture,
Membre correspondant de la Société Nationale d'Agriculture,
Officiel' de la Légion d'honneur.
ET
Ant. JOLYET
Inspecteur adjoint des Eaux et Forêts,
Chargé de Cours à l'Ecole Nationale des Eaux et Forets de Nancy.
Avec 95 photogravures intercalées dans le texte.
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE ET FILS
19, rue Hautefeuille, près du Boulevard Saint-Germain
1901
Tous droits réservés.
AVANT-PROPOS
Sollicité de toutes parts de publier les leçons que
j'ai longtemps professées à l'Ecole Nationale des
Eaux et Forets, j'ai pensé devoir donner à ce volume
un sens pratique qui le mit à la portée de tous les
représentants de la richesse forestière en France,
aussi bien des propriétaires particuliers que des
fonctionnaires de l'État.
Pour m'aider dans cette tâche, j'ai eu la bonne for-
tune de rencontrer dans M. l'Inspecteur adjoint
Antoine Jolyet, un collaborateur des plus dévoués,
dont l'érudition m'a permis de mettre au niveau du
jour toutes les données empruntées directement aux
sciences naturelles.
Il nous a paru utile d'éclairer le texte par des pay-
sages forestiers. De ceux-ci, beaucoup ont été emprun-
tés à l'album des Élèves de l'École Nationale des
Eaux et Forêts ; en effet, chaque promotion compte
ses artistes, qui, pendant les tournées, ont la bonne
VI AVANT-PROPOS,
habitude de prendre l'objet de la démonstration sur
le point précis où elle vient d'être faite.
Nous en devons d'autres à d'aimables Correspon-
dants, qui nous ont gracieusement confié leurs cli-
chés.
Enfin, l'obligeance de M. Fournel, adjudant à
l'Ecole, nous en a grandement facilité la mise en
œuvre.
Que tous reçoivent ici nos meilleurs remercî-
ments.
L. Boppe.
Nancy, le 1^' juillet 1900.
PLAN I)K L'OUVRAGE
Imiter la nature, hâter son œuvre,
telle est la maxime fbndamenta e de
la sylviculture.
Parade.
La culture forestière a toujours occupé une place
spéciale à côté des autres exploitations agricoles ; et
cela pour deux motifs.
Le premier, c'est que les végétaux forestiers ne
donnent des produits rémunérateurs qu'au bout d'un
nombre d'années d'existence plus ou moins considé-
rable. Si le fait a des conséquences dans l'ordre
économique, il en a surtout dans l'ordre naturel.
La forêt, en effet, — obligée de se suffire à elle-
même pendant un demi siècle, un siècle et même
davantage, dans les terrains généralement médiocres
que l'agriculture lui abandonne, de braver les hivers
rigoureux et les étés excessifs, — se constitue et se
perpétue en harmonie intime avec les conditions de
sol et de climat du lieu. Les plantes agricoles, au
contraire, sont des hôtes de passage, auxquels la vie
est rendue possible, d'une manière plus ou moins
VIII PLAN DE L OUVRAGE.
factice, par les soins constants dont on les entoure.
Une forêt n'est pas non plus, comme un champ de
blé, un simple groupement d'individus de même
espèce croissant côte à côte jusqu'à l'époque où le
bûcheron juge à propos d'y porter la hache : des
essences forestières, aux exigences souvent les plus
diverses, s'y trouvent réunies, et, de leur naissance à
leur vieillesse, non seulement elles grandissent,
mais encore elles modifient leurs besoins, quant à
l'état physique du sol qui les porte ou quant à l'espa-
cement qui leur est dévolu; elles-mêmes, en épais-
sissant ou en éclaircissant leur feuillage, ont une
action considérable sur ce sol, sur la quantité de
lumière qu'elles y laissent arriver, sur les détritus
qu'elles lui restituent; toujours en lutte les unes
avec les autres, elles se prêtent ou s'opposent à
l'existence de toute une population d'arbres nouveau-
venus, d'arbustes, de plantes basses, ou d'animaux
qui, à leur tour, réagissent sur elles. En un mot, la
forêt, bien que constituée par un assemblage d'êtres
vivants, soumis à toutes les vicissitudes du climat,
est un organisme unique, éminemment variable et
complexe, ayant sa vie propre, ses périodes de ré-
génération, ses phases d'évolution, et ses crises sou-
vent mortelles.
La foret, c'est l'ensemble des végétaux qui occupent le sol, — lichens,
mousses et autres cryptogames qui tapissent la terre, — herbes, grami-
nées et autres, qui disparaissent en hiver, sauf à renaître de leurs
souches ou de leurs semences,— ronces, airelles, broussailles, morts-bois,
formant sous-étage avec les jeunes plants des bonnes essences fores-
tières qui s'y trouvent mêlées et qui sont l'espoir de la régénération,
— enfin, arbres forestiers plus ou moins élancés, plus ou moins gros,
plus ou moins serrés, en taillis ou en futaie (1).
(1) E. Guinier. Le mouton. Revue des Eaux et Forêts, 10 juillet 1897.
PLAN DE L OUVB tGE. IX
Le second motif réside; dans le caractère extensil
de la culture forestière, qui réduit à peu de chose
l'intervention humaine. Bien rares sont les cas où
la pioche ameublit les sols forestiers, plus rares
encore ceux où un apport d'engrais augmente sa fer-
tilité. En fait, la forêt est un bien naturel, que l'homme / )
se contente de domestiquer à son profit.
La sylviculture est donc pour nous: la science r/ui
étudie les phénomènes relatifs à la végétation de la
forêt sauvage, et U art d'exploiter celle-ci sans entraver
son fonctionnement physiologique.
En d'autres termes, le sylviculteur a comme prin-
cipaux ouvriers les agents qui président aux phéno-
mènes dont le sol et l'atmosphère sont le théâtre.
A lui de maintenir l'harmonie dans ces forces
mises gratuitement à sa disposition ; à lui de les
diriger vers la production de la matière ligneuse et
de tous les avantages que procure l'état boisé d'une
contrée. La besogne est intéressante ; elle est aussi
des plus délicates, car, parfois, des accidents de force
majeure, trop souvent aussi des fautes commises par
une imprévoyance coupable ou par ignorance,
suffisent à détruire tout l'équilibre du système.
C'est dire qu'avant tout le sylviculteur devra ob-
server, chercher dans l'étude de chaque station, de
chaque massif, les renseignements nécessaires à sa
gestion. Si la chose est vraie d'une façon générale,
dans un pays comme la France, où, elle est justifiée
plus que partout ailleurs, des hautes chênaies des
vallées de la Loire et de la Seine aux sapinières
des Vosges, du Jura et des Pyrénées, — des taillis
PLAN DE L OUVRAGE
sous futaies du Nord et de l'Est aux taillis simples
de chêne vert de la Provence, — la forêt se pré-
sente sous des aspects si divers, en conservant par-
tout son utilité et son charme.
Evitant donc avec soin de poser à priori des
règles, des systèmes auxquels devraient se plier
toutes les forêts, nous adopterons la méthode d'ob-
servation que nous venons de recommander, consi-
dérant d'abord Y arbre au strict point de vue fores-
tier; puis, nous étudierons Y espèce qui s'affirme par
son tempérament, et nous la suivrons dans ses rap-
ports avec les phénomènes météoriques et avec le sol.
Ce sera l'occasion de passer en revue les différentes
essences qui peuplent nos plaines et nos montagnes,
en donnant Y aire d'habitation de chacune avec les
lois qui président à cette distribution.
Ensuite, nous verrons comment ces essences se
comportent quand elles sont à Y état isolé, ou réunies
en massifs pour former les peuplements, dont l'en-
semble constitue la forêt. Celle-ci, influencée par le
sol et le climat, change d'aspect dans chaque station
et nous en montrerons les principaux types.
Après avoir établi les exigences de la forêt spon-
tanée dans chaque station, nous dirons d'une manière
générale par quel genre de culture la forêt aménagée,
c'est-à-dire économiquement constituée, sera régéné-
rée et améliorée, en vue de diriger la fabrication de la
matière bois vers telle ou telle qualité de marchandise.
Seulement alors, nous aborderons l'étude détaillée
des régimes et des modes de traitement en usage
avec leur application en toutes circonstances.
PL w DE L'OUVH \»il. VI
Après ces six premiers Chapitres consacrés à la
vieille forêt en étal de rendement, il nous restera
deux questions importantes à examiner: i°Ia pro-
tection de lu forêt, contre les dommages qu'elle
peut subir et d'où qu'ils lui viennent; — a0 le boi-
sement des terrains nus, partout où l'exploitation
rationnelle du sol le commande, qu'il s'agisse de
satisfaire à des intérêts publics ou à des intérêts
privés; elles feront l'objet des Chapitres Vil et VIII.
Notre tâche sera bien remplie si nous arrivons à
faire comprendre aux propriétaires de forêts que le
meilleur moyen de les bien cultiver est de s'y pro-
mener souvent, de les interroger toujours sur leur
état de santé, sur leurs besoins. Ils seront surpris
de la facilité avec laquelle on comprend le langage
des arbres, et du plaisir qu'on éprouve à leur
répondre.
LES FORETS
TRAITÉ PRATIQUE DE SYLVICULTURE
CHAPITRE PREMIER
L'ARBRE
ARTICLE PREMIER
PARTIES CONSTITUTIVES D'UN ARBRE
Partie aérienne. — Enracinement. — Structure du bois.
Écorce.
Partie aérienne. — La partie aérienne d'un arbre com-
prend la tige, c'est-à-dire l'axe du végétal, qui va du niveau du
sol jusqu'au bourgeon terminal, — et les branches, insérées
sur cette tige ; celles-ci se divisent à leur tour en branches
principales ou maîtresses branches, en rameaux et en
ramilles.
Il est plus intéressant dans la pratique de distinguer le
fût, portion de la tige allant du sol au niveau des premières
branches, — et la cime ou houppier englobant le reste de la
tige et les branches. C'est le fût qui fournit, en effet, le bois
propre au plus grand nombre d'usages, par suite, le plus
précieux. D'ailleurs, si dans un sapin on peut suivre facile-
ment la tige jusqu'au dernier bourgeon, il n'en est pas de
même chez toutes les espèces : bien souvent cette tige se
bifurque, se divise en un nombre de plus en plus grand de
ramifications et n'existe plus qu'à l'état théorique.
Il peut arriver que brusquement, pour une raison ou pour
Boppe et Jolyet. 1
L ARBRE.
une autre, des branches de faible grosseur naissent sur le fût
d'un arbre qui jusque-là en était dépourvu. On les appelle
branches gourmandes ou gourmands.
Enracinement. — Le collet de la racine est la ligne qui
sépare la portion inférieure du fût d'une part, et les racines
de l'autre : le microscope accuse des différences sensibles
dans la structure du bois
de tige et celle du bois de
racine ; c'est au niveau
du collet que finit, dans
les chênes, la distinction
entre l'aubier et le bois
parfait (fig. 1).
Dans les racines nous
ne trouvons rien d'ana-
logue au fût ; mais il peut
se faire que l'une d'elles
prolonge directement la
tige, et s'affirme parmi
toutes les autres; c'est le
pivot. Le développement
du pivot n'est prononcé
que pendant la jeunesse
de l'arbre ; plus tard il
s'arrête dans sa crois-
sance, et, alors même
qu'il ne rencontre pas
d'obstacle à son allongement, il s'atrophie, ou se ramifie en
racines nouvelles qui s'enfoncent plus ou moins obliquement
dans la terre.
Par analogie, quand les racines d'un arbre ont une ten-
dance à prendre une direction verticale, on dit que l'enracine-
ment est pivotant ou mieux profond. Lorsqu'au contraire
elles ont une propension à s'étaler horizontalement, on dit
qu'il est traçant ou superficiel. Cette question de l'enracine-
ment est très importante : on conçoit combien il est peu in-
diqué de cultiver des arbres à enracinement profond dans un
terrain superficiel.
Fig. 1. — Souche de chêne : h droite
et à gauche, aubier; au milieu, bois
parfait ; en bas, collet de la racine.
PARTIES CONSTITUTIVES l> UN ARBRE
Les ramifications extrêmement Unes des racines se nom-
ment le chevelu.
Structure du bois. — L'arbre s'accroît en hauteur parle
développement du bourgeon terminal, lequel s'ouvre au prin-
temps et donne une pousse qui grandit généralement jusque
vers le milieu de Télé. Il s'organise alors un nouveau bour-
geon terminal, qui passera l'hiver à l'état latent. Les branches
s'allongent par un processus analogue.
L'arbre s'accroît en grosseur par la multiplication des cel-
lules dans la zone génératrice. Cette multiplication se fait,
chez les essences indigènes du moins, de l'intérieur vers l'ex-
térieur dans le sens du rayon, sur une section transversale du
fût; d'autre part, elle est suspendue durant l'hiver; il en
résulte que la masse de bois fabriquée chaque année forme
une couche ligneuse bien distincte, qui se superpose à la
précédente et l'enveloppe de toutes parts. On peut donc avec
raison appeler aussi couches annuelles ces couches ligneuses,
et déduire de leur nombre
l'âge de l'arbre.
11 est en général facile, sur
la tranche d'une tige exploi-
tée, de distinguer les diffé-
rentes couches ligneuses.
Tantôt, en effet, le bois
fabriqué au début de la sai-
son de végétation, dit bois
de printemps, est franche-
ment distinct du bois d'été,
qui se forme plus tard. Et,
comme dans ce cas la carac-
téristique du bois de prin-
temps est d'être constitué
par des éléments à parois
minces et à grosses cavités
intérieures, il apparaît tou-
jours sous l'aspect d'un
tissu tendre ou blanchâtre, par opposition au tissu plus dur
et plus coloré du bois d'été (chêne (fig. 2), sapin, etc.).
Fi!
2. — A [fauche, bois de chêne;
à droite, bois de hêtre.
L'ARBRE.
Tantôt, au contraire, bois de printemps et bois d'été se
ressemblent; mais alors les derniers éléments de celui-ci,
ceux qui bordent la couche ligneuse vers l'extérieur, sont très
minces et souvent colorés en brun, ce qui rend encore les for-
mations annuelles distinctes l'une de l'autre, avec plus de
difficulté toutefois (hêtre (fig. 2), bouleau, charme, frui-
tiers, etc.).
Des accidents de végétation peuvent déterminer une for-
mation prématurée et temporaire de bois d'été. Un peu de
pratique permet de reconnaître ces fausses limites d'accroisse-
ment souvent interrompues et à bords toujours indécis.
Chez certains arbres on distingue un aubier et un bois
parfait, le premier de coloration pâle, riche en amidon, le
second plus foncé, pauvre en cette matière, mais chargé de
tanin qui imprègne les parois des éléments, donnant aux
tissus, en même temps qu'une coloration spéciale, des qualités
particulières de résistance à la décomposition. La couche
d'aubier est épaisse chez le chêne rouvre, le chêne pédon-
cule, les pins, mince chez
le mélèze, très mince chez
le châtaignier, le robi-
nier, etc.
Parfois aussi, au centre
de la tige apparaissent des
tachas, de? zones ou des
ilanvues noires, rouages ou
brune-, qu'on pourrait à
première vue prendre pour
un bois parlait plus accen-
tué encore, quand, en réa-
lité, elles ne sont dues qu à
un commencement d'altéra-
tion. Et si ces colorations spéciales peuvent être recherchées
pour l'ébénisterie, du moins ne faut-il pas en conclure à
une supériorité [du bois au point de vue de sa conservation,
bien au contraire. Les chênes à feuilles persistantes, le poi-
rier (fig. 3), le prunier, présentent fréquemment cet accident.
Dans le même 'ordre d'idées nous citerons le bois rouge,
Pig. 3. — Poirier coloration centrale)
PARTIES C0NSTIT1 TIVES D 1 N ABBR1 . 5
malheureusement trop fréquent chez les vieux hêtres.
Ecorce. — L'écorce est pour les arbres ce qu'esl la peau
pour les animaux; une enveloppe él.uielie protégeant les
régions plus profondes contre les agents extérieurs. Toute
Lésion de l'écorce est donc une plaie avec Bes consé-
quences funestes, une porte ouverte aux germes infectieux.
Parmi les tissus constituant l'écorce, un des pins iinpro-
Fig. 4. — En haut, cerisier merisier (liège externe mince); à (fauche,
chêne liège (liège externe épais) ; à droite, chêne rouvre (liège interne),
rhytidome gerçure).
tants est le liège, caractérisé par son imperméabilité. Tantôt
le liège est externe, et peut alors acquérir des épaisseurs
considérables, comme dans le chêne-liège, ou rester très mince
comme dans le hêtre et le charme, tous deux remarquables
par leurs écorces fines et luisantes (fig. 4). Tantôt, au con-
traire, se formant au milieu des autres tissus de l'écorce, il en
isole des lames qui finissent par mourir: liège et tissus morts
constituent une croûte rugueuse, sèche, appelée rhytidome.
L ARBRE.
Tout le monde connaît le rhytidome gerçure (1) des chênes,
des ormes, des peupliers, qui s'effrite par l'usure dans ses
parties extérieures, tandis qu'il s'accroît dans les parties pro-
fondes par la formation incessante de nouvelles lames de
liège; ou encore le rhytidome des pins, des mélèzes dont les
larges écailles se détachent facilement. Chez les vieux mé-
lèzes ce rhytidome acquiert souvent une épaisseur d'un déci-
mètre et plus.
Nous mentionnerons aussi le liber. C'est par les tubes cri-
blés du liber que descendent les matières nutritives élaborées
par les feuilles et qui vont se diffuser dans le corps de l'arbre
et dans les racines. Une blessure annulaire de l'écorce inter-
rompant à un niveau quelconque la continuité de ces tubes
criblés a pour résultat d'affamer (2) toutes les régions du
végétal situées au-dessous d'elle et occasionne la mort de
l'individu.
Les fibres du liber sont parfois assez résistantes pour être
utilisées comme matières textiles (tilleul).
ARTICLE II
FORME DES ARBRES
Flagage naturel. — Forme spécifique. — Influence du sol et du cli-
mat. — Forme forestière. — Généralités sur l'accroissement. —
Accroissement en hauteur. — Accroissement en diamètre; ses varia-
tions suivant les espèces et les individus ; ses variations dans un
même arbre ; anomalies diverses.
Élagage naturel. — Pour nous rendre compte de la
forme d'un arbre, suivons le développement d'un chêne depuis
ses premières années jusqu'à sa veillcsse. Au début, il est
formé d'une tige principale peu ramifiée, dont le bourgeon
terminal, plus gros et mieux nourri que celui des ramilles
grêles qui l'entourent, donne naissance à une pousse vigou-
(1) Ces gerçures se produisent inévitablement dans une enveloppe
rigide, contrainte de s'étendre pour permettre le grossissement de
l'arbre.
(2) L'eau puisée clans le sol par les racines, continue à monter aux
feuilles par le corps de l'arbre.
FORME DES /CABRES.
reuse. L'arbre s'élève alors rapidement, Mais, au fur et à
mesure que la tige grandit, elle produit des rameaux nom-
breux, qui, en vieillissant, se couvrent d'une abondante fron-
daison, et prennent des dimensions de plus en plus fortes.
L'importance de la lige diminue progressivement; le plus
souvent son bourgeon terminal s'étiole, et l'arbre cesse de
croître en hauteur.
D'autre part, les branches inférieures, que dominent de
plus en plus celles qui se développent au-dessus d'elles, se
dessèchent et finissent par tomber. La tige se dénude de la
sorte de bas en haut, tandis que la cime s'élève. Un moment
vient, toutefois, où la croissance en hauteur se ralentit beau-
coup ; la production d'axes nouveaux, dans les régions élevées,
se réduisant à très peu de chose, les rameaux qui ont pu se
maintenir vivants jusque là ont dès lors leur existence assurée :
ils s'affirment, s'allongent, grossissent et se constituent en
branches principales : le fût est parvenu à sa longueur maxima.
Ce phénomène est ce que l'on nomme Yélagage naturel.
C'est un de nos adjuvants les plus précieux.
D'ailleurs les branches dominées, longtemps avant de
mourir, ne s'accroissent plus en longueur ni en grosseur;
lorsqu'elles tombent, leur diamètre est généralement très
faible relativement à celui de la tige : il ne reste ainsi sur
le tronc que des cicatrices insignifiantes, à peine visibles dans
le débit. Au contraire, l'amputation de main d'homme des
branches vivantes ou mortes, même les plus petites, occa-
sionne toujours une blessure et une solution de continuité
dont la trace ne s'efface jamais dans le bois.
Forme spécifique. — La forme de l'arbre varie suivant les
espèces, et, chez une même espèce, suivant l'âge du sujet.
Elle varie également avec la nature du sol ou la rigueur du
climat. Enfin les conditions plus ou moins factices dans les-
quelles nous plaçons les végétaux de nos forêts leur créent, à
côté de la forme spécifique, une forme forestière du plus
haut intérêt à considérer.
La forme spécifique dépend du degré de résistance des
branches inférieures au couvert des branches supérieures.
Elle dépend aussi de l'ouverture de l'angle sous lequel les
«
L ARBRE.
branches sont insérées sur la tige. Ainsi les cimes sont
d'autant plus longues et étroites que les branches sont plus
redressées (arbres pyramidaux) ou plus abaissées (formes
à branches retombantes). Elles sont au contraire d'autant
plus courtes et étalées que les branches, plus horizontales,
s'éloignent davantage du fût (la plupart des feuillus, cer-
tains résineux).
C'est à une cause semblable qu'il faut attribuer les modi-
fications dues à l'âge. Les
branches sont, à l'origine,
redressées comme les
pousses qui les ont pro-
duites. En s'allongeant
elles fléchissent sous leur
propre poids, et sous
celui de la neige, des
feuilles et des fruits. La
transformation des bour-
geons de prolongement en
boutons à fruits modifie,
d'autre pari, la ramification
de certains arbres dès qu'ils
deviennent fertiles. Une
fructification abondante
est toujours une cause d'é-
claircissement de la cime.
Les arbres ont donc une
physionomie, un port spé-
cial qu'ils doivent à leur
tempérament propre et à la
disposition naturelle de leurs rameaux. La cime du chêne est
irrégulière et ovoïde, celles du hêtre et du tilleul sont pleines
et sphériques, etc. C'est surtout dans la vieillesse que certains
arbres prennent leur faciès particulier. Il suffit de parcourir
une futaie mélangée de sapins et d'épicéas pour constater
la différence entre le port de ces deux essences. Tandis que
l'épicéa garde toujours sa forme de pyramide aiguë pointant
vers le ciel, chez les vieux sapins la ilèche s'oblitère, et les
Fig. 5. — Au milieu : sapin faisant
la table ; à droite, jeunes sapins
à cime pyramidale. ^Photographie
de M. P. Hirsch.)
POEME i>i:s ARBRES. (.)
branches voisines du sommet s'étendent horizontalement
comme celles du cèdre fig. .r>) (1). Les pins piniers s<»nl célè-
bres par leur cime en parasol, les \ îeux pins laricios par l'in-
clinaison accentuée de L'extrémité de leur lige ((ig. G), etc.
Influence du sol et du climat. — Le sol agit surtout par
son plus ou moins de profondeur. Tous les forestiers savent
que dans les terrains meubles et profonds du grès vosgien
Fig\ 6. — Vieux pins laricios, forêt d'Aitone (Corse).
(Photographie de M. H. Bregeault.)
les sapins sont plus élevés que sur les granits. Il en est de
même du chêne qui n'acquiert jamais une grande hauteur
dans les sols superficiels.
L'influence du climat est peut être moins nette. Pourtant
il est bien certain qu'un arbre placé sous un climat qui ne lui
convient qu'à demi, pour un motif ou pour un autre^ se rape-
tisse, se rapproche de la forme buissonnante, tels les derniers
(1) On dit alors qu'un sapin fait la table.
10
L ARBRE.
spécimens de la végétation forestière dans les régions mon-
tagneuses et arctiques. On constate aussi qu'aux expositions
du Nord et de l'Est les axes se développent plus en hauteur
qu'aux expositions Sud et Ouest moins fraîches et plus en-
soleillées.
Les phénomènes météoriques peuvent avoir une action
toute spéciale. Les vents violents déjettent la cime des arbres
(fig. 7) ; le fait est très visible sur les bords de l'Atlantique où
Fig. 7. — Aubépines déjetées par le vent, Chargey-lès-Port
(Haute-Saône).
les arbres n'ont de branches que du côté de la terre. C'est
l'inverse qui a lieu sur le littoral de la Provence, le mistral ne
permettant aux branches de se développer que du côté de la
mer. Même chose se passe vers la cime de nos montagnes sous
l'action des vents dominants de l'Ouest.
Dans les belles futaies des plateaux du Risoux ou du Mas-
sacre, dans le Jura, les épicéas affectent la forme columnaire
pour résister au poids des neiges (fig. 8). Tantôt les branches
sont courtes, toutes de même longueur; tantôt ces branches
longues, mais flexibles, coulent jusque près du sol en s'appli-
KORMK DU AliHItl S.
11
quant contre !«' tronc; dans L'un et L'autre cas, l'épicéa «le
ces liantes régions se présente sous la forme d'un long fuseau
Fig. 8. — Épicéa columnaire, foré t du Risoux (Jura;.
(Photographie de M. P. Galland.)
de verdure qui laisse tomber indifférent les masses de neige
s'abattant dans ces forêts.
Forme forestière. — La forme spécifique ne conserve sa
12
L ARBRE.
constance que chez l'arbre isolé dont les branches se déve-
loppent librement (fig. 9). Dans nos massifs forestiers, il n'en
est plus de même. La forme forestière apparaît.
Si l'arbre est entouré de végétaux qui, recépés pério-
diquement, n'arrivent jamais à dépasser une certaine hauteur
inférieure à celle à laquelle il peut prétendre, le couvert laté-
ral vient augmenter l'effet de l'élagage naturel. Alors sa tige
se dénude jusqu'au niveau le plus élevé atteint par les sujets
Fig. 9. — Chêne isolé (forme spécifique), Etival (Vosges).
(Photographie de M. J. George.)
environnants et sa cime se constitue au-dessus de l'océan
de verdure dans lequel le fût reste noyé. Le fût est donc plus
long que dans l'arbre crû en rase campagne. Mais cette forme
forestière reste voisine de la forme spécifique, la cime ayant
encore toute latitude pour se développer. C'est le cas des
réserves de nos taillis sous futaie (fig. 10).
Il en est autrement quand l'arbre fait partie intégrante d'un
massif serré, dont tous les sujets se poussent en hauteur. Il
y a, dès lors, lutte pour la lumière, c'est-à-dire pour la vie.
FORME i>i:s AHBRBS. 1 1\
Les dernières branchei seules étant assez, éclairées pour
demeurer vivantes, la tige se dégarni! de plus en plus ;
d'ailleurs ces branches elles-mêmes ne peuvent s'allonger
:•"%&
- v^y^s
Kg
^v^/
- ,.-/ J 'VjL
;^fejS<^5
x^SNâ^
Fig. 10. — Chêne de taillis sous futaie forme forestière',
forêt de Chargey-lès-Port (Haute-Saône).
sans se heurter à celles des arbres voisins. Aussi la forme
spécifique disparaît-elle ou à peu près ; dans les vieux mas-
sifs, chênes, hêtres ou sapins prennent une forme analogue :
ce sont toujours les mêmes fûts démesurément longs, sur-
montés par une cime grêle (fig. 11).
L ARBRE.
Mais ces formes anormales ne se maintiennent que sous
l'influence persistante des causes qui les ont fait naître. Isole-
Fig. 11. — Chêne de futaie (forme forestière^, avec un ebrancheur
s'apprêtant à en couper la cime, forêt de Bercé (Sarthe). (Photogra-
phie de M. Couturier, photographe au Mans.)
t-on un arbre crû en massif, on voit bientôt sa cime dépérir.
Si l'espèce est douée de la faculté d'émettre des rejets, et si
FORMB DBS ARBRES. 15
l'individu n'est pa^ hop âgé, il peu!, dans dos conditions
favorables, se reformer une nouvelle tête au dessous de la pre-
mière; dans le cas contraire, il est voué à une mori certaine.
De même, quand un arbre se trouve peu à peu englobé dans
un massif plus jeune qui s'élève autour de lui, ses branches les
plus basses périssent, successivement étouffées par le couvert
latéral qui se crée autour d'elles. L'arbre recommence à
croître en hauteur et se constitue une nouvelle cime dans
l'espace qui lui reste disponible au milieu du peuplement
dont il fait désormais partie. Toutefois la mort des grosses
branches basses entraîne des nécroses qui dégradent son bois
et abrègent la durée de son existence.
Généralités sur l'accroissement. — L'activité physiolo-
gique plus ou moins grande des feuilles et des racines, la
répartition inégale dans l'arbre des matériaux élaborés, se
traduisent par des variations dans l'accroissement en hauteur
et dans l'accroissement en diamètre, par suite, dans la forme
de la tige.
Pour étudier ces variations, deux procédés sont possibles:
soit prendre tous les ans, ou mieux, à plus longs intervalles,
des mesures extérieures sur un arbre vivant, mesures que
l'on compare entre elles, soit abattre l'arbre et le disséquer
pour se rendre compte de la manière dont il s'est accru.
La grosseur d'un arbre sur pied s'évalue à l'aide de chaînes
ou de rubans donnant la circonférence, et à l'aide de compas,
d'une forme analogue à celle des compas de cordonniers, qui
donnent le diamètre (lig. 12) (1).
Diamètres et circonférences se mesurent le plus souvent à
hauteur d'homme, c'est-à-dire à lm,30 (parfois lm,50) au-
dessus du sol (2). La surface d'une section horizontale de la
tige à ce niveau est dile surface terrière.
(1) Quand on utilise la chaîne, il faut éviter les protubérances acci-
dentelles de l'écorce, les plaques de mousse, etc. Quand on se sert du
compas, il est prudent de mesurer deux diamètres perpendiculaires et
de prendre la moyenne des lectures.
En général, le diamètre calculé d'après la circonférence est un peu
plus fort que le diamètre mesuré directement au compas.
(2) Il est sage de repérer sur l'arbre, par un cercle de couleur noire
ou rouge, le niveau précis où la mesure a été prise, afin de ne pas s'en
écarter dans l'avenir.
16 l'arbre.
La hauteur s'évalue à l'œil ou avec l'aide de l'un des nom-
breux instruments inventés à cet effet. Un des plus pratiques
E i .1 ' ,i ' >i ! 4^_X ■ g ! 5 I â
Fig. 12. — Compas forestier.
parmi ces dendromèlres est le clisimètre Goulier, adapté à cet
emploi par M. Belliéni, ingénieur opticien à Nancy et basé
sur les propriétés des tan-
gentes trigonométriques
(fig. 13). Mais, quelle que
soit la perfection du den-
dromètre utilisé, avec les
données qu'il fournit, il
n'est pas possible de
suivre d'une façon sé-
rieuse la marche de l'al-
longement des arbres
sur pied. Il est préférable
d'attribuer à ceux-ci des
hauteurs mesurées sur
des sujets d'expérience
de même grosseur et
même végétation préalablement abattus.
Le procédé par dissection, ou procédé par analyses de tigesy
est de beaucoup le plus précis.
Sur l'arbre exploité, on prélève des rondelles de distance en
distance, par exemple : au niveau du sol, à lm,30 au-dessus
du sol, puis à 3m,30, 5m,30, 7m,30, etc. Comptant sur la ron-
delle de base, puis sur toutes les autres, le nombre de
Fig-. 13. — Clisimètre Goulier
FORME DES ARBRES.
17
couches ligneuses (1), on en déduit l'âgé total du sujet et, par
de simples soustractions, ses âges successifs quand il avait les
hauteurs de lm,30, 3m,30, etc. On est ainsi en possession de
données précises sur la marche de la croissance en hauteur.
Il ne reste plus qu'à mesurer le diamètre de chaque rondelle (2)
pour avoir tous renseignements quant à la croissance en
grosseur.
Le plus commode est d'exprimer par des graphiques les
résultats obtenus.
Des variations du diamètre et de la hauteur, on déduit celles
de la surface de section (accroissement circulaire) et celles du
volume.
Accroissement en hauteur. — L'accroissement en hauteur
est surtout rapide pendant la jeunesse (3); il passe bientôt
par un maximum, puis diminue et se réduit à néant chez les
vieux arbres. Le pin sylvestre, le mélèze, l'épicéa, s'allongent
très vite au début de leur existence ; le hêtre, le sapin, et
surtout l'épicéa grandissent plus régulièrement et jusqu'à un
âge plus avancé. Nous avons parlé déjà de l'influence du sol
et du climat et de celle de l'état isolé ou de l'état en massif
sur le point qui nous occupe.
Ajoutons ce fait très constant que la croissance en hauteur
des rejets de souche est toujours bien différente de celle des
brins de semence. Beaucoup plus active pendant les dix ou
vingt premières années, elle se ralentit en même temps que la
vitalité du sujet. Vers trente ans, les brins de semence repren-
nent un avantage qui va toujours en s'accentuant.
(1) Quand les couches annuelles sont peu distinctes, on frotte la
section avec de la terre, ou mieux, on a recours à un colorant pour
les rendre plus visibles. Dans tous les cas, la section est rabotée et
passée au râcloir.
(2) La surface de la section doit être rigoureusement normale à Taxe
de l'arbre : si les accroissements étaient coupés obliquement, on mesu-
rerait des épaisseurs trop fortes. — Quand la section n'est pas un
cercle, on prend la moyenne de deux diamètres perpendiculaires, ou
même de trois ou quatre diamètres convenablement choisis.
(3) Nous ne pouvons que résumer brièvement ces questions si impor-
tantes de l'accroissement des arbres. Au lecteur désireux de plus
amples détails, nous recommanderons le Traité de M. le Professeur
Hùffël : Les Arbres et les Peuplements forestiers ; formation de leuï
volume et de leur valeur, Nancy, 1893.
Boppe et Jolyet. 2
18 l'arbre.
Accroissement en diamètre. — L'accroissement en dia-
mètre varie dans d'énormes proportions suivant les essences (1)
et surtout suivant les conditions dans lesquelles l'arbre s'est
accru. Ainsi les pins sylvestres de nos plaines françaises
pourront avoir des accroissements de 5 millimètres d'épais-
seur et plus, tandis que leurs congénères de Finlande fourniront
ces bois si recherchés dont les couches annuelles ne sont
pour ainsi dire distinctes qu'à la loupe. Il en est de même
pour l'épicéa et pour le mélèze, hôtes habituels de stations
froides, mais fréquemment introduits sous des climats beau-
coup plus doux.
L'influence de la profondeur et de la richesse du sol est
tout aussi considérable. On devine que dans les terrains limo-
neux qui bordent nos rivières, les arbres grossiront plus vite
que sur des plateaux calcaires sans profondeur et exposés au
dessèchement, ou sur des sables grossiers et stériles.
Il y a lieu de tenir compte enfin de l'état de massif plus ou
moins serré dans lequel l'arbre a vécu. Les chênes de taillis
sous futaie, dont la ramure puissante est toujours baignée
de lumière, ont les accroissements larges ; ils sont minces, au
contraire, chez les sujets de même essence, mais à cimes réduites,
qui peuplent les massifs serrés de nos vieilles futaies (fig. 14) (2).
Sur un arbre donné on observe le plus souvent :
1° Que l'épaisseur des anneaux ligneux d'une même section
transversale est variable; la rapidité de la croissance en dia-
mètre n'a donc pas été constante pendant toute la vie du sujet.
En général l'accroissement du diamètre, considérable au
début, diminue de plus en plus à partir d'un certain âge.
2° Que le manchon ligneux fabriqué au cours d'une année
quelconque a une épaisseur variable aux différents niveaux
(1) Ainsi le pin cembro a toujours des couches ligneuses remarqua-
blement minces, aussi bien dans les jardins botaniques de la plaine
que dans lés régions montagneuses où il est spontané.
(2) L'épaisseur du bois de printemps des essences feuillues varie
peu. Donc, quand les accroissements sont larges, c'est le bois d'été
qui domine ; aussi les chênes qui ont crû vite ont-ils un bois lourd et
nerveux. Dans les résineux, au contraire, c'est le bois d'été qui reste
constant en épaisseur. La largeur des accroissements correspond à une
.plus forte proportion de bois de printemps, c'est-à-dire de tissus légers
*et mous.
FORME DES ARBRES. I'.'
de la tige, depuis Le sol jusqu'au boiirgeon terminal, Ainsi
Fig. 14. — Types de bois de chêne et d'épicéa : 1. Épicéa (Chamounix,
ait. 1 400 m.). — 2. Épicéa (Grande Chartreuse, ait. 1 360 m.). — 3. Épi-
céa (Saint-Laurent, ait. 450 m.). — 4. Chêne rouvre (Vosges, taillis
sous futaie). — 5. Chêne rouvre (Allier, futaie pleine). — 6. Chêne
pédoncule (Landes, arbre isolé). (Le n° 1 est en haut et à gauche.)
la croissance en diamètre n'a jamais eu la même intensité sur
toute la longueur de cette tige (1).
(1) L'accroissement en diamètre peut diminuer sans que cela im-
plique nécessairement une diminution dans l'accroissement circulaire.
En effet, si le rayon du cercle intérieur est plus grand, l'anneau ligneux
aura parfois, avec une épaisseur moindre, une surface plus considérable.
20 l'arbre.
Celte inégalité de l'épaisseur des accroissements aux diffé-
rents niveaux se traduit pas des modifications importantes
dans la forme de la tige considérée dans son ensemble. Celle-ci
se rapproche plus ou moins de solides géométriques variant
du cylindre à la neiloïde, en passant par le cône et le parabo-
loïde(l).
A ce sujet, M. le Dr N'ordlinger (2) cite les faits suivants :
1° Dans un jeune arbre garni de ses branches depuis le sol,
conséquemment isolé, les accroissements s'amincissent régu-
lièrement de la base au sommet : la forme de la tige est
conique ; 2° quand les branches inférieures sèchent naturelle-
ment, les accroissements présentent leur plus grande épais-
seur dans le voisinage et au-dessous des premières branches
vives ; ils s'amincissent de là jusqu'au pied : la tige se rap-
proche du paraboloïde ; 3° à l'état de massif, les couches
deviennent de plus en plus larges par le haut, souvent deux
ou trois fois plus larges qu'au pied : elles donnent à la tige
une forme plus cylindrique; 4° l'arbre en massif qu'on isole,
s'accroît dans l'ordre inverse; c'est-à-dire que les grossisse-
ments supérieurs s'amincissent, tandis que les inférieurs
s'élargissent; la tige a des tendances à revenir à la forme
conique qui est la plus générale chez les arbres crûs isolé-
ment.
Donc, comme le fait observer M. Hùffel (3), quand par suite
de circonstances favorables les fûts sont élevés, ils sont aussi,
le plus souvent, très voisins de la forme cylindrique.
Signalons enfin l'évasement prononcé habituel dans les
régions tout à fait basses de la tige et qui tient à l'empattement
formé par la naissance des grosses racines. C'est en partie pour
éviter les erreurs que ferait commettre cette déformation, que
(1) Cette forme s'exprime soit par un coefficient de forme, facteur
plus petit que l'unité, par lequel, pour avoir le volume vrai, il faut
multiplier le volume d'un cylindre ayant comme base la surface ter-
rière de l'arbre et comme hauteur celle de ce dernier; ou par un coeffi-
cient de décroissance, facteur également plus petit que l'unité, par
lequel il faut multiplier le diamètre à hauteur d'homme pour avoir le
diamètre au milieu de la tige.
(2) Nordlinger, Die technischen Eigcnschaflen der Hôlzer. Stuttgard,
1860.
(3) Hiiffel, loc. cit.
FORME m s \nmiis. 21
l'on a l'habitude de mesurer les arbres à lm,30 au-dessus du sol.
Nous avons dit que, parfois, un ou plusieurs anneaux ligneux
se trouvent, sur tout leur pourtour, plus épais ou plus minces
que ceux qui les avoisinent. Les augmentations d'épaisseur
sont dues à des conditions particulièrement favorables à la
vie de l'arbre : abondance des pluies d'été dans un climat ha-
bituellement sec, pléthore de nourriture, etc.. A l'appui de
ces faits, plusieurs auteurs, notamment M. l'Inspecteur Bar-
tet (1) pour les chênes, et M. le Professeur Henry (2)
pour les hêtres, ont constaté qu'après une exploitation,
les arbres réservés dans les taillis sous futaie accusent
soudain une brusque augmentation dans l'accroissement en
diamètre. « Les convives étant moins nombreux à table,
dit M. Henry, sont plus copieusement servis... » Cette
augmentation ne se maintient d'ailleurs que pendant quel-
ques années (3).
Les diminutions sont liées à des causes contraires. Ce peut
être un hiver rigoureux, qui, sans tuer un chêne, lui occa-
sionne un tort suffisant pour que sa croissance soit ralentie
pendant quelques années; ce peut être un été exceptionnelle-
ment sec (4), ou au contraire, dans les régions monta-
(1) Bartet, Recherches sur l'accroissement des chênes de taillis sous
futaie. (Revue des Eaux et Forêts, 1891.)
(2) E. Henry, Accroissement des arbres de réserve après l'exploita-
tion du taillis. (Rull. Société des Sciences de Nancy, 1899.)
(3) Elle paraît être surtout sensible dans les régions basses de la
tige : M. Henry le constate notamment pour le hêtre. — M. Mer signale
un fait analogue chez des sapins après une éclaircie. (Revue des Eaux
et Forêts, 1889, page 72.)
(4) M. Henry signale qu'en 1893, année célèbre par la sécheresse de
l'été, l'accroissement des hêtres n'a été qu'environ 37 p. 100 de
l'accroissement pendant l'année 1891 dans la forêt de Haye, et n'a
même pas atteint 26 p. 100 dans certaines forêts des environs d'Héri-
court (Haute-Saône), d'où une perte considérable pour les proprié-
taires de forêts. Les chênes à enracinement plus profond ont moins
souffert. — Influence de la sécheresse de 1893 sur la végétation fores-
tière. (Rull. Société des Sciences de Nancy, 1897.)
M. Mer a constaté un fait analogue pour le sapin dans les Vosges à la
suite de cette même sécheresse, qui avait eu pour autre conséquence
de réduire chez le sapin la longueur de la pousse annuelle. — Influence
de l'état climatérique sur la croissance des sapins. {Ext. Journal de
Rotanique, n. 10, 11, 12, 13 et 14, année 1895.)
22
L ARBRE.
gneuses, un été trop pluvieux (1); ou bien encore une invasion
d'insectes (2), qui détruit le feuillage, une gelée tardive au
printemps, etc.
Quand les anneaux ligneux n'ont qu'une épaisseur très
Fig. 15.
Pin sylvestre (moelle excentrique).
réduite sur certaines régions de leur pourtour, la tige devient
excentrique, phénomène fréquent chez les arbres qui croissent
sur des terrains très inclinés ou sur les lisières des forêts et
qui reçoivent ainsi plus de nourriture d'un côté que de l'autre
(fig. 15).
Le fait est normal chez les espèces à contours sinueux et
irréguliers comme les genévriers, les ifs, les thuias, les oli-
viers, etc.
(1) MM. Henry et Mer, dans les travaux cités, établissent que pen-
dant L'été froid de 1888, la croissance des hêtres et des sapins a été
sensiblement ralentie.
(2) Aux invasions périodiques des hannetons correspondent, chez les
chênes, des accroissements très minces, souvent presque nuls.
in PRODUCTION. 23
ARTICLE III
REPRODUCTION
Semis et rejets. — Fertilité des arbres. — Germination des graines et
installation des semis. — Rejets proventifs et rejets adventïfs. —
Influence de l'époque de l'exploitation sur l'évolution des rejets. — ■
Influence du mode d'abatage. — Drageons. — Rejets de racine. —
Modes spéciaux d'exploitation.
Semis et rejets. — L'arbre peut se reproduire par voie
sexuée, c'est-à-dire par la germination de graines qui donnent
naissance à de nouveaux individus, libres, dès le premierjour,
de toute attaebe avec le pied-mère, — ou par voie asexuée,
c'est-à-dire par l'évolution de bourgeons se développant en
drageons ou en rejets, qui ne prennent que peu à peu une in-
dividualité plus ou moins complète.
Sans doute, des rejets de charme ou de chêne peuvent, à la
longue, s'isoler de la souche dont ils dépendaient à l'origine;
sans doute, des drageons de tremble ou de robinier peuvent
percer le sol très loin de l'arbre sur les racines duquel ils se
sont constitués ; il n'en est pas moins vrai que la régénération
par voie sexuée est le véritable mode de reproduction; la ré-
génération par voie asexuée n'est qu'un procédé de rajeunis-
sement; elle produit des descendants qui n'ont pas, en général,
la vitalité et la longévité des individus nés de semence.
Tout sujet issu d'une graine porte, au début, le nom de
semis, plus tard celui de brin de semence, ou simplement de
brin. Les forêts traitées en futaie sont toujours régénérées
par voie de semis.
Les différents modes de rajeunissement par les axes (c'est-
à-dire par l'évolution de bourgeons) sont la bouture, la mar-
cotte, le rejet et le drageon. La bouture et la marcotte sont
surtout utilisées en arboriculture; les rejets et les drageons
prennent, au contraire, une importance capitale dans la régé-
nération des forêts traitées en taillis.
Fertilité des arbres. — Pour qu'un arbre donne naissance
à des semis, la première condition est qu'il porte des graines
fertiles en quantité appréciable. Or, toutes les essences ne
24 l'arbre,
sont pas également fécondes. On peut les classer en deux
groupes; celles à semences lourdes (1) et celles h semences
légères. La fructification absorbe chez les premières une
beaucoup plus grande quantité de matières nutritives que
chez les secondes, et, tandis que l'arbre à semences légères
fournit presque tous les ans celles-ci en très grande quantité,
il est rare que, si la semence est lourde, le même sujet soit
fertile deux années de suite.
La fécondité varie non seulement avec l'espèce, mais encore,
pour chaque espèce, avec les conditions plus ou moins favo-
rables de climat et de sol. Le bourgeon à fleur étant formé dès
l'année qui précède celle de la fructification, une récolte de
semence est le résultat du concours de deux années favorables
consécutives : circonstances qui diminuent singulièrement les
chances de l'obtenir. Les gelées printanières qui détruisent
les bourgeons floraux, les temps froids qui nuisent à la fé-
condation, les insectes dont les larves minent les bourgeons
avant la floraison ou vivent à l'intérieur des semences une fois
formées, comptent parmi les causes de destruction les plus
fréquentes. Si le climat est doux, si l'arbre est placé dans sa
zone naturelle d'expansion, la fécondité sera, la chose va sans
dire, plus grande que dans les conditions inverses (2). A côté
de la clémence de la température, qui diminue les chances
d'accidents, il faut constater l'effet direct de la lumière et de
la chaleur. Aussi dans les régions méridionales, les arbres
forestiers fructifient-ils plus tôt et plus abondamment que
dans les contrées du Nord, froides et brumeuses.
A ce même point de vue, les arbres isolés ou les réserves des
taillis sous futaie, dont la cime est bien étalée au soleil, sont
toujours beaucoup plus fertiles que ceux qui croissent en
(1) Nous employons le terme semence de préférence au terme (/raine.
Sous ce nom de semences, nous confondrons, en effet, des fruits comme
le gland et des graines comme celles du sapin.
(2) Tandis que dans le bassin de l'Adour les chênes donnent des
semences tous les deux ou trois ans, dans les régions du Centre et de
l'Ouest les glandées se produisent seulement tous les quatre à huit
ans et dans le Nord et l'Est de la France elles se font attendre parfois
quinze uns et plus. De même, la fertilité du sapin diminue sensiblement
aux grandes altitudes.
RFPRODUCTÏON. "25
massif serré. D'ailleurs les premiers, qui ont une ramification
puissante et loulï'ue, portent en abondance des bourgeons
floraux, lesquels naissent en pleine lumière et à l'extrémité des
rameaux; il n'en est pas de même chez les seconds, dont la
cime est toujours réduite et pauvre en menues branches.
La profondeur et la richesse du sol permettent aux arbres
de réparer plus vite les fatigues des années de semence :
celles-ci se succéderont donc d'autant plus fréquemment que
les conditions seront meilleures.
En général (1) les arbres forestiers ne commencent à porter
des graines fertiles, que lorsqu'ils ont à peu près atteint leur
hauteur normale. Ils sont alors adultes et fructifient avec
autant d'abondance et de régularité que le comportent leur
situation et l'espèce à laquelle ils appartiennent. Toutefois,
cette fécondité diminue progressivement quand l'arbre devient
vieux et très vieux.
Germination des graines et installation des semis. —
Supposons réunies toutes les conditions voulues pour qu'un
chêne ou un sapin donne de bonnes semences ; la naissance
de semis nombreux ne sera pas encore certaine. Que l'hiver,
en effet, soit trop froid ou trop humide, les semences gèlent ou
pourrissent sur le sol; qu'un brusque refroidissement sur-
vienne au moment de la germination, les jeunes plantules
sont détruites dès leur formation. D'autre part, et c'est là
peut-être une des causes les plus fréquentes d'insuccès, le
sol n'est toujours pas en état de recevoir utilement les fruits
ou les graines. Les semis de sapin ne réussissent que si la graine
tombe sur du terreau; ceux du pin maritime préfèrent un sable
meuble et presque dépourvu de toute autre végétation; les
racines des jeunes plants d'épicéas ne peuvent arriver à percer
les couches d'aiguilles mortes qui jonchent le terrain ; beau-
coup d'essences réclament de l'abri dans leur jeunesse, d'au-
tres le plein découvert, etc.. En somme, chaque espèce a ses
(1) Accidentellement des arbres poussant en sol maigre ou superficiel,
ou bien encore des sujets fatigués par une transplantation récente ou
pour tout autre motif, se mettent à fruits de très bonne heure ; mais
ce n'est là qu'un effet dû à leur situation précaire. Aussi leurs semences
sont-elles généralement stériles ou tout au moins de qualité très mé-
diocre; il faut bien se garder de les récolter.
26 l'arbre.
exigences souvent très absolues ; mais presque toutes deman-
dent que le sol soit meuble : quand il est dur, tassé, desséché,
la germination peut se faire, mais le jeune plant ne parvient
pas à se créer un enracinement suffisant avant les chaleurs
de l'été, alors qu'il peut être tué par la sécherese. Cet état
malencontreux du sol est une conséquence inévitable du pâ-
turage; il est également fréquent sous les vieux massifs dont
le couvert est élevé et déjà éclairci ; cet inconvénient, ajouté
au fait que les arbres sont âgés et par suite moins fertiles, rend
la régénération par la semence beaucoup plus aléatoire qui
dans les massifs d'âge moyen.
Le remède existe-t-il? Oui heureusement, et la chose a trop
d'importance pour qu'au risque de nous répéter nous ne l'in-
diquions pas dès maintenant. Notre règle habituelle sera de
maintenir, ou de créer au besoin, en-dessous des vieilles fu-
taies, un sous-étage d'essences acceptant le couvert, que
maintiendra le sol meuble et riche en terreau jusqu'au mo-
ment où l'on voudra installer les semis. Dans le cas où cette
précaution n'aura pas été prise ou n'aura pas produit un effet
suffisant, il restera la ressource de recourir à la pioche et de
donner au sol une légère façon par bandes ou en plein : un
tel travail exécuté avec intelligence est peu coûteux et donne
les meilleurs résultats.
Rejets proventifs et rejets adventifs. — Certaines es-
pèces ne drageonnent pas et ne rejettent pas de souches, d'au-
tres jouissent de ces facultés à des degrés très divers.
Parmi les rejets, il faut distinguer ceux de bourgeons pro-
ventifs et ceux de bourgeons adventifs.
Les bourgeons proventifs, ou bourgeons dormants, sont des
bourgeons qui, au lieu de se développer tout de suite en ra-
meaux, restent dans l'écorce à l'état rudimentaire, et ne s'al-
longent chaque saison que d'une quantité égale à l'épaisseur
de l'anneau ligneux formé. Ils vivent à l'état latent pendant
de longues années, toujours prêts à se développer aussitôt
qu'une cause accidentelle leur en fournit l'occasion. Ainsi une
blessure grave, une incision annulaire profonde, la suppres-
sion ou la mort naturelle de branches principales, l'amputation
du tronc en un point quelconque de sa hauteur, font naître,
RBPR0D1 CTION. ¥1
immédiatement au-dessous delà bleSBUrcoilde la section, des
rameaux plus ou moins nombreux. 1 )e même, après risolcment
brusque d'un arbre, on voit apparaître ces mômes productions
aux emplacements qu'aurait occupés la cime chez un individu
de même espèce normalement constitué. De même encore,
quand un arbre est dominé ou dépérissant, des brindilles nom-
breuses se développent sur les parties dénudées de sa tige et
de ses grosses branches. Tous ces ell'ets ont une seule et môme
cause : l'évolution de bourgeons proventifs localement réveillés
par un apport plus considérable de matières nutritives ou par
l'influence d'une lumière plus abondante.
Les rejets d'origine proventive appartiennent donc toujours
à la formation primitive de l'axe sur lequel ils sont implantés;
ils sont en correspondance directe avec la moelle centrale : en
un mot, à leur point d'insertion sur la lige, ils ont le même
âge que celle-ci. On comprend dès lors que ces bourgeons, qui
à la longue perdent leur vitalité, soient plus nombreux sur les
parties jeunes ou d'âge moyen que sur celles qui sont plus âgées.
Du reste, la persistance de cette vitalité diffère beaucoup
suivant les essences : chez le hêtre et le bouleau, par exemple,
elle s'éteint de bonne heure, après une vingtaine d'années au
maximum ; chez le chêne, chez le charme, elle se maintient
jusqu'à un âge très avancé, quatre-vingts ans et même davan-
tage. En résumé, plus le sujet mutilé est vieux, moins nom-
breux sont les bourgeons qui évoluent ; certes, il n'est pas rare,
dans les coupes, de voir des rejets apparaître sur les souches
de modernes et d'anciens, mais ils s'étiolent bientôt, et sont
étouffés par ceux qui sont issus des souches plus jeunes les
avoisinant.
Quoi qu'il en soit, parmi les essences feuillues existe une
grande inégalité dans l'aptitude à donner des rejets d'origine
proventive. Par opposition au hêtre et au bouleau, nous
venons de citer le chêne et le charme, dont les bourgeons
dormants sont bien plus longévifset aussi bien plus nombreux.
A ces deux essences nous pouvons ajouter entre beaucoup
d'autres: le tilleul, qui donne des touffes de rejets à végéta-
tion parfois exubérante, les érables, etc..
Les bourgeons adventifs s'organisent dans le tissu cicatri-
28 l'arbre.
ciel, ou bourrelet de recouvrement, qui se forme sur les bords
de toutes les blessures ou sections faites sur la tige. Les rejets
auxquels ils donnent naissance n'apportent qu'un faible
appoint à la reproduction des essences riches en bourgeons
proventifs. Chez le hêtre et le bouleau, mal partagés à ce
dernier point de vue, ils sont au contraire assez abondants
et surtout très précieux (1). Dans tous les cas, ils sont mal
soudés à la souche et il suffit d'un choc ou d'un vent vio-
lent pour les détacher.
Il ne saurait être question de reproduction par rejets pour
les conifères indigènes.
Quelle que soit l'origine des rejets, la lumière et la chaleur
jouent un rôle important dans leur développement. Ils seront
d'autant plus abondants que la lumière sera plus vive et le
climat plus chaud ; c'est dire que leur évolution se fera mieux
en plein découvert que sous un massif, en plaine qu'en mon-
tagne, à l'exposition Sud qu'à l'exposition Nord, enfin dans les
régions méridionales que dans les régions septentrionales. Il
faut ensuite que les rejets naissants puissent vivre et, pour
cette raison encore, un climat suffisamment chaud est indis-
pensable; en effet, poussant tard au printemps qui suit le
recépage, renfermant des tissus gorgés d'eau, ils sont détruits
par les gelées de l'hiver, si la saison de végétation n'a pas été
assez longue, si l'automne n'a pas été assez chaud pour qu'ils
puissent s'aoùter.
Influence de l'époque de l'exploitation sur l'évolution
des rejets. — Le sylviculteur peut intervenir efficacement
pour favoriser ou entraver l'évolution des rejets. Il y a lieu
de considérer à cet égard l'époque de l'année où se pratique
le recépage et les conditions dans lesquelles il est exécuté;
c'est la base fondamentale de tout traitement en taillis.
Les rejets, avons-nous dit, seront d'autant plus abondants
(1) M. Bartet a observé que, dans les environs de Nancy, les souches
de hêtre engendrent un peu plus de rejets adventifs que de rejets pro-
ventifs, tandis que sur les souches de charme, les proventifs sont envi-
ron huit fois plus nombreux que les adventifs. — De l'Influence exercée
par l'époque de Vabatage sur la production et le développement des
rejets de souches. (Annales de la Science agronomique française et
étrangère, 1891.)
REPRODUCTION. 29
que l'arbre sera plus jeune. Il faul toutefois (cuir compte
de l'épuisement du sol e1 de la souche qu'entraînent infail-
liblement des exploitations souvent répétées. En effet, comme
nous le verrons clans la suite, les axes jeunes sont les plus
riches en matières minérales. Il en résulte qu'on prend beau-
coup plus au sol en y coupant cinq fois de suite des taillis de
vingt ans qu'en y exploitant une fois des arbres de cent ans.
Aussi croyons-nous téméraire de compter sur un taillis pour
fournir dune manière permanente des récoltes bi ou trisan-
nuelles de menues ramilles utilisables comme fourrage. La
chose peut se faire par extraordinaire une fois ou deux après
une révolution normale, mais, répétées trop souvent, ces ex-
ploitations ruineraient le sol à bref délai. Malgré tout, les
exploitations à court terme sont à la rigueur possibles clans les
sols très riches en matières nutritives, comme les limons et
certaines argiles. Elles sont, au contraire, désastreuses dans les
sables peu fertiles et les calcaires superficiels.
Pour des raisons économiques, l'exploitation des taillis a
presque toujours lieu pendant la morte saison, de la fin de
l'automne au premier printemps, la main-d'œuvre étant alors
moins chère. C'est également l'époque la plus avantageuse au
point de vue cultural : pendant l'hiver, en effet, les matériaux
de réserve destinés à la nourriture des bourgeons proven-
tifs, à la formation et au développement des bourgeons ad-
ventifs, se trouvent en quantité maxima accumulés dans les
souches. D'autre part, les rejets pouvant évoluer dès le premier
printemps auront toute la bonne saison pour grandir et s'aoûter.
Mais certaines considérations peuvent conduire à n'exploiter
que beaucoup plus tard : à la fin du printemps par exemple.
Il en est ainsi dans les taillis de chêne destinés à la production
des écorces : la levée de l'écorce ne s'opérant bien qu'en temps
de sève, force est de reculer l'abatage des perches jusqu'aux
mois de mai et de juin. Ce retard n'a pas d'inconvénient
sérieux quant au nombre et à la vigueur des rejets, comme
il résulte de recherches faites à la station d'expériences de
l'Ecole forestière par M. Bartet (1), et dont nous résumerons
(1) E. Bartet, loc. cit.
30 l'arbre.
ainsi les conclusions: pour le chêne les meilleurs résultats sont
obtenus par l'exploitation en mars, avril et mai (la coupe en
juin occasionne un déchet déjà très appréciable); — pour le
charme en mars et avril; — pour le hêtre la coupe en juin est
la plus favorable au point de vue du nombre des rejets, celle
en avril active leur croissance. D'ailleurs, chez le charme
comme chez le hêtre, la coupe en pleine foliaison augmente
la proportion des rejets d'origine adventive par rapport à
ceux d'origine proventive. Pour toutes les essences, l'époque
la plus défavorable est le milieu d'août : les exploitations à la
fin d'août et en septembre sont moins dangereuses, car les
rejets n'apparaissent (ju'au printemps suivant.
Dans les climats doux, on peut sans inconvénient couper dès
novembre ; mais, dans les contrées où l'hiver est habituel-
lement rude, il vaut mieux attendre le printemps, les souches
fraîchement recépées pouvant souffrir des grands froids.
Dans tous les cas, il est bon de suspendre la coupe pendant
le fort de l'hiver : le bois gelé éclate sous la hache, et les
sections d'abatage ne présentent plus toute la netteté désirable.
En Sologne (1), on a l'habitude d'exploiter les bouleaux en
automne (novembre et décembre) ; quand on coupe au prin-
temps, la sève inonde les souches et peut, paraît-il, les faire
périr. On abat, au contraire, le chêne en cette dernière saison
pour éviter l'action nocive du froid, et retarder l'évolution
des rejets, qui échappent ainsi à l'effet désastreux des gelées
printanières.
Influence du mode d'abatage. — L'abatage doit se faire
avec des outils bien tranchants, d'un poids proportionné à la
grosseur des sujets à couper : les perches ayant un décimètre
de tour et au-dessus sont coupées à la hache; pour les brins
plus faibles, il est préférable d'employer la serpe, afin d'éviter
l'ébranlement et surtout la rupture des racines. L'usage de la
scie doit être rigoureusement proscrit, et même avec la serpe
ou la hache, il faut veiller à ne pas déchirer l'écorce au-des-
sous, de la section.
On donne à celle-ci un léger bombement vers le haut, 'de
(1) Observation de M. l'Inspecteur Croizette-Desnoyërs.
ni i'iîmdi (îïion. 31
manière à faciliter 1'écouleménl des eaux pluviales ; ptesl
l'exploitation dile en t&lus, par opposition à l'exploitation en
gouttière très défavorable à la vitalité des souches (fîg. 16).
1 2
Fig. 16. — Exploitations en talus et en gouttière.
En thèse générale, la section sera opérée aussi près de
terre que possible pour forcer les rejets à naître au niveau du
sol et même au-dessous ; c'est la condition indispensable
pour perpétuer les peuplements traités en taillis. Il faut, en
efTet, établir une distinction entre les rejets de souche, d'ori-
gine proventive ou adventive, et les rejets de tige.
Le véritable rejet de souche naissant en contact avec la
terre, ses jeunes tissus peuvent émettre des racines qui lui
sont propres, ce qui lui permet de se marcotter et par suite
de s'isoler, de former un sujet indépendant. Sans doute, une
souche après l'exploitation est vouée à la pourriture ; mais
celle-ci n'apparaît d'abord que dans les régions supérieures
et centrales; les zones qui avoisinent l'écorce, c'est-à-dire le
point d'insertion des rejets, présentent, il est vrai, des signes
manifestes d'altération tels que colorations diverses, lignes en
zigzag noires ou très foncées dues à des transports de ma-
tières oxydées, etc., mais la nécrose ne les gagne qu'assez
lentement, et la patte du rejet a le temps de se recouvrir
d'un tissu cicatriciel qui intercepte toute communication avec
le bois mort (1).
Le rejet de tige, au contraire, reste directement attaché à
l'axe mutilé qui le porte. Il ne s'affranchit jamais et n'assure
pas la perpétuation de l'individu; celui-ci est toujours cons-
titué par la tige ou portion de tige centrale, dont les pro-
ductions nouvelles ne sont que des ramifications. Tôt ou
tard cette tige meurt de caducité, entraînant avec elle la perte
de tous les rejets auxquels elle a servi de centre de végéta-
tion, et il faut pourvoir à son remplacement.
(1) Théodore Hartig. Vollstandige Naturgeschichte der forstlichen
Culturpflanzen Deutschlands. Berlin, 1852.
32
L ARBRE.
Quoi qu'il en soit, l'évolution des rejets de tige a servi de
point de départ à plusieurs modes de traitement: ainsi les
têtards et les arbres d'émonde, dont la tige est recepée à une
hauteur variant de un à plusieurs mètres, ainsi encore les
taillis furetés, où la section est généralement beaucoup plus
rapprochée du sol. Il faut, en effet, considérer comme rejets
de tige tous ceux qui, sur une souche, naissent à une hauteur
telle qu'ils ne puissent se créer un enracinement propre, si
faible d'ailleurs que soit cette hauteur. Dans les taillis furetés
et même dans des taillis simples exploités trop haut, le cas se
présente toujours. Ce ne sont plus alors que des vieux étocs
bosselés, chancreux, dépassant le sol de 10 à 50 centimètres et
qui s'acheminent vers la stérilité. On ne peut mieux les compa-
rer qu'à la tête mutilée des saules si communs dans nos prairies.
L'ensemble des rejets nés sur une même souche porte le
nom de cépée ou de trochée. Ces cépées sont caractérisées
par le groupement de plusieurs individus autour d'un centre
commun et aussi par la courbure en forme de crosse que
présente individuellement chaque rejet à sa base.
Drageons. — Les bourgeons à drageons s'organisent spon-
tanément sur les racines saines et intactes d'un certain
nombre d'arbres et d'arbustes feuillus. Citons parmi les
arbres : le peuplier tremble, l'aune blanc, le robinier faux
acacia, le chêne tauzin, le chêne yeuse, l'orme champêtre.
Les drageons naissent plus communément sur les racines
horizontales et superficielles, sans qu'il faille généraliser cette
faculté à toutes les essences à racines traçantes. Ils sont le
résultat d'un fait physiologique normal localisé chez des
espèces déterminées; on n'est pas libre de les faire naître,
comme les rejets de souche, sur tous les arbres feuillus. Les
drageons évoluent de préférence sur les racines d'arbres
isolés, comme les peupliers et les ormes plantés le long des
routes, les robiniers qui ornent les jardins ou encore sur
celles de sujets récemment exploités. Un exemple très fré*
quent de ce dernier cas nous est donné par les drageons de
peuplier tremble qui poussent par myriades dans certaines
coupes de taillis après le recépage des quelques individus de
cette essence qui pouvaient s'y trouver.
REPRODUCTION. 33
Le drageon s'affranchil facilement pour former bientôl une
tige indépendante; mieux donc que le rejet, il assure la re-
production et même V expansion de l'arbre, les drageons
pouvant percer le sol lies loin du pied qui lui sert d'origine.
Rejets de racine. — Sur les racines d'espèces qui d'ailleurs
ne sont pas drageonnanlcs, notamment sur les racines du
bouleau, peuvent s'organiser des bourgeons qui évoluent, le
cas échéant, en rejets sortant de ferre à une très faible dis-
tance (1 centimètre à peine) du pied-mère.
Les jeunes racines du bouleau forment des bourgeons d'un ordre
tout spécial, qui, sans s'être produits à l'aisselle des feuilles, rappellent
beaucoup les bourgeons proventifs. Comme ces derniers, les bour-
geons de racines, une fois formés, restent latents et peuvent se multi-
plier en nombre tel qu'ils rendent parfois le bois de souche madré (1).
Quiconque a planté des bouleaux a éprouvé l'agréable
surprise de voir un de ces rejets naître au pied d'un plant
qu'il croyait mort.
Ajoutons enfin qu'une section, une blessure, peuvent pro-
voquer sur toutes les racines d'arbres feuillus l'évolution de
rejets d'origine adventive, souvent appelés faux drageons.
Ils n'offrent rien de bien spécial, si ce n'est que, naissant très
près de terre, demeurant longtemps grêles et chétifs, ils ont,
en général, le temps de se souder solidement à la racine, et
même de s'individualiser avant qu'ils soient de taille à olfrir
prise au vent ou aux chocs, qui décollent si souvent les rejets
adventifs ordinaires.
Procédés spéciaux d'exploitation. — La coupe entre
deux terres, c'est-à-dire la coupe exécutée en dessous du
niveau du sol, provoque naturellement l'évolution des rejets
de racines et des drageons.
Un des procédés les plus connus, spécialement appliqué à
une espèce drageonnante, le chêne yeuse, est appelé le saut de
piquet. Pour faire sauter le piquet, on coupe chaque brin
d'une cépée à 25 centimètres au-dessus du sol ; puis, avec une
forte cognée, nommée passe-partout, dont le tranchant est mal
avivé, on fend la souche entre les tiges principales. Avec la
(1) Flore forestière, par A. Mathieu, quatrième édition, revue par
P. Fliche.
BOPPE et JOLYET. *}
34
L ARBRE.
tête de la cognée, on frappe ensuite sur chaque brin et on
l'ébranlé jusqu'à pouvoir l'arracher à la main. L'opération
est bonne ou désastreuse : bonne, si elle est faite dans un
but cultural, celui de favoriser la naissance des drageons;
désastreuse, au contraire, si le bûcheron n'a d'autre objectif
que d'extraire le plus possible de bois de racines, dont
l'écorce, très riche en tanin, se vend à un prix élevé. Elle
équivaut alors à un véritable défrichement.
11 est, en cela comme en toutes choses, une mesure à garder
et des conditions locales à observer. Ainsi, dans les régions
méridionales, quelles que soient les essences, il sera bon
de couper les tiges un peu au-dessous du niveau du sol, afin
d'éviter que les souches exploitées trop haut se dessèchent
à l'ardeur du soleil et que l'écorce se détache du bois.
Si la nature pierreuse du terrain empêche de ravaler les
étocs, on peut avec avantage préserver la section en la
recouvrant de quelques centimètres de terreau mélangé de
broussailles.
Inversement, en Sologne (1), on a l'habitude de couper le
chêne un peu plus haut que la règle dans les terrains où l'eau
séjourne lors des grandes pluies; — dans les cantons où la
sécheresse et le froid sont à craindre ; — enfin sur les sols peu
profonds. En effet, en exploitant ainsi, on ne coupe que le ou
les rejets, sans entamer complètement la souche; la surface de
section est donc bien moins considérable, et, par suite, les
effets de la sécheresse ou des gelées sont moins redoutables.
D'autre part, l'abatage ne nécessite pas des coups de hache
aussi nombreux, aussi violents, ce qui peut avoir de l'im-
portance dans des sols légers et peu profonds où l'ébranle-
ment des racines est à craindre.
De même, sur le bord des rivières, il est permis de couper
à 1 ou 2 centimètres au-dessus du sol, pour que les souches
ne se trouvent pas complètement enfoncées sous les dépôts
possibles de limon.
(1) Observations de M. l'inspecteur Ooizette-Desnoyers.
CIIAPITHK II
LES ESSENCES
ARTICLE PREMIER
GÉNÉRALITÉS
Définitions. — Tempérament. — Influence de la lumière. — In-
fluence de l'humidité atmosphérique. — Influence de la tempéra-
ture et influences diverses. — Aire forestière. — Influence des
qualités chimiques et physiques du sol — Influence de la fertilité.
— Essences sociales et disséminées. — Dissémination. — Longévité.
Définitions. — Dans le langage forestier, le mot essence
est synonyme d'espèce.
Les essences qui peuplent les forêts peuvent être rapportées
à deux groupes, suivant leurs dimensions : Yarbre et Yar-
brisseau.
M. Mathieu (1) a défini chacun de ces deux types comme
il suit :
A rbre, végétal ligneux, à tige simple et unie, et s'élevant à 7 mètres
au moins. — Arbrisseau, végétal ligneux, rameux dès la base, dont la
hauteur totale va de 1 à 7 mètres.
Le chêne, le hêtre, le frêne, l'orme, le sapin, le mélèze
sont des arbres. Le houx, le noisetier, le fusain, etc., sont des
arbrisseaux. Parmi ces derniers, on distingue, sous le nom de
sous-arbrisseaux, ceux qui restent dans les plus petites
dimensions et atteignent rarement 1 mètre de hauteur,
comme la bruyère, le genêt, l'airelle, etc.
On confond sous le nom de morts bois tous les arbris-
seaux. Ils sont sans valeur marchande, à moins qu'ils ne
puissent servir à quelques usages spéciaux, tels : la bour-
daine, dont le charbon est recherché pour la fabrication des
(t) Mathieu, Flore forestière.
36 LES ESSENCES.
poudres noires, le cornouiller mâle, dont on fait des manches
d'outils, les épines, utilisées comme cannes, manches de
parapluie, etc.
La dénomination de bois blancs, impropre, mais consacrée
par l'usage, indique, parmi les essences feuillues, les bois
d'une contexture molle, quelle qu'en soit d'ajlleurs la couleur
(aunes, tilleuls, peupliers, saules....) Nous emploierons à son
lieu et place l'expression de bois tendres ou bois moux (1).
Par opposition à cette désignation des bois blancs ou bois
tendres, on comprend sous le nom de bois durs les autres
feuillus (chêne, charme, hêtre, etc..)
Les résineux ou conifères, dont le bois a des qualités spé-
ciales, ne rentrent pas dans ces catégories.
Tempérament. — Les grandes espèces ligneuses se com-
portent différemment en présence des agents naturels de la
production. Les unes affirment des exigences spéciales; les
autres marquent de simples préférences ; d'autres enfin, et ce
ne sont pas les moins utiles, s'accommodent des conditions
mauvaises qui seraient fatales à la majorité. Si, en même
temps que de ces aptitudes diverses, on tient compte de la
longévité, on obtiendra toutes les données qui, réunies,
constituent le tempérament des essences.
Influence de la lumière. — Dans leur entier développe-
ment, toutes les espèces recherchent la lumière ; mais, dans
leur jeune âge, quelques-unes demandent le plein découvert,
quand les autres ont besoin d'un abri. Entre ces deux extrêmes,
la faculté de supporter l'ombrage se trouve développée à des
degrés variables. Parmi les premières on peut citer : le pin
sylvestre, le mélèze, le chêne, l'orme, le bouleau, le tremble; ...
parmi les secondes, le hêtre et le sapin se rangent en première
ligne ;le charme et l'épicéa ont des allures intermédiaires.
De cette aptitude toute spéciale qui dispose le jeune plant
à craindre ou à supporter les effets de l'ombrage, découlent
des conséquences permanentes pendant toute l'existence de
l'arbre. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement, car cette
•organisation, et par suite ces exigences du bourgeon extrême
(1) Autrefois le « mol bois ».
(.i'm'ii w.nïs. 37.
de la jeune tige, se retrouveront plus tard dans tous les bour-
geons de l'arbre constitué, qu'ils terminent la tige ou les
rameaux. Aussi les espèces dont les bourgeons se développent
à l'ombre ont-elles un feuillage abondant, dont tons les élé-
ments fonctionnent avec activité. Elles peuvent se maintenir
long-temps vivantes sous un massif d'autres arbres plus élevés
et attendre patiemment qu'une trouée faite dans l'étage supé-
rieur leur permette de reprendre essor. Toutefois l'épanouis-
sement simultané des bourgeons et, par suite, le nombre très
restreint de ceux qui restent à l'état dormant, est, en diverses
circonstances, une cause d'infériorité pour ces espèces feuillues;
après une gelée printanière ou une invasion d'insectes, par
exemple, elles sont dans l'impossibilité de se reconstituer
une frondaison suffisante. De même, si on les mutile ou les
recèpe, elles émettent peu de rejets. C'est le cas du hêtre.
Inversement, chez les essences qui ont besoin de la pleine
lumière pour ouvrir leurs bourgeons, bon nombre de ceux-ci
restent à l'état latent, même sur les ramifications les plus
élevées de l'arbre ; dans tous les cas, les branches inférieures
ne donnent que des feuilles rares et chlorotiques. Dominées,
ces espèces s'étiolent et meurent bientôt : par contre, celles
qui appartiennent à la classe des feuillus, comme le chêne,
sont toujours prêtes, le cas échéant, à émettre des rejets ou à
réparer les accidents dont nous parlions quelques lignes plus
haut.
On voit toute l'importance que prend en sylviculture la
manière dont le jeune plant se comporte à l'égard de la lu-
mière. Il n'est donc pas surprenant que les auteurs forestiers
soient partis de cette donnée, à l'exclusion de toutes les
autres, pour caractériser le tempérament d'une essence. C'est
ainsi qu'en Allemagne on les distingue en essences d'ombre
et essences de lumière. En France, on appelle souvent déli-
cates les essences qui ont besoin d'un abri dans leur jeunesse
et robustes celles qui demandent la pleine lumière dès leur
naissance. Les expressions allemandes sont peut-être préfé-
rables, en ce sens qu'elles ne préjugent en rien du plus ou
moins de résistance d'une espèce à l'égard des influences
mauvaises.
38
LES ESSENCES.
Toutefois cette division ne reste absolument vraie que
dans les régions moyennes de l'Europe, et, même dans ces
limites, l'intensité plus ou moins grande de la lumière atténue ou
exagère les aptitudes qui caractérisent chacun des deux types.
>5ubordoji7ze
1 1 très 7*ai'e ^ ou Mil
Fig. 17. — Distribution du Hêtre (1).
En effet, les jeunes plants d'essence de lumière supportent
mieux le couvert dans les régions chaudes et bien ensoleillées
que dans les stations froides et brumeuses ; dans les pre-
mières, certains arbres dits à couvert léger ont une frondaison
plus épaisse que ne le comporterait cette qualification et les
(1) L'Atlas de Statistique forestière de 1878, auquel nous empruntons
les cartes ci-jointes, donne la distribution des essences par cantonne-
ment. Les limites des zones sont donc bien souvent des limites admi-
nistratives, qu'il ne faut point considérer comme rigoureusement
exactes : tout un cantonnement peut être ombré d'une certaine façon,
alors que l'essence en question fait défaut sur certains points.
Gl M I! \l
39
espèces clouées de la l'acuité de repousser de souche y four
nissent des rejets plus abondants. C'est ainsi que les jeunei
planls de chêne, (pie L'on considère comme très robustes dans
le Nord de la France, où ils ne résistent pas plus de trois ou
Fis:. 18.
■H vluù p2* l'année entière ; 60 ?'et plus
MM id Zo à 40
1 1 tempéra litre d'été supérieure à +20°
Carte météorologique, d'après la France météorologique,
par E. Levasseur. Paris, Gh. Delagrave.
quatre ans à l'action du couvert, se maintiennent, dans les
forêts du bassin de l'Adour, en fourrés vigoureux sous des
massifs complets et bien feuilles. C'est ainsi encore qu'en
Provence, en Italie et en Espagne, on laisse grimper la vigne
contre les arbres fruitiers, et les raisins mûrissent dans leurs
cimes malgré l'ombre du feuillage.
Influence de l'humidité atmosphérique. — Les essences
à frondaison abondante, comme le hêtre et le sapin, ont une
transpiration très active. Il en résulte que, sous un climat sec
40 LES ESSENCES.
leurs racines sont parfois impuissantes à rétablir l'équilibre
et l'arbre est exposé à périr de soif. L'humidité de l'atmo-
sphère leur semble pourtant plus indispensable que celle du
sol ; ainsi les hêtres et les sapins acceptent un terrain relative-
ment sec, si le climat est humide, tandis qu'ils dépérissent,
bien que plantés dans un sol humide, si le climat est trop
sec.
En France, le hêtre est rare et fait même totalement défaut
dans les stations dont l'atmosphère est desséchée en été par
une température moyenne supérieure à -\-20°. Partout ailleurs
il existe en quantité variable, excepté cependant aux environs
de Fontainebleau, sur certains cantons disjoints où la hauteur
d'eau fournie par les pluies annuelles n'atteint pas 40 centi-
mètres. En fait, pour qu'il soit dominant, il faut que cette
quantité atteigne et dépasse 60 centimètres.
Le hêtre existe donc, en plaine et en montagne, partout
où il trouve le minimum nécessaire d'humidité atmosphé-
rique, qu'il le doive au voisinage de la mer, à la latitude, ou
à l'altitude. D'ailleurs, bien souvent, on le voit plus abondant
dans l'intérieur des grands massifs forestiers, à cause de l'hu-
midité relative que produit la forêt, que sur les lisières expo-
sées aux vents secs soufflant des plaines voisines.
Le sapin, au contraire, n'est spontané que dans les régions
à relief montagneux, ou, à tout le moins, accidenté. Toutes nos
montagnes le possèdent, c'est là seulement qu'il trouve, en
même temps que la fraîcheur, sans doute aussi certaines
autres conditions dont nous ne nous rendons pas très bien
compte.
Il ne faudrait pas toutefois spécialiser aux essences d'ombre
ce besoin d'humidité atmosphérique ; car le mélèze, essence
de lumière, redoute encore plus la sécheresse de l'air que le
hêtre et le sapin.
D'une manière générale, d'ailleurs, on peut dire que la
vapeur d'eau, quand elle ne se présente pas sous la forme de
brouillards trop fréquents qui interceptent la chaleur et la
lumière, est toujours favorable à la végétation forestière.
Néanmoins certaines espèces sont très exigeantes à cet égard,
d'autres beaucoup moins ; il en est même, comme le pin
(.1 M R ALITES.
\\
sylvestre, et surloul le pin d'Alep qui fonl preuve d'une
extrême résistance à la Bécheresse,
Influence de la température et influences diverses. —
Le plus ou moins de sensibilité aux excès de température,
aussi bien en dessus qu'en dessous du 0 centigrade, est encore
mm
dvj}iiiia7?'t
Subordonne
rare
t/res rare ou :ml
Fig. 19. — Distribution du Sapin.
une des principales causes de la distribution géographique
des espèces.
Pour chacune, on constate une limite méridionale de son
aire d'habitation fixée par un degré de chaleur qu'elle ne peut
plus supporter, et une limite septentrionale où un froid trop
intense met obstacle à son expansion. Pourtant, il faut bien
reconnaître, en ce qui concerne la limite méridionale, que
si la chaleur agit directement, elle intervient surtout, et d'une
façon préjudiciable, par les sécheresses exagérées qui en
sont le corollaire habituel.
42
LES ESSENCES.
Les espèces indigènes peuvent être classées comme il suit,
eu égard à la manière dont elles se comportent en présence
du froid.
1° Le pin d'Alep, le chêne liège, le chêne occidental,
périssent quand le thermomètre descend au-dessous de
domÙKZjvl
subordonné
rare
1res roL7-e ou nul
Fig. 20. — Distribution du Chêne vert.
— 6°, ou du moins quand il se maintient quelque temps à ces
basses températures.
2° Un froid prolongé de — 20° tue le chêne yeuse et le pin
maritime.
Ces deux essences, malgré leurs allures franchement méri-
dionales, peuvent remonter assez haut vers le Nord sur les
côtes de l'Océan, où le voisinage de la mer atténue les effets
de la latitude. Au contraire, les espèces du premier groupe
restent confinées dans les parties chaudes de la Provence (1).
(1) Exception doit être fuite pour le chêne occidental qui habite le
GÉNÉRALITÉS,
43
Cette même température de r- 20° endommage nu tue les
tiges du chêne tauzin et du châtaignier, mais 1rs souches
sont rarement atteintes et leur régénération par rejets
demeure le plus souvent assurée,
3° Si le thermomètre descend à — 30°, on voit disparaître
domuiaiil
suftordorwie
/are
1res jwc oujiuI
Fig. 21. — Distribution du Pin cTAlep.
un certain nombre de tiges de chêne rouvre, de chêne
pédoncule, d'érable champêtre, d'orme, de charme, de hêtre
et de sapin.
4° Enfin le pin de montagne, le pin sylvestre, le mélèze,
l'épicéa, le pin cembro, parmi les résineux; les grands érables,
le bouleau, le sorbier des oiseleurs, etc., parmi les feuillus,
semblent pouvoir supporter les froids les plus vifs dans
bassin de la Garonne, mais est un arbre de verger, plutôt qu'une
essence forestière.
44
LES ESSENCES.
les stations les plus extrêmes, sous le climat de la France.
On ne saurait donner trop d'attention — surtout quand on
constitue artificiellement de nouvelles forêts — à la résistance
au froid des différentes espèces. Dans notre pays, si on excepte
les régions montagneuses où les saisons offrent une certaine
dominant
subordonné
rare
J ?res rare ou /tui
Fig. 22. — Distribution du Charme.
régularité, on est exposé à supporter de temps à autre un
hiver exceptionnel par sa rigueur et qui suffit à anéantir des
plantations déjà anciennes. La dure expérience faite en 1879-
1880 a permis de classer les essences indigènes et exotiques
suivant le degré de résistance dont elles ont fait preuve (1).
(1) Charles Baltet, De faction du froid sur les végétaux pendant
Vhiver 1879-80. Paris, impr. J. Tremblay 1882. Extrait des mémoires
de la Société nationale d'agriculture de France, t. CXXVII.
i.i m it \i.iti:s.
45
Nous en dirons quelques mois au chapitre des repeuplements
artificiels.
En dehors de l'action des gelées d'hiver, le chêne, le hêtre,
le sapin et aussi l'épicéa, sont souvent atteints par les gelées
printanières. Dans certaines stations (vallons particulièrement
domiricL7il
subordonne
rare
1res rare ou nul
Fig. 23. — Distribution du Chêne tauzin.
froids, voisinage des étangs, etc.) les dégâts causés par cet
accident météorique, se répètent assez fréquemment pour
rendre impossible la culture de ces espèces. Au contraire, les
jeunes pousses du pin sylvestre et du charme supportent
sans danger un froid persistant de plusieurs degrés.
Enfin certaines essences ont une aire d'habitation res-
treinte sans que les causes qui en fixent les limites soient
bien apparentes. Ainsi, Tostrya à feuilles de charme est loca-
lisé dans le Sud-Est, le chêne tauzin dans le Sud-Ouest, le
46 LES ESSENCES.
charme est un arbre du Nord-Est ; Pourquoi?... Nous citons
le fait sans le discuter.
Aire forestière. — llya lieu de distinguer l'aire botanique
d'une espèce, de son aire forestière. L'aire botanique, toujours
la plus étendue, comprend toutes les régions où cette espèce
peut vivre et se reproduire. Or, dans le voisinage des limites
de cette aire, soit en latitude, soit en altitude, non seulement
le végétal considéré peut devenir plus rare, mais souvent
encore il se modifie. Tous les observateurs connaissent les
changements, parfois très sensibles, qui afTectent les caractères
de la plante quand le climat se refroidit ou se réchauffe à
l'excès : sa taille diminue, sa floraison est moins abondante,
ses fruits demeurent stériles, ses feuilles se rapetissent comme
cela arrive chez le hêtre aux grandes altitudes et dans les
stations sèches ; dans le midi, le chêne rouvre garnit de
poils ses feuilles et ses rameaux, de là son aspect tomenteux
et son nom de chêne blanc
Or, si certaines de ces modifications ne sont intéressantes
que pour le botaniste, d'autres peuvent avoir une importance
forestière considérable. A quoi bon cultiver telle ou telle
essence, si, sous un climat trop froid, elle devient chétive et
buissonnante? A quoi bon remplacer des essences s'accommo-
dant d'hivers rigoureux par d'autres qui ont théoriquement
plus de valeur, si, sous la latitude du lieu, elles ne doivent
donner qu'un bois industriellement déclassé par les tares de
toutes sortes qui dégradent les arbres mal venants ?
Nous appellerons donc aire forestière d'une essence, l'éten-
due des régions où elle peut, non seulement vivre et se repro-
duire, mais encore donner un bois d'œuvre sain et capable de
jouer un rôle économique utile.
Influence des qualités chimiques et physiques du sol. —
En général, les essences forestières se montrent assez indiffé-
rentes quant aux qualités chimiques du sol. Néanmoins il
résulte d'analyses faites par MM. Fliche et Grandeau (1) que
certaines d'entre elles, sans indiquer une préférence pour les
autres éléments minéralogiques, manifestent une évidente
(1) Annales de la station agronomique de VEst. Quatre mémoires de
recherches chimiques et physiologiques sur la végétation forestière.
i.l.M HAI.ITl'.S.
47
répulsion pour la chaux. Ainsi Le pin maritime refuse de se
développer dans les terrains qui renferment plus de 4 p. 100
de calcaire (1). La carte ci-jointe fait voir que non seulement
ce pin recherche les climats méridionaux, mais qu'il évite les
calcaires de la Provence, et reste cantonné sur les sables de
domùicuii
sut>ordojirw
rare
1res- rare ou, nul
Fig\ 24. — Distribution du Pin maritime.
l'Océan ou sur les terrains non calcaires des Maures et de
l'Esterel. On nomme ces essences calciluges. Beaucoup d'ar-
bustes et de sous-arbrisseaux sont dans le même cas : la
callune (vulgairement bruyère), l'airelle myrtille, la fougère
impériale, etc..
(1) On s'exposerait à de grosses erreurs en se basant sur la nature
de la roche sous-jacente pour qualifier un sol de calcaire ou de siliceux:
Par lixiviation ou par apport de matériaux, un terrain reposant sur
des dalles calcaires ne contient souvent que des traces infinitésimales
de chaux. Une analyse rapide au calcimètre s'impose.
48 LES ESSENCES.
D'autres espèces affectionnent aussi les sols siliceux, mais
sans qu'on puisse affirmer que cette préférence soit due à
l'absence de chaux, plutôt qu'aux qualités physiques propres
aux terres de cette nature. C'est le cas du pin sylvestre, qui
se plaît dans les terrains divisés et notamment dans les sols
graveleux provenant de roches dolomitiques.
Quelques essences, comme le chêne yeuse et le pin d'Alep,
affectent, au contraire, des allures calcicoles. Mais ici encore,
c'est une propriété accessoire des sols calcaires, leur plus
grande aptitude à réchauffement, qui les leur fait rechercher.
Ainsi le chêne yeuse, qui ne se rencontre en France que sur
les calcaires, est beaucoup moins exclusif en Corse et en Al-
gérie (1).
L'aune, l'orme, le frêne, le pin de montagne, peuvent
vivre dans les sols aquatiques pourvu que l'eau ne soit pas
stagnante; les terres simplement humides conviennent à ces
mêmes espèces et au chêne pédoncule ; le pin maritime, le pin
sylvestre, le pin noir d'Autriche, le pin d'Alep comptent
parmi les essences qui s'accommodent le mieux des terrains
secs (2); le bouleau a la faculté de tolérer les excès d'humi-
dité et de sécheresse.
La consommation plus ou moins grande d'eau que font les végétaux
ligneux, comme toutes les plantes à chlorophylle, dépend essentielle-
ment de la transpiration. Plus les feuilles perdent d'eau par la trans-
piration, plus elles en extraient du sol si elles fonctionnent norma-
lement...
Les résineux forment un contraste bien net avec les feuillus : leurs
feuilles aciculaires, étroites et raides, couvertes d'un épiderme épais,
fortement cuticularisé et imprégné de résine, provoquent une telle
diminution dans la transpiration qu'elles évaporent, d'après les
recherches de von Hœnel, 6 à 10 fois moins d'eau que celles des feuillus ;
en conséquence, les résineux ont des exigences moindres en eau et en
(1) P. Fliche in A. Mathieu, Flore Forestière, quatrième édition,
Paris, J.-B. Baillière et fils, 1897.
(2) Certains sols sont évidemment humides, d'autres évidemment
secs. Pourtant, il ne faut pas se fier à une simple apparence : la
partie superficielle de certaines argiles, de certaines marnes prend
un aspect de sécheresse extrême, après quelques jours de soleil,
alors que les couches profondes tiennent à la disposition des racines
plus d'eau qu'on se l'imagine. M. le professeur Fliche explique de
cette façon la réussite de l'aune dans les craies de la Champagne.
Gl m i: M il i S.
49
principes nutritifs que les arbres feuillus croissait avec <-ux sur le
même soi ( i ).
Le frêne, le chêne n'atteignent de belles dimensions qu'en
terrain profond; le hêtre, l'épicéa et quelques autres essences
à enracinement traçant acceptent volontiers des sols superfi-
ciels. Certaines espèces sont plus accommodantes que d'autres,
mais il reste acquis, en principe, que la végétation forestière
sera toujours plus belle sur les sols frais et profonds que sur
ceux qui présentent les qualités inverses.
Influence de la fertilité. — De même, tous les arbres,
comme les hommes et les animaux, préfèrent une nourriture
abondante à un régime trop maigre ; et, si Ton voit des
essences se développer convenablement dans les sols les plus
pauvres, c'est que, douées d'un tempérament frugal, elles
résistent dans un milieu où d'autres mourraient d'inanition.
A la suite d'analyses qu'il a fait porter sur des arbres de
la forêt de Haye, en terrain calcaire jurassique, M. le Pro-
fesseur Henry classe nos principales espèces de la manière
suivante, en commençant par les plus exigeantes (2) : 1° frêne
et érable ; 2° tremble; 3° chêne, orme de montagne et ali-
sier; 4° hêtre et charme.
Le frêne enlève au sol deux fois plus de potasse et d'acide
phosphorique que le hêtre.
Dans le même ordre d'idées, M. le Professeur Ebermayer (3)
distingue :
l°Les feuillus, à grande consommation, demandant plus que
tous les autres, de la potasse et de l'acide phosphorique ; ils ne
prospèrent que dans le lehm, les marnes et les calcaires argi-
leux. Citons par ordre d'exigence : le frêne, le peuplier pyra-
midal, l'orme champêtre, les tilleuls, le sorbier des oiseleurs, le
robinier, le marronnier d'Inde et les érables plane et sycomore;
2° Les feuillus à consommation moyenne : tremble, saules
(1) Ebermayer, La nutrition minérale des arbres des Forêts. (Traduc-
tion par E. Henry, Amiales de la station agronomique de VEst.)
(2) E. Henry, Études chimiques sur les principales essences de la
forêt de Haye et sur leurs cendres. (Annales delà station agronomique
de l'Est.)
(3) Ebermayer, loc. cit.
Boppe et Jolyet. 4
50 LES ESSENCES.
et chênes, peuplier blanc, charme, hêtre, érable champêtre;
3° Les feuillus à faible consommation : bouleau, aune
glutineux et aune blanc;
4° Les résineux : le moins frugal est le sapin, qui exige
sensiblement plus de potasse et d'acide phosphorique que les
suivants; puis viennent le pin cembro, le mélèze, l'épicéa (ce
dernier demande une notable quantité de chaux, autant que le
hêtre), le pin Weymouth, enfin le pin sylvestre et, pour ter-
miner la série, le pin noir et le pin de montagne. Après cette
dernière espèce, l'auteur ne range que la callune et un lichen.
Il faut toutefois remarquer, avec M. Ebermayer, qu'une
espèce peut avoir des cendres très riches en certaines substan-
ces, sans exiger un sol qui les renferme en quantité notable;
elle dispose quelquefois, en effet, de moyens spéciaux qui lui
permettent de ... gagner sa vie. Ainsi le frêne « aime à
prendre une partie de sa nourriture à l'état de dissolution
dans les eaux de ruissellement ou d'infiltration ; dans ces cas, il
se contente de sols assez pauvres ». L'aune, les saules agissent
de même. Le robinier, en sa qualité de légumineuse, vit en
symbiose avec un bacille, grâce auquel il transforme direc-
tement l'azote de l'air en matière albuminoïde : malgré ses
exigences^ il doit être rangé parmi les espèces améliorantes.
Les protubérances des racines de l'orme glutineux renferment
un schizomycète, qui joue, sans doute, le rôle du bacille chez
le robinier. Le hêtre s'accommode de sols très superficiels, une
couche de terreau lui suffit : en effet ses radicelles sont en-
tourées de filaments mycéliens, ou mycorhizes, « qui appor-
tent l'eau et les matières nutritives et par l'intermédiaire des-
quelles les arbres se nourrissent bien mieux dans les sols hu-
miques qu'ils ne le feraient à l'aide de poils radicaux dans les
sols minéraux (Franck). » L'épicéa est dans le même cas.
Quoi qu'il en soit, l'extrême frugalité des résineux, jointe à
leur moindre besoin d'eau, fait que ces essences sont toutes
désignées pour rétablir l'état boisé dans les forêts épuisées
et pour constituer, par voie artificielle, un premier peuplement
dans les friches et les landes stériles. Cette observation s'ap-
plique également au bouleau.
Essences sociales et essences disséminées. — Dans
ci'.m'h w.rn's. 51
le travail cité plus haut, le 1> Ebérmayèr fait une inté-
ressante comparaison entre les végétaux forestiers et les
plantes agricoles. Seuls, dit-il, les feuillus du premier groupe,
le robinier exeeplé, exigent des sols assez lions pour la cul-
ture des prairies et des céréales. Les autres se contentent
tous de terrains que l'agriculture ne pourrait utiliser à moins
de fortes fumures.
Or, dans un pays de vieille civilisation comme le nôtre, les
bonnes terres à blé sont généralement employées.... à donner
du blé ; il est rare que le sylviculteur en dispose. Le cas
peut se présenter, cependant, motivé par des raisons spéciales :
déclivité du terrain, fréquence des inondations, etc. Alors
des terres excellentes reviennent à la culture forestière;
nous en avons vu, en Bavière, sur des terrains basaltiques dans
la région de Rhon ; nous en connaissons également sur les
bords de la Saône, de l'Oignon, de l'Adour ; il doit s'en
rencontrer le long de la plupart de nos grands cours d'eau.
Mais, ailleurs, c'est-à-dire dans la majorité des cas, le sol
des forêts est trop pauvre pour nourrir un grand nombre de
végétaux exigeants. De même que les animaux de proie vivant
de chair, c'est-à-dire d'une nourriture de luxe, sont moins
nombreux que le peuple des granivores ou des rongeurs, de
même les gros mangeurs de potasse et d'acide phosphorique
doivent rester clairsemés. Les nombreuses familles sont
l'apanage des petites gens, a dit quelque part Toussenel.
Ceci nous amène à classer nos arbres forestiers en deux
grands groupes : les essences sociales et les essences dissé-
minées.
Les premières, grâce à leur frugalité et à une certaine flexi-
bilité de tempérament, semblent se plier au plus grand nom-
bre des circonstances locales; aussi constituent-elles la partie
principale, souvent même la totalité des peuplements. Le
chêne, le hêtre, le sapin, l'épicéa, les pins, sont des essences
sociales.
Les essences disséminées, au contraire, affectent de vivre, soit
par pieds isolés, soit par bouquets épars. Cette répulsion
apparente pour leurs semblables résulte d'exigences trop
spéciales de leur part au point de vue de la fertilité du sol.
52 LES ESSENCES.
Réunies en grand nombre sur un même point, à moins qu'il
s'agisse de l'un de ces terrains d'une fertilité exceptionnelle
que nous citions plus haut, elles s'affament entre elles, et
l'individu le mieux doué résiste seul. Les frênes, les ormes,
les érables, les fruitiers, les bois blancs, font partie de ce
groupe, qui ne contient que des espèces feuillues.
La variété de la flore forestière sur un même point est donc
un indice certain de la fertilité du sol, et aussi de la douceur
du climat. Car, plus les circonstances sont mauvaises, plus est
restreint le nombre des espèces douées d'une force de résis-
tance suffisante pour s'y maintenir. C'est ainsi que les es-
sences disséminées sont toutes, ou à peu près toutes, canton-
nées dans les régions de plaine. En montagne, au contraire,
on rencontre surtout des espèces sociales; parfois même,
dans les stations les plus rudes, une seule forme occupe toute
la forêt.
Dissémination. — La nature semble d'ailleurs avoir pris
soin de régler la répartition des essences sociales et des
essences disséminées par la manière dont elle assure leur
multiplication.
Toutes les espèces à semences lourdes sont sociales par la
force des choses et aussi par nécessité : d'une part, en effet,
ces semences tombent au pied de l'arbre qui les porte, ce qui
dispose les nouveaux individus par bouquets et même par
masses considérables; d'autre part, elles ont besoin, pour se
protéger contre le froid et la dessiccation, d'une couverture de
feuilles mortes qui ne se rencontre que dans les massifs
forestiers ; tombant en automne, avant la chute des feuilles,
qui les recouvrent quelques jours plus tard, elles sont, en
outre, recherchées par les rongeurs (1), par les sangliers, et
ces animaux en enfouissent autant qu'ils en mangent.
(1) Bien que sociales, ces essences ne sont pas dépourvues de tout
moyen de dissémination au loin. Ce sont les petits rongeurs, en accu-
mulant des provisions d'hiver exagérées, les geais, en transportant
des glands ou des faînes qu'ils oublient ou laissent tomber, qui se
chargent de cette mission. Les chênes nés de glands réunis par les
rongeurs naissent par paquets ; ceux qui proviennent des semences
jetées çà et là par les oiseaux germent isolés.
G] NI RALITÉS.
53
Toutes les espèces disséminées ont des semences légères,
souvent ailées, ou munies d'aigrettes rendant plus facile leur
transport par le vent, qui les disperse au loin (1). D'ailleurs
elles sont, non plus charnues, mais sèches, et supportent
sans en souffrir de fortes gelées. Elles germent, enfin, sur
un sol nu, pourvu qu'elles y rencontent la faible quantité
d'humidité qui leur est nécessaire. Une épaisse couverture
morte est, pour beaucoup d'entre elles, plus nuisible qu'utile à
leur installation ; car, en raison de l'extrême ténuité de leurs
organes naissants, elles recherchent, avant tout, une surface
meuble [2) et riche en terreau; aussi, pour en faciliter l'ins-
tallation, la nature fait-elle tomber leurs semences pendant
l'hiver, après la chute des feuilles, quand celles-ci sont déjà
tassées et en voie de décomposition. Ajoutons qu'elles sont
presque toutes d'une exubérante fécondité et que leurs jeunes
semis, dont la croissance est des plus rapides, luttent avan-
tageusement contre la végétation herbacée au milieu de la-
quelle ils sont jetés,
Tous les résineux ont des semences ailées, dont la dissémi-
nation se fait au loin sous l'action du vent, comme chez les
espèces précédentes. Et, pourtant, ce sont des essences so-
ciales. Mais, en général cantonnées dans les régions monta-
gneuses et dans les mauvais sols de la plaine, elles ont peu à
redouter la compétition d'autres espèces. Elles donnent d'ail-
leurs des graines en quantité suffisante pour assurer, tout à la
fois, la régénération des massifs qu'elles constituent, et leur
installation dans les pâturages avoisinants, qu'elles auraient
bien vite envahis, si l'homme et les troupeaux n'y mettaient
obstacle (3). Enfin, les résineux sont tous plus ou moins des
(1) Les fruitiers ont des semences lourdes et charnues ; mais les
graines sont transportées de côtés et d'autres par les oiseaux et se re-
trouvent dans leurs déjections : le résultat est le même.
(2) Aussi, exception faite des forêts en terrain sablonneux, où le
peuplement n'est pas très dense, où le sol n'est jamais compact, les
semis des saules et des bouleaux n'apparaissent-ils nombreux que dans
les clairières et principalement sur les anciennes places à charbon,
dont Taire est couverte de fraisil. Ils sont plus que rares dans le massif
lui-même.
(3) C'est ainsi que la dispersion de leurs graines légères fait remonter
certaines espèces au delà des limites de l'aire où elles mûrissent leurs
54 LES ESSENCES.
essences de lumière, leurs jeunes plants naissent dans des
clairières, dans des vides, plutôt que sous la projection immé-
diate des vieux arbres. Le sapin seul fait exception, par le
poids de sa graine plus grosse que celle des épicéas et de la
plupart des pins de nos forêts, par la désarticulation de son
cône, dont toutes les graines tombent en bloc sur le sol; cette
essence d'ombre par excellence n'est pas sans présenter
quelques analogies avec les espèces feuillues sociales, le hêtre
notamment.
En résumé, si l'on considère l'énorme production des se-
mences forestières, les procédés multiples mis en œuvre pour
assurer leur dispersion et leur adaptation aux milieux pro-
pices, il semble que la nature ait voulu rétablir, au profit de
l'espèce végétale, la faculté de locomotion qu'elle a refusée à
l'individu. Un arbre périra, plusieurs fois séculaire, sur le
point même où le hasard a fixé la graine dont il est sorti ; mais,
longtemps avant sa mort, sa descendance, qui constitue le
massif, se meut sans cesse dans toutes les directions. Cette
progression continue, pour être plus lente, n'est pas moins
assurée que celle des animaux doués de mouvement, et bientôt
la forêt aurait reconquis son ancien domaine, si, à tout instant,
l'homme ne venait pas l'arrêter dans sa marche envahissante.
Longévité. — Dans la pratique forestière, par longévité,
il faut entendre non pas la durée absolue de la vie des arbres,
mais le temps pendant lequel leur bois reste généralement
sain. D'ailleurs chaque espèce est douée d'une vitalité qui lui
est propre, mais dont un concours de circonstances plus ou
moins favorables peut avancer ou reculer le terme dans des
limites très étendues.
Les conifères et toutes les essences de bois dur, peut-être le
charme excepté, sont susceptibles de s'accroître sans dépérir
pendant cent cinquante ans et même davantage. Certaines
fruits. On remarque, en effet, que, clans la haute montagne, vers les
confins supérieurs de leur habitat, les forets résineuses se prolongent
et s'égrènent en arbres épars, qui sont, en général, stériles. Ils pro-
viennent des semences apportées des massifs inférieurs. Que ceux-ci
soient imprudemment détruits, les arbres des pâtures, n'étant plus
remplacés, disparaîtront après eux. — A. Mathey, Inspecteur-adjoint des
Eaux et Forêts, le Pâturage en forêt. Besançon, imp. Paul Jacquin, 1900*
ci \i it IUTBS. .)•)
espèces, nolammcnt le chêne el le mélèze, se maintiennent
en massif pendant trois cents ans et pins. En général, les bois
tendres et les arbustes ont une durée beaucoup moindre.
Un climat favorable augmente la longévité; aussi les es-
pèces naturalisées ou introduites vivent-elles moins long-
temps que dans leur station d'origine ; mais l'influence de
la fertilité du sol est capitale : sur un terrain pauvre ou man-
quant de profondeur, les arbres tombent en décrépitude bien
avant l'âge normal. On chercherait vainement à les maintenir
sur pied au delà de ces limites; tous périraient sans profit.
Dans une même station, l'état de massif augmente ou dimi-
nue la longévité d'un sujet considéré isolément ; tel arbre
appartenant à une espèce plus longévive que ses voisins, sera
fatalement entraîné par le dépérissement du massif avec
lequel il fait corps : il partagera le sort commun quand, seul,
ou associé à ses semblables, il aurait pu vivre plus longtemps;
tel autre, au contraire, verra son existence prolongée par
les conditions meilleures de protection et d'humidité que lui
assure l'état de massif.
C'est, d'ailleurs, sous l'influence de l'énergie vitale propre à
chaque individu que la sélection s'opère dans les forêts natu-
relles d'une manière plus parfaite que dans les milieux culti-
vés. En effet, la nature jette à profusion les germes des
arbres forestiers ; mais il n'en survit qu'un petit nombre,
appartenant aux types les plus parfaits, lesquels, en arrivant
à l'âge de la fertilité, fourniront les germes les mieux préparés
pour la propagation de l'espèce. Cet argument doit être invo-
qué en faveur de la régénération naturelle; car, lorsqu'on
élève les plants destinés à la régénération artificielle dans des
pépinières où, par des soins constants, on en sauve le plus
grand nombre, on constitue les peuplements avec une foule
de tiges de vigueur au-dessous de la moyenne, et que la na-
ture aurait éliminées. Il en est de même pour les semis de
main d'homme, dans lesquels on est obligé d'épargner la graine
par raison d'économie. Semis et plantation donneront des
massifs moins résistants que ceux de la forêt naturelle, et,
dans l'avenir, les races iront en s'affaiblissant.
56 LES ESSENCES.
ARTICLE II
MONOGRAPHIES DES PRINCIPALES ESSENCES (1)
Le chêne rouvre et le chêne pédoncule.
Aire et Station. — Indifférents à la composition minérale
du terrain, ces deux chênes se plaisent surtout dans les sols
profonds, argileux sans trop de compacité. Bien que, pendant
longtemps, on les ait considérés comme pouvant impunément
se substituer l'un à l'autre, ils manifestent des préférences
distinctes (2). Le pédoncule exige un sol humide ou, tout ou
moins, frais; les terrains argilo-sablonneux, fussent-ils sub-
mergés en certaines saisons, lui sont très favorables, c'est,
par excellence, l'espèce des grandes plaines et des vallées. Au
contraire, les sols bas, argileux, humides conviennent peu au
chêne rouvre ; celui-ci préfère les terrains plus meubles, gra-
veleux, sablonneux, calcaires, pourvu qu'une certaine quan-
tité d'argile y maintienne la fraîcheur dont il ne peut se
passer; les collines, les plateaux, les contreforts des mon-
tagnes, où il trouve plus habituellement toutes ces conditions
réunies, forment sa station de prédilection. On ne saurait
attacher trop d'importance, dans les travaux de repeuple-
ment, à cette différence fondamentale, afin de placer chacune
des deux formes dans la station qui lui est propre.
Sous ces réserves, le chêne pédoncule et le chêne rouvre,
se rencontrent en France à peu près partout, sauf dans la haute
montagne et dans les stations les plus chaudes du littoral de
la Méditerranée. Le premier est très abondant dans les régions
du sud-ouest où il peuple, presque à lui seul, les forêts feuil-
lues des Landes et du bassin de l'Adour. C'est lui qu'on plante
dans les haies de la Normandie, c'est lui qu'on retrouve dans
(1) Nous indiquerons sommairement la distribution géographique des
essences et nous prierons le lecteur de se reporter pour plus de détails
à la Flore forestière, par A. Mathieu, 4e édition, revue par M. Fliche,
Paris, J.-B. Baillière etfds, 1897. C'est à cette flore que nous emprun-
tons toutes les données botaniques.
(2) Dubois, Considérations cullurales sur les futaies du chêne du
Blésois, Blois, Lexesne, 1856.
LE CHÊNE ROUVBE V.T LE CHENE PÉDONCULE. •>/
les alluvions de la Saône el de nos grandes vallées. Le second
domine dans le centre de la France et dans les régions acci-
dentées; il s'élève môme jusqu'à I 000 mètres d'altitude et au
delà. Ces chênes atteignent leur maximum d'expansion dans
la zone tempérée, où ils caractérisent, par leur abondance, une
région se confondant souvent avec celle de la vigne; au-dessus
d'eux on trouve le sapin.
Tempérament. — Les deux espèces ont un jeune plant
robuste ; leur couvert est léger, souvent même incomplet
pour le pédoncule. Ils résistent bien à la chaleur, assez bien
aux grands froids de l'hiver, mais leur feuillage est très sen-
sible aux gelées printanières ; le pédoncule, qui entre en
végétation plus tard que le rouvre, est moins exposé à ces
accidents (1). L'un et l'autre repoussent parfaitement de
souche et conservent cette faculté jusqu'à un âge très avancé.
Enracinement, fructification. — La racine de ces deux
chênes est essentiellement pivotante. Le gland est un fruit
lourd ; les années de semence, ou glandées, sont surtout fré-
quentes dans la région du Sud-Ouest, où l'on peut récolter des
fruits presque tous les ans; plus on s'avance vers le Nord,
plus les glandées sont rares ; dans la France septentrionale,
elles se font parfois attendre dix et même quinze ans.
Croissance, longévité. — La croissance de ces chênes,
lente au début, devient bientôt assez active dans les bons
sols ; elle se soutient jusqu'à un âge très avancé, car leur lon-
gévité est très considérable et dépasse plusieurs siècles.
L'accroissement en hauteur des arbres en massif, comme des
sujets isolés, s'arrête vers l'âge de cent ans.
Bois et usages. — Le bois de chêne doit être mis au pre-
mier rang pour l'ensemble des qualités qu'on y rencontre ;
mais, suivant la nature du sol et du climat, qui active ou ra-
lentit la végétation, il est plus ou moins nerveux ou plus ou
moins tendre. Le bois du pédoncule est, en général, plus
(1) Cette observation de M. l'Inspecteur Bartet dans la forêt de
Haye [Observations phénologiques sur les chênes rouvre et pédoncule),
(Ann. Se. agronom. française et étrangère^, suffirait à expliquer ce fait
souvent constaté que les chênes pédoncules donnent des glands plus
fréquemment que les chênes rouvres.
58 LES ESSENCES.
dense que celui du rouvre, il convient mieux comme bois de
construction. Le rouvre est plus estimé pour le travail et
pour la fente ; le pédoncule de Hongrie donne, néanmoins
du merrain très apprécié.
Produits accessoires. — L'écorce de ces deux chênes est
utilisée comme écorce à tan ; celle du rouvre, qui croît sur les
coteaux chauds et bien éclairés, est généralement plus riche
et plus recherchée.
Allures forestières. — « Le grand mérite du chêne pour
les propriétaires de bois, dit M. Broilliard (1), c'est qu'il
abonde dans les forêts, qu'il croît dans presque tous les sols,
qu'il prospère à l'état de massif ou d'arbre isolé, en futaie
comme en taillis, et qu'il joint à la rusticité une longévité per-
mettant à la plupart des sujets d'arriver à de grandes dimen-
sions. »
Le chêne s'accommode très bien du traitement en taillis
simple et fournit un chauffage estimé, surtout quand il pro-
vient de taillis écorcés ; on le vend alors sous le nom de hois
pelard.
Mais le principal mérite du chêne consiste dans ses qualités
comme bois d'œuvre et clans les grandes dimensions qu'il est
susceptible d'acquérir. Traité en futaie, il devient le géant des
forêts de la plaine; par contre, ce n'est pas avant l'âge de
deux cents à trois cents ans qu'il acquiert son maximum de
valeur. Les massifs qu'il forme ont besoin d'être desserrés de
bonne heure ; mais alors ils entretiennent mal la fertilité du
sol. 11 ne convient donc pas d'élever le chêne à l'état pur et
on doit le conduire en mélange avec le hêtre ou avec le
charme ; à leur défaut, il est indispensable de conserver avec
soin toute la végétation arbustive qui se développe en sous-
bois, grâce à la demi-lumière tamisée à travers sa cime (2). A
ce point de vue, l'exercice du pâturage sous les vieilles fu-
taies de chêne est particulièrement nuisible. En général, le
feuillage plus fourni du chêne rouvre lui permet de mieux
accepter ce genre de traitement.
Leur tempérament robuste, leurs exigences spéciales au
(1) Broilliard, Traitement des bois en France.
(2) Dubois, loc. cit.
LE CHÊNE ROUVRE ET LE CHINE PEDONCULE. 59
point de vue de la lumière el de l'espace, disposent naturelle-
ment ces deux chênes et, plus spécialement le pédoncule, à
rechercher l'état isolé | I), aussi les rlève-t-on avec avantage
sous l'orme de réserves dans les taillis sous futaie. Ils donnent
alors une proportion de bois d'œuvre moins forte que dans les
massifs de futaie, mais, grâce à un grossissement plus rapide,
leur bois acquiert la plus grande dureté. Isolés dans les
campagnes, ils fournissaient autrefois des pièces courbes
recherchées pour les constructions navales.
Ces deux chênes, le rouvre surtout, possèdent la précieuse
faculté de se plier aux conditions les plus diverses que le
traitement leur impose ; ils vivent môme longtemps en forme
de têtards et d'arbres d'émonde. Dans les sols les plus maigres
et les plus secs, le rouvre végète sous les dimensions réduites
d'un simple buisson ; c'est sous cette forme qu'on le voit per-
sister dans certaines forêts ruinées, comme le dernier repré-
sentant des anciennes richesses. En un mot, suivant la fertilité
des milieux, le chêne se montre exigeant ou frugal ; mais,
c'est seulement dans les bons sols, qu'il mérite sa réputation
et que les dépenses pour le multiplier se justifient.
Variétés. — Le chêne rouvre et le chêne pédoncule, comme
beaucoup d'espèces dont les aires sont étendues, présentent
d'assez nombreuses variétés.
Nous en citerons deux :
1° Le chêne pubeseent, variété du chêne rouvre : c'est
le chêne blanc du midi, arbre généralement de petite taille,
souvent tortueux ou même simple buisson, mais qui n'en est
pas moins précieux par la complaisance avec laquelle il ac-
cepte de croître dans les pierrailles calcaires brûlées par le
soleil.
2° Le chêne de juin ou tardif, variété du chêne pédoncule :
cette intéressante variété, signalée en France par M. le Con-
servateur de Béer dès 1877, est surtout connue depuis l'étude
(1) Le chêne pédoncule constitue rarement des massifs de futaie
pleine : ainsi, dans certaines régions de la Normandie, il est très com-
mun dans les haies qui séparent les héritages et fait totalement défaut,
à quelques pas de là, dans les futaies domaniales. Il est, au contraire,
l'arbre des taillis sous futaie, dont il fournit les réserves idéales (quand
la nature du sol s'y prête, bien entendu).
60
LES ESSENCES.
très complète qu'en a faite M. le Conservateur Gilardoni (1).
L'épanouissement tardif de ses bourgeons (ils s'ouvrent un
Fig. 25
, _ Forci du Petit-Noir (Jura). Vue prise le 10 mai 1894 :
à droite Chêne de juin. (Photographie de M. Gilardoni.)
mois, quelquefois deux mois plus tard que ceux des chênes
pédoncules ordinaires) (fig. 25), met cet arbre à l'abri des ge-
(1) Le chêne de juin, notice sur une variété bressane du chêne pé-
doncule, par M. Gilardoni, inspecteur des Forêts. Nancy, impr. Ber-
ger-Levrault et Gie, 1X95.
LE CIIIiNF ROUVRE ET LE CHENE I' NCULÉ,
61
lées printanières. 11 est Burtoul commun dans la vallée d<- la
Saône (départements do Saône- et- Loire el du Jura). M. le
Conservateur Duchalais l'a retrouvé dans la vallée d<- la
Loire et M. Fôldes en Hongrie. Des expériences faites à
l'Ecole Nationale des Eaux et Forêts à Nancy (fîg. 26), ont
Fig. 26. — A gauche Chênes de juin, glands de la forêt du Petit-Noir
(Jurai. — Adroite Chênes pédoncules ordinaires, glands de la forêt
du Petit-Noir (Jura). Semis en automne 1896, dans le jardin de l'École
Nationale des Eaux et Forêts. Aspect le 4 mai 1898. (Photographie
de M. l'Adjudant Fournel.)
montré que le caractère particulier à cet arbre, le retard
dans la foliaison et la floraison, était complètement hérédi-
taire (1).
Le port des chênes tardifs est particulièrement élancé,
avantage dû sans doute à ce que la croissance n'est pas en-
travée par les accidents de gelée.
(1) Bulletin Société des Sciences de Xancy, 1899.
62 LES ESSENCES.
Le chêne tauzin.
Aire et station. — Cette essence, propre au Sud-Ouest de
la France, caractérise la région océanique qui s'étend des
Pyrénées à la Loire et même un peu plus au Nord, et du
littoral à une ligne tirée d'Orléans à Tulle et à Toulouse.
Elle semble préférer les sols siliceux et croît plutôt dans les
stations du chêne pédoncule que dans celles du chêne rouvre.
Tempérament. — Le tempérament du jeune plant est ro-
buste ; le couvert de l'arbre est léger ; on ne rencontre le
chêne tauzin que dans les stations où les grands froids de
l'hiver et les gelées printanières sont peu à craindre. D'ail-
leurs, comme il entre en végétation très tardivement, il est
moins exposé que les deux espèces précédentes à ces derniers
accidents. Il repousse très bien de souches.
Enracinement, fructification. — Bien que pourvu d'un
pivot, ce chêne est particulièrement remarquable par ses ra-
cines traçantes, qui possèdent au plus haut degré la faculté de
drageonner.
La production des glands est assez abondante chaque année.
Croissance. — Le chêne tauzin est, le plus souvent, un
arbre tortueux; il est loin d'atteindre les belles dimensions
du rouvre ou du pédoncule.
Bois et usages. — Son bois raide, se gerçant et se tour-
mentant beaucoup, peu estimé comme bois de construction
ou de travail, est, au contraire, recherché comme bois de feu.
Produits accessoires. — L'écorce jeune renferme beau-
coup de tanin et fournit du tan d'une qualité supérieure.
Dans les départements du Sud-Ouest, ses glands sont récoltés
pour l'engraissement des porcs.
Allures forestières. — Le traitement en taillis convient à
tous égards au chêne tauzin ; il doit même lui être exclusive-
ment appliqué, car ses dimensions toujours restreintes et ses
médiocres qualités comme bois d'œuvre, font qu'on n'aurait
aucun intérêt à le traiter en futaie.
LE CHÊNE LIÈGE BT LE CHÊNE OCCIDENTAL, 63
Le chéne-llège et 1<* chêne occidental.
Le chêne-liège est une essence exclusivement méditerra-
néenne. Répandu en Corse et en Algérie, il occupe dans la
France continentale trois régions disjointes : les Maures et
l'Esterel, — le Gard et l'Hérault, — les Pyrénées-Orientales.
Cette essence calcifuge se trouve cantonnée sur les sols
granitiques, porphyriques et schisteux. Dans les Maures,
elle monte jusqu'à 700 mètres d'altitude ; dans les Pyrénées,
jusqu'à 500.
Tempérament. — Le feuillage du chêne-liège est persis-
tant, mais grêle, rare; son couvert est léger, son jeune plant
très robuste. Il repousse bien de souches.
Enracinement, fructification. — Les racines sont, à la
fois, pivotantes et traçantes, suivant la profondeur du sol ; elles
ont aussi la faculté de drageonner, notamment quand les sou-
ches ont été atteintes par les incendies qui ravagent les forêts
dans sa région. La fructification est précoce et se produit dès
l'âge de quinze ans ; ce n'est guère qu'à trente ans qu'elle est
abondante et soutenue; en France, elle n'est le plus souvent
qu'intermittente.
Croissance, longévité. — Arbre de deuxième grandeur,
d'une croissance assez rapide dans le jeune âge, mais prenant
bientôt une forme trapue. Sa longévité est grande.
Bois et ses usages. — Son bois est peu estimé comme
bois de service, parce qu'il est très lourd et se tourmente trop ;
il fournit un très bon combustible et d'excellent charbon.
Produits accessoires. — Le liège qu'on tire de son écorce
a plus de valeur que le bois lui-même ; il donne une très
grande importance à cette précieuse essence, dont on ne sau-
rait trop recommander la multiplication partout où elle peut
prospérer. Les glands, sans être très âpres, ne sont pas ordi-
nairement comestibles. En Algérie, le liber est très recherché
à cause de sa richesse en tanin ; les vieux arbres sont exploi-
tés en vue de cette récolte.
Le chêne occidental. — Il ressemble en tous points au
chêne-liège : pour lé tempérament, l'enracinement, la crois-
64
LES ESSENCES.
sance, les qualités de son bois et de son écorce, ses exigences
calcifuges. Il n'en diffère que par la maturation bisannuelle
de ses glands et sa localisation sur les côtes de l'Océan.
Allures forestières. — Le chêne-liège et le chêne occiden-
tal n'ont d'autre importance forestière que celle de leur écorce.'
Fit?. 27. — Chêne-liège près de Bastia. — Photographie
de M. H. Bregeault.
A ce point de vue, on en obtient le meilleur rendement en les
disposant par pieds isolés, à la façon des arbres fruitiers dans
les vergers (fig. 27).
Le chêne yeuse ou chêne vert.
Aire et Station. — Cette espèce méridionale est rare dans
la région océanique, très commune, au contraire, sur le ver-
sant méditerranéen, de Menton à Géret, — de la mer à Digne,
Sisteron et Montélimart; elle remonte même au nord de
Valence. Elle manifeste, dans la France continentale du
moins, une préférence pour les sols calcaires, de là son
LE CHENE ÏEUSE OU CHENE VERT. 65
abondance sur le littoral méditerranéen, sauf dans les régions
granitiques des Maures et de l'Esterel ; delà aussi sa rareté
sur le littoral de l'Océan, si oe n'esl dans les stations calcaires
de la Charente ; de là enfin, son apparition dans le Plateau
central, par les caftons des Causses. Elle parvient dans les
Alpes et en Provence jusqu'à l'altitude de 700 à 800 mètres,
dans les Pyrénées à celle de 000 mètres.
Tempérament. — L'yeuse est très robuste et résiste aux
expositions méridionales les plus chaudes; son feuillage, per-
sistant, est assez léger. 11 fournit des rejets de souches jusqu'à
un âge avancé.
Enracinement, fructification. — Bien que solidement (1)
ancré dans le sol, l'yeuse possède des racines latérales dra-
geonnantes.
La fructification est précoce et se produit dès huit à dix
ans ; elle se soutient abondante et régulière jusqu'à un âge
avancé.
Croissance, longévité. — Sa croissance est assez rapide
clans le jeune âge, pourtant il ne dépasse pas les dimensions
d'un arbre de troisième grandeur. Sa longévité atteint trois
siècles et plus.
Bois et ses usages. — Le bois du chêne yeuse est très dur,
très lourd et extrêmement compact; il est fort sujet à se tour-
menter et peu convenable au travail ; son poids exagéré et ses
faibles dimensions en longueur limitent ses emplois comme
bois de construction. Il n'a point d'égal comme combustible.
Produits accessoires. — L'écorce du chêne yeuse donne
un tan très estimé, supérieur à celui des chênes à feuilles ca-
duques. Les glands, lorsqu'ils sont doux, ont une saveur
agréable et servent à la nourriture de l'homme, qu'ils soient
crus ou cuits. On les récolte pour cet usage dans quelques
départements du Midi.
Allures forestières. — Comme le chêne tauzin et pour
des causes identiques, le chêne yeuse ne comporte pas d'au»
(1) Les pivots du chêne vert pénètrent dans certaines crevasses jus-
qu'à 15 et 20 mètres de profondeur. Beaucoup de végétaux des stations
sèches agissent ainsi pour se procurer l'eau qui a disparu des régions
superficielles du terrain.
Boppe et Jolyet. 5
66 LES ESSENCES.
tre traitement que celui du taillis simple.' Sous cette forme,
il peut être utilement associé au pin d'Alep; il fournit à
celui-ci d'excellents sous-bois peu sujets à être détruits par
les incendies.
Le châtaignier.
Station. — Le châtaignier, répandu sur beaucoup de points
de la Franee, ne paraît cependant pas y être spontané, et c'est
une erreur populaire de croire que l'hiver de 1709 l'a fait dis-
paraître des régions de la Loire. Il recherche les terrains sili-
ceux.
Tempérament. — Le châtaignier exige moins de lumière
et forme, en conséquence, des massifs plus serrés que les
chênes à feuilles caduques ; il tient assez bien le milieu, pour
le tempérament, entre le hêtre et ces chênes, avec lesquels
il peut être maintenu en sous-étage. Il repousse très bien de
souches.
Fructification. — Le châtaignier fructifie vers vingt-cinq
ou trente ans, s'il est isolé — vers quarante ou soixante ans,
s'il est en massif; ses années de semences se succèdent à deux
ou trois ans d'intervalle et sont généralement abondantes.
Enracinement. — L'enracinement est formé d'un pivot
assez allongé et de nombreuses et fortes racines latérales.
Croissance, longévité. — C'est un arbre de première
grandeur, à croissance rapide et d'une grande longévité,
malgré les tares centrales qu'il contracte d'assez bonne heure.
Bois et ses usages. — Le bois de châtaignier a beaucoup
d'analogie avec celui du chêne (1) ; il lui est cependant infé-
rieur en qualité pour les constructions ; même dans les con-
trées les plus méridionales de la France, l'arbre se creuse
avant d'avoir atteint les dimensions qui le rendraient propre
à ce service. Il est estimé comme bois de merrain et fournit
également de très bons échalas; en effet, son aubier étant tou-
jours très mince, il y a une forte proportion de bois de
(1) La confusion est toutefois impossible entre ces deux bois : le bois
du chêne a de larges rayons médullaires; celui du châtaignier, au con-
traire, a des rayons invisibles à l'œil nu : il n'est jamais maillé.
i i in i ni oi i oi \nn. f>7
cœur, même dans les jeunes sujets ; il est aussi recherché pour
la fabrication des cercles de tonneau.
Produits accessoires. — Son fruit est comestible ; sous le
nom de chât&igne, il sert à l'alimentation dans les départe-
ments du Centre et du Midi. Le marron comestible n'est autre
chose que le fruit d'un châtaignier amélioré et traité à la façon
des arbres fruitiers. Cette culture, très répandue dans la ré-
gion des Maures, fournit des fruits très estimés, connus dans
le commerce sous les noms de marrons du Luc ou de Lyon,
Allures forestières. — Le châtaignier exige un climat
doux. En France, du moins, il constitue rarement des massifs
de quelque étendue. Il est souvent introduit artificiellement,
sur de petites surfaces, dans les sols fertiles que leur déclivité
rend impropres à l'agriculture. Traité en taillis, il donne alors
des produits très abondants et recherchés comme menu bois
d'œuvre. Pour constituer un massif de futaie, le chêne devra
toujours lui être préféré.
Le hêtre ou foyard.
Aire et Station. — Il se rencontre partout, en France, si ce
n'est dans la haute région des Alpes, sur le littoral méditer-
ranéen de Nice à Perpignan, et sur les côtes de l'Océan de
Bayonne aux Sables d'Olonne; il abonde dans les régions
de collines et dans les montagnes de moyenne élévation.
Le hêtre, assez indifférent à la composition minéralogique du
terrain, préfère, néanmoins, les sols légers et surtout calcaires,
il redoute les terres fortes et mouillées et craint la trop grande
chaleur.
Tempérament. — Le jeune plant de hêtre est très délicat,
le couvert de l'arbre très épais. Il supporte les plus grands
froids de l'hiver, mais son jeune feuillage, bien qu'un peu
moins sensible aux gelées printanières que celui du chêne,
est souvent atteint à cause de sa précocité. Le hêtre repousse
mal de souches dans les climats froids, mieux et même bien
dans les régions méridionales, notamment dans les Pyrénées ;
partout il perd d'assez bonne heure, à vingt-cinq ou trente
ans, la faculté d'émettre des rejets de bourgeons proven-
68 LES ESSENCES.
tifs; ceux -d'origine adventive sont alors plus fréquents.
Enracinement, fructification. — Dans les premières an-
nées,la racine pivote, reste simple ets'enfonce à peu près autant
dans le sol que la tige s'élève dans l'air ; vers douze ou quinze
ans, le pivot s'arrête et les racines latérales prennent une
grande extension ; à trente ans, celles-ci cessent de croître et
sont alors remplacées par des racines superficielles, traçantes,
souvent en partie saillantes hors du sol jusqu'à une certaine
distance du pied de l'arbre. En somme, l'enracinement total
est peu profond, mais très étendu en surface, sans pour cela
donner de drageons.
Le hêtre appartient à la catégorie des arbres à semences
lourdes; il ne fructifie qu'à un âge avancé, vers soixante ou
quatre-vingts ans en massif, quarante ou cinquante ans, quand
il est isolé. Les faînes ne sont abondantes que tous les cinq ou
six ans dans les circonstances les plus favorables, et, quelque-
fois, tous les quinze ou vingt ans seulement. Les [aînées com-
plètes sont généralement plus communes dans les plaines
et sur les coteaux que dans les régions montagneuses; mais,
en retour, les années de disette absolue n'y sont pas rares :
en montagne, au contraire, les faînées partielles se succèdent
à peu près sans interruption.
Croissance, longévité. — Le hêtre atteint de très grandes
dimensions, sans parvenir cependant à celles du chêne et du
sapin, en raison de sa longévité bien moins élevée et qui dé-
passe rarement deux cents ou deux cent cinquante ans. Cette
longévité décroît d'une façon notable au fur et à mesure qu'il
quitte la région des collines pour s'abaisser dans la plaine ;
dans les forêts situées sur les bords de la Loire, il dépérit, en
massif, avant l'âge de cent cinquante ans.
Au début de son existence, le plant s'accroît peu, environ
d'un décimètre de hauteur annuellement ; mais, passé cinq ans,
il prend son essor, écrasant autour de lui les espèces de lu-
mière qu'on voudrait lui associer ; vers quarante ou cin-
quante ans, il parvient à son maximum d'allongement annuel;
comme le chêne, entre quatre-vingts et cent, il ne s'accroît
plus sensiblement en hauteur.
Bois et ses usages. — Les emplois du hêtre sont nombreux
il m lui. OU i «>\ Aiin.
09
comme bois d'industrie. Il esl très estimé comme chau liage
et donne un charbon lourd et <!<• bonne qualité.
Produits accessoires. — La faîne contient une huile
grasse, comestible quand elle est exprimée à froid; en tous
cas, très propre à L'éclairage. La récolte des faines devient,
de ce fait, dans les années d'abondance, une source impor-
tante de produit pour les propriétaires ou pour les habitants
qui achètent le droit de les ramasser.
Allures forestières. — L'état de massif plein est celui qui
convient le mieux au hêtre; par son couvert épais et ses détri-
tus abondants, il fertilise le sol. Les produits les plus précieux
sont aussi tirés des arbres dont le fût élancé et lisse s'est cons-
titué dans les futaies régulières. Il se régénère facilement par
la semence, et la faculté qu'ont ses jeunes plants de suppor-
ter un couvert prolongé, permet d'user de tous les délais né-
cessaires pour obtenir un ensemencement naturel complet. Il
peut être élevé à l'état pur, mais il est avantageux de lui
associer d'autres essences à croissance aussi rapide que la
sienne : un massif de hêtre est, en effet, le milieu fécondant
le plus favorable à leur bon développement. Par contre, il
faut surveiller ses tendances à devenir dominant et, lors-
qu'on ne veut lui réserver qu'un rôle secondaire, c'est à
l'état de sous-étage qu'il rendra le plus de services, sans
devenir jamais nuisible. Le hêlre accepte le jardinage, mais
alors les arbres fournissent moins de bois d'oeuvre que dans
les futaies régulières. Cette essence conserve trop peu de
temps la faculté de rejeter de souches pour être avantageu-
sement traitée en taillis simple. Sous cette forme, le peuple-
ment ne se maintient complet que sur les versants bien
éclairés et à la condition expresse d'être exploité très jeune.
Parmi toutes les essences forestières, c'est à peu près la
seule qui puisse s'accommoder du traitement en taillis d'âges
mêlés ou furetés. Maintenu à l'état de réserve dans les taillis
composés, le hêtre se constitue une cime ample, épaisse, qui
écrase toute la végétation inférieure; on n'obtient ainsi que
des arbres à fût court, donnant un bois de travail de mé-
diocre qualité et en faible quantité.
En résumé le hêtre est l'espèce par excellence à cultiver
70
LES ESSENCES,
dans les sols sans profondeur ; on ne saurait trop le propager
dans les collines jurassiques du Nord et de l'Est de la France;
sa frugalité le désigne également pour remettre en état les
terres sableuses fatiguées par le pâturage, par le maintien
abusif du chêne à l'état pur, ou par le traitement en taillis.
Le charme.
Aire et station. — C'est un arbre de plaines et de coteaux :
en montagne, qu'il s'agisse des Vosges, du Jura ou du Pla-
teau central, il disparaît brusquement, sans passer par l'état
buissonnant qu'affectent beaucoup d'essences à la limite su-
périeure de leur aire. Il occupe toute la partie de la France
située au nord d'une ligne tirée de Grenoble à l'embouchure
de la Gironde ; il est surtout commun dans les départe-
ments du Nord et de l'Est. Le charme accepte tous les ter-
rains, mais il accuse une préférence marquée pour les sols
frais et profonds (1).
Tempérament. — Le charme, bien que son tempérament
soit robuste, a besoin d'abri dans sa jeunesse, en raison de
la faiblesse de l'enracinement des plants naissants et des dan-
gers auxquels les exposerait le dessèchement d'un sol décou-
vert. Il demande bientôt de la lumière, qu'il faut lui mé-
nager prudemment. En sols secs, pierreux, les chaleurs
exceptionnelles de certains étés lui sont parfois fur estes ;
en revanche, il présente, en toutes circonstances, une ré-
sistance remarquable à l'action des gelées printanières. Le
charme rejette parfaitement de souche.
Enracinement, fructification. — L'enracinement est faible
et superficiel. 11 se compose de nombreuses racines latérales,
issues d'un pivot bientôt oblitéré, et l'ensemble pénètre rare-
ment à plus de 50 centimètres de profondeur.
Malgré leur disposition traçante, ces racines n'émettent
pas de drageons ; mais les brins traînants du charme se mar-
(1) C'est, du moins, en pareille station qu'il constitue les arbres les plus
longévifs et les plus beaux ; mais ses taillis couvrent des étendues
considérables de terrains calcaires superficiels.
i i CH m;mi . "é 1
cottent avec la plus grande facilitée Dans la forêt de (Iham-
pcnoux (Mcurthc et Moselle) cl'ôpais fourrés de celle essence
se constituent ainsi, el s'étendent de proche en proche, cons-
tituant un obstacle sérieux à la régénération du chêne par la
semence. Il en est ainsi sur beaucoup d'autres points.
La fécondité du charme se manifeste de bonne heure, à
vingt ans et même au-dessous : il est peu de végétaux fores-
tiers qui aient des années de semences aussi abondantes et en
même temps aussi répétées. Le fruit du charme est un gland
peu volumineux, dont la dissémination est encore facilitée par
la cupule légère à laquelle il est soudé et qui joue le rôle d'une
aile offrant une large prise au vent. Ce gland ne germe que le
deuxième printemps après sa maturité.
Croissance, longévité. — La croissance du charme est tou-
jours lente et, à toutes les époques de sa vie, elle est de beau-
coup inférieure à celles du chêne et du hêtre. La végétation
des rejets de souches est, au contraire, assez active pendant
les vingt ou trente premières années : à cette époque, elle se
ralentit pour devenir assez semblable à celle des sujets de
franc-pied. Quelle que soit son origine, le charme reste tou-
jours un arbre de deuxième grandeur. Il peut atteindre
cent à cent vingt ans, et même dépasser cent cinquante ans,
dans de bonnes conditions et quand, au point de vue cultural,
on a intérêt à le maintenir.
Bois et ses usages. — Le charme fournit un chauffage de
toute première qualité ; il n'est pas employé comme bois de
construction, en raison de son peu de durée ; sa fibre, souvent
entrelacée, le rend d'un travail peu facile et les menuisiers ne
l'utilisent pas communément; cependant sa dureté, son ho-
mogénéité, sa ténacité, le rendent précieux pour la fabrica-
tion de formes et d'outils divers et pour la confection de cer-
taines pièces de machines, qui ont à subir des frottements,
telles que dents d'engrenages, etc. On ne tire du charme
aucun produit accessoire.
Allures forestières. — Le charme ne se rencontre à l'état
pur, dans la futaie, que par suite d'erreurs culturales. A cause
delà lenteur de sa croissance, les espèces qui l'accompagnent
parviennent toujours à le dominer; mais, dans le rôle secon-
72 LES ESSENCES.
daire où il y a lieu de le confiner, il peut rendre les plus
grands services, comme remplissage.
Traité en taillis, il donne jusqu'à un âge assez avancé (cin-
quante à soixante ans) des rejets très abondanls, dont on ob-
tient de bons produits. Dans son aire, il se perpétue par
rejets de souche, même dans les conditions les plus mauvaises,
et c'est grâce à sa présence que certains taillis, en sol presque
stérile, conservent quelque valeur.
Sa végétation est trop lente et son couvert est trop bas, pour
qu'on puisse l'élever avec profit sous forme de réserve dans les
taillis composés ; c'est donc seulement à titre exceptionnel, et
quand on n'a rien de mieux à attendre du terrain, qu'on aura
recours à lui. Si on n'a jamais l'occasion d'élever le charme
en futaie pour lui-même, il est toujours fort utile de l'asso-
cier au chêne; car il augmente la densité du massif dans sa
jeunesse; plus tard, il protège les fûts des arbres, en même
temps qu'il entretient la fertilité du sol : ce qui permet de
maintenir, sans inconvénient, les cimes des chênes dans l'état
clair qui leur convient spécialement.
Le frêne.
Aire et Station. — Le frêne vit à l'état disséminé dans
presque toutes les régions de la France, où il croît dans les
conditions lesplus diverses. C'est dans les plaines basses, dans
les grandes vallées, dans les vallons à sol frais et fertile qu'on
le rencontre le plus communément. Il est habituellement le
compagnon de l'orme, de l'aune, du chêne pédoncule. Mais
on le trouve aussi dans les montagnes, sans qu'il atteigne
cependant l'altitude du hêtre, et dans les sols secs des colli-
nes, pourvu qu'ils soient suffisamment meubles.
Tempérament. — Le feuillage léger du frêne, sa cime
peu ramifiée sont les indices d'un tempérament robuste; c'est
donc un arbre de pleine lumière, qui demande à être main-
tenu à l'état isolé. Nous avons vu, cependant, des jeunes plants
de frêne résister au couvert; aussi serions-nous tentés de
croire qu'ils le supportent mieux que les jeunes chênes. Ils
ont, en tout cas, cet avantage, que grâce à leur tendance à
i.i s l'.ii \r.i BS. l'A
pousser en hauteur, à filer, ils percent beaucoup mieux que
les chênes les fourrés de ronces, de rejeta ou d'épines dans
lesquels ils peuvent se trouver englobés. Le Irène rejette bien
de souches.
Enracinement, fructification. — La racine s'enfonce pro-
fondément dans la jeunesse et ne Larde pas d'émettre des ra-
mifications latérales qui, se développant beaucoup en longueur
et en grosseur, constituent à l'arbre une assiette très puis-
sante. Sa fructification est abondante et assez régulière.
Croissance, longévité. — Le frêne est un arbre de pre-
mière grandeur, qui peut atteindre les plus belles dimensions si
les conditions lui sont favorables; il reste, au contraire, étiolé
et chétif dans les sols médiocres. En tout état de choses, sa
croissance, relativement rapide dans sa jeunesse, en fait par-
tout une essence précieuse. Sa longévité est au moins égale à
celle du hêtre.
Bois. — Le bois du frêne, peu propre à la construction, est,
à cause de son élasticité, très recherché comme bois de tra-
vail. Il donne un bon combustible.
Produits accessoires. — A l'état vert, comme à l'état sec,
les feuilles fournissent un bon fourrage; aussi, en pays de
basses montagnes, rencontre-t-on souvent des frênes clans le
voisinage des habitations, où ils sont exploités en têtards et
surtout en arbres d'émonde.
Les érables.
Observations générales. — On compte en France cinq
espèces d'érables : l'érable sycomore, l'érable plane, l'érable
à feuilles d'obier, l'érable champêtre et l'érable de Montpel-
lier.
Les trois premières forment la catégorie des grands érables
et présentent entre elles une grande analogie, au double point
de vue des conditions d'existence et de la qualité des produits.
Elles sont exigeantes sous le rapport delà fertilité du sol et
vivent dans les forêts à l'état disséminé. Le feuillage de ces
arbres est assez épais. Leurs jeunes plants peuvent être qua-
lifiés de robustes ; pourtant ils se maintiennent longtemps
sous le couvert, et, hors forêt, s'installent de préférence au
74 LES ESSENCES.
milieu de buissons, ou encore sous des pins sylvestres, sous
des bouleaux, qui leur donnent un premier abri. Les grands
érables ont donc un tempérament mixte, intermédiaire entre
celui des essences de lumière, et celui des essences d'ombre.
Ils fructifient régulièrement et leursamare légère, dissémi-
née au loin, germe en abondance dans les clairières des forêts,
sur les places privées d'herbes.
Les souches produisent des rejets abondants et vigoureux.
Leur bois, recherché comme bois de travail, fournit un très
bon comestible.
L'érable sycomore se rencontre, le plus souvent, mélangé
au hêtre, dont il a toutes les exigences climatériques; il pré-
fère les pays accidentés aux plaines et, dans les montagnes,
dépasse la région des sapins. Dans les Alpes, il parvient jus-
qu'à 1500 mètres d'altitude. Sa croissance est très rapide
dans la jeunesse et devient parfois gênante, comme celle des
bois blancs, pour les autres essences avec lesquelles il s'asso-
cie naturellement. A l'état isolé, le sycomore développe une
belle cime, fortement étalée. Il peut vivre de cent cinquante
à deux cents ans.
L'érable plane accompagne souvent le sycomore, bien
que, plus délicat, il soit plus rare et s'élève moins que lui
dans les montagnes. En forêt, son aire d'habitation semble
limitée à quelques départements du Nord et de l'Est de la
France. Sa croissance est aussi plus lente que celle du
sycomore. Le plane est souvent utilisé, et à juste titre, comme
arbre de parc ou d'avenue.
L'érable à feuilles d obier joue un rôle assez important
dans les forêts du Jura, des Alpes, des Cévennes, des Pyré-
nées, où il vit, en plus ou moins grand nombre, à l'état dis-
séminé; par sa forme, son couvert et ses exigences, il se rap-
proche beaucoup du sycomore ; son bois est également re-
cherché par l'industrie et fournit un bon combustible.
L'érable champêtre est plutôt un grand arbrisseau qu'un
arbre; à cause de sa croissance très lente, il disparaît de
bonne heure au milieu des grandes essences qu'on laisse vieil-
lir à l'état de massif; par contre, il est très commun dans les
taillis de la région parisienne, où il accompagne le charme et
F.KS ORMBS.
75
forme avec lui un utile mélange. Son bois, toujours rare
sous des dimensions un peu Tories, présente une ténacité spé-
ciale, qui le fait rechercher par les tourneurs; il est d'ailleurs
très bon comme combustible.
L'érable de Montpellier, malgré ses petites dimensions et
la lenteur de son accroissement, est précieux par la qualité
qu'il possède de croître dans les sols les plus secs, jusque
dans les fissures des rochers. Il est assez répandu dans les
forêts des zones girondine et provençale, où il se comporte en
tous points comme l'érable champêtre dans les stations qui
lui sont propres.
Les ormes.
L'orme champêtre recherche, avant tout, les sols meubles et
fertiles; il peut devenir un arbre de la plus grande taille, c'est
dans les terrains d'alluvions récentes, sur les bords submersi-
bles des fleuves et des rivières, qu'on le trouve le plus abon-
dant à l'état spontané, aussi bien au nord qu'au midi de la
France. Il devient alors envahissant par ses racines traçantes,
qui se développent en rayonnant et par ses semences nom-
breuses et légères, qui se disséminent au loin ; les semis na-
turels qui en résultent, grâce à la rapidité de leur végétation,
risquent peu d'être étouffés par les herbes. En .terrain sec, ses
dimensions sont bien réduites, il donne des tiges irrégulières
à fibre tourmentée : de là le nom d'orme tortillard, qui lui est
alors appliqué. Cette espèce est très fréquemment et, avec
raison, plantée le long des routes, des avenues, sur les pro-
menades publiques et sur les glacis des places fortes. Bien
que l'orme se rencontre à peu près partout, il semble préférer
les climats doux et même chauds du Midi à ceux plus rudes
et surtout plus froids du nord-est, où son bois est souvent
altéré par les gélivures.
Son bois parfait, dur, élastique, extrêmement tenace, est
d'une durée au moins égale à celle du chêne ; aussi est-il re-
cherché pour une foule d'ouvrages ; l'aubier se dégrade rapi-
dement et n'est pas employé. Les feuilles d'orme constituent
le meilleur fourrage que puissent fournir les arbres forestiers ;
desséchées à l'air libre, c'est-à-dire fanées, elles sont presque
76 LES ESSENCES.
aussi riches en azote que la luzerne et le trèfle des prairies
artificielles et sont supérieures à cet égard au foin des prairies
naturelles.
L'orme de montagne, facilement reconnaissable à ses feuilles
plus larges, à sa cime plus ample, n'atteint jamais les grandes
dimensions du précédent. Il est fréquemment disséminé au
milieu des chênes, des hêtres et même des sapins, dans les
forêts des coteaux et des basses montagnes ; malgré ses préfé-
rences pour les terrains frais et légers, il se trouve en assez
bon état de végétation sur les sols secs des calcaires jurassiques
et jusque dans les éboulis rocheux.
Quoique doué par ses racines et par sa fécondité de la même
faculté d'expansion que l'orme champêtre, en forêt, du moins,
l'orme de montagne est beaucoup moins intéressant que ce
dernier ; car son bois est beaucoup plus léger, plus mou, moins
tenace et moins durable. Les charrons savent très bien le dis-
tinguer; ils le désignent sous le nom d'orme blanc et refusent
habituellement de l'employer.
Citons, pour mémoire, l'orme diffus, peu répandu et don-
nant un bois des plus médiocres.
Allures forestières des grandes essences disséminées.
— A l'exclusion des érables champêtres et de Montpellier,
essences n'entrant que dans la composition des taiilis, les
autres formes des trois genres précédents offrent entre elles
assez d'analogie pour qu'on puisse les considérer comme un
groupe à part.
Frêne, orme et grands érables constituent d'excellentes
réserves dans les taillis sous futaie. L'orme par ses drageons,
le frêne et les érables par leurs nombreux semis, donnent
d'excellents baliveaux ayant une longévité assurée. Le frêne
et l'orme champêtre, ce dernier surtout, veulent toutefois des
sols profonds et riches. Les grands érables, bien moins exi-
geants, constituent une ressource précieuse dans des taillis
sous futaie à sol superficiel, où les chênes ne poussent qu'à
regret. Ils ont cet avantage de ne rien craindre des gelées
printanières; l'orme est dans le même cas, qualité précieuse
qu'il ne partage malheureusement pas avec le frêne.
Peut-être l'orme champêtre pourrait-il se maintenir dans
i i MICOCOULIER. 77
des massifs de futaie? Nous avouons n'en point connaître
d'exemple. Au contraire, le Irène existe fréquemment dans les
futaies de chêne. Plus souvent encore, on trouve le sycomore
dans les sapinières ou les liètraies : il s accommode très bien
d'un pareil voisinage.
Dans la basse montagne, les essences disséminées sont par-
fois traitées en têtards et en arbres d'émonde. Leur feuillage
est alors donné aux bestiaux comme fourrage vert.
Le micocoulier.
Aire et station. — Celte espèce habite les climats méri-
dionaux. Elle prospère en plaine, en coteaux et même en mon-
tagne, à toutes les expositions ; elle réussit bien dans tous les
terrains, pourvu qu'ils ne soient ni trop légers, ni trop humides
ou marécageux; on la voit végéter jusque dans les pierrailles
et sur les ruines ; ce sont néanmoins les sols gras et frais qu'elle
préfère.
Tempérament. — Son feuillage est très léger; son enra-
cinement est puissant, pivotant et traçant. Ses racines dra-
geonnent; les souches produisent des rejets abondants et d'une
grande vigueur.
La croissance du micocoulier est rapide, et, bien qu'il n'ac-
quière pas les dimensions d'un arbre de première grandeur,
il peut atteindre 20 mètres de hauteur totale et 3 mètres de
circonférence à la base, à cause de sa grande longévité. Il
fructifie assez jeune, mais il reste quelquefois deux années
sans rien produire.
Bois et usages. — Son bois ressemble à celui du frêne,
dont il a toutes les qualités, à un degré plus élevé encore.
Comme produits accessoires, on tire de ses racines une
matière tinctoriale jaune. Ses feuilles donnent aussi un bon
fourrage pour le bétail.
Allures forestières. — Le micocoulier se rencontre rare-
ment en massif. Il se plaît mieux à l'état isolé ; aussi, son rôle
est-il plus important comme arbre d'alignement, d'agrément
ou de culture industrielle, que comme arbre forestier propre-
ment dit. On le rencontre, néanmoins, disséminé dans les
/O LES ESSENCES.
terrains vagues, pauvres, livrés au pâturage ou couverts de
broussailles. En somme, dans sa station, il se comporte à la
façon des ormes dans les régions plus septentrionales.
Les fruitiers.
Observations générales. — Les fruitiers se rencontrent,
en France, à l'état disséminé, dans presque toutes les forêts
de plaines et de coteaux, où, à cause de la lenteur de leur
végétation et de leurs faibles dimensions, ils sont surtout can-
tonnés clans les peuplements traités en taillis simple ou en
taillis sous futaie. Parmi les nombreuses espèces qui compo-
sent ce groupe, Y alisier torminâl, le sorbier cormier, le ceri-
sier merisier et le poirier sauvage méritent d'être signalés.
Les deux premiers préfèrent les terrains calcaires; mais
l'alisier torminal n'atteint de belles dimensions que si le sol
présente suffisamment de profondeur et de fraîcheur. Ils ont
une assez grande longévité et se signalent par les qualités
exceptionnelles de leur bois ; on a donc un avantage réel aies
laisser vieillir.
Le cerisier merisier, commun en plaine, est beaucoup plus
rare en montagne, où il s'étend dans la région du hêtre, sans,
toutefois, la dépasser. Il n'est pas très exigeant sous le rap-
port des qualités du sol, il préfère néanmoins ceux qui sont
frais et meubles. Sa croissance est assez rapidejusqu'à l'âge de
trente ou quarante ans, puis il dépérit d'assez bonne heure
pour qu'il soit imprudent de le laisser vivre au-delà de
soixante à soixante-dix ans.
Son bois s'altère rapidement à l'air; sa couleur acajou et ses
qualités spéciales, le font rechercher des tourneurs pour la
fabrication des bois de chaises et de fauteuils; c'est un com-
bustible de médiocre qualité.
Allures forestières. — En futaie, ces espèces ne peuvent
jouer qu'un rôle de remplissage dans les jeunes peuplements.
Dans les taillis sous futaie, il n'y a jamais lieu de se préoc-
cuper de leur multiplication ; on se contentera de réserver les
sujets les mieux venants, partout où il ne se présentera rien
de meilleur pour occuper leur place; quoi qu'il en soit, on
LE BOULE Ù . 79
devra toujours les préférerai] charme, non seulement à cause
des qualités précieuses de leur bois, dont la valeur, celle du
sorbier surtout, dépasse parfois celle du chêne, mais aussi
parce que leurs baies servent de nourriture à des oiseaux utiles.
Le bouleau (i).
Aire et Station. — Le bouleau se distingue par son extrême
rusticité. Il vit dans toutes les stations, aussi bien en plaine
qu'en montagne, pourvu que l'atmosphère ne soit pas trop
sèche. Peu exigeant sur la nature du sol et réussissant même
dans les tourbières, il préfère néanmoins les terres légères et
sablonneuses.
Tempérament. — Essence de pleine lumière, le bouleau a
le couvert extrêmement léger ; à l'état pur, il ne donne que
des massifs très clairs, sous l'ombrage desquels le sol se dé-
grade. Il émet des rejets de souche et des rejets de racine
assez nombreux, mais il est rare que, dans la suite, un ou
deux brins de la cepée ne prennent pas l'avantage sur tous les
autres, qui demeurent chétifs. L'énorme quantité de semis
que donne cette essence dans les terrains sablonneux, sup-
plée, d'ailleurs, le cas échéant, à l'insuffisance des rejets. Par
contre, le bouleau n'atteint pas de bien grandes dimensions;
son fût dépasse rarement 50 centimètres de diamètre. Il vit
cent à cent -vingt ans et peut aller exceptionnellement jus-
qu'à cent cinquante.
Bois et usages. — Son bois, demi dur, blanc, soyeux, est
d'assez bonne qualité; impropre à la construction, il sert à la
menuiserie, au tour et à la fabrication des sabots ; il fournit
un assez bon combustible.
Son écorce renferme une huile essentielle, qui donne au cuir
de Russie son odeur spéciale. Elle n'est pas utilisée en France
pour cet usage.
Allures forestières. — La cime du bouleau a un tel besoin de
lumière qu'elle n'accepte pas l'état de massif plein. C'est seu-
il) Il n'y a pas lieu de distinguer ici le bouleau verruqueux et le bou-
leau pubescent, ce dernier plus commun dans les stations froides
et humides.
80 LES ESSENCES.
lement dans les sols pauvres, ou même ruinés, qu'il forme
des peuplements purs; il prend alors des allures franchement
sociales; partout ailleurs les espèces spontanées s'associent
naturellement à lui.
Il est indifférent de le voir mélangé avec d'autres espèces
feuillues, mais il est nuisible aux résineux, dont les bourgeons
sont brisés lorsque, par un grand vent, les rameaux flexibles
du bouleau viennent fouetter leur cime.
Le bouleau est souvent envahissant, parfois même un peu
gênant. Sa présence est pourtant justifiée dans les jeunes
régénérations, car les espèces précieuses se développent sous
son abri protecteur. Le mélange force les sujets d'élite à
s'élever et, dès que ceux-ci ont acquis une résistance suffi-
sante, le moment est seulement venu de couper les bouleaux,
qui donneront alors de bons produits. On commet trop sou-
vent l'erreur de les extirper radicalement avant cette époque.
D'ailleurs, grâce à son extrême frugalité, comparable à celle
des résineux, le bouleau reste souvent la seule essence fores-
tière de quelque valeur peuplant les forêts en voie de dégra-
dation; pour le même motif, il est utilisé comme première
essence de boisement dans les terrains pauvres.
Les nuiies.
L'aune commun se rencontre dans les stations humides de
toute la France ; il affectionne les talus des rivières et des
ruisseaux, dont il sert à fixer les berges. Il semble d'ailleurs
assez accommodant sous le rapport du soi,, car il résiste en
même temps sur les terrains marécageux ou tourbeux et sur
les craies de la Champagne (1); néanmoins, les argiles trop
compactes et le séjour prolongé des eaux stagnantes à la sur-
face du sol lui sont préjudiciables.
Sa croissance est rapide, mais il vit rarement au-delà de
soixante-dix à quatre-vingts ans ; il repousse parfaitement
de souches. Son bois, demi dur, coloré en rouge, se dégrade
(1) Nous avons eu l'occasion de dire que ces craies conservent une
dose d'humidité plus considérable qu'on ne se l'imagine souvent
(M. Fliche).
LES IUNEB. il
rapidement quand il est employa à l'air; au contraire, sous
l'eau, il a une durée au moins égale à celle du chêne. Il est
utilisé parla menuiserie pour certains usages, et, comme bois
de chauffage, recherché pour la boulangerie.
Lînunv blanc abonde dans le lit des torrents des Alpes; il
se propage sur les berges des cours d'eau, les éboulis et les
cônes de déjection, où il ne craint pas les sols couverts de
gros galets amenés parles torrents. Également représenté dans
le Jura, il ne se rencontre pas clans les sols siliceux et gra-
nitiques des Vosges et du Plateau central. Son bois ressemble
à celui du précédent.
L'aune vert appartient, en France, à la région alpine; c'est
le dernier représentant de la forêt dans les hautes stations,
sur le confin des clappes rocheuses et des neiges éternelles. Il
recherche les sols siliceux, frais ou humides et réussit sur les
pentes les plus rapides, où il est très propre à fixer le sol et à
le garantir contre les affouillements et les éboulements. Ce
feuillu est la meilleure essence à propager pour garnir les
hauts couloirs des avalanches, car, il peut être recepé souvent
et possède la précieuse faculté de se redresser, après avoir été
écrasé sous le poids de la neige; il est regrettable que ses
exigences trop spéciales au point de vue du sol ne permettent
pas de l'utiliser dans les montagnes calcaires, où aucune forme
analogue ne se présente pour le remplacer. L'aune vert n'est,
à proprement parler, qu'un arbrisseau, dont le bois ne peut
servir qu'au chauffage ; il est d'ailleurs très utile, dans les hautes
stations qu'il habite, pour fournir le combustible nécessaire
aux fromageries.
Allures forestières. — Les aunes ne se rencontrent qu'ac-
cidentellement dans les futaies; exploités en taillis, ils rendent
d'excellents services et, dans des sols trop humides pour
beaucoup d'autres espèces, on a un avantage sérieux à les pro-
pager. On les introduit alors par plantation, car les semis,
naturels ou artificiels, ne pourrraient réussir au milieu des
hautes herbes qui envahissent ces terrains.
Boppe et Jolyet. "
82
LES ESSENCES.
Les bois tendres.
Le tilleul (1) est un arbre de très grande taille, qui, à l'état
isolé, atteint les plus belles dimensions; il se rencontre dans
les plaines et sur les coteaux, où il ne dépasse pas l'altitude
du chêne. Il recherche les sols frais. — Son bois blanc, léger,
mou, de peu de durée, mais d'un travail facile et se gerçant
peu, est apprécié des tourneurs et des sculpteurs. C'est un
assez médiocre combustible. Le liber de l'écorce du tilleul,
fournit la matière filamenteuse connue sous le nom de tille.
Le peuplier tremble (2) se rencontre en France dans tous
les sols et dans toutes les stations ; de la plaine, il s'élève dans
la montagne jusqu'aux altitudes de 1 600 à 1 700 mètres. Il
recherche les sols frais, humides, riches en terreau, pourvu
qu'ils ne soient pas trop compacts, et prend alors un dévelop-
pement convenable; partout ailleurs il reste chétif. L'accrois-
sement du tremble est très rapide, mais sa faible longévité ne
lui permet pas de fournir de gros arbres ; pourtant, dans cer-
taines stations qui lui sont particulièrement favorables, on
peut voir des tiges qui mesurent 0™,80 de diamètre. En
général, il' atteint tout son développement vers cinquante ou
soixante ans; passé cet âge, son bois est presque toujours
dégradé par la pourriture centrale. Son couvert très léger, et
son tempérament robuste ne lui permettent pas de supporter le
moindre abri. Il pousse assez mal de souches, mais drageonne
très abondamment. — Le bois de tremble est léger, tendre,
de consistance homogène ; il est recherché pour la fabrication
des allumettes et des pâtes à papier. Chauffage médiocre, il
est cependant d'un bon usage comme bois de boulangerie.
Les Saules comprennent un grand nombre d'espèces, qui,
presque toutes, habitent les bords des grands fleuves et des
rivières, ou les terrains submersibles :
Le saule blanc est l'espèce la plus importante du genre par
sa taille et sa longévité; croissant à l'état libre dans les sols
(1) Nous réunissons le tilleul à grandes feuilles et le tilleul à petites
feuilles : ce dernier est le plus commun en forêt.
(2) Les autres peupliers indigènes sont très rares en forêt.
LES M<HS TENDRES. M
frais et fertiles, il peul donner un grand arbre. Il est loujours
assez rare dans les forêts, où son couvert Léger esi peu nuisi-
ble aux espèces plus précieuses. Le saule blanc se bouture
très facilement. — Son bois, faiblement teinté en rose, es! léger
et très homogène; il serf à la sculpture et se débite en vo-
liges pour la fabrication des caisses d'emballage. Comme
chauffage, il peut être assimilé au Iremble.
Le saule marceau est bien plus répandu que le précédent;
il accompagne partout le tremble ; comme lui, il se bouture
assez mal. Sa longévité est d'ailleurs très restreinte. Croissant
en liberté, il vit à peine quarante à cinquante ans ; englobé
dans un massif, il périt vers vingt-cinq ans. — Son bois, plus
dur, plus lourd que celui du tremble, présente, employé à l'air,
une certaine résistance à l'altération et fournit, pour ce motif,
des perches à houblon et des échalas recherchés. C'est un mau-
vais combustible.
Allures forestières des bois tendres. — En général, les
bois tendres ne sont appelés qu'à jouer un rôle secondaire
dans le traitement des forêts ; ce sont surtout des essences
accessoires et de remplissage. Toutefois chacune d'elles a une
manière d'être spéciale.
On trouve rarement le tilleul dans les vieux massifs de
futaie. Mais, abondant dans certains taillis, il fournit des rejets
nombreux et d'une croissance extrêmement rapide dans les
débuts ; toutefois, sa production moyenne en argent ne dé-
passe pas celles des espèces plus précieuses, à moins qu'on
tire parti de son écorce, comme dans les environs de Chan-
tilly. Sa présence est même nuisible sur les points où l'on
cherche une régénération par la semence; il y a souvent lieu,
dans ce cas, de l'extirper radicalement, car ses énormes cé-
pées étouffent les semis qui les environnent.
Le tremble se multiplie très abondamment dans les jeunes
futaies ; mais il est surtout commun dans les taillis, où, par
ses nombreux drageons, il envahit quelquefois toutes les sur-
faces récemment exploitées. Malgré celte extrême abondance,
le tremble devient rarement nuisible, car la vigueur de ses
drageons s'épuise vite et beaucoup d'entre eux disparaissent
des les premières années. On commet souvent la faute de les
84 LES ESSENCES.
détruire trop tôt, sous prétexte d'amélioration culturale ; il est
facile, en effet, de constater que leurs tiges grêles et élancées
servent de tuteurs et d'abri à celles des espèces plus dé-
licates, qu'elles soutiennent et protègent sans les entraver. En
les laissant grossir, on en obtiendra, plus tard, des produits
abondants,, qui feront largement compensation à des dom-
mages éventuels. En un mot, il en est du tremble comme du
bouleau; il faut les compter l'un et l'autre comme remplissage,
tant qu'on ne peut obtenir mieux à leur place; sans chercher
à les propager, on ne doit pas les expulser systématiquement
des forêts; il suffit de les surveiller et d'en tirer profit, dès
qu'ils deviennent gênants, en tous cas, avant leur complet dé-
périssement. Le couvert très léger du tremble, sa reproduc-
tion par drageons, le rangent au nombre des essences dont le
choix est logique comme arbre de réserve dans les taillis sous
futaie, où il ne dépasse pas la dimension de moderne.
Malgré sa longévité assez grande, le saule blanc dépérit de
très bonne heure dans les massifs forestiers; c'est lui qui con-
tribue pour la plus forte part à former, dans certaines forêts,
la charge de bois sec des délinquants. Dans les campagnes, il
est surtout planté sur le bord des ruisseaux, où on le traite en
têtard. Il est aussi cultivé pour la production de l'osier. La
facilité avec laquelle il se bouture permet de l'utiliser sous
forme de plançons pour soutenir les talus et former les barrages
vivants dans le lit des torrents.
Le saule marceau est une espèce envahissante au premier
chef et qui, par sa croissance rapide et son couvert, assez
épais dans le jeune âge, est souvent préjudiciable aux bonnes
essences. Il faut alors l'extirper sans ménagement. Le saule
marceau peut néanmoins rendre des services, à cause de sa
rusticité ; on l'emploie avec succès pour former un premier
broussaillement dans les terrains pauvres à reboiser.
D'autres saules, dont la taille ne dépasse pas celle des ar-
bustes, sont localisés sur les bords des grands fleuves, dans les
zones périodiquement inondées. Exploités sous forme de me-
nus taillis, on en tire un parti très avantageux.
LE SATIN.
Le sapin.
85
Aire et station. — Le sapin constitue, en France, de grandes
forêts dans les régions montagneuses des Vosges, du Jura, des
Alpes, des Pyrénées et du Plateau Central; rare dans les col-
ines de la Bourgogne, il manque dans les Maures et l'Ksterel
et dans les Ardennes, mais on le trouve sur quelques points
des collines de Normandie à la limite des bassins de la Seine et
de la Loire. Partout, le sapin recherche le climat montagneux
et il n'apparaît dans les faibles altitudes (200 ou 250 mètres) que
sur les coteaux, au pied de montagnes, du climat desquelles
ces derniers participent. Il caractérise le commencement de
la région froide qui succède à celle du charme et du chêne.
Le sapin prospère dans les Vosges jusqu'à 1 100 mètres,
jusqu'à 1300 dans le Jura; il atteint 1 500 mètres dans le Pla-
teau central, 1700 dans les Alpes, et près de 2 000 dans les
Pyrénées. La nature minéralogique du sol lui est indiffé-
rente, pourvu que le terrain soit meuble, profond et sim-
plement frais (1).
Tempérament. — Le jeune plant du sapin est très délicat;
c'est l'arbre d'ombre par excellence et, plus que toute autre
espèce, il conserve la faculté de prendre son essor après avoir
été longtemps gêné par le couvert. Il résiste assez bien aux
grands froids de l'hiver, mais il est très sensible aux gelées
printanières.
Enracinement, fructification. — L'enracinement du sapin
est profond. Toutefois cette essence, profitant des crevasses
qui sillonnent les sous-sols calcaires, acquiert de fort belles di-
mensions sur des terrains qu'à première vue on lui aurait
jugé contraires. Les sapins du Jura sont là pour en témoigner.
La fructification, assez abondante et assez régulière, ne pré-
sente point les intermittences et les inégalités que l'on observe
chez les pins, les chênes et les hêtres.
Croissance, longévité. — Le sapin est un arbre de première
(1) Ou tout au moins que le sous-sol soit fissuré dans le sens verticaL
86 LES ESSENCES.
grandeur, qui peut parvenir à 40 mètres d'élévation (1) sur
lm,20 à 2 mètres de diamètre. Il croît rapidement en hauteur
jusque vers l'âge de cent- à cent vingt ans, en conservant une
cime pyramidale aiguë. A un âge plus avancé, l'axe principal
cesse de s'allonger et la cime s'aplatit de plus en plus au som-
met ; c'est alors l'époque de la pleine fructification.
Sa longévité est très considérable.
Bois et ses usages. — Bois de construction et de travail
de premier ordre, souvent utilisé pour la fente, il donne un
chauffage médiocre, sauf son écorce et ses branches, ou raies,
qui sont gorgées de résine et lancent une flamme claire et vive.
Produits accessoires. — L'écorce du sapin renferme une
certaine quantité de tanin et pourrait servir à la préparation
des cuirs. L'arbre ne fournit que peu de résine; celle-ci est
localisée dans l'écorce et on a perdu l'habitude d'en retirer ce
produit, qui était connu dans les Vosges sous le nom de téré-
benthine de Strasbourg.
Allures forestières. — Le sapin, comme toutes les coni-
fères indigènes, ne peut être traité autrement qu'en futaie.
Il constitue les forêts les plus sombres et affectionne l'état de
massif très serré. Un peuplement de sapin abandonné à lui-
même comporte toujours plusieurs étages de végétation; le
feuillage se continue pour ainsi dire sans interruption, depuis
les plus hautes cimes jusqu'au niveau du sol, et le couvert
épais qui en résulte entretient la fertilité du terrain, en même
temps que l'humidité constante dont cette espèce ne peut se
passer. Aussi, le sapin sembie-t-il né pour le traitement en
futaie jardinée. Du reste, dans toutes les forêts qu'on ne
fatigue pas par le pâturage ou par des exploitations abusives,
le semis naturel ne fait jamais défaut, même sous les massifs
intacts.
Si les circonstances climatériques locales ne s'y opposent
pas, le sapin accepte la forme de futaie régulière; mais à
cette condition expresse qu'on respecte les différents étages
superposés qu'il réclame d'une façon impérative, surtout dans
les sols exposés à se dessécher. En effet, quand le sapin a cessé
(1) La hauteur du « Président » dans la forêt de la Joux (Jura) dépasse
49 mètres.
i ïi'iri' \. S"
décroître en hauteur, sa cime s'étale et B'éclaircit; le sol, mal
protégé par le couvert d'un peuplement réduit à un étage
unique, va sans cesse en se dégradant; il est envahi par une
épaisse couverture vivante, au milieu de laquelle la régénéra*
tion naturelle devient toujours difficile et parfois même
impossible.
Sous cette réserve, le sapin peut former de bonnes forets à
l'état pur ; mais il est préférable de lui associer d'autres
essences, notamment le hêtre et l'épicéa. Le mélange avec les
formes qui le précèdent ou qui le suivent en altitude, s'im-
pose dès qu'on approche des limites inférieures ou supérieures
de la zone montagneuse relativement étroite qu'il habite. Le
sapin fait d'ailleurs excellent ménage avec les feuillus, arbres
ou arbustes, dont il recherche le terreau. C'est la raison pour
laquelle il envahit les taillis avoisinant la sapinière.
L'épicéa.
Aire et Station. — Bien que très répandu dans les plaines
du nord de l'Europe, l'épicéa ne se rencontre spontané en
France que dans une zone supérieure à celle du sapin. Assez
rare dans les Vosges, où il monte jusqu'à 1 300 mètres
d'altitude, il couvre des étendues considérables sur les
deuxième et troisième plateaux du Jura, jusqu'à 1500 mètres,
et acquiert une importance toute spéciale dans les Alpes sep-
tentrionales et centrales, où il parvient à 2400 mètres. Moins
commun déjà dans les Alpes méridionales, il est remplacé
dans les Pyrénées par le Pin de montagne, et manque dans le
Plateau central. Dans ces différentes régions, l'épicéa re-
cherche surtout les stations froides et fraiches. Malgré son
adaptation toute spéciale aux sols calcaires, l'épicéa ne se
montre nullement exclusif à cet égard et accepte tous les
terrains, même mouilleux.
Tempérament. — Le tempérament de l'épicéa est assez
robuste. Son jeune plant ne résiste pas à un ombrage épais.
Au contraire, on le voit s'installer en plein découvert, dans
l'herbe des clairières ou des pâturages. Toutefois, à cause de
son faible enracinement, le léger couvert du bouleau ou du
88 LES ESSENCES.
sorbier des oiseleurs, l'abri d'une roche ou d'un mur de clôture,
celui de quelques broussailles lui conviennent à merveille.
Partout, il craint la sécheresse. Il résiste indifférent aux
hivers les plus rigoureux et souffre moins que le sapin des
gelées printanières. Il présente, sous tous ces rapports, une
certaine analogie avec le charme.
Enracinement, fructification. — L'enracinement de l'épi-
céa consiste essentiellement en une souche dépourvue de pivot
et garnie de racines traçantes.
Sur les plateaux calcaires du Jura, il est curieux de voir ces
racines ramper sur le sol jusqu'à ce qu'elles rencontrent une
fente, une lésine, dans laquelle elles s'engagent aussitôt; elles
arrivent a faire ainsi corps avec les blocs de rocher. Gela permet
à cette espèce traçante de lutter contre les terribles coups de
vent qui balayent ces régions. Souvent, on la voit s'installer
dans le bois pourri, sur les souches exploitées, à plusieurs
décimètres au-dessus du sol ; de là ses racines gagnent la
terre en lui donnant pour base une sorte de candélabre ren-
versé. La fructification est sujette à plus d'intermittences et
d'irrégularités que celle du sapin et, suivant les contrées,
n'est abondante que tous les deux, six et même huit ans; elle
se produit normalement à cinquante ans.
Croissance, longévité. — L'épicéa est un arbre de très
grande dimension, à tige droite, élancée, pouvant atteindre
jusqu'à 50 mètres d'élévation, mais dont le diamètre reste
généralement inférieur à celui du sapin. Son couvert est assez
épais ; il conserve une cime touffue, pyramidale et qui jamais
ne prend la forme tabulaire, naturelle chez les sapins qui
ont dépassé cent ans.
Sa longévité atteint quatre cents à cinq cents ans.
Bois et usages. — Le bois d'épicéa, plus léger, en général
plus blanc que celui du sapin, s'emploie aux mêmes usages
et, suivant sa provenance, se paie plus ou moins cher que ce
dernier. Il est mou, spongieux, de qualité inférieure dans
les stations basses, en raison de la rapidité de sa croissance;
vers les limites supérieures de sa zone, au contraire, il
acquiert d'excellentes qualités et sa valeur dépasse du quart
au cinquième, celle du bois de sapin. C'est ainsi que, dans les
i.'hi'Icka. 89
Alpes, il est toujours préféré à ce dernier, quel que soit l'em-
ploi auquel ou le destine. En résumé, bois cle construction et
de travail cle première ordre, il peut môme être employé pour
la mature.
Produits accessoires. — L'écorceconlicnl du tanin etsert,
dans les régions où le chêne fait défaut, à la préparation du
cuir. Il faut 10 kilogr. d'écorce d'épicéa pour remplacer
3 kilogr. d'écorce de chêne. En France, on a renoncé à extraire
la résine de l'épicéa; cet arbre est, en effet, trop précieux comme
bois d'œuvre, pour qu'on lui fasse subir les dégradations que
comporte cette pratique, d'ailleurs peu lucrative.
Allures forestières. — Comme le sapin, l'épicéa demande
à être maintenu en massif sombre, mais il s'y comporte d'une
manière différente ; végétant mal à l'état dominé, il se cons-
titue naturellement en un seul étage, auquel le grand nombre
des tiges conserve toute sa densité. Grâce à la forme toujours
conique de sa cime, il possède, plus qu'aucune autre essence,
la faculté de vivre à l'état très serré, ce qui lui permet de for-
mer les peuplements les plus riches en matériel.
Il est avantageusement traité en futaie régulière; mais
comme il est très exposé à être renversé par le vent, on fera
bien de le mélanger avec le hêtre, le sapin ou le mélèze : les
peuplements acquièrent ainsi plus de solidité et se régénèrent
plus facilement. Il se montre d'ailleurs très envahissant dans
les pâtures et les taillis qui avoisinent les forêts résineuses ; on
dirait que, sous l'influence d'un traitement méthodique, il a
des tendances à déserter les grands massifs. A cause de son
tempérament robuste, il est une des rares essences pour les-
quelles on a pu tenter avec succès la régénération naturelle
par coupe à blanc.
Aucune espèce ne supporte mieux la transplantation. La
souplesse de son tempérament lui permet de vivre à peu près
partout; cette faculté d'adaptation se traduit par de perpétuels
changements dans sa forme, changements qui ont donné
naissance aux nombreuses races souvent décrites (1).
(1) Brenot, Remarques sur les deux variétés de l'épicéa commun.
Paris, Imprimerie nationale, 1878 ; — Revue des Eaux et Forêts, 1870,
— Dr Schroter, Vielgestaltigkeit der Fitchte. Zurich, 1898.
90 LES ESSENCES.
Le mélèze.
Aire et Station. — En France, le mélèze n'apparaît spon-
tané que dans les régions élevées des Alpes. Il y vit en massif
mélangé avec le sapin, l'épicéa, le pin sylvestre ou le pin de
montagne, à partir de 1 200 mètres d'altitude. Pur ou mélangé
avec le pin cembro, il peut s'élever jusqu'à 2900 mètres.
Par contre, on le voit s'installer naturellement, même au-
dessous de 1000 mètres d'altitude, dans les friches mises en
défens, quand elles sont exposées au Nord ou à l'Est.
Le mélèze ne marque aucune préférence pour les qualités
minéralogiques des sols, pourvu qu'ils soient suffisamment
meubles, légers et profonds. L'espace et la lumière lui sont
indispensables.
Tempérament. — Le jeune plant de mélèze ne supporte pas
le moindre couvert ; ce qu'il craint surtout, c'est la sécheresse.
Naissant en pleine lumière, sa graine ne peut germer que
dans un terrain toujours humide. Le feuillage, qui se renou-
velle en totalité chaque année, fournit un terreau mieux
constitué que celui d'aucune autre conifère ; il ne forme
d'ailleurs qu'un couvert assez léger, sous lequel s'installe un
gazon continu, généralement pâturé ou fauché.
Enracinement, fructification. — L'enracinement, très
solide, se fait par plusieurs racines principales, obliquement
et profondément enfoncées, desquelles partent un grand
nombre d'autres petites racines plus ou moins traçantes; le
pivot véritable s'est oblitéré dès les premières années.
La fécondité du mélèze est précoce et la fructification
s'opère assez régulièrement tous les ans ; mais la récolte
donne toujours une forte proportion de graines vaines.
Croissance, longévité. — La croissance du mélèze, rapide
dans sa jeunesse, devient extrêmement lente à un âge plus
avancé.
Dans sa station, il peut vivre plus de cinq siècles et donner
des arbres énormes. Transporté à de faibles altitudes, sa lon-
gévité est fort réduite.
Bois et ses usages. — Le bois du mélèze est d'excellente
LE Ml l-i ZE.
91
qualité, c'est un des plus précieux que produisent les forêts
indigènes ; on a pu dire de lui avec raison qu'il est le chêne
de la montagne. Dans les Alpes, il passe pour imputrescible
dans toutes les conditions d'emploi. Descendu sur les collines
par la culture artificielle, il donne encore un très bon bois ;
malgré la rapidité de sa végétation, il conserve son aubier
mince, et son bois parfait reste préférable à celui de toutes
les autres espèces résineuses qui pourraient lui être associées.
Produits accessoires. — En France, les forêts de mélèze
ne sont pas soumises au résinage. Les feuilles de cette es-
sence sécrètent une gomme particulière, que la médecine uti-
lise, comme purgatif, sous le nom de manne de Briançon
L'écorce du jeune mélèze est très riche en tanin.
Allures forestières. — Dans les hautes régions habitées
par le mélèze, les peuplements ont à lutter contre la rigueur
du climat, l'âpreté du sol, la déclivité des pentes et le voisi-
nage des pâtures. Alors, le traitement d'une forêt est toujours
chose fort délicate, car la moindre imprudence peut-être
l'occasion de désastres irréparables.
A cause de son extrême besoin de lumière à tous les âges,
le mélèze végète mal en étages superposés ; les massifs clairs,
composés d'arbres de même hauteur, sont de beaucoup préfé-
rables. Pour perpétuer cet état, il suffit de mettre scrupu-
leusement en défens, non seulement les bois très jeunes, mais
encore les parties exploitables que l'on veut régénérer. Dès
que le découvert est suffisant, le semis s'installe au milieu
du gazon peu touffu qui tapisse toujours le sol de la forêt.
A la limite inférieure de son aire, le mélèze se mélange
avantageusement avec l'épicéa, le pin de montagne ou même
le pin sylvestre. 11 accepte alors le traitement jardiné adapté
à ces espèces. Conservé en groupe dans les hauts gazons, il
abrite le bétail, en même temps qu'il fournit d'excellents pro-
duits : aucune espèce ne convient mieux pour la création de
prés-bois alpestres.
92
LES ESSENCES.
Le pin sylvestre.
Aire et station. — Le pin sylvestre est l'arbre des plaines
et des montagnes sablonneuses.
En France, on le trouve spontané dans les Vosges (1), où
il peut être cultivé jusqu'à l'altitude de 1 100 mètres, dans le
Plateau Central jusqu'à 1 500 mètres, dans les Alpes jusqu'à
1700, dans les Pyrénées jusqu'à 2 000. Partout il recherche
les expositions chaudes. Excepté dans les régions du pin
d'Alep et du pin maritime, le pin sylvestre a été propagé
comme principale essence de reboisement ; en plaine comme
en montagne, il a ainsi reçu une très grande expansion artifi-
cielle. Sans refuser de croître dans les sols compacts, il pré-
fère de beaucoup ceux qui sont meubles et divisés.
Tempérament. — Le pin sylvestre a le couvert léger, sur-
tout à un âge avancé ; son jeune plant est des plus robustes ;
l'arbre constitué, très avide de lumière, ne comporte pas l'état
de massif serré. Il exige de l'espace pour développer en
largeur une cime qui ne peut rester feuillée sur une grande
hauteur; aussi est-il indispensable de lui en ménager, sans
quoi l'on s'expose à ne produire que des arbres grêles, qui
se plient sous leur propre poids, sous celui de la neige ou du
givre, et à voir, chaque année, les peuplements se clairiérer
d'eux-même par la rupture des tiges dont la cime est trop ré-
duite. Cette essence n'a rien à redouter des gelées d'hiver,
ni de celles du printemps; par contre, plus que toutes les
autres, elle est exposée aux ravages des insectes et des cham-
pignons : dangers qui sont surtout à redouter en dehors de ses
stations naturelles. Le pin sylvestre craint aussi les hauts
sommets exposés à des vents violents ; alors, il semble ré-
sister tant qu'il est assez jeune pour passer l'hiver sous la
neige; mais, dès que, en grandissant, sa cime dépasse cette
zone, il perd ses feuilles et ne tarde pas à périr, plutôt sous
l'action mécanique des vents, que par l'effet d'un climat trop
rigoureux.
(1) Dans les Vosges, l'origine spontanée du pin sylvestre n'est cer-
taine qu'en dehors de nos frontières.
LE riN SYLVESTRE
93
Enracinement, fructification. — L'enracinement esl assez
variable; en sol léger et profond, le pivot Be développe beau-
coup et forme la partie essentielle de la racine jusque vers
trente ou quarante ans ; passé ce terme, les racines latérales
s'accroissent en vigueur, mais ont aussi une tendance à s'en-
foncer. Dans les terrains liants, au contraire, le pivot s'arrête
de très bonne beure et des racines, peu profondément situées,
ne tardent pas à le remplacer.
La fécondité du pin sylvestre est très précoce et l'on voit
des arbres isolés qui, à quinze ans, produisent déjà des cônes
et de bonnes graines; régulièrement, dans les massifs, ce n'est
guère que vers cinquante ans, et même au delà, qu'elle se
prononce. En général, on trouve au moins quelques cônes
chaque année, mais il n'y a abondance que tous les trois à
cinq ans.
Croissance, longévité. — Dans ses stations naturelles, le
pin sylvestre est un arbre de grande taille, qui atteint 30 ou
40 mètres d'élévation, mais dépasse rarement 4 mètres de
circonférence et reste, à cet égard, bien en arrière du sapin.
Sa croissance, très lente dans le Nord, est infiniment plus ra-
pide dans les climats tempérés.
Sa longévité est également très grande. Dans les plaines où
il a été introduit, il vit beaucoup moins longtemps.
Bois et ses usages. — Le bois du pin sylvestre, de toute
première qualité sous les climats septentrionaux et monta-
gneux, devient médiocre, au fur et à mesure qu'un ciel plus
doux lui donne une croissance plus rapide. Dans ce dernier
cas, la proportion d'aubier est considérable, relativement à
celle du bois parfait, qui, lui-même, bien que d'assez bonne
qualité, est loin de valoir le bois connu dans le commerce sous
le nom de sapin rouge, et qui n'est autre que le pin sylvestre
de Norwège ou de Finlande. Comme chauffage, il est meil-
leur que le sapin et l'épicéa; il est surtout recherché par la
boulangerie. Ainsi que la plupart des résineux, il entre au-
jourd'hui dans la fabrication des pâtes à papier.
Produits accessoires. — On ne résine pas le pin sylvestre,
autrement qu'en délit. Ses souches, distillées en vase clos,
donnent du goudron et du charbon de bonne qualité.
94
LES ESSENCES.
Allures forestières. — Le pin sylvestre doit être con-
duit en futaie régulière. En massif pur et dans les stations
convenables, les peuplements jeunes entretiennent assez bien
le sol jusque vers l'âge de vingt-cinq à trente ans ; plus
tard, l'état superficiel se dégrade et, sous les vieux massifs
purs, la régénération naturelle devient difficile. C'est ce qui
explique pourquoi, dans les forêts fatiguées, on est souvent
obligé d'avoir recours à la régénération artificielle, qui s'ob-
tient d'ailleurs facilement, soit par plantations, soit par semis.
Le pin sylvestre se mélange naturellement avec le hêtre, le
sapin ou l'épicéa, au milieu desquels, grâce à sa naissance ra-
pide, il se maintient à l'état dominant et fournit d'excellents
produits. Ces mélanges sont malheureusement beaucoup trop
rares en France, et, dans bien des circonstances, on aurait in-
térêt à les créer par voie artificielle. Dans la haute montagne,
il accepte un jardinage adapté à son tempérament.
Souvent cette essence se rencontre dans les sols trop
pauvres pour qu'on puisse lui associer aucune autre espèce de
grande taille ; dans ce cas, il est indispensable de respecter
scrupuleusement toute la végétation arbustive qui buissonne
à ses pieds. Qu'ils soient purs ou mélangés, les pins sylvestres
sont faciles à traiter ; il suffit, à tous les âges, de ménager
aux plus belles tiges l'espace nécessaire pour développer
librement leur cime.
La frugalité de cette forme et sa faculté de s'adapter aux
conditions les plus diverses, en font une espèce précieuse
entre toutes pour la mise en valeur des terrains incultes, dans
les régions de collines et de basses montagnes.
Le pin de montagne ou pin à crochets.
Aire et station. — Dans les Alpes et, surtout, dans les
Pyrénées, le pin de montagne constitue, seul ou mélangé, des
forêts étendues. Dans ces deux stations, il apparaît vers
1500 mètres, s'élève en massif jusqu'à 2 200 et se maintient
même à 2 500 mètres d'altitude. Jamais il ne descend dans les
plaines, même dans les plus septentrionales (1).
(1) Le pin de montagne existe sur quelques sommets des Hautes-
LB PIN DE MONTAGNE <»i PIN \ CHOCHETS. Bu
Il crdîl sur tous les sols, qu'ils soicnl secs, humides, maré-
cageux ou tourbeux. Outre les qualités de son bois, cette pro-
priété de végéter dans les conditions où aucune autre essence
ne pourrait se maintenir, le rend précieux pour assurer la
permanence de l'état boisé dans les régions alpestres.
Tempérament. — Dans les hautes stations où il est can-
tonné, son jeune.plant ne demande aucun abri; néanmoins le
pin de montagne résiste mieux que le pin sylvestre à l'action
du couvert, sa cime reste beaucoup plus longue, et il peut
reprendre une belle végétation une lois qu'il a été dégagé.
Le feuillage de l'arbre est assez épais.
Enracinement, fructification. — L'enracinement est com-
posé de plusieurs maîtresses racines traçantes ; on n'y remar-
que pas de pivot principal.
La fructification se produit de bonne heure, vers dix ans,
et se maintient abondante et continue.
Croissance, longévité. — La croissance du pin de mon-
tagne est lente, jamais il n'atteint les dimensions d'arbre de
première grandeur; cependant, les belles formes de sa lige et
la régularité de ses anneaux ligneux en font une espèce inté-
ressante à tous égards. Sa longévité peut dépasser deux cents
ans.
Bois et ses usages. — Le pin de montagne est estimé pour
la charpente et le sciage et, à l'exception du mélèze, on le
préfère, dans les Alpes, aux autres essences résineuses. Le
grain de son bois est très fin et très égal ; aussi se fend-il et se
travaille-t-il très bien. Comme chauffage, il est aussi plus
apprécié que les autres conifères.
Allures forestières. — Le pin de montagne offre la plus
grande analogie avec l'épicéa ; cependant on ne rencontre
presque jamais ces deux espèces associées ; au contraire, le
pin de montagne semble se substituer complètement à l'épicéa,
dès que le climat devient trop sec pour ce dernier. Quoi qu'il
en soit, l'un et l'autre peuvent être traités d'une façon iden-
tique, soit à l'état pur, soit en mélange avec le sapin ou le
mélèze.
Vosges, et dans les tourbières du Jura. Mais son importance forestière
y esi à peu près nulle.
96 LES ESSENCES.
Dans les hauts couloirs, il maintient l'état boisé, grâce à sa
forme en candélabre et à ses branches flexibles, qui se cour-
bent sous la neige. Il y faut abandonner ces massifs à leur rôle
de forêts de protection.
Le piii maritime.
Aire et station. — Le pin maritimca son maximum d'ex-
pansion dans les Landes et sur les côtes de l'Océan jusqu'à
Bayonne. Il existe le long des Pyrénées, et se retrouve abon-
dant sur le littoral méditerranéen, dans les Maures etl'Esterel,
et en Corse où il atteint l'altitude de 1000 mètres. Il est rare
en Algérie. La culture l'a répandu dans tout l'ouest de la
France, et même dans le centre (Sologne). Cette essence cal-
cifuge accepte tous les sols, même les plus médiocres, pourvu
qu'ils soient siliceux.
Tempérament. — Arbre de pleine lumière, à couvert léger,
le pin maritime résiste très bien à la chaleur et à la sécheresse.
Il supporte mal des froids prolongés et dépassant — 15°.
Enracinement, fructification. — Les racines sont dévelop-
pées, pivotantes et traçantes à la fois. Cette disposition, jointe
à une croissance très rapide dans la jeunesse et au peu d'exi-
gence de l'espèce à l'égard de la fertilité du sol, a fait choisir
avec succès le pin maritime pour fixer les sables mouvants des
dunes et pour boiser ceux des Landes.
La fructification est précoce ; dans les sables des dunes, elle
apparaît quelquefois à quinze ans, mais alors les graines sont
souvent vaines. Elle devient très abondante et presque conti-
nue vers quarante ou cinquante ans.
Croissance, longévité. — Le pin maritime est un arbre
de grande taille et de végétation rapide, longtemps soutenue,
qui peut, à cent ans, atteindre plus de 3 mètres de circonfé-
rence ; il parvient à de plus grandes dimensions encore à la
faveur de sa longévité plusieurs fois séculaire et arrive à
30 mètres de haut sur 4 à 5 mètres, et même plus, de tour.
Bois et ses usages. — Le bois du pin maritime est à grain
grossier ; ses accroissements sont épais et très apparents.
Purgé de son aubier, il donne des bois de construction et
LE PIN MARITIME.
de sciage de qualité moyenne. L<i geramage diminue consi-
dérablement le développement des arbres el enlève toute
homoffénéité au bois dan- la région des carres; il faut néan-
Fig. 28. — Vieux pins maritimes gemmés. — Pots, système Hugues,
recueillant la résine qui découle des carres"; — par terre : un barcous,
réservoir à résine, recouvert d'un abri en planches. (D'après une
photographie achetée au commerce.)
moins reconnaître que cette opération, en ralentissant la
croissance, donne, dans les portions restées intactes, un bois
plus lourd, plus résineux, beaucoup plus résistant et plus
BOPPE et JOLYET.
98 LES ESSENCES.
durable. C'est un combustible très recherché par la boulan-
gerie ; dans les foyers ouverts, il a l'inconvénient d'éclater et
de projeter au loin des étincelles.
Produits accessoires. — Surtout exploité au point de vue
de la gemme (fig. 28), le pin maritime fournit en résine un
revenu qui peut varier de 25 à 40 francs par hectare.
Allures forestières. — Dans ce cas, le pin maritime est
soumis à un traitement spécial; en toute autre circonstance,
il doit être conduit comme le pin sylvestre, peut-être même
en massif plus clair. Il se régénère très facilement, à cause de
sa fertilité précoce et abondante, aussi bien que par sa faculté
de s'installer sur les sols nus.
Le pin d'Alep.
Aire et station. — Essence méditerranéenne au premier
chef, très sensible aux gelées d'hiver, le pin d'Alep reste, en
France, confiné sur les terrains calcaires des régions chaudes
de la Provence. Il prospère sur les versants rocheux les plus
dépourvus de terre végétale, les plus brûlés par le soleil.
Tempérament. — Son jeune plant est très robuste, son
couvert très léger ; sa résistance considérable à la sécheresse
en fait un arbre des plus utiles.
Enracinement, fructification. — L'enracinement est pivo-
tant et, en même temps, largement développé; il reste parfois
superficiel, au détriment de la bonne végétation de l'arbre.
La fructification est précoce et abondante; l'arbre est carac-
térisé par la persistance des cônes ouverts, qui restent indéfi-
niment attachés aux rameaux.
Croissance, longévité. — Le pin d'Alep a une croissance
assez rapide ; cependant, il ne dépasse pas les dimensions de
seconde grandeur; vers vingt ans, il forme un arbre de tige
grêle, flexueuse, dont la végétation se ralentit; à un âge
avancé, la cime s'étale largement et prend la forme en para-
sol, analogue à celle du pin pinicr.
Bois et ses usages. — Son bois, d'assez médiocre qualité,
sert néanmoins clans la menue charpente, et fournit une
grande quantité de sciage, employé à la confection de caisses
i i S PINS LARICIOS. '•'.)
d'emballage ou de tonneaux pour le transport des matières
Bêches. C'est un combustible flambant bien et recherché dans
certaines usines.
Allures forestières. — Le pin d'Alep se rencontre peu en
massif pur. Le plus souvent, il constitue des forêts livrées
au pâturage, en mélange avec le chêne yeuse et d'autres es-
pèces feuillues. On exploite ces dernières en taillis, et on ré-
serve les pins pour les réaliser dès qu'ils ont atteint des
dimensions convenables. Dans ces conditions, le pin d'Alep
se régénère très bien ; il mériterait cependant, à cause de sa
rusticité et des produits qu'il donne, un traitement plus ration-
nel.
Les pins laricios.
Le pin laricio a donné naissance à des races diverses, comme
le laricio de Corse, le laricio des Cévennes, celui des Pyré-
nées, spontanés dans ces trois localités; — comme le pin de
Calabre et le pin noir d'Autriche, artificiellement introduits
en France.
Le pin laricio de Corse, que nous prendrons pour type, ne
se rencontre que dans cette île ; il habite les régions monta-
gneuses, où sa station commence vers 1 000 mètres, c'est-à-
dire au-dessus de celle du pin maritime et s'élève jusque vers
1 700 mètres, il recherche les sols graveleux qui proviennent
de la décomposition des granits.
Le tempérament du pin laricio est loin d'être aussi robuste
que celui du pin sylvestre ; son couvert est assez épais et,
dans les hautes altitudes qu'il habite, le semis naturel s'ins-
talle et résiste sous le couvert des grands arbres. 11 supporte
assez bien le froid, même dans les régions septentrionales
de la France. Cependant, l'hiver de 1879-1880 a fait périr,
en grand nombre, ceux qu'on y avait introduits.
L'enracinement est généralement faible et pivotant dans
l'origine ; il n'est représenté, plus tard, que par quelques ra-
cines traçantes, peu allongées comparativement aux dimen-
sions de l'arbre.
La fructification se produit dans des conditions analogues à
celles du pin sylvestre qui se trouverait dans les mêmes stations.
100 LES ESSENCES.
Le pin laricio de Corse est un arbre de première grandeur,
qui parvient quelquefois à une hauteur de 45 mètres et à une
circonférence de 5m à 6m. La tige, bien plutôt cylindrique que
conique, se dépouille rapidement de ses branches inférieures,
et reste complètement nue jusqu'au-dessous de la cime, qui,
dès quatre-vingts ou cent ans, est courte, aplatie, peu dé-
veloppée et formée de quelques grosses branches irréguliè-
rement ramifiées. L'accroissement en diamètre est peu rapide;
vers cent cinquante ans, il se ralentit encore et devient très
faible ; sa longévité dépasse cinq cents ans.
Le pin laricio de Corse, caractérisé par l'épaisseur de son
aubier, possède un bois parfait, dont les qualités toutes spé-
ciales le font rechercher pour la construction, malgré son
poids exagéré.
Bien que ce pin soit assez riche en résine, il ne peut pas
être gemmé avantageusement.
Le laricio des Cèvennes est tortueux et sans élévation sur
les sols peu profonds du calcaire corallien ou du grès houiller
de l'Hérault, du Gard et de l'Ardèche, où il est, en outre,
fatigué par la violence des vents de la vallée du Rhône, mais
il s'élance dès que le terrain devient frais et profond.
M. l'Inspecteur-Adjoint Calas l'a trouvé aux environs de
Confolens (Pyrénées-Orientales), seule station française de
laricio dans les Pyrénées françaises. Il ne semble pas, dès
lors, qu'il y ait lieu de faire une race distincte du laricio des
Pyrénées, connu sur le versant Espagnol de la chaîne.
Le pin laricio d'Autriche, ou pin noir, est fréquemment
employé, pour sa rusticité, dans les boisements des terrains cal-
caires; il donne des détritus abondants, qui améliorent le sol.
Son introduction et sa culture en France, de date relative-
ment récente, ne permettent pas de juger comment se com-
porteront des massifs âgés, en état de donner du bois de
service. En Autriche, notamment dans le Wienerwald, ses
produits sont préférés, pour tous usages, à ceux du pin syl-
vestre croissant dans les mêmes conditions. Il y est de plus
soumis au gemmage.
Il existe dans le domaine des Barres-Vilmorin (Loiret) des
massifs de laricio de Calabre, aussi remarquables par leur
l i PIN CEMBRO.
101
rusticité que par la beauté de leur port, l'exiguïté <i la régu-
larité de leurs branches, la forme étroite, allongée <•! aiguë
de leur cime. Ce serait une race intéressante à propager.
Allures forestières. — Le pin laricio de Corse, n'a pas
pas encore été soumis depuis assez longtemps à un traitement
méthodique, pour qu'on soit bien fixé sur la manière de le
conduire. Néanmoins, toutes les races de pins laricios aiï'ectent
plutôt les allures de l'épicéa que celles du pin sylvestre. Ils
semblent donc pouvoir être traités sans inconvénients à la
façon de la première de ces essences ; c'est d'ailleurs ainsi
qu'on procède, pour le pin noir, dans son pays d'origine.
Le pin oemforo.
Aire et station. — Le pin cembro est peu répandu en
France, il croît uniquement dans les Alpes, en mélange avec
le mélèze, le pin de montagne et l'épicéa ; c'est le dernier des
arbres résineux de la montagne : au-dessus de lui, la végéta-
tion arborescente n'est plus représentée que par un petit
nombre d'espèces feuillues, dont la plus intéressante est
l'aune vert. Il s'accommode de tous les terrains, pourvu qu'ils
soient assez profonds et frais.
Tempérament. — Le jeune plant craint surtout la séche-
resse, l'arbre constitué a le couvert assez épais, mais les
branches restent, en général, courtes, et la projection de la
cime sur le sol est réduite à très peu de chose.
Enracinement, fructification. — L'enracinement est lar-
gement développé ; il se fait, dans la jeunesse, par un pivot
et de fortes racines latérales ; vers quinze ou vingt ans, le pre-
mier s'atrophie et les secondes seules continuent à s'accroître
avec vigueur, en traçant au loin.
La fructification commence vers cinquante ans et n'est
abondante que tous les quatre h six ans.
Croissance, longévité. — La croissance du pin cembro .est
extrêmement lente ; néanmoins, par sa très grande longévité,
cet arbre parvient à d'assez fortes dimensions en grosseur,
mais sa hauteur dépasse rarement quinze ou vingt mètres.
102
LES ESSENCES.
Il est du reste remarquable que sa croissance reste la même
lorsqu'on le cultive dans les régions basses ; il est bien diffé-
rent en cela du mélèze, qui, clans de semblables circons-
tances, se développe avec une rapidité extraordinaire.
Bois et ses usages. — Son bois est tendre et peu recherché
pour les constructions ; mais, à cause de la lenteur de sa
croissance, il est d'une homogénéité parfaite, et, comme tel,
très recherché pour la fabrication des petites figurines en bois
sculpté, qui forment une des industries des hautes vallées de
la Suisse.
Produits accessoires. — Le pin cembro ne se résine pas.
Sa graine, assez grosse et remplie d'une amande comestible et
savoureuse, se vend sur les marchés du Briançonnais.
Allures forestières. — Le pin cembro ne comporte pas
d'autre traitement que celui que la nature veut bien lui
donner. Cependant, s'il était mieux conservé, il rendrait
encore d'importants services pour la protection des massifs
inférieurs; il maintiendrait le sol, arrêterait les avalanches et
servirait de refuge au bétail. Malheureusement, cette essence
tend à disparaître sous la hache du montagnard, qui l'accuse à
tort d'occuper une place exclusivement réservée à l'herbe.
C'est à peine si, dans les Alpes françaises, on rencontre
encore quelques rares peuplements de Cembro à qui on puisse
donner le nom de forêt. Ce ne sont même, le plus souvent,
comme dans la forêt des Ailles (Briançonnais), que de petits
massifs disposés en la forme de prés-bois.
Le pin cembro n'accepte le mélange avec l'épicéa et avec
le mélèze qu'à l'état de massif clair.
CHAPITRE III
LES PEUPLEMENTS
ARTICLE PREMIER
GÉNÉRALITÉS
Définition. — Genèse d'un peuplement. — Situation particulière
du peuplement forestier.
Définition. — On nomme peuplement une association de
végétaux ligneux vivant sur un espace déterminé de terrain
forestier.
Genèse d'un peuplement. — De quelle manière les peu-
plements se sont-ils formés sur les terres vierges, à l'aurore
des époques géologiques? On peut s'en rendre compte en sui-
vant la série des phénomènes qui accompagnent, sous nos
yeux, l'installation de la forêt sur les rochers nus, qu'il s'a-
gisse de moraines granitiques, d'éboulis calcaires, ou de cônes
de déjection accumulés par le temps aux pieds d'une falaise.
L'algue et le lichen apparaissent les premiers sur la pierre
nue, qu'ils attaquent et désorganisent comme le font, d'autre
part, les actions atmosphériques. Les débris de ces végétaux
inférieurs se mélangent aux éléments sableux provenant de
l'usure et constituent la première terre végétale, que le vent
et les pluies emploient à combler les vides béants entre les
blocs de rochers. Alors s'installent les plantes d'un ordre plus
élevé, d'abord les espèces herbacées annuelles ou vivaces,
puis les espèces ligneuses, arbrisseaux et arbustes, et enfin les
arbres.
A partir de cet instant, le peuplement s'organise, et de pro-
che en proche, en gagnant sur l'espace, il devient la forêt.
Situation particulière du peuplement forestier. — Cet
état de peuplement, dont la situation est perçue d'instinct au
104
LES PEUPLEMENTS.
moment où l'on quitte les vergers ou autres terrains plantés
d'arbres, pour pénétrer sous les ombrages forestiers, crée un
être à part, un organisme complexe, dont l'individualité s'af-
firme dans ses fonctions, comme dans son évolution.
Les fonctions du peuplement se rapportent aux effets qu'il
produit : d'une part sur les arbres qui le composent, d'autre
part sur le sol qui le nourrit ; c'est après avoir étudié cette
double action, que nous parlerons de V évolution.
ARTICLE II
ACTION RÉCIPROQUE DES ARBRES LES UNS SUR LES AUTRES
Les peuplements dans la forêt sauvage. — Perturbations apportées
par l'intervention de l'homme. — Origine des peuplements. — Leur
forme. — Leur consistance. — Leur constitution en étages de végé-
tation. — Leur composition ; avantages des peuplements mélangés.
— Mélanges rationnels. — Le hêtre. — Conduite des peuplements
mélangés. — État de végétation des peuplements.
Les peuplements dans la forêt sauvage. — Dans la forêt
primitive, dans la forêt vierge, les arbres atteignent le dernier
terme de leur longévité ; ils ne tombent que par vétusté et
enrichissent le sol de leurs débris. Partout se trouvent des
sujets fertiles, dont les graines se disséminent à profusion sur
une terre toujours prête à les recevoir. En sorte que, sur
chaque point découvert par les hasards du destin, l'individu
doué de la plus grande énergie vitale parvient, à son tour et
à son heure, à se rendre maître de la place qu'il occupera
jusqu'à la fin de son existence. Naturellement, suivant les
climats et, sous chaque climat, suivant les stations, telles ou
telles essences seront prédominantes. Mais il y aura place
pour toutes les espèces de la région, qu'elles soient d'ombre
ou de lumière. De là, cette variété sans fin dans l'aspect de
la forêt sauvage, ces éternels changements de situation et
de groupement dans une liste plus ou moins longue d'es-
pèces spontanées, changements qui prendraient bien d'autres
proportions encore si, au lieu de limiter nos observations
à des espaces de temps assez courts pour être comparés à
la vie humaine, on voulait tenir compte des modifications plus
ACTION DBS ARBRES LES UNS SUR LBS AUTRES. I°>
profondes qui ont accompagné Les évolutions géologiques- du
globe.
Perturbations apportées par l'intervention de l'homme.
— Mais, dès que l'homme es! intervenu, variant ses procédés
d'exploitation de façon à approprier les produits de la forêt à
la diversité de ses besoins, il a modifié les actions naturelles.
Le traitement appliqué à chaque forôl varie avec les essences
cultivées et avec la nature des marchandises que l'on se pro-
pose d'en tirer : bois à brûler, bois de travail, écorces, rési-
nes, etc.. Il s'établit, dès lors, entre le traitement et la manière
d'être du peuplement, une relation nécessaire et constante.
Ces effets du traitement se manifestent sur Vorigine, la
forme, la consistance, la composition et Vêlai de végétation
du peuplement et lui donnent le type dans lequel il se main-
tiendra.
Origine des peuplements. — L'origine d'un peuplement peut
être naturelle ou artificielle : naturelle, quand la régénération
est obtenue sous l'influence des seules actions de la nature, —
artificielle, lorsqu'elle provient de plantations ou de semis
exécutés de main d'homme.
En France, le principe de la régénération naturelle est géné-
ralement appliqué ; aussi, l'origine de la grande majorité des
peuplements se rattache-t-elle à l'une des causes suivantes : soit
la dissémination naturelle des graines, qui donne naissance à
des peuplements formés de brins de semence; — soit la repro-
duction par les axes, qui rajeunit les peuplements au moyen
des rejets de souches ou des drageons.
Quel que soit l'âge des peuplements, on est convenu de les
appeler des futaies (1) dans le premier cas ; des taillis simples
dans le second. On a donné à chacun de ces groupes fonda-
mentaux le nom de régime, qui est synonyme de : mode de
régénération. On dit :1e régime de lafutaie\\e régime du tail-
lis simple.
(1) Autrefois, en France, on appelait futaies tous les gros arbres,
tous ceux dont la tige mesurait à hauteur d'homme trois pieds de
tour, quelle que fût leur origine. La définition actuelle date de la pu-
blication du magistral traité de MM. Lorentz et Parade : la Culture des
hois.
106
LES PEUPLEMENTS.
Lorsqu'on cherche à réunir sur une même surface les avan-
tages du régime delà fulaie à ceux du régime du taillis sim-
ple, on obtient des peuplements mixtes, qui, dans la pratique,
acquièrent une importance suffisante pour qu'on ait cru de-
voir en faire un troisième régime, celui du taillis sous futaie,
dit aussi régime du taillis composé.
Forme des peuplements. — Dans chacun de ces régimes,
suivant qu'on fait porter les exploitations sur des surfaces
continues ou sur des tiges considérées individuellement, ou
bien que l'on adopte toute autre combinaison pour récolter
les produits, on applique des modes de traitements différents.
On appelle forme d'un peuplement le faciès qu'il revêt sous
l'influence du traitement qu'on lui applique.
A ce point de vue, les peuplements se divisent en deux
classes principales : ceux qui sont composés de tiges ayant
sensiblement même âge et, par suite, mêmes dimensions — et
ceux qui sont formés de tiges de différents âges et conséquem-
ment de hauteurs et de grosseurs différentes. Les premiers
sont les peuplements d'un seul âge ou uniformes ; les seconds
sont dits d'âges multiples ou inégaux', on les appelle encore
mêlés, en ce sens que les plus jeunes sujets et les plus âgés
sont confusément agencés sur des espaces restreints.
Quand une série (1) de futaie est composée d'une suite non
interrompue de peuplements ayant même âge chacun, on dit
qu'elle est traitée en futaie régulière ou futaie pleine', de
même pour la série de taillis, qui sera traitée en taillis simple
régulier. — Quand la série de futaie est composée de groupes
de peuplements d'âges mêlés, on dit qu'elle esljardinée', dans
les mêmes conditions un taillis simple est fureté. Le jardi-
nage et le furetage sont les modes de traitement qui donnent
naissance à ces formes. Le régime du taillis composé ne com-
porte nécessairement que des peuplements mêlés.
Quand, pour des causes d'un ordre cultural ou économique,
(1) On appelle série d'exploitation ou simplement série, toute forêt
ou portion de forêt, disposée de façon à fournir, durant la révolution,
une série de coupes successives et annuelles (Lorenlz et Parade,
Culture des bois). La notion de la série, conception toute française,
doit être attribuée à ces auteurs.
ACTION DBS AgBAES LES UNS BUB LES AUTBB8. K>7
on est amené à changer le mode de traitement .- 1 j > j > 1 1 < 1 1 1 <'* jus-
qu'alors à une forêt, on lui fait subir un traitement tempo-
raire, qui prend le nom de conversion, quand on passe d'un
régime à un autre régime, — et de transformation, quand
on change simplement le mode de traitement dans le même
régime.
Consistance des peuplements. — La consistance d'un
peuplement se rapporte au nombre des tiges qu'il renferme
et à la densité de son feuillage.
Le nombre des tiges peut varier à l'infini en raison de l'Age
des peuplements, des essences qui le composent et de la fer-
tilité locale. Mais, en tenant compte de cesditTérentséléments,
on peut admettre que, pour chaque état particulier, il existe
un nombre maximum de tiges qui n'est jamais dépassé. Plus
on se rapproche de ce maximum, plus le peuplement est
plein.
On dit qu'un peuplement est un massif, dès que les bran-
ches des arbres se touchent sans être agitées par le vent. Le
massif est serré, quand les branches s'entrelacent. Dès que les
cimes des arbres sont isolées, l'état de massif n'existe plus :
on obtient alors un peuplement d'arbres isolés ou clair-
plant é.
On nomme clairières les surfaces de peu d'étendue peu-
plées d'arbres épars et, dans lesquelles, sous l'influence d'un
couvert insuffisant, l'état superficiel du sol est dégradé. Les
vides sont des espaces plus grands, entièrement dépourvus
de bonnes essences et tout au plus couverts de mort bois. Le
peuplement est clairière, s'il y existe de nombreuses clai-
rières; entrecoupé, quand il présente des vides.
La densité du feuillage, par suite l'obscurité plus ou
moins grande du couvert, dépend avant tout de la frondai-
son des essences du massif. A ce point de vue, chaque espèce
se constitue d'une manière différente et, dès que l'état maxi-
mum de densité qu'elle comporte est atteint, il disparaît au-
tant de feuillage dans le dessous qu'il s'en produit dans le
dessus. Nul n'ira chercher, sous les pins sylvestres ou les bou-
leaux, les épais ombrages des sapins ou des hêtres (fig. 29 et 30).
Entre ces types extrêmes, tous les intermédiaires existent.
108
LES PEUPLEMENTS.
Figi 29. — Vieille futaie de hêtre en massif très serré, canton de^ la
Mare-aux-Bourres(Lyons-la-Forèt). (Photographie de M. J. George.)
ACTION m s Aitliltl ;s LES UNS Mit Lis AUTRES.
III!»
D'ailleurs, en sol fertile cl sous nu climat doux, la végé-
tation des arbres esl plus luxuriante, les limbes des feuilles
Fig. 30. — Haut perchis de pins sylvestres formant massif clair,
canton des Rappes, forêt de Bertrichamps (Meurthe-et-Moselle.
(Photographie de M. l'Ingénieur Guéroult.)
sont plus développés, par suite le couvert est plus dense,
plus noir, que dans les sols médiocres et sous les climats
rudes.
Étages de végétation. — Jusqu'alors nous avons considéré
110 LES PEUPLEMENTS.
le peuplement à l'état simple, c'est-à-dire, formé par un seul
étage de végétation, fourni par des arbres semblables les uns
aux autres, dont les cimes s'étalent parallèlement au sol dans
une même zone de hauteur. Mais, souvent, on rencontre sur
un même point plusieurs de ces étages ; il est rare, cependant,
que ces peuplements composés en présentent plus de deux.
On appelle, alors, étage dominant, celui qui est formé par la
masse des cimes les plus élevées, dont les rameaux s'épanouis-
sent en pleine lumière ; tous les sujets dont les cimes, subor-
données aux précédentes, végètent ou languissent en dessous
d'elles, constituent Y étage dominé ou sous-étage.
Entre l'étage dominant et l'étage dominé, il s'établit une
relation nécessaire quant à la densité ; le second, en effet, ne
vit que delà lumière tamisée à travers le feuillage de l'étage
supérieur; donc, plus celui-ci sera léger, plus la végétation
basse pourra se développer.
On constate que les peuplements de même âge, quelles que
soient leur origine et les essences qui les composent, ont tou-
jours une tendance à se constituer en un étage unique, au-
dessous duquel les longues tiges nues se profilent dans des
espaces vides de feuillages. Cette tendance à l'uniformité est
d'autant plus marquée que la station est plus fertile. Au con-
traire, plus les conditions sont mauvaises, moins les arbres
affamés supportent l'état serré; au fur et à mesure que le
massif s'éclaircit, le sol se couvre de générations nouvelles et
l'uniformité originelle disparaît. C'est une indication dont il
est utile de se souvenir, quand il s'agit de choisir le mode de
traitement applicable à une forêt donnée. Quoiqu'il en soit,
cette égalité absolue, qui, pendant longtemps, a été considérée
comme le type idéal vers lequel devaient tendre tous les
efforts des forestiers, doit autant que possible être prévenue et
évitée. Car, sous son couvert insuffisant et qui va sans cesse
en s'éclaircissant avec l'âge, le sol se tasse, se dessèche, les
vents balayent les feuilles mortes et avec elles disparaissent
les éléments qui le fécondent.
La présence de sous-étages, ne fussent-ils représentés que
par les plus humbles sous-bois, prévient ces accidents. Aussi
l'hygiène de la forêt commande-t-elle de conserver scrupuleu-
ICTIOM DES A.RBRES LES UNS *l'U LES AUTRES.
Il l
sèment cette végétation intermédiaire on buissonnante, et,
lorsqu'elle a disparu sous l'influence <lc pratiques mauvaises,
telles que pâturage ou nettoiements inutiles, d'en provoquer
la reconstitution par les moyens naturels, ou même artificiels.
Telle est L'importance attribuée à ces sous-étages, que nous
n'hésitons pas à considérer les sous-bois eux-mêmes comme
Fig\ 31. — Essence d'ombre (sapin), se constituant à elle-même un
sous-étage (forêt des Elieux, Meurthe-et-Moselle). (Photographie de
M. A. Fron.)
faisant partie intégrante du peuplement, à la densité duquel
ils concourent.
Il est évident que les essences à couvert épais peuvent
mieux se passer de ces sous-étages bienfaisants que les espèces
à couvert léger, et que le tempérament des essences d'ombre
leur permet d'accepter le rôle de sous-bois (fig. 31), quand
cette faculté est refusée aux espèces de lumière, qui périssent
infailliblement dès qu'elles sont simplement surcimées.
Tous les avantages et les inconvénients qui accompagnent
112 LES PEUPLEMENTS.
la présence ou l'absence des sous-étages ne sont plus à con-
sidérer quand il s'agit de peuplements d'âges multiples, qui
présentent une masse de feuillage continue depuis le sol jus-
qu'aux plus hautes cimes et dans la verdure desquels l'œil ne
perçoit aucun étage distinct.
Composition des peuplements. — Un peuplement peut
être composé d'une seule essence ou de plusieurs espèces di-
versement associées. Dans le premier cas, on dit qu'il est
pur, dans le second qu'il est mélangé.
Dans la nature, la différence des tempéraments des espèces facilite la
dispersion des individus, augmente la zone des aires d'habitation, et
favorise les mélanges. C'est un facteur nouveau, qui s'ajoute à la rapi-
dité de la végétation pour créer les forêts mélangées. Si toutes les
espèces exigeaient également la lumière, ou supportaient aussi mal
l'ombrage, l'espace appartiendrait à celle qui végéterait le plus vite
dans sa jeunesse (1).
Les peuplements purs ne seraient donc qu'une rare excep-
tion, si l'homme n'était intervenu pour propager, à l'exclu-
sion des autres, l'espèce qui semble le mieux répondre aux
besoins du moment. Des chênaies, des sapinières, des taillis
à écorce, sont ainsi entretenus à l'état pur, pour obtenir en
plus grande quantité les produits spéciaux qu'on leur de-
mande. Mais, en dehors de ces causes voulues, des erreurs
ou des fautes provoquent de semblables accidents : c'est ainsi,
par exemple, qu'après des coupes à blanc, dans des futaies de
chêne ou de hêtre, le sol peut se trouver envahi par des semis
de charme pur ; — que Je bouleau ou des essences secondaires
se substituent seules aux bonnes espèces dans un sol appauvri
par des abus de jouissance, etc.
Des raisons culturales de premier ordre doivent, en toutes
circonstances, faire préférer les peuplements mélangés aux
peuplements purs. Les premiers, surtout lorsqu'ils sont com-
posés d'espèce à assiette et à tempérament différents, résis-
tent mieux à la violence des vents, au poids de la neige et du
givre, aux dégâts des organismes nuisibles, insectes ou cham-
pignons. Les feuilles qui tombent sur le sol, ayant des consis-
tances diverses, se décomposent plus facilement, la couche
(1) Vagener, Das Verhalten der Bliume im Kampfe um's Dasein.
ACTION DBS \mtHES LES UNS si il lis AUTRES. 113
de terreau est aussi plus épaisse el mieux constituée : toutes
causes qui, eu augmentant la fertilité ef l'am eu bassement
du sol, facilitent la régénération par la Bemence.
A la rigueur, les essences à couvert épais peuvent être cul-
tivées à l'état pur, puisque leurs nombreux détritus enrichis-
sent le sol. Cependant, on observe partout que, si les essences
d'ombre sont mélangées entre elles, --le hêtre avec le sapin,
par exemple, — la régénération est mieux assurée; c'est
surtout vers les limites supérieures ou inférieures de l'aire
forestière d'une espèce qu'une telle situation est désirable.
Mais, dès que les essences à couvert léger sont appelées au
rôle prépondérant dans le peuplement, le mélange cesse d'être
facultatif, et l'association d'espèces à couvert épais s'impose.
On sait, en effet, que ces dernières peuvent, seules, remplir le
rôle de sous-étage et donner au massif la densité indispen-
sable.
En dehors de ces considérations, il faut ajouter que les
peuplements mélangés ont des avantages économiques, puis-
que, par la variété de leurs produits, de tels massifs satisfont
à un plus grand nombre de besoins, et, par cela même,
augmentent l'utilité de la forêt.
Mélanges rationnels. — La question du mélange des
essences est une des plus délicates qui se présentent en sylvi-
culture. Il faut toutes les ressources de l'art du forestier pour
obtenir, soit naturellement, soit artificiellement, la composi-
tion voulue. Chaque station demande, pour ainsi dire, un
mélange différent. Ce qui est vrai, par exemple, en Lorraine,
n'est pas forcément applicable aux mêmes essences en Nor-
mandie ; pareillement sur un même point géographique, ce
qui est bon au pied d'une montagne ne l'est peut-être pas à
1 000 mètres plus haut ; « vérité dans les Pyrénées, erreur
dans les Alpes », a dit Pascal. Mais en cherchant bien, surtout
en interrogeant la forêt autour de soi, on trouvera toujours
une solution satisfaisante, sans sortir des espèces spontanées.
Le hêtre. — A ce sujet, nous ne pouvons que recomman-
der l'emploi du hêtre, qui se prête merveilleusement à toutes
les combinaisons. Il vit en plaine comme en montagne, son
aire d'habitation, très étendue, englobe celle de toutes les
BûPI'E et JOLYBT. 8
114 LES PEUPLEMENTS.
espèces, auxquelles il peut être associé comme essence
d'ombre. C'est, dès lors, l'espèce indiquée pour faciliter les
transitions entre deux stations voisines, dans ces zones indé-
cises, si délicates à manier, où une espèce va disparaître quand
l'autre n'est pas encore bien installée : entre la région du
chêne et la sapinière, par exemple, ou, à la limite supérieure
de celle-ci, entre la forêt de rendement et le pâturage.
D'ailleurs, son tempérament plastique lui permet d'accepter
tous les rôles; au gré du forestier, il sera, sur le même point,
l'espèce précieuse atteignant les plus grandes formes ou le
modeste buisson végétant en sous-bois. Nous connaissons
trop de forêts qui ont été victimes d'une expulsion systéma-
tique du hêtre pour ne pas demeurer convaincus qu'on a tout
à gagner en lui réservant la grande place qu'il mérite. Mais,
c'est à la condition expresse de rester toujours son maître,
sans jamais se laisser dominer par lui.
Conduite des peuplements mélangés. — Il ne suffit pas
de créer le mélange, il faut encore savoir maintenir l'équilibre
entre des voisins qui luttent à armes inégales. En effet, les
espèces associées n'ont pas la même activité de végétation
à leurs différents âges et l'on se fait souvent illusion sur l'ave-
nir d'un mélange qui, au moment de sa formation, présente les
plus belles promesses. On est donc conduit à intervenir d'une
main adroite et patiente, pour donner à ces peuplements les
soins culturaux qu'ils réclament pendant toute leur existence.
Il peut même se faire que le mélange intime — pied à
pied — de deux espèces à tempéraments opposés soit irréa-
lisable dans une région donnée. Quand, à l'espèce de lumière,
on associe une essence d'ombre, dont les tendances envahis-
santes, par sa nature, sont encore exagérées par une meilleure
adaptation au milieu, la première succombe toujours victime
de la seconde. Il en est ainsi du chêne et du hêtre dans les
forêts du Nord et de l'Est de la France, où le hêtre, qui se
trouve dans le centre de son aire, aura toujours des tendances
à dominer le chêne et l'aura bientôt éliminé, si, par des éclair-
cies bien conduites, on ne vient pas sans cesse le cantonner
dans le rôle secondaire qui lui est dévolu. Ainsi, encore, du
hêtre et du sapin, aux altitudes un peu considérables.
ACTION DES ARBRES LES UNS si lt LES AUTRES.
115
Aussi, quelles que soient les espèces ei les slations, pour
éviter ce danger, donl Le caractère es! permanent partout où
il B6 présente, nous conseillons de préférer an mélange intime,
Fig. 32. — Essence de lumière (chêne rouvre) avec sous-étage d'essence
d'ombre (hêtre), forêt de Bellême (Orne). (Photographie de
M. Thiollier.)
le mélange par groupes, par places ou par compartiments,
plus ou moins étendus, où chaque espèce sera traitée à l'état
pur, suivant les besoins qui lui sont propres ; de créer, en un
mot, des peuplements de composition zébrée ou mouchetée..
116 LES PEUPLEMENTS.
Il vaudra mieux encore obtenir des mélanges superposés, où
l'essence d'ombre jouera un rôle subordonné, sous le couvert
léger des espèces de lumière, dont les cimes s'étaleront libre-
ment au soleil (fig. 32). Voilà la forêt idéale!
C'est au prix de ces précautions, de ces soins éclairés, qu'on
obtiendra des peuplements mélangés les résultats qu'il est
permis d'en attendre. Mais ceux qui ne voudraient pas s'as-
treindre à de semblables exigences de la part de leur forêt,
feront mieux, pour éviter tout mécompte, d'abandonner ce
genre de culture intensive et de s'en tenir à des modes moins
perfectionnés.
État de végétation des peuplements. — Vélat de végé-
tation d'un peuplement décide de son avenir, c'est-à-dire de
sa durée probable ou de sa fin prochaine.
On dit qu'un peuplement est bien venant, quand la majo-
rité des sujets dominants présente des jeunes pousses de
longueur normale, des cimes à ramification complète et
abondante, un feuillage à coloration saine et foncée, des
écorces lisses. L'élasticité plus ou moins grande du sol et son
bon état superficiel fournissent aussi des indications pré-
cieuses.
Tous les signes contraires, c'est-à-dire, pousses chétives,
— cimes incomplètes et mal ramifiées, dans lesquelles la
végétation abandonne la périphérie pour se rapprocher des
centres, — feuillage pâle et étiolé, — écorces rugueuses et
couvertes de végétations parasites, — sol dur et dégradé,
caractérisent un peuplement mal venant ou sur le retour.
ARTICLE m.
ACTION DES ARBRES SUR LE SOL
Fertilité permanente des sols forestiers. — La couverture. — La cou-
verture morte; son rôle physique. — Le terreau ; l'ameublissement
du sol et la terre à bois. — Rôle chimique de la couverture morte ;
l'acide phosphorique et la potasse ; l'azote. — Les terreaux acides et
tourbeux. — Rôle du sylviculteur dans la constitution de la couver-
ture ; dans celle du terreau. — La couverture vivante.
Fertilité permanente des sols forestiers. — En toute
culture, qu'elle soit agricole, maraîchère ou fruitière, le
action DES ARBRES SUR LE SOL. 11'
labour et l'apport d'engrais sont indispensables. <>r, on cul-
ture forestière, l'homme n'apporte pas d'engrais el ne laboure
pas le sol. Pourquoi ce dernier conserve-t-il néanmoins sa
fertilité?
C'est que, d'une part, — les analyses chimiques l'ont dé-
montré, — le bois constitué de lout échantillon ayant dépassé
les dimensions de branchettes ou de brindilles renferme en
quantités très faibles les matériaux rares et précieux, comme
l'azote, l'acide phosphorique et la potasse; si, donc, on se
contente d'exporter de la forêt du bois ayant au moins le
calibre de rondins, la production forestière sera beaucoup
moins épuisante que les autres. Et, d'autre part, nous
allons le voir, Faction du peuplement suffit pour entretenir
le sol dans un état de fertilité satisfaisant et même pour
l'améliorer.
La couverture. — L'instrument dont il se sert est la
couverture, qui, par ce fait, est appelée à jouer, dans la vie de
la forêt, un rôle capital, tant au point de vue physique qu'au
point de vue chimique.
Comme son nom l'indique, la couverture est la couche
superficielle qui recouvre immédiatement le sol minéral. On
distingue la couverture vivante, généralement connue sous le
nom de tapis végétal, composée par des plantes de petite
taille, ligneuses ou herbacées, qui verdissent la surface du sol,
sans jamais s'élever au point d'être confondues avec les sous-
bois, — et la couverture morte, véritable litière ou paillis de
détritus de tous genres, tels que : feuilles, aiguilles, brindilles
et branches mortes, lambeaux d'écorce, fruits, déjections et
débris d'animaux, etc.
La couverture morte, son rôle physique. — D'après
M. le professeur Henry, le poids de la couverture morte
récoltée au mois de novembre dans des taillis sous futaie de
vingt ans, aux environs de Nancy, varie suivant les sols, entre
4.600 et 5.500 kil. à l'hectare; et, dans les futaies de hêtre
de la même région, il peut atteindre 7 à 8.000 kil. (1).
(1) E. Henry, Poids et composition de la couverture morte {Annales
de la Science agronomique française et étrangère).
118 LES PEUPLEMENTS.
M. le professeur Ebermayer (1), a résumé les principales
propriétés physiques de la couverture de la manière sui-
vante :
1° Elle offre de nombreux espaces capillaires, des sortes de canaux,
qui la rendent comparable à une éponge et lui permettent de retenir
une grande quantité d'eau par imbibition, quantité qui, parfois, peut
atteindre deux fois et demi son poids ;
2° Elle protège le sol contre l'accès direct de l'air et le met par-
tiellement à l'abri des mouvements de l'atmosphère, empêchant ainsi
une trop active évaporation ;
3° Enfin, l'air renfermé dans ces canaux agit, comme dans le cas de
la neige, en rendant la couverture peu conductrice pour la cha-
leur et diminue ainsi, tantôt le rayonnement du sol, tantôt la quan-
tité de chaleur qu'il absorberait s'il était nu; la couverture empêche
donc la couche superficielle du sol de s'échauffer ou de se refroidir
trop rapidement.
Ajoutons enfin que la couverture s'oppose au tassement
du sol, en brisant le choc des gouttes qui viendraient le
battre pendant les grandes pluies; qu'elle prévient le ruisselle-
ment des eaux et le ravinement des terres ; qu'elle facilite
enfin la pénétration des eaux athmosphériques dans les
couches profondes.
Le terreau, l'ameublissement du sol et la terre à bois.
— Sous l'influence de ferments divers, agissant dans des
milieux favorables, les éléments de la couverture se résolvent
en une matière pulvérulente, de couleur foncée, souvent
complètement noire, dégageant une odeur de moisissure spé-
ciale que tout le monde connaît. C'est V humus ou terreau.
Son importance est prépondérante, et nous devons, tout
d'abord, enregistrer ses propriétés physiques, qui viennent
s'ajouter aux précédentes pour le bénéfice du sol forestier.
Il absorbe et retient une quantité d'eau beaucoup plus
considérable que tous les autres éléments terreux; mais
s'il reste toujours frais, il n'est jamais mouilleux, car il est
aussi filtrant qu'hygroscopique. Il semble, d'ailleurs, qu'en
toutes choses, il se montre le pondérateur merveilleux des
qualités physiques d'un sol. Ainsi, il se comporte à la façon
(1) Ebermayer, Étude d'ensemble sur la couverture des forêts, Ber-
lin, 1876; analyse de M. L. Grandeau, dans les Annales de la Science
agronomique française et étrangère, Nancy, Berger-Levrault, 1878.
ACTION DBS ARBRES Si it LE BOL. 119
dos argiles pour donner quelque cohésion aux sables les plus
pulvérulents, sans que ses effets, dans ce sons, viennent
s'ajoutera ceux de l'argile; bien au contraire, il divise les
terres trop compactes. De môme, il tempère les excès de
chaleur et de froid et adoucit les propriétés mauvaises de
certaines matières minérales.
D'autre part, le terreau est le principal agent d'un véri-
table ameublissomenl mécanique du sol, dont l'effet ne peut
être comparé qu'à celui du labour. Darwin avait déjà appelé
l'attention sur les procédés à l'aide desquels les vers de terre
brassent les couches superficielles du terreau; mais, en ce qui
concerne plus particulièrement les forêts, les travaux récents
poursuivis en Danemark par M. le Docteur Mûller (1) ont
montré que, dans le terreau forestier, existent des pléiades
d'organismes, de dimensions aussi variées que les embranche-
ments auxquels ils appartiennent. Tous ces fouisseurs vivent
dans le terreau et par le terreau ; plantivores et carnassiers le
perforent de leurs galeries et le transforment en une masse
mouvante, sous l'effort constant des mangeurs et des mangés,
qui le parcourent dans tous les sens à la poursuite les uns
des autres. Mais bientôt, attirés par ce régal, les animaux
d'un ordre plus élevé : musaraignes, taupes ou sangliers,
achèvent de mélanger sol, sous-sol et terreau, comme ferait
la pioche ou le soc de la charrue.
A ce propos, ajoutons que les arbres eux-mêmes con-
tribuent, d'une manière directe, à donner au sol, sinon
l'ameublissement, du moins la perméabilité, par leurs racines
qui le pénètrent profondément.
Avec le temps, l'ensemble de ces actions concourt à trans-
former la terre sauvage en cette terre à bois, dont la consis-
tance toute spéciale explique la sensation d'élasticité qu'on
éprouve en marchant sur le sol d'un vieux peuplement.
Rôle chimique de la couverture morte, l'acide phos-
phorique et la potasse, l'azote. — Le rôle chimique de la
couverture n'est pas moindre. En analysant les matériaux
(1) D1' P.-E. Mûller, Studien ûher die nalûrlichen Humusformen und
deren Einwirkung au/* Végétation und Boden. Berlin, 1887. (Trad. par
M. Henry Grandeau. Nancy, Berger-Levrault, 1889).
120 LES PEUPLEMENTS.
qui constituent la couverture morte dans des forêts doma-
niales des environs de Nancy, traitées en taillis-sous-futaie,
M. le Professeur Henry (1) a trouvé les chiffres suivants par
hectare, dans un peuplement âgé de 20 ans.
Acide phosphorique.. 23 kil. en sol calcaire. 29 kil. en sol argileux.
Potasse 16 — 33 —
Azote environ 43 kil. dans l'un et l'autre sol.
Ce qui représente l'équivalent de 6.000 kilos de fumier de
ferme, et, aux prix actuels des engrais chimiques, une valeur
de 74 francs.
Si les feuilles rendent au sol ce qu'elles lui ont pris, où
trouver la restitution des matériaux précieux exportés dans
la récolte-bois et qui, malgré leur faible importance relative,
ne constituent pas moins une perte sèche?
Cette restitution se fait par une sorte de mobilisation de
la réserve du sol, sous l'influence de la vie du peuplement.
a On appelle réserve du sol, dit M. Henry, les éléments tels
« que les silicates de potasse, de chaux, de magnésie, etc. , qui,
« insolubles pour le moment et inutilisables pour la végéta-
« tion, le deviennent peu à peu grâce à l'oxygène et surtout
« à l'acide carbonique, dont l'air occlus dans les sols forestiers
« contient toujours de notables quantités. » Or, l'air pénètre
dans les sols ameublis et fournit l'oxygène. D'autre part,
l'acide carbonique en excès est dégagé par les microorga-
nismes, lorsqu'ils réduisent la couverture en terreau. Ce
dernier dissout les sels nutritifs, les digère pour ainsi dire et
les prépare en aliments tout prêts à être livrés à la consom-
mation des racines.
Mais d'où vient l'azote? Car, si les phosphates et la potasse
restent fixés dans la terre tant que la végétation ne vient pas
les lui prendre, on sait que les nitrates ne font que traverser les
couches superficielles et se perdent avec les eaux de drainage.
On admet que les matières nitreuses en dissolution dans les
eaux météoriques (pluies, neiges, rosées), lorsqu'elles traver-
sent lentement les puissantes assises pénétrées par les racines
(1) E. Henry, Poids et composition de la couverture morte des Forêts
(Comptes rendus Ac. des Sciences, 1896).
action m s A.RBRB8 BUH LE BOL. 1-1
des grands arbres, cèdenl à ceux-ci plus d'azote qu'elles
n'en peuvent fournir aux récoltes agricoles, dans leur court
trajet à travers la mince couche arable qui l<is nourrit.
Quoiqu'il en soil, les chiffres empruntés à la Btatique
chimique de la foréi dressée par M. L. Grandeau (I), démon-
trent que ces quantités sont insuffisantes pour rétablir l'équi-
libre entre les recettes et les dépenses de cette nature. Des
recherches de M. Henry mettent en lumière ce fait nouveau
que c'est encore la couverture qui vient combler le déficit.
En effet, par l'intermédiaire d'infiniments petits, encore mal
déterminés, les feuilles mortes ont la faculté de fixer direc-
tement l'azote de l'air, jouant, ainsi, pour les sols forestiers,
le rôle des légumineuses en culture agricole. Dans les
conditions où étaient installées ces expériences, il a été
établi que le gain en azote dû à cette cause variait, par hectare
et par an, de J3 kilogrammes, pour les feuilles de chêne, à
22 kilogrammes, pour celles de charme.
o Les feuilles » ajoute l'auteur du mémoire, « sont réelle-
ment des organes admirables..., on dirait qu'elles ont hâte,
même mortes, de travailler pour l'arbre qui les a produites.
Dès qu'arrivent les beaux jours, elles servent de pâture à
des microorganismes, dont la présence et l'activité sont attes-
tées par un fort dégagement d'acide carbonique, et dont un
certain nombre a la faculté d'absorber, outre l'oxygène,
l'azote de l'air, pour le faire entrer dans la constitution de leur
protoplasma. »
Voilà donc le bilan des richesses que renferme dans son
sein cette couverture morte dont tant de gens voudraient
s'emparer gratuitement, comme d'une matière inerte, qui
pourrit sans profit pour le propriétaire de la forêt. C'est
comme si on voulait prendre au paysan le fumier de ses
étables.
Les terreaux acides et tourbeux. — Mais le terreau ne
se constitue pas toujours suivant la formule idéale dont nous
venons d'esquisser les bienfaits.
Il suffit de regarder la couverture pour constater que
(-1) L. Grandeau, Cours d'agriculture de l'École forestière. Nancy,
Berger-Levrault. 1879.
122 LES PEUPLEMENTS.
certaines feuilles, comme celles de hêtre ou les aiguilles
d'épicéa, de consistance coriace, se décomposent très lente-
ment; que d'autres, au contraire, comme les feuilles de
charme, d'orme, de frêne, dont le bétail se montre très avide
sous forme de feuillage vert, sont, en même temps, les plus
recherchées, à l'état sec, par les plantivores du sol, notam-
ment par les lombrics. Cela explique pourquoi ces dernières
ont disparu depuis longtemps, animalisées dans le terreau,
quand les autres sont encore presque entières sur plusieurs
lits superposés.
D'autre part, quand l'eau est en excès, l'action de l'oxygène
et de la chaleur se trouve diminuée. La décomposition des
débris organiques devient extrêmement lente et reste tou-
jours incomplète. Les combinaisons acides se produisent
abondantes et il en résulte un résidu analogue à la tourbe,
dans laquelle, parmi nos grandes essences forestières, l'aune, le
bouleau, le tremble, le pin de montagne peuvent seuls résister.
Inversement, quand il y a excès de sécheresse, le terreau se
brûle et devient charbonneux, poudreux ou fibreux. Cette
poussière brune ou noire, de décomposition ultérieure très
difficile, est une véritable tourbe sèche, avec tous ses incon-
vénients. Elle se rencontre surtout dans les sables siliceux,
auxquels elle se mélange pour donner les terres dites de
bruyères.
Dans l'ouvrage déjà cité, M. le Dr Mûller insiste tout parti-
culièrement pour caractériser ces différentes sortes de
terreau et il donne les moyens pratiques de distinguer facile-
ment chacun d'eux. Dans l'humus, où l'acide carbonique est
pour ainsi dire le seul produit acide, la vie animale abonde
et, parmi ses colons, le grand lombric se montre très nom-
breux; le sol est gonflé par les taupinières, creusé par les
vermillures des sangliers, et, au milieu des plantes qui lui
sont spéciales, on trouve abondamment l'aspérule odorante,
la mercuriale vivace, l'oxalis, l'anémone des bois, etc.
La tourbe, au contraire, constitue une sorte de feutrage,
dont la résistance sous le pied est encore augmentée par l'en-
chevêtrement de racines superficielles et d'un mycélium spé-
cial à cette formation.
action DBS utuni.s -in LE SOL. l 'l'A
Tantôt clic csi pulvérulente el imperméable, tantôt elle
B'imbibe comme une éponge ei retient l'eau en excès. Tou-
jours ricin1 en matières organiques acides, elle porte une
végétation basse caractérisée par la canche flexueuse, par le
tri entai ei par les mousses, qui, à pari, quelques touffes de poly-
tric, font défaut sur l'humus. Enfin, la faune, beaucoup moins
riche, csl surtout remarquable par l'absence presque complète
de lombrics et de taupes. En un mot, sur ces terreaux déserts,
la couverture échappe à l'action réductrice des milliers de
tubes digestifs qui élaborent les engrais animaux, et attend,
pour se décomposer, le fonctionnement des réactifs chi-
miques.
La tourbe est des plus communes dans les régions froides
et brumeuses de l'Europe septentrionale. En France, où les
saisons de végétation sont longues, où les sols calcaires sont
abondants, elle est beaucoup plus rare. Elle se rencontre,
cependant, sous la forme sèche, dans certaines forêts sablon-
neuses, — sous la forme humide, dans la montagne, et il
importe d'y veiller.
Rôle du sylviculteur dans la constitution de la couver-
ture morte; dans celle du terreau. — Sous ces réserves,
voyons quelle est la part d'action du sylviculteur dans la con-
fection des seuls engrais dont il puisse disposer. Sur la cou-
verture, comme sur le terreau, il peut agir, autant par des
soins culturaux que par des mesures répressives.
En maintenant les massifs complets, en respectant les sous-
étages, en évitant les découverts trop fréquents, il contribue
à augmenter la quantité de détritus qui s'accumulent sur le
sol. Mais il doit surtout s'opposer de la façon la plus énergique
à l'enlèvement des feuilles mortes. Heureusement, ce fléau,
qui sévit encore en Allemagne, est très localisé en France ;
car, partout, les expériences dirigées en vue de traduire par
des chiffres l'influence de cette funeste pratique, lui ont fait
imputer une perte de 50 p. 100 et plus sur la production
ligneuse.
En ce qui concerne le terreau, on peut conseiller : de
choisir des révolutions plutôt longues que courtes, afin de
découvrir le sol le moins souvent possible; — de maintenir les
124 LES PEUPLEMENTS.
sous bois; — de conserver, tout autour des enceintes, des
arbres de lisières, qui tiennent le peuplement bien clos, à
l'abri des coups de soleil et aussi des coups de vent; car ceux-
ci, en bouleversant la couverture, rendent la vie difficile aux
animaux qu'elle abrite; — enfin, de créer des forêts mélan-
gées, où, la décomposition des feuilles se faisant beaucoup
mieux, on évite la formation de ces litières de feuilles de
hêtres, ou de ces feutrages d'aiguilles d'épicéa, parfois si gê-
nants dans les forêts de la montagne.
Dans les sables grossiers, secs et brûlants : exagérer encore
le principe du couvert bas et continu ; faire tous ses efforts pour
maintenir les espèces à feuillage épais, qui ont trop de ten-
dances à fuir ces régions où l'humidité leur fait défaut ; dans
ce but, préférer les peuplements d'âges multiples aux peuple-
ments d'un seul âge, ou choisir des révolutions très
longues. Au contraire, dans les argiles froides et très humides :
relever le couvert, pour faciliter l'accès de la chaleur; choisir
des traitements qui découvrent périodiquement le sol ; préférer
le taillis sous futaie à la futaie pleine.
En résumé, dans toutes les circonstances et en tous lieux,
maintenir le sol à l'état de saine fraîcheur que commande
l'hygiène de la forêt, et qui convient aux lombrics et autres
animaux, sur le rôle desquels on ne saurait trop insister.
La couverture vivante. — La couverture vivante, telle
que nous l'avons définie, varie suivant la nature du sol; sa
présence est toujours l'indice d'une dégradation dans l'état du
peuplement; en effet, elle absorbe à son profit les réserves
alimentaires du terrain. Elle entrave la régénération naturelle
en empêchant les graines d'arriver au contact de la terre; et
les jeunes semis qui, malgré tout, viendraient à s'installer, ont
à lutter contre les racines des plantes rivales, qui les en-
serrent et les affament.
Néanmoins, cette couverture vivante est encore préférable
à un état de dénudation complet. Elle donne de l'assiette
au sol, le protège contre les érosions des eaux et les ardeurs
trop vives du soleil, empêche le tassement, et, de plus, par
les débri6 morts qu'elle abandonne, fournit à la terre des
éléments organiques, dont les grands arbres peuvent profiter.
i \ «>ii Tl<>\ m ru il EMBNT. 1 25
Aussi, on dehors du cas spécial <>ii l'on cherche une régéné-
ration par la semence n'esl-il pas indiqué de la faire dispa-
raître par des travaux onéreux . ( le serait supprimer l'effet sans
supprimer la cause; car l'évolution d'un (apis végétal est la
conséquence nécessaire de l'arrivée au soi de rayons lumi-
neux, tamisés à travers la frondaison insuffisante d'un peu-
plement incomplet ou mal composé. Le seul moyen d'en avoir
raison, sans frais, est donc de laisser le peuplement se recon-
stituer normalement et de provoquer la réinstallation des sous
bois.
ARTICLE IV
ÉVOLUTION DU PEUPLEMENT
Evolution du peuplement uniforme. — États de développements suc-
cessifs des futaies régulières ; — du taillis simple régulier. — Évo-
lution des peuplements jardines et furetés.
Évolution du peuplement uniforme. — Suivant son ori-
gine et sa forme, chaque peuplement évolue à sa manière et,
à ce point de vue, il faut établir une différence fondamentale
entre le peuplement uniforme et le peuplement d'âges mêlés.
Dans tout peuplement uniforme, les tiges d'avenir, celles
que leur vitalité plus grande maintient dans l'étage dominant
où rien n'arrête leur essor, s'élèvent en bloc, chaque année,
d'une quantité à peu près égale pour toutes, jusqu'au moment
où elles ont atteint leur maximum de hauteur. Aussi, à tous
les âges, le profil du massif est-il limité par une ligne régulière
et parallèle au sol.
États de développements successifs de la futaie régu-
lière; — du taillis simple régulier. — Dans cette suite non
interrompue d'accroissement en hauteur, l'observation de
phénomènes qui se reproduisent d'une manière constante a
permis de distinguer certaines phases, certains états particu-
liers, qui, pour la futaie régulière, ont été appelés, dans l'ordre
où ils se produisent : semis, fourrés, cjaulis, bas et haut per-
chis, haute futaie et vieille futaie .
Chacun de ces états de développement peut être caractérisé
126 LES PEUPLEMENTS.
dans les termes suivants, que nous empruntons à M. le Pro-
fesseur Broilliard (1) :
... Tant que les jeunes semis se trouvent isolés l'un de l'autre sur
le terrain découvert entr'eux, la végétation reste faible, et l'avenir de
la forêt naissante est encore incertain; mais, quand le fourré s'est gé-
néralement constitué, s'élevant plus ou moins suivant les points, et
alors même qu'il y reste quelques places vides, la forêt a pris posses-
sion du sol et se développe rapidement.
Les fourrés naturels offrent généralement des tiges de hauteurs
rrégulières, et faisant un mélange confus de jeunes sujets de bonnes
essences avec des espèces secondaires et des morts-bois, dont la pré-
sence hâte la formation du fourré et lui donne la densité désirable.
Le gaulis est formé de baguettes, ou gaules flexibles, ayant perdu
les branches basses.... Le sol s'améliore rapidement par l'effet du cou-
vert bas et complet et des détritus végétaux qui s'accumulent. Le nom-
bre des petites cimes qui luttent entre elles en s'élevant pour prendre
la place au soleil, diminue d'année en année, pour ainsi dire à vue
d'œil.
Une futaie se trouve à l'état de perchis, quand elle est principalement
constituée par des perches, tiges de 1 décimètre de diamètre au
moins... Dans les bas perclus, la production annuelle en bois arrive à
son maximum ; l'élagage naturel des branches basses s'opère encore
avec rapidité et le nombre des tiges diminue de même.
On appelle haut-perchis ou demi-futaie le massif dont les fûts ont
déjà pris une grande hauteur : hauteur qui correspond souvent à un
diamètre minimum de 2 décimètres, à 1 m. 30 du sol. Les cimes, dont
les branches principales sont déjà fortes, occupent chacune une place
assez large, les plus faibles résistent longtemps avant de périr sous
l'étreinte de leurs voisines...
Quand les fûts sont entièrement constitués, le massif prend le nom
de « futaie proprement dite » ou de « haute-futaie ». Les cimes élevées
ont de fortes branches, qui persisteront à peu près indéfiniment, ou ne
disparaîtront à la longue qu'en laissant au tronc des tares amenant la
dégradation lente des arbres les plus faibles. Les trouées qui viennent
à se produire se comblent dès lors difficilement, et, au-dessous d'elles,
des semis se montrent en permanence sur le sol. La production ligneuse
du massif est un peu plus faible que dans les perchis.
Chacun de ces états persiste un temps plus long que celui qui l'a
précédé, le bas perchis plus longtemps que le gaulis, mais moins long-
temps que le haut perchis et celui-ci moins encore que la haute futaie.
Celle-ci prend le nom de Vieille futaie quand les arbres, devenus gros,
approchent de la maturité. Les vieilles futaies ne sont pas toujours
en massif uniforme par l'âge et la grosseur des tiges.
En résumé, dans l'évolution du peuplement uniforme,
comme dans celle de tout être organisé, on peut distinguer
trois grandes phases :
(1) Broilliard, Le traitement desbois en France, p. 238.
i' \ OLUTION i»i PEUPL1 \n.\ i . I 'Il
1" Naissance è\ constitution du fourré;
2° ./aînesse et croissance en hauteur, pendant les états de
gaulis, bas et haut perclus.
3° Enfin Age mûri pendant lequel les arbres adultes s'ac-
croissent surtout en grosseur et fructifient abondamment.
Le taillis simple régulier ne se comporte pas toul à l'ait de
même. Les rejets, à leur naissance, émergent de souches tou-
jours plus ou moins éloignées les unes des autres, de sorte
qu'il se passe un temps variable, mais toujours assez long,
avant que les branches basses se rejoignent et s'entrelacent
pour former le fourré. Pendant ce temps, les tiges principales
dépassent les dimensions de gaulis et le peuplement devient
un bas perchis, sans prendre l'aspect de gaulis. A partir de ce
moment, il évolue comme la futaie pleine, dont il se différencie
néanmoins par certaines tares qu'il doit à son origine : les tiges
sont, en effet, plus ou moins déviées à la base, et leur section
faite dans cette même région, au lieu d'être circulaire, est dé-
primée du côté de la souche dont elles sortent. Aussi, pour les
distinguer de la futaie vraie, ajoute-t-on les mots sur souches,
aux expressions qui caractérisent leur état de développement
et l'on dit : bas et haut perchis sur souches, haute futaie sur
souches.
Évolution des peuplements jardines et furetés - Bien
différentes sont les allures des peuplements qu'un traitement
systématique entretient dans les formes jardinées etfuretées.
Ici, les sujets mûrissent individuellement, et, sur chacun des
points dénudés par la coupe qui les enlève, il en naîtra d'au-
tres pour occuper leur place. Les bois de tous âges se déve-
loppent irrégulièrement dans les espaces variables que leur
ménagent les hasards des exploitations, leur croissance étant
tantôt activée, tantôt ralentie par la plus ou moins grande quan-
tité de lumière qu'ils reçoivent à un instantdonné. Pas plus que
dans la masse de leur frondaison on ne distingue d'étages,
on ne peut constater dans la durée de leur évolution aucune
phase, aucun état particulier de développement. Si bien que
ces .peuplements, qui n'ont pour ainsi dire point d'âge, se per-
pétuent toujours semblables à eux-mêmes.
Pour mieux faire comprendre la situation, pour mieux faire
128 LES PEUPLEMENTS.
ressortir la différence qui sépare ces deux types de peuple-
ment, nous comparerons leur évolution à celle des parcs d'agré-
ment, suivant qu'ils sont créés et entretenus d'après une des
méthodes : française ou anglaise. Dans les parcs français, les
arbres, souvent de même essence, sont disposés, à la même
époque, en longues bordures ou en avenues régulières, où, tou-
jours solidaires les uns des autres, ils grandissent et vieillis-
sent ensemble. Ils forment un tout homogène, et sous peine
d'en rompre le caractère grandiose et l'harmonie, il est im-
possible de les rajeunir autrement que par un remplacement
en masse. C'est l'analogue du peuplement uniforme.
Au contraire, dans le parc anglais, tous les éléments sont
indépendants les uns des autres. Les arbres, plantés un peu
au hasard, tout en suivant certaines règles de l'esthétique,
peuvent être remplacés individuellement au fur et à mesure de
la maturité de chacun, sans nuire au caractère de l'ensemble.
Comme les peuplements jardines ou furetés, ces parcs
conservent toujours le même aspect. En deux mots, l'évolu-
tion de l'un se fait à temps, tandis que celle de l'autre se pro-
longe h perpétuité.
A propos des traitements qui engendrent des formes aussi
dissemblables, nous pouvons, dès maintenant, déduire les
conséquences suivantes :
1° Chacune des unités de surface couverte par un peuple-
ment d'âges multiples forme un tout complet qui, au point de
vue du but final, évolue indépendamment des surfaces voi-
sines. La vie de relation y existe à peine ; c'est, en quelque
sorte, la cellule unique des êtres inférieurs.
Comme l'organisme, le traitement restera simple.
2° Dans les peuplements uniformes, chacun des éléments
est solidaire des autres, avec lesquels il marche d'ensemble
vers le but commun. Pour assurer l'harmonie dans ce concert,
un instrument nouveau est indispensable, dont le rôle n'est
pas sans présenter une certaine analogie avec celui du système
nerveux chez les êtres supérieurs. Le traitement de la forêt
-sera compliqué d'aulnnt.
CHAPITRE IV
LES FORÊTS
Nous venons de constater les effets de l'intervention de
l'homme sur la vie des peuplements. Mais, de cette étude, il
ne faudrait pas conclure que la forêt se prête, sans protester, ;t
tous les caprices de l'exploitant. Loin de là, l'expérience de
tous les jours nous l'indique, chaque mode de traitement
est cantonné dans un champ d'application dont les limites sont
parfois très étroites et en dehors desquelles tous les accidents
sont à craindre. Sans pousser les choses au pire, dès que la
main de l'homme élimine l'une ou l'autre des espèces qui
forment la forêt spontanée, la fertilité générale en souffre et
s'amoindrit ; cette modification dans le sens rétrograde peut
avoir une marche assez lente pour ne pas être bien visible dans
le cours d'une génération, mais elle n'en est pas moins fatale.
C'est dire que, toujours et partout, l'action de la nature est
prépondérante. Dans chaque région, dans chaque station
même, les agents sol et climat imposent à la forêt des allures
particulières, lui façonnent une sorte de capacité forestière,
qu'on ne saurait lui faire dépasser. Nous pensons en fournir la
preuve dans les pages qui vont suivre.
ARTICLE PREMIER
ACTION DU SOL
Rôle du sol : généralités ; classement. — Sols siliceux : propriétés
physiques; tapis végétal; allures des forêts; sables à grains fins;
alios ; tourbières. — Sols argileux: propriétés physiques; tapis vé-
gétal ; allures des forêts; lcehm. — Sols à base calcaire : propriétés
physiques ; tapis végétal ; allures des forêts ; marne.
Rôle du sol. — Le rôle du sol, en même temps qu'il sert
Boppe et Joi/yet. •'
130
LES FORETS.
de support aux arbres, est de maintenir à leur disposition
une quantité d'eau suffisante pour contre-balancer les effets
de l'évaporation. D'autre part, nous avons dit que les
végétaux ligneux et surtout les espèces sociales, qui for-
ment la base de tous nos peuplements, sont très peu exigeants
au point de vue de la richesse minérale du sol. Remarquons
enfin, qu'il faut considérer comme faisant partie du sol fores-
tier, non seulement la terre arable, mais encore toutes les
zones sous-jacentes perméables aux racines; par conséquent
la masse nourricière des forêts est beaucoup plus puissante
que celle qu'utilisent les végétaux agricoles ; cependant cette
quantité n'est pas illimitée ; car, en dehors des fissures qui, en
raison de leur humidité constante, font pénétrer les racines
jusqu'aux assises les plus profondes des rochers disloqués et
des éboulis, il est rare que celles-ci fonctionnent au-delà de
un ou deux mètres de profondeur.
Pour la forêt, les propriétés chimiques d'un sol importent
donc beaucoup moins que ses qualités physiques; parmi
lesquelles la profondeur et la perméabilité d'une part, et
d'autre part l'aptitude, non seulement à absorber l'eau des
pluies, des neiges, du givre et de la rosée, mais encore à la
retenir, sont les plus importantes.
Dans la pratique, on a conservé l'habitude de classer les sols
en trois groupes distincts : les sables siliceux, les argiles et
les terrains à base calcaire. Sans doute, dans les milliers
d'échantillons de terres qui se rencontrent à la surface
du globe, la proportion des trois éléments : silice, argile
et carbonate de chaux varie à l'infini ; mais il est rare que l'un
d'eux ne prédomine pas suffisamment pour donner au milieu
son caractère propre.
Sols siliceux. — Le sable siliceux pur, lorsqu'il contient
peu de matière organique en mélange, forme un sol meuble,
sans liaison à l'état sec, n'ayant même qu'une faible cohésion
sous l'influence de l'humidité.
L'eau, qui traverse facilement cet amas filtrant, entraîne
avec elle les particules fines dans les profondeurs ; aussi la
surface, n'offrant aucune résistance à l'érosion, est-elle facile-
ment ravinée par les eaux ou déplacée par les vents. Sa
\<.ii<»\ nu SOL
ni
faible ténacité n'offre aux grands arbres qu'une assiette in-
suffisante; du reste, aussi bien pour y chercher leur nourriture
que pour trouver un point d'appui plus solide, les racines
pénètrent fort avant dans ces sols et -'\ étalenl amplement.
Très pénétrable par l'air, le sable prend rapidement la tem-
pérature du milieu ambiant : il s'échauffe et se refroidit très
Fig. 33. — Escarpements calcaires des bassins du Doubs.
(Photographie de M. Thiollier.)
vite; aucune terre n'est plus apte à se dessécher, à devenir
aride dès qu'elle est ouverte à l'accès des vents et des rayons
du soleil : toutes conditions mauvaises pour la bonne fabrica-
tion du terreau, qui prendra souvent la forme fibreuse. Les
accidents de gelées, printanières ou autres, y sont aussi plus
à craindre qu'ailleurs.
Le tapis végétal du sol siliceux est plus pauvre en espèces
que celui des terres plus fertiles; mais les plantes sociales, qui
s accommodent de ces stations, se jettent à foison dans les vides
et profitent de toutes les fautes pour en augmenter la gravité ;
132 LES FORÊTS.
car, une fois installées, elles ne se laissent plus exproprier, même
par les grands arbres. Ces plantes sociales peuvent être her-
bacées, comme la grande fétuque bleue, mais elles sont plus
souvent ligneuses : comme les genêts, les ajoncs, l'airelle myr-
tille, la callune et ces éternelles bruyères, qui, suivant les
climats, feront la lande ou le maquis .
Malgré tout, le sol siliceuxpeut nourrir de belles et bonnes
forêts, sous la condition d'être découvert le moins possible. Le
semis y réussit très bien; par contre, les souches n'y rejettent
que médiocrement : c'est dire que le traitement en futaie est
préférable au traitement en taillis. Aussi les tentatives faites
pour y perpétuer ce dernier mode ont-elles, le plus souvent,
amené des désordres et des états d'épuisement tels, qu'il a
fallu remplacer les espèces spontanées par d'autres plus
frugales. Les trop nombreuses taches de résineux introduits,
qui envahissent progressivement les régions autrefois peuplées
de magnifiques forêts de hêtre et de chêne, n'ont pas d'autre
origine.
Enfin, ces sols conviennent parfaitement à la culture en
pépinière; car ils se travaillent sans effort et s'entretiennent
à peu de frais en bon état de propreté. Essentiellement
neutres, ils n'excluent aucune essence et acceptent sous
forme d'engrais et d'amendement toutes les matières qu'on
veut leur incorporer. D'ailleurs, à cause de leur état de divi-
sion, les racines développent un chevelu abondant, qui facilite
la reprise des sujets lors de la transplantation.
Ces propriétés moyennes peuvent être profondément modi-
fiées en bien ou en mal par des causes diverses.
C'est ainsi que ces mêmes sols, quand les éléments en sont
fins ou très fins, conviennent mieux que tous les autres à
l'éducation des massifs de futaie; les sables les plus ténus,
pourvu qu'ils soient imprégnés de terreau, jouent à s'y
méprendre un rôle analogue à celui de l'argile et assurent
une fraîcheur constante. Les arbres atteignent des hauteurs
considérables, leurs fûts se rapprochent de la forme cylin-
drique et la régénération par la semence y est des plus faciles.
Les argiles h silex, qui, malgré leur nom, rentrent dans la
catégorie des sols siliceux, nourrissent les plus belles futaies
\<:tion DU sol. 133
de France : ainsi, celles de Villers-Cotterets, de Lyons, de
Bellême, de Bercé, de Senonches, de Trouvais, pour ne citer
que les plus remarquables par leur splendeur et leur étendue.
On peut en dire autant des sapinières qui reposent sur les près
infraliasiques elles autres formations gréseuses, sous le climat
humide des Basses- Vosges.
Souvent aussi, quelle que soit la grosseur des éléments
et l'apparence filtrante de ces sables, on est surpris de les
voir constamment mouilleux ; c'est qu'alors il s'est formé, à
une faible profondeur, celte couche d'altos si connue dans les
Landes de Gascogne et dont la composition n'est autre que
celle du sable lui-même, agglutiné en une sorte de roche
compacte, imperméable, de couleur brune, par un ciment
organique dans lequel les sels de fer ne manquent jamais.
Partout où cet alios se rencontre, les effets ordinaires d'une
végétation mauvaise sont encore aggravés par des accidents
fréquents de gelées prinlanières et de gelées d'hiver. Quand
les circonstances le permettent, et plus particulièrement
lorsque le relief est peu accusé ou en forme de cuvette, la
présence de l'alios est pour ainsi dire fatale. Le seul moyen
d'y remédier temporairement serait de percer de loin en loin
la couche imperméable par des trous de sonde, qui rempli-
raient l'office de puits perdus.
On peut encore faire rentrer les tourbières dans le groupe
des terrains siliceux. Celles-ci, heureusement assez rares en
France, n'y ont qu'une faible importance forestière. Souvent
d'ailleurs, surtout dans la moyenne montagne, elles jouent,
au point de vue de l'alimentation des cours d'eau pendant
Tété, un rôle analogue à celui des glaciers. Aussi, sans pré-
tendre les mettre en valeur par des assainissements coûteux,
suffit-il de préserver par des fossés d'écoulement les cantons
boisés qui les entourent, contre leur envahissement toujours
à craindre.
Sols argileux. — Les terrains argileux sont froids,
humides, et, quand ils se dessèchejit sous l'action du vent ou
du soleil, ils se transforment en une masse dure, crevassée
par un retrait considérable et douée d'une odeur spéciale lors-
qu'elle s'humecte. Les eaux séjournent à leur surface si la
134
LES FORETS.
pente fait défaut; alors l'excès d'humidité, le manque de
chaleur retardent la végétation et entravent la décomposition
des débris organiques; le terreau y prend la forme acide
et la pauvreté de sa faune ne lui permet d'amender que
les couches les plus superficielles. Ces terrains sont, en géné-
ral, profonds ; mais les racines des arbres s'enfoncent difficile-
ment dans ces masses compactes, où elles ne fonctionnent
qu'avec peine, faute d'oxygène.
Un couvert prolongé sera donc plus nuisible qu'utile aux
sols argileux et l'accès modéré de l'air et du soleil ne peut
que leur donner plus de fertilité ; leur teneur suffisante en
sels nutritifs, leur fraîcheur constante permettent de leur
appliquer un genre de culture assez épuisant; toutes raisons
qui justifient le traitement en taillis sous futaie ou même
en taillis simple, qu'on applique généralement aux forêts
feuillues de ces stations. De pareils modes de traitement,
quelque peu artificiels, conviennent à ces terrains, qui donnent
de belles récoltes en bois, comme ils donneraient de belles
récoltes en blé, à condition que l'homme se charge de veiller
à la régénération de la forêt, aussi bien qu'il le fait pour la
semaille des céréales. Par contre, ces terres, très difficiles à
travailler, sont tout à fait impropres à la culture des plants
en pépinière.
Le tapis végétal varie suivant le degré de compacité des
argiles; souvent composé d'herbes denses et touffues : joncs,
graminées, carex, il se réduit parfois, dans les cas extrêmes,
à une couche de mousse peu épaisse, dans laquelle l'ensemen-
cement semble assez bien réussir; mais où, bientôt, les jeunes
plants disparaissent, faute de pouvoir enfoncer leurs radi-
celles dans la terre. Bien que la flore arbustive n'ait pas la
variété de celle des terrains calcaires, on y trouve, outre la
bourdaine, fréquente comme sur les sables, d'abondants
fourrés d'épines noires et blanches. Parmi les grandes es-
sences, les plus communes sont le chêne pédoncule, le frêne et
surtout les bois tendres: tilleuls, aunes, saules, trembles, etc.,
qui, d'ailleurs, y rejettent bien de souches.
Deux variétés principales se rencontrent dans les terrains
de ce groupe :
AC'UmN Dl SOL, I 35
l" Le lehm <>u le lœss, que sa fertilité incomparable a
converti depuis longtemps en nos meilleures terres agricoles,
aussi n'en restc-t-il à la forêi que des lambeaux sur les rives
submersibles des grandes rivières, comme L'Adour <-l la Saône.
"2" Les terrains feldspathiques provenant de la décomposi-
tion de roches comme les granits ou les syénites, donl les
éléments argileux sont divisés par de menus cristaux et qui,
malgré leur peu de profondeur, sont 1res favorables à la végé-
tation forestière; dans les régions montagneuses, où on les
rencontre le plus souvent, ils sont couverts de fort belles
sapinières.
Sols à base calcaire. — Dans la majorité des cas, les sols
calcaires donnent une terre de ténacité moyenne, très avide
d'humidité et se délayant en boue, mais qui se dessèche très
vite, se fendille finement et tombe en poussière. Parfois
aussi, les plateaux oolithiques ont leur ossature calcaire recou-
verte d'un manteau d'argile rouge ferrugineuse, terre excel-
lente, d'une épaisseur toutefois trop variable. Dans l'un et
l'autre cas, ces sols s'échauffent avec une grande facilité et,
si l'humidité ne fait pas défaut, la couverture morte s'y décom-
pose rapidement dans d'excellentes conditions, en même temps
que les acides organiques s'y neutralisent. Toujours riches en
principes nutritifs, ils conviennent tout particulièrement à la
végétation ligneuse, bien qu'ils manquent, en général, de pro-
fondeur et que la nature fissurée des roches sous-jacentes les
rende très perméables et les expose au dessèchement f fig. 34).
Ces inconvénients sont, d'ailleurs, atténués ou aggravés suivant
l'orientement du système de fissures. Lorsque celles-ci sont
verticales, les racines peuvent les suivre et s'y nourrir jusqu'à
de grandes profondeurs dans la terre qui les remplit. Si, au
contraire, la direction en est horizontale, la roche se présente
en la forme de dallages superposés, contre lesquels les
racines se buttent en vain.
Dans ces conditions, le choix du mode de traitement est
entièrement subordonné à la profondeur. Quand elle est
suffisante, on peut tout demander et tout obtenir; partout où
elle fait défaut, on s'efforcera d'éviter le dessèchement que
causerait un découvert trop complet et trop souvent répété
136
LES FORETS.
et, renonçant aux chênes et autres arbres pivotants, on ne
cultivera que des espèces à racines traçantes. Dans les
régions méridionales, les forêts en terrain calcaire sont ex-
ploitées surtout en vue de leur production en écorce,
ou utilisées comme pâtures; chêne yeuse et chêne blanc,
traités en taillis simple, couvrent de grands espaces, dont
l'étendue dépasse 100 000 hectares. Assez souvent le pin
d'Alep les accompagne.
Le calcaire nourrit une flore très variée; plantes herbacées,
arbrisseaux, arbustes, grands arbres y abondent en espèces;
Fig\ 3i. — Taillis sous futaie sur roche calcaire fissurée (oolithe)
Forêt de Chargey-lès-Port (Haute-Saône).
n'en sont exclues que les formes calcifuges déjà signalées. Les
essences les mieux appropriées à ces terrains sont le hêtre et
l'épicéa à cause de leur enracinement superficiel; puis les
essences exigeantes : ormes de montagne, érables, fruitiers, à
cause de la richesse du sol ; enfin les espèces frileuses, comme
le pin d'Alep et le chêne yeuse, qui y trouvent la chaleur
dont elles ont besoin.
Étant donnée cette richesse de la flore ligneuse, partout où
la sécheresse n'est pas absolue, il se rencontrera toujours quel-
ques sujets assez accommodants pour se contenter des maigres
conditions qui leur sont offertes par les calcaires les plus
dégradés. Aussi le caractère véritable de ces stations se
ACTION Dl S<>F..
.37
pévèle-t-il par la bâte avec laquelle Les surfaces dénudées Be
couvrentdc broussailles. Quelque mal justifié que soit le traite-
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3
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pu
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—
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P
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ment, quelqu'abusives que soient les exploitations, l'état
boisé se maintient. Si les arbres disparaissent, arbrisseaux
et arbustes seront toujours là, prêts à masquer les vides, à
138
LES FORETS.
panser les blessures. Malgré leur vitalité, ils ne sont pas à
redouter comme la tenace bruyère. En effet, tandis que celle-ci
contribue à l'acidité du terreau, tandis qu'à l'instar de toutes
les plantes sociales, elle couvre le sol d'un tapis continu et
permanent, qui ne s'élève jamais assez pour jouer le rôle utile
de sous-étage, les coudriers, les cornouillers et les différents
arbustes des sols calcaires fournissent un excellent humus,
et, si on a la patience de les laisser grandir, constituent un
abri, sous lequel naissent abondants les semis de sapin ou
des autres essences d'ombre. De même, au milieu de touffes
de buis, de genévriers ou d'épines dans les friches ou les
garriques, on voit poindre, suivant les altitudes, la flèche
d'un épicéa ou d'un pin, la cime d'un charme ou d'un chêne
(fig. 35). Et toute cette broussaille complaisante, après avoir
abrité les grands arbres dans leur jeunesse contre l'enva-
hissement des plantes herbacées, contre les rayons du soleil
ou la dent du bétail, se laisse dominer par eux et passe mo-
destement à l'état de sous-bois.
Les pépinières établies en terrain calcaire se cultivent
facilement, et, bien soignées, elles fournissent de bons plants ;
mais, en raison de l'extrême diversité des plantes sauvages
qui s'y développent, elles sont d'un entretien très coûteux.
Si la proportion du calcaire en mélange avec l'argile
descend au-dessous de 30 p. 100, la terre devient la marne,
à laquelle les agriculteurs ne permettent plus aux forestiers
de s'intéresser.
ARTICLE II
ACTION DU CLIMAT
I. Aptitude forestière. — II. Les climats de plaine : caractères géné-
raux. — Division en zones. — Zone parisienne. — Zone girondine.
— Zone provençale. — III. Les climats de montagne : caractères
généraux. — Vosges. — Jura. — Alpes. — Plateau central. —
Pyrénées.
I. — Aptitude forestière.
En culture forestière, tout comme en agriculture, il s'agit
de tirer parti de végétaux. Pour apprécier les aptitudes
1 10
Ai'TlTi DE I ORESTII RE, ,u'
forestières d'un climat, on ajoute doncà Is série des phéno-
mènes atmosphériques que 1rs cultivateurs apprécient ou
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redoutent, certaines particularités, qui concernent plus étroi-
tement le végétal arbre et, par suite, la forêt.
Pour maintenir] un état de saturation constant dans sa
140 LES FORÊTS.
masse ligneuse, qui doit renfermer toujours au moins 40 p. 100
de son poids total en eau, l'arbre a besoin d'une somme con-
sidérable d'humidité pendant la saison de végétation ; il n'est
pas surprenant, dès lors, que la forêt n'existe plus partout où
le climat lui refuse le minimum d'eau nécessaire aux espèces
les moins exigeantes à cet égard. La nudité relative des
déserts, des steppes, des champagnes ou campines n'a pas
d'autre cause. A ce point de vue, la culture forestière se rap-
proche beaucoup plus des cultures fourragères et pastorales
que des autres; car elle a plus d'intérêt à favoriser le déve-
loppement des axes et des organes verts que celui des graines
ou des fruits mûrs. En un mot, régions forestières et régions
pastorales se superposent. On peut donc dire que les contrées
où l'herbe reste verte toute Vannée, grâce à leur climat
humide, sont, en même temps, la patrie des belles et bonnes
forêts.
Mais, plus que toutes les autres plantes cultivées, l'arbre
craint la violence des vents ; quand l'ouragan passe inoffensif
sur les prairies et les champs, il est mécaniquement nuisible
aux arbres des forêts, en déracinant les uns, brisant les
autres, renversant parfois des cantons tout entiers. Les sujets
brisés, arrachés par le vent se nomment chablis (fig. 36). Le
danger que courent les massifs dépend de l'essence, de l'âge,
de la saison, de l'altitude, de l'exposition et du mode de
traitement.
Enfin des expériences aussi concluantes en France (1) qu'en
(1) Les expériences installées aux environs de Nancy, en 1867, par
M. Mathieu, sous-directeur de l'École forestière, et continuées jus-
qu'en 1900 par les soins de la station de recherches, établissent les
lois suivantes :
1° En forêt, pour cette région, la température moyenne annuelle
est d'environ un demi-degré plus basse que dans les terres agricoles
voisines ;
2° cet abaissement, très faible pendant les mois d'hiver, est surtout
sensible en été ;
3° la moyenne annuelle des minima est même relevée de près de
un degré, tandis que celle des maxima est abaissée de deux environ,
d'où une diminution dans l'écart entre les maxima et les minima
atteignant presque trois degrés;
4° les hauteurs d'eau pluviale dans une clairière de forêt, — sur la
lisière d'un massif, — et dans une région franchement agricole voisine,
sont entre elles comme les nombres 100, 95 et 77;
APTITUDE FORESTIÈRE. 1 \ I
Allemagne, concourent à l'aire admettre les faits généraux
suivants comme chose jugée :
l" Les grands massifs forestiers abaissent quelque peu la
température moyenne de l'année ; niais, en même temps, ils
régularisent les climats, en diminuant l'intensité des grands
froids et des chaleurs extrêmes.
*J" La forêt qui abaisse la température moyenne, facilite la
condensation des vapeurs; d'autre part, la transpiration des
feuilles augmente la quantité de vapeur d'eau contenue dans
l'atmosphère; par conséquent, l'état boisé d'une contrée
active la chute des pluies et le dépôt des rosées.
Ainsi, en modifiant l'état hygrométique d'un climat, la
forêt le rend plus favorable à sa propre production. Elle
exerce dans l'intérieur du continent un rôle analogue à celui
de la mer sur les îles et les côtes. On peut donc dire que la
forêt appelle la forêt et qu'il est toujours avantageux de la
cultiver en grands massifs.
Telles sont les considérations qui nous ont servi de base
pour diviser la surface de la France en deux groupes princi-
paux de climats forestiers : les climats de plaine et les climats
de montagne (1).
5° il pleut davantage sur la lisière Sud-Ouest d'un grand massif
forestier que sur la lisière Est; mais c'est le centre du massif qui
reçoit le plus d'eau ;
6° le couvert des arbres feuillus intercepte, en été, environ 8 p. 100
de l'eau pluviale ; mais comme la forêt reçoit 22 p. 100 d'eau en excès
sur les champs voisins, c'est encore un bénéfice de 22 — 8 = 14 p. 100,
en faveur du sol forestier, par rapport au sol agricole.
M. Mathieu, Météorologie agricole et forestière, Paris, 1878.
M. Fautrat, Id.
M. Bartet. Id. Bull. Ministère de l 'agriculture, 1895.
M. Claudot, Id. Ann. Société d'émulation des Vosges, Épinal, 1897.
M. Hûffel, Influence des forêts sur le climat, Bull. Société forestière
de Franche-Comté et Belfort, 1895.
(1) Nous ne pouvons ici que diviser la France en grands climats
forestiers. Mais chaque département, chaque montagne, suivant l'expo-
sition, suivant l'altitude, se subdivise, souvent, en plusieurs régions,
caractérisées par leurs espèces forestières et que l'on peut reconnaître,
même quand les grandes essences font défaut, à leur flore herbacée
ou arbustive. On sait, par exemple, que l'on se trouve dans la zone du
sapin, quand on voit à ses pieds Géranium sylvaticum, Prenanlhes
purpurea, lianunculus aconitifolius, — dans celle du chêne vert
quand on. rencontre Cistus monspeliensis, C. albidus, Lavandula lati-
142 LES FORÊTS.
II. — Les climats de plaine.
Caractères généraux. — Un climat de plaine comprend,
en général, celui des pays de collines et de coteaux. Il est
caractérisé par des altitudes variables entre 0 et 600 mètres et
des reliefs, qui, bien que parfois assez accusés, ne présentent
nulle part les allures abruptes et tourmentées des pays fran-
chement montagneux.
Dans chaque station la température est aussi chaude que
leur latitude le comporte ; les saisons sont bien marquées par
les quatre grandes phases du mouvement de la terre qui les
produisent. Le printemps, l'été, l'automne, et l'hiver se suc-
cèdent avec les variations annuelles qui leur sont propres : le
printemps, plus ou moins régulier, avec ses alternatives de
chaleur et de froid, qui activent ou suspendent la végétation,
au point de la détruire quand surviennent les gelées dites
printanières; — l'été, plus ou moins chaud; — l'automne, plus
ou moins sec; — l'hiver plus ou moins froid. La suspension de
la végétation par les froids de l'hiver dure quatre à cinq mois
et la période d'activité se prolonge pendant sept ou huit.
Mais, si la végétation est, en moyenne, plus rapide, la produc-
tion annuelle est aussi plus variable; pendant telle année, un
concours de circonstances atmosphériques favorables fait que
la production ligneuse se trouve deux fois plus forte que pen-
dant telle autre, où ces mêmes influences auront été mau-
vaises. Il en résulte que les bois formés dans les plaines
présentent une assez grande irrégularité dans l'épaisseur de
leurs couches annuelles et, par suite, peu d'homogénéité
dans leur structure.
Division en zones. — En France, étant données la grande
folia, Thymus vulgaris, Genisia scorpius, etc. M. Flahault, Professeur
à l'Université de Montpellier, a entrepris le travail considérable, mais
d'un haut intérêt, qui consiste à établir des cartes forestières ana-
logues, comme échelle et comme facture, aux feuilles de la carte
géologique (Ch. Flahault, Projet de carte botanique, forestière et
agricole de la France, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1895. —
Au sujet de la carte botanique, agricole et forestière de France,
Annales de Géographie, 189G).
F.HS CLIMATS DE PLAINK.
L43
étendue relative des régions dites de la plaine et la quantité
variable de lumière, de chaleur et d'humidité qu'on y ren-
contre, il est nécessaire de les partager en un certain
nombre de subdivisions, (l'est encore la question d'humidité
ou de répartition des pluies qui permet de distinguer les
trois zones suivantes : 1" zone du nord et de l'est ou pari-
Zône Parisienne
Zone Girondine
Zone Fivven cale
i ÛHuicvt demoiilamte
Fig. 37. — Carte des climats forestiers.
sienne; 2° zone océanique ou girondine ; 3° zone méditerra-
néenne ou provençale (fig-. 37).
Zone parisienne. — Cette zone est la plus développée
de toutes, elle embrasse plus de la moitié de la France, c'est-
à-dire, toutes les contrées qui, à l'exception du Morvan, du
Jura et des Vosges, s'étendent au nord d'une ligne orientée
de l'Est à l'Ouest, de Valence à l'embouchure de la Gironde.
Les forêts y sont, en totalité, peuplées d'essences feuillues;
144 LES FORÊTS.
les bois résineux, pin sylvestre, pin maritime ou pin laricio
d'Autriche, n'y apparaissent jamais qu'à l'état d'essences
introduites par la culture. Le charme en est peut-être l'es-
sence la plus caractéristique ; le chêne rouvre et le chêne
pédoncule sont plus nombreux là que partout ailleurs ; le
hêtre y abonde, sans appartenir en propre à cette région,
puisqu'il s'élève dans la montagne. A côté des essences prin-
cipales qui admettent la culture en massif, on y rencontre, à
l'état disséminé, des espèces précieuses, telles que: les frênes,
les érables et les ormes, dont les bois, doués de qualités
spéciales, apportent le plus utile contingent à la richesse
forestière; c'est également la patrie des bois tendres : saules,
tilleuls, peupliers, qui recherchent surtout les terrains fer-
tiles et humides : de nombreux arbustes y constituent les
sous-bois.
La quantité d'eau tombée atteint, en moyenne, 70 centi-
mètres; mais, ce qui caractérise l'influence bienfaisante des
pluies, c'est que la majeure partie se précipite en été, de sorte
que les grandes sécheresses sont rarement à craindre. Les
vents dominants sont ceux de l'Ouest, qui, chargés de nuages,
activent peu l'évaporation et se condensent en brouillards et
en pluies au moindre abaissement de température. Tout
concourt donc à rendre le climat humide et essentiellement
favorable à la végétation ligneuse. C'est, par excellence, la
région qui produit les bons bois d'œuvre, région d'aspects
très divers, toutefois, pour celui qui la parcourt de l'Ouest
à l'Est.
A l'Ouest, sont les grands massifs forestiers bien limités,
souvent isolés au milieu de vastes espaces livrés à la culture
(fig. 38); beaucoup portent des noms historiques, presque
tous sont d'anciennes forêts royales ou des biens d'apanage,
dont les uns ont fait retour au Domaine, quand les autres
sont devenus propriétés particulières. Si les étés sont moins
chauds que dans l'est, du moins, les hivers y sont-ils plus
doux: circonstances qui, jointes à la nature généralement
siliceuse du sol, justifient le traitement en futaie, auquel nous
devons les superbes forêts que nous avons déjà citées à l'ar-
ticle précédent.
LES CI.IM \ i S DE PL \l\i .
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Par contre, le régime épuisant du taillis, là fréquence des
celées printanièreâ <'t l'abus du pâturage aux siècles passés
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ont amené la ruine de nombreux massifs, dont les plus impor-
tants sont ceux de Fontainebleau, d'Orléans et de Montargis.
Boppe et Jolyet. 1 ^
146
LES FORETS.
A l'Est, le climat, plus excessif, prend un caractère conti-
nental, avec des étés plus chauds, des hivers plus froids.
Les années de semence se font rares, et la nature générale-
ment argileuse ou calcaire du terrain se prête mieux à la
culture de l'arbre isolé ; par suite, le traitement en taillis
sous futaie est commun et souvent très justifié. Suivant le
relief et la fertilité des terrains, les forêts sont tantôt en
massifs étendus, tantôt dispersées parmi les champs et les
vignes, qui les entourent et les pénètrent. C'est le pays des
gros chênes, à fût court, à boix nerveux, croissant au milieu
de taillis, dont les produits, autrefois convertis en charbon,
alimentaient les usines de la région. Le charme en est
l'essence caractéristique; le hêtre abonde partout et sous
toutes les formes : futaie pleine, réserve ou même cépée
de taillis.
En fait, dans la zone parisienne, trois régions ou pays,
bien caractérisés par les allures des forêts qu'on y ren-
contre:
1° les plaines de l'Ouest, ondulées par les collines du Perche
et de la Bretagne, au climat doux et humide, sont le pays
de l'herbe et de l'arbre, où les pommiers ombragent les
pâtures, où le chêne et le hêtre s'alignent dans les haies du
Bocage, en même temps qu'ils s'élancent dans les hautes
futaies. Cette contrée se prolonge par les riches plaines du
Nord, dont le sol, trop fertile pour elle, ne garde plus la forêt
que sous la forme d'accident;
2° au Centre, la Sologne, pays siliceux, humide et déboisé
par l'imprudence de l'homme, où, chaque jour, des travaux
intelligents rétablissent la forêt indispensable à la vie; et, un
peu plus au Nord, le grand îlot de la Champagne, dont le
surnom de pouilleuse n'indique que trop l'antique pauvreté
en arbres. Elle aussi se reboise ;
3° enfin, à TEst du ressaut de l'Argonne, dont la ligne de
faîte se prolonge par le plateau de Langres jusqu'au M or van
pour fermer le bassin de Paris, s'étendent les plaines de la
Lorraine, de la Eranche-Comlé et de la Bourgogne, avec leur
taux de boisement qui dépasse 25 p. 100, avec leurs forêts
feuillues, pour la plupart traitées en laillis-sous-futaie, où le
i BS Cl im \TS DE PLAINE. I4*î
hêtre, souvent expulsé par ce traitement, reparait, en hâte,
dès qu'on cesse de le maltraiter par des exploitations répétées
à trop courts intervalles,
Zone girondine. — Elle suit les rivages de L'Océan, de
Bayonne à l'embouchure de la Loire; c'est dans les Dunes el
les Landes de Gascogne qu'elle est le mieux accusée. Ses
caractères s'effacent et se fondent insensiblement avec ceux
de la région tempérée, à mesure qu'on s'éloigne du littoral en
s'avançant, dans la direction de l'Est, vers le plateau central.
Le pin maritime (fig. 39), le chêne occidental et le chêne
tauzin en sont les essences caractéristiques; ces deux der-
nières lui appartiennent en propre. On y remarque aussi le
chêne pédoncule, particulièrement abondant clans les parties
submersibles de la vallée de l'Adour, où il végète avec vigueur,
atteint de remarquables dimensions et fournit ces excellents
chênes de Bayonne, très recherchés dans les chantiers de
constructions maritimes; — le chêne rouvre, qui, néanmoins,
fait presque absolument défaut dans la région des Landes; —
le chêne yeuse, qui ne se trouve pas uniformément réparti et
semble rechercher les terrains calcaires; aussi est-il rare dans
les sables des Landes et n'a-t-il, en aucun point, la grande
importance qu'il acquiert sur le littoral de la Méditer-
ranée.
A ces végétaux essentiels des forêts se joignent d'assez
nombreuses espèces arbustives de la région parisienne,
auxquelles s'en ajoutent quelques autres de la région médi-
terranéenne.
Deux types de forêts distinguent cette région: les chê-
naies de l'Adour, et les massifs de pins maritimes réinstallés
avec un plein succès sur le sable des Landes. Franchement
méridionale dans son aspect, avec le ton grisâtre de ses pins,
ses touffes de daphne, de tamarix, de grandes bruyères, la
Lande couvre de nombreux hectares, que limite la dune
littorale du côté de la mer. C'est la terre classique de la
lutte par la forêt contre l'envahissement des sables, contre
l'insalubrité des eaux stagnantes. C'est aussi la seule contrée,
en France, où l'on récolte la résine.
Le climat, moins chaud et moins sec que celui de la Pro-
148
LES FORETS.
vence, convient parfaitement à l'agriculture. Il y tombe à peu
près autant d'eau que dans la première zone; seulement, ici,
ce sont les pluies d'automne qui sont les plus fréquentes, et
les vents d'Ouest dominants y entretiennent une somme d'hu-
midité suffisante pour les forêts, auxquelles la production
des céréales, du vin et des fruits n'ont laissé qu'une bien
ES*
Kifi". 39.j — Forêt de pins maritimes à Arcachon, d'après une photo-
graphie achetée dans le commerce, auteur inconnu.
petite place, en dehors des départements des Landes et de la
Gironde.
Zone provençale. — Région au climat sec et chaud,
au sol en très grande partie calcaire, qui borde la Méditer-
ranée de Nice à Port-Vendres; elle est resserrée à ses deux
extrémités entre le littoral et le pied clesAlpes-Maritimes à l'Est,
celui des Pyrénées à l'Ouest, et s'élargit dans son parcours
moyen; elle remonte le Rhône jusqu'aux environs de Va-
lence, pénétrant, d'un côté, assez profondément dans les Alpes
par les grandes vallées qui en débouchent, s'appuyant, de
l'autre, sur les grands contreforts des Cévennes. Les forêts y
»*î
Fi;;-. 40 et il. — Les gorges du Régalon et la Grande Combe dans la
i'orèt de Mérindol (Vaucluse), pins d'Alep et chênes verts. (Photo-
graphie de M. J. George.)
150
LES FORETS.
sont nombreuses, étendues ; mais, malgré l'intérêt qu'elles
offrent, elles ne présentent plus ces massifs frais et touffus,
cette végétation vigoureuse, élancée des forêts des zones
tempérées. Le chêne yeuse, le chêne blanc, et le pin d'Alep en
sont les essences dominantes et caractéristiques (fig. 40et4l ) ; le
pin maritime et le chêne-liège, qui, par ses produits accessoires,
est appelé à devenir une des principales richesses du pays,
n'apparaissent que sur les terrains siliceux des Maures et de
l'Esterel. C'est, enfin, la région de l'olivier et du mûrier, qui
n'appartiennent plus à la culture forestière. Les grandes es-
pèces disséminées deviennent rares dans les forêts, où la
végétation buissonnante prend un caractère spécial et une
forme toute différente de celle des régions plus tempérées ;
les cistes, les térébinthes et les lentisques fournissent des
sous-bois impénétrables, qui se dessèchent pendant l'été et
sont l'une des principales causes d'incendies désastreux.
Les bois nourris sous ces climats chauds et bien ensoleillés
jont, en général, durs, serrés, lourds, raides, sujets à se
gercer et à se tourmenter ; ils n'atteignent que rarement de
fortes dimensions, mais donnent des bois de feu appréciés,
des charbons de première qualité et d'excellentes écorces
à tan, dont la valeur va malheureusement en diminuant d'une
façon inquiétante.
Malgré tout, même au point de vue forestier, il ne faut pas
mépriser ces buissons d'yeuse qui s'arrondissent presque
isolés sur des rochers brûlés par le soleil. L'état de misère
dans lequel nous les voyons, ne fait que prouver leur résis-
tance dans la lutte qu'ils soutiennent depuis des siècles contre
la dent du mouton et la cognée du bûcheron piémontais.
Loin de se montrer ingrats, ils favorisent la production de
la truffe, dont, parfois, la récolte annuelle se loue plus de
500 francs par hectare. Signalons, enfin, le pin d'Alep : si l'on
en juge par les massifs domaniaux qui ombragent le pied du
Luberon, il peut fournir à l'industrie locale des produits
fort intéressants.
La quantité annuelle de pluie tombée n'est pas de beau-
coup inférieure à celle de la région parisienne ; la distribution
en est toutefois très différente. Plus de la moitié se pré-
LE climat m: MONTAGNE. 15J
cipite en automne, l'autre moitié, en hiver et au printemps :
il en résulte, en été, des sécheresses persistantes ; les averses
d'automne élant très abondantes, on ne compte qu'un petit
nombre de jours de pluie, circonstance qui, on le Bait, est
très défavorable à la forêt.
Le vent dominant est celui du Nord-Est ; sous le nom de
Mistral, il soufile avec violence dans la vallée du Rhône.
III. — Le climat de montagne.
Caractères généraux. — Les stations montagneuses sont
caractérisées par un relief fortement accusé, des pentes
raides, parfois abruptes, un sol souvent rocheux, mais, sur-
tout, par des pluies et des neiges qui entretiennent une
somme d'humidité à peu près constante, de telle sorte que
les inconvénients de la sécheresse n'y sont à redouter dans
aucune saison de l'année.
En montagne, l'hiver, au lieu de quatre à cinq mois, en
dure sept à huit; il s'allonge ainsi au détriment du printemps
et de l'automne. La neige, toujours abondante dans les hautes
régions, fond brusquement et l'on passe, pour ainsi dire sans
transition, de l'hiver à l'été. 11 en est de même pour l'automne
qui est abrégé par les chutes de neige prématurées. C'est
ainsi que dans les Alpes, par exemple, aux altitudes de 1,800
à 2,000 mètres, la neige ne disparait que vers le 15 juin et
commence à tomber abondamment dès le 15 septembre ; le
printemps et l'automne, avec leurs influences utiles ou nui-
sibles, n'existent donc plus que de nom dans ces stations
élevées, où, au lieu de quatre, le nombre des saisons est
réduit à deux : un hiver de huit mois sous la neige et un
été de quatre mois avec des quantités de lumière, de cha-
leur et d'humidité à peu près constantes chaque année.
11 en résulte qu'en montagne, les arbres ont une végétation
beaucoup moins rapide ; mais que, croissant dans des condi-
tions qui, d'une année à l'autre, restent toujours égales à
elles-mêmes, leurs bois présentent des accroissements régu-
liers et homogènes. A ce point de vue, le climat des mon-
\ô'2 LES FOUETS".
tagnes présente une certaine analogie avec celui des régions
les plus septentrionales du globe.
Il n'y a ici aucune subdivision à établir, car la conséquence
de l'altitude se fait partout sentir sous la même forme, sans
être sérieusement influencée par la latitude, dont le seul effet
est de remonter ou d'abaisser le point où commence le climat
montagneux. Il suffira donc d'indiquer sommairement les
caractères spéciaux que présente chacun des cinq grands
massifs naturels formés par les Vosges, le Jura, les Alpes, le
Plateau central et les Pyrénées.
Vosges. — Le climat de montagne commence vers 350
mètres d'altitude dans les Vosges, qui forment une des con-
trées les mieux et les plus richement boisées delà France. Le
sapin, le hêtre, auxquels se joint l'épicéa sur certains points,
en sont les essences dominantes. Le chêne, le charme, n'en
occupent que les contreforts et disparaissent complètement
vers les sommets ; les grands érables accompagnent le sapin
jusqu'aux plus grandes altitudes. Le pin sylvestre, subspon-
tané, est assez commun et provient, dans la plupart des cas,
de travaux de reboisements entrepris sur une grande échelle,
surtout depuis la création de l'Ecole des Eaux et Forêts.
La végétation forestière ne s'élève guère au-dessus de
1,250 mètres dans ces montagnes, où les cimes les plus éle-
vées dépassent à peine 1,400 mètres.
Entre ces deux altitudes minima et maxima, cinq types de
peuplements attirent surtout l'attention.
Si, placé sur la frontière de 1870, on aborde le contrefort
occidental de la chaîne au point où les collines de grès Vos-
gien s'éteignent dans la plaine Lorraine, on rencontre tout
d'abord d'anciens taillis de charme, de chêne, de bouleau
ruinés par ce mode d'exploitation que ne comportent, ni un sol
trop pauvre, ni un climat déjà trop rude. Le sylviculteur avisé
s'efforce d'y ramener le hêtre, partout où c'est encore pos-
sible ; quand le mal est trop avancé, il a recours au pin syl-
vestre pour panser les blessures.
Plus haut, c'est la forêt des Basses-Vosges, où règne le
noir sapin. Là, toute culture agricole devient impossible en
dehors des parcelles irrigables, et la forêt couvre les ver-
i i CLIMAT DE MONTAGNE.
153
sanls cl les sommets ; niais elle change d'aspect avec 1 exposi-
tion ; vigoureuse et touffue au Nord el à l'Est, elle s'éclaircit
et se rapetisse à l'Ouest et au Sud, sous l'influence de la chaleur
qui engendre la sécheresse. Les habitations sont agglomérées
en villages et en hameaux au niveau des sources.
Au centre de la chaîne el clans sa partie méridionale, les
terrains granitiques affleurent. L'eau, qui ne peut s'infiltrer
dans les roches massives, abonde partout vers la surface. Aussi
la sapinière est-elle souvent échancrée par des cultures etdes
pâturages. Les habitations, dont chacune a sa fontaine, sont
disséminées à toutes les altitudes et donnent à la région des
Hautes Vosges un aspect tout particulier et qui n'est pas sans
rappeler la Bretagne. La forêt, d'ailleurs, s'arrête vers les
crêtes, aux chaumes qui couronnent les ballons. Mais, avant
de disparaître, elle se transforme en parcelles de protection,
où les arbres, à croissance lente, dégradés par la neige et
couverts de lichens jouent, malgré leur faible rendement, un
rôle des plus utiles, en abritant les massifs inférieurs contre
les intempéries.
Sur la pente méridionale qui descend vers les plaines de la
Franche-Comté, les schistes succèdent bientôt aux syénites et
aux porphyres, et, brusquement, les sapins cèdent la place aux
fouillies de chêne, exploitées en taillis simple en vue de la
production des écorces. Autrefois, on y pratiquait le sartage
comme dans les haies des Ardennes.
Signalons enfin, à la base occidentale, le petit pays de la
Vost/e, îlot de grès bigarré, dont les sables à grains fins
nourissent de fort belles futaies de chêne et de hêtre. C'est de
leurs assises que sourdent les sources minérales ayant donné
naissance à la ceinture de stations balnéaires qui les entourent
et dont Plombières est la plus ancienne.
Jura. — Les forêts du Jura sont moins étendues, en général,
mais elles sont aussi riches, plus riches même que celles des
Vosges. Bien qu'assises en sol calcaire, tandis que celles de la
région Vosgienne le sont en terrain siliceux, elles présentent
avec ces dernières, dans leur peuplement et la nature des
essences principales qui les forment, une similitude remar-
quable, avec un cachet spécial toutefois, à raison de la
154
LES FORETS.
différence des latiludes, d'une part, et de l'autre parce que
les derniers plateaux jurassiques appartiennent, par leur alti-
tude, à la région alpestre, que les Vosges n'atteignent qu'ex-
ceptionnellement.
Les forêts du premier plateau, par leur végétation et leur
composition, se rattachent bien plus à la région de la plaine
qu'à celle de la montagne. Néanmoins, elles manifestent une
tendance marquée à se laisser envahir par le sapin. D'ailleurs,
il n'est pas facile d'établir si cette espèce descend vers la
plaine, ou si elle ne fait que rentrer en possession des sur-
faces dont le traitement en taillis l'avait expulsée. Toujours
est-il qu'aujourd'hui, partout où le sapin n'existe plus qu'à
l'état de vieux arbres disséminés de loin en loin à travers les
feuillus, des semis, longtemps cachés dans le sous-bois,
pointent leurs flèches au-dessus des cépées et cherchent à se
grouper en peuplements. Au prix actuel du bois de feu les
propriétaires ne doivent pas regretter cette substitution.
Vers 500 ou 600 mètres d'altitude, surles escarpements qui
séparent le premier du second plateau, le sapin se montre,
d'abord à l'état pur, pour se mélanger bientôt avec l'épicéa.
Dans les sols riches et profonds qui appartiennent à l'assise
oxfordienne de la formation jurassique, on rencontre les plus
belles sapinières de France, celles de Levier et de la Joux,
notamment. Ailleurs, les arbres sont moins élevés; mais les
fûts se soutiennent encore bien, surtout quand ils sont
poussés en hauteur par 1 épicéa.
Celui-ci, moins difficile que le sapin sous le rapport de la
profondeur du sol, manifeste surtout ses qualités d'essence
rustique et productive dès qu'on atteint le troisième plateau,
à 800 ou 900 mètres d'altitude. Plus haut, vers 1*200 mètres,
dans les forêts du Massacre et du Risoux, par exemple, on le
voit se plier à tous les caprices d'un sol âpre et d'un climat
rude. Il infléchit ses branches pour mieux résister au poids
de la neige (fig. 8), et fait ramper ses racines traçantes jus-
qu'aux lésines pour y pénétrer. Il se régénère au besoin sur
ses propres souches, comme nous l'avons dit plus haut. Sou-
vent, après la mort brutale d'un peuplement renversé par le
vent ou tué par les insectes, le sol, d'abord envahi par les sor-
i.i: climat DB MONTAGNE. (55
bicrs ou autres arbustes, se garnit avec le temps de semis
qui végètent à leur ombre, jusqu'au jour où, solidement ins-
tallés, ils referont la I) te forêt.
Au sapin, à l'épicéa et aux hêtres s'associe — quoique
beaucoup plus rare — l'érable sycomore. Nous le mentionnons,
car dans certaines forêts des contreforts du second plateau,
Fig. 42. — Chartreuse de Bonlieu, contreforts du deuxième plateau
du Jura. [Photographie de M. J. George.
en terrain argileux, il fournit, avec l'érable plane, une part
notable des revenus de la forêt.
Toutefois, si le climat pluvieux (1) du Jura permet à la
végétation forestière d'être luxuriante sur les calcaires les
plus superficiels des grandes altitudes, il n'en est pas de même
dans les régions plus chaudes, sur les pentes ensoleillées du
(1) Les plateaux du Jura, placés entre deux dépressions humides :
la vallée de la Saône et la région des grands lacs, — étages, de l'Ouest à
l'Est, de façon à recueillir toute l'eau apportée de l'Océan par les
vents du Sud-Ouest, — reçoivent des quantités de pluie considérables
dépassant 1 mètre dans les hautes régions.
156
LES FORÊTS.
Jura méridional notamment. Là existent des taillis, qui
sont d'un rapport plus que modeste. Il n'est que deux
moyens d'en tirer parti — y cultiver le buis : expédient moins
paradoxal qu'on peut le supposer, — ou leur substituer des
peuplements de résineux.
Dans le Haut Jura, comme dans les Hautes Vosges, au-des-
sus de la forêt (fig. 43) s'étend une zone de pâturages, séparés
Fig. 43. — Limite de la végétation forestière, la Dôle vJura).
(Photographie de M. J. George.)
des massifs inférieurs, tantôt par une lisière boisée, véritable
forêt de protection, tantôt par cette culture mixte qui donne
naissance aux prés-bois.
Alpes. — Le grand massif des Alpes, qui s'étend du lac de
Genève à la Méditerrannée, présente, étagées les unes au-
dessus des autres, toutes les zones de la végétation forestière
française de la cote 0 à la limite supérieure de la végétation
des espèces ligneuses.
La basse montagne et la chaînes des Alpines, jusqu'à 600 à
650 mètres d'altitude, bien qu'appartenant au massif par leur
relief, jouissent encore des bénéfices du climat de la plaine
provençale. On y trouve le chêne blanc, le chêne yeuse, le
châtaignier, et toutes les espèces qui caractérisent cette
station, — souvent aussi le pin sylvestre.
Plus haut, apparaissent les essences de montagne ; d'abord,
i i I LIMAT DE MONTAGN1 .
157
de vieilles connaissances : le pin Bylvestre, le hêtre, le Bapin,
L'épicéa, puis trois nouveaui venus : le pin de montagne, le
mélèze et le j>in cembro.
Fil
Forêt de montagne près de Saint-Etienne de Tinée
(Alpes-Mari limes .
A l'exception du pin cembro, qui s'avance sous forme de
sentinelle perdue, sur les confins des pâturages alpestres,
toutes les autres espèces peuvent fournir de bons massifs,
lambeaux plus ou moins étendus de la forêt continue qui
158 LES FORETS.
couvrait les Alpes avant l'arrivée de l'homme. On peut citer
encore : les hêtres du Vercors, les épicéas de la Tarentaise,
les pins de montagne de l'Embrunois, les sapins de toutes les
vallées fraîches, même dans le Var et les Alpes maritimes,
et enfin les mélèzes du Briançonnais, du Queyras et du
Comté de Nice.
Ce dernier fait la richesse forestière des Alpes. Tantôt, ce
sont des massifs purs ; tantôt, en mélange avec l'épicéa ou le
pin de montagne, il s'accroche aux flancs les plus escarpés,
domine les crêtes les plus élevées et s'avance jusqu'aux èhoulis
et aux clnppes, où il a tout à souffrir des avalanches de neige
et de pierres et surtout de la dent des chèvres.
Dans la partie française des Alpes, on peut distinguer deux
régions forestières :
1° Les Alpes septentrionales, — les Alpes vertes, — du
Mont Blanc au Pelvoux, dont les vallées fraîches, s'ouvrant au
Nord, sont livrées à la culture pastorale et produisent assez
pour nourrir leurs habitants, où la forêt préserve encore la
montagne contre les ravages des torrents. Le hêtre, le sapin,
l'épicéa forment les principaux massifs de cette Suisse fran-
çaise; les mélèzes y sont rares.
2° Les Alpes méridionales, du Pelvoux à la Méditerranée,
où la direction Nord-Sud de la chaîne oriente les pentes
du Dauphiné et de la Provence vers les expositions chau-
des de l'Ouest et du Sud. Au point de vue de la répartition
des pluies, le climat devient excessif ; à de violents orages, trop
souvent mêlés de grêle, succèdent des sécheresses prolongées;
le sol, calciné par le soleil du midi, est facilement entraîné par
les paquets d'eau qui le délayent et le ravinent ; ailleurs, des
terres affouillables, que les assises rocheuses ne soutiennent
pas, glissent, entraînant avec elles des pans de montagnes
tout entiers. C'est la terre classique des torrents. Sans doule
aux grandes altitudes, là où la roche donne de la solidité au
terrain, il v a encore de belles et bonnes forêts (fig. 44). Sans
doute, sur les versants Nord ou Nord-Est, sur les uhach,
comme on les désigne dans certaines vallées, le sapin et l'épicéa
forment des massifs pleins, ombreux et frais à quelques dizaines
de kilomètres de la côte Niçoise ; mais, souvent aussi, la forêt
m .1 [MAT DE MON r IGNE,
L59
change d'aSpect, elle est plus clairiérée et sa composition se
modifie : l'épicéa se fait plus rare, il cède fréquemment la
place au pin tic montagne ou au pin sylvestre, Buivant 1 alti-
tude ; mais surtout, — cl on ne peul que sYn louer — le
mélèze acquiert une Importance prépondérante. Comme
feuillus, citons le hêtre, compagnon habituel des résineux,
quand on ne l'a pas détruit systématiquement (1), — à lilrcde
curiosité, le tremble, qui existe parfois en beaux exemplaires,
en mélange avec les pins sylvestres, — enfin le châtaignier,
dont les massifs égayent le bas des versants et dont on ne
saurait trop favoriser la propagation.
Mais clans l'une et l'autre de ces régions, faute de routes,
ces arbres ne se vendent encore que des prix dérisoires.
Souhaitons que l'initiative privée du commerce des bois intro-
duise bientôt dans les vallées les mieux boisées des systèmes
de transport perfectionnés, plans inclinés ou câbles aériens (2).
Il est regrettable en outre que, dans ce pays, si bien doué
par la nature pour la production du bois d'excellente qua-
lité, les forêts aient en grande partie disparu par suite de
l'abus du pâturage. L'administration forestière a reçu l'im-
portante mission de reboiser les Alpes ; mais c'est dans le
but de consolider le sol que ces travaux sont entrepris, et il
faudra que les forêts nouvellement créées aient accompli
pendant bien longtemps ce rôle protecteur, pour qu'on puisse
les considérer comme une véritable source de produits
ligneux. En tout cas, jamais elles ne remplaceront les forêts
de la plaine que certains économistes en chambre voudraient
sacrifier à une œuvre toute de restauration et d'entretien.
Plateau central. — Comme celles des Alpes, les forêts
du Plateau central sont loin d'occuper la place qui leur se-
rait assignée par l'exploitation rationnelle du sol; car, sous
ce climat franchement montagneux, les bois sont susceptibles
d'acquérir toutes les qualités désirables. La pauvreté actuelle
des forêts résulte de la situation qui leur a été faite dans les
temps passés, alors que, dans ce grand massif arrondi, les
(1) Sur quelques points, le hêtre fait naturellement défaut.
(2) E. Thiéry, Les transports par câbles aériens. (Bull. Société d'en-
couragement pour Vindustrie nationale. Nancy, A. Nicolle, 1896.^
160 LES FORETS.
voies de pénétration étaient trop rares pour attirer le
commerce des bois. Faute de débouchés pour les produits
ligneux, les habitants n'ont estimé la valeur productive des
forêts que sous forme de pâturage, et la dent des bestiaux
a fait son œuvre de destruction. L'ouverture des grandes
voies ferrées qui le traversent a sensiblement modifié la
situation économique du pays; et sur ces terrains solides, où
il suffit d'ensemencer le sol sans qu'il soit besoin de le sou-
tenir, l'œuvre de reboisement, entreprise au milieu du siècle,
marche rapidement avec plein succès. On y trouve déjà de
beaux cantons en pleine production.
A ce groupe, peuvent se rattacher les montagnes du Mor-
van, où domine le hêtre, dont le bois de moule descend àt
Paris par les canaux et les rivières, — et celles des Cévennes
connues par la forme de pin laricio qui porte son nom.
Pyrénées. — Au point de vue forestier, le massif des
Pyrénées doit être séparé en deux régions distinctes; mais,
ici, ce n'est plus comme dans les Alpes une simple affaire
d'exposition, puisque dans tout son développement l'axe de
la chaine orienté Est-Ouest, donne naissance à des vallées
ouvertes du Sud au Nord; c'est une question d'influence
climatérique plus complexe.
En effet, le climat et la flore des Pyrénées Orientales par-
ticipent du climat provençal, tandis que le climat et la flore
des Pyrénées Centrales et Occidentales sont influencés par
le voisinage de l'Atlantique. La frontière entre ces deux
stations peut être établie vers la ligne de séparation des
eaux entre le bassin de l'Aude et celui de l'Ariège.
Dans la première, le climat se rapproche de celui des
Alpes Maritimes, moins sec cependant. Les pluies torren-
tielles accompagnées de grêle y sont d'ailleurs moins fréquentes
et moins redoutables ; enfin le sol est plus solide. Aussi, bien
que les inondations soient encore graves et dangereuses, ne
prennent-elles pas le caractère désastreux des torrents des
Alpes.
Les essences qui peuplent les forêts sont le sapin, le hêtre
et le pin de montagne, qui prend le nom de pin k cro-
chets. Les sapins forment dans le département de l'Aude, sur
LE CLIMAT DE M0NTAGN1 . 161
1rs derniers contre-forts de la Montagne Noire, de superbes
massifs, dont les produits rivalisent en qualité avec ceux des
Vosges et du Jura. Nulle part aussi, le pin de montagne ne
donne des forêts plus denses et plus exclusivement pures.
Il règne en maître au-dessus de Taire du sapin, dans une
région où épicéas et mélèzes, qui manquent complètement
dans les Pyrénées, ne viennent plus lui disputer l'espace,
comme ils le font dans les Alpes.
Les pâtures, médiocres, sont fortement dégradées par des
abus de toute sorte et, plus particulièrement, par le pâturage
immodéré des moutons et des chèvres.
La deuxième zone est beaucoup mieux partagée sous le rap-
port des pluies, que lui apportent régulièrement les vents
d'Ouest. Sous leur action bienfaisante, les forêts et les pâtu-
rages s'améliorent. Les vallées, plus vertes et mieux boisées,
prennent parfois l'aspect riant de la Suisse. Les bêtes à corne
se substituent aux chèvres et aux moutons et les forêts,
moins dégradées, se refont plus facilement.
Les essences sont à peu près les mêmes que dans la zone
orientale; cependant, les forêts sont plus denses; le hêtre est
en mélange plus nombreux avec les résineux; peu à peu le
pin sylvestre se substitue au pin à crochets, qui devient
d'autant plus rare qu'on se rapproche d'Irun et d'Hendaye.
La montagne est ici franchement pastorale et forestière.
Pourquoi faut-il que, malgré ses aptitudes, en dépit des
lois et règlements, les habitants ne cessent de ruiner pâtures
et forêts? Dans la partie centrale et notamment dans le dé-
parlement de l'Ariège, le mal a produit son maximum d'ef-
fet ; car, sous la rubrique trompeuse de forêts domaniales, la
statistique enregistre plus de 30.000 hectares de rochers nus
et absolument improductifs. Jusqu'à ces derniers temps, la
véritable situation forestière des Pyrénées était restée à peu
près ignorée ; en dehors des sapinières classiques de l'Aude,
on parlait vaguement de surfaces couvertes de taillis de hêtre,
agonisant sous le régime du furetag'e ; pour révéler, sinon
les richesses, du moins les aptitudes forestières de la région,
il a fallu que des forestiers fussent appelés par l'opinion
publique pour préserver les stations balnéaires de Luchon
Boite et Jolyet. 1 1
162 LES FORÊTS.
et de Barèges contre les inondations et mettre les sources
thermales de Cauterets à l'abri des avalanches de pierres qui
les mitraillaient du haut de la combe de Pégères. Mais ces
sauvetages si vaillamment accomplis suffiront-ils pour con-
vaincre les montagnards que la conservation des forêts est la
meilleure prime d'assurance contre la ruine des pâturages?
CHAPITRE V
LES MODES DE TRAITEMENT
ARTICLE PREMIER
LES OPÉRATIONS CULTURALES.
La régénération. — Les dégagements de semis. — Les eclaircies; leur
but CulturaL — Leur but économique. — La manière de les con-
duire. — Leur importance.
La régénération. — Dans la culture forestière, l'inter-
vention de l'homme se rapporte à deux ordres d'idées
distincts : la régénération et les améliorations. De la régéné-
ration, nous ne dirons rien ici : il en a été parlé déjà à propos
de la reproduction de l'arbre et, d'autre part, les procédés
qui permettent de l'obtenir, variables avec les modes de
traitement qu'ils caractérisent, seront étudiés au chapitre VI.
Les dégagements de semis. — Au contraire, les dégage-
ments de semis et les eclaircies tendent toujours à un même
but, procèdent toujours des mêmes principes et peuvent
être, par suite, l'objet d'observrations générales.
Les semis de nos grandes espèces ligneuses, les brins de
dix, quinze et même vingt ans, ont une croissance lente, si
on la compare à l'évolution rapide des morts bois qui se
jettent au milieu d'eux et, surtout, des rejets de souche qui
parfois les entourent. Il peut aussi se faire, il arrive même
presque toujours, que, dans un peuplement mélangé, une des
essences se montre envahissante aux dépens d'une autre.
L'opération qui consiste à retarder l'essor des espèces secon-
daires ou trop ambitieuses, tendant à entraver le dévelop-
pement normal du peuplement d'avenir, constitue le dégage-
ment de semis.
Dans la première jeunesse, les brins de semence, dont
164
LES MODES DE TRAITEMENT.
les rameaux latéraux n'ont qu'une faible importance, vivent
surtout par leur bourgeon terminal, et l'on favorise leur
développement par la simple suppression des obstacles qu'ils
peuvent rencontrer suivant la verticale : aussi,
l'opération se fait-elle rapidement et à peu de frais.
Sauf quand il s'agit de dégager de tout jeunes semis
perdus sous un roncier qui les étoufîe, point n'est
besoin de couper rez terre : on se contente d'étêter
les tiges nuisibles, en enlevant d'un coup de serpe
les parties gênantes de leur cime. L'instrument le
plus commode est le croissant, sorte de serpe, à
manche long de 1 mètre à lm,50, qui permet de
faire l'opération très vite et sans se blesser (fig. 45).
En principe, un dégagement de semis n est pas
une guerre aux morts bois. L'objectif, dans une
opération de ce genre, ne <loit pas être la chose à
détruire, mais le brin à dégager. Aussi écartons-
nous le terme nettoiement, qui est parfois employé
comme synonyme de dégagement de semis. Chaque
coup de serpe donné sans but précis est inutile et
nuisible. Inutile, parce qu'il augmente sans profit les frais d'un
travail toujours coûteux, — nuisible, parce qu'il est important
de ne jamais détruire l'état de fourré, quelque négligeables
que soient, au point de vue de leur valeur vénale, les espèces
qui entrent dans sa composition. En isolant complètement les
tiges d'avenir, on risque, en effet, de les voir se courber sous
le poids de la neige, du givre ou de leur propre feuillage ; de
plus on découvre le sol : résultats fâcheux à tous les points
de vue. Nous déconseillons donc absolument les expurgades
trop souvent pratiquées.
Quand faut-il commencer les dégagements de semis? Quelle
périodicité faut-il leur donner? Ces questions ne comportent
pas de réponse catégorique. Lin pareil dégagement n'est
justifié que s'il est opportun : c'est au forestier de voir quand
les semis ont besoin de son secours, et il doit le leur apporter
aussitôt, et aussi souvent quil est nécessaire.
Nous prévoyons une objection : les dégagements de semis
sont des opérations onéreuses... C'est vrai ; mais les dépenses
Fig. 45.
Croissant
LES OPERATIONS Cl II II» Ail s. M'»."»
seront bien réduites si L'on évite des recépages inutiles. Quant
à vouloir compenser les lV;iis par la vente des produits, ce
serait taire un mauvais calcul : on se laisserait aller a de vé
ritables coupes, dont le préjudice dépasserait la mince
rémunération.
Nous terminerons par deux conseils : le premier est de don-
ner ses soins toujours aux mêmes individus. Il est regrettable,
en effet, de prendre la peine de dégager une première fois un
brin, puis de l'oublier pour s'occuper d'un autre qui, noyé
jusque-là dans le fourré, a perdu toute vitalité. Le second est
de faire exécuter, dans la mesure du possible, les dégage-
ments par les gardes de la forêt. Un bon garde doit dé-
fendre les semis confiés à sa surveillance contre les morts
bois, comme il les défend contre les délinquants. Des primes
l'encourageant dans cette voie sont un argent mieux placé
que des salaires donnés à des lâcherons ignorants des choses
forestières et qui saccagent tout autour d'eux. Si même le
propriétaire veut prêcher d'exemple et, quand il se promène
dans son domaine, s'armer d'un croissant au lieu d'une canne,
il sera tout étonné du nombre très respectable de jeunes
chênes ou de jeunes épicéas qu'il « tirera d'affaire » dans un
temps relativement court. Les dégagements les mieux faits
sont ceux dont le prix ne dépasse pas la valeur de deux ou
trois journées par hectare.
Les éclaircies; leur but cultural. — Pour l'éclaircie, au
contraire, le bûcheron s'impose : nous travaillons au milieu de
perches ou même d'arbres.
Bien que l'effet principal de l'éclaircie soit toujours de fa-
voriser la croissance des sujets d'élite, on peut dire qu'elle
poursuit un double but : au point de vue cultural, maintenir
un peuplement dans les meilleures conditions de végétation,
ou un mélange dans les proportions voulues ; — au point de
vue économique, augmenter le rendement.
Dans un peuplement, on constate à tous les âges la lutte
pour la vie entre les sujets qui le composent, lutte qui se tra-
duit par l'élimination d'un nombre considérable d'entre eux,
surtout pendant la jeunesse.
D'après M. R. Hartig, le nombre de tiges à l'hectare clans
166 LES MODES DE TRAITEMENT.
les forêts de hêtre du Spessart, en Franconie, est environ le
suivant (1) :
à 10 ans, 230.000 | à 40 ans, 5.000
à 20 — 15 000 ; à 50 — 2.500
à 30 — 8.000 | à (30 — 1.700
à 70 ans, 1.400
à 80 — 1.160
à 90 — 960
à 100 ans, 800
à 110 — 690
à 120 — 610
D'après M. Broilliard (2), la composition moyenne d'un
peuplement régulier, bien complet, peut présenter en sapins
des Vosges :
à 0m,20 de diamètre à hauteur d'homme : 1.200 à 1.800 perches.
à 0m,30 — — 500 à 700 arbres,
à 0m,40 — — 300 à 400 —
à 0m,50 — 200 à 250 —
à 0m;60 150 à 200
Or, pendant la durée des états de fourrés et de gaulis, les
tiges les plus vigoureuses ont facilement raison des faibles : on
peut laisser, sans inconvénients, la nature agir seule; on a
même intérêt à le faire, car la sélection naturelle favorise les
individus les mieux constitués. Au contraire, dès l'état de per-
clus, les éliminations portent sur des sujets plus gros, doués
d'une plus grande vitalité et, par suite, présentant plus de
résistance ; les plus forts triomphent encore des plus faibles,
mais les vainqueurs ne sortent pas indemnes de la bataille : il
devient utile d'intervenir dans la lutte, pour pratiquer un véri-
table desserrement. Il arrive trop souvent que des arbres
parviennent à se maintenir vivants en nombre excessif sur un
espace donné ; alors se constitue un peuplement dont les cimes
étriquées, le feuillage insuffisant, attestent la situation pré-
caire ; non seulement la végétation se ralentit à l'extrême,
mais ces peuplements sans vigueur sont à la merci de tous les
accidents: ravages des insectes et des champignons, écrase-
ment sous le poids de la neige, etc.. Des éclaircies faites à
temps et bien conduites auraient réagi contre cette tendance
naturelle à s'uniformiser, toujours à craindre dans les peu-
plements d'un seul âge et constitués par une seule essence (3) ;
(1) Chiffras tirés du traité de M. Hiïffel : Les arbres et les peuple-
ments forestiers.
(2) Broilliard, Traitement des bois en France.
(3) Ce danger est particulièrement grand pour les peuplements
d'origine artificielle.
LES OPERATIONS CULTURALB8. 1()7
niais une lois les choses arrivées à ce point, le diamètre trop
faible des tige s, hors de proportion avec leur hauteur, ne
permet pins d'entr'ouvrir ces massifs, que le vent renverse-
rait aussitôt,
D'autre part si, dans les peuplements mélangés, on ne con-
tinue pas, sous une forme quelconque, les dégagements com-
mencés dans les fourres et les faillis, tous les sujets sauvés
pendant le jeune âge seront bientôt irrémédiablement tués
ou dégradés. D'où la nécessité de donner à l'éclaircie, dans
certains cas tout au moins, le caractère cYéclaircie-dégagc-
ment.
But économique des éclaircies. — Nous avons, la chose
est évidente, intérêt à activer le plus possible la croissance des
arbres en hauteur et surtout en diamètre.
Beaucoup s'imaginent que plus les arbres sont serrés, plus
leur croissance en hauteur est rapide, plus ils filent, sui-
vant l'expression courante. C'est tout le contraire de la réalité.
Sans doute un arbre isolé n'acquiert pas les hauteurs exagérées
des arbres de massif, mais encore faut-il, pour qu'un arbre
grandisse, qu'il dispose de l'espace nécessaire à la constitution
de sa cime, et que sa frondaison reçoive une part suffisante de
lumière. C'est dans l'atmosphère et par leurs feuilles que les
arbres puisent la majeure partie de leur nourriture, et, s'ils
sont mal nourris, ils ne s'allongent pas.
Il semble, qu'il soit bien inutile d'insister sur ce fait que des arbres
trop serrés se développent mal, tant en hauteur qu'en diamètre...
Varcnne de Fenillc, dans son premier mémoire (1790), signale les
bons effets de l'éclaircie sur l'accroissement en hauteur de jeunes
bois trop serrés. — Voici, littéralement traduit, ce qu'on lit, page 16
du volume de M. V. Baur, sur l'épicéa (1876) : « C'est une erreur de
croire qu'un état de massif trop serré favorise l'accroissement de la
hauteur des peuplements; au contraire, la lutte trop longue et trop
rude entrave le développement des hauteurs... » Le même auteur
s'exprime d'une manière analogue au sujet du hêtre en 1881 (Die Rolh-
buche, page 115). Différents autres écrivains en 1885, 1888, etc.. ont
répété cette observation, devenue pour ainsi dire banale dans le monde
forestier (l).
Le sapin se comporte de même, l'observation l'a démontré.
Le fait que les éclaircies activent la croissance en diamètre
1) G. Hfiffel, Loc. cil.
168 LES MODES DE TRAITEMENT.
est trop connu pour qu'il y ait lieu d'en parler davantage.
Il suffira de citer les chiffres suivants, tirés d'études de
M. l'inspecteur Brenot sur les sapins du Jura (1) :
Diamètre à hauteur d'homme.
Ages. Sapins en massif Sapins en massif
non éclairci. éclairci.
40 ans ficm,-, 2lcm
60 ans 12cm 35cm
80 ans 19cm 48cm
100 ans 26cm,."ï 59cm,5
1 20 ans 32cm 69°m
1 10 ans 36cm 7icm
Ue ce que le desserrement active la croissance en hauteur
et en diamètre, il ne résulte pas qu'il soit toujours une cause
d'augmentation de volume pour V ensemble du peuplement',
car celui-ci est appauvri de tous les mètres cubes réalisés
par Téclaircie. Mais, si l'on peut perdre en quantité, du
moins est-on sûr de gagner — et beaucoup — en qualité : les
tiges d'élite représentent les bons ouvriers, ceux qui fabri-
quent le bois de choix, le bois se vendant cher au mètre cube.
On a donc tout intérêt à favoriser leur production, même au
prix de sacrifices consentis au détriment de la masse, peu inté-
ressante, des faibles ou des inhabiles.
Les éclaircies sont de véritables exploitations donnant des
produits marchands : mais, ici encore, l'idée de récolte ne
doit pas intervenir dans la conduite de l'opération, qui est
d'ordre cultural avant tout. Toutefois, en même temps que
l'éclaircie, peuvent se faire certaines réalisations, qui Yaccom-
pagnent sans en faire partie inhérente. Ainsi l'on profite de
la présence du bûcheron pour débarrasser le peuplement des
sujets tarés ou difformes, — de ceux qui sont envahis par les
champignons et menacent de contaminer leurs voisins, — enfin
de tous les bois morts ou mourants, qui attirent les délin-
quants, et ne jouent plus aucun rôle utile. De même encore,
on fait coïncider avec une éclaircie l'exploitation des bois
tendres, saules, trembles et autres essences sans longévité,
qui dépériraient avant le passage de la coupe principale.
(1 Ces résultats sont traduits graphiquement, par M. Hiiil'el, loc. cil,
LES OPERATIONS GULTURALBS. H'»(.»
Manière de conduire les éclaircies. — L'éclaircie consiste
donc, à desserrer les sujets précieux, dans la région OÙ leur
cime manque d'espace, et cela progressivement. Les ternies
de celte définition demandent quelques explications.
Il s'agit de venir en aide aux sujets précieux \ ceux là seuls
seront notre objectif, et, agissant comme nous l'avons dit à
propos des dégagements de semis, nous chercherons du re-
Fig. \6. — Schéma d'un peuplement à éclaircir. — an, tiges d'élite;
bh, sujets dominants mais qui nuisent aux tiges d'élite (à enlever) ;
ce, sujets dominés (à conserver.
gard, non pas des tiges à abattre, mais des tiges à sauvegarder.
Ces dernières sont celles qui, parleur espèce, parleur forme,
et par la place qu'elles occupent, présentent le plus d'intérêt
pour l'avenir. En général, dès les premières années, elles sont
reconnaissables à leur aspect plus sain, à leur diamètre plus
gros, à leur cime plus fournie (fig. 46). S'il en est autrement,
ce qui arrive quelquefois, surtout dans les peuplements d'ori-
gine artificielle, la première éclaircie tend à rompre cette uni-
formité trop grande : on choisit au hasard, à des distances
convenables, des perches à desserrer, auxquelles ce premier
170 EES MODES DE TRAITEMENT.
travail donne sur leurs voisins un avantage qu'il ne reste plus
qu'à maintenir clans la suite.
L'éclaircie porte sur ïétage dominant, c'est-à-dire qu'elle
enlève des perches, ou des arbres, dont le feuillage s'épanouit
à peu près au môme niveau que celui de l'individu dont on
veut améliorer la situation. Au contraire, le respect scrupu-
leux de l'étage franchement dominé est la base fondamentale
du système. Toutes les tiges qui, de guerre lasse, ont aban-
donné le combat pour la lumière, toutes celles qui sont ré-
duites à végéter à un niveau inférieur à celui de rivales plus
heureuses, tous les étages intermédiaires, tous les sous-
bois plus ou moins buissonnants, doivent échapper à la
hache. Leur enlèvement serait inutile puisque leur feuillage ne
peut plus faire concurrence à celui des sujets d'avenir. Il serait
nuisible pour trois motifs: d'abord, leur maintien permet
d'agir vigoureusement sur l'étage dominant sans crainte de
découvrir le sol; en second lieu, ces bois dominés peuvent
souvent reprendre leur essor et remplacer une tige d'élite dé-
truite par un accident ; enfin, cette végétation intermédiaire
forme un écran, qui préserve les fûts contre la lumière directe
du soleil, fait dépérir les branches basses, favorise en un mot
l'élagage naturel. Grâce à leur présence, on peut placer les
sujets d'avenir dans cette situation excellente pour les arbres
destinés à produire de bon bois d'œuvre : la cime au soleil,
le fut à l'ombre, et les racines au frais.
Enfin l'éclaircie doit être progressive. Ceci nous amène à
parler de l'époque à laquelle doit se faire la première éclaircie
dans un massif, et de la périodicité avec laquelle les autres
la suivront.
Dans les peuplements mélangés, les éclaircies-dégagements
sont la continuation des soins donnés aux semis et leur suc-
cèdent sans qu'un intervalle trop long permette aux essences
envahissantes de reprendre leur œuvre de dégradation. La
grosseur des sujets et la réalisation de produits marchands
fait changer l'étiquette de l'opération; son but reste le même.
Dans les peuplements purs, la première éclaircie se fait
plus tôt quand il s'agit d'essences de lumière que quand il
s'agit d'essences d'ombre. Il est important, dans tous les cas,
LES OPÉRATIONS CULTURALB8, 1 T 1
d'opérer prudemment. En général, celle première éclaircie
doil avoir lieu, clans les futaies, aussitôt les peuplements
arrivés à l'état de gaulis ou, au plus lard, de bas perchis.
La périodicité varie surtout avec l'âge des peuplements.
A chaque opération, on n'isole pas la cime des sujets d'avenir
dune manière complète, mais on se contente de dégager une
ou deux de ses faces par l'abatage de quelques arbres gê-
nants (1), avec l'idée d'opérer de même dans la suite aux
autres orientations. Or, dans les peuplements jeunes, l'enlè-
vement d'une gaule ou d'une petite perche fait une lacune de
peu d'importance bien vite refermée: les éclaircies devront
donc se succéder à courts intervalles. Dans les peuplements
âgés, au contraire, le vide créé par la disparition d'une grosse
perche, ou d'un arbre, reste béant pendant plusieurs années :
les éclaircies ne passeront que plus rarement.
La périodicité de 6 à 12 ans convient, dans les forêts trai-
tées en futaie, depuis l'état de gaulis jusqu'à la fin de celui
de haut perchis, — et celle de douze à vingt ans, dans les
hautes futaies constituées. Dans les sols fertiles, il faudra
passer plus souvent que dans les sols médiocres et mauvais;
plus, en clfet, les conditions de végétation sont bonnes, plus
les arbres tendent à prendre de l'ampleur, plus par suite leur
nombre tend à diminuer à l'hectare; ainsi les forêts de pins
sylvestres de l'Allemagne du Nord contiennent approxima-
tivement à l'hectare, les nombres de liges suivants (2):
Conditions Conditions Conditions
très bonnes, moyennes. mauvaises.
à 40 ans 1.750 3.050 5.600
à 50 ans 1.150 2.050 4.000
à 60 ans 800 1.500 2.800
à 70 ans 650 1.100 2.000
à 100 ans 425 625 1.075
Dans la pratique, un bon critérium pour juger de l'oppor-
tunité d'une éclaircie est l'aspect même des arbres du peu-
(1) Ces arbres sont ceux dont la cime entrave le développement de
celle de l'arbre d'élite. Ils peuvent fort bien ne pas être les tiges les
plus voisines de ce dernier, mais s'en trouvei séparés par quelques
sujets domines.
(2) G. Hùffel, loc. cit.
172 LES MODES DE TRAITEMENT.
plement dominant. Si, par exemple, des chênes de futaie se
couvrent de branches gourmandes, sans que leur âge très
avancé ou toute autre cause accidentelle explique cette évo-
lution anormale, c'est que leur cime manque de lumière dans
les régions élevées; il en est ainsi encore des chênes dont la
cime apparaît étriquée, souffreteuse, à frondaison chlorotique.
De même, dans un perchis, un pin, un sapin, dépourvu de
branches vivantes sur plus des deux tiers et surtout des trois
quarts de la hauteur de sa tige, réclame d'urgence qu'on le
desserre.
Nous avons dit qu'on rencontrait parfois des peuplements
trop uniformes et trop serrés, dont les cimes réduites, usées
par le frottement sous l'action du vent, accusaient l'état de
langueur (lig. 47) : on peut, à la rigueur, espérer les remettre
en état par des éclaircies très prudentes, et répétées à inter-
valles fréquents, tous les trois ans par exemple. Dans les sapi-
nières des Basses Vosges, des massifs compromis ont repris
lentement leur essor, grâce à des opérations qui suivaient pour
ainsi dire pas à pas la reconstitution du feuillage. Quoi qu'il
en soit, il vaut mieux prévenir un pareil état de choses que
que d'avoir à y remédier.
Dans les taillis sous futaies, on ne fait, en général, qu'une
seule éclaircie, six à huit ans avant la coupe principale. Pour-
tant, sur certains sols, il peut y avoir intérêt à réaliser plus
tôt, dans une première éclaircie, les bois tendres parvenus à
maturité.
Importance des éclaircies. — L'éclaircie, telle que nous
venons d'en exposer les principes, est appelée quelquefois
éclaircie par le haut] elle est d'origine toute française. C'est
elle que pratiquait le marquis de Rostaing, Réformateur géné-
ral des eaux et forêts sous le roi Charles IX (1) ; c'est elle qui
a fait l'objet des importants travaux de Varenne de Fenille en
1790 et 1791; enfin, mieux que toute autre, elle convient à
notre tendance nationale qui nous invite à faire des individus,
des beaux arbres, plutôt que des massifs d'une uniformité
parfois monotone. Pendant quelque temps on a semblé
I G. Hufîel, loc. cil.
LES OPÉRATIONS Cl LTURALBS,
173
l'oublier dans son pays natal, et il a fallu les travaux de
MM. Bagneris et Broilliard, pour lui rendre la place qu'elle
mérite dans la culture forestière.
Fig. -Î7. — Perchis de sapins très serré, forêt domaniale des Ëlieux
(Meurlhe et-Moselle). (Photographie de M. Juvanon du Vachat.)
Aujourd'hui, son rôle s'impose plus que jamais : on crée de
tous côtés, par voie artificielle, des peuplements d'épicéa, de
pin sylvestre, de pin noir, de mélèze, dans des stations
17^ LES MODES DE TRAITEMENT.
souvent étrangères à ces essences. Si l'on ne se décide pas à
entrer hardiment dans la voie des éclaircies, il ne faut pas
espérer y produire autre chose que de la pâte à papier ou des
étais de mine. Le maintien jusqu'à la haute futaie dépareilles
forêts, toujours menacées de maladies cryptogamiques ou
d'invasions d'insectes, n'est possible que si l'on y constitue
des individus, en même temps que l'on hâte la formation d'un
sous bois feuillu.
D'ailleurs, à une époque où il faut faire vite, il est bon de
se rappeler que l'on a dansl'éclaircie le meilleur adjuvant à la
rapidité de l'accroissement en grosseur. Ajoutons toutefois
que, si l'éclaircie est toujours utile pour qui sait la manier,
elle est d'une application délicate. Elle change de forme et
d'intensité suivant les essences, suivant leur état de mélange,
suivant le but poursuivi, suivant, enfin, les idées et le bon
vouloir de celui qui la dirige. En un mot, c'est, pour les
futaies pleines au moins, l'opération culturale par excellence,
et celui qui n'en comprend pas le mécanisme fera mieux de
s'abstenir.
ARTICLE n
NOTIONS D'AMÉNAGEMENT
Capital forestier. — Définitions. — Réalisation de la possibilité : par
contenance, par volume, par pieds d'arbres. — Observations géné-
rales.
Capital forestier. — Un arbre ne donne des produits
marchands qu'après de longues années d'existence. La récolte
forestière est donc essentiellement périodique sur un point
déterminé, et, pour la rendre annuelle comme l'exigent les
besoins de l'homme, il est nécessaire de réaliser les produits,
successivement, sur autant de points ou de surfaces différentes
qu'il faut d'années aux arbres pour atteindre les dimensions
requises. Pour satisfaire à cette condition, la forêt économi-
quement constituée, c'est-à-dire aménagée, doit donc présenter,
sur des surfaces équivalentes, une suite non interrompue
d'arbres ou de peuplements différant entre eux d'une année
notions d'aménagement. 175
d'âge, depuis les sujets naissants jusqu'à ceux qui <>nl vécu
le nombre d'années que ces mêmes dimensions comportent.
Ces derniers constituent seuls la nro//con le retenu.
Le déplacement successif des surfaces occupées p&i les
récoltes annuelles a (ait naître l'idée de rotation, et on est
convenu de nommer révolution le temps qui s'écoule entre
deux récolles successives sur le même point. C'est, en théorie,
le temps laissé aux arbres pour atteindre les dimensions qu'on
leur demande.
Les bois en croissance, c'est-à-dire ceux qui restent sur pied
dans les surfaces autres que celles qui portent la récolte, l'ont
nécessairement partie du capital générateur, puisque, en
dehors de leur présence, on ne peut concevoir de revenu
annuel.
Exemples : Soit une forêt de 100 hectares couverte, par
parties égales, d'une suite de peuplements âgés de un à
vingt ans et dont les produits sont réputés réalisables à l'âge
de vingt ans. La récolte sera fournie par les 5 hectares qui
portent les bois de vingt ans, et les peuplements en croissance,
répartis sur les dix-neuf autres surfaces, feront partie du capital
d'exploitation.
De même, dans une forêt de 100 hectares peuplée de bois
d'âges gradués de un à cent ans, le revenu sera fourni par le
seul hectare où sont localisés les arbres de cent ans, et ceux
qui sont âgés de un à quatre-vingt-dix-neuf ans et répartis sur
les quatre-vingt-dix-neuf autres surfaces, seront comptés
comme capital superficiel,
Il en résulte que la partie du capital générateur représentée
par les bois en croissance est essentiellement variable. Son
importance est entièrement subordonnée à la longueur de
la révolution et va sans cesse en augmentant avec cette
dernière : à des révolutions courtes correspond un capital
superficiel restreint; les révolutions longues exigent un
capital d'exploitation d'autant plus considérable qu'il ren-
ferme des arbres plus âgés et, par conséquent, ayant plus de
valeur. — De plus, ce capital ligneux n'est pas seulement
représenté par un cube de bois de dimensions quelconques,
mais par ce même volume constitué d'une façon toute parti-
170 LES MODES DE TRAITEMENT.
culière au point de vue de la gradation des âges. C'est seulement
lorsqu'il renferme la suite complète de ceux-ci, répartis sur
autant de surfaces d'égale production, qu'il est normalement
constitué : on dit alors que la forêt est normale.
Dès lors, le capital forestier se compose de deux éléments
distincts, qui fonctionnent concurremment, mais chacun à sa
manière, ce sont: d'une part le fonds de terre (1), dont la va-
leur, subordonnée à sa fertilité, est soumise aux mêmes fluctua-
tions que celles des autres biens ruraux : il donne Vespace et
fournit la quantité) — d'autre part, le capital superficiel, de va-
leur essentiellement variable, mais de forme définie : ce dernier
se constitue par l'épargne et grandit avec le temps) il travaille
uniquement à l'accroissement des produits en qualité.
Le caractère particulier du capital ainsi constitué est d'être
toujours en partie mobilisable : ce qui expose à des confusions
fâcheuses avec le revenu et, par suite, à des abus de jouissance.
Par contre, toute fraction du revenu qu'on ne réalise pas,
s'incorpore et fonctionne avec lui, naturellement et sans frais.
De la composition toute spéciale du capital forestier résul-
tent les conséquences suivantes, qu'il suflit d'énoncer ici sous
forme de propositions : 1° toutes choses restant égales d'ail-
leurs, plus les révolutions sont longues, plus le revenu annuel
est considérable ; "2° le taux de placement suit une marche
inverse, il est d'autant plus faible que les révolutions sont plus
longues (2).
1) Ce fonds de terre comprend le sol, avec son ensouchement ou les
graines forestières prêtes à germer qu'il renferme, sa réserve d'humus,
et aussi les travaux de l'homme qui facilitent l'exploitation de la forêt :
bornages, chemins de vidanges, etc.
(2) Ce capital-superficie augmente avec la longueur des révolutions.
Très faible dans un taillis simple aménagé à 15 ans, où il ne comprend
que des taillis de 1 à 14 ans, presque sans valeur marchande, il
devient très grand dans un taillis sous futaie riche en réserves, plus
considérable encore dans les futaies pleines aménagées à 150 ou
200 ans. Dans la forêt domaniale de Bercé (Sarthe), certaines parcelles
contiennent, à l'hectare, 700 à 800 mètres cubes de chêne, repré-
sentant une valeur de 30 à 40 000 francs pour le capital-superficie.
Dans la forêt de Levier (Doubs), plus d'un hectare, dont le sol nu
vaudrait 100 francs à peine, porte 1 000 mètres cubes de sapin d'une
valeur de 25 000 francs. Ces massifs sont peut-être les plus beaux de
France ; mais dans des forêts même beaucoup moins riches en maté-
riel, le capital superficie est souvent assez considérable pour rendre
muions D AMENAGEtfBNT. 177
Définitions. — Coupes (1). — On appelle coupe, toute
étendue déterminée dans une forêt pour y abattre le bois, en
totalité, ou avec réserve d'un certain nombre d'arbres. Le
mot exploitation est souvent employé dans le sens de coupe
ou de renie.
La désignation du lieu où doit se faire une coupe s'appelle
Y assiette. Ainsi, asseoir une coupe ou faire l'assiette d'une
coupe, c'est déterminer son emplacement.
Une coupe est en usance lorsqu'on l'exploite, elle est usée
lorsqu'elle est exploitée et vidée.
Les coupes sont dites principales, lorsqu'elles ont pour
conséquence la régénération des surfaces parcourues.
Quand, dans une coupe, on exploite tous les arbres, on dit
que cette coupe est faite à hlanc-étoc.
Accroissement. — L'accroissement de volume, ou sim-
plement Y accroissement d'un arbre ou d'un peuplement est
la quantité dont le volume de cet arbre ou de ce peuplement
s'accroît au bout d'un temps déterminé.
U accroissement annuel est celui que les bois prennent en
un an ; l' accroissement périodique est celui que l'on réalise au
coursd'une période de plusieurs années. h' accroissementannuel
moyen, ou Y accroissement moyen, est le quotient d'un accrois-
sement périodique quelconque par le nombre d'années de la
période considérée, laquelle peut correspondre à la durée
totale de l'existence des sujets.
Rentes. — Taux de placement. — Le revenu brut
d'une forêt est le montant de ses produits, sans déduction
d'aucun frais. Si l'on déduit de ce revenu brut les frais de
production, on a le revenu net ou la rente.
Le taux de placement est le rapport entre la rente et le
capital qui la produit (2).
le capital fonds presque négligeable clans les estimations en fonds et
superficie.
(1) Tassy, V Aménagement des forêts, 3e édition, Paris, 1887.
(2> Le taux de placement est le rapport du revenu au capital géné-
rateur.Donc, si beau que puisse être le rendement d'une forêt comme celle
de Bercé ou celle de Levier, elle fonctionnera toujours à un taux très
réduit. Au contraire, les plus mauvaises « rapailles » de chêne vert,
avec un rendement infime fonctionneront à un taux très élevé, le capi-
tal engagé étant nul ou à peu près.
BorPE et Jolvet. 1-
178 I-ES MODES DE TRAITEMENT.
Aménagement. — L'aménagement est un travail qui
consiste à régler l'exploitation d'une forêt, de façon que celle-
ci fournisse un revenu annuel aussi soutenu et aussi avanta-
geux que possible.
Tout aménagement a pour but de créer l'état normal et de
le perpétuer quand il est obtenu. Le moyen employé consiste
à régler l'ordre et la nature des exploitations, après avoir fixé
l'âge ou la dimension des arbres à couper et le volume des
produits à réaliser annuellement.
Pour faire comprendre l'importance de ces questions, il est
nécessaire d'indiquer sommairement ce qu'on entend par les
termes exploitabilité et possibilité.
Exploitabilité. — Un arbre ou un peuplement est ex-
ploitable, quand il réalise le mieux possible le genre d'utilité
qu'on réclame de lui.
Sans entrer dans le détail des différents' services qu'une
propriété boisée est susceptible de rendre, nous constaterons
les deux faits suivants :
1° Dans les forêts de protection, on doit, en principe, lais-
ser les arbres sur pied jusqu'à leur dépérissement : les pro-
duits ligneux n'ont donc qu'une faible valeur marchande ;
2° Dans un grand pays comme la France, l'industrie réclame
des bois de fortes dimensions. Pour les obtenir, il faut exploiter
à des âges très avancés ; cela conduit à entretenir sur pied un
capital superficiel considérable, et abaisse le taux de place-
ment à un chiffre trop peu rémunérateur pour les proprié-
taires particuliers .
Ces deux considérations justifient la possession par l'Etat
d'un certain nombre de forêts. Seul, il peut logiquement
accepter cette situation, en vue de l'intérêt général.
Possibilité. — Théoriquement, la possibilité est l'expres-
sion de la capacité productive de toute surface boisée.
Il est évident que si, dans une forêt normale, on se contente
tous les ans d'enlever à la forêt, sous forme de bois exploitables,
un volume moyen équivalent à celui dont s'accroissent les peu-
plements répartis sur toute la surface, le revenu en matière
sera constant et le capital générateur maintenu intact.
Toutefois, le propriétaire désire tirer de son bien un revenu
notions ii'amkn aobment. 179
constant, tandis (jue la quantité do bois fabriquée et( évi-
demment variable suivant les années ; d'autre part, les forêts
étant, en général, plus ou moins éloignées de Fêlai normal, en
suite d'excès ou d'insuffisance du capital générateur, il peut y
avoir nécessité de couper plus ou moins (pie la production, en
vue de se rapprocher de cet état. Il en résulte que, dans
les forêts aménagées, la récolte annuelle, ou ta.rc, diffère sen-
siblement de la possibilité vraie; néanmoins, et par extension,
on est convenu de désigner la quolité qu'elle représente par ce
même nom de possibilité. Dès lors, la possibilité devient l'ex-
pression pratique du revenu en matière, tel qu'il est fixé par
l'aménagement en cours d'application (l).
Série d'exploitation. — La série d exploitation ou sim-
plement série, est l'unité de gestion de la propriété fores-
tière, car chaque série est destinée à fournir, durant la
révolution, une même suite de coupes principales annuelles,
ayant chacune à peu près même valeur. Nous avons donné la
définition de la série, page 106, en note.
Parcelles. — Lorsque, dans une même station et sous
l'influence d'un même traitement, le peuplement se constitue
identique à lui-même dans toutes ses parties, la surface qu'il
occupe représente une parcelle naturelle. Quand, dans un
peuplement, il se rencontre des différences dues à des causes
permanentes, étrangères au traitement (essences, sol, exposi-
tion), on a affaire à des parcelles distinctes. Ainsi constituée,
la parcelle est l'unité culturale de la série.
Réalisation de la possibilité. — Pour réaliser la possibilité,
on peut : ou bien faire porter les exploitations sur des surfaces
égales ; — ou bien abattre des arbres en nombre indéterminé jus-
qu'à concurrence d'un chiffre de mètres cubes fixé à l'avance ;
— ou, enfin, couper chaque année un même nombre d'arbres,
choisis parmi les tiges exploitables, sans se préoccuper autre-
ment de leur volume. De là trois méthodes d'aménagement.
La méthode par contenance, la plus simple, suppose impli-
citement que les facteurs de la production sont partout les
mêmes, et que les produits matériels sont entre eux comme
(1) A. Puton, Traité d'économie forestière. Paris. 1888.
180 LES MODES DE TRAITEMENT.
les surfaces. Elle est toujours appliquée aux forêts traitées en
taillis, mais peut très bien convenir aux autres.
La méthode par volume nécessite la détermination de
l'accroissement moyen en volume; quel que soit le système
employé pour arriver à ce résultat, on taxe la forêt à un chiffre
de mètres cubes que l'on réalise annuellement sans s'inquiéter
du nombre de tiges nécessaires pour l'obtenir. Une pareille
manière de procéder n'est rigoureusement possible que dans les
futaies régulières, où tous les arbres qui constituent un mas-
sif donné arrivent en même temps au terme de l'exploilabilité.
Quand on traite une forêt comprenant des peuplements
d'âges multiples, et dont les individus arrivent un à un au
terme de l'exploitabilité, on peut opérer autrement: on estime,
par tradition ou par comparaison, la production éventuelle
de cette forêt; on évalue d'autre part le volume de l'arbre
réputé exploitable, et le quotient du premier nombre par le
second donne le nombre des pieds d'arbres à réaliser. Les futaies
iardinées, la réserve des taillis sous futaie, peuvent être amé-
nagés de la sorte.
Observations générales. — Quelle que soit la méthode
adoptée pour déterminer les possibilités par volume ou
par pieds d'arbres, elle ne saurait être parfaite. La prudence
exige donc que des inventaires fréquents — répétés tous les
dix ans par exemple — établissent les oscillations du matériel
sur pied. C'est le seul moyen d'éviter des abus de jouissance
ou des épargnes exagérées. Si ces inventaires sont dressés de
manière à faire ressortir l'accroissement, ils fourniront des
renseignements intéressants sur l'effet cultural des opérations.
Dans le même ordre d'idées rentre la tenue de sommiers de
contrôle, registres où sont inscrits, par parcelle et par année,
la nature et l'importance des coupes, les prix de vente, les
travaux d'amélioration exécutés, le but poursuivi, les dé-
bours etc. Une colonne est réservée aux « faits divers » de la
forêt: gelées printanières, invasions d'insectes, années de se-
mence, etc.
Les anciennes pratiques forestières françaises, réglementées
par les ordonnances remarquables qui ont servi de modèles à
notre Code forestier, prévoyaient les exploitations par conte-
NOTIONS l> AMÉNAGEMENT.
181
nance, On ne concevail pas autrefois, dans noire pays, une
forêt aménagée, sans compartiments délimités sur le terrain et
affectés chacun aux exploitations de telle ou telle année. On a
fait à ces méthodes le reproche d'être trop primitives, trop peu
savantes. Peut-être les critiques oubliaient-ils qu'elles avaient
été un objet d'études raisonnées pour des agents de la marine
et des forestiers éminents, parmi lesquels on s'honore de comp-
ter Réaumur, Duhamel du Monceau, de Bulïbn, Varenne de
Fenilles. Peut-être aussi ne songeaient-ils pas que l'ordre et
la suite dans les opérations de gestion sont plus assurés quand
on est lié par des divisions assises sur le terrain, que lorsqu'on
a pour seul guide un nombre de mètres cubes d'un calcul sou-
vent problématique.
D'ailleurs, rien n'empêche de concilier les deux choses ;
libre à chacun de faire intervenir les volumes dans son sys-
tème d'aménagement; mais nous ne cesserons de recommander,
avec M. Broilliard, la division de la forêt en compartiments
limités par des chemins de vidange ou des tranchées bien
tracées, d'une contenance de 5 à 10 hectares, véritables unités
de gestion, dont le développement sera suivi pas à pas.
Rappelons enfin, avant de commencer l'étude des divers
modes de traitement, que si les auteurs forestiers ont dû, pour
les besoins de leurs règlements ou de leurs traités didactiques,
classer les systèmes employés, leur donner des noms et
leur imposer des définitions, ils admettent, du moins, que les
méthodes se fondent entre elles, et que chacune possède une
élasticité suffisante pourse plier aux exigences des arbres.
Sous l'empire de cette idée, nous avons, clans les quatre
premiers chapitres, attaché la plus grande importance à tout
ce qui concerne la vie de nos essences ligneuses. Les données
qui vont suivre, et surtout le sens forestier du sylviculteur,
suffiront, dès lors, à lui tracer sa ligne de conduite.
Nous étudierons successivement :
1°. Le régime delà futaie : futaie régulière, futaie jardinée.
k2°. Le régime du taillis simple : taillis simple régulier, taillis
fureté.
3°. Le régime du taillis sous futaie.
4°. Les améliorations possibles en toutes situations.
CHAPITRE VI
LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT
ARTICLE PREMIER
LA FUTAIE RÉGULIÈRE
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — La régé-
nération. — Procédé par coupe unique. — Procédé par coupes suc-
cessives . — Soins culturaux. — Application aux principales essences.
Principe de la méthode. — On se propose pour but :
1° d'assurer la régénération complète et naturelle de la
forêt en essences appropriées au sol et au climat, et de créer
une suite de peuplements uniformes, d'âges gradués et d'une
composition déterminée à l'avance;
2° de profiter de cet état régulier pour améliorer la situation
des peuplements en croissance.
Avantages et inconvénients. — L'irrégularité première
qu'affectent, en général, les fourrés et les gaulis est favorable
à leur végétation ; car, en-dessous de l'étage dentelé, formé
par les sujets les plus forts, se maintiennent des tiges retarda-
taires et surcimées, dont le grand nombre augmente la densité
du massif. Le sol, hermétiquement couvert, se maintient dans
les meilleurs conditions de fertilité pendant toute la période
de jeunesse qui précède la formation de la haute futaie.
L'état uniforme, le plus souvent acquis vers la dimension
de bas perchis, permet d'intervenir efficacement pour donner
aux sujets d'élite les soins culturaux convenables. En favori-
sant l'élagage naturel, il augmente aussi la production du bois
d'œuvre : les arbres prennent une forme régulière et allon-
gée, leur bois reste généralement sain. Au point de vue de
la qualité, la longueur exagérée des fûts, qui accompagne
l. \ FUTAIE Itl (.1 LIERE.
183
une faible épaisseur des couches ligneuses, est plus ou moins
avantageuse suivant les espèces : excellente pour les sapins
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(fig. 48), les épicéas, les pins, — bonne pour les hêtres, —
parfois moins désirable pour les chênes.
Enfin, la futaie régulière assure la mise en ordre des forêts,
184 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
le rapport soutenu, la facilité des exploitations et l'exactitude
dans la comptabilité et le contrôle.
Par contre, cette forme présente certains dangers, dont l'im-
portance est atténuée ou aggravée par la composition des
massifs. C'est ainsi que, dans les peuplements purs, la haute
futaie, souvent réduite à un seul étage, s'achemine plus ou
moins vite, suivant le sol, le climat et les essences, vers l'état
incomplet qui caractérise la vieillesse. Le feuillage s'éclaircit,
la couverture se dégrade, le sol se tasse, se durcit et là préci-
sément où il va être appelé à recevoir les semences. De plus,
ces massifs sont exposés à être renversés par les ouragans,
ou encore écrasés par la neige, qui s'accumule en grande
masse sur la surface horizontale de leurs cimes. Enfin, chaque
sujet présentant les mêmes conditions d'âge et de végétation
que ses voisins, ils offrent à l'invasion des insectes des milieux
identiques et, partant, favorables à leur multiplication.
Dans les forêts mélangées, ces inconvénients sont en partie
atténués; mais d'autres soins sont nécessaires, car ils exi-
gent l'intervention continuelle du forestier pour maintenir
l'équilibre entre des espèces de tempéraments différents.
En tout état de choses, cette période de régénération, qui
marque la fin d'un massif et le commencement d'un autre,
constitue un véritable temps de crise, pendant lequel une
imprudence ou un accident de force majeure peut compro-
mettre l'état boisé.
En résumé, les allures des futaies régulières sont entière-
ment artificielles : les peuplements d'un seul âge ne se créent
jamais spontanément que sur des espaces restreints, où la na-
ture les a jetés au hasard, en un jour de colère ; ils ne se per-
pétuent dans cette forme que grâce à l'intervention de l'hom-
me et à l'aide de soins incessants. Aussi, bien qu'on doive
toujours tenter de s'en rapprocher le plus possible, à cause
des avantages incontestables qu'elle présente, sera-t-il prudent
de ne la rechercher dans toute sa rigueur que si les agents
naturels de la production peuvent se plier à toutes les
exigences qu'elle comporte.
La régénération. — La régénération naturelle d'une futaie
se réalise par trois sortes d'opérations consécutives :
LA FUTAIE RÉGULIÈRE,
is:>
1° le desserrement des cimes, qui favorise la mise à fruits
des porte-graines ;
2° la destruction du sous bois et le relèvement du couvert,
qui permettent au sol de recevoir la lumière et la chaleur
nécessaires à la germination des graines et à l'évolution des
semis;
3° la mise en état du sol, qui doit être assez meuble pour
que les graines s'y enterrent légèrement et surtout que les
racines des jeunes plants puissent y pénétrer.
Le desserrement des cimes est plus ou moins intense suivant
les cas; il peut aller jusqu'à l'isolement complet.
La destruction des sous bois consiste dans l'enlèvement de
toute la végétation basse : sujets dominés ou morts bois. Le
relèvement du couvert s'obtient par la coupe ou l'ébranchage
des sujets dont le feuillage descend près du sol : les hêtres,
les charmes surtout, sont le plus souvent dans ce cas.
La mise en état du sol est inutile si le terreau et la couver-
ture morte sont normalement constitués. Cette situation heu-
reuse peut exister dans les forêts dont le pâturage est proscrit,
quand on y a observé le respect des sous bois jusqu'à l'épo-
que de la régénération. Mais, souvent aussi, le sol est trop
tassé, ou bien une couverture vivante fait obstacle à l'instal-
lation des semis ; il faut alors intervenir.
Pour les semences lourdes, il suffit de remuer la couche
superficielle du sol avec une charrue spéciale (1), ou simple-
ment à la houe. L'opération se fait en automne, après la chute
des glands et des faines. Ces « crochetages », d'un usage cou-
rant dans les futaies de l'ouest de la France, où ils produisent
les meilleurs effets, coûtent une dizaine de francs par hec-
tare.
Quand il s'agit de graines légères, on détruit, avant leur
chute, la couverture vivante (herbes, bruyères, myrtilles,
mousses), ou bien on rompt la couverture morte trop épaisse
(aiguilles d'épicéa, feuilles de hêtre) par les moyens les plus
économiques dans la localité. Ces enlèvements se font tantôt
sur toute la surface, tantôt sur des bandes alternes, de 0m,60 à
(1) Dubois, Travaux de reboisement exécutés à la chai^rue forestière
dans le Blésois. Blois, irnpr. Lecesne, 1862.
186 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
0m,80 de largeur, séparées par des intervalles incultes de 1 à
2 mètres. Mais, en toute circonstance, l'essentiel est de limiter
les effets de la culture à quelques centimètres au-dessous de la
surface, de façon à ne pas enfouir la couche de terreau en la
mélangeant avec la terre minérale des zones plus profondes ;
car c'est seulement lorsque les semences sont en contact
immédiat avec l'humus, qu'elles germent et se développent
assez promptement pour résister à la chaleur et à la séche-
resse de l'été.
Parfois, dans les pentes exposées àl'ouest ou au midi, la super-
ficie est dégradée à ce point que toute régénération naturelle
ou artificielle y serait impossible. On peut améliorer la
situation à peu de frais, en ouvrant une série de petits fossés
disposés horizontalement en la forme de gradins. Les feuilles
mortes s'accumulent au fond de ces rigoles, l'humidité s'y
conserve, et il se forme une couche fertile, dans laquelle le
semis naturel prend à la longue.
On peut aussi, dans certains cas, recommander l'exploita-
tion par extraction de souches, qui ameublit le sol par places.
Enfin, dans les régions où l'habitude du panage s'est con-
servée, on a souvent recours à l'introduction des porcs. Mais
cette pratique doit toujours être considérée comme un moyen
de culture, et non comme un profit; car les produits de la
glandée peuvent être entièrement dévorés parles hardes qu'on
laisserait séjourner à jeun dans les coupes.
Nous ne saurions trop insister sur l'utilité de ces travaux
de mise en état du sol. En les négligeant, on s'expose à
attendre indéfiniment une régénération que quelques coups
de pioche eussent suffi à provoquer.
Nous conseillerons d'ailleurs de ne pas hésiter à recourir
à la régénération artificielle quand, logiquement, celle-ci s'im-
pose, c'est-à-dire toutes les fois que les porte-graines sont en
nombre insuffisant, toutes les fois que des gelées printanières
répétées ou une cause accidentelle quelconque entravent
manifestement l'intallation du semis. Il vaut mieux, en pareil
cas, réaliser les bois exploitables avant qu'ils se dégradent, et
reboiser par un des procédés que nous indiquerons dans le
chapitre VIII.
l \ FUTAIE RÉGULIÈRE. 187
Enfin, la régénération par la semence et l'éducation des
arbres en massifs uniformes pendant de longues années donnent
inéluctablement l'avantage aux essences les mieux appropriées
au sol et au climat I ; à l'instar du hêtre, celles-ci éliminent
toutes les autres. Si doue on préfère cultiver des espèces plus
précieuses, mais moins bien armées pour la lutte, eu égard à
la station, il faut adopter un autre mode de traitement : le
taillis sous futaie, par exemple, où des recépages fréquents
donnent plus de puissance à l'intervention du sylviculteur. Il
est illogique de vouloir marcher à l'encontrc de cette loi na-
turelle. Nous avons vu quelquefois, avec regret, des régénéra-
tions en hêtre sur des terrains peu profonds de l'oolithe, qui
ne demandaient qu'à prendre leur essor, et que l'on sacri-
fiait à l'espoir chimérique de leur substituer le chêne. Avec
un pareil système, on dépense beaucoup d'argent, pour
obtenir, en fin d'opération, des fourrés d'aubépine ou de cor-
nouiller.
La régénération d'une futaie régulière peut se faire par
coupe unique, oupar coupes successives.
Procédé par coupe unique. — Ce procédé consiste à
exploiter systématiquement, en une seule fois, fout le ma-
tériel existant sur les surfaces à rajeunir, et à confier à la
nature le soin de régénérer celles-ci par l'apport des graines
provenant, soit des peuplements voisins, soit de quelques
arbres réservés dans l'enceinte parcourue. En deux mots, la
coupe unique est, pour la nature, une sorte de mise en de-
meure de procéder à la façon du malheureux qui ramasse un
chiffon quelconque pour rapiécer son vêtement en lambeaux;
elle prend une essence au hasard, la première venue, pour
cacher la nudité du sol brutalement découvert. Ceci explique
les bigarrures des vieilles futaies dont l'origine remonte à
ce traitement. Ici, le hasard a favorisé le chêne; plus loin,
le hêtre ou le charme sont à l'état pur; parfois encore, un
champ de bruyères a succédé aux bois tendres et appelle la
régénération artificielle en pins. L'ensemble constitue ces
(1) Exception peut être faite pour le sapin, qui, grâce à son abondante
fructification et surtout à son tempérament d'ombre, est envahissant,
même dans des stations où il n'existe pas spontanément.
lOO LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
« futaies irrégulières », dont parlent Lorenlz et Parade.
Que l'exploitation soit faite à blanc étoc ou à tire et aire (1),
la coupe unique ne peut être appliquée méthodiquement
aux essences à graines lourdes ; car, si le semis de ces espèces
n'existe pas avant l'opération, il ne se formera plus après.
En effet, le sol dénudé se dégrade rapidement et ne se couvre
que d'espèces à graines légères, de telle sorte que le jeune
peuplement formé n'aura aucune ressemblance avec celui
qui l'a précédé.
Même dans les circonstances les plus favorables, c'est-à-
dire quand, au moment de son passage, le sol est garni de
semis préexistants des essences à cultiver, la coupe rase n'est
pas mieux justifiée :
1° parce qu'elle entraîne le développement de l'espèce
unique dont le semis existe au moment où on vient découvrir
le sol et donne ainsi naissance à des peuplements purs fgéné-
ralement d'essences d'ombre) ;
2° parce que les semis préexistants disparaissent en grand
nombre sous l'influence d'une trop brusque exposition aux
agents atmosphériques (insolation, sécheresse, gelée) ;
3° enfin, parce que l'exploitation et l'enlèvement d'un
matériel considérable sur des surfaces restreintes, fatigue le
semis au point de compromettre son existence.
L'emploi de la coupe unique reste donc limité à la régé-
nération des espèces à graines légères. Encore faut-il que
cette condition soit accompagnée de certaines circonstances
favorables : en montagne, par exemple aux grandes altitudes
et sur les points où la violence des vents empêche d'utiliser
une méthode plus perfectionnée. En ces stations, le nombre
des espèces est très restreint; les arbustes et les arbrisseaux
faisant à peu près défaut, le sol dénudé ne se couvre que
(1) La coupe unique a été appliquée à toutes les futaies feuillues de
l'Ile de France, de la Normandie et du Berry, en exécution de l'Ordon-
nance de 1669. Ces forêts étaient exploitées par contenance, de
proche en proche et à tire et aire, avec reserve d'un certain nombre
de porte-graines (20 par hectare) ; en même temps, on imposait l'obli-
gation de ne jamais revenir en arrière pour faire des coupes d'amélio-
ration ou autres, et de répandre une certaine quantité de graines sur les
parcelles récemment exploitées.
LA PUTAIB aBGULlÈRB, 189
d'herbes grêles et peu touffues, nu milieu desquelles les
graines ailées des mélèzes, des épicéas, des pins de montagne,
provenant des massifs voisins, s'installent en plein découvert.
Pour faciliter leur régénération, ces coupes blanches son!
disposées par bandes longues et étroites, et marchent à la
rencontre des vents dominants. On cherche également à les
établir dans la direction de la ligne de plus grande pente,
plutôt que suivant l'horizontale; enfin, il est toujours pru-
dent de réserver à la limite supérieure de la forêt une zone
d'abri intacte. On doit d'ailleurs renoncer à cette méthode
partout où les pentes sont très raides.
Quoiqu'il arrive, la régénération ne s'obtient qu'assez len-
tement et, souvent, on est obligé de la compléter artificielle-
ment. Pour obvier à cet inconvénient, on 'a proposé de dis-
poser les coupes par bandes alternées, dont les unes sont
rasées et les autres conservées en massif plein ; les bandes
nues, mieux abritées et recevant la graine des deux côtés à
la fois, auraient ainsi plus de chances de se régénérer. Nous
connaissons dans les Alpes des couloirs d'avalanche qui
simulent à merveille des coupes par bandes et qui se gar-
nissent de semis. Mais, s'appuyer sur ces résultats acciden-
tels pour ériger la chose en système de régénération, nous
paraît bien imprudent, d'autant plus que les bandes de mas-
sifs demeurés debout sont à la merci des ouragans.
Où la coupe unique donne, au contraire, des résultats à
peu près certains, où elle semble d'une application logique et
recommandable, c'est dans les stations chaudes des plaines
girondines et provençales, lorsqu'on a affaire à des essences
de lumière, et portant régulièrement de la graine, comme le
pin maritime et le pin d'Alep. 11 suffit d'exploiter le massif
à blanc, en automne, avant la dissémination des graines; les
cônes se détachent en ce moment et, si l'on prend la précau-
tion d'activer l'exploitation et la vidange, de manière que le
parterre soit débarrassé avant la germination des graines, on
voit le sol se garnir d'une quantité de jeunes plants suffisante
pour assurer la régénération. Ces jeunes sujets sont doués
d'une végétation assez rapide pour s'élever en même temps
que le fourré des morts bois qui les enserre de toute part.
190 LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
Dans les pignadars du Sud-Ouest, les cônes des arbres
exploités jonchent le sol et le couvrent de graines qui germent
bientôt ; souvent, d'ailleurs, on laisse debout pendant deux ou
trois ans quelques pins épars, analogues aux anciennes réser-
ves prévues par l'ordonnance de 1669, et qui complètent
l'ensemencement.
Procédé par coupes successives. — La méthode des cou-
pes successives offre beaucoup moins d'aléa. Au lieu d'enle-
ver en bloc tout le matériel sur pied (fig. 49) dans une par-
celle donnée, on le réalise par fractions de telle sorte que le
nouveau peuplement s'installe sous l'ombrage et se substitue
graduellement à l'ancien. Ces opérations de régénération
portent les noms de coupe cl ensemencement , coupes secon-
daires et coupe définitive.
Gomme son nom l'indique, la première a pour but de favo-
riser l'ensemencement, en provoquant la production des
graines et en mettant le sol en état de les recevoir avec uti-
lité (fig. 50).
Si l'on tient compte de l'état superficiel du sol, de la fécon-
dité locale des espèces et de la rigueur du climat, cette pre-
mière coupe peut être faite tantôt sombre, tantôt espacée.
La coupe est sombre, dit M. Bagnéris (1), quand les branches laté-
rales des cimes des réserves se touchent lorsqu'elles sont agitées par
le vent.
Dans la coupe espacée, l'intervalle entre les cimes peut aller de 2 à
j et 6 mètres.
La coupe ombre est celle qu'on a le plus souvent l'occasion d'appli-
quer; elle est nécessaire toutes les fois que la semence est lourde et
s'écarte peu du pied de l'arbre qui l'a produite, que le tempérament du
jeune plant est délicat, que le sol est exposé à s'enherber fortement
ou à se dessécher, qu'on opère sur les lisières des forêts ou dans les
endroits exposés aux vents.
Quant aux porte-graines, il est évident qu'il faut les conserver
parmi les pieds les plus vigoureux, ceux à fût élevé et dont la cime est
largement développée. On doit, avant tout, s'attacher à une égale
distribution du feuillage et non à la régularité de répartition des tiges.
Pour que la régénération soit suffisante à tous égards, il
suffit que les espèces à cultiver soient représentées par quel-
(1 Bagnéris, Manuel de sylviculture, 2" édition. Nancy, 1878.
1 \ FUTAIE Itl'ci -J.1KHF. 191
ques plants au mètre carré, pourvu qu'ils soicni uniforme'
Fig\ 49. — Vieille futaie de chênes, canton des Clos, dans la forêt de
Bercé (Sarthe). D'après une photographie de M. Couturier, photo-
graphe au Mans.
ment répartis, Ce résultat obtenu, il est inutile de refuser
plus longtemps au jeune semis la lumière dont il a besoin ;
192 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
on juge d'ailleurs de son état de gêne à la pâleur de son feuil-
lage et à la faible longueur de ses pousses.
Le moment est venu de faire les coupes secondaires. A cet
effet, on désigne pour être abattus un certain nombre d'arbres,
choisis parmi ceux qui recouvrent les semis les plus complets
et les plus vigoureux: les plus gros sont généralement les
plus nuisibles; on laisse mieux garnies et tout à fait intactes
les places insuffisamment ensemencées ou celles qui sont
peuplées de sujets trop jeunes (fîg. 51), pour éviter à ceux-ci
les insolations trop brusques, le dessèchement du sol et les
accidents de gelée (1).
Ces extractions se font avec une lenteur mesurée par la
rigueur du climat, la fertilité du sol et le tempérament des
essences.
Les circonstances fussent-elles aussi favorables que pos-
sible, on serait toujours amené à faire les coupes en plusieurs
fois, afin d'épargner au jeune semis la fatigue considérable
qui serait la conséquence de l'enlèvement d'une trop grande
quantité de produits sur des espaces restreints.
Sous l'influence de ces coupes secondaires successives, le
semis participe progressivement à la lumière ; il s'installe et
grandit. En même temps s'opère le mélange naturel. Après
les espèces sociales installées les premières, les formes dis-
séminées, dont la graine légère vient des massifs environ-
nants, apparaissent à leur heure, au fur et à mesure que le
découvert fait naître sur le sol les conditions favorables au
tempérament de chacune d'elles. Quel que soit l'avenir réservé
à ces régénérations de hasard, elles jouent, comme rem-
plissage, un rôle des plus utiles et hâtent la formation du
fourré.
On conduit ainsi le peuplement jusqu'au moment où,
passant au gaulis, il n'a plus à redouter ni le plein soleil, ni la
sécheresse, ni la gelée. Alors la coupe définitive lui donne
un libre essor. Celle-ci fait disparaître les derniers représen-
tants de l'ancienne futaie. A proprement parler, elle n'est que
la dernière des coupes secondaires ; car elle n'enlève ni plus,
(1) Les arbres d'abri : 1° diminuent l'intensité du rayonnement noc-
turne; 2° empêchent un réchauffement trop brusque après la gelée.
i\ FUTAIE RÉGULIÈRE,
93
DÎ moins de matériel, elle ne donne ni plus, ni moins de
lumière que ne le fait chacune de ces exploitations relative-
ment à celle qui l'a précédée (l).
Fig. 50. — Coupe d'ensemencement dans une futaie de chênes, forêt de
Bercé (Sarthe). (Photographie de M. P. Galland.)
Remarques générales. — 1° Suivant les circonstances, il
faut compter qu'il s'écoulera de 10 à 25 ans entre la~coupe
(1)' Au point de vue économique, il serait souvent désirable de laisser
surjpied, après le passage"de la coupe définitive, des chênes de végé-
BOPPE et JOLYET. 13
J94 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
d'ensemencement et la coupe définitive. La durée de cette
période sera plus longue chez les essences d'ombre (sapin,
hêtre) que chez les essences de lumière (pin sylvestre, chêne) ;
— plus longue dans les peuplements mélangés que dans les
peuplements purs; — sous les climats rudes que sous les cli-
mats doux; — sur les points exposés aux gelées prin-
tanières que sur ceux où ces dangers ne sont pas à redouter.
2° Dans les sols médiocres, superficiels, dans les hautes
stations, les coupes d'ensemencement devraient être faites
moins sombres à cause de la rareté des années de semence,
de la moindre fertilité des arbres et aussi de l'enchevêtre-
ment des racines de la vieille futaie, qui dessèchent superficiel-
lement le sol et ne laissent au semis aucune place disponible
où il puisse s'installer. Mais ces coupes trop claires auraient
l'inconvénient de dégrader davantage la surface ; aussi est-il
préférable de procéder par petites trouées, disposées de
loin en loin, en choisissant les places où il existe déjà du
semis. Le passage des coupes secondaires augmente l'étendue
de ces découverts, au fur et à mesure que les jeunes brins
naissent sur leurs bords ; à la longue, les semis se rejoignant,
la surface entière est régénérée. Ce moyen est également
recommandable pour obtenir un mélange naturel.
3" La méthode par coupes successives donne naissance à
des semis, qui se présentent sous forme de taches d'autant
plus inégales en hauteur que la période de régénération aura
été plus longue. Cet état, au lieu d'être nuisible, est plutôt
avantageux puisque, tout en favorisant les mélanges, il
donne plus de densité au peuplement et augmente sa force
de résistance contre la neige, le givre ouïe verglas. D'ailleurs,
ces inégalités s'atténuent avec l'âge et disparaissent avant
l'état de haut perchis.
Les soins culturaux. — Le plus souvent, il y a lieu de
commencer les dégagements de semis pendant la durée même
tation vigoureuse, qui acquerraient, clans la suite, des dimensions
exceptionnelles. L'expérience a malheureusement montré que ces
arbres se dégracient presque toujours aussitôt après leur isolement,
et qu'il faut les réaliser à bref délai. En tout cas, la question ne se
pose que pour les essences de lumière à bois parfait distinct et de
grande valeur, comme le chêne.
I \ I ITMi: HLC.ri.lKHB.
195
de la période de régénération, dès les premières années qui
suivent la coupe d'ensemencement. <>n les répète aussi sou-
vent qu'il est nécessaire, jusqu'à ce que les tiges des espèces
à cultiver soient généralement dominant es; il doit en être ainsi
vers L'époque du passage de L'étal de gaulis à celui de perchis.
Fig. 51. — Coupe secondaire dans une futaie de chênes, forêt domaniale
de Champenoux (Meurthe-et-Moselle). — A droite : espace occupé
par un semis incomplet ou peu développé, au-dessus duquel on a
maintenu des grands arbres. — A gauche :. tache de semis bien
développés, au-dess.is desquels on a fait un large découvert.
Alors la constitution générale du peuplement est acquise :
il reste à l'améliorer dans sa composition, sa consistance et le
choix des sujets d'avenir. C'est le rôle des éclaircies, étudiées
dans le chapitre V.
Application aux principales essences. — Nous donnons
ci-après le résumé succinct des opérations applicables à
celles de nos essences sociales 'qui sont susceptibles d'être
196
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
traitées en futaie régulière, renvoyant aux Chapitres II (les
essences) et III (les peuplements), pour tout ce qui concerne
leur tempérament et leurs allures forestières.
Hêtre.
Régénération. — Fruits lourds : coupe d'ensemencement
très sombre, formant un abri régulièrement réparti si la sta-
Fig. 52. — Coupe d'ensemencement et, au dernier plan, coupe secondaire
dans une futaie de hêtres, forêt de Lyons-la-Forêt, canton de Pain
d'Épices. (Photographie de M. J. George.)
tion est fertile (fig. 52), interrompu par de petites trouées si le
sol est pauvre et superficiel.
Mise en état du sol par un ratissage des couches trop épaisses
de feuilles mortes, ou par un crochetage des surfaces tassées
et de la couverture vivante (mousses et plantes diverses).
Profiter des semis préexistants (1) s'ils n'ont pas été trop long-
(1) On appelle semis préexistants des semis, — appartenant presque
toujours à des essences d'ombre, — qui s'installent sous un massif
préalablement à toute coupe de régénération.
CHENE ri R.
[91
temps dominés; attendre patiemment que les faînées partielles
complètent les régénérations insuffisantes au début.
Coupes secondaires 1res prudentes, au nombre de quatre ou
cinq, Limitées chacune à l'enlèvement d'un arbre sur trois ou
quatre avec retour tous les cinq à six ans. On sait, en effet, que
les jeunes hèlres supportent aisément un couvert prolongé.
Dégagement de semis. — Le hêtre se défend contre les
semis de toutes les autres grandes essences. Parfois, des déga-
gements peuvent s'imposer pour le protéger contre l'envahis-
sement des rejets, des morts-bois et des ronces.
Eclaircies. — Le hêtre se plaît en massif très serré. La
première éclaircie n'est nécessaire qu'une fois l'état de bas
perchis bien aftirmé. De ce moment, jusqu'à l'âge de
cent ans : eclaircies tous les dix ans, à faire très prudentes,
pour favoriser l'élagage naturel et éviter les ronces. A partir
de cent ans, ne plus les répéter que tous les quinze à vingt
ans.
Respect absolu de l'étage dominé ; enlèvement systéma-
tique des sujets tarés ou branchus qui ne paient pas la place
qu'ils occupent.
Chêne pur.
Régénération. — Fruits lourds: coupe d'ensemencement
sombre, dont l'abri sera toujours régulièrement réparti.
Nettoiement radical du sol, excepté, pourtant, dans les
régions où les années de semence sont rares ou très rares;
on attendra, en pareil cas, pour faire l'opération, que la glan-
dée soit certaine. Partout et toujours, crochetage au moment
de la chute des glands.
Le semis général ne peut être que le produit d'une glandée
complète, les résultats partiels disparaissant sous un couvert
prolongé (1). Dès qu'on juge la régénération acquise, procé-
der aux coupes secondaires. Les faire d'autant plus intenses
(1) Souvent, les jeunes semis de chêne, dont la tigelle semble morte,
conservent, dans les régions avoisinant le collet de la racine, une vita-
lité suffisante pour émettre des rejets qui s'élancent à nouveau des
que la lumière leur parvient. Aussi dit-on que les jeunes chênes se
recèpent sous le couvert.
198 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
que les gelées printanières sont moins à craindre; à chaque
passage, prendre un arbre sur deux ou trois, en évitant d'a-
battre trop de matériel à la fois.
Dans la région girondine, une coupe secondaire, ou deux
au plus, précèdent la coupe définitive ; dans celle du Centre
et de l'Ouest, deux ou trois sont nécessaires. Enfin, dans le
Nord et l'Est de la France, on doit procéder plus lentement,
pour éviter les accidents de gelée et pour permettre aux
essences de remplissage de combler les lacunes d'une régé-
nération trop souvent incomplète.
Dégagements de semis. — Ils sont presque toujours
indispensables (sauf peut-être dans la région girondine). Leur
nécessité s'impose partout où la rareté des années de semence
permet aux morts bois et au hêtre de s'installer avant le chêne.
Eclaircies. — Jusqu'à l'état de bas perchis le chêne pur
peut former des massifs assez denses. Mais, à partir de cette
époque, les tiges demandent à être desserrées : dès qu'on les
voit se couvrir de gourmands, on peut être certain qu'elles
souffrent et qu'il faut intervenir. Alors, procéder hardiment
en faveur des tiges d'avenir qui s'affirment ; revenir tous les
dix ans, et même plus souvent, jusqu'à l'état de haut
perchis ; enlever les chênes dominés, qui sont voués à une
mort inévitable, mais respecter tous les sous-bois de hêtre
ou d'essences diverses qui peuvent exister. Il suffit de par-
courir tous les vingt ans les hautes et les vieilles futaies.
Chêne et hêtre mélangés.
Régénération. — Opérer comme ci-dessus, mais en ayant
soin, de toute nécessité, d'installer le chêne le premier; à cet
effet, traiter les semis préexistants de hêtre comme des morts
bois: les couper, ou mieux les arracher. Le chêne ayant pris
possession du terrain après une bonne glandée, permettre
seulement au hêtre de combler peu à peu les vides.
Donner à une même coupe secondaire une intensité
variable suivant l'espèce à favoriser sur un point donné : la
faire plus intense là où l'on veut du chêne, plus timide sur
les places réservées au hêtre.
V \l'l\.
11)0
Dégagements de semis. — Os opérations sont toujours
indispensables pour protéger le chêne contre !«■ hêtre el les
rejels envahissants.
Éclaircies. — Kllcs sont laites en forme d'éclaircies-déga-
gements, et répétées tous les quatre à cinq .m- dans les gaulis
et les bas perehis, sans jamais dépasser dix à douze ans, quel
que soit l'âge du massif.
Ces soins culturaùx sont bien simplifiés si Ton établit un
mélange par compartiments. Il suffit alors de protéger le chêne
sur les bords des placeaux où il vit à l'état pur, tout en béné-
ficiant de l'avantage d'une association avec le hêtre.
Une excellente pratique, indispensable même dans les futaies
de chêne conduites au-delà de deux cents ans, est la création
d'un sous-étage de hêtre sous les chênes arrivés à l'état de
haut perehis.
Sapin.
Régénération. — Essence d'ombre, habitant, en outre,
des stations exposées au vent : coupe d'ensemencement très
sombre.
S'il y a lieu, détruire la couverture vivante (herbes, myr-
tilles, bruyères) et mettre le terreau à nu par bandes. Inutile
de recéper les morts bois feuillus (sureaux, coudriers, etc.)
qui envahissent fréquemment le parterre des coupes; car
avec le temps, le sapin s'installera sous leur couvert devenu
moins épais, dans l'excellent terreau formé par leurs détritus.
Utiliser les semis préexistants dont l'avenir ne paraît pas com-
promis.
Commencer les coupes secondaires quand le sapineau est
verticillé, c'est-à-dire âgé de six à huit ans. Les conduire avec
lenteur. Dans la crainte des chablis, il est permis, aux gran-
des altitudes, où les insolations sont moins à craindre, de lais-
ser la régénération s'installer solidement, puis, après dix à
douze ans, de passer sans transition à la coupe définitive.
Quand la régénération se fait attendre, ou parait aléatoire,
procéder par trouées prudentes, ou par bandes qui pro-
gressent du périmètre vers le centre du massif.
"2(>0 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Dégagements de semis. — Le jeune sapin arrive, en
général, à percer, par ses seuls moyens, des fourrés épais de
hêtres ou de morts bois. Néanmoins, afin d'éviter que les
sujets dominés soient déshonorés par la perte de leur flèche,
il est toujours utile d'intervenir par des dégagements de semis
sobres et, par suite, peu coûteux.
Éclaircies. — Bien que, par son tempérament, le sapin
accepte de vivre en massifs très denses, les éclaircies sont du
plus haut intérêt. Très délicates à conduire dans des peuple-
ments mal dirigés au début, elles deviennent faciles si l'on
a toujours eu soin de respecter scrupuleusement les sujets
dominés. Dans ces éclaircies, enlever avant tout les arbres
champignonnés, chaudrorînés ou mal conformés ; adopter les
mêmes périodicités que pour le hêtre.
Le sapin peut, à la rigueur, être traité à l'état pur dans les
régions moyennes de son aire. Mais, sur les limites de celle-ci,
un mélange rationnel avec les essences qui le précèdent ou
qui le suivent est indispensable.
Aux altitudes basses, le hêtre s'impose. Aux altitudes
élevées, cette essence donne des produits dont la valeur mar-
chande est des plus médiocres ; d'autre part, étant, en
pareille station, bien plus souvent fertile que le sapin, elle
devient envahissante; aussi, sans la proscrire systématique-
ment, semble-t-il indiqué de donner dans le mélange, — au
besoin par voie artificielle, — une large part à l'épicéa, comme
cela se présente spontanément dans le Jura et dans les Alpes.
Dans l'un et l'autre cas, la conduite des exploitations sera
modifiée pour tenir compte des exigences du nouveau venu.
Épicéa.
Régénération. — Semence ailée : coupe d'ensemencement
assez claire; toutefois, les chablis étant à redouter, il vaut
mieux procéder par trouées éparses, en enlevant trois ou
quatre arbres sur le même point.
Le ratissage par bande de la couverture vivante, et sur-
tout des couches épaisses d'aiguilles non décomposées, faci-
lite l'installation du semis.
I PI( I \
J(M
Fig. 53.— Épicéas de Gilley Doubs;, 1892. — Arbres atteignant
50 m. de hauteur. (Photographie de M. Thiollier.)
202 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Dans la haute montagne, les jeunes épicéas supportent
assez bien le couvert des grands hêtres, moins nuisible
qu'en plaine par suite de la petitesse du limbe des feuilles ;
mais il faut extirper les semis préexistants de cette espèce,
quand ils couvrent les parcelles à régénérer. Il n'en est
pas de même des arbustes, dont la présence ou l'apparition
n'ont rien d'inquiétant : « La régénération, dit M. l'Inspec-
» teur Guinier (1), est médiate et indirecte, quand elle a
» lieu lentement et seulement avec l'intermédiaire de phases
» diverses de végétation, c'est-à-dire après l'occupation suc-
» cessive du sol par certaines plantes herbacées ou arbo-
» rescentes.... Il ne faut donc pas considérer l'avenir
» comme compromis et la forêt comme ruinée parce que la
» régénération immédiate et directe n'est pas obtenue et que
» le sol est envahi par cette végétation appelée bien à tort
» parasite. Au contraire, c'est une végétation auxilliaire... »
A l'appui de celte théorie, rappelons certains cantons du
Jura, où le massif, détruit par la tempête, a fait place à une
végétation herbacée, puis frutescente, au milieu de laquelle
sont nés, comme troisième stade dans la régénération de la
forêt, de nombreux épicéas, qu'il n'y a plus maintenant qu'à
dégager du fourré.
Une fois le semis installé, le découvrir rapidement, afin de
le soustraire aux funestes effets de la coupe définitive brutale
toujours subordonnée au caprice des ouragans. Si l'on a pro-
cédé par trouées, les coupes secondaires élargiront les pre-
miers vides et en créeront de nouveaux.
Dégagements de semis. — La lente croissance de l'épicéa
pendant sa première jeunesse rend ces opérations très utiles.
A l'occasion, respecter les sorbiers, dont le couvert léger
n'est point gênant, et dont les fruits attirent toute une popu-
lation d'oiseaux, qui font la guerre aux insectes si dangereux
dans de pareilles forêts.
Éclaircics. — L'épicéa ne prend les belles formes cylindri-
ques et élancées qui font sa valeur (fig. 53), que si l'élagage natu-
rel fonctionne régulièrement. Contrairement au sapin, il meurt
(1) E. Guinier, Traitement de V épicéa dans les Alpes, Saint-Jcan-de-
Maurienne, 1896.
m i ; il /i .
•ur.i
dès qu'il est dominé. Dos lors, faire de bonne heure des éclair-
oies très prudentes, mais Bouvenl répétées. Profiter de leur
passage pour enlever lous les arbrea tarés ou dépérissants, qui
favorisent la multiplication des insectes et deviennent des
l'o\ ers d'invasion.
A tous ces points de vue, il est avantageux de mélanger
l'épicéa avec le sapin et le hêtre (1), ou de lui constituer un
sous bois de ces essences.
Mélèze.
Régénération. — Coupe d'ensemencement très claire, ou
mieux par trouées éparses, après avoir rigoureusement fermé
au pâturage les cantons à régénérer (2).
Quand le sol est trop enherbé, donner une très légère cul-
ture, en procédant par bandes de 0m,30 de largeur, séparées
par des intervalles de lm,50 à 2 mètres.
Faire une seule coupe secondaire hardie, puis la coupe
définitive, car on peut, sans crainte, laisser largement entrou-
verts les massifs de mélèze, dont l'enracinement est très
puissant.
Dégagements de semis. — Les jeunes mélèzes croissant
vite, et la végétation basse étant peu redoutable à ces hautes
altitudes, les dégagements sont peu nécessaires. Il suffit, dans
les semis très drus, d'opérer un dépressage.
Éclaircies. — Faire de bonne heure des éclaircies hardies.
Pourtant, comme le mélèze a la cime peu étalée, ne pas exa-
gérer leur intensité de façon à ne pas entraver le fonction-
nement de l'élagage naturel.
A toutes les altitudes, il est bon de favoriser le mélange du
mélèze avec d'autres espèces par crainte des maladies crypto-
(1) Dans ces mélanges, l'épicéa est toujours quelque peu dominant
par rapport aux espèces associées, ou, du moins, il les dépasse légè-
rement en hauteur. On ne peut que se féliciter d'un pareil état de
choses.
(2) Les jeunes mélèzes, dans les prés-bois alpins, arrivent pourtant,
mieux que beaucoup d'autres conifères, à se défendre contre la dent du
bétail : à la façon des genévriers ou des épines blanches, ils étalent
leurs branches basses jusqu'à ce que les animaux ne puissent plus
atteindre le centre de cette touffe, d'où s'élance une flèche vigoureuse.
204 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
gamiques, — sous cette réserve que le mélèze demeure l'es-
sence principale du peuplement.
Pin sylvestre.
Régénération. — Coupe d'ensemencement très claire, ou
par trouées. Donner une culture au sol souvent durci, tassé et
couvert de sous-abrisseaux de grande taille et envahissants
(bruyères, genêts) ; au besoin, procéder par arrachis, suivant
des bandes plutôt espacées et larges (0m,50 au minimum) que
nombreuses et étroites. On évite cette dépense, en partie tout
au moins, par l'extraction des souches des arbres exploités.
Dès que le semis est suffisant, on peutdécouvrir hardiment,
brusquement même, les jeunes pins, qui ne craignent ni le
soleil, ni les gelées. Eviter toutefois de fatiguer les régénéra-
tions par des coupes radicales.
Dans les mélanges de pin sylvestre avec le hêtre, installer
d'abord celui-ci par une coupe d'ensemencement sombre ;
plus tard les pins se jetteront en abondance dans les vides,
partout où les coupes secondaires apporteront de la lumière,
et, grâce à leur végétation rapide, ils se raccorderont facile-
ment avec ce qui les entoure.
Dégagements de semis. — S'ils ne sont que rarement
nécessaires, du moins est-il important de pratiquer des dépres-
sages toutes les fois que les semis, trop nombreux, se consti-
tuent en fourrés très denses, où l'évolution des champignons
parasites est à craindre ; ces dépressages s'imposent dans les
pineraies de création artificielle.
Éclaircies. — L'éclaircie est la base du traitement des
essences de pleine lumière, comme le pin sylvestre, dont la
cime franchement desserrée dès le jeune âge, isolée même à
partir de l'état de haut perchis, doit alors occuper au moins
le tiers de la hauteur totale du sujet. Sinon, la croissance est
ralentie, l'arbre ne forme pas de bois de cœur, prend une
forme étriquée, et devient la proie des insectes ou des cham-
pignons. Les g-aulis et perchis serrés et uniformes sont fré-
quemment aussi écrasés par la neige.
Dans les peuplements artificiels, faire la première éclaircic
PIM m UUTIMB. '2<l.')
drs l'âge de dix ans ; dans les peuplements naturels, la retar-
der quelque peu. Répéter l'opération ions les quatre à six ;ms
jusqu'à L'étal de haut pérchis, puis tous les huil à douze ans.
Les pins dominés el les sujets mal conformés, doivent être
enlevés systématiquement. Au contraire, le respect de toute
la végétation de feuillus ou de mort-bois qui protège le sol,
— la création même, sous les perchis de pins arrivés à lïige
de trente ou quarante ans, d'un sous bois de sapin, ou mieux
encore de hêtre, — ne sauraient être trop recommandés.
Pin maritime.
Régénération. — Graines ailées, abondantes ; régénération
très facile quand le sable est nu et meuble; — quand il est
tassé ou enherbé, une mise en état, par ouverture de bandes
ou par extraction de souches, assure l'ensemencement.
Procéder très hardiment aux coupes de régénération, ou
même faire une coupe unique avec une réserve de quelques
porte-graines à l'hectare.
Dans les forêts résinées (1), on gemme à mort tous les
arbres qui doivent être abattus et on les exploite, par extrac-
tion de souche, au fur et à mesure de leur épuisement.
Dégagements de semis. — La végétation rapide des
jeunes pins maritimes rend ces opérations peu nécessaires.
Éclaircies. — Les pins destinés au gemmage réclament
(!) Pour gemmer un pin à vie, on ouvre au pied de l'arbre, vers le
commencement de mars, une plaie ou carre large de 10 centimètres,
dont la profondeur ne dépasse pas l centimètre. Pendant toute la
période de végétation, le gemmier ravive cette carre, obstruée par des
dépôts de résine solidifiée et l'élève progressivement, en lui conservant
sa largeur et sa profondeur. A la fin de la première année, elle
atteint une hauteur de 55 centimètres ; à la fin de la cinquième année,
elle arrive à 3 m. 80. On l'abandonne alors, pour en ouvrir une autre
dans des conditions analogues.
Pour gemmer h mort, on ouvre à la fois un grand nombre de
carres, autant que la grosseur du sujet en comporte, de façon à sou-
tirer rapidement la plus grande quantité possible de résine à l'arbre,
qui meurt bientôt épuisé.
Dans l'un et l'autre cas, la résine est recueillie dans des pots en
terre vernissée, fixés contre la carre au niveau de sa région active
(système Hugues : page 97, fig. 28).
206 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
un état plus clair encore que les pins sylvestres : leur cime
doit être ensoleillée.
Une première éclaircie se fait à dix ou douze ans. On
revient tous les cinq à six ans, hardiment, mais sans isoler
complètement les perches avant l'âge de vingt ans, époque à
laquelle il doit rester sur pied de six à sept cents tiges à
l'hectare. De celles-ci, on gemme à mort deux cents, que
l'éclaircie enlèvera, et ainsi de suite tous les quatre à cinq
ans ; à trente ans, il ne reste sur pied que deux cent cinquante
ou trois cents tiges ; à soixante ou quatre-vingts ans : cent
cinquante ou deux cents arbres.
On commence à gemmer à vie les perchis de trente ans ;
il est bon, jusqu'à soixante ans, de laisser aux pins une année
de repos après quatre ans de résinage. Ainsi ménagée, la
pignadar peut durer cent vingt ans et plus.
Au passage des éclaircies, élaguer les branches basses
jusqu'à la hauteur qu'atteindront les carres (4m), sans plus.
Pin d'Alep.
Le pin d'Alep peut-être conduit à l'état pur, à la façon du
sylvestre. La présence d'un sous bois de buis facilite les
opérations en couvrant le sol et en permettant de donner au
peuplement le degré d'éclaircissement qu'il exige.
Souvent aussi, cette essence est mélangée avec des chênes
verts : ces derniers sont traités en taillis, et les pins, conservés
sous forme de réserves, sont enlevés, en jardinant, lors du
passage des coupes.
Pin de montagne. Pins laricios.
Nous avons vu que le tempérament de ces essences les rap-
proche beaucoup plus de l'épicéa que du pin sylvestre. Le
traitement appliqué au premier leur convient donc à tous
égards.
En ce qui concerne le pin noir d'Autriche, ajoutons que,
dans le jeune âge tout au moins, il doit être tenu en massif
assez serré, sinon les arbres prennent une forme défectueuse,
! A FUTAIE JARDIN] 'i . 207
trapue, avec des branches qui acquièrent un développement
démesuré en grosseur cl en Longueur. De préférence, enlever
dans les éclaircies les pins fourchus, qui sont parfois très
nombreux.
ARTICLE II
LA FUTAIE JARDJNÉE
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — Cas où le
jardinage doit être maintenu. — Pratique du jardinage. — Les rota-
tions. — Les soins culturauw — Application aux différentes essences,
Principe de la méthode. — Le jardinage, tel qu'il était
appliqué à toutes les forêts résineuses, en suile de l'observa-
tion des anciens règlements généralisés par l'Ordonnance de
1669, était un mode de traitement parfaitement justifié, et
qui, de nos jours encore, employé avec de légers correctifs,
présente des avantages très sérieux.
Il consistait à parcourir annuellement toute l'étendue des
forêts jardinées, en exploitant, par unité de surface, un nom-
bre d'arbres fixé à l'avance, et constituant la possibilité. Ces
arbres étaient enlevés çà et là, et choisis uniquement parmi
ceux que leur dimension ou leur mauvais état de végétation
rendaient exploitables.
Cette opération, qui constituait le véritable mode de jouis-
sance de la forêt, était accompagnée de l'extraction des sujets
morts. Tous ceux de ces bois morts, qui avaient la dimension
d' arbre (l), étaient défalqués du nombre des tiges à réaliser. On
ne tenait aucun compte des autres. En somme, tout en tirant
parti des produits sains et exploitables, on procédait au
curage de la forêt, comme il y a toujours lieu de le faire;
mais il ne faudrait pas croire que le jardinage ne donnait que
des bois en majorité tarés, loin de là.
Un semblable système a pour résultat de faire porter les
exploitations annuelles, non plus sur des peuplements recou-
vrant des espaces continus, mais sur des arbres considérés
individuellement, répartis au hasard dans toute l'étendue de
(1) Sujet ayant au minimum 1 mètre 3 pieds de tour à hauteur
d'homme.
208 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
la forêt. La régénération se fait uniquement par points et non
par surfaces, dans les endroits découverts, entourés de
toutes parts par des arbres en croissance de dimensions
variables, dont quelques-uns sont fertiles.
Dans ces conditions, la futaie jardinée revêt une forme
toute spéciale et dont on ne rencontre l'analogue dans aucun
autre mode de traitement. En effet, le peuplement jardiné,
considéré dans son ensemble, présente un mélange confus de
tiges de toutes grosseurs sur chaque unité de surface (fig. 54).
Une passe donc pas par les états de développement successifs
d'un peuplement régulier.
D'ailleurs, l'aspect d'une forêt jardinée change avec le
calibre choisi pour rendre l'arbre exploitable. Plus celui-ci
est faible, moins il y a de tiges ayant dépassé l'âge de leur
plus grand accroissement en hauteur : le nombre de celles
qui ont des longueurs différentes sera maximum, et le profil
du massif se dessinera suivant une ligne irrégulièrement
brisée. Plus, au contraire, la grosseur sera forte, plus disparaî-
tra cette forme sinueuse; car les arbres qui, ayant dé-
passé le terme de leur accroissement en longueur, élalent
leurs cimes dans une même zone de hauteur, seront alors
plus abondants ; ces sujets, grâce à leur nombre et à
leurs grandes dimensions, forment la partie principale du
peuplement et la catégorie la plus importante ; comme
arbres constitués, il sont les seuls qui frappent la vue et cela
au point que certains massifs jardines présentent l'aspect de
vieilles futaies régulières (1), à l'état plus ou moins clair.
Avantages et inconvénients. — Le profil sinueux des
peuplements jardines permet à la lumière de se projeter
sur une vaste surface foliacée, et beaucoup de tiges, bien
que dominées, sont maintenues vivantes sous l'influence
de la lumière latérale. Tous les points du sol sont ainsi
protégés par une végétation active, dont les étages se su-
perposent en donnant d'abondants détritus. En fait, mieux
que tout autre mode de traitement, le jardinage régle-
menté est à même d'assurer d'une manière permanente
(1) A distance, l'œil juge assez mal du calibre d'un arbre.
i \ FUTAIE JARDIN] i , w2<>(.»
l'entretien de la couverture morte et la fertilité de la forêt.
Les sujets les plus vigoureux, tout en continuai à appar-
tenir au massif, 8e créent une certaine individualité. Parleur
Fig. 5i. — Une futaie jardinée clans le Jura.
(Photographie de M. A Fron.)
végétation meilleure, par leur enracinement plus profond,
ils rendent la foret plus solide et plus durable. Les massifs
jardines sont moins exposés que les peuplements réguliers
aux dégâts de la neige et du vent ; ils ne présentent pas non
BOPPE et JOLYET. Il
210 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
plus un milieu aussi favorable au développement des orga-
nismes nuisibles.
La forêt entière est sans cesse en voie de végétation, et
ses peuplements, dont on ne saurait déterminer exactement
l'âge moyen, se succèdent sans crise de transition, sans à
coup, sans qu'on s'en doute, pour ainsi dire.
D'ailleurs, dans les massifs jardines, l'intensité du couvert,
variable dans le temps, diffère, par suite, à un moment donné,
d'un point à un autre d'une même enceinte et favorise l'instal-
lation, ici d'une essence, là d'une autre. Les espèces fores-
tières se succèdent donc et se mélangent avec une opportu-
nité, un à-propos, auxquels ne peuvent prétendre les procédés
factices du sylviculteur, dans le délai relativement court affecté
à la régénération d'une parcelle de futaie régulière. Enfin le jar-
dinage, dont l'organisme est simple, peut s'appliquer à toutes
les forêts, aux plus petites comme aux plus grandes, et il est
juste de constater qu'il a maintenu jusqu'à nos jours de nom-
breuses sapinières dans un état de prospérité remarquable.
Par contre, la qualité des produits laisse souvent à désirer.
Les arbres ne fournissent pas toujours ces pièces élancées, de
croissance régulièrement constante que produisent les peu-
plement suniformes.
Les exploitations portant sur de gros arbres englobés au
milieu de tiges de tous âges occasionnent à ces dernières des
dégâts importants. Leur dissémination sur de grandes éten-
dues couvertes de bois en croissance rend la surveillance diffi-
cile et le transport des produits onéreux.
Les peuplements restent ce que la nature les a faits, leur
composition, comme leur amélioration, échappent à l'action
du forestier.
La possibilité, calculée sur des bases incertaines, ne permet
pas de réaliser un rapport suffisamment soutenu, et les limites
vagues dans lesquelles flotte le capital générateur rendent la
confusion possible entre ce capital et le revenu ; d'où des
épargnes inutiles ou des abus de jouissance.
Cas où le jardinage doit-être maintenu. — Nous citerons
en premier lieu, suivant les conseils de M. Broilliard (1), les
1 Ch. Broilliard, Cours d'aménagement. Édition de 1878, p. 180.
la m r mi j \um\i i . '211
foré ta de protection, c'est-à-dire celles <>ù le maintien cons-
tant du massif est indispensable, soi! à la sécurité publique
pour prévenir les éboulements, les torrents, les avalanches,
soil à la prospérité des forêts de rendement donl elles cons-
tituent la ceinture de défense; puis toutes les forêts <»ii la
régénération se lait avec lenteur. Tantôt c'est un escarpe-
ment, une pente très déclive, où la majorité des graines
roulent entraînées par les eaux pluviales : tantôt c'est un
éboulis rocheux, où les semis ne n'installent qu'à la longue
dans les interstices des pierres, et à la seule condition que
la mousse ne soit pas desséchée par un découvert irréfléchi ;
tantôt encore c'est le climat qui rend les arbres peu fer-
tiles, le vent qui renverse les porte-graines isolés dans les
coupes successives de régénération A quoi bon prendre
la peine de fixer une révolution, d'établir des périodes,
auxquelles correspondent sur le papier des affectations, si la
nature bouleverse toutes les prévisions de l'aménagiste, si tel
canton, qui doit se régénérer d'après le procès verbal en
vingt-cinq ou en trente ans, ne se garnit qu'à la longue de
semis se développant avec une lenteur désespérante? On se
trouve conduit à prolonger la durée des périodes préalable-
ment fixée, — ce qui est contraire au principe de la méthode,
— et à conserver sur pied des sapins dépérissants, — ce qui,
fait plus regrettable, entraîne des sacrifices de matériel impor-
tants.
A cette énumération, nous ajouterons les forêts de faible
étendue, et toutes celles où l'on craint de ne pouvoir donner
les soins culturaux, dégagements de semis et éclaircies, que
comporte la futaie régulière.
D'ailleurs, il faut bien se dire que les inconvénients des
futaies jardinées peuvent être atténués. L'irrégularité théori-
que de ces forêts est moindre dans la pratique qu'on ne
pourrait le supposer. Quand un arbre est devenu dominant,
il est rare qu'il perde la situation acquise, et, si le terme de
l'exploitabilité est reculé, le peuplement prend cette forme
d'apparence quasi régulière dont nous avons parlé plus haut :
les produits qu'il fournit répondent très suffisamment aux
exigences du commerce.
212 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
La réalisation de la possibilité par volume, et surtout les
comptages et les inventaires souveni, répétés réduisent à peu
de chose les dangers du système au point de vue économi-
que; enfin, nous allons le voir, l'établissement de coupons
remédie à la dissémination des produits, signalée comme pré-
judiciable au propriétaire de la forêt, aussi bien qu'à l'acqué-
reur des coupes.
Pratique du jardinage. — L'application du jardinage
est d'une simplicité primitive, car la régénération est en gran-
de partie abandonnée à la nature. Néanmoins, si la régénéra-
tion est incomplète ou se fait trop attendre sur un point, on
lui vient en aide par la mise en état du sol, par des semis ou
des plantations. De même, un martelage bien dirigé fait
tomber de préférence les arbres âgés dont le couvert étouffe
des placeaux de jeunes semis; ailleurs, sur les points où la
lumière arrive au sol en quantité insuffisante, il rompt le
massif pour faciliter l'ensemencement. Tout en laissant faire
la nature, il n'est pas défendu de conduire intelligemment la
cognée.
Le principal soin nécessaire est de bien choisir les arbres à exploiter.
On prend de préférence, parmi les gros, ceux qui couvrent la jeunesse
et qui sont les moins bien venants. On évite de faire de larges trouées,
de dégarnir les lisières, d'isoler les arbres pauvres en branches et, par
suite, en racines. On se garde bien d'enlever les perches dominées
qui seront un jour ou l'autre des sujets de remplacement. Quand le
hêtre se trouve mélangé aux résineux, on coupe les gros hêtres, qui
s'étalent, de préférence aux sapins et aux épicéas, à moins que les
hêtres ne soient rares ou placés sur les bords du massif, auquel ils font
alors comme un manteau protecteur. (1)
Les rotations. — Les séries jardinées seront de faible
étendue, de façon à égaliser autant que possible les facteurs
de la production. Cette précaution prise, dans le but de ré-
glementer les exploitations, de faciliter le choix des arbres,
et de garantir la bonne exécution des opérations, on a imagi-
né de restreindre encore la surface annuellement parcourue,
en partageant la série en un certain nombre de divisions, dans
chacune desquelles la coupe de Tannée se trouve concentrée.
Il s'établit ainsi une véritable rotation.
(1) Ch. Broilliard, Traitement des bois en France, p. 311.
LA M i Mi JARDINES. 213
Le nombre des divisions ou coupons, qui 1 i x < * la périodi»
cité du retour du jardinage sur le mémo point, règle en môme
temps l'intensité de la coupe sur chaque unité de surface.
En effet, étant donnée une série de cent hectares, avec une
possibilité d'un arbre par hectare et par an, si la BUrfaCe
est divisée en dix coupons, dans chacun de ceux-ci succes-
sivement on réalise cent arbres, en une seule fois. Si le
nombre des coupons est réduit à cinq, la surface de chacun
se trouve doublée, et, comme le nombre des arbres à prendre
reste toujours de cent, l'intensité de la coupe est réduite de
moitié.
Ce procédé est donc un palliatif ingénieux, mais l'importance
donnée aux exploitations constitue une dérogation au prin-
cipe de la méthode. Si on augmente outre mesure le nombre
des coupons, si Ton en fait vingt, par exemple, on découvre
le sol vingt fois plus qu'on ne le doit théoriquement et l'on
s'expose à perdre les avantages culturaux du jardinage.
Pour concilier ces derniers avec les avantages économiques
du coupon, on est conduit, en tenant compte de la situation,
du climat et des essences, à faire varier la durée des rotations
entre cinq et quinze ans. En général, il faut revenir plus sou-
vent chez les essences d'ombre que chez celles de lumière,
plus fréquemment dans les sols fertiles que dans les sols pau-
vres, dans les climats doux que dans les climats rudes. Par-
fois même, dans les régions alpestres où la végétation est très
lente, on se croit autorisé à dépasser le chiffre de quinze ans.
Cela permet de réglementer le pâturage, de cantonner le
bétail dans les coupons où les semis, âgés de huit à dix ans
déjà, souffriront moins de sa présence.
Les rotations un peu longues créent, par suite des vides
qui, relativement grands au début, vont sans cesse en se
réduisant et permettent aux diverses essences de trouver l'une
après l'autre les conditions propres à leur régénération ; elles
facilitent donc le mélange.
Les coupons sont, bien entendu, établis une fois pour
toutes sur le terrain et délimités par des tranchées ou des
chemins de vidange. En outre, quelle que soit la méthode
adoptée pour le recrutement de la possibilité (volume ou
21 1 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
pieds d'arbres), la division en tour d'exploitation doit être
entièrement parcourue par la coupe ; il est facile d'obtenir ce
résultat si la taxe de chaque coupon a été individuellement
calculée, comme si ce dernier constituait une série à part.
Soins culturaux. — En principe, la futaie jardinée ne
comporte pas de soins culturaux. D'une part, en effet, la ré-
génération est supposée obtenue par les seules forces natu-
relles, ce qui supprime les dégagements de semis. D'autre
part, l'impossibilité où l'on est de distinguer les individus
appelés à jouer les rôles principaux dans le peuplement, de
ceux qui seront éternellement réduits à l'état dominé, ne
permet pas de faire des éclaircies, opérations destinées par
définition à l'amélioration des sujets d'avenir.
Cependant, quand de jeunes sapineaux luttent péniblement
pour se dégager d'un roncier ou d'un fourré de hêtres, quel-
ques coups de serpe donnés à propos peuvent être fort utiles.
De même, au passage de la hache, on coupera les perches mal
conformées qui gênent un sujet voisin de belle venue. La
différence entre ces soins culturaux et ceux qui sont en usage
dans les futaies régulières, est que, dans celle-ci, ils consti-
tuent une ou plusieurs suites d'opérations systématiques spé-
ciales et indépendantes des coupes principales. Dans le jardi-
nage, au contraire, tout se fait à la fois dans la même enceinte :
en même temps que l'on réalise les « vieux », on améliore la
situation des « jeunes ». Le passage fréquent de cette coupe à
tout faire assure un travail durable et suivi, pourvu que les
exploitations soient strictement limitées aux nécessités cul-
turales.
Application aux différentes essences. — Le jardinage
étant surtout à sa place dans les régions montagneuses, ne
trouvera son application que dans des forêts généralement
peuplées de conifères.
D'autre part, le jardinage vrai, ne convient qu'aux essences
d'ombre, et, en fait, c'est dans la sapinière qu'il a pris nais-
sance, c'est à elle seule qu'il peut s'appliquer sans réserves;
d'ailleurs, la présence du hêtre ne s'oppose en rien à l'appli-
cation d'une méthode grâce à laquelle le mélange se main-
tient en d'excellentes proportions.
LA FI TAIE J midim'i . 215
Dans |e Jura, le sapin (île à travers les hêtres, ci il esl facile de I"'
sauver. Dans les Vosges, il exige pins de précaution et de soins. Mais
partout il se tire d'affaire dans la futaie jardinée, car, à L'état dominé
comme à l'état dominant, il prime eu hauteur les hêtres voisins, et
prend ainsi la meilleure place (1).
Le propriétaire ne peut pas rêver mieux.
Quant au mélèze, bien que comportant peu l'état jardiné,
il se rencontre à de hautes altitudes, dans la zone alpine où
la plus grande prudence s'impose, quel que soit le nom du
traitement choisi. Or, le jardinage se prête à toutes les mo-
dalités, et permet au sylviculteur d'agir au mieux des inté-
rêts de la forêt. On peut, en effet, parcourir les cantons en
enlevant des arbres, toujours cà et là, mais, de préférence, en
créant de petites trouées où les semis naîtront par bouquets :
le mélange des âges s'établira non plus par pieds isolés, mais
par petits groupes plus ou moins homogènes. Les arbres qui
constituent ces forêts ont d'ailleurs assez de résistance indivi-
duelle aux intempéries et aux coups de vent pour qu'il n'y
ait pas trop de danger à entrouvrir les massifs. Sous ses
réserves, on peut jardiner le mélèze dans les Alpes, comme
le pin de montagne et même le pin sylvestre dans les Pyré-
nées et dans toute situation analogue (fig. 55). Il suffira, par
exemple, d'exploiter de ci et de là quelques arbres sur un
même point.
Pour l'épicéa, la question est plus discutable. En dehors
de la zone alpine, où le jardinage peut lui être appliqué comme
au pin et au mélèze, on sait : 1° que son semis a besoin de
lumière pour s'installer ; — 2° que plus tard, au contraire, si
l'on veut en obtenir du bois de bonne qualité, cette essence
doit former des peuplements très pleins; or, ces considéra-
tions semblent incompatibles avec le jardinage.
Nous ne pensons pas cependant devoir en proscrire systé-
matiquement l'application. Tout d'abord, il favorise d'une
manière générale le mélange des essences et ne peut être, en
particulier, nuisible à l'association sapin et épicéa. En second
lieu, dans les forêts d'épicéa pur à de grandes altitudes, les
arbres, dont les cimes se rapprochent plus ou moins de la
(1) Gh. Broilliard, loc. cit., p. 310.
216
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
forme columnaire, ne constituent, malgré leur grand nombre,
que des massifs peu serrés ; on pourra donc, sans trop se préoc-
Fig. 55. — Mélèzes et pins ccmbros à 2000 mètres d'altitude," forêt de
Villarodin Bourges, près de Modane. (Photographie de M. Thiollier.)
cuper d'une régénération qui, avec le temps, se produira tou-
jours, tantôt sur les vieilles souches, tantôt dans les clairières,
I.E TAU. US SIMPLE RÉGULIER.
217
réaliser, en jardinant, les gros bois, de préférence les arbres
sur le retour ou menacés par les hnslrirhes. La production du
sol atteignant à peine deux mètres cubes, par hectare et par
an, il faut ménager un matériel dont la croissanee est lente,
mais la qualité exceptionnelle.
On peut, à la rigueur, ranger dans les forêts jardinées les
peuplements de chêne-liège des Maures et de l'Esterel. Ces
chênes forment des massifs très clairs, ou même sont à l'état
d'arbres isolés au-dessus d'épais maquis de bruyères, de cistes
et d'autres arbustes méridionaux ; le plus souvent, ils poussent
en mélange avec les pins maritimes. Le seul produit de valeur
étant le liège, on exploitera — en jardinant — les arbres où la
levée de l'écorce sera devenue, avec l'âge, peu rémunératrice.
Pour propager l'essence précieuse, il est indispensable d'en
dégager radicalement tous les semis et de découvrir, en
temps opportun, les jeunes tiges par des extractions de pins
en forme jardinatoire. L'incendie, qui détruit les résineux,
n'atteint pas la vitalité des souches de chêne : celles-ci four-
nissent d'abondants rejets après le passage du feu; mais
ce n'est pas là un procédé de culture à recommander!
article m
LE TAILLIS SIMPLE RÉGULIER
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — Régénéra-
tion. — Soins culturaux. — Application dans les régions tempérées.
— Application dans les régions méridionales. — Applications di-
verses.
Principe de la méthode. — Quand on coupe systémati-
quement à blanc étoc, et sans y faire aucune réserve, une
surface continue, peuplée de bois feuillus susceptibles de
rejeter de souches, les peuplements se constituent en taillis
■simple régulier. La régénération est la conséquence nécessaire
de l'exploitation. Dès le printemps qui suit la coupe, le recrû,
formé de rejets et de drageons, naît sur toute la surface à
la même époque, et son ensemble représente le type le plus
parfait de peuplement uniforme.
218
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
La densité d'un taillis, eu égard au nombre des cépées,
est fonction de la révolution. Comme chacune de celles-ci se
développe avec les années, sa projection occupe d'autant plus
d'espace qu'on la laisse davantage vieillir. Par conséquent, le
nombre des centres de reproduction est d'autant plus faible,
et par suite le fourré véritable, — abstraction faite des morts
bois, — s'établit d'autant plus tard, que les révolutions sont
plus longues.
Le mode de régénération par rejets entraîne une liaison
intime entre le peuplement à venir, et celui qui va tomber
sous la hache. En fait, il n'y a pas de nouvelles individualités
créées, puisque les anciens sujets continuent leur existence
sous la forme des rejets émergeant de leurs souches mutilées.
Il y a rajeunissement plutôt que naissance d'une génération
nouvelle ; aussi, théoriquement, en dehors de la question
d'âge, ne devrait-il y avoir aucune différence entre le peu-
plement ancien et le peuplement nouveau, où les mêmes
essences se retrouvent dans la même situation.
Les seules causes de perturbation dont il y ait lieu de tenir
compte sont : la mort naturelle d'un certain nombre de sou-
ches, — l'évolution possible de drageons, — enfin l'appari-
tion de quelques brins de franc pied, provenant de semences
apportées par les vents ou par les animaux.
Avantages et inconvénients. — L'exploitation en tail-
lis simple régulier est facile et commode. Elle fournit des
produits constants. Le capital engagé reste toujours très
faible et fonctionne à un taux de placement élevé.
Les peuplements de cette forme sont peu exposés aux
dégâts des champignons et des insectes (1), non plus qu'aux
bris de vent ou de neige ; d'ailleurs, en cas d'accident, on ne
perd que la récolte et les bois en croissance : l'ensouchement
reste toujours intact.
Enfin, le taillis, dont les tiges flexibles résistent à l'arra-
chement, dont les racines nombreuses s'entrelacent dans la
partie la plus superficielle du sol, est tout indiqué pour
prévenir et corriger les ravinements.
Par contre, les taillis simples, du moins dans leur jeunesse,
(1) Un Corœbus est pourtant nuisible dans les forêts de chêne vert.
LE tau. lis si m il I : iti < ; i i.i i-:it .
219
sont Irôs exposés à l'atteinte des gelées. La première année
surtout, les rejets peuvent être arrêtée dans leur lignification
par les gelées d'automne et disparaître victimes de l'hiver, qui
les trouve mal « aoutés ». C'est, alors, une année de végétation
à peu près perdue, et si l'accident se répète plusieurs années
de suite, les souches meurent en grand nombre. Les gelées
prinlanières, quand elles sévissent fréquemment dans un can-
ton, entravent aussi la croissance des taillis, qui prennent un
aspect chélif et rabougri caractéristique; on dirait d'un abou-
tissement par le bétail. Le régime du taillis exige donc un
climat doux, une grande somme de chaleur et un temps de
végétation suffisamment long : ce qui rend son aire d'applica-
tion beaucoup plus restreinte que celle de la futaie.
En outre, le traitement en taillis, qui dénude complète-
ment les surfaces à des intervalles rapprochés et ne produit
que des bois jeunes, fatigue le sol, auquel il n'apporte
que des restitutions insuffisantes. D'ailleurs, les effets de
l'épuisement sont d'autant plus rapides que le terrain est d'une
nature plus sèche et la révolution plus courte.
L'influence des taillis sur les phénomènes météoriques est
aussi bien moindre que celle des futaies. Enfin les taillis ne
fournissent que du bois de chauffage, du charbon, des écorces,
ou du menu bois d'industrie ; encore la quantité de ces derniers
est-elle subordonnée à la longueur des révolutions.
Régénération. — Toute la méthode de régénération des
taillis simples réguliers repose sur le fait même de l'exploita-
tion. Les points essentiels à considérer, pour assurer la pro-
duction permanente des rejets, sont relatifs à l'âge de l'ex-
ploitation des peuplements, à la saison la plus favorable pour
faire la coupe et au mode d'abatage des produits, toutes
questions étudiées au chapitre ier.
Soins culturaux. — Les soins culturaux se bornent,
en général, à quelques plantations sobrement faites, pour
rétablir l'état de massif continu en bonnes essences, sur
les points clairières par la mort accidentelle d'une ou de plu-
sieurs souches.
Ces plants doivent être dégagés périodiquement en la forme
prescrite, afin qu'ils ne soient pas étouffés par la poussée des
220 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
essences inférieures. Le plus souvent, les plantations seront
rendues inutiles, si l'on prend soin de sauver les semis naturels
qui se rencontrent accidentellement disséminés, et qui pro-
viennent de semences fournies par le taillis lui-même (1), ou
par des arbres constitués, fructifiant dans les environs.
Dans les taillis simples réguliers, systématiquement exploités
à des révolutions courtes, souvent inférieures à vingt-cinq ans,
tous les sujets ont même avenir et sont appelés à une même fin
prochaine. Les cépées existent aux distances que comporte la
révolution ; elles s'étalent sans se gêner l'une l'autre. Dès lors,
si la lutte s'engage, ce n'est pas de cépée à cépée, mais de rejet
à rejet dans une même cépée. Cette lutte est d'assez courte
durée pour qu'il ne soit pas nécessaire d'intervenir; car, par-
tout où l'on n'a aucun intérêt à créer des individualités,
l'éclaircie ne se justifie pas.
Il n'en est plus de même si les révolutions atteignent ou
dépassent 30 ans. Alors une éclaircie s'impose, dans le même
esprit que celle des peuplements de futaie. Dans chaque cépée,
traitée comme une unité à part, on enlèvera, au profit des plus
belles tiges, les perches surabondantes ou tarées de l'étage
dominant, en respectant scrupuleusement tous les brins do-
minés, rabougris ou traînants, qui composent le sous étage
et lui donnent sa densité. Une telle opération est aussi délicate
à diriger qu'à exécuter; car il n'est pas toujours facile au bû-
cheron de lancer sa hache au milieu d'une cépée pour y
abattre, sans froisser les autres, le ou les seuls brins à faire
tomber.
Exceptionnellement, en sol fertile, dans un mélange de
bois tendres et de bois durs, quand les premiers sont exploi-
tables avant les seconds, on peut les réaliser en temps oppor-
tun, avant la coupe principale. Mais alors ces éclaircies, qui
sont de véritables exploitations anticipées, perdent en partie
leur caractère cultural...
Application dans les régions tempérées. — En France,
on trouve les taillis simples clans les régions méridionales
(1) Les cépées de chêne rouvre et surtout de chêne pédoncule don-
nent des quantités assez considérables de glands. Mais beaucoup de
ceux-ci, quoique de belle apparence, demeurent stériles.
LE tau. lis SIMPLE RÉGULIER. 221
comme dans les régions septentrionales. Malgré leur impor-
tance — ils couvrent plusieurs millions d'hectares — et leur
variété, nous ne ferons que passer rapidement en revue les
principaux types.
Dans les climats tempérés, ce mode de traitement, très jus-
lilié alors que diverses industries (salines, verreries, for-
ges, etc.) consommaient des quantités considérables de bois
de petits calibre, répond de moins en moins à la situation
économique de notre pays, à une époque où le charbon et
les bois à brûler perdent de jour en jour de leur valeur. Les
écorces à tan, d'un produit autrefois très rémunérateur, souf-
frent aussi d'une baisse de prix considérable. Il est donc ur-
gent de songer à transformer les taillis simples en vue de la
production de marchandises d'un plus fort diamètre.
Le rôle et la composition de ces taillis différent sensible-
ment d'une région à l'autre. Dans l'ouest, ce sont des taillis de
chêne tauzin; en Sologne, on trouve le chêne rouvre et le
chêne pédoncule ; dans les Ardennes, dans les Vosges méri-
dionales, le chêne rouvre domine. Un peu partout, aux chênes
se mélangent : le bouleau, sur les sables pauvres, — les bois
blancs dans les stations fraîches, — le charme, l'érable cham-
pêtre, le coudrier dans des sols secs et moins profonds. Par-
tout, des améliorations importantes pourraient être apportées
à ce genre d'exploitation et en atténuer les mauvais effets; la
principale serait l'allongement des révolutions, précédant la
conversion en taillis sous futaie.
En ce qui concerne les taillis de chêne écorcés (1), nous
avons vu au Chapitre Ier que l'exploitation pouvait, sans in-
convénients sérieux pour l'évolution des rejets, être reculée
jusqu'en mai, époque de la levée des écorces. D'autre part
nous pensons que l'écorçage sur pied est peu préjudiciable, à
condition que l'exploitation des perches soit précédée d'une
incision annulaire ouverte au dessus du niveau du sol, et que
la coupe ait lieu ensuite rez-terre ; et cela malgré l'opinion des
sylviculteurs autorisés qui considèrent celte incision comme
inutile et même nuisible ('2).
(1) Bouvart. De l'écorçage du chêne. (Bévue des Eaux et Forêts, 1866.)
(2) Société centrale forestière de Belgique, avril 1899.
222 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Nous restons convaincus que le plus grand inconvénient de
l'écorçage sur pied consiste dans le va-et-vient de nombreux
ouvriers dans les coupes où commencent à évoluer les rejets;
et, pour ce motif, nous croyons bon de tenir la main, — atin
de délivrer le plus vite possible la forêt de toute cette popu-
lation qui la fatigue, — à l'abatage des perches écorcées dans
le plus court délai possible, alors même qu'il serait démontré
que le maintien sur pied de ces perches, pendant une quinzaine
de jours, n'est pas nuisible à la vitalité de leurs propres
souches.
Il va sans dire que les propriétaires de forêts ne peuvent que
souhaiter l'extension des procédés d'écorçage à la vapeur.
— après exploitation, — inventés par MM. Maitre et de
Nomaison (1).
Disons enfin un irfot de la pratique du sartage, ne fût-ce
que pour en signaler le danger.
Dans certaines régions, notamment dans les Ardennes et
les Gévennes, les taillis de chêne sont encore soumis à cette
pratique. Le sartage consiste, après l'exploitation d'un taillis
simple, à brûler les rémanants répandus sur le sol, de façon à
le faire profiter, sans frais, des matières fertilisantes immédia-
tement assimilables et à permettre, grâce à cet engrais, d'in-
tercaler une culture agricole, du seigle généralement, entre
deux exploitations forestières (2).
Mais le mince bénéfice qu'on en tire s'obtient au détriment
de la forêt : 1" la mise à feu se faisant vers le mois d'août,
toute la pousse de l'année est perdue, et un certain nombre
de souches, les unes fatiguées par cette pratique qui dérange
le mouvement de la sève, les autres directement atteintes par
le feu, cessent de repousser et meurent ; le sarteur, qui ne
cherche que le chêne, aide à la destruction de toutes les autres
essences : charmes, bouleaux, fruitiers, qui disparaissent et
sont remplacés par des morts bois et surtout par le genêt,
dont la multiplication est favorisée par la grande quantité de
potasse contenue dans les cendres ; — 2° sur les versants à
(1) Bull. Société des Agriculteurs de France, mai 1873.
(2) Cornebois. Notice sur le sartage dans V arrondissement de Hocroy,
Paris, J. Tremblay, 1882.
LB TAILLIS SI Mil i: ni <,i LIER,
223
pente rapide, la terre végétale est brûlée e\ perd, pendanl
quatre ou cinq ;uis au inoins, la cohésion nécessaire pour
résistera l'action des pluies; le retour de chaque exploitation
en enlève une bonne part, et les lianes des montagnes mon-
trent de plus cfî plus les rochers stériles qui en forment les
Fig. jG. — Un taillis de chêne vert; exploitation par le saut du piquet.
Forêt de Mérindol (Vaucluse). (Photographie de M. J. George.'
assises; — 3° enfin le sartage met obstacle à rallongement des
révolutions et à la conversion en taillis sous futaie.
Du reste, tous les prétendus avantages attribués au sar-
tage au point de vue forestier, ne supportent pas la discus-
sion. On entend dire, en effet, que les taillis se sontmaintenus
grâce à lui ; or, il est facile de se rendre compte de ce fait que,
pour sarter, il faut couper soigneusement les taillis rez-terre;
c'est donc grâce à leur bonne exploitation que ces taillis se
sont perpétués quoique, — et non parce que, — sartés. Le
sartage perd d'ailleurs du terrain dès que l'aisance pénètre
dans les pauvres contrées qui en vivaient.
Applications dans les régions méridionales. — Les taillis
224 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
de chêne yeuse, pur ou mélangé de chêne blanc (tig. 56),
donnent la seule forêt qu'on puisse demander aux terrains cal-
caires brûlés par le soleil de la Provence, sur lesquels ils sont
localisés (1).
Pour ceux-ci, comme pour tous les précédents, l'allongement
des révolutions s'impose. Leur durée actuelle, qui varie de
huit à quinze ans, peut, sans inconvénients, être portée à vingt
ou vingt-cinq ans. Sans rien perdre au point de vue de la pro-
duction des écorces, on aurait l'avantage d'augmenter la valeur
des produits ligneux et de faciliter l'exercice du pâturage (2).
Heureux le propriétaire de pareils taillis qui, à défaut de
bois, peut y récolter des truffes (3). Peut-être, comme le con-
seille M. Broilliard, des éclaircies bien dirigées augmente-
raient-elles la production de cet intéressant cryptogame. Il
semble nécessaire que le taillis ait huit à dix ans pour que
les truffes y soient abondantes; elles disparaissent quand les
cépées sont plus âgées, et, malheureusement, — sur les pentes
du Ventoux tout au moins, — ne reviennent pas quand on
substitue une forêt nouvelle à l'ancien peuplement devenu
stérile (4).
(1) Voir : Regimbeau, Le chêne yeuse ou le chêne vert dans le Gard,
Nîmes, impr. Jouve, 1879.
A, Rousset, Recherches expérimentales sur les écorces du chêne
yeuse, Paris, imprim. Nationale, 1887.
E. Rouis, Note sur le développement et la gestion des forêts com-
munales dans le déparlement du Gard, Avignon, Séguin, 1896.
V. de Larminat, Les forêts de chêne vert, Troyes, L. Lacroix, 1893.
F. Tessisr, Le versant méridional du Ventoux. (Revue des Eaux et
Forêts, janvier, février, mars 1900.)
(2) Voir chapitre Vil.
(3) En 1892, la commune de Bédouin (Vaucluse) a tiré un revenu de
plus de 55,000 francs d'une forêt truffière, créée par M. l'Inspecteur
général Bédel, alors qu'il était chef de service à Avignon en 1865.
(4) Nous n'avons pas besoin d'ajouter que le chêne « truffier » est
une pure chimère en tant que race ou variété. Des glands nés de chênes
verts ou de chênes blancs quelconques, peuvent donner des cépées
truffières, si, d'ailleurs, les conditions nécessaires à la vie du champi-
gnon sont remplies. Peut-être, cependant, de la terre ou des feuilles,
prises dans une forêt où vivent des truffes, en apporteraient-elles des
spores.
Pour créer une truffière artificielle, on défriche le terrain, on cultive
des bandes de quatre à six mètres de largeur et on y sème des glands
de chêne yeuse autant que possible. Dans l'intervalle, et en attendant
que les truffes apparaissent, ou peut pratiquer une culture agricole
Ll TAILLIS SIMPLE ltl GULI1 R.
225
Applications diverses. — Indépendamment des essences
dont nous vouons de parler, il peu! «'Ire avantageux de cultiver
en taillis simple d'autres espèces et, plus particulièrement, les
suivantes :
1° dès l'âge de quinze ans, les taillis d'aune donnent de
fort beaux rendements; mais ils peuvent, avec avantage, être
conduits beaucoup plus loin. Les stations où le sol est frais
cl profond, les parties trop mouilleuses des régions de prai-
ries, le bord des rivières conviennent à merveille à cette
essence;
2° sous la dimension de faibles perches, le châtaignier
présente déjà une bonne proportion de bois parfait, et,
comme il pousse très vite, on a la coutume de le couper
d'assez bonne heure, généralement vers douze à quinze ans.
Dans les sols riches, en retardant l'exploitation et en prati-
quant des éclaircies convenables, on obtient, dès l'âge de
trente ans, des perches de vingt à vingt-cinq centimètres de
diamètre, dont on tire d'excellents merrains. Le châtaignier,
traité en taillis simple, ne prospère que dans les climats doux
et sur les sols siliceux, légers et profonds. Les scories volca-
niques du Plateau central lui conviennent particulière-
ment (1) ;
3° les taillis de robinier (vulgairement acacia), sont d'un
bon rapport. Les plants doivent être espacés et maintenus à
l'état pur, car ils ne supportent aucun mélange avec les es-
sences indigènes. En général, on exploite le robinier rez terre
tous les dix, douze ou quinze ans ; mais, en le maintenant en
massif clair, on peut le conduire avantageusement jusqu'à
quarante et même cinquante ans. A quelqu'âge qu'on le
coupe, il se reproduit très facilement par drageons. Le robi-
nier croît vite ; mais il craint le vent, l'état serré et le
(Ad. Chatin, De la truffe, de sa culture et de sa naturalisation, Bull.
Société botanique de France, 1872.)
(1) En Alsace, le châtaignier fournit, à 4 ou 5 ans, des cercles de
futaille, — à 15 ou 20 ans, d'excellents échalas pour la vigne. L'hectare
de taillis de châtaignier, dont la création exige une dépense d'environ
800 francs, sol et plantation compris, rapporte annuellement, clans la
région du vignoble un revenu net de 100 francs. — Millischer, La cul-
ture du châtaignier en Alsace. (Bull. Société forestière de Franche-
Comté et Bel fort, avril 1893.)
BorrE et Jolyet. 1-*
22() LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
couvert. On le plante trop souvent dans des sols sans pro-
fondeur ou compacts, sous le prétexte qu'il « reprend »
presque toujours ; c'est un tort, car il n'est d'une culture
avantageuse et justifiée que dans des sols légers et profonds;
4° dans les terrains submersibles enrichis par le limon des
cours d'eau débordés, les bois blancs, les saules surtout,
prennent une végétation active et donnent de bons revenus.
Les révolutions adoptées sont très courtes : elles dépassent
rarement douze ans, et descendent parfois au-dessous de
huit ans, pour former les menus taillis',
5° les perches ou barres de micocoulier, réduites au
nombre de deux ou trois sur chaque souche, atteignent une
dizaine de centimètres de diamètre à dix ou douze ans et
valent un à deux francs pièce. Des taillis de cette essence
peuvent être d'un rendement avantageux, mais ils exigent
un sol divisé, bien ameubli et le climat méditerranéen.
Nous empruntons une bonne part des renseignements qui
précèdentau Traitement des Bois en France de M. Broilliard.
Nous ne pouvons que renvoyer à cet important ouvrage le
lecteur désireux de plus amples détails sur la création et la
conduite de ces divers types de taillis simples.
ARTICLE IV
LE TAILLIS SIMPLE FURETÉ
Forme des peuplements. — Circonstances clans lesquelles il se
justifie. — Régénération. — Réglementation.
Forme des peuplements. — Pour fureter un taillis simple,
on y revient à de courts intervalles, compris entre huit et
quinze ans, en se bornant à couper les perches exploitables,
c'est-à-dire, le plus généralement, celles qui ont de 0m30 à
0m35 de tour à hauteur d'homme. Si, par exemple, on passe
tous les neuf ans dans un taillis où il faut vingt-sept ans aux
rejets pour atteindre cette grosseur, on trouvera, en théorie,
sur chaque cépée, immédiatement avant la coupe, des ra-
meaux de neuf, dix-huit et vingt-sept ans.
En fait, les choses se passent comme il suit: les exploita-
LE TAILLIS SIMPLE PURETÉ.
•JJ7
lions, limitées sur chaque cépée à un petit nombre de perches
choisies dans l'étage dominant, avec réserve de tous les
rejets moins forts, occasionnent, çà et là sur La souche, des
blessures qui tendent à se cicatriser; à la longue, la surface de
cette souche présente donc des îlots de tissu cicatriciel (l),dans
Fig. 57. — Souche de taillis fureté.
lequel s'organisent des bourgeons adventifs. De ces bourgeons,
les uns restent à l'état dormant, d'autres s'allongent quelque
peu en restant grêles et chétifs, mais tous sont prêts à se déve-
lopper dès que le hasard d'une exploitation leur donnera
l'espace et la lumière ; la question d'âge n'entre donc pour
rien dans leur évolution successive: chacun peut devenir
dominant bien avant son tour d'ancienneté.
(1) Un grand nombre de bourgeons adventifs naissent sur le tissu
cicatriciel des blessures faites aux souches et aux racines par le
trainage des produits et les autres accidents consécutifs à l'exploita-
tion.
228 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Les éléments qui entrent dans la composition d'un taillis
fureté représentent, par suite, une cépée en forme de buisson
(fig. 57), dont les brins, émergeant tous d'une souche d'aspect
tourmenté comme la cime d'un têtard, sont les uns plus
ou moins dominants, les autres franchement chétifs et traî-
nants : à vrai dire, au lieu de trois ou quatre classes d'âge,
l'œil distingue à peine deux étages.
Dans son ensemble, le peuplement constitue un fourré per-
pétuel, ayant de 6 à 10 mètres de hauteur. Quand il est plein
et parcouru par des exploitations modérées, il est souvent
fort difficile d'y pénétrer : la présence des traînants, notam-
ment, rend la circulation pénible pour peu que la pente soit
accusée. Il n'y peut être non plus question de pâturage; et
si, pour satisfaire aux exigences de propriétaires ou d'usagers,
on coupe lesdits traînants, on perd tous les bénéfices de la
forme furetée. Cette pratique funeste explique tout le mal que
l'on a dit du furetage, procédé trop peu étudié et, par suite,
souvent calomnié, véritable jardinage sur souches, qui par-
tage avec le jardinage dans les futaies le grand mérite de tenir
le sol toujours couvert et de bien le protéger contre l'éro-
sion.
Circonstances dans lesquelles il se justifie. — Bien que
des chênes, des châtaigniers, des fruitiers, puissent se jeter et
se maintenir quelque temps dans un taillis fureté, ce mode de
traitement ne concerne que le hêtre, et voici sa justifica-
tion.
En général, les taillis simples réguliers de cette essence ne se
perpétuent facilement que dans les stations tempérées, et sous
la condition d'être exploités jeunes. Dès que les rejets naissants
ne résistent plus, sans protection, à l'action d'un climat trop
rigoureux par excès de chaleur ou de froid, dès que les pro-
duits, pour être utilisés, doivent atteindre une dimension qui
dépasse celle où le hêtre repousse facilement de souches, il
est nécessaire, si l'on veut rester dans le régime du taillis, de
recourir au furetage. C'est, d'ailleurs, en de semblables cir-
constances, que ce mode de traitement est né dans le Morvan,
dans les Pyrénées et, sans doute aussi, dans les Cévennes, en
Savoie et en Suisse.
LE TMI.I.IS SOUS M I Ml .
229
Régénération. — La nécessité de ménager tous les
pamèaux d'avenir oblige à couper les perches exploitables à
un certain niveau au-dessus du sol, de 1<'II<' sorte que les
bourgeons donnent des rejets qui ne s'affranchissent jamais ;
les souches furelées sont donc condamnées à mourir de vieil-
lesse un jour ou l'autre. Pour les remplacer, il faut utiliser les
faux drageons, les brins de semence qui naissent dans les inter-
valles, ou, à défaut, marcotter des traînants. Ces remplaçants
sontrecépés d'assez bonne heure pour provoquer la création
de cépées, qui seront, à leur tour, mises à l'état furelé.
Réglementation. — On doit s'astreindre, non seulement à
ne réaliser que des brins de calibre, mais encore à couper le
plus grand nombre de ceux-ci. Sinon, les perches dominantes
auraient des tendances à former un massif assez serré, et
arrêteraient le développement des rameaux intermédiaires et
des bourgeons dormants ; alors se constituerait un perchis
plus ou moins régulier, qui ne serait plus un taillis fureté.
On n'a pas intérêt à multiplier le nombre des exploitations ;
au contraire, en augmentant, dans une limite convenable,
l'intervalle qui sépare les retours de la hache dans une même
cépée, on rend plus nette la distinction des perches de calibre ;
le peuplement se trouve moins souvent exposé aux fatigues et
aux abus d'une exploitation; enfin, on a l'avantage d'augmenter
la surface des cantons où, les rejets étant plus âgés, le pâtu-
rage est moins nuisible. A tous les points de vue, les rota-
tions de douze à quinze ans sont préférables à celles de huit
à douze ans.
ARTICLE V.
LE TAILLIS SOUS FUTAIE
Constitution. — Solidarité entre la futaie et le taillis. — Avantages
et inconvénients. — Régénération du taillis. — Constitution de la
futaie. — Les dégagements de semis. — Les éclaircies.
Constitution. — Le taillis sous futaie, ou taillis composé,
est caractérisé, comme ce dernier nom l'indique, aussi bien
par son mode de régénération, que par sa nature complexe.
Il est formé, en effet, de deux éléments : un sous étage
•23()
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
exploité à intervalles égaux, à la façon des taillis simples, —
et un étage composé d'arbres irrégulièrement disséminés,
dont les cimes, qui dominent le taillis, se développent à l'état
isolé jusqu'au terme de leur existence utile. Ces arbres consti-
tuent ce qu'on appelle la réserve ou la futaie.
Cette réserve, d'ailleurs, est constituée et s'exploite de la
manière suivante: lors du passage des coupes, on réalise dans
la futaie, individuellement et en jardinant, les arbres devenus
exploitables. En même temps, on choisit, pour les conserver,
un certain nombre de brins de l'âge du taillis, qui, à partir
de cet isolement, sont acquis à la réserve et viennent la ren-
forcer de façon à entretenir sa composition, sa consistance et
sa production aussi constantes que possible.
Il résulte de cette manière d'opérer que les arbres de la
futaie ont d'abord vécu avec le sous étage, dans le sein duquel
ils ont été confondus pendant une révolution, et que, dans
l'ensemble, la réserve se compose d'arbres appartenant à plu-
sieurs classes, dont les âges différent entre eux d'un temps
égal à la durée des révolutions de taillis.
Dans ces conditions, ces divers éléments peuvent se com-
biner de mille façons différentes; aussi la forme des taillis sous
futaie est-elle essentiellement variable. Entre un taillis simple
régulier, ombragé par quelques arbres épars, et un autre do-
miné par une réserve très nombreuse, il y a place pour tous
les intermédiaires.
Solidarité entre la futaie et le taillis. — D'ailleurs, entre
les deux éléments du taillis sous futaie, il existe une solidarité
complète.
D'une part, la consistance du taillis est en raison inverse
de celle de la futaie, puisque ce taillis, qui forme l'étage do-
miné, est d'autant plus clair et chélif que la réserve, c'est-à-
dire l'étage dominant, est composée d'arbres plus nombreux
et plus gros. Cette dernière considération engage donc à com-
poser la réserve, autant que possible, avec des essences à
feuillage léger, et dont la valeur acquise par le grossissement
soit suffisante pour compenser la perte que leur couvert fait
éprouver au sous bois.
D'autre part, la réserve agit sur la composition du peuple-
LE tau. lis socs i i i \n:.
23 J
ment, lequel est loin de eonserver ta stabilité relative que
présente?!! les faillis simples. En effet, par son couvert, elle
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Fig. 58. — Un taillis sous futaie avant la coupe. Forêt de Ghampenoux.
fait perdre à un certain nombre de souches la faculté de pro-
duire des rejets. D'après les recherches faites par M. d'Arbois
de Jubainville dans les taillis de la Meuse (1), on peut admet-
(1) Recherches sur les Taillis sous Futaie, Grimblot. Nancy. 1860.
232 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAÎTEMENT.
tre que, dans les conditions moyennes, sous le couvert direct
des chênes, 3 à 6 p. 100 des souches ne rejettent plus. Cette
proportion augmente encore si, au lieu de chênes, la réserve
est formée d'espèces à couvert épais, ou peu élevé, notam-
ment de hêtres ou de charmes. De plus, la cépée dans la-
quelle on fait une réserve est, en général, perdue pour le sous
étage, celle-ci ne devant être exploitée qu'à un âge où sa
souche ne fournira plus de rejets durables.
Mais, ces dégradations sont compensées par l'apparition de
brins de semence. Ceux-ci apparaissent dans les circonstances
les plus diverses grâce à la disposition variée de la réserve,
dont les arbres sont en grande partie fertiles. Ainsi les semis
de bois blancs et des autres espèces à graines légères, telles
que : frênes, ormes, érables, etc..., se jettent, aussitôt la
coupe faite, sur le sol mis à découvert. Ces semis ont un sort
variable : ceux de charmes, qui naissent nombreux, ne résis-
tent à l'été que dans les sols assez frais pour ne pas se des-
sécher au delà de la zone peu profonde pénétrée par les racines
superficielles de cette essence ; ceux de chêne et de hêtre se
produisent après chaque année de semence, mais ils ne ren-
contrent pas toujours des conditions favorables pour se
maintenir : tant que le taillis est à l'état de fourré, à couvert
très bas, leur réussite est impossible ; s'ils se forment vers la
fin de la révolution, les jeunes hêtres sont exposés à être tués
par l'insolation trop brusque, consécutive à la coupe ; quant aux
semis de chênes, ils peuvent, sans doute, résister à la pleine
lumière, mais, le plus souvent, ils sont dominés par des rejets
de souches et disparaissent en presque totalité dans le cours de
la révolution suivante, à moins qu'on ne vienne à leur aide.
Toutefois, profitant d'une série de circonstances propices,
quelques brins de charme, de chêne, de hêtre, parviennent
à entrer définitivement dans la composition du peuplement.
On constate d'ailleurs que les semis se montrent d'autant plus
nombreux que les révolutions sont plus longues, et la réserve
plus riche en arbres fertiles. Aussi peut-on dire que, dans les
taillis sous futaie bien tenus, l'action de la réserve tend à enri-
chir la composition du taillis en bonnes essences, plutôt qu'à
l'appauvrir.
LE TAILLIS BOUS FUI Ul
233
Avantages et inconvénients. — Lé taillis sous futaie em-
prunte au taillis simple son mode de régénération facile, sur
et gratuit ; mais, mieux que lui, il utilise, en sol profond,
toute l'épaisseur de la couche pénétrable aux racines. Le
changement perpétuel dans la situation des réserves établit,
dans cette zone, une sorte d'assolement entre les régions
superficielles et les régions profondes, oecupées alternati-
vement par les racines des cépées, et par celles des arbres.
Mieux que lui encore, il protège le sol et fournit à la cou-
verture morte des détritus abondants; on ne remarque pas
d'ailleurs qu'il exerce une action fâcheuse sur la fertilité
des terrains de bonne qualité ; toutefois, épuisant par nature,
comme tout taillis, il peut être d'une application dangereuse
dans les sols pauvres et secs, surtout si la révolution adoptée
est courte.
Le sous étage, en tant que taillis simple, échappe à tous
les dangers extérieurs. Les arbres de la futaie, eux-mêmes,
grâce à l'enracinement solide qu'ils doivent à leur état isolé,
offrent une grande résistance au vent ; c'est seulement au
cours des deux ou trois années qui suivent l'exploitation
qu'ils risquent d'être renversés ; les anciens protègent, d'ail-
leurs, les modernes et surtout les baliveaux. Dans son en-
semble, le peuplement, d'âges multiples et de composition
variée, est peu exposé aux ravages des insectes. En toutes
circonstances, et mieux que la futaie, le taillis sous futaie
répare ie lui-même les dégâts dont il a pu être victime; car
quel que soit le sort de la réserve, l'ensouchement du taillis
est toujours là, pour fournir une régénération par rejets et
sauver l'état boisé.
Au point de vue économique, le taillis sous futaie se recom-
mande par ses produits variés, de nature à satisfaire les
besoins les plus multiples du commerce. Il permet, en outre,
d'obtenir, dans un temps relativement court, des chênes d'un
fort diamètre, dont le bois est très nerveux, et, accessoire-
ment, d'élever les grandes espèces disséminées que la futaie
élimine presque toujours. Enfin, cemode de traitement se prête
aux combinaisons les plus diverses ; il demeure applicable aux
forêts de toute étendue, aux plus grandes comme aux plus
234 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
petites ; il est à la portée de toutes les bourses, de toutes les
catégories de propriétaires.
Tels sont les avantages fondamentaux de ce mode de traite-
ment; par contre, il exige, comme le taillis simple et pour les
mêmes raisons, un climat doux, une longueur suffisante de
la saison de végétation, un sol assez frais pour ne pas craindre
des découverts souvents répétés, et, — en plus — un terrain
dont la fertilité et la profondeur rendent possible la culture
des essences précieuses, surtout du chêne.
Au point de vue économique, on peut reprocher au taillis
sous futaie l'irrégularité dans l'épaisseur des anneaux ligneux
fabriqués par les arbres, et l'excès de densité du bois de chêne :
celui-ci, trop nerveux, se tourmente, et le travail en est diffi-
cile. D'ailleurs, les produits en bois d'œuvre sont moins sains
que dans les futaies : les alternatives d'isolement et d'enclave
au milieu d'un sous étage grandissant, disposent les arbres à
contracter des tares, si bien que, même dans les circonstances
les plus favorables, il est rare qu'ils fournissent de 40 à 50 p. 100
de leur volume total en bois d'œuvre ; le reste n'est que du
chauffage de médiocre qualité. — D'autre part, les peuple-
ments s'éloignent des formes naturelles : ils sont le résultat
de combinaisons entre des éléments antagonistes et trop va-
riables pour qu'on puisse les modeler dans un moule unique ;
chaque forêt, chaque climat, chaque sol, chaque propriétaire
peut exiger, dans un sens ou dans l'autre, des modifications
du type qu'on se serait imposé. — Enfin, si l'on n'y prend
garde, la futaie partage, avec toutes les exploitations d'arbres
considérés isolément, l'inconvénient d'être toujours mobili-
sable, et, par suite, exposée aux abus de jouissance.
Régénération du taillis. — Dans l'ensemble, le taillis
assure l'ensouchement, c'est-à-dire l'état boisé, et consti-
tue, en outre, une véritable pépinière, où se recrutent les
brins destinés à remplacer les futaies qui tombent sous la
hache. 11 est, en un mot, l'agent fondamental de la perpé-
tuation de la forêt.
La futaie, au contraire, est l'élément principal du revenu,
c'est elle qui fait la richesse des peuplements.
La régénération du sous étage est identique à celle d'un
LE TAILLIS ><>i S PUTAIB. 235
taillis simple régulier en semblable condition : les mêmes
précautions sont è prendre pour L'assurer (article V). Il n'\ a
pas, d'ailleurs, à l'aire fonds sur les rejets éventuels, et géné-
ralement sans avenir, que peuvent donner les souches des
réserves exploitées.
Il est inutile, d'autre part, de trop s'attacher à la prédomi-
nance des bois durs dans le sous étage. Aujourd'hui bois durs
et bois tendres, — les premiers moins recherchés qu'autrefois
pour le chauffage, les seconds plus employés dans la fabrica-
tion des pâtes à papier, — se vendent aussi bien,... ou aussi
mal l'un que l'autre. Le seul point essentiel est de veiller au
maintien, en nombre suffisant, des essences qui doivent assu-
rer un bon recrutement de la réserve.
Constitution de la futaie. — Toutes les règles culturales
propres au taillis sous futaie concernent donc la réserve, nous
rechercherons à ce sujet : les essences qu'il convient de préfé-
rer; — le choix à faire quant à Y origine de ces réserves ; —
enfin la répartition la plus avantageuse à leur donner.
Les réserves à préférer sont, avant tout, les essences de
lumière, puisque le besoin qu'elles ont d'espace pour étaler
leur cime les dispose tout naturellement à croître à l'état
isolé, plutôt qu'en massif plein. D'autre part, c'est dans ce
groupe que se rencontrent les espèces à feuillage léger, dont
le couvert est le moins préjudiciable au développement du
taillis.
Parmi celles-ci, les chênes rouvre et pédoncule se rangent
en première ligne ; on peut même dire qu'en dehors de leur
présence on n'a aucune raison sérieuse de faire du taillis
sous futaie. Aux chênes, il est intéressant d'associer des
essences disséminées, telles que : frênes, ormes, érables, frui-
tiers, qui, suivant les stations, fournissent chacun d'excellents
produits. Les bois blancs, comme le tremble et le bouleau,
dont le couvert est très léger, sont utilement conservés sur les
points où ne se rencontrent pas de meilleures espèces. Ils
poussent vite, et leur production se trouve pour ainsi dire, en
supplément, car ils entravent peu la croissance des cépées
qu'ils dominent. Au contraire, la conservation de l'aune et du
236 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
tilleul, dont le couvert est assez épais, n'est à recommander
que dans des circonstances exceptionnelles : l'aune sur les
bords des ruisseaux, le tilleul dans les pierrailles amoncelées
et les débris de carrières, où aucune autre essence ne prospère
aussi bien que lui.
Le hêtre s'accommode assez mal de l'état isolé, et le régime
du taillis composé ne lui convient pas en principe. Aussi dis-
paraît-il bientôt des forêts en bon sol, où son absence n'est
pas à regretter, puisqu'on peut obtenir mieux à sa place. Au
contraire, dans les sols médiocres, il persiste pendant assez
longtemps, parce qu'il ne s'y trouve pas d'espèce plus vivace
que lui pour l'éliminer.
Si le charme est l'arbre par excellence pour former les
sous étages, il a moins sa raison d'être dans la futaie. Sa
croissance est trop lente, son feuillage trop épais, son bois
trop peu estimé pour le travail ; en outre, à cause de son cou-
vert bas, il tue le plus grand nombre de cépées qu'il couvre et
ne permet à aucun semis de s'installer à son ombre. L'abus
de la réserve charme est une cause de ruine pour les taillis ;
tout au plus est-il permis d'en conserver quelques sujets, aux-
quels on ne laissera pas dépasser la dimension de modernes;
d'ailleurs, ceux-ci n'ont pas seuls la propriété d'enrichir en
semis de l'espèce les taillis où elle serait insuffisamment repré-
sentée, car les perches fructifient de bonne heure et suffisent
à tous les besoins.
En ce qui concerne la constitution de la réserve, nous de-
vons citer les observations recueillies par M. Mathey (1) dans
le bassin de la Saône ; nous ne pouvons que résumer ce travail,
où les taillis sous futaie de la région sont répartis en six
groupes, définis par les qualités de leur sol, et caractérisés
par leur flore ligneuse et herbacée. Les conclusions, souvent
d'ordre très général, intéressent les propriétaires de taillis
sous futaie de toute la France.
Les trois premiers groupes comprennent les terres à
chênes, celles où le taillis sous futaie donne son plein rende-
(1) Mathey, Elude sommaire des taillis sous futaie dans le bassin
de la Saône. (Bulletin Société forestière de Franche-Comté et Belfort,
septembre, 1898.)
LE TAILLIS -"i S FUTAIE
237
ment. A toul seigneur, tout honneur..., la futaie cstconsli-
tuée en chêne. Pourtant, sur les colmatages, dont la fertilité
est exceptionnelle, on lui associe «les essences dissémina
frêne, orme champêtre, sans toutefois donner une trop grande
prépondérance à ces espèces, dont l'accroissement n'est supé-
rieur à celui du chêne que pendant les deux premiers âges,
dont la valeur marchande est variable, et qui sont très épui-
santes. — Dans les sables argileux et siliceux fins, une petite
place est faite au hêtre, auquel on ne laisse pas dépasser la
dimension d'ancien de lm,50 de tour. — Enfin, dans les
marnes compactes, mais profondes et fertiles, les baliveaux
et modernes de bouleau et de tremble, essences à couvert très
léger et d'un bon rapport, sont utilement associés au chêne,
quand celui-ci est insuffisant. On cède trop souvent sur de
pareils sols à la fâcheuse habitude de réserver des charmes.
Le quatrième groupe englobe des argiles oxfordiennes ou
autres, des conglomérats calcaires ou siliceux, terres de com-
position variée, mais toujours compactes , froides et acides.
Le chêne seul, dit M. Mathey, doit y constituer la futaie,
mais, « au milieu des maigres taillis que décime la bruyère,
« il végète mal. Aussi le forestier doit-il se préoccuper, avant
« tout, de resserrer la trame ordinairement trop lâche et trop
« uniforme du sous bois. »
Quant aux deux derniers groupes, leur caractéristique est la
profondeurdeplusen plus faibledusol,et, comme corollaire, le
rôle de plus en plus prépondérant du hêtre. Sur les calcaires
marneux des pays de collines et de basse montagne, la terre
est mélangée de plaquettes calcaires ou de rognons marneux;
le chêne décline; il devient logique d'accepter largement le
hêtre, qui est, en fait, l'essence la plus productive: « il ne
« faut pas craindre de le multiplier en modernes, et d'en gar-
« der les beaux anciens, les plus longs; » quelques chênes, là
où la profondeur sera suffisante, quelques alisiers torminaux,
enrichiront la réserve et achalanderont les coupes. — Sur les
arènes provenant de la décomposition des granits ou des por-
phyres, sur la terre rouge qui recouvre certains calcaires
jurassiques, sols éminemment superficiels tous deux, repo-
sant tous deux sur des roches dures, « la réserve du chêne
238 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
« ne compense, à aucun âge, la perte du recrû qu'elle entraîne ;
« le hêtre, jusqu'aux dimensions d'ancien, est l'essence fonda-
« mentale et exclusivement rémunératrice de la futaie. »
Certes, nous le reconnaissons, l'introduction dans la réserve
d'une essence d'ombre comme le hêtre, n'est pas conforme
au principe du taillis sous futaie. Mais peu importe la théorie,
si, ne pouvant faire mieux, nous constituons une forêt solide
et d'un bon rapport. Or, il suffit de constater l'aspect chétif
des chênes que l'on réserve, en semblable situation, pour
se convaincre de leur faible production, c'est-à-dire de leur
inutilité économique.
Pour entretenir en bon état la consistance du taillis, il y a
lieu de ne pas choisir les baliveaux sur les grosses cépées, qui,
donnant d'abondants rejets, forment sa véritable richesse. On
leur préfère les brins de semis; à leur défaut, les rejets
déjeunes souches, et les drageons ; en dernier lieu, les brins
isolés, détachés des cépées, comme il s'en rencontre presque
toujours.
On admet que les brins de semence et les drageons ont le
plus de vitalité. A ce point de vue, les rejets provenant du
premier recépage d'un jeune sujet de franc pied ont à peu près
même valeur que lui ; en fait, ils fournissent même la
majeure partie des bons baliveaux, car il est rare qu'un brin
soit assez fort pour être isolé à la fin de la révolution au
début de laquelle il est né : c'est seulement après avoir élé
recépé, qu'il s'élance avec assez de vigueur pour marcher
comme le sous étage. Les rejets de vieille souche se carient
d'assez bonne heure, et c'est se tromper soi-même que de
conserver des arbres, sur l'avenir desquels on ne doit pas
compter.
On choisit d'ailleurs les baliveaux parmi les tiges de forme
régulière, droite et bien équilibrée, car les sujets fourchus
risquent d'être déchirés par le vent, et, quand ils échappent
à ce danger, leur bois est déprécié par la présence d'entrer
écorces.
Les arbres bons à être réservés ne se présentent pas tou-
LE TAILLIS sors i i r \n .
239
jours clans la station géométrique voulue pour obtenir un bon
espacement. De plus, les réserves s<>ni entremêlées de telle
sorte que l'on peut voir avoisinées les espèces les plus diffé-
rentes, appartenant à une catégorie quelconque de baliveaux,
et parmi lesquelles il faut opter. Sans entrer dans plus de
détails, ni discuter les problèmes que soulève la question ^ noué
Fig. 59. — Un taillis sous futaie après la coupe. Forêt de Pont-à-
Mousson (Meurthe-et-Moselle), terrain argileux. — Photographie de
M. J. George.
engageons les opérateurs à se pénétrer de cette vérité que, sur
chaque point, l'arbrele meilleurà conserver, est toujours celui
qui, eu égard à l'espèce à laquelle il appartient, à sa vigueur,
à son état sain, à ses dimensions, à sa valeur actuelle, travaille
le plus utilement clans l'intérêt du propriétaire (1) ; ici nous
marquerons un chêne ancien, là un hêtre moderne, ailleurs
autre chose.
(1) Exemples :
Entre deux chênes d'âges différent?, s'il y a lieu de choisir, c'est,
240 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Dans la pratique, il est essentiel de porter d'abord toute
son attention sur la grosse réserve. C'est seulement quand le
choix de celle-ci est bien arrêté qu'on s'occupe des baliveaux,
en les répartissant dans les espaces où les arbres manquent, en
évitant surtout de les marquer trop près des modernes et des
anciens, ou comme cela se fait trop souvent, sous leur pro-
jection. Ce serait, d'ailleurs, se faire illusion que d'en exagé-
rer le nombre pour masquer l'indigence d'une réserve trop
pauvre en arbres constitués ; il faut être convaincu que les
modernes et les anciens forment la véritable richesse de la
forêt : c'est le capital indispensable à la fabrication des gros
bois, les seuls qui se vendent cher au mètre cube.
Enfin, il est bon : 1° de renforcer le balivage sur les lisières
des forêts : on crée ainsi, sur 15 à 20 mètres de largeur, des
rideaux de protection du plus utile effet; — 2° de réserver, le
long des tranchées ou des chemins de vidange, des cordons
d'arbres de futaie, qui embellissent la forêt, rendent plus facile
l'entretien des lignes et assurent une riche épargne, que l'on
est heureux de trouver le cas échéant; cette excellente pra-
tique, en honneur autrefois, s'est perdue de nos jours : à tous
égards il serait avantageux d'y revenir.
Le balivage. — Tous les arbres qui entrent dans la réserve
se nomment des baliveaux. Suivant leur catégorie, on les dis-
tingue en : baliveaux de Vâge, baliveaux modernes et bali-
veaux anciens. Au moment de la coupe, les premiers sont
âgés d'une révolution, les seconds de deux, les autres de trois
révolutions et plus. C'est ainsi que les ordonnances et le Code
forestier les distinguent.
Mais, en fait, le terme de baliveau est exclusivement attri-
bué aux brins de l'âge, aussitôt après leur isolement. On
en général, le plus gros qu'il faut conserver, à condition qu'il soit sain,
bien entendu. C'est lui, en effet, qui fabrique le bois ayant le plus de
valeur à l'unité de volume ; c'est lui qui sera le plus tôt et le plus
sûrement exploitable.
Entre plusieurs réserves d'essences autres que le chêne, c'est la plus
vigoureuse qu'il faut conserver, quelle que soit sa grosseur, car ici le
prix du mètre cube de bois fabriqué n'augmente pas sensiblement avec
le diamètre.
LE TAU. LIS SOUS M T VII ,
->il
appelle modernes les arbres des deux âges, cl etncittlB tous
ceux de trois âges et au-dessus. Ces dénomination* ^<>nl
insuffisantes : il serait bon d'adopter des termes plus précis et
permettant de distinguer chaque classe d'âge, par exemple :
Baliveau 1 révolution.
Moderne 2
Ancien de 2me classe 3 —
Ancien de 11C classe î —
Vieille écorce de 2mc classe 5 —
Vieille écorce de ll'° classe (> —
Il est d'ailleurs assez rare que le même arbre puisse
supporter six fois la crise de l'isolement, en restant assez sain
pour ne pas être exploitable (1).
Leur désignation se fait par l'apposition de l'empreinte du
marteau du propriétaire sur une flache, ou miroir, ouverte à
la patte de l'arbre à réserver, savoir : une empreinte sur un
miroir, pour les baliveaux de l'âge, — deux, chacune sur un
miroir, pour les modernes, — trois, superposées sur le même
miroir, pour les anciens. On ne saurait sans de graves incon-
vénients multiplier les miroirs et les coups de marteau, mais
une excellente mesure consiste à tracer un numéro d'ordre
sur l'écorce de chaque ancien, avec de la couleur ou avec une
roanne ; sur le calepin de balivage on inscrit, en regard de
chaque numéro, le diamètre ou la circonférence de l'arbre. Ce
procédé permet de reconnaître et de bien spécifier les exploi-
tations frauduleuses ; il permet aussi de suivre, dans l'avenir,
la marche de l'accroissement de tous ces sujets de valeur.
Cette marque, dite en réserve, est évidemment le procédé
donnant le plus de sécurité au propriétaire vis-à-vis de bûche-
rons insouciants ou mal intentionnés ; mais ces plaies faites à
la base des arbres sont une cause de pourritures. On peut
leur substituer des indications à la couleur rouge ou de simples
coups de griffes ou roannes, d'une imitation malheureusement
bien facile. En tout cas, ce dernier procédé peut être employé
(1) Il est souvent difficile de déterminer l'âge d'une réserve, aussi se
base-t-on sur la grosseur pour qualifier un arbre comme moderne ou an-
cien. On décide, par exemple, d'appeler anciens, les sujets de 35 cen-
timètres de diamètre et au-dessus.
Boppe et Jolyet. 16
242
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
sans inconvénient pour les baliveaux de l'âge, dont la va-
leur marchande est très faible; quant aux gros arbres, le
garde marqueur prendra soin de faire le miroir le plus petit
et le moins profond possible, et de le placer sur une grosse
racine plutôt que sur le fût même du sujet. Pour éviter tous
ces dangers, il serait préférable d'exploiter le taillis, après
désignation des baliveaux de l'âge, et, seulement ensuite, de
choisir dans la futaie les arbres à conserver et ceux à aban-
donner : ces derniers seraient alors marqués en délivrance
par l'apposition d'une empreinte au corps et à la racine. Ce
système, appliqué en Belgique, n'est pas encore entré en
France dans le domaine de la pratique.
La base du traitement en taillis sous futaie repose sur ce
fait que la régénération naturelle du sous-étage par rejet, et
sa consistance en massif, doivent être assurés d'une manière
permanente.
Ces deux conditions ne seront satisfaites que si l'on main-
tient toujours les réserves à l'état isolé. Par ce terme, il faut
entendre qu'immédiatement après la coupe, les cimes des
arbres voisins jouiront d'un espace tel qu'elles puissent se
développer librement sans se rejoindre avant la fin de la révo-
lution ; c'est dire que jamais elles ne formeront massif. Cet
espacement minimum, est d'ailleurs suffisant, et il n'y a pas
d'espacement maximum : les arbres peuvent être aussi éloi-
gnés les uns des autres que le veut le bon plaisir du proprié-
taire.
Toutefois, si ce dernier dispose d'une marge considérable,
encore ne doit-il pas marcher à l'aventure. En toutes cir-
constances, il est prudent d'établir, en même temps que la
division en coupes, un plan de balivage, à l'esprit et à la
lettre duquel l'opérateur Aevra se conformer.
Le plan de balivage fixt par hectare — approximativement
tout au moins — le nombre de réserves de chaque essence et
de chaque catégorie ; il n'y a pas d'autre moyen de faire ces-
ser l'état d'incertitude dans lequel llottent le capital d'exploi-
tation et le revenu de la plupart des taillis sous futaie. Divers
procédés ont été mis en avant pour l'établir. Le point de
LE TAILLIS sois FUTAIE. '2 H
départ de tout calcul de ce genre esl le choix d'un âge d'ex-
ploitabilité pour les réserves dos différentes essences, et la
détermination du nombre de sujets, parvenus à cet âge, que
l'on entend réaliser au passage de la coupe. Ce nombre est
subordonné à la longévité des espèces, aux prix des mar-
chandises sur les marchés, et au chiffre du capital que le
propriétaire veut engager dans son exploitation ; il est aussi
fonction de la projection horizontale de la cime des réserves
dans chaque catégorie : baliveaux, modernes, anciens et
vieilles écorces.
« Dans une semblable question, dit M. le Conservateur
Burel (l), le couvert des arbres est le facteur prépondérant,
car il importe, par la distribution des futaies et leur abatage
mesuré, de ménager à chaque catégorie la place indispen-
sable pour se développer librement jusqu'au terme de l'ex-
ploitabilité. »
M. l'Inspecteur Galmiche (2), admet, en moyenne:
pour un arbre de 25 ans, un couvert insignifiant;
— 50 — de 22 mètres carrés:
— 75 — de 58
— 100 — de 89
— 125 — de n<;
— 150 — de 115 —
A chaque exploitation, on est dans la nécessité de réaliser,
outre les arbres murs, un certain nombre de sujets apparte-
nant à tous les âges de la réserve, mal venants ou mal choisis,
tarés, brisés par le vent ou la neige; il en résulte un déchet,
qui oscille entre le tiers et les deux tiers de l'ensemble,
dit M. Galmiche dans le même travail, où nous lisons plus
loin :
Si nous pouvions trouver en tous points, l'arbre qui nous convient:
si cet arbre devait arriver sans encombre jusqu'au terme de l'exploita-
bilité, nous n'aurions qu'à diviser la surface de la coupe par la somme
des couverts, pour obtenir le nombre des réserves de 1, 2, 3, 4 révolu-
tions à marquer ; nous enlèverions exactement le nombre des arbres
(1] Burel, Élude sur les taillis composés. (Revue des Eaux et Forêts,
février 1885.)
(2) Galmiche. Élude sur les réserves des taillis sous fu.la.ie. (Bull.
Société forestière de Franche-Comté et Belfort, août 1893.;
•244
LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
exploitables et désignerions un nombre égal de baliveaux pour les
remplacer. Ce serait admirable !
Malheureusement, nous ne trouverons pas à la distance convenable
l'arbre à réserver et, quelque désir que nous ayons de voir la coupe
entièrement couverte par les cimes à l'expiration de la révolution qui
va commencer, nous ne réaliserons jamais ce souhait : ce sera superbe
si le couvert futur est des 3/4 de la surface de la coupe ; il y a plus de
chance pour qu'il ne soit que des 2/3; peut être même ne sera-t-il que
de 1/2. Nous réussirons moins encore à maintenir toutes les réserves
sur pied jusqu'à une dimension uniforme.
Il est absolument chimérique, dès lors, de rêver la formule
du plan de balivage intégral applicable en toutes circons-
tances. 11 appartient à chaque propriétaire de calculer celle
qui convient à sa fortune et à la situation de son bois, en
tenant compte des circonstances de temps et de lieu.
A titre de spécimen, nous donnons, en forme de tableau,
le résumé des opérationsà faire, sans d'ailleurs insister aucune-
ment sur la valeur absolue ou relative des chiffres employés.
RESERVE.
Catégories.
Nombre.
COUVERT PAU
Arbre.
ni. car. m. car.
Catégorie.
VALEUR SUR l'IED
PAR
Arbre.
Catégorie
Situation vraie de la réserve par hectare immédiatement après
la coupe.
Baliveaux ,
Modernes
Anciens
Vielles écorces,
Totaux,
50
»
30
25
20
70
10
90
110
»
750
1.400
900
3.050
0,30
5,00
20.00
60,00
Situation théorique a la fin de la révolution.
Modernes
Anciens
Vieilles écorces. . . .
Bois mûrs
Totaux.
50
30
20
10
110
25
70
90
110
1 . 250
2.100
1.800
1.100
6.250
5,00
20,00
60,00
90,00
15
150
400
6(J0
1.165
250
600
1.200
900
2.950
Si l'on veut ramener la réserve au taux initial et l'entretenir
dans cette forme, il suffira, lors du passage de la coupe,
d'exploiter 20 modernes, 10 anciens, 10 vieilles écorces et les
LE TAILLIS soi 9 FUT ME. 2 15
10 arbres mûrs ; soil 50 arbres, et d'ajouter 50 baliveaux
choisis dans le sous bois. Au cas particulier, la valeur des
réserves abattues, aérait de 2950 — 1 165= 1785 francs, somme
qui représente la part de bénéfice résullanl du fonctionne-
ment de cet élément pendant le cours de la révolution. Pour
compléter le bilan de ['entreprise, il n'y aura plus qu'à tenir
compte de la perte causée par le couvert des futaies à l'ac-
croissement du sous étage.
11 est clair que le bénéfice produit par la réserve est surtout
fonction de la valeur et du calibre des gros arbres, et qu'il
varie avec le nombre de ceux-ci. La limite supérieure serait
atteinte par cet état théorique d'un « sol couvert au moment
de V exploitation d'arbres isolés en croissance. » D'aucuns
ont pris l'habitude d'appeler « futaies sur taillis » les peu-
plements dans lesquels le plan de balivage se rapproche de
cet idéal; mais nous ne voyons aucune nécessité d'adopter
ce vocable, tant qu'on n'aura pas établi par des faits les
limites qui séparent le taillis sous futaie vrai, de cette sorte
de futaie sur taillis, et introduit dans la pratique une bonne
définition de ces deux modalités.
Les dégagements de semis. — Les peuplements traités en
taillis sous futaie comportent des soins de même nature que
ceux que l'on applique aux futaies régulières; mais, ici, l'ob-
jectif constant doit être d'assurer le bon fonctionnement
de la réserve. G'estdansce but que seront pratiqués les déga-
gements de semis et les èclaircies.
Les dégagements de semis appellent les observations sui-
vantes :
1° la végétation des rejets est trop rapide pendant les pre-
mières années pour justifier l'espoir de raccorder avec eux les
brins de semence pendant la révolution en cours; on ne peut
faire plus que les maintenir vivants /
2° la marche régulière du développement d'un taillis rend
possible l'indication précise de l'époque à laquelle ces dégage-
ments deviendront opportuns : le premier se fait, en général,
quand le recrû à trois ans, — les autres suivent à trois, quatre
ou cinq ans d'intervalle, jusque vers la quinzième année ;
3° il est inutile de dégager tous les semis épars sur le par-
246 LES DIFFERENTS MODES DE TRAITEMENT.
terre d'une coupe; on concentre, au contraire, tous ses soins
sur les petites taches de semis lorsqu'elles se présentent sur les
points où leur présence est utile, nous voulons dire où il existe
un vide dans la réserve ; c'est, en tout cas, peine perdue que
de faire le moindre travail sous la projection d'un gros arbre :
une cinquantaine de placeaux bien choisis par hectare suffi-
sent largement pour assurer l'avenir, si on ne les abandonne
pas trop tôt à la concurrence des rejets ; ce chiffre répond
au nombre des baliveaux à conserver dans chaque coupe.
Les éclaircies. — L'éclaircie est conduite d'après les règles
générales (Chapitre V), en se proposant pour objectif :
1° de continuer l'œuvre commencée par les dégagements
de semis ;
2° d'assurer un espace convenable à la cime des perches
qui se présentent dans les conditions voulues pour former un
bon baliveau; en donnant ainsi de l'ampleur à leur cime, et,
par suite, du diamètre à leur fût, on les prépare à subir la crise
de l'isolement, on diminue donc le nombre de ceux qui ris-
quent d'être courbés ou brisés par le poids de la neige ou de
leur feuillage; cette opération concerne tous les futurs bali-
veaux: brins de franc-pied, drageons ou rejets de souches;
3° de favoriser la naissance de semis naturels quelques
années avant l'exploitation ; l'opération doit être alors accom-
pagnée de l'enlèvement des morts bois; mais ce n'est justi-
fiable que quand ceux-ci sont assez dépérissants et le couvert
du peuplement principal assez complet pour qu'ils ne donnent
plus de rejets, c'est-à-dire quand le taillis a atteint ou dépassé
l'âge de trente ans ;
4° de faire tomber les perches qui, pénétrant dans la cime
des réserves, ou fouettant contre l'extrémité de leurs bran-
ches, menacent de les dégrader.
Si l'on excepte le cas où l'éclaircie continue les dégagements
de semis, on conçoit qu'elle n'a aucune raison d'être — et
même ne présente que des inconvénients, — quand la révolu-
tion est inférieure à trente ans. Passé ce terme, une seule
éclaircie faite six ou dix ans avant la coupe, est suffisante.
On peut ranger à la suite des éclaircies la réalisation des
bois tendres dans les sols très fertiles, réalisation qui se fait
AMÉLIORATION DBS PORBT8 TRAITEES in TAILLIS. 24"
vers dix-huit à vingt ans, lors de la maturité de ces essences,
en général peu longé vives.
Trop souvent, sous le même nom d'éclaircie ou celui de nel-
toiementy on procède au recépage de toute la végétation basse
d'un taillis sous futaie, morts bois et brins traînants, avec des-
serrement intérieur des cépées; une telle opération a pour con-
séquence immédiate de découvrir et de fatiguer le sol, c'est-à-
dire d'exagérer les inconvénients du régime. Nous n'ignorons
pas que ces « détrappages » sont recommandés par nombre
de praticiens, parmi lesquels on compte des forestiers distin-
gués (1); sans nier l'efficacité relative de ces opérations sur
les points où elles ont été étudiées et conduites avec le doigté
et les soins minutieux qu'elles comportent, nous nous con-
tenterons de faire à leur sujet les observations suivantes:
Ou bien les produits sont vendables, et il est à craindre que
la serpe coupe plus que de raison pour augmenter le bénéfice
du jour ;
Ou bien les produits, sans valeur, pourriront sur le sol ;
alors bien peu consentiront une avance de fonds dont la ren-
trée et le bénéfice, s'il y a lieu, n'interviendront qu'à longue
échéance.
La raison et la prudence nous font donc un devoir de dire
que, dans l'immense majorité des cas, il y a lieu de s'abstenir
en laissant agir la nature (2).
ARTICLE VI.
AMÉLIORATION DES FORÊTS TRAITÉES EN TAILLIS
SIMPLE ET EN TAILLIS SOUS FUTAIE
Transformations et conversions. — Leur peu de raison d'être dans les
forêts particulières. — But à poursuivre. — Améliorations proposées.
— Allongement des révolutions. — Éducation d'arbres plus nom-
breux. — Substitutions d'essences.
Transformations et conversions. — Quand la dégradation
d'une forêt a pour cause un mode de traitement appliqué à
(1) Du nettoiement des bois, par M. l'inspecteur Schœffer. {Bull.
Société forestière de Franche-Comté et Belfort, juillet 1897.)
i II importe de se mettre en garde contre une illusion d'optique
248 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
tort dans une station ne le comportant pas, — ou quand, pour
des raisons économiques, il faut produire des marchandises
très différentes de celles dont on se contentait dans le passé,
— il peut y avoir lieu de changer le mode de traitement, de
faire une transformation ou une conversion, c'est-à-dire d'ap-
pliquer un de ces modes de traitements temporaires que
nous avons définis plus haut (page 107).
En toutes circonstances, le procédé reste le même :
1° tracer sur le terrain et sur les registres le cadre du nou-
vel aménagement dans lequel les opérateurs devront se mou-
voir ;
2° exécuter, sur les points de la forêt qui paraissent le
mieux se prêter à la transformation ou à la conversion immé-
diates, les coupes spéciales au nouveau mode de traitement :
ainsi, pour transformer une futaie jardinée, ou pour conver-
tir un taillis sous futaie en futaie régulière, pratiquer sur ces
points les coupes successives de régénération par la semence ;
3° conserver dans les autres cantons de la forêt, jusqu'à ce
qu'ils arrivent à leur tour de transformation ou de conversion,
l'ancien mode de traitement, que l'on modifie toutefois dans
un sens qui rende plus facile, dans la suite, les véritables
opérations de conversion.
La durée du traitement temporaire est, par nécessité, égale,
en théorie du moins, à celle de la révolution adoptée pour
l'avenir; car, au moment où les derniers peuplements de l'an-
cienne forêt viennent d'être transformés ou convertis, il faut,
pour qu'il n'y ait pas d'interruption dans les revenus, que les
cantons attaqués et régénérés en premier lieu portent des bois
exploitables. Bien plus, dans le cas de la conversion d'un taillis
sous futaie en futaie régulière, l'obligation de laisser vieillir le
taillis jusqu'à un âge tel que les rejets de souches n'évoluent
pas en trop grand nombre dans les coupes affectées à la régé-
nération conduit, préalablement à toute opération, à mainte-
nir sur pied les peuplements pendant une « période d'attente »
qui ne peut être inférieure à une trentaine d'années, mais
un peuplement que Ton a débarrassé de toutes les menues tiges,
parait, dans son ensemble, constitué par des sujets plus gros qu'un
peuplement où des tiges de tous calibres sont confusément mélangées.
AMÉLIORATION Dis FORÊTS TRAITÉES BN TAILLIS. 249
peut dépasser soixante ans. Inversement, quand il y a lieu de
convertir en taillis simple ou en taillis sous futaie les lambeaux
d'une futaie régulière disloquée, démembrée par un partage,
on est souvent conduit à régénérer pa,r la semence, une fois
encore, les massifs trop vieux pour que l'on puisse compter
sur une production suffisante de rejets après leur recépage.
Leur peu de raison d'être dans les forêts particulières. —
Ces traitements, dits temporaires, ont donc, en réalité, une
durée très longue, si on la compare à celle de la vie humaine.
Ils sont, de ce fait, incompatibles avec la situation écono-
mique des forêts particulières, exposées à des changements
de main continuels.
D'autre part, ces opérations comportent des connaissances
techniques que peuvent seuls posséder des professionnels
expérimentés. Gomme nous l'avons vu, il s'agit plutôt de
combinaisons d'aménagement que de questions culturales
proprement dites ; car ces dernières sont, en général, peu
différentes de celles qui se pratiquent dans les traitements
permanents; mais leur distribution est autre.
D'ailleurs, pour passer d'un mode de traitement à capital
restreint (taillis simple ou taillis sous futaie), à un autre mode
à capital plus important (futaie pleine ou futaie jardinée), il
faut toujours prélever sur les revenus des économies consi-
dérables, qui se traduisent par des diminutions, souvent
même par des suspensions complètes de produits pendant un
temps plus ou moins long.
Enfin, au cours d'une transformation ou d'une conversion,
on est conduit tantôt à laisser des porte-graines se dété-
riorer sur pied, tantôt à exploiter avant l'âge des arbres
en pleine croissance, sacrifices qui, bien que justifiés par des
nécessités culturales, n'en ont pas moins des conséquences
économiques qu'on ne doit pas affronter sans les motifs les
plus graves. En fait, l'Etat, et parfois les Communes, sont les
seuls propriétaires qui puissent se permettre une pareille dé-
termination.
But à poursuivre. — Par ces derniers mots, nous n'enten-
dons nullement conseiller aux propriétaires particuliers un
statu quo défectueux ; mais nous leur proposons d'améliorer
250 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
graduellement leurs forêts : but qu'ils peuvent atteindre, avec
quelque peine, sans doute avec du soin, de la patience et,
certes, de l'économie, mais sans aller jusqu'à des suppressions
totales de revenus incompatibles avec leur situation de fortune.
Tout le monde a vu, dans l'industrie, des exploitations d'appa-
rence modeste, qui, entre les mains d'un manufacturier éclairé,
sachant profiter des découvertes de la science dans la mesure
où ses capitaux le lui permettent, s'agrandissent, se transfor-
ment sans bruit, et rapportent finalement des bénéfices bien
plus considérables que telle affaire lancée avec grand fracas de
réclame et grand luxe de bâtisse. C'est un exemple à imiter.
Etant donnée la situation actuelle du marché des bois, le
but à poursuivre est de faire des arbres plutôt que des taillis,
et, d'une manière plus générale, d'augmenter le calibre, la
grosseur des produits ligneux de nos forêts.
Les traitements en futaies régulière ou jardinée sont tout
naturellement orientés vers ce but ; un choix judicieux de la
révolution et des espèces à cultiver, l'opportunité, la bonne
exécution des dégagements de semis et des éclaircies, con-
duisent, par la force des choses, au résultat souhaité. Il n'en
est pas de même des taillis simples et des taillis sous futaie,
que visent les améliorations exposées dans le présent article.
Améliorations proposées. — Nous ne nous occuperons
pas ici des travaux d'entretien tels que : dégagements de
semis, façons données au sol, plantations de brins destinés à
faire les baliveaux de l'avenir ou à remplacer les souches
épuisées, toutes choses inhérentes au traitement lui-même;
ce que nous avons en vue, ce sont des mesures d'un ordre
plus général, qui, sans changer le mode de jouissance, modi-
fient le fonctionnement du capital-bois incorporé dans l'en-
treprise et augmentent la valeur de la récolte.
Les moyens sont :
1° l'allongement des révolutions;
2° l'éducation d'arbres plus nombreux;
3° parfois même une transposition d'essences.
Allongement des révolutions. — Nous savons qu'au point
de vue cultural, le terme supérieur des exploitations d'un
taillis peut être fixé aux environs de quarante ans. D'autre
AMKl.mn \TK>\ DES FORÊTS TRAITEES SU iaii.iis. 251
part, la qualité des marchandises qu'il fournit augmente
avec la durée de la révolution.
Ainsi M. Broilliard (1), faisant observer qu'il n'est pas rare
de rencontrer des laillis qui, à l'âge de dix ans, ont à l'hectare
un volume de *20 mètres cubes, établit le décompte suivant,
dès justifiable dans la pratique, et qui fait ressortir l'accrois-
sement de plus en plus rapide du cube et surtout de la valeur,
suivant que l'on exploite à dix, vingt ou trente ans :
Volume
Ige. à l'hectare. Répartition en marchandises.
10 ans. "20 m. c. i5 stères bois à charbon à 4 f r
20 — 60 — 15 — — à I Ti-
TO — bois de moule à 8 fr
30 — 100 — 45 — bois à charbon à 4 fr,
70 — bois de moule à 8 fr,
66 2/3 — bois de perches à 12 fr .
D'après M. Cardot (*2), en 1897, les résultats de la vente
des coupes de taillis sous futaie dans les forêts soumises au
régime forestier du département de la Haute-Saône ont mis
en évidence les résultats suivants :
1S0
»
.. 180 j
.. 560 s
7 il)
»
.. 180 \
.. 560 V
1.550
»
.. 800 S
Age
Prix de vente
La val
eur
de
oit fr. an taux de
d'exploitation.
à l'hectare.
4
p.!
100
est devenue :
25 ans.
541
..
30 —
756
658 23
35 —
1.025
801 79
40 —
1.117
1
013 29
Dans la Haute-Marne, rapporte M. Devarenne (3), les
forêts de Bourmont et de Forcey, comprenant chacune deux
cantons contigus, situés dans des conditions semblables, mais
exploités à des révolutions différentes, ont fourni à l'hectare
les rendements moyens suivants, calculés sur toutes les coupes
assises pendant une révolution entière :
(1) Loc. cil, page 90.
(2 Cardot, Allongement de la révolution dans les taillis. (Bull. Société
forestière de Franche-Comté et Bel fort.)
•v3) Devarenne, Mémoire sur le meilleur traitement des laillis sous fu-
taie. [Bull. Société forestière de Franche-Comté et Belfort, juillet, 1899.)
252 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Bourmont : 24 ans, 10 st. rondin, 85 st. charbonnette, ensemble : 85 fp.
27 — 20 — 100 — 130 fr.
Forcey : 24 — 8 — 80 — 76 fr.
29 — 15 — 100 — — 124 fr.
Les observations précédentes intéressent aussi bien les
taillis simples que les taillis sous futaie. En ce qui concerne
spécialement ces derniers, nous ajouterons :
1° que les longues révolutions seules, permettent de
pratiquer les éclaircies et de réaliser toutes les mieux-values
qui en sont la conséquence ;
2° que les courtes révolutions multiplient dans un temps
donné le passage des coupes, et, par suite, favorisent l'enlè-
vement des gros arbres : le propriétaire le mieux disposé sai-
sira toujours quelque bon prétexte pour réaliser l'ancien
auprès duquel il passe et dont la valeur le tente ;
3° que la hauteur de fût des réserves est subordonnée à
celle du sous-étage, puisqu'elle est le résultat de l'élagage
naturel; par suite, plus les révolutions seront longues, plus
la production en bois d'œuvre sera considérable; à ce point
de vue, il faut faire en sorte que le fût des réserves atteigne
au moins 6 à 10 mètres de hauteur.
Il est bon, toutefois, d'appeler l'attention sur ce fait que l'on
ne peut impunément allonger la révolution appliquée jus-
qu'alors à un taillis sous futaie sans prendre certaines pré-
cautions. En effet, quand le sous-étage est maintenu sur pied
plus longtemps que par le passé, il continue à s'accroître en
hauteur, et les cimes des réserves, englobées parmi ces
perches qui les entourent, se dégradent. Aussi, dans la pra-
tique, quand la réserve d'un pareil taillis est riche en arbres
constitués, est-il prudent de répartir l'allongement cherché
sur deux révolutions. Pour passer de vingt-cinq à trente-
cinq ans, par exemple, on se bornera, pendant la première
révolution, à laisser pousser le taillis jusqu'à trente ans; à
la révolution suivante, on fera le reste. Quand, au con-
traire, la grosse réserve est rare, ce sont les baliveaux ou
modernes -qui, pour le moment, sont l'élément principal : on
peut alors, sans transition, prolonger la révolution du nombre
d'années voulu, caries arbres jeunes peuvent encore allonger
AMÉLIORATION DES FORETS TRAITÉES EN TAILLIS.
253
leur fût sans en souffrir, et les vieux arbres, qui seront pro-
chainement exploités, n'auront pas le temps de se dégrader
sérieusement.
Ajoutons que, si l'on prolonge une révolution, il est toujours
prudent d'effectuer une éclaircic vers l'Age auquel l'exploita-
tion se faisait antérieurement: on dégage alors la cime des
réserves menacées d'enveloppement.
En résumé, nous recommandons, dans les taillis simples
comme dans les taillis sous futaie, les révolutions de trente à
quarante ans. Quand le sol sera frais, fertile, et les bois ten-
dres abondants, on se rapprochera du chiffre de trente ans.
Quand le sol sera peu profond, exposé au dessèchement ou
peu fertile, il faudra sans hésitation adopter une révolution
de quarante ans.
Éducation d'arbres plus nombreux. — Sans en rechercher
les causes, nous devons constater ici la pauvreté relative de
notre littérature forestière à l'égard d'un mode de traitement
aussi essentiellement Français que celui des taillis sous futaies.
Quand les documents abondent pour les futaies, c'est à peine
si nous possédons quelques données sur le rendement des
1 200 000 hectares de forêts domaniales et communales sou-
mises à ce régime; mais il est surtout fâcheux que nous ne
sachions rien de positif sur le traitement et sur la production
des taillis sous futaie appartenant aux propriétaires particu-
liers et dont la surface dépasse certainement 6000000 d'hec-
tares, sur les 9 000 000 qui composent la richesse forestière
de la France.
Quoi qu'il en soit, l'expérience des faits nous permet de
donner les indications suivantes sur le champ d'application
du taillis sous futaie et des modalités qu'il comporte.
En principe, ce régime n'a sa raison d'être que dans les sta-
tions assez bien favorisées sous le rapport du sol et du climat,
pour qu'on puisse y conduire, à l'état isolé et jusqu'à la dimen-
sion de gros arbres, les grandes espèces de lumière, telles que :
frênes, ormes, érables et fruitiers et surtout les chênes.
Partout où ces essences l'emportent en valeur sur les espèces
d'ombre telles que le hêtre et le charme, on peut, sans sortir
du régime, multiplier leur nombre jusqu'à couvrir le sol d'ar-
254 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
bres isolés en croissance. Partout, au contraire, où les condi-
tions inverses se présentent, partout notamment où le manque
de profondeur du terrain ne permet pas l'éducation du chêne,
il y a lieu de recourir à l'un des expédients suivants :
1° ou bien, .renonçant à se payer de mots, abandonner le
régime du taillis sous futaie, et se contenter du modeste taillis
simple ;
2° ou bien s'accommoder de la présence d'essences peu
faites par leur nature pour entrer dans la réserve et modifier
en conséquence l'application théorique du régime.
Examinons la première de ces deux hypothèses. Il est con-
venu que nous utiliserons le mieux possible le taillis simple
en allongeant sa révolution; car, à défaut d'arbres, nous
aurons ainsi du gros rondin de chauffage, c'est-à-dire du bois
de luxe, le seul qui soit coté à un prix rémunérateur. Peut-
être y trouverons-nous même quelques autres marchandises:
des perches pour étais de mines, du tremble pour la fabrica-
tion des pâtes à papier, etc.
Si, pour une raison ou pour une autre, le propriétaire ne
peut, ou ne veut, adopter cette mesure d'ensemble, — la seule
logique à notre avis, — il pourra se contenter de n'en réaliser
les heureux effets que sur un petit nombre d'individus, ou
encore sur une essence seulement, en maintenant sur pied,
pendant deux ou même trois de ces trop courtes révolutions,
non pas des perches isolées, mais bien des cépées tout entières,
choisies au nombre d'une cinquantaine par hectare. Celles-ci
peuvent être éparses, et on les appelle des volières, — ou
réunies en cordons de 2 à 3 mètres de largeur le long des
sommières, des chemins, etc. MM. Broilliard, Mathey et
beaucoup de sylviculteurs en recommandent l'usage. Il est à
remarquer que le hêtre accepte cet état avec une complai-
sance très réelle, et c'est là un sérieux avantage de sa pré-
sence dans les taillis en sol superficiel.
Notre seconde hypothèse vise le taillis sous futaie et sup-
pose l'admission du hêtre en quantité notable dans la réserve.
11 s'agit, dès lors, d'une sorte de substitution d'essences, et
quelques détails sont nécessaires à ce sujet.
Substitutions d'essences. — Sur les plateaux oolithiques
AMELIORATION DES FORÊTS TRAITÉES EN TAILLIS. 255
de la Lorraine, de la Bourgogne, «le la Franche-Comté, le
foyard est souvent la seule essence qui lasse de beaux arbres.
Ceux-ci fournissent déjà du bois de quartier recherché pour
le chauffage; ils produiront du bois d'industrie en quantité
notable le jour où, en les maintenant à l'état plus serré, en
augmentant les révolutions, on favorisera l'allongement des
fûts. Pourquoi donc ne pas substituer peu à peu le hêtre au
chêne? N'est-ce pas lui, d'ailleurs, qui a permis de remettre
en état, sur les grés des Basses- Vosges, les taillis ruinés par
des exploitations à courte révolution? le principe appliqué il
y a quelque soixante ans par M. l'Inspecteur de Buffévcnt a
été de marquer en réserve les hêtres bien venants et d'im-
poser le respect des semis de cette essence, de tout âge et de
toute taille, que l'on rencontre noyés dans le taillis lors de
l'exploitation de ce dernier; ses successeurs l'ont imité, et
maintenant la forêt, en parfait état, s'achemine vers la futaie
mélangée de chêne et hêtre.
Si nous accordons une importance toute spéciale à cette
extension du hêtre, c'est qu'elle entraîne certaines modifi-
cations dans la conduite des balivages. Une réserve en chênes
et essences disséminées suppose, en effet, des arbres isolés et
maintenus sur pied le plus longtemps possible, afin d'en ob-
tenir des produits de qualité supérieure. 11 n'en est plus ainsi
avec le hêtre, dont le prix au mètre cube n'augmente pas avec
le diamètre à partir du moment où celui-ci est suffisant pour
le débit en bois d'industrie: point n'est besoin, dès lors, de
pousser les arbres au delà du diamètre de 50 centimètres qui les
rend exploitables; plus^tard, peut-être seraient-ils dépréciés
par le défaut du « bois rouge », ou d'autres tares plus graves
encore. D'autre part, on sait que la valeur du foyard comme
bois d'industrie, est liée à son état sain, à la rectitude et à la
hauteur de son fût : la réunion des réserves de cette essence
par petits groupes ne pourra donc que contribuer à en amé-
liorer la situation; de la sorte, sans prétendre à une produc-
tion égale à celle des futaies régulières, du moins pourra-t-on
s'en approcher; c'est donc une disposition nouvelle à adopter
dans la distribution des réserves.
Après celui du hêtre, citons l'emploi des conifères.
256 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
En montagne, leur utilité saute aux yeux. Dans maintes cir-
constances, la substitution se fait d'elle-même, au profit du
sapin ; en général, le processus est le suivant : au milieu du
taillis, on voit, épars, quelques sapins branchus, à fût très
court, arbres sans valeur marchande, mais tout à l'alentour
leurs graines se répandent et les jeunes sapineaux percent les
ronciers ; la tache s'étend bien vite. On peut y aider par des
plantations ou des répandages de graines sur les points où les
semis naturels font défaut.
Dans la pratique des opérations, on évitera de dégrader les
sapins d'avenir par les blessures du marteau : feuillus et rési-
neux à abattre seront marqués en délivrance, et les sous bois
seront recépés, avec réserve de tous les jeunes sapins et
désignation, par griffage, d'un certain nombre de baliveaux
feuillus.
Dans les régions de plaines ou de coteaux, les résineux
peuvent encore fournir une aide des plus utiles. Quand des
taillis sont clairières ou entrecoupés par des vides, quand ils
manifestent des signes d'épuisement, l'introduction du pin
noir si le sol est calcaire, du pin sylvestre sur le sable, est
toute indiquée (11. Les aiguilles enrichissent le sol, recons-
tituent la couche d'humus détruite, et ces arbres, par leur
croissance rapide ont vite compensé les frais de plantation.
C'est ainsi que, dans les Basses-Vosges, quand le hêtre n'y
suffît pas, dans les forêts d'Orléans, de Fontainebleau, de
Montargis, etc. , dans tous les terrains sablonneux en un mot,
on sauve les forêts ruinées par le traitement en taillis (2). On
se demande quelquefois ce que deviendront, comment se ré-
généreront des taillis peuplés de résineux en plus ou moins
grande abondance. Nous répondrons que tout d'abord l'intro-
duction des résineux en pareille station est toujours suivie de
la réapparition spontanée des feuillus, et notamment des
chênes, dont les glands sont apportés par les oiseaux et les
petits rongeurs, — et que, si l'avenir a de l'importance, le pre-
(1) Maire, loc. cit., Bulletin de la Société forestière de Franche-Comté
et de Belforl.
(2) Le pin noir joue le même rôle dans les craies de la Champagne.
AMÉLIORATION DSS îniiîrs TRAITÉES i\ rvu.iis. 257
simiI cmi a tout autant, sinon plus. D'ailleurs, nue foré! riche
en matériel, avec un sol <>n bon état, est toujours une forêt
d'avenir. A chaque âge suffit sa peine.
Nous irons plus loin : dans les mauvais faillis, môme si la
forêt ne renferme pas de vides, nous serions tentés de recou-
rir aux résineu* pour faire une forêt plus riche, d'un plus
grand rapport.
Dans ce but, on peut procéder radicalement: faire une
coupe rase du taillis et planter des pins noirs sur les cal-
caires, des pins sylvestres sur les sables. L'opération est, en
général, fructueuse, mais c'est un véritable reboisement, dont
les frais sont majorés du coût des dégagements rendus né-
cessaires par l'évolution des rejets. Aussi, est-il indiqué de
chercher à réduire la dépense en mettant à profit tout ce qui
est utilisable dans l'ancien peuplement, et en n'introduisant
les résineux que cà et là, sur des points choisis à cet effet.
Plus tard, on augmentera, si on le juge à propos, la surface
qui leur est attribuée.
Sans doute, ici encore, il faut lutter contre la poussée des
essences feuillues qui ne se laissent pas exproprier sans résis-
tance ; mais les sujets à défendre sont peu nombreux, et l'uti-
lisation du sapin et de l'épicéa, qui souffrent moins que les
pins, du voisinage des buissons, diminue le travail (1). Entre
ces deux espèces laquelle choisir? Cela dépend des cas et des
convenances; sous la réserve expresse que le sapin, tout en
acceptant de vivre assez loin des montagnes où il est spontané,
exige, néanmoins, des stations suffisamment fraîches, acciden-
tées ou maritimes, rappelons que l'épicéa se recommande par
la facilité de sa reprise, le sapin par son aptitude à se réense-
mencer naturellement au milieu des taillis : le plus sage sera,
le plus souvent, de planter des épicéas en majorité, avec une
faible proportion de sapins destinés à servir plus tard de
porte-graines. M. l'Inspecteur des forêts Runacher (2), paraît
(1) Ces dégagements de semis sont facilités par le feuillage vert des
résineux, qui tranche, en hiver, sur la coloration uniforme des taillis.
(2) Runacher, Utilité de l'introduction du sapin et de l'épicéa dans les
taillis médiocres de la région jurassique. (Bail, de la Société fores-
tière de Franche-Comté et de Belfort, octobre 1899.)
Boppb et Jolyet. 1 «
258 LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
vouloir généraliser Temploi du sapin et de l'épicéa dans celte
œuvre de restauration, et certes, sur bien des points, on ne
pourrait mieux faire que de suivre ses conseils. Cependant,
pin Weymouth et mélèze méritent aussi qu'on leur réserve
quelques belles places.
En somme, il est certain que les résineux sont appelés à
jouer dans les forêts de la plaine un rôle plus important que
celui qui leur avait été réservé jusqu'alors. Et, pendant qu'on
en sera à restaurer les peuplements dégradés à coup de
bêche et à coup de pioche, il ne paraîtra pas imprudent de
risquer la plantation de quelques pieds isolés d'essences
exotiques en voie d'introduction, le chêne rouge d'Amérique,
par exemple, qui se multiplie dans certains taillis sous futaie
des Vosges et plusieurs espèces dont nous parlerons au cha-
pitre VIII. Nous croyons avoir suffisamment recommandé
le principe de chaque essence clans sa station, pour pouvoir
nous permettre ces exceptions; mais, une fois de plus, nous
signalons les dangers des cultures d'espèces étrangères plus
exposées que les indigènes à toutes les maladies cryptoga-
miques ou autres. Aussi, avant d'avoir recours aux formes
exotiques, fera-t-on bien de consulter la flore forestière
locale ; souvent, avec ses seules ressources, on pourra com-
poser des mélanges de feuillus et de résineux d'une résistance
assurée ; témoin les excellents résultats que donne, au point
de vue économique, la multiplication du pin d'Alep dans les
taillis méridionaux, tout comme celle du sapin dans les taillis
du Bas-Jura.
CHAPITRE VII
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORÊTS
ARTICLE PREMIER
GÉNÉRALITÉS
Tandis que la nature arme suffisamment la forêt sauvage
pour sa défense contre les ennemis qu'elle lui suscite, la forêt
domestiquée, celle dont nous venons d'étudier les conditions
d'existence, modifiées de mille façons en vue de satisfaire à nos
besoins les plus divers, exige, en échange, de notre part, mo-
dération et protection. Ses forces amoindries par la culture
sont, en effet, devenues impuissantes à conjurer les périls dont
celle-ci est la cause ou l'occasion.
Exploitation et production se rattachent ainsi directement
à la sylviculture.
Les détails que comporte la pratique de la coupe et de
l'enlèvement des produits appartiennent à un autre sujet (1) ;
nous nous bornons donc, ici, à prémunir la gestion contre les
dommages éventuels qui sont une conséquence inévitable de
l'introduction en forêt de la hache du propriétaire, et, comme
s'il s'agissait de tout autre dégât imputable à l'homme, d'indi-
quer les moyens d'en atténuer les effets.
Sous cette réserve, toutes les misères qui sont de nature à
entraver les énergies productrices de la forêt et que nous
avons intérêt à écarter de son chemin, lui peuvent venir de
l'une des causes suivantes :
1° Dommages causés par l'homme ;
2° Dégâts des animaux ;
3° Dégâts des végétaux ;
4° Dégâts des météores.
(1) L. Boppe, Cours de technologie forestière, Nancy, Bcrger-
Levrault, 1878.
260 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
ARTICLE II
DOMMAGES CAUSÉS PAR L'HOMME
Fait du propriétaire : à l'occasion des exploitations ; — des élagages ; —
des émondages; — des assainissements. — Fait des délinquants :
les causes ; — la répression. — Les concessions de menus produits :
tolérances nécessaires; — menus produits végétaux; — menus pro-
duits minéraux. — Le pâturage : la situation actuelle; — nocuité du
pâturage suivant les régions ; — influence de la nature du bétail
introduit; — de l'état des peuplements; — conclusions. — Les in-
cendies : leurs causes et leurs conséquences; — régions monta-
gneuses ; — zone parisienne ; — régions méridionales.
Fait du propriétaire.
Les exploitations. — Celles-ci comprennent Yabatage des
bois, le façonnage et le transport des produits.
Pour Yabatage, la saison d'hiver est la plus avantageuse
dans les coupes principales des forêts feuillues. Toutefois,
ces travaux doivent être suspendus par les froids rigoureux ;
car, le bois a perdu alors toute élasticité, il brise les outils et
fatigue les bûcherons; les arbres gelés risquent aussi beau-
coup plus de se rompre dans leur chute. Le moment le
plus favorable est la lin de l'hiver et le commencement du
printemps avant l'ouverture des bourgeons.
Les essences résineuses doivent, de préférence, être exploi-
tées en temps de sève, leur bois est alors plus léger et
conserve un plus bel aspect lors du débit; il est aussi plus
facile de les écorcer pour éviter les piqûres des insectes.
Dans le cours de cette saison, il suffit de suspendre les exploi-
tations pendant les deux mois qui suivent la montée de la
sève, époque où les jeunes pousses sont extrêmement fragiles
et pendant laquelle les tiges elles-mêmes guérissent beaucoup
plus difficilement leurs blessures (1).
Quand les arbres feuillus ou résineux sont exploités par
(1) On remarque néanmoins, que souvent, les bois résineux exploités
en été, surtout quand ils sont flottés, sont tachés par le mycélium
de divers champignons dont ils ont pris le germe en forêt. Le redou-
table Merulius lacrymans, qui détruit le solivage et les lambris de
toute une maison, peut y être importé de la sorte.
DOMMAGES C \l SES l'Ait I. IMimmi
26
extraction de souches suivant la forme dited culée noire, leur
chute est facilitée et rendue moins dommageable par L'emploi
du brocqùe en usage dans certaines forêts de l'Ouest et du
Fig. 60. — Abatage à culée noire, à laide de brocques, foret de
Senonches (Eure-et-Loir). (Photographie de M. d'Alverny.)
Centre, notamment, dans celle de Senonches (fig. 60).
h'ébranchage ou holtacje des arbres à abattre sera prescrit
partout où il sera jugé nécessaire dans l'intérêt des régéné-
rations acquises ou des arbres réservés. Bien qu'il soit
plus commode et moins dangereux pour le bûcheron de
262
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
couper les branches de haut en bas, l'opération est meilleure
lorsqu'on la pratique de bas en haut, parce que, dans le
premier cas, les branches coupées, en tombant sur les
branches inférieures encore attachées à l'arbre, les brisent, les
arrachent et occasionnent des déchirures qui déprécient la
tige.
Dans les belles futaies de l'Ouest, pour éviter les dégrada-
tions et les brisures qui pourraient atteindre les longues
Fig. 61. — Bûcheron appuyé sur ses crampons, soutenu par une cein-
ture de corde, et tronçonnant un chêne. (D'après une photographie
de M. Takasima, Elève Japonais à l'Ecole forestière.)
pièces dans leur chute et en déprécier le débit comme bois
de fente et de sciage, on a pris l'habitude de les tronçonner
sur pied en billes de 4 à 6 mètres de longueur (fig. 61 et 62).
Les coupes d'éclaircies peuvent être exploitées indifférem-
ment en toute saison, et même, si l'on a intérêt à éviter la
production des rejets, il vaudra mieux faire l'abalage en été.
Dans les bois feuillus, pourtant, on préfère la saison d'hiver,
parce qu'alors les bûcherons travaillent à meilleur marché,
et aussi parce que les menus bois coupés avec leurs feuilles se
façonnent moins bien et moins proprement que ceux qui en
sont dépourvus; c'est ce qui fait que les fagots feuilles
DOMM \r.i S C m BÉ8 P \i; L'HOMMB.
263
passent, avec raison, pour avoir été coupés en délit, cl les
honnêtes gêna ne les achètent pas.
Aussitôt après leur chute, les arbres sont découpes suivant
le genre du débit qu'ils comportent. Les divers produits ainsi
obtenus sont ensuite rassemblés et disposés de façon à encom-
brer le moins possible le parterre des coupes, en attende ni
qu'on vienne les enlever.
Dans l'enceinte des ventes, le débit des bois ne doit pas
Fig. 62. — Tronçonnement d'un arbre sur pied, forêt de Bellème (Orne).
(Photographie de M. J. George.)
être poussé au delà de la forme d'un premier façonnage brut,
indispensable pour qu'on puisse en faire l'enlèvement et pour
en réduire les poids par la dessication. Il ne faut jamais y
tolérer l'installation de chantiers destinés à transformer la
matière première en produits fabriqués tels que : sabots,
merrains, échalas, sciage, etc.. Cette coutume ramène
chaque année, en forêt, toute une population ouvrière qui
s'installe pendant plusieurs mois sur les points qui demande-
raient à être le mieux garantis ; non seulement les places
d'atelier sont tassées par la fréquentation des ouvriers et de
2G4
EXPLOITATION- ET PROTECTION DES FORE1S.
leur famille, mais le piétinement exerce partout son influence
fâcheuse et les régénérations les mieux assurées ne lui survi-
vent pas. C'est à de pareils abus qu'on doit, dans une certaine
mesure, attribuer la destruction de belles futaies de chêne,
où de maigres régénérations artificielles en pin sylvestre suc-
cèdent aux peuplements les plus riches.
Quoi qu'il en coûte, il faut faire cesser un tel état de
choses. I»ien n'est plus simple que de déterminer, dans
Fig. 63. — Atelier de fente dans la forêt de Senonches.
(Photographie de M. Juvanon du Vachat.)
chaque série, un certain nombre de places bien choisies qui
seront consacrées, d'une manière permanente, à l'installation
des chantiers de débit. Le propriétaire de la forêt pourrait
ainsi faire la dépense de baraquements loués aux adjudica-
taires ; cette première mise de fonds serait bientôt couverte
au grand profit de tout le monde. L'emploi, pour le débar-
dage, de petits chemins de fer ou porteurs Decauville, faci-
literait considérablement les améliorations à introduire dans
des habitudes funestes, enracinées depuis des siècles.
Le transport des produits hors des coupes se fait à dos
ho.MM \<.l S CAUSES l'Ait I IIh.m \n..
265
d'homme ou à la brouette, pour les l><>is de chauffage et les
pièces de faibles dimensions ; au moyen de chariots, d'avant?-
trains ou de traîneaux pour les billes trop grosses pour être
maniées à bras d'homme. Tous ces procédés peuvent être
mis avantageusement en pratique suivant lés cas, el les incon-
vénients cj u 'ils présentent sonl proportionnés à l'intelligence,
au bon vouloir et à l'adresse des charretiers; on doit aussi
Fig\ 6i. — Empilage de planches de sapin, scierie du Grand-Roue
(Vosges). (Photographie de M. J. George.)
tenir compte des dommages causés au jeune recru, qui aug-
mentent avec la longueur sous laquelle les pièces de service
sont maintenues.
Le traînage ou glissage direct des tronces sur le sol, qui
déplace la couverture et commence les ravinements, doit
être proscrit, autant que possible, des coupes principales.
Nous en dirons autant du langage, fût-il amélioré par les
couloirs creusés en cuvette en vue de diriger les billes dans
leur chute. C'est seulement dans la grande montagne que
ces procédés primitifs seront tolérés et cela ne sera jamais
266
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
sans dommages; car on sait combien de billes bondissent
hors dulançoir, et, dans leur chute désordonnée, mutilent ou
brisent tout ce qu'elles rencontrent (fig. 68, /?). On devra tou-
jours leur préférer le transport par traîneaux sur les chemins
de bois dits chemins de schlitte (fig. 65), ou, mieux encore, les
câbles aériens (1). La dépense sera grandement récupérée
Fig. 65.
Le schlittage dans les Vosees.
par la plus-value des marchandises et la meilleure tenue des
peuplements.
Dans les futaies feuillues, le passage des voitures ou des
avant-trains ne fait pas de dommages aussi considérables
qu'on pourrait le supposer : les brins de semis se courbent
sous les pieds des chevaux ou sous les roues des voitures et
se relèvent bientôt sans paraître trop souffrir des lésions qui
leur sont faites. Il suffit d'éviter de faire passer plusieurs voi-
(1) E. Thicry. Étude sur les petits chemins de fer forestiers. Nancy.
Berger-Levrault. 1893. — E. Thiéry et Demonet. Les transports par
câbles aériens) Nancy, Nicole, 1896.
DOMM USES <: \l SIS l'A lt L E10MM1 .
207
(mes de Miile dans le même sillon, ce qui crée un véritable
chemin battu dans lequel tout est écrasé. D'ailleurs, si cela
est nécessaire, on peut avoir recours au recepage. Quand des
soins convenables ont été pris, deux ou trois ans après une
coupe, le fourré sera complètement rétabli sans conser-
ver de traces bien sensibles de la dernière exploitation.
Dans les forêts résineuses, plus de précautions sont néces-
saires, car les jeunes plants écrasés se relèvent difficilemenl et
Fig. 66. — Enlèvement d'une tronce de sapin, vallée de Ravines
(Vosges.) (Photographie de M. Fron).
n'ont pas, comme les feuillus, la faculté d'émettre des
rejets.
D'une manière générale, on peut dire que le dommage
causé au peuplement par le transport des arbres à travers bois
est proportionnel à la longueur des billes plutôt qu'à leur
poids. C'est ainsi que, dans les régions où l'on fabrique de la
planche marchande, les plus grands sapins ou épicéas sont
débités sur place en tronces de 4 mètres, dont le transport se
fait facilement et d'une façon inoffensive (fig. 66). Tandis
qu'il faut avoir vu, dans le Jura, les douze à quinze paires de
268 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS
bœufs attelées à une de ces énormes poutres dont la lon-
gueur dépasse 30 mètres et destinées aux chantiers de cons-
tructions navales de la Méditerrannée, pour comprendre les
ravages que de tels convois font subir à la régénération;
sur une largeur de 4 à 5 mètres, le long de leur parcours,
toute la jeunesse est écrasée. De plus, les ingénieurs forestiers
doivent calculer les courbes de leurs routes avec un rayon
suffisant pour que les prolonges puissent parcourir les tour-
nants sans venir butter contre les talus en déblai.
Quelles que soient les essences, il est d'un intérêt majeur
d'enlever les produits aussi rapidement que possible. Moins
longtemps le parterre des coupes sera fréquenté, mieux s'en
trouveront les peuplements; car, pour réparer les fatigues de
toute sorte qui sont la conséquence nécessaire d'une exploi-
tation, la forêt demande à être au plus vite rendue à elle-
même (1).
Dans les coupes de taillis, la vidange doit être conduite
plus rapidement encore que dans les futaies. Leur fréquentation
par les hommes et les animaux pendant la saison d'été qui
suit l'abatage, devient une cause de dommages considérables
pour la régénération ; car un grand nombre de jeunes rejets
sont détruits alors qu'ils sont cassants et mal attachés. Certai-
nement, il en repoussera de nouveaux au printemps sui-
vant, mais les rejets de la première année sont les plus
abondants et les plus vigoureux ; de plus, il y a toujours
un certain nombre de souches ainsi fatiguées qui ne repous-
sent plus. C'est là une des principales causes de l'appauvris-
sement des taillis en bonnes essences. Pour se rendre compte
de ce fait, il suffit de comparer deux coupes voisines, en tout
semblables et exploitées en même temps; dans l'une, la vi-
dange aura été terminée avant le printemps qui suit l'ex-
ploitation, tandis que, dans l'autre, cette opération se sera
(1) Avec les délais de vidange admis dans la pratique de la vente
des coupes sur pied, l'adjudicataire se sert pendant plus d'une année
du parterre de la vente comme d'un lieu de dépôt dans lequel il peut,
au fur et à mesure de ses livraisons, prendre les produits pour Les
conduire directement au bûcher de l'acheteur. Il gagne ainsi les frais de
chargement et de déchargement qu'il subirait en les accumulant dans
ses chantiers.
Dl 'MM IGES < M SES l'Ali I "ll'iMMI
•_><•,<»
prolongée pendant (oui l'été suivant : la différence entre le
développement «les deux régénérations est saisissante en
faveur de la première.
Les produits dos éclaircies soûl porlés à dos d'homme sur
leschcmins existants. A ce point de vue, il est avantageux de
multiplier, dans les limites raisonnables, le nombre de ceux
qui traversent les massifs, et de rendre praticables aux voitures
Fig\ G7. — Enlèvement de pièces de pin laricio, forêt d'Aitone vCorse)
(Photographie de M. J. Bregeault.)
toutes les lignes d'assiette de l'aménagement. Ces chemins
intérieurs, établis sur une largeur de 2 à 3 mètres lors de
l'exploitation des coupes principales, peuvent être mainte-
nus pendant toute la vie du peuplement sans nuire sensible-
ment à la production totale.
Toutes les précautions qui précèdent sont du ressort de la
gestion. La seule prescription qui concerne les aménagistes est
contenue dans le formulaire des Règles d'assiette. La deuxième
de ces règles dit :
270 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Les coupes doivent être disposées de manière que les bois d'une
coupe en exploitation ne soient pas dans le cas d'être transportés à
travers d'autres coupes récemment exploitées.
Pour s'y conformer, il suffit que chaque coupe soit indé-
pendante des autres et qu'elle aboutisse directement, soit sur
une route ou un chemin, soit sur un ruisseau où le bois
puisse se flotter, soit enfin sur les terres riveraines (1).
Ce qui vient d'être dit, suffit, en général, pour concilier
les exigences de la perception des revenus avec celles de la
régénération. Sans doute, dans la pratique, quelques légères
modifications y seront apportées en vue de mieux les adapter
aux habitudes ou circonstances locales ; mais il est superflu
d'imposer aux adjudicataires des charges souvent onéreuses
que la routine éternise dans les documents administratifs sans
aucun profit pour la forêt. Il en est ainsi, par exemple, de
l'arrachage des épines. A quoi sert, en effet, d'arracher les
épines? Ce travail, lorsqu'on l'exige, est toujours mal fait ;
de plus, la plupart des morts-bois et arbustes dits nuisibles,
notamment les ronces, les épines noires et blanches dra-
geonnent facilement, et l'enlèvement de la souche, qui ne peut
nécessairement s'étendre jusqu'à l'extrémité des racines, pro-
voque leur expansion sur une grande surface.
Les élagages. — A l'occasion des méfaits commis par la
hache ou la serpe du propriétaire, nous devons parler des
élagages. Mais, pour ceux-ci du moins, on a la faculté de
laisser les outils se reposer et, dans la majorité des cas, aussi
bien dans l'intérêt de ses arbres que dans ceux de sa bourse,
le mieux sera de s'abstenir.
L'élagage est une sorte de taille appliquée aux arbres, en
vue de leur donner, en une seule fois, une forme plus avan-
tageuse au moyen d'amputations totales ou partielles des
rameaux réputés inutiles ou nuisibles.
Séduit par l'aspect extérieur des arbres élagués, et faute
de s'être rendu un compte exact de la conséquence des opé-
rations, on a, pendant longtemps, érigé en un véritable sys-
tème d'exploitation forestière cette pratique d'ailleurs excel-
(1) Lorentz et Parade, Culture des bois.
DOMM IGES C m SES l'Ait L iiommi-:.
271
lente pour les arbres de parc ou d'alignement (1). Mais si la taille
(>sl réellement profitable à celui qui — chaque jour— inter-
vient pour diriger un bourgeon bien placé, en vue de lui faire
Fig. 68. — a, Tares indélébiles consécutives à une inscription faite sur
l'écorce. — /), Plaie contuse occasionnée par le choc d'une tronce
lancée sur un versant de montagne. — c, Élagage rez-tronc bien
fait : solution de continuité dans les tissus. — d, Élagage rez-tronc
suivi de pourriture. — e, Elagage en chicot suivi de pourriture.
produire, à son gré, des fruits, des fleurs ou des ombrages
en forêt, où l'on cherche — avant tout — à fabriquer du
bois sain, elle ne saurait être qu'une fallacieuse mutilation.
Il faut se souvenir que l'enlèvement de toute branche de
tout rameau, se traduit par une perte de substance et une
(l) V élagage des arbres, par le comte des Cars, Paris, Rothschild, 1867.
272 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
plaie à recouvrir. Pour permettre à l'arbre qui en est victime
de réparer ces dommages, il lui faut une nourriture supplé-
mentaire qu'un arboriculteur avisé ne lui ménage pas. Mais,
en forêt, qui apportera à l'opéré les médicaments et fortifiants
nécessaires à sa guérison ?
Quoiqu'il en soit, il est certain que l'élagage rez-tronc, à
section verticale, présente certains avantages sur les procédés
en chicot ou à section oblique ; mais il n'en produit pas
moins des blessures incurables, avec tout le cortège de mala-
dies qu'elles engendrent, en dépit des pansements les mieux
appliqués. Le recouvrement (fig. 68, a) cache la surface de
section sans la cicatriser dans le sens physiologique du mot;
et, avant qu'il soit complet, le bois mis à nu a tout le temps
de mourir, de se gercer et l'on sait que toute crevasse est la
porte ouverte aux germes des champignons destructeurs (1).
Aujourd'hui, l'expérience a fait justice de toutes ces chi-
mères et il n'est pas trop tôt d'arrêter les mutilations infligées,
de parti pris, à la plupart des chênes réservés dans les taillis
composés. Il suffit, en effet, d'ouvrir le tronc d'un de ces
arbres pour constater toute l'étendue du mal (l)(fig.68,c,rf,e).
« En fait, dit, M. Broilliard (2), tout arbre constitué ne
saurait être amputé d'une ou plusieurs grosses branches sans
qu'il en résulte un ralentissement dans la végétation, un
trouble marqué dans les fonctions vitales, et une plaie nui-
sible par elle-même et souvent désastreuse par les vices
qu'elle occasionne dans le corps de l'arbre ».
L'élagage doit donc être proscrit des forêts, en tant que
procédé méthodique de traitement, mais on doit se demander
dans quelles limites il est permis d'en user, à titre d'opération
chirurgicale, suivant qu'il s'agit de branches vivantes, de
branches mortes ou de branches gourmandes.
L'élagage des branches vivantes ne peut être toléré que
dans les cas suivants :
(1) Martinet, Garde général des forêts, Considérations et recherches
sur Vèlagage des essences forestières, Paris, librairie agricole, 1876.
D'Arbois de Jubain ville, sous-inspecteur des forêts, Observations
sur le système d'èlagage de Coursai et des Cars, Paris, Rothschild,
1869.
(2) Broilliard, Cours d'aménagement des forets, Nancy, Berger-Le-
vrault et O, 1878, p. 258.
DOMMAGES C ai SES P Ut l HOMME,
273
1° sur 1rs |)l;mls de haute tige élevés en pépinière et
qu'on peul soumettre à une taille raisonnée dans le bul d'a-
méliorer une l'orme défectueuse ;
2° sur les branches basses appartenant à la eime des bali-
veaux de l'Age et des jeunes modernes. La suppression de ces
branches basses, dont le calibre ne dépasse pas 5 à 8 centi-
mètres de diamètre à la base, peut se faire sans graves incon-
vénients, car d'aussi petites plaies se recouvrent bientôt et
les solutions de continuité qui en résultent sont placées près
du centre de l'arbre et n'en déprécient pas sensiblement le
débit; quand il s'agit de chênes, le bois mis ànu étant encore
entièrement à l'état d'aubier, celui-ci se recouvre d'un enduit
gommeux qui le préserve du contact immédiat de l'air et le
met à l'abri des champignons. D'ailleurs, ces branches basses
sont condamnées à disparaître sous l'influence de l'élagage
naturel : en les supprimant on ne fait que devancer la
nature ;
3° il est également permis de couper, si on le juge néces-
saire pour favoriser un ensemencement, les branches appar-
tenant à des sujets destinés à être exploités à brève échéance.
On ne saurait trop se garder de toucher à une branche, quel-
que petite qu'elle soit, sur les conifères ; car, toute plaie faite à
un arbre de ce groupe provoque des écoulements de résine
et des désordres plus graves encore que chez les arbres
feuillus.
Les branches mortes doivent être traitées comme les bran-
ches vives, puisque, pour obtenir le recouvrement, il faut re-
culer le point de section jusque dans le bois vif (1). Il vaut
donc mieux laisser les branches mortes continuer, lentement
et au grand jour, leur œuvre de destruction, en surveillant
le mal pour couper l'arbre avant qu'il soit plus dégradé.
Cette observation s'applique surtout aux grosses bran-
ches mortes insérées directement sur le fût des arbres. Certes,
pour retarder les pourritures, il serait utile de remplacer par
une section nette la cassure esquilleuse qui les termine le
(1) L. Boppe, Cours de technologie forestière. Nancy, Berger-Le-
vraultet O, 1887.
Boppe et Jolyet. 18
274 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
plus souvent ; mais l'opération est trop onéreuse et l'on
évite de faire des sacrifices pour des sujets qui sont affectés
de tare compromettant leur avenir. Du reste, on ne pourrait
pratiquer ces amputations qu'en montant sur les arbres à
l'aide de crampons, dont l'usage est peut être encore plus
nuisible que l'élagage lui-même.
Quant aux branches mortes dans la cime, branches appar-
tenant aux ramifications secondaires, il n'y a pas lieu d'y tou-
cher. Les essences de lumière, notamment les chênes réser-
vés dans les taillis composés, présentent toujours de pareilles
branches dans la couronne, quand ils arrivent à un âge
avancé ; ces cornes sont la conséquence de leur tempérament
et des crises qu'ils ont à supporter après chaque exploitation.
Tant que l'arbre se maintient d'ailleurs vigoureux, elles dispa-
raissent assez vite sous l'effort du vent et, avant longtemps
du moins, leur rupture n'occasionnera aucun désordre sé-
rieux. Au contraire, chez les essences d'ombre, chez les
hêtres principalement, les branches mortes dans la cime sont
toujours un indice fâcheux, et il n'est jamais prudent de
conserver les individus qui portent ainsi les signes d'un dé-
périssement prochain.
M. Mer conseille d'enlever, sur les arbres résineux, les
branches mortes en dessous de la cime, de façon qu'elles ne
soient pas englobées, — véritables chevilles, — dans le fût
qui grossit autour d'elles. Leur amputation se fait à la scie,
à quelques millimètres au-dessus du bourrelet de base, pour
ne pas en entamer les tissus vivants.
Les émondages. — On admet que l'évolution des bran-
ches gourmandes ou des gourmands sur le fût des réserves
est la conséquence du changement d'état que leur impose
chaque exploitation; les gourmands, abandonnés à eux-
mêmes, disparaissent pendant le cours de la révolution. On
accuse leurs évolutions successives d'engendrer des ex-
croissances, des nodosités, des broussins, dont le tissu lâche
et madré, est de qualité médiocre.
L'opération qui consiste à supprimer ces rameaux gour-
mands, porte le nom à1 èbourgeonnement ou d'émondage.
Nombre de forestiers attachent à la pratique des émondages
DOMMAGES CAUSÉS V Mt I. IKimmi .
275
une importance capitale ; d'autres, n'ont dans leur efficacité
qu'une confiance très limitée; un observateur de premier
ordre, AI. le Conservateur d'Arbois de Jubainville les signale
même comme nuisibles à l'égal dos élagages. Nos recher-
ches personnelles nous font partager cette dernière opi-
nion; aussi, sans proscrire systématiquement les émonda-
ges, recommandons-nous de ne pas en généraliser l'ap-
plication et de les restreindre à un petit nombre de cas
particuliers, que tout praticien saura discerner : il y a, pour
les propriétaires qui en abusent par tradition, de sérieuses
économies à réaliser de ce côté.
Quoiqu'il en soit, partout où l'opération sera jugée indis-
pensable, on devra se conformer aux indications sui-
vantes :
1° procéder à l'opération au milieu de l'été, ou mieux, en
automne, de façon à ne pas exposer les ouvriers aux déman-
geaisons avec accès fébriles qu'occasionnent les poils de la
chenille processionnaire très commune sur les chênes ;
2° limiter strictement la coupe aux gourmands dont le
diamètre à la base ne dépasse pas 1 centimètre, en employant
des instruments spéciaux, bien tranchants et maniés avec assez
d'habileté pour ne pas entamer les parties vivantes de l'écorce.
En effet, dès que les branchettes ont dépassé ce calibre, elles
laissent des plaies étendues, dont la marque indélébile déprécie,
lors du débit, les échantillons qui les portent : émondage
devient êlagacje.
Les assainissements. — Mais, dans la trousse du chirurgien
forestier, la hache n'est pas seule à torturer les peuplements.
Pendant qu'elle ampute les arbres soi-disant pour les re-
dresser, la bêche et la pioche, sous prétexte d'hygiène, épui-
sent le sol par d'inutiles saignées.
L'eau n'est réellement nuisible aux arbres que si elle reste
stagnante à la surface du sol pendant la saison de végé-
tation; ces parties marécageuses se présentent, dans la plu-
part des cas, sous forme de tourbières, de mares ou de
fonds de cuvettes sans écoulement. En semblables condi-
tions, on confond, trop souvent, la cause avec l'effet ; car,
si l'eau reste à la surface, c'est que le sol est imperméable,
276 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
aussi bien aux racines qu'à l'eau, et cet inconvénient est
encore plus accentué après qu'avant le drainage.
Quant aux fossés d'assainissement ouverts dans les stations
humides ou aquatiques dont l'eau se renouvelle, ils ont pour
effet de ralentir la végétation des arbres déjà développés. Ils
modifient en mal la qualité du bois des chênes , des
ormes, des frênes et compromettent, enfin, leur mélange
avec les bois tendres. On ne bouleverse pas impunément les
conditions dans lesquelles les arbres ont vécu; car les peu-
plements forestiers se constituent en fonction du sol et de
état permanent de ses propriétés physiques. Quand celles-ci
sont modifiées, l'ancien peuplement dépérit, pour faire
place à un autre dont le tempérament sera mieux en harmonie
avec la situation nouvelle.
Peu importe d'ailleurs l'état submergé d'un terrain en hiver,
quand l'excès d'eau disparaît au moment de la végétation.
On constate que les cantons soumis à ces inondations pério-
diques fournissent les meilleurs chênes de France, aussi bien
dans le Nord que dans le Centre et dans le Midi.
L'assainissement ne se justifie donc que dans les terrains
improductifs par excès d'eau stagnante] dans ce cas, l'opéra-
tion présente un caractère purement local et ne doit être exé-
cutée que si les bénéfices à prétendre sont de nature à
compenser la dépense ; partout ailleurs, l'assainissement érigé
en système, outre qu'il augmente les crues des rivières,
est inutile, onéreux et nuisible au point de vue strictement
forestier.
Au surplus, par la transpiration des feuilles, parla pénétra-
tion des racines et surtout par les propriétés hygrométriques
de la couverture, la végétation forestière exerce sur tous les
sols une action asséchante des plus marquées; aussi, dans
l'immense majorité des cas, l'excès de sécheresse est-il plus à
craindre que l'excès d'humidité.
A l'appui de ce fait, citons un exemple bon à noter.
Partout, en montagne, il est facile de constater les effets dus
à l'ouverture d'un chemin qui coupe la pente d'un versant
quelque peu rapide. Les eaux superficielles d'amont sont cap-
tées par la tranchée des talus de déblai et conduites dans les
DOMMAGES CAUSES PAB L'HOMME, 277
fossés bordiers jusqu'au prochain caniveau, par où elles s'é-
coulent en flots inutiles ef parfois nuisibles par suite des ravi-
nements qu'elles produisent; dès lors, les parcelles d'aval,
privées des eaux superficielles qui les alimentaient, souffrent
de la soif et leur végétation se ralentit. Pour atténuer l'inten-
sité du dommage, le seul moyen est de multiplier les cani-
veaux pour rendre aux eaux leur cours naturel d'infiltration
à travers toutes les surfaces : irriguer, après avoir asséché.
Lors donc qu'il s'agit de remettre en valeur des terrains sans
déclivité que la nature du sous-sol et leur état de nudité ren-
dent marécageux, il peut être nécessaire de faire des assainis-
sements préalables, en vue d'y rétablir l'ancien état boisé;
mais, une fois les peuplements reconstitués grâce à un tra-
vail d'ensemble qui englobe toute une région, la forêt fera le
reste ; c'est du moins ainsi que cela s'est passé dans certaines
contrées autrefois infectées par les fièvres paludéennes et en
partie assainies par la forêt, comme : les Landes de Gasco-
gne (1), la Sologne (2) et les Dombes.
Enfin les intéressantes recherches de M. Chevandier au su-
jet de l'influence des irrigations sur la végétation des forêts
permettent de conclure que de telles améliorations ne peuvent
être généralisées dans la pratique, mais qu'il est utile de
mettre à profit toutes les circonstances dans lesquelles la
nature les fournit sans frais ; — qu'il n'est donc pas
logique, — par exemple, d'assainir d'une façon exagérée les
tourbières dans la haute montagne où elles jouent un rôle
analogue à celui des glaciers et fournissent, en été, l'eau
nécessaire pour irriguer les versants et alimenter les sources
de la plaine.
Fait des délinquants.
Les causes. — De tous temps, les forêts ont eu à souffrir
du voisinage des populations riveraines. Cela tient à ce fai
(1) Chambrelent, Mise en valeur des landes de Gascogne, Bordeaux,
1862.
(2) A. Brongniart, Rapports sur les reboisements de la Sologne
{Annales forestières, t. XI, 1865.)
278 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORÊTS.
que la forêt, avant d'être reconnue, en droit, comme une
propriété privée, était regardée comme un bien banal, où
chacun pouvait prendre ce qui se rencontrait d'utile à
l'entretien du ménage.
De telles traditions à réprimer justifient les rigueurs du
Code forestier. L'enlèvement frauduleux de tout produit du
sol y constitue un délit; le bois mort, les herbes, la litière,
les pierres, etc..., aussi bien que le bois sur pied, rien ne
peut être exporté sans autorisation ; certains faits sont même
punissables, alors qu'ils dénotent la simple intention de
commettre un délit. De ce côté, tout est prévu, le pro-v
priétaire est suffisamment armé; à lui de veiller à l'exécu-
tion de la loi, en faisant bonne garde.
On prévient aussi les délits, dans une certaine mesure, en
donnant satisfaction aux besoins les plus impérieux des ha-
bitants pauvres, au moyen de concessions sagement régle-
mentées. Ces délivrances, limitées comme il sera dit plus
loin, font aimer et respecter la forêt.
La répression. — En ce qui concerne la répression directe,
on remarque que les délits augmentent bientôt lorsque la
police forestière n'est pas assurée d'une manière convenable ;
aussi les propriétaires de forêts ne doivent-ils pas regretter
les dépenses que leur occasionne un personnel de surveil-
lance actif et suffisant ; les économies mal entendues sur les
frais de garde coûtent souvent bien cher. Au surplus, les
fonctions du vrai garde forestier ne doivent pas être limitées
à la répression des délits ; il peut exécuter une foule de
menus travaux, dont l'ensemble représente une somme d'a-
méliorations notables pour la forêt : il est, en un mot, l'auxi-
liaire naturel du propriétaire clans tous les actes relatifs à la
gestion de son domaine. Mais, avant tout, il faut qu'un garde
ait une moralité et une tenue en rapport avec la dignité d'of-
ficier de police judiciaire dont il est investi ; on doit donc le
mettre, par un traitement convenable, dans une situation pé-
cuniaire supérieure à celle des bûcherons et des manœuvres
qu'il dirige.
Bien que, chez nous, le garde forestier ne puisse pas don-
ner à la chasse tout le temps que comporte une source aussi
DOMMAGES CAUSÉS PAH l'iIOMME. 279
importante de revenus pour les forêts, il ne devra jamais s'en
désintéresser. Mieux que personne, il est à môme <!<■
connaître les allures des braconniers, et jamais il n*- manquera
l'occasion de les prendre en flagrant délit. Que si, dans ces
recherches aussi minutieuses que dangereuses, il n'a pas tou-
jours le temps d'opérer lui-même, du moins ses indications
seront-elles des plus précieuses pour les gardes particuliers
spécialement chargés de ce service. L'entente et la bonne
harmonie régneront entre eux.
D'ailleurs, qu'il s'agisse de délits de bois ou de chasse, la
surveillance sera singulièrement facilitée par la création de
chemins de ronde, dissimulés sous bois à quelques mètres des
bordures; en les suivant, matin et soir, pour se rendre à son
travail, le garde qui a quelque sentiment du devoir saura bien
reconnaître sur le sol la trace d'une piste douteuse. De plus,
en pays de montagne tout au moins, l'ouverture de sentiers
de surveillance pénétrant au milieu des massifs a donné
les meilleurs résultats dans les forêts soumises au régime
forestier; leur réseau s'étend tous les jours. D'un parcours
plus aisé que les lignes d'aménagement souvent dirigées
suivant la plus grande pente, ils permettent l'accès de tous
les cantons au garde et à l'agent ; ils font aussi le bonheur
du touriste.
On recommande, enfin, l'emploi de cabanes rustiques
campées sous bois, çà et là; celui qu'elles abritent peut, à
loisir, dévisager le délinquant qui, dans ses randonnées et
ses feintes, passera par mégarde à leur portée. « La vue
permanente, d'ailleurs, de ces sombres sentinelles, engen-
dre, chez le braconnier, une crainte salutaire et le
décide, souvent, à aller en d'autres lieux exercer ses ta-
lents » (1).
Les concessions de menus produits.
Tolérances nécessaires. — La forêt renferme dans son sol
et fournit spontanément un grand nombre de substances uti-
(1) De Brus, Les chasses aux braconniers, Paris, E. Dentu, 1885.
280 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
lisables, d'origine soit végétale, soit minérale, auxquelles on
donne le nom de menus produits. Ce sont, parmi les
produits végétaux : les bois morts, les souches mortes,
les morts-bois, la litière, les feuilles mortes, les herbes,
les fruits, les champignons, les plantes herbacées diverses,
pharmaceutiques ou autres, etc.; et, parmi les produits
minéraux: les pierres roulantes, les pierres en place, les
minerais, castines, sables, la terre de bruyère, la tourbe,
Veau, etc.
Le plus souvent, ces menus produits sont concédés aux
populations riveraines, moyennant des redevances évaluées,
soit en journées de travail, soit en argent. On les considère
comme inutiles à la forêt, et les bénéfices procurés par leur
enlèvement, quelque modestes qu'ils soient, semblent de l'ar-
gent trouvé. H y a lieu de réagir contre cette opinion trop
répandue, en France, parmi le public et même dans le
monde forestier ; car ces concessions donnent lieu à bien
des abus.
D'autre part, il faut reconnaître que certains de ces me-
nus produits satisfont à un besoin réel pour les populations
riveraines des forêts. Il y a lieu, toutefois, de les considérer,
non plus comme la source d'un revenu éventuel, mais, à
la façon du parcours, comme un mal nécessaire. Il est
clair que de tels enlèvements, lorsqu'ils sont modérés, ne
produisent jamais de préjudices bien sérieux ; et ce serait
folie que de vouloir les supprimer d'une façon radicale; ce
qui est à craindre, ce sont les abus auxquels on se laisse
trop facilement entraîner, lorsqu'on ne se rend pas un
compte bien exact des faits, et c'est mal comprendre l'hy-
giène de la forêt que de ne pas attacher à cette question l'im-
portance qu'elle comporte. En forêt, comme ailleurs, les plus
petites causes peuvent avoir des effets désastreux : par exemple,
le parcours ou l'enlèvement des feuilles mortes, en retentis-
sant la végétation, engendrent les invasions d'insectes. On sait
aussi que la forêt demande la tranquillité ; or, la fréquenta-
tion des massifs et l'enlèvement d'une fraction de la cou-
verture morte ou vivante ont pour conséquences nécessaires
de diminuer la production de l'humus, d'amoindrir la densité
DOMM IGES CAUSÉS l'Ait L HOMM1 .
28 i
d(4s peuplements, d'augmenter enfin Le degré de tassement et
de dessèchement du sol : toutes causes qui Boni de nature à
changer bientôt en perle sèche pour le propriétaire, les pré-
tendus bénéfices réalisés sous celte forme.
Il convient donc, parmi ces concessions, de pouvoir discer-
ner celles qui pourraient devenir dangereuses, afin de les
supprimer en temps utile, ou tout au moins de les régle-
menter.
Menus produits végétaux. — L'enlèvement des bois
morts sur pied donne lieu à de nombreux abus : aussi cette
jouissance du bois mort doit-elle être limitée au menu bois
gisant, sans jamais permettre la coupe ou la rupture des
branches sèches encore attachées aux arbres.
Les souches mortes, en se décomposant dans la terre, se
transforment en humus; elles augmentent ainsi la fertilité du
sol et sa porosité. L'extraction n'en est utile que dans des
cas déterminés, par exemple : pour faciliter la régénération
naturelle dans les futaies, les plantations dans les taillis sous
futaie, ou encore pour empêcher le développement exagéré
des insectes dans certaines forêts résineuses.
Les morts-bois contribuent, dans les peuplements jeunes, à
couvrir le sol et à hâter la formation de l'état de fourré. Ils
ne peuvent disparaître sans danger, même quand les grandes
essences se sont constituées en massif au-dessus d'eux. Si,
momentanément et sur certains points, ils deviennent
gênants, c'est sous forme d'opération culturale et non sous
forme de concession qu'il faut s'en débarrasser. En dehors
des contrées où les incendies sont à craindre, le débroussail-
lement radical, ou soutrage, n'est donc jamais justifié.
La récolte des herbes, pour fourrage ou pour litière, ne
doit être tolérée, à la faux ou à la faucille, que sur les che-
mins et les sentiers où les arbres manquent absolument;
partout ailleurs, même dans les vides et clairières, elle ne
doit être permise que par arrachage à la main ; autrement
l'étendue de ces clairières va sans cesse augmentant et jamais
on ne les verra se repeupler. Dans ces conditions, le prix de
la cueillette ne permet pas à la grande et à la moyenne cul-
ture d'en tirer profit. Il y a même lieu de l'interdire d'une
282
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
façon absolue dans les parcelles en régénération ; car ces
herbes protègent les jeunes plants contre les ardeurs trop
vives du soleil, et, quand, par leur présence, elles s'opposent
à l'installation du semis, ce n'est pas en les fauchant qu'on
améliorera la situation : il faut les arracher, en donnant au
sol une légère culture, vers l'époque de la chute naturelle des
graines.
Dans le voisinage des grandes villes, l'enlèvement des
mousses peut aussi prendre des proportions telles qu'il en
résulte un véritable danger. C'est alors par wagons que
la mousse est ramassée ; le sol sans cesse piétiné, tassé,
pelé, s'appauvrit graduellement, au point de ne plus
pouvoir nourrir que de maigres broussailles. L'état dé-
plorable dans lequel se trouvent certaines forêts des en-
virons de Paris n'a pas d'autres causes, et le temps n'est
pas loin, où il faudra chercher un mode de traitement com-
patible avec des déprédations qu'on sera de plus en plus
impuissant à empêcher.
Les graines forestières telles que : glands, faînes, doivent
être ramassées à la main, sur le sol, dans les cantons où
l'on ne désire aucune régénération par la semence. Le ra-
massage au moyen de râteaux, balais, est nuisible, en ce qu'il
déplace ou détruit la couverture ; en aucun cas, si ce n'est
pour son usage particulier, le propriétaire ne devra permet-
tre la récolte des graines sur les arbres.
La cueillette des haies comestibles tels que : fraises, fram-
boises, myrtilles, etc., occasionne des piétinements et des
ruptures de tiges parfois très préjudiciables dans les jeunes
peuplements; il est bon de soumettre ces tolérances à des
restrictions, dans les cantons où elles ne pourraient être
exercées sans dommage.
L'enlèvement des champignons comestibles ne présente
d'autres dangers que ceux auxquels sont exposées les per-
sonnes qui les récoltent, lorsqu'elles commettent des erreurs
sur les espèces. Nous avons vu que l'un d'entre eux, la truffe,
acquiert môme, dans certaines régions méridionales, une im-
portance assez considérable pour engager les propriétaires à
disposer les peuplements dans les conditions les plus favora-
DOMM \i,i:s CAUSÉS l'Ait I. IIommi .
283
bles à sa production, sans tenirtrop grand compte dea pro-
duits ligneux.
Quanl aux pla nies herbacées ramassées pour leurs vertus
pharmaceutiques ou extraites en molles pour une transplanta-
tion, il est clair que leur disparition est toujours limitée à un
trop petit nombre de sujets pour que la fertilité du sol puisse
en subir un dommage appréciable. Néanmoins, on entend les
botanistes se plaindre, avec raison, de ce fait que, dans le voi-
sinage des villes, les belles plantes sauvages disparaissent sans
autre profit que celui qui est réalisé par les maraudeurs qui en
font le commerce; en effet, ces plantes, organisées pour vivre
dans les conditions de sol et de couvert que leur ménage la
forêt, périssent infailliblement dès qu'elles sont transplantées,
en plein air, dans les jardins : si l'on a intérêt à cultiver cer-
taines d'entre elles, c'est par la semence qu'il faut tenter de le
faire.
Nous ne saurions trop répéter que l'enlèvement des feuilles
mortes, qu'elles soient destinées à faire de la litière ou à
tout autre usage, ne doit être toléré nulle part.
Ajoutons enfin que ces petites industries delà forêt ne sont,
en général, pratiquées que par des infirmes, des paresseux
ou des insoumis, à qui, trop souvent, elles servent de prétexte
pour se livrer au braconnage.
Menus produits minéraux. — Si, des matières végétales,
on passe aux matières minérales, les inconvénients des extrac-
tions, pour être d'une nature différente n'en sont pas moins
réels. Sur les pentes rapides, l'enlèvement des pierres rou-
lantes occasionne des éboulements de débris qui causent des
plaies dangereuses au pied des arbres. On constate qu'en
semblable situation, si, dans les éclaircies, on ménage les petites
perches dominées mais encore vivantes, celles-ci arrêtent les
pierres et, en diminuant leur vitesse de chute, préservent les
arbres d'avenir.
La délivrance de blocs dans les moraines et les murgcrs, des
montagnes granitiques, détruit les conditions d'équilibre delà
masse et occasionne des éboulements ; de plus on sait que là,
plusqu'ailIeurs,toutdéplacementde la surface empêchele reboi-
sement naturel de ces parties rocheuses et en éternise la stérilité.
284 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORÊTS.
Quand les matériaux sont extraits de carrières, il en résulte
des défrichements qui diminuent la surface en production
tant que dure l'occupation ; et, dans la suite, de longues
années s'écoulent avant que le terrain puisse rentrer dans le
cadre du traitement appliqué aux parcelles environnantes.
En outre, ces dernières ont à souffrir du voisinage des ou-
vriers, et, sur tout le périmètre des parties occupées, il se
crée des lisières, avec toutes les conséquences fâcheuses que
l'on connaît.
Les exploitations en galerie, sous le soldes forêts, amènent
l'ouverture de crevasses, des effondrements, des chutes d'ar-
bres, des troubles nombreux dans la jouissance et des pertes
sensibles pour le propriétaire de la surface. Il est nécessaire
de tenir compte de tous ces faits lors du règlement des indem-
nités qui lui sont dues, soit par l'exploitant quand les mar-
chés ont été consentis amiablement, soit par les industriels à
qui certaines législations spéciales confèrent des droits con-
sidérables.
Enfin, s'il s'agit de concessions d'eaux, il sera bon de les
limiter aux eaux courantes qui sortent de la forêt, en inter-
disant les travaux de captage qui pourraient assécher une
partie plus ou moins étendue de la surface.
Le pâturage.
La situation actuelle. — Le pâturage, même modéré,
appauvrit la forêt ; Vabus est sa ruine.
On désigne sous le nom général de parcours, le fait d'in-
troduire des animaux domestiques en forêt pour les y faire
pâturer ; le plus souvent, on distingue le pâturage qui s'ap-
plique aux bêtes aumailles, — du pacage, qui se rapporte
particulièrement au menu bétail : chèvres et moutons, —
et du panage, qui ne concerne que les porcs.
Mettre une forêt en défends, c'est en interdire l'entrée aux
bestiaux, parce que les jeunes bois n'y sont pas assez élevés
pour échapper à Vahroutissement. On appelle forêt défensa-
hle celle qu'on peut ouvrir au parcours parce qu'elle n'a plus
rien à craindre de la dent du bétail.
DOMMAGES CAUSAS PAH L'HOMME. 285
Tout propriétaire, en vertu desondroil d'user de la chose
qui lui appartient, peul exercer le parcours dans ses forêts;
à lui d'apprécier le dommage qu'il en Bubira. Depuis les pre-
miers temps du moyen âge, «les droits de celle nature oui été
aussi concédés, sous forme de servitude d'usage, aux popula-
tions riveraines, par les seigneurs propriétaires; on a tout
bénéfice à s'affranchir de ces lourdes charges par le rachat à
prix d'argent, dans les conditions prévues par la loi. Le par-
cours peut enfin être exercé en délit, sans le consentement du
propriétaire; il constitue alors un fait punissable. C'est affaire
de surveillance.
Nocuité du pâturage suivant les régions. — Actuel-
lement, dans les pays de coteaux et de basses montagnes des
zones parisienne et girondine, où le climat est assez humide
et la terre assez fertile pour permettre la culture et le fau-
chage des prairies naturelles et artificielles, le parcours n'a
plus sa raison d'être. A vrai dire, la forêt ne porte d'herbes
nutritives que dans les très jeunes bois et dans les vides ;
on tourne, dès lors, dans un cercle vicieux ; car, si la forêt
produit d'autant plus d'herbes qu'elle est en situation plus
précaire, c'est alors qu'elle a le plus besoin de repos et
qu'il faut en éloigner le bétail ; aussi, les cultivateurs
avisés se rendent-ils parfaitement compte du bénéfice illu-
soire qu'on tire de cette pratique lorsque, comme de raison,
elle est limitée aux seuls cantons défensables; ils savent
que, dans toute forêt en état moyen de production ligneuse,
l'étendue de ceux-ci va du tiers à la moitié de la surface
totale et qu'on n'y rencontre pas plus d'un dixième de
vides. Dans ces conditions, on a calculé que le bénéfice
annuel oscille entre 60 centimes et 1 fr. 50 par hectare
pour l'ensemble de la forêt et que le nombre des bêtes à
admettre ne doit pas être supérieur à une tète par 2 à 4
hectares de cantons défensables; entre ces limites, les
chiffres varient avec la nature du sol, avec la fertilité
du climat , avec la composition des peuplements et
leur traitement , suivant enfin les ressources qu'ils pré-
sentent en herbe : dès qu'elle sont dépassées, on peut
être assuré que le bétail, faute d'herbe, attaquera le
286 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
bois (1); un si mince profit est loin de compenser la perle
totale des engrais et le dommage éventuel causé aux arbres.
Il faut des années exceptionnellement sèches, comme l'été
de 1893, pour que, dans ces régions, on ait intérêt à lâcher
le bétail dans les bois ; ceux-ci rendent alors un service si-
gnalé à l'agriculture, en lui permettant, non pas de tirer une
rente du bétail admis au parcours, mais simplement de le
maintenir vivant jusqu'à la prochaine récolte. Et à quel
prix! La crise passée, la forêt cache ses blessures sans les
guérir, et ce n'est que plus tard, alors que viendront en
tour d'exploitation les peuplements pâturés à l'état de jeune
bois, qu'on pourra évaluer l'énormité du dommage; nos en-
fants paieront nos méfaits.
Il n'en est pas de même dans les hautes montagnes, et dans
les régions provençales où, en été, toute trace de verdure
ayant disparu en sol découvert, on ne rencontre plus de rares
brins d'herbe que sous l'abri des buissons et des arbres. Dans
l'un et l'autre cas, pâturage et pacage deviennent une néces-
sité, et il faut s'incliner devant la formule du primo vivendi.
Toutefois, si l'on va au fond des choses, on constate que,
souvent, ces besoins sont plus artificiels que réels. Dans
la haute montagne, la question du pâturage en forêt est
entièrement liée à celle du pâturage en général, question
vitale et pleine d'actualité, dont les pouvoirs publics sont
en ce moment saisis, mais qui demande trop de développe-
ments pour être traitée ici avec tous les détails qu'elle
comporte.
Quant aux forêts méridionales de la plaine et de la basse
montagne, taillis de chêne yeuse et de chêne blanc, elles sont
toutes plus ou moins ruinées, l'antique capital bois ayant été
progressivement dévoré par les moutons; dans l'état de dé-
gradation où elles se trouvent, beaucoup ont été transformées
depuis longtemps en pâtures ligneuses n'ayant plus de forêt
que le nom. Il n'est pas surprenant, dès lors, que certaines
rapportent en viande et en laine beaucoup plus qu'en bois (2).
(1) A. Mathey, Le pâturage en forêt, Besançon, Paul Jacquin, 1900.
(2) V. de Larminat, Inspecteur-adjoint, Les forêts de chêne vert,
Troyes, Lacroix, 1893.
DOMMAGES CAUSÉS l'Ail l'uOMMI. 287
Voilà L'argument fondamental invoqué en faveur du par-
cours.
Encore serait- il juste, du moins en ce qui concerne les forêts
communales, que chacun des habitants, qui réprésente une
fraction du propriétaire, fùl appelé à prendre sa pari <l<*
profit dans celle mobilisation du patrimoine commun. Or, il
n'en est pas ainsi, et la manière dont s'exerce ce parcours
ruineux est aussi injuste qu'anti-démocratique.
Citons un exemple entre mille. D'après un document ré-
cent (J), la situation des forêts sur le versant méridional du
mont Ventoux a élé établie de la façon suivante, au point de
vue du parcours : « 6,1 °/0 seulement du total des chefs
de famille usent de celte part de la propriété commune à
tous les habitants, et parmi ces 6,1 °/0, 2,6 °/0, les plus
riches, possèdent des troupeaux nombreux et accaparent la
totalité des produits. »
Il faut avoir habité la montagne, ajoute l'auteur, pour se
faire une idée de l'âpreté avec laquelle les gros propriétaires
luttent contre le reboisement.
Ce sont ces égoïstes obstinés qui peuplent les conseils mu-
nicipaux. Pour mettre fin à leurs exigences insatiables, les
agents forestiers préposés à la défense du patrimoine com-
mun sont unanimes pour demander, comme seul remède
pratique, d\i ffouager les pâturages : ce qui revient à donner
à chaque feu sa légitime part des produits des pâturages,
comme cela se fait pour ceux des forêts (2).
Quoi qu'il en soit, puisque le pâturage est un mal néces-
saire, il importe de connaitre ses conséquences afin de mieux
le réglementer. On constate que l'intensité du dommage va-
rie d'une part, suivant l'espèce de bétail admis au parcours,
d'autre part, suivant la nature du sol, suivant l'âge et l'état
des peuplements qui le subissent.
Influence de l'espèce de bétail. — La chèvre est celui des
animaux domestiques qui cause le plus de mal à la forêt.
(1) F. Tessier, Inspecteur-adjoint, Les forêts du versant méridional du
mont Ventoux. (Revue des eaux et forêts, n°s de janvier et février, 1900.)
(2) Ch. Guyot, Le régime pastoral (Revue des eaux et forêts,
août 1899.)
288 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
On la laisse divaguer en toute saison : ce qui fait qu'elle se
nourrit presqu'exclusivement des jeunes plantes ligneuses
qu'elle peut atteindre jusqu'à une assez grande hauteur
en se dressant sur les pattes de derrière. Pour la chèvre, il
n'y a pas de cantons défensables; de plus elle s'aventure,
par instinct, dans les endroits les moins accessibles où la
végétation forestière ne s'installe que sous l'influence d'un
repos absolu.
Bien qu'à nombre égal, ils soient moins nuisibles que les
chèvres, les moutons sont aussi des hôtes très dangereux,
surtout si on les laisse cheminer à leur gré, ou séjourner
longtemps sur le même point ; car, alors, ceux qui marchent
en tête du troupeau n'avancent qu'après avoir brouté le
meilleur de l'herbe. Ceux qui suivent tondent les touffes de
plus près et il ne reste aux derniers que les racines, si bien
que, à défaut de celles-ci, ils doivent attaquer le bois pour
ne pas mourir de faim. Quand, par force majeure, la forêt
doit leur être ouverte, on peut user des précautions sui-
vantes pour atténuer le dommage et retarder la ruine :
donner la préférence aux petites races, — composer le trou-
peau en brebis plutôt qu'en moutons. Dans ce cas, le berger
qui les dirige devient un véritable administrateur : il doit
être intelligent, vigilant et habile à donner tous ses soins à
l'élevage (1) ; il offre donc, à tous égards, beaucoup plus de
garantie que le chemineau quelconque à qui l'on confie les
troupeaux nomades.
Les bêtes à cornes pâturent les jeunes plants forestiers en
même temps que les herbes ; elles en arrachent un grand
nombre, surtout par les temps pluvieux. Les chevaux et les
ânes feraient moins de mal, s'ils se contentaient des jeunes
pousses que leurs dents coupent net sans les arracher ; mais,
trop souvent, en rongeant les écorces, ils font de graves
blessures dans la partie du tronc qui a le plus de valeur.
Toutes ces bêtes aumailles tassent le sol et arrêtent le fonc-
tionnement des réactions qui entretiennent sa fertilité.
De tous les animaux domestiques, les porcs sont cerlaine-
(1) V. de Larminat, loc. cit.
DOMMAGES CAUSÉS PAR l'hOMMJ . 289
ment les moins nuisibles à la forêt. M;u's il ne faudrait pas
abuser de leur séjour permanenl dans des espaces restreints.
Témoins, tous ces cantons qui nous sont parvenus sous le
nom de clairs-chênes et qui, tant qu'ils ont été fréquentés
par les hardes, n'étaient peuplés que de vieux « glandiers •>
disposés à la façon d'une Normandie, où les chênes, comme
des pommiers, laissaient tomber leurs branches jusqu'à terre,
sur un sol nu, sans cesse tourmenté par les souilles, où nulle
végétation n'avait le temps de s'installer; le repos en a fait
d'excellents massifs où le chêne abonde.
A ces dégradations, il faut encore ajouter celles qui
sont le fait des pâtres, souvent des enfants, dont les
jeux, taxés d'innocents, se traduisent par de véritables actes
de destruction : l'un étêtera un jeune brin d'avenir ; un autre
détachera un lambeau d'écorce sur le cerisier, le bouleau ou
le sapin le plus lisse de la forêt, ou gravera son nom sur le
fût d'un hêtre (fig. 68a) ; un troisième, allumera du feu dans un
vieux tronc, y laissera couver un tison d'où naîtra l'incendie ;
tous s'amuseront à faire rouler sur les pentes des pierres qui,
en rebondissant, iront frapper les arbres et leur ouvrir de
larges plaies. Ces petits méfaits, que le jeune âge excuse,
finissent, lorsqu'ils sont répétés tous les jours, par coûter à la
forêt plus cher que le salaire d'un pâtre sérieux et intelligent.
Influence de l'état des peuplements. — Les feuillus ont
plus à souffrir que les résineux, les essences de lumière plus
que les essences d'ombre. Les peuplements jeunes sont les
plus malmenés par le bétail; plus aussi, on s'approche du mo-
ment de la régénération, plus le pâturage est nuisible; pour
bien faire, tout bétail doit être exclu des cantons en voie de régé-
nération dix ans au moins avant l'ensemencement et douze ou
quinze ans après la naissance des semis ou des rejets; il en ré-
sulte que les bois d'âge moyen peuvent seuls être déclarés
défensables; or, ceux-ci, étant les plus serrés, renferment le
moins d'herbe. Quant aux forêts jardinées ou furetées, qui
toujours sont mélangées de jeunes bois, le bétail ne devrait
jamais y pénétrer en principe. Telle est la source de l'éter-
nelle querelle entre usagers et propriétaires, entre cultiva-
teurs et forestiers.
Boppe et Jolyet. 19
290 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Quand le sol est en pente rapide, qu'il soit d'une nature
terreuse ou couvert de pierrailles, le parcours y augmente les
chances de ravinement ; dans le dernier cas, les bestiaux
détachent des pierres roulantes qui occasionnent, au pied
des arbres atteints, des tares, bientôt suivies de pourritures ;
sur les plateaux terreux ou mouilleux le plus grand dommage
vient du tassement.
Conclusions. — Tels sont les faits contre lesquels on doit
se prémunir. On n'y parviendra qu'à l'aide des précautions
suivantes :
1° s'assurer contre les délits par une surveillance constante
sur les points les plus exposés ;
2° établir une forte et solide clôture entre le sol boisé et les
pâturages voisins, faire de même le long des pistes fréquentées
par les troupeaux. Cette clôture sera, suivant les cas, un fossé
difficile à franchir, avec les terres disposées en rempart à
l'intérieur du bois, — : un mur en pierres sèches, — des haies
vives, — un landrage en bois brut disposé à la Suédoise, —
un cordon en fil de fer nu ou façonné en ronce artificielle;
3° enfin, soumettre le droit de parcours aux restrictions
sévères dont on trouvera le détail aux articles 66 à 85
du Code forestier.
Constatons, en terminant, que dans toute l'Europe centrale,
le xixe siècle aura eu pour mission de réparer, dans les forêts,
les désordres imputables au pâturage pendant les temps pas-
sés. Veillons ! 1
Les incendies.
Leurs causes et leurs conséquences. — Les incendies
dans les forêts sont occasionnés, le plus souvent, par des im-
prudences ou par la malveillance ; ils proviennent très rare-
ment des effets de la foudre. Presque toujours, le feu, allumé
sur le sol, est alimenté par des matériaux inflammables qui s'y
accumulent pendant la sécheresse ; il se propage parfois sur
de très grandes surfaces.
Du niveau du sol, il peut s'élever jusqu'au sommet des
arbres résineux, dont les aiguilles gorgées de résine sont in-
DOMMAGES CAUSÉS l'Ail l'hOMMB, 291
flanimablcs à l'état vert, et alors, de proche en proche, des
massifs considérables peuvent être entièrement dévastés*
Rarement il gagne la cime des arbres feuillus.
Par un temps sec, si la saison est favorable, il suffit d'un
fragment d'allumette ou d'amadou encore en combustion,
d'une étincelle échappée du fourneau d'une pipe ou d'un
cigare, d'une bourre enllammée par la décharge d'un fusil,
d'un charbon tombé du cendrier d'une locomotive pour
déterminer l'embrasement presque subit d'un espace trop
étendu pour qu'un homme seul puisse l'éteindre.
D'ailleurs, le nombre des incendies et la gravité de leurs
conséquences varient suivant les régions que l'on considère.
Régions montagneuses. — Sous le climat humide de la haute
montagne, la couverture morte est toujours mouillée et le feu
ne s'y propage pas facilement ; aussi, malgré la constitution
des forêts en massifs résineux, les incendies sont-ils peu à
craindre. Toutefois, il ne faut pas abuser de cette apparente
sécurité pour commettre des imprudences : les feux qu'on
allume volontairement en forêt doivent être surveillés, en
montagne comme partout ailleurs ; il faut éviter de les placer
sous le feuillage des arbres résineux, dont les branches trop
basses pourraient être atteintes par la flamme, et on ne doit
jamais abandonner un brasier sans l'avoir éteint complètement.
Zone parisienne. — En plaine, dans la zone parisienne, où
les forêts sont en majeure partie peuplées d'espèces feuillues,
l'incendie ne quitte guère le sol. C'est au printemps, quand
les feuilles mortes sont desséchées par le vent du Nord-Est
(vulgairement appelé le haie de mars), que le feu prend ; le
danger existe pendant quelques semaines au plus, car il suffît
que les herbes entrent en végétation pour l'écarter.
L'incendie se propage en détruisant la couverture, il en-
dommage les parties inférieures des tiges et les portions de
racines qui sont à découvert. Poussé par le vent, il marche
dans la même direction que lui, et s'avance tant qu'il trouve
des aliments et aussi loin que le massif se prolonge, à moins
qu'une pluie abondante ou les secours l'arrêtent.
Les gros arbres en souffrent généralement peu ; par contre
les jeunes tiges sont presque toujours mortellement atteintes;
292 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
il est d'ailleurs, facile, de se rendre compte de la situation en
examinant les couches cambiales mises à nu par de légères
incisions pratiquées au couteau sur quelques tiges de moyenne
grosseur, choisies dans les cépées de toutes les essences.
Dès que cette couche apparaît, teintée en noir, même légère-
ment, il faut prescrire le recépage immédiat ; sinon, la pousse
encore possible des feuilles masque la situation : il arrive
que les bourgeons, grâce à l'eau qui monte dans les tissus
ligneux, parviennent encore à s'ouvrir; mais la sève élaborée
ne pouvant plus descendre et se diffuser par la couche
cambiale nécrosée, les racines insuffisamment nourries, si
elles ne sont pas complètement mortes, au printemps sui-
vant, ne donneront plus, du moins, que des rejets chétifs
et sans avenir. Dans le doute, le mieux est encore de se
résoudre au sacrifice immédiat; car, si un grand nombre de
tiges partiellement atteintes continuent encore à vivre
tant bien que mal, on voit apparaître à leur pied, sur les
zones brûlées, des plaies chancreuses qui ralentissent leur
croissance et déprécient la marchandise.
Il faut veiller avec soin à la préservation des bois résineux
d'origine artificielle, pour qui le danger est permanent sur-
tout pendant les années sèches, comme l'été 1893, où l'on a
vu les incendies prendre le caractère de désastres, aussi bien
en France que dans la Campine Belge. Aussi, dès qu'une
de ces forêts est plus particulièrement exposée par la proxi-
mité d'habitations ou d'une ligne de chemin de fer, y a-t-il
lieu de procéder au nettoiement du sol et, dès l'état de
gaulis, d'élaguer les branches basses jusqu'à 50 ou 60 centi-
mètres au-dessus de terre ; mais, sous cette réserve expresse
que les brindilles provenant de ce travail, au lieu d'être
abandonnées sur le sol, comme cela se fait trop souvent, se-
ront emportées au loin, hors des enceintes parcourues;
autrement c'est enfermer le loup dans la bergerie. En sem-
blable situation, il sera prudent, de la part des compa-
gnies de chemin de fer, dont la responsabilité est si sé-
rieusement engagée, de s'entendre avec les propriétaires
riverains de la voie et de leur fournir les subventions néces-
saires pour procéder à ces travaux de préservation, en tenant
DOMMAGES CAUSAS l'Ait [/HOMME, 293
la main à leur exécution. La division des surfaces par de
larges tranchées garde-feu, comme nous recommandons
plus loin de le faire, serait encore d'un grand secours.
En général, le feu n'est pas allumé par la malveillance;
personne, clans cette région, n'ayant intérêt à détruire l'état
boisé.
Dès qu'un incendie est signalé, les populations riveraines
doivent, au besoin, être mises en demeure d'accourir pour
l'éteindre; il faut reconnaître que leur bonne volonté ne fait
jamais défaut, et que, le plus souvent, leur concours est
spontané. Les hommes arrivent munis de pelles, de pioches
et de râteaux ; si l'incendie ne présente qu'un foyer peu actif
et peu étendu, on éteint le feu en le piétinant, en le couvrant
de jets de terre, ou en le frappant avec des branchages ;
toutefois ce dernier moyen n'est pas trop à recommander,
car, en lançant des flammèches dans toutes les directions, on
peut allumer de nouveaux foyers en arrière des travailleurs.
On attaque le feu de préférence par ses flancs et dans le sens
de sa marche, en cherchant à rétrécir de plus en plus la largeur
du front jusqu'à fermeture complète.
Quand le foyer est trop ardent pour qu'on puisse l'appro-
cher et, pour ne pas exposer ses hommes à des accidents, le
chef des travaux se transporte avec une bonne équipe en
avant du feu et dans sa direction ; là, les travailleurs, avec
des râteaux, débarrassent une bande de terrain de tous les
matériaux combustibles ; cette bande est tracée perpendicu-
lairement à la direction du feu et à une distance suffisante
pour qu'on ait le temps d'achever le travail avant son arrivée ;
il s'éteint, alors, faute d'aliments. Si, néanmoins, la flamme
franchit cet obstacle, elle a, du moins, perdu sa violence, et
on l'étouffé. Ordinairement il suffit de donner à la tranchée
une largeur de 2 à 3 mètres.
L'incendie réprimé, on doit veiller sur le théâtre du feu
jusqu'au moment où il n'y a plus à craindre de le voir se
ranimer. 11 faut remarquer qu'un tison peut couver long-
temps encore dans les arbres creux, dans les troncs pourris,
dans les racines et qu'il faut l'éteindre parfois, soit en l'inon-
dant, soit en l'étouffant sous des jets de terre.
294 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Régions méridionales. — Dans les climats méridionaux,
et, plus particulièrement dans l'Esterel et dans les landes de
Gascogne, les incendies sont le fléau des forêts résineuses.
La fécondité du climat, la nature siliceuse du terrain font
naître à profusion, sur le sol des forêts, des plantes socialse
qui se dessèchent en été et couvrent la terre de matières
inflammables. Les forêts en terrain calcaire avec leur flore
plus variée et surtout plus riche en arbustes à feuilles per-
sistantes, sont, à ce point de vue, beaucoup moins exposées
que les précédentes.
Dans les forêts des Maures, dit M. Faré (1), sous le couvert des
pins maritimes et des chênes-liège qui, avec le châtaignier, forment la
grande masse des peuplements, la végétation arbustive se développe
sur le sol en buissons impénétrables, les cystes et la bruyère arbores-
cente sont, de beaucoup, les espèces les plus dangereuses. Pendant la
saison chaude, ce sous-étage, à l'état naturel dans tous les massifs de
la contrée, parvient à un tel degré de dessiccation, qu'il suffit d'une
étincelle pour produire la combustion. Lorsque le feu s'est déclaré, il
se propage avec une rapidité plus ou moins grande suivant la violence
du vent, et on est disposé à admettre que, si le mistral souffle avec
force, tous les moyens employés pour combattre l'incendie sont, le
plus souvent, inefficaces et dangereux pour les travailleurs. Dans ces
circonstances, les cônes de pins seraient un agent de propagation des
plus dangereux; de nombreux témoins occulaires affirment, en effet,
que, sous l'influence de la chaleur de l'incendie, ces cônes encore verts
éclatent et que leurs débris enflammés peuvent allumer de nouveaux
foyers à plusieurs centaines de mètres de leur point de départ ; les
flammèches et les fragments des écorces de résineux, qui pétillent
sous l'action du feu, concourent au même résultat, de sorte qu'il n'est
pas rare de voir de nouveaux incendies se multiplier en dehors de la
ligne où les travailleurs combattent la marche du feu. Ces conditions
font de l'arrêt de l'incendie une opération toujours délicate. Le plus
souvent, les secours, quelques dévoués qu'ils soient, restent impuis-
sants contre les forces aveugles du fléau et le feu ne s'arrête que lors-
qu'il n'y a plus rien à dévorer.
Ces incendies proviennent, pourla plupart, de l'imprudence
des fumeurs, des chasseurs, des ouvriers charbonniers ou de
ceux qui pratiquent les écobuages. On dit même que le feu
peut être allumé et communiqué à distance par les déga-
gements d'huiles essentielles odorantes, produits, pendant les
grandes chaleurs, par certaines plantes de la famille des la-
(1) Faré, Enquête sur les causes des incendies dans la région des
Maures et de l Ester el, Imprimerie nationale, 1869.
DOMMAGES CAUSES PAH [/HOMME, 295
biées : lavande, thym, Berpolel etc.»; celle assertionaura.il
besoin d'être continuée. On ;i malheureusement trop de
preuves qu'ils doivent aussi être attribués à la malveillance.
Il est rare que le lover conserve la forme du l'en courant
sur le sol ; presque toujours, il monte dans les cimes des pins,
entraînant la mort de tous les arbres atteints, quand même
il ne s'attaquerait qu'aux brindilles sèches et aux feuilles ou
aiguilles; le plus souvent, d'ailleurs, les arbres ne sont con-
sumés en entier que lorsqu'ils sont creux. Les cantons ainsi
parcourus doivent être exploités, et, dans les massifs trop
jeunes pour donner de la semence, les espèces feuillues repa-
raissent seules sous forme de rejets ou de drageons.
Le seul moyen efficace de diminuer les chances de sinistres
est le déhroussaillement . L'opération est malheureusement
trop coûteuse pour qu'on puisse l'imposer à tous les proprié-
taires ; cette dépense est évaluée en moyenne à 80 ou 100 francs
par hectare, pour la première opération; les débroussaille-
ments ultérieurs, qui doivent être répétés à des intervalles de
5 à 10 ans, coûtent, suivant les difficultés locales, de 5 à
10 francs par hectare. Dans l'impossibilité de détruire la cause
des incendies, on a eu recours à une loi spéciale promulguée
les 6 juillet-3 août 1870, pour en limiter les effets. Cette loi
interdit l'usage du feu, même pour les exploitations fores-
tières ou agricoles usitées sous la dénomination d'écobuage,
taillards, issards et petit feu, en dehors des époques déter-
minées par des arrêtés préfectoraux. Elle prescrit, en outre,
l'ouverture et l'entretien de tranchées garde-feu, soigneuse-
ment défrichées et d'une largeur de 20 à 50 mètres entre
deux propriétés contigues et non débroussaillées. Si cette
loi était sévèrement appliquée, on pourrait en attendre de
sérieux résultats.
Dans les landes de Gascogne (1), les forêts sont de création
récente ; elles sont en presque totalité peuplées de pins mari-
times que l'on résine. Comme dans les Maures, les incendies
se propagent sous l'influence de la végétation buissonnante
extrêmement touffue et formée d'ajoncs, de bruyères, de fou-
(1) Rapport de M. Faré, Enquête sur les incendies dans la région des
landes de Gascogne. Imprimerie nationale 1873.
296 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORÊTS.
gères et de diverses plantes herbacées parmi lesquelles il faut
citer la Canche en gazon (A ira cespitosa).
Les causes des incendies sont les mêmes que partout ail-
leurs, mais ici il faut attribuer une beaucoup plus large part
aux accidents causés par la circulation des locomotives et,
aussi, à la malveillance. On a constaté, en effet, que, trop
souvent, surtout dans les forêts plantées en exécution de la
loi de 1857, les bergers allument le feu, volontairement, dans
le but de détruire un état boisé qui entrave la jouissance
des terrains autrefois livrés au parcours. Les meilleures
précautions à prendre sont encore le débroussaillement et
l'ouverture de tranchées garde-feu peuplées d'essences feuil-
lues et plus spécialement de chêne pédoncule et de chênes
américains : Q. tinctoria, Q. phellos, Q. palustris...
Quoiqu'il en soit, dans ces deux régions, le feu a déjà causé
des pertes immenses. Comme on est sans cesse exposé à de
nouveaux ravages, il faut savoir comment s'y prendre pour
arrêter la marche de l'incendie.
Au premier signal, dit M. Faré (1), il faut réunir sur le lieu du
sinistre des travailleurs en grand nombre, placés sous une direction
éclairée et munis des instruments nécessaires. Mais, comme la popu-
lation est peu dense et les chemins aussi peu nombreux, il y a d'ordi-
naire bien du temps perdu avant que les secours soient organisés. Les
habitants d'une commune une fois réunis devraient être placés sous
la conduite d'un homme compétent qui imprimerait à tous les efforts
une direction unique. Il arrive souvent, en effet, que, par suite du
défaut de commandement, les secours se divisent au grand détriment
du résultat à obtenir, et la vie des travailleurs se trouve môme
parfois menacée. Le manque d'instruments de travail paralyse parfois
le dévouement, et, à ce propos, on a fait remarquer la convenance de
placer dans les cantons habités un dépôt d'outils appropriés à ce genre
de travail auquel peut participer toute la population. Les mesures à
prendre consistent d'ordinaire à disposer les travailleurs sur une
route ou sur une ligne de pare-feu parfaitement débarrassée de
matières combustibles. Chacun d'eux est muni d'une perche garnie de
ses feuilles vertes et c'est en frappant les parties embrasées soit sur le
périmètre de la ligne, soit en arrière, lorsqu'un nouveau foyer produit
par des flammèches portées au loin vient à éclater, qu'on arrête l'in-
cendie. Cette opération suppose l'existence d'une route ou d'un pare-
feu ; mais, dans tous les autres cas, c'est en plein massif qu'il faut agir
et alors il convient de se donner une base d'opération. On commence
(1) Rapport ci-dessus mentionné.
dég \ Ta ni - \mm w \. 29*3
doue par abattre les huis sur une largeur déterminée «le manière à
former une ligne déblayée d'arbres el <lc morts-boia ; on établi!
ensuite un fossé dont on rejette les terres du coté du foyer el c'est
sur cette ligne qu'on combat la marche du feu. l><ms certaines circons-
tances, quand l'incendie est attisé par un veut, violent, il y aurait
témérité à attendre le feu sur une ligne (droite, telle qu'on peut
l'établir pendant la marche du l'eu ; on recourt, alors, au contre- feu ,
pratique dangereuse dans ses applications, et qui exige de la part de
ceux qui l'emploient beaucoup de tact et de mesure. Le contre-feu
peut-être considéré comme une arme à deux tranchants ; c'est parfois
le seul remède efficace à employer, mais s'il est appliqué mal à propos,
il peut provoquer un nouvel incendie.
Il faut aussi se préoccuper de l'alimentation à fournir sur
placeaux travailleurs qui, entendant sonnerie tocsin, quittent
tout et s'empressent de se rendre à l'appel. Cette ques-
tion, secondaire en apparence, est signalée comme ayant eu
une importance capitale sur des points éloignés de tout centre
habité où les travailleurs, à bout de force et manquant de
nourriture, étaient contraints de suspendre la lutte.
article lu
DÉGÂTS DES ANIMAUX
Les mammifères. — Les oiseaux. — : Les insectes.
La forêt abrite et nourrit nombre d'animaux : mammifères,
oiseaux et insectes, parmi lesquels, pour quelques espèces
utiles, on en compte une foule de nuisibles. Une revue rapide
de tout ce grand et petit monde nous permettra de distinguer
les amis des ennemis, et de traiter chacun comme il le mérite
pour le plus grand bien des massifs.
Les mammifères. — Les carnassiers ne font jamais de mal
aux arbres et, si l'on ne tenait pas compte des pièces de
gibier ou des animaux domestiques qu'ils dérobent, loups et
renards pourraient être considérés plutôt comme utiles que
comme nuisibles, car l'un et l'autre détruisent une grande
quantité de campagnols. Les renards se nourrissent aussi
d'insectes et notamment de hannetons à l'état de larves ou
d'insectes parfaits.
Les sang tiers rendent quelques services par les insectes et
298 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
les souris qu'ils détruisent, et par l'ameublissement qu'ils
donnent au sol en le fouillant de leurs vermillures. Ils sont
néanmoins nuisibles, en ce sens qu'ils mangent une grande
quantité de semences, ravagent les pépinières et bouleversent
les semis et les plantations. Ils fouillent de préférence les po-
tets ou les rigoles fraîchement travaillés; ce n'est pas, comme
on le suppose généralement, pour mâcher les racines des
jeunes plants, mais pour chercher les vers et les autres ani-
maux qu'ils trouvent en plus grande abondance dans le sol
ameubli. Mais c'est, surtout par les dégâts qu'ils causent dans
les cultures riveraines des forêts que la présence des san-
gliers est redoutable : du mois de mars au mois de novem-
bre, quand toutes les graines forestières ont germé ou sont
pourries, ils ne trouvent plus à se nourrir sous bois et forcé-
ment ils vont dévaster les récoltes. L'action en responsabilité
de ces dommages est, d'ailleurs, assez délicate à intenter, car
le sanglier est un animal essentiellement nomade.
Les bêtes fauves : cerfs, daims et chevreuil, lorsqu'elles
fiaient leur tête pendant le refait des bois, occasionnent sur
les perches des blessures, auxquelles, en langage de chasse, on
donne le nom de frayoirs (fig. 69 b). Au printemps, ces
mêmes animaux broutent les jeunes bourgeons et attaquent
l'écorce de certaines essences, notamment du charme, qu'ils
arrachent en longues lanières. On dit que cette nourriture les
enivre. En hiver, quand la neige les empêche de pâturer, ils
attaquent brindilles, écorees et bourgeons. A cet égard les
daims font moins de mal que les chevreuils et les cerfs, qui
absorbent de plus une grande quantité de glands.
Quand une épaisse couche de neige recouvre le sol, les liè-
vres rongent, à la base, l'écorce des jeunes arbres, surtout des
fruitiers ; dans les pépinières, ils sont aussi très friands des
jeunes pousses des espèces légumineuses, telles que : robi-
nier, cystise, genêt, etc.
Les lapins sont certainement les hôtes les plus dangereux
de la forêt; ils recherchent les terrains sablonneux meu-
bles qui s'égouttent rapidement, et affectionnent les can-
tons traités en taillis sous futaie, les pineraies claires où le sol
est toujours sec. Ils évitent les grands massifs de hêtre sous
DEGATS DES wimai \
299
le couvert continu desquels régné une humidité constante.
Partout où ils s'installent, les lapins fouillent le sol, ron-
gent les écorces jusqu'au bois, broutent les jeunes semis,
déracinent les plants : rien de ce qui est vivant n'échappe à
L
Fig. 69. — Dégâts des mammifères : a, brins de charme rongés à leur
base par les campagnols : b, frayoirs de bète fauve sur une perche de
hêtre ; c,c, tiges de frêne et de hêtre attaquées par les lapins ;
d, cime d'épicéa décortiquée par les écureuils.
la voracité et à l'instinct de destruction de ces rongeurs ; en
cas de famine, ils s'attaquent au bois vif et même au bois sec
(fig. 69 c. c). De plus ils se multiplient, en peu de temps,
d'une façon effroyable, et foisonnent pour ainsi dire à la ma-
nière des insectes : aussi le lapin doit-il être exterminé par
tous les moyens possibles et banni de toute forêt bien tenue.
Le moyen le plus économique d'empêcher leur propagation
serait de s'opposer à la destruction des renards, fouines,
300 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
belettes..., etc., ses ennemis naturels, à qui la nature a dévolu
le rôle d'en arrêter la multiplication exagérée. Il est vrai
que toute mesure de ce genre sera incompatible avec une
exploitation luxueuse de la chasse.
Toute réserve étant faite à l'égard du lapin, on peut dire
que le gibier n'occasionne à la forêt qu'un mal insignifiant.
D'ailleurs, dans le cas où l'une ou l'autre espèce viendrait à se
multiplier d'une manière inquiétante, on possède dans la
chasse un moyen efficace d'en diminuer le nombre. De tels
dangers sont trop rarement à craindre en France; il est même
à désirer qu'une législation mieux entendue permette un jour
de mettre à profit les facilités naturelles que la forêt pré-
sente à la production du gibier, pour augmenter son ren-
dement et procurer à l'alimentation publique des ressources
qu'on emprunte aujourd'hui à l'étranger.
En dehors du gibier proprement dit, les espèces les plus
dangereuses appartiennent au groupe des rongeurs.
Les écureuils coupent un grand nombre de cônes et de
jeunes bourgeons ; faute de mieux, ils rongent jusqu'au bois
la jeune écorce des sapins, des épicéas et des hêtres; à ce
point de vue, il est bon de ne pas les laisser trop se multiplier
(fig. 69 d).
Les souris détruisent une énorme quantité de semences,
non seulement pour leur nourriture, mais encore pour obéir
à un instinct de prévoyance outrée, qui les porte à faire des
provisions considérables, — un décalitre et plus, — auxquelles
souvent elles ne touchent même pas. En hiver, quand les fruits
leur font défaut, ces animaux, et particulièrement les campa-
gnols, s'attaquent à l'écorce des jeunes brins, surtout des
charmes et des coudriers, qu'ils rongent sur une hauteur de
plusieurs centimètres. Les tiges ainsi attaquées sont per-
dues et il est nécessaire de les recéper (fig. 69 a). Ces petits
rongeurs apparaissent parfois subitement, en très grand
nombre, sous forme d'une véritable invasion ; leurs dégâts
sont alors considérables; on a des exemples de super-
ficies de 500 hectares, et plus, dévastées pendant un seul
hiver; la nature heureusement pourvoit elle-même à leur des-
truction, et il est rare qu'ils se montrent en nombre exagéré
M «, \ TS l»l - \MM M \.
301
pondant plusieurs années de suite. D'ailleurs, pour les com-
battre, on ne possède aucun moyen pratique applicable sur de
grandes surfaces comme celles des forets; le mieux sérail de
ne pas détruire, par préjugés ou par plaisir mal entendu, les
animaux qui leur font la guerre : le hibou, la buse, le milan,
le renard et le chat; mais on se trouve, ici encore, en pré-
sence d'un intérêt contraire à celui des chasseurs.
Les oiseaux. — Parmi les espèces dites forestières, les
ra.pa.ces diurnes et surtout les ra.pa.ces nocturnes sont utiles
en détruisant une grande quantité de rongeurs.
Les passereaux granivores sont parfois nuisibles à cause
des fruits qu'ils mangent et des dégâts qu'ils commettent dans
les pépinières au moment du semis et de la germination des
graines résineuses : les jeunes plantules ont alors un attrait
irrésistible pour les pinsons. A leur décharge rappelons qu'à
l'époque des nichées tous les oiseaux détruisent des insectes.
Les insectivores passent, à juste titre, pour utiles. Sans
doute, il ne faut pas compter sur eux pour arrêter une inva-
sion, et, parmi les insectes mêmes, les Ichneumonides les
Tachinines et bien d'autres, qui vivent en parasites, sont
d'une action plus efficace ; néanmoins l'oiseau contribue à
maintenir dans la multiplication de tous ces ennemis des
forêts et des vergers un équilibre qu'il est imprudent de
détruire. La raquette, qui brise les pattes des rouges-gorges
et des fauvettes, est d'une cruauté révoltante; le collet, qui
étrangle les grives et les merles, la pipée, qui fait des héca-
tombes de mésanges, sont également néfastes. Toutes ces pe-
tites chasses s'exercent de préférence dans les boqueteaux et
sur les lisières des massifs; aussi, tout en dépeuplant leurs
ombrages, privent-elles les parcs, les vergers, les jardins et
les champs de leurs plus aimables auxilaires.
Nous appelons du fond du cœur la convention, jusqu'alors
trop platonique, qui assurera la protection internationale de
la gent ailée qui nous aide et nous égayé.
Les pics s'attaquent toujours au bois vermoulu ou piqué
pour rechercher les larves dont ils se nourrissent ; mais le
(1) H. de Blanchère, Les oiseaux utiles et les oiseaux nuisibles,
5c édition. Paris, 1889.
302 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Dr Altum (1), les accuse de faire sur l'écorce des tilleuls des
séries de piqûres mathématiquement alignées en forme de
couronne autour du tronc : cette fois ce n'est plus pour cher-
cher les insectes, mais pour percer les petites ampoules ca-
chées sous l'écorce et boire une goutte de la sève sucrée
qu'elles renferment. Les pics fréquentent de préférence les
forêts mal tenues, où l'on rencontre une grande quan-
tité de bois morts sur pied, car c'est là qu'ils trouvent le plus
facilement leur nourriture. A défaut d'arbres dépérissants,
ils émigrent, plutôt que de peiner à jeun contre le bois
sain.
Les insectes. — Les forêts ont à supporter de la part des
insectes des dommages considérables, et qui, dans certains
cas, peuvent atteindre la proportion de véritables calamités
publiques (2). Dans le grand nombre des espèces nuisibles,
chacune des parties vivantes de l'arbre trouve son ennemi
spécial : les uns dévorent les feuilles ou les aiguilles, les
autres rongent la couche d'accroissement, ou creusent leurs
galeries dans le bois ; un certain nombre mangent les racines,
les bourgeons, les fleurs ou les fruits.
Quelle que soit la nature de ces ravages, les résineux ont
beaucoup plus à souffrir que les feuillus. Ces derniers, pour-
vus de bourgeons proventifs, réparent plus facilement leurs
frondaisons détruites ; d'ailleurs, ils cicatrisent mieux leurs
plaies, aussi succombent-ils rarement et les dégâts les plus
importants se traduisent-ils par un ralentissement sensible
dans la végétation et des pertes de substances assez nota-
bles (3). Les résineux, au contraire, périssent en grand
nombre quand leurs aiguilles sont dévorées ; les plaies amè-
nent des écoulements de résine qui épuisent les arbres ;
enfin, la destruction du bourgeon terminal les déshonore et
diminue leur valeur industrielle.
(1) Vnsre Spechte und ihre forslliche Bedeuling. Berlin, 1878.
(2) En 1791-93, une invasion du bombice du pin a détruit 23,000 hec-
tares de forêts dans une seule province d'Allemagne.
(3) On peut facilement constater sur la section transversale d'un chê-
ne la trace de ces dégâts : les couches ligneuses correspondant aux
années où la frondaison a été détruite par les hannetons, sont réduites
à une épaisseur souvent insignifiante.
DOMMAGES CAUSÉS PAH LBS animai \. 'M >ii
En général, chaque espèce d'insecte vit sur un arbre
déterminé. Aussi, quand, bous l'influence «le circonstances
favorables, l'une ou l'autre se multiplie en nombre exagéré,
les cantons peuplés de l'essence qui la nourrit sont-ils très
compromis. Dans les peuplements purs, il n'est pas rare (pic
des surfaces considérables soient dévastées : on est alors
obligé d'abattre le massif entier pour tirer parti des bois
dépérissants ou morls et pour empêcher la propagation du
mal; on a môme été contraint parfois d'avoir recours à
l'incendie.
La principale cause des invasions tient à la grande fécon-
dité des insectes, qui permet à leur nombre de s'augmenter
en progression géométrique, quand l'influence des milieux
est favorable à leur développement. Parmi les circonstances
qui activent cette multiplication, nous citerons :
1° l'abondance de nourriture convenable;
2° l'absence d'ennemis;
3° la température.
Les forestiers conservent, dans certaines limites, une action
sur les deux premières circonstances ; ils sont absolument
impuissants -en présence de la troisième.
Pour justifier les moyens préservatifs à employer contre ces
redoutables fléaux, il est nécessaire de diviser les insectes
nuisibles en deux groupes : les insectes lignivores et les phyl-
lophages.
Les insectes lignivores sont ceux qui perforent le bois
constitué comme : Boslrichus lineatus, Sirex gigas, dans les
résineux ; Cossus lignipercla, Zeuzera œsculi, dans les bois
feuillus; — ceux qui creusent leurs galeries dans le liber et
l'écorce comme : Boslrichus typographus, si redoutable dans
les forêts d'épicéa, Hylohius ahietis dans les forêts de pin
sylvestre, Scolytus ulmi chez les ormes; — ceux qui détruisent
les jeunes pousses et les bourgeons, comme : Hylesinus pini-
perda, Tortrix buoliana, T. turionana; — ceux enfin qui,
vivant dans le sol, rongent le chevelu des racines, tels sont : la
larve du hanneton commun (Melolontha rulgaris) et la cour-
tilière (Grillolalpa vulgaris) dans toutes les phases de son déve-
loppement. Et nous n'avons prétendu nommer ici que les types
304 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
de familles dans lesquelles les espèces nuisibles sont légion.
Les plus redoutables parmi les phyllophages, c'est-à-dire
ceux qui détruisent les feuilles et les autres parties vertes
des végétaux, sont : dans les forêts résineuses, les chenilles
de Lasiocampa pini, Liparis monaeha, Fidonia piniaria,
Lophyrus pini; et, dans les forêts feuillues, celles de Orgya
pudibunda, Bombyx neustria, Bombyx processionnea, de
Pyrales et de Tinéides. En de certaines régions, le hanneton
commun à l'état parfait exerce périodiquement ses ravages.
A chacun de ces groupes correspondent des moyens pré-
ventifs spéciaux.
1° Presque tous les insectes lignivores ont besoin, pour se
développer en grand nombre, de bois morts, dépérissants ou
atteints de maladies. L'abondance de ces matériaux dans une
forêt crée un foyer de contagion où les insectes se mul-
tiplient en telle quantité que les arbres qui leur ont servi
de berceau deviennent bientôt insuffisants; les bois en bon
état de végétation sont attaqués, à leur tour, et menacés
d'une perte imminente. Pour empêcher la formation de ces
foyers, il faut : entretenir les peuplements à l'état sain par
des soins appropriés, — cultiver les essences adaptées au
sol et au climat et leur appliquer un traitement ration-
nel, — donner la préférence aux peuplements mélangés et
surtout au mélange de feuillus et résineux, — exploiter
radicalement et annuellement les bois morts ou dépéris-
sants, — écorcer totalement les arbres résineux dès qu'ils
sont abattus, et, pour rendre l'opération possible, les cou-
per de préférence en temps de sève, — enlever les pro-
duits aussitôt après le façonnage et ne pas laisser de bois
gisants en forêt.
2° Sauf les cas d'invasions, les insectes qui mangent les
feuilles ou les aiguilles trouvent toujours la nourriture qui
leur convient ; il n'est pas possible, comme pour les lignivo-
res, d'augmenter ou de diminuer l'élément principal de leur
multiplication. On reste donc à peu près désarmé contre eux;
cela est d'autant plus regrettable que ce groupe renferme les
espèces les plus à craindre pour les bois résineux comme
pour les bois feuillus.
DOMMAGES CAUSÉS PAB LES VEGETAUX. 305
De plu?, lorsqu'ils ne font pas périr complètement les mas-
sifs, ils les affaiblissent au pointde préparer les invasions des
xylophages ; ceux-ci achèvent fatalement l'œuvre de destruc-
tion.
Les seuls moyens à recommander sont : l'éducation de
peuplements mélangés adaptés au climat et au sol ; — la con-
servation de la couverture morte dans les forêts et la protec-
tion des animaux insectivores utiles.
Mais ces moyens restent souvent inefficaces et, quel que soit
le groupe auquel il appartiendra, la meilleure sauvegarde
contre un insecte sera la connaissance complète de ses mœurs.
Il est rare qu'une invasion se produise soudainement, — le cas
se présente néanmoins — : en général, elle marche progres-
sivement et celui-là seul qui possède une connaissance exacte
des faits peut la prévenir et la combattre. Le plus sûr sera
donc d'avoir immédiatement recours à un homme compétent
à qui l'on adressera, avec les exemplaires de l'insecte en cause,
un échantillon des dégâts dont on l'accuse et des fragments
de toutes les parties dégradées ou suspectes de l'arbre ; car, bien
souvent, les dégâts d'un insecte ne sont que le corollaire de
l'attaque préalable du sujet par une autre espèce ou par un
champignon. Ce spécialiste pourra, en même temps que sa
consultation, renvoyer aux ouvrages et articles d'entomologie
qui traitent la matière.
ARTICLE IV
DOMMAGES CAUSÉS PAR LES VÉGÉTAUX.
Les plantes sarmenteuses. — Les plantes parasites. — Le gui. —
Les champignons. — Les bactéries.
Pas plus que nous l'avons fait pour les animaux, nous ne
pouvons, au sujet des végétaux nuisibles, entrer dans tous
les détails que comporte une branche aussi importante de
l'histoire naturelle appliquée aux forêts. Le simple aperçu qui
va suivre n'a d'autre but que de signaler les principaux dan-
gers, et d'engager les intéressés à recourir, en cas de besoin,
aux botanistes autorisés.
Boppe et Jolyet. 20
306 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Sans nous occuper du tapis végétal, nous ne parlerons que
des espèces directement nuisibles aux arbres. Celles-ci sont
toujours ou sarmenteuses ou parasites ; et, parmi ces dernières,
plus on étudie la forêt, plus on est frappé de l'importance
énorme que prennent les champignons.
Sous le climat de la France, les plantes sarmenteuses nui-
sibles appartiennent aux classes supérieures du monde végé-
tal : le lierre, les clématites et le chèvre- feuille des bois sont
ligneux ; les crampons et les circonvolutions de leurs tiges
fatiguent et dégradent les sujets qui leur servent de support ;
il y a lieu de les extirper partout où on les rencontre quels que
soient l'âge et la forme des peuplements (fig. 70 c).
Le gui vit en parasite sur un grand nombre d'essences
feuillues ou résineuses. Bien qu'il soit très rare sur le chêne,
on l'y rencontre néanmoins ; c'est, sans doute, en raison de
cette rareté extrême que les Druides l'avaient choisi comme
plante sacrée. Mais Vellèda, notre patronne, avait dû révéler
à ses prêtresses les procédés d'en multiplier les buissons
nécessaires à l'entretien du culte.
En général, le gui fait peu de mal aux bois feuillus, parce
que, installé sur leur cime, ses racines ne dégradent que les
régions destinées à être débitées en bois a brûler. Sur les
résineux, sur les sapins surtout, ses racines traçantes, par-
tent des branches sur lesquelles la touffe a pris naissance
et peuvent atteindre le tronc, où elles laissent des traces
profondes et causent de sérieux dommages (fig. 70 b). Amputer
les branches envahies par le gui, c'est évidemment empêcher
sa propagation par les oiseaux qui se nourissent de ses baies ;
mais le moyen est peu pratique; le vrai remède serait, au
passage des éclaircies, d'enlever de préférence les sapins qui
portent de ces buissons.
Etant donnés les ravages qu'ils engendrent, les champi-
gnons peuvent être comparés aux insectes les plus nuisibles.
De même que ces redoutables ennemis de la culture fores-
tière, les champignons s'attaquent aux arbres, qu'ils endom-
magent ou font mourir; — aux massifs, qu'ils éclaircissent ou
détruisent en tuant les sujets qui les constituent; — au bois,
qu'ils rendent impropre à tous usages. Quelques exemples
DOMMAGES CAUSÉS l'Ail F.l'.S VÉGÉTAUX,
307
permettent de se rendre compte de ces laits ; citons : Olùi-
dium elatinum, qui fait le bàl&i de sorcières et, sans tuer le
sapin, provoque le grave défaut connu sous le nom de chuu-
e
a h c
Fig. 70. — Dégâts des végétaux : a, fructification en épaulette d'un
polypore qui ravage une tige de sapin ; b, plateau de sapin portant
les traces des racines du gui; c, tige de hêtre déformée par les cir-
convolutions du chèvrefeuille des bois ; d, balai de sorcière sur une
tige de sapin ; au point d'insertion, on peut voir le renflement qui
donnera un chaudron ; e, tige de charme déformée par le chancre
(Nectria ditissima) ; /*, nodosités causées par la bactérie du pin d'Alep.
dron (fig. 70 d) ; Cœoma pinitorquum, qui déforme simple-
ment les tiges; Peridermium pini (var. corticola), Agaricus
melleus, Trametes radiciperda, qui tuent un grand nombre
308 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
d'arbres dans les pineraies; Bhizoclonia quercina, qui s'atta-
que aux forêts de chêne ; Peziza calycina, qui atteint le mélèze
et fait périr des arbres en pleine vigueur. On peut remar-
quer ce fait que les conifères sont plus exposés aux attaques
des champignons que les feuillus ; sous ce rapport l'analogie
se continue entre la nocuité de ceux-ci et celle des insectes.
Quant à l'action funeste exercée sur le bois, elle n'est pas
moins redoutable pour les feuillus que pour les conifères :
c'est ainsi que Hydnum diversidens, Telephora perdix, Poly-
porus sulfureus, Polyporus igniarius, détruisent le bois de
chêne, — comme le font, des bois de sapin, de pins et d'épicéas :
Polyporus fulvus, Polyporus vaporarius, — tous produisant
chez les uns et les autres les vices connus depuis longtemps
sous les noms de : rouge, grisette, etc., sans qu'on les eût
rapportés à leur véritable cause.
Si l'on commence à connaître assez bien bon nombre de
champignons nuisibles aux forêts à des titres divers, non
seulement dans leur structure, mais encore dans leur mode de
développement et dans l'action qu'ils exercent sur le végétal
ligneux dont ils sont l'hôte, on n'est pas toujours à même de
mettre les forêts à l'abri de leurs dégâts. Les spores de cham-
pignons sont d'une extrême ténuité qui facilite singulière-
ment leur transport par les vents ; elles sont aussi très nom-
breuses ; enfin, assez fréquemment, elles germent sur un vé-
gétal très différent de celui sur lequel s'est constitué le corps
reproducteur qui leur a donné naissance, et ce végétal est
parfois ignoré : c'est le cas, par exemple, pour JEcidium
elatinum.
Cependant, même dans cet état imparfait de la science, il
est certaines mesures de protection dont l'efficacité n'est pas
à dédaigner. D'une façon générale, il sera bon de supprimer
tous sujets sur lesquels se sont développés les corps reproduc-
teurs ; quand il s'agit des espèces dont les spores ne germent
que sur le bois, — souvent même, que sur le bois de cœur, —
on devra éviter, avec le plus grand soin, de le mettre à nu,
proscrire, par conséquent, tous les élagages sur les essences
comme le chêne et le sapin, très sujettes à l'altération de leurs
tissus ligneux. Enfin, pour quelques espèces, il y aura d'autres
DOMMAGES CAUSES l'Ait fis VEGETAUX. 309
mesures spéciales à prendre, tel, YAt/aricu.s maliens, qui
produit dans les pineraies la maladie dite dn rond, parce qu'elle
s'étend en cercle à partir des premiers arbres attaqués et qui
se propage sous terre au moyen d'une forme spéciale de
mycélium, connu sous le nom de rhizomorphe] on le combat
avec efficacité par la suppression, non seulement des sujets
atteints, mais encore de ceux qui les entourent immédiate-
ment, et par une culture du sol après extraction de toutes les
racines, — ou, tout au moins par l'ouverture d'un fossé
d'isolement.
Ce serait sortir de notre cadre que parler des bactéries
et autres infiniment petits, dont, paraît-il, nous avons autant
à craindre pour nos forêts que pour nos personnes. Témoin,
ces nodosités dues au travail de formes spéciales, parmi
lesquelles on peut excuser les espèces qui agrémentent cer-
tains rameaux d'enjolivures variées, au grand profit des
fabricants de cannes ou de manches de parapluie. Mais les
autres ?...
En résumé, si tout forestier ne peut pas être initié aux secrets
les plus intimes de la mycologie, chacun peut, du moins,
diagnostiquer la présence des champignons, soit par leurs
fructifications en forme de chapeau, dépaulettes ou de touffes,
soit par les lames de mycélium dont les filaments, à la façon
de radicelles, serpentent sous l'écorce ou dans les tissus du
bois. Dès que ces signes apparaissent, il faut, sans hésiter,
abattre et enlever l'arbre qui les porte ; car, désormais, on
ne peut rien attendre de lui que pourriture progressive, et,
de plus, il devient un bouillon de culture, d'où s'échappent
des milliards de spores avides de nouvelles victimes (fig. 70 a).
Disons, en passant, que les champignons ne s'attaquent
pas seulement aux arbres sur pied, ils détruisent aussi le bois
après son emploi. 11 appartient à la technologie forestière et à
l'art du constructeur d'indiquer les moyens à employer pour
mettre le bois en œuvre à l'abri de ces dangereux parasites.
310 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
ARTICLE V
DÉGÂTS CAUSÉS PAR LES MÉTÉORES.
Généralités. — Le vent : troisième règle d'assiette et massifs de pro-
tection. — Le froid et les tares qu'il engendre. — Les coups de
soleil. — La foudre. — La neige et les avalanches. — La grêle, le
givre et le verglas.
Généralités. — Nous avons établi que, sur chaque point,
la forêt spontanée est la résultante de tous les phénomènes
météoriques d'une suite en quelque sorte indéfinie d'années ;
par leur longévité, les arbres ou les peuplements ont traversé
les saisons les plus excessives : les hivers les plus rigoureux,
comme les étés les plus secs. Une telle forêt n'a donc rien à
craindre des effets normaux du climat dont elle est fonction ;
et, même, les accidents sporadiques, dont les actions mau-
vaises dépassent la moyenne, n'y atteignent que les individus
sans compromettre l'existence de l'organisme en tant que
terrain boisé : ce ne sont qu'épisodes clans son processus
vers les fins de la nature.
Mais, ce qui est vrai pour la forêt en soi, ne s'applique
plus à nos séries aménagées. Celles-ci, en effet, sont com-
posées d'arbres ou de peuplements savamment distribués
en raison de leur âge et de leurs dimensions ; toute action
qui, à un moment donné, change l'état d'un seul des
éléments dans un tout si bien organisé, en détruit l'harmonie
générale.
En cela, la culture forestière est encore bien différente de
la culture agricole. Quand un accident météorique supprime
la récolte pendante de céréales ou autres plantes annuelles, là
se borne la perte ; l'instrument de production, la terre, reste
indemne, et, dès l'année suivante, les choses reprenant leur
cours normal, le cultivateur continue à toucher son revenu
moyen. En forêt, au contraire, le météore brutal frappe au
hasard jeunes et vieux : les bois en croissance, comme les
bois mûrs ; derrière lui, le revenu gâché est compromis pour
un temps dont la durée dépasse parfois l'existence du pro-
priétaire.
DÉG \ts CAUSÉS tau LES mi': TÉOIIES.
31
Quand bien môme la tourmenté épargne les plus vieux
canlons, toute avarie dans le capital générateur amoindri! Bon
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activité productive et marque un temps d'arrêt dans la
marche de l'ensemble vers le but commun. Car, sur ces champs
de bataille, il faut compter, non seulement avec les cadavres
312 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
gisants ou en estant, mais encore avec les blessés, qui, pour
muets qu'ils soient, n'en souffrent pas moins d'infirmités incu-
rables; la matière bois va se dégrader progressivement dans
la forêt, qui en est l'entrepôt en même temps que la fabrique.
Par suite, si l'on tient compte de la durée plus que séculaire
d'un massif de futaie ou d'une réserve de taillis, il faut bien
admettre que tout arbre ou peuplement aura, au moins une
fois en sa vie, à subir, de l'un ou l'autre des agents météo-
riques, une des atteintes néfastes que les hommes d'une
génération peuvent ne connaître que par ouï-dire.
Le devoir du sylviculteur est donc de prévoir l'impro-
bable comme le possible, et de garer la forêt des méchants
coups, même les plus rares, et d'où qu'ils viennent : froid,
vent, foudre, neige, grêle, etc.. Voyons quelles sont à ce
sujet les limites de ses pouvoirs.
Le vent. — Maintes fois déjà nous avons parlé du vent et
'noté, à leur place, les influences, bonnes ou mauvaises, du
sol, de l'exposition, de la forme des peuplements, etc..
Il suffit à un profane de visiter un ahatis de chablis
(fig. 71) pour être saisi d'une épouvante salutaire. Mais les
forestiers, comme les marins, s'habituent au danger de tous
les jours, et quelques avis sont nécessaires pour les ramener
à la réalité des faits (1).
(1) On peut dire que, en montagne surtout, ces accidents sont
devenus la règle. Il ne faut pas remonter bien haut dans l'histoire
forestière d'une région pour trouver trace de nombreuses catastrophes
qui ont bouleversé les plus sages prévisions. Rien que dans les forêts
de l'Est, les dates suivantes sont enregistrées comme particulièrement
néfastes :
novembre 1868: Jura et Suisse; désastre suivi d'une redou-
table invasion de bostriches.
28 octobre 1870 et 11 novembre 1875 : plaines et collines de la
Lorraine.
20 février 1879 : Suisse.
22 août 1889 : Basses-Vosges.
septembre 1890 : Vosges, Jura et Suisse.
29 mars 1891 : Vosges,
janvier 1895 : Jura et Suisse.
Trop souvent, la plaine n'est pas épargnée : témoin les ouragans
qui, pendant l'hiver 1899-1900, ont saccagé les forêts de l'Ouest, entre
autres les beaux massifs de chênes de Bercé.
DEGATS CAUSES l'Ait LES METEORES.
313
Tout d'abord, une étude approfondie de la météorologie du
lieu et de son passé forestier permettra de délimiter exacte-
ment loules les zones dangereuses. Chacune de celles-ci sera
soumise au traitement que comportent les formes d'âges mul-
tiples, les plus résistantes entre toutes : le jardinage notam-
ment. Partout ailleurs, et quelque rassurantes que puissent être
les allures du climat, les tempêtes, toujours à craindre, com-
mandent d'user pour chaque série de certaines précautions
intérieures et extérieures.
A l'intérieur, le formulaire des règles d'assiette trouve
encore son application. Citons le texte de la troisième règle,
emprunté au manuel de sylviculture de M. le professeur
Bagnéris.
Dans toute forêt ou série d'exploitation, les coupes devront être
assises, de manière à toujours marcher à l'encontre des vents les plus
dangereux régnant dans la contrée, généralement, en France, en
allant du Nord-Est au Sud-Ouest.
Le principal objet de cette troisième règle est de protéger,
contre les dégâts du vent, non seulement les arbres réservés
dans les coupes, mais encore les peuplements en croissance.
Par malheur, — on le constate tous les jours, — si les
jeunes peuplements, quelle que soit d'ailleurs leur forme, ont
peu à craindre de ce côté, il n'en est pas de même des vieux
bois. Parmi ces derniers, les plus exposés sont, d'une part,
les plus âgés et ceux qui se rapprochent le plus de l'état uni-
forme à un seul étage : d'autre part, ceux qui sont plus ou
moins interrompus par le fait des exploitations ; tel est le cas
des arbres d'abris conservés dans les coupes successives de
régénération et des réserves dans les taillis sous futaie (1).
(1) Les observations faites dans la forêt de Haye, cantonnement de
Nancy-École, à la suite des ouragans des 28 octobre 1870 et 11 no-
vembre 1875, nous ont permis de constater les faits suivants :
1° dans les parcelles de futaie en régénération, le volume des cha-
blis a été vingt-trois fois plus grand que dans les cantons non
entrouverts ou traités en taillis sous futaie, bien que la surface des
premières fût huit fois moindre que celle des autres;
2° dans l'ensemble des parcelles traitées en taillis sous futaie, les
chablis étaient localisés, pour les deux tiers de leur volume, dans les
coupes en exploitation ou exploitées depuis un à trois ans.
D'autre part, le relevé des produits mis en vente dans l'ensemble
314 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Si les points d'attaque sont du côté opposé à la direction
des vents à redouter, ceux-ci, maintenus à la hauteur des
cimes par les massifs" intacts, passeront avec moins de dan-
gers sur ceux que des exploitations récentes rendent moins
résistants ; dans les forêts de plaine, le mieux sera de
faire marcher les coupes en allant du centre vers la cir-
conférence. — Dans les taillis sous futaie, on constate égale-
ment que les coupes riches en grosses réserves sont moins
endommagées que celles où la jeunesse domine : les anciens
soutiennent et protègent les modernes et les baliveaux ; en
toute situation, on devra renforcer les martelages le long des
tranchées et sur les rives de la forêt.
A l'extérieur, il sera prudent de conserver, sur tous les
périmètres des grandes forêts, des rideaux d'abri maintenus
à l'état de massif, par le jardinage, ou soumis à un traitement
indépendant de celui des suites de coupes contiguës.
Dans les futaies résineuses, en montagne, la stricte obser-
vation de la troisième règle d'assiette doi t avoir un e portée plus
étendue encore. Elle doit être appliquée, non seulement de
coupe à coupe, mais de canton à canton et de série à série. Il
serait même désirable de faire accepter entre propriétaires
voisins le principe des zones de défense tel qu'il existe dans
certaines provinces de l'Allemagne centrale, où de larges
bandes de forêts sont, au point de vue du traitement, grevées
de véritables servitudes de voisinage. En tout état de choses,
il est indispensable, dans les régions montagneuses, d'établir,
vers les limites supérieures de la végétation, un rideau pro-
tecteur qui sépare la forêt régulièrement traitée des parties
réservées au pâturage; ce rideau sera plus ou moins large,
suivant l'altitude, la violence des vents et la configuration du
terrain ; il ne subira d'ailleurs que des exploitations modérées
et toujours faites en jardinant, car il est extrêmement diffi-
cile, pour ne pas dire impossible, de régénérer par les mé-
des sapinières des Vosges, pendant la période quinquennale écoulée de
1879 à 1884, fait ressortir que, dans un total de 668.053 mètres cubes,
les chablis entrent pour 204.533 mètres cubes, soit clans l'énorme pro-
portion de 43 p. 100, par rapport au volume des coupes vendues sur
pied.
DEGATS CAUSES l'Ail LES METEORES.
3 1 5
thodcs perfectionnées les massifs aboutissant à la crête des
hautes cimes ou voisins des alpages.
Il est inutile d'insister sur ce fait que ta troisième règle
d'assiette n'est efficacement applicable que dans les peuple-
ments d'un seul âge chacun ; elle perd sa raison d'être dans
les cantons jardines ou furètes.
Le froid. — Le froid, qui trace les frontières septentrio-
nales des essences spontanées, occasionne aussi, dans les limi-
tes de ces zones et surtout vers leurs confins Nord, les trou-
bles les plus graves: tantôt les gelées tardives et précoces
Fig. 72. — Rondelle de chêne présentant, dans sa région centrale, une
lunure, dont la portion de gauche est déjà attaquée par la pourriture.
détruisent les organes verts au printemps et à l'automne ;
tantôt les gelées d'hiver tuent la zone cambiale, produisant des
nécroses d'abord superficielles, mais qui deviennent de plus
en plus profondes, et qu'on nomme, suivant les cas : gelures,
morsures de gelée, friasses, etc.. ; ou bien encore, pénétrant
dans le corps de l'arbre, elles provoquent dans le bois toutes
ces tares que, d'après leur aspect, les praticiens ont appelées :
lunure ou double aubier, quand les couches les plus jeunes
atteintes dans leur vitalité, ne peuvent plus se transformer
en bois parfait; — gélivure ou roulure, quand les dislocations,
rayonnantes ou circulaires, crevassent la masse toute entière.
310
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
Nous en donnons (fig. 72 et 73) les principaux spécimens.
Pour en préserver les arbres, nos moyens se bornent à cette
précaution générale qui consiste, connaissant le tempérament
de nos essences, à maintenir chacune à la place où ces dan-
gers seront le moins à craindre pour elle. On remarque, tou-
d
r> c h
Fig. 73. — Dégâts causés par les météores : a, roulure ; b, gélivures ;
c, nécrose due à un coup de soleil avec bourrelets de recouvrement;
d, nécrose de gelée.
tefois : 1° que les accidents morbides qui accompagnent les
abaissements de température tiennent bien moins au nombre
de degrés accusé parle thermomètre au dessous du zéro centi-
grade, qu'aux circonstances qui accompagnent ou qui suivent
le refroidissement; c'est ainsi que les passages brusques du
froid au chaud sont bien plus dangereux, toutes choses res-
tant égales d'ailleurs, que les transitions lentes ; il en résulte
qu'une nuit très froide, suivie d'un jour clair, pourra occa-
sionner des gelures sur les points directement frappés par les
DKC.ATS CAI'Sl's l'Ait LIS MKTKOHKS. 317
rayons du soleil, quand, à (nus les autres aspects, le sujctrestera
indemne ; — '2° que dans les sols siliceux, meubles, qui se
laissent plus profondément pénétrer par les froids vifs, les
accidents de lunures, de gélivures, de roulures sont plus fré-
quents que dans les sols argileux, argilo-calcaires et surtout
tourbeux ; — 3° que les arbres à écorce lisse, et vivante dans
toute son épaisseur, sont plus souvent nécrosés que ceux
dont la couche cambiale est protégée par un rhytidome
épais.
De ces faits, on peut tirer les conséquences suivantes :•
éviter de faire des repeuplements artificiels à l'aide d'es-
sences introduites au nord de leur station d'origine; — placer
les plantes à feuilles persistantes de préférence aux expositions
froides, pour leur épargner les passages trop brusques du froid
au chaud ; — dans les dépressions plus particulièrement expo-
sées aux gelées printanières, planter les espèces à frondaison
tardive ou peu sensible ; — craindre la transition rapide, de
l'état du massif à celui d'isolement pour les essences à écorce
mince et privée de rhytidome ; — et tant d'autres qu'un sens
des choses de la forêt suggère à tout forestier, qui sait, par
expérience, que, quoi qu'il fasse, il a toujours des chances
à courir, bonnes ou mauvaises.
Les coups de soleil. — L'excès de chaleur, comme l'excès
de froid, peut occasionner des nécroses. Ce sont encore les
espèces à écorce lisse, les jeunes sujets, ceux qui sont nou-
vellement plantés et dans le corps ligneux desquels la sève
circule mal, qui ont le plus à souffrir. On atténue le danger
en prenant partout les mêmes précautions que contre le froid,
et, en ce qui concerne les hautes tiges, en les orientant,
lors de la mise en place, aux mêmes aspects que lorsqu'ils
étaient en pépinière; — en les arrosant abondamment pendant
la sécheresse ; — en habillant leurs tiges d'un fort manchon
de paille : toutes choses qui intéressent plus le verger que
la forêt.
La foudre. — La foudre produit sur les arbres les désordres
les plus variés, depuis la décortication partielle ou le simple
sillon qui marque la trace de son passage, jusqu'à la rupture
la plus complète (tig. 74), qui pulvérise un arbre en mille éclats ;
318
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
souvent même, à coté de ces effets mécaniques, les arbres
voisins de celui qui est foudroyé, sont tués, sans lésion appa-
rente, parce qu'on appelait autrefois le choc en retour.
On a beaucoup discuté sur les causes qui font tomber la
Fig. 74. — Sapin brisé par la foudre dans les Hautes-Vosges.
foudre sur tel arbre plutôt que sur tel autre. Les uns attri-
buent cette disposition fâcheuse à une forme plus ou moins
aiguë de la cime, d'autres à l'épaisseur du feuillage, d'autres
encore à la proximité des eaux stagnantes ou courantes ; des
observations récentes semblent en avoir trouvé la véritable
cause dans la conductibilité variable du bois suivant les
essences et son état vert ou sec. Malgré notre incompétence
sur cette question de physique, il nous semble, en tout cas,
DÉGÂTS CAUSAS l'Ait LES Ml. n';niu s. .119
assez naturel qu'un chêne, dont les racines pivotantes attei-
gnent les couches toujours humides du terrain, soit frappé
plus souvent qu'un nôtre dont l'enracinement reste suj)erjiciel.
La seule conclusion pratique à en tirer pour le forestier
est que, surpris par un orage, il fera bien de ne jamais s'a-
briter sous un gros arbre, pas plus sous un hêtre que sous un
chêne, et, surtout, sous un fruitier isolé en rase campagne.
La neige et les avalanches. — On cite de nombreux
exemples de peuplements dégradés ou écrasés par la neige,
lorsqu'elle tombe prématurément ou tardivement sur des
arbres couverts de leur feuilles ; mais, il faut reconnaître
qu'on a rarement à déplorer, dans les forêts d'essences feuil-
lues, des désastres aussi impossibles à prévoir qu'à conjurer,
tels que celui qui a dévasté la forêt du Sihhvald, appartenant
à la ville de Zurich, le 28 septembre 1885 (fig. 75.). Au con-
traire, les forêts résineuses de la basse montagne ont à
souffrir annuellement de dégâts analogues, mais dont on peut
atténuer les effets par des éclaircies faites à propos et judi-
cieusement conduites.
Dans la haute montagne, il faut prévoir et combattre les
avalanches, dont tout le monde connaît les effets désastreux.
On sait qu'une fois la masse en mouvement, rien ne l'arrête
plus dans sa chute vertigineuse : arbres, chalets, ponts, ou-
vrages d'art, tout est écrasé sur son passage (fig. 76.). Mais,
on sait aussi que jamais l'avalanche ne prend naissance dans
les terrains boisés ; c'est donc à la forêt qu'il faut demander
aide et protection. Dans une étude magistrale publiée en 1881,
M. Coaz, inspecteur général des forêts à Berne (1), donne les
moyens suivants de combattre le fléau.
Après avoir repéré exactement la ligne de première cas-
sure, par des recherches personnelles, et sans trop s'en rap-
porter au dire des gens du pays, on corrige le sol nu et glis-
sant des couloirs d'origine à l'aide d'obstacles artificiels :
fossés, pieux, murs en pierre sèche ou en maçonnerie. En
(1) Voir dans la Revue des eaux et forets du 1er avril 1900, les frag-
ments traduits par M. l'Inspecteur- Adjoint Mathey.
Voir également : P. Mougin, La correction des avalanches en
France. Revue des eaux et Forêts, mai 1900.
320
EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
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aval de ces abris morts, exposes aux injures du temps, on
plante de* arbres qui seronl seuls d'un secours définitifs ; la
rig. 76. — Arbres renversés par le déplacement de l'air au passage
d'une avalanche sur les pentes de la Jungfrau, le 1er mai 1879,
d'après une photographie.
meilleure essence à employer est le pin cembro, l'arolle des
montagnards.
Partout où la forêt n'a pas encore été détruite, dans les
Bofpe et Jolyet. 21
322 EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORETS.
zones dangereuses, elle devra être ménagée avec le plus grand
soin, afin de prévenir les accidents à naître. Dans ces contrées,
il ne faut pas risquer les régénérations trop systématiques ;
et si, contraint par la nécessité, on est conduit à réaliser un
arbre mort ou vivant, il est sage de le couper à 1 mètre ou
lm,50 au-dessus du sol, de façon que le chicot attenant à la
souche continue à jouer longtemps le rôle de soutien dévolu
à l'arbre sur pied.
La grêle, le givre, le verglas. — Bien que les forêts
passent pour écarter les nuages à grêle, on pourrait citer
nombre d'exemples d'arbres portant dans leur sein des traces
de blessures causées par les grêlons, il y a vingt, cinquante
ans et plus, et recouvertes par un nombre égal de couches
ligneuses.
A cela nous ne pouvons rien ! On prétend, aujourd'hui,
que des salves d'artillerie empêchent, dans un certain rayon,
la formation de la grêle ; mais une longue expérience nous
fait craindre que, de tous les biens de la terre, la forêt soit
encore la dernière en faveur de qui on fera parler la poudre
de protection.
Enfin, nous signalerons les graves accidents dus au givre
et au verglas, dont le poids couche les jeunes brins et brise
les plus grosses branches des vieux arbres. Souhaitons au
lecteur de n'avoir jamais à les constater dans ses forêts ;...
faire plus, nous est impossible (1).
(1) Dans la forêt de Fontainebleau, on a évalué à 150 000 stères le
volume des débris, — arbres et branches — cassés par le verglas
pendant les journées des 22 et 23 janvier 1879.
CHAPITRE VIII
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS
ARTICLE PREMIER
OBSERVATIONS GÉNÉRALES
But à poursuivre. — Définitions. — Les différents procédés de
boisement,
But à poursuivre. — Si nous portons nos regards en ar-
rière, nous constatons que la sylviculture, telle que nous
avons cherché à la présenter dans son application, nous ensei-
gne à exploiter les forêts surtout à l'aide des moyens natu-
rels, sans avoir recours à des capitaux étrangers, si ce n'est
pour subvenir aux dépenses de mise en valeur.
Dans les pays de vieille civilisation, où l'on doit poursui-
vre, partout et toujours, l'exploitation rationnelle du sol, la
forêt a sa principale raison d'être quand elle fonctionne à
l'aide du temps dans les terrains non réclamés par d'autres
emplois. Sa culture est donc extensive au premier chef.
Quel que soit le point de vue auquel on se place, ce carac-
tère s'impose. En effet, s'il s'agit de la forêt de protection,
on est largement payé du service indirect qu'elle rend par
sa seule présence, pour qu'il ne soit pas nécessaire d'engager
des capitaux en vue d'augmenter une production en bois qui
n'est ici que l'accessoire. S'il s'agit de forêts de rendement,
le bois, premier objectif de leur culture, n'est réellement
utile que s'il est abondant et à bon marché ; dès qu'il devient
cher, la consommation l'abandonne pour le remplacer par des
succédanés, souvent de qualité moindre, mais qu'on obtient
à meilleur compte. Aussi, tout progrès doit-il être recherché
dans un choix judicieux des modes de traitement les mieux
adaptés aux conditions locales : car le surcroît de production
324 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
obtenu à l'aide de procédés dispendieux a pour effet d'aug-
menter le prix de revient de la matière ligneuse dans des
limites qui dépassent l'intérêt normal des sommes engagées :
c'est la conséquence nécessaire du fonctionnement des capi-
taux forestiers à intérêts composés.
Si, de la forêt naturelle nous passons à la forêt artificielle,
nous constatons que les mêmes causes doivent amener les
mêmes effets. Ici encore, nous devons demander à la sylvi-
culture les moyens de réduire les dépenses nécessitées par le
boisement à leur strict minimum, de façon que le résultat
financier de l'entreprise soit accessible à toutes les catégories
de propriétaires et au plus grand nombre des bourses.
Définition. — Nous appelons boisement toute formation
nouvelle de peuplements forestiers dans les sols nus.
Le plus souvent, en France du moins, l'homme ne fait que
rendre à la forêt les terrains dont ses ancêtres l'avaient dé-
possédée ; cependant, le fait n'est pas assez général pour justi-
fier, dans tous les cas, le terme de reboisement. Quoi qu'il
en soit, nous nous proposons d'étudier les procédés, dits arti-
ficiels, mis en pratique pour créer, de main d'homme, la forêt
dans les espaces où elle n'existe pas. A cette occasion, nous
parlerons des travaux de même nature qui s'exécutent dans
les peuplements acquis dont on veut améliorer la situa-
tion.
Les différents procédés de boisement. — Les plus usi-
tés sont le semis et la plantation. La bouture et la mar-
cotte, très employées par les arboriculteurs, ne trouvent leur
application en sylviculture que dans certains cas particuliers
dont nous indiquerons les principaux.
Mais faut-il planter, faut-il semer? Telle est la première
question qui se pose. Les circonstances si diverses de climat,
de sol et de situation dans lesquelles on est appelé à opérer,
la variété même des essences à employer, ne permettent pas
de répondre d'une manière catégorique. Toutefois, d'après
l'ensemble des faits acquis, on peut résumer la situation
comme suit :
11 vaut mieux planter que semer :
1° sur les terrains mouilleux, sur ceux que les gelées sou-
OBSERVATIONS GENERALES. 325
lèvent avec facilité, <>u qui sont couverts d'herbes, oL dans les
stations élevées où le climat es! rude;
2° dans les endroits où les graines sont exposées à être dé-
vorées par les animaux ;
.'{n clans les régions chaudes, où les racines doivent être de
suite assez profondément enfoncées pour résister à une vive
insolation et à des sécheresses prolongées.
En outre, avec la plantation, on peut, mieux qu'avec le se-
mis, régler à son gré la consistance des peuplements et le
mélange des espèces. Enfin, on s'aperçoit plus tôt des insuccès
et il est plus facile de les réparer.
La plantation sera donc la règle, le semis se trouvant loca-
lisé :
1° dans certains terrains pierreux où la plantation serait
très difficile ;
2° dans les régions où l'on peut obtenir de la graine à
très bas prix, et quand le terrain, pour être ensemencé, ne
demande pas une préparation particulière ; car, dans tous les
autres cas, il coûte plus cher que la plantation.
Un des principaux inconvénients du semis est, en cas de
réussite, de donner sur un même point des plants trop nom-
breux, qu'il faut largement desserrer de bonne heure, sur-
tout lorsqu'il s'agit de résineux. Ce travail occasionne un
surcroît de dépense dont il faut tenir compte.
Depuis que l'art de planter, trop longtemps négligé en
France, a rapidement progressé sous l'impulsion des grands
travaux de reboisement, la pratique de la plantation a établi
sa supériorité sur le semis : le fait est incontestable. Mais, en
matière de boisement, pas plus qu'en matière de traitement,
il ne faut s'en tenir à la théorie immuable ; car rien ne peut
se résoudre en dehors des questions de temps et de lieu. Tous
les moyens sont bons quand on sait les employer à propos.
326 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
ARTICLE II
LE BOISEMENT PAR SEMIS
Qualité des semences. — Leur récolte. — Leur conservation. —
Préparation du sal avant le semis. — Les différents modes de
semis : en plein ou à la volée ; — par places ; — par bandes
continues ou brisées ; — par trous ou potets ; — en terrain non
préparé ; — semis expéditifs. — Répandage de la semence. —
Quantité de semence à employer. — Saison favorable pour faire
les semis. — Application aux essences sociales. — Soins à donner
aux semis.
Qualité des semences. — La réussite du semis dépend, en
premier lieu, de la qualité de la semence; on doit toujours
s'en rendre compte avant l'emploi.
A la simple inspection, on peut juger si la graine est bien
pleine, si elle a une odeur et une saveur fraîches, si l'amande
présente la couleur normale de l'espèce à laquelle elle appar-
tient; on peut aussi, en plongeant les semences dans l'eau,
considérer comme bonnes celles qui tombent au fond et com-
me vaines, celles qui surnagent; ou bien encore, en les mettant
sur une plaque de fer rougie au feu, on regarde celles qui
éclatent en sautillant comme ayant conservé leur faculté ger-
minative, tandis que celles qui se consument lentement sont
mauvaises. Mais tous ces procédés ne donnent que de
simples présomptions; pour avoir des renseignements à peu
près certains, — et la question en vaut la peine, — il faut
soumettre toutes les graines à l'épreuve du germoir artificiel :
c'est également le seul moyen de constater la fraude qui
consiste à livrer certaines espèces, au lieu d'autres, dont les
fruits sont plus rares. A défaut d'appareils spéciaux, on
peut toujours placer dans les conditions convenables à la
germination un certain nombre de graines comptées à
l'avance, et établir la proportion de celles qui germent et de
celles qui ne germent pas ; il suffit, par exemple, de les
semer dans des terrines que l'on place sous vitraux sur
couche chaude ; ou bien de les disposer, dans une serre
ou dans une chambre à température élevée, entre deux
LE Moisi MENT l'Ail SEMIS.
:vn
doubles de flanelle dont les extrémités plongent dans un
récipient plein d'eau, etc.
D'une manière générale, plus les semences sont légères
plus grande est la proportion des stériles, A l'exception
des glands et des faînes, dont la bonne qualité est toujours
facile à constater, les semences des autres espèces feuillues
sont peu employées sous forme de semis direct ; elles
s'obtiennent du reste à des prix assez bas pour qu'il n'y
ait pas grand intérêt à les ménager. La qualité des graines
résineuses est très variable suivant les espèces; ainsi, quand
les semences de sapin pectine, d'épicéa, de pin sylvestre,
pour être considérées comme bonnes, ne doivent pas ren-
fermer plus de 10 p. 100 de graines vaines, on en accepte
30 p. 100 pour celles de mélèze (1).
Il faut aussi tenir compte de ce fait qu'à l'air libre, la
germination naturelle donne toujours un résultat inférieur à
celui des épreuves ; outre les accidents météorologiques à re-
douter, les mulots, les oiseaux et les insectes occasionnent, en
effet, un déchet sérieux. Dans tous les cas, si l'on achète des
graines dans le commerce, c'est une économie mal placée que
de s'adresser à des maisons n'inspirant pas toute confiance,
ou d'utiliser des « fonds de sac » des années précédentes.
Le mieux, quand cela est possible, est de ramasser soi-même
en forêt les semences dont on a besoin. Il faut alors donner
tous ses soins à leur récolte et à leur conservation ; les indi-
cations suivantes serviront de guide dans cette double opé-
ration.
Récolte des semences. — A moins de circonstances excep-
tionnelles, on ne doit récolter que des graines provenant d'ar-
bres sains, exempts de tares héréditaires ( fig. 77), vigoureux et
croissant dans leur station. La récolte ne se fait que quand
les graines sont complètement mûres. Les graines lourdes se
ramassent sur le sol après leur chute naturelle ; les graines
(1) Les cônes de résineux, dans leurs portions terminale et basilaire,
ne renferment souvent que des graines stériles. Des cônes très courts,
comme ceux du mélèze, fournissent donc une proportion de bonne
graine bien inférieure à celle que l'on trouve chez des espèces à cône
allongé, comme l'épicéa.
328
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
légères et les cônes des résineux doivent être cueillis direc-
tement, en montant sur les arbres.
Les glands des chênes mûrissent et se disséminent vers la
fin de l'automne. Parmi ceux qui tombent les premiers, il s'en
Fig. 77. — Anomalies de structure: libre-torse (défaut héréditaire);
loupe (défaut purement local) et sections faites dans les loupes.
trouve beaucoup de véreux ; pour les ramasser, il faut donc
attendre le moment où la chute se fait abondamment ;
on choisit alors ceux qui sont fraîchement tombés et les
plus gros, l'expérience ayant indiqué que ces derniers
donnent les plants les plus forts. En faisant cette récolte,
il est extrêmement important de bien distinguer les
il, BOISEMENT PÀB SEMIS. 329
glands du chêne rouvre el ceux du chêne pédoncule ; les
deux espèces ont, <»n effet, des exigences bien différentes,
dont il faut tenir compte, sous peine de mésaventures diffici-
lement réparables.
La faine mûrit également à la fin d'automne; on la recueille
par terre, à la main ou au balai ; quelquefois, on la fait tom-
ber sur des draps étendus au pied des arbres, dont on frappe
les rameaux avec de longues perches.
Les glands de charme se récoltent à la main vers la im
d'automne, après la chute des feuilles, ou bien on gaule les
arbres, comme cela vient d'être dit pour les faînes. La samare
des érables et celle du frêne, mûrissent aussi en automne ; on
les récolte à la main, sur l'arbre, après la chute des feuilles;
chez l'érable sycomore et le frêne, ces semences restent suspen-
dues jusqu'à la fin de l'hiver, celles de l'érable plane se dissé-
minent plus tôt.
La samare des ormes mûrit vers la fin de mai, ou au com-
mencement de juin; elle s'envole bientôt. On la ramasse
surtout le long des routes et dans les allées des promenades
publiques où ces arbres sont abondants. Il importe alors
de savoir distinguer l'orme champêtre de l'orme de mon-
tagne, car ces deux espèces, dont les bois ont des qualités
bien différentes, sont souvent mélangées comme arbres d'agré-
ment. Les semences d'orme germent de suite après leur dis-
sémination ; beaucoup sont vaines.
"Les cônes du bouleau mûrissent en septembre; ils se désar-
ticulent bientôt après, et la graine tombe en même temps que
les écailles. Ceux qui mûrissent les premiers, de même que
ceux qui restent sur l'arbre jusqu'en novembre, ne contien-
nent généralement que des semences infertiles.
Les cônes des aunes blancs et glutineux ne se désar-
ticulent pas ; ils s'entr'ouvrent et laissent échapper leurs
petites graines, depuis le commencement de décembre
jusqu'au printemps. On ramasse ces cônes, en automne, dès
que les écailles en deviennent brunes; on les conserve dans
un lieu sec, et la semence se sépare tout naturellement.
Les graines de sapin pectine mûrissent en septembre et
tombent des cônes avec les écailles, surtout après les gelées,
330 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
dans l'espace d'une quinzaine de jours. Les cônes sont dressés
sur les branches du sommet de l'arbre ; il faut se hâter de
les y cueillir au moment précis de la maturité.
Les cônes d'épicéa mûrissent au mois d'octobre, ils
ne s'entr'ouvrent pas de suite et on les cueille pendant
l'hiver. Lorsque la température est douce, les graines
commencent, dès cette saison, à s'échapper des cônes et à
s'envoler; le plus souvent la dissémination ne se fait qu'au
printemps.
La récolte des graines de mélèze s'opère dans les mêmes
conditions que celles de l'épicéa, en évitant de ramasser les
cônes vides, qui restent plus d'une année attachés à l'arbre
après la dissémination. On peut aussi la récolter sur la neige
durcie, dans les dépressions où le vent l'a balayée.
Les cônes de pin sylvestre mûrissent dix-huit mois après
la floraison, pendant l'automne de l'année suivante; les
semences se disséminent au printemps. On cueille les cônes
pendant l'hiver. Il en est de même des pin maritime, pin de
montagne, pin laricio, pin cemhro. Les graines de pin d'Alep
se récoltent au printemps de la troisième année qui suit la
floraison ; les cônes vides restent indéfiniment attachés aux
rameaux.
La désarticulation des cônes du sapin se fait facilement et
par simple torsion dans les mains. Tous les autres cônes
s'ouvrent sous l'influence de la chaleur et de la séche-
resse.
La récolte et la préparation des graines, — des graines
résineuses surtout, — sont l'objet d'une industrie très im-
portante. Le plus souvent, le commerce les façonne dans des
établissements spéciaux, auxquels on donne le nom de sé-
cheries) à défaut de séchoir artificiel, on soumet les cônes à
la chaleur solaire, en des endroits exposés au midi et bien
abrités contre les vents. Les graines ainsi obtenues sont mu-
nies de leurs ailes; si elles doivent être conservées un cer-
tain temps, il estpréférable de les laisser intactes, mais, avant
l'emploi, il convient de les désailer. Cette opération se fait
en humectant légèrement la graine ; on la met ensuite dans
des sacs remplis au quart environ, et qui sont secoués par
LE ItnlM Ml [S r l'Ai; SI MIS.
33 i
des ouvriers tenant chacun deux des quatre coins. Le net-
toyage s'obtient au moyen de vans(l).
Conservation des semences. - Les fruits lourds, comme
la châtaigne, le gland et la faîne, moisissent facilement; il est
impossible de les conserver pendant plus d'un hiver, et encore
est-il nécessaire de prendre certaines précautions assez déli-
cates, car il faut les garantir en même temps contre la ger-
mination (2), la moisissure, le froid, le dessèchement et la
voracité des animaux. C'est dans des silos qu'on obtient
les meilleurs résultats ; on peut aussi renfermer les glands
dans des tonneaux percés de trous et qu'on immerge dans de
l'eau courante. Si Ton préfère conserver ces semences dans
un grenier, — ce qui est également bon, — on doit, aussitôt
après la récolte et le nettoyage, les étendre au soleil, en
couches minces ; on les brasse deux ou trois fois par jour,
si elles sont très humides. Après complet dessèchement, on
les place par couches de 3 à 5 centimètres d'épaisseur sur le
plancher d'un grenier, où il faut les remuer tous les jours
pendant le premier mois, — ensuite, une fois par semaine.
Une forte aération du grenier est nécessaire.
La graine de sapin est aussi très délicate, à peine se con-
serve-t-elle pendant un hiver.
Celles des pin d'Alep, pin pinier, pin cembro, qui ren-
renferment une assez grosse amande, rancissent très vite et
se conservent difficilement au-delà de six mois. De même
les semences légères et sèches de plusieurs bois feuillus, tels
que l'orme, le bouleau, l'aune, perdent en quelques mois
leurs facultés germinatives.
Les glands de charme, les samares de frêne, quelquefois
aussi les samares d'érable, restent une année en terre avant
de germer; on les stratifié alors, durant un an, au fond de
simples rigoles ouvertes dans un terrain sain et frais, en les
recouvrant de 10 à 15 centimètres déterre. La graine d'orme
doit être semée au printemps, aussitôt après dissémination ;
(1 Voir les articles de M. Thil sur la «. Récolte et préparation des
graines résineuses » {Bévue des eaux et forêts, t. XXIII, 1884).
(2) Une température de -j- 4° suffit à la germination des
glands.
332
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
le même procédé permet de retarder sa germination jusqu'au
printemps suivant.
Toutes les autres graines se conservent plus ou moins
longtemps dans des greniers bien aérés, où l'on a la
précaution de les remuer pour éviter réchauffement.
Mais la conservation d'une semence a toujours pour effet
d'en altérer peu à peu la vitalité, jusqu'au moment où
toute faculté germinative est perdue. En général, plus on
s'éloigne, en semant, de l'époque de la récolte, plus la ger-
mination est irrégulière, lente à se produire, et moins aussi
les plants obtenus ont de vigueur. Le tableau suivant con-
tient le résultat des essais de graines de différents âges,
poursuivis par M. l'Inspecteur Pierret à l'Ecole forestière des
Barres.
NOMBRE
FACULTÉS
DE GRAINES.
GERMINATIVES (Tain p. 100)
ESSENCES.
6
il
ex
o
<6
-ai
a
a
<
O
c
<
Ci
<i
c
G
<
6
a
a
<
G--'
a
c
<
OBSERYUIONS.
<
<
-
M
ée
66.300
136.000
°/o
°/o
a
71.800
61.501)
à
165.000
124.000
74
49
28
»
5
(iraiues désailees.
Pin de montagne. . .<
a
'79.150
à
150.300
72
57
50
42
25
id-
Pin laricio (noir). . . .
28.045
53.086
76
50
»
»
5
id.
— fde Corse).
33.684
67.684
77
50
»
»
5
id.
— (des Céveniies).
31.649
' 9.771
66.600
17.142
74
50
»
»
5
id.
a
f 11.363
a
19.176
74
68
70
74
66
<0can.,54O/O,iJ.
27.055
24.427
52.763
50.365
74
66
68
33
65
10
»
Graiiies désailéw.
id.
Pin Weymouth. ...
1.775
3.412
25-51
3
0
0
0
id.
Mélèze
81.761
65.312
5. 941
169.539
122.386
22.013
39-44
83
?
16-18
53
9
5-8
26
1
0
7
0
»
7
id.
id.
Craints ailées.
Epicéa
On remarque que les graines des essences qui vivent dans
les stations élevées (mélèze, pin cembro) n'ont qu'une très
faible faculté germinative et la conservent moins longtemps
LE BOISEMENT PAB BEMIS. XVA
que celles des espèces poussanl dans les stations chaudes
(pin maritime, pin d'Alep). M. Pierrel attribue ce Fait à une
maturation insuffisante. Néanmoins le pin de montagne ferait
exception.
Il semblerait aussi résulter d'expériences récentes, entre-
prises dans les pépinières par M. de Vilmorin, que la macéra-
tion dans la pepsine donne un regain de vitalité aux vieilles
graines.
Pour préserver les graines de toutes essences contre la vora-
cité des animaux rongeurs et des oiseaux, aussi bien dans les
réserves que lors de la mise en terre, il est bon de les enduire
de minium rouge. A cet effet, on saupoudre les tas avec une
quantité suffisante de minium, et le mélange intime s'obtient
par les brassages successifs destinés à prévenir la fermen-
tation.
Préparation du sol. — Quand le boisement par semis
direct est justifié, il est nécessaire, le plus souvent, de faire
subir une certaine préparation au sol; car les jeunes plants
naissants risquent d'être étouffés par la végétation sauvage
qui les environne, et dont certaines espèces se propagent avec
une telle rapidité, qu'elles ont vite raison des semis les mieux
réussis. En terrain calcaire, ces espèces nuisibles sont très
nombreuses; en sol siliceux, pour être moins variées, elles
n'en sont pas moins dangereuses, et l'une d'elles, la fétuque
bleue (Molinia cœrulea), constitue, en certaines régions, un
des principaux obstacles à vaincre pour les travaux de reboi-
sement. Il faut donc des conditions tout à fait spéciales
pour justifier le semis en terrain naturel.
La manière de préparer le sol diffère avec son état superfi-
ciel, les conditions de couvert et la composition minéralogi-
que; mais la règle est partout, et toujours, de débarrasser les
parties à semer de la vég'étation herbacée gênante, et d'ac-
compagner cette opération indispensable d'une culture, d'une
façon, qui revient à défoncer le terrain sur une profondeur
variable. Ce défoncement est surtout utile quand le climat
est sec, quand le sol, par sa nature et son exposition, est
sujet à se dessécher. La culture, en effet, a les résultats
suivants :
334 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
1° elle augmente les facultés d'imbibition du sol à l'égard
des eaux atmosphériques ;
2° la couche superficielle ameublie joue, par rapport aux
régions plus profondes du terrain, avec lesquelles ses liens
sont rompus, le rôle d'une couverture morte : elle diminue
l'évaporation ;
3° elle permet aux jeunes plants de développer rapidement
leur appareil radicellaire, qui pénètre ainsi dans des régions
où la sécheresse ne se fait plus trop sentir;
4° la destruction de la végétation herbacée, dont elle est le
corollaire, entraîne la disparition de tout un monde de plantes
qui feraient aux jeunes semis une trop rude concurrence
dans la lutte pour l'eau.
Par contre, dans les stations où les accidents de gel et de
dégel sont à craindre, la culture augmente les chances du dé-
chaussement.
En toutes circonstances, il faudra veiller à ce que la graine
se trouve en contact avec la partie de la terre la plus riche
en terreau, parce qu'elle est, en même temps, la plus hygro-
métrique et la plus perméable; on évitera donc le brassage
complet de la terre, en ayant soin de laisser en place la
couche superficielle, sans ramener à la surface la terre miné-
rale pauvre des parties plus profondes ; le contraire a lieu
quand il s'agit de plantations. Pour profiter de l'humidité si
nécessaire à la germination, il est bon de ne faire cette cul-
ture qu'au moment de répandre la graine.
Les différents modes de semis. — Dans l'exécution des
semis, on distingue plusieurs méthodes, dont les principales
sont les suivantes : semis en plein, — par places, — par
bandes alternes continues ou brisées, — par potets, — sur
terrain non préparé, — et semis expédiiifs.
Semis en plein ou à la volée. — Le semis en plein consiste
à ensemencer régulièrement le terrain après en avoir nettoyé
avec soin toute la superficie. Il se justifie quand le sol
a déjà subi une préparation en vue d'une culture agricole, ou
lorsque le travail ne coûte rien (extraction de souches ou de
bruyères ; d'ailleurs l'emploi de la charrue, mode qui, au
point de vue économique, est le plus avantageux, permet,
LE uni M Ml \ r P \lt SEMIS,
335
en môme temps qu'on l'ail le semis de graines forestières,
d'obtenir une récolte de céréales. Lé semis en plein n'est
applicable que dans les terrains en plateau ou en pente légère ;
en montagne, la terre ne saurait être ameublie en plein,
sans dangers de ravinements. Il faut aussi que la graine
soit à très bas prix ; car, sous cette forme, le semis en
absorbe une grande quantité.
Semis par places. Ce n'est autre ebose qu'un semis en
plein localisé sur de petits espaces de forme et de contenance
variables, sur des places, en un mot, eboisies à cet effet.
Cette méthode économise les soins et le travail; mais l'en-
semble reste parfois irrégulier, surtout si quelques places voi-
sines Tune de l'autre viennent à manquer ; de plus l'enva-
hissement par les herbes est toujours à craindre.
Elle trouve son application dans les trois cas suivants :
1° en forêt, pour compléter une régénération naturelle in-
suffisante ;
2° en forêt, encore, pour créer des placeaux d'une essence
précieuse au milieu des espèces spontanées ;
3° enfin dans les terrains nus où la roche formant sous sol,
est à une profondeur notable sur certains points, tandis
qu'elle affleure tout à côté. On ensemence alors les bons en-
droits : les autres se regarniront dans la suite par voie na-
turelle ou par plantation, quand les îlots de verdure obtenus
leur auront assuré un peu d'ombre et de fraîcheur.
Dans de pareilles conditions, l'emploi de la charrue est im-
possible, et c'est la pioche ou la bêche qui préparent le terrain.
Semis par bandes continues ou brisées. — On divise la
surface à reboiser en bandes parallèles, plus ou moins larges
et plus ou moins éloignées entre elles, dont les unes sont cul-
tivées et ensemencées, quand les autres restent en friche.
Ces semis exigent moins de graines que les précédents, ils
donnent aussi plus de facilité pour soigner les jeunes plants ;
ils joignent à cela l'avantage de permettre le maintien, dans
les intervalles incultes, de la végétation naturelle, dont l'abri
sera d'un grand secours contre les effets du soleil, des vents
et des eaux pluviales et dont la présence active la condensa-
tion des rosées.
336 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
La largeur des bandes cultivées est comprise entre 0m,50
et 1 mètre; plus le sol a de tendances à s'enherber, plus les
bandes doivent être larges; on les diminue, au contraire, à
mesure que la pente augmente. L'espace inculte varie de 1 à
3 mètres, suivant les essences employées, en tenant compte
de ce fait que plus les bandes cultivées sont écartées, plus
tard aussi se forme le fourré.
Chaque fois que cela sera possible, les bandes seront ouver-
tes à la charrue ; mais, quand le sol est pierreux, peu
profond, encombré de racines, ou si. les pentes sont accusées,
cette préparation se fait à bras d'homme. Si la charrue est
recommandable à tous égards dans les terres abandonnées
par la culture, le versoir présente, dans les friches, l'incon-
vénient de ramener à la surface la terre sauvage ; alors nous
préférons la houe.
Quand le terrain est plat ou peu incliné, il faut toujours
ouvrir les bandes dans la direction Est-Ouest; la végétation
des parties incultes, aussi bien que le bourrelet formé par les
terres provenant des cultures, servent d'écran du côté du
Midi. Dès que les pentes atteignent 7 ou 8 p. 100, il faut né-
cessairement tracer des bandes horizontales, c'est-à-dire
suivant la direction perpendiculaire à la ligne de plus grande
pente ; le fond cultivé en est réglé et nivelé avec un léger
dévers du côté d'amont. Jamais elles ne sont ouvertes dans
le sens des pentes, car il se produit alors des ravinements et
les eaux ruisselantes entraînent les graines.
En montagne, il est impossible d'obtenir une horizontalité
parfaite, à moins de frais supplémentaires et très superflus;
d'autre part, s'il existe la moindre pente, les eaux s'amas-
sent dans les parties basses et provoquent un commencement
de ravinement. Dans ces conditions, il est préférable de
briser les bandes, c'est-à-dire de ne les ouvrir que par tron-
çons de 5 à G mètres de longueur, séparés entre eux, dans le
sens de leur direction, par des intervalles incultes de lm,50
à 3 mètres; ceux-ci sont disposés de telle sorte que le milieu
de la partie cultivée, dans la ligne supérieure, corresponde
avec le milieu de l'espace inculte dans la ligne inférieure.
Semis par trous ou potets. — Ce genre de semis se fait
I.K B0ISEM1 \ r P \n BEMIS. 'Mil
en plaçant les semonces une à une, ou <lii faible quantité,
dans des Irous pins on moins profonds préparés à cel effet el
symétriquement disposés. Le procédé esl économique; mais
il expose à des insuccès nombreux ; car, si les jeunes semis
courent peu de risques de la part des animaux fouisseurs, el
surtout des vers blancs qui éprouvent de la difficulté à forer
leurs galeries d'un potetà l'autre, ils ont, parconlrc, à souffrir
des herbes qui les envahissent par quatre côtés à la fois.
Semis sur terrain non préparé. — Pour que cette mé-
thode offre des chances réelles de succès, il faut tout à la fois:
1° que le sol soit naturellement meuble ;
2° que la graine coûte très bon marché ;
3° que les semis de l'essence employée aient une végétation
rapide qui leur permette de lutter contre les plantes sau-
vages.
Ces trois conditions se trouvent réalisées dans la dune
blanche des côtes de l'Océan, où le pin maritime, semé à la
volée sur le sable nu, fait merveille, sous réserve de couver-
tures qui empêchent le décapage par le vent; mais, si le sable
est envahi par une végétation basse qui lui donne de la cohé-
sion, la pioche doit intervenir.
Parfois, dans les landes montagneuses du Plateau central,
afin d'éviter les frais d'arrachage de la bruyère, les semeurs
répandent les graines de pin sylvestre sans aucun travail
préalable, et se font suivre par un troupeau de moutons ;
ceux-ci secouent la bruyère et font tomber les graines sur le
sol où leur piétinement les recouvre suffisamment. Mais il
faut constater que les mécomptes sont aussi fréquents que
les résultats acceptables.
Ce genre de semis est plus justifié dans les terrains rocail-
leux de la haute montagne, au pied des escarpements, sur les
cônes déboulis désignés dans les Alpes sous le nom de
clappes, où toute culture est impossible; là, d'ailleurs, si le
sol n'esl pas précisément meuble, du moins est-il toujours
frais, et la graine trouve des abris dans les interstices des
pierres; d'autre part, si la végétation des jeunes semis est
très lente, du moins n'a-t-elle pas de concurrents sérieux
dans les touffes de gazon, les mousses et les lichens qui ont
Boppe et Jolyet. 22
338 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
assez à faire de lutter contre la rigueur du climat. On sème
alors soit sur la neige, soit sur terrain nu, sans aucun tra-
vail préalable.
Le semis sur terrain nu se fait toujours en plein. Dans les
pentes rocheuses, clappes ou autres, il faut avoir soin de
lancer fortement la semence par un mouvement de bas en
haut, de façon que les graines, pénétrant sous les pierres
aussi avant et en aussi grand nombre que possible, soient pré-
servées contre la sécheresse et l'entraînement par les
eaux.
Le semis sur la neige se pratique en répandant la graine,
à la volée et en notable quantité, quand la surface est encore
recouverte de névés assez résistants pour que le parcours n'en
soit pas trop pénible. On choisit un temps calme, par une
belle journée de printemps, afin que les graines répandues
dans la matinée puissent pénétrer de quelques millimètres
dans la neige fondue par les rayons du soleil ; cela suffit pour
qu'elles ne soient plus balayées par le vent. Pour qu'on
puisse compter sur un succès, il est indispensable que le
terrain couvert de neige soit susceptible d'être reboisé par
semis direct, c'est-à-dire qu'il ne soit pas exposé au soulève-
ment après la fonte des neiges. Il est évident que, partout
où le déchaussement est à craindre, le semis ne réussira pas
mieux sur la neige que sur* le même sol nu ; c'est certaine-
ment pour ne pas s'être rendu compte de ce fait que bien
des insuccès ont été reprochés, à tort, à ce procédé qui
peut rendre de très utiles services, car il permet, en même
temps, d'opérer à une époque où tout autre travail est impos-
sible, et d'utiliser tous les instants d'une saison de végéta-
tion très courte: les graines ainsi répandues arrivent, enelTet,
sur le sol dans des conditions de macération éminemment fa-
vorables à leur prompte germination.
Semis expéditifs. — Ces méthodes varient suivant la na-
ture du terrain, les outils dont on dispose, et la grosseur des
semences, lesquelles ne sont pas répandues à la volée sur un
sol non préparé; mais le travail très sommaire, consiste à obte-
nir, en un tour de main, tout à la fois l'enfouissement dune
pincée de graines de distance en distance, à la profondeur
LE BOISEMENT l'Ait BBMIS. 339
voulue, — et une légère façon, toute locale, dont bénéficiera le
jeune semis.
Ainsi, pour repiquer des glands OU des laines, il sullit de
soulever une molle de gazon avec le tranchant d'une houe ;
on jette deux ou trois semences dans cette ouverture, et, avec
le pied, on presse légèrement la terre.
Quand il s'agit de graines légères, on peut, d'un seul coup
de pioche, rompre la couverture vivante; puis, sur la terre
émieltée, on répand une pincée de semences qu'on recouvre
légèrement à la main de façon à les cacher à la vue. Souvent
encore, avec un sarcloir, avec une petite herse spéciale, ou
même, simplement, avec le fer d'un piolet ou l'extrémité
d'un bâton ferré, on gratte la surface du sol pour faire un
placeau où l'on jette la graine.
Ces modes de semis, économiques avant tout, se recomman-
dent pour compléter les régénérations naturelles dans les ter-
rains boisés. Ils trouvent encore leur application clans les
friches, lorsque l'état d'ameublissement du sol et l'humidité
constante du climat les rapprochent des conditions précé-
dentes ; ainsi, clans les grandes altitudes, ou dans une région
froide quelconque, quand le sol n'est couvert que d'un gazon
court et qui reste vert toute l'année. Ils s'imposent même dans
les terres mobiles, croulantes, en partie dépourvues de végé-
tation, où toute culture quelque peu étendue serait dange-
reuse ; on cherche alors, pour les ensemencer, les points les
plus stables, soutenus par une touffe d'herbe ou abrités par
un bloc, et on mélange avec la graine forestière la semence
d'une plante herbacée rustique, à végétation rapide, qui con-
solide temporairement le terrain.
Parmi les différents outils en usage, nous devons une men-
tion spéciale aux semoirs de M. l'inspecteur Prouvé, qui con-
sistent en un tube de métal de la longueur d'un manche de
bêche, du diamètre d'une pièce de cinq francs, dont l'extré-
mité inférieure est terminée par une houlette permettant de
creuser le sol ou d'en ameublir la surface. Le tube du semoir
conduit naturellement dans cette sorte de potet les deux ou
trois glands qu'on y laisse glisser sans avoir la peine de se
baisser ; parfois même, il constitue un véritable réservoir
340 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
contenant une provision de menues graines, dont un déclan-
chement très simple fait tomber, à la volonté de l'ouvrier,
la quantité suffisante.
Hâtons-nous d'ajouter que l'emploi d'un outil, quelque
perfectionné qu'il soit, ne remplace jamais une bonne prépa-
ration du sol.
Répandage de la semence. — On n'a aucun intérêt à se
servir des semoirs mécaniques : la main suffit. Dans le semis
en plein, on jette la graine à la volée, après l'avoir intime-
ment mélangée, s'il y a lieu, avec une demi-semence de
céréales ; dans les semis par bandes ou par potets, on répand
la graine en ayant soin de la laisser tomber assez près de la
terre pour qu'elle ne soit pas emportée par le vent dans les
parties incultes. Partout, on facilite la répartition des graines
légères en les mélangeant au préalable avec plusieurs fois leur
volume de sable bien sec. Pour bien régler le répandage, il est
prudent, dès le début, de répartir la semence et le terrain en
une même quantité de fractions égales.
Quantité de semences à employer. — La quantité de
semences à employer varie avec le sol, avec la pente et le
climat local ; elle augmente avec les dangers qui menacent les
jeunes plants pendant les premières années : sécheresses,
gelées, ravages des animaux, etc.. ; elle dépend, enfin, de la
grosseur de la semence, du mode de culture donné au sol, de
la qualité même de cette graine et de la saison des semis.
Nous résumons ci-après un tableau publié par Y Agenda
du Forestier (1), et dressé d'après les travaux de MM. Bou-
quet de la Grye, Caquet, Mathieu, Fliche, Pierret et autres :
(1) Agenda, du Forestier, année 1900. Édite par Paul Jacquin, à Be-
sançon, sous les auspices de la Société forestière de Franche-Comté et
Belfort.
LE BOISEMENT l'Ait h:\iis.
341
ESSENCES.
Aune
Bouleau
Charme
Châtaignier
Chênes rouvre
et pédonc
Epicéa
Erable symoc . .
Frêne. ...
Hêtre
Mélèze
Orme (ailé)
Pin sylvestre.. .
Pin à crochet.. .
Pin laricio (Corse).
Pin noir d'Au-
triche
Pin maritime. . .
Pin Alep
Pin Cembro. . . .
Robinier, f. acac.
Sapin (ailé)
Tilleul
MARCHE BT Dl RI I
DU LA
GERMINATION.
3-6 semaines.
4-5 —
Souv. 2e année.
3-6 semaines.
4-6 —
4-6 —
4-6 —
4-6 —
3-4 —
3-5 —
2-3 —
3-6 —
Levée as. rapide
id.
Levée rap., 15 j,
id.
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Germ. lente, irr.
2-4 semaines.
3-6 —
Souv. 2e année.
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480
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520
150
250
Semis en
plein.
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4
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8
8-12
0,17
3
2,5-3
6,8
0,6
6
0,16
0,17
0,20
0.20
0,20
0,20
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tf.
15-20
30-40
60-70
3-500
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9
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40-50
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20
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4
5
4
»
12
50
Ces chiffres peuvent être doublés, triplés même, si les con-
ditions sont particulièrement mauvaises. C'est ainsi, par
exemple, qu'il n'est pas exagéré d'employer jusqu'à 40 kilo-
grammes de graine désailée de mélèze, d'épicéa ou de pin de
montagne pour les semis à la volée sur la neige.
Saison favorable pour faire les semis. — Le temps le
plus propice pour faire les semis serait celui où la graine
mûre se dissémine naturellement. Mais l'opération n'est pas
toujours possible à cette époque pour les motifs suivants : la
préparation de la graine récoltée, surtout quand il s'agit de
cônes résineux, exige un certain temps; — à cause des varia-
tions dans les prix de main-d'œuvre, c'est une question d'éco-
nomie qui fera préférer le printemps ou l'automne; — enfin
342 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
la mise en état du sol rend souvent désirable l'ajournement
des semis.
En général, pour les semences qui mûrissent vers la fin de
l'été, en automne et en hiver, le mieux est de. les conserver
jusqu'au printemps et de les semer alors seulement. Em-
ployées en automne, la plupart des graines sont exposées à la
voracité des animaux et les jeunes plants, qui apparaissent de
bonne heure au printemps sur une surface manquant d'abri,
sont souvent atteints par les gelées tardives.
On peut admettre le semis d'automne pour les graines qui
se gardent difficilement, celles du sapin pectine et des
pins à grosses amandes, les glands et les faînes ; cepen-
dant, si on a de bons moyens de les conserver, le semis de
printemps sera préférable ; cette dernière saison devra être
adoptée pour toutes les autres essences. En un mot, la saison
des semis doit être choisie de telle sorte que la germination
s'opère le plus vite possible, afin que la graine, puis les jeunes
plants, traversent rapidement la phase où de nombreux dan-
gers les menacent ; c'est-à-dire assez tôt pour qu'ils profitent
de l'humidité du sol au sortir de l'hiver, pas trop tôt cepen-
dant avant les premières chaleurs du printemps.
Application aux essences sociales. — Les résultats du boi-
sement par semis direct se font longtemps attendre, car la
végétation des plants forestiers est souvent très lente dans
les premières années. Il faut s'armer de patience et se garder
de toute comparaison avec les régénérations naturelles en
forêt; autrement, les semis faits de main d'homme paraîtront
toujours trop rares. Dès qu'on est assuré de la réussite d'un
plant par mètre carré, on a lieu d'être satisfait; en vouloir
davantage, serait exagérer inutilement la dépense. Ce résultat
obtenu, on doit savoir oublier les boisements, — en les surveil-
lant, — et, quelques années plus tard, on sera fort surpris de
trouver le fourré formé, là où l'on croyait ne rencontrer que
des brins trop espacés.
Les semis des essences disséminées, qui ne comportent pas
l'état de massif pur, ne se font généralement qu'en pépinière.
On ne considérera donc ici que ceux des espèces sociales.
Le chêne, essence de lumière, peut être semé en plein dé-
LE BOISEMENT l'Ail SEMIS. 343
couvert; le semis csi alors préféré ;'i la plantation à cause de
la longueur de pivot qui rend celle dernière opération oné-
reuse et difficile. Dans les terres suffisamment profondes,
l'emploi de la charrue esl (nul indiqué ; après un premier
labour en plein, qui ameublit le sol et que Ton peut faire à
l'automne, on dispose les glands dans des sillons parallèles (pic
le versoir de l'instrument recouvre à un second passage; tan-
tôt, on laisse inculte les espaces de lm,50à '2 mètres qui sépa-
rent deux lignes de glands; — tantôt on donne une culture
complète au terrain sur lequel on fait une demi-emblavure
de céréales ; — tantôt, ce qui vautmieux encore, on occupe les
interlignes avec des pommes de terre plantées aussi à la char-
rue, et qui, plus que l'avoine, le seigle ou le blé, et jusque
dans les premiers jours de septembre, entretiennent le sol
dans un état de propreté et de fraîcheur dont profitent les
chênes; — tantôt on abrite les rigoles par des plantations de
bouleaux ou des boutures de saule marceau. Dans les friches,
on peut procéder par bandes ou par potets. Pour les glands
surtout, le semis de printemps est préférable à celui d'au-
tomne, à cause des dégâts auxquels ils sont exposés en hiver.
Les glands devant être recouverts de 4 à 6 centimètres de.
terre seulement, le fer de la charrue sera réglé en Conséquence.
Le semis expéditif, en forme de repiquage, est le plus écono-
mique et donne de bons résultats avec une dépense par hec-
tare de 3 à 4 hectolitres de glands et 4 à 5 francs de main
d'œuvre.
En pays de plaines, de collines ou de basses montagnes, le
semis de hêtre ne doit être tenté qu'en forêt. On repique
alors les faînes à la houe, comme les glands. Ces faînes, qui
se conservent difficilement, peuvent être semées en automne.
Quand on a su les garder jusqu'au printemps, il est extrêmement
important de les mettre en place toutes fraîches et aussitôt
après la sortie des réserves où elles sont stratifiées; car, si les
semences ont déjà germé, il suffit, en cet état, qu'elles
soient exposées à l'air quelques instants, pour être perdues ;
c'est seulement pour les semis à faire en pépinière, lorsque
la distance entre les réserves et les bandes est assez faible
pour que le transport se fasse à la minute, qu'on peut avoir
344 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
intérêt à les faire germer avant la mise en place. Sur les sols
granitiques et schisteux des Cévennes, aux altitudes de 1 ,200 à
1,500 mètres, on est parvenu à installer, en terrain nu et par
voie de semis, de jeunes massifs du meilleur aspect sur des
points où la violence du vent s'opposait à la bonne venue des
espèces résineuses les plus rustiques; on procède de la ma-
nière suivante : on ouvre une rigole orientée, si la pente le
permet, suivant la direction Est-Ouest, et à laquelle on donne
15 centimètres de profondeur et 10 centimètres de largeur;
on forme avec le déblai une sorte de butte sur le bord Sud
de cette rigole ; après avoir bien ameubli la terre du fond,
on y sème les faînes, à raison de un litre par 5 mètres cou-
rants, et on les recouvre de 8 centimètres déterre. Dès la levée,
on comble progressivement la rigole avec la terre de déblai
jusqu'à la hauteur des feuilles cotylédonaires d'abord, des
feuilles vraies ensuite, et cela jusqu'à épuisement de la terre
en réserve. On entretient ainsi toujours fraîche la zone où se
trouvent les racines des jeunes plants, qui peuvent, dès lors,
résister à la sécheresse du premier été. Le même procédé peut
être employé dans les pépinières, en réduisant l'espacement
entre les bandes à la place strictement nécessaire pour ins-
taller les buttes, c'est d'ailleurs celui qui est indiqué par Gotta
et rappelé par MM. Lorentz et Parade. [Cours de culture des
bois, § 720). Mais la réussite ne tient pas, comme le croyaient
les auteurs, à une sensibilité extrême de la tigelle aux rayons
lumineux, mais à ce fait que la terre rapportée protège les
racines contre le dessèchement superficiel. — Les semis artifi-
ciels de cette espèce semblent plus exposés que les régénéra-
tions naturelles aux dégâts d'un champignon : Peronospora
in f es tans.
Le semis de charme peut se faire à la volée, en forêt, dans
les sols frais et sous l'abri interrompu d'une coupe secondaire.
En plein découvert et dans les sols exposés à se dessécher,
cette essence aurait peu de chances de réussir à cause de la
faiblesse de son enracinement; un peu de fraîcher ou l'abri de
quelques broussailles sont nécessaires; il est d'ailleurs indis-
pensable, dans ces sols nus, toujours tassés, d'enfouir la se-
mence de charme à 1 ou 2 centimètres de profondeur.
LE BOISEMENT PAB BEMIS,
345
Le semis de sapin pectine ne réussi! bien qu'en forôl, à
l'abri d'un peuplement déjà formé ; alors, il peut se l'aire par
bandes ou par places. Un moyen économique de L'installer
consiste à racler la surface du sol, sur des placeaux de '25 cen-
timètres de côté, en donnant un léger ameublissement super-
ficiel; dans chacun de ces placeaux, on désarticule un cône
frais cueilli. 11 faut à la graine de sapin un sol riche en ter-
reau et un recouvrement d'un demi centimètre de terre. On
sait que, pour elle, le semis d'automne est préférable à celui
du printemps.
Les semis d'épicéa se font au printemps, par bandes ou par
potets ; ils demandent un sol bien préparé et surtout débar-
rassé des mauvaises herbes. On recouvre la graine légère-
ment de manière que, par une pluie, même assez forle,
elle ne puisse pas être mise au jour ; on obtient ce résultat
en remuant la graine répandue sur le sol avec un râteau à
dents courtes, ou en passant, en forme de hersage, un fagot
d'épines sur les parties ensemencées. Les jeunes plants faible-
ment enracinés, dont la croissance est lente, sont exposés à
être soulevés parla gelée d'hiver ; par contre, les gelées prin-
tanières ne leur font que peu ou point de mal. Dans les sta-
tions basses, les épicéas demandent un ombrage modéré ;
ils réussissent néanmoins en plein découvert, si le climat n'est
ni trop chaud, ni trop sec.
De toutes les essences feuillues ou résineuses, le pin syl-
vestre est, avec le chêne et les pins méridionaux, celle qui
s'installe le mieux par semis direct. En toutes stations, il ac-
cepte le plein découvert; il préfère les terrains siliceux, mais
réussit généralement dans tous les sols, pourvu qu'ils soient
graveleux. Tous les modes de semis lui sont applicables : le
semis en plein avec une demi semence de céréales, tout aussi
bien que le semis par bandes ou par potets. C'est avec le
pin sylvestre seul qu'ont parfois réussi les semis sur bruyères,
en terrain non préparé. A côté de ces avantages, il est regret-
table que, clans leur première jeunesse, les semis de pin syl-
vestre soient sujets à la maladie cryptogamique dite du rouge,
connue en Allemagne sous le nom de schùtte, et dont les
dégâts prennent la proportion d'un véritable fléau. Si, à la
346 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
rigueur, un traitement convenable peut atténuer le mal dans
les pépinières, il n'y a aucun remède pratique à recommander
pour les semis en place ; la plantation de sujets sains et assez
âgés pour avoir dépassé l'époque de la crise sera la seule
bonne solution. Les semis naturels échappent heureusement
en grande partie à ce danger.
En sol calcaire, le pin noir d'Autriche se comporte mieux
que le pin sylvestre: il est d'ailleurs aussi rustique, et peut
être employé de la même manière; toutefois, comme sa graine
est toujours d'un prix assez élevé, il vaut mieux, en général,
procéder par plantation.
A cause de la rapidité de sa croissance, de la valeur des
produits divers qu'on en retire et surtout de son extrême fru-
galité, le pin maritime est l'essence la plus précieuse pour
boiser les terrains siliceux, pauvres, des climats maritimes ;
il est tout indiqué pour la mise en valeur des landes et la
fixation des dunes du littoral. C'est sous forme de semis
direct qu'il est le plus employé, et les procédés spéciaux qui
servent à l'installer seront indiqués plus loin.
Dans les régions calcaires de la Provence, le pin d'Alep se
présente avec les précieuses qualités qu'on vient de constater
chez le pin maritime. Mieux que ce dernier encore, il accepte
les conditions de sol les plus mauvaises et les chaleurs les
plus excessives ; on le voit s'installer naturellement entre les
fissures des rochers stériles où la terre végétale fait presque
entièrement défaut. On le sème par potets ; le semis d'au-
tomne serait préférable à celui de printemps, si de nombreux
ennemis ne venaient pas, en hiver, détruire soit les graines,
soit les jeunes plants naissants; en général, on opère dans les
deux saisons, en complétant, au printemps, les semis d'au-
tomne insuffisants. Telle est la résistance du pin d'Alep à
la sécheresse, qu'on est parvenu, grâce à son aide, à boiser
le rocher nu du mont Faron, où, sur bien des points, il a
fallu ouvrir à la barre à mine des trous qu'on remplissait en-
suite de terre rapportée.
Le semis direct du mélèze ne se pratique guère hors de sa
station, sur les hautes montagnes. On l'y sème comme
l'épicéa, en prenant toutefois la précaution de faire macérer la
LE BOISBMBNT l'Ait BEMI8, 347
graine dans l'eau, pendant 15 <»u -20 jours, avant de l'em-
ployer; elle doit être mise en terre, humide et Bans qu'on lui
laisse le temps de se ressuyer. On peut semer le mélèze sur
la neige, c'est même à l'aide de ce procédé qu'on a obtenu
les meilleurs résultats, sur les gazons continus comme
sur les éboulis rocheux.
Les renseignements qui précèdent s'appliquent également
aux semis d'essences mélangées] quand les graines ont
mêmes exigences et même grosseur, il suffit de préparer le
mélange en proportions voulues avant le répandage ; si elles
sont de grosseurs différentes, il faudra d'abord semer les
graines lourdes, qui demandent à être plus profondément
enfoncées, et, seulement ensuite, les graines légères.
Soins à donner aux semis. — Les semences forestières
de bonne qualité, semées avec soin et en bonne saison, ger-
ment presque toujours ; il est assez rare, en effet, qu'elles
restent inertes dans le sol, et qu'elles y fondent, suivant le
terme employé en horticulture. Mais il faut tenir compte des
dégâts trop fréquents des animaux ; nous renvoyons à l'ar-
ticle m (pépinières) pour tout ce qui concerne les moyens
de lutter contre ces déprédateurs petits et grands.
C'est donc surtout après la levée que surviennent les vérita-
bles dangers auxquels les semis directs sont exposés. La sé-
cheresse du premier été et le déchaussement à la fin du pre-
mier hiver sont à craindre tout d'abord et, quelles que
soient les précautions prises, il y a toujours de ce côté cer-
taines chances défavorables à courir. Malgré tout, quand les
circonstances de sol et de climat autorisent le boisement par
par semis direct, un premier échec ne doit pas décourager et,
en cas d'insuccès marqué, il faut recommencer le travail, en
comptant sur des temps meilleurs.
Quand la réussite, suffisante en général, est incomplète sur
des taches disséminées, on regarnit les vides par de nouveaux
semis en potets, ou, mieux encore, par des plantations de
jeunes sujets extraits dans le semis même, sur les points où
ils se rencontrent trop serrés.
Pour les semis en plein, avec ou sans préparation du sol, il
est à peu près impossible de décider, dès la fin de la première
348 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
année, si la réussite est bonne : il faut attendre deux et
même trois ans avant de pouvoir se prononcer. Au con-
traire, quand les semis sont faits par bandes ou par potets,
l'inventaire des plants d'avenir est relativement facile ; c'est une
raison de plus pour donner la préférence à ces derniers modes.
Lorsque le jeune semis a résisté aux épreuves de la pre-
mière année, il n'a plus que rarement à souffrir des accidents
météoriques, mais il risque d'être étouffé par les plantes sau-
vages qui l'envahissent. 11 est toujours utile, et parfois même
indispensable, de procéder à leur enlèvement, soit à la main,
soit à la faucille ; ces travaux s'exécutent vers la fin du prin-
temps, en tout cas, avant la floraison des végétaux nuisibles ; ils
doivent être répétés annuellement jusqu'à ce que les jeunes
plants soient assez forts pour n'avoir plus rien à redouter de
ce côté.
Enfin, quand les semis d'essences de lumière, notamment
ceux de pin sylvestre et de mélèze, naissent trop serrés, il
faut procéder à leur dèpressstge. En effet, les jeunes brins
s'affament mutuellement, s'entravent dans la poussée de
leurs branches latérales et forment des paquets où la lumière
ne peut pénétrer : les plus chétifs sont exposés les premiers à
l'invasion des insectes et des champignons; les autres seront
ensuite attaqués, car, on le sait, les champignons recherchent
les endroits abrités contre le vent, et un jeune peuplement
très serré leur crée ce milieu favorable ; il semblerait, dès
lors, que la nature ait chargé ces organismes de maintenir à
l'état clair les espèces qui, par tempérament, demandent
semblable situation; mais, si on les laisse seuls faire la
besogne, le plus souvent ils dépasseront le but. Aussi faut-il,
dès que les semis ont atteint l'âge de quatre à cinq ans, procé-
der soi-même à l'opération, qui sera d'autant plus facile
qu'on la commencera plus tôt. On opère par section, au ci-
seau ou au sécateur, plutôt que par l'arrachage qui ébranle,
en même temps, les racines des sujets d'avenir. Plus tard,
quand les semis non dépressés sont devenus des gaules trop
longues pour leur faible diamètre, ce sont les dégâts de la
neige qui les menacent, comme dans les plantations, et nous
savons qu'il faut les éclaircir.
LE BOISEMENT l'Ait PLANTATIONS. 349
ARTICLE III
LE BOISEMENT PAR PLANTATIONS
Les plants.
Qualité des plants. — Leur origine. — Leur âge et leur dimension.
Qualité des plants. — De même que la réussite des semis
demande l'emploi de bonnes graines, de même, pour assurer
l'avenir d'une plantation, il faut avoir à sa disposition
de bons plants.
Au moment de leur mise en terre, les plants, quelle que
soit leur force, doivent présenter, dans la mesure du pos-
sible :
1° des racines complètes, touffues, régulières et surtout un
chevelu développé ;
2° une tige droite, régulière, une cime bien ramifiée et
annonçant la vigueur ; des branches latérales proportionnées
à l'âge du plant;
3° le feuillage ou les bourgeons complets et bien constitués;
4° un aspect sain ; la tige et les racines sans blessure au-
cune, ni cicatrices suspectes.
Mais toutes ces qualités, fussent-elles développées autant
qu'on pourrait le désirer, deviennent inefficaces si le plant
n'est pas frais, c'est-à-dire s'il n'est pas bien vivant dans son
ensemble, et si les parties les plus grêles, les plus délicates
du chevelu sont restées trop longtemps exposées à l'action
desséchante du cent et du soleil.
Origine des plants. — 11 y a deux moyens de se procurer
les plants forestiers. On peut les prendre directement en
forêt parmi des semis naturels, ou les élever en pépinière.
Les plants extraits des peuplements naturels, ayant vécu au
milieu d'un massif, sur un sol non ameubli, ont le défaut de
manquer de chevelu, d'offrir des tiges grêles, sans ramifications
suffisantes. On ne saurait trop réagir contre cette opinion
erronnée qu'ils sont préférables aux sujets élevés en pépi-
nière, trop bien soignés, dit-on, dans leur jeunesse pour accep-
350 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
ter des conditions d'existence médiocres ou mauvaises. C'est
tout le contraire : nés sous l'ombrage, ils souffrent, lorsqu'ils
sont exposés subitement à toutes les influences atmosphé-
riques ; d'ailleurs la transplantation est une crise, et chez les
arbres, comme chez les hommes, un individu chétif et mal
nourri ne résiste pas aussi bien que si les conditions
inverses étaient remplies. Enfin, les sujets arrachés en
forêt sont extraits sans soin, et la nécessité de les ramasser un
à un empêche de les traiter convenablement ; exceptons ce-
pendant : les bouleaux que l'on trouve parfois en véritable
gazon, sur des terrains meubles, — les hêtres et les sapins,
quand on a l'occasion de les enlever en mottes.
En résumé, il faut des circonstances exceptionnelles pour
justifier l'utilisation des plants sauvages.
Les sujets élevés en pépinière sont de beaucoup les meil-
leurs ; la culture et les soins constants dont ils sont l'objet
permettent de leur donner toutes les qualités requises ; l'ex-
traction en est facile, et peut se faire sans qu'il soit besoin de
briser ou de déchirer leurs racines.
Age et dimension des plants. — On distingue les plants
en : basses tiges, demi-tiges et hautes tiges.hes premiers sont
des sujets toujours très jeunes, ayant en hauteur depuis quel-
ques centimètres jusqu'à 1 mètre ; les demi-tiges ont de
1 à 2 mètres, et les hautes tiges dépassent 2 mètres.
Les plantations réussissent d'autant mieux qu'elles sont
faites avec des plants plus jeunes, le fait est bien reconnu
aujourd'hui. Aussi, les demi-tiges, et à plus forte raison les
hautes tiges, ne sont-elles utilisées que dans des cas spé-
ciaux, pour boiser, par exemple, des terrains couverts de
grandes herbes ou livrés au parcours du bétail. L'emploi de
ces sujets sur de grandes étendues coûterait d'ailleurs trop
cher: ce sont de véritables plantations de luxe, qui deman-
dent des précautions dont les détails ne peuvent trouver leur
place que dans un traité d'arboriculture..
11 est donc, en général, convenable de planter des basses
tiges et même de très jeunes sujets sans descendre, toutefois,
au-dessous d'une limite raisonnable, car les plants trop
exigus sont d'une manutention délicate ; leur enracinement ne
il- BOISEMENT PAB PLANTATIONS. 351
dépasse pas les couches les plus superficielles <Iu sol qui se
dessèchent Infailliblement en été; enfin, pour eux, le phéno-
mène du déchaussement est plus à redouter. Une hauteur
de 15 à '20 centimètres à partir du eollel de la racine est
une bonne moyenne.
Quanta l'âge, il varie suivant les conditions dans lesquelles
on opère, suivant aussi la rapidité avec laquelle les semis des
différentes espèces forestières développent leur appareil
aérien et surtout radicellaire. Les pins des climats chauds
(pin maritime, pin d'Alep, pin pinier) se plantent à un an,
deux ans au plus; le pin sylvestre, le pin d'Autriche, le mé-
lèze à deux ou trois ans,l'épicéaà trois ou quatre ans, le sapin à
quatre ou cinq ans. Les feuillus (chêne, hêtre, érable, bou-
leau, frêne, charme), peuvent se planter à deux ou trois
ans ; les robiniers et les aunes à un ou deux ans.
Si, comme nous le dirons plus loin, on peut souvent éviter
l'opération coûteuse du repiquage pour les sujets de deux et
même trois ans que l'on élève soi-même en pépinière, du
moins ne faut-il pas, si l'on achète les plants dont on a besoin,
reculer devant un supplément de prix de quelques francs par
mille pour se les procurer repiqués : leur reprise est toujours
beaucoup plus certaine.
Les pépinières.
I. INSTALLATION DUNE PÉPINIÈRE CENTRALE
Capital d'exploitation. — Choix de l'emplacement. — Division du ter-
rain. — Préparation du sol. — Les engrais. — Le terreau. — Aména-
gement de la pépinière. — Son étendue. — Les outils. — Les
clôtures. — Les dangers à combattre.
Capital d'exploitation. — Une pépinière centrale est
une véritable exploitation horticole. Son installation demande
une forte dépense de premier établissement ; il faut, en outre,
un fonds de roulement assez important. Aussi, en dehors du
commerce, un propriétaire ne doit-il se résoudre à une pa-
reille entreprise que s'il veut boiser des terrains d'une éten-
due considérable.
Choix de remplacement. — L'emplacement d'une pépi-
352 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
nière permanente doit répondre aux conditions suivantes (1) :
1° se trouver dans une position aussi centrale que possible
par rapport aux différents cantons à reboiser et qu'elle devra
approvisionner, en toutou en partie;
2° offrir un accès facile pour le transport des plants ainsi
que des engrais et des amendements à y employer ;
3° être à la portée de la résidence de la personne chargée
d'en diriger l'exploitation, ou mieux, être attenante à une
maison où le chef de culture sera logé ;
4° présenter une surface aussi homogène et un périmètre
aussi régulier que possible, permettant une bonne division et
facilitant les clôtures ;
5° ne pas occuper des fonds bas et humides où les gelées
et le déchaussement sont le plus à redouter, mais, au con-
traire, des versants en pentes très douces, exposés, de préfé-
rence, à l'Est et au Nord-Est, afin d'éviter une trop grande
précocité, au printemps, et un trop grand prolongement de la
végétation, en automne ;
6° être susceptible d'irrigation à l'eau courante, surtout
dans les régions à climat sec ;
7° posséder un sol d'une fertilité moyenne ou meilleure
encore, car elle doit produire des plants vigoureux et bien
équilibrés, très aptes à une reprise certaine et prompte.
Quand on connaîtra d'une façon bien précise la destina-
tion à donner aux plants, on choisira un terrain qui,
par sa constitution et sa base minéralogique, présente une
certaine analogie avec les cantons à boiser; car les plants
dune même espèce se constituent un enracinement variable
suivant la nature du sol dans lequel ils végètent ; les racines
produites en sol humide ne conviennent pas pour une plan-
tation à faire en sol sec, toutes n'y fonctionneraient pas ; de
même, des plants nés en terrain siliceux, léger, seraient
mauvais pour boiser des sols argileux ou compacts. Sous ces
réserves, on constate que les terrains siliceux, meubles, sont
les plus avantageux pour l'installation d'une pépinière per-
manente : les travaux de culture y sont moins coûteux qu'en
(1) Landolt, La forêt; manière de la rajeunir et de la soigner,
3e édition. Traduction par X. Amuat, Porrentruy, 1880.
F.E BOISEMENT l'Ail PLANTATIONS» 353
terrain argileux ; ceux de sarclage plus faciles qu'en terrain
calcaire; les jeunes plants s'y forment, d'ailleurs, un chevelu
très abondant; le déchaussement y est aussi moins à crain-
dre; enfin, un terrain neutre est toujours préférable, en ce
sens qu'aucune espèce n'en est exclue : il suffit, pour les
unes ou pour les autres, d'ajouter, sous forme d'engrais ou
d'amendement, les éléments nutritifs qui, à un moment don-
né, pourraient faire défaut; on crée de la sorte des stations
artificielles pour l'éducation d'espèces étrangères à la flore
locale. D'ailleurs, si les terres légères conviennent mieux
pour la réussite des semis, une terre un peu forte sera
préférable pour l'éducation des plants repiqués à élever en
moyennes ou hautes tiges.
Contrairement à ce préjugé que, pour établir une pépi-
nière, il faut éviter les terres trop fertiles, on doit être
assuré qu'un terrain de très bonne qualité formera des
plants plus vigoureux, mieux pourvus de racines et d'une
reprise plus certaine que celle des sujets chétifs et mal
nourris, élevés en un sol trop maigre ; il en est de ceux-ci
comme des plants sauvages.
Si, dans les espaces dont on dispose, il ne se rencontre
aucune parcelle présentant les conditions convenables, il
vaudra donc mieux s'abstenir, ou se résoudre à chercher ail-
leurs un terrain favorable, qui sera loué, ou mieux, acheté.
Division du terrain. — L'emplacement déterminé, on
calcule l'étendue à donner à la pépinière, en s'appuyant
sur les données qui seront indiquées plus loin.
Le premier travail consiste à délimiter un certain nombre
de grandes divisions par des chemins de 2m,50 à 3 mètres de
largeur, permettant aux charrettes de circuler en tous sens.
On partage chacune de ces sections en carrés ou en rectan-
gles, d'une surface de 10 à 15 ares, séparés entre eux par des
petits chemins de 1 mètre de largeur et accessibles à la cir-
culation des brouettes.
On procède, ensuite, au nivellement des chemins grands et
petits et on les combine de façon à rendre, d'une part, inof-
fensif l'écoulement des eaux pluviales et à permettre, d'autre
part, l'irrigation des carrés. A ce point de vue, il est avan-
Boppe et Jolyet. 23
354 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
tageux, chaque fois que la chose est possible sans trop grands
frais, de donner une horizontalité parfaite à chacune de ces
surfaces : les eaux de pluie ou d'arrosage pénètrent plus ré-
gulièrement dans le sol et tout danger de ravinement est
écarté. Un usage général consiste à disposer la superficie des
carrés en saillie de 15 à 20 centimètres au-dessus du niveau
des chemins; clans les terrains meubles et filtrants, dans les
climats chauds et secs, une disposition inverse serait certaine-
ment préférable : les chemins tracés en relief au lieu de
drainer le sol serviraient de barrage pour empêcher la
perte des eaux quelle qu'en soit la provenance; mais, pour
que celte disposition puisse être utilement adoptée, il est
nécessaire que la surface du carreau soit parfaitement hori-
zontale.
On fera bien, en quelque endroit retiré de la pépinière,
tout en préparant les fosses à fumier et les pourrissoirs, de
réserver, sur les points les plus humides, remplacement
nécessaire pour l'installation d'une oseraie. Les meilleures
espèces de saules à choisir pour cet usage sont les suivantes :
Salix fragilis, S. viminalis, S. pentandra, S. Lambertiana.
De même, il est utile de planter autour des bassins d'irri-
gation quelques touffes de jonc [Juncus glaucus) destinées à
fournir des liens ; dans les endroits secs des climats méridio-
naux, cette espèce peut être remplacée par le sparte [Ligeum
spartum).
Préparation du sol. — En tout état de choses, les carrés
seront défoncés à une profondeur d'environ 40 centimètres
(2 fers de bêche). Cette opération est indispensable, et
de sa bonne exécution, dépend l'avenir de la pépinière.
Le défoncement a pour but d'ameublir la terre, de la
rendre; plus perméable aux racines, à l'air, aux pluies, — plus
productive enfin. On ne saurait trop insister sur ce fait que
la culture des plants forestiers en pépinière, comme l'aboricul-
ture fruitière, ont beaucoup de points communs avec la
culture maraîchère : partout et toujours, le sol doit être pré-
paré de la même façon , c'est-à-dire, êlre profondément dé-
foncé et largement fumé.
Le défoncement se fait, soit à la bêche, soit à la houe ou
LE BOISEMENT PÀB PLANTATIONS. 'A')')
à la pioche; quand cela est possible, l'emploi (le la charrue
sous-sol est plus économique. L'ouvrier qui travaille à la
houe ou à la bêche ouvre d'abord une jauge de I mètre
de largeur sur la profondeur voulue, et, pour « se donner
du champ », il conserve toujours cet espace libre cuire la
ligne de défrichement et le jet des terres ; celles-ci sont
disposées, par couches, en talus à 45 degrés : les mottes
sont ainsi mieux divisées, et celles qui échappent tombent
au fond de la jauge, où il est facile de les briser. On
répand ensuite les engrais bien également sur tout le Udus
des surfaces remaniées, en ayant soin de ne pas en laisser
tomber dans le fond de la jauge, où ils seraient enterrés à
une trop grande profondeur, et l'on continue, de proche en
proche, par tranches de *20 à 25 centimètres de largeur,
jusqu'à l'extrémité du carré que l'on nivelle avec la terre
provenant de la première jauge (1). Les couches superficielles
étant ainsi mélangées avec les plus profondes, la masse pré-
sente une compacité et une fertilité moyennes, en même
temps qu'une égale richesse en engrais.
Tout en procédant au défoncement, on débarrasse le sol
des plus grosses pierres ou pierrailles (tous les fragments qui
dépassent la grosseur d'une noix devront être enlevés). Ces
matériaux serviront pour assainir et empierrer les chemins
et sentiers.
Il est nécessaire de laisser à la terre le temps de se tasser
avant de lui confier les graines ; pour cela, on termine le
travail à la fin de l'automne dans les terrains à ensemencer au
printemps suivant, et à la fin du printemps pour ceux qui
recevront les semis d'automne. Il suffira de donner un léger
labour quand le moment sera venu de semer ou de repiquer.
Les engrais. — La question des engrais est tout à fait
capitale quand il s'agit de pépinières permanentes. Car, si
une pépinière qu'on installe dans un sol forestier nouvelle-
ment défriché peut, à la rigueur, fournir deux ou trois ré-
coltes, sans engrais, elle se refusera le plus souvent, à en
produire une quatrième; le sol des pépinières est, en effet,
(1) Gressent, Le potager moderne, 4e édition, p. 209, Paris, Goin,
1875.
356 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
exposé sans protection aux influences atmosphériques ; de
plus, aucune matière fertilisante ne vient l'entretenir comme
celui des massifs forestiers. « Quelles que soient leur nature
minéralogique et leur fertilité première, dit M. Grandeau (1),
les terrains consacrés pendant de longues années à des semis
feuillus ou résineux, qu'on exploite tous les deux ou trois
ans (tiges et racines), s'épuisent comme les sols livrés à
la culture agricole: les jeunes plants d'arbres nécessiteront
des quantités de matières minérales bien supérieures an-
nuellement à celle que les arbres eux-mêmes réclament plus
tard. » Ainsi, de toute nécessité, il faut fumer les pépinières
à la façon des terres arables.
D'autre part, les analyses de terreaux de feuilles ont per-
mis de constater que ces engrais, d'ailleurs suffisamment
riches en potasse, sont très pauvres en azote (ils en ren-
ferment à peine 0,40 p. 1000) et en acide phosphorique.
Terreau ou humus forestier, employés purs et tels qu'il est
possible de se les procurer gratuitement dans la forêt, sont
donc insuffisants.
Le fumier de ferme, par sa porosité, entretient l'état meu-
ble et l'aération dans une terre qui, couverte de la même
récolte pendant 2 ou 3 années consécutives, ne reçoit pendant
cet intervalle que des façons superficielles et insignifiantes.
Toutefois, il présente l'inconvénient d'être de composition
mal titrée ; aussi, tout en lui donnant la préférence chaque
fois qu'il sera possible de se procurer à bon compte du fumier
de qualité moyenne, tel qu'il est mis en œuvre par des culti-
vateurs sérieux, on devra s'assurer de sa teneur en matières
fertilisantes et l'additionner d'engrais chimiques, de façon à le
transformer en engrais complet, eu égard à l'état du sol et à
la nature des récoltes qu'on veut obtenir. En général, le fu-
mier de cheval convient mieux dans les terres froides et com-
pactes, celui de vache dans les terres meubles et sèches,
qu'elles soient siliceuses ou calcaires^ — sous cette réserve que
le fumier de vache expose plus que celui de cheval à la pro-
pagation des larves dangereuses.
(1) Grandeau, Annales de la station agronomique de l'Est, tome I,
p. 400.
LE BOISEMENT l'Ali PLANTATIONS. .'J.r>7
A défaut de fumier de ferme, pour rendre au sol la matière
organique dont il ne peut se passer, on a recours ;< des
composts faits de déchets de jardin, de feuilles ramassées
en forêl, d'herbes, de pourrissoirs, d'ajoncs, de genêts, etc..
préparés dans les conditions qui seront indiquées plus
loin. Nous venons de constater la pauvreté de ces composts
en sels nutritifs; aussi, pour rétablir l'équilibre rationnel
entre l'importation et l'exportation, est-il toujours indis-
pensable de leur mélanger des engrais organiques ou
minéraux; ceux-ci sont incorporés dans la masse des com-
posts au moment de leur préparation, et dans des propor-
tions variables suivant la qualité du sol naturel et son degré
d'épuisement en telle ou telle substance.
Il existe dans le commerce toutes sortes de poudres ou mé-
langes dont les vendeurs disent merveille pour leur emploi en
pépinière. H y a toujours lieu de se méfier des falsifications,
et le plus sage sera de se procurer des engrais titrés en
s'adressant aux syndicats et aux stations agronomiques. En
toutes circonstances, et pour éviter des analyses longues
et coûteuses, on peut, sans crainte, choisir entre l'une des
formules ci-après, qui se recommandent par la notoriété de
leurs auteurs :
« Pour les vergers, dit M. Grandeau, on se trouve bien,
à l'hectare, des fumures suivantes :
2000 kilog. de scories de déphosphoration ;
ou 600 — de kaïnite;
ou 200 — de chlorure de potassium,
« On peut aussi employer le mélange indiqué par P.Wagner,
savoir :
200 kilos superphosphate double ;
ou 500 — de superphosphate à 16 p. 100
et 160 — de chlorure de potassium;
ou 230 — de phosphate de potasse
et 40 — de chlorure de potassium.
« Ces fumures de tête doivent être incorporées dans les
« fumiers composts avec lesquels ils sont répandus avant la
« façon; après le labour et l'épandage des graines au prin-
358 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
« temps, on sème, à la volée, 200 kilos de nitrate de soude à
« l'hectare (1). »
Les pépinières de l'Ecole forestière d'Eberswalde (Prusse)
en sol siliceux très pauvre, ont été entretenues dans un
parfait état de rendement par l'emploi, à l'hectare, sous
forme de mélange dans les composts, de :
50 kilos de poudre d'os azotée
50 — de scories de déphosphoration
100 — de sang desséché
50; — de sulfate d'ammoniaque
150 — de carnallite (2).
Ces quantités suffiront pour une et, au plus, pour deux
récoltes ; il est facile, d'ailleurs, d'apprécier l'époque du re-
nouvellement par l'aspect des cultures.
Fumiers et composts nourris sont, en général, employés
dans la proportion de 8 à 10 mètres cubes à l'hectare.
Enfin, comme source gratuite d'azote, on peut semer
dans les jachères du lupin ou toute autre plante légumi-
neuse. Nous nous sommes très bien trouvés de ces cultures
dérobées, qui, en même temps qu'elles sont utilisées comme
engrais verts, étouffent les mauvaises herbes et dispensent
des sarclages.
En ce qui concerne l'emploi du fumier, on remarque que
les racines des jeunes plants, mises en contact immédiat avec
des matières fraîches, sont exposées à la moisissure. Pour
éviter cet inconvénient, il est bon de faire précéder le semis
d'une culture de plantes sarclées, ou mieux, de stratifier les
fumiers pendant une année dans des fosses abritées contre les
pluies et le soleil et où ils seront nourris.
Le terreau. — Quant au terreau utilisé en couverture, lors
de l'exécution des semis, on peut le préparer économique-
ment de la manière suivante :
En dehors de la pépinière, mais aussi près que possible et
en donnant la préférence aux endroits bien abrités, on creuse
(1) L. Grandeau, La fumure des champs et des jardins, 6e édition,
p. 126, Paris, Librairie agricole, 1897.
(2) Schwappach, Ueber Mineraldûngung in Forstg'Arten (Zeitschrifl
fur Forst-und-Jagdwesen, t. VII, juillet 1891).
i.i: BOISEMENT PAH PLANTATIONS. 359
une tranchée de 60 à so centimètres de profondeur el (Tune
largeur de ,'J à i mètres; on en règle le fond avec une inclinai-
son convenable vers des fossés d'écoulement, de telle sorte que
l'eau n'y séjourne jamais. Dans ce pourrissoir, on accumule
des feuilles sèches ramassées à L'automne, au moment de leur
chute naturelle et, de préférence, par un temps humide; on les
tasse d'ailleurs convenablement ; on y ajoute tous les débris
de la pépinière : ce sont, des herbes, des brindilles non ligni-
fiées, des mousses, des pailles, des gazons, des cendres (1);
mais il faut avoir le plus grand soin, et cela est d'une im-
portance capitale, de ne jamais jeter au pourrissoir que des
piaules qui n'ont pas fleuri. Dès qu'une mauvaise herbe est
montée en graine, elle doit être brûlée, autrement on la re-
sème avec les composts.
Pour activer sa décomposition, la masse doit être remaniée
deux fois par an, le plus sonvent en mai et en septembre, épo-
ques où l'ouvrage ne presse pas dans les pépinières; on profite
de ces moments pour faire les additions convenables d'en-
grais chimiques. Il faut, en moyenne, trois ans pour obtenir
l'état de terreau.
La longueur à donner à la fosse sera proportionnée à la
quantité de terreau qu'on veut produire annuellement, en te-
nanteompte de ces faits, que cette fosse doit toujours présenter :
1° une place vide pour recevoir la provision de feuilles à
ramasser à l'entrée de l'hiver; 2° un premier tas de feuilles
stratifiées depuis un an; 3° un second de celles de deux ans;
4° le terreau de trois ans prêt à être employé. Il faut, de
plus, avoir soin que ces dépôts soient séparés entre eux
d'un espace suffisant pour qu'on puisse les remuer en les
déplaçant par un simple jet de pelle.
Par les temps secs, il sera bon d'arroser le pourrissoir de
temps à autre. Ces arrosages seront rendus plus efficaces
quand ils seront additionnés de purin, des eaux de vi-
dange, de lessive, de savon ou de cuisine, ou enfin de guano
dissous. Tous les terreaux, quelle que soit leur provenance,
doivent être passés à la claie avant leur emploi.
(1) En forêt, on peut s'en procurer de grandes quantités, et à très bon
compte, en les ramassant dans les baraques des bûcherons.
360 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Aménagement de la pépinière. — Une pépinière destinée
à fournir des plants d'espèces et de dimensions variées, doit
être divisée en grandes sections dans lesquelles on cantonne :
1° les semis feuillus ou résineux à planter à demeure, dès
l'âge de deux ans, sans repiquage ;
2° les semis destinés à être repiqués à un an ;
3° les planches à repiquer, ou batardières, qui se divisent
en compartiments séparés pour les bases tiges, demi-tiges
et hautes tiges. >, ■-
Afin de simplifier les travaux de toute nature* il est bon
qu'un compartiment ne soit occupé que par des plants à ex-
traire au même âge; sous cette réserve, on peut admettre
plusieurs essences dans le même carré.
Quand les plants sont extraits au printemps pour être mis
en place, la saison est, le plus souvent, trop avancée pour
qu'on puisse immédiatement les remplacer par de nouveaux
semis. Le carreau d'où ils sortent reste donc improductif
pendant une saison; on devra néanmoins le sarcler avec
autant de soins que s'il était occupé ; aussitôt après l'ex-
traction des plants, on répandra sur leur emplacement la
quantité d'engrais nécessaire, puis on donnera un bon la-
bour; dans cette terre, ainsi fumée et bien préparée, on
cultivera une récolte de plantes agricoles sarclées : bette-
raves, carottes, pommes de terre, choux, légumineuses,
fourrages, etc., dont la valeur paiera, en grande partie, les
frais de fumure et le travail ; au printemps suivant, il suf-
fira d'une légère façon pour que le carreau se trouve en
parfait état pour recevoir les semis. Il faut donc, de toute
manière, consacrer trois carreaux à la production de plants
de deux ans et deux à celle de plant de un an.
Une disposition semblable sera adoptée pour les semis
extraits à un an pour repiquages ; on ne donnera, toutefois,
à la terre livrée à la culture agricole qu'une fumure propor-
tionnée à la durée de la rotation.
Cette alternance de cultures agricoles et forestières établit,
dans l'ensemble de la pépinière, une sorte d'assolement régu-
lier dont l'effet ne peut qu'être utile à la bonne venue des
plants, et les mettre à l'abri des germes infectieux, dont la
L1-: HOISEMKNT l'Ail PLANTATIONS.
361
vitalité persiste plusieurs années sous terre. Dana la rotation
ainsi établie, il sera bon de faire alterner les semis de feuillus
avec les semis de résineux, de façon à ne pas demander au
même terrain deux récoltes consécutives de la même essence.
Étendue de la pépinière. — Comme les plants de deux
ans ne s'obtiennent qu'à raison d'une récolte sur trois car-
reaux, il faut multiplier par trois la surface occupée par les
plants bons à être mis en place.
En général, on peut compter sur une production moyenne
de 400 plants'par mètre carré : soit 10 000 plants par are de
semis de deux ans, et un tiers, ou 13 333, par are de pépi-
nière. En tenant compte des déchets, des accidents et des
non valeurs, ce chiffre doit être abaissé à 10000; il justifie
donc la donnée empirique généralement adoptée pour les
pépinières qui approvisionnent les chantiers des boisements
obligatoires, laquelle consiste à fixer pour l'ensemble des
pépinières une étendue représentée, en ares, par le chif-
fre des surfaces à reboiser annuellement, exprimé en hectares.
Si l'on veut employer des plants repiqués, il faudra tripler,
quintupler même les surfaces cultivées, et la dépense sera
augmentée dans la même proportion.
Les outils. — Les outils à employer dans les pépinières
n'ont rien de spécial ; ce sont ceux dont se sert généralement
la culture maraîchère dans la région où l'on se trouve.
D'ailleurs, en ce qui concerne l'exécution des semis, l'im-
portant n'est pas d'aller vite, mais de bien faire. Il faut donc
se méfier des outils soi-disant perfectionnés dans le seul but
d'activer le travail. Le semis est toujours une opération mi-
nutieuse, et le temps que l'on croit gagner dans une exécu-
tion plus rapide se paie souvent fort cher par une réussite
incomplète.
Les clôtures. — Toutes les pépinières permanentes ou
volantes doivent être défendues par une clôture contre les
dégâts des animaux domestiques ou sauvages et contre les
maraudeurs. Suivant les cas, cette clôture sera formée de
murs, de haies vives, de palissades ou de treillages.
Pour les pépinières volantes, on choisit de préférence un
mode économique de clôture mobile : treillage à larges
362 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
mailles, fils de fer, cordon simple ou double de ronce arti-
ficielle, piquets et longrines provenant d'exploitations quel-
conques, etc
Les dangers à combattre. — Outre les accidents pro-
venant des causes atmosphériques et dont on trouvera plus
loin des moyens de prévenir les fâcheux effets, les pépinières
sont exposées à de nombreux dangers de la part des ani-
maux : sangliers, lapins, taupes, mulots, oiseaux, larves de
hannetons, courtilières, etc. Elles sont aussi attaquées par
des organismes inférieurs de la classe des champignons.
On se préserve contre les sangliers qui viennent dévaster
les semis de glands ou de faînes, soit avec de solides clô-
tures, soit en piquant dans les carreaux ensemencés des
baguettes à l'extrémité supérieure desquelles sont suspendus
des chiffons imbibés de pétrole qu'on renouvelle quand il
est évaporé. — Contre lièvres et lapins les entreillagements
sont nécessaires, bien qu'on ne doive pas toujours compter
sur leur efficacité. — Les taupes se prennent aux pièges. —
Quand les mulots sont très abondants, il est fort difficile
pour ne pas dire impossible de s'en débarrasser, même
avec le poison, dont l'emploi, toujours dangereux, n'est pas
à recommander.
Malgré la protection que nous réclamons en faveur des
petits oiseaux, nous ne pouvons qu'engager ici à se défendre
énergiquement contre ceux d'entre eux qui se montrent
très friands de certaines graines et surtout des semences
résineuses ; le danger existe de leur côté depuis le mo-
ment où la graine est mise en terre jusqu'au moment où la
jeune tigelle est débarrassée de l'enveloppe ou chapeau
qu'elle pousse hors de terre. Pour les éloigner, on fait cir-
culer autour des carrés un enfant muni d'un fouet, ou
un garde armé d'un pistolet qu'il tire à blanc de temps
en temps. Quand on peut se procurer à bon marché de
vieux filets de chasse ou de pêche, on les utilise en les
étendant à 30 ou 40 centimètres au-dessus des planches,
mais en ayant soin de les tenir bien fixés contre terre sur
tout leur pourtour et de fermer soigneusement tous les
trous. Ces différentes précautions sont les seules efficaces,
LE BOISEMENT PAB PLANTATIONS.
363
car, en général, les épouvantaila produisent peu d'effet.
On dit cependant qu'il y en à de bons (1) et il n'en coûte
guère de les essayer; on fera bien, dans ce cas, d'en chan-
ger souvent la forme et remplacement.
Parmi les insectes, la larve du hanneton, connue sous le
nom de mans ou ver blanc, est un des plus redoutables,
surtout dans les terrains meubles. Un moyen pratique, sinon
pour la détruire, du moins pour atténuer ses dégâts, est
de la chercher en terre, soit à la main, soit avec un outil,
partout où le dépérissement rapide des plants signale sa
présence. On facilite d'ailleurs ces destructions en plantant,
comme le font les jardiniers, des bordures-pièges formées de
plantes dont ces larves sont très friandes, tels que des
fraisiers et des laitues ; les recherches sont alors localisées
sur ces bordures où les dégâts sont aisés à constater ou à
suivre. Dans une étude, publiée dans la Revue des eaux et
forêts (2), M. l'Inspecteur Croizette-Desnoyers recommande,
comme très efficace, l'emploi de benzine répandue dans le
sol, à raison de 30 kilogrammes par hectare, au moyen du
pal-injecteur Gonin.
La chenille d'un lépidoptère, Ag rôtis segetum, connue
sous le nom de ver gris, commet des dégâts en tout sem-
blables à ceux de la larve du hanneton, notamment sur les
jeunes semis de chêne, dont le chevelu et le pivot sont
complètement rongés ; on la détruit par des procédés ana-
logues.
Les courtilières, à tous les âges, rongent les racines des
jeunes semis; quand elles sont nombreuses, elles ravagent
en peu de temps des carreaux entiers, dont elles parcourent
toutes les rigoles. Les procédés les plus usuels pour les com-
battre sont les suivants :
1° on fait la perquisition des nids renfermant les œufs et
on les détruit. Les courtilières fréquentent de préférence les
(t) Citons les petits miroirs de la grosseur d'une pièce de 5 francs
que l'on suspend par de longues ficelles à côté des planches de semis :
les rayons lumineux qu'ils lancent de côtés et d'autres inquiètent
les oiseaux.
(2) Août 1888.
364 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
lieux humides, les abords des fossés d'irrigation ; c'est là
qu'on trouve leur trace sur les points où gisent les débris
des plantes dévorées ; ces nids, parfois assez profondément
enfoncés dans le sol, se présentent sous la forme d'une boule
de terre de la grosseur du poing, dans laquelle les œufs
sont renfermés. La recherche des nids doit se faire en mai
et en juin ;
2° on prend des pots à fleurs de 20 centimètres de dia-
mètre environ, on bouche avec un liège l'ouverture infé-
rieure et on les enfonce aux endroits des plates-bandes où
de petits sillons annoncent le travail de l'insecte; le rebord
supérieur du vase doit être à quelques centimètres au-des-
sous du niveau du sol : la courtilière, en suivant son sentier
habituel, tombe dans le vase d'où elle ne peut sortir. Le
mieux est d'entourer les planches attaquées, ou celles qu'on
veut préserver, avec des voliges fixées verticalement et fai-
sant saillie de 10 à 15 centimètres sur le sol ; les pots sont
disposés, comme il vient d'être dit, à l'intérieur et à l'exté-
rieur et tout contre ces planches, qui guident l'insecte vers
les pièges lorsqu'il veut entrer dans l'enceinte ou en sortir ;
3° on recommande de préparer, en septembre, dans les
pépinières contaminées, des tas de fumier de cheval mesurant
de 1 à 2 mètres cubes. En décembre ou en janvier, si on rompt
ces tas, on y trouvera en quantité les courtilières en-
gourdies (1). Le fumier doit être frais;
4° au printemps, on étend sur le sol nouvellement arrosé,
des paillassons, sous lesquels les courtilières viennent s'abriter
contre la chaleur du jour ;
5° on peut aussi leur faire la chasse en introduisant, par
l'ouverture des galeries, des huiles grasses ou minérales,
qui font immédiatement sortir les insectes ou les tuent
dans leurs réduits.
Mais tous ces procédés ne sont que des palliatifs ; ils
atténuent le mal, sans le supprimer, surtout quand on a eu
la mauvaise fortune d'installer une pépinière dans un milieu
favorable à la multiplication de ces hôtes dangereux.
(1) Séance de la Société pomologique, avril 1880.
LE B0I88MBXT l'Ait PLANTATIONS. 365
Un remède enfin contre les limaces, qui détruisent les
feuilles cotylédonaires des semis de hèlre aussi bien en pépi-
nière qu'en forêt: on enduit de graisse ou de beurre, — qui peut
être rance, — des petites planchettes qu'on dispose dans les
semis, la face grasse tournée vers le sol; en visitant ces pièges
de bonne heure le matin, on détruit quantité de cette gluante
vermine.
Les champignons engendrent sur les plantes tout un cortège
de maladies. Tous les jours on en découvre de nouveaux,
et il n'est pas surprenant que les cultures artificielles, qui
leur fournissent en grande masse la nourriture préférée,
soient plus exposées encore à leur ravage que les peuplements
spontanés. Ne pouvant entrer ici dans tous les détails que
comporte la question, nous ne citerons que les maladies les
plus connues et les plus graves.
Il est rare, par exemple, que dans une pépinière déjà an-
cienne, les semis de pins sylvestre, comme ceux de toutes
les races de laricios ne soient pas atteints par le Rouge,
maladie provoquée par le mycélium de Leptostroma pinastri.
Pour le combattre, M. l'Inspecteur Bartet (1) a eu l'idée
d'user de bassinages à la bouillie bordelaise dans les con-
ditions employées contre le mildew de la vigne (2) ; à la
pépinière de Bellefontaine, dans les bandes ainsi traitées, le
plus grand nombre des plants ont été sauvés, tandis que, dans
les bandes témoins, intercalées au milieu des autres et laissées
sans traitement, tout était perdu. Le procédé peut donc être
recommandé ; il est même probable qu'il trouverait son appli-
cation dans d'autres circonstances.
Phytophtora fagi, est commun à toutes les essences et
plus particulièrement au hêtre, chez lequel il provoque la
maladie de l'embryon. Dès la germination, les plants sont
atteints et, si le temps est humide, la pourriture s'étend
bientôt de proche en proche : les taches contaminées sem-
blent roussies par le feu. La sécheresse arrête le mal.
Rosellinia quercinia attaque les jeunes semis de chêne en
(1) Bartet et Vuillemin, Note présentée à l'Académie des sciences,
séance du 27 février 1888.
(2) Société pomologique, loc. cit.
366 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
pépinière lorsqu'ils sont âgés de un à trois ans. Le mycélium
se propage sur les racines et tue les plants.
Les moyens pratiques pour combattre ces germes infec-
tieux sont à peu près les mêmes pour toutes les espèces ; et
nous résumons ceux que recommande le savant Professeur
Robert Hartig dans son traité sur les maladies des arbres
forestiers (l) :
ne pas installer les pépinières de résineux au milieu des
forêts de pins ; les placer, autant que possible, sur le péri-
mètre Ouest, de façon que les vents dominants qui vien-
nent de cette direction aient passé sur des champs plutôt
que sur des peuplements forestiers, d'où ils arrivent chargés
de germes morbides ;
orienter les bandes de semis dans la direction Nord-Sud
en élevant à l'Ouest un petit bourrelet de terre qui arrêtera
ces mêmes germes ;
ne semer ni pin, ni hêtre dans les planches où des ma-
ladies se seraient manifestées sur des espèces similaires
depuis moins de quatre ans; on peut cependant, en ce qui
concerne le hêtre, y repiquer des jeunes plants de deux ou
trois ans, les champignons à craindre ne s'attaquant qu'aux
sujets naissants ;
éviter tout ce qui peut entretenir l'humidité, c'est-à-dire
les abris, les couvertures, les paillis ; en un mot aérer, et
activer l'évaporation dès que le mal apparaît ;
extraire avec soin tous les plants malades, et les placer
de suite dans un récipient fermé d'où ils ne sortiront que
pour être brûlés ;
éviter de passer dans les planches saines en sortant des
planches malades, car les spores s'attachent aux vêtements,
aux chaussures, et on les transporte avec soi. C'est d'ail-
leurs à cause de la propagation par les hommes et par les
animaux qu'on voit surtout le mal se développer le long des
chemins et sentiers ;
quand il s'agit de maladies souterraines qui s'attaquent
(1) R. Hartig, Wichtige Krankheiten der Waldbaûme, Berlin 1874.
Traduction de MM. Gerschel et Henry, Nancy, Berger-Levrault
1891.
LE BOISEMENT l'A il PLANTATIONS. 367
aux racines, creuser des fossés profonds autour des parties
contaminées, de façon à arrêter la marche du mycélium dans
le sol.
Ajoutons qu'une excellente mesure consiste, des qu'un
compartiment de pépinière est attaqué par un champignon,
à isoler les parties indemnes des points contaminés par un
rideau de branches hautes de 2 mètres environ et feuille es
jusqu'au bas: ce n'est là sans doute qu'un palliatif, mais il
suftit à rendre les progrès de la maladie assez lents pour qu'on
ait le temps de prendre des mesures plus énergiques. Eniin,
quand au cours d'une saison de végétation, on a constaté sur
les semis d'espèces à feuilles caduques les signes d'une inva-
sion cryptogamique, la prudence commande de ramasser et
de brûler, dès les premiers jours de l'automne, les feuilles qui
se détachent, car, bien souvent, c'est dans les feuilles mortes
traînant sur le sol, que les spores du champignon arrivent à
maturité: cette dernière remarque concerne spécialement le
mélèze.
2. EXPLOITATION DE LA PEPINIERE.
Exécution des semis : en plein ; — en rigoles; — en coffres ; — pro-
cédés spéciaux ; — quantité de graine à employer ; — saison des
semis. — Soins à donner aux semis : pralinage des graines; — abris
contre la sécheresse; — abiis d'hiver; — abris contre les gelées
printanières ; — abris permanents ; — arrosages et irrigations ; —
sarclages; — binages. — Travaux divers : repiquage des plants; —
leur extraction ; — leur taille et leur rhabillage ; — transport et em-
ballage.
Exécution des semis. — Pour les semis de toutes essences,
on prépare le sol en planches parallèles, ayant une largeur
de lm,20 et séparées entre elles par de petits sentiers. S'il a été
possible d'orienter les côtés des grands carreaux dans les
directions, les uns Nord- Sud, les autres Est- Ouest, on tracera
les planches parallèlement à ces derniers ; on verra plus loin
que cette disposition est avantageuse lorsqu'il s'agit de placer
les abris.
Semis en plein. — Dans chaque planche, on peut semer
en plein, comme cela se fait pour les carottes dans un jardin ;
368 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
mais ce mode, qui distribue inégalement la graine sur toute
la surface, en exagère la quantité ; de plus, les sarclages et
les binages à l'aide d'outils sont impossibles, tout doit se faire
à la main, ce qui est bien plus coûteux; les maladies crypto-
gamiques s'y propagent aussi plus rapidement; enfin l'extrac-
tion des plants y est rendue difficile par l'enchevêtrement
général des racines : un grand nombre de brins, plus ou
moins meurtris, doivent être rebutés. Aussi ce mode n'est-il
à recommander que lorsqu'on destine les plants à être
extraits en gazons pour les plantations à faire en mottes.
Semis en rigoles. — Il est préférable de généraliser le
système des rigoles ou sillons, dirigés, soit longitudinale-
ment, soit transversalement et espacés entre eux de 10 à
30 centimètres, suivant l'âge auquel on se propose de con-
duire les plants. Pour les résineux non repiqués, qu'on plante
à demeure à deux ans, l'espacement de 15 à 18 centimètres
est le plus convenable, en ce sens qu'il permet le passage du
fer des outils à sarcler, à biner et à rechausser.
On peut tracer les rigoles à la binette, à la laite, ou à la
planche bavaroise. Dans les deux premiers cas, ces rigoles
sont ouvertes suivant le sens delà longueur, dans le dernier,
suivant le sens de la largeur des planches.
Quand on opère à la binette, on tend un cordeau dans toute
la longueur de la planche et à 10 centimètres de l'un des
bords; avec la pointe de l'outil, on trace, le long du cor-
deau, un sillon de 2 ou 3 centimètres de profondeur; on
sème à la main et on recouvre la graine en nivelant le sol
au râteau, puis on replace le cordeau à la distance conve-
nable, et on ouvre un nouveau sillon ; ainsi de suite pour
toute la planche.
A la latte, on fait de même, en employant des lattes de 3 à
4 mètres de longueur, qu'on dispose le long du cordeau et
qu'on frappe à la masse, de façon à tracer dans le sol un
sillon de profondeur égale à leur épaisseur, c'est-à-dire
2 centimètres environ. Les lattes pourvues d'une double
gorge semblable à celle de la planche bavaroise présentent
un sérieux avantage sur la latte simple.
La planche bavaroise se compose d'un madrier en bois dur
LE BOISEMENT PAR PLANTATIONS. 369
(chêne, orme ou frêne) de 3 centimètres d'épaisseur, d'une lon-
gueur ég a le à la largeur «les bandes (fîg. 7* el 81, h. j, soit 1"J20
et large de deux fois l'espacemënl adopté entre les rigoles. Sur
la face inférieure de cette planche sont disposées deux paires
de baguettes triangulaires espa-
cées entre elles de la largeur entre p °>^€ »1
les sillons, soit 18 centimètres, et VWMMMmMMjB
distantes des bords de la planche I g^i« , «nv¥
de moitié de cette largeur ; cha- °°9
, j , • , rig. 78. — Coupe delà planche
cune' des baguettes juxtaposées bavaroise.
a 3 centimètres de base sur '2 cen-
timètres 1/2 de hauteur. En appuyant la planche ainsi dispo-
sée sur un sol meuble et en la damant, on imprime deux
doubles sillons bien espacés et d'une profondeur uniforme ;
la graine, qui tombe sur la crête de la double gorge,
glisse à droite et à gauche et se répartit en deux rangs
espacés de 3 centimètres.
Chaque chantier est muni de trois ou quatre planches sem-
blables que Ton juxtapose successivement, et une à une, sui-
vant toute la longueur de la bande. Ces petits appareils, qui
nécessitent une terre meuble et saine, facilitent la besogne,
économisent beaucoup de temps et donnent d'excellents
résultats.
Quel que soit le mode employé, au fur et à mesure que l'on
trace les sillons, on y répand la semence, aussi uniformément
que possible, en faisant varier la quantité suivant la grosseur
et les espèces. Pour les résineux à petites graines, comme :
le pin sylvestre, le pin de montagne, l'épicéa, le sapin, le
mélèze, il suffit qu'il y ait, au fond de chaque rigole double
du système bavarois, une seule série de semences se touchant
dans leur travers.
Pour assurer une bonne* répartition de la graine et se
mettre à l'abri des nervosités toujours possibles dans les
doigts du semeur, on a imaginé des instruments réglés
à l'avance pour répandre automatiquement les quantités
voulues. Certaines de ces machines sont bien compli-
quées et ne fonctionnent bien qu'à la condition d'être
parfaitement entretenues ; mais nous recommandons tout
BorpE et Jolyet. -4
370
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Fig. 79. — Coupe de la règle
semoir Gardot.
particulièrement la règle semoir imaginée par l'Inspecteur Car-
dot et qui a fait ses preuves dans les pépinières communales
de l'arrondissement de Pontarlier. Cet outil très simple, et que
tout le monde peut fabriquer, consiste en une règle de la lon-
gueur de la planche bavaroise
dontelle esten quelque sorte l'an-
nexe. La section transversale a
en est disposée comme l'indique
la figure 79, c'est-à-dire que sa
face supérieure est creusée d'une
gorge dont laprofondeur est cal-
culée de telle sorte qu'elle ren-
ferme, pour chaque unité de lon-
gueur, la quantité de graine à
semer. Il suffit de remplir la gorge
de semence et de faire circuler la réglette mobile/) le long- de
l'arrête c pour faire tomber le trop plein ; puis, posant la règle
chargée le long de la rigole, d'y verser son contenu. 11 va sans
dire qu'on assortit tout un jeu de règles aux différentes
semences et aux différents états de densités que l'on cherche
à obtenir pour le semis d'une même essence.
Quand on veut produire des plants résineux et bons à être mis
en place, non repiqués, à l'âge de deux ans, il suffit de 3 à 5 kilos
de pin sylvestre, pin d'Autriche, épicéa et mélèze par are, — si
d'ailleurs les semences sont de bonne qualité. Il faudrait semer
plus dru, si les graines
étaient de qualité moindre
ou si l'on ne voulait faire
que des plants d'un an.
Derrière le semeur,
marche immédiatement
un autre ouvrier, qui,
muni d'une sorte de coffre
en bois ou en tôle (fig. 80),
remplit les sillons d'un
compost formé de moitié
Fig. 80. — CofTre à terreau utilisé à
la pépinière de Bellelontaine.
terreau et de moitié sable ou encore de sciure de bois. Les expé-
riences poursuivies depuis quelques années à la pépinière de
LE B0I8BMENT l'Ail PLANTATIONS, 371
Bellefontaine ont permis de constater que l'emploi de la Bçiure
pure, provenant de bois de touLcs essences, sans excepter le
chêne, donne d'excellents résultats ; la levée s'esi môme mon-
trée plus complète et plus hàlive que dans le compost de
terreau ; la seule condition essentielle à remplir, c'est epic
la sciure soit bien saturée d'eau lors de l'emploi.
11 suffit de rabattre la substance employée en couverture
jusqu'au niveau du sol, au moyen du revers d'une pelle,
pour que l'opération soit terminée. D'ailleurs, la profondeur
des sillons indique la quantité de terre qui doit recouvrir les
semences ; cette quantité reste fixée à 2 ou 3 centimètres
pour toutes les graines de résineux les plus usuelles de petite
et moyenne grosseur.
Semis en coffres. — Gomme le terrain d'une pépinière
coûte toujours cher d'achat ou de mise en valeur et d'entre-
tien, il faut que chaque unité de surface produise son maxi-
mum de rendement en plants forestiers. Aussi ne saurait-on
donner trop de soin à chaque opération. En ce qui concerne
le semis, nous recommandons d'entourer les plates-bandes
d'un cadre de planches brutes dressées en la forme du coffre
employé par tous les horticulteurs ou maraîchers. Cette
disposition présente une foule d'avantages : elle permet
de renouveler sans grands frais la terre épuisée par la cul-
ture, ou d'y doser plus facilement les amendements et en-
grais, sans risque de déchets dans les zones d'entourage; —
de créer les milieux artificiels pour cultures spéciales; —
enfin elle facilite singulièrement la mise en place des diffé-
rents appareils destinés à protéger les semis contre tous les
dangers auxquels ils sont exposés.
Le semis dans les coffres se fait d'ailleurs par les procédés
ci-dessus détaillés ; il convient, surtout, pour les plants des-
tinés à être repiqués à un an, qu'on peut semer très dru
sans crainte de déchets, et pour économiser les graines dont
le prix est élevé.
Procédés spéciaux. — Pour les semis de grosses graines,
qui demandent à être plus profondément enterrées que les
précédentes, on trace, à la binette, des raies de 4 à 6 centi-
mètres de profondeur et de largeur assez grande pour que
372 LÉS PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
deux ou trois graines puissent y entrer, placées de front.
Souvent, lorsqu'on sème les glands en automne, et pour
éviter les accidents causés par la gelée, on les enterre jusqu'à
10 ou 15 centimètres de profondeur, sauf à décaper la surface
au printemps. Ce procédé n'est pas à recommander, parce que,
malgré les précautions prises, les graines se trouvent enfouies
à des profondeurs inégales et la germination ne se produit
plus uniformément : on voit des chênes lever jusqu'en juillet
et même seulement au printemps suivant, ce qui nuit à la
régularité des bandes. Aussi, vaut-il toujours mieux semer à
la profondeur normale, et, dans les régions où la gelée est à
craindre, couvrir les semis de paillassons ou de feuilles mortes
qu'on enlève au premier printemps.
Quelle que soit la saison, une sage précaution à prendre
immédiatement avant la mise des glands en terre, sera de les
mouiller légèrement et de les agiter dans des sacs renfermant
quelques poignées de minium rouge. Cette poussière minérale
forme autour des graines un enduit qui les préserve de la vo-
racité des animaux.
L'enracinement du jeune chêne est constitué par un pivot
simple, dont la longueur, dans un terrain bien défoncé, peut
atteindre 50 centimètres, dès la première année. Semblable
conformation rend délicates et onéreuses les manipulations,
extractions et mise en place de ces plants ; depuis long-
temps, les forestiers ont cherché à supprimer le pivot ou du
moins à limiter son développement. Duhamel du Monceau
signale la pratique, dite de Bretagne, qui consiste à établir au
fond des rigoles un dallage qui arrête le pivot à la profondeur
voulue. Dans le même ordre d'idées, M. le conservateur Le-
vret a proposé de semer les glands sur un lit de pierres
cassées, comme celles qui servent à l'empierrement des
routes, et de les recouvrir d'une couche de bon terreau de
0m 10 d'épaisseur. Nous avons expérimenté ces deux procédés
qui ne nous ont rien donné de satisfaisant, et il ne pouvait
guère en être autrement; car, d'une part, le dallage étanche
entretient une humidité exagérée qui pourrit les racines;
d'autre part, le macadam produit un drainage qui assèche les
plants.
LE BOISEMENT l'Ait PLANTATIONS.
373
Quelques praticiens fonl germer les glands et <in cassent le
pivot avant de faire le semis. Une telle mutilation a pour effet
principal de ralentir la végétation; il n'es! pas surprenant, dès
Fig. 81. — Quelques outils.
a, bêche coupe-pivot; b, planche bavaroise; c,c, règle à repiquer;
d,d, règle à semer; e, bêche Prouvé à étrier pour extraction d'un
semis de chêne.
lors, que des sujets chétifs aient un pivot moins développé que
celui des brins provenant des semences intactes.
On a beaucoup parlé aussi de la bêche coupe-pivot (fig. 81 a)
importée d'Allemagne, dont le fer, en biseau, bien tranchant,
374 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
est introduit obliquement entre les rigoles et va couper les pi-
vots à la profondeur voulue. Nous pouvons dire par expérience
que ce vieil instrument, dont l'emploi est limité aux sols meu-
bles et absolument dépouvus de pierrailles, ne fait partout
que d'assez mauvaise besogne.
Tout compte fait, il est préférable de laisser les semis de
chêne se développer librement, de les arracher à un an, et de
les mettre en place en se servant des outils de M. Prouvé
partout où les circonstances locales permettent de les uti-
liser; — ou, mieux encore, surtout quand on veut des tiges
moyennes ou hautes, de repiquer les plants d'un an en pépi-
nière après résection du pivot, comme il sera dit plus loin,
pages 384 et suivantes.
Le semis de faînes demande des soins tout particuliers et le
procédé employé par M. l'Inspecteur Groizette Desnoyers dans
les pépinières de Fontainebleau se recommande à tous égards.
Au commencement de mars, on stratifié dans du sable, sur
une aire bien saine, les faînes conservées jusqu'alors dans un
grenier, c'est-à-dire qu'on les dispose par lits alternes de 2 cen-
timètres d'épaisseur de faînes et de 5 centimètres de sable.
On prend, autant que possible, du sable grenu, bien lavé;
en général, le sable ordinaire de rivière suffit. Les tas, pour
ne pas être trop volumineux, ne dépassent pas la capacité
d'un demi mètre cube ; on leur donne soit la forme d'un cône,
soit celle qui est en usage pour les matériaux d'empierre-
ment sur les routes.
Le but étant de faire germer les faînes au premier prin-
temps, on entretient dans ces tas une humidité constante, —
par des arrosages, si la sécheresse l'exige. Généralement, sui-
vant la température de l'air, trois semaines ou un mois après
la stratification, les germes apparaissent.
Quand ils sont généralement sortis, sans attendre toute-
fois que leur longueur dépasse 2 à 3 centimètres, on sème
dans des rigoles peu profondes, espacées entre elles de 20 à
30 centimètres pour faciliter les binages. Le semis se fait assez
clair et ne demande pas plus de GO litres par are de terrain
disposé en rigoles de 0m,18d'écartement; on comble les rigoles
avec le compost de couverture. L'important, dans cette mani-
LE BOISEMENT PAB PLANTATIONS. .'J75
pulation, est de ne pas donner ;m\ germes le ( * * 1 1 1 j >^- de se
flétrir: les faînes mélangées de sable passent, directement
et immédiatement, du germoirà la planche de semis.
Contrairement à la pratique consacrée par L'usage, l'ihvien-
teur du procédé recommande tout particulièrement de ne pas
rechausser les Libelles des plants; car cette opération conduit
à trop recouvrir les graines qui ne sont pas levées, ce qui
relarde encore leur développement. On constate, en elïet, que
la germination des faînes, comme celle des glands, n'ayant
jamais lieu en même temps sur un même point, il s'écoule
souvent 15 jours ou trois semaines entre l'apparition des pre-
miers plants et la levée complète ; ces retards font que les der-
niers levés n'ont pas un enracinement assez profond lorsque
surviennent les sécheresses de l'été et qu'ils périssent en grand
nombre dans les terrains qu'on n'irrigue pas. A partir de la
levée, des sarclages et des binages répétés entretiendront les
surfaces toujours meubles et bien propres.
Cet excellent procédé est applicable aux chênes dans les
mêmes conditions.
Il existe, pour le semis de hêtre, bon nombre d'autres recettes,
accompagnées de tour de main, dans le détail desquels nous
ne pouvons entrer.
On recouvre toutes ces graines lourdes de 3 à 6 cen-
timètres de terreau, la couche étant d'autant plus épaisse que
la terre est plus légère.
Les semis de semences légères, aune et bouleau, se font en
plein, et la graine n'a pour ainsi dire pas besoin d'être enterrée;
il suffit de répandre à la surface une mince couche de ter-
reau et de tasser légèrement avec un revers de pelle. L'aune
doit être placé dans des conditions telles qu'il puisse être
constamment irrigué ; les bords humides d'un fossé con-
viennent très bien à ce genre de semis.
La graine de bouleau germe difficilement dans les terres
dont la surface n'est pas parfaitement ameublie. A défaut de
terrain graveleux, on peut semer cette essence sur les
anciennes places à charbon. Le procédé suivant est égale-
ment à recommander pour le répandage de la semence, quand
il est possible de disposer de porte -graines dans les forêts
376 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
voisines de la pépinière : avant la maturité complète des
cônes, on coupe sur les arbres des branches de faible grosseur
et bien pourvues de semences ; ces branches sont plantées
sur le terrain à ensemencer; dans cette situation^ les cônes
achèvent de mûrir et la dissémination des graines se fait natu-
rellement: il suffit d'une pluie, même peu abondante, pour
les coller sur la terre nue et, sans autre préparation, elles
germent au printemps suivant. Ce même procédé peut être
avantageusement employé pour le semis direct de cette
essence. On réussit encore le semis de bouleau en répandant
sa graine mélangée avec la proportion de sciure suffisante
pour former sur le sol une mince couverture continue. Dans
aucun cas, il ne faut craindre d'exagérer la quantité de cette
semence, qui présente toujours une forte proportion de
graines vaines.
Comme toutes les graines légères, celle du bouleau germe
et se maintient infiniment mieux quand la semence est
abritée par un léger paillis de suite après l'épandage. Les
aiguilles de pin font, à ce point de vue, une excellente couver-
ture; une couche très mince suffit ; mais il faut craindre les
dégâts des limaces, qui se réfugient en grand nombre dans ces
milieux frais et humides. Nous préférons le procédé cité plus
haut et employé par M. l'Inspecteur Bartet, qui consiste à
semer la graine en mélange avec une quantité égale ou supé-
rieure de sciure de bois.
Les autres espèces feuillues se sèment rarement en pépinière,
pu, du moins, en petite quantité. Les semences sont à bon
marché et on ne les ménage pas, d'autant plus que les plants
sont presque toujours extraits à un an pour être repiqués en vue
de la production des moyennes ou hautes tiges. Rappelons
seulement, au sujet des charmes, frênes et érables, que la
semence ne germe régulièrement qu'après une année de strati-
fication en rigoles, comme cela a été dit à propos de la conser-
vation des graines. La semence mise en place ne doit pas être
couverte de plus de 2 à 4 centimètres de terreau.
Les essences résineuses de lumière sont celles qui sont
le plus souvent cultivées dans le terrain découvert des pépi-
nières. Les procédés indiqués plus haut leur sont applicables
LÏB BOISEMENT l'Ail PLANTATIONS. 377
en tous points cl sans autres précautions spéciales. II n'en
est pas tout à fait de même du sapin, essence d'ombre, beau-
coup plus délicate à manier ; à ce point que, même parmi
les forestiers, certains prétendent qu'il n'es! pas possible de
l'obtenir de semis en pépinière. Rien n'es! pins simple
cependant : il suffit d'avoir un terrain tel qu'il y trouvera
l'abri nécessaire à son tempérament. Dans ce but, on choisit
sous bois, dans une parcelle mise à l'état d'ensemencement,
une ou plusieurs surfaces, suivant la quantité de plants à
produire, dont la forme sera quelconque entre les tiges
des porte-graines ; on nettoie le terrain, on le défonce en le
débarrassant de toutes les racines vivantes et, dans la terre
à bois ainsi préparée, on sème, comme s'il s'agissait du pin
sylvestre ou de l'épicéa. — 11 va sans dire que cette petite
pépinière annexe sera traitée, au point de vue des clôtures
et des soins divers, comme l'établissement principal. Les
abris d'hiver et d'été lui étant seuls fournis par le peuple-
ment qui les protège, il faudra recourir aux engrais si l'on
demande plusieurs récoltes consécutives à la même sur-
face.
Quantité de graines à employer. — Cette quantité
varie, non seulement avec l'espèce, mais, pour une même
espèce, avec la nature des plants à obtenir. Il faut semer
plus dru pour utiliser les plants à un an que pour les em-
ployer à deux ans, et, d'une manière générale, d'autant plus
clair que les plants resteront plus longtemps en place. Cette
considération est très importante, car un semis fait pour
être extrait à un âge déterminé ne peut demeurer en rigoles,
au delà de cet âge, sans subir une perte considérable.
Chez les résineux, par exemple, qui végètent rapidement
entre la deuxième et la troisième année, le déchet, par suite
de manque d'espace, réduit d'environ moitié le nombre de
plants récoltés à trois ans, alors qu'ils étaient semés pour
l'être à deux ans. Aussi, malgré la dépense qu'entraîne le
repiquage, il faut, si des circonstances indépendantes de la
volonté empêchent d'utiliser les plants à l'âge voulu, les
extraire et les rigoler en pépinière. Si l'on n'a ni le temps,
ni le terrain préparé nécessaire pour cette opération, ne pas
378 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
hésiter à faire le dêpressage, mais, en se gardant bien de
procéder par arrachage à la main ou avec un outil quelconque.
La coupe au ciseau, par petites bandes alternes dans le travers
de la rigole, est beaucoup plus expéditive, en ce sens qu'elle
limite à la proportion voulue l'enlèvement des sujets sura-
bondants, sans nuire à ceux qui restent en place.
Pour les semis faits en rigoles et destinés à être extraits
après leur deuxième année, dans les conditions moyennes de
sol et de climat, il suffit d'employer, par 1,000 mètres cou-
rants de rigoles, les quantités suivantes :
6 à 7 kil. d'épicéa désailé.
5 à 6 — de pin sylvestre (id.)
7 à 8 — de mélèze (id.)
8 à 9 — de pin noir d'Autriche (id.
30 à 35 kil. de sapin désailé.
30 — de frêne.
30 — d'érable.
12 — d'orme.
Si les semis doivent être extraits après la première année,
ces quantités pourront être augmentées d'un tiers.
On compte, par are, de 600 à 700 mètres courants de
rigoles espacées entre elles de 15 à 18 centimètres, déduction
faite des sentiers de 33 centimètres réservés entre chaque
planche de lm,20 de largeur.
Saison des semis. — Quelles que soient les essences et
les régions, le printemps paraît la saison la plus convenable.
Suivant que le climat sera plus ou moins sec, on commencera
plus ou moins tôt, pour profiter de l'humidité accumulée dans
le sol pendant l'hiver. A partir du 15 mars, dès que la
terre est assez ressuyée à la surface, on peut profiter de tous
les beaux jours pour semer, et il n'y a pas de temps à
perdre, car, à ce moment, les travaux à faire pressent de
tous côtés dans une pépinière comme ailleurs.
Soins à donner aux semis : pralinage des graines. —
Dès qu'elles sont mises en rigoles, avant même la germina-
tion, les graines sont exposées à la voracité d'animaux de
toute sorte. On atténue les dégâts par des procédés analogues
à ceux qui sont employés pour les plantes agricoles (1).
(1)M. Neuville, professeur à l'Kcole pratique de Neubourg recommande
le pralinage au pétrole par le procédé qu'il décrit en ces termes:
On prend 200 grammes de pétrole et 6 litres d'eau bouillante; on
verse d'abord l'eau bouillante sur 100 grammes de goudron de gaz
LE BOISEMENT l'Ail PLANTATIONS. .'{79
Dès leur levée, les semis réclament d'autres BoinBJusqu'au
moment de la récolte.
Abris contre la sécheresse. - Ce sont, d'abord, les abris
qui les maintiendront ombragés contre la chaleur.
De ces abris, les uns sonl formés par des tiges vivantes et
cultivées, à cet effet, le long des bandes ;on plantera, par exem-
ple, sur la ligne du côté sud, soit des boutures de saule ou de
peuplier, soit des feuillus de demi- tiges de manière à former
une série d'écrans; on peut également semer sur cette même
ligne du seigle, des fèves de marais, ou toute autre plante
annuelle à tige droite et rigide, pouvant s'élever jusqu'à 60
ou 70 centimètres et dont on obtiendra une récolte utilisable.
Mais, au lieu de ces cultures dont la réussite est incertaine,
qui fatiguent le sol et qui sont à demeure jusqu'à la récolte,
il vaut mieux employer des abris morts qu'on peut placer
ou enlever à volonté.
En foret, les plus économiques sont des branchages de
bois résineux ou de bois de feuillus coupés au moment où
les feuilles sont déjà développées, que l'on fixe en terre le
long des bandes et de façon à les abriter du côté du midi;
l'orientation des bandes dans la direction Est-Ouest facilite
beaucoup cette opération. Les branchages peuvent être sim-
plement plantés sur une ligne ou, mieux encore, sur les
deux bords de la bande et entrelacés au-dessus d'elle en
forme de berceau ; cette disposition fournit des abris d'une
solidité à toute épreuve, mais elle augmente sérieusement la
difficulté des sarclages. On peut aussi installer le long des
bandes deux lignes de lattes parallèles supportées par des cro-
chets de 61) à 70 centimètres de hauteur et sur lesquelles
on étend les branchages. A défaut de rames feuillées, on se
épuré, en agitant, puis on ajoute 100 grammes de pétrole en remuant
le mélange ; on remet de nouveau du goudron puis du pétrole, en
même quantité, jusqu'à épuisement des provisions, qui sont dosées
dans la proportion de :
100 gr. de goudron de gaz
100 gr. de pétrole épuré
1 litre 1/2 d'eau bomllante,
proportion qui suffit pour 50 litres de semence. Celle-ci est trempée
dans le mélange refroidi et employée ressuyée.
380 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
sert, suivant les cas, de toiles, de claies, de paillassons, en
donnant la préférence au meilleur marché.
Quelquefois, on garnit les intervalles des rigoles avec
de la mousse. On attribue à cette couverture l'avantage :
1° de garantir le sol contre le durcissement superficiel
et de diminuer le nombre de binages que les semis néces-
sitent pendant l'été; 2° d'empêcher, dans une large mesure,
la levée des mauvaises plantes et d'économiser ainsi une
partie des sarclages ; 3° de garantir les plants contre les fortes
pluies et surtout contre la sécheresse, en conservant au
terrain une partie de sa fraîcheur et diminuant ainsi, ou
même supprimant, les arrosages. Par contre, la mousse pré-
sente l'inconvénient de faire obstacle à l'influence bien-
faisante des rosées et de servir de repaire à une foule d'ani-
maux nuisibles.
Abris d'hiver. — Les plants forestiers indigènes n'ont pas
beaucoup à craindre du froid ; mais, dans certains sols,
comme les marnes, on perd beaucoup de plants par l'effet
du déchaussement. Bien que ces accidents soient surtout à
craindre pour les semis de l'année, ils produisent parfois
des effets tels que des semis de tous âges et même des plants
de haute tige sont complètement arrachés (1).
On prévient ces accidents, en grande partie du moins,
en recouvrant les semis, dès l'automne, d'un paillis grossier
ou de feuilles sèches fixées par des branchages. Pour être
efficace, la couverture doit être maintenue jusqu'au moment
où les plants entrent en végétation ; car c'est au mois de
mars que le déchaussement est le plus à craindre ; quand il se
produit, malgré les précautions prises, on relève avec soin
les plants renversés et on en rhabille les racines et les jeunes
tigelles au moyen de terreau qu'on répand sur le sol à travers
un tamis; jamais on ne doit les brutaliser, en les renfonçant
(1) On peut citer des exemples, notamment dans les environs de
Barcelonnette, de poteaux télégraphiques soulevés par l'effet du dé-
chaussement. En semblante circonstance, il ne faut songer, ni a créer
des pépinières permanentes ou volantes, ni à faire des semis en place;
on ne peut que planter, et encore faut-il avoir recours à la plantation
ohlujue, de telle sorte que le soulèvement par la gelée déplace en
même temps tout l'appareil souterrain sans le tirer en dehors.
il. BOISEMENT PAS PLANTATIONS. 381
avec les doigts, comme cela se l'ail trop BOUVent. ( m peut aussi
butter la terre autour des lignes «le -émis, soit à la houe,
soit avec des outils spéciaux.
Ajoutons que les paillis, qui empêchent le réchauffement
rapide de la surface dès le premier printemps, retardent
l'évolution des bourgeons assez pour les garantir contre les
gelées printanières.
Abris contre les gelées printanières. — Ces accidents
sont tellement fréquents en toute région, aussi bien au Midi
qu'au Nord, qu'il est prudent, en règle générale, d'abriter
tous les plants et plus particulièrement les espèces délicates
et à végétation hâtive, comme le sapin, le hêtre, le frêne, etc..
A cet effet, on se sert de paillassons qu'on enlève pen-
dant le jour, ou, plus simplement, de grandes toiles mainte-
nues par des piquets à 1 mètre au-dessus du sol et qu'on
peut installer ainsi d'une façon permanente, tant que cela est
jugé utile.
Le gardien de la pépinière doit aussi être pourvu du ma-
tériel nécessaire pour la création de nuages artificiels.
Abris permanents. — Pour éviter toutes ces dépenses
d'appareils et de main d'œuvre, on a été conduit à créer
des abris permanents contre tous les effets météoriques :
vents, chaleur, sécheresse, froid, etc.. Le plus souvent ce
sont des haies vives d'essences feuillues ou résineuses : charme,
épicéa, thuia, qu'on taille suivant une épaisseur réduite au-
tant que possible, en les maintenant à une hauteur de 2 mè-
tres environ. Si leur disposition varie dans le détail, du
moins sont-elles toujours orientées suivant la direction Est-
Ouest. Certainement ces abris en-tous-cas ont une efficacité
réelle, mais nous ne pouvons passer sous silence leurs incon-
vénients : ils occupent une place beaucoup plus grande que
leur faible projection semble l'indiquer ; car les racines s'éta-
lent à droite et à gauche et interdisent toute culture profitable
à une distance de 1 mètre à lra,50 de chaque coté de leur
pied ; — les haies doivent être entretenues par une taille
sévère et soigneuse qui absorbe du temps ; — leur présence
diminue considérablement les dépôts de rosée.
Quoiqu'il en soit, nous pouvons citer comme exemple la
382 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
disposition adoptée dans les pépinières de la forêt domaniale
de Lyons-la-Forêt et dont les forestiers locaux disent le plus
grand bien. Les haies sont en charme, dont les feuilles marces-
santes continuent, en toute saison, les effets qu'on demande
à l'abri. La figure 82 donne le plan de leur installation.
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V
1 Sentier
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Fig. 82. — Haies en charmille servant d'abri permanent
contre les gelées prin tanières.
Nous ne terminerons pas cette question si importante des
abris sans rappeler combien l'emploi des coffres simplifie
tous les travaux, surtout en ce qui concerne les semis d'un an
qui occupent la plus grande place dans les pépinières de rési-
neux. Rien de plus facile, notamment, que de construire des
cadres tendus de grillage galvanisé ou de claies en menues
lattes ayant la largeur du coffre et protégeant les plants contre
les oiseaux ou le soleil.
Arrosages, irrigations. — Les arrosages, tel qu'on les
pratique le plus souvent, ne sont pas à recommander. L'eau
qu'on jette sur la terre, en grande masse à la fois, n'y pénètre
que difficilement et s'écoule inutilement à la surface pour peu
que le terrain présente une pente, môme légère. Un arrosage,
pour être efficace, ne doit laisser arriver l'eau sur la terre
qu'en quantité égale à celle qui peut être immédiatement
absorbée, et l'opération doit se prolonger tant que la terre
n'est pas saturée jusqu'à la profondeur pénétrée par les racines.
Il; B0ISEMEN1 l'Ail PLANTATIONS. .'{S.'{
Avec les ustensiles ordinaires, une telle opération sérail trop
onéreuse pour être appliquée à de grandes étendues ; au lieu
de produire un cll'et utile, les arrosages incomplets encroûtent
la surfaoe du sol et, pour ne pas devenir nuisibles, ils doivent
être suivis d'un binage. Les seuls arrosages convenables
seraient faits à la lance fixe qui projette l'eau en goûte-
lettes fines et qu'on déplace à volonté ; mais ces appareils
coûtent cher, et on ne dispose pas toujours de la pression
.convenable.
Aussi, au lieu d'arroser, vaut-il mieux irriguer. La dépense
de première installation nécessitée par l'établissement d'un
système complet d'irrigation sera largement compensée par
les économies qui en résulteront plus tard et par la meilleure
qualité des plants obtenus. Quand l'eau courante peut être
amenée jusqu'au bord des planches, un ouvrier creuse,
le long- de chacune d'elles, un sillon où il dirige une petite
quantité d'eau qu'il y laisse assez longtemps pour que
la bande entière soit imbibée entre deux terres, par voie de
filtration, sans que l'eau puisse couler à la surface : ce qui
serait nuisible et parfois dangereux. Pendant les années ordi-
naires, deux irrigations, pratiquées à des époques bien choisies,
sont suffisantes pour entretenir en bon état de fraîcheur un
carré de semis. Dans les régions plus sèches, le mode d'irriga-
tion par submersion, dans des compartiments bien nivelés et
entourés d'un bourrelet de terre, donne d'excellents résultats.
Sarclage. — Le sarclage consiste dans l'enlèvement de la
végétation herbacée qui se présente plus ou moins abondante
dans toutes les cultures. On doit sarcler la pépinière aussitôt
que les mauvaises herbes commencent à poindre et avant
qu'elles aient développé de fortes racines; quand ces herbes
sont encore jeunes, on les arrache facilement à la main, surtout
après une petite pluie ; si on les a laissées grandir, il vaut
mieux les couper : l'arrachis ne pourrait plus se faire sans
danger pour les jeunes plants. Le point essentiel est de
ne jamais laisser les mauvaises herbes monter en semence; de
telles négligences sont impardonnables, caries graines mûres
se répandent à profusion sur le sol et le terrain en est littéra-
lement empoisonné pour plusieurs années. A ce point de vue,
384 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
il est important que les carrés vides, les chemins et les abords
des pépinières soient sarclés comme les bandes de semis elles-
mêmes. Quand l'espacement entre les lignes de semis est suffi-
sant pour. qu'on puisse y passer le fer d'un racloir, on fera
facilement et économiquement le sarclage en même temps
qu'un binage.
Binage. — Les jardiniers prétendent que binage vaut
arrosage. L'opération consiste à donner au sol une légère
culture pour en ameublir la surface. Elle a pour effet, en
augmentant la perméabilité du sol, de faciliter l'absorption
de l'air et des eaux de pluie, de fixer les vapeurs et les rosées,
de ralentir l'évaporation, en un mot, de rompre la liaison
entre la couche supérieure et celle sous-jacente : ce qui fait
remplir à la première le rôle de couverture.
Travaux divers : repiquage. — Le repiquage ou le rigo-
lage est toujours une pratique très coûteuse, non seulement à
cause de la dépense qu'entraîne l'opération elle-même, mais
encore, et surtout, à cause de la grande étendue du terrain
qu'elle nécessite et dont l'entretien en bon état de production
est très onéreux. C'est en faisant les semis d'une manière
convenable et dans des carreaux bien fumés qu'on se dis-
pensera de ces repiquages ; car le plus souvent, si les plants
résineux de 2 ans ne sont pas assez forts pour être plantés à
demeure, c'est parce que l'engrais ou les soins nécessaires leur
auront manqué. Aussi, malgé la supériorité incontestable des
plants qu'il procure, le repiquage doit-il être l'exception pour
les plantations de résineux en basses tige; il est, au contraire,
la règle pour les essences feuillues; ajoutons enfin que nombre
de pépiniéristes sont partisans du repiquage quand même ; il
importe dès lors d'en connaître les effets et la pratique.
Prenons, par exemple, deux plants de pin sylvestre de
2 ans provenant du même semis. L'un (fig. 83 a) a été extrait
directement dans le sillon où il a été semé; l'autre (fig. 83 /;.),
enlevé de la bande de semis et repiqué à sa première année,
ayant par conséquent une année de repiquage. Le premier
est élancé, grêle; ses aiguilles pâles et rares, son enracinement
représenté par de longs filets à peine ramifiés forment un
ensemble de médiocre aspect. Le second est trapu ; ses aiguilles
LE BOISEMENT PAU PLANTATIONS.
385
longues <■( de couleur foncée, ses racines nombreuses et bien
pourvues de chevelu témoignent de sa vigueur.
A cause de la faiblesse de leur enracinement , les épieras
Fig. 83. — Effets du repiquage. — a, Pin sylvestre de 2 ans, non repi-
que ; b, pin sylvestre repique; c, Chêne pédoncule de 2 ans, non
repiqué ;L chêne pédoncule de 2 ans repiqué après résection du
pivot.
doivent presque toujours être repiqués avant emploi. Toutes
les essences exigent cette pratique quand on veut les con-
duire jusqu'aux dimensions de moyennes et de hautes tiges;
alors plusieurs opérations successives sont nécessaires, en
Boppe et Jolyet. 25
386 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
augmentant les espacements en proportion de la taille qu'elles
atteindront.
Plus particulièrement en ce qui concerne les chênes, les
types c et d de la figure 83, nous montrent les effets du repi-
quage. Le premier représente un plant de 2 ans, tel qu'il a
été extrait de la rigole avec toutes les précautions voulues
pour qu'il soit complet : cime chétive, tige grêle, pivot
simple d'une longueur exagérée. Le second, repiqué à un an,
après résection du pivot, s'est formé un appareil radiculaire
multiple, bien pourvu de radicelles en même temps qu'il
étoffait sa région aérienne. Inutile d'insister pour faire res-
sortir lequel des deux sera d'une reprise plus certaine.
Mais venons à la pratique du repiquage. Il se fait en
pépinière dans des compartiments spéciaux, qu'on nommait
autrefois des hatardières.
Qu'il s'agisse d'espèces résineuses ou feuillues, on emploie,
pour être repiqués en pépinière, des jeunes plants âgés d'un
ou deux ans au plus. On les arrache avec les précautions né-
cessaires pour ne pas endommager les racines; on en fait le
triage et l'on écarte les sujets trop grêles ou trop chétifs. Les
bons sont abrités avec soin contre le soleil et le vent, pour les
préserver du dessèchement.
La mise en terre de ces plants se fait d'après l'une des trois
méthodes suivantes :
1° au moyen d'un plantoir à main, dont la grosseur et la
longueur sont proportionnées à la dimension des jeunes plants,
on fait une série de trous alignés au cordeau, et régulièrement
espacés; dans chacun de ces trous, on enferme un plant de
manière que le collet de la racine se trouve au niveau du sol;
puis on les rebouche au moyen d'une simple pression qu'on
exerce avec le plantoir enfoncé à une faible distance de la
première ouverture. Ce procédé s'applique surtout aux rési-
neux d'un an ;
2° avec une bêche, on ouvre, le long d'un cordeau, une
simple fente qu'on élargit à sa partie supérieure en ap-
puyant successivement à gauche et à droite sur le manche
de l'outil ; dans cette fente, on glisse les plans un à un, à la
distance voulue, et l'on remplit avec du terreau; on les fixe
LE BOISEMENT l'Ali l'LANTATIONS.
:;h7
ensuite, en pressant la terre, suit avec Le pied, soit avec la
bêche ;
3° un ouvrier creuse à la houe une rigole alignée au cor-
deau ; un autre, le plus généralement une femme, pose les
plants, un à un, en les appuyant
contre l'une des parois de la rigole
que Ton a eu soin de maintenir à
peu près verticale : pendant qu'il
les soutient en bonne position avec ^v
la main gauche, il lixe les racines en
refoulant, de la main droite, la terre
meuble qu'on vient de retirer de la
rigole. 11 suffit, quand une planche
est entièrement remplie, de donner
un coup de râteau entre les lignes
pour terminer la besogne. Cette
troisième méthode, de beaucoup
préférable aux deux autres, s'appli-
que aux plants de toutes dimensions.
D'ailleurs, la rapidité du travail et
la régularité parfaite dans l'emplace-
ment des plants peuvent être assurés
par l'emploi de la règle à repiquer
(fig. 81 c. c.) dont M. l'Inspecteur
Cardot a fait le pendant de sa règle
à semer (1). Sensiblement de même
forme et de même dimension que
celle-ci, elle porte sur une de ses
faces une suite d'encoches équidis-
tantes, dont chacune est destinée à
recevoir un plant, qui y est posé de
telle façon que le collet de la racine
soit au niveau de la face inférieure de la règle. Quand toutes
les encoches sont garnies, on maintient la série en appuyant
la réglette mobile dans l'angle supérieur de magasin et l'on
place le tout sur le bord de la rigole ; il suffit de rechausser
(1) Le principe est celui de l'antique règle à repiquer, outil en fer,
mal commode, et dont personne n'avait jamais songé à se servir.
Fig. 84. — Coupe de la
règle à repiquer.
388 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
les racines en procédant comme ci-dessus, après quoi on
enlève l'appareil.
La règle peut servir à des espacements différents en gar-
nissant à volonté une encoche sur 2, — 3, — etc.
L'espacement à donner aux plants varie avec l'emploi au-
quel on les destine. Si l'on ne veut que des basses tiges, l'écar-
tement entre chaque ligne pourra varier, suivant les essences,
de 15 à 25 centimètres et la distance dans les lignes de 4 à
5 centimètres ; pour les moyennes tiges, on devra augmenter
ces dimensions et donner 10 à 15 centimètres à l'espacement
des plants dans les lignes ; enfin, pour les hautes tiges, il con-
viendra de donner aux lignes au moins 50 centimètres d'écar-
tement et aux plants un espacement minimum de 10 centi-
mètres.
Il est entendu qu'au point de vue de la fumure, des sarclages,
des binages et même des irrigations, les planches repiquées
seront entretenues comme les planches semées.
Extraction des plants. — Lors de l'extraction des plants,
on évitera de blesser les racines et les petites tiges; aussi l'arra-
chage à la main doit-il être absolument proscrit. Le meilleur
procédé, celui qui est surtout facilité par le semis ou le repi-
quage en lignes, consiste à ouvrir, sur le bord des sentiers et tout
contre la première rangée, une jauge assez profonde pour attein-
dre l'extrémité inférieure des racines ; puis, au moyen d'une
bêche, ou mieux encore d'une fourche à dents plates, on exerce
une pression du côté opposé de façon à renverser les plants
dans la jauge, sans que la terre se détache des racines ; celles-ci
restent absolument intactes quand il s'agit de jeunes plants
résineux d'un ou de deux ans; dès lors, il n'y a jamais besoin
de les tailler ou d'en retrancher une portion quelconque. L'ex-
traction est toujours suivie d'un triage, qui permet, tout en
comptant les plants, de rebuter tous ceux qui ne paraîtraient
pas de bonne qualité. Cette opération doit être faite sous un
hangar fermé ou, tout au moins, à l'abri de paillassons, pour
éviter le contact d'un air trop agité ou trop chaud et, par suite,
le dessèchement.
Les feuillus d'espèces pivotantes, les demi ou moyennes
tiges s'arrachent beaucoup plus difficilement; il faut faire des
I i BOISE Ml N r P \lt PL vn I AI IONS.
380
trous profonds et, malgré celle précaution, il es1 rare qu on
puisse extraire les racines entières. Alors, la taille de ces ra-
cines est justifiée; mais l'opération se limite a pratiquer une
section bien nelle, l'aile obliquemenl avec une sei-pelle tran-
chante, immédiatement au-dessus des cassures ou des por-
tions Irop fortement lésées: en aucun cas, il ne faut rien re-
trancher aux parties saines, car les (ilamenls les plus tenus
sont les plus utiles.
Quand il s'agit de plants précieux ou délicats, le mieux esl
de les extraire et de les transplanter en molle; le surcroît
de dépense que l'opération entraîne est largement compensé
par une reprise plus certaine et une végétation meilleure.
D'ailleurs, quand on veut assurer la transplantation en motte
d'un sujet, quelles que soient ses dimensions, on procède de la
manière suivante : dès le printemps qui précède la saison où
se fera le déplacement, on creuse, tout autour de la tige et à
une distance variable entre 40 centimètres et 1 mètre, sui-
vant la force du sujet et la nature de son enracinement, une
jauge circulaire de la largeur d'un fer de bêche et de 50 ou (30
centimètres de profondeur. Cette jauge, taillée à parois ver-
ticales, au moyen d'une bêche avivée, est ensuite remplie
avec de la bonne terre mélangée de terreau. Si l'on a soin de
l'arroser plusieurs fois dans la saison de végétation, il se
formera, dans cette terre neuve, un chevelu abondant, et,
quand le moment sera venu, on extraira la motte sans occa-
sionner de nouvelles lésions aux racines (1).
Taille ou rhabillage des plants. — Quand les plants de
basses tiges ont été convenablement arrachées, les racines sont
suffisamment intactes pour qu'il ne soit pas nécessaire de les
pare?', à moins qu'il ne s'agisse de rabattre le pivot sur des
sujets destinés à être rigoles en pépinière.
Quant aux branches des feuillus ou des résineux, il ne faut
jamais y toucher. En effet, la règle est de ne mettre en place
que des plants bien conformés ; ceux-ci n'ont pas besoin
qu'on enlève quoi que ce soit à leurs tiges ou à leurs rameaux.
La taille ne devient nécessaire que quand les sujets sont
l) A. Chargerand. Traité des plantations d'alignement et d'orne-
ment. Paris. Rothschild, iN'.Mi.
390
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
mal équilibrés : tige trop grêle ou fourchue, rameaux insuf-
fisants ou trop développés. Dans ce cas, il vaudra mieux
l'opérer dans la pépinière, rigoler à nouveau les plants et
n'en disposer qu'une année ou deux plus tard lorsqu'ils seront
suffisamment refaits ; c'est ainsi qu'on est souvent conduit à
recéper les individus mal conformés, soit au moment de la
mise en terre, soit en pépinière, ce qui vaut mieux.
Transports et emballage des plants. — 11 faut se per-
suader que de la bonne conservation des plants dépend, en
grande partie, la réussite des plantations et ne jamais perdre
de vue cet axiome important : moins longtemps les racines
restent à découvert, mieux elles se conservent.
A partir de l'extraction jusqu'au moment de la plantation à
demeure, les sujets, surtout les résineux, dont les racines sont
très délicates, doivent être garantis des accidents de nature
à dessécher le chevelu ou à leur occasionner des lésions. S'ils
ne doivent pas être transportés au loin, et si l'on juge inutile
de les emballer avec soin, on les dispose, par bottes,
dans un panier ou dans une brouette en les entourant de
mousse humide, de ramilles ou de terre meuble. On recom-
mande souvent de plonger les racines dans une bouillie li-
quide de terre grasse et, après les avoir entourées de mousse,
de les emballer dans des paniers ou dans des caisses, mais ce
pralinage a le grave inconvénient d'agglutiner les racines en
pinceau et d'en provoquer la mise en terre dans des condi-
tions tout à fait anormales.
Pour les espèces à feuilles persistantes, il est prudent
d'entre-croiser les bottes de telle façon que les feuilles de
l'une soient en contact avec les racines de l'autre, parce que
les parties vertes pressées et accumulées en grande masse
fermentent facilement. 11 faut éviter aussi de faire voyager
les plants par un froid trop rigoureux ou une chaleur exces-
sive, sous peine de s'exposer aux accidents très fréquents
de gelée ou d'échauffement.
Si les sujets ne peuvent être expédiés ou plantés à demeure
aussitôt après l'extraction, on creuse une fosse dans laquelle
on les dresse et on couvre leurs racines avec de la terre
fraîche ; cela s'appelle mettre les plants en jauge. De même,
LE BOISEMENT l'Ait PLANTATIONS.
391
dès leur arrivée à destination, les plants doivent être immé-
diatement déballés et mis en jauge. En hiver, pendant les
grandes gelées, les espèces à feuilles persistantes seron! uti-
lement recouvertes d'un paillasson ou de branchages.
3. — LES PÉPINIÈRES Vol. AMES OU LOCALES.
Avantages. — Installation.
Avantages. — Les pépinières volantes suffisent largement
à tous les besoins des repeuplements à faire, sous forme
d'amélioration, dans les terrains déjà boisés ; souvent même,
bien qu'il s'agisse de terrains nus, les pépinières ne peuvent
être établies que dans cette forme. C'est le cas, par exemple,
pour les reboisements à exécuter sur le sommet des monta-
gnes, en des climats rudes, dont les saisons de végétation ne
correspondent pas avec celles des stations plus tempérées où
les pépinières permanentes sont en général établies.
Installation. — Les pépinières volantes se font en
pleine forêt, soit dans une petite clairière, soit à l'abri de
grands arbres. Après avoir choisi l'emplacement convenable,
on défriche le terrain et l'on défonce, comme s'il s'agissait
d'une pépinière permanente, sans toutefois apporter d'en-
grais. On y fait des semis ou des repiquages, en vue d'obtenir
les plants dont on peut avoir besoin dans les environs im-
médiats, et, quand la terre est fatiguée, on abandonne la place,
après y avoir laissé autant de plants qu'il est nécessaire pour
en assurer le boisement.
Ces petites pépinières intelligemment disposées, présentent
les avantages suivants : 1° elles ne doivent fournir qu'un
nombre de récoltes assez faible pour qu'on puisse se passer
d'engrais ; 2° elles offrent La possibilité d'élever, pour ainsi
dire sur place, et dans les conditions climatériques où ils
doivent végéter, les sujets destinés à être plantés ; 3° elles
suppriment les nombreux inconvénients des emballages et
des transports à grandes distances.
En montagne, les espaces de petite étendue, ayant la di-
mension de pépinières volantes, peuvent, par exception, être
392 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
traités à la façon des pépinières permanentes à cause de la
rareté des emplacements qui conviendraient à ces dernières.
On est souvent obligé de les maintenir clans cette forme ; car,
de toute nécessité, les plants doivent être produits sous un
climat identique à celui des espaces où ils seront plantés à
demeure. Dans ces conditions, il faut créer autant de centres
de production qu'il y a de zones d'altitude, c'est-à-dire de
climats différents.
Exécution des plantations.
Préparation du sol. — Disposition des plants. — Confection et
dimension des trous. — Manipulation des plants. — Plantation à
racines nues; — par touffes; — en butte; — en corbeilles. — Plan-
tation en terrain non préparé. — Saison favorable à la plantation.
— Application aux principales essences. — Soins à donner aux
plantations.
Préparation du sol. — Ce que nous avons dit, à l'article
précédent, de l'heureuse influence d'une culture du sol sur la
réussite des semis, nous dispense d'entrer dans de nouveaux
détails, et notre conclusion est tout aussi absolue dans un cas
que dans l'autre : à la rigueur, on peut se dispenser de culti-
ver le sol dans les terres naturellement très meubles, tels que
les sables sans consistance; — dans les forêts constituées où
la terre à bois est déjà préparée de longue date ; — enfin,
dans les terrains enherbés où la présence d'un tapis continu
de plantes basses, se maintenant en végétation pendant toute
la saison d'été, témoigne d'une constante fraîcheur. En toutes
les autres circonstances, la culture doit être considérée, le
plus souvent, comme indispensable, — toujours, comme
avantageuse .
On procède aux façons de la terre par les moyens les plus
économiques dans chaque région,, en cherchant par le bras-
sage des couches, à donner à l'ensemble une composition
moyenne ; contrairement à ce qui a été recommandé pour les
semis, il sera préférable de localiser la meilleure terre dans
les zones profondes, où les racines vont être appelées à fonc-
tionner immédiatement.
La culture en plein n'est jamais nécessaire, elle présente
LE BOISEMENT l'Ait PLANTATIONS. 393
même certains inconvénients; en eiïet, dans les pentes
rapides, un soi trop ameubli peul être entraîne par lea
eaux; de plus, L'expérience indique que les dégâte «lu ver
blanc son! bien plus à redouter dans un terrain cultivé que
dans ceux qui ne l'ont pas été. L'ouverture de bandes conti-
nues n'es! avantageuse que pour des plantations de hautes
tiges dont la mise en terre demande de larges défoncements ;
elle est inutile lorsqu'il s'agit de basses liges; les dégâts de
ver blanc y sont d'ailleurs à craindre, comme dans les cultures
en plein. Reste la préparation du sol par trous ou potets
à laquelle nous donnerons la préférence, comme permettant
de défoncer profondément le sol sans entraîner une grande
dépense : elle réunit donc tous les avantages culturaux et
économiques.
Disposition des plants. — Ces trous seront disposés sui-
vant le tracé de figures géométriques : triangles, carrés ou
quinconces, de manière que les plants puissent être re-
trouvés facilement, soit pour les soigner, soit pour remplacer
les manquants ; un bon ouvrier prend toujours la précau-
tion de jalonner sur le terrain les lignes équidistantes suivant
lesquelles seront disposés les plants : une baguette coupée à la
longueur voulue, ou bien un cordeau portant des nœuds en
ficelle de couleur, donnent leur espacement dans les lignes.
Quel écartement convient-il de donner aux plants? Cela
dépend des circonstances. Tout d'abord, voyons quelle est
l'influence de cet écartement sur la végétation.
Des expériences récentes entreprises par M. l'Inspecteur
Bartet à la station de recherches de l'Ecole Nationale des
Eaux et Forêts semblent établir les faits suivants, sous
réserve de vérification dans d'autres milieux :
1° à tous égards, l'espacement de "2 mètres, plus que les
espacement moindres, convient à l'épicéa; on peut en trou-
ver l'explication dans le besoin d'espace latéral réclamé par
l'enracinement superficiel de cette essence ;
2° pour tous les résineux, le même espacement, plus que
les espacements moindres, donne aux plants un riche appa-
reil foliacé, et favorise leur croissance en diamètre ;
3° pour tous les résineux autres que l'épicéa, on ne peut
394 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
encore rien avancer de certain quant à la croissance en hau-
teur ; il semble toutefois, contrairement à l'opinion qu'on
pourrait se faire à priori, que les grandes distances sont peu
favorables à l'allongement des espèces de lumière : celles-ci,
en effet, ont souvent une tendance à buissonner qu'il est bon
de combattre en hâtant la formation du fourré ; M. le Pro-
fesseur Fliche nous a souvent entretenus de la forme trapue
et par suite défectueuse que prennent les jeunes pins noirs
d'Autriche quand ils constituent des peuplements trop clairs.
Un article que nous avons publié sur ce sujet dans le Bul-
letin du Ministère de l'Agriculture (1), est résumé par les
lignes suivantes : « à notre avis, la croissance en hauteur n'a
pas une importance capitale pendant les premières années
consécutives à la plantation. La vigueur et la bonne santé de
l'arbre, accusées par l'abondance du feuillage et l'accroisse-
ment en diamètre, en ont au contraire beaucoup. Si donc,
laissant de côté les massifs résineux destinés à produire à
brève échéance telle ou telle marchandise spéciale (perches à
houblon ou étais de mine), nous songeons à créer une forêt
solide et définitive, nous constatons une fois de plus avec
combien de raison M. Broilliard, dans le Traitement des bois,
recommande de ne pas surcharger les plantations d'un nombre
inconsidéré de sujets, trop souvent plantés à V économie. »
Nous rejetons les plantations faites avec des écartements
inférieurs à 1 mètre (2) : ou bien elles sont exécutées sans
soin, avec des plants à bon marché et conduisent à un insuc-
cès total, — ou bien les sujets viennent trop serrés et l'on se
trouve dans la nécessité d'en sacrifier la moitié par dépres-
sage. Nous considérons aussi comme imprudentes, au moins
jusqu'à preuve du contraire, les distances égales ou supé-
rieures à 3 mètres. Pour qui veut un chiffre, nous recom-
(1) Année 1899.
(2) Dans certaines forêts de la Bavière, on fait les plantations exces-
sivement serrées ; nous avons vu dans le Spessart des plants disposés
à 0m,30 les uns des autres, dans des lignes espacées entre elles de
1 mètre; cela représente 30 000 plants à l'hectare. La mise en place
coûte 55 francs, quand Je prix de la journée ne dépasse pas 2 fr. 50 pour
les hommes, 1 fr. 75 pour les femmes. Même à ce prix, il y a exagé-
ration et les forestiers enseignants réagissent contre le gaspillage des
pratiquants.
LE BOISEMENT rut PLANTATIONS, M~)
mandons pour toutes les essences feuillues el résineuses, les
écartements de I m,50, dans les Lignes espacées de - mètres,
— ou tou( au moins de lta,50 dans Ions les sens.
Le tableau suivant donne le nombre de plants à l'hectare,
dans les limites les plus ordinaires des écartements entre les
lignes et entre les plants d'une même ligne.
BCABTJ UBN1
i CAB i i:\n-.Nr
NOMIIIIK
DES L ION F 9.
ii B s l' i. a N T9
dans chaqae ligne.
DKS PLANTS
1^,20
0»,80
Ill,il7
lm,20
()"»,90
9,260
]m,<iO
lm,00
7^143
lm,50
1^00
6,666
lm,80
]m,00
5,555
2m,00
]m,00
5,000
lm,50
lm,20
5,555
1"\80
l°\20
4,630
2m,00
lm,20
4,166
l»n,80
ln»,50
3,636
2m,00
1^,50
3.333
Confection et dimension des trous. — La dimension des
trous est subordonnée à celle des plants : il suffit que les ra-
cines puissent y être étalées dans leur position naturelle.
Pour les basses tiges de résineux, des potets de Om,'25xOm,25
d'ouverture, et de 0m,25 de profondeur sont, en général, très
satisfaisants. On fera, d'ailleurs, en sorte de leur donner la
même largeur au fond qu'à l'ouverture, en évitant la forme
en entonnoir; le fond en sera toujours ameubli.
L'outil le plus commode pour les ouvrir est la pioche, si le
sol est d'un travail moyennement facile. Quand il est caillou-
teux ou très dur et compact, on peut recourir au pic de ter-
rassier pour le rompre, tandis que la pioche sert à extraire
les déblais. Enfin, quand nous avons eu à ouvrir des potets
de dimensions excédant la normale, pour des plantations de
demi-tiges, par exemple, nous nous sommes bien trouvés de
l'outil dont se servent les vignerons, pour la confection des
fosses.
En extrayant la terre au fur et à mesure du défoncement,
on la disposera en lots séparés, suivant ses différentes quali-
tés. Les gazons seront mis à droite, par exemple; la terre
fine qu'ils recouvrent immédiatement, à gauche; la plus mau-
396
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
vaise terre du fond, en avant; on aura ainsi sous la main, au
moment de la plantation, les matériaux tout prêts pour en
disposer au mieux de l'opération. Les grosses pierres seront
également conservées près des trous pour être utilisées comme
il sera dit plus loin ; dans les terrains en pente rapide, elles
pourront être amoncelées, à la main, en forme de talus ou de
mur de soutènement du côté d'aval. En plaine, ces petits
amas se feront de préférence du côté du Midi.
Quand le terrain comporte l'emploi de la charrue, on peut
ouvrir à l'aide de cet instrument des sillons distants de lm,50
et se coupant à angle droit ; à chaque point d'intersection,
on ouvre un potet. Mais ce procédé n'est qu'une manière de
tracer Vouvrage et de rendre plus facile le travail de la pio-
che, qui seule peut creuser des trous convenables. Le sys-
tème expéditif qui consiste à disposer des plants dans une
raie ouverte à la charrue et à les recouvrir par un second
passage du versoir expose à des échecs fréquents.
Dans les terrains meubles, secs, filtrants, les trous peu-
vent être ouverts au moment de la plantation ; dans les sols
plus ou moins compacts, ils seront faits quelques mois à
l'avance pour profiter de l'ameublissement naturel que
donnent la gelée ou la sécheresse.
Mani-pulation des plants. — Tous les ouvriers planteurs
se munissent de paniers dans lesquels les racines sont
soigneusement abritées; jamais celles-ci ne doivent rester
exposées à l'air et il ne suflit pas, comme cela se fait trop
souvent, de placer les plants dans la poche d'un tablier. Le
maintien du chevelu à l'état frais est la condition la plus
importante pour la réussite; on ne saurait trop insister sur
ce point. Tous les plants seront donc mis en jauge, en atten-
dant leur emploi; et, dans l'organisation des chantiers, pour
éviter les pertes de temps, il sera avantageux d'adjoindre
aux planteurs un certain nombre d'enfants, chargés d'aller
prendre, dans des paniers de rechange, les provisions néces-
saires pour remplacer les paniers vides.
Les racines sont préservées du contact de l'air par du ter-
reau frais, ou de la mousse humide ; quand les ouvriers sont
inhabiles ou peu soigneux, il peut y avoir avantage à rem-
il BOISEMBM PAH PLANTATIONS. .'{'.T/
placer ces matériaux trop faciles à disperser par un morceau
d'une vieille couverture de laine lâchement cousue au panier
par deux ou trois de ses côtés el assez long pour abriter les
plants.
Plantation à racines nues. — C'est le mode le plus com-
munément employé. Les autres procèdes ne trouvent leur
application que dans des cas spéciaux,
(Iliaque trou est garni delà manière suivante: l'ouvrier
s'assure que le fond du potel est bien ameubli, sinon.
il y jette quelques poignées de terre fine, puis il prend
un plant dans le panier, — en ayant soin de ne pas découvrir
les autres, — et, de la m-ain gauche, il le soutient contre la
paroi du trou qui lui fait face, à une hauteur telle que le
collet de la racine se trouve, soit au niveau du sol en place,
soit à 2 ou 3 centimètres en dessous ; de la main droite, il
étale les racines en position normale dans toute la largeur
du trou, puis les fixe au moyen de la terre meuble qu'il
trouve à sa gauche et qu'il emploie ainsi jusqu'à épuisement.
Enfin, il achève de combler avec la terre la plus grossière
amoncelée en avant et qu'il tasse légèrement avec le pied.
Pour tenir compte du foisonnement, on donne à la surface
la forme d'une butte élevée de quelques centimètres au-dessus
du sol en place ; sans cette précaution, le sol s'affaisse et met
à nu quelques racines.
11 existe un inconvénient réel à enfouir les racines des
plants à une profondeur exagérée, comme à damer avec
plus ou moins de brutalité la terre qui sert à les recouvrir.
Privées d'air, elles fonctionnent mal, ne peuvent s'allonger
ni se ramifier : le plant languit, tant qu'un nouvel enraci-
nement n'a pu se substituer à l'ancien, comme on peut s'en
rendre compte par la figure 85. Sans doute, nous restons con-
vaincus que l'ennemi du planteur est toujours la sécheresse,
et nous préférons exposer nos pins ou nos épicéas à souffrir
pendant deux ans, faute d'oxygène, plutôt qu'à mourir en
six mois, faute d'humidité ; quoi qu'il en soit, la question
peut se résumer ainsi : — dans les terrains sablonneux très
meubles, qui sont tout à la fois très perméables à l'air, et très
exposés à se dessécher, planter profond ; — dans les argiles
398 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
très compactes, où l'asphyxie menace toujours les plants, ne
pas enfouir ceux-ci plus profondément que le collet de la
racine, au risque d'avoir un insuccès si le hasard veut que
Tannée soit très sèche; — enfin, dans les sols calcaires, dans
les terrains granitiques, ne pas exagérer la profondeur, mais
utiliser, pour préserver les plants des chaleurs estivales, les
pierres qui ne font jamais défaut sur de pareils terrains.
Il est avéré, en effet, que toutes les fois que l'on couvre
le sol, au pied du sujet mis en terre, de grosses pierres plates,
on entretient d'une façon remarquable la fraîcheur du ter-
rain, et l'on assure la réussite. Les dalles calcaires, si fré-
quentes sur certains sols de l'oolithe, ont sauvé bien des
plantations et se prêtent à merveille à cet emploi ; mais tous
autres quartiers de roche peuvent être utilisés de même.
Comme moyens préservatifs contre la sécheresse, on a recours
encore à des talus de J à 3 décimètres de hauteur élevés au
midi de chaque potet et qui assurent un peu d'ombre au
plant : tantôt l'abri est une butte de terre ; tantôt un petit
mur de pierres sèches ; souvent on se contente d'amonceler
les gazons découpés pour l'ouverture du potet, et que l'on
dispose, les racines en l'air.
Sur les pentes très déclives, on modifie la disposition du
plant dans son potet: le sujet doit être maintenu, pendant
que l'on comble le trou, sur la paroi aval. Sinon les eaux
courantes, en entraînant la terre fraîchement remuée, déchaus-
seraient la tigelle.
Plantation en mottes ou en gazons. — La plantation en
mottes ou en gazons consiste à découper, dans une planche
de semis, des mottes de 8 à JO centimètres de côté qui sont
enlevées avec la terre et disposées en cette forme dans
des trous préparés à l'avance. Ce mode, qui a l'avantage de
conserver le chevelu dans un état de fraîcheur parfait, a
l'inconvénient d'employer inutilement un grand nombre
de sujets, d'augmenter beaucoup les frais de transport, et
d'appauvrir le sol des pépinières ; aussi n'est-il employé que
pour les plants extraits directement en forêt parmi les
régénérations naturelles ou parmi ceux qui surabondent dans
des régénérations artificielles.
LE BOISEMENT l'Ut PLANTATIONS,
:«#ll
Fig. 85. — Épicéas plantés à une profondeur telle qu'un nouvel-
enracinement a dû se substituera l'ancien 1 .
(1) La plantation d'où ces types ont été extraits, faite au début
d'une année sècbc, a donné d'ailleurs des résultats satisfaisants.
400
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Ainsi, dans les sapinières et les hêtraies, on rencontre
souvent des semis assez nombreux pour former par place de
véritables brosses aussi fournies qu'un carreau de pépinière ;
— ainsi encore quand un semis par bandes de pin ou d'épicéa
a bien réussi, rien n'est plus facile que de prélever dans ces
lignes des mottes d'une reprise certaine.
Malgré le surcroît de dépense considérable qu'entraîne ce
procédé, on est obligé d'y avoir recours dans les situations
difficiles: notamment dans les très mauvais sols, dans les
rocailles où les plants à racines nues périraient nécessaire-
ment. S'il existe des jeunes semis ou des plantations récentes
clans les environs, il est naturel d'y puiser : on a réussi par
ce procédé le boisement de stations très ingrates comme des
éboulis rocheux ou des marnes exposées au déchausse-
ment (1). Il est indispensable, toutefois, que le terrain où sont
découpées les mottes présente une certaine cohésion, sans
quoi la terre est trop meuble pour supporter le transport
et tout se désagrège.
Plantation, par touffes ou par bouquets. — M. De-
montzey recommande, au lieu de planter par pieds isolés, de
réunir dans un même trou une touffe de trois à quatre
plants. Suivant cet habile praticien, ce mode présente le
double avantage d'être le plus économique et le plus sûr de
tous les moyens employés.
« D'une part, en effet, il augmente considérablement les
chances de succès d'une plantation et épargne ainsi de nom-
breux regarnissages, non seulement coûteux et souvent
difficiles, mais encore dangereux pour les plants qui ont bien
végété, à cause du passage des ouvriers sur des pentes sou-
vent très fortes.
« D'autre part, il permet d'espacer davantage les plants,
et par suite de diminuer la dépense à l'hectare. Car ces
touffes forment au début une sorte de petit massif dans lequel
les plants se soutiennent mutuellement, ce qui leur permet
d'attendre plus longtemps et sans danger le moment où le
massif général se constituera.
(1) A l'aide de ce procédé, M. le conservateur Carrière a obtenu les
plus beaux succès dans le périmètre de Seyne (Basses-Alpes).
i i: BOISEMENT l'Ait PLANTATIONS. 401
« On a fait à ce mode l'objection que si les plants réunis
ainsi en touffes venaient à pousser tous également, ils ne
tarderaient pas à s'affamer mutuellement et à produire des
arbres grêles, incapables d'une longue durée. ,
« A cette objection, on peut répondre d'abord que la
touffe n'implique pas nécessairement un grand nombre de
plants, et que dans les limites que nous posons, c'est-à-dire
de deux à quatre plants par toulï'e, ce danger devient
illusoire.
« Mais, bien plus, une longue expérience a démontré l'ina-
nité de ces craintes. Il est rare, en effet, que deux, trois ou
quatre plants poussent, dès le début, avec une vigueur iden-
tique ; le plus souvent, l'un d'eux prend le dessus et quand
le massif général se produit, il demeure seul. D'autre part,
bien souvent, un seul plant, deux au plus, reprennent avec
vigueur, les autres viennent à mourir, soit immédiatement
après la plantation, soit un an après, de sorte qu'en dernière
analyse, on se trouve dans les conditions de la plantation par
brins isolés, mais avec des chances de réussite bien plus com-
plètes. Enfin, il serait toujours facile d'obvier à peu de frais à
l'inconvénient d'une égale pousse, s'il venait à se mani-
fester (1). »
Il semble, à première vue, que cinq ou six plants identi-
ques, placés dans les mêmes conditions, doivent tous reprendre
ou tous mourir, le plus souvent du moins. En fait, les
choses ne se passent pas ainsi, et les sujets d'une même
touffe se prêtent, sans doute, un mutuel appui, car leur
résistance à la sécheresse est supérieure à celles des plants
isolés.
Ce procédé ne nous semble pourtant pas devoir être géné-
ralisé. Son application reste confinée dans la montagne,
quand on opère dans des conditions d'une difficulté toute
spéciale, — ou bien en plaine, quand on veut créer le plus vite
possible une barrière de verdure délimitant une plantation
et l'isolant des champs ou des pâturages voisins.
En effet, il occasionne une consommation de plants exagé-
(1) Demontzey, Eudes sur les travaux de reboisement des monta-
(fnes, p. 227.
BOPPE cl JoM'ET. '-')
402 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
rée, et, de plus, les touffes constituent bientôt des milieux
qui sont très propres au développement des maladies conta-
gieuses si l'on ne se hâte de procéder à un dépressage. Les
faits ne manquent pas à l'appui de cette observation : ainsi,
au printemps 1886, les dégâts de Peridermium pini, ont été
constatés dans le périmètre de Barèges (Hautes-Pyrénées)
sur des pins de montagne qu'on avait omis de desserrer en
temps utile; des plantations voisines, faites par pieds isolés,
étaient à peu près indemnes. Semblables accidents ont été si-
gnalés depuis sur bien d'autres points, notamment dans les
Basses- Alpes.
Pour le même motif, la plantation par touffes est à décon-
seiller d'une manière absolue avec le mélèze; dans la pratique,
elle n'est guère utilisée qu'avec les pins.
Plantation en butte. — Ce procédé, imaginé par M. le
baron de Manteuffel (1), consiste à créer de toutes pièces des
buttes ou monticules de terreau sur lesquels on plante. Il a
l'inconvénient de coûter très cher de main d'œuvre ; c'est
une véritable plantation de luxe. D'ailleurs il n'est applica-
ble qu'en forêt, ou, du moins, à proximité de terrains déjà
boisés et pouvant fournir, à un prix abordable, la quantité
énorme de terreau nécessaire, quantité qui peut être
évaluée à 4 mètres cubes par mille plants, soit au minimum
12 à 15 mètres cubes par hectare. Le procédé Manteuffel
n'a du reste été imaginé que pour boiser les terrains tour-
beux dans lesquels on ne pouvait planter directement ; la
butte forme ainsi un sol d'apport tout artificiel dans lequel
s'enracine le jeune plant.
Dans des conditions analogues, on peut employer la
méthode de Biermann, qui conduit à peu près au même
résultat d'une manière infiniment plus économique. On
trace à la charrue, à 70 ou 80 centimètres de distance, deux
sillons ouverts en sens opposé, de telle sorte que la terre
en soit versée sur l'intervalle inculte entre les deux sil-
lons ; on forme ainsi une série d'à-dos régulièrement alignés,
espacés [entre eux de deux mètres, [par exemple, et sur les-
(1) L'art de planler, par M. le baron de MauleulTel, traduit par
S. P. Stumper. Paris, Rothschild, 1868.
LB noisiuivi PAU PLANTATIONS. î<».'<
quels on planté, à distancé convenable, dans nue terre assai
nie, ameublie par l'insolation el enrichie par les débris «le [a
végétation herbacée. Cette préparation doil rire faite quelques
mois avant la plantation, de façon à laisser au gazon renfermé
dans les buttes le temps de se décomposer.
Plantation en corbeilles. — Le procédé eonsiste à creuser
un trou en forme de tronc de cône renversé, ayant de 60 cen-
timètres à 1 mètre d'ouverture et de "25 à 35 centimètres de
profondeur; tout autour des parois de ce trou, on place une
série de basses ou moyennes liges (généralement des feuillus ,
espacées entre elles de 10 à 15 centimètres et disposées à la
façon des baguettes qui forment la carcasse d'un gabion ; on
remplit ensuite le trou avec de la terre meuble, mélangée de
terreau si cela est possible. Dans les sols exposés au soulè-
vement par la gelée, on couvre la terre rapportée avec de
grosses pierres ; celles-ci conservent l'humidité en même
temps qu'elles fixent la surface.
La reprise des plants est assurée et, en espaçant ces trous
de plusieurs mètres entre eux, on crée une série de petits
îlots de verdure ; si l'on a pris soin de planter des espèces sus-
ceptibles de se propager par le marcottage, la végétation s'é-
tale rapidement en zones concentriques et s'avance en raison
du carré des diamètres de chacun de ces cercles mobiles :
bientôt tous les intervalles se trouvent boisés. Ce mode, ima-
giné par M. le conservateur Carrière, alors qu'il était chef
du service du reboisement dans les Basses-Alpes, a été em-
ployé par lui dans les atterrissements du fond du lit des tor-
rents et des ravins, où, complété par le marcottage, il a produit
des résultats parfaits dans des sols qui, au delà de la couche
la plus superficielle, étaient encore réfractaires à la végéta-
tion ligneuse. 11 serait applicable dans maintes circonstances.
Plantation en terrain non préparé. — La plantation en
terrain non préparé consiste à ouvrir dans le sol un simple
trou ou une fente de dimension proportionnée à celle des
racines des sujets à planter; dans ce trou, dirigé soit vertica-
lement, soit obliquement (1), suivant la profondeur du terrain,
(1) M. l'inspecteur Prouvé recommande « d'incliner les plants vers
404 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
on glisse les racines du plant, en ayant soin de les étaler
aussi régulièrement que possible sans qu'elles restent jamais
en pinceau ; puis, on ferme la fente en pressant la terre avec
le pied, ou bien avec l'outil.
Si ce mode primitif a l'avantage d'être très économique, ses
inconvénients sont nombreux ; car les racines des sujets se
trouvent disposées dans un même plan et en situation toute dif-
férente de celle qu'elles devraient occuper normalement;
enfouies dans un sol vierge et pauvre, trop loin de la cou-
che d'humus superficielle où les jeunes plants naturels éta-
lent de préférence leur chevelu, ces racines sont en outre
bien souvent pressées avec exagération par des mouvements
dont il n'est pas facile de mesurer le degré d'intensité, et, par
suite, dans les sols argileux compacts, privées de l'air né-
cessaire à leur respiration. Sans doute, on a peu à craindre
les dégâts du ver blanc ; sans doute, on évite le dessèche-
ment ; mais la végétation reste extrêmement lente; si les
plants ne meurent pas, ils boudent, comme disent les pépi-
niéristes, et, dans cet état languissant, ils risquent d'être
étouffés dans les herbes. D'une manière générale, avec ce sys-
tème, les résultats sont d'autant meilleurs que l'on emploie
des plants plus jeunes et, partout où l'envahissement des herbes
n'est pas à craindre, on se servira avec avantage de sujets
feuillus âgés d'un an et de résineux âgés de 1 à 2 ans, suivant
leur force.
Pour activer le travail, quand on plante en terrain non pré-
paré, on a imaginé, aussi bien en France qu'en Allemagne,
une foule d'instruments spéciaux : bêches, plantoirs, haches,
fourreaux destinés à protéger les racines du plant quand on
les glisse dans la fente qui doit les recevoir. Les outils construits
sur les indications de M. l'Inspecteur Prouvé (1), se recom-
mandent parmi tous les similaires. Avec ceux-ci, un des
meilleurs est certainement le plantoir triangulaire à nervure,
le Midi, afin de diminuer l'effet funeste des rayons solaires sur la tige
au moment de la transplantation ».
(1) lievne des eaux et forêts, t. XVI, p. 305 ; XVII, p. 433 ; XIX,
p. 273 et Prouvé, Régénération /Kir plantation des coupes de futaies,
Paris, P. Mouillot, 1899 {Bull. Société des Agriculteurs tic France.)
LE BOISEMENT PAB PLANT ATlON 8 . U)5
en usage dans le Palatinai qui, tout en donnant le moyen d'ameu-
blir le sol par un mouvement circulaire, permet d'ouvrir des
fentes assez larges dans les boIs forestiers encombrés de racines.
Sans rejeter de parti pris ces instruments qui, dans des cir-
constances données, peuvent présenter des avantagea réels,
il est nécessaire, à leur sujet, de l'aire certaines restrictions :
c'est que, d'abord, un outil, quelque perfectionné qu'il soit,
ne compensent jamais V absence île préparation du lorrain ; —
et qu'ensuite les plantations se font seulement dans un
laps de temps très court, deux mois au plus dans l'année
(3 ou 4 semaines au printemps et autant en automne) ; or,
l'ouvrier, aussi bien le laboureur que le bûcheron, ne
travaille adroitement qu'avec l'outil qu'il a l'habitude de ma-
nier, l'outil du pays, celui avec lequel son père et ses ancê-
tres ont nourri leur famille ; chaque fois qu'on lui change
cet outil, il y a pour lui un apprentissage à faire, et l'on ris-
que ainsi de perdre tout le bénéfice qu'on attendait de l'ins-
trument perfectionné.
Saison favorable à la plantation. — En principe, il est im-
prudent de transplanter un végétal quelconque pendant le
plein de la saison de végétation si l'on ne peut l'arroser et
lui donner tous les soins que comporte cette période de crise.
De plus, on ne peut pas planter quand la terre est durcie par
la gelée : ce n'est qu'exceptionnellement, sous les climats très
doux, que les travaux se prolongent sans interruption
pendant tout l'hiver. Restent donc, dans la majorité des cas,
V automne et le printemps. La question est desavoir à laquelle
de ces deux saisons donner la préférence; nous recommandons
l'automne pour les motifs suivants :
l°les grandes pluies du solstice et les neiges de l'hiver, sur-
venant après la mise en place des plants, font couler les parti-
cules de terre entre les racines ; elles tassent d'une façon
progressive et des plus heureuses le sol fraîchement remué ;
2° chez les sujets mis en terre dès l'automne, il se produit
pendant l'hiver un travail végétatif dont les effets semblent
localisés dans les racines : le chevelu se reconstitue, s'allonge
et facilite l'évolution normale au premier printemps ;
3° on évite le danger des hàles de mars, trop souvent mor-
406 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
tels aux jeunes plants que l'on manipule et dont on expose
plus ou moins les racines au grand air, — nuisibles à la
reprise quand, immédiatement après la plantation, ils souf-
flent pendant de longues semaines, avec une constance déses-
pérante.
M. Duparchy (1) pense qu'on peut planter les résineux dès
la seconde quinzaine de septembre ; dans les environs de
Saint-Claude (Jura), il s'est bien trouvé des travaux faits
dans une saison que d'autres trouveront prématurée. Quant à
nous, nous conseillons d'attendre cette époque de l'année
difficile à définir, mais que savent reconnaître tous ceux qui
ont habité la campagne, où l'on sent que l'on n'est plus en été :
c'est le moment des premiers brouillards, celui où mûrissent
les raisins et les alises, où les grives commencent à passer;
en un mot, vers les premiers jours d'octobre. On plante
d'abord les résineux; quant aux feuillus, qui peuvent être
encore en pleine frondaison, on a la ressource d'enlever les
feuilles, ou mieux encore d'attendre leur chute naturelle.
Dans quelques cas, néanmoins, la plantation de printemps
doit être préférée ; ainsi :
1° dans les climats montagneux, où la brusque transition
des saisons réduit à quelques jours le temps propre aux plan-
tations; là, l'automne n'existe pour ainsi dire pas, et c'est
au printemps, dès la fonte des neiges, qu'il faut planter ;
2° dans les terrains exposés au déchaussement par la
gelée.
Signalons ce fait, bien connu en arboriculture, que les
espèces délicates à feuilles persistantes supportent la trans-
plantation en temps de sève, même à une époque tardive,
tandis que leurs racines mutilées, placées au début de l'hiver
dans un sol bientôt durci par la gelée, ne peuvent assurer
l'approvisionnement en eau nécessaire pour contrebalancer
les pertes consécutives à la transpiration. Mais, en général,
les essences utilisées dans les grands travaux de boisement
sont assez rustiques pour ne rien craindre de ce chef, à moins
(1) Duparchy, Mémoire sur le déboisement et le reboisement dans
la région de Saint-Claude. (Bull. Société forestière de Franche-Comté
et Belforl, septembre 1898).
LE BOISEMENT l'Ali PLANTATIONS. ÎU7
que l'on ait la malchance de subir un hiver exceptionnel par
l'intensité du froid et l'absence de neige.
Quelle que soit la saison adoptée, il ne faut jamais planter
dans une terre trop détrempée, qui se prenne en boue col-
lante, sans qu'on puisse la disposer convenablement autour
des racines.
Application aux principales essences. — Dans les sols
nus, assez profonds pour que l'on puisse y cultiver le chêne,
cette essence est généralement introduite par voie de semis.
C'est elle, au contraire, qu'on a le plus souvent l'occasion de
planter en forêt. Les plants d'un ou deux ans non repi-
qués sont utilisés dans les régénérations de futaies ; acci-
dentellement, on les plante dans les taillis simples exploités
pour leurs écorces ; ces plants n'ont, en général, pour toute
racine, qu'un long pivot presque nu et l'absence de chevelu
rend leur reprise assez chanceuse ; néanmoins, dans les sols
où l'on peut creuser des trous proportionnés à la longueur
du pivot, divers outils spéciaux permettent de les utiliser ;
partout ailleurs il vaudra mieux n'employer que des
plants repiqués après amputation du pivot et mis en
place dans des potets défoncés. Dans les taillis sous futaie,
on plantera des demi tiges ou, tout au moins, des basses
tiges vigoureuses, repiquées une ou deux fois ; le sol sera
cultivé avec soin pour activer, autant que possible, la crois-
sance. Si les pépinières sont mal approvisionnées, il vaudra
mieux s'abstenir, plutôt que de mettre en terre des plants
trop vieux et mal constitués, comme cela se fait trop
souvent.
Le jeune hêtre s'utilise surtout en forêt, soit sous forme de
peuplement principal, soit, comme sous étage, sous des es-
sences de lumière. Dans ces conditions, les plants de deux
ans repiqués réussissent très bien. A défaut de ceux-ci, on a
recours au mode de plantation en mottes ou en gazons : ce
procédé permet de prolonger le travail assez avant dans le
printemps, alors même que les semis ont déjà poussé leurs
premières feuilles.
La plantation du charme est facile ; pourtant cette essence
boude pendant plusieurs années, quand le sol n'est pas frais
408 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
et fertile. Vu le faible enracinement, de l'espèce, employer de
préférence des plants ayant au minimum trois au quatre ans
de pépinière.
Les frênes, les érables, les ormes, disséminés au milieu
d'essences sociales dans les travaux de boisement des terrains
nus, sont, en pareil cas, plantés à l'âge de deux ans, après
repiquage : les semis sauvages sont d'une reprise très incer-
taine. Sous forme d'amélioration, ces espèces sont introduites
dans les coupes de taillis sous futaie, concurremment avec les
chênes : alors comme ces derniers, on les emploie à l'état de
demi et de hautes tiges.
L'aune est d'une plantation facile. On utilise soit des plants de
pépinière de un ou deux ans, soit des semis naturels de deux ans.
Le bouleau est également facile à transplanter dans sa pre-
mière jeunesse ; il l'est moins dans un âge plus avancé et
quand son écorce commence à blanchir. L'âge le plus conve-
nable pour la plantation est de deux à quatre ans ; bien que
les plants de pépinière soient préférables, on peut, nous l'a-
vons vu, se procurer de bons plants sauvages en forêt.
Les saules et les peupliers sont plus souvent introduits
sous forme de boutures que sous forme de plantations.
La plantation du sapin se fait dans les mêmes conditions
que celle du hêtre. La seule différence est que, si l'on plante
à racines nues des sujets isolés, il est préférable de n'utiliser
que des sujets de quatre ans repiqués ; plus jeune, le sapi-
neau, à peine ramifié, est trop délicat. La plantation en
mottes donne aussi d'excellents résultats.
L'épicéa à trois ou quatre ans, le mélèze, le pin sylvestre
et le pin noir à deux ou trois ans sont les espèces résineuses
les plus couramment employées dans les plantations en ter-
rain nu. Ce choix est justifié par la facilité de leur reprise et
de leur frugalité.
Nous devons une mention toute spéciale à l'épicéa. Si le
pin noir réussit dans des sols plus superficiels, si le pin syl-
vestre accepte des sables plus grossiers, c'est l'épicéa, par la
facilité avec laquelle on se le procure dans le commerce, par
la complaisance avec laquelle il reprend presque en toute
station et en tout terrain, qui a décidé les habitants de nos
LE BOISEMENT PAU PLANTATIONS, 109
campagnes à wvcv dans les mauvais sols ce qu'ils appellent
des <( bois de sapins ». Il ne faul point abuser pourtant «le
sa souplesse pour l'employer en tous lieux ou le planter
sans soins, ear, s'il ne meurt pas, il restera chétif et mal venant.
Ajoutons qu'en tout état de choses, sa végétation est très
lente pendant les toutes premières années cpji suivent la
plantation : ce n'est que quand ses branches couvrent bien le
sol, quand il a tué V herbe à son pied, qu'il commence à
s'élancer. Mais, alors, il a bientôt rattrapé le temps perdu 1
Pendant toute cette période d'installation, le feuillage jau-
nit, l'arbre prend une forme buissonnante et son aspect reste
languissant ; dans les terrains susceptibles de s'enherber for-
tement, des sarclages feront le meilleur effet. Cette première
crise passée, on remarque que, sur un même terrain,
planté dans des conditions identiques, avec des sujets
de même origine, un certain nombre d'individus conser-
vent leur feuillage jaunâtre, quand leurs voisins ont revêtu
définitivement la couleur d'un vert bleu qui caractérise l'es-
pèce : les plants jaunes entrent en végétation longtemps avant
les autres, ils sont dès lors beaucoup plus exposés aux gelées
printanières ; leur croissance est plus lente, et dans certaines
terres, ils meurent après avoir langui plus ou moins long-
temps. Ne serait-on pas en présence de ces deux variétés
signalées par M. Brenot aussi bien dans le Jura que dans les
Alpes et qu'il a décrites sous les noms d'épicéa à cônes verts
et d'épicéa à cônes rouges {1) ? Le tempérament de ce dernier
n'est pas sans une certaine analogie avec celui des sujets à
feuillage jaune. Il n'y aurait d'ailleurs rien que de naturel,
puisque les graines du commerce sont récoltées dans les
stations où les deux variétés se rencontrent en mélange.
LepincTAlep réussit, par voie de plantation comme par
voie de semis, dans les conditions de sécheresse qui seraient
fatales à toutes les autres essences ; il lui suffit de quelques
pouces carrés de terre pour qu'il puisse s'installer. Sa végé-
tation est assez rapide pour qu'on mette en place des plants
d'un an.
(1) Brenot, Remarques sur les deux variétés de Vépicéa commun.
Paris, Imprimerie nationale, 1878. (Revuedes eaux etforéls, juillet 1870.)
410
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
On ne plante guère le pin maritime que pour regarnir les
semis directs dont la réussite est incomplète. On prend alors
les jeunes sujets à replanter sur les points voisins les mieux
fournis : l'opération n'offre d'ailleurs aucune difficulté si l'on
n'emploie que des plants âgés d'un an ou de deux ans au
plus.
Soins à donner aux plantations. — La réussite des plants
mis en terre n'est pas toujours assurée, même après une
saison de bonne végétation ; plus les sujets sont forts, plus il
faut de temps pour qu'on puisse répondre de leur avenir, et
la période de crise qui accompagne tout déplacement d'un
sujet, dure, en moyenne, deux ans pour les basses tiges et
trois ans, au moins, pour les hautes. Quelles que soient donc
les précautions prises, on est exposé à voir disparaître un
certain nombre de plants pendant les premières années et
l'on doit considérer la réussite comme bonne, si ce déchet
n'atteint pas 10 p. 100; pour éviter les clairières, il faut
remplacer les manquants dès l'automne qui suit l'époque de la
plantation. On facilite le travail, si, avant de mettre les ou-
vriers en chantier, on parcourt avec soin toutes les surfaces,
pour y compter les pieds manquants et en marquer la place
par des fiches apparentes. En général, il est bon d'employer
des sujets de même essence et de même taille que ceux qu'il
s'agit de remplacer ; cependant, si l'on a tardé plusieurs années
avant de procéder à cette opération, le mieux sera de profiter
de l'abri existant pour introduire dans les places les plus
claires quelques pieds d'essences d'ombre.
Dans les stations fraîches et humides, les basses tiges des
espèces à croissance lente, celles d'épicéa notamment, sont
exposées à être étouffées dans les herbes ; il est indispensable
de nettoyer ces plantations et l'on procède alors d'une manière
analogue à celle qui a été indiquée plus haut pour les semis.
Si, néanmoins, au lieu d'arracher les herbes à la main ou de
les couper à la faucille, on les enlève à la houe, en donnant
une légère culture au sol, on assure la reprise des sujets
ainsi protégés, en activant leur végétation d'une façon tout à
fait exceptionnelle.
La pioche sert encore à butter, au printemps, les tiges
LE BOlSEMBNf PA1 PLANTATIONS. iM
déchaussées par les gelées de l'hiver. Ce travail es( précisé
ment facile dans les terres abandonnées par l'agriculture,
où l'insuffisance du tapis herbacé rend plus fréquent OQ
genre de dommage. D'ailleurs, l'emploi des pierres en cou-
verture prévient le déchaussement et l'envahissement des
herbes.
Le recèpage des plants, au moment de la plantation, est une
mutilation que rien ne justifie, lorsqu'on opère sur des sujets
bien conformés et bien équilibrés ; les brins de deux à trois
ans sortant de pépinière ne doivent jamais avoir besoin
d'être recépés. En effet, le plant déplacé subit une forte crise ;
il n'a pas trop de toutes les ressources qu'il renferme pour
l'aider à la supporter ; à quoi bon, dès lors, le priver de la
réserve alimentaire contenue dans sa tige ? Pourtant, quand
il faut utiliser des plants sauvages, mal équilibrés, pourvus
d'un mauvais enracinement, il est souvent utile de les ra-
battre plus ou moins ; de même encore, dans des stations
très sèches où l'essentiel est de diminuer l'évaporation, on
peut être conduit à restreindre la surface de l'appareil
foliacé en sectionnant la tige ou les rameaux; mais ce ne
sont là que des cas particuliers, et cette pratique ne doit
pas être érigée en principe.
Au contraire, le recépage d'essences feuillues plantées
depuis quelques années, dont la reprise est bien certaine,
mais qui restent languissantes, qui ne poussent pas de tête,
donne les meilleurs résultats. L'opération est trop souvent
négligée et c'est ainsi que l'on voit des chênes ou des charmes
bouder indéfiniment, se recoqueviller sur eux-mêmes, à la
façon des végétaux gelés ou abroutis par le bétail : un coup
de serpe ou de sécateur remplace ce mauvais buisson par
des rejets vigoureux. Toutefois, il ne faut jamais recéper les
sujets plantés sous un couvert, quelque léger soit-il.
Enfin, on évite tout recépage si, aux chênes et aux
charmes, on a eu soin de mélanger des pins, des mélèzes, des
épicéas ou des bouleaux, qui forcent leurs compagnons à
s'élancer s'ils ne veulent être dominés.
La taille des essences feuillues pendant les années qui sui-
vent la plantation n'est pas à recommander en principe ; elle
412 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
ne doit être pratiquée que très sobrement et avoir, pour
chaque individu, un objectif précis : supprimer, par exemple,
une fourche naissante, couper une branche horizontale qui
s'allonge démesurément ou une autre qui se redresse pour
former une double cime. Il ne faut pas poursuivre autre
chose ; c'est en vain qu'on demanderait à la taille de
faire filer les sujets qui lui sont soumis ; l'opération
ralentit plutôt la croissance. A plus forte raison ne
faut-il jamais élaguer les conifères, en dehors des cas sui-
vants : quand, au moment où un jeune plant résineux prend
son essor, il lui pousse deux ou trois flèches, on fait choix
de la plus belle de ces pousses et on rabat les autres ; —
de même, quand les pins noirs d'Autriche se bifurquent à 2
ou 3 mètres au-dessus du sol, il est bon d'enlever, de suite,
une des deux flèches avec un échenilloir] plus tard, la section
ferait une plaie de mauvaise nature ; dans ces deux cas,
au lieu de couper le rameau rez-tronc, il vaut mieux étêter
la pousse de l'année, ou simplement casser le bourgeon ter-
minal ; — on voit quelquefois la tige des jeunes sapins trans-
plantés se couvrir, au niveau d'un ou de plusieurs entre-
nœuds, de véritables branches gourmandes, qui montent pa-
rallèlement à l'axe principal en s'insinuant entre les branches
plus âgées: les brisera la main ou les couper; — M. Mer (1)
indique la possibilité d'activer l'allongement des jeunes sa-
pins par l'amputation ou le raccourcissement des branches
basses, qui s'étalent parfois d'une façon exagérée; nous
n'avons jamais procédé à ces amputations complètes, mais
très souvent nous avons coupé l'extrémité de ces longs
rameaux s'étalant à quelques centimètres au-dessus du sol et
qui semblent concentrer toute l'énergie vitale d'un sapineau :
toujours nous avons obtenu d'excellents résultats; — enfin,
quand un accident a rompu ou froissé la flèche d'un jeune
résineux, il ne faut pas hésiter à faire une section en dessous
la blessure, avec l'espoir de voir une nouvelle pousse se
substituer à l'ancienne.
Certes, tous ces soins sont bien minutieux et leur applica-
(1) Mer, Moyen d'activer V 'allongement des jeunes sapins. (Revue des
eavx et forêts, 1890.
PROCÉDÉS SPECIAUX DE BOISEMENT, \ I 3
lion dans des reboisements de grande étendue serait d'au-
tant plus onéreuse qu'on ne peut en confier l'exécution qu'à
des ouvriers très soigneux. Si donc nous en avons parlé, c'est
qu'ils peuvent intéresser le garde qui, au cours de ses tournées,
trouve du plaisir à rendre meilleure la situation de quelques
plants, ou le propriétaire qui ne craint pas d'utiliser ses loisirs
en veillant sur ses épicéas comme un amateur taille ses
espaliers. Mais, nous le répétons, dans des boisements impor-
tants, le plus simple sera de laisser agir la nature, et de faire
tomber, dans les dégagements de semis et les éclaircies, les
sujets défectueux.
Les dépressages sont moins urgents, sans doute, dans une
plantation que dans un semis bien réussi, — du moins, si
l'on a adopté entre les plants un espacement au moins égal
à un mètre. Mais, quand le cas se présente, il ne faut pas
hésiter à procéder à l'opération.
ARTICLE IV
PROCÉDÉS SPÉCIAUX DE BOISEMENT
Les boutures. — Les plançons. — Les marcottes.
Les boutures. — La multiplication par bouture ne
concerne qu'un petit nombre d'essences indigènes appar-
tenant toutes à la catégorie des bois tendres, notamment :
les saules et les peupliers.
Gomme boutures, on choisit des branches lisses, longues
de 75 centimètres à 1 mètre, âgées de un à trois ans, dont on
retranche les rameaux latéraux en ayant soin de ne pas en-
dommager l'écorce ; la section inférieure de la bouture
est taillée en biseau, à quelques centimètres au-dessous d'un
bourgeon. Les rameaux ainsi préparés sont enfoncés
en terre jusqu'aux deux tiers de leur longueur, de telle façon
qu'il reste en dehors trois ou quatre yeux bien formés.
Plus le sol est sec, plus les boutures doivent être placées
profondément, et c'est en leur donnant une direction obli-
que qu'on a le plus de chance de réussite. Les boutures
reprennent d'autant mieux qu'elles sont mises en terre plus
414 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
vite après avoir été coupées; cependant, comme, le plus sou-
vent, elles doivent être préparées à l'avance pour être trans-
portées au lieu d'emploi, il faut les préserver contre la
sécheresse en les conservant dans l'eau, ou, mieux encore, en
les couvrant de terre dans un lieu frais et exposé au nord, de
façon à retarder autant que possible leur végétation ; car,
dès que les bourgeons évoluent, il est trop tard pour les
mettre en place.
Quel que soit l'état d'ameublissement de la terre, on ne
doit jamais enfoncer directement les boutures dans le sol ;
afin de ne pas détacher leur écorce, il faut les introduire dans
un trou ouvert à l'avance soit avec un pic, soit avec une barre à
mine; elles sont ensuite consolidées par un tassement con-
venable. Dans les terrains très exposés au déchausse-
ment par la gelée, il est prudent de disposer les boutures
très obliquement, presque horizontalement, pour qu'elles ne
soient pas rejetées hors de terre.
Les plançons. — Les plançons ne sont autre chose que de
fortes boutures de lm,50 à 2 mètres de longueur et pouvant
avoir jusqu'à 5 à 6 centimètres de diamètre. Ils sont pré-
parés et mis en terre de la même façon que celles-ci et,
quelle que soit leur grosseur, il ne faut jamais les frapper
pour les faire entrer de force à la profondeur voulue. Les
trous auront un calibre suffisant pour que le plançon puisse
y glisser librement et, pour assurer la reprise, il est utile,
après la pose du plançon, de remplir le vide avec de la terre
meuble et de bonne qualité.
Le mode de repeuplement par bouture est de beaucoup le
plus économique; il ne peut malheureusement être utilisé
que dans les terrains frais et humides et convient surtout
pour fixer les berges des torrents ; dans ces conditions, les
plançons, employés comme piquets de clayonnages, prennent
racine et constituentdes barrières vivantes des plus utiles pour
la solidité et la durée des ouvrages.
Les marcottes. — Le marcottage des branches basses d'un
arbre ou des brins les plus extérieurs d'une cépée permet de
faire rapidement gagner du terrain à un centre de végétation
existant. On peut encore, de la manière suivante, obtenir
LES ESSENCES DE BOISEMENT. 115
des sujets susceptibles de transplantation : il suffit de recou-
vrir le pied (Tune jeune cépée d'une bulle de terre de 15 à
25 centimètres de hauteur et dans laquelle les jeunes rejets
en croissance prennent racine au-dessus de la soin lie; deux
ou trois années après, en rompant la hutte, on trouvera au-
tant de ti^es enracinées qu'il y avait de rejets; détachés au
niveau de la souche, ils pourront être mis en terre à la façon
des brins de semence. Si l'on prend la précaution de taire
une légère entaille au pied des rejets dans la région enterrée,
on facilitera l'évolution des racines.
On sait d'ailleurs que la marcotte fournit un très petit
nombre de sujets relativement à celui des pieds étalons.
En forêt, elle n'est employée que pour remplacer les souches
usées dans les taillis furetés ; elle est au contraire très en
faveur dans les travaux de boisement pour diminuer, dans
la mesure du possible, les frais de plantation, dont le prix
est d'autant plus élevé que les conditions de reprise sont plus
difficiles.
article v
LES ESSENCES DE BOISEMENT
1. GÉNÉRALITÉS.
Choix des essences. — Caractères de la forêt artificielle.
Choix des essences. — Quelles essences employer dans
les boisements? La question est des plus complexes, tant est
grande la variété des circonstances de temps et de lieux, la
diversité des services demandés à l'entreprise.
Aussi, quel que soit le but poursuivi : forêt de rendement
ou de protection, boisement temporaire ou définitif, avant de
rien décider, faut-il se rendre compte des faits.
Caractères de la forêt artificielle. — Quiconque veut
boiser doit tout d'abord se mettre moralement au point; c'est-
à-dire dépouiller le « vieil homme », dont l'esprit est hanté par
l'évolution rapide des cultures usuelles : semer aujourd'hui,
récolter demain. Car la forêt est un au-delà, dont l'avenir
416 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
lointain correspond à une période d'enfantement d'autant
plus longue que les surfaces à mettre en valeur sont elles-
mêmes plus pauvres ou dans un état de dégradation plus
avancé. En toute situation, il faut compter sur le temps, qui
travaille gratuitement, afin d'épargner l'argent, qui fonctionne
à intérêts composés.
D'autre part, quels que soient les régions et les procédés
employés, on constate que tout peuplement créé de main
d'homme ne conserve pas la composition simple et l'aspect
uniforme qu'il doit à son origine artificielle. Bientôt, la nature
intervient pour reprendre ses droits : un véritable travail de
reconstitution s'opère (1), la flore et la faune se modifient
en même temps que le sol prend la consistance de terre à Lois.
On voit ainsi les massifs se modifier lentement pour se rap-
procher sans cesse des types spontanés; alors seulement que
cette forme dernière sera bien acquise, on pourra considérer
le sol comme rendu à la production forestière; car, on ne
saurait trop le répéter, la forêt naturelle est seule durable :
adaptée au sol et au climat, elle porte en elle les remèdes
contre les maux qui peuvent l'atteindre; elle s'est installée
en dépit de ses ennemis et sait au besoin les combattre et
les vaincre. Qu'il s'agisse de boisements, de brousaillements,
d'enherbements, la loi reste la même: elle domine toutes les
situations : méconnaître ses effets serait tenter une aventure.
Si cette métamorphose contrarie parfois le but économique
poursuivi, du moins a-t-elle, au point de vue forestier, un effet
doublement heureux :
1° elle remplace le peuplement pur et uniforme, constitué
le plus souvent à l'aide d'espèces plus ou moins dépaysées, par
des individus dès longtemps accoutumés à la station, c'est-à-
dire plus résistants à tous égards ;
2° elle transforme lentement un sol quelconque en cette
chose toute spéciale et complexe qui constitue la terre à bois.
Ajoutons enfin que, si l'on fait une culture ligneuse tempo-
raire et sans s'inquiéter de l'avenir, on peut, à la rigueur, sacrifier
quelques principes, tandis que la création d'une forêt permn-
(1) P. Fliche, Un reboisement Annales de la science agronomique
française et étrangère 1888).
MBS ESSENCES DE BOISEMENT. 117
ncnlc est toujours subordonnée à la stricte observation des
règles culturales : faire une forôt solide, se régénérant par La
voie naturelle, et cela avec le moins de frais possible, tel est le
bul à atteindre.
Ceci étant admis, nous allons passer en revue les principales
essences indigènes, en indiquant sommairement le parti qu'on
peut tirer de chacune d'elles, tant à l'état pur qu'à l'état mé-
langé; nous renvoyons d'ailleurs au Chapitre II pour tout ce
qui concerne leur tempérament et leurs allures forestières.
Puis, nous donnerons quelques détails sur les espèces exoti-
ques introduites jusqu'à ce jour, en appréciant les services
qu'elles sont appelées à rendre.
2. LES ESSENCES lîs'DIGÈNES.
Essences résineuses. — Essences feuillues. — Les mélanges.
Essences résineuses. — Les essences résineuses se recom-
mandent tout d'abord par leur frugalité. Elles prennent vite
possession du terrain et fournissent à courte échéance des
produits marchands : échalas, perches à houblon, étais de
mine, poteaux télégraphiques, bois de raperie ou de boulan-
gerie. Les espèces de lumière : pin sylvestre, pin maritime, pin
d'Alep, mélèze, épicéa, — ajoutons même le pin laricio noir,
originaire d'Autriche, et qui se comporte chez nous à la façon
des espèces spontanées, — sont toutes à notre disposition.
Nous pouvons choisir. Souvent même, alors que les ressources
locales seront insuffisantes, nous nous adresserons à des formes
étrangères à la contrée ; mais l'expérience de tous les jours
tend à restreindre le nombre de ces auxiliaires. Sachant que
le dernier mot reste à la nature pour arrêter la situation défini-
tive, on ne fait usage que des espèces les plus communes, les
plus rustiques, de celles enfin, qui, douées d'une faculté d'ac-
commodation suffisante, permettent de réaliser au plus. tôt, et
au meilleur marché, le premier état boisé que Ion cherche..
C'est ainsi, que, sur tout le territoire de la France, le pin
sylvestre s'installe facilement dans les sols arénacés de la.
Boppe et Jouykt. -'
418 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
plaine et delà basse montagne, — le pin noir dans les sols cal-
caires, secs, peu profonds de ces mêmes stations, — le mélèze
dans les lieux bien éclairés et bien aérés, — l'épicéa en toutes
contrées froides et fraîches, — le pin maritime sur les sables
siliceux du littoral, — le pin d'Alep sur les rochers calcaires
de la Provence, — le pin de montagne dans les tourbières
alpestres, etc. ..
Ajoutons à ces grandes lignes quelques remarques d'ordre
plus spécial :
Sous le climat parisien, le pin sylvestre pousse encore assez
vigoureusement dans les argiles, pourvu qu'elles ne soient pas
trop compactes; et, dans les terrains calcaires eux-mêmes, sa
croissance, pendant la jeunesse, est plus rapide que celle du
pin noir ; cependant, nous lui préférons ce dernier, dont le
couvert plus épais et les détritus plus abondants améliorent
rapidement la fertilité du sol.
Epicéa et mélèze acceptent toutes les terres, bien qu'ils
préfèrent naturellement les meilleures. On doit, néanmoins,
donner la plus grande place à l'épicéa qui est beaucoup plus
facile à manier : sans doute, le bois du mélèze se recommande
entre tous, même dans les stations basses; mais, employée en
masse, sous un climat trop chaud pour elle, cette essence est
sujette à des maladies qui rendent sa vie précaire.
Dans les régions méridionales, concurremment avec le pin
sylvestre et le pin noir, se présentent le pin maritime et le pin
d'Alep. Si ces deux essences acceptent des sols ingrats, elles
sont sensibles au froid ; il est donc toujours dangereux d'en
tenter l'introduction au nord de leur aire d'habitation. Les
dégâts de l'hiver 1879-80 ont été une dure leçon pour les pro-
priétaires des pignadars de la Sologne et de la Normandie.
Sous les climats franchement montagneux, dont on connaît
le caractère, on utilisera, suivant les cas : le mélèze, l'épicéa,
le pin de montagne et le pin cembro.
Essences feuillues. — En général, la mauvaise qualité des
terres incultes et sauvages que l'on rend à la forêt, aussi bien
que le plein découvert où l'on opère, limitent à un petit
nombre d'espèces le choix à faire parmi les feuillus. Le bou-
leau, l'aune et le saule marceau crnviendraient à peu près
l i v i ssi NCBS DE B0181 MENT. { 1(.»
soûls pour constituer la masse d'un boisement; encore, ce
dernier ne pourrait-il être utilisé, Concurremment avec de
nombreux arbustes et arbrisseaux, que pour servir de premier
abri dans les eas difficiles ; — l'aune s'emploie dans les sta-
tions fraîches et même mouilleuses ; — le bouleau un peu
partout, à cause delà facilité de sa reprise et du bon marché
des plants; mais ce n'est pas une raison pour en trop généra-
liser l'emploi, car les résineux en même situation prennent
plus de valeur que lui.
Kn sol frais et profond, le choix est moins limité; car toutes
les essences de lumière qui prospèrent dans les forêts voi-
sines peuvent être employées. Parmi celles-ci, le chêne se
recommande entre toutes, non seulement par les qualités de
son bois, mais encore par le bon marché avec lequel il est
facile de l'introduire par voie de semis dans les terres qui le
comportent et plus particulièrement dans les champs aban-
donnés par l'agriculture. Les autres ne peuvent guère être
employées sur de grandes surfaces qu'en forme de mélange et
nous allons voir dans quelles conditions.
Les mélanges. — Le mélange des essences dont nous avons
constaté les bons offices dans les vielles forêts en état de ren-
dement (page 113), retr'ouve son utilité, pour des motifs sem-
blables, dans la forêt naissante (1).
Bien que, — nous venons de le voir, — la composition
initiale de la forêt artificielle se modifie sans cesse, il est cer-
tain qu'en jetant, dès les premiers jours, sur un sol nu, des
éléments variés, nous donnons à la nature un plus grand
choix de matériaux, qu'elle façonnera à son gré et, le plus
souvent, au mieux de nos intérêts (fig. 86).
A un fond d'une espèce donnée, choisie comme la plus
avantageuse économiquement, nous en associerons d'autres;
nous adjoindrons, par exemple, des pins et des mélèzes à une
majorité d'épicéas ou inversement. Mais il sera surtout excel-
lent de mélanger feuillus et résineux. Les essences de lumière,
les seules dont il ait été question jusqu'à présent, nous offrent
(1) Mélanges naturels et artificiels, par R. B. — Traduit du Journal
suisse d1 Économie forestière, par P. Poirot, élève de l'Ecole forestière.
Revue des Eaux et Forêts, mars 1900Ï.
420 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
déjà les éléments d'un grand nombre de formules: rien n'em-
pêche, si le sol est profond, de jeter quelques glands dans une
plantation résineuse, de disséminer des charmes dans les par-
ties fraîches, des bouleaux dans les interlignes des sols les plus
pauvres, etc. ; toutefois, en ce qui concerne le bouleau, on doit
se méfier des dommages qu'il cause aux résineux, quand, par
les grands vents, ses rameaux grêles viennent fouetter les
cimes de leurs voisins et en briser les bourgeons.
Puis, dans la solution du problème des mélanges, les essences
disséminées et les essences d'ombre sont appelées, à leur tour,
à nous venir en aide. Dans l'immensité des surfaces à reboi-
ser, il y a place pour tout le monde : c'est précisément le talent
du metteur en œuvre d'y loger chacun chez soi.
Se rencontre-t-il, par exemple, quelques poches de terre,
plus profondes et plus fertiles que l'ensemble, les frênes, les
ormes sont tout désignés pour les occuper. Dans quelles pro-
portions? c'est affaire de fantaisie et de convenance de la part
du propriétaire; mais il conviendra rarement de dépasser le
chiffre du dixième. Partout, — et dans la même mesure, —
des places seront réservées, çà et là, aux grands érables, prin-
cipalement au sycomore.
Un rôle différent est dévolu aux essences d'ombre. On sait
qu'elles ont, en général, le couvert épais ; on connaît enfin
leur tendance envahissante et leur faculté de résister sous le
couvert : toutes qualités dont on doit tirer parti au profit de la
forêt à venir. Leur introduction est chose peu malaisée quand
on y met de la patience, vertu dont il faut toujours être
armé dans une entreprise d'aussi longue haleine que la créa-
tion d'une forêt. Ainsi, dès le début, et partout où le climat le
comporte, on profite de tous les abris qui se rencontrent
sur les surfaces à travailler : touffes de genévriers, buissons
d'épines, haies, rochers, murs, versants rapides sont une
occasion de planter, à leur ombre, au Nord, quelques pieds
de hêtre ou de sapin ; les grosses pierres, les quartiers rocheux
sont surtout précieux, car ils entretiennent un ameublissement
et une humidité dont profitent les racines des plantes les plus
voisines; si, comme cela se présente dans certaines régions,
notamment en Franche-Comté, les friches sont entrecoupées
I i - ESSENCES DE BOISI M I N I
iJl
par ces longues bandes de buissons appelées des lisières ^ on
profitera de leur abri du côté \nn\ pour faire une ou deux
lignes d'espèces d'ombre, la plus voisine de l'abri, en sapin, la
seconde, en hêtre; ailleurs, ce sera autre chose, le principe
422
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
restant le même. Plus tard, quand le moment est venu de com-
bler les vides, on remplace les manquants de la première heure
par des sujets d'ombre. Plus tard encore, une fois le massif
constitué à l'état de perchis, on peut, sous son couvert, créer
un sous-bois en essences d'ombre. Tout cela est facile, il suffit
d'y penser et de vouloir; car, les jeunes plants de hêtre et de
sapin élevés en pépinière et bien constitués sont plus accom-
modants qu'on le suppose généralement ; et, pour peu que l'at-
titude et le climat s'y prêtent, ils ne sont pas réfractaires aux
terrains nus; il en est ainsi dans toute la zone parisienne à
partir de 300 mètres d'altitude, dès que la moindre broussaille
donne un peu d'abri; à plus forte raison en montagne, dans
les genêts et les fougères. Sous les climats plus méridionaux,
il faut renoncer à ces deux espèces et le châtaignier peut
avantageusement les remplacer; en sol sableux, il croît à mer-
veille sous l'ombrage des pins, dont il abrite le pied, en les
préservant des invasions d'insectes.
A chaque pays sa forêt. Cherchez vos auxiliaires et vous
les trouverez ; et si, ce dont nous doutons fort, la flore indi-
gène ne vous donne pas pleine satisfaction, la flore exotique
sera pour vous une suprême ressource.
3. LES ESSENCES EXOTIQUES.
Généralités. — Le choix à faire. — Les essences les plus connues. —
Conclusions.
Généralités. — La flore forestière de France peut certes
suffire à tous les besoins, sans qu'il soit indispensable d'avoir
recours aux espèces exotiques. Telle était, du moins, l'opinion
de notre savant maître M. Mathieu (1).
Avec de semblables richesses en mains, dit-il, il n est d'autre diffi-
culté que celle de choisir, et le choix peut-être fait sûrement, sans
rien laisser au hasard, puisqu'il s'agit de végétaux spontanés, bien
connus, dont les exigences se traduisent par les faits de l'association
la plus simple : sol, exposition, altitude.
Négliger d'aussi vieux amis, dont les services sont certains, pour des
nconnus, des végétaux exotiques, serait peu sage assurément, et per-
(1) A. Mathieu, Le reboisement et le regazonnement des Alpes, p. 25.
Paris, Imprimerie Nationale, 1875.
LES ESSENCES OK BOISEMENT. 133
sonne n'y songe, sans doute. Il peut n'être pas hors de propos, néan-
moins, d'examiner en quelques mots ce que l'on peut attendre des
essais de naturalisation et d'acclimatation en matière forestière. Ce
sera la justification de la réserve avec laquelle cette voie doit être
suivie dans les travaux de reboisement.
Pour qu'un végétal mérite d'être placé au rang des essences fores-
tières, il faut qu'il soit complètement naturalisé, c'est-à-dire qu'il pré-
sente « les caractères des plantes spontanées indigènes, croissant et se
multipliant sans le secours de l'homme, ayant traversé des séries
d'années pendant lesquelles le climat a offert des circonstances
exceptionnelles. » (De Candolle, Gèog. bot., p. 608). Mais, ce n'est pas
tout, il doit encore pouvoir atteindre les dimensions, les qualités qui
ont engagé à en tenter l'introduction, en un mot, conserver dans sa
nouvelle patrie la marche de végétation, la longévité qui lui étaient
propres dans la contrée dont il est originaire ; enfin, il est indispen-
sable qu'il soit social, propre à croître en massif, aptitude refusée à
beaucoup d'arbres, qui recherchent l'isolement et l'état de dissémina-
tion. C'est seulement alors que le végétal aura subi ces longues
épreuves, réalisé toutes ces conditions, que le problème sera résolu,
qu'on sera fondé à en proclamer la conquête.
Alors que M. Mathieu écrivait ces lignes remarquables,
il était appelé à donner son avis, avec toute l'autorité attachée
à son nom, sur une œuvre gigantesque d'un caractère social,
où il n'y avait aucune faute à commettre. La sagesse, comme
la raison, imposaient à celui aux lumières de qui l'Etat avait
recours, de signaler tous les dangers, de prévenir toutes les
aventures.
Nous partageons les idées de notre Maître vénéré, dans ce
qu'elles ont de local et de particulier; mais l'étude des essences
exotiques a fait des progrès depuis vingt-cinq ans, et l'emploi
judicieux de certaines d'entre elles, dans les situations moins
graves qu'un reboisement obligatoire, peut rendre des ser-
vices, ne fût-ce que pour multiplier dans tous les milieux la
série des expériences en dehors desquelles on n'atteindrait
jamais la certitude.
La question d'ailleurs a déjà donné lieu à bien des contro-
verses.
« Les opinions moyennes, fait remarquer M. Hickel (1), sont
« rares : les uns repoussent, presque avec horreur, toute ad-
« dition à notre flore ligneuse indigène ; les autres, moins
(1) Hickel, Un essai d'acclimatation d'essences exotiques h Veinheim.
Orléans, G. Michau et Cie.
i'2i LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
« nombreux ne rêvent qu'exotiques, et peupleraient volon-
« tiers nos forêts d'essences aussi bizarrement choisies que
« variées ». Il y a donc une mesure à garder.
La principale objection que l'on puisse faire à leur emploi
est celle-ci : moins bien adaptées à notre climat que les espèces
indigènes, elles seront éliminées par ces dernières. Mais la
chose n'est pas certaine, et l'on manque d'observations pour
décider de ce qui se passera.
En effet, comme l'a établi M. le Professeur Fliche (1), les
données paléontologiques, de plus en pins abondantes, attestent
d'une façon indubitable que beaucoup des espèces que l'on
cherche à réinstaller dans notre pays y étaient spontanées
à une époque parfois peu lointaine de l'histoire géologique
de notre globe.
Citons, au hasard, les genres Salisburya et Taxodium ;
s'ils ont disparu, c'est que les milieux se sont modifiés dans un
sens qui leur fut défavorable. Mais, à côtédeces formes qu'on
pourrait appeler archaïques, dont certaines n'existent même
plus nulle part à l'état sauvage, il y a des espèces apparte-
nant à des genres modernes] elles ont même, le plus souvent,
des similaires dans notre pays, similaires qui, vivant sous un
autre climat, n'ont pas évolué d'une façon absolument iden-
tique. Qui sait, si, parmi elles, quelques unes ne se trouve-
raient pas, par hasard, appropriées à notre région? qui sait
même si, ayant vécu sous un ciel plus rude, elles ne seraient
pas plus résistantes aux intempéries? Il est certain, par
exemple, que le Chêne rouge d'Amérique s'est mieux com-
porté en France que notre rouvre pendant l'hiver néfaste
de 1879-80. D'ailleurs, même en admettant qu'abandonnées à
leurs seuls moyens de défense elles risquent d'être éliminées de
nos peuplements, n'arriverait-on pas à les y maintenir à l'aide
de sacrifices moindres que ceux qu'entraîne la protection du
rouvre ou du pédoncule contre l'envahissement du hêtre?
Plus grave est la crainte de voir une espèce dépaysée dispa-
raître chez nous, victime d'une maladie jusqu'alors inconnue
ou peu dangereuse dans son pays d'origine.
1 Fliche, Communication faite à la réunion biologique de Nancy,
décembre, 1S97.
mi 5SENCE8 DE B0I8BM1 m , 125
Toutes ces questions, di1 M. l'Inspecteur-adjoini Pardé (1),
appellent L'expérience. Ni nos lois successoriales, ni nos
mœurs Françaises ne favorisent la transmission héréditaire de
grands domaines pendant plusieurs générations, el l'œuvre
d'expérimentation forestière chez les particuliers Beta forcé-
ment rare; les personnes mêmes qui pensent, en principe,
que l'initiative privée doit s'exercer partout où la logique ne
lui impose pas des limites, reconnaîtront que, dans cet ordre
d'idées, l'État, en France, peut et doit faire beaucoup plus
que les particuliers. M. Pardé conclut en émettant le vœu
que les résultats obtenus, aussi bien les mauvais que les bons,
soient portés à la connaissance du public et que les Sociétés
forestières de tous les pays veuillent bien leur réserver une
place de choix dans leurs bulletins.
Nous nous rallions pleinement au vœu de M. Pardé; mais,
en attendant, nous pensons qu'il sera prudent, d'ici long-
temps encore, de confiner les essences exotiques dans un
rôle accessoire, accidentel, en les employant toujours sous
forme de mélanges. Dans ces limites, voyons les ressources
qu'elles nous offrent actuellement, et quelle peut être leur
utilité.
Le choix à faire. — Dès que l'on compare la flore ligneuse
étrangère à celle de la France, on constate combien cette der-
nière, malgré sa richesse apparente, est relativement pauvre,
On sait, en effet, que les végétaux, comme les animaux et
les hommes, ont leurs mouvements de migration, leurs mar-
ches d'invasion. Dans notre vieux monde la loi des transports
a toujours tracé les routes d'exode de l'Est à l'Ouest, —
d'Asie en Hurope. Mais, au fur et à mesure qu'une famille,
qu'un genre s'étendait dans ce sens, il laissait en route des
retardataires : les membres de cette famille, de ce genre, sont
donc moins nombreux à la dernière étape qu'à la première ;
la France est précisément cette dernière étape, dont le point
d'arrêt est fixé par le littoral de l'Atlantique. Pour reconsti-
tuer la liste des retardataires, il nous faudrait remonter
le courant vers ses sources, — vers l'Asie centrale, — où nous
(1) Pardé, Communication au Congrès international de sylviculture,
juin 1900. — Rapport de M. Maurice de Vilmorin.
426 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
trouverions cette flore curieuse que les découvertes récentes
des explorateurs et les remarquables travaux de M. Franchet
commençaient à nous faire connaître. Ce serait, sans doute,
la mine à exploiter pour en faire bénéficier nos forêts.
Dans la pratique et jusqu'à ces temps derniers, on s'est
adressé surtout au Continent américain plus accessible dans
toutes ses parties. Sa flore forestière, mieux étudiée, nous
présente, rien que pour l'Amérique du Nord, dit M. Hickel,
plus de 30 espèces de pins, tandis que l'Europe n'en compte
que 8; — 50 espèces de chênes habitant les régions tempérées,
tandis que nous n'en avons pas plus de 8... Quels mobiles
déterminants nous feront-ils adopter telle de ces espèces
plutôt que telle autre ?
Après la question de rusticité qui domine toutes les situa-
tions, se présente celle de l'originalité. L'espèce adoptée doit,
en effet, posséder des qualités spéciales qui ne se retrouvent
dans aucune des espèces indigènes. A quoi bon cultiver le
hêtre ferrugineux d'Amérique, s'il faut la loupe du bota-
niste pour distinguer les caractères scientifiques qui le
séparent du hêtre commun? A quoi bon, si ce n'est pour le
snobisme du catalogue, cultiver le Sapin de Fraser, le Sapin
haumier ou la Sapinette blanche, qui ne sont que des moules
réduits du sapin pectine ou de l'épicéa, dont ils n'ont ni les
dimensions, ni les qualités, même dans leur pays d'origine ?
Au contraire, on aurait tout profit à multiplier : le Hinoki
des Japonais, dont le bois satiné fait de si belle menuiserie, —
Ahies grandis, Abies nobilis, Abies cilicica, Pseudotsuga
Douglasii, qui atteignent des dimensions inconnues chez nos
sapins, — Abies Nordmanniana, Fraxinus alba, que leur
végétation tardive mettent à l'abri des gelées printanières, —
et d'autres encore... Car nous ne pouvons passer en revue
toutes les formes actuellement à l'étude. Nous recommandons
aux sylviculteurs que la question intéresse, la lecture des
ouvrages et articles publiés à ce sujet (1).
(1) Michaux, Histoire des arbres forestiers de V Amérique septen-
trionale. Paris, 1810-1812; — Sargent, The silva of North America.
Boston et New-York, 1893 et suiv. ; — J. Houba, Les chênes de l'Amé-
riqne septentrionale en Belcfi(iue. Hasselt, 1887; — De Kirwan, Les
LES ESSENCES DE B0ISEM1 M. 127
Les espèces les plus connues. — Toutefois, à ceux qui
seraient effrayés par le nombre et l'importance de ces docu-
ments, nous pouvons, à titre de simple indication, citer les
espèces les mieux connues, celles qui sont d'une utilisation
assez ancienne et assez, courante pour qu'on puisse, Banfl
grand danger, les admettre dans nos cultures.
Les plus rustiques sont, parmi les feuillus:
Le Chêne rouge d'Amérique (Quercus rubia), très em-
ployé en Belgique et dans bon nombre de forêts françaises,
où il se régénère naturellement et montre même des ten-
dances envahissantes. Il se recommande par sa croissance
plus rapide que celle du rouvre, sa forme plus régulière, sa
plus grande résistance au froid, sa fructification plus fré-
quente et plus abondante, son couvert plus épais ; on dit que,
dans son pays d'origine, son bois grossier est beaucoup
moins estimé que celui de nos chênes. Chez nous, dans la
plaine des Vosges du moins, il ne semble pas inférieur à
ces derniers ; cela tient, sans doute, à ce que, jouissant, en
France, d'un temps de végétation plus long que dans son
pays d'origine, il fabrique plus de bois d'été et, par suite,
acquiert plus de dureté et de densité. Il a contribué, dans une
large mesure, au boisement du sol ingrat des Campines belges.
Il a toutefois les allures d'une plante calcifuge et nous ne le
conseillons pas en dehors des terrains siliceux.
Dans la Campine encore, on utilise avec succès le Ceri-
sier tardif (Prunus serotina), espèce américaine très voisine
de notre Cerisier à grappes, très peu exigeante au point
forêts du Japon. Bruxelles, 1887 ; — L. Ussèle, A travers le Japon,
Paris, 1891 ; E. Dupont, Les essences forestières du Japon. Paris, Berger-
Levrault. 1880. — Meyr, Monographie der Abietineen des japanischen
Reiches. Munich, 1890; — Hickel, Les jardins botaniques des bords du
Rhin. Feuille des jeunes naturalistes, janvier 1900; — Dr. Schwappach,
Denkschrift betreffend die Ergebnisse der in den Jahren 188 1-1 890 in den
Preussischen Staatsforslen ausgefûhrten Anbauversuche mit fremdlan-
dischen Holzarten, Zeitschrift fur Forst und Sagdivesen, 1891 ; — Cata-
logue des végétaux ligneux indigènes et exotiques , existant sur le domaine
des Rarres. Paris, imprimerie Nationale, 1878; — De Kirwan. Les coni-
fères indigènes et exotiques. Paris, 1867-1868; — Cannon, Le propriétaire
planteur. Orléans, 1887. — De nombreux articles dans le Rulletindela
Société centrale forestière de Relgique et dans la Revue des Eaux et
Forêts, etc..
428 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
de vue de la fertilité du sol, et dont les dimensions sont
suffisantes pour fournir du bois d'ébénisterie. Ce cerisier
ne paraît pas craindre le calcaire et, comme sa transplantation
est des plus faciles, il semblerait tout désigné pour accom-
pagner le pin Noir dans toutes les terres pauvres des forma-
tions oolithiques. Malheureusement, les plants en sont assez
rares en France, où les pépiniéristes le confondent avec
le Cerisier de Virginie, de forme bien différente et de
qualité beaucoup moindre ; il est cependant facile de les dis-
tinguer : le cerisier tardif a les feuilles aussi vertes sur la
face inférieure que sur la face supérieure, le calice de la
fleur persiste même après la chute des fruits (1).
Le robinier faux acacia que tout le monde connaît et
que nous aurions pu comprendre dans la monographie de
nos essences, tant est grande son expansion sur tous les
points de notre territoire. Rappelons seulement que c'est
une espèce assez exigeante et qui n'atteint toutes ses qualités
que dans les bons sols.
On en pourrait dire autant des platanes, dont le bois ana-
logue à celui du hêtre, a sur celui-ci l'avantage de présenter,
quelqu'en soit le débit, de très belles maillures qui justifient
son emploi en menuiserie apparente.
Parmi les Conifères, on peut admettre, aux mêmes titres
que les précédents :
Le pin du Lord ou pin Weymouth (Pinus strohus), d'un
usage courant dans les reboisements en Allemagne. Il y est
aussi apprécié qu'on l'estime peu en France, où sa mauvaise
réputation tient, sans doute, à ce fait que, grâce à sa crois-
sance très rapide, on le coupe très jeune, alors que son bois
est encore à l'état d'aubier dans toute son épaisseur. Mais, si
on le laisse vieillir, il fabrique un bois de cœur de teinte rosée
et dont les qualités sont au moins égales sinon supérieures,
à celles des bois d'épicéa ou de sapin dont les anneaux
ligneux auraient même largeur que les siens ; les voliges,
même débitées dans l'aubier pur, peuvent être utilement em-
ployées, à l'égal de celles de peuplier, pour les emballages,
fl Le cerisier sauvage d'Amérique, à fruits noirs (Cerasus serotina).
Notice de M. Berger, Annales des travaux publics de Belgique, t. Ier.
LES BSSBNGE9 l>l BOISEMENT. 429
et, à L'usage, elles ne s'arrachent pas en esquilles comme
celles du sapin. Le pin Weymouth accepte tous les Bols, même
ceux qui sont mouilleux ; il est donc tout indiqué, pour
mettre en valeur les terrains de cette nature.
Le Sapin de Douglas (Pseudotsuga DouglsLsii), couvre
déjà de grandes surfaces en Allemagne et en Ecosse. Il
forme des massifs d'une densité extrême et dont l'obscurité
dépasse celle de nos sous bois les plus noirs ; il atteint des
dimensions superbes et son bois de cœur, rouge et d'excel-
lente qualité, se prête aux meilleurs emplois. Il est de re-
prise facile, ne boude pas comme l'épicéa, mais s'élance ra-
pidement à la façon du mélèze. Sans être exclusif, il préfère
les sols siliceux. Par contre, son aubier est toujours très
épais, comme chez les laricios, et un ennemi déjà très connu,
du genre Botrytis, engage à ne pas l'utiliser à l'état pur.
Bien que moins étudiés, en forêt surtout, semblent recom-
mandâmes encore :
le noyer noir [Juglans nigra), qui résiste mieux au froid
que notre noyer commun («/. regia) et dont le bois est très
recherché; de même les Cary a alba, C. porcina, C. amara;
le tulipier [Liriodendron tulipifera), dont le bois très
léger, serré et tendre répond à des besoins spéciaux; il
est recherché par l'industrie du tranchage ;
le cédrèle, Cedrela sinensis, rustique, croissance assez
rapide, bois dense, élastique, résistant;
les planères, Zelkowa crenata, rustique, à croissance rapide,
dont le bois vaut au moins celui de l'orme, et Zelkowa acu-
minata, également rustique, à bois très souple se rapprochant
de celui du frêne
Dans les carrefours, sur les points que l'on voudrait garnir
de plantes ornementales et un peu partout, à titre d'expé-
rience, on peut placer avec des chances sérieuses de réussite
les belles espèces suivantes :
Un sapin : Abies concolor ; — deux cupressinées améri-
caines : le cyprès de Lawson (Cupressus Lawsoniana) et le
Thuia géant (TTiii l'a Lohbii) et deux japonaises : le Hinoki
(Chamœcy paris ohtusa), très rustique sous nos climats, dont
nous avons déjà parlé, et le beau Thuiopsis dolahrata.
430 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Nous serions moins affirmatifs pour le libocèdre (Libocedrus
decurrens) à végétation très vigoureuse, mais qui souffre des
hivers rigoureux sous le climat de Paris.
Dans des circonstances particulières, on peut aussi utiliser :
— si le terrain est mouilleux, submergé même, à côté du Pin
Weymouth : Thuiopsis borealis et Chamœcyparis Nutkaensis
— sur les landes maritimes, les chênes américains : Q.palustris,
Q. Phellos ou encore Cupressus Lamhertiana, et, si le climat
est trop rude pour le pin maritime, le pin raide, Pinus rigida,
qui n'est bon qu'à fixer les surfaces les plus rebelles à la vé-
gétation. — Dans la basse montagne méridionale, au-dessous
de la station du sapin pectine, on peut essayer le cèdre de
V Atlas (Cedrus atlanlica) comme l'Administration forestière
l'a tenté sur les versants du Mont Ventoux et le sapin algérien,
Ahies baborensis vel numidica, qu'il ne faut pas confondre
avec Abies pinsapo originaire d'Espagne. — Enfin si, dans
les terrains siliceux, on veut installer quelque refuge pour le
gibier, on pourra créer des remises avec le petit chêne de
Banister, véritable buisson, dont la fructification est des plus
abondantes et qui fournit des glands recherchés par les
animaux de cirasse.
A titre d'expérience ou d'essai, on peut encore jeter, çà et
là, quelques pieds des érables américains ou japonais, — de
bouleau merisier, bonne espèce sur laquelle nous appelons
spécialement l'attention et que recommandent les qualités
spéciales de son bois, — de mélèze du Japon [Larix leptolepis),
— de divers pins et épicéas : Picea Alcockiana, Picea orien-
talis, Picea alba, Picea Menziesii, Pinus ponderosa, Pinus
Jeffreyi. Ces quatre dernières espèces sont d'origine améri-
caine; habituées au climat excessif du versant de l'Atlan-
tique, elles ont plus de chance de réussir chez nous que les
espèces californiennes qui, à l'instar des formes japo-
naises, jouissent d'un climat marin d'une douceur exception-
nelle, dont on ne trouve l'analogue en France que sur les
confins du littoral réchauffé par le Gulf-Stream.
Mais n'oublions jamais qu'au-delà de cette zone, le climat
de nos plaines, d'allures trop continentales, est souvent meur-
trier pour les plantes à feuilles persistantes.
LA MISE EN VALEUB l'Ait II: BOISEMENT. 131
Conclusions. — Ce court résumé n'a d'autre but que de
bien faire comprendre au lecteur l'importance cjue nous atta-
chons à l'étude des essences exotiques, en l'engageant à recou-
rir aux ouvrages spéciaux ; de bien lui l'aire voir que nous
admettons toutes les tentatives, toutes les expériences —
d'abord en petit — en matière de boisement ; que, loin
d'adopter la formule des feuillus quand même, nous sommes
partisans de l'introduction raisonnée des résineux dans cer-
taines forêts où tant de vides, tant de clairières s'éternisent
dans leur stérilité première, quand depuis longtemps le frugal
conifère les aurait comblés et utilisés.
En un mot, mettre en œuvre les facultés du sol pour obtenir
sur chaque unité de surface le maximum de rendement en
bois, telle est la limite dans laquelle nous comprenons la cul-
ture forestière intensive.
ARTICLE VI.
LÀ MISE EN VALEUR PAR LE BOISEMENT
L. GÉNÉRALITÉS.
Les boisements facultatifs. — Les boisements obligatoires. —
Régie commune à tous deux.
Les boisements facultatifs. — Le boisement est facultatif
quand il a pour but de satisfaire d'une façon directe et immé-
diate à un intérêt privé ; l'intérêt public, lorsqu'il existe, ne
passe qu'en seconde ligne.
Au propriétaire du fonds : Département, Commune, Eta-
blissement public ou Particulier, appartient exclusivement
l'initiative de l'opération. L'Etat peut encourager ce proprié-
taire, l'aider, le subventionner même (1); mais nul ne peut
exercer contre lui aucun moyen de coercition.
Pareille opération doit être fructueuse et le problème finan-
cier se pose dans toute sa rigueur (2). Les données pour le
(1) Lois du 21 juillet 1860 et du 8 juin 1864.
(2) Arthur Noël, Essai sur les repeuplements artificiels, chap. \n
et xiii. Paris, Berger- Levrault et O, 1882.
432 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
résoudre présentent un certain degré d'incertitude, en ce sens
que, si Ton peut se rendre un compte assez exact de la valeur
du fonds, des frais occasionnés par le boisement et de la durée
probable de rengagement du capital avant d'en tirer profit,
du moins ignore-t-on quelle sera la valeur de la marchandise
au terme de cette échéance. Néanmoins, on est à peu près
certain de faire une entreprise avantageuse chaque fois que,
s'adressant à des terres d'une faible valeur vénale, on pro-
cède avec une connaissance suffisante des faits pour réussir
sans engager dans l'opération matérielle du boisement un
capital supérieur à 100 francs par hectare, y compris l'achat
des graines ou des plants.
Les boisements facultatifs se rattachent à l'une des caté-
gories suivantes :
a. les améliorations en forêt',
b. la mise en valeur des terres arables abandonnées par
V agriculture ;
c. celle des terres vaques et incultes en pays de plaines et
de coteaux ;
d. celle des terres stables en montagne.
Les boisements obligatoires. — Chaque fois que Yintérêt
public commande la constitution de l'état boisé comme unique
moyen de défense contre l'action destructive des éléments, le
boisement est obligatoire.
Il en est ainsi principalement lorsqu'il s'agit :
a. de la restauration des montagnes ;
b. de la fixation des dunes.
En semblables conditions l'État, investi par la loi des pou-
voirs nécessaires (1), a la mission de poursuivre l'entreprise
pour la terminer avec succès.
Règle commune à tous deux. — Dès qu'un terrain est
destiné à être boisé, il importe, avant toutes choses, d'inter-
dire l'introduction du gros et du menu bétail de la façon la
(0 Loi du 28 juillet 1860 sur le reboisement des montagnes; —Loi
du 8 juin 186'» sur le gazonnement des montagnes ; — Décret du
10 novembre 1864 pour l'exécution de ces deux lois; — Loi du 4 avril
1882, relative à la restauration et à la conservation des terrains en
montagne ; — Décret du 11 juillet 1882 pour l'exécution de cette loi-
LA MISE EN VALEUR l'Ai; LE BOl i-.Mi.vr. l33
j)lus scrupuleuse. // y a incompatibilité absolue entre !•>
jouissance pastorale et la forêt naissante,
Z. LES BOISEMENTS FACULTATIFS.
a. Les améliorations en forêt : considérations générales. - Applica-
tions dans K-s futaies : — dans les taillis.
Considérations générales. — Bien que la régénération
naturelle soit la base de tout traitement rationnel des forêts,
il faut lui venir en aide dans bien des eas. En effet, quelle
que soit la méthode appliquée, des accidents de force majeure,
des situations particulièrement difficiles, des abus de jouis-
sance, des opérations mal raisonnées peuvent dégrader les
peuplements et en faire disparaître les bonnes essences : ce
qui conduit à les reconstituer par des procédés artificiels.
Mais, avant d'avoir recours à ces moyens extrêmes, tou-
jours très coûteux et dont les résultats sont souvent incertains,
on doit, sous peine de travailler en pure perte, se rendre
un compte exact des faits qui ont amené la dégradation,
pour en faire cesser immédiatement les causes. C'est ainsi que,
suivant les cas, il faut : changer le régime appliqué; régle-
menter le pâturage ou même le supprimer complètement ;
rajeunir les parties sans avenir ; ou encore, augmenter la durée
des révolutions trop courtes et réformer les balivages défec-
tueux. Quand, ces remèdes étant inefficaces, des repeuple-
ments artificiels s'imposent, il y a toujours lieu de les exécu-
ter avec la plus stricte économie.
Lorsqu'il s'agit de réintroduire une espèce précieuse dans
un peuplement d'ailleurs complet, on doit utiliser toutes les
ressources que présente le massif à améliorer; en général, il
suffira de disposer convenablement une faible minorité de
sujets dans la masse des tiges naturelles. L'important est
alors de mettre les nouveaux venus dans des conditions telles
qu'ils se raccordent le plus tôt possible avec leur entourage.
Il est clair que, pour qu'il en soit ainsi, le moment le plus
favorable coïncide toujours avec la naissance du peuplement
à soigner : c'est-à-dire avec l'époque où l'on y provoque une
régénération, soit parla semence, soit par rejets.
Bori'E Ct JOLYET. 2o
434 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Exceptionnellement, lorsqu'on veut créer par voie artifi-
ficielle des sous étages dans des massifs réguliers d'essences
de lumière, il faut procéder quand, ce peuplement étant à
l'état de perchis, on vient d'y pratiquer une éclaircie avec
extraction de toutes les tiges surcimées, — qu'on peut faire
disparaître sans arrière pensée, puisque leur tempérament les
condamne à une mort prochaine et qu'on va les remplacer par
des essences d'ombre. Le sol est alors en bon état de conserva-
tion et, quel que soit le moyen employé, — semis ou planta-
tion, — les sujets introduits réussiront à merveille sous le cou-
vert du peuplement principal.
Enfin, quand il s'agit de vides ou de clairières, il est d'une
bonne administration de les repeupler immédiatement, afin de
remettre aussitôt que possible le sol en état de production.
Applications dans les futaies. — Si, la semence étant
fournie en quantité suffisante par des porte- graines convena-
blement répartis, le sol dégradé n'est pas en état d'assurer
l'installation du semis naturel, toute la dépense se borne à la
préparation du sol par des crochetages; nous avons insisté
dans le chapitre VI, pages 185 et suivantes, sur l'urgence et
les bons résultats de cette pratique.
Si, au contraire, les porte-graines font défaut ou que, pour
tout autre motif, la régénération naturelle soit incertaine ou
impossible, il faut semer ou planter. Dans un peuplement mis
à l'état d'ensemencement, le procédé par voie de semis est tout
indiqué, puisque toutes les conditions favorables sont réunies
pour assurer la germination des graines, — qu'elles soient
apportées du dehors ou disséminées naturellement.il suffit de
déterminer les espaces affectés à l'espèce à introduire et de
disposer les semences de façon à obtenir, soit le mélange
intime, soit le mélange par places ou par compartiments plus
ou moins étendus. La plantation par mottes peut d'ailleurs
être assimilée au semis quant à l'âge, ou, pour mieux dire, à la
situation du peuplement dans lequel on opère.
Certaines circonstances locales s'opposent à l'emploi du
semis. Il en est ainsi quand la semence de l'espèce à intro-
duire fait défaut, ou bien quand ces semences sont exposées
à la voracité des animaux: sangliers, mulots, pigeons ramiers,
LA MISE in VALEUR PAR LE BOISEMENT. i.'C)
pour les glands et 1rs faines, — oiseaux granivores, pour les
espèces résineuses : il est toujours imprudent, par exemple,
de semer en forêt des glands ou des faines apportés du dehors
pendant le cours des années où les chênes et les hêtres n'ont
pas fructifié dans la région. Il faut alors piauler des sujets
aussi jeunes que possible, afin de réduire les dépenses à leur
minimum.
De même, on est obligé d'avoir recours à la plantation pour
terminer des régénérations acquises dans l'ensemble, mais que
la nature a laissées incomplètes; en effet, le plus souvent, on
ne constate ces insuffisances que quand le sol est déjà plus ou
moins dégradé sur les espaces à regarnir. Il est alors trop
tard pour semer, et l'on plantera des sujets dont la force
sera proportionnée à celle des semis naturels qui les entou-
rent. Il faut tenir compte de ce fait que le semis réussit
mieux dans les sols médiocres que dans les terrains fertiles,
où les jeunes sujets naissants sont exposés à être envahis et
étouffés par une abondante végétation herbacée.
Les espaces à repeupler artificiellement dans les futaies
jardinées se présentent, le plus souvent, sous forme de vides
ou de clairières ; comme tels, ils seront remis en état le plus
promptement possible, par les procédés généraux les plus
économiques adaptés aux exigences de la station.
Applications dans les taillis. — Dans les taillis composés,
les repeuplements artificiels doivent être exécutés dans le
même esprit que les dégagements de semis, c'est-à-dire loca-
lisés sur les points où l'état de la réserve demande une amé-
lioration. Aussi, dans la majorité des cas, faut-il planter avec
grand soin, dans un sol bien préparé, des sujets assez forts
pour résister à l'étreinte des rejets. Faire peu, mais ne rien
négliger pour bien faire, tel est le principe dont on ne doit
jamais se départir. Pour tenir compte du déchet, il est
toujours prudent de ne pas planter des brins isolés, mais de
les réunir par groupes de 4 à 8 individus, convenablement
espacés. Puisque l'objectif est ici de créer des ressources pour
les balivages futurs sur les points où la réserve présente des
lacunes, ce sont toujours des espèces de lumière et notamment
des chênes qu'il s'agit d'introduire ; suivant les cas, ormes.
436 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
frênes, érables, peuvent être associés ou substitués aux
chênes. Les plantations seront donc faites en plein découvert,
immédiatement après l'expiration des délais fixés pour l'enlè-
vement des produits. C'est d'ailleurs à cette époque qu'on
peut le mieux juger, en constatant l'état de la réserve, de la
nature et de l'importance des travaux à exécuter. Un procédé
simple et économique consiste à faire ces plantations sur les
emplacements des souches concédées sous forme de menus
produits ; les places de loges ou d'ateliers, les places à
charbon, les chemins temporaires peuvent également être
repeuplés à peu de frais. Ces menus travaux suffisent, dans
la plupart des forêts situées en bon sol, pour entretenir la
richesse du taillis en essences précieuses et pour assurer le
recrutement de la réserve.
Mais les plantations ne sont profitables que si l' on vient pé-
riodiquement les dégager dans la même forme que les semis
naturels ; les deux opérations sont solidaires l'une de l'autre.
Et si, en faisant ces dégagements, on prend la précaution de
donner une légère culture au sol autour des brins plantés,
on leur assure une vigueur telle que l'on pourra souvent les
réserver comme baliveaux à la fin de la révolution au début
de laquelle ils auront été introduits.
Nécessairement ces dégagements sont onéreux; aussi, tout
compté, est-il préférable de planter des moyennes ou des
hautes tiges. Quelques sujets bien soignés coûteront, en défi-
nitive, moins cher que les milliers de basses tiges jetées sans
soin et au hasard, et dont l'entretien sous forme de dégage-
ments nécessite, en même temps que des frais énormes, une
perte de production considérable. Il ne manque pas d'exemple
de ces plantations négligées dont le profita été nul pour la forêt.
On suit des procédés analogues dans les taillis simples
réguliers, soit pour y combler les vides, soit pour y ramener
les bonnes essences, — notamment le chêne dans les haies
à écorces.
Dans les taillis simples furetés, indépendamment des
semis et plantations, on a recours à la marcotte pour rem-
placer les cépées mortes de vétusté.
LA MISE i\ VALEUR TAU LE BOISEMENT. \'^'
b. La mise en valeur des terres arables abandonnées par l'agricul-
ture : conditions du déclassement. — Les procédés de boisement. —
Boisements spéciaux, — Arboriculture fruitière. — Les têtards; les
arbres d'émonde el les ramilles-fourrage.
Conditions du déclassement. — Les motifs qui engagent
à restituer à la forêt les I erres autrefois livrées ;i l'agriculture
se rattachent à des questions économiques; telles sont : l'abon-
dance de la terre arable, le prix élevé de la main d'oeuvre,
la rareté des fermiers, etc. Ces causes sont d'ailleurs pure-
ment locales, souvent même passagères. Ainsi, dans une
province riche en terres fertiles, franchement agricole, où la
main d'oeuvre est chère, où les bois sont rares, on sera con-
duit économiquement à abandonner comme trop mauvaise,
telle terre, qui, dans une autre région moins bien partagée,
serait encore considérée comme d'une culture avantageuse
Quoi qu'il en soit, avec la culture intensive que Ton pour-
suit à l'aide des engrais minéraux, l'étendue des surfaces em-
blavées diminue tous les jours et la contenance des terres
disponibles augmente d'autant. D'ailleurs, on a pu dire avec
raison que « même sur un sol fertile, la forêt peut lutter, par-
fois avec avantage, contre le champ cultivé » (1). M. HùlTel
cite l'exemple de la ferme de Dombasle, connue par sa bonne
exploitation, qui donne à son propriétaire un revenu net de
40 francs par hectare, tandis que la forêt communale de Pont-
à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), qui lui est contiguë et trai-
tée en taillis sous futaie, rapporte 60 francs par hectare et
par an.
Les procédés de boisement. — L'ancienne culture agri-
cole est toujours une excellente préparation pour le reboise-
ment. Elle a d'ailleurs des conséquences pratiques qui in-
fluent sur le choix des méthodes à employer :
1° le sol est débarrassé de la végétation sauvage et meuble,
ce qui rend possible le boisement par semis direct ;
2° il est facile à travailler et suffisamment profond pour
permettre l'emploi de la charrue avec cultures en plein ;
(1) (t. Hïiffel, Sols forestiers et sols agricoles. Nancy, imprimerie
centrale, 1894.
438 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
3° souvent il conserve encore assez de la fertilité due aux
anciennes avances pour qu'on puisse associer une plante agri-
cole aux essences forestières : une plante sarclée avec le chêne,
— une céréale de printemps avec les résineux. La récolte en
grains ou en pomme de terre paie une bonne part des frais
de semis.
M. Henry (1) cite, à titre d'exemple, le décompte suivant
des dépenses et recettes d'une pareille exploitation dans une
région calcaire de la Meuse :
A. Dépenses.
par hectare.
Labour d'automne à quatre chevaux, suivi d'une
légère façon au printemps 70 fr.
Avoine de semaille, 125 kilogr 20
Graine de pin, 10 kilogr 50
Répandage à la volée de l'avoine et de la graine de
pin 4
Hersage et roulage 16
Frais de récolte de l'avoine 30
190 fr.
B. Recettes.
14 hectolitres d'avoine 112 fr.
1 000 kilogr. de paille 30
142 fr,
Excédent des dépenses : 190 — 142=48 francs par hectare (2).
Dans les terres profondes, froides, argileuses sans trop de
compacité, on donne la préférence au chêne. On le sème en
rigoles et, entre les lignes, si l'on ne plante pas des pommes
de terre, on lui associe des espèces à croissance rapide telles
que saules bouturés, ou aunes plantés. Les grandes espèces
disséminées formeront aussi un utile mélange.
Dès que, la profondeur faisant défaut, la sécheresse est à
redouter, on choisira parmi les résineux l'espèce la plus con-
venable à la station. Ces derniers sont, tantôt plantés par
potets, tantôt semés en plein ou en bandes. Les essences
(1) Henry, Un reboisement à bon marché {Revue des Eaux et Forêts,
1er juin 1900).
(2) Voir aussi, pour le reboisement « à bon marché » : l'article de
M. Dufay, dans le Bulletin de la Société forestière de Franche-Comté
et Belfort, de juillet 1899.
I,A MISE IN v.\i.i:i il l'.ui LE BOISEMENT. 139
feuillues disséminées, et les résineux autres que 1<^ espèces
courantes : épicéa, pin sylvestre, etc., sont toujours plan-
tées.
Ajoutons deux observations:
1. dans les régions infestées de lapins, les plants sont infail-
liblement détruits. Les semis, au contraire, ont beaucoup plus
de chances de passer inaperçus ; encore faut-il que le semis
soit fait en plein, les bandes indiquant à ce désagréable ron-
geur qu'il y a des dégâts à commettre ;
'2. le déchaussement est plus à craindre dans les anciennes
terres agricoles que partout ailleurs. Ainsi, au mois de mars
dernier, une de nos plantations a été très endommagée de ce
fait, et cela dans une région où nous n'avions jamais souffert
de pareil accident: mais il s'agissait d'un champ cultivé en
pommes de terre l'année précédente, et dont la terre friable
était dépourvue de toute végétation. Il sera donc prudent,
dans les conditions analogues, non seulement de renoncer au
semis, mais encore de planter des sujets assez forts, âgés de
trois ou quatre ans par exemple ; d'ailleurs, la facilité avec
laquelle se creusent les potets permet de leur donner, sans
augmentation de dépense, des dimensions un peu supérieures
à la normale.
Boisements spéciaux. — L'état morcelé des terres arables
est le principal motif qui détourne le propriétaire d'y créer
une forêt. Aussi, quand une parcelle a moins de 5 hectares
d'un seul tenant, peut-on, tout en la reboisant, orienter sa
mise en valeur vers un but spécial.
Quelle qu'en soit la variété, ces cultures ligneuses ont un
caractère commun : les bois y sont réalisés à court terme et
en bloc.
C'est ainsi que cela se pratique dans certaines contrées
du nord de l'Europe, où l'on fait entrer une récolte forestière
dans la rotation d'un assolement agricole. A cet effet, on boise
le terrain appauvri par une culture vampire en mélangeant
la graine forestière à une demi semence de céréales. On
donne les soins convenables au peuplement que l'on coupera
à blanc étoc, entre vingt et cinquante ans. Après le défriche-
ment du terrain, on profite de son humus pour en obtenir
440 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
deux ou trois récoltes agricoles. Puis on reboise à nouveau
et ainsi de suite.
En France, on peut utiliser de la sorte le pin sylvestre,
le pin noir et le pin maritime. Nous déconseillons le mélèze,
qui, même dans sa jeunesse, ne comporte pas l'état serré, et
le pin Weymouth, bien que ce dernier soit souvent employé
à cet usage dans d'autres pays.
Ailleurs, on supprime l'alternance des céréales, et l'on fait
une culture ligneuse permanente. C'est le cas des taillis de
coudriers, de robiniers et de châtaigniers, qui donnent des
cercles de futaille ou des échalas dans les vignobles, —
des taillis de tilleul dans l'Aube et dans toutes les régions où
les fibres libériennes de cette essence servent comme ma-
tière textile, — des oseraies, — des taillis de micocoulier, etc.
Nous avons dit un mot déjà de ces différentes exploitations
(page 225), renvoyant au Traitement des bois en France, par
M. Broilliard, pour les détails qui concernent leur création
et leur exploitation.
Nous mentionnerons toutefois d'une façon plus spéciale les
taillis de charme créés dans certains pays où la propriété est
morcelée, — sur les coteaux calcaires de Franche-Comté
notamment, — par des cultivateurs qui utilisent ainsi des
pièces de terre de qualité médiocre. La mévente des bois
taillis ne les inquiète pas, car ils consomment des quantités
considérables de bois pour la cuisson des aliments destinés
aux bêtes de boucherie. Au besoin, on brûle le bois de ses
« buissons » et l'on vend sa part d'affouage. C'est une cul-
ture très rationnelle.
De même se recommandent : le bouleau dans les champs
sablonneux ; sa présence est peu gênante pour les cultures
agricoles voisines, — l'aune sur les parcelles de prairies trop
mouilleuses ou trop exposées aux inondations, — et bien
d'autres encore.
C'est là, direz-vous, de l'arboriculture industrielle, plutôt
que de la sylviculture. Peu importe, pourvu que le sol rende.
Nous irons même plus loin dans ce sens.
Arboriculture fruitière. — Alors que les céréales ont
baissé de prix, deux productions restent rémunératrices :
LA MISE EN VALEUR PAH LE BOISEMENT. 441
la viande et les fruits. Toutes doux peuvent s'obtenir de
pair : il suffit de créer des pâtures-vergers, en utilisant
trois choses qui ne manquent pas en France : la terre, l'eau
et le soleil.
« L'arboriculture fruitière, dit M. Ballet, est entrée dans
une voie nouvelle de grande culture et de grande production.
De simple délassement d'amateur, elle est devenue une
branche importante de la richesse nationale en approvision-
nant nos marchés de fruits frais, ou transformés par l'indus-
trie, et en ajoutant une source de revenus à l'exploitation
agricole (1) ».
D'ailleurs entre les cerisiers ou les pommiers l'herbe pousse
abondante, et le kirsch, le cidre, le lait, le beurre se vendent
toujours bien. On a dit, avec raison, que la France était
le « verger de l'Europe » ; c'est ici l'occasion de le rappeler.
Les têtards; les arbres d'émonde et les ramilles-four-
rage. — Dans les prairies humides, sur le bord des rivières
ou des ruisseaux, partout où les gelées printanières rendent
impossible la culture des arbres fruitiers, partout encore où,
bien que donnant la plus large part à la production des her-
bages, on veut néanmoins récolter les produits ligneux néces-
saires au chauffage domestique, les essences forestières réap-
paraissent, mais cultivées sous la forme de têtards ou d'arbres
d'émonde.
Quand on tronçonne la tige d'un arbre feuillu, naturelle-
ment disposé à fournir des rejets, on voit évoluer des rameaux
nombreux dans la zone qui avoisine la section ; ces rameaux
se développent à la façon des rejets de souche. Exploités eux-
mêmes systématiquement à de courtes révolutions, ils for-
ment bientôt, au sommet de la tige mutilée, un renflement
caractéristique, qui a fait donner le nom de têtards aux arbres
ainsi traités.
Le têtard n'est donc autre chose qu'une cépée aérienne, se
reproduisant à l'abri des atteintes du bétail, et dont l'éléva-
tion au-dessus du sol est généralement suffisante pour per-
mettre la circulation des hommes et des animaux sous des
(1) Ch. Baltet, Traité de V arboriculture fruitière, commerciale et
bourgeoise. Paris, Masson, 1884.
442 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
rameaux qui ombragent les pâtures sans les étouffer. Les
saules sont les plus cultivés sous cette forme ; indépendamment
du menu bois qu'ils fournissent, ils contribuent par leur
enracinement à protéger les berges des cours d'eau contre les
érosions et les éboulements. Cependant toutes les espèces
feuillues peuvent accepter ce traitement ; dans certaines
plaines, notamment dans celle des Laumes, on voit des frênes,
des ormes, des charmes traités en têtards.
Les têtards ont un fût trop court et qui se carie de trop
bonne heure pour qu'on puisse en tirer aucun parti. Si donc
on veut combiner une exploitation de rejets sur tige avec la
production du bois d'œuvre, il faut traiter les sujets en arbres
d'émonde. Pour cela, laissant la tige entière, on élague
périodiquement tous les rameaux latéraux, à l'exception d'un
faible bouquet qui reste intact au sommet. Sur cette tige,
chaque branche amputée forme un centre de production,
une façon de cépée, d'où sortent de nouveaux rameaux après
chaque exploitation et dont l'ensemble constitue un véri-
table taillis sur futaie. L'arbre se couvre de broussins, mais
ne se dégrade pas aussi vite que le têtard : son bois madré,
à fibre tourmentée, souvent interrompue par des traces de
cicatrices, reste longtemps sain ; si, à cause de sa structure
irrégulière, il ne peut donner ni sciage, ni bois de fente, du
moins fournit-il à la construction des pièces d'une grande
résistance.
Les peupliers d'Italie, communs autrefois le long de toutes
nos grandes routes, sont le meilleur type d'arbres d'émonde.
Les chênes pédoncules existent encore sous cette forme
au milieu des haies de la Normandie et du centre de la
France. M. Marcel Vacher, — dans un éloquent plaidoyer en
faveur des haies vives, qui fournissent d'excellentes clôtures,
et un abri pour les oiseaux insectivores, — expose les revenus
vraiment merveilleux que l'on peut se créer de la sorte avec
quelque peu de soin et de patience (1). Dans certaines régions
même, clans le Quercy par exemple, rémonde semble métho-
diquement adoptée à un traitement régulier de la forêt : car,
(1) Marcel Vacher, Les haies: utilité, plantation, taille. (Revue des
Eaux et Forêts, le* décembre 1899).
I\ MISE l\ VALEUR PA1 II BOISEMENT. H.'i
dans bon nombre de taillis sons futaie, toutes les réserves
sont émondées, et l'on voit les sous étages en chêne pur, se
développer, à la façon d'un taillis gimple, sous (•<•< futaies,
dont la projection est pour ainsi dire nulle.
Nous n'avons envisagé jusqu'ici l'arbre d'émonde que
comme producteur de bois d'œuvre et de chauffage. Il peut
encore fournir du fourrage et un fourrage apprécie, ainsi
qu'en témoignent les expériences faites à ce sujet de défé-
rents côtés (1).
M. Grandeau (2) à la suite de nombreuses analyses a cons-
taté que les feuilles et les ramilles d'arbres sont beaucoup plus
riches en matières protéiques au printemps qu'en été ; mais,
comme de tous les organes d'un végétal, ce sont toujours
les feuilles qui ont le plus de valeur alimentaire, et comme,
d'autre part, c'est en été que ces feuilles entrent en majeure
proportion dans la masse d'un rameau, il en résulte que l'on
récolte presque autant de substance azotée en cueillant les
branches en août et même en septembre qu'en le faisant aux
débuts de la végétation. D'ailleurs, ces branches feuillées
sont un fourrage d'une réelle valeur : « les foins les plus
riches en matière azotée, tel que le foin des Alpes, dit
M. Grandeau, atteignent seuls la teneur en cette précieuse
substance des ramilles de printemps bien préparées, et sont
très peu supérieurs aux ramilles d'été. Quant aux pailles, elles
se montrent infiniment plus pauvres que les ramilles de bonne
composition ».
Toutefois, cette ramille alimentaire est d'autant plus
nutritive que les parties de l'arbre qui la composent sont plus
jeunes. Elle devra donc être exclusivement constituée « avec
des pousses de l'année (axes et feuilles) et des jeunes bran-
chettes dont le diamètre n'excédera pas 5 à 6 millimètres ».
(1) Cormouls Houles, Utilisation des ramilles d'arbres ensilées pour
V alimentation du bétail. Mazamet, Carazol, 1893.
Circulaire ministérielle de juillet 1893.
Pœssler, Uber Futterworth und Gerbstoffgehalt des Laubes, der
Triebe und der schwachsten Zweige der Eiche, 1891.
Dr Ramann et Iena, Holtzfûtterung und Reisigfiïtlerung. Berlin,
1890.
(2) L. Grandeau, La Forêt et la disette de fourrage. Paris, C. Pariset,
1893.
i44 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Il y a longtemps d'ailleurs que les Romains avaient inventé
l'arbre d'émonde pour suppléer aux prairies fauchées rares
dans leur pays, et pour se procurer le fourrage d'hiver néces-
saire au bétail pendant les courts moments qu'il passait à
Tétable. Cette pratique s'est conservée jusqu'à nos jours telle
qu'elle était au temps de Virgile, dans la plupart des vallées
de nos basses montagnes, surtout dans la France méridionale.
Nous ne pouvons qu'en souhaiter le maintien et l'expansion,
comme un des meilleurs moyens de détourner des forêts le
fléau du pâturage de printemps.
c. La mise en valeur des terres incultes en pays de plaines et de
coteaux : les landes. — Les friches. — Les garrigues.
Les landes. — La lande est caractérisée par la nature sili-
ceuse du terrain. Nous savons que sur de pareils sols le boi-
sement par semis direct donne les meilleurs résultats, pour
certaines espèces, du moins.
On emploiera suivant les cas : pin sylvestre, pin maritime,
chêne, bouleau, en y ajoutant par plantation, si on le juge à
proposées essences exotiques appropriées à la station, notam-
ment le cerisier tardif.
Les landes les plus étendues sont celles de Sologne et de
Gascogne. En Sologne, on fera bien de s'en tenir au pin
sylvestre et au chêne comme essences principales de reboi-
sement. Malgré les désastres que l'hiver de 1879-1880 a fait
éprouver aux nouvelles forêts de pin maritime, bon nombre de
propriétaires reviennent encore à cette espèce à cause de la
rapidité de sa croissance pendant la première jeunesse; avant
de s'engager dans cette voie, on fera bien de considérer que
le pin maritime est loin de présenter tous les avantages qu'on
lui suppose trop généralement (1).
On sème le chêne et le pin sylvestre après trois cultures
agricoles, dont la dernière, faite par petit billons, avec embla-
vure de sarrasin, rend le sol meuble et propre. La récolte
faite, on répand à la volée, sur chaque hectare, cinq hecto-
(1) E. Girard, Traité de sylviculture pratique en Sologne. Romo-
rantin, Joubert éditeur, 1881.
LA MISE EN VALBUR l'Ail LE BOISEMENT. 145
litres de glands, en automne, ou huil kilogrammes de graine
de pin sylvestre, au printemps suivant. La dépense est en
partie payée par la récolte du sarrasin.
Si le terrain n'est pus susceptible d'être ensemencé en
céréales, on procède par bandes; la dépense ne dépasse pas
100 à 120 lr. par hectare. Le semis par potels est surtout
employé pour regarnir les vides dans les parties traitées par
les procédés précédents ; de même encore, dans les forêts ré-
cemment exploitées, où la présence des souches empêche
l'emploi de la charrue. La dimension des bandes et potels
est variable, suivant l'état superficiel du sol : on donne
jusqu'à 1 mètre et lm,33 de largeur aux unes et de côté aux
autres dans les terrains fortement envahis par l'ajonc et la
fétuque bleue ; dans ceux où l'on ne rencontre que de la
bruyère courte, cette dimension est réduite à 40 centimètres
et même *25 centimètres ; la dépense, dans ces dernières
conditions, ne dépasse pas 70 à 90 francs par hectare. Malgré
les bons résultats obtenus par le semis, bon nombre de prati-
ciens préfèrent la plantation bien faite, surtout pour le pin
sylvestre (1).
La région autrefois désolée et malsaine de la lande de
Gascogne s'est transformée rapidement en riches domaines
forestiers, grâce au système d'assainissement appliqué
vers 1850 par M. l'ingénieur en chef Chambrelent. Sur
ce grand triangle dont la surface dépasse 8,000 kilo-
mètres carrés, le sol est formé d'un sable siliceux à peu
près pur. A une profondeur moyenne de 30 à 40 centimètres
règne une couche continue imperméable à laquelle on a
donné le nom d'alios, laquelle est formée du même sable
agglutiné par un ciment de sels de fer et de matières organi-
ques. La présence de ce sous-sol étanche et le peu de relief
du terrain entretenaient dans la région une humidité insa-
lubre, et s'opposaient en même temps à la végétation
ligneuse. Une étude approfondie a permis à M. Cham-
brelent d'y découvrir un système de pentes naturelles et,
par suite, un moyen de l'assainir. De grands canaux ont été
(1) David Cannon, le Propriétaire planteur. Orléans, 1887.
4(6 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
creusés qui déversent les eaux au Sud, vers l'Adour, et au
Nord, vers la Garonne ou les grands étangs qui longent le
littoral : Arcachon, Gazau, Biscarosse, Aureilhan, etc. A ce
système général se rattache tout un lacis de fossés, for-
mant une sorte de drainage à ciel ouvert, et qui vont par-
tout chercher l'eau en excès. Chaque hectare assaini présente
environ 400 mètres courants de ces fossés, dont le prix actuel
ne dépasse pas 15 centimes par mètre (1).
La lande devient ainsi un bon sol forestier, dans lequel
le chêne pédoncule et surtout le pin maritine s'instal-
lent sans aucune difficulté. On connaît d'ailleurs la facilité
avec laquelle le pin maritime se multiplie dans cette région.
Il suffit pour obtenir un semis complet de peler la terre soit
par bandes, soit par trous et d'y répandre 10 à 1 2 kilogrammes
de graines par hectare ; le prix de revient de l'hectare semé
est d'environ 50 à 60 francs. Le chêne pédoncule, encore beau-
coup trop rare jusqu'à présent, y prend aussi de superbes
accroissements. Il serait intéressant, à titre d'essai, d'y tenter
l'acclimatation de quelques chênes d'Amérique à végétation
très rapide, tels que : Quercus ruhra, Q. tincloria, Q. palus-
iris et Q. Phellos.
Les pouvoirs publics devaient donner leur appui à l'œuvre
de M. Ghambrelent : la loi du 19 juin 1857 règle la question
de la mise en valeur par l'assainissement et le boisement,
d'environ 400.000 hectares de terrains communaux, en même
temps qu'elle renferme des dispositions relatives à l'ouver-
ture de routes agricoles.
Les friches. — * La friche est dans les terrains calcaires ce
qu'est la lande dans les sols siliceux. Son caractère est l'irré-
gularité : irrégularité dans la profondeur du sol, le plus sou-
vent assez faible, mais qui peut être nulle quand la roche
affleure, ou au contraire assez considérable dans les poches
ou les crevasses, — irrégularité dans l'aspect de la superficie,
tantôt gazonnée, tantôt recouverte de blocs ou de pierrailles
éparses, de murgers, de débris de carrière ou de vestiges
de clôtures abandonnées ; — irrégularité entin dans la végé-
(1) Croisette-Desnoyer, Notice forestière sur les landes de Gascogne
Glermont (Oise), Daix, 1874*
LA MISE UN VALEUR PAR LE BOISEMENT. H7
talion spontanée: ici, c'est un gazon court et tondu par les
moutons, là, un mélange de piaules aussi variées dans leur
taille que clans leurs espèces, mais souvent Ligneuses et buîfl
sonnantes : coudriers, troènes, trembles, charmes, épines,
genévriers, etc. (fig. 35, p. 137).
Le sylviculteur avisé saura, comme nous l'avons dit, se
plier à cette diversité, et, utilisant chaque chose à sa place,
attendre patiemment, après avoir mis en valeur les meilleures
parties, que la nature se charge de repeupler les mauvaises.
Il convient donc de respecter soigneusement toutes les
broussailles existantes, — il est même bon de receper celles qui
sont trop fatiguées par la dent du bétail, — puis on ouvre des
potets partout où il y a de la terre. Avec un peu d'habi-
tude, on reconnaît vite les bonnes places, que l'on marque par
des jalons; mais le propriétaire devra se charger lui-même
de cette besogne ou la faire exécuter par des hommes de
confiance. En général, où poussent des sureaux hyèbles ou
des épines noires, le sol est profond ; de même, quand on
remarque sur la surface du terrain des sortes de ressauts,
d'escaliers, il y a des chances pour qu'au bas de chaque
contremarche existe une crevasse, une fracture du sous-
sol ; au contraire, la petite terrasse qui forme la marche est
le plus souvent constituée par une roche à fleur de terre. On
vérifie d'ailleurs très vite ce qu'il en est en sondant le terrain
avec une barre à mine.
Tout ce que nous avons dit à propos des essences indique
suffisamment à chacun ce qu'il peut planter et comment il
doit s'y prendre, en utilisant tous les abris naturels et toutes
les ressources locales. Dans les friches, plus que partout
ailleurs, il faut faire preuve d'opportunisme et songer aux
petites recettes.
C'est ainsi qu'il peut être permis d'avoir recours au semis
direct, en terrain non préparé dont M. l'Inspecteur des
forêts Pierre Leddet signale les excellents résultats (1) :
dans les friches de Reuilly et Saint-Georges (Indre), on
a jeté à la volée 10 kilog. de semence (8 kilog. de pin noir
(1) Bulletin de la Société des Amis des arbres^ n° 25, 1899i
448 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
et 2 kilog. de pin sylvestre) par hectare ; avec un double her-
sage à tour croisé suffisant pour recouvrir la semence, les
frais n'ont pas dépassé 58 francs par hectare, y compris l'achat
de la graine. Le résultat a été parfait et les massifs de plus de
30 ans sont très beaux. Il s'agit d'un terrrain appartenant
au groupe corallien de l'oolithe moyenne, aride au point
d'être appelé Champagne', la nature filtrante du sous-sol,
fissuré en tous sens, draine les surfaces sans permettre à la
capillarité d'y faire rencontrer les eaux profondes ; la mince
couche de terre ne conserve quelque fraîcheur qu'en raison
de son état de tassement : tout ameublissement, toute culture
ne feraient qu'en augmenter l'extrême sécheresse. En sem-
blable situation, on peut procéder de même; mais pour être
certain de réussir, il faut comparer la flore sauvage des
deux stations î car rien ne fait mieux ressortir l'analogie
des milieux que la présence simultanée des mêmes plantes :
arbustes, herbes, mousses ou lichens.
A titre d'exemple, nous citerons encore l'intéressante
étude de M. Duparchy (1), où l'auteur décrit le procédé
qu'il a mis en usage pour boiser des versants chauds pauvres
en humus des environs de Saint-Claude, dans le Jura :
.. . On doit tout d'abord renoncer à la satisfaction de faire des plan-
tations bien alignées, contenant le nombre réglementaire de plants à
l'hectare... il faut se borner à mettre ceux-ci au hasard des places qui
semblent propices, de préférence tout contre un buisson, si petit
soit-il, et le plus possible du côté nord. J'ai acquis la conviction que
là où végète un buis de médiocre vigueur, là aussi peut vivre et pros-
pérer un épicéa, à toute exposition, sauf peut-être le plein midi;
mais à la condition que le plant sera placé de manière que ses racines
soient en contact immédiat avec les racines du buis et, par consé-
quent avec l'humus qui entoure celles-ci... Comme il s'agit ici d'un
sol pierreux et pauvre en terre végétale, on devra s'abstenir de faire
des trous à l'avance et à la pioche, ce serait s'exposer à perdre le peu
d'humus qu'on aurait déplacé... Il est préférable de se servir d'une
forte barre de fer ou sorte d'épieu terminé, à une de ses extrémités,
par une pointe aciérée, et à l'autre, par une tête arrondie. Avec la
pointe on sonde le sol, et, quand on a trouvé un fond suffisant, en
agitant la barre, on élargit le trou assez pour pouvoir y introduire le
plant. Quelques coups donnés avec le pommeau serrent la terre contre
les racines.
(1) Loc. cit. page 406.
LA MISE IN VALEUR PAS LE BOISEMENT. 14(.)
A chacun de s'ingénier!
Les garrigues. — La garrigue, c'est la friche sous le soleil
du midi. On peut la boiser, grâce au pin d'Alep et au chêne
vert, qui réussissent partout où le vent n'est p;is trop violent.
( >n peut encore y introduire des plantes ligneuses diverses,
arbrisseaux ou sous-arbrisseaux, tels que le sumac fustet,
l'épine-viiiette, qui ont des emplois industriels, et surtout le
buis, si recherché des tourneurs, mais qui se l'ait rare dans le
midi comme dans le Jura. La bruyère en arbre, l'arbousier
sont dans le même cas.
Enfin, les garrigues pourraient être transformées en pâ-
tures ligneuses ; diverses espèces de genêts, de saules, de
peupliers, le noisetier, les variétés de robinier sans épi-
nes, etc., présenteraient des ressources sous ce rapport.
« Je suis convaincu, dit M. Lecoq (1), que la plupart des ter-
rains secs, des pacages, par exemple, donneraient d'aboli
dantes feuillées, bien supérieures en quantité aux maigres
plantes herbacées qui les couvrent ou que l'on peut y semer,
si on y plantait des arbres à feuillage, dont les souches, tail-
lées chaque année, donneraient en abondance des jeunes
pousses qu'une sécheresse prolongée ne saurait détruire,
comme elle arrête la végétation des prairies. »
M. Grandeau (2) cite dans une brochure signée M. A. P. et
imprimée à Bourg, les lignes suivantes, qui peuvent trouver
place ici, bien qu'intéressant une autre région de la France :
Dans quelques parties du haut Maçonnais, on coupe, au mois de
septembre, les taillis de l'âge de six ans pour fourrage, et on les vend,
à cet âge^ aussi cher que si on les vendait à dix pour le bois seule-
ment... On coupe les branches pour feuillées, avant les brouillards^
autant que possible, par un beau jour d'automne, et on fagote le len-
demain, alors que la feuille s'est un peu fanée au soleil...
L'utilité de ces fourrages ligneux étant ainsi bien démon^
trée, nous ferons seulement à leur emploi deux objections :
1. 11 ne faut employer qu'avec prudence, dans l'alimentation
du bétail, les ramilles ou les jeunes pousses dont l'usage n'est
(1) Traité des plantes fourragères. Paris, Librairie agricole de la
maison rustique, 1862.
(2) Loc. cit.
BoprE et Joi.tet. 29
450 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
pas courant : des indispositions, ou, tout au moins, des sym-
ptômes suspects se sont produits déjà à différentes reprises;
ainsi, les hématuries qui sont attribuées à l'abus des papilio-
nacées. De plus, quelles que soient les essences, les feuilles
vertes récoltées au premier printemps amènent des désordres
analogues à ceux qu'on appelle le mal du brou ou la folie des
chevreuils, chez les bêtes fauves.
2. Un terrain quelconque, — mais surtout un terrain
pauvre et superficiel, sous un climat chaud, — consentira-t-il
à produire des récoltes indéfinies et quasi annuelles de four-
rage ligneux? Il s'épuisera sans aucun doute, car on n'a pas
la prétention de fumer de pareilles cultures comme on le fait
pour les oseraies, — mode d'exploitation analogue et dont
on connaît les exigences. — Nous avons aussi souvenance de
certaines landes des environs du Mans où, à force de couper
la bruyère, on est arrivé à un état d'appauvrissement tel
qu'elle-même s'est refusé d'y croître. Pourtant, s'il est un
végétal frugal, c'est bien la bruyère!
Quoi qu'il en soit, nous concluons qu'au lieu de mener le
bétail pâturer en forêt, ce qui entraîne le gaspillage, le tasse-
ment du sol, la perte des engrais, le mieux serait, au point
de vue agricole comme au point de vue forestier, de récolter
les feuilles vertes, en cas de pénurie de fourrage, ou de cou-
per au sécateur les jeunes ramilles feuillues, de préférence
en juin, juillet et août, dans les coupes destinées à être exploi-
tées l'hiver suivant.
d. La mise en valeur des terrains stables en montagne : les procédés
de boisement. — Les prés-bois.
Les procédés de boisement. — Dans les massifs monta-
gneux qui, par suite de leur âge géologique, de leur nature
rocheuse, de la végétation herbacée ou ligneuse protégeant
les surfaces, semblent avoir acquis des conditions définitives
d'équilibre, la dénudation se présente sous forme d'accidents
purement locaux : les torrents dangereux n'existent pas. Les
reboisements conservent alors leur caractère de mise en
valeur et d'utilité privée : ils restent facultatifs. A cette caté-
LA MISB i:n VALEUB l'Ali LB BOISEMENT. 451
gorie appartiennent les Ar donnes, les Vosges, Le Jura, le
Morvan, le Plateau central, les collines de Bretagne el les
montagnes basses des Maures el de l'Esterel.
En toutes ces régions, on peut procéder à l'aide des seuls
moyens déjà cités : rien de spécial ne doit précéder
ou accompagner l'opération. 11 sullit de choisir les essences
les mieux appropriées au sol et au climat, en tenant compte
de l'altitude, et de suivre les procédés les plus économiques
suivant les ressources locales. S'il se présentait quelque diffi-
culté, elle serait facilement résolue grâce aux indications
données plus loin, à propos des boisements obligatoires en
montagne.
Les prés-bois. — Mais ici encore, plus qu'ailleurs peut-
être, il y a lieu pour un propriétaire de bien peser si son
intérêt est de boiser partout et à tout propos, s'il ne convien-
drait pas, au contraire, de réserver une place à la production
des herbages ou, mieux encore, d'associer sur certains espaces
l'exploitation forestière et l'exploitation pastorale.
Cette association existe dans la forme excellente du pré-bois.
Dans le Jura, ces sont de bouquets d'arbres disséminés en
îlots parmi les pâtures et constitués par des essences diverses,
dont les plus importantes sont : le hêtre, le coudrier, l'épicéa
et le sapin. Ces deux dernières se trouvent quelquefois à l'état
de sujets isolés et prennent alors une forme spéciale et pitto-
resque, comme on se plaît à se représenter les anciens cèdres
des montagnes du Liban. Dans les Alpes, l'espèce habituelle
est le mélèze qui, par tempérament, accepte mieux la forme
de « clairs-bois », dont le sol couvert d'herbe est pâturé ou
iauché (fig. 87). Dans les Pyrénées, le pin de montagne,
le sapin et le hêtre se prêtent à cette double culture.
Nous prendrons pour type les prés-bois du Jura, qui passent,
à juste titre, pour les modèles du genre (fîg. 88). Les vallées de
la Suisse, celles de la Savoie en possèdent aussi de très beaux
exemples, et l'administration des Eaux et Forêts emploie tous
ses efforts à en généraliser l'usage aussi bien dans les Alpes
que dans les Pyrénées et dans le Plateau central (1).
(1) Gebhart, Pâturages et forêts. Paris, Berger-Levrault, 1889.
152
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Un pré-bois, dit M. Broilliard, est un terrain, mi-partie en prairies
ou en pâturages à peu près dépourvus d'arbres, et mi-partie en bois
à l'état de bouquets ayant une certaine consistance ; les arbres isolés
n'y sont qu'exceptionnels. Les parties déprimées, doucement ondulées,
fraîches, riches en terre végétale, sont laissées à l'herbe, qui s'y déve-
loppe abondante, grâce aux rosées et à l'abri des arbres voisins.
Ceux-ci, occupant les hauteurs, les pentes raides, les parties pauvres
ou rocheuses, forment des massifs, des bosquets, des lisières, défendus
sur les bords par des buissons et des arbres de tailles diverses qui en
font comme une masse de feuillage (1).
Fig. 87. — Clairs bois de mélèzes au Lautaret. (Photographie
de M. S. George.)
Rien de frais et d'agréable à l'œil comme ces véritables
parcs, sortes de jardins anglais qu'animent les magnifiques
troupeaux jurassiens. Rien aussi de mieux compris au point
de vue utilitaire.
Au bénéfice cultural que le voisinage des arbres entretient la
fraîcheur dans ces prairies sur sol naturellement sec et super-
ficiel, s'ajoute le profit que l'on tire du bois. Les boqueteaux
fournissent les perches nécessaires à l'édification des clôtures,
le chauffage indispensable pour la fabrication du fromage et des
épicéas, des sapins, qui, s'ils n'ont pas comme bois de sciage
et comme bois de fente toutes les qualités de leurs congé-
nères des futaies voisines, trouvent pourtant acquéreur dans
des conditions très acceptables ; enfin ils abritent le bétail
(1) Broilliard, loc. cit., édition de 180 J, p. 359.
LA MISK EN VALEUR TAU LE BOISEMENT.
453
contre les ardeurs du soleil, contre la pluie <>( la (empote.
Mais, si l'on n'y prend garde, un des associés absorbe
l'autre et la faillite générale esl fatale. En fait, c'eal toujours
l'arbre qui succombe victime de l'herbage ; cherchons le
motif et le remède :
D'abord, là comme en forêt, l'arbre est un capital, dont
la réalisation (ente toujours le propriétaire. De plus, sur les
Fig. £8. — Un pré-bois près de Leviers (Doubs). (Photographie de
M. Juvanon du Vachat).
surfaces en prés-bois, on ne peut pas indiquer par des chiffres
les étendues relatives des pâtures et des boisés : le rapport
varie à l'infini suivant l'état des lieux; l'essentiel est de mettre
chacune des deux exploitations aux points que lui assigne
la nature, en affectant aux arbres les endroits rocheux et
les pentes rapides, car, quelles que soient les précautions
prises, tout versant un peu incliné se dégrade quand il est
livré au parcours.
Une fois reconnue la place faite au bois, pour y maintenir
ou pour y installer les essences ligneuses, il suffit de mettre
454 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
à profit un fait d'observation : l'union intime qui existe entre
l'arbre et le buisson. Partout, en effet, nous voyons les
bouquets de hêtres ou d'épicéas maintenus à l'abri de la dent
du bétail par une ceinture d'épines, de genévriers, véritable
rempart plus ou moins abrouti, mais qui supporte tous les
mauvais coups. La chose est plus frappante encore, quand on
assiste à la formation naturelle d'un pré-bois : comme dans
toute forêt naissante, les arbrisseaux s'installent les premiers,
— arbrisseaux épineux pour la plupart — et, quand ils ont
pris possession du sol, les semis des grands arbres se jettent
dans le fourré.
Utilisons donc tous ces auxiliaires dévoués et, quand ils
font défaut, remplaçons-les par des obstacles inertes.
Ainsi, dans le Jura, on entoure de fagots d'épines les jeunes
plants d'épicéa. Aux environs d'Ischl, dans le Salzram-
mergut, on nous a montré des plantations faites au milieu
de pâtures et que protégeaient efficacement des planchettes de
4 à 5 centimètres de largeur dépassant le sol de 20 à 30 cen-
timètres, et fichées près de chaque sujet ; ce modeste obstacle
suffisait à empêcher les vaches de poser le pied sur le jeune
épicéa ou de brouter dans son voisinage immédiat. A notre
avis, le meilleur est encore la clôture continue en ronce arti-
ficielle, en fil de fer galvanisé ou en palissade « à la suédoise ».
Ces défenses, utiles partout, sont indispensables autour
des parties nouvellement boisées ; elles n'empêchent pas
d'ailleurs le bétail de venir chercher près des arbres l'ombre
et la fraîcheur.
Les herbages réclament aussi nos soins. Le plus efficace
est un bon aménagement, laissant à chaque pâture, à tour de
rôle, un repos de deux ou trois années, pendant lequel
l'herbe fatiguée « se refait » ; les vides disparaissent, les bon-
nes espèces fructifient. Cette jachère, revenant tous les huit
à dix ans, remplace l'engrais que l'on donne aux prairies de
la plaine. D'ailleurs, le propriétaire qui comprend son intérêt
profite de ce moment pour épierrer le pâturage, pour arra-
cher la gentiane, le véraire, le genêt sagitté, les aconits, les
linaigrettes, les euphorbes et autres mauvaises plantes, —
pour défricher aussi les genévriers et les épines, là où l'on ne
LA MISE in \ Al.KUlt r\i: LE BOISEMENT. 155
veùl pas que le l)nis s'installe, — pour étendre les fourmi-
lières et les taupinières — pour semer un peu de bonnes
graines dans les vides, etc., etc., — toutes précautions que
nous avons entendu recommander sijustemenl aux éleveurs
jurassiens par M. L'Inspecteur Cardot. Il en est de ceci
comme des dégagements de semis: un bon pâtre, aussi bien
qu'un bon garde, peut, le plus souvent, suffire lui-même à la
besogne. L'un et L'autre méritent d'en être bien récom-
pensés.
Mais, qu'il s'agisse du Jura, des Alpes, des Pyrénées ou
du Plateau Central, tous ces soins sont perdus si chèvres et
moutons sont admis au pré-bois. Seules les bêtes bovines en
méritent les honneurs.
3. LES BOISEMENTS OBLIGATOIRES.
a. La restauration des montagnes: les causes de la dénudation. — Lu
méthode de travail suivie. — Les travaux de soutien. — Les boise-
ments proprement dits; — traitement des parties stables; — des
parties mouvantes; — des terres noires. — Les enherbements. —
Le gazonnement. — Conclusion.
Les causes de la dénudation.
Deux forces antagonistes se trouvent en présence dans les Alpes,
dit M. Mathieu (1), et de la prééminence de Tune ou de l'autre, dépend
la ruine ou la prospérité du pays. La première est la force de dénuda-
tion qui démolit les crêtes, ravine les versants, comble les vallées,
porte partout la dévastation. La seconde est celle de la végétation,
victorieuse autrefois , vaincue aujourd'hui par l'aveuglement de
l'homme, qui a tout fait pour l'amoindrir et a causé la disparition du
tapis de verdure, auquel il devait aisance et sécurité ; toujours prête
cependant à cicatriser les plaies, à réparer les désastres.
Les phénomènes de dénudation sont de deux ordres et, suivant la
cause qui les détermine, doivent être subis ou peuvent être prévenus.
Parmi les premiers, se rangent les éboulements qui se produisent au
pied des hauts escarpements calcaires, les chutes de rochers, les glis-
sements lents ou subits de terrains parfois étendus, qui descendent à
des niveaux inférieurs, avec maisons, forêts et pâturages. Les exemples
de ce genre ne sont pas rares... Ce sont là des conséquences inévi-
tables de la constitution géologique des Alpes ; soulevées à des
époques relativement récentes et formées le plus souvent de terrains
sédimentaires ou métamorphiques, alternativement délayables et résis-
(1) Mathieu, Reboisement des Alpes, page 8.
456 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
tants, elles n'ont point encore pris leur assiette et la doivent prendre ;
nulle force humaine ne saurait s'y opposer.
Mais à côté des faits de ce genre, locaux et accidentels en défini-
tive, il en est d'autres d'un caractère plus général, auxquels revient la
plus large part des ruines dont les Alpes sont couvertes. Ceux-là peu-
vent être prévenus : reboisement et regazonnement en fournissent les
moyens certains.
Ces moyens d'action sont exposés avec détail par M. l'Ins-
pecteur général Demontzey (1). Les procédés mis en œuvre
sous son habile direction dans les Alpes françaises sont
applicables à toutes les autres régions montagneuses, car
cette contrée, la terre classique des torrents, présente les
plus grands exemples de la dévastation et les difficultés les
plus sérieuses. C'est à l'ouvrage de M. Demontzey et au
rapport de M. Mathieu que sont empruntés la plupart des
renseignements qui vont suivre.
D'ailleurs, en dehors des grands cataclysmes qui ont pétri
la surface du globe pendant la suite des âges géologiques,
nous voyons autour de nous la nature tout former et tout
détruire à l'aide des infiniments petits : la goutte d'eau et
la cellule végétale jouent le rôle fondamental dans tous ces
phénomènes.
Spécialement en ce qui concerne l'érosion des montagnes,
l'observation des faits a démontré que les torrents ont pour
cause première le déboisement et l'abus du pâturage. C'est
par la reconstitution des forêts et des pâtures que nous par-
viendrons à les éteindre.
La méthode de travail suivie. — Dans l'ensemble de la
région dévastée, on a procédé à la reconnaissance des torrents
en activité, et délimité sommairement, pour chacun d'eux,
le bassin de réception des eaux dangereuses. En présence
de l'immensité du travail à accomplir, la méthode comman-
dait de concentrer tous les efforts, toutes les ressources dis-
ponibles, sur un petit nombre de points choisis parmi ceux
où le danger était le plus imminent. Au début surtout, il
fallait aboutir, et c'est en fractionnant la tâche qu'on a
réussi.
(1) Demontzey, Etude sur les travaux de reboisement et de regazon-
nement des montagnes. Paris, imprimerie Nationale, 1878.
LA MISi: EN VALEUR l'AK II' BOISEMENT.
A*\
i 57
On peul envisager le versant d'une montagne déboisée comme
constitué par une série dr à-dos, donl la ligne médiane serait
dirigée suivant la pente et séparés les uns des autres par des
ravins plus ou moins profonds, parcourus ou non, en temps
ordinaire, par un ruisseau, mais où se précipitent, lors des
grandes pluies ou des grandes fontes de neige, des masses
énormes d'eau chargées de boue et roulant des blocs de
rochers.
11 faut donc :
1° enrayer la vitesse des eaux au fond des ravins; c'est la
Fig. 80. — Un grand barrage. (Photographie de M. P. Hirsch.)
première chose à l'aire, car le torrent, affouillant la base des
berges, provoque le glissement de pans énormes de terrain;
!2° fixer les surfaces des à-dos par une végétation herbacée
ou ligneuse qui, arrêtant les eaux de ruissellement dans leur
parcours, empêche qu'elles se précipitent en masse dans les
ravins où leur afflux presque instantané produit le phénomène
torrentiel.
Ainsi : consolider les masses, et fixer les surfaces, tel est
le but à atteindre. Ajoutons que les torrents accumulent au
bas des pentes, en arrivant dans le thalweg principal, des
458 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
masses énormes de détritus, qui constituent le cône de déjec-
tion et qu'il importe aussi de boiser.
Les travaux de soutien. — On obtient la consolidation
des masses par une série de travaux établis dans le lit même
du torrent et qui, depuis le barrage monumental en maçon-
nerie jusqu'au simple clayonnage, soutiennent la montagne
de la base au sommet (fig. 89 et 90).
Le principe est, en général, de couper le lit du torrent par
des barrages qui diminuent la vitesse d'écoulement des eaux
et provoquent par suite le dépôt d'une partie des matériaux
qu'elles charrient: terres délayées, blocs de pierre, etc..
Ainsi se forme en amont de chaque barrage un atterris-
sement, et le profil en long du ravin perd son irrégularité
primitive pour se transformer en une série de parties en pente
douce séparées par des cascades. Dès lors, les eaux ri a /fouil-
lent plus le bas des berges, qui sont même rechaussées par
l'atterrissement. Ce sont là des travaux d'art ; mais le forestier
qui les conduit a souveni besoin de faire œuvre de sylvicul-
teur, pour consolider et défendre immédiatement ses travaux.
Il en est ainsi quand il installe des barrages vivants, dans
lesquels entrent de fortes boutures ou plançons, qui, tout en
remplissant le rôle de pieux dans la carcasse des ouvrages,
sont destinés à s'enraciner et augmentent, par leur grossisse-
ment, la résistance à la poussée.
S'agit-il de fixer des berges fraîchement décapées ou des
talus en voie de règlement, on a recours à des planta-
tions qui prennent alors le caractère de fascinages vivants,
dont la disposition varie suivant les circonstances. Le
plus souvent, on trace dans les berges une suite de rigoles
horizontales d'une largeur proportionnée à la nature plus ou
moins meuble du terrain et éloignées en raison des pentes,
qui atteignent parfois 100 à l'20 p. 100. Pour établir ces
haies de soutien, le regretté M. Couturier, alors qu'il était chef
de service dans les Basses-Alpes, imagina le procédé suivant :
dans la partie la plus basse de la berge, on creuse une pre-
mière jauge en rejetant les déblais dans le fond du ravin;
sur le plafond réglé en revers, on place horizontalement une
série de plants assez rapprochés pour qu'ils puissent remplir
LA MISE EN \ Ail rit PAR II BOIS] MENT.
159
le rôle de haie vive. Aussitôt ers dispositions prises dans
la rigole inférieure, on ouvre immédiatement au-dessus
Fig. 90. — Grands et petits barrages : clayonnages vivants en essences
feuillues qui consolideron les ouvrages d'art; du torrent Bourget en
1885. (Réduction d'une photographie extraite de la collection due
à M. le Conservateur de Gayffier.)
une seconde jauge semblable, dont les déblais sont utilisés
pour combler la première et régler le talus dans sa pente
d'équilibre. Ainsi de suite jusqu'au sommet de la berge. Les
jeunes plants, disposés dans une terre meuble, poussent
avec vigueur, et, de suite, ils retiennent le sol dont on faci-
460 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
lite encore la consolidation par des enherbemenls en touffes.
On peut utiliser, à cet effet, diverses essences feuillues comme
le prunier de Briançon (1), le cytise des Alpes, l'aune gluti-
neux, etc., cette dernière espèce, employée en boutures de
0m,20 de longueur et enfoncées de 0m,15 dans le sol, donne
malgré l'opinion courante, d'excellents résultats, comme a pu
le constater M. l'Inspecteur adjoint Mougin dans le périmètre
d'Ugines (Savoie).
Enfin, autour de chaque ouvrage et sur les atterrissements,
on plante ou l'on bouture des peupliers, des aunes blancs
(A. incana), des saules pourpres ou bleuâtres (S. purpura,
cœsia), des hippophaés (//. rhamnoides), etc., toutes es-
sences, soit drageonnantes, soit susceptibles d'être propagées
par marcotte. Le saule marsault lui-même est bouturé dans
certaines vallées des Alpes, à l'égal de ses congénères.
Ces plantations, souvent traitées en menus taillis, préser-
vent parfaitement le thalweg contre les érosions et fournis-
sent, à chaque recépage, des matériaux qui seront utilisés avec
profit dans tous les chantiers, sous forme de pieux, fas-
cines, etc.
Les boisements proprement dits. — En même temps que
l'exécution des ouvrages d'art est poussée vigoureusement,
on s'occupe de fixer toutes les surfaces relativement stables
dans l'ensemble du périmètre délimité.
Or, on sait que dans les pentes la terre nue n'offre aucune
résistance à l'érosion des eaux pluviales ou sauvages, et que
la végétation, sous forme de forêts, de broussailles ou d'her-
bages, est seule capable de rendre au sol son armure pro-
tectrice. Ce champ d'action appartient donc exclusivement au
forestier reboiseur.
Dans le choix des essences, il importe de s'en tenir à des
espèces bien appropriées à l'exposition, à l'altitude, et au ter-
rain. Ainsi, les Alpes méridionales, peuvent se diviser en
quatre zones :
(1) Peut-être le cerisier tardif d'Amérique donnerait-il de bons résul-
tats. Ce serait à expérimenter.
LA MISE BIS VALEUR PAB LE BOISEMENT. f<>l
altitude
1° zone méditerranéenne ou ch&ude <lc 0 A 600 mètri
2° zone moyenne OU tempérée <le '>(l" à 1,000 —
3° zone alpestre ou froide de i, 000 à i ,800 —
4° zone alpine OU très froide de 1,800 à 3,000 —
Chacune de ces quatre zones peut être caractérisée par
l'aspect de sa végétation sauvage.
Dans la première, les prairies proprement dites n'existent
que dans les terrains irrigués. Les pâtures nombreuses ne sont
autres que des garrigues, où les plantes, en touffes isolées, ne
forment jamais gazon continu ; les graminées sont représen
tées par des herbes à feuilles rares, dures, ordinairement
enroulées.
Dans la seconde, la végétation est encore éparse sur les
terrains vagues. Les plantes qui les peuplent sont de familles
très diverses; les espèces ligneuses dominent, comme : le buis,
la lavande, le thym, le sumac, les genêts, les bruyères, les
cistes, les bugranes ; le sainfoin s'y rencontre fréquemment.
Dès qu'on pénètre dans la région alpestre, les pâturages
peuvent être en gazons continus. Les plantes herbacées y
réussissent mieux; différentes familles ont de nombreux
représentants, mais les graminées, pour l'importance, sont
reléguées au second rang. Les espèces annuelles ont disparu.
Enfin, la zone alpine est la région pastorale par excellence.
Les pâturages qui recouvrent de leurs gazons touffus tous
les lieux en pente douce, les plateaux, les cols et même
les pentes rapides sont peuplés d'espèces vivaces ; les gra-
minées prennent plus d'importance que dans la région pré-
cédente. Ces pâturages sont parfois fauchés et deviennent
alors des prairies.
Les principales essences déboisement appropriées à chacune
de ces zones sont indiquées dans le tableau ci-après, en tenant
compte des facultés qu'elles présentent pour être employées
par semis ou par plantation :
46:2
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
DESIGNATION
DES ZONES.
ESSENCES A EMPLOYER
Par plantation. Par semis.
Pin cPAlep (Pin maritime.
Zone chaude JPin pinier ^Chêne yeuse et liège,
( » (Caroubier.
(Pin sylvestre ^Chêne rouvre.
Zone tempérée <Pin noir d1 Autriche. <Châtaignier.
(Hêtre. Sapin (Pin laricio de Corse.
Epicéa.
Pin de montagne.
Zone froide , alpes-
tre ou subalpine.
Zone très froide, al-
pine
Mélèze.
Pin cembro.
lèze.
cembro.
iMélè
/Pin c
D'ailleurs, à moins qu'on ait des motifs spéciaux d'agir
autrement, les résineux s'emploient surtout pour former les
massifs dans les surfaces solides en pente régulière, — sur les
à-dos en un mot. Les feuillus restent localisés dans le fond
des ravins, sur les cônes de déjection et partout où il y a
chance de rencontrer un peu de fraîcheur.
Ce n'est pas le moindre talent du directeur des travaux que
de savoir faire varier les essences pour mettre chacune à sa
place. Le périmètre de Luz-la-Croix-Haute (Drôme), reboisé
sous la direction de M. le conservateur Darcy, est particuliè-
rement remarquable à ce point de vue (fig. 91).
Avant de passer à l'exécution, il est de la plus grande
importance de déterminer, dès l'origine, le but qu'on se pro-
pose d'atteindre : gazonnement, broussaillement ou boisement,
sans jamais le perdre de vue dans la suite. Il demeure d'ail-
leurs entendu que toute surface appartenant au périmètre
sera scrupuleusement mise en défend. Dans les terrains stables,
cette précaution suffitbien souvent pour ramener une végétation
spontanée, dont l'effet est de donner une première protection
au sol; mais dans les terrains instables, ce serait une chimère
d'attendre aucun résultat utile de ce côté : sans cesse ravi-
nés par les eaux, ils ne s'enherbent pas naturellement, et l'ab-
sence de végétation expulse même en tout temps le bétail de
ces régions désolées.
Traitement des parties stables. — Pour procéder
i \ MISE l.N VALEUR l'Ali LE BOISEMENT.
163
au boisement des parties fixes et conservanl encore quelques
vestiges de végétation, on commence par rcceper toutes les
broussailles ligneuses fatiguées par la dent «lu bétail. Puis, on
distribue avec soin les ouvriers planteurs ou semeurs; car,
ilaus ces travaux, la bonne organisation des chantiers et leur
surveillance constante sont indispensables pour assurer la
réussite et éviter le gaspillage. Qu'on opère par semis ou par
Fig. 91. — Ravins et à-dos reboisés, périmètre de Luz-la-Croix-
Ilaute en 1885. (Photographie de M. de Gayffier.)
plantations, le sol doit être préparé par une forte culture avec
défoncement dans les formes connues — bandes alternes con-
tinues ou brisées, trous, potets, corbeilles, etc.. La seule
précaution à prendre est de donner au plafond des cultures
un léger devers du côté d'amont pour retenir les eaux et
éviter les ravinements ; quelquefois même, au-dessus des
rigoles ou potets, on trace deux sillons de captage destinés à
ramener les eaux dans les parties défoncées. La préparation
du sol a pour but de prévenir la sécheresse, qui est l'ennemi
redoutable dans la plus grande étendue de ces régions.
464 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
L'opération est d'autant plus nécessaire que les stations
sont plus chaudes et plus basses ; son importance décroît, en
raison de l'altitude, et même il y a lieu de s'abstenir dans les
stations froides et très froides, où le déchaussement sous l'in-
fluence du gel et du dégel est à craindre ; la limite de l'urgence
du défoncement est marquée par la zone où l'herbe reste
verte pendant toute l'année.
Les plantations s'exécutent, le plus souvent, au printemps
avec des jeunes sujets élevés en pépinières.
En terrain préparé, les semis se font à l'araire pour les
grosses graines (glands, châtaignes), en rigoles tracées à la
pioche pour les autres semences. En terrain non préparé,
quand les circonstances le permettent, on sème parfois sur la
neige ; mais, généralement, on opère par placeaux dont la
surface seule est pelée et ameublie, et que l'on a soin de
disposer dans le petit bourrelet de terre végétale accu-
mulé en amont des buissons ligneux ou des touffes de gazon.
On peut se contenter, quand le sol est enherbé, de
percer des trous au pic en plein gazon ; ces trous sont remplis
de terre meuble et on y sème quelques graines. Enfin, dans
les pelouses, on creuse aussi des sortes de godets en enlevant
au hache-pré un petit gazon en forme de coin; on émiette la
terre mise à nu et on y jette quelques graines.
Traitement des parties mouvantes. — Parallèlement au
boisement des terres solides, on s'occupe des parties nues ou
mouvantes. C'est là que se rencontrent les principales diffi-
cultés. En semblable circonstance, il s'agit bien moins de
créer des forêts et des pâtures que de fixer rapidement le sol;
les végétaux robustes, de croissance rapide, traçants ou dra-
geonnants, ligneux ou herbacés, peu importe, mais, en tous
cas, vivaces, sont seuls convenables pour atteindre ce but :
saule, cytise, sumac, hippophaé, corroyère, brugrane, sain-
foin des Alpes, valériane, rumex, tout est bon pour créer un
premier revêtement dont on active l'expansion par le mar-
cottage des brins traînants. C'est seulement quand un tel
broussaillement aura accompli son œuvre de fixation qu'il
sera possible de tenter l'installation définitive de la forêt.
Si, à la rigueur, la réussite de quelques espèces forestières
LA MISE EN VALEUR PAR LE ROISEMENT.
165
semble possible, on a recours à l'enherbement ])oup fixer la
terre entre les polels. On procède par sillons horizontaux,
Fig. 92. — Plantations en cordons horizontaux sur un versant rapide.
Périmètre de Poyols près de Luc-en-Diois. (Photographie de
M. Juvanon du Vachat.)
espacés de lm,50 à 2 mètres, suivant les cas. Chacun de ces
sillons ne tarde pas à former une petite haie de verdure qui
soutient la terre et tue la vitesse d'écoulement des eaux super-
ficielles.
BOPPE et JOLYET. 30
466 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Ajoutons que dans les chantiers établis sur de pareils ter-
rains, l'ordre et une prudente disposition des ouvriers ne
sauraient être trop recommandés : les pierres roulantes —
parfois de très petites dimensions — que mettent en mouve-
ment les travailleurs placés en amont, peuvent causer des
accidents mortels parmi ceux qui, au-dessous d'eux, vaquent
à leur besogne. D'ailleurs, à différents points de vue, avant de
commencer semis ou plantation, il est bon de parcourir le ter-
rain en faisant écrouler tout ce qui menace ruine, sapant
les proéminences ou les replis du sol dont l'équilibre paraît
instable, détachant les pierres dont la solidité est douleuse,
nivelant, en somme, grossièrement le champ de travail et
faisant en un jour, alors qu'aucun dégât n'est à craindre,
l'œuvre de plusieurs orages.
Traitement des terres noires. — Les marnes généralement
confondues sous le nom de terres noires, quelles que soient
leur coloration et la formation géologique à laquelle elles
appartiennent, sont particulièrement réfractaires à la végé-
tation, et leur présence en assises puissantes sur un très grand
nombre de points constitue un des principaux obstacles à
vaincre dans l'œuvre si difficile du reboisement des Alpes.
Ces terres noires, mises à nu par l'érosion des eaux, appa-
raissent avec leur composition primitive, telles qu'elles ont
été déposées en des âges où les conditions de la vie, à la sur-
face du globe, étaient bien différentes de ce qu'elles sont de
nos jours ; c'est dans leur masse schisteuse affouillable que
les torrents les plus dangereux, creusant les gouffres qui leur
servent de lit, récoltent les matériaux qui portent avec eux
la dévastation.
Outre leur instabilité, ces marnes présentent un grave
inconvénient. A cause de la grande quantité de pyrite qu'elles
renferment, elles absorbent tout l'oxygène disponible dans le
sol pour transformer les sulfures de fer en sulfates ; ceux-ci,
sans grande fixité, se décomposent; le fer devenu libre
s'hydrate, et l'acide sulfurique se combine avec les bases pour
former les efflorescences blanches, calcaires ou magnésiennes
qui caractérisent la contrée. Aussi, pour acquérir la force
productive qui les rende capables de nourrir la flore actuelle,
LA MISl i\ VALEUR l'Ait il BOISEMENT. kV7
est-il nécessaire qu'elles subissent une certaine préparation
par l'exposition aux agents atmosphériques : elles ont besoin
de s'aérer, de respirer, pour ainsi dire, lue telle transfor-
mation ne se fait pas en un jour; d'ailleurs, ori la voit s'accom-
plir lentement, de proche en proche, sur les emplacement -
que leur peu de déclivité met à l'abri des érosions et des
éboulements : leur coloration noire va sans cesse en s'atté-
nuant pour se rapprocher des tons ôcreux du fer hydroxydé.
Quoi qu'on fasse, on ne réussira jamais à planter les grandes
espèces ligneuses dans une terre noire fraîchement décapée.
En cela, il faut encore suivre les indications de la nature,
c'est-à-dire commencer par les espèces inférieures les plus
rustiques; à mesure que la terre perd son poison, elle accepte
des végétaux d'un ordre d'autant plus élevé que la couche
désinfectée est elle-même plus profonde. On peut ainsi
mesurer l'instant où l'on pourra lui confier des arbres à
nourrir.
Dès que les pentes s'accentuent, notamment sur toutes les
berges, la surface est entraînée d'autant plus facilement
qu'elle est plus ameublie par l'aération ; c'est donc toujours
la même marne vierge et réfractaire qui affleure. Alors, il faut
à tout prix empêcher la bonne terre de s'écrouler au fur et
à mesure desa formation. Dans ce but, on installe la végé-
tation dans le fond même de chaque ravin, afin d'arrêter les
affouillements ; on y parvient à l'aide de fascinages, de barrages
rustiques, qui transforment les pentes régulières en une suite
de petits ressauts, entre chacun desquels, sur les plates-formes
d'atterrissement, on bouture, on plante, on sème, on gazonne
suivant les cas. La proximité d'un peuplement forestier rend
la chose facile, car on utilise les produits des éclaircies pour
recouvrir tout le fond des ravins ; les menus brins encore
munis de leur feuillage sont disposés bout à bout dans le sens
de leur longueur et la cime vers l'amont ; la terre végétale
fine et meuble, provenant du lavage des berges, s'arrête dans
les interstices des feuilles et des ramilles ; celles-ci, en pourris-
sant, se transforment elles-mêmes en terreau, et l'ensemble
constitue un compost éminemment favorable au développe-
ment des plantes herbacées ou ligneuses qui s'y jettent natu-
468 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Tellement ou qu'on y introduit avec succès. De ces coulées de
verdure, suivant l'heureuse expression de M. le Conservateur
Carrière, qui a traité de cette façon la combe désolée d'Alavar
(périmètre de Seyne, Basses-Alpes), on voit la végétation
« monter à l'assaut des berges », qui sont bientôt fixées à leur
tour. Là, comme dans la dune, le problème est résolu par
l'installation artificielle d'une couverture morte, qui prépare
et protège les éléments de la forêt future.
Les enherbements. — L'enherbement n'est qu'un auxiliaire
du boisement qu'il précède ou qu'il accompagne toujours.
A ce point de vue, il ne faut pas le confondre avec le gazon-
nement, qui s'entend de la création des herbages d'embouche
ou fauchables.
L'enherbement fournit aux jeunes plants naissants un abri
tutélaire contre la sécheresse dans les surfaces stables et
constitue le meilleur moyen d'éviter le déchaussement. Pour
tous ces usages, le sainfoin rend les plus utiles services; en
terrains préparés, il s'emploie, soit en mélange intime avec la
graine forestière, soit pour former des rigoles entre les lignes de
plantations ou de semis. Dans les terres noires, on a recours à
des mélanges de sainfoin avec de la fenasse : semence d'herbes
comprenant généralement les espèces suivantes : le calama-
grostis argenté (Calamagrostis argentea), la fétuque bleue
(Festuca cœrulea), le chiendent (l^riticum repens), la houque
molle (Holcus mollis), le fromental (Avena elatior) et la pim-
prenelle (Eupatorium sanguisorba) ; on y ajoute souvent du
brome des prés (Bromus erectus).
M. Mougin s'est bien trouvé de la formule suivante :
Fenasse 40
Sainfoin 30
Brome 30
100
Si la région est chaude ou tempérée, les travaux de semis
et d'enherbement peuvent se faire soit à l'automne, soit au
commencement du printemps ; est-elle froide ou très froide,
on n'opère qu'au printemps, aussitôt après la fonte des neiges,
quand la terre est imbibée d'eau, de telle sorte que les graines
restent le moins longtemps possible sur le sol sans y germer.
LA MISE IN VALEUR PAR LE BOISEMENT.
169
Le gazonnement. — Legazonnementapourbut,au contraire,
de créer des alpages <>u pelouses permanentes et n'est pas appli -
cable à toutes les altitudes des régions montagneuses. C'est
dans les grandes hauleurs avoisinant la Limite de la végétation
ligneuse, régions purement pastorales, que ces travaux
peuvent fournir le degré d'utilité qu'on leur demande; mais le
boisement, qui n'est plus ici l'objectif, lui vient souvent en
aide. En elfet, bien que le gazonnement intéresse la produc-
tion pastorale plutôt que la production forestière, il existe
une relation nécessaire entre ces deux modes d'exploitation
du sol; et, sans sortir de notre cadre, il est permis d'appeler
l'attention sur les faits suivants :
Si Ton cherche à se rendre compte de l'origine de ces gazons naturels,
de ces pelouses unies qui tapissent les flancs des montagnes au-dessus
des forêts actuelles, tout indique qu'elles n'ont pu s'installer que grâce
à la protection de la végétation ligneuse. Celle-ci a disparu par le fait
de l homme, qui a méconnu les lois de la nature en exploitant les
forêts d'une manière désordonnée et en abusant d'elle avec une impré-
voyance coupable. C'est ainsi que la limite actuelle des forêts ne doit
pas être considérée comme réelle, mais comme artificielle : les arbres
épars et les souches recouvertes qu'on retrouve dans toutes les pâtures
en font foi (1).
Ces pelouses ne se reforment plus sur les terrains nus, et celles qui
existent encore sont destinées, si l'homme n'y prend garde, à dispa-
raître à leur tour et à suivre la loi d'abaissement que son égoïsme a
déjà imposée aux forêts.
Dans les Alpes de la Provence, par suite du climat sec qui caracté-
rise cette région, la création de nouvelles pelouses sur les terrains
supérieurs absolument dénudés ne peut être assurée que par l'intermé-
diaire de la forêt.
On constate, en effet, que les plantes herbacées qui végètent au-dessus
de la limite réelle imposée à la végétation ligneuse par la température
du lieu, ne forment pas des gazons sérieusement exploitables et sus-
ceptibles de protéger le sol contre les influences météoriques. C'est en
poussant le reboisement jusqu'à cette limite qu'on peut espérer rame-
ner la pelouse partout où le sol est dénudé et assurer la consolidation
des terres dans les régions les plus élevées du bassin de réception.
(1) Rapprochons de ces lignes empruntées à M. Demontzey une
phrase de M. Mathey : « Partout où l'homme n'a pas abaissé par des
défrichements les limites supérieures de la forêt naturelle, celle-ci se
termine par des arbres épars, le plus souvent stériles, car ils ont dé-
passé les frontières normales de leur aire d'habitation. Ils proviennent
de semences fournies par les massifs inférieurs et apportées par le vent
sur des points où ils peuvent encore vivre, sans toutefois pouvoir mûrir
leurs graines » {Le pâturage en foret).
470 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Telles sont du moins les conclusions auxquelles s'est arrêté
M. Demontzey dans son xie chapitre, intitulé Travaux de
(jazonnement. Il suffît d'ailleurs de constater la présence du
beau gazon qui tapisse le sol de toutes les forêts de mélèzes,
même celles de récente création pour être convaincu de ce
fait.
Conclusion. — Nous devons nous borner aux simples indi-
cations qui précèdent, renvoyant le lecteur désireux de plus
amples détails aux nombreux ouvrages publiés sur un aussi
vaste sujet, aussi bien en France qu'à l'Étranger. Constatons
seulement que l'initiative de l'entreprise et le mérite de la
réussite reviennent tout entiers à l'Administration Française
des Eaux et Forêts. Les résultats ont dépassé toute espérance
et les quelques écoles des premiers jours ne sont rien en
comparaison des succès obtenus.
Peut-être, cependant, ne faut-il pas s'endormir dans une
quiétude trop confiante. Tout en reconnaissant l'efficacité des
moyens d'action et la parfaite exécution des travaux, il est
permis d'appeler, une fois encore, l'attention sur une série de
faits dont la gravité s'accroît de jour en jour.
En même temps que l'œuvre du reboisement se pour-
suit, des ennemis jusqu'alors inconnus ou, du moins, mépri-
sés comme inoffensifs, se montrent partout ; leurs attaques
prennent un caractère inquiétant : du nord au midi, on
n'entend plus parler que d'insectes, de champignons, qui
détruisent, en totalité ou en partie, les jeunes forêts créées à
grands frais et sur lesquelles on fondait les plus belles espé-
rances. Sous une forme animale ou sous une forme végétale,
chaque essence artificiellement installée semble porter en elle
son parasite. Les espèces exotiques ou étrangères à la région,
sont plus particulièrement atteintes ; on dirait que le climat,
à la rigueur suffisant pour qu'elles puissent s'en accommoder,
est particulièrement favorable au développement de leurs
ennemis.
Le moment semble venu de couper court au mal par la
reconstitution de la forêt spontanée. Sans attendre qu'on y
soit contraint par la force majeure, il faut profiter du premier
abri, de la première couche de terreau fournis par le boise-
LA MISE EN \ \I.I I H PAR LE BOISEMENT.
171
menl pour installer en mélange les espèces de I" région. Le
mieux, partout où eela sera possible, sera de créer des sous-
bois de feuillus, hêtre ou châtaignier; à défaut de hêtre, le
sapin formera d'excellenls SOUS-étageS dans les stations
moyennes. Enfin, dans les plus grandes altitudes, le mélèze,
dont les parasites lui appartiennent en propre, sera toujours
indiqué pour remettre en état de production les espaces de
quelque étendue.
b. La fixation des dunes : les dunes mari Limes. — Les moyens d'action.
— La dune littorale. — Boisement de la dune blanche. — Les dunes
continentales.
Les dunes maritimes. — Le long du littoral de l'Atlan-
tique, de Bayonne à Dunkerque, partout où la mer n'est pas
brisée par des falaises, elle dépose sans cesse, sur les plages,
des sables siliceux, blancs, fins, provenant de matériaux tri-
turés par les mouvements du flux et du reflux. La tempête
soulève ces sables mobiles, les chasse vers l'intérieur où ils
s'accumulent en chaînes de collines voyageuses, tantôt paral-
lèles au littoral, tantôt confusément orientées, en tous cas,
donnant à la contrée ce relief particulier auquel on a donné
le nom de dunes. Entre chacune de ces chaînes s'étendent
les leltes, sorte de vallées marécageuses, errantes comme les
dunes, et dont les eaux malsaines, refoulées dans le mouve-
ment général de transport, inondent les terres fermes, en
même temps qu'elles charrient la fièvre.
L'accumulation des eaux dans les lettes tient à la constitu-
tion toute particulière du sable cru qui constitue la dune
blanche. Dans leur mouvement de translation, ces grains
lavés, presque chimiquement purs, se dessèchent à la façon
des poussières atmosphériques et se déposent absolument
privés de leur eau globulaire. On sait que de tels milieux
restent longtemps imperméables ; aussi toutes les eaux plu-
viales qui tombent sur les pentes roulent-elles rapidement
vers le fond des cuvettes où elles sont retenues par des
causes semblables. Parfois le dessèchement rend les maté-
riaux de transport tellement réfractaires à la capillarité, qu'ils
peuvent se déposer en couches assez épaisses à la surface
47.2 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
des eaux tranquilles pour former les blouses, dont l'aspect
trompeur a été fatal à plus d'un voyageur imprudent.
Aussitôt que le boisement a revêtu la surface de cette cou-
verture forestière dont on connaît les propriétés hygromé-
triques, en même temps que diffusé la matière organique
dans les couches plus profondes, le régime des eaux reprend
son cours d'infiltration normal. L'assainissement des lettes
devient ainsi la conséquence nécessaire du boisement des
dunes.
Les moyens d'action. — Dès la fin du xvmc siècle, on
avait compris que le boisement était le seul procédé efficace
pour fixer les dunes.
En 1787, l'Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Bré-
montier, donnait une réelle impulsion aux travaux de dé-
fense qu'il dirigea durant plusieurs années et qui lui valu-
rent, avec le nom de Bienfaiteur des Landes, le monument
élevé à sa mémoire à la station de La Bouheyre. Il est juste
toutefois de citer les Ruât, les Desbiey, le comte de Montausier
et surtout le baron de Villers, ses précurseurs, qui, moins
favorisés par les circonstances, ne purent mettre en œuvre
les projets qu'ils avaient conçus (1).
Mais, comme pour la restauration des montagnes, la loi
devait intervenir en vue de donner à l'opération son carac-
tère obligatoire (2).
Aujourd'hui — et c'est un nouveau point de similitude
avec les travaux de restauration des montagnes — on a reconnu
la nécessité de se créer une base d'opération, de donner au
point d'appui aux premiers boisements exposés à l'assaut des
vents et du sable : on a donc encore recours aux mêmes
moyens :
1° consolider les masses par des travaux d'ordre plutôt
technique ;
2° fixer les surfaces par la culture forestière.
(1) Pierre Buffault, Étude sur la côte et les dunes du Médoc. Irnp.
Jehl. Souvigny, 1897.
(2) Décret-loi du li décembre 1810, relatif à la plantation des dunes;
— ordonnance des 15 juillet 1818-8 mai 1819, contenant règlement des
digues et dunes du Pas-dé-Gelais.
LA MISE IN VALEUR PAU LE BOISEMENT. 173
La dune littorale. — Sans cesse renouvelée par les
apports inépuisables de l'Océan, la masse des sables poussés
par le vent de mer remonte les pentes assez faibles que pré-
sentent les collines du côté cl 11 rivage. Elle s'accumule sur
les sommets d'oii elle s'éboule, en vertu de son poids, suivant
des profils atteignant 45 degrés et plus, à cause du manque de
cohésion des matériaux. La base de ce talus s'avance ainsi
continuellement vers les terres avec des vitesses variables
suivant les années et les saisons, mais pouvant atteindre
12 et même 20 mètres en une année. Aucun obstacle ne peut
arrêter la marche de ces collines envahissantes dont la hauteur
dépasse parfois 70 à 80 mètres : forêts, villages et clochers qui
se rencontrent sur leur passage, disparaissent ensablés.
Pour combattre le fléau, il faut l'étoulTer à sa naissance; on
y arrive par l'édification de la dune littorale (1).
Le baron de Villers, puis Brémontier, semblent avoir conçu
l'idée de ce véritable ouvrage de défense dont la construction
n'a été commencée que bien après eux, en 1851. Depuis cette
époque à nos jours, plusieurs théories se sont succédées
quant au profil à lui donner.
L'ancienne méthode, que nous allons décrire, est peut être
celle qui donne l'idée la plus nette du but poursuivi et des
moyens à employer. Elle a du reste fait bonne besogne pen-
dant de longues années.
A 50 ou 80 mètres de la hisse des hautes eaux, parallè-
lement au rivage, c'est-à-dire perpendiculairement à la direc-
tion du vent, on dispose une palissade formée de madriers
d'une largeur de 0m,12 et d'une épaisseur de 0m,03 ; ces ma-
driers sont profondément enfoncés dans le sable avec une
saillie de 1 mètre au-dessus du sol ; ils sont espacés les uns
des autres de 0m,0'2 à 0m,03. A la suite de chaque tempête,
le sable, poussé par le vent, s'accumule devant la palissade et
coule de l'autre côté par les vides laissés entre les planches;
(1) Pour plus de détails, voir les articles et notices publiés par
MM.Goursaud, Revue des Eaux et Forêts, 1880; — Grandjean, La dune
littorale, Revue des Eaux et Forêts, 1887; — Violette, Entretien de
la dune littorale, lmp. A. Dupeyron, Mont-de-Marsan, 1899 ; —
A. Lafond, Fixation r/ev dunes, lmp. nationale, Paris, J900.
474 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
suivant la dimension des grains, l'équilibre s'établit plus ou
moins facilement entre les dépôts des deux aspects. Mais,
contrairement à ce qui se passe dans les dunes naturelles,
l'inclinaison est assez forte sur le talus du côté de la mer,
tandis qu'à l'opposé la pente s'allonge bien davantage, une
partie du sable étant entraînée, par la force du vent, en
arrière de la palissade et plus ou moins loin suivant la
grosseur des grains. Lorsque les madriers sont enfouis presque
jusqu'au sommet, on les relève et l'opération suit son cours
jusqu'à ce que la dune ait atteint la hauteur voulue; en géné-
ral, 10 à 12 mètres au-dessus du niveau de la haute mer.
C'est ainsi que le vent, dompté par l'homme, travaille lui-
même à élever l'obstacle qui détruira les effets nuisibles de
sa force d'entraînement; comme la vapeur, il actionne en
même temps les freins et les moteurs.
Tout en exhaussant les madriers, on se préoccupe de la
forme la plus favorable à donner au profil de la dune. On
surveille la marche des dépôts pour rectifier le travail, par-
fois peu précis, du vent, par des fascinages, des épis et
autres moyens complémentaires. Enfin, le relief normal étant
acquis, on fixe la surface en la plantant de touffes de gourhet
(Calamagrostis arenacea). Cette précieuse graminée est l'auxi-
liaire indispensable ; elle se propage par voie de boutures
comme par voie de semis, lance ses drageons à de grandes
distances, et pousse de nouvelles racines au niveau du sol,
à mesure que sa tige est ensablée.
La dune littorale étant ainsi achevée et garnie, il ne reste
plus qu'à l'entretenir. Une surveillance constante doit assurer
la bonne conservation d'un ouvrage qui sera la sauvegarde
contre tous les dangers à venir; il faut, sans aucun retard,
réparer les brèches ouvertes sur ses flancs par les rafales de
vent ou les paquets de mer de la dernière tempête. Dans les
départements des Landes et de la Gironde, un personnel de
cantonniers est spécialement préposé à la garde de cette
dune, dont la plate-forme a été kilométrée pour faciliter la
direction du service et la transmission des ordres.
Aujourd'hui une tendance assez générale se manifeste à
donner à la dune littorale un profil quasiment inverse du pré-
LA MISE EN VAI.KUll l'Ai» LE BOISEMENT.
175
cédcnl. Suivant la pittoresque image employée par M. le
Conservateur de Vasselot de Régné (I), la dune naturelle rap-
pelle par son profil un chien assis regardant vers L'Est, vers
la lerre ferme. On avait pu s'imaginer qu'en retournant le
chien, le nez vers L'Océan, il perdrait son humeur vagabonde
et ferait bonne garde contre les sables envahissants: d'où la
forme des premières dunes littorales. Mais c'était compter
sans le courroux de l'Océan qui, les jours de tempête, se rue
sur l'obstacle, y faisant de larges brèches ; aussi, a-t-on
replacé le chien dans sa position première : comme le roseau de
la fable, la dune littorale à pente très douce vers l'Océan, se
laisse submerger par les vagues, puis, la tempête finie, quand
les eaux se sont retirées, elle reparaît intacte.
Ce nouveau profil s'obtient en disposant, parallèlement au
rivage, des lignes successives de petites haies faites de branches
de pin, hautes d'environ 0m60 et au pied desquelles le sable
s'accumule. Le talent consiste, suivant la forme de la côte et
la marche des sables, à disposer ces obstacles au point voulu
pour amener la dune à constituer sa ligne de crête à une
distance du littoral telle que la pente puisse s'étendre sous
l'inclinaison la plus efficace.
Ces mêmes cordons, avec les semis degourbet sans couver-
ture de branchages, permettent de barrer et d'enrayer les
.sifflets ou siffle-vent, couloirs que le vent creuse dans la dune
et d'aveugler les ventouses.
C'est, d'ailleurs, merveille devoir comme les forestiers com-
pétents savent utiliser les forces de la végétation pour modeler
suivant leur gré cette chose d'allures si mobiles et si capricieu-
ses qu'est le sable de la dune : ils s'empressent de fixer par le
gourbet les points où le profil est acquis, arrachant ou éclaircis-
santeette plante, au contraire, quand ils veulent faire déplacer
parle vent les amas de sable ou trucs devenus inutiles ou gênants.
Souvent les haies parallèles au littoral sont flanquées d'épis,
dont la direction est perpendiculaire à la leur ; ceux-ci peuvent
eux-mêmes se subdiviser en patte d'oie, ou se ramifier en
contre-épis.
(J) De Vasselot de Régné, Xotice sur les dunes de la Coubre. Paris,
Imprimerie nationale, 1878.
476
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Quand des côtes sinueuses, en pointe, sont exposées à tous
les vents violents, une étude approfondie de la situation peut
seule déterminer les points où il faut établir les ouvrages de
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défense, et la direction à leur donner. 11 en est ainsi à la
dune de la Coubre (Charente-Inférieure) (1); il en sera de
(1) de Vasselot de Régné, loc. cit.
LA MISE EN VALEUR l'A» LE BOISEMENT,
177
môme, à plus forte raison, quand il s'agira d'établir des dunes
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Enfin, sur les points où la mer déferle en rongeant les
rives, sans déposer de sable, les matériaux font défaut. On sub-
stitue donc à la dune des enrochements et l'on combat la vio-
478 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
lence du flot par la création d'une forêt de solides pieux enfoncés
dans le sable et appelés brise-lame. Letamarix, avec ses longs
rameaux flexibles, rend les plus grands services pour con-
solider toutes ces œuvres mortes par un feutrage vivant.
On cherche, en même temps, à remplacer l'ancien profil tracé
par le caprice des flots par une véritable plage artificielle
dont la pente descende jusqu'à 5 à 6 p. 100 de façon que la
lame puisse s'y étaler en perdant sa force d'érosion.
Ainsi chaque point appelle une solution spéciale; à toutes
celles qui sont déjà expérimentées ou entrevues, l'observation
de chaque jour en apporte d'autres.
En fait, le profil définitif de la dune n'est pas encore
trouvé, peut être même ne le trouvera-t-on jamais. Mais ce
que l'on peut dire, c'est que la dune artificielle créée par nos
prédécesseurs a accumulé à pied d'œuvre des masses colos-
sales de matériaux plastiques pour les tenir à la disposition
du forestier. Celui-ci peut pétrir à son gré les kilomètres
cubes de sable suivant le mode ou la formule du jour; il
peut en déplacer ou en fixer les masses à l'aide de la force
gratuite du vent, sans autre dépense que les petits travaux
peu coûteux qui consistent en piochages superficiels quand
il veut abaisser les profils ou en plantations des gourbets
quand il veut les relever.
Ce qu'on peut dire encore, c'est que le fait dominant
de cette œuvre magistrale, a été de permettre le boisement
complet de la dune blanche, de la fixer définitivement, de la
lande à la mer, et de créer, dans cette large zone qui n'était
qu'un désert aussi menaçant qu'improductif, une forêt immense
dont la valeur et le rendement sont déjà considérables.
Voici d'ailleurs le procédé de boisement de cette dune
blanche.
Boisement de la dune blanche. — Tout le système de
fixation repose sur le principe suivant:
Dans la masse de sable nu, susceptible d'être corrodée par
le vent, le transport s'opère grain par grain, roulé à mesure
que chacun, débarrassé de ceux qui le recouvraient, arrive à
la surface pour être transporté à son tour. Dès lors, si l'on
parvient à arrêter le déplacement des grains à la superficie,
I.A MISE l'N VALEUR PAR LE BOISEMENT. 479
il n'y a rien à craindre pour ceux <jni soni en dessous, et la
masse entière es! fixée,
Le moyen consistée Berner le pin maritime *onj couverture i
C'est à un propriétaire de la Teste, Pierre Peychan, — on le
connaît plutôt sous le nom dé Maître-Pierre — , que nous
devons ce procédé aussi simple que pratique qu'il ;i conseillé
à Brémontier, et que nous employons maintenant encore,
presque sans modification.
Pour empêcher les graines d'être entraînées avec le sable,
on dispose donc sur toutes les surfaces ensemencées un revê-
tement de broussailles. Cette précaution est aussi nécessaire
pour fixer les semences que pour préserver les jeunes plants
contre l'action des sables en mouvement ; car les arêtes vives
des grains, sans cesse projetés contre les tiges naissantes, les
usent au point que celles-ci, ne pouvantplus soutenir leur tête,
se renversent ; c'est la mort pour le plus grand nombre.
Dans la pratique, on répartit sur les espaces à boiser, des
provisions de fagots, à raison de *2.500 par hectare. Ces fagots
ont 1 mètre de circonférence mesurée sur le hart, et lm,30 de
longueur. Pour leur confection, l'espèce préférée est l'ajonc;
puis vient le genêt, ensuite les brandes, les brnyères, les rou-
ches, les roseaux de marais doux, et les branches de pin; mais
ces dernières présentent l'inconvénient que, sous leur couvert,
les maladies cryptogamiques évoluent avec trop de fréquence.
Les épines, ronces, fougères et bois blancs ne donnent qu'une
protection insuffisante au sol, et sont exclus des fourni-
tures.
Immédiatement après le répandage de la graine, on recouvre
les parties ensemencées, ou mieux, les deux opérations se font
simultanément. On dispose les broussailles en marchant vers
la mer, les gros bouts en avant et les ramilles de chaque rangée
recouvrant la base de celle qui précède. Puis, à l'effet de mainte-
nir cette couverture, les ouvriers prennent des fortes pelletées
de sable dans les parties non ensemencées, et les appliquent
sur les ramilles étendues, à environ 0m,60 les unes des autres,
mesure prise de milieu en milieu. C'est là le seul perfection-
nement apporté au système de Pierre Peychan et de Brémon-
tier, qui fixaient la couverture au moyen de perches placées en
480 LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
travers et retenues par des crochets enfoncés dans le sable.
Chaque atelier travaille ainsi à reculons, derrière le semeur,
sans que personne ait le loisir de chômer; à la fin de la jour-
née, on rechausse solidement la dernière rangée pour que le
vent possible de la nuit ne vienne pas ouvrir des ventouses
qui détruiraient tout le travail. On répare les avaries, soit en
comblant les ventouses, soit en recommençant le semis dans
la même forme, sur les parties ensablées.
Les premiers chantiers ont été installés immédiatement en
arrière delà dune littorale, en avançant vers la terre, de telle
sorte que les travaux en cours d'exécution sont garantis par
les massifs déjà constitués. Sur les points où les semis sont
exposés à être envahis par des sables de retour chassés par
le vent de terre, la section destinée à être ensemencée pendant
l'année est entourée de palissades mobiles qu'on déplace au
commencement de chaque campagne.
En somme, c'est une véritable couverture morte que l'on a
disposée sur le sol. Comme elle ne doit pas durer indéfiniment,
on pourvoit dès le début à lui faire succéder une couverture
vivante qui continuera son rôle. A cet effet, au lieu d'em-
ployer de la graine de pin maritime pure, on répand, par
hectare, le mélange suivant :
Pin maritime 30 kilogr.
Ajonc 3 —
Genêt 3 —
Gourbet 3 —
Graines diverses pour attirer les oiseaux. 3 —
Cette formule est adoptée dans la dune de la Coubre. Dans
les chantiers des Landes les quantités sont réduites à :
Pin maritime 10 kilogr.
Genêt 9 —
Gourbet 4 —
Les pins, les genêts et les ajoncs lèvent en même temps, et
Ton remarque que les pins sont d'autant plus beaux que les
semis accessoires sont plus nombreux. D'ailleurs les couver-
tures pourrissent sur place et donnent au sol une première
avance de matière organique.
Puisque l'on commence le boisement au pied même de la
LA MISE in VALEUB P \u LB imiH \i l N l .
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dune, les premiers peuplements créés, sur une profondeur
de 200 à 300 mètres, fatigués par le vent de mer, restent le
plus souvent chétifs et rabougris; mais, à L'abri de celte zone
de protection, les massifs qui les suivent se développent
normalement ; on constate même que les pins de la dune
fournissent, à dimension égale, plus de résine que ceux de ta
lande.
Ces travaux coûtent nécessairement assez cher. Dans les
Landes, le prix de revient moyen a pu être établi à 500 fr.
par hectare; dans les dunes de la Coubre, il n'a pas dépassé
355 fr. Mais qu'est-ce, en somme, que cette dépense com-
parée à la grandeur des résultats obtenus ?
De Bayonne à la pointe de Grave, la dune littorale est
entretenue sur un développement de 300 kilomètres. Plus de
60.000 hectares de sables ont été ainsi reconquis sur les
dépendances de la mer, au grand profit de la richesse pu-
blique. Malheureusement, les funestes aliénations faites de
1861 à 1865 ont enlevé au domaine de l'Etat 17.500 hectares,
dont la soumission au régime forestier était la meilleure sau-
vegarde contre les abus du pâturage.
Les dunes continentales. — D'ailleurs, les effets du phéno-
mène éolien qui préside à la formation et au déplacement des
dunes ne sont pas limités aux plages maritimes. Sur les diffé-
rents points de l'immense désert qui s'étend des confins de
la Sibérie au cap Vert, le sable s'accumule en dunes. Les oasis
du sud de l'Algérie et de la Tunisie sont particulièrement
exposées à des invasions de cette origine.
Bien que les mouvements de ces dunes continentales n'affec-
tent pas les allures régulières des dunes marines, les moyens
pour les combattre sont à peu près partout les mêmes, et les
remarquables travaux exécutés sur les côtes de France peu-
vent servir de modèles en toutes situations. On se contentera
d'utiliser des feuilles de palmier au lieu de madriers, ou
d'employer, au lieu de nos espèces européennes, celles qu'on
a sous la main (l). Nous ne citerons ici aucun nom d'arbuste
ou de plante indigène; mais, dans la flore saharienne, nous
(1) Baraban, A travers la Tunisie. Revue des Eaux et Forêts, 1886.
Boppe et Jolyet. 31
482
LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
retrouvons encore le tamarix, tout indiqué pour protéger de
l'ensablement les sources ou les puits qui sont la fortune
pour ces régions désolées. Il nous rappelle qu'en toute occa-
sion et sous tous les climats, si la nature paraît quelquefois
peu hospitalière, du moins, donne-t-elle à l'homme un appui
dans les végétaux qui font la forêt, depuis le plus grand arbre
jusqu'au plus humble arbrisseau.
ERRATA
Page 2, légende de la figure 1 ; au lieu de : en bas, collet de la racine, lire : au-
dessous du bois parfait, niveau du collet de la racine.
— SI, ligne 25, au lieu de : a dit quelque part Toussenel, lire : a dit quelque
part M. de la Blanchère.
— 61, légende de la figure 26, au lieu de : à gauche chênes de juin, glands de la
forêt de Petit-Noir (Jura). — A droite : chênes pédoncules ordinaires, elc...
lire : au milieu : chênes de juin, glands de la forêt de Petit-Noir (Jura).
A gauche et à droite : chênes pédoncules ordinaires, etc..
— 13c), légende de la figure 36, lire : Un chablis. — Sapinière de l'Annuelle (Jura).
(Photographie de M. Albert Kegad).
— 279, ligne 14, au lieu de : devoir, lire : revoir; devoir et revoir doivent être
en italiques.
— 206, ligne 15, au lieu de : quoiqu'il en soit, lire : quoi qu'il en soit.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Avant-propos. v-vi
Plan de l'ouvrage. vu-xi
CHAPITRE PREMIER. - L'ARBRE.
Article premier. — Parties constitutives d'un arbre.
Partie aérienne. — Enracinement. — Structure du bois. — Écorce. 1-0
Article II. — Forme des arbres.
Élagage naturel. — Forme spécifique. — Influence du sol et du
climat. — Forme forestière. — Généralités sur l'accroissement. —
Accroissement en hauteur. — Accroissement en diamètre; — ses
variations suivant les espèces et les individus; — ses variations dans
un même arbre ; — anomalies diverses 6-22
Article III. — Reproduction des arbres.
Brins et rejets. — Fertilité des arbres. — Germination des graines
et installation des semis. — Rejets proventifs et rejets adventifs. —
Influence de l'époque de l'exploitation sur l'évolution des rejets. —
Influence du mode d'abatage. — Drageons. — Rejets de racine. —
Modes spéciaux d'exploitation 23-34
CHAPITRE II. - LES ESSENCES.
Article premier. — Généralités.
Définitions. — Tempérament. — Influence de la lumière ; — .... de
l'humidité atmosphérique; — .... de la température et autres. —
Aire forestière. — Influence des qualités chimiques et physiques du
sol; — .... de la fertilité. — Essences sociales et disséminées. —
Dissémination. Longévité 35-55
Article II. — Monographie des principales essences.
Les chênes : C. rouvre et pédoncule, C. tauzin, C. liège, C. yeuse. — Le
châtaignier. — Le hêtre. — Le charme. — Le frêne. — Les érables.
— Les ormes. — Le micocoulier. — Les fruitiers. — Le bouleau. —
Les aunes. — Les bois tendres : tilleuls, peupliers, saules. — Le
484 TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES.
sapin. — L'épicéa. — Le mélèze. — Les pins : P. sylvestre, P. de
montagne, P. maritime, P. d'Alep, P. laricio (de Corse, des Cévennes,
des Pyrénées, de Calabre, noir d'Autriche), P. cembro 56-102
CHAPITRE III. - LES PEUPLEMENTS
Article premier. — Généralités.
Définition. — Genèse d'un peuplement. — Situation particulière du
peuplement forestier 103-104
Article IL — Action réciproque des arbres les uns
sur les autres.
Les peuplements dans la forêt sauvage. — Perturbations apportées
par l'intervention de l'homme. — Origine des peuplements. — Leur
forme. — Leur consistance. — Leur constitution en étages de végé-
tation. — Leur composition : purs ou mélangés. — Mélanges ration-
nels. — Le hêtre. — Conduite des peuplements mélangés. — État
de végétation des peuplements 104-116
Article III. — Action des arbres sur le sol.
Fertilité permanente des sols forestiers. — La couverture. — La cou-
verture morte ; son rôle physique. — Le terreau; l'ameublissement
du sol et la terre à bois. — Rôle chimique de la couverture morte;
l'acide phosphorique et la potasse ; l'azote. — Les terreaux acides
et tourbeux. — Rôle du sylviculteur dans la constitution de la cou-
verture ; dans celle du terreau. — La couverture vivante.. . 116-125
Article IV. — Évolution des peuplements.
Évolution du peuplement uniforme. — États de développement suc-
cessifs des futaies régulières; — des taillis simples réguliers. — Évo-
lution des peuplements jardines ou furetés. — Résumé.. . . 125-128
CHAPITRE IV. — LES FORÊTS.
Généralités 129
Article premier. — Action du sol.
Rôle du sol: généralités; classement.— Sols siliceux : propriétés phy-
siques; tapis végétal; allure des forêts; sables à grains fins; alios,
tourbières. — Sols argileux : propriétés physiques ; tapis végétal ;
allure des forêts ; lœhm. — Sols à base calcaire : propriétés phy-
siques; tapis végétal ; allure des forêts ; marne 129-138
Article IL — Action du climat.
I. Aptitude forestière. — II. Les climats de plaine; caractères géné-
raux. — Division en zones. — Zone parisienne. — Zone girondine.
— Zone provençale. — III. Le climat de montagne ; caractères
généraux. — Vosges. — Jura. — Alpes. — Plateau central. — Py-
rénées 138-162
TABLli ANALYTIQUE DBS MATIÈRES. 185
CHAPITRE V. - LE TRAITEMENT.
Article premier. — Les opérations culturales.
La régénération. — Les améliorations : les dégagements «le semis; —
les éclaircies; leur but culturel; — leur but économique; — la ma-
nière de les conduire; — leur importance 163-1 "7 {
Article II. — Notions d'aménagement.
Capital forestier. — Définitions. — Réalisation de la possibilité : par
contenance, par volume, par pied d'arbre. — Observations géné-
rales 174-181
CHAPITRE VI. — LES DIFFÉRENTS MODES DE TRAITEMENT.
Article premier. — La futaie régulière.
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — La régé-
nération. — Procédé par coupe unique. — Procédé par coupes
successives. — Soins culturaux. — Application aux principales
essences 182-207
Article II. — La futaie jardinée.
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — Cas où le
jardinage doit être maintenu, — Pratique du jardinage. — Les rota-
tions. — Les soins culturaux. — Application aux différentes
essences 207-217
Article III. — Le taillis simple régulier.
Principe de la méthode. — Avantages et inconvénients. — Régénéra-
tion. — Soins culturaux. — Application dans les régions tempérées ;
— .... dans les régions méridionales; — .... dans des cas spé-
ciaux 217-226
Article IV. — Le taillis simple fureté.
Forme des peuplements. — Circonstances dans lesquelles il se justifie.
— Régénération. — Réglementation 226-229
Article V. — Le taillis sous futaie.
Constitution. — Solidarité entre la futaie et le taillis. — Avantages et
inconvénients. — Régénération du taillis. — Constitution de la futaie.
— Les dégagements de semis. — Les éclaircies 229-247
Article VI. — Amélioration des forêts traitées en taillis
simple et en taillis sous futaie.
Transformations et conversions. — Leur peu de raison d'être dans
les bois de particuliers. — But à poursuivre. — Améliorations pro-
posées : — allongement des révolutions ; — éducation d'arbres plus
nombreux ; — substitutions d'essences 247-258
486 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
CHAPITRE VII. - EXPLOITATION ET PROTECTION DES FORÊTS
Article premier. — Généralités.
Article II. — Dommages causés par l'homme.
Fait du propriétaire : à l'occasion des exploitations; — des élagages;
— des émondages ; — des assainissements. — Fait des délinquants :
les causes; — la répression. — Les concessions de menus produits:
tolérances nécessaires; — menus produits végétaux; — menus pro-
duits minéraux. — Le pâturage : la situation actuelle; — nocuité
du pâturage suivant les régions; — influence de la nature du bétail
introduit; — de l'état des peuplements; — conclusions. — Les
incendies: leurs causes et leurs conséquences; — régions monta-
gneuses; — zone parisienne; — régions méridionales 260-297
Article III. — Dégâts des animaux.
Les mammifères. — Les oiseaux. — Les insectes 297-305
Article IV. — Dommages causés par les végétaux.
Les plantes sarmenteuses. — Les plantes parasites. — Le gui. — Les
champignons. — Les bactéries 305-309
Article V. — Dégâts causés par les météores.
Généralités. — Le vent: troisième règle d'assiette et massifs de protec-
tion. — Le froid et les tares qu'il engendre. — Les coups de soleil.
— La foudre. — La neige et les avalanches. — La grêle, le givre et le
verglas 31 0-322
CHAPITRE VIII. — LES PEUPLEMENTS ARTIFICIELS.
Article premier. — Observations générales.
But à poursuivre. — Définitions. — Les différents procédés de boise-
ment 323-325
Article II. — Le boisement par semis.
Qualité des semences. — Leur récolte. — Leur conservation. — Pré-
paration du sol avant le semis. — Les différents modes de semis :
en plein ou à la volée ; — par places; — par bandes continues ou bri-
sées; — par trous ou potets; — en terrain non préparé ; — expédi-
tifs. — Répandage de la semence. — Quantité de semence à employer.
— Saison favorable pour faire les semis. — Application aux essences
sociales. — Soins à donner aux semis 326-3 iS
Article III. — Le boisement par plantations.
Les plants. — Qualité des plants.. — Leur origine. — Leur âge et
leur dimension 3 19-351
Les pépinières. — § 1er Installation d'une pépinière centrale. —
Capital d'installation. — Choix de l'emplacement. — Division du ter-
1 Mil .1 \\ \M I [QI I DES M\ in ni s.
ÎS7
pain, - Préparation du s<>l. - Lei engrais. Le terreau. — Amé
nagemenl de la pépinière. — Sun étendue. — Lei outils. — Lef
clôtures. — Les dangers à combatl re •• . . 351 :;i>~
g 2. Exploitation de la pépinière. Exécution des semis : en plein; —
en rigoles; — en coffres; — procédés spéciaux ; quantité de grai-
nes à employer; — saison des semis. — Soin» à donner aux semis -.
pralinage des graines; — abris contre la sécheresse ; abris d'hiver;
— abris contre les gelées printannières ; — abris permanents : —
arrosages el irrigations; — sarclages; — binages. — Travaux divers:
repiquage des plants: — leur extraction; — leur taille et leur rha-
billage ; — transport et emballage 367-390
§ 3. Pépinières volantes ou locales. — Avantages. — Installa-
tion 391 -392
Exécution des plantations. — Préparation du sol. — Disposition
des plants. — Confection et dimension des trous. — Manipulation
des plants. — Plantation à racines nues; — par touffes; — en butte;
— en corbeilles. — Plantation en terrain non préparé. — Saison
favorable à la plantation. — Application aux principales essences.
— Soins à donner aux plantations 392-513
Article IV. — Procédés spéciaux de boisement.
Les boutures. — Les plançons. — Les marcottes 413-415
Article V. — Les essences de boisement.
1. Généralités. — Choix des essences. — Caractères de la forêt arti-
ficielle 415-117
2. Les essences indigènes. — Essences résineuses. — Essences feuil-
lues. — Mélanges 417-422
3. Les essences exotiques. — Généralités. — Le choix à faire. — Les
essences les mieux connues. — Conclusions 422-431
Article VI. — La mise en valeur par le boisement.
1. Généralités. — Les boisements facultatifs. — Les boisements obli-
gatoires. — Règle commune à tous deux 431-433
2. Les boisements facultatifs. — a. Les améliorations en forêt: Con-
sidérations générales. — Applications dans les futaies, dans les
taillis 433-436
b. Les terres arables abandonnées par l'agriculture: Conditions de
déclassement. — Les procédés de boisement. — Boisements spéciaux.
— Arboriculture fruitière. — Les têtards; les arbres d'émonde et les
ramilles-fourrage 437-444
c. Les terres incultes en pays de plaines et de coteaux : Les landes.
— Les friches. — Les garrigues 444-450
d. Les terrains stables en montagne : Les procédés de boisement. —
Les prés-bois 450-455
188 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
3. Les boisements obligatoires. — a. La restauration des montagnes
dégradées: Les causes de la dénudation. — La méthode de travail
suivie. — . Les travaux de soutien. — Les boisements proprement
dits ; — traitement des parties stables ; — des parties mouvantes ;
— des terres noires. — Les enherbements. — Le gazonnement. —
Conclusion 455- 17 1
b. La fixation des dunes : Les dunes maritimes. — Les moyens d'action.
— La dune littorale. — Boisement de la dune blanche. — Les dunes
continentales 471-182
Table analytique des matières 483-488
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES.
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et Corps thyroïde. — XII. Langue, Voile du Palais, Amvgdales. — XIII. Œsophage et Estomac. —
XIV. Intestin. — XV. Rectum et Périnée. — XVI. Foie et Voies biliaires. — XVII et XVIII. Abdomen.
— XIX et XX. Reins, Uretères, Vessie. — XXI. Organes génitaux de la femme. — XXII. Accouche-
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hôpitaux de Paris, :2e édition. 1905, 1 vol. in-18 de 350 p., avec 03 pi. coloriées,
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médecine de Toulouse. 1901, 1 vol. in-16 de 342 pages, cartonné 5 fr.
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Saint-Lazare. 3e édition. 1808, 1 vol. in-8 de 1270 pages avec 246 figures. 20 fr.
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Traité des Maladies mentales, par Dagojnet. 18U4, 1 vol. gr. in-8 de 850 p. 20 IV.
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Faculté de Montpellier. Préface du Dr Lucas-Chamfionnière. 1901, 1 vol. in-8 de
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Aide-mémoire d'Hygiène, par le professeur P. Lefert. be édition. 1903, 1 vol. in-18
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