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k
TRAITÉ
THÉORIQUE ET PRATIQUE
D'INSTRUCTION CRIMINELLE
ET
DE PROCEDURE PENALE
TOME PREMIER
^,,B1T-L«,l,j,^
TRAITÉ
THÉORIQUE ET PRATIQUE
BT
DE PROGeimBË PENALE
PAR
' R. GARRAUD •<
AVOCAT A LA COUR D'APPM.
PROVX88BDB DE DROIT CRIMIMSL A L'UNIVERSITÉ DE LYON
TOME PREMIER
LIBRAIRIE
DE LA SOQÉTÉ DO RECUEIL J.-B. SIRET k DO JOURNAL DU PALAIS
Anoienne I^^aison U. LAROSE et JB'ORCEL
22, rue Soufflot, PARIS, 5* arrdt
L. LAROSE & L. TENIN, Directeurs
1907
n"
'-W
THB KI17 mm
PUBLIC!? T.ARy
■ 1951 L
INTRODUCTION
Bibliographie générale. — Bouchë-Leclercq, Manuel des institu-
tions romaines f p. 450 et suiv. — Buclière, Étude pratique sur Vinstruction
et la procédure criminelles en France^ et en Angleterre, 1860, in-8». — De-
tourhet, La procédure criminelle au XYit* siècle^ 1881, in-8«. — Duboys, His-
toire du droit criminel de la France, 2 vol. in-8", 1874. — Kômein, Histoire
de la procédure criminelle en France, iHS2, in-8". — Fauslin Hélie, Traité
de rinstruction criminelle, 2* éd., 1866-67, 8 vol. in-8®(Le premier volume
est entièrement consacré à l'histoire de la procédure criminelle). — Lewis,
De la procédure criminelle en France et en Angleterre, 1882, in-8®. — Marcy,
Uaccnsé devant la loi pénale en France, 1891, 2 vol. in-8*. — Maury, La
législation criminelle sous l'ancien régime. La procédure {Revtte des Deux-
Mondes, 1877, t. III, p. 241-278). — Mispoulet, Les institutions politiques
des Humains, t. II, p. 521 «t suiv, — Mittermaier, Traité de la procédure
criminelle, en Angleterre, en Ecosse et dans VAmériquc du Nord, traduit
par ChauiTard, 1868, in-8®. — Munier-Jolain, L'instruction criminelle tn-
quisitoriale et secrète, 1880, 1 vol. in-18«. — Holand, De Vesprit du droit
criminel aux différentes époques, 1880, 1 vol. in-8*.
O. P. P. - 1. 1
INTUODUCTION
§ I. — DE L OBJET DE LA PROCÉDURE PÉNALE
1. La procédure pénale a un double objiH : organiser les autorités cliar^é'^s de
la répression, leur tracer la marche À suivre dans ce but. Elle t-st insépaniblc
du fond du droit. — 2- Les lois de procédure sont deslinéps h régulaiiser lu
n-action individuelle et sociale que provoque iVictidn criminelle. — 3. Dans
révolulioD de la procédure pénale, il faut tenir compte de l'organisation du [nm-
voir politique et des croyances du groupe social. — 4. Analogies apparentes et
diïT»*ri-nc»»s substantielles entre la procédure pénale et la procédure civile. —
5. «.Qualités d'une bohuc procédurt^ pénale : simplicité, céltrité, é({uité. — 6. Con-
c»*pLs >;énéraux autour desquels se groupent les règles de la procédure pénale :
aeiion, preuve, ordre judiciaire, rite, exécution.
i . Le droit social de punir ne s'exerce régulièrement qu'a-
près un jugement déclarant la culpabilité et prononçant la
peine. D'où la nécessité, pour tout groupe social autonome :
1* de créer des organismes, auxquels seront confiées les di-
verses missions que supposent le prononcé du jugement et
son exécution; 2* de leur tracer, à Tavance, la marche à
suivre pour atteindre ces résultats. Par suite, le double objet
des lois de procédure consiste à organiser les autorités péna-
les et à réglementer leur fonctionnement. Dans le domaine
de la pénalité, les lois de forme sont inséparables des lois de
fond, car toute répression, c'est-à-dire toute tnise en œuvre
des lois pénales, implique un procès et un jugement prérrla-
blés '. Le droit pénal, c*espt le droit de punir à létat statique;
5 I. * Le droit civil, au contraire, a une vie et une force indépendantes
du procès destiné à le faire reconnaître et à le faire respecter lorsqu'il est
4 PROCEDURE PENALE. — INTRODUCTION.
la procédure, c'est ledroil de punira Vétat dynamique, el c'est
toujours sous ce second aspect, que se présente la répression
et qu'elle se légitime.
La procédure a donc ici une importance égale à celle du
droil; elle a même, à certains points de vue, plus d'impor-
tance, car si on a vu des peuples, avec un bon système d'or-
ganisalion judiciaire et de procédure, corriger les inconvé-
nients d'un système d'incrimination défectueux, le phéno-
mène inverse ne s'est jamais rencontré'. L'idéal que tout Code
de procédure tend à réaliser, c'est la conciliation de deux
intérêts, en apparence contraires : celui de la collectivité^
exigeant qu'aucun coupable ne puisse échapper à un châti-
ment rapide et presque immédiat [impunitum non relinqui
facinus); celui de Vindividu, exigeant un examen impartial
et approfondi de la culpabilité i^innocentem non condem-
nari).
La conciliation de l'intérêt individuel et de l'intérêt social
est, ici comme partout, l'éternel problème que toute civilisa-
tion juridique s'efforce de résoudre. S'il est vrai, comme l'a
dit Montesquieu, que les règles à suivre, dans les jugements
criminels, « intéressent le genre humain plus qu'aucune
« chose qu'il y ait au monde' », un pays, dont la procédure
pénale est défectueuse, doit être profondément troublé dans
sa vie quotidienne; car si nous pouvons, pour la plupart, être
certains de ne pas violer la loi pénale, aucun de nous ne peut
viole. Le proc»»s civil est un accident, heureusement rare, dans la vie juri-
dique d'un propriétaire, d*un créancier, d'un époux, etc. Dans le domaine
de la pénalité, au contraire, il est vrai de dire que le droit est la substance,
la procédure est la forme, et on ne saurait pas plus concevoir une substance
sans forme, qu'une forme sans substance.
- Voy. Ortolan, Éléments, t. 2, n® i936. Sur l'importance comparée
du droit pénal et de la procédure, Ortolan, Cours de législ, pén. comp.,
Intr. phil.^ p. 77 à 81 (excellents développements', Adde, Carrara, Il diritto
pénale e la procedura pénale {Opuscoli di diritto, t. 5, p. 60.
^ On sait ce que Montesquieu a dit de la procédure pénale : « Dans un
pays qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on
ferait son procès, et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre
qu'un pacha ne l'est en Turquie ». Esprit des lois, liv. XII, chap. II.
OBJET DE LÀ PROCÉDURE PENALE. 5
avoir Tassurance qu'il ne sera pas injustement poursuivie
L'idéal qu'il faut poursuivre, sans espérer pouvoir Taileindre,
mais CQ s'en rapprochant davantage à chaque étape de la ci -
vih'salion juridique, c'est de tendre toutes les règles de la pro-
cédure vers un but unique, la recherche de la vérité dans le
droit et par le droit.
2. Les lois de la procédure ont pour caractère essentiel
de féyulariser les réactions indiciduellrs rt sociales que pro-
voque toute action criminelle'. Elles supposent déjà un état
de civilisation dans lequel Tindividu et la collectivité ont re-
noncé à se faire directement et innnêdiatonent justice. Le
lynchage du criminel est un procédé des sociétés primitives,
un retour à la barbarie des sociétés civilisées' : les groupes
sociaux régressent, en effet, comme ils progressent suivant des
lois nécessaires, les mêmes conditions déterminant les mêmes
phénomènes. Un Code de procédure est donc un fait de civi-
lisation : il marque une étape dans la voie du progrès.
3. Si le droit pénal reflète les idées qui donnent à un état
4
Ferri, Sociologia criminale, n" 79, p. 777 (+« éd.;. Le Code pénal a été
appelé quelquefois le Code des malfaiteurs, tandis que le Code de procé-
dure pénale a été appelé le Code des honmHes f/ens, L*un est un instru-
ment de défense sociale contre les criminels; l'autre doit être un moyen de
garantie individuelle pour les autres. Avant Ferri, Garrara, // diritto pe-
nde e la procedum pénale (Opuscoli di divitto^ t. 5, p. 19), avait dit :
'• Ui'ito pénale a dunque la saliaynardia dei galantuoml ». Voy. Emma-
Dual'? Carnavale, Idéale giurUlico délia proredura pénale (Rivista pénale^
1903, p. 92).
' Tarde^ Philosophie pénale, p. 420 : « La vie sociale n'est qu'un entrela-
cement et un tissu de ces deux ordres de faits : la production ou l'échange
de services, la production ou l'échange de préjudices. L'hommt; est né
reconnaissant et vindicatif, porté à rendr'e don pour don, coup pour coup,
comme fait Tenfant, et les progrès de la civilisation ont consisté non à déna-
turer, mais à régulariser, à généraliser, à faciliter les manifestations de ces
lieux penchants ».
• La procédure sommaire, telle que notre procédure en cas de llagrant
délit, t»st une régularisation, en même temps qu'une image, de ces proctdés
des sociétés primitives.
6 PROCEDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
social sa physionomie et son caraclcre, s'il évolue d'après une
courbe parallèle à cel état social, d'une part, Torganisalion des
• juridictions se constitue et se modèle sur l'organisation du
pouvoir politique, et, d'autre part, les procédés qui ont pour
objet de rechercher Tauteur d'un crime et de démontrer sa
culpabilité, empruntent leur caraclère aux croyances de cha-
que groupe social et à la foi fondamentale qui l'anime^.
Comme on l'a dit très exactement en effet : « Les mœurs et
<' la culture d'un peuple se lisent dans sa procédure* ».
4. Bien que, à certains points de vue, les formes de la pro-
cédure civile paraissent être semblables à celles de la procé-
dure pénale, bien que, à l'origine des civilisations juridiques,
la procédure pénale et la procédure civile n'aient pas été plus
distinctes que ne Tétaient le droit pénal et le droit civil, les
analogies entre ces deux procédures ne sont qu'apparentes
et les différences substantielles, a) La procédure civile est
instituée et organisée dans un intérêt principalement privé;
la procédure pénale, dans un intérêt principalement public.
b) Le procès civil ne peut être jugé de la même manière que
le procès pénal. Le premier porte sur une question de droit et
de fait, sur une espèce, comme on dit au palais, qui peut être
résolue et qui doit même l'être, presque toujours, en faisant
abstraction de V individualité Ai^% plaideurs. Le procès pénal
impliquant essentiellement l'examen de la culpabilité, la
procédure est dirigée constamment et* exclusivement contre
un individu déterminé, Vineidpé. Ce côté subjectif du
' Ainsi que le remarque Ortolan, Éléments, t. 2, n** 1936 : « La juridic-
tion n'est autre chose qu'une partie de la puissance sociale organisée, liée
par consr^quent nu droit politique, tournant dans l'orbite des constitutions,
tandis que la proc^^durp tourne à son tour dans celle des juridictions ». Mais
il est un éMmenl dont Ortolan ne tient pas compte, c'est que la procédure cri-
minelle a pnur objet de résoudre une double énigme :1a recherche de l'auteur
d'un crime et la démonstration de sa culpabilité. Or, dans son rapport avec la
preuve, la procédure retlète la foi fondamentale qui anime le groupe social,
sa croyance la plus universelle et la plus indiscutée. Voy. sur ce point :
Tarde, Philosophie pénale, p. 425.
■ Paul Viollet, Les établissements de saint Louis, 1881, t, 1, p. 179.
OBJET DB LA PROCKDURB PENALE. 7
procès pénal, par opposition au côté objectif du procès civil,
nous paraît être la diiïcrence la plus caractéristique entre les
deui procédures, celle qui motiverait l'emploi de deux per*
sonoels judiciaires distincts, et la séparation absolue de la
justice civile et de la justice pénale*. Le juge répressif doit
cire un psychologue et un sociologue : il suffit, la plupart
(lu temps, au juge civil, d'être un légiste, c) L'exécution du
jugement civil appartient à la partie qui Ta obtenu : elle se
fait principalement sur le patrimoine^ sans coercition directe,
\is-a-vis de la personne. L'exécution du jugement pénal
appartient à l'État : elle suppose toujours une astreinte per-
sonnelle. Le procès pénal n'est donc qu'un incident préa-
lable dans l'exercice du droit de punir, et le jugement
qui le termine n'a son importance et sa fonction que dans
l'acte même d'exécution. La peine prononcée ne tire, en effet,
sa valeur réelle que du système pénitentiaire, organisé pour
la subir. La question d'exécution pénale domine donc, par son
importance, toute autre question : elle est, au point de vue
delà lutte contre le crime par les moyens répressifs, le pro-
blème vers lequel lout converge et auquel tout aboutit. Aussi
l'eiécution du jugement pénal n'est pas une question de pro-
cédure, comme l'exécution du jugement civil : elle fait partie
intégrante du droit pénal, dont le droit pénitentiaire n'est
qu'un des aspects. Et comme « les tribunaux répressifs et
« l'administration pénitentiaire concourent au même but et
" que la condamnation ne vaut que par son mode d'exécution,
« la séparation consacrée par notre droit moderne entre la
« fonction répressive et la fonction pénitefitiaire est irration-
« nelle et nuisible'^ ».
• L'école positiviste a mis particulièrement en relief ce point de vue. Nous
verruns quelles conséquences doivent en résulter, particulièrement lorsque
nous critiquerons Turiiié de la justice pénale et de la justice civile sur la-
quelle repose notre organisation judiciaire. Voy. Ferri, Sociologia onmi"
mie, n«* 79 à S4, p. 777 à 826 {4« édit.); Garofalo, Criminologia, p. 387
à 307.
1^ C'est la formule même, d'un article du premier programme de V Union
inteinationalc du droit pénal, II, § 5. On sait que Tun des moyens préco-^
8 PROCEDURE PENALE. — INTRODUCTION.
5. Les quaUtés idéales d'une loi de procédure sont : la sim-
plicitéj la rapidité, V équité. L'organisation de la procédure
doit être d'autant plus simple que sont simples les règles de
la logique auxquelles elle correspond. La célérité est une qua-
lité qui est la conséquence de la simplicité. En cas de con-
damnation, plus la peine est voisine du délit, plus la répres-
sion est efficace et exemplaire. En cas d'acquittement, plus
la procédure est expéditive, moins le procès est dommageable
pour l'innocent. D'ailleurs, les lenleurs, dans la •marche du
procès, sont une des causes principales des insuccès judiciai-
res. Les lenteurs dépendent, en partie, des lois, en partie,
des hommes : à ce point de vue même, les lois peuvent exer-
cer une salutaire influence par leurs prescriptions et leurs
exigences. Mais la simplification et la célérité ne sauraient
être recherchées ni acquises au dépens de la justice^ qui est
ici réalisée par l'équilibre entre les deux intérêts fondamen-
taux delà procédure, équilibre sans lequel on ne peut attein-
dre les fins pour lesquelles la procédure est instituée.
6. La marche naturelle du procès pénal implique l'étude
de questions nombreuses qu'on peut grouper sous les idées
ou conceptions suivantes :
a) L'idée de Vaction, c'est-à-dire de l'activité qui va mettre
en mouvement la machine judiciaire et lui donner, jusqu'au
jugement, l'impulsion et la direction. En effet, le pouvoir de
juger ne s'exerce pas d'office : pour être appelé à trancher
une question, il faut d'abord qu'elle vous soit posée. Il est
donc de règle, dans l'organisation judiciaire moderne, que le
juge ne soit appelé à statuer que s'il est saisi et dans la mesure
où il est saisi. Cette nécessité de Texercice d'une action^ pour
mettre en mouvement le mécanisme judiciaire, implique
nisés dans ce but est le rattachement de rAdministration pc^nitentiaire au
ministère de la justice. Voy. sur cette question : Institutions pénitentiaires
de la France en 1S95, p. 461 à 463; d'Hausson ville, Les établissements pé-
nitentiaires (le la France, p. 33 et suiv.; Magnol, De rAdministration péni-
tentiaire dans ses rapports avec rautorité judiciaire et de son rattache-
ment au ministère de la justice (Th. doct., Toulouse, 1901).
OBJET DE LA PROCÉDURE PENALE. 9
m
Texislence d'agents et de procédés de poursuite. Le premier
objet de la procédure pénale est d'en régler l'organisation et
le fonctionnement.
b) L'idée de V instruction et de la pr^euve, c'est-à-dire des
procédés qui seront employés pour rechercher les délits et les
délinquants et pour convaincre le juge de la culpabilité de
l'accusé. C'est le fond même de la procédure pén.ale, dont
toutes les règles sont dirigées vers ce but : obtenir, par des
moyens légaux, la découverte des crimes et la punition des
criminels. De la bonne ou de la mauvaise organisation de ces
rèffles, dépend, avant tout, la sécurité de la société comme
celle de l'individu.
c) L'idée de Vordrc judiciaire^ c'est-à-dire de l'organisation
et du fonctionnement des diverses autorités qui concourent
à la répression. Cet ordre est partout en rapport avec Torga-
nisation politique dont la justice est un élément.
d) L'idée de la procédure ou du rite^ c'est-à-dire de la
marche à suivre et des formalités à remplir pour obtenir, ce
qui est le dernier mol du procès pénal, un jugement défi-
nitif et irrévocable. La forme ^ si critiquée ailleurs, est, ici,
la garantie nécessaire de l'individu. Mais il ne faut pas que la
loi sème la marche du procès de chausse-trapes et d'embû-
ches et permette ainsi, à tout inculpé, de se réfugier dans le
naaquis de la procédure pour éviter ou tout au moins retarder
le châtiment qui doit le frapper. C'est à ce point de vue qu'il
appartient au législateur de garantir, dans les formes mêmes
du procès, les principes de la libre et publique défense, sans
oublier l'intérêt social qui exige la punition de tout délin-
quant.
é) L'idée de Vexécution, c'est-à-dire de la manière dont le
jugement doit sortir effet en cas d'acquittement comme en
cas de condamnation. Mais il faut observer que les consé-
quences de la chose jugée sont plutôt du domaine du droit
pénal que du domaine de la procédure pénale, soit qu'il
s'agisse de déterminer quels sont les effets d'un acquitte-
ment, soit qu'il s'agisse de faire exécuter une condamnation.
10 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
§ II. - LES DIVERS TYPES DE PROCÉDURE PÉNALE.
7. Des trois type?* de procédure pénale. — 8. De la procédure accuaatolre. Ses
deux caractères principaux. — 9. L'accusation. Par qui elle est exercée. — 10.
I^ juge est un arbitre de combat. Double conséquence. Institution des juridictions
populaires. Absence d'une procédure par défaut, — 11. L'instruction dans le
système accgsatoire. — 12. Procédés pour rechercher l'auteur d'un crime et le
convaincre. Le llaj^rant déli*. Les cojureurs. Les ordalies. La preuve par la ba-
taille. — 13. Champ d'action du système accusatoire dans le temps et l'espace.
L'Angleterre est restée, dans les temps modernes, le conservatoire de cette, pro-
cédure. — 14. De la procédure inquisitoire. ^ 15. Ses caractères principaux. —
16. Le juge est un délégué du pouvoir, officier de justice et fonctionnaire per-
manent. — 17. Linquisition. — 18. La torture. Son origine. Son extension. #—
19. Double conlrepoids aux pouvoirs du juge. L'appel. Los preuves légales. —
20. Le système inquisitoire dans le temps et dans l'espace. — 21. Avantages et
inconvénients des deux systèmes de procédure, accusatoire et inquisitoire. Sys-
tème mixte. — 22. Ce qui le caractérise. — 23. Son évolution.
7. L'histoire de la civilisation présente, au point de vue de
Torganisation et de la procédure répressives, un nombre li-
mité de combinaisons; elles naissent successivement, dans un
ordre historique qui correspond assez exactement à Tordre
logique de leur apparition. On dislingue, en effet, trois types
fondamentaux de procédure : le type accusatoire^ le type
inquisitoire, le type mixte. Chez presque tous les peuples, le
droit criminel est parti de la procédure accusatoire pour abou-
tir à la procédure inquisitoire ^ Mais une évolution en sens
inverse se dessine : partout, on tend à rétablir, les garanties
essenlielles du système accusatoire, la publicité et la contra^
diction, La seule institution du système inquisitoire qui ait
défié les critiques et qui soit plus puissante et plus générale
que jamais est celle du pnnistère public.
§ IL * Les droits primitifs ont donné à la procédure la figure efToctive
d'un combat. Comme toujours, ce qui devient simulacre commença par être
une réalité, et il n'est nullement téméraire d'affirmer que les premiers moyens
des plaideurs furent ce que sont encore aujourd'hui les derniers arguments
des peuples, c'est-à-dire des coups. Voy. Beaudouin, La participation des
hommes libres an jugement dans le droit français {Rcv. histor. du droite
1887-1888, p. 246 à 279); Ihering, Esprit du droit romain, t. I, p. 122,
noie 33.
DIVERS TYPES DE PROCÉDURE PÉNALE. 11
8. Le système accusaloire a deux caratères priacipaux. Il
correspond à la notion élémentaire du procès pénal qui n'est,
tout d*abord, qu*un combat simulé entre deux adversaires,
combat auquel le juge met fin en donnant tort à Tun ou à
l'autre. Il implique, au début, la confusion des deux procé-
dures, pénale et civile, lesquelles, engagées Tune et Tautre
par action privée, se déroulent primitivement, dans les mêmes
formes, devant les mêmes juges et tendent à obtenir les mêmes
satisfactions. Peu à peu, sans doute, Topposition des objets
réclamés, amène, malgré Tidenlité des parties engagées dans
l'instance, la séparation graduelle entre les procédés de Tin-
slaoce pénale et ceux de Tinstance civile. Mais dans, le sys-
tème accusatoire, la différence entre ces deux procès n'est
jamais absolue et il y a réaction incessante de la peine sur
Findemnité et deTindemnitésur la peine.
Voici quels sont les principes qui forment le fond de ce sys-
tème de procédure.
9. L'accusation est librement exercée partout citoyen, mais
il o'y a pas de procès pénal sans un accusateur qui en prend
riniliative et la responsabilité. A ce point de vue, du reste, la
mise en marche de la procédure appartient, tout d'abord, h,
la partie lésée; plus tard, quand le besoin et Tintérêl social de
la répression se fontsentir et que le droit pénal se détache du
droit privé, on reconnaît, à tout membre du groupe dont fait
partie la victime, la faculté de commencer la poursuite au
nom de la collectivité. C'est le système de l'accusation popu-
laire. On comprend ainsi, arrivé à cette période de la civilisa-
tion juridique, que l'accusation est une fonction sociale; mais
on ne crée pas, pour l'exercer, des organismes permanents et
officiels. Cette évolution des conceptions juridiques estle point
de départ de laséparalion qui ira, grandissante, entre les procé-
dures pénale et civile. Dans les procès criminels, la société
parait intéressée à les intenter et à les poursuivre. Il n'est
pas au pouvoir de la victime d'un délit ou de ses concitoyens,
sans le secours de la force publique^ d'empêcher que le mal-
faiteur, enhardi par Timpunité, ne commette bientôt de noa-
12 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
Teaux crimes. L'exercice de l'action sociale ou publique se
justifie donc en matière criminelle : mais il serait inefficaceL
ou excessif en matière civile. Sans doute, il peut être utile, au
point de vue social, que la propriété soit respectée, les con-
trats maintenus, les préjudices réparés. Mais le moyen le plus
sûr, pour atteindre ce résultat, est de laisser la liberté aux
particuliers en leur donnant accès devant les tribunaux pour
y débattre et y faire reconnaître leur droit *. L'action civile est
donc exercée au nom de rinlérêt privé; l'action pénale, au
nom de l'intérêt public. Dans l'une, l'initiative du procès doit
appartenir exclusivement à la partie qui se plaint d'un tort
personnel; dans l'autre, au représentant de l'intérêt général.
Celte distinction devient fondamentale dans tout système de
procédure. Le jour où cette évolution est accomplie, la procé-
dure criminelle présente les caractères suivants : — Recherchi^
et poursuite des faits [délictueux par les représentants de la.
société; — Jugement par les représentants de la société; —
Peine publique.
Mais, avant d'aboutir à cette conception, qui est celle des
peuples civilisés, bien des étapes sont successivement par-
courues.
10. Les coutumes primitives ont un minimum d'e:!Ligence
et d'idéal : elles se contentent d'éviter, dans la mesure du
possible, le recours à la force brutale. Elles se considèrent
comme ayant remporté une grande victoire sur l'instinct de
la vengeance individuelle, quand elles ont imposé à l'offensé
l'obligation de respecler certaines formes et certains délais
dans Texercice de son droite et l'ont contraint, en cas de doute,
à se soumettre à un arbitrage'. C'est que, en effet, le juge
est, à l'origine, un arbitre de combat; il doit être choisi ou,
tout ou moins, accepté par les deux parties. Aussi, retrouve-
t-on, chez presque tous les peuples qui pratiquent le système
2 La difTérence entre le procès pénal et le procès civil, à ce point de vue,
a éié bien mise en relief par Tarde, Philosophie pénale, p. 422 et 423.
• Summer Maine, De la codification iVaprès les idées antiques, p. 13.
DIVERS TYPES DE PROCEDURE PENALE. 13
accusatoire, soit le principe du jugement par les pairs de
l'accusé, soit l'absence d'une procédure par défaut.
La première institution, le jugement par les pairs de
l'accusé, par les hommes de sa tribu et de sa race, a toujours
élé considérée, dans les sociétés primitives, comme la meil-
leure garantie d'une justice impartiale; elle porte le procès
devant des arbitres, sans prévention, qui le jugeront souverai-
nement, sous la seule inspiration de leur raison et de leur
conscience. Des deu\ questions de fait qui se posent dans le
procès pénal, l'une, la question de savoir si l'accusé est Fau-
teur du crime, a le caractère d'une question de conviction,
l'autre, celle de savoir dans quelle mesure Taccusé en est
moralement responsable, est une question de dosage de cul-
pabilité : des juges populaires sont en état de les résoudre
l'une et Tautre. La solution de ces questions n'exige pas, en
effet, des connaissances juridiques spéciales.
La nécessité de la présence des parlies dérive, à l'origine,
du caractère même du procès^ qui est une lutte simulée : tout
combat suppose, en eiïet, la présence de deux combattants.
Peu importe qu'il n'j ait plus qu'un symbole. La forme l'em-
porte sur le fond. Plus tard, une autre idée se mêle à la
première et donne, à cette règle des droits primitifs, une
nou%'elIe justification : le juge est un arbitre, il doit être
accepté, tout au moins tacitement^ pour être régulièrement
constitué dans son pouvoir. La grande préoccupatiou à cette
époque, c'est de contraindre l'accusé à subir le jugement :
la mise hors la loi du défendeur récalcitrant est le procédé
énergique dont on se sert dans ce but, à défaut de tout moyen
direct de contrainte, et vu Ti m possibilité de rendre le juge-
ment. L'accusé qui ne se présente pas est traité en « out-
iatv » et non en condamné^
11. Liejuge, dansle système accusaloire, ne peut procéder,
de sa propre initiative, ni pour se saisir ni pour s'éclairer ; son
* Voy. Molinier, Mort civile^ p. 18; Du Boys, UisL du droit crim. rf«»
peuples moderneSf l. i, p. 122.
14 PROCEDURE PÉlfALK. — INTRODUCTION.
rôle consiste à répondre au\ questions qui lui sont posées, à
examiner les preuves produites devant lui, et à se décider
sur ces preuves. Il assiste en témoin à la lutte; il dirige le
combat pour qu*il soit et reste loyal; il dit quel est le vain-
queur : mais, à aucun moment de la procédure, il ne prend
un rôle actif, soit pour poursuivre, soit pour enquérir.
L'instruction a trois caractères essentiels : elle est contra-
dictoire, orale, publique. Les adversaires sont mis en présence
dans un débat qui a lieu au grand jour. Chacun d'eux produit
librement ses moyens de preuve, et Tinstance ressemble à
un duel h armes égales et loyales.
12. Les procédés employés pour rechercher Fauteur d'un
crime et démontrer sa culpabilité sont en rapport direct avec
les [iréjugés ou, si Ion veut, avec les croyances de Tépoque.
L'olTort principal de la poursuite porte sur la constatation
du flagrant délit : dans les procédures primitives, le flagrant
délit apparaît, en elTel, comme Thypothèse normale de la ré-
pression : le sentiment de vengeance, qui inspire la pénalité,
est, dans ce cas, plus ardent; la culpabilité, qu'il faut établir,
est alors moins douteuse. Hors le cas de flagrant délit, si
Taccusé n'avoue pas, c est à lui, par un renversement de la
preuve, qu'il appartient d'afArmer son innocence, en prêtant
le serment juratoire, et en le faisant appuyer par le nom-
bre de cojureurs que fixe la coutume. C'est là le mode de
preuve normal; il constitue un droit pour Taccusé : mais
il peut être écarté dans certains cas, et alors interviennent
des épreuves par lesquelles on fait appel au jugement de la
divinité. Ces épreuves sont de deux sortes. Dans les unes,
ne figure que l'une des parties, ordinairement Taccusé;
pour citer les plus répandues, c'est l'épreuve du fer rouge,
celle de Teau bouillante, celle de Teau froide; dans les autres,
les deux parties jouent un lôle actif; c'est le duel judiciaire
et l'épreuve de la croix *. Ce système n'est point spécial aux
• Dans |iiotn' pays, lt;s ordalies par l'eau bouillante, le fer rouge, l'eau
froide, fréquomnienl usil»'Os sous les mérovingiens, deviennent rares dès le
commcnnement de la deuxième race».
DITBRS TYPES DE PROCEDURE PÉNALE. 15
coutumes germaniques, il caractérise, non une race dcler-
inioée, mais un certain degré de civilisation*. Dans la phase
mythologique de Tesprit humain, on a questionné la divi-
nité sur la culpabilité ou Tinnocence, comme on la question-
nait sur le sort d*une bataille. Il y a correspondance, à ce
point de vue, entre les idées et les institutions. Le même es-
prit qui permet à la divination parles augures et les sorciers
de se répandre, conduit à l'usage et h la diiïusion de l'instruc-
tion criminelle par les ordalies^ et le combat judiciaire*.
13. Le système accusatoire, précisément parce qu'il sym-
bolise et régularise le combat primitif, apparaît tout d*abord
dans rhistoire de la civilisation juridi(|ne. On en retrouve
Torigine dans les législations orientales; on le voit prendre
une forme précise dans les législations grecque et romaine;
puis décliner et disparaître avec la liberté, au temps du Bas-
Empire. Après la chute du monde romain, nous le retrou-
vons, avec des formes grossières et rudes, organisé par les
coutumes germaniques et féodales; et tandis que, & Tépoque
* On retrouve le serment juratoire et les ordalies dans l'antiquité grec-
que (Esmein, Mélanges^ p. 240 et suiv. ; Sophocle, Antigom\ vers 204); chez
If 5 Indous (Lois de Manou, trad. Loiseleur-Deslnn^rchamps, t. 8» 109,
113-116). Ce système fonctionne encore aujourd'hui chez un j^rand nombre
de peuples sauvages (Kohler, Studien iiber Ordalien der Saturviilkery dans
Zeitachrift fur verglekhemle Rechlswissenschafi, t. 5, p. 36H et suiv., et
l. 4, p. 305 et suiv.). Voy. sur le caractère des ordalies dans les coutumes
celles : H. d'Arbois de Jubain ville, Études sur le droit celtique^ t. 1, p. 50.
' Voy. sur ce point, Tarde, Philosophie pénale, p. 424; Esmein, Cours
élémentaire d'histoire du droit français, p. 98.
• D'Arbois de Jubainville {op.eiloc. cit.) a d<^monlr<^, du reste, que le duel
conventionnel chez les Celtes, comme chez les vieux Romains (combat des
Honices}, dans l'Iliade (duel d'Ajax contre Diomède), et dans IVpopt^e de
Thèl»es, est inspiri^o par une conception tout autre que le duel judiciaire
du moyen Age. Comme ce dernier, il intervient en matière litigieuse; mais
(d notion de justice divine en est absente. Ni les Celtes, ni les héros dHo-
mêre, ni les Horaces et les Curiaccs ne songent h une intervention de la
divinité pour faire triompher le bon droit. Le duel n'est pour eux (ju'une
imitation de la guerre privée.
16 PROCÉDDRB PÉNALE. — INTRODUCTION.
moderne, il disparail sur le conlinenl européen, il se con-
serve en Angleterre et aux États-Unis*.
C'est en Angleterre que, dès la fin du xviii* siècle, l'Eu-
rope ira, par une sorte de retour ancestral, rechercher et re-
trouver le modèle de celte procédure archaïque, à laquelle
on sacrifiera quelques-unes des meilleures créations du génie
français, telles que le ministère public.
14. Le système de procédure dit inquisitoire est plus scien-
tifique et plus complexe : il s*adapte, mieux que le précédent,
aux nécessités de la répression sociale. Ses deux traits domi-
nants sont, Venqiiête secrète pour découvrir le coupable, et
Yemploi de la question^ pour obtenir son aveu. Mais ce type
de procédure comprend un ensemble d'institutions appro-
priées, qu'il ne faut pas isoler, car elles s'expliquent les unes
par les autres et se coordonnent les unes avec les autres.
15. La recherche et la poursuite du coupable ne sont plus
abandonnées à l'initiative des parties privées. C'est le pou-
voir social qui procède d office aux actes nécessités par cette
double fonction. Il crée des organismes pour enquérir, comme
il en crée pour accuser. Sans doute, les institutions, qui cor-
respondent à ces phases nécessaires du procès pénal, ne sont
pas nées en un jour : leur origine est aussi obscure que leur
développement est incertain. Nous ne prétendons constater ici
que le point d*arrivée de l'évolution juridique : la transfor-
mation du caractère de Vinstruction et de celui de la pour-
suite.
• Cfr. Seymour-Harris, Principii di dintto e procédure pénale Inglesè
(Traduction de Bertola), Vérone, 1898 ; Fournier, Code de procédure cri-
minelle de Vttat de New- York, Introduction sur la procédure criminelle
aux États-Unis (Paris, Larose, 1893). Mais, aux États-Unis, il existe un
ministère public. L'insécurité et Timpunité, résultant dans un pays neuf et
formé d'élé.iients si divers, du système de poursuite anglais qui abandonne
la répression à l'initiative des citoyens, ont fait comprendre, aux États-
Unis, la nécessité de confier à un fonctionnaire spécial le soin de poursuivre
la répression.
DIVERS TYPES DE PROCÉDURE PENALE. 17
16. Un phénomène intéressant de révolution sociale et
politique se produit d*abord quant au fait et au droit de
juger. Ce qui était le droit et la fonction de tous devient le
droit et la fonction de quelques-uns : le pouvoir de juger
tend à se spécialiser. Il tend aussi à s'imposer. L'arbitre pri-
mitif change de caractère. Le juge, délégué par le pouvoir
et non plus choisi par les parties, s'impose et ne se propose
plus au délinquant: il devient le représentant du chef qui
a seul le droit de rendre la justice. Son caractère change
ainsi à un double point de vue. — C'est un officier de juMice^
investi d'une fonction sociale, el choisi, à raison du caractère
scientifique du procès pénal, parmi les hommes qui ont étu-
dié les lois, les légistes. — C*est un fonctionnaire perrnane?it,
chargé de juger tous les procès du même genre. D'abord iti-
nérants comme disent les textes, les juges se fixent plus tard
dans certaines contrées qui deviennent ainsi des sièges de
justice. C'est là que se créent et se développent, avec la juris-
prudence, les sciences pénales. On recueille d'abord les cou»
tûmes; on les fixe par l'écriture. Des manuels de pratique
judiciaire sont composés et servent de guides aux profession-
nels. Puis, la science se crée, avec le développement de l'es-
prit d'observation et de critique.
17. L'examen du juge n'est pas limité aux preuvres produites
devant lui : le magistrat procède d'office, et suivant certaines
règles, à l'instruction (î/iyw25///o), c'est-à-dire à toute recher-
che de preuves admises par la loi.
Cette instruction, écrite et secrète, n'est pas contradictoire :
le duel loyal entre l'accusateur et Taccusé est remplacé |)ar
lattaque insidieuse du juge. Un nouveau moyen d'instruction,
plus atroce peut-être mais plus logique que les ordalies, la
torture, pénètre et s'infiltre, des cours supérieures de justice,
jusqu*aux tribunaux inférieurs. L'aveu de l'accusé ayant
acquis une influence prépondérante, la méthode par excel-
lence pour arracher cette preuve, parait être la question par
le chevalet, le brodequin ou l'eau.
18. La torture est une institution d'origine romaine. Sans
G. P. P. — î. 2
!8 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODLCTIOîC.
doute, SOUS la République et au commencement de TEmpire,
les citoyens romains y échappaient. Seuls y étaient exposés :
Tesclave quand il était accusé*** ou simplement appelé en jus-
tice, et le provincial. Mais l'usage s'introduisit, aux premiers
temps de TEmpire, de soumettre, à ce procédé d'instruction,
les citoyens romains accusés de lèse-majesté. Puis, la torture
devint d'une application si générale que les textes recomman-
dent aux juges de ne pas commencer par là l'instruction et de
recueillir d'abord des indices". Il uVst donc pas étonnant que
la diffusion de la torture coïncide, dans l'histoire moderne,
avec l'exhumation du droit romain, à demi oublié, par les crî-
minalistes de l'école de Bologne. C'est à partir de la fin du
xii' sièch», en effet, que la transformation de la procédure,
par la substitution de la torture aux ordalies, commence
à se manifester. De|)uis lors, aucun pays de l'Europe n'a
échappé h la contagion". A la fin du xiv* siècle, la torture
est devenue d'un usage général. C'est, en quelque sorte, une
des institutions fondamentales de Tancienne procédure cri-
minelle.
19. Deux institutions, destinées à limiter le pouvoir dujuge,
celle de Tappel et celle des preuves légales, trouvent leur
origine dans la procédure inquisitoire dont elles forment deux
traits caractéristiques.
L'appel est le droit de porter à nouveau, devant un juge
supérieur, la cause déjî\ tranchée [>ar le juge inférieur. La
conception dt» Tappel est étrangère à la justice exercée par
les |)âirs<le l'accusé : elle répugne d'abord î\ la notion popu-
laire de l'infaillibilité judiciaire ; si le [iremier juge a pu se
tromper, pourquoi le second ne se tromperait-il pas? Elle
*** Ksmein {Cours rlcmentaire iVhhioiro du droit franraiSf p. 36) a fait
obscrvor que « ranliquiti^ n'a jamais admis le témoignage de IVsclave
« sans le rontrôlor pour ainsi dire par la torture ».
" L. il, C. IX, 41.
*^ Voy. Tarde, l*liilosophie pènak^p, 430. Cfr. Molinier, La torture (Tou-
louse, 187i*). Kxtrait du Hecueil de r Académie des sciences^ inscriptions et
belles-lettres de Toulouse.
DIVERS TYPES DE PROCEDURE PÉNALE. 19
suppose, du reste, des tribunaux hiérarchisés ; les juges po-
pulaires doivent être souverains, chacun dans les limites de
sa compétence. Aussi, Tappel, tel que nous Tentendons
aujourd'hui, n'existait pas sous la République romaine^ il
fit son apparition sous TEmpire.
La procédure, soit germanique, soit féodale, essentielle-
ment coulumière, ignora cette voie de recours *^ Mais avec
la reconstitution de la souveraineté et de la hiérarchie au
profit de la royauté, Tappel s'introduisit dans les juridictions
séculières sous Tinfluence grandissante du droit romain et du
droit canonique.
La procédure inquisitoire et secrète conduisit, comme un
contrepoids nécessaire, dans rintérêl même de la défense, à
organiser un système de preuves légales. Pour que le juge
condamne, il faut qu'il réunisse certaines preuves détermi-
nées d'avance; mais d'autre part, s'il réuuit ces preuves, il
doit nécessairement condamner : peu importe, dans Tuoe ou
l'autre hypothèse, son intime conviction. Ce système, en
rendant plus difficile la condamnation, amène, par uue con-
séquence fatale, à resserrer, de plus en plus, les mailles de la
procédure^criminelle. Il y a là un double mouvement qui,
à certains points de vue, aggrave, et qui, à d'autres, améliore
la situation du délinquant.
20. Le système inquisitoire est contenu, en germe, dans
les dernières institutions dePempire romain : il s'accommode
bien, en effet, d'un pouvoir centralisateur et despotique.
La torture, comme [)rocédé de recherche et de preuve, a été
appliquée notamment à celte époque; et, plus tard, le foyer
de la contagion, qui envahira TEurope, sera un coin de l'Italie
d'où, vers le milieu du xii*^ siècle, l'exhumation du droit ro-
main jettera le trouble, en même temps que l'enthousiasme,
dans tous les tribunaux féodaux.
'' L'appel de défaut de droil et Tappcl de faux jugement sont des insti-
tutions spéciales de la procédure ft^odole qui n^oiïrenl, avec Tappel moderne,
qu'une analogie de nom.
20 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
L'Église a pu fouroir aux juridictions laïques, dans les con-
ditions où fonctionnaient ses tribunaux ecclésiasliques, une
leçon et un modèle : elle a préparé, par son exemple, la sub-
stitution, acbevée au xvi'' siècle, dans tous les pays de TEurope,
de la procédure inquisitoire à la procédure accusatoire^*.
C*est dans la seconde moitié du xiii* siècle, que Tinfluence du
droit romain et du droit canonique amène la formation de
cette nouvelle procédure qui répudie les tendances germani-
ques, pour s'inspirer presque exclusivement des deux législa-
tions savantes de l'Europe, le droit romain et le droit cano-
nique.
21. Chacun de ces deux types de procédure, le type accu-
satoire et le type inquisitoire, a ses qualités et ses défauts :
aucun ne contient, en lui-même, les garanties nécessaires à
l'administration de la justice criminelle. Dans la procédure
accusatoire, la poursuite et la recherche des délits sont com-
plètement abandonnées à l'initiative des particuliers, initia-
tive qui peut sommeiller par inertie, crainte ou corruption.
Les chances d'impunité, conséquences de ce système, sont
encore accrues, soit par la publicité qui existe à toutes les
phases de la procédure, soit par la nécessité où se trouve le
juge de limiter son examen aux seules preuves qui lui sont
fournies par l'accusation. Mais, d'un autre côté, la procédure
inquisitoire a des vices bien graves : c'est la poursuite et la
recherche des délits exclusivement confiées aux agents du
pouvoir; c'est cette atmosphère de secret et, par suite, de sus-
picion, au milieu de laquelle se déroule le procès; c'est enfin,
cette absence de contradiction sérieuse entre l'accusation et
la défense.
** Ce système, employé d'abord pour les poursuites contre Thén'sie, en-
suite pour tous les crimes, est devenu, sous le nom de proc»îdure à Pextraor^
dinaire, le système de droit commun en vigueur devant les juridictions
royales pour la poursuite des grands crimes jusqu'en 1789. Voy. Faustin
Hélie, op. cit.f t. 1, n" 200, 207 et 208; L(^o, Histoire de l'inquisition au
moyen âge (trad. par Salomon Reinach, Paris, 1900), liv. I, cli. IX à XII^
1. 1, p. 399 et suiv. ; Tanon, Histoire de rinquisitiou, passim.
DIVERS TYPES DE PROCÉDURE PENALE. 21
Aussi le progrès, dans la voie de la civilisation juridique,
consiste à emprunter à chacun de ces typesde procédure leurs
meilleurs éléments et à organiser un type mixte dont une
partie de la procédure est empruntée au système inquisitoire
et dont Tautre reprend toutes les garanties et toutes les quali-
tés du système accusatoire.
22. Ce type mixte se caractérise par les traits suivants que
l'on retrouve dans la plupart des systèmes de procédure des
Dations européennes et que le Gode d'instruction criminelle
français de 4808, dont Tinfluence en Europe a été si grande,
est venu, pour la première fois, systématiser et formuler.
Les juges de la culpabilité n'ont pas Tinitiative du procès,
ils ne peuvent se saisir d'office : il faut donc qu*une accusation
se produise : mais le droit d'accuser est confié à des fonction-
naires spéciaux qui exercent ainsi un ministère public et dont
les parties privées ne doivent être, en principe, que les auxi-
liaires.
Le jugement est confié à des magistrats et à des jurés. Le
mode et les conditions de participation des uns et des autres
à l'administration de la justice criminelle varient, du reste,
suivant les pays.
La procédure se dédouble en deux phases : rinstruclion
préliminaire, confiée à des magistrats et aboutissant à une
décision préparatoire; Tinstruction définitive devant la juri-
diction même qui statue sur le procès. La première a un dou-
ble caractère : elle n'est ni contradictoire ni publique. La
seconde admet les deux principes de la contradiction et de la
publicité.
On ne demande plus compte au juge des moyens par les-
quels ils se sont convaincus. Et si la recherche et Tadminis-
traiion des preuves sont soumises à des règles légales, leur
force probante n'est plus mesurée à l'avance et la solution du
procès dépend de l'intime conviction des juges.
23. Comme tout système éclectique, celte procédure de-
mande, dans l'application, une concentration d'efforts et de
22 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
bonne volonté qui parait lui avoir quelquefois fait défaut.
D*un côté, les magistrats, les professionnels, auxquels on a
donné l'initiative et la direction du procès, ont manifesté,
pour le concours des citoyens, un sentiment d'extrême mé-
fiance, et, depuis 1810, on a vu s'accentuer et s'accélérer, avec
des vitesses qui, depuis quelques années, n'ont fait que s'ac-
croître, un retour à la conception du magistrat professionnel.
D'un autre côté, au désir de la magistrature de reprendre tous
ses pouvoirs, a malheureusement correspondu, chez la plupart
des citoyens, l{i dégoût des obligations civiques, la volonté
ferme de s'y soustraire. La fonction de juré a été considérée
comme une corvée par ceux-là mêmes qui étaient le mieux
en mesure de la remplir.
Cette situation n'est pas particulière à la France. Elle se
présente dans tous les pays où a été importé ce système mixte
de procédure.
§ III. - LA PROCÉDURE CRIMINELLE FRANÇAISE ACTUELLE.
24. La procédure criminelle fran«:aise, telle qu'elle est, aujourd'hui, en vigueur,
se rattache au type mixte. Quuti*e conceptions essontiolles la dominent. — 25. Unité
de la justice civile et de la justice pénale. — 26. Division des fonctions et du
travail. — 27. La division des juridictions utde:> autorités pénales correspond à
hi division des infractions. — 28. (es juridictions et ces autorités fonctionnent
pour toutes les personnes et pour tous les délits.
24. C'est au type mixte que se rattache le système français.
L'organisation judiciaire et la procédure actuelles sont
dominées par quatre idées fondamentales.
25. L'unité de Injustice civile et de la justice pénale, unité
qui signifie que les mêmes tribunaux connaissent des matiè-
res civiles et des matières pénales. Cette unité existe: 1* en ta
personne du garde des sceaux, chef suprême de l'une et de
l'autre justice ; 2** du juge de paix, qui fonctionne avec diver-
ses attributions civiles, et qui, en matière pénale, est, tout à
la fois, officier de police judiciaire et juge de police; 3** du
procureur général et du procureur de la République qui lien-
PROCEDURE CRIBILNELLB FRANÇAISE ACTUELLE. 23
Dent le siège du miDistcre public devant Tune et l*autre jus-
tice. Cette unité se réalise : 4* dans le tribunal de première
instance qui fournit le juge d'instruction et forme le tribunal
correctionnel du premier degré; 5® dans lacour d'aftpel, dont
deux chambres, la chambre correctionnelle et la chambre
des mises en accusation, fonctionnent en matière pénale, et
dont les membres participent au jugement des crimes, par
la présidence et la direction du jury.
Cette unité de lajustice civile et de la justice pénale n'im-
plique qu'une unité (foryanisme et non une nnité de procé-
dure, La séparation des procédures civile et pénale est, au
contraire, un principe essentiel de la législation française.
Chacune de ces procédures a son code spécial. Cet ouvrage
étant consacré à la procédure pénale, nous n'étudierons les
particularités de l'organisation judiciaire que dans la mesure
restreinte où elles se rapportent à cette procédure. Nous sup-
posons connue l'organisation judiciaire française*.
L'unité de la justice civile et pénale est rompue par l'in-
stitution du jury qui appelle de simples citoyens à participer
au jugement des crimes. Dans les procès civils, il n'y a pas de
jury^, sauf en matière d'expropriation pour cause d'utilité
publique, où des citoyens sont appelés, en cas de désaccord,
à fixer l'indemnité qui est due à l'exproprié.
26. Cette organisation est dominée par leprincijje de la di-
vision du travail. Le fonctionnement de la justice pénale
implique Torganisalion d'autorités distinctes pour exercer les
fonctions de poursuite, d'instruction, dt* jugement et d'ejécu-
§ III. ' Nous renvoyons, sur ce point, au Traité Ihcorique et pratique
de procédure de M. Garsonnol (2* (^dit.. <8U8-1004-, 8 vol. in-8°, revue et
cornf;*}e par Charles Cezar-Eîru\ Le tome F, jusqii*à la pa^o "tl'A, est con-
sacré à l'organîsalion judiciaire.
* C'»'-?l clans la séance du 30 avril 1700, après de longs «iébals et sur
•es jnslances de Thouret et de Tronchet, que rAssemblée cunsliluaulH s'est
prononcée contre rétablissement du jury civil demandé parDuporl. I)e|»uis,
îa question a et»' reprise au point de vue scientifique; mais, auj>oint de vue
pratique, elle peut être considérée comme enterrée. Voy. Garsonnet, op. cit.,
t. I, § i3, p. 83 à 88.
24 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
lio?i. Et la loi décide que, par voie d'incompatibililé, les
agents qui exercent Tune de ces fonctions ne pourront, sauf
dans des cas exceptionnels, empiéter sur d'autres fonctions.
En effet, les autorités, qui concourent à la mise en œuvre de
la loi pénale, sont : 1** les officiers de police judiciaire, char-
gés des actes de recherche et d'instruction préalables au pro-
cès ; 2* les juridictions d^ instruction , statuant, à la suite de
l'information, sur la mise en prévention ou en accusation des
inculpés et réglant la compétence en cas de poursuite; 3** les
juridictions de jugement, statuant sur les procès, c'est-à-dire
sur la culpabilité des prévenus et accusés, et prononçant les
peines; 4° les officiers du ininistère public, chargés de pro-
voquer, par voie d'action ou de réquisition, le fonctionnement
de ces diverses autorités et chargés également de faire exécu-
ter leurs décisions.
Les fonctions de Va police judiciaire QiAw ministère public^
qui consistent principalement à agir^ sont exercées par des
individus, placés sous les ordres et la surveillance de supé*
rieurs hiérarchiques. Les fonctions de yz/nW/c/Zo/i, qui consis-
tent à délibérer et à juger, sont, en général, confiées à des
corps collectifs^ dont les décisions peuvent être réformées ou
annulées, mais qui n'ont d'ordre à recevoir de personne sur la
manière de remplir leur mission. Les officiers de police judi-
ciaire et les membres du ministère public dépendent du pou-
voir exécutif qui peut les révoquer ou les déplacer ad nutum.
Lesjuges, au contraire, sont, en principe, inamovibles.
La procédure pénale officielle a trois phases successives :
elle débute par Texercice d'une action, elle se continue par
une instruction, elle se termine par \Mi jugement.
Mais, pour que la loi pénale soit appliquée, il faut, tout
d'abord, que la perpétration du délit ait été constatée. L'au-
torité doit donc rechercher les crimes, les délits et les con-
traventions, s'assurer, s'il y a lieu, de la personne des incul-
pés et les livrer aux tribunaux chargés de les punir. La
puissance publique, qui a cette mission, est la police judi-
ciaire. On l'oppose à la police administrative qui a pour
objet de maintenir l'ordre et, particulièrement, de prévenir
PROCBDURB CRIMINELLE FRANÇAISE ACTUELLE. 25
les iofractions. La police judiciaire fait partie de la justice :
elle recherche les délits que la police adminislralive n'a pu
empêcher; elle prépare et facilite ractioo des tribunaux de
répression. Son intervention précède le premier exercice de
Taction publique. La loi a déterminé et organisé la police ju-
diciaire, mais elle s*est abstenue d'imposer à son action des
formalités et une procédure qui auraient pu la gêner. A cet
égard, il faut séparer Tenquête préalable et officieuse, con-
duite par la police, d'avec Tinslruction proprement dite, con-
fiée à la justice. Mais comme il y a identité dans le but des
deux institutions et le fonctionnement des deux rouages, on
voit la police faire de Tinslruction et le juge d'instruction faire
de la police.
L'action publique est confiée, dans sa plénitude, à des
agents officiels qui remplissent, auprès des diverses autori-
tés pénales, les fonctions du ministère public. Ils sont char-
gés d'accomplir tous les actes nécessaires pour obtenir la
prononciation d'une peine contre Tauleur d'une infraction.
La victime de Tinfraction, à laquelle est reconnu le droit
exclusif de demander la réparation civile du préjudice souf-
fert, a accès, pour obtenir des dommages-intérêts, auprès
des tribunaux de répression, soit par voie d'intervention, soit
par voie d'action. Mais le procès civil ne peut être jugé par
ces juridictions qu'accessoirement au procès pénal. C'est la
règle fondamentale qui conditionne et limite le droit de la
partie lésée,
Du reste, TafiTairene se présente pas loujoursdevant les juri-
dictions chargées de prononcer la peine, sans autre instruction
préliminaire que celle faite officieusement par les agents de
la police judiciaire. En matière criminelle, il y a toujours lieu
et, en matière correctionnelle, il peut y avoir lieu à une
instruction officielle, préparatoire au procès pénal, à laquelle
desjuridictions spéciales, dites juridictions d'instruction, don-
nent une solution, en autorisant le procès ou en renipèchant.
Celte instruction est confiée au procureur de la République et
au juge d'instruction. Le premier de ces magistrats a le droit
de rechercher et de poursuivre les crimes et les délits commis
26 PROCÉDLRE PÉNALE. — INTRODUCTION.
dans rarrondissemenl; mais il n'a pas le pouvoir, dans les
cas ordinaires, de faire des actes tendant à rassembler les
preuves, ni celui d'ordonner Tarreslation ella détention des
inculpés. Ces attributions appartiennent au juge d'instruc-
tion qui, de soncôlé, n'a pas le droit de se saisird'office, c'est-
à-dire de commencer l'instruction sans en être requis par le
procureur de la République. Toutefois, la règle de la sépara-
tion entre les fonctions d'instruction et les fonctions de pour-
suite reçoit une exception notable en cas de crimes ou délits
flagrants, ou autres qui y sont assimilés. Le procureur de la
République peut commencer lui-même l'instruction, sans
attendre le juge, et celui-ci peut l'ouvrir sans en être préala-
blement requis par le procureur de la République.
L'instruction préalable avait, il n*y a pas longtemps, trois |
caractères qui dérivaient de la procédure inquisitoire : elle
èiaii isecrète cl écrile, et el\e néfait pas contradictoire, L'uD
de ces caractères, le plus critiquable, le dernier, a été profon- !
dément modifié, par la loi du 8 décembre 1897, uniquement
dans la pbasede l'instruction préparatoire officielle qui a lieu
devant le juge d'instruction et dans les cas ordinaires. Deux
réformes principales ont été accomplies qui ont com|)lètement
changé la physionomie de la procédure d'instruction. Dune
part, c'est l'obligation, pour le juge, dès son premier contact
avec l'inculpé, d'avertir celui-ci du droit qui lui appartient
de no faire de déclaration qu'en présence de son défenseur.
D'autre part, c'est l'assistance, aux interrogatoires et aux con-
frontations, d'un défenseur auquel doivent être communiqués
les actes principaux de la procédure et qui peut prendre con-
naissance du dossier.
L'instruction préalable n'est pas destinée h servir de base
à la conviction du juge qui statue sur la culpabilité. Elle per-
met seulement aux juridictions d'instruction de se [prononcer
sur le point de savoir s*il y a lieu de faire le procès et, dans
ce cas, de régler la compétence. L'inculpé n'est pas, en effet,
immédiatement traduit devant la juridiction chargée, de
l'acquilter s'il est innocent, de le condamner s'il est coupable.
L'intérêt de la société et celui de l'inculpé exigent que la com-
PROCBDURE CRIMINELLE FRANÇAISE ACTUELLE. 27
Il^rution eo justice n*aillicu que lorsque Tioculpation repose
sur des charges sufAsantes. Aussi, la loi confère à des aulo-
rités, infermédiaires entre les agents chargés d*instruire et les
agents chargés de juger, l'examen des charges et le règlement
le la compétence. Ces autorités, remplissant les fonctions de
juridictions d^instrnction^ sont le juge d'instruction au pre-
Imier degré, et la chambre des mises en accusation au second.
Cetle procédure des mises en accusation, qui est obligatoire
en matière criminelle, entraîne quelques lenteurs qui ne sont
peut-être pas compensées par les garanties qu'elle donne à
Faccusé. Néanmoins, elle a passé dans un grand nombre de
codes, et ce n'est que dans le dernier tiers du xix" siècle, que
le principe obligatoire et absolu du contrôle de Taccusation
par le pouvoir judiciaire, a été battu en brèche et abandonné
par le Code de procédure autrichien de 4873 et les législations
qai s'en sont inspirées.
Quand le procès est engagé devant les juridictions de juge-
ment, la procédure change de caractère et emprunte ses traits
essentiels au système accusatoire. Les trois principes de la
contradiction, Ae Y oralité ci Aq \à publicité^ dominent le dé-
bal. Les notes de police et le dossier de l'instruction préalable
De peuvent être consultés qu'à titre de renseignements, car
c'est sur l'instruction orale, contradictoire et publique, que
le juge forme son intime conviction, seule base de sa déci-
sion.
27. La division des juridictions et des autorités pénales
correspond à la division des infractions en trois groupes (C.
p.. art. 1). Il existe, en effet, trois catégories de tribunaux
eolre lesquels se répartit le jugement des procès répressifs :
\e^ COUPS d'assises, qui jugent les crimes; les tribunaux cor-
rectionnels, les délits; les tribunaux de police, les contraven-
tions. Chacun de ces tribunaux est investi de la plénitude du
pouvoir judiciaire pour la répression des infractions qui lui
60Dt attribuées : il exerce, par rapport à ces infractions, la
juridiction ordinaire dans sa plénitude. Les diverses autorités,
concourant à la répression, évoluent autour de ces trois ordres
28 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
do tribunaux : autorités d'action, d'instruction, d'exécutioo.
28. Ces autorités fonctionnent pour toutes les personnes û
pour tous les délits, H n'y a pas deux justices : l'une de droit
commun; l'autre d'exception. Une des plus odieuses institu-
tions de l'ancien régime, les tribunaux spéciaux, un monieot
ressuscilée par la loi du 16 pluviôse au IX, par le Code d'in-
struction criminelle de 4808 et par Tinstitution des cours pré-
vôtales de 1815, n'existe plus qu'à l'état de souvenir histori-
que : l'article 54 de la Charte de 1830 en a rendu, à tout
jamais, le retour impossible. Sans doute, les militaires et ma-
rins, tant qu'ils sont soumis aux devoirs de leur état, ont une
situation exceptionnelle, et leurs crimes et délits ressortisseat
aux tribunaux militaires; mais c'est là, en quelque sorte, le
droit commun de l'armée, par laquelle passent aujourd'hui
tous les citoyens. Il est même question de supprimer, ea
temps de paix, ces juridictions d'exception.
§ IV. - DES ORIGINES HISTORIQUES DE LA PROCÉDURE
CRIMINELLE FRANÇAISE.
29. Des trois sources de la procédure criminelle frarn^aise el de son évolution. —
30. Double tendance : augmenter les garanties de Tinculpé; renforcer la défense
sociale. — 31. Cette double tendance correspond au mouvement scientifique deft
deux écoles rivales, l'école classique, l'école nouvelle. — 32. Division.
29. Cette procédure, dont nous venons d'esquisser les
grandes lignes, plonge, par ses racines les plus profondes,
dans les trois couches successives, romaine, germanique el
canonique, sur lesquelles se sont développées toutes nos in-
stitutions juridiques.
Le premier élément que lui apporte Thistoire, c'est l'élé-
ment germanique. Jusqu'au xin'' siècle, la procédure est bien
plus uniforme que le droit. Elle est publique, orale, rigou-
reusement formaliste, et elle n'emploie guère que la preuve
par coj urateurs ou par bataille. Les anciennes ordalies par l'eau
bouillante, le fer rouge, l'eau froide, en faveur sous les méro-
vingiens, sont vite tombées en désuétude. Telle est la pre-
ORiaiNE HISTORIQUE DE) LA PROCEDURE CRIMINELLE. 29
inière phase. iMais sous la pression de^ causes diverses, la pro-
cédure accusatoire des peuples de race germanique devient
inquisiioriale, écrite et secrète, en s*inspirant des deui légis-
lalions savantes de l'Europe, le droit romain et le droit cano-
nique. Une ordonnance de saint Louis, que l'on date com-
rouoément de Tannée 4260, mais qui est probablement
antérieure, seconde ce mouvement, en substituant, dans les
domaines de la couronne, la procédure par enquête, à la preuve
par gage de bataille. Le roi ne pouvait mettre « coustumes
ou ban » en la terre de ses barons sans leur assentiment.
Aussi, les justices seigneuriales se montrent réfractaires à
cette substitution, et les gentilshommes persistent à vouloir
être jugés suivant les anciennes règles. Mais les bourgeoiset
les vilains acceptent assez facilement ces nouveautés qui pros-
crivent le duel et remplacent le combat en champ clos par les
plaidoiries ou les écritures. Les justices municipales des villes
de commune ou de bourgeoisie et toutes les juridictions du
midi s'empressent d'adopter celte procédure qui fait revivre
des traditions fort anciennes, remontant probablement à l'é-
poque gallo-romaine.
Les deux procédures, accusatoire et inquisitoire, d'origine
et de caractère si différents, restent aussi en présence pendant
la dernière moitié du xiii* siècle et la première partie du xiv*.
C'est l'époque de transition, pendant laquelle agit la force
plastique de la coutume. L'évolution, commencée au xiii* siè-
cle, est achevée au xvi*. L'ordonnance de 1539 rendue par
Prançois I*' à Villers-Cotterets, sur la justice et abrévation des
)rocès, fixe définitivement en France les règles de la procé-
lure in(iuisitoire. L'ordonnance de 1670, qui fut le Gode
l'instruction criminelle de l'ancien régime, ne fait que re-
cueillir, en le précisant dans ses détails, en l'aggravant même
lans ses rigueurs, le système déjà consacré.
Désormais, la procédure criminelle est cristallisée pour
rès d'un siècle. Mais l'esprit nouveau et critique qui précède
i Révolution, a condamné théoriquement ce système, comme
'offrant aucune garantie pour l'accusé. Les philosophes
it les yeux tournés vers l'Angleterre : ils admirent ses
30 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
instilutions judiciaires, comme ses inslitulions politiques.
Cesi la procédure criminelle anglaise, surtout la pro-
cédure par jurés, que TAssemblée constituante essaiera
d'acclimater en France : c'est cette procédure qu'organiseroal
successivement la loi des 16-29 septembre 1791 et le Code des
délits et des peines du 3 brumaire an IV. Mais les causes
mêmes qui avaient amené aux xiii'' et xiv* siècles, la substi-
tution d'un système de procédure à Taulre, agissent de nou-
veau : on senlle besoin de reconstituer Tautorilé, d'assurer la
répression, énervée au milieu des troubles de l'époque, des
guerres civiles et étrangères. L'ordonnance de 1670 redevient
l'idéal de bien des esprits : on veut la remettre on vigueur.
Puis, une transaction est conclue, et si lancienne procédure
ne revit pas complètement dans les lois du Consulat et de
TRmpire, la portion la meilleure des dispositions de l'ordoD-
nance, et même quelques-unes de ses rigueurs, passent daus
la première partie du Code d'instruction criminelle, la se-
conde conservant la procédure accusatoire et l'institution du
jury. Ce Code de 1808 est devenu, pour l'Europe entière, un
type sur lequel se sont modelées bien des législations. Il
marque donc, dans révolution historique des lois de procé-
dure, une phase essentielle et un moment d'arrêt.
30. Depuis, un double mouvement se dessine. On tend
a éliminer, par voie de revision, les riguegrs excessives dont
notre |)rocédure a hérité de l'ordonnance de 1670, et à intro-
duire, dans l'instruction préliminaire, des garanties qui lui
font défaut. On veut ouvrir le cabinet du juge d'instruction,
sinon au public, du moins à certaines personnes autorisées;
admettre la présence d'un défenseur au cours de l'information;
reconnaître à l'inculpé et h son défenseur, dès cette première
phase du procès, le droit de provoquer et de contrôler les
mesures prises pour arriver à la découverte de la vérité. Les
protestations contre le secret de l'instruction semblent géné-
rales, et Ton s'insurge contre cette pratique de notre vieille
procédure, aussi dangereuse pour le juge que pour l'accusé,
ORIGINE HISTORIQUE DE LA PROCEDURE CRIMINELLE. 31
qui, suivant TexpressioQ du juriscoasulte anglais Slephcn,
« empoisonne la justice à sa source ».
Mais, d'un autre côte, la part faite dans le jugement à Tin-
tervention du jury, que Ton considérait autrefois comme
trop restreinte, semble aujourd'hui être presque excessive :
Tolontiers, on réclamerait une justice moins impressionniste,
plus scientifique, et on sacrifierait à cet idéal le respect
invétéré que tout le monde avait, jusqu'à ces derniers temps,
pour rînslitution du jury*.
31. Il y a, dans ce double mouvement, l'expression d'une
lutte toujours ouverte entre les deux tendances qui se parta-
gent, en ce moment, le domaine des sciences pénales. Tandis
que l'école classique est surtout individualiste, qu'elle réclame
de nouvelles garanties en faveur de l'accusé, un contrôle
incessant sur les autorités pénales, la diminution de Tarbi-
traire, l'augmentation de la liberté, l'école nouvelle, qui est
avant tout élatisle, veut renforcer la « défense sociale »,
priver l'inculpé de ces garanties séculaires qui se résument
dans la a présomption d'innocence », substituer, à une pro-
cédure humanitaire, une procédure scientifique, transformer
le procès pénal en une recherche clinique et les juges en
experts spécialistes, devant recevoir une instruction toute
particulière en matière de psychologie, d'anthropologie et de
sociologie criminellcs^
A l'heure où nous écrivons, et malgré le progrès apparent
du socialisme et du collectivisme, il semble bien que la ten-
dance, en matière de procédure criminelle, ne soit pas d'ar-
mer davantage le pouvoir social, dans sa lutte contre la cri-
minalité, mais bien plutôt de protéger l'inculpé contre les
abus de la force sociale.
C'est dans cette direction qu'ont été aiguillées les réformes
I IV. * Yoy. Jean Cruppi, La Cour d'assises de la Seine {Revue des Deux-
Mondes, 1895,1.4, p. 39).
«Ferri, Soeiologia criminale (■%• tid.), n»« 79 à 84, p. 777 k 826; Garofalo,
Criminologie ,p, 387 à 397. Voy. mais dans un sens un peu difff^rent, Cruppi :
£a Cour d'assises, p. 130 et suiv., 281 et suiv.
32 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
si Dombreuses, si caractéiisliques, dont la procédure pénale
a été l'objet, en France et à l'étranger, dans ces cinquanle
dernières années.
32. Bien qu'il ne nous appartienne pas de refaire, après
Faustin Hélic et Esmein, Thisloire de notre ancienne procé-
dure criminelle, nous croyons nécessaire de relever quelques
traits essentiels de l'organisation judiciaire et de la procédure
qui ont précédé et préparé le droit moderne.
§ ¥. — LES JURIDICTIONS PÉNALES DANS L'ANCIENNE FRANGE.
33. Phases par lesquelles a passé l'orgaDisation judiciaire de Tancienne France.
Unité de la justice civile et de la justice pénale. — 34. Epoque barbare. Justice
populaire. — 35. Dilution du pouvoir de juger à Tépoque féodale et durant le
moyen âge. Conflits de compétence. Division des justices en deux groupes prio-
cipaux. — 36. Juridictions laïques. Les justices seigneuriales, royales, maoi-
pales. — 37. Juridictions ecclésiastiques. Offîcialités. — 38. Développement des
juridictions royales.
33. Dans Tancienne France, l'organisation des juridictions
pénales a passé par trois phases successives : mais, à toute
époque, un trait commun se remarque : c'est Tuuité des jus-
tices civile et criminelle, administrées Tune et l'autre par le:
mêmes tribunaux. Cette unité correspond d'abord à l'uniU
des procédures civile et criminelle; puis, quand se produi
la ditTérenciation des procédures, l'unité résulte de la substi
tution de juges professionnels au\ juges populaires et de h
conception d'une justice unique, dérivant des mêmes source
et rendue au nom du roi.
34. Sous l'ère barbare, les peuples de race germanique on
conservé leur organisation populaire. La justice est rendu
par le chef {rex^ princeps, (hw, cowes, grafio, etc.), avec 1
concours des hommes libres de la tribu [boîii hoïnmes, rc
chiniburgi, pageiii^eSy etc.), dans des réunions temporaires €
périodiques [inallum ou placitum). Le chef convoque les as
sises, préside l'assemblée des hommes jugeurs, recueille, san
JURIDICTIONS PÉNALES DANS l'aNCIENNE FRANCK. 33
) prendre part, la sentence, et la fait exécuter. Ainsi, suivant
uoe règle qui parait avoir ses racines dans des coutumes anté-
rieures à rinvasion de la Gaule romaine, ce sont les hommes
qui rendent le jugement et non le chef. Quelques rachini-
bourgs seulement peuvent composer le tribunal. Néanmoins,
les assemblées plénièrcs ne sont pas rares\
35. Dans la période féodale et durant le cours du moyen
u|2:e, la justice est, en quelque sorte, diluée : elle est partout;
dans la famille, à Técole, au palais du roi, dans les munici-
{)alités, auprès du chef féodal. D*oi] un double faitqui résume,
àcette époque, Phistoire de l'organisation judiciaire. Ce sont
les incessants conflits de juridictions, « ce pain quotidien des
affaires* », qui s'élèvent entre toutes ces justices. C'est la lutte
qui s'établit entre les tribunaux pour l'extension de leur com-
pétence propre, lutte dans laquelle les justices royales finiront
par absorber toutes les autres justices, comme la royauté finira
par absorber la féodalité. Les principales justices sont : les
justices royale, seigneuriale, municipale, ecclésiastique. La
grande division qui domine cette organisation est celle des
jundictions laïques et A\i% juridictions ecclésiastiques,
36. Parmi les juridictions laïques, ily en a principalement
de trois sortes : les justices seigneuriales, royales et munici-
pales.
I. Le droit de rendre la justice a été considéré, à une cer-
taine époque de l'histoire, comme un droit patrimonial : c'est
ià un des traits caractéristiques du régime féodal. Le seigneur
avait donc juridiction sur les Gcfs et censives de son domaine,
à litre de propriétaire éminent de la terre. Les nombreuses
justices seigneuriales se divisaient d'abord, en justices hautes
et basses [alta^ mayna, major justifia; encore appelées jus-
§ V. * Je ne peux pas citer les sources. Un les trouvera analysées, avec
une compétence et un soin minutieux, dans Vllistoire des institntiofis poli-
tique$ et admiimtrativen de la France, par Paul Viollet (1890, in-S'»,
larose el Forcel), t. 1, p. 307 à 3i2.
« Viollet, op. cit., t. 2, p. 453.
G. P. l\ — 1. 3
34 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
titia sanguiniSy sanguis; en Normandie, justitia en$i% pla-
citum spatœ; minor, hassa justitia). Plus tard, apparaîtra
un échelon intermédiaire, les moyennes justices {tnedia jvs-
titia). Cette classification, qui appartient à la seconde partie
du moyen âge, avait surtout de l'importance au point de vue
répressif. La haute justice connaissait, en effet, des crimes
les plus graves; le meurtre, le rapt ou viol, Vavortis ou encis,
c'est-à-dire les coups donnés à une femme enceinte qui ame-
naient Tavortement, Tincendie'. L'homicide {occisio) sans
préméditation et la mutilation d'un membre étaient rangés,
par le Parlement, dans les cas de haute justice. Dans les pays
qui ne reconnaissaient pas la moyenne justice, la basse jus-
tice avait, dans ses attributions, tout ce qui n'était pas du res-
sort de la haute justice. Il a toujours été assez diffîcile de
préciser les cas de moyenne justice, quand celle-ci s*est déta-
chée des haute et basse justices.
Exercé d'abord par le seigneur lui-même, assisté, lorsqu'il
s'agissait d'un vassal, des pairs de celui-ci, le droit de rendre
la justice fut délégué à des officiers qui prirent, suivant les
lieux, les noms de haillis, ou de prévâts^. Cette évolution ré-
pond à un double besoin : diminuer le nombre des juges;
les sélectionner en leur donnant le caractère de fonction-
naires.
H. Au début de ^a féodalité, le roi n'exerçait sa juridiction
que sur les fiefs et ccnsives de son domaine; et là, il rendait la
justice, au m^ême titre et dans les mêmes conditions qu'un
seigneur justicier. Comme le chef féodal, il se fît remplacer,
dans cette fonction, par des officiers qu'il investissait d'une
délégation, temporaire d'abord, permanente ensuite. Au dé-
but, ce furent \es prévôts; plus lard, probablement par suite
d'un besoin de concentration et de surveillance, des officiers
supérieurs furent créés : ils prirent le nom de baillis, dans le
' Voy. l'énumeralion des ras de haute justice, dans J. Desmares, Dec,
295. Comp. Becquet, Traité des droils de justice, cliap. II, dans Œuvres,
Genève, 1025, t. 3, p 3-7.
* Du reste, la composition des cours de justice a varié avec les pays et
suivant les temps. Voy. Viollet, op, cit,<, t. 2, p. 461-465.
JURIDICTIONS PENALES DANS l'aNCIENNE FRANGE. 35
nord et le centre, de sénéchaux^ dans le midi de la France*.
Ces fonctionnaires eurent pour mission de tenir des assises
solennelles dans les villes de leur ressort. Ils recevaient tou-
tes plaintes contre les officiers royaux, réformaient'leurs juge-
ments; plus tard même, les faits les plus graves, ceux qu'on
appelait les cas royaux^ leur furent réservés.
Enfin, au dernier étage des juridictions royales, était le
Parlement^ issu de deux institutions, distinctes en droit, mais
en fait confondues : la Cour du roi et la Cour des pairs.
Le Parlement, tenu d*abord à des époques déterminées et
par sessions, devint, peu à peu^ un corps sédentaire. Pendant
longtemps, la royauté n'eut qu'un Parlement, celui de Paris;
les Parlements de province, tous de création postérieure à
celui de Paris, apparaissent successivement, du xiv" au xvui*
siècle.
111. Les bourgeois des villes de commune et des villes
d'échcvinage, poursuivis en matière criminelle, devaient être
jugés par leurs justices municipales, c'est-à-dire par leurs
pairs. Ces justices nous sont peu connues® : d'une part, les
coutumes et coulumiers ne fournissentqu*un petit nombre de
renseignements sur ces juridictions peu sympathiques aux offi-
ciers ou jurisconsultes royaux et seigneuriaux; d'autre part,
si l'organisation de ces juridictions parait calquée sur un type
uniforme, leur compétence variait d'étendue d'une commune
à l'autre. Le vice radical de ces juridictions^ dans la plupart
des villes où elles fonctionnaient, c'était la réunion, dans les
mêmes mains, du pouvoir administratif et du pouvoir judi-
ciaire. A Toulouse, par exemple, — et l'organisation de la jus-
tice municipale de cette ville était de beaucoup la plus ordi-
naire, — les consuls ou capilouls, qui avaient, en grande partie,
l'administration de la ville, formaient, depuis 1283, une cour
civile et criminelle. Cette cour était bien présidée par le viguier,
représentant le comte; mais cette présidence, purement ho-
* Voy. sur les baillis royaux la Prôlace de Beugnot, t. 1, à l'édition de
• Leff coutumes de Beauvoisis » par Philippe de Beaumanoir (Paris, 1842).
* Voy. Georges Testaud, Des juridictions municipales en FrancCfdrfi ori-
gines jusqu'à l'ordonnance de Moulins, I50r> (in-8", lOOi, Paris).
36 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
norifique, ne donnait pas même \oix délibcrative à ceux qui
rem[)lissaient cette fonction.
37. Les juridictions ecclésiastiques, les cours de chrétienté^
comme on disait alors, avaient une double compétence, ^^r-
sonnelle et réelle. Le privilège de clergie, qui embrassait
tous les degrés du clergé régulier et tous ceu\ du clergé sécu-
lier jusqu'aux chantres, donnait, à ceux qui pouvaient Tin-
voquer, le droit d'être jugés par ces tribunaux. A celte
juridiction appartenait également la connaissance de certains
crimes, commis par toutes personnes, par 'exemple, des
crimes d'hérésie, de sorcellerie, d'adultère et d'usure. Cepen-
dant, si, dans tous ces cas, ces juridictions jugeaient, elles ne
prononçaient pas toujours la condamnation. C'était un prin-
cipe du droit canonique que Téglise ne pouvait verser le sang
et prononcer, par conséquent, des peines capitales. Dans le
cas où le crime dont elle revendiquait la connaissance entraî-
nait Texpiation suprême, l'église livrait le coupable au bras
séculier qui prononçait la peine et la faisait exécuter.
Le juge était l'évêque, l'ordinaire. Comme les seigneurs,
et avant eux probablement, il délégua son droit de justice,
d'abord à l'archidiacre, puis, à partir du xiii'' siècle, à un di-
gnitaire particulier qu'on appelle YofficiaL Les juridictions
ecclésiastiques prirent, par la suite, le nom à'officialUés. La
hiérarchie savante de l'église permit d'organiser une série
dappels, de Tofficial à l'archevêque, de celui-ci au primat,
puis, enfin, au pape, chef et juge suprême de la chrétienté.
38. Toutes ces juridictions ont existé jusqu'aux dernières
années du xvni® siècle. Mais tandis que les juridictions ecclé-
siastiques, seigneuriales et municipales, perdent peu à peu
de leur importance, les juridictions royales grandissent, se
développent et finissent presque par les absorber. Comment
celte transformation s'accomplit-elle? Onel est l'état des juri-
dictions aux xvii* et xviii^ siècles?
L Les juridictions royales se développèrent, comme la
royauté elle-même, par une suite d'entreprises dont les lé-
gistes se firent les instruments actifs et persévérants. Partant
JURIDICTIONS PÉNALES DANS L ANCIENNE FRANCK. ' 37
de celle idée que le roi représeote Tintérèt public, qu*il a la
•< garde générale du royaume' », les officiers et les juriscoD-
suUcs de la couroone en concluent que le roi a un droit de
justice éminent dans tout le royaume. Us furent donc con-
duits à inventer divers procédés pour diminuer peu à peu la
compétence des justices laïques et des justices ecclésiastiques
au profit des justices royales.
Le premier de ces moyens futTinstitution des ccui royaux, \w
xiii' siècle, les cas dont le roi prétend connaître, dans les terres
de ses barons, parce qu'ils le « touchent », sont déjà très nom-
breux. Un jurisconsulte de la fin du xiv* siècle consacrera
douze grandes pages à leur énumérationV La liste des cas
royaux s*allonge toujours et ne sera jamais close. Le droit
romain fournit aux légistes leurs meilleures armes dans cette
lutte, car cette puissance, qu'ils construisent au profit de la
rovauté, a pour type le droit impérial romain. Ils arrivent
très rapidement à poser, comme un principe de droit public,
que toute justice émane du roi. Dès la fin du xiu" siècle, ils
affirment que toutes les juridictions séculières sont tenues du
roi en fief ou arrière-fief. Ses barons reçoivent de lui la sai-
sine des droits de justice, mais le roi ne les tient de per-
sonne.
La conséquence pratique de cette idée fut Tintroduction de
VappeL La féodalité n'avait jamais eu Tidée de soumettre de
nouveau, à un juge supérieur, le litige déjà tranché par le
premier juge; elle ne connaissait pas des juges inférieurs et
des juges supérieurs; toutes les cours féodales, dans les limites
de leur compétence, étaient des cours souveraines. 11 n*e.\is-
'^ Beaumanoir, XXXIV, 41. Voici, du reste, le concept formulé au xiy«
siècle dans le Grand Coulumier, liv. IV, eh. V, édit. Charondas le Caron,
4598, p. 523 : « A généralement parler, il n*y a qu'une justice qui meult de
Dieu, dont le roy a le gouvernement en ce royaume. »
* Bouleiller, II, 1. Cf. Ord. 8 octobre 1371 (Ord. V, 428), reproduite dans
Is Grand Coutumier de France, liv. I, ch. III, p. 90 et suiv.
• Voy. Huprà, note 7, et Beaumanoir, XI, 12, liv. I, p. 163 de l'édit. Beu-
gnol : »« Car toute laie juriditions du roiaume est tenue du Roy en fief ou
irrière-fief ».
38 PROCÉDURE PENALE. — INTRODUCTION.
tait, dans la procédure féodale,' que deux voies de recours :
y appel pour défaille de droit, dans lequel le plaideur se plai-
gnait d'un déni de justice, et V appel de faux jugement^ sorte
de cassation barbare, résultant d'une prise à partie brutale
du plaideur contre les pairs qui le jugeaient. L'appel, dans
le sens que nous donnons à ce mot, est admis de bonne heure^
des justices seigneuriales aux justices royales, quand le juge-
ment est rendu contre la commune coutume ou quand les vas-
saux ou arrière-vassaux ne font pas ce qu'ils doivent*®.
Enfin, on reconnaît au roi un droit de prévention, dont ses
officiers useront largement; c'est-à-dire que le roi peut faire
ajourner, devant ses juridictions, toutes personnes pour toutes
affaires, sauf aux parties à réclamer la cour ou juridiction de
leur seigneur. Mais si la partie assignée a tacitement accepté
la justice royale^ soit en reconnaissant la légitimité de la de-
mande, soit en la niant, elle ne peut plus s'adresser à une
autre cour. Là où le plaid est commencé, là il doit finir.
D'un autre côté, les jurisconsultes de la couronne employè-
rent divers moyens pour restreindre la compétence des tribu-
naux ecclésiastiques. Us firent rentrer, dans la notion vague
et élastique du crime de lèse-majesté et, par conséquent, dans
les cas royaux, divers faits qui relevaient auparavant des cours
de chrétienté : mais surtout ils affaiblirent, par la création
desco^v dits privilégiés y la portée du privilège de clergie. Dans
des cas très graves, qui méritaient une peine supérieure aux
peines canoniques, on fit juger les clercs par les juges royaux,
sans que ceux-ci fussent obligés de les rendre à Téglise. La
liste de ces cas privilégiés, comme celle des cas royaux, alla
toujours en augmentant*^
Lesjuridictions municipales, au criminel du moins, survé-
curent généralement à la souveraineté des villes de commu-
nes: elles offraient peu de dangers, puisque le pouvoir royal
avait mis indirectement la main sur la nomination des offi-
ciers municipaux.
*« Beaumanoir, XI, 2, 3.
** Voy. Muyarl de Vouglans, Inst, crim., 3* part., p. 54 elsuiv.
JURIDICTIONS PÉNALES DANS l' ANCIENNE FRANCE. 39
II. Eq étendant ainsi le cercle de leur action, les juridic-
lions royales complétèrent leur organisation : d*un côté, on
\il les anciens tribunaux se modifier et se développer; de
l'autre, des tribunaux d*exception apparaître.
a) Jusqu'aux derniers jours de Tancienne monarchie, les
prévôts constituaient les juges ordinaires du premier degré;
les baillis et sénéchaux, ambulants à Torigine, devenus sé-
dentaires par la suite, formaient toujours le second degré des
juridictions royales. Les baillis, grands officiers de la cou-
ronne, déléguaient leurs pouvoirs à des officiers inférieurs
qu'on appelait lieutenants du bailliage. Au lieutenant cri-
minelj échut le jugement des causes criminelles : il devînt
le juge en matière répressive pour toutes les affaires sous-
traites, à raison de leur gravité, à la juridiction du prévôt.
D abord, il jugea seul; plus tard, il fut assisté par des asses-
seurs qui prirent le titre de conseillers. Mais ce fut toujours
lui qui fit rinstruclion criminelle et, à ce point de vue, il a
élé, sous Tancien régime, le rouage essentiel delà répression.
Sous Henri II, il fut créé des sièges d'une importance par-
ticulière, sous le nom deprésidiaux. Par un édit de novembre
1551, ce prince ordonna que, dans les principaux bailliages
et sénéchaussées, il y aurait un présidial, composé de neuf
magistrats pour le moins, y compris les lieutenants généraux
et particuliers, civils et criminels. Ces tribunaux, au cri-
minel, ne se distinguaient des autres bailliages qu'en ce qu*ils
pouvaient connaître des cas préoôtaiix.
Dans le Parlement de Paris, dont le personnel va toujours
grandissant, une Chambre spéciale est instituée pour juger
les procès criminels, la Tournelle. L'ordonnance du 28 oc-
tobre i4i6 (art. 10 et 11) est la première qui en fasse men-
tion comme distincte des autres Chambres ^^. Elle est formée
par des conseillers laïques, choisis dans la Grand Chambre
et siégeant dans la petite tour de Saint-Louis, la Tournelle,
qui lui donne son nom. La Grand Chambre prononce elle-
même les sentences préparées par ces conseillers. En 1515,
«
^* Pardessus, Essai sur l'organisation judiciaire, p. 163.
40 PROCÉDURB PÉNALE. — INTRODUCTION.
François P' fit, de ce groupe déjuges, une Chambre spéciale.
Mais sa composition n*a jamais été autonome, en ce sens
tout au moins que, par Teffel du roulement, les conseillers
passèrent d'une Chambre civile à la Chambre criminelle, de
sorte que, même avec cette organisation, Tunité de la justice,
civile et de la justice pénale était toujours le principe domi^
nant.
Les Parlements de province naissaient les uns après les
autres, avec le développement du pouvoir politique de la
royauté et les extensions territoriales qu'elle réalisait. Plu-
sieurs de ces Parlements, ne faisaient, en effet, que continuer
les anciennes cours souveraines des grands fiefs réunis à la
couronne**.
Le Parlement de Paris, à travers ses transformations suc-
cessives, resta, jusqu'aux derniers jours, la Cour des Pairs.
Tous les Pairs de France avaient le droit d'y prendre séance
et lous ne pouvaient être jugés que par le Parlement.
En dehors de leurs fonctions ordinaires, le Parlement de
Paris et certains autres Parlements de province, ceux de
Toulouse, Rouen et Bordeaux, participaient, à Tadministratiou
de la justice, par les Grands-Jours, sortes d'assises solennel-
les et temporaires, tenues, dans une province, par des com-
missaires choisis par le roi. Les Grands-Jours avaient surtout
pour objet la répression de désordres graves et persistants et
d'exactions commises parles autorités locales.
b) A côté des juridictions ordinaires, des tribunaux d'ex-
ception furent créés. Ils étaient de deux sortes: 1* Les uns
ne connaissaient des causes criminelles qu'incidemment aux
matières qui faisaient Tobjet particulier de leur établissement:
tels étaient le prévôt de THôtel des Monnaies et la Cour des
Monnaies, les juges de l'Amirauté; 2*" Les autres avaient une
compétence criminelle principale : tels étaient les prévôts des
maréchaux et les juges militaires.
^' L'Échiquier de Normandie, devenu « Parlement », eul, en 1519, uu6
Chambre criminelle, Tournelle, à l'imitalion de Paris. En 1491, on installe
à Toulouse, une Chambre ou Tournelle criminelle, « afin que la justice cri-
minelle soit administrée comme à Paris ».
PKOCÉDURE CRIMINBLT.E DANS L ANCIENNE FRANCE. 4i
^ VI. - LA PROCÉDURE CRIMINELLE DANS L'ANCIENNE FRANCE.
38. Les deux pha.'îcs de Taocienne procédure. — 40. Epoque barbare. Cojiireurs.
Ordalies. — 41. Première période de la féodalité. Le combat judiciaire. Le 11a-
î^rant déliL La clameur de haro. — 42. Les transformations successives de la
poursuite. Action populaire. Action d'office. Action publique. Le ministère public.
Ses origines obscures. — 43. Transformations de la procédure. Naissance de la
procédure inquisitoriale. Les grandes ordonnances. Le Code de la procédure in-
quisitoriale, l'Ordonnance de 1670. — 44. Marche d'un procès sous ce régime.
Information. Hécolement et confrontation. Jugement. — 45. L'ordre public, malgré
les rigueurs de cette procédure, paraît avoir été moins bien protégé qu'il ne l'est
aujourd'hui. — 46. La procédure inquisitoriale ne fut pas particulière à la France :
elle forma le droit commun de l'Europe occidentale. — 47. L'Angleterre seule
cooserve, dans sa procédure, les garanties du système accusatoire.
39. L'ancienne procédure criminelle a passe, dans noire
pays, comme dans les autres pays de l'Europe continentale,
par deux phases, la phase acciimtoire et la phase inquisi-
toire.
40. A l'époque barbare, la procédure criminelle ne se dis-
tingue pas de la procédure civile : Tune et l'autre sont fon-
dées sur le même principe. Au civil, comme au criminel,
deux parties se trouvent en présence dans une situation de
complète égalité : l'une qui réclame, à l'occasion d'un dom-
mage causé par un crime, et en poursuit la réparation pécu-
niaire; l'autre qui se défend contre cette réclamation. La
poursuite est donc exercée par la partie lésée, ou, si elle est
morte, par son lignage. C'est le système de l'accusation privée,
système qui caractérise généralement les droits primitifs.
L'instruction est publique et orale. Les parties doivent
comparaître au jour fixé et ne peuvent se faire représenter.
L'aveu est la meilleure preuve, la plus claire, celle qui ne
laisse aucune place au doute et ne suscite aucun trouble de
conscience.
Si l'accusé n'avoue pas, c'est lui qui, par un singulier ren-
versement de rôle, doit apporter la preuve de son innocence.
Il l'administre par le serment purgatoire y c'est-à-dire par le
serment qu'il prête, accompagné de cojureurs, qui viennent
42 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
solennellement lui donner, par leur affirmation, un certifi-
cat de moralité^ Quand le juge ne peut former sa conviction,
que Taccusé nie le délit et que le serment est rejeté, intervient
le jugement de Dieu, au moyen des épreuves {ordalies)^^ par
Teau bouillante, le fer rouge, l'eau froide', etc. L'épreuve
qui parait s'èlre maintenue le plus tard, c'est celle du cer-
cueil dont on trouve des exemples au xvi* siècle. Lorsqu'on
n'avait pu découvrir l'auteur d'un assassinat, on obligeait
tous ceux qui étaient soupçonnés d'y avoir participé, à venir
toucher le corps de la victime, exposé sur un cercueil. Si le
cadavre était mis en contact avec le meurtrier, il devait laisser
échapper quelques gouttes de sang. Cette épreuve était de na-
ture à agir vivement sur les imaginations : on comprend
qu'elle ait subsisté après la disparition des autres procédés \
En France, en effet, les derniers monuments de l'emploi des
ordalies sont des arrêts du Parlement de Paris du 1" décem-
bre 1601 et du 10 août 1641, annulant des sentences qui
avaient ordonné de soumettre à l'épreuve de l'eau froide des
personnes accusées de sorcellerie. Le combat ou duel judi-
ciaire, autorisé par la loi ripuaire', et dont il n'est point
§ VI.* Voy. Kœnigswarter, Bev, de légisL, 1849, p. 336.
2 Du mot allemand Urtheil jugement. — La croyance au merveilleux et
au surnaturel était très prononcée chez les Germains. Tacite nous dit [De
moribns germanorum, X) qu'aucun peuple n*a plus de foi aux auspices et
à la divination : auspicia sortesque ut qui maxime observant.
3 Lorsque les coutumes germaniques se furent transformées sous Tin-
fluence du christianisme et d'une vie plus sédentaire, la pratique des orda-
lies fut régularisée. On posa en principe qu'elles ne seraient admises qu'à
défaut soit de preuves ordinaires, soit de cojuratores, L'Église commença
par les tolérer. Charlemagne, dans un de ses capitulaires, prescrit de ne
point révoquer en doute les jugements de Dieu, ut omncs judicio Dci cre-
dont absque dubitatione (Cup. I, ann. 809, Cap. XX). Plus tard, l'autorité
ecclésiastique attaqua les ordalies, jusqu'à ce qu'en 1215, grâce aux efiforts
d'Innocent III, le quatrième concile de Latran défendit aux clercs de prêter
leur ministère à des actes de cette nature.
^ On peut presque dire qu'elle a laissé quelque trace dans la confronta-
tion avec le cadavre, opération qui paraît encore s'imposer aujourd'hui dans
tous les cas où cette confrontation est possible.
'- Tit. LXI, art. V et VI.
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l' ANCIENNE FRANCE. 43
|uestion daosla ]oi salique, était ea usage au vi* siècle, ainsi
[ue le rapporte Grégoire de Tours, comme mode d'épreuve.
!!nfia, l'emploi de la torture, était réservé aux esclaves^
41. Malgré la substitution, àTépoque féodale, d'un système
it pénalité Bill système de composition^ la ^procédure crimi-
nelle conserve d^abord les deux traits caractéristiques déjà si-
|Dalés : droit d'accusation exclusivement réservé à la partie
jUsée par le délit; identité des formes de la procédure civile
ddela procédure criminelle.
Le principe que la poursuite n'appartient qu'à la partie lé-
sée, ou, si elle était morte, à son ligoage, est un principe que
Kpètent tous les textes de l'époque \ On l'applique particu-
lièremeiit au « murtre et homicide ». La procédure n'étant
linsi qu'un débat entre deux personnes, il n'est pas besoin de
créer, pour ce genre de procès, des formes spéciales. Aussi
les procédures criminelle et civile, sauf quelques différences
fc détail, imposées par la nature même des choses, suivent
Boe marche identique.
Le régime des preuves reste ce qu'il était à l'époque fran-
^oe; mais la féodalité l'adapte à des mœurs et à des besoins
fiouTeaux; elle fait son choix parmi les procédés pratiqués,
hissant tomber en désuétude, le serment purgatoire et les or-
dalies ou épreuves unilatérales*, donnant la première place
au combat judiciaire, à l'appel au jugement de Dieu, soutenu
par le serment des deux adversaires et décidé par la ba-
bille.
Avec l'aveu, c'est le mode de preuve ordinaire. Par une
^ Loi galique, lit. XLII.
' Beaumanoir, LXIII, 1, Très ancienne coutume de Bretagne^ch, 96 : « Et
aussi Qul ne peut seul appeler par raison d'aulrui fait, s'il nVsl du lignage... »
Lirre de Jostice et de Plet, XIX, 3, § 1, 2.
' Les anciennes ordalies par Teau bouillante, le fer rouge, l'eau froide,
f^^^uemment usitées sous les Mérovingiens, deviennent rares dès le corn-
■tfocement de la deuxième race. On trouve cependant encore.au xii* siècle,
<: même au zui* siècle, quelques exemples des épreuves par Teau ou par le
tr r->uge. Cartulaire de Notre-Dame de Paris^ II, 324.
44 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
singulière combinaison de Tespril guerrier cl de l'esprit lé —
gisle, celle épreuve avail rcvélu des formes régulières et s'ap— ^
pliquait à toutes les phases comme à tous les acteurs de f^
procédure. On se battait avec l'accusé, on se battait avec 1©»
juges, quand on se plaignait de défaut de droit; on se bal-^-'
lait même avec les lémoins. Toutefois, ceux-ci pouvaient évî-^
1er d'engager leurs personnes, en faisant la déclaration suî— ^
vante, que nous a conservée Beaumanoir : « Je ne me bé«*
« pas à combattre pour vostre querele, ne à entrer en pletai*'
« mien, et se voz m'en volés deffendre, volontiers dirai m**"'
« vérité ». Contraireà l'espritdu christianisme, le combat ja--'-
diciaire fut attaqué par l'Eglise plus tôt et avec beaucoup pli
d'énergie que les ordalies*. La royauté, qui avait tout inl
rêt à son abolilion, s'associa à ce mouvement de réprobatioo—
Mais le duel judiciaire était trop conforme aux mœurs vio-*'
lentes de l'époque, pour ne pas résister à tous ces assaul9 ^
aussi est-il resté eu usage jusqu'au xvi' siècle.
La distinction élémentaire qu'on retrouve dans toutes \e^
procédures primitives, est celle du flagrant délit et du dili^
non flagrant.
Quand on prend un coupable sur le fait, il n'y a pas d^
contradiction possible; par conséquent, la procédure peutêti
très sommaire. Il n'est point besoin d'accusation ni d'auti
preuves que le témoignage de ceux qui ont appréhendé h
malfaiteur : sur leur déclaration, celui-ci est jugé sans retar^^
par le tribunal du lieu oii il a été pris. Tous ceux qui soD^
présents lors du méfait doivent poursuivre le délinquaat^
Tarrèler et le livrer à la justice, « car c'est le commun pori
• Le combat judiciaire fut attaqué, dès le v* sioclo, par Avitus, évéqa
de Vienne. Au ix*, Agobard, archevêque de Lyon, dédia à Louis le Débo
Claire un livre spc^cial : AdrcrRUR legem Gondobaldi et impia certami
qui€ per eam yeruntur. Il est, du reste, aujourd'hui certain que la loi
Gondebaud, roi des Burgondes, a,non pas introduit, comme Ta pensé Mon-
tesquieu, mais seulement étendu l'usage du duel judiciaire. Les troisième el
qiiatrième conciles de Latran, en 1179 et en 1215, consacrèrent solennelle*
ment la réprobation de l'Église.
4
i
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l'aNCIENNE FRANCE. 45
« que cascuns soit sergans et ait pooir de penre et d^arréter
m les malfaiteurs *° ».
La procédure féodale avait même organisé, dans la clameur
de haro^ une méthode formaliste et naïve pour conserver au
fait son caractère de flagrant délit. En Normandie, on ne
pouvait crier « haro » que dans les cas d'incendie, d'homi-
cide, d'attaque à main armée, de vol ou de tout autre péril
imminent. Dans les cas moins urgents, celui qui abusait de
la clameur de haro était puni d'amende. Les légistes em-
pruntèrent, à la Normandie, cet usage de poursuivre à cri et
haro, à chaude chasse, à chasse et à fuite **. Ils étendirent ainsi
la procédure plus sommaire de flagrant délit à des cas pour
lesquels elle n'avait pas été faite '*.
Si le malfaiteur n'était pas pris en flagrant délit' ni dans la
poursuite sur clameur de haro, l'offensé ou ses parents de-
vaient signaler le crime à la justice et former une plainte, en
leur nom, par voie de citoiement^ comme ils le feraient en ma-
tière civile. C'est Vaccusation germanique. Dans cette procé-
dure, la société n'intervient, par ses tribunaux, que pour
juger le procès ; le débat s'engage entre l'accusé et l'accusa-
teur qui se porte partie. Celui-ci doit avoir la pleine capacité
de plaider et de donner ou recevoir des gages de bataille.
Après l'ajournement ou semonce à larequète de l'accusateur,
qui formulait sa demande en s'oiïrant à prouver les faits allé-
gués, Taccusé devait répondre sur le champ et mot à mot, en
oiant ce que l'autre affirmait, et relever le gage de bataille;
siaon, il était condamné. En cas d'absolution de l'accusé, l'ac-
cusateur était passible de la peine dont son adversaire aurait
été frappé dans le cas de condamnation.
Si la victime ou son lignage existaient encore et ne se plai-
gnaient point, le justicier n'avait pas le droit de poursuivre.
*" Beaumanoir, XXXI, 14. Voy. t^d. Beugnot, préface, CLX.
** L. Tanon, Histoire des justices des anciennes églises et communautés
tuonastitjues d^ Paris, p. 369; Esraein, op. cit., p. 50.
'* Voy. Beaumanoir, XXXIX, 43, 44. — Sur tous ces points : Esmein,
op. cit., p. 49. — Le même besoin de célérité a porté les légistes du xix*
siècle à étendre, en F^rance, la notion du tla^rant délit.
46 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
On admit, sans doute, de tout temps, la faculté, pour les offi-
ciers de justice, de se saisir du malfaiteur et de provoquer la
poursuite des intéressés. Mais cette procédure, destinée seule-
ment à stimuler l'accusation privée, n'était pas encore la pour-
suite au nom de TÉtat, l'accusation publique.
42. De bonne heure cependant, la nécessité se Gt sentir de
donner au magistrat une initiative qui ne lui appartenait pas
tout d'abord, celle de poursuivre les crimes que personne ne
poursuivait. La justice féodale y était d'autant plus intéres-
sée que le produit des amendes et confiscations, peines ordi-
nairement prononcées à celte époque pour la pi upartdes délits,
appartenait au fisc. On admit donc que les juges pouvaient
poursuivre d'office et même on finit par créer, auprès des
juridictions importantes, un représentant du seigneur, chargé
de veiller sur ses intérêts pécuniaires, qu'on appela, pour ce
motif, procureur fiscal. Ce ne fut que par degrés qu'on trans-
forma ainsi le caractère de l'action pénale et de celui qui
I exerçait. Dans le principe, le magistrat ne put agir quedans
quelques cas exceptionnels, quand il y avait •flagrant délit,
quand la victime ne laissait pas d'héritier. Le détenu avait
même la faculté de consentira être jugé sans accusateur, d'a-
près une procédure que les textes appellent « l'enqueste du
païs^' ». Puis, on fit un pas de plus et on reconnut au magis-
trat, dans tous les cas, le, droit d'exercer lui-même la pour-
suite.
A partir du jour oii cette évolution fut accomplie, ne cessa
pas, pour les intéressés, la victime du délit, ou ses parents, le
droit de se porter accusateurs; mais Vaccusalion se présenta
sous deux formes : Vaccusation directe^ dans laquelle la partie
lésée engage le procès elle-même; et la déîwnciation, par
laquelle elle fait appel à l'action du magistrat. La dénoncia-
tion était une forme de procédure dans la poursuite dont
l'Église avait fourni l'idée et les premières applications devant
*^ Le Grand Coutumier de Normandie donne une description délaillée de
cette singulière proc(^dure : cliap. LXVIII. Voy. Esmein, op, cit,, p. 53.
PROCÉDURE CROtflNELLE DANS L ANCIENNE FRANCE. 47
ses tribunaux. Elle a^ait deux ayaotages sur l'accusation di-
recte; elle n'exposait pas son auteur, si elle était mal fondée,
aux peines si sévères du talion, usitées encore vers la fin du
iiu* siècle'^; de plus, en laissant au juge le soin d'apprécier, au
préalable, la valeur de la plainte, le dénonciateur se mettait
à l'abri du ressentiment et de la vengeance. L'emploi de la
dénonciation fut admis devant le tribunal de l'Inquisition,
dès son institution dans lo midi de la France; il fut ensuite
pratiqué parles officialités; et, de la procédure ecclésiasti-
que, il passa dans la procédure laï(|ue.
Mais un tel système était sujet à un inconvénient inverse
de celui auquel il tendait à se substituer. Les dénonciations
devinrent des délations, et l'on dut prendre des mesures pour
arrêter les abus. Une ordonnance de 1303) relative à la juri-
diction municipale de Toulouse, prescrit que chaque dénon-
ciateur donne son nom et soit averti qu'il sera puni s'il est
calomniateur. Une autre ordonnance de la même année, et
rendue pour la même ville, dispose que les juges doivent eux-
mêmes dédommagement à l'inculpé, quand, après son arresta-
lioD, il a été prouvé que lessoupçonsportés contre lui ne repo-
saient sur aucun fondement. En divers pays, on astreignait le
dénonciateur à prêter le sermentrf^ calumnia. Mais ces garan-
ties exigées retinrent souvent les dénonciateurs, et, dans
l'intérêt de la répression, on finit par admettre qu'une simple
plainte adressée à la justice ne serait pas considérée comme
une dénonciation. Désormais, les individus lésés se contentè-
rent d'èire plaif/nants, et c'est ce qui fit tomber en désuétude
les précautions prises contre les dénonciateurs.
Bien souvent, du reste, personne ne se présentait comme
accusateur, dénonciateur ou plaignant. La rumeur publique
■famà) signalait seule un fait dont nul ne voulait ou ne pou-
vait fournir la preuve. A la fin du xii'' siècle. Innocent III
** Le juge (levait d'ailleurs averlir faccusatour du péril auquel il s'expo-
sait. L'ord. de 1260 prescrivait de dire, à celui qui voulait faire une « cla-
meur ^», qu'il serait ouï, mais qu'il devait s'obliger à souffrir ce que son ad-
versaire souffrirait s'il était atteint. Ord. I, 89; Beaumanoir, LXI, 2. Préface
le Beugnot, CVIII.
48 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
institua, dans ce cas de diffamation ]a poursuite ex officio^
dont le caractère essentiel consistait à rechercher la vérité par
Taudilion de témoins. C'est la procédure par enquête, per
iiiquisitiotiem, que la législation carolingienne avait déjà
connue. Son triomphe assura, comme première conséquence,
la substitution de Vaction d'office à Y accusation par partit
privée.
Ce fut d'abord le délégué même du seigneur ou du roi, qui,
sur dénonciationou d'office, prit la direction de la poursuite.
Mais lorsque le pouvoir royal se développa, il eut besoin, au-
près de chaque juridiction, pour toutes les affaires qui inté-
ressaient la royauté, de procureurs^ qui tenaient la plume, et
d'avocats, qui portaient la parole. Ces procureurs et ces avo-
cats n'étaient, à Torigine, que les agents particuliers du roi,
poursuivant ou défendant enson nom, dans toutes les affaires
oii il était intéressé. L'ordonnance du 25 mars 1303, qui fait,
pour la première fois dans un document législatif, mention
de ces officiers, enjoint aux procureurs du roi, de prêter le
serment de calumnia, comme les autres plaideurs, et leur
défend de se mêler des causes des particuliers. Chaque bail-
liage, chaque siège de prévôté eut « ses gens du roi », dout
la délégation, d'abord temporaire, finit par devenir perma-
nente, et dont le caractère se transforma comme le caractère
môme de la royauté. L^ordonnance de novembre 1533 pres-
crit « qu'en chacun siège de nos |)révôtés des villes de notre
« dit royaume, ressortissant dûment par devant nos dits bail-
« lis et sénéchaux et où y a siège présidial, sera mis, insti-
« tué, établi un procureur pour nous, pour assister aux ex-
« pédilions de justice civile, politique et criminelle ».
Le procureur du roi poursuivait les usurpations du do-
maine ou autres droits régaliens ; il intentait les procès dans
les cas royaux ; il intervenait dans l'instruction de tous les
procès criminels pour sauvegarder les intérêts du fisc royal
qui s'enrichissait des amendes et des confiscations. Une
ordonnance de 4540 prescrit aux avocats et procureurs du roi
de tenir un registre des matières criminelles pour en « pour-
suivre la vuidange aux jours assignés, afin que, par l'intelli-
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l'âNCIENNB FRANCE. 49
gence des parties privées, les délits n*ea demeurent impunis
et ne soyons privez de ce que nous doibt estre acquis par le
moyen desdits delicts ». On vit ainsi les procureurs du roi
prendre Tinitiative des poursuites. Leurs entreprises, en se
multipliant, furent acceptées comme un usage, et cet usage
s'imposa bientôt comme un droit. Aucune loi précise ne dé-
termine ce progrès. Le ministère public, — ce fut le nom
collectif donné à ce corps d'officiers royaux, — se révèle
d'abord par son action, et, quand les premières ordonnances
s'en occupent, il est déjà en exercice. Ces ordonnances ne le
créent pas, elles l'adoptent et l'organisent. D'ailleurs, le
ministère public n'arriva pas, avant la fin du xvi* siècle, à sa
constitution définitive**. Les procureurs généraux**, près les
parlements, nommèrent les procureurs du roi près les sièges
inférieurs jusqu'à l'ordonnance de 1522, qui érigea les com-
missions de ces derniers en office et les rendit ainsi indépen-
dants des procureurs généraux. Les avocats du roi, dont les
fonctions demeurèrent toujours distinctes de celles des pro-
cureurs, les premiers portant la parole, les seconds tenant
la plume, furent, d'abord, choisis, pour chaque affaire,
parmi les avocats. Plus tard, ces emplois devinrent fixes et
furent convertis en office *\ Bien que recevant les instructions
générales du chancelier**, les officiers du ministère public
ont toujours participé, dans notre ancien droit, à l'indépen-
dance des parlements et n'ont jamais formé un corps un et
indivisible dont tous les membres seraient reliés les uns aux
** Voy. Lebon, Des principaux magistrats du parquet aux parlements^
1875 ; Casieran, Notice historique sur le ministère public {France judiciaire j
t 2, 1877, I" part., p. 468 et s.); Coumoul, Précis historique sur le ministère
public (Nouv. rev, hist,, 1881, p. 299 et s.).
*« Le titre de procureur général, donné au procureur du roi près le
parlement, apparaît, pour la première fois, dans [une ordonnance du 2 oc-
tobre 4354 {Ord, des rqis de France, t. 3, p. 346).
*^ Diaprés Boucher d'Argis, Histoire abrégée de Vordre des avocats,
oh. XVI, ce serait en 1573 qu'un avocat acheta l'otTice d'avocat du roi au
grand scandale de son ordre.
*• Voy. dans la correspondance de d'Aguesseau, ses lettres aux procureurs
généraux {(Euvresj 1. 10 et suiv., passim).
G. P. P. — 1. 4
50 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
autres par les liens de la subordination hiérarchique **.
43. Cette transformation du caractère de la poursuite eut
une influence successive sur l'organisation et le caractère de
la procédure. A partir du xiii'' siècle, en effet, en même temps
qu'apparaît et se développe la poursuite d'office, les vieux
modes de preuve font place aux enquêtes. Cette évolution a
son point de départ certain dans la procédure qui, depuis la
fin du xii" siècle, a été introduite devant les tribunaux ecclé-
siastiques.
L'église, après avoir conquis la juridiction criminelle sur
tous ceux qui lui appartenaient, les clercs^ emprunta, d'abord,
aux tribunaux du Bas-Empire, la procédure accusatoire, avec
ses deux caractères ordinaires, la publicité et la libre défense.
Mise en contact, plus tard^ avec les peuples de race germa-
nique, elle introduisit, devant ses tribunaux, soit la pour-
suite d'office en cas de flagrant délit, soit le mode de preuve
et de défense le plus usité, le serment purgatoire [purgatxo
canonicà). L'église subissait ainsi, dans sa procédure, l'in-
fluence successive du droit romain et du droit germanique.
Mais, à la fin du xii* siècle, Innocent 111, en coûslituant la
poursuite d'office sans accusation ni dénonciation, inaugura
une nouvelle procédure, celle-là bien ecclésiastique, la
procédure d'inquisitio, qui consistait essentiellement dans
une enquête, faite par le juge, contradictoirement avec le
prévenu, secrètement et par écrit, enquête à la suite de
laquelle le j.uge rendait sa sentence
20
*• Ortolan elLedeau, Le ministère public en France (1831, 2 vol., in-8'),
l. 1, p. XXXI.
'° Les témoins n'eurent point, aux yeux de l'église, une égale valeur : elle
pesa les dépositions, plutôt qu'elle ne les compta, et, pour éclairer son juge-
ment, elle fît appel, dans les cours de chrétienté^ plus tard désignées sous
le nom (ïofficialités, k divers indices, à diverses sources d'information, que
les tribunaux séculiers négligeaient. Klle rejeta les ordalies et les cojureurs,
abandonnant ces procédés superstitieux ou primitifs, pour n'accepter que
les jugements du bon sens et de la raison. Ce qui contribuait, sans doute,
à donner à l'église cette direction, c'est qu'elle avait, dans le discernement
et les lumières de ses juges, une confiance que le pouvoir laïque n'avait point
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS L*ANCIENNB FRANCE. 51
Celle inslilulion, approuvée par le concile de Lalran de
12*5, se répandit 1res rapidemenl dans le midi de la France
où elle ne consliluait pas, du rcsle, une nouveauté. L'ordon-
nance de 1254 constate, enefTet, que, dans les sénéchaussées
deCahors ri de Beaucaire, on procédait contre les crimes par
Toie à'inqfnsitiOy secundum jura et terre consnetudinem^^ .
Cesl qu'en effel cette procédure avait ses racines dans la pour-
suile extra-ordinem des derniers temps de TEmpire dont les
traditions s'étaient conservées dans les pays plus direclement
soumis à l'inûuence romaine. La procédure per inquisi-
tiotwni rencontra, au contraire, une vive résistance dans les
provinces du Nord. Ainsi, d'après la coulume d'Artois, « nul
t rrentilhomme ne se met en enquête sur un fait qui touche à
« son honneur. Toute enquête qui serait faite sans son con-
« sentcmcnt n'aurait aucune valeur" ». L'ancienne procé-
dure d'accusation subsiste à la fin du xin* siècle pour le»
nobles qui ne veulent pas se soumellre h. l'enquête. Quand
le gentilhomme n'esl pas pris en flagrant délit et qu'il est
accusé d'un crime capital, la justice doit lui demander d'abord
s'il nie le fait dont on l'accuse, ou s'il veut se mettre en
enquête, '< en la vérité de son pays ». S'il nie le fait et dé-
clare que l'accusateur en a menti, il y a lieu à gages de
bataille^'. Mais la procédure inquisitoire était en usage pour
les vilains. « Vilain se met bien en enquête, et en la voix de
son pays, des faits dont on l'accuse; et s'il ne voulait s'y
encore. Elle re^^ardait sa missKjn comme divine, el son jugemtîiit était vrai-
m^Mjt le jugement de Dieu. Mais, d'un autre cutô, devant la juridiction ec-
clésiastique, l'inculpé n'était plus un simple défendeur, c'était un prévenu,
dont le juge avait le droit de recliproher tous les actes par une enquête
attentive et minutieuse (inqinsitio)^ un prévenu contre lequel le juge pouvait
employer tous les moyens d'information. Il y a, dans cette psychologie
ecclésiastique, une explication des transformations de la procédure.
*' Cil. 21, Ord., I, 65. — Voy. sur tous ces points : Tardif, La procédure
civile et crimineUe^ aux xiii* et xiv** siècles, ou procédure de transition (18So,
iri-S*}, p. 14î».
" Coulumier d'Artois, éd. Tardif, art. XLV, 4, p. 104.
*« Voy. Tardif, op. cil,, p. 147.
32 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
mettre de bon gré, la justice enquerra d'office, s'il lui plaît 'S>.
La procédure inquisitoire s'infiltra donc, peu à peu, dans
les usages des juridictions laïques, par l'effet des mœurs bien
plus que par celui des lois. Jusqu'à la fin du xv° siècle., l'agent
principal des transformations profondes qui s'accomplissent
dans cette voie, c'est la jurisprudence. Â vrai dire, les légistes
bien plus que les lois sont les facteurs énergiques de ce mou-
vement. Cette façon de procéder que devaient préconiser les
i^lercs, qui commencèrent à figurer dans les cours laies quand
celles-ci devinrent permanentes et eurent des juges propre-
ment dits au lieu de jurés, fut adoptée d'abord par les juges
royaux et seigneuriaux. Le pouvoir royal n'intervint qu'une
fois l'évolution accomplie, pour fixer, dans le cadre de ses
ordonnances, un système pratiqué depuis longtemps et arrivé
À son plein développement.
On suit ce travail de codification dans trois ordonnances
successives, qui constituent les sources législatives de notre
ancienne procédure pénale : l'ordonnance de Blois, de
Louis XU, du mois de mars 1498; celle de Villers-Cotterets,
préparée par le chancelier Poyet, et rendue, en août i 535, sous
François l^% sur le fait de la justice et abréviation des procès;
enfin, l'ordonnance de Louis XIV, du mois d'août 1670, co-
dification complète et dernière de la procédure inquisitoire,
et qu'on désigne, par ce motif, sous le nom de VOrdonnance
criminelle. Les deux premières ne s'occupent de la procédure
criminelle qu'incidemment; la troisième est exclusivement
consacrée à en tracer les règles.
Cette consécration légistative de la procédure inquisitoire
fut acceptée sans résistance par la nation. Mais elle né passa
pas sans de vives protestations de la part des juristes, notam-
ment de Dumoulin et de Pierre Ayrault. Dans son principal
ouvrage, VOrdre, formalité et instruction judiciaire^ Ayrault,
en montrant, jusqu'à l'évidence, les dangers et les vices du
système inquisitoire, revendique, comme les bases mêmes de
2* Coulumier d'Artois, art. XLVI, 1, p. 104. Voy. la préface de Beugnot
(p. cxiii) aux coutumes de Beauvuisis, de Beaumanoir.
PROCÉDURE CRIMINELLE DftNS L'aNCIENNE FRANCE. TiS
foule procédure criminelle, l'oralité des débats, la publicité,
la liberté de la défense.
44. Exposons, dans ses grandes lignes, la suite entière
d'uD procès sous ce régime. La procédure se divise en trois
phases : 1° l'inrormalion; 2* le récolement et la conTronla-
tion; 3' le jugement.
I. Désormais, sauf le cas de flagrant délit, où on saisit le
coupable qu'on interroge sur-le-champ, foute procédure cri-
minelle commence par une information. Celle-ci est entre-
prise, soit sur la plainte de la partie lésée, soit sur la plainte
du procureur du roi, qui, averti par une dénonciation ou au-
trement, requiert le juge; soit par un acte d'initiative du juge,
qui peut toujours se saisir d'office. <> Tout juge est procureur
général «, disait-on dans l'ancien droit.
L'information a pour but de recueillir les preuves et les
premiers éléments du procès. Les témoins, cités par la par-
tie civile ou la partie publique, sont entendus un à un et se-
crètement". Mais l'information est d'abord l'œuvre des offi-
ciers de justice subalterne, tels que sci^ents, capables, au
dire d'Imbert", de la faire « grasse ou maigre, selon le désir
de la partie, non pas selon que les témoins véritablement
dient ». On s'aperçoit bientôt qu'il y a quelque danger à
confier une mission si grave à des hommes dont la moralité
est, à bon droit, suspecte, et, pour contrôler leurs rapports,
le récolement des témoins, fait par le juge même, devient
obligatoire. Puis, l'ordonnance de 4670 abolit entièrement
l'usage de faire informer « par un sergent et un notaire ».
Dorénavant, la déposition sera écrite par un greffier, en pré-
sence du juge". Dans le but de découvrir des témoins, lors-
•* Ord. de 1670, t. 6, arl. 11 : « Les témoins seront ouïs secrtlement et
séparément. •— Défendons aux greffiers de communiquer ies inibrmatinns et
autres pièces secrètes du procès ■>, Le principe du secret iHail tellement
entré dans les mœurs et semblait tellement nalurel, qu'en leiO, ces dispo-
sitions ne soulevèrent plus aucune observation.
!* Imbert, Ill.ch. 13, n" 13 et 14.
« Ord. de 1670, tit. VI, art. 9.
54 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
que le fait est d*une certaine gravité, on a recours aux nioni-
toires. Ce sont des ordres du juge d'église, affichés aux por-
tes des églises, et lus au prône, enjoignant à tous les fidèles
de déclarer au curé ce qu'ils savent concernant tel crirae,
lequel est spécifié dans le libellé du monitoire, mais sans
mention de la personne qui peut être Tobjet de soupçons. Le
curé transmettait ensuite, sous son sceau, les renseignements
ainsi obtenus aux juges enquêteurs".
L'usage de ce moyen d'instruction, tout à fait spécial, était
habituellement réservé pour les crimes de lèse-majesté, de
sacrilège et d'hérésie ; il avait été introduit par Téglise, et
porle bien l'empreinte de sa manière de procéder pour la
recherche du coupable.
Si l'information contient des charges, il y a lieu à décret
contre Taccusé. L'ordonnance de 1670 admet trois sortes de
décrets : celui d'assigné pour être ouï, celui d'ajournement
personnel, et celui de prise de corps. Le choix entre ces dififé-
rents décrets se détermine d'après la qualité des crimes, des
preuves et aussi des « personnes »; on ne peut décerner un
décret de prise de corps contre un domicilié, « si ce n'est pour
peine afflictive ou infamante ». Ce décret constituait l'accusé
en état de détention préventive. L'accusé, cité ou prisonnier,
doit être interrogé par le juge. Comme dans la plupart des
cas, sans l'aveu de l'accusé, on ne pouvait pas prononcer les
peines les plus graves, l'art d'interroger était une qualité
précieuse chez le juge instructeur'^*. On sait que l'ordonnance
de 1670 imposait à l'accusé interrogé l'obligation de prêter
serment, l'assimilant ainsi, en sa propre cause, à un témoin,
également tenu de jurer tant à la première audition qu'au
récolement ".
2» Ord.de 1670, lit. VIL
2* Les observations, dont Jousse a fait précéder le titre XIV de TOrdon-
nance, constituent une sorte de manuel du magistrat instructeur. C'est la
« question intellectuelle » dont Jousse fait la théorie.
30 On sait la discussion qui intervint sur ce point, dans la préparation de
Tordonnance, entre le président de Lamoignon et Pussort. Voy. Esmein, op.
cii.^ p. 229. Le président de Lamoignon combattit vainement une telle dis-
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l' ANCIENNE FRANCE. 55
II. Sur le VU des pièces de cette première iostruction, a lieu,
par le magistrat instructeur même, le règlement de la procé-
dure. Deux voies s'ouvrent, et nous trouvons d«ux formes
de procédure, qui bifurquent : V ordinaire et Y extraordinaire.
C'est là une distinction capitale, dont l'importance, depuis le
iiii* siècle, a été toujours grandissante. La procédure ordi-
naire, c'est la procédure civile, sans la torture comme moyen
de preuve, avec la publicité de l'audience, et la libre défense de
l'accusé ^*; Xdi procédure extraordinaire y c'est celle où laques-
lion est ordonnée, avec le secret de la procédure, l'absence
de conseil, c'est, en un mot, \di procédure criminelle inquisi-
toriale. " ,
Le règlement à l'extraordinaire résultait d'un jugement
portant que les témoins, entendus dans l'information, seraient
« ouïs de nouveau, recelés en leurs dépositions, et^ si besoin
est, confrontés à l'accusé" ». Le récolement est une nouvelle
audition des témoins, qui comparaissent devant le juge assisté
du greffier, prêtent serment, entendent la lecture de leur pré-
cédente déclaration et y font les additions et réclamations
qu*ils jugent nécessaires. Le témoin, après le récolement, ne
peut plus se rétracter sous peine de faux témoignage'^ La
confrontation est la mise en présence des accusés, des témoins
et des coaccusés. Elle est appelée parfois «ccan'a^ton ou acca-
rement (du grec xapY), front, visage). L'accariation se dit plus
spécialement de la confrontation d'un accusé avec son coac-
cusé, et la confrontation, de la mise en présence des accusés
et des témoins.
Lorsque les informations, interrogatoires, récolemenls et
confrontations étaient terminés, le procès était instruit et sor-
position, qui plaçait le coupable entre le parjure et un aveu dont il devenait
victime.
'* Dans le cas de règlement à l'ordinaire, Tinformation était transformée
en enquête et le procès était suivi devant les Juges civils, d'après les formes
ordinaires de l'ordonnance de 1667, Tinformation étant maintenue comme
enquête.
" Ord. de 1670, tit. XV, art. 1.
w Ord. de 1670, tit. XV, art. 11.
56 PROCEDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
tait des mains du juge d*instrnction pour passer aux mains
d'un rapporteur qui était chargé d*en exposer les résultats au
siège asseml)lé. Mais, auparavant, le « sac », contenant les
pièces de la procédure, était confié au procureur du roi pour
qu'il prit ses conclusions définitives. Ces conclusions pou-
vaient tendre à l'application de la peine, comme elles pou-
vaient tendre aussi à l'application de la torture ou à la preuve
des faits justificatifs.
Le rapport qui précédait le jugement avait une extrême
importance.
Aussi le rapporteur devait-il opiner le premier. Personne,
autre que les juges, n'assistait à la « visite du procès » et au
rapport : on excluait même les « gens du roi ». Avant de passer
au jugement, on faisait comparaître l'accusé pour subir un
dernier interrogatoire : c'était la première fois qu'il se trou-
vait en présence de ses juges. Lorsque les conclusions du
ministère public tendaient à une peine afflictive, le dernier
interrogatoire devait avoir lieu sur la sellette; dans les autres
cas, il avait lieu « derrière le barreau ou parquet de la
chambre... »
L'instruction du procès n'était pas toujours terminée à ce
moment-là. Si au lieu de preuves certaines et péremptoires,
il ne se dégageait qpntre l'accusé que des indices graves, si
l'on n'avait pu « rien gagner sur lui », suivant l'expression
de l'ordonnance de 1539, on recourait, pour obtenir un aveu,
objet constant, à cette époque, des préoccupations de la jus-
tice, à la torture^ cette forme d'interrogation qui paraissait
si naturelle, qu'on la désignait simplement, dans le langage
usuel, sous le nom de question judiciaire.
Si l'usage de la torture était général, les procédés em-
ployés pour l'administrer variaient de pays à pays. Chaque
contrée, presque chaque tribunal avait le sien : par exem-
ple, le Parlement de Paris procédait autrement que le Par-
lement de Bretagne et celui de Toulouse; mais il y avait
des genres de tortures plus habituels que d'autres'*. Dans
•
3^ Les manières les plus usitées de donner la torture étaient la question
à Veau, aux brodcquina, au feu, à Vhuilc bouillantef à Y estrapade.
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l'aNCIÉNNB FRANCE. 57
le ressort du Parlement de Paris, on employait, concurrem-
ment, la question à l'eau, consistant à verser, dans le gosier
du patient, par un cornet ou entonnoir, un certain nombre
de pots d'eau, et la question aux brodequins, qui se don-
nait en plaçant le patient sur un siège de bois, les bras
attachés à deux grosses boucles de fer scellées au mur et lui
serrant fortement les jambes, dans des espèces de boites dont
on rétrécissait graduellement la capacité en y faisant entrer
des coins à coups de maillet. Les progrès de Thumanité en
cette matière consistèrent à ne pas pousser jusqu'au bout
Tépreuve. Près du malheureux, fut placé un médecin qui
lui tâtait le pouls, l'examinait et arrêtait l'exécution quand
l'homme de l'art était convaincu que la torture pouvait com-
promettre la vie.
Nos tribunaux distinguèrent, dans la pratique, deux genres
de questions, la question ordinaire et la question extraordi-
naire : mais la législation ne précisa guère les cas où les
juges devaient s'arrêter à la question ordioaire, les cas où ils
pouvaient passera l'emploi de l'extraordinaire, laquelle con-
sistait, moins dans un mode de tourments nouveaux, que
dans la réitération de celui auquel on avait eu déjà recours.
L'ordonnance de 1670, codifiant la pratique déjà en vigueur,
voulait que le prévenu fût interrogé trois fois, avant, pendant
çt après la torture. Le dernier interrogatoire s'appelait in^er-
Togatoire sur le matelas^ du nom du matelas sur lequel on
étendait le patient après l'épreuve qui lui avait été infligée. A
côté delà question ordinaire ou extraordinaire, à\ie prépara-
toire^ il en existait une autre, dite préalable ou définitive^
qu'on ne prononçait que contre les condamnés à mort pour
obtenir des aveux ou le nom de leurs complices".
III. Le jugement avait lieu sur \e% pièces de l'information,
sans que le tribunal, pour apprécier la culpabilité, pût enten-
dre les témoins, et les confronter soit entre eux, soit avec
'* Certaines personnes, telles que les enfants, les malades, les infirmes et
les vieillards, n'étaient pas condamnés à la question, mais étaient simplement
préaentés à la question pour les épouvanter par la crainte des tourments.
58 PROCÉDURE PÉNALE, — INTRODUCTION.
Taccusé. Réduit ainsi à la lecture d'un dossier, privé de ces
impressions d'audience qui déterminent la conviction, le juge,
dans noire ancien droit, mesurait la force probante de telle ou
telle preuve diaprés des règles formulées à Tavance et non
d'après son rapport avec les faits du procès". Avec ce système,
dit des preuves légales^ le résultat du procès pénal dépendait
de la question de savoir si la preuve tarifée d'avance était ou
non rapportée. L'accusation une fois établie suivant le pro-
cédé légal, il n'était plus permis à Tinculpé de combattre la
preuve faite par de simples dénégations. Il devait, à son tour,
apporter la preuve de faits positifs, de nature à détruire les
faits établis ou à supprimer leur criminalité. C'était là ce
qu'on appelait des faits justificatifs.
La décision aboutissait à une condamnation^ une absolution^
ou un plus ample informé. Four la condamnation, le partage
des voix profitait à l'accusé. Il y avait deux sortes de sentences
d'absolution : la mise hors cour et le congé ou décharge de
l'accusation. La différence essentielle, c'est que, dans le pre-
mier cas, la formule employée faisait obstacle à toute action
€n dommages-intérêts de l'accusé contre la partie civile,
tandis que le congé, attestant la complète innocence de Tac-
cusé, était ordinairement accompagné d'une condamnation
contre la partie civile. Entre une condamnation et une abso*
lution immédiate, se plaçait une solution intermédiaire :
c'était le plus ample informé. Cet interlocutoire, rendu dans
le cas où il n*y avait pas de preuve suffisante pour la con-
damnation de l'accusé, et où la nature du crime ou de la
peine ne permettait pas de recourir à la question préparatoire,
était susceptible de se transformer en absolution s'il ne sur-
venait pas de nouvelles charges pendant le délai fixé par le
juge. Dans les crimes énormes, le plus ample informé pou-
vait même être indéfini et rendre la poursuite imprescrip-
tible.
'* a Sec cnim a judice exigitur ut suam sententiam de crimine dicet,
verum ut aententiam leyislatoris applicet », suivant les expressions de
Krisius (Com. Carol. V, 2, p. 2C).
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l'aNCIENNE FRANCE. 59
L'ordonnance n'exigeait point que les sentences fussent
motivées. Cependant, les juges inférieurs « devaient exprimer
u la cause de la condamnation ou celle de Tabsoluiion. Aussi
« toutes les fois que cela se rencontre (qu'ils ne l'expriment
tt pas), le Parlement ou autre Cour infirme la sentence ou le
. « jugement et prononce néanmoins la même chose que la sen-
u tence; mais, à Tégard des Parlements et Cours, ils ne sont
(c point astreints à cette formalité, on met seulement dans Par-
« rèt que l'accusé est condamné pour les cas résultant du pro-
« cès^'' ».
Ainsi, la procédure criminelle, depuis son premier acte
jusqu*à l'arrêt du Parlement, était secrète et confiée à des
magistrats de profession. Pas de public, pas d'avocat, pas de
juges tirés des rangs du peuple. Les seules garanties étaient
le système des preuves, organisé par la coutume, pour que les
juges ne se sentissent pas au-dessus de la loi, et le droit d'ap-
pel, ouvert avec la plus grande libéralité.
L*ordonnance de 1670 avait substitué deux degrés de juri-
diction aux trois admis auparavant. L'appel du jugement
portant des peines afflictives et infamantes dut toujours être
porté au Parlement, tandis que, dans les autres cas, les con-
damnés avaient l'option entre cette haute cour et le bailliage
ou le présidial. Ces principes modérèrent, il faut l'indiquer
en passant, l'application de la torture, car l'appel fut obliga-
toire et forcé pour la question, et lors même que le condamné
avait acquiescé à la sentence qui le condamnait à la torture,
le principe des deux degrés de juridiction n'en subsistait pas
moins. Telle était la doctrine que, au xvif siècle, fit prévaloir,
dans l'intérêt de l'accusé, Tavocat général Talon. Il en résulta
qu*en fait, la torture ne put être désormais ordonnée et appli-
quée sur une simple sentence du premier juge. Le ministère
public, à défaut de l'accusé, appelait toujours de cette sen-
tence. Ce fut donc toujours, avec l'assentiment du Parlement
que la question fut employée, ce qui restreignit notablement
l'usage de cet odieux procédé d'instruction.
'^ Rousseau de Lacombe, Mat, crim,, p. 457.
à
60 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
45. Ce redoulable appareil de formalités et de moyens em-
ployés pour convaincre le coupable, assurait-il davantage la
défense de Tordre et la sécurité publique que les mesures
plus discrètes et plus humaines qui y ont été substituées? Le
malfaiteur, averti qu'une fois arrêté et traduit devant les tri-
bunaux, il ne rencontrerait aucune indulgence, aucune possi-
bilité de se soustraire aux redoutables éventualités qui le me-
naçaient, était-il plus retenti qu'il ne Test de nos jours? Le
grand nombre de condamnations prononcées par nos ancien-
nes cours de justice, les documents plus ou moins officiels qui
nous restent sur l'état social de Tancienne France, permettent
d*en douter. Évidemment, on ne peut dresser qu'une statis-
tique très incomplète de la criminalité dans Tancienne société :
néanmoins, on peut affirmer que certains crimes, précisé-
ment les plus graves, étaient plus nombreux alors, qu'ils ne
le sont aujourd'hui ; et nous voyons, aux xvi" et xvn" siècles, en
dépit des sévérités outrées de la législation criminelle, les
larrons pulluler sur les routes, les brigands remplir les forêts,
les gens de finances commettre d'insolentes concussions, et
les hommes de guerre, des violences et des rapines '•. Il sem-
ble donc que la société fut, sousl'aucien régime, plus exposée
aux entreprises criminelles qu'elle ne Test de nos jours, mal-
gré l'excès de la défense sociale. Sous un régime plus mo-
déré, nous nous sentons, aujourd'hui, mieux protégés et moins
inquiets. Il est vrai que ce sentiment de sécurité tient autant à
la disparition de l'arbitraire qu'à la meilleure organisation
de la police; néanmoins, il faut constater, pour en tirer parti,
cette déroute de l'ancienne législation criminelle.
46. La procédure criminelle inquisitoriale ne fut pas une
institution particulière à la France : elle forma, au contraire,
le droit commun de l'Europe continentale. En Italie, en Es-
pagne, en Allemagne, dans les Pays-Bas, les mêmes causes
substituèrent, à la procédure accusatoire et publique, l'inslruc-
'^ Voy. Corre et Aubry, Documents de cnminologie rétrospective {Arch.
(Vanthrop. crim.^ t. 9, p. 181, 322, 684; X, p. 72, 310).
PROCÉDURE CRIMINELLE DANS l'aNCIENNE FRANCE. 61
lion écrite et secrète. Deux choses caractérisèrent cependant
la procédure française et la distinguèrent de celle des nations
voisines. Ce fut Tinstitution du ministère public qui, en
France seulement, constitua un des rouages essentiels de
Torganisme judiciaire. Ce fut aussi la précision et la rigueur
avec laquelle la jurisprudence française sut formuler les rè-
gles de la procédure. L'esprit français s^appliqua à les coor-
donner, à les organiser, à en faire un corps de droit, à en
présenter la formule définitive dans la grande ordonnance
criminelle de 1670.
47. L'Angleterre seule conserva, dans sa procédure, les
garanties qu'avaient possédées les autres nations de TEurope,
à un moment de leur histoire : le système accusatoire, la
publicité, Toralité des débats. De plus, elle sut donner, à Tin-
slilution du jury, la forme même que devaient adopter plus
tard l'Europe et l'Amérique. L'Angleterre eut bien à lutter^
pour défendre sa procédure traditionnelle, contre les mêmes
influences que le continent européen avait subies : celles
du droit romain et du droit canonique, mises en œuvre par
la royauté et pour la royauté. Mais l'Angleterre dut la per-
sistance du système accu^atoire, tant à l'attachement aux
vieux usages et à l'opiniâtreté qui caractérisent son peuple,
qu'aux sentiments individualistes et libéraux qui l'honorent.
Le droit anglais avait conservé le principe accusatoire, il se
présentait sous deux formes.
Le premier était la reproduction de l'ancienne accusation
féodale, Yappeal^ appel. C'est l'accusation qu'un particulier
portait contre un autre dans un intérêt privé. Elle n'était ou-
verte qu*à la victime même, dans les crimes de larcin, rapt,
incendie, mutilation, et elle avait lieu directement devant la
cour de justice, sans l'intervention du jury d'accusation. Le
duel judiciaire était ouvert à l'accusateur comme moyen de
justification. Mais celui-ci pouvait aussi en appeler au juge-
ment du pays, c'est-à-dire au jury.
La seconde forme d'accusation, celle qui devait servirde
modèle aux législateurs de l'Assemblée constituante de 1789,
62 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
était ouverte à tous et devait nécessairement passer par le dou-
ble jury d'accusation et de jugement.
L'accusateur débutait par une requête, demandant au magis-
trat, qui était devenu le principal officier de police judiciaire,
au juge de paix « Justice of peacc », un ordre d'arrestation ou
un mandat de citation contre celui qu'il voulait accuser. I^
magistrat examinait les faits allégués, et délivrait, s'il y avait
lieu, le warrant ou ordre d'arrestation, en vertu duquel l'ac-
cusé était transféré et détenu dans la prison du comté.
L'affaire était alors soumise au grand jury pour statuer sur
la mise en accusation. Le jury f/Wr?/.svz/?V>/î comprenait vingt-
trois tenanciers choisis par le shérif. 11 se réunissait sous la
présidence du chef [forman) et entendait le plaignant (perse-
cutor) et les témoins à charge, sans appeler les témoins à
décharge et les accusés. Pour que la mise en accusation fût
prononcée, l'avis conforme de douze jurés était nécessaire. La
décision, écrite par le /orwan au bas de Vindictement (acte
d'accusation dressé par le plaignant), était ainsi formulée :
truc'bill (vrai bill) si l'accusé était mis en accusation, no-biU
(pas de bill) si l'accusé n'était pas renvoyé devant le jury de
jugement.
L'accusé comparaissait, à la barre, devant le juge qui prési-
dait l'assise; le greffier lisait l'indictcment, annonçait qu'il
avait été trouvé fondé par le grand jury et demandait à l'ac-
cusé s'il voulait plaider guilty ou not guilty (coupable ou noc
coupable). Si l'accusé plaidait coupable, c'est-à-dire s'i
avouait sa culpabilité, il était jugé, sans assistance du jury, pai
le juge qui lui appliquait la peine. S'il plaidait coupable
l'afTaire s'engageait devant le jury. On tirait alors le non
des jurés sur une liste de 48 à 72 noms, dressée par le shérif
Taccusé et le plaignant avaient le droit d'exercer un cerlaii
nombre de récusations, les unes motivées, les autres péremp
loires. Les douze jurés non récusés prêtaient alors serment
L'avocat du plaignant leur exposait l'affaire, produisait cl in
terrogeait les témoins. L'avocat de l'accusé les interrogeait i
son tour, produisait et interrogeait les témoins à décharge e
présentait la défense de l'accusé. Après la clôture des débats.
V--.
-u-
) ^
1
I
PROCEDURE CRIMINELLE DE LA RÉVOLUTION. 63
le jug:e, président du jury, faisait son résumé. Puis les jurés
étaient renvoyés dans la chambre de leurs délibérations. Ils
devaient rendre leur verdict à Tunanimité, et étaient gardés
dans leur chambre, sans feu, sans lumière, sans manger ni
boire, jusqu'à ce qu'ils se fussent mis d'accord.
{ I En dehors de cette organisation, la législation anglaise
assurait à Taccusé une double garantie pour protéger sa li-
berté et présenter sa défense. D'après le célèbre bill d'Art-
beas corpus^ rendu la trentième année du règne de Charles II,
tout prisonnier doit obtenir, six heures après le commence-
ment de sa détention, une copie de son warrant d'emprison-
oemont. Et, s*il n'est pas légalement détenu, il doit être
immédiatement relâché. Il peut, de plus, demander à être
jugé à la session qui suit son emprisonnement, et, s'il n*est
jugé à la seconde, il est mis en liberté. Quant à la plénitude
1^ I et à la liberté de la défense, l'accuse a toute garantie, non
leulement par la publicité et la contradiction qui sont par-
tout organisées, mais encore par l'obligation imposée au pré-
sident d'avertir Taccusé qu'il n'est pas tenu d'avouer et de lui
faire connaître les conséquences graves que peut avoir son
aveu.
Toutes ces institutions ont persisté, ainsi que nous le ver-
rons, dans la procédure anglaise, qui représente encore de
DOS jours le type conservé de l'ancien système accusatoire.
§ VII. — L'ORGANISATION JUDICIAIRE ET LA PROCÉDURE
DANS LES LOIS DE LA RÉVOLUTION JUSQU'AU CODE DE 1808.
48. L'étal d'esprit à U veille de la Révolution. Réformes opérées. — 49. 1-a légis-
ialion crimioellc de TAssemblée nationule constituante. — 60. En matière de
crimes, la procédure parcourait trois phases. Inslruclion au canton. Au district,
magistrat directeur du jury et jury d'accusation. Jugement. — 51. Qualités et
vices de cette procédure. — 52. Procédure en matière de délits, soit de police
correctioQDolle, soit de police municipale. — 63. Application du .système de pro-
cédure de l'Assemblée constituante. Code des délits et des peines du 3 brumaire
an IV. — 64. Les lois de Tan IX. Reconstitution de la procédure d'instruction et
du ministère public. — 55. Les tribunaux criminels spéciaux.
48. Au xvii* siècle, Tesprit public ne paraît pas hostile à
la législation criminelle du temps. La procédure inquisitoire,
î -
[-
64 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
son secret, Tabseocede contradiction, la torture, ce sont là,
pour les meilleurs esprits, des rigueurs nécessaires. Il sem-
ble que la défense sociale ne puisse être assurée que par ces
iniquités. La crainte des criminels, l'horreur d'exécrables
forfaits dominent, chez le peuple, tout sentiment de pitié :
ce qu'on appelait une bonne justice, c'était une justice sévère.
Au xviii' siècle, le point de vue change ; par cette tendance, si
remarquée, qui attribuait, en tout, les torts h la société et
qui la présumait coupable, alors que l'individu était présumé
innocent, on vit l'opinion publique se retourner contre lajus-
tice du temps. La révolution, en transformant la législation,
ne fera qu'accomplir des réformes depuis longtemps récla-
mées par la conscience publique *. C'est au mouvement philoso-
phique, qui signale la seconde moitié du ivui*" siècle, qu'est dû,
en grande partie, ce résultat. Les philosophes, les publicis-
tes avaient pris po.ur thème la comparaison entre notre légis-
lation et celle de l'Angleterre. Voltaire disait : « En France,
le Code criminel parait dirigé pour la perte des citoyens; en
Angleterre, pour leur sauvegarde ». Montesquieu, traçant le
tableau des institutions anglaises, faisait l'éloge de l'institu-
tion du jury qu'il recommandait à l'adoption des législateurs.
A l'étranger, un mouvement analogue se produisait. Les
magistrats eux-mêmes protestaient contre la législation du
j\nV siècle. Les académies^ suivant l'opinion, mettaient au
concours le plan de réformes à introduire dans le droit cri-
minel. 11 ne faut donc pas s'étonner que les réformes, dans
cette direction, aient précédé la révolution. C'est ainsi que
la torture fut abolie en France, sous Louis XVI, par la dé-
claration du 4 août 1780, qui supprima la question prépara-
toire*.
A la veille de la révolution, le gouvernement royal recon-
naissait qu'une réforme générale de la procédure criminelle
§ VIL * Voy. sur ce point : Esmein, op. cit., p. 386 et suiv,; Détourbet,
La procédure triminelle au xvit^ siècle (Paris, 1881), p. 161 et suiv.:
Albert Desjardins, Les Cahiers des Etats généraux en 4789 et la législation
criminelle (Paris, 1883), p. xi et suiv.
2 Muyart de Vouglans, Les Lois criminelles (Paris, 1780), p. 59.
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA RÉVOLUTION. 65
était oécessaire; il en Iraçait les grandes lignes dans le préam-
bule de redit du 1*' mai 1788. Kn attendant, cet acte abro-
geait plusieurs abus auxquels il avait paru urgent de remédier.
!• L'usage de la sellelte était aboli (art. l"). 2* Il élait dé-
tendu de rendre des sentences non motivées. « Ne pourront
« nos juges, même nos cours, prononcer en matière crimi-
•<Dt:lle pour les cas résultant du procès : voulons que tout
«arrêt ou jugement énonce ou qualifie expressément les
«crimes et les délits dont Taccusé aura été convaincu...
V Exceptons les arrêts purement confirmatifs de sentence des
« premiers juges, dans lesquels lesdit crimes etdélits seroieht
« expressément énoncés; à la charge par les cours de faire
" transcrire, dans le vu de leurs arrêts, lesdites sentences des
« premiers juges, le tout à peine de nullité » (art. 3). 3* L'abo-
lition de la question préparatoire était confirmée, la question
préalable était supprimée (art. 8). On la remplaçait par un
interrogatoire suprême fait par le juge-commissaire, le jour
même de Texécution, avec récolement et confrontation s'il
était besoin. Le condamné, dans cet interrogatoire, comme
dans les autres, devait prêter serment. 4° Une condamnation
à mort ne pouvait être prononcée qu*à une majorité de trois
Toix (arU 4). 5" Il était dit également, dans le même article,
qu' « aucune sentence, portant peine de mort naturelle, ne
« pourra être exécutée qu'un mois après qu'elle aura été pro-
« noncée..., sauf les jugements rendus pour des cas de sédi-
c' tion ou émotion populaire, seront lesdits jugements exécu-
« tés le jour qu'ils auront été prononcés aux condamnés ».
Ce délai, que l'ordonnance de 1670 ne donnait pas, avaitpour
objet de permettre au condamné de solliciter la clémence
royale. 11 disparut dans la législation intermédiaire, par suite,
tout à la fois, de l'abolition du droit de grâce et de refTet su&>
pensif attribué au pourvoi en cassation. Plus tard, bien que
le droit de grâce eût été rétabli, le Code d'instruction crimi-
nelle, copiant, dans son article 37S, le Code de brumaire an IV,
ordonna l'exécution des arrêts de mort aussitôt qu'ils seraient
devenus définitifs*. Mais la coutume a repris, de nos jours,
' C'était également la disposition de l'ordon nance de 1 670 (til. XXV, art. 24 ).
G. P. P. — I. 5
l
66 PROCÉDURE PÉNALE. INTRODUCTION.
la disposition de Tédil de 1788, puisqu^aucune condamnalioa
à mort n'est exécutée qu'après avoir été autorisée par le chef
de l*Etat qui est ainsi mis en demeure d*exercer son droit de
grâce. 6® Enfin, on accordait aux accusés absous une répara-
tion d'honneur. « Nos cours et juges ordonnent, disait Tarti-
i< cle 7, que tout jugement ou arrêt d'absolution rendu en
« dernier ressort, ou dont il n'y aura appel, sera imprimé et
<( affiché aux frais delà partie civile, s^il y en a, sinon aux frais
« de notre domaine ».
Cet édit qui souleva, dans le Parlement, la plus vive oppo-
sition et qui est le dernier acte d'exercice, par la royauté, de
son pouvoir législatif indépendant, ne fut pas appliqué^. Mais
il prouve que les réformes sont rnùres. Ce sera à la nation à
les réaliser. Sur aucune des questions qui agitèrent l'opinion
publique à cette époque, on ne rencontre pareille unanimité.
Dans les cahiers des États généraux, nous retrouvons, indi-
quées et réclamées, les réformes mêmes que l'Assemblée con-
stituante va accomplir*, l" Tout d'abord, c'est la publicité des
procédures qui est demandée. 2° Puis, l'assistance facultative
d'un conseil à Taccusé. Sur ce point, les cahiers des trois
ordres sont unanimes. Certains cahiers demandent même
que le défenseur soit donné gratuitement. D'autres veulent
que le conseil assiste l'accusé dès le début de la procédure;
d'autres, seulement après l'interrogatoire. 3" Le serment im-
posé à l'accusé doit être aboli. 4^ On demande la restriction
des pouvoirs du juge instructeur, soit au moyen de l'adjonction
d'autres magislrals,soit parla substitution, devant la juridiction
de jugement, de la preuve orale à la preuve écrite. 5° D'autres
réformes sont réclamées qui avaient été déjà opérées par
redit de 1788, telles que l'obligation de motiver toutes les sen-
tences, la suppression de la torture et l'abolition de la sellette.
* Sur cet ('dit," Esmein, op, cit., p. 400 et suiv.
* Cnrnp. A. D(.'sjardins, Les Cahiers des Etats généraux en H 89 et la
Jr/jiMation criminelle (Paris, 1883). Sur les va^ux émis en ce qui concerne la
nMorme de l'organisation judiciaire : chap. IX à XII, p. 189 à 253. Sur la
n'*lorm(î de la procédure uu, comme on disait alors, de Tinstruction crimi-
nelle : chap. XIII à XIX, p. 253 à 439.
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA REVOLUTION. 67
Ce qui est unanimement coodamoé, c'est Teosemble des
ÎQstitulions arbitraires qui jetaient un si graod trouble dans
Tadministration de la justice. On veut voir disparaître les
juridictions d'exception, supprimer cette justice retenue et
a^t e&ercice du pouvoir absolu qui se manifestaient, avant tout
jugement, par les lettres d'abolition et, sans jugement, par
les lettres de cachet*.
Enfin, le tiers-état de 58 bailliages demande qu'on distin-
gue les juges du fait et les juges du droite « En matière cri-
« minelle, le jugement du fait sera toujours séparé du juge-
u ment du droit. L'institution des jurés pour le jugement du
« fait paraissant plus favorable à la sûreté personnelle et à la
«liberté publique, les États généraux chercheront par quels
(1 moyens on pourrait adapter cette institution à notre légis-
te lation ». Ainsi, pour l'organisation de la justice criminelle,
comme pour celle des libertés publiques^ c'est à l'Angleterre
que Tespril public va demander ses modèles*.
49. L'Assemblée constiluante, en remontant aux origines
nationales, se trouvait en présence de deux systèmes opposés
d'organisation judiciaire et de procédure pénale. L'un, qui
avait régi la France depuis les invasions germaniques jusque
vers le w"* siècle, donnait à la victime du délit ou à ses pa-
rents le droit de se porter accusateurs, organisait le jugement
parjurés, la preuve orale, la publicité des audiences, admet-
tait le droit de défense à toutes les phases de la procédure.
L'autre, qui, depuis trois sièclesseulement, avait pris la place
(lu premier, successivement organisé par les ordonnances de
1498, de ij39 et de 1670, donnait à des fonctionnaires spé-
ciaux le droit d'accuser, ne réservant aux parties que le droit
de dénoncer, établissait une procédure par enquête, une in-
« A. Desjardins, op. cit., p. 229, 394, 402.
' A. Desjardins, op. cit., p. 240 et 245.
• Un Toil, dans les cahiiTS, invoquer deux exemples, pour justifier Tëta-
Llissement delà justice par jurés, ci.'lui de la France elle-même dans les
temps plus anciens, et celui de TAngleterre dans tous les temps, Gump.
Desjardiijs^ op. cit., p. 2r2.
1
68 PROCÉDURE PÉNALK. — INTRODUCTION.
slruction écrile et secrète, des preuves légales, supprimait ou
restreignait le droit de défense, et donnait aux juges le carac-
tère de fonctionnaires publics, investis de la mission perma-
nente et exclusive de juger.
Dans ses réformes, l'Assemblée constituante n'essaya pas
de conserver Tancienne procédure, en la débarrassant de ses
vices et de ses duretés : elle sacrifia les inslitulions françaises
h lu procédure anglaise, dont elle s'est manifestement inspi-
rée ; elle ne sut pas donner à l'intérêt social de la répression
des garanties suffisantes, surtout dans l'organisation de la
poursuite et de l'instruction préparatoire. C'est le principal
reproche qu'on peut lui faire. Une chose frappe tout d'abord
dans son œuvre : c'est la séparation complète de la justice cri-
minelle et de la justice civile; chacune d'elles a son organisa-
tion distincte, son personnel différent. L'Assemblée consti-
tuante voulut aussi réagir contre l'organisation 'judiciaire an-
cienne, qui n'avait, à aucune époque, connu cette séparation,
et qui concentrait, en dernier lieu, dans les parlements^
l'administration des deux justices. Elle réalisa ainsi intuiti-
vement une réforme profonde que la législation postérieure
devait abandonner et à laquelle il faudra bien cependant
revenir, le jour où l'on comprendra que le procès pénal ne
peut pas être jugé comme le procès civil, et que les qualités
d'un bon magistrat civil ne sont pas précisément celles d'un
bon magistrat criminel.
L'Assemblée nationale constituante vota, sur le droit cri-
miuel, quatre lois d'une importance capitale : 1^ la loi des
8-9 octobre 1789 qui opère, dans la procédure criminelle, la
réforme immédiate des abus les plus graves, mais n'établit
qu'un état de choses provisoire*; 2* la loi des 16-29 septem-
bre 1791 qui, sous le titre de Décret concernant la police de
" Cette loi est très intéressante. Elle maintient, en ofTct, les règles ge'né-
rales de l'ordonnance de 1670. « L'ordonnance de 1670 et les t'dits et rè-
« ^Hements concernant la matière criminelle continueront d'être observés
" en tout ce qui n'est pas contraire au présent décret, jusqu'à ce qu'il en
<' ait été autrement ordonné (art. 28) ». Mais deux principes nouveaux in-
terviennent : la publicité de la procédure et l'assistance d'un conseil. Pour
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA RÉVOLUTION. 69
sûreléy la justice criminelle et f établissemeiit desjurés^ adapte
la procédure, en ce qui concerne les délits les plus graves, à
Imstilution nouvelle du jury; 3"" la loi des 25 septemhre-
6 octobre 1191 qui, sous le titre trop général de Code pénal,
établit un système d'incrimination et de pénalité en ce qui
concerne les délits de Tordre le plus grave; i"" la loi des
19 et 22 juillet 1791 qui, sous le nom de Décret relatif à
^organisation dune police municipale et cTune police correc-
iionnelley règle l£^ pénalité, en même temps que la juridiction
et la procédure, quant aux délits d*un ordre inférieur.
Dans cette œuvre législative, on voit s'établir une division
tripartite entre les polices municipale, correctionnelle ou de
sûreté, auxquelles correspondent trois ordres d'infractions,
les délits de police municipale, ceux de police correction-
nelle, les délits de sûreté. Superposé sur la division des in-
fractions, l'organisme judiciaire répressif comprend trois
ordres de tribunaux : des tribunaux de police municipale et
des tribunaux de police correctionnelle, destinés à remplacer
les basses et moyennes justices et les prévôtés; des tribu-
naux criminels, destinés à remplacer les hautes justices, les
bailliages, les sénéchaussées, les présidiaux et les parlements.
50. En matière criminelle, la procédure parcourait trois
phases successives : 1° une instruction sommaire avait lieu
au canton devant l'officier de police; 2^ elle se continuait, au
district, devant le jury d*accusation; 3^ enfin, les débats défi-
nitifs et le jugement étaient suivis, au chef-lieu du dépar-
tement, devant le tribunal criminel.
I. C'était le juge de paix, cette création de l'Assemblée
constituante, qui, dans ce système, concentrait, en ses mains^
les fonctions de la police judiciaire. Ce magistrat appelait
la première partie du procès criminel, l'information, le décret de 1789 se
montrait plus libéral que ne le seront les lois postérieures. Mais il n'établis-
sait pas le jury. Lors de la rédaction du Code d'instruction criminelle, cer-
tains esprits proposaient de revenir purement et simplement à cette première
réforme, accomplie, mais à titre provisoire, par TAssemblée constituante. Voy.
sur tous ces points : Ksmein, op. cit., p. 410 à 416.
70 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
devant lui les incalpés de crime ou de délit par mandat (Va-
mener, litre analogue au warrant du justice of peace^ et exé-
cutoire, an besoin, par la force publique. Celait le magis-
trat qui procédait aux premiers actes de rinformation, inter-
rogatoire de rincolpé, audition des témoins, constatations
judiciaires. S'il pensait qu'il y eût lieu k poursuite crimi-
nelle, W faisait arrêter Tinculpé en vertu A^ \àn mandat d arrêt.
Le juge de paix agissait d'office, en cas de flagrant délit,
ou encore lorsqu'il avait connaissance d'une mort dont la
cause était inconnue ou suspecte : dans les autres cas^ il agis-
sait sous l'impulsion des particuliers. Ceux-ci procédaient par
la voie d'une plainte ou d'une dénonciation civique. La ter-
minologie et les effets de ces deux modes d'impulsion des
particuliers étaient nettement arrêtés. La plainte émanait de
la partie lésée : c'était une « dénonciation de tort personnel ».
Elle avait pour effet de saisir le juge de paix qui devait pro-
céder aux actes de sa fonction. Cet officier était obligé de re-
cevoir la déposition des témoins produits par le plaignant, et
de dresser, s'il y avait lieu, des procès-verbaux sur sa réqui-
sition. Si le juge de paix refusait de poursuivre, la partie lésée
avait le droit de soumettre directement sa plainte au jury
d'accusation. La dénonciation émanait d'une personne non
intéressée : elle était un devoir civique pour tous les citoyens.
Signée et affirmée par le dénonciateur, elle avait le même
effet que la plainte. Si le dénonciateur refusait de signer et
d'affirmer sa dénonciation, le juge de paix n'avait aucune
obligation, mais la faculté de poursuivre d'office s'il y avait
lieu.
Les officiers de gendarmerie exerçaient les fonctions de
police judiciaire en concours avec les juges de paix, sauf
dans les villes ou il y avait plusieurs juges de paix.
Les grandes lignes du système ainsi exposées, il faut recon-
naître que, dans cette phase, quelques critiques pouvaient
être adressées h la nouvelle procédure • 1" elle confiait à des
officiers, qui n'étaient ni assez nombreux, ni assez haut placés
dans la hiérarchie judiciaire, les fonctions si importantes et
si graves de l'instruction préalable ; 2'' elle confondait, dans les
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA REVOLUTION. H
mêmes mains, ]e droit de poursuivre et le droit d'instruire :
le ministère public n^apparaissait pas dans celte phase de la
procédure et le magistrat instructeur se mettait en eni|uèle
soit d^office, soit sur l'impulsion des particuliers; 3*" enfin,
sans ressusciter le sysième de Taccusation populaire, ce sys-
tème reconnaissait aux particuliers un droit qu'il reTusait au
ministère public, celui de mettre en mouvement l'organisme
judiciaire.
II. Du canton, la procédure était portée au district : là de-
Tait siéger le jury d'accusation; là était la maison d'arrêt;
là était, en permanence, un magistrat appelé directeur du junj^
pris, à tour de rôle, tous les six mois, parmi les juges du
tribunal du district. C'était ce magistrat qui recevait le dos*
sierde l'afTaire des mains du juge de paix et qui continuai!
Tinstruction. Un des actes les plus importants de cette procé-
dure consistait dans Tinterrogatoire du prévenu. L'instruc-
tion d«i 21 octobre 1791, sur l'exécution du décret fixant la
procédure parjurés, portail : « Comme la formalité de l'audi-
ft tion du prévenu dans les vingt-quatre heures est de rigueur,
ff et comme il est intéressant de connaître si elle a été rem-
« plie, le directeur du jury doit en dresser procès-verbal, qui
a contiendra les déclarations et réponses du prévenu, sans
« qu'il soit besoin d'observer les anciennes formules des in-
" terrogatoires, ni de prendre le serment du prévenu qu'il va
« dire la vérité : le simple bon sens suffit pour convaincre de
« rinutilité et de l'immoralité d'un tel serment, qui place le
X prévenu entre le parjure et la peine. Il répugne également
<( à la raison de faire au prévenu cette question insignifiante,
« s'il entend prendre droit par les charges... Le directeur du
« jury ne doit se permettre aucune question captieuse, il
« doit entendre la déclaration libre du prévenu ».
Si ce magistrat pensait qu'il n'y avait pas lieu à accusation,
il soumettait l'afTaire, dans les vingt-quatre heures, au tribu-
nal du district qui prononçait, sur cette question, après avoir
entendu le commissaire du roi. S'il pensait qu'il y avait lieu
à accusation, ou si, contrairement à son avis, le tribunal
l'avait ainsi décidé, il rédigeait Vacte d'accusation qui devait
72 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
être présenté au jury. C'était Vindictement de la procédure
anglaise sur laquelle avait été calquée, en effet, la marche
du procès. En attendant, le magistrat continuait Tinstructioo;
et la déposition des témoins, s'il était nécessaire d'en appeler,
se faisait secrètement, elle était recueillie par le greffier du
tribunal, « non dans la forme qui s'observait sous l'ancien
« régime judiciaire pour les informations, mais comme sim-
« pies déclarations destinées seulement à servir de renseigne-
« menls*^ ».
Ces règles étaient modifiées, quand il y avait, au procès, un
plaignant ou un dénonciateur en cause. Celui-ci devenant
associé à la poursuite, l'acte d'accusation devait être rédigé
d'accord, ou, en cas de désaccord, chacun dressait le sien,
et le jury choisissait. Mais tous les actes d'accusation devaient
être soumis au commissaire du roi qui y mettait son visa :
« la loi autorise » ; ou son veto : « la loi défend ». Dans ce
dernier cas, c'était le tribunal de district qui tranchait la dif-
ficulté et départageait. L'examen du commissaire du roi et,
par conséquent, du tribunal portait seulement sur le point de
savoir si le délit entraînait une peine afflictive ou infamante,
en le supposant prouvé.
Le jury d'accusation était composé de huit jurés. Tous les
trois mois, le procureur syndic de chaque district dressait une
liste de trente citoyens, pris parmi tous les citoyens du dis-
trict aptes à remplir les fonctionsde jurés. Le directoire du
district examinait cette liste et l'arrêtait, s'il l'approuvait.
Huitaine avant le jour de l'assemblée, le directeur du jury
faisait mettre, dans une urne, les noms des trente citoyens
inscrits sur la liste, et, au milieu de l'auditoire, en présence
du public et du commissaire du roi, il faisait tirer les noms
des huit citoyens. Le jury d'accusation se réunissait à huis-
clos, sous la présidence du directeur du jury, qui remettait
les pièces de la procédure, à l'exception des déclarations
écrites des témoins. Ceux-ci devaient être entendus oralement
ainsi que la partie plaignante ou dénonciatrice, si elle était
*® Instruction sur les jurés du 21 octobre 1791.
PROCÉDURB CRIMINELLE DE LA REVOLUTION. 73
présenle. Puis, les jurés laissés seuls par le directeur du jury
délibéraient sous la présidence du plus ancien d'âge. Leur
décision, prise à la majorité, était inscrite au bas de l'acte
d'accusation sous cette forme : « Oui, il y a lieu », ou « Non,
il ny a pas lieu ». Suivant que le jury admettait ou n'admet-
tait pas Taccusation, le directeur du jury rendait contre Tac-
cusé une ordonnance de prise de corps, ou le mettait en
liberté, s'il avait été arrêté.
III. En cas d'accusation, l'affaire était portée au tribunal
criminel, établi danscbaque département, et composé de deux
éléments distincts : trois juges et un président, qui devaient
statuer sur la peine; douze jurés, qui devaient prononcer sur
le fait. Le ministère public était représenté, auprès du tribu-
nal criminel, par un accusateur public et un commissaire du
roi. Le premier était un fonctionnaire électif, chargé « de
poursuivre les délits sur les actes d'accusation admis par les
premiers jurés ». Son rôle consistait à diriger l'instruction à
charge et à porter la parole pour soutenir Taccusation. Le
commissaire du roi avait pour fonction de veiller à l'exécution
de la loi et d'en requérir l'application. C'était lui qui, en cas
de verdict affirmatif, formulait les réquisitions légales.
Avant l'audience, deux espèces de formalités devaient être
remplies.
Le président du tribunal criminel interrogeait l'accusé,
dans les vingt-quatre heures de son arrivée à la maison de
ju<;lice, en présence de l'accusateur public. Il pouvait, d'ail-
leurs, d'une manière générale, continuer l'instruction.
Puis, avait lieu la formation du jury de jugement. Tout
citoyen, qui avait la qualité d'électeur, était tenu de se faire
inscrire, au district, sur un registre spécial. Ces inscriptions,
envoyées au procureur général syndic du département^
formaient une liste générale, sur laquelle ce magistrat choi-
sissait deux cents noms, lesquels, après approbation du direc-
toire de département, formaient les listes de session. Le
premier jour de chaque mois, le président du tribunal crimi-
nel, qui remplissait une fonction permanente, faisait former
le tableau des jurés de jugement pour la session qui devait
74 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
s'oavrip le quinze. Un droit de récusations successÎTes et hors
présence était accordé, dans des conditions de compljcatiofi
bizarres, à l'accusateur et à Taccusé. Le jour de la formation
du tableau, le président du tribunal criminel présente à Tac-
cusateurla liste des deux cents jurés qui lui a été remise par
le procureur syndic. L'accusateur public peut en récuser
TÎn^t sans donner de motifs. S*il le fait, on met les cent qna-
tre- vingts noms restants dans Turne el on en tire au sort douze.
Cette liste de douze est alors présentée à Taccusé qui peut, à
son tour, opérer des récusations. Au fur et à mesure^ les
jurés récusés sont remplacés par le sort : lorsque l'accusé
aura exercé vingt récusations sans motifs, celles qu'il vou-
dra exercer ensuite devront être fondées sur des causes dont
le tribunal criminel jugera la validité.
Le jury constitué, Taccusé comparait devant le tribunal
criminel. Là se déroule une procédure, écrite dans les titres
VI, VII et VIII de la deuxième partie de la loi de 479i, dont
les grandes lignes se retrouvent encore aujourd'hui. Trois
traits la caractérisent : 4* D'abord le principe de V or aliié du
débat, principe relevé avec le plus grand soin et à plusieurs
reprises : « L'examen des témoins sera toujours fait de vive
a voix et sans que leurs dépositions soient écrites ** ». Les
jurés ne recevaient, comme pièces, que Tacte d'accusation et
les procès-verbaux, s'il y en avait**. 2° Puis, le régime des
preuves de conviction, substitué à celui des preuves légales.
Cette réforme profonde résultait de la formule même du ser-
ment qui était imposé aux jurés : « Vous jurez... de vous
« décider d'après les charges et les moyens de défense, et
« suivant votre conscience el votre intime conviction, avec
« l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme
(clibre ». Ailleurs, il était dit : « L'accusé pourra faire en-
« tendre des témoins pour attester qu'il est homme d'hon-
*i II« partie, til-, VU, art. 5.
^^ Instruction sur les jurés : « Ils doivent examiner les pièces du procès,
parmi lesquelles il ne faut pas comprendre les déclarations récrites des té-
moins, mais seulement Pacte d'accusation, les procès-verbaux et autres
pièces semblables »>.
PROCÉDURE CRIMINEI.LE DE LA RÉVOLUTION. 7?>
« neur et de probilé el d'une conduite irréprochable; les
ff jurés auront tel égard que de raison à ce témoignage ».
3** La procédare élail essentiellement publique : tons les
actes de rînslrnction deyaient a?oir lieu à Taudience, toutes
portes ouvertes, sous le contrôle du peuple. 4** Enfin, on or-
ganisait \di contradiction la plus complète et la plus sérieuse
entre Taccusation et la défense.
Le président du tribunal criminel qui dirigeait les débats
devait les résumer après leur clôture. Dans l'instruction sur
lesjnrés, on donnait, à cet égard, les plus sages conseils :
K Le président du tribunal fait un résume de TafTaire et la
'< réduit à ses points les plus simples. Il fait remarquer aux
«jurés les principales preuves produites pour ou contre Tac-
«ciisé. Ce résumé est destiné à éclairer le jury, à fixer son
<f attention, à guider son jugement, mais il ne doit pas gêner
«sa liberté. Les jurés doivent au juge respect et déférence...,
«mais ils ne lui doiventpoini le sacrifice de leur opinion dont
«ils ne sont comptables qu'fi leur propre conscience ».
Après avoir résumé les débals, le président posait par écrit
aux jurés des questions auxquelles il devait être répondu par
uo oui ow par on non pur et simple. En Angleterre, le juge
De donne jamais que des instructions orales, et c'est au jury à
composer son verdict. Le système des questions écriles, ainsi
ioaagnré en France par l'Assemblée constituante, est plus
conforme aux aptitudes des jurés qui ne sont pas habitués,
comme les magistrats de profession, k formuler leur opinion.
Mais avec un outil aussi délicat à manier, deux écueils sont
à craindre : la confusion du fait et du droit et la complexité
des éléments du fait réunis en une même interrogation. Mon-
tesquieo avait déjà donné le conseil de ne présenter aux jurés
qu'on fait, un seul fait à la fois. Pour se conformer à cette
idée, la loi imposait trois séries de questions sur chaque chef
d'accusation : 1* Le fait est-il constant? 2* L'accusé en est-il
Tauteùr? y A-t-îl agi avec intention coupable? Cette der-
nière question, la plus délicate à poser et h résoudre, puisqu'il
s'agissait d'une analyse psychologique de l'état d'âme du cri-
minel, devait particulièrement appeler l'attention du prési-
76 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
dent. (L Ce sera au juge qui conduit la procédure et qui pré-
« side et dirige le débat, de recueillir attentivement les diffé-
« rentes questions relatives à Tintention auxquelles la nature
« du fait et des charges peut donner ouverture, pour lesia-
« diquer au jury et fixer sur cet ©bjet sa délibération. Après
« avoir pris Tavis du tribunal sur la manière déposer les ques-
« tions, il les posera en présence du public, de Taccusé, de ses
« conseils et des jurés, auxquels il les remettra par écrit, et
<c arrangées dans Tord rc dans lequel ils devront en délibérer*' ».
Une majorité de dix voix était nécessaire pour la condam-
nation, et trois voix suffisaient, soit pour décider que le fait
n'était pas constant, soit pour décider, en faveur de Taccusé,
les questions relatives à Tintention. On écartait ainsi la règle
traditionnelle en Angleterre, d*après laquelle la décision d'un
jury doit être prise à l'unanimité. L'esprit théâtral de l'épo-
que se manifestait dans la façon dont les jurés émettaient leur
opinion. Le vote était reçu par un membre du tribunal, com-
mis par le président et par le commissaire du roi, en cham-
bre du conseil. Là, chaque juré, successivement et en com-
mençant par le chef^ « et les uns en Tabsence des autres »,
devait faire sa déclaration « en mettant la main sur son cœur »,
puis déposait, comme moyen de contrôle, dans une boite
blanche ou noire, une boule de couleur semblable, pour
chaque déclaration. Le recensement des boules était fait en
présence des jurés. Si la déclaration était négative, ou si les
jurés avaient déclaré le fait commis involontairement, ou
sans intention, ou pour la légitime défense de soi-même ou
d'autrui, le président ordonnait la mise en liberté immédiate
de Taccusé. Le décret du 16 septembre 1791 consacrait, en
même temps, le principe de Tautorité de la chose jugée, en
déclarant que Taccusé, ainsi acquitté, ne peut plus être repris
ni accusé pour le même fait. Si la déclaration du jury était
affirmative et Taccusé convaincu du crime, le président faisait
comparaître Taccusé en présence du public et lui donnait
connaissance de la déclaration du jury. Le commissaire du
*• Instruction sur les jurés, II« part., lit. VII, art. 20 et 21.
PROCFDUHE CRIMINELLK DR T,A REVOLUTION. i /
roi prend alors ses conclusions : l'accusé ou ses conseils ont
ensuite la parole pourTapplicalion de la peine. Ils ne peuvent
plus plaider que le fait est faux, mais seulement qu'il n*est
pas défendu ou qualifié crime par la loi ou qu'il ne mérite
pas la peine dont le commissaire du roi a requis l'application.
Le président recueille alors les voix, en commençant par le
juge le plus jeune. Les magistrats émettent leur avis publi-
quement et à haute voix. Le jugement formé, le président le
prononce et donne lecture du texte de loi sur lequel il s'ap-
puie. Ce jugement peut porter une peine criminelle si le fait
est reconnu crime; si le fait ne constitue qu'un délit, une
peine correctionnelle. Enfin, si le fait n'est pas punissable,
l'accusé est absous. En cas de condamnation, le président
retrace, en prononçant le jugement, la manière généreuse et
impartiale avec laquelle Taccusé a étéjugé :il pourra l'exhor-
ter à la fermeté et à la résignation, lui rappellera les voies
de droit qu'il peut encore employer pour sa défense,
La décision des jurés était sans appel. C'est là un caractère
qui parait essentiel à toute juridiction populaire. « La déci-
(c sion des jurés ne pourra jamais être soumise à l'appel. Si,
<c néanmoins, le tribunal est unanimement convaincu que
« les jurés se sont trompés, il ordonnera que trois jurés seront
« adjoints aux douze premiers pour donne.r une déclaration
<c aux quatre cinquièmes des voix ». Un pourvoi encassation,
au délai général de trois jours, était seulement possible, soit
de la part du condamné, soit de la part du commissaire du
roi. En cas d'absolution, le commissaire du roi n'avait même
que vingt-quatre heures pour agir.
51. Telle était cette procédure, dont les principes géné-
raux devaient si profondément s'imprimer dans la législation
française. Ses qualités et ses vices nous apparaissent aujour-
d'hui avec un relief saisisssant.
L La législation nouvelle sépare finstruction criminelle,
préparatoire au procès, de f instruction définitive qui précède
le jugement. La première, dans le système inquisitoire, con-
stituait toute la procédure; mais elle était bien réduite dans
78 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
le système oouveau : inslruclion sommaire par rofGcier de po-
lice, audiiioa facultalive de témoins par le directeur, du jury,
interrogatoire oécessaire de Taccusé parle présideot du tri-
buoal criminel; c'était à ces actes fragmeotés et qui se fai-
saient successivement devant tant d'autorités différenles que
se ramenait toute la procédure préliminaire au procès.
Aussi laffaire se présentait-elle devant le jury sans être
suffisamment instruite. Le dossier ne pouvait même pas
être consulté, car les dépositions écrites n*élaienl remises oi
■àu jury d accusation, ni au jury de jugement. On tenait,
enefTet, par-dessus tout, au caractère d'oralité. Ou peut dire,
que par une de ces réactions aveugles qui dépassent toute
mesure, on avait, en réalité, supprimé Tinstruction préalable.
II. L'institution du ministère public, à raison de ses ori*
gines et des services qu'elle avait rendus à la royauté, pa-
rut suspecte à TAssemblée constituante. Un moment il fut
question de l'abolir; puis, frappés surtout des avantages
qu'elle présente, soit au point de vue de l'administration
de la justice, soit au point de vue de ta sûreté de la ré-
pression, les législateurs dealers conservèrent, auprès des
tribunaux, des officiers du ministère public appelés commis-
saires du roi et nommés par le roi. Mais, par une double
contradiction qu'expliquent seules leurs préventions, d'une
part, ils les rendirent inamovibles et, par conséquent, indé-
pendants du pouvoir dont ils étaient les organes, et, d'autre
part, ils leur attribuèrent exclusivement le droit d*être enten-
dus sur l'accusation en matière criminelle et de requérir d^a$
rintérèt de la loi. L'initiative des poursuites criminelles fut
réservée aux fonctionnaires de la police judiciaire, c'est-à-
dire aux juges de paix et, à leur défaut, aux officiers de gen-
darmerie, et, la charge de soutenir Taccusation fut donnée
à un officier spécial, élu par le peuple, Taccusateur public.
Dans ce système, le ministère public n'intervenait en per-
sonne que quand l'accusation était, non seulement engagée,
mais portée devant le tribunal criminel; le commissaire du
roi et Taccusateur public n'apparaissaient, on l'a dit exacte-
ment, que « comme des avocats que Ton choisit quand le pro-
PROCÊDU&E CRIMINELLE DE LA REVOLUTION. 79
ces est eog^agé ». Ces officiers o'avaieni pas mis ea mou-
vemenl Tactioa publique; ils ne l'avaieul pas instruite; ils
igooraient iout de l'affaire, et le rapporteur du projet de loi
Duport, se félicitant de cette organisation^ disait : » Cet offi-
«t cier, qui sera Taccusaleur public ne doit être aucun de ceux
•« ((ui ont déjà agi..., un tel homme serait plus considéré^
« plus redoutable que la loi..., il aura la surveillance de tous
< les officiers de police; mais jamais il ne pourra les sup-
« pléer dans Teiercice de leurs fonctions ».
III. Cette réduction du pouvoir du ministère public avait
eu pour conséquence Texagération même du rôle des plai-
gnants et des dénonciateurs civiques. Ce n'était plus dans
leur intérêt privé, mais dans Tintérét public que ces derniers
agissaient. Leur action se manifestait en saisissant le juge de
paix et en provoquant une instruction; plus tard, ils pouvaient,
de leur propre autorité, saisir le jury d'accusation; dans
tous les cas, ils participaient à la rédaction de l'acte d'accusa-
tion : en un mot, leur rôle grandissait de tout ce dont diminuait
celui du ministère public. C'était le système anglais, transplanté
dans un pays dont les mœurs, les habitudes, les traditions
étaient réfractaires à toute instruction privée et qui avait vécu,
depuis trois siècles, sous le régime de laccusation publique.
IV. L'absence d'une partie publique dans la période d*in-
struction préparatoire, le droit du juge de paix de se saisir d'of-
fii-e en cas de flagrant délit ou de mort suspecte, d'agir même
sur une dénonciation non affirmée, confondaient, en sa per-
sonne, deux qualités qu'il eût été nécessaire de séparer : celle
d'accuser et celle d'instruire. Peut-être ce régime eut-il été
compatible avec une forte organisation du ministère public
et à la condition, par les officiers Texorcant, de se pourvoir,
devant le tribunal du district, des autorisations nécessaires
pour pratiquer une arrestation ou une saisie? Mais la concen-
tration, entre les mains du juge de paix, de toutes les fonc-
tions était une déplorable contrefaçon du système anglais.
V. Quant à l'organisation du jury, elle péchait par quatre
points fondamentaux : le mode de recrutement des jurés,
qui confondait le droit électoral et le pouvoir judiciaire;
80 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
le mode de questions, qui, par suite de la décomposition de
chaque chef d*accusation, entraînait des complications, des
confusions, des erreurs inévitables; la majorité de dix voix
exigée pour la condamnation, qui faisait la part trop forte à
l'accuse; le système des peines fixes, qui mettait obstacle à
l'appréciation de la culpabilité individuelle et devait amener
les jurés à transiger avec leur conscience en acquittant pour
ne pas trop sévèrement condamner.
VI. Sans doute, on avait voulu, par crainte d'ane justice
trop individuelle,* réduire le rôle du jury et du tribunal cri-
minel à faire l'application, aux faits de la cause, d'une for-
mule légale, mais ce rôle machinal, si contraire à l'exercice
de la justice pénale, ne put être supporté par les jurés qui,
sous prétexte de rechercher Tinlention, ce qu'ils avaient le
droit de faire, se demandèrent quelle serait la conséquence de
leur verdict, ce qui leur était interdit.
Mais ils prirent ainsi peu à peu conscience de leur mission,
et substituèrent, à cette justice impersonnelle et abstraite
qu'avait organisée la révolution, une justice où le cœur devait
avoir plus de part encore que la raison.
52. Correspondant aux deux autres catégoriesd'infractions,
il existait deux ordres de tribunaux de police :
Les tribunaux de police municipale, organisés par le dé-
cret du 19 juillet 1791, étaient composés : 1** de trois officiers
municipaux ; 2® du procureur de la commune ou de son sub-
stitut. Ils jugeaient en premier ressort tous les délits de police
municipale et les délits ruraux dont la peine était purement
pécuniaire ou n'excédait pas trois jours de prison (Gode rurale
28 sept. 1791).
Les tribunaux de police correctionnelle étaient organisés,
dans chaque chef-lieu de canton, par le décret du 16 septem-
bre 1791. lia se composaient d'un président, nommé par les
électeurs du département, pour six années, de trois juges,
pris parmi les juges du district, pour trois mois, et désignés
par le directoire du département, d'un accusateur public
nommé à l'élection pour six ans, d'un commissaire du roi
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA RÉVOLUTION. 81
oommé parle roi et à vie, d'un greffier nommé par les élec-
teurs du département et à vie et enfin da douze jurés de ju-
gement.
La procédure devant ces tribunaux avait lieu tout entière
à l'audience; il n'y avait pas d'instruction officielle, prépa-
ratoire aux débats. A côté de l'initiative des citoyens, la loi
des 19-22 juillet 1791 autorisait, pour les débats de police
municipale, l'action d'une sorte de partie publique, assez
mal organisée. Aux termes de l'article 44 : « La poursuite de
ces délits sera faite, soit par les citoyens lésés, soit par le
procureur delà commune ou ses substituts s'il y en a, soit
par des hommes de loi nommés à cet effet parla municipa-
lité ». Quant aux délits de police correctionnelle, personne
ne parait avoir eu le droit de citation directe devant les
tribunaux compétents.
Les poursuivants devaient faire leur dénonciation au juge
de paix, et cet officier, s'il y avait lieu, renvoyait, devant le
tribunal, le prévenu qu'il avait cité devant lui par mandat
d'amener (art. 45 et 57).
Il restait, du débat devant ,1e tribunal correctionnel, un
procès-verbal sommaire dressé par le greffier : c'est l'origine
des notes d^audience. L'appel, en effet, était ouvert devant
le tribunal du district (L. 16 août 1790, tit. XI, art. 2 et G).
>. 11 est difficile de juger, par l'application, le système
de procédure de l'Assemblée constituante. Il dura peu de
temps et fut remplacé bientôt par le Code des délits et des
peines du 3 brumaire an IV. Et, pendant sa courte existence,
d'une part, le régime des tribunaux et des procédures révo-
lutionnaires vint créer, à côté du droit commun, un état
odieux d'exception**; et, d'autre part, le jeu môme de la
«* Wallon, Histoire du tribunal r ci: oUitiounaire tic Paris {\'i^%\ , 5 vol.
în-S**); Berriat-Saint-Prix, La justice révolu tionuaire à Paris, Bordeaux,
Brest, Lyon, Nantes, Orange, Strasboury {i vol. in -H*», 1801, cl 2'' c^d.,
1 vol. in 8% 1870);Campardon, Histoire du tribunal rcrolntionnaire (18ri6,
2 vol- in-8o); Sarot, Tribunaux répressifs do la Manche en matière politi-
que (* vol. in-H^ 1881-1880).
G. P. P. — 1. G
82 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
procédure ordinaire fut faussé par TiDcroyable arbitraire qu
Végnait partout'*. Malgré cela, les principes généraux, qui
TAssemblée constituante avait adoptés, furent considéréi
comme définitifs et le Code du 3 brumaire an IV ne fit qu(
les perfectionner et les systématiser. On sait que ce Code est
plutôt Tœuvre d'un homme que d'une assemblée. La Con-
vention avait chargé Cambacérès et Merlin de préparer uo
travail sur Tensemble de la législation. Merlin s'occupa sur-
tout de la législation criminelle, et, au bout de dix-huit mois
il présenta, à la Convention^ le Code des délits et des peines
L'Assemblée, qui allait se séparer, le vota de confiance el
sans discussion. Ainsi que le disait Merlin dans son rapport,
ce travail « n'est pas aussi complet que son titre semble le
promettre ». Il contient 646 articles distribués dans trou
livres, intitulés : De la justice^ De la police^ Des peines, 11
remplaça, pour la procédure criminelle, le Code du 16 sep-
tembre 1791, mais il maintint les dispositions cEu Code pénal
du 25 du même mois, pour toutes les dispositions auxquelles
il n'était pas dérogé d'une manière expresse.
On peut dire que l'œuvre de Merlin a consisté surtout à or-
ganiser scientifiquement les principales règles de la législa-
tion en vigueur. A l'application, le Code de brumaire se mon-
tra défectueux, comme toute loi qui sort du cabinet d'uo
juriste et n'est pas puisée dans les conditions mêmes de la
vie juridique. Sur certains points, il précise; sur d'autres, il
innove.
1^ Le Code de brumaire distingue d'abord plus nettemeni
que ne le faisait la loi de 1791 l'action à fins pénales qui
n'appartient qu'au peuple et qui est exercée par les fonction-
naires qu'il délègue, et l'action à fins civiles qui appartient à
la partie privée et a simplement pour but l'allocation de
^'^ Voy. comme exemple do ce qui pouvait se passer sous ce régime, Ir
toi du 22 vendémiaire an IV qui détend & tous les officiers de police d^
traduire devant le directeur du jury aucun citoyen pour un fait non prévi
et spécitlé par les lois pénales et déclare nuls tous actes d'accusation dres
ses pour des faits semblables. Gomp. Taine, Les origines de la France con
tcmporaine; La Hcvolution (t. 2 de IVd. in-8»), p. 184, 2r)l, 255, 259. .
PROCÉDURE CRIMINELLE DE LA REVOLUTION. 83
dommages-inlérêls (arl. 5, 6, 8). Ce n'est là qu'une modifica-
tion de surface, car les droits des particuliers dans la pour-
suite sont maintenus. La dénonciation civique subsiste (art. 87
à 93]. Les plaignants et les dénonciateurs participent toujours
à la rédaction de Tacte d'accusation (art. 224 à 227).
2* Le Code de brumaire conserve les officiers de police
judiciaire de la loi de 179i, les juges de paix et les officiers
de gendarmerie; mais il ajoute, à cette liste, les commissaires
de police, les gardes champêtres et forestiers. Ces officiers
agissent toujours, « ou sur une dénoDciation officielle, ou
sur une dénonciation civique, ou d'après une plainte, ou
d'office D. C'était le juge de paix qui faisait l'instruction; et
cette instruction s'imposait au directeur du jury (art. 242).
Mais tandis que la loi de 1791 se montrait concise sur les
actes de cette instruction, le Code de brumaire s'expliquait,
avec détails, dans les articles 102 à 131, sur les diverses me-
sures qui s'y rapportaient, les procès-verbaux^ Vaudition des
témoins, la saisie des pièces à conviction.
S"" Tandis que la législation antérieure ne connaissait,
comme moyen de faire comparaître l'inculpé, que l'emploi
des deux seuls mandats d'amener et d'arrêt, le Code de bru-
maire introduisit un nouveau mandat, qui avait le caractère
d'une citation simple, le mandat de comparution,
4* Le directeur du jury restait le magistrat instructeur du
second degré. Il continuait, pour la compléter, l'instruction
commencée; il interrogeait le prévenu et faisait tenir note de
ses réponses. Des témoins qui n'avaient pas été entendus
par le juge de paix pouvaient Têlre par le directeur du jury
qui recevait leurs déclarations secrètement, en dehors du
prévenu, et les faisait écrire parle greffier. C'était le direc-
teur du jury qui statuait sur les demandes de mise en liberté
provisoire. A cet égard, le Code de brumaire reproduisait les
principales règles de la loi de 1791.
5* Ni la composition du jury d'accusation ni celle du jury de
jugement n'étaient modifiées. La procédure du jugement était
largement et minutieusement décrite. Elle reslail publique
et contradictoire. iMais, tout en maintenant l'oralité des débals,
84 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
le Code de brumaire avait tempéré les excès du système. Le
dossier de rioslrtiction devait être communiqués àTaccusa-
leur public et à Taccusé, à peiae de nullité de toutes procé-
dures ultérieures » (art. 319). Les documents, ainsi commu-
niqués, pouvaient être mis aux débats dans une mesure
restreinte qui était précisée par les articles 365, 366 et 382.
En résumé, le Gode des délits et des peines ne s'écarte
guère du type adopté en 1791. Mais il intègre de plus en plus
dans la procédure, comme préliminaire des débats, une in-
struction préalable^ obligatoire, secrète et écrite, qui va deve-
nir, par la place que lui donnera la législation française,
une des institutions les plus caractéristiques de notre droit.
54. A Tusagc, la procédure de brumaire ne parait pas
avoir été un instrument bien efficace de défense sociale. Les
temps troublés, pendant lesquels elle fonctionna, ne se prê-
taient guère à Tessai d'un système scientifique. Aussi le travail
de reconstitution, que les Godes du Gonsulat et de TËmpire
devaient achever, commença, en Tan IX, par des lois impor-
tanles qui sont la source immédiate et directe de notre pro-
cédure d'instruction. Gelle du 7 pluviôse marque un retour
très net vers le passé en relevant des institutions que la légis-
lation révolutionnaire avait laissé tomber : l^G'est, d'abord,
la création, à la base de la poursuite, d'un ministère public
et d'un juge d'instruction, avec une distribution nelte des
fonctions; 2*" G'est l'introduction du mandat de dépôt, instru-
ment d'incarcération provisoire, dont la durée limitée ne
devait pas dépasser vingt-quatre heures, et dont on remettait
l'emploi au ministère public; 3°G'est la procédure secrète qui
reparaissait dans l'instruction, puisque les témoins devaient
être entendus séparément et hors la présence du prévenu;
4° Enfin, les preuves écrites étaient substituées aux débats
oraux devant le jury d'accusation. De toutes les modifications
qu'introduisait la loi nouvelle, ce fut même la plus vivement
discutée.
55. La loi du 18 pluviôse an IX, pour mettre un terme
CODE d'instruction CRIMINELLE. 85
au brigandage qui avait trouvé, dans la révolution, un mer-
veilleux terrain de culture, vint instituer des tribunaux
spéciaux**. En dessaisissant le jury de certains procès pour
lesquels il s'était montré trop faible, on déclara vouloir sau-
ver rinstitution, et, à vrai dire, on la sauva. Déjà, des me-
sures exceptionnelles avaient été prises contre le brigandage,
par la loi du 30 prairial an lil, celle du i"*' vendémiaire
an IV, par la loi du 29 nivôse an VI. Mais la justice des com-
missions militaires avait donné lieu à des critiques méritées.
Le gouvernement voulut régulariser ces mesures. 11 demanda
rétablissement de tribunaux criminels spéciaux. Ces juridic-
tions étaient composées du président et des deux juges du tri-
bunal criminel, de trois militaires ayant au moins le grade
de capitaine, et de deux citoyens ayant les qualités requises
pour être juges. Ces cinq dernières personnes étaient nom-
mées par le premier consul. Le projet souleva une opposition
des plus vives. On sentait bien que les tribunaux spéciaux,
présentés comme transitoires, devaient devenir permanents
et que l'esprit de réaction maintiendrait longtemps Tex-
ception à côté de la règle. Ce. que Ton proposait de ressusci-
ter, c'était Tune des plus odieuses institutions de Tancien
régime, celle des tribunaux prévôtaux organisés par Tordon-
nance de 1670. Le système devait passer dans le Code d*in-
struction criminelle; les tribunaux spéciaux seront ensuite,
en 1815, remplacés parles « cours prévôtales »,dontrorgani-
sation, transitoire, il est vrai, ne sera définitivement exclue
de nos institutions que par Tarticle 54 de la Charte de 1830.
§ VIII. - LE CODE DmSTRUCTIOll CRIMINELLE.
56. Les Codes du Consulat et de l'Empire. Le Code d'instruction criminelle et le
Code pénat. — 57. La préparation de ces deux Codes. — 58. Le Code d'in-
struction criminelle de 1«08. — 59. Institutions qui forment l'armature même de
ce Gode. — 60. Les réformes. — 61. Le projet de loi sur la réforme du Code d'in-
struction criminelle déposé le 17 novembre 1879. La loi du 8 dt'cembre 1897.
56. C'est au gouvernement consulaire, institué par la loi
^* Voy. l'étude intéressante et détaillée de cette institution dans Esniein,
op. «•(., p. 470 à 480.
86 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
du 19 brumaire an VIII, ou plutôt à Napoléon Bonaparte,
son clief, qu'est due cette reconstruction des assises sociales
dont l'expression la plus caractéristique fui la codification
des lois civiles et pénales françaises. Les tendances centra-
lisatrices et unificatrices, qui sont le fond de Thistoire de
France, facililèrent cet énorme travail. Des cinq Codes,
dont le Consulat et TEmpirc ont doté la France, si les
Codes de législation civile furent les premiers, par leur date
comme par leur importance, les Codes de législation crimi-
nelle furent les derniers*. Et cependant, il s'agissait moins de
créer une législation déjà codifiée, que d*adapter celle légis-
lation à un état politique et social nouveau. Le Code* pénal
n'avait pas été remanié depuis 1791, et son application prati-
que avait révélé de nombreuses imperfections. La procédure
criminelle, deux fois codifiée, et par les lois de 1791 et par le
Code du 3 brumaire an IV, avait été profondément remaniée
par les lois de Tan IX. Il fallait donc dégager, parmi les
institutions qui Jonchaient le sol, celles qui devaient être re-
levées, et, parmi les institutions qui restaient debout, celles
qui devaient être détruites, Tel était le double programme
dont s^inspira le gouvernement.
57. Un arrêté consulaire du 7 germinal an IX (28 mars
1801) nommait une commission chargée de présenter un
projet de Code criminel. Cette commission, composée de
Vieillard, Target, Oudard, Treilhard et Blondel,Védigea, sous
le nom de Code criminel, correctionnel et de police^ un pro-
jet unique, en HG9 articles, et divisé en deux parties : Tune
comprenant les lois de fond,rautre, les lois de forme ^ Cette
seconde partie était subdivisée en deux livres, consacrés. Tua
à la police, et Tautre à Injustice^.
m
§ VIII. ' Voy. S»fruzier, Précis historique sur les Coaes français, in-8°,
I84r).
2 Locré, t. 1, p. 20 1; Séruïier, op, cit., n° 102, p. 82.
3 Ce projet supprimait les cours criminelles sédentaires et les remplaçait
par un préteur dont la mission consistait à se rendre au cheMieu judiciaire
du département pour tenir les assises. Voy. Projet de Code criminel, avec
CODE d'instruction CRIMINELLE. 87
Le Tribunal de cassation, les tribunaux criminels et les
tribunaux d'appel furent consultés sur le travail de la corn-
mission, et leurs observations, renvoyées à la section de légis-
lation du Conseil d'État, composée de MM. Bigot-Préameneu,
président, Berlier, Galli, Real, Siméon, Treilhard. Les corps
judiciaires se montrèrent, en général, défavorables à la légis-
lation de TAssemblée constiluante\ On lui imputait le man-
que de sécurité qui avait caractérisé longtemps la situation
sociale delà France', et, par un regret des temps disparus, on
demandait le retour à l'ancienne procédure, au moins dans
la phase préparatoire*. La défense sociale ne pouvait être
sauvegardée, semblait-il, que par le système inquisitorial.
Le Conseil d*État amorça la discussion du projet le 2 prai-
rial an XII (22 mai 1804). Cette discussion s'engagea sur
une série de questions fondamentales que l'Empereur avait
prescrit de poser^ et dura jusqu'au 29 frimaire an XIII (20
le$ observations des rédacteurs, celles du Tribunal de cassation et le compte
rendu ]Hir le Grand-Juge, Paris, an Xlï. Mais la commission avait con-
é-crvé rinslitiilion du jury el la procéilure du jugi»menl orale, pu[»li<|U(',
lonlradictoire. Oudart, dans les observatioîis «|uî prm'daienl la seconde
p.irtie du projet, s'exprimait ainsi : <* La loi du 46 septembre 1791 qui ain-
u troduit parmi nous rinstruclion parjurés, serait Tune des plus belles pro-
<• ductions du xviii* siècle, si la législation n'avait pas été entraînt'e en sens
. conlraire, tantôt par la force re'vululionnaire, tantôt par la Force des ancien-
«• nés habitu'Jes. L'instruction parjurés, remise à la f)arlie des citoyens la plus
• utile et la plus éclairée, ne peut jamais être ni ofipressive ni anarchique >•.
• Observations 'des tribunaux d'appel sur le projet du Code criminel,
4 voL in-4«, an Xlïf.
• Il faut convenir qu'à l'aurore du xix* siècle, l'heure n'était pas aux
longues méditations sur la valeur respective des juridictions et dos proci--
iJures. L'audace des malfaiteurs était telle qu'il fallut orjçaniser, pour faire
ia chasse aux brigands, des coKuines mobiles el déférer les malfaiteurs à
»Jes conseils de guerre. Ce fut, comme nous l'avons dit, l'œuvre des lois
qui sVchelonnèrent de l'an III à l'an IX. La répression avîiit été quel(|ue
peu irrégulière el singulièrement expéditive. C'était p<3ur la réj^ulari-er que
la loi du 18 pluviôse an L\ organisa des tribunaux criminels spéciaux.
• Voy. des extraits dans Molinier, Traité théor, et prat. du droit pénal,
t. 1, p. 187 et 188. Adde, Locré, 1. 1, p. 200. Comp. Ksmein, op. cit., p. fKi;
à 4^.
' Cîes questions, au nombre de quatorze, avaient trait, les huit premières,
88 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
déc. 1804). Si elle fut interrompue à cette époque, c'est qu'on
ne parvint pas à s'entendre sur les principes de l'organisation
judiciaire e( sur le maintien ou Tabolilion du jury. Il s'agis-
sait de savoir si, pour fortifier l'administration de la justice,
il ne conviendrait pas de supprimer les tribunaux criminels
pour en confier les attributions aux tribunaux civils et aux
cours impériales dans la mesure de leur juridiction. Ce
projet d'unifier la justice pénale et la justice civile et de la
concentrer dans quelques grands corps judiciaires, qui était
un retour marqué vers le passé, avait été émis par l'Empe-
reur*. Il trouva des opposants obstinés. Ceux-ci craignaient
que la conception proposée ne fut inconciliable avec la con-
servation du jury à laquelle ils tenaient beaucoup*. On finit,
semble-t-il, par reconnaître que les deux institutions, celle
d'une organisation unique de la justice civile et pénale, celle
à la procédure criminelle : I. L'instiluliou du jury sera-t-elle conservée? IL
Y aura-t-il un jury d'accusation et un jury de jugement? III. Comment
seront nommés les jurés? dans quelles classes seront-ils nommés? qui les
nommera? IV. Comment s'exercera la récusation? V. L'instruction sera-
l-eile orale, ou partie orale et partie écrite? VI. Présentera-t-on plusieurs
questions au jury du* jugement? n'en présentera-t-on qu'une : iV... est-il
coupable'^ VIL La déclaration du jury sera-t-elle rendue à l'unanimité ou à
un certain nombre de voix? VIII. Y aura-t-il des magistrats qui pourront
tenir des assises dans un ou plusieurs tribunaux criminels du départe-
ment?
' Locré, t. i, p. 219 et suiv.
• L'Empereur ne se montra pas d'abord un adversaire irréductible du
jury. 11 l'admettait, s'il était possible de bien le composer, et à la condition
d'organiser des tribunaux d'exception pour les crimes commis par des indi-
vidus non domiciliés ou réunis en bande. Plus tard, l'Empereur paraît
avoir combattu le jury, et M. Cruppi, dans un discours sur «Napoléon et
le jury », prononcé à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassa-
tion, le 16 octobre 1890, attribue, à cette lutte contre l'opinion libérale, les
retards que subit la discussion des Codes criminels. Il y a, dans cette thèse,
une grande exagération. Voy. Esmein, op. cit,y p. 50."> à 526, sur la ques-
tion du jury devant le Conseil d'État et l'attitude de Napoléon. Celui-ci se
montra nettement hostile, il est vrai, au jury d'accusation et c'est sur un
exposé très bien fait des inconvénients de cette institution que le jury d'accu-
sation fut supprime (Locré, t. XXIV, p. 622). Mais en ce qui concerne
le jury de jugement, les opinions de Napoléon n'ont jamais été irréductibles.
CODB d'instruction CRIMINELLE. 89
du jury en matièrecrimineile, n'étaieotpas inconciliables. Mais
la discussion fui, tout à coup, interrompue et resta inache-
vée '•. On ne la reprit que quatre ans après, le 8 janvier 1808.
La section de législation était alors composée de Treilhard,
président, Albisson, Berlier, Faure et Real. On lui adjoignit
Muraire, premier président, et Merlin, procureur général
près le Tribunal de cassation. Mais le projet primitif fut
modifié dans sa forme : au lieu d'un Code unique, Ton en
projeta deux, Tun relatif aux lois de forme, l'autre consacré
aux lois de fond. Chacun de ces projets fut discuté séparé-
meol. On sait que le Tribunat avait été supprimé par un
sénaius-consulte du 19 août 1807 '^ Ce fut donc une commis-
sion prise dans le Corps législatif qui reçut la communication
des deux projets. Le premier, mis en délibération, fut le Code
d'instruction criminelle. La discussion occupa trente-sept
séances, du 30 janvier au 30 octobre 1808. Ce Code reçut
ensuite la sanction législative : le dernier titre en fut décrété
le 16 décembre. Mais il ne pouvait être mis en vigueur sans
le Code pénal; puis, tous deux étant décrétés, Tunification de
la justice pénale et de la justice civile, qui en était la base,
exigeait une organisation judiciaire nouvelle qui fut faite par
la loi du 20 avril 1810. Aussi un décret du 7 décembre 180&
ne fixa-t-il la mise en vigueur de ces deux Codes qu'au {"jan-
vier 1811.
58. Le Code d'instruction criniinelle^^ se compose de deux
<• Il est assez difficile, à travers les documents de Tëpoque, d'apercevoir
le véritable motif de cette interruption. Napoléon, depuis quelque temps,
avait cessé d'assister aux séances du Conseil d'État. On lui a imputé cepen-
dant le retard que subit le projet. Il était, dit-on, un adversaire du jury
que ses conseillers d'État s'obstinaient à défendre. Voyez, note précédente.
En réalité, la difficulté de savoir quelle serait l'organisation judiciaire adop-
tée, jointe à d'autres préoccupations, suffit pour expliquer ce retard.
" Le mécanisme législatif du ConsuJat et de l'Kmpire est assez bi-
zarre. Il a été finement analysé par Ortolan, Éléments de droit pénal, t. 1,
n* 151.
** Tel est, en eiïet, le titre officiel de ce Code. L'ordonnance criminelle
de 1670 était un Code d'instruction criminelle, puisque, dans la procédure
90 PROCBDURB PBNALB. — INTRODUCTION.
livres, précédés de a Dispositions préliminaires », relatives à
Texercice des aclions publique et civile. Le premier livre est
iolilulé : De la police judiciairey et des officiers de police
qui l'exercent ; il traite de la procédure préalable à la pour-
suite et qui consiste à rechercher et constaler les crimes, délits
et contraventions. Le second livre, intitulé « De la justice »,
s'occupe de la procédure de jugement et des questions qui
se rattachent à l'exécution. Ce Code contient 643 articles.
Comme toutes les autres œuvres législatives du commen-
cement du XIX* siècle, ce Code est une œuvre de transaction
ou plutôt de superposition entre les dispositions contraires des
deux lép^islalions antérieures : l'ordonnance de 1670, c'est-à-
dire le Code de Louis XIV, les lois de 4791, c'est-à-dire le
Code de la révolution. Il organise, en effet, un type mixte
de procédure qui reproduit, dans la première phase du procès
pénal, l'instruction préalable, écrite, secrète, sans contradic-
tion, de l'ordonnance de 1670, et qui, dans la seconde, main-
tient la procédure publique, orale, contradictoire des lois
de 1791, et conserve le jury de jugement, en supprimant le
jury d'accusation.
lia été de mode, en France, de se montrer sévère pour le
Code d'instruction criminelle de 1808 et de dire que, venu
l'avant-dernier de nos Codes, il en est le moins parfait. 11
marque cependant une date dans l'histoire de la législation
criminelle. Le savant rapporteur des projets de modification
de la procédure pénale en Belgique, Thonissen, s'est montré
plus juste que ne le sont d'ordinaire les criminalisies fran-
çais : (( Ce Code n'était pas, comme on l'a dit tant de fois, une
« œuvre incohérente de despotisme et de réaction. Succédant
qu'elle formulait, l'instruction était tout le procès. Mais le Code de 1808 eût
•été plus exactement intitulé « Gode de procédure pénale » :de procédure et
non iV instruction» puisque l'instruction n est qu'une partie de la procédure ;
pénale et non criminelle ^ puisque la procédure qui est codifiée n'est pas
seulement celle des crimes, mais encore celle des délits et des contraventions.
Ce double motif a fait adopter, h l'étranger, le titre de Code de procédure
pénale (Allemagne, Autriche, Belgique, Italie, etc.), 'de préférence au titre
français, Code d'instruction criminelle.
CODB d'instruction CRIMINELLE. 91
« au Code du 3 brumaire au IV, dont les six cents articles,
■■'■ préparés en huit jours, avaient été votés en deux séances, il
" réalisait un grand et incontestable progrès. Il n*était pas,
ic dans iou tes ses parties, Texpression la plus élevée de la science
« de l'époque, mais il simplifiait et améliorait notablement
« la législation existante. Il n'en faut pas d'autres preuves
<• que Taccueil qu*il a reçu dans une grande partie de TKu-
«' rope. Il a longtemps survécu à la chute de Napoléon 1*%
« dans tous les pays que la République et TEmpire avaient
« annexés à la France. Il a servi de type à la plupart des
« Codes modernes. Le Code de 1808 était, on réalité, une
« œuvre de progrès, un bienfait pour la France, mais, tout
** en offrant incontestablement ce caractère, il était loin d'at-
< teindre à la perfection. L'empereur Napoléon qui ne par-
a tageait pas les illusions des rapporteurs de son Conseil
i' d'État avait été le premier à s'en apercevoir. 11 s'était em-
(' pressé d'attacher son nom au Code civil : maisil avaitrefusé
V d'accorder la même faveur au Code de procédure pénale.
<' Il était trop éclairé pour ne pas comprendre que le temps
« et l'exécution ne manqueraient pas de signaler bien des
'-* imperfections et bien des lacunes. Il ne promulgua ses Co-
«' des criminels que sous la réserve d'un perfectionnement
« graduel, dont il avait par avance posé le principe dans son
« admirable décret du 3 nivôse an X **. L'expérience, disait-il,
M indiquera les modifications nécessaires : elle fera le reste ^^».
59. Quelles sont les institutions qui forment l'armature
même du Code d'instruction criminelle de 1808?
1. La première est celle de la divisio?i de pouvoir entre le
ministère public et le Juge d'instruction dans la procédure
préalable. Cette distinction de la poursuite et de l'instruction
*' C'était, en elfet, une idi'C bien juste et qui aurait pu être féconde, que
celle qui avait porté le premier consul à décider, par ce décret, que, chaque
-innée, le Tribunal de cassation lui enverrait une dépulation de douze de ses
membres, chargée de lui faire connaître l(?s vices de la législation signalés
par l'expérience de l'année.
'^ Thonissen, Rapporta Ui Chambre de^ représentants de lielfjiquc.
92 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
fut présentée, dans les travaux préparatoires, comme une
garantie de la liberté individuelle. Mais la nécessité, pour
le procureur de la République, de requérir le juge était de
nature à entraîner des lenteurs dangereuses. On admit la
séparation des pouvoirs, avec ce tempérament qu^en cas de
flagrant délit, le ministère public serait autorisé à faire les
actes d'instruction urgents. Le flagrant délit reprit ainsi,
dans le Code d'instruction criminelle, la place importante
qu'il a d'ordinaire dans les droits primitifs; et on s'attacha,
pour restaurer le flagrant délit, d'une part, à en élargir la
notion, et, d'autre part, à bien montrer, parla rédaction même
du Code, qu'on voyait presque, dans le flagrant délit, Thypo-
thèse normale de l'instruction. C'est, en effet, dans la section
qui traite : « Du mode de procéder des procureurs dans l'exer-
cice de leurs fonctions », que se trouvent insérées les dispo-
sitions concernant la confection des procès- verbaux. Les plain-
tes et lesdénonciations furent soigneusement distinguées : c'est
au juge que doit s'adresser le plaignant (art. 63), au procu-
reur que doit s'adresser le dénonciateur (art. 31). Mais les
plaintes peuvent aussi être adressées au procureur qui les
transmet alors, avec ses réquisitions, au juge d'instruction
(art. 64).
H. La séparation de l'enquête préalable, conduite par la
police, d'avec instruction proprement dite, codifiée à la
justice^ n'apparait pas nettement dans les textes. En réa-
lité même, le Gode d'instruction criminelle manque de pré-
face. La phase policière du procès pénal se passe en dehors
de lui; le Code s'est contenté d'indiquer quels officiers
en étaient chargés. Il n*a pas réglementé les actes de V « en-
quête officieuse ».
III. L'instruction préparatoire, nécessaire quand il s'agit
d'un crime, facultative quand il s'agit d'un délit, c'est la pro-
cédure de l'ordonnance de 1670 jusqu'au règlement à l'ex-
traordinaire. D'abord, l'audition des témoins a lieu secrète-
ment; le prévenu ne peut y assister. Les articles 71 à 86,
qui en règlent la forme, reproduisent presque textuellement le
titre VI de l'ordonnance. Pour les perquisitions et les saisies,
CODE d'instruction CRIMINELLE. 93
on n^cueille, dans le Code du 3 brumaire (art. i2o à 131),
quelques garanties qui doivent accompagner ces opérations.
Elles ont lieu en présence du prévenu, s'il a été arrêté (art. 39
et 89), et celui-ci peut fournir des explications; il reconnaît
les objets saisis et paraphe les scellés. Les expertises, si
importantes en matière criminelle, ne sont pas réglementées.
Le prévenu n'est pas appelé à les contredire. La seule ga-
rantie de cette procédure, c'est le serment imposé aux experts
{art. 46). Les quatre mandats, créés successivement par les lois
de i791, de Tan IV et de Tan IX, sont tous conservés avec
leur ancien caractère. En principe, la procédure s'ouvre par
un mandat de coercition, le mandat d'amener; ce n'est qu'au
cas 011 le prévenu est domicilié et où il s'agit d'un simple délit,
que le juge peut se contenter de lancer un mandat de compa-
rution (art. 91). Le mandat d'arrêt est celui qui doit établir la
détention préventive. Quant au mandat de dépôt, il est main-
tenu, mais avec un caractère provisoire. Le cas ordinaire
d*application de ce mandat est déterminé par Tarticlc 100.
Le Code ne s'occupe de l'interrogatoire de l'inculpé que
pour fixer le délai dans lequel le premier interrogatoire doit
avoir lieu (art. 93). Aucune forme spéciale n'est prescrite;
aucune garantie n'est donnée. Notamment, le juge n'a pas
H faire connaître à l'inculpé soit l'objet de l'inculpation, soit
les renseignements déjà recueillis.
IV. Uimtructioa est nécessairement réglée par une juru
diction d'ifistruction, la chambre du conseil et la chambre
des mises en accusation. La procédure devant ces juridictions
est secrète comme l'information. Le juge d'instruction fait
partie de la chambre du conseil. En matière criminelle, il
suffit d'une seule voix, celle du juge d'instruction, pour que
les pièces soient transmises au procureur général. Dans la
chambre des mises en accusation, le procureur général a
accès; mais l'inculpé n'est ni présont ni représenlé.
V. Quand on arrive à la procédure de jugement, la scène
change. Ce n'est pas dans l'obscurité des cabioctsd'instruction,
c'est au grand jour de l'audience que les débals vont se
dérouler oralement et contradictoirement. Cette procédure
94 PROCÉDURB PÉNALE. — INTRODUCTION.
est enliërcment empruntée, quant à ses principes et à sa
réglementation, aux lois de la révolution. Quel que soit le
tribunal chargé de juger, la procédure est publique, orale,
contradictoire. C'est le Code de brumaire qui fournit au légis-
lateur de 4808 ses principales dispositions. Mais le Code d'in-
struction criminelle de 1808 simjdifiele système des questions
posées au jury, et d'un eiccs tombe dans l'autre, en substi-
tuant au régime de l'analyse celui de la synthèse.
VI. Ce n*est là que la procédure de droit commun : il exis-
tait une procédure d'exception en fnatière criminelle. Il était
institué des Cours spéciales (art. 583 à 599), héritières des
tribunaux spéciaux organisés par les lois du 18 pluviôse an IX
et du 22 floréal an X. Ces cours comprenaient cinq des magis-
trats qui siégeaient à la cour d'assises et trois militaires
ayant au moins le grade de capitaine. Elles connaissaient de
tous les crimes commis par les vagabonds ou gens sans aveu
ou par des condamnés à des peines afflictives ou infamantes,
ainsi que des crimes de rébellion à la force armée, de contre-
bande armée, de fausse monnaie et d'assassinat préparé par
des attroupements armés (art. 553, 554). Toute l'instruction
préparatoire était suivie dans les mêmes formes que pour les
aflaires soumises au jury : c'était la chambre d'accusation,
qui ordonnait, s*il y avait lieu, le renvoi devant la cour spé-
ciale. Cet arrêt était d'office soumis à la chambre criminelle
de la Cour de cassation (art. 568 et 570), Devant la cour spé-
ciale, le débat était oral, public, contradictoire. Le jugement
était rendu à la majorité des voix, le partage profitant à Pac-
cusé (art. 582); il était en dernier ressort, mais pouvait être
l'objet d'un pourvoi en cassation (art. 597).
60. Près d'un siècle d'application ont révélé les fai-
blesses du Code d'instruction criminelle. Beaucoup ont été
amendées, sous Tinflucnce des changements politiques avec
lesquels la législation criminelle est en constante corrélation.
Durant cette longue période, et en un temps plus favorable
qu'aucun autre au libre examen des institutions et des lois,
Topinion scientifique n'est restée ni stationnaire ni indifTé-
CODE d'instruction CRIMINELLE. 95
rente. Commencée à la chute même du premier empire,
révolution vers une justice toujours plus éclairée et plus hu-
maine, s*est accentuée de jour en jour, et, sur notre vieux
Code, rajeuni par des adjonctions ou des retranchements suc-
cessifs, s'efface de plus en plus l'empreinte initiale qu'avait
si fortement marquée Tempereur Napoléon.
Au point de vue de leur forme, les lois modificatives da
Code d'instruction criminelle sont de deux sortes : l"" Les unes
ont été incorporées dans son texte. Ainsi une revision d'en-
semble du Code pénal et du Code d'instruction criminelle a été
faite parla loi du 28 avril 1832; et, à cette époque, une nou-
velle édition en a été ofRciellemeot donnée. La loi du 14 juin
1863a modifié les articles 91, 94, 113 à 126, 206 et 613. 2' Les
autres lois sont restées en dehors de l'œuvre de codification.
Telle est, pour partie, celle du 27 juin 1866.
Des deux livres qui composent le Code d'instruction crimi-
nelle, si le second, qui concerne la procédure de jugement,
est resté plus stable, le premier, qui concerne la procédure
d'instruction^ a subi des modifications plus profondes.
Au point de vue de la procédure de jugement, on doit noter :
la suppression de la faculté de créer des cours prévotales,
édictée par les articles 53 et 54 de la Charte de 1830, suppres-
sion qui rendit sans objet le titre sixième du livre II (art. 553
à 599), intitulé : Des cours spéciales: les modifications appor-
tées, soit à la position des questions au jury, soit à la majo-
rité requise pour former sa décision, par la loi du 4 mars
1831, sur les cours d*assises, qui a abrogé les articles 254 à 256,
ainsi que Tarticle 351, et par celle du 9 septembre 1835 qui
a modifié les articles 341, 346, 347 et 352; les changements
fréquents apportés à la composition du jury, contrecoups des
courants politiques et des révolutions, si bien que chaque
régime a eu sa loi du jury; le droit donné au jury, par la
loi du 28 avril 1832, de déclarer des circonstances allénuantes
en toute matière criminelle; la suppression du résumé du
président d'assises par la loi du 19 juin 1881, à raison des
nombreux abus auxquels cette institution, cependant contem-
poraine de l'introduction du jury en France, avait donné
96 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
0
lieu; l'extension du pourvoi en revision par des lois succes-
sives dont la dernière porte la date du o juin 1895 ; les modi-
fications aux règles de Tappel et du pourvoi en cassation par
les lois des dO juin 1853, 13 juin 1856, etc.
L'instruction préalable était la partie la plus archaïque
du Code d'instruction criminelle. Dans ses règles, survivait la
législation de Louis XIV, Tordonnance de 1670. Ce fut donc
à cette phase de la procédure que s'attaqua surtout Tesprit
de réforme. Trois lois, se rattachant à la même inspiration,
émanées du même régime politique, la loi du 17 juillet
1856, la loi du 14 juillet 1865, celle du 20 mai 1863, ont mo-
difié : la première, l'organisation des juridictions d'instruc-
tion ; la seconde, les règles de la détention préventive ; la
troisième, l'instruction et le jugement en cas de flagrant
délit. Ces lois ont eu pour objet de diminuer, par un ensem-
ble d'institutions appropriées, le nombre et la durée des dé-
tentions préventives. Elles ont été complétées, mais bien plus
tard, par la loi du 15 novembre 1892 qui impute la détention
préventive sur la peine. Mais toutes ces réformes ne portent
que sur des points spéciaux de l'instruction préalable. La
revision du premier livre du Code d'instruction criminelle
qui traite de la police judiciaire et de l'instruction a été depuis
longtemps entreprise dans des conditions intéressantes à rap-
peler.
61. Le dépôt par le gouvernement du premier projet sur
la matière remonte au 17 novembre 1879*'.
Ce projet, très hardi dans ses innovations, instituait l'in-
formation contradictoire, en permettant au ministère public,
à rinculpé, à la partie civile, d'assister à tous les actes de la
procédure préalable. 11 fut examiné par une commission qui
choisit pour rapporteur, le procureur général à la Cour de
cassation. Dauphin*"; puis discuté par le Sénal*\ et voté,
*' S(^ntil, session extraordinaire de 1879, Doc. pari., n° 7.
'* Rapport, Sénat, session de 1882, Doc. pari,, n« 63.
*^ La discussion suivit la filière ordinaire. La première délibération oc-
cupa les quinze t^éancos des 0, 8, 9, 13, 15, 16, 20, 22, 23, 25, 27 mai, 1",
CODE d'instruction CRIMINELLE. 97
dans son ensemble, le 5 août iS82, mais avec des modifica-
tions qui eo altéraient profondément le caractère et Tesprit.
Plus de contradiction dans Je cabinet du juge : la procé-
dure restait inquisitoriale et secrète.
Toutefois, l'inculpé avait le droit de réclamer toutes les
mesures d'instruction utiles à sa défense et celui de se pour-
voir devant la chambre du conseil rétablie, au cas où le magis-
trat instructeur refuserait de les ordonner; et afin que cette
faculté pût s'exercer en pleine connaissance de cause, on pres-
crivait la communication du dossier au défenseur avant
chaque interrogatoire de Tinculpé.
La commission de la Chambre des députés, à laquelle le
projet fut soumis, exprima Tavis, par Torgane de son rappor-
teur M. Goblet*% que le système, institué par le Sénat, « ne
0. donnait pas les mêmes garanties à la défense et prétait h
" des critiques au moins aussi sérieuses que celles qui
« avaient été dirigées contre le projet du gouvernement ».
Elle proposa de revenir au système du projet et de substi-
tuer, à rinformation secrète et sans contradiction, une infor-
mation suivie et contrôlée, depuis le premier jusqu'au dernier
acte, par le conseil de Tinculpé. Ce système triompha devant
la Chambre, et le vote, en première lecture, eut lieu le 8 no-
vembre 4884, sans qu'on ait pu passer à une seconde lecture
par suite de Texpiration des pouvoirs de la Chambre.
Depuis lors, et jusqu'à Tannée 1894, le gouvernement, à
chacune des législatures qui se sont succédées, en 1885, en
1889, et en 1894, a présenté, à la Chambre, le projet voté par
le Sénat. Trois fois aussi, en 1887, en 1891 et en 1895,
M. Bovier-Lapierre, au nom de la Commission, a déposé des
rapports dont la discussion n'a jamais été abordée^'. Le sys-
tème proposé était, sauf quelques dilTérences de détail, con-
6, <0et 13 juin 1882. La seconde délib«^raliun a eu lieu aux (lualre séances
des 24 et 27 juillet, 3 çt 5 août 1882.
*• Rapport do M. Goblct, (Ihambre îles députés, session extraordinaire
i:^. 1883, Doc. parl.y n° 2377.
** Les trois rap{K)rts de M. Bovier-Lapierre onl été déposés, le 20 janvier
i>i87, le 15 janvier 1891 et le 5 décembre ISO'i.
G. P. P. — 1. 7
98 PROCÉDURE PBNALB. — INTRODUCTION.
forme à celui qui avait été accueilli par la Chambre en 1884.
Cependant, celle réforme complète de Tinstruction prépara-
toire, que la commission formulait en 236 articles, ne parais-
sait pas pouvoir aboutir à un vote prochain. Dans celte
crainte, M. Conslans, et soiiante-trois de ses collègues, saisi-
rent le Sénat, à la date du iO avril 1895, d'une pro])osilion de
lui en six articles, dont le caractère essentiel étail de permettre
à l'inculpe de se faire assister d'un défenseur dès le premier
acte de Tinformation et de ne répondre qu'en sa présence
aux interrogatoires. La première innovation fut admise, sans
difficulté, parla commission du Sénat nommée pour étudier
la proposition. La seconde lui parut si grave qu'elle se borna
à la réserver. Kl le détacha donc du projet général de réforme
du Code d'instruction criminelle les dispositions sur lesquelles
l'accord entre le Sénat et la Chambre paraissait possible. Son
rapporteur, M. Thézard, soumettait au Sénat, sur ces bases,
un projet, en cinquante articles, qui vint en discussion le
12 décembre i895 ^^ Mais, à cette séance, M. Conslans fit
observer que l'assistance de l'avocat aux interrogatoires, qui
était la pensée principale de sa proposition, n'avait pas été
examinée, et il demanda le renvoi a la commission pour
qu'elle en rcîprîl Tétude. Cet incident amena la démis-
sion de la commission et la nomination d'une commission
nouvelle qui admit la présence aux interrogatoires du conseil
de l'inculpé^'. Mais, avant de soumettre au Sénat le projet
ainsi modifié, le garde des sceaux saisit les corps judiciaires
de son cxainiMi. Les opinions sur les mérites de l'innovation
furent très divisées; la Cour de cassation, notamment, se
montra peu favorabhî à la présence du défenseur dans le
cabinet d'instruction *-. Malgré son avis, le Sénat et la Cham-
bre adoptèrent une loi, contenant ii articles, qui a fait défi-
-^ Mup|M»rl (le M. Tln'/îird, Sénal, session exlraorrJinaire de 1895, Doc,
part., n" 22.
-' Rapport supplômentuire »le M. .leun DufKiy, S(*n.'il, session i\e 1896,
/><)(•. pari, 11° 90.
'^- Ol»sei"\'iili«mii f»r»'senl«'os par la Conr *\o cnss^alion sur le projet. Rap-
p«.»rl d«' M. Il* «onsj'illcr Kalcimai^ne [Ctuz. dru Trih.y n®«lu30iléc. 1896J.
PROCBDLRB PÉNALE DANS LBS LÉGISLATIONS BTR4N0ÈRBS. 99
nilivemenl entrer le principe de la contradiction dans Tin-
slruction préalable. C'est la loi du 8 décembre 1897.
Cette loi assure à rincul[)é des garanties sérieuses, en déci-
ilant qu'un défenseur pourra assister à tousses interrogatoires,
en permettant h ce défenseur de prendre connaissance du
dossier et de communiquer avec son client, mémo s'il est au
secret. Sans doute, cette loi n'a pas directement et expressé-
ment organisé la procédure contradictoire dans Tinstruction
préalable. Mais la contradiction est la conséquence môme de
Torganisation nouvelle. Le défenseur qu'on introduit dans le
cabinet d'instruction saura se donner un rôle utile en signa-
lant au magistrat les témoins à entendre, les mesures à or-
donner. Sans doute, le juge n'est pas légalement obligé de
suivre les indications qui lui sont ainsi proposées parle défen-
seur; mais il y sera moralement contraint pour qu'aucun
reproche ne puisse plus tard lui être fait. Ënfîn, le défenseur,
lorsque Tinstruction sera terminée, pourra, utilement bien
qu'officieusement, intervenir, pour soutenir, soit qu'il n'y a
pas charge suffisante, soit que le fait n'est pas puni par la loi,
soit qu'il ne mérite pas la qualification proposée.
On peut donc affirmer que, depuis 1897, et grâce à la loi
Constans, le Code d'instruction criminelle français a retrouvé
sa place à la tète des Codes les plus libéraux. Ce progrès
très récent est tellement entré dans les mœurs que si des pro-
positions nouvelles étaient soumises au Parlement, ce ne
senût certes pas pour revenir en arrière, mais bien plutôt
pour développer le régime de la contradiction dans Tinstruc*
tion préalable, et peut-être même pour y introduire un peu
plus de lumière.
§ IX. - LA PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS
ÉTRANGÈRES.
92. Imp^^rtiince de la Iégi«laliMn conijian'")'. An point de viir de h procédure, deux
tiroupen principaux de Icgislathm : rua, dérivjinl du Code de 1808, Combine If
.-«yslèine inquisitoriai et le syslcine ai;(Mi.>;iloii«- ; l'aulns resié urij;iiial, di-rivo du
droit anglais, et conserve Ui systtîme aoou.sal<»iiv. — 63. Pivisiiui : sonivc:! !«•-
gi»latires; règles principales. — S4. Sourcs législatives. Allemagne. Autriche-
^00 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
Ilougrio. Belgiqu»*. Principauté do. Monuco. Grand-huctn; du Luxembourg. Espa-
gne. Italie. Suisse. I*ays-Bas. Grande-Bretagne. Bu8sie. Grand-Duchr* de Finlande.
Pays Balkaniques. Pays Scandinaves. Turquie. Egypte. Ann^rique du Nord. Amé-
rique du Sud. Japon. — 65. Les règles principales de l'action, de rinstruction et
du jugement d'après les principales higislations étrangères. Ordonnances pénales.
62. 11 n'esl plus possible de concevoir Tétude isolée d'une
législation sans la rallacher à ses origines, sans suivre ses évo-
lutions, sans la comparer aux législations des autres peuples.
I^es nations de TEurope, que les Romains appelaient barbares,
avaient chacune, à Tépoque qui marque ravènement du
. moyen âge, leurs coutumes particulières en matière de justice
criminelle; mais il existait, dans leur procédure, bien des
traits communs. Le système accusatoire, qui était partout en
vigueur, tendait même à s^uniformiser. On sait que les lois
répressives sont dans une dépendance inévitable de Torgani-
sation politique. Le régime féodal, ayant prévalu dans toute
l'Europe, il en résulta que les institutions judiciaires y pri-
rent, presque partout, la même physionomie; puis, quand
la monarchie absolue tendit à se substituera la féodalité, elle
s'appuya, pour TaiTaiblir, sur la législation des empereurs
romains, et Tinfluence du droit romain qui n'avait jamais
entièrement cessé dans certaines contrées de TEurope, même
on plein règne des lois barbares, aida beaucoup au rappro-
chement des législations. Mais les différents pays ne s'avan-
cèrent pas d'un pas égal dans la voie des transformations que
leurs procédures devaient subir. Tous cependant, à l'excep-
tion de l'Angleterre, avaient abandonné le système accusa-
toire et l'avaient remplacé par le système inquisitoire. La ré-
volution française exerça, par sa législation, une influence
telle qu'elle marque, au point de vue de l'organisation et de
la procédure répressive, une période dans l'histoire législative
des peuples de l'Europe. Le Code d'instruction criminelle
français de 1808, qui fit une sorte de transaction entre les
deux systèmes de procédure, servit de type et de modèle à ua
grand nombre de pays. Son influence, plus durable que la
conquête, persiste encore aujourd'hui.
En faisant abstraction des diversités de détail que nous
PROCBDURB PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES. 101
signalerons à leur place, celui qui cherche à dégager les prin-
cipes qui dominent les lois de procédure des peuples de TËu-
rope continentale, voit apparaître Tunilé fondamentale qui
les caractérise. Partout existent : l'institution du ministère
public, la division de la procédure en deux, périodes, celle
de rinstruction préalable qui emprunte ses règles au système
inquisitorial, celle, du jugement qui reprend toutes les garan.
ties du système accusatoire. Peu à peu, le jury a fait la con*
quête des législations étrangères, et les pays, tels que TEs-
pagae et l'Autriche, qui ont tenté de le supprimer, se sont
empressés de le rétablir devant les impérieuses réclamations
de la conscience populaire qui voit, dans le jury, la sauve-
garde même de la liberté. En face de ce groupe imposant, qui
a trouvé, dans le Code français de 1808, le modèle et le cadre
de ses institutions, se dressent les législations anglo-saxon-
nes qui forment un groupe autonome, obéissant, dans leurs
rapports, à une même inspiration et animées d'un même es-
prit. Elles ont été et sont encore, en Europe et en Amérique,
le conservatoire du système accusatoire. Pas de ministère
public en Angleterre : c'est à l'initiative privée que la pour-
suite est abandonnée. L'égalité de la lutte entre l'accusation
et la défense e$t sauvegardée par une série d'institutions qui,
grâce à l'esprit de la race, fonctionne sans trop compromettre
rinlérêt social. Le jury est la garantie du jugement comme
de l'accusation, dans les législations anglo-saxonnes.
63. Nous indiquerons, en raccourci, d*ime part, les sour-
ces législatives de la procédure criminelle dans les principaux
pays, et, d'autre part, les règles de cette procédure, en esr
savant d'en dégager les caractères généraux et typiques, ce
que l'on peut appeler les « dominantes ».
64. A l'exception de l'Angleterre, où les idées de codifica-
tion ont cependant fait quelques progrès, tous les pays de
l'Europe ont aujourd'hui codifié leur droit criminel^
I IX. * Il ne saurait être question de rorraer des i^roupes de pjiys, par
«xemple : 1* groupe anglo-américain; 2° f^Ttmp*» romain «lu Nord et du Sud ;
102 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
I. Allemagne, — Depuis la proclamation de TEmpire, l'œu-
vre (le Tunité té<^islative de rAilemagne a élé Tobjel constaul
des préoccupalioiis politiques. L*année 1877 constitue, à ce
point de vue, <lans riiistoirederAlleinagne, une date impor-
tante : elle a clé mar(|uée par la promulgation de quatre lois
capitales, le Code d'organisation judiciaire, le Code de pro-
cédure pénale, le Code de procédure civile et le Code de la
faillite. Nous ne nous occuperons ici que des deux premières.
a) La loi d'organisation judiciaire^ substitue, dans tout
l'Empire d'Allemagne, un seul et même système de tribu-
naux civils et criminels aux différentes juridictions locales.
La justice est rendue par des tribunaux de bailliage, des tri-
bunaux régionaux, des tribunaux régionaux supérieurs et le
tribimal de TEmpire. Le principe de Tunité de la justice
civile et de la justice pénale domine cette organisation, sauf
deux restrictions. Au degré inférieur de la hiérarcbie, dans
le bailliage, (|ui correspond assez exactement à notre canton
français, il y a deux tribunaux, Tun civil, le tribunal de
bailliage (Amisgeric/U), l'autre correctionnel, le tribunal des
écheMns (Schoe/fengeric/u), Le juge de bailliage siège dans
les deux : seul, dans le premier; assisté d'échevins, dans le
second. Au degré supérieur, des assises sont tenues pério-
diquement auprès des tribunaux régionaux pour juger les
affaires criminelles qui ne sont pas de la compétence des
chambres correctionnelles ou du tribunal suprême de l'Em-
pire. L'organisation «les cours d'assises allemandes est iden-
3» groupi* allomîiinl : i" ;rrou|K' des autres pays?. Ce serait iHire oiilentlre
qu'il existe uiu» [iMn'iilé fiitrc Icr l»*;j^iBlalinns par ^M'oupus l'Ilmiques, w rpii
iri?sl pas «*xar!. F«ir««; iifnis osl (Inné «li» pr«»f'r«l4M' [»ar «Miumération. Sur ce
ymint : Franz vnii Lis/.f, Lr droit criminri des peuples europrens (Berlin et
l*ariiî, IftO'f), Inlnulin-iinn, p. xv i»( .xvi.
• r,(ïjlf' (in tî7 janvirr ISTT. Dubarlc, rVWc d'nn/tiitisfition judiciaire nllc^
nwnd. Inlrodiicliuii «?l trailuHion (Paris, 2. vt»l. iii-S^ 18K*î). Ce Oodo l'ail partie
df la collection des principaux Codes èlrun^^er'?, puhlif^ |w)r les soins du co-
mitt* de l»»j:islation rlran^rn- i\\\ iniiiiîîtrre th* la justice. Vuy. éj^alemrnt :
Aint, de leffinl, rtrnuif.. !. 7, p. 77. On consultera, pour renscmble de l'or-
f^anisation judiciaire : Labatid, Le drnitpuhlie de l'iim pire allemand , traduit
par (lajidilhoii,r» vol. in-S", lyOO-iOOi. Paris.
PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LEGISLATIONS ÉTRANOKUES. 103
tique à l'organisation des cours d'assises françaises. Elles se
com[K)$ent, d*une pari, d*un président et de deux juges, et,
d'autre part, de douze jures.
b) Iji Code de procédure pénale allemand de 1877 procède,
en ligue directe, du Code d'instruction criminelle ^ranc:ais^
Les diiïérences assez importantes que nous constaterons ne
suffisent pas à en faire, au point de vue de la procédure, na
type particulier. Avant cette législation unitaire, les législa-
tions des États allemands pouvaient se grouper ainsi. Certains
pays, notamment les deu\ Mecklemhourg et les deu\ Lippe,
suifaient le droit commun allemand, auquel ils avaient em-
prunté une procédure à base iuquisitoriale. Deux Et<its,
Lubi^ck et le duché de Saxe-Altenhourg, avaient ado|)té le
système accusatoire, mais sans jury ou échevins. Knfin, dans
la grande majorité des États, les lois de procédure conser-
vaient, au moins dans les débats, le système accusatoire, en
faisant participer au jugement, soit des jurés, soil des éche-
vins^ C'est dans ce dernier groupe (jue les législateurs de 1877
ont cherché leur type el puisé leur modèle, en consacrant
celte évolution de la procédure pénale qui, en Allemagne
comme dans la plupart des Ktats du continent européen,
avait suivi les trois phases successives : la phase accusatoire,
la [ihase inquisitoire et la phase mixte. Dans ce dernier sys-
tème, qui résume les caractères actuels de la procédure alle-
mande, la mise en accusation, qui est le point de départ du
procès, est, en principe, Tœuvre de fonctionnaires spéciaux.
' IVrnand Dnçuiii, Co(j4* de firocrdtne allrmnnd {{" tV>vr. IS*"?) triuiiiit
et nniii.il»' (Paris, l^Si-). L'inlrodiiclion est tri-.-? rcmfinnuihlo.
* Sur riiistoire fie la proc»Miirp allomîitn.lr^ : I^iisruin, Introduclion^ p. vu
et 5uiv. ; Fiiorbacli, LvhHmck dt's ifPmthteu in hctifschlfiud tjfdibieu pciu-
lichen HechU, MU^ par MiU»*rmaior (1 i" érl,, iii-S», Oicsscn, \HV7): Ch.
Lfi'vita, Pif'cis de l'hùdoirc d't droit prnal iillfniftnd df*f>ttis h Curolin** jus-
qu'à nos jo9trs, traduit et annult' par Humn-villt* de M.irsaniry (Kxlrait de
la Rer, criL de if^uiai,, 3i p. in-fi»: Paris, t\»lill'^!i, IS''»:2). l^nir Ip 1res aii-
»^ien druit : .I.-J. Thoriissen, L'or^jani^ntion pidiriaire. k droit pnwl et la
procédure pénale de la loi Sfiliiiuc -i* éd. iii-S», Paris. r'Ji»'vaIier-Mares«|.
18S2). Voy. du reste, pour laBiMio^ra[)liie «lu droit eriiiiirnd allemand : Le
droit criminel des États europcetiSy Allema^iu*, annexe, p. 303.
404 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
L'inslruciion reproduit les formes de la procédure inquîsî-
ioire. Mais, après que Ja juridiclioQ de jugement a été saisie,
tout se passe au grand jour de Taudience et contradictoire-
jnenl. Les preuves sont des preuves de conviction, et le juge
n'a plus à s'inspirer que de sa conscience dans l'appréciation
des faits et de la culpabilité.
c) Une loi modificative du Code d'organisation judiciaire
et du Code de procédure pénale, du 27 mai 1898', est inter-
venue, d'une part, pour mettre en concordance l'organisation
judiciaire avec le nouveau Code civil allemand, et, d'autre
part, pour remédier à quelques inconvénients de procédure
signalés par l'expérience^.
II. Autriche- Hongrie, etc. — L'empire austro-hongrois est
formé d'un amalgame d'états,ide nationalités, de législations.
a) Le Code de procédure pénale autrichien porte la date
du 23 mai 1873\ II est le quatrième qui ait été promulgué,
en Autriche, depuis le commencement du xijl* siècle. Ce pays
a été, en ciïet, régi par les Codes de 1803, de 1850, de 1853 ;
il Test aujourd'hui par celui de 1873. Le Code criminel de
1803 était à la fois un Code pénal et un Code de procédure ^
° Notice, analyse et traduction, dans Ann. de législ. élr,, 1899, t. 38,.
p. U2à 150.
• Consultez, pour Texposé systématique du droit criminel allemand : En-
cyclopaedie der Hcchhrissenschnft de Franz von Holtzendorff (6* éd.), t. II.
Le droit criminel a été réparti en trois articles. M. Wachenfeld s'est charge
du droit pénal jçénéral; M. Beling a exposé la procédure pénale générale;
M. VVeiffenbach a traité spécialement le droit pénal et la procédure pénale
des militaires. On consultera également : Ernst Henrich Rosenfeld, Der
fipichaStrafprozess (Berlin, Outlentag, 1903).
' Me (.'ode porte le titre : Osterrcichisrhe Strafprocess-Ordnung vom
23 mai 1S73. Il a été traduit par MM. Edm. Bertrand et Ch. Lyon-Caen
sous le titre inexact de Code d'instniction criminelle annoté (Co\L des Codes
étrangers. Imprimerie | nationale, 1875). Lire l'introduction qui traite des
trois (piestions suivantes : de la procédure criminelle en Autriche d'après
les Codes de 1803, 1850 et 1853; de l'historiciue de la confection du Code
du 23 mai 1873; aperçu général sur le nouveau Code.
• Il avait été traduit en français dans la collection des lois civiles et cri-
minelles des États modernes, publiée sous la direction de M. Victor Foucher
(tome I de la collection).
PROCÉDURE PÉNALE DANS LBS LÉQISLATIONS ÉTRANGÈRES. 105
Dans la procédure, il ne faisait que reproduire et développer
les règles du système inquisitoire pur. Le Code de 1850 prit
pour modèle le Code français : il introduisit la procédure
orale et publique, le principe accusatoire et Tinstitution du
jury. Mais il fut emporté par le vent de réaction qui sévit en
1831. Une loi du 31 décembre 1851 annonça qu'il serait fait
en Code de procédure pénale pour tout Tempire. Ce fut le
Code du 29 juillet 1853 qui est resté en vigueur jusqu'au
1" janvier 1874. Ce Code supprimait le jury, ne laissait
subsister la publicité que d'une manière relative, n*admettait
de défense qu*après la clôture de Tiostruction et conservait
UQ système de preuves légales.
Le mouvement libéral et les réformes constitutionnelles qui
suivirent 1860 et 1861 attirèrent Tattention sur les vices de la
procéduni criminelle. De nombreux projets furent successive-
ment étudiés. En 1872, le ministre de la justice Glaser qui
avait, en qualité de rapporteur de plusieurs des commissions
de réforme, contribué, plus que tout autre, aux travaux pré-
paratoires, déposa le projet qui est devenu le Code de 1873.
Conformément aux traditions germaniques, cette loi est
appelée règlement (Ordnuny} de procédure pénale* : mais ce
D*est ni plus ni moins qu'un Code. Dans la législation proces-
suelle du continent européen, ce Code peut être signalé comme
Teipression d'un progrès, d'autant plus caractéristique, qu'il
faut tenir compte, soit de Tétat antérieur de la législation
autrichienne, soit de la variété de races, de traditions et de
coutumes des peuples qui sont entrés dans la formation de
TAutriche.
Déjà, les principes fondamentaux en avaient été fixés par
la Constitution du 2i décembre 1867, c'est-à-dire Toralité et
la publicité des débats, le jugement accusatoire et le jury pour
les délits les plus graves, les délits politiques et les délits de
presse. Pour ces derniers, le jury commença à fonctionner
avec la loi du 9 mars 1869.
' Et non d'instruction criminelle, comme le porle lîi traduction de MM.
Bertrand et Ch. Lyon-Caen.
106 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
Le Gode autrichien de 1873 a rallie les suffrages unanimes
des criminnlistes. Il s'inspire, sans doute, du Code d*instruc-
tion criminelle français, dont il reproduit le type, mais com-
bien modifié et amélioré! C'est la pensée scientifique de Glaser
qui s'est fortement marquée dans une loi de procédure adaptée
aux nécessités de la vie pratique. Aussi Tinfluencc de ce Code
de 1873 sur Torientation contemporaine de la procédure pénale
est un fait dont il faut tenir coniple, et, depuis le Code franchis
de 1808, aucune législation particulière à un peuple n'a été
davantage citée et imitée au dehors.
i) L'histoire de la procédure pénale en Hongrie est l'his-
toire d'une lutte d'un siècle entre le système inquisitorial et
le système accusatoire. Le Code de procédure pénale du
22 décembre 189&, qui régit actuellement ce pays, a unifié la
législation jusque-là si diverse et a introduit le jury, non seu-
lement pour les délits de presse, mais pour les délits les plus
graves. 11 organise la procédure accusatoire avec le ministère
public^^
c) La Bosnie et l'Herzégovine sont régies par le Code du
30 janvier 1891, entré en vigueur le 1" janvier 1892**.
d) La Croatie-Slavonie a un Code qui lui est propre, le rè-
glement du 17 mai 1875, modelé sur le Code autrichien de
1873, moins le jury qui n'a pas été institué dans cette pro-
vince.
III. Belgique, — La Belgique aconservé les Codes français,
notamment le Code d'instruction criminelle de 1808. Mais sa
constitution de 1831 prescrivait « de les reviser dans le plus
court délai possible » (art. 139). Ce grand travail n'a abouti
qu'on partie, et c'est seulement, d'une part, le titre prélimi-
naire d'un nouveau Code de procédure pénale, titre adopté
de préférence à celui de Code d'instruction criminelle, qui a
été promulgué le 17 avril ^878*^ et, d'autre part, le titre IX
*p Sur cv Cofl<» : Notice <lo Meyor, rlîins Anu, dr lojUL ètr,^ t897, p» 397
ù 'tOO.
^» Vr.y. l;i riolic «le Meyer (/i/.///. .soc. b'uUL vomp., 1891-1802, t. 21,
p. 3'.m;,
'^ Annuaire (ir h-ffisl, vtrainj.^ 1870, texte, notice et notes par Georges
PROCÉDURE PENALE DANS LES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES. lOT
du livre III, remplaçant les articles 443, 444, 446 et 447 du
Gode d'instruction criminelle, c'est-à-dire modifiant les rc^^ies
de la révision*'.
L'histoire de la procédure pénale comprend en Belgique
trois périodes, qui correspondent aux périodes de son hisloire
contemporaine. De 1795 à 1814, la Belgique fut terre fran-
çaise. Elle passa donc successivement sous le régime du Code
des délits et des peioes du 3 brumaire an IV et du Code d'in-
struction criminelle de 1808. Après les événements de 1814,
la Belgique, faisant partie du nouveau royaume des Pays-
Bas, vécut, comme le reste du pays, sous Tempire de la légis-
lation napoléonienne. Mais le Code de 1808 fut presque im-
médiatement modifié sur deux poinLs importants : le jury fut
aboli et on supprima « la publicité des débats en matière
criminelle et correctionnelle jusqu'aux plaidoiries » (Arrêté,
du 6 nov. 1814). Après 1830, la Belgique, formant désormais
un royaume autonome, reprit la législation française qui a
été, du reste, modifiée et amendée par une série de disposi-
tions qui feront Tobjet d'un examen spécial à propos de cha-
cune des institutions qu'elles concernent'^
W. Princi/muté de Manant. — Le Code d'instruction cri-
minelle de la principauté de Monaco, qui porte la date du
Louis, p. 4t3 et i*>7. Tous los tJucrumonls [Hirlonifiitîiires rolalils iiu lilro
préliminaire du nouveau ('ode ont ôtô reproduits in extenso et cMrdonn«'S
par Nypols sous le titre de Commcntanv du OhIc de procédure) p*}nule ;llru-
xelles, 1878).
" Cette loi, qui porte la date du i8 juin 1894, est rapporl(^p dans VAnn»
de léffisL ctr., 1895, t. 24, p. l')Ot à Tïii (iNutire et notes par A. Le IV.itte-
vm). Sur le projet de r<Mbrni«' du Code l»elgedans son ensemble : S. Mayer,
uns Strafprozcasrccht liehjiciis, dans Aixliit: fïir Slrtif'rrchtf lS8<i; Vacea,
L*' reformti dol cndin' di prncrdfiiti pennir vrl lirh/ùt^ rjans Hirista poimlo.^
1.30, p. 109 et suiv.
*' BmiJoanAi'HrK : Haus, Principes iicnvrmi.r de druif prnal hehje^ t. 2,
liv. IV; Tliiiuissen, Tnivuux prêpnratoircs du Code de proct'durc pénale^
Rap[jorts faits k la Chambre des re[)résentants; Liineiette, Le Code de j no-
cédure pénale applique et annoté; licvue critique de droit criminel Vvn-
c^dnre pénale); Fernand Thiry, Cours de droit criminel (2" éd., 1895),
II* partie. Procédure pénale; Pandectes hehfeSf [Kissim ; .NvfX'ls, Lé'jislation
criminelle de la Belgique, :\ vol. in-8^
108 PROCEDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
1
31 décembre 1873*', est» comme on peut le penser, calqué sur i
le Code français de 1808. Il en diffère néanmoins à divers ^
points de vue et ootammenl par rapport à Tordre de
distribution des matières. Ce qui caractérise cette procédure,
c'est Texclusion du jury du jugement des procès criminels**.
V. Grand-Duché du Luxenihoury. — La législation crimi-
nelle du Grand-Duché du Luxembourg n'a pas le mérite de
Toriginalité. Le Code pénal luxembourgeois, promulgué le
18 juin 1879, reproduit le Code pénal belge de 1867. La pro-
cédure du Grand-Duché est encore réglée par le Code d'in-
struction criminelle français de 1808, auquel néanmoins des
changements importants ont été faits '\
VI. Espagne, — Le Code de procédure pénale espagnol
date du li septembre 1882*'. La réforme capitale de ce Code
•est la substitution du débat oral à la procédure écrite. Le
peuple espagnol avait été u élevé, durant des siècles, dans la
procédure écrite, secrète et inquisitoriale »; il a renoncé à ce
régime pour adopter le système accusatoirc, u en le transpor*
tant, pour ainsi dire, jusque dans Tinstruction préalable,
puisque le législateur accorde au prévenu les garanties que
les lois anciennes lui refusaient et que le secret de l'instruc-
tion est maintenu seulement dans la limite nécessaire pour
empêcher les indices du délit de disparaître** )).
*5 Kdition officielle, Mce,Cauvin et 0% 1874.
'^ Les articles 76, 355, 358 et Wk du Code d'instruction criminelle ont
été modifiés par une ordonnance souveraine du 16 août 1888 et l'article
467 par une ordonnance du 22 mai 1891. Du reste, un projet de revision
générale du Gode était en préparation, Voy. sur ce projet : De Rolland, Pro-
jet d-c Code de procédure pénale, 3 vol. in-8°, 1899-1903. Il vient d'être
sanctionné. Voy. Code de procrdure pénale de la principauté de Monaco
(in-8°, 1905).
*■ Voy. Jacques Delahaye, Bull, de VUuiou intern. de droit pénal, 1903,
p. 63.
^^ Traduit dans la collection des Codes étrangers par Gabriel Verdier et
Joseph Depeiges.I^aris, /mprimt'ne 7iaito«rt/f, 1898). Voy. également: Theu-
rault. Notice sur le Code de procédure criminelle du /4 septembre 1S8È
(Annuaire, t. XII, p. 693). Sur Thistoire : Du Boys, Histoire du droit cri-
minel de l^ Espagne (1 vol. in-8°, 1870).
*• Rapport du ministre de Grâce et Justice.
PROCÉDURB PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES. 109^
Le jury, supprime en 1875, a été rétabli par la loi du
20 avril 1888'^ qui lui a donoé compétence pour statuer sur
les délits les plus graves.
La croation du ministère public en Espagne parait très an-
cienne; mais c'est à la législation de 1812 que Ton fait re-
monter son organisation actuelle. Les membres du ministère
public, qu'on appelle aussi représentantes del ministerio fiscal,.
ont les mêmes attributions qu'en France dans la procédure
répressive. Ils exercent Faction publique dans toute les afTai-
res, excepté dans celles qui, d'après la loi, ne peuvent être
poursuivies qu'à la requête de la partie lésée.
VII. Italie. — Le droit organique répressif est représenté
actuellement, dans Tltalie unifiée, par deux sources principa-
les : l"" le statut fondamental du royaume et les lois d'ordre
constitutionnel et politique; 2"* le Code de procédure pénale
et les lois sur Torganisalion judiciaire.
a) Le statut du royaume contient quelques déclarations et
dispositions constitutionnelles qui se réfèrent : à la liberté in-
dividuelle (art. 26), rinviolabilité du domicile (art. 27), Tex-
clusion des tribunaux d'exception (art. 71), la publicité des
audiences (art. 72), Timmunilé des sénateurs (art. 37), la
garantie politique des députés (art. 43), l'institution d'une
haute-cour de justice (art. 36). D'autres lois d'ordre constitu-
tionnel ou politique se réfèrent à certains points d'organisa-
tion judiciaire ou de procédure, telles que la loi du 13 mai
1871 sur les prérogatives du souverain pontife, l'édit ou loi
sur la presse du 26 mars 1848, etc.
b) Le Code de procédure pénale italien, date de 1865** : il
doit être complété, soit par la loi sur l'organisation judiciaire
du 6 décembre 1865, laquelle est elle-même suivie d'un rè-
^ Celle loi a été traduite en appendice, après la traduction du Code, par
Verdier et Depeiges.
*' Marcy, Code de procédure pénale du royaume d'Italie^ 2 vol. in-8°,
1881, Paris. Les deux principaux commentaires de ce Code sont : Borsariet
Casorali, Codice di procedura pénale commeuiato (5 vol., Milan, 1885);
Salulo, Commenti al Codice di procedura pénale (8 vol., in-8**, 3® éd., Tu-
rin, 1884).
ilO PROCEDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
glemeot ilu 44 décembre 1865, soil par les antres lois, trop
nombreuses pour être citées ici, lois qui se réfèrent à la ma-
gistrature et à son fonclionnemont. Parmi ces lois, il faut
cependant noter celle du 6 décembre 1888" qui attribue,
à lu Cour de cassation de Rome, la connaissance exclusive de
toutes les affaires pénales du royaume et qui supprime les
chambres criminelles des six autres Cours de cassation.
L'organisation judiciaire se rapproche sensiblement de
l'organisation française. Les préteurs, sortes de magistrats
analogues à nos juges de paix, forment le dernier degré de
la hiérarchie judiciaire. Des cours d'assises, constituée»
comme les cours d'assises françaises, rendent la justice en
matière criminelle-\ Le ministère public est organisé sur
des bases analogues.
c) Les projets de réforme du Code de procédure pénale
italien sont aussi nombreux que variés. 11 ne saurait èive
question ici, de ceux (|ui sont dus à Tinitiative parlementaire.
.Mais, parmi les |)rojets, présentés au nom du gouvernement,
je citerai, par ordre chronologique, le projet de Palco du
19 avril 1866, celui de Filippo de 1868, ceux de Villa du
9 mars 1880 et de Taiani du 25 novembre 1885, etc. Enfin,
par décret du 1"*^ octobre 1898, le garde des sceaux Aprilc a
institué une commission chargée d'étudier et de proposer les
modifications dont le Code de procédure pénale serait suscep-
tible dans le sens d'une protection plus efficace de la liberté
individuelle et d'une rapidité plus grande du procès pénal**.
Les procès-verbaux de celle commission ont été publiés''*. La
^- Aiin. (le If'ijisl. rtr„ L 17, p. 512.
''^' Loi (In 8 juin 1S74 {Aiin, de IthjisL vtr.^ t. 4, p. 357) et la loi du 10 dér.
1880 qui lii mO'Jifio (.4/r/î., t. 1(), p. 31»;)).
'* Voy. Fjucchini, Gvttizia per tutti {Hivista pcnah*, vol. o4, p. 489).
-^ Larori prrpuratori del Codicc diprocedf/ra pénale pel il regtio d'italia,
Alli dcllîi o(»mmissinne inslilulji col docrpto 3 otlobro i899 del Minislrr
April»», rrm l'incari^'o di slndiaro e proporro h» modiliazioni di introdune n^^
vigontc ro'lii't^ di prnc(.'dura pcnalo(3 vol. in-'t'', Hoina). Les deux premiers
volume? rf-nlermerit !«•< [^^nc^i^-v^^l)aux de la commission. Le Iroisiome con-
(iciil des rapports sur les i»rincipaux problèmes de la procédure criminelle. Le
PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES. ill
commission a terminé son travail en juin 4901. Sans modifier
les bases essentielles de la procédure pénale, elle prépare
une série de réformes de détail qui portent sur toutes les
périodes du procès pénal'*.
YIll. Stfisse, — Les Codes de procédure [lénale des cantons
de la Suisse peuvent être répartis dans les trois groupes
elhniques : 4" des cantons de la Suisse allemande; 2° des
cantons de la Suisse romande; 3*" du canton italien duTessin.
(I, Les cantons de la Suisse allemande, Argovie, Saint-Gai,
Bail*, Bàle-Campagne, Lucerne, Schaffouse, Zurich, ïhur-
govie, Grisons, Soleure, Appenzel, Unlerwaldcn, Berne,
Glaris, Schwyz, Zug, ont tous des Cod(\sde procédure pénale,
dont les dispositions varient dans les détails^ mais (fui repro-
duisent, dans les grandes lignes, le système mixte de procé-
dure. Il suffira de citer Tune des lois de procédure les
[dus originales, celle ducanton d'Appenzel du 23 avril 1880^'.
ff} \jcs lois de la Suisse occidentale ont presque toutes subi
riiiiluence des Codes français. Les peuples de la Suisse ro-
mande ont trop longtemps vécu sous Tempire de ces derniers
pour avoir pu rejeter complètement et radicalement les tra-
ditions et les habitudes d'esprit qu'ils avaient emprunt<M'sà la
France. Dans le canton de Genève, par exemple, le Code de
1808 csl resté en vigueur jusqu'en 1881. Le Code actuel date
da 2î) octobre 1884, il a été pronmigué le 4 janvier 1883 "*•.
Le Code de procédure pénale du canton de Pribourg date
do 21 mai 1873 et a été mis eu vigueur le 1" janvier 1874.
Le Code de procédure pénale du canton du Valais, du 24 no-
\fmbre 1848, est entré en vigueur le V juillet 1849. Du
reste, ce dernier Code [)Ourrait être daté de cent ans plu*^ tôt,
car il offre le spécimen curieux d'une procédure du xviiT siè-
cle. I^ système de la preuve légale est conservé par le Code
iT'juverncment italien a mis c*?s vt>Iiinu*R :iv\*c iiiip gracieus».' liU^alili', à la
disp<jsilion des criminalisles étrangers.
" Voy. le résumé des discussions di- la commission dans la Scuola posi-
tiva. 1904, p. 441.
" Klle a été analysée dans VAnn. (k //v/i.s/. ctr., t. iO, 1881, p. ttl .
^* Voy. Leforl, Ann. de Irt/isL ctr., t. 14, 1S8!'), p. 571.
112 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
du canioD du Valais; ou y parle encore de demi-preuve,
pour établir un fait, les dépositions uniformes de deux
moins irréprochables sont nécessaires. 11 y a bien un d(
oral, puisque les parties plaident devant le tribunal, mai
tribunal n'entend pas les témoins etjuge uniquement d'a|
les pièces de la procédure. Dans le canton de Vaud, le C
de procédure pénale, du 1" février 1830, est entré en vigu
le 1*' juillet 1830. Le Code de procédure pénale de Neuc
tel, Tun des plus récents et des plus progressifs, date
25 septembre 1893; il est devenu exécutoire le 12 ii
1894".
Il serait assez difficile de faire, entre ces divers Codes,
comparaison utile, car ils diffèrent assez profondément les
des autres".
c) Dans le canton du Tessin'*, le décret constitutionnel
8 novembre 1894, contient les bases d'une nouvelle orge-
sation en matière pénale. D'après la loi d'organisation ji
ciaire du 4 mai 1893, promulguée en suite de ce décret,
jugesde paix connaissent des infractions punies au maxim
de 100 francs d'amende ou de sept jours de prison ; les a
ses de district, des infractions punies de plus de 100 fra
d'amende ou de plus de sept jours de prison ou de délentii
les assises cantonales, des infractions qualifiées crimes,
cours d'assises — c'est une innovation intéressante —
composent simultanément de magistrats et de jurés, statu
en commun et connaissant du fait, du droit et de la pei
Cette loi, en 36 articles, a été suivie, à la même date, d
Code de procédure pénale en 3i4 articles.
IX. Pays-Bas. — La Hollande possède un Code de prc
-' Le Code proctVlont datait du 7 avril 1875 (Ann. de Icgisl, étr.,
p. 762 et suiv.).
'" ()e travail a iHé fait et bien fait par A. Gautier, au point de vu«» se
ment delà proct^dun^ d'instruction. V'>y. La réforme de Vir^lruction ;
paratoire (Hev. pénale suisHC^ 1904, p. 253 à 273). Quant à la procédun
jugement, nous aurons souvent à citer le Code de Genève qui a élab
jury correctionnel.
3' Voy. Ann, de léijis. èti\, 1800, t. 25, p. 560.
PROCÉDURE PÉNALE DAN8 LES LEGISLATIONS ÉTRANGÈRES. 113
dure pénale qui est caraclérisé, comme du reste les lois de
ce pays, par sa concision 6t sa brièveté (419 articles). Il est di-
Tisé en vingt-deux titres, dans lesquels les matériaux sont dis-
posés dans un ordre assez semblaV)le à Tordre des textes du
Code français. Il y a lieu de remarquer Tabsence de jury et
fin système de preuves légales dans un sens favorable à la
défense. Une loi du 15 janvier 1886 a introduit, dans ce Code,
certaines modifications pour le mettre en concordance avec le
Code pénal de 4881, mais les principes généraux n*en ont pas
cté touchés'*. Les particuliers ne peuvent, en principe, parti-
ciper t^ l'exercice de l'action publique que par voie de dénon-
ciation (art. il). Les deux actions, publique et civile, sont
complètement distinctes. Ce Code a interdit l'action civile,
d'une manière absolue, devant la juridiction criminelle. Il
ne l'a maintenue, devant la juridiction correctionnelle et de
police, que lorsque la demande étant inférieure à un certain
taux, il eut été préjudiciable aux parties de les obliger à faire
00 second procès (art. 231 et 253).
X. Grande-Bretagne. — Il y a lieu d'étudier la procédure
en Angleterre, en Ecosse et en Irlande.
à) Pas plus en 'Angleterre qu'en Irlande et en Ecosse, la
procédure pénale n'a été codifiée. Les tentatives mêmes qui
ont été faites, en 1878 et 1879, pour obtenir du Parlement ati-
glais l'adoption d'un projet de codification dû à sir James
Stephen, sont restées limitées au droit pénal. Dans les trois
Etats, la procédure a pour base, en partie le droit com-
mun [common law)^ en partie le droit statutaire [Statut
Jtnv).
Le droit commun est le droit coutumier qui est contenu
dans les sentences des tribunaux, ou le droit qui est créé à
nouveau par les juges par application analogique des disposi-
•** Voy. Van Swinderen, Es^iitissc du droit pénal actuel dms les Pay»~
BûJi et à i'étranger, R vol. in-4®, iH0i-i9()3. Les deux dpmiers volumos
sont des suppléments. Los Codes néerlandais ont ^[é traduits par Tripds.
Le Code de procédure pénale a W modifié, comme nous le disons au loxt»»,
[•ar une loi du ir> janvier !H86 (Ann. de làjisL rtr., 1886, p. 411).
«i. I». 1\ — I. 8
114 PROCÉDURE PÉNAJ.E. — INTRODUCTION.
t
tions en vigueur". Le droit statutaire, n'est autre que le
droit législatif.
Ce qui caractérise la procédure anglaise/c'est : 1"^ le régime
de l'accusation populaire; 2® l'absence d'une procédure d'in-
struction faite par un juge; 3° l'institution d'un double jury,
le jury d'accusation et le jury dejugement; 4* l'organisation de
fonctionnairesjuges de police, dans certaines villes, qui ont le
droit de juger sommairement les infractions légères et de ren-
voyer, dans les cas graves, devant une juridiction supérieure;
5" Texigence de l'unanimité des voix du jury de jugement
pour décider la culpabilité; 6° l'assistance d'un défenseur à
toutes les phases de la procédure; T"" l'arrestation facilitée par
la coutume, mais l'incarcération rendue difficile et exception-
nelle; 8** l'interrogatoire et l'examen des témoins par les
avocats des deux parties, par l'accusateur et l'accusé,- suivant
le procédé croisé [cross-examination).
En Angleterre, comme en France, les infractions sont ré>
parties en trois classes {ireasons^ félonies, misdemeanors).
Mais ce classement n'est pas en rapport avec l'organisation
judiciaire. Le jury est le juge de droit commun. La seule
division qui ait un intérêt juridictionnel est' celle des causes,
en sommaires ou indictables. Les premières sont de la compé-
tence des juridictions inférieures ou sommaires : juges de
paix, cours de petite session, cours de police. Les secondes
'^ Voy. comme source de nos renseignements sur rorganisalion judiciaire
et la procédure anglaise : de Franquevîlle, Les institutions politiques, judi-
ciaires et administratives de l'Angleterre (2« éd., 1864, 1 vol. in-S**); i(/..
Le système judiciaire de la Grande-Bretagne (2 vol. in-8*, 1893); Glassoii,
Histoire du droit et des institutions politiques, civiles et administratives
de VAngleterre [^ yo\, iu-8^ 1881-1883); Mitlermaier, Traite de la procédure
criminelle en Angleterre, en Ecosse et dans VAmérique du Kord, Irad. par
Chauffard (1 vol. in-8®, 1868) ; A. Prins, Étude comparative sur la procédure
pénale à Londres et en Belgique (Bruxelles. 1879); du Boys, Histoire du
droit criminel de VAngleterre, 3" vol. de l'histoire du droit criminel des
peuples modernes (Paris, 1860): Halton, Étude sur la procédure criminelle
en Angleterre et en France (Thèse duct., Paris, 1898); Seymour Harris,
Principii di diritto e procedura pénale inglese, trad. de Berlola (Vérone^
1898).
PROCEDURE PENALE DANS LES LEGISLATIONS ÉTRANGÈRES. lio
sont introduites par ces juridictions inférieures, mais portées
devant les juridictions supérieures et soumises au verdict du
jurv".
b) La procédure pénale de l'Ecosse" est à mi-chemin des
deu\ grands courants historiques. Elle tient le milieu entre le
système continental et le système anglais. Daos certaines par-
ties, elle est strictement inquisitoriale^^; dans d'autres, elle est
nettement accusatoire. L'action pénale, par exemple, est
confiée à des fonctionnaires spéciaux, à la tète desquels se
trouve le lord advocaie, niembre du Parlement; mais, à côté
de Paccusation officielle, est admise Taccusation subsidiaire
du particulier lésé''. Pour que le lord advocaie soit absolu-
ment indépendant, il n est responsable de ses actes que
devant le Parlement, de sorte que son action ne peut avoir
aucune efficacité quand Topinion publique lui est hostile.
c) La procédure de l'Irlande, est en partie empruntée au
système mixte, sans caractères propres, dignes de remar-
ques".
d) Dans les colonies anglaises, les lois et coutumes indi-
gènes sont respectées.
Un Code de procédure pénale pour les Iodes anglaises a été
promulgué le 22 mars 1898. Il remplace les Codes successifs
de 1861, 1871, 1882".
XL Russie. — Les grandes réformes sociales qui ont mar-
qué, en Russie, Tavcnement de l'Empereur Alexandre 11,
** Glasson, op, cil,, t. 0, p. 501).
** J. Dove WUson, professeur à rUniversilé d'AlM'rdecn, hr hi pvuvi dure
m
criminelle eu Ecosse, BulL de l'Un. inU de droit pénal, t. Il, 1903, p. 71
i 82. V'oy. sur Tensemble : J.-H.-A. Macdonalrl, A practival trrnlise on Ihc
rriminal laws of Scotlaiid (2« t'd., 1877), p. 2i0 à 550.
*• On croit généralement que la procédure préliminaire est moilelr*** ?iir le
système français du xvi« siècle, auquel, du reste, le système écossais ressem-
blait originairement davantage que maintenant.
" Du reste, raction privée est tombée en désuétude. \'oy. Mitlermait?r,
op, cit.f p. 214 et 21o; Glasson, Histoire du droit et des in>iHtufionfi politi-
ques, civiles et judiciaires de V Angleterre, t. 7, p. 732.
.. •• M^me phénomène qu'en lîcosse : abandon de l'actinn privée.
*• Voy. Notice et an^dyse dans A un. de h'i/isL rtr., 1899, t. 2K, p. [m k 970.
H6 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
telles que raffranchîssement des serfs en 1861, rabolîiioD des
peines corporelles en 1863, la reconstitulion, à la même date,
de Tadminislration provinciale (Zemstivo), ont été la prcface
des lois judiciaires de 1864*^. C'est à la date du 20 novem-
bre 1864 qu'entrèrent en vigueur les lois de procédure pé-
nale qui régissent encore la Russie. La nouvelle organisation
judiciaire repose sur les principes de la séparation des pou-
voirs judiciaire, administratif et législatif et de rinamovibililé
delà magistrature, sur la participation du peuple à l'ïidmî-
nistratiou de la justice par l'institution du jury et Télection
dos juges de paix. La procédure civile et secrète est remplacée
par la procédure orale et publique, la théorie des preuves lé-
gales, par celle des preuves de conviction. Le nombre des
degrés de juridiction^ qui entraînait des lenteurs indéfinies,
est limité, et, au lieu de la revision d'office des jugements,
c'est aux parties intéressées qu'est remis le droit de les attaquer.
Knfin, l'institution d'un tribunal de cassation, pris dans le
sein du Sénat dirigeant, permet d'assurer partout l'application
exacte de la loi.
Ce Code de procédure pénale prend pour point de départ le
système français, mais il l'adapte aux mœurs et aux traditions
russes. C'est une œuvre nationale et non une simple imita-
tion des Codes étrangers**.
A la suite des événements politiques et sociaux qui ont
marqué la fin du règne d'Alexandre II, et l'attentat mon-
strueux du r' mars 1881, une réaction contre ce système libé-
ral se produisit. Elle s'est manifestée, notamment, par la loi de
1889 qui supprime l'élection pour la désignation des juges de
paix et qui confond, à nouveau, les pouvoirs judiciaire et
administratif, en subordonnant le premier au second.
*" Kajjiiit'/, CoiU' d'onjaniHUtiou judiciaire de V Empire de Russie, édition
de 1883-1890, traduit et annoté, in-8% i893.
** J^armi les ouvrages écrits en Russie sur la procédure pénale, les plus
importants sont ceux de : Foïnitski, Cours de procédure pénale, iSSlj; Tall-
t»frg, Cours de procédure pénale, i890; Tshebyshew-Dmitriew, La pio^
ccdurti pénale russe, iH'i'r, Sloutshevvski, Cours de procédure pénale^
4S0O-1892. Aucnn de ces duvraj^es écrits en russe n'a été traduit en fran—
cais.
PROCÉDURE PÉNALE DANS LBS LÉGISLATIONS ÉrKANGÈHES. H 7
Néanmoins, les lois judiciaires et de procédure du 20 oo-
vembre 1864 ont exercé, sur le développement de la vie
juridique russe, la plus heureuse influence.
En même temps que la réforme du Code pénal qui vient
d'aboutir, une réforme analogue des lois judiciaires est en voie
d*e\éculion^^. Lies travaux de la commission ont été terminés
en 1899. Ils ont été publiés, et le projet est actuellement
soumis au Conseil de TEmpire. G^est à la conception d'une
procédure contradictoire, des le début de Tinslruction, que se
rattache la principale innovation du projet*\
On sait que le Grand-Duché de Finlande, ([ui est réuni k
la Russie, possède une législation spéciale et autonome. Son
droit positif a la môme origine que le droit positif suédois,
et l'histoire du droit des deux pays a eu un cours commun
jusqu'au jour où la séparation politique de la Finlande et de
laSuëde a permis à chacun de ces droits de se développer dans
son sens ethnique. Le Code pénal finlandais actuel date du
19 décembre 1889. Il est entré en vigueur le !•' janvier 1891**.
1^ procédure criminelle n'est pas codifiée. Elle fait l'objet de
lois nombreuses et successives, notamment des lois du 27
avril 1868, des 24 février et 3 mars 1873, etc., qui s'occupent
aussi de la procédure civile^*.
*- Voy. Margoline, Apcrni critique du )wuccau Çoik pénal russe ^ Paris,
1005), avec ma préface.
** Ces réformes ont été inspirées par Tancion ministre do la justice,
Moiirawiëw, qui a su donner à toutes les questions concernant Tadministra-
tioii de la justice pénale une direction très libérale et très vigoureuse. Voy.
Kapnist, Documents relatifs à In révision îles Codes d'organisation jndi-
Claire et de procédure civile et criminelle entreprise par ordre de S. M.
rt'tnpereur Alexandre III, du 7 avril IS9i,
** L.e Code pénal flnlandais a été traduit en frangais par Ludovic Beauchet,
professeur à la Faculté de droit de Nancy (Paris, 1800). Voy. les apprécia-
lions très intéressantes sur cette législation par Henri Joly, A travers VKu-
rope (Paris, Lecoffre, 1S98), En Finlande, p. 0 à 4k Sur la législation finlan-
daise, notice de M. R. Montgommery, \nn, de lè'jisl. étr,, t. 9, 1880, p. 727
a iOD.
** Sur l'organisation judiciaire: Répertoire (jènèral alpli, de droit fran»
raûf, V Finlande, t. 22, p. 256.
118 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
XII. Pays balkaniijues. — Nous groupons, sous celle éli-
quette, la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie.
a) Les différentes procédures avaient fait l'objet, en Bul-
garie, dès le temps de Toccupation russe, de règlements pro-
visoires, inspirés principalement des Codes russes. Depuis,
ces règlements avaient été remplacés par des lois nouvelles.
Seul, le règlement relatif à la procédure criminelle restait
encore en vigueur. Il a été remplacé par le Code de 1897**,
divisé en cinq livres : l"" de la compétence; 2^ de Tinstruction
préliminaire ; 3** de la procédure devant les tribunaux dépar-
tementaux (la procédure devant les justices de paix est réglée
par une loi spéciale du 3 juin 1880)"; 4** des manières de se
pourvoir contre les jugements; 5* de Texécution des juge-
ments. Les lois du 17 janvier 1900, du 26 janvier 1901, et du
20 janvier 1902 ont modifié et complété ce Code de procé-
dure pénale**.
b) Le Code de procédure pénale serbe date du 16 juin 1865.
Il est la copie fidèle du Code autrichien de 1853 qui lui a
servi de modèle. Les règlements judiciaires provisoires, éla-
borés lors de la création de la principauté, ont été remplacés
par des lois nouvelles, et le Code de 1865 a été profondément
modifié en 1880.
c) Le Code de procédure pénale roumain, inspiré de la lé-
gislation française, a été promulgué en 1864. L*organisation
judiciaire et la procédure de ce pays présentent la plus
grande analogie avec Inorganisation judicaire et la procédure
françaises.
XUI, Pays Scandinaves, — Nous comprenons, dans ce
groupe, le Danemark, la Suède et la Norvège.
a) La procédure pénale danoise est régie par diverses lois
dont les principales remonlent à 1845*'. Le minislère public
*® Notice et analyse dans Ann, deléyisL étr,, 1898, l. 27, p. 809 à 817.
*' Une loi de 1896 a modifié la procédure pénale devant les juges de paix
{Ann. de légisL étr., 1896, p. 778).
** On en trouvera Tanalvse dans le Bulletin de VUnion int. de droit
pénaly l. 12, p. 108.
*' C. Goos, Der danske Straffepro. (La procédure pénale danoise) (Co-
PROCÉDURE PENALB DA.NS LBS LÉGISIATIONS ÉTR/lNGàRE3. 119
a rinitiative des poursuites. Mais le Code pénal danois de
1866 décide que, pour certaines infractions, la poursuite peul
èive exercée par ia partie lésée et dans les formes de la procé-
dure civile, par exemple dans les cas d*injures et violences
légères (§§ 116, 200, 212, 215 à 222, 226, 233). Pour d^autres,
l'exercice de l'action publique est subordonné à la plainte de
la partie lésée, par exemple en cas d*adultère, d*atténtats aux
mœurs, de vols insigniHants, etc. (§§ 159, 174, 235, 236, 254,
278). Il n'existe pas de jury. Le tribunal criminel et de police
du premier degré, organisé, à Copenhague, par deux lois des
28 février 1845 et 24 mai 1879, se compose de onze membres
dont un président et dix juges inamovibles et nommés par
le roi'®. Chaque affaire doit être jugée par cinq magistrats.
Le tribunal connaît de toute affaire pénale et juge sans asses-
seurs ni jurés, quelle que soit la gravité de Tinfraction. Mais
toute condamnation à une peine excédant une amende de
20 couronnes, peut être déférée, en appel, à la Cour suprême.
6) La Suède est encore régie par des Codes de 1734 (civi),
pénal, commercial), modifiés par une série de lois qui les ont
adaptés aux institutions et aux mœurs actuelles''.
c) Le Code de procédure pénale norvégien du l'"" juillet
1887 est entré en vigueur le l*** janvier 1890. Sa principale
innovation consiste dans Tintroduction du jury, inconnu jus-
qu^alors en Norvège, et dans Tadaptation de la procédure à la
nouvelle institution '^^
prMihague, 1880). CVst également à C. Goos qu'est dû l'ouvrage le plus ira-
pt'irtanl sur le droit pénal qui ait paru en Danemark.
5*» P. Dareste, Ann. de législ. étr,, t. 9, p. 060; Beauchet, Etude sur
r organisation judiciaire danO'Horvvfjicnne, Bull, soc. lé'jisL comp,, i884^
l. 13, p. 128.
»» Voy. de la Grasserie, Les Codes suédois de /7i^-i, suivis des lois pos-
î»' fleures promulguées jusqu'à ce jour, traduits et annotés (1 vol. in-8%
I ftar>).
^* P. Daresle, Ann, de législ. étr,, t. 17. p. 711. Ce Code a été traduit, « ii
Maiie, par Brusa, Codice di procedura pénale, twrvegcse (ïraduzione, note
e ragionamenlo,Torino, 1900). Je renvoie à ce travail, qui est précédé d'une
remarquable introduction sur l'histoire de la procédure criminelle en Nor-
Y^pe et les caractères principaux du nouveau Code.
420 PEOCÉDURK PÉNALE. — INTRODUCTION.
XIV. Turquie. Égyple, — Le Code de procédure pénale turc
porte la dale du 25 juin 1879. Il comprend 487 articles.
L'Egypte est régie par le Code du 3 novembre 1883, modifié
en i899'^ Ces législations ne se séparent guère du type fran*
çais qui leur a servi de modèle.
Le Code de procédure péuale du Soudan porte la date du
2 octobre 1899 {The Sudan Code ofcriminal procedurey^.
XV. Amérique du Nord, — Les États-Unis de rAniérique du
Nord sont organisés en république fédérale. 11 y a donc deux,
espèces de législations, comme il y a deux espèces de tribu-
naux : la législation fédérale, la législation spéciale à chaque
État. La Constitution renferme la disposition suivante : « Les
« attributions non déléguées aux États-Unis par la constitu-
« tion fédérale, ni enlevées par elle aux Étals, sont réservées-
a à ces derniers respectivement ».
En conséquence de cette disposition, les tribunaux fédé-
raux, la Cour suprême des États-Unis, les Cours de circuit
et les Cours de district, ont une compétence criminelle exclu-
sive pour juger certaines infractions, telles que les crimes de
haute trahison envers les États-Unis, les infractions commises
sur un territoire fédéral, etc., et une compétence concurrente,
avec les tribunaux de TÉtat où Tacte criminel a été commis^
pour certaines infractions, telles que les contrefaçons et falsi-
fications de monnaies nationales, etc.
La législation des Etats-Unis procède de la législation an-
glaise^ à laquelle elle a emprunté sa common lato et ses
anciens statuts, de sorle que, pendant longtemps, elle fut
exclusivement composée, comme en Angleterre, de disposi-
tions coutumicres, complétées et modifiées par des lois spé-
cialement votées. Depuis quelques années, un mouvement de
codification s*est produit dans la plupart des États, et, aujourd'-
hui, beaucoup d*eutre eux possèdent, soit des Codes portant
^3 Notice par Vidal-Boy, ^\/</?. de IcyisLctruHu., 188 1, p. 782. Modifications
en 1899 : Atin. de Icgisl. ctrany.^ 1000, t. 29, p. o3*. Le Code de procédure
pénale turc est traduit on allemand dans la cnllection des Codes étrangers
du supplément du Bulletin de l'Union intern, de droit pénal (Berlin, 1905).
•»* Notice et analyRu dans Ann, de lefjisLelrany., 1900, t. 29, p. 572 à 075.
PBOCÉDURE PÉNALE DANS LES LEGISLATIONS ÉTRANGÈRES. 121
sur uae braache spéciale du droit, soit des Codes comprenant
plusieurs matières juxtaposées. C'est ainsi que la procédure
pénale a été codifiée particulièremeut dans TËtat de New-
York*'. Le Gode de 1881, qui reproduit assez exactement la
moyenae des institutions américaines, peut être pris comme
type du régime de la procédure criminelle dans ce pays. A ce
point de vue, les législations des États-Unis présentent, avec
la législation de TAngleterre, les différences suivantes : P II
existe un ministère public chargé de la poursuite des crimes
et délits dans tous les États de TUnion et près des juridictions
fédérales'*. Devant les cours inférieures {not o f record) seuU's^
son action est facultative. 2° La composition du grand et du
petit Jury, diffère dans les deux pays : elle est plus démocra-
tique aux États-Unis. Les noms des jurés sont tirés au sort,
dans la plupart des États, sur une liste dressée par une
commission de fonctionnaires et de magistrats. Eu Angleterre^
c'est encore le sheriff qui est chargé de choisir le jury de
session, sur une liste de personnes réunissant certaines con-
ditions de cens, de domicile et de capacité, liste formée par
les inarguilliers des paroisses et les administrateurs de la taxe
des pauvres. 3"* La procédure est moins formaliste aux États-
Unis qu'en Angleterre. Les vices des actes de procédure sont
inopérants s'ils ne portent pas atteinte aux droits essentiels
de la défense. Le serment peut être remplacé par une affir-
mation solennelle.
** Code de procédai e criininrllc (/• rÊtat de ScW'Yurk, traduit pur An-
dré Fournier (Larose, 1803).
s^ C'est k ce point de vue seulement que se tait seiidr, dans la législation
criminelle des Etats-Unis, rintlucnce Tiançaise. L'insécurité et l'impunité
qui, dans un pays neuf et lurmé d'éléments ethniques ditférents, auraient été
la conséquence du système de poursuite anglais qui abandonne la répres-
sion à l'initiative privée, ont amené les Américains, dès la fin du xvui* siè-
cle, à confier, à un fonctionnaire spécial, le soin do poursuivre et d'assurer
:a répression. Mais les attributions relatives à la police judiciaire et à l'exé-
cution des décisions de justice S()nl restées étran^pMvs au « public prusc-
c'.ttor f» américain. Fournier (t»p. a7. , p. D) t'ait observer que Timitation s'est
faite en prenant. pour modèle le ministère public tel «luil était constitué
auprès des juridictions d« Tancien régime français.
122 PROCÉDURE PÉNAI-E. — INTRODUCTION.
Mais, en faisant abstractioa de ces différences, et si on envi-
sage, dans son ensemble, la procédure criminelle des États-
Unis, c'est le système accusatoire anglais dont cette procédure
reproduit le type : i"* Dans Tinstruction préalable, publique
et contradictoire, Tinculpé a le droit d*être assisté d*un avo-
cat et de ne pas subir d'interrogatoire; 2"" La détention préven-
tive, réduite à son minimum de sévérité et de durée, ne peut
être aggravée par Tinterdiction de communiquer; 3"" La mise
en accusation est ordonnée par un jury spécial ; 4^ Toute per-
sonne poursuivie en matière pénale a, si elle n'y renonce pas,
le droit d'être jugée par le jury; 5"* L'instruction est faite par
chaque partie et Timpartialité du juge est assurée par son
rôle effacé dans Tadministration de la preuve; 6** De nom-
breuses garanties sont données à l'accusé, par l'unanimité
exigée pour l'existence du verdict de culpabilité, par Tinter-
diction de tirer des antécédents de Taccusé une présomption
contre lui, par le délai qui doit s'écouler entre le verdict et la
sentence, par les délais et les conditions des voies de recours.
XVI. Amérique du Sud. — Les États de l'Amérique du
Sud présentent, dans leur loi de procédure pénale, des varié-
tés nombreuses, mais les points de comparaison qui existent
entre elles tiennent à ce que ces lois dérivent de la législation
espagnole.
Un Code pénal et un Gode de procédure pénale ont été
promulgués, dans le Venezuela, le limai 1897, et sont entrés
en vigueur le 20 février 1898 '^ Le pouvoir législatif des
différents États et celui du district fédéral sont autorisés à
adopter Tinstitution du jury qui fonctionnera conformément
aux règles établies par le Gode de procédure pénale.
Le Gode de procédure pénale des États-Unis du Mexique a
été promulgué le 6 juillet 1894*'. Ce code n*a pas modiGé la
procédure; dans sa partie relative à Torganisation et au fonc-
tionnement du jury, il reproduit la loi du 2i janvier 1891
{Ley de Jurados),
*^ NotiL-e el analyse dans An/u de législ. riv.j i89H, t. 27, p. 963 à 966.
58 \nh. ih: IcgisLélr., 1895, 1. 24, p. 946 et 947.
I
rfVr|
PROCÉDL'KE PKNAI.E DANS LKS LÉ(iISI.ATI()NS ÉTKAN^.KRES. 123
En Bolivie, le Code actuel date du G août 1888. H n'est,
^\, . en réalité, qu'une révision du Code du 8 février 1858.
.:-j.. Cette législation rentre dans le cadre de la législation cspa-
bli: i gaole à laquelle elle a emprunté ses principales règles ".
u V. i Le Code de procédure pénale de la République argentine,
adopté le 4 octobre 1888, est entré en vigueur le l"'' janvier
1889 •".
a D> Le Code de la République de TÉquateur date du 9 sep-
tef^r lembre 1890".
ce i-,' XVIL Japon. — Le Code de procédure criminelle a été arrêté
ite [: et promulgué en 1880 avec le Code pénal". Les deux Codes
ir V ont force de loi depuis le 1**' janvier 1882. Ils s'inspirent plus
n-jx- particulièrement Tun et l'autre de la législation française *\
iut^... 65. Les trois problèmes principaux, que soulève la procé-
ptj.^ dure criminelle, concernent l'organisation et le fonctionne-
et : J ment soit de ïadion, soit de Yinslruction, soit du jugement.
Liur^l Comment ont-ils été résolus par les législations européennes?
I. Conformément au vieil adage germanique : « pas d'accu-
if^l sateur, pas de juge *S>, les tribunaux répressifs ne sont aujour-
ter;l d'hui appelés à statuer que sur les infractions qui leur sont
icsl soumises. En France, « l'action pour l'application des peines
n'appartient qu'aux fonctionnaires auxquels elle est confiée
etf I pai* 1& ioi », c'est-à-dire au ministère public (C. instr. cr.,
rK I Art. 1). Mais l'omnipotence du ministère public est limitée
par le droit qui est reconnu aux parties lésées de saisir soit
les tribunaux de répression, soit le juge d'instruction.
C'est le système qui est admis, presque partout, dans les
législations européennes. L'institution du ministère public,
•• Voy. Tandlyse succincto faite par IT. Pru(lliomme,ilans UnU, tic l'Union
intem. de droit pénal, t. 12, p. i4S à 152.
*** Voy. Daireaux et Theuraull, .1////. de Icyisl, ttr,^ 1H8S, p. 10*2.
''• Henri Prudiioinme, Ann. de UyisL ètr., 18UU, p. 973.
" Une Iraduclion française officielle eu af^lé donii^^e à riinprimerie natio-
nale de Tokio au mois de mars 1881.
"* Sur le Code de procédure pénale : van lîamel, lier, tir dnnt. int, et de
Uyi^L comp., 1882, t. 14, p. 512.
** Wo Kein Kliiger ist, ist Kein Ilichter.
424 PROCÉDURE PÉNAIiE. — INTRODUCTION.
dont l'origine est bien française, a fait le tour du monde.
Elle existe, avec des différences inévitables d'organisation,
dans la plupart des Étals. Toutefois, trois législations peuvent
élre prises, comme type d'études, au point de vue du rôle
qu'elles réservent aux parties privées.
Dans le Code allemand, Taccusalion est, en principe, con-
fiée au ministère public. Mais la partie lésée n'a pas le droit
d'agir, même au point de vue de ses intérêts civils, devant
les tribunaux de répression. Elle demande la réparation du
préjudice qui lui a été causé aux tribunaux, ordinaires. Il
existe, toutefois, deux institutions qui tendent à limiter et
à expliquer ce caractère particulier de la procédure germani-
que. On trouve, dans le Gode allemand, un grand nombre
d'infractions pour lesquelles la loi s'en rapporte à la victime ou
à ses représentants légaux, relativement à l'opportunité de
la poursuite, le ministère public n'ayant le droit d'agir qu'au-
tant que son intervention a été sollicitée par la victime. La
partie lésée peut aussi joindre son action à l'action publique
lorsque la loi lui accorde le droit de réclamer une com-
position [Busse). La composition est une réparation pécuniaire
d'une nature spéciale qui diffère, à la fois, des dommages-
intérêts et de Tameude : des dommages-intérêts, en ce qu'elle
n'est pas égale au préjudice et ne peut être réclamée que du
coupable, accessoirement à la peine et dans les limites d*un
maximum fixé par la loi; de l'amende, en ce qu'elPè n'est pas
attribuée au Trésor, mais à la partie lésée et ne peut pas, en
cas de non-paiemenl, être convertie en prison.
lin Autriche, si le ministère public est le principal repré-
sentant de Taccusation, il n'en est pas le représentant exclusif.
Deux institutions viennent limiter son pouvoir. L'accusation
peut être soutenue par la personne lésée dans un grand nom-
bre de cas (art. 4G et suiv.). De plus, le Code de 1873 admet
Vaccusaiion privée subsiivnre^ c'est-à-dire, en cas d'abandon
de Taclion publi(|ue par le ministère public, le droit, pour la
partie lésée, de reprendre cette action à la place du ministère
public et de conclure à l'application de la peine (art. 48).
ËnTm, le ministère public ou l'accusateur privé est maître de son
PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS ETRANGERES. 125
action,en ce double sens qu'il peut saisir direcU>mentlui-mêiTie
la juridiction de jugement sans renvoi d'une juridiction d'in-
struction quelconque (art. 207), et que, après avoir saisi, il peut
abandonner son accusation el dessaisir le juge. Ce sont là les
traits caractéristiques de la procédure autrichienne au point de
vue de la participation des particuliers à l'accusation publique.
En Espagne, les membres du ministère public ou fiscal
{représentantes del ministerio fiscale) ont les mêmes attribu-
tions qu'en France en ce qui concerne l'exercice de Faction
publique. Mais, d'une part, le Code espagnol admet Y accusa-
tion p9it)ée \iO\xv certains délits, tels que la calomnie, l'injure,
certains attentats aux mœurs, et ordonne au ministère public
de se joindre à la partie lésée. D'un autre côté, ces exceptions
mises à part, l'action tendante la répression des faits punis-
sables est populaire : il suffit d'être citoyen et de jouir de la
plénitude des droits civils pour l'exercer. La société ne reste
pas désarmée en présence de Tinertie habituelle, il faut bien
le reconnaître, des simples particuliers. Son représentant, le
ministère public ou fiscal, est tenu d'intenter des poursuites
toutes les fois qu'un fait lui paraît en comporter. Les prati-
ciens espagnols que nous avons pu consulter déclarent même
qu'en fait, c'est toujours le ministère public qui poursuit.
L'institution du ministère public n'existe pas en Angleterre.
•• Qaand une infraction a été commise, aucun magistrat ne
^ se lève pour prendre en mains les intérêts de la société me-
*• nacée. Mais tout particulier, lésé ou non, a le droit d'agir.
* Personne ne peut être contraint de se porter accusateur,
« sauf de rares exceptions, et, de leur côté, les magistrats ne
i< peuvent pas poursuivre tant qu'il n'a pas été formulé d*ac-
« cusation précise »^*. Les tentatives faites pour constituer un
ministère public en Angleterre ont échoué, et Vattorney ge-
neral et son auxiliaire, le solicitor gênerai, sont des person-
nages plus décoratifs qu'utiles.
L'organisation du ministère public, qui existe en Ecosse et
en Irlande, offre certaines analogies avec l'organisation fran-
*•* Olaftson, o/>. cit., t. 0, p. 72 'k
i
126 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
çaise. L'Ecosse possède, depuis longtemps, un mioistère public
assez fortement constitué pour que l'accusation privée n'eiiste
qu'à rétat de souvenir". L'Irlande a un attomey gênerai,
aidé de crown solicitors^ dont les fonctions sont permanentes.
La plupart des États-Unis d'Amérique ont un ministère pu-
blic représenté par un attorney gênerai et par des avocats pu-
blics de district qui ne cessent pas de faire partie du barreau.
II. La plupart des États européens font une place, dans
leur législation, à Tinstruction préparatoire.
Cette procédure est fondée sur cette idée qu'il faut ne sou-
mettre aux juridictions de jugement que les accusations so-
lides en fait et en droit et garantir la liberté individuelle des
inculpés en établissant une barrière avant tout procès. Intro-
duite par le Gode français de 1808, cette procédure a marqué
un progrès remarquable dans la législation pénale. Elle a passé
dans la plupart des Codes de l'Europe continentale et, durant
plus d'un demi-siècle, elle a été considérée comme une con-
quête de la civilisation juridique. Depuis quelques années, un
courant scientifique très intense parait lui être défavorable.
D'une part, on reproche, au principe obligatoire et absolu du
contrôle de l'accusation par le pouvoir judiciaire, la lenteur
du système et l'impossibilité pratique, pour les magistrats, de
faire une étude consciencieuse des dossiers. D'autre part, on
constate que l'accusation est entravée et que les responsabilités
s'éparpillent et se diluent sans profit bien réel pour l'accusé"*
^^ Sur cette organisation : J. Dove Wilson, huU, de l'Un, int. de droit
pénal, t. ii , p. 71 à 73 : « La poursuite des crimes en Ecosse est du ressort
du ministère public et se fait aux frais de TÉtat. Lorsque le ministère public
s*est saisi de Paffaire, le plaignant n'a pas le droit de porter plainte dans
une cour criminelle. Au cas où le ministère public refuserait d'intervenir, le
plaignant a le droit de poursuivre. Il est extrêmement rare, cependant, qu'un
plaignant exerce ce droit, et, durant une longue expérience, je ne l'ai jamais
vu exercer avec succès ».
•"^ On peut suivre le développement de ces critiques dans les ouvrages
suivants : — Romagnosi, Progetto dcl codice di procedura pénale pel ces-
saio regno d'italia, 4* éd., 1838; Ultime aggninte e riforme al progetto,
p. 25i. — Glaser, Vber Vorsetznng in Anklagestand in Kleine Schriften
fjther Strafrecht und Strafprozess, 2«éd., 1883, XVII, p. 437 à 5-20. — Bar,
PROCÉDURE PBK&LE DANS LBS LEGISLATIONS ÉTRANGÈRES. 127
Ed Praace, l'iastrucliou est obligatoire en matière crimi-
nelle, facultative en matière correctionnelle : elle n'a pas lieu
pour les contraven lions de police. Celte distinction entre la
petite et la grande criminalité est, en général, acceptée, avec
des différences de détail dans l'application. En Allemagne,
par exemple, on ne soumet à aucune instruction préalable les
affaires du ressort du tribunal d'échevins. La procédure d'in-
struction préalable est, au contraire, obligatoire lorsqu'il s'agit
de poursuites devant la cour d'assises ou le tribunal de l'Em-
pire. En matière d'infraction relevant des tribunaux régionaux,
une information peut être ouverte lors(|ue le ministère public
eo fait la demande ou lorsque l'inculpé réclame une enquête
judiciaire dans l'intérêt de la défense. Le tribunal peut aussi,
ce qui lui est interdit en France, ordonner l'ouverture d'une ■
information (art. 200). En Autriche, l'instruction préalabK^
n'est obligatoire que s'il s'agit d'un crime dont la cour d'as-
sises doit connaître (art. 91).
La plupart des Codes distinguent et s'efforcent de séparer
l'enquête préalable, conduite par la police, d'avçc l'instruction
proprement dite, confiée à la justice. C'est un juge, membre
du tribunal de première instance, qui, dans tous les pays du
continent européen, a cette dernière fonction. Le juge d'in-
struction est investi des pouvoirs les plus étendus pour en-
tendre les témoins, interroger l'inculpe, faire les constatations
sur les lieux, ordonner des visites domiciliaires, des saisies,
procéder à l'arrestation de l'inculpé et le mettre sous la main
de justice.
Mais par quelles institutions appropriées limitera-t-on et
contrôlera-t-on l'exercice des pouvoirs formidables qu'il est
nécessaire de donner au juge d'instruction et au ministère
poblic dans cette phase de la procédure?
On pourrait songer, d'abord, k la garantie de la publicité
Rnltl und IleweÎK im OetchwoTiiengerichl, p. liVi. — IJirrara, npiueoli.
l. 6, p. MO. — CHSOrali, It pnicenso pénale c te rifoimp. JH81, VII; U gui-
iHtiodi accuta c le rifotme, IK81, VII. — Cfsarini, llirhlu pruale. 1870,
p. 300, — Maniiucoa e Vacca, La procediira peutilr >• la suc evoluiione
teUntifiea, 1888, p. 'X — .Mimeiia, HivuUi pemiU; I. :n, I89:i, p. 125.
128 PROCÉDURB PÉNALE. — INTRODUCTION.
de rîQstruclion. Aucun des Codes du continent ne la consa-
cre. Le Code autricliieD ne parle que de la publicité des dé--
bals (art. 228). Le secret de Tinstruction a été maintenu en
Allemagne. Les Codes de Fribourg et du Valais déclarent, en
Icnnes catégoriques, que les actes de l'instruction ne seront
point publics. A Genève, le projet de Code d'instruction cri-
minelle, présenté en 1881, introduisait la publicité complète
dans la procédure d^nstruction. Mais cette proposition fot
rejetée". A Ncucliâtel, le Code de 1893, laisse au jugé d'in-
struction l'option entre la publicité et le huis-clos, s'en remet-
tant à lui pour choisir, dans chaque cas, la méthode la plus
favorable à la découverte de la vérité*'.
Le moyen le plus efficace, pour protéger l'inculpé contre les
abus de l'instruction, consiste à lui accorder l'appui d'un dé-
fenseur, capable de Téclairer sur ses droits, de le mettre en
^arde contre les pièges qui pourraient lui être tendus, de lui
inspirer les résolutions à prendre et les mesures à solliciter.
La loi française du 8 décembre 1897 a réalisé, à ce point de
vue, une réforme depuis longtemps réclamée; elle l'a réali-
sée dans des conditions qui placent notre législation à l'avant-
garde des législations progressives. Mais nous constaterons
que, depuis 1873, en Autriche, Tinculpé est, pendant l'instruc-
tion même, autorisé à choisir un défenseur, « soit pour veil-
ler à la conservation de ses droits à chaque acte de la procé-
dure qui intéresse directement rétablissement du fait et qui
ne peut être renouvelé plus tard, soit pour suivre son recours
déjà formé par lui » (arl. 45). Celui-ci ne peut pas, il est vrai,
assister à Tinterrogaloire de l'inculpé, ni à l'audition des
témoins, mais la loi lui donne, d'une façon expresse, le droit
de prendre communication des pièces (art. 45).
Le Code allemand autorise l'inculpé à se faire assister d^un
^^ Henseignonioiits int<Tess;mts sur co point donnés par A. Gautier, La
rrfoime de l'ihshnctiou juralabie, lU'i.pruaie sumi\ 1904, p. 239.
*^' Il fiaraît, du reste, <|u*\ depuis la mise en vigueur du nouveau Code
(1" mars ^804), l'iMiqurt»* publique, prévue à litre facultatif par rarlicie 286^
n'a pas une seufi' fois (Ht'nrd()nn«»e (A. OautifT, 1m réforme de finslntction
préalable, Uente pcna le suisse, 1 90 V, p. 239).
PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LEGISLATIONS ETRANciÈRES. !2*l
défenseur dès le dcbiil de riuformaliou (art, 137); il permet
même aujuged'eo désigner un d'office, lorsque Tinculpé a
oégligé d'en choisir un lui-même (art. 142). Toutefois, ce
défenseur n*a qu*un rôle assez effacé. H ne peut assister ni à
l'inlerrogaloire de rinculi)é (art. 190), ni à Taudilion des té-
moins (art. 191). Les droits du défenseur se résument dans la
faculté d'assister, seul ou avec Tinculpé, à quelques actes
extérieurs de la procédure. Le dossier complet ne peut lui
être confié que si le juge estime que cette communication est
sans inconvénient au point de vue du but qu*il se propose
d'atteindre (art. 147). En Suisse, les Godes se divisent. Ceux
deFribourg et du Valais refusent un défenseur au prévenu
tant que dure l'instruction. Les Codes de Vaud, de Neuchà-
lel, de Genève organisent, d'une façon plus ou moins com-
plète, la défense dans l'instruction.
Eq Russie, l'instruction préalable reproduit, dans ses gran-
des lignes, la procédure française, telle qu'elle existait avant
la loi du 9 décembre 1897. Le juge d'instruction est obligé
d'informer, soit qu'il ait été avisé par la police, soit qu'il ait
été saisi par une plainte de la victime ou par une réquisition
du ministère public. La procédure de cette instruction est
secrète. La défense n'est ni représentée, ni admise. Le projet
de réforme du statut d'instruction criminelle russe de 1864
se rattache, au point de vue de la contradiction, au système du
Code autrichien de 1873 et non à celui de la loi française de
1897.
Un dernier contrepoids aux pouvoirs exorbitants du juge
d^insiruction consiste dans l'organisation de juridictions d'in-
struction, distinctes et indépendantes du juge, et chargées,
soit de contrôler les actes de l'instruction, soit d'en apprécier
les résultats. Trois systèmes principaux sont en présence et
trouvent leur expression dans les législations actuelles. Indé-
pendance et autonomie du juge d'instruction, soit au cours
de l'instruction, soit à sa clôture : c'est le système d'examen
de rinformation par le juge môme qui Ta dirigée. Indépen-
dance du juge au cours de l'instruction, mais examen de
i'informalion par une juridiction spéciale. C*esl le système
G. H. P. - L 9
430 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
suivi dans tous les Codes suisses des cantons romands. Con-
trôle du juge au cours de Tinslruction et solution de la procé-
dure par une juridiction indépendante. C*est le système des
Godes allemand et autrichien.
Mais cette dernière législation, sous Tinfluence scientifique
de Glaser, contient, à ce point de vue, une formule qui pa-
raît heureusement concilier les diiïérents intérêts qui se
heurtent dans Tinstruction. Elle écarte la procédure, obliga-
toire chez presque tous les peuples du continent, des mises
en accusation par un collège judiciaire. Cette fonction est
attribuée, en principe, au ministère public : le contrôle de la
mise en accusation par une chambre do la cour d'appel n*a
lieu qu'en cas d'opposition de racciisé contre Tacte d'accu-
sation du ministère public. Par suite de cette nouvelle orga-
nisation, les défauts souvent signalés du type français dispa-
raissent. La cour est réintégrée dans son rôle judiciaire naturel
qui consiste à arbitrer un débat entre Taccusateur et Taccusé.
Ce nouveau système a été admis par le Code de procédure
hongrois de 1896 et par le Code du Tessin de 1895.
La procédure anglaise est toute dififércnte de la procédure
du continent. Là, point déjuge d'instruction, point de secret.
I^ police devant les tribunaux n'est que partie plaignante;
elle est mise s!ir le même pied que le*s particuliers. Tout in-
dividu arrêté doit être conduit devant le magistrat qui, arbi-
tre impartial entre l'accusation et la défense, ne recherche
rien par lui-même et ne se met pas en enquête. Pour com-
prendre la marche du procès, il faut distinguer les causes
sommaires des causes indictables. Les premières sont défé-
rées directement, sans autre instruction que celle qui est faite
par le plaignant, aux cours de petites sessions ou, dans cer-
taines villes, aux cours de police, et jugées, séance tenante,
sans instruction préalable. Les secondes, les causes indicta-
bles, ainsi appelées parce qu'elles ne doivent être jugées
qu'après information (indtctement), sont également portées
devant les cours de petites sessions ou les cours de police, qui
jouent le rôle de juridiction d'instruction. Ces cours enten-
dent les témoins, interrogent laccusé, recueillent les rensci-
PROOEDURE PÉNALE DANS LES LÉGISLATIONS ÉTRANGKRES. 131
gnements. Et loiit celascfail, publiqucmenl, contradictoire-
ment. Les procès-verbaux de la procédure sont rédigés par
les grefCers, ils sodI sigoés par les témoins et envoyés, a%'ec
lacté d'accusation, à la cour d'assises '°.
Actuellement, il n*y a pas de juge d'instruction en Ecosse.
Le mécanisme des poursuites criminelles se compose du mi-
nistère public et des cours criminelles. Il existe, dans les
comtés écossais, plusieurs fonctionnaires connus sous le nom
de « procureurs fiscaux » et qui sont, en réalité, des procu-
reurs du roi. Les membres du 'ministère public au[»rès des
différentes cours sont presque invariablement des avoués;
quelques-uns sont avocats. A la différence du chef du minis-
tère public, le « Lord avocate », et de son personnel, qui doi-
vent résigner leurs fonctions après tout changement politique,
les procureurs du roi sont inamovibles et conservent leur
office ad vitam aut culpam. C'est au ministère public qu'il
appartient de rassembler les preuves et il est de pratique con-
stante que cette instruction se fait tant à charge qu'i\ décharge.
Le « Lord avocate » décide, sur le dossier qui lui est transmis
par les officiers du ministère public, s'il y a lieu à poursuite
et détermine, en même temps, d*aprés le maximum de la peine
qu'il estime pouvoir être infligée, si l'affaire doit être portée
devant la Cour suprême, devant le sheriff ou un jury, ou si
elle doit être jugée sommairement. Il n'y a pas d'appel pos-
sible contre la d(k;ision du « Lord avocate » dans une affaire
quelconque, soit pour ou contre la poursuite. Le seul recours
admis est un recours politique devant le Parlement.
III. La physionomie de la procédure de jugement, dans les
divers pays de l'Europe, s'accuse plutôt par des traits com-
muns que par des différences essentielles. L'évolution s'est
"^^ Sur louB ces points, Glassnn, op, cil.j t. 6, p. 7o'i-; Millennaicr, np.
cit., p. 8i à 109; Guérin, Étud*' ffur Ui procédurf criwiueJlc t*n Amjh'fpriv
eten Écime, iS90. On lira les inl<^ressanls n»nseip:nements, roiirnis sur la
proc«^dure anglaise d'inslruction, par sir Howard Vincent ^ancien directeur
des affaires criminelles à Londres et auteur du Code de police, aujuuni'hui à
la 12* t'dilionlt au Congrès de l'Union internnlionale de Snint-Pélersliourfj:
^BulL de VUn., <903, p. 170 à 182, p. 204].
132 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
faite partout dans les direclious suivantes: i"" Séparation, en
plusieurs groupes, des tribunaux et des procédures, corres-
pondant au\ divers groupes d'infractions: mais égalité de tous
les prévenus devant la loi et la procédure pénales; 2° Intro-
duction et extension du jury appelé à siéger à côté ou avec
les magistrats de profession. Le jury existe dans presque tous
les pays de TEurope et de TAniérique. On peut citer, comme
faisant exception, les Pays-Bas, dans lesquels les crimes mêmes
sont jugés par des cours provinciales composées de magistrats
qui n'ont pas siégé dans la mise en accusation, et les pays
Scandinaves, réfractaires à Tinstitution du jury '^ 3"* Publicité,
contradiction, oralité des débats. En tous pays, en Allemagne,
en Angleterre, en Autriche, en Belgique, en Portugal, etc.,
les débats sont publics, à peine de nullité. De même, c'est une
règle universellement admise que les témoins déposent orale-
ment. Enfin, le débat est contradictoire; Taccusateur et Tac-
cusé devant être placés dans des conditions d'égalité, Tassis-
tance d'un défenseur est universellement organisée.
IV. Dans les affaires de peu d'importance, et notamment en
cas de délits légers ou de contraventions, la tendance générale
est de simplifier la procédure pour rendre la répression plus
rapide et moins coùteuse'^ Les différents modes de simplifi-
cation, adoptés par les législations actuelles, se ramènent
aux trois systèmes suivants : i° la procédure sommaire par
voie de comparution immédiate; 2^ Textinction de l'action pu-
blique moyennant le paiement volontaire de l'amende qui
menace le délinquant ; 3"" les ordonnances pénales sans procé-
dure judiciaire.
Le premier système se réalise par une procédure qui ne se
"' En Danemark, en deliors de Copenhague, c'est seulement lorsqu'il
s'agit de prononcer la peine de mort que le juge doit se faire assister de
quatre jurt^s ayant voix délibérative. Beauchet, Bull, de la Soc, de législ.
comp., t. 13, p. 133. En Norvège, le Code de procédure pénale du !•' juillet
1887 a introduit, pour la première fois, le jury. En Suède, le jury n'existe
que pour les alTaires de presse.
"'^ Voy, sur ce point : Tcheglowitow, La procédure en matière de con»
tra vantions [BulL de l'Un, in ter. du droit pénal, L iO, 1902, p. 352 à 365).
i
PROCÉDURE PÉNALE DANS LES LEGISLATIONS ETRANGERES. 433
distingue de la procédure ordinaire que par sa rapidité : le
prévenu comparaît sans citation, sur simple avertissement, ou
même par traduction immédiate à la barre du tribunal. Le
droit français connaît et pratique deux institutions qui ont ce
caractère et ce but de simplification : la procédure des flagrants
délits, et la comparution devant le tribunal de police sur sim-
ple avertissement.
Les deux autres procédés dispensent de toute poursuite de-
vant les tribunaux, sauf opposition du prévenu, s'il n'acce[)te
pas la décision.
Le paiement volontaire de l'amende n'existe dans le droit
français, qu'en matière de délits fiscaux, contributions indi-
rectes, douanes, etc. L'amende légale peut même être dimi-
nuée, par l'Administration intéressée, qui a le droit de tran-
siger avant jugement. Le Code pénal des Pays-Bas contient
une disposition, l'article 74, consacrant l'extinction de l'action
publique moyennant le paiement par l'inculpé du maximum
de l'amende qu'il aurait encourue pour le fait incriminé.
Toute procédure judiciaire devient, en effet, inutile dans
ce cas, puisque le coupable se soumet à la pleine rigueur
de la répression. Mais ce système ne serait pratique que s'il
était permis au ministère public ou au juge de transiger,
avant tout jugement, en faisant payer, à Tinculpé qui avoue
sa faute, une somme arbitrée suivant les circonstances.
C'est à ce concept que se rattacbe une institution qui n'a
pas son analogue dans la législation française, celle des
ordonnances pénales [Mandatsverfahren)^ par lesquelles le
juge condamne l'inculpé sans l'entendre et sans procédure
antérieure. Cette méthode sommaire a été empruntée, par le
Code autrichien de 1873, aux anciens Codes de plusieurs États
allemands. Aux termes du § 460 du Code de 1873, le juge, à
qui l'on a dénoncé un inculpé se trouvant en liberté, à raison
d^ine contravention punie de Temprisonnement pendant un
mois au plus, ou d'une amende simple, peut, s'il trouve qu'il
n'y a lieu qu'à un emprisonnement de trois jours au plus
ou h une amende de quinze florins au maximum, prononcer,
dans une ordonnance pénale {Slrafverfûgung)^ la peine
134 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
encourue, sur la demande du ministère public, sans procédure
antérieure. Un droild*opposilion contre Tordonnaiice du juge
est réservé au condamné, s'il préfère qu'on observe, à son
égard, les formes el les garanties de la procédure ordi-
naire. Ce système a été généralisé, en Allemagne, par le Code
(le TEmpire de 1877, dont le § 447 est ainsi conçu : « Dans
« les affaires qui sont de la compétence des tribunaux d'éche-
« vins, le juge de bailliage peut, sans débats préalables, et
« lorsque le ministère public le requiert par écrit, prononcer
« une condamnation par une ordonnance pénale écrite. On
« ne peut, par ordonnance pénale, prononcer d'autre peine
« que Tamende décent cinquante marks au maximum, lapri-
« vation de liberté pour six semaines au plus et la confiscation,
« s'il y a lieu ». Le droit d'opposition à l'ordonnance pénale,
est organisé par les §§ 449 à 452.
Le système des ordonnances pénales fonctionne, dans plu-
sieurs cantons de la Suisse, entre antres, dans ceuxdeSoleure
(C. de proc. pén. de 1866, art. 388), de Claris (C. de proc.
pén. de 1899, art. 171 à 186). 11 a été adopté par le Code
hongrois de 1896 (art. 532 à 535) et par le Code norvégien de
1887 (art. 287 à 290). En Norvège, les ordonnances pénales
sont rendues par le ministère public. Il est question d'intro-
duire le régime des ordonnances pénales en Italie, en Russie,
en Danemark.
Ce procédé, dont le principal avantage est de permettre à
l'inculpé d'éviter les débats publics, rend de grands services
dans les pays qui le pratiquent. A la condition de réserver au
condamné la faculté de recourir à la procédure ordinaire, ce
système ne paraît pas être en désaccord avec les principes
fondamentaux de la procédure criminelle.
§ Z. ~ LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE DE LA PROCËDURB PËNAL£«
. On dégage deux périodes duns Thisloire litléraire de la science de la procédure
pénale, dont la séparation est marquée par le Code d'instracUon criraineile de
iSOB. — 67. Les écrivains de la première période : gloesateurs, praticiens, pré-
curseurs. — 68. Les écrivains de la seconde période. Italie. France. Allemagoe.
66. On peut dégager facilement deux grandes périodes
LITTÉRATURB SCIENTIFIQUE DE LA PROCÉDURE PÉNALE. iSfi
dans rhistoire de la littérature scientifique de la procédure
pénale. La première a pour point d'arrivée et la seconde, pour
point de départ, le Code d'instruction criitiineile français de
4808, dont l'apparition en France et le rayonnement en Europe
marquent une date décisive. A vrai dire, le droit criminel n*a
été scientifiquement étudié, qu'à partir du xv!!!"* siècle. Jus-
que-là, le droit social de punir paraissait si évident qu'on ne
songeait pas à en rechercher la cause et à le soumettre, dans
son exercice, à une réglementation rationnelle. Les sources
mises en œuvre, pour le droit pénal comme pour la procé-
dure criminelle antérieures à la révolution, ont été la cou-
iunie, le droit romain, le droit canonique et les ordonnances
rovales. Toutes ces sources sont venues se fondre et se cou-
denser dans la doctrine des criminalistes, et leur ensemble,
qui a formé le droit criminel scientifique, a permis et préparé
l'œuvre de la codification.
67. Les écrivains de la première période peuvent être
chronologiquement classés en trois catégories: les fflossateurSy
les praticie>is et ïes précurseurs,
I. Les premiers glossateurs qui considéraient le droit cri-
minel comme une branche du droit civil, se contentèrent
d'appliquer, aux parties des recueils de Justioien relatives aux
matières criminelles, les livres 47 et 48 des Pandectes, et le
livre 9 du Code, les procédés d'interprétation qui leur ont
valu le nom de glossateurs. Après un bref commentaire du
texte, plus ou moins exactement compris, ils en rapprochent
les édits des souverains, les coutumes locales et les règles de
pratique judiciaire. Ces études fragmentaires dégagent quel-
ques solutioQs dont on fait remonter l'honneur à la législation
romaine. A cet égard, d'heureuses erreurs furent commises
«t le progrès de la civilisation juridique en bénéficia.
Il suffit de citer, parmi les glossateurs, Placenlinus\ Azo',
9 X. ^ Placentiniu vint d'Italie professer à Monlpetlier, où il mourut ( n
^ Azo, mort au plus lot vers 1230, enseigna à Bologne, puis à Montpellier.
136 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
Rofredus^ et Accursius*. Rofredus esl peul-être celui des roma-
nistes dont l'influence fut la plus décisive sur révolution de
la procédure criminelle. Dans ses Libelli de jure pontifko^
il démontre que le mode de procéder inquisitorial dérivait
du droit romain et que Innocent III n'avait fait qu^en régler
la forme. Ces affirmations doctrinales contribuèrent, dans un
temps où le droit romain retrouvé excitait une sorte d'enthou-
siasme, à faire adopter, par les juridictions laïques, la procé-
dure inquisitoriale. Parmi les canonistes du xiii° siècle qui
s'occupèrent du droit criminel, il suffit de citer Ta'ncredus*, el
Guillaume Durant^ dont le Speculiwi juris, écrit vers 1271,
eut une grande autorité dans les tribunaux ecclésiastiques
el laïques. C'est de cet ouvrage, son principal titre à la
réputation prodigieuse dont il jouit à cette époque, que Guil-
laume Durant tire son surnom de Speculator.
II. Dans la dernière moitié du xiu® siècle, les études pénales
commencent à prendre une importance propre et le droit
criminel devient un rameau distinct qui se détache du droit
civil; alors surgit une génération de juristes qui recueillent^
sous les noms de Praxis, Practica, Libellus, Swnma, les cou-
tumes judiciaires et écrivent des manuels de pratique, dans
lesquels le droit pénal et la procédure sont rarement séparés.
Le plus ancien recueil, exclusivement consacré à cette bran-
che de la pratique judiciaire, est le Libellas de maleficiis d'Al-
bert de Gandino^
C'est en Italie, qui est restée la terre classique du droit
criminel, que naît et se développe cette littérature spéciale.
^ Hofredus est mort en 1242.
* Accurse, professeur à Bologne, mort dans celte vitle en 1260, est l'auteur
de la Glossa ordinaria de tout le droit de Juslinien.
'■• Tancrède, de Bologne, a composé, au conmiencement du xin*, divers
ouvrages. Le principal est un ouvrage de procédure canonique qui fut tra-
duit, d«'S le xiii« siècle, en français et en allemand, VOrdo jtidiciarius.
« Mort h Rome on i 296.
"^ Ce traite^, imprimé pour la première fois à Venise, en 1491, a été joint
ensuite au Tractalvi^ matcficiomm d'Aretinus. Il paraît avoir été écrit vers
1262.
LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE DE LA PROCÉDURE PENALE. 137
Bieotôt, son influence rayonne sur TEspagne, la France^
TAIIemagne, les Pays-Bas. Jusqu'à la dernière moitié du
xvi'' siècle, les manuels d'Albert de Gandino, de Jacques de
Belvisio*, d'Angelus Arelinus', d'Hippolyle de Marsilliis*",
firent autorité devant les tribunaux de tous ces pays.
Philippe de Beaumanoir*', dont Loysel a dit: « C'est lui qui
a rompu la glace et ouvert le chemin x>, représente, au
XIII* siècle, la science laïque. Le premier de tous les juristes, il
tente un exposé de l'ensemble du droit féodal et coutumier.
Beaumanoir donne peu d'explications sur la procédure crimi-
nelle, parce que, à Tépoque où il écrivait, cette procédure
ne différait pas essentiellement de la procédure civile. Les
mêmes tribunaux et les mêmes juges prononçaient sur tous les
litiges, et comme le droit pénal n'était pas arrêté, ils avaient
un pouvoir presque arbitraire, non seulement pour varier la
peine, mais encore pour adapter les formes de la procédure
aux circonstances. Les seules coutumes, réglées avec quelque
certitude, étaient les deux procédures en présence, le combat
judiciaire et l'enquête, Tune qui représentait les anciennes
mœurs et qui était à son déclin, l'autre qui exprimait^ au con-
traire, les idées et les mœurs nouvelles. Dans cette époque de
transition, l'ouvrage de Beaumanoir est précieux pour nous
faire connaître les institutions du temps.
Les ouvrages des criminalistes de la fin du xvi* siècle se
ressentent de l'influence bienfaisante de la Renaissance. L'art
d'exposer les idées et de les coordonner les unes avec les
autres dans un ordre naturel était presque inconnu jusque-là»
* Ce jurisconsulte, né en 1270, mort en i3j5, est l'auteur d'une Pratica
judicifiria in materiis criminalibus, imprimée à Lyon en 1515.
' Auteur du De maleficiis traclatusy imprimé à Lyon en 1551. On ne sait
♦exactement ni la date de sa naissance ni celle de sa mort. Il vécut dans la
première moitié du xv* siècle.
*** Auteur de la Practica causarum criminalium. Né en 1 ^50, mort en
1529.
'^ Les Coutumes du Beauvaisis, par Philippe de Beaumanoir, jurisconsulte
français du xni« siècle (Nouv. éd. publiée par le Comte Beugnol), 2 vol,
in-ft®, Paris, Renouard, 1842. La préface de Beugnot (cxxxi pages) est
encore intéressante.
138 PROCÉDURE PÉNALE. — UiTRODUCTlON.
Les auteurs préseDtaîeot leurs peasées comme elles s'offraient
à leur esprit, sans méthode et sans lien logique. A partir de
la fin du XVI* siècle, ce ne sont plus de simples recueils d'usage,
des manuels de pratique judiciaire qui verront le jour, mais
des traités scientifiques, c'est-à-dire des essais de systémati-
sation des sources. Parmi les jurisconsultes italiens, qui ont
été les véritables fondateurs du droit criminel scientifique, il
faut citer surtout deux noms : celui de Julius Clarus'^, qui fat
le criminaliste le plus distingué de son siècle ; et celui de Fa-
rinaccius*', dont la réputation scientifique a été peut-être exa-
gérée, mais dont rinfluence sur la direction de la procédure
ne fut que trop réelle et trop décisive.
Le premier traité de droit criminel publié hors de l'Italie,
eut pour auteur un praticien belge, Josse Damhouder. Sa
Praxis rtrum criminalium *^, dont la partie la plus importante
est consacrée à la procédure, servit de guide, pendant long-
temps, à la jurisprudence des tribunaux, dans les Pays-Bas et
en Allemagne.
Mais, au xvii'siècle, Tautoritéd^un Allemand, Benoit Garpzov,
remplace et fait oublier, dans les pays de langue germanique,
Tautorité de Damhouder, de Parinaccius et même de Julius
€larus. Sa Praciica nova imperialis Saxonica remm crimina-
liufH in partes très divisa, publiée, pour la première fois, à
Wurtemberg en 1635, sert de guide à la jurisprudence et à
la législation allemandes pendant plus d'un siècle.
Les traités, publiés, depuis lors, sur le droit criminel, au
cours du xviii* siècle, ont été en progrès constant comme exposé
** N(^ en 4525, à Alexandrie (Ttalie), mort en 1575. On lui doit hsSenten-
iiavam receptarnmy Libri V, ûoni le 5* livre, le plus important et le plus
élcndu, est consacré au droit criminel. Cette œu?re a été souvent réimprime'e.
" Les Opéra omnia de ce jurisconsulte ont été souvent réimprimées. Il
naquit en 155'» et mourut on 1013. Farinaccius est un esprit lourd, compact.
Les s»»pl volumes in-folio en latin qui composent ses œuvres sont assez
dit'ticiles à lire.
**^ Cet ouvrage a été imprimé [K>ur la première fois à Bruges en 1551,
Mais cette édition n'a pas laissé de trace. Damhouder l'avait traduit lui-
même en français sous ce titre : Pratiquer judiciaires es causes criminelles
(Anvers, 157V, in-12).
LITTÉRATURB SCIENTIFIQUE DE LA PROCEDURE PENALE. i39
méthodique de la procédure; mais leurs auteurs n'out cessé
de les composer eu vue de la pratique judiciaire. Ils se sont
bornés à expliquer les lois, les coutumes et les usages qui
règ-ienl la peine et les formes de procédure, à synthétiser le
droit dérivant de ces sources, sans qu'ils aient songé à exami-
ner, à la lumière de la raison, les problèmes que soulevaient
les institutions en vigueur et à critiquer les abus de la procé-
dure inquisitoriale.
Les criminalisles qui ont eu le plus de vogue au xviii'' siècle
et dont les œuvres peuvent encore être consultées avec fruit,
sont : Jousse'* et Muyart de Vouglans**, en France; Renazzi
et Cremani, en Italie; Samuel Frédéric Boehmer, en Allema-
gne. Lesun^ et les autres, magistrats ou professeurs, furent des
bommes tranquilles, au milieu d'un siècle agité : uniquement
préoccupés de la législation du temps, ils ignorèrent le grand
mouvement d'idées qui se produisait autour d'eux; ils n'exi-
rent aucun pressentiment de la révolution qui se préparait^\
Mais leurs œuvres étaient nécessaires: elles furent la systé-
matisation du droit en vigueur, et préparèrent la codification
qui eût été presque impossible, sans ce travail préliminaire.
111. La procédure criminelle inquisitoriale avait été déjà
critiquée au xvi* et au xv!!"" siècles. Des précurseurs en avaient
'* Juusse, collaborateur et ami de Pothier, son collègue au présidial d'Or-
It'îans, auteur du Traité de la justice criminelle de France, 4 vol. in-4°,
167 1. Cet ouvrage n'est pas très original, mais i\ est 1res complet* 1res mr^tho-
4\<]ue et très clair. On lira la préface qui donne bien l'idée de la mentalité
d'un criminaliste praticien à la veille de la révolution.
'^ Muyarl de Vouglans, conseiller au Grand Conseil & Paris, il fit partie
(lu Piarlement Maupeou. Ses deux principaux ouvrages sont : Lois crimi-
uelles de la France dans leur ordre naturel et les luiftitutes au droit en-
■
mineL Le droit en rigueur lui parait le dernier mot de la raison humaine.
Muyart de Vougïans mourut sur Téchafaud.
*'' Je ne parle pas de Pothier qui a publié, parmi ses petits traités, dans
lesquels, avec son admirable clarté, il a simplifié et vulgarisé le droit français,
OD Traité de la procédure criminelle (réimprimé dans les Œuvres de Pothier
par Bognet, au tome X, p. 387 à51i). Pothier n'a pas critiifué la procédure
criminelle de son temps. Oo sait cependant que lorsqu'il siégeait au prési-
dial dX)r)éans, dans des affaires criminelles, on évitait de lui distribuer des
procédures dans lesquelles la question dût être pos6e«
MQ PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
proposé Tabolition. Il faiil citer d'abord Pierre AyrauU'* qui
attaque, avec une savoureuse énergie, le secret de la procé-
dure'% qui dit avoir lu renonciation de la publicité dans les
procès criminels fails plus de six vingt ans auparavant, c'esl-
à-dire vers 1492, par son bisaïeul maternel, Jean Belin, lieu-
tenant général d'Anjou, et qui invoque, en témoignage de la
publicité dont on usait en France, les vestiges laissés « aux
portes des églises, des châteaux, halles et places publiques,
où les sièges des juges y restent encore ». C*est Augustin
Nicolas ^°, c'est le jésuite Théodore Spée'^*, au xvn'' siècle, qui
s'élèvent très courageusement et très publiquement contre la
torture.
Mais, dans la dernière moitié du xviii° siècle, les réforma-
teurs soumettent Tantique procédure à Tobscrvalion critique
et tentent de dégager un idéal de liberté et de formuler un
minimum de revendication.
La France et l'Italie tiennent la tcte du mouvement. Pour
la France, c'est Voltaire, Servan et Brissot de Warvile; pour
l'Italie, Filangieri, Risi, et, leur chef à tous, César Beccaria.
Dans ce « pamphlet chaleureux" », le Traité des délits et des
peines^ et dans cette année 1764, qui est une date à retenir
pour l'histoire du droit pénal, Beccaria s'attaque à cette
monstruosité, la torture, il demande l'abolition du secret
«» Né en 1530; décédé le 24 juillet i601.
'* Dans LOrdre, formalité et instruction judiciaire, dont les Grecs et les
Romains ont mé es accusations publiques, La meilleure édition est celle de
Lyon, chez Jean Caffin, 1042.
^^ Augustin Nicolas a publié une brochure intitulée : •< Si la toiture est
un moyen sûr à vérifier les crimes secrets ». Il était président au Parlement
(le Dijon. Voy. Esmein, Hist. de la procédure criminelle, p. 350.
'2* Spée a publié un important ouvrage : Cautio criminalis contra sagas
liber, Hhurtel, 1031; Cologne, 1032. Cfr. A. du Boys, Hist. du droit cri-
minel de France, depuis le xri^ siècle jusqu'au xix^, t. 2, 1874, p. 147 et
suiv.
*^ Lerminicr écrit très exactement dans son Introduction à rhistoire géné-
rale du droit : « Beccaria fit, dans le Traité des délits et des 7:(?iwe«.(Naple5,
1704), non un livre scientifique, mais un pamphet chaleureux qui satisfit
h juste elTervescence de Topinion : ce fut comme une pétition dont se
servit l'Europe pour la présenter aux souverains ».
LITTÉRATURE SCIENTIFIQUB DE LA PROCÉDURE PENALE. 141
daos rinstruclioD, il propose que l'inculpé ait uq défenseur.
Ce programme était si hardi qu'il vaut à son publicaleur des
persécutions en Italie.
68. Déjà, les derniers criminalistes du xyu!"" siècle, par la
tendance systématique de leurs œuvres, pourraient trouver
place parmi les auteurs de la seconde période littéraire. Mais
c'est à vrai dire seulement depuis la publication en France et
le rayonnement en Europe du Code d'instruction criminelle
de 1808 que commence un nouveau mode de comprendre et
d'exposer les disciplines criminelles en correspondance avec
la nouvelle méthode législative de codification.
En France, le premier commentateur du Gode d'instruction
criminelle fut Garnot, conseiller à la Gour de cassation. Son
traité : De Cinstruction criminelle, paru en 1812", contient
une interprétation indépendante, tirée de la seule raison, du
Gode nouveau. Après lui, un magistrat, J.-M. Le Graverend
publie un Traité de la législation criminelle en France^^ qui
n'est plus un simple conrjnentaire de textes, c'est un essai
systématique et conslructifde la procédure criminelle d'après
la nouvelle législation.
Mais l'ouvrage capital qui, dans cet ordre de disciplines,
reste encore aujourd'hui un modèle dont la valeur n'a été
nulle part dépassée, c'est le Traité de l'Instruction criminelle
de Faustin Hélie. Le premier volume de cet ouvrage fut publié
en 18i5, le neuvième ne fut achevé qu'en 1860. La seconde
édition, en huit volumes, a paru en 1866. Aucun ouvrage,
n'a eu, au cours du xix* siècle, une influence comparable à
celui-là sur la jurisprudence pratique des tribunaux et sur la
direction scientiflque de la procédure. Son autorité a dépassé
nos frontières ; et partout où a pénétré le type de procédure que
le Code d'instruction criminelle de 1808 avait systématisé,
l'œuvre de Faustin Hélie a été acceptée comme son meilleur
commentaire. L'intérêt de la défense, les garanties de la liberté
*' Chez Nêve, libraire de !a Cour de cassation, 2 vol. petit in-4®.
-* Cet ouvrage a eu trois éditions. La dernière parue en 1830 (2 vol. in-4')
a été revue et corrigée par Duvergier.
142 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
\
individuelle D'ont pas en d^inlerprète plus autorisé et plus
passionné que Fanstin Hélie. Dans une nolice biographique,
écrile pour la sixième édition de la Théorie du Code pénal^
M. Faustin-Adolphe Hélie, constate que son père « n'aimait
aucune aulorilé jd. Il pensait « que la démocratie doit se déve-
lopper au milieu de toutes les libertés sans le contrepoids de
Tautorité». Cette tendance d'esprit se reconnaît au fond dos
principales doctrines de Faustin Hélie et elles donnent, à son
traité, un caractère libéral et individualiste qui n'a pas été
sans influence sur les meilleures directions de la procédure
pénale française.
Dans la première moitié du xix* siècle, l'Italie est surtout
représentée, par deux crimînalistes, Carmignani et Nicolini,
le premier, plus philosophe, avec son ouvrage, où le droit et
la procédure voisinent, Teorica délie leggi délia sicurezza so-
ciale ", l'autre, plus historien et plus praticien, avec sa Proce-
dura pénale nelregno délie due Sicilie.
Moins célèbres, mais non sans mérites, Contolî, avec ses
Considerazioni sul processo e gtiidizio crimtnale, Ademollo^
avec // guidizio criminale in Toscane, Armellini, avec son
Corso di procedura pénale. Puis, la science italienne subit
une éclipse, et ne présente plus, durant des années, que
quelques traités sous forme de commentaires exégétiques,
quelques études et quelques travaux critiques de réforme
législative. La formation de l'unité italienne vient donner
un nouvel essor à l'esprit scientifique. François Carrara,
avec son Programma del corso di diritto pénale (Sect. III, Del
guidizio criminale) ", Tolomei, avec son traité de Diritto
e procedura pénale, Pielro Nocito, avec les Prolegomeni
alla filosofia del diritto guidiziario pénale e civile, Canonico,
avec le Del guidizio pénale, Enrico Pessina, avec le Sow-
mario di lezioni sul procedimento pénale italiano, Zuppetta,
avec le Sommario délie lezioni di ordinamento guidiziario
" Pise, 1831, 4 voL m-8°. Garmi^ani, m» en 1768, est mort en 1847. Il fut
professeur de droit criminel à TUniversité de Pise.
^'î Oirrara fut lo successeur de Carmignani à l'Université de Pise.
IJTTÉRATURE SCIENTIFIQUE DE LA PROCEDURE PENALE. 443
pmale e di codice di procedura perialp^ Pescatore, avec sa
Sposizione compendiosa di procedura civile e crimùiale, etc.,
apportent à la littéralure italienne des coatribations intéres-
saotes. Ces criminalistes apparliennenf, à Técole qui voit,
daas la procédure, la meilleure garantie de la liberté et qui
De trouve pas que les intérêts de la défense sociale aient à
souffrir de la sauvegarde des droits de Tindividu. Le Code
d<j procédure pénale de i86oa donné naissance à une foule de
traités, sous forme de commeniaires, parmi lesquels (es plus
complets et les plus réputés sont ceux de Saluto et de Borsaoi
eCasorati. Nous citerons enfin, comme une tentative inléres-
sanle d'adaptation de la procédure criminelle aux nouvelles
théories, les Principii fondamentali di diritto guidiziario
pe7iale^\ de Puglia.
La culture allemande, dans le cliamp de la procédure, s'é-
tait exercéesur la Caroline qui régit une grande partie de l'Eu-
rope jusqu'au commencement du xix* siècle. Mais les auteurs
allemands fouillèrent bien plus profondément encore les lois
et les Codes particuliers qui furent promulgués, dans les pays
de race germanique, après cette époque. Nous citerons, parmi
les criminalistes dont les œuvres ont marqué, au commence-
ment du xix' siècle, Stubel -", Henke, Abcgg ", Fucrbach,
Bauer ", et, plus tard, Biener, Kustlin. Molil, Planck, Zacha-
riae, Jagemann, Mittermaier, Friihuald.
Quand les deux grands Étals de race germanique, TAu-
triche, en 1873, TAIIemagne, en 1877, codifièrent et uni-
fièrent leur procédure pénale, cet événement important de
leur vie juridique fut le point de départ d'une période de
vie scientifique intense.
En Autriche, il faut citer, parmi les œuvres marquantes,
celles d'Ullmann, Mayer, Bar, Mitterbacher, Ruif, Riel, Var-
gba, Glaser, etc.
2' Milan, 1899.
^' Dos criminalverfahren in dem dtschn. Gcriclitcn bes. im Kqr. Sachsen
(Leipzig, 1811).
'* Lf*hrbuch des gem, Criminal-Prozesses (Kônigsberg, 1833).
^<* Anleitung z. Criminalpraxis (Gott., 1837).
144 PROCÉDURE PÉNALE. — INTRODUCTION.
Ce dernier criminaliste^ qui a élé l'inspirateur du Code
autrichien de 1873, fut chargé, par une élite de jurisconsultes
allemands, à la tête desquels était le criminaliste Binding, de
collaborer, avec^Dochow, Schwarze, Geyer, Meyer, à la pre-
mière édition de TEncyclopédie d'Holtzendorff et de com-
menter, dans cet ouvrage, le Code de procédure pénale alle-
mand de 1877.
D'autres noms doivent être ajoutés à cette liste. Les com-
mentaires et manuels de Lowe, de John, de Dochow, de
Geyer et de Bennecke sont devenus classiques en Allemagne.
PROCÉDURE PÉNALE
G. P. P. — I 10
iniKMiKRi-: PAHTii':
DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
Bibliographie générale. — Delpon, Essai sur l'histoire de Vac'-
tion publique et du ministère public^ 2 vol. in-8*, 1830. — Dutruc, Mcino-
mi du ministère public, 2 vol. iii-8*, i871. — Ferlet, Étude sur Vac-
tion civile résultant d'un fait punissable, in-8®, 1866. — Hersch, Des
fonctions de l'officier du ministère public près les tribunaux de simple
police, in-8*, 1851. — G. Leioir, Code des Parquets, 2 vol. in-i8, 1889. —
LePoittevin, Dictionnaire formulaire des Parquets, 3 vol., 3« édit., 1901.
— Mangin, Traité de l'action publique et de Vaetion civile en matière cri-
minelle, 3* éd., revue par Sorel, 2 vol. in-8», 1876. — Massabiau, Manuel
du ministère public, 4e éd., 3 vol. in-8^ 1876. — De Molènes, Traité prati-
que des fonctions du procureur du roi, 2 vol. in-8**, 1843. — Le Sellyer,
Traité de r exercice et de V extinction des actions publique et privée, 2 vol.
in-8", 1874. — Ortolan et Ledcau, Le ministère public en France, 2 vol.
iD-8«, 1830. — Schenck, Traité sur le ministère public, 2 vol. 10-8", 1813.
— L. Théiard, Le ministère public, in-8**, 1857. — Vallet et Montagnon,
Manuel des magistrats du Parquet, 2 vol. in-8', 1891.
LIVRE PREMIER
DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
— DE L'INTERDÉPENDANCE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
es actions publique et civile, l-eurs rapports. Qu:itre cuuceplioQS. — 70. Coii-
011 entre la deux actions. — 71. Séparation. — 72. Interdépendance. —
Indépendance. — 74. Solidarité. — 75. Uéformes. — 76. Étude parallèle des
X actions.
9. L'élude dos actions doit précéder l'étude de Yorganisa-
judiciaire et de la procédure proprement dite, car le pou-
judiciaire n'agit, en principe, qu'après avoir été mis en
vemenl par une action et la procédure trace précisément
larche à suivre pour exercer cette action et la faire abou-
infraction donne naissance, et au droit de la société de
ir le délinquant, et au droit de la personne lésée d'obtenir
paration du dommage que lui a causé le fait illicite. On
•Ile action pénale ou publique \ le recours à l'autorité ju-
lire exercé, au nom et dans l'intérêt de la société, pour
ber à la constatation du fait punissable, à la démonstration
a culpabilité de l'auteur et à l'application des peines éta-
> par la loi. De toute infraction naît une action publique,
est exercée, au nom de la société à laquelle elle appar-
at. * Pénale, pour la dislingiier de ractiun civile; publique ^ pour mar-
son caractère le pliih^ saillant qui est d'être exercée dans TintérôL do
de ne pas être une action privée, La dénomination leclinicpie, dans le
français, est celle iVaclioii publique. Mais, suus le bénéfice de cette
vation, nous emf>lnieri)ns tantôt Tune, tantôt l'autre de ces deux di-
nations, suivant, en cela, rexeinplo de Haus, dans ses Principes yénr-
du droit pénal beUje 'X, II, livr. JV), alors «jue Texpression techn1qn«*,
la loi belge du 17 avril iS78, <*sl également la dénomination à' action
que l't i\^aclion cirilr.
150 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
tient, par un corps de fonctionnaires, remplissant, suivant
une expression consacrée et caractéristique, un ministère pu-
blic. Mais lorsque, indépendamment du mal social qui en ré-
sulte, le fait délictueux a causé un dommage à une personne
physique ou morale, celle-ci a le droit de poursuivre en jus-
tice la réparation de ce dommage : on appelle action privée
ou civile^ ce recours à Tautorité judiciaire, qui est exercé par
la partie lésée et qui a pour objet de procurer la réparation
du préjudice éprouvé*.
L'analyse des deux rapports de droit qui résultent du délit
et la distinction des deux actions qui y correspondent con-
stituent des notions aussi simples que précises. Mais lorsqu'on
examine les liens qui, à diverses époques et en divers pays,
ont été établis entre Faction publique et l'action civile, on se
trouve en présence de divers régimes, dont les principaux
sont: 1*^ celui de la ron/ww'ow des deux actions; 2*celuîdeleur
séparation absolue; 3* celui de ]eur interdépendance ; 4** celui
de leur solidarité^.
70. Les législations primitives se caractérisent par la con-
fusion entre les deux rapports de droit que nous distinguons
aujourd'hui comme résultant du délit, et auxquels corres-
pondent les deux actions publique et privée ; elles synthétisent
la responsabilité pénale et la responsabilité civile. On voit
d'abord, dans la période présociale, l'individu qui s'occupe à
la fois de s'indemniser, de se venger et de se défendre. La
* L'îirlicle 1" du Code de procédure pénale italien s'exprime très nette-
ment sur la notion des deux actions : « Tout délit donne lieu à une action
pénale. Il peut aussi donner lieu à une action civile pour la réparation du
dommage ».
^ Sur la question générale : Nourrisson, De la participation des particu-
liers à la poursuite des crimes et des délits (Paris, 1894), mémoire récompensé
par l'Académie des sciences morales et politiques; Roux, Le ministère public
et la partie lésée (Th. doct., Paris, 1893); H. Robert, Du droit des parti-
culiers dans l'exercice de l'action publique {Ih, doct., Paris, 1895); Gréau,
Étude sur la responsabilité civile en matière pénale (Th. doct., Lille, 1878);
Raoul de la Grasserie, Des principes sociologiques de la criminologie (Paris,
1901).
INTERDÉPENDANCE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE. !54
collectivité nMniervient pas. Puis, lorsque le recours à la jus-
tice remplace le recours à la force, c'est toujours la victime
qui se fait rendre justice. Cette confusion de Faction publique
et de l'action civile a deux conséquences principales. Le
procès met toujours en présence, d'un côté la victime, et de
1 autre le coupable, et sa marche est la même que la marche
de tout autre procès. Au civil comme au pénal, c'est un par-
ticulier qui se plaint d'un tort personnel et en demande la
réparation. Dans cette conception des lo^slations primitives,
liotérét public et l'intérêt privé doivent être satisfaits par la
même action. Le droit de vengeance, qui est reconnu à la vic-
time, sert de contrepoids à cette conception barbare du délit.
L'évolution juridique amène, peu à peu, la substitution de
la vengeance publique à la vengeance privée et la distinction
corrélative de l'action pénale qui en est l'expression, et de l'ac-
tion en indemnité qui reste réservée à la victime.
71. Déjà, dans notre ancien droit, la séparation des deux
rapports est théoriquement réalisée. C'est par allusion au
temps passe'*, et non pour caractériser la situation à la fin du
I VI* siècle, que Pierre Ayraulta pu dire : « La partie civile,
«que nous appelons, c'est le vray demandeur et accusateur^).
Jean Imbert est davantage dans la vérité, en assignant simple-
ment, à l'accusation de la partie lésée, Tobjet d'une demande
en réparation pécuniaire. Et le nom de a partie civile » qui est
donné à la victime montre bien que celle-ci n'a droit qu'à
une indemnité. Joosse, le principal commentateur de l'or-
donnance de 1670, rappelle que, dans chaque crime, il faut
distinguer denx intérêts différents, celui de la société et celui
de la victime; puis il conclut en ces termes : « Ainsi, dans
V notre usage, deux sortes de personnes concourent à la pu-
« nition d'un crime : 1** la partie civile qui demande la repa-
ît ration de l'offense qui lui a été faîte et des dommages-inté-
* LOrdre^ formalité, cité, liv. II, art. IV, n» 25, p. 212. AyrauU insisl**
trop «ur ce point. On sent qu'il expose un état de fait et de droit en voie de
disparition.
452 PROrcÉDbRE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
a rets; 2"* la parlie publique qui poursuit la punition du
<^ crime et la condamnation à la peine qu'il mérite' ».
Cependant, jusqu'à ]a fin du xyiii° siècle, l'ancienne dis-
tinction romaine entre les délits publics et les délits privés
vient obscurcir la notion sociale de Tinfraction. Les délits
publics, frappés de peines afflictives, doivent nécessairement
être Tobjet d'une poursuite criminelle, exercée par la partie
civile, et, en cas d'inaction de celle-ci, par le ministère public*.
Les délits privés, moins sévèrement punis, ne peuvent être
poursuivis que sur Tinitiative de la partie lésée \ Si celle-ci
garde le silence, si elle transige, si ayant formé son action,
elle s'en désiste, l'affaire est terminée, le ministère public
n'ayant pas qualité pour agir d'office.
Malgré cette confusion des rôles, l'ordonnance de 1670 dis-
tinguait réellement l'action civile de l'action publique. En
effet, soit que le ministère public prît l'initiative des pour-
suites, soit qu'il se joignit à la partie privée, lui seul pouvait
conclure à l application de la peine. Sans doute, dans le second
cas, la partie civile figurait dans les actes de la procédure;
mais elle provoquait l'accusation plutôt qu'elle ne la dirigeait;
elle ne représentait pas Tintérêt public et n'avait d'autre
rôle que celui de demander une réparation pécuniaire. On
peut affirmer que l'histoire de notre ancien droit, à cet égard,
se résume dans Taffaiblissement continuel des droits de la
victime et dans le développement et Taffranchissement gra-
duel de ceux du ministère public.
La distinction s'obscurcit dans la loi des 16 et 29 septembre
1791 : les parties privées gagnent tout ce que perd le ministère
public, et l'action des particuliers apparaît comme une sorte
d'accusation subsidiaire. C'est qu'en effet, on cherche, dans
une imitation exotique, celle des coutumes anglaises, une
^ Jousse, op. cit,, t. 1, p. 5C1 el 502.
• Ord. de 1070, lit. III, art. 8 : << S'il n'y a point de partie civile, les
prooôs seront poursuivis à la diligence, et sous le nom de nos procureurs,
ou des procureurs des justices seigneuriales »>.
7 Ord. de 1070, lit. XXV, art. 19. Comp. Jousse, op. cit.^ t. 1, p. 5, 508,
572, 070, t. 3, p. 8 et 03.
INTEaDÉPENDANCE DSS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE. 153
organisation nouvelle du procès pénal. Cependant, on repousse
Taccusalion populaire et on n'admet pas non plus pleinement
Taccusation privée. La partie lésée peut mettre en mouve-
ment le procès pénal; mais, Taccusation admise, c'est Taccu-
saleur public, fonctionnaire élu, qui la soutient devant le
jury de jugement. Le Gode de brumaire ne modifie pas sen-
siblement ce système. Mais il supprime la distinction, encore
evislaote, des délits publics et des délits privés et sépare, plus
nettement encore que ne le faisait Tordonnance de 1670,
l'action publique et l'action civile. « L'action publique, — d'a-
c près l'article 5, — a pour objet de punir les atteintes portées
« à Tordre social. Elle appartient essentiellement au peuple.
<• Elle est exercée en son nom par des fonctionnaires établis
< à cet effet ». Et Tarticle 6 définit Taction civile, celle qui « a
<< pour objet la réparation du dommage que le délit a causé.
•' Elle appartient à ceux qui ont souffert du dommage ».
Sans doute, les droits des particuliers, dans la poursuite,
paraissent être les mêmes que précédemment. La dénonciation
cirique de la loi de 1791 subsiste, dans le Code de brumaire,
avec toute son efficacité ^art. 87 ù 93). Sans doute, les dénon-
ciateurs et les plaignants participent toujours à la rédaction
de l'acte d'accusation (art. 226 et 227). Mais on sait désormais
que la partie privée n'agit plus qu'à fin de dommages-intérêts,
et si l'accès des tribunaux répressifs lui est ouvert, c'est en
?ue de poursuivre la réparation du préjudice dont elle a été
victime et non en vue d'obtenir la punition du coupable. Le
principe que l'action à fins pénales n'appartient qu'au peuple
et aux fonctionnaires qu'il a choisis, est définitivement entré
dans le droit moderne : il suppose la reconstitution du minis-
tère public comme agent exclusif de la poursuite. Ce sera
l'œuvre de la loi du 7 pluviôse de l'an IX, qui replace le mi-
nistère public entre les mains du gouvernement et lui rend
ses anciennes attributions.
Désormais, l'idée fondamentale, dont s'inspire le Code d'in-
struction criminelle de 1808, qui renoue la chaîne historique,
est celle de la séparation et de r indépendance des deux ac-
lions, civile et pénale, corrélatives à la séparation des deux per-
454 PROCÉDURE PÉNALK. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
sonnifications qui les exercent, Idipariie privée et ]e ministère
public, ei des deux intérêts auxquels elles correspondent, Tin-
térêl social etriotérét privé. La consécration de cette idée est
affirmée dès les premiers articles du Code d'instruction cri-
minelle; elle est répétée par Tarticle 10 du Code pénal, dia-
prés lequel : « La condamnation aux peines établies par la loi
« est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et
a dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties ».
Celte conception résulte évidemment de la nature juridique
des deux actions; et il est peu de principes dont le législateur
ait poursuivi l'application avec plus de logique, et dont il ait
déduit avec plus de sâreté et affirmé avec plus d'énergie les
conséquences. 1* En effet, bien qu'elles résultent du même
fait matériel, V infraction^ elles ont cependant une ca^i^/^/rf-
dique différente. L'action publique natt du délit, envisagé
comme apportant un trouble à Tordre social. L'action civile
naît du délit, considéré, dans les rapports privés, comme un
fait dommageable. 2"^ Aussi ces deux actions n'ontpasle même
objet. L'une tend à l'application d'une peine; l'autre, à la
réparation du préjudice causé. 3^ Elles appartiennent à des
personnes différentes : l'action publique, à la société, qui, ne
pouvant l'intenter elle-même, en délègue simplement l'exer-
cice, non pas à tous les membres du corps social, mais à des
fonctionnaires spéciaux; l'action civile appartient à la per-
sonne lésée, au point de vue de sa propriété comme de son
exercice. 4" L'action publique peut être exercée seulement
contre les auteurs ou complices de l'infraction. L'action civile
peut être exercée, en outre, contre leurs héritiers et coutre les
personnes que la loi déclare civilement responsables. 5*^ Les
deux actions, différentes dans leur cause, leur objet, leur
exercice, le sont aussi par leur mode d'extinction. L'intérêt
social peut être satisfait là où Tintérèt privé ne Test pas, et, à
l'inverse, l'intérêt privé peut être satisfait, là où Tintérêt social
ne Test pas. L'amnistie, le décès, laissent subsister l'action
civile et éteignent l'action publique. Le préjudice privé eût-ii
disparu, fût-il compensé et au delà par l'indemnité offerte, le
trouble social subsiste toujours.
INTERDÉPENDANCE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE. 155
72. Néanmoins, I origine commune de ces deux actions
exerce ane influence traditionnelle sur leurs relations. A trois
points de vue particulièrement, Taction publique et Taction
civile sont unies par des liens intimes qui constituent une
sorte A' interdépendance,
I. L'action privée n*est pas de la compétence exclusive des
tribanaux d'ordre civil: elle peut être intentée, en même
temps et devant les mêmes juges que Taction publique (art. *S).
Ces! là vraiment une règle fondamentale du droit français,
une règle qui le caractérise. Par suite de Taccès qui est
ainsi donné à la partie lésée devant les tribunaux de répression,
pour faire juger son procès civil, le rôle des particuliers, dawi
le procès pénaly a grandi et s'est transformé. Sans l'avoir voulu
et sans Tavoir prévu, on a ouvert, à la victime du délit, un
droit d'accusation et d'initiative, non plus subsidiaire, mavi
parallèle à celui du ministère public. Non seulement, en effet,
la loi reconnaît, à la partie lésée, le droit A'iniervenir, dans le
procès engagé par le ministère public, pour se joindre à son
action et se faire l'auxiliaire de l'accusateur; mais elle n'a pu
lai refuser, en cas d'inaction du ministère public, le droit de
misir les tribunaux répressifs et de porter, devant eux, tout
à la fois, le procès pénal et le procès civil, inséparables, dans
ce cas, l'un de l'autre; par conséquent, elle n'a pu lui refuser
ledroitd'agir. Sans doute, que la partie civile intervienne dans
l'instance engagée ou qu'elle intente la poursuite à sa requête^
elle se borne théoriquement k demander une réparation pé-
cuniaire, la délégation de l'action publique ne lui est pas
accordée: mais, en fait, la partie lésée est entendue dans
ïaccusation, et, malgré l'abstention, l'inertie ou la mauvaise
volonté du ministère public, elle peut et doit obtenir, dans
rintérét social comme dans son propre intérêt, la condmnna-
tion péfiale du coupable. Deux restrictions viennent, du reste,
limiter le rôle des particuliers dans le procès pénal et leur
marquer qu'ils n'y figurent que pour ce qui regarde leurs
intérêts privés. En effet, si la partie lésée peut introduire le
procès, elle ne peut pas le diriger et le mener jusqu'au bout.
L'exercice des voies de recours ne lui est ouvert que dans
456 PROCÉDURE PÉNALB. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
la mesure même de ses intérêts civils (C. insl. cr., art. 202,
§ 2). Puis la condition qui lui permet d'intervenir ou d'agii à
côté ou à la place du ministère publicité passeport qui lui
donne accès à Taudience des tribunaux de répression, c'est
toujours un intérêt personncL Par là, se trouve écartée toute
accusation populaire^exercée paiV un citoyen quelconque, dans
un intérêt social, ou par une association, dans un intérêt géné-
ral. A toute personne, à toute collectivité qui n'est pas [)erson-
nellement et directement intéressée à la répression des délits,
la loi française n'ouvre qu'une faculté, celle de provoquer, par
voie de dénonciation^ l'initiative. du ministère public. Mais
là s'arrête le rôle des particuliers ou des associations qui ne
sont pas victimes mêmes du délit, et le droit de saisir un tri-
bunal, pour le mettre à même d'exercer son droit et son devoir
de juger, leur est absolument refusé.
II. L'indépendance des deux actions, exercées chacune
séparément devant les tribunaux qui doivent en connaître,
ne reste pas absolue. Le [)rocès pénal domine et absorbe le
procès civil : en ce sens d'abord que le tribunal civil doit sur-
seoir à statuer sur l'action privée, jusqu'à ce que le procès
pénal ait été jugé; en ce sens également que la chose jugée
au criminel s'impose au civil et doit être respectée. Ces deux
règles, dont l'une, la première, est la conséquence de l'autre,
la dernière, résultent de ce que la repression et la réparation
sont étroitement liées, le délit ne pouvant être constaté et
apprécié, au point de vue de la peine méritée, sans Tètro
également au point de vue du préjudice occasionné, de telle
sorte que nul ne sera mieux à même de statuer sur la réparation
que le tribunal qui statuera sur la peine (C. instr. cr., art. 3).
Il y a là, comme nous le verrons, l'ébauche d'un système qui
solidariserait les deux intérêts engagés dans la répression.
III. Enfin, le même temps est donné à la partie publique
et à la partie privée pour faire valoir leur action, c'est-à-dire
que l'action civile est soumise à la même prescription que
l'action publique ^
^ Voy. sur le raj>port des actions publique et civile, la dissertation de
INTERDÉPENDANCE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE. 157
Ce système d'interdépendance des deux actions est très
compliqué dans son fonctionnement et il donne lieu à de nom-
breuses difficultés tant de législation que de jurisprudence.
Cesl cependant le plus répandu, mais avec des différences de
détail dans son organisation. Le trait commun que Ton re-
trouve dans toutes les législations qui l'admettent, c^estque la
partie lésée a le choix entre la juridiction civile et la juri-
diction répressive pour y porter son action civile; le reste
varie de législation à législation.
73. A ce système s^oppose d'abord celui de Tiodépen-
daace absolue. Les deux actions restent sans influence réci-'
proque Tune sur l'autre et sont intentées devant des juridic-
tions différentes. C'est le procédé en vigueur, soit dans les
législations d'origine anglo-saxonne, soit dans les législations
d origine germanique.
Dans les Pays-Bas, Faction civile est séparée de l'action
publique et ce n'est que par exception que la partie civile, en
limitant sa demande à 450 florins, peut intervenir dans l'in-
stance pénale. En Allemagne, on ne peut joindre Taction
civile à l'action pénale que dans des cas déterminés, par
exemple en cas de lésions corporelles, ou lorsqu'on peut récla-
mer la busse, cette sorte de composition pécuniaire analogue
à la peine privée. Mais c^est dans le droit anglo-américain
que se trouve la formule la pluscomplcte de la séparation.
L'action civile ne peut être intentée que devant les tribunaux
civils: son exercice peut précéder, accompagner ou suivre le
procès pénal. Mais l'initiative du procès pénal appartient à
tout citoyen [cuivis e populo),
74. Le régime français de l'interdépendance, qui lient le
milieu entre celui de la confusion absolue et celui de la sépa-
ration absolue des deux actions, a été critiqué parles partisans
des opinions extrêmes. Pour les étalistes, cette conception du
Devilleneuve sous Cass., i8 juin 1841 (S. 41. 1. 883). Celte dissertation a
été écrite à propos d'un des incidents de la célf^bre affaire de M°'* Lafarge.
158 PrU>CÉ:jCRB PKNALK. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
rôle des paKiculiers ferait eocore une trop large place à fac-
tiori inrlividuelie : on consentirait donc volontiers à sacrifier
les droits de la partie civile au profit de l'extension des pou-
voirs du ministère public et, en conséquence, on proposerait
d*enlever, à la victime du délit, la double faculté, soit de pro-
voquer une information, en saisissant le juge d'instruction*
soit de mettre en mouvement faction publique, devant les
tribunaux de police simple ou correctionnelle, en procédant
par voie de citation directe. Pour d'autres, au contraire, il
faudrait d'abord associer plus intimement la partie civile à la
répression. La séparation, dans ce domaine, du droit civil et
du droit |icnal, aurait été exagérée, soit par la substitu-
tion, pour tous les délits, du système des peines sociales à
celui des peines privées, soit par Texlension progressive des
pouvoirs du ministère public. On conclurait ainsi volontiers
à une solidarisalion absolue de Taclion civile et de faction
pénale, en exigeant qu'elles soient toujours portées devant le
juge pénal qui serait exclusivement compétent pour solution-
ner, en même temps, la question d'indemnité et la question
de peine, et en donnant à la victime un droit d'accusation
parallèle ou subsidiaire*.
75. Nous retrouverons, au cours de cet ouvrage, ces con-
ceptions si diverses et si opposées. Il importe, cependant, de
remar(|uer combien « le droit pénal moderne a rejeté, dans
a f ombre, la partie lésée et la notion de la réparation du dom-
a mage, pour laisser apparaître au premier plan le ministère
« public, exerçant la justice au nom de tous; au rétablisse-
« ment pratique du trouble causé, c'est-à-dire à l'obligation
« d'indemniser la victime, a succédé, comme but essentiel, le
CI rétablissement théorique de fordre, c'est-à-dire l'exécution
n d'une condamnation à la prison *° ». Un tel système est
* Voy. pour les développemenls de ce système : Raoul de la Grasserie,
Des principes sociologiques de la criminologie^ p. 221 à 227.
*® Prins, Note sur la théorie de la réparation dans le système répressif
{liull. de IWcad. royale de Belgique, 3» série, l. 2t, n^ 6, p. 829 à 846).
Égiilement : Bull, de l'Union internationale de droit pénal, 1889, p. 52,
INTERDÉPENDANCE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE. 159
excessif : la réparalion civile, lorsqu'elle est biea orgaaisée,
coûslilue l'un des moyens les plus énergiques de lutter contre
ia criminalité. Mais si Tinstitution du ministère public et
l'exagération de ses fonctions ont été la première cause ou la
première occasion d*une altération profonde de la situation de
la victime du délit, si le droit social a condamné la vengeance
privée et la faculté de réclamer la peine qui en était le dérivé,
sioQ a fait de l'ancien accusateur une « partie civile », encore
faudrait-il assurer et garantir, par des institutions appro-
priées, la réparation à laquelle a droit la victime. C*est sous
cel aspect surtout qu on doit envisager le problème et non sous
celui d*une extension des droits de la partie lésée devant les
tribunaux de répression ou d'une reconstitution du système
des peines privées.
76. Le régime de l'interdépendance des deux actions,
publique et civile, et la nécessité d'étudier leurs rapports ré-
ciproques, nous oblige à faire une étude, parallèle, quisuivra
chacune de ces actions depuis sa naissance jusqu'à son extinc-
lion. Nous diviserons donc ce livre en trois litres : 1** des
acli(>ns publique et civile ; 2** de Texercice de ces deux actions ;
3' de leur extinction.
rapport de Garofalo, 1890, p. 59, rapport de Alimena, 1891, p. 121, rapport
de Prins; Ferri, La sociologie criminelle^ p. 503 à 511. Voy. Rev, pénit.,
1895, p. 1001 ; Ortolan, op, cit., t. 2, n°- 1476 et 1674, avait déjà insisté,
sur «i l'importance qu'il y a, pour la sécurité et pour le bien être social, non
" seulement à ce que la société inflige une peine publique au coupable,
« mais encore à ce qu'elle contraijf^ne ce coupable à réparer le préjudice
« qu'il a' causé par son délit ».
TITRE PREMIER
DES DROITS D'ACTIONS QUI NAISSENT DE L'INFRACTION
CHAPITRE PREMIER
DE l'action PUBLIQUE.
§ XII. - NOTIONS GÉNÉRALES SUR L'ACTION PUBLIQUE.
77. La répression, et l'action publique qui on est lu conséquence. — 78. Du ministère
public. Divers systèmes d'accusation. Les deux types en présence. — 79. Combi-
naisons du système de l'accusation populaire et de celui deTaccusation publique. —
80. Lég:isiations autrichienne et allemande. — 81. Système anglais. — 82. I^s
actions populaires. Article 123 de la loi du 15 mars 1849.
77. La répression n'étant exercée par l'Élat qu'après un
jugement, on appelle action publique la mise en œuvre du
droit et du devoir de l'État de poursuivre en justice Tinculpé
d'un délit pour l'en convaincre et l'en punir*. Cette action a
g XII. * Il faut remarquer que toul ce qui n'est pas adéquat à la répara-
lion du préjudice est une peine vérilable, que cette peine profite à l'État,
comme une amende, ou & la partie lésée, comme une amende spéciale qu'on
prononcerait à son profit, ou au dénonciateur, dans le cas où la dénoncia-
tion est récompensée. Telle est la peine lato semu. Mais il y a les peines
privées et les peines publiques. Nous ne nous occupons que des secondes.
Sur les premières, consultez : Hugueney, Vidée de peine privée en droit
contemporain (Thèse doct., Paris, 190i). Dans ce travail, l'auteur conslate,
G. P. P. - ï. 11
162 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
trois caractères essentiels : à) Elle est la conséquence néces-
saire et irrévocable du délit, en ce sens que tout individu qui
commet une infraction doit être poursuivi et puni, b) E11&
n'est, à aucun point de vue, subordonnée au caractère domma-
geable du fait et à l'action civile qui est la suite de ce caractère'»
c) Enfin, c'est une action sociale, exercée dans l'intérêt et au
nom de la collectivité tout entière. Ces trois caractères résul-
tent d'un seul et même principe : à savoir que TÉtat, en vertu
du devoir qui lui incombe de pourvoir à la défense sociale, est
obligé, dès qu'un délit est commis, d'en poursuivre l'auteur
pour obtenir contre lui la prononciation d'une peine.
78. Cette idée est réalisée, dans notre droit, par l'institu-
tion du ministère public, dont l'origine n'est ni romaine ni
germanique, mais purement française. Le ministère public a
pour fonction principale de rechercher et de poursuivre les
auteurs de délits, c'est-à-dire de jouer le rôle d'accusateur
dans le procès pénale
Historiquement, l'accusation s'est exercée suivant quatre
d'une parl,que Tapplicalion de peines privées, telles que astreintes, déchéan-
ces, est, dans nos sociétés, un retour aux coutumes des peuples primitifs;
d'autre part, que ces peines privées sont de plus en plus en usage. L'idée
même de substituer, au profit de la partie lésée par un délit, une amende à
la réparation, jouit, à Pheure actuelle, d'une certaine faveur. Deux législations
sont, à cet égard, à noter. Le Code pénal allemand de 1870 a conservé, pour
certains délits, le système de la composition {Bmse). Voy: §§ 188 et 231.
Inspinies du même esprit, des lois plus récentes ont étendu l'amende, en
faveur de la partie lésée, à des délits en matière de propriété littéraire,
artistique et industrielle (A/?n. de législ. étr,, 1871, p. 131 et 138). L'amende
en faveur de la partie lésée a été également organisée par le Code pénal
italien de 1889 (art. 38). Voy. sur tous ces points : Demogue, De la répara-
tion civile des délits (Paris, 1898, p. 163 à 173).
'^ La loi pénale n'attend pas pour punir que le donmiage ait été causé.
Klle punit des actes au caractère compromettant, et elle est, à ce point de
vue, préventive.
^ Sur l'histoire du ministère public, siiprà, pp. 48, 78, 79. Voy. Glasson^
Histoire du droit et des institutions de la France, t. 6, p. 338 ; Félix Auberl,
Diuninistère public de saint Louis à François !«*• {Rev, htst,, 1894-, p. 487
et i^iiiv.).
MOTIONS GÉNÉIULES SUR L^ACTION PUBLIQUE. i63
formes^ : 1^ D'abord, la Tictimc du délit ou sos héritiers ont
poursuivi, dans leur propre intérêt, pour obtenir une répara-
tion leur profitant : c'est le système de Vaccmatiofi privée,
2' Puis, tout citoyen a pu se porter accusateur dans l'intérêt
publie^ et demander, mais au nom delà collectivité, la puni-
tion de fauteur du délit : c'est le système do Vaccmation
populaire^ qui consiste dans la représentation de Thtat par les
citojeDS. 3*" Plus tard, le juge s'est saisi lui-même de la con-
naissance des crimes les plus graves et les a poursuivis dans
l'intérêt général : c'est la poursxnte (Toffice, 4° Enfin, un
corps de fonctionnaires a été institué par l'État pour recher-
cher les infractions» en poursuivre les auteurs devant les tri-
bunaux et requérir leur condamnation : c'est te système de
\ accusation publique.
79. Le premier de ces procédés de poursuite, Vaecumtion
privéey est celui des peuples barbares; il méconnaît le carac-
tère social de la répression. Les peuples civilisés l'ont aban-
donoé. Quant au système de \ix poursuite d'officej il réunit et
confond deux fonctions qui doivent être et rester distinctes
dans rintérêtde l'impartialité judiciaire, la fonction de juger
et celle d'accuser. Aussi n'esl-il plus en vigueur. Restent
Vaecumtion populaire et Vaccusation publique. Chacun de
ces systèmes a ses inconvénients et ses avantages. L'accusa-
tion populaire peut sommeiller par peur, corruption ou indif-
férence*; elle peut devenir un moyen de chantage entre les
mains de gens sans aveu ^ Personne ne conteste, à ce double
point de vue, les avantages de l'institution d'un accusateur
* Ce yjnt, du reste, des formes typiques. Mais elles se pr^entenl rare-
menl pures : les systèmes pratiques h^s ont presque toujfjurs combine'es.
Vov. Raoul de la Gnisserie, Des principes sociologiques de la criminologie
fin.»», Paris» 1901), p. 183.
' Tbourel, disait, dans la sf^ance de rAssembl<^e constituante du 4 auiU
1790 : « Quand tout le monde est char^4 de veiller, il arrive un moment où
'• personne ne veille ».
* Notre Ayrault caractérisait les vices du syst^me, quand il disait que sa
suppression ferait « cesser cette haine rd'rénée de s'enlre-manger les uns
• les autres »•
164 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBUQUE ET CIVILE
public.^ L'accusalioQ populaire, daos un pays où tout le monc
est occupé, deviendrait un métier; mieux vaut certainemei
eo faire une fonction. Mais, soumis au pouvoir executif, c
accusateur public peut être soupçonné de subordonner Ta
lion publique à des considérations politiques; magistrs
comme le juge, son caractère même est de nature à détrui
Tégalité nécessaire entre Taccusation et la défense.
Les deux conceptions absolues de Taccusation populaire
de l'accusation publique ne présentent plus guère, aujou
d'hui, qu'un intérêt historique. Les systèmes en vigueur i
posent sur la combinaison du rôle de TÉtat et de celui d
particuliers. Deux types d'accusation se partagent, à l'heure a
îuelle, le monde civilisé. Dans le premier, la poursuite des i
fractions est exercée^ en principe, par les membres du mini
tère public, délégués par rÉtat; les particuliers n'intervienne
qu'exceptionnellement et seulement quand leurs intérêts so
en jeu. G*est le système français : il sert de type à celui q
est organisé par la plupart des législations en vigueur. Da
le second, le rôle des particuliers est, au contraire, prépond
rant, et TÉtat n'intervient que dans des cas rares et, po
ainsi dire, par voie subsidiaire. C'est le système anglais.
Par son origine, le ministère public est une institution bii
française\ qui a toujours rendu les plus grands services
Tordre public. « Nous avons, aujourd'hui, dit Montesquie
(( une loi admirable : c'est celle qui veut que le prince, étal
« pour faire exécuter les lois, prépose un officier dans chaq
« tribunal pour poursuivre en son nom tous les crimes, <
a telle sorte que la fonction des délateurs est inconnue pan
« nous : la partie publique veille pour les citoyens, elle a;
(( et ils sont tranquilles* ». En raison même de l'utilité de ce
' II ne faut pas, en elfel, en chercher l'orii^ine, même lointaine, clans l*
slilutiun des procuratores cœsaris, chargés de veiller sur le patrimoine <
empereurs, et que les rois francs ont conservé dans leurs domaines. V(
Pardessus, Essai hiaturique sur l' organisation judiciaire^ [>. 189 et sui
Ortolan et Ledeau, o/»., cit.^ t. 1, p. 19 et suiv.
* Esprit des lois, liv. VI, chap. VHI. Ayrault {op, cit., liv. 2, *• pa
11*27) avait déjà dit cent cinquante ans auparavant : «< Le procureur du i
NOTIONS GÉNÉRALES SDR l'aCTION PUBLIQUE. 465
inslilution, son importance devait apparaître aux législateurs
des pays étrangers, surtout à ceux qui se sont inspirés de nos
Codes. Le ministère public existe, aujourd'hui, avec des diffé-
rences inévitables de détails et d'organisation, dans la plu-
part des États de l'Europe et de l'Amérique. C'est surtout au
poJDtde vue du rôle réservé aux particuliers dans la poursuite
que les législations contemporaines se montrent plus ou moins
libérales.
80. C'est ainsi que, malgré l'admission du système de la
poursuite par le ministère public, les législations autri-
chienne et allemande s'écartent nettement du système fran-
çais.
•
Le principe qui domine le Code autrichien de 1873, c'est
que « la poursuite en justice d'un acte punissable n'a lieu
que sur la réquisition d'un accusateur » (§ 2). Mais le mi-
aislère public n a pas le monopole de l'exercice de l'action
publique. L'accusateur peut être, soit le ministère public^
soit la partie lésée, a) Le ministère public est maître de son
action. Deux conséquences corrélatives en résultent. Il peut
renoncer à son action en tout état de cause, et, s'il se
désiste, il dessaisit le tribunal et détermine obligatoirement
l'acquittement de l'accusé. 11 ne suffit donc pas, comme en
France, que l'action publique soit mise en mouvement pour
que le juge puisse statuer; il faut encore qu'elle ne soit pas
abandonnée (§§ 109, 227, 259). Le ministère public peut éga-
lement se passer, pour saisir la juridiction de jugement, d'une
décision préalable des juridictions d'instruction : dans ce cas,
il rédige l'acte d'accusation et saisit, par le dépôt de cet acte,
le tribunal qui doit en connaître (§ 207). />)A côté du minis-
tère public, la partie lésée peut agir, soit comme accusateur
privé (Pr«t'a/a/iA/ayfr),soit comme accusateur privé subsidiaire
[Suhidiaranklafjer], soit comme partie civile, joignant son
« a bien le droit de la vindicte publique : et c'a été sagemoiil et humaine-
*' ment fait, de l*avoir plantt^ et subrogé au lieu de ceux, lesquels en estât
<' populaire se mpsioient d'accuser autruy sans Interest particulier qu'ils
« eussent ».
466 PROCÉDURK PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIU^Ï
aclioD privée à la poursuite du ministère public [Privath^
ih^iliyler), L*accusation privée consiste dans ledroit reconn ^
aux particuliers de porter directement l'action publique de
vaut le tribunal de répression (§ 46). Ce droit appartient à l<
partie lésée, seulement pour les délits qui ne peuvent olrt
poursuivis que sur sa plainte. Dans ce cas, la partie lésée
procède, « pour les besoins de son accusation, de la même
manière que le ministère public » (§ i6j. Elle est maîtresse d(
Taccusalion, et, si elle y renonce, Taccusé doit être acquitté.
La partie lésée a le droit d'exercer Taccusation privée subsi-
diaire, dans le cas où le ministère public refuse de poursuivre
ou abandonne la poursuite commencée (§ 48). Elle conclul
alors à Tapplication de la peine, à la place du ministère
public. Telle est Taccusation privée subsidiaire qui constitue
Tune des innovations caractéristiques du Code de i873. Enfin,
la victime du délit peut se porter partie civile, en joignant son
action à la poursuite du ministère public. « Toute personne
« lésée par un crime ou par un délit qui doit être poursuivi
« d'office peut, jusqu'au commencement des débats, joindr*^
« son action civile à la procédure et devenir ainsi partie civile m
(§ 47).
Le Code de procédure allemand de 1877 consacre le prin-
cipe d'après lequel les tribunaux ne peuvent se saisir d'of-
fice'. L'accusation est confiée au ministère public *^ Mais,
d'une part, les officiers qui le représentent n'ont que Texer-
cice de l'action publique et n'en sont plus les maîtres dès
qu'ils l'ont intentée. D'autre part, un grand nombre d'infrac-
tions ne peuvent être poursuivies que sur plainte de la par-
tie lésée. Ce qui caractérise surtout la législation allemande,
au point de vue du rôle des particuliers, c'est la séparation
• C. proc. ail., § 151 : « L'ouverture d'une instrucliori judiciaire est su-
bordonnée à rintroduclion d'une accusation {Ktage) ».
'0 Le ministère public se compose du parquet du tribunal do TEinpire;
qui comprend un procureur supérieur et plusieurs procureurs de TEmpire,
des procureurs d'Etat près des tribunaux r.'prionaux supérieurs et dos tribu-
naux régionaux, et des procureurs de bailliage près des tribunaux do bail-
liage.
NOTIONS GÉNÉRALES SUR l' ACTION PUBLIQUE. 167
de raclioQ pénale et de l'action civile. La faculté de porter
la demande en dommages-intérêts devant les tribunaux de
répression n'est pas ouverte à la partie lésée ^*. Sa participa-
lion à Teiercice de l'accusation se manifeste de trois ma-
nières, a) Le droit de plainte lui est ouvert, et la plainte est
oécessaire, dans certains cas, pour que le ministère public
puisse agir. La loi allemande considère, en effet, certaines
infractions {antraf/sdelikte) comme revètanl un caractère per-
sonnel parce qu'elles lèsent surtout les intérêts privés ou parce
qu'elles portent atteinte à l'honneur ou à la considération des
^amiIles*^ Pour ces délits, le plaignant « qui est en même
temps partie lésée » peut se pourvoir devant le su[)érieur
hiérarchique de l'agent du ministère public qui refuse de
donner suite à la plainte. Un cas de rejet de ce pourvoi, il
peut alors en appeler au tribunal régional supérieur ou au
tribunal de TEmpire qui a le droit d'ordonner la mise en ac-
cusation de l'inculpé. Dans ce cas, le ministère public est
tenu d'intenter l'action, mais non de la soutenir : la partie
lésée qui aura provoqué cette mesure peut alors intervenir.
A) A côté du droit de recours, la partie lésée possède, dans les
délits d'injures et de lésion corporelle, le droit d'accusation
privée (privatklage), « sans qu'il soit nécessaire pour elle
d'invoquer préalablement le concours du ministère public »
(§414). c) Enfin l'accusation, par voie d'intervention [nehen-
klagp) est accordée à la partie lésée dans trois hypothèses. Elle
appartient d'abord à toute personne ayant le droit d'accusa-
tion privée. Cette personne peut, « en tout état de la procé-
(« dure, joindre son action à l'accusation publique en qualité
« d'accusateur par intervention. Cette intervention pourra
« même se produire après le jugement en vue d'user d'une
« voie de recours » (§ 417). Le droit d'intervention appartient,
** C. de proc. alL, S 433. C'osl une règle qui existait déjà dans plusieurs
États germaniques. Cfr. Daguin, Code de procédure pénale aUemand^
p. 233, note 1 .
'^ Ces infractions spéciales sont énum^nîes dans le Code [)énal allemand
du 31 mai 4870. Une loi du 26 février ISTft en a diminué le nombre (Anvu
legid. éir.f 1877, p. 135).
468 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
en second lieu, au plaignant, qui, sur le refus du ministère
public de poursuivre, a obtenu du tribunal une décision
ordonnant la mise en accusation, pourvu que Facte punissable
ait été dirigé « contre sa vie, sa santé, son état civil ou ses
biens » (§ 435). Enfin, la partie lésée peut encore se joindre
à la partie publique, en qualité d'accusateur par intervention,
quand la loi lui permet de réclamer une composition (Biisse)^^,
En résumé, ce qui parait caractériser la législation alle-
mande, au point de vue de Taccusalion, c'est le rôle trop ei-
clusif donné au ministère public, rôle qui répond bien aui
tendances centralisatrices de TAIIemagne moderne.
81. L'Angleterre est le seul pays de l'Europe où les parti-
culiers ont un rôle prépondérant dans la poursuite. Mais ce
système, qui est le trait distinctif de la procédure pénale an^
glaise, ne repose pas sur la confusion de l'intérêt social et de
l'intérêt privé dans la répression. Non seulement, en effet, la
législation anglaise repousse l'idée qui ne voit, dans Tinfrac-
tion, que le tort causé aux particuliers, mais elle n'admet pas
l'existence de délits privés, c'est-à-dire de faits qui, bien que
délictueux, ne peuvent être poursuivis que par la partie lésée.
La poursuite a lieu, dans l'intérêt public, par tout citoyen ou
" C. proc. ail., § 443. La composition est une nfparation pécuniaire ou
plutôt une sorte d'amende, à laquelle peut être condamné, par les tribunaux
criminels, l'individu coupable de certaines infractions.
D'après le Code pénal allemand (§ 188), dans les cas de diffamation et de
calomnie, « lorsque l'injure aura porté préjudice à la fortune, à la position,
« ou à l'avenir de l'inculpé, le tribunal pourra, en outre de la peine privée,
« prononcer, au profit de ce dernier, sur sa demande, une amende qui n'ex-
a cédera pas 2.000 thalers. Dans ce cas, TofTensé ne pourra plus obtenir
" d'autres dommages-intérêts ». Le § 231 permet également, en cas de lésions
corporelles, d'attribuer à la partie lésée une composition [Busse) de 2.000
tbalers au maximum. Et le paiement do cette composition exclut aussi le
droit de demander d'autres dommages-intérêts. Même système pour les dé-
lits de contrefaçon (Ann, de légisLétr., 1871, p. 131, 138, 205; 1864, p. 140
4876, p. 100, 112, 130). Ce système diffère, à deux points de vue surtout,
du système do la réparation civile. Le juge allemand peut bien allouer uiu
5<jmme d'argent qui n'est pas en rapport avec le dommage causé. Mais I,?
victime ne peut cumuler la composition et les dommages* intérêts.
NOTIONS GÉNÉRALFS SUR l' ACTION PUBLIQUE. 109
toute association créée pour cet objet. C'est la « popular ac-
tion ». De tout temps, du resle, deux officiers de la couronne,
Vattorney gênerai ei\e solicitor gênerai, qui est son substitut,
ont pu exercer les poursuites dans des cas exceptionnels ou
lorsque les intérêts de la couronne sont directement en jeu**-
Bien que les inconvénients résultant de Tabsence d'un minis-
tère public aient été atténués parie caractère tout particulier,
en Angleterre, de la magistrature, du barreau, de la police*',
par la création d'associations pour exercer des poursuites, ces
inconvénients ont été vivement ressentis et signalés, notam-
ment dans le rapport publié en i874 par la commission par-
lementaire d'organisation judiciaire qui étudia la question de
rétablissement d*un public prosecutor. La loi du 3 janvier
1879, devenue exécutoire le l"**^ janvier 1880, a institué un
directeur des poursuites criminelles qui doit, sous la surveil-
lance de Vattorney gênerai, intenter et poursuivre les procé-
dures criminelles et donner, aux officiers de police et à toutes
personnes, officiers ou non, engagées dans un procès crimi-
nel, son avis et son assistance. Mais la loi maintient expressé-
ment le droit de tout particulier d'intenter ou de conduire
n'importe quelle poursuite criminelle. Le principe de Taccu-
sation populaire n*a donc pas été entamé par la réforme timide
de 1879.
En 1883, une commission royale a été chargée de faire une
enquête sur le fonctionnement de Toffice du directeur des
poursuites criminelles. Son rapport a été le préliminaire de la
loi du 14 août 1884, provoquée par cette commission. On
s'était demandé s'il était opportun d'étendre à PAngleterre les
** M. Prins, chargé par son gouvernement d'aller étudier le fonctionne-
ment de la procédure pénale à Londres en 1879, constate, dans son rap-
port, qu'il y a sur le continent un vice saillant : la coalition inconsciente et,
pour ainsi dire, inévitable, du parquet, du juge d'instruction, de la police el
de la magistrature assise contre l'accusé ; qu'en Angleterre, il en est tout
autrement, les divers éléments, qui concourent à l'application de la loi pé-
nale, se contrôlant les uns les autres.
*• Le public anglais vient en aide k la justice, le public français lui est
hostile.
170 PROCÉDURE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
systèmes écossais et irlandais, d'après lesquels des procureurs
fiscaux ou des solicitors de la couronne, résidant dans chaque
région, font rapport de chaque délit grave, aussitôt après sa
découverte^ respectivement au Lord advocate, en Ecosse, et
à Vattomet/ f/enpral, en Irlande. La commission n'a pas mé-
connu Inutilité de ce réseau d'agents de surveillance et de
poursuites ; mais, reculant devant certaines difficultés d*ordre
budgétaire, elle s*est bornée à proposer la modification et le
développement du système créé en 1879. Aujourd'hui, tout
solicitor assistant du Trésor peut suppléer le soUcitor gênerai
dans les fondions de directeur des poursuites publiques.
L'officier en chef de tout district de police doit fournir, de
temps à autre, au solicitor gênerai, des renseignements sur
les crimes justiciables des assises qui auront été commis dans
son ressort. Mais la loi de 1884, qui supprime certains
rouages, ne donne pas de pouvoirs nouveaux à ce ministère
public embryonnaire '^
82. Les actio7is populaires ont été l'une des institutions les
plus originales du droit romain. Pour les caractériser d'un
mot, on peut dire, avec Geib^\ qu'elles furent relatives à des
« actes défendus qui apparaissent en quelque sorte comme
le chaînon de jonction entre les infractions proprement
dites, renvoyées aux quœtiones perpétuas, et les simples délits
privés n. Les Romains n'ont jamais eu l'idée de créer un mi-
nistère public. La protection de l'intérêt général n'étant pas
assurée par Tactivilé de magistrats, ils la confièrent à tous les
citoyens de l>onne volonté qui devenaient ainsi les représen-
tants de l'État. De nos jours, l'intérêt public a, dans presque
tous les pays, son représentant légal, le ministère public;
aussi le système des actions populaires n'a été conservé qu'en
Angleterre, pour la poursuite des infractions. En France, les
très rares exemples de fonctions judiciaires, appartenant à
tous les citoyens, se rattachent au droit électoral et n'ont qu'une
**» V(»y. Nourrisson, De la participation des particuliers à la poursuite
des crimes et des délits (Paris, 1894), p. 159 et suiv.
'^ Li'hrbuch des deulschcn Strafrechts^ t. i, p. 69.
DE l'organisation DU MINISTÈRE PUBLIC. i71
analogie lointaine avec les actions populaires romaines. Ainsi,
Tarticle 123 de la loi du 15 mars 1849 permet, à tout citoyen
inscrit dans une circonscription, de porter plainte pour les
délits commis à l'occasion d'une élection; mais bien qu'il ne
s'agisse là que de Tacte préliminaire de la poursuite, et non
d'uD véritable droit d'action, la jurisprudence a conclu, du
caractère de <( plainte », donne à cette initiative civique, au
droit, de tout citoyen inscrit, de mettre en mouvement l'ac-
tion publique. En un mot, les électeurs du collège qui a pro-
cédé à l'élection, à Toccasion de laquelle des crimes ou délits
auraient été commis, sontinvestis, à raison de leur seule qualité
(Tëlecleurs, et sans avoir à justifier d'un préjudice personnel^
du droit de poursuivre, comme parties civiles, ces crimes et
délits'*. Mais le ministère public, dans ce cas même, reste
l'agent de la poursuite, comme il l'est toujours quand il y a
partie civile en cause. Ce n'est donc qu'en qualité de partie
civile que l'électeur figure au procès, et non en qualité de
ministère public*', et il n'y a pas là un véritable cas d'arcnsa-
tionpopulaire^'^, car si l'intérêt général est le seul mobile de
l'action de l'électeur, cet intérêt général a toujours pour re-
présentant un fonctionnaire, le ministère public.
§ XIII. - DE L'ORGANISATION DU MINISTÈRE PUBLIC.
S3. Orgaoisalioo ideutiquo du ministère public ea matière pénale et en matière civile.
— 84. Les membres du miQi^tère public, agents du pouvoir exécutif auprès des
tribunaux, sont amovibles et révocables. — 85. Unité et subordination hiérarchi-
ques. — 86. Aucune juridiclioti pénale n'est compir'te sans ministère public. —
87. Correspondance entre l'organisation des tribunaux de répression et l'organisa-
'• Voy. Cass., 16 mars 1878 (D. 78. 1. iV7), cassant un arr<5t contraire
^ela Gourde Montpellier du il nov. 1877 (S. 77. 2. 32tî); Montpellier,
10 DGF. 1894 (S. 96. 2. 201) et les notes de M. Ville v sous ce dernier arrôt
et l'arrêt de la Cour de cassation .
*• Une tentative de n^surrection des actions populaires a eu lieu, on Italie,
à propos de Tadministralion et de la surveillance d»'s (établissements de
bienfaisance. Loi du 17 juilh't 1890 (Ami, de léfjisL étr., 1890, p. :i8j). D'un
autre ciMé, la loi espagnole du 20 février 1890 décifle que l'action pénale,
naissant des délits électoraux, est publique, c'est-à-dire qu'elle peut être
mise en mouvement par tout électeur aussi bien que par le ministère public.
^ Comme )e dit, cepeDdanl, Laborde, op. cit., p. 448.
I
172 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
tion du ministère public. Tribunaux de simple police. Parquet des tribunaux de
première instance, des cours d'appel, de la Cour de cassation. — 88. Indivisibilité
du ministère public. — 89. Remplacement.
83. L'orgaDisation du mÎDislëre public est identique,
quelles que soicot ses fonctions. 11 n'y a pas un ministère pu-
blic autrement constitué en matière pénale qu'en matière
civile. G*est une des conséquences les moins contestées et les
moins contestables de l'unité de la justice civile et de la jus-
tice pénale.
Les règles suivantes résument les principes qui régissent
rinstitution, au point de vue de la poursuite des inculpés de
crimes, de délits et de contraventions.
84. « Les officiers du ministère public sont agents du pou-
voir exécutif auprès des tribunaux » (D. 16-24 août 1790,
tit. VIII, art. I). On les appelait, autrefois, à raison de ce ca-
ractère, les « gens du roi* )>. Sur leur mode de nomination,
deux systèmes ont été pratiqués. D'après le premier, les mem-
bres du ministère public sont désignés à l'élection. Mais cVst
un système qui présente un double inconvénient. Il fait échap-
per les membres du ministère public à Faction du pouvoir qui
n'a plus de représentants dociles auprès des tribunaux. Il les
faitdépendre du corps électoral, aux intérêts et aux passions du-
quel ces agents peuvent être tentés de subordonner l'exercice
de Taction publique. Aussi le procédé qui consiste à leur
donner le carartère de fonctionnaires^ institués directement
par le chef du pouvoir exécutif, est presque partout suivi et
approuvé. C'est le système actuellement en vigueur en France.
On est appelé à remplir les fonctions du ministère public
près les tribunaux d'arrondissement, les cours d'appel et la
Cour de cassation, par un décret du président de la Répu-
blique, rendu sur la proposition du garde des sceaux et la pré-
sentation des chefs de la cour où la vacance se produit (L. 25
§ XIII. * Gentcs nostrœ (Ord. du 25 mars 1302, chap. 2t, Ord, dea rois de
France^ t. 1, p. 361). Les officiers du ministère public ont seuls gardé ce
litre (le gens du roi qu'ont porté primitivement tous les officiers royaux.
DB l'organisation DU MINISTÈRE PUBLIC. 173
révr. 4875, art. 3)'. Ce mode de aomiaalioa esl tellemeDl
:oQforme à la nature des fonctions du ministère public que,
ï répoque même où les tribunaux se recrutaient par Télec-
lion, le chef de TÉtat avait conservé la nomination des com-
missaires du gouvernement et de leurs substituts '. L'ofGcier
ju ministère public nommé doit se faire recevoir et installer^.
La réception consiste dans la prestation de serment', etTinstal-
lation, dans la cérémonie par laquelle un magistrat est admis
à siéger pour la première fois dans la compagnie où il est
nommé. Ces règles sont communes au\ juges des cours et
tribunaux et aux membres du ministère public \ La princi-
pale différence qui sépare la magistrature debout de la magis-
trature assise^ consiste en ce que la première est amovible et
révocable. C'est la conséquence du caractère même de l'in-
stitution : agents du pouvoir exécutif, chargés de veiller à
lexécution des lois et de requérir au nom du gouvernement,
les membres du ministère public ne pourraient être inamo-
vibles sans cesser de dépendre du chef de TÉtat '.
• Pour les colonies, les nominations se font sur la proposition du garde
des sceaux et du ministre des colonies et le contre-seing de ce dernier
(Ord. 28 juin. 1841, art. 1).
3 D. 16-24 août 1790, tit. VIII, art. 1 ; D. 27 novvl" déc. 1790, art. 23;
Const. 5 fruct. an III, art. 216 et 261.
• Pour les détails sur ces deux formalités : Garsonnet, op, cit.y t. 1, § 182,
p. 302.
• Aujourd'hui que le serment politique est aboli (D. 5 sept. 1870), les offi-
ciers du ministère public ne prêtent qu'un serment professionnel.
• Quant aux conditions d'aptitude pour être appelé aux fonctions du mi-
nistère public, voy. Garsonnet, op, cit., § 77, t. I, p. 296.
^ On appelle le corps du ministère public la magistrature debout, par
opposition à la magistrature assise^ parce que ses membres se lèvent pour
adresser des réquisitions aux membres des cours et tribunaux (jui jugent
assis sur leurs sièges.
• Les magistrats du ministère public devraient-ils être inamovibles ? Voy.
sur la question : Mangin, op, cit. y t. 1, n» 121 et la note. M. Larnaude, re-
grettant à la Société des prisons (Rci\ pénit.y 1896), à propos de la discus-
sion sur la poursuite des crimes et délits par les associations, l'inamovibilité
du ministère public qui faisait en grande partie sa force dans notre ancienne
législation, disait : « Je ne crois pas cju'il soit bien de faire dépendre en fait
ni PROCÉDURE PÉNALl. — DES ACTIONS PUBLIQUE KT CIVILS.
85. On a donné pour base, h Torganisalion du ministère
public, un principe qui en fait la force, celui de Vunité et
de la subordination hiérarchiques*.
Les procureurs généraux, les avocats généraux, les substi-
tuts du procureur général, les procureurs de la République,
leurs substituts, les commissaires de police, les maires et
adjoints, tous fonctionnaires du ministère public, sont f/nts
entre eux par un lien hiérarchique^ qui aboutit au garde des
sceaux, ministre de la justice, et qui permet à celui-ci, à titre
de représentant direct du pouvoir exécutif, de communiquer
à Tcxercicc de Taction publique en France la puissance de
Tunité (D. 30 mars 1808, art. 80 et 81; L. 20 avr. 1810,
art. 60; C. inslr. cr., art. 274).
Cette subordination, en ce qui concerne les membres do
ministère public, a, pour sanction dernière, la révocation qui
peut les frapper sans motifs et, à plus forte raison, les atteindre
à juste litre s'ils manquent gravement aux devoirs de leur
charge. C'est la conséquence de leur amovibilité. Mais, de plus,
celte subordination se manifeste par un pouroir disciplinaire
qui n'appartient pas aux cours et tribunaux près desquels
les membres du ministère public exercent leurs fonctions,
mais à leurs supérieurs hiérarchiques. Il convient, à ce point
de vue, de distinguer entre le procureur de la République^
d'une part, le procureur général et le garde des sceaux.
" fie tels ou lels électt^irs, «le tels ou tels hommes politiques, quels qu'ils soient,
« à quelque opinion qu'ils appartiennent, l'action de la justice. Or, c'est h
« quoi l'on s'expose en rattachant d'une manière trop étroite (et peut-tHre
« ne peut-on pas faire autrement) le ministère public à Porgane politique, par
<« excellence, le Gouvernement »>. L'influence de plus en plus grande décon-
sidérations d'ordre politique sur Tadminist ration de la justice, est, en effet,
un vice tel qu'on a pu rechercher, dans l'inamovibilité du ministère public,
un af»pui pour son indépendance. Mais ne nous illusionnons pas : l'indé-
pendance tient au caractère plus qu'aux institutions. L'idée de confiera des
associations l'exercice de Tact ion publique en concours avec le ministère pu-
blic est née de cet état de choses- Voy. Paul Nourrisson, La%»ociatioH con-
tre le crime (Paris, 190i), p. 7 à 22.
• Comp. : Bruneau, Ik la hiérarchie du ministère publie {Revue histo-
riqney 1800, t. 6, p. 171 j.
DE L ORGANISATION DU MINISIKRE PUBLIC. IT.T
d'aulre part. Le procureur de la République n'a pas été
investi d'un pouvoir disciplinaire. Il n'a, sur ses substituts et
sur les officiers du ministère public près les tribunaux de
police, qu'un droit de surveillance et de direction (C. inslr»
cr., art. 289; L. 20 avr. 1810, art. 6 et 47; D. 18 août 1810,
art. 16 et 19). Mais le procureur général a, sur tous les offi-
ciers de son ressort, un véritable pouvoir disciplinaire qui
lui donne le droit de les rappeler à leurs devoirs (L. 20 avr.
1810, art. 60), et le garde des sceaux, qui exerce sur tous les
officiers du ministère public la plus haute autorité discipli-
naire, peut les mander devant lui ou leur faire adresser, par
les procureurs généraux, les injonctions qu'il juge nécessaires
(S.-C. 16 tlierm. an X, art. 81 ; L. 20 avr. 1810, art. 60).
La possibilité d'une révocation exclut-elle la possibilité
d'une poursuite disciplinaire des membres du ministère pu-
blic devant le Conseil supérieur de la magistrature, institué
par la loi du 30 août 1883 (art. 13 et 14) ? L'amovibilité ne
serait pas une raison suffisante pour les soustraire à celte
haute juridiction ; mais la discipline de ces officiers a été orga-
nisée, d'une manière spéciale, par voie hiérarchique. C'est
qu'en effet, le principe de l'indépendance du ministère public,
à l'égard des tribunaux, ne permet pas de le soumettre, même
par mesure disciplinaire, à la surveillance de la Cour de cas-
sation *•.
86. Aucune juridiction pénale n'est complète sans minis-
tère public et ne peut valablement tenir audience hors sa pré-
sence.
a) Le fonctionnement de tout tribunal de répression impli-
que essentiellement, en efTet, rexislencc d'un ministère pu-
blic qui est le rouage indispensable de la poursuite. 11 n'en est
pas de même dans tous les tribunaux rendant la justice civile.
Il n'existe pas, en effet, de ministère public près les tribunaux
de commerce, ni près les tribunaux de paix ou les conseils
'^ Dans ce sens : Esmein, sous Cass., Ch. réun. (Cons. sup. de la magis-
trature), 27 avril 1898 (S. 99. 1. 385, § 1).
176 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILI.
de prud'hommes. G*esl ainsi que le juge de paix, siégeant
comme juge de police, est assiste d'un ministère public, tan-
dis qu'il est privé du concours de tout officier du ministère
public quand il siège comme juge civil.
b) Le ministère public devant assister à tous les actes de la
procédure pénale et aucune procédure pénale n'étant valable
sans son intervention *', il faut qu'il soit constaté, par les actes
de la procédure, notes sommaires, jugement, procès-verbal,
etc., et ce à peine de nullité^ que le ministère public a assisté
à toutes audiences de la cause et donné ses conclusions avant
tout jugement ou a été mis en demeure de les donner '^ C'est
une règle qui se rattache à la composition régulière de la ju-
ridiction et qui est, à ce titre, d'ordre public (C. instr. cr.,
art. 190 et 210).
87. La loi a dû établir et a, en effet, établi une e\acte
correspondance entre Torganisalion du ministère public et
celle des tribunaux de répression^ autour desquels le minis-
tère public doit évoluer.
Mais, à cet égard, il importe de séparer, pour en faire deux
études distinctes, les juridictions de police des autres juridic-
tions pénales.
1. Près le tribunal de police, qui est tenu par le juge de
paix, en qualité de juge de police, il existe, bien entendu,
un ministère public dont la présence, à toutes les audiences
de la cause, doit être régulièrement constatée, à peine de
nullité du jugement*'.
•• Le ministère public doit être entendu ou mis en demeure de présenter
Ses conclusions, non seulement sur le lond, mais sur tous les incidents qui
donnent lieu à un juj^ement. Conf. Cass., 30 sept. 18*3 (S. 43. 1. 928).
Mais, quant aux conclusions que doit présenter le ministiTe public, il suffit
qu'il exprime une opiniun et c'est une opinion que de s'en rapporter a la
prudence du tribunal. Cass., 0 mai 1808 (D. A. v° \nstr. crim., n° 887);
Merlin, Hêp,^ v^ Minisl. public^ § 7, n*» 1 4.
''^ Jurispruilt-nco constant»*. Voy. 1<'S nombreux arrêts cités dans le Hé'
pi'vi, iftn, ulph, du droit franrais^ s^ Jinjernent et arnt (mal. crim.), n"* 98
h 117, l'I surtout n° 105.
'^ Voy. Cass., 23 oct. 1H«J7 (S. 98. i:i2).
DB l'organisation DU MINISTÈRE PCBLIC. 177
L'orgaoisaiioQ du ministère public près le tribunal de
police se trouve aujourd'hui fixée par l'article 144 du Code
d'instruction criminelle, modifié par la loi du 27 janvier
1873**. Ce texte dislingue implicitement deux classes d'offi-
ciers remplissant ces fonctions : 1** Ceux que la loi en investit
directement, sans désignation du procureur général. Ce
sont : le commissaire de police du lieu où siège le tribu-
nal, et, en cas d'empêchement ou, à défaut, le maire, les
adjoints et les conseillers municipaux dudit lieu, dans Tor-
dre du tableau; 2° Ceux que le procureur général peut dési-
gner, qui tiennent directement leur délégation du chef su-
prême du ressort. Ce sont : l'un des commissaires de police du
chef-lieu, s'il y en a plusieurs, et, à défaut de commissaire
de police au chef-lieu, soit un commissaire de police résidant
ailleurs qu'au chef-lieu^ soit un suppléant du juge de paix,
soit le maire ou l'adjoint du chef-lieu, soit un des maires ou
adjoints d'une autre commune du canton, lequel est désigné,
à cet effet, par le procureur général pour une année entière,
et est, en cas d'empêchement, remplacé parle maire, par l'ad-
joint ou par un conseiller municipal du chef- lieu de canton.
En supposant, par conséquent, la désignation faite par le
procureur général, le ministère public près le tribunal de
police est exercé : 1° Par le commissaire de police, et, s'il
n'y en a qu'un, c'est cet officier de police qui est investi, par
la loi même et la loi seule, du ministère public, sans que le
procureur général ait à lui déléguer ces fonctions, sans qu'il
puisse même les lui enlever; 2** Par Tune des personnes dé-
signée par le procureur général, parmi celles qui exerc^ent,
dam le canton^ les fonctions administratives que la loi in-
dique. Dans ces limites, mais seulement dans ces limiles^^ le
** Le commentaire de cette loi se trouve dans un certain nombre de cireu-
laires ministérielles (Cire, jusl., 0 fevr. 1873, 13 avr. 1874-, 3 fiWr. 1879).
Voy. L. Munsch, Répertoire (jcncral des circulnireft et instrurtion.'i du wi-
nistèredela justice (1790-1890), 2 vol. in-S^, 1900. Comp. Cambuzal, Du
ministère public près les tribunaux de police [Rev, crit.j 1879, p. 279).
*• Voy. notamment : Cass., 4 noiU 1877 (D. 78. \. 393), et les conclusions
de M. l'avocat gr'^néral Lacuinta. il est hien entendu, que le procureur génMil
(\, \\ [\ _ I. 12
178 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
choix du procureur général s*exerce librement, sans qu'il soit
astreint h suivre 1 ordre de préférence indiqué par le texte.
Bien que la délégation n*ait lieu, d*après les termes de Tar-
ticle 44i, que pour un an, en fait, elle n*est pas renouvelée
chaque année; Tofficier délégué continue Texercice de sps
fonctions tant qu'il conserve la qualité à laquelle elles sont 1
attachées, ou jusqu'à démission ou révocation; 3° En cas d'em-
pcchemenl temporaire de Tofficier désigné par la loi ou par le
procureur général, c'est le maire, l'adjoint, ou, à leur défaut,
un conseiller municipal du chef-lieu, lequel est pris dans l'or-
dre du tableau, ou désigné par le conseil dans les termes de
l'article 84 de la loi du 5 avril 1884**, qui le remplace dans
les fonctions de ministère public près le tribunal de police^'.
Cette* organisation, établie ou plutôt modifîée par la loi du
27 janvier 1873, a eu un double but : d'une part, soit par
l'intervention du procureur général auquel on a donné un
droit de délégation qu'il n'avait pas, soit par l'adjonction des
conseillers municipaux du chef-lieu comme remplaçant l'of-
ficier absent ou em[)èché, on veut assurer, en toute éventua-
lité, le service du tribunal de police qui ne peut fonctionner
sans son ministère public; d'autre part, on veut permettre au
ne pouvant (k-légucr les fondions de ministère pul»lic qu*à Pun îles {igenls
ay.iiit Ifi qualité officielle délerininée par l'arlielo 144, la cessation îles fonc-
tions à raison desquelles la délégation a été faite met nécessairement fin à
la dolé^r^tion.
'«Cass., :< juin 1892 (S. 92. 1. 471; D. 93. 1. 512); 9 déc. i893 (S. 9k
i. 108).
'^ 'Avant la loi de 1873, les conseillers municipaux n'avaient, en aucun
cas, qualité puur remplir les fonctions du ministère public près le tribunal
de police. Voy. Mangin, Act, pnbL, t. 1, n« 101 ; Cass., lOsepL 183î> (S. 35.
1. 919). Aujourd'hui, les conseillers municipaux sont investis du droit de
fonctionner dans ce rûle, mais à la condition absolue d*oI»server Tordre dé-
terminé par la loi. Ainsi est nul le jugement du tribunal do police, en cas
«rempOchemenl des ofliciers app«'lés, soit de plein droit, soit par la désigna-
tion du pn>cureur génénd, lorsque les fonctions du ministère public ont été
remplies par un membre du cimseil muincipal délégué par le maire, bien
qu'il ne fût pas le [premier dans l'ordre du tableau, et sans que le jugement
ait c«>nstaté rempéchem»Mit de ceux qui le précédai«'nt : Cass., 18 janv. 1877
^S. 77. 1. 392); 3 juin 1892, précité.
DE l'organisation DU MIMSTKRE Pr:HLlC. \1\)
procureur général d'écarter des roiiclions de inii)istère public,
s'il en est besoin, les maire et adjoints du chef-li(îu qui ont
cessé d'être nommés par le pouvoir cenl^aP^
Quelle que soit, du reste, l'origine de leur désignation, les
agents qui exercent Taction publique devant le tribunal de
police ont reçu cette mission de la loi même et ne sont, comme
ofBciers du ministère public près ce tribunal, les délégués de
personne, pas même du procureur général. Les actes de pro*
cédure sont faits en leur nom : eux seuls ont qualité i)our
poursuivre et requérir^*; et si leurs supérieurs hiérarchiques
(procureur général et procureur de la République) ont, sur
cesofGciers, un pouvoir de direction et de surveillance, ces
mêmes supérieurs ne pourraient se substituer à eux pour
exercer Taction publique devant le tribunal de police.
II. Près les tribunaux de première instance, les cours d'ap-
pel et la Cour de cassation, il existe un parquet, expression qui
désigne, par voie dérivée, la réunion des magistrats qui exer-
ceotle ministère public près d'une même juridiction. Autre-
fois, les sièges des membres du ministère public étaient pla-
cés sur la planche même de la sallo d'audience, au pied de
l'estrade, où siégeaient les juges. D'où loriginede l'expression
« parquet " ».
Chacun des groupes qui composent le parquet forme une
'• ErI également nul le jugcmeni rendu en présence du second suppléant
de la justice de paix, qui n'avait pas qualité pour remplacer le premi»!r sup-
pléant désigné par le procureur général : Cass., 10 févr. 1888 (S. 88. 1.
34.3); 2 mars 1804 (S. 94. 1. 25'0.
'• La poursuite à la recjuôle d'un agent n'ayant pas qualité pour nimplir
les fonctions du minisb'Te public serait incontestablement nuMe elle tribunîtl
devrait le déclarer d'(»frice. — Comp. Cass., 9 mai 1801 (D. 01. 1. 393);
10 mars 1892 (D. 93. 1. 267); 3 juin 1892 ;D. 93. 1. :il2).
" Voy. Ferrièn», Dict., w^ Parquet. Dans une lettre à Gaillard, du 23 janv.
1709, Voltiiire écrit : « Les par(jui?ts de province se sont mis depuis <|uel-
que temps à écrire beaucoup mieux que le parquet de Pari? ». Conf. Littré,
Dict., V* Parquet. On donne indiiTéremment le nom de [janjuct, soit à l'en-
semble des magistrats du ministère public attacbifs à une juridiction, soit k
la place que ces magistrats occupent dans une audience, soit euliri au local
qui leur est réservé dans cba(|ue palais de justice.
180 PROCFDDRE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
unifé morale qui s'incarne en son chef. C'est à ce dernier seul
qu'est délégué, par la loi, Texercice de l'action publique. Les
autres membres du groupe, quel que soit leur titre, ne sont
qvie ses substituts^*. C'est là une règle générale, sans exception.
A. Le parquet de la cour d'appel se compose du procureur
général de la République près la cour d'appel, des avocats
généraux et des substituts du procureur général (L. 20 avr.
1810, art. 6). Il y a autant d'avocats généraux que de cham-
bres, moins une : l'un des avocats généraux est, en effet, atta-
ché tout à la fois à la chambre des mises en accusation et à
une autre chambre, sauf à Paris, où il y a sept avocats géné-
raux et neuf chambres (D. 6 juill. 1810, art. 46; D. 28 mars
1863, art. 2; L. HO août 1883, art. 2 et tableau A). Quant au
nombre des substituts, il dépend de l'importance de la cour
(D. 6 juill. 1810, art. 47; 0. l'^^ août 1821, art. 1; D. 12 déc.
1860, art. 1 ; L. 30 août 1883, art. 2 et tableau A).
Toutes les fonctions du ministère public sont spécialement
confiées au procureur général. Il est le chef du ministère pu-
blic dans tout le ressort de la cour, et les pouvoirs, confiés à
cette magistrature, ne sont exercés que par lui, ou sur son
ordre et en son nom : r II a, sur ses subordonnés, une action
disciplinaire^ 2** Il a, dans le ressort, la direction de Paction
publique; 3*^ H c%\. personnellement chargé de l'exercice de
cette action auprès de la cour d'appel, et auprès des cours
d'assises de son ressort; 4* Enfin, il porte la parole aux assem-
blées générales et aux audiences solennelles de la cour, et la
porte aussi aux audiences des chambres de la cour ou des
cours d'assises de son ressort quand il le juge utile (L. 20 avr.
1810, art. 43).
Le procureur général exerce ses fonctions, par rapport à l'ac-
tion publique, de deux manières : 1° Par voie de commande-
ment à ses subordonnés : il donne aux procureurs de la Répu-
blique tous les ordres qu'il juge convenables, relativement à
la poursuite; 2** Par voie d'action directe : soit en faisant des
actes qui rentrent dans sa compétence exclusive (par exemple
-* Sur cji point : Mangin, op, cit., \, 1, n®' 92 à 9i.
DE l'organisation DU MINISTÈRE PUBLIC. 18f
en saisissaal les cours d'assises de^on ressort), soit en faisant
des actes qui rentreraient dans la compétence de ses subor-
donnés et que ceux-ci ont omis de faire (par exemple, en inter-
jetant appel des jugements rendus par le tribunal correc-
tionnel).
Les fonctions des avocats généraux consistent à suppléer,
par rang d'ancienneté, le procureur général empêché, à di-
riger, sous son autorité et sa surveillance, les différents ser-
vices administratifs du parquet, et surtout à porter la parole
aux audiences des chambres auxquelles il sont attachés sui-
vant un roulement annuel. On dit, en effet, que chaque
avocat général a sa chambre, en ce sens que, pendant toute
Tannée, il en fait le service (D. 30 mars 1808, art. 82;
D. 6 juin. 1810, art. 42, 44 et 50). Mais les avocats généraux ne
sont, malgré leur titre, que les substituts les plus élevés du
procureur général : la loi du 20 avril 1810 le dit expressé-
ment (art. U). D'où il suit : l"* Hiie les rapports des avocats
généraux et du procureur général ne sont plus aujourd'hui
ce qu'ils étaient autrefois : on admettait généralement^', dans
notre ancien droit, que le procureur général avait la plume,
c'est-à-dire la direction du parquet, la surveillance et la dis-
cipline de ses subordonnés, l'exercice des poursuites crimi-
nelles, mais que les avocats généraux portaient seuls la parole
aux audiences. En ce sens et grâce à ces attributions distinctes,
le procureur général et les avocats généraux étaient presque
des égaux. Cette égalité et cette indépendance des fonctions,
dataient de l'origine du ministère public, les procureurs du roi
ayant été institués pour veiller àTexacte distribution de la jus-
tice, les avocats du roi, pour parler en son nom dans les pro-
cès. 11 n*en est plus de même aujourd'hui : les avocats géné-
•* C'était, du muins, la vb.gle aux parlemeiiLs tie Paris et de Bretagne;
mais elle n'était pas suivie partout. Au parlement de Bordeaux, par exem-
ple, le procureur général avait à la fois la [)arole et la plume. Dans les par-
lements où la division des fonctions existait, les avocats généraux n'avaient
aucune part à l'exercice des poursuites criminelles ; en effet, la procédure
était secrète et se faisait tout entière hors de l'audience. Voy. Faustin Hélie,
ùp. cit.f t. 1, n° 325 et suiv.
182 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE BT CIVILK,
raux n'ont pas de pouvoir propre, ils n'exercent leurs fonctioos
que sous la direction du procureur générai qui peut toujours
porter la parole, quand il le juge conyenable, aux audiences
où siège d'ordinaire un avocat général; 2* Le procureur
général peut également changer la destination des avocats
généraux en vue d'une affaire déterminée ". Par exemple, il
arrive quelquefois que le procureur général délègue un de
ses avocats généraux pour porter la parole dans une affaire
d'assises qui se juge ailleurs qu'au chef-lieu du ressort.
Les substituts du procureur général sont placés immédiate-
ment au-dessous des avocats généraux dans Tordre hiérarchi-
que, mais sans rapport de subordination des uns aux autres.
11 résulte, en effet, des textes qui les instituent, qu'ils sont
plus spécialement chargés, sous la surveillance immédiate du
procureur général, du service intérieur du parquet, de
l'examen et du rapport des mises en accusation et de la ré-
daction des actes d'accusation (L. 20 avr. 1810, art. 6;
D. 6 juin. 1810, art. 48 etol).
Les avocats généraux et les substituts se remplacent réci-
proquement en cas d'empêchements des uns ou des autres
(D. 6 juin. 1810, art. 32). Du reste, le procureur général, qui
répartit le service entre ses subordonnés, peut changer, s'il
le juge à propos, la destination qu'il a donnée à chacun d(
ses agents. 11 est, en résumé, le grand chef dans le ressort.
B. Le parquet d'un tribunal d'arrondissement se corn
pose A\x procureur de la République et de ses ^7/65/f /z//5, souven
appelés, en style d'audience, les avocats de la Républiqu<
(L. 20 avr. 1810, art. 6 et 43). Le nombre de cesderniers vari(
suivant l'importance du tribunal; il y en a un, dans les tri-
bunaux d'une chambre; deux, dans ceux de deux chambres
quatre, dans ceux de trois chambres; vingt-huit, à Parii
(D. lOaoûtiSiO, art. 16; L. 21 juin. 1875,art. 3; L. 30 aoù
1883, art. 5). Quelques tribunaux n'en ont même pas depui
la réforme judiciaire de 1883. Aussi, l'article 6 de la loi di
" Personne n'a mieux exposé celte silualion que Mangin, op. ci7., i. j
n*» 93.
f
DK l/oiî'iAMSATION Pi; MIMSIIIIU-: PI HLIC I K.'^
30 août 1883 confère au [>rocureur jr^'iirral \o dm il titî di'dc-
guor t(Mn|)orairem(*nt un subslilul ou un juge suppléant pour
remplir, auprès d'un aulre tribunal que celui de sa rêsi<l(»nce,
les fondions du minisière public.
Le procureur de la République a un double caractère, il
esl le subordonné du procureur général pour Texercice de
Taclion publique. Mais si, en celte qualité, il est tenu d'exé-
cuter les ordres de son chef et de suivre la direction qu'il lui
donne, c'est de la loi ménrie qu'il tient la délégation directe de
ractioQ publique pour la poursuite des crimes et délits commis
dans son arrondissement (C. inslr. cr., art. 22); il l'exerce
donc en son propre nom, il en est personnellement investi.
C'est donc exclusivement à sa requête que sont saisis le juge
d*inslruction et le tribunal corrcctionneP\ Mais, à la cour
d'assises, le procureur de la République n'est que le délégué
du procureur général.
Les substituts du procureur de la République sont chargés,
sous la direction immédiate de ce magistrat, de porter la pa-
role aux audiences civiles et correctionnelles du tribunal d\ir-
rondissement, et aux audiences de la cour d'assises qui se tient
dans les lieux où ne siège pas la cour d'appel, et d'assister
le procureur de la République dans le service intérieur du
parquet.
Leurs attributions sont donc analogues ;i celles des avocats
généraux et des substituts du procureur général (D. 30 mars
1808, arL 82; L. 20 avr. 18i0, art. 43; D. 18 août 1810.
art 19 à 21)".
*♦ On (lisait autrefois qiit? les procureurs du roi [»r»'S les sii''jr«'> int'«'ri«Mir5
étaient les substituts du procureur ^l'Héral près le pîtrlein«*nl. (Irth- j-xpres-
sion a éUS légalement conservée par la loi du 20 avril ISIO d'apn-s lai|U(>lle
(arL C) « le procureur général a des substituts fiour les triliuii.uix de pre-
mière instance :». L'article 43 ajoute que <• les innciions du ministère [)ul)lic
« sonl exercées dans chaque tribunal de première instance par un substitut
« du procureur général qui a le titre de procureur de la République «. Mais
cette expression n'est pus rigoureusement exacte, puisque l'action puMiipie
esl directement déléguée au procureur de la Hépublique.
'* On a soutenu que les substituts avaient un pouvoir propre et distinct
de celui du {»rocureur de la Hr-publique i»our exercer l'action publique en ce
rSi PROCÉDCRB PÉNALE. — DES ACTIONS FUBLIQUB ET CIVILE
C. Le parquet de la Cour de cassation se compose di
procureur gcocrai de la République, des avocats générau;
et du secrétaire général. Les avocats géoéraux soot au nom-
bre de s\\, deux attacbés à chaque chambre.
Le secrétaire général remplace les substituts qu'il n*a pai
paru nécessaire d*instituer près la Cour de cassation, à raisoc
du peu d'importance du service administratif.
Aucun texte spécial ne prévoit le remplacement de mem-
bres du parquet de la Cour de cassation qui se trouveraient
empêchés, mais, par analogie de Tarticle 84 du Code de pro
cédure civile, la Cour commettrait un conseiller à cet effet.
Le procureur général est le chef du parquet de la Cour de
cassation : les avocats généraux ne sont que ses substitut
(0. 15 janv. 1826, art. 45 et 46).
Il est chargé des mêmes fonctions administratives que le
procureurs généraux [)rès les cours d'appel : il porte, en ouln
la parole aux assemblées générales de la Cour de cassation
aux audiences solennelles et à celles des chambres quan
rimportance de rafîaire mérite son intervention personnell
ce qu*il lui appartient exclusivement de juger. En eiïet, 1
avocats généraux, qui assistent le procureur général dans
service intérieur du parquet et qui portent la parole, en se
nom, aux audiences de la chambre à laquelle ils sont attaché
peuvent toujours être l'objet d'un changement de destinatic
en vue d'une affaire déterminée (0. 15 janv. 1826, art. i
et 48). Le secrétaire général est exclusivement chargé de
correspondance et du service administratif : il est iiomir
par le procureur général et révocable par lui (L. 17 vco
an VIII, art. 99).
qui concerne los crimes et délits commis dans Tarrondissement. On sVst a
puyé sur l'article 9 du Code d'instruction criminelle, et sur l'article 43 de
loi du 20 avril 1810. Mais ces textes ne sont pas sufOsamment explicites
ils sont, du reste, contredits par l'article 22 du Code d'instruction crin
nelle, qui accurde le pouvoir propre au procureur de la République, combi
avec l'article 26, qui l'accorde," en cas d'empêchement, au substitut le pi
ancien ». Il ne faut d'>nc pas hésiter à reconnaître aux substituts de premiè
instance le caracb»re même des substituts d'appel. Les uns et les autr
sont sans pouvoir propre.
DR l'organisation DU MINISTERE PUBLIC. 185
Ce qu'il importe, avant tout, de remarquer, c*est que, en
général, le rôle du parquet de la Cour de cassation, au point
de vue de Taction publique, est tout différent de celui des
autres parquets. Sauf dans des cas exceptionnels, le pourvoi
qui saisit la Cour de cassation n'est ni formé ni dirigé par
le procureur général près cette Cour, mais par les parties qui
atlaquent la décision des juges du fait. Le ministère public
près la Cour de cassation n'intervient que comme partie
jointe et pour conclure à l'admission ou au rejet du pourvoi.
88. Près de chaque juridiction déterminée ^^j le ministère
public constitue un groupe de magistrats, considéré comme
kdivisible^\ En effet, devant quelque tribunal, et par quelque
officier qu*il s*exerce, le ministère public représente toujours
une seule et même personne en instance : la Société ou
ÏÉtat^*, Et, de même que, dans une association en nom col-
lectif, chaque associé, qui se sert de la signature sociale, en-
gage la personne morale de la société, de même tout acte,
hil, dans la mesure de ses pouvoirs , par un des magistrats du
ministère public qui composent le parquet, est réputé fait par
'' 11 ne faudrait pas conclure de rindivisibililé du ministère public que les
ofBciers qui Texercent se représentent à quelque juridiction qu'ils appar-
tieonenl. En effet, tous les officiers du ministère jtublic ne sonl pas indis-
tinctement compétents pour exercer l'action publique, puisque chacun ne
peut agir que dans l'étendue de son ressort. Ainsi, l'acte de poursuite du
procureur de la République qui ne serait celui ni du lieu du délit, ni du do-
micile du prévenu, ni du lieu où celui-ci a été arrêté, n'interromprait pas
la prescription de l'action publique, car Toflicier d'un parquet, incompt'tent
fHjur poursuivre, ne représente pas les officiers des autres parquets qui
s<jnt compétents.
'^ La maxime de Tindivisibilité du ministère public est reproduite de l'an-
cienne jurisprudence. Il ne faut pas exagérer sa portée. Nous avons dtijà
vu, à la note précédente, qu'elle ne s'appliquait qu'aux membres d'un même
parquet (Voy. cependant Garsonnet, op. cit.., § 71, p. 284). D'un autre
cùié, le parquet ne saurait être engagé que par l'acte valable d'un de «es
membres. Voy. Haus, op, cit.^ t. 2, n<> 1119.
^* Aussi, dans certains pays étrangers, par exemple, en Allemagne, en
Autriche, le fonctionnaire du ministère public est qualifié officiellement do
procureur d'État,
186 PROCÉDURE PÉNaLK. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
le parquet entier, car, à la pluralit«) des membres, correspond,
Y indivisibilité de la fonction. En conséquence : i* La person-
nalité des individus exerçant le ministère public disparait
dans l'institution, et il importe peu que la poursuite ait été
introduite par Tun, continuée et soutenue par d'autres : les
divers membres du ministère public peuvent donc se rempla-
cer les uns les autres dans le cours du même procès, à la dif-
férence des magisirals appelés à juger". 2* Tout membre d'un
parquet est apte à faire tous les actes que pourrait faire le cbef
du parquet. Cette aptitude n'implique pas, d'ailleurs, de pou-
voir propre, car les avocats généraux et les substituts ne sont
que les délégués de leur cbef et n'agissent qu'en vertu de son
consentement exprès ou tacite. Ce consentement est supposé
jusqu'à désaveu formel. 3*" Les membres d'un parquet se sub-
stituant les uns les autres, il suffit qu'un seul soit libre pour
qu'on ne soit pas obligé de pourvoir au remplacement du mi-
nistère public, soit par des juges suppléants (L. 10 déc. 183(K
art. 3), soit, à défaut de ces derniers, par un magistrat que
la cour ou le tribunal désigne parmi ses membres.
89. Kn effet, lu loi a dii prévoir le cas oii les membres ordi-
naires du parquet ne suffiraient pas à l'expédition des affaire:
administratives ou au service des audiences. Il v a lieu alors
de remplacer le ministère public absent ou empêché. Mais c(
« Cimp. : Cass,, 10 mai 187.j (S. 7o. i. 292); 2y jaiiv. 1879 (D. 79. i
76); 10 janv. 189i(S. 9!). 1. 97, D. 94. 1. 2t7) el les renvois. Voy. Mas-
sabiau, op, cit,, l. 1, p. 3; Garsonnel, op. ciY., § 173; Pôrier, Reçue critique
180.'), L 27, p. 507. De celle iùée que la personnalité des membres di
minisl«*re public, «lisparail, al)Sorbt'*e par riiislitution, ri^sullent : 1® GelU
forme de lan^apro •< nous concluons, nous requérons .», dont se serl, soii
qu'il parle, soit qu'il écrive, chaque agent du ministère public; 2** Celte rè
gle observée soit par les subslitiits du pnjcureur général soit par les substi
tulsdu procureur de la Hépubliqu»' de signer chacun de leurs actes (» pour U
procureur général ou pour le procureur de la Réjiublique » ; 3° Cet usage qu
s'observail aux audiences solennelles et qui paraît, de|)iiis quelques années
tomber en désuétude : lors<|u'un membre du parquet se lt>ve pour donne
des conclusions, tous ceux qui prerinj*nt rang après lui sont debout coninn
pour allesler <|u'il parle en leur nom.
DE l'organisation DU MINISTERE PUBLIC. 187
remplacemeot ae s'opère pas de la même manière deyaol le
tribunal et devant la cour, a) Si le procureur de la République
a besoin de collaborateurs, il peut demander qu'un ou plu-
sieurs juges suppléants soient attachés d'une manière pertna-
Deole à son parquet (L. 10 déc. 1830, art. 3); c'est à lui qu'il
appartient de les désigner'". Depuis la loi du 30 août 1883 qui
a supprimé un certain nombre de postes de substituts, le pro-
cureur général a même le droit de déléguer temporairement,
pour en remplir les fonctions, un juge suppléant ou un substi-
tut d'un autre tribunal du ressort (art. 6). h) Les parquets des
cours d'appel sont assez nombreux pour qu'on n'ait pas eu à
préToir cette éventualité et à organiser un corps de magistrats
remplissant, d'une manière permanente ou temporaire, mais
subsidiaire, les fonctions du ministère public. Là il ne peut être
question que de remplacer, à l'audience ou ailleurs, un mem-
bri" du parquet momentanément empêché. Ce cas est prévu
parTarticle 84 du Code de procédure civile^*. S'il se produit
dans une cour d'appel, le ministère public est exercé par un
conseiller désigné par la cour. S'il se produit dans un tribunal
de première instance, le ministère public est exercé par un
juge titulaire, désigné par le tribunal (C. instr. cr., art. 26;
D. 18 août 1810, art. 20) '\ Dans tous les cas, on appelle,
"Cass., 31 juin. i837 (D. A., v*^ Ministère public, n« 27). Les ju^^?s sup-
pl^-ants sont aptes, du rnstc, <;ii vertu de leur «jualité prupre, à remplir les
^■'iictiuns du ministère public. Ils îi'uiil duiu; p;is l»e?oin d'être dél('*gués a
ces fondions par le trihuiial. Ici ne s'applique pas l'article 20 du Code
d'instrudion criminelle. Comp. Cass., 10 juin 1883 (S. 80. 1. 143}.
^* Ce texte abroge l'article 20 de la loi du 27 venlùse an VIIF. Il a été lui-
même temporairement modifie par les articles 51 et o2 du décret du 0 juillet
18iO, 21 et 22 du décret du 18 aovU 1810. cpii créaient les conseillers-audi-
teurs et les juges-auditeurs et les appelaient, le cas échéant, à remplacer les
Dttembres du ministère pulilic. Mais la loi du 10 décembre 183(», ayant sup-
primé ces deux classes de ma^^istrats, l'art icli* Si- du Code de procédure ci-
TÎie, a repris vigueur. La jurisprudence décide, avec raison, <]ue, bien qu'il
oe soit question, dans ce texte, (|ue des juges, et que les membres de cour
d'appel, portent le titre de conseillers, la disposiliun est applicable aussi bien
aux cours d'appel qu'aux tribunaux de première instance (Cass., 30 déc*
1850, I). :U. 1. 83; 2:1 nov. ISOl, \). 02. 1. 131).
" La loi du 27 venlùse an Vlll voulait que ce choix se portât sur le juge
188 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
faute de conseiller, de juge titulaire ou suppléant dispooi-
ble, un avocat, et, à son défaut, un avoué, en suivant, pour
l'un comme pour Tautre, Tordre du tableau (L. 22 vent,
an XII, art. 30)". c) Une distinction s'impose au point de vue
de la régularité du jugement dans tous ces cas. Si le siège du
ministère public est tenu par un conseiller, un juge titulaire
ou un suppléant, il n'est pas nécessaire que le jugement re-
late Tempéchement, à peine de nullité; il s'agit, en effet, d'un
magistrat emprunté à la juridiction même, et la mission qui
lui est confiée fait présumer Tempêchement qui Ty a fait
-appeler'^ Mais quand un avocat ou un avoué remplit acci-
dentellement les fonctions de ministère public, il faut alors,
à peine de nullité, que le jugement indique deux choses :
Tempêchement même du procureur de la République, de ses
substituts et des membres titulaires ou suppléants de la cour
ou du tribunal ; Tordre suivi parmi les avocats et les avoués".
§ XIV. - DES ATTRIBUTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC AU POINT
DE VUE DE L'EXERCICE DE L'ACTION PUBLIQUE.
"90. La disposition, l'exercice et lu mise en mouvement de ludion publique. Droits
du ministère public, des particuliers et des tribunaux. — 91. Fonctions, en ce qui
concerne Texercice de l'action publique des divers membres du ministèi'e public.
^ 92. Le ministère public ne peut être récusé en mutière répressive. — 93. De
la responsabilité du ministère public et des conditions dans lesquelles elle peut
exister et s'exercer.
90. Il importe, pour se rendre compte des droits que le
ministère public, les particuliers et les tribunaux ont, en
le dernier nommé (art. 26) : mais l'article 84 ne reproduit pas celte prescrip-
tion, et, par suite, n'impose pas de l'observer sous peine de nullité (Cass.,
13 mai 1878, D. 79. 1. 08). L'article 26 du Code d'instruction criminelle,
décidant que le juge sera commis par le président, a été également modiOë
par rarlicle 20 du décret du 18 août 1810.
*' Ce texte est ainsi congu : « A compter du !•' vendémiaire an XII, les
avocats, selon l'ordre du tableau, et, apri'S eux, les avoués, selon la date de
leur réception, seront appelés, en l'absence des suppléants, à suppléer les
juge?, les commissaires du gouvernement et leurs substituts ». Voy, sur ce
point : Garsonnel, op. cit.j 2* éd., § 180.
" Cass., 28 nov. 1876 (D. 77. 1. 62); 31 juill. 1894(D. 95. i. 142).
•'^ Cass., t> juill. 1871 (D. 71. 1. 304); 27 dén. 1893 (S. 94. 1. 128). Comp.
Carsonnet, op, cit., § 1*^^> t« 1» P- 299.
LE MINISTÈRE PUBLIC ET l'eXERCICB DE l'aCTION PUBLIQUE. 489^
Fraoce, sur Taction publique, de distinguer trois choses : la
disposition, Vexercice et Yiwpuhion de celte action.
I. Au premier point de vue, l'action publique ti appartient
pas, comme leditTarticie l"du Code d'instruction criminelle,
•'aui fonclionoaires à qui elle est confiée par la loi ». La So-
ciété seule ayant'Ie droit de punir, c'est à la Société seule qu'ap-
partient Taction qui a pour objet la punition du coupable. La
Société en délègue seulement IVzé'rcïce à des fonctionnaires ou
à certaines administrations publiques, qui la représentent à ce
point de vue, et notamment, en règle générale, à un corps ju-
diciaire, institué dans ce but, et désigné collectivement sous le
nom de ministère public \ De ce principe découlent diverses
conséquences; elles se ramènent toutes à celle idée, que les
fonctionnaires du ministère public n'ont pas la faculté Aedis-
poser de l'action publique, soit avant de Tavoir intentée, soit
après ravoir mise en mouvement. Seule, la Société peut
renoncer à l'action publique : elle exerce ce droit en accor-
dant une amnistie, ou en édictant, dans les lois de prescrip^
tion, qu'après un certain temps, un délit ne pourra plus être
poursuivi.
En pratique, les corollaires à tirer de ce principe se ramè-
nent à trois. P Le ministère public, à la différence des parties
lésées (C. civ., art. 2046; C. instr. cr., art. 4), n'a pas le droit
§ XIV. * La délégation des iragislrHlsdu ministère public porte, en effel>
sur l'exercice de l'action. Le Code du 3 brumîiire an IV, disait, dans Tarti-
cle 31, plus exactement que le Gode de 1808 : « L'action [mbWque appartient
essentiellement au peuple. Elle est exercée en son nom par des fonctionnai-
res spéciaux établis à cet efTel ». Le Sellyer {Act. piibl. et civ., t. 1, 70) est
le seul auteur qui soutienne que la rédaction de l'article 1" du Gode d'in-
struction criminelle est intentionnelle. Il en tire celte conséquence que le
ministère public est le maître absolu de l'action publique, et, par suite,
que les parties lésées ne peuvent en saisir une juridiction pénale sans son
assentiment. Gelte proposition est certainement inexacte. L'erreur de rédac-
tion que nous signalons a été corrigée par les articles 1 et 3 de la loi du
17 avrill878 contenant le titre préliminaire du Gode de procédure pénale belge.
Voy. sur la question, Faustin Hélie, op. cit., t. 2, n« 577 ; Ortolan, op, cit,,
i, 2, no 1673. Get auteur, comparant la rédaction du Gode d'instruction
criminelle de 1808 avec celle du Code de l'an IV, dit : « Le langage de la
Jûi a changé, mais la vérité reste, avec ses conséquences juridiques ».
190 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET Cl\
de transiger ni avaût ni après les poursuites commencées
moins encore après la condamnation prononcée, c'esl-à-dire
qu'il n'a pas le droit de convenir avec le délinquant qu'il ne
le poursuivra pas si celui-ci exécute certaines prestations^ s'il
indemnise sa victime, par exemple, s'il fait une aumône, etc.\
2' Le ministère public ne peut, par un désistefncfU^ arrêter
les suites, soit de Faction qu*il a intentée, soit du recours
qu'il a formé*. Sans doute, après avoir commencé les pour-
suites, il peut reconnaître, à la suite de Tinstruction pré-
paratoire ou des débats, que son action est sans fondement
et requérir le renvoi d'instance du prévenu ou de Taccusé,
car il a le droit et le devoir de ne s'inspirer, dans ses réqui-
sitions, que de sa conscience et de l'intérêt de la vérité;
mais. |)ar ses conclusions favorables au prévenu ou à l'accusé,
il ne dessaisit pas et ne peut pas dessaisir les juges de l'ac-
tion qu'il leur a soumise. L'effet propre d'un désistement
valable serait d'amener ce résultat; tandis que les juges ont
le droit et le devoir de statuer sur l'action publique dès qu'ils
«n sont saisis, et par cela même qu'ils en sont saisis ^.
* Voy. Faust in flélie, op. cit., L. 2, n« 57G.
' Jurisprudence conslanto. Voy. par exemple : Cass., 29 (l<^c. 1872 (D. 7î.
5. 141); 25 janv. 1873 (D. 73. 1. 108); * avr. 1879 (D. 81. 1. 90). La Cour
(le cassation «lécido même que le minisli-re public ne peut, ap^^s s*être
pourvu en cassation contre un jugement, se désister de son pourvoi : Cass.,
21 juin 1877 (S. 78. 1. 46).
* Labonle {op, cit., p. 437, note 1) critique notre manière de voir, a) La
proposition déclarant nul le désistement du ministère public n'ajouterait
rien d'abord à celle qui d»»clare nulle sa renonciation. — C'est inexact, car
autre chose f?st la renonciation à uf) droit, autre chose le désistement de
l'action basée sur ce droit. L'n tuteur ne peut pas renoncer, transiger pour
son pupille sans l'accomplissement de certaines formalités. Le désistement
est l'abandon de Finstance: la renonciation, l'abandon de l'action, b) Cette
impuissj
pré(isém«înt à son impuissance de disposer de l'action. Les parties lésées
p<Hiv«Mit, en eirot,se désister (C. instr. cr.,art. 67), précisément parce qu'elles
sont maîtresses de leur action, c) Enfin, on prétend que l'impossibilité pour
le ministère public de se désister serait un elTet de la participation des juri-
■ V.
LE MINISTÈRE PUBLIC ET L EXERCICE DE L ACTION PUBLIQUE. lî)l
I •■.
'■■ c-'x
■ >;.-
r-,
■ ; • . >
. \
3^ Earin, le ministère public n'a pas la facuilé, par un
acquiescement exprès ou facile, clf renoncer d'avance aux
Toies de recours qui lui sont ouvertes. Kn conséquence, il
peut attaquer, par la voie de lappel ou du pourvoi en cassa-
lion, un jugement rendu conrorménient à ses conclusions. La
signiGcalion faite au condamoé du jugement, avec soinina-
lioD de Texccuter, n'enlève pas au ministère public le droit
de se pourvoir, tant que les délais ne sont pas expirés. Eniio,
le procureur général a le droit d'interjeter appel d'un juge-
oieot correctionnel, bien que le procureur de la République
ait laissé passer le délai qui lui est donné pour appeler, ou ait
consenti à l'exécution (G. inslr. cr., art. 20;i)'.
Cette conception rigoureuse est celle de la w Uyaittê », op-
posée à celle de V « opportunité « de l'action publique'. Elle
se résume dans les deux propositions suivantes : i"* C't^st une
obligation pour le ministère public d'exercer Faction pénale,
toutes les fois du moins que, dans sa conscience, il estime
être en présence d'un délit; 2" Une l'ois Taclion mise en mou-
vement, il est impossible au ministère public (Pi^ntraver la
marche du procès par un retrait de l'accusation.
II. L'exercice de Taclion publique comprend tous les actes
qui sont nécessaires pour obtenir la prononciation dune peine
contre fauteur d'une infraction. L'action publique n'est délé-
guée, dans sa plénitude, en règle générale, qu'au ministère
public : celui-ci l'exerce : 1° En saisissant les juridictions d'in-
struction ou de jugement compétentes pour en connaître;
2* En dirigeant, devant ces juridictions, par ses réquisitions,
les mesures d'instruction qu'il y a lieu de prendre; 3" En re-
dietions pénales à rexercico de raotiun luibrKjuo. — Nous lu' «:(.nn|)renons
pas cette objeclion. Les Iribuiiaux p<'jrtici|ienl à rcxercico il«' l'-iction publi-
que en ia jurant, comme le minisUTO public en l*ox«.TÇfint. Mais, «mi jH-in-
cipe, celui qui eierce l'action peut, en s»* d»>sist;int, empèojior le tril)unal «le
juger, el c*est précisémeTit cette laculLô «jui n'.ipparliont pns ;iu minislèni
public
» Cass., 20 ocL 1899 (S. 1901. i. 432).
• Expressions allemandes, Holtzendorir, Rcchtslc.rihon, v* opportunituts
princip.
192 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIYILÏ*
quérant, devant elles, Tapplication des peines édictées par la
loi; 4"" Enfin, en formant un appel ou un pourvoi encassalioa
contre lout jugement ou arrêt qui lui paraît devoir être ré-
formé ou annulé.
III. L'action publique, comme toute autre action, est ;7?t5^
en mouvement par tout acte dont TefTet est d'en saisir légale-
ment le juge. D'où il suit que le droit d'exercer l'action pu-
blique, implique le droit de la mettre en mouvement. Mais, à
l'inverse, le droit de la mettre en mouvement n'implique pas
nécessairement le droit de l'exercer. Le ministère public a seul,
en principe, l'exercice de l'action publique, c'est-à-dire le
droit de commencer le procès et de le conduire jusqu'au ju-
gement irrévocable : mais d'autres que lui ont le droit de met-
tre cette action en mouvement, c'est-à-dire de commencer le
procès, en saisissant le juge qui doit en counaitre. Le principe
et la mesure de la participation des particuliers et des tribu-
naux dans le procès pénal doivent être ainsi formulés : 1** D'un
coté, les personnes lésées par l'infraction out le droit de saisir
les juridictions de répression de l'action publique, afin de
mettre ces juridictions en mesure de statuer sur leur action
civile qu'elles peuvent poursuivre « en même temps otdevant
les mêmes juges que l'action publique » (art. 3)^ 2° D'un
autre côté, les juridictions pénales ont le droit, tantôt de se
saisir elles-mêmes d'une infraction de leur compétence,
comme en cas de crime ou de délit commis à leur audience
[poursuite d'office), tantôt de saisir de la poursuite une autre
juridiction, comme en cas d'ordonnance ou d'arrêt de renvoi
[droit d'impulsion).
Mais, dans les cas mêmes où l'initiative du procès ne lui ap-
partient pas, c'est le ministère public qui exerce l'action pu-
blique en accomplissant tous les actes, autres que la mise en
mouvement, qui seront nécessaires pour la faire aboutir, c'est-
à-dire pour faire juger le procès pénal. Toutes les foisdoncque
l'on sépare le droit de mettre l'action publique en mouvement
" Kaoul «Ida Grasserie, De la participation d«; la personne lésée à faction
publique {Her, crit.y 1H96, p. 629).
J
us mmsTÈRB PUBUC ET l'exercice de l'action publique. 193
du droit d'exercer celte action, le premier se borne à la fa-
culté de commencer la poursuite en saisissant le juge, tandis
que le second consiste dans le pouvoir de poursuivre l'action
jusqu'à ce qu'elle soit épuisée par une décision passée en
force de chose jugée.
Le ministère public agit toujours par voie d'action en ma-
tière répressive; on dit, par suite, qu'il est partie principale
dans le procès pénal, pour exprimer qu'il joue, dans ce pro-
cès, le rôle de demandeur. Eu matière civile, au contraire, le
ministère public agit, presque toujours, par voie de réquisition ^
c'est-à-dire qu'il intervient pour conclure dans un procès déjà
pendant et qu'il n'a pas introduit; on dit alors qu'il e^i partie
jointe* j parce qu'il ne se mêle, à une instance dans laquelle il
Défigure ni comme demandeur ni comme défendeur, que
pour donner son avis sur la solution qu'elle comporte.
91. En ce qui concerne l'exercice de l'action publique, la
situation et le rôle de chacun des membres du ministère pu-
blic doivent être précisés.
I. Le commissaire de police, ou l'officier qui le remplace, a
seul qualité pour exercer Taction publique devant le tribunal
desimpie police. D'une part, le procureur de la République
ne saurait poursuivre un contrevenant, et la citation faite en
son nom s&rait sans efficacité pour permettre au tribunal de
juger. D'autre part, le commissaire de police agit en son nom
et en sa qualité, sans être, à ce point de vue, le substitut ou
l'auxiliaire du procureur de la République.
' Cflle expression L'sl,du reste, ;isst.*z incorreclo. Klle porteniit k l'aire croire
que le niinisl»Te public doit se joindre à l'un ou à l'autre drs f>laideurs, à
Tmin ou à l'autre des parties. En réalit<^, le ministère puMic n\'st ni un
plaideur, ni une partie : il cnnclut,en pliMiic liberté, dans lelitiiT»' tel <pj'il rté
ctinsliluépar Ws parties. Du reste, k* niinislèri' pidjlic fst parlnisy^f/z/fV' priu-
cif>ale en malirre civile,etil joue alurs Ir fnl<' soit d»^ ih'inandi'ur suit de dé-
fendeur. La loi du 20 avril i8l(» ^art. iC) diiterniine ses pouvoirs «lans deux
para^^rapbes, dont le ]>hMnier est clair, mais 1»! secund, très rniijmatifiue. D'a-
pn>s la jurisprud»*nce, Cfltt^ dernièn* disposition dunni' .'hi ministèrr. public
le droit d*a^ir en matifre civile, d'un»» maniiMV ;:«'rn''F'jde r\ nial^nv Tabsence
<ïo tout texte spécial, toutes les lois (jue l'unir»' public est iiit«n'ssé. Voy. i.x
jurisprudi'iicf dans balluz, A., Supplémml, v° MinisU'rn public, n" î)0.
(î. 1'. l\ - I. 13
191 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVJL^-
II. Celui-ci est Tagent de la poursuite dans son arrondis-
sement. Il exerce celte fonction dans trois ordres de circon-
stances. D'abord, en requérant le juge d'instruction d'ouvrir
une information. Puis, en citant devant le tribunal correc-
tionnel, soit directement et sans instruction préalable, soit,
après une instruction, en vertu d'une ordonnance ou d'un
arrêt de renvoi. Dans ces divers cas, lui seul a qualité pour
exercer l'action publique : il le fait en vertu d'une délégation
de la loi et sans qu*on puisse le qualifîer de substitut du pro- -
cureur général. Ce haut magistrat n'a pas qualité pour saisir
le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel, et Taclioft
exercée directement par le procureur général ne serait pas
recevable. Enfin, le procureur de la République agit, comme
substitut du procureur général et au nom de ce haut magistrat,
devant la cour d'assises qui siège au chef-lieu de l'arrondis-
sement où le procureur de la République exerce ses fonctions.
III. Le procureur général, bien qu'étant le chef de l'action
publique dans le ressort, n'a qualité pour l'exercer que devant
la cour d'appel ou les cours d'assises de son ressort.
IV. Enfin, le procureur général près la Cour de cassation
n'a qualité pour former le pourvoi qui saisit la chambre
criminelle que dans deux circonstances, s'il agit dans l'intérêt
de la loi, ou s'il agit sur l'ordre du garde des sceaux.
92. Le ministère public ne peut être récusé quand il exerce
l'action publique. Cette règle incontestable' résulte, non du
Code d'instruction criminelle, qui ne s'explique pas sur ce
point, mais du Code de procédure civile (art. 381), d'après
lequel les causes de récusation admises pour les juges sont
applicables au ministère public, lorsqu'il est partie joiîUe^ et
ne le sont pas, à l'inverse, lorsqu'il t^si partie principale. En
effet, partie jointe, le ministère public est appelé seulement à
donner un ave.^ qui doit paraître désintéressé. Le tribunal peut
» Voy. Cass.,30 juin. 1847 (S. 47. 1. 863); 18 août 1860 (S. 6i. 1. 400);
2 mai 1867 (S. 67. 1. 343); 1" août 1872 (S. 72. 1. 312), avec les notes el
renvois. Vov. aussi, Cass., 6 juill. <889 (S. 89. 1. 390) ; 6 mars 1897 (S. 97.
i. 536) et la note.
LE MINISTERE PUBLIC ET l'eXERCICE DE l'aCTION PUBLIQUE. 195
étreenclio à le suivre. Partie principale, le ministère public
est un plaideur ordinaire. Or, le ministère public est toujours
partie principale dans le procès pénal. Et l'un des plaideurs
ne peut pas récuser son adversaire. Si la règle est certaine,
elle n'en est pas moins critiquable. Admettre le droit de récu-
sation du ministère public en matière pénale, ne serait pas,
en effet, permettre au prévenu de récuser le procès, La récu-
sation, ne saurait porter que sur Vindividu qui remplit les
fonctions de ministère public : cet individu pouvant être
remplacé par un autre membre du parquet ou par un juge
délégué. Dans ces limites, admettre la récusation ne serait pas
permettre au prévenu de récuser le procès lui-même, mais
de récuser un des organes du ministère public dont il peut
suspecter, à bon droit, Timpartialité. Le droit de récusation du
ministère public est une institution qu'il est regrettable de
ne pas trouver organisée dans la procédure française.
93. Le ministère public, s'il succombe dans la poursuite, ne
peutètrecondamnéniaux dépens ni à des dommages-intérêts :
a] Aux rf^jy^'/i*^, c'est-à-dire que le prévenu ou Taccusé relaxé
ou acquitté et, par suite, renvoyé « sans dépens », ne peut
obtenir la condamnation du ministère public au rembourse-
ment de ses frais de défense*"; b) A des donmuifjes'intérf^ts^
c'est-à-dire que, quelle que soit la légèreté de la poursuite.
Je ministère public ne peut être condamné, par le jugement
même qui Ta rejetée, à une indemnité au profit de l'inculpé ".
Cependant, les officiers du ministère public, qui commettent
une faute dans l'exercice de leurs fonctions, et causent un
dommage aux parties, sont tenus de le réparer. Mais cette
responsabilité n'est jias absolue : elle dépend de la gravité des
faits, et sa mise en cause est soumise à des formalités qui
ont pour but de garantir Tindépendance des officiers du mi-
nistère public. Une distinction doit être faite entre deux si-
tuations, a) Si le fait commis parTofficierdu ministère public
»» Voy. par exemple, Cass., 13 mars 1896 (S. 96. 1. îi4i-).
»* Voy. sur la question : Mangio, op, cit., t. 1, n° 118. Arj:. do Tîh*-
licie 358, § 4 du Code d'instruction criminelle.
196 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVII
dans rexercice de ses fonctions, constitue un crime ou
délit, la partie lésée peut d'abord provoquer des poi
suites par une plainte adressée au procureur général ou
garde des sceaux. Lorsque des poursuites sont intentées, ]
suite de la plainte, ou d'ofGce, la personne lésée a le droit
se constituer partie civile, soit devant le magistrat chargé
rinstruction, soit devant la cour qui doit connaître de Taffci
(C. instr. cr., art. 383 à 486)*^. h) Si aucune poursuite n
exercée ou si le fait dommageable ne constitue ni crime
délit, la personne lésée ne peut obtenir de dommages-intéi
que par la voie de la prise à partie. On appelle ainsi Faction
dommages-intérêts qu'un particulier exerce contre un ji
ou un officier du ministère public dans le but de le ren«
responsable des fautes commises dans Texercice de ses fo
lions. Les cas, les conditions et les formes de la prise à p
lie sont déterminés par les articles 503 et suiv. du Code
procédure civile *\ Ces dispositions ne désignent que lesjug
mais elles sont applicables, soit aux officiers du ministère ]
blic qui sont membres de la juridiction, soit aux officiers
police judiciaire, même les plus infimes**. Les officiers
ministère public peuvent être pris à partie : 1** En cas d'in
servation des formalités prescrites pour les mandats de co
parution, de dépôt, d'amener ou d'arrêt (C. instr. <
art. 112) ; 2" En cas d'accusation devant la cour d'assises d'i
personne qui n'y a pas été légalement renvoyée (C. instr. (
art. 271); 3° En cas de dénonciatiou, jugée calomnieuse, d
individu qui a été, sur le fait de celte dénonciation, Irad
en cour d'assises et acquitté (C. instr. cr., art. 338); 4° En
dedol, fraude ou concussion commis dans un acte quelcon»;
*^ Il faut «'XcophT lo lait «lo ili-noiiciation calnnini«*iise; ct* fait, h\v\\
curislil Liant un «l«'lit (C. p«'n., art. 373), no donne lion qu'à la prises à pai
C'ost co «]ui n'sulto do l'articlo 3:jK, i; ■>, du Codo d'instruotinn crirninello,
n«Mis oitnns dans lo texte.
•* Vcyi-z sur rc-tto ar,linn extraordinaire ; Garsunru'l, op, cit., §^ Vrl i\
** <..»n III' pj'ut d<'mandor do dummajjros-iidiîri^tspar la vuio oivilo, aux <
ci'Ts df p«.»lioo judiciaire, à raiî?«.»n iln^. îictesdo lours luiiclions, sans rocu
k l;i [»ruerdur.> do prise à partie. Conip. Nancy, 25 janv. 1884 (D. 85. 2.
V«»y. du roî;l(? la note de M. Labbe sous Cass., 14 juin 187G (S. 77. 1. 1
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 197
deTexerdce du miDislère public (C. proc. civ.,arl. 505, § il).
Les trois premiers cas sont les seuls où la loi autorise formel-
lement à prendre à partie le ministère public; mais il faut
admettre, par analogie, que ces cas ne sont pas limitatifs et
doivent être coniplétés parle principe général de l'article 505
du Code de procédure. Du reste, les membres du ministère
public ne doivent pas plus compte que les juges des actes,
même dommageables, qu*ils ont commisde bonne foi, par excès
dezèle". Ce principe d'irresponsabilité est écrit, en ce qui les
coûcerne,dansrarticle 358 du Code d'instruction criminelle :
"L*accusé acquitté pourra obtenir des dommages-intérêts
» contre ses dénonciateurs, pour fait de calomnie; sans néan-
« moins que les membres des autorités constituées puissent
«être ainsi poursuivis à raison des avis qu'ils sont tenus de
«donner, concernant les délits dont ils ont cru acquérir la
« connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, et sauf
«< contre eux la demande en prise à partie, s*il y a lieu ».
§ XY. — DE L'ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES DEVANT
LES TRIBUNAUX DE RÉPRESSION.
M- Conception générak> du rôle des administrations publiques qui exercent une
action fiscale devant les tribunaux de répression. Cette participation au droit
de poursuite n'appartient qu'à un certain nombre d'administrations. — 95. Admi-
nistration des contributions indirectes. Action fiscale. Action publique ordinaire.
Transaction. — 96. Des octrois. — 97. De l'administration des douanes. — 98. De
i'administration des eaux et forêts. Délits forestiers. Délits de pêche fluviale. —
99. Administration des postes, des télégraphes et des téléphones. — 100. Des par-
ties lésées par un délit fiscal. De leur droit devant les tribunaux de répression.
94. Certaines administrations publiques sont investies,
soit d'une manière exclusive, soit en concours avec le minis-
tère public ordioaire, de la poursuite des infractions qui
lèsent les intérêts qu'elles sont chargées de sauvegarder.
Ces administrations constituent ainsi des ministères publics
ipiciaux.
" Voy. Mangin, op. cit,^ t. i, n® H8; Faustin Hélie, Instr, crim.,
DO 598.
198 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBUQUE ET CIVILE.
Leur droit sur Taction publique est même plus éteDdu que
celui du ministère public ordinaire, car elles peuvent dis-
poser de cette action, el, par suite, y renoncer, se désister,
transiger. De sorte qu*il importe d'examiner, à propos de
chacune de ces administrations : i" dans quelle mesure et
quelles conditions celle-ci exerce l'action publique; 2* si son
droit de poursuivre est exclusif ou parallèle de celui du mi-
nistère public; 3"" dans quelle mesure et à quelles conditions
cette administration peut disposer de Taction publique.
L'idée essentielle qui domine la matière, c'est qu'il s'agit,
la plupart du temps, par l'exercice de l'action publique,
d'obtenir la condamnation du contrevenant à des peines
pécuniaires, amendes ou confiscations, qui représentent,
vis-à-vis de l'administration poursuivante, une sorte de com^
position fixée à forfait par la loi.
Le rôle de l'administration fiscale est aussi complexe que
le caractère même de l'amende ou de la confiscation fiscale.
On doit le rapprocher, à la fois, de celui de la partie lésée et
de celui du ministère public. C'est une sorte d'action publi-
que fiscale qu'exerce l'administration intéressée. Mais celte
participation au droit de poursuite n'appartient qu'à un cer-
tain nombre d'administrations, celles des contributions indi-
rectes et octrois, des douanes, des eaux et forêts, des ponts et
chaussées, des postes. Toute autre administration serait sans
qualité pour poursuivre la répression d'un délit dont la con-
damnation lui profiterait. L'article i*' du Code d'instruction
criminelle est un principe général, auquel il ne peut être
dérogé que par des dispositions expresses '.
g XV. * C*est ainsi que, bien que le produit des amendes et confisca-
tions, légalement prononcées pour contraventions aux lois el règlements
maritimes, soit affecté à la caisse des invalides de la marine, cet établisse-
ment n*a aucun droit d'exercer iaclion publique pour la répression de ces
contraventions, et, par exemple, de se pourvoir en cassation pour fausse
application et insul'fisance de la peine prononcée : Cass., 13 févr. 1852 (D. 52.
5. 376). — Sur l'ensemble de la question : Marcel Roger, Le droit pénal
fiscal, Étude de législation financière fiscale (Th. doct., Montpellier, 1904);
Salva, Les délits fiscaux (Th. doct., Paris, 1895).
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES.
199
95. \J administration des contributions indirectes^ qui forme
aujourd'hui une administration autonome, est dirigée, sous
rautorité du ministre des finances, par un directeur
général.
I. Le tribunal de police correctionnelle, seul compétent
pour connaître des infractions aux lois sur les contributions
iodirocles, est saisi à la requête, tantôt de l'admini-lration,
représentée par le directeur général, poursuites et diligences
du directeur du département, tantôt du procureur de la Ré-
publique. 1° L^initiative des poursuites, en matière de contra-
ventions passibles de peines pécuniaires, a[)parlit'nl a Tad-
ministration (D. I*' germ. an Xlll, art. 19 et 23; L. fi vent,
an XII, art. 90)*. L'action du ministère public serait irrece-
'^ Sans rloute, aucun ti'xlo no «loninî iunncllfiin'iil à l;i«iininihtr;i!iuii tles
r.'!jtrîl>u!ions indirtfct»*? l'expr<.:ic<^ de l'arliun [Mjhl'Kjuc, niîiis Sun droit ré-
sulli? .'isSf'Z dirKCli'ment do l'arlich; 23 de l'arrvt»' du îi f.;^erniiiial an XII, de
farlicle 10 de roplunnantv du 3 janvier lS21,ot enfin d»* dill'érenles dis-
p<>sitions du décret du i'' ^'orminal an XIII. L«'s |»rfini<»rs hxl»*s juTniel-
tt^.'il à radininislration de tvamujor sur les conlravrntinris f idéales : on
ei\ a conclu, à bon droit, que, pouvant arnMer l'art ion pidilique, l'admi-
nisl ration pouvait Texercer elle-même : car le dr^ul d'enip«\'her l'appliration
df la peine entraîne !t>gi<juement celui de l'exip^or. Li* d<'MT«*l du 1**' frerminal
an XMI cunfirm»' celte induction en donnant aux mniuiisi ,|,. Tudministra-
ti«.-n le droit de verbaliser (art. 23) et d'assi^-^ner le pn-viMin ;:irt. 28), et en
qualifiant, à diverses reprises, l'administration de partir fumtsuiratitc (art.
31, 3*, 3l>;. Enfin, la loi du 21 juin 1S73 (art. 15) ne laiss»' aueun doute sur
le droit de l'administration de poursuivre h?s ei>ntravrniions aux lois sur les
outributions indirecles. Lu jurisprudence lie la rhanibre criminelle de la
Cour de cassation n'a Jamais vari»; sur cette <pi»*slit»n. \i\U* ne reconnaît pas
au ministère public le droit de poursuite, qui a[)partient à la rt^iiu' par d»*li*-
gatinri lég-ale, à Texclusion du procureur de la H«''f>ubli(pie, sauf le cas où la
contravention est passible de l'emprisonnement, et quelipies autres cas ex-
ceptionnels (par exemple, en mati»-re de garantie : L. 17 brumaire an VI,
art. 102.'. Faustin Hélie ne cnnsid«Te pas cette doctrine connue appuy«''e sur
des textes précis et formels op, vit., 1. 1, n° 503). Mais l'art, l.'i de la loi du
21 juin 1873 et le rapport dv la commission sur cette loi S. Luis annotées,
1S73, p. 421) font disparaître tout motif de douter, (^)mp. Cass., il d»'*c.
Ih75 (S. 76. 1. 93:; 10 juin iss2 (S. 84. 1. 2ti\\; l't nov. 1SS3 ;S. 85. 1.
449); 12 déc. 1885 (S. 87. 1. 86) ; 25 nov. 1892 (S. 93. 1. 59!) ; i nov. 1898
(S. 1900. 1. 256) et la note. Conf. Mangin, op, cit., t. 1, no M ; Paul Bryon,
Journ. des Parq,, 1889, p. 51.
200 PROCÉDbRB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
vable', sauf le droit général qui lui appartient de requérir une
information, sur la plainte de la régie, même quand les faits
paraissent seulement susceptibles de condamnations pécuniai-
res*. 2° Mais il n'en est pas de même lorsque infraction est
punie d*emprisonnement' : pour ce cas, il n'existe aucun
texte enlevant au ministère public la délégation générale
qui lui est donnée à l'efTet de poursuivre les délits qui se com-
mettent dans son arrondissement. Il faut en conclure, — et
cette solution est confirmée par Farticle i 5 de la loi du 21 juin
1873 — que, dans ce cas, les procès-verbaux doivent être
transmis au procureur de la République pour qu'il puisse
saisir les tribunaux compétents. S'^Si l'action qui lui incombe
est mise en mouvement, le procureur de la République sai-
sit Tadministration du jour où TafTaire doit être appelée, et
celle-ci assigne ou intervient^ pour prendre des conclusions
sur l'application des peines pécuniaires. L'administration a,
dans les poursuites intentées simultanément à sa requête et à
la requête du ministère public pour le même fait, le rôle de^
partie civile, et il y a lieu, dès lors, d'appliquer la règle de
3 L. 5 vent, an XFI, art. 90; D. 1er germ. an XIII; L. 24 avr. 1806, tit. VU,
art. 57.
* Cass., 10 juin 1882 (S. 84. 1. 246).
^ 11 en est ainsi : 1° en cas de fraude dissimulée sous vêtements ou à
l'aide d'engins disposés pour le transport ou Tintroduclion des spiritueux
à l'entrée des villes ou dans un certain rayon (L. 11 juin 187.3, art. 15) ;
2* en cas de distillation ou de revivification, à Paris ou dans les villes soumi-
ses au régime prohibitif (L. 28 juin 1816, art. 46 ; L. 21 juin 1873, art. 15)
3® en matière de contravention aux lois relatives à la surveillance du titn
des objets ,d'or ou d'argent et à la perception des droits de garanti(
(L. 19brum. an VI, art. 102); 4** en matière de contravention à la loi des 14-1;
août 1889, « ayant pour objet d'indiquer au consommateur la nature du pro
duit livré à la consommation sous le nom de vins et de prévenir les frauder
dans la vente de ce produit » (Cass., 10 mai 1891, D. 92. 1. 193); 5® en ma-
tière de contravention à la loi du 8 mars 1875 sur la dynamite, qui est une lo
de police et de s*5curité publique. Comp. Cass., 12 janv. 1893 (S. 96. 1 . 63)
• Il ne faut pas hésiter à reconnaître à l'administration le droit d'opter
comme toute autre partie civile, entre ces deux modes de saisine du tribu
nal correctionnel (C. instr. or., art. 63). Voy. Cass., 16 juill. 1891 et 6 ma
4892 (S. 92. 1. 540; D. 92. 1. 312).
ACTION DBS ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 20i
Varticle 3 du Code d*iDstruction criminelle d'après laquelle
les tribunaux de répression ne sont compétents pour statuer
sur Faction civile qu^accessoirement à faction publique''.
Par conséquent, d^une part, il doit être statué, par un seul et
même jugement, sur les deux actions (C. instr. cr., art. 161
cl 189) •, et, d'autre part, faute d'être intervenue dans les
poursuites exercées par le ministère public, la régie n*est plus
recevable, après le jugement auquel ont donné lieu ces pour-
suites, à réclamer, par action principale, la condamnation
ides peines pécuniaires*. 4** Si le ministère public ne croit
pas devoir poursuivre (car le principe de l'indépendance de
ton action s'applique en toute matière), l'administration peut
saisir directement le tribunal correctionnel; mais elle n'a
d'action et n'obtient de condamnation que relativement aux
amendes et confiscations. Son rôle est alors plus difficile à
préciser. Elle est, à la fois, ministère public et partie civile.
Ainsi, parmi les infractions aux lois sur les contributions
iodirectes, les unes sont puvemeni fiscales, les autres ont un
caractère complexe^ en ce sens qu'elles intéressent, non seule-
meot le Trésor, mais encore Tordre public dont le ministère
public a spécialement la garde. Si, dans le premier cas, l'ad-
ministration a seule l'exercice de l'action fiscale, dans le se-
cond, les deux intérêts sont parallèlement représentés. Tou-
lefois, à la base de cette double poursuite, il n'y a qu'un fait
unique. D'où il suit : l*" que le ministère public, en intentant
l'action, soumet au tribunal le fait tout entier, ce qui impli-
que, pour le tribunal, le droit de prononcer la peine d'em-
prisonnement et lapeine d'amende *®; 2"* que l'administration
a bien le droit d'intervenir, mais sans pouvoir, après que le
f C'est là un principe certain et dont la jurisprudence a eu roccasion fré-
quente de faire Tapplication. Voy. Cass., 19 nov. 1894 (S. 92. 1. 540 ; D. 92.
1.342).
• Sic, Cass., 17 févr. 1888 (S. 90. 1. 138); Paris, 19 dëc. 1888 (S. 89. 2.
193).
• Cass., 17 mars 1837 (S. 37. 1. 901).
*«Ca8S., 17 mars 1837, précité; 17 avr. 1888 {Bull, crim., n« 71);
19 nov. 1891 (D. 93. 1. 193).
202 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
délinquant a été jugé pour le fait même qui lui est reproché,
demander au tribunal, postérieurement au jugement qui a
statué sur Faction publique, Inapplication de la peine fiscale ''.
Ce serait violer, en effet, la règle : îion bis in idem, que de
[lermeltre, soit au ministère public de ne poursuivre le délit
que sous un de ses aspects et dans l'intérêt de Tordre public,
soit d'autoriser Tadministration, qui n'est pas intervenue et a
laissé juger le délinquant hors sa présence, de recommencer
le procès pour obtenir contre lui une nouvelle condamnation.
En d'autres termes, l'administration des contributions indi-
rectes joue, dans la poursuite, tantôt le rôle de ministère
public, tantôt le rôle départie civile: de ministère public,
quand Tinfraction est purement fiscale et n'est punie que de
peines pécuniaires ; de partie civile, quand l'infraction est
mixte et que l'action, à raison du fait qui y donne ouverture,
est conférée au ministère public.
Dans les deux cas, du reste, nous croyons que des tiers
lésés par le délit pourraient se porter partie civile, à. la con-
dition de démontrer que la fraude fiscale leur cause un pré-
judice direct et personnel. C'est ainsi que nous admettons
l'intervention de syndicats agricoles ou de propriétaires, dans
une poursuite pour fausse déclaration faite à la régie sur la
nature et la qualité du vin qui est expédié'*. C'est une ques-
tion sur laquelle nous revenons plus loin.
II. Les droits d'action du ministère public et de l'adminis-
tration sont donc exclusifs l'un de l'autre, c'est-à-dire que le
ministère public ne peut exercer Taction publique que dans
les cas où l'administration n'a pas qualité pour le faire, et que
*^ Mêmes arrêts cités dans la note précédente.
** Loi du 6 avr. 1897, art. 4. La question ne paraissait pas encore s'être
posée en jurisprudence avant raffaire dite des « acquits fictifs » qui a été
solutionnée par un jugement du tribunal correctionnel de Villefranche-sur-
Saône du 26 janvier 1905 {Monit, jndic, rfc Lyon^ n» du 3 févr. 1905).
Avec le développement des syndicats agricoles et viticoles, il arrivera que
les syndicats demanderont à intervenir dans les poursuites intentées par la
régie ou par le ministère public. La recevabilité de leur intervention dé-
pendra du point de savoir si le délit leur cause un préjudice.
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES- 203
inislration ne peut, de son côlé, l'exercer que lorsque
lisière public est sans qualité pour agir. Chacune des
actions reste donc soumise aux règles qui lui sont pro-
cès deux actions, lorsqu'elles existent parallèlement,
[ue résultant du même fait, sonl indépendantes Tune de
iî, comme le sont Taclion publique et faction civile. De
lonception résultent les conséquences suivantes: l"" Quant
*ai$ : le ministère public qui succombe ne peut être con-
é aux dépens; l'administration, au contraire, est assimi-
une partie civile, quant aux procès suivis, soit à sa re-
soit même d'office ou dans son intérêt (D. 15 juin 1811,
\1 et 158)*'; 2"* Quant à la preuve : pour Tadminislration,
cès-verbal est la base et la condition de la poursuite;
que le ministère public peut faire, en principe, la
e par tous les moyens propres à convaincre le juge**;
int au délai et aux formes de rassignation : le ministère
r poursuit dans les délais ordinaires de la proscription
t de trois ans; au contraire, l'assignation à fin de con-
ation doit être donnée par Tadministration dans les trois
lu plus tard de la date de son procès- verbal, à peine de
t: 158 : « Sont assimil/'S aux parties civiles :i® Toute Rt^gie ou Ad-
ilion publique, n'ialivemenl aux pruc^'S suivis, soit à sa requête, soit
'office et dans son intérêt... »
pri'uve des contraventions en matière de contributions indirectes se
»ar des procès-verbaux, rc^gu lié rement dressés par ses agents, sans
•e du droit de la n'-gie d'user suppltimcntairement des preuves réu-
ir le procureur de la République : Cass., 12 juill. 1878 (S. 79. 1.
ais la matière d«'S procès-verbaux de régie, au point de vue de leur
obante, a éié sensiblement modifiée, par une Ini du 9 décembre
ue nous étudions f»lus loin. Voy. Magnol, Ih* la force probante des
verbaux, Journ. des Purtj., 190î, art. i57, p. «5 à i-23. Ct-tte mndi-
, quant au régime de la preuve, entraîne des conséquences, quant au
de raction, Kn matière de contributions indirectes, le procès-verbal
^aiil 1903, la b.ise nécessaire de la poursuite, le titre de Taclion. Il
plus de môme depuis la loi du 9 décembre 1903. Cette solution a été
■i au Sénat, comme une conséquence de la réforme, par M. Monis,
ses promoteurs, dans la séance du 27 décembre 1002 [Journ, off, du
Sénat, Débats pari,, session extraord., p. 1707 et 1708). Nous reve-
r ce point, à propos des procès-verbaux.
204 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIV
déchéance; et lorsque les prévenus sont en état d'arrestat
elle doit Tétre dans le délai d'un mois (L. 15 juin 1835,
unique); 4* Quant aux délais et aux formes de V appel
ministère public se conforme au droit commun, mais il
peut appeler que s'il a Texercice de Taction publiq
rappel de la régie ou contre la régie est soumis aux rè(
de Tarticle 32 du décret du 1" germinal an XIII, qui ve
en matière de contributions indirectes, que Tappel soit in
jeté par un acte notifié dans les huit jours de la signifîcat
du jugement et contenant assignation au délai de trois jo
francs; 5° Quant à F application de la loi du 15 févi
i899^ sur le secret des actes signifiés par les huissiers, laque
modifie l'article 68 du Code de procédure et prescrit, ii
le cas de remise d*un exploit à toute autre personne qu a
partie, ou au procureur de la République, de le délivrer s(
enveloppe fermée avec cachet de Thuissier sur la fermeti
du pli : cette loi ne vise que les huissiers et édicté ainsi i
formalité qui ne peut être imposée aux autres personnes ay<
qualité pour notifier des actes. Notamment^ cette formai
ne peut être imposée aux employés des contributions in
rectes, lorsqu*ils donnent des citations dans le cas spécifié j
Tarticle 28 de la loi du l""* germinal an XIII et par Tarti
unique de la loi du 15 juin 1835*'.
III. L'administration des contributions indirectes est assii
lée, en ce qui concerne la poursuite des contraventions fisca
passibles de peines pécuniaires, à une partie civile^^. E
doit donc avoir, comme toute partie civile, la disposition
son action. D où il suit : l"" Que l'administration peut renon
à Faction qui lui appartient, soit ava7itde l'avoir intentée, s
aprèsïai\o\v intentée; 2* Qu'en conséquence, elle peut se '
«» Cass. (Ch. réun.), 17 juillet 1902 {Jonrn. des Parq., 1004, 2' pa
p. 109).
" C'est, en eflet, le principe dont il faut s'inspirer on cette matière,
jurisprudence en a conclu que les amendes et conHscalions prononcées p
contraventions aux lois sur les contributions indirectes n'ont pas un v
table caractère pénal; qu'elles sont plutôt une réparation civile, une sort(
composition évaluée à forfait par la loi.
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 205
sister dans les conditions de Tarlicle 66 du Code d'iostruclioa
criminelle*^; 3° Qu'enfin, elle est autorisée à transiger sur les
amendes et confiscations résultant des contraventions consta-
tées par ses employés. Ce droit résulte, pour la régie, de l'ar-
ticle 23 du décret du 5 germinal an XII, dont les dispositions
ont été renouvelées, avec quelques modifications, par les
ordonnances des 2 janvier 1817 (art. 9) et 3 janvier 1821
(art. 10)-
Pour qu'une transaction arrête Taction publique, il faut
qa*elle soit régulière'* et qu'elle ait reçu l'approbation de
laulorité compétente'*. Quant à ses effets, il faut distinguer
suivant qu'elle intervient a;>ré^ ou avafit condamnation.
Avant condamnation, les transactions régulières «éteignent
«toute action pour raison de contravention ou de fraude, ar-
« rètent toutes poursuites sur les peines de confiscation et
« d'amende. La Cour suprême est allée plus loin : elle a décidé
« que la transaction éteignait même Faction publique, dans
0 le cas où le prévenu aurait encouru, outre Tamende et la
« confiscation, la peine de l'emprisonnement^^ ». Il existait,
" Le désistement n'a pas besoin d'être accepté en tant qu'il porte sur
l'action.
*'Les transactions, en cette matière comme en toute autre matière, doi-
veatôtre rédigées par écrit (C. civ., art. 2044). Le contrevenant doit, pour
transiger, réunir les conditions de capacité exigées par l'article 204r>.
*' En matière de boissons, de cartes à jouer, de voitures publiques, de
sels, de tabacs et de navigation, les transactions sont définitives : i° avec
l'approbation du directeur du département, lorsque les condamnations à la
confiscation et à l'amende ne s'élèvent pas à plus de 500 fiancs; 2® avec
l'approbation du directeur général, statuant en conseil d'administration,
lorsque lesdites condamnations s'élèvent de îiOO à 3.000 francs; 3» avec l'ap-
probation du ministre des finances, lorsqu'il y a dissentiment entre le direc-
teur général et le conseil d'administration, et, dans tous les autres cas,
lorsque le montant des condamnations excède 3.000 francs (Arr. 5 germ.
anXII, art. 23; Ord. 3 janv. 1821, art. 6; Ord. 4 déc. 1823, art. G). —
D'une manière générale, leslransactions sur procès-verbaux, passées par les
agents de l'administration, n'ont, jusqu'à leur approbation par l'autorité
compétente, qu'une valeur provisoire : Chambéry, 7 mars 1879 (Mcm, (les
con«. md., t.20, p. 419).
'^^ Rapport de M. Léon Renaud sur la loi du 21 juin 1873.
206 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
toutefois, deux exceptions à la possibilité pour le délinquant
d'éviter, par une transaction intervenue avant condamnation,
l'amende, la confiscation et même l'emprisonnement. En
matière de garantie d'or et d'argent, la régie n'avait pas, aux
termes du décret du 28 Qoréal an XUI, la faculté de tran-
siger. Mais l'article 11 de la loi budgétaire du 22 avril 1905
a rétabli le droit commun pour les contraventions et délits
de garantie. Dans les cas des articles 12 et 14 de la loi du
21 juin 1873 (fraude dissimulée sous les vêtements, ou au
moyen d'engins, fabrication, distillation ou reviviGcation de
spiritueux), la régie ne peut pas éteindre l'action publique.
L'affaire suit son cours sur les poursuites du procureur de
la République, et le droit de transaction de la régie ne
s'exerce qu'après le jugement rendu et la condamnation pro-
noncée'*.
Lorsqu'un jugement définitif a été rendu, Tadministra-
tion a bien le droit de faire remise, en totalité ou en partie,
des condamnations pécuniaires, à l'amende et à la confisca-
tion, mais le chef de l'État a seul le droit, par voie de grâce,
de réduire l'emprisonnement ou d'en faire remise au con-
damné.
96. Les octrois sont, en quelque sorte, l'une des bran-
ches des contributions indirectes, ils font l'objet du titre II
de la loi du 28 avril 1816, et sont soumis à des règles identi-
** 11 y u là une distinct ion judicieuse qui m»-^ ri te r<iil< l'être généralisée. Voy.
Labonle, op. cit.y n^ 703. Le droit de transaction de TAdministration des
contributions indirectes a «He critiqué, du reste, k un triple point de vue :
1® II paraît incompatible avec Tapplicution des ciniunslances atténuantes aux
amendes et confiscations en matière de contributions indirectes (L. 29 mars
1897, art. 19), applicati-'U étendue aux contraventions en matière d'octrois
(L. 25 févr. 1901, art. 3fr); 2« il a pour elFet de subordonner le droit d'op-
tion, devant les tribunaux de répression, des parties lésées par un délit fiscal,
au bon vouloir de Tadministration des contributions indirectes; 3« Enfin,
l'exercice du droit de transiger peut être vicié par des considérations étran-
gères aux intérêts fiscaux et devenir un moyen de pression électorale entre
les mains de l'administration.
ACTION DBS ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 207
ques en ce qui concerne le droit de poursuite et le droit de
IransactioD.
1. Lorsque les procès-verbaux dressés constatent unique-
ment une contravention aux règlements de Toctroi, la pour-
suite est exercée exclusivement à la requête du maire, pour-
suites et diligences du préposé en chef, dans le cas où Toctroi
est en régie simple; au nom du fermier et régisseur, quand
Toctroi est affermé. Le ministère public doit rester étranger
à la poursuite. Plus encore qu'en matière de contributions
indirectes, Taraende et ia confiscation, que le maire réclame^
ont le caractère de réparations civiles. En effet, les condam-
Dations pécuniaires, prononcées au profit de l'administration
des contributions indirectes, sont versées dans la caisse du
Trésor, comme les autres condamnations correctionnelles,
tandis que celles obtenues par le maire, pour contraventions
aux règlements d'octroi, ne sont pas attribuées à TÉtat : elles
ont donc le caractère principal d'une réparation accordée à
un intérêt privé, à une partie civile qui a éprouvé un préju-
dice, d'une sorte de composition établie à forfait.
L'article 13 de la loi du 21 juin 1873 tranche la ([uestion
du droit de transaction en matière d'octroi, comme en ma-
tière de contributions indirectes. Il prévoit le cas de l'arti-
cle 12, qui dispose expressément en faveur de l'octroi^ et de
l'article 46 de la loi du 28 avril 1816 qui est applicable éga-
lement en matière d'octroi. Or, il parle, en termes absolus,
du droit de transaction, qui appartient au maire, comme à
la régie, et il ne prescrit l'envoi des procès-verbaux, au mi-
nistère public, que quand il y a lieu à poursuite de délits
passibles de l'emprisonnement.
Lorsque la contravention est commune aux contributions
indirectes et à l'octroi, la poursuite appartient exclusive-
ment à l'administration des contributions indirectes, à
laquelle les procès-verbaux doivent être remis, qui doit
diriger les poursuites au nom de Tune et de l'autre admi-
nistration, à l'effet d'obtenir jugement, conformément aux
lois particulières à chacune d'elles, et qui seule peut tran-
siger sur l'une et sur l'autre contravention (Dec. min. fin. du
208 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
10 févr. 1807). C*est ce qui résulte implicitement des disposi-
tions des articles 164 du décret du 17 mai 1805 et 83 de l'or-
donnance du 9 décembre 1814.
II. Le ministère public n*a pas d'action à Tégard des con-
traventions d'octroi qui ne sont pas punissables d'cmprisoD-
nement. L'action du maire, dans ce cas, est donc exclusire
de l'action du procureur de la République ^^.
III. Les transactions sont dans les attributions du maire,
et lui seul est autorisé, sauf l'approbation du préfet, à ne pas
intenter de poursuites, ou à faire une remise partielle ou to-
tale des condamnations prononcées (0. 9 déc. 1814, art. 83).
Les fermiers et régisseurs préparent les transactions :
mais, bien qu'elles les intéressent personnellement, ces trans-
actions ne sont définitives qu'après la ratification du maire
qui conserve entière la faculté d'en modifier les clauses, d'en
diminuer ou d'en aggraver les conditions.
97. L'administration des douanes participe, en principe, à
l'exercice de l'action publique et au droit de transiger, dans
des conditions analogues à celles de l'administration des con-
tributions indirectes. Mais certaines différences séparent ces
deux administrations.
I. Les lois sur les douanes distinguent deux catégories d'in-
fractions : celles qui sont punies d'une peine corporelle et
d*une peine pécuniaire, et dont la connaissance est attribuée
aux tribunaux correctionnels; celles qui sont punies d'une
simple peine pécuniaire, et dont la connaissance est attribuée
aux juges de paix. La constatation des délits, comme celle des
contraventions de douane, se fait au moyen d'un procès- ver-
bal". La poursuite, en ce qui concerne l'application des pei-
'^'^ Jurisprudence constante : Cass., 12 août 1853 {S. 53. I. 788); 18 jan-
vier 1801 (S. fil. 1. 471); 10 juin 1882 (S. 84. 1. 240).
*•* Mais il existait une grandt^ dilï'erenco, au point de vue de la preuve,
enlreli'S(i(7//set Wscontravciiiiois. Tandisquccesderni»'^res ne pouvaient être
prouvées que par le procès- verbal, la preuve des délits de douane, au con-
traire, pouvait se faire suivant les règles du droit commun : c'est ce que dt^-
cidait l'article 1 du décret du 8 mars 1811 pour la contrebande des marchan-
ACTION DKS ADMINISTRATIONS PTRIIQUES. 209
nos pécuniaires, a Jieii à la requête de l'adminislration ; elle a
lieu à la requête exclusive du ministère public, si elle tend à
la prononciation d'une peine corporelle. La distinction ici,
comme en matière de contributions indirectes, est basée sur
la nature spéciale que la jurisprudence reconnaît à l'amende
et à la confiscation : ce sont moins des peines que des répara-
tions au profit de TÉtat.
L'administration, en poursuivant le délinquant, demande,
par Faction publique, une composition fixée à forfait et noa
susceptible d*être modifiée par Tapplication des circonstances
atténua,ptes'^ Ce caractère de la poursuite amène lajurispru-
<ience à autoriser l'administration des douanes à traduire un
contrevenant devant le juge de paix, pour demander, dans
les limites de la compétence de ce magistrat, d'appliquer les
peines pécuniaires des contraventions pour un délit de la com-
pétence du tribunal correctionnel".
dises prohibées. On avait soutenu que ce décret était abrogé : mais, même
en admettant cette abrogation, les principes généraux seraient suffisants
pour le décider ainsi quand le ministère public est partie dans Tinstance
(C. instr. cr., art. 25 et 189 . Sic, Cass.. 26 févr. 1887 (D. 88. 1. 42). Or, si
l'action publique peut être mise en mouvement sans procès-verbal, l'action
civile de la douane le peut également. Comp. Pabon, op, cit , n<» 942. La
question est devenue, du reste, sans intérêt depuis l'article ;i7de la loi de
finances du 25 mars 1897, aux termes duquel : « L(*s délits et contravcntioDS
4* prévus par les lois sur los douanes et sur les sels peuvent être prouvés
« par toutes les voies de droit ». Cette disposition, sur la portiM» de laqut^lle
on peut émettre des doutes en ce qui concerne la recev«ibilité de l'action de
la douane, a, dans tous les cas, permis à l'administration de prouver une
infraction douanière, comme toute autre infraction, au moins dans tous les
cas où Faction de la douane est recevable.
■-* L. 6-22 août t791, til. Xll, art. !•'; L. 15-16 août 1793, art. 3 A 4.
L. 4 llor. an H, til. VI, art. 14 et 18; L. 4 fnirt. an III, art. 5 et 6 ; L. 9 llor.*
an Vn, tit. IV, art. 0.
*•• Voici comment la Cour de cassation formule cette soluliondans un arrêt
du 23 août 1836 S. 36. 1. 641) : « Si, dans des cas parliciili«»rs, l'arlminis-
4* tration des douanes peut traduin^ les contrevenants devant rino autre ju-
a ridiction et requérir contre eux des condamnations plus sévèrrs, les juges
u lie paix, lorsque radminislralion n'use pas de cette faculté, n'en sont pas
41 moins compétents pour connaître «le la contravention et appliquer les pei-
«4 lies dans les limites de leur compétence ». Un en a conclu que le minis-
G. P. P. - I. ti
I
210 PROCéDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE»
II. Le droit de poursuivre les contraventions devant le juge
de paix appartient à la douane seule et non au ministère pu-
blic'*. Mais il n*en est pas de même pour les délits de douane
de la compétence du tribunal correctionnel. On s*est de-
mandé, en effet, si le droit de poursuite de cette administra-
tion, en ce qui concerne Inapplication des peines pécuniaires,
était exclusif du droit du ministère public. La loi ne paraît
pas avoir retiré au procureur de la République la faculté
d'exercer Faction publique, dans tous les cas, contre les coo-
trevenaots en matière de douanes (L. 28 avr. 1816, art. 52 et
66; L. 21 avr. 1818, art. 37), et il semble, à lire ces textes, qui
lui prescrivent de faire d'office toutes les poursuites contre les
délinquants, que le ministère public ait un droit exclusif
daction pour saisir le tribunal correctionnel en ce qui con-
cerne les peines corporelles, et un droit parallèle daction en-
ce qui concerne les peines pécuniaires. Cette manière de com-
prendre les rôles respectifs du ministère public et de l'admi-
nistration des douanes ne nous parait pas exacte. D'une part,
les peines pécuniaires ont, en matière de douanes, le même
caractère qu'en matière de contributions indirectes, ce sont
de véritables compositions. D'autre part, le droit qui appar-
tient à l'administration, c'est celui de poursuivre, par action
publique, le règlement de cette composition. De ce double
caractère des peines et de la poursuite, il fautconclure : l^Qne
l'administration des douanes, lorsqu'elle agit en concours
avec le ministère public, joue le rôle d'une partie civile.
Elle seule peut obtenir condamnation à l'amende et à la con-
fiscation. D'où il suit que, si l'appel interjeté par le minis-
tère public pouvait poursuivre devant le tribunal correctionnel Tapplication
de la peine d'emprisonnement éàxcXéa par les lois de douane» si, après la
coqslalation d*une infraction tombant sous le coup de cette peine, l'adminis-
tration s'est bornée à poursuivre, devant le juge de paix, la condamnation
du prévenu à des peines pécuniaires : Trib. civ. de Sedan, 15 janv. 1896 et
Trib. corr. de Pontarlier, 29 mai 1896 (DicU du contentieux des douanes^
n®» 95.329 et 90.334\ Ces solutions nous paraissent contraires et aux règles
de la compétence et au principe non bis in idem.
^* Loi du 4 germ. an II, lit. VI, arU i2.
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 211
ère public seul ne peut permettre Tapplication d'amendes que
le premier juge a omis de prononcer, lorsque d*aiileurs Tad-
ministralion des douanes n*a pas usé du droit d'appel dans
les délais légaux '\ 1 appel interjeté par Tadministration des
douanes seule, quand le ministère public ne s'est pas pourvu,
ne permet pas à la cour de prononcer la peine de Tempri-
sonnement qui demeure exclusivement dans le domaine de
Taction publique"; 2*" Que le ministère public ne peut, en
poursuivant à sa requête, et sans la présence de Tadminis-
tratfon des douanes, partie intervenante, requérir Tappli-
cation des peines pécuniaires. €ette seconde conséquence est
précisément contestée et il semble résulter de quelques arrêts
anciens", queTexercice de Faction publique, concédé à l'ad-
ministration des douanes, est, en quelque sorte, |)artiel et
que son droit se trouve confondu dans le droit plus étendu et
plus complet du ministère public. Mais ces arrêts, rendus
à une époque où le caractère des peines pécuniaires doua-
nières était encore incertain, ne sauraient être invoqués
qu'avec réserve; 3* Qu'en ce qui concerne les infractions de
la compétence du tribunal correctionnel et passibles seule-
ment de peines pécuniaires (telles que l'infraction prévue
par l'art. 15 de la loi du 7 juin 1820), l'administration des
douanes a seule qualité, à Texclusion du ministère public,
pour saisir le tribunal correctionnel '°.
*' Nancy. 27 févr. 1878 (D. 79. 2. 4()).
" Cass.,3 mars 1893 (D. 9i. 1. 53). Voy. ('^Mlement Cass., 6 janv. 1905
(S. 1905. 1. 159) : « Attendu que si la loi aHmet l'administration des doua-
nes à participer jusqu'à un certain point à l'exercice de l'action publique, c'est
uniquement pour lai donner le moyen d'obtenir les condamnations qui doi-
Y'-*nt, dans Tintérêt public, réparer le dommage que la fraude a pu exercer ;
que tel est l'objet des confiscations «'t amendes qu'il lui est permis de requé-
rir, mais que la peine d'emprisonnement, peine toute personnelle, reste ex-
clusivement dans le domaine du ministère public .. >k La Cour en conclut qu'une
cour d'appel ne peut pas, sur le seul appel de l'administration des douanes,
prononcerune peine d'emj>risonnemenl, alors que les premiers juges n'avaient
prononcé que la confiscation. C'est, du reste, la jurisprudence constante de-
puis l'arrêt de la Cour de cassation du 28 prairial an XI {Hull, crim.y n® 162).
'^ Cass., 21 nov. 1828 (S. et P. chr.).
30 Cass., t mars 1840 (S. 40. 1. 879).
212 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBl^lQUE ET CIVILE.
Les conditions de la poursuite du ministère publie et de
l'administration des douanes contre les simples conducteurs
ou agents directs d'une introduction de marchandises en
contrebande sont, du reste, subordonnées à la capture dans
le rayon frontière ou à une poursuite à vue et non interrom-
pue hors dudit rayon (Loi du 28 avr. 1816, art. 38, 39, 41,
42, 51). L^article S7 de la loi du 29 mars 1897 qui permet .\
l'administration de prouver par toutes les voies de droit les
contraventions et délits de douanes, n*a, en rien, modifié la
législation des douanes en ce qui concerne le droit d'afction
de l'administration et les conditions auxquelles elle est subor-
donnée'*.
IlL L'administration des douanes a reçu, de la loi du 22 août
1791 ", le droit de transiger sur les peines prononcées à sa re-
quête. Ce tempérament à la rigueur du système répressif fut
bientôt reconnu insuffisant, en ce qu'il n'englobait pas les
peines corporelles prononcées à la requête dû ministère pu-
blic. Aussi, l'arrêté du 14 fructidor en X (art. 1), vint-il au-
toriser l'administration à transiger sur les procès de douanes,
soil avant, soit après le jugement. C'est dans cette disposition
que l'administration puise son droit de transaction qui a été
réglementé par le décret du 8 août 1890".
a) La transaction, antérieure au jugement, éteint l'action
publique dérivant du délit ou de la contravention : elle est,
par suite^ opposable, soit au ministère public qui poursuivrait
un délit de douanes et demanderait l'application des peines
corporelles, soit à la douane qui intenterait l'action publique
pour faire prononcer une condamnation à l'amende et à la
3* C'est, du moins, ce que cJôcide la Chamhre criminelle : Cass., 11 avr.
i90'2{Pand., 1902. i. 225, et la nnle de M. F.Thibault); 20 févr. 1903 (JPaiwf.,
1903. 1. 433 et la note de M. F. Thibault): H mars 1904 iPand,, 1904. 1.
420). Il faut avouer, dans tous les cas, que la f»^»rmule employée par l'arti-
cle li7 a trahi la pensée du législateur qui avait proposé celte loi en vue de
supprimer ces conditions. Vny. Répert. alph. du droit fnmrais^ v« Douane^,
n«^ 1607 à 1010.
»-Tit. XI!, art. 4.
'' On en trouvera le texte dans Pabon, op. ait., p. 91.
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 2t3
cooGscatioD. Les lois de douanes n^ayaot pas réglementé les
transactions de cette espèce, il faut en conclure qu*elles sont
soumises aux règles de fond ou de forme énumérées dans les
articles 20i4 et suiv. du Code civil.
b) ^administration a le droit de transiger avec le condamné,
même après les jugements définitifs : les testes cités ne distin-
guent pas, à ce point de vue, suivant que la transaction inter-
vient avant ou après la condamnation.
Mais l'effet d'une transaction, après condamnation défini-
live.i Temprisonnement et à l'amende, ne porte que sur cette
dernière peine. Le chef de TÉtat aurait seul, en vertu du droit
de grâce, le pouvoir d'accorder la remise de Temprisonne-
menl.
98. L'administration des eaux et forêts a, dans le domaine
des contraventions et délits forestiers, un droit de poursuite
et de traosacticm ù la fois plus étendu et mieux défini que
celui des administrations des contributions indirectes et des
douanes.
1. Le droit de l'administration des eaux et forêts est plus
étendu. D'une part, l'article 159 du Code forestier charge cette
administration, « tant dans l'intérêt de l'État que dans celui
des autres propriétaires de bois et forets soumis au régime
forestier, des poursuites en réparation ^^ de tous délits et con-
traventions commis dans ces bois et forets »; et ce droit
s'exerce, quelle que soit la peine applicable, que ce soit l'em-
prisonnement ou l'amende. D'autre part, l'action de l'admi-
ûislration des forêts nVst pas limitée à la faculté de saisir le
tribunal et de mettre ainsi en mouvement le procès pénal :
elle s'exerce jusqu'à ce qu'un jugementdéQnitifsoit intervenu.
L'article t83 du Code forestier donne, en effet, aux agents de
l'administration des forêts, le droit d'interjeter, en son nom,
appel des jugements, et de se pourvoir contre les arrêts et ju-
'* Le sens du mol « réparation » doit être interprété par lo texte même, il
est synonyme ici de répression. Voy. Meaume, Commentaire du Code fo-
restier (3 vol. in-8o, 1844-^6), t. 2, n« 1116.
214 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
gements eo dernier ressort. L*ach'on publique est ainsi exer-
cée dans sa plénitude par [^administration des forêts, mais en
ce qui concerne seulement les infractions forestières, à l'ex-
clusion des délits de droit commun ou prévus par la loi pé-
nale ordinaire". Les citations sont adressées « à la requête
de l'administration des forêts, poursuites et diligences de Ta-
gent forestier local » (généralement Tinspecteur des forêts).
II. Le droit de poursuite de Tadminislration des forêts est
également mieux défini : il s'exerce, aux termes de Tarticle 159
du Gode forestier, « sans préjudice du droit qui appartient au
ministère public ». Et on a conclu de ce texte qu'il existe, au
point de vue des délits forestiers, une concurrence d'attribu-
tions entre le ministère public et les agents forestiers. Ce droit
parallèle conduit : l"" à donner qualité au ministère public
pour exercer les actions forestières d'une manière aussi com-
plète que l'administration elle-même. Le ministère public
peut donc conclure, non seulement à l'application des peines
corporelles, mais encore à celle des peines pécuniaires; il peut
même, car on est allé jusque-là, demander des réparations
civiles, telles que restitutions et dommages-intérêts'*; 2® à
permettre aux magistrats du ministère public de représenter
à Taudience les agents de l'administration, même quand le
procès a été engagé à la requête de celle-ci*^ ; 3° à faire pro-
fiter l'administration de l'appel interjetépar le ministère pu-
blic»».
III. 11 importe, néanmoins, de déterminer le rôle précis que
joue l'administration dans la poursuite en réparation des dé-
lits forestiers.
D'après l'article 171 du Code forestier qui reproduit, à cet
'^ La jurisprudence donne le caractère de délits forestiers à ceux qui
sont commis dans une forêt soumise au régime forestier, qui sont prévus et
punis par la loi forestière, et qui portent une atteinte directe et immédiate
au sol forestier. Voy. Cass., 4 janv. 1855 (S. 55. 1. 223; D. 55. 1. 15);
Cass. (Ch. r^^'un.), 12 mars 1874 (S. 74. 1. 453; D. 75. 1. 480).
' •'« Cass., S mai 1835 (S. 35. 1. 730).
5" Cass., 28 oct. 1892 (S. 93. 1. 168 ; D. 93. 1. 584).
38 Cass., 20 mars 1837 (S. 38. I. 922).
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 215
^gard,rarticle 179 du Gode d'instruction criminelle, les tribu-
oauK correctionnels sont compétents pour connaître de tous
ks délits forestiers, quelle que soit la peine prononcée^'.
L'administration peut exercer Taclion qui lui appartient
dans deux ordres de circonstances. Tantôt, elle poursuit un
délit qui ne comporte d'autre réparation que la condamnation
pénale. Tantôt^ le délit peut donner lieu à des restitutions et
<les dommages-intérêts.
Dans le premier cas, Tadministration remplit la fonction
de ministère public : elle ne peut être condamnée, si elle
surcombe, soit aux frais de défense, soit à des dommages-inté-
rêts reçu rsoires au profit du prévenu acquitté. Mais, comme
toute administration, celle des forêts est assimilée à une partie
civile relativement aux procès suivis à sa requête ou dans son
intérêt (Décret du 18 juill. 1811, art. 157 et 158). Et on sait
que la partie civile, même gagnante, est personnellement con-
damnée aux frais, sauf son recours contre le prévenu et les
personnes civilement responsables.
Dans le second cas, l'administration agit dans un intérêt
civil : elle réclame la réparation du dommage que lui a causé
le délit. Son caractère d'administration publique ne fait pas
obstacle à ce qu'elle soit condamnée, si elle succombe, soit
aux frais de défense, soit à des dommages-intérêts récur-
soires*".
IV. Diaprés la loi du 18 juin 1859, qui modifie Tarticle 159
du Code forestier, « l'administration des forêts est autorisée
à transiger, avant jugement définitif, sur la poursuite des dé-
lits et des contraventions en matière forestière, commis dans
les bois soumis au régime forestier; après jugement définitif,
la transaction ne peut porter que sur les peines et réparations
pécuniaires ». L'efTet de la transaction est donc différent, sui-
^' Par suite, radmiiiistratiuii, in<^me pour los dommages-iiitérôls et resti-
tutions, n'a pas l'opliun de Tarlicle '\ du Code d'instruction criminelle.
** Toutes ces questions sont délicates. Elles ont élé examinées par los
spécialistes qui ne se sont pas mis d'accord. La Cour de cassation, elle-
même, est ilans l'incertitude. Voy. notamment Cass., 4 juill. 1861 (S. 61. 1»
015; D. 61. 1. 355).
%
216 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB.
vaat que la transaction intervient, avant le jugement, auquel
cas elle éteint Taction publique, et après la condamnation dé-
finitive, auquel cas, elle ne porte que sur les peines pécu-
niaires**.
Avant la loi de 1859, la seule faculté réservée à Tadminis-
tration était celle de se désister (G. for., art. 183). Actuelle-
ment, le désistement ne constitue qu*une variété de la trans-
action *^
V. Un décret du 29 avril 1862 a rattaché la pèche fluviale
au ministère de Tagriculture. L'administration forestière n'a
donc plus, relativement à la poursuite des délits de pèche, les
pouvoirs qu'elle possédait antérieurement. Aujourd'hui, c'est
au nom de l'administration des ponts et chaussées que sont
poursuivis les délits de pèche par les soins du ministère
public.
99. Les infractions postales, télégraphiques et téléphoni-
ques se divisent en deux catégories : les unes constituent des
crimes et délits ordinaires, poursuivis, à la requête du minis-
tère public, comme tous les crimes et délits : ce sera, par
exemple, une violation du secret de la correspondance (G. p.^
art. 378), une contrefaçon ou altération de timbres postes ou
autres valeurs (G. p., art. 142), etc.; les autres constituent de$
contraventions aux lois qui protègent le monopole de l'admi-
nistration : ce sera, par exemple, un abus de franchise, une
insertion de valeurs prohibées dans les objets de correspon-
dance, etc. *••
Les amendes, conséquences de ces dernières infractions^
sont considérées, au regard de Tadministration, comme des
*^ La fuculté de transiger s'applique aux délits de chasse dans les furôts
soumises au régime forestier, comme aux délits forestiers proprement dits :
Cass., 22 déc. 1868 (D. 69. 1. 209), et sur renvoi, Caen, 7 avr. 1869 (D. 69.
2. 216).
, ^'^ Les autorités qui ont qualité pour statuer en matière de transaction
ont été déterminées successivement par le décret du 21 déc. 1859, puis par
celui du 22 déc. 1879.
*' Voy. Gabriel Hayes, Traité des infractions postales, in-8*, 1899 ^Th
doct., Nancy).
ACTION DBS ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 217
réparations pécuniaires ^\ Deux conséquences résultent du
caractère de la peine : l"" Bien que la répression ait lieu dans
son intérêt et que Tamende lui soit attribuée, Tadminislra-
tioQ n'a pas qualité pour exercer l'action publique, mais seu-
lement pour dresser le procès-verbal qui constate le délit et
l'adresser au procureur de la République. Celui-ci a seul
Texercice de l'action publique^' : il agit en une double qua-
lité, il représente Tintérêt social et Tintérét fiscal. L'article 5
de farrèté du 27 prairial an IX, dont la disposition a été
répétée dans les mêmes termes par des textes postérieurs^*,
dispose, en effet, que « les procès-verbaux seront de suite
« transmis au commissaire du gouvernement près le tri-
« bunal civil et correctionnel de l'arrondissement, par les*
« préposés des postes, pour poursuivre contre les contreve-
« oants la condamnation à Tamende ». La loi reconnaît
donc au ministère public le droit de poursuivre la répres-
sion des contraventions postales soit seul, soit concurrem-
ment avec Tadministration, soit en son nom et sur sa réqui-
sition ". Si l'administration est au procès, elle y est et ne
peut y être que comme partie civile, avec les avantages et
les inconvénients de cette situation. Mais qu*on le remanjue
bien, Tadministration est légalement représentée par le mi-
nistère public, qui a le droit, en son absence, de conclure
au prononcé de l'amende, et, si Tadministration est inter-
Yenue, de faire appel d'un jugement qu'elle accepte**. Par
suite même du caractère de la poursuite exercée par le mi-
nistère public qui est, au procès, en une double qualité,.
^' Ce point n*a jamais fait difficulté.
*• Jurisprudence constante. Voy. Orléans, 17 nov. 1891 (S. 92. 2. 45;
D.92. 2. 461); Montpellier, 27 mars 1890 (S. 90.2. 116; D. 91. 1. 141); Be-
sançon, 10 Févr. 1893 (D. 95. 2. 54).
*• Par exemple, article 4 de la loi du 12 avril 1892.
^"^ Cass., 15 janv. 1865 (S. 66. 1. 36). — Cependant, par exception, lorsqu'il
s*agit de contraventions aux lois sur le transport par la poste de valeurs dé*
darées, la poursuite est directement laite par l'administration des postes
(L. 4 juin 1859, art. 9j.
♦• Cass , 19 juin 1896 :S. 98. 1. 109; D. 97. i. 174). Comp. Angers, 13 août
1866 (D. 66. 2. 156).
218 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBUQUE ET CIVILE.
TadministratioD, qui oe s'est pas perlée partie civile en pre-
mière instance, pourra le faire en appel **. 2* L*administra-
tion est autorisée à transiger en tout état de cause, avant
comme après le jugement, et cette transaction, qui éteint l'ac-
tion publique avant condamnation, emporte remise de la
peine après condamnation '^.
100. L'exercice de Faction fiscale soulève une question
générale, celle de la recevabilité cTune partie civile devant
les tribunaux correctionnels^dans les procédures où figure
une administration financière.
S'il s'agit d*un délit mixte, c'est-à-dire puni, à la fois, de
•peines pécuniaires et de peines corporelles, celui qui s'en
prétend victime a incontestablement le droit, soit d'inter-
venir sur la poursuite de l'administration intéressée, soit
même de citer directement à sa requête devant le tribunal
correctionnel. Le droit commun est applicable, puisque le
ministère public est chargé de l'exercice de l'action publique,
concurremment avec la régie, et que la présence de plusieurs
parties civiles n'est nullement contradictoire ou inconcilia-
ble»'.
S'il s'agit d'un délit exclusivement fiscal, c'est-à-dire puni
*» Voy. Tarrêt précité d'Orléans, 17 nov. t819. Comp. Caen, i9déc. 1891
(S. 92. 2. 45; D. 92. 2. 457). Mais pourra-i-elle le faire alors que le ministère
public n'a pas entendu, à défaut de conclusions prises par lui en première
instance, mettre en mouvement l'action de cette administration? La question
n'est pas tranchée par les arrêts que nous citons.
" Ord. du 19 févr. «843; L. 4 juin 1859, art. 9; L. 12 avr. 1892, art. 4.
'* Il existe notamment un certain nombre de délits fiscaux qui sont en
même temps, des délits de droit commun. Ainsi la loi du 14 août 1889 qui
interdit de vendre sous la dénomination de vin un produit autre que celui
de la fermentation des raisins frais, punit les contrevenants d'amende et d'em-
prisonnement : ce délit constitue donc, non seulement une contravention à
la loi fiscale, mais un délit de droit commun. Il n'est donc pas douteux que les
victimes de ce délit (marchands de vin, propriétaires de vignobles, consom-
mateurs) pourront se porter parties civiles, soit par voie d'action, soit par
voie d'intervention. Comp. Trib. corr. de Nîmes, 10 août 4904 [Gaz. des Trib»,
n*<lu 1*' sept. 1904). Les syndicats professionnels pourraient également le
faire en vue de la défense des intérêts collectifs dont ils ont la charge.
ACTION DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES. 2i9
de peines pécuniaires (confiscalioa ou ameode), une distinc-
tioo s'innpose, suivant que la partie lésée prétend se substituer
4 l'action de Tadminislration fiscale, en citant directement le
préyenu à sa propre requête, ou suivant qu*elle ne prétend à
d'autre rôle qu'à exercer une intervention dans la poursuite
intentée par l'administration.
Dans le premier cas, on peut faire trois objections à la pro-
cédure suivie par la partie qui se prétend lésée. 1® La répres-
sion d'une contravention Gscale a été confiée exclusivement
par la loi à Tadministration intéressée : comment un citoyen,
se prétendant lésé par une contravention fiscale, pourrait-il
avoir la prétention de mettre en mouvement une action qui
appartient à Tadministration seule? On répondra, sansdoute,
que, dans la procédure ordinaire, le ministère public a bien
la délégation exclusive de l'exercice de l'action publique, ce
qui n'empêche pas la partie lésée de citer le prévenu à sa re-
quête devant le tribunal correctionnel. Mais, dans ce cas, la
partie lésée met en mouvement l'action publique en même
temps que l'action civile, puisque le sort de Tune est insépa-
rable du sort de Tautrc devant les tribunaux de répression :
or, ce double résultat implique la possibilité, pour la partie
lésée, de donner la première impulsion à l'action publique-
Comment la partie lésée mettrait-elle l'action fiscale en mou-
vement, lorsque cette action est exclusivement réservée à l'ad-
ministration intéressée et que le ministère public lui-même
est sans qualité pour en saisir le juge? 2"" La seconde objection
contre la recevabilité de la citation directe de la partie lésée
est puisée dans les règles spéciales de la procédure fiscale.
Les contraventions fiscales doivent, en principe, être consta-
tées par un procès-verbal régulier, dressé par les agents de
l'administration intéressée, Tassignation doit être ordinaire-
ment donnée dans un certain délai à peine de déchéance, et
il n'est pas admissible qu'un simple particulier, prétendant
exercer l'action de l'administration, soit dispensé des con-
ditions de poursuite qui sont indispensables à celle-ci":
" CetU' r»l»n'ciion est-elle d«*cisivf'? D'une part, il ncA pas certain que le
220 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
3"" Enfin, comment le tribunal pou rrait-i!, en Tabsence deFad*
minîstration, et sur la seule action d'un particulier, prononcer
des amendes et confiscations dont la régie financière va dever
nir exclusivement bénéGciaire?
Mais si nous repoussons, en pareil cas, le droit d'action des
particuliers, nous admettons leur droit d'intervention dans la
poursuite intentée à la requête de l'administration intéressée*
Les infractions fiscales, punies d'amende et de confisca-
tion, sont des délits. Or, aucun texte ne limite l'interven-
lion d'une partie civile au cas seulement bii l'action publique
a pu être intentée par le ministère public ordinaire. Il im-
porte peu que Faction, tendant à l'application de la peine,
soit engagée à la seule requête de l'administration, que la
peine réclamée ait, à certains égards, un caractère privé, qu€
l'administration soit assimilée à une partie civile au point d^
vue des frais : en eOet, toutes ces particularités de Vactionpu
blique fiscale dérivent, soit de textes formels, soit du caractèn
de composition pénale forfaitaire donnée à l'amende et à l<
confiscation. Mais les règles du droit commun, qui ne son
pas incompatibles avec ce caractère, et auxquelles il n'a pa
été expressément dérogé par des textes formels, s'appliquent <
l'action intentée pur l'administration intéressée comme i
l'action intentée par le ministère public ordinaire. Et cetti
solution s'impose d'autant plus que, parmi les délits fiscaux
il en est quelques-uns dont la répression intéresse les parti
culiers encore plus que l'administration. Si l'exercice de l'ac
tion publique a été remis à celle-ci, c'est parce que l'admi
nistralion seule a une organisation qui lui permet de découvri
et de surveiller ces délits. Il en est ainsi notamment de ce
nombreuses dispositions fiscales prises en vue de rendre plu
procès-verbal des agents de la régie soit le litre même de raction. La loi d
30 décembre 1903 (art. 24) a ramené les procès-verbaux de régie au nM
que devraient avoir tous les procès- verbaux : ce sont des instruments (i
preuve. D'autre part, la partie civile, en se soumettant aux conditions H
recevabilité de laction de la »>^gie, ne [>ourrait se voir opposer, de ce ccM
tout au moins, de raisons sérieuses d'écarter son action.
CONTRE QUI l'action PUBLIQUE PEUT ETRE INTENTÉE. 221
difficiles la fabrication et la circulatioQ des boissons frelatées".
§ ZVI. — CONTRE QUI L'ACTION PUBLIQUE PEUT ÊTRE INTENTÉE.
KH. I/acfioD publique ne peut être dirigée (|iie contre un iiulividu. Tmis oorollaires
ré:iiilU»nt de cette règle. — 102. L*action publique peut-elle ôtre dirigée contre
inconnu? Distinction. Instruction. Jugement. — 103. L'nctiun publique ne peut
«tre dirigée que contre les auteurs et les complices de TinTraction. Conséquences.
Dps personnes civilement responsables quant aux fniis. Des personnes morales.
Des héritiers des auteurs et des complices. — 104. L'action publique est dirigée
contre le prévenu sans qu'il soit nécessaire de mettre en cause son représentant.
101. L'action publique est dirigée contre un individu, pé-
mlement responsable de Tinfraclion. Cette action n'est pas,
eo effet, une action objective, destinée à faire disparaître un
état de choses ou à modifier une situation, c'est une action
subjective, dirigée contre un individnqm doit être condamné
à une peine, parce qu*il est auteur, coauteur ou complice
d'aoe infraction.
L^ personnalité ou plutôt V individuolité des peines a ainsi
pour conséquence, dans la procédure, la. person7ialisation ou
plutôt ï individualisation de r action publique. Cette concep-
tioQ a trois corollaires pratiques : l*" L'action publique ne
peut être exercée que contre un individu certain et déter-
miné; 2^ L'action publique ne peut être exercée que contre
un individu qui est auteur ou complice d'une infraction;
3* L'action publique est exclusivement dirigée contre l'in-
culpé, et si celui-ci est un incapable, il n'est pas besoin d'ap-
peler en cause son représentant ou son conseil.
102. Au point de vue de l'exercice de l'action publique,
il V a lieu de faire une distinction essentielle entre les deux
m
phases du procès pénal.
a) L'action publique peut être dirigée contre inconiiu lors-
qu'elle tend à la découverte de la vérité par le moyen d'une
" La question que jVxaminc ici ne paraît pas avoir pn''i)Ci'upé la doctrine.
Je ne connais aucun auteur qui l'ait examinée. La jurisprudence ue paraît
pas non plus avoir eu de nombreuses occasions do la résoudre.
222 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
instruction. Le réquisitoire à fin d'infortner ou iniroductif^
qui est le premier acte de la procédure préalable, énonce le
fait matériel, le lieu et la date approx.imative où il a été corn*
mis; il qualifie le délit, vise Tarlicle de loi qui paraît s*y ap-
pliquer et désigne Tiodividu soupçonné, mais seulement s'il
est connu ^ L'instruction a pour objet de déterminer si un
procès doit être fait et à qui il doit être fait. Aussi la saisine
du magistrat instructeur a lieu in rem et contre tous ceui qui
pourraient avoir commis le fait à l'occasion duquel Tinstruc-
tion est ouverte*. 1
b) Mais quand elle tend à établir la culpabilité, Taction )
publique doit être dirigée contre un individu certain et dé- \
terminé. Le nom de cet individu peut être inconnu, son état
civil ignoré : qu'importe? on le poursuivra et on le condam-
nera si ridentité entre l'inculpé et l'individu qui a commis!^
fait peut être établie^ En un mot, la saisine devant les juri'
dictions de jugement a toujours lieu in personam. La citatiot^
ou l'ordonnance de renvoi désigne toujours l'inculpé. Ce n'es^
pas un délit qui est recherché et poursuivi, c'est un déliîi —
quant.
Du reste, la capacité juridique du défendeur à l'action pu-^
blique est absolument sans influence sur la procédure, ainsi
que nous le constatons plus loin. Ce qui est essentiel, c'est
que la poursuite vise l'individu que le ministère public pré-
tend faire condamner à une peine, parce que cet individu est
coupable du fait qui lui est reproché.
103. La responsabilité pénale étant seule mise en jeu par
§ XVI. * Les instructions ouvertes contre X.... n'ont donc rien d'anoF-
mal. Elles n'aboutissent pas toujours à dégager Vinconiiu, mais, dans tous
les cas, elles tentent de le faire.
* Lorsqu'il s'agit d'un acte de contrainte individuelle, tel que la déli-
vrance d'un mandat, le magistrat instructeur est bien obligé de désigner un
individu dont il peut ignorer le nom, mais qu'il décrit d'une façon suffi-
samment précise, par son signalement, pour que le porteur du mandat puisse
l'appliquer à l'individu désigné (C. instr. cr., art. 91 à 412).
3 Voy. une espèce intéressante dans Cass., 45 févr. 1849 (D. 49. 4. 135).
I
CONTRE QUI L*AGTION PUBLIQUE PEUT StRE INTET^TÉB. 223
l'action publique, il faut que Tioculpé soit auteur, coauteur oo
complice de rinfractioQ incriminée.
ËQ dehors de ce cercle bien délimité, Taclion publique est
irrecevable. De cette règle, je conclus : i* Que Taclion publi-
que ne peut être dirigée, tout au moins au point de vue
de la peine, contre les personnes civilement responsables;
? qu'elle ne peut l'être contre les personnes morales; 3*" qu'elle
ne peut Tétre contre les héritiers des auteurs ou des compli-
ces du délit.
I. L'action publique n'est pas recevable, âti point de vue
de la peine, contre les personnes qui, bien que n'ayant par-
ticipé au délit ni comme auteurs, ni comme complices, sont
cependant civilement responsables du dommage que le délit
a causé*. Sans doute, le ministère public peut actionner ces
personnes, en même temps que les auteurs et les complices
du délit, devant les tribunaux de répression, pour demander
leur condamnation SiU\ frais de la poursuite, en tant que civi-
lement responsables de ces frais*. Mais ce n'est pas précisé-
*Ca8S,, 16 nov. 18'*l (D. A., v'» Instr, cWm., n. 82). Cet arrOt coq-
lienldes motifs intt^ressants sur la distinction entre l'action publique pour
i'application des peines, et l'action privée en réparation. — Comp. Cass.,
6déc. 1861 (D. 62. 5.79); 2i avr. 1891 (D. 93. 1. 49); 21 juin 1895 (D. 95.
1. 438); 13 juin. 1898 (D. 96. 1. 50).
'Le droit du ministère public de requérir la condamnation des personnes
civilement responsables aux frais et, par suite, de les assigner, en même
temps et devant les mômes juges que les prévenus et accusés, pour obtenir
cette condamnation, paraît consacré par l'article 194 du Code d'instruction
criminelle : « Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et
les personnes civilement responsables du délit, ou contre la partie civile,
les condamnera aux frais, même envers la partie publique ». Acide, arti-
cle 156 du décret-loi du 18 juin 1811. Sans doute, ces textes sont étrangers
aux droits du ministère public : mais ils posent un principe d'où résultent ces
droits. Les frais occasionnés par la poursuite du délit sont une conséquence
de ce délit, et la partie publique trouve, dans les frais ainsi exposés, un inté-
rêt qui justifie son action : elle peut donc, en exerçant l'action publique, agir
accessoirement, et dans la mesure de cet intérêt, contre la personne civile-
ment responsable. C'est sur ce terrain que la' Cour de cassation a placé très
nettement sa jurisprudence : Cass., 13 déc. 1856 (D. 57. 1. 78) : « Attendu
«c qu'un délit ne cause pas seulement un dommage à la personne qui en est
22 i PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
ment une exception aux principes généraux que régissent, soi
l'action publique, soit la responsabilité civile, puisque, d*uQ(
part, Tobligation de payer les frais de justice constitue la ré
paration, vis-à-vis de TElat, d'un préjudice spécial causé pai
le délit, dont sont tenues les personnes civilement respoosa
blés, et que, d'autre part, le ministère public, h titre de re
présentant de TÉlat, a bien qualité pour demander et obteoii
contre elles cette condamnation pécuniaire. Si donc le minis
tère public n'exerce pas l'action civile vis-à-vis des personne
civilement responsables, en poursuivant leur condamnalioi
aux frais, il leur demande cependant, par Vocfioîi publique
de réparer le préjudice causé h l'Ëtat par la nécessité mèm
011 se trouve placé son représentant d'engager le procès péoa
contre l'auteur de l'infraction*.
Du reste, l'action publique peut être dirigée contre les pei
M virlime; qu'il occasionne également un préjudice» au Trésor public, quar
« rolui-ci se Injuvi» contraint de Faire Tavance des frais de la poursuite c
« ri g<^e contre le prévenu; qu'en ce cas, la condamnation aux dépens pr
(( noncée tant contre le prévenu déclaré coupable que contre la partie civ
« lement responsable aux termes de l'article 19 i du Code d'instrucli(
« criminelle, en devient la justr réparation, et ne peut être subordonnée
« l'interv<'ntion d'une partie civile en cause, ni h une condamnation enve
« elle k des dommages-intérêts ».
• En sens contraire cependant : Maurice Leven, De rexcrcicc de Vacti
civile par la mhmth'e public (Urr. trimrstriellc de droit civil, I. i, 190
p. r»2H à îi+t). «< Arrivé au terme de ct.'tte étude, écrit l'auteur, nous po
<i vous conclure (jue rien ne semble justifier les poursuites dirig»»es par
. « ministère publir contr»' l<'s personnes civilement responsables. Ell^^s co
« stituenl même une violation des articles 1 et 3 du Code d'instruction ci
« minelle, une atteinte aux droits de la partie lésée, à la faculté qu'elle
« d'exercer l'action civile, d'y renoncer, de transiger avec elle ». Cette di
sertation ne nous a pas convaincu. Il ne s'agit pas, en ftTet, de la rép
ration, vis-à-vis de la victime du ibMit, d'une partir tlu dommage qui 1
a ét^ caus«'. G'ite n'paratiini fst exclusivement rés»Tvép à Ja partie civi!
sur les droits et les intérêts de laquelle le ministère public n'a pas à usu
per. Il s'agit d'un donmia^i- causé à l'Ktat, dont le mini>tére pul>lic ei
dans la rinonstance, le seul rfprés»M)tanl, par Texerciee même de Vacti
piUilique. La ré[>aration de o»' dommage spécial est un acees.soire de
poursuite, il peut être deniaiidé .mi même l«Mnps l't «Irvaut les mêmes jug
et j»ar la même action.
CONTRE QUI i/aCTION PUBLIQUE PEUT KTRE INTENTEE. 22S
^Dnescivilcmenl responsables, lorsque la respoosabililc cWilc
«xpose ceux qui eo sont tenus à des peines pécuniaires. Ce
résaltat se produit dans des circonstances assez nombreuses.
D'abord, des textes formels cdictent Tamende, sous des con-
dîlioDs déterminées, contre certaines personnes civilement
responsables ^ En second lieu, les tribunaux donnent à ces
dispositions une interprétation très large et, pour les faits
quelles visent, étendent la responsabilité civile à Tamende,
lors même que manque quelqu'une des conditions prévues
parla loi*. Enfin, la jurisprudence admet que les individus
civilement responsables sont parfois tenus de peines à raison
d'infractions qu'aucune loi expresse n'excepte du droit com-
mun. « Les règlements relatifs à Texercice d'une profession,
^disent, depuis longtemps, les arrêts, obligent tous ceux qui
exercent cette profession ; ils sont donc passibles des peines
«pour toule infraction fi ces règlements, soit que Tinfraction
* résulte de leur fait, soit qu'elle ait été commise par leurs
^■ouvriers ou préposés'».
Dans les industries réglementées, le patron est donc exposé
à payer l'amende pour les acles des gens qu'il emploie. Bien
plus, les dernières décisions de la jurisprudi^nce semblent ne
plus limiter à ces industries la règle spéciale qu'elles établis-
sent; leurs formules se rapprochent de celle du Code pénal
ilalien (art. 60)'"* et embrassent toutes les hypothèses, où il
• Loi 6-22 août 1791, lit. XIII, art. 20: d.'cret du 4 germ. un II, lit. HT,
art. 8, sur les douanes; d(^cret du i^*" ^orm. an XFFI, art. :r>, sur les con-
trilmlions indirectes; arr<?t»» consulaire du 27 prair. an IX, sur les infractions
ftostales; C. forest., art. 4"» et 40, concernant les délits forestiers spécifiés.
'Cass., il ocl. 1834 (S. 34. 1. 708); 30 nov. 1869 (S. 70. 1. ÏIH). Voy.
mon TraiU' thèor, et prat., 2« éd., t. 2, p. 57S, ii» 233; Pabon, Traité des
ififr., du cont. et des tarifs des douanes, n"" 276, p. Ki7.
» V.Cass., 4janv. I8i2 (S. 42. 1. 885). Comp. Cass., 28 janv. i8:»9(S.r)9.
1.364;; 26 août 1859 (S. 59. 1. 973); 30 déc. 1892 et 12 mai 1893 (S. 94. 1.
201) et la note de M. Villey ; 19 avr. 1804 (S. 9 k 1. 301) ; 31 jiiill. 1893 (S.
9t. 1. 202); Paris, 23 nov. 1894 (S. 96. 2. 9).
*" (• Dans les contraventions commises par celui qui est soumis à Taulo-
filé, à la direction ou à la surveillance d'antrui, la peine, indr^pendamment
•Je Ct* qui concerne le préveuu, est ap[>liquée également à la personne, soit
G. P. P. — i. ir»
226 nrjrit^r:n,E pfeALE. — des actions publique et citile.
ré*it\iej «oit dfj teife, ^Ai (U^ l'esprit de la loi. qu'une personne
doit f;%ercer une action dirrcte sur le fait d'autrut. Cela suffit
pour qufr cette personne subisse des coodamnations pénales,
qnand^ n'ayant pas exercé la surveillance qui lui încombail.
elle a lais^^é des infractions se commett^e'^ Ce n'e>t pas ici It
lieu de discuter ce^* extensions successives données par la juris-
prudence â la responsabilité civile et la transformation qu
est en voie de s'accomplir du civil au pénal. Il convient seu
lement de r^-marquer que, pour les faits d'ordre fiscal, la
mende est considérée comme une réparation et Faction, don
née ;i Tadministration pour la faire prononcer, comme UQ(
action plulot civile, tandis que, pour les faits d'ordre noi
fiscal, l'amende ne cesse pas d'être une peine propremen
dite et Taction qui a pour but de la faire appliquer est biei
Tactiori publique ordinaire. Dans le premier groupe d'hypo
thèsf'S, Tadfninislration fiscale ou le ministère public qui l
représente, defnaiide la prononciation, par les tribunaux d
répression, d'une sorte de composition, dont le bénéfice 65
attribué ;ï l'administration elle-même. Dans le second, 1
ministère public poursuit l'application de peines de négl
tjvnv.e et met en jeu la responsabilité personnelle d*un chi
d*indiistrie, d'un propriétaire, etc., qui a manqué A une obi
gation légale, imposée sous la sanction d*unc peine.
11. Le défendeur à Taction publique est toujours un iiui
indu, \\\\i\ personne pliysique, en chair et en os : ce ne pei
être une personne morale. II eslde règle, dans notre jurispri
invi'slir <li* raiilnrih', suit i:!iîirtc«'c <Io la din^clion ou de la surv^MlIance, t
s*ii^it <!«• rniilravorilii»ns \\. <I<*s dispositions (jiio cette personne râlait teni
de faire nhsiTVJîp i»l si la eniitravenlii>n pouvait être empêcha? par sa dil
frenei>. ». (loinf». C. [hm:. all(>mand, § 301.
«» V. (:a>s.,:M) ci.T. Wyi et 12 mai 1893, précil.'îs; lOavr. 189* (U. 96.
r>i) : «< Attendu, lit-on dans ce dernier arrêt, (jue si, en principe, nul n'e
« passihlf df peim's iju'à raison de son tait persunnel, la responsabilité p
•• nali peut ('(^pendant naître du lait d'aulrui, dans les cas exceptionnels <
«• n'rtaines «d^lijj^ations U'-f^alrs imp«)sent le devoir d'exercer une action dirci
M >ur les i'jjits d'un auxiliain* ou d'un sidMirdouné ^). V. aussi Limoges, 6 ju
IH7-2 (S. "ri. 'l, lSi\ C.unp. Cliauv.MU et llélie, t. 1, n» 130, p. 228 et ni'
'ÏMÙU' thtov, (7 piat.f 2» éd., t. 0, n^ 2278 à 228 1.
CONTRE QDI l'aCTION PUBLIQUE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 227
dence pratique, que les univenitates penonarum ou bonoriim
ne sont pas pénalemcot responsables. La raison en est que les
peines sont personnelles, proportionnées à la culpabilité de
chaque agent du fait délictueux, et ne peuvent atteindre que
cet agent personnellement. D^oii il suit que le ministère
public engagerait mal Faction publique en citant une fonda-
tion ou une corporation devant les tribunaux répressifs pour
lui faire appliquer une peine. Une personne morale est bien,
aui yeux de la loi, un être susceptible d'accomplir des actes
juridiques, donc de figurer comme défendeur dans une in-
stance. Mais, on Ta dit avec raison, « cette fiction légale
cesse précisément là où la réalité commence », c'est-à-dire
devant une juridiction pénale qui demande compte au pré-
venu de ses actes personnels. Un être moral, simple fiction
delà loi, ne peut pas agir par lui-même. Son existence ne se
manifeste que par Tintermédiaire d'autrui. Comment punir
un être fictif qui n'existe et n'a de volonté que par son repré-
sentant? Comment infliger une peine à un autre que celui
qui a commis Tinfraction''? Mais si les personnes morales ne
peuvent être poursuivies pénalement, elles peuvent être dé-
clarées civilement responsables, même par les tribunaux de
" La personnalité des peines a deux conséquences, à re point de vue :
i' quant à la procédure de racfion publique : celle nnlion ne peut ^Ire
'lirigée contre une fondation ou corporation, elle doit l'être individuellement
^t distinctement contre chacun des individus qui la représentent, dans la
fflesure où ils ont participé au délit; 2^ quant à la pcnalUê : une peine d'a-
mende et de confiscation ne peut ôtnî prononcée contre une société, une
corporation, mais individuellement contre chacun des coupables. Cfr. Cass.,
10 mars 4877 et 8 mars 1S83 (D. 84-. 1. 429); Paris, 10 déc. 188"» (S. 86. 2.
^J); Orléans, 8 nov. 1887 (1). 87. 2. 07) et ma note. Mais la jurisprudence,
dans les arrêts où elle affirme ces deux règles, a soin de réserver les hypo-
thèses où il en est iiutrement décidé par la loi. Il existe, en elfet, quelques
tts de responsabilité pénale collective consacrés par des textes formels
(V, pfir exemple : C. for., art. 23 et 34, établissant, pour les cas qu'il prévoit,
la responsabilité pénale des communes. Voy. éf^alement L. 17 juill. 1874,
art. 5). On consultera, sur ce sujet, l'excellente thèse de doctoral de M. r»ou-
Tier, De la responsabilité pénale et civile des personnes rnuinlrs en droit
français, 1887.
228 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
répression '', à raisoD des délils commis par leurs agents, h
droil commun leur est, à ce point de vue, applicable. C'esi
ainsi que 1rs compagnies de chemins de fer sont, tous le$
jours, citées, devant les tribunaux correctionnels, comme civi
lement responsables des délits commis par leurs agents dan*
les fonctions auxquelles ceux-ci ont été préposés ^^ L'arliclt
106, de la loi municipale du 5 avril i88i, rend les commune:
civilement responsables de certains délits commis sur Jeui
territoire. Nul doute que les communesne'puissent être citées
à ce titre, avec les auteurs de ces délits, devant les tribunaux
de répression, mais comme civilement responsables.
J'ai présenté, jusqu'ici, comme une fiction, Texislence de:
personnes morales. Mais on sait que le concept de la person
nalité morale a été repris, examiné et retourné, dans ces der
nières années, soit en France, soit à l'étranger.
Deux théories ont été opposées à la théorie traditionneIK'
D'après la première, les personnes morales seraient no
plus des fictions, mais des êtres réels, indépendants des indi
vidus qui les composent, et agissant comme des individu^
quoique par des procédés différents : elles pourraient dof
faire le mal, délinquer, être punies''. D'après la seconde, loi
d'avoir une existence distincte des individus qui la comp<
sent, la personne morale ne serait qu'une construction art
ficielle, imaginée par les juristes pour abriter la proprié;
collective et l'opposer à la propriété individuelle. « Ce
« une idée incompréhensible, écrit M. PlanioP*, qu'il puis:
« y avoir sur la terre des titulaires de droits, autres que h
« hommes ». Le temps serait donc venu de dissiper ce fai
^•» Aly:ei\ -Z'J mars 1871) (1). 81. 2. 03;.
** Je n'ai pas à examiner ici s'il exisle ou non une contradiction ent
la silu.ilion laite aux personnes morales an point de vue de la responsal
lile pénale *'[ ccdle qui leur est faite au point de vue de la responsabili
civih». Voy. Mestr»», Les personnes morales et le problème de leur respoiis
biliié (Tlj.''doct., Paris, 1800}, p. 238 à 2ii.
^^ Voy. A. M<*stre, op. eit., passim. (À*mp. Séon, Étude sur la responsi
bilitè pénale et eiiile des sijndicats professionnels (Th. doci., Dijon, 1000).
•^ Traite de droit ciril (3* éd.), t. 1, p. 0K3, note 3. Voy. ëgalemenl u
note de l'ianiol, suus Lyon, 2 mars 1803 (D. O'k 2. 30:)).
CONTRE QUI l'action PUBLIQUE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 229
lôme de la personnalité civile pour ne retenir que la réalité
qu'il recouvre : à savoir une masse de biens dont les élé-
ments se rattachent aux individus composant la collectivité.
Je ne sais s'il est exact. de voir, dans la personnalité mo-
rale, une simple construction juridique recouvrant la réalité,
c'est-à-dire, au point de vue des biens, une masse collective
sans indivision, et, au point de vue des individus, un groupe-
ment de volontés coordonnées dans un but commuf). Il n'en
est pas moins vrai que Têtre moral est le support technique
nécessaire des individus composant la collectivité et la raison
même de leur indétermination. Nous savons bien, en effet,
que « les personnes sont des hommes envisagés sous le rap-
port du droit'^ » ; mais nous savons aussi que les hommes
peuvent être envisagés, soit comme individus, soit comme
groupes d'individus. Ils agissent individuellement ou collec-
livement et commettent des délits en abusant de l'une ou de
l'autre de ces deux formes d'activité. Or, c'est en nous pla-
çant sous ce dernier angle que nous allons examiner deux
questions essentielles, qui mettent en jeu, tout à la fois, les
principes du droit pénal et ceux de la procédure.
a) La force des choses ne permet pas que les personnes
morales soient atteintes par les pénalités arfliclivescorporelles,
telles que Temprisonnement*'. Mais rien ne s'opposerait, en
fait,àce qu'elles soient frappées, dans leur patrimoine, par des
peines pécuniaires, amendes, confiscations. Il est cependant
dérègle, dans notre droit, que l'action publique ne peut être
iotentéecontre une réunion d*individus formant une personne
" Demanle et Colmet de Saiilerre, Cours analytique de Code cîtiV (3e (?(!.,
1895), t. i, nM3, p. 63.
*' Voy. sur ce point, les observations de Rousseaud de la Combe, 3fa^té-
Tf s criminelles, p. 320, à propos ducomnncntaire de l'article 4 du titre XXI,
«ie l'Ordonnance de 1070, sur la manioredo faire le procès aux communautés
fies villes, bourgs et villages, corps et compagnies. « Les condamnations ne
•• pourront être que de réparation civile, dommages et intérêts envers la par-
" lie, d amende envers nous, privation de leurs privilèges, et de quelque
■ îiulre punition qui marque publiquement la peine qu'elles auront encou-
• rue par leur crime ».
230 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
civile, telle qu'une société de commerce, une commune, etc.*'.
L'application en a été faite, particulièrement, en cas de délit
de contrefaçon commis par une société de commerce, et il a
élésouventdécidé qu'on ne pouvait poursuivre pénaleinenl la
société, mais que l'action devait être engagée, à peine de nul-
lité de la citation, contre les individus, administrateurs, direc-
teurs, qui avaient personnellement contrefait, acheté, intro-
duit ou exposé des objets contrefaits^"*.
Mais il existe un certain nombre d'exceptions à la règle
suivant laquelle les personnes morales ne peuvent être pour-
suivies pénalement.
Ainsi, en matière forestière, l'amende doit être prononcé»
contre une commune, lorsqu'il s*agit d'infractions à des dis
positions qui sont imposées à celle-ci entant qu'être collectil
propriétaire ou usager de forêts (C. for., art. 82, 132, 199). L
loi édicté, en certains cas, une responsabilité pénale contr
certaines personnes morales, les compagnies de chemins d
fer, relativement aux amendes de grande voirie (L. 15 juil
1816, art. 12, 15 et 21). Sous l'empire de la loi du 10 vend(
miaire an IV, restée en vigueur jusqu'à la loi municipale d
5 avril 1884, les communes encouraient une responsabilil
pénale en cas de délits commis par des attroupements ou rai
semblements. Elles n'encourent plus qu'une responsabilil
civile légale (art. 106j.
b) Le ministère public ne devrait-il pas être armé d'un
action spéciale pour requérir la nullité ou la dissolution c
toutes les agrégations d'hommes, de toutes les association
sortant des bornes de leur action légale, et menaçant, par cel
même, l'ordre public? Cette action paraît être la contre-pari
nécessaire de la liberté d'association. Aussi a-t-elle été orgi
nisée par la loi même du 1" juillet 1901, qui accorde aux a
sociations déclarées la capacité juridique, qui permet ai
*• Sur les développements de cette jurisprudence que nous avons déjà fj
connaftredans la note 12 : Mestre, op, ciL, p. 231 à 233.
'-*• Ajoutez aux arrêts cités, note 12 : en matière de contrefaçon artistique
Nancy, Il déc. 1890 (D. 91.2. 375); en matière d'infraction à un arrêté
police : Cass., 8 mars 1883 (D. 84. 4. 429); 17 déc. 1891 (D. 92. 1. 365,.
CONTRE QUI l'action PUBLIQUE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 231
associations reconnues d*uli]ité publique de faire tous les
actes de la vie civile qui ne sonl pas interdits par leurs sta-
tuts, qui déclare enfin que les associations de personnes pour-
ront se former librement, sans autorisation ni déciarutioa
préalables (art. 1, 2, 5 et 6). Mais la loi prévoit deux sortes de
dêlitfi (f association. Celui qui consiste à former une associa-
tion nulle. i( Toute association fondée sur une cause ou en vue
d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs,
<' ou qui aurait pour but de porter atteinte à Tintégrité du
'< territoire national et à la forme républicaine du gouverne-
« ment est nulle et de nul effet ». La mise en œuvre de cette
sanction, prononcée par l'article 3, est organisée par le § 1*
de l'article 7, en ces termes : « En cas de nullité prévue par
'l'article 3, la dissolution sera prononcée par le tribunal
'-' civil, soit à la requête de tout intéressé, soit à la diligence
'« du ministère public ». Le délit consiste, pour une associa-
tion licite, à contrevenir aux dispositions réglcMuentaires qui
lui sont imposées par l'article 5. Le § 2 de l'article 3 déclare:
< En cas dlnfraction aux dispositions de l'article 5, la disso-
« lution pourra être prononcée h la requête de tout intéressé
^ ou du ministère public ». Le délit des individus est prévu
par l'article 8 : il est poursuivi, conformément au droit com-
mun, devant le tribunal correctionnel. Mais le délit de f asso-
ciation est frappé d'une peine siii yeneris, la dissolution, qui
€St prononcée par le tribunal civil. Ainsi se trouve restaurée,
par la loi même qui rétablit la liberté de Tassociation, cette
répression corporative que l'article 292 du Code pénal organi-
sait, du reste, comme l'accessoire de la répression individuelle,
contre les associations formées sans autorisation. Je remarque
aussi que la loi du 1" juillet 1901 est imprégnée de la concep-
tion traditionnelle de la personnalité morale : Tactiou qu'elle
ouvre, au ministère public comme à tout intéressé, a précisé-
ment pour objet d'obtenir, du tribunal civil, la disparition
du support qui soutient le patrimoine et le groupement des
associés.
lU. L'action publique, à la différence de l'action civile,
Test pas donnée contre les héritiers; elle « s'éteint par la
!
232 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
mort du prévenu » (C. instr. cr., arl. 2). 11 importe peu que, à
répoque du décès de ce dernier, l'aclion publique n'ait pas
encore été intentée, ou que le ministère public ait déjà com-
mencé des poursuites, et que, dans ce dernier cas, le prévenu
soit décédé avant le jugement ou après la condamnation : il
suffit que la condamnation n'ait pas acquis raulorité de la
chose jugée, soit parce que le condamné Va attaquée parla
voie de Tappel ou du pourvoi en cassation, soit même parce
qu'il est mort dans les délais de l'appel ou du pourvoi, pour
que le décès anéantisse l'action publique non définitivement
jugée, et, par suite, la procédure et le jugement -*. Nous
' reviendrons sur tous ces points à l'occasion de l'extinction de
Faction publique.
104. Le ministère public n'a pas besoin, si le prévenu est
un incapable, femme mariée, mineur, interdit, prodigue,
d'appeler en cause son représentant, son conseil. D'une part,
laction est individuelle, elle ne peut être dirigée que contre
le coupable. D'autre part, l'action est inévitable, et la présence
. du représentant ou du conseil de l'incapable ne lui serait
d'aucun secours**.
4
2* Les frais du procès engagé restent à la cliarge du ministère public, à
moins qu'il y ait une partie civile en cause.
*'^ Arg. de l'article 216 du Code civil et 66 du Code pénal. Comp. Trib. de
la Seine, iO déc. 1896 (S. 98. 2. 220); Cass., 27 avr. 1899 (S. 1900. 1. 535)
et la note. Nous examinons plus loin la question en ce qui concerne la partie
civile.
235
CHAPITRE II
DE L ACTION CIVILE.
§ XVII. - DE QUELS FAITS NAIT L'ACTION CIVILE.
i05. L'action civile naît d'un délit pénal dommageable. — 106. De Taction en dom>
mages-intérôts fondée sur un délit civil et de l'action en dommagîs-intérêts fondée
sur un délit pénal. Comparaison. — 107. Du caractère dommageable que doit
avoir le délit pénal.
105. L*actioQ civile ne peul naître que si le fait, dans le*
quel elle puise son origine, réunit deux caractères : si ce fait
est une infraction et si celte infraction est dommageable.
106. Sans doute, un fait qui n'est pas prévu par la loi pé-
nale, mais qui, cependant, est injuste et dommageable (un
délit ou quasi'délit civil)^ peut i^ngendrer une action en
dommages-intérêts (C. civ., art. 1382). Mais Vaction en dom-
mages-intér/^tSy naissant d'un délit civil, qui ne contient pas un
délit pénal, diffère, à plusieurs points de \ue,dcVaction civile,
naissant d'un délit pénal, qui contient, en même temps, un
délit civil : i"" la première ne |)eut être portée que devant les
tribunaux civils ; la seconde peut aussi, au choix de la vic-
time, être portée devant les tribunaux de répression (C. instr.
or., art. 3); 2** Taclion en dommages-intérêts se prescrit par
trente ans (C. civ., art. 2262); Taction civile est soumise à la
même prescription que l'action publique (C. instr. cr., art. 2,
637, 638, 640); 3"" Taction en dommages-intérêts tend à faire
reconnaître et liquider une créance civile ordinaire, dépour-
vue de garanties spéciales; Taction civile aboutit à une con-
damnation garantie par la solidarité légale et la contrainte
par corps (C. p., art. S5 ; L. 22 juill. 1867, art. 1").
Ce qui motive ces différences entre ces deux actions, qui
tendent cependant au même but, Isl réparation du préjudice^
234 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE BT CIVILE.'
qui ont la môme cause, le dommage résultant (Tun fait il-
licite^ et dont le caractère indemnitaire est identique, c'est
qu'il y a quelque chose de plus dans le délit pénal qu'une lé-
sion de l'intérêt privé, il y a une lésion de l'intérêt social, et
l'action civile, à laquelle donne naissance le délit pénale qui
contient un délit civil, ne peut être complètement isolée de
l'action publique. En effet, dans une action en dommages-
intérêts ordinaire, l'intérêt social n'est pas directement en
cause, et lorsque la partie lésée agit en réparation, le débat
s'engage simplement entre un créancier et un débiteur; tan-
dis que, dans le défendeur à l'action civile, il y a, non seule-
ment un débiteur, mais un coupable.
La législation qui régit l'action civile, est, à certains points
de vue, plus favorable à la victime que celle qui régit l'action
«n dommages-intérêts ordinaire. On donne à la partie lésée
Taccès des tribunaux de répression et la possibilité de vaincre
indirectement la mauvaise volonté du débiteur qui, bien sou-
vent, réparera le dommage qu'il a causé, en vue d'éviter le
procès pénal dont il est menacé. On garantit plus énergique-
ment l'exécution de la condamnation, en faisant de la liberté
du condamné le gage de sa dette. Mais, au point de vue de
la prescription, la loi impose à l'intérêt privé certains sacrifices
inspirés par la fausse notion de l'intérêt général. La victime
d'un délit pénal se trouve, en effet, souvent désarmée pour ré-
clamer la juste indemnité qui lui est due, alors que la vic-
time d'un délit civil est encore en mesure de le faire.
107. L'article 1" du Code d'instruction criminelle accorde
l'action civile aux personnes « qui ont souffert du dommage
causé par Tinfraction ». Or, si toute infraction produit un
trouble social, et fait naître une action publique, ce serait une
erreur de croire que toute infraction cause nécessairement
un dommage proprement dit\ En effet, la loi pénale incri-
mine certains actes qui compromettent l'existence ou l'exer-
§ XVII. * Sur cette dislinction entre l'action pénale et faction civile,
voy. mon Vvecis de droit criminel (8* éd.), n*» 43.
DE QUELS FAITS NAIT L*ACTION CIVILE. 235
cice de certains droits, sans y porter une atteinte actuelle, et
sans qu'il en soit résulté, pour une personne physique ou mo-
rale, un dommage quelconque. C*est ainsi qu'elle punit la
simple tentative de crimes et celle de certains délits', et que,
dans un but de police, elle frappe, de peines plus ou moins
graves, de nombreux faits, qui, par eux-mêmes et par eux seuls,
n'ont aucune conséquence immédiatement dommageable,
tels que le portd*armes prohibées (C. p., art. 314), le vaga-
bondage (C. p., art. 277), etc.
Quels caractères doit avoir le préjudice causé par Tinfrac-
tion? A quelles conditions Taction civile, basée sur ce préju-
dice, est-elle recevable et fondée?
I. L'infraction peut être la cause de différentes sortes de
préjudice. Si elle atteint le patrimoine, le dommage qui en
résulte est pécuniaire ou écortomiqve. Si elle atteint la vie, la
santé, la liberté, il est matériel ou p/iz/sique. Si elle atteint
Thonneur, la considération, la réputation, il asi 7Horal ou in-
tdlectueL Dans le premier cas seulement, une réparation en
argent, adéquate au dommage éprouvé^ peut être obtenue par
la victime et accordée par le coupable.
Dans les deux autres cas, toute réparation, rigoureuse-
ment proportionnée au préjudice, est certainement impos-
sible. Faut-il donc, pour que l'action civile puisse être
exercée, que le délit soit susceptible d'une réparation en
argent, équipollente au dommage éprouvé? Évidemment non.
Si la lésion se répercute indirectement sur le patrimoine,
comme serait l'atteinte au crédit d'un commerçant causée par
uoe diffamation, l'incapacité de travail d'un ouvrier blessé
dans une rixe, le préjudice se résout en un dommatje pécxi-
mire, et l'action civile est certainement recevable. Mais on
a prétendu que le dommage moral proprement dit ne pouvait
- La question de savoir si celui qui a éir Tobjel d'une tentative de crime
ou de di^lit restée sans effet, est recevable à exercer Paction civile, est une
flii*;stion de fait et non de droit. La tentative a pu produire un etïet nui-
?iMe, un trouble quelconque de santé. Il y a là un préjudice qui se rattache
'nr un lien direct à la tentative et qui en dérive. Voy. D. A., Supplément,
.■* Procédure criminelle^ n® { 62.
236 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
servir de base à une action civile. Celte thèse est, depuis
longtemps, abandonnée en France comme en Belgique. Nous
n'avons, en effet, dans notre droit, rien d'analogue à udc
institution qui existe, sous divers titres, dans certains pa\s
étrangers. Elle consiste en ce que les délits qui offensent Thon-
neur de la personne ou de la famille, alors même qu'il ne
leur a été causé aucun préjudice, peuvent motiver une con-
damnation spéciale, distincte, à titre de compensation^. C'est
là une protection particulière, expresse, dont on retrouve la
trace dans le droit romain*, le droit germanique, dans les
statuts du moyen âge, sorte d'amende privée, de complément
de peine, qui s'ajoute au dédommagement matériel. Or, en
l'absence de cette institution, il serait peu équitable de pri-
mer la personne offensée de la réparation ordinaire qui ne
peut lui être fournie que sous forme de domniaf/es-intér^ts.
Et la loi française n'ayant exigé, nulle part, la nécessité d'un
dommage pécuniaire ou matériel pour donner ouverture à
faction civile, on en a conclu, à bon droit, qu'un dommage
moral pouvait lui servir également de base. En effet, l'ar-
ticle 1382 du Code civil et Tarticle 1" du Code d'instruction
criminelle, parlent, d'une manière générale, de <* dommage »,
sans distinguer entre ces différentes espèces de dommages e|,
notamment, sans exclure le dommage moraP. Sans doute, la
^ Comp. C. p. ilal., arl. 37 et 38 et G. de proc. pt^ri. ital., art. 760; C. al-
lemand, §§ i86-l88. La pratique aiiglo -américaine est constante. V'oy. Tra-
vaglia,l/rtMoro Codice pénale, parle fjenerale, dei reati et délie pêne (Rome,
1889), t. 1, p. i5* et suiv. ; L. hyicchmi, Elementi di proct'dura pénale
(Florence, 1895), p. 125; Bertola, Délia pena pecuniaria (Rivista pénale,
l. 37, p. 438; t. 42, p. 5); Dochow, Die Dusse im Strafrecht und Process,
lena, 1875.
* C'est ainsi qu'en droit romain, la lésion corporelle n'était pas suscepti-
ble d'une réparation en argent {cum liberum eovpus œstimationem non reci-
pial), mais donnait lieu à une action pj^nale privée.
'^ Cette jurisprudence a introduit ainsi, dans notre pratique, sous une formi^
détournée et embryonnaire, l'institution de la réparation pécuniaire de Tof-
fense, analogue à celle de la Dnsse germanique. C'est une sorte de complé-
ment de la répression pour les délits qui portent atteinte à l'honneur et à la
considération, dans lesquels, par conséquent, le côté individuel et person-
nel du délit est dominant et réclame une sanction spéciale. Mais l'action qui
DE QUELS FAITS NAIT l'aCTION CIVILE. 237
réparation d'un dommage, inappréciable en argent, se résol-
vant en une indemnité pécuniaire, est forcément arbitraire;
mais de ce que le juge ne peut accorder une réparation exacte
du préjudice causé, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse en ac-
corder aucune. La difficulté d'évaluer le préjudice ne saurait
èlre une fin de non recevoir contre l'action. De celte règle
résultent les conséquences que voici : 1® Toute infraction pré-
judiciable, de quelque nature que soit ce préjudice, autorise
celui qui en est victime à demander des dommages-intérêts;
2' Le juge, dan^ Findemnité qu'il accorde, doit tenir comple
de ces deux éléments, le préjudice pécuniaire et le préju-
dice moraP; 3" Il faut, par suite, qu'il réponde, dans sa dé-
cisioD, à ces deux chefs de réclamations, s'ils sont distincts
dans la demande de la partie lésée.
Mais la notion du dommage moral ne doit pas être étendue
au delà de ses limites naturelles. Nous verrons, en eiïet, que,
pour justifier l'intervention ou l'action d'une partie civile, il
ne suffirait pas à celle-ci de démontrer qu'elle a été blessée,
dans ses affections, ses goùtSy ses hahitudps. Il faut un dom-
mage sérieux, qui puisse être mesuré et pesé, qui soit équi-
Taleot à uninlérét^ puisque l'intérêt est la mesure des actions.
Sans doute, dans la réparation du dommage matériel ou mo-
ral, il peut être tenu un certain compte du préjudice éprouvé
parle plaignant dans ses affections^ Mais l'action civile ne
aurait être exclusivement basée sur un intérêt de ce genre.
*8t ainsi doDnt^e n'est pas Tact ion publique, c*est l'action civile, toute diffé-
rente de Taccusation priv<^o allemande (Privathlagc).
'Sur tous ces points, il y a unaninnité en doctrine et on jurisprudence.
Voy. notamment Hoffman, Questions prvjvdicieUcs^ t. 1. no 33; Trt^butien,
1.2, n» ^29; Laborde, n° 773. Comp. Cass., 7 juill. 18i7 (D. \1, 4.8);
18 mars «853 (D. 53. 5. 167); Orl<^ans, 22 juin 1887 (D. 88. 2. 29); Cass.,
^juin 1893 (S. 9*>. 1. 403). Sur la question : Baudry-Lacanlini^rie et Barde,
'traité des obligations, t. 3, n° 2871.
"' Sur la question : Dervillo, De Vintént moral dans les obliijations (Th.
<Joct., Paris, 190t), p. 67 à 80; D. A. Supplément^ v<» Procédure criminelle,
n** loi et 155. A Rome, Papinien disait : Placuit pnidentioribus affectus
raiionem in hono fidci judiciis habendam (L. 5't, big., 17, 1). Mais dans
le droit moderne, les auteurs et la jurisprudence ont toujours exigé quo
2?8 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CITILB.
II. Si la recevabilité de l'action civile ne dépend pas
de la nature du dommage, elle peut dépendre d'autres cir-
constances générales. Il faut, en effet: l^que le dommage
soit le résultat de l'infraction; 2^ qu*il soit personnel à celai
qui s'en plaint; 3^ qu'il soit actuel.
a) Le dommage doit être causé par un crime ou un délit.
La lésion, à l' occasion de ces mêmes faits, ne serait pas suffi-
sante. Celte condition résulte des termes mêmes de Tarticle 1"
du Code d'instruction criminelle; elle est juridique, puis-
que ridée de responsabilité est fondée sur l'idée de causalité
et que, dans la chaîne qui soude les causes et les effets les
uns aux autres, il faut s'arrêter, sous peine d'exagération et
d'inquisition, aux anneaux les plus proches. En un mot, la res-
ponsabilité civile, comme la responsabilité pénale, doit être di-
recte : il faut établir qu'il y a un rapport de cause à effet eotr^
le délit et le préjudice (C. civ., art. H51), car il est împossl*
ble de condamner quelqu'un à des dommages-intérêts tantqu* '^
n'est pas prouvé que c'est lui qui di^ par sa faute y causé ï^
dommage. Par conséquent : {• Si le dommage a sa rais9 '^
d'être dans une circonstance étrangère au délit, alors mé
que, sans le délit, cette circonstance ne se serait pas produi
on ne saurait en rendre le délinquant responsable ; 2'' Le àovr^
mage qui peut être impujé au délinquant à ce titre, c'e^
celui qui est la conséquence même de l'infraction. Ces deu
propositions doivent être reprises et appliquées.
La première est évidente. C'est ainsi que l'accusé acquitta
ne serait jamais recevable à se porter partie civile sur les^
poursuites dirigées ultérieurement contre le vrai coupable
le dommage qu'il a éprouvé n'a pas, en effet, sa cause dan<^
l'infraction, mais dans la fausse direction donnée aux pour —
suites*. Sans doute l'erreur de la justice a pu résulter des-^
rinl<^rôl losô fût un intérêt s»Tieux. Voy. Chausse, L'intérêt d*affcction
(l\n\ ait., d895, p. 430); Lacosto, sous Rouen, 24 févr. 1894 (S. 97. 2. 2?»);
Le Poiltevin, sous Cass., 9 nvr. 1891) (S. 96. 1. 83).
* La jurisprudence ne parait pas conforme à cette solution. Voy. Cass.,
19 juin. 1S32 (S. 32. 1. 490;; 7 juill. 1847 (S. 47. 1. 877 ; D. 47. 4. 8). Mais
dans le même sens que nous : Faustin Hélie, op. cit., t. 1, n®532;J>e
DB QUELS FAITS NAIT ï/aCTION CIVILE. 239
manœuvres, des machinations du coupable : mais, même
dans ce cas, ce sont ces manœuvres et ces machinations, et
Bon le délit, qui causent le préjudice et ouvrent une action
en dommages-intérêts fondée sur le principe général de Tar-
ticle 4382 du Code civil. La question peut donc se poser dans
deux ordres de circonstances, et je la résoudrai de la même
manière. D*abord, lorsque le véritable coupable n*a rien fait
pour égarer les juges : il est évident, dans ce cas, qu'aucune
action n'appartient à la victime des poursuites injustes, car le
Trai coupable n'avait ni le devoir moral ni le devoir social de
se dénoncer lui-même .pour épargner à Tionocent les consé-
quences d'une erreur judiciaire. Puis, lorsque le véritable cou-
pable est arrivé, par des machinations, à égarer les soupçons
de la justice sur un innocent : celui-ci a bien, dans ce cas,
une action en dommages-intérêts, mais elle ne nait pas du
délit et n'autorise pas la victime à se porter partie civile dans
'e procès fait plus tard au véritable coupable. Le préjudice
direct, le seul qui autorise l'intervention dans le procès pé-
nal, est celui qui résulte du vol, de l'assassinat, etc.
La seconde proposition n'est pas relative à la recevabilité
<le l'action civile, mais à l'étendue et à l'évaluation des dom-
<^ages-intérêts. Le délinquant ne doit, en elTet, que la répa-
i^'ation des dommages qui ont été une suite immédiate et di-
**ecte de l'infraction (C. civ., art. H51)'. Par exemple, si un
iodividu, légèrement blessé dans une rixe, succombe, par
^uite de son imprudence ou de Timpéritie du chirurgien qui
le soigne, ce préjudice spécial, conséquence médiate du délit,
i^e peut être mis au compte du délinquant pour lui en faire
Subir toute la responsabilité.
Cette application d'une règle incontestable démontre que
lorsqu'un fait a eu des conséquences dommageables, l'auteur
ii*en répond pas indistinctement : sa responsabilité, au point
Aevue pénal comme au point de vue civil, est subordonnée
Sellyer, t. i, ii* 278; IDemogue, Du la reparti lion ci i île des (féli'is, p. 41 et
^2. Voy. pour d'autres exemples : D. A., Supplément ^ vo Procédure criini~
«Wfe, n" 53 à 50.
' Aubry et Rau, Cours de droit cicii franeaiHy l. t, § 308, p. lOC.
240 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CHU
au concours de deux conditions. Il faut d'abord que ]*acti
ou rinaclion qu'on lui reproche ait été la cause détern
nante du préjudice dont on prétend lui demander compte
H Faut ensuite que le dommage causé soit entré ou ait
entrer dans les prévisions de Tagent et qu'une faute lui s
reprochable. Que si, en mettant les choses au pire, Tage
n'a pu le prévoir, le résultat de son action ou de son omissi
est un accident, un de ces cas fortuits dont nul ne saurait è
responsable**.
6) Il faut que le dommage causé soit personnel à celui (
s'en plaint. Nous nous occuperons de cette condition de rc<
vabilité de Taction publique à propos des personnes qui p(
vent rintenter.
c) Il faut, enfin, que l'action civile repose sur un inlé
acttiel ou certain^^ . C'est une règle qu'on trouvait formu
dans l'article 96 du Gode du 3 brumaire an IV en ces term
a Pour être admis à rendre plainte, il faut avoir à la fois
a intérêt actuel et un droit formé de constater le délit Ir
u qu'il existe et d'en poursuivre la réparation contre le dél
« quant ». Si le plaignant peut être une partie civile, c
parce que le dommage causé par le délit lèse son int(
né et actuel, que ce dommage est certain dans l'ordre nati
des choses, sans cela le demandeur n'aurait pas qua
pour exercer l'action civile et devrait se borner au rôle
dénonciateur. C'est par application de cette idée que, d
une poursuite dirigée contre un fabricant de savons p
tromperie sur la marchandise vendue, les autres fabricant;
la même localité ne sauraient être admis à se constit
*° Voy. cepdidnnt, en st^ns contraire, pour Li responsahilit^ pénale, i
en vertu d'une présomption [<^galo : C. p., art. 191 et 313. Dans ce dei
texte, la loi rond les chefs d'une ri^union séditieuse responsables des cr
commis par leurs subordonnés.
** C'est ce <^uo décidait, du reste, expressément le Code pénal do 17
propos de l'homicide ('2e part., tit. 2, art. 1"'). Voy. sur ce point : H
op. «7., t. 1, n» 297.
*2 Sourdat, op, cit,, t. 1, n® 45, dit avec raison : « Il faut que le pi
« dice soit cntniu^ et comment serait-il certain s'il nVst pas actuel?
« deux conditions n'en font qu'une; elles se complètent l'une par l'autr
DB QUELS FAITS NAIT l/ ACTION CIVILE. 2il
parties civiles, sous le prétexte que toute fabrication fraudu-
leuse nuit aux fabricants de produits similaires, soit par le
discrédit qu'elle jette sur ces produits, soit par la concurrence
déloyale qu'elle facilite *^ De même, sur la poursuite dirigée
contre un garçon laitier, pour avoir additionné d'eau le lait
qui lui était confié, la société, dont ce garçon était Tagent, ne
peut intervenir, en demandant réparation du préjudice résul-
I tant de ce que le prévenu avait exposé la société à perdre sa
clientèle. « Attendu que le discrédit que le délit de falsifica-
■ tion aurait pu jeter sur la compagnie représentée par le
'< garçon laitier ne constituait qu'un dommage indirect et
«éventuel, lequel ne pouvait justiQer son intervention ** ».
Un autre exemple fera encore mieux comprendre la portée
delà règle. Le propriétaire d'un terrain, sur lequel un délit
bêchasse a été commis, no serait pas recevable à poursuivre
la réparation, non de ce délit, mais d*un délit d'outrage com-
mis envers son garde, qui a constaté le délit de chasse*'. C'est
'juc, en effet, le préjudice, subi par ce propriétaire, est indi-
ï*ectet se produit par l'effet d'une répercussion trop lointaine :
il ne peut être déduit en justice et justifier une constitution de
partie civile. Même solution pour les compagnies de chemins
Je fer qui prétendraient intervenir dans les poursuites pour
Outrages commis envers un de leurs employés à l'occasion
d'un acte de contrôle '^
Il faut reconnaître, du reste, qu'il existe une large part
<lVbitraire dans l'appréciation de cet élément ou plutôt de
celte limite du dommage. Si le |)rincipe est universellement
<3idmis, les applications en sont souvent contestables. La juris-
{:»rudence parait avoir une tendance de plus en plus marquée
à élargir le cercle d'action des particuliers lésés *'.
"Cass., 2a janv. 1878 (S. 78. 1. 389). Voy. cependant en sens oonlraire :
Orléans, 30 avr. i851 (S. 52. 2. 88 ; D. :il. 2. 35).
'*Cass., 20 nuv. 1886 (IL crim., n» 392).
"Cass., 25 îiov. 1882 (S. 83. 1. lit).
" Voy. nolammenl sur cotte hypotlH?sc ; Ki'nnes, 15 févr. 1899 [Journ,
''«Pary., 99.i. 131).
'' On trouve, par excmpU*, dans un arrêt de la Cour de Toulouse du 17 mai
G. P. P. - I. lt>
242 PROCiDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CCVILB.
§ XVIII. - DE LOBJET DE L'ACTION CIVILE.
108. L'aclion civile étant raction en réparation du dommage causé par une in-
fraction se distingue des autres actions civiles qui dérivent de l'infraction —
109. Des trois chefs dMndemnité compris dans Taction civile : restitutions, dom-
mages-intérêts et frais' — 110. Des restitutions. — 111. Des dommages-intérêts.
Modes de réparations. — 112. Comparaison entre ces deux premiers chefs de Tac-
tion civile. — 113. Des frais de justice. Renvoi.
108. L'article 1*' du Code d'ioslruction criminelle défiait
TactioD civile : « L'action en réparation du dommage causé
par un crime, par un délit, par une contravention ». Elle
est donc différente des autres actions privées qui se rattachent
à rinfraction, ou qui en dérivent, mais qui n'ont cependant
pas pour objet direct et immédiat la réparation du préjudice^
telles que l'action en séparation de corps ou en divorce pour
cause d'adultère (G. civ., art. 306); l'action qui tend à faire
déclarer indigne de succéder celui qui a été condamné pour
avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt (C. civ.,
art. 727); l'action en désaveu, fondée sur l'adultère, intentée
par le mari en cas de recel de l'enfant (C. civ., art. 313).
Ces actions ne participent, aux règles spéciales de l'action
civile, ni au point de vue de la compétence des tribunaux
criminels, ni au point de vue de \dL prescription.
109. La réparation du dommage, soit matériel, soit moraU
causé par une infraction, se résout en une indemnité, ordi-
nairement pécuniaire, dont les trois chefs possibles : les res-
titutions, les dommages-intérêts et les frais j sont nettement
distingués par les articles 10, 51 et 52 du Code pénal.
110. Les restitutions, dont est tenu l'auteur d'une infrac-
1880 (D. 91. 2. 88). cette formule, pour justifier la citation directe d'une
compagnie de chemins de fer, à Toccasion d'une contravention à la police
des chemins de fer : « Attendu que toute contravention à la police, à la sû-
reté et à l'exploitation du chemin de fer est, par elle-même, un trouble et
constitue, dès lors, un dommage dont la compagnie a le droit de pour-
suivre directement la réparation >♦.
DB l'OBJBT de L action CIVILE. 2i3
tioD, consistent dans le rétablissement de Tétat de choses an-
térieur au délit, par exemple : dans la remise au proprié-
taire de la chose qui a été volée ou détournée (C. p., art. 379,
401, 405), dans l'annulation des actes surpris ou extorqués
[C. p., art. 400); dans la suppression ou la réformation des
actes déclarés faux (C. p., art. 145 et suiv.). Mais, ordinaire-
ment, les restitutions, dont s'occupe la loi, et qu'elle oppose
aux dommages-intérêts, ont pour cause unique le droit de
propriété ou de possession reconnu à la partie lésée sur les
choses qui lui ont été soustraites, alors que ces choses sont
retrouvées en nature et mises sous la main de la justice.
Le rétablissement de Félat de choses antérieur au délit doit
toujours être ordonné, quand il est possible, comme la répa-
ration la plus naturelle de .l'infraction ; quand il ne l'est pas,
il ne reste à la victime, comme moyen d'indemnité, qu'une
réparation par équivalent, celle qui résulte de dommages-
intérêts.
Mais, à raison des nécessités de la procédure, les restitu-
tions peuvent être dilTérées ou n'être accordées qu'à certaines
conditions. Ainsi, en ce qui concerne les « effets pris », c'est-
à-dire les objets saisis sur un accusé comme pièces à convie-
^iofij la cour d'assises doit ordonner qu'ils seront restitués
îu propriétaire. « Néanmoins, dit l'article 366, § 3, du Code
<< dïnstruction criminelle, s'il y a eu condamnation^ cette
<* restitution ne sera faite qu'en justifiant, par le propriétaire,
"que le condamné a laissé passer les délais sans se pourvoir
" en cassation, ou, s'il s'est pourvu, que l'affaire est définitive-
• ment terminée ». Ici, la restitution est différée jusqu'à ce
floe l'arrêt qui l'ordonne soit devenu définitif, c'est-à-dire
jusqu'à la fin du procès. C'est le président qui, par ordon-
^ince, autorise alors la restitution. En cas de contumace, la
loi prend même quelques précautions spéciales. « La Cour,
'dit Tarticle 474, §2, pourra ordonner, après le jugement
"de ceux-ci (des accusés présents), la remise des effets dc-
* posés au greffe comme pièces de conviction, lorsqu'ils seront
<> réclamés par les propriétaires ou ayants droit. Elle pourra
*' aussi ne l'ordonner qu'à charge de représenter, s'il y a lieu.
'LS'J
- i i
^. 1
1---
244 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE .
« — Celle remise sera précédée d'un proccs-verbal de des-
« criplion dressé par le greffier, à peine de cent francs da-
mende )>. Pour justifier cette parlicularilé, il suffit de rappeler
que les condamnalions prononcées par contumace n*élaQl dé-
finitives qu'après les délais de la prescription criminelle, il
eût été rigoureux de priver de ces objets, pendant vingt ans,
leur propriétaire ou leur possesseur.
111. Les dommages-intérêls consistent dans une répara-
tion, accordée ordinairement en argent, et comprenant deux
éléments: la perte subie par la partie civile [damnum emer^
yens) et le gain dont elle a élé privée [lucrinn cpsa^ansy ,\jrs
dommages-intérêls peuvent s'ajouter aux restitutions (C. p-*
art. Si), ou cire dus, sans qu'il y ait lieu à restitution. Leur
délerininalion est laissée à l'appréciation de la justice*. La
partie qui les a obtenus est libre d'en disposer à son gré; mais f -^ !
il est interdit aux juges, par Tarlicle 31 du Code pénal, d*or- ^■- -'
donner, soit d'office, soit môme sur les conclusions de la partie ?'— ■
civile, l'application des sommes dont ils prononcent la con- 4-'- ■
damnation à une œuvre quelconque, d'ulililé publique on '} '
privée. Si cette interdiction n'eût pas existé, les parties civiles» V- '^
obéissant peut-être à un faux amour-propre ou à une délica* *' '
tesse excessive, auraient dû renoncer au bénéfice des répara-* ?" --
tions qui leur sont légitimement dues; et les juges, à raison d^ ? -
la destination particulière des dommages-intérêts, auraient pi'
êtrcî tentés d'en exagérer le cbifTre. C'est à ce double abus qu© ' '\
le Code, éclairé par l'expérience du passé, a voulu remédier
par la disposition de l'article 54.
i:; XVIII. * n. civ., art. 4 HO. Los Irihunaux ont rappn^cialion souveraiDei
snii «le l'cxistonce «lu préjudice caus<^ par le délit, soit du chllfre des dom-
ina^^^s-inlf'*r<?ls, «juand le prr'ju<lici' est reconnu. A ce deraier puint de vue.
cvpi'ndanl, la loi elle-nnème peut fixer ce chillVe. Voy. C. forest., art. 202.:..
Coinp. Cass., 22 dec.dSOi [li. cr., n'» ',Wô),
- L'art i(rl«; VA du Code pénal ajouter lorsc^ue la loi ne les aura pas réglés... »-
<]i's «rxpri'r^sinns font, sans doute, allusion aux cas où la loi prononce une sorte ■
de cuinpi.»sition dans la<iui'lle les dommat^es -intérêts se trouvent évalués à . "
jnr fait, comme en matière di* contributions indirectes ou dans les cas indi- . '^
(piés dans la note précédente. -, i^
■
i
DB l'oBJBT de l'action CIVILE. 245
Si des conclusions avaient été prises par la partie civile, en
Tne d assurer Tattribution des dommages-intérêts qu'elle ré-
clame à une œuvre quelconque, le tribunal ou la cour de-
vraient déclarer les conclusions recevables en ce qui concerne
lesdommages-intérêts, mais sans ordonner que la somme attri-
buée à la partie civile soit atTectée h la destination en vue de
laquelle on l'a réclamée'. Dans le cas où cette attribution au-
rait été ordonnée indûment, la Cour de cassation, sur pourvoi,
devrait casser du chef de Tallocation de dommages-intérêts
et renvoyer la question devant une autre cour ou un autre tri-
bunal. Une simple cassation par voie de retranchement ne
serait pas suffisante, les juges ayant pu être impressionnés et
eiagérer le chiffre des dommages-intérêts en vue de l'atlribu-
tioQ ordonnée.
Les modes de réparation qui peuvent être prononcés n'ont
certes pas la variété des moyens employés par le criminel
pour nuire à sa victime. En dehors des indemnités pécuniaires,
qui sont, en quelque sorte, le procédé normal et régulier dé
réparation, il en est d'autres que Ton doit écarter et d'autres
que Ton peut admettre.
Les anciens articles 226 et 227 du Code pénal décidaient
qu'en cas d'outrages adressés à des magistrats ou à certaines
personnes revêtues d'un caractère public, il pouvait y avoir
Jieu à une réparation d'honneur. Cette mesure, quî parait
avoir été très usitée autrefois, bien que restaurée, dans cette
application spéciale, par le Code pénal de 1810, était rarement
prononcée. La loi du 28 décembre 1894 l'a simplement abro-
gée. Quoiqu'elle eût le caractère d'une peine, la réparation
d'honneur était destinée à panser, pour ainsi dire, la blessure
faite à la victime de l'outrage. On pourrait, à ce titre, être
[enté de la prononcer au profit dc]la victime d'un délit, en y
ijqutant, comme mode d'astreinte, une condamnation pécu-
' Voy. Limoges, 24 juin 1874 (D. sous Cuss., 76. i. 161). Mais le jugement
|ui se borne à énoncer que les dommages-inlérôts sont liestines, par celui à
[ui ils sont accordés, à des œuvres de bienfaisance, sans ordonner expressé-
Qent cet emploi, ne contrevient pas à la règle de l'article 51 :Cass., 25 avr.
856 (S. 56. 1. 511). Comp. Blanche, Études sur le Code pénal, 1. 1, n» 2t9.
246 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB-
niaire pour le cas où il ne serait pas satisfait au jugement.
Cette forme de dommages-intérêts serait incontestablement
illicite. Le tribunal qui en ferait usage rétablirait, en réalité,
une peine qui a été définitivement supprimée et qui ne pouvait
être prononcée, lorsqu'elle existait encore, que dans les cas
expressément visés par la loi (C. p., art. 4).
Ce mode de réparation étant écarté, ainsi que tous ceux qui
consisteraient en un fait humiliant ou pénible, ou attentatoire
à la liberté individuelles il en reste quatre autres possibles :
la publicité donnée au jugement, la confiscation de certains
objets, les restitutions et les indemnités pécuniaires.
La publicité donnée au jugement, par son insertion dans
les journaux ou son affichage aux frais du délinquant, consti-
tue une réparation civile, ordonnée sur la demande et les con-
clusions de la partie lésée et qui rentre dans le droit des tri-
bunaux de répression comme dans celui des tribunaux civils*.
Ce mode de réparation s'emploie naturellement au cas de délit
contre Thonneur des personnes^ diffamations et injures. Mais
les tribunaux Font étendu, peu à peu, à une série de cas aux-
quels il ne semble pas précisément adapté. Ainsi, qu'un indi-
vidu soit condamné pour avoir voyagé sans billet sur une ligne
de chemin de fer, et le tribunal ordonnera, sur l'intervention
de la Compagnie, l'affichage du jugement dans telle ou telle
gare*. La publicité devient alors, plutôt une mesure d*intimi-
dalion et d'avertissement pour les contrevenants qu'un mode
d'indemnisation de la Compagnie. 11 est certain néanmoins
que le droit d'ordonner la publication du jugement, sur la de-
mande de la partie lésée, rentre dans le pouvoir d'apprécia-
tion du tribunal (C. p., art. Si).
* C'est à raison de ce caraclèrc que la pratique des astreintes me paraît
incompatible avec la situation du procès criminel, sauf peut-être en cas de
refus d'insertion. Voy. A. Esmein, L'origine et la logique de lajniisprudencc
en matière (Vantreintes (J\ec. trim» de droit civil, t. 2, 1903, p. i et suiv).
^ Cette solution est affirmi'îe par une jurisprudence constante. Voy. no-
tamment: Cass., 17 juin 1892 (S. 93. 1. 277 ; D. 93. 1. 130). La doctrine est
également unanime.
6 Voy. notamment : Cass., 16 août 1800 (S. 01. 1. 192; D. 60. 1. 520);
Paris, 7 mai 1890 (S. 90. 2. 171 ; D. 91.2. 33).
DE L OBJET DE l'aCTION CIVILE. 247
Comme la publication du jugement, la confiscation peut
avoir une fonction indemnitaire. En principe, elle consti-
tue une peine, lorsqu'elle s'applique au corps ou au pro-
duit du délit (C. p., art. il). Parfois, c'est une mesure de
police, si elle concerne des objets dangereux ou nuisibles.
Mais, dans certains cas, la confiscation est prononcée à titre
de réparation. Il en est ainsi dans les poursuites pour contre-
façon de propriétés littéraires ou artistiques (G. p., art. 427 et
429), de produits brevetés (L. 5 juill. 1844, art. 49), en cas de
marques de fabrique frauduleusement apposées (L. 23 juin
1837, art. 7 et 8). La réparation sous cette forme présente ici
une particularité intéressante: elle est accordée, sans aucune
demande de la partie civile et d'office, quel que soit le préju-
dice et encore qu'aucun préjudice n'ait été causé. Mais cette
attribution des objets confisqués à la partie civile n'est pas un
forfait d'indemnité. La partie civile peut, sur sa demande»
obtenir de plus amples dommages-intérêts; la loi lui réserve
ce droit. Evidemment, cette forme de réparation ne saurait
être employée en dehors des cas spéciaux oii elle est autorisée
par la loi. La confiscation joue, dans notre droit, le rôle de
peioe et non celui d'indemnité. Et une peine, même prononcée
au profit de la partie privée, reste une peine.
En dehors de ces modes exceptionnels, la satisfaction accor-
dée à la partie lésée prend ordinairement la forme d'une
restitution ou d'une indenmité pécuniaire. C'est la réparation
dont parle l'article 1382 du Code civil.
112. Au fond, les dommages-intérêts et les restitutions ont
un objet commun et ne sont, sous un double aspect, que la
mise en œuvre de \a justice réparatrice : par ces deux chefs
de Taclion civile, il s'agit toujours d'indenmiser la victime
du dommage qui lui a été causé par le délit. Mais les restitu-
tions et les dommages-intérêts difTèrent nettement par leur
caractère^ puisque le rétablissement de l'état de choses anté-
rieur au délit est la réaction directe, normale et nécessaire du
droit violé, tandis que les dommages-intérêts en sont la répa-
ration indirecte, exceptionnelle, et par équivalent. De cette
2 18 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACnOXS PUBLIQUE ET CIVILK.
différence de nature résultent quelques conséquences impor-
tantes.
I. Toutes les fois qu'il est possit>le de rétablir l'état de clio-
ses antérieur au délit, le juge doit le faire, //i^V/i*» (Toffhe, et
sans qu'il soit besoin, pour cela^ de répondre au\ conclusions
d*unc partie civile '. L'application de cette règle est faite, par
la loi, dans un certain nombre de cas particulièrement inté-
ressants. C'est ainsi que les tribunaux devront ordonner la
restitution au propriétaire, s'il est connu, des pièces à convic-
tion, saisies et déposées au greff*' sous la main de justice
(C. instr. cr.. art. 366 '. Au cas où des actes authentiques
auront été déclarés faux en tout ou en partie, v la cour ou le
i' tribunal qui aura connu du fau\, ordonnera qu'ils soient
<' rétablis, rayés ou réformés, et du tout il sera dressé procès-
ce verbal >i C. instr. cr.. art. 463 . Nous verrons également
que, en matière de simple police, toutes les fois que la con-
travention consiste dans l'exécution de travaux faits en infrac
tion aux règles de la voirie ou dans l'inexécution de travau\
dont la charge peut être légalement imposée à certaines per-
sonnes, la réparation normale du délit consiste dans la destruc-
tion des uns et l'exécution des autres. Aussi, la jurisprudence
décide que le jugement, qui prononce une amende, à raison
de la contravention, ne peut se dispenser d*en faire cesser
l'effet, en ordonnant, suivant les expressions de l'édit de
1607, la destruction de la besoyne mal plantée .'C. instr. cr.,
arl. 161 \
.Vu contraire, les dommages-intérêts ne peuvent être accor-
dé> que sur la demande de la partie lésée et dans la mesure
011 ils sont demandés : il faut que la parlie lésée les requière^
suivant Texpression de l'article 51 du Code pcnal^ en se con-
stituant y^^r/iV civile au procès (C. instr. cr., art. 366). Ainsi,
Taction civile, en ce qui concerne ce chef, esl soumise au bon
" I). Cod*: d'instntctiott criiuitieUc anhote, .irt. 36r^, u^ 0 et suiv.
' La juriâpruilence appli'iuir .ivec r.iisun ce lextf, terril pour la cour d'as-
fcir^'ï, au tribunal iMrrecliounel : Cas?., 10 août 1872 {D. A., Supplément
yo pj„r, crim.f ri* »i78!«
■* Voy. Cass., 27 févr. 1877 D. 77. t. iSS).
i
DE L OBJET DE l'aCTION CIVILE. 249
■
vouloir et à l'iailiative de la partie lésée. L'inculpé n'est pas
tenu, de plein droit, par cela seul qu'il estcondanriné dans le
procès pénal, à réparer le dommage qu'il a causé*". On a cri-
tiqué cette règle et on a prétendu qu'il serait utile de la mo-
difier. Les dommages-intérêts, a-t-on dit, sont d'ordre public
au même titre que les restitutions, puisque ce premier chef
d'indemnité représente, comme le second, une des formes de
la réparation du délit; et on a conclu de ce caractère que, au
point de vue de la loi à réformer, la condamnation à des dom-
mages-intérêts devrait être prononcée d'office et sans inter-
vention de la partie lésée. Mais en serait, à notre avis, un excès
opposé, et non moins regrettable, à celui des législations an-
tiques, dans lesquelles les délits contre les personnes et les pro-
priétés ne donnaient lieu qu'à l'action privée. Faire delarépa-
ration intégrale et civile du délit un coefficient nécessaire de
la répression, ce serait revenir, sous une autre forme, à la
confusion de la peine et de Tindcmnité. La justice réparatrice,
i la différence de la justice répressive, n'agit que si elle est
provoquée par l'intéressé. Lui seul a qualité pour se plaindre,
parce que lui seul est en mesure de dire s'il a souffert un
préjudice, dans quelles limites et quelle est la réparation qui
lui est due. La réforme que nous repoussons constitue l'exa-
gération et même la fausse application d'une idée juste en
elle-même : ce qu'il faut désirer en effet, c'est que la répara-
tion, à la requête de la partie civile, puisse être obtenue
malgré l'insolvabilité probable du malfaiteur. C'est à propos
deFexécution des condamnations civiles que des réformes né-
cessaires devraient intervenir. Mais si la justice répressive
doit se faire^ à ce point de vu(.% l'auxiliaire de la partie lésée,
'"L'article 5i du Code pénal, tel qu'il a éU^ modifié par la lui du 2S avril
1892, a fait cesser la conlrovorse qui existait sur la queslioii dr savoir si
Itt tribunaux crimin<.'ls devaient^ d'office^ cundaranor h* prévonu à drs dom-
mages-intérêts au profit de la partie lésée. En olfetjo nouvel îirlicle dit : « Le
coupable pourra être condamné... ». Il est donc, aujourd'hui, de principe,
en France, que l'action civile en dommages-intérêts ne [teut jnmais être
exercée par le ministère public et quV*n ce qui concerne cette action, celui-
ci est privé de tout pouvoir. Voy. D. A., Snpplémentj v® Procédure crimi»
ndle, n*» 150.
250 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CHILE.
en assurant et en garantissant sa créance, il faut, par coDtre,
que la partie lésée se fasse Tauxiliaire de la justice répressive,
en la stimulanl et en Téclairant par l'exercice de raclion ci-
vile**.
•
II. Les tribunaux répressifs exceptionnels n'ont qu'une
compétence pénale : le droit qui leur est accordé par la loi,
de statuer sur certaines infractions à raison de leur nature ou
de la qualité de celui qui les commet, ne s'exerce pas dans le
domaine des intérêts civils. C'est ainsi que les tribunaux de
justice militaire ou maritime ne peuvent juger Taction civile
dérivant des infractions qui leur sont déférées (C. just. mil.,
art. 55). Ces tribunaux, au contraire, comme toutes les juri-
dictions pénales, ont le droit et le devoir d'ordonner d'office
la restitution des objets saisis à titre de pièces à conviction.
III. La restitution implique qu'un état de droit antérieur au
délit a été violé et qu'il y a lieu de le rétablir: le délit a donc ét(
Voccasion de Taction en restitution, il n'en a pas été la cause
** L'école criminelle moderne s'est occupée beaucoup de celle question
On a proposé d'abord d'accorder au ministère public la facullé de requ<'ri
d'olïîce, contre le délinquant solvable, la condamnation à des dommages
intérêts en même temps que la condamnation à la peine. Voy. Garofalo, L
criminologie (5* éd., Paris, 1905), pp. 248 à 2W, 422 h 423, 431 à 433, 4:^
ii 4i9. M. Tarde (La philosophie pénale, p. 80) approuve cette réForme im;
ginée par Garofalo : u La victime d'un délit, dit-il, ne devrait plus r'tre obi
« gée de se constituer coûteusement partie civile pour obtenir une condar
<c nation à des dommages-intérêts; cette condamnation devrait être reijui:
« par le ministère public, avant toute peine ». Voy. Prins, Sciences pénak
n®* 033 à 039, surtout 034. Cette réforme aurait le double inconvénient i
ne pas fournir au tribunal les éléments nécessaires pour statuer sur la que
tion et d'encourager le défaut d'initiative de la partie lésée. C'est dans 1
garanties à donner à la victime pour n-couvrer la ré[)aration qui lui est di
que pourraient utilement se produire certaines réformes. Il faudrait aussi f
ciliter la constitution de partie civile. L'exercice et l'exécution des droits q
sont donnés, à ces points de vue, à la partie lésée, sont gênés f»ar de nombre
ses entraves. Ce sont ces entraves i^u'il faudrait faire disparaître, notamme
celles qui résultent de la consignation des frais de justice et dt* la respons;
bilité quant à ces frais. Voy. Jiull. de l'Union intern. de droit pénal, 18'J
p. 128; René Demogue, De la réparation civile des délits, passim, et notai
ment, p. 113, U!), 320; Monnevillede iMarsangy, Institutions complémenta
res, p. 33 ; Oarofalu, oj). et loc. cit.
DE L^OBJET DE L ACTION CIVILE. 251
!esi,au contraire, le dommage dool Tinfraction esl la source,
ue l'action en dommages-intérêts a pour but de réparer, de
irle que cette action puise exclusivement dans le délit sa rai-
iD (I*être et sa cause juridique. Il en résulte que ces deux
lefs de la réparation, les restitutions et les dommages-inté-
!ls, ne sont liés, ni au point de vue de Yexercice des actions
liont pour but de les réclamer, ni au point de vue de leur
escription qui a pour résultat de les éteindre. C'est là une
(Térenoe fondamentale, dont la répercussion se fait particu-
èrement sentir sur la prescription, la compétence et la chose
igée.
IV. Si l'existence d'un préjudice actuel et réalisé est néces-
lire pour que Taction civile soit recevable du chef de dom-
lages-intérêts, il faut admettre qu'en cas d'inobservation des
ispositions légales qui ont pour objet de protéger les fonds
îisins et d'assurer la sécurité de leurs propriétaires, ceux-ci
ni une action pour la suppression de l'état de choses illégal,
la charge seulement de prouver la contravention dont ils se
laignenl, alors même qu'en fait ils n'auraient éprouvé aucun
réjudice. Ce qu'ils demandent, en effet, c'est la restitution
ans leur droit et leur sécurité dont l'infraction les a privés.
insi, pourrait s'expliquer l'intervention d'une partie civile
ins une poursuite pour contravention h une loi ou à un rè-
enaent, prescrivant, sous menace de peines, certaines pré-
lulions à prendre, alors qu'aucun préjudice actuel n'est
ialisé et qu*il s'agit d'un droit plutôt compromis que violé.
Une règle est, du reste, commune aux restitutions et aux
3mmages-intérêts, c'est que, quelle que soit la juridiction
ni les accorde, elle ne peut le faire qu'en ne se mettant pas
1 coDtradiction avec ce qui a été expressément jugé par le
ibuoal de répression. La chose jugée au criminel s'impose,
1 effet, au point de vue des intérêts civils.
113. Les frais de justice, en matière criminelle, du moins
s frais particuliers du procès pénal, constituent, à la charge
I condamné, la réparation, envers l'État ou la partie civile,
I dommage spécial causé par les poursuites auxquelles a
2S2 PROCÉDURE PÉNaLK. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIL
donné lieu rinfraction. Le condamné en doit la réparatio
comme il doit la réparation du dommage qui est la cons
quence directe du délit. Nous posons, ici, un principe do
nous retrouverons, plus loin, l'application à propos de
théorie des frais de justice.
ii XIX. — A QUI APPARTIENT L'ACTION CIVILE
ET QUI PEUT L'EXERCER.
114. A qui apparlienl l'action civile et qui fieul l'eiercer. — 115. De la disp'
lion de l'action civiln. Actes de transaction ou de renonciation. Cession de l'acl
civile. Difficultés sur la validité et l'efTet d»* cette cession. — 116. L'action ci'
peut app:urtenir à la victime du délit, à ses héritiers, à ses ayants-cause. — 1
La victime du délit peut être indirectement bien que personnellement lésée
118. Personnes juridiques, victimes du délit. Corps. Diiïamations et injures. Di
de plainte. Droit de se porter partie civile. — 119. Des groupes ou colleclivil
victimes d'un délit. Difticulté d'évaluer le préjudice. Pharmaciens. Médecins, (
— 120. Ou<^^tion de la poursuite devant les tribunaux de répression par de^
sociati<ins prenant la qualité de « partie civile ». Syndicats professionnels. Aul
ass,.ciations formées en vue de défendre des intérêts communs. Association? ay
un but désintéressé. Groupement d'individus lésés. — 121. Action civile de I
électeur. — 122. Action civile exercée par les héritiers de la victime du délit,
trois hypothèses possibles. L infraction a été commise antérieurement à la lurr'
la victime. Elle a entraîné sa mort. L'infraction a été commise après la ranr
la victime. Diffamation envers la mémoire des morts. — 123. Action civile exe
par les ayants-cause. Créanciers. Cessionnaircs. — 124. Capacité pour exe
faction civile. Droit commun.
114.* L* action civile appartient à toute personne, ph>
que ou morale, qui a souffert du dommage causé par V
fraction et peut se dire partie lésée. Pour pouvoir Tinten'
il faut avoir personnellctuent éprouvé le dommage dont
demande la réparation et être capable d'ester en justice.
Reprenons l'examen de chacune de ces trois propositic
115. L'article i*' du Code d'instruction criminelle ne s
prime pas d'une manière exacte en disant que l'action p
l'application des peines n'appartient qu'aux fonctionna
auxquels elle est confiée par la loi, et que Faction en rép;
lion peut être ejercée par tous ceux qui ont souffert du de
mage. C'est Tinverse qu'il fallait dire. L'action publique
A QUI APPARTIENT l'aCTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 253
peut Hre exercée que par les fonctionnaires auxquels elle est
coDÛée par la loi ; et Faction civile appartient aux personnes
lésées par Tinfraction. Titulaire de la créance en réparation,
la victime du délit Test, en même temps, de Faction qui tend
à la faire reconnaître et liquider. Par suite, elle n*a pas seu-
lement ï exercice, mais la disposition de cette action. Elle
peut la céder (C. civ., art. 1689 et suiv.), y renoncer (C. civ.,
art. 1282 et suiv.), en faire l'objet d'une transaction (C. civ.,
art. 2046) ; après l'avoir intentée, même devant les tribunaux
de répression, s'en désister {C. inslr. cr., art. 66). Tous ces
acics, qui ont le caractère d'actes de disposition de Y instance
mAtVavtion et qui dépasseraient les pouvoirs du ministère
public par rapport à Taccusalion, sont incontestablement
permis à la partie civile. Mais il y a lieu de présenter quelques
observations, d'une part, sur les actes de transaction ou de
renonciation^ d'autre part, sur les actes de cession qui peuvent
intervenir à l'occasion de Faction civile.
I. L'article 2046 du Code civil et l'article 4 du Code d*in-
struction criminelle ont jugé utile de faire remarquer que la
transaction sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit, pas plus
que la renonciation de la partie lésée à Faction civile, ne
peut empêcher ou suspendre la poursuite du ministère public.
C'eût été là, en Fabsence de toute disposition légale, une des
applications les moins contestées de l'indépendance des deux
actions, publique et civile, corrélative à la distinction des
deux intérêts compromis par le délit, l'intérêt public et Fin-
lérêt privé. Peut-être a-l-ou cru qu'il était besoin d'abroger
expressément les principes de l'ancien droit et notamment de
l'ordonnance de 1670, d'après lesquels la transaction entraî-
nait Fexlinction de Faction publique pour tous les délits pri-
':h, c'est-à-dire qui n'étaient pas passibles de peines infa-
mantes*?
§XIX. ' Ord. de 1G70, til. XXV, îirl. 19 : «« EFijiMgiioiis à nos Procu-
« reurs, ot à ceux dtîs S<*ijuriiinirs, «io poursiiivn' iijc«'SSiiiniULMil criix qui se-
■ ront |ir»''venus de crimos c.ipilaux ou auxquels il «Vherni peine arilictive,
M nonobstant toutes transactions et ces?i(Mis de droit faites par les parties.
" Et à IVgard de tous les autres, seront les transactions exécutées, sans que
254 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
Cette séparation absolue de l'action civile et de Tactioa pu-
blique, au point de vue du droit de disposition qui appartient
à la partie lésée, a une autre conséquence importante : la
transaction conclue entre la partie civile et l'inculpé ne peut
être considérée comme l'aveu d'un crime ou d'un délit, de la
part de celui qui y a consenti; elle suppose bien la recon-
naissance d'un fait dommageable^ mais non d'un fait délie-
tneux. Aussi ne fait-elle pas obstacle à ce que l'accusé ou le |
prévenu soit renvoyé d'instance. \
Par suite même de l'indépendance, à ce point de vue, des
deux intérêts qu'a lésés l'infraction, Tacquittement ne porte
pas atteinte à la validité de la transaction, quel que soit le
motif sur lequel cette décision serait fondée'.
La transaction sur l'actionpvile, née d'un faux, nepeutètre
exécutée qu'après avoir été honrologuée en justice (C. proc.
civ., art. 249) ; mais elle est parfaite, comme convention, avant
cette formalité, qui a seulement pour but d'empêcher que les
pièces arguées de faux ne soient soustraites à la connaissance
du ministère public, et de mettre le parquet à même d'in-
tenter, s'il y a lieu, l'action publique contre les auteurs du
faux. Cette disposition se rattache donc à Tensemble des pré-
cautions prises par la loi pour réserver l'exercice de l'action
publique en matière de faux (C. proc. civ., art. 239, 240, 249
et 250).
II. La ccssibilité de l'action civile est incontestable. D'une
part, les créances les plus variées peuvent faire l'objet d'un
transport (C. civ., art. 1690). D'autre part, les droits litigieux
ne sont pas exclus du domaine de la cessibilité (art. 1699).
Mais quels sont les effets d'une cession de l'action civile? C'est
sur ce point que portent les difficultés.
a) En ce qui concerne le droit, pour le cessionnaire, de
poursuivre le délinquant devant les tribunaux civils, il n'y a
et il ne peut y avoir aucun doute. Le procès aura lieu au nom
w nos Procureurs ou ceux des Soigneurs puissent en faire aucune pour-
a suite ».
'^^7c, Cîiss., 10 mai 1^76 (D. 70. 1. 390).
iQUI APPARTIENT l'aGTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERGBR. 255
du cession naire, et le tribunal devra, sans se préoccuper de la
cession, accorder au demandeur le dédommagement auquel
aurait eu droit le cédant. Sans doute, les juges peuvent se lais-
ser impressionner parles circonstances dans lesquelles se pré-
sente le procès; mais ce sera là seulement un état de fait, de
nature à modifier la solution pratique ; car, au point de vue du
droit, la cession g e peut évidemment avoir une répercussion
quelconque sur l'obligation du délinquant de réparer le pré-
judice qu'il a causé par sa faute et le droit corrélatif de la
victime de monnayer son indemnité. Seulement, si la cession
a eu lieu à titre onéreux et en cours de procès, le délinquant
béoéficiera de la situation du débiteur d'une créance litigieuse,
il pourra exercer le retrait (C. civ., art. 4699 à 1701).
() Mais la Cour de cassation, dans un arrêt de la Chambre
criDiinelle du 25 février 1897 \ a décidé que le cessionnaire
n'a pas qualité pour se porter partie civile devant les tribu-
naux de répression. Elle en donne deux motifs. Le premier
est tiré des conditions d'exercice de l'action civile devant la
juridiction pénale. On sait que la constitution de partie civile
est subordonnée à la justification d'un intérêt personnel di-
rect à la réparation du dommage causé par l'infraction. Le
second, de l'efTet de l'exercice de Inaction civile devant les tri-
bunaux de répression : cette actioil, mettant en mouvement
l'action publique, ne peut appartenir qu'à ceux auxquels cette
participation à la poursuite a été accordée, c'est-à-dire aux
victimes de l'infraction (C. instr. cr., art. 1). Et le droit de
citer devant les tribunaux de répression ne peut faire l'objet
d*uii trafic.
Cette double considération autorise-t-ellc à établir une dis-
tinction arbitraire entre la cessibilité de l'action, par rapport
au procès civil, et son incessibilité, par rapport au procès pé-
nal? Avec la doctrine tout entière, nous admettons que le
cessionnaire de la victime du délit a qualité pour se porter
partie civile devant les tribunaux répressifs \ En effet, le ces-
» S. 1898. 1. 201 et la note de M. Roux; PamU 1H1»7. 1. i40.
* Mangin, AcL pubL et civ., t. 1, n° 128; Faustin Hélie, op. cit., 1. 2,
256 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CITILE.
sionnaire peut d*abord agir au Dom du ccdaot, en vertu d'uoe
sorte de procurafio in rem suam qui est au fond de tout trans-
port : comment lui opposerait-on, dans ce cas, le défaut d^in-
térêt personnel? Son iulérêt, c'est celui de la victime avec le-
quel il ne fait qu*un. Mais, dit-on, la représentation, n*est
pas admise devant les tribunaux de répression; et si la nature
du droit valablement cédé n'est pas modifiée par la cession,
la personne qui veut saisir le tribunal de répression n'est plus la
même. Ce qui frappe la cession d'inefficacité^ c'est que celui
qui Tinvoque, n'étant pas partie lésée, est impuissant à saisir le
tribunal de répression. Mais où voit-on que la représentation
ne soit pas admise devant les tribunaux de répression? Est-
ce que le tuteur ne peut pas intenter l'action civile au nom
de son pupille^? Le père, administrateur légal, au nom de son
fils? Bien mieux, le cessionnaire eùt-il agi en son nom per-
sonnel, la solution ne changerait pas, car l'article 3 du Code
d'instruction criminelle autorise tous ceux qui peuvent
exercer Taction civile à saisir, à leur choix, la juridiction pé-
nale ou la juridiction civile. A moins de nier la cessibilité de
Taction civile, force est bien d'accepter cette conséquence de
la cession. La tradition historique est, du reste, formelle pour
reconnaître au cessionnaire la faculté de poursuivre le délin-
quant devant la justice pénale '', et le silence du Code d'in-
struction criminelle doit être interprété comme une adhésion
tacite au maintien d'une règle qui était incontestée dans
notre ancien droit'.
n» 008 : 1^0 Saliver, Act. piibl.y n» 277 ; Trëbulien, Cours cirmentaire de droit
cnmincl, l. 2, n<* 182. Vuy., sur la question, une dissertation de Oardeil,
Itev.crit., 1890, p. 100 et suiv., ù propos d*un jugement du 14 aoiH 1889
du tribunal de la Seino, dont les motifs sont rapportés.
^ Toulouse, 11 uov. 1802 (S. 03. 2. 19); Rennes, 22 nov. 1865 (S. 00. 2.
54); Cass.,23 mars 1800 (S. 00. 1. 311). Les termes de l'article 1 n'excluent
pas l'exercice de Tactioii civile par un représentant légal : pourquoi IVxclu-
r.iieiit-ils |)Our un représentant conventionnel ?
* Voy. notamment sur ce puint la note de M. Houx (S. 98. 1. 202,
2- col.;.
" Si nous insistons sur cftle question, dont l'intérêt pratique paraît être
assez mince, puisque ces cessions sur l'action civile ne semblent pas encore
A QUI APPARTIENT l' ACTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 257
116. L* action civile peut apparleoir à la \ictime du délit, à
ses héritiers, à ses ayants cause.
117. La première personne, naturellement indiquée comme
ayant qualité de partie civile, est celle qui a souffert de Tin-
fraction^ la viclwie du délit. Toutefois, il n*est pas nécessaire
que rinfraction ait été dirigée contre celui qui se plaint d'en
avoir soufTert et qui en demande la réparation : il suffit qu'en
frappant directement d*autres individus, l'infraction porte at-
teinte, en même temps, à son honneur ou à sa fortune; car on
peut être lésé personnellement par une infraction, sans en être
directement victime. En conséquence, il faut autoriser le mari
à poursuivre, en son nom, la réparation de la diffamation ou
ilePinjure faite à sa femme, lorsque les propos injurieux ou
diffamatoires rejaillissent sur lui. De même, le dommage, causé
par une infraction qui atteint la fortune de la femme, retombe,
presque toujours, sur le mari, qui a, dans ce cas, une action
fmonnelle. Le père peut agir, en son nom, lorsque le fait
quia lésé ses enfants, mineurs ou majeurs, a porté, à sa pro-
pre fortune ou à son propre honneur, un dommage matériel
ou moral'. Mais il faut, dans tous les cas, justifier que Ton a
personnellement souffert du délit: c'est le passeport nécessaire
pour ouvrir l'accès des tribunaux, de répression. Seulement,
^Ire entrées dans nos mœurs, c*esl que cette question louche à une autre
•question, celle-là plus grave et plus large, la question de la subrogation con-
f^cntionnelle ou léyale aux droits de la parfie lésée. Voy. infrày n* 134
H les noies. Les compagnies d'assurance contre certains délits, le vol par
exemple, les associations en vue de la répression de certains délits, peuvent
éire amenées à se faire subroger aux droits de la partie lésée. Il y aurait là
un moyen de garantir plusénergiquement et plus efficacement, soit la répa-
ration, soit la répression. Mais l'emploi de ce procédé dépend des eiïets que
luD reconnaîtra à la cession de l'action civile. Encore une fois, rien, dans les
principes du droit criminel, ne fait obstacle à cette opération. Ht contraire-
ment à l'opinion de Demogue {De Ui réparation civile des d^lits^ p. 14),
nous pensons que ce n'est pas là une question de législation, mais de juris-
prudence.
* Voy. notaiDment : Cass., 16 mars 1893 (S. 04. t .304 ); Cass., Genève,
2Sfévr.*l899 (S. 99. 4.1 G).
G. P. P. — l. 17
258 paocÉDURE pénale. — des actions publique et cnriLB.
la lésion est souvent indirecte ; elle se produit par répercussion,
et elle suffit dans ce cas, car elle est personnelle à celui qu'elle
atteint, pour justifier sa demande en réparation.
118. Les personnes juridiques, régulièrement représen-
tées, comme les personnes physiques elles-mêmes, peuvent
être demanderesses dans le procès sur l'action civile, quand
elles ont souffert un dommage dans leur patrimoine ou leur
considération. Une société commerciale, par exemple, qui est
victime d*un vol, d'un abus de confiance, d*une diffamation, a
qualité pour se porter partie civile, par l'organe de ses repré-
sentants légaux, et pour demander et obtenir des dommages-
intérèls. Quant aux collectivités, corporations, corps constitués,
administrations publiques, ces groupements ne peuvent être
lésés que dans le cas de diffamations ou d'injures collectives.
Les articles 30 et 33, § i de la loi du 29 juillet 1881 prévoient,
en effet, la diffamation et l'injure envers les cours, les tribu-
naux, les armées de terre ou de mer, les corps constitués, les
administrations publiques, et l'article 47 règle les formes de la
plainte nécessaire pour engager l'action publique. Mais, à la
sanction pénale qui protège, dans ce cas, le corps constitué et
dont le ministère public a qualité pour demander l'applica-
tion, ne parait pas correspondre une sanction civile*. A qui
appartiendrait, en effet, l'action en dommages-intérêts, puis-
que le corps diffamé ou injurié n'a pas et ne peut avoir un
patrimoine, puisqu'il ne jouit pas de la personnalité civile?
Que deviendrait la somme allouée, s'il était possible qu'une
réparation pécuniaire fût prononcée par la justice? La répar-
tirait-on entre les membres de la collectivité? Mais aucun de
ces membres n'a, par hypothèse, éprouvé de dommage per-
sonnel? Du reste, la qualité substantielle et primordiale pour
• Dans ce sens : Garraud, De la reftponsabilité civile en matière de dé-
lits (le presse (France judiciaire ^ l. 7, 1™ part., p. 359): Laborde, op. cit.,
n®6Sî-, p. 4r»t). Voy. avec des restrictions et des tenipéraments : Gustave Le
Puittcviii, Traite c//? la presse, t. 3, n" ^285, p. 324 k 328 ; Barbier, Code de
la presse, t. 2, p. 47i.Comp. sur la question : Faustin Hi'li(;, Imtr, cr,, t. i,
n« 5>2 et p. 6:i0.
A QUI APPARTIENT L'aCTION CIVILE. QUI PEUT L*EXERCER. 259
se porler partie civile, c'est le droit même d'ester en justice
et ce droit n'appartient qu aux personnes morales. L'article 47
permet, il est vrai, au corps constitué, de requérir des pour-
suites; mais si toute personne, ayant qualité pour se porter
partie civile, peut déposer valablement une plainte, la réci-
proque n'est j)as toujours vraie. Et nous trouvons un exem-
ple de situation de ce genre dans le cas qui nous occupe'".
'^ Mais si le corps constitué, qui n'a pas la personnalité civile, ne peut
intervenir, chacun de ses membres, h la condition qu'il démontre avoir été
personnellement lésé, a (jualité pour le faire. La question s'est prcsonlée, en
jurisprudence, dans des circonstances qui ont eu un grand retentissement.
Au cours des poursuites dirigées contre Zola, devant la cour d'assises de
Seine-et-Oise, en 1808, Ips membres du conseil de guerre se sont constitués
parties civiles, tant en leur nom personnel que comme représentants du
conseil de guerre et ont notifié la liste des témoins qu'ils voulaient faire
entend/'e. A l'audience du 18 juillet 1898 et avant l'appel des jurés, en ré-
ponse aux conclusions prises par la partie civile, le [)révenu déposa des
conclusions d'irrecevabilité. Sur ces conclusions, la cour d'assises de Seine-
et-Oise a rendu l'arrêt suivant : « Considérant que s'il est vrai de dire
w qu'en nrincipe, les corps constitués ne peuvent ester en justice qu'autant
•« qu'ils constituent uno personnalité civile, ce principe et celte règlo de
« droit ne s'îippliquent point en matière de constitution de partie civile au
H criminel; qu'en effet, l'article 1" du Code d'instruction criminelle donne
a expressément, à toute partie lésée par un crime, un délit ou une contra-
•t vention, le droit de poursuivre en justice la réparation du dommage par
n elle éprouvé; que ce principe a été formellement consacré par les dispo-
.' sitions des articles 03, r»'i., 03, f»0 et 67 du même Code, au chapitre : Hcs
« plaùiteê, et spécialement dr»s articles 30 et M de la loi du 29 jiiillft 1881 ;
« que ces dilTérentes dispositions donnent (i toute partie lésife le droit de
.« f>«jrter plainte et de se porter partie civile; qu'aucune «listinction n'étant
f< faite, par ces articles, entre les particuliers et les corps constitués, il est
<« rationnel d'en conclure que les uns et les autres ont égalemeîit le droit
t' de se porter parties civil«^s; (ju'on ne saurait, en eir«»t, rîiisonn;iblt?nient
" conclure que les corps constitués auraient bien le droit de [)orter plainte,
<• mais qu'ils no pourraient eux-mêmes surveiller et soutenir cett»* plainte
« en se portant partie civile, alors surtout que, comm«* dans l'espéiv, il ne
H s'agit pas de revendiquer un intérêt pécuniaire, mais simplement de jiro-
« léger un intérêt moral gravement compromis... ». Tn pourvoi a été formé
contre cet arrêt; mais il a été déclaré non rccevahle par un arrêt delà
Chambre criminelle du 5 auiU 1898 qui a estimé que l'arrêt qui reçoit une
ftartie intervenante, étant préparatoire, le recours n'est ouvert iju'après l'ar-
rêt définitif. Toutefois, h\ conseiller rapporteur, M. Chambareaud,a examiné
260 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
119. Les parties lésées, ayant des intérêts similaires, peu-
vent s'unir pour exercer, dans un intérêt commun, TaclioD
en dommages-intérêts, mais à la double condition : i"" qu'elles
agissent individuellement; 2^ et que chacune démontre avoir
été personnellement lésée. La seule difficulté d'évaluer le
préjudice, alors, du reste, que certainement un préjudice a
été causé, ne rendrait pas Taction civile irrecevable. Cette
idée permet de ne pas écarter a priori l'action en dommages-
intérêts dans les circonstances suivantes.
Il existe un certain nombre de professions, telles que les
professions médicales ou pharmaceutiques, accessibles seule-
ment aux personnes qui justifient de conditions d'aptitude el
de capacité. L'exercice illégal de ces professions est une infrac-
tion dont les éléments constitutifs et la peine sont détermi-
nés par les lois spéciales qui les organisent. La collectivité
des individus, pratiquant légalement ces professions, ne peut
certaiaement agir, en tant que collectivité pure el simple,
pour demander des dommages-intérêts à ceux qui s'immis-
cent indûment dans Texercice de la profession. Mais les
médecins, les pharmaciens ont-ils qualité pour se plaindre,
individuellement^ et chacun dans la mesure de son intérêt
personnel, d'un détournement de clientèle qui leur cause ud
préjudice? ou doivent-ils se borner à dénoncer l'infractioD
au ministère public qui poursuivra s'il croit devoir le faire?
La question a été présentée comme une question de droit
et a soulevé, en la plaçant sur ce terrain, des opinions diver-
gentes**. 1* D'après certains auteurs, l'action serait, dans tous
les cas, irrecevable. On dit, en effet, qu'il est impossible d'é-
tablir l'existence même du dommage, rien ne prouvant que
la question, et, s'il a paru admettre l'intervention personnelle des membres
du conseil de guerre, il a paru repousser celle du conseil de guerre lui-même.
Vov. Gaz. du Pal., 98. 2. 255 et Sirev, 1900. 1. t73 et nete de M. Roux.
Dans cette note, notre collègue estime que l'action civile, formée au noitt
d'un corps constitua, est recevable, mais qu'elle ne peut avoir pour objet
que les frais ou une réparation appropriée au caractère du corps constitué,
telle que la publicité de la décision.
** Voy. D. A., Supplément, v" Procédure criminelle, n** 169 à 175.
A QUI APPARTIENT L*ACT10N CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 261
les personnes qui se sont adressées aux concurrents irrégu-
liers, auraienleu recours, à défaut de ceux-ci, aux membres
de la corporation qui se portent plaignants; 2"* Dans une se-
conde opinion, faction ne serait recevable que si tous les
membres de la corporation, exerçant légalement la profession,
\ dans la région où s'est produite la concurrence illicite, se por-
taient parties civiles, car c'est seulement dans ce cas que le
préjudice pourrait être démontré; 3" Dans une troisième opi-
nion, qui parait aujourd'hui consacrée par la jurisprudence,
raction serait, dans tous les cas, recevable, car s'il est difficile
d'apprécier le dommage, le principe même de Taction, le pré-
judice, n'est pas contestable; 4^ Pour nous, la solution dé-
pend des circonstances de fait : elle n^ relève pas du droit.
Que Ton suppose la concurrence illicite se produisant dans
un grand centre, où le nombre des membres, exerçant la
même profession, est presque illimité, l'action sera irreceva-
ble, car non seulement l'appréciation du dommage est diffi-
cile, mais l'existence même de ce dommage est incertaine.
Mais si la concurrence s'établit dans un village, une petite
ville, où n'existent que quelques membres de la corporation,
pourquoi refuser à ceux-ci Taclion en dommages-intérêts,
alors que l'existence du préjudice est incontestable et que
riocertitude ne porte que sur son évaluation? Mais donner,
dans tous les cas, et sans distinction, le droit de poursuite à
tous les membres de la corporation, c'est confondre Vintérét
général que tous peuvent avoir à la répression du délit, dont
le nninistère public est le seul gardien, avec Yintrrêt. spécial^
fondé sur un dommage personnel, dont tout plaignant doit
justifier, et qui est le seul titre de son action civile et la con-
dition nécessaire de son intervention.
La loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels est
TeDue, tout à la fois, simplifier et compliquer la question.
« Les syndicats professionnels... auront le droit d'ester en
justice )), dit l'article 6, § 1 de cette loi. Mais on n'a pas dé-
terminé quelles sont les actions qu'un syndicat est admis à
exercer. Pour celles qui intéressent le syndicat, considéré
comme formant une personne morale, distincte de ses mem-
262 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
bres, pas de difficulté : raclion étant née à son profit, personne
n'aurait qualité pour Texercer en dehors des représentants
légaux de la collectivité. En est-il de môme des actions nées,
au profit des membres du syndicat, mais qui intéressent la pro- s
fession? Il s*agit alors de savoir si un syndicat a qualité pour |
exercer, sous une forme condensée, les actions éparpillées qui
naissent en la personne des membres ou de quelques-uns des
membres du syndicat, alors que ces actions font partie de pa-
trimoines individuels et non du patrimoine syndical? L'affir-
mative n'a pas semblé douteuse, et l'organisation syndicale |
s'est alors présentée comme un moyen de tourner la difficulté 5
signalée plus haut. Ce sont d'abord les syndicats de pharma- \
ciens et de médecins qui, dès 1883, ont exercé des poursuites :
pour exercice illégal de la pharmacie ou de la médecine. Les
pharmaciens ont obtenu gain de cause; la jurisprudence,
après avoir reconnu la légalité de leurs syndicats, à raison du
caractère commercial de la profession, n'a pas hésité à les au-
toriser à exercer l'action civile. Les médecins ont, il est vrai,
échoué tout d'abord; mais -parce qu'ils n'exerçaient pas de
profession commerciale et ne pouvaient constituer un syn-
dicat valable. Plus tard, ils ont pris leur revanche : la loi du
30 novembre 1892 leur a oclrové la faveur de se constituer
en syndicats, conformément à la loi du 21 mars 1884 (art. 43).
Depuis lors, les médecins sont en possession du droit de pour-
suivre, par l'intermédiaire de leurs syndicats, les personnes
non diplômées qui s'immiscent dans l'exercice de leur pro-
fession.
120. Cette constatation nous amène à examiner, à un point
de vue plus général, en même temps que plus complexe, la
question de la poursuite, devant les tribunaux de répression,
par des associations prenant la qualité de « partie civile ».
Il a été expliqué déjà qu'un délit pouvait être directement
commis au préjudice d'une association: ce sera un vol, une
diflVimation par exemple. Si l'association est régulièrement
constituée et jouit de la capacité juridique (L. du 1*' juill.
1901, art. 2, 5, 6), elle peut se porter partie civile, au même
A QUI APPARTIENT l'aCTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 263
titre et dans les mêmes condilions qu'un individu. C'est un
point certain'*.
Mais la question est toute autre : il s'agit, en effet, de savoir
si des particuliers peuvent se grouper en associations et agir,
devant les tribunaux, en vue de la défense de leurs intérêts
collectifs, à raison de délits dont Fassociation n'est pas directe-
ment victime. Le système de la poursuite des actes criminels
par dos associations a déjà des amorces dans notre jurispru-
dence. Une double solution peut être utilisée. D*abord, celle
qui permet aux individus d'agir en vue de la réparation d'un
dommage simplement moral. Puis, cette idée qu'ils peuvent
Agir, comme membres de la collectivité^ en vue de la répara-
tion d'un délit qui les atteint d'une façon indirecte. A ces deux
conceptions, se rattache un développement intéressant de juris-
prudence sur l'intervention des associations dans les poursuites
criminelles. La question, du reste, se pose dans trois situations
qu'il faut bien distinguer: i"" pour les associations, agissant
dans l'intérêt de leurs membres; 2''pour les associations, agis-
sant dans un but désintéressé; 3^ pour les groupements ou col-
lectivités non associes, mais atteints par un délit.
L Dans le premier cas, il y a lieu de séparer les syndicats
professionnels des autres associations formées en vue de défen-
dre des intérêts communs.
a) Les associations qui se proposent de contribuer à la ré-
pression des actes délictueux, préjudiciables aux intérêts de
leurs membres, peuvent être constituées sous forme de syndi-
cats professionnels, dans les termes et les conditions de la loi
du 21 mars i884. Cest une première hypothèse, la |)lus simple:
il s'agit alors d'un groupement d'individus, exerçant soit la
même profession, soit des professions connexes. Les syndicats
professionnels peuvent ester en justice (L. 21 mars 1884, art. 6),
mais, étant constitués en vue d'un intérêt général, leur activité
judiciaire ne s'exercera que pour la conservation de leur pa-
trimoine ou pour la défense des intérêts collectifs dont ils ont
•* Voy. seulement ce que nous avons dit .sM;)rà, n" HO, en ce qui cun-
cerne les co^ya cofistitucs.
i
26i PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
lii garde. Sur le premier chef (conservation du patrimoine),
aucune difficultc sérieuse ne s'élève. Mais sur le second chef,
au contraire (défense des intérêts collectifs de la profession),
deux interprétations sont en présence: une interprétation res-
trictive, d'après laquelle le syndicat n'aurait le droit d'exercer
que les actions qui, n'étant pas dans le commerce, ne peuvent
être exercées par aucun de ses membres**; et une interpréta-
tion libérale et extcnsive, d'après laquelle l'action du syndicat
devrait être déclarée recevable, toutes les fois qu'elle serait
justifiée par un intérêt collectif et qu'elle aurait pour objet la }
défense des intérêts généraux de la profession. La jurispru- j
dence, malgré quelques hésitations, semble se rallier à cette
dernière interprétation**. Elle tend, de plus à plus, à recon-
naître que les syndicats professionnels peuvent se porter
parties civiles, dans la poursuite de tout délit susceptible de
causer aux syndiqués un préjudice moral collectif, distinct
du préjudice matériel et variable causé par les mêmes faits à
certains des individus syndiqués, préjudice dont il leur appar-
tient de poursuivre, parallèlement à l'action syndicale, la ré-
paration par voie d'action individuelle*'.
La première application de cette jurisprudence a été faite
au profit des syndicats de pharmaciens. On reconnaît, à ces
syndicats, le droit de poursuivre, par voie de citation directe,
devant les tribunaux correctionnels, les individus exerçant
ilh'^galement la profession, bien que le succès de telles pour-
suites doive plus spécialement profiter aux pharmaciens établis
à proximité de l'officini; illicite, la profession entière étant in-
*^ Voir Consultation do WiilHeck-Hoiissoiiu (Bec, périodique de proccd,p
1887, p. 49); Planiol. n..tfs sous D. 95. 2. 1553 et 'JS. 2. 129. Comp. Trib. du
HavTo, i7 janv. 1809, sons Rouen, K nov. 1899 (S. 1900. 2. 08) et les renvois;
Cass., f' févr. 1893 (S. 96. 1. 320).
^* Voy. notamment: Pic, Traite éU^m, de lèffial. tnc///s/.(2® e<I. Paris, 1903 ,
n*** 425 à 433,011 la question est compU>toment traitée; Counit, />ii syndicat
demandeur en justice daux VirttMt de sea membres, p. 45 et s. Comp. la
note, sous Cass. 1" H-vr. 1803, prérité.
*^ L*inl«'TeH c(»lloctir ainsi compris peut se cumuler avec l'intérêt imlividuel
des m«?mores du syndicat et, l'un et l'autre, loin d'entre exclusifs, peuvent se
cumuler.
j
A QUI APPARTIENT l'aCTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 265
léressée à la répression des atteintes au monopole dont elle est
investie**. Les nnédccins ont profité de celte jurisprudence, le
jour où ils ont pu légalement se constituer en syndicats pro-
fessionnels'*. Depuis, la jurisprudence a fait un pasde plus: elle
donne, à des syndicats composés d'individus exerçant des pro-
fessions non monopolisées, tels que les marchands de vins'*,
les propriétaires viticulteurs**, les poissonniers***, etc., le droit
d'agir ou d'inlervenir pour la défense des intérêts de la pro-
fession ou du groupe professionnel qu'ils représentent, dans
la poursuite de tout délit qui a causé, à cette profession ou à ce
groupe professionnel, un dommage moral collectif. Ce n'est
pas sans quelque appréhension qu'on a vu grandir, grâce à
ce nouveau champ ouvert à leur activité, la puissance des syn-
dicats professionnels. Mais, en limitant leur action à la défense
de leurs intérêts collectifs, la jurisprudence donne aux syndi-
cats une arme nécessaire, dans un temps où le ministère public
est impuissant à protéger les intérêts professionnels grave-
ment atteints par la multiplication des fraudes de toute es-
pèce-*. Il faut donc saluer et encourager le développement de
*^s7c. Paris, 20 janv. 1886 (D. 80.2. 170); Ifi déc. 1891 (D.93.2. WO); Caen,
I" mai 1890 (S. 92. 1. 14) ; Lyon, 3 juin 1890 (D. 91. 2. 29); Grenoble, 7 juill.
1H92 {D.92.2. 582); Cass., 5 janv. 1894 (S. 95. 1. 382); Douai, 29 févr. 1904
[Li Ioï.9niai 1904).
•• Trib. Sein.>, 25 mai 1805 et Montbéliard, 30 janv. 1896 (D. 96. 2. 189 et
168); Grenoble, 6 mai 1002 {Munit, jud, de Lyon, 1«' juillet 1902).
*• Angers, 11 avr. 1890, et sur pourvoi : Crim. rej., 26 juill. 1889 (S. 90.
. 91 ; D. 90. 1. 239) ; Nancy, 19 avr. 1902 (D. 1903. 2. 20).
*' Les syndicats de viticulteurs ont été dr^clarés recevables à intervenir
lans les poursuites pour fabrication de vin de sucre, mouillage, fausse dé-
lanilion en vue d'enlèvement qui ne doit pas être rivalisé, etc.
**• Amiens, 13 mars 1895 (D. 95. 2. 553), et sur pourvoi : Civ. cass., 5 janv.
897 {D. 97.1. 120).
*' Notamment, les fraudes alimentaires. A cet égard, il ne faut pas oublier
u'un intérêt collectif quelconciue ne suffirait pas à justifier l'action d'un
yndicat, celui-ci ne peut intervenir que pour la défense des intérêts du
roijpe professionnel rpi'il repn'sente. C'est ainsi que le syndicat des viticul-
?urs de la Gironde a pu ôtre déclaré irrecevable k poursuivre les marcbands
•> vins inculpés de mouillage, Mlors qu'il n'était pas démontré que les
ins mouillés avaient été vendus comme vins de la Gironde : Cour de Bor-
266 • PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
cette accusation professionnelle et souhaiter que les syndicats
aient la sagesse d'employer, à cette œuvre d'assainissemeot,
la force que leur donne la loi.
h) Les associations peuvent résulter d*un groupement formé
entre individus ayant à. défendre les mêmes intérêts et en vue
de réprimer les actes coupables de nature à y porter atteinte.
Les associations de cette espèce se sont multipliées depuis quel-
ques années. Il nous suffira d'en citer quelques types. Ainsi, il
existe une « Société centrale des chasseurs pour aider à la ré-
pression du braconnage ». Elle a pour but, aux termes de ses
statuts, « d'encourager la surveillance des propriétés et la
constatalion des délits résultant de faits de braconnage ». La
« Société des gens de lettres » se propose, aux termes de ses
statuts, de « défendre et faire valoir les intérêts moraux et de
protéger les droits de ses membres ». Des « Ligues ou Unions
de défense sacerdotale » ont groupé les prêtres d'un diocèse,
résolus à réprimer, par des poursuites judiciaires, les attaques
infumes dont ils sont trop souvent Tobjet. Peu importe, au
point de vue de la question, que le caractère de personnalité
civile manque ou non à ces groupements. La différence entre
ces associations et les syndicats professionnels, c'est que les
premiers ne se forment pas, comme les seconds, entre
individus exerçant la même profession industrielle, com-
merciale, ou agricole, et ne peuvent, par suite, avoir la pré-
tention d'agir en vue de leurs intérêts professionnels. C'est
ce qui explique la différence de traitement que leur fait
subir la jurisprudence. Elle n'admet pas, en effet, que l'asso-
ciation, qui n'est pas personnellement lésée, soit recevable
à se porter partie civile dans l'intérêt général qui est, en
même temps, celui de ses membres. C'est dans les limites
de Vaction individuelle que les associations de cette espèce
peuvent intervenir pour prendre la direction du procès sous
le nom de Tintéressé; elles n'ont pas qualité pour pour-
suivre les actes délictueux dans un intérêt général conforme
dcaux, i juin 1897 [Gaz, Pal,, 4 juill. 4897). Voir, cependant une consultation,
rappurltkî, à la suite do TarrcH, par M^" Patissier-Banloux, Ulrich, Gazelles.
A QUI APPARTIENT l' ACTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 267
au but en vue duquel se sont réunis leurs adhérents^'.
II. Il existe des associations, ayant pour objet la répression
de certains actes délictueux, non plus dans Tinlérèt de leurs
membres, mais dans un but désintéressé, philanthropique,
humanitaire ou moral. Ainsi la « Société protectrice des ani-
maux », comme les institutions analogues qui existent en An-
gleterre etaux États-Unis, a pour but « d'améliorer, par tous les
moyens qui sont en son pouvoir, le sort des animaux, confor-
mément à la loi du 2 juillet I80O ». Ces moyens, au point de
vue répressif, sont restreints dans les limites de la dénonciation
des actes coupables aux agents de Tautorilé. Mais il n'appar-
tient pas à la Société d'agir en son nom. Innombrables égale-
ment sont les associations bienfaisantes qui ont pour objet la
protection de Tenfance. Il s'est également fondé des sociétés
de protestation contre la licence des rues, des ligues de la
moralité publique. Mais pour déférer à la justice les auteurs
ou les complices des délits commis contre les intérêts généraux
qui rentrent dans le cercle de leur protection, les représentants
de ces associations ne peuvent avoir recours qu'à la voie de la
dénonciation. Elles sont sans qualité pour se substituer au
^^ Lql Société des yens de lettres, reconnue d*iililité publique, ne poursuit,
fil son nom, que U'S contrefaçons des œuvres dont l'apport lui est fait par les
80ci«^taires. Quand il s'a-^it d 'œuvres restant la propriété de leur auteur, la
poursuite est faite au nom du soci<^taire (Statuts, art. 36 et 38). La Société
centrale des chasseurs pour la répression du braconnage, égal«.'ment recon-
nue d'utilité publique, ne peut poursuivre en son nom. En 1894, émue des
encouragements donnés au braconnage par un certain nombre de restaurants,
qui servaient ouvertement à leur clientèle du gibier en temps de chasse pro-
hibée, la Société chargea des huissiers de constater le délit, après quoi elle
se porta partie civile. Le tribunal correctionnel de la Seine, par jugement du
5 décembre 181)5 {Gaz. du Palais, 16 janv. 1896), déclara son intervention
irrecevable: « Attendu que si, aux termes des articles i et 63 du Code
« d'instruction criminelle, toute personne qui se prétend lésée par un crime
« ou un délit a qualité pour se porter partie civile, c'est à la condition d'ar-
" ticuler et de demander à établir qu'elle en a éprouvé un préjudice direct
«et personnel ; que, dans Tespèce, la Société demanderesse reconnaît n*agir
« qu'en vertu de l'intéi^èt qu'elle a d'assurer d'une façon générale la répres-
« sion du braconnage; qu'elle n'allègue avoir subi aucun dompiage direct
« et personnel; qu'elle n'a donc pas qualité j)our intervenir dans l'instance ».
268 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
miaislèrc public ou pour se faire ses auxiliaires. Aussi ap-
pellent-elles de leurs vœux la réforme d'une législation qui ae
leur permet pas d'agir directement devant les tribunaux'*.
III. Il peut se faire enfin que la prétention d*agir ou d'in-
tervenir soit émise par une collectivité, c'est-à-dire par un
groupement d'individus, qui, sans être tenus les uns envers j
les autres par des engagements constitutifs d'une association |
ou d'une société, s'unissent dans le but de poursuivre un
délit qui les atteint. Cette situation, s'est souvent présentée,
i
(*
1
'^'■^ Sur la question générale: Paul Nourrisson, L'rt.s>'ocia^ïO« contre le crime
(Paris, 1901 j; Discussion h la Société générale des prisons {Rei\ pt'7a^,1896,
p. 510 et 689); Henri Joly, Les asaociatiomi et VÉtat dnns la lutte contre le
crime {lier, de Paris, !•' déc. 1890). La concession du droit de poursuite de i^
certains délits h des associations formées en vue de leur répression et auto- j
risées ou reconnues h cet elT«H par Tautorilé publique est aujourd'hui Ma-
mée en France et considérée comme une réforme nécessaire. La commission
du Sénat, chargée d'examiner la prop<jsition qui est devenue la loi du lOavr.
1898, introduisit, dans l'article 7 du projet, une disposition ainsi conçue : « L^
droit d(» poursuivre, soit pjir voie de citation directe, soit en se perlant partie
civile, dans les termes des articles 63 et 182 du Code d'instruction criminelle'»
peut être concédé, par décret spi»cial, après avis du tribunal de première ins-
tance, aux associations protectrices de l'enfance, reconnues d'utilité publique?
en ce qui touche les violences ou les attentats commis contre les enfants >>•
C'était le texte même du vœu (ju'avait adopté le Comité de défense des en-'
fants traduits en justice (Voy. Nourrisson, Des r^^ formes à apporter au Cod^
pt'nal pour fortifier la répressio7i des délits et des crimes contre la moralità
des wineurs de seize ans, et de la participation des Sociétés privées à lapour-
suite de ces faits, dans La Loi du 19 juill. 1897). Cet article, après avoir été
volé en première délibénilion (Séance du 10 mars 1898, Journ. off,. Sénat,
p. 288), fut finalement rejeté (Séances des 21 et 22 mars 1898, Journ. off.j
Sénat, p. 357 l't s., 379 et s.). On trouvera le compte rendu de cette discus-
sion dans la Uev.pénit.j 1898, p. 557. Pour les objections soulevées et leur
réfutation, Paul Nourrisson, op. cit., p. 152 et s. 11 y a d'abord Tobjection de
principe tirée des droits du ministère public (RouXjKcr. crit, de léyist.^ 1895,
p. 5'i:0). Mais, comme récrit .loly (lier, polit, et parL^ 1895, p. 451): «Personne
ne demande de suf>primer ni même de diminuer le ministère public. On de-
mande qu'il ne restcî [»as seul ». Il y a ensuite les abus îi craindre, le chan-
tage, ou tuut au moins l'excès de zèle. Ces abus ne sont guère à redouter de
la part d associations autorisées et surveillées. Les avantages et les résultats
de la réformp, en l'état actuel des mœurs publiques en France, nous paraî-
traient incontestables.
A QUI APPARTIENT l'aCTION CIVILE. QUI PEUT l'EXERCER. 269
en cas de diiTamaiion imputée, soit à un individu non dé-
nommé, mais faisant partie d*un groupement ou exerçant une
profession déterminée dans telle région, par exemple, un insti-
tuteur ou un prêtre de tel canton, soit à une collectivité d'in-
dividus, tels que les instituteurs ou les prêtres d'une com
muoe ou d'un canton. Dans ce cas, il faut poser deux règles :
iM'âction est recevable quand Timputation, formulée sans
désignation de personne ou d'une manière collective, atteint
plusieurs personnes et les expose à des soupçons; 2^ mais elle
doit être exercée par chaque personne, faisant partie dugroupe
lésé, agissant individuellement, à raison du préjudice person-
nel qui lui a été causé**.
121. 11 existe une exception, d'autant plus remarquable
({u'elle est unique, à ce principe du droit français que Faction
civile n'appartient qu'à la personne lésée et ne peut être exer-
cée qu'à la condition, par le demandeur, de justifier d'un
préjudice personnel.
Exceptionnellement, en effet, et quoique le préjudice ne lui
soit pas peràonnel^ tout électeur peut se porter partie civile,
^n vue de poursuivre les délits électoraux commis dans sa
circonscription ou d'intervenir dans la poursuite (L. 15 mars
1849, art. i23)''».
** Sur ces deux questions : Gustave La Poittevin, Traité de la presse^
!• 2, no 728, p. 265, et n° 1258, p. 299. Voy. égalemeut la jurisprudence
qui est ciliée dans oet ouvrage. Adde, Cass., 16 juill. 1903 (D. 1904. i.
535). Sur la diiïamation qui vise des individus appartenant à une congre-
j?ation religieuse : Cass., 15 févr. 1901 (S. 1902. 1. 470); Besançon, 27 juin
1900(8. 1902. 2. 11); Pau, 26 juill. 1900 (S. 1902. 2. 9); Rennes. 14 juin
1900 (S. 1902.2. 11).
"Comp. Cass., 16 mars 1878 (D. 78. 1. 142). En effet, bien que Tarticle 123
oe donne à tout citoyen inscrit dans une circonscription électorale que le
droit de porter plainte, il s'agit bien d'un droit d'action. L'article 19 du dé-
cret organique du 2 février 1892, sur l'élection des députés au Corps législa-
tif, porte que, lors de la révision annuelle des listes, « tout électeur inscrit
sur Tune des listes de la circonscription électorale pourra réclamer lu radia-
tion ou l'inscription d^un individu omis ou indûmiMit inscrit ». Mais cette
action est une pure instance civile introduite par Télecteur en vertu du droit
personnel, qu'il a de voir fîgurer sur la liste ceux, et ceux-là seuls, qui ont
270 PROCÉDURE PÉNAIJS. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
122. L'action civile peut-elle appartenir aux héritiers de la
personne directement lésée par l'infraction? Cette question
n'est pas susceptible d'une réponse absolue; nous devons, en
effet, distinguer trois hypothèses.
Vinfraction a été commise antérieurement à la mort de la
victime. — Si Tin fraction a porté atteinte à la fortune du dé-
funt, les héritiers, qui deviennent propriétaires des biens, sont
directement lésés; ils peuvent donc se porter partie civile, en
leur qualité d'héritiers. Si l'infraction a atteint le défunt dans
ses biens innés, sa santé, sa liberté, les héritiers peuvent encore
intenter l'action civile, car Finfraction a causé à leur auteur
un dommage pécuniaire ou moral dont il leur est dû répara-
tion, à titre d*héritiers. Mais si l'infraction n'a atteint que
l'honneur ou la considération du défunt, si c'est une injure,
une diffamation^ les héritiers peuvent-ils commencer une in-
stance pour obtenir, au nom du défunt, la réparation d'un
dommage que lui seul a éprouvé? Je ne le pense pas: d'une
part, l'action civile manquerait ici de base, puisque le fait,
dont se plaignent les héritiers, ne leur a pas causé personnel-
lement un dommage; d'autre part, celui qui est décédé, sans
avoir intenté l'action, est présumé avoir pardonné. Mais les mo-
tifs mêmes de cette solution traditionnelle prouvent qu'elle
ne s'appliquerait pas au cas où l'action civile aurait été mise
en mouvement, avant le décès, par le défunt lui-même: les
héritiers pourraient alors continuer l'instance, car l'action
formée et tendant à des dommages-intérêts, quelle qu'en soit
le mômp droit que lui. Mais, pd outre, la loi <ie 1849 (art. 123), donne à tout
électeur le droit do porter jilainte et de se constituer partie civile. Voy.
mprà, n*» 82. Comp. Montpellier, 40 nov. 1894 (S. 96. 2. 201) et la note de
M. Villey, qui conclut ainsi : « La vraie solution consisterait à de^cider,
« comme l'a fait la loi espagnole du 26 juin 1890, que l'action pénale, nais-
u sant des délits électoraux, est publique^ c/est-à-dire qu'elle peut être mise en
u mouvement par tout électeur aussi bien que par le ministère public, sauf
« à prendre certaines mesures pour réprimer Tabus qui pourrait ôtre tait de
« ce droit d'action »>. M. Laborde, dans la Reruc. critique^ 1895, p. 167, sur la
partie civile sans intérêt personnel, voit, dans la loi de 1849, « le germe d'une
nouvelle conception do Taction civile que le législateur pourrait développer ».
Comp. pour le principe au moins : Riom, 16 déc. 1896 (S. 97. 2. 114).
A QUI APPARTIENT l' ACTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 274
la base, est un bien que les héritiers recueillent, comme tous
les autres biens, dans le patrimoine du défunt (C. civ.,
art. 937)".
L'infraction a causé la mort de la victime. — Les héritiers
des personnes tuées instantanément, par exemple dans un
accident de chemin de fer causé par l'imprudence d'un agent
de la compagnie, ont-ils, en leur seule qualité d'héritiers,
testamentaires ou ab intestat^ une action en réparation de
la mort de leur auteur? II est difficile de l'admettre '^ L'action
n'a pu se transmettre: elle est née par le fait du décès, au
profit de toutes les personnes qui ont souffert de l'accident".
Par conséquent, les héritiers devront agir en leur nom et
justifier d'un dommage personnel. D'où il suit que toute per-
sonne qui aura subi^ dans sa fortune, dans sa situation, un
préjudice, par le fait du décès, pourra, bien que n'étant pas
héritière, se porter partie civile. L'action appartiendra, par
exemple :àla veuve, dont le mari était le soutien; au mari, qui
profitait des revenus de sa femme; aux ascendants, qui tou-
chaientune pension alimentaire du défunt; aux créanciers, qui
avaient fait crédit k la valeur et à la situation du défunt, etc.
Et toutes ces personnes, qui ont à faire valoir un dommage,
moral ou pécuniaire, peuvent intenter concurremment l'ac-
tion civile, car l'intérêt de Tune n'exclut pas l'intérêt de Tau-
Ire ". Mais on ne saurait admettre les proches parents ou les
amis de la victime, par cela seul qu'ils ont été frappés dans
leur affection, à se porter partie civile. L'intérêt de sentiment
peut être un motif pour provoquer des poursuites, pour dé-
noncer l'auteur du délit, mais il ne saurait servir de base à
une action pécuniaire en rénaration, puisque l'article 1" du
»*Sic, Mangin, op. cit.^ t. 1, n*» 127; Faiistin Ilélie, op. ciL, t. 1, ii° 559;
Le Sellyer, op, ct7., l. i, n<> 27 ô.
*' On la trouvera discutée dans D. A., Supplèmenty v® Procédure crimi-
nelle, n*»« 194 à 198. Comp. Laborde, Rev. crit., 1894 p. 25.
^* Comp. dans ce sens : Besançon, 1»^ déc. 1880 (D. 81. 2. 65).
2» Voy. Cass., 20 févr. 1863 (S. 63. 1. .521); Lyon, 18 mars 1865 (S. 65.
2. 259). '
272 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB.
Code d*instruction criminelle ne la donne qu*à ceux qui oai
soufferl d'un dommage"".
L infraction a été commise aprèa le décès de lapersonnequ'eU^
atteint, — 11 s'agit, ici, des injures, des diffamations dirigées
contre la mémoire des morts. Donneronl-elles ouverture vl
l'action civile? C'est se demander d'abord si ces injures ou
ces diffamations constituent des délits.
Avant la loi sur la presse du 27 juillet 1881, on envisageai t
la question sous deux points de vue différents'* : ou la diffama^
tion ne concernait réellement que la personne du défunt, san^
avoir pour but de blesser sa famille; ou bien c'était sa famille?
qu'on avait voulu blesser, tout en paraissant diriger l'impu--
tation contre le défunt. Dans le second cas, il y avait réelle-
ment diffamation à Tégard des héritiers, personnellement
quoiqu'indirectement atteints, par une diffamation qui les
visait en traversant leur auteur. Dans le premier cas, la doc-
trine et la jurisprudence se divisaient'^. Tandis que la Cour
de cassation décidait que la diffamation envers une personne
décédée constituait, comme la diffamation envers une per-
sonne vivante, un délit, dont la répression pouvait être pour-
suivie par les héritiers du défunt'', les cours d'appel jugeaient
3^ Dans notre ancienne jurisprudence, on admettait rinlervenlion, de
})lein droit, jure sanguiiiis et propter causam doloris, de certains parents.
On a enseigné que ces règles seraient encore applicables aujourd'hui. Sic^
Fauslin Hélie, t. 1, n« 557; Sourdat, op. cit., t. 1, n" 33; Larombière,
op, ait,, t. 5, p. 7H; Le Sellyer, op, cit.y t. 1, n° 263. Mais le texte même
de l'article 1*' du Code d'instruction criminelle, en ne donnant raction civile
qu'à ceux qui ont souffert du dommage, ne peut se concilier avec celte so-
lution. Voir sur la question : Ilaus, t. 1, n** 1373; Trébutien, l. 2, p. 29;
Villey, op. cit., p. 194; et note dans S. 46. 1. 657; Cass. belge, 17 mars
188l\s. 82. 4. 9) et la note; Bourges, 14 déc. 1872 (S. 74. 2. 71; D. 73. 2.
197). Comp. supràyp. 237, note 9.
3* Voy. Ghassan, Traité des délits et contraventions de la parolCyde l'écri-
ture et de la presse (1846, 2« éd., 2 vol. in-8»), t. 1, n*»« 492, 494, p. 398,
404; Berlin, De la diffamation encers les morts, 1867, in-8°.
3-^ G. Le Poittevin, Traite de la presse, i. 2, no 895, p. 509 et 510. On
trouvera les références dans cet ouvrage.
33 Cass., 24 mai 1860 (S. 00. 1. 657; D. 60. 1. 243); 23 mars 1866 (S. 66.
1. 750; D. 67. 1. 46); 5 juin 1849 et Lyon, 11 déc. 1868 (héritiers Vaïsse
A QUI APPARTIENT L*ACTION CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 273
<iue raction des héritiers n'était recevable qu'autant qu'ils
se trouvaient personnellement atteints par la diffamation di-
rigée contre leur auteur.
La loi du 29 juillet 1881 a voulu trancher la question'*.
Elle Ta fait dans des termes qui ont créé d'autres difficultés.
L'article 3i, § 1, est ainsi conçu : u Les articles 29, 30 et 31
» De seront applicables aux diffamations ou injures dirigées
« contre la mémoire des morts, que dans le cas où les auteurs
'< de ces diffamations ou injures auront eu Tinteution de por-
tier atteinte à Thonneur et a la considération des héritiers
«vivants ».
Cette disposition a-i-elle effacé tout délit de diffamation
envers la mémoire des morts? A-t-elle, au contraire, créé ce
délit, en le soumettant à certaines conditions constitutives?
Oesdeux manières de comprendre l'article 34 onl leurs par-
tisans convaincus. D'après la première, la diffamation envers
Jes morts ne constitue pas un délit, en tant qu'elle vise les
morts; mais elle constitue un délit, en tant qu'elle atteint ou
qu elle entend atteindre les héritiers vivants". Dans ce der-
nier cas, les héritiers sont personnellement, bien qu'indirec-
tement diffamés, et ils ont une action personnelle on diffama-
tion. La loi punit, en effet, la diffaniation indirecte connne la
diffamation directe. D'après la seconde manière de voir, l'ar-
ticle 34 établirait un délit spécial, en ce sens que l'action,
engagée par l'héritier en son nom personnel, prendrait sa
source, non dans la diffamation ou Tinjnre indirecte dont il
est l'objet, mais directement dans la diffamation ou l'injure
-c Labaume) ; 24 mai 1879 (S. 80. 1. 137; D. 79. 1. 273); 27 mai 1881 (Nar-
Bey c. prince de Lusigiiaii).
•* Voy. Cellier et Le Senne, Loi de iSSi sur la presse {iHS2f in-8'*),
f». 489 et 490. On trou/era, clans cet ouvrage, l'histoire du lexte. Cons. éga-
lement, D. 81. 3. 106.
'* Vuy. Barbier, Code expliqué de la presse avec complément {{SHl-iSO}i^
3 vol. in-8®), t. 2, n° 548, p. 80; Fabrt^guetles, Iraité des délits politiques el
(tes infractions par la parole^ l'écriture et la presse (2" ^dit., 1901, 2 vol.
in-8**j, t. 2, n» 397, p. 479. Cette interpn>tation avait «Hé admise par la Chaii-
<?e]lerie, dans sa circulaire du 9 novembre 1881.
C. P. P. — 1. 18
274 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CmLl
dirigée conlre son auteur". L'intérêt de la question seprésen
en ce qui concerne les règles de compétence, de preuve et fl
procédure. Supposons, eri effel, une diiTamation, dirigée cor
tre la mémoire d'un fonctionnaire public, à l'occasion dereici
cicedeses fonctions, par laquelle on veut atteindre le fils d
ce fonctionnaire qui est un simple particulier. Si on adopt
le premier système, la circonstance que les imputations difTi
matoiresont été adressées au mort, relativement aux fonctioi
par lui remplies de son vivant, n'aura aucune influence si
les questions de preuve et de compétence que peut sou]ev(
l'action : ce sera une diffamation envers un particulier, voi
tout. Mais si on adopte le second, le délit se caractérisera par
situation qu'avait de son vivant le mort qui a été diffamé : pc
suite, la cour d'assises sera compétente et la preuve de I
vérité des faits dilTamatoires sera permise.
Telle est, en efîet, la solution donnée à la difficulté par
jurisprudence '\ Dans cette opinion, pour sauvegarder les int<
rets de l'histoire, la loi n'admet le délit de diffamation d
morts, qu'autant que l'imputation passe à travers leur m
moire pour aller atteindre des vivants; mais alors la diffam
tion contre la mémoire des morts constitue un délit spécia
Si tels n'étaient pas le sens et la portée de l'article 34, il serf
sans signification et sans utilité, « puisqu'il n'attribuerait ai
« héritiers vivants aucune action nouvelle et ne leur accord
« rait, en définitive, que l'action personnelle qui leur appa
" Sic, (}. Lo Poittevin, op. cil., l. 2, ii» 807, p. lil k
^^ C*esl en ce sens que s'est prononcc^e la Cour de Cassation dans
arrêt du 29 avril 1887 (Fouque et Delcourt contre Weiss) : u Attenjlu qi
M pour que la dilVamalion dirigée envers la mémoire des personnes décéda
*c constitue un d^lit, il nest pas nt'cessaire que les écrits incriminés conlit
w nent l'imputation de Faits précis et déterminés contre les héritiei
« qu'il suffit que la dilfamation envers les morts at été commise avec int*:
« lion de nuire aux héritiers ». Voy. éf^alement : Paris, 30 mars 1897 (
Baudy c. Delahaye et la Libre paroh'); Cour d'assises de la Seine, '^ d
iOOO (S. 1901. 2. lis, V' Henry c. Joseph Heinach et autres). Comp. Héj
Coste, Uiffamniion envo.ra la mémoire des morts {La France judic.^ 18!
1. 321). .le dois reconnaître que la question est très controversée. Voy.
note sous l'arrêt de la Cour d'assises de la Seine du 3 décembre 1900.
A Qn APPARTIENT i/aCTJON CIVILE. QUI PEUT l'eXERCER. 275
«tienldcjfi ». Eo effet, les héritiers ont toujours ledroit, quand,
sousPapparence et le prétexte d'imputations dirigées contre
leur auteur décédé, ils sont personnellement et directement
injuriés ou diffamés, do faire abstraction de leur qualité d'hé-
ritiers et de poursuivre le diffamateur en vertu des articles 31,
32 et 33 de la loi de 1881. 11 n'était pas besoin d'un texte nou-
veau pour le leur conférer.
Le délit de diffamation envers la mémoire des morts impli-
que, aux termes de l'article 34, la réunion des éléments spé-
ciaux que voici : l"" l'allégation ou l'imputation envers une
personne décédée d'un fait de nature à porter atteinte à son
honneur ou à sa considération ; 2"" une atteinte possible à l'hon-
neur ou à la considération des héritiers vivants; 3^ Tinten-
tion de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de
ces héritiers^'.
Le texte do l'article 34 parait viser globalement tous les
héritiers sans distinction ni limitation de degré de parenté,
mais il ne paraît viser que les héritiers. En effet, l'action n'est
accordée aux héritiers que pour obtenir la réparation d'une
diffamation qui, bien que commise envers leur auteur, rejaillit
sur eux et est de nature à leur nuire. Celte répercussion im-
plique bien un lien de parenté qui les unit au défunt et les
solidarise avec sa mémoire.
Mais peu importe le degré et la nature de la parenté, peu
importe que l'héritier ait renoncé à la succession. Si le titre
de parent personnellement lésé est nécessaire, il est, en même
temps, suffisant''.
Au point de vue de l'exercice de l'action en dommages-inté-
rêts résultant d'une diffamation envers la mémoire des morts,
deux situations sont possibles.
La première est celle dans laquelle le délit existe. Les héri-
tiers ont alors le droit d'exercer l'action civile dans les condi-
tions ordinaires. Toutefois, si leur auteur est un fonctionnaire
" Sur tous ces points : G. Lft Poittevin, op, cit,, t. 2, n« S90, p. r»19.
" Sur tous ces points, la jurisprudence ne paraît pas encore fixt*e. Il y a
'Jes arrêts dans tous les sens.
276 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
public diffamé dans Texercice de ses fonctions, ils sont obligés
de se conformer à Tarticle 46 de la loi du 29 juillet 1881, aux
termes duquel l'action civile, résultant des délits de diffama-
tion prévus et punis par l'article 31 de cette loi, ne peut être
poursuivie séparément de l'action publique*'.
La seconde situation est celle où le délit n'existe pas.
Les héritiers peuvent néanmoins, s'ils établissent que la
diffamation leur a causé un préjudice matériel ou moral, cq
poursuivre la réparation par une action eu dommages-intérêts
ordinaire. C'est ce qui a été formellement reconnu au cours
de la discussion de l'article 34*'.
123. Les ayants-cause de la partie lésée, autres que les
héritiers, pourraient-ils agir^ sous son nom, pour demander
des dommages-intérêts?
La question se pose distinctement pour les créanciers et les
cessionnaires.
Les créanciers de la partie lésée seront certainement rece-
vables à agir, soit au nom de leur débiteur, conformément à
l'article 1166 du Gode civil, soit de leur chef, s'ils ont été lésés
personnellement. Ce dernier cas, assez rare, pourra se pré-
senter lorsque les créanciers n'auront d'autre sûreté que l'in-
dustrie de leur débiteur, et que l'infraction aura causé la
mort de ce dernier ou du moins une incapacité de travail per-
manente ou temporaire".
*° C'est ce qui résuUe du caraclcTC que nous avons donné au délit de
rarlicle 34.
*' Déclarations du rapporteur M. Lisbonne, à la Chambre des déput«^s,
dans la séance du 21 juillet 1881 (Celliezet Le Senne, op. cit., j). 609).
*- Manj,nn, op, cit.y t. 1, n. 126; Le Sellyer, op, cit., t. 1, u. 275. Contrai-
rement à cette opinion, il a été jugé, par le tribunal civil de la Seine, que l'ac-
tion en dommages-intérêts pour la réparation d'un délit contre une per-
sonne est une action exclusivement attachée à la personne, et qu'en con-
séquence elle ne saurait être exercée parles héritiers : Trib. Seine, 9 janv.
1870 (S. 81. 2. 21). Mais cVst une simple aflimiation qui aurait besoin d'être
soutenue par un îirgument. Il nous jiaraît ]ilus exact de dire que l'action
civile est toujours susceptible d'être exercée par les créanciers pour faire
réparer un préjudice pécuniaire^ mais ne l'est pas pour faire réparer un
dommage moral.
A QUI APPARTIBNT L*ÂCTION CIVILE. QUI PBUT l'eXERCBR. 277
L'action civile^ comme toute aulre action endommages-inté-
rêts^ peut être l'objet d'une cession (C. civ., art. 1249 et 1230,
1398, 1607, 1699, 1700 et 1701). C'est ce que j'ai démontré
déjà, et je ne crois pas qu*il y ait lieu de distinguer entre Inac-
tion naissant des délits qui causent un préjudice pécuniaire et
l'action naissant des délits qui causent un préjudice moral,
puisque^ dans un cas comme dans l'autre, Taclion a toujours
pour objet une réparation pécuniaire. On a prétendu, dans le
cas d'exercice de laction civile par un cessionnaire, que les
juges, lorsqu'ils admettent le principe de la demande,
ne doivent pas dépasser, dans la fixation du montant des
indemnités, le prix réel de la cession^'. Mais c'est partir
de l'idée fausse que la partie lésée a déterminé, par le prix
même de la cession, l'indemnité qui lui est due : ce prix re-
présente un forfait et ne dispense pas les juges d'évaluer le
dommage et d'accorder au représentant de la victime toute
l'indemnité qui pourrait être due à celle-ci *\
124. Pour être admis à se porter partie civile, il faut avoir
la capacité d'exercer ses droits en justice. Or, les règles, rela-
tives à la capacité d^estcr en justice, sont tracées par les lois ci-
viles et le Code d'instruction criminelle n'y apporte aucune
dérogation. En conséquence, ne peuvent se porter partie
civile : le mineur, s'il n'est représenté par son père ou par son
tuteur, excepté lorsqu'il est émancipé; l'interdit judiciaire ou
légal, s'il n'est représenté par son tuteur; la femme mariée,
sans l'autorisation de son mari ou de justice; le pourvu de
conseil, sans Tassistance de ce conseil**.
" Flaus, op. cit., t. 2, q* i:n6, note 15; Manfjin, op, cit., t. l, u^ 128.
** Le cessionnaire qui court les cl}ances lïlcheuses d'un procès iloit pouvoir
profiler des chances favorables. Voy. Faustin Hélie, op, cit.^ t. 2, notiOy.
" Toutes ces règles sont certaines. Pour la doctrine et la jurisprudence :
0. A., Supplément, v® Procédure criminelle, n®" 170 h 188; Rép. /jcn. droit
franraia, v* Action civile, n^ 189 à 21 't. — Adde, pour la femme mariée :
Cas8.,29 juin 1893 («. cr., n« 170); 10 févr. 1005 (/;. cr., ji» 51). — Voy.
cepenclant pour lo mineur : Trib. corr. de la Seine, 5 nov. 1904 {Gaz. des
Trib., 29 di^cembre 19()'i-). Mais observations dans lier, pénit., 1905,
p. 2il.
278 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIU
Un étranger pent intenter raclion civile, s'il a été vicliii
d'une infraction. Mais il est tenu, devant quelque tribun^
qu'il agisse, si le prévenu français le requiert, avant toute e?
ception, de donner caution pour le paiement des frais et de
dommages-intérêts résultant du procès^', à moins qu*il ii
possède, en France, des immeubles d'une valeur sufGsant
pour assurer ce paiement, ou qu*il ne soit autorisé parle gou
vernement français à établir un domicile en France, oi
enfin, que, par un traité, les Français ne soient dispensés d
cautionnement dans le pays auquel appartient Tétranger
demandeur (C. civ., art. 16).
ËnHn, les communes, les sociétés commerciales, les établi
sements d'utilité publique, les corporations et autres personn
juridiques ne pourront intenter Taction civile que suivant l
règles qui président à leur capacité, et par Tintermédiaire <
leurs représentants.
Toutes ces solutions ne s'appliquent qu'à la représentalii
légale. II est, en effet, certain que la partie civile n'est pas l
nuede comparaître en personne devant le tribunal répressif
qu'elle peut s'y faire représenter par un mandataire.
§ XX. - CONTRE QUELLES PERSONNES L'ACTION CIVILE
PEUT ÊTRE INTENTÉE.
125. Qualité et ca|KJcité des personnes contre qui l'action civile peut être inltnl
— 126. Trois groiip<;s de personnes. — 127. Aulfurs et complices. HappL
*• LVHranger détendeur ne sauniil, à notre sens, réclamer le bénélîce
la caution judicatum solri^ qui a été établi comme garantie des Fr(
çaU plaidant contre des étrangers. De nombreux arrêts, rendus eu mali
civile, ont, en effet, décidé (|ue l'étranger défendeur ne peut exiger la en
lion de l'étranger demandeur. Or, les raisons de décider sont les mêmes
matière répressive qu'au civil.
*^ Sic, Cass., 18 févr. 1846 (S, 46. 1. 320). Sur la nécessité de la caut
judicatum snlvi, devant les tribunaux de répression, les auteurs sont una
mes. Un arrêt de la Cour de Dijon du 13 juill. 1881 (S. 84. 2. 3) a cept
dant jugé, en sens contraire, que l'étianger qui se porte partie civile dev
le tribunal correctionnel n'est pas tenu de fournir la caution 7Mrficrtf»m so
môme s'il agit par voie de citation directe. Cet arrêt, assez faiblement moti
ne paraît pas destiné à faire jurisprudence.
CONTRB QUI l'action CIVILE PEUT ETRE INTENTÉE. 279
«ntre la respoosabililé pénale et lu responsabilité civile. Causes de oon-culpabi-
lil.'. Faits justificatifs. Jeune Age et absence de discernement. Aliénation inen-
la!o. État de nécessité. Kxercice d'un droit. Légitime défense. Abus de droit. —
128. Des personnes civilement responsables. Principe et limites de la respon-
>jbiljté civile. Parents. Commettants. Instituteurs. — 129. Héritiers, soit des
aut'furs et des complices, soit des personnes civilement responsables. — 130. De
lalion civile exercée contre un inciipable. Distinction entre la femme mariée et
les autres incapables.
125. Direconlre qui l'action civile peut être intentée, c'est
iléterminer : V d'abord, les personnes qui sont tenues de répa-
tvr le dommage causé par l'infraction; 2° puis, quelle capa-
cilé doivent avoir ces personnes pour défendre à l'action
civile.
126. L'obligation de réparer le dommage, causé par un
crime, un délit ou une contravention, pèse : l** directement,
sur les auteurs et complices de l'infraction; 2'' indirectement,
sur les personnes civilement responsables; 3** enfin, sur les
hérilicrs des unes et des autres.
127. La responsabilité pénale du délit n'incombe qu'aux
nuteurs et aux complices. Si le délit a causé un dommage, les
auteurs et les complices sont les premiers tenus d'en réparer
Icsconséquences. Mais les éléments qui constituent la respon-
sabilité à l'égard du dommage, n'étant pas identiquement de
même nature que ceux qui concernent la responsabilité à
regard de la peine, il importe, ici, d'examiner les rapports de
dépendance entre la responsabilité pénale et la responsabilité
civile.
Toute personne, pénalement responsable d'un délit, est a
/<!)r/wr/civilement responsable du dommage qu'il a causé, car la
responsabilité pénale implique nécessairement la coexistence
des deux éléments qui servent de base à la responsabilité
civile : un fait illicite à la cbarge de l'agent et la culpabilité
de celui-ci. H en résulte que la décision pénale, qui condamne
un individu comme auteur ou complice, a force de chose jugée
sur le principe même de la responsabilité civile : il ne reste
280 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTION^ PUBLIQUE ET ClVll
plus qu'à déterminer si le délit a causé un préjudice et h
fixer le quantum \
Ce point de départ établi, quelle influence peut avoir, s
la responsabilité civile, l'existence, au profit du délinquai
soit d'une cause de non-culpabilité, soit d'un fait justificali
Ces circonstances, impliquant l'absence de l'un des deux él
mentsdu délit civil, nesont pas, en général, compatibles av
la responsabilité civile (0. civ., art. 1382). iMuis il y a lii
cependant de faire quelques réserves sur la portée de cel
proposition.
1. Les causes de non-culpabilité iiennenl à l'un de ces U\
faits : le jeune dge, la démence, la contrainte,
a) Le mineur de seize ans, qui accomplit sans discerneme
un délit, n'en est responsable ni au point de vue civil, ni i
point de vue pénal. Mais la minorité n'est pas, par elle-inèm
une cause d'irresponsabilité. D'une part, l'article 66 du Co(
pénal autorise la condamnation du mineur à une peine, s
est établi qu'il a agi avec discernement. D'autre part, Tari
clc 1310 du Code civil déclare que le mineur « n'est point re
tituable contre les obligations résultant de son délit ou quas
délit civil ». Ainsi la responsabilité pénale ou civile dépe[
toujours d'une question soumise à l'appréciation souveraii
des juges du fait', non celle de savoir quel âge a le mineij
mais la question de savoir si le mineur à agi avec discern
ment'. Au point de vue civil, comme au point de vue pén;
g XX. * CVst la consoqncnre directe du principe d'ai»n>s lequel le juire
peut méconnaître, au point de vue civil, ce qui a él«'î directement et n»'**:
sairement décidé par le juge criminel.
- Le Code civil allemaiid restreint la liberté d'appréciation des juges. .^
termes de l'article 828 : « Celui qui n'a pas atteint l'ùge de sept ans acci
«( plis n'est pas responsable du dommage (ju'il cause à autrui. Celui qi
« atteint Tàge de sept ans, mais non celui de dix-buit ans, n'est pas resp
« sable du dommage qu'il a causé à autrui, s'il a commis Pacte dommager
« sans avoir le discernement nécessaire pour avoir conscience de sa i
« ponsabilité... ». Dans le droit français, il n'existe de période d'irrespoi
bilité absolue ni xw\ point de vue civil ni au point de vue pénal.
' C'est évidenmi»*nt le seul point commun entre la re^^ponsabilité pénal
la responsabilité eivilcjl'une et l'autre impliquant \i^dUccrnt'mcnt,\o\\\i pr
CONTRE QUI i/aCTION CIVILE PEUT ETRE INTENTÉE. 281
00 mineur, quel que soit son âge, peut être un coupable, s'il a
agia?ec discernement, mais ne peut èireun coupable que s*ila
agi avec discernement. Ceci posé, le discernement, au point
de Yue pénal, doit-il identiquement s'apprécier de la même
manière que le discernement au point de vue civil? Nous ne
le pensons pas, et il n'y aurait aucune inconciliabilité entre là
décision correction nelfe qui, h défaut de discernement, exo-
nérerait le mineur de l'application de la peine, et la décision
fivile qui le condamnerait à réparer le dommage qu'il a causé
par sa faute*. On peut dire, en effet, qu'aujourd'hui, le juge
pénal ne prend pas telle décision parce qu'il a reconnu ou non
le discernement, mais qu*il reconnaît ou non le discernement
pour pouvoir prendre telle décision. L'existence ou l'absence
quui les tribunaux civils, comme l^^s Irihuiiaux «Je rtjpressioii, doivent recher-
cber si le mineur a pu se rendre compte de ce (ju'il taisait. Voy. Cass. civ.,
13janv. i890 (S. 91. i. W; 1). {)0. l. 14:j).
* Voy. Bordeaux, 31 mars iK52 (D. 54. 5. 113); Besant^on, 17 dêc. 1902
(Pnnd. franv., 1903. 2. 32i). L'espèce sur laquelle a statut^ ce dernier arrél
était intéressante. Deux jeunes enfants, Ag^^s de dix et onze ans, revenaient
des champs où ils avaient été chercher le hélail de leurs parents, lorsqu'ils
5€sont pris de querelle : au cours de la lutte, l'un d'eux a atteint l'autre au
visage, avec une perche maniée nialadroitfincnt, et lui a crevé un œil. Cet
enfant, ayant été poursuivi devant Ir Irihnnal correctionnel, fut atvjuitté
comme ayant agi sans discernement. Poursuivi en réparation devant le tri-
bunal civil, il fut définitivement condamné k des domma^res-intéréts par la
Cour de Besançon, dans l'arrôt précité : « parce rjue ce défaut de di<cerne-
« ment, n'ayant été apprécié parle juge correctionnel qu'au regard de la faute
« pénale, laisse entier le dmit du juge civil de déterminer si la responsa-
«bililé du mineur existe au point de vue de la faute civile; parce que si la
«faute pénale doit être appréciée strictement, h cause des conséquences ri-
« goureuses qu'elle peut entraîner, la faute civile doit l'être plus largement
« puisqu'elle ne peut conduire qu'à des réparations pécuniaires; parce qu'il
•' n'y a aucune inconciliabilité entre la décision correctionnelle qui, à défaut
« de discernement, exonère un mineur de l'application de la fieine qu'il a
<* encourue et la décision civile qui le condamne à réparer le donmiage iju'il
« a causé...; que si on doit reconnaftre, en fait, dans Tespèce, que X... n'a
w pas eu le discernement légal pour se rendre compte qu'il commettait un
w délit, on doit tenir pour c<Ttain quf, malgré son extrême jeunesse, il avait
«< une conscience suffisante de ses actes pour apprécier, ne fût-ce que dans
4< une faible mesure, qu'il commettait une faute, lors(]ue, par maladresse, il
t< a blessé Z...; que cela suffit pour que sa responsabilité civile soit établie ».
282 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTlOiNS PUBLIQUE ET CIVILE.
de discernemeat n'est plus qu'un moyen de colorer ou de mo-
tiver la mesure qu'iijugc utile. Quel rapport pourrait-on éta-
blir entre cette manière d'envisager le discernement au point
de vue pénal et la manière deTenvisager au pointde vue civil?
A)L'aliéné estirresponsable, aussi bien ci vilement que péna-
lement : le renvoyerd'instance, au pointde vue de la répres-
sion, pour cause de démence ', et le condamner à réparer le
préjudice qu'il a causé, serait évidemment contradictoire.
Lorsqu'on recherche si l'auteur d'un acte illicite jouissait
de ses facultés mentales, il faut examiner son état au moment
où Pacte a été accompli et par rapport à cet acte *. Peu im-
porte que son interdiction ait été ou non prononcée. A cet
égard, c'est sous le même angle qu'il faut considérer la res-
ponsabilité pénale et la responsabilité civile (C. p., art. 64).
Dcu\ limitations ou restrictions ont été, du reste, proposées
à l'irresponsabilité de l'aliéné.
La première consisterait à maintenir la règle qu'un fou ne
peut être responsable au point de vue pénal, mais à la faire
fléchir, au point devuecivil, en le condamnant toujours à répa-
rer, sur son patrimoine, le j^rcjudice qu'il acausé\ Un cer-
r
* Nous prenons le mot démence dans le mr-nie sens que l'article 64 du
Code [jénal, comme synonime d*:iiién:ilion mentale.
« Labbe, De la déinence au point de vue de la responsabilUè et de /ïwi-
putabilité on matière citile [Hev, crit., t. 37, 1870, p. 109).
^ C'est là une distinction qui fait son chemin et qui se rattache à la théo-
rie du r/s/y/zf? substituée à celle de la faute. Cette théorie est, du reste^ vive-
ment contestée par des civilistes distingués. Voy. Marcel Planiol, Étude sur
la responsabilité cirilc (Hev, crit., 1905, p. 277). Le Code civil allemand
(art. 829) admet le principe d'une indemnité, dans les limites où l'auteur du
dommai;e peut la f»ayer, sans être lui-même [)rivé des ressources dont il a be-
soin. Le Code rédér.il suisse des obligations, dans l'article 58, permet au juge,
« si, réquilé l'exige », de condamner une personne, même irresponsable, à
la réparation totale ou partielle du préjudice qu'elle a causé. Une tentative
pour tain* passer cett»' concejdion «lans la loi franf;aise a eu lieu, il y a
qu»'lqijes années. M. l^ourquf.'ry de Hoisserin a déposé, en 1901, à la Cham-
hr»" di's députés, une proposition île lui tendant à modifier l'article 1382, en
substituant au mol «« faute » le mot « l'ait », et en déclarant « le dément
r»'Sp'»nsable civilement du préjudice par lui causé ». Voy. Journ, off,.
Dit'., 1901, session extraord., p. 7:1. Celte proposition a été adoptée après
CONTRE QQI L*ACTION CIVILE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 283
iin nombre de législations se sont engagées dans cette voie.
lais notre jurisprudence est resiée étrangèreà ce mouvement
uridique. Elle considère que les biens du fou ne répondent
>a$ du dommage que Tinconscieni a causé. Entre Tidée de
latrimoine et Tidée de réparation, il en manque une troi-
iicme pour lui servir de lien et expliquer comment la
>econdo résulte de la première. De ce qu'un individu a un
patrimoine, il ne s'ensuit pas qu'il doive réparer le mal dont il
est l'auteur, tant qu'on ne démontre pas qu'il y est obligé^ et
un individu n'est obligé à réparer les conséquences d'un fait
dommageable que s'il est responsable de ce fait. Or Tidée de
faute est la base et la raison d'être de l'idée de responsabi-
lité \
L'aliéné doit être déclaré resfionsablc civilement et même
|>énalement si le fait est un de ceux pour lesquels la loi punit
l'imprudence ou la négligence, toutes les fois que sa folie
résulte d'habitudes vicieuses, telles que l'alcoolisme, le désor-
dre des mœurs. Alors, en effet, une faute initialeest imputable
M'ageotet suffit à justiHer la responsabilité'.
LeCode fédéral suisse desobligations,leCode civil allemand,
etc., contiennent, sur ce point, des dispositions expresses'^,
déclaration d'urgence {Journ. off,. Chambre : rapport, Doc. 1902, p. 117;
•irjrence, adoption, séance du 19 févr. 1902, sess. ord. de 1902. 1. 770).
' Voy. notamment : Cass. (Ch. des req.), 21 oct. 1901 (S. 1902. 1. 32; D.
'Î^H. 1. :i24}. Cet arrêt qui a luit un très grand bruit, fut l'occasion du dé-
P-'Nela proposition de loi dont il est question à la noie précédente. Voy.
^<''. p^mï., 1902, p. 1525. Comp. Henri Pascaud, La respomabilUé des
'ilienéB (Rer . criL, 1905, p. 277).
• Ce qui peut faire hésiter sur rettr solution, c'est qu'il n*y a qu'un
^I^port éloigné entre la faute initiale et h' préjudice causé par le délit.
**C. féd. suisse des obi., art. 57 « Celui qui, p;ir sa faute, a perdu niomen-
" lanément la conscience de ses actes, est lenu du domniîige qu'il a causé
"• ^ans cet état >». C. civ. allemand, art. 827 : « Celui qui, en état
• ^'inconscience ou dans un étal de trouble maladif de Taclivité inlellec-
' hi^ïlle excluant la libre détermination de la volonté, cause du dommage à
" une autre personne, n'est pas responsable. Si, {»ar des boissons alcooliques
" «»u par d'autres moyens, il s'est placé dans un état passager de c»»tte
«^ espèce, il est responsable du dommage qu'il cause injustement dans cet
« étal, de la même manière que s'il était coupable de négligence ; la respon-
284 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
et, dans notre pratique judiciaire, quelques décisions ont
admis cette solution'^
A plus forte raison, la faute initiale de celui qui s* est mis
en état d*ivresse, le rend-elle responsable, au point de vue
civil tout au moins, du délit qu'il a commis. Mais Tacle ne
saurait être imputé à faute à Tagent lorsque l'ivresse est
absolument involontaire, notamment quand elle résulte de
manœuvres pratiquées par des tiers *^.
c) L'irresponsabilité pénale existe là où lagent « a été
contraint par une force à laquelle il n*a pu résister ». Mais,
dansée cas méme^ la responsabilité civile peut être engagée,
s'il subsiste une faute à sa charge. Il y a notamment des cas
de nécessité, où Tacte accompli, échappe à la loi pénale,
parce que la loi pénale ne peut ni le prohiber, ni le punir,
parce que la société n'a aucun intérêt à le faire, et où cepen-
dant cet acte reste, dans la mesure du préjudice injuste causé
à un tiers, imputable à celui qui Ta commis.
II. La responsabilité civile, comme la responsabilité pénale,
suppose un fait illicite, c'est-à-dire non permis par la loi.
11 s'ensuit que l'usage qu'une personne fait de son droit ne
saurait être la base d'une condamnation pénale, pas plus que
d'une condamnation civile. Cette idée que le jurisconsulte
Paul formulait, au point de vue du droit indemnitaire :
« Nemo damnum facity iiisi qtiid id fecit^ quod facere jus non
habet », a sa correspondance exacte dans le droit répressif, et
il a été décidé que le prévenu ou l'accusé, renvoyé de toute
poursuite comme ayant agi en état de légitime défense, ne
peut être condamné à des dommages-intérêts envers la partie
civile '\ La légitime défense constitue un fait justificatif ; elle
«< sabilité n*a pas lieu s'il a •Hô mis dans c«.'t t*tal sans sa faute ». Comp.
Code civil japonais, arl. 713.
«« Rouen, 17 mars 187 1 (S. 71. 2. 199; D. 74. 2. ll»0); Caen, 9 nov. 1880
(S. 82. 2. 118; IJ. 82. 2. 23).
*- Voy. la note 10 et les dispositions de droit étranger qu'elle rapporte.
«5 Voy. Limoges, 24 juin 188i (S. 80. 2. 57); <:ass., 24 févr. 1886 (S.
80. 1. 17ii). Voy. en sens contraire de ces arnMs : Sourdat, Traité de la rcfi-
ponmhnUê (5* éd.}, t. I, n« 368.
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ETRE INTENTÉE. 285
implique que celui qui a conimis rhomicide ou causé les
b\essures a agi dans des circonstances telles qu'il n*a fait
qu'exercer son droit. Or, Kexerciced'undroitexclut, pourcclui
qui se trouve dans cette situation, l'application de toute peine
(C. p., art. 328 et 329). Il est difficile de comprendre com-
ment celui que la loi considère comme ne faisant qu'exercer
un droit serait traité comme ayant commis une faute civile
et pourrait encourir une condamnation à des dommages-inté-
rêts à ce titre.
LeCode pénal de 1791 constatait, à ce point de vue, la
correspondance entre le droit civil et le droit pénal : « En cas
d'homicide légitime, il n'existe point de crime, et il n'y a lieu
à prononcer aucune peine ni même aucune condamnation
àvile^^ ». Cette disposition n'est pas expressément reproduite
daos notre Code pénal; mais le principe qui lui sert de base
domine le droit civil comme le droit pénal. Peut-être la con-
ception de « l'exercice du droit» n'esl-elle pas la même dans
lesdeux disciplines juridiques ^'^?Mais nnfait, justifiéau point
de Tue du droit pénal, est nécessairement un fait licite au point
devue du droit civil.
Lajuridiction civile qui a la mission de rechercher s'il y a
faute et d'écarter toute responsabilité, s'il y a simple exercice
d'UR droit de la part de celui qui a commisl'homicide, ne peut
pas faire abstraction des dispositions de la loi pénale quia déter-
miné les conditions de létjitvnité de Thomicide. Quand
on se renferme dans les limites de son droit, on peut bien
commettre une faute morale, mais non une faute juridique,
et la responsabilité sociale, celle qui est sanctionnée, a néces-
sairement pour base une faute juridique*".
Mais, comme tous les droits, le droit de légitime défense a
des limites, au delà desquelles celui qui Tinvoque ne doit pas
^Ire considéré commcî avant exercé son droit, mais comme
** Art. •> du lit. 2, spct. \^ (2« partie).
" Voy. notamment, sur ce point, Paul Cuclie, lier. crU., i*.M)3, p. 462, à pro-
pos d'un arrêt de la Chambre, des recpuMes du 2:i mars 11)02 (S. 1903. 1. 3).
** Voy. la note de M. Lyuii-Caen, sou^^arrtH de la Cliamhre des requêtes
J" 25 mars 1902 (S. 1903.^ 1. 3).
28G PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
rayant dépassé. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, il
pourra être question d\ine responsabilité civile. Rien de plus
facile que de fixer les limites de la légitime défense, puisque
le Code pénal détermine les conditions dans lesquelles elle
existe et que, en dehors de ces conditions, ou il n'y a pas légi-
time défense, ou il y a excès de défense *\ (Test l'application
spéciale, à la défense par Thomicidc ou les coups et blessures,
de la théorie de Tabus de droit*'.
128. A côté des auteurs et des complices, c'est-à-dire de
ceux qui ont participé au fait incriminé, d'autres personnes
sont tenues de réparer le dommage causé par une infraction à
laquelle elles sont restées étrangères.
Cette conception de la responsabilité du fait crautrni n'est
que la transformation d'une des institutions les plus caracté-
ristiques des droits primitifs. A une certaine période de l'his-
toire, le groupe social, famille, clan ou tribu, encadre et
absorbe l'individu, au point que si le groupe doit proléger et
défendre chacun de ses membres, le groupe est également
*^ Ainsi le propri«';taire, qui peut user «le son bien à son gre, a-l-il le
droit cependant de défendre sa propriété, en y plaçant un chien de garde
(Voy. Bordeaux, 6 avr. 1802, S. 92. 2.'i83; Alger, 5 juin 1878, S. 80. 2.
176), en y établissant des pièges à loup, en disposant, à Tentréc de sa
maison, dans son cotrre-forl. etc., un appareil qui, en cas d'eiïractiun,
tuera ou blessera celui r|ui le tentera (Comp. Cass., 27 déc. 1898, S. 99.
1. 2.'U))? (i'est se demander si Texercice du droit de propriété permet au
propriétaire d'aller jus({u'à protéger ses biens en tuant ou blessant la
personne dont il a à redouter une atteinte à son droit, un vol. Or,
la question est, en principe, résolue par le Code pénal qui n*a admis la
légitime défense qu*en cas de péril couru par une personne. Il est vrai
qu'en cas d'acquittement motivé sur la légitime défense, le propriétaire
sera à Tabri de toute action en responsabilité par l'efTet de la chose
jiigée au criminel, même mal jugée. Mais s*il n'y a pas eu jugement défi-
nitif, îa juridiction civile aura le droit et le devoir d'examiner la question.
'* Consultez, sur la questiun générale : Charmont, L'abus du droit
(lien. Irimestriellc de droit civil, 1902, p. 113 et suiv.); Bosc, Essai sur Icx
élêmenlH constitutifs du délit civil (Th. doct. Montpellier, 1901, p. 78 et
suiv.); Porclierot, De Vabus de droit (Th. doct. Dijon, 1901); Planiol,
Traite èlèin, de droit civil, t. 2, n®** 909 et suiv. Comp. note Hauriou, dans
S. 190">. il. 17, avec des références.
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ETKE INTENTÉE. 287
tenu de répondre, vis-à-vis des autres {groupes, dn délit com-
mis par un de ses membres. Cette organisation collective de
la responsabilité, active et passive, est un moyen énergique
<le rendre les crimes moins fréquents, en intéressant plus de
monde à les empêcher. Le progrès a paru consister partout à
substituer la responsabilité individuelle à la responsabilité
collective. Aujourd'hui, chacun répond de son propre fait^
non du fait d*autrui, et, comme le disait notre vieux Loysel :
ic En crimes, il n*y a point de garants ». Ce qui a subsisté,
c^est robligation qui pèse sur certains individus, n^ayant pas
pris part au délit, d'en supporter cependant les conséquences
civiles vis-à-vis de la victime.
rVordinaire, en effet, chacun n'est responsable, au point
de vue pénale comme au point de vue rivil^ que de son propre
tait. Parfois cependant certaines personnes sont tenues de ré-
parer le préjudice causé par un fait auquel elles sont restées
étrangères. Cette obligation, désignée communément par le
terme de « responsabilité civile*' », a pour fondement une
faute incombant à des personnes qui, tenues à une certaine
surveillance, auraient pu et auraient dii, en Texerçant scru-
puleusement, empêcher le délit et ses conséquences. Le fait
i[ autrui vient donc démontrer la faute de l'individu qui n'a
pas empêché le délit; et cette /«;//<», qui est bien personnrlle
à celui auquel on Timpute, justifie la responsabilité et motive
Ve\teDsion de Tobligation de réparer le préjudice. iVIais il est
évident que le défaut de surveillance, qui est un fait de négli-
'gence, ne peut être l'équivalent de la volonté coupable, et
qu'entre les auteurs et les complices, d'une part, les person-
nescivilemenl responsables, de l'autre, il existe bien des dif-
féreoces. i* La première, c'est (|ue la responsabilité du fait
d'autrui est limitée aux réparations civiles, mais nes'étrnd pas
 la peine. Par suite, la victime du délit a bien le droit de de-
mander à la personne, indirectement responsable, une indein-
nilé qui porte sur les trois chefs de l'action civile, les restitu-
/i'onSj\es (/ommaffes-intért'ts ei les //y//n. Mais la peiiuî, sous
'^ Voy. rarticio 74 du Cu'le [n-nal qui (Miifiloio »M*lttî exprossiun.
288 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
aucune de ses formes, ne peut frapper le tiers qui n'est ainsi
responsable du fait d'autrui qu'en ce qui concerne la répara-
tion. Les amendes etconfiscations notamment sont pronoocée^
contre les auteurs et les complices, non contre les tiers". Et s'il
y a des exceptions à cette limitation de la responsabilité civile,
elles ne peuvent résulter que de textes formels. lisse rencon-
trent surtout dans la législation fiscale. 2'' Pour le recouvre-
ment des condamnations prononcées contre elles, les person-
nes civilement responsables ne sont certainement pas exposées
à la contrainte par corps qui reste un moyen d'exécution
spécial, autorisé contre les seuls coupables. Mais elles sentie-
nues solidairement entre elles et avec les auteurs et les com-
plices. D'une part, en effet, les personnes civilement respon-
sables sont condamnées pour le infime cri?ne ou le mrme délit
avec les individus qui ont causé le dommage dont elles doi
Tent répondre, et cette condition est suffisante, aux termes d(
Tarticle 55 du Code pénal, pour quela solidarité existe. D'auln
part, l'article 456 du décret du 18 juin 1811, contenant le la
rif général des frais en matière criminelle, a interprété dan
ce sens, du moins eu ce qui concerne la condamnation au
/m/.s-, l'article 55 du Code pénal : « La condamnation aux fraii
porte ce texte, sera prononcée, dans toutes les procédure:
solidairement entre les auteurs et complices du même fait, «
contre les personnes cicilement responsables du délit ».
Sur les cas de responsabilité civile, une distinction do
cire mise en relief. Si le principe que nul ne doit causer c
dommage à autrui, principe consacré par IHirticle 1382 d
Code civil, commande à chacun de s'abstenir de tout fait ill
cite qui pourrait nuire à quelqu'un, il est certain que nul n'e
tenu, en vertu d'un principe juridique, de prendre soin di
intérêts d'aulrui et de prévenir, par une surveillance persoi
nelle, le dommage dont un tiers est menacé par le fait d't
autre. S'ensuil-ilque la responsabilité civile du fait d'autr
ne ])uisse résulter que de textes précis l'établissant? C'est i
qu'il faut tenir compte de deux situations bien différente
'0 Chss., 25 juin 1903 (D. lOOiJ. 1. 03;.
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ETRE INTENTÉE. 28î)
Chacun est responsable du dommage qu'il cause, non seule-
ment par son fait, « ?nais encore par sa nétjiujeuce ou son im-
prudence » : ainsi s'exprime rarlicle 1383 du Code civil. D'où
il suit, que le fait des personnes que nous dfcons et pouvons
empêcher de nuire, quand il constitue une néylifjence ou une
imprudence propre^ est de nature à ouvrir, contre nous, une
aclioo en responsabilité fondée sur le principe supérieur de
Tarticle 1383. Mais cette responsabilité, ayant sa cause dans
QQfait personnel de négligence ou d'imprudence, ne peut être
mise en œuvre qu'à la charge, par celui qui en a souffert, de
prouver que le défaut de surveillance constitue une faute per-
sonnelle (C. civ., art. 1315). Telle est la règle. Toutefois, la loi
peut y faire exception et créer, par suite des rapports qu'elle
établit ou constate entre deux personnes, un fie voir légal de
surveillance à la charge del'une d'elles, la rendre responsable
de tous les actes de l'autre, et dispenser celui qui invoque
celle responsabilité de toute preuve de négligence. C'est le cas
îisé par l'article 1384, d'après lequel on est responsable, non
itnlement du dommage que l'on cause par son propre faity
fnais encore de celui qui est causé par le fait des personnes
dont on doit répondre. Ainsi, les articles 1383 et 1384 visent
deuicas bien différents de responsabilité indirecte; et tandis
(jueles applications de l'article 1383 sont illimitées, celles de
Tarticle 1384 sont restreintes. En effet, les dispositions qui
rendent, de plein droit, une personne responsable du fait
d'uD autre ont un caractère exceptionnel et, par cela même,
limitatif*'.
On trouve les principales dans le Code civil (art. 1382 à
1386), auquel renvoie l'article 74 du Code pénal.
La responsabilité civile, telle ([u'ollc résulte du Code civil,
^'applique à trois ordres de personnes : aux parents, pour le
I<^it de leurs enfants mineurs; aux coinmetlants, pour les
^iélits de leurs préposés dans l'exercice do leurs fuiiclions;
&ui instituteurs et artisans, pour les personnes soumises h
leur garde.
"Comp. Rouen, ÎH nov. 187G (S. 80. '2. 310); Ch.imbery, 20 ru-l. 1S8H
(S. 91. 2. 10).
G. P. P. — [. VJ
290 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET ClVl
La responsabilité des père et mcrc a tout d'abord sa rai;
d'être dans un défaut de surveillance présumée. Aussi cei-
t-elle si les père et mcre prouvent qu'ils n'ont pu empéci
le délit. Mais, îi cette idée traditionnelle, s'est superposée, (
à peu, une autre conception plus vraie. Les parents du jeu
délin([uant sont présumés avoir manqué fi leur devoir d'édu
tion*^ Et alors le champ de Texcoption invoquée se restrei
caries parents doivent répondre de leurs enfants momen
nément confiés à des tiers et, à plus forte raison, abandoni
sur la voie publique. C'est ainsi que la responsabilité (
parents, pour les délits de leurs enfants, mendiants et va
bonds, est incontestable. Malheureusement, elle est presi]
toujours inefficace, puisque ces jeunes délinquants se rec
tant d'ordinaire dans des familles trop pauvres pour être te
chées par Taclion civile. Plus sérieuse serait la mise en œu'
de cette garantie, contre les parents plus fortunés, en cas
délits commis par imprudence (coups et blessures, par exe
pie) ou de délits volontaires de mineurs précocement [i
vers*'. Le pcre ne serait même pas admis, pour faire e\cu
son défaut de surveillance, à soutenir que l'enfant a des vi
tels que l'éducation ne saurait les corriger. Son devoir n
serait, dans ce cas, rjue plus strict.
Le second cas de responsabilité, édictée par le Code ci
concerne celle des maîtres et commettants, à raison des f
de leurs domestiques et préposés dans l'exercice de le
" Il y :i rl«'ux (jupslinris, dont la suliili'Hi affirmîilivc ni» parait pas I
«Joute. La responsabilih' d«^s parents iluit éliv a«liniso pour les M'iU
leurs enfants émancipi's, exoi'[ition faite Hu cas nù r»'*mancipation résull»
mariuf;e (Voy. l.îaudry-Lacantinerio et L. F^arile, Des ohlifjn fions, 2*
t. 3, p. 1130 et la unie; r)«*mogne, op, cit. y p. <i8). Kll»» est applicable
S(Milement aux père et mère d'un enfant légitime, mais encore à ceux <
enfant naturel reconnu.
" Il est évident cpn* si le père avait [►lacé son enfant en condition, er:
preutissage ou dans un ♦Mahlissement d'instruction comme interne, dt
pensionnaire ou même externe surveill»', la responsabilité passerait alors
moins en principe, à la ]»ersonn«' chez K'Ujuelle l'enfant avait été placé,
cette situation : Pau, 2 juill. 1^98 (S. 90. 2. 137) et la note de M.
reuu.
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 291
fonctions'^. Cette responsabilité est fondée, elle aussi, sur une
présomption de faute; mais la faute consiste ici, pour le
maitre, non pas à avoir mal surveillé, mais à avoir mal choisi
son préposé. D'où celte conséquence que le préposant n'est
jamais admis à prouver qu*il ne pouvait empêcher le délit.
Les difficultés qui s'élèvent sur ce cas de responsabilité civile
consistent à déterminer quand existent et à quelles conditions
les rapports de préposant à préposé, de maitre à domestique,
et dans quels cas le délit peut être considéré comme commis
dans l'exercice des fonctions.
Les domestiques sont toutes les personnes attachées au
service d'une autre, soit pour les soins intérieurs de la mai-
son, soit pour ceux d'une exploitation agricole. Mais, lorsqu'il
sagil de définir les préposés deux opinions sont en présence :
Tone, extensive, n'exigeant qu'une condition : le choix d'une
personne par une autre; l'autre, restrictive, exigeant le droit
poarle commettant de surveiller le préposé et de lui donner
desordres. C'est à ce caractère que la jurisprudence s'attache,
elelle place, hors de la classe des préposés, ceux sur lescfuels
on n'a aucune direction, aucune surveillance à exercer.
L'acte commis dans l'exercice des fonctions^ ce n'est pas seu-
lement l'acte qui constitue la fonction, mais celui qui est
accompli parce que l'on exerce la fonction.
Au point de vue pratique, c'est la responsabilité civile des
^aitres et commettants qui constitue la garantie la plus efficace
cUaplus sûre des victimes de délits". D'une part, l'obligation
de réparer est alors im])Osée à des personnes dont la condition
'néme est rassurante au point de vue de la solvabilité. D'autre
part, l'extension évolutive des rapports de préposant à préposé
Permet d'invoquer, de plus en plus souvent, la responsabilité
^îvile des maîtres et commettants^®. Mais l'application en sera
** Pour celle responsabilité : Demogue, op. cit., p. 70 à 81 ; Cass., i6 avr.
^^96 (S. 98. 1. 36); Paris, 5 août 1807 (3. 98. 2. 39); Cass., 21 juill. 1898
(^- 1900. i. 56).
**Sur tous ces points : Domogue, op. cit., p. 81.
**Voy. pour l'exlension de cette disposition au concierge d'un immeu-
*^^^ par rapport au propriétaire : Cass. req., 22 juill. 1891 (D. 92. 1. 335).
292 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVII
presque toujours reslreinle aux délinquants primaires, car
sera rare qu'un récidivisle soit choisi comme préposé. C'i
surtout en cas de délits d'imprudence, el on sait quel est le
nombre et quelles sonl leurs conséquences, que s'exerce cel
garantie.
En dehors de la responsabilité des mailros et commettants
de celle des parenls, l'article 1384 du Code civil indique i
troisième cas de responsabilité : « Les instituteurs et artisa
sonl responsables du dommage causé par leurs élèves
apprentis, pendant le temps qu'ils sont sous leur surve
lance*^ ». Celte responsabilité est de même nature que cel
des parents; elle est également fondée sur le devoir de su
veillance(|ui incombe aux personnes ayant cette qualité. D'(
deux conséquences corrélatives : 1** Elle cesse, lorsque les ins
tuteurs et artisans prouvent qu'ils ont fait tout ce qui ét(
humainement possible de leur part pour empêcher le délit
2° Elle forme le complément de celle des parents. A Toccasic
des délits du mineur, la victime pourra poursuivre, ou s
maîtres ou ses parents, la responsabilité des uns cessant pvt
que toujours quand commencera celle des autres, et récipr
quement".
En dehors de l'article 138i, il existe des dispositions lég
les nombreuses édictant des cas de responsabilité civile do
Texamen ne rentre pas dans le cadre de cet ouvrage.
129. Les héritiers, soit des auteurs et des com])lic(
soit des personnes civilement responsables, sont tenus, à
titre, et pro|)ortionnellernout à la part qu'ils recueillent da
la successioii,des restitutions, dommages-intérêts eldes fra
L'article 2 du Code d'instruction criminelle porte, en eff<
que l'action civile |»eut être exercée contre le prévenu et ce
-^ La loi (lu 20 juillet 1890 a ajuult* un nouvel alinéa à rarlicio d3S
« Toulefoip la n'Sf»onsabilit«'' di* l'Htat est subslituik^ à celle des raemb
« de renseignement public >».
" Comp. Paris, 31 mai 1802 (D. 93. 2. 490).
" Comp. Pau, 2 juin. 18yji(, priorité, el la nute de M. Perreau; Trib.
Chàleauroux, 2imai 1898 (S. 99. 2. 147; D. 98. 2. 491).
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ETRE INTENTEE. 293
tre (( ses représentants ». L'article correspondant du Gode du
3 brumaire an IV, l'article 7, contenait une antithèse entre
Taction publique et l'action civile au point de vue de la Irans-
missibilité, et c'est bien avec cette même opposition que le
Code d'instruction criminelle, après avoir dit que « faction
publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du
prévenu », déclare que « Faction civile pour la réparation du
dommage peut être exercée contre le prévenu et contre ses
représentants ». Le mot« représentant » est ainsi synonyme
d'e héritier » ". Nous examinerons, au double point de vue
delà compétence et de la procédure, l'effet du décès de l'au-
teur du délit sur l'action civile.
130. Si le prévenu est un incapable^ la partie civile est-elle
obligée de mettre en cause son représentant pu son conseil?
Quand il s'agit d'un procès civil ordinaire, la nature de Tac-
lion ne saurait modifier les règles générales de la procédure.
La question se pose, au contraire, devant la juridiction pé-
nale, soit que la partie lésée joigne son action à celle du
ministère public, soit qu'elle agisse seule et mette ainsi l'ac-
tion publique en mouvement. Une distinction entre la /emme
y^riée et les autres incapables, tels que 7nineurs, interdits^
pourvus de conseil^ etc., nous paraît devoir être faite.
I. Par dérogation à l'article 215 du Code civil, qui interdit
ila femme d'ester en justice sans autorisation, l'article 216 dit
que celte autorisation « n'est pas nécessaire lorsque la femme
6sl poursuivie ^n matière criminelle ou de police ». Celle der-
rière expression, écrite sous Tempire du Code du 3 brumaire
an IV, est évidemment générale et comprend à la fois la police
correctionnelle et la simple police. L'action contre laquelle la
femme se défend sans îiulorisation n'est pas V action publique^
celle qui est exercée au nom de la société par le ministère
public et qui tend à faire prononcer contre elle une condam-
ualion répressive. 11 est bien évident, en effet, que le cours de
*° Sur rorigine de la règle qui rend transmissible l'action en dommages-
intérêts naissant d'un délit : Pothier, Traite des obligations^ n** 639.
29i PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIL
la justice pénale ne peut être arrêté par le défaut d'autoriî?
tion de la femme contre laquelle les poursuites répressiv
sont dirigées. La loi n'avait donc pas besoin de dire que
ministère publie serait dispensé, f>our poursuivre une femi
mariée, d'obtenir Taulorisation du mari ou de justice. E!
n'avait pas à s'expliquer sur l'indépendance de Faction pub
que à regard de la femme, pas plus qu'à l'égard des autr
incapables. II faut conclure de ces considérations que la lo
voulu parler de la poursuite civile de la femme mariée deva
les tribunaux de répression '*. 1*" La solution n'est pas do
teuse en cas d'intervention de la victime du délit dans u
poursuite engagée par le ministère public contre une femi
mariée. Celle-ci, en se défendant contre l'action publi(]i
se défend contre l'action civile, et elle n'a pas plus besoin d'à
torisation dans le premier cas qu'elle n'eu a besoin dans le i
cond. 2° Mais la partie lésée use du droit de citation direct
elle met en mouvement l'action publique. La solution trac
tionnelle, c'est qu'en pareil cas la femme n'a pas besoin d'à
torisation pour se défendre '^ Le texte de l'article 210 est g
néral, et les principes du droit criminel ne permettraient!
de scinder le procès qui porte à la fois sur l'action publiq
et l'action civile". 3" La femme, poursuivie devant les tril
naux de répression, oppose, comme moyen de défense, u
question préjudicielle qui est de la compélence destribuna
civils, par exemple elle excipe de sa propriété en matière
délit forestier (C. forest., art. 182). Certaines décisions
jurisprudence^* adniellent qu'elle aurait besoin, dans ce c.
•*' Le lexti.' «?5t al)S«>Uiin»Mit. inutile si on lu* lui tloniio pas celle port
Voy. Tril). civil d'Alhi. \'l nnv. 1808 (Vand. fr., 99. -2. 22r»); Trih. eorr.
Min'courl, i3 juill. tOoi (1). 1904. 2. 4fO)ot la noie.
'2 Voy. IMtliier, Puissance du mari, u° Or>. Cass. crira., 31 mai ISIO,
'^ Voy. en s«ns conlniir».- : Aubry v[ H:iu, oj), cit., ^ 472, n<» 1, p. 1
note 14; Hue, Commi'.utairc du Cod^' ciril. t. Il, ti*» '2tt. Mai?, «lan? ce se
iJennilombê, op. cit. , t. IV, ii*' li^. La jurispru(lon(?e os\. cunforme à n«
opinion : Cass., M mai 1820 (S. 20. d. 271); Tribunal d.- Rouen, 22 a
4882 {France jud., 1SS3, t. 2, p. 212): Al^a»r, 15 mars 1902 [Journ.
Parq., 1902. 2.122).
" Cass., 20 mai 18 iO (D. iO. 1. 20o).
CONTRE QUI l'action CIVILE PEUT ÊTRE INTENTÉE. 295
d'être autorisée, pour plaider sur cette question au civil.
Mais la raison qui lui permet de se défendre par tous les
moyeos, alors que sa responsabilité pénale est en jeu, impli-
que, pour elle, la faculté d*opposer une question préjudicielle
sans autorisation.
II. Les considérations mêmes qui ont fait écarter l'assis-
tance du mari pour la femme impliquée dans un procès
répressif, doivent imposer une solution identique pour les
autres incapables. Le mineur, l'interdit, le prodigue pourvu
de conseil ne sont pas des incapables au regard de la loi pé-
nale; ils sont responsables de leurs actes. C'est pourquoi la
femme mariée, soumise, d'une manière générale, à la puis-
sance maritale, est soustraite à cette puissance en matière
pénale; c'est pourquoi le mineur ou Tiilterdit, représenté
en général par son tuteur dans les actes de la vie civile, est
personnellement |»oursuivi et se défend lui-même dans le
procès pénal. Or, devant les tribunaux de répression, l'action
publique est nécessairement mise en jeu par l'action civile,
celle-ci n*étant que l'accessoire de celle-là. Pour que le
droit d'accusation et le droit de défense restent intacts, il faut
quaucune entrave ne soit apportée à l'exercice des actions
publique et civile, que l'une et l'autre soient soumises aux
mêmes règles".
*' La jurisprudence paraît fixée dans ce sens. Nous citerons particuiière-
*û^fil deux arrôts. Le premier est un arrùt de la Chambre criminelle de la
tuur de cassation du 22f«hTier 180r> (S. 98. 1. 377). 11 s'agissait d'un i»ro-
%ut, poursuivi pour abus de confiance : non seulement le conseil n'avait
P^été rais en cause, mais son intervention volontaire en vue de la défense
exclusive des intérêts civils du prodigue l'ut déclarée non ri-cevable. Voy,
80US cet arrél, la note de M. Houx. Le second est un arrêt dr la Cliam-
fcfe criminelle de la Cour de cassation du 27 avril 181)9 (S. i900. 1. "»35).
Il s'agissait d'un mineur. Le moyen de cassation consistait dans la viola-
lion de l'articlo 450 du Code civil, le tuteur n'ayant pas été mis en cause
par la partie civile. Il a été rejeté par le motif suivant : « Attendu qu'il ré-
» suite de l'ensemble des dispositions du Code d'instruction criminelle que
</ Ja loi ne fait aucune distinction, soit (|uant aux formes de la poursuite,
Cl soit quant aux pouvoirs des ju^^es, entre l'accusé ou prévenu majeur et
¥ l'accusé ou prévenu mineur; qu'aucune disposition de ce Code n'impose
i' au ministère public, dans l'exercice de l'action publique, ou à la partie
296 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
111. H est à remarquer, du reste, que si la femme mariée
ou tout autre incapable était cité devant un tribunal de répres-
sion, non plus comme prévenu, mais comme civilement res-
ponsable, les règles de la procédure civile devraient être
suivies au point de vue de Tautorisation, de la représentation
ou de Tassistance'*. 11 ne s'agit pas, en effet, de la poursuite
pénale. La question soulevée par la demande met exclusive-
ment en jeu des intérêts civils qui doivent être sauvegardés
devant les tribunaux de répression comme ils le sont devant
les tribunaux civils.
« civile, dans l'exercice de Taclion civile, suivie devant les tribunaux de
« répression accessoirement à la première, Tobligation d'appeler en cause le
« représentant du mineur; que cet accusé ou ce prévenu trouve des garan-
« ties suffisantes dans les formes que le Code d'instruction criminelle a éta-
« bliesidans l'intérêt de la défense ». La doctrine qui paraît aujourd'hui
ralliéejà la solution de la jurisprudence en ce qui concerne la femme mariée,
est, au contraire hésitante, en ce qui concerne les mineurs et les prodigues.
Voy. lissier, Rev. criL, 1898, p. 416.
'* Cette solution est incontestable.
297
CHAPITRE m
DE l'intervention EN MATIERE PENALE.
§ ZZI. — COMPARAISON ENTRE L'INTERVENTION EN MATIÈRE PÉNALE
ET L'INTERVENTION EN MATIÈRE CIVILE.
131. L'intervention en matière civile est admise dans^toute instance et elle est sub-
ordonnée à la seule justification d'un intérêt légitime. H n'en est pas de même
en matière pénale. Motifs de cette différence. — 132. Division.
131. Dans l'instance engagée entre le ministère public et
le prévenu, ces deux parties principales et nécessaires du pro-
cès pénal, un tiers peut-il intervenir? On sait que l'interven-
tion est l'action de se placer volontairement ou d'être placé
forcément, dans un procès auquel on était d'abord étranger,
à l'effet d'y défendre ses intérêts ou ceux d'une des parties
en cause dans l'instance. Cette procédure se présente donc,
soit sous forme d'intervention proprement dite, soit sous
forme d'appel en cause.
L'intervention est organisée en matière civile (C. pr. civ.,
art. 339 à 341) et trouve, dans Vintérêt seul, son fondement
et ses limites. En vertu du principe que toute personne qui
a un intérêt légitime, a une action pour le faire valoir, la ju-
risprudence civile décide : « 1"* qu'il ne faut pas, pour inter-
c< venir, d'autres conditions que pour intenter l'action prin-
« cipale : l'intérêt, la qualité, la capacité d'ester en justice;
« 2"" qu'il ne s'agit pas ici d'un intérêt né et actuel, mais
<c d'un intérêt simplement éventuel, et que la seule crainte du
« préjugé qui pourrait résulter de la demande principale est
« un motif suffisant pour intervenir; 3° que l'intérêt moral.
« a la même valeur, en pareil cas, que l'intérêt pécuniaire »*.'
Ainsi, la recevabilité d'une intervention est admise, en ma-
§ XXI. < Garsoiinet, op. cit., t. 3, §932, p. 213.
i
298 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
tièrc civile, dans toute instaDcc, et elle est subordonnée à la
seule justification d*un intérêt légitime.
En cst-il ainsi en matière pénale? Et Tintervention, soit
d*un nouveau demandeur, à côté du ministère public, soit
d*un nouveau défendeur, à côté du prévenu, est-elle possible
devant les tribunaux de répression?
II faut remarquer, tout d'abord, que l'expression même
d* (( intervention », d* « intervenir » parait étrangère à la
langue du droit pénal. Mais si le mot ne se rencontre pas
dans le Code d'instruction criminelle, la chose s'y trouve, '
puisque tout plaignant peut, aux termes de l'article 67, «se
porter partie civile en tout état de cause jusqu'à la clôture |
des débats ». Seulement, le fondement et la limite de Tioter-
vention dans le procès pénal ne sont pas les mêmes que dans
le procès civiP. D'une part, les tribunaux de répression n'oot
été constitués que pour connaître de la culpabilité des pré-
venus et pour leur appliquer la peine encourue. Et, dans ces
limites, le seul représentant de Tintérèt général, qui confond
et concentre tous les intérêts particuliers, sauf celui de la
partie civile, c'est le ministère public. 11 est vrai qu'acces-
soirement au procès pénal, les intérêts civils de la partie
lésée sont soumis aux tribunaux de répression; mais ces
tribunaux n'ont, à cet égard, qu'une compétence exception-
nelle. U'autre part, le seul débat qui puisse s'engager devant
eux, a pour objet le délit ou le crime im])uté au prévenu ou à
l'accusé, dans les limites de l'action publique et de l'action
civile. 11 suit de là que l'intervention d'un tiers dans un pro-
cès pénal, doit, en règle générale, être rejetée comme non
recevable, alors même qu'elle s'appuierait sur l'intérêt le
plus légitime et le plus certain. A ce principe, il n'y a et ne
peut y avoir d'autres exceptions ou plutôt d'autres restric-
tions que celles qui dérivent, soit expressément de textes for-
mels, soit implicitement, au profit de la partie lésée ou des
^ Voy. sur rinlervention : Vallier-Colombier, Étude sur le droit rfïn/er-
vention des tiers en matière crimiitcUe {La France judiciaire , t. 1, p. 510);
Laborde, Cours de droit criminel, '1* i^d., nos G73 à 676,
DE l'intervention FORMEE CONTRE LE PRÉVENU. 299
onnes civilement responsables, des règles mêmes de Tac-
civile'.
32. L'application de cette situation, toute spéciale à la
édure criminelle, doit êlre recherchée dans trois ordres
pothèses : en cas d'intervention formée contre le pré-
i; d'intervention formée en sa faveur; d'intervention
lée dans l'intérêt de l'intervenant.
ZXII. — DE L'INTERVENTION FORMÉE CONTRE LE PRÉVENU.
.a partio civile seule peut intervenir contre le prévenu ou l'uccusé. — 134.
j cette règle admet une réserve au prolit des personnes qui sont subrogées, en
lité ou en partie, à l'action civile, par l'efTet de la convention, ou par l'effet de
33. Deux choses sont certaines : 1** La victime de* Tin-
:ion peut, en tout état de cause, et jusqu*à la clôture des
its (C. instr. cr., art. 67), joindre son action à celle du mi-
îre public. Cette coîistitt/tion de partie civile a bien le
ctèrc d'une intervention^ etd'une intervention volontaire,
le ministère public n'aurait pas intérêt et le prévenu se-
sans droit pour appeler la partie civile en cause. Le mî-
^e public, n'aurait pas intérêt : en effet, dans un système
îépare l'indemnité delà peine, les parties lésées ont seu-
ualilé pour demander une réparation. Le prévenu serait
droit : en effet, l'option, ouverte par la loi entre la jurî-
on civile et la juridiction répressive pour exercer l'ac-
civile, n'appartient qu'à la partie lésée et ne saurait lui
enlevée par le prévenu. Quant aux conditions et aux
les de la constitution de partie civile, nous nous en occu-
; plus loin. 2** D'un autre côté, aucune intervention, autre
celle de la partie civile, n'est recevable contre le prévenu.
quel motif la baffeerail-on? Sur un intérêt particulier?
ur larè^Me jurisprud<Mjlielle : Paris, 2 t'évr. iSOT (S. 07. 1. 50r>), et, sur
:oi, Cass., 24 juill. JS07 (S. 9S. 1. r>r)2). Co!is. le raf»port de M. le cori-
r Accarias, précédant cet arrùl, dans Rev, crit., 1897, t. 20, p. 504 à 528.
300 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE BT CIVILB.
mais alors que Tintervenaat se porle partie civile. Sur un in-
(érèl général? mais le ministère public est le seul gardien de
cet intérêt qui se confond avec Tintérèt social. En i863, un
individu, antérieurement condamné pour assassinat, demanda
à intervenir dans une poursuite dirigée contre un autre indi-
vidu accusé d'avoir commis le crime conjointement avec lai.
Son intérêt bien manifeste était de faire décider que Taccusé
était seul coupable, afin de s'assurer le succès dans un pour-
voi ultérieur en revision. La cour d'assises de Sêine-et-Marne
n*ayant pas admis son intervention, il se pourvut en cassation,
et son pourvoi fut rejeté. La Cour de cassation fait remarquer
que cet individu aura, s'il y a lieu, la ressource du pourvoi
en revision conformément à l'article 443 du Code d'instruction
criminelle, mais qu*on ne saurait admettre une intervention
tendant à modifier Taccusation contre celui qui est poursuivi
en cour d'assises^
134. S'il est vrai de dire qu'aucune intervention, autre
que celle de la partie lésée, n'est recevable contre le prévenu,
c'est que la partie lésée représente, à elle seule, l'un des
groupes d'intérêts que l'on peut faire valoir devant les tribu-
naux de répression, celui de la réparation du préjudice causé
parle délit. Mais lorsque la personne qui demande à inter-
venir invoque une subrogation totale ou partielle, légale ou
conventionfiellcj aux droits de la partie lésée, vérification
faite de son titre, il y a lieu de lui donner accès au procès. Son
intérêt se confond alors avec l'intérêt de la partie lésée; et,
c'est la partie lésée, en quelque sorte représentée ou dé-
doublée, qui figure réellement dans l'instance à côté du
ministère public. Il n'y a pas là une exception à la règle d'a-
près laquelle, en matière criminelle, l'intervention est auto-
risée contre le prévenu en faveur de la seule partie civile, mais
plutôt une explication et une dérivation de cette règle. Deux
exemples nous permettront d'éclairer cette situation.
Un individu, dont l'imprudence a causé un incendie, est
§ XXII. « Cass., 18 juin 1803 (B. cr., n* 166).
DE l'intervention FORMEE CONTRE LE PREVENU. 301
traduit, devant le tribunal correctionnel, à la requête du pro-
cureur de la République (G. p., art. 458). Une compagnie
d'assurances, qui a payé, à ses assurés, victimes du délit, la
somme représentant le dommage qu'ils ont éprouvé, peut-
elle intervenir pour demander que le prévenu soit con-
damné à lui rembourser les sommes qu'elle a ainsi payées?
L'ouvrier, victime d'un accident du travail causé par un
tiers, intente, contre ce tiers, une action en dommages-inté-
rêts devant le tribunal correctionnel pour coups et blessures
par imprudence (C. p., art. 320)'. Le patron, qui a payé, à
cet ouvrier, l'indemnité forfaitaire, due à raison de cet acci-
dent, en vertu de la loi du 9 avril 1898, sur les accidents du
travail, et qui est subrogé, jusqu'à due concurrence, aux
droits de l'ouvrier contre le tiers responsable (L. 9 avr.
4898, art. 7), doit-il être reçu dans son intervention?
Dans ces deux cas, la compagnie d'assurances et le patron,
le premier, en vertu d'un contrat passé avec la victime, le se-
cond, en vertu d'une disposition légale, se sont trouvés dans
l'obligation de restituer la victime contre les conséquences
dommageables du délit : ils en sont, en quelque sorte, respon-
-sables, mais avec subrogation à ses droits contre le tiers dont
ils sont garants. Sans doute, celui qui est responsable, en vertu
du contrat ou en vertu de la loi, des conséquences dommagea-
bles d'un délit, sans avoir lui-même commis de faute |)erson-
nelle, ou sans avoir souffert directement du fait, n'est, à vrai
dire, ni partie lésée ni partie civilement responsable, et ne peut
invoquer, en sa personne, soit Tune, soit l'autre de ces deux
qualités pour intervenir. Mais celui-là est, en quelque sorte,
* L'article 7 de la loi du 9 avril 1898, modifié parla lui du 22 mars 1902,
est ainsi conçu : w Ind»'pendammenl de l'actiun de la présente loi, la victime
«« ou ses représentants conservent contre les auteurs de l'accident, autres
« que le patron, ou ses ouvriers ou pr(?posés, le droit de réclamer la répa-
¥ ration du préjudice causé, conformément aux règles du druit cummun.
u L'indemnité qui leur sera allouée exonérera à due concurrence le chef de
1 l'entreprise des ohlij^alions mises à sa charge. Cette action contre les
<* tiers responsables pourra mOme être exercée parle chef d'entreprise, à ses
<i risques et périls, aux lieu et place de la victime ou de se» ayants «Iroit, si
« ceux-ci négligent d'en faire usage »>.
302 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
Cf'ssionnairr de la partie lésée, subrogé à ses droits, et ce qu'il
invoque, ce n'est pas un litre qui lui soil propre, mais le titre
même de la partie lésée à laffuelle il est substitué'.
A ce point de vue, une comparaison s'impose. Le droit du
subrogé, compagnie d'assurances ou patron, est identique à
celui d'un cessionnaire de Tindemnilc due à la partie lésée.
Or, nous admettons, non seulement que l'action civile est ces-
sible*, mais que cette cessibilité confère, au cessionnaire, tous
les droits de la partie lésée, c'est-à-dire, le droit d'intervenir
dans le procès engagé par le ministère public et le droit
à'^agir par voie de citation directe*.
Mais si une subrogation, légale ou conventionnelle, dans
les droits do la partie lésée, est un titre suffisant, c'est, co
même temps, un titre nécessaire. L'intérêt légitime de la vic-
time du délit h obtenir une réparation est le seul motif qui
puisse permettre à un tiers de faire campagne avec le minis-
tère public pour requérir une condamnation contre le prévenu
ou l'accusé. C'est dans les limites de l'action civile qu'une in-
tervention de ce genre peut se produire.
3 Le firoil (i'intervention, dans ces deux cas, a été reconnu par la cham-
bre crimiin'lle cl».' la Guur de cassaliun. Pour la compagnie d'assurances :
Crim. n:j., :23 juin i8:i9 (/?. crinu. n° 142, p. 258). L'intervention du
patron nvail élr déclaréf irrecevîible par un arrêt de la chambre correction-
nelle do la Cour de Paris du 21 janvier 1903. Cet arrêt a été cassé, par la
chambre criminelle de la Cour de cassation, le 13 lévrier 1904(D. 1904. 1.533).
« AtU-ndu que si,vlevanl les tribun.iux de répression, le droit d'intervention
<' ne peut être exercé que sous certaines conditions, ce droit résulte pour
a le chef d'entreprise dt.'S dis|)Osilions susvisées », c'est-à-dire de l'article 7»
§ 3 de la loi du 22 mars 1902. Voy. la note sous cet arrêt.
• Dans uii arrêt du 2;i février 1807 (S. 98. 1. 201), la chambre criminell&
de la Cour dit cassation^ sans contester la cessibilité de Tactiou civile, a
décidé que le cessionnaire ne pouvait se porter partie civile devant la juri-
diction répressive. Mais cette décision nous paraît critiquable. Elle est, du
reste, en contradiction avec les deux arrêts précités du 23 juin 1859 et du
13 février 190i.
* Le droit d'agir, comme partie lésée, par voie de citation directe ou par
voie de constitution de partie civile devant le juge d'instruction, implique, il
est vrai, le dr(»it de mettre en mouvement Taction publique. Mais ce droit
est corrélatif à celui d'intervention. Kn d'autres termes, celui qui peut in-
tervenir, peut également agir comme partie lésée.
\
DB l'intervention VOLONTAIRE OU FORCÉE. 303
S XXIII. - DE L'INTERVENTION VOLONTAIRE OU FORCÉE EN FAVEUR
DU PRÉVENU OU DANS L'INTÉRÊT DU TIERS.
•
135. Qmiations à examiner. — 136. hecovabilité «!•• rinlf-rveiuinii volurïtairn (li\s per-
sonnes civilement responsables. — 137. Kn «li'hcus <lo rinferw-nfinn Wesporsonne.*»
civilement responsables, toute autre intervention pera't irrecevabli». intiTvention
d'un parent, d'un ami, d'une administration voulant dcfi-ndr»! son parrul, son ami,
9r»i\ employé. Tiers ayant commis un rlélit analogue. I^nitiMidu «"MauliMirou coni-
plic*». Tuteur. Conseil judiciair»>. .Association pliilnnlliropique. — 138. Comment se
forme l'intervention. — 139. Mise en cause ordonnée par unn juridiction répres-
sive. — 140. De l'appel en cause par les parties. — 141. Des denuunles reconven-
tionnelles devant les juridictions n.'-pressivrs. — 142. Kxrlusion dr riiitervention
de? .-{.isociations formées en vur de la poursuite de cerlnins <l»''lits.
135. Nous devons examiner : P si un tiers peut volontai-
rement intervenir pour se placer à côté du prévenu et le
défendre; 2° si un tiers peut être appelé ou mis en cause,
soit par le tribunal, soit par les parties; 3" si quelqu'une des
parties au procès peut prendre des conclusions contre d'au-
Ires parties.
136. L'intervention volontaire d'une personne civilement
responsable dans une poursuite parait être recevable, lors-
qu'elle a lieu dans le but de prendre fait et caust» pour le
prévenu et de se garantir ainsi des suites de la condamnation
qui pourrait l'atteindre par répercussion. A la vérité, ce
droit d'intervention n'est formellement prévu et réglé par
aucun te\te du Gode d'instruction criminelle, mais aucun
non plus ne Texclut, et cela suffit pour l'admettre*. En effet,
la personne qui vient prendre fait et cause pour le prévenu
se déclare, par là même, responsable de l'infraction, en
admettant, du moins (ce qu'elle entend précisément discuter)
que l'infraction ait été commise et que le prévenu en soit
l'auteur. Elle ne fait donc que réunir, en intervenant dans
rinstance, les différents éléments du procès qu'il est de l'in-
térêt d'une bonne justice de ne pas scinder. Le tribunal de
§ XXIII.* La formule de la Cour (U* cassation paraît iMn*. de n'adnii'tlre en
matière criminelle le droit d'action et le droit d'intervention que s'ils sont
fondés sur un texte formel. Mais elle reconnaît le droit d'intervention du la
personne responsable en le fondant sur l'article 182. Cass., 2't juill. i89R,
précité.
304 PROCÉDURB PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUB ET CIVIL
répression esl cerlainement compéteat pour statuer sur
question qui lui est soumise, puisqu'il s'agit de juger Vactic
civile, recevable, devant les tribunaux de répression, no
seuJemeni contre les auteurs et les complices, mais encor
contre les personnes civilement responsables.
G*esl, en réalité, dans Tarlicle 182 du Code d'instructioi
criminelle qu'on trouve, tout à la fois, la preuve et la justi
fication du droit d'intervention des personnes civileineo
responsables. Aux. termes de cet article, la partie civile peu
les citer directement, avec le prévenu, devant le tribunal cor
rectionnel. H faut, dès lors, les autoriser à intervenir, c'est-à-
dire à faire spontanément ce qi^i pourrait leur être imposé.
<i Attendu, lisons-nous, dans un arrêt de la Cour de cas-
<c sation du 10 mai 184o~, qu'il résulte des articles 182, 19(
« et 194 du Gode d'instruction criminelle que la personot
« civilement responsable du prévenu peut être légalemenl
« appelée devant le tribunal correctionnel pour prendn
« part aux débats et supporter la condamnation pécuniain
n conjointement avec le prévenu principal; attendu que, de
« lors, la personne civilement responsable peut interveoi
<( volontairement dans l'instance où elle pourrait être appela
u malgré elle ».
Mais nulle autre intervention ne saurait être admise. Ce
tains arrêts de jurisprudence ont paru croire cependant qu
dans le cas où le prévenu prétend avoir commis le délit q
lui est reproché sur Tordre ou l'autorisation d'un tiers do
il n'a fait qu'exercer le droit, il y aurait place, dans le proc
pénal, pour l'intervention de ce tiers*. Un chasseur, par exer
pie, trouvé en action de chasse sur le terrain d'autrui, (
poursuivi à la requête du prétendu propriétaire ; celui quil
adonné la permission de chasser, pourrait intervenir, po
* Bull, crim.y ii<» 170. Comp. dans le im^mo sens : Cîiss., 7 janv. lî
(Bull. cWm., rio 7); 23 juin 1859 {Bull, crim., n° 149); 12 janv. 1800 (B^
crim.y u^ Vu); 17 mars 1874 (Bull, crim.t n® 77]. La jurisprudence, sur
point, est définitivement fixée.
' Voy. Ciiss., 1"' sept. 1832 (D. A., v« Procédure criminelle^ n*» 176-
Comp. Faustin UéWe, t. 0, n° 2047; Mangin, op. cit. y t. 1, no 217.
DB l'intervention VOLONTAIRE OU FORCEE. 305
faire repousser l'actioD, en invoquant sa qualité d'ayant droit
à la chasse. Mais cette procédure nous paraît à la fois impossi-
ble et inutile. Sans doute, le prévenu qui soulève une question
préalable ou préjudicielle doit la fonder sur un droit person-
nel et ne peut exciper ni du droit d'autrui, ni de Tabsence
^e droit en la personne du plaignant. En résulte-t-il qu'il ait
intérêt à mettre en cause celui dont il invoque le droit? ou
quece dernier ait intérêt à intervenir pour le défendre? Nul-
lement. De deux choses Tune, en effet : — Ou bien la pour-
suite est exercée à la requête du ministère public? et, dans
ce cas, le prévenu ne pourrait exciper de ce que le véritable
propriétaire ne se plaint pas ou de ce que le plaignant n'est pas
le véritable propriétaire, puisque l'action publique ne dépend,
en aucune manière, quant à son exercice, de la plainte da
propriétaire ; — Ou bien la poursuite a lieu à la requête d'une
partie civile, comme dans l'espèce précitée : et le prévenu
pourra repousser l'action dirigée contre lui en excipant du
défaut de qualité du plaignant, puisque l'article 1*' du Gode
d'instruction criminelle n'accorde l'action civile en réparation
du préjudice causé par une infraction qu'à la partie victime
d'un dommage et qu'aucune réparation ne peut être due à la
personne n'ayant aucun droit sur Timmeuble objet de l'infrac-
tion. Cette exception que le prévenu a le droit de soulever
o'aaucun caractère préjudiciel ; elle constitue une fin de non-
recevoir, tirée de l'absence de qualité de celui qui réclame
des réparations civiles, et sur laquelle le tribunal de répression
^l compétent pour se prononcer.
137. En dehors de l'intervention de la personne civilement
wsponsable, toute autre intervention serait donc irrecevable.
I.Par exemple, on ne comprendrait pas l'intervention d'un
snii^d'un parent, qui, pour défendre le prévenu, demanderait
à être partie au procès. D'une part, en effet, l'intervention,
sous quelque forme qu'elle se produise, a pour effet direct de
saisir la juridiction répressive d'une prétention, d'une de-
mande, sur laquelle cette juridiction a, le cas échéant, qualité
pourstatuer. Or, le droit de saisir la juridiction répressive a
G. P. P. — i. »)
306 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
été limité aux deux actions, publique et civile, et ne peut être
exercé, que par certaines personnes et contre certaines per-
sonnes, le ministère public, la partie civile, le prévenu et les
personnes civilement responsables. En dehors de ces catégo-
ries d'intéressés, nulle autre n*a qualité pour figurer au pro-
cès. D'un autre côté, l'intervention de ce parent, de cet ami
est inutile, car les moyens, que l'intervenant prétend fournir
en faveur du prévenu, seront présentés*, soit par l'avocat,
soit par Tinlervenant lui-même, s'il se fait appeler comme té-
moin à décharge, ou s'il se fait autoriser par le président à dé-
fendre son protégé. Soit donc pour défaut de qualité, soit pour
défaut d'intérêt, il y aurait lieu de repousser l'intervention.
II. Des considérations différentes devraient faire écarter
l'intervention d'un tiers qui, ayant commis un délit analogue
à celui qui est poursuivi, prétendrait obtenir le renvoi d'in-
stance du prévenu etéviter ainsi une condamnation dénature
à créer contre lui un préjugé défavorable. Ainsi, le parquet
poursuit un fabricant de cacao pour falsification de denrées
alimentaires : un autre fabricant d'un produit identique, per-
sonnellement intéressé à l'issue des poursuites, intervient
pour défendre le prévenu. Qu'il y ait intérêt, ce n'est pas
contestable. Mais l'intérêt n'est pas, en matière répressive,
la seule condition de Tintervenlion. Or, bien qu'intéressé à
la poursuite, ce fabricant ne peut y figurer puisqu'il n'a pris
aucune part au fait incriminé ' .
III. On ne saurait admettre, non plus, Tintervention d'un
coauteur ou complice qui voudrait forcer la main au ministère
♦ En 1857, un préposé des douanes était poursuivi pour délit de chasse.
Son administration, qui n'était pas civilement responsable, voulut néanmoins
intervenir, et cela en vue de revendiquer pour lui le bénéfice de Tarticle 75
de la Constitution de Tan VIII. Cette intervention fut repoussée, et, sur pour-
voi, la Cour de cassation décida '• que le déclinatoire proposé par Tadminis-
« tralion n'avait pour elle qu*u!i intérêt moral qui ne pouvait servir de base à
« une intervention devant la juridiction répressive >». Cass., 16 avr. 1858 {Bull,
crim., n» 153). Comp. Cass., 18 févr. 1905 (deux arrêts) (D. 1905. 1. 257).
* La Cour de Lyon a écarté, comme irrecevable, l'intervention d'un syn-
dicat d'herboristes qui voulait défendre un de ses membres, poursuivi pour
exercice illégal de la pharmacie : Lyon^ 15 mars 1888 (D. 89. 2. 259).
DE l'intervention VOLONTAIRE OU FORCEE. 307
public et prétendrait obliger le tribunal à le ju^eraux lieu et
place du pré\enu ou en même temps que lui. Laction pu-
blique ne peut être exercée que par le ministère public : lui
seul peut saisir le juge, dans rintérèt général de la répression ;
un prévenu est donc sans qualité pour demander à être jugé,
quand le ministère public ne le poursuit pas*. Le me me adsum
qui feci n'est pas admissible, devant les tribunaux de répres-
sion, delà partd*un individu qui n'est pas inculpé.
IV. Les personnes qui représentent ou assistent, au point
de vue des actes de la vie civile, un incapable, poursuivi de-
vant les tribunaux de répression, soit à la requête du minis-
tère public, soit même à celle de la partie civile, n'auraient
pas non plus qualité pour se présenter aux lieu et place de
l'incapable ou à côté de rincapable\ Les deux actions, civile
et pénale, étant portées en même temps et devant les mêmes
juges, la défense à ces deux actions est soumise aux mêmes
règles. Or, d*un côté, le prévenu ou l'accusé ne peut se faire
représenter que dans certains cas exceptionnels, et, d'un autre
côté, il ne peut le faire que par un mandataire muni d'une
procuration spéciale.
V. Une association philanthropique, telle qu'une société <le
patronage, serait également sans qualité pour intervenir dans
une poursuite intéressant un mineur de seize ans, auteurou
victime d'un délit, en vue de soutenir les intérêts de lenfant
en ce qui concerne le maintien ou le rejet du droit de garde.
Elle y aurait intérêt sans doute. Mais la loi du 19 avril 1898,
dont les articles 5 et 7 autorisent le juge d'instruction et le
tribunal à confier la garde de l'enfant à des institutions chari-
tables, n'a pas ouvert, au profit de ces institutions, un droit
spécial d'accès devant les tribunaux'.
* Ainsi, un imprimeur est pnH'cnude ditTamation. L'auteur du livre inter-
vient pour prendre le délit îi son comfïlc. La Cour de Paris a ju^^é que cette
intervention n'était pas rccevablo : Paris, 14 janv. IHOî) (Gaz. Pal,, n? du
28 mars 1805).
^ En ce (|ui concerne le conseil judiciaire du prodigue : Cass., 22 l'évr. 1896
(S. 98. 2. 377) et la note de M. Fioux.
• C'est ce qu'ont décidé deux jugements du Tribunal correctionnel de la
308 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
138. L'intervention se forme, comme la constitation de
partie civile, par une déclaration qui n'est assujettie à aucune
condition spéciale. Des conclusions prises par Tintervenant
sufBsent donc : elles saisissent le tribunal. L'article 66 du
Code d'instruction criminelle, quali6e cette déclaration, en ce
qui concerne la partie civile, d'acte subséquent : « Les plai-
gnants ne seront réputés partie civile, s'ils ne le déclarent for-
mellement, soit par la plainte^ soit par acte subséquent, ou
s'ils ne prennent, par l'un ou par l'autre, des conclusions en
dommages-intérêts ». L'article 66 suppose, en eGTet, que la
victime du délit a commencé par déposer une plainte, avant
de se rendre partie au procès : mais la plainte n'est, en aucun
cas, le préliminaire obligé de l'intervention, même pour une
partie civile.
Par sa déclaration, l'intervenant devient par/t> au procès,
en sorte qu'il peut être condamné à une peine^ soit comme
auteur, soit comme complice, si le ministère public la re-
quiert, et à des dommages-intérêts envers la partie civile, si
celle-ci y conclut. D'une part, en efifet, la déclaration d'inter-
vention équivaut à une comparution volontaire, et il est admis,
par une jurisprudence constante, que l'article 147 du Code
d'instruction criminelle, qui prévoit ce mode de saisir le tri-
bunal de police, est applicable au tribunal correctionnel*.
Mais, d'autre part, si le tribunal peut statuer vis-à-vis de l'in-
tervenant, il ne le peut que dans la mesure des conclusions
prises par les parties. Il ne saurait dépendre de rintervenaot
de se faire poursuivre et condamner, et si le ministère public
n'accepte pas l'intervention et ne requiert pas une peine,
l'intervenant ne peut être frappé. Il ne saurait également dé-
Seine, Tun du 30 mai 1903 (Rev. pénit., 1903, p. 883), Taulre du U dëc
1903 {Gaz, des Trib,^ 28 déc. 1903). Les décisions s'appuient principale-
menl sur ce motif que, devant les tribunaux répressifs, le droit d'interven-
tion comme le droit d'action ne peut être fondé que sur un texte formel.
Or, les articles 4 et 5 de la loi du 17 avr. 1898 ne donnent pas formellement
ce droit aux sociétés de patronage. Voy. pour la critique, Rei\ pénit.y 1905,
p. 242.
' Mais on sait que la cour d'assises ne peut être saisie que par le renvoi
de la chambre des mises en accusation.
DE l'intervention VOLONTAIRE OU FORCÉE. 309
pendre de lui de se faire condamoer à des dommages-intérêts,
et le tribanal D*aUoue une iodemnité que si elle est requise
(C. p., art. 51). Tous ces points sont certains : ils résultent
de l'application même des principes de la saisine.
139. Une juridiction répressive peul-elle ordonner une
mise en cause et étendre ainsi le procès dont elle est saisie à
des personnes qui n'y étaient pas comprises? La question n*est
pas susceptible d'une réponse absolue : il y a lieu, en effet,
de distinguer entre deux ordres de juridictions.
I. Le juge d'instruction et la chambre des mises en accu-
sation ont le droit d'étendre la poursuite à tous les individus
soupçonnés d'avoir participé^ comme auteurs ou comme com-^
piices, à l'infraction dont ils sont saisis. L'information a lieu
inrem^ à propos d'un délit, et non in personam contre tel in-
culpé : les individus contre lesquels l'instruction était tout
d'abord dirigée, peuvent être l'objet d'un non-lieu, tandis que
d'autres, qui n'avaient pas été d'abord soupçonnés, peuvent
être impliqués dans la poursuite (C. instr. cr., art. 8 et 47).
Cette extension de l'information à d'autres que les inculpés
désignés dans le réquisitoire est une t^iise en cause doffice,
II. Les juridictions de jugement n'ont pas le même droit :
elles ne peuvent statuer sur l'action publique que vis-à-vis
des individus qui leur sont déférés par le ministère public
ou les parties civiles. Par rapport à ces juridictions, la saisine a.
ÏLtxi in personam et non in rem (C. instr. cr., art. 8, 145, 182^.
271, 361, 379). Cette différence tient à la différence de fonc-
tions entre les juridictions d'instruction et celles de jugement :.
Jes premières étant chargées de rechercher les délits, sans
acception de personnes, et devant, par suite, impliquer, dans^
la procédure, toutes celles qui ont participé au délit: les se-
condes, ayant à statuer sur la culpabilité des individus qui
leur sont déférés.
140. L'appel eu cause peut-il émaner des parties? Qu'il
puisse être fait par le ministère public ou la partie civile, soit
contre un nouveau prévenu, soit contre les personnes civile-
310 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
méat responsables, c'est ce qui n'est pas douteux. Rien n^
s'oppose, en effet, à ce que les demandeurs au procès éten-
dent la poursuite à des tiers qui n'ont pas été tout d^abord
cités, à la condition, bien entendu, de recourir, pour le faire,
dans les conditions et les délais ordinaires, aux actes de
procédure susceptibles de saisir la juridiction contre les nou-
veaux défendeurs. La citation aux délais de la loi est, en gé-
néral, nécessaire et suffisante. Mais, devant la cour d'assises,
ce moyen n'est possible, vis-à-vis d'un accusé, que pour les
délits de presse; en toute autre matière, il faut un arrêt de
renvoi rendu par la chambre d'accusation. La mise en caus<ï
ne pourra donc avoir lieu, dans ce cas, qu'en suivant la filière
ordinaire de l'instruction préparatoire à deux degrés. El après
renvoi devant la cour d'assises, il appartiendra au procureur
général de requérir de la cour d'assises la jonction des actes
d'accusation, conformément à l'article 307 du Code d'instruc-
tion criminelle. Même devant la cour d'assises, du reste, l'ap-
pel en cause des personnes civilement responsables aura lieu
par voie de citation.
Mais un appel en cause ne saurait émaner du prévenu. Le
but qu'il poursuivrait par celte procédure, stM»ait, en effet, ou
inutile, ou irréalisable, ou illicite.
a) Le prévenu prétendrait-il appeler un' tiers au procès
pour se faire défendre? mais il lui suffit de l'appeler comme
témoin. Nous avons déjà écarté l'exception unique qu'on pré-
tend apporter à cette règle, même dans le cas où une question
préjudicielle de propriété ou de [)Ossession ne pourrait être
soulevée que par un tiers. Kn dehors de ce cas, l'irrecevabi-
lité de la mise en cause n'a jamais été douteuse.
b) Le prévenu aurait-il qualité pour appeler au procès un
autre prévenu et demander que celui-ci subisse la condam-
nation, soit en ses lieu et place, soit en ii^ême temps que
lui? Nullement*® : car ce serait exercer l'action publique et
usurper des fonctions qui ne lui appartiennent pas". Ce qui
*° Sic, Fauslin Hëlie, t. 6, ii° 2648; HolTman, Questions préjudicielles^
t. 2, n» 070.
*' 11 a été spécial(?ment jugé que le prévenu de vente ou de mise en vente
DE l'intervention VOLONTAIRE OU FORCÉE. 311
importe, c'est de donner au prcvena toute liberté pour se
défendre : et il lui suffit, pour le faire, de démontrer qu'il
o'est pas personnellement coupable.
c) Enfin, le prévenu pourrait avoir Tidée de se faire indem-
niser, parun tiers, des condamnations qui le menacent. L'action
€Q garantie est-elle possible et recevable devant les tribunaux
répressifs? Un premier obstacle s'y oppose : c'est la compé-
tence restreinte et exceptionnelle de ces tribunaux. Institués
pour juger le procès pénal, ils ne peuvent connaître, acces-
soirement à ce procès, que de l'action en dommages-intérêts
résultant de l'infraction et ayant sa cause juridique dans
l'infraction. Admettrait-on, au profit du prévenu, un recours
«n {i^arantie, que ce recours devrait s'exercer devant les tribu-
naux ordinaires et non devant les tribunaux de répression *'.
3fais, au fond, la prétention du prévenu de s'exonérer, par
un recours en garantie, des suites de l'infraction dont il est
coupable, serait contraire à l'ordre public. En matière pénale,
la garantie n'est pas due et, eut-elle été promise, que la con-
vention intervenue entre les parties serait entachée de nul-
lité comme contraire à Tordre public*'. « En crimes, il n'y a
«Tuno substance ou boisson t'îilsifiée ou nuisible à Irisante ne pourrait mettre
fn o:iiise les personn«*s dont il prétendrait tenir cette substance ou cette
b-.»issun. Cass., D di?c. iSi3 (1). A., v«> Procédure criminvlle , n° \\\\) ; 24 f«*vr.
IS5S- (D, 5i- 1. 103). Jugé de même, en matière de contributions indirectes,
qu'ï le pre'venu ne peut appdt;r «mi ^raranlie, devant la juridiction répressive,
celui auquel il fait remonter la responsabilih* du fait reproch»* : Lyon,
l*août 188i{D. 80. 1. 79). Jugt^ encore en matière de simple police, qu'un
{•roprie^ taire, poursuivi pour avoir laissé sans nécessité, pendant plusieurs
j'.iurs, sur une place, des malériaux et objets provenant d'une ilémnlition et
embarrassant la voie publique, nVsl pas ïo\n\v à appeler en ^'arantie, tlcvant
le tribunal de police, le maire et l'buissier aux(juels il impute d'avoir lait pro-
o"^der à tort, suivant lui, et malgré son oppositiun, à l'exécutinn d(;s déci-
sions de justice ayant ordonné la démolilion : Cass., l''''juill. iSST [HulL
crim.^ n» 249).
»- Lyon, 14 aoiU 188j (D. S6. 2. 79).
" Sur le principe et ses applications : Cass., l*' juin 1874 (S. 74. 1. 190);
±2 déc. 1880 (S. 81. 1. 210); 20 févr. 18S2 (S. 82. i. 312); Paris, 27 déc.
1883 (D. 85. 2. 222). Cass., 20 nov. 1880 (motifs) (D. 87. 1. 9]. Voy. égale-
ment : Cass., 9 déc. 18i3 (S. 44. 1 . 324). Il est décidé, dans ce dernier arrêt.
I
312 PROCEDURE PÉNAJJS. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
pas de garants», même au point de vue des dommages-intérêts.
141. L'une des parties en cause dans le procès pénal, lors-
qu'elle est régulièrement dans Tinstance, pourrait-elle se
retourner contre d'autres parties, pour conclure, soit à l'appli-
cation d'une peine, soit à une indemnité?
La question se pose, aussi bien dans les rapports du pré-
venu et de la partie civile, que dans les rapports des per-
sonnes civilement responsables et du prévenu.
a) Le prévenu acquitté peut être tenté de se retourner
contre le ministère public ou la partie civile et de conclure
reconventionnellement à des dommages-intérêts pour le pré-
judice que lui a causé une poursuite téméraire : nous savons
que son action serait irrecevable à l'cncontre du ministère
public qui ne peut être atteint que par la voie de la prise à
partie; tandis que, au contraire, le tribunal de répression est
investi, comme corollaire de sa compétence pénale, du droit
de statuer sur les dommages-intérêts réclamés par le pré-
venu à rencontre de la partie civile (C. instr. cr., art. 358)'*.
Cette demande reconventionnelle formée parle prévenu contre
la partie civile est un desmoyens les plus efficaces de refréner
les abus de la citation directe. Le plaignant s*expose, en etTet^
si sa poursuite est engagée d'une façon imprudente ou témé-
raire, à une action récursoire : il s'expose même, à la sanction
pénale de la dénonciation calomnieuse, s'il est de mauvaise foi.
qu'un trihunal de police, saisi d'une poursuite contre des Ijoulanf^^ers, pré-
venus d'avoir mis en vente du pain confectionné avec des farines gùt^'cs,
ne peut, en prononçant la peine encourue, statuer sur Taction en garantie,
forme'e par les boulangers contre les meuniers de qui ils avaient achet»' ces
farines.
** L'individu relaxé peut, en elTet, aussi bien devant le tribunal de police
correctionnelle que devant la cour d'assises, l'aire condamner, apr^s son ac-
quittement, la partie civile a des dommages-intérêts. Cela résulte textuelle-
ment de l'article 212 du Code d'instruction criminelle qui porte : « si le juge-
ment (du tribunal correctionnel) est réformé parce que le fait n'est réputé
délit, ni contravention de police par aucune loi, la cour renverra le prévenu
et statuera, s'il y a lieu, sur ses dommage s- in té rets ». V. Cass., 27 mai 1840
{Bull. cnm.,.n'» 1S;1). Sic, Mangin, Inati'. crim.^ t. 2, p. 419; Faustin Hélie^
op. cit,f t. G, p. 406.
DE l'intervention VOLONTAIRE OU FORCÉE. 313
La personne citée devant une juridiction de répression
ie civilement responsable peut-elle se retourner contre
ivenu ou l'accusé et demander au tribunal ou à la cour
ituer, par un seul et même jugement ou arrêt, tant sur
>n qu*on exerce contre elle que sur le recours qu'elle
a exercer contre le prévenu si elle est obligée de payer
lui? Évidemment non. L'action qu*elle intente dans
lypothèse n'est pas Vaction civile^ c'est un recours en
lie. Son principe n'est pas le délit, mais l'obligation de
;r le dommage causé par Tauteur du délit. La personne
nent responsable est défenderesse à faction civile et non
ideresse. Or, la compétence des juridictions de répres-
en ce qui concerne les actions privées, est de droit
(C. inslr. cr., art. 3).
Vest d'abord par ce même motif, tiré des règles de la
Hence, qu'on devrait écarter comme irrecevable Taction
'S individus, compris dans une poursuite collective (coups
îssures commis dans une rixe, par exemple), préten-
it intenter les uns contre les autres. Mais nous l'écar-
s également au fond par la raison que Tobligalion de
lie, entre les auteurs ou complices d'infractions, est radi-
ent nulle comme ayant pour cause une association ou
^opération contraire à l'ordre public**.
2. L'irrecevabilité de Tinlervenlion en matière pénale
: Taction, devant les tribunaux répressifs, des associa-
constituées dans le but de poursuivre certains délits.
associations Wi*. peuvent se réclamer que d'un inté-
oral dont le ministère public est le seul gardien : elles
ionc sans qualité, soit pour exercer, en leur nom, Taclion
que, soit pour intervenir, à titre de partie civile, dans
jrsuite engagée [»ar le ministère public**. On ne sau-
c, Colmar, 22 avr. i8i(» (D. 47- 2. i70). V. cepeiulant en sens coii-
Cîiss., 3 cIl'c. 18:i0 [J. (/// /'., 38. i. 37); Tuulouse, 11 nov. 1K02
2. 19).
'Ue s(»lution, quelque n'^rretlabU- (|uVll«^ soit, nous parait certaine,
le croyons pas qu'uinî t-volutlun do la jurisprudence puisse, à cet
314 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVII
rait trop le répéter, en effet, dans tous les cas où le droit ra(
deroe admet les particuliers à exercer une influence suri ^^
marche de faction publique, en les autorisant, par exemples ^
à intervenir dans le procès pénal, c'est à une condition, tou-
jours la même, qu'il y ail un préjudice personnellement sut>î
et que l'intérêt à obtenir la réparation de ce préjudice soîl
comme la raison d'être de cette intervention. La partie lésé «3
ne participe à l'exercice de Taclion publique qu'incidemmen t
à l'exercice de son action privée. Mais si Ton admet la parti-
cipation d'un tiers, qui n'a nul intérêt à obtenir réparation ,
au droit de poursuivre la répression, ce tiers ne se borne pas
à mettre l'action publique en mouvement ou à intervenir au
procès, il exerce lui-même l'action, il agit en vue d'une peine,
il tient purement et simplement la place du ministère public-
C'est la conception de l'accusation populaire. Elle a ses avaa^
tages; mais ce n'est pas la nôtre.
11 ne faut pas, du reste, exagérer cette règle, au point d'ei-
clure l'intervention des syndicats professionnels^ toutes les
fois, du moins, qu'ils peuvent figurer, comme parties civileSyà^
raison du préjudice causé aux intérêts généraux et collectif
qu'ils représentent^'. La loi du 13 mars 1884 donne aux svn--
dicats professionnels le droit d'ester en justice pour la con-
servation de leur patrimoine, ou la défense des intérêts collec-
tifs dont ils ont la garde (art. 6) **.
éganl, moHifier la situation. La question a été posée à l'Académie dt*s
sciences morales et politiques (Séance du 14 nov. 1891), dans la discussion
qui a suivi la lecture d'un mémoire de M. Frédéric Pussy, sur la quostioD
<le la pornogniphie (Compte veniin de IWcadêmie^ 1892, t. 1, p. 207 et 216).
V'oyez éj^^alement : F. Nourrisson, De la participation des particuliers à la
poursuite des crintes et délits^ p. 2K0; H. .loly» Les associations et rÉtat
dans la lutte contre le crime (Hev, polit, et parlem., 189j); Hei\ pénit.^
1S94, p. 565; 1890, p. 112, ;)20, 650, 689, 830; 1897, p. 1076 et 1179;
1898, p. 405, 559 et 709, et suprà, n° 120, p. 266.
'■^ Jurisprudence constante : Cass., 7 nov. 1889 en ce qui concerne les
syndicats de pharmaciens (S. 91. 1. 556); 8 janv. 1891 (S. 91. 1. 559);
5 janv. 1894 (S. 95.1.382). Voy. cependant Planiol, note sous D. 95. 2.
553 et 98. 2. 129. Comp. ce que nous avons dit plus haut, no 120, p. 263.
*" Voy. Pic, Traite èlèmenlcnre de législation industrielle^ 2* éd., p. 281,
n« 425.
TITRE II
DE L'EXERCICE DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
CHAPITRE PREMIER
DE L EXERCICE DE L ACTION PUBLIQUE.
§ XXIV. - DE L'INDÉPENDANCE DU MINISTÈRE PUBLIC EN CE QUI
CONCERNE LEXERGIGE DE L'ACTION PUBLIQUE.
143. L'indépendance du ministère public est complète en ce qui concerne les con-
clusions; elle ne Test pas en ce qui concerne Texercice de l'action publique. —
144. Observation sur l'importance des questions à examiner.
.143. L'exercice de ractiou publique est confié, dans sa
plénitude, au ministère public (C. instr. cr., art. 1"). Investi
de cette fonction par délégation de la loi, le ministère public
a d*abord la faculté A^agir ou de ne pas agir^ suivant les in-
spirations de sa conscience; il a, de plus, le droit de prendre,
dans toutes les affaires qu'il dirige, les cojiclusions que lui
dicte sa conviction. Sous ce dernier rapport, son indépen-
dance est complète : il est maître, en effet, après avoir pour-
suivi, pour obéir aux ordres de ses chefs, de signaler Tin-
juslice ou le mal fondé de la poursuite et de demander
l'acquittement. Mais son indépendance existe-t-elle sous le
premier rapport? Le pouvoir d'agir ou de ne pas agir, c'est-à-
316 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
dire de poursuivre ou de ne pas poursuivre, serait daugereui,
s'il était absolu. A la rigueur, les particuliers auraient une
garantie dans la sagesse et Timpartialité du tribunal de ré-
pression, contre la témérité des poursuites; mais ils n'en
auraient aucune contre Vinaction volontaire du ministère pu-
blic, si cette inaction oe pouvait être vaincue par aucun
moyen. Aussi la loi circonscrit, dans -certaines limites, Tindé-
pendance soit du ministère public, soit de Faction publique ^
Tantôt, le ministère public est obligé d'agir sous une im-
pulsion étrangère; tantôt l'exercice de l'action publique est
subordonné à certaines conditions. ^
144. L'examen de cette situation complexe permet d'ap-
précier quelles garanties la loi française assure aux particu-
liers comme à la société contre les abus de Tinstitution du
ministère public. Des conditions mises à son action, des
moyens de vaincre son inaction, dépend, en effet, la bonne
ou la mauvaise organisation de l'accusation publique.
§ ZZV. - DES CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC N'A PAS LA FACULTÉ
DE S ABSTENIR D'EXERCER L'ACTION PUBLIQUE.
445. Surveillance judiciaire. Surveillance administrative. Surveillance privée. —
146. Kapports établis entre les fonctions d'accuser et les fonctions de juger. In-
compatibilité et indépendance dt's fonctions. — 147. Par exception, les tribunaux
ont un certain pouvoir de surveillance t-t do direction soit sur les personnes, soit
sur les fonctions du ministère public. L'article 11 de la loi du 28 avril 1810. L'iir-
ticle 235 du Code d'instruction criminelle. iMoit d'injonction de la cour. Droits de
juridiction et d'évocation de la chambre des mises eu accusation. — 148. Droits
que donnent à la cour dnppel les articles 361 et 369. — 149. De la surveiflance
administrative du ministère public. Procureur général près la Cour de cassation.
Garde des sceaux. Supérieurs hiérarchiques. — 150. De quelle fa(;on et jusqu'à
quel point la partie lésée participe-t-elle au droit d'accusation? Division. — 151.
Mise en mouvement et initiative. Cas où une |)Iainte est nécessaire pour que le mi-
nistère public puisse agir. Citation directe. Constitution de partie civile devant le
juge d'instruction. — 152. Participation des parties lésées dans l'exercice et la
direction de l'accusation. — 153. Voies de n-cours.
145. Le ministère public est obligé d'agir, quand il en re-
çoit Tordre de la cour d'appel^ ou de ses supérieurs hiérarchie
S XXIV.* V. Faustiii Hclie, op. cit., t. 2, n° 567.
CAS OU LB MINISTÈRE PUBLIC N*A PAS FACULTÉ DE S* ABSTENIR. 317
qties, ou lorsque l'action publique est mise en mouvement
par les parties lésées^ de sorte qu'au point de \ue de Texer-
cice de Taction publique, le ministère public est soumis à une
surveillance judiciaire, qui est exercée parles cours d'appel;
i une surveillance administrative, qui est exercée parle mi-
nistre de la justice, le procureur général près la Cour de cas-
sation, et les supérieurs hiérarchiques; à une surveillance
privée, qui est exercée par les parties lésées. Il y a là une
heureuse combinaison qui fait participer, à l'exercice de l'ac-
tion publique, tous ceux qui sont intéressés à ce que le délit
ne reste pas impuni. Mais, en réalité, des trois espèces de
contrôle exercé sur la fonction d'accuser ou sur l'accusateur,
il y en a deux qui sont bien organisés, le contrôle hiérarchique
el le contrôle privé, le troisième est une 6ction qui subsiste
honoris causa dans notre législation criminelle.
146. Les magistrats chargés d'exercer l'action publique,
quoique faisant partie, à titre d'élément indispensable, de la
juridiction à laquelle ils sont attachés, ne dépendent, en au-
cune manière, de cette juridiction. Leur place n'est ni au-
dessus ni au-dessous des juges : ce sont des fonctionnaires,
désignés pour remplir, auprès du tribunal, un office spécial.
Il en résulte que les fonctions d'action et les fonctions de
jugement s'exercent dans des sphères distinctes. Ce principe,
qui a pour corollaire l'indépendance respective des officiers
du ministère public et des juges, n'existait, dans notre ancien
droit, que par rapport au mode d'exercice des fonctions du
ministère public, mais non par rapport à l'abstention de ces
mêmes fonctions. La maxime: Tout juge est procureur général,
exprimait cette idée que si l'action publique n'était pas mise
60 mouvement par le ministère public, tout magistrat avait le
droit de lui donner l'impulsion et de l'exercer'. C'était un
§ XXV. ' Jousse (op, cit., t. 3, p. 66) enseigne : « Il n'est pas nécessaire
« que rinformation soit prt^cedée d'une phiinte de la partie publique, et dès
« qu*un délit est notoire et qu'il y en a une dénonciation faite au juge, ce
M dernier est en droit d'en informer par lui-môme... En effet, si les juges ne
w pouvaient suppléer aux procureurs du roi ou fiscaux, ceux-ci seraient en-
c tièrement les maîtres de faire ou non des poursuites et de laisser les crimes
318 PROCÉDURE PÉNALE. DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
legs de Tancien système de la poursuite fCoffice^ que le droit
moderne aromplclement répudié. Aujourd'hui, les tribunaux
ne peuvent exercer eux-mêmes l'action publique.
D'une part, en effet, ils sont obligés, pour juger, d'at-
tendre d*ètre saisis par une personne ayant qualité : d'autre
part, c*est le ministère public seul qui est, en principe Jovesti
du droit général de mettre en mouvement l'appareil judiciaire
en ce qui concerne la recherche et la poursuite des malfai-
teurs (C. instr. cr., art. 1). iSotre organisation judiciaire
pénale est, en effet, dominée par deux conceptions : celle qui
se formule dans le vieil adage germanique : « pas d'accusa-
teur, pas de juge » et par suite de laquelle les tribunaux ré-
pressifs ne sont appelés à statuer que sur les faits délictueux
qui leur sont expressément déférés; et celle qui réserve aux
représentants du ministère public la fonction d'accuser, c'est-
à-dire de saisir les tribunaux de répression des faits délictueux.
147. Cette séparation du droit de poursuivre et du droit de
juger a, comme conséquences indirectes, V incompati bili ti ^^
Vindépetidance des fonctions.
l'î Les mêmes personnes ne peuvent être investies du droit
de poursuivre et du droit déjuger dans la même affaire, car
on ne saurait être à la îois juge ei partie dans un procès. Celte
incompatibilité de fonctions* a deux corollaires, dont le pre-
.' impunis ». St^rpillon (Code criminel^ l. 1, p. il 4) déclare que : a les pro*
« cureurs du roi uu les ju^^es, sous leurs noms, doivent faire la poursuite dee
«( crimes qui m»'*ritent peine aniictive ou inlamante ». (Juclquefois méme,le?
juges prenaient, séiini^o tenante, des conclusions pour le ministère public
Voy. Rousseau de la Combe, op, cit., 3«* partie, chap. XXV, n' 24, p. 851»
CVst en faisant Tapplication «le la règle : tout juge est procureur gi^néral, que
la jurisprudence avait admis que les juges d'appel, pouvaient aggraver la
peifie, quoique le ministère public n'eût point appelé à minima. Voy,, du
reste, sur tous ces |»oinls : Faust in Ib'lie, op. c<7., t. 1, n«» 430 à 432; t. 2,
*■* Klait déjà admise dans l'ancien droit (Arrêts du Parlement de Paris,
\'A mars i;i32, D juill. 153S, 2U avr. lliiO cit^s par Brillon, Dictionn. des
arrrts, t. 1, p. ;n7). L'ord. de 1670 (lit. XXIV, art. 2) avait consacr*^ cette
règle. Bien qu'elle ne soil pas formellement consacrée dans notre droit, elle
est généralement admise.
CAS ou LE MINISTERE PUBLIC n'a PAS FACULTÉ DE S' ABSTENIR. 319
mier seul parait être admis par la jurisprudence. Les fonctions
du minislère public étant' incompatibles avec celles de ju^^e,
un magistral, qui a rempli les fonctions de ministère public,
ne peut siéger comme juge dans une môme affaire'. Il résulte,
au contraire, d'un certain nombre d'arrêts*, que, dans Thy-
pothèse inverse, un magistrat, ayant siégé comme juge dans
une affaire, peut remplir, dans cette même affaire, les fonctions
dunfiinistère public,alors d'ailleurs qu'il y aélé régulièrement
délégué. Mais cette jurisprudence contradictoire méconnaît,
dans une de ses applications, la règle d'après laquelle les fonc-
tions du ministère public sont, par leur nature même, incom-
patibles avec celles de juge. 11 n'est donc pas besoin d'un
texte spécial et formel, édiclant l'incompatibilité*, qui résulte
suffisamment des textes généraux renfermant les fonctions
du ministère public dans le cercle de l'exercice de Faction
publique (C. instr. cr., art. 22 et 26; article unique de la loi
du 24 vend, an 111).
2' Les magistrats du parquet sont indépendants, vis-à-vis des
M-oy. Cas?., 20 nov. i«r,4 (S. 04. 1.431); Ifi d.T. 187!> (D. 77. 1. 413).
^^est ainsi qu'un mafristrat (|ui a requis, commo officier du minislôn» public,
'■1 mise en accusaliuii de Taccusé, n<* peut cuncourir au ju^^oment on cour
ùWises : Cass., 3 murs lHo9 (S. 00. 1. 191).
* V. notammenl : Cass., 12 niv. an XII {P, chr.); 30 juill. 1847 (S. 47. 1.
^•>3); IS juill. 18H9 (S. 80. 1. 400). Dans ce derni.^r arrêt, la Cour de cassa-
lion, annulant un arrêt de la cour d'Anp^ers, ad<^claré valable un appel cor-
rtclionnel interjeté par un des juges ayant pris part au jujjement de Taltaire.
Voy. Hennés, 7 aoiU 1878 (S. 70. 1. 111) et les conclusions de M. Baudoin.
t'e mènn', il a été décidé qu'un maj^nstrat qui a jugé une allaire en première
inslunce en (fualité de président du tribunal correctionnel, peut occuper, en
3ppel, dans la même alTaire, le si^ge du ministère pidilic : (^ass., 22 oct. 1897
(S. 99. 1. 109).
' La jurisprudenc»? allègue, il est vrai, l'aiisence de textes : d'une part,
^'article 381 du Code de procédure, disjMjse que les causes de récusation,
relativement aux juges, sont inapplicables au minislère public qui est par-
IJe principale, et, d'autre part, l'article 2r)7 du Coile d'inslruclion criminelle,
dictant une incompatibilité spéciale, ne saurait fournir ici un i)rincipe
d'exclusion qui n'est pas prévu par cet article. Mais le silence de la loi sur
>tte application spéciale de l'incompatibilité des fonctions d'action et de
ugement ne suffit pas pour l'exclure. L'ancien droit n'bésitait pas sur ce
oint : Jousse, Justice civile ^ t. 1, p. 072.
:
320 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIYILIU
juges, comme ceux-ci le sont vis-à-vis des membres du par-
quel*. Celle règle a des corollaires nombreux.
Les tribunaux ne pourraient critiquer, sans commettre un
excès de pouvoir, Tusage que le parquet ferait de ces droits.
C'est ainsi qu*il leur est interdit d'enjoindre au ministère pu-
blic de poursuivre les individus contre lesquels il n'avait pas
cru devoir procéder^; que les tribunaux sont sans qualité, en
cas d'inertie ou même en cas de refus du ministère public,
de commettre un de leurs membres, soit pour poursuivre, soit
pour conclure; qu^ils ne peuvent entraver l'exercice de l'ac-
tion publique, en refusant d'instruire ou de statuer sur les
réquisitions du ministère public, en ordonnant un sursis sur
une poursuite jusqu'à ce qu'il ait été procédé à une informa-
tion sur une inculpation autre que celle dont ils sont saisis;
qu'ils ne peuvent formuler, par jugement, ni censure, ni ré-
primande, ni blâme contre les membres du ministère public',
ni le condamner aux frais'.
Mais, d'un autre côté, si les tribunaux sont tenus de se pro-
noncer sur les réquisitions du ministère public, ils peuvent
* Cette indépendance était expressément reconnue dans l'ancienne juris-
prudence, mais son application amenait parfois des conflits entre les parle-
ments et les gens du roi. Une ordonnance de 1774 (Isambert, Ord, de» roi^
de France, t. 23, p. 51) prescrivit de porter ces difficultés aux chambres as-
semblées, et, si le désaccord persistait, d'envoyer au garde des sceaux un
mémoire sur lequel le roi situerait en conseil.
7 Comp. Cass., 20 déc. 1845 (D. 46. 1. 80); 7 mars 1857 (D. 57. 1. 181);
14déc. 1867(0.69. 1.488); 4 juin 1892(0.93.1. 511).
' Oe nombreux arrêts ont été rendus sur ce point. Nous en citerons queW
ques-uns : Cass., 14 févr. 1845 (0. 46. 4. 349) ; 13 nov. 1847 (0. 47.4.310);
12 févr. 1848 (0. 48. 5. 263); 16 déc. 1859(0. 59. 5. 259); 24 juin 1864 (D.
65. 5. 307); 17 févr. 1865 (0. 65. 1. 320); 19 avr. 1869 (0. 70. 1. 96);
19 mars 1883 (S. 84. 1. 383); 13 janv. 1881 (S. 81. 1. 234). Comp. Fauslin
Hélie, op. ciï., t. 2, n» 571.
• On pourrait citer des pages entières d'arrêts de cassation sur ce poinL
Ces arrêts ont presque tous été rendus à propos de jugements de police. On
trouvera surprenant que la Cour suprême ait dû rappeler si souvent, aux tri-
bunaux, que le ministère public, devant aucune juridiction, ne pouvait être
passible des frais occasionnés par les poursuites qu'il exerce. Voy. Cass.,
13 mars 1896 (0. 97. 207); 23 juill. 1897 (0. 99. 1. 57).
\
CiS on LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTÉ DE S*ABSTENIR. 321
les apprécier, dans la pleine liberté de leur indépendance :
ils ont le droit de les admettre ou de les rejeter, d'ordonner
oa de ne pas ordonner telle mesure d'instruction, de dimi-
nuer ou même d*augmenter la peine requise.
Les offîciers du ministère public doivent, pour respecter
l'indépendance des tribunaux, s'abstenir d'assister aux déli-
bérations qui précèdent les jugements : ils assistent seule-
ment à celles qui regardent Tordre et le service intérieur, el
ont le droit de faire transcrire, sur les registres, toutes les ré-
quisitions qu'ils prennent en cette matière (D. 30 mars 1808,
art. 88); ils ont même voix délibérative, dans les cours et tri-
bunaux assemblés, pour donner les avis qui leur sont deman-:
dés par le gouvernement sur tin projet de loi ou sur quelque
autre objet d'intérêt public (Ord. 18 avr. 1841, art. 2). D'ail-
leurs, Tarticle 88 du décret du 30 mars 1808 n'ayant pas été
reproduit par les règlements de la Cour de cassation, les
membres de son parquet peuvent assistera ses délibérations^^.
148. La ligne de démarcation entre les deux organismes
elles deux fonctions est certainement absolue. Néanmoins,
dans un intérêt supérieur, la loi a voulu donner aux tribu-
naux un certain pouvoir de surveillance et de direction, soil
sur les personnes, soit sur les fonctions.
L'article 60 de la loi du 20 avril 1810 n'attribue qu'au pro-
cureur général et au minisire de la justice le droit de rappeler
ileur devoir les officiers du ministère public dont la con-
duite est répréhensiblc. Mais rarticleOl ajoute : « Les cours
*' d'appel ou d'assises sont tenues d'instruire le grand juge»
« ministre de la justice, toutes les fois que les officiers du mi-
«nistère public, exerçant leurs fonctions près de ces cours,
«s'écartent du devoir de leur état, et qu'ils en compromettent
« l'honneur, la délicatesse et la dignité. Les tribunaux de
« première instance instruisent le jjremier président et le pro-
ie cureur général de la cour d*appel des reproches qu'ils se
( croient en droit de faire aux officiers du ministère public,
*o Sur tous ces points : G- Le Fuittevin, Dktionnmre'formnlairc des par-
ue ts (3« éd.), y^ Ministère public, n° 30.
G. P. P. — I. 21
322 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
« exerçant dans Télenduo de rarrondissement, soit auprès de
« ces tribunaux, soit auprès des tribunaux de police». Ainsi,
les juges ne peuvent pas directement^ à quelque degré qu'ils
soient placés**, infliger un blâme aux officiers du ministère
public; mais ils ont le droit de transmettre une dénonciation,
un rapport, un procès-verbal à l'autorité supérieure : les cours
d'appel et les cours d'assises, au ministre de la justice; les
tribunaux de première instance, au premier président et au
procureur général ; les tribunaux de police, aux tribunaux de
première instance, qui sont leurs intermédiaires avec le pro- j
cureur général.
Mais le Code de 1808, tout en faisant du ministère public
l'instrument indispensable de la poursuite, a voulu que la
direction suprême en appartînt aux cours d'appel (C. instr.
cr., art. 9). Celte intervention des cours d'appel, dans l'exer-
cice de l'action publique, se manifeste de deux manières bien
différentes : soit par voie d'injonction, soit par voie (ïévo-
cation et de juridiction,
I. La loi du 20 avril 1810 (art. 11)'% donne, à toute cour
d'appel, chambres réunies, le droit d'entendre les dénoncia-
tions de crimes ou de délits qui lui seraient faites par un de
ses membres, d'enjoindre au procureur général de poursuivre
et de se faire rendre compte des poursuites commencées en
exécution de cet ordjre.
Cette attribution des cours d'appel a son origine historique
dans le système de la poursuite d'office du juge et le droit
qui était reconnu aux parlements, soit de se substituer auit.
officiers du ministère public dans l'exercice de l'action pu-
** Notamment, il ne saurait appartenir h la Cour de cassation, siégeant
comme conseil supérieur de la magistrature, de se prononcer sur les actes
d'exercice de l'action publique reprochés à un magistrat du ministère public :
Cass., cl), réun. (cons. sup. de la magistrature), 27 avr. 18'J8(S. 99. 1. 385)
♦•t la note de M. Esmein.
*■- Art. 11 :« La courfl'appel pourra, toutes les chambres assemblées, en-
« tendre les dénonciations qui lui seraient faites par un de ses membres de
« crim«^s ou délits, elle pourra mander le procureur général pour lui enjoindre
« de poursuivre à raison de ces laits et pour entendre le compte que le pro-
« cureur gé-néral lui rendra des poursuites qui seraient commencées ».
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTÉ DE s' ABSTENIR. 323
blique, soit de les mander dans la chambre du conseil pour
leur adresser des injonctions *\ C'est à Napoléon qu!est dû ce
retour à une ancienne tradition. C'est lui qui insista, devant
le Conseil d'État, pour que le droit de la cour d*appel fut in-
scrit dans la loi organique de la nouvelle magistrature, afin,
disait-il, de « donner plus d'intensité à la justice criminelle » **.
Un droit d'impulsion sur l'action publique fut ainsi conféré
à la cour d'appel, soit pour lui permettre de vaincre l'inertie
possible du ministère public, soit pour lui permettre d'ap-
porter au ministère public, dans les affaires graves et délicates,
surtout dans les affaires politiques, l'appui et l'énergie qui lui
seraient nécessaires".
En quoi consiste le droit de la cour d'appel et comment
î^'exerce-t-il? 1° C'est le premier président qui convoque, en
chambre du conseil, l'assemblée générale, sur la demande
du ou des dénonciateurs *®. 2° Si la cour est d'avis qu'il y a
lieu d'ordonner des poursuites, (»llc ne peut commettre un de
ses membres pour les exercer, mais simplement enjoindre^
au procureur général de les faire : l'action publique n'est
donc pas mise en mouvement par la cour : elle l'est par les
officiers du ministère public, d'ordre de la cour. C'est dire que
l'article 11 n'a pas de sanction effective, car la poursuite, dé-
pendant toujours du procureur général, celui-ci, en opposant
'' L'idée ancienne «< que les fonctions du ministère, public résident dans
'fs juges )ï est au fnnd de cette disposition.
'* On peut suivre, dans Locré (t. 24, p. 41S,4i9, 489, 494, 498, r.06, 518,
582, -m et 596, 67 i), l'origine de Tarticle 11 de la loi du 20 avr. 1810. Deux
i(l% se trouvent mêlées dans la discussion : crlletle réunir la justice civile
*-t la justice criminelle; celle de former, avec les cours d'appel, de grands
«îorps, analogues aux anciens parlements, « forts de leur nombre, au-dessus
des craintes et des considérations particulières ». Comp. Louchet, De l'au-
torité dea cours ijnpériaks en matière criminelle^ 4866.
'* A. Ouillot, Dc8 principes du nouveau Code d'instruction criminellii
Paris, 4884) : «La vérité, c'est qu'en crmsacrant ces droits (des rnurs d'appel),
(ans le Code de 1808, l'Empereur, avec ce goût des grandes choses cpii in-
pirait souvent ses conceptions gouvernementales, sut faire le sacrilice de
es instincts de domination pour asseoir Tordre judiciaire sur des bases so-
ies •.
»4 D. C juin. 1810, art. 61, 62, 63.
324 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
la force d'inertie, peut, s'il est appuyé par le ministre de la
justice, paralyser le droit d'impulsion de la cour. 3* Celle-ci
a le droit de mander, par arrêt, le procureur général pour
lui faire rendre compte des poursuites commencées en exécu-
tion des ordres donnés et non de toutes les instructions ou-
vertes en vertu de l'initiative du ministère public*"^.
La loi de 1810 a, pour elle, une expérience de près d*uo
siècle, et, pendant ce temps, le seul reproche qu'on ail pu
adresser aux cours d'appel, ce n'est pas d'avoir abusé de leur
droit d'impulsion, c'est peut-être de l'avoir trop timidement
exercé. La raison en est d'abord que le ministère public, en
France, a eu rarement besoin d'être poussé ou d'être soutenu
dans sa lutte contre le crime : l'institution de l'accusation pu-
blique a fonctionné avec une régularité suffisante jusqu'ici'*
pour rassurer tous les intérêts et donner satisfaction aux es-
prits les plus répressifs. Du reste, telle qu'elle est organisée,
rintervention des cours d'appel ne se produit pas par voie
d'exercice de l'action publique, mais simplement par voie l
d'impulsion : et, s'il s'agit de garantir les citoyens contre la '
^'' CVst co qu*a décillé la Our de cassation dans une des rares circonstan-
ces où ra|»[>Iication de l'article H ail été tentée. En 1801, le juge d'instruction
de Saverne avait renvoyé en police correctionnelle Edmond About,à lasuil*? i
d'un articli^ «lillamatoire publié par VOpinion nationale contre le maire d*-' >
la ville; le Irilmnal était déjà saisi, Inrscjuele plaignant, cédant hàe souv»^ •
raines sollicitations en faveur de Tincnlfié, consentit à se désister; les règle^
les plus simples de la procédure exigeaient néanmoins que le tribunal st.i'^
luàt; cela ne convenait pas au procureur général, il se rendit à Saverne?»
prit le dossier et l'emporta. La cour, trouvant le procédé incorrect, le li ^
mander à sa barre |)Our lui demander compte des poursuites. Pourvoi con^
Ire ce! arrêt, et la Cuur de cassation décida que la cour avait commis ui^
t.'xcès de pouvoir en se préoccupant d'une procédure qui n*avait pas él^
en^Jiagée sur son initiative : Cass., 12 juill. 1801 (S. 61. 1. 905; D. 61. 1.
*' Ji* dis u. jusqu'ici », car il n'est pas tout à fait vrai, depuis quelques
années, qiitj le ministère public ronctioniie au mieux désintérêts sociaux.
Mi>i^ioii C(.»nsidérable, làclie tJifficile à remplir, et, par contre, pouvoirs for-
mldidjK.'S, tel est le lot du ministère public, qui se trouve, bien souvent, dé-
bordé ou impuissant. L'itilluence politique qui détermine les nominations et
gène les initiatives est la cause évidente de ce détraquement, déjà sensible,
de l'aclion publique.
i
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTE DE s'aBSTENIR. 325
mainmise du pouvoir sur raction publique, la magistrature
sait bien qu'elle perdrait tout au moins son autorité dans une
lutte où le ministère public^ appuyé parle garde des sceaux,
aurait toujours le dernier mot.
Ce n^est pas en vue de demander la suppression de Tinsti-
tutioD que nous faisonscette remarque : Texistenced'un droit,
remisa un grand corps judiciaire, a son utilité^ alors même
qu'il n'est pas exercé. Il y a, en effet, dans la possibilité seule
de l'intervention de la cour, une inûuence latente, propre à
prévenir des abus. Mais c'est pour fortifier encore le pouvoir
judiciaire contre la désastreuse influence du pouvoir politique
dans l'administration de la justice. Deux mesures pourraient
être prises dans ce but : il faiudrait, d*abord, permettre à la
cour de déléguer un de ses membres pour exercer Taction pu-
blique, au cas d*inertie du procureur général ; il faudrait, en
outre, l'autoriser à demander compte au procureur général
des poursuites commencées même sur l'initiative du par-
quet *».
II. I^ seconde exception au principe d'après lequel l'action
publique est indépendante des tribunaux, résulte de Tarti-
cle 235 du Code d'instruction criminelle, qui porte : « Dans
<' toutes les affaires, les cours d'appel, tant qu'elles n'auront
" pas décidé s'il y a lieu de prononcer la mise en accusation,
"pourront d'office, soit qu'il y ait ou non une instruction
« commencée par les premiers juges, ordonner des poursuites,
" se faire apporter les pièces, informer ou faire informer, et
«statuer ensuite ce qu'il appartiendra. »
Cette disposition ne fait pas double emploi avec l'article 11
delà loi de 1810^°. H existe, en effet, entre ces attributions
des cours d'appel, trois différences importantes.
" Sur les projets tendant à modifier Tarticle 11 de la loi de 1 SIC à propos
delà revision du Code d'instruction criminelle, on lira : Gui]l«»t, op. cit.^
p. 90 k 10k La tendance de ces projets a t^té de supprimer cette disposi-
tion ou du moins d'en modifier le caractère en permettant simplement à la
îour de saisir la chambre d'accusation. On remarquera une fois de plus le
aractère régressif de ces projets en ce qui concerne l'action publique.
*° V'oy. sur ce point : Man^àn, op. cit.^ t. 1, n'» 25.
326 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
V La loi de 1810 n'accorde [a faculté dont elle parle qu'aux
chambres asseniblées; l'article 235 Taccorde aux chambres
d' accusa tio7i. Ce texte, il est vrai, emploie Texpression : <c Dans
toutes les atFaires, les cours ». mais les mots qui suivent :
« tant quelles n'auront pas décidé s'il y a lieu de prononcer la
« mise en accusation », prouvent qu'il ne s'agit que d'une sec-
lion de la cour d'appel, la chambre d'accusation'*.
2^ Le droitétabli parl'article 235 est moinsétendu que celui
résultant de la loi de 4 810. Les chambres réunies de la cour
d'appel peuvent, sans être déjà saisies, provoquer des pour-
suites nouvelles de la part du ministère public; les chambres
d'accusation n'ont d'autre droit que ^'ordonner Vextension
des poursuites, dentelles sont saisies, en les faisant diriger,
soit contre Aes faits connexes^ non compris dans l'instruction,
soit contre Aqs personfies (\m n'y figurent pas. C'est ce qui ré-
sulte de l'article 235, aux termes duquel la cour n'a le pouvoir
d'ordonner'dcs poursuites qu'autant qu'elle n'a pas encore
décidé s il y a lieu de prononcer la mise en accusation. La loi
ajoute, il est vrai, que la chambre d'accusation peut user de
la faculté dont elle parle, qu'il y ait ou non une instruction
commencée par les premigrs juges; mais ces expressions ne
s'appliquent certainement qu'aux nouveaux faits sur lesquels
la cour peut ordonner des poursuites.
3^ Mais le droit établi par l'article 235 est beaucoup plus
effectif que celui de l'article 10. Les chambres réunies de la
cour n'ont qu'une faculté de provocation ou d'injonction ; mais
l'action est exercée par le procureur général, d'ordre de la
cour; la chambre d'accusation a un droit d'action. En réalité,
elle se saisit à^ofjice, sans avoir besoin d'y être provoquée par
des réquisitions du ministère public, de l'action elle-même,
puisqu'elle étend la poursuite à d'autres personnes ou à d'au-
tres faits, tandis que l'impulsion de la cOur s'exerce sur le
ministère public plutôt que sur l'action publique elle-même.
La chambre d'accusation exerce le droit que lui reconnaît
î** Voy. . Fciustin Hélie, t. 1, n*^ 328 et suiv.; Mangin, t. l,n°25; A.Faus-
tin Hélie, De rantorite des cours d'appel sur la police judiciaire {La France
judiciaire, l. 8, p. 287-201).
CAS OU LE MINISTÈRfi PUBLIC n'a PAS FACULTE DE s' ABSTENIR. 327
l'article 233, dans deux situations distinctes, et ce n'est pas
saas peine que la jurisprudence et la doctrine ont réussi à
dégager de Tarticle 235 les deux hypothèses qu'il contient.
fl) La première se présente lorsque la chambre d'accusa-
tion est saisie, soit par le renvoi du juge d'instruction, soit par
uae opposition des parties, du règlement d'une information.
Ed examinant la procédure, elle croit découvrir la trace d*un
Jélit imputable, soit à l'inculpé, soit à un tiers. Elle peut
alors, par dérogation au principe d'après lequel une juridic-
tion d'instruction ne saurait se saisir d*office, donner une cer-
taine extension à la poursuite, en la complétant^ soit à l'égard
d'individus qui auraient dû être inculpés, soit à l'égard d'un
nouveau crime ou délit se rattachant à l'affaire dont elle est
saisie. En un mot, la chambre d'accusation a un droit de
juridiction^ non seulement sur l'affairé telle qu'elle se trouve
définie par le réquisitoire du ministère public etlordonnance
du juge d'instruction, mais sur les faits nouveaux ou les tiou-
veaux inculpés qui s'y rattachent".
ijËlle a, de plus, à l'occasion de toute instruction ouverte,
un droit d'évocation qui lui permet, soit d'enlever, au juge qui
en est charge, les procédures qu'il y aurait quelque inconvé-
nient à laisser entre ses mains, soit d'informer par elle-même
ou d'ordonner un supplément d'information sur de nouveaux
inculpés ou sur des crimes ou délits, dont l'examen des pièces
'* « Soil qu'il y ait ou non, dit la loi, une instruction commencée par les
premiers juges »>, c'osl -à-dire soit (ju'il y ait ou non une instruction com-
mencée par rapport aux faits nouvcaifx sur lesquels la <'our ordonne des
poursuites. Ce droit dV-vocation est distinct du rôle (jue Tarticlo "231, mo-
diCé par la loi du 17 juillet 18!)(), donne à la cliambre d'accusatinn, « à l'égard
des pr«^venus renvoy*^s devant elle, sur tous l«»s chefs de crimes, de délits
et de cfjntraventions résultant de la proct^dure »>. Dans ce dernier cas, il
s'ajçit de permettre à la chambre d'accusation d'examiner, dans son ensem-
ble, l'aJraire qui lui esl déftM'ée, sans s'arrôttT au règlemeiil di^ la f>rocédure
qui a pu être lait par le juge d'instruction. Du reste, l'étendue de la dévu-
lutioD de Talfaire à la ohanihre d'îuîcusation l'ait l'objet de difQcultés que
lous examinerons k propos de la compétence de cette juridiction comme
;hambrc d'instruction. Voy. du reste : Cass., 20 janv. 1898 (S. 09. 1. 61);
tfarcel Fireuillac, Des changemnnts de qualification par les tribunaux de
épression (Th. doct. Lyon, 1905, p. 16 et suiv.).
328 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
aurait amené la révélation. Quand elle évoque, la chambre
d'accusation devient maîtresse d*aiguiller la procédure daos
la direction qu'elle indique, par exemple d^ordonner telle ou
telle mesure d*instruction, et de commettre, pour la faire,
soit un des juges d'instruction du tribunal", soit un ou plu-
sieurs de ses membres. Il ne faut pas, en cfiTet, donner à Tar-
ticle 236 une portée impérative, c'est une faculté que la loi
ouvre à la chambre d'accusation, en lui permettant de délé-
guer un de ses membres pour remplir « les fonctions de juge
instructeur^* ».
Ce double droit de juridiction et A' évocation^ la coup
l'exerce de sa propre initiative, sans avoir besoin d'y être in-
vitée par aucune réquisition. Le législateur de 1808 a voulu,
« dans l'espoir, suivant ses propres expressions, qu'aucun crime
ne resterait impuni », faire, de la chambre d'accusation, le
centre de l'information, élever en elle, à leur plus haute expres-
sion, tous les pouvoirs du magistrat instructeur, et lui donner,
sur toute procédure, un droit de direction pour lui pérmellre
de réparer certaines défaillances ou de réveiller certaines
inerties. Ces droits de juridiction et d'évocation appartiennent^
pour ainsi dire, naturellement aux chambres d'accusation: il?
sont une conséquence nécessaire de la haute surveillance qu6
les cours d'appel exercent sur Tinstruction des affaires crin^i-
nelles".
23 Aussi Mon un autre juge que celui qui a faitrinslruction. L'article il'
du projet de réforme du Code d'instruction criminelle, prévoyant le cas oi'
sur les réquisitions du procureur général, la chambre d'accusation ordonii
une instruction sur des faits ou des personnes non compris dans rinformi
lion, lui interdit de confier cette nouvelle instruction au jujçe originairemei
saisi. Ou ne voit pas quel serait le motif de celte interdiction. La cour e
seule capable d'apprécier ce qui convient le mieux.
2* Art. 230 : « Dans le cas du précédent article, un des membres de
section dont il est parlé en l'article 218 (de la chambre d'accusation) ferai
fonctions de juge instructeur. »
" Il ne faut pas, en effet, oublier que les auteurs du Code d'instructi
criminelle, l'Empereur surtout, qui voulait établir, en France, « de gran
systèmes judiciaires ayant en eux-mêmes leur principe d'activité et le
moteur », ont, en créant, dans chaque cour d'appel, une chambre d'accui
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC N'a PAS FACULTÉ DE S ABSTENIR. 329
149. On a cru voir également une application de Tautorité
exercée par les cours d'appel sur l'action publique dans les
articles 361 et 379 du Code d'instruction criminelle. Mais ces
dispositions, dont Tune suppose Tacquittement et Tautre la
i^oDdamnation de Taccusé, n'ont pas pour but direct Texercice
d'une surveillance vis-à-vis du ministère public: elles sont
plutôt fondées sur la nécessité de prendre des mesures immé-
diates, relativement à l'état de détention de l'inculpé dans le
premier cas, et relativement à l'exécution de la peine dans la
seconde hypothèse.
150. La surveillance administrative,- à laquelle lesoffici-ers
du ministère public sont soumis, est exercée : 1° par le procu-
reur général près la Cour de cassation; 2* par le ministre de
la justice; 3"* par les supérieurs hiérarchiques.
1. Aux termes de l'article 81 du sénatus-consulte du 16 ther-
midor an X, le procureur général près la Cour de cassation sur-
veille les procureurs généraux près les cours d'appel**. Cette
lioM, investi spécialement les membres de cette chambre « de la direction
supérieure dos alT'aires criminelles »>. Dans la penst^e qui a prc^sidé ii leur
c^'Mstilution, les chambr(?s d'accusation « devaient avoir la plénitude de juri-
Mion et d'initiative n, II est donc tout naturel que « lorsqu'une proc»»dure
«^^t sous leur main », les juridictions dont il s'agit aient « le droit de lui don-
ri^r tous les développements qu'elle comporte, d'ordonner des informations
rniuvelies sur les crimes ou les délits qu'elle révèle )>. Voy. l'exposé des mo-
tifs fJo la loi du 17 avril 18*30 (S. Lois annoUU's, 1^50, p. 115 et suiv.). Ce
caractère des chambres des mises en accusation a été bien mis en relief
pîir M. l'avocat f^énéral Baudoin dans ses conclusions qui unt précédé Tar-
rêt de la Cour de cassation du 28 mai 1892 (S. 93. 1. 320: D. 02. 1. 582).
U chambre des mises en accusation af^it « en vertu d'un droit qui lui est
" propre ; elle examine les ordonnances définitives des juges d'instruction;
'<mais elle n*a ni à les confirmer ni à les infirmer; toutes les fonnules qui^
f à cet égard, ont été consacrées dans la pratique, sont surannées; la cham-
' bre d'accusation statue, à nouveau, dans la plénitude du druit que la loi lui
confère >». Voy. également: (^ass., i) nov. 1851 [li. cr., n** U)'\), La cour
'appel, dit cet arrêt, « exerce un droit d'appréciation supérieur des faits,
lorsqu'elle juge qu'ils ont été mal qualifiés par l'urdo nuance de prise de
"orps, et elle trouve ce droit, non dans les réquisitions du ministère public,
mais dans sa propre compétence ».
^' II semble que cette disposition contemporaine du rétablissement du mi-
330 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CITILB.
surveillance, dont lemode et Vétendue ne sont déterminés par
aucune disposition législative ou réf2;lementaire, est évidem-
ment renfermée, comme la juridiction de la Cour de cassa-
tion elle-même, dans la sphère de V application de la loi- Elle
s'exerce par des observations, des avis que le procureur géné-
ral peut adresser aux procureurs généraux, à Toccasioa des
affaires déférées par des pourvois à la Cour de cassation,
sur la manière d'entendre et de pratiquer les prescriptions
légales. Mais ce fonctionnaire n'aurait pas qualité, soit
pour intimer Tordre aux membres du ministère public de
poursuivre une infraction, soit pour demander à la Cour
de cassation l'annulation d'un arrêt ou d'un jugement en
dernier ressort contraire à la loi. Au premier point de vue
en effet, le procureur général près la Cour de cassation,
n'est pas le chef hiérarchique des procureurs généraux près
les cours d'appel; il n'a pas un droit d'impulsion sur l'ac-
tion publique, analogue à celui du ministre de la justice. Au
second point de vue, sauf dans des cas exceptionnels où il pro^
cède à des actes directs de poursuite ou d'instruction (C. instr.
cr., art. 441, 443, 444, 486, 491, 532, S42), le procureur gé-
néral près la Cour de cassation n'a même pas, devant cette
jUTidiciion jV exercice de Vsictioïï publique. 11 prend, sans doute,
par lui-même ou par ses avocats généraux, des conclusions
dans toutes les affaires criminelles portées devant la Cour
suprême. Mais, dans ces affaires mêmes, il n*est entendu que
comme partie jointe ; carie pourvoi, qui saisit la cour, est formé
et rfeW^e par la partie qui a attaqué la décision, c'est-à-dire
le condamné, le ministère public , Itx partie civile. Ainsi limité
dans ces deux directions, le pouvoir de surveillance du pro-
cureur général près la Cour de cassation ne concerne pas
l'exercice de l'action publique, mais plutôt la manière
même dont les fonctions du ministère public sont com-
prises dans les divers ressorts judiciaires. L'étude des procé-
dures qui passent sous les yeux du procureur général près
nist^re puMic, ait eu pour hul «rimprimor une sorte d'unité à roxorcice de
Taction piihli(|ue. Mais, faute d'avoir été organisée, cette surveillance est
restée théorique.
AS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a. PAS FACULTE DE s' ABSTENIR. 331
a Cour de cassation lui révèle-l-elle des pratiques vicieuses,
les irrégularités, des abus auxquels il faut remédier : il
)eut alors, soit par voie d*avis individuel, soit par voie de
:irculaire générale, signaler ces habitudes inutiles ou dange-
reuses et en demander la suppression ou la réforme. Cette
iurTeillance a donc un caractère /Mr/rfi^wc plutôt qu'adminis-
Iratif: c'est dans la sphère de Tapplication de la loi qu'elle se
renferme'\ Du reste, elle n'est plus effectivement exercée à
ootre époque. L'abondance des recueils de jurisprudence, où
les membres du ministère public peuvent trouver rapportées,
non seulement les décisions de la Cour de cassation, mais les
conclusions des avocats généraux ou du procureur général,
rendent cette surveillance à peu près inutile.
II. Les offîciers du ministère public sont tous placés sous
raulorité directe du garde des sceaux qui représente, vis-à-vis
d'eux, le pouvoir exécutif (D. 30 mars 1808, art. 80 et 81;
L.20avr. 1810, art. 60; L. 30 août 1883, arL 17), et qui est
armé, à leur égard, d'un droit de surveillance et d'un pouvoir
de discipline, auxquels leur amovibilité donne la plus éner-
gique de toutes les sanctions. Le garde des sceaux a certai-
nement le droit d'adresser aux membres du ministère public
des injonctions aQn qu'ils exercent ou s'abstiennent d'exercer
l'action publique, et, en cas de résistance, de provoquer leur
changement de résidence ou leur révocation; mais là s'arrê-
tent ses pouvoirs. Le droit à^exercer l'action publique ne lui
appartient pas. D'où quatre conséquences :
r Les membres du ministère public sont bien tenus d'a-
Iresser aux tribunaux les réquisitions qu'il leur est ordonné
le formuler ou de se démettre de leurs fonctions (C. instr. cr.,
irt. 274, 441, 443, 486); mais ils ont le droit de conclure à
'audience, suivant leur opinion personnelle, même au rejet
e leurs réquisitions; car les conclusions, qui ne sont que
opinion du magistrat qui les donne, doivent rester libres,
3ur être consciencieuses. Le ministère public tient à hon-
-" Comp. Faustin H«.*lie, op, cit,^ t. 1, n^ \\',V2 ; Tarbé, Lois ci règlement de
Cour de cassation^ Introduction, {>. 100.
332 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET Cm
neur d'affirmer, aujourd'hui comme autrefois, que si «
plume est serve, la parole esl libre ». La loi eUe-raém(
expressément reconnu celle indépendance du minislère [
blic dans Tarlicle 6 de l'ordonnance du !•' juin 1828 sur
conflits".
2"* Le garde des sceaux ne peut se substituer au procure
général ou au procureur de la République qui refuserait d
yir, el assigner à sa propre requête; il n'exerce pas, en efl
l'action publique el ne procède, par lui-même, à aucun a
de poursuite; il a donc besoin de l'intermédiaire des offici
du ministère public, puisque la loi ne lui donne pas aci
auprès des tribunaux. lien résulte que la résistance, bien
vraisemblable, des officiers du ministère public qui se refuf
raient à exécuter les ordres du garde des sceaux ne pourr
être vaincue que par un déplacement ou une révocation.
3* L'action publique, intentée par un membre du minislc
public, malgré la défense du garde des sceaux, est régulièi
ment introduite; lajuridictioncompétente, valablement sais
ne peut donc se refuser à statuer"''.
4* L'initiative de la poursuite appartient aux officiers
ministère public qui n'ont pas à demander au gouvernemc
*■ Il s'ajifit, dans ce toxte, du déclinatoire d'incomptUence, que le préfet c
présenter à Tautorité judiciaire avant d'élever le conflit : « Le procureur
la République fait connaître, dans tous les cas, au tribunal, lu demande \
mée par le préfet et rei^uerra le renvoi, si la revendication lui parait f
dée >». Comp. sur le principe : Locré, l. 24, p. 406; Faustin Hélie, t.
n« 472; Ortolan, t. 2, n°" 2031 et 2032; Mangin, op, ci7., t. 1 , n*» 71 ; Robi
de Cléry, Les droits du ministère public et du minvitrc de la jujutice
matière de poursuites criminelles (Revue critique, 1876, p. 424).
5*' Comp. : Alglave, Action du minislère public (2« éd., Paris, 1874), t
p. 195 et suiv. V. Cass., 22 déc. 1827 (S. ColL nouv.^ t. 8, p. 731). Le C
seil d'Ktat a implicitement reconnu cette règle en 1800, en autorisant en
lionnellement le garde des sceaux à mettre un terme aux poursuites du
iiistère public contre les officiers de l'état civil qui avaient enfreint,
ignorance ou par négligence, les règles relatives à la tenue des acte:
JVtat civil : « Il pourra, dit l'avis du 31 juill. 1800, prescrire aux procur
imfiériaux de lui faire connaître les poursuites qu'ils se proposent defuii
arrêter celles qui n'auraient pas pour objet des négligences vraiment co
iiles par leur gravité. »
CAS ou LE MINI8TÈRB PUBLIC n\ PAS FACULTÉ DE s'aBSTENIR. 333
une autorisation préalable d'agir. On cite souvcot, comme
résumant la doctrine sur ce point, une lettre remarquable de
M. Bellart, procureur général à la cour de Paris, sous le mi-
flistère de M. de Peyronnet : « Quand le ministère public ne
«doute pas, quand un délit est évident, le magistrat, charge
«du triste devoir de poursuivre, doit-il, avant tout, prendre
« ou attendre les ordres du gouvernement? S'il en était ainsi,
'( le ministère public qu'on a accusé d*agir sous Pinûuence
<'du gouvernement n'aurait plus rien à répondre à cette im-
«putation, quand on jugerait convenable de la reproduire.
<( Le ministère public doit agir spontanément, sans qu'il ait
Il besoin de recevoir l'autorisation de personne. Ce qu'il y
^< aurait de plus alarmant pour la liberté, c'est que le gouver-
« nement s'en mêlât jamais'^ ». Ce principe n'admet d'excep-
tion, en matière répressive, que dans deux cas : la demande
d*aooulation formée par le procureur général près la Cour de
cassation d'ordre du garde des sceaux (C. instr. cr., art. 441);
les poursuites dirigées contre les officiers de l'état civil dans
les circonstances prévues par l'avis précité du Conseil d'État *
du 31 juillet 1806^^ Mais, en fait, toutes les fois que la pour-
suite touche de près ou de loin à une question ou à un per-
sonnage politiques, le par(]uet, avant d'agir, prend les instruc-
tions de la chancellerie. Celle pratique est, du reste, récente;
mais elle est des plus critiquables, car elle fausse le ressort
essentiel de l'action publique, le principe de son indépendance.
111. Les membres du ministère public^ étant hiérarchique-
ment subordonnés les uns aux autres, le procureur général
'•Celle lettre a vU^ ciU^c pur Dupin Huns son riiquisiloin» sur l'atrairo
jugée par la Cour de cassalinu^ le 2*2 jaiiv. 1802 (D. 62. \, V\),
" De nouvelles imrurs judiciaires, dangereuses pour l'indï'pendance des
magistrats et déplorables pour le service de la justice, se sont inlro«luiles
dans ces dernières années. Les bureaux de la Chancellrrie si^ sont transfor-
més, de plus en plus, en bureaux de consultation, les procureurs gén«*rîiux
s'en référant au garde des sceaux dès <|u'ils doivent cngù^^er ItMir responsa-
bilité, et lui demandant des instructions. Nous ne pouv«»ns que regretter la
mainmise du pouvoir politique, prisonnier lui-mrnic des députés et de leurs
comités, sur Texercice do la justice pénale. Ce n*est pas la loi qu'il faudrait
réformer, ce sont les mœurs.
334 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB.
peut donner, relalivement à rexercice de raction publique,
des ordres aux procureurs de la République de son ressort
(L. 20 avr. 4810, art. 45), comme le procureur de la Répu-
blique, aux commissaires do police. Le droit de commande-
ment du supérieur hiérarchique est, du reste, limité par les
trois règles suivantes :
1** Les liens hiérarchiques, qui unissent, entre eux, les mem-
bres du ministère public, ne donnent pas, de plein droite à
chaque magistrat supérieur, le droit de faire, par lui-mhne el
en son nom, les actes attribués aux agents immédiatement
placés sous ses ordres. Chaque magistrat a ses attributions 1
propres et sa compélence spéciale; le procureur général ne '
peut pas plus agir aux lieu et place du procureur de la Répu-
blique devant le tribunal correctionnel, que celui-ci ne peut
se substituer au commissaire de police pour exercer l'actioD
publique devant le tribunal de simple police. L'î/n?/^ du mi'
nistère public consiste simplement dans Vunité de direction^
et cette unité se manifeste en ce que tous les membres du
ministère public doivent obéir à Vimpulsion de leurs chef?
hiérarchiques et exécuter les ordres qu'ils en reçoivent.
2° Mais si Tofficier du ministère public, auquel il est enjoint
de poursuivre, est tenu, quelle que soit son opinion person-
nelle, d'entamer la poursuite, il peut prendre, dans toutes les
afîaires, les conclusions que lui dicte sa conviction personnelle.
Le droit de commandement du chef hiérarchique permet
d'ordonner des poursuites, mais non d'imposer des conclu-
sions.
3° Les règlements tracent la marche à suivre pour concilier,
dans le même parquet, cette indépendance de la conviction
que l'on doit toujours respecter, avec les exigences de la disci-
pline et de la direction qui appartiennent au chef du parquet.
Les articles 48et49 du décret du 6 juillet I8i0 ne concernent
expressément que le parquet du procureur général; mais ils
sont, par identité de motifs, applicables au parquet du pro-
cureur de la République. Dans les causes importantes ou dif-
ficiles, Tavocat général ou le substitut de service à raudience
peut communiquer au procureur général les conclusions qu'il
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTÉ DE S'aBSTENIR. 335
se propose de prendre; il est même tenu de le faire toutes
les fois que le procureur général veut prendre connaissance
de l'affaire. Dans Tun et Tautre cas, si le procureur général
et son subordonné ne sont pas d'accord, l'affaire est portée à
l'assemblée générale de tous les membres du parquet qui en
délibère et émet un avis à la majorité des voix^ : le magistrat
de service à Taudience est tenu de se conformer à Topinion
qd a prévalu ou de céder la parole à Tun de sçs collègues,
mais le procureur général, comme chef responsable du par-
quel, a le droit, s'il partage Tavis qui a succombé, de siéger
àTaudience et d'y soutenir son opinion personnelle (D. 6 juill.
1810, art. 48 et 49)'-.
151. De quelle façon et jusqu'à quel point la partie lésée
participe-t-elle au droit d'accusation? C'est là un des plus
graves problèmes de la justice répressive". Il s'est trouvé des
réformateurs pour prétendre que le monopole du ministère
public devait être absolu et pour ne pas craindre de réduire
Taction des particuliers lésés à l'exercice d'une demande en
dommages-intérêts devant les tribunaux ordinaires. D'autres,
à l'inverse, proposeraient un retour à l'accusation populaire et
feraient volontiers de la partie lésée une sorte de ministère
public agissant à la fois dans son propre intérêt et dans l'in-
térêt social. Ces conceptions sont excessives : la première ré-
duit, la seconde exagère le rôle de la victime du délit. Ce qu'il
faut c'est que la loi favorise le concours du ministère public
et de la partie lésée.
Si « la réalisation du principe de la réparation n'est pas une
foDction d'ordre social'* », elle n'est pas non plus, tout à fail,
'' Ces dispositions ont un caractère d'ordre inloriour : Cass.,"28janv. 1864
(S. 64. 1. 374). Comf). Ortolan et Ledeau, op. cit,, t. 1, p. 27.
'* Voy. Cézar-Bru, De Vexercice, de l'action publique par les simples par-
iieuliers (Rev. tjcn. de droit, 1892, p. 311, et 1803, p. 5); Raoul de la Gras-
serie, Participation de la partie lésée à l'action publique {Her. crit.^ 1896,
p. 623, et 1897, p. 35). On trouvera, dans ces arlicies, des notions très com-
plètes de législation comparée.
'♦ C'est le congrès d'anthropologie criminelle de Rome de 1885 (Actes du
premier congrèn d'anthropologie criminelle de Rome de 1885, p. 3()3 et suiv.)
336 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBUQUB ET CIVIU.
une foQclion d'intérêt privé. L'ordre social ne peut être satis-
fait que si Tordre privé est sauvegardé. Par suite, aucun ob-
stacle ne doit être opposé à celui qui est lésé dans ses droits
par un délit et il faut surtout que cet obstacle ne provieoQe
pas du ministère public lui-même.
On concevrait donc un système de rapports, entre le minis-
tère public et la victime du délit, suivant lequel Tinterventioa
et la surveillance de celle-ci s'exerceraient dans les trois
périodes qui marquent le point de départ et le point d'arrivée
de l'exercice de l'action publique : l'Mise en mouvement el
initiative; 2** Exercice et direction; 3** Voies de recours. iMais
il n*en est pas tout à fait ainsi dans notre procédure pénale.
152. Au premier point de vue, la partie lésée intervient
dans l'accusation de trois manières :
I. Dans certains cas, elle peut empêcher le ministère public
d'agir, car l'exercice de l'action publique est subordonné à
une plainte préalable de la partie lésée. Mais c'est là une si-
tuation exceptionnelle, dans laquelle^ pour des motifs divers,
la loi laisse à la partie lésée l'appréciation de l'opportunité des
poursuites. D'ordinaire, le ministère public n'a pas besoin
^'attendre pour agir qu'il soit saisi d'une plainte".
II. La victime du délit peut obliger le ministère public à
agir ou plutôt peut saisir directement la juridiction de répres-
sion, en donnant, à Tinsu et même à l'encontre du ministère
public, une impulsion à l'action publique. C'est par cette porte
que la partie lésée a surtout accès devant la justice répressive
et qu'elle « plaide, en réalité, pour la peine en plaidant pour
une réparation pécuniaire'* ». Les habitués du palais ont une
expression caractéristique pour qualifier la situation que crée,
qui ;i pos»' ootte formule. On en a déduit comme conséquence, la plupart des
réformes que [iréconisent les positivistes italiens et leur chef de file, Fcrri
(Sociolotjia cnm., n® 88). Voy. également : Garofalo, La criminologie {^* ed.^
llK);i), {>. 374 et siiiv.
^* Voy., sur ce point, les observations de Mangin, op. cit., t. 1, n**.16,
p. 17.
^* Fauslin Hélie, op, ciL, t. 2, n" 070.
:;as ou ls ministèrb public n'a pas faculté de s' abstenir. 337
dans ce cas, Tinitiative de la victime du délit : ils appellent
:es procès, « les affaires entre parties ».
11 importe donc de s'expliquer sur ce mode d'intervention.
Les personnes qui ont souffert d'une infraction et mênie des
tiers à qui elle n'a causé aucun préjudice, peuvent provoquer
L'exercice de l'action publique par des plaintes ou des dénon-
ciations^ adressées au procureur de la République ou à un de
ses auxiliaires. Le ministère public est-il obligé d*y donner
suite et de poursuivre? Sous l'empire de la loi du 29 septembre
1791 et sous celui du Code de Tan IV, le devoir d'agir, même
en cas de simple plainte ou de simple dénonciation, était im-
périeusement prescrit aux officiers de police judiciaire '\ L'ar*
ticle 47 du Code d'instruction criminelle pourrait faire sup-
poser, par sa rédaction impéraiive, que, aujourd'hui encore,
le ministère public est tenu de poursuivre tout crime ou tout
délit qui lui est signalé. Cependant, il est certain que le légis-
lateur, en rédigeant ce texte, n'était nullement préoccupé du
droit des parties privées vis-à-vis du ministère public, mais
bien de la délimitation des pouvoirs du ministère public et du
juge d'instruction. Ces expressions sera tenu de requérir doi-
vent s'entendre, non pas de l'obligation pour le ministère pu-
blic de commencer des poursuites contre tous les faits délic-
tueux qui lui sont signalés, mais de la nécessité de faire com*
mencer l'information, lorsqu'il la juge nécessaire, par le
magistrat instructeur, et non de la commencer lui-même".
Il est, en effet, incontestable que ni la dénonciation d'un tiers,
ni la plainte de la victime n'obligent le ministère public à
agir; et cela doit être. D'une part, les plaignants et les dénon-
ciateurs se bornent à signaler des faits, entendant rester étran-
gers à une poursuite dont ils veulent laisser l'initiative au mi-
nistère public. D'autre part, imposer à celui-ci le devoir de
donner suite à une plainte ou à une dénonciation, sans pouvoir
" Voy. Loi ries 10-20 sept. 1791, lit. V, art. 6 et 20, tit. Vf. art. 3; C.
3 brumaire an IV, art. 90 ol 97. Coinj). Ksmcin, op, cit., p. 422 et 442.
^* Ce point ressort de la discussion au Consoil d'Klat. Coinp. Locré,t. 25,
p.l06<;t suiv. ; Manfj:in,op. cit., i.\, n? 17, p. 18 et 10. Cet auteur discute
complètement la (lueetion.
G. P. P. — I. *&
338 PROCÉDURE PÉNALE. — DE6 ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
en examiner le bien fondé, ce serait faire du ministère public
Tagenl passif des rancunes et des vengeances des particuliers,
ce serait oublier que la poursuite s'exerce, au nom de la so-
ciété, par des fonctionnaires auxquels elle est exclusivement
confiée par la loi. Ainsi, en cas de simple plainte ou de dénon-
ciation, rindépendance du ministère public est complète
(C. instr. cr., art. 1)".
Mais la victime d'une infraction peut aussi^ soit dans la
plainte, soit par tout autre acte, se constituer partie civile,
c'est-à-dire soumettre à la juridiction répressive son action en
réparation du préjudice dont elle a souffert par suite du délit.
En ce cas, la partie civile ne se borne pas à dénoncer le fait
dont elle est victime : elle demande à être indemnisée du
préjudice qu'elle a éprouvé; elle poursuit une réparation; et
3* Il suit de là que les officiers du ministère public peuvent classer sans
suite les dénonciations et les simples plaintes qu'ils n^goivent. C'est une
solution qui est unanimement admise. Voy. D. A., Supplément, v^ Procé-
dure ci iminelle^ no 1(K). Ce droit a él«^ reconnu par un arrêt do la Cour de
cassation du 6 déc. 1826 (ii. cr,, p. 715), dans lequel on lit : «"Le législateur
n'a pu vouloir astreindre lesofPiciers du ministère public à diriger des |>our-
suites d'office et sans l'intervention des parti<?s civiles sur toutes les plaintes,
môme les plus léfçères et les plus insignifiantes ^>. Le classement sans suite
par le parquet des simples plaintes, noraljreux ohaqtie année, montre bien
que le ministère public est libre de poursuivre ou do ne pas poursuivre.
Parmi les alfaires classées sans suite en général, il en est qui sont classées
sans suite parce que leurs auteurs sont demeurés inconnus. Cette rubrique
paraît en voie d'augmentation, ce qui est un pliénomène incjuiélant (04.112
en 1881-1 S85, contre 92.064 en 1890-1900). En elTct, pour se rendre compte
de l'état <le la criminalité, il faut distinguer la criminalité réelle , c'est-à-dire
les diîlits réellement commis, qu'il est impossible de connaître exactement,
a criminalité apparente, comprenant I»îs délits découverts ou signalés, et
la cnmma/(2e /('(/a/c, comprenant les délits punis dans leurs auteurs connus.
La criminalité apparente est moindre (jue la criminalité réelle et la cri-
minalité léijale est également moindre que la criminalité apparente. L'im-
punité, manifestée par le classement sans suite, parce que les délinquants
sont inconnus, montre combien il faut se défier des statistiques qui parais-
sent constater un mouvement d'arrêt dans la criminalité réelle. V'ov. Tarde,
Les transformations de l'impunité {Héfoi-me sociale, ^898, p. 709 et suîv.);
La statistique criminelle des vinrjt dernières années (Hec, pénit., 1903, p. 158
à 178). Voy. la discussion ouverte sur ce dernier rapport : Rev, pénit,, 1903,
p. 269 à 335.
CAS OU LE MINISTERE PUBLIO n'a PAS FACULTE DB s'aBSTENIR. 339
comme son aclion a sa cause dans le fait même qui produit
l'action publique, elle devient tout naturellement Tauxiliaire
du ministère public. Si celui-ci a agi, elle inlerviendra ddus
la poursuite et pourra le faire en tout état de cause. S'il s'est
abstenu, elle comme?icera elleniéme le procès. Mais, ce qu'il
faut remarquer, c'est qu'en saisissant la juridiction répressive
de Faction civile qui lui appartient, elle inei nécessairement
en mouvement faction publique^ qui appartient à la société,
lorsque cette action n'est pas intentée, de sorte que toute
constitution de partie civile, dans notre système de législa-
tion, a pour effet de vaincre l'inertie du ministère public et
de le forcer à agir.
11 faut reconnaître à la partie lésée le droit de donner la
première impulsion à l'action publique, dans une première
hypothèse qui ne donne lieu à aucune difficulté sérieuse.
Toute personne, lésée par un délit ou par une coîitraven-
tioHj peut citer directement le prévenu devant le tribunal de
police correctionnelle ou de police siîïiple et obtenir, par cette
voie, la réparation du préjudice dont elle a souffert (C. instr.
cr., art. 143 et 182). Par cette citation directe, le tribunal de
répression est saisi tout à la fois de l'action civile et de l'action
publique, puisque la première ne peut être régulièrement
portée devant les juridictions de répression qu'accessoire-
ment à la seconde (C. instr. cr., art. 3)***. Sans doute, \e mi-
nistère pubhc aura seul, au cours des débats, Vexcrcice de
l'action publique, seul, il pourra conclure, au point de vue
de rintérêt public, soit au renvoi, soit à la condamnation du
prévenu; mais le tribunal de répression aura la faculté de
prononcer une peine, encore que le ministère public ait conclu
au renvoi du prévenu, ou mémen^ait [^as conclu du tout, car
le tribunal est régulièrement saisi^'.
*o Comp. Cass., 11 auûL IHHl (S. «2. 1. i'ti); 7 ilvc, ISoi (motifs de
Tarrêl) (S. Ho. 1. 73); 3 juill. 18o2 (D.52. 1. 224). Voy. D. A., Supplément,
V* Procédure criminelle^ n° 92.
** Ou il soutenu, il est vrai, «jno la citation din^cte de la partie It'sée ne
saisissait le trihunid de ri^preifsion que sous la condition de conclusions h
prendre par le ministère public: Le ^ehyer. Actions publique et pricce, t. 1,
340 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
Pour préciser les droits et les devoirs du ministère public
lorsque Taction publique a été mise en mouvement par la
citation de la partie lésée, il faut se placer, soit en face d'une
citation régulière, soit en face d'une citation entachée de quel-
que irrégularité.
Le premier cas est simple. Deux règles doivent être formu-
lées : 1* Le ministère public doit donner ses conclusions ou être
mis en demeure de lesdonner, et le jugement doit constater, à
peine de nullité, soit que le ministère public a été entendu,
soit que, ayant été misendemeuredeconclure, ils'y est refusé;
2*" Mais il n'est pas indispensable que les conclusions du mi-
nistère public tendent à l'application de la peine; et le tri-
bunal, saisi par la citation de la partie civile, peut prononcer
la peine encourue pour les faits qui lui sont déférés, alors
même que le ministère public aurait conclu à l'acquittement,
ou s'en serait rapporté à la justice. A plus forte raison, le
tribunal pourrait-il condamner si le ministère public avait
refusé de conclure**.
n** 70 et suiv. Si cette opinion ëlait fondée, il en résulterait, non seulement
que le tribunal de répression ne "pourrait prononcer aucune peine contre le
prévenu dans le silence du ministère public, mais même f\u{[ deviendrait
incompétent pour statuer sur les intérêts civils. Cette conséquence, qui n*a
pas été aperçue par l'auteur dont nous combattons l'opinion, suffit pour con-
damner son système, car le droit de la partie lésée serait illusoire, s*il était
à la discrétion absolue du ministère public. L'erreur dans laquelle est tombé
cet auteur consiste à confondre deux choses distinctes : Vexcrcice de Vactwn
publique, qui appartient exclusivement au ministère public, et le droit de Id
mettre en mouvement, qui appartient à la partie lésée, comme au ministère
public, en cas de délit ou de contravention. Sur la question : Faustin Hélie,
op. ait, t. i, n® 518; Iloffman, Traité des questions prcjudicielleSf t. l,n*16;
Trébutien, op. ait,, t. 2, n® 40. Le droit de citation directe est un droit pré-
cieux dont on peut faire abus comme moyen de persécution et de chantage.
Faut-il le supprimer? Ce serait un remède pire, à notre avis, que le mal. Une
réforme qui consisterait à dispenser, dans tous les cas, le prévenu sur cita-
tion directe de partie civile de l'obligation de comparaître en personne (Cf.
A. Poiillo, Des abus de la citation directe, in-S*», 1880), donnerait satisfaction
à tous les intérêts.
*- Dès son arrêt du 17 août 1809 (B. cr., no 141), la Cour de cassation
a jugé que lorsqu'un tribunal de police met en demeure roiïlcier du miois-
OO LE MINISTÈRB PUBLIC n'a PAS FACULTE DE S* ABSTENIR. 341
>ans le secoad cas, Tirrecevabilité de la citation directe
t tenir, soit à un défaut de qualité du demandeur, soit à
vice de la citation elle-même : 1** Pour que le tribunal soit
iblcmeut saisi, il faut évidemment que le plaignant ait
ilité pour le faire. Si donc celui-ci est déclaré irreceva-
dans son action, en l'absence d'un intérêt suffisant par
mple, la citation de la partie civile devant le tribunal cor-
lionnel ou le tribunal de police, inefficace pour saisir la
idiction de l'action civile, le sera également pour lui dé-
er Taction publique. En d'autres termes, pour que la cita-
) directe de la partie poursuivante ait pour effet de mettre
mouvement Faction publique, il faut qu'elle émane de
îlqu'un ayant qualité pour exercer l'action civile". ËtTin-
^ention du ministère public aux débats ne changerait rien
L situation *\ 2° Il faudrait donner la même solution, dans
:as où rirrecevabilité de l'action de la partie lésée, au lieu
provenir d'un défaut de qualité, proviendrait d'un vice de
ne rendant la citation nulle. Le tribunal, irrégulièrement
i<Ie l'action civile comme de l'action publique, serait sans
voir pour statuer sur l'une comme sur l'autre**.
11. Le fait par le plaignant de se porter partie civile et
Trir de consigner telle somme que le ministère public
cra convenable, ne suffit pas pour contraindre ce dernier
)ursuivre. Le ministère public est indépendant, et nul ne
public, présent k l'audience, de donner des réquisitions |:)Our la condam-
»n ou pour racquiltement, si ce majj^'istrat refuse de déférer à son invi-
n, !•• tribunal n'en doit pas moins prononcerson jut^emenlet sur l'action
ique et sur Taclion civile.
Voy. Cass., 20 août 18t7 (S. 47. 1. 8:->2); 14 févr. 4852 (D. 52.5.
25"nov. 1882 (S. 83. 1. lVl)el la noie 9.
Cependant, certains arrt>ls ont décidé que le rejet, pour défaut de
lé ou d'inténH, <le l'action oivile, introduite parla partie lésée, ne saurait
pour résultat d'arrêter ou de sus|)endre l'exercice de l'action publique
ministère public s'est appro[)rié la poursuite. Vny. par exemple : Pau,
ars 18r>4 (I). 5't. 2. 210) ; Alger, 7 avr. 1870 (I). 70. 2. 279). et surtout,
, 7 juin 1867 (/^ cr., n» IH); Nîmes, 20 nov. 1902 [!.). 190V. 2. 127).
Voy. Cass:, 7 déc. 18:m (\). A., Supplément, v° Proc, cvim., n» 2r,0,
1).
342 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
saurait l'obliger à prendre l'iiiilîalive du procès s'il ne croit
pas devoir le faire. Mais loule personne, lésée par un crime
ou par un délit, peut, aux termes de l'article 63 du Code
d'instruction criminelle, en porter plainte et se constituer,
dans la plainte, partie civile devant le juge cTifistruction. En
agissant ainsi, elle saisit le juge de l'action civile, ce qui ne
peut avoir lieu, qu'autant que l'action publique lui est, en
même temps, soumise : car, en vertu de l'article 3 du Code
d'instruction criminelle, la première doit être exercée simul-
tanément avec la seconde devant les juridictions répressives.
La partie lésée provoque donc une information et, par suile,
une décision du juge d'instruction. A la vérité, celui-ci est
obligé de communiquer la plainte, dans laquelle la victime
de l'infraction se constitue partie civile, au procureur de la
République, avant de commencer l'instruction (C. instr. cr.,
art. 70). Le procureur de la République peut prendre, en
pleine liberté, les réquisitions qui lui conviennent; conclure
même à l'abstention de poursuites qu'il juge mal fondées. Mais,
quelles que soient ses réquisitions, le juge d'instruction, qui
est définitivement saisi de Vaction publique par la partie
civile, doit commencer l'information et rendre une décision,
alors même que le procureur de la République est d'avis qu'il
n'y a pas lieu d'informer**. Si le juge d'instruction rond une
*'"' Une i''co1l\ jalouse des pn.'rogativj^s du minist('T»? public, a voulu lui
ré&ervfti* le droil exclusir de rcqucrir une instruction. Avec ce système, on
arrive au double résullat que vnici : 1® D'une part, on amoindrit la portée
de rîirtit^lc (i7 du Gudi; d'instruction criminelle, qui ouvre au plaignant le
droit do se constilucr partie civile, « en tnut état de cause », et on Si' rn»'t
en contradiction avec l'article G:^, qui permet au plaignant de se constituer
partie civile « devant le juge d'instruction )». 2° D'autre ]>art, on crée une
véritable impossibilité h la constitution de partie civile en nmtière criniindkt
puisque, avecccttt^ solulion, la victime d'un crime, qui n«' peut citer directe-
ment l'accusé devant la cour d'assises, se voit enlever le droit de provoquer
uni* infr)rmati(»n. Dans les actions nombreuses «'tdiversesauxquelles adonné
lieu, en Ixso, l;i dis[)ersion aflminislrative des communautés religieuses, il
semble que la majorité des tribunaux soit revenue aune plus saine apprécia-
tirm d<î In loi. Des juges d'in?truction ont cnmmencé à instruire sur la plaint»*
de religieux expulsées, malgré les conclusions d'abstention des procureurs de
;a8 ou le minist&rb public n'a pas faculté de s*abstenib. 343
ordonnance porlant refus d'informer, la partie civile aura le
droit de faire opposition à sa décision devant la chambre d'ac-
la République; sans doute, ils ont élé dessaisis, mais par des considérations
juridiques qui neportaienlpas sur le fond dudruildontils sont investis parla
k«L Voy. notamment : Cass., 12 mai 1881 (quatre arrêts) (S. 53. 1. 185). Le
d?voir d'un jufje d'instruction de rendre décision sur une plainte contenant
constitution de partie civile, sauf le droit d'opposition du procureur de la
Ri^pultrique, ou de la partie civile devant la chambre d'accusation, est une
garantie essentielle de l'inténH privé qu'il importe de conserver intacte.
Qu'on le remarque bien, cette doctrine n'egt pas, comme on Ta dit, une
doctrine de circonstances : elle «Hait enseignée, avant 1880, par d'éminents
jurisconsultes : Ortolan, t. 2, n*» 2191; Faustin Ilélie, t. 1, n*»" t)19 et suiv.;
Haus, t. 2, n** 1142. Comp. dans ce même sens : Boullaire, Gazette des
Tribwiauxy l*' février 1881 ; Alb. Desjardins, Revue critique^ 1881, p. 192;
S. 82. 3. 58, note 3; Bordeaux, 22 déc. 1881 (S. 82. 3. o7). Elle est, du
restp, dans les traditions et conforme au.v idées émises dans la discussion
du Code de 1808 (V. Locré, t. 25, p. 147). En eOet, sous le Code de
brumaire an IV, les plaintes et dénonciations régulières rendaient leurs
auteurs parties au procès pénal. Le juge de paix, qui remplissait à cette
épwjue les fonctions de juge d'instruction, était tenu d'informer et de décer-
ner le mandat que les parties requéraient, sinon celles-ci étaient autorisées à
appeler de son refus devant la juridiction du second degré. Le Code d'in-
slruction criminelle a réduit la dénonciation à la valeur de simples renseigjie-
œents. Et, en distinguant la i)lainte simple de la constitution de partie civile,
wCode a assimilé la plainte à la dénonciation, mais en donnant à la consti-
tution de partie civile Tetret de remlre le plaignant partie au procès. Il faut
reconnaître, du rost«î, qu'en 1880, la question se compliquait d'une autre diffi-
cull»f, relative à l'application di^s articles 479 et suiv. du Code d'instruction
crimioelle aux crimes commis par certains fonctionnainîs, le droit de pour-
suite dn procureur général excluant, dans ce cas particulier, la mise en mou-
Temtînl de l'action publique parla partie civile. V. Cass., !•' mai 1881 (S. 80,
i. 185); 4 juin. 18S4 (S. 85. 1. 393); 4juill. 1804 (S. 04. 1. 49). La ques-
tion est examinée, d'um» manière complète, par A. Guillot, Des principi's du
nouveau Code d* instruction cviminelle (p. 07 et 80). fJ'après le texte du pro-
jet de loi portant revision du Code d'instruction criminelle, tel qu'il avait
*-Ié voté par le Sénat, le ju^^î d'instruction ne pouvait jamais ouvrir une
information, sans avoir été nMjuis par le jirnciireur do la R'^publique. C'était
un retour défdorable au système inquisitoire pur. Comp. Alb. Desjardins,
yju'je d'instruction et le minislcrc public dans le nouveau Code d^instruc"
ion criminelle {La France judiciaire, 1883, p. 250). Dans le système du
^énat, le juge agissait, lorsqu'il recevait une plainte contenant constitution
e partie civile, non comme juge, mais comme ottlcier de police judiciaire,
i>n rôle consistait à recevoir la plainte et à la transmettre au parquet. On
I
344 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
cusation qui, saisie de l'affaire par celle opposition, pourra
user de la faculté que lui confère l'article 235 du Code d'ins-
truction criminelle, c'est-à-dire ordonîier des poursuites^ infor-
mer ou faire informer. Si le juge s'abstient de toute décision,
îl peut être pris à partie pour déni de justice.
En l'état actuel du droit positif français, le juge d'instruc-
tion peut donc être saisi de trois manières : {*" par un réquisi-
toire du ministère public; 2'' par le fait lui-même lorsqu'il est
Qagrant; 3* par une plainte contenant constitution de partie
civile. Dans ce dernier cas, si le juge d'instruction est obligé
de communiquer la plainte au i^arquet, le procureur de la Ré-
publique, de son cùté, est tenu de prendre telles réquisitions
qu'il appartiendra : après quoi, le juge devra statuer en appré-
ciant la plainte. Les garanties contre les accusations témérai-
res se trouvent — et elles sont suffisantes, — dans l'obligation
de supporter les frais et dans le danger d'être exposé à des
dommages-intérêts en cas d'échec *\ Reconnaître à la partie
lésée le droit de provoquer une information, ce n'est pas
» encourager des scandales inutiles, de honteux chantages et
de basses vengeances », c'est ouvrir à l'intéressé l'accès de la
justice répressive. Il y a deux cas, en etTet, où la victime est
dans l'impossibilité d'agir au criminel, si on lui enlève le droit
desaisirle juge d'instruction : c'est le cas, pour les crimes, qui
a pu dire qu'une « boîli; aux lettres » ferait tout aussi bien l'aflaire. La
Commission de la Chambre desd»?put<?s (1887), avait adopté, du reste, la df>c-
Irine contraire. Sur cette question et sur les etTets de la plainte en général et
les rir^formes désirables : Demogue, De la plainte de la partie lésée au juge
d'instruction (Hec,j)cnit.y IIIUO, p. 451 et tr»")).
*■ 11 faut évidemment se préoccuper des abus, soit de la constitution de
partie civile devant le juge d'instru«'tion, soit de la citation directe devant
les tribunaux répressifs. Mais il nous s«*mble (jue les <li verses sanctions
civik's cl pénales sont suftisant«*s [n)ur les prévenir. Voy. sur la citation
dirt'cle faite de mauvaise f«.»i, ou mémi^ légèrt-nieul : Cass., lifévr. 1895(S. 07.
4. -ioS); -r» mars 1898 (S. [)\), 1. 200). La pn.positicu de M. Ilozérian au Sé-
nat, punissant cet abus d'une ameiidedi* KMhï lo.oOO fraiK's,prup(»sition prise
en considération le K» avril 188(> [J.ois noarellcs^ 8(3. 4. 72 et 112), n«.nis
parait »'xcessivc. La saïu^tion pénale de la dénonciation calomnieuse est
suffisante.
CAS 00 LE MINlBTiRB PUBLIC n'a PAS FACULTE DE 8* ABSTENIR. 345
ne peuvent être jugés par la cour d'assises qu'après une în-
slpuclion et sur renvoi de la chambre d'accusation; c'est le cas,
pour les poursuites contre inconnus, puisqu'on ne peut déli-
vrer do citation et qu'il faut, auparavant, dotcrminer, au
moyen d'une instruction, l'auteur ou les auteurs du délit.
153. Devant les tribunaux de répression, l'exercice et la
direction de l'action publique appartiennent exclusivement
au ministère public : lui seul prend des réquisitions, soit en
vue de Tinslruction de Taffaire, soit en vue du jugement et
de Tapplication de la peine. Nul ne peut le suppléer à cet
égard ; et toute juridiction doit, avant de rendre un jugement,
provoquer et attendre ses réquisitions (C. instr. cr., art. 61,
70,127, 153, 190, 210, 224, 271, 273, 276, 277, ancien art. 287,
art. 333, 362)^ même dans le cas où l'action a été mise en
mouvement par d'autres que par lui. Mais là s'arrêtent les
exigences de la loi. Si le tribunal ne peut statuer qu'après
avoir pris l'avis du ministère public, il peut, en toute indépen-
dance, soit ordonner les mesures d'instruction qu'il croira de-
voir prendre, soit accepter ou rejeter les conclusions du minis-
tère public. Le point important est donc de savoir qui a le
droit de saisir le tribunal, car le tribunal, dès qu*il est saisi et
par cela seul qu'il est saisi, est investi du droit de recher-
cher la vérité par tous les moyens que la loi met à sa dis-
position.
154. Lorsqu'une décision est intervenue sur l'action civile
PlTaction publique « poursuivies en môme temps et devant les
mômes juges », l'indépendance des deux actions est complète,
en ce double sens que le recours du ministère public conserve
l'action publique sans profiler à l'action civile et que, h l'in-
verse, le recours de la partie civile conserve l'action civile
sans[iroriter à l'action publique. Nous suivrons plus loin l'ap-
plication de ce régime aux divers recours : opposition aux
ugements par défaut, appel, pourvoi en cassation.
Celle règle admet cependant une exception [jour les recours
fue la partie civile est autorisée à exercer contre les ordon-
346 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
nances ou arrêts des juridictions d'instruction *'. A quoi lui
servirait, eu effet, d'obtenir la réformation ou la cassation de
ces décisions, si la voie de recours ne devait pas aboutir à un
renvoi des deux actions devant la juridiction de jugement,
puisque cette juridiction ne peut valablement être saisie de
Faction civile sans Tetre on même temps de l'action publique?
§ XXVI. — DES CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC N'A PAS LA FACULTÉ
D'EXERCER L ACTION PUBLIQUE.
155. De l'action d'office. Principe. Exceptions. Des obstacles qui s'opposent k
Teiercice de l'action publique. — 456. Renvoi pour l'étude des questions préju-
dicielles. Pliiute ou dénonciation de la partie lésée. Autorisation préalable.
155. Étant données ces deux choses : une loi en vigueur,
prévoyant un délit, un /ait punissable sur le territoire, l'ac-
tion pénale, contre les auteurs et les complices de ce fait, est
légitime et doit être exercée sans autre examen et sans autre
condition. C'est le système de la Irr/alitédc l'action publique,
par opposition à celui de son opportunité. Mais les contin-
gences humaines ou sociales accoutumées, qui attribuent un
certain caractère de relativité h toutes les institutions juridi-
ques, et qui, à côté de toute règle, posent des exceptions, s'appli-
quent même en cette matière. Certains obstacles, tenant au
fait [replies]^ ou tenant aux personnes {personnelles), s'oppo-
sent à l'exercice de l'action pul)li([ue. soit d'une manière tem-
poraire, soit d'une manière permanente. Dans certaines cir-
constances, en effet, la loi suspend l'action publiqtie ; dans
d'autres, elle la supprime ou la déclare éteinte.
1. L'action publique rencontre un obstacle temporaire, qui
s'oppose à son exercice : i° quand elle est subordonnée à la
nécessité {Ywna plainte A^. la partie lésée; 2"" quand elle est
subordonnée à une autorisation ou à une dénonciation préa-
lable; 3° (|uand elle est arrêtée par une rjuestion préjudi-
*8 Vr»y. C-iss., 21) mars 1878 (S. 70. 1. 03). Coinp. Ciisf^., 8 f«'vr. iSnn (D.
5:1. \. OÔ); 9 juii. 190i. (Oaz. Trib.. n*» «lu IG nuv. 1004). On lira les obser-
vations faites dans la lier, pcnil., 190o, p. 383.
CAS OU LB MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTE D'AGIR. 347
cielle à Taction ; 4° quand elle est suspendue par l'état de
ihnence de Tinculpé.
II. L'action publique esiirreccvaùle d'une wanièrc absoluCy
lorsque le fait, hieu que constituant une infraction, ne donne
pas ou ne donne plus ouverture à Taction publique. Les
causes d*exlinction de faction publique formant l'objet d'uu
litre particulier, nous nous bornerons, ici, à indiquer les faits
délictueux pourlesquels la loi supprime l'action publique, et,
parsuite, l'application de la peine. Ces faits sont : 1** les sous-
Iraclions commises entre é|)Oux ou proches parents (G. pén.,
art. 380); 2° les infractions commises sur notre territoire par
des agents diplomatiques accrédites auprès du gouvernement
français, ou par toute autre personne jouissant de l'immunité
de juridiction; 3^ le rapt, lorsque la validité du mariage con-
Iradê entre le ravisseur et la fille enlevée a été reconnue par
le tribunal civil.
156. La théorie des questions préjudicielles se rattache à
celle de la compétence. C'est en traitant de l'organisation et
de la compétence des juridictions répressives que nous l'étu-
dierons. La démence de Tinculpé, survenue depuis linfrac-
lion, est un obstacle de fait qui s'oppose à toute procédure
kndant à le convaincre de son crime et à le juger. Et la rai-
son en est qu'un fou ne peut se défendre. Les seuls cas où
'action publique est, ([uantà son exercice, soumise à cerlai-
'ïes conditions préalables et légales, en dehors de l'existence
dequostions préjudicielles, sontau nombre dedeux : 1" plainte
Qu dénonciation de la partie lésée; 2"* autorisation préalable.
§UVn. - DES CAS ou L'ACTION PUBLIQUE EST, QUANT A SON
CXERCIGE, SUBORDONNÉE A UNE PLAINTE OU A UNE DËNONGIATION
PRÉALABLE.
"7. I,ps cas où racti«.»n j)iil)llqiH^ rst suljordonn»-»'. ilans >«in (!X«'roic:p, à une plainte
f''i à une dénoncialiMn, soDt liinilutiviMnciil «l'-lfrmini''^ \n\v la loi. Kn cN^hors des
tftxlpg. je principe, c'est l'action tl"«.flir«\ — 158. Kniimôrulion de co^ cas exeep-
lif'nnels. — 159. r>rij:ine liisinrique d.,» «•(■ syslrin»'. Droit n»main. Anci'Mi dn)it.
I^roit interraédinin-. Droit actuel. — 160. Maisons d'être de ces exceptions au
348 PROCÉDURB PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
principe de l'action d'office. — 164. La plainte, base de Taction, est-elle soamise
à une forme parlicii]i«;re? discussion et application de l'idée que ce qui est nécev
saire et suflisant, c'est que la plainte soit écrite et manifeste l'intention cerlaioe
du plaignant de provoquer la poursuite. — 162. Du retrait de la plainte. Dé>isle-
ment. Son ell'et. Exception pour le cas d'adultère ou de certains délits de pre5>:>e.
— 163. Étude et chusscraenl des (liv«;rs cas où l'exercice de l'action publique est
subordonné à une plainte ou dénonciation préalable. Adultère. Rapt. Délits de
chasse. Délits de pèche. Délits des fournisseurs. Contrefaçon industrielle. Diffa-
mation et injures. Délits commis en pays étranger. — 164. Appréciation de ce sys-
tème. Législations étrangères. Pratique. Réformes.
157. Le droit français moderne dégage l'action publique
de tous les intérêts particuliers. Cette conception a deux con-
séquences corrélatives.
D'abord, les deux actions, publique et civile, sont indépen-
dantes. Les transactions, renonciations, tractations, qui ont pu
intervenir entre la partie lésée et le coupable, restent sans
influence pour arrêter ou paralyser l'exercice de TactioD pu-
blique ^
Puis, l'action publique /yf^^/Z^/r^ exercée d'office^ sans quele
ministère public ait à attendre d'être saisi d'une plainle ou
d'une dénonciation. Ce droit ou cette prérogative constitue
un principe général qui ne saurait souffrir d'exceptions
qu'en vertu d'une disposition légale ci formelle^.
§ XXVn. * Le projet de l'article 4 du Code d'instruction criminelle, sou-
mis au Conseil d'Étal, était ainsi conçu : « La renonciation à l'action civil*^
ne peut arrêter, ni suspendre la poursuite <i'une contravention ou d'un
délit, lorsqu'ils sont de nature à blesser Vordrc public ». Au cours de ï^*
discussion (Locré, t. 2'*, p. 109), on fît remarquer, d'une part, combi^"
cette reclrictiun soulèverait de diflicultés d'espèces, et, d'autre part, combi<^"
elle était contraire à la conceptinn du délit qui est essentiellement un fi^*^
troublant Tordre public. C'était la résurrection des délits privés,
2 u Les exceptions à ce principe (d'après lequel l'action publiciue peut
Otre exero«'*e, sans avoir été provoquée par la partie lésée), ne peuvent r^'
sulter (jue de la loi; conmie toute exception, elles ne peuvent être étendut'^^
à d'autres cas que ceux pour lesquels elles ont été formellement établies.
<'t leur etViît ne dc»it pas aller au delà des limites que la lui leur a fixées '^
Mauii:in, Actions^ t. l, n** 131. Cfr. Faustin Hélie, op, cit., t. 2. n® 73-2;
Le S»'llyer, Traité de rcrcrrico cl de V extinction, etc., t. 1, n** 2>^S; Viclo-
ri«'n lJesfr«.»ix, Drs cas oii rcxcrcice de raction publique est subordonné (i
la plainte de la partie lésée (Th. doct., Paris, 1888), p. 76; Hoberl, Du droi
des particuliers tlans Vcxercice de l'action publique ^ p. 78 et suiv. Lu juris
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTE d'aGIR. 349
158. Les infractions, pour lesquelles la loi laisse à la
partie lésée l'appréciation de rop[)ortunité de la poursuite,
sont au nombre de huit. Ce sont: i°Vadtiltcre(C.\>én.^8ivL 336
et 339); 2° la diffmimtion et Vinjure (L. 29 juill. 1881
sur la presse, modifiée par la loi du 16 mars 1893, art. 47 et
60), sauf en ce qui concerne le chef de TÉtat français et les
ministres; 2" le délit de chasse, consistant à chasser en temps
non prohibe sur le terrain d'autrui, sans la permission du
propriétaire, pourvu qu'il ne s'agisse pas de terrains chargés
de récoltes ou d'enclos attenant à une habitation (L. 3 mai
1844 sur la chasse, art. 26) ; 4* les délits dépêche dans les cours
d'eau dont la pèche a été affermée (L. 15 avr. ^829, art. 65;
L. 31 mai-8 juin 1865, art. 14); 5*'le délit de contrefaçon en
matière de brevet d'invention (L. 5 juill. 1844, art. 15) ; 6* les
délits correctionnels commis par un Français à l'étranger
(C. instr. cr., art. 5, al. 4, modifié par la loi du 27 juin 1866);
7° le crime de rapt de miîieur^ suivi de mariage; 8® les délits
des fournisseurs prévus par les articles 430 à 433 du Gode
pénal.
Dans ces divers cas, nous entendons par plainte, une décla-
ration par laquelle la victime d'un délit lato sensu en fait
Texposéà un officier de police judiciaire pour que l'auteur en
soit poursuivi.
Quelle est l'origine historique de ce système?
Quel en est le fondement rationnel?
Ce sont là deux, questions préliminaires qu'il faut examiner,
avant de déterminer les deux points généraux suivants : les
prudence est conforme à Topinion unanime des auteurs. Ainsi, il a été jug6
qu'en matière de contravention de police, l'absence de plainte, même attes-
tée par le rédacteur du procès-verbal, n'est pas un obstacle à la poursuite
de la contravention par le ministère public (Cass., 31 juill. 1862, D. 67. 5.
476). Il a été jugé que le ministère public a qualité pour poursuivre d'of-
fice et sans plainte préalable le délit de mise en circulation en France d'ob-
jets portant une fausse indication de leur lieu de fabrication (Cass., 27 févr.
1880, D. 80. 1. 43i). Kn matière « d'escroquerie, l'action du ministère n'est
pas subordonnée à une plainte préalable de la partie lésée » (Cass., 23 nov.
1901, D. 1904. 1. 571). Voy. également : Cass., 15 juin 1893 (D. 95. 1. 496).
3 nov. 1894 (D. 96. 1. 54).
350 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CI
formes cl les effets de la plainte ou de la dénonciation
qu'elle est requise.
159. Le droit romain, dont le système est acluellei
remis en lumière et préconisé par quel([ues novateurs, lii
guail et séparait : 1** les délits puôlics, intéressant la i
publique, pouvant cire poursuivis par tous citoyens el j
par des tribunaux répressifs; 2° les délits privés, luis q
furtum^ Vinjuria, poursuivis par les parties intéros
jugés par les juridictions civiles. C/est à propos des pren
pour les([uels le droit <raccusalion était accorde à tou
citoyens aussi bien qu'aux parties intéressées, qu'élaient
deux reslriclions au principe général, Tune pour le crin
supposition de [»arP, Taulre pour Tadultère*.
Ces deux restrictions passèrent dans notre ancien c
L'ordonnance de 1670 (lit. XXV,art. 19)enjoignait, ilest
aux procureurs du roi, et à ceux des S(Mgneurs, k de |
« suivre incessamment ceux qui seront prévenus dv c\
a capitaux, ou auxquels il écherra peine afdictive, nonol
« toutes transactions et cessions de droits faites par bs
« lies. Et à l'égard de tous les autres, seront les trans.^c
« exécutées, sans que nos procureurs ou ceux des seit^n
« puissent en faire aucune poursuite ». Mais celte distini
admise entre les infractions graves, donnant lieu à une
suite d'office, el les infractions moins graves^ laissée
soins des particuliers, conduisit les juristes, en Tab
cependant de toute disposition restrictive dans les ordoi
ces, à ressusciter les deux exceptions^ et à y ajouter que
autres cas'.
» Loi 30, S 1, Dig., (te li'u>> Cornelia de fahh, XLVIII, 10 : u D.-
supposilo ^n\i accusant parlMJto^^ aul hi ad (iii«)S ca rcs perliiicat, uoi
bel oxpopulu ci^t piiMicain acousatirmom iiit«.Mi«lat »*. lit un autre Il'xI
pie D en (lonnail la raison (L<»i I, J; 3, l)i^^, 'le insp. rentii, XXV, i)
blico inteivsl parlus non suhjici ul onlinunidij^nilasrarailiarumvo &al\
* Pour radultère : Ksmein, Mt'latiifis (h^ droit, [>. M.lîs.
^ Viiy. Miiyai-t «le Vou|jrIans, Lois criminr/Irs, j). 2r»l».
^ Leâ ofliciei's publ'u's, «.lit .Ious^m [lu str, ciiin., p. 198', no soni [la
à accuî?»M' lursqu'il .s'a<^il «rinjuros el li'aflain-s libères.
CAS OU LE MINISTÈRE PUBUG N'a PAS FACULTÉ D AGIR. 351
Le droit intermédiaire, en accordant la faculté de pour-
suivre, soit aux parties lésées, soit aux officiers de police
judiciaire, donnait à ces derniers la pleine et entière dispo-
sition de l'action publique. Le Code de brumaire an IV,
disait, dans son article 4 : « Tout délit donne essentiellement
«^ lieu à une action publique»; et dans son article 100:
"Toutes les fois qu'un juge de paix apprend, soit par une
«dénonciation ou une plainte, 502/ atUrement, qu'il a été
'( commis dans son arrondissement un délit de nature à être
" puni soit d'une amende au-dessus de la valeur de trois
«journées de travail, soit d'un emprisonnement de plus de
«trois jours, soit d'une peine afflictive ou infamante, il est
« tenu, sans attendre aucune réquisition^ de faire ses dili-
«geoces pour s'assurer du fait, découvrir le coupable et le
«faire comparaître devant lui ».
Le Code d'instruction criminelle, tout en effaçant la dis-
linclion des délits publics et des délits privés, est revenu au
système de notre ancien droit. Aujourd'bui, toute infraction
esldemème nature au point de vue de raclioii. Et l'action
publique, en découlant, peut être intentée iVof/ice, sous réserve
d'un petit nombre de cas dans lesquels la loi exige la plainte
^ela partie lésée préalablement à sa mise en mouvement.
160. On peut classer, sous deux ordres différents d'idées,
It's motifs qui ont fait subordonner Texercice de l'action
publique à cette condition. Dans certains cas, le législateur
se préoccupe, soit de rintérél, de la paix et du repos des
familles, qu'il ne faut pas troubler par des poursuites indis-
crètes, soit de l'honneur et de la considération des personnes^
lui ont souvent plus à perdre qu'à gagner à un procès
j)énal. Dans d'autres, il considère (ju'il s'agit d'infractions qui
blessent surtout Tinléret privé et que l'intérêt public est si
égèrement atteint qu'il convient de ne pas intenter l'action
anl que la partie lésée n'a pas provoqué la poursuite.
161. Lorsque la poursuite peut avoir lieu d'office, il est
ms intérêt comme sans utilité de se préoccuper de la forme
352 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
de la plainte ou de la dénonciation qui a mis en mouYcment
Faction du parquet : le ministère public, en effet, aie droit
d'agir, dans ce cas, de quelque manière et dans quelques con-
ditions qu'il ait acquis la connaissance de Tinfraclion. La
poursuite d'office a pour caractère essentiel de n'être subor-
donnée à aucune condition de fond ou de forme. En est-il
de même lorsque la poursuite ne peut avoir lieu qu'après une
plainte ou une dénonciation? Les articles 31 et 63 du Code
d'instruction criminelle indiquent, tout à la fois, les officiers
de police judiciaire compétents pour recevoir une plainte ou
une dénonciation et les formes mêmes dans lesquelles ces
actes sont rédigés. On a soutenu que, dans tous les cas où
elle rst exigée pour que la poursuite puisse avoir lieu, la plainte
ou la dénonciation doit être régulière, c'esl-à-dirc adressée
au fonctionnaire compétent pour la recevoir, écrite et signée
conformément aux prescriptions des articles 31 et 63 : car la
plainte ou la dénonciation est alors la hase même de Taction^
Mais cette condition nous semble exagérée. Ce qui esta la fois .
nécessaire et suffisant, c'est que le ministère public justifie
qu'il a été saisi, avant d'agir', d'une pièce quelconque, éta-
blissant Viniention formelle, et non équivoque, du plaignant
ou du dénonciateur de provoquer des poursuites*. Or, la nia-
"^ Voy. Faustin Hélie, op, cit., t. 2, n" 751 et suiv.; Haus, op, cit., 1.2,
n" lir>8 l't 1159; LaborcJe, n° 102, p. 211; Villey, Précis (6» t^dit,), p. 189.
» L'acliori n*esl, en elTet, recevahie que b'i elle est précédée d'une plainte
ou 'Pune dénonciation préalable à son exercice. Ainsi, il a été jugé (Cass.,
18 jauv. 18G1, D. 01. 1. 18G), qu'il n'est pas nécessaire que la plainte soil
datée. Mais, dans ce cas, il laut bien qu'il soit établi, en fait, que la plaiolf
a f)récédé l'exercice de l'action publitiue. Voy. également : Angers, 9 mars
1891 (./. dvs Parq,, 18«1. 2. 73).
• La jurisprudence français<> paraît être établie dans ce sens. Voy. o"
matière «le dilVamation : Cass., 29 mai 1880 (S. 87. 1. 337); Cass., 8 jauv.
1892 (D. 92. 1. 029). Sic, Fal)regueltes, Traité des infractions de la
parole j de récriture et de la presse, t. 2, ii** 1937; Barbier, Code expliqué
de la inrsae, t. 2, W* 805; G. Le Poitlevin, Traité de la presse, t. 3, n® 1270.
En maiit'rc de d»Mit de chasse : Caen, 5 janv. 1871 (D. 71. 1. 170). — Il
en e>l de mr-nie de la jurisprudence belge : <^ass. belge, 3 mars 1890 [Pa-
sicrisie, 1890. 1. 103), bien que Ilaus {Principes du droit pénal belge^ t. 2,
no 1158), soit d'un avis contraire.
CAS on LE MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTB d\gIR. 353
nifestation de cette volonté n'est soumise à aucune condition
spj'iciale, pourvu qu'elle se produise sous une forme qui per-
mette d'en constater l'existence, ou qui laisse à la Cour de
cassation les moyens d'exercer son droit de contrôle.
I. Ct^ci posé, la plainte, qu'elle émane d'une personne pu-
blique ou d'un simple particulier, doit être faite par écrit ^^ et
révéler l'intention de son auteur de mettre en mouvement
raction publique. Dès que cette double condition est remplie,
il est satisfait à la loi.
Mais, il y a lieu de remarquer : V Qu'en matière de diffa-
mations ou injures adressées aux cours et autres corps en umérés
en l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, l'article 47, § \ de
celte loi exige que si ce corps a une assemblée générale, une
délibération soit prise par ladite assemblée pour requérir des
poursuites; mais cette délibération n'est pas plus soumise que
la plainte à une forme spéciale et déterminée ; 2® Que, dans le
cas d'offense envers les chefs d'État, ou d'outrage envers les
agents diplomatiques étrangers, la poursuite, si elle n'a pas
lieu à leur requête, se fait d'office, sur leur demande adressée
an ministre des affaires étrangères et par celui-ci au ministre
delà justice (L. 29 juin. i881, modifiée par la loi du 16 mars
1893, art. 60) *'.
Dans tous les cas, l'action civile, intentée par la partie
lésée, dey ani]a juridiction civile, n'équivaut pas à une plainte
et ne rend pas le ministère public recevable à intenter des
poursuites. En effet, lorsque la loi subordonne l'exercice de
l'action publiqiie à une plainte ou à une dénonciation, elle
>eulque la volonté de la partie lésée de faire punir le cou-
pable soit constatée d'une manière certaine. Or, par cela seul
elpar cela mêmeque la partie lésée porte son action devant les
*^ Il est (^vident qu'une plainle" vorhîilo, rlonl on ne pourniit «K'-niDnlrer
la rAalit.'^ que par des (l»»rlîiralions ou des trmniirn.iLrt'?, serait insiiflisanl^.
Mais la Cour d'Angers, dans l'arnH prreil(^ du 0 mars 1SÎ>I, a d«'cid«» que,
pi la plainte écrite avait éXé détruite par suite d'un accident ou d'un cas
fortuit, le ministère public pouvait être admis k établir, par tous mo«!es de
preuve, qu'une plainte régulière lui avait été remise en temps u'.ile.
** Sur tous ces pt»inls : G. Le Puittevin, op, cit., n° I2o0.
G. P. P. — 1. 23
354 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
tribunaux civils, elle manifeste Tintention de ne pas user du
droit d*option devant la juridiction répressive que lui recon-
nait, dans tous les cas, l'article 3 du Code d'instruction crimi-
nelle**.
II. La plainte ou la dénonciation qui relève le ministère
p^iblic de l'obstacle paralysant son action, doit être adressée au
fonctionnaire, ayant qualité pour la recevoir, c'est-à-dire au
procureur de la République, au procureur général, aux offi-
ciers auxiliaires de police judiciaire. Les plaintes portées di-
rectement au procureur général ou aux officiers auxiliaires sont
transmises au procureur de la République (G. instr. cr., art.
64 et 275). Une plainte, adressée à un fonctionnaire incom-
pétent pour la recevoir, tel qu*un garde champêtre, ne sau-
rait prouver une intention sérieuse et certaine de provoquer
une poursuite *'. La plainte peut également se présenter sous
forme de citation directe, dans le cas où la loi autorise cette
manière de procéder. Dans ce cas, en effet, l'action publique
se trouve mise en mouvement par le fait même de la partie
lésée.
162. Dès que la plainte ou la dénonciation existe, le minis-
tère public reprend sa complète indépendance à l'occasion
du délit même qui en a été l'objet : il demeure donc libre de
ne pas agir; et, s'il agit, il peut exercer l'action contre tousceux
qui ont participé au délit, qu'ils soient ou non visés dans la
plainte, et alors même qu'ils en auraient été exclus par le
plaignant, et cela sans avoir besoin du concours ultérieur de
ce dernier. La seule condition à laquelle était subordonnée
l'action publique se trouve, en effet, remplie : nous sortons
de l'exception pour rentrer dans la règle.
En conséquence : 1° Lorsqu'un jugement est intervenu
sur l'action publique, le ministère public peut s'arrêter, ou
12 Cette solution n'est contredite que par Mangin, op. ct^, t. 1, n** 132.
Mais elle est adoptée par toute la doctrine. Comp. Faustin Héiie, op, cit.y
t. -2, n« 754; Haus, op, cit., t. 2, n*» 115».
'3 C'est, en effet, la véritable ra'son pour laquelle la pseudo-plainte n'au-
rait aucune efficacité.
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC N*A PAS FACULTÉ d'aGIR. 355
interjeter appel ou se pourvoir en cassation sans nouvelle
plainte de la partie intéressée. S1I accepte le jugement ou
l'arrêt, la victime du délit, à condition toutefois qu'elle se soit
constituée partie civile, peut bien appeler ou se pourvoir, mais
en ce qui concerne ses intérêts civils seulement. L'action pu-
blique, en effet, ne lui appartient pas: elle a pu, en quelque
sorte, la retenir par cela seul qu'elle s'est abstenue de porter
plainte, mais dès qu'elle s'est adressée au ministère public et
Ta mis à même d'agir, le ministère public a seul qualité pour
eiercer l'action publique, c'esi-à-dire pour conduire cette
action jusqu'au jourdujugemcntdéfinitif. Qu'on nes'ytrompe
pas, en effet, même dans les cas où Faction publique est su-
bordonnée à une plainte ou à une dénonciation, il n'en résulte
pas que le ministère public ou la partie civile changent de
rôle dans le procès pénal : le ministère public reste toujours
le délégué exclusif de l'accusation; la partie lésée ne figure
dans l'instance que pour ce qui regarde ses intérêts civils et
au même titre que dans toute autre instance. C'est une règle
que nous appliquons en France dans tous les cas, même à
celui du mari poursuivant en un procès d'adultère**. 2° Le
plaignant peut se désister, soit qu'il retire sa plainte, soit qu'il
retire son action, s'il s'est constitué partie au procès; mais,
en principe, ce désistement n'arrête pas l'action publique,
lorsque cette action est engagée. J'admets, en effet, une
restriction qui semble s'imposer. Lorsque le ministère public
n'a pas encore agi, il semble bien que le retrait de la plainte
De lui permette plus d'agir". 3** La situation créée par la
** Sur ce point : Ortolan, op. cit., t. 2, n« 1472; et mon Traité théorique
ft pratique du droit pénal, t. 5, n° 1888.
" Celle solution n'est pas fjfénéralement admise. En sens contraire :
Faustin Hélie, op. c/7., t. '2, n** 758; Le Sellyer, Actions publique et pri-
vée, t. 1, !!• 242; Floflman, Questions préjudicielles, t. 1, n** 19; Dijon,
i5 janv. 1873 (D. 74. 2. 92); Cass., 11 août 1881 (S. 82. 1. 142); 7 sept.
1850 (J. de droit crim., art. 4954); Chambt^ry, 16 déc. 1880 (J. de droit
crim., art. 10778); Orléans, 17 mars 1891 (S. 93. 2. 49). C'est le principe
fue pose la Cour de cassation, dans un arr(^t du 2 avril 1896 (S. 94. 1. 30 1).
f\ sur la question : Morin, J. de droit cHm,, art. 4938. En sens contraire,
)rsque le désistement intervient avant toute poursuite : Rauter, p. 297.
356 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIL]
plainte n'est pas modifiée par le décès du plaignant. Si
héritiers n'onl, pas plus que lui, le droit d'arrêter Taclion d
ministère public si elle est engagée. Ils ne le pourraiei
miMiic pas si le ministère public n'avait pas encore exerc
l'action publique, car les héritiers n'ont pas la faculté tl
modifier une situation juridique que le décès du plaignac
rend définitive.
Dans cette conception juridique, le pardon de la victm
d'un des délits énumérés, les renonciations et transactior
intervenues entre les parties, réfléchissent ou ne réûécbiî
sent pas sur l'exercice de faction publique suivant Tépoqu
ou ces faits sont intervenus. S'ils se produisent antérim
rement au dépôt de la plainte, ils rendent la plainte irrecevi
ble et le ministère public n'a plus en mains qu'un titi
sans valeur et, pour ainsi dire, inefficace^*. S'ils se produ
sent après la mise en mouvement de l'action publique, c
rentre dans la règle générale posée par Tarlicle 4 du Coc
d'instruction criminelle, et le ministère public n'a pas
s'arrcler devant ces tractations et le désistement de la plain
qui en est la conséquence.
En ce qui concerne le àè\\\.d adultère et celui de diffamatit
ou iVinjiire^ il y a lieu de noter deux dispositions exceptioi
nellcs.
Le désistementdu mari, en cas de poursuite pour adultèr
CkîXW «It-niit'rv «lo'^lrine n dW" consiU'm?, on Bi'l^nqiie, par J*;irliol(' 2 cl»:' la
«lu I* îivril IsTS ainsi coiun : 'i Lorp.jii;» la Ini siilMinlonne I ox«^rciot^
Tarlitin inilili'ju»' \i la plain h; rio la partio l»^sé«\ h» ♦h'sisti^niont do cottr p:
Ijp, avani It.ml arti- <lo yunirsuil*', arrélo Ja profMMluro V.n niatirro (ra«iiillr
cp <l»''sisloin»'nl peut olro t'iiil on tout otat «io oauso »». .lo lais romarqui^r,
reste, qu'il oxisto, dans nohv droit, deux oxcoptions (pii ahForhont pn-sc]
la n*frlp : 1® on matiiTO d'adnltt're, où \o dt'*siîit»'m<MU du procos, en «pn-lq
«MfJ. flo oaM<rf qu'il inN-rviiMin»', arrôto la pourfuin-; l'* on nialirro «lo «lit'
niali'Mi Mil d'injuro ^nviMS un partioulirr, où lo «IrsistoiruMil du [»l.'iii;n;
pn.Mliiit !.■ mémo oHVi, aux lormosflo l'arliolorHi, in J'nic^ d»* la loi du -*.»jii
Ict iSNl >ur la liitorlô df la pn-sso. Mais pas dans Icsauln's cas.
""■ i^'lît' s.iluti'Ui [)oul «Mrir or)ntesloi\ Kilo semMo résullc-r du caracl»
uièni'.' di'S i|«'»lits pnur losipi«îls la loi suln>rdf)nno re\t.-rcico do I*aot.ion pc^n;
à rui'.' p'alu!"' jf la partie lôs«''o.
CAS OU LB MINISTÈRE PUBLIC n'a PAS FACULTÉ d\vGIR. 357
à quelque époque qu*il intervienne, éteint Taction publique
vis-à-vis de la femme comme vis-à-vis du complice ^\ C*csl la
conséquence certaine du droit de pardon que reconnaît l'ar-
ticle 337, au profit du mari. Mais, ce droit de grâce n'ayant
pas été formellement accordé à la femme (et j'ai dit ailleurs
({uelle en était la raison), on décide^ généralement, qu'une
fois la poursuite commencée contre le mari, sur la plainte
de sa femme, celle-ci ne peut, par son désistement, éteindre
Inaction publique".
Le désislcmentdu plaignant arréle.la poursuite commencée,
^ raison des délits: 1® de diffamation envers un particulier;
â'^d'injurespubliques envers unparticulier; 3® d'offense envers
Un chef d'État étranger; 4"* d'oulrage envers un agent diplo-
matique étranger. Celte solution résulte du texte de l'article
60 de la loi du 29 juillet 1881 : « Le désistementdu plaignant
arrêtera la poursuite commencée », qui règle, depuis la loi du
16 mars 1893, la poursuite, non seulement au cas de diffama-
tion ou d'injures publiques envers des particuliers, mais l'of-
fense aux chefs d'Etats étrangers et Toutrage envers les agents
diplomatiques étrangers accrédités auprès du gouvernement
de la République^'. En dehors de ces cas, la règle générale
reprend sa force, et le désistement du plaignant ne saurait
arrêter la poursuite, notamment lorsqu'il s'agit d'un délit d'in-
jure ou de diffamation envers des corps constitués ou des
personnes comprises dans l'énumération de l'article 31 de la
loidu 29 juillet 188P'.
" Bien entendu, je me place avant la condamnation devenue définitive.
»• Voy. notamment : Paris, 12 mars 4858 (S. 58. 2. 339).
*• Voy. sur ce point : G. Le Poittevin, Traité de la presse, t. 3, no 1277.
*® C'est ce qu*a décidé la Cour de cassation dans ralîaire Lalou : Crim.,
2 avr. 1896 (S. 90. 1. 30't). La m^me solution est donnée par la doctrine.
Comp. G. Le Poittevin, op, cit., t. 3, n" 1278; Barbier, Code expliqué de
la presse, t. 2, n*" 867, in finey et 967. V. en sens contraire, Chopin d'Ar-
nouville dans la Gaz, des Trib, du 2 mai 1896 : « La Cour de cassation,
dit-il, ne paraît pas avoir voulu céder à cette idée que le retrait de la
plainte doit enrayer l'action du ministère public. Il est certains cas cepen-
dant oiï ce principe est vrai, et Thypothèse qui nous occupe paraissait
être UD de ceux-là ».
358 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
163. Avant d*e\aminer on détait chacune des exceptions au
principe de Findépendance du ministère public, je constate
que les cas, limitativement énuincrés, peuvent être groupés en
trois catégories: a) La première comprend les infractions qui
ne peuvent être poursuivies sans uneplaintede la partie lésée,
telles que : Tadullère; le rapt par séduction, lorsque le ravis-
seur a épousé la fille qu'il a enlevée; la diffamation et Tin-
jure; les délits de chasse ou de pèche sur le terrain ou dans
les eaux d'autrui; les délits de contrefaçon industrielle. 6) La
seconde classe compreqd les infractions qui ne peuvent
être poursuivies par le ministère public que sur Yinitiative
de Tadministration publique qui est pécuniairement intéres-
sée à leur répression ; tels sont : les délits des fournisseurs
des armées de terre ou de mer. t;) Enfîn^ dans la troisième
classe, rentrent les infractions dont la poursuite a besoin
d'être provoquée, soit par une plainte des personnes lésées,
soit par une dénonciation émanant du corps ou du gouverne-
ment indirectement atteint par le délit. A cette classe ap-
partiennent : les diffamations ou injures contre tous déposi-
taires ou agents de Tautorité publique; les délits commis,
hors du territoire de la France, par des Français, contre un
particulier, Français ou étranger.
L Le délit d'adultère n'est pas un délit privé, c'est un
délit sociaP\ Mais, parallèlement à l'intérêt public qui en
réclame la répression, il y a l'intérêt contraire de la famille et
des enfants, dont l'époux offensé est le seul juge. Il ne faut
donc pas s'étonner que l'exercice de l'action publique, en cette
matière, soit subordonné à certaines conditions spéciales : la
loi fait échec au principe que le ministère public est libre
d'agir pour assurer la répression des faits punissables, et l'é-
poux coupable ne peut être poursuivi que sur la plainte de
l'autre époux (G. pcn., art. 336 et 339). Mais si la victime du
délit a seule le droit de mettre l'action en mouvement^ le mi-
** Voy. sur ce point, mon Traité théorique et pratique du droit pénal^
2« ddit., t. a, p. 133. Adde : Jules Gauvière, De la répression de Vadultère
(Kev. pénit., i905, p. 907 à 913).
CAS OU LB MINISTÈRB PUBLIC n'a. PAS FACULTB d'aQIR. 359
aistère public, après la plainte, exerce cette action au nom de
la société intéressée au maintien de la foi conjugale, fonde-
ment de la famille légitime. Nous avons examiné ailleurs les
coodttions de poursuite de Tadultère et nous renvoyons à ce
queoous avons écrit à ce sujet -^
II. Dans le crime de rapt par séduction, prévu par l'article 356
in Code pénal, lorsque le ravisseur a épousé la Glle qu'il a
enlevée, la poursuite, tant contre lui que contre ceux qui ont
participé àTenlèvement", est subordonnée à une double con-
dition, exigée cumulativement par la loi : Y annulation du ma-
riage prononcée par les tribunaux civils, et une plainte déposée
parles personnes qui ont le droit de demander cette annulation
(C. p., art. 357)**. Ainsi lorsque Tenlèvement n'a pas été suivi
de mariage, le ministère public peut librement poursuivre le
ravisseur et ses complices^*. Mais, si celui-ci a épousé la per-
sonne enlevée, la poursuite ne peut avoir lieu que sur la plainte
despersonnesquiont le droit de demander lanullité du mariage
et qu après que cette nullité a été prononcée. Cette question
d'annulation suspend non seulement le jugement de l'action
publique, mais V exercice même de cette action, qui ne peut
" Traité théorique et pratique du droit pénal, 2* ëdil., t. 5, p. 152,
n« 188i à 4891, el surlonl n<» 1888.
" Les poursuites pénales contre les complices du ravisseur auraient les
mêmes inconvénients que celles contre le ravisseur; il serait, du reste, contra-
dictoire de permettre la poursuite des complices, alors qu'on ne permettrait
pas de poursuivre Tauteur principal : aussi l'exception qui couvre le ravis-
seur couvre également les complices. Sic, Cass., 3 août 1852 (B. cr.,
n« 235).
*♦ Les deux conditions sont cumulativement exigées, c'est-à-dire qu'après
le jugement prononçant la nullité du mariage, le ministère public ne peut
poursuivre que s'il a en main une plainte. Contra, Mangin, Actions^
t. 1, n® 345. Mais dans le sens de la nécessité d'une plainte : Faustin
Hélie, op. cit., t. 2, n** 785; Le Sellyer, Exercice et extinction, etc., t. 1^
p. 48. Le texte paraît, du reste, formel.
" Il n'en est donc pas de ce crime comme du délit d'adultère; dès que
rinfraction est commise, l'action publique prend naissance; le ministère
public peut agir d'office et le procès ira jusqu'au bout, si le ravisseur
n'épouse pas la fille enlevée.
360 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVII^E*
être intentée par le ministère public, tant que la nullité du
mariage n*a pas été prononcée ^*.
111. L'aclion publique^ en cas de délit déchusse, est,enpri n-
cîpe, indépendante de la plainte de la partie lésée (L. 3 m â»
1844, art. 26, § 1). Le ministère public peutTintenter d'offic^iî;
toutes les fois qu'il s'agit de délits ne tenant pas à la lésion d ^
droit de propriété, mais à la police générale de la chasse : t^l
serait le fait de chasser, soit en temps prohibé ou sanspermis^^
soit avec emploi de moyens ou d'instruments défendus par I ^
loi. Toutefois, l'indépendance du ministère public cesse, lor^ "
que le délit consiste uniquement dans le fait d'avoir chassé su ^
le terrain d'un particulier" sans le consentement du proprié -^
taire ou de l'ayant droit". Dans ce cas, en effet, la seule condi -^
=*• Cependant, le texte de l'article 357 fait naître des diflicuUés sur c<
point. En décidant que le ravisseur i< ne pourra être poursuivi que su^
la plainte,.., ni condamné qu'après que la nullité du mariage aura été pro-^
nonc«^e >», il semble faire une diirérence entre la poursuite et le jugement ^
le ministère public pourrait poursuivre sur la plainte seule, le tribunal d»^
répression ne pourrait juger qu'après l'annulation du mariage. Mais la^
rédaction de ce texte est évidemment vicieuse : comment comprendre, en
effet, des poursuites provisoires, qui ne pourraient être suivies d'une con-
damnation? Concevrait-on que le ravisseur puisse indéfiniment rester
sous le c()U|) de poursuites criminelles, être indéfiniment maintenu en état
de détention préventive, jusqu'à ce qu'il plaise aux personnes qui en ont le
droit, de demander la nullité de son mariage? Les travaux préparatoires
démontrent, au surplus, que le texte ne répond pas à la pensée du législa-
teur : « 11 ne suflit pas, disait M. Faure, pour que l'époux puisse être pour-
« suivi criminellement, que la nullité du mariage ait été demandée; il faut
« encore qu'en effet le mariage soit déclaré nul ». Voir Loerê, t. 15, "p. 4i2;
Hoffman, Questions préjudiciel IcSt t. 3, n<>* 086 et suiv.; Ortolan, t. 2,
n» 1713.
2*' Nous disons d'un « particulier »; car le ministère public et l'adminis-
tration forestière pourraient poursuivre d'oflîce les délits de chasse commis
dans les bois soumis au régime forestier (G. for., art. 1" et 159); Cass.,
Chambres réunies, 27 févr. 1805 (D. 67. i. 95); Rouen, 10 janv. 1868 (D. 68.
1. 61). Mais on sait que le droit de chasse dans ces bois peut être cédé :
le droit de porter plainte appartient alors à l'administration ou au cessiori-
naire, suivant que le droit cédé est purement personnel ou, au contraire,
sans réserve. Sur ce dernier point, d'une application pratique délicate :
Faustin Hélie, t. 2, no 817; Le Sellyer, Exercice et extinction, t. 1, n® 189.
•■ L'article 26, § 2, de la loi du 3 mai 1844 se sert de cette expression
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC N'a PAS FACULTÉ d'aOIR. 36i
tion à remplir pour que le fait soit légitime, c'est de chasser
avec le consentement du propriétaire ou de l'ayant droit. Or,
l'existence de ce consentement, antérieur au délit, qui peut être
exprès ou tacite, est naturellement présumée par la loi, tant
que la personne intéressée ne porte pas plainte. Toutefois le
législateur, puisant cette indication dans ce qui a lieu le plus
communément {de eo qitod plcrnmque fit)^ ne présume pas ce
consentement et permet au ministère public d*agir d'office :
i* lorsque le fait de chasse a eu lieu sur un terrain clos, atte-
nant à une habitation "; 2*" ou bien lorsqu'il a eu lieu sur des
terres non dépouillées de leurs fruits, c'est-à-dire, — car les
deui hypothèses sont entrées dans les prévisions du législa-
teur, — sur des terres simplement ensemencées, ou dont les se-
mences étaient déjà Icvées^^
IV. L'action publique est également suspendue, jusqu'à la
plainte du propriétaire ou de l'ayant droit, à l'égard des délits
qui consist('nt uniquement dans le fait d'avoir péché dans les
eaux d*autrui, les autres conditions légales étant d'ailleurs rem-
plies. Cette décision n'est, il est vrai, consacrée formellement
par aucun texte : mais elle résulte, tout à la fois, du rapport
d'analogie qui unit les délits de chasse et les délits de pêche et
géntfrale « la partie intéressée », c'est-à-dire la partie à qui appartient le droit
de chasse. Or, l'article 20 lui-même considère le droit de chasser comme un
élément du droit de proprii^lA. CVst donc fe propriétaire qui a tout d'abord
|a faculté de porter plainte. Les ayants droit, quant à la chasse, sont ceux
h qui ce droit est transféré et qui l'exercent comme le propriétaire. Tels
sont Temphytéote et l'usufruitier du fonds, tels sont également les cession-
naires du droit de chasse, à titre onéreux, ou même à titre gratuit. Le fer-
mier n'a pas, à notre avis, le droit de chasse qui est un élément de la pro-
priété; il ne peut donc ni laisser chasser sur les terres airermécs ni porter
pJainte d'un fait de chasse non autorisé. Comp. sur cette derni«'re ques-
tion : Haus, t. 2, n" H77; Le Sellyer, Actions publique et privée, t. 1,
n«» 186; Faustin Hélie, t. 2, n<» 815; Paris, 28 janv. i8G9 (D. 01». 2. 155);
Caen. 6 déc. 1871 (D. 72. 2. 68); Alger, 27 déc. 1876 (S. 77. 2. 206);
Rouen, 7 déc. 1878 (S. 79.2. 84).
•• La loi exige, cumulativement ces deux conditions. Cela résulte du
texte même de l'article 26 de la loi de 1844.
*• Comp. sur le sens de ces mots : Faustin iiélie, t. 2, n« 810; Le Sellyer,
op, cit., t. 1, n» 182; Ortolan, t. 2, n« 1733.
362 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
de rintealion, formellement exprimée par le législateur, de
soumettre ces deux espèces de délits à une même règle ^\
V. Lorsque le service des armées de terre et de mer aura
manqué, soit par la négligence, soit par la fraude des fournis-
seurs, la poursuite de cps infractions, prévues par les articles
430 à 433 du Gode pénal, ne pourra avoir lieu que sur la
dénonciation du gouveroemént, c*est-à-dire sur la plainte du
ministre que le service concerne. Cette exception, à Tindépen-
dance du ministère public, a été inulilemeot formulée, car,
faute de moyens d'investigations, la poursuite n'aurait pu
jamais avoir lieu qu'avec le concours du gouvernement'*,
Yl. L'action publique est encore subordonnée à la nécessité
d'une plainte en matière de contrefaçon, non pas en ce qui
concerne la propriété littéraire ou artistique (G. pén., art. 425;
3» La question est délicate. Avant la loi du 15 avril 1829, relative à la
pêche fluviale, on était généralement d'accord pour la résoudre dans le
sens indiqué par nous. Mais la discussion de cette loi a jeté, sur cotte
question, beaucoup d'incertitude. En etîet, l'article 36 exige que les procès-
verbaux, constatant les délits commis au préjudice des particuliers, soient
transmis au procureur du roi. Or, le rapporteur à la Chambre des pairs
avait attiré l'attention sur ce point, et c'est précisément, après discussion,
et pour consacrer le droit du ministère public d'agir d'office, que la rédac-
tion de l'article 36 a été adoptée. Aussi, un grand nombre d'auteurs et la
jurisprudence n'exigent pas comme condition préalable de la poursuite des
délits de pêche commis dans les eaux des particuliers une plainte de l'ayant
droit. Sic, Cass., 17 oct. 1838 (S. 39. 1. 245); 3 juin 1853 (D. 53. 1. 239);
Caen, 9 août 1871 (D. 73. 2. 156); Trib. de Saint-Julien, 31 juill. 1879
(S. 80. 2. 267); Faustin Hélie, op, ciU, t. 2, n" 818; Le Sellyer, op, cit.,
1. 1, n** 191. Mais on peut répondre que, d'après la déclaration même
du rapporteur, la rédaction de l'article 36 avait été modifiée pour la mettre
d'accord avec l'article 70; or, cet article 70 a été rejeté, et voici le motii
qu'en donnait le commissaire du gouvernement à la Chambre des pairs :
« La Chambre des députés a supprimé l'article 70 de l'ancien projet : elle a
pensé qu'à l'égard de la pêche, comme à l'égard de la chasse, les particu-
liers doivent demeurer libres de dénoncer les délits, pour lesquels la loi
leur donne action directe. » Dans ce sens : Mangin, op, cit., t. i, n© 159;
Villey, Précis (6* éd.), p. 188. On trouvera des renseignements complets
sur la question dans le Répert, gén, alph, du droit franraiSf v* Pèche flu-
viale, n°« 750 et 751.
•* Voy. du reste, pour les détails, mon Traité théorique et pratique du
droit pénal {2« éd.), U 6, n» 2562.
CAS OU LB MINISTÈRE PUBLIO n\ PAS FACULTÉ d'aGIR. 363
D. S févr. 1810, art. 41 et 47), mais seulement en ce qui coq-
cerne la propriété des inventions brevetées^ (L. 5 juill. 1844,
art. 45).
YII. La loi du 17 mai 1819 a établi, dans une définition très
précise^ que la loi du 29 juillet 1881 a simplement répétée
[art. 29), la différence essentielle entre la diffamation et Vin-
jure. La diGTaination est « toute allégation ou imputation d'un
/au (vrai ou faux) qui porte atteinte à Thouneur outà la con-
sidération de la personne, ou du corps auquel le fait est im-
puté » ; l'injure est a: toute expression outrageante, terme de
mépris ou invective, qui ne renferme Fimputation d*aucun
/ai/» déterminé. L'élément de gravité prédominant deTinjure
et de la diffamation consiste dans la publicité. C'est ce qui
eiplique comment ces deux délits ont été prévus et définis
dans les lois relatives à la presse et aux autres moyens de pu-
blication. A regard du chef de TÉtat, de la personne des sou-
verains ou chefs des gouvernements étrangers, les lois sur la
presse ne parlent pas d'injure ou de ditlamation, elles se ser-
vent, sans la définir, de l'expression offense^ expression qui
comprend, sans aucun doute, non seulement l'injure et la diffa-
mation, mais encore tous les autres faits indéterminés qui^ à
l'appréciation du juge^ peuvent être considérés comme offen-
sants (L. 29 juill. 1881, art. 26, 36). Enfin, lorsqu'un fait rentre
dans les prévisions des articles 222 etsuiv. du Gode pénal, bien
<{u'il puisse contenir une diffamation ou une injure proprement
dite, il est qualifié 02/^ra^e par la loi. Ce qui caractérise l'outrage,
c'est qu'il est adressé, soit à un magistrat de Tordre administra-
tif ou judiciaire, soit à un juré, soit à un officier ministériel ou
agent dépositaire de la force publique, ou même à un citoyen
chargé d'un ministère public, dans l'exercice ou à l'occasion de
fexercice de ses fonctions. L'outrage peut se commettre par
faits^ paroles, gestes ou menaces. La publicité n'est point re-
quise, à titre d'élément essentiel du délit.
Pour savoir si les injures, diffamations, offenses et outrages
peuvent être poursuivis d'office, il y a lieu de faire les distinc-
tions suivantes : 1** En ce qui concerne les diffamations ou les
injures publiques contre les particulierSy la règle est simple :
364 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
l'action n'est ouverte au ministère public que sur la plainte d
la partie qui se prétend lésée. L'article 60 de la loi du 29 juil
let 1881 pose formellement ce principe au sujet des diiïama
lions ou injures publiques, qui constituent des délits^\ l
raison d'être de celle règle, c'est que la répression de ces in
fractions intéresse principalement ceux qui ont été ofTcnsés. L
personne lésée, qu'elle soit victime d'une médisance ou d'un
caiomnief peut avoir intérêt à éviter le scandale d'un procès
elle peut mépriser roffense; elle peut préférer prendre poi
juge l'opinion publique. De quel droit le ministère public Tei
gagerait-il dans un débat, « où la justice même et le triompi
ne sont pas toujours exempts d'inconvénients » ? 2** En ce (j
concerne les di/fmnntions et injures envers les cours, tribi
naux ou autres corps constitués, c'est-à-dire les corps do
l'existence est permanente et dont les membres se réunisse
pour délibérer, ces délits ne peuvent être poursuivis (L. :
juin. 1881, art. 47, § 1), que sur la délibération de ces cor|
administratifs ou judiciaires, prise en assemblée générale
requérant les poursuites, ou, si le corps n'a pas d'assembh
générale, sur la plainte du chef du corps, ou du ministre d'
quel ce corps relève. 3" La loi de 1819 subordonnait égal
ment à la nécessité d'une plainte préalable de la partie lést
la poursuite des injures et des diCfamations dirigées cont
tous dépositaires ou agents de l'autorité publique. Avec ce s>
tème de législation, il arrivait souvent que des fonclionnair
hésitaient à saisir les tribunaux de leurs griefs personnels
rendaient ainsi impossible une répression à laquelle ils i
sont pas seuls intéressés. La loi du 29 juillet 1881 (art. 47, §
permet au ministère public de poursuivre ces infractions, s(
sur la plainte de la partie offensée, soit d'office, sur la demaui
adressée au ministre de la justice par le ministre dans
département duquel se trouve le fonctionnaire diffamé ou i
jurié. 4** En cas d'offense envers la personne des souverai
33 Aucune plainte n'est ni^cessaire, au cas d'injure non publique, pour ir
Ire en mouvement l'action publique. Sic, G. Le Foillevin, Traité de
presse, t. 3, n« 1278; Barbier, Code de la presse, t. 2, n® 543, p. 79.
CAS OU LE MINISTÈRE PUBLIC n'a. PAS FACULTE D'aGIR. 365
OU chefs des gouvernements rlrangcrs, ou (Fonlrage envers
les agents diplomatiques étrangers, la poursuite aura lieu, soit
à leur requête, soit d'office, sur leur demande adressée au
ministre des affaires étrangères et par celui-ci au ministre de
la justice (art. 47, § 5)'*. o"* Knfin, en cas d'outrage prévu par
les articles 222 et 227 du Gode pénal, la poursuite peut avoir
lieu d office".
VIII. En cas de délit commis à Télranger et punissable ea
France, la condition d'une plainte n*est requise que pour les
délits commis contre les particuliers, et une dénonciation
officielle faite à Tautorité française par l'autorité du pays où
le délit a été commis équivaut à la plainte (C. instr. cr., art. S).
164. Telles sont les seules exceptions, dans le droit crimi-
nel français, au principe d'après lequel le ministère public
est investi d'une action A'ofpce, Peut-on les rattacher à une
même conception? Evidemment, c'est au droit individuel, re-
couvert, en général, par le droit social, mais qui afûeure par-
fois, et dont on retrouve les vestiges, même dans un système,
quoique peu absolu, d'accusation publique. Mais alors on
peut s'étonner que ces exceptions ne soient pas plus nom-
breuses. En effet, l'extension de ce système a été demandée, en
ce qui concerne les délits légers, moins comme un moyen
d'arrêter les excès de zèle, aujourd'hui peu redoutables, d'un
ministère public trop ardent, que comme contrepartie néces-
saire d'une meilleure organisation dans la réparation du dom-
mage occasionné par le prévenu à la partie lésée". Quelques
législations sont entrées dans celte voie : elles ont allongé la
liste des cas où l'initiative de la poursuite dépend de la partie
lésée". La conséquence de ce point de vue est d'assurer Tim-
" La loi du 16 mars 1893 a n'tal«li, pour cos Hi^lits, la rompt^b^nco des tri-
bunaux correction n«?ls (arl. >7 «.«t 60 combin<^s et mutliti»»s, L. 2t» juilK 1S81).
^* Sur la légfislation di» la pn'ssr, au point de vu<' des eondilirins de la
poursuite des dillamatinus, injun's» offenses, uulra^es : G. Le Poittevin,
TraiU' de la presse, t. M, n»* 12:m et 12K6.
-* Voy. notamment : Haoul de la Orasserie, Des prûn-ipes sociolofjifpwa
de lacriminolo'jie, p. 17 S.
'" Les législations étrangères sont, en général, plus extensives que la
366 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
punité à tout délinquaûl qui parvient à s'entendre avec 1&
partie lésée, à prix d'argent ou autrement, et de l'amener ainsi
à s'imposer des sacrifices pour donner satisfaction à sa victiine
en vue d'éviter le châtiment. Et pour atteindre ce résultat, il
ne s'agit pas seulement de subordonner l'exercice de l'action à
la volonté de la victime, il faut encore lui accorder, par le re-
trait de la plainte, le droit d'arrêter la poursuite. Les deu^
facultés réunies aboutissent à placer, dans les mainsdela par-
tie lésée, un droit de pardoîi qu'elle exerce dans son propï*^
intérêt et non dans l'intérêt public.
Ce système n'est cependant pas encore celui des délits prî —
vés qui sont punis au profit de la victime et poursuivis excliB "
sivement par celle-ci. D'une part, en effet, le ministère publî ^^
reste, dans le système actuel, chargé de l'exercice de l'actio^r^
pénale, et ne peut requérir une condamnation à des domma —
ges-intérêts. D'autre part, la victime du délit, qui a le droi ^
notre, en cf* qui concerne le nombre des délits qui ne peuvent étro pour '
suivis d'office. En Allemagne, la liste des « antragsdelicte » est fort--^
longue. Voy. Daf^uin, Ann. de légisL étrang.j 1876, p. 135 et suiv.;
C. proc. p(^n. al!., art. 152, et loi du IG févr. 1876. En Italie, la liste des
délits qui ne pf'uvent tUre prjursuivis que sur plainte comprend, en plus de
la difVamation et de Tinjure, les coups n'ayant entramé ni maladie, ni inca-
pacitt'r de travail supérieure k dix jours, Toutrage k la pudeur dans un lieu
privé, rapt, avec ou sans violence, adultère, concubinage, dommage à la
propriété mobiliiTC ou immobilière d'autrui ne dépassant pas 5(H) livres,
intrusion ou chasse sur la propriété d'autrui, blessures à des animaux,
dégradation à la propriété d'autrui, appropriation de choses indues, gla-
nage et grappillage sur les terres non encore récollées. Dans tous ces cas,
le fKirdon de la victime, surcédant à la plainte, éteint, en principe, l'action
pénale, k moins (|u«' le prévenu ne refuse de Taecepter; mais il ne fait pas
cesser l'exécution de la condamnation. Accordé à l'un des prévenus, il pro-
fite aux autres (C. pén. ital., art. 88). Enfin, quand il est saisi d'une plainte
motivée par une de ces infractions, IVfficier de police judiciaire doit avertir
le plaignant de la faculté (]ue la loi lui concède de pardonner avant le juge-
ment, et du délai dans lerpiel il lui est loisible d'user de cette faculté
(C. proc. pén., art. 166). Sur les questions que soulève ce droit de pardon
et particulièrement sur sa transmissibilité aux héritiers, Voy. un article
d'Etton* Padivano, Rivista pénale, 1905, p. 300. Sur le droit comparé :
Raoul (le la Grasserie, ]>cs principes sociologiques de la criminolouie^
p. 167 à 173.
ACnON PUBLIQUE SUBORDONNÉE A AUTORISATION PRiALABLE. 367
négatif de paralyser l'exercice de l'action pénale, ne peut, si
elle se plaint ou se porte partie civile, se substituer au minis-
tère public pour diriger le procès pénal, le conduire Jusqu'au
bout et, au besoin, Tabandonner. Je ne verrai, pour ma part,
aucun inconvénient à ce que la loi légalisât des usages de plus
eu plus répandus dans la pratique des parquets. Il est rare,
en effet, que, pour les délits légers^ ou même pour les délits
graves qu'il peut être opportun de ne pas poursuivre, le mi-
nistère public agisse d'ofGce : il attend, presque toujours, une
plainte. Et, si cette plainte est retirée, à la suite d'arrange-
ments entre la victime et le délinquant, il est rare que le
ministère public se montre plus intransigeant que la victime.
Ce sont là des procédés de plus en plus suivis, et on sait que
la pratique, toujours mouvante, précède et prépare la loi,
toujours en retard.
§ XXVIII. — DES CAS ou L'ACTION PUBLIQUE EST, QUANT A SON
EXERCICE, SUBORDONNÉE A UNE AUTORISATION PRÉALABLE.
185. DistinctioD entre les cas d'immunité pdnalc et les cas où Taction publique
est subordonnée à la nécessité d'une autorisation. — 166. Le président de la
Bépubliquc. Immunité pénale, sauf en cas de haute trahison. Difficultés. — 167.
De l'article 75 de la Constitution de Tan VII F. Garantie politique. (larantie admi-
nistrative. — 168. Les ministres Leur situation au point de vuf? [)énal. — 169.
Les sénateurs et les députés. Nècessilé d'une autorisation de la Chambre dont ils
font partie. Portée de la garantie. — 170. (îarantie administrative. Sa suppression.
Plus d'autorisatoin préalable. Mais incompétence des tribunaux répressifs pour
amnaître des actes administratifs. — 171. Renvoi en ce qui concerne la garantie
religieuse. Délits des ecclésiastiques constituant un abus. Séparation des Églises
et de l'État.
165. Dans certains cas, Taclion publique est subordonnée
à une autorisation préalable. Mais il ne faut pas confondre
cette situation, dans laquelle la poursuite est simplement
paralysée, avec une situation voisine, dans laquelle, par suite
d'immunités pénales, la poursuite ne peut avoir lieu.
166. L'article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février
1875, après avoir déclaré : « Les ministres sont solidairement
368 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
« responsables devant les Chambres de la politique générale du
o gouvernement et individuellement de leurs actes person-
« ncis », ajoute: « Le président de la République n*estrespon-
(( sable qu'en cas de haute trahison ». Une première consé-
quence de cette disposition c'est que la responsabilité du
président de la République est tout à fait exceptionnelle,
qu*clle n'est pas politique mais pénale. Deux points seule-
ment sont douteux.
Le président de la République est-il responsable pénale-
ment et peut-il être poursuivi, devant les tribunaux de répres-
sion ordinaires, en dehors du cas de haute trahison, pour les
crimes, délits ei contraventions qui lui seraient reprochés? Evi-
demment non. L'immunité pénale du président de la Répu-
blique a paru nécessaire pour sauvegarder Texercice de la
souveraineté. Elle est absolue, par rapport aux tribunaux de
droit commun, et ne cède qu'en cas de haute trahison, devant
le Stjnat constitué en Ilautc-Cour de justice.
C'est donc exclusivement en cas de haute trahison qu'une
poursuite est possible. La loi constitutionnelle s'est nettement
expliquée, et sur \si Juridiction coinpéicnie, qui est le Sénat
constitué en Haute-Cour de justice, et sur faction publique^
qui est exercée parla Chambre des députés, transformée, pour
la circonstance, en Chambre d'accusation.
La seule difficulté sérieuse, — et ce n'est pas ici le lieu de
l'examiner, — est de savoir ce qu'est ce crime de haute trahi-
son, dont on ne trouve pas la définition et le type dans le Code
pénal, et quelles conséquences pourrait avoir le procès, sïl
était (îngagé*.
167. L'article 75 de la constitution de Tan VIII, leschartes,
constitutions et sénatus-consultes postérieurs avaient établi
une double garantie : une ganiniw politique^ d'après laquelle
les ministres ne pouvaient être poursuivis sans une autorisa-
tion préalable du Sénat; les sénateurs, conseillers d'État
et les d/^putés, sans une autorisation [)réalable du corps auquel
§ XXVIIl.* Sur ces questions, cons. mon Tiaitr thcov, et prat, du
droit ;M'ïm/(2« éd.), t. 1, n» 148, p. 286 et note 1.
ACTION PUBLIQUE SUBORDONNÉE A AUTORISATION PREALABLE. 369
ils appartenaient; et une garantie administrative, on vertu
de laquelle les agents du gouvernement ne pouvaient être
poursuivis, pour faits relatifs à leurs fonctions, sans l'autori-
sation préalable du Conseil d*État. iNous allons voir ce qu*il
subsiste, dans nos lois actuelles, de cette double garantie.
168. Les crimes et délits^ y commis par les ministres, sont,
ou bien relatifs ou bien étrangers à leurs fonctions, l"* Dans
lepremiercas', les lois constitutionnelles confèrent, à la CA<7m-
bre des députés^ l'exercice de Faction publique, soit que les
inculpés exercent encore leurs fonctions, soit qu'ils aient
cesse de les exercer : c'est devant le Sénat, constitué en Haute-
Cour de justice, qu*est poursuivie Taccnsation par un ou plu-
sieurs commissaires désignés par la Chambre. Cette action,
qui est la sanction dernière de la responsabilité ministérielle
devant le Parlement, est-elle exclusive de l'action ordinaire
devant les juridictions pénales? C'est un point discuté. Pour
soutenir, comme je suis tenté de l'admettre, que les ministres
sont soumis à une double action et à une double juridiction
pour les crimes et délits qu'ils commettent dans l'exercice de
leurs fonctions, on peut invoquer l'opposition de rédaction
qui existe entre le $) 1 et le § 2 de l'article 12 de la loi du 16
juillet 1875; le président de la République « ne peut être mis
en accusation que par la Chambre », ce qui exclut toute action
du ministère public, tandis que les ministres « peuvent être
mis en accusation par la Chambre », ce qui laisse subsister
le droit commun \ 2" En ce qui concerne les crimes et délits
> L'article 12 de la loi du 16 juillet 1875 ne parlo que des « crimes »
commis par les ministres, mais cette expression ne me paraît pas avoir le
sens technique et restreint que lui donne l'article 1"' du Code pénal. La
question est, du reste, discutée. Voy. la note suivante.
• Que faut-il entendre par crime» commis par les ministres dans l'exer-
cice de leurs fonctions? Voy. mon Traité ihéor. etprat, du droit pénal, t. 3,
n* 943; Esmein, Élément du droit cotistilutionnel, p. 029. L'étendue de la
responsabilité pénale des ministres devant le Sr^nat lait l'objet des mêmes
difficultés que pour le président de la République.
* Sic, Cass., 24 févr. 1893 (S, 93. 1. 217). La chambre des mises en
Accusation de la Cour (rapf>el de Paris, pur arrêt du 7 février 1893, avait
G. P. P. — L 24
370 PROCÉDljRB PÂNALB. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILES
ordinaires, que les minisires peuvent commettre hors J
l'exercice de leurs fonctions, et les contraventions^ la poursuit
de ces infractions n'appartient, à la Chambre des députés, m
en vertu des lois constitutionnelle^, ni en vertu des principe
généraux: elle doit être exercée conformément au droit coin
m un.
169. Aux termes de Tarticle 14 de la loi du 16 juille
1875 : (« Aucun membre de Tune ou l'autre Chambre n<
M peut, pendant la durée de la session, être poursuivi a
« arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu'avec
« Tautorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le ca:
<c de flagrant délit. — La détention ou la poursuite d'ur
« membre de Tune ou de l'autre Chambre est suspendue
« pendant la session et pour toute sa durée, si la Chambre U
« requiert ».
Cette prérogative^ accordée aux membres des deux Cham-
bres^ est moins une gaveiniie personnelle qu'une garantie con
stitutionnelle, établie dans l'intérêt de tous, et dont l'objet es
d'assurer la liberté des mandataires de la nation dans Tac
complissemenl de leur mandat. Elle est contemporaine di
régime parlementaire*.
Une première distinction est faite par la constitution entr
les cas de flagrant délit et les cas ordinaires.
Le flagrant délits dont il s'agit ici, est le délit qui se com
met actuellement ou qui vient de se commettre (C. instr. cr.
art. 41)^, situation qui nécessite l'intervention immédiate d
renvoyé un ancien ministre devant la cour d'assises pour faits de corrup
lion, relatifs à ses fonctions. Cet arrêt a ét^ déféré à la Cour de cissaiioi
qui a rejeté le pourvoi, sans que la question mémo que nous posons ait é\
considérée comme douteuse.
• Vuy. Esmt'in sous Arrêts de la Haute-Cour de justice, 20 et 26 déc. ^8Ç
et 20 févr. 1900 S. 1901. 2. 57), noies 1 à 7, p. 58, \^ i-ol.
* La notion du flagrant délit n'ayant pas été déterminée par la loi const
tutionnelle, celte loi s'en est référée ôvid«?mment à la sij^nification que le dro
commun donne à celte nolion. Nous faisons remarquer, du reste, que U
consiilutions antérieures, celles de 1791, 1793, de l'an III, de 18iS, décid»
rent que si, le représentant du peuple pouvait, en cas de flagrant délit, éti
ACTION PUBLIQUE SUBORDONNÉS A AUTORISATION PREALABLE. 371
la police judiciaire, et^ par conséquent, le droit, pour elle, de
procéder aux actes de poursuite et d'arrestation.
Dans les cas ordinaires, la nécessité d'une autorisation de
la Chambre n'existe que pendant la durée de la session \ Et
le représentant qui, dans Tintervalle de deux sessions parle-
mcDtaires, aurait été Tobjet de poursuites criminelles, au cours
desquelles uo mandat d*amener et une ordonnance de prise
de corps auraient été décernés contre lui, sans qu'il ait été
arrêté, peut, s'il se présente pendant une session parlemen-
taire, être mis en état d'arrestation sans l'autorisation de la
Chambre dont il fait partie. Mais il appartient à celle-ci de
suspendre la détention et la poursuite'.
Ceci posé, pour déterminer la portée de la garantie consti-
totionnelle pendant la durée de la session, il importe d'insis-
ter sur sa raison d'être. Elle est fondée sur celle idée simple
que le mandataire de la nation ne doit pas pouvoir être distrait
de l'accomplissement d'un mandat qui implique sa présence
réelle à la Chambre. Assurer sa liberté matérielle, empêcher
que, par voie de contrainte physique, il soit retenu ailleurs,
tel est le but et telle est la portée de la garantie constitu-
tionnelle. 11 eu résulte : i"* Que le titre de député ou de séna-
teur* ne suspend pas les poursuites civiles: assignationsdevant
mis en élat d*arrestation, les poursuites, pendant la durée de la session, ne
pouvaient avoir lieu qu*avec l'autorisation de TAssemblée dont il faisait [)arlie.
Aujourd'hui encore, on a soutenu, au Parlement, que m le Uugrant délit per-
met larrestation du représentant; mais une fois l'arrestation opérée, une auto-
risation est m^cessaire pour que des poursuites puissent être exercées ».
Séance de la Chambre, 8 mai iS9i(Jour7i, off, du 9, Débats parlementaires,
p. 735). La môme doctrine a été reproduite k propos d'un incident, dans la
séancv» de la Chambre du 44 novembre 1905 {Joum, off. du 15, Débats parle-
mentdires, p. 3237). iMais, comme l'a écrit M. Esmein {Éléments de droit con-
stitutionnel, p. 737) celte interprétation est aujourd'hui insoutenable. Voy.
également Esmein, loc. cit,, note précétiente.
' Que faut-il entendre par « session »? Voy. Cass., 30 janv. 1903 {Pand,
franc., 1903. 1. 233).
• Voy. sur ce point, la note de M. Esmein sous les arrêts do la Haute-Cour
de justice des 20 et 2Gdpc. 1899 et 20 févr. 1901 (S. 1901. 2. 57). Consulter
également ce que je dis à la note 6.
* La garantie de ne pouvoir être poursuivi sans une autorisation appar-
372 PROCÉDURE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET OIVILB.
les tribunaux civils, saisies, elc. ***. Ces actes qui peuvcntêtre,
de la part d'adversaires, des procédés de contrainte morale,
n'empêchent pas matériellement le député ou le sénateur de
remplir son mandat. Gela suffit, pour qu'ils soient libres.
2'' L'exception est personnelle, et le titre de sénateur ou
député ne saurait faire obstacle aux poursuites civiles ou
pénales exercées contre des proches, la femme et les en-
fants, par exemple'*. 3* Vis-à-vis même du représentant, ce
titre ne suspend pas les actes qui tendent à constater Tinfrac-
tion et à en recueillir les charges ^^ tels que les proccs-ver-
baux, l'audition des témoins, les vérifications, les expertises,
les perquisitions domiciliaires mêmes '% pourvu que ces opé-
rations aient lieu, en quelque sorte in rem^ sans exiger la
présence du député ou du sénateur. 4"* Ce qui est interdit,
c'est un acte de poursuite personnelle, de nature à gêner sa
liberté, à Tempccher de remplir son mandat. Le représentant
ne peut être soumis, sans une autorisation préalable de l'As-
semblée dont il fait partie, à un interrogatoire devant le juge
d'instruction. Il ne peut être l'objet d'un mandat de compa-
rution ou d'amener; h plus forte raison, d*un mandat de
dépôt ou d'arrêt. Aucune citation devant un tribunal de
tient-elle au sénateur ou député (]ui nVsl pas encore validé? La Cour de cas-
sation, dans un arnH ancien, s'est prononcée pour la négative. Voy. Cass.,
10 avr. 1847 (D. 47. !.90). Celte solution nous parait inexacte. En effet, i'é-
lectiun est le seul titre du mandat. Sans doute, ce titre doit être vérifié, par
la Chamhre. Mais tant que l'élection n*esl pas annulée, provision est due au
titre. Comp. dans ce sens : Haus, op. cit.^ t. 2, n" 1150. Voy. également le
rapport de M. le conseiller Roullier précédant l'arrêt du 30 janv. 1903
(Pand., 1903. 1. 23."i).
^^ Ces solutions n'ont jamais été contestées.
** L'Anjfleterre pratiquait jadis un système, non aboli en droit, mais
lomhé en désuétude, dans lequel les pairs et gens des communes faisaient
échapper leurs biens aux saisies, et leurs parents, serviteurs, aux poursui-
tes. Voy. de Fran«jueville, Le gouvernement et le parlement britanniqw^i
t. 3, p. 334 et suiv.
*- Voy. Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire ^
n« 1005.
*•* C'est du moins ce qu'admet Fauteur précité (n° 1065) qui a, sur ces
questions, une compétence particulière. Cependant, j'hésiterai beaucoup ^
\
%ION PUBLIQUE SUBORDONNÉE A AUTORISATION PREALABLE. 373
rcpressioD ne peut lui être délivrée, en matière correction-
nelle ou criminelle, même s'il s'agit d'un délit n'entraînant
pas la peine d'emprisonnement, car si le prévenu n'est pas
lenu, dans ce dernier cas, de comparaître en personne, c'est
pour lui une simple faculté de se faire représenter et on ne
saurait la lui imposer comme une obligation. 5** Ce n'est pas
seulement contre une poursuite du minislctère public que
le représenlant de la nation est protégé par la nécessité
d'une autorisation préalable, c'est contre Vaction civile de la
partie lésée devant le tribunal de répression en vue de le
faire considérer comme prévenu. Cetle procédure met en
mouvement l'action publi([ue, et la liberté du député ou du
séoateur serait entravée si celui-ci était obligé de répondre
à l'action engagée contre lui'^ 6* Mais il n'en saurait être
ainsi au cas où la poursuite aurait lieu, même devant la
juridiction de répression, pour une simple responsabilité
civile. Le représentant de la nation est uniquement exposé,
dans ce cas, à des condamnations aux restitutions, dommages-
intérêts et frais, et il n'y a lieu ni à arrestation, ni à empri-
sonnement, ni même h contrainte par corps en cas de con-
dannnation^'.
Cette garantie s'applique à tous les crimes ou délits imputés
à un sénateur ou député, relatifs ou étrangers aux fonctions
que celui-ci remplit. Ce n'est pas la nature de l'infraction qui
permettre une perquisition domiciliaire préalable à l'autorisation. Cetle opé-
ration doit se faire en présence du prévenu (C. instr. cr., art 35). De plus,
elle me paraît fort gênante pour lu liberté du mandataire de la nation. C'est
bien un acte personnel, un acte de contrainte de nature à entraver l'accom-
plissement de son mandat.
*• Sic, Cass , 5 août 1882 (D. 83. i. 44). Il s'agissait de la citation d'une
partie civile devant la cour d'assises, en matière de presse.
»» Dans ce cas : Cass., 3 août 1893 (S. 95. i. 521). Voy. la note de
M. Chavegrin. Quid s'il s'agissait d'un cas de responsabilité civile exposant
le député à des peines pécuniaires , comme en matière fiscale? Quid en cas
de responsabilité pénale, du fait d'autrui? M. Chavegrin examine ces questions
dans la note que nous citons. Nous pensons que toutes les fois que la pour-
suite exposera celui qu'elle atteint à une comparution personnelle pouvant
être ordonnée par le tribunal ou à la contrainte par corps en cas de con-
damnation, l'autorisation de la Chambre devra être requise.
374 PROcéDURâ pénale. — dbs actions publique et civile.
donne lieu à la nécessité d'une autorisation préalable à la
poursuite, c'est laqualitédu prévenu. Mais la formule des lois
constitutionnelles françaises ne vise pas toutes les matières ré-
pressives, et c'est seulement « en matière criminelle oh cor-
rectionnelle » que le représentant ne peut être poursuivi ou
arrêté sans Tautorisation de la Chambre dont il fait partie.
La matière des contraventions n'est donc pas soustraite au
droit commun de la liberté de poursuite pour le minisli're
public et la partie lésée. En eiïet, les contraventions ne don-
nent lieu ni à une information préparatoire, ni à une arres-
tation provisoire ou préventive. Le prévenu n'est même pas
obligé de comparaître en personne devant le tribunal de
police; il peut se faire représenter par un fondé de procura-
tion spéciale. Enfin, les contraventions ne sont presque jamais
punies d'emprisonnement; et quand l'emprisonnement est
prononcé par la loi, comme dans le cas de récidive, Tempri-
sonnement n'est que facultatif pour le juge. Il n'existe donc
aucun motif pour entraver, en matière de contraventionsja
poursuite d'un sénateur ou d'un député'®.
Toute poursuite personnelle, en l'absence d'autorisation
préalable, devrait être annulée d'office, par le tribunal pré-
maturément saisi, sans qu'il fut possible à ce tribunal de
surseoir à statuer jusqu'à la demande d'autorisation. Le con-
sentement de la Chambre doit être préalable à tout acte de
poursuite. En consécjiience, la décision sur l'exception pro-
posée et tirée du défaut d'autorisation, engage une question
que la loi constitutionnelle commande de résoudre sans délai,
et le pourvoi, contre l'arrêt qui aurait statué sur la question,
pourrait être formé sans attendre l'arrêt définitif*^
*^ n PII est tout aulrement en Belgique. L'article 45 de la Conslitotion belge
dispose qu'aucun ineml>re de l'une ou de l'autre Chambre ne peut « ... être
» poursuivi ni arnHé en matière de rcprfs^ion ... ». La Cour de cassation belge
a donc, interprétant ce texte, pu décider qu'il visait l«»s contraventions comme
les crimea et les délitx, Cass. l>olge. 3t doc. 1900 (S. 1904. 4. 9). Voy. sur la
question, la note de M. Chavefçrin.
*' Voy. sur ce point : Cass., a aoAt 1882, pr<^cilé, et les observations de
M. le conseiller Ruullier qui précèdent l'arrôt du 30 janv. 1903 (Pand, franc,,
1903.1.233).
ACTION PUBLIQUE SUBORDONNES A AUTORISATION PREALABLE. 37S
170. Indépendammeol de la garantie polilique, accordée
par toutes nos constitutions aux mandataires de la nation, la
constitution de Tan Ylli avait établi^ dans son article 75, en
faveur des agents du gouvernement, une garantie adminis-
trative, en ne permettant de les poursuivre, à raison des faits
relatifs à leurs fonctions, qu*en vertu d'une autorisation pré-
alable du Conseil d'État. Si la garantie politique se justifiait
par la nécessité de mettre le pouvoir législatif à Tabri des
eolreprises du pouvoir exécutifs la garantie administrative
mpliquait par la nécessité de sauvegarder le principe de la
séparation des autorités administrative ei judiciaire, G*est, en
elTet, dans ce but que TAssemblée constituante, en procla-
mant la responsabilité pénale et civile des fonction nuircs
publics, et en donnant aux tribunaux judiciaires le droit de
juger cette responsabilité, avait décidé, dans la loi des
7-li octobre 1790, qu'aucun administrateur ne pouvait être
traduit, devant les tribunaux, pour raison de ses fonctionSj
i moins qu*il n'y eut été renvoyé par l'autorité supérieure,
conrormément aux lois'*. La constitution de Tan YIII n'avait
doue fait que reproduire et préciser, dans son article 73, un
priocipe déjà formulé par l'Assemblée constituante, principe
** Soug Tancienne monarchie, la responsabilité des fonctionnaires puitlics,
quand elle était reconnue, ne pouvait (>tre appréciée <]ue par clos juridictions
eiceptionnelles. L'AssembUV. constituante proclama le principe gén<Tal de la
responsabilité dos fonctionnaires publics dcvanl les tribunaux ordinaires.
Mais, en même temps, pour proléger les fonctionnaires contre des poursuites
vexaloires, et pour sauvegarder le principe de la séparation des fonctions
judiciaires et des fonctions administrative?, elle soumit cette responsabilité
à une garantie, consistant dans le renvoi préalable, par l'autorité administra^
tive supérieure, du fonctionnaire incriminé devant la juridiction ordinaire
(L. des 14-22 déc. i880, art 01 ; L. des 10-2* août 1790. art. 13; L. 7-14
oct. 1790, arL unique). Ainsi, se trouvent consacrés, par des textes se ratta-
chant à la même période et inspirés par les mêmes sentiments, — le prin-
cipe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, — le prin-
cipe de la responsabilité des fonctionnaires publics pour faits relatifs à leurs
fonctions, sous la réserve d'une formalité de procédure, — et le principe de
la compétence des tribunaux judiciaires, pour apprécier cette responsabilité.
Comp. : de Saint-Girons, Essai sur la séparation d€s pouvoirs Paris, 1881),
p. 393, et mon Traite théor, et praL, t. 3, n»» 940 à 948.
37C PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CI\ILB.
qui avait survécu à la conslitution elle-même, cl qui était,
comme on l'a dit, le bouclier de f administration contre les
rancunes des particuliers et les entreprises de l'autorité judi-
ciaire. Un décret du 19 septembre 1870 a formellement abrogé
l'article 73. Mais, pour apprécier les conséquences de celle
abrogation, dans le système des jurisprudences administrative
et judiciaire, il faut poser les trois règles suivantes : i"" Les
agents du gouvernement peuvent être poursuivis, sans forma-
lité, devant les tribunaux d*ordre judiciaire, même pour les
prétendus délits qu'ils auraient accomplis dans les actes de
leurs fonctions; 2® Mais ces tribunaux ne peuvent connaître
de la poursuite et doivent se déclarer incompétents dans tous
les cas où l'examen de la responsabilité pénale ou civile impli-
que Tappréciation d'un acte administratif; 3Mls sont, au con-
traire, compétents, toutes les fois que les actes reprochés «
l'agent du gouvernement constituent des faits personnel^
imputables a l'homme et non à Tadministraleur. bln résuma'
si l'on adopte celte interprétation, le décret de 1870 supprim
simplement l'autorisation nécessaire pour poursuivre làpeJ
sonne du fonctionnaire, sans toucher au principe de la sépara
tion des pouvoirs qui protège l'ac/e".
171. Les faits des ecclésiastiques qui constituent à la foi
des délits et des abus peuvent-ils être poursuivis sans con
ditions préalables etdirectement devant les juridictions répres
sives ou, au contraire, la poursuite en est-elle subordounée i
*• Aujourd'hui donc, si la poursuite des fonctionnaires publics n*est |.;i
entravée par la nécessité d'obtenir une autorisation préalable, elle est pani
lysée, presque toujours, par l'exception d'incompétence, exception d'onlr
public, (|ui ne permet pas aux tribunaux judiciaires de connaître des acte
administratifs. Deux propositions ont été déposées, en vue de garantir I
liberté individuelle, Tune, sur le bureau du Sénat, le it> déc. 1004, pa
M. Clemenceau, l'autre, sur le bureau de la Chambre, le 3 févr. 1905, pa
M. Cruppi, et elles s'occupent l'une et l'autre de celle entrave à la poursuit
des fonctionnaires qui attentent à la liberté. Voy. l'analyse de ces proposi
lions dans Hev, pènit,, 1905, p. 356 à 305, notamment en ce qui conccrn
la question, p. 361. Conf. Berthélemy, Traité élémentaire de droit admiuii
gvatif, 3» éd., p. 79.
ACTION PUBLIQUE SUBORDONNÉE A AUTORISATION PRÉALABLE. 377
une déclaration préalable d'abus devanl le Conseil d'Élal?
Celle question, déjà examinée ailleurs", ne se poserst même
plus après la séparation des Églises et de TÉlat qui aura pour
coDséquence de faire disparaître la législation archaïque de
l'appel comme d'abus. J'indique seulement ici que, en Tétat
acluel des jurisprudences judiciaire et administrative, l'action
publique et l'action civile peuvent être, sans distinction, pour-
suivies directement devant la juridiction répressive sans décla-
ration préalable d'abus^^
*" Voy. mon Traité théor, et prat. du droit pénal (2« éd.), t. 4, n® 1247^
p. 162 ai 70.
" Ce système, depuis longtemps adopté par le Conseil d'État (Gons.
d'État, 17 mars 1881, S. 82. 3. 54), est consacré par la jurisprudence actuelle
deia Cour de cassation depuis 1888 (Cass.* 2 juin 1888 et 3 août 1888,
S. 88. 1. 272 et 488). La loi des 9-11 déc. 1905 concernant la séparation
du Églises et de lÉtat {Journ, o/f., 1 1 déc. 1905) abroge, du reste, dans son
art. 43. « toutes les dispositions relatives à Torganisation publique des cultes
antérieurement reconnus par TËtat », et notamment la loi du 18 germinal
an X, et les articles organiques, les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du
Code pénal.
378
CHAPITRE II
»
DK L EXKRCICE DE L ACTION GIVII.E
§ XXIX. — NOTIONS GÉNÉRALES.
i72. L'action civile peut être portée, soit Jevitnt les tribunaux ordinaires, coin]
tents prmr «n connaître, soit, aecf^^soi renient à l'action publique., devani It"«
bnnaiix de ri''[»ri*ssion. — 173. Appréciation de ce syst^m»?. Revision du C-
français de 181)8 en BtHgique. Prop<jsilions repoussées. — 174. L'article 3
CcMle d'instruction criminelle contient une règle et une est^eption.
172. Le droit de juger les conleslations qui rentrent da
la compétence de rautorilé judiciaire est distribué entre d
tribunaux de justice civile et des tribunaux de justice répr^
sive. Or, Tinfractiou peut donner lieu h deux procès : un prot
/î^;ia/cl un procès civil ; de même que les tribunaux de répn
sionsontseuiscompétents pour connaître de Vactionpubliqi
de même bîS tribunaux civils devraient être seuls compétei
pour connaître de Vaclion civile. C'est à cette conséquer
que conduiraient les principes mêmes de l'organisation ju
ciaire et de la compétence. Mais il est à remarquer que
preuves de Tinfraction servent le plus souvent à établir
principe et à déterminer le cbilTre des dommages-intér
qui sont l'objet de Taction civile; aussi a-t-il paru utile
donner aux tribunaux de répression le droit de se pronom
sur les dommages-intérêts dus à raison de Tin fraction,
même temps qu'ils se prononcent sur la peine applicable. S<
lement, cette attribution exceptionnelle des tribunaux répr
sifs n'a pas fait disparaître l'attribution ordinaire des tribuns
civils; de sorte que les parties, lésées par une infractii
peuvent, à leur choix, intenter leur action, en tnême temps
devant les mêmes juges (\\XQ l'action publique, ou, séparénu
devant les tribunaux civils (C. instr. cr., art. 3).
C'est là une règle fondamentale de la procédure criminc
EXERCICE DE L'ACTrON CIVILE. 379
française. Elle a eu les plus heureuses conséquences, en
permettant, à la partie lésée, d'assurer la répression, dans
rinlérèt social, en même temps que, dans son propre intérêt,
elle assure la réparation.
473. L'article 4 de la loi belge du 17 avril 1878, conte-
nant le litre préliminaire du Code de procédure pi'^nale,
reproduit, à peu près dans les mêmes termes, la disposition
de notre Code d'instruction criminelle. Cependant, la question
de savoir s'il ne convenait pas d'admettre la compétence
exclusive des tribunaux civils, ponr statuer sur l'action de
la partie lésée par un délit, a été Tobjet d'une discussion
intéressante, dans la commission de revision du Code d'in-
struction criminelle. Celte commission s'est prononcée pour
le maintien du système actuel, « parce qu*il fonctionne, sans
(• inconvénient sensible, depuis plus d'un siècle en France
« et en Belgique ».
Tel a été aussi l'avis de la commission de la Chambre des
députés; mais celle-ci a pensé que, lout en maintenant lesys-
tème de Toption pour la majorité des cas, il y avait lieu d'in-
troduire, après la première phrase de l'article, une disposi-
tion ainsi conçue: « Toutefois, le tribunal criminel pourra
« ordonner le renvoi devant le tribunal civil, s'il estime que
« ce renvoi est molivé par la nécessité d'une plus longue
« instruction ».
D'après cette disposition, empruntée au Code de procédure
pénale autrichien de 1873 (art. 3G6)*, le tribunal de répres-
$j XXIX. * Ce Code conlient, dans le chap. 2i, de nombreuses disposi-
tions concernant l'action civile intentée devant le tribunal de n^pression.
V. Code (Timtr, cr, aut, (trad. Lyon-Caen et Bertrand), p. \H\ h 186. Ce qui
est caractéristique du système, c'est que le ministère public doit veiller, dans
une large mesure, ;i la sauvegarde des intérêts privf^s: i° en faisant consta-
ter d'office le dommage résultant du fait punissable, et les autres circon-
stances importantes, relatives à ses suites, au point de vue «le la partie lésée
(art. 365, § 1); 2<» en faisant connaître à la partie lésée la procédure crimi-
nelle pendante, afin qu'elle puisse user du droit de se joindre à cette pro-
cédure. Dans le système français, le ministère public ne se fail, à aucun
moment, I*auxiliaire de la partie lésée; c'est la partie lésée qui se fait,
d*oifice et d'initiative, l'auxiliaire du ministère public.
380 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIl
sion aurait pu déclarer d'office que les éléments fournis f
la procédure n'étaient pas suffisants pour lui permettre
statuer sur Taction civile. La Chambre belge a repoussé cp
innovation, dont futilité serait surtout appréciable en co
d'assises, 011 la juridiction est souvent embarrassée pour statu
sur le procès civil*. En droit allemand, l'action civile f
portée devant les tribunaux ordinaires et ne peut être port
que devant ces tribunaux'. La même règle existe dans I
Pays-Bas*. Deux systèmes se partagent donc, en ce qui coi
cerne cette question de compétence, les législations mode
nés : l'un qui sépare toujours l'action civile et l'action publ
que; l'autre, qui permet «à la victime du délit de les réun
dans une seule et même instance. L(î second, mieux que
premier, est en rapport avec les intérêts communs de
société et de la victime : il faut faire, de la victime, intéressé
personnellement à la poursuite, l'auxiliaire de l'accusatioi
comme il faut faire de l'accusateur, intéressé h rétaW
l'ordre troublé par le délit, l'auxiliaire de la victime. Ce
en associant et non en séparant le ministère public et la pa
lie lésée qu'on arrivera à réaliser ce double objectif*. D'j
autre côté, la réunion des deux actions, dans un même jug
ment, évite le dualisme et la contradiction des résultats.
' Le ministre de la justice a fait remarquer, à la Chambre des d*^pu
belge, que cette disposition s'écartait complètement des règles qui di^teri
nent la compétence des diverses juridictions et que, en outre, elle ser
sans utilité dans les instances introduites devant les tribunaux correctic
nels. Il est vrai que, pour les demandes en dommages portées devant lac(
d'assises, la législation actuelle n'est pas absolument satisfaisante, et que P
ticle 358 pourrait être amélioré. Ce sera une question à examiner quand
titre traitant des cours d'assises viendra en discussion.
* V. C. proc. pén. allemand. § 111, n° 2, qui dispose : « Les personi
intéressées conserveront la faculté de faire valoir leurs droits au mo}
d'une action civile ». Comp. Daguin, Code de procédure pénale allemai
introduction, p. 87 et 88.
* Code de proc. pén. néerlandais, art. 3
* Dans cette voie, la procédure du Code autrichien réalise, bien mie
que la procédure du Code français, cette association du ministère put
et de la partie lésée. Voy. note 1.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉE. 381
déplorables en cas de j ugements séparés*. C'est dans son ensem-
ble que le juge doit examiner le procès, et il est désirable
quil y ait une réaction de la peine sur la réparation et de la
réparation sur la peine.
174. Il faut noter Téconoraie même de l'article 3, en vue
de son application qui rayonne sur toute la procédure pénale.
En réalité, ce texte contient une règle et une exception de
compétence, La règle, c'est que l'action civile, mettant en
cause une demande civile, basée sur une créance civile, appar-
tient de droit à la compétence des juridictions civiles : ces tri-
bunaux constituent donc lesi juges naturels de Taction civile.
L'exception, c'est que la loi autorise la partie lésée à soumet-
tre son action aux tribunaux de répression, saisis de l'action
publique. La limite de cette interversion de compétence se
trouve dans la condition même à laquelle on la subordonne :
il faut que les deux procès puissent être portés ensemble de-
vant les mêmes juges.
§§ XXX. — DU DROIT D'OPTION, QUI APPARTIENT A LA PARTIE LÉSÉE,
ENTRE LA VOIE CIVILE ET LA VOIE CRIMINELLE.
175. Le. droit d'option est gt^oéral, mais il n'est pas absolu. — 176. Il est général,
en ce sens qu'il s'applique à l'action civile dirigée contre toutes les personnes
qui répondent du d<'lit et doivent en réparer les conséquences. Les personnes
civilement responsables peuvent être assignées devant les tribunaux de répression
par la partie civile. Difficultés en ce qui concerne la citation directe devant la
cour d'assises. Conditions. — 177. Le droit d'option de la partie lésée, quoique
génénil, n'est pas absolu. — 178. Obstacles de fait. — 179. Obstacles de droit.
— 180. Le droit d'option n'existe pas si l'infraction est de la compétence pénale
d'une Juridiction d'exception. Tribunaux militaires et maritimes. — 181. Restric-
tion en ce qui concerne les «liffamations commises envers certaines personnes.
Article 40 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Administrateurs de sociétés
financières, «jut-slions que soulève ce cas. Conditions de la prohibition de saisir
Ipa tribunaux civils. Caractère de celte prohibition. — 182. De l'action civile en
matière de banqueroute simple ou frauduleuse. Cette action peut être exercée
devant les tribunaux de répression dans certaines conditions. Elle ne parait pas
pouvoir l'être devant les tribunaux ordinaires. — 183. De la règle : electa una
'' Sur laqiieslioM pr'^nôrale : Koux, Le ministère public et la partie lésée
(Th. doct., Paris, 1803).
382 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
via non datur recurgus ad alteram. Des deux hypothèses qui peuvent se
présenter. Le passage de la voie répressive à la voie civile n*est pas interdit. Bkis
le pa.ssage de la voie civile à la voie répressive doit Télre. — 184. L'upplicatioo
de la règle : electa una vta..., quelque étendue que Ton donne à son applica-
tion, exige le concours de trois conditions. Il faut : i^ que la demande succesft-
vemont portée devant les deux ordres de juridictions soit identiquement la même;
2» que l'option soit exercée en connaissance de cause; S'* que la juridiction saibie
la première ait eu le droit de statuer. — 185. Caractère de la un de non recevoir
fondée sur la maxime : electa una via.
175. La règle qui ouvre à la partie lésée roptioa entre la
voie civile et la voie criminelle est générale, mais elle n'est
pas absolue.
176. Elle est générale^ en ce sens qu'elle s'applique à
Inaction civile dirigée contre toutes les personnes qui répon-
dent du délit et doivent en réparer les conséquences.
I. Les personnes civilement respomables de Finfraction peu-
vent, par suite, être traduites devant les tribunaux de répres-
sion. L'action civile dirigée contre ces personnes nait, en
effet, du délit, et Tarticle 3 du Code d'instruction criminelle,
portant que Taction civile peut être poursuivie, en même temps
et devant les mêmes juges que Faction publique, ne permet
de faire aucune distinction entre les divers défendeurs au
procès. Il est incontestable qu'en vertu même des dispo-
sitions des articles 145 et 190 du Code d'instruction crimi-
nelle, la partie lésée a la faculté de traduire, devant les
tribunaux de police simple ou correctiofinelle, les personnes
civilement responsables de TinfractionMVlais lui est-il permis
de les citer devant les cours (Tassises? On Ta contesté, en se
fondant sur ce que les cours d'assises ne sont investies du droit
de connaître de la responsabilité civile par aucune disposition
g XXX. * Le premier de ces textes, l'article 145, à propos des citations pour
contraventions de police, dit qu* w il en sera laissé copie au prévenu, ou à la
personne civilement responsable ». L'article 190, à propos de Tinstruction
devant les tribunaux correctionnels, indique, comme défendeurs au proct-s,
« le prévenu et les personnes civilement responsables du délit », qui « pour-
ront répliquer » au procureur de la République. Voy. également les articles
182 et 192.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIS LÂSÉB. 383
eipresse de la loi*. Mais il suffit qu'aucun lexic ne déroge au
droit commun pour que le droit commun reste applicable.
Du reste, Tarticle 74 du Code pénal comprend les cours,
devant lesquelles sont portées les affaires criminelles, au
nombre des tribunaux éventuellement appelés à statuer sur
icff cas de responsabilité civile'.
II. Mais la partie lésée ne peut citer la personne civilement
responsable, devant les tribunaux de répression, qu'A la con-
dition d'y appeler ou d'y trouver l'auteur même de l'infrâc-
* Haus, op, dt.f t. 2, n* 1358. Les raisons ne m^inquent pas, en effet,
pour le soutenir, par des arguments tirés de la procédure. On peut dire que
Je droit de citation directe devant la cour d'assises n'existe pas, sauf en
matière de presse; que l'économie tout entière du Code d'instruction crimi-
nelle proteste contre ce droit, ce Code ne prévoyant de demandes possibles
qu'entre la partie civile et les individus déférés par le ministère public aux
assises, toute la procédure devant la cour étant réglée au point de vue de
ces seules personnes (art. 33i, 335, 362, 366,371 et 373 . On fait remar-
quer que la personne citée serait dans l'impossibilité de discuter aucun
témoignage, aucune notification de témoins n'étant délivrée, et qu'elle ne
pourrait se défendre; enfin, que le civilement responsable, non touché par
la citation et défaillant, n'aurait aucun moyen légal de faire opposition à
Tarrét rendu. On fait remarquer également que le Code d'instruction criminelle
n'ouvre formellement le recours en cassation contre les arrêts de cours d'assi-
ses, qu'à l'accusé condamné, au procureur général et à la partie civile (arL
373) ; tandis qu'il accorde la faculté de se pourvoir en matière correctionnelle
et do police, non seulement à la partie civile, au prévenu et au ministère
public, mais encore aux personnes civilement responsables du délit ou de
la contravention.
* La solution n'est pas douteuse en jurisprudence: Cass., 18 juin 1647
(S*. 48. I. 783); 25 févr. 1848 (S. 48. \. 415); 2 avr. 1854 (D. 59. 1. 137) ;
Cour d'assises de la Seine, 14 nov. 1905 (Richard, Rey, du Chambon) :
« Considérant que, quel que soit l'inconvénient, au point de vue de la marche
des débats, de Tappel de la partie civilement responsable devant la cour
d'assises, il faut reconnaître qu'aucun texte de loi n'interdit, h la partie
civile, régulièrement constituée, d'appeler au procès criminel la partie civi-
lement responsable et qu'aucun texte du Code d'instruction criminelle ne
l'en exclut; que, spécialement, l'article 74 du Code pénal renvoie aux dispo-
sitions de droit commun ; que la partie civile, au contraire, puise son droit
dans les dispositions générales des articles 3 du Code d'instruction crimi-
nelle et 74 du Code pénal ». Comp. HolTman, op. cit., t. 1, n° 98; Kaustin
Hélie, op, c«., t. 8, n<» 3885.
384 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVIL
tion, car la juridiction répressive n'est compétente pourco
naître de l'action civile que si elle est saisie, en même lem|:
d& Taction publique, et cette action ne peut être dirigée qi
contre les auteurs ou les complices du délit\ Toutefois,
est admis, en jurisprudence, que lorsque la partie civilemei
responsable a été seule citée, elle ne doit pas être renvoy
purement et simplement de la demande; mais que le tribi
nal doit surseoir à statuer, en ce qui concerne le prévenu,
fixer un délai dans lequel il sera ipis en cause'.
La responsabilité civile peut, dans certaines circonstanc
exceptionnelles, être étendue jusqu'aux condamnations pénal
à l'amende et à la confiscation : il en est ainsi, par exemp
en matière de contributions indirectes et de douanes. Si
personne civilement responsable est soumise, par des lois sj
claies, aux peines encourues par ses subordonnés ou prépos
la nécessité de citer concurremment Tauteur du délit n'appar
pas, puis(|ue l'action |)ublique et l'action civile se confonden
III. Le tribunal de répression aurait-il le droit, en relaxc
ou en acquittant le prévenu ou l'accusé, de prononcer u
condamnation à des dommages-intérêts contre la person
civilement responsable? Sans doute, malgré le relaxe
l'acquittement, il peut rester, à la charge de l'accusé ou
prévenu, un fait illicite et dommageable, dont toute par
lésée a le droit de poursuivre en justice la réparati(
même contre les personnes civilement responsables du I
* Jiirispriiflence constante: Cass., 17 avr. 1878 (D. 79. I. 234); M<;
pellier, 25 juin 1807 (D. 70. 2. 183). La doctrine est unanime. Sans le |l
venu, en elfet, <lit Mangin, op, cit., t. l,n° 34, « le tribunal n'a point à \
noncer sur l'application de la peine, Taction publique n^estpas mise
mouvement, il n'existe qu'une simple action civile ». Conf. Blanche, Etu
sur le Code pénal, t. i, n** 3t8; Cliauveau et Hélie, Théorie^ t. 2, p. 2
Faust in II «Mie, op. cit.^ t. 2, n** 012.
•• .S/c, Cass., 9 juin 1832 (S. 32. 1. 744); 31 janv. 1833 (U. cr., n^ :
23 nov. 1830 (S. 37. 1. 739). Mais cette jurisprudence est contestable.
* C'est, sans doute, oe qu*a voulu dt^cider un arrêt de rejet de la Chanr
criminelle d«' la Cour de cassation du 31 janv. 1873 (li. cr,, n*> 31). Il s'a
sait d'une personne citée comme civilement responsable d*une contraven
«foetroi, et elle avait été cmulamnée comme pénalemcnt responsable.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LESEE. 385
d'autrui ; mais elle ae saurait le faire valablement que par uue
aclioQ en dommages-intérêts ordinaire, de la compétence
des tribunaux civils. Il faut en conclure, sans difricullé, que les
tribunaux de police simple ou correctionnelle seraient incom-
pétents, en relaxant le prévenu, pour condamner à desdom-
mages-intérêl-s la personne civilement responsable', comme ils
seraient incompétents pour prononcer cette même condamna-
tion contre le prévenu relaxé. Mais la cour d'assises, qui a la
plénitude de juridiction, aurait incontestablement le droit de
statuer sur Taction civile tout entière, même en cas d'acquit*
tement de laccusé (C. instr. cr., art. 366)'.
IV. La victime du délit qui appelle ou trouve, devant la
juridiction répressive, en se constituant partie civile, tous
ceux qui répondent de l'infraction^ a le droit de diriger uni-
quement ses conclusions contre les personnes civilement
responsables, en négligeant les auteurs mêmes de l'infrac-
tion'.
V. La partie lésée a le droit de diviser son action, et de
citer l'auteur du délit devant le tribunal d(i répression, le
responsable civilement devant le tribunal ordinaire, sauf,
pour ce dernier tribunal, à prononcer un sursis par applica-
tion de la règle : Le criminel fient le civil en état, et à tenir
compte du jugement que prononce le tribunal de répression
dans la mesure où la chose jugée au criminel s'impose au juge
civil.
' Sic, Cass., 10 avr. 1875 (S. 75. 1. 240); 12 juin 1886 (D.87. 1. 45).
' Il y aurait loulefois à éviter des disposilious conlradicloires dans Tar-
rêt, et, la plupart du tomps, la disposition, qui renverrait d'instance le prévenu
sur laction civile, serait incompatible avec celle qui condamnerait la personne
<^iviiement responsable à des dommages -intérêts. L'arrêt pourrait être alors
annulé, non pour incompétence, mais pour motifs contradictoires équivalant
^ absence de motifs.
• V. en ce sens : Cass., i\) févr. «860 (S. 66. 1. 21 i); 2 déc. 1881 (S. 82.
^' 44), C'est qu'en elîet, par cela seul que le prévenu se trouve en cause, le
tribunal de répression peut statuer sur l'action civile. Cette présence du
prévenu, suffit donc pour lui donner compétence. Or, le tribunal compétent
"e doit statuer que sur les conclusions dont il est saisi, et la direction exclu-
sive du procès civil appartenant à la victime du délit, celle-ci peut exclusi-
vement diriger ses conclusions contre la personne civilement responsable.
G. P. P. - T, 2d
386 PROCÉDURE PÉNALB. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
177. Le droit d'option de la partie lésée entre les deu.^
ordres de tribunaux, quoique général, n est pas absolu.
178. Il y a d'abord des obstacles de fait qui peuvent empê-
cher l'exercice régulier de faction devant les tribunaux de
répression. C'est ce qui arrive toutes les fois que Taclion
publique est éteinte par une circonstance qui laisse subsister
l'action civile, telle (|uc le décès de Tauteur de rinfraclioQ,
Tainnistie, la chose jugée. Dans ces cas, la partie lésée sera
bien obligée de saisir le juge civil, resté uniquement compé-
tent pour statuer sur son procès.
179. De plus, il y a les obstacles de droit qui s'opposent ï
ce que la partie lésée saisisse Tune ou l'autre des deux juri
dictions, ordinairement compélenltîs, tantôt les tribunaux <^
répression, tantôt les tribunaux civils.
180. Le caractère du droit d'option doit d'abord en reslreiï
dre l'application aux cas ordinaires. C'est ainsi que les trib^
nauv militaires et maritimes, les conseils de préfecture,
Sénat constitué en Ilaute-Cour de justice, et, en général, tft
tes les juridictions, exceptionnellement investies par la I
d'une compétence pénale, ne peuvent slaluer sur Taclir
civile, naissant du délit dont la répression leur est cependai
confiée. Ces tribunaux n'ont pas à exercer leur juridiclic^
dans l'ordre des intérêts privés*^ : ils peuveni seulement ordoL
*"G'fisl qin*, en effet, Icurcompôleric»? pénale »îsI «l«''jà oxc^ptioniiolle. Pou
fairodiTiver «leceUecumfH'tenrft p<Miale«^xceplioi)n('ll(<, uiiecoinpplence civil
il faudrait un tpxle spécial. Sic, Kaustin riélit*, njt. cit., t. 5, n° 2305. Con
Manfjin, Traite de rinslruction écrite et de la comprfenre, l. 2, n° i SI. — En c
qui c'nncorricif'sjuriclictioiis militaires, rarlicK'5tHJu(.]<Mjt.Ml»îjusticeniilitaiiv«.l
9 juin \HYtH dispose «^xpress**menl([ije Tantion civile no poiit.(}lre poursuiviequ
devant Itîstrilmnaux civils. Iln'yad'exce[)tion, que pourlajusiico prevotale (ar
75). Le Code de justice militain*pourl'arm»'^edemprdu tjnin 1858dis|x>seégalt
mcnl, dans l'article 75, «pie l'action civiliîne p«îut «Mn* portée devant les tril>u
naux maritimes. ConF. article 21 de la lui du 10 mars 1801 sur les accid»»nts e
colli>ions de mer. Il y aurait donc lieu à cassation, puur incompétence, d'ui
jugement du conseil de guerre maritime (lui, st ituanl sur l'action civile
laciueile l'infraction pouvait donner lieu, aurait condamné solidairement le
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉE. 387
ner, au profit des propriétaires, la restitution des objets saisis
ou des pièces à conviction, lorsqu'il n'y a pas lieu d'en pro-
noncer la confiscation (C. just. mil., art. 53 et 54 ; C. just.
maril., art. 74 et 75).
181. Une autre exception à la règle d'après laquelle la par-
tie lésée est libre de porter son action, soit devant les tribu-
naux civils, soit devant les tribunaux de répression, résulte de
Tarticle 46 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Vn fait de publication par la voie de la presse constitue un
délit |)éual dommageable : c'est une dilTamation ou une injure:
la victime de l'infraction a-t-elle le droit d'opter entre la juri-
diction civile et la juridiction répressive et de saisir de son
action l'une ou l'autre, a son cboix?.
Le droit, pour la victime d'uneinfraction,dc s'adresser, à son
cboix, aux tribunauxcivilsou aux tribunaux de répression, no
saurait être méconnu dans son application spéciale aux délits
de [iresse. Si des difficultés se sont élevées à une certaine épo-
<|U(.*, elles sont aujourd'liui h'uitï éteintes et personne ne peut
douter de la faculté générale, qui appartient à tout individu,
diffamé ou injurié, de saisir, s'il lui plaît, de son action en dom-
iii(;u!|)és à la. rrpanition du dommage occ<'isi<iiin(' par leur faute (Cas6«,
\{) avril 1H8i, H, ci;, n° 132). — Eu ce qui cunctTuc los conseils de préfec-
ture, leur incompétence sur l'actiou civile, lors(|u*ils sont coiupeli-uts en
inalitT»; rt'pressive, est pn»clamêe par un Avis du Conseil d'Ktat du 2t) sept.
inm [{). A., V' Voirie par terre, p. 191). — En ce qui concerne la Haule-
«ynir de justice, établie par rarliclc 0 delà loi constitutionnelle d<'s 2t et
•2H fi-vriiT IH7"> et par l'article 12 d(» celle des H» et 1« juillet tSTTi pour jut,'er
1p présid4'nt de la K«'f>ul)rnju»', les ministres et les personnes coupaMcs d'at-
tiMitats conire hi sùrelé de TKlat iqualillcation tjui comprend le complot :
Haiite-Cuur de justice, IH nov. IHOH, S. 1901. 2. 1), aucun texte ne lui don-
nant le droit de statuer sur l'a-lion civile, elle serait nalurellemenl incom-
pétente pour le faire. Il en «Mait aulrement de la llaute-C(»ur de justice impé-
riale. S'aî>p»iyant sur Tarlicle 17 du sénatus-consulle <lu 27 mars 1S70, relie-
Cl s'était reconnu le droit de prononcer des d')mmif^es-intérôts : liaute-tjour,
27 mars 1870, atî. Salmon contre prince Pierre Mr»naparte (JJ. 71 2. 79).
M.iisen Tabsenced'un texte s[»«^cial, qui n'existe pas dans nos lois constitu-
tionnelles, l'application des rè^,des gên^^rales exclut toute intervention de la
Haute-Cour dans l'ordre des intérêts privés.
388 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
mages-intérêts, les tribunaux civils**. Une exception, relative-
ment ancienne dans notre législaton, puisqu'elle remonte à
1848, et que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse a respectée,
existe cependant en ce qui concerne les diffamations commises
« envers les cours, les tribunaux, les armées de terre et de
mer, les corps constitués et les administrations publiques», et
celles adressées, à raison de leurs fonctions ou de leurs quali-
tés, « envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plu-
sieurs membres de Tune ou de Taulre Chambre, un fonction-
naire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique,
un ministre de l'un des cultes salariés par TÉtal, un citoyen
chargé d*uo service ou d'un mandat public, temporaire ou
permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposi«
lion*' ». Ces délits sont prévus par les articles 30 et 31 de la
loi du 29 juillet 1881, et Tarticle 46 de cette mémo loi décide
que « Faction civile, résultant des délits de diffamation prévus
et punis par les articles 30 et 31, ne pourra, sauf le cas d&
décès de Tautcur du fait incriminé ou d*amnistie, être pour-
suivie séparément de l'action publique ».
Pour comprendre le motif de cette disposition et, par consé-
quent, sa portée, il faut remonter à son origine. Avant 1848,
une vive controverse s'était élevée sur le point de savoir si les
fonctionnaires publics, attaqués par la presse, à raison de faits
relatifs à leurs fonctions, pouvaient saisir d'une action en dom-
•* Cire. min. Just., 9 nov. 1881 : « L'action civile pourra toujours être por-
tée devant la juridiction criminelle ou correctionnelle avecTaction publique;
mais elle pourra aussi être exercée séparément, conformément à l'article 3 du
Code d'instruction criminelle ». Comp. G. Le Poittevin, Traité de la presse,
l. 3, T)0 1269.
^^ Ainsi l'action civile ne peut être exercée qu'accessoirement à TactioD
publiqueaux cas : i** de diffamation envers les cours et tribunaux, les armées
de terre ou de mer, les corps constitués et les administrations publiques;
2° de diflamation, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers les
ministres, les sénateurs, les députés, les fonctionnaires publics, les déposi-
taires ou agents de l'autorité publique, les ministres du culte, les citoyens
cbargés d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent; 3* de
diffamation , à raison de leurs fonctions, ou de leur qualité, envers les jurés;
4<* de diffamation, à raison de leur déposition, envers les témoins.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉE. 389
mages-intérêls les IribuQaux civils. Oq avait contesté d'abord
le droit même du fonctionnaire, atteint dans sa considération
ou son lionneur, d'obtenir une réparation privée. El, même
en admettant l'existence de l'action civile, distincte de Taction
publique, on avait prétendu imposer à la partie lésée Tobliga-
lion d'agir toujours devant les tribunaux de répression. Mais
la jurisprudence des cours et tribunaux, celle de la Cour de
cassation notamment, n'avait jamais varié : elle avait constam-
ment jugé que les fonctionnaires pouvaient saisir les tribunaux
civils d'une action privée en réparation*'. 11 suffit de se
reporter aux journaux, aux revues, aux recueils de l'époque,
pour comprendre l'émotion qu'avait soulevée cette jurispru«
dence; sans doute, elle était fondée sur le droit commun, mais
la question s'élevait précisément de savoir si la diffamation,
dans ce cas, devait rester sous l'empire du droit commun :
'< La vie privée des fonctionnaires n'appartient qu'à eux seuls,
disait M, de Serres, dans l'exposé des motifs de la loi du
26 mai 1819; leur vie publique appartient a tous. C'est le droit,
c'est souvent le devoir de cbacun de leurs concitoyens de leur
reprocher publiquement leurs torts et leurs fautes publiques »•
Aussi, à toutes les époques de liberté, deux garanties sont don-
nées contre le fonctionnaire : le droit de prouver la vérité des
faits prétendus diOaniatoires; l'assurance que l'appréciation
deces faits et de leur preuve sera soumise à des jurés. Or, ce
qu'essayait le fonctionnaire diffamé, lorsqu'il saisissait le tri-
bunal civil et séparait l'action civile de l'action publique,
c'était précisément d'obtenir, de fonctionnaires comme lui,
par le résultat d'une enquête à huis-clos^ sans avoir à se com-
itiettre au danger d'un débat public sur la vérité des faits
infipules, une répression civile, au moyen d'une somme d'ar-
gent. Le pouvait-il? 11 était certainement permis d'en douter.
L<a jurisprudence lui avait cependant reconnu ce droit : mais,
sous l'influence de vives attaques, que cette solution avait mo-
tivées, un décret du Gouvernement provisoire, en date du 22
'^ Comp. Cass., 6 mai 1847 (S. 47. 1. 137), et les conclusions contraires
du procureur général Dupin ; Ghassan, op. cit., l. 2, p. 202 et suiv., n^ 1437
et suiv., et Si/pp/ , p. 15.
390 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILK.
mars 1848, décida que les tribunaux civils seraient, à Tavcnir,
incoin[)étents pour statuer sur les actions civiles des fonction-
naires diffamés. La loi du ioavril 1871 (art. 4) reproduisit celle
disposition, qui a été recueillie par i^article 46 de la loi du
29 juillet 1881 »*.
Ceci posé, une première question s'élève. On sait que la
loi sur la presse distingue, au point de vue de la diffamation,
deux catégories d'individus : d'une part, ceux qui sont re-
vêtus, à un litre quelconque, d'un caractère public; d'autre
part, les simples particuliers. La preuve des faits diffamatoi-
res, qui ne peut être rapportée, quand il s'agit de diffamatiof
envers les particuliers, est, au contraire, recevable, aux U'i*
mes de Tarlicle 35, en ce qui concerne la diffamation coin
mise envers les personnes publiques à raison de leurs fonc
lions. Or, d'une part, les directeurs et administraient
d'entreprises (inancières, faisant publiquement appel à l'épai
gne et au crédit, sont, au point de vue de l'admissibilité d
la preuve, assimilés, par l'article 35, aux fonctionnaires pu
blics. D'autre part, l'article 45 (fui, d'une façon général*
défère à la cour d'assises, les délits prévus par la loi sur I
presse et, par conséquent, le délit de diffamation envers U
personnes agissant en un caractère public prévu par Tari
cle31, défère, parexception, au tribunal correctionnel, le dél
de diffamation envers les particuliers prévu par l'article 3:
Les administrateurs d'entreprise financière n*étant que d(
particuliers, il semble que la diffainalion qui les atteint soi
de la compétence des tribunaux correctionnels. Mais Tari
de 52, qui organise la procédure relative à la preuve des fai
diffamatoires prétendus devant la cour d'assises, se réfère, sar
aucune réserve, aux dispositions de l'article 35, dont Tun di
derniers paragraphes est précisément relatif aux adminislr;
teurs d'entreprises financières. Enfin, Tarticle 46, qui inlerd
l'exercice séparé de l'action civile devant li^s tribunaux d
^* Sur celle disposition : Barluer, Code expliqué de la presse, n°* 853
suiv.; (j. Le Poillevin, Traite de la presse, r»®* 1290 ot i291 ; Fabregue
les. Traité des délits politiques, et des infractions par la parole, rècritu
et la presse, t. 1 , p. 336, 436.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉE. 391
répression, vise simplement les diffamations commises envers
les personnes |)nbliqiies. Kn face de ces textes contradicloires,
un certain nombre de problèmes se sont posés.
Quelle est, de la cour d'assises ou du tribunal correction-
ni'l, la juridiction compétente pour connaître delà diffamation
commise envers les administrateurs d'entreprises financières?
Pour décider, comme elle Ta toujours fait, que les tribunaux
copreclionnels sont compétents, la Cour de cassation raisonne
ainsi" : Les administrateurs d'entreprises financières ne sont
assurément pas des fonctionnaires publics ni des personnes
chargées d'un service ou d'un mandat public; ils ne peuvent
donc, à aucun titre, être classés au nombre des personnes
visées par l'article 31 et doivent nécessairement être rangés
dans la catégorie des simples particuliers, pour lesquels l'ar-
licle 43 établit la compétence des tribunaux correctionnels.
Le raisonnement est, en effet, pressant; il n'est même pas
susceptible d'une réfutation directe; mais la solution à la-
quelle il conduit est si peu conforme à l'esprit et au but de la
loi, desarticles 32etsuivants, qu'il est permis de douter deson
exactitude. Néanmoins, la jurisprudence est depuis longtemps
fixée sur la compétence du tribunal correctionnel. Mais en
admettant la compétence du tribunal correctionnel dans ce
cas, il reste à se demander s'il faut, en ce qui concerne la
preuve des faits diffamatoires devant cette juridiction, se con-
former aux règles spéciales tracées par la loi sur la presse ou
suivre simplement les règles du droit commun. C'est la pre-
'ïïièpe solution qui doit être acceptée. L'article 52, se référant
* Tarlicle 35, il résulte, en effet, de la combinaison de ces
deux textes, que les garanties spéciales, édictées par la loi sur
'^ presse pour organiser la preuve en matière de diffamation,
doivent être observées dans tous les cas où la preuve est ad-
'nise : ces garanties étant d'ailleurs déterminées par la nature
"ïême du délit et non par celle de la juridiction qui en est
saisie, doivent protéger les parties devant les tribunaux cor-
*' La jurisprujlcMice est fixée dans ce sens. Comp. Cass., 29 juin d882
(S- 83. 1. 47; D. 82. t. 383); Vov. G. Le Pollieymjraité de la presse, i.Z,
n" »330, p. 335).
392 PROCÉDURE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
rcctionncls comme devant les cours d^assises. Tel est le rai
sonnement de la jurisprudence et il faut reconnaître qu i
est conforme au texte ainsi qu'à l'esprit de la loi *^
Mais une nouvelle difficulté surgit qui nous ramène à notre
sujet. Le but de la loi, en assimilant, aux fonctionnaires publics,
les administrateurs d'entreprises financières, au point de vue de
la preuve (ce qui est certain) et au point de vue de la compé-
tence du jury (ce qui est contesté), a été certainement de don-
ner aux écrivains le privilège de pouvoir dénoncer, sans crain-
dre une répression, les abus des uns et des autres. Eh bien
un administrateur d'entreprises financières est diffamé ou s(
prétend diffamé comme tel : a-l-il, pour protéger son honnoui
et celui de son entreprise, la faculté de choisir entre le tribu
oal civil et le tribunal de répression? Peut-il se ménager, pa
un détour que larticle 46 delà loisur la presse a pour objet d
déjouer s'il est essayé par un fonctionnaire, une victoire sv
l'écrivain qu'il n'ose pas accuser devant ses juges naturel
L'esprit de la loi s'y oppose. Cependant, à défaut de texte,
parait difficiled'écarter le droit commun de l'option. Mais
preuve de la vérité du fait diffamatoire peut être rapport
devant le tribunal civil comme devant le tribunal correctio
net puisqu'elle met le diffamateur à l'abri non seulement c
toute peine, mais aussi de toute condamnation à des dommj
ges-intérèts.
Il faut en conclure que les tribunaux civils violeraient
droit de défense et les dispositions de l'article 33 de la loi si
la presse, s'ils privaient le défendeur de ce moyen de défense (
fond, en lui refusant de faire, tant par titres que par témoin
et suivant la forme de la procédure d'enquête, la preuve d
faits pertinents et admissibles par lui articulés et tendant à et
blir la vérité des imputations qui lui sont reprochées^\
L'incompétence des tribunaux civils, pour connaître de l'a
tion civile des personnes diffamées à l'occasion de leurs fon
*'J Voy. l'arrêt précité de la Cour de cassation du 29 juin 1882. Coe
G. Le Poitlevin, Traite de la presse, t. 3, n® 1549.
«' Sic, Cass., 18 mars 1889 (D. 90. 1. 160).
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LESEE. 393
lions, est d'ordre public. Par suite, Taccord du demandeur et
du défendeur pour soumeltre le procès à la juridiction civile,
serait impuissant à lui donner compétence, et le contrat judi-
ciaire qui interviendrait, dans ce cas, ne pourrait modifier des
règles d'ordre public**.
Trois conditions sont, du reste, nécessaires pour écarter
l'application du régime de Toption : i"" Il faut, d'abord, que
Timputation que le demandeur prétend déférer au tribunal
civil présente les caractères légaux d'un délit de diffamation.
Ainsi, la juridiction civile peut être valablement saisie, lors-
que le défaut de précision des imputations est exclusif du
délit de diffamation ou lorsque l'imputation n'a été accompa-
gnée d'aucune des circonstances constitutives de la publicité
exigée pour la diffamation punie par les lois sur la presse.
2M1 faut aussi que la diffamation publique ait été commise
à raison des fonctions. La relation entre la vie publique et
l'allégation diffamatoire est une condition de l'exception
d'incompétence *'. 3° Il faut enfin que l'action publique ne
*' Aucun doute sur ce point : Cass., 29 août 1889 (B, cr., n° 29i); H juin
i898 (S. 1900. 1. 435 ; D. 98. 1. oiO).
'* Il arrive souvent que les propos dilTamatoires visent un fonctionnaire, à
i^ fois dans sa vie privée et clans sa vie publique. Il y a, dans ce cas, deux
théories qui jouent leur rôle, pour la solution de la difficulté de compétence:
celle du cojiconrs d'infractions et celle de Vindirisibilité, et de la connexité.
En principe, la jurisprudence de la Gourde cassilion juge qu'il y a un con-
cours matériel d'infractions, chaque phrase ou chaque mot constituant un
délit distinct, soit une injure, soit une diffamation, et, s*il s'agit d'une dif-
famation, soit contre l'homme public, soit contn; Thomme privé. Le fonction-
naire atteint, dans sa vie publique et dans sa vie privée, peut donc, à la
condition de faire abstraction de toutes les imputations qui l'atteignent dans
8a vie publique, porter son action en réparation devant le tribunal civil.
C est là un concours matériel d'infractions. Mais il en est autrement, et il y
a concours idéal, c'est-à-dire un fait connexe et pluralité de délits, quand
les imputations se lient et sont indivisibles. Alors une seule juridiction, la-
cour d'assises, est compétente pour statuer sur l'ensemble, au point de vue
pénal comme au point de vue civil. Voy. Cass., 15 mars 1894 (S. 9i. 1 . 255) ;
Trib.de Montdidier, 19 avr. 1901 {La Loi, n* 28, 29 avr. 1901). Comp. mon
"traité théor. et prat., t. 3, n*»» 715 et 716; G. Le Poiilevin, op. cit,, t. 3,
^^ 1290, p. 335; Emile Larcher, Du concours idéal d'infractions [liev» crit.,
*^98,p. 96 à 113); Fabreguettes, op. cit, t. 1, p. 334.
394 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
soit pas él<>inle et permette de suivre le procès pénal. L'ar-
ticle 46 de la loi du 29 juillet 1881, de môme que Tarlicle i
de la loi du 15 avril 1871, fait cesser la prohibition de saisir
la juridiction civile, lorsque l'action pul)]i(|ue est éteinte par
Tune dos deux causes suivantes : le décès de Tauteur delà
dilTamation ou Tamnistie. Ce n'est là que le rappel de prin-
cipes généraux *°.
182. Une aulre restriction, dont la portée reste indécise,
résulte des dispositions du Code de commerce sur la banque-
route.
La compétence répressive appartient, en cette malière,
conformément au droit commun, au tribunal correctionnel
ou à la cour d'assises, selon qu'il s'agit de banqueroute sim-
ple ou de banqueroute frauduleuse. Qui peut jouer, devant
ces juridictions, le rôle de partie lésée et, par suite, agir par
voie de citation ou par voie d'intervention ? Soit les syndics,
soit un ou plusieurs créanciers individuellement (C. corn.,
art. ;J8i). Toutefois, en cas de banqueroute simple, les syn-
dics ne peuvent agir, au nom de la masse, qu'ai)rèsy avoir
été autorisés par une délibération prise h. la majorité indi-
viduelle des créanciers (C. com., art. S84). Cette autori-
sation est exigée à raison des conséquences dommageable^
que peut avoir, pour la masse, au point de vue des fr3-^^
les poursuites exercées par le syndic. Au contraire, devr*^
la cour d'assises, où le même risque n'est pas encouru,
syndic peut intervenir sans autorisation.
Malgré la condamnation pour banqueroute simple ou fra^
duleuse, le tribunal de conmierce, qui a rendu le jugemet^
reste compétent pour connaître d(; tout ce qui concerne
faillite, et la procédure réglée par le Code de commerce su^
son cours comme s'il n'y avait pas ban([ueroute (C. coni^
^" Voy. notammont un autre cas dans un arrèl de Cass. req., du 22 f^
vrior 1875 (S. 75. 1. 164; D. 75. 1. 324). Lorsquo l'action civile a été pou
suivio d'almnl simultanément avec l'action publifjue rt que l'arrêt vient
être cassé pour vire de forme, elle peut être juf^ée séparément par la juridiC
tion civile devant laquelle elle a été renvoyée par la Cour de cassation.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉR. 395
arl. 600). Toulefois, cela n'est \pui que sous une certaine
reslriclion. En effel, le tribunal correctionnel ou la cour
d'assises statu(Mit : V d'office, sur la réintégration à la masse
des créanciers de tous biens, droits ou actions frauduleuse-
ment soustraits; 2° sur les dommages-intérêts qui seraient
demandés (C. com., art. 593). Ces décisions s'appliquent
même au cas d'ac(|uittement. C'est le droit commun pour la
cour d'assises, qui peut statuer sur les dommages-inléréls
prélcndus par la partie civile, même en cas d'acquittement
deTaccusc (C. instr. cr., arl. 358). Mais il y a là une déroga-
tion au principe selon le<|uel le tribunal correctionnel ne
peut condamner le |)révenii à des dommages-intérêts qu'au-
tant qu'il reconnaît Texistence de l'infraction au [loint de vue
pénal (C. instr. cr., art. 191 et 212). L'extension de la com-
pétence du tribunal correctionnel est motivée sur Tincom-
péteuce du tribunal civil pour prononcer des dommages-
intérêts en cas de banqueroute simple ou frauduleuse.
Il semble, en effet, résulter de l'ensemble des textes du
Code de commerce qu'en dehors de l'action civile en dom-
fïïages-intérêts, intentée devant les tribunaux de répression,
accessoirement à une poursuite répressive, soit par le syndic,
'^it par les créanciers, les parties lésées par un faitdebanciue-
'^ute ne potirraient pas individuellement demander au failli
des dommages-intérêts devant les tribunaux ordinaires. Le
"lotif de cette exclusion repose sur le principe d'égalité qui
doit régner entre tous les créanciers d'une faillite et qui
interdit, comme consé(iuence, Taltocation de dummages-inté-
^êLs au profit de l'un d'eux qui i)rétendrait être lésé par un
fait de banqueroute. Devant les tribunaux répressifs, leur
intervention s'explique et a pour but, à titre d'auxiliaires du
•ninistère public, d'obtenir la punition du coupable (C. com.^
^rl. 601)*«.
** Toutes ces dispositions sont, du reste, assez ubscuros dans leurs rela-
tions avec les règles delà procédure criminelle. Voy. pour des applications :
^ss., 7 nov. 1840 (S. 41.1. 84), arrôt d<fcidant que les tribunaux ne peu-
^fint, en matière de banqueroute simple ou frauduleuse, accorder de domma-
ges-intérêts aux parties civiles; Cass., 9 mai 1846 (B. cr,, n* 117), d'après
396 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CI
183. Sauf CCS cas exceptionnels, la partie lésée par
infraction a la faculté de |>orter son action, soit devan
trit)unaux civils, soit devant les tribunaux répressif:
mais [ïcut-elle varier dans son choix? Peut-elle, après;
porté son action devant le tribunal de répression, se dé^i
pour saisir le tribunal civil, ou, réciproquenient, après i
porté son action devant le tribunal civil, se désister
saisir le tribunal de répression? Dans notre ancienne ji
prudence, qui sMnspirait de textes du droit romain, plu
moins exactement interprétés, cette double question
résolue négativement et on formulait, comme une règh
nérale et absolue, l'adage : una electa via non daiurn
su.'i ad nUcrarn^^^, On se demande, dans le silence de I.
moderne**, si cette règle doit être encore admise. La ji
prudence parait faire une distinction entre les deux ternie
problème, c'est-à-dire !e passage de la voie civile à la
criminelle, ou celui de la voie criminelle à la voie ci
I. Si la partie lésée a, tout d*abord, porté son action de
le tribunal de répression, soit par action directe, soit
lequel la condamnation à des dominages-inl(!^nHs prononcée par la cour
sises contre un failli, en faveur île quelques-uns de ses créanciers (j
seraient portés parties civiles, dans une accusation de l>anqueroute fr.
leuse, ne créerait pas, en faveur de ses créanciers, un privilège au yrv]
des autres créanciers.
" Il ne peut y avoir qu'une action pour un droit. E', ici, le droit à la
ration est utiique. Mais il peut y avoir plusieurs manières de l'ex
Comp. GarsonneL, Traité théor, et prat. de proc, (2*^ édit.), l. 1, n® 20
•^ Comp. Jousse, De la justice criminelle, t. 3, p. 10. L'ordonnan
1607 confirma celte réj^leen matière d'aclions pos?essoires(tit. XVIIl, ar
w Celui qui aura été dépossédé par violence ou voie de fait p<iurra dr
der la réinlé^rand»» par action civile et ordinaire ou extraordinairemoi
action criminelle, et, s'il a choisi l'une de ces deux actions, il ne poui
servir de l'autre. »>
'* L»' st'ul lext«» qui paraisse faire allusion à celle règle ancieime es
licle îi, \\° î». «le la loi du Ho mai 1838, qui a passé dans l'article 6, n®
la loi du 12 t't du 13 juilW 1905 sur les justices de paix. Voy. Heg
Do la roie civile et de la voie criminelle {Hev, crit. de Itfjislaiion et i
ri^prudrnce (t. 28, iKOn, p. 410 et suiv.); Bazol, l>e la maxime : In
electa {lier, prat., t. 35, 1877, p. 533 et suiv.).
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LÉSÉE. 397
inlervention, elle peut se désister par voie d'abandon d'in-
stance" et recommencer le même procès devant le tribunal
civil, car, outre que la maxime « una cia electa » n'est con-
sacrée, dans le droit actuel, par aucun texte, le défendeur
serait mal venu à se plaindre de ce que le demandeur re-
nonce à Taction la plus rigoureuse pour intenter celle qui
lui est le plus favorable". Merlin*' a dit excellemment :
« Comme il m'est permis de renoncer à mon propre avan-
« tage et que mon adversaire ne serait pas recevable à se
K plaindre de ce que je n'use pas contre lui de la rigueur de
« mon droit, je peux, après avoir rendu plainte d'un délit
K qui m'a causé dommage et avant qu'il y ait été statué,
« renoncer à la voie criminelle pour prendre la voie civile ».
On objecterait, en vain, l'article 5, § 5, de la loi du 25 mai
1838", qui détermine la compétence des juges de paix, à
l'égard des actions civiles pour rixes, voies de fait, injures et
diffamations verbales « lorsque les parties ne se sont pas
« pourvues par la voie criminelle ». Ce texte qui, d'après
certains auteurs, ne serait qu'une application particulière de
la règle :« î//irt ckcta via », ne dit pas, bien qu'il. semble le
laisser supposer, qu'il soit interdit de porter l'action devant le
juge de paix, quand la partie a déjà intenté le procès devant
" Le désistement de la partie civile s'impose au prévenu ou à l'accusé
s'il est fait dans le délai de l'article 67 du Code d'instruction criminelle. En
tleliors de ce délai, il doit, comme tout désistement, être accepté (C. proc.
civ., art. 403). C'est ce que nous expliquons plus loin.
■^ C'est le système de la jurisprudence. Cass., 3 mai 1846 (D. 46. 1.316);
H juin 1846 (D. 46. 1. 281); 18 novembre 1854 (D. o6. 1. 348) ; Montpellier,
10 mai 1875 (D.76. 2. 107; S. 75. 2. 328). Adde, Cass., 12 juin 1890 (D.
90. 1. 489 ; S. 92. 1. 430); 4 août 1804 (D. 97. i. 266). Pour la doctrine,
Faustin Hélie. op. cit., t. 2, n" 017; Mangin, Actions, t. 1, n®35; Berriat-
Saint-Prix, Tribunal correctionnel, n«' 410 et suiv.
^' Questions de droit, vo iiption, § 1, n»M et 2.
*' Aujourd'hui remplacé par l'article 6, n® 3 de la loi du 12 juillet et du
13 juillet 1905 sur les justices de paix : « Les juges de paix connaissent en-
core 3* Des actions civiles pour diffamations ou pour injures publiques
Ou non publiques qu'elles soient verbales ou par écrit, autrement que par
ïa voie de la presse; des m(}mes actions pour rixes ou voies de fait, le tout
lorsque les parties ne se sont pas pourvues par la voie criminelle ».
398 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
le tribunal de police : il règle simplement une question de
compétence civile.
Le cumul des actions, c'est-à-dire l'exercice simultané ou
successif de plusieurs actions inlentées en vertu d'un mèmt
droit et dans un même but, n'est, en eiïet, nullement intcp
dit". I)ira-t-on que Texercice d'une action d(»vant un tribuna
entraine renonciation virtuelle au droit de l'exercer devan
un autre tribunal, lorsque la loi donne une option entre et
deux manières de procéder? Mais cette théorie, qu'aucn
texte général ne vient appuyer, est certainement erroné»
El la maxime: « electa itna ria non dalur recumis^ ad altt
ram », (fui en serait une application, ne doit cire acceptée qi
« dans les limites où les motifs d'utilité et d'équité qui l'ont fa
admettre commandent impérieusement son observation »'
c'esl-à-dire lorsqu'il s'agit, pour la partie lésée, de passer (
la voie civile à la voie criminelle.
11. En effet, si la partie lésée, après avoir saisi le tribun
civil de son action, se désiste pour saisir le tribunal de répn
sion, elle ne saurait y être recevable, car elle rendrait, ;
mépris de toute équité, la situation du prévenu moins favor
ble qu'auparavant. Il vaut mieux, pour celui-ci, avoir à
défendre devant le tribunal civil que d'avoir à se défend
devant le tribunal de répression. C'est dans cette mesure q
subsiste la règle :<' una electa via non dalur recurst/s ad al
ram )).Mais,dauscette mesure, son application est indépendan
soit de la qualité des personnes que la partie lésée aurait
prétention de mettre en cause, soil de la forme même dfl
laqut^lle elle prétendrait procéder. Peu importe qu'après av
assigné l'inculpé seul devant le tribunal civil, elle se dési
pour le citer devant le Iribunal de répression en compagi
de personnoi cicilcment responsables. Peu im[)orte qu'e
saisisse le Iribunal de répression par voie (V intervention
par voie A'action : Téquité ne permet pas que la partie ci\
-^ Conip. (iarsonnet, Traité ttUor, et prat. de proc. (2*" é«l.), t. 1, § î
p. 645 ol 040.
'^ Happorl <lc M. Tanoii précédant l'arrèl «Je rejel (h" la Chambre cri
nelU-Mle la Cour de cassation du 17 jaiiv. 1885 (D. 90. 3. 8, col. 2).
DROIT D*OPTION APPARTENANT A LA PARTIE LESEE. 399
décline, au préjudice de Tinculpcou despcrsounescivilement
respoDsables, la juridiclion quVdle a volontairement saisie,
parce qu*elle ne la croit peut-être plus favorable à sa demande;
et les principes du droit impliquent que l*instance, liée devant
la juridiclion civile, forme, en quelque sorte, un contrat judi-
ciaire, qui ne peut plus être rompu par la volonté unilatérale
de Tune des parties?*.
184. L'application de la règle: « una via rlecta^^, quelque
restreinte ou quelcfue étendue qu*elle soit, exige, dans l'opi-
nion unanime, doctrinale et jurisprudentielle, le concours de
trois conditions.
I. 11 faut, en premier lieu, que la demande, successivement
portée devant les deux ordres de tribunaux, soit identiquement
la même, c'est-à-dire qu'elle ait le même objeA, la même
cause, et qu'elle soit formée entre les m nues parties, A défaut
de Tune de ces conditions, il y a deux actions distinctes, et le
demandeur est libre, après avoir soumis Tune d'elbîs à la
juridiction civile, de s'en désister, pour porter Taulre à la
juridiction répressive". Il n'y a même pas, à ce point de vue,
3* Sî»ns dont»?, la partin civih? se dt.^sislera <lt* sa premit'n; rlomanHe en
formant la seconde, et, K» (l<*sisleni»Mît, tMi mali»M*e civile, doil èlro acroplé
(C. pr. civ., art. *(»i). Mais, il s^ra pri'cisonitMjl aco'pli^, parce qu'il ne vien-
<lra jamais à l'idée du liéteriiltrur «pie 1»» d»Mn;mii»Mii' puisse recninmeiicer le
procès dt'vanl la juridicrlioti piMiaK?. V<»V'. IfS (djsrrvarn'iis faites à ce sujet
par Labordo, Cour^ de droit cnminrl {'1^ éd.), n° 7*2, p. i'»72.
^^ Voici ipiel«pj»'S exemples, [»uisés dans la jurisprudpuce : a) C»dui qui
détermine une. femme marié»* à quitter, avec lui, le domicile conjuf^al peut
être aclionué en dumma^^es-inlérèLs «levant le trihunal civil, alors même
qu'il est déjà l'olijet «1»^ poursuites (.':>rrecliMin)ell»'S pour adultère; car l'ac-
tion en d»)mmaj.''»'s-inlérèls est fondée sur le flt'lournrment et non sur l'adul-
lère : Aix,7 juin ISSi (S. S.'J. '2. '1\H] ; h) La maxime »- elcctd una rla »> est
également inapplicable au cas où, après avoir formé devant h* tribunal de
commerce une demande tendant à la nullité d'une liquidation sociale, à la
nomination d'un nouveau litpiidaleur, et, subsidiairemi'ut, au pait'ment d'une
somme représentant la j):irt qui lui aurait été promise dans la réalisation de
Tnctif, un associé actiomie ses coassociés, devant l«* tribunal correctionnel,
en réparation de certains a;,'issements qualifiés abus de conliance : Paris,
4 déc. 1874 (S. 75. 2. 109), et la note de M. Villey; c) Celui qui a intenté,
400 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
un parallélisme complet entre les cas où le passage de la ji
ridiction civile à la juridiction répressive est interdit et It
cas où la juridiction civile restant saisie, il y a lieu, pou
celte juridiction, de surseoir ;i statuer, parce que Tactio
publique est intentée (C. inslr. cr., art. 3).
Nous pensons, en effet, que les motifs de la règle : le crim
nel tient le civil en état, commandent, aux tribunaux d'ordi'
civil, de surseoir à statuer, en cas de poursuite d*un fa
délictueux, sur toutes les actions privées, qui naissent de c
fait, car la solution ([ui sera donnée au procès pénal, devaii
avoir ime influence nécessaire sur la solution à donnerai
procès civil, la réaction qui résultera du jugement de réprcs
sion doit imposer, dans tous les cas, une attitude passive ai
tribunal civil. Au contraire, Tinterdiction qui est faite <
une partie lésée de cumuler les deux instances ne s'appli(|U'
et ne peut s'appliquer qu'à Taction civile proprement dilt*
l'action en dommages-intérêts, la seule qui puisse isolémeri
être portée, au choix du demandeur, devant les deux ordre
de juridiction. Deux exemples cclairciront cette distinction
Ainsi, il n'est pas douteux que le mari, après avoir form
devant le tribunal civil, une demande en séparation de ccrp
ou en divorce, exclusivement fondée sur un fait d'adultère ^'
sa femme, ait le droit de se désister.el de citer celle-ci devai
le tribunal correctionnel pour la faire condanmer à des don
mages-intérêts et aux peines qui seront requises par le ni
nistère public". A l'inverse, une demande eu séparation ^
corps ou en divorce, exclusivement fondée sur ce motif, ser^
suspendue par une poursuite correctionnelle pour adulte
(C. civ., ancien art. 23f>). Les deux actions n'ont ccrlaia
ment pas le même objet, mais elles sont fondées sur le méiB
au rivil, une action en compte, lùjuidation et partage «Tune succession, n'«=
pas irrecevalile, en vertu de la n^gle : « vkcta una via .>, à se porter par
civile au euurs d'une poursuite rievant le tribunal correctionnel sous la pr
venti'.Mi de vol de valeurs hi-nVIitaires : Cass., 19 mai 1S93 (S. 94-. 1. 42)>)
note de M. Villev. On trouvera, dans cette dernière nuic, une série de réf
ren< es à la jurisprudence antérieure.
^^ Sic, Cass., 22 juin 1850 (S. 50. l. C29; U. 50. 1. 208).
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIE LESEE. 401
faitetia solution de l'une implique nécessairement la solu-
lion de l'autre. C'est par la même raison que l'article 230 du
Code de procédure civile permet à la partie lésée par un faux
d'abandonner la voie civile du faux incident, quoique prise en
connaissance de cause, et d'intervenir, comme partie civile,
dans la poursuite en faux principal. Cette disposition |ne con-
slitue pas, comme quelques-uns font pensé, une exception à la
règle: « una via electa »; car les deux actions, successive-
menl intentées par le demandeur, quoique nées du même
fait, le faux, n'ont pas le même objet : Tune tend à la
suppression, la lacération, .la radiation, la réformation,
ou le rétablissement des actes déclarés faux, et lautre, à la
réparation du préjudice que le faux a causé. Mais la pour-
suite criminelle pour faux aurait pour effet d'obliger le tri-
bunal civil à surseoir an jugement d'une instance civile dont
le but serait de faire déclarer falsifié, tel titre, telle pièce,
^n testament, par exemple. Ici, en effet, il s'agit de l'un des
chefs de l'action civile, soumis à la juridiction civile, celui
<Iui concerne les restitutions, et il nous parait certain que la
'^ègle du sursis obligatoire s'applique à l'action civile tout
entière, à ses deux chefs, les restitutions et les dommages-
intérêts.
II. L'option, qui règle définitivement la situation du deman-
deur, doit avoir été faite en connaissance de cause. La règle :
^^ electa una tna.., » est, en effet, fondée sur l'acceptation, par
'es deux parties, du tribunal. le premier saisi. Tout contrat sup-
pose un concours de volonté. D'où il suit que dans le cas où les
'^îbunaux ordinaires ont été saisis d'une demande, dont tous
f ^8 éléments paraissaient purement civils, si, depuis Tintroduc-
^îon de cette demande, des faits sont révélés, ignorés jusque-là,
^1 donnant à cette demande un caractère délictueux, on doit
^t.re recevable à agir devant la juridiction répressive, car
^ action, quoique formée pour le même objet et engagée entre
^^^s mêmes parties, est, en réalité, fondée sur une autre
^'^^^use. Ainsi, le déposant qui, après avoir demandé la res-
titution des objets déposés devant le tribunal civil, décou-
vre que le dépositaire les a détournés, peut agir, en abus de
G. P. P. — L 26 "■
i
402 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
confiance, par violation de dépôt, devant le tribunal correcr-
tionnel. L'acceptation de ce point de vue conduit à une sok* -
lion, du reste contestable, qui vient encore restreindre la porté* ^
d'application de la règle : « electa ima via.., ». Toutes les foi
que le ministère public engage l'action publique, au couk^
d'un procès civil intenté par la partie lésée, celle-ci doit poim
voir se désister d'une instance civile, paralysée par l'instancr «
pénale, pour se porter partie civile devant la juridictio «^
répressive. En effet, l'altitude du ministère public est un fa^
nouveau, que le demandeur au civil n'avait pu prévoir, qum
changé sa siluation et ne permet pas de le considérer comm ^
ayant exercé, ne varietur et en connaissance de cause, l'optio «^
que lui laisse la loi.
111. Il faut, en troisième lieu, pour que la règle « una elect^^
via,.. » soit applicable, que la juridiction, saisie la première*
ail eu le droit de statuer sur l'action civile. Si, pour un motS
quelconque, elle n'a pas eu ce droit, ou si elle Ta perdu, la pai^
lie lésée se trouve dans la même siluation qu'avant d'avoi ^
intenté son action. Klle s'est trompée de porte, voilà tout; ^
celle erreur ne peut avoir pour résultat de la priver de sor
droit d'agir. C'est i\ catte consé(iuence cependant qu'il faudrai
en arriver si la juridiction, saisie la dernière, devait déclare^
l'action civile irrecevable par ce motif que cette action aurai
été engagée déjà devant une autre juridiction. Cette conditioi*
ne se rencontrerait pas dans les trois cas suivants :
a) D'abord, lorsque la juridiction saisie la première se sera
déclarée incompétente'*. On a, il est vrai, voulu distinguer,
3* Il est évident que cette troisième condition s'appliquera surtout en cas
de passage de la voie criminelle à la voie civil»». Nous l'ex;iminons néan-
moins : i** parce qu'elle vient limiter les conséquences d'une opinion ,que
nous ne partageons plus ; 2** parce que la jurisprudence a rendu de nombreu-
ses décisions dans lesquelles, sans examiner la question d'étendue de la règle :
« electa wta via... », elle a décidé que rincomp(ftence du tribunal do répres-
sion saisi nt; pouvait enlever, à la [)arti»^ civile, le droit dé faire le procès
devant les tribunaux ordinaires; 3° parce qu'entiii, elle est de nature, dans
des cas rares, à limiter la proliibition du passage de la voie civile à la voie
répressive, par exemple en cas de dilTamation envers des personnes publi-
ques.
DROIT d'option APPARTENANT A LA PARTIB LÉSis. 403
suivant que la cause d'incompétence est particulière au juge
saisi (iocompétence ratione personœ ou /oci, par exemple) ou
suivant qu'elle s'étend à la juridictioa tout entière (incompé-
tence ratione materiœ). Il importe peu, en effet, a-t-on dit'*,
que le juge, premier saisi, se soit déclaré incompétent, si,
d'ailleurs, la juridiction en général demeure compétente; dans
ce cas, le demandeur qui a, une première fois, mal dirigé son
action, demeure libre de la porter encore devant le juge com-
pétent : ainsi la voie civile qu^il avait d'abord choisie lui de-
meurant ouverte, il ne serait pas libre de l'abandonner pour
recourir à une autre voie. Si la maxime : « una electa via »
était une prescription positive de notre droit, cette distinction
pourrait être accueillie. Mais elle ne doit être appliquée que
dans les limites où l'imposent les motifs d'équité qui l'ont fait
(admettre par la jurisprudence. Comme l'exposait à la Gourde
cassation M. le président Barris, sur les conclusions duquel a
été rendu l'arrêt du 9 mai 1828", un des premiers qui l'aient
consacrée : « Cette règle est fondée sur l'humanité et la rai-
«.son qui ne permettent pas que l'on traîne un accusé d'une
« juridiction devant une autre, et' qu'on décline à son pré^-
^ judice celle qu'on a volontairement saisie, parce qu'on ne
^ la croira peut-être pas favorable à la demande qu'on a
« formulée devant elle ». Ce motif ne subsiste plus lorsque
la juridiction civile, d'abord saisie, s'est déclarée incom-
pétente, pour quelque motif que ce soit. Ce n'est pas volon-
tairement et arbitrairement, dans ce cas, que le demandeur
sibandonne la voie qu'il avait d'abord choisie. La juridic-
lion se ferme devant lui; l'instance qu'il a d'abord suivie
est comme non avenue. 11 reprend donc la liberté de son
choix, et, en la lui laissant, on ne favorise ni un caprice ni
UQ calcul, mais on lui laisse le droit même d'option que la
loi lui reconnaît".
" Amiens, 22 août 1803 {Journ. du minist, piih., L 7, p. 180). V. Dulruc,
Mémorial du min, pub., v° Action cicile^ n» <2.
'* Cass., 9 mai 1828. Voy. Mangin, op, cit,, 1. 1, n» 35.
^^ ^ic^ Cas8., 17 jariv. 1885 (S. 85. 1. 283). L'espèce était intéressante.
L^ propriétaire d'un établissement thermal avait intenté une action en
404 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET ClVILl
h) Dans le cas où le tribunal de répression, saisi de radio
civile, a renvoyé le prévenu ou l'accusé de la poursuite, (
perdu, par cela même, le droit de statuer sur les dommage:
intérêts réclamés par la partie civile, celle-ci peut certain
ment reprendre le procès devant la juridiction civile, sat
que le défendeur soit recevable à lui opposer la maxime
« tina via electa..,^). Ce n'est là qu'une application, sous ur
autre forme, des principes que nous venons d'exposer. Pc
conséquent, la partie civile, qui succombe devant le tribun,
correctionnel ou de police, parce que le prévenu bénéfic
d'un renvoi d'instance sur l'action publi({ue, peut agir devar
le tribunal civil. Mais la cour d'assises, ayant le droit et I
devoir de se prononcer sur la demande en dommage:
intérêts formée par Ja partie civile, même en cas d'acqui
tement de l'accusé, il est certain, qu'ensuite du désisteme»
de la victime, un procès en dommages-intérêts devant la ji
ridiction civile deviendrait irrecevable, au moins dans l'op
nion qui prohibe le passage de la voie criminelle à la voi
civile. Il en serait autrement en matière de délit de pressa
puisque la cour d'assises perd, en cas d'acquittement, et pa
exception, le droit de statuer sur les dommages-intérêts ré
clamés contre l'accusé (L. 29 juill. i88i, art. 58). Nous exu
minons plus loin la portée de cette disposition, tant au poii
de vue de la compétence de la cour d'assises, qu'en ce quicx)L
cerne le droit de la victime d'agir, après acquittement, devan
le tribunal civil. Mais, quelque solution que l'on adopte su
ces problèmes, le droit de la victime d'un délit de presse d
dommages-inlér(^ts contre un individu devant le juge de paix pour avoir lu
trotter le cheval qu'il conduisait dans les allées du parc et avoir ainsi contn
venu aux dispositions de Tart. 475, § 4 du Code pénal. Le juge de paix s'«
tait déclaré incompétent parce que, s*agissant d'une action personnel!
civile, il n'était pas le juge du défendeur. Le propriélain» de l'établissemei
thermal porta alors son action devant le même magistrat, siégeant comn^,
juge de police. Le juge devenait ainsi compétent, la contravention ayant él
commise dans le ressort de son tribunal. Mais le prévenu opposa la maxime
« clccta tinti via ». Jugement qui rejette l'exception et condamne le [)r/'ven
à une amende de 6 francs. Appel devant le tribunal correctionnel qui ooi
firme. Pourvoi rejeté par l'arrêt.
DROIT D OPTION APPARTENANT- A LA PARTIE LéSEB. 40S
saisir les tribunaux civils ne reçoit aucune atteinte par ap-
plication de la règle : « una via electa...», quelque portée
qu on soit tenté de donner à cette maxime.
c) Lorsque la juridiction répressive est dessaisie de Tac-
lion publique par le décès du prévenu ou par Tamnistie,
la partie civile reste libre de porter son action devant la
juridiction répressive. Nous nous demandons plus loin si la
surveoance, en cours d'instance, d'une cause d'extinction de
Taction publique a pour efTet de dessaisir nécessairement de
raction civile le tribunal de répression. Mais Tincompétence
de ce tribunal étant admise, la maxime : « electa una via.,.»^
ne s'applique pas.
185. La fin de non recevoir, qui résulte de l'exercice
de l'option, en cas de passage de la voie civile à la voie cri-
minelle, n'est certainement pas d'ordre public : elle a été
maintenue, parla jurisprudence, comme une. conséquence de
l'acceptation, par le défendeur, de la juridiction saisie la
première. Nous en concluons :• 1° qu'elle ne peut être sou-
levée d'office; 2° qu'elle doit l'être, par le défendeur, avant
tout débat sur le fond.
Il ne faut pas confondre, à ce point de vue, la fin de non
recevoir tirée de ce que l'option a été exercée, avec Texcep-
lion tirée du principe de la chose jugée. Ces deux moyens
d'arrêter le procès s'exercent, en effet, dans des conditions
différentes. La règle « electa una via,..», suppose que l'action
a déjà été intentée, mais non jugée, devant Tune des juridic-
tions compétentes; Texceplion de chose jugée, qu'il est inter-
venu un jugen\jent définitif prononcé par la juridiction saisie".
La première exception ne peut être soulevée d'office et doit
l'être avant tout débat sur le fond. La seconde, étant fondée
sur l'épuisement de l'action, est d'ordre «public, comme tout
les modes d'extinction des actions pénales.
" V. sur la distinction : Cass., 20 déc. 1884 (S. 86. 1. 444); 27 août 1863
(B. Cf., n° 232).
406 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
§ XXXI. - DE L'EXERCICE DE L'ACTION CIVILE
DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE:
186. Condition préalable d'une constitution de partie civile pour que les tribuDaux
de répression puissent statuer sur les doinmîiges-intérèts prétendus par la victime.
Division. — 187. L'action civile peut être portée «lovant les tribunaux de répres-
sion en même temps que J'action publique. Article 3 du Code d'instruction
criminelle. Groupement des conséquences qui résultent de celte dépendance des
deux actions. — 188. Quiind le fait qui a produit le dommage ne constitue pas
une infraction, la juridiction répressive est incompétente pour statuer sur l'action
en domm;iges-intérèts. Application faite pour les prêts usuraires, la tenue d'une
maisun de prêts sur gage, etc. — 189. La juridiction répressive est incompétente
pour statuer sur l'action civile quand l'action publique est irrecevable. — 190.
L'incompétence existe également si l'inculpé est renvoyé d'instance. — 191. Mais
réserve et distinction entre les tribunaux de police simple ou correctionnelle et
les cours d'assises. La règle de l'incompétence deis tribunaux de répression pour
connaître de l'action civile en cas d'acquittement ne s'applique pas à la cour d'a.s*
sises. — 192. L'irrecevabilité devant les tribunaux de répression de l'action ci-
vile, isolée de l'action publique, est d'ordre public. — 193. De l'effft, au cas où
l'action publique et l'action civile ont été portées ensemble devant un tribunal de
répression, d'une cause d'extinction de l'action publique. Décès. Amnistie. —
194. Du moment et du mode d'une constitution de partie civile. Voie d'action.
Voie d'intervention. — 195. Forme de lif constitution de partie civile. — 196. EfleU
d'une constitution de partie civile. — 197; Du désistement de la partie lésée de-
vant la juridiction répressive. — 198. KfTets du désistement. Double hypothèse.
Désistement régulier. Désistement irrégulier.
186. Les tribunaux de répression, bien que saisis de
Taclion publique, ne peuvent statuer sur la réparation civile
du dommage causé par l'infraction, que si l'action en répa-
ration de ce dommage leur est soumise par la personne lésée
qui doit se constituer, dans ce but, partie civile dans Tin-
stance. Toutefois, la re5/i/w//o7i des objets mobiliers, enlevés,
détournés ou obtenus à Taide d*un crime ou d'un délit et
retrouvés en nature, doit être ordonnée d'of/ice, par la juri-
diction répressive, au moins quand la propriété n'en est pas
contestée, lors même que le propriétaire ne s'est pas con-
stitué partie civile.
Ayant ainsi indiqué le but de là constitution de partie
civile, nous examinerons : 1^ à quelles conditions elle est
admissible; 2° comment et quand elle peut être formée;
3° quels en sont les effets.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 407
187. L'action, qui a pour objet la réparation An dom-
mafife causé par Tinfraclion, ne peut être portée devant la
juridiction répressive (\\i* accessoirement à Taction qui a pour
objet l'application de la peine (C. instr. cr., art. 3). Les
tribunaux de répression n'ont donc le droit de statuer sur
l'adion civile que lorsqu'ils sont, en même temps, régu-
lièrement saisis de l'action publique, car leur compétence
est exceptionnelle en ce qui concerne les intérêts civils. La
constitution départie civile, régulière et recevable, sous quel-
que forme qu'elle se présente, saisit de l'action civile la juri-
diction pénale et porte, en môme temps, devant elle, l'action
publique, si cette action n'est pas déjà intentée, car les tribu-
naux répressifs rfoey^n/ être saisis de l'action publique pour
/^oMtw statuer sur l'action civile. Le droit déjuger le procès
civil constitue, pour ces tribunaux, la conséquence même
du droit de juger le proies pénal. En un mot, Faction civile,
isolée de l'action publique, ne saurait rentrer dans leur com-
péleoce. En suivant les nombreuses applications de cette
l'èglu fondamentale, on peut les classer toutes sous trois
ordres d'idées corrélatives. La juridiction répressive est in-
compétente pour accorder des dommages-intérêts : T si le
^aitqui est la cause juridique de la demande ne constitue
Pcis une infraction; 2° si le fait, bien que constituant une
infraction, l'action publique est irrecevable ; 3® si l'inculpe
^sl renvoyé d'instance sur l'action publique. Dans ces trois
cas, en efTet, la situation est la même : le procès pénal ne
peut être intenté ou n'aurait pas du être intenté. Le tribunal
de répression se trouve, par suite, en présence d'un procès
civil, isolé de tout procès pénal, qu'il est sans droit et sans
qualité pour juger.
188. Quand le fait qui a produit le dommage ne constitue
pas une infraction, la juridiction répressive est incompétente
pour statuer sur l'action en dommages-intérêts*.
§XXXI. * Sur cette règle incontestable : Mangin, op, ci7., t. 1, n® 34;
Faustin llélie, op. ciL, 1. 1, n« 55 et L 2, n° 014; Haus, op. cit,, l. 2, n<»* 1367
et 139-2. Conf. D. A. Supplément^ v» Procédure criminelle, n"* 44, 45 et 46.
408 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIY
Ainsi, dans le délit d'usure, qui est un délit coUpcfif
d'habitude, la personne, lésée par un prêt particulier, ne f
certainement saisirJe son action, par voie de citation dire
le tribunal correctionnel, car le fait qui lui cause un pn
dice n'est pas tout le délil, mais seulement un des élémt
du délit d'usure*. 11 ne faudrait pas, du reste, exagérer c
doctrine et affirmer, comme semble le faire la jurispruden(
que c*est à la juridiction civile qu'appartient exclusive//
la connaissance des actions d'intérêt privé en réparation
dommage causé par des contrats usuraires. En supposant
effet, qu'un certain nombre de faits, suffisants pour conslit
le délit d'habitude, aient été commis, par le 7)ié?/ie agr/if,
préjudice de la iiiême personne^ celle-ci peut certaiuen
saisir de son action le tribunal correctionnel*. D'autre p
les personnes lésées par des prêts usuraires, imputés au in(
prévenu, ont indistinctement le droit d'intervenir, comme |
ties civiles, dans la poursuite intentée par le ministère put
car tous les faits d'usure, constituant, par leur réunion
délit, tous ceux à qui le délit cause un dommage, doi^
pouvoir en poursuivre la réparation devant la justice rép
sive*.
'^ V. L. 3 sopt. 1807, art. 4. La jurisprudence n'a jamais varié : t
(ch. n^unies), 4 nov. 1839 (S. 39. 1. 929); Cass., 23 mai 1868 (S. 09. 1. 1
8 juin. 1881 (D. 82. 1. 41); 20 janv. 18H8 (S. 89. 1. 281); Paris, 10
1890 (S. 91. 2. 137) et les notes de M. Villey.
3 La Cour de cassation affirme, en etfet, que les actions en réparât in
tort caus<^ par la perception d'intérôts usuraires sont exclusivement i
buées aux tribunaux civils en vertu de l'article 3 de la loi 3 se[)t. 1807
ditTérence du délit d'IiaJntude d'usure et de l'application de la peinte qui
réservés aux tribunaux correctionnels : Cass., 21 juill. ISH (ch. réu
(S. 41. 1. 842). V. les arrêts cités à la note précédente.
* Il n'est pas nécessaire, en elfct, pour constituer le délit, qu'il y ait f
lité de prêts à diverses personnes : Cass., 4 mars 1S2G (S. et P. ciir.); \
21 juill. 1820 (S. 39. 1. 929).
'^ Comf). en ce sens : Haus, op. cit., t. 2, n» 1392: Villey, Précis de <
criminel (G* éd.), p. 287; Hoirman, op, cit., t. 1, p.^8. La jurisprui
citée est en sens contraire. Elle est approuvée par plusieurs auteurs :
ter, op. cit., t. 1, p. 588; Mangin, Act. pub., t. 3, n°" 308 et s. Ces
une interprétation erronée des articles 3 et 4 dt» la loi du 3 sept. 1807
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE. 409
Les mêmes décisions seraientapplicables, et par les mêmes
motifs, au délit de tenue d'une maison de prêts sur gage sans
autorisation (C. pén., art. 418). Le fait punissable ne consiste
pas, en effet, à prêter sur gage, mais à créer un établissement
de prêts sur gage. De sorte qu'un fait isolé est licite, mais un
ensemble de faits, une habitude de prêter dans ces conditions
ne Test pas *. On a pu conclure légalement de ce caractère du
délit qu'un emprunteur ne pourrait citer le prêteur, à sa re-
quête, devant le tribunal correctionnel, le fait dont il se plaint
ne constituant pas tout le délit; mais il serait excessif de dé-
clarer son action irrecevable, lorsque l'emprunteur intervient
dans la poursuite dirigée par le ministère public \
Une autre application de la même idée a été faite en matière
d'injure. On sait que ce délit est, non seulement excusé mais
justifié, s'il a été provoqué •- Le tribunal qui admet, en
pareil cas, l'excuse de provocation, prévue par l'article 33
delà loi du 29 juillet 1881, ne peut plus 'statuer sur l'action
civile basée sur cette injure •.
189. La juridiction répressive est incompétente pour statuer
sur l'action civile, quand l'action publique est irrecevable,
parce que le fait dommageable, bien que constituant une
celle du 19 déc. 1850 qu'on arrive à créer une impossibilité légale à la con-
stitution de partie civile dans la poursuite correctionnelle pour usure. Voy.
sur la question : Cuche, ReiKpénit., 1904, p. 707.
' V. mon Traité théor, et prat. (2« édit.), t. 5, n*» 405.
' V. cependant : Cass., 17 mars 1855 (S. 55. 1. 554). Comp. Chauveau et
HéIie,T/ié*or. du Code pénal, l 5, n° 2346 ; Blanche, Études sur le Code pénal,
*•• 6, n* 309. La jurisprudence semble admettre que dans les délits d'habi-
tude, ce que la loi punit, c'est une manière d'être, une habitude. Mais, en
""éaiité, ce qu'elle punit, ce sont des faits qui manifestent, par leur réunion,
'^ne manière d*être et d agir. Donc quand la cour de cassation dit <« le délit
consiste dans l'habitude, fait complexe et moral, et non dans les faits parti-
culiers », elle se place à un point de vue inexact. C'est ce point de vue ce-
Pendant qui domine la solution par laquelle elle écarte, en ce qui concerne
les délits d'habitude, les articles 1 et 3 du Code d'instruction criminelle.
• Vojr. mon Traité théor. et prat. (2« éd.), t. 2, n°* 612 et 613.
• Sic, Cass., 19 juin 1891 (B. cr., no 140).
440 PROCÉDURE PÉNALB. — DES ACTIONS PUBLIQUE BT CIVILE.
infraction, ne donne pas ou ne àotiXïQ plus ouverture à une
poursuite pénale. Par Ténoncé même de cette proposition, on
voit ses deux applications possibles.
I. Dans certaines circonstances, en effet, des délits ne sont
pas punissables. Il en est ainsi, par exemple, des vols entre
certains parents ou alliés (C. péo., art. 380), des crimes commis
par un étranger en pays étranger, même vis-à-vis d'un Fran-
çais (C. instr. cr., art. 5). L'action civile qui résulte de ces faits
ne peut être portée que devant les tribunaux civils, puisque les
tribunaux de répression ne sont compétents pour connaître de
l'action civile que parce qu'ils le sontpour connaître de ractico
publique.
II. Dans d*autres circonstances, Faction publique est éteinte
par le décès du prévenu, la chose jitgée, Vabroyation Je l- in-
crimination par une loi nouvelle, Vaninistie. Ces événements,
qui n'enlèvent pas, à la victime, le droit d'obtenir une répa-
ration, lui enlèvent, tout au moins, le droit de la demander
devant les juridictions répressives *°. Nous aurons, plus loin, à
déterminer quels sont les effets, sur Faction publique, d'une
ordonnance de non-lieu passée en force de chose jugée : nous
déciderons qu'elle fait obstacle à la reprise du procès pénal
tant qu'il ne survient pas de charges nouvelles, qu ainsi l'ac-
tion publique est provisoirement suspendue par une décision
de cette nature. Nous en concluons qu'il ne saurait être au
pouvoir d'une partie civile de la faire revivre à Taide d'une cita-
tion directe et que, après une ordonnance de non-lieu et
tant qu'elle subsiste, la seule juridiction compétente pour
connaître de l'action en réparation est la juridiction ci-
vile".
'° Une application inlf^ressanlo de celle r^gle a éié faite, par la Cour de
Bourges, dans un arrAt du 3 avril 1890 (D. 9i. 2. 1%). Celte cour a d<Vidé
qu'en cas d'appel, par la partie civile seule, d*un jugement correctionnel
rendu sur la poursuite du ministère public, et prononçant le relaxe du pré-
venu, Hi cette partie civile vient k (Mre d<h?lan.^e par la cour non recevable
pour défaut de qualité, Texlinction de Taction publique, résultant du défaut
d'appel du ministère public, rend irrecevable Taclion de la partie civile qui a
qualité devant le tribunal correctionnel.
** Sic, Douai, 40 mars 1880 (S. 82. 2. 79).
)E l/ ACTION CIVILE DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 411
190. Du principe de [^article 3, § 2, il faut eofia con-
:lure : l"" que les tribunaux de répression sont sans qualité
)our statuer sur l'action civile, s'ils reconnaissent que le fait
l'est prévu par aucune loi pénale ou que le prévenu n'en est
)as coupable; 2^ que ces tribunaux, ne pouvant statuer sur
es intérêts civils qu'accessoirement à l'action publique,
épuisent leur juridiction en statuant sur celle-ci et n'ont plus
e droit de se prononcer, par jugement séparé, sur l'action
îivile.
191. Ces deux corollaires d'un seul et même principe
èglent strictement lacompétence des tribunaux correctionnels
u de police^ rtiais sont étrangers à celle de la cour d'assises,
lette distinction résulte de la combinaison des articles 159,
91, 212 et 366 du Code d'instruction criminelle.
I. Malgré le renvoi d'instance d'un prévenu de délit ou de
onlraventiorij il peut rester, à sa charge, un fait domma-
eable et illicite {délit ou quasi-délit civil), dont la personne
ssée a certainement le droit de poursuivre en justice la répa-
ation, mais par une action en dommages-intérêts ordinaire,
e la compétence exclusive des tribunaux civils (C. civ., art.
382etsuiv.). La juridiction correctionnelle et la juridiction
e police sont donc sans qualité pour accorder des dommages-
ntéréts à la partie civile, toutes les fois qu'elle* renvoient le
►revenu de la poursuite". Si l'article 191 du Code d'instruc-
>- Jurisprudence constante. Cass., 12 juill. iSlO (B. cr.^ n» 91); 22 oct.
H\H(H. cr., nHai); 27 mai iUi)(B. cr., nM51); 2 mai 1857 (S. ol. 1. 367);
0 août 1860 (D. 60. 1. 513); 12 juin 1886 (D. 87. 1. 45): 5 juill. J890 (D.
H. 1. 143); mais il nVst pas nécessaire <}ue lo juge prononce une peine pour
ivoir compétence sur les intérêts civils; il suffit qu'il reconnaisse la culpa-
lûlité, pénale du prévenu : (^ass., 15 avr. 1865 (S. 65. 1. 426); Cass., 9 juin
11)05 (Rativeau c. Loup) : « Attendu que les réparations civiles auxquelles il
est conclu devant les tribunaux correctionnels ou de police demeurent léga-
lement subordonnées, même après Textinction de l'action publique en cours
ti'instancp, àlaconstalnlion des éléments essentiels dontla réunion eùtautorisé
l'application d'une peine; qu'ainsi, dans le cas où rinlentiou coupable est
'-xigéc par la loi pour constituer l'infraction qui adonné lieu à la poursuite,
'1 juridiction répressive, dont la compétence n*est que prorogée, doit néces-
'^Hirement fonder sa décision, quant aux réparations civiles, sur une déclara-
412 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET ClVIIJt.
tioQ criminelle est obscur, puisqu'il donne au tribunal de
police le droit de statuer, dans ce cas, « sur les demandes en
dommages-intérêts », sans indiquer qu'il ne s'agit que des
dommages-intérêts réclamés parle prévenu contre la partie
civile, l'article 211 est suffisamment clair : « Si le jugement
est réformé (par la cour d'appel) parce que le fait n'est réputé
ni délit ni contravention de police par aucune loi, la cour
renverra le prévenu et statuera sur 5^5 dommages-intérêts ».
C'est, du reste, une simple conséquence du principe posé
par l'article 3, § 2 du Code d'instruction criminelle, et les
textes seraient muets, que cette application des règles de la
compétence exceptionnelle des tribunaux de répression en
matière de procès civils ne saurait être discutée. Trois choses
sont donc certaines : 1 ° Il n'y a pas à distinguer le motif pour
lequel les tribunaux correctionnels ou de police rejettent
l'action publique : ces motifs sont indifférents, car il faut
considérer seulement le résultat; 2° L'incompétence des
tribunaux de répression pour statuer sur l'action civile est
telle qu'ils ne pourraient rejeter cette action comme mal
fondée. Ainsi il a été décidé que les tribunaux correctionnels
n'étant compétents pour statuer sur l'action civile qu'acces-
soirement à l'action publique, il y a lieu de casser la disposi-
tion d'un arrêt qui, en prononçant le relaxe du prévenu,
ne s'est pas borné à rejeter les conclusions de la partie
lion de culpabilité qui'sous quelque forme qu'elle soit présentée, en est la
condition absolue; qu'il ne saurait donc suffire au juge correctionnel ou de
police de constater l'existence d'une faute dans les termes de l'article 138Î
du Code civil; — Attendu que l'infraction, réprimée par l'article 475, n* 13
du Code pénal, doit, pour être constituée, réunir les éléments du vol onli-
naire, à savoir le fait et l'intention de s'approprier frauduleusement une chose
appartenant à autrui ; que, cependant, loin d'aflirmer l'existence d'une telle
intention, le juge de police énonce que Rativeau « a commis un préjudice à
Loup )»; que la bonne foi prétendue par lui ne pourrait l'en disculper et que,
d'ailleurs, aux termes de l'article 1382 du Code civil, tout fait quelconque de
riiomme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer; qu'en s'abstenant ainsi de faire porter son examen,
considéré par lui comme sans objet, sur un des éléments de l'infraction visée,
et en faisant reposer sa décision sur la seule constatation d'un quasi-délit,
le juge de police a violé les textes invoqués au moyen... »,
DB l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 413
civile, mais les a déclarées mal fondées après avoir indiqué,
dans un de ces molifs, que la partie civile n'avait, en réalité,
éprouvé aucun préjudice*^; 3° Le renvoi d'instance du pré-
venu rend impossible la condamnation d'un tiers comme civi-
lement responsable du délit ou de la contravention**.
Les tribunaux correctionnels ou de police sont tenus de se
prononcer sur Taction civile et Taction publique par un seul
et même jugement. C'est une conséquence de procédure qui
résulte de ce que leur compétence n'est qu'accessoire en ce
qui concerne les intérêts civils. Par suite : i* les juges ne
pourraient, en statuant sur Taclion publique, continuer la
cause à une autre audience pour statuer sur l'action civile
(C. instr. cr., art. 3, 161, 189) ^^] 2® Ils ne pourraient pas
non plus, statuer sur les dommages-intérêts, prétendus par
une partie lésée à l'occasion d'un délit, avant d'avoir préala-
blement reconnu l'existence de ce délit (C. instr. cr., art. 3)**.
IL Les cours d'assises ont la plénitude de la juridiction
pénale et civile en ce sens que, dès qu'elles sont régulière-
ment saisies, elles doivent se prononcer. L'article 366 du Code
d'instruction criminelle, appliquant cette règle à l'action ci-
vile, portée devant ces juridictions, décide expressément que
les cours d'assises peuvent et doivent statuer sur les domma-
ges-intérêts prétendus par la partie civile, dans tous les cas,
même dans celui d'absolution ou d'acquittement. La loi, pour
faire ainsi exception au principe général qui ne donne aux ju-
ridictions répressives, en ce qui concerne les intérêts civils,
qu'une compclence accessoire et dépendante du procès pénal,
parait s'être fondée suî* une considération pratique : elle a
<» Cass., 42 juin 1886 (S. 86. i. 470, D. 87. 4. 45).
«* Sic, Cass., il mars 1893 (D. 95. 1. 326); 6 avr. 189i (D. 96. 1. 50).
Comp. Cass., 10 aoiH 1860 (D. 60. 1. 513).
** Cass., 28 mars 1807 (B. cr., n» 67); 5 déc. 1835 (S. 36. 1. 924). Sic, Le
Sellyer, Compct., t. 2, n» 1157).
*• Ainsi, un tribunal correctionnel ne peut, sans préjuger le fond et sous
réserve de statuer ullérieurement sur le fond, commettre, avant faire droit,
trois médoiîins à l'elTet de rccliercher, non si le prévenu a commis une im-
prudence, mais de d(Herminer les consoquj^nces dommageables du délit im-
puté : Paris, 18 d«»c. 1889 {Journ. de droit crim., 1889, p. 287).
414 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVI
voulu épargner, à la partie civile, qui a déjà engagé dans 1
stance criminelle des frais considérables, la nécessité de
courir à d'autres juges pour obtenir le dédommagement auq
elle prétend avoir droit. Elle le pouvait, du reste, sans crain
qu on abusât de Texception pour porter, devant la cour d'assi:
des affaires purement civiles, puisqu'une accusation ne \)
être intentée devant cette juridiction qu'en vertu d'un arrêt
la chambre des mises en accusation. L'instruction prépa
toire et les débats auront fourni à la cour d'assises des (
ments nombreux et précis, soit pour lui permettre de fi
le principe d^une indemnité, s'il en est du à la victime,
pour lui permettre d'en déterminer le chiffre. Néannioi
les avantages de cette disposition sont contestables : d
côté, en effet, elle prive l'accusé de la garantie générale
deux degrés de juridiction; de l'autre, elle fait décic
en premier et dernier ressort, par deux conseillers de c
d'appel et un juge, ou un conseiller et deux juges de
bunal, une question qui, en suivant la voie régulière,
pourrait être jugée, et en dernier ressort seulement, que
cinq conseillers. Bien entendu, la cour d'assises, en se pron
çant sur l'action civile, ne doit pas se mettre en contradici
avec le verdict du jury, qui s'imposerait, en vertu des prii
pes de la chose jugée au criminel, même aux tribunaux ci
jugeant le procès en dommages-intérêts dans une insta
distincte et séparée. Mais c'est là une question se rattach
à l'influence de la chose jugée au criminel sur l'action ci
et non une question de compétence.
Les cours d'assises ne sont pas tenues^ ainsi que les tribun
correctionnels et de simple police, de statuer sur Tact
publique et sur l'action civile par une seule et même d
sion et toute demande en dommages-intérêts, formée ré
lièrement par la partie civile, devant la cour d'assises, p
être jugée par cette juridiction, soit dans la session mêi
soit, lorsqu'une instruction est nécessaire, à la session i
vante, et les juges de cette session ne peuvent se déck
incompétents par ce motif qu'ils n'auraient pas assisté
débats : à cet égard, la situation des parties est délinitiveni
DB l'action civile DBVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE. il 5
fixée dès que la cour d*assises est saisie et par cela même
qu'elle est saisie (C. inslr. cr., art. 366 et 358) *\
Une exception a été apportée, par la législation spéciale de
la presse, à la règle de compétence de la cour d^assises, en cas
d'acquittement de Taccusé. Supposons un délit de presse de
la compétence de la cour d*assises, par exemple une dififa-
malion envers un fonctionnaire public, à raison de sa fonc-
tion : la victime du délit a saisi directement la cour d'assises,
mettant ainsi, par sa citation, comme elle en a le droit, l'action
; publique et Faction civile en mouvement : Taccusé est dé-
claré non coupable par le jury, et son acquittement est pro-
noncé : est-ce que la cour, qui est saisie de Taction civile,
peut accorder des dommages-intérêts à la partie lésée? Qu'on
le remarque : bien que le jury ait écarté, par sa déclaration
négative, la culpabilité pénale, ce n'est pas un motif pour
quaucune culpabilité civile ne subsiste et ne motive une
allocation de dommages-intérêts, et nous savons que, d'après
Tarlicle 338 du Code d'instruction criminelle, la cour d'as-
sises est compétente pour accorder des dommages-intérêts,
si elle estime que l'accusé, même acquitté, reste cependant
l'auteur d'un délit ou quasi-délit civil. Mais une disposition
spéciale et expresse de la loi sur la presse du 29 juillet 1881
(art. 58), décide que, « en cas d'acquittement par le jury,
« s'il y a partie civile en cause, la cour ne pourra statuer que
« sur les dommages- intérêts réclamés par le prévenu. Ce
« dernier devra être renvoyé de la plainte sans dépens ni
» dommages-intérêts au profit du plaignant ».
Cet article, adopté sans discussion, bien qu'il constitue une
innovation dans notre droit*% soulève des difficultés sérieuses.
Paut-il, d'abord, donner à cette disposition une interpréta-
tion littérale, et l'appliquer, quel que soit le motif de l'acquit-
tement et alors même qu'il résulterait, du verdict du jury, la
preuve de l'existence d'un fait dommageable à la charge de
"Sic, Gass., 24 juin 1825 (S. chr.).
'• Voy. ce qu*en dit le rapporteur de la loi sur la presse, M. Lisbonne :
Cellier et Le Senne, op, cit.^ p. 598; Le Poillevin, op. cit,, t. 3, n° 1536,
p. 602.
416 PROCÉDURE PENALE. DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
f
raccusé? Le gérant d'un journal est traduit devant la cou
d'assises pour publication de pièces mensongcrement attri
buées à uo tiers, publication ayant troublé la paix publique
ce tiers s'est constitué partie éivile dans l'instance. Or, le jurj
interrogé distinctement sur chacun des éléments du délit
reconnaît que les pièces publiées ont été mensongèremen
attribuées à la partie civile, mais qu elles ne sont pas de natun
à troubler la paix publique; Tacquittcmenl est donc prononcé
puisqu'il manque un des éléments du délit. La cour d'assise:
sera-t-elle incompétente pour accorder des dommages-intérèl:
à la partie civile? Le motif, inspirateur de l'article 38, a éU
d'empêcher que l'acquittement, résultant du verdict du jury
ne fût compensé par une condamnation de la cour. « De:
journalistes acquittés par le jury, dit le rapporteur, ont expi(
le délit qu'ils n'avaient pas commis par des condamnations ;
desdommages-intérétsquiexcédaientle maximum des amende:
prononcées par la loi ». Il est certain que, dans le cas qui oou:
occupe et d'autres cas analogues, la condamnation à des dom
mages-intérêts, loin d'être en contradiction avec le verdict di
jury, n'en serait, au contraire que la confirmation. Mais 1<
texte est trop formel pour qu'on réserve le droit de la cou
d'assises: ce serait ouvrir la porte à des distinctions qui feraien
reparaître une compétence que la loi de 1881 a voulu prc
scrire *'.
Mais la victime du délit, qui s'est constituée partie civile e
cour d'assises, perd-elle, après Tacquittement, le droit de sa
si r de son action le tribunal civil ? Évidemment non. Sans dont
il lui faudra démontrer que le fait, à raison duquel Tacqui
tement a été prononcé, est imputable au défe-ndeur, que i
fait lui est préjudiciable, et que le verdict du jury, souveraî
*• Mais si le verdict est affinnatif sur la culpabilités encore qu'à raison <
certaines circonstances le prévenu dût ôtre absous, la cour peut statut"
tant sur les dommages-intërêts réclamés par la partie civile, que sur cei
prétendus par le prévenu (C. instr. cr., art. 30C). Il nVst pas, en effet, â
rogé à l'article 366 du Code d'instruction criminelle, par l'article 58 de la I
sur la presse ([ui ne vise que le cas d'ac<|uittoment par le jury. Voy. G. I
Poittevin, op. cit., t. 3, n» 1535, p. 60*2.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVB. 4l7
sar les points qui ont été décidés, peut se concilier avec sa
demande. Mais, en supposant ces preuves faites, rien, dans
les principes généraux du droit, rien, dans les textes de la loi
de 1881, ne s*oppose à une action à fins civiles. Il existe
cependant une exception qui restreint cette solution. S'agit-
il d'une diffamation, commise envers une personne publique,
àraison de sa fonction, d*uDe part, Tarticle 46 déclare que
Taction civile, sauf le cas de décès ou d'amnistie, ne peut
êlre séparée de Faction publique; d'autre part, Tarlicle 58
enlève à la cour d'assises, seule compétente dans ce cas, le
droit de prononcer des dommages-intérêts au préjudice du
prévenu acquitté. De la combinaison de cette double règle,
on doit conclure que le fonctionnaire diffamé, obligé de
saisir la cour d'assises, contrairement au droit commun, ne
peut, si le prévenu est acquitté, ni obtenir des dommages-
inléréts en s'adressant à la cour d'assises, ni en demander
en s'adressant au tribunal civil. Nous comprendrions à la
rigueur qu*il en fût ainsi, dans le cas où la loi accorderait au
jury le droit de se prononcer sur le principe des dommages-
intérêts, en obligeant le président de la cour d'assises à l'in-
terroger distinctement sur la culpabilité pénale et sur la cul-
pabilité civile. Mais enlever à la cour le droit de se prononcer
sur la culpabilité civile, sans l'accorder au jury, c'est consa-
crer un véritable déni de justice, puisque, avec un tel sys-
tème, la réponse négative du jury à la seule question qui lui
6st posée ne permet même pas à la cour d'examiner une ques-
tion qu'il n'a pas été dans la compétence du jury de décider.
192. L'irrecevabilité, devant les tribunaux de répression,
<Je l'action civile, isolée de l'action publique, étant fondée
sUrTincompétence même delà juridiction, est d'ordre public.
Par suite, elle doit être soulevée d'office et peut Têlre en tout
état de cause, en appel comme en première instance, devant
la Cour de cassation comme devant les juges du faît'\
**» V. Cass., 11 sept. 1818; Douai, 10 mars 1880 (S. 82. 2. 79). Sic, Man-
KÎn, Ac^ pubL etciv., t. 1, n° 34; Le Sellyer, Comp, et org. des trib,
chargés de la répr., t. 2, n» 1 143 ; Faustin Hélie, op, cit.^ t. 2, n« 617.
G. P. P. — î. 27
448 PROCÉDURE PENALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIV
193. L'action publique et l'actiou civile ont été port
ensemble et régulièrement, devant un tribunal de répressi-
la survenance, en cours d'instance, et avant qu'une décig
irrévocable ait été rendue, d'une cause d'extinction de l
tion publique y a-t-elle pour effet de dessaisir de Vaction ci
le tribunal de répression ?
La question peut se présenter dans quatre cas : lorsi
raction publique est éteinte par la mort de Tagent; l(
qu*eHe Test par une amnistie; ou bien par l'abrogation
délit en suited'une loi nouvelle; ou enfin quand Icjugem
ayant été rendu, la partie civile seule ne Taccepte pas et i
taque par une voie de recours, appel, opposition, pourvo
cassation.
De ces quatre cas, laloi n'en a prévu qu'un seul, le dern
et encore au point de vue particulier d'un appel formé cor
un jugement du tribunal correctionnel. Mais la solul
doit être identique, par identité de motif, pour les autres v<
de recours. L'article 202, § 2 du Code d'instruction cri
nelle suppose qu'un jugement en premier ressort est in
venu à la fois sur l'action publique et l'action civile, r
d'un délit; le ministère public ne forme pas appel dans
délais légaux, et le jugement acquiert, en ce qui conce
l'action publique, autorité de chose jugée; mais la pa
civile a formé appel : la juridiction d'appel est saisie de T
lion civile et doit y statuer, quoique l'action publique
éteinte par la chose jngée **. Il en est de même, quand
pourvoi en cassation a été formé exclusivement par la pa
civile (C. inslr. cr., art. 418); si l'arrêt ou le jugement
annulé, l'afTaire est renvoyée devant une autre cour ou
autre tribunal de répression, qui doit statuer exclusivem
sur l'action civile, malgré l'extinction de l'action publi
(C. instr. cr., art. 427). La même solution doit être don
en cas d'opposition faite par la partie civile à un jugem
ou à on arrêt rendu par défaut contre elle'-'. Le tribunal,
" Voy. Cass., 14 avr. 1860 (S. 60. 1. 686 ; D. 60. i. 375); 31 janv.
(S. 68. i. 192; D. 68. 1. 96).; Nîmes, 19 janv. 1860 (S. 60. 2. 139).
'2 Lb partie civile qui a fait défaut peut, en elTel, former oppositio
l'action civile devant la juridiction répressive. 419
faisant droit sur cette opposition, ne pourra réformer le juge-
ment que relativcmeotauK intérêts civils ". Ces exceptions au
principe d'après lequel le procès ci vil est l'accessoire du procès
pénal devant les tribunaux de répression, s'imposaient dans
notre système de procédure, car, à moins d'enlever à la partie
civile le droit de former un recours contre un jugement ou
un arrêt qui lèse ses intérêts, ou d'obliger le ministère public
à suivre, malgré lui, la partie civile devant le tribunal d'appel
ou la Cour de cassation, il fallait bien autoriser la juridiction
répressive supérieure à se prononcer sur un jugement ou un
arrêt qui émane d'une juridiction de répression. Il résulte
de là que l'action civile, dès qu'elle est jugée au fond, vit de
sa vie propre, qu'elle se sépare complètement de l'action publi-
que et peut être l'objet d'un débat principal devant les juri-
dictions répressives.
Cette remarque va nous permettre, tout au moins, de limi^
ter le terrain de la difficulté, en ce qui concerne les trois autres
hypothèses d'extinction de l'action publique.
Il est bien certain, en effet, que si l'un de ces événements,
le décès du prévenu, l'amnistie, l'abrogation du délit par une
loi nouvelle, se produit après un jugement sur le fond, la
partie lésée aura le droit de suivre le procès devant la juridic-
tion répressive, malgré l'extinction de l'action publique. La
situation des parties, au point de vue de la compétence, aura
été ainsi consolidée par l'existence d'un jugement que chacune
d'elles a le droit de faire tomber dans les limites de son inté-
rêt. La jurisprudence n*a jamais hésité sur ce point
tk
jugement ou à l'arrêt par d^^faut qui, statuant contradictoirement entre le
ministère public et le prévenu, Ta débouté de sa plainte. Ce droit d'opposition '
lui est reconnu par une jurisprudence constante. Voy. notamment : Cass.
crim., rejet, 26 mars 182i (D. A., v® Jugement par défaut^ n° 46-1**).
" Voy. Cass., 14 janv. 1802 (D. 92. 1. 393).
" G*est ainsi qu'il a été décidé: !• que le décès du prévenu, pendant
l*inslance d*appel, éteint bien l'action publique, mais n'a pas pour effet de
dessaisir la juridiction correctionnelle de l'action civile sur laquelle a statué
le jugement de première instance (Cass., 24 août 1854, S. 54. 1. 668; 10 mai
1872, S. 72. 1. 397; D. 72. 1. 331) ; 2^ que, en cas d'amnistie, si, au point
<fe vue de l'action publique, il n'y a pas lieu de statuer sûr le ^omt'^qv Iv^t-
420 PROCÉDURE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET C]
Maïs que décider si le procès n'a pas été jugé? On ce
deux opinions opposées. Une thèse, appliquant rigoureuse
l'article 3 du Code d'instruction criminelle, déclare q
tribunal répressif devient incompétent". Mais, dans une
thèse, la coexistence finale des deux actions ne serait
nécessaire pour maintenir à la juridiction répressive le
de statuer sur Faction civile, il suffirait que cette coexis
se soit produite au début de Tinstance.
C'est à cette dernière opinion que la Cour de cass
paraissait s'être ralliée à une certaine époque". Elle s'e
écartée depuis". Peut-être, par une évolution qui est tou
mé par un prévenu condamné à raison d*un délit amnistié par ladi
il en est autrement au point de vue de l'action civile résultant de ce
et que la Cour de cassation doit apprécier alors le caractère légal dt
qui sont l'objet de la poursuite pour savoir si Tarrêt ou le jugement a
doit être annulé sous ce rapport (Cass., 2 mai 1878, S. 79. i. 4K, D.
48 ; 20 juilL i878, solut. impl., S. 80. 1. 89); 3° mais il avait été déci(
le décès du prévenu, pendant Tinstance du pourvoi en cassation, dessai
la Cour de cassation de la connaissance de Paction civile. V. Cass.,
1883 (B.cr., n» 201); 3 janv. 1885 {B,cr., n» 10); 22 févr. 1890 (
n« 45). La Cour de cassation, par des arrêts postérieurs, que nous ci
la note 27, est revenue sur cette jurisprudence. Il n'est pas douteux, a
d'hui, que l'article 202 autorise tous les tribunaux répressifs à mainten
compétence relativement à l'action civile lorsqu'il est intervenu un
ment sur le fond. A fortiori, en est-il ainsi quand le décès se p
pendant l'instance en cassation. Comp. Mangin, Act. pubL et civ.y
n* 446; Rauter, op. cit., t. 2, n® 868 ;Faustin Hélie, op, cit., t. 2, n*
LeSellyer, op, cit., 1. 1, n® 388.
" Sic, Rouen, !•' févr. 1872 (S. 72. 2. 230); Paris, 3 juin 1872 (S.
96);Legraverend, Traité de légùt. crim., t. 1, p. 67.
'• 11 est vrai qu'elle n'avait statué qu'en matière d'amnistie :
.27 déc. 1869 (B. cr., n* 268); 22 déc. 1870 (B. cr., n° 197); j9 janv
(motifs) {B. cr., n» 15); 16 mars 1882 (S. 83. 1. 89), et la note de M. ;E
Comp. Lyon, 25 août 1880 (S. 81. 1. 75). .Ce dernier arrêt est trèi
motivé.
*' Un premier arrêt du 29 juillet 1898 (S. 1900. 1, 55) s'explique j.
cas de décès : « Attendu qu'aux termes des articles 2 et 3 du Codf
Ftruction criminelle, l'action publique s'éteint par le décès du préve
que l'action civile ne peut être portée devant les tribunaux de répr
qu'accessoirement à l'action publique et conjointement avec elle; qu
de là que, lorsque le décès du prévenu se produit avant toute décisi
DB l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 421
possible dans une question de procédure, reviendra-t-eile à
son opinion première, qqi nous paraît la plus juridique. L'ac*
tioo civile a été régulièrement introduite en même temps que
raction publique; le tribunal peut et doit statuer, et les évé-
nements ultérieurs ne sauraient lui enlever sa compéteucu
originaire au mépris du droit acquis de la partie civile d'obte-
nir un jugement. C'est qu'en effet, pour savoir s'il peut juger,
lorsqu'une loi ne modifie pas sa compétence, tout tribunal
doit se reporter au jour où il a été saisi; car ce jour-là il au-
rait dû juger. Il faut faire abstraction, en effet, pour mesurer
la compétence, des pertes de temps fatales, dues aux compli-
cations de l'organisme judiciaire ".
L'application de cette solution doit être faite distincte-
ment et distributivement suivant qu'il s'agit de Tune ou de
Pautre des causes éteignant l'action publique.
le fond, la juridiction correction aeile devient incompétente pour connaître
de l'action civile ; mais qu'il n'en est plus de même lorsque le prévenu
décède après qu'un jugement a déjà statué tant sur l'action publique que
sur Taction civile; — Attendu que l'article 202 du Code d'instruction cri-
minelle, qui autorise la partie civile à appeler de ce jugement quant à
ses intérêts civils, donne par cela même compétence à la cour d'appel pour
statuer sur cet appel, quelle que soit la décision intervenue sur l'action publi-
que et alors même que cette action échapperait k la connaissance de
la cour par suite du défaut d'appel du ministère public ou du prévenu; —
Attendu que ce principe doit être pareillement appliqué lorsque l'ac-
lion publique vient à s'éteindre par le décès du prévenu au cours de
l'instance d'appel, puisque, aux termes des articles 173 et 203, l'appel ne
fait que suspendre l'exécution du jugement de première instance, ce qui
rend nécessaire de statuer sur les intérêts civils ; — Et attendu qu'aux ter-
mes de l'article 373 du Gode d'instruction criminelle, le pourvoi en cassation
aie même effet suspensif que l'appel; que, dès lors, il n'y a lieu de distm-
guer entre le cas où le prévenu meurt au cours de l'instance d'appel et le
cas où il meurt son pourvoi en cassation étant pendant; que, dans ce der-
nier cas, la Cour de cassation reste compétente pour statuer sur les intérêts
civils... » Un arrêt postérieur du I* juill. 1899 (S. 1901. 1. 382) peut être
considéré comme la consécration de cette évolution de la jurisprudence. Il
se prononce dans la même hypothèse de décès et s'appuie, pour l'admission
de l'appel ou du pourvoi de la partie civile, sur la généralité des termes des
articles 202 et 373 du Code d'instruction criminelle.
'' Je motive ainsi cette solution, favorable à un droit acquis de la partie
civile, sur un principe général, indépendant de l'article 202.
422 PROCÉDURE PÉlfALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE BT CIVILS.
1^ ïla cas d^amnistie comme eo cas d'abrogation du délit
par uae loi nouvelle, le défeodeur à l'action civile est tou-
jours le prévenu ou Taccusé, et il n*y a pas lieu à reprise
d'instance. La seule difficulté qui se présente tient au fond
du droit et non à la procédure : on pourrait soutenir, eo
eiTet, que, dans Tune commit dans Tautre circonstance, raclioD
publique étant éteinte parce que le délit est effacé, le tribu-
nal se trouve donc dans la même situation que lorsqu'il
acquitte le prévenu parce qu'il n'y a pas de délit punissable.
Mais cette objection pourrait être faite dans le cas où le mi-
nistère public a laissé passer en force de chose jugée le juge-
ment du tribunal correctionnel qui acquitte le prévenu :
la loi ne s'y est pas arrêtée (C. instr. cr., art. 202). Il suffit de
remarquer qu'au moment de la saisine, le tribunal était
x^ompétent pour statuer sur l'action civile et que l'amoistie
laisse intacts les droits des tiers ^V
2** En cas de décès du prévenu, cette difficulté n'existe
pas, puisque Faction publique est éteinte par la disparitioa
du délinquant et non parcelle du délit, mais il y a lieu, pour
la partie civile, de procéder à une reprise d'instance contre
les héritiers. Cette procédure est possible toutes les fois que
l'action civile est portée devant le tribunal correctionnel ou
le tribunal de police : elle se fait par voie de citation dans les
" Dans les lois d'amnistie récentes, la question a été tranchée en sens di-
vers. I. Nous citerons d*abordla loidu27 déc. 1900 (S. Lois annotées, p. 17)-
Dans son article !•' « Amnistie pleine et entière est accurdée, à raison des
« faits se rattachant à Taffaire Dreyfus ». Pour ces faits, « l'action civile n*?
« pourra (^tre portée que devant la juridiction civile, alors même que la juri^
« diction répressive serait déjà saisie ». Mais quant aux autres faits amnis^
liés par la même loi, il est dit, dans l'article 2, dernier alim'îa ; « Dans au^
*< cun cas, l'amnistie ne pourra être opposée aux droits des tiers, qui devront
i< porter leur action devant la juridiction civile, alors mi^me que la juridic-
i< tioi) répressive serait déjà saisie..., sauf le cas où un jugement contradk-
« ioire aurait été déjà rendu sur le fond ». Voy. note 56 dans le recueil
précité. II. Ces prévisions sont étrangères à Tarticle unique de la loi des 30,
31 déc. 1903, relative à l'amnistie pour laits de grèves et faits connexes.
III. La loi du 2 nov. 190.') qui accorde une amnistie pour une série de délits
et de contraventions énumérés par Tarticle l*»", et pour les faits se ratta-
chant « à la publication d'indications secrètes » (les faits de délation , dispose,
D8 l'action civile DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE 423
délais elles formes ordinaires ^°. Mais si l'aclioo civile est pen-
dante devant la cour d'assises, je ne crois pas, à raison du
caractère de cette juridiction, qu'il soit possible d'assigner
les héritiers en reprise d'instance. Comment procéderait-on,
en effet? Et dans quels délais?
I La question, du reste, n'a qu'un intérêt théorique, limité
par une observation générale. Supposons, en effet, que Tévé-
Dement extinctif de Taction publique, Tamnistie ou le décès,
soit intervenu avant le jour où Taffaire est appelée devant
I la cour d'assises, ce qui est évidemment Thypothèse ordi-
naire. Mais, Tarrêt de renvoi avait été rendu, antérieurement,
par la chambre des mises en accusation, et une partie civile
s'était constituée devant la juridiction d'instruction : la cour
d'assises pourrait-elle accueillir la demande en dommages*
inléréts que celte personne produirait devant elle? Je ne
le crois pas, car la coexistence initiale des deux actions,
aécessaire pour donner compétence à la juridiction répres-
sive, Tait défaut dans celte hypothèse. La constitution de partie
civile n'a pu se produire devant la cour d'assises, puisque
l'accusation était éteinte avant que la juridiction dejugement
^itété saisie. La partie lésée est bien obligée, par suite du mé*
canismemème delà procédure criminelle, d'assigner les héri-
tiers devant la juridiction civile qui reste exclusivement com-
pétente. La seule hypothèse pratique, dans laquelle on pour-
rail envisager la question, est celle des délits de presse, où
1^ citation directe précède de quelques jours la comparution,
si bien que, dans l'intervalle, le décès ou l'amnistie a pu se
produire, alors que lajuridiction était déjà saisie.
194. Pour étudier le moment et le mode d'une constitu-
lion de partie civile, il faut se placer en face des hypothèses
^ans son article 3 : « Dans aucun cas, l'amnistie ne pourra être opposée aux
" droits des tiers, lesquels devront porter leur action devant la juridiction
" civile si elle était du ressort de la Cour d'assises on si la juridiction cor-
" T^ctionnelle n'avait pas déjà été saisie.., »
'•L'exception du délai pour faire inventaire et délibérer pourra-t-elle être
^ulevée par les héritiers ? Je l'admettrai comme une conséquence même de
la nature de l'action (C. pr. civ., art. 174).
I
424 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIYILB.
suivantes : celle où le ministère public n*a pas encore in-
tenté l'action publique; celle où il Ta déjà intentée. Dans le
premier cas, la victime du délit, qui prend l'initiative, doit
procéder par voie d'action^ dans le second, par voie d inter-
vention seulement, puisque le ministère public a engagé
rinstance.
l. La partie lésée, lorsque le procès pénal n'est pas encore
engagé, ne peut porter son action devant la juridiction
répressive, que si elle met en mouvement le procès pénal, de
manière à ce que cette juridiction soit saisie « en même temps))
des deux actions, publique et civile. En donnant à la partie
lésée le droit de saisir, par voie daction, les tribunaux de
répression, la loi lui a donné par cela même le droit de mettre
en mouvement le procès pénal et de vaincre l'inertie ou la
mauvaise volonté du ministère public. Dans l'opinion que
nous avons exposée, ce droit daction appartient à la partie
lésée, tout à la fois, devant \ejuge dinstruction, pour mettre
en mouvement l'information, et devant le tribunal correc-
tionnel ou le tribunal de police, pour faire juger la demand^^
a) Nous avons déjà dit quels sont les effets de la plainte
lorsqu'elle est accompagnée d'une constitution de partie civile
Dans notre opinion, le ministère public reste libre de ses réqui
sitions, et le fait que la victime de Tinfraction s'est constitué
partie civile et a offert de consigner somme suffisante pou
couvrir les frais, n'oblige pas le ministère public à requéri
qu'il soit informé si le fait dénoncé ne lui paraît pas prévi
par la loi pénale, ou si l'insuffisance des charges lui est déj*
démontrée. Mais, en pareil cas, la plainte saisit par elle-mém ^
le juge d'instruction qui est tenu de statuer, et qui peut':
donner suite, quelles que soient les réquisitions du procureu i
de la République'^
'* Voy. n® 152. La chambre d'accusation de la Cour d'appel de Lyon, con
trairement à Tarlicle 63 et à ropinion qui prévaut en doctrine et -en juris
prudence, a décidé, dans un arrêt du 25 oct. 1905 (Gaz, des Trib., n® du 2r
déc. 1905) que le juge d instruction n'a pas le droit d'ouvrir une informa
tion sur une plainte déposée avec constitution de partie civile, lorsque k
ministère public a déclaré ne pas vouloir poursuivre le crime dénoncé. Dans
[
DE L^ACTION CIVILE DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE. 425
i)Siledommage,doQtellesepIaint,asâcausedaDsun6f^/27ou
une contravention, la partie lésée a le droit de citer directement
le préveûu devant le tribunal correctionoel ou de police, qui
se trouve ainsi compétent, bien que saisi à la requête d'un par-
ticulier, pour juger, en même temps, le procès pénal et le
procès civil (G. instr. cr., art. 145 et 182). Le droit de citation
directe^ c'est-à-dire le droit de procéder par voie d'action,
n'appartient, devant la cour d'assises, ni au ministère public
oiala partie civile*'. C'est la chambre des mises en accusation
l'espèce, un sieur R... avait déposé une plainte devant le juge d'instruction
de Villefrancbe-sur-Saône contre X.., qui avait usurpé son nom pour se faire
déli?rer par la Régie des acquits fictifs. Le juge d'instruction rendit une
ordonnance ainsi conçue : « Déclarons ne pouvoir informer, faute de réqui-
sitoire, la plainte déposée entre nos mains par le sieur R..., avec constitu-
tion de partie civile contre X... pour faux et usage de faux n'étant pas suffi-
sante pour mettre en mouvement l'action publique ». Le sieur R... fit
opposition et la Cour rendit, sur cette opposition, un arrêt ainsi conçu :
«Attendu qu'aux termes de l'article <•' du Code d'instruction criminelle,
l'action publique n'appartient qu'aux fonctionnaires àqui laloi l'aconfiée; —
Attendu que le juge d'instruction, à qui l'action publique n'a pas été con-
fî<^, n'a pas le droit d'ouvrir une information lorsque le ministère public a
déclaré ne pas vouloir poursuivre le crime dénoncé; — que décider le con-
traire serait certainement porter atteinte à l'indépendance du ministère
public, proclamée par ledit article !•' du Code d'instruction criminelle;
— Attendu que si, k la vérité, aux termes de l'article 3 du même Code,
l'&ction civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes
juges que l'action publique, c'est quand le juge de l'action publique a été
saisi par le fonctionnaire compétent; qu'il n'y a exception à cette règle
^ue dans les cas prévus formellement par le Code et relatés dans les
articles 182 et 135 du Code d'instruction criminelle, cas dans lesquels
^e se trouve pas la requête R....; — Attendu, au surplus, que l'intérêt
de ce dernier n'aura pas à souffrir du refus du ministère public de pour-
suivre, puisque ce refus ne met pas obstacle à Texercicc de l'action
civile, qui peut toujours être portée devant les tribunaux compétents ; — Par
C6S motifs, rejette l'opposition formée par R... à l'ordonnance rendue le
^ août 4005, par le juge d'instruction près le tribunal civil de Villefranche,
sur la plainte dudit R.. . ». Dans l'espèce, le juge d'instruction avait, au
Dioins, rendu une ordonnance d'abstention, ce qui avait permis à la partie
Civile de faire opposition. La Cour avait donc été régulièrement saisie.
" La loi du 46 mars 1893 a déféré, aux tribunaux de police correction-
nelle, les délits d'offenses et d'outrages envers les chefs d'État et agents di-
426 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
qui, seule, peut renvoyer, par arrêt, un accusé devant cette
juridiction.
En matière de presse,, cependant, la loi du 29 juillet 1881
ouvre au ministère public deux voies pour l'exercice des pour-
suites devant la cour d'assises: la voie ordinaire de Tinforina-
tion préalable et celle de la citation directe (art. 50 et 51).
Cette option, déjà consacrée par la législation antérieure, a
été également donnée — et sur ce point la loi de 4881 a
innové, — à la personne lésée : 1*" en cas de diffamation ou
(f injure aux fonctionnaires publics, dépositaires ou agents de
Tautorité autres que les ministres, aux ministres des cultes
salariés par l'État et aux citoyens chargés d'un service ou
d'un mandat public (art. 47, §§ 3 et 6); 2^ en cas de diffama-
tion seulement, aux jurés et aux témoins (art. 47, §§ 4
et 6).
IL La personne lésée peut intervenir dans la poursuite
commencée par le ministère public et joindre son action civile
à Taction pénale : elle le peut, alors même qu'elle n'aurait pas
porté plainte, car de même qu'un plaignant n'est pas réputé
partie civile, alors même qu'il a déposé une plainte, de même
une partie civile n'a pas besoin d'avoir déposé une plainte
préalable pour que son intervention soit recevable".
La constitution de partie civile, expression juridique ser-
vant à désigner Tacte par lequel la victime intervient au pro-
cès pénal, peulêtre faite en tout état de cause, jusqu^à la clô-
ture des débats (C. inslr. cr. , art. 67). a) Elle peut l'être d'abord
devant \q^ juridictions dinstruction, juge d'instruction, cham-
bre des mises en accusation, premier président ou conseiller
délégué (C. instr. cr., art. 480 et 484), tant que ces juridic-
tions n'ont pas rendu une ordonnance ou un arrêt de dessai-
sissement, b) Elle peut Tètre devant les juridictions de juge^
ment, cours d'assises, tribunaux correctionnels ou de police ^
première chambre de la cour, alors même que le plaignant
ne serait pas intervenu dans Tinstructiori. Mais pour savoir
plomatiques étrangers, précédemment de la compétence de la cour d'assise^
(art. GO, nouveau).
»3 Le Sellyer, Actions^ 1. 1, n» 192.
l'action civile devant la juridiction répressive. 427
[fu'àquel moment rinterventioo est recevable, unedistinc-
1 s'impose entre ia cour d'assises et les autres juridictions.
)evant la cour d'assises, les débats sont déclarés clos, avant
ugement, par une ordonnance du président (C. instr. cr.,
. 335, § 3). Cette déclaration marque la limite au delà de
uelle la qualité de [)artie civile ne peut être prise. Il serait
\c trop tard, pour la victime, d'intervenir après ce mo-
Dt, le fît-elle, même avant la déclaration du jury'*. Tant
3 les débats sont ouverts, en eiîet, la discussion des préten-
Qs respectives des parties est possible et recevable; mais
es qu'ils sont terminés, il serait trop tard pour introduire,
is le procès, un élément nouveau de discussion. Toutefois^
clôture des débats peut être rapportée, soit par une simple
lonnance du président, lorsqu'il ne s'élève à ce sujet aucan
}at contentieux, soit par arrêt de la cour dans le cas con-
ire. La partie lésée retrouve alors son droit général de se
istituer partie civile au procès. Mais on ne saurait, si elle est
tce, jusqu'à la clôture, étrangère aux débats, en s'abstenant
se constituer, lui reconnaître la faculté de demander la
uverture des débats seulement pour le faire.
)evant les tribunaux de police simple ou correctionnelle,
débats ne sont clos que par le jugement qui admet Tin-
ipétcnce ou qui statue sur le fond^\ Les conclusions
Des arrêts décident que l'intervention d'une partie civile ne serait plus
vable après la déclaration du jury. Voy. Cass., 4 août i881 (S. 83. 1.
. Mais cette intervention est-elle recevable jusque-là? Oui, tant que les
ts sont ouverts. Non, après leur clôture. Kt l'article 335 du Code
>truction criminelle qui indi<]ue l'ordre dans lequel les parties sont
ndues et qui s'en réfère au droit commun pour les intérêts civils (Cass.,
anv. 189t, D. 08. 1. 286) déclare que cVst après avoir donné la parole à
îs les parties et, notamment, à la partie civile, qu'aura lieu la clôture des
Is. Mais la partie civile, régulièrement constituée avant la clôture des
ts, peut ne présenter qu'ultérieurement, et môme après la déclaration du
ses conclusions en domma^es-int<irôts, c'est-à-dire ses conclusions rela-
fil.'i fixation de ses dommaf^es-inlérôts. V. Cass., 27 nov. 1857 (S. 58.
58); 11 avr. im\ (li. cr., n» 70). Comp. note sous Cass., 9 août 1900
1901,1.59).
Voy. sur le principe : flass. crim., iO nov. 1905 (D. 1905. 1.
: « Attendu que, dans la procédure suivie devant les tribunaux cor-
428 PROCÉDURE PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB.
dans lesquelles la yiclime du délit ou de la contraventioQ
se constitue partie civile sont donc recevables jusque-là, et
le tribunal ne pourrait refuser de les admettre sous prétexte
que l'affaire ayant été plaidée, n'a été renvoyée à une au-
dience ultérieure que pour être jugée ". Toutefois, la consti-
tution doit avoir lieu devant la juridiction du premier degré,
car la partie civile qui interviendrait seulement en appel, pri-
verait le prévenu, si son intervention était recevable, d'une
garantie judiciaire, le bénéfice des deux degrés de juridiction.
La disposition de l'article 67 du Gode d'instruction criminelle,
qui permet au plaignant de se porter partie civile jusqu'à la
clôture des débats, doit donc s'entendre, dans les causes su-
jettes à appel, des débats devant le juge du premier degré '\
La constitution de partie civile n*est subordonnée, ni en la
forme ni au fond, à la présence du prévenu ou de l'accusé;
elle peut donc être faite, par voie de simples conclusions, en
cas de défaut comme en cas de contumace. Les intérêts du pré-
venu ou de l'accusé sont, du reste, sauvegardés par le carac-
tère de la décision : s'il s'agit d'un jugement par défaut,
accueillant les prétentions de la partie civile, l'dopposition per-
mettra de le faire tomber; s'il s'agit d'un arrêt par contumace,
le condamné pourra toujours, en se représentant dans les
délais de la prescription, empêcher qu'il produise effet**.
rectionnels, la loi n'a pas édicté de disposition spéciale sur la clôture des
débats ; que le dernier état du débat n'est irrévocablement fixé que par
le prononcé du jugement ou de l'arrêt et que, jusque-là, le prévenu, dans
l'intérêt de sa défense, de même que le ministère public au nom de l'action
publique doivent être admis à conclure et à produire tous documents qu'ils
jugent utiles à la manifestation de la vérité... » Comp. Cass., 28 mai 1870
(D. 70. I. 373). Il en est de même pour la procédure devant les tribunaux de
police :Cass.,19avr.<894(S. 94. 1.301);9juin 1898 (Panrf./'ram;., 99. i. 424).
»« Jurisprudenceconstanle. V. Cass., 17 janv. 1868 (D. 68. \. 39) ; 28 mai
1870 (D. 70. 1. 373); Alger, 18 févr. 1902 (Le Droit, 12 et 13 mai 1902).
Conf. Cass., 19 août 1900 (S. 1901. 1. 59) et les notes 1 à 5; i2 févr. 1904
[Pand,, 1904. 1. 451).
3' Sic, Rouen, 10 nov. 1845 (D. 45. 4. 12) ; Orléans, 5 juill. 1870 (D. 70.
2. i73); Paris, 5 août 1893 (D. 93. 1. 516); Alger, 16 nov. 1895 (D. 96. 2.
95); Cass., 15 nov. 1883 (B. cr.,n<» 339).
3» Sic, Cass., 3 août 1888 (D. 89. 2. 87) et la note.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE. 429
Mais, en cas de condamnation par défaut, si le prévenu
forme opposition et qull se désiste ou ne se présente pas, le
tribunal de répression est dessaisi vis-à-vis de la partie civile
cfui se serait constituée seulement sur opposition ".
ni. La partie lésée, qui a déposé une plainte contenant
oonstitution de partie civile devant le juge d^instruction, ne
peut, au cours de Tin formation ouverte à sa requête, agir, par
^oie de citation directe, devant le tribunal correctionnel, et,
réciproquement, après avoir saisi le tribunal correctionnel,
elle ne peut porter plainte devant le juge d'instruction et lui
demander d'ouvrir une information^^. A ce point de vue, la
situation de la victime du délit est la même que celle du
ministère public**. C'est que, d'une part, il est contradictoire
de demander, en même temps, à ce que l'affaire soit instruite
et à ce qu'elle soit jugée: et que, d'autre part, un même pro-
cès ne doit pas être portée devant deux juridictions à la
fois*'. Mais la partie plaignante a la faculté de se désister, ce
C{ue le ministère public ne peut faire.
195. Lorsque la partie civile procède par voie d^actioriy c'est
en adressant une citation au prévenu qu'elle commence
Tinstance, s'il s'agit de la porter devant les juridictions de
jugement, et c'est en déposant une plainte^ contenant consti-
5» Sic, Lyon, 47 mars «897 |(J. des Parquets, 97, 2* parU, p. 35). C est
qu'en effet, Topposition étant considérée comme non avenue quand le pré-
venu s'en est désisté, le jugement par défaut devient définitif. Il est donc
Irop tard pour se constituer, la qualité de partie civile ne pouvant être prise
après la clôture des débats.
*o Voy. Paris, 29 nov. 1850 (D. 51. 2. 15).
♦* Il a été jugé, en effet, que, lorsque le procureur de la République a opté
pour la voie de l'instruction préparatoire, il n'a plus le droit de traduire
Tinculpé directement devant le tribunal correctionnel : le juge d'instruction
ne peut, en effet, être dessaisi que par un acte qui épuise sa juridiction.
Sic, Nancy, 4 déc. 1847 (D. 48. 2. 199); Cass., 5 janv. 1878 (B. cr., n'» 7).
Conf. Faustin Hélie, op, cit,^ t. 6, n* 2816.
** L'exception, résultant de cfette espèce de litispendance, est d'ordre public,
comme toutes les exceptions qui tiennent à Tordre des juridictions pénales.
C'est une différence avec les règles de la litispendance en matière civile.
Voy. Garsonnet, Traité thcor. et prat, de proc, (2* éd.), t. 2, n* 735, p. 545.
430 PROCÉDURE PÉNALB. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB
iutioa de partie civile, s'il s'agit de faire ouvrir une informa
tîon. Dans le cas où elle agit par voie d'intervention, elle s
constitue, en prenant des conclusions en dommages-intérêt
(C. instr. cr., art. 66), ou en demandant acte de son intervea
tîon, sauf le droit, pour elle, de fixer ultérieurement, dan
ce cas, le chiffre des dommages-intérêts qu'elle prétend récla
mer**. En un mot, la constitution de partie civile est um
déclaration de volonté en justice. A la condition qu'elle soi
faite par une personne ayant qualité, peu importe la foran
même par laquelle elle se manifeste ^^. Aucune disposition di
la loi n'oblige même la partie lésée à se présenter en per
sonne ou à recourir au ministère d'un avoué, lorsqu'ell»
entend se constituer partie civile^^
196. L'effet immédiat de la constitution de partie civile es
de donner, à Tinculpé, la victime de l'infraction comme advei
saire dans le procès pénal. D'où quatre conséquences cor
relatives, qui permettent de préciser la situation de celi
qui a porté l'action civile devant les juridictions répres
sives.
I. Désormais, les actes importants de la procédure, tels qu
demande de mise en liberté provisoire (C. instr. cr., art. 118
opposition à un jugementde défaut (C. instr. cr., art. 187), etc.
devront être signifiés à la partie civile. Aussi, Tarticle 68 li
impose l'obligation, si elle ne demeure pas dans l'arrondis
sèment où se fait Tinstruction, « d'y élire domicile par act
passé au greffe du tribunal ». L'absence d'élection de domi
♦' Voy. la note 34 sur le droit do la partie civile, rc^f^ulièrement constilu»'
avant la clôture des débats en cour d'assises, de présenter ullérieuremen
même après la déclaration du jury, ses conclusions en dommages-intt^rèts.
^ Comp. Douai. 16 avr. 1874 (S. 76. 2. 83).
*• Ainsi l'instance est régulièrement engagée, soit lorsque la persnnii
(dans l'espèce, un avocat) qui s'est présentée comme mandataire de la pai
tie civile a justifié de ses pouvoirs, soit lorsque la fmrtie adverse a accept
le débat sans élever jde contestation sur l'existence du mandai |: Cass
48 avril 1901 (S. 1903. 1.55); 2 sept. 89 (S 1890. 1. 541) et la note et k
renvois; Cour d'assises des Landes, 7 avr. 1900, sous Cass., 9 août 190
(S. 4901. 4. 59). Voy. Cass. belge, 28'févr. 1898 (S. 99. i. 7) et la note.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVB. 431
cile ne frappe pas d'irrégularité ou de auUité la constitution,
mais empêche la partie civile d'opposer le défaut dé significa-
tion contre les actes qui auraient dû lui être signifiés aux ter-
mes de la loi (C. instr. cr., art. 68)**.
II. La victime de Tinfraction, devenant, par sa constitu-
tion, partie civile au procès, peut former un recours contre le
jugement, Tordonnance ou Tarrétde la juridiction de répres-
sion qui lui fait grief. La partie civile a, en général, et suivant
les cas, trois voies de recours : l'opposition, Fappel et le pour-
voi en cassation*-. Les autres voies de recours extraordinaires,
la tierce opposition et la requête civile, lui sont fermées, par
ce motif qu'une fois le jugement rendu, la partie civile perd
le droit de s*adresser aux tribunaux répressifs, même par une
voie détournée, et doit porter son action, par voie principale,
devant les tribunaux civils (C. instr. cr., art. 3).
La victime du délit, qui n'a pas pris part à l'instance, est
sans droit pour se pourvoir contre la décision intervenue. 11
iui manque^ en effet, la première des qualités essentielles pour
attaquer la décision, celle de partie au procès.
m. Le témoignage de la partie civile cesse d'être recevablc
dès que cette partie s'est constituée et par cela seul qu'elle
s'est constituée. Le brocard : nullus idoneus tesfis in re sua
^Melligitury est l'expression d'un principe de bon sens que la
^oi n'a même pas besoin de formuler**. Mais il faut bien se
garder de Texagérer. En effet deux conceptions en limitent la
Portée. D'une part, il ne faut pas oublier que la partie civile,
agissant exclusivement dans un intérêt pécuniaire, n'a ni le
itre ni la qualité d'accusateur. D'autre part, le président de
^cour d'assises, à raison du fonctionnement de cette juridic-
îoo, est investi d'un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel
** Voy. Faustin Hëlie, op. ciU, t. 4, n® 1734; Mançin, Instruction écrite^
' 1,B«62.
*^ Nous verrons que la partie lésée ne peut pas, à défaut de pourvoi du
'iinislère public, se pourvoir contre un arrêt de non-lieu de la chambre
t^accusatioQ : Cass., 9 mai 1901 (S. 1904. i. 207).
*• La- jurisprudence est constante sur ce point. Voy. Cass., 13 juill. 1861
S. 62. 1. 445); 13 avr. 1888 (S. 90. 1. 285).
432 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
il peut prendre sur lui tout ce qu^il croira utile pour découvrir
la vérilé et uoiammeot eotendre toutes personnes (C. instr
cr., art. 268 et 269). D'où il suit : 1" que la partie civile peul
être entendue comme témoin, et sous la foi du serment, devan
le tribunal correctionnel comme devant la cour d assises, si
n'y a pas opposition de la part du prévenu ou du ministèn
public^'; 2"* que, devant les cours d'assises, mais non devao
les tribunaux correctionnels ou de police, la partie civile peu
être entendue en vertu des pouvoirs discrétionnaires du pré
sident, à titre de renseignement, sans que le ministère publii
ou Taccusé aient, à cet égard, un droit d'opposition ou de cri
tique".
Il semble résulter, comme coutre-partie de cette proposition
que la victime du délit, en déposant à titre de témoin et sou:
la foi du serment, devient irrecevable à se constituer ensuite
partie au procès si cette exception est soulevée par le prévenu
Que la victime choisisse entre la qualité de témoin et o^Iit
de partie : mais les deux qualités sont incompatibles. La juris
prudence n'a pas accepté cette manière de voir : d'une part
la déposition du plaignant qui ne s'est pas encore constitue
partie civile, faite avec prestation de serment, ne l'empêcht
pas de se porter ultérieurement partie civile; d'autre part
cette déposition ne doit pas être rejetée et resté acquise au^
débats, lors même que le plaignant se porte partie civil
après avoir témoigné sous la foi du serment. Ces proposition
*• Il y a un argument d'analogie qui a permis à la jurisprudence d*appuy<
cette solution sur un texte, l'article 322 du Code d'instruction criminen
aux termes duquel « les dénonciateurs, autres que ceux récompense's péc
niairement par la loi, peuvent être entendus en témoignage ». En assimila
la partie civile à un dénonciateur, récompensé pécuniairement, il faut app
quer à la partie civile les règles adoptées pour le dénonciateur dont la dép
sition peut être simplement écartée sur la demande des autres partie
Gomp. Bonnier, Traité théor. et prat. des preuves y Ij* éd., n** 336.
*" D'une part, le président du tribunal correctionnel ou de police n'a p
de pouvoir discrétionnaire. Mais, d autre part, en cour d'assises, l'auditi»
de la partie civile, en vertu des pouvoirs discrétionnaires, mais après presl
tionde serment, n'est pas une cause de nullité, s'il n'y a pas eu d'oppositio
Cass., 4 févr. 1887 (D. 88. 1. 46); 25 févr. 1893 (D. 94. 1. 142).
OB l'action civile devant la juridiction rbpressivb. 433
très coateslables ne sont plus cepeadant discutées dans la ju-
risprudence pratique'*.
IV. L'intervention de la partie .lésée engage sa responsabi-
lité civile et pénale, et peut l'exposer à une condamnation à
des dommages-intérêts envers le prévenu, l'accusé ou les per-
sonnes civilement responsables, aux frais du procès, et même
à lapplication d'une peine pour dénonciation jugée calom-
nieuse.
l"" Celui qui porte plainte, comme celuiquisc constitue partie
civile, ne fait qu'exercer un droit, mais il le fait à ses risques et
périls. Une plainte téméraire^ irréfléchie^ calomnieuse^ lors-
qu'elle cause un préjudice, est de nature à donner lieu à une
action en dommages-intérêts, tout comme une citation directe et
une intervention de partie civiIe*^ La différence entre les deux
situations^ c'est que le plaignant doit être actionné devant les
tribunaux civils, tandis que la partie lésée qui succombe peut
être condamnée par les tribunaux de répression, devant les-
quels elle a porté son action. La compétence de ces juridic-
tions est motivée par la qualité de partie au procès prise par
la prétendue victime de Tinfraction (C. instr. cr., art. 136,
159, 191, 359). Nous aurons à nous demander si le droit du
prévenu, de l'accusé ou des personnes civilement responsa-
bles de conclure à des dommages-intérêts devant le tribu-
nal même qui les a renvoyés d'instance, rend irrecevable, quand
il n'est pas exercé, l'action séparée qu^introduiraient plus tard
ces mêmes personnes devant les tribunaux civils. Nous ver-
rons qu'en principe, tout au moins, la compétence du tribunal
de répression n'est pas exclusive de celle du tribunal civil et
que Faction en réparation du préjudici3 causé par une pour-
suite téméraire peut être valablement portée plus tard devant
la juridiction ordinaire. L'article 338 du Code d'instruction
criminelle, en vue de sauvegarder le droit de l'accusé de mettre
60 jeu la responsabilité ultérieure du plaignant, impose au pro-
** Cette jurisprudôiice est très ancienne. \^oy. Rcpert, génér. alphab. du
droit français, v® Action civile, n°* 253 et suivants.
'^ C'est le droit commun dont l'article 1382 du Code civil contient la formule .
Voy. pour l'abus de citation directe : Gass., 23 mars ^898 (S. 99. 1. 296).
G. P. P. — I. 28
43 i mb.océi>t:bb vtsxhz. — des actions publique et ovile.
itut^Hv îf^ù^rail rohli^rsilîon de faire conoaîlre, à raccusé
«c/|ijillé \*^T la cour d'a^sis<f&. Fauteur de la deQoncialioo qui
« motivé le^ pourçuiles eiercées. Mais, bien entendu, en cas
de conUitution de partie civile, le dénonciateur se réTèleliii-
mèiue i^r ^u attitude et se5 actes publics ^^
2* Dan% quels cas la partie civile devra-t-elle être condamoée
aux fraii de l'instance? Nous aurons |à combiner, pour résou-
dre cette difficile question, les articles 137 et 15$ du décret
du 18 juin 1811 arec l'article 368 du Code d'instruction cri-
minelle.
3'' I/article 373 du Code pénal punit la dénonciation calom-
nieuse; mais l'expression « dénonciation » n'est pas prise dans
son sens technique, et comprend la dénonciation proprement
dite, qui est l'œuvre d'un tiers désintéressé, et \d plainte, qui
est Tœuvre d'une personne avant soufTert du délit. Lsl citation
directe produit, à ce point de vue, le même effet. Mais il n'en
est pas de même de Vinlerventioa qui n'a pas été précédée
d'une plainte. Un des caractères essentiels de la dénonciation
calomnieuse, c'est la spontanéité, et ce caractère manque cer-
tainement quand la prétendue victime qui n'a pas porté
plainte ne fait que joindre son action à la poursuite intentée
d'office par le ministère public*^
197. La constitution de partie civile est un acte grave qui
expose son auteur à une lourde responsabilité. La loi a donc
permis au plaignant de s'y soustraire, après réflexion, au
moyen d'un désistement. De même, en effet, que la partie
civile a la faculté de renoncer à l'action civile avant de l'avoir
intentée, de môme elle à la faculté de se désister de la pour-
suite après l'avoir soumise à la juridiction répressive. Toute-
fois, pour éviter qu'on ne fût tenté de former une constitu-
tion irréfléchie dans la certitude de pouvoir s'y soustraire, la
" Sur un cas (r.ipjjlication ou, du moins, de demande d'application de cette
disposition : Cour d'assises de Seine-et-Oise, 21 nov. 1905 (Voy. les obser-
vations du rédacteur de la Chron. jud. de la Revtie pénitent., 1905, p. 609
à 611).
'* Sur tous 008 points, V. mon Traité théor. et prat, (2« éd.), n" 34 à 51.
DE L* ACTION CIVILB DEVANT LA JURIDICTION REPRESSIVE. 433
loi a soumis la régularité du désistement à certaines condi-
tions restrictives (C. instr. cr., art. 67).
La personne qui s'est constituée partie civile doit se désis-
ter : {** avant lejuge7nent^-, c'est-à-dire, en police correction-
nelle et en police simple, avant le jugement sur le fond; en
cour d*assiscs, avant le verdict"; 2* et elle ne peut le faire
que dans les vingt-quatre heures de sa déclaration de se porter
partie civile, délai calculé, comme tous les délais établis par
heures, de momento ad 7nomentîim^\ Bien entendu, pourcela,
il faut que la constitution porte mention de Theure à laquelle
elle est faite ou qu'on puisse authentiquement en déterminer
rheure. A défaut de cette précision, que la loi n'impose pas
pour la validité de l'acte, la partie civile a le jour tout entier
qui suit la date de la déclaration, pour se désister".
Aucune forme spéciale n'est imposée par la loi, à la partie
lésée, soit pour se constituer, soit pour se désister. Une mani-
festation expresse d'intention, voilà tout ce qui est exigé ".
Si donc Tacte de constitution de partie civile est encore entre
''^ En aucun cas, le désistement donné après le jugement ne peut être
valable, quoiqu'il ait été donné dans les vingt-quatre heures de la constitu-
tion, et cela alors môme que le jugement serait susceptible d*appel. Comp.
Le Sellyer, Actions pubL et priv., t. 1, n® 308.
^*'' Le verdict, en eiïet, c'est le jugement même, s'il y a déclaration de non-
culpabilité, la partie la plus importante du jugement, s*il y a déclaration de
culpabilité. Il est vrai que le verdict ne tranche pas la question de domma-
ges-intérêts, question réservée à la cour qui doit rendre arrêt sur ce point.
D'où certains auteurs (Trébutien, op. ci7., p. 450 et 457 ; Sourdat, op. cif .,
t. 1, n* 327) ont conclu que la partie civile avait le droit de se désister, en
cour d'assises, après la déclaration du jury, et même après Tordonnance
d'acquittement, qui ne sont pas des jugements au sens strict du mot. Mais
c'est attacher trop d'importance à une expression qui est, ici, prise dans sa
signification générale. Le but de la loi, en n'autorisant pas le désistement
après le jugement, a été de ne pas permettre à la partie lésée de se dérober
après la décision qui lui donne tort. Comment l'autoriser, dès lors, à se dé-
sister après le verdict du jury?
*' Voy. Carnot, Cod, instr. cr., art. 66, n®" 6 et suiv.
•* D'autant plus, que l'article 5 du titre III, de l'ordonnance de 1670, qui
contenait la même formule, était interprété de cette manière. Voy. Rous-
seaud de La Combe, Matières crim., 3* part., chap. 1, p. 242.
*» Cfr. Cass., 10 févr. 1887 (D. 87. 1. 542).
436 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS.
les mains de Tofficier de police qui l'a reçu, sans qu^aucuoe
poursuite ait été commencée, le désistement résulte d'une
simple déclaration, soit par lettre, soit par procès-verbal
dressé par Tofficier de police et signé par la partie. Si la
poursuite est engagée, le désistement doit être fait par acte
d'huissier, signifié au prévenu*^ et au procureur de la Répu-
blique : l'un et l'autre, en effet, ont intérêt à le connaître ".
Dans tous les cas, la volonté d'abandonner l'instance ne se
présumant pas, le fait, par la partie civile, de ne pas se pré-
senter, à l'audience, au jour fixé, ne saurait être ccmsidéré
comme équivalent à un désistement *^. Le tribunal rendra,
dans ce cas, un jugement de défaut-congé. Mais s*il avait
procédé par un jugement de radiation, cette décision n'em-
pêcherait pas la partie civile de ressaisir la juridiction répres-
sive.
198. Quels sont les effets du désistement? Pour examiner
cette difficile question, il faut séparer le désistement régulier,
celui qui est intervenu dans les vingt-quatre heures, du
désistement irrégulier, intervenu, après ce délai.
C'est là une distinction, à laquelle la loi parait s'attacher, et
dont on ne semble pas tenir un compte suffisant dans la pra-
tique *'.
I. Le désistement régulier, c'est-à-dire celui qui a eu lieu
avant l'expiration du délai donné par la loi à la réflexion,
parait être un droit pour la partie civile, ce désistement n'a
donc pas besoin d'être accepté, il s'impose •*. Par ce carac-
60 Au prévenu seulement, si Tinstance n*est pas encore liée lors du dé-
sistement.
«* Voy. Faustin Hélie, op. cit., t. 4, n° 1741; Le Sellyer, Exercice et
extinction des actions, t. 1, n* 300. Comp. Dijon, IS janv. 1873 (D. 74. 2.
92).
62 Cass., 6 juin. 1878 (S. 78. 1. 486); 12 mai 1893 (B. cr., n« 124).
•' Ordinairement, en pratique, lorsqu'un tribunal correctionnel est saisi
par voie de citation directe de la partie lésée, le désistement amène une
radiation de Taffaire, après un donné acte.
<^* Sic, Faustin Hélie, op. cit., t. 4, n« 1744. Voy. notamment Cass.,
17 nov. 1905 (Lapierre c. Destruels) : « Attendu qu'en matière crimiaelie,
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 437
tère, cet acte diffère, soit du désistement ouvert devaat les
juridictions civiles (C. proc. civ., art. 402 et 403), soit du
désistement irrégulier, c'est-à-dire fait en dehors du délai
légal, devant les juridictions répressives ".
Oq dit que le désistement régulier anéantit la constitution
de partie civile et efface, par suite, les effets que cet acte
avait produits. Mais ceci n'est vrai que sous certaines réser-
ves. Il faut examiner les conséquences du désistement, quant
aux frais, quant à la responsabilité civile ou pénale, quant
aux actions civile et publique.
a) Les effets du désistement régulier, quant aux frais, sont
réglés par l'article 66, aux termes duquel, les plaignants, dans
le cas de désistement, « ne sont pas tenus des frais depuig
qu'il aura été signifié ». Ils restent donc tenus des frais anté-
rieurs. J'en conclus : 1^ que tout désistement doit, pour sa
régularité, être accompagné de l'offre de payer les frais déjà
avancés, et pourrait être refusé, s'il ne contenait pas cette
offre; 2'' que, dans tous les cas, les frais même du désiste-
ment sont à la charge de la partie qui se désiste, y compris
le coût du jugement ou de l'arrêt qui en donne acte ".
b) En ce qui concerne la responsabilité pénale ou civile en-
courue par la partie lésée, le désistement ne l'effacerait que
s*il effaçait la plainte. Or, tel n'est pas le caractère du désis-
tement qui ne porte que sur l'action en dommages-intérêts
ioteotée par la prétendue victime au prévenu ou à l'accusé.
Aussi Tarlicle 66 décide-t-il que les plaignants qui se désis-
tent ne sont pas tenus des frais postérieurs, « sans préjudice
néanmoins des dommages-intérêts s'il y a lieu ». Cette dispo-
sition est une innovation du Gode d'instruction criminelle.
les articles 65 et 66 du Code d'instruction criminelle, qui réglementent le
d(fsistement de la partie civile, n'exigent pas, pour la validité de ce désista-
ssent, qu*il soit accepté par le prévenu... »,
^' Mais nous avons déjà dit (note 63), que la pratique ne paraissait faire
(l'autre distinction entre le désistement régulier et le désistement irrégu-
iier, qu'au point de vue fiscal des frais.
«« Cass., 4 févr. 1848 (D. 48. 5. 101). Comp. Faustin Hélie, op. ciL, t. 4,
no 1743.
438 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
Sous rordonnaoce de 1670 (art. S, lit. III), comme sous la
loi des 16-29 septembre 1791 (art. 5, lit. V), et sous le Codf
du 3 brumaire ao IV (art. 96), la partie civile pouvait se dé-
partir, noQ seulement de sa constitution, mais encore de sa
plainte, ce qui effaçait rétroactivement cet acte. Le Code de
1808 adopte la solution contraire, plus logique et certaine-
ment plus équitable, car s'il est juste de permettre à la
partie lésée de renoncer à son action en dommages-iolé-
rets, il ne le serait pas de lui permettre de faire tenir acti-
vement pour non avenu, un acte qui a été réellement fail,
et qui, malgré tout désistement, a pu produire des résultats
fâcheux et dommageables pour le prévenu. En conséquence :
1* La loi maintient, au proGt de celui-ci, le droit éventuel
de réclamer des dommages-intérêts à la partie civile qui s*esi
désistée; mais comme le plaignant n*est plus au procès, il
ne peut être condamné par la juridiction qui acquitte ou
absout le prévenu ou Taccusé*'; c'est donc devant le tri-
bunal civil que devra être ultérieurement formulée la de-
mande; 2° Mais le prévenu, le désistement fût-il régulier,
c'est-à-dire fait dans les vingt-quatre heures, a le droit de
s'opposer à ce qu*il en soit donné acte, avant que le tribunal
de répression, encore saisi, ne lui ait accordé la réparation à
laquelle il a droit si la plainte est téméraire^'; 3° Bien que la
loi ne parle pas de la responsabilité pénale, il est incontestable
qu'elle subsiste, malgré le désistement, s'il y a eu plainte re-
connue calomnieuse.
c) Le désisteinent de la partie lésée a-t-il quelque influence
sur Vaction publique? Pour résoudre cette question, il faut
soigneusement distinguer Vaction et Vinstance, 1° Sur le droit
du ministère public de poursuivre, malgré le désistement, aucun
•' On ne peut, en effet, comdamner, môme par détaul, une personne qu'
n'a pas été mise en demeure de se défendre. L'article 358 du Code d'instruc-
tion criminelle soulève, du reste, à ce point de vue, des difficultés particu-
lières. Nous les examinerons à propos des demandes formées contre les d^'
nonciateurs après acquittement en cour d'assises.
" Voy. Cass. crim., 5 févr. 1891 (JB. cr,, n» 27). Comp. Trib. corr. de
Versailles, 30 déc. 1890 [Gaz. des Trib,, n° du 28 janv. 1891).
DB l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRBSSIVE. 439
doute ne s'élève : Tactioa publique et Taction civile sont, en
effet, indépendantes Tune de Tautre. « La renonciation à Tac-
tioD civile, porte l'article 4 du Code d'instruction criminelle,
ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique »,
d l'article 2046 du Code civil ajoute : « On peut transiger
sur l'intérêt civil qui résulte d'un délit : la transaction n'em-
pêche pas la poursuite du ministère public ». Il en était
autrement sous l'empire de l'ordonnance de 1670 (art. 19,
tit. XXV), d'après laquelle le désistement, intervenu sur un
délit privé, faisait cesser la poursuite de la partie publique.
Mais la même règle ne devrait-elle pas être admise à propos
des délits dont la poursuite est, aujourd'hui, subordonnée
au dépôt préalable d'une plainte : le désistement de la partie
lésée n'a-t-il pas pour effet d'arrêter, dans ce cas, mais dans
ce cas seulement, l'exercice de l'action publique? C'est une
question que nous avons déjà examinée et résolue. 2® I^
désistement de la partie lésée porte tout au moins sur l'in-
stance, et le tribunal, dès quMl se produit, est dessaisi de l'ac-
tioQ en dommages-intérêts : est-il, en même temps, dessaisi
de l'instance sur l'action publique? Un point bien certain,
c'est que la juridiction répressive reste saisie de Taction
publique, lorsque la partie lésée a mis en mouvement le
juge d'instruction par une plainte contenant constitution de
partie civile, ou qu'elle a cité directement le prévenu devant
le tribunal correctionnel ou de police, ou qu'elle est inter-
venue devant la cour d'assises". Mais la situation suivante se
présentera souvent: un individu aura cité directement un
prévenu devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de
police; et, le jour où l'affaire sera appelée, il annoncera qu'il
^'est désisté et en demandera acte. Si le ministère public,
présent à l'audience, insiste pour que l'affaire soit jugée au
point de vue de l'action publique, mise en mouvement par la
<^itation directe, le tribunal doit statuer; mais s'il accepte le
^désistement ou se tait, le tribunal ne peut-il pas prononcer la
^diation de l'affaire? Il faut remarquer que l'action publique
** Voy. Cass., 11 août 1881 (S. 82. 1. 143).
440 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE BT CIV
n'est portée devant le tribunal qu'accessoirement à Tac
civile, et parce que le tribunal ne peut jugerTaction civile
ne juge, en même temps^ Taclion publique. Dans ces co
tions, le retrait de la citation, auquel consent, au moins
son silence, le ministère public, autorise la radiation de
faire. Ce retrait constitue, en efiTet, un abandon de la cita
et sa mise à néant. Au contraire, si le désistement se pro
au cours des débats, alors que la citation a produit son doi
effet au point de vue de la saisine et a mis en mouvemer
procès pénal et le procès civil, il est trop tard pour rev
en arrière : l'instance civile est abandonnée, mais Tinsti
pénale subsiste et doit être nécessairement vidée par un ji
ment. Dans le cas où l'action civile survit à l'action publii
comme dans celui d'une cassation après pourvoi de la p<
civile seule, h la suite d'un arrêt de relaxe, le désistemer
Faction civile dessaisit les juges d'une manière absolue.
d) On peut se demander enfin quels sont les effets du
sistement quant à l'exercice de Vactioii civile. Les uns le 1
tent à l'extinction de la procédure et considèrent que la p;
civile peut, malgré son désistement, exercer de nouveau
action en dommages-intérêts "°. D'autres pensent que le
sistenient éteint l'action civile d'une manière complèt(
vaut renonciation définitive à cette action, qui ne peut
être reprise devant aucune juridiction, tant civile que cr
nelle^'. D'autres enfin adoptent une solution moyei
d'après laquelle le désistement éteint l'instance pendant
aussi le droit de se porter désormais partie civile devai
juridiction répressive, mais non celui d'exercer l'actior
dommages-intérêts devant la juridiction civile ^^ Le poio
départ de toute discussion, c'est que le désistement ne f
'° Le Sellyer^ op, ciL^^i, i, n*" 432 et 433; Mangin, De rinstrnction t
n*» 68; de Panthou, Du d^^nistenient de la partie civile devant la ju>
tion répressive {Rev. pra^, 1859, l. 8, p. 367).
'* Carnol, op, ciL^ sur rarlicle 66, n° 18; Boilard, Leçons de droit c
p. 256.
''^ Fauslin Hdlie, op. oit,, t. 4, n^* 1743 et suiv. Voy. également : G
Étude sur la responsabilité civile en matière pénale, p. 356.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION RÉPRESSIVE. 441
que sur Yinstance, C'est le caractère même que donne au dé-
sistement Tarticle 403 du Code de procédure civile. Ceci posé,
deux situations sont possibles et ne doivent pas être assimi-
lées. Supposons d'abord que la partie civile, après s'être con-
stituée devant le juge d'instruction ou la chambre des mises
en accusation, se soit désistée : son action'ne peut être com-
promise par cet acte, car elle a simplement renoncé à suivre
rinrormation et à la contrôler. Mais si l'instruction se termine
par un renvoi devant la juridiction de jugement, la constitu-
tioû de partie civile pourra être renouvelée, dans la procédure
dejugement, soit devant la cour d'assises, soit devant le tribu-
nal correctionnel. Si l'instruction se termine par une ordon-
nance ou un arrêt de non-lieu, et qu'il y ait, plus tard, reprise
de instruction sur charges nouvelles^ à la requête du minis-
tère public, la constitution de partie civile pourra se renou-
veler encore, car aucun obstacle de droit ou de fait ne parait
s opposer à la reprise de l'action dans une instance autre que
celle dans laquelle et pour laquelle est intervenu le désiste-
ment. Supposons, au contraire, que la partie lésée se désiste
devant la juridiction dejugement : il est d'abord certain que
la partie lésée aura perdu le droit d'agir au criminel, puisque
l'instance engagée devant la juridiction de répression à la-
quelle elle a renoncé ne peut être renouvelée, l'action publi-
que étant épuisée. xVlais la partie lésée conservera*t-elle le
droit d'agir en dommages-intérêts devant la juridiction civile ?
Certes, on ne pourra lui opposer son désistement seul comme
fin de non-recevoir, puisque le désistement n'est pas un
(abandon de l'action^ mais un abandon de l'instance. Seule-
inent, en optant d*abord pour la juridiction répressive, la
partie lésée ne s'est-elle pas enlevé le droit de revenir à la
juridiction civile ? La solution de la question dépend du parti
que l'on prend sur la portée de la règle : una via electa non
datiir recursus ad alteram. Étant admis, comme nous l'avons
dit, que cette règle ne fait pas obstacle au passage de la voie
criminelle à la voie civile, le désistement ne saurait produire
l'extinction de l'action. Et il n'est pas nécessaire qu'on ait,
par des réserves expresses, limité à l'instance l'effet extinctif
442 PROCéDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILB.
du désistement, cardes réserves ne peuvent donner, à celui
qui les a faites, un droit qu'il n'a point déjà; elles ne peuvent
augmenter les effets de l'acte qu'on accomplit. De deux choses
l'une : ou le désistement éteinU'action, et alors des réserves ne
sauraient limiter son effet à l'instance ; ou le désistement éteint
l'instance, et des réserves seraient inutiles et inopérantes.
II. Après respiration du délai de vingt-quatre heures, il
reste à la partie civile le droit qui appartient, dans la procé-
dure ordinaire, à tout demandeur : celui de mettre fia à
l'instance en y renonçant avec le consentement du défendeur
(C. proc. civ., art. 402 et 403). Mais le désistement change
alors de caractère : il cesse d'être une faveur de la loi, pour
devenir un contrai judiciaire ^^. D'où il suit : 1° Que s'il
est accepté sans réserves par le prévenu ou l'accusé, il pro-
duit tous les effets, mais ne produit que les effets du désiste-
ment intervenu dans le délai légal; 2"" Que Taccuséou le pré-
venu peut mettre à son acceptation telles réserves ou telleî^
conditions qui lui conviennent, de sorte que les effets du
désistement pourraient être étendus ou restreints par la libre
volonté des parties. Nous sortons, en effet, du domaine de la
loi dont les dispositions sont inflexibles pour entrer dans le
domaine de la convention, qui se prête à toutes les combinai-
sons; 3° Que la partie civile est responsable envers l'Étal de
tous les frais, même de ceux, postérieurs à son désistement,
sauf son recours contre le prévenu condamné ^*.
III. Le désistement delà partie civile peut être subordonoc
à l'accomplissement d'une condition, expressément ou impU'
citement exprimée, de telle sorte que si la condition à laquelle
'^ La jurisprudence et la doctrine ne font pas cette distinctiun qui r^'
paraît résulter de l'économie môme de Tarticle 66. On admet généraleme^
que le désistement en matière criminelle n'a pas besoin d'être accepté. Vo^^
la note suivante.
'* C'est là une des conséquences de l'irrégularité du désistement. Poi^ ^
certains, c'est même la seule. On admet généralement, en etîel, contraire '
ment au système de la loi, que la disposition de l'article 66, qui fixe à vingt-"
quatre heures le délai dans lequel la partie civile peut se désister, est purc?^
ment fiscale et n'a d'effet qu'en ce qui concerne les frais.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION CIVILE. 443
e désistement était subordonné ne s'accomplit pas, la partie
ivile conserve le droit d'agir devant la juridiction répressive.
lelle règle est papticulière au désistement devant les tribu-
auJLde répression, car, devant les tribunaux civils, le désis-
îraent doit être pur et simple. Elle résulte du. caractère même
e ce désistement qui est un droit, s'il est régulier, un con-
tai, s'il est irrégulier ^•.
IV. Le désistement est de nature à se produire en tout état
e cause et tant qu'il y a une instance, non terminée par
jgement définitif; il peut donc intervenir après l'eiercice,
ar la partie civile, d'une voie de recours : c'est un désis-
iment d'opposition à un jugement de défaut, d'appel, de
ourvoi en cassation. Le désistement, qu'il soit régulier ou
u'il soit irrégulier, produit, dans ce cas, tous les effets d'un
cquiescemenl à la décision rendue, c'est-à-dire qu'il n'est
lus permis à la partie lésée, fût-elle encore dans les délais,
e reprendre ou de former à nouveau le recours dont elle
est désistée. On peut discuter sur le caractère du désistement
uialieu en cours d'instance; mais la partie civile qui se désiste
u recours qu'elle a formé ne le fait que parce qu'elle accepte
f décision contre laquelle elle s'était pourvue.
§ XXXII. - DE L'EXERCICE DE L'ACTION CIVILE
DEVANT LA JURIDICTION CIVILE.
K L'action civile peut être portée devant les juridictions ordinaires. Elle doit
iéme Tôtre quelquefois. De i'inlluence réciproque des deux instances et des
eux jugements. — 200. Preaiii>re liypothèse. Cas où l'action civile a été défini-
vement jugée par les tribunaux ordinaires avant l'exercice de l'action publique,
^dépendance des deux actions. — 201. Seconde hypothèse. Cas où l'action publi-
ue u été définitivement jugée par les tribunaux de répression avant l'exercice de
action civile. Force de chose jugée absolue de la décision rendue par les tribu-
«lux de répression. — 202. Troisième hypothèse. Cas où l'action publique est
^tentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. Le criminel tient alors le
'= Voy. Gass., 9 mai 1890 (S. 91. 1. 359; D. 90. 1. 456). Comp. Rauter,
aité théor» et prat, du droit criminel, t. 2, no 085. Encore une fois, la
'isprudence applique cette thëorie à tout désistement devant les tribunaux
répression, qu'il soit régulier ou irrégulier.
i
444 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
civil en étal. Double motif de cette règle. Principe supérieur qu'elle suppose. Divi-
sion de son étude. — 203. Conditions d'application de la règle. Il faut que les
deux actions naissent du même fait et que l'action publique ait été intentée. "
204. Si le concours de ces deux conditions est nécessaire, il est suffisant —206.
L'action civile reprend son indépendance, lorsqu'il a été prononcé « dëûnilive-
ment » sur l'action publique, c'est-à-dire au jour où la décision criminelle a force
de chose jugée. Distinction entre la force de chose jugée et la force exécatoire.
De l'effet, au point de vue du sursis, des arrêts de contumace, des jugements oa
arrêts par défaut non signifiés, des ordonnances de non- lieu. — 206. Caractère
d'ordre public de la règle : « Le criminel tient le civil en état ».
199. L*aclîon civile peut toujours et doit même quelque-
fois, par exemple si Tactiou publique est éteinte par le décès
ou rarnnistie, être portée devant la juridiction civile, c'est-à-
dire devant lajuridiclion normalement compétente, suivant
les cas et les chiffres réclamés, pour connaître d'une aclion
en dommages-intérêts*. Pour Vintenter, comme pour Vexerctr
jusqu'au bout, la partie lésée se conformera au\ règles tracées
parle Code de procédure civile. Nous n'aurions rien déplus
à ajouter, si les deux actions qui naissent de l'infraction,
exercées alors séparément, Taclion privée, devant la juridic-
tion civile, Taction publique, devant lajuridiclion répressive,
restaient sans influence Tune sur l'autre. Mais il n'en est pas
toujours ainsi. Les rapports qui existent entre l'action publi-
que et l'action civile, se font sentir, même lorsque l'action
civile est exercée devant les tribunaux civils. Pour les préci-
ser, nous avons à dislinguer trois hypothèses, qui compren-
nent tous les cas possibles.
200. L'exercice de l'action civile s'est terminé devant les
tribunaux civils avant que l'action publique ait été inteotée.
C'est la première hypothèse. En ce cas, l'action civile a éle
exercée et jugée suivant le droit commun des autres action^
privées. Le caractère délictueux du fait dont elle résulte, o^
pu modifier ni la compétence ni la procédure; il n'a eu d'i^^'
fluence que sur le délai de la prescription. Mais on pe^^^
§ XXXII. * Le tribunal civil, le tribunal de commerce, le juge de p^'^
Comp. Cass., 26 mai 1869 (S. 69. 1. 430); Bordeaux, 26 févr. 1884 (S. ^^
2. 142).
DE l'action CIVJLE DEVANT LA JURIDICTION CIVILE. 445
so demander si les tribunaux de répression doivent tenir
compte de. la décision des juridictions civiles rendues sur les
deux questions communes à Taction publique et à Taction
civile : l'existence du délit, Timputabililé de Tauteur. A cet
égard, le jugement sur l'action civile n'a aucune force légale
et obligatoire de chose jugée sur le procès pénal. La juridic-
tion répressive reste libre d'apprécier le fait d'une manière
différente, de condamner, par exemple, à une peine celui qui
â été déclaré, par la juridiction civile, n'être pas l'auteur du
fait dommageable. La seule exception à cette liberté de juge-
ment résulte de l'existence des questions ou exceptions préju-
dicielles.
201. L'exercice de l'action civile a commencé devant les
tribunaux civils après le jugement définitif de l'action publi-
que. C'est la seconde hypothèse. Cette situation ne fait pas
obstacle à la mise en mouvement du procès en dommages-
intérêts. Toute la question est de savoir si le jugement pénal,
dans lequel la victime du délit n'a pas été partie, a une
inQuence nécessaire sur le jugement à rendre par le tribunal
civil. Une jurisprudence, aujourd'hui séculaire, reconnaît i
la chose jugée au criminel une autorité absolue, indépen-
dante des personnes qui ont figuré dans Tinstance pénale.
202. L'action publique est intentée avant ou pendant la
poursuite de l'action civile. C'est la troisième et dernière
hypothèse. Dans le cas où l'action civile est poursuivie sépa-
rément devant les tribunaux civils, l'exercice en est sus-
pendu, tant qu'il n'a pas été statué définitivement sur l'action
publique, intentée, devant les tribunaux de répression, avant
ou pendant les poursuites de l'action civile (C. instr. crim.,
art. 3, § 2). C'est la règle que l'on exprime par cette ancienne
formule : Le criminel tient le civil en état. On donne, de celte
obligation, pour les tribunaux civils, de surseoir au jugement,
deux motifs. D'une part, la loi veut protéger le débat crimi-
nel contre les préventions de fait, que pourraient laisser, dans
l'esprit des juges appelés à statuer sur le procès pénal, la
446 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
décision rendue par le tribunal civil. Elle veut, d autre part,
faire réfléchir sur le débat civil les lumières qui auront jailli
de Tinstruction criminelle, et éviter ainsi que deu.\ juridic-
tions, saisies de deux actions, distinctes sans doute par leur
objet, mais nées cependant du même fait, ne prononcent des
jugements contradictoires. Ce but ne serait certes pas atteint,
si la décision criminelle devait rester sans influence sur la
juridiction civile : aussi peut-on légitimement conclure de
l'article 3 du Code d'instruction criminelle que la loi n'or-
donne au\ tribunaux civils de surseoir à statuer sur l'action
privée, que parce que le jugement criminel doit avoir, à
l'égard de cette action, l'autorité de la chose jugée sur les
points qui sont communs à Taction publique et à l'action
civile. C'est là, pour nous, le principal motif de l'article 3 : il
le justifie, en limite la portée et en indique le caractère. En
effet, de ce que le jugement de l'action publique exerce uoe
influence souveraine sur le sort de l'action civile, née du
même fait et non encore jugée, il en résulte que la première
t^i préjudicielle à l'autre, toutes les fois que les deux actions
sont poursuivies séparément. La loi aurait pu et aurait dû,
peut-être, pour éviter des contradictions qui ébranlent le res-
pect attaché à la chose jugée, en tirant la conséquence directe
des principes qui régissent les rapports de l'action publique
et de l'action civile, donner à la première un caractère pré-
judiciel à Vexercice même de la seconde. Elle ne Ta pas fait,
sans doute, pour ne pas subordonner la réparation du délit à
la répression, et l'action de la partie lésée à celle du minis-
tère public. Mais elle a, tout au moins, déclaré Taction publi-
que préjudicielle au jugement de l'action civile, en ce sens
que, dans le cas où la première est intentée, avant ou pendant
la poursuite de la seconde, le procès civil reste en suspens jus-
qu'à ce qu'il soit définitivement prononcé sur le procès pénal.
Si le criminel tient le civil en état, c'est donc comme co-
rollaire et conséquence d'un principe primordial que la loi
n'a pas cru devoir formuler parce qu'il s'imposait. 11 n'est
autre que celui « du règlement des attributions entre les
divers ordres de juridictions, de la mission spéciale et exclusive
DE L ACTION CIVILE DEVANT LA JURIDfCTION CIVILE. 447
attribuée à chacune d'elles relalivement à certaines questions,
et de la limite qu'elles sont tenues, par conséquent, entre elles,
de respecter, sous peine de commettre un excès de pouvoir* ».
La juridiction pénale est subordonnée à la décision d'autres
juridictions, pour toutes les'questions dont la solution lui est
indispensable avant qu'elle puisse juger, et devant lesquell&s
cependant elle est obligée de s'arrêter pour en renvoyer la
connaissance à une autre autorité exclusivement compétente.
On dit alors qu'il y a question préjudicielle. Hors de là, l'action
publique doit être jugée librement et indépendamment des
décisions qui auraient pu être rendues par d'autres juridic-
tions à ^occasion des faits mêmes du procès pénal. Mais la
juridiction civile, indépendante, en règle générale, des déci-
sions de la justice pénale, doit lui être subordonnée pour ce
qui regarde le jugement de la culpabilité ou de la non-culpa-
bilité de Taccusé. L*acte, de quelque autorité qu'il émanât,
qui s'élèverait en contradicleur du jugement pénal, quant à la
culpabilité ou la non-culpabilité déclarée, constituerait un
excès de pouvoir. C'est la conséquence de cette idée (\wq les
tribunaux de répression, procédant avec les formes et les
garanties particulières aux procès criminels, sont les seuls
compétents pour rendre de telles décisions. La règle : Le cri-
minel tient le civil en état, s'explique alors tout naturellement
comme ayant pour but d'éviter, à l'avance, une contrariété
de décisions possible si chaque juridiction se prononçait dis-
tinctement et librement.
Ce point de vue domine, pour nous, la théorie même de
l'article 3, et nous devons en faire remarquer les conséquences,
en précisant : 1** les conditions; 2* les effets; 3** les limites;
4* et le caractère de la règle : Le criminel tient le civil en état.
203. 11 faut, pour que l'exercice de l'action civile soit sus-
pendu jusqu'au jugement définitif de l'action publique, que
les deux actions naissent du même fait ^ et que l'action publi-
que ait été intentée^.
'^ J'emprunte cette formule à Ortolan, op, cit,, t. 2, n° 21 3i.
3 Sur le principe: Fau8tinHélie,o/).ci7., 1.2, n'»962; Hoiïnian, t. 1, n°191.
»*^ l'EXTEI/URB PEXALE. — DES ACTIONS PrBUQUfi ETT UTILE.
L La première cooditîoa est é^ideote. aussi o*a-t-elle pas
été forrnulètr par la loi : car si l'actioQ publique, portée deTaot
la juridiction nl'pre&H\e. et Tactioa prÎTée, pendante deTaot
la juridictiou cÎTÎle, dêrÎTeot de faits distincts, le jugement
de l'action publique ne peut e&ercer, sur l'action priTée, cette
influence nécessaire et forcée que Ton veut protéger. Ainsi
des [iOu^^uite5 en faui; témoignage, dirigées par le ministère
public contre des témoins qui ont déposé dans une enquête
civile, ne sont pas de nature à autoriser un sursis au jugemeoi
du procès qui a donné lieu à cette enquête \
II. La seconde condition est expressément formulée parle
texte : il est donc certain que les juridictions civiles ne doivent
et ne peuTent surseoir à statuer sur Faction ciTile que si Tac-
tion publique est inleniée, ou plutôt mise en mouvement, c'est-
à-dire si le prévenu est traduit directement devant le tribunal
correctionnel ou de police, ou si une instruction préparatoire
est provoquée contre lui, soit par le ministère public, soit par
la partie lésée*. Mais l'action civile conserve sa pleine iadé-
|>endance, aussi bien dans le cas où des démarches auraient été
faites pour amener des poursuites, par exemple s'il y avait eu
déf>ôt d'une plainte ou d^une dénonciation*, que dans le cas
oii le ministère public aurait expressément manifesté l'inteD-
lion de poursuivre, par exemple en faisant des réserves ou en
* Çîiss., 22 MOV. 1811» al 5 janv. 1822, arréls cités par Mangin. op. cii-i
t. 1, II* 105. Voy. pour d'autres applications : Cass., 20 janv. 1877 (S. *8.
1. 318) ; 9 févr."l804 (S. 04. 1. 107).
' La texte ne distingue pas entre le cas uù l'action publique est intenté*!
I>fir le minisU're public et le cas où elle est mise en mouvement par la parti»
lé»6î. Cefiendant, cette distinction est faite par la jurisprudence : on admet
en effet que Faction correctionnelle intentée par la partie civile ne fait p^
obstacle à ce que le procès civil soit jugé. Comp, Bourges, 4 mars 1871
(S. 74. 2. 311; D. 73. 2. 51); Mangin, op. cit., t. 1, n» 103. Sans doute, 1:
[»artie lébée, qui a saisi de son action le tribunal civil, ne peut plus la porte
devant le tribunal de r<^pression : electa una via...; mais c*est au tribuns
de répression qu*il appartient d'examiner la fm de non recevoir résultant d
Toption déflnitivfî faite par la partie lésée entre la voie civile et la voie en
minello. Provisoirement, et tant que le tribunal de répression ne s'est p«
dessaisi, le tribunal civil doit surseoir à statuer.
•i Sic, Cass., 5 févr. 1808 (S. «8. 1. 45 1; D. 08. 1. 454).
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION CIVILE. 449
donnant un certificat à la partie civile \ Les articles 239 et
240 du Code de procédure civile, rappelés par Tarticle 460
du Gode d^instruction criminelle, paraissent, il est vrai,
apporter une restriction à cette règle en matière de faux. Mais
il a été jugé que, même en cette matière, le sursis ne peut
être prononcé au cas où, nulle poursuite criminelle n'ayant
été intentée, le sursis n'a été demandé, ni par les parties, ni
par le ministère public*.
204. Le concours de ces deux conditions est nécessaire
mais suffisant : quelles que soient donc les personnes contre
lesquelles Taction publique est dirigée, quel que soit Vobjei
de cette action, le sursis, en cas de poursuite répressive, doit
être prononcé d^office par la juridiction civile, à peine de
nullité de la procédure qui suivrait le jour où faction publi-
que aurait été intentée. Il existe, par conséquent, deux solu-
tions qui sont hors de toute controverse, à savoir : l"* que la
règle du sursis s'applique à l'action civile tout entière, à ses
deux chefs, les restitutions et les dommages-intérêts; 2° qu^elle
s'applique, quelles que soient les personnes contre lesquelles
l'action civile est dirigée, les personnes civilement respon-
sables, comme les auteurs mêmes ou les complices de l'infrac-
tion. L'article 3 suspend, en effet, l'exercice de V action civile
dans toute sa plénitude, sans aucune réserve ni restriction.
Mais la règle du sursis s'applique-t-elle à d'autres actions
que l'action civile proprement dite? Le texte, sans doute^ ne
parle que de celle-ci, mais les motifs mêmes qui ont inspiré
l'article 3 commandent aux tribunaux civils ou de commerce
■^ Pour le cas où l'action publique a e'té simplement réservée : Cass., 9 févr.
4864 (S. 64. 1. 107).
• Cass., 3 janv. 1872 (S. 72. 1. 270), et les conclusions de M. Reverchon.
Comp. Cass., 5 mars 1867 (S. 67. 1. 208); 29 avr. 1874 (D. 74. 1. 333).
Voy. Cass. req., 3 déc. 1900 (S. 1904. 1. 10) : « Attendu que si cet article
(art. 3, C. instr. crim.) veut qu'il soit sursis h l'exercice de l'action civile,
tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée
avant ou pendant la poursuite de l'action civile, il implique qu'il n'y a lieu
de prononcer le sursis que quand il est établi, par la personne qui lô
demande, qu'il existe une action publique régulièrement yitentée ».
G. P. P. — l. 29
450 FBfjCtDX^RE PÉ5ALE. — DBS ACTI05S PTBUQCE ET CnUK.
de surseoir à sUtaer, eo cas de poursuite d'un fait délictueux,
sur toutes les actions qui naissent de ce fait, alors même
qu'elles auraient un autre objet que des dommages-intérêts.
Il y a^ en réalité, parallélisme d'application et d*éteodue entre
deux règles : celle qui oblige les tribunaux ciTils i ne pas se
mettre en contradiction arec ce qui a été souTerainementjagé
par les tribunaux de répression sur l'existence du fait et la
culpabilité de l'agent; et celle qui les oblige à suspendre
l'examen du procès civil quand l'action publique est intentée.
La répartition de la compétence entre la juridiction civile et
la juridiction pénale impose à la première la nécessité du
sursis, toutes les fois que le jugement à rendre par la seconde
(>eut avoir force de chose jugée vis-à-vis de Tautre. L'ancien
article 233 du Code civil servait, à la fois, de preuve et d ap-
plication de cette idée, lorsqu'il édictait que « si quelques-
uns des faits allégués par l'époux demandeur (en divorce)
donnent lieu à une poursuite criminelle de la part du minis-
tère public, l'action en divorce restera suspendue jusqu'après
la décision de la^juridiclion répressive; alors elle pourra être
reprise sans qu'il soit permis d'inférer de cette décision aucune
fin de non-recevoir ou exception préjudicielle contre l'époui
demandeur ». Cette disposition, maintenue par la loi da
27 juillet 1884 sur le divorce% a disparu, sans qu'on ait donoé
d'explication à ce sujet, dans le remaniement qu'a fait subir
i ce texte la loi sur la procédure du divorce du 18 avril 1886.
Par conséquent, la question de savoir si l'action en séparation
de corps ou en divorce, fondée sur uue infraction reprochée
par le demandeur à son conjoint, par exemple sur un fait
d'adultère, sur des coups ou des blessures, est arrêtée par
application de la règle : Le criminel tient le civil en état, dé-
pend de la portée du principe de l'article 3, combiné avec
l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil.
Si Ton admet, avec nous, que les tribunaux civils doivent
• L'ancien article 23I> avait eu deux rédactions successives : celle de 1804,
celh» de la loi du 27 juillet 1886. C'est cette dernière rédaction que nous
avons rapportée au texte.
DE l/ ACTION CIVILE DEVANT LA JURIDICTION CIVILE. 451
tenir pour constants ce qui a été décidé par les tribunaux de
répression sur l'existence du délit et la culpabilité du délin-
quant, et que, maîtres d'apprécier, en elles-mêmes, les ques-
tions civiles qui leur sont dévolues, ils ne peuvent pas le faire
en se posant en contradicteurs du juge pénal, il en résulte que
Tinslance en séparation de corps ou en divorce, fondée sur
des faits qui donnent lieu à une poursuite criminelle, doit être
suspendue en vertu des principes généraux dont l'article 235
du Code civil faisait simplement l'application '®.
En résumé, il doit y avoir, pour justifier le sursis, identité
des faits servant de base aux deux actions, l'action publique et
laction civile^ concurremment exercées; mais cette condition
suffit lorsque les deux juridictions sont saisies à des fins diffé-
rentes, si, à raison de l'identité des faits, la décision rendue
par la juridiction pénale est de nature ài exercer une influence
^ur la décision à rendre par la juridiction civile ^'.
205. L'action civile reprend son indépendance, lorsqu'il a
^té prononcé « définitivemeat sur l'action publique » ; et le
jugement ou l'arrêt, qui statue sur le procès pénal, doit être
considéré comme définitif, lorsqu'il a acquis l'autorité de la
'hose jugée, quand même cette autorité n'est que provisoire.
Ceci a besoin d'explication. Remarquons, en effet, qu'une
décision sur l'action publique peut être prise, soit par une
juridiction d'instruction^ soit par une juridiction de jugement.
Un jugement ou un arrêt irrévocable des juridictions de juge-
iQent, acquittant ou condamnant le prévenu ou l'accusé,
noettra certainement un terme au sursis. Mais, une ordon-
nance ou un arrêt de non-lieu rendu par une juridiction
d instruction, un arrêt de contumace prononcé par une cour
'•* Mais il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur une demande en divorce,
luslifiée en dehors des témoignages recueillis au cours de Tenquôte, à raison
^^ceque le défendeur aurait porté contre certains témoins une plainte dont
^ résultat, quel qu'il puisse être, ne doit avoir aucune influence sur lasolu*
'OQ du procès : Cass., il juill. 1888 (S. 90. 1. 530).
^* Voy. cette formule employée dans Tarrôt de la Cour de Rennes du
•-juin. 1880 (S. 82. 2. 133). Application intéressante.
452 PROCÉDURB PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
d'assises, un jugement ou un arrêt par défaut non signifiée
personne, auraient-ils le même effet? Ces décisions n'épuisent
pas la poursuite, qui peut toujours être reprise, dans le pre-
mier cas, s'il survient de nouvelles charges, dans le second,
si le condamné se représente ou est arrêté, dans le troisième,
en cas d'opposition de sa part. Mais cette possibilité d'une
reprise d'action ne fera pas obstacle à l'exercice de Taction
civile. Une solution contraire conduirait à prolonger le sursis,
tant que durerait la menace de nouvelles poursuites, c'est-à-
dire pendant tout le délai de la prescription de l'action publi-
que : or, l'action civile, se prescrivant par le même laps de
temps que l'action publique, il en résulterait que l'action
civile serait éteinte, le jour seulement où elle pourrait s'exe^
cer utilement*^
Juridiquement, du reste, les sentences, qui produisent pro-
visoirement la chose jugée, sont, en réalité, affectées, non
d'une condition suspensive mais d'une condition résolutoire, et,
comme tout titre subordonné à une condition de cette espèce,
elles produisent, pendente conditioner tous les effets d'une
sentence irrévocable*'.
C'est là une notion essentielle, que nous retrouverons e^
développerons plus loin à propos de l'autorité de la chos^^
jugée. En effet, la condition de V irrévocabilité d'une décisioi^
judiciaire ne doit être prise, au point de vue, soit de la cessa^ —
*2 Ce motif ne serait peut-être pas déterminant. Ne pourrait-on pas dire ^
en effet, dans ce cas, que l'action civile, engagée devant le tribunal, est:- i
par cela même, conservée, par application de Tadage : actiones quivtcmpor'^'
pereunt semel inclusœ judicio saliae permanent? C'est un point que je il ^^
veux pas examiner. Dans tous les cas, ce serait prolonger indéfiniment L ^^■
sursis, que d'astreindre le tribunal à attendre qu'il nV ait plus possibilité
d'une reprise de l'action publique. La loi n'a pu vouloir ce résultat. U»-^
solution contraire aboutirait à un véritable déni de justice. Dès que les délais
ordinaires des voies de recours sont expirés, il faut considérer le proc^^
comme terminé et lever l'obstacle opposé à l'action civile. Cependant, la coi» ^
de Caen, dans un arrêt du 19 déc. 1898 (S. 1900. 2. 97), a prolongé, à tort,
le sursis après l'arrêt de contumace.
*3 Comp. Bidard, Étude sur t' autorité au civil de la chose jugée au cri^
minel (Paris, 1865), p. 206.
DE l'action civile DEVANT LA JURIDICTION CIVILE. 453
tion du sursis, soit de l'autorité de la chose jugée, que dans
un sens relatif. Il ne faut pas confondre, en effet, la force
exécutoire d*une décision avec son autorité. Si toutes les déci-
sions qui ont force exécutoire sont, en matière pénale, des
décisions qui ont force de chose jugée, la proposition inverse
n'est pas absolument exacte. Il y a des décisions qui n'ont pas
force exécutoire, telles que les arrêts de contumace, et qui
cependant ont force de chose jugée tant qu'elles subsistent '^
206. La règle : Le criminel tient le civil en état, a un carac-
tère d'ordre public, puisqu'elle a pour but de protéger la
compétence respective desjuridictions. Les tribunaux d'ordre
civil, tribunaux de première instance, tribunaux de com-
merce, justices de paix, etc., doivent, en conséquence, sur-
seoir d'office, dès qu'ils apprennent que l'action publique est
intentée et, cela, à quelque moment de la procédure que ce
soit, et quelle que soit Tattitude des parties. Leur droit uni-
que est d*examiner si les éléments spéciaux de cette espèce
de litispendance se rencontrent et si les conditions du sursis
existent **.
** Voy., sur cette distinction, la note sous un arrêt de la Chambre civile de
la Cour de cassation du 7 juill. 1890 (S. 91. 1. 25).
*» Cass., 7 mai 1851 (S. 51. 1. 434); Rennes, 22 juill. 1880 (S. 82.2. 133) ;
Caen, 19 déc. 1898 (S. 1900. 2. 97), et la note.
l
3
là
i
TITRE III
DE L'EXTINCTION DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
CHAPITRE PREMIER
DE l'extinction DE l' ACTION PUBLIQUE.
§ XXXIII. - CLASSEMENT DES CAUSES D'EXTINCTION
DE L'ACTION PUBLIQUE.
207. Double classement des causes d*extinctioa de Tactioa publique. Causes natu-
relles. Causes politiques. Causes communes à toutes les infractions. Causes spé-
ciales à certaines infractions. — 208. Observation générale.
207. L'action publique est éteinte par des circonstances
qui en font cesser la vitalité ou la raison d'être.
I. Ces causes d'extinction sont naturelles ou politiques.
On classe, dans la catégorie des causes naturellesy celles
qui résultent du concept même de l'action : le droit de pour-
suivre cesse d'exister, soit parce que sa force est épuisée, soit
parce que Tobjet même de la poursuite est éteint, soit parce
que Tune de ses conditions disparait. Trois circonstances pro-
duisent cet eCTet : Isl mort de Vinc\x\pé;lsL chose jugée; la pardon
de la partie lésée.
On classe, dans la catégorie des causes politiques d'extinction
de Taction publique, celles qui résultent de circonsts^nces
456 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE-
'extrinsèques à la nature de l'action, mais qui tiennent à cer-
taines considérations de politique criminelle, assurant, à un
coupable, l'impunité. Ce sont : la prescription^ Vamnistiej la
composition intervenue entre les parties intéressées et le délin-
quant.
II. Les causes d'extinction de l'action publique sont, ou
bien communes à tous les délits et, par conséquent, générales,
ou h\Qïi propres à certains d'entre eux, et, par conséquent, spé-
ciales.
Parmi les causes particulières, il nous suffit de mentionner
\di composition ou transaction^ intervenue entre Tadministra-
Uon et le prévenu, en matière de douanes, de contributions
indirectes, de régime postal et forestier, \q pardon de la partie
lésée, en matière de diffamation ou d'adultère.
Les causes générales d'extinction de l'action publique sont:
la mort de l^inctdpé, la chose jugée, Vamnistie, la prescrip-
tion.
208. Nous n'étudierons, dans cet ouvrage, les causes
d'extinction de l'action publique que par rapport à la procé-
dure, c'est-à-dire quant à leur mise en œuvre et à leur
effet».
§ XXXIY. - DU DÉCÈS DE L'INCULPÉ.
209. Le décès de rinculpé éteint l'action publique. Cette règle est absolue. Elle s'ap-
plique sans exception ni réserve. — 210. Conséquence de ce fait extinctif sur la
procédure. Trois situations. Décès avant jugeaient. Décès après jugement, mais
dans le délai des voies dé recours. Décès pendant Tinstance d*appel, d'opposi-
tion, de pourvoi en cassation. «> 211. Le décès du prévenu n'éteint pas faction
tendant à obtenir la confiscation de choses en délit. — 212. Ce mode d*extinction
est personnel et ne profite pas aux complices. -^ Exception en ce qui concerne
Padultère de la femme.
209. D'après la disposition absolue de l'article 1**' du Gode
d^nstruction criminelle : « L'action publique pour l'applica-
tion des peines s'éteint par la mort du prévenu ». On ne fait
§XXXIir.i J'ai examiné, dans mon Traité ihéor. et prat, du droit pénale.
ce qui concerne le fond du droit.
DU DÉCÈS DE l'inculpe. 457
pas de procès pénal au cadavre. On n'en fait pas aux héritiers*.
Cette règle n'admet, dans le droit français, ni exception ni
réserve : 1° Elle est applicable à tous les délits et pour toutes leî^
peines. Notamment, l'action publique, confiée aux administra-
tions fiscales^^en vue de pénalités pécuniaires, amendes, con-
fiscations, est éteinte par le décès du prévenu avant toute con-
damnation définitive*; 2° Elle est applicable devant tous les
tribunaux de répression, de droit commun ou militaires'.
210. Les conséquences de ce fait extinctif de Taction publi-
que doivent être examinées dans les trois situations suivantes,
qui épuisent tous les cas de nature à se présenter.
I. La première, et la plus simple, se présente lorsque le
décès est antérieur au jugement. Si la poursuite n'est pas
engagée, le ministère public ne pourrait la commencer, el,
s'il le faisait, dans l'ignorance du décès, les actes de procédure,
tels que citation, mandat, seraient considérés comme non
avenus : les frais devraient en être supportés^ sans recours, par
l'État. Si la poursuite est engagée, elle doit s'arrêter, à quel-
que moment de la procédure qu'elle soit arrivée, et le tri-
bunal saisi n'a qu'à rayer Taffaire, sans se prononcer sur
l'action ou sur les frais qui restent à la charge de l'État.
A plus forte raison, le ministère public ne peut, en cas de
décès du prévenu au cours d*une instance, appeler les héri-
tiers en cause pour les faire condamner aux frais\ Enfin, si
Je jugement a été rendu dans l'ignorance du décès, survenu
antérieurement, il doit être rapporté, par le tribunal même qui
Ta rendu, sur la demande des héritiers ou du ministère public^
§ XXXIV * Voy. mon Traité théor. et prat,, 2e éd., t. 2, n" 522 et 523.
* Jurisprudence constante et ancienne. Voy. Mangin, op. cit., t. 2, n*279.
Cependant Le Sellyer, Act, pub., t. 1, n? 338, fait des réserves.
^ Sic, Cass., 4 mai 1889 (B. cr., no 170).
* D'anciens arrêts ont dû le décider : Cass., 27 juill. 1834 (S. 35. 1. 75);
3 mars 1836(8.36. 1. 193).
* Il résulte de là que quand une cour d'assises a, dans Tignorance du
décès de Taccusé fugitif, prononcé contre lui un arrêt de condamnation par
contumace, elle doit le rapporter dès que les parties intéressées lui en
adressent la demande : Cass., 25 oct. 1821 (D. J. G., v* Contumace, n'^ 50).
458 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET aVILB.
II. La seconde situation est plus délicate. Le décès se pro-
duit après le jugement ou farrêt, mais avant TeipiratioD des
délais de recours. Si le jugement prononce TacquittemeDl, le
ministère public n*a certainement plus le droit de faire appel
ou de se pourvoir. Son action est éteinte, et s*il fait appel ou
forme un pourvoi dans Tignorance du décès, cette procédure
est considérée comme non avenue par le juge d*appel ou le :
juge de cassation. En cas de condamnation, le décès, surve-
nant avant que le jugement ait acquis force de chose jugée,
anéantit la procédure et le jugement, de sorte que le cou-'
damné meurt integri status^ s'il meurt alors qu'il était dans
les délais pour se pourvoir*.
Une première conséquence de cette situation, c'est que le
jugement ne peut servir de tilre pour le recouvrement des
peines pécuniaires, s'il en a été prononcé, confiscations,
amendes. Les héritiers, en cas de poursuites, opposeraient,
par toutes les voies de droit, notamment en faisant opposi-
tion à la contrainte ou au commandement, l'effet extinctif
du décès se produisant à un moment où Faction publique n'est
pas épuisée\ Il en serait ainsi pour ]es frais. L'exécution de la
décision, même dans celui de ses chefs qui prononce la con-
damnation aux frais, n'est pas recevable quand le titre est non
avenu*.
• C'est l*affirmatioQ très formelle de Mangin, op. cit., t. 2, n" 278, p. 54.
« Si le condamné s*est pourvu par les voies d'appel ou de cassation, ou
sHl est mort dans les délais que la loi lui accordait pour se pourvoir; si le
jugement enfin n'avait pas acquis Taulorité de la chose jugée, son décès anéan-
tit la procédure et le jugement : il meurt integri status ».
' Le tribunal, saisi de la question par voie d'opposition, ne réformerait pas
le jugement ou ne l'anéantirait pas : il constaterait le fait du décès avant que
ce jugement ait acquis force de chose jugée, et il annulerait le commandemeat
qui procède en vertu d'un titre sans efficacité.
■ La question a pu faire doute. Dans sa première jurisprudence, la Cour
de cassation décidait qu'en cas de décès du condamné. avant qu'il ait été statué,
sur le pourvoi en cassation, la Cour n'en devait pas moins statuer sur ce
pourvoi. Voy. Mangin, op. cit.,'i. 2, n» 280, p. 62 et la note du président
Barris que cite cet auteur. Depuis l'arrêt du 2i juillet 1834 (S. 35. 1. 75), la
Cour de cassation est revenue sur sa première jurisprudence. Elle décide,
aujourd'hui, qu'en cas de décès du condamné au cours de l'instance en cas-
DU DÉCÈS DE L^INCULPÉ. 459
Mais le jugement ayant été rendu avant le décès subsiste
omme un fait juridique. Les héritiers ont un intérêt moral
demander son annulation. Il s*agit peut-être d'effacer la
ache que ce jugement imprime à la mémoire du défunt.
)u'ilsne puissent faire appelou se pourvoir eux-mêmes, pour
û poursuivre la réformation ou Tannulation, c'est ce qui
ious semble évident. En quelle qualité, en effet, agiraient-
Is? Au nom du défunt? En leur nom? Qui ne voit Timpos-
ibilité légale d*une telle procédure? Pourraient-ils, au moins,
lemander, par voie de requête, au tribunal qui a rendu la dé-
ision, de la rapporter? Mais le tribunal est dessaisi puis-
[u'ii a statué et que, en Tétat, sa décision a été régulièrement
eadue. Le ministère public est également sans qualité et sans
Iroil pour faire rapporter le jugement, ou pour former une
oie de recours. En sorte que, à la différence du cas où le
écès est antérieur au jugement, rendu dans Tignorance de
et événement, la condamnation subsiste, mais sans effica-
ité, en cas de décès du condamné survenu dans les délais du
ecours*.
lU. La troisième situation suppose qu*une voie de recours
été formée par le ministère public, le prévenu ou l'accusé :
i décès de celui-ci survient en cours d*instance. Il n'est
as douteux que lajuridiction, compétente pour statuer sur le
scours, doit s'abstenir de lé faire, en constatant que le décès
éteint le procès pénal sur lequel elle était appelée à se pro-
OQcer. 1° En cas d'appel, le juge d'appel déclarera que
affaire est rayée par suite de l'extinction de l'action publi-
ue^^;2'' En cas d'opposition, cette voie de recours anéantissant
ilion, il n'y a lieu de statuer ni sur le pourvoi ni sur l'intervention des
entiers puisque la condamnation tombe même du chef des frais. Cass.,
1 janv. 1860 (D. 60. 1. 200); 18 déc. 1862 (D. 63. 1. 112). Voy. Delraas,
^i frais de justice criminelle, p. 480.
* C'est du moins la solution négative à laquelle je suis conduit faute de
ioyens de procédure appropriés.
"^ Voy. Cass., 12 juin 1886 (D. 87.1. 41). La Gourde cassation décide que
rsqueTun des prévenus est décédé au cours de l'instance d'appel, le juge
appel doit déclarer, dans le dispositif de son arrêt, que Taction publique est
einte à l'égard de ce pré venu.
460 PROCéDURB PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE BT CIYILB.
•
par elle-même le jugement, le juge se borne à nUracler sa
décision, sans avoir à statuer sur le bien fondé de roppositico;
3"" L'action publique est également éteinte si le décès survient
pendant l'instance devant la Cour de cassation, soit que le
recours ait été formé par le condamné, soit qu'il ait été
formé par le ministère public. La Cour de cassation doit rap-
porter son arrêt, quel qu'il soit, si elle l'a rendu dans l'igno-
rance du décès ^^ Elle doit ordonner la radiation de Taffaire,
si la preuve du décès est rapportée ^^. C'est que le décès du
condamné, durant l'instance en cassation, ayant pour effetde
rendre impossible l'exécution de la décision attaquée, même
dans ceux de ses chefs, qui prononcent la condamnation à
l'amende et aux frais, il n'y a lieu pour la Cour de cassation de
statuer ni sur le pourvoi qui avait été formé ni même sur
l'intervention, inutile parce qu'irrecevable, des héritiers, si
ceux-ci avaient cru devoir intervenir.
211. Mais le décès du prévenu n'éteint pas Taction publi-
que tendant à faire prononcer, par le tribunal de répression
qui a seul qualité pour le faire, la confiscation des objets en
contravention, à titre de mesure de police. En effet, la con-
fiscation qui ace caractère peut être prononcée, même au cas
où le délinquant est inconnu, à la condition que le délit soit
constant.
L'article 16, § 4, de la loi du 3 mai 1 844, qu'il faut appli-
quer, par analogie, à tous les cas, où la co nfiscation est deman-
dée sans condamnation d'un délinquant, décide qu'elle sera
prononcée sur le « vu du procès-verbal ». Le tribunal est donc
saisi par simple réquisition du ministère public, visant la
«• Voy. Cass., 15 sept. 1871 (D. 71. 5. 51). Il s'agissait, dans l'espèce, d'un
arrôt de déchéance de pourvoi rendu dans Tignorance du décès du deman-
deur en cassation. Dans une autre espèce, il s'agissait d'un arrêt de cas-
sation rendu sur pourvoi du ministère public : Cass., 22 févr. 1890 (B. cr.,
no 45).
" Voy. les arrêts cités à la note 8. Adde, Cass , 21 avr. 4854 (D. 54. 4.
200); 3 août i 883 (D. 84. 1. 382) ; 3 janv. 1885 (B. cr., n« 10); 22 févr. 1890
(B. cr., n« 45).
DB LA CHOSE JUGEE. 461
preuve du délit objectif ou par requête de Tadminislration
fiscale à laquelle la loi a délégué Texercice de Taction publi-
que*'.
212. Le décès de Tauteur priocipal d'un délit n*éleint
l'action publique que vis-à-vis de ce prévenu**. Le complice
n'est pas fondé à soutenir qu*à son égard le délit ne peut être
relevé parce qu'il ne peut l'être à l'égard de l'auteur princi-
pal. La règle de la complicité, délit unique, n'est pas en con-
tradiction avec ce résultat, pas plus que celle de l'extinction de
l'action publique par le décès. Par exception, on admet
généralement qu'en matière d'adultère, le décès de la femme,
survenant au cours des poursuites, éteint l'action publique
à l'égard du complice**.
§ XXXV. - DE LA CHOSE JUGÉE.
213. Notion de la chose jugée. — 214. Questions qui se posent. —
215. Renvoi de ces questions.
213. La chose jugée, c'est le sceau de la justice imposé sur
une affaire pénale terminée. L'examen de la question de savoir
s'il y a chose jugée comprend : l"" la détermination des déci-
sions qui ont force de chose jugée; 2° les effets de la chose
jugée; 3* les conditions nécessaires pour que l'exception de
chose jugée soit admise en cas de nouveau procès.
214. Ces notions ne doivent pas seulement être précisées
<]ans les rapports des juridictions nationales. Il faut encore
examiner l'autorité de la chose jugée par les tribunaux répres-
sifs étrangers, soit au point de vue de l'exécution des jugements
étrangers en France, soit au point de vue de l'autorité de ces
• Voy. mon Traité théor. et prat, du droit pénal, 2© dd., t. 2, n* 455.
*• Jurisprudence constante.
" Sic, Cass., 8 juin 1872 (S. 72. 1. 346); Limoges, 23 févr. 1888 (D. 90. 2.
124). Telle est également la doctrine des auteurs, sauf Blanche {Études sur
le Code pénal, i, 5, n? 93), qui est d'un avis opposé.
462 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
jugements comme fin de noD recevoir à une nouvelle pou^
suite en France.
215. Mais ces divers problèmes 'supposent déjà résolues les
questions de procédure et de voies de recours. Nous en ferons
l'objet d*un chapitre spécial à la fin de cet ouvrage.
§ XXXVI. - DE L'AMNISTIE.
216. Effets de Tamnistie sur Taction et sur la condamnation.
216. L'amnistie, consistant dans Toubli, par le pouvoir so-
cial, du fait délictueux, efface rétroactivement la condamna-
tion, la poursuite et Tincrimination même. Ses effets doivent
être examinés, soit au point de vue de Vaction, si une condam-
nation définitive n*est pas intervenue quand elle est accordée,
soit au point de vue de la condamnation^ dans le cas contraire.
I. Tant que l'action publique n'a pas été épuisée par un juge-
ment définitif, l^amnistie intervenant empêche le procès pénal
ou l'arrête, à quelque période qu'il soit parvenu. Les consé-
quences de cette mesure sur la procédure sont identiquement
les mêmes que celles produites parle décès de Tinculpé *, du
prévenu ou de l'accusé, avec cette différence toutefois qu'au-
cune difficulté pratique n'existe dans le cas où la loi d'amnistie
est promulguée après la condamnation mais avant l'expira-
tion du délai des voies de recours. Le bénéficiaire de la mesure
et le ministère public ont le droit de demander au tribunal,
qui a rendu la décision, de la rapporter, en se basant sur TefTet
absolu et, par suite^ rétroactif delà loi d'amnistie
IL Lorsque l'amnistie intervient après condamnation défini-
tive, celle-ci disparaît rétroactivement avec tous ses effets et
toutes ses conséquences: 1* Elle est rayée du casier judiciaire,
et ne compte plus pour la récidive; 2*" Les incapacités qu'elle
§ XXXVI. * Ainsi, par l'effet de ramnistie, l'action des administrations
fiscales est éteinte, comme l'action publique, au point de vue de la confisca-
tion et de l'amende : Cass., 18 janv. 1902 (S. 1902.1. 248). Conf. Dijon, 3 mai
187< (S. 71.2. 239).
DE LA PRESCRIPTION DE l'aCTION PUBLIQUE. 463
întraîaées disparaisseot, de plein droit, avec rélroacli-
luf respect des droits acquis aux tiers; 3° Le montant
tendes et des frais, payés par le condamné, doit lui être
é^ Mais, à cet égard, Ja loi d'amnistie peut contenir des
liions ou restrictions contraires'.
XXXVII. - DE LA PRESCRIPTION DE L'ACTION PUBLIQUE.
ceptions diverses de la prescription. — 218. Lu prescription pénale est d'or-
blic. — 2i9. Renvoi à un autre ouvrage en ce qui concerne le délai, le
e dé[>urt de ce délai, le régime de Tinterruption etde lu suspension. — 220-
^ de l'accoinplissement de la prescription.
^ La prescription pénale est un moyen de se libérer des
|iiestion est peu étudiée et demande quelques explications. Deux
is sont possiblps : les amendes et les frais n'ont pas été recouvrés au
où intervient l'amnistie jles amendes et les frais ont été, au contraire,
•s. Dans les deux cas, ce qui fait la difficulté, cVst, d^une part, la
:nation en dettes du patrimoine des peines pécuniaires parle fait de
noncialion, et, d'autre part, le caractère de ré[)arations civiles des
justice. Cependant l'amnistie faisant disparaître le délit et ses côn-
es en tant que délit, doit supprimer la cause de l'amende et des
; à l'Ktat et effacer rétroactivement le titre de leur perception. C'est
lotif que les amendes et les frais ne peuvent pas être recouvrés après
e et que, s'ils ont été payés, ils peuvent être réclamés par les inté-
>mmo un paiement fait sans cause. Telle est la solution qui nous
. plus juridique. On admet généralement en pratique que les amen-
teuvent être recouvrées après l'amnistie, même les amendes fiscales,
de n'serves contraires dans la loi. Le Conseil d'État a étendu la même
aux frais : Conseil d'État, 7 mai 1880 (D. 81. 3. 7). Mais l'Instruc-
érale des Finances du l\ juillet 1895, qui consacre celte règle pour
ndes non recouvrées, no paraît pas l'appliquer aux frais de justice.
3 repnisentent, en effet, dit-on, des avances faites par le Trésor;
est, à leur égard, considéré comme un tiers, dont les droits doi-
jours être respectés, à moins d'une stipulation expresse du législa-
ns tous les cas, on soutient que les règles de la comptabilité s'oppo-
restitution des amendes et des frais légalement recouvrés à l'origine,
f^tention a été combattue par M. Batbie, rapporteur au Sénat de la
nistie du 2 avril 1878 (Journ. off. du 26 mars 1878, p. 3308).
Lois d'amnistie du 11 juillet 1880, article unique in fine, du 19 juil.
1. 7, du 27 déc. 1900, art. 2, n«" 1 et 4, du 1" avr. 1904, art. 2.
jurisprudence : Cass.,4janv. 1901 et 1" févr. 1901 (S. 190U 1. 208)
î; lOjanv. 1002 (S. 1902. 1. 248).
1
464 PROCÉDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILS -
conséquences d'une infraction ou d'une condamnation pénale r
par Teffet du temps. Elle constitue ainsi un mode d'exlinc -
lion commun au droit de poursuite et au droit d'exécutioirr
des condamnations pénales.
Sur le fondement de la prescription de l'action publique->rr
deux conceptions opposées dominent Thistoire de rinstitutioQ —
La première voit la raison de la prescription dans Toubli d
délit, lacessation du trouble causé par sa perpétration, et auss
dans la disparition ou Tincertitude des preuves. C'est avec c
caractère que la prescription fut organisée par notre ancieno
législation criminelle : elle s'accomplissait par un délai fermera
de vingt ans, sauf pour certains crimes considérés commet
tellement graves qu'ils furent déclarés imprescriptibles*. La-
seconde conception voit dans la prescription du droit de pour-
suite une sorte de peine contre la négligence de Taccusateur.
C'est d*après cette base que la législation intermédiaire fit
partir la prescription du jour où les magistrats avaient eu con-
naissance du délit et avaient pu poursuivre, et admit, en même
temps, que les diligences de Taccusation et la poursuite avanl
l'expiration du terme assigné à la prescription, interrompaient
sa durée et donnaient un nouveau délai pour obtenir la con-
damnation'.
§ XXXVIL * Sur cette règle que la prescription des crimes avait lieu
par un délai ferme de vingt ans : Rousseaud de la Combe, Traité des tMtiè'
Tes criminelles (4« éd.), p. 301 et 303 ; Jousee, Traité de la justice criminelkt
p. 580 à 586, 600 à 604. Mais nos anciens auteurs fondaient la prescription,
tout à la fois, sur l'inquiétude du délinquant, équivalente à la peine, « l'in-
somnie de vingt ans », et sur le dépérissement des preuves. « Les raisons
qui ont fait adopter ces lois en France au sujet do la prescription du crime,
sont que celui qui a porté si longtemps son crime, et l'inquiétude d'être pour-
suivi, est réputé assez puni ; que pendant ce long temps les preuves qu'un
accusé pourrait avoir de son innocence, seraient dépéries; qu'au contraire
un accusateur peut se servir de ce temps pour pratiquer des preuves ; qu'en-
fin on pense toujours à présumer l'innocence et qu'on regarde comme favo-
rable tout ce qui va à la décharge. » Rousseaud de la Combe, op, et loc*
cit.
» Code des 25 sept., 6 oct. 1791, titre VI, l''^' partie, art. 1 et 2 et Code
du 3 brum. an IV, art. 9 et 10.
DE LK PRESCRIPTION DE L* ACTION PUBLIQUE. 465
Le Code d^instruction crimiaelle est revenu à la première
conception : la prescription a pour raison d'être principale Fou-
3li présumé du délit. Aussi son délai court du jour de la perpé-
tration du fait punissable, malgré l'ignorance du ministère
Dublic. Mais comme tout acte de poursuite ou d'instruction
I pour résultat de rappeler le souvenir du délit, le Code d'in-
truction criminelle a emprunté à la législation intermédiaire
e système d'interruption de la prescription par les actes de
)oursuite ou d'instruction (C. instr. crim., art. 637, 638, 640,
543) '.
218. Relativement à l'action publique, la prescription,
;omme tout autre mode d'extinction de cette action, est d'ordre
)ublic, puisqu'elle est admise et organisée, non dans l'inté-
*êt du criminel, mais dans l'intérêt de la société. lien résulte:
Z" Que la prescription peut et doit être suppléée d'office par
es j uges ; 2** Qu'on ne peut valablement y renoncer ; 3* Qu'elle
ist opposable en tout état de cause, et, même pour la première
ois, devant la Cour de cassation.
219. Quant au délai de la prescription, au point de départ
le ce délai, au régime de l'interruption et de la suspension
ie prescription, nous renvoyons à notre Traité du droit pénaL
3Ù toutes ces questions sont examinées.
220. A qui du ministère public ou du prévenu incombe-t-il
le prouver l'accomplissement de la prescription? On a sou-
3 Je n*ai pas besoin de rappeler que le principe de la prescription pénale
I été critiqué par Beccaria et Bentham (Voy, mon Traité^ 2» éd., t. 2, n°
n9, note 2). Ces critiques sont renouvelées par Técole positiviste (Voy. par-
.iculièrement : Garofalo, La criminologie^ 5* éd. p. 398 à 400) qui propose
le n'accorder la prescription qu'aux criminels démontrant par leur conduite
qu'ils ne sont pas antisociables, « et que le délit n'aura plus l'occasion pro-
3able de se maiifesterpar suite d'un changement survenu dans les conditions
[jui l'avaient déterminé ». Addtf,Ferri, La sociologie criminelle {ira.d. Terrier),
n® 73, in fine f p. 498; Zerboglio, Délia prescrizione pénale (Bocca, 1893),
cbap. I et V; de la Grasserie, De la suppression d'immunités accordées au
coupable (Rev. péniL, 1898, p. 648).
G. P. P. — 1. 30
466 PROCÉDURB PÉNALE. — DBS ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE •
tenu* que la prescription étaot un moyen de libération, Tac—
lion du ministère public était recevable, sans qu'il eût autr^
chose à établir que Texislence du délit : ce serait, dans c^
système, au prévenu poursuivi, à faire la preuve de la^
prescription, s'il prétendait l'invoquer : reus excipiendo fi^
aetor.
Mais cette opinion ne tient aucun compte, soit des base^^
jnêmes de la prescription, soit de son caractère. La prescriptioim
de l'action publique, étant fondée sur l'oubli présumé de Tin^
fraction, après qu'un laps de temps de dix ans, de trois ans ou
d'un an, s'est écoulé depuis sa perpétration, a les effets d'une
sorte d'amnistie : de même que l'amnistie, la prescription
efface le caractère délictueux du fait. C'est pour cela que la
prescription est d^ordre public et n'a pas besoin d'être opposée
par le prévenu comme une sorte d'exception ou de fin de non
recevoir. En conséquence^ le ministère public ne doit pas
poursuivre une infraction prescrite; et le juge, si la poursuite
a eu lieu, doit déclarer l'action publique irrecevable, sans avoir
même le droit d'examiner s'il existe des charges suffisantes
vis à-vis d'un inculpé et si la culpabilité est établie vis-à-vis
d'un prévenu ou d'un accusé'. Tout tribunal de répressioD»
avant de passer à l'examen du fond, est obligé de s'assurer que
le fait dont il est saisi n'est pas couvert par la prescription.
Aussi la constatation de la date, au moins de la date approxi-
mative, est un des éléments essentiels de la prévention, et le
ministère public, dans toute poursuite, n'a pas seulement à.
prouver l'existence du fait délictueux, il faut encore qu'il éta-
blisse que son action a été intentée en temps utile : « depuis
^ Le Seltyer, Traité de l'exercice et de ^extinction des actes pubL et pri'^*^
t. 2, n» U7-2».
* G*est une règle générale que celle qui interdit au juge de se pronon^^^
sur la culpabilité lorsqu'il admet une cause d*extinction de Taction publiq «-^^
De môme, en effet, qu'il ne peut plus condamner Je prévenu ou Taccu^ ^'
puisque l'action publique est éteinte, il n'a pas non plus à le déclarer im ^^
coupable. Ces deux issues du procAs lui sont interdites. Qui non pot^^
condemnare non poteH absolvere, Gomp. Brun de Villoret, Traité théor. ^^
prat, de la prescription en matière criminelle, n« 74.
DE LA PRESCRIPTION DE l'aCTION PUBLIQUE. 467
moins de trois ans », « depuis moins de dix ans »..., suivant
là formule qui est employée dans tout réquisitoire à fin d'in-
foriner ou dans toute citation*.
* Sic, Paris, 19 janv. i889 (S. 89. 2. 64); Lyon, 30 juin 1887 (S. 89. 2.
65). On lira, sur la question, la note qui se trouve sous ce dernier arrêt
(P* 66), avec les références qui y sont rapportées.
468
CHAPITRE II
DE l'extinction DE l'aCTION CIVILE.
§ XUYIII. - DIVISION.
221. Deux groupes d'hypothèses.
221. L'action civile et faction publique ne sont pas abso-
lument liées au point de vue des causes d'extinction. Deui
séries d'hypothèses contraires peuvent être distinguées : l"" Ex-
tinction de l'action publique avec survie de l'action civile;
2* Extinction de l'action civile avec survie de l'action publi-
que.
§ XXXIX. — EXTINCTION DE L'ACTION VJBLIQUE AVEC SURVIE
DE L'ACTION CIVILE.
222. Trois séries de situalions sont possibles. — 223. Chose jugée sur PactioD
publique. — 224. Du décès et de l amnistie. — 225. De la survivaDce de
l'action civile en cas de prescription de Faction publique. Difficultés.
222. Les cas dans lesquels l'action publique est seule
éteinte, l'action civile continuant à subsister, peuvent être
groupés ainsi : 1^ Une première hypothèse se présente quand
l'action publique est définitivement jugée sans que ractioo
civile le soit; 2^ Une seconde, quand l'action publique est
éteinte par une de ces circonstances qui laissent subsister
l'action civile, le décès et l'amnistie; 3"* La troisième, dans les
cas où l'action civile et l'action publique sont solidarisées au
point de vue de la prescription.
223. Le procès pénal peut être terminé par une déci-
sion passée en force de chose jugée : Faction publique, daos
»E l'action publique avec survie de l'action civile. 469
:e cas, est éteinte ou plutôt épuisée. L'action civile qui n'est
:>as jugée, parce qu'elle n'a pas été portée en même temps et
ievant les mêmes juges que l'action publique, subsiste, sauf à
examiner l'influence de la chose jugée au criminel sur la
chose à juger au civil.
224. Il existe deux circonstances où l'action publique
est éteinte sans que l'action civile soit touchée : le e/^c^5 du
prévenu et V amnistie.
I. Le décès du prévenu éteint toute poursuite pénale.
Vu contraire, l'action civile, n'étant que l'exercice de la
;réance en réparation et en indemnité, se transmet active-
Tient comme passivement*.
IL L'amnistie n'a d'etTet qu'en ce qui touche le caractère
lélictueux du fait; mais elle n'etTace pas son caractère dom-
nageable : aussi n'est-elle accordée que sous réserve du droit
les tiers*.
III. La question qui se présente dans ces deux situations
st relative au cas où l'action civile a été portée devant le tri-
)unal de répression, avec l'action publique : cette dernière
ction venant à disparaître par le décès du prévenu ou par
^amnistie, le tribunal de répression peut-il rester saisi de
*action civile? Nous avons signalé les évolutions de la juris-
prudence sur ce point'.
225. L'indivisibilité de l'action publique et de l'action
ivile, au point de vue de la prescription pénale, conduit à
§ XXXIX. * La seule question qui se pose est de savoir si, après le décès du
révenu, l'action civile contre les héritiers est soumise à la prescription pénale,
l'affirmative est admise par la jurisprudence : Cass., 4 déc. 1877 (S. 78. 1.
19). L'article 2 du Code d'instruction criminelle indique, en effet, que la
rescription, établie parles articles 637,638 et 640, s'applique à l'action civile,
lors même que celle-ci est intentée après le décès du prévenu, contre ses
^présentants.
^ L'amnistie transforme, du reste, le caractère de la créance en réparation,
►ésormais, c'est une créance ordinaire^ prescriptible par trente ans. La
uestion est, du reste, controversée.
» Voy. suprà, n* 193, et les notes 21 à 30.
470 PROCEDURE PÉNALE. — DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE.
celte coQséquence, qui résume le système de la loi française,
que Tactioa publique étaal éteiate par la prescription, raciioQ
civile Test aussi. Mais cette solutioQ n*est vraie que sous deui
réserves.
La première se rattache au caractère de la prescription de
Taction civile. 11 n*est pas douteux que la prescription de
TactioD publique, instituée dans Tintérêt général, doit ètre^ à
ce titre, suppléée par les tribunaux, à défaut d'être invoquée
par les parties. En est-il de même de l'action civile, portée,
séparément de l'action publique, devant les tribunaux civils?
La solution qui a prévalu dans la jurisprudence permet à l'au-
teur de l'infraction, poursuivi devant les tribunaux civils, de
renoncer à la prescription et n'autorise pas les juges à sup'
pléer d'office ce moyen \
La seconde réserve est relative au cas où l'action civile est
seule intentée^ séparément devant la juridiction civile : 1^
prescription est interrompue pour l'action civile, mais no^
pour l'action publique; l'assignation devant le tribunal ciri
ne pouvant être considérée, par rapport à l'action publique
comme un acte de poursuite ou d'instruction*.
§ XL. ~ EXTIHGTION DE LAGTION CIVILE AVEC SURVIE
DE L'iCnOH PUBLIQUE.
226. Des trois séries d'hypothèses où ce résultat est possible.
226. L'action civile est seule éteinte, l'action publique coq '
tinuant à lui survivre, dans trois séries d'hypothèses.
D'abord lorsqu'il y a chose jugée sur Taction civile seules
Ensuite lorsque l'action civile s'est éteinte par les mode^
d'extinction ordinaires des obligations, paiement, novation^
* Cette exception à riDdivisibilité des deux actions, au point de vue de la.
prescription, est admise par une jurisprudence qui s'affirme déplus en plus.
Voy. notamment : Casa. 23 janv. 1901 (S. 1901. 1.457) et la note de
M. lissier. Conf. Cass., 19 déc. 1902 {Pand. franc., 1903. 1. 539).
• Voy. Faustin Hélie, op. cit., t. 2, no 1077. Dans ce sens : Gass., 28
juin. 1870. La question eslj du reste, très controversée.
E l'action publique avec survie de l'action civile. 471
3misc de dettes, etc. Quant à la reoonciation de la partie
isée à son droit, elle est ordinairement sans influence sur
action publique. La loi a pris soin de le faire remarquer
I instr. crim., art. 4). Il en est autrement toutefois pour les
élits qui ne peuvent être poursuivis que sur une plainte de
i partie lésée. La renonciation de celle-ci rendrait, en efifet,
ne plainte ultérieure irrecevable.
Enfin, lorsqu'il y a eu transaction sur l'intérêt civil du pro-
^s, l'action civile est éteinte, sans que l'action publique le
Mt(C. civ., art. 2046).
SECONDE PARTIE
DE LA PREUVE EN MATIÈRE CRIMINELLE
)liographie générale. — Bonnier, Traité théorique et pratique-
euves en droit civil et en droit criminel^ 5* édil., rev. par Fernand
ude, 1887. — Benlham, Preuves judiciaires, 1830, 2 vol., in-8o. —
?l. Essai sur la nature des preuves, revu par Solon, 1845. — Faustin.
Étude sur la preuve en matière criminelle {Rev. crit., 1853, p. 396
'.); id.. Traité de l'instruction criminelle, 2« éd., 1866,1. 4, n®» 1758
. — Gisbert, Des moyens de preuve devant les juridictions répressives
oct., Paris, 1893). — Miltermaier, De la preuve en matière criminelle ^
l de rallcmand sur la 3*' édit., avec le concours et les notes de l'auteur,
exandre, 1848, in-8°. — Herbert Speyer, Les règles de la preuve en
jénal anglais {Rev, de droit int. et de légis. comp», 1898, p. 478). —
La philosophie pénale, Lyon et Paris, 1890, p. 424 à 455.
LIVRE SECOND
DE LA PREUVE EN MATIÈRE CRIMINELLE
TITRE PREMIER
DE LA PREUVE CRIMINELLE EN GÉNÉRAL
i XLI. - LA QUESTION DE PREUVE DANS LA PROCÉDURE PÉNALE.
. De l'objet de toule procédure péoale au point de vue de la preuve. — 228.
^érilë et certitude. — 229. L'œuvre de la procédure tend à transformer un sonp-
on en certitude. Des trois règles qui dominent la question de preuve en matière
:riminelie.
227. L'objet de toute procédure est la découverte de la
^iie\ et la vérité, par rapport à la thèse du procès pénal qui
L Vimputation d'wi délits doit aboutir à la démonstration de
culpabilité de Taccusé ou du prévenu. C'est ainsi que se pose
question de preuve en matière répressive. Elle a un doa-
e objet: 1® Rechercher la preuve dans la phase préliminaire
1 procès pénal; 2^ L'administrer dans la phase définitive.
228. En elle-même, la vérité a un caractère absolu^ puis-
l'elie est l'équivalent de la réalité. Mais cette notion prend
i caractère re/a/t/* quand on la considère au point de vue
nos connaissances et de nos perceptions, c'est-à-dire quand
met en rapport les faits de l'ordre physique ou de Tordre
irai que l'on veut connaître et établir, avec les moyens im-
rfaits et faillibles qui servent à les découvrir. Pour l'homme,
quivalent de la vérité, c'est la certitude qui résulte de la
connaissance subjective qu'il en fait. Autre chose est donc
476 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
ta notion de la vérité, autre chose, la notion de la certitude :
la première est objective, la seconde, subjective, La vérité, en
elle-même, est certainement absolue, mais par rapport i la
certitude que nous en avons, elle est relative, et nous la dé-
couvrons lorsqu'il y a conformité entre nos idées et les faits
de l'ordre physique ou de Tordre moral que nous désirons
connaître ^ Prouver^ c'est donc, en considérant cette opéralioQ
au sens général du mot, établir l'existence de cette confor-
mité', et la preuve n*est autre chose que la somme des motifs
producteurs de la certitude'.
229. L'opposé de la certitude, c'est le doute. Le procès
pénal a, pour point de départ, un soupçon, sur lequel se foDde
l'inculpation, et touteToeuvre de la procédure tend à transfor-
mer ce soupçon en certitude. Si ce résultat n'est pas atteint, le
procès ne peut aboutir. En conséquence, on doit poser trois
règles préliminaires qui dominent la théorie des preuves et
qui se réfèrent aux questions suivantes : i*" A qui incombe le
fardeau de la preuve? 2* Quels sont les devoirs du juge si la
preuve n'est pas rapportée? 3* De quels faits est-on admis à
faire la preuve?
I. Le fardeau de la preuve incombe tout entier à l'accusa-
teur.
§§ XLÏ. * Voy. Faustin Hélie, De la preuve en matière criminelle {Bev*
crit. de légis,, 1853, p. 396). « Je vois, dans la cerlitude, a dit Filangieri
{Science de la législation, t. t, p. 343), un état de l'esprit indépendant de
la vérité ou de la fausseté de la proposition sur laquelle tombe cette certi-
tude ». En d'autres termes, la vérité ou la fausseté est dans la proposition;
la certitude ou Tincertitude est dans Tesprit.
2 Miltermaier. op. cit., p. 63.
' Le mot « preuve » a trois sens. Dans le sens le plus général, la preuve,
c'est le procédé employé pour arriver à la connaissance d*un fait. Dans deux
autres significations plus restreintes, c'est tantôt la production des éléments
de décision proposés au juge, tantôt la démonstration acquise de la vérité-
Voy. Bonnier, op. cit,, n* 2. La preuve, suivant le Dictionnaire de VAcaàé'
mie, est « ce qui établit la vérité d'une proposition, d'un fait ». Suivant le
Dictionnaire de Littré : « Ce qui montre la vérité d'une proposition, la ré*"
lité d'un fait ». Dans le sens le plus usité et le plus juridique, on entend p&^
preuve : tout procédé employé pour convaincre le juge de la vérité d'un
fait.
,A QUESTION DE PREUVE DANS LA PROCEDURE PÉNALE. 477
l. Si la preuve n'est pas complètement rapportée, le juge
it mettre définitivement l'inculpé hors du procès.
m. En principe, les faits qu'il s'agit de prouver sont tous
. Faits qui se rapportent à l'existence du délit et à la culpa-
lilé de l'agent.
Je reprends Teiamen de chacune de ces règles.
§ XLII. - LA PREUVE INCOMBE A L'ACCUSATEUR.
I. Dans quel sens la charge de la preuve incombe à Taccusateur. De Tappli-
ation restreinte, en matière répressive, et au point de vue de la preuve, de
adage : reus excipiendo fil actor. — 231. De la preuve des faits négatifs,
ionfusion.
230. La charge de la preuve incombe entièrement à Tac-
sateur qui doit établir l'existence, aussi bien des éléments
)raux que des éléments matériels de Fin fraction. C'est
e règle de raison et de sécurité sociale tout à la fois^ que
exiger de lui la démonstration pleine et entière de la culpa-
\ié de Taccusé. Si donc celui-ci se borne à nier le délit qui
i est reproché ou sa culpabilité, il n^a aucune preuve à
iroir de sa négation : c'est de sa situation qu^on peut dire :
incumbit probatio que dicitj non qui negat; negantis, naïu-
Il ratione, nulla est probatio. Le refus de se disculper est
1 droit pour l'accusé. Mais s*il allègue un fait justificatif,
le cause de non-culpabilité ou une excuse, doit-il, à son
jr, en faire la preuve complète, comme le défendeur, qui,
ns un procès civil, invoque une exception ou une cause
libération (C. civ., art. 1315)?
L'ancien droit, qui avait organisé un système de preuves
^ales, contenait, sur ce point, des dispositions précises et
roureuses. L'ordonnance de 1670 (tit. XX VIII, art. 1 et 2)
lutorisait la preuve des faits justificatifs ou des causes de
n-culpabilité, même de la démence^ qu'après la visite du
ocès, et obligeait l'accusé à les articuler, avec précision,
peine de déchéance*. Aujourd'hui, laccusé peut proposer
5 XLII. * Voy. Muyart de Vouglans, op, cU.y p. 572 et 574.
478 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
ses moyens de défense en tout état de cause': on ne lui
impose même pas Tobligation de se découvrir, au début de
l'instance, et de déclarer s' tV plaide coupable ou non coupable^.
Tous les obstacles de forme apportés à sa défense ont été^
avec grande raison, supprimés.
Au fond même, il faut admettre que la règle : Excipiendo
reus fit actor^ n'a qu'une application restreinte, dans la
procédure pénale. D'une part, le ministère public est tenu
de faire la preuve de toutes les conditions d'existence du
délit et de culpabilité de l'agent et, par suite, de Tabseoce
de causes de justification, de non-culpabilité, d'excuses, etc.
D^autre part^ le caractère social de ce procès oblige les juges
à suppléer d'office aux moyens de défense que le prévenu
n'invoquerait pas. Enfin, le système des preuves morales
qui a remplacé celui des preuves légales, fait de l'intime
conviction du Juge la base de sa décision.
Cette différence essentielle entre la réglementation de la
preuve dans le procès pénal et dans le procès civil se mani'
feste par des applications intéressantes, et dont nous citons
les principales.
Ainsi, l'intention criminelle, lorsqu'elle constitue un élé^
ment de Tincriminalion, ne se présume pas : elle doit être
directement établie par le ministère public\ Cependant il
y a des cas où cette intention est présumée, c'est-à-dire oii le
ministère public n'a pas à l'établir. L'exemple classique
d'une situation de ce genre se présente en matière de diffa-
mation. Lorsque les allégations ou imputations sont elles-
mêmes diffamatoires, l'intention* se présume de droit et
* Sur ce point : Mitlermaier, De la preuve en matière criminelle^
chap. XVII; Bonnier, op. ctï., n» 37.
* C'est là un trait caractéristique des législations anglo-saxonnes basées
sur le système accusatoire, les règles de la preuve en matière civile s'appli-
quent en matière criminelle par suite du caractère contradictoire du procès
entre l'accusateur privé et l'accusé. Voy. Fournier^ Code de procédure cri-
minelle de VÉtat de New-York, p. 111 et suiv.
* Jurisprudence constante. La conséquence, c'est que le jugement de con-
damnation doit qualifier les faits au point de vue de Tintention.
* Mais, pas plus en matière de diffamation qu'en d'autres matières, il ne
LA PREUVE INCOMBE A l' ACCUSATEUR. 479
c'est à celui qui est poursuivi, à prouver que, dans l'espèce,
celle intention n'existe pas*. Cette présomption est Tondée
sur ce motif que toute diffamation implique la volonté cou-
pable et, par suite, supprime la question d'intention \
Eo matière de prescription de l'action publique, c'est au
ministère public à établir que l'action n'est pas prescrite et
que le procès a été engagé dans les délais impartis*.
En cas d'infraction à un arrêté d'expulsion, c'est au minis-
tère public à faire la preuve que le prévenu est étranger,
leitranéité étant une des conditions du délit*.
231. 11 est vrai qu'on a souvent prétendu borner l'appli-
cation de la règle : Onus probandi actori incombit^ au cas où
le demandeur alléguerait un fait positif, la preuve d'un fait
négatif étant impossible. Mais il n'est pas difficile de com-
prendre que toute proposition négative se décompose et
s'analyse en une ou plusieurs propositions affirmatives. La
différence entre une affirmation et une négation consiste
plutôt dans la forme et dans la manière de poser la question
que dans la réalité des choses. L'impossibilité de prouver
un fait négatif est donc chimérique, car il suffit de prouver
le fait positif contraire pour établir le fait négatif.
Ainsi, bien que l'incrimination de vagabondage, soit con-
stituée par la réunion des trois négations : le défaut de
domicile certain, l'absence de moyens d'existence et le fait
^*ut confondre Tintention coupable avec le mobile, par exemple avec Tin-
^ï^tion de nuire. Voy. cependant : noie de M. Chavegrin sous Cass.,
23 oct. 1886 (S. 87. \. 441). Mais réfutation exacte dans G. Le Poittevin,
^- cit, t. 2, n« 730.
^ La jurisprudence est fixée dans ce sens que l'intention coupable est
présumée en matière de diffamation. Cass., 12 févr. 1891 (S. 91. 1. 144);
*S févr. 1894 (S. 95. 1. 252). Voy. la note de M. Villey sous Cass.,
2î^ avr. 1887 (S. 8^ 1.137).
^ Cette thèse est doctrinalement contestable. Le fait d*avoir accompli
'acte matériel du délit n'emporte pas, dans tous les cas et nécessairement,
* intention délictueuse.
• Voy. suprà, n» 220, p. 465.
• Paris, 11 juio 1883 (S. 83. 2. 177). SiCy Hoffmann, Traité des questions
Préjudicielles, t. 2, n*» 448 bis.
480 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
que l*inculpé n*exerce habituellement ni métier, ni profes-
sion, le ministère public établira : le défaut de domicile cer-
tain, en faisant la preuve de Texislence. nomade du prévenu,
c'est-à-dire de son changement incessant de résidence; son
manque de moyens de subsistance, en prouvant son élat
d'indigence; son défaut d'exercice habituel de métier ou de
profession, en prouvant son oisiveté**.
Les faits négatifs à démontrer impliquent donc ici des faits
positifs, et on ne comprendrait pas que le ministère public
fût dispensé de prouver Texistence des éléments qui consti-
tuent rélat de vagabondage, parce que ces éléments sont
formulés négativement parla loi. La difficulté de la preuve
d'un fait négatif ne tient pas à la forme sous laquelle le fait
est présenté, mais à V étendue de l'affirmation ou de la néga-
tion qu*il suppose. Toutes les fois que les faits invoqués sont
indéfinis, la preuve en est difficile, quelquefois même mora-
lement impossible (non quia negativa, sed quia inde/inita)^^.
§ XLIII. — DES DEVOIRS DU JUGE DE RÉPRESSION QUAND LA PREUTE
NEST PAS RAPPORTÉE.
232. LMasuffisance de la preuve amène le renvoi d'instance du prévenu. InstitutioQs
' qui se mtlachent à cette situation. Peine extraordinaire. Diverses espèces d'abso-
*° Voy. cependant en sens contraire, mais par une fausse appréciation
de la théorie des preuves, Aix, 29 déc. 1895 {Joum, min. pui., 1896,
art. 3789); Chambéry, 23 janv. 1896 (S. 96. 2. 205). M. Garçon, sous les
articles 269 à 273 de son Codé pénal annoté (n® 53), parait commettre la
même confusion : « Remarquons, écrit-il, que le ministère public ne peut pas
être tenu de faire la preuve du défaut de domicile, puisque c'est un fait pu*
rement négatif. C'est au prévenu qu'incombe la charge de la preuve en éta-
blissant qu'il a une habitation certaine. Il suit de là que le fait par un indi-
vidu de dissimuler son domicile équivaut à n'en point avoir. Riom, 22 janv.
1862 (D. 62. 2. 201) ». Cette solution, qui dispenserait le miiiislère
public de toute preuve de la vie nomade et vagabonde, par cela seul qu^
rinculpé refuserait de donner des renseignements, serait vraiment trop
commode.
** Voy. Colmet de Santerre, Cours de Code civil, t. 5, n« 276 bis; Garsoi^'
net, op. cit., t. 2, n» 701, p. 492; Aubry et Rau, op. cit., t. VIII, p. 156 ;
Bnnnier, op. cit., t. 1, n® 39.
PRÉSOMPTION l/iNNOCBNCE. 481
lution. Plus amplement informé. — 233. Ces institutions ont disparu. — 234. De
la règle : In dubio pro reo. Critiques faites par l'école positiviste. Réformes à
rebours.
232. L*iDsuffisance de la preuve, de la part de celui qui
est chargé de TadmiDistrer, amène, dans tout procès, le
renvoi d'instance du défendeur. Adore non probante, reus
absolvitnr. C'est surtout en nfiatière répressive que ce prin-
cipe doit être respecté. Toutes les fois que la culpabilité
n'est pas complètement établie, une peine ne serait pas jus-
tifiée. Si telle est, en effet, la règle, dans notre législation,
où la répression a sa base préalable dans une déclaration de
culpabilité, il faut constater combien, dans le développement
historique des institutions, on a eu de peine à y aboutir.
Un double préjugé a retardé longtemps le triomphe de la
justice et de la logique sur ce point.
I. On a été tout d'abord porté à confondre une culpabilité
imparfaitement prouvée avec une culpabilité atténuée. De là,
l'usage de \di peine gracieuse ou extraordinaire. « Les juges,
« dit un de nos vieux agteurs» n'ayant en main, pour la
« preuve du maléfice, autre chose, que des indices et des
(< présomptions^ ores qu'ils soient indubitables et véhéments,
« si ne doivent-ils pas juger à la vraie et dernière peine,
« tout ainsi que s'il y avait des témoins déposant l'avoir vu,
« ainsi doivent incliner à quelque gracieuse condamnation* »»
Ce système a probablement son origine dans la défiance
qu'inspirait, au début, la procédure inquisitoire, défiance
telle, qu'on ne considérait pas comme complète la preuve
faite par ce procédé et que l'on ne permettait pas de pronon-
cer, lorsqu'il avait été employé, la peine la plus grave, mais
une peine inférieure. Plus tard, lorsque la procédure inqui-
sitoire se fut substituée à la procédure accusatoire, l'usage
§ XLIII. * Papon, Recueil d'arrêts (liv. XXIV, tit. VII, art. 1). Jousse,
Traité de la just. crim. (t. 4, n* 8, p. 38), définit les peines extraordinaires,
u d'autres peines moindres, qui s'infligent pour les mêmes crimes, par des
raisons de tempérament et d'équité tirées ou des circonstances particulières
qui rendent ces crimes plus excusables, ou du défaut de preuves suffisan-
tes ».
G. P. P. - T. 31
482 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
des peines extraordinaires persiste, comme une conséquence
du système des preuves légales qui ne permettait point de
condamnation capitale en l'absence de certaines conditions*.
11. L'entière certitude, soit de la culpabilité, soit de la
non-culpabilité, ne pouvant pas être toujours facilement
«cquise, Tancienne jurisprudence criminelle avait établi,
«d'abord, diverses espèces d'acquittement, puis, un moyen
4emie entre l'acquittement et la condamnation : elle graduait
ainsi les solutions du procès pénal sur les divers degrés de
la preuve*. Lorsque la condamnation n'intervenait pas, trois
solutions étaient possibles : VabsoluUon, la mise hors de cour,
et le plus amplement informé.
Vabsoluiion^ était le rejet pur et simple de Taccusation
et donnait à l'accusé le droit d'agir en dommages-intérèls
contre la partie civile. La mise hors de cour et de procès était
une absolution moins complète. « Quand l'accusé n'est pas
renvoyé absous, dit Serpillon', mais seulement mis hors
cour, il ne peut prétendre à des dommages-intérêts, il n'est
* « Cet usage, dit d*Aguesseau dans une lettre du 4 janvier t739, est ud
abus qu'on ne peut tolérer, et que j'aurai soin de réprimer. Ou la preuve
d'un crime est complète, ou elle ne Test pas : dans le premier cas, il n'est
pas douteux qu'pn doit prononcer la peine portée par les ordonnances;
mais, dans le dernier cas, il est certain qu'on ne doit prononcer aucune
peine ». Les juges et les jurés qui, de nos jours, en cas de doute, déclarent
la culpabilité avec circonstances atténuantes retombent dans le même abus.
11 faut toujours se souvenir que la preuve n*admel point de moyen terme :
^ imparfaite, elle n'existe pas. Comp. Bonnier, op. cit., t. 4, n*52. Cependant,
Tar(le (La philosophie pénale, p. 455) ne voit pas un préjugé, mais une vé-
rité, dans cette proposition que « la force des preuves doit se proportionoef
à la gravité du cbùtiment, c'est-à-dire du forfaiL.. ».
' Pour les détails : Bonnier, op. cit., n^ 53 à 57; Esmein, Histoire de la
procédure criminelle en France, p. 2i4; Paringault, Rev. hist., t. 5, p. 408.
L'exposé complet de l'ancienne jurisprudence à cet égard est fait par Jousse,
op. cit., t. II, n*- 83 à 93, p. 556 à 560.
* On ne distinguait pas, dans l'ancien droit, l'absolution de Tacquitte-
menl. Les ordonnances de 4539 et de 4670 emploient toujours rejqpresBioo
d'absolution.
* Code criminel, p. 409. Comp. sur la mise hors cour : Jousse, op. dt.,
part. III, liv. II, tit. XXV, ti« 84; Muyart de Vougians, Lois crimineUes,
liv. II, tit. IV, chap. V, no 1; Merlin, Répertoire, v« Hors de cour, 553.
PRÉSOMPTION d*innocbiiïPb: 463
pas eotièrement lavé ». Enfin, la troisième solution coasis-
jtait à tenir T^ccu^ in reatUy sans statuer sur son sort. C'était
le plus ample informé, institution qui n'était mentionnée, ni
dans Tordonnance de 1539, ni dans celle de i670, mais que
l'usage avait introduit, au cas de preuve imparfaite. Il y
avait le plus amplement informé à temps, qui obligeait
l'accusé à garder prison. Ce temps variait ordinairement de
trois mois à deux ans. Le plus amplement informé usqueguo^
à la suite duquel l'accusé était provisoirement élargi, mais
qui laissait indéfiniment subsister l'accusation. « On le
prononce toujours dans les causes graves, dit Jousse, pour
peu qu'il y ait d'indices contre l'accusé^ ».
233. Toutes ces institutions sont étrangères à noire
temps el à nos mœurs. D'une part, aucune peine ne peut
être prononcée contre un accusé non coupable; et toutes les
fois que certains retours ataviques aux tendances anciennes
^e sont manifestés par la condamnation, en totalité ou en
partie, aux dépens, de l'accusé acquitté, notre Cour suprême
a rélabli les véritables principes, en déclarant que l'accusé
acquitté ne saurait être réputé avoir succombé, aux termes
de Tarticle 368 du Code d'instruction criminelle, sainement
entendu ^ D'autre part, l'accusé acquitté ne peut être repris,
ni recherché à l'occasion du même fait (C. instr. cr.,
art. 360)'. Sans doute, ce principe ne s'applique qu'à la
décision rendue par une juridiction de jugement.
Un arrêt de non-lieu, prononcé par la chambre des mises
en accusation, n'empêche pas de reprendre le prévenu, s'il *
survient de nouvelles charges (C. instr. cr., art. 246), de
• Voy. notamment sur le plus ample informé : Muyart de Vouglans. Instr.
crim., p. 362 et 363; Jousse, op. cit., t. 2, p. 557 et suiv.; Merlin, Répert,,
V* Plus amplememt informé.
' Comp. Gass., 10 janv. 1851. Arrêt rapporté par Bonnier, op. cit., t. 1,
n* 57. Il en est tout autrement en matière d^absolution.
* Le Code de procédure pénale allemand n*a pas reproduit la pratique,
usitée dans divers États, du renvoi de lUnstance ou absolutio ab instantia,
institution présentant une certaine analogie avec lep/u« amplement itiforvsé .
Voy. sur cette institution : Mittermaier, op. cit., chap. LXV.
484 PROCÉDURE PÉNALE. — DB LA PREOVE.
sorte que celui-ci reste in reatu jusqu'à ce que la prescrip-
tion lui soit acquise. Mais il oe s^agit pas encore là d'une
solution du procès, et c'est seulement quand rinstructioo a
suivi toutes ses phases que Taccusé a droit à une décision
définitive, qui ne laisse planer aucune équivoque sur sa
situation. 11 peut exiger de la société une absolution, si sa
culpabilité n'est pas démontrée.
234. La règle que le doute profite à Taccusé — in dubio
pro reo, — exerce son influence, non seulement sur la solu-
tion du procès pénal, mais sur toutes ses phases, et donne
naissance à une série de corollaires. C'est ainsi qu'on met
en liberté le prévenu acquitté durant les délais d'appel et
malgré Tappel du ministère public (C. instr. cr., art. 206);
que l'on compte, en faveur de l'accusé, les bulletins blancs
ou les bulletins illisibles des jurés (L. 13 mai 1S36, art. 4):
qu'on l'acquitte en cas de partage égal des votes; qu'on
donne à la cour d'assises le droit de suspendre Texécution
d'un verdict de condamnation, sans lui reconnaître les mêmes
droits en cas d'acquittement; qu'on admet la revision des juge-
ments qui prononcent une condamnation et qu'on interdit de
reviser les jugements qui prononcent un acquittement, etc.
Toutes ces institutions, protectrices de Taccusé, dérivent
de ridée que le doute doit s'interpréter en sa faveur. Elles ont
été critiquées, comme des progrès à rebours, par les parti-
sans de l'école positiviste, qui ne voient, dans ces garanties
traditionnelles, que des procédés tendant à désarmer la « dé-
fense sociale ».
Les attaques ont porté sur toutes les conséquences tirées,
par les législations positives ou par la jurisprudence qui les
interprète, de la présomption légale d'innocence*.
C'est d'abord l'efTet suspensif de toute voie de recours,
• Ferri, Sociologie criminelle^ n* 73, p. 728 à 741. Voy. également Pu-
gliese, Le procès criminel au point de vue de la sociologie (Actes du CongrH
d*anthrop, crim, de Rome de 4885^ p. 30, et du Congrès d'anth, de ParU de
1889f p. 106 et suiv.). Adde, Rigot, De quelques immunités accordées au
coupable (Tb. doct., Lyon, 1903).
i
PRÉSOMPTION d'innocence. 485
non seulement au poiol de vue de rexécution de la coa*
damnation, mais encore et surtout au point de vue de la
liberté provisoire du condamné qui est maintenue pendant
rappel et le pourvoi en cassation (C. instr. cr., art. 203, §2,
art. 373, § 4); ce serait là une institution qui favoriserait les
malfaiteurs et laisserait les honnêtes gens désarmés ^^.
Ainsi encore, les règles qui présument Tinnocence, même
de celui qui est condamné, constitueraient des garanties
individuelles excessives, sans contrepartie suffisante par rap-
port à Tintérèt public. Par exemple, la cour d'assises a le
droit, quoique la décision du jury ne soit susceptible d'aucun
recours, de surseoir au jugement et de renvoyer l'affaire
devant un nouveau jury, lorsque Taccusé a été déclaré coupa-
ble et que la cour d'assises est convaincue que le premier s'est
trompé au fond. Au contraire, si l'accusé est acquitté, la
cour ne peut méconnaître le verdict, fùt-elle convaincue
que cet acquittement est dû à une erreur du jury (G. instr.
cr., art. 350 et 352).
On critique également le système d'après lequel le sort du
condamné ne peut être aggravé sur son appel ou sur son
pourvoi en cassation. Cette solution est consacrée par la
jurisprudence française, d'après un avis du Conseil d'Etat du
13 novembre 1806.
En cas d'acquittement de l'accusé en cour d'assises, le
pourvoi en cassation du ministère public ne peut avoir lieu
que dans l'intérêt de la loi, sans préjudicier à l'accusé
(C. instr. cr., art. 409). Il en est tout autrement en cas
de relaxe par la juridiction correctionnelle (C. instr. cr.,
art. 413). Ce serait là également une de ces « immunités »
des criminels, dont une législation sentimentale aurait fait
abus.
La revision du procès n'est possible, dans la législation
française, qu'au profit du condamné et non à son préjudice'^
*® Garofalo, Cio che dovrebbe essere un guidizio pénale (Arc/i, dipsichia-
triai l. 3), cité par Ferri, op, cit., p. 495.
'< Il en est autVement dans les Codes de procédure pénale de TAllemagne,
§ 395, de TAutriche, § 355, de la Norvège, § 415. Voy. aussi Fournien
486 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
Pourquoi cette difTérence entre deui situations qui sont la
contrepartie Tune de l'autre, sinon en vue de désarmer la
société?
Enfio régalité de voix dans la décision du jury entraîne
Tacquittement de Taccusé, qui ne peut plus être repris, à
raison du même fait, alors que, s'il avait bénéficié d'une
ordonnance de non-lieu, il se trouverait soumis à une reprise
d'instance, en cas do survenance de nouvelles charges
(C. instr. cr., art. 246 et 247, 347 et 350).
A quelles conclusions aboutissent ces critiques ?
D'abord, au renversement de la présomption d'innocence.
L'école positiviste voit un coupable dans tout individu ijui
est l'objet d'une poursuite. Elle demande qu'on le traite
comme tel. Sans doute, pour le maintien ou le rejet de la
présomption d'innocence, Ferri distingue entre la crimina-
lité évolutive et la criminalité atavique, entre le criminel
d'occasion et le criminel-né, la présomption pouvant être
maintenue pour le premier, devant être rejetée pour le se-
cond. Mais, en admettant l'existence de cette double catégorie
de criminels, la distinction aurait, certes, de l'importance pour
Tapplication et le choix des mesures à prendre, après preuve
et constatation de la culpabilité ou de la nocuilé. Mais com-
ment la faire fonctionner, lorsqu'il s'agit d'établir que l'ac-
cusé soupçonné est bien l'auteur du délit?
Puis, au rétablissement des sentences de plus ample in-
formé, rendues lorsqu'il y a doute, du non liquet. Mais si cette
institution a disparu, c'est qu'elle avait le grand vice de
^faire indéfiniment peser, sur un individu, un soupçon qui
devrait être vidé et de créer une catégorie de parias judi-
ciaires qui ne pouvaient trouver de juges, ni pour les con-
damner, ni pour les acquitter '".
Ces prétendues réformes seraient une régression au lieu
C. proc. pén, de VÉtat de New-York, p. 6, note 3. Gomp. sur la question •
Majno, Délia revisione dei processi penali (Arch. di psiehkUria, etc., 1884,
p. 261).
" Voy. Ferri, Sociologie criminelle, p. 406; Tarde, Philosophie pénale,
p. 450; Carnevale, Certezzaedubio, dans la Rivista pénale, 189â.
FAITS A PROUVER. 487
ua progrès*'. La procédure crimiDelle a'a pas pour seul
unique but la poursuite des malfaiteurs, mais aussi la
rotection des honnêtes gens. Il ne faut donc pas supposer
Lie tout inculpé soit un coupable, mais, il faut admettre,
isqu'à preuve contraire, que tout inculpé est un innocent. Le
inversement de la présomption d'innocence ne se compreo^
rait que s'il existait des signes extérieurs, des stigmates
liysiques, permettant de classer l'inculpé dans une catégorie
nthropologique ou sociologique**. En admettant même
existence de ces stigmates, ce serait donner à de simples in-
ices de criminalité une portée redoutable, en classant a
riori comme dangereux ceux qui en seraient les victimes.
XLIV. - DES CAS DANS LESQUELS IL T A LIEU DE FAIRE LA PREUVE
ET DES FAITS A PROUVER.
15. Dans un procès civil, qu.itre conditions sont nécessaires pour qu'il y ait lie»
(le faire la preuve. Examen du point de savoir si chacune de cea conditions s'ap>
plique au procès pénal. — 236. Les fait:;, môme avoués, doivent être établis en
matière pénale. En d'autres termes, l'aveu ne dispense pas de la preuve; il n'est
lui-même qu'un élément de conviction. — 237. l^a dispense de preuve en matière
de présomption légale. Rôle effacé des présomptions légales dans la procédure
répressive. — 238. La preuve de certains faits peut être interdite. Vérité des faits
diffamatoires. — 239. De la pertinence des faits dont on demiinde à faire preuve
dans la procédure pénale. — 240. En matière de diffamation, le prévenu n'est
pas toujours admis à faire la preuve de ki vérité des imputations. Injure. Ou-
trage. — 241. Distinction, au point de vue de la difTamalioUf entre les faits de la
vie privée et les faits de la vie publique. — 242. De la preuve de moralité. Ad-
missibilité.
Dans UD proccs civil, quatre conditions sont néces-
aires pour qu*il y ait lieu de faire la preuve. Il faut : 1° que
•s faits soient contestés; 2** qu'ils ne soient pas légalement
'3 A ce point de vue, lire les observations de Luccbini, Le droit pénal
l les nouvelles théories (trad. de Henri Prud homme, Paris, 1892), p. 239 à
45.
** Ces réformes se rattachent à la conception, aujourd'hui condamnée,
u criminel-né. Tous les positivistes ne partaient pas, du reste, l'opinion de
érri. Dans ses Principii fondamentali di diritto guidiziario pénale^ le
rofesseur Puglia se montre favorable à la présomption d'innocence eo cas
e doute (p. 22).
488 PEUX:ÉDUR£ PÉSIALE. — DE LA PRECTE.
tenus pour Trais; 3* que la preuve n'eu soit pas défendae;
i* qu*ils soient admissibles. « Eu dehors de ces conditions,
la preuve est interdite ou inutile. Trois d'entre elles sont
prescrites par Tarticle 233 du Code de procédure civile dont
la disfKisition est générale, bien qu'elle n'ait en Tue que la
preuve testimoniale* •>.
Mais ces quatre conditions ne s'appliquent à la procédure
pénale que sous certaines réserves.
236. Au civil, « la partie qui reconnaît tes faits du procès
D*a pas ptus le droit d'en exiger la preuve, que la partie qui
les avance, n'a d'intérêt à la fournir' ». Eq conséquence,
Taveu, lorsqu'il fait pleine foi, supprime, en matière civile,
non seulement la nécessité, mais encore l'ulililé de la preuve^
Il n'en est pas de même en matière pénale. L'aveu est une
preuve, un élément de conviction, voilà tout. Aussi ne dis-
pensc-t-il pas le ministère public de faire la preuve de
l'existence du délit et de celle de la culpabilité. Le procès
ne se réduit pas, après l'aveu, à la seule application de la
peine.
Nous aurons à examiner, au surplus, non seulement com-
ment on fait la preuve de l'aveu, mais encore quelle est la
foi qui s'y attache. Mais il importe de remarquer que lors-
qu'il y a eu aveu de l'accusé, le magistrat français n'est
pas, comme le magistrat anglais, dispensé d'examiner le pro-
cès. L'adage « confessus pro judicato est » n'a pas d'applica-
tion, au sens juridique du mot^dans la procéduri3 pénale fran-
çaise.
237. En matière civile, la preuve des faits, réputés vrais
en vertu d'une présomption légale, est également inutile.
Mais, dans le procès pénal, ce qui concerne, soit l'existence
du délit, soit la culpabilité de l'auteur, doit toujours être
prouvé. Il n'existe pas de présomptions absolues de délits ou
. cit., t. 2, § 092, p. 478.
8 XLIV. * Oarsonnet, op. ciL, t. 2, § 092
« Oarsonnet, op, cit., t. 2, § 693, p. 478.
FAITS A PROUVER. 489
de présomptions absolues de culpabilité. Le rôle des présomp-
tions légales est infiniment restreint en matière pénale.
238. 11 est des faits dont la loi n'admet pas qu*on offre la
preuve. Tels sont les faits diffamatoires, d'après les distinc-
tions .empruntées, par là loi du 29 juillet i88i, à celle du
26 mai 1819 qui voulut, suivant le mot célèbre de Royer-
Collard, « que la vie privée fût murée et la vie publique
livrée à tous les regards ». Celte exclusion de la preuve, en
ce qui concerne la vérité des faits diffamatoires, sera étudiée
dans un paragraphe spécial.
239. Les faits clont on demande à rapporter la preuve
doivent être concluants (C. proc. civ., art. 254), c'est-à-dire
tels que, en les supposant vrais, ils puissent être utiles à la
partie qui les allègue. Cette condition d'admissibilité de la
preuve n'a pas, dans la procédure civile et la procédure
criminelle, une égale importance. D'une part, dans le pro-
cès pénal, tous les faits qui peuvent, de *près ou de loin,
influer sur l'existence de la culpabilité et sur sa mesure^
en un mot sur toute la moralité de l'action, sont concluants
dans le sens légal du mot'. D'autre part, tous les modes de
preuve sont admissibles pour les établir. Cette double con-
statation est le corollaire du concept essentiel qui domine
le système des preuves : la recherche de l'intime conviction
du juge (C. instr. cr., art. 342). (ju'en résulte-t-il? En matière
civile, l'application de l'adage : « Frustra admittitur proban-
dum çuod probatum nonrelevat », commun à toutes les preu-
ves, est abandonnée aux tribunaux, à qui il appartient d'ap-
précier souverainement, quels faits sont indifférents au pro-
cès, quels autres sont de nature à en déterminer la solution \
Il en est tout autrement en matière pénale. Les tribunaux
de répression ne peuveut refuser, sans motifs juridiques, la
preuve qui est offerte par les parties, notamment ils ne peu-
' Millermaier, op. cit,^ p. 67.
♦ Voy. par exemple : Cass., 22 avr. 1890 (S, 92. i. 8); 16 mars 1898
[S. 98. 1. 3921.
490 PROCÉDURE PiNALB. — DB LA PRECVE.
vent refuser d'entendre le» témoins, régulièrement cités, qui
sont produits, soit par le ministère public ou la partie civile,
à Tappui de i^accusation, soit par le prévenu, à l'appui de sa
défense. La valeur juridique des motifs relève de la Cour de
cassation*.
240. En matière de diffamation, le prévenu n'est pas
toujours admis à faire la preuve de la vérité des faits de
nature à nuire à l'honneur ou à la considération qu'il a
imputés ou allégués. C'est dans la loi du 29 juil4el t88l
sur la liberté de la presse que se trouvent les dispositions,
aujourd'hui en vigueur, sur la preuve des faits diffamatoires*.
Ell^s diffèrent peu de celles qui étaient édictées par ht loi
du 26 mai 1819. Le législateur a rejeté un système radical,
aux termes duquel la vérité du fait diffamatoire aurait tou-
jours pu être établie. Il n'a pas davantage admis que la
preuve pourrait être reçue quand le plaignant aurait autorisé-
îe prévenu à la rapporter\ Ces deux solutions lui ont para
également dangereuses ; il s*est attaché, comme la loi de 1819,
à un certain nombre de distinctions, déjà consacrées par la
pratique d'un demi-siècle. -
I. La première est celle de la diffamalion et de l'in/iire.
Elle est capitale au point de vue de l'admissibilité de ta:
preuve. Ainsi qu*on Ta fait remarquer dans l'exposé des
motifs du Code pénal, dont les principes ont été nrmintenus
sous ce rapport, par toute la législation postérieure, Vinjtire
• Voy. notamment on ce qui concerne la preuve par témoins- : Cass.
26 avr. 1884 (fi. cr.^ n» 149); 24 mars 1906 [Gaz. du PaL, n*» du 17 mai
1906).
• Voy. sur cette question : G. Le Poittevin, Traité de la presse^ L 2,
n® 771.
' Bozi'rian, au St'nat, reprenant une proposition, d'abord admise, puis
repoussée par la commission de la Chambre, avait proposé, par voie d*»-
mendement, Tadmiseion de la preuve, quand c'est le diffamé qui la réclame.
Mais la Commission du Sénat rejeta cet amendement. On a dit que la per-
sonne diffamée se trouverait contrainte, s'il en était autrement, d'autoriser
la preuve, ou de reconnaître implicitement la vérité des imputations din>
gées contre elle. Voy. Cellier et Le Senne, op, cit., p. 467.
FAITS A PROUVER. 491
une fois constatée, le prévenu n*a aucun moyen de s^affran-
chir de la peine. 11 ne peut être admis ni à prouver, ni à
dénoncer à Tautorité judiciaire des faits qui ne sont point
précis et qualifiés. Et peu importe, à cet égard, que la per-
sonne injuriée soit un fonctionnaire public. Cette circons-
tance ne permet pas d'échapper à la peine par une preuve
que rend inadmissible le caractère vague de pareilles invec-
tives. Sur ce point, la loi du 29 juillet 1881 ne s'est pas
écartée de la loi de 1819. « L'injure ne renferme de sa nature
rimputation d^aucun fait précis, disait le rapporteur, M. Lis^
bonne. 11 n'y a, dans ce cas, rien à prouver que Tinjure
elle-même ». L'article 35, § 2, pourrait toutefois faire croire
le contraire. 11 y esl dit, en eflet, que « la vérité des impu-
tations diffamatoires et injurieuses pourra être établie contre
les directeurs ou administrateurs de toute entreprise indus-
trielle ». Le législateur admettrait-il donc la preuve de la
réalité de l'imputation injurieuse pour cette catégorie de
personnes, tandis qu'il la repousserait, n'en parlant pas, pour
les fonctionnaires? Ce n'est guère probable. Le paragraphe^
qui forme l'article 3o, § 2, a été ajouté par le Sénat au texte
du projet de la Chambre, et on a perdu de vue, en le rédi-
geant, la prohibition de la preuve de la vérité de Tinjure*.
II. En cas de diffamation^ le système consacré par la
loi de 1881 est le même que celui qui servait de base à la loi
de 1819. S'agit-il de faits diffamatoires, se rapportant à la
vie privée d'une personne quelconque, particulier ou fonc-
tionnaire, jamais la preuve n'en est possible. D'où il suit que
la diffamation est punissable, alors même que les faits
seraient vrais. La loi prévoit et réprime la médisance comme
la calomnie. Mais il en est autrement si la diffamation est
dirigée contre un corps on une personne exerçant une fonc«-
tion, un service ou un mandat publics. La société est alors
intéressée à connaître tout ce qui concerne les actes de ces
détenteurs d'une parcelle, quelque petite qu'elle soit, de
• Voy. sur ce point : G. Le Poiltevîn, op. «X, l. 2, n» 784. Conf. Rouen,
29^déc. 1883 (S. 85.2.141).
492 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
l'autorité publique, en tant que ces actes se réfèrent à l'exer-
cice de la fonction, du service ou du mandat publics. La
preuve du fait diffamatoire sera donc autorisée, et si elle
est rapportée, « le prévenu, aun termes de l'article 35, § 3,
sera renvoyé des fins de la plainte ». La loi de 4881 n'a même
pan reproduit, et à dessein, la disposition finale de l'article 20
de la loi de 1S19 portant que Tindividu qui a fait la preuve
des faits diffamatoires, quand elle est permise, et qui, par
suite, est à l'abri de toute peine, peut, néanmoins, encourir
celles qui sont prononcées contre toute injure qui ne serait
pas nécessairement dépendante des mêmes faits.
m. La preuve de la réalité de Voutrage, qui n'est
qu'une injure ou une diffamation aggravée, quelque chose
qui outrepasse les bornes en fait d'offense, est aussi inad-
missible que la preuve de l'injure elle-même. L'outrage existe
ou n'existe pas, mais il n'y a pas à rechercher s'il était^ en
quelque sorte, mérité. En pareil cas, le délit consiste dans le
terme ou l'acte, dont le prévenu s'est rendu coupable, et non
dans la fausseté ou la vérité de l'imputation.
241. Ainsi, au point de vue de la preuve de la vérité des
faits diffamatoires, deux situations bien distinctes sont possi-
bles.
La vérité des faits diffamatoires peut être établie contre
les corps constitués, les armées de terre ou de mer, les admi-
nistrations publiques, les ministres, les membres des deux
Chambres, les fonctionnaires publics, les dépositaires et les
agents de l'autorité publique*, les citoyens chargés d'un
' Les ministres des culles salariés par rÉtat ne rentrent plus dans la caté-
gorie des personnes publiques depuis la loi des 9*11 décembre 1905, concer-
nant la séparation des Kglises et de TÉtat. Mais cette loi contient une
disposition spéciale, ainsi conçue : « Tout ministre d'un culte qui, dans les
lieux où 8*exerce ce culte, aura publiquement, par des discours prononcés,
des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé
ou diiïamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende
de cinq cents francs à trois mille francs (500 à 3.000 fr.), et d'un emprison-
nement de un mois à un an, ou de Tune de ces deux peines seulement. — La
FAITS A PROUVER. 493
service ou d'un mandai public, temporaire ou permanent*",
les jurés, les témoins, les directeurs et les administrateurs
d'entreprises commerciales, industrielles et Gnancières, fai-
sant publiquement appel à l'épargne et au crédit, toute»
les fois que ces personnes ont agi dans Teiercice de leur
fonclion ou de leur mandat. 11 est indifférent que Taction
civile en diffamation soit intentée, devant la cour d'assises,
accessoirement à l'action publique^*, ou portée séparément
devant le tribunal civiP^; mais elle ne peut être intentée
devant ce dernier que si l'action publique est éteinte par le
décès ou l'amnistie du diffamateur.
Dans toute autre circonstance, qu'il s'agisse d'une per-
sonne non qualifiée, ou qu'il s'agisse d'une personne quali-
fiée, mais diffamée dans sa vie privée, la preuve des faits
diffamatoires est interdite, et cette prohibition s'applique,
aussi bien au cas où l'action est portée séparément devant le
tribunal civil, qu'au cas où elle est portée, avec l'action publi-
que, devant le tribunal correctionnel*'.
vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions,
pourra être établie devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues
par Tarticle 52 de la loi du 29 juillet 1881... » (art. 34).
*® Sur le sens de cette formule, voy. G. Le Poittevin, op, cir., t. 2, n®' 848^
et suiv., p. 437.
*^ La cour d^assises est exclusivement compétente, sauf en ce qui con-
cerne les directeurs et administrateurs d'entreprises financières. Voy. suprà,
nM81,
** Il n*est pas douteux, en effet, que la preuve du fait diffamatoire peut être
faite devant le tribunal civil, pour écarter la responsabilité civile, comme
devant la cour d'assises, pour écarter les responsabilités pénale et civile.
Il ne faut pas oublier, en effet, que c'est exercer un droit que d'imputer à
un personnage public un fait de nature à nuire à sa considération et à son
honneur, à la double condition que ce fait appartienne à la vie publique et
qu'il soit exact. La théorie civile de l'abus du droit dommageable n'a rien à
voir avec celte question. Sur cette théorie, suprà, p. 286, note 18. Adde,
note de M. Josserand, sous Trib. civil de Goutances, 13 août 1905 (U. 1906,
2. 105).
*' Doctrine et jurisprudence constantes : G. Le Poittevin, op. cit,, t. 2,
n* 777; Barbier, op. cit., t. 2, n® 560; p. 102; Fabregueltes, op. cit,, t. 1,
D*> 133, p. 529. Voy. Alger, 27 févr. 1896 (S. 97. 2. 190); Orléans, 14 nov.
i895 (S. 96. 2. 238); Paris, 6 déc. 1890 (S. 91. 1. 190).
494 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
242. L'interdiction absolue de prouver la yérilé des faits
diffamatoires ne s'oppose pas à ce que les tribunaux de
répression accordent au diffamé le droit de faire entendre
des témoins sur sa moralité. Ce droit était formellement
inscrit dans Tarticle 23 de la loi du 26 mai 1819. Si la loi de
1881 n a pas reproduit cette disposition, ce n est pas qu'elle
ait entendu refuser cette faculté au diffamé. Elle a pensé seu-
lement que le droit commun suffisait pour l'admettre. Dans
toute affaire correctionnelle, la partie civile peut, par tous
les moyens de preuve, établir sa moralité et son honorabi-
lité : pour qu*il en fut autrement en matière de diffamation,
il faudrait un texte formel excluant cette faculté. Mais le
droit de la partie civile a une contrepartie* nécessaire dans
le droit du prévenu. Celui-ci pourra citer des témoins pour
fournir des renseignements sur sa moralité, son honorabi-
lité et même sa bonne foi, et le tribunal ne pourra refuser
de les entendre. Mais, cette faculté a une double limite.
D'une part, les témoins de moralité ne doivent pas, sous pré-
texte de donner des renseignements sur ce point, s'expliquer
sur les faits tendant à établir directement ou indirectement
la vérité ou la fausseté des faits imputés. Dans ces termes
aucune question ne peut leur être posée, et ils doivent être
arrêtés lorsqu'ils s'engagent dans cette direction *\ D'autre
part, le prévenu, pour démontrer sa moralité, ne saurait être
admis à faire entendre des témoins contre la moralité du plai-
gnant. S'il en était autrement, on ouvrirait la porte à des
diffamations nouvelles.
§ XLV. — DE LA LOI QUI DOIT RÉGLER L ADMIiNISXRATION
DE LA PREUVE.
213. Double question qui se pose. Conflit d'une loi ancienne et d'une loi nouvelle.
Conflit d'une loi étrangère et de la loi française. — 244. C'est à la loi en vigueur
au moment du procès qu'il faut se référer pour l'admissibilité et la procédure de
la preuve. — ^^ 246. La territorialité de la loi pénale impose aux juges l'obligation
d'appliquer en matière de preuve la loi nationale. — 246. Réserve aux deux points
»* Voy.Riom, 16 janv. 1889 {Joum. des Parq., 89. 2. 140).
LOI QUI DOIT REGLER L'ADMINISTRATION DE LA PREUVE. 495
de vue précédents, lorsque des questions civiles ou commerciales sont soumises
aux tribunaux de répression.
Les tribunaux répressifs ont à se demander quelle,
loi est applicable au procès, soit dans la circonstance où la
réglementation de la preuve a été modifiée par une loi nou-
velle, soit dans celle où figure, au procès, un prévenu de
nationalité étrangère, soit dans celle où un acte passé en
pays étranger a été produit.
244. S*il y a conflit entre une loi contemporaine de
rinfraction et une loi nouvelle qui facilite ou paralyse la
démonstration d*un délit, c'est à la loi en vigueur au
moment des débals que le juge doit se référer.
Cette loi a le caractère d'une mesure d'intérêt général
^ont l'application immédiate ne saurait léser aucun droit
acquis^ 11 n-y a pas de droits acquis contre les moyens
donnés au prévenif ou au ministère public pour manifester
la vérité.
C'est cette même loi qui détermine la marche à suivre, les
formes à observer, en un mot la procédure de la preuve. Les
lois qui 8-occupent de cette réglementation ont pour objet
d'améliorer le mécanisme de l'instruction et de déterminer
le procédé qui conduit le plus sûrement et le plus simple-
ment à la vérité. Le nouveau mode d'organisation qui est
ainsi décrété dans un intérêt public devient obligatoire, pour
les juges, dès le jour où il est mis «n vigueur^.
245. La territorialité de la loi pénale impose aux juges
Tobligation d'appliquer, en matière de preuve, la* loi natio-
§ XLV. * Voy. Bonnier, op^mL, t. 2, n* 927.
* C'est ainsi que l'aTticle 12 de la loi du i" août 4905, en prescrivant
dans l'intérêt de la défense, que toutes les expertises nécessitées par son
application seraient contradictoires, régit, dès sa promulgation, toutes les
poursuites commencées ou non commencées. C'est donc cette loi qu'il faut
appliquer aux procès qui sont postérieurs k sa promulgation. Mais déroge-
t-elle aux principes généraux de la preuve ? Nullement : Trib. corr. Seine,
13déc.l905(D. 4905.2.231).
496 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
nale, que le prévenu soit un étranger, ou que le délit ait été
commis à l'étranger et puisse être poursuivi en France. La
raison est toujours Ja même. Les juridictions criminelles
ne sauraient appliquer d'autre législation que la loi actuel-
lement en vigueur dans le pays où elles fonctionnent.
246. Mais lorsque, à l'occasion de questions civiles ou
commerciales que les tribunaux de répression doivent résou-
dre pour statuer sur la culpabilité, un conflit s'élève cDtre
la loi française et la loi étrangère, en ce qui concerne le mode
et les conditions de la preuve, il faut recourir aux principes
du droit international. La preuve est régie, comme la com-
pétence et la procédure, par la règle : « Locus régit actwn ».
La loi étrangère peut être, suivant les cas, applicable daos
la mesure seulement où elle n'est pas contraire à l'ordre
public français. Mais dès que se présente une incompatibilité
de cette nature, le conflit doit se trancher en faveur de la loi
française.
En matière criminelle également, la règle que la preuve
doit être celle du temps où les faits se sont passés : « Tempus
régit actutn », doit s'appliquer toutes les fois qu'il s'agit de
questions civiles, dont la preuve est rapportée conformément
à leur nature : par exemple, la preuve du mandat ou du
dépôts dans la poursuite de Tabus de confiance'.
• L'Institut de droit international (session de Zurich, i877) a pris, àc«l
égard, la résolution suivante : « L'admissibilité des moyens de preuve
«(preuve littérale, preuve testimoniale, serment, livres de commerce, etc.),
« et leur force probante seront déterminées par ta loi du lieu où s'est passé
« l'acte qu'il s'agit de prouver; ta même règle s'applique à la capacité des
« témoins, sauf les exceptions que les Etats contractants jugeraient raison-
« nable de sanctionner dans leur traité ». Annuaire de l'Institut^ 4* BDoée,
p. 451. Voy. sur ce point : Larnaude, sur Bonnier, Des preuves^ n»933.
497
TITRE II
PRINCIPES GÉNÉRAUX SUR LA RECHERCHE,
L'ADMINISTRATION ET LA FORCE DE LA PREUVE
â XLVL — DES DIVERS SYSTÈMES HISTORIQUES D'ORGANISATION
DE LA PREUVE.
7. La preuve doit être considérée à trois points de vue. — 248. De révolution
historique du système des preuves. Quatre phases. — 249. Les deyx principaux
systèmes, celui des preuves légales et celui des preuves morales, se sont succédés
dans TEurope moderne. En quoi ils consistent. — 250. Origine du système des
preuves légales. — 251. Quatre modes de preuve. Division, soit des preuves du
corps du délit, soit de celles de la culpabilité du délinquant. — 252. Preuve par
témoins. Conditions légales pour que la preuve par témoin soit une preuve com-
plète sous ce régime. — 253. Preuve écrite. — 254. Présomptions. — 255. Indi-
ces prochains. — 256. Indices éloignés. — 257. Ce qui caractérisait le système
des preuves légales dans notre ancienne jurisprudence criminelle. Nécesàité de
l'aveu. Interrogatoire. Torture. — 258. Origine du système des preuves de con-
viction substitué, en France, par l'Assemblée constituante, au système des preuves
légales. — 259. La preuve de conviction est donc née avec le jury* et, à vrai
dire, c'est la « preuve par jury ». Inconvénients de la formule qui en a été don-
née. — 260. Le système des preuves légales a, presque partout, disparu. Légi.*-
l.itions anglo-sasonnes.
247. La preuve doit être considérée à trois points de vue :
1"* Dans les sources d'où elle résulte {éléments de preuve);
2"" Dans son mode de recherche et de manifestation
noyens de preuve) ;
3*" Dans sa valeur démonstrative {force probante).
248. Historiquement, l'évolution du système des preuYcs
:>rrespond assez exactement à révolution du système des
eines. On peut suivre cette évolution dans les quatre pha-
is, que la preuve parait avoir parcourues, la phase ethnique^
► phase religieuse^ la phase légale et la phase scientifique^.
§XLVI. * Cest surtout Ferri qui a signalé, dans révolution du système
^obatoire, les quatro phases distinctes et caractéristiques, à peu près paral-
G. P. P. — I. 32
498 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
La phase ethnique, — pendant laquelle, dans les groupes
prîmilifs, puis dans la cité elle-même, un droit criminel
familial vit côle à côte avec un droit criminel interfamilial.
A rintérienr de la famille, le droit de punir se fonde, à la
fois, sur la légitimité de la correction paternelle, sur rulililé
de l'intimidation et sur U nécessité de la défense sociale.
D'une famille à l'autre, d'un groupe h un autre groupe,
les relations se ressentent de Thostilité primitive. Pas de
culpabilité pour les actes de fraude ou de violence. On s'expose
seulement et on expose sa famille à la loi du talion^. Dans
ce régime, les preuves sont abandonnées à « l'empirisme des
impressions personnelles »'. C'est le flagrant délit qui esl
la forme type de la procédure. Et le flagrant délit dispense
de toute preuve. Il s'agit alors de le constater, de le prolon-
ger, ou de le reconstituer.
La phase religieuse^ — pendant laquelle les sentences sont
rendues au nom des dieux : c'est aux dieux que l'exécution
en est abandonnée dans les cas les plus graves, si bien qu'on
fait intervenir la divinité, le « jugement de Dieu », pour
désigner l'auteur d'un délit, comme on fait intervenir la
•
lèles aux ph?ises successives du systèmo p»Miîil : Sociologie criminelle trad.
Terrier, 1905), n® 70, p. 515. Voy. ëgalement : Tarde, Philosophie pénale^
p. 425, oL surtout, p. i78. « Il existe un lien, écrit M. Tarde, à chacune de?
phases de IVvolulion judiciaire, entre la natur<3 do !a prouve qui donne le
ton aux autres et les caractères que la peine tend à revtMir. J*ai distingué
quatre esp(''ces de preuves qui ont été ou commencent à être en honneur :1e?
ordalies, la torture, le jury, Texpertise scientifique. Or, à la première, corres-
pond une pénalité expiatoire^sx bien que l'offrande d'une victime aux dieux
dispensait parfois d'une exécution capitale. A la seconde, h la torture, cor-
respond une pénalilt* essentiellement intimidante et exemplaire : roue^
écartellement, bûcher, supplices plus atroces que jamais. A la troisième, à
la preuve par la conscience du jury, correspond une pénalité douce et
prétendument correctionnelle. Enfin, à la quatrième, à la preuve par la
science dogmatises, par Texpertise, quelle est la pénalité qui va correspon-
dre? N'est-ce pas une pénalité, avant tout sanitaire ».
^ Voy. notamment en ce qui concerne les anciennes coutumea grecques '-
Gustave Glotz, Études socialea et juridiques sur Vantiquité grecque (Ha-
chette, 1900), p. 3 à 9.
' Ferri, op. et loc. ait.
DIVERS SYSTÈMES d'oRGANISATION DE LA PREUVE. 499
oité pour punir le délinquant. Le jugement de Dieu, ou
ôt y ordalie, c'est-à-dire le jugement par excellence, est
inslitulion universelle*. A un certain degré de dévelop-
lent social et religieux, on est convaincu que le meilleur
en de terminer un litige ou de résoudre une question
culpabilité, c'est d'exposer une au moins des personnes
cause, parfois même les deux, à quelque danger très
ve et de forcer ainsi la divinité à prendre parti pour la
ice. <( Les ordalies, d'après Tarde", sont, en quelque
e, les expertises divino-légales du passé ».
.a phase légale, — où la loi fixe elle-même et d'avance les
?rs moyens de preuve, comme aussi le degré de preuve
essaire ou suffisant pour décréter une peine, m C'est dans
e période que l'aveu du coupable est considéré comme
^eine des preuves ^^, et qu'on emploie, pour l'obtenir, ce
de d'interrogation qui a paru si naturel et si nécessaire
on Ta nommé « la question ».
ja phase sentimentale , — dans laquelle, par un excès opposé,
délivre la conscience du juge et du juré de toute obliga-
i concernant la preuve, en s'en rapportant à son intime
viction, c'est-à-dire à l'appréciation de sa conscience*.
Voy. Glotz, 0/5. cit., L'Ordalie, p. 69 à 97 : « De la France à la Poly-
»% des régions Scandinaves aux extrémités de l'Afrique, il n'est peut*étre
de pays au monde où, pour faire valoir son droit, ou pour faire recon-
re son innocence, on ne se soit soumis à unp épreuve mortelle. Épreuve
l'eau chaude ou de l'eau froide, épreuve du feu ou du poison, il n'im-
e... L*idée qui se manifeste dans cette procédure redoutable et sacré»*
clairement visible dans un rite préliminaire. Au moment suprême, ceux
demandent au ciel d'intervenir, celui-là surtout dont le mrps va être
à l'épreuve, font une prière, appel direct et formel à la divine provi-
ce. Dans les sociétés où le sacerdoce appartient à une caste, c'est
mme de Dieu qui s'avance pour l'invocation solennelle... Dans les socié-
qui n'ont pas de caste sacerdotale, c'est le f»alient ou la patiente qui se
d'une formule analogue. » Voy. Kovalewsky, Coutume contemporaine
'oi ancienne, p. 397, 398. Pour d'autres références : suprà, p. IT», note 6.
Philosophie pénak, p. 426. Tarde ajoute : Les ordalies « correspondent
phase mythologique de l'esprit humain, comme nos expertises actuelles
imencent à correspondre à sa phase scientifique qui débute à peine ».
Tarde (op. cit., p. 427) voit, dans ce système, la conséquence d'une
500 PROCÉDURE PÉ5ALE. — DE LA PREUVE.
La Illicite ycitnlifique, — dans laquelle la preuve par excel-
lence H;ra fouruie par V expertise et aura pour but la recher-
che et l'appréciatioo méthodiques des données eipérimentales
de nature à établir leiistence des faits délictueux et des
divers facteurs individuels et sociaux qui Tont produit. L'ex-
pert deviendrait le successeur du juré, et la direction scien-
tifique de la preuve consisterait à étendre, régulariser, per-
fectionner et consacrer les fonctions judiciaires de Texpertise..
C'e^t à la troisième phase que se sont arrêtées les législa-
tions actuelles, avec une tendance, de plus en plus marquée
dans la pratique judiciaire, à utiliser les moyens scientifiques
pour arriver à la découverte prompte et sûre des criminels
et à diminuer le nombre effrayant des crimes impoursuivis
et des criminels ignorés'.
a autre superstition, la foi optimisle à rinfaillibilité de la raison indiW-
ïjij'îlle, du -jens commun, de Tinstincl naturel.., >». Il appelle la preuve morale
« \'i preuve par le jury >», « la révélation présumée du vrai par la conscience
non ♦M;îain'e el non misonnante d. » La preuve par le jury méritait d'élre
pr^-conisée, ajoute-t-il, en un siècle où le verdict du sens commun, regardé
comme la j/u-rre de louche de la vérité, servait de fondement non à la phi"
losoplii»' purt-ment écossaise seulement, mais à toute philosophie, et suggé-
rait i'U France le dogme de la souverain lé populaire ».
^ L'un de c«'S procédés sci»*nlifiques, celui qui a rendu le plus de ser-
vices à la découverte, soit de Tidentilé des prévenus, soit de leurs anté-
cédents, est le système de ranlhropométrie criminelle. La prenaière idée de
ce procédé est due à Ouetelel, directeur de l'Observatoire et secrétaire per-
pétu»'l de TAcadémie royale de Belgique, qui, en 1871, publia l'ouvrage
intitulé : Anthropométrie ou mesure des différentes facultés de Vhamme.
CetttM'lée fut appliquée el utilisée par M. Alphonse Bertillon et le procédé
d'identificalinn qu'il a inventé et qui a eu une si grande fortune porte
aujourd'hui le nom de son auteur, c'est le Bertillonage. Ce procédé a été
inauguré, au I)«'-pôt de Paris, en 1882. Des circulaires ministérielles élen-
dinMit la nouvelle méthode d'identification à toutes les prisons de la France,
rapplif|u<Teiil à tous les individus incarcérés (sauf les personnes arrêtées
pour motifs politiques, celles incarcérées à la requête des familles, celles
dont la notoriété publique est incontestable, les condamnés de simple po-
lice, pour délits de presse ou politiques : Cire, du 23 mars 1897) et organi-
sèrent la centralisation, à Paris, de toutes les fiches signalétiques dressées
dans les diverses prisons. Le système d'identification anthropométrique 3e
M. Bertillon est actuellement adopté par tous les États de l'Europe, à l'ex-
ce|»tion d«' la Turquie. L'application de la photographie et du portrait parlé
DIVERS SYSTÈMES d'ORGANISATION DE LA PREUVE. SOI
249. Les deux principaux systèmes de preuve : celui qui
n'est plus qU'un souvenir, le système des preuves légales;
celui qui est actuellement en vigueur, le système des preu-
ves morales, se sont succédé dans l'Europe moderne. Ils
s'opposent l'un à l'autre comme deux types contraires.
Le premier consiste, non seulement, à organiser les moyens
de rechercher et d'établir la culpabilité, ce qui est indispen-
sable dans toute loi de procédure, mais à la tenir pour
démontrée par la réunion de circonstances dont le concours
entraine forcément la conviction du juge, et, en l'absence
desquelles il doit se déclarer non convaincu. Le second con-
siste à prouver un fait par tous les moyens propres à en
établir l'existence, et à laisser le juge entièrement libre de
déclarer que sa conviction est faite ou qu'elle ne Test pas.
Aucune règle légale ne pouvant mesurer à J'avance la
valeur de chaque preuve, la libre impression laissée, dans
la conscience du juge, par l'instruction orale et contradic-
toire, eq un mot par Vintime conviction^ tel est le seul critère
qu'une législation doit reconnaître quand elle a confiance
dans les juges qu'elle institue'.
est un complément précieux du signalement anthropom(^trique. Voy. Bertil-
lon, La photographie judiciaire (Paris, i890); Gross, Manuel pratique
d'instruction judiciaire (trad. de Bourcart et Wintzweiller, 1809), t. 1,
p. 280 à 316; Reiss, La photographie judiciaire (Paris, 1903). Voy. égal.
Rev. pénit., 1904, p. 1243. Ferri a recommandé Tusage du sphymographe
pour connaître, d'une manière positive, par le tracé de la circulation du sang,
les émotions internes du prévenu, malgré son impassibilité apparente (Expé-
riences de laboratoire faites p\r Lombroso, Uomo delinquente, 5® éd., p. 328
et 329, p. 601 à 610), lemploi de l'hypnotisme comme révélateur de la vé-
rité, Tusage de la sténographie pour recueillir les débats, etc. Sur Tutilisa-
lion des moyens scientifiques pour prouver le délit : Tarde, Philosophie
pénale^ p. 450 et 451. Voy. du reste, infrà, § XL. La criminalistiquc, n« 290
et suiv.
• Ferri a beau qualifier ce régime d'une épithète qui tend à laisser croire
que le législateur fait du « sentiment » en l'organisant : à moins de le rem-
placer par un système de preuves légales, scientifiques, c'est-à-dire de
substituer Vexpert au juré, on ne voit guère quel système pourrait le rem-
placer. « Il n'y a pas de loi, dit Faustin Hélie, qui puisse commander ou
réj^ler la certitude; elle est, comme la pensée, essentiellement libre et indé-
502 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
Mais il est nécessaire de poser des règles légales pour
déterminer, soit les procédés de recherche des preuves dans
rinstructioti préparatoire, soit les procédés d'administration
des preuves dans Tinstructioa définitive. C'est à l'étude de
cette double réglementation que se ramène, aujourd'hui, du
moins en principe, la théorie des preuves en matière crimi-
nelle.
Ainsi, l'autorité pénale est libre, pour former sa convic-
tion, de croire ou de ne pas croire à la preuve fournie, mais
elle est assujettie à des règles fixes dans la méthode à em-
ployer pour rechercher, recueillir et administrer la preuve.
Tels sont les deux principes que nous allons développer.
250. Le système qui consiste à prouver un fait judiciaire,
comme un fait de toute autre nature, en recherchant, sans
plan préconçu et sans entrave, tout ce qui peut l'établir, est
le système le plus naturel, car il se rapproche de la marche
que nous suivons instinctivement pour découvrir la vérité*.
La procédure romaine, si formaliste sous tant de rapports,
s'adaptait, en ce qui touche la preuve, à ce concept naturel,
et, jusqu'au Bas-Empire, les règles qui, ailleurs, enchaînaient
la conviction du juge, étaient à peu près inconnues *°.
pendante de tout pouvoir extérieur ». Du reste, dans la question du rt^gim^
de la preuve, se trouve engagée la question du jury, ainsi que Tarde U
démontré dans sa Philosophie pénale y p. 435 et suiv. LVminent crirainaliste,
que je viens de citer, qui est un admirateur du jury, est aussi le dé-
fenseur convaincu de ce régime de preuve. Voy. Instr, cr., t. 4, n*" 1771
à i774.
® Voy. Bentham, Preuves judiciaires, liv. I'"'', chap. III.
*" On a souvent cité, sur ce point, un rescrit d'Adrien rapporté dans li
loi 7, ^ 1, Dig., De testib. : <* Qux argumenta et adquem modum probandae
cuique rei sufficiant, nullo satis certo modo definire potest. Sicut non semper,
ita sœpe sine publicis monumentis cxijusque rei veritas deprehenditur. Alids
nvmerus testium^ alias diynitas et auctoritasy alias veluti consentiens fama
confirmât rei, de qua queritur, fidem. Hoc ego sotum tibi rescribere pos-
8um summatim, non utique ad unam probationis speciem cogniti(fnem sta-
tim alligan dehere; sed ex sententia animi tui te œstimare oportere, quid,
aut credas, aut parum probatum tibi opinaris. » La théorie des preuves
légales se trouve cependant en germe dans les écrits des jurisconsultes. Voy.
DIVERS SYSTÈMES d'OROANISATION DE LA PREUVE. SOS
lais ce régime de preuve parait incompatible avec I*esprit
juges de profession. Le développement du système con-
ire, a coïncidé, en effet, partout, avec l'apparition et le
>grès de l'institution de juges professionnels et perma-
ils*'. Aussi le voyons-nous prendre naissance au Bas-Em-
e, lorsque l'abolition de l'ancien vrdo judiciorum eut atlri-
é au magistrat le pouvoir judiciaire tout entier. H réparait
se développe, dans l'Europe moderne, à partir du jour où
juristes remplacèrent les hommes jugetirs^^. L'ordonnance
niinelle de 1670 ne contenait point l'e&posé des règles
nutieuses et compliquées du système des preuves légales :
théorie en avait été faite par la doctrine, et elle avait fini
's'imposer à l'égal de la loi. Aux xvi'' et xvu" siècles, le
tème était complètement arrêté, et il subsista tant que dura
procédure inquisitoire. Il importe d'en exposer les grandes
nés, en prenant pour guide les auteurs qui ont écrit sur
:re ancien droit criminel dans le courant du xvm° siècle *'.
251. Les quatre modes de preuves que nous distinguons
:ore aujourd'hui : ïaveu ou preuve vocale, les témoignages
preuve testimoniale, les écrits ou preuve instrumentale,
les présomptions ou preuve conjecturale, étaient alors
ssés et hiérarchisés suivant leur importance. On recher-
stin Helie, op. cit., p. 40.'J. Un consultera égalemenl le Happortfail par
ic. comU; ï*orlalis à J 'Académie des sciences morales et politiques sur
X rnc'iiioires traitant de la preuve en matière criminelle (Rev. de légis, et
jnriapr,^ 18 40).
' Voy. sur ce [»oirit : Bonnier, op. cil,, n<» 131; Esmein, op. ciï., p. 260
%{. "
■ Il importe de rfmanjuer, du resle, (jue, dans l'institution des cojura'
*s et la coutume d«?5 éjireuves judiciaires, on trouve les premiers germes
il preuve légale. Voy. Faustin Hélie, Instr, cr,, t. 4, n** 1764.
' Nolammont, Muyarl de Vouglaos qui a consacré à la théorie des preu-
la hixième partie de ses Institiites au droit criminel j p. 303 à 354. Gomp.
sse, op. cit., t. 1, p. or/* h 837. Mais en dehors d'un ex-f)Osé des règles
les, on trouver;!, dans les écrits des légistes des xvii* etxvni" siècles, les
réciations d'une philosophie et d'une psychologie des plus fines et
plus vraies sur les aveux, les témoignages, les indices. C'est de la bonne
:hologie judiciaire.
50i PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
chait, avant tout, une preuve complète^ qui seule permet-
tait de prononcer une condamnation capitale; car c'est là
le type de procès que Ton suppose toujours, les crimes capi-
taux constituant, suivant nos anciens auteurs, le fond même
du droit pénal *\ Pour les accusations moins graves, on se
relâchait, en effet, des exigences du système.
Les crimioalistes du temps avaient finement analysé et
décomposé, la marche logique qui consistait à démontrer,
pour arriver à la conviction de Taccusé, ces deux choses : la
réalilà du crime, la culpabilité A% Tauteur,
I. Établir le premier point, c'était rechercher et constater
le corps du délit ".
On distinguait, à cet égard, deux sortes d'infractions.
Les premières étaient celles qui laissent des traces matériel-
les, « delicta facti permanenlis », telles qu'un homicide,
un incendie. Dans ce cas, le premier devoir du juge était de
constater ces traces. Il le faisait, soit par lui-même, en dres-
sant des procès-verbaux de constat, soit au moyen de rap-
ports de médecins, chirurgiens et experts**. L'ordonnance de
1670 avait soigneusement réglé cette matière*-, et, ce qui
peut paraître étonnant, c'est que la jurisprudence reconnais-
^* La plupart des crimes étaient punis ou pouvaient être punis de la
peine capitale. « Comme il nV a aucune loi, disait Poullain du Parc, op, cii.,
t. li, p. 112 et 113, qui puisse autoriser la peine de l'innocent, il faut,
sur quelque crime que ce soit, une preuve complette, pour prononcer une
peine capitale, et cette preuve ne peut être faite que dans les formes pre-
scrites par la loi... » El ailleurs, p. 116 : « Dans les accusations qui ne sont
pas capitales, il est évident qu'il ne faut pas des preuves aussi fortes...
Mais lorsqu'il n'y a que de forts indices, leur force ne peut déterminer
qu'à des peines pécuniaires, si le juge ne se porte pas au irenvoi quousquc^
c'est-à-dire au plva amplement informé, » Conf. Jousse, op, cit., t. 1»
n»» 432 et 433, p. 833.
'* Voy. Muyart de Vouglans, Jns^, p. 508.
*• L'inspection du corps du délit par les hommes de l'art est d'un usage
Ir^s ancien. V^oy. Esmein, op, cit., p. 267; Edmond Locard, La médecine
judiciaire en France au xvii« siècle (Th. doct. méd. Lyon, 1902), passtm.
*' Tit. IV et V. Le tit. IV, intitulé : « Des procès-verbaux des juges »;
Je tit. V, « Des rapports des médecins et chirurgiens ».
DIVERS SYSTÈMES d'oRGANISATION VE LA PREUVE. 505
sait à Taccusé le droit de demander une contre-expertise**.
En principe, aucune autre preuve, en dehors des constats
par le juge ou par experts, n'était admise pour établir le
corps du délit, sauf dans des cas exceptionnels où il était
impossible de procéder ainsi*'. Kt on en concluait que Taveu
de l'accusé ne faisait preuve contre lui que si le corps du
délit avait été précédemment établi par d'autres moyens".
Les infractions de la seconde espèce étaient celles qui ne
laissent aucune trace durable, « delicta facti transeuntis »,
par exemple les injures verbales. Dans ce cas, la preuve du
corps du délit ne pouvait être séparée de la preuve de la
culpabilité. Elle ne se faisait donc pas distinctement et préa-
lablement.
II. Les preuves, dans leur emploi à la démonstration de
la culpabilité, étaient classées, suivant leur degré d'énergie^
en preuves complètes^ en indices prochains^ en indices éloi-
gnés. Le juge devait se borner à spécifier les aveux, les
témoignages, les présomptions et les indices, c'est-à-dire les
éléments de preuve qui se rencontraient dans la cause :
chacun de ces éléments avait, suivant les circonstances, une
valeur légale; et cette évaluation s*imposait au juge, quelle
que fut sa conviction personnelle.
La preuve par témoins était considérée comme la
preuve par excellence au criminel ; mais, pour être complètCy
elle devait remplir certaines conditions, difficilement réali-
sables : 1* Il fallait d'abord qu'on pût trouver deux témoins
idoines, déposant du même fait^*. Sans doute^ un témoignage
** L'accusé « peut demander la permission de faire faire une contre-visite
a ses frais par d'autres chirurgiens, ce qu'il obtient aisément sur sa requôle,
pourvu qu'elle soit présentée peu de jours après la première visite ».
Muyart de Vouglans, Inst., p. 226.
*• Voy. Muyart de Vouglans, InsL, p. 308 et 309 et Poullain du Parc^
op. cit., l. 11, p. 81.
2^ Voy. Jousse, op, cit., t. 1, n° 20. p. 661. G*est encore le système du
]]odede procédure pénale de New-York, §395 (Trad. Fournier, note, p. 218
ît 219).
** C'était une règle de tradition : « leatis unus, testis nullus d ou, comme
S06 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
isolé n'était point considéré comme sans valeur, mais il ne
permettait pas d'asseoir une condamnation capitale". 2' Il
fallait, en ouire^ que les deux témoins fussent des lémoios
oculaires. Les témoins par ouï^dire [lestes ex auditu aliem\
ceux qui déclaraient « avoir entendu les menaces de Taccusé
et les cris d'un mourant » [testes ex auditu proprio)^ ceux
dits testes ex parte accusatif qui affirmaient avoir reçu de
Taccusé Taveu de son crime, ne pouvaient, quel que fût leur
nombre, former une preuve complète. 3° Les témoins de-
vaient être affirmatifs. S'ils s'exprimaient sous celte forme
dubitative : « Si je ne me trompe... » « Si je m'en souviens
bien... » « 11 peut se faire », ils étaient dits vacillants^ et
leurs déclarations n'avaient même pas la valeur d'un indice.
i"" Les dépositions devaient être identiques dans les trois
interrogatoires subis par les témoins, au début de l'informa-
tion, au récolement et à la confrontation. 5"^ Enfin, lestémoios
ne devaient être, ni reprochables^ ni reprochés, A ce point
de vue, l'ancienne procédure, tout en cherchant à entraver
Pusage du droit de reproche, en avait multiplié el même
exagéré les causes.
Deux témoignages parfaits, quand ils se rencontraient,
entraînaient inévitablement la condamnation, car ils en-
chaînaient la conviction du juge*'.
253. Après la preuve testimoniale, venait la preuve écrite^
plus rare évidemment que la première. Les juristes, après
disait Loysel : u Voit d'un, voix de nun ». Paul Viollel, dans son Histoire
du droit ciril français (Paris, 1893), p. 30, a démontré que cette règle qui
c< a dominé toute la matière des témoignages et des enquêtes pendant lout le
moyen iige el jusqu'aux temps modernes », dérive incontestablement de
rÉvangile. Elle est formulée dans saint Jean et dans saint Mathieu (S.
Jean, vin, 17). « \ii nous pouvons affirmer, ajoute Viollel, que cette règle
des deux témoins, constante au moyen âge, conservée au xix* siècle dans
quelques législations des Ktats-Unis d'Amérique, est d'origine hébraïque ».
*^ Jousse, op. ciLf t. 1, p. 663^ et 695.
22 Jousse, op, cit.f t. 1, p. 673. La preuve <i que l'on regarde comme la
plus certaine est celle qui résulte du lémoignage de deux ou de plusieurs
personnes qui ont vu commettre le crime ».
DIVERS SYSTEMES d'oRGANISATION DE LA PREUVE. S07
quelques hésitations, avaieat fini par reconoaitrc que ce
mode de preuve devait être employé dans certains crimes
qui ne peuvent guère être établis que par écrit, « parce
qu'ils consistent principalement dans la pensée, tels que
l'hérésie, la confidence, la conjuration envers le prince, l'u-
sure, la subornation de témoins »; et que, pour d'autres,
tels -que le Taux, la preuve testimoniale et la preuve instru-
mentale pouvaient concourir. Mais, dans tous les cas où
récriture était admise, pour qu'elle formât une preuve com-
plète^ il fallait : l"" qu'elle fût précise sur le fait du crime;
2° qu'elle fût authentique, ou, si Técrit était sous signature
privée, qu'il fût reconnu par l'accusé. Jamais une vérification
d'écriture ne pouvait fournir une preuve complète. On se
défiait, avec raison, de Fart si conjectural des experts en
écritures".
254. La preuve complète pouvait encore être fournie par
des présomptiom^ considérées comme invincibles, pourvu,
bien entendu, que les faits, sur lesquels elles étaient basées,
fussent eux-mêmes régulièrement établis". Dans ce cas,
des indices, conduisant à des conjectures, étaient doués d'une
force de conviction irrésistible.
H était généralement admis que Vaveu ne formait pas une
preuve complète : Nemo audilur perire volens. W fallait que,
à la confession, s'ajoutassent des indices prochains ou la dépo-
sition d*un bon témoin ^\
-* Au point de vue conjectural de l'art des experts en écritures, nos an-
ciens auteurs sont unanimes. Voy. Muyart de Vouglans, op, cit., p. 330;
llousseaud de Lacombe, Matières criminelles^ p. 371. Cfr. Poullain du Parc,
t. 11, p. 191 el suiv.; Jousse, op. ciU^ 1. 1, p. 743.
-* En voici un exemple qui nous est fourni par Muyart de Vouglans (op.
cit,, p. 346) : « Lorsqu'en fait de meurtre, deux témoins irréprochables
déposent avoir vu l'accusé, qui avait Tépée nue et ensanglantée à.la main,
sortir du lieu, où, quelque temps après, le corps du défunt a été trouvé blessé
d'un coup d'épée >'. Toutefois, cet indice est très [>jrochain, très véhément,
mais non pas manifeste, car on pourrait établir qu'il y a eu suicide, par
exemple.
^^ On lira dans Hsmein, op, cit., p. 272 à 275, les discussions qui avaient
eu lieu, entre nos anciens auteurs, sur cette question de l'énergie de l'aveu
508 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
. Les indices prochains^ appelés, par quelques juristes,
des demi-preuves, ne pouvaient, par eux-mêmes, motiver
la condamnation capitale de l'accusé. Mais ils formaient, en
s'ajoutant à Taveu volontaire ou forcée une preuve complète.
Le principal effet des indices prochains, dans les accusations
graves, était donc de permettre Tapplication de la question,
de sorte que la théorie d'après laquelle une condamnation
capitale ne pouvait être assise que sur une preuve complète,
théorie, en apparence si favorable à Taccusé, aboutissait à
rendre la torture presque inévitable : la question « devenait,
comme on Ta dit, le complément indispensable de ce système
de preuve*^ ».
Les faits, constituant des indices prochains, furent toujours
laissés, par les ordonnances, à l'arbitraire du juge. Cepen-
dant, certaines règles avaient été tracées par la jurispru-
dence. Ainsi, parmi les demi-preuves, figurait d'abord la
preuve testimoniale ou écrite imparfaite, la déposition d'un
témoin oculaire unique, ou une écriture vérifiée par expert,
ou Paveu extrajudiciaire de Taccusé, lorsque, dénié par lui,
il était attesté « par deux bons témoins ». Puis, les présomp-
tions fondées sur les indices, soit généraux, soit spéciaux à
certains crimes.
256. Tous les indices prochains permettaient, en principe,
l'application de la torture. Cependant, pour un assez grand
nombre de cas, il fallait y joindre tout au moins un indice
éloigné. C'était à ce point de vue qu'intervenait, comme sou-
tien du procès, cette troisième classe d'indices, comprise sous
le nom d'adminicules, Muyart de Vouglans, en précurseur
judiciaire. Voy. également sur ce point : Bonnier, op, ait,, n® 365. Jousse,
op, ciLj t. 1, n° 660, affirme cependant que la preuve est complète lors-
qu'elle est fondée sur « la confession pure et simple de l'accusé ».
2' Certains juristes prétendaient qu'on pouvait additionner les indices
Mais on se refusait généralement à admettre cette combinaison. « La semi-
preuve, disait Poullain du Parc {op. cit., t. H, p. 116), n'a rien de plus
concluant qu'une demi-vérilé, et par la même raison que deux incertitudes
ne peuvent opérer une certitude, deux semi-preuves ne peuvent pas non
plus opérer une preuve complète ».
DIVERS SYSTÈMES d'oRGANISATION DE LA PREUVE, 509
des anlhropologisles jnodernes, donne, comme exemple de
signes de culpabilité de ce genre, « la mauvaise physionomie
de Taccusé ». On voit qu'il fallait peu de choses, pour con-
stituer un indice éloigné.
257. En résumé, ce qui caractérisait théoriquement le
système des preuves légales dans notre ancien droit, c'est
qu'on ne pouvait condamner à mort que s'il y avait une
preuve complète, et qu'uqe preuve n'avait ce caractère qu'à
certaines conditions exceptionnelles, très difficiles à réunir.
Cette tyrannie de la preuve obligeait les juges à se pro-
curer, par tous les moyens, per fas et nefas^ un aveu du
coupable. Dans ce but, la coutume organisait deux procé-
dés : Y interrogatoire secret, où l'accusé, sans défense, devait
jurer de révéler la vérité et par lequel on obtenait Vaveu dit
volontaire^ et la questioîi, par laquelle on obtenait la confes-
sion forcée. Ainsi, le système des preuves légales, d'abord
introduit dans l'intérêt de l'accusé et comme un contrepoids
nécessaire à l'absence de garanties résultant, soit de la com-
position du tribunal par des juristes de profession, soit de la
procédure inquisitoire et secrète, devait aboutir fatalement
à la torture. Et le maintien, jusqu'à la Révolution, de cette
grande iniquité, est dû, il n'en faut pas douter, à ce que la
conviction du juge ne pouvait presque jamais être obtenue
sans l'aveu du coupable *•.
Le motif certain de l'emploi de la torlure qui se répandit,
par une contagion singulière, à partir du xii* siècle, dans
toute l'Europe, et dont le foyer primitif a été ce coin de
l'Italie où l'école de Bologne exhuma le droit romain, fut
partout que, « d'un côté, on ne croyait plus aux ordalies et
aux cojureurs, et que, d'autre part, on ne voulait pas pro-
noncer une condamnation «ur des indices seulement, quelle
cfue fût leur force ». Ce qu'il fallait aux juges d'alors, <^st
'* Voy. Despeisses, Œuvres^ t. 2, p. 713, n® 10; Aug. Nicolas, maître des
requêtes au Parlement de Bourgogne, Si la théorie de la torlure est un
moyen de vérifier les faits, Amsterdam, 1682.
niO PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PRETIB.
rav<MJ à fout prix, ou la preuve de l'impossibilité d'avoir
Tavi'ii **.
ïlu roste, si Tînculpé résistait à cet effroyable moyen d'ar-
racher sa confession, si on n'avait pu « rien gagner sur lui »,
il ne faudrait pas croire qu'il en fut quitte avec la justice du
temps. On suspendait le procès, ou on lui appliquait une
peine extraordinaire.
258. L'institution du jury, l'abolition de la torture de-
vaient entraîner la ruine du système des preuves légales''.
Cependant, par une combinaison, en apparence excellente,
certains législateurs de TAssemblée constituante auraient
désiré joindre, aux avantages des anciens usages, le bienfait
de principes nouveaux. Ils proposèrent de donner à la loi la
charge de déterminer quelles preuves il faudrait réunir pour
asseoir une condamnation; mais ils voulaient ne jamais obli-
ger les juges, quelles que fussent les charges, à condamner
un accusé contre leur intime conviction. C'était là un svstème
ingénicMix, qui prétendait réunir « la confiance qui est due
•• On lira sur la torlure, son origine, son histoire, ses causes, les obser-
vations intc^nissantes de Tarde, Philosophie pénale^ p. 5-29 à 433. Jousse,
op. cit,f t. i, p. 089 à 09 V, fait la the'orie <' de la confession des accusés à la
quiîstion, on torture ». Ses premiers mots jugent le procédé au point de vue
de Taveu : « On peut regarder comme une règle générale, que la question
est un moyen dangereux pour obliger un témoin de déclarer la vérité. On
trouvo on pITet, dans Phistoire, plusieurs exemples de personnes, qui, par
la fur»'»; lii's t«Mjrm«*nls, ont confessé des crimes qu'ils n'avaient pas commis «.
En consé(|uonc«*, « Taveu fait par un accusé dans les tourments, ne faisait
pas uiK* pr(Mive suiTisante chez les Romains, non plus que parmi nous, quand
il n'y avait point «railleurs d'autre preuve ». Mais « la confession faite par
un accus»? à la (piestion qui est ensuite par lui ratifiée, lorsqu'il est libre et
hors des tourments, forme contre lui une preuve complète ». Jousse discute
riiHuite le cas où Taveu provoqué par la torture est rétracté, et le cas où la
torture est don n«^e à la suite d'une procédure nulle : «Si la procédure est
nulle, la coiïfession faite par l'accusé h la question ne la fait pas valider ».
'^ Les philosophes du xviii'" siècle avaient attaqué la preuve légale. Bec-
caria (/Vs délits et des peines, ch. VII et VIIÏ), démontre que la certitude
ne peut être renfermée dans la règle d'une preuve scientifique. Filangieri
(Science de la législation, liv. 3, ch. XV) affirme que la certitude ne peut
résider que dans la conscience du juge.
DIVERS SYSTÈMES d'oRGANISATION DE LA PREUVE. 511
ux preuves légales el celle que mérite la conviction intime
u juge^* ». Mais combien eût été illusoire, avec Tinstitution du
ury, un système, déterminant, par des prescriptions légales,
es preuves nécessaires pour condamner? De deux choses Tune
n effet : ou bien le jury, n'ayant pas à motiver sa décision,
urait toujours pu se soustraire à celte obligation; ou bien,
'il avait cru devoir la respecter, il aurait pu y trouver un
ïrélexle commode pour des acquittements injustifiés. Aussi
e législateur déclara formellement qu'il répudiait le sys-
ème des preuves légales et ne s*en rapportait qu'à Tintime
onviction des jurés^^ Cela fut indiqué dans la formule du
erment qui leur était imposé : a Vous jurez... de vous
décider d'après les charges et les moyens de défense, et
suivant \otre conscience et votre intime conviction, avec
l'impartialité et la fermeté qui conviennent «\ un homme
libre" ». Ailleurs, il était dit, dans la loi du 16 septembre
791'* : « L'accusé pourra faire entendre des témoins pour
attester qu'il est homme d'honneur et de probité et d'une
conduite irréprochable; les jurés auront tel égard que de
raison à ce témoignage ». Et l'instruction du 29 septembre
791 précisa le principe de la preuve morale en ces termes :
C'est particulièrement sur l'instruction et le débat qui ont
eu lieu en leur présence que les jurés doivent asseoir leur
conviction personnelle; car c'est de leur conviction person-
^* C'est la formule dont se servit Kobespierre dans la s(^ance du 4 janvier
801 (Moniteur du 5^ On n'a peut-<?tre pas assez remarqué que l'idëc de
ette combinaison a éXé reprise par le criminaliste italien Ellero, dans sa
rochure sur la Critica criminale, imprimée «lans ses Trattati criminalù
^'^ L'Assemblée constituante fut saisie de la question par le rapport que
t Duport, à la séance du 26 décembre 1790, au nom des comités de consti-
iilion et de jurisprudence criminelle. Le projet proposait de supprimer,
evant le jury, toute preuve écrite et de ne donner à sa déclaration d'autre
)ndement que sa conviction intime fondée sur le débat oral. Faustin Hélie
ïnstr. cr., t. 4, n*» 1768, p. 336 à 340), a rapporté les principaux passages
e la discussion qui eut lieu à ce sujet. Le projet du comité fut adopté dans
. séance du 18 janvier 1791.
»•'» L. 16 septembre 1791, 2« part., tit. 7, art. 24.
^* 2^ part., tit. 7, art. 14.
512 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
« Qelle qu'il s'agit ici; x^'est elle que la loi leur dema
« d'énoncer, c'est à elle que la société, que Taccusé
<( rapportent ». Dans le Code du 3 brumaire an IV (art. 3
la théorie des preuves morales fut maintenue avec plu<
fermeté encore : une longue instruction, destinée surtout
rappeler aux jurés, devait leur être lue par le présiden
affichée dans leur salle de délibérations.
Cette instruction a passé, avec le même caractère, dan
Code d'instruction criminelle de 1808, oii elle forme la •
position même de Tarticle 342 : « La loi ne demande
« compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont c
« vaincus; elle ne leur prescrit point de règles desque
« ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitudi
« la suffisance d'une preuve; elle leur prescrit de s'interro
« eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de cl
<( cher, dans la sincérité de leur conscience, quelle imp
« sion ont faites, sifr leur raison, les preuves rapportées coi
<c l'accusé, et les moyens de sa défense. .La loi ne leur
« point : Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel
« tel nombre de témoins; elle ne leur dit pas non plus : I
« ne regarderez pas comme suffisainment établie toute pn
« qui ne sera pas formée de tel procès-verbal^ de te
« pièces, de tant de témoins ou de tant d'indices; elle ne 1
« fait que cette seule question, qui renferme toute la mes
« de leurs devoirs : Avez-vous tine intime conviction? »
259. La preuve de conviction est donc née avec le j
et ellei semble en être inséparable". Mais la formule, te
^^ l^ersûnne ne Ta mieux démontré que Tarde, dans une page quV.i
permettra de transcrire (Philosophie pénale ^ p. 433) : « Le jury ne pro
nullement des forêts germaines; il est né, en 1211, conmie l'ont démc
Du Boys et d'autres auteurs [HisL du droit crim, de la France, t. 2, p.
et suiv. , de l'embarras qu'ont éprouvé les juges itinérants d'Angle
pour be passer des ordalies que le Concile de Latran venait d'inter
Tandis que, sur ie continent, l'idée de la torture est venue s'offrir àprc
les An{^Iais ont imaginé, avec infiniment plus de sagesse sans nul doul
rassembler doi.ze voisins de l'inculpe, quand il n'avouait pas et de con
rer u leur comutitn relativement à l'existence et à l'auteur du crir
DIVERS SYSTÈMES d'ORGANISATION DB LA PREUVE. 513
iprégnée de lyrisme révolutionnaire, qui est devenue Tar-
z\e 342 du Code d'instruction criminelle, a donné naissance
bien des erreurs sur les droits et les devoirs du jury. Ce
uî semble s'en dégager, c'est la sensation d*un pouvoir ar-
itraire, pour résoudre la question la plus redoutable qui
uisse être posée à des hommes. Le juré paraît placé au-des-
us de la loi et autorisé à juger sur une impression. C'est à
omme Téquivalent du jugement de Dieu. (]'était d'autant plus naturel que,
iepuis longtemps, l'embryon du jury, sous le nom de preuve par le pays,
ixistait dans le système accusaloire des Anglais; et cette preuve y était
nise sur le même rang que la preuve par bataille. Entre les deux, l'accusé
ivail le droit de choisir. L'équivalence des ordalies et du jury est attestée
par là. Il faut songer qu'à cette époque on était porté à croire le Saint.
Esprit présent dans toute réunion un peu solennelle de chrétiens; un jury^
pouvait paraître une espèce de concile, divinement inspiré. Il était destiné à
procurer, lui aussi, l'illusion de la certitude. Une présomption d'infaillibilité
oraculaire était attachée, par la foi religieuse, comme plus tard par la foi
philosophique et humanitaire, à des décisions non motivées. Dès son origine,
^u reste, on le voit, le verdict n'a été, comme de nos jours encore, qu'un
*cte suprême d'information, un constat de faits, non un jugement propre-
fnent dit... Les jurés anglais étiiient si bien considérés comme de simples
t^'moins, primitivement, que jusqu'à Edouard III, au xiV siècle, aucun
léinoignage ne pouvait être produit devant eux, et de nos jours encore, en
'Angleterre, quand l'accusé avoue, le jury est incompétent, parce qu'alors la
preuve est faite. C'est parce que le juré est une espèce de témoin inspiré
iw'on ne lui a jamais demandé de motiver un verdict et qu'on repousse
iiêrae cette idée autant qu'on repousserait celle d'un arrêt sans motifs... Au
^♦ibut de la Révolution française, la France s'est trouvée dans un embarras
inalogue à colle des justitiarii itineranlea do 1215; la torture venant d'étrft
supprimée, il s'agissait do la remplacer ». On a donc importé le jury anglais
•t cela sciemment. Les cahiers de 1789 avaient réclamé le jugement par
"rés en matière criminelle; ils recommandaient qu'on étudiât les institu-
ions anglaises, dans la discussion devant l'Assemblée constituante du
'yslème de preuve devant le jury, Thouret a nettement exprimé ces idées :
^ L'écriture des preuves est incompatible avec l'établissement des jurés. La
nécessité de cette écriture ultérieure, la moralité qui fait rlu jury le moyen
^ plus voisin de Vinfaillibilité^ et qui conduit, au milieu des débats entre
^8 témoins et l'accusé, à un degré de conviction tel qu'il est impossible à
^ maison humaine d'aller plus loin,,., la conviction du juré, voilà la loi que
^juré doit suivre... La conviction morale subjugue tout quand elle est
^ssentie; elle ne peut être, ni commandée, ni inspirée, c'est le véritable
'rilerium de la vérité humaine ».
G. P. P. - I. 33
514 PROCEDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
cette formule, plus encore qu'au régime de la preuve morale,
qu'il faut faire remonter la fausse doctrine de Vomnipolence
du jury.
Le système des preuveslégalesy qui a régi l'Europe moderoe
jusqu'à la fin du xviii* siècle, a disparu partout, et les quel-
ques vestiges qui en subsistent s'effacent peu à peu '*. C'est
à peine si Ton peut citer, à titre de curiosité archéologique,
les dispositions du Code de procédure pénale du canton du
Valais du 29 novembre 1848 qui consacrent encore et régle-
mentent minutieusement la preuve légale *\ Cette « législation
fossile )> est une exception unique! Mais, dans les droits anglo-
saxons, où le système accusatoire est toujours en vigueur, et
où la marche de la preuve est la même en matière civile et en
matière criminelle, deux traits caractéristiques du régime de
la preuve doivent être relevés'*. Le premier, déjà signalé, est
la règle qui oblige Taccusé à prendre parti sur son système
de défense au début même de sa comparution, et de plaider
coupable ou non coupable. Et lorsqu'il avoue ou plaide coo-
pable, l'accusé doit prouver tous les moyens qu'il oppose à
l'accusation. Car, à ce second point de vue, la procédure con-
tradictoire place les parties sur la même ligne, et, en opposant
un moyen de défense, l'accusé devient demandeur au procès:
reus excipiendo fit actor.
§ XLVII. — DE LA PREUVE MORALE OU DE GONVIGTIOH.
260. Le régime de la preuve de conviction gouverne toute ta procédure répres-
sive et s'applique aux tribunaux correctionnels ou de police comme aux eoors
d'assises. — 201. Il existe, cependant, en ce qui touche Tadaptation de ce régisie
«« Ainsi rarticle 326 du Code de procédure pénale autrichien de 1873 repro-
duit mot pour mot notre article 342.
''' Voy. sur ce point : A. Gautier, Le débat criminel et le» essai» aetueU
de réforme [Rev. pén, suisse, 4899, p. 316, note 3).
" Comp. Fournier, Corfe de procédure criminelle de l'État de NeW'Yorkf
Introduction, p. cxi et suiv. et Code, § 392, p. 209 et suiv. et la note 1. Sur
le droit anglais on lira : Herbert Speyer, Les régies de la preuve en droit
pénal anglais {Law of évidence), Rev. de droit int, et de législation compa-
rée, 1898, p. 478; Esmein, Rev. polit, et parlem., 1898, t. XVIII, p. 346.
DE LA PREUVK MORALE OU DE CONVICTION. SIS
de preuve, troifi différences entre la proeédore criminelle et la procédure correc-
tionnolle ou de police. — 262. La première différence résulte de ce que les tri-
bunaux correctionnels ou de police doivent motiver la condamnation ou Tacquit-
temcnt, c*est-à-dire indiquer les raisons pour lesquelles ils se décident, tandis
que la cour d'assises juge, à cet égard, sans donner de motifs. •» 203. La preuve
ne dépend pas de la nature de la juridiction devant laquelle une question se pose,
mais de la nature de la question elle-même. Exemple pour l'interdiction de la
preuve testimoniale. Mais ce qui est vrai des juridictions composées de profes-
sionnels, ne Test pas du jury. L*article 342 s'applique dans toute son étendue,
quelle que soit la question posée. — 264. Le régime des preuves de conviction
est limité, même en matière répressive, par un certain nombre d'exceptions. Pro-
cès-verbaux qui font foi jusqu'à inscription de faux ou jusqu'à preuve contraire.
Preuve de l'adultère vis-à-vis du complice. — 265. Mais si la preuve n'a pas une
valeur morale imposée par la loi, les règles de son administration sont réglemen-
taires. Buts que poursuit la loi dans cette réglementation. Pouvoir disorétionnaire
du président de la cour d'assises.
260. Il résulte de l'article 342 du Coded'instruclioD crimi-
nelle que, pour les jurés, aucua mode de preuve a'a par lui-
même uae force légale susceptible de déterminer leur con-
viction : les jurés ne doivent pas nécessairement faire dépendre
leur verdict de telle ou telle preuve qui a été rapportée; leur
devoir est d'examiner Tensemble de rinstruction qui s'est
déroulée devant eux, et de se demander ensuite, dans l'inti-
mité de leur conscience, s'ils ont la conviction de la culpabi-
lité de l'accusé. Cette disposition, bien qu'écrite pour les jurés,
s'applique à tous les juges de répressioa. Elle gouverne, en
effet, le régime et le système de la preuve en matière répres-
sive, et domine, en dehors des exceptions que nous ferons
connaître, la procédure pénale tout entière. Aussi la Cour de
cassation a constamment jugé : 1^ qu'^n matière correction-
nelle ou de police y lorsque la preuve du délit ou de la contra-
vention ne résulte pas nécessairement des constatations d'un
procès-verbal, les juges peuvent puiser leur conviction dans
tous les éléments de la cause; 2^ que la liberté cT appréciation
du tribunal ne trouve de limite que dans la nécessité de sou-
mettre les éléments de preuve à une discussion orale et con-
tradictoire*.
§ XLVII. * Jurisprudence constante. Voy. notamment : Cass., 10 juilL
i863 (D. 63. i. 483); 5 juill. 1889 (B. cr., n* 244); 18 févr. 189â (D. 9^. 1.
471); 9 jan?. 1904 (D. 1904. i. 625}. « La preuve en matière criminelle, dit
516 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
261. Il y a lieu, cepeodant, de constater que le régime
des preuves de conscience, bien que général en matière pénale,
ne s*adapte pas de la même manière à la procédure crimi-
nelle et à la procédure correctionnelle ou de police. Trois
différences doivent être relevées.
262. Une première différence résulte de Tobligation qui
incombe au^ juridictions de police, simple ou correction-
nelle, de motiver leurs décisions, obligation dont la cour d'as-
sises est affranchie.
I. Le jury émet, en effet, des déclarations : il répond, par
oui ou par non, aux questions qui lui sont posées. Quant à la
cour, elle solutionne le procès pénal en se référant au verdict
du jury qui s'impose à elle et dont elle tire simplement les
conséquences.
Or, un jugement, un arrêt, une décision doit être motivé;
cela est de son essence; c'est la garantie la plus élémentaire
« la Cour de Chambéry, dans un arrêt du 10 déc. 1875 (D. 77. 2. 14), n'est
« assujettie à aucune forme systématique, et la conscience des juges, afTran-
« chie de toute entrave, peut librement former sa conviction, en Ja puisant
« dans tous les documents de la cause, pourvu qu'ils aient étë soumis à une
« discussion orale et contradictoire. Ce principe général ne cesse pas d*étrv
« applicable aux matières conrectionnelles, à Tégard desquelles le juge con-
« serve, sauf des exceptions qui confirment la règle, la même latitude d'ap-
« prédation ». La formule que répète Tarrêt de la Cour do cassation du
9 janv. 1904 et qui se trouve déjà dans Tarrôt du 5 juillet 1889, c'est que
« les juges correctionnels peuvent former leur conviction sur tous les élé-
t< menls versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties »>. JHec
obstant les articles 154, 155, 156 et 189 du Code d'instruction crimiDelle.
L'article 189 porte que «< la preuve des délits correctionnels se fera de la
« manière prescrite aux articles 154, 155 et 156 concernant les contraven*
a tions de police ». Les délits et les contraventions sont donc prouvés :
l'* soit par procès-verbaux et rapports ; 2® soit par les témoins, à défaut de
rapports ou procès-verbaux ou à leur appui. Mais si, dans ces articles, le
législateur a spécifié certains modes de preuve, il n'en a exclu aucun. De
plus, il n'a pas mesuré la valeur de tel ou tel mode de preuve. Par consé-
quent, devant les tribunaux correctionnels et les tribunaux de police, la
preuve n'est assujettie à aucune forme systématique et les juges peuvent
puiser leur conviction dans tous les éléments de la cause. Voy. du reste,
sur la question, au point de vue juridique conmie au point de vue philoso-
phique : Faustin Hélie, Traité de Vinstr, crim., t. 4, n"* 1777 et 1778.
I
DE LA PREUVE MORALE OU DE CONVICTION. 517
et la plus certaine de la sagesse et de la justice des acquitte-
ments ou des condamnations, le minimum des exigences
auxquelles le justiciable a droit. En dispensant le jury de s'ex-
pliquer, pour le dispenser de raisonner, la loi a encouragé le
jury à faire du sentiment au lieu de faire de la justice. C'est
une erreur de croire, en effet, que, pour former son intime
conviction, le jury peut s'attachera des impressions sentimen-
tales et superficielles et qu'il n^a pas besoin de se livrer à une
analyse attentive et raisonoée des faits et des circonstances de
la cause. La libre conviction ou certitude morale (ce qui re-
vient au même) signifie une seule et même chose, l'exclu-
sion de la certitude ou preuve légale, c'est-à-dire l'exclusion
d'un système de critères artificiels, destinés à mesurer, à l'a-
vance, la valeur de chaque élément de preuve. Mais le jury
ne doit pas juger par sentiment, ou sur de vagues impressions;
il doit former sa conviction par un travail de réflexion et de
conscience et se soumettre lui-même aux règles de la logique
et de la dialectique naturelles. Son verdict n'est pas ce juge-
ment ex informata conscientia des anciennes procédures, mais
l'affirmation d'une opinion consciencieuse, éclairée et moti-
vée. Moins la loi s'est ingérée dans le domaine de sa con-
science, plus la raison et la logique doivent le gouverner. Il
ne se déclare plus aujourd'hui convaincu ratione imperii,
mais bien imperio rationis. Si le jury ne le comprend pas, s'il
donne à sa liberté et à sa souveraineté un autre sens et subs-
titue le sentiment à la conviction, il n'est pas digne de juger
et il faut le déconstituer ou le supprimer*.
II. L'obligation de motiver les jugements en matière
répressive n'existait pas dans l'ancien droit. Le juge con-
* C'est la conclusion à laquelle arrivent aujourd'hui bien des esprits. Voy.
particulièrement . Tarde, Philosophie pénale, p. 435 à 449; Emile Bouvier,
L'itistitution du jury (Lyon, 1887). Mais si les critiques du jury sont fon-
dées, si, dans tous les pays, on se plaint de son incompétence, de sa faiblesse,
de sa partialité, si on le qualifie, avec quelque raison, de « garde nationale »
de la magistrature, la véritable difficulté consiste à le remplacer. Que mettre
à sa place, en effet, pour le moment, sinon la magistrature actuelle? Or,
malgré les qualités qu'on lui conteste trop, la magistrature n'est pas prépa-
rée à prendre la succession du jury.
TfiH PtLOCibVRE PÉNALE. — DB LA PRETTE.
damnait ioTariablemeot le coapable « poar le cas résuitaot
du procès '>. Otte fonnale commode fat proscrite par la loi
At^ 8-9 octobre 1789etrarticle 13, titre 5, de la loi orgaoiqae
dt^ 16 et 2i août 1790. La CoosUtutioa de Tao III (art 208;.
le (jùAe du 3 brumaire an I\\ consacrèreot l'obligation de
motiver les jugemeots, principe régulateur qu*ODt adopté les
articl»;f 163 et 195 du Code d'iostructiou crimioelle^ et larli-
cle 7 de la loi organique du 20 aYril 1810. Il est donc bien
certain que tous jugements et arrêts, prononçant une con-
damnation ou un acquittement, doivent être motivés'. Il en
est de même des ordonnances de règlement du juge d'instruc-
tion ou des arrêts de la chambre des mises en accusation.
Comment cette obligation de motiver Tacquittement ou la
condamnation se coocilie-t-elle et s*adapte-t-elie avec la libre
appréciation des preuves? Est-ce qu'on demande au juge, en
matière correctionnelle et en matière de police, de donner
les raisons mêmes de sa conviction? Le législateur, il faut le
remarquer, n*a jamais réglementé et n'a pu réglementer
lobligation de motiver les décisions judiciaires. La loi des
16-24 août 1790, veut que le juge exprime les motifs qui ont
déterminé le jugement. Or, tout jugement répressif se pro-
nonce sur deux questions : la question de culpabilité, et, en
cas de culpabilité, celle d'application de la loi. 11 faut donc,
pour motiver sa décision, que le juge, en matière correction-
nelle ou de police, constate, en fait, l'existence de toutes les
circonstances exigées pour caractériser le délit ou la contra-
vention, et que, en droit, il qualitie ces circonstances, par rap-
port à la loi dont il fait l'application \ Ce sont là les motifs
nécessaires. Mais le juge est-il obligé dindiquer, en les détail-
lant et en les analysant, les éléments de preuve, qui lui ont
permis de faire les constatations qu'il relève et d*affirmersa
" Lob articlos 103 et 195, il est vrai, ne parlent que des jugements de
condamnation; mais l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 embrasse tous les
jujçomonts dans une disposition gi^n^rale. Ce principe reçoit toutefois une
oxcoption : Ips jugements ou arrêts de simple instruction n'ont pas besoin
(f^tro motiv(^8. Voy. Faustin Ilélie, Jnstr. cr., t. 6, n» 2948.
* Conf. Faustin \Wio, Instr, cr.^ i. 6, n« 2945.
DE LA PREUVE MORALE OU DE OONYIGTION. 519
conyiction ? I^ jurisprudence o'a jamais imposé cette obliga^
tion aux tribunaux. Pourcondamneroa pour acquitter, le juge
déclare simplement sa conviction, c*e8t-à-dire l'impression
qu*ont pu faire sur sa raison les preuves produites dans Tin-
struction et les débats. A la rigueur, il suffit donc aux juges
de s'exprimer ainsi : Considérant qu'il résulte de l'instruction
et des débats^ la preuve que le prévenu s'est rendu coupable de
tel fait^ lequel constitue tel délit*. En un mot, si le juge doit,
à peine de nullité pour défaut de motif, constater toutes les
circonstances dont la réunion caractérise le délit ou la con*
Iravention qu'il qualifie", il n'est point tenu d'indiquer et de
détailler les moyens de preuve sur lesquels se basent ces con-
statations et la conviction qui en est résultée pour lui.
Mais ce serait une erreur de croire que la Cour de cassation
soit sans pou voir et sans droit de contrôle en cette matière : elle
peut et elle doit vérifier, dans tous les cas : 1^ si la preuve
existe; 2'' et si elle est légalement recherchée et administrée*.
^ Voy. les arrêts cités au Répert, gén. de droit français^ V) Jugement
et arrêt {Matières crim.), n' 447.
« Cass., 28 févr. 1857 (D. 57. 5. 219).
' Cass., 29 nov. 1877 (S. 78. 1. 230; D 78, 1. 93); 18 f.^vp. 1802 (D. 92.
1. 471).
* Telles sont, en ofTet, les deux limites que la Cour de cassation paraît
imposer, au point de vue de la preuve, aux pouvoirs des tribunaux, a) Il
faut d*abord quMl résulte des motifs de la décision qu^une preuve a été four*
nie. C'est ainsi que, dans une hypothèse où il était constaté qu'aucun
témoin n'avait été entendu et où il n'était donné aucun aperçu du procès-
verbal du garde champêtre, seul document visé, la Cour de cassation a déclaré
nul, pour défaut de motifs, un arrêt de condamnation qui, en matière de
vol, se bornait à affirmer le fait, sans indiquer d'où avait pu résulter la
preuve de la culpabilité du condamné : Cass., 23 sept. 1880 (S. 81. 1. 144;
D.80. 1. 480). Elle a cassé, pour défaut de motifs, le jugement qui prononce
une condamnation pour dommage à la propriété mobilière d'autrui, sans
indiquer la source de la constatation sur laquelle il repose : Cass., 20 mars
1891 {B. cr., n° 71). Elle a décidé que la seule énonciation du délit ne saurait
constituer un motif suffisant : Cass., 8 août 1890 (B. cr», n* 174). 6) Il faut
ensuite que le juge ne puise sa conviction que dans la preuve légalement
recherchée et administrée. Ainsi, doit être annulé : — le ju gement de relaxe,
rendu au mépris des constatations d'un procès-verbal régulier, et fondé sur
des renseignements pris personnellement par le juge en 46hQr8 de l'audience
520 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
C'esl la valeur morale et non la valeur légale de cette preuve
qui échappe à sou contrôle.
La Cour de cassation doit trouver, dans les motifs de Tar-
rèt, les élémeots iodispeosables pour lui permettre d'exa-
miner la matérialité et la légalité d'administration de la
preuve; mais il ne saurait lui appartenir de critiquer l'appré-
ciation que le juge en a pu faire. En effet, la loi ne deman-
dant, à celui-ci, aucun compte des éléments de sa conviction,
ni de la manière dont elle est formée, n'a pn être violée par
l'usage que le juge a cru devoir faire de son pouvoir souve-
rain d'appréciation.
263. La loi civile, dans l'organisation du régime de la
preuve, se tient à égale distance des deux systèmes de preuves
mis en opposition, celui des preuves légales et celui des preuves
de conviction, a) Dans la théorie de Iql preuve préconstituée et
l'interdiction de la preuve testimoniale, la loi civile se ratta-
che, tout d'abord, à la conception qui consiste à rechercher
la vérité par des procédés techniques et à la tenir pour dé-
montrée par la réunion de certaines circonstances qui enchaî-
nent la conviction et en l'absence desquelles le juge doit se
déclarer non convaincu; b) Mais elle applique le régime delà
preuve de conviction, lorsqu'elle autorise le juge à apprécier,
en son âme et conscience, les résultats d'une enquête, à peser
les témoignages et non aies compter; lorsqu'elle laisse le juge
aussi libre de rejeter un fait affirmé par dix témoins que de
tenir pour certain un fait affirmé par un seul. Ainsi, les
règles de la preuve civile sont, à certains points de vue, les
mêmes que celles de la preuve criminelle; à d'autres points
de vue, elles sont différentes.
et non iloumis à un débat contradictoire : Gass., 4 août 1893 (B, cr., n^ 223);
— le jugement qui acquitte le prévenu en se fondant sur la coanaissance
personnelle que le juge avait des lieux, ou sur des renseigpienients puisés
en dehors de Taudience et non soumis à un débat contradictoire : Gass.,
15 déc. 1894 {B. cr., n^ 320); 21 févr. 1890 (B. cr., n» 46); 26 mars 1862(B.
cr., n« 99); — le jugement qui s*appuiesur la déposition écrite d*un témoin
non entendu : Gass., 28 oct. 1892 (B. cr., n° 263); sur la déposition d'un té-
moin qui n'a pas prêté serment : Gass,, 17 juin 1892 (B. cr., n* 103), etc.
]
DB LA PRBUVB MORALE OU DE CONVICTION. 521
Est-ce à dire que le système des preuves dépende de la nature
de la juridiction devaut laquelle il y a lieu de les administrer?
Évidemment non : il dépend de la nature du fait à prouver.
Par exemple, la preuve testimoniale ne doit pas être considé-
rée comme exclue ou admise par cela seul qu'on se trouve
avoir affaire, soit à la juridiction civile, soit à la juridiction
criminelle. Partout, les conventions doivent être régulière-
ment constatées par écrit. Partout, les simples faits peuvent être
prouvés par témoins. Il n'y a donc, à ce point de vue, entre les
juridictions civiles et les juridictions criminelles, d'autre dif-
férence que celle-ci: le plus souvent il s'agit de faits juridiques
au civil, de simples faits matériels au criminel. Mais une res-
triction s'impose. Sans doute, les dispositions du Code civil,
relatives aux preuves, obligent les tribunaux correctionnels
et de police, les juridictions d'instruction, et même les cours
d'assises dans le sens restreint du mot, c'est-à-dire les magis-
trats qui les composent, mais les jurés peuvent se prononcer,
en toute liberté d'appréciation, sur les questions qui leur sont
soumises. La loi, en effet, ne leur pose que cette seule ques-
tion qui renferme toute la mesure de leur devoir : Avez-vous
une intime conviction? Par conséquent, dans les débats cri-
minels, tous les moyens de preuve sont recevables, particu-
lièrement la preuve par témoins, alors même que la loi civile
la repousse ou ne l'admet qu*à certaines conditions. D'un autre
c6té, la conscience des jurés n'est enchaînée par aucune
preuve légale, que cette preuve résulte d'un acte authentique
ou qu'elle soit fondée sur une présomption considérée comme
irréfutable par la loi civile*.
264. Le régime des preuves de conscience, même en ma-
tière répressive, est limité par un certain nombre de restric-
tions.
La plus importante est celle delà force probante des procès-
verbaux. On appelle ainsi, les actes par lesquels les officiers
pablics constatent les crimes, les délits et les contraventions,
leurs circonstances, les traces qu'ils ont laissées après eux, et
» Voy. Bonnier, op. cit.^ t. 2, n^ 605.
522 PROGÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
tous les faits propres à en signaler les auteurs. Les procës-Yer-
baux sont ordiuairemoQt le premier acte de la procédure; ils
co forment la base. Mais, en principe, ils ne sont la condition
ni de la poursuite ni de la condamnation. L'affirmatioo qai
y est contenue a la valeur d*uo renseignement et n*a que la
valeur d'un renseignement. Toutefois, il en est autremenl
dans certains cas exceptionnels où le procès-verbal fait foi
jusqu'à preuve contraire ou jusqu'à inscription de faux. Celte
exception au régime de la preuve de conscience tend à s af-
faiblir. Et la loi budgétaire du 30 décembre 1903 (art. 26),
qui a enlevé aux procès- verbaux des agents des contributions
indirectes la force probante jusqu'à inscription de faux, est
un premier pas dans la voie du retour au droit commun et
dans la suppression des témoins privilégiés.
La preuve de l'adultère ne peut être faite, à l'égard du
complice, que de deux manières : soit en établissant le /2a^ra/W
délits soit en apportant Vaveu écrit du prévenu (G. p., art. 338,
§ 2) ^^. Vis-à-vis de l'épouse, la preuve n'est soumise à au-
cune condition ni restriction ^\ L'intention manifeste du
<o Voy. mon Traité théor, et prat. {2* éd.), t. 5, n» 1891, p. 463 à 165.
La question générale est examinée par M. Villey en note, sous Cass., 31
mai 1889 (S. 91. i. 425).
** L'adultère peut être établi vis-à-vis de la femme et ne pas Tôtre légale-
ment contre son complice. Voy. Cass., 27 janv. J900 [Le Droit du 15 mars
1900); 5 janv. 1906 {Le Droit du 1'' juin 1906). Sur la personnalité de
Texception résultant du défaut de preuve, ce dernier arrêt est ainsi motivr- :
a Attendu que, dans le cas oCi le complice de l'adultère de la femme a
(Hé acquitté sur le motif que les seules preuves admises par l'article 338
du Code pénal font défaut dans la cause, le bénéfice de cette exception
est exclusivement personnel au complice, suivant les termes de cette dispo-
sition légale, et il ne saurait être étendu à Tauteur principal à l'égard duquel
le juge de la prévention a reconnu des preuves suffisantes de culpabilité;
qu'il en résulte que l'acquittement de ce complice né fait pas obstacle à la
condamnation de l'auteur principal : d'où il suit que l'arrêt attaqué a pu
condamner la demanderesse pour s'être rendue coupable du délit d'adultère,
sans contradiction avec la décision précédente par laquelle le prévenu de
complicité a été acquitté à raison de l'absence des seuls modes de preuve
admis par l'article 336 du Code pénal et qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel
n'a violé aucun des articles visés au moyen ». — Sur ce que tous les anodes
DB LA PREUVE MORALE OU DE CONVICTION. 523
législateur a été d écarter, en ce qui coocerne le complice, les
présomptions, si graves fussent-elles, pour s'en tenir à des
preuves matérielles, non équivoques. 11 a donc limité le cercle
les preuves qui peuvent servir de base à la conviction du
juge. Celui-ci ne peut la faire résulter que du flagrant délit
ou d'écrits émanés du prévenu, c'est-à-dire d'une preuve
légale. 11 en résulte que le droit de contrôler l'appréciation
des juges, relativement au point de savoir si les faits par eux
constatés ont ou non le caractère de flagrant délit, rentre dans
les pouvoirs de la Cour de cassation *^ Si, en eflet, le juge
idmet d'autres preuves que celles qu'autorise Tarticle 338, il
noie manifestement la loi *^
265. Le système des preuves de tîonviction se réfère à leur
>:al€ur morale que la loi ne mesure pas à l'avance et qu'elle
laisse entièrement apprécier par le juge. Mais la valeur légale
Je la preuve est réglementée^ en ce sens que le devoir du juge
i%i de puiser sa conviction dans des sources et des éléments de
preuve légalement recherchés et examinés.
En effet, la loi qui ne demande pas compte aux autorités
vénales des moyens par lesquels elles se sont convaincues^ leur
mpose, au contraire, des règles fixes, dont elles ne doivent
)as s'écarter, dans les procédés, soit de recherche, soit d'admi-
listration des preuves. La théorie des preuves se ramène donc,
lujourd'hui, en matière pénale, à des questions de procédure,
le preuve sont admissibles à l'égarrj de l'auteur principal du ddlit d'adultère :
Attendu que la preuve de l'adultère à l'égard de l'auteur principal, à
i différence du complice, n'est soumise à aucune condition particulière;
|ii'elle est donc régie par les règles du droit commun qui autorisent les
uges à admettre tous les genres de preuve et m«^me les présomptions ; que,
es lors, la Cour d'appel, en faisant état, comme élément de sa décision,
e la correspondance de la demanderesse, antérieure à son mariage, n'a violé
i l'article 337 du Go(Ip pénal ni les règles de la preuve »>.
*^ La Cour de cassation a abandonné, à ce point de vue, sa première juris-
rudence. Voy. 27 févr. 1879 (S. 79. \. 333); 31 mai 18^9, précité; Agen,
8 juin. 1902 (S. 1904. 2. 81). Voy. mon Traité, op. et loc. cit.
«ï Pour rav»;u Gass., 7 déc. 1900 (S. 1901. 1. 252); 27 janv. 1900 (S.
902. 1. 109).
524 PROCBDFRB PENALE. — DE LA PREUVE.
qui coQcerDeot : 1* la recherche de la preuve; 2* sa conserva-
tion ; S"" son administraHon; i"" sa discussion.
Ces règles légales ont pour but*: 1* D'assurer la sincérité
des éléments de preuve. A cette idée se rattachent : lobliga-
tion, pour les hommes de Tant, de prêter serment; les inca-
pacités ou incompatibilités de témoigner; les formalités des-
tinées à assurer la vérité des procès-verbaux de constat; la
prestation de serment imposée aux témoins, etc. 2"" De satis-
faire les exigences de la répression. A cette idée se rattache :
la prohibition de la preuve de la vérité des faits diffamatoires;
la foi qui s'attache à certains procès-verbaux, etc. 3"^ De
garantir les bases mêmes de la conviction. (Vest dans ce but
que la loi impose aux juges l'obligation de motiver leur déci-
sion.
Par une dérogation remarquable à Tensemble de ces règles
de procédure, le président de la cour d*assifies a un pouyoir
discrétionnaire pour arriver à la découverte de la vérité, c'est-
à-dire qu'il n*est pas soumis aux règles ordinaires concernant
la recherche et l'administration des preuves (C. instr. cr.,
art. 268 et 269). Nous signalons ici cette exception unique,
que nous retrouverons plus loin.
TITRE III
DE LA PREUVE EN MATIÈRE PÉNALE ET DE LA PREUVE
EN MATIÈRE CIVILE
§ XLVIIL — COMPARAISON ENTRE LE RÉGIME DES PREUVES
EN MATIÈRE CIVILE
ET LE RÉGIME DES PREUVES EN MATIÈRE PÉNALE.
266. La marche de ki preuve ne peut pas Hre la même en matière pénale et en
matière civile. Conséquences. — 267. Inadmissibilité de certaines preuves. Serment.
Différentes espèces de serments judiciaires. Ce qui subsiste du serment. —268.
Preuve préconstituée de tous faits juridiques en matière civile. Preuve de fait en
matière pénale. — 269. La preuve est un incident du procès civil. Elle est le
fond même du procès pénal. Conséquences.
266. La marche de la preuve ne peut être la même en
matière civile et en matière crimioelle, à raisoa de la diver-
sité d'organisation et de but des deux procédures. Puisque!
est admis que, dans un procès civil, c'est aux parties qu*ap-
parlient la lâche d'établir la vérité de leurs prétentions res-
pectives, le juge civil n'a pas à rechercher d'o/^ce s'il existe un
droit ou une créance, ou si, en supposant que ce droit ou
celte créance ait existé, il a été détruit par tel événement.
Sans doute, *il appartient au juge d'ordonner ex officio telle
preuve, par exemple une enquête (C. proc. civ., art. 246), une
expertise, mais à la condition que les parties y aient conclu,
au moins implicitement, en affirmant ou en niant les faits
dont dépendent leurs prétentions. En matière criminelle, au
contraire, le juge va au devant de la preuve, il se met d'office
en enquhe^ et, au lieu d'être dirigés par l'intérêt privé, ses
actes sont dirigés par le souci de la vérité. Le principe que la
procédure pénale est suivie tant à charge qu'à décharge s'ap-
plique à tous les agents qui interviennent pour excercer l'ac-^
526 PROCÉDURE PÉNilLE. — DE LA PREUVE.
tion publique, pour Tinstruire, ou pour la juger. Celte diffé-
rence essentielle entre la marche de la preuve dans les deux
procédures réagit : i"" soit sur l'inadmissibilité de certaines
preuves en matière criminelle, telles que le serment décisoire
ou supplétoire ; 2'' soit sur Tadministration de la preuve, qui
revêt un caractère plus artificiel en matière civile, plus sim-
ple et plus vrai en matière criminelle; 3* soit sur l'impor-
tance prépondérante de la preuve en matière criminelle.
267. Le serment, tel qu'il a toujours été compris dans la
civilisation indo-européenne, est l'appel à la divinité, à l'appui
d*une déclaration de rhomme\ Ce témoignage de la croyance
des peuples en une justice suprême se retrouve dans tous les
pays et dans tous les temps; il a toujours été considéré comme
une garantie des plus efficaces de la conscience juridique. Le
serment judiciaire figure dans le droit criminel moderne,
sous deux formes principales : les jurés, qui sont des juges
temporaires, prêtent un sermeiU professionnel; les témoins et
les experts, un serment qui se rattache à V administration de
la preuve^. Mais les parties engagées dans l'instance, n'ont
jamais à appuyer d*un serment la sincérité de leurs alléga-
tions. On trouve, cependant, en matière criminelle, dans
Thistoire des institutions, trois systèmes de serment des par-
ties. Une législation peut permettre de le déférer à Taccusa-*
teur, afin de corroborer son allégation; elle peut en faire, au
contraire, un moyen de défense pour l'accusé, qui se libère
de Taccusation en le prêtant; elle peut aussi l'imposer à l'ac-
cusé, comme un moyen de garantir la vérité de ses déclara-
tions.
L Le premier système de serment appartient à l'enfance
de la justice criminelle. Qu'on s'en rapporte à la déclaration
§ XLVIII. * Voy. Gustave Glotz (Études sociales et juridiques sur l'anti-
quité grecque) j Hachette, i906 (Le serment j p. 99 à 183). L'essence du ser-
ment est donc religieuse. Mais le serment peut être laïcisé dans son mode
de prestation sans perdre son caractère. Les emplois du serment ont été
innombrables. Voy. Glotz, op. cit.,, p. Ji3.
* Je ne veux pas dire par là que les experts soient des témoins. Nous
constatons plus loin les différences qui séparent les experts des témoins.
DU RÉGIME DBS PREUVES BN MATIERK CIVILS ET PÉNALE. 527
du demandeur, lorsqu'il s'agit d'intérêts pécuniaires, cela
est déjà étrange^ mais qu'on permette à l'accusateur do cor-
roborer une preuve incomplète par son affirmation, dans le
but d'amener le juge à prononcer une condamnation pénale,
c'est ce qui est, à la fois, inadmissible et odieux.
Et, cependant, les peuples primitifs ont fait usage du ser-
ment comme moyen de prouver l'accusation : et l'emploi d'un
pareil procédé s'explique, soit qu'une plus grande confiance
pût être accordée alors à la parole de l'homme et à la crainte
religieuse du serment, soit, qu'à raison d'un état peu avancé
de civilisation, il fût souvent difQcile d^administrer une
preuve régulière'. Chez les Grecs et les Romains eui-mêmes*,
le serment de l'accusateur, sans avoir jamais obtenu une
force et une efficacité péremptoires, parait être entré, à
titre d'élément, parmi les moyens de conviction du juge*.
Celte institution n'a laissé aucune trace dans les législations
modernes, et, nulle part, quel que soit le modo de procé-
dure, on n'admet l'accusateur à appuyer ses affirmations par
le serment*.
II. Mais il n'en est pas de même du serment purgatoire,
dont l'usage s'est plus longtemps conservé. Bien qu'on trouve
des exemples de serment de cette espèce, dans les législations
de Tantiquité^ c'est dans les coutumes germaniques qu'on
suit nettement l'origine de cette institution, dont l'importance
a été si grande pendant la période médiévale. L'usage, aux
temps barbares, des compurgaiores ou cojuratoreSy qui ve-
^ Voy. Bonnier, op. ct7., n"^ 448. Un vestige de celle s'mgulière coutume se
rencontrait dans notre ancienne règle : Creditur virgini juranti se ex Titio
prapynantem,
* Voy. le serment solennel de l'accusation dans le plaidoyer de Démoslhène
contre Conun, § 14. On lira ce que dit du serment des parties, Glotz, op.
cit., p. 148, dans les coutumes grecques.
^ Glolz, op. cit., p. 158.
® Peut-être faut-il rattacher, sinon à la même origine, du moins à la même
idée, Taffirmation sous serment de la vérité du procès-verbal par son rédac-
teur, devant le juge de paix ou son suppléant, le maire ou son adjoint (Cfr.
Code d'instr. cr., art. 189; Gode foreslier, art. 165).
^ Voy. Glutx, op. et bc, cit.
528 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
naient attester, devant le tribunal, TinnoceDce de Taccasé,
n'était qu'une heureuse transformation du régime des guerres
privées* : les membres de la même famille et de la même tribu,
appelés ainsi en justice, ne rendaient point un témoignage
proprement dit, mais soutenaient la cause de Taccusé parleur
serment, comme ils l'auraient fait antérieurement les armes
à la main*. Les cojuratores se portaient donc, en réalité^ à son
aide, ainsi que le rappelle le nom d'aideurs que leur donnait
le vieux droit normand.
Plus tard, l'Église s'empara de cette institution *•. Elle l'in-
troduisit dans son système de procédure sous le nom de pur-
gatio canonica ; mais suivant son habitude, elle l*adapta, en
la transformant, à son esprit, qui était de faire appel à la con-
science individuelle. L'application en fut restreinte au cas où
les preuves de l'accusation étaient incertaines et légères. Ce
n'était plus le serment collectif d'un groupe de proches ou
d'amis, mais le serment purgatoire déféré à l'accusé seul.
L'institution survécut, sous cette dernière forme, dans les
pays de langue allemande jusqu'à la fin du xvn* siècle. Puis,
on la rattacha à Vabsolutio ab instantia, en permettant aux
personnes^ dont les antécédents étaient d'ailleurs honorables
et qui ne se trouvaient pas sous le coup d'une accusation ca-
pitale, d'obtenir, par le serment purgatoire, un acquittement
complet, au lieu de rester perpétuellement sous le coup de
l'accusation. Le serment purgatoire a disparu, avec Vabsolutio
ab instantia, du Code de procédure pénale allemand de 1877.
Des traces de cette institution se retrouvaient également dans
les anciennes lois anglaises, lorsqu'il ne s'agissait que d'une
condamnation à l'amende. Blackstone*' qui, déjà, de son temps,
8 A l'origine, les cojurantes étaient toujours pris dans la famille de Tac-
cusé, éventuellement exposée à la faida. Voy. Lcx Bnrgundionum^ VIII, 1.
* Sur les cojurantes sacramentalesy. Konrad Cosack, Die Eickèlfer des
Belakgten nàch altesten deutschen Recht, 1885.
'® Voy. Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français^ 3« éd.,
p. 167; Histoire de ta procédure criminelle^ p. 46 et suiv., 324 et suiv.
** Op. cit., liv. 3, ch. XXII, § 6. Avant l'abolition de l'esclavage en Amé-
rique, le planteur, accusé de violences envers ses esclaves, était autorisé à s^
RÉGIME DES PREUVES EN MATIERE CIVILE ET PENALE. 529
constate la disparilioo de ce vieil usage, fait cette remarque :
« La loi, dans la simplicité des anciens temps, ne présumait
« pas qu'un homme voulût se rendre parjure pour tous les
« biens de ce monde ».
III. La troisième forme de serment, celui qui était imposé
A l'accusé, comme garantie de sa véracité dans l'interrogatoire,
est d'origine beaucoup moins ancienne. Cette odieuse institu-
tion a été empruntée à une source qui en montre l'esprit, à
un Directoire des inquisiteurs j publié en 1360**. Critiqué par
les esprits les plus éminents, le serment de l'accusé passa
dans l'ordonnance de 1670^ malgré le président Lamoignon,
«t ne fut aboli qu'en 1789*'. Avec lui, disparurent, de notre
législation, les derniers vestiges de l'emploi du serment des
parties comme moyen ou garantie de la preuve.
268. Les différences, au point de vue du régime des preu-
ves, entre le procès civil et lé procès criminel, tiennent à la
nature des choses, parce qu'elles résultent de l'objet même
des recherches que supposent ces deux situations. Il s'agit,
dans le procès civil, d'obtenir la preuve de la légitimité d'une
prétention, d'une créance, d'une servitude, d'un droit de pro-
priété; dans le procès pénal, de la vérité d'une imputation,
c'est-à-dire de la culpabilité d'un prévenu, à l'occasion d'un
fait illicite qui lui est reproché. Or, la loi civile a pu et a du as-
sujettir à certaines formes la constatation des faits juridiques,
imposer aux parties l'obligation Aq préconstituer ^ à l'avance,
pour le c|is de constestation, telle ou telle preuve, de manière
à garantir leurs droits et à éviter même les difficultés. C'est
donc, en quelque sorte, dans un but et avec un caractère anti-
<lisculper, en affirmant par serment son innocence (Voy. Elisée Reclus, Rev.
des DenX'Mondes, t. 30, p. 872).
*' Sur tous ces points : Bonnîer, op. cit., n° 450; Esmein, Histoire de la
procédure crimiyielle^ pp. 212 à 260.
*3 Ord. de 1670, tit. 14, art. 7 : « L'accusé prêtera le serment avant d'être
interrogé, et en sera fait mention, à peine de nullité ». Nous verrons plus loin
que le « criminal évidence act » de 1898 a permis, en Angleterre, àTaccuse',
de témoigner dans sa propre cause, mais sous la foi du serment.
G. P. P. — 1. 34
530 . PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
litigieux (\\ïQ le droit civil organise des preuves légales. Toute
autre est la situation dans le procès criminel : les parties n'ont
pas pu prendre leurs précautions à Tavance pour se procurer
la preuve d*un fait illicite ; elles doivent donc être laissées libres
de fournir la preuve par tous les procédés propres à convaincre
le juge de la vérité de Timputalion. C'est à cette idée naturelle
que correspond, comme dernier terme dé l'évolution, aujour-
d'hui presque achevée dans tous les pays, la substitution du ré-
gime de la preuve de conscience, basée sur la certitude ration-
nelle^ à celui de la preuve factice, basée sur la certitude légale.
269. En matière civile, la théorie des preuves confine,
d*un côté, au droit civil proprement dit, de l'autre, à la pro-
cédure. C'est, en effet, pendant le procès, que les preuve^?
sont mises en œuvre : c'est donc la loi de procédure qui
régit leur administration, c'est-à-dire les formes dans les-
quelles les preuves doivent être fournies. Mais, d'une part,
les preuves sont souvent produites dans les relations civiles
ordinaires, sans qu'il y ait aucun litige entre les parties.
Leur constitution a précisément pour but de les éviter.
D'autre part, quelque place que tienne la preuve dans un
procès civil, elle ne donne pas toujours lieu à une production
spéciale; en réalité même, elle forme, quand la nécessité de
la produire se présente, un incident du procès**.
En matière criminelle, la preuve n'est recherchée que pour
faire le procès ou pour convaincre le prévenu. Elle est donc
administrée seulement en cours de poursuite et ses règles sont
intimement liées aux règles de la procédure. De plus, elle ne
se présente pas comme un incident du procès : elle doit tou-
jours être administrée, et V instruction^ qui est la recherche et
la production de la preuve, est le fond même de la procédure
criminelle, dans les deux phases qu'elle peut parcourir.
L'importance supérieure de la preuve dans cette procédure
explique certaines particularités, déjà signalées : 1** La néces-
sité, pour le ministère public, de faire la preuve de toutes les
** C'est il propos des incidents que le Code de procédure s'occupe de la
preuve. Voy. du reste, sur ce point : Garsonnet, op, cit., t. 2, §783, p. 623-
LA PREUVE DANS LES DEUX PHASES DE PROCÉDURE PENALE. 531
conditions de recevabilité de l'action publique, notamment
de démontrer que son droit de poursuite n'est pas éteint par
la prescription; 2"" L'obligation qui lui incombe d'établir
toute la culpabilité, si bien que le brocard : excipiendo reus
fit actoTy n'a qu'une application très limitée au préjudice du
prévenu; 3* L'exclusion de ces moyens qui dispensent de
toute preuve le demandeur en matière civile, tels que l'aveu
du défendeur, ou l'existence de certaines présomptions légales.
§ XLIX. - DE LA PREUVE DANS LES DEUX PHASES
DE LA PROCÉDURE PÉNALE.
270. Au point de vue des conditions, soit d'udmission, soit de recherche, soit d'ad-
ministration des preuves, il faut distinguer, dans la procédure pénale, la phase
préparatoire et la phase définitive de l'instruction. — 271. Phase préparatoire,
officieuse et officielle. — 272. Phase définitive, instruction orale, publique, con-
tradictoire. — 273. Motifs des différences qui existent dans les deux phases de la
procédure. Principales différences. Transport sur les lieux. Témoignage.
270. Déterminer par quels agents et dans quelle forme la
preuve est recherchée, produite et appréciée, c'est étudier l'or-
gaoisation judiciaire et la procédure tout entière. Le côté
extérieur et extrinsèque de la preuve n'est pas Tobjet de
ce paragraphe.
Mais, au point de vue des Conditions, soit d'admission, soit
de recherche, soit d'administration des preuves, quelques
observations générales s'imposent sur les différences qui exis-
tent, dans la procédure pénale, entre les diverses phases que
peut parcourir l'affaire : 1* la phase de l instruction policière;
2** celle de V instruction judiciaire ; 3® celle de l'audience et du
jugement.
271. Dans le procès civil, chaque partie rassemble ses
preuves et forme son dossier. Le demandeur, notamment,
ne lance son assignation qu'après avoir préparé ses armes. Il
y aurait, de sa part, une certaine témérité à se présenter, devant
le juge, sans avoir fait une instruction préalable de nature à
rendre au moins vraisemblable la demande qu'il se propose
532 VVfyCZhMKE, FÉNALB. — DE LA PREUVB-
d'inlroduire. Ce caractère de la procédure civile, oii la preuve
est rpchrrchée et administrée par les parties elles-mêmes, est
aiis^i le caractère de la procédure pénale accusatoire. Mais,
dans la procédure inquisitoire, une double circoostaoce : Fac-
cusaticn confiée à des fonctionnaires, exerçant ua ministère
public, et la recherche de la certitude par le juge, agissant
d*orfice, modifie profondément le régime de la preuve. La
con<îéqiience essentielle qui en résulte, c'est que les charges
sont rassemblées par un organisme officiel, dont Tensemble
porte le nom générique de « police judiciaire ».
Les officiers, qui Texercent, procèdent à la recherche des
preuves, par les modes ordinaires (enquêtes, expertises, pro-
vocation de Taveu, interrogatoire de l'inculpé, transport sur
les lieux, constat des indices, réunion des pièces à convic-
tion), dans des situations et dans des périodes bien différentes:
1*^ dans la phase policière^ c'est-à-dire avant le premier acte
d'exercice de Taction publique; 2** dans \di phase Judiciaire^
c'est-à-dire alors que le magistrat compétent est régulière-
ment saisi de l'action publique, soit par 1^ fait même (fla-
grant délit), soit par la réquisition du ministère public, soit
par une plainte contenant constitution de partie civile.
3* enfin, après l'instruction officielle, des juridictions spé-
ciales se prononcent sur le point de savoir s'il existe des
cliartjes suffisantes pour faire le procès.
I. La police judiciaire est exercée par le procureur de la
République et ses auxiliaires (juges de paix, commissaires
de police, maires et adjoints, officiers de gendarmerie) el
elle a pour mission de prendre les renseignements de nature
l\ éclairer Taccusateur et à préparer la poursuite. Elle pro-
cède à cette instruction officieuse, sans être assujettie à des
formes légalement prescrites, mais sans avoir, à sa disposi-
tion, des moyens légaux de contrainte pour obliger les
témoins ou Tinculpé à se présenter, ou pour pratiquer des
perquisitions et des saisies. Le procureur de la République
on Fes auxiliaires entendront les témoins sans prestation de
serment, commettront des experts à titre officieux, se feront
remettre des pièces, livres de comptabilité, billets argués de
LA PREUVE DANS LES DEQX PHASES DE PROCÉDURE PENALE. 533
faux, etc., sans avoir, en cas de refus ou d'opposition, le droit
de faire saisir ces pièces entre les mains des détenteurs.
II. L'instruction est confiée au juge d'instruction qui est
saisi par le procureur de la République, ou par la partie
civile. Mais, en cas de flagrant délit, le procureur de la
République a le droit de commencer l'instruction sans atten-
dre le juge, et celui-ci peut se saisir sans avoir besoin de
réquisitions du procureur de la République. Dans cette
phase, la loi a minutieusement tracé les règles de la constata-
tion judiciaire et de la réunion des preuves. Toute cette
procédure est formalisée. Elle a donc un caractère officiel
incontestable. G*est la principale différence qui la sépare de
la procédure d'instruction officieuse. Aussi ses effets ne sont
pas les mêmes : seuls les « actes d'instruction » de cette pro-
cédure méritent cette qualification au point de vue interruptif
de la prescription de l'action publique.
III. Lorsque l'instruction est close, le règlement en appar-
tient, soit au juge d'instruction et à la chambre des mises en
accusation, soit à la chambre des mises en accusation seule.
Mais, suivant les cas, pour régler la procédure et prononcer
un non-lieu ou un renvoi devant les tribunaux répressifs, les
juridictions d'instruction se hyrenl k un exameiiy sur pièces,
des charges qui ont été rassemblées, et, cela, en chambre
du conseil et hors la présence de l'inculpé.
272. Dans la phase de l'instruction définitive, et devant le
tribunal, il s'agit moins de rechercher la preuve que de Vad-
ministrer. C'est, avant tout, l'œuvre des parties, ministère
public, prévenu, partie civile. Toutefois, le tribunal peuf, d'o/-
fice ou sur la demande des parties, ordonner telle ou telle me-
sure d'instruction. A Taudience, la preuve est administrée et
recueillie dans une procédure essentiellement orale^ publi-
que et contradictoire.
273. 11 serait prématuré, ces indications générales données,
de préciser davantage^ soit au point de vue de leurs conditions
d'admission, soit au point de vue de leur mode d'administra-
534 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
tion, les différences nombreuses qui séparent la recherche de
la preuve dans la phase préparatoire et son administration
dans la phase définitive. L'idée essentielle qu*il ne faut jamais
perdre de vue, c'est que, dans la première, il s'agit seulement
de réunir des présomptions en vue d'une solution provisoire,
tandis que, dans la seconde, il s'agit d'arriver à la certitude
en vue d'une solution définitive.
On a pu autoriser le juge d'instruction et le procureur de
la République à procéder à des recherches personnelles et à
une inquisitio secrète, sauf le contrôle de Tinculpé, assisté
de son défenseur, dans les conditions particulières de la loi du
8 décembre 1897. Mais on a dû imposer au tribunal, qui se
prononce sur la culpabilité, l'obligation de ne connaître des
preuves administrées, par les parties elles-mêmes, dans leur
propre intérêt, qu'après une discussion publique et contradic-
toire.
Notons les principaux traits qui résultent de ces points de
vue et sur lesquels nous insisterons ailleurs.
I. Le transport sur les lieux et la visite des lieux peuvent
s'opérer, dans l'instruction préalable, parle magistrat instruc-
teur, en l'absence de Tinculpé, mais en présence de son adver-
saire, le ministère public (C. inslr. cr., art. 62). Dans l'in-
' struction définitive, ces actes, lorsqu'ils sont accomplis par le
tribunal, tribunal correctionnel, tribunal de police, cour d'as-
sises, doivent l'être contradictoiremeot, et en présence des
parties*.
n. Relativement à la recherche et à l'administration de la
preuve testimoniale, il existe de nombreuses différences dans
les deux phases de l'instruction.
1*^ Dans la première^ la désignation des témoins à entendre
•appartient exclusivement au juge d'instruction (C. instr. cr.,
art. 71). C'est lui qui prend l'initiative de la citation par une
ordonnance appelée « cédule ». Les parties, procureur de la
République, inculpé, partie civile, n'ont qu'une faculté d'in*
§XLIX. » Voy. Cass., 5 sept. 1828 (S. et P. chr.).; 30 avr. 1860 (D. 60.
5. 114); 27 nov. 1875 (S. 76. 1. 385). Conf. Faustin Hélie, op.ciU, a« 2625,
2902, 3549.
LA PREUVE DANS LES DEUX PHASES DE PROCEDURE PENALE. 535
dicatioQ. Elles ne peuvent, ni citer les témoins elles-mêmes,
ni user d'un moyen légal quelconque pour contraindre le juge
d'instruction à les faire citer. Dans la procédure définitive,
les parties ont un droit personnel et absolu de citation de té-
moins (C. instr. cr., art. 153, 189, 315).
2^* Les témoins, même entendus sous serment dans Tinstruc-
tion, ne sont pas passibles des peines du faux témoignage '• Il
en est autrement dans Tinstruction définitive, lorsque le té-
moignage est consommé.
S"" La loi contient, en ce qui concerne Taudition des enfants
au-dessous de quinze ans, dans l'instruction préparatoire, une
disposition qui n'est pas répétée pour l'instruction définitive,
précédant le jugement : l'article 79 décide : « Les enfants de
l'un et de l'autre sexe^ au-dessous de l'âge de quinze ans,
pourront être entendus, par forme de déclaration et sans pres-
tation de serment ». On avait d'abord tiré de celte disposition
deux solutions corrélatives : d'une part, que les enfants au-
dessous de quinze ans ne pouvaient être entendus sous ser-
ment par le juge d'instruction; d'autre part, que le serment
devait leur être imposé devant les juridictions de jugement*.
De ces deux solutions, si la première parait être acceptée par
la jurisprudence actuelle, la seconde est depuis longtemps
abandonnée*. La dispense de serment tient à ce que l'enfant
ne se rend pas un compte suffisant de la gravite de ce serment.
Ce motif explique la règle posée par l'article 79 et permet de
l'étendre à toutes les juridictions pénales. Cependant, en cour
<l'assises, si les témoins de moins de quinze ans peuvent être
dispensés de serment, il n'est pas défendu de le leur faire
prêter, et il ne résulte de cette prestation de serment aucune
« Voy. mon Traité théor. et prat, du droit pénal (2« éd.), t. 5, n» 2018^
p. 303 61*304.
> Voy. Cass., 7, 20, 27, 28 févr. 5, 12, 10 mars, 2, 11, 23, 24 avr. 18<2
(S. chr.). La question est discutée par Faustin Hélie {op, cit., t. 4,
no 1861).
* Cass. ch. réunies, 3 déc. 1812 (S. chr.), pour les cours d'assises; Cass.,
2 macs 1855 (/. du PaL, 1855. 2. 467), pour les tribunaux correctionnels et
de simple police.
B36 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
nullité, au cas où ni Taccusé ni son défenseur ne s\ soQt op-
posés*.
4<* Les incapacités de témoigoer eu justice, résultant de con-
damnations pénales (C. p., art. 34, q^ 3 et i2, n*" 8], sout
communes aux deux phases de la procédure, à llnstruction
et au jugement. Mais il n*en est pas de même des causes de
récusation qui permettent aux parties de s'opposer, devant
les tribunaux, à l'audition : des ascendants des prévenus ou
accusés; de leurs descendants; de leurs frères et sœurs; de
leurs alliés aux mêmes degrés; de leur mari ou de leur
femme; des dénonciateurs dont la dénonciation est récompen-
sée par la loi ; des parties civiles ; des coaccusés, quoique leurs
causes aient été disjointes (G. instr. cr., art. 156 et 322). Ces
motifs de récusation, sur lesquels nous nous expliquons à
propos du témoignage, sont spéciaux à la procédure de juge-
ment. Et les diverses personnes, dont le témoignage est rece-
vable pour permettre au juge d'instruction d'établir qu'il y a
charge suffisante, peuvent être entendues, dans rinslructioo
préalable^ comme témoins et sous serment\
' Jurisprudence aujourd'hui constante. Voy. notamment : Cass., 7 avr.
i898 (S. 99. 1. 208) : '< Attendu, d'ailleurs, qu'en admettant que la cour
d'assises ait entendu ces témoins avec prestation de serment, alors qu'ils
étaient i\gés de moins de i5 ans, il ne saurait résulter aucune nullité de
l'accomplissement d'une formalité qui offrait à l'accusé une garantie de plus
de la sincérité des témoignages reçus. » Dans le même sens : Cass., 31 déc.
1896 (S. 1900. i. 384) : « Attendu que si, aux termes de l'article 79, les
témoins âgés de moins de 15 ans peuvent être dispensés du serment, il n'est
pas défendu de le leur faire prêter; qu'à cet égard, la loi s'en remet à la pru-
dence de la cour d'assises, alors que, comme dans l'espèce, ni les accusés
ni leurs défenseurs ne se sont opposés à la prestation de serment du té-
moin ». Mais en sens contraire ; Desquirou {Traité delapreuoe par témoins
en matière criminelle, 1811, in-S**, p. 169); Bonnier (op. cit., n» 340).
• Voy.Cass., 22 janv.1898 (S. 99. 1. 110) : « Attendu que la prohibition
édictée par l'article 322 ne doit s'entendre que des dépositions à recevoir à
l'audience, et qu'elle ne saurait faire obstacle à ce que le juge d'instruction
recherche tous les éléments de preuve qui peuvent conduire à la manifesta-
tion de la vérité... > Conf. la note sur la question.
537
TITRE IV
DES DIVERS PROCÉDÉS DE PREUVE
CHAPITRE PREMIER
DES DIVERSES ESPÈCES DE PREUVE.
§ L. — DE LA M£TH0DE POUR ARRIVER A LA DËG0U7ERTE
DE LA VËRITË.
274. Preuve directe ou inductive. Preuve iadirecte ou de raiROonemenl. — 275.
Déduction et induction. — 276. Interversion dans les idées sur les meilleurs moyens
de preuve. Importance acquise par les indices. — 277. Ce que l'on demande au-
jourd'hui d'établir. D'abord, la réalité du délit. Puis, la participation de Tagent.
ElnÛD, sa témibilité. Insuflisance, à ce dernier point de vue, des anciennes métho-
des de preuve. Nécessité de rechercher l'identité des criminels. Inventions scien-
tifiques dont ils profitent et dont la société doit user dans sa lutte contre le
crime. — 278. Dans quelle mesure la phase scientifique de la preuve peut rem-
placer la phase sentimentale. Transition.
274. La certitude judiciaire se forme suivaut certaias pro-
cédés psychologiques, d'ordre et de caractère divers. Toutes
les méthodes pour y arriver porteot le aom générique de
preuves. Mais ou doane souvent, à cette expression, un sens
plus restreint, en distinguant les faits dont l'existence est
évidente et ceux qui ont besoin d*ètre établis. Les premiers
sont perçus immédiatement, sans effort de raisonnement; de
sorte que la preuve peut en être dite directe, intuitive. Nous
n'arrivons à dégager les autres que par un travail de rai-
sonnement, en procédant, dans nos recherches, du connu à
rinconnu : la preuve est dite alors indirecte, médiate. Cette
538 PROCÉDURE PÉNALE. — DE Lk PREUVE.
dernière preuve, étant la seule qui suppose un effort de Fin-
lelligence, est aussi la seule qui reçoit^ dans la pratique, le
nom de preuve proprement dite.
275. Les méthodes de preuve se classent en deux catégo-
ries : celles qui procèdent par voie de déduction; celles qui
procèdent par voie d*induction. Dans la déduction^ méthode
purement logique, on tire, avec rigueur, les conséquences
d'une proposition supposée connue. Impuissante pour faire
découvrir des faits nouveaux, la déduction est excellente
pour dégager tout ce que contient une proposition ou un fait.
L'induction, qui part de certaines données observées et rele-
vées avec soin, pour généraliser les résultats particuliers
obtenus par voie d'expérience, est la véritable méthode de
découverte scientifique. Dans la recherche de la certitude
judiciaire, les deux méthodes doivent se combiner. Mais, ici
encore, se réalise la loi sociologique, d'après laquelle toute
évolution dans les idées et les croyances amène nécessaire-
ment une évolution dans les institutions probatoires.
276. Les procédés que la justice emploie dans ses recher-
ches ont été, depuis longtemps, élaborés : mais ils ne se trouvent
plus, tels qu'ils sont réglementés, à la hauteur du progrès scien-
tifique contemporain. Uaveu est encore considéré comme la
preuve par excellence. L'interrogatoire de l'inculpé, qui est
le moyen de l'obtenir, a été dégagé, il est vrai, partout, des
tortures matérielles dont les anciennes législations croyaient
l'emploi nécessaire, ha, question est posée y elle n'est plus don-
née. Le témoignage d'une tierce personne est, après l'aveu,
la preuve principale : nous y ajoutons plus ou moins de foi
suivant les circonstances dans lesquelles il se produit, le ser-
ment, la bonne réputation du témoin, son degré de désinté-
ressement, etc. Les causes de notre confiance dans ce moyen
de preuve sont ainsi, pour la plupart, étrangères à l'affaire
elle-même. L'élément de foi en la personne des témoins joue le
rôle le plus important et donne aux preuves judiciaires un
caractère essentiellement52/6;ec/t/. Cependant, d'après les pro-
METHODE POUR ARRIVER A DÉCOUVRIR LA VÉRITÉ. 539
cédés de recherche et de démonstratioQ de la logique actuelle,
c'est ï objectivité y la réalité, pou\ant être vérifiée à Taide des
opératioQS d*analyse et de syathcse, qui constitue le véritable
procédé de recherche et de démoustration de la certitude.
Inobservation, Tanalyse, Tinduction, voilà quels ont été, dans
ce siècle, les flambeaux de la méthode scientifique ; aussi remar-
que-t-on partout cette tendance à substituer la connaissance
objective à la connaissance subjective, aussi bien dans le do-
maine judiciaire que dans les autres domaines. D*oii une dou-
ble évolution dans les idées et les mœurs. D'abord les preuves
matérielles, les indices, presque méprisés autrefois, et appe-
lés des semi-preuves, acquièrent justement une valeur de plus
en plus en grande. Tous ceux qui ont été mêlés à Tœuvre de
la justice pénale, comme magistrats, avocats, jurés, savent
quelle est souvent, dans un procès criminel, l'importance
d'une trace matérielle imperceptible, l'empreinte d'un pied,
d'une main, d'un doigt, la découverte d'une mèche de che-
veux, etc. Aussi, dans les affaires importantes, on s'empresse
de reconstituer le crime devant le juge dans ses circonstances
extérieures, non seulement d'après les dépositions des témoins,
mais, encore et surtout, à l'aide des objets qui ont servi au
crime ou au milieu desquels le crime a été commis. D'un autre
côté, nous pesons les dépositions des témoins, non plus d'après
leurs qualités personnelles et leurs actes, mais en objectivant
leurs déclarations, c'est-à-dire en les mettant en rapport avec
les circonstances extérieures du fait qui les confirment ou les
infirment. Un jurisconsulte éminent, Glaser, l'inspirateur du
Code autrichien de 1873, a très heureusement formulé cette
idée, en disant que les preuves judiciaires et leur estimation
doivent se trouver dans l'affaire elle-même et non pas dans
des faits extérieurs qui y sont étrangers.
277. A un autre point de vue, une sorte d'inversion s'est
produite dans la recherche de la vérité judiciaire. Il n'y a pas
longtemps encore, ce qu'il était utile au juge de connaître,
pour se prononcer, c'était la réalité du délit et la culpabilité
de l'agent, double problème que les procédés psychologiques
5i0 PROCEDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
de preuves, maoiés avec prudeoce et habileté^ devaient lui
permettre d*établir. Aujourd*hui, rélémeat biologique, psy-
chique et moral du délinquant, sa personnalité, ses hérédités,
ses antécédents sont dominants dans un procès où il s'agit
moins de punir le fait que de frapper la criminalité de IV
gent révélée par le fait. Les anciens procédés de recherche et
d'administration de la preuve sont donc devenus insuffisaols
et s'adaptent difficilement à la mission nouvelle de la justice
répressive*.
D'un autre côté, avec les transformations sociales, résultant
de la facilité des communications, de l'unité de mœurs, de
costumes, d'habitudes, la recherche de Tidentité des crimi-
nels devient plus aléatoire et la dissimulation plus facile.
Enfin, les criminels ont su profiter, soit pour réussir dans
leurs entreprises, soit pour s'assurer l'impunité, de tous les
progrès et de toutes les inventions scientifiques. La police et
la justice, dans la fonction défensive de l'ordre social, ont dû
les suivre ou les précéder dans l'utilisation de ces procédés.
« Ce n'est pas, comme on l'a écrit, un traité de la preuve, fût-
il d^ Bentham, qui suffirait à faire mieu^i découvrir un délin-
quant. Ici, comme partout, le progrès n'a été qu'une suite
d'inventions grandes ou petites ' ».
Est-ce à dire que la phase scientifique de l'évolution de la
preuve soit définitivement ouverte? Que de nouveaux éléments
d'information aient été inventés et mis au jour? Si l'école
positiviste pouvait sérieusement proposer son signalement
anthropologique comme une présomption grave de crimina-
§ L. * « Un homme est accusé de crime, écrit Tarde [La philosophie pé-
nale, p. 450), et traduit devant un tribunal quelconque. Il y a alors deux
problèmes à résoudre : 1" jusqu'à quel point est-il' prouvé que l'accusé ait
commis le fait qui lui est imputé? demande qui, au for intérieur de chaque
juge ou juré, signifie : « jusqu'à quel poiot suis-je convaincu que l'accusé
a commis ce délit? » 2'* En admettant qu*il en soit l'auteur, dans quelle me-
sure est-il prouvé par là qu'il est dangereux et punissable? Or, de ces deux
problèmes, le premier est déjà si difficile à trancher, et en général Test si
imparfaitement, qu'il absorbe l'attention du magistrat et de l'avocat, et que le
second est assez négligé ».
^ Tarde, op. cit., p. 450.
DE LA CRI MINA LISTIQUE. 34 i
lité, il serait yrai d'affirmer qu'un nouvel élément d'infor-
mation, plus précis et plus scientifique, a été découvert et que,
désormais, Texpert chargé de diagnostiquer les signes et stig-
mates de la criminalité, doit remplacer le juge. Mais on sait
que tous les progrès judiciaires « ont été accomplis dans le
w
sens de la preuve plus facile ou plus prompte, ou plus com-
plète, et toutes les inventions ou les perfectionnements mo-
dernes ont servi à cela, télégraphe, poste, chemin de fer, pho-
tographie^ ainsi que les ingéniosités plus spécialement adap-
tées à ce but, casier judiciaire, méthode de Bertillon, appa-
reils de Marsh ou de Mitcherlisch, etc., etc., autant de puis-
sants instruments de découvertes, et, pour ainsi dire, déjuges
d'instruction physiques ou mécaniques' ».
La connaissance de ces procédés de recherche et d'admi-
nistration de la preuve importe à tous les agents qui, de près
ou de loin, collaborent à l'œuvre de la justice répressive. Aussi
de nombreuses études ont été faites dans le sens d'une appli-
cation plus scientifique de la preuve aux divers^ problèmes
qui se présentent dans tout procès pénal, et des disciplines
nouvelles sont nées de ces études.
§ LI. - DE LA GRIMINALISTIQUE.
278. Directions scientifiques en matière de preuve. Crimiialistiqi'e. Police scientifi-
que. Psychologie judiciaire expérimentale. — 279. Le juge répressif ne doit pas
seulement connaître la loi pour l'appliquer atix faits, il doit apprendre à fixer ces
faits. La criminalistiqup. — 280. La psychologie légale et ses deux branches : la
psychologie du juge et la psychologie du déposant. Double méthode. Observation.
Expérimentation. — 281. La psychologie du juge. Acquisition des matériaux de
preuve. Jugement basé sur ces matériaux. — 282. La psychologie du témoignage.
283. Le témoignage doit être soumis k une triple critique, clinique, pénale, expé-
rimentale. Faux témoignages des aliénés et psychopathes. Faux témoignages dé-
lictueux. Faux témoignages inconscients. — 284. Eléments d'où dépend la certitude
(lu témoignage. Nécessité pour 1« juge d'objectiver ces éléments. Science pratique
du témoignage. — 285. Caractères du témoignage. Un certain nombre de thèses à
poser. — 286. Dans quelle mesure on peut corriger objectivement le témoignage.
Conclusions. — 287. La police scientifique. Son enseign ement. — 288. Identifica-
tion des criminels, soit en vue de l'application des lois sur la récidive, soit en vue
' Tardo, Philosophie vénale, p. 451.
542 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREbVE.
des opérations de recherche on de surveillance des individus suspects. Le B*»r-
tilionnge. — 289. La photographie scientifique et le portrait parlé. — 290. la
fiche internationale. Difficultés.
278. L'évolution des directions scientifiques, en matière
de preuve, se manifeste par les trois faits suivants :
l"" La création, pour les futurs magistrats criminalistes,
d'une systématisation des connaissances pratiques qui leur
sont indispensables pour instruire et juger, rassembler les
preuves et les apprécier : c'est la criminalistique;
2** L'organisation A' une police judiciaire scientifique, par l'en-
seignement et la pratique de certains procédés de constatations,
de recherches, d'identifications;
3** Ldi psychologie judiciaire expérimentale^ qui apprend, par-
ticulièrement, à dégager le témoignage, c'est-à-dire le procédé
de preuve le plus ordinaire en matière criminelle, de ses cau-
ses d'erreurs, à ne lui donner une valeur de certitude que s'il
est conforme à toutes les circonstances objectives de l'affaire,
avec lesquelles il doit nécessairement être mis en rapport et
par lesquelles sa sincérité a besoin d*être confirmée.
Je reprends et j'examine cet ensemble de disciplines, qui
forment autant de chapitres d'une science complexe, ayant
pour objet l'étude psychologique et biologique des faits relatifs
à l'activité judiciaire*.
279. La mission du juge, en matière répressive, consistée
prononcer, dans une espèce déterminée, la sanction attachée,
par la loi positive, à telle action ou à telle omission. Pour lui
permettre d'accomplir sa tâche, WAoW, connaître la loi et fixer
les faits qui donnent lieu à l'application de la loi. Par exemple,
il faut qu'il sache, en cas de tentative d'assassinat, punie, par
notre Gode pénal, de la peine de mort, quel est le sens de ces
mots« volontairement » de l'article 295, et « préméditation )>
des articles 296 et 297 du Gode pénal, à quelles conditions
§ LI. ' Tandis que la «< psychologie criminelle » a pour objet l'élude psy-
chologique et biologique des faits relatifs à ractivitë criminelle, la « psycho-
logie judiciaire >> ne s'occupe pas du criminel ni de Tactivité criminelle. Voy.
E(\, Clapar^de, La psychologie judiciaire (.innée psychologique, 1906), p,274.
DE LA CRIMINâLISTIQUE. 543
îgales il y a « tentative », c'est-à-dire « commeocement d'exé-
ilion du meurtre », etc. C'est là le côté juridique du problème
ui lui est posé. Mais le juge doit, en outre, fixer les faits ^ c'est-
-dire en déterminer non seulement la réalité maisla signi-
cation, les interpréter, leur donner leur vérilable portée,
ar exemple savoir, dans le cas de mort violente, quel a été
; caractère de la mort, crime, suicide, quel mobile a eu Faç-
on, découvrir Tagent qui se cache, reconstituer la scène du
rime, établir, par tous les modes de preuve, et notamment
ar l'interrogatoire, les dépositions de témoins, les indices, la
ulpabilité de celui que le juge soupçonne d'être Tauteur de
assassinat. A cet égard, la procédure criminelle demande
lus d'initiative et plus d'habileté que la procédure civile,
l'est au ministère public, au juge d'instruction, au juge de la
ulpabilité, à rechercher et recueillir la preuve : et celte opé-
ation, il doit l'accomplir vis-à-vis d'un inculpé qui a le plus
rand intérêt à dérouter l'instruction et à égarer la justice,
^our arriver à cette fixation des faits, la bonne volonté n'est
as suffisante. Il faut, chez les professionnels qui ont pour
lission de poursuivre, d'instruire et de juger, un ensemble
e connaissances, qui ne s'acquièrent pas sans des études et
es expériences préalables dont les inculpés ne doivent pas
Ire les victimes. Systématiser toute la somme de savoir, d'cx-
érience et de routine qui est nécessaire, tel est l'objet d'une
Tanche d'étude, à laquelle, M. Hanns Gross, ancien procu-
eur et juge d'instruction, actuellement professeur de droit
énal à Graz, a donné le nom, aujourd'hui consacré dans la
îttéralure juridique, de a crimioalistique ».
Son Systeni der Krimmalistik^ le premier traité d'ensemble
ur cette branche de connaissances, a paru, comme 3° édition
e son Handbuch fiïr Untersuchungesrichter^ et a été traduit
ans un grand nombre de langues étrangères et notamment en
anguc française '. L'enseignement de la criminalistique doit
' D*" Hanns Gross, Manuel pratique d'instruction judiciaire à l'usage
es procureurs, des juges d'instruction^ etc., traduit de Talleinand par
IM. Bourcart, professeurà la Facult»^ de droit de Nancy, Winlzweiller, profes-
eur d'allemand au lycée de Nancy, 2 vol. in-8®, Paris, Marchai et Billard, 1899.
544 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREQ^^,
être commencé à TUniversité, et il a, comme priDcipal moyen
pratique, ces laboratoires, créés, depuis quelques années, en
France et à Téiranger, sous le nom de « musées criminels ».
Là se trouvent cataloguées des collections d'objets et de doca-
ments, propres à la formation pratique des futurs juges d'ins-
truction, procureurs et, en général, des officiers de police
judiciaire, c'est-à-dire de tous les agents, appartenant, soit à
Tordre judiciaire, soit à l'administration, qui par leur profes-
sion, sont en contact quotidien avec les malfaiteurs, et sont
charges de la rechercfie et de la poursuite des crimes et des
délits '.
280. Dans ce même but, la psychologie légale y qui est
l'ensemble des applications de la psychologie à la solution des
problèmes juridiques, fournit des éléments d*une application
pratique immédiate.
La psychologie légale comprend deux branches : la psy-
chologie du «juge », la psychologie du «déposant*». J'entends
par « juge », en me plaçant au point de vue du procès crimi-
nel, tout magistrat, tout juré, tout agent judiciaire qui a le
Cette traduction est précédée d'une préface de M. Gardeil, professeur de droit
criminel à la Faculté de Nancy. Elle a été faite sur la 2'' édition allemande. La
3* édition allemande porte le titre nouveau : « System der KriminalisUk »,
Depuis octobre 1898, M. Gross fait paraître une revue spéciale, consacrée à
l'anthropologie criminelle et à la statistique, sous ce titre: Vierteljahrsschrift
fur Kriminalanthropoloffie nnd Kriminalistik^ Leipzig, F. C. W. Vogel.
Gross est également l'auteur d'un traité de psychologie criminelle : Krimiml-
pfiychologie (2* éd., Leipzig, 1905), et l'un des initiateurs, dans les pays de
langue germanique, avec W. Stern de Breslau, de ces expériences sur le té-
moignage dont nous parlons ci-dessous, n"* 288 et suiv.
' Le congrès d'anthropologie criminelle, tenu à Turin en 1906, a émis le
vœu « que chaque gouvernement recueille les objets en confiscation desquels
il peut disposer et qui à présent restent inutilisés et souveat sont détruits,
dans un musée nécessaire pour le progrès des études légales et de police
judiciaire ».
* Hanns Gross subdivise la psychologie criminelle en deux grandes sec-
tions qu'il intitule, l'une « subjective », l'autre « objective ». Mais voir critique
par Ed. Claparède, Psychologie judiciaire, dans VAnnce psychologiq^ie, pu-
bliée par Alfred Binet, 1906, p. 28r) à 302.
DE LA CRIMINALISTIQUE. 545
voir de donner une solution à la question de culpabilité;
r « déposant », tout témoin, plaignant, inculpé, prévenu,
nt les actes ou les dépositions servent de fondement à Tap-
êciation et au jugement du magistrat ou du juré.
Pour rechercher et déterminer les lois psychologiques qui
uvernent les opérations du jugement et du témoignage, on
ut employer et combiner deux méthodes ^ :
La ?néthode d'observation*. — On recueille, dans les faits
otidiens, dès observations^, notées avec une précision scienti-
ue,et capables de fournir des données certaines su ries con-
ions et les résultats du fonctionnement de Tactivité judi-
lire.
La méthode d^ expérimentation, — On procède à des expé-
;nces de laboratoire, dont la mise en œuvre et Tapplication
nt, dans cette matière, relativement aisées, et que tout cri-
inulisle, qui en connaît la technique, peut inaugurer ou
nouveler \
281. Le juge doit chercher à éviter les erreurs subjectives
i le menacent, à chaque pas de sa route, dans les deux opé-
Voy. sur ces deux mélliodes : Larguier des Bancels, La psychologie
iiciairc, dans Année psychologique^ 1906, p. 179.
> On trouvera, dans deux revues, de nombreuses applications de cette
thode. basée sur des « espèces », des « cas », recueillis dans les annales
liciairos, l'histoire, la vie de tous les jours : la revue de Gross, Archiv fur
iminalanthropologic ; et celle de Stern, Beitrdge zur Psychologie der
issaye.
Depuis quelques années, la psychologie est entrée dans une voie nou-
le, sous l'influence et l'initiative de trois hommes dont les noms sont
liliers k tous ceux qui s'occupent de questions psychologiques : Wundt,
i, en 1878, ouvrait, en Allemagne, le premier laboratoire de psychologie
>érimentale; CharcoL, qui.à la môme époque, inaugurait ses recherches sur
/pnotisme chez les hystériques; Hibot, qui, par la publication de ses ou-
.ges et la fondation de la Revue philosophique, donnait, en France, une
e impulsion aux études de psychologie expérimentale. Voy. Alfred Binet,
iroduclion à la psychologie expérimentale (Paris, Alcan, 189*); Sanfort,
urs de psychologie expérimentale y trad. de l'anglais par Schinz, 1900;
ulouse, V'^aschide et Piéron, Technique de psycholojie expérimentale
aris, 1904).
G. P. P. — I. .35
546 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
rations qui lui sont confiées : Vacquisition des matériaux de
preuve^ le jugement basé sur ces matériaux^.
I. Au premier point de vue, ce qu'il importe au juge de
connaître, c'est la psychologie de la perception, la sienne,
comme celle des témoins. Gross* a donné, à cet égard, une
foule d'exemples intéressants, des illusions qu'il faut éviter,
comme des faits auxquels il faut attacher de Timportance. Il
estime, par exemple, que l'attitude extérieure du témoin, les
traits de son visage, sa physionomie, ses gestes peuvent révé-
ler beaucoup plus la pensée subconsciente de celui-ci que les
paroles qu'il exprime *\ Mais qu'à Tinverse, on doit s'abstenir
de tirer des déductions de faits dont la signification n'a pas été
établie par une expérience rigoureuse, tels que la rougeur da
visage, etc.
II. Au second point de vue, il est assez difficile d'organiser
une expérimentation sérieuse des facteurs psychologiques du
jugement. On peut néanmoins examiner cette opération, au
double point de vue de : — la psychognostique : aptitude à
bien juger; influence du sexe, de l'âge, de la profession sur la
faculté de juger correctement; effets de la fatigue, du type
mental, etc. ; — Iql psychotechnique : conditions pour élaborer
un jugement correct; types de jugement, le type décidé et le
type hésitant, le type prudent et le type insouciant, etc.
Mais ce sont là des questions qui ne ressortissent pas au
régime de la preuve.
282. Le témoignage, qui est la transmission d'un fait par
celui qui Ta constaté propriis sensibus, est le principal mode
de preuve en matière criminelle. Des recherches expérimenta-
les, dans le but de contrôler sa valeur et sa sincérité, ont per-
mis d'établir les bases d'une « psychologie du témoignage »,
dont les méthodes et les conclusions sont empruntées, soit à la
* Ed. Glaparède, La psychologie judiciaire^ op, cit,, p. 278 à 288.
» Op. cU,, l. 1, p. 140.
*® C'est UQ des avantages du régime de Toralité de la preuve que de met-
tre le juge en présence du témoin, de lui permettre ainsi de tenir compte de
son attitude extérieure.
DE LA CRIMINALISTIQUB. 5i7
osychologie expérimentale proprement dite, soit à la psycho-
logie morbide^^
283. Le témoignage doit être soumis à une triple critique,
Unique, pénale, expérimentale. En effet, les causes d'erreurs
3t de fauiL témoignages peuvent tenir à trois causes.
1. Il y en a qui proviennent d*un état morbide du témoin :
:elui-ci. est un aliéné ou, tout au moins, un psycliopalhe. A
:et égard, les principaux types qui appellent Tattention et dont
il faut particulièrement se défier au point de vue de la sincé-
rité du témoignage, sont : 1° les hallucinés qui croient voir et
3U tendre ce qu'ils n'ont ni vu ni entendu *'*; 2*" les hystériques
dont le caractère dominant est rautosuggestibilité"; 3*" les
débiles mentaux, parmi lesquels se recrutent tous ces faibles
d'esprit, avec déficits moraux, dont le témoignage n'offre au-
cune garantie **; 4" les Imaginatifs qui exagèrent, grossissent
et déforment les faits ".
** Voy. sur ce point: Binet, Psychologie individuelle. La description d'un
objet (Année psychologique, i897^p. 296) ; irf., La science du témoignage,
{Année psychologique, {90^^ p. 128-137) ; Borstet Claparède, La fidélité et l'édu-
cabilité du témoignage (Archives des sciences physiques et naturelles, 7 avril
4904). Pour les articles publiés dans la revue de Stern (lieitràge zur PsychO'
logie der Aussage), voy. la bibliographie publiée dans Année psychologique,
1906, p. 231, à la suite do l'article de Larguier des Bancels, La psychologie
judiciaire (p. 132 à 155). Sur les travaux allemands dans ces dernières années :
D*^ P. Liiôiime,Arch, d'anthropologie crim,, 1904,p. 394; 1906, p. 256, p. 364.
^' Les illusions ne sont pas dues seulement à une hallucination morbide.
Cfr. l'intéressante observation de Gross relative à la main du pape saint
Sixte dans le tableau de la madone sixtine de Raphaël. Cette main a six
doigts, ce qu'aucun critique n'aurait remarqué (Beitràge zur Psychologie d^r
Aussage, 1. 1, p. 157).
^5 La littérature de cette question est déjà considérable. Voy. notamment:
Ottolenghi, La suggestion, p. 278 et s.; 621 et s., 625 et s.; Lefort, L'hyp-
notisme au point de vue juridique (Rev, gén. du droi7, 1888, p. 37) ; Lilien-
thaljDer Hypnotismus in dus Strafrecht Zeitschrift far die ges. Strafrechts-
wissenchaft., t. Vil ; Wundt, Hypnotisme et suggestion (PolÙs, AicGiti, 1893),
ch. iv; Lefèvre, Les phénomènes de suggestion et d'autosuggestion (Paris
1903); Binet, La suggestibilité (Paris, 1900), chap. VI, L'interrogatoire.
*♦ Le mensonge des dégénérés a fait l'objet de ffotes sur la psychologie
des arriérés dans Arch, de psychologie, t. 2.
" A ce point de vue, il existe un syndrome mental qui consiste à racon-
548 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
La démonstration d'un trouble pathologique de la mé-
moire doit suffire pour rendre inutilisables les témoignages
d*un psychopathe, sans qu'il soit besoin de fournir la preuve
que tel témoignage particulier est erroné, car, dans la plupart
des cas, cette preuve est impossible. La législation positive
devrait donc écarter, comme témoin assermenté, tout indi-
vidu dont le témoignage et les perceptions sont influencés
par une maladie mentale ou la faiblesse d'esprit **.
IL D'autres causes d'erreur afTectent un caractère criminel
et rentrent dans le domaine des faux témoignages conscients,
dont les mobiles sont l'intérêt, la haine, la vengeance, etc.
Nous ne nous en occuperons pas davantage, c'est au droit pé-
nal à prévoir et à punir ce fait comme délit ^\
IIL Enfin, il y a les causes d'erreur ressortissant à la psy-
chologie normale :faux témoignages incoofscieuts, d'individus
normaux, qui se trompent eux-mêmes, sans le vouloir et sans
s'en douter. A cet égard, les méthodes d'expérimentation, dans
le but de rechercher les ecreurs et les illusions des percep-
tions sensuelles, de la mémoire, de l'association des idées, etc.,
1,'inûuence exercée sur une personne par la manière de poser
les questions, etc., ont produitdes résultats^ tels que la prati-
que judiciaire ne saurait plus se passer de certaines données
lui permettant de rechercher exactement les diverses formes
du témoignage, les causes qui peuvent le fausser et la vérita-
ble nature des constatations et des appréciations qui sont affir-
mées.
284. La certitude du témoignage dépend de trois éléments :
la compréhension normale des perceptions; la capacité de
fixer Talteniion; la faculté de reproduire exactement ce quia
ter des histoires extraordinaires et impossibles, sans aucua but apparent,
des « tartarinades », du nonn du héros d'Alphonse Daudet, c Tartarin •».
Delbriick, Die pathologische Lwje (Stuttgard, 1891) qui Ta profondément
décrit et étudié, l'a baptisé <« Pseudoloyia phantastica ».
'^ Par suite, l'expertise médicale sur la valeur mentale d'un témoio, peut
et doit être ordonnée toutes les fois que cela paraît nécessaire.
*^ Voy. mon Traité théor, et prat, du droit pénal (2* éd.), t. 5, n^ 2014
à 2029 . "
DB LA CRIMINALTSTIQUB. 549
été perçu, c'est-à-dire une mémoire sûre et fidèle. Or, ces qua-
lités, essentielles pour remplir la fonction de témoin, ne sont
pas en rapport de dépendance avec la bonne volonté du sujet.
Ce sont, du reste, des qualités subjectives que le juge est obligé
d'objectiver avec les éléments de fait que lui fournit le pro-
cès. 11 existe donc une « science pratique du témoignage »,
dont l'objet est de coordonner et d'assimiler les éléments four-
nis par l'expérimentation scientifique.
285. Quels sont les caractères du témoignage? Quelques
thèses doivent être posées.
I. Un témoignage entièrement fidèle nest pas la règle; il est
f exception. — Cette proposition, que Stern a le premier basée
sur des recherches expérimentales, est le résultat capital des
travaux exécutés, jusqu'ici, sur « la psychologie du témoi-
gnage ». Les déclarations du témoin peuvent porter sur un
événement auquel il a assisté, sur une image qu'il a observée,
sur une conversation, une phrase, qu*il a entendue : sponta-
nées, elles sont rarement exactes; provoquées par des ques-
tions, elles ne le sont jamais. D'abord, le témoignage n'est pas
complet, puisque l'observation la plus rapide que nous faisons
de nos souvenirs révèle « l'aspect lacunaire, simplifié des ima-
ges dont nous disposons et qui fondent le témoignage » **.
Puis, l'étendue même de nos souvenirs n*est pas une garantie
de leur fidilité. Enfin, l'influence du temps sur la valeur du
témoignage, celle des témoignages successifs les uns sur les
autres, viennent encore s'exercer pour déformer la vérité de
nos impressions et de nos souvenirs. Voilà une première série
de données dont il faut tenir compte.
II. Ce que le témoignage gagne en étendue, lorsquHl est
provoqué par des questions, il le perd en fidélité. — 11 faut donc,
si l'on veut extraire d*une déposition sa constante de certitude,
bien distinguer entre le témoignage, suivant qu'il est ^pon-
*' Larguier des Bancels, op. cit., p. 205. La valeur psychologique des
témoignages a été examinée au Congrès d'anthropologie criminelle de Turin
de 1906 sur les rapports de Brusa et Angiolini (Voy. Archives d'anthropolo
gie crim., 1906, p. 459 à 461).
550 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
tanc, forcé, suggéré. Sans doute, Tinterrogaloire est de nature
à étendre le champ du témoignage, mais ce n*est qu'aux dépens
de son exactitude. Toutes les expériences faites ont établi que
les témoignages spontanés étaient entachés de moinsd'erreurs
que ceux résultant de questions posées. Quant à la sugges-
tibilité, dans Tinterrogatoire, il faut s'en défier comme d'un
des procédés les moins surs et les plus dangereux. Une série
d'erreurs judiciaires ont pour cause des témoignages suggérés
par des questions captieuses.
m. « Comme le champ de la mémoire forcée est plus vaste
que celui de la mémoire spontanée, la « mémoire de recon-
naissance » les déborde Tun et Tautre; et tel qui ne saurait
évoquer Timage d'un accusé ou décrire Taspect d'une « pièce
à conviction », les reconnaîtra tout de suite lorsqu'il les
aura sous les yeux '• ».
La mémoire de « reconnaissance » est, du reste, une des
plus sujettes à erreur. Le résultat d'expériences collectives, qui
peuvent se renouveler facilement dans tout laboratoire, dé-
montre : d'une part, combien la mémoire est fragile, même
quand l'attention a été appelée sur les éléments de l'identité;
d'autre part, combien la confrontation, tellequ'elle est ordinai-
rement pratiquée, l'examen des pièces à conviction^ etc., cons-
tituent de a puissantes machines à suggestion » et offrent de
dangers.
Une reconnaissance d'identité ne doit être jugée valable
que si le témoin a désigné le prétendu coupable, parmi un
certain nombre de personnes lui ressemblant plus ou moins,
ou son portrait, dans une série de photographies. L'expéri-
mentation a démontré qu'on ne doit ajouter aucune créance
aux indications données sur l'identité, spécialement à celles
qui portent sur la couleur des cheveux, la forme de la barbe,
les vêtements et leur couleur, lorsque l'attention du témoin
n*a pas été attirée d'une manière particulière sur ces détails. La
confrontation « au choix » est une opération qui s'impose, sur-
tout au début de la procédure et dans le cabinet d'instruction.
*• Larguier des Bancals, op. cit,^ p. 209.
DE LA CRIMINALISTIQUE. 551
IV. La fidélité d'un témoignage^ même chez un témoin d'une
ejitière bonne foi^ est en raison inverse de son assurance, —
Ce résuUat, inattendu et paradoxal en apparence d'expérien-
ces nombreuses, est gros de conséquences pour la pratique
judiciaire. Plus on arrive à réfléchir sur ce que l'on a vu,
entendu, et retenu, plus on devient circonspect dans ses affir-
mations : le bon témoin sait douter. Les hallucinés, les ima-
ginatifs, les hystériques déposent souvent avec l'assurance que
leur donne la force de conviction de leur délire, de leur ima-
gination, de leur hystérie, et leurs dépositions, si affirmatives,
souvent faites avec un accent impressionnant de sincérité, ont
une action de conviction décisive sur les juges et surtout sur
les jurés.
V. Le (( contenu du témoignage x>, c'est-à-dire les divers élé-
ments qui interviennent dans la déposition, n'a pas la même
valeur de certitude. A ce point de vue, telle catégorie, par
exemple les nombres et les couleurs, n'est pas conservée et
reproduite avec la même fidélité que telle autre, les qualités,
les relations d'espace, les personnes, les objets. Mais les expé-
riences qui ont été faites dans cette direction ne donnent que
des résultats fort incertains et quelquefois contradictoires.
VL La. psychologie individuelle du témoignage, suivant le
^exe, l'âge, les types, les professions, ne permet pas non plus
de conclusions bien précises. Le témoignage de V enfant notam-
ment a été, tour à tour, l'objet des appréciations les plus oppo-
sées. Tandis que la plupart des criminalistes et des médecins
ne lui accordent qu'une confiance limitée et posent, comme
une règle presque absolue, que la défiance de ce témoignage
€st le commencement de la sagesse^^, quelques autres, parmi
2° Sur la disposition des enfants au mensonge, leur impressionnabilité et
leur suggestionnabilité, et sur la réserve avec laquelle doit être accueilli leur
témoignage : D' Motet, Les faux témoignages des enfants devant la jtistice
(Paris, Baillère, 1887); D*" Bérillon, Rapport au Congrès d'anthropologie
criminelle de Genève, 1896, p. 167, 168 et s.; D' Gazes, Les enfants men^
teurs [Revue des Revues, 15 nov. 1895, p. 368); Ottolenghi, La suggestione
{Turin, i900),p. 236 à 249, p. 268 à 275; Albanel et Legras, Sem. médicale^
i895; Emile Fourquet, Les faux témoins. Essai de psychologie criminelle.
Préface par G. Tarde (Chalon-sur-Saône, 1901), notamment p. 60 à 83.
552 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
lesquels il faut citer Gross, lui recoanaissenl une valeur assez
élevée. « Le témoignage des hommes est moins étendu que
celui des femmes^ mais il est plus fidèle ». Cette conclusioD,
que Stern formulait à la suite de ces premières recherches
et qu'il a maintenue depuis'^ a été confirmée par certains
psychologues^ mais contredite par d'autres.
28& Dans les limites que nous venons d'indiquer, les
recherches qui ont été faites sur la « psychologie du témoi-
gnage » ne permettent pas encore et ne permettront peut-être
jamais de poser des règles assez rigoureuses pour qu'on paisse
arriver à corriger objectivement^ à leur aide, les dépositions
faites devant la justice. Il est néanmoins permis de dégager
certaines données, d'un intérêt pratique évident, et qu'une
psychologie élémentaire pourrait formuler en un petit nom-
bre de propositioj[)s *^
I. L'erreur est un élément constant du témoignage. Le
témoignage sincère ne mérite pas la confiance qu'on lui
accorde communément.
II. Les erreurs sont beaucoup moins nombreuses dans le
récit spontané que dans l'interrogatoire.
III. La valeur d'une réponse dépend étroitement de la
forme de la question qui l'a provoquée. La réponse forme avec
la question un tout indivisible.
lY. Toute question, dont la forme implique une suggestion,
doit être évitée. Les enfants, en particulier, n'opposent qu'une
résistance minime aux suggestions de l'interrogatoire.
V. Les données relatives au signalement d'un individu ne
méritent, en général, qu'une confiance très restreinte. Les
renseignements qui portent sur les couleurs n'ont pratique*
ment aucune valeur.
** Stern, Beiiràge zur Psychologie der ^^ussage^ 1905, p. 73 à 81.
*^ Je les emprunte textuellement, sauf la dernière à laquelle je donne une
formule plus précise, à Larguier des Bancels, La psychologie judiciaire,
{Année psychologique, 1906), p. 230. Comp. dvi reste, Emile Fourquet, les
faux témoins, passim.
DE LA CRIMINALISTIQUE. 55<'t
VI. Le serment n'est qu'une garantie relative de la sincérité
du témoignage ".
287. Sous une autre forme, des essais ont été tentés, dans^
divers pays, pour donner aun agents soit judiciaires soit admi-
nistratifs des connaissances suffisantes et une préparation pra-
tique sur tout ce qui concerne les crimes et les criminels".
Cet enseignement de la « police scientilfique » porte spéciale-
ment sur- trois points : 1^ les recherches et les constatations à
faire sur les lieuii, dans les descentes et transports de police^
les traces à relever sur le cadavre ou le corps de la victime, etc.,
et la méthode pratique, à employer pour conserver et relever
ces traces; 2*" le signalement somatique, anthropométrique et
descriptif, la photographie judiciaire et le portrait parlé des
inculpés ou condamnés; 3** le signalement anthropométrique,
*' Je ne veux pas dire qu'il faut le supprimer, mais qu'il ne faut pas trop
compter sur cette garantie.
** Sur les progrès à réaliser dans l'organisation de la police et les moyens
dont elle dispose : S. Ottolenghi, LHnsegnamento universitario délia polizia
gvidiziaria scientifica (Turin, Bocca, 1897); id,, La police scientifique en
Italie {Archives d'anthropologie criminelle, 1903, p. 798 à 807) ; id., La poli-
zia scientifica in Italiay a proposto del Programma de « Criminologia »> di
A. Niceforo {La Scuola positiva, 1903, p. 299); Alongi, Mannale di polizia
scientifica (Milan, 1898); VirgilioRossi, Po/izia empirica et scientifica (Aquila,
1898). EnricoFerri, Sociologie criminelle (trad. Terrier), constate que« l'iden-
tification anthropométrique des délinquants (bertillonnage) est devenu histo-
riquement le noyau initial du cours de police scientifique institué d'abord par
Ottolenghi comme cours libre à l'Université de Sienne en 1896, puis comme
cours officiel par un décret de Zanardelli (25 oct. 1903), et rendu obligatoire
pour tous les fonctionnaires de police de tout l'État. C'est un cours de police
scientifique (avec un cabinet qui en dépend), dans lequel Ottolenghi, trans-
féré aussi à l'Université de Rome pour la médecine légale, enseigne, outre
le simple bertillonnage, de l'anthropologie et de la psychologie criminelles,
toutes choses, qui ont rapport avec les fonctions de la police pour recher-
cher et fixer les traces des délits et des délinquants et pour surveiller les
individus suspects ». Voy. dans Arch. d'anth. crim., 1905, p. 698 à 704, les
observations de Locard à propos d'un article de la Rivista pénale. Voy., sur
la police scientifique, les discussions qui ont eu lieu au Congrès d'anthropo-
logie criminelle de Turin de i90^ {Arch. d'anthropologie crim., 1906, p. 444
à 449).
Soi PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
biologique, psychologique et anamnestique de ces mêmes iodi-
vidus. Cet enseignemcot doit être, par soa objet et sa nature,
rattaché à renseignement de la médecine judiciaire dont il
forme le complément.
288. De tout temps, on s'est préoccupe d'identifier les cri-
minels, soit en vue de leurs antécédents judiciaires et pour
permettre aux juges de faire l'application des lois sur la réci-
dive, soit en vue des opérations de police qui visent la recher-
che ou la surveillance d'individus en liberté.
La preuve matérielle de certaines condamnations fut loog-
temps procurée par le moyen de mutilations ou de /nar-
éjues^*. Ce procédé n'a même disparu de la législation frau-
vçaise que par la révision du Code pénal, le 28 avril 4832
(art. 12).
Les moyens employés, jusqu'à ces derniers temps, pour
reconnaître les malfaiteurs et constater leur identité, tels que
signalements ordinaires, témoignages et attestations de per-
sonnes ayant antérieurement connu Tinculpé, photographies,
etc., manquaient évidemment de précision et de certitude.
Un procédé scientifique, l'application de ra/i/Aro/)om^/rie**
à la prise du signalement et à sa recherche, permet, aujour-
d'hui, d'identifier rigoureusement tout individu qui a passé
par les prisons et qui y retourne. C'est à un savant français,
M. Alphonse Bertillon, qu'est dû le système d'identification
par le moyen des signalements anthropométriques ^', auquel
■** Voy. Muyart de Vouglans, Itistitutcs au droit criminel^ p. 409 ; Jousse,
op, ciLy t. 1, p. 57 et 58.
** On sait que le premier qui ait eu l'idée de Y anthropométrie est Quéte-
let, secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Belgique, qui, en 187!,
publia l'ouvrage intitulé : L'anthropométrie ou mesures des différentes facul-
tés de l'homme. Mais Quételet n'eut pas l'idée d'utiliser le procédé qu'il avait
découvert pour l'identification des criminels.
'^'' Proposé à l'Administration dès 1879, ce procédé fut inauguré au DépAt,
en 1882. Des circulaires du ministre de l'Intérieur du 13 novembre 1885,
du 7 mars 1887, du 28 aodt 1888, du 25 août 1893, étendirent la nouvelle
méthode d'identification à toutes les prisons de France, l'appliquèrent à
tous les individus incarcérés et organisèrent la centralisation , à Paris» de
DE LA CRIMINALISTIQUE. 555
on donae ordinairemeal, par reconnaissance des nombreux
services qu'il a rendus, le nom de son auteur, le Bertillo-
nage ".
Le fonctionnement du système anthropométrique comprend
deux parties fondamentales et distinctes : l*" Le relevé du signa-
lement humain^ c^est-à-dire la description et la notation, à
l'aide de méthodes empruntées à Tanatomie et à l'anthropo-
logie, des caractères les plus propres à différencier un homme
de ses semblables et à constituer son individualité physique;
2** La classificatio7i sériée des signalements^ permettant, avec la
plus grande facilité, d'isoler un signalement donné, à travers
des milliers d'autres, et de conclure rigoureusement et scien-
tifiquement de l'identité du signalement à l'identité de l'indi-
vidu.
L Le système de prise de. signalement repose sur ces deux
faits d'observatipn : qu'il n'est pas possible de trouver deux
hommes absolument identiques; que certaines dimensions
anatomiques du corps, certains signes, certaines particulari-
tés relevés sur le corps, ne se modifient pas chez les adul-
tes et peuvent être notés dune façon définitive. Ce système
toutes les fiches signaléliques dressées dans les diverses prisons. Une circu-
laire du 23 mars 1807, provoquée par un incident qui a eu son écho à la Cham-
bre des députés (abus de mensuration sur la personne d*un député), excepte
de la mensuration les personnes arrêtées pour motifs politiques, celles incar-
cérées à la requête des familles, celles dont la notoriété publique est incontes-
table, les condamnés de simple police, et pour délits de presse ou politiques.
En cas de doute, le gardien -chef doit en référer aux préiets, sous-préfets et
procureur de la République. Toutes ces circulaires sont rapportées au Code
pénitentiaire,
" Bertillon a exposé son système au Congrès pénitentiaire international
et au Congrès d'anthropologie criminelle, tenus à Rome en 4885 [Acte» du
Congrès pénit, intern, de Rome, t. 1, p. 689 et suiv. ; Actes du Congrès
d'anth, crim. de home de 1885, p. 151). — D'intéressants renseignements
sur le fonctionnement du système anthropométrique, accompagnés de gra-
vures qui illustrent le texte, ont été donnés : !<> dans V Almanach Hachette
de 1896, p. 374; 2* dans les Lectures pour tous (Revue Hachette) de 1901,
p. 539 à 546. Voy. également : Répart, alphabétique du droit (ranimais,
vo Identité, n<* 63 à 77; Licassagne, Précis ds midecine légale (Masson,
1906), p. 213 à 217.
556 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
consiste : 1** en certaines mensurations corporelles exprimées
en chiffre, constituant le signalement anthropométrique ; 2* en
une description morphologique exacte de la personne, coosti-
iusinile signalement descriptif ; 3** en une description détaillée
des signes particuliers : cicatrices, tatouages, nœvi (grains de
beauté), etc., relevés sur diverses parties du corps, ou signa-
lement des marques particulières, auxquelles sont actuelle-
ment ajoutées les empreintes digitales*^, et la photographie
scientifique, lorsqu'elle est possible.
Les renseignements relatifs à chaque individu et des photo-
graphies de proGl et de face sont collées sur une fiche, en car-
ton mince, d'un modèle uniforme. Chaque fiche sîgnalétique
est recopiée. La fiche originale est dite fiche alphabétique;
la copie est dite fiche anthropométrique. La fiche originale al-
phabétique est classée alphabétiquement, d*après la phona-
tion du nom patronymique déclaré. La réunion de ces fiches
forme un répertoire alphabétique qui est utilisé, lorsqu'un indi-
vidu ne dissimule pas son nom, pour savoir s'il a été déjà men-
sure, pour dispenser de toute nouvelle opération anthropomé-
trique et permettre de trouver immédiatement le signalement
. 2* Un médecin anglais, le D*" Galton, ancien pr«^sident de l'Institut anthro-
pologique de Londres, mettant à profit une remarque qui avait été faite en
1823 par Purkinge de Breslau, a constaté que les sillons parallèles qui exis-
tent sur la peau, aux extre^raités des doigts, sont toujours les mômes, pour
un même individu, et varient toujours d'un individu à l'autre. Il en a déduit
un nouveau système d'identiûcation. Ce procédé des empreintes digitales &
été mis en pratique, en France, depuis 1894, et une place spéciale est réser-
vée, sur les 6ches anthropométriques, à l'impression de l'extrémité antérieure
des doigts des deux mains. Voy. Fer ri, Sociologie crtm., (trad. Terrier),
p. 517, note 2; Lacassagne, Précis de médecine légale (Masson, 1906), p. 209.
La dactyloscopie (c'est le nom donné à ce procédé d'identification par
les empreintes des doigts) a trois avantages : « i^ la simplicité de confec-
tion des fiches ; 2® la possibilité de l'appliquer aux femmes, sur lesquelles
il n'est point d'usage de pratiquer l'anthropométrie crânienne à cause des
cheveux; 3® la possibilité de l'appliquer aux jeunes gens, les empreintes étant
immuables depuis le sixième mois de la vie fœtale jusqu*à la mort. Tandis
que la longueur des doigts se modifie avec l'àge, fait important à une épo-
que où la délinquence juvénile est considérable ». Lacassagne, op, et toc
cit.
DE Là CRIMINALISTIQUE. 557
de tout individu arrêté, dont on connaît le nom et qui a été déjà
anthropométré. Dans quelques grandes ville, notamment à
Lyon, où existe un service spécial d'identification, la copie
ou fiche anthropométrique est classée dans la prison'®. Enfin
une copie de la fiche alphabétique et une copie de la fiche
anthropométrique sont dressées et expédiées au ministre de
rintérieur, sous le couvert du 1^^ bureau, qui les fait parvenir
au bureau du service anthropométrique, où elles sont toutes
centralisées.
II. Toutes les fiches signalétiques, prises en double expédi-
tion sur des cartons de dimensions différentes, sont centralisées
à Paris et classées dans le local du service anthropométrique.
Une double opération est faite dans ce but.
Une classification alphabétique^ qui n'offre aucune diffi-
culté d'installation et de recherche, et qui est utilisée lors-
qu'on connaît le nom d'un individu, pour retrouver son
signalement et ses antécédents. C'est la classification la plus
souvent consultée : la plupart des récidivistes ne dissimulant
ni leur identité ni leurs antécédents.
Une classificatioîi anthropométrique^ qui est utilisée pour
découvrir et constater Tindividualité et l'identité cachées, in-
<:onnues ou douteuses de prévenus arrêtés qui dissimulent
leur nom. iVlais, à ce point de vue, se posait un problème,
jusque-là presque insoluble : étant donné un individu, l'iden-
tifier à l'aide de ses longueurs et dimensions osseuses. M. Ber-
tillon a trouvé une solution ingénieuse de ce problème^ par
un classement des fiches anthropométriques, à l'aide de sub-
divisions qui permettent, par des éliminations successives,
de n'avoir à chercher que dans une dernière série de douze
fiches '*. Lorsqu'on est arrivé à ce groupe, si on n'y trouve
pas la fiche cherchée, c'est la preuve qu'il n'y a pas eu men-
^° Sur rorgariisation du service anthropométrique dans la prison de courte
peine de Lyon : Lacassagne, Précis de médecine légale, p. 216.
^* Le procédé de classification est si ingénieusement établi que la recherche,
pour un agent expérimenté, se fait en quelques minutes. H nous est impos-
sible, on le comprend, d'en entreprendre l'exposé. Ce sont choses qu'il faul
voir fonctionner, pour s'en fair^ une idée bien exacte.
558 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
suration aolérieure. Si on trouve la fiche cherchée, rideotiié
esl établie par la cooforinilé du signalement et complétée
par la photographie, dans le cas où elle est jointe à la fiche.
289. Le signalement anthropométrique ne peut être appli-
qué qu*en cas d'arrestation; il permet de retrouver, avec une
précision infaillible, le passé judiciaire de tout individu qui
entre dans une prison. Pour les opérations de police qui visent
la recherche ou la surveillance d'individus en liberté, ce signa-
lement n'est plus que d'une utilité restreinte. On a, il est vrai,
le portrait photographique : la police cherche à se le procurer
et, quand elle y est parvenue, elle le fait reproduire et distri-
buer aux agents chargés des recherches. Mais rexpérience
prouve, par de nombreux mécomptes, la difficulté de retrou-
ver quelqu'un au moyen de sa photographie. La ressemblance
physionomique d'ensemble est incertaine. D'une part, en très
peu de temps, la photographie date; il se produit des dissem-
blances notables entre l'homme d'aujourd'hui et Thommede
hier. D'un autre côté, il existe des ressemblances si frappan-
tes, entre personnes différentes, que des erreurs fâcheuses peu-
vent se produire : chacun de nous a ses sosies. M. Bertillon a
montré, dans un livre spécial, consacré à la photographie judi-
ciaire^'^ ^ que cette cause d'impuissance de la photographie
était due à l'absence de méthode appropriée et qu'au contraire
le portrait photographique" pouvait donner un instrument
^^ La photographie judiciaire [Panst Gauthier- Villars, 1890). Comp.Reiss,
chef des travaux photographiques de TUniversité de Lausanne, La photogra'
phie judiciaire (Paris, Mondai, 1903); Groos, Manuel pratique^ etc., 1. 1,
p. 280 à 314, a consacré quelques pages intéressantes à ce sujet. Voy. éga-
lement : Lacassagne, Précis, etc., p. 177.
•^^ L'opération doit être faite suivant des règles fixes : 1» Elle doit être
prise à la fois de face et de profil : — de face, pour permettre et faciliter la
reconnaissance du sujet par les personnes qui Tont vu et ne l'ont générale-
ment examiné que de face ou des trois quarts et connaissent surtout sa phy-
sionomie que la photographie »Je face reproduit mieux que celle de profil ; —
de profil^ parce que c'est le profil surtout qui donne l'individualité et fixe la
figure. 2° Tous les sujets sont photographiés tête nue. Les oreilles doivent
toujours être dégagées de la chevelure, pour le profil comme pour la face.
DB LA CRIMINALISTIQUB. 559
efficace de recherche et de recooaaissance d'idenlité, si Ton
parvenaii à l'analyser, à le décrire, à l'apprendre par cœur
pour ainsi dire. C'est ainsi que fut créé le signalement des-
criptif ou « portrait parlé w'^
ïuQ portrait parlé estiadescription minutieuse et méthodique
de l'extérieur d'une personne, faite au moyen d'un vocabu-
laire technique spécial, en vue de sa recherche et de son iden-
tification sur la voie publique.
Les notations caractéristiques s'inscrivent sur une fiche im-
primée en termes convenus.
Ce signalement est destiné à être appris par cœur, et il peut,
au besoin, se transmettre par télégraphe, sans rien perdre de
sa rigueur.
Les caractères physionomiques sont divisés en deux grandes
classes : chromatiques et morphologiques. — Les premiers
comprennent la couleur des cheveux, de la barbe, du teint,
et surtout les nuances si variées de Tiris. La couleur de Tœil
présente^ en effet, autant de fixité chez le même individu que
de variabilité d*un individu à. un autre. — Les seconds s'ap-
pliquent aux traits du visage examinés méthodiquement,
entre autres à la description de l'oreille. En effet, cette partie
du corps présente une telle variété de configuration qu'il
parait impossible de trouver deux oreilles identiques et que,
de l'identité de cet organe, on peut conclure à l'identité de
l'individu. Et celte particularité, démontrée par l'expérience,
est d'autant plus utile que, pour identifier un individu sur la
voie publique, l'oreille peut être examinée à loisir, sans attirer
l'attention du sujet
ss
30 Les clichés ne doivent être Tobjet d'aucune espèce de retouche, sous
quelque prétexte que ce soit. 4® Le buste seul est photographié à 1/7 de
la grandeur naturelle.
" Sur le portrait parlé : Rev. pénit., 1899, p. 1083 à 1087.
" Les agents des brigades de recherche ont un album donnant en réduc-
tion la fiche bertillonienne, l'abrégé du portrait parlé, de tous les individus
recherchés depuis quinze ans pour une raison quelconque. Cet album est
comme un dictionnaire portatif, facile à consulter. On l'appelle D. K. V.,
parce qu'il donne en abrégé les caractères distinclifs du nez et de l'oreille.
560 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
290. L'exteQsioQ internationale du système anthropomé-
trique et les échanges de renseignements qui peuvent être
fournis par ce procédé entre les polices et les justices des divers
États, serait de nature à diminuer les chances d'impunités et
aiderait particulièrement à la répression des criminels inter-
nationaux. Actuellement, le système d'identification anthro-
pométrique est adopté par tous les États de TEurope, à
Texception de la Turquie. 11 fonctionne aux États-Unis, dans
la République Argentine, au Japon. Un vœu tendant à le
rendre international a été adopté au congrès pénitentiaire
international de Paris, de 1895 ". Le premier moyen d'y par-
venir serait d'avoir, dans toutes les parties du globe, une
méthode d'identification unique, telle que tout agent de
police, quelles que soient sa nationalité et sa langue, puisse
user, sans autre préparation que son expérience antérieure,
de la fiche étrangère qui lui est transmise, ou du signalement
que le télégraphe lui envoie. Mais un obstacle, qui n'est pas
insurmontable, s'y est opposé jusqu'ici. Les modes d'ideotili*
cation, adoptés par les divers États, se ramènent à trois types:
1* le système des fiches bertilloniennes (France, Belgique,
Suisse, Russie, Roumanie, Mexique, etc.); 2"* le système des
fiches daclyloscopiques Galton (Indes, Angleterre, colonies
anglaises, Allemagne, Autriche, Egypte, Portugal); 3* le
système des fiches dactyloscopiques Vucetich (Amérique du
Sur la marge de ralbum, oa lit les syllabes Deq (d'équerre), Car (concave
ou n^ctiligiie), Vp:x (convexe), Tkav (traversé), Se*» (séparé). Sa (saillant).
Voir la re[)roduction d'une demi-feuille de cet album dans le Précis de La-
cassagne (p. 181). Lorsque l'agent a, devant lui, un individu qui dissimule
son identité ou qu'il soupçonne de se cacher, il relève, sur nature, les indi-
cations signalétiques très apparentes, puis il se reporte aux notes marginales
combinées et arrive bientôt à la page où se trouve le portrait parlé lorsque
l'individu suspect figure dans l'album. Si, h cette page, la tiche est absente,
Tarent a de suite la preuve qu*il est sur une fausse piste.
^*^ Actes du congrès pénitentiaire intern, de Rome y t. 1, p. 689 et s. Voy.
également : Actes du congrès d'anthropologie criminelle de Bi^xelles, de
1892, p. 97 à 166, 246, 289, 443 à 448, 463, 481. On se reportera également
à la communication faite au congrès de l'Union internationale du droit pénal
de Lens, en 1895 (Bull, de VUnion, 1896, p. 102 à 108).
DU CLASSEMENT DES PREUVES. 561
Sud, ltalie)'\ Il faudrait les ramener à Tunité, par une
discussion comparative de leurs avantages et de leurs incon-
vénients, et créer aussi la fiche internationale y dont la qualité
essentielle devrait être la simplicité
98
§ LU. — DU CLASSEMENT DES PREUVES.
291. Première classification des preuves. Preuves directes ou d'évidence. Preuves
indirectes ou de raisonnement. — 292. De lévidence, soit interne, soit externe. —
293. Du raisonnement et des preuves de raisonnement. — 294. Groupement des
preuves. Expf^riénce personnelle et expertise. Foi au témoignage. Présomptions
et indices. — 295. Seconde classification des (Preuves. Preuve générique. Preuve
spécifique. — 296. Quatre catégories de preuves.
291. Tout moyen de preuve porte sur les faits du procès*.
Pcfur connaître ce qui s'est passé, le juge doit recourir aux
divers procédés employés pour arriver à découvrir la vérité.
11 est des faits que Ton perçoit directement et qui sont évi-
dents. Il en est d'autres que Ton ne peut connaître person-
nellement et directement. De cette observation dérive une
première classification des moyens de preuve, en preuves di-
rectes ou (Tévidence et preuves indirectes ou de raisonnement.
292. L'évidence est interne ou externe,
1. L'évidence interne ou subjective est celle qui nous aver-
tit des faits qui se passent en nous. C'est la base de toute con-
naissance, et le point de départ des opérations que l'esprit
emploie pour arriver à la découverte de la vérité. 11 est inutile
de nous en occuper autrement que pour constater qu'elle est
*' Dans ce dernier type, la base d'un système d'identificatron est une
sorte de cartella biografica d'u criminel. Mais il est certainement très com-
pliqué. Voy. S. Ottolenghi, La nuova cartella biografica dei pregiudicati
(Actes de la société romaine d'anthropologie, 1905). Comp. Arch, d'anthr.
crim., 1906, p. 446 et 447.
3« Voy. D*" Edmond Locard, Les services actuels d'identification et la
fiche internationale (Arch, d\inthr. ciim.f 1906, p. 145 à 206).
8 LU. * Il ne saurait être question, surtout en matière pénale, de la preuve
du droit. Nullum delictujn sine leye,
G. P. P. — I. 36
S62 PROCEDURB PÂNALB. — DE LA PREUVB.
aussi nécessaire à la certitude judiciaire qu'elle Test à toute
certitude en général.
II. L'évidence externe ou objective est celle qui s'attache
aux faits extérieurs que nous percevons par Torgane de dos
sens. Elle est presque aussi sûre que Tévidence interne. Âiosi,
la vérité des circonstances et des faits que le juge aura vus et
entendus, lui sera mieux démontrée que si ces faits et cir-
constances lui étaient mcdiatement rapportés par un tiers.
L'expérience personnelle devient ainsi, dans la pratique judi-
ciaire, toutes les fois qu'elle est possible, un excellent moyen
de certitude. C'est pour cela que, en matière criminelle
particulièrement, il est souvent utile que le juge se déplace
lui-même pour aller prendre connaissance des faits au moyen
d'une descente de lieux. Il est toutefois certaines données que
le juge ne peut apprécier sans l'aide d'un auxiliaire plus com-
pétent que lui. « Alors, de même que nous nous servons
« d'instruments d'optique pour suppléer à l'imperfection de
« Torgane de la vue, le juge, qui ne peut avoir de connaissan-
« ces encyclopédiques, emprunte à la science de précieux auxi-
« liaires, afin d'obtenir une analyse exacte des éléments maté-
« riels qu'il a sous les yeux' ». L'expertise sert ainsi de con-
trôle et de complément à l'expérience personnelle, dont on
doit la rapprocher.
293. Mais « le nombre des faits qui tombent sous la per-
« ception immédiate de chaque individu n*est », suivant ^ex-
pression de Bentham^ « qu'une goutte d'eau dans le vase,
« comparé à ceux dont il ne peut être informé que sur le rap-
« port d'autrui ». Pour ces derniers, la preuve n*est pas directe:
elle consiste non plus dans l'évidence, mais dans un travail de
raisonnement; et comme le raisonnement est double {déduc-
tion^ induction)^ la méthode de découverte de la vérité est
double, selon qu'elle déduit la certitude de vérités plus géné-
rales, ou qu'elle Viîiduit de vérités particulières.
'Bonnier, op. cit., n° 21.
^ Preuves judiciaires j liv. I, chap. vu.
DU CLASSEMENT DES PREUVES. 563
Nous pouvoQs, par voie de déduction^ tirer d'un fait certain
une conséquence logique et nécessaire. C'est un procédé usuel,
:{uand il s'agit d'interpréter le droit et de rechercher son appli-
cation aux faits de la cause. Exceptionnellement, la déduction
trouverait sa place dans un procès criminel, s'il y avait lieu,
par exemple, de procéder à des opérations de calcul.
Nous pouvons encore, en traduisant sous forme de règle-
g:énérale, les résultats de plusieurs expériences particulières,
employer la méthode inductive. Le rapport qui, dans Tinduc-
lion, rattache le fait connu au fait inconnu, suppose, suivant
Tordre des faits sur lesquels portent nos observations, la cons-
tance, soit des lois de la nature physique, soit des lois de la
nature morale. Ainsi, nous avons remarqué, soit par l'exa-
men de notre propre conscience, soit parles observations que
nous ont fournies nos semblables, la véracité du témoignage
de rhomme : nous en concluons que les déclarations faites
par l'homme sont, a priori^ dignes de confiance. C'est donc,
sur une induction générale que repose la foi au témoignage.
Et, par témoignage, nous entendons toute espèce de déclara-
tion de l'homme, soit orale, soit par écrit, relativement à des
faits passés. C'est encore l'induction, mais sous une autre
forme plus directe et plus spéciale, qui nous permettra d'affir-
mer, au regard des circonstances qui ont accompagné le fait
incriminé, la réalité de cet acte. Dans l'ordre moral, comme
dans l'ordre physique, il peut y avoir des indices, qu'on a qua-
lifiés de témoignages muets, par opposition à la déclaration
de l'homme. La foi au témoignage n'est plus directement en
jeu : c'est le raisonnement qui intervient et qui s'efforce, en
groupant les présomptions ou indices de la cause, de recons-
tituer le fait principal, au moyen de ses manifestations acces-
soires, ou de conclure à la culpabilité, en s' appuyant sur cer-
taines observations circonstantielles.
294. Ainsi les preuves, susceptibles d'être recherchées et
produites dans un procès pénal, peuvent être classées sous
trois chefs principaux.
L 11 y a, d'abord, V expérience personnelle, à laquelle se rat-
564 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
tachent : l'' rinspection personnelle du juge; 2* Vexpertise,
avec celle réserve que ce procédé de preuve s'appuie égale-
ment, dans une certaine mesure, sur notre croyance à la sin-
cérité de Texpert et à la solidité de ses connaissances spéciales.
II. 11 y a, ensuite, la foi au iémoignage, qui s'analyse ainsi :
l** foi aux déclarations destiers, qu'elles soient orales ou écrites,
d'où, suivant l'un ou l'autre cas, la preuve testimoniale ou la
preuve littérale; 2*" foi aux déclarations de Tinculpé, d'où la
preuve par Taveu; 3"" foi aux déclarations du demandeur.
Dans cette catégorie rentre la preuve par le serment. Mais ce
mode de preuve répugne à la solution du procès pénal ; aussi
est-il étranger à la procédure criminelle.
III. Il y a, enfin, \e.% présomptions ou indices^ qui se subdi-
visent, en présomptions simples ou de Thomme, librement
appréciées par les magistrats, et présomptions légales, dont
les effets sont fixés par la loi.
Telle est la division que nous suivrons dans l'exposé des
diverses preuves.
295. 11 s'agit toujours^ pour arriver à la conviction du
juge, d'établir deux ordres de faits : i"* Irréalité du délit; 2" h
culpabilité de l'auteur *. De cette analyse, résulte une seconde
division des preuves, en preuves génériques et en preuves
spécifiques. Cette distinction correspond au double élément
de l'infraction, l'élétneîit matériel et Vêlement moral. Dans
toute imputation, eu effet, il est indispensable d'établir Texis-
tence du fait matériel et sa qualification, en même temps que
la responsabilité du délinquant par rapport aux faits qu'on
lui impute.
* Jo ne m'occupe pas du point de vue auquel doit, aujourd'hui^ se placer
le juge, pour adapter la peine à la mesure du danger que le délinquant
fait courir à l'ordre public. La tcmibilitc résulte, soit des éléments de fait
du délit, dont la preuve peut être rapportée par les procédés ordinaires, soil
d'éléments extérieurs, antécédents, caractère, hérédités, etc., dont la recher-
che et la constatation ne peuvent être laites que par une sorte d'instruc-
tion antérieure ou parallèle à TafTaire. Voy. suprà, n^ 275 et suiv., et
notes.
DU CLASSEMENT DES PREUVES. 565
>
I. La preuve générique sert à cooslater le fait et le genre du
délit : elle est le prélimiaaire de toute poursuite, quand le
délit laisse des traces matérielles, sauf à recourir à des équi-
polleots, quand sa réalité ne peut être directement établie, par
la production même du corps du délit.
L'ancienne jurisprudence criminelle attachait, avec raison,
une grande importance à rétablissement de la preuve généri-
que. Elle appelait, délit de fait permanent {facli permanentis)^
le délit dont il reste des traces matérielles, comme Thomicidc,
Teffraction, Tincendie; et délit de fait passager ou transitoire
{facti transeuntis)^ celui dont il ne reste aucune trace maté-
rielle, comme les injures verbales, raduUère*. Celte division
des délits, relative à la procédure quant aux moyens de prou-
ver leur existence, n'a plus aujourd'hui d'autre importance
que celle qui résulte de la nature même des choses. En effet,
dans toute instruction criminelle, s'il importe d'établir l'exis-
tence même du délit qui sert de base à la poursuite, cette
preuve ne peut être ni recherchée, ni rapportée de la même
manière, quand il existe un corps de délits c'est-à-dire quand
l'infraction a laissé des traces matérielles: dans ce cas, la véri-
fication directe et préalable s'impose. Mais s'il s'agit d'une in-
fraction qui ne laisse pas de vestiges, il faut, de toute nécessité,
recourir à la preuve testimoniale, pour en établir rexislence.Ce
serait, du reste,obéir à un préjugé assez répandu que d'affirmer,
en Tabsence de vestiges matériels, qu'on puisse, même dans
le premier cas, assurer l'impunité à un accusé dont la culpa-
bilité serait, d'autre part, établie par des témoignages directs.
La loi française ne subordonne pas la poursuite à la repré-
sentation ou à la constatation matérielle du corps du délit. Il
suffirait, en efTet^ à l'inculpé, de faire disparaître le corps du
délit, pour échapper à toute pénalité*. Ce qui est vrai, c'est
• Voy. notamment : Jousse, op. ciLt t. 1, p. 9, n* 11 ; t. 2, p. 19 et suiv.
^ Mais la preuve devient, dans ce cas, plus difficile. C'est ce qui explique
les nombreux cas de dépeçage criminel dont la police et la justice ont eu à
s'occuper. Voy. Lacassagne, Du dépeçage criminel (Arch, de l^Anthr. crim.^
1888, p. 229-255), et surtout son Précis de médecine légale (Paris, Masson,
1906), p. 448 à 450. Lacassagne distingue, avec le professeur Mina-Bodri-
566 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
qu'on doit s'appliquer, avec le plus grand soio, à rechercher les
traces du délit, toutes les fois que cette opération est possible.
II. La preuve spécifique est nécessaire pour obtenir la con-
viction que rinculpé est Fauteur du fait [imputabilitê) et qu'il
en est responsable [culpabilité). Tous les modes de preuves,
employés dans ces divers buts, peuvent être sériés en quatre
catégories : la preuve testimoniale (témoins); la preuve vocale
(aveu); la preuve instrumentale (écrits); la preuve conjectu-
rale (présomptions et indices). Pour arriver à rassembler et à
administrer ces divers modes de preuves, l'autorité pénale doit
se livrer à diverses opérations. Les principales sont : les inter-
rogatoires^ les enquêtes, les procès-verbaux, les cotistatatiom
matérielles^ les expertises.,.^ etc., dont la loi a réglé Informe,
mais non la force probante. Ces divers modes de preuve sont
la mise en œuvre des procédés mêmes dont se sert rintelligence
dans la recherche de la vérité.
gués, « un dépeçage offensif ou passionnel (ce sont les dépeçages j rovoqués
par la colère, ou nés de la haine, de la folie, de Tamour) et un dépeçage défen-
êif (c'est celui que suscite la peur, la crainte de rexpiation,rafTolement devant
un cadavre embarrassant). Dans les deux tiers des cas, il y a un seul dépe-
ceur. S'il y en a plusieurs, c'est un drame de famille (aff. Vitalis à Marseille;
Bamas dans TArdèche ; Monlerotondo à Rome). Quand une femme y prend
part, c'est un crime causé par l'adultère. Souvent, c'est un assassinat avec
vol. Lorsque le dépeçage est d'origine sexuelle, il y a manifestation de
sadisme (Vacher), de nécrosadisme (le sergent Bertrand ; le vampire de
Muy...). Presque toujours les dépeceurs opérant seuls sont des hommes.
Parmi les victimes, il y a plus de femmes que d'hommes... ». Sur l'expertise,
dans ce cas, voy. également Lacassagne, op. et loc. cit.
CHAPITRE II
DE l'expérience PERSONNELLE.
§ LUI. - DU ROLE DE L'EXPÉRIENCE PERSONNELLE DU JUGE
GOMME MOTEN DE CONVICTION.
296. Le jage peut avoir acquis la connaissance personnelle des faits du procès,
soit dans ses fonctions, soit en dehors de ses fonctions. — 297. De la connais*
sance acquise par le juge en dehors de ses fonctions. Pourquoi le juge ne peut
eo tenir compte. Des conséquences qui en résultent. Déport du juge. — 298. Du
juge témoin. Comparaison entre le jury anglais et le jury français. De la néces-
sité pour le juge moderne de connaître la vie de Tagent, ses antécédents, son mi-
lieu. Carte biographique. — 299. Le juge peut acquérir la connaissance des faits
dans Texercice de ses fonctions.
296. Le juge peut avoir acquis la connaissance personnelle
et directe des faits du procès, soit en dehors de ses fonctions ^
soit dans Vexercice même de ses fonctions,
297. Au premier cas, il ne lui est pas permis de tenir
compte de ce qu'il sait personnellement, de ce qu'il a même
TU ou entendu. Il a pu être témoin comme homme des événe-
ments qu'il est appelé à apprécier comme juge, et bien que le
premier rôle puisse laider à remplir le second, il y a incom-
patibilité légale cotre ces deux qualités, car, s'il en était autre-
ment, son témoignage comme témoin et son appréciation
comme juge échapperaient à la discussion publique et contra-
dictoire qui est Tunique moyen d'en contrôler l'exactitude et
d'en 6xer et limiter la portée. Cette règle est très ancienne \
§ LUI. * Voy. Bonnier, o'ç. cit., t. 1, n» 101 : « Les plus grandes autorités
reconnaissent que, même dans le for intérieur, le juge est tenu de rendre sa
568 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PRECTB.
Elle avait trouvé place dans une ordonnance de Montils-les-
TourSjd'avriJ 1 i33,oii il est prescrit aux juges art. 123) déjuger
certainement et selon les choses alléguées et prouvées par devant
eux par les parties. Et, bien qu'elle ne se trouve expressément
et directement coosacrée par aucun texte de nos lois positives,
elle domine la procédure civile' comme la procédure pénale.
En règle générale, le juge ne pouvantjamais se décider que
d'après les résultats de l'instruction et non d*après la connais-
sance personnelle qu'il a de l'affaire, il en résulte qu'il ne doit
pas puiser sa conviction, soit dans son expérience personnelle
comme témoin des faits, soit dans le résultat d'une inspection
officieuse des lieux contentieux qu'il aurait accomplie lui-
même.
Cette formule générale a été appliquée, par la jurisprudence
criminelle, dans une série de corollaires, spéciaux au moyen
de preuve tirée de Texpérience personnelle.
Nous citons les principaux : l*" Tout jugement, qui admet
ou repousse un moyen d'accusation ou de défense, en se ba-
sant sur la connaissance personnelle acquise par les juges du
fait en dehors du procès, doit être annulé comme contraire
aux principes de la contradiction des débats ^ 2*" Les juges ne
df^cision, non d'après ce qu'il sait comme homme, mais d'après ce qu'il a
appris comme juge ». Et Bonnier cite un texte de saint Thomas d'Aquin qui
donne les motifs philosophiques de cette règle : « Quiim judicium ctd judicei
spectcty non seciindum privatam^ sed secundum publicam potestatem oportet
eoê judicare, nec secundum veritatem, quam ipsi ut personœ privais
noveruntj ned secundum quod ipsis ut personis pubUcis,per leges^per tesUij
per instrumenta et per allegata et probata, res innotuit ». Et Jousse, Traité
de la justice criminelle ^ t. 2, p. 581 : a La quatrième règle nécessaire au
juge, est qu'il doit rendre son jugement, suivant les preuves qui sont au
procès; ce qui s'appelle juger secundum allegataet probata^ et non suivant
la connaissance particulière qu'il peut avoir par lui-même des faits ».
2 Cette règle a été souvent visée par la jurisprudence civile : Cass., 21 janv.
1881 (S. 81. 1. 192) ; 2 mars 1886 (S. 86. 1. 204) ; 26 juill. 1887 (S. 90. I.
175); 20 nov. 1889 (S. 90. 1. 7). Voy. cependant Ci v. rej., 24 janv. 1893 (D.
93. 1. 166).
^ .lurispruilence constante. Voy. notamment : Cass., 13juill.et 4 août 1893
(S. 93. 1. 536); 2 juill. 1896 et 28 janv. 1897 (S. 98. 1. 199). Conf. Cass.,
15 dëc. 1881 (S. 84. 1. 139). f
DE l'bXPÉRIENCE DU JUQB COMME MOYEN DE CONVICTION. 569
peuvent former leur convictioa ni motiver leur décision sur
le résultat de leurs investigations personnelles, poursuivies en
dehors de Taudience et en Tabsence des parties*. 3** Leur ju-
gement doit être également annulé, lorsqu'il ne trouve sa base
que dans une preuve annulée : cet élément de conviction dis-
paraissant, la conviction du juge n'a pu se former que sur des
renseignements pris en dehors de l'audience et qui n'ont pas
fait l'objet d'un débat contradicloire*. 4* En aucun cas, il n'est
permis au juge d'infirmer les énonciations d'un procès-verbal
faisant foi jusqu'à preuve contraire, à raison de la connais-
sance personnelle des faits, s'il a puisé cette connaissance en
dehors des preuves contraires fournies par les débats*.
Et comme il est au-dessus des forces et de la volonté du
juge de faire abstraction de ses propres souvenirs et, en quel-
que sorte, de se dédoubler, le moyen le plus sûr, pour lui et les
autres, de se conformera cette obligation, de ne puiser sa con-
viction que dans dessourceslégalementproduitesetexaminées,
c'est encore de se récuser. La voie que j'indique est tracée,
du reste, par l'article 257 du Code d'instruction criminelle,
qui défend, au juge d'instruction et aux conseillers qui ont
voté la mise en accusation, de siéger à la cour d'assises. La
loi du 8 décembre 1897 (art. 1") a étendu cette disposition au
juge d'instruction « qui ne peut concourir au jugement des
affaires qu'il a instruites ». C'estainsi encore que l'article 392
du même Gode ne permet pas, à celui qui a été officier de
police judiciaire, témoin^ expert ou partie, de remplir les
fonctions de juré, à peine de nullité. Par cet ensemble de
dispositions, la loi veut sauvegarder les parties contre toute
impression puisée par le juge en dehors des débats et, par
conséquent, contre les illusions d'une expérience personnelle
♦ Voy. Cmss., 27 mars 1905 (motifs) (S. 1905. 1. 268).
" Voy. notamment l'arrêt précité de la Chambre criminelle de la Cour de
cassation du 2 juill. 1896.
* Jurisprudence constante. Voy. notamment : Cass., 28 mars 1862 (D. 66.
5. 259); 28 janv. 1859 (D. 60. 5. 378;. Voy. au surplus Code (Vinstr. crim.
annoté de Dalloz, art. 154, n""321 et suiv.
570 PROCÉDURE PÉNALB. — DE LA PREUVE.
acquise par l'homme, qui imprimerait sur [*esprit du ju^e*
UD préjugé quelconque.
Dans un cas cependant, il y aurait lieu, pour le ju^e, de faire
appel à ses souvenirs personnels : c*est quand il s*agit de
reconnaître Tidentilé d'un individu par lui condamné, évadé
et repris (C. instr. crim., art. 318)'. Dans un autre cas, s'il
s'agit d*un délit qui a lieu à l'audience, ie juge n*est pas tenu,
malgré le teite de l'article 181 du Gode d*instruction crimi-
nelle, « d'entendre des témoins », lorsque, par suite de ses
constatations personnelles^ il estime inutile de recourir à la
preuve testimoniale pour former sa conviction'.
298. Est-il ra^tionnel d'obliger le juge à se dégager des
impressions personnelles qu'il a pu acquérir, en dehors des
débats, par sa propre expérience, et de le considérer, comme
d'autant meilleur appréciateur du procès, qu'il est resté plus
étranger aux faits qui y ont donné lieu et à l'accusé qui en est
l'auteur? En Angleterre et dans les pays anglo-saxons, il n'y
a aucune incompatibilité entre le rôle de juré et celui de
témoin. Un témoin peut iètre juré. Gela tient; a-t-on dit, à l'ori-
gine du jury anglais. On désirait, dans le principe, que les
jurés eussent personnellement connaissance des faits du pro-
cès. Aussi les prenait-on parmi les voisins de l'accusé, parmi
ceux qui avaient été mêlés à sa vie et qui pouvaient avoir été
témoins des faits qui lui étaient reprochés. Le jury, c'était la
preuve par le pays. Les jurés avaient, en réalité, le caractère
de témoins de moralité. Dans un passage de l'histoire de U
Loi commune de Reeves, traduit par Gherbulier*, cette trans-
' Le droit de statuer sur Tidentilé appartient en efîel à la juridiction qui
a prononcé la condamnation (C. instr. crim., art. 518). « C'est, disait l'ora-
teur du Gouvernement, dans Texposé des motifs, devant le tribunal qui a
prononcé la condamnation, que l'identité sera discutée. Nul autre ne pourrait
puiser dans son propre sein autant de lumières et de moyens de discerner
la vérité ». Locré, t 27, p. 200.
■ Voy. D. J. G., vo Témoin^ n« 197. Sic, Cour super, de Luxembourg,
20 février 1899 (D. 1901. 2. 125).
• Du jury envisage comme garantie politique (Rev. Wolowski^XLly p. 289,
XLII, p. 293). Sur ces origines obscures du jury anglais : Miltermaier, Traité
l'expérience du juge comme moyen de conviction. 571
mation de témoins de moralité en juges de la culpabilité
parfaitement indiquée : « le jury, tel qu'il existait dans
^origine, différait essentiellement de ce qu'il est aujourd'hui.
Uijourd^hui, les jurés sont juges suprêmes des procès; ils
codent leurs convictions sur des preuves orales ou écrites,
produites devant eux, et leur verdict est, en fait, un véri-
ablc jugement. Les anciens jurés, au contraire, n'étaient
las appelés à apprécier les faits de la cause comme magis-
rats : ces faits n'étaient pas même débattus devant eux.
[Is n'étaient que témoins, et le verdict n'offrait que le ré-
;ultat de leur témoignage, régulièrement, mais exclusive-
ment invoqué pour constater les faits litigieux. Ainsi, un
ugement au moyen du jury n'était, à vrai dire, qu'une
enquête; les jurés n'étaient distingués des autres témoins
[ue par le serment qu'ils devaient prêter, par leur nombre
imité, par le rang que la loi leur assignait, par la qualité
le tenanciers dans les divers degrés de la hiérarchie territo-
riale, et par l'influence qui en résultait ».
Le mouvement scientifique contemporain a transformé les
nditions du droit de punir. Le juge ne se prononce pas seu-
iientsur les faits du procès et sur la culpabilité de Taccusé.
) lui demande d'adapter le châtiment à l'individualité du
linquant. Cette mission, comment la remplirait-il, s'il n'a
lutres éléments d'appréciation que ceux que lui fournissent
> débats nécessairement superficiels de l'audience? Pour le
îttre en mesure de juger Vagent plutôt que Vacte^ on a pu
ager, tout d'abord, à le choisir le plus près possible du cri-
ihel, parmi les gens de sa race, de son pays et de son milieu.
Le juge idéal, écrit Prins**^, n'est-ce pas le juge, à la fois pri-
mitif et actuel, le père ou le chef de famille qui vit au milieu
les siens et les suit pas à pas, qui scrute les mobiles de leur
:onduite, étudie leur nature, leur tempérament, leurs ins-
incts et qui, connaissant leurs qualités et leurs défauts
la preuve dans rinstr. crim, allemande comparée avee la procédure cri-
lelle française, p. 419.
* Science pénale et droit positifs préface, p. XLVII.
572 • PROCÉDURE PÉNALE. — DR LA PREUVS.
« moraux et physiques, peut, d*uQe façoQ réfléchie, suifant
'< les cas, arrêter ou corriger, donner une éducation réforma-
« trice au\ dociles, punir et essayer de dompter les rebelles,
« soigner les malades, prendre les précautions et les mesures
« de préservation que réclament les inadaptables? La légis-
'< lation répressive aura beau faire, elle devra toujours remoD-
tt ter i ces règles de bon sens, à cette source de justice prati-
« que et rationnelle ».
Ce retour à une justice élémentaire et familiale est un beau
rêve, mais n'est qu'un rêve. La plupart des criminels sont
des « déracinés ». Comment les faire juger dans leur milieu
et par leur milieu? Ceux qui les connaissent le mieux ne sont
certainement pas aptes à les juger? Ce sont leurs m sembla-
bles ». Mais on peut donner satisfaction à cette nécessité de
constituer une justice répressive, moins impersonnelle et
moins abstraite que la justice actuelle, par la création d*uDe
Cartella biografica^^ du criminel, carte qui sera non seule-
ment la base de la surveillance policière des classes dange-
reuses, mais qui servira d'élément indispensable à Tinstroc-
tion et au jugement des récidivistes. Les investigations sur la
personnalité du criminel pourront être faites dans une di-
rection scientifique, dès que celui-ci tombera, par son premier
délit, dans le cercle d'action de la police judiciaire. Mais la
production, dans les procès ultérieurs, de cette pièce d'iden-
tité, devra être soumise à la discussion libre et contradictoire
des débats. Il importe, en effet, dans le but d'assurer la dé-
fense sociale, de ne rien sacrifier des principes du droit
public moderne, de garantir, avant tout, la liberté indhi-
duelle, et de ne pas créer une classe de suspects^*,
" Voy. supràf n® 200, note 37. Corap. Locard, VP Congrès cf anthropo-
logie criminelle, Turin, 1906, p. 28.
^'^ M. Garçon, dans une préface blux Éléments de médecine mentale, appli-
quas à Te'tude du Droit, du D*" Legrain (Paris, Rousseau, 1906), n'ndmetces
investigations judiciaires sur la personnalité du criminel « que dans un but
purement scientifique, et non par des inspecteurs de la sûreté ou par des
gendarmes et comme simple mesure de police ». Je suis d'accord avec lui
pour confier ces prises de renseignements scientifiques à la police judiciaire
à Toccasion d'un délit reproché. Mais, dans ces conditions, et avec la possi-
TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS PROCÉDURE PREALABLE. S73
299. Le juge peut acquérir la conoaissance personuelle
et directe des faits, dans Texercice de ses fonctions et comme
juge, par une visite des lieux et une constatation du corps du
délit.
Ces opérations sont exécutées, soit dans la phase prépara-
toire, par le juge d'instruction et les officiers de police judi-
ciaire, soit dans la phase définitive^ par le tribunal ou un de
ses membres délégués.
Quelquefois pratiqué en matière civile, le transport sur les
lieux est une opération courante en matière criminelle. En
effet, rinspection des lieux peut seule, dans la plupart des
circonstances, apporter la conviction, mettre sous la main de
justice le corps du délit, ou procurer lâT preuve circonstan-
fielle des faits imputés'\
§ LI7. — DU TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS
LA PROCÉDURE PRÉALABLE
300. Du tranâport sur les lieux dans la procédure préalab'e. Division. — 301. Fia-
grant délit et cas assimilés. Concours d'attributions entre le procureur de la Ré-
publique, ses auxiliaires et le juge d'instruction. — 302. Quand il y a flagrant
délit. Procédure commune au procureur de la République et au juge d'instruc-
tion. En cas de concours dans les cas ordinaires, c'est au juge d'instruction à
ordonner et exécuter un transport. — 303. De la présence de l'inculpé et de celle
de la partie civile. — 304. Projets da réforme restés en roule. — 305. Opérations
do transport. — 306. Des précautions qui doivent être prises pour garantir la con-
statation, la conservation et Tidentité du corps du délit. — 307. Combinaison des
prescriptions du Code d'instruction criminelle et de celles de la loi du 8 décembre
1897.
300. Dans la procédure préalable, un transport sur les lieux
bilité de discuter les éléments de la carte biographique, je ne vois pas qui
pourrait plus utilement les recueillir et les coordonner qu'une police scien-
tifique bien organisée.
" On consultera, sur la pratique de l'opération, deux ouvrages de nature
différente : Hanns Gross, Manuel d* instruction judiciaire, liv. IV, t. T,
cliap. m, Inspection des lieux, p. i48 à 178; G. Abadie, Guide pratique
des magistrats en transport criminel (Marchai et Billard, 1894). Ce dernier
manuel n'est pas un traité sur rinslruction, c'est un examen juridique et
pratique du rôle qu'ont à remplir ceux qui sont appelés à instruire sur les
lieux les affaires les plus graves. Dans des limites restreintes, ce travail
constitue un excellent guide pour les magistrats instrucieurs.
574 PROCÉDURE PÉNALE. DE LA PREUVE.
peut être nécessaire ou simplemeot utile, soit eo cas de fla-
grant délity soit dans les cas ordinaires.
301. C'est surtout en cas de flagrant délit qu'un trans-
port immédiat peut servir à 6xer les traces matérielles et à
situer Tafi'aire dans son milieu. Aussi le Code d'instruction
criminelle (art. 32) prescrit au procureur de la République
ou à ses auxiliaires' de se transporter, dans ce cas, sur les
lieux, « sans aucun retard, pour y dresser les procès-Terbaux
« nécessaires à Tefiet de constater le corps du délit, son état,
« l'état des lieux, et pour recevoir les déclarations des per-
« sonnes qui auraient été présentes, ou qui auraient des ren-
« seignements à donner ».
A lire ce texte, il semble, en cas de flagrant délit, que le
transport soit obligatoire. Mais, malgré les termes impératifs
de Tarticle 32, le procureur de la République ne se trans-
portera sur les lieux que quand il jugera cette opération né-
cessaire '.
Par dérogation aux règles ordinaires, le juge d'instructioa
peut, dans la matière du flagrant délit, faire acte d'instruc-
tion sans attendre d'être saisi par le procureur de la Républi-
que (C. instr. crim., art. 59). Son droit et son devoir de se
transporter sur les lieux, sont donc hors de toute contestation.
En résumé, en cas de flagrant délit et dans les cas assimilés,
il y a concours d'attributions, pour eflectuer un transport sur
les lieux, entre le procureur de la République, ses auxiliaires
et le juge d'instruction.
302. Trois questions doivent être examinées : 1^ Dans
quels cas le flagrant délit donne-t-il au procureur de la Répu-
blique^ à ses auxiliaires, au juge d'instruction agissant sans
§ LIV. * Notamment aux officiers de gendarmerie (art. 111 et 130 du dé-
cret du 20 mai {^i)2 portant règlement sur l'organisation et le service de
la gendarmerie),
2 La Chancellerie reconmiande de ne recourir aux transports qu'en cas de
nécessité, afin d'éviter des déplacements sans objet et des dépenses inutiles
(CircChanc, 14 août 1842, § 6: 23 févr. 1887).
TRANSPORT SUR LBS LIEUX DANS PROCÉDURE PRÉALABLE. S75
être saisi, le droit de se transporter sur les lieux? 2° Les règles
de ce transport sont-elles identiques pour le procureur de la
République et le juge d'instruction? 3** Que se passera-t-il,
en cas de concours, sur les lieux, des divers magistrats qui ont
compétence pour se saisir?
a) C'est seulement au cas où le fait est « de nature à entraî-
ner une peine afflictive et infamante », que s'applique l'arti-
cle 32. Mais le procureur de la République et ses auxiliaires
sont autorisés à agir, comme s'il y avait crime flagrant, quand
les circonstances de fait spnt telles qu'il y a doute sur le ca-
ractère de la peine applicable'. La tentative de crime esit,
à ce point de vue, assimilée au crime mcme\ Mais faut-il
aller plus loin et donner au procureur de la République et à
ses auxiliaires, les juges de paix et les commissaires de police,
le droit de constater, par un transport sur les lieux, un délit
correctionnel flagrant? J'ai toujours pensé que la loi du
20 mai 1863 avait implicitement étendu les attributions excep-
tionnelles du procureur de la République*.
b) Le procureur de la République n'est pas touché par la
loi du 8 décembre 1897 dans son rôle d'officier de police
judiciaire. Lorsque le juge d'instruction se transporte sur
les lieux en cas de flagrant délit, c'est-à-dire sans être requis,
il peut procéder à un interrogatoire immédiat et à des con-
frontations. Il n'a pas à se conformer aux dispositions de la
loi du 8 décembre 1897 (art. 7). A cet égard, la liberté des
deux magistrats reste la même.
Le procureur de la République doit donner avis de son
transport au juge d'instruction; mais il n*est pas obligé de
l'attendre. 11 a le droit de se faire accompagner par le greffier
ou par un commis-greffler du tribunal. Il faut décider que la
même formalité est prescrite au juge d'instruction, agissant,
en cas de flagrant délit, à litre d'officier de police judiciaire.
' Sic, Riom, 11 mai 1853 (D. 55. 2. 348).
* Voy. Limoges, 18 février 1888 (D. 89. 2. 144) et la note.
^ Je discuterai la question à propos des attributions exceptionnelles du
procureur de la République. Mais voy. en sens contraire : D. J. G. supplé-
ment, v« Procédure criminelle, n® 495; Abadie, op. ciU, p. 7, note 1.
576 PROCÉDURE PÉNALE. — DR Là PREUVE.
c, Ce concours d'attributions entre le procureur de la Répu-
blique, ses officiers auxiliaires et le juge d'instruction, qui est
la conséquence du flagrant délit, amène parfois plusieurs
magistrats sur les lieux du crime. Qui doit alors se saisir de
rafraire?Si le concours s*établit entre les officiers auxiliaires,
juge de paix, maire, commissaire de police, officiers de geo-
darmerie, c'est le premier arrivé. S'il se produit entre Tod
de ces derniers et le procureur de la République, c'est le chef
de la police judiciaire dans Tarrondissement qui poursuit
rinstruclion. Si le juge d'instruction est sur les lieux, c'est lui
qui prend alors la direction de l'information et qui fait pro-
céder, sous sa responsabilité, aux premiers actes de Finstruc-
tion*.
303. En dehors du cas de crime flagrant, le transport sur
les lieux est une opération régulière mais facultative de Tin-
formation. C'est au juge d'instruction à l'ordonner et à Texé-
cuter', accompagné du procureur de la République et d'uD
greffier (C. instr. crim., art. 62). Évidemment, il ne saurait
dépendre du procureur de la République, en refusant de s'as-
socier aux actes de l'instruction, pour lesquels son assistance
est prescrite, de paralyser les pouvoirs que le juge d'instruc-
tion tient de la loi, et d'entraver ou de suspendre ainsi la
marche de Tinformation. En cas de refus de ce magistrat, il
faut décider que l'indépendance des fonctions d'instruction et
de poursuite autorise le juge à se transporter seul avec son
greffier".
6 Cass., 49 a\T. et 29 juin 1855 (D. 55. 1. 269 et 319).
"^ Je ne parle pas, bien entendu, du droit général de délégation qui existe
p()ur le transport sur les lieux comme pour les autres opérations de Pin-
struction.
« Montpellier, 25 juin 1840 [PaL, 40. 2. 129). Cet arrêt a jugé que le pro-
cureur, requis par le juge d'instruction de l'accompagner dans un transport,
commet un excès de pouvoir, lorsqu'il déclare, dans un acte écrit au pied
de i'ordonnîince, après avoir discuté et nié l'utilité de cette mesure, qu'il ne
requiert pas ce transport ; qu'en effet, il ne peut dépendre du procureur, en
refusant de s'associer aux actes d'instruction pour lesquels son assistance
est nécessaire, de paralyser, entre les mains du juge d'instruction, les pou-
TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS PROCEDURE PRÉALABLE. 577
La faculté qu'a le juge d'iastruclioD, en cas de flagrant dé-
lit, de suppléer à l'assistance du greffier par celle d'un ci-
toyen quelconque, n'est pas applicable lorsque le transport a
lieu au cours d'une information. Mais le juge d'instruction
pourrait, en cas d'empêchement, remplacer le greffier, en
commettant une personne ayant Tâge exigé par la loi, ayant
la qualité de Français, qui prêterait le serment requis*.
304. L'article 62 du Code d'instruction criminelle, qui
prescrit au juge d'instruction, en cas de transport sur les lieux,
de se faire toujours accompagner du procureur de la Répu-
blique, ne parle ni de la présence de l'inculpé, ni de celle de
ia partie civile.
Dans la revision projetée du Code d'instruction criminelle
en 1879, on proposait d'introduire, au point de vue du con-
stat sur les lieux, le principe de la contradiction. Le projet
du gouvernement (art. 38) se bornait à prescrire au juge
d'instruction de donner avis de son transport au conseil de
l'inculpé. Le projet qui a été voté par le Sénat, en 1881,
disposait que le transport pouvait avoir lieu sans l'inculpé
(art. 52). Mais le rapporteur expliquait qu'on n'entendait
pas faire obstacle à la présence du défenseur qui demeurait
facultative. Quant à la partie civile, il n'en était pas question.
La commission de la Chambre des députés jugea ce sys-
tème insuffisant *°. L'article 51 du projet, préparé par elle,
exigeait que, dans tous les cas où le transport lui paraîtrait
voirs qu'il tient de la loi, et d'entraver ou de suspendre ainsi la marche de
rinformation. Sic, Faustin Ht^lie, op. ci7., t. 4, n»- 1620 et 1789.
■ • Cass., 5 sept. 1852 (D. 52. 5. 321). Sic, Faustin liélie, op, ciL, t. 4,
n** 1790. Les instructions de la Chancellerie auturisenl, du reste, le juge
d'instruction à se faire assister du greffier de la justice de paix du canton
où il se transporte, ou bien de se faire accompagner par le greffier du tri-
bunal (Dec. min. just., 23 oct. 1825, 14 avr. 1827). En effet, le juge d'in-
fitruction, pouvant déléguer le juge de paix au transport, peut, h plus forte
raison, se faire assister personnellement du greffier de la justice de paix.
Sic, Faustin ïlélie, op. cit., t. 4, n* 1791.
*« Séance du Sénat du 23 mai 1882 (Journ. off. du 2t mai, p. X37), et
séance du 25 mai [Journ. off. du 26 mai, p. 549).
G. P. P. — 1. 37
578 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUTE.
Décessaire, le juge d'instructioa en donnât avis au procureur
de la République, à Tinculpé, à la partie civile et à leurs
conseils. L*inculpé détenu devait, sur sa demande^ être
transféré au lieu où s'effectuait le transport. Le rapporteur,
expliquant cette disposition, indiquait que le procureur de
la République, Tinculpé libre, la partie civile, les conseils
avaient le droit d'y assister. Le juge d'instruction pouvait
agir sans eux, mais il ne pouvait appeler Tun sans l'aiitre.
Cet ensemble de dispositions parait être, à raison de ses
complications, d'une mise en œuvre à peu près impossible.
La seule mesure utile et acceptable, serait d'aviser, non la
partie civile ou son conseil, niais l'inculpé ou son conseil
qu'ils auront le droit de se faire représenter aux constata-
tions, sans que Topéralion puisse en être relardée.
Lorsque le transport a lieu dans une des hypothèses pré-
vues par l'article 7 de la loi du 8 décembre 1897 (flagrant délit,
état d'un témoin en danger de mort, nécessité ije constater
des indices sur le point de disparaître), les prescriptions de
cette loi, en ce qui concerne la rédaction d'un procès-verbal
de première comparution, les avertissements à donner à Tiii-
culpé et l'assistance du conseil, ne sont pas applicables. Mais
lorsque le transport n'est pas justifié par une des trois causes
exceptionnelles visées par l'article 7, la loi du 8 décembre 1897
doit être rigoureusement appliquée, et l'inculpé, à moins
qu'il n'y ait expressément consenti, ne peut être ni interrogé,
ni confronté sur les lieux, sans être assisté de son conseil,
ou du moins sans que son conseil ait été dûment convoque.
305. Le magistrat, procureur de la République ou juge
d'instruction, qui s'est transporté sur les lieux, doit procéder
aux opérations suivantes, dans la mesure où elles sont néces-
saires ou utiles à l'établissement de la preuve : 1* constater le
corps du délit, son état, l'état des lieux (C. instr. [cr., art.
32)'^ ; 2^ recevoir les déclarations des personnes qui auraient
*' La constatation matérielle du corps du délit a une importance capitale.
Elle ne doit jamais être négligée, même dans le cas où, dès les premiers mo-
TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS PROCÉDURE PREALABLE. 379
été préseates ou qui auraient des renseignements à donner
(art. 32); 3' se saisir des armes et de tout ce qui paraîlraavoir
servi ou avoir été destiné à commetlre le crime ou le délit, de
tout ce qui pourra en avoir été le produit (art. 35); 4° si la
nature du crime est telle que la preuve puisse être acquise par
les papiers ou autres pièces et effels en la possession du pré-
venu, faire la perquisition au domicile du prévenu des objets
qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité (art. 86 et 87) ;
5* faire, en tous autres lieux, les perquisitions nécessaires
pour découvrir les objets utiles à la manifestation de la vérité
(art. 88)*-.
Ces diverses opérations sont la mise en œuvre, sur les lieux,
des principaux procédés que toute instruction doit employer
pour arriver à la découverte delà vérité. Le magistrat instruc-
teur constate seul les circonstances qui établissent Texistence
matérielle du crime, si ces circonstances tombent sous les
sens. C'est Vexpérience personnelle. Il les constate, à Taide
d'une expertise, si leur vérification nécessite le concours des
hommes de l'art, par le témoignage de ceux qui les ont con-
nues, si les traces en ont disparu ou sont effacées, par des
visites domiciliaires ou des saisies, dans les autres cas. Et cet
ensemble de moyens, employés avec méthode et perspicacité,
est de nature, aussi bien à établir le corps du crime ou du
délit qu'à démontrer la culpabilité des auteurs et des com-
plices du fait incriminé *^ ^
ments, le prévenu entre dans hi voie des aveux. Observations intéressantes
dans Abadie, Guide, etc., p. 14 et 15.
*2 Tout magistrat, qui a compétence pour instruire un flagrant délit, peut
sintroduire dans le domicile du prévenu^ pour opérer touteis saisies néces-
saires; mais au juge d'instruction seul appartient le droit de se livrer à des
perquisitions chez les tiers. Aux termes d'un arrêt de la Cour de cassation
du i6 janv, 1869 (D. 09. i. 381), le juge d'instruction pourrait aussi faire
procéder à^ine perquisition sur la personne, qui s'emparerait, pendant une
visite domiciliaire, d'un objet saisi et le cacherait sous ses vAtements. Pour
vaincre sa résistance, il serait autorisé à employer la force.
*' « Sur les lieux, écrit Abadie {op. cit., p. 16), on peut ramasser un objet
oublié ou perdu par le coupable, on relève les traces de ses pas, les emprein-
tes de ses mains; par l'expertise, on découvre sur ses habits ou surson linge
K80 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
306. Mais quel que soit le but de l'opéralioD, certaines
précautions sont imposées par la loi pour garantir la consta-
tation, la conservation et l'identité du corps du délit.
1. La première est la rédaction d'un procès-verbal de con-
stat.
Au cas de transport du juge d'instruction, accompagné d'un
magistrat du parquet, le procès-verbal doit énoncer tout
d'abord la date et le lieu de sa rédaction, les nom et prénoms
du juge d*instruction, du magistrat du ministère public et du
greffier; il indique ensuite le nom des personnes dont le con-
cours a été requis; puis il relate toutes les opérations aux-
quelles il a été procédé et toutes les constatations faites. Ce
procès-verbal doit être signé, au bas de chaque page, par le
juge d'instruction, le magistrat du ministère public et le gref-
fier. Si le maire ou le commissaire de police ou d'autres per-
sonnes ont concouru aux. opérations, ils doivent également
signer au bas de chaque page (C. instr. cr., art. 42). Le juge
d'instruction constate, à son gré, ces opérations dans un seul
et môme acte, ou il en dresse plusieurs.
Au cas de transport du procureur de la République, le
procès-verbal, qui contient les mêmes énonciations et les
mêmes constatations, doit être fait et rédigé en présence du
commissaire de police de la commune dans laquelle le crime
ou le délit a été commis, ou du maire ou d'un adjoint ou, à
leur défaut, de deux^ citoyens domiciliés dans la commune.
Mêmes prescriptions que 'ci-dessus en ce qui concerne les si-
gnatures (C. instr. cr., art. 42). Plus rigoureuse, la procédure
imposée au procureur de la République ou à ses auxiliaires
les astreint à dresser un acte unique oii ils consignent toutes
leurs opérations.
des taches de sang déjà lavées, des taches de sperme mal nettoyées ; <l «m
domicile y on saisit Tins! rumen t du crime ou sa correspondance avec ses
cumplices ; par le témoignage^ on lui démontre sa participation dans Texé-
culion, on détruit ses déclarations, ses << alibis » ; &ut lui et en Vexaminant^
on lui montre les blessures qu'il a reçues en commettant ^son crime ou les
maniues qui l'accusent. Oonc, qu'on recherche la matérialité du crime ou son
auteur, les moyens d'instruction sont les mêmes... ».
TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS PROCÉDURE, PREALABLE. «^81
Malgré Texlrême importance du ppocès-vôrbal constatant
\ délit, il est certain que Tomission de la rédaction de ce
roccs-verbal ou les iprégularités qu'il contiendrait, s'il en
v^ait été dressé un, n'entraîneraient pas nullité et ne pour-
lient faire obstacle auK poursuites*^.
II. Le magistrat instructeur, auK termes de l'article 3o, se
lisit : l* de tout ce qui parait avoir servi ou avoir été destiné
commettre le délit (bâtons, pierres, poisons, fausses clefs,
oignards, fusils, pistolets, coups de poing, stylets, couteaux,
mes, ciseaux à froid, mèches anglaises^ vilbrequins, leviers,
larteaux, cordes^ et, en général, tous objets qui, rapprochés
es traces qu'on relève, sont de nature à établir l'infraction
u à amener la découverte des coupables); 2^ de tout ce qui
arait en avoir été le produit (objets volés, monnaies fausses,
iux titres, pierres lithographiques pour la fabrication des
iux, livres de commerce, habits et linges tachés de sang ou
e sperme, fœtus, intestins des victimes empoisonnées, etc.);
"" enfin, de tout ce qui peut servir à la manifestation de la
érité (objets portant des empreintes de mains, traces de pieds,
apiers, lettres, lambeaux de vêtements, couteaux et toutes
hoses, en général, qui démontrent la participation de l'agent
lîcriminé).
III. La loi prescrit des précautions propres à garantir Yideii-
lié des objets saisis; ils doivent être clos et cachetés, ou du
loins déposés dans un vase ou dans un sac sur lequel le ma-
istrat instructeur met une bande de papier scellée de son
ceau (C. instr. cr., art. 38; Décret du 20 mai 1903, art. 129
131).
Les opérations de perquisitions, ou de saisies et de mise sous
celles doivent être faites en la présence de l'inculpé, s'il a été
rrêté; et, s'il ne veut ou ne peut y assister, en présence d'un
3ndé de pouvoir qu'il peut nommer. Les objets lui sont pré-
entés à l'eiTet de les reconnaître et de les parapher, s'il y a
eu; et, au cas de refus, il en est fait mention au procès-
erbal (C. instr. cr., art. 38 et 39).
»* Cass., <9juin 1817 (S.chr.) ; 14 juin 1821 (P. chr.). Sic, M angin, Traité
?8 procès-verbaux, p. 5 et suiv.
582 PROCÉDURE PÉNALE. — DE Lk PREUVE.
La présence de l'inculpé aux opérations de perquisition et
de saisie constitue une garantie dont le but est nettement dé-
terminé. La minutie des précautions dont la loi entoure la
saisie des pièces à conviction montre bien que sa préoccupation
dominante a été d'assurer Videnlité des objets saisis avec ceux
qui seront présentés comme tels au cours de la procédure. Et
ces précautions sont devenues d'autant plus nécessaires qu'a-
vec la pratique des délégations judiciaires, ces opérations
seront souvent exécutées par des officiers de police judiciaire
subalternes. Cependant, la jurisprudence se refuse à admettre
la nullité de la procédure, quand ces règles ont été mécon-
nues^*. Il s'agit pourtant d'une formalité d'importance capi-
tale qui est laseule garantie sérieuse contre les abus possibles
des magistrats *^ Mais, en l'absence de toute nullité pronon-
cée par le texte des articles 38 et 39, la Cour de cassation ne
voit, dans ces précautions, que des formalités accessoires
dont l'omission ne saurait vicier la procédure. Dans ces con-
ditions regrettables, l'arbitraire des juges d'instruction et des
procureurs de la République n'a plus de limites. Si l'inculpé
n'est pas arrêté, aucun texte n'impose au magistrat l'obliga-
tion de pratiquer les saisies en sa présence. Si l'inculpé est
arrêté, le texte qui impose de faire les opérations en sa pré-
sence, est considéré comme une prescription de conseil et non
comme une prescription d'ordre. Celte jurisprudence, dan-
gereuse pour le droit individuel, n'est qu'une des nombreu-
ses applications de la tendance séculaire de la Cour de cassa-
tion à libérer le plus possible, dans l'intérêt social, les
magistrats instructeurs de formalités et de règles qui pour-
raient entraver la marche de leur instruction si elles étaient
strictement observées.
307. Comment faut-il combiner, si le prévenu est présent
'* Voy. notamment, Cass., 23 novembre 1901 (S. 1905. 1. 474). La Cour
de cassation a, du reste, décidé que celui qui détient des pièces saisies chez
lui au cours d'une perquisition, ne commet pas le délit prévu par l'article 400
du Code pénal. Voy. Cass., 11 nov. 1904 (S. 1905. i. 369).
*'• Ces abus sont surtout possibles en matière de crimes politiques.
TRANSPORT SUR LES LIEUX DANS PROCÉDURE DEFINITIVE. 583
à la perquisition et à la saisie, les prescriptions du Code
d'instruction criminelle avec celles de la loi du 8 décembre
1897? Trois hypothèses sont possibles.
S'il y a flagrant délit, ou s'il y a urgence, résultant de ce que
les objets à saisir sont sur le point de disparaître, le juge
d'instruction pourra, en représentant les pièces saisies, poser
à l'inculpé toutes les questions nécessaires et même le confron-
ter sans être tenu d'observer les dispositions de la loi du 8 dé-
cembre 1897 (art. 7).
Il en est de même, et les formalités prévues par les arti-
cles 35, 87 et 89, seront remplies, sans difficulté, sans que le
conseil ait même été convoqué, si l'inculpé y a formellement
et expressément renoncé.
La seule hypothèse où les dispositions delaloi du 8 décem-
bre 1897 devront être combinées avec celles du Code d'ins-
truction criminelle se présente, lorsqu'il n'y a ni flagrant délit
ni urgence constatée.
Le juge d'instruction présentera, dans ce cas, les objets
saisis à l'inculpé et recevra ses déclarations en le prévenant
qu'il est libre de ne pas en faire. Il aura soin de ne poser
aucune question, de consigner simplement les déclarations
de l'inculpé, en s'abstenant de toute remarque, de tout ce
qui pourrait ressembler à un interrogatoire. La procédure de
saisie ne dégénérera pas alors en une discussion qui pourra
être réservée pour un interrogatoire ultérieur et régulier,
dans le cabinet du juge d'instruction.
§ LV. - DU TRANSPORT SUR LES LIEUX
DANS LA PROCÉDURE DÉFINITIVE
308. Le Code d'instruction crimiDel lu est muet sur le transport dans la procédure
définitive. Celte mesure peut être ordonnée par jugement et se fait on présence
des parties. — 309. l^e tribunal peut, au lieu de se transporter tout entier sur les
lieux, commettre un de ses membres. Tribunaux correctionnels. Cours d'assises.
Pouvoirs du président de la cour d'assises.
308. 'Les juridictions de jugement trouvent, dans le dos-
sier de Tinstruction, les procès-verbaux de constat : elles
584 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
n'ont donc pas, d'ordinaire, à procéder, par elles-mêmes, à
des vérifications déjà faites et dont la matérialité reste, pres-
que toujours, incontestée. Est-ce le motif pour lequel le Code
d'instruction criminelle n'a pas tracé de règles, relativementà
la visite de lieux par les tribunaux de répression, ainsi que Fa
fait le Code de procédure civile (art. i2, 295 et suiv.)?IIest
néanmoins bien certain que le silence de la loi ne suffit pas
pour faire rejeter un procédé de preuve qui n'est pas littéra-
lement prévu, mais qui n'est pas précisément exclu.
La véritable règle à cet égard est tracée par un arrêt delà
Cour suprême du 18 mars 1848 ' : « Les tribunaux ont, ood
seulement le droit, mais encore le devoir de prendre toutes
les mesures, et d'ordonner toutes les preuves, rapports, exper-
tises, visites de lieux, propres à éclairer leur religion et assu-
rer la justice de leur décision ».
Il en résulte que toutes les fois qu'un mode de vérification
peut être utile à la manifestation de la vérité, on doit l'auto-
riser, par cela seul qu'il n'est pas interdit. C'est par applica-
tion de cette idée que. la pratique a toujours admis la possi-
bilité, pour un tribunal, d'ordonner ou d'opérer une visite de
lieux. Mais on décide, en même temps, que, bien qu'aucune
forme n'ait été prescrite pour cette opération, une double exi-
gence s'impose, comme corollaire des principes de la publi-
cité, de ïoralitéei de la contradiction des débats. 1*^ Le trans-
port sur les lieux doit être ordonné par un jugement rendu en
audience publique, par conséquent, en cour d'assises, par un
arrêt de la cour, prononcé toutes portes ouvertes. D'une
part, en effet, et conformément à une règle générale, la
visite que les juges feraient proprio motu ne pourrait servir
de base à une décision ayant un caractère juridique.
D'autre part, c^est Tavis public et officiel donné^par jugement
qui met les parties en demeure d'assister à l'opération. Le
défaut de cet avertissement préalable, lorsqu'il a pu nuire à
Tune des parties, ministère public, prévenu ou accusé, entraî-
nerait la nullité de la procédure et, par suite, du jugement:
§ LV. * D. 1848.1. 100.
TRANSPORT SUR LES LIBUX DANS PROCÉDORB DÉFINITITB. 58S
les droits de la défense et ceuK de la société exigent que toute
partie soit mise à même de connaître, par elle-même, toutes
les constatations relatives à TafTaire pour les discuter et en
contredire les résultats*. 2** Le tribunal peut se transporter
tout entier sur les lieux. Le constat doit être fait alors, publi-
quement et contradictoiremenl, en présence de Taccusé ou du'
prévenu et du ministère public : l'audience est, en quelque
sorte, continuée avec la publicité et la contradiction des dé-
bats, en dehors de la salle'où elle se tient ordinairement'.
309. Mais le tribunal peut-il, au lieu de se transporter tout
entier sur les lieux, déléguer un de ses membres? C*est une
question qui se pose pour les tribunaux correctionnels et les
cours d^assises^, puisque la procédure criminelle n'organise
pas, à la différence de la procédure civile, cette forme de con-
stat. Il est vrai qu'elle n'en organise aucune. Il faut donc
appliquer à la mesure dont il s'agit les règles ordinaires de la
procédure d'instruction'.
1. Le tribunal correctionnel peut, sans aucun doute, ordon-
ner une information complémentaire, afin de statuer ensuite,
en connaissance de cause. Si ce procédé lui était interdit, le
tribunal se trouverait dans l'alternative, ou de condamner sans
•
* Cass., 10 mars 1874 (D. 75. 1. 190). La jurisprudence contient, sur tous
ces points, de nombreuses décisions; particulièrement applicables à la pro-
cédure de simple police.
3 Ainsi le tribunal doit être accompagné du grefQer; l'absence de cet offi-
cier suffirait à vicier l'opération : Cass., 8 déc. 1866 (D. 68. 5. 135). Mais le
jugement doit être rendu au lieu ordinaire des séances du tribunal. Voy.
Cass., 27 juin. 1855 (S. 55. K 848; D. 55. 5. 70).
* En ce qui concerne le tribunal de police, la question ne se pose pas,
puisque le juge de p^ix est seul au siège. Mais le transport doit être ordonné
par jugement. Le juge doit constater le résultat de la descente des lieux, à
laquelle assistent le prévenu et le ministère public, par un procès-verbal
spécial. Le jugement doit ensuite être rendu dansla salle ordinaire des séances.
* Art. 296, C. proc. civ. : « Le jugement commettra l'un des juges qui y
auront assisté »>, ce qui n'exclut ni la faculté d'en commettre plusieurs, ni
celle d'en commettre un qui n'aurait pas siégé au jugement quia prescrit
cette mesure, ni celle de donner commission rogatoire à un magistrat étranger
au siège.
586 PROCÉDURE PÉNALE. — I>E LA PREUVE.
preuves suffisantes, ou d'acquitter malgré des présomptioDS
graves de culpabilité. Le droit du tribunal n*est pas limité à
prescrire seulement une mesure exécutée à Faudience, mais
aussi à charger un tiers de procéder à une information com-
plémentaire, pourvu que la discussion contradictoire el publi-
que de Taudience soit ouverte au sujet des nouveaux docu-
ments apportés par l'information. Mais il est évident que le
tribunal ne pourrait requérir le juge d'instruction, comme
juridiction, ni de compléter l'information, si elle a eu liea,
puisque le juge d^instriiclion s'est dessaisi par Tordonnance
de renvoi et que ses pouvoirs sont épuisés, ni d'ouvrir uoe
information, en cas de saisine par citation directe, puisque le
tribunal n'a pas l'exercice de l'action publique.
Un tribunal correctionnel peut commettre un de ses mem-
bres pour faire une information complémentaire, et notam-
ment pour opérer certaines vérifications sur les lieux. Les
conditions auxquelles la jurisprudence soumet cette faculté,
sont : !"* Que l'information soit faite par l'un des membres du
tribunal qui a concouru au jugement; 2^ que si délégation
est donnée au juge d'instruction (en admettant, bien entendu,
qu'il ait siégé comme juge dans l'aCfâire), celui-ci ne soit pas
requis en cette qualité, de telle sorte qu'il procède, non pas
comme juge d'instruction, mais comme membre du tribunal
qui l'a commis; 3° que les résultats de l'information soient
communiqués au prévenu et publiquement discutés*.
H. Les pouvoirs de la cour d'assises, pendant les débats,
doivent être mis en rapport avec les pouvoirs discrétionnaires
du président.
11 appartient à la cour d'ordonner, même d'office, toutes
les mesures d'instruction qui lui semblent nécessaires à la
manifestation de la vérité, pourvu qu'elle ne déroge pas aux
règles générales de la procédure \ Or, le transport sur les
^ Voy. notamment un arrêt de rejet de la Chambre crim. du 1*' avr. 1892
(S. 92. 1. 333; D. 92. 1. r>2j). On lira le rapport de M. le conseiller Sallen-
tin dans le premier de ces recueils.
" Voy. sur le principe : Faustin Hélie, Instr, cr., t. 7, n* 3308. Conf. pour
TECHNIQUE DU TRANSPORT SUR LES LIEUX. 587
lieux, parla cour tout eotière ou par uq magistrat délégué,
rentre dans les mesures d'instruction qu'une juridiction pé-
nale peut ordonner. Il n'y aurait donc pas, dans un arrêt
prescrivant ces mesures, empiétement de la cour sur les pou-
voirs du président. Celui-ci n'en conserve pas moins le droit
d'ordonner, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que la
cour, les jurés et les accusés se transporteront sur les lieux
du crime*. Il peut aussi se livrer lui-même à une vérification
de fait en se transportant sur les lieux. Mais il est tenu de
respecter le principe dominant de la publicité et de la con-
tradiction des débats, à l'application duquel le pouvoir dis-
crétionnaire, qui lui est donné pour arriver à la découverte
de la vérité, ne saurait le soustraire'.
§ LVI. - DE LA TECHNIQUE DU TRANSPORT SUR LES LIEUX
310. De Timportance des premières conBtatations faites et on rrMc prépondérant du
magistrat instructeur dans la direction de l'afTaire. — 311. De l'utilité d'une sorte
de technique du transport. — 312. Préparation du transport. — 313. Méthode
à suivre sur les lieux. S'assurer d'abord de l'état concomitant au crime. — 314.
Description. — 315. Recherche des objets cachés. — 316. Applications pratiques
de celte méthode aux crimes les plus importants. Renvoi.
310. Toutes les opérations de transport sont l'objet d'un
procès-verbal. C'est le magistrat qui le dicte; le greffier qui
récrit. 11 s'agit d'une constatation qui doit être la pierre
angulaire de la procédure. Son importance est d'autant plus
Tapplication : Crim. rej., 27 déc. 1860 (D. 01. 5. 127); 12 mars 1857 (D. 57.
i. 182).
* Crim. rej. 3 oct^. 1872 (B. cr., n° 24'*). Voy. sur la question : Le prési-
dent d'une cour d'assises peut-il ordonner le transport de la cour^ des
jurés, de Vaccusé et de ses conseils sur le lieu du délit? Rev, Wolowski,
t. XVIIl, p. 215.
^ Un arrêt a décida? que le président de la cour d'assises a le droit de con-
fier à l'un des assesseurs de cette cour le soin de recueillir toutes les décla-
rations qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité et de faire lever,
d'après ces déclarations, un plan des lieux. Gass., 24 janv. 1839, Muglioni
(/. du PaL, 39. 1. 563).
588 PROCÉDURE PÉNALB. — DE LA PREUVE.
grande que, la plupart du temps, le constat ne pourra pas
être recommencé et qu'il aiguillera les soupçons ou les
preuves dans telle ou telle direction. Gross a eu raison
d'écrire que « jamais un juge d'instruction maladroit ne
fournit un bon procès-verbal d'inspection des lieu^L et que
c'est par ce procès-verbal qu'un bon juge d'instruction
révèle toute sa valeur ».
311. Pour entreprendre utilement une inspection judiciaire
des lieux, il ne suffit pas de connaître le droit et les formu-
laires, de prendre pour guide le Code et les instructions
administratives; il est nécessaire de se conformer à une sorle
de technique professionnelle qui doit servir d'armature à la
faiblesse du juge d^instruction, s'il en est besoin, de guide et
de soutien à l'intelligence et à l'expérience de celui qui est
habitué à ces opérations '.
312. Avant tout, il faut avoir soin de bien se préparer et
de tout organiser comme on prépare ou organise une expédi-
tion scientifique. Les conseils à cet égard se trouvent exposés
dans le Manuel pratique cTinstruction judiciaire de Gross,
auquel je me contente de renvoyer '.
313. La méthode à suivre sur les lieux est indiquée par
l'objet -même de l'opération. Il faut d'abord observer tran-
quillement et attentivement la situation. Puis, chercher les
personnes en état de donner sur l'affaire des renseignements
permettant d'orienter l'instruction, au moins approximative-
ment.
Le juge ne commettra jamais d'erreur ou d'omission grave,
s'il a toujours présente à l'esprit la vieille maxime des juristes:
« QuiSj quidf ubi, quibiis auxiliis, cur, quomodOy quando? »
« Qui, quoi, où, avec qui, pourquoi, conoment et quand? »
§LVI. * Le Guid^ pratique des magistrats en transport de G. Abadie,
est un excellent vade-mecum.
* Voy. notamment, p. 148, 149, 172 à 178. Comp. G. Abadie, op, cit.,
p. 6, qui énumère ce u que doit emporter un magistrat en transport ».
TECHNIQUE DU TRANSPORT SUR LES LIEUX. 889
Le point le plus important, c'est la vérification préalable
de rétatdes lieux, antérieur ou concomitant au crime. Après
s^ètre assuré que cet état n'a pas été modifié, le magistrat
instructeur doit veiller à la conservation des traces existantes.
Mais réiimination de tout ce qui est postérieur à Tinstant du
crime est une des précautions les plus indispensables pour
arriver à un constat rigoureux.
314. Après avoir ainsi déterminé, par voie d'exclusion, ce
qui fait partie de l'état des lieux et ce qui n'en fait pas partie,
le juge procède à la description. Et la règle qu'il ne faut ja-
mais perdre de vue est ainsi formulée par Gross : ne déranger,
n'enlever et même ne loucher aucun objet, avant qu'il n'ait
été minutieusement décrit dans le procès-verbal. Quant à
la méthode à suivre dans la description, c'est chose indivi-
duelle. Il faut être exact, clair et précis, donner des points de
repère qui puissent être contrôlés après coup, et joindre, si
possible, au procès-verbal, un plan et un croquis des lieux.
315. La recherche des objets cachés implique une perqui-
sition minutieuse. Il faut tout examiner, car il n'y a pas d'en-
droit 011 ne puissent être dissimulés des objets importants'.
316. Les applications pratiques de ces règles et le pro-
gramme des qualificalions et questions à poser pour lescrimes
qui se commettent le plus fréquemment : attentat à la pudeur,
attentatau moyen des explosifs, avortement, faux, fausse mon-
naie, homicides volontaires, incendies criminels, infanticides,
viols, vols qualifiés, ont été présentés, d'une manière synthé-
tique, dans le Guide pratique du magistrat en transporta Nous
ne pouvons que renvoyer à cet excellent ouvrage.
■* Voy. les exemples donnés par Gross, op. cit.y p. 166 à 171.
* Voy. p. 49 à 128.
CHAPITRE III
DE L*BXPKRTISB.
§ LVII. - NATURE DE L EXPERTISE >.
817. Ce qu*est l'expertise. Son utilité. Ses caractères. — 318. Motifs delà coofiaooe
en Texpert. Base commune de conûance dans Texpertise et le témoignage. Diffé-
rences en ce qui concerne la nature et le champ d'application de l'expertise et do
témoignage. — 319. De la responsabilité de l'expert. — 320. Importance actuelle
du mode de vériflcation par expertise. Ses erreurs. La faillibilité de Texpert
implique l'obligation de ne pas donner à son avis le caractère d'une décision. —
321. Absence de réglementation de l'expertise criminelle. Question générale de
savoir si les règles de l'expertise civile sont applicables à l'expertise criminelle.
Points communs. Différences principales.
317. Il y a lieu de recourir à une expertise, toutes les fois
qu'il se présente, dans un procès crinfiinel, certaines questions
dont la solution exige des connaissances toutes particulières
et pour lesquelles les juges n'auraient pas de compétence
scientifique ou technique suffisante. Il s'agit, par exeufiple, de
déterminer les causes d'un décès, la composition de (elle sub-
stance prétendue toxique ou falsifiée, l'authenticité de tel écrit
dont la signature est contestée : l'autopsie, l'analyse chimique,
la vérification d'écriture seront confiées à des hommes spé-
ciaux, préparés, par leurs études ou leurs professions, à ces
§ LVII.* BiHLiooHAPHiE : Genesteix, De l'expertise criminelle en France
(Th. (loct., Paris, 1900); Léon Meslier, De« expertises en matière criminelle
(Th.doct., Paris, i901);AndréDehesdin, De V expertise en matière criminelle
(Th. doct., Paris, 1901). lia été beaucoup écrit sur Texpertise médicale. Nous
cilons plus loin les principaux travaux qui ont été publiés sur cette exper-
tise spéciale.
NATUKK DE l'EXPERTISE. 591
opérations scientifiques. Telle est la notion générale de l'ex-
pertise.
Trois caractères en résultent : 1* Toute expertise procède
d'une commise du juge, et l'expert est, avec raison, qualifiéde
« mandataire de justice » : une expertise amiable n'a que la
valeur d'iin renseignement et ne comporte pas plus de solen-
nité que l'exécution d'un mandat ordinaire; 2^ L'expert est
commis, soit pour donner un avis personnel et motivé, soit
pour faire une opération matérielle à laquelle le juge ne peut
procéder lui-même : dresser un plan, visiter un malade, etc. ^ ;
3* Le magistrat ne peut se décharger sur l'expert du soin de
juger le fond du procès, soit au point de vue des conséquen-
ces juridiques des faits constatés ou appréciés par l'expert,
soit au point de vue de la décision qu'il est lui-même appelé
à prendre. L'expert donne un simple avis sur des faits qui lui
sont soumis ou ([u*il est chargé de constater.
318. Les motifs de la confiance accordée aux experts sont
de même nature que les motifs de la confiance accordée aux
témoins. Par une induction puisée dans les lois de la nature
morale, nous croyons à la science et à la loyauté deTexpert, de
même que nous ajoutons foi au témoignage de nos semblables :
l'expertise et la preuve testimoniale s'appuient donc sur une
base commune; et^ en se plaçant à ce point de vue, on a souvent
rapproché, la preuve par experts de la preuve par témoins :
les experts sont, en effet, des espèces de témoins^ qui disent ce
qu'ils ont vu, les détails qu'ils ont observés, les circonstances
qui les ont frappés. Mais cette analogie entre l'expertise et le
témoignage n'est qu'apparente.
L'expertise et le témoignage se séparent, en effet, par leur
2 A cet égard, l'architecte, appelé, en matière criminelle, à dresser un plan
des lieux, le médecin commis pour visiter un blessé, etc., sont des experts
et doivent, en cette qualité, prêter le serment des experts. La question^de
savoir si l'expert qui se livre aune vérification matérielle, sans avoir à'don-
ner un avis, est un expert proprement dit, est discutée. Je^crois plus sûr de
considérer tout homme de Kart, appelé à collaborer à l'œuvre de la justice,
comme ayant la qualité d'expert.
592 PROCÉDURE PÉNALB. — DE LA PREUVE.
nature et leur champ d'application : 1"* L'espert n'est pas, à
proprement parler, un témoin; il n*a pas à déposer sur des
faits qu'il a vus ou entendus propriis sensibus; il répond à des
questions qui lui sont faites, sur des circonstances qu'il ne
connaît pas personnellement ; 2^ Ses constatations et son avis
ne constituent pas une preuve directe, mais Tappréciatioa,
l'éclaircissement ou l'interprétation d'une autre preuve di-
recte, d'un indice, d'un témoignage, d'un écrit. En ce sens,
la qualification de juges^ que donnait un vieil auteur aux
experts, est scientifiquement plus exacte que celle de témoins:
Medici non sunt proprie lentes ^ sed est magis judicium quam
testimonium ; y Alors que le témoin nait des circonstances
elles-mêmes sur lesquelles il dépose, du hasard qui W fait
assister à telle scène, entendre tel propos, alors que le témoio
ne peut pas être remplacé ou suppléé, alors que le nombre des
témoins est limité par la force même des choses, l'expert,
lui, est l'objet d'une désignation judiciaire, d'une commise,
il peut être remplacé et le choix du juge n'est pas matériel-
lement entravé par des obstacles tenant aux circonstances du
fait.
En résumé, l'expert collabore à la découverte de la vérité,
qui est rœuvre judiciaire par excellence, non pas en appor-
tant ses propres souvenirs, ainsi que le ferait un témoio,
mais en donnant une opinion, scientifiquement raisonnée,
sur des faits ([ui lui sont soumis. A ce point de vue, l'expert
ne se borne pas à rapporter les constatations dont on l'a
chargé, ou la description de ce qu'il a vu. C'est un avis, une
sorte de jugement motivé qu'il rend sur les faits que le juge
lui a donné la mission de vérifier. En ce sens, il e^iV auxiliaire
du juge dans la découverte de la vérité. Celui-ci l'a appelé
pour l'aider à former son jugement; il a eu recours à la
science de l'expert pour résoudre des questions de fait, éclai-
rer des points qui restaient obscurs, et suppléer ainsi aux
connaissances qui lui manquent. Ce rôle est donc tout dilTé-
renl de celui du témoin. Aussi voyons-nous les textes, qui
s'occupent de ce procédé d'instruction, rapprocher l'expertise
de l'expérience personnelle. Sans remonter à l'ordonnance
NATURE DB l'eXPERTISB. 593
de 1670, qui réunissait, dans deux titres juxtaposés, les des-
centes sur les lieux et les rapports d'expert', le Code d'ins-
truction criminelle, dans l'article 43^ autorise le magistrat
à se faire accompagner, lorsqu'il se transporte sur les lieux,
<c au besoin, d'une ou de deux personnes présumées, par leur
art ou profession, capables à^apprécier la nature et les cir-
constances du crime ou délit ». Ainsi les opérations qui
consistent, pour le juge, à prendre personnellement connais-
sance des circonstances matérielles du délit, de l'état des
lieux, sont rapprochées de celles qui consistent à faire cons-
tater et apprécier ces éléments par un tiers plus compétent
que le juge, afin que celui-ci tire de ces constatations et de
ces appréciations telles conséquences que de droit.
Il en résulte que, les experts ne sont pas assimilés aux té-
tnoins, particulièrement aux trois points de vue suivants :
i" La formule du serment que prêtent les experts n'est pas
la même que celle du serment que prêtent les témoins. Les
premiers jurent « de faire leur rapport et de donner leur avis
en leur honneur et conscience», les seconds, « de dire toute la
vérité, rien que la vérité » (C. instr. cr., art. 44, 75, 155, 189),
ou bien « de parler sans haine et sans crainte, de dire toute
la vérité et rien que la vérité » (C. instr. cr., art. 317). Or, en
matière de serment, par l'effet d'un rigorisme archaïque, la
forme est substantielle, et la nullité de la procédure est la
conséquence de tout changement dans la formule du serment,
suivant la qualité en laquelle on le prête.
Cela est si vrai que les experts, qui doivent, en tant qu'ex-
pertSj et à peine de nullité^ prêter le sennent professionnel^
en tant que témoins^ et lorsqu'ils sont appelés devant les tri-
bunaux pour rendre compte de leurs opérations antérieures,
^ Le litre IV, intitulé : « Des procès-verbaux des juges »; le titre V,
« Des rapports des médecins et chirurgiens ».
♦ La prestation du serment des experts est indispensable pour donner à
leur rapport Tauthenticilé qu'il doit avoir. Si celte formaliié n'avait pas été
remplie, le rapport ne pourrait servir qu'à titre de simples renseignements :
Cass., 17 mars 1864 (S. 64. 1. 432); 26 juin 1863 (B. cr.^ n© 186).
G. P. P. — T. 38
594 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
doivent prêter le serment imposé aux témoins*. Bien mieux,
un témoin peut être chargé d*une expertise et un expert peut
être appelé à témoigner, et, en ces deux qualités, prêter, sdc-
cessivement, les différents serments sous la garantie desquels
se placent l'expertise et le témoignage.
Mais entre le serment de l'expert et celui du témoin, la jo-
risprudence établit une différence qui a été critiquée par quel*
ques criminalistes\ La formule du serment du témoin a
toujours été considérée comme sacramentelle : un mot en
plus, un mot en moins, un mot changé, et le serment est nul.
Il n'en est pas de même de la formule du serment de TexperL
La jurisprudence admet que les termes du serment, édictés
par l'article 44, peuvent être remplacés par des termes analo-
gues, pourvu que la prestation du serment soit constatée. C'est
ainsi que de nombreux arrêts décident que « la loi n'ayanl
pas attaché, à l'emploi des expressions a en leur honneur et
conscience », la peine de nullité, ces expressions peuvent être
remplacées par des termes équivalents^ », pourvu que les ex-
pressions employées aient le même sens. Et spécialement, le
serment prêté par les experts « de bien et fidèlement remplir,
en leur âme et conscience, la mission qui leur a été confiée »
satisfait aux vœux de la loi'. De même, la constatation qu'ua
expert, appelé à faire un rapport dans lé cas de l'article 44,
a, préalablement à son opération, « prêté le serment requis »
ou (( voulu par IsC loi » est suffisante, la loi ne prescrivaut,
en matière d'expertise, d'autre formule de serment que celle
de larticle 44 du Code d'instruction criminelle*.
2"" La sincérité du témoin est sanctionnée et garantie
* Voy. notamment : Cass., 26 août 1875 (S. 75. 1. 435); 1" mars 1877
(S. 77. 1. 275); 27 déc. 1878 (S. 79. 1. 288); 27 janv. 1887 (S. 87. i. 188),
pour les cours d'assises; Cass., 15 déc. 1892 (S. 93. 1. 110), pour les
tribunaux correctionnels.
^ Notamment par Faustin Hdlie, histr. crim,, U 8, p. 646.
' Cass., 16 juiil. 1829 (S. chr.).
8 Cass., 2 août 1888 (B, cr. n° 260).
» Cass., 20 déc. 1855 (S. 56. 1. 470; D. 56. 1. 95); 20 janv. 1893 (D.95.1.
213).
NATURE DB L BXPERTISB. S95
par les peines du faux térnoignap:e, tandis que, dans ses ap-
précialions, Texpert ne relève que de sa conscience ''^.
3^ Le témoin seul peut être reproché ou récusé, tandis que
Vexpert s'impose aux parties par le fait même de la délégation
du juge. Dans l'ancien droit, les experts étant assimilés aux
témoins, ils pouvaient être récusés ou reprochés, dans les
mêmes formes, pour les mêmes causes^ et dans les mêmes
délais que £es derniers. Le Code de brumaire an iV, autori-
sait le reproche contre les témoins, dans Tarticle 184. qui est
devenu Tarticle 190 du Code d'instruction criminelle, de
4808. Quant aux experts, niTun ni Tautre de ces deux Codes,
n'accordent, par un texte formel, ce moyen de défense aux in-
culpés. Le silence de la loi suffit-il pour Texclure? Après quel-
ques hésitations, la jurisprudence décide qu'un expert ne peut
être, à ce titre, ni récusé ni reproché". Que, dans Tinstruc-
^° Mais cela n'est vrai que sons certaines réserves que nous avons indi-
quées ailleurs : Traité théor, et prat, du droit pénal {2*^ édit.), t. 5, no 2016,
p. 298.
** On cite le texte d'un arrêt de la Cour de cass. du 27 avril 1832 (B. n\,
p. 123), comme ayant admis Je droit de récusation des experts en matière
criminelle. Mais cet arrêt rapporté par Meslier, Des expertises criminelles^
p. 85, ne se retrouve pas et son texte paraît inventé. La question se rattache
au problème plus général de l'application, à l'expertise répressive, des rè^Hes
de l'expertise civile. Sur celte question, la jurisprudence est fixée dans le
sens de la néjçative : Crim. rej., 16 févr. 1855 (D. 55. 1. 350); 12 mars 1857
(D. 57. 1. 182); Crim. cass., 2 janv. J858 (I). 58. 1. 47); Crim. rej., 27 déc.
1879 (D. J. G. Supplément, v® Expert^ n® 185, note 2). Kn conséquence les
causes de récusation contre les experts en matière civile ne sont pas admises
contre les experts en matière répressive. Voy. Cour Paris du 10 janv.
1896 (D. 97. 1. 37) : c Attendu que la demande de L... se formule en
une demande en récusation de l'un des experts nommés d'office, la-
quelle demande ne pourrait trouver sa base .légale que dans l'article
310 du Code de procédure civile; que les règles de l'expertise, en matière
criminelle ou correctionnelle, doivent être recherchées, non dans le Code
de procédure civile, mais dans les articles 43 et 44 du Code d'instruc-
tion criminelle lesquels ne prévoient pas et par suite ne permettent pas
d'admettre aucuns motifs de récusation des experts, nommés d'office par le
juge; qu'il résulte de l'absence de toute disposition à cet égard, dans le
Code d'instruction criminelle, que le législateur, en n'impartissant pas de
596 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
tion, rinculpc n'ait aucun droit de reprocher un eiperU c*est
ce qu'il faul hieo admellre, puisque Teipertest un délégué
du juge. Mais, plus lard, à Paudience, lorsque Teipert vien-
dra expliquer soo rapport, il pourra, sans doute, le reprocher,
puisque la jurisprudcDce considère alors Teipert comme un
témoin.
Mais le rapport decetexpert, reproché comme témoin, n*eD
restera pas inoins au dossier, et sera placé sous les veux des
jurés ou du tribunal correctionoeL Ne serait-il pas plus logi-
que de donner à l'inculpé le droit de récuser Teipert, au
moment même de sa nomination, par assimilation de Texpert
au juge? Le Code d*iu8truction criminelle ne prévoit, nulle
part, la récusation desmagistratspar l'inculpé. Mais une juris-
prudence constante déclare que les dispositions du Code de
procédure civile, concernant la récusation individuelle des
magistrats, sont applicables en matière criminelle ''. Par
analoffic, pourquoi n 'autoriserait-on pas la récusation de
Tcxpcrl, pour les mêmes causes qui autorisent la récusation
du juge? L'expert, luiaussi,a une sorte du jugementà rendre
d<^lai h Taction et en ne limilant pas les motifs pour lesquels elle pourrait
être exercée, a entendu refuser aux inculpés le droit de récusation des
expert», Rominés par le juge au criminel, droit qu'il n'a accordé aux par-
lies, »iu*en le réglementant, dans le Ct)de de procédure civile, pour les
exp«;rls nommés dans les instances civiles; qu'en Tabsence de texte re-
connaissant aux inculpés le droit de récusation, il ne saurait appartenir aux
trihunaux de suppléer au silence de la loi; que si, dans Tancien droit crimi-
nel, N* prévenu et la partie civile pouvaient proposer, contre les experts,
les mêmes causes de r*cusHtion que contre les juges et les témoins, celle
faculté était la conséquence des preuves légales; que, dans notre droit ac-
tuel au contraire, le juge n'est pas lié par lopinion des experts qu*il a nom-
més, et, (levant lui, la partie civile et le prévenu peuvent discuter librement
l'opinion émise par les experts et y opposer toutes les autorités, tous les
renseignements propres à les combattre, faire connaître les motifs particu-
liers di; liaine ou d'affection qui auraient pu déterminer leur opinion, que
ce droit de discussion complète plus sûrement que toute procédure de récu-
sation et assure, en tous les cas, les garanties de la libre défense des accusés
et des prévenus... » Comp. Mangin, De llmtruction civile, n" 81; Faustin
Hélie, Imtr. crtm., U 4, n» 1890, p. 526 et 527.
«« Nîmes, 8 janv. 1880 (D. 82. 2. 96); Cass., 12 janv. 1884 (D. 85. 1.
V26).
NATURE DE l'EXPBRTISB. 597
OU plutôt d avis à donner. Mais biea que cet avis ne soit pas
obligatoire, il est d'une importance souvent décisive, et sa
valeur dépend autanl de Tinipartialité de celui qui Témet
que de sa compétence scientifique ou technique''.
319. Si les eiperts, dont les rapports ont été sanctionnés
par jugements passés en force de chose jugée, ne peuvent
être recherchés, à raison des erreurs de fait ou des inexacti-
tudes commises dans leurs rapports, et s'ils sont couverts
par Taulorité qui s'attache à la décision du juge auquel ils
n'ont donné qu'un avis^\ ils peuvent, au contraire, être
déclarés responsables, s'il y a eu dol ou fraude de leur part,
et que ce dol ou cette fraude ait causé un préjudice à autrui ^'.
L'article 1382 du Code civil est, en effet, la base, la limite et
la condition de leur responsabilité, car la faute, qui peut être
reprochée à l'expert, est celle qui résulte de sa mauvaise foi
et non de son inexpérience ou de son ignorance, puisqu'il
est couvert, à cet égard, par la commise du juge.
320. Le mode de vérification par expertise n'a acquis toute
son importance que dans le droit moderne. Ce n'est pas qu'il
ait été étranger aux législations passées. Dès qu'il a existé des
juges, ceux-ci ont eu besoin d'hommes plus compétents
qu'eux-mêmes pour éclairer leur conscience. Mais, avec le
développement scientifique moderne et la division des com-
pétences qui en a été la suite, l'expertise est devenue, dans
un grand nombre de procès criminels, dans les plus douteux
surtout, le procédé d'instruction décisif. La médecine légale
notamment, secondée par les sciences diverses qui lui serveQt
*' Le Code de procédure criminelle autrichien de 1873 consacre le droit
de récuser les experts ; mais il n*énonce pas les motifs de récusation qui
sont laissés à l'appréciation des juges : c*est, du reste, le môme régime qui
est suivi pour les magistrats (§§ 67 à 69, 72, 120 et 121). Le Code de pro-
cédure allemand de 1877 déclare expressément que les motifs de récusation
sont les mômes pour les experts que pour les juges.
«* Voy. Pau, 30 déc. 1863 (S. 64. 2. 3), la note et les renvois. Adde, Sour-
dat. Traité de la respomabilitéj t 1 , n<^ 679 bis.
*« Cass. req., 31 janv. 1900 (S. 1900. 1. 403).
598 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREOVB.
d'auxiliaires, a Gni par conquérir, devant les tribunaux de
répression, une place prépondérante. Dans les temps passés,
elle n'était rien ou presque rien; par un retour habituel aoi
choses humaines, elle tend à être tout. L'école positiviste
demande même qu'on substitue, au jury populaire, un jury
technique, et que le jugement pénal soit l'œuvre non de
magistrats ou de jurés, mais d'experts. Y aurait-il chance,
avec cette réforme, d'éviter ou tout au moins de diminuer les
défaillances de la justice criminelle? Si l'on parcourt les rela-
tions des cas, plus ou moins avérés, d'erreurs judiciaires,
« on reconnaît ordinairement, sinon toujours, que c'est i
l'expertise qu'il faut les imputer'* ». Et ceux qui ont suivi
de près les affaires criminelles, dans ces dernières années,
seraient presque tentés de proclamer la « faillite de l'exper-
tise judiciaire ». Il est certain que toute réforme qui tendra à
augmenter la capacité des experts, à entourer leur choix de
nouvelles et meilleures garanties, à organiser le contrôle et
la contradiction de leurs opérations, rendra moins fréqueois
les fâcheux accidents qu'on reproche à ce procédé d'instruc-
tion. Mais il est prudent de ne pas oublier l'incertitude des
constatations des experts, leurs contradictions, leurs erreurs,
" Cette observation est faite par le D' Lescœur, professeur de toxicologie à
rUniversité de Lille [Vexpertise contradictoire ^ Kev, pénit., 1905, p. 1216).
Voy. également D' Lacassagne, Les médecins experts et les erreurs jxtdi-
ciaires (Rev, scientifique, 1897, p. 4); Lailler et Vonoven, Les erreurs judi-
ciaires et leurs causes (Paris, Pedone, ch. III, p. 9 et suiv.). Les pro-
cès qui dans ces derniers temps, ont surtout attiré Tattention publique
sur les erreurs des expertises, sont : 1® Affaire de la femme Druaux. Voy.
Lailler et Vonoven, op. cit., p. 112, 114, 165, 179, 406 à 418; Lacassagne,
op. cit., p. 5. Pour la revision de la condamnation : Cass., 26 juin 1896
(S. 99. 1. 425) et Bataille, Causes criminelles etmondaines de 1896, p. 231 à
247); 2* Affaire Danval. Empoisonnement par Tarsenic; 3o Affaire de
Thèrboriste Moreau. Double empoisonnement par Tarsenic. L'intoxica-
tion chronique par le cuivre, qui était une vérité scientifique, il y a quelques
années, est, aujourd'hui, rayée de la toxicologie. « L'intoxication aiguë
subsiste, écrit le D' Lescœur (op. cit., p. 1216, note 2), mais sans offrir de
gravité particulière. Il est inadmissible que ce métal occupe le troisième rang
dans la statistique des cas d'empoisonnements criminels. On peut entre-
voir au sujet du cuivre de nombreuses erreurs judiciaires ».
NATURE DE l'eXPERTISB. 899
en un mot leur faillibilité, quand on prétend supprimer le
Juge ou tout au moins la liberté d'appréciation du juge.
L'expertise, comme tout autre procédé d'instruction, a besoin
d'être soumise à un double contrôle, celui des parties, dans les
débats, et celui du juge, dans la décision. Les réformes de
l'expertise doivent particulièrement porter sur la compétence
des experts et sur la contradiction de leurs opérations.
321. Bien que l'opinion de l'expert ne s'impose pas au juge,
on s'est demandé, en raison de Tinfluence que son autorité
morale peut exercer sur l'esprit du tribunal, si la loi ne devait
pas réglementer, avec soin, la matière de l'expertise, suivant les
divers ordres de renseignements qui peuvent intéresser la jus-
tice? Nous croyons, contrairement à une opinion aâsez généra-
lement soutenue, que toute réglementation, trop précise et
trop rigoureuse, irait contre le but même que Ton se propo-
serait d'atteindre.
Deux principes généraux paraissent, en effet, s'imposer.
Le premier est la liberté du choix laissée aux tribunaux,
entre les divers spécialistes qui peuvent être appelés à éclai-
rer la justice. Il ne faut pas essayer de limiter, par des questions
de nationalité, de sexe, de diplômes, la confiance naturelle et
nécessaire qui s'adressera au plus compétent. Il ne faut pas
non plus que la désignation des experts appartienne à d'autres
que les magistrats mêmes auxquels incombe la mission d'ins-
truire et de juger la cause".
Le second, est la liberté qui doit être reconnue au juge pour
apprécier, dans sa conscience, les résultats de l'expertise.
On Ta dit, avec raison, « l'expertise n'est qu*un verre qui gros-
sit les objets; et c'est au juge qui a la faculté de s'en servir,
à examiner en toute liberté si les images qu'elle lui présente
sont bien nettes^' ». La réglementation de l'expertise ne sau-
rait donc porter que sur le côté extérieur. de l'opération, en
*' Voy. les observations très justes que fait le D'Lescœur (Rev, pénit.,
\90o, p. 1221), à propos de la tendance de certaines lois spéciales à faire dé-
signer les experts par l'autorité administrative. Voy. § LXIII.
*' Bonnier, op. ciL, t. 1, no 111.
600 PHOCiDURE PÉNALE. — DB lA PRBUVB.
un mot sur la procédure. Mais, ici, la procédure se lie aa
fond du droit, eu ce seos que, suiraut rorganisalion de Tei-
pertise, les renseignements qu*elle fourniraà la justice, seroat
plus ou moins sérieui et utilisables.
Du reste, ce n'est pas par excèside précision et de précaution
que pèche la loi française. Nous ne trouvons meationaée
l'expertise qu*en ce qui touche l'instruction préparatoire. Deai
teites seulement du Code d'instruction criminelle s'en occu-
pent, les articles 43 et 44. Aux termes de l'article 43, le ma-
gistrat, chargé de procéder aux premiers actes d'iQstructiop,se
fait accompagner, au besoin, d'une ou deux personnes présa-
mécs, par leur art ou profession, capables d'apprécier la oa-
ture et les circonstances du délit. L'article 44, reproduisant
l'ordonnance de 1670 (tit. IV, art. 1), ainsi qu'une déclara-
tion du 5 septembre 1712, veut que, toutes les fois qu'il s'agit
d'une mort violente, ou d'une mort dont la cause est incon-
nue et suspecte, un ou deux ofGciers de santé fassent leur
rapport sur les causes de la mort ou sur l'état du cadavre'*.
La seule règle de procédure concerne le serment de « faire
son rapport et de donner son avis en son honneur et coQS-
cience » que l'expert doit prêter, avant ses opérations, devant
les magistrats qui l'ont commis, aux termes du même arti-
cle 44, serment dont il doit être fait mention au procjbs-verbal.
Lq silence du Gode d'instruction criminelle sur la marche
de l'expertise donne lieu à la question générale de savoir si le
juge pénal peut admettre ou rejeter, à son gré, les formes
prescrites par le Code de procédure pour l'expertise civile
(art. 303 et suiv.).
Ce n'est pas que l'expertise criminelle diffère de l'expertise
civile par son but ou par les circonstances dans lesquelles
elle est employée. L'une et l'autre interviennent à propos
d'une question qui exige, pour être examinée et résolue, des
connaissances spéciales : le juge, qui ne possède pas ces con-
naissances, a recours à des auxiliaires qu'il commet pourTé-
clairer. II en résulte que les deux expertises ont un certain
*• Cet article est, du reste, corrolwré par l'article 81 du Code civil.
NATURE DE l'eXPERTISE. 601
nombre de points commuas. G^est ainsi qu*au civil comme
au pénal, le juge décide souverainement sur Topportuoité
d'une expertise; que, dans les deux cas, il Tordonne par ju-
gement; qu'il n*est pas limité dans son choix; que Texpert
puise son titre dans la confiance du juge et reçoit de lui seul
sa mission, encore qu'il ait été proposé, au choix du juge«
par les parties. Une règle commune à l'expertise civile et à
Texpertise criminelle résulte de cette dernière constatation.
Les experts, désignés par justice, ne pourraient pas déléguer, à
des tiers, tout ou partie de leurs fonctions. Ils doivent procé-
der eux-mêmes, et en collaboration, s'ils sont plusieurs, à toutes
les appréciations que comporte la mission dont ils sont char-
gés. Mais, en confiant, soit à Tun d'eux, pris isolément, soit
même à un tiers, une opération purement matérielle, ne com-
portant aucune appréciation, les experts ne délèguent pas
les pouvoirs qu'ils tiennent de leur mandat de justice, puis-
qu'ils demeurent libres de tirer de cette opération matérielle
les conclusions qu'elle peut entraîner pour l'accomplissement
de leur mission'^. Au civil comme au pénal, les experts entrent
en fonctions par le serment qu'ils prêtent de bien remplir la
mission qui leur est confiée. L'autorité du rapport des experts
et la foi qui doit être accordée à leurs déclarations ne sont
pas différentes dans tes deux ordres de procès. La règle com-
mune est l'entière liberté d'appréciation pour le juge.
Mais la procédure criminelle est différente de la procédure
civile dans son organisation et dans son but. Tandis qu'en
matière civile, l'instruction du procès appartient exclusive-
ment aux parties et que celles-ci participent à la désignation
" Stc,Cass., i5 mai 1876 (S. 76. i. 305); Lyon, 12 avril 1897 (S. 97.
2. 293). Dans Tespècede ce dernier arrêl, il s'agissait d*un médecin, expert
en matière d'accident, chargé d'examiner l'état d*un blessé, qui avait fait
photographier le pied de ce blessé, au moyen des rayons X par un con-
frère. On prétendait qu'il avait ainsi délégué illégalement ses pouvoirs
d*expert à un tiers. Mais il s'agissait là d'une opération matérielle, ne com-
portant aucune appréciation, et dont l'auteur ne participait en rien, par con-
séquent, à la mission d'un expert Voy. Oscar et Dejean, Traité théor. et praU
des expertises, 3** éd., par Flamand et Peltier, n^ 432.
602 PROCÉDCRE PENALE. — DE UL PRKUTB.
des ei[>erts et au contrôle de leurs opératioos, en matière pé-
nale, riastructioQ du procès est l'œuvre de la justice elle-
même. Aussi la jurisprudence n'a pas cru devoir puiser, à cm
deux points de vue, dans le t^ode de procédure civile, poar
suppléer à Tabsence de réglementation de Texpertise crimi-
nelle. Ce qui caractérise, en efTet^ la [Pratique de cette mesure
d'instruction, c'est, tout à la fois, le choix arbitraire de Tex*
pert par le magistrat instructeur ou la juridiction saisie, sans
que le prévenu ait le droit de contrôler ce choix dans une me-
sure quelconque, et le manque de contradiction, dans les opé-
rations de Texpertise, qui sont faites en dehors des intéressés.
§ LVIII. — NOMINATION ET CHOIX DES EXPERTS.
322. L'expertise est une mesure d'iostruction, soit de la période préparatoire, soit
de la période définitive de la procédure. — 323. Dans la période préparatoire,
expcilise, s^jit en cas de flat^raot délit, soit dans les cas ordioaires, soit dans l'eiH
qu(>t(; officieuse. — 324. Dans la période définitive, l'expert est commis par la
Juridiction : tribunaux de police, tribunaux correctionnels, cours d'assises, llfaot
un Jugement ou un arrêt. En cour d'assises, cependant, le président peut com-
mettre un export en vertu de son pouvoir discrétionnaire. — 325. Chambre d'ac*
cusution. Président de la cour d'assises dans les intersessions. — 326. Le choix
des experts n'est pas limité. Mineur. Interdit. Etranger. Femme. — 327. L'o^
donnance ou le Jugement qui nomme les experts doit préciser les questions à ré-
soudre.
322. L'expertise est une mesure d^instruction, employée,
soit dans la période préparatoire^ soit dans la, période défini-
tive de la procédure *.
323. Une expertise peut être ordonnée, par chacun des
pouvoirs qui concourent à Vinstriiction de Taffaire, avant soQ
renvoi devant le juge du crime ou du délit. En effet, le droit
% LVIll. * La réquisition ou commise de l'expert, dans cette période,
peut être orale ou écrite. Le premier mode est naturellement réservé aux
expertises les plus urgentes. Dans tous les autres cas, la réquisition est faite
sous la forme d*un avertissement ou d*une simple lettre remise sans frais
par un agent de police, un garde champêtre ou un gendarme. Le plus fré*
quemment cette pièce revêt la forme, soit d'un réquisitoire, soit d'une
ordonnance. On consultera les ouvrages spéciaux, pour les formules.
NOMINATION ET OHOIX DBS EXPERTS. 603
de la prescrire est uae conséquence de celui de procéder à
rinstruction et en dérive.
Le Gode, ne s'élant occupé de Texpertise que pour le cas
spécial de flagrant délit, donne le droit d'ordonner cette me-
mre, dans les articles 43 et 44, au procureur de la Républi-
que, et, dans l'article 59, au juge d'instruction. Mais il faut
autoriser le premier de ces magistrats, lorsqu'il procède à
une enquête officieuse, destinée à l'éclairer, avant tout exer-
oice de l'action publique ^ à commettre un expert, qui ne prê-
tera pas serment, et dont le rapport ne sera consulté qu'à titre
de simples renseignements'.
Quant au juge d'instruction, il puise le droit d'ordonner
une expertise, au cours de l'information officielle, dans l'ar-
ticle 6i qui lui reconnaît un pouvoir général pour faire tous
actes d'instruction qu'il jugera utiles, sauf à communiquer
le dossier de la procédure au procureur de la République,
lorsque celui-ci en fera la demande.
324. En ce qui concerne la période du jugement, même
devatil les cours d'assises, nos Codes sont muets sur ce mode
dinstruction : l'expertise est cependant d'un fréquent emploi.
On doit y recourir, soit qu'aucune expertise n'ait eu lieu dans
l'instruction préparatoire, soit que l'expertise faite paraisse
insuffisante. Cette mesure est, en effet, légitimée par sa néces-
ûié même, et s'impose dès qu'il apparaît que, parce procédé,
on a quelque chance de découvrir la vérité '.
L'expertise, dans la procédure des débats, peut êtreordonnée
d'office ou sur la demande des parties. L'expertise doit être
3rdonnée d'office, si elle offre un moyen d'aboutir à la solution
je l'affaire, en fixant un des éléments de la décision. Mais si
[es juges y voient une mesure inutile et frustratoire, alors,
nais alors seulement, il leur est permis de la rejeter, malgré
les conclusions des parties. Dans ce cas, ils sont tenus de moti-
'^ La pratique des enquêtes officieuses 8*est développée depuis quelques
innées. Voy. G. Le Poittevin, Dictionnaire formulaire des Parquets^ 3* éd.»
r* Enquête officieuse et v* Experts,
» Cass., 12 janv. 1856 (B. cr.^ no 18).
601 PROCÉDURK PÉNALE. — DE LA PREUVE.
ver leur décision, c'est-à-dire de déclarer eipressémeat, çoit
que le fait doritTexpertise sollicitée aurait pour objet d'établir
la vérité ne semble ai pertiaent ui coQcluaat, soit que le tri-
bunal possède, en dehors de l'expertise, des éléments de coq-
viction suffisants pour n'avoir pas besoin de ceux qu'elle lai
apporterait*.
Par analogie avec les règles de la procédure civile (G. pr.
civ., art. 303) et par les mêmes raisons, l'expertise, en matière
répressive, ne peut être ordonnée que par un jugement, nom^
mant le ou les experts, et déterminant, avec précision, les
questions qu'ils auront à résoudre. C'est, à ce double point de
vue, que nous devons examiner les conditions d'une décision
d'expertise. Il importe, toutefois, de remarquer que si la
nomination d'un ou plusieurs experts doit être faite, en police
simple ou en police correctionnelle, par le tribunal, elle peat
l'être, en cour d'assises, soit par le président^ dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire, soit par la cour, dans l'exercice
de son pouvoir de juridiction. Il n'y a, en effet, dans l'utilisa-
tion des experts à la découverte de la vérité, aucune déroga-
tion aux règles ordinaires des preuves, mais seulement l'emploi
d'un moyen usuel d'instruction, d'où il suit que cette mesare
n'appartient pas à la partie incommunicable du pouvoir dis-
crétionnaire du président de la cour d'assises*.
Mais si le président et la cour peuvent ordonner la même
* Voy. Cass., 17 avr. 1874 (D. 75. 1. 238).
^ Le président de la cour d'assises peut ordonner une expertise, «puis-
que Tarticle 269 du Code d'instruction criminelle lui donne le droit d'appeler,
dans le cours des débats, toutes personnes qui lui paraîtraient pouvoir
répandre un jour utile sur le fait contesté ». Sic, Cass., 19 sept. 1839 {B,cr,,
no 301). Un autre arrêt reconnaît ce droit à la cour d'assises, u puisqu'il
suffit qu'elle juge qu'un acte d'instruction est nécessaire pour pouvoir ror-
donner ». Cass., 17 janv.1839 [B.cr., n'24r). Quant au départ de la compé-
tence respective, à cet égard, du président et de la cour, il suffilde remarquer
que la cour pourra seule ordonner cette mesure, si elle est sollicitée par des
conclusions formelles des parties ; la demande d'expertise forme alors un
incident contentieux que la cour seule a qualité pour trancher. SiCf Cass.»
29 nov. 1872 (B. cr., n^ 296;. Dans tous les autres cas, les pouvoirs du pré-
sident et de la cour sont parallèles.
VOUmJLTlGH m CHOIX DBS BXPBRTS. 605
esore, celle mesure, suivant qu'elle est ordonnée par l'un
\ par Tautre^ ne doit pas avoir le même caractère. Toutes les
esures que prend le président en vertu de son pouvoir dis-
étionnaire, sont considérées comme de simples reoseigne-
ents (C. instr. cr., art. 269). Toutes celles que prend la cour
! doivent être produites qu'avec le caractère de preuves. Et
conséquence, c*est que les experts, nommés par la cour,
»vroat prêter le serment prescrit par l'article 44, avant de
►mmencer leurs opérations, et le serment des témoins lors-
j'ils seront entendus à l'audience, tandis que les experts,
)mmés par le président, seront entendus à Taudience sans
^estation de sermentV
325. En dehors du juge d'instruction, du procureur de la
épublique et des tribunaux de répression, la chambre (Tac-
isalion^ elle aussi, peut ordonner une expertise ou un supplé-
icnt d'expertise. Et il a même été décidé que lorsqu'en or-
3nnant un supplément d'instruction, pour la vérification,
ir expert, d'une pièce arguée de faux, la chambre d'accusa-
DU n'a pas nommé les experts; le conseiller, parelle commis
3ut les nommer et recevoir leur serment, sans excéder ses
Duvoirs et sans violer aucune loi, par la raison que les arti-
es 196, 232, 305 .et 3i6 du Code de procédure civile sont
ins application à la procédure criminelle sur un faux prin-
pal.
Le président de la cour d'assises, dans la périodequi s'étend
e l'arrêt de la chambre d'accusation à la comparution de
accusé devant la cour, est seuIinvesti,nolammenlpar l'article
î6, d'un pouvoir d'instruction, lia donc, pendant celle pé-
ode, où la chambre d'accusation n'est plus saisie, où la
)ur ne l'est pas encore, le droit exclusif de commettre des
• Celte (Jislinclion, bien qu'acceptée par la jurisprudence, est limitt'îe par
théorie d'après laquelle la prestation de serment d*un expert nommé parle
ésident ou d'un témoin entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire ne
cie pas la procédure, qui serait, au contraire, viciée, si un expert nommé
ir la cour ou un témoin régulièrement cité ne prêtaient pas serment. Voy.
ISS., 2 juin. 4846 (B. cr.y n*» 169).
606 PROCÉDURE PBNALB. — OE LA, PRBOVB.
experts : par exemple, à l*eSet d'examioer Tétat mental de lac*
casé. Mais lorsque la cour d*assÎ8es, pendant sa session, a, par
arrêt, nommé des experts, le président n*esl pas compétent
pour remplacer Tun des experts empêché, alor$ même que
la démission de l'expert se produirait .hors session, à la suite
d'im renvoi de TatTaire^. C*est que, en effet, le procès esteotré
dans la période des débals contradictoires. L'expert ne peut
être remplacé que lors de la prochaine session des assises el
en présence de Taccusé et de son conseil. Cet état de choses,
qui résulte du mécanisme même de la procédure et des pou-
voirs respectifs de chacun des organismes qui concourent au
jugement en cour d'assises, a des inconvénients sérieux
qu^une revision seule de la loi pourrait faire disparaître.
326. Le choix des diverses autorités qui ordonnent une ex-
pertise doit porter sur des personnes capables, mais tonte
personne peut, en principe, expertiser et aucune n'en aie
monopole. Ces deux règles générales, qui sont communes à
Texperlise criminelle et à Texpertise civile, ne s'appliquent
cependant pas, à Tune et à Tautre, dans les mêmes conditions.
Toute personne peut, en règle générale, être choisie
comme expert. Le principe de la liberté du travail, proclamé
par Tarlicle 7 du décret du 7 mars 1791, a entraîné la sup-
pression des experts-jurés qui possédaient autrefois, à titre
d'oftice le privilège de faire les expertises afférentes à leur
état'. Mais il est des incapacités d'être expert, qui résultent:
— soit de la loi, en cas de condamnation entraînant la dégra-
dation civique (C. pén., art. 34), ou d'interdiction du droit
d'être expert par application de l'article 42 du Code pénal; —
soit de l'impossibilité de rénnir,sur une même tête, deuxquali-
tés contradictoires et incompatibles : ainsi nesauraient être ex-
perts, les juges ou les jurés faisant partie du jury de jugement.
" Cass., 19 juin. 1893 (S. 96. 1. 59). Voy. Faustin Hélie, op. cit., l. 7,
n» 3303.
• NotammeDt il y avait des « jurés chirurgiens en titre d'office ». Voy.
détails intéressants dans La médecine judiciaire en France au xvn^ stéc/f,
par L. Locard (Lyon, Th. méd., 1902), p. 70.
NOMINATION ET CHOIX DES EXPERTS. 607
£q règle géaérale, un étranger, une femme pourraient, sans
illégalité, être chargés d'une expertise'- La loi, en effet, n'é-
dicte aucune prohibition, laissant aux tribunaux le soin de
faire un choix judicieux et approprié aux circonstances qui
peuvent se présenter. Or, il y a des questions que seul un
étranger sera capable de résoudre; s*il s'agit, par exemple,
de déterminer et d'apprécier une circonstance de fait qui a eu
lieu dans son pays. D'un autre côté, certaines missions sem-
blent devoir incomber tout naturellement à la femme, soit
à raison de ses aptitudes spéciales, soit par des considéra-
tions de convenance.
Les motifs qui portent certains auteurs à exclure du droit
d'être experts les étrangers et les femmes sont tirés de deux
considérations principales.
Les articles 34 et 42 du Code pénal placent, sur la même
ligne, l'incapacité d'être expert et celle d'être employé comme
témoin dans les actes. Cette assimilation du témoin instru-
mentaire à l'expert conduirait à exiger de ce dernier non seu-
lement la qualité de Français, mais celle de citoyen et à
exclure, par conséquent, de cette mission, les étrangers, les
faillis non réhabilités. Mais ce raisonnement, qui a pour con-
séquence d'exiger la capacité politique pour une mission qui
né demande que des connaissances toutes spéciales, et à écar-
ter des personnes plus aptes que d'autres à donner des éclair-
cissements sur le point en litige, exagère la portée de ces
dispositions, car il serait téméraire de tirer des articles 34
et 42 une solution générale qui n*a pas été dans la pensée du
législateur. Du reste, la qualité d'expert dans ce texte, n*cst
pas davantage assimilée à celle de témoin instrumentaire
* SauT, cependant, en ce qui concerne les experts en médecine, la loi du
30 Dovembre 1892 exigeant qu'ils soient Français (art. 44, § 31). Cette
disposition a fait cesser la controverse, on ce qui concerne la nationalité que
doivent avoir les médecins experts. La Cour de cassation avait admis qu*en
matière criminelle notamment, un docteur étranger pouvait procéder à une
expertise : Cass., 16 déc. 1847 (D. 47. 1. 238). Bien entendu, les médecins
naturalisés français, après avoir fait leurs études à l'étranger, peuvent,
comme les docteurs français, recevoir le titre d'experts.
608 PROCÉDURE PtNALB. — DB LA PREUVE.
qu'à celle de témoin en justice. Dans Tarticle 3i notammeDt,
rindÎTÎdu frappé de la dégradation civique ne peut pas plus
être témoin en justice qu'être témoin dans les actes. Or, il
est bien certain qu*un étranger, qu*une femme peuvent dé-
poser en justice**.
Il est Trai que l'expert, régulièrement nommé, est consi-
déré, par la jurisprudence, comme un citoyen chaîné d'an
ministère de service public, protégé, en conséquence, contre
les outrages qu'il reçoit dans l'exercice de ses fonctions, par
l'article 224 du Code pénal, mais, celte jurisprudence se place
dans le cas le plus ordinaire, celui où l'expert^ nommé d'office,
est citoyen français, mâle et majeur; elle n'a pas eu pour ob-
jet de limiter le choix des experts à certaines catégories de
personnes : tout ce qu'on peut légitimement en conclure, c^est
que si l'expert ne réunit pas ces trois qualités, il ne sera pas
regardé comme investi d'un service public**.
Il n'y a, du reste, aucune incompatibilité entre la qualité
d'expert et celle de témoin; il peut arriver, en effet, quelque-
fois que la même personne Ggure dans les débats en qualité
d'expert et de témoin : par exemple, si un témoin est chargé
d'une expertise, ou si un expert est appelé en témoignage, il
doit alors prêter, en chacune de ces qualités, le serment qui y
correspond**.
327. L'ordonnance ou le jugement qui nomme le ou les
experts doit préciser les questions à résoudre. Les expertises
incomplètes ont souvent pour cause l'insuffisance et l'incohé-
rence de la décision qui les ordonne. On ne saurait donc trop
•0 Du reste, depuis la loi du "décembre 1897, la femme peutsigner comme
l(^moin dans tous les actes instrumentai res (art. 1). L'objection s'appliquait
donc à l'état de choses antérieur à cette loi.
^' Nous ne parlons pas : i^ des mineurs qui, à raison de leur âge même,
n'auraient pas l'expérience compatible avec la qualité d'expert (Voy. la note
de M. Olasscn sous un arr* t de Nancy, du 9 février 1886, dans D. 87. 2.
20); 2" ni des personnes intirdUes judiciairement qui sont présumées ne
pas jouir de leur raison; 3^ ni des alimcs non interdits. Mais ce sont là des
incapacités naturelles et non légales.
'» Voy. Cass., 27 janv. 1887 (S. 87. i. 188).
NOMINATION ET CHOIX DBS EXPERTS. 609
recommander, soit aux magistrats instrucleurs, soit aux tri-
bunaux, de se pénétrer de cette vérité qu'une question bien
posée est presque toujours facilement résolue. Il ne faut pas
craindre de procéder par voie d'analyse, car, la plupart du
temps, il s'agit d'éclairer le juge sur des faits qui se condition-
nent les uns les autres et dans lesquels le rapport de cause
à effet sera d'autant mieux élucidé par l'expert qu'il sera
mieux décomposé par le juge. L'analyse est, du reste, la mé-
thode d'invesûgqiion des vérités encore ignorées, et l'expertise
a précisément pour but de les découvrir. On trouvera, dans un
certain nombre d'ouvrages techniques, des exemples et des
leçons.
Nous ne nous dissimulons pas, du reste, que, pour pouvoir
tracer nettement la mission d'une expertise, comme pour pou-
voir en comprendre et en contrôler les résultais, il est néces-
saire que le juge ait lui-même certaines connaissances
techniques et des « clartés de tout », sans lesquelles on ne
saurait utilement et consciencieusement exercer le magistère
pénal. Si, dans l'expertise, la solution du problème scienti-
fique incombe au spécialiste, l'énoncé doit en élre fait par le
magistrat et suppose, de sa pari, au moins une connaissance
succincte des objels sur lesquels porte sa décision ou sa ré-
quisition.
Il importe d'abord de savoir qui il faut interroger, c'est-à-
dire quelle espèce d'expert il faut choisir. A cet égard, dans
bien des cas, des praticiens pourront rendre plus de services
que des savanls. 11 faut également savoir sur quoi on peut in-
terroger. Les limites du savoir de rex[)ert ne peuvent èlre
indiquées a priori. Mais il est aussi ridicule de trop deman-
der, qu'il est imprévoyant de ne pas assez demander. Enfin, il
faut saisir le moment où l'on doit interroger, c'est-à-dire
l'époque à laquelle les matériaux, déjà réunis, permettront
d'obtenir des renseignements utilisables. On s'imagine,
parfois, que l'expert n'a qu'à s'occuper de l'objet limité
de 'sa mission, mais on oublie que toute question, même
limitée, implique, en matière d'expertise, des difficultés
que l'expert consciencieux ne peut résoudre s'il ne cou-
G. P. p. — I. 39
610 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
natt le dossier et les circoDstances qui ont accompagné le
crime ".
§ LIX. - MARCHE DE L'EXPERTISE.
328. Absence de toute règle précise dans le Code d'instruction criminelle. Doable
conséquence qui en résulte, soit au point de vue de lu nomination des experts,
soit au point de vue du caractère non contradictoire de Texpertise. — 329. Nom-
bre des experts. Pouvoir arbitraire des tribunaux de répres.sion. — 330. Carac-
tère non contradictoire de Texpertise criminelle. — 331. L*organisation contra-
dictoire de Texpcrtise criminelle est une réforme depuis longtemps demandée.
Comment la réaliser. Difficultés. — 332. Choix de ou des experts. Liste d experts.
328. Uabsence de toute règle précise, dans le Code d'ins-
truction criminelle, sur la marche de Texpertise, a fait décider:
!• que c'est an tribunal ei non aux parties à désigner le ouïes
experts; 2* que Texperlise en matière criminelle, correclion-
nelle et de police, n'a pas le caractère contradictoire qu'elle
doit avoir en matière civile. Ces deux solutions dérivent de la
nature même de la procédure inquisitoire, dans laquelle la
recherche de la certitude est faite par le juge ou au nom du
juge.
329. Kn cas de flagrant délit^ le Code a fixé à un ou deux,
le nombre des experts que le magistrat pouvait commettre
(art. 43). Pour les autres cas, il ne contient aucune disposition
sur le nombre des experts. Faut-il, dans le silence de la loi
criminelle, recourir aux dispositions de Tarticle 303 du Code
de procédure civile, d'après lesquelles : « L'expertise ne pourra
se faire que par trois experts, à moins que les parties ne con-
sentent qu'il y soit procédé par un seul » ? Mais, dans la pro-
cédure criminelle, l'expertise est un moyen d'instruction
que le juge ordonne de son initiative. Le juge n'a pas, comme
en matière civile, le rôle d'un arbitre entre les parties. D'où
il suit que, à défaut d'un texte précis, la jurisprudence
donne, au magistrat de répression, le droit absolu, soit d'ordon-
ner une expertise, soit de fixer le nombre des experts. Sui-
*3 Sur tous ces i)oints : Ilanns Gross, op, ci7., t. 1, p. 178 à 316, dans le
chap. intitulé : L'expert et la manière de l'utiliser.
MARCHE DE l'bXPERTISE. 611
int qu'il le jugera nécessaire, il en prendra un ou plusieurs.
e n'est là qu'une conséquence logique du type inquisitorial
e notre instruction criminelle.
Pendant longtemps, l'usage a été, en France, de désigner
)ujours deux experts, quelquefois trois^ en cas d'expertise
lédico-légale. Il suffit, pour s*en assurer, de parcourir les
uvrages de médecine légale, publiés dans la première moitié
u XIX' siècle, notamment ceux d'Orfila et de Devergié. Mais,
cpuis 1867, par des circulaires successives^ et dans le but
'économiser les frais de justice criminelle, la Chancellerie
rescrit de ne désigner qu'^m seul expert. Sans doute, elle
*a pas eu la pensée d'ériger ce conseil en une règle inflexible ;
est une simple recommandation administrative qu^elle for-
lule^ Il y a des opérations qui ne peuvent être bien faites
u'avec deux experts : telles les autopsies. Mais, pour la plu-
art, un seul expert est suffisant ^.
330. L'expert procédera à ses opérations, sans avoir à mettre
3S partiesen demeure de les contrôler ou de les contredire par
îurassislance. Le caractère non contradictoire de Texperlise,
§ LIX. * Je renvoie à trois circulaires successives de la Chancollerie : l°La
•emière est celle du 0 février 1867. Touleri prolestant contrôla facilité avec
quelle certains magistrats désignaient, « de prime abord et sans distinction,
usieurs experts », cette circulaire posait seulement, en principe, qu* « il
ifGt de désigner un expert dans les cas ordinaires, comme ceux de sinif)les
mpset blessures, et deu.r pour les autopsies et opérations qui ne peuvent
isse renouveler ». .le remarque, en effet, que toute autopsie médico-l<?gale
)it être laite par deux médecins dans les paya de langue allemande; 2® La
rculaire du 23 février i887 sur les Irais de justice allait plus avant dans
tte direction. Elle recommandait aux magistrats de ne commettre qu'un
:pert unique. <« Lps affaires qui présentent des difficultés particulières
examen, nécessitant la désignation de plusieurs médecins ou experts, sont
lativement rares »; 3* Ktifin, la circulaire du 22 juillet 1900, prescrivant des
lonomies en matière de frais de justice, rappelle, à cet égarrl, les instruc-
Dns de la circulaire de 1887 : « Les magistrats perdent trop souvent de vue
s instructions prescrivant de ne commettre qu'un seul expert ».
"^ Sauf la question, que^nous examinons plus loin, d»' savoir si chaque par-
e ne devrait paspouroir choisir son expert sur une liste de capacités. C'est
ne des formes sous lesquelles se présente la question d»* Texpertise conlra-
ictoire.
612 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
dans la procédure préliminaire, est un trait qui lui est com-
mun avec tous les autres actes de l'instruction*. Il n'est dooc
pas contestable. Mais, dans la procédure des débats, où toos
les éléments de preuve sont soumis à la discussion contradic-
toire, dans leur source comme dans leur production, il sem-
ble que la jurisprudence aurait dû appliquer, à Texpertise cri-
minelle, les règles du Code de procédure civile (art. 305),
qui soumet ce mode de preuve au contrôle des parties intéres-
sées. Elle ne Ta pas fait, et il est aujourd'hui, de pratique cod-
strinte, que l'expert procède à toutes ses opérations, sans avoir
à en aviser les parties. Ainsi, tandis que le procès-verbal de
prestation de serment des experts, nommés en matière civile,
indique les lieu, jour et heure de la première opération ; qu'il
est signifié aux parties qui ne seraient pas présentes; que, à la
fin de chaque séance, les experts indiquent où et quand aura
lieu la suivante; en un mot qu'en matière civile, les parties,
qui ne sont pas présentes ou représentées, ne peuvent s'en
prendre qu'à elles-mêmes de leur ignorance des opérations;
aucune de ces règles n'est prescrite en matière criminelle*:
les experts procèdent, seuls et sans contrôle, à toutes les opé-
rations extérieures qui servent de base à leurs conclusioas,
autopsie, analyse chimique, visite de lieux, etc. Bien entendu,
l'inculpé, le prévenu ou l'accusé a le droit de provoquer, à
ses frais, une contre-expertise : mais le rapport du contre-
expert, simple document de la cause, ne sera pas fait sous la
^ San!" l'iiiL«Mn>;^aluirii t'I la confrontai ion, depuis la loi du S décembre
1S07. Nous •ximi lions, plus loin, la «jucstioti de savoir si les ordonnances du
JM^^i' d'insIriK'.iinri par Icsfpjf'Ilfs ce maprislrat <lésif^ne un ou plusieurs ex-
perts doivent iMre innnc'diateinenl f>orlées à la connaissance du conseil.
Voy. sur r.ctte (pieslion : Cass., 22 juin <89S (S. 1901. \. V63) et la note de
M. HoMx; 8 d.'ceinhre imi\[>. ilM)2. 1. 101); :'. janvier <90l (S. 1902. 1. 103).
Mais, qn»?ll«' «pjp snit l'opinion adoptée sur c«^lle question, il est bien cer-
tain qui' 1«' rap[»Mrt d'i^xpcrt, faisant partie des pi('ces du dossier, devra être
rominuniiju»'', avec \o dossier, au défenseur de l'inculpé, dans les conditions
d<' la loi du S déc<'rnhre 4Sy7.
* Cass., 27 décembre 1870 (S. 81. 1. 487); 27 janvier 1887 (S. 87. 1.188);
li» novembre 189* (S. 9**). 1. jo). Comp. Faustin Hélie, op, cit,^ t. 4,
n'- 1891 »'t 1897, t. 0, n" 2021.
1
i
MARCHE DE l'eXPBRTISE. 613
01 du serment, n*aura qu'une valeur purement ofCcieuse, il
le pourra en être fait état qu'à titre de renseignement. De
>lus, le conlre-expert sera obligé, presque toujours, de con-
idérer comme exactes les opérations qui auront élé faites par
'expert officiel, puisqu'il ne sera pas appelé à contrôler ces
>péra(ions. Son rôle se bornera à discuter, au point de vue
cientifique, les conclusions qui auront été prises sur des faits
[u'il ne connaîtra que par le rapport.
331. On s'est demandé s*il n'y avait pas un réel danger à
confier à un seul expert ce pouvoir considérable de trancher,
sans contrôle, les questions qui lui sont posées. Aujourd'hui,
)û la tendance est d'objectiver la preuve et de se fier à Tin-
;erprétation des faits plus qu'à la déposition des personnes,
l'expertise est souvent, dans un procès criminel, le mode de
preuve déterminant. Or, la fréquentation forcée des parquets,
l'habitude de se trouver mêlé aux investigations des magis-
trats, influent, àTinsu de l'expert lui-même, sur son indépen-
dance d'appréciation. Sa qualité d'auxiliaire de la justice se
transforme assez facilement en la qualité d'auxiliaire de l'ac*
L'usation. Nous répéterons donc, après tant d'autres : il n'y a
de garantie pour l'accusé i\ue da,i\sï expertise contradictoire.
La difficulté, en réalité, porte moins sur le principe de la
réforme que sur son organisation. En effet, d'où pourrait
résulter la contradiction? Par quel ensemble de règles fau-
drait-il protéger les intérêts des deux parties, l'accusateur et
Taccusé? Bien des syslèmtîsonlété proposés, ou même ont été
essayés en France et à l'étranger. A vrai dire, aucun ne paruît
absolument satisfaisant, et le problème de l'expertise contra-
dictoire est un des plus embarrassants, un de ceux qui se
prêtent aux solutions les plus divergentes.
La première idée qui vient à l'esprit, c'est un retour au
système de l'ancienne procédure. Jadis, chaque partie nom-
mait son expert*. En modernisant ce système, on pourrait^
' Les juj^cs (levaient choisir les experts, dans le système de l'ordonnance
Je 1070, « du grc et du consentement des parties, afin de leur ôter tout
61 i PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
soit faire nommer, par le magistrat instructeur ou le tribunal,
cleu\ experts, l'un proposé parle ministère public, l'autre, par
Tinculpé, soit laisser à chaque partie le droit de désigner
son expert, le rapport, dans tous les cas, devant être commun.
Mais ce système a deux inconvénients graves qui nous rendent
très sceptiques sur les résultats de la réforme : le premier,
c*est que chaque expert, ayant en quelque sorte pour cliente
l'une des parties, le ministère public et Tinculpé, serait porté
à se préoccuper plus de la défense de ses droits que de la re-
cherche de la vérité; le second, c'est qu'il y aurait presque
toujours lieu à partage et, dès lors, à la nomination d'un tiers
expert, laquelle entraînerait des retards et de nouveaux
frais. Ce système ébranlerait donc, sans grande utilité, la
neutralité de Texperlise. Confiez la même tâche à deux ex-
perts : si Tun ne devient pas la doublure de l'autre, il sera
son adversaire : la discussion scientifique et technique tour-
nera en lutte d'amour-propre où sombrera trop souvent l'im-
partialité de l'un et de l'autre. Il est vrai qu'on a proposé la
création, dans chaque centre judiciaire important, d'un con-
seil suprême de médecine légale, chargé de départager les
experts. Ce conseil, à peu près inutile pour les questions de
fait qu'il serait hors d'état de trancher, offrirait, il est vrai,
de réelles garanties, lorsque le désaccord porterait sur l'ap-
préciation et la portée scientifique de telle ou telle constata-
tion, mais ce rouage bien compliqué fonctionnerait aussi
utilement pour contrôler un expert unique que pour contrôler
deux experts*.
sujet de «iôfianoe et de soupçon ». Coiup. lit. V, art. 2 de Tord, de 1670.
Voy. Muyarl de Vouglans, Im^tr, cr., p. 141. Sur l'origine de celle règle :
Gcnesteix, L'expertise criminelle en France [TU, de doct., Paris, 1900),
p. 93.
• Le doott*ur Jiiibler répondiiit, a la proj^osition qui était faite au Congr»?5
international de nuMJecine légale do 1878, d'adopter trois experts en malien?
criminel!»* o«»mme an civil : « CVsl parce que la cause est plus grave, c'est
•< parce que rintér^^'t est majeur que, pour ma part, je ne voudrais pas trois
« experts. Si je ne lignais pas compte des imperfections humaines et de la
« faillibilit»^ de chacun, je n'en voudrais qu'un seul, mais un seul choisi
*• parmi les hommes présentant le plus de garantie, et aussi compétent que
MARCHE DE l'eXPEETISE. 615
Une autre coaceptioo, plus pratique à mou seas, et plus
acceptable, serait d'organiser la contradictioQ, seulement par
la surveillance et lecontrâle, en donnant au ministère public,
au prévenu et à la partie civile, s*il y en a une, le droit d'as-
sister ou de se faire représenter au^ opérations extérieures de
l'expertise, c'est-à-dire aux constatations. Ce sont ces opéra-
tions qui, bien ou mal exécutées, rendront un rapport exact ou
inexact, les conclusions n'en étant que la conséquence. Un
seul expert, si Ton veut, mais un expert d'une compétence
indispensable et un expert surveillé et contrôlé. Cette garan-
tie serait complétée, par l'autorisation donnée aux parties
de soumettre les opérations et les conclusions de l'expertise
au contrôle d'une sorte de juridiction scientifique supérieure
exercée par des commissions spéciales, des corps savants, qui,
à raison de leur haute compétence, 'émettraient un avis défi-
nitif et sans appel. C'est le système qui fonctionne dans cer-
tains cantons de la Suisse, et en Allemagne, où on l'appelle
le surarbitrage.
332. Far cela même que les magistrats instructeurs et les
tribunaux sont autorisés et même invités à ne nommer qu'un
expert unique, ils doivent s'adresser à celui qui se recomman-
dera par sa fermeté, son mérite, son intégrité et surtout son
expérience personnelle. Aussi, est-il indispensable de désigner,
par une sélection rigoureuse, les personnes qui seront ordi-
nairement chargées de la mission d'expert et qui acquerront
ainsi une compétence spéciale. Une circulaire de la Chancel-
lerie du 30 septembre 1826, rappelée dans une. circulaire du 16
« possible. Kn voici les motifs : c\;st que plus vous augmeutez le nombre
« des hommes appol«'*s à rlonner leur avis, plus vous diminuez la responsa-
« bilité de chacun, alors que, au contraire, la responsabilité p^se de tout
<c son poids sur la tt}te de celui qui vient affirmer ou nier, par exemple,
« Texistence d'un emp<)isonnemenl. C'est pour cela que jf voudrais qu'il fût
« seul et que lui seul en portât la responsabilité ". A l'inverse, le docteur
Lacassagne {Les médecins experts et les erreurs judiciaires, Rev, scient,^
i897, p. 10), pense qu'il est « de toute nécessité de désigner, pour les gros-
ses affaires criminelles, deux experts ».
616 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
août 1842, prescrit de choisir, dans chaque cour ou tribunal,
et à l'avance, les hommes les plus expérimentés et d'en dres-
ser une liste. On généralise ainsi la disposition d'un cdit de
février 1692 qui exigeait qu'il y eût, dans toutes les villes, des
chirurgiens-jurés, chargés, à l'exclusion de tous autres, de
faire les rapports et « visitalions ». L'art. 68 du projet de loi
sur la reforme du Code d'instruction criminelle, aurait rendu
s'il avait été adopté, cette pratique obligatoire \ Il disposait
en effet, en ces termes : « La liste des experts qui exercent
(( devant les tribunaux est dressée chaque année, pour Tan-
a née courante, par les cours d'appel, sur l'avis des facultés.
« des tribunaux civils et des tribunaux et chambres de com-
« merce ». Un premier pas, dans cette voie, et le plus impor-
tant, a été fait par un décret du 21 novembre 1893, rendu
en exécution de l'article 14 de la loi du 3U novembre 1892,
qui a prescrit l'établissement, dans chaque ressort de cour
d'appel, d'une liste annuelle de médecins experts, auxquels
seuls dorénavant pourront être confiées les expertises médico-
légales. Toutefois, l'article 13 de ce décret réserve les cas
prévus aux articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle,
c'est-à-dire les expertises ordonnées en cas de flagrant délit
ou d'urgence par le procureur delà République'.
Malgré la confection de ce tableau des experts agréés, les
magistrats sont libres, en principe, de désigner, comme experts,
des personnes qui n'y figurent pas. Kt il en sera toujours
ainsi, cette sélection officielle fût-elle prescrite par la loi. C'est
que, en ofTel, la liste des experts sera imparfaite et incomplète
dans nombre de tribunaux : les analyses chimiques, par
exemple, dont la nécessité est si fréquente, ne pourront être
faites, en général, que par un spécialiste de Paris ou d'un
grand centre. Dans certaines affaires, un praticien ou un
amateur sera plus utilement consulté qu'un savant ou un pro-
fesseur. D'où il suit, qu'aucune règle ne peut limiter, à
' Voy. BulL (le la soc, de Uqis,, etc, 1886, p. 602.
*Led«^creL du 21 nov. 1803 est anaivs»? et cummenté dans un article «le
Coiitagnc, Les jnvdecins experts devant les tribunaux (\rchiv, d'anthrop.
crim., 1. 9, p. 90 ai 01).
DROITS ET DEVOIRS DES EXPERTS. 617
Vavance, le choix des tribunaux et que toute liste, quelque
officielle qu'elle soit, n*est destinée, dans la pensée de ceux
qui Tarrêtent, qu'à donner des indications. Nous venons de
voir cependant que le décret du 21 novembre 1893 fait excep-
tion à cette liberté du choix.
§ LX. — DROITS ET DEVOIRS DES EXPERTS.
333. Du serment des experts. Sa formule. EIIp n'eHt pas sacramentelle, k la diffé-
rence de la formule du serment d^s témoins et des jurés. — 334. Lu prestation
de serment et sa constatation régulière sont des conditions de validité de toute
expertise. Ni les mairistrats ni les parties ne peuvent di^tpenser l'expert du ser-
ment prescrit par la loi. — 335. Le serment doit être prêté avant le commence-
ment des opérations et il s'étend à toutes les (ipérations que l'expert peut avoir à
reproduire et à ajouter pendant tout le cours di; l'afTaire. — 336. Le serment ne
garantit que les opérations faites dans la phase de procédure pour laquelle l'expert
a été commis. L'expert, appeli* à l'audience, pour rendre compte de ses opérations
ou de ses conclusions, prête le serment de témoin. — 337. Le président de la
cour d'assises qui commet un expert, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ne
peut le dispenser du serment en tant qn'il procède comme expert. — 338. Ques-
tions accessoires sur les droits et devoirs des experts. — 339. Hefus de concours
de l'expert. Sanction générale. Sanction s[»éci;ilc instituée pour le rrfus des méde-
cins par l'art. 23 de la loi <lu 30 novembre IW*.? sur l'exerfice de la médecine.
— 340. Honoraires des experts. Tarif. Décret du 21 novembre 1893 en ce «lui
concerne les médecins.
333. Des qu'il a été nommé, l^expert doit prêter, devant
les magistrats qui l'ont commis, le serment de « faire son
« rapport et de donner, son avis en son honneur et conscience».
Ce sont les termes de l'article 44 du Code d'instruction crimi-
nelle, relatif à la procédure d'instruction préparatoire; et,
que, à défaut de toute autre disposition, on étend à la procé-
dure de jugement. De cette circonstance et de la manière
dont Tarticlc 4i est rédigé, la jurisprudence a conclu que la
formule du serment de Tcxpert n*est pas sacramentelle et que
le changement de quelqu'un de ses termes^ pourvu que Tidée
soit rendue par équivalent, n'emporte pas nullité \ Cette
décision raisonnable semblerait devoir s'a|)pliquer à tout ser-
ment prêté en justice; mais une distinction, que les termes de
§ LX. * Voy. suprà, n° 318, p. 594.
618 PROCÉDURE PÉNALB. — DB LA PEBUVB.
la loi expliquent seuls, est faite, à ce point de vue, entre le
serment sacramentel des témoins et des jurés et le serment
plus libre des experts '.
334. La prestation de serment et la constatation régulière
de cette formalité sont des conditions essentielles de la sincé-
rité et par suite de la validité de Texpertise'. Toute décision
judiciaire qui fait état d'une expertise, alors que Texpertna
pas prêté serment ou que la prestation de serment n'est pas
régulièrement constatée, ce qui revient au méme\ estd'uoe
nullité absolue. Ni les magistrats ni les parties elles-mêmes
ne peuvent dispenser l'expert du serment prescrit par
la loi. La Jurisprudence a souvent décidé qu'une cour d'as-
sises, pas plus qu'un tribunal correctionnel ou un tribunalde
police, n*était en droit d'ordonner qu'un expert serait entendu
sans prestation de serment, à titre de simple renseignement'.
De même, par de nombreux arrêts, elle a déclaré que la dis-
pense du serment par les parties, facultative en matière
civile, était inopérante en matière criminelle*.
* On s«î reportera au n© 318, p. 504, notes 8 et 9.
» C'était déjà la rt'^glepos<^o parTordonnance de 1670 (tit. .V, art. 2). Cest
toujours la règle pratique. Voy. Cass., 13 juin 1835 (B. cr.^ n*238); \1
septembre i8t0 (Rcr., n° 275).
* 11 est de rèj^lequc toutes les formalités à accomplir dans Tinstruction on
aux débats, sont réputées n'avoir [)as été accomplies, lorsqu'elles n'ont pas
été ('«jnstalées par le |)rocès-v'erbal.
» Cass., 28 déc. 1893 {B.cr., nol80). Mais un rapport d'expert, nul à rai-
son de l'absence de prestation de serment, peut être remis aux jurés, aprî^s
la cinture des débats, et ce, en vertu de l'article 3 U du Code d'instruction cri-
minelle modifié par la loi du 9 juin 1853. C'est seulement, déclarent les arrêts,
h titre de renseignements, que les pièces sont remises au juré, dont la con-
viction doit se former essentiellement d'après le débat oriil qui a eu lieu
devant eux; il suffit, ajoutent-ils, pour la garantie de l'accusé, que cette
remise ne porte que sur des pièces faisant partie du dossier, dont le con-
seil a eu la libre communication et qui ont ainsi été soumises k la discussion
des débats. Voy. Cass., 16 janvier 1836 (B. cr.,n. 15); 23 septembre 1836
(1). 3k. I. il9); 10 janvier 1850 (B. cr,, n*» 7); 25 mars 1886 (B. cf.,
n« 125).
^ Une décision, assifz ancienne, a fa'«t l'application de cette règle dans des
DROITS BT DEVOIRS DES EXPERTS. 619
335. Le sermeat étaat la seule garantie légale de la sin-
cérilé de l'experlise^ il en résulte : 1° que le scrmeot doit être
prêté avant le commencement des opérations de l'expertise;
2'' mais que, prêté à ce moment-là, le serment s'étend à toutes
les opérations que l'expert peut avoir à reproduire et à ajouter
pendant tout le cours de TalTaire.
I. Lapremière proposition est le corollaire môme du carac-
tère de l'expertise. Le serment de l'expert est une formalité
•substantielle de ce procédé d'instruction. L'expert est averti,
par la formule du serment, qu'on ne lui demande pas une
•circonstances intéressantes. Il s'agissait do blessures pur imprudence : l'ex-
perlise ordonnée était étrangère à la constatation du délit, et, dans l'instance
d*appei où elle était intervenue, elle n'avait pour objet que les intérêts pécu-
niaires des parties en cause. Les experts, nommés par la cour, avaient con-
clu« comme l'avaient fait les premiers juges sans expertise, a une incapacité
de travail de cinq mois. La cour d*appel, sans faire aucune mention de cette
expertise nulle, mais, il est vrai, sans Texclure formellement, avait simple-
ment adopté, dans son arrêt, les motifs des premiers juges. La Cour de
cassation, le 26 juin 1863 {H, cr,, n° 100), cassa l'arrêt, déclarant que,
puisque Texpertise faite sur Tappel avait justifié l'appréciation des pre-
miers juges, l'arrêt, pour confirmer le jugement, s'était nécessairement
appuyé sur l'expertise : « Attendu que, bien que le dél>at sur l'appel
« paraisse être restreint à cette question, l'instance engagée par l'exer-
« cice de l'action publique, ,ci laquelle l'action civile est ultérieurement
<« venue s'adjoindre, n'en était pas moins une instance ouverte devant la
« juridiction correctionnelle, l'action civile présupposant l'existence d'un
« délit; que, dès lors, la procédure suivie était régie par les formes propres
« à la juridiction répressive; qu'une distinction essentielle esta faire entre
« ces formes elles-mêmes et l'action qui s'y encadre; que si, relativement à
V l'action, la partie civile qui l'a formée peut s'en désister, parce que cette
M action n'intéresse qu'un droit dont elle a la libre disposition, il n'en
« est pas de même des formes établies par la loi dans un intérêt géné-
« rai d'ordre public, et comme -garantie d'une justice régulière; — Qu'il
« n'est pas loisible aux parties de renoncer à ces formes essentielles de la
« juridiction léga'ement saisie, pour emprunter celles d'une juridiction dif-
« férente; qu'une telle manière de procéder, en transportant dans les
« matières correctionnelles des règles ou pratiques admises dans les alTaires
4< civiles, détruit toute l'homogénéité «les règles et principes de la procédure
« criminelle; — Qu'il suit de ce qui précède, que le consentement des par-
te lies ne saurait justifier la dispense du serment des experts, prononcée par
« l'arrêt » ...
620 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUTE.
simple coQsultatioD, mais une déclaration qui doit être Texpres-
sioQ « de son honneur et de sa conscience ». Il faut donc qu'il
ne procède à aucune des opérations d*oii vont dépendre ses
conclusions, avant d*avoir prêté le serment qui le coostitae
dans ses droits et dans ses pouvoirs.
11. La seconde proposition résulte de la formule même du
serment^ fomiuie générale, qui ne porte pas sur ropération
et la déclaration immédiates, mais sur toutes celles que l'eipert
peut avoir à reproduire ou à ajouter au cours de Taffaire.
L'expert qui a déjà opéré en vertu d'un serment et qui fait,
dans la même affaire, de nouvelles visites ou de nouveaux
rapports, n'a pas besoin, en principe, de prêter serment de
nouveau avant de commencer chacune de ses opérations 1.
Peu importe que, commis, une première fois, par le juge
d'instruction, il soit commis, une seconde fois, par le conseil-
ler chargé d'un supplément d'instruction en vertu de Tarticle
236 du Code d'instruction criminelle.
336. Mais il ne faut pas étendre la vertu du serment au
delà de Ja phase de procédure pour laquelle l'expert a été
commis. Deux règles corrélatives viennent limiter sa portée
et son étendue. Qu'il soit nommé dans ViTisiruction par les
magistrats qui ont le droit de le commettre, ou qu'il soit
nommé au cours des dé/mis par les tribunaux correctionnels
ou de [jolice, ou par les cours d'assises, l'expert n'a qualité,
pour procéder à ses opérations, qu'en vertu du serment d'ex-
pert préalablement prêté dans chacune de ces deux phases
de la procédure*. Mais, appelé à l'audience pour rendre
^ .lurisprudeiiL'o constanlH. Voy. nulamniefit : Gass., 4 sept. 1840 [B.cr.^
n« 301); 2 juillet iH'kÙ{li. cr., n» 3tl3); 20 janvier 1893 (1). 95. I. 213) et la
note suiis c<' dernier arrêt : S/c, Faustin Hélie, Inslr, cr.^ t. 4, ii*i896.
* En ci»ris«'qijeiic»?, si un expert, «Jéja commis lors fie rinslruction, eslîip-
ptle à i'audienco pour Taire une nouvelle expertise, il devra prêter derechef
le serment prescrit par l'art, 'k't. Peu importe que Texpert désigne ait d^jà
prêté le serment de témoin prescrit par l'art. 317 (Voy. Cass., 17 janv. 1851,
H. cr.^ rj*» 27; 30 janv. 18o5, H. cr.f i\^ 237). De sorte que si un témoin se
trouve chargé d'une expertise à l'audience, il devra prêter les deux ser-
ments, en sa double qualité de témoin et d'expert.
DROITS BT DEVOIRS DBS EXPERTS.. 621
compte des opérations auxquelles il a procédé, l'expert est
un véritable témoio, venant affirmer, devant la justice, les
faits qu*ii a constatés et les appréciations qu'il en a déduites,
et, bien qu'il continue à déposer sous la foi de son premier
serment, il doit, à peine de nullité, rendre compte de ses
opérations et de leurs résultats, sous la garantie d'un nouveau
serment, celui que prêtent les témoins *. Et la jurisprudence
admet que ce serment est suffisant, sans adjonction du ser-
ment spécial des experts, lorsque les explications et dévelop-
pements donnés en addition au rapport, ainsi que les inter-
pellations qui les amènent, ont trait à Tobjet de l'expertise
dont il est rendu compte à Taudlence, ou encore lorsqu'il
s*agit de détails secondaires, d'opérations ne constituant pas
une expertise proprement dite, mais des explications, des ren-
seignements d'ordre scicntifîque et technique.
337. Le président de la cour d'assises puise, dans son
pouvoir discrétionnaire, le droit d'ordonner une expertise.
Lorsque l'expert, ainsi nommé, rend compte de ses opérations
à l'audience, il ne prête pas le serment du témoin et n'est
entendu qu*à titre de renseignement. Mais doit-il, même
nommé par le président, prêter, avant le commencement de
ses opérations, entre les mains de celui-ci, le serment de
Texpert? Le président de la cour d'assises ne saurait, pas plus
que tout autre magistrat, dispenser du serment l'expert qu'il
commet. Sans doute, l'expertise, ainsi ordonnée, n'a que la
valeur d'un renseignement; mais il n'en résulte pas que le
président ait, à l'égard de la mesure qu'il ordonne, un pou-
voir que n'ont ni le juge d'instruction, ni le procureur de la
République, ni les tribunaux de répression '^. La sincérité de
^ .lurisjjruflcncp roiistanle. Cass., 8 janv. 18i-G (/^ c*/., n" i2i; "> nov.
184«> {B, cr., no 285); 20 juin <884 [B, cr., n» 2S2); 27 janr. 1887 .S. 87. 1.
\SH : I). 89. 1. 219)- 'J'aprùs le CoH»> autrichien, les experts, déjà assermen-
tés comme tels, doivent seulement «?lre nippelés à la sainfet/' du serment
qu'ils ont prôté comme cx[)ftrt (C. proc. crim. aulricliien, «i 2*7).
*° Après avoir tout d'ahord admis w droit cie dispen!?e, une jurisprudenco
plus récente exige que l'expert prête serment, quand le pre'sident ne se con-
622 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
Texpertise, dans la procédure criminelle, a ce caractère essen-
tiel d*être uniquement garantie par la nécessité du serment
préalable. Or, il n*y a pas deux catégories d'experts, comme
il y a deux catégories de témoins : les experts officifux et
les experts officieh. Tout expert, régulièrement commis par
Tautorité compétente, procède à ses opérations au même titre
et en la même qualité : lout expert doit donc prêter serment,
sans qu'il puisse être dispensé de Taccomplissement de ce
rite, préalable à son entrée en fonctions.
338. L'examen de deux questions accessoires complète la
théorie des devoirs et des droits des experts commis par la
justice.
339. Le ministère d'expert, qui est facultatif en matière
civile, tout expert désigné pouvant se récuser, ne devrait-il
pas être obligatoire en matière criminelle, à raison de la gra-
vité des questions à résoudre et de Tintérêt public qu'elles
présentent? Quelques tribunaux ont appliqué à l'expert larti-
cle 80 du Code d'instruction criminelle, relatif au refus de
témoigner, en établissant ainsi, entre lui et le témoin, une
assimilation qui n'est ni dans la loi ni dans la nature des
choses". L'ancienne juris[irudence était fort sévère pour les
médecins ou chirurgiens qui désobéissaient à Tordre du juge,
en refusant leur ministère : ils pouvaient même être déchus
de leur titre. La plupart des Codes étrangers portent que l'ex-
pert est tenu d'accepter la mission qui lui est confiée et pu-
nissent toute abstention de sa part d*une amende élevée et,
même, dans certains cas, d'une peine de prison. Quelques-
uns, mais seulement en cas de récidive, le frappent d'une
lente pas des explications données à l'audience par l'expert déjà assermenté
pendant finstruction prt-paraloire, et ordonne, en réalité, une nouvelle ex-
pcrtis»-. Voy. Cass. crim., U février 1878 (0. 79. 5. 379); 14 juin 1883 (D.
84. \. 48).'
*^ Mais si, après avoir accepté sa mission, l'expert refuse de venir à l'au-
dience déposer sur les constatations qu'il a faites personnellement, il est
évident qu'il encourt les peines qui atteignent les témoins récalcitrants.
î
DROITS ET DEVOIRS DES EXPERTS. 623
suspension temporaire de Texercice de son art *'. En France,
la Cour de cassation, en décidant que l'expert commis est,
au moins dans certains cas, astreint à prêter son assistance,
trouve la sanction de cette obligation dans Farticle 475, § 12,
du Code pénal ''. Seront punis, dit ce texte, d'une amende
" Voy. Code de proc. pén. allemand, g§ 75, "70 et 77 ; Code de procédure
pénale de Neuchîilel de 1893 (V. l'élude de Leloir, dans Ann, de légwL
étrang.t 1893, p. 545) ; Code de procédure criminelle autrichien, § 119; Code
de procédure criminel espagnol, art. 420 et 423.
*• La Cour de cassation,«par un arrêt du 6 août 1836 (Bull, criin.y n«267),a
appliqué cet article aux experts reijuis, en cas de flagrant délit, parles ofTiciei^s
auxiliaires du procureur, en vertu des articles 43 et 50 du Code d'instruction
criminelle. Il ne suffît 'pas à ces personnes, pour échapper à la condamna-
tion, d'alléguer qu'elles n'ont pas pu y obéir, elles doivent justifier de ce
fait devant le tribunal, saisi de la prévention. Mais |il faut ne pas étendre
cet article en dehors des cas qu'il prévoit, c'est-à-dire en cas d'urgence et
cas de flagrant délit. — Au premier point de vue, 'Ja Cour de cassation a
décidé, par arrêt du 18 mai 1855 {Bull, crim., n® 778), que cette disposition
ne s'appliquait, en matière d'acc/rfe/it, que dans les circonstances prévues au
texte et qui ont pour caractère l'extrême urgence des constatations. Il s'a-
gissait, dans l'espèce, d'un médecin qui, requis par un commissaire de po-
lice, de venir constater le décès d'un individu qui avait été tué par la chute
d'un ballot de marchandises, avait refusé d'obtempérer à cette réquisition,
et qui, poursuivi pour ce fait, avait été relaxé. « Attendu, déclare la Cour
de cassation pour rejeter le pourvoi, que la signilicalion légale du mot acci-
dent qui se trouve dans l'article 475, n<* 12 du Code pénal, est limitée par les
autres événements qu'il dénomme, et que le refus d'nbéir à la ré({uisition
faite à l'occasion de ces accidents, ne peut dès lors entramer l'apjilication de
la peine édictée contre les personnes qui n'étaient pas dans l'impossibilité
absolue d'y obtempérer incontinent, que dans le cas où ils étaient, comme
les tumultes, naufrages et autres événements y spécifiés, susceptibles de
compromettre la paix ou la sécurité publiques^ si les travaux ou le secours
requis n'étaient pas immédiatement elTectués ou prêtés... ». — Au second
point de vue, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser ce qu'il faut
entendre par « flagrant délit », dans l'affaire dite des « médecins de Hodez »,
qui a soulevé tant de discussions et de polémiques et a motivé l'îirticle 23 de la
loi du 30 nov. 1892. Voy. Cass., 15 mars 1890 (S. 91. 1. 15) D.192. 5. 540).
La Cour de cassation décide que les réquisitions adressées, conformément
à l'article 44 du Code d'instruction criminelle, par le procureur de la Répu-
blique, à des médecins, à fin de l'accompagner pour constater les causes de la
mort d'un individu, pn^sumé assassiné, et les réquisitions réitérées trois
jours après, sont réellement faites en cas de flagrant tlélit, et, par suite, le
624 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
de 6 à 10 francs, « ceux qui le pouvant, auront refusé oa
(c négligé de faire les travaux, le service, ou de prêter le
V secours dont ils auront été requis, dans les circonslances
u d'accidents, tumultes, naufrage, inondation, incendie oa
<( autres calamités, ainsi que dans les cas de brigandages,
« pillages, flagrant délit, clameur publique ou exécution
« judiciaire ». Mais c'est là une bien faible sanction ; de plus,
rarticle475 du Code pénal, supposant Turgence, n'est suscep-
tible de recevoir son application que dans l'instruction prépa-
ratoire, là où il est à craindre que les traces d'un crime ré-
cent ne viennent à disparaître.
Quelques bons esprits ont même pensé que le texte n'avait
d'autre portée que d'exiger, de toute personne requise, une
intervention matérielle, une coopération purement physique,
essentiellement différente du concours demandé à l'expert:
« 11 serait, concluent-ils, absurde et essentiellement ridicule
de contraindre, par une pénalité, un jurisconsulte à examiner
un point de droit, un médecin à faire uitb autopsie'* ». Mais
pourquoi l'article 471), § 12, n'embrasserait-il pas tous les
genres de concours, quelle que fût leur nature? En deman-
dant à quelqu'un un concours qu*il peut prêter, dans les
circonstances urgentes dont il est question, l'autorité compé-
tente doit trouver la coopération que la solidarité ou la néces-
sité sociale fait un devoir de lui donner. En cas de flagrant
délit notamment, il y aura donc, pour l'expert régulièrement
désigné, l'obligation légale démettre, au service de la justice,
ses connaissances spéciales.
La question a été tranchée pour les médecins, par l'ar-
ticle 23 de la loi du 30 novembre 1892, sur l'exercice de la
médecine. au\ termes duquel : « Tout docteur en méde-
cine est tenu de déférer aux réquisitions de la justice » sous
relus '!<> SMlisfiiin' à ces n'Mjuisiliuns juî^li^e rap]»liratiùn de rarticle 47*i,
n'' [2 (In CdJe jx-riiil. Comj». Poiis-l)i;vit'r, liu refus des mcdeciux irobtem"
pèiri ù une lêquisitioH l'cgulicrc de raulûiiti' judiciaire (La France jud^
t. iîj, 18'.M), [I. S.') »'l suiv., j). in uL suiv.).
^* (,-liîinv»MU «M H«Th', Théorie du Code pénal ^ t. 6, p. 422; Legrand du
Saullf, Jurisprudeni'c médicale, cliup. J.
DROITS ET DEVOIRS DES EXPERTS. 625
peine d'une aineode de 25 à 100 francs. Cette disposilioo
onct (in aux difficultés qui se sont produites sur le point de
savoir si le ministère des docteurs en médecine est obliga-
toire vis-à-vis de Tautorité ". La question reste entière pour
les experts d'une autre catégorie.
340. Si l'expert a des devoirs, il a aussi des droits : on ne
saurait exiger de lui un concours désintéressé. Certaines caté-
gories d'experts, et spécialement les médecins, ne reçoivent
<lue des honoraires et indemnités dérisoires. Les sommes qui
leur sont allouées par le décret du 18 juin 1811 sont devenues
absolument insuffisantes. Leurs réclamations, dont on ne sau-
rait méconnaître la justesse, ont amené le législateur, dans
l'article 14 de la loi du 30 novembre 1892, sur l'exercice de
la médecine, à promettre une révision des tarifs du décret de
1811, en ce qui touche les honoraires et indemnités à allouer
aux médecins. Cette réforme a été opérée par le décret du 11
novembre 1893^ dont on trouve, à ce point de vue, le commen-
taire dans une circulaire ministérielle du 31 juillet 1894 ^*.
Les autres experts sont toujours réglés sur le pied du tarif
criminel qui remonte à 1811.
341
compte
§ LXI. - DU RAPPORT D EXPERT.
. Le rapport d'experl comprend deux séries d'opérations dont il doit être rendu
omple : les constatations, les conclusions. — 342. Le rapport n'a pas lieu néces-
•■ L'article 23 de la loi du 30 novembre 1892 est le résultat ci*un amende-
ment de M. Grousset, pris en consid ('^ration par la Chambre, malgré la résis-
tance de la commission et du Gouvernement. El il résulte bien des travaux
préparatoires que ce n'est plus seulement en cas de flagrant délit que le
médecin est tenu d'obéir : il y est tenu dans toutes les circonstances où il
sera requis par l'autorité judiciaire. Bien que l'article 23 ne reproduise pas
Texpression de l'article 475, n® 12 : « ceux qui le pouvant auront refusé »,
les médecins ont le droit de faire valoir certains empêchements qui seront
souverainement appréciés par les tribunaux correctionnels saisis de la pour-
suite.
•* Voy. notamment sur ce point : H. Coutagne, Précis de médecine judi-
^ciaire (1896, Lyon et Paris), p. 17 à 22; Lacassagne, Précis de médecine
i^^a/e,p. 97 à 101.
G. P. P. - 1. 40
626 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
sairement par écrit. DisliDCtioo qu'il faut faire. — 343. Aucuoe rèfd^ g-oenle
D'e^t prescrite pour ia ré^lactioD du nipport. Mais cadre pratique. Freaisbale.
Coraiûémoralif. Description. Oi.>iou5>ion. CooclusioDs. — 344. Conseils ;ur ;a
forme de rédactioD. — 345. Les légisiutioos étrangères tracent quelques régies
g(!0^raks sur ia cunduite des opérations et la rédaction du rap(.>ort.
341. Toute expertise comprend deux séries d'opérations,
nettement séparées, et dont l'analyse résulte de Tobjet même
de ce procédé d^iostruction.
Dans la première, Texpert vérifie les faits, les circonstances
matérielles qu'il est appelé à constater. Il a le rôle d'un témoin,
qui sait voir, entendre et toucher. La conduite exclusive des
constatations matérielles lui appartient : Texperlesl plus apte
que tout autre, étant donné le problème à résoudre, à déci-
der quelles sont les opérations qu'il faut faire, quelles sont
celles qu'il faut négliger. Néanmoins, le rôle du juge, dans
cette phase, est, sinon de diriger, du moins de surveiller
l'expert, en appelant son attention sur les points qui intéres-
sent le procès. Libre d'ordonner ou non Texpertise, le juge est
libre de décider s'il doit ou non v assister*. Tous les movens
d'instruction, scientifiques et autres, de nature à aider l'expert
dans les opérations matérielles, sont à sa disposition. C'est à
lui qu'il appartient de les utiliser. Notamment, si l'expert ne
peut |>as se livrer à de véritables enquêtes, dans le sens légal
du mot, il peut cependant, sans sortir de son rôle et de son
mandat, recueillir, de toutes personnes, tous renseignements
propres à l'éclairer sur les points qui lui sont soumis'. La
seule limite qui lui soit imposée résulte des termes mêmes de
sa mission. C'est ainsi que, dans les expertises de comptabilité,
qui sont les plus longues et les plus compliquées, il est recom-
mandé aux magistrats, par les circulaires de la Chancellerie,
de fixer l'époque au delà de laquelle l'expert ne devra pas
remonter et même la nature du délit qu'il devra rechercher.
§ LXI. * Aucune dis[)usitioi] ré;<lemen taire n'oblige le magistrat qui a
ordonné cfllo mosiiro d'instru(tlion à y assister. La législation allemande lui
l'ail un devoir d'assister aux autopsies (art. 1, 10 et 27 du Règlement deidu-
topsies).
«Cass., il) mars 184:) {B. cr., n» 102).
DU RAPPORT d'kXPERT. 627
Dans la seconde ptiase, Ti^xpert change de rôle : il élail un
témoin, il devient un juge, 11 a constaté, maintenant il con-
clut. Son travail est toujours personnel, et aucune interven-
tion du magistrat ne doit se produire pour aiguiller ses con-
clusions dans telle ou telle direction. L'expert reste le maître
absolu de ses convictions: aucune pression ne saurait être
légitimement exercée sur lui. Si sa conscience scientifique se
refuse à donner une réponse ferme à une question posée, il
faut se garder de le solliciter à prendre parti.
342. Les experts rédigent ordinairement un rapport sur
Tensemble de leurs opérations et des conséquences (|u*ils en
déduisent. Tandis que Tarticle 317 du Code de procédure
civile veut que le rapport des experts soit écrite aucun texte
du Code d'instruction ne rappelle cette exigence. On doit
même conclure des termes de l'article 44 : « Les experts prê-
teront le serment Ag faire leur rapport ei dtuton?ier leur avis »,
que le législateur a entendu laisser, au magistrat (|ui com-
met un expert, le choix entre la forme orale et la forme écrite,
A cet égard, du reste, des distinctions s'imposent. {"iNonimé
dans rinstruction, l'expert sera prt;sque totijours tenu de ré-
diger un procès-verbal de ses opérations. Si plusieurs experts
ont été désignés, ils dé|>oseront, au greffe, un rapport com-
mun, s'ils s'entendent; autant de rapports que d'opinions,
s'ils ne s'entendent pas. Il est des cas cependant, même dans
l'instruction préparatoire, où la rédaction du rapport par écrit
sera matériellement impossible. C'est un homme, plus ou
moins illettré, un ouvrier maçon ou serrurier, qui a été com-
mis : dans ces circonstances, le magistrat fera comparaître
devant lui l'expert qu'il aura désigné, Tenlendra, et consi-
gnera ses observations sur son procès-verbal, que celui-ci
signera, si c'est possible, après lecture. 2** Nommé dans la pro-
cédure de jugement, si c'est par les tribimaux correctionnels
ou de police, l'expert aura, presque toujours, à rédiger un
rapport écrit, qui sera versé aux débats, et fera l'objet d'un»î
discussion contradictoire comme tout autre élémenl de preuve.
Nommé par la cour d'assises, ou, en cour d'assises, parle pré-
G28 PROCÉDURE PÉNALE. — DR LA PREUVB.
sident, Tcxperl se bornera, la plupart du temps, si l'affaire
n'est pas renvoyée à une autre session,à rapporter, à l'audience,
le résultat de ses opérations et à donner oralement son opi-
nion. Les débats étant continus devant celte juridiction,
il devra être immédiatement procédé à l'expertise, sans qu'un
rapport écrit puisse en être dressé. 3* Que l'expert ait ou non
déposé un rapport, il est appelé et entendu, à l'audience, sous
la foi du serment des témoins, en vertu même du principe
de Toralité des débats et de la preuve. Là, il ditcequ*il a cons-
taté et énonce son opinion. 11 peut être appelé à fournir des
explications complémentaires, en réponse aux questions que
lui poserait le président, soit d'office, soit sur la demande des
parties. Si plusieurs experts ont été désignés, leurs rapports
oraux doivent être faits séparément. Mais rien ne s'oppose à
ce que le président les mette, ainsi que des témoins, en pré-
sence les uns des autres, pour expliquer ou contrôler leurs
constatations ou leurs conclusions. Cette « aGTrontation »> des
experts est fréquente en pratique.
343. Aucun plan général n'est prescrit pour la rédaction
du rapport et des constatations qu'il doit contenir. Mais la pra-
tique a su tracer une sorte de cadre naturel dans lequel toute
expertise peut et doit être renfermée. Cinq parties composent
le rapport : le préambule, le commémoraiif, la description
des faits, la discussiony les conclusions.
1. Le préambule renferme toutes les formalités : il est le
même pour tous les rapports. Cette partie comprend : i® nom,
prénoms, qualité de l'expert; 2° indication de rautorilé requé-
rante (juge d'instruction, procureur de la République, etc.);
S"" date de la réquisition; 4"" mention de la prestation de ser-
ment; o** date, jour, heure, lieu de l'opération ou des opéra-
tions; 6° nature de l'expertise. Il faut reproduire, ici, textuel-
lempnt les (fiieslions posées par l'autorité requérante; 7" noms
et qualités de« personnes présentes, et notamment ceux des
magistrats qui ont assisté à l'opération ou aux opérations'.
^ iJans son Précis de méilecinc légale^ le professeur Lacassagne donne
deux modèles de préambule (p. 105).
DU RAPPORT d'expekt. 629
II. Le commémoratif Q%i lliistorique, l'exposé des anlécé-
denlsdes faits ^
III. La description^ qu'on appelle aussi le visum et reper-
tum, est la partie la plus importante du rapport. Elle ren.-
ferme Texposé des faits et circonstances qui doivent servir de
base aux conclusions. C'est à cette place du rapport que
l'expert a besoin de faire preuve de deux qualités essentiel-
les : Vexactitude dans les constatations, ïordre dans l'exposé.
IV. La discussion des faits n'est pas indispensable. Mais elle
est presque toujours utile pour préparer les conclusions. C*est
la partie critique où s*exerce la sagacité de l'expert.
V. Les conclusions sont les conséquences logiques qui
découlent des faits observés, décrits et scientifiquement dis-
cutés par experts. Il faut répondre à toutes les questions
posées par l'autorité requérante. Chaque conclusion a un
numéro d'ordre : {\ 2\ 3% etc.
Autrefois, les rapports se terminaient par une phrase attes-
tant que le rapport avait été fait « en âme et conscience et
conformément aux principes de Tart ». Cette formule parasi-
taire a disparu de la plupart des rapports.
Le rapport est daté du jour oii il est déposé. Cette date indi-
que la durée des opérations.
En annexe au rapport, doivent figurer les pièces à con-
viction, dessins, photographies, etc., etc!, qui ont été utilisées
pour établir les conclusions.
344. La forme de rédaction du rapport a une grande
importance, puisque le procès-verbal d'expertise doit être
compris par les magistrats et les jurés et discuté par les
parties, conlradictoirement, à l'audience. L'experts'inspirera,
dans sa rédaction, de certains conseils qui sont de tradition.
I. La rapport sera, autant que possible, conçu et rédigé en
* Cette partie, qui ne figure pas dans tout rapport, est cependant très im-
portante. Les experts ne sauraient trop se préoccuper des antécédents des
faits sur lesquels ils ont à donner un avis. Ils en recueillent les éléments
dans le dossier, ou dans les déclarations qui leur sont faites et qu'ils consi-
gnent.
630 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
langage ordinaire et parfaitement intelligible. Suivant le Con-
seil de Denisart, aux experts de son temps : a H faut qu'ils
« fassent attention qu'ils parient à des juges qui, pourlapln-
« part, ne connaisent pas les termes scientifiques..., et que,
<( par conséquent, un rapport conçu en ces termes est très
« souvent une œuvre qui n'éclairerait pas des choses dont il
« faut cependant que les magistrats soient instruits ». C'est
surtout dans la formule des conclusions qu'il faut éviter
toute expression trop technique.
II. Le rapport sera complet, c'est-à-dire contiendra le
détail de tous les faits recueillis, de toutes les vérificatioQs
faites, de tout ce qui a été vu et observé, de façon à permettre
à toute personne intéressée d'en contrôler, d'en discuter, d'en
attaquer ou d'en défendre les conclusions'.
III. Knfîn le rapport devra être motivé, car l'avis des
experts est une sorte de jugement. t< Les experts, écrit
« Jousse^ doivenl rendre raison de leur jugement et de ce
« qu'ils déclarent dans leurs rapports, surtout si leur juge-
« menl est fondé sur les principes de leurs connaissances et
« sur les principes de leur art ».
345. Les législations étrangères tracent quelques règles
générales sur la conduite des opérations et la rédaction du
rapport'. Il en est ainsi en Allemagne', en Autriche', en
• « Les rapports, écv'xi .lousse (op. cit.^ t. 1, p. 247) doiv»*nt être rédigés
lant pour iii charge de l'accusé que pour sa décharge, soil en constatant le
fait, soit en estimant la cause qui y adonné lieu. Ainsi, dans l'un et l'autre
cas, les erxperts ne doivent rien omettre de ce qui peut aller à la décharge de
l'accusé ».
® Jousse, op. cit,, t. 2, p. 37.
^ Voy. sur ce point : J. Drioux, Étude mr les expertises médico- légales
et r instruction criminelle^ d'après les projets de Code d'instruction crimi-
nelle et les législations étrangères {Bull, soc, de légis. comp., 1886, p, 483).
• Règlement pour l'Empire d'Allemagne du 43 février 1875. Ce régle-
tnent confirme, en les développant, les instructions déjà mises en vigueur,
dans le n)yaume do Prusse, par une ordonnance du 45 novembre 4838. Le
Code de procédure pénale indique aussi certaines données qui doivent
être fournies par les experts (S§ ""> ^l suiv.).
• Code de procédure pénale autrichien de 1873 (§§ 12V et suiv.).
FOI DUE A L'fiXPBRTISB. 631
ie '% dans certains cantons dn la Suisse**. L*autopsie a
liculiërement donne lieu à des prescriptions réglemen-
cs indiquant les questions auxquelles le procès-verbal
t répondre".
§ LUI. - DE LA FOI DUE A LEZPERTISE.
l/oxperlii^e ne lit^ pas le Juge. — 347. Mais si, en droit, le jin;<^ est libre de
iiliT conlrairemt'nt à l'avis Oe Texpert, en fait, il se conformera le plus sou-
it a son opinion. I)«>s ^è^les qui conditionnent la valeur morale de l'expertise.
3i8. <l«)ntrôle des parties à Taudienee. Liberté de discuter les coDstatalions
l«;.s conclusions.
46. L'expertise ne lie pas les magistrats, encore moins
urés. Au point de vue de la force probante, il n'y a aucune
inction à faire entre les constatations matérielles du rap-
I, et les conclusions (\\x\ en sont tirées. Les juges restent
'ippréciateurs souverains des /WzV.v comme des résultats de
perlise : ils doivent se prononcer, sur tous les points qui
été affirmés par l'expert, d'après leur intime conviction.
n» ancienne jurisprudence avait, depuis longtemps, dégagé
aractcrede Texperlise, et, dès la fin du xvi' siècle, la Cou-
10 de Paris réformée, édictait, dans son article l8i : « Doit
Ccnied»^ pnxvdurc finale italien inrl. 130, 131, 134, 135).
I^ar «'xempli* : Canton de Viinii, Loi du 5 dt^c. 1837 (art. 0 et 10); Can-
I»' B.\lc, Cod»* '.le [»rocédurt; [K^nale du 5 mai 1862 (§S ♦t et suiv.), Loi
K janvier 1804, etc.
En Allf*m.iirne, ranlopsie ne [)eut être faite par un mt^rtecin seul. Les
menls veulent <|u*on appelle un mfMlecin et un chirurgien : le m»'»decin
d)serve, le chirurgien qui procède à Tautopsie. Le magistrat, dont la
Mice est exigé»», veille à ce 'lue les descriptions et les constatations
il faites avec soin. Le greffier écrit sous la dictée du médecin, tous les
rleres des lésions, à mesure quon les découvre. Pour chaque organe,
îrtain nombre dn caractères doivent être précisés. Celle législation a
de type à celle de certains États. En France où nous n'avons pas de
fnent sur les autopsies, le médecin ou les médecins qui en sont chargés»
«Mil bien négligents et bien imprudents s'ils ne se servaient pas de
es d'autopsie, contenant le cadre de leurs opérations, cadre qu'ils
'ont qu'à remplir. Voy. notammiMit : Lacassagne, Précift de médecine
e, p. 325, 609.
632 PROCÉDURE PÉNALE. — DB LA PREUVE-
èlre le rapport apporté en justice pour, eu plaidant ou eo
jugeant, // avoir tels égards que de raison ». Le Code de pro-
cédure civile, dans l'article 323, a traduit celte idée, sous uoe
forme plus nette encore, en disant: « Les juges ne soot
point astreints à suivre l'avis des experts si leur consciences y
oppose )). Le Code d'instruction criminelle n'avait pas à répé-
ter cette règle. Dans la procédure répressive, la liberté de dé-
cision du juge est le corollaire direct du régime des preuves
morales.
347. Mais si, au point de vue du droit, l'avis de l'expert
ne juge pas le procès (/)zc/wm expertorum nunquam transit
in rem judicatam), en fait, c'est, presque toujours, l'avis d»»
l'expert qui dicte le jugement. Comment le juge écarterait-il
les conclusions d'un rapport qui, tant par la nature des consta-
tations que par la compétence spéciale de celui qui les a faites,
échappe à son examen et même à son contrôle? Donc, théori-
quement, les juges sont maîtres de leur décision; pratique-
ment, ils sont déterminés parcelle de l'expert '. C'est unie rai-
son de plus pour appeler leur attention sur les points suivants,
d'où déjicnd évidemment la confiance légitime qu'ils doivent
avoir dans l'expertise : 1° Les lois scientifiques, que Texperl
a prises pour base de ses conclusions, sont-elles constantes ou
sujettes H contestation? 2" Les déductions, à l'aide desquelles
il établit son opinion, sont-elles conformes aux règles de la
logique? 3*" Y a-t-il concordance ou divergence entre les cons-
tatations des experts et lesdépositioosdes témoins ou les aveux
de Taccusé? 4* S'il y a plusieurs experts, y a-t-il, ou non, una-
nimité dans leur avis? 5® Dans quelle forme, l'expert motive-
l-il son opinion? Affirmo-t-il formellement? ou se contente-
t-il de nier?
Tels sont les principes généraux qui guideront les juges
et les jurés dans leur appréciation des résultats de l'expertise.
.Mais, pour les appliquer, il ne suffit pas que les experts soient
§ LXII.* Pussort disait, dans ]c Procès-verbal des conférences tenues povr
Vrxamcn de fordonnance de 1667 : « L'expert est beaucoup plus juge qut^
|o juge lui-même »\
DES RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 633
à la hauteur de leur mission, il faut encore, que les juges
possèdent des clartés suffisantes pour déterminer Fexacte
valeur des conclusions du rapport. On ne peut atteindre ce
but qu'en rendant obligatoire, dans les Facultés de droit, Tas-
sistance, sanctionnée par une note d'examen, à un cours de
médecine légale. Certaines Facultés, grâce à des concours
dévoués, sont entrées dans cette voie. Il serait désirable qu'il
en fût partout ainsi et que cette branche d^enseignement,
donnât lieu à une interrogation obligatoire, ou facultative
tout au moins, dans un des examens de licence ou de doctorat.
348. Les parties exercent leur contrôle à Taudience, en
discutant librement les opinions des gens de Tart, et en y
opposant tous les renseignements qui seraient de nature à les
combattre*.
§ LXin. - DES RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES EXPERTISES.
349. Les expertises portent sur des questions de tout genre. Mais il existe des
expertises spéciales au point de vue des règles auxquelles elles sont soumises. —
350. Des expertises médico-légales. — 351. Du classement de ces expertises, quant
à leur objet matériel et quant à la nature des questions posées. — 352. Règles spé-
ciales des expertises médico-légales, depuis la loi du 30 novembre 1892. Elles ne
peuvent être confiées qu'à des docteurs en médecine fram^ais. Liste officielle d'experts
médecins dressée annuellement par chaque cour d'appel. Refus d'obtempérer aux
réquisitions. Tarif spécial. — 353. Des expertises en écriture. Leur valeur relative.
— 364. La vérification des écritures ne forme pas l'objet d'un litre spécial dans le
Code d'in$truction criminelle. C'est donc, en principe, le droitcommun qui s'applique.
— 355. Mais le Code d'instruction criminelle s'occupe de l'expertise en matière de
faux. Distinction à faire entre l'expertise en écriture et Texperlise en matière de
faux. — 356. Certaines règles de l'expertise des pièces arguées de faux doivent,
par analogie, être appliquées à l'expertise en écriture. Pièces de comparaison.
Saisie et dépôt des pièces. — 357. Falsification des produit^^ destinés à l'alimenta-
tion de l'homme et dos animaux, ainsi qu'au besoin de l'agriculture. Réglementa-
lion contradictoire du prélèvement d'échantillons et de l'analyse chimique. — 358.
Des fraudes en matière d'engrais. Origine de la loi du 4 février 1888. Décret du
10 mai 1889 prescrivant les procédés d'analyse à suivre pour la détermination des
matières fertilisantes des engrais. Prise d'échantillons en trois exemplaires. Expertise.
Contre-expertise. — 359. Caractères spéciaux de l'instruction dans ce cas.— 360.
♦ Cass., I^mai 1896 (Pand, franc., 97. 1. 112). Comp. Cour de Grenoble,
2f mars 1893 (D. 93. 2. 292).
63 f PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
L'expertise étant préjudicielle à la poursuite, double queï^tioD qui se pose.— 361.
Des fraudes dans le commerce du beurre. Loi du 16 avril 1897 et décret du 9 no-
vembre de I» m^me année. Constitution de l'expertise. — 362. Loi du l"aoûtl90&
sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsificatioos
des denrées alimt>ntairos et des produits agricoles. —363. L^expertise daûscecas
est double: e.\()ertise administrative, expertise judiciaire. — 364. De la pDursuilc.
L'intéressé n^nonce h cont<'ster l'expertise administrative. 11 demande l'expertise
contradictoire. — 365. Valeur probatoire de l'expertise contradictoire dans cecai.
349. Les expertises en matière criininelle peuvent porter
sur Jes qtiestions de tous genres : questions de médecine, île
comptabilité, ({^attribution d'écritures, de falsification, etc.
(Jiiel«iues-une<5 sont soumises à des règles spéciales, qu'il im-
porle de détacher, en nous occupant successivement : l'des
expertises ea matière médicale; 2"* des expertises en écriture;
3" eu matière d'eugrais; 4" de beurre; y en matière de frau-
des et falsifîcations concernant les boissons, les denrées ali-
mentaires et tes produits agricoles.
350. Le Code d'instruction criminelle fait mention c&pli-
cilc des expertises médicales* dans son article 44 qui est cor-
roboré par Tarticle 81 du Code civil. Ce sont les plus impor-
tantes et |es plus fréquentes en matière criminelle. Ces
§ LXIIL * P.nir Thistoir*» «le IVxpertise «liins l'ancienne procê«iure : J. Pré-
rot, Principes ilt* ii jurisprutencr *»/r /t'.< rappnrh^ Pnris, 1753: Locard,
Li mt'decinc ;m/iW'iire en Frince an xnr siècle [Lyon ^ Th. d<>cl. méd.,
1002 . Sur IVnsemhh* «le li in^decinf» légrale, la bibliocrraphie est innom-
brHl>lo et nous ne pouvons «lue citer les n«">ms il'"s principaux écrivains :
Orlîla, Deveri:iri, Adelon, Taniieu, 0. lourdes, Brouardel, Legrand du
Saulle, Pênard, etc. Voy. Coutagne, Prt'cw Je me£f>»ci/4e/^î/a/r. Lyon, 4896,;
Lioassajjne, Précis d<' m*:decine leqale ^Paris, !v»tK>). Sur les expertises
m»'iioo-l»iirales, au point dt» vue pratique : Coutairae, Manuel des expertises
m'^dicalexen m.i(iVr«»criiniVir//e Lyon, 1887); Lacassajrne, Vûde-mecum du
m^'iecin expert Lyon et Paris, Sto'-ck et Masson^. Sur la réforme de?
exp»rtis»»s m^dico l^^gales - !>riojx. EtuJ-: mr les expertises mèdico-legalef
e' Viu^îrHction criminelle d'après le< projet^ dn Code d'instruction crimi-
«•'■;■• fi* le< lêjisl'iti ^ns etr'in'jèrcs [BuiL de h Soc. (/»• lègisL étr», 1SS6.
p. •^'n'» ; Brouardfi. De il reforme des experti<e< mêdico-lcjales .Paris,
1^>» : Loreiu, /. i refornu* des expertises mt\itC0' légales Rev.peniL^ 1899,
p. :»^i ; Penar.i, yieiile< redites à propo< de II mèiecxne Ugale et dei
ex »;> Wrsà;.:»^<. 1390; Leveillé, De la rrform^? dn Code d'instruction
cri ,i .f'.'.V ^P.l^i^, 1SS2\
DES KBQLBS SPÉCIALES A CERTAINES EXPBRTISi!:S. 635
peplises portent sur la constatation d'un fait et son explica-
n au point de vue des connaissances médicales.
351. On peut les classer à deux points de vue, qui nous
rmettroot d'indiquer les principaux cas dans lesquels elles
lerviennent.
1. Relativement à leur objet matériel, on les répartit sous
oq chefs principaux ^
l"* La justice fait souvent appel aux médecins ou chirur-
ens à propos à'vidividus vivants. Il s'assit, par exemple, de
ilerminer Tétat mental de Tinculpé, et sa responsabilité,
i!\aminer, soit un enfant qui aurait été victime d*un alten-
l à la pudeur, soit fauteur de ce crime, d'indiquer ladurée
incapacité de travail que cause une blessurecommise volon-
irement ou par imprudence, etc..
2" D'autres fois, l'expertise porte sur un cadavre. Il s'agit de
océder à une levée de corps ou à une autopsie pour déter-
iner les causes d'un décès suspect'.
S'^Ce sont des taches qu'il faut examiner, et, dans ces exper-
es, l'examen chimique est presque toujours le complément
jn premier examen médical. Ces taches^ se trouvent sur
s vêtements, sur les instruments qui ont servi à commettre
crime, sur des meubles, sur le parquet de la chambre,
i** L'expertise peut aussi porter sur des substances ou objets
elconques. En matière de soupçon d'empoisonnement, par
^mple, le magistrat instructeur saisit des drogues, des
quets de poudre qu'il soumet à l'analyse. Dans une affaire
blessures ou de meurtre, il faut dire si tel instrument,
iteau, balon, arme, etc., a servi à faire telle blessure.
JVmprunle cette classification à Lacassagne, Précis de médecine légale^
Ky et 96.
L'autopsie médico-légale, qui est Tensemble de toutes les constatations
lico -judiciaire s nécessitées par rexarnen d'un cadavre, est, on peut Taf-
ler, l'opération la plus importante et la plus délicate de l'expertise judi-
re. L'expert doit y procéder suivant des principes rigoureux qui ne lais-
t place à aucune omission : car, on l'a dit souvent, une autopsie mal
B ne se recommence pas. Aussi, l'autopsie doit être complète.
636 PROCÉDURE PÉNALE. — 1)B LA PREUVE.
5° Enfin, et plus rarement, Texperlise porte sur des om-
maux. Il s*agit, par exemple, de savoir si telle lésion a pu
être causée par tel animal.
II. Relativement à la nature Aes questions fo%ée%^ les exper-
tises médico-légales se réfèrent à un certain nombre de pro-
blèmes qu'on peut grouper sous sept chefs principaux.
1** La question à'identUé, Les principales opérations de
rinstruction criminelle tendant à réunir les preuves de Tindi-
vidualilé de Tauteur ou de la victime d*un délit, il n'est
guère d'expertise médicale, dans laquelle la solution de ce
problème ne puisse être posée, directement ou indirectement,
et ne puisse être donnée pardes voies souvent détournées. Mais
la détermination de l'identité est directement sollicitée de
l'expert dans deux cas principaux : soit lorsqu'il s*agit d'un
cadavre entier, fragmenté ou altéré dans ses caractères par
des lésions de diverse origine, soit lorsqu'il s*agit d'un vi^aDt
soupçonné. Les éléments du problème sont identiques daos
tous les cas, et la détermination d'identité doit porter sur: le
sexe, l'âge, les caractères ethniques, les caractères profes-
sionnels, les particularités individuelles, de nature aoato-
mique, physiologique, pathologique.
2* La question delà mort et du cadavre. Il s'agira pourl'ex-
pert, au moyen de l'examen du corps et de l'autopsie, de déter-
miner, les causes judiciaires ou médicales et la date de la mort.
S'* La question des blessures se présente à l'expert médical
dans des conditions très variées : blessures, soit sur le cada-
vre, soit sur le vivant; causes des blessures : homicides, sui-
cides, accidents; instrument des blessures, blessures par ins-
truments tranchants, piquants, contondants, armes naturelles,
armes à feu; graves traumatismes, individuels et collectifs;
incapacité de travail; maladies communiquées; tortures et
actes de barbarie, etc.;asphyxies, accidents caractérisés essen-
tiellement par une gêne portée jusqu'à l'abolition des fonc-
tions respiratoires, etc.
4"* La question des enipoisonîtements ^ c'est-à-dire les effets
des substances qui peuvent donner la mort et de celles qui sont
simplement nuisibles à la sauté.
DS8 RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 637
5"* Les expertises médicales, auxquelles donnent lieu les
atlentatsaux mœurs, « ont pour caractère commun de recher-
cher les preuves de rapprochements, normaux ou anormaux,
tentés ou consommés, et de préciser les conditions physiques
et mentales dans lesquelles ces actes ont été accomplis, soit du
côté de rinculpé, soit du côté de la victime \ » En efTet, dans
ce cas, Texpertise sera toujours bilatérale.
6* En cas d'attentats aux produits de la conception, c'est-
à-dire en cas d^infanticide et d*avortement, les questions po-
sées seront de même nature, quelle que soit Tépoquedu déve-
loppement auquel est parvenu le produit de la gestation.
7^ Les questions relatives à Vétat mental se posent dans
deux ordres de circonstances. Les expertises de cette espèce
ont pour but, soit d'apprécier la responsabilité pénale d'un
prévenu, soit de rechercher, chez les témoins, victimes ou non,
entendus dans une instruction, la présence, ou bien transi-
toirement au moment de l'acte poursuivi, ou bien en per-
manence, de troubles mentaux, pouvant faciliter la perpétra-
tion de Pacte imputé, ou en vicier la preuve.
352. Les expertises médico-légales sont restées sans régle-
mentation, jusqu'à la loi sur l'exercice de la médecine du
30 novembre 1892, qui constitue la charte de la profession
médicale en France. Au point de vue spécial qui nous occupe,
cette loi contient un certain nombre de règles, déjàindi([uées,
mais qu'il est utile de grouper ici.
1^ Gomme conséquence de la suppression des officiers de
santé et des docteurs en chirurgie, « les fonctions de médecins
experts près les tribunaux ne peuvent être remplies, aux
* Coutagne, Manuel des expertises médicales, p. 191. Cet auteur fait,
du reste, observer que rintervention médicale peut encore se produire à
propos ô'outrage public à la pudeur, « S'il s'agit parfois, dans ces cas, d'at-
tentats accomplis, soit devant un tiers, soit dans des conditions encore plus
publiques, cette qualification est plus gi^néralement donnée à des exhibi-
tions ou 8 des attouchements obscènes pratiqués par l'inculpé sur lui-même.
Le médecin est alors appelé moins pour constater le fait matériel que pour
en apprécier les motifs ».
638 PROCÉDURB PÉNALE. — DE LA PREUVE.
termes de Tarlicle 14, que par des docteurs en médecine fran-
çais ». — Des docteurs en médecine. Le choix des magistrats
pourrait-il se porter indifféremment, comme expert, sur uq
docteur ou sur un officier de santé? Deux textes contradictoires
exi.^laientàcetégard. L'article 27 delà loi du 13 ventôse anXI,
réservait les fonctions d'experts, auprès des tribunaux, aux
docteurs reçus suivant les formes qu'elle fixait. L'article 44 du
Code d'inslruclion criminelle décide que, « s'il s'agit d'une
(c niort violente, le procureur de la République se fera assister
ce de un on deux officiers de santé qui feront leur rapport o.
On a affirmé, il est vrai, que le terme « officier de santé » était
générique et comprenait toute personne légalement reçue.
Sans avoir à examiner si celle interprétation n'est pas exces-
sive, il semble bien que, aujourd'hui, la question ait été
tranchée par Tarticle 14 de la loi du 23 novembre 1892. — De^
docteurs en médecine français. En principe, dans les exper-
tises ordinaires, le magistrat [>eut désigner comme expert, un
homme de Tart résidant à l'étranger, ou un étranger résidant
en France. Toutefois, depuis la loi du 30 novembre 1892. une
restriction importante s'impose. Les étrangers, même [lourvus,
en France, de diplômes réguliers, ne peuvent jamais être
chargés d'expertises médico-légales. L'article 16 ne fait excep-
tion, à cette règle impérative, ni en cas de nécessité ou ur-
gence, ni en cas de flagrant délit.
2" La loi du 30 novembre ^892 a établi une liste officielle
cCex/ierts médecins devant les tribunaux^ dont le décret ilu
21 novembre 1893, rendu en exécution de la loi (art. 14 w
fine), réglemente la formation. Au commencement de chaque
année judiciaire et dans le mois qui suit* la rentrée, les cours
d*appel, en chambre du conseil, le procureur général en-
tendu, désignent, sur les listes de propositions des tribunaux
de première instance du ressort, les docteurs en médecine à
qui elles confèrent le titre d'expert devant les tribuoaui
(art. 1). Les propositions du tribunal et les désignations de la
cour ne peuvent porter que sur des docteurs en médecine
français, avant au moins cinq ans d'exercice de la profession
et demeurant, soit dans Tarrondissement du tribunal, soit
DBS RÈGLhS SPKGIALKS A CERTAINES EXPERTISES. 639"
dans le ressort de la coup d'appel (art. 2). La condition des
cinq ans d'exercice peut être remplacée, aux termes de Tar-
licle 1" du décret du 10 avril 1906, par l'obtention, soit du
diplôme deTUniversité de Paris portant la mention Médecine
légale et psychiatrie, soit d'un diplônie analogue, créé par
d'autres Universités, par application de l'article 13 du décret
du 21 juillet 1897 portant règlement pour les conseils des
Universités*.
La création de cette liste officielle de médecins experts
devant les tribunaux a, pour conséquence, de limiter le choix
des magistrats. L'article 3 du décret du 21 novembre 1893,
décide, en effet, que « les opérations d'expertise ne peuvent
être confiées à un docteur en médecine qui n'aurait pas le
litre d'expert ».
Néanmoins, toute latitude de choisir Texpert en dehors de
la liste, est donnée au procureur de la République et au juge
» Le decrel du 10 avril 1000 (J. o/f. du 12 avril 1900) a moditié l'arliclo 1
du règlement du 21 novirmbre 1893 relativeiueiiL aux conditions dans h-s-
quellcs peut être oonlor-^ le titre de médecin expnt devant les tribunaux.
L'article !•' de ce décret, qui rc'ir.fïlaco Tartide 2 dudit règlement, <'sl ainsi
conçu : » Les propositions du tribunal et difsignations de la cour ne pen-
te vent porter que sur des docteurs en médecine français demeurant, snit
<c dans rurrondissement du tribunal, soit dans le ressort de la cour d'appel.
tt ]\s doivent avoir au moins cinq ans d exercice de la profession médicale,
« ou être munis, soit du diplôme de fUniversité de Paris portant la mention,
a Médecine légale et psychiatrie, soit d'un diplôme analogue créé par d'au-
« très Universités, par application dys dispositions de l'article lî» du décret
«< du 21 juillet 1897 portant règlement pour les conseils des Universités >♦.
On avait signalé, depuis longtemps (Voy. nol animent Coula;:ne, Uexcrcicc
de la médecine judiciaire en France, Archives de ranthropohgie crimi-
nelle, 1880), l'absence d'organisation d'un euseignement com()let de méde-
cine légale. Kn conséqiuînce, la France était loin de posséder un cadr»* de
médecins suTlisamment nombreux et compétents pour les l»esoins de notre
administration judiciaire. C'est dans le but de combler cette lacune que
l'Université de Paris, sur l'initiative du regrett»» [irolesseur iin>uardel,a in-
stitué un enseignement oompli''mentaire, destiné aux futurs médecins
léjisles, enseignement essentiellement pratique, que couronne la possession
d'un diplôme spécial. Les ressources (pii existent dans certains grands cen-
tres, tels que Lyon, permettront, je l'espère, d'étendre celle organisation à
quelques Universités de province.
6i0 PROCÉDURE PÉNALE. — DB LA PREUVE.
d'instruction, soit dans les cas prévus par les articles 43 et 44
{flagrant délit et mort violente ou suspecte), soit dans ceux
prévus par les articles 235 et 266 du Gode d'instruction crimi-
nelle *.
3* Avant la loi du 21 novembre 4892, la jurisprudence
décidait que seuls les médecins, requis en cas de flagrant
délit, étaient passibles, s'ils refusaient leur ministère, de la
peine édictée par Tarticic 475, n* 12, du Code pénal. Depuis
cette loi, tout médecin est tenu de déférera cette réquisition,
sans qu'il y ait lieu de distinguer s*il y a ou non flagrant délit.
C'est ce qui résulte de la discussion de la loi à la Chambre
des députés et de la rédaction de l'article 23 qui est formel sur
ce point. La peine, en cas de refus, est une amende de 25 à
100 francs, c'est-à-dire une peine correctionnelle '.
4° La revision de l'antique tarif du 18 juin 1811, maintes
fois sollicitée, a été réalisée, pour les experts médicaux seuls,
par le décret du 21 novembre 1893*.
353. Les expertises eyi écriture ont toujours eu mauvaise
réputation, du moins celles dont Tobjet exclusif est de déter-
miner si tel corps d'écriture doit ou non être attribué à telle
personne'. Ce qu'en disait d'Aguesseau, sous l'ancienne pro-
• Il s'ai^iU <l'^"s Tar^icle 235, du droit d'évocation de la chambre d'accusa-
tion, dans l'article 266, du pouvoir discrétionnaire du président de la cour
d'assises.
^ Un arrêt de la Cour de Bourges dti 4 avril 1895 (J. des Parq.^ 95. 1
9K) décide que « ladite réquisition, faite à un médecin par un officier de police
judiciaire, peut être écrite ou verbale, la loi n'ayant fixé aucune forme par-
ticulière. Mais elle doit être conçue en termes impératifs pour constituer une
mise en demeure et pour que le citoyen à qui elle est adressée comprenne qu'il
s'agit, non d'un simple désir exprimé, mais de l'usage d'un droit fortifié par
une sanction pénale ».
• Ce décret a été complété par une circulaire delà Chancellerie du 31 juillet
189 t(R off, du Ministère de la Justice^ i894, p. 180). Il est à remarquer
que le décret de (893 ne vise que les visitps et opérations de chirurgie. Pour
toute autre opér.iiion, par exemple lorsque le médecin est employé pour faire
une analyse chimiqu », une expertise mentale, etc., le droit commun s'ap-
plique.
• L'expertise sur une écriture non contestée peut avoir, en effet, pour
DES RÈGLES SPKCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 641
cédure, est encore vrai aujourd'hui : « Ce n'esl qu'un argu-
« ment, un indice, une présomption invraisemblable tirée de
<c la vraisemblance du caractère, sur laquelle rien n'est plus
i* facile, rien n'est plus commun d'être trompé m*®. Jousse
qualifiait la comparaison d'écriture, qui est le procédé d'ex-
pertise en la matière, de preuve « purement conjecturale ».
Les bases sur lesquelles repose la graphologie'* sont, en
effet, des plus hypothétiques, et, bien que quelques progrès
aient été réalisés, soit par l'application de procédés chimi-
ques, tendant à reconnaître la nalure de lencre, la composi-
tion du papier, ou à faire réapparaître des encres ou des
taches disparues ou effacées, soit par l'application de la pho-
tographie, daus le but de déceler certains éléments que la
rétine de l'œil, même aidée des instruments d'optique, ne
permet pas de constater, il ne faut admettre les expertises de
ce genre, en \ue d'une identification de l'écriture ou de la
signature, qu'avec la plus grande circonspection et ne les rete-
nir, comme élément décisif de conviction, que si elles sont
corroborées et appuyées par d'autres éléments circonstantiels
distincts de l'appréciation même des experts.
364. La vérification des écritures formait l'objet d'un titre
spécial dans l'ordonnance de juillet 1737 sur le faux. Ce titre
n'a pas été reproduit par le Code d'instruction criminelle.
Il ne faut pas en conclure que la législation moderne ait
objet fie d (^terminer Téquilibre mental du sujet étudié. Elle sera nécessaire-
ment condée à un mé(iecin. Voy. sur la (jueslion en général : Lacassagne,
Précis de médecine Ironie, p. 3r»(> à 370; (jarnot, Etude sur récriture, sur
le langage écrit et sur ses troubles au point de vue médico-légal et spécia-
lement des articles 901 et 970 du Code civil (Tli. méd. Lyon, 1898); Max
Sxmou^ Lésée lits des aliénés (Arvh. d'anthr. crim,, 188H); I^o^^ues jp Fursac,
Les écrits et les dessins d^tns les maladies nerveuses et mentales, 232 fig.,
Masson, 4905.
*® D'Agucsseau, ")!'" p'aidoyer.
** La science de rérnlurt» i»'j graphologie ronnprend deux choses distinc-
tes : \° Télude des caractères d'écriture [calligraphie], en vue d'une identi-
fication de ce'.te écriture; 2® relie do IVcriture, en vue de dégafjer, par ce
muyen, les traits saillants de la persnimalilé de r«'crivaiu. A ce double point
de vue, il s*agit évidemnneul d'une science bien conjecturale.
G. \\ P. — I. 41
(}42 PUOCÊDUUK PÉNALE. — DE L\ PRECVE.
voulu écarter, pouria reconnaissance des écritures, les experts
grapholoiïues. Klle admet, en effet, IVxperlise, en matière de
pièces arguées de faux, dans les articles 4i8 à i6i do Gode
d'instruction criminelle. On doit seulement décider : 1** d'une
part, que IVxperlise en écriture << est une mesure ordinaire
« de rinslruction, qui apparlientau juge, tant qu'elle ne lui
« a pas été expressément relirée* par la toi et qui, si pile Hoit
« ftf'p fîcrueillie avec quoique défiance , p(»ut cependant
« fournir (l«'S indications utiles »; 2*" et, d'autre pari, «que
« les règles tracées par le titre X du Code de procédure civile
c< intitulé, de la vhificafion des écritures, ne sont nullement
« ap[dical)l<»s en matière criminelle; que les juges criminel?
« comme les jurés forment leur conviction sur les faits,
« d'après le débat oral et sans que la loi leur demande conripte
« des éléments el des circonstances qui la déterminent »'^
355. Ces règles posées, v\ elles ne sont que Tapfdicationi
l'expertise en écriture des principes généraux qui dominent
la matière des preuves, on remarquera le rôle diCTérent, et de
Vea/tertUp en matière de pièces arguées de faux^ dont la pro-
cédure a été réglementée par les articles précités du Code
d'instruction criminelle, el de V expertise en écriture ordi-
naire, dont il n'est pas directement (|uestion dans ce Code".
Il s'agit, dans la première, d'un écrit prétendu falsifié, quia
été fal)riqué ou dont il a été fait usage par celui auquel OQ
impute riucrimination de faux ou d'usage de faux. Dans la se-
conde;, il s'agit de vérifier si im écrit, qui constitue tantôt
le corps du délit, tantôt utie pièce à conviction^ peut être
attrihué à l(;lle personne. C'est une lettre de dénonciation,
anonynn; o\\ signée; el sur l'instruction ou la poursuite
pour dénonciation calomnieuse, la question se pose de sa-
voir si celle dénonciation émane bien de Tincuipé. L'écrit
à vérifier constitue, dans ce cas, le corps même du délit,
*- Ch sont los terni»»? do deux arrêts de la Cour de cassation, l'un du
i*9 ventôse an X, rautn.'.dn 20 juin lS4t).
^^ I.o Code d'instruction crinninelle, consacra, en efFet, un chapitre entier
à la procédure <iu faux en ».*crilurr?.
DES BÈOLBS SPÉCIALES A CEBTAINES BXPl^RTISES. 643
Dans d'niilres cas,, la vérificalion portera sur uae pièce à
coTiviction'* qui sera l'une des preuves du délit poursuivi,
mais qui n'en constituera pas le fir/^.f. Le juge d'inslritclion,
qui a ouvert une information du chef (l'assassinat, aura saisi,
par csempli', une lettre de menaces qu'il attribue à l'inculpé
et qui forme, si elle est Uien de son écriture, une chiii^e
grave contre lui. Ëviilenimenl, si l'expertise doit toujours être
ordonnée, en cas de doute lyérieiix sur l'identité de l'écriture,
lors<]ue le corp^ tlii dfilil est précisontent l'écrit tui-inèine, .
elle ne doit i'élre, lorsqu'il s'agit d'une simple /)wr li innvic-
tion. que lorsijue l'écrit constitue «ne preuve indiscutable da
Fuit incriminé ou d'un de ses éléments essentiels.
356. Dans la procédure organisée par le Code d'instruc-
tion criminelle poor la conxtalation, \h couse rration et la i:éri-
fivation fin fau-t- en érriltir/', il y a particulièrement deuK
groupes de règles qui doivent être respectés, par analogie,
dans toute expertise en éi-Hture : le premier concerne le pro-
cédé de léri ficalinii ; le second, le pi-océdé de conxlatation et
de ronuf-ri-a/ ioH de la pièce contestée.
I. INnir constater les al'ératinns ou falsifications de pièces,
les ex|ierls procèdent, le pins souvent, par la comparaison de
récriture incriminée avec t'écrituru, soit de l'inculpé hii-
méme, suit de la personne à qui l'acte est allrihuo. Les écrits,
admis dans cette opériàlion, s'uppellont les « pièces de com-
paraisuR n. Dans les articles l."J."> et i'ifi, la loi limite les pro-
ductions de cet élément essentiel de l'eipertise en écriture :
faux actes aullicnliqiies (art. iîiîi); 2° aux écritures privées,
si If" pnrlii-s lis rfifi/iiiaisicnl (art. 456). Cette dernière con-
dition ne veut pas dire que les [lartiesont le droit de s'op[Miser
A ia production des picees de com[iaraiâon consistant en des
" L'nrlii:li? :iî9, rulullf k Ni |>i-»c;t^Hiin> <-.» cour ij'^issisi's, frusuril \:i TF.\ité-
senution i. Vnccu:^*: Al- toulifs li-s pii-L'ea rphliv':^ :iii di'lil et [iniiviinl si-rvir
H cuiivictiiHi : li; pri-siili;iil lioit i>(fiili'rui'iil iL-mundi-r :i ci;lui-i;i s'il n-ciiimalt
le» pi^i-* i/m'oii hii rcjirm'Hd'. n'uù il siiil i]iie Ui v('rili";;ilioii lii-s pii'<cei)
jncsuri: d'expertise.
64 i l'KOCÉDUKK l'ÉNALE. — DE LA PREUVE.
('criluros privées, car les magistrats seuls ont la faculté de
décidtTsi cette production est utile. Mais cola signifie que les
parties doivent être mises en demeure de déclarer si elles
nient ou si elles rrconnai^^sent Tauthenticité de la pièce pro-
duite. I^'arlicle 461 indique, du reste, que le juge pourra exiger
du prévenu la production d'un fac-similé de son écriiure,sous
ses yeux : <* Le prévenu ou l'accusé pourra être requis de pro-
« duire et de former un corps d'écriture ; encasde refus ou de
it silence, le procès-verbal en fera mention ». Rien ne s'op-
pose à ce que ce procédé soit employé vis-à-vis de toute autre
personne, par exemple vis-à-vis du plaignant. Il est évident
queloute cette procédure, qui a pour Lut de faire constituer,
par le juge lui-même, les éléments de l'expertise et d'authen-
tiquer, pour ainsi dire, les pièces sur lesquelles travailleroal
les graphologues, s'étend à tous les cas de vérification d'écri-
ture.
11. Après avoir limité strictement le genre de pièces à pro-
duire pour comparaison, le Gode d'instruction criminelle
prescrit des règles particulières pour la saisie et le dépôt des
pièces (art. 4i8, 449, 4;;0, 462, 4o4, 435. 457), règles appli-
cables, dans la mesure où elles peuvent être suivies, aux
écrits déniés (|ui sont le corps du délit ou qui servent de
pièces à conviction et sont soumis, à l'un de ces titres, à une
expertise eu écriture. Mais les formalités dont il est question,
n\Uant pas imposées à peine de nullité en matière de faux*',
n(» le sont pas, à plus forte raison, lorsqu'elles sont étendues
à une procédure pour la(|uelle elles n'ont pas été directement
édictées.
357. Les falsilications des produits destinés à l'alimenta-
tion (le riioinmo et des animaux, ainsi qu*aux besoins de l'a-
griculture, doiennenl cha(|ue jour plus audacieuses et plus
compliquées. C(^ sont surtout les crises économiques, dont la
fabrication et la vente de ces produits ont été une des princi-
pales causes par la concurrence faite à la production nalu-
•' Vi'\. n.iî.iiiiiiu'nl r.jrf. rio ilu Codi» d'iristruclion criminelle.
L
DES RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 645
elle el au commerce loyal, qui paraissent avoir molivé rinter-
enlion législative. Elle s'est manifestée, dans une série de
ois et règlements, sur les fraudes : 1"* Des engrais (Loi du 4
vril 1888 el décret du 10 mai 1889); 2" Des vins, cidres et
moirés (Lois des 16 août 1889, 1 1 juillet 1891 , 2i juillet 1894,
' et 8 août 1905); 3° Des sérums thérapeutiques (Loi du 25
vril 1893); 4° Des beurres (Loi du 16 avril 1897, décret du
> novembre 1897); 5'* De la saccharine (Loi du 30 mars 1902,
ri. 49 et 53); C° Des sucres (Loi du 28 avril 1903, art. 7; loi
lu 31 mars 1903, art. 32; loi des 6 et 8 août 1905); V Dans la
^enle des marchandises, denrées alimentaires, produits agri-
îoles (Loi des 1" et 5 août 1905, décret des 31 juillet, 2 août
1906).
La constatation et ïn preuve des diverses fraudes, de nature
i se produire dans le commerce de ces substances, impli-
juent deux opérations qui doivent être soumises à des forma-
ités destinées à garantir leur sincérité : le prélècement des
îchanlitlons; leur analyse chimique. Cette double opération,
i été organisée, sur des bases contradictoires, en vue de la
*épression des fraudes dans le commerce des engrais, des
)eurres, des boissons, denrées alimentaires et produits agri-
coles. Il y a là un premier essai, dans la législation française,
le l'expertise contradictoire.
358. On sait Timportance qu'ont prise, en agriculture, les
engrais, et surtout les engrais chimi<|ues. Or, leur valeur dé-
3end du titre réel en principes fertilisants dont l'acheteur ne
Dcutse rendre compte sans une analyste chimique préalable.
Pour protéger le cultivateur devenu la proie de négociants
>ans scrupule, réprimer les fraudes «[ui se pratiquent dans le
commerce des engrais, fixer les méthodes d'analyse, abréger,
iw cas de contestation, les délais de procédure, une loi du
l février 1888 est intervenue.
Elle édicté, dans son article l*'^ une peine sévère, contre
< ceux qui, en vendant ou mettant en vente des engrais ou
< amendements, auront trompé ou tenté de tromper Tache-
c teur, soit sur leur nature, leur com[)Osilion ou le dosage
646 PROCÉDURE PéNALB. — DE LA. PREUVE.
« des éléments utiles qu'ils cooticnneot, soit sur leur prore-
« nance, soit par Tcmploi, pour les désigner ou les qualifier,
(' d*uD nom qui, d'après Tusage, est donné à d'autres sub-
« stances fertilisantes ». En vue de découvrir ces fraudes, ao
règlement d'administration publique, en date du i Ornai i889,
rendu en exécution de Tarticle 6 de la loi, a organisé un sys-
tème d'expertises officielles et contradictoires^ qui comprend
trois séries d'opérations.
1. La première est \n, prise d'échantillons^^. S'il y a doute,
ou contestation sur l'exactitude des indications mentionnéei
dans les contrats de vente, factures ou commissions destinées
à l'acheteur, il peut être procédé, soit d'office, soit sur la de-
mande des parties intéressées, à la prise d'échantillon de l'en-
grais ou amendement vendu (Loi du 10 mai 1889, art. 4). Les
échantillons sont toujours prélevés en trois exemplaires, sni-
vant certains procédés imposés pour en assurer Fidentité : Fan
est remis ou cnvové au vendeur; Tautre est transmis à unchi-
miste expert pour servir à Tanalyse; le troisième est conservé
en dépôt au grotte du tribunal de Tarrondissement, pour être
utilisé, s'il y a lieu, dans une contre-expertise (art. 7 et 9).
IL La seconde opération est la constitution de Vexpertise.
Dans le cas où la prise d^échantillons a lieu d'un commun
accord ou à la requête de l'acheteur, les parties peuvent con-
venir du choix de l'expert. En cas de désaccord ou en cas de
prise d'échantillons d'office, l'expert est désigné par le jngo
de paix du caulon, sur la réquisition du magistrat qui a pro-
cédé à l'opération, ou, à son défaut, de la partie la plus dili-
gente (art. 11). L'expertise doit être faite par l'un des chimis-
tes experts désignés par le ministre de rAgriculture et dont
^* Au cas où la prise d't'chiinlilloiis :i lieu à la demande des parties^ les
écharilillonti sont prélevtîs cunlradictoi riment par les parties au lieu de la li-
Trais«)ii. Si le vendeur refuse ifassisler à la prise d'échantillons ou de sv
faire représenter, il y est procédé, à la requ(*te et en présence de Facheteur,
par le mairr ou le commiasaire de police du lieu de la livraison (art. 5).
Quand il est \^vocédf^iV office à la [►rise d'échantillons, celle-ci est faite parle
mairr do la localité ou son adjoint, ou le commissaire de police, soit dans
les magasins ou entrepnls, soit dans les gares ou ports de départ ou d'ar-
rivée.
DES RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 647
la liste est revisée tous les ans, liaos le courant du mois de
janvier (art. 10). Un délai de dix jours au plus, à partir du
jour de la remise de l'échantillon, est imparti au chimiste ex-
pert pour Tanalyse de Téchanlillon (art. ii).
111. La troisième opération, la contre-expertise, n'a lieu
que si le vendeur contesle les données de l'analyse. Celui-ci
doit faire sa déclaration dans un délai de huit jours, à partir
du jour du dépôt du rapport au gretrc du tribunal qui a pro-
cédé à la désignation de Texpert. Dans ce cas, le troisième
exemplaire de Téchantillon prélevé est soumis à une contre-
expertise par un chimiste expert, choisi sur la liste dressée
par le ministre et désigné par le président du tribunal de l'ar-
rondissement où il a été procédé à la prise d'échantillon
(art. 46). Cette opération doit être achevée dans le même dé-
lai de huit jours à partir de la remise de Téchantillon.
Les rapports des chimistes experts et les procès- verbaux de
prise d'échantillons sout trausmis au procureur de la Répu-
blique pour y être donné tt'lle suite que de droit.
359. Les particularités de l'instruction, ainsi analysées,
méritent d'être soulignées, car elles ont été le point de départ,
en France, d'un mouvement législatif intéressant *\ i® L'ex-
pertise est toujours contradictoire, en ce sens : que les inté-
ressés sont tenus d'assister à la prise d^échanlillons ou de s'y
faire représenter; et que le vendeur a toujours le droit d'exi-
ger une contre-expertise qui ne peut lui être refusée. 2* Les
magistrats, pas plus que les parties, n'ont le libre choix de
l'expert. Ils sont tenus de désigner un des experts officiels
figurant sur la liste dressée par le ministre de l'Agriculture.
3* Des rf^/ais et des /orw<?.s' spéciales sont imposées aux experts
pour la rédaction de leurs rapports. 4"" Enfin, celte expertise
est essentiellement extrajudiciaire ii{ préjudicielle à la pour-
suite qui peut être exercée contre le délinquant.
•' L*opporl unité de la loi du 4 l'évrijT 1888 ne SHuniil ôtre contestée et ses
r(^suitats ont été lavorubles. Depuis Sîi mise en vij^ueur, les fraudes dans le
commerce des engrais sont devenues rares.
648 PROCÉDUKE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
360. Ce dernier caraclère donne lieu à une double ques-
tion. 4" La poursuite est-elle recevable dans le cas où les for-
malités préliminaires n'ont pas été observées? 2* Cette exper-
tise préalable est-elle exclusive de toute mesure dlostruclioD
de droit commun en cas de poursuite?
I. Le procureur de la République n'exerce Faction publi-
que que si le prélèvement d'échantillons et l'experlist?, dont
les procès-verbaux lui sont adressés, paraissent conclure à une
fraude. Cela est bien évident. Mais il est possible, la pour-
suit*; étant ainsi engagée, qu'il soit démontré, au cours des
débats, que les formalités prescrites par le règlement d'admi-
nistration publique n'ont pas toutes été accomplies, par exem-
ple, le prélèvement d'échantillons n'a pas été contradictoire,
ou bien l'expert a déposé son rapport plus de huit jours
après la remise qui lui est faite de l'échantillon soumis à sa
vérification : dans ce cas, le tribunal peut-il, si la fraude est,
d'autre i)art, démontrée par l'instruction judiciaire, statuer
sur l'affaire el condamner le prévenu? Il ne paraît pas dou-
teux qu'en basant sa décision sur des éléments distincts de
l'expertise extrajudiciaire, par exemple, sur l'aveu du pré-
venu, le tribunal a*ait le droit de déclarer la poursuite rece-
vable et fondée *'. L'expertise irrégulière pourrait même être
consultée, à litre de renseignement, puisque la preuve delà
fraude n'a pas été expressément soumise à une forme lé-
gale '*.
II. Dès (jue, h» dossier est transmis, cojnme l'exige l'article
n du décret, au procureur de la République, ce magistral
est maître dt; la poursuite, comme dans toute autre affaire
correctionnelle. Le juge d'iiislruclion qu'il saisit, a tous les
pouvcûrs qu(3 lui reconnaît le Code d'instruction criminelle
pour la direction à donner à la procédure d'information el
pour la désignation d«'!S experts. Sans »loule, son choix se
limitera presque toujours aux experts portés sur la liste oflî-
"^ Dans -■.' s.Mis : r.ass., l". juin ls',):i ;S. 9r,. l. -ilil); Paris, 6 fêvr. 18%
(J. dt's hiV'i., \H\. 2. tr.li).
•'■^ Mi^iih^s îinvls cili's ilans la iioh» préirjMl.Mile.
DES RÈGLES SPÉCIALES A CERTAINES E?CPERTISSS. 649
cielle, dressée aiiDuelleinent par le minisire de l'Agriculture,
car ce sont ceux-là qui offrenl le plus de garantie; mais le
juge d'instruction a toujours le droit d'en choisir d'autres.
Les prescriptions de la circulaire ministérielle du 11 mars
1896, qui renvoie les magistrats à cette liste, n'ont rien d'im-
pératif ".
361. La loi du 16 avril 1897 concernant la répression de
la fraude dans le commerce du beurre et la fabrication de la
niargarine, et le règlement d'administration publique du 9
novembre 1897, qui statue sur toutes les mesures à prendre
pour son exécution, contient un système analogue ^^
Mais Tintervention administrative, dans la constitution de
Texpertise, est encore plus accentuée et la réglementation plus
stricte".
La prise d'échantillons est faileen trois e\emplaires, a en-
fermés dans des vases en verre hermétiquement clos, et im-
médiatement scellés », et accompagnée d'un procès-verbal
contenant toutes les indicationsjngées utiles pour établir Tau-
(henlicité des échantillons prélevés et l'identité de la mar-
chandise vendue (art. 11 et 12). C'est le gouvernement qui dé-
signe les experts agréés (art. 13), c'est lui qui se réserve de
prescrire les mesures d'analyse.
L*expertise doit être elTecluée dans un délai de huit jours
au plus à partir de la remise de l'échantillon au chimiste ex-
pert. Si l'analyse est contestée par Tinléressé, le troisième
" Cire. JusL, H mars 1896, Bull., n» ir,; et Cire. Jusl. 2t mars iH97,
Bw//.,n« 10.
** Voy. le titre III du décn^.i du 0 nov. 1897, intitulé « Kxpertise •> (art.
10 à 16).
*^ Les r^'sultats de cette organisation d'une expertistMjrficielle exlra-judi-
ciaire n*ont pas été très heureux. L'une des premières applications du sys-
tème, l'affaire dite des « Beurres de Hollande >», l'ut, pour les experts offî-
.ciels et pour les méthodes d'analyse officielles, un échec retentissant. On en
lira le récit dans Tarticle suivant : D' Le.scoeur, proîesseur de toxicologie
à l'Université de Lille, l/expcrtisc contradictoirr [llev, pénit., 190ri, p. 1218
et 1222). C'est un des ehaf»ilres les plus intéressants des erreurs judiciaires
dues aux expertises.
630 PROCÉDURE HÉNALB. — DE LA PREUVK.
exemplaire de réclianlilion est soumis à une contre-expertise^
confice à un chimiste expert, choisi sur la liste dressée par le
ministre de TAgriculture, et désigné par le présidentdu tribu-
oal de Tarrondissementoi] il a été procédéà la prise d'écliao-
tillon (art. Ifi).
Dans ce cas, comme dans le cas précédent, Texpertise
doit être régulière^' pour permettre au tribunal de baser la
condamnation, exclusivement sur cette mesure d*instructioa.
Mais, si l'expertise, même irrégulicre, peut être consultée, à
titre de simple renseignement, le tribunal a le droit, soit de
bas<^r la condamnation sur d'autres éléments de preuve qae
Texpertise, notamment sur Taveu du prévenu^ soit de relaxer
celui-ci, malgré les conclusions défavorables ou de l'expertise
ou de la contre-expertise, conclusions qui ne s'imposent pas au
362. Depuis 190o, la France possède une/^j: alimentaridy
c'est-à-dire un Gode sur la répression des fraudes dans la
vente des marchandises et des falsifications des denrées ali-
mentaires et des produits agricoles*'.
*^ Mîiis qui'Iles sonl les fumialitj^s pn»»crites;i (loine de nullité? La juris-
pnidetUM; parfiit avoir appnrjuoà celte pronôdure la distinction des formalités,
•Ml suhstanlirlles et ncjn sulislaiitielles. C'est ainsi que les vases en verre
dans l<»squelssont pnHrvos(lHs*^rli;intillonsdoheurnî,oonforniéinenlà l'article
11 du décret du *.) uov. 1897, doivent, à ptûne de nullité de la saisie^èiK
scolles imnu'dial»Mn«.ml apn-s 1»» pri'l«*'vemonl(Oass., 7juill.l900, D.lOOf.49;
Duiiiii, 2U nov. iHW,)^ \), IDOi). 2. :v>Si. Mais la loi n'oxiffe pas que le pro-
c«'>-VL'rl)al ri.'lalarit. la prise dr^s (*otiaiitilloris soit rédigé au moineul nv;mede
la«--nnslalalion diîs faits fCass., 7 juill. i90<), précité). La disposition delV-
tich> 11 du décn't du 40 mars 1>S87, aux termes «Je laquelle, Tanalyse «k
ré«;liantillou doit élrr» elVectui'o dans un dôlaideliuil joyirSj n'est fuis prescrite
à peinte dinmllitn: il on osl d«' niniuf "K; li disposition de rartielt* 14 de oe
dt'<n'l qui enjoint à IVxpi*rt de donner avis au vendeur du dépôt du rapport
(t-ass-, fr» juin lS9!i, I). ilM)l. l. .W^). Kn <ens conlniire, sur ce dernier
point : Ca.'u, iijaiiv. lHl)y(S. 09. 2. 113).
-"• C'est la loi des 4'^»- et ;) août 1905 (J. off, du 5 août 190:>). Celle loi
ahro^e l'article i-2:i, le pani^raphe 2 de l'article 477 du GtxJe pénal, la loi
du 27 mars IRI'il tendant à la répression plus efficace de certaines fraudes
d^ins la vento des marchandises, la loi des 5 et 9 mai 1855 sur la répression
des fraudes dans la vente des boissons (art. 14). Mais elle mainlieDt en vi-
ORS UÈOLKS SPÉCIALEH A CERTAINES EXPERTISES. 651
Conrortiiément li rarticlel t de celte loi, un règieineiit d'ad-
ministration publique des 3i juillet et 2 août 1906, est inter-
venu, en ce qui cooccrne : i" les formalités prescrites \\o\ir
opérer des prélèvements d'échantillons et procéder contradic-
loiremenl an\ expertises sur les marchandises suspectes; 2*^ le
choix des méthodes d'analyse destinées à établir la composi-
tion, les éléments constitutifs et la teneur en principes utiles
des produits ou à reconnaître leur falsification; 3® les auto-
rités qualifiées pour recueillir des éléments d'information au-
près des diverses administrations publiques et des concession-
naires de transport-^.
gueur, sauf en ce qui coiu;ornc les i)énalités, remplacéos par cclies de la loi
nouvelle : 1** la lui du t février 1888, concernanl la rt^pressioii des fraudes
dans le commerce des en>çrais; 2" les lois du li août 1880, il juillet 1891,
et 24 juillet 18yi-, ri^atives aux fraudes commises dans la vetile des vins ;3° la
loi du 25 avril 181)5, relative à la vente des sf^rums thérapeutiques; 4'» la
loi du 0 jivril 1897 concernant les vins, cidres et poirés; 5" la lui du 16 avril
1897 concernant la répression de la fraude dans le commerce du beurre et la
fabrication de la margarine. Kiilin, une lui p(»sterieure, celle des G et 8 août
1905, relative à Ja r«ipression d<* la frau<le sur les vins et au régime des
spiritueux, s'ajuut»* à la liste «lus luis auxqu«:lles la protection des vins na-
turels a donné lieu depuis 1889.
** Cft premier rf»glement a éti* promulgué au J, off. du 2 août 1906. Il
eofitient trois titres. Le pri-mier est consacré à l'organisation et au fonc-
tionnement du Si'rvice des prélèvements. Ce service est organisé par l'Klat
avec le concours éventuel des départements et des communes. Le fonction-
nement de ce si.Tvice est assuré, smus Tauturité du minisln* île la Justice,
du ministn? de l'Agriciiltiirc et du ministre du Commerce, d»' l'Industrie et
du Travail, dans le? départements, par les préfets, à Paris et dans le
ressort de la préfecture »le pulici?, par !•> préfi^t «le police. Les agents de
prélèv»3ment sont désignés par l'article 2. Des agents spéciaux, agréés
et commissionnés |mr le préfet, peuvi nt être institués p^r les dépar-
tements ou les communes. Une cMininis^ion permaneFit».' est instituée
et rattacîiée au ministère du Commerce [)uur l'examen «les questions
d'ordre scientifl(|ue que comporte l'application de la loi du 1"' août 1905
(art. 3). Les articles 6 f^ 10 prescrivent le mod»* <ie prélèvement des
échantillons, le nombre d'échantillons à prélever, etc. Le titre 11 est re-
latif au fonctionnement des laboratoires. Tous les laboratoires ne peuvent
employer que les méthoiles indiquées par la commission permanente. Les
agents de prélèvement n'auront rien de commun avec le personnel des laLo-
ratoires (art. 12 k 1(1). Le titre III s'occupe du l'onctionnement de l'expertise-
652 I^RUCÉDLKK rÈXALE. — DE L\ PREUVE.
363. Ce qui caraclérise rinstruclion en matière de fraude^,
d*.iprès celle légi>.lalion, c'est rorganisation d*une double
expertise : la première, adminislralice, destinée à surveiller,
ri'chercher et constater les fraudes ; la seconde, judiciaire, de^-
tinée à les établir en vue de la répression.
1. Dans ta première phase «le la procédure, ta phase admi-
nistrative, les agenis, chargés du service, ont le droit d'opérer
des prélèvemenls d'échantillons d'office^ dans les magasin^,
boutiques, ateliers, voitures servant au commerce, ainsi que
dans les entrepôts, les abattoirs et leurs dépendances, les halles,
foires et marchés, et dans les gares ou ports de départ ou d'ar-
rivée 'art. l'. Toutprélèvemeul comporte yî/^//'é? échantillons,
l'un destiné an laboratoire pour analyse, les trois antres éven-
tuellement destinés au\ experts (art. o). Cette opération donne
lieu, séance lenanLe, à la rédaction, sur papier libre, d'un
ppocès-vcrbal, contenant un certain nombre de mentions
l'identité de l'agent verbalisateur, ladate, Theureet le lieu où
le prélèvement a été effectué, les nom, prénoms, profession,
domicile ou résidence de la personne chez laquelle le prélè-
vement a été of»éré. Ce procès-verbal est signé par l'agent
verbalisateur. Il contient un exposé succinct des circonstances
dans lesquelles le prélèvement a été opéré, relate les marques
et éti([uelt<îs apposées sur les enveloppes et récipients, l'impor-
tance du lot de marchandise échantilloné, ainsi que toutes les
indications jugées utiles pour établir raulhenticitc des échan-
tillons prélevés et l'identité de la marchandise. Le propriétaire
ou le détenteur de la marchandise, ou, le cas échéant, le
représentant de l't^ntreprise de transport, peut, en outre, faire
insérer au procès-verbal toutes les déclarations qu'il juge
utiles. 11 est invité à signer le procès-verbal : eu cas do refus,
mention en est faite par Tagent verbalisateur (art. 6).
i'onlrMflieloiiv : «li'tix exporls, l'un «It'sigiiô par le jugo d'instruction, Taulre,
fiîir lii persoiiU'' CMiiire l.npi'*llo rir)>lriiclion est uuverLe; si les experts sont
pn •li''.s;i(:cri)nl, ils «l»\signent un tiers (ixp«Tt pour los départager. A d<^faul
d'<'iil»Mit«' pnnr le rhoix do ci.' tiors expcrl, il est désiufné par le prt'sident
du tribunal civil. Tt^lle est réo<.>n")inio gi^uéralc de ce premier dt^cret or^-
ni<]ue.
DES RÈGLES SPKCIALES A CERTAINES EXPERTISES. 633
Tout échantillon prélevé est mis sous scellés (arl. 7). L'ana-
lyse de l'un des échanlillons esl faite, dans les huit joursde la
réception, dans des conditions et d'après des méthodes indi-
quées par la commission permanente qui est instituée au mi-
nistère du commerce. Si le rapport du laboratoire ne révèle
aucune infraction à la loi du 1" août 1905, le préfet en avise,
sans délai, Tinlcressé. Dans ce cas, si le remboursement dés
échantillons est demandé, il s'opère, d'après leur valeur au
jour du prélèvement, aux frais de l'Élal, au moyen d'un man-
dat délivré par le préfet (art. 14). Dans le cas où le rapport du
laboratoire signale une infraction à la loi du 1*^' août 1905, le
préfet transmet, sans délai, le rapport du laboratoire au pro-
cureur de la République. Il y joint le procès-verbal de pré-
lèvement et les trois échantillons réservés (art. 15).
II. C'est alors que s'ouvre la seconde période de l'instruc-
tion, celle de la poursuite y'?///iaV//r^ en vue de la répression
du délit. La loi du 1*' aoiil 1905 pose, en principe, dans son
article 12 : « Toutes les expertises nécessitées par l'applica-
c< tion de la présente loi seront contradictoires et le prix des
« échantillons reconnus bons sera remboursé d'après leur
« valeur le jour du prélèvement ». C'est ce principe de
l'expertise contradictoire que le règlement organise"*. Le
système qui a été adopté est celui de la (htalilé ei de Véga-
liié des experts, dont l'un est désigné par le juge d'instruction
et l'autre, par la personne contre laquelle l'instruction est
ouverte. A cet effet, le procureur de la République informe
l'auteur présumé de la fraude qu'il esl l'objet d'une pour-
suite. H l'avise qu'il peut prendre communication du rapport
du directeur du laboratoire etqu'un délai de trois jours francs
lui est imparti pour faire connaître s'il réclame l'expertise
contradictoire prévue par Tarlicle 12 de la loi du 1" août
1905.
^* ['ne question, (\iii a ou un inténM i^impliMnenl transitoiro, sVst (Mevée
après la promu lf:aliun de la loi du 1'=»' août 190"». On s't'st di^mand»^ si son
application était suhordonn(^e au (lf'*orel réglomenlaire qui devait organiser
l'expertise conlradicloire. La jurisprudonce ne l'a pas pense. Voy. noie sous
Trib. corr. de la Seine du l.J d.'condjro lOOn, dans D. 1900. 2. 131.
654 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
364. Deux situations sont alors possibles.
La première, dont il nesl question ni dans la loi ni dans
le règleinoni : c*est celle où Tinculpé renonce eipressémeat
OQ tacitement à réclamer le bénéfice de l'expertise contradic-
toire. Dans ce cas, le droit commun s'applique. Le procureur
de la République a le choix entre la voie de la citation directe
et celle de l'information. La base de la préventiofi est le
rapport du directeur du laboratoire. Mais ce n'est pas là uoe
preuve légale. Ce rapport peut être discuté en la forme
comme au fond : **n la forme, si quelques-unes des prescrip-
tions du règlement, notamment celles qui énumèrent lescoD-
ditions du prélèvement, n*ont pas été suivies; au fond^ si les
appréciations des experts, cl même les méthodes scientifiques
employées, sont contestées. La loi n'a pas fait exception, au
point de vue de la poursuite des délits de fraudes et falsifi-
cations, au principe général des preuves de conviction.
La seconde situation est celle dans laquelle Tinculpé
vècVdm^ l expertise contradictoire. Le procureur de la Répu-
bli(|ue re(|uiert alors Touvorture d'une information : la voie
de la citation directe lui est fermée. C'est que le mode exclu-
sif de preuve du délit est l'experlise, telle qu'elle est organi-
sée par les articles 17 à 24 du décret réglementaire du 31
juillet 1906, expertise qui implique Tintervention préalable
du juge d'instruction pour la commise.
Kn effet, il est procédé à la nomination de deux experts,
l'un désigné par le juge d'instruction, l'autre, par la personne
contre laquelle rinstruclion esl ouverte. Celle-ci a toutefois
le droit de renoncer k cette désignation et de s'en rapporter
aux conclusions de l'expert désigné par le juge. Les experts
sont choisis sur les listes spéciales de chimistes experts dres-
sées, dans cha([ue ressort, par les cours d'appel ou les tri-
bunaux civils. L'inculpé [>eut toulefiûs choisir son expert s«r
les listes (lressi'>es par la cour d'appel ou le tribunal civil du
ressort, d'où il aura déclaré que [)rovient la marchandise
(art. 18).
Quelles sont les pièces sur lesquelles opèrent les expert?
Et quelle méthode doivent-ils suivre? Chaque expert est mis
OKS RÈGLES ^PÉciALKiS A GERTAINK8 RXHBRTISES. 635
n possession d'un cch;intillon. Le juge (l'instruction donne
HTiinunicaiion aux experts des procès-verbaux de prélève-
lenl, ainsi que des factures, lettres de voiture, pièce de
'i!;\e cl, d'une façon générale, de tous les documents que la
ersonne mise en cause a jugé utile de produire ou que le
Jge s*esl fait remettre. Aucune méthode of/tcielle n'est impo-
■e aux experts. Ils opèrent, à leur gré, ensemble ou séparé-
i^Qi, chacun d'eux étant libre d'employer les procédés qui
li paraissent le mieux appropriés. Leurs conclusions sont
rinniéesdans le délai fixé par Tordonnance du juge d'ins-
uclion (art. 19).
Si les experts sont en désaccord, ils désignent un tiers ei-
irt pour les départager. A défaut d'entente pour le choix de
tiers expert, il est désigné par 'le président du tribunal
vil. Le liers expert peut être choisi €7i dehors des listes offi-
filles (arl. 20;. Sur la demande d«»s experts ou sur celle de
personne mise en caus(% d(;s dégustateurs, choisis dans les
êmes conditions que les autres experts, sont commis pour
aminer les échantillons (arl. 21).
365. Ouelle (^sl la valeur probante de IVxpertise coritra-
ctoire à laquelle il a été procédé? L<^.s exp«*rts émettent-ils
î simple ^t'/v.'^ ou rend(»nt-ils une décision que le tribunal
a qu'à homologuer? Aucune disposition spéciale n'écarte,
I matière de fraudes t*l falsification^, l'application du droit
mnuin de la preuve. Si donc \i\ tribunal doit puiser sa con-
L'tion dans une expertise lér/alemejit faite, il ost maître
ficcepter ou de rejeter les conclusions de cette expertise.
Kn consé(|uence : 1" Le tribunal doit, s'il reconnaît ([ue Tex-
îrtise n'est pas régulière, parce qu'il y a été procédé hors
!S conditions légah-is, annuler cette expertise et en ordonner
le nouvelle, dans l.iquelle les experts se conformeront aux
escriptious des articles 18 à 21 du décret réglementaire.
1 effet, le tribunal ne |)eut puiser sa conviction, en matière
fraudes et falsifications, que dans une expertise contradic-
ire régulière, à moins ([ue le [)révenu n'ait expressément
I tacitement renoncé à soulever le moyen tiré de Tirrégula-
(î.'itt PivOCÊDUKE PÉNALE. — DE LA PRErVB.
rilê de l'expertise, ce qu'il a toujours le droit de faire ":
2' Mais le tribunal n'est pas tenu d'homologuer les conclu-
sions d'une expertise contradictoire régulière. Sans doute,
l'obligation de moli\er lu décision viendra limiter le pouvoir
qui lui appartient, soit de relaxer un prévenu auquel les ex-
perts imputent une falsification, soit de condamner celui que
les experls déclarent innocenler, et permettra à la Cour de
cassation de controIiT. au jioint de vue de VexistPnce de la
preurf", le jugement de relaxe ou de condamnation. .Mais,
sous cette réserve, il faut, surtout en matière d'expertise chi-
mique, où les méthodes de recherche et d'analyse et les con-
clusions prétendues scientifiques sont si discutables, mainte-
nir le pouvoir d'appréciation des tribunaux.
K, LXIV. - DE LA REFORME DES EXPERTISES CRIMINELLES.
360. il'>\\M\*ui -f- f ■••*'; t-n Fr-mc** la f|n»=slii'n de riforme des expertises crimioelles.
— 367. ^'.*'U-i'xU\\*tU' qui sh d«;::Hj;ent de IVtude compardlive des lèpi-ilalioos
r'rtr.-.iigHnr-., — 368 t'i'Oel dr n-forni»- du Codif d'inslructlf'ii orimin-'lle franiaisde
1879. <jij«î.-hi.n d»j rt:xf>*:rli>e. ^y^tt•m*; df l'expertise survei 1-e. — 369. Pfvp'Mi-
lion Truppi il«' \h'J>^. Votu de ç*:\U: |iropo»itioD par \\\ Chambre des dépulé». le
:S0 Juin 189Ï.*. — 370. La ivfunno [lorl»; sur Irnis point? : création de listes annae'r
l»:*i d''Xp«'if- a^'ffrt'f ; fonelii>nn*:mt'nt ronlradicîMirè (!•• Iripertiie par ladualtéet
l'épililé d »* .s expert-» ; cn-aliou d'un arbitraju"- i'n cas de désaccofil. — 371. Cell?
prof.ii-iti'iii i|«,' lui n'a pa-; ^ii pour objet de réirîementer l'ensemble des expertises
rririiii)ell''iî, inai- d"intp"liiirf*, dans ces expertises, le régime de la contradic-
tion.
366. lin matière d'expertises, on ne peut éviler les erreurs
individtielli^s. Le problème qui se pose au législateur est de
les rendre; de moins en moins fréquentes, par une bonne or-
^anisiilion du service jtKJiciaire des expertises criminelles.
Kn France;, tout (;st à l'aire, puisque ce service est encore à
rél.'il inr)r{jani(|U(;. Aussi la nécessité de réformer les experti-
ses criminelles ne fait aucun doute, la difficulté ne porte que
sur le choix d<;s voies et moyens [)Our y parvenir.
-' L.' [•n'?\<-tiu [ii'iil n'rionriT à l'i-xpiTliso contradictoire : a fortiori^ s\\
Il n'<|iiis i'«-.\piTli.-i' rnnlr;L'lic!i)ire, p»Mil-il ronoiicer à se prévaloir des irrê-
^Milanti'S «I'HjI i^IIj- est «MitacliPr.
DE Lk RBFOKMB DES EXPERTISES CRIMINELLES. 657
367. Uoe double constatation se dégage d'une étude corn-
)araiiYe des législations étrangères sur Texpertise criminelle*,
^resque partout, la question spéciale d'une organisation de
'expertise médicale, qui est la plus fréquente, la plus déli*
laie et la plus décisive de toutes, a fait perdre de vue la ques-
ion générale d'une organisation de Texpcrtise. Presque
>artout également, on s'est préoccupé d'établir les deux ga-
ranties indispensables au bon fonctionnement de ce procédé
rinstruction : la compétence de l'expert, le contrôle de ses
)pérations. Mais, à vrai dire, l'expertise contradictoire, par la
lualité et l'égalité des experts, désignés, l'un par l'accusa-
ion, l'autre par la défense, ayant le même rôle et les mêmes
iroits, a paru d'un fonctionnement incompatible avec la pro-
:édure inquisitoire ^ Presque partout, c'est le juge qui nomme
es experts et qui les dirige; et si on réserve à Tinculpé le
iroit d'intervenir, c'est plutôt pour surveiller et contrôler les
)pérations que pour y participer. C'est ainsi que l'expertise
contradictoire n'existe pas en Allemagne : l'inculpé peutseu-
ement demander que l'on fasse citer, pour assister aux cons-
atations, des experts qu'il désigne; et si le juge refuse, il
)eui les faire citer à ses frais. Toutefois, ce droit même a une
imite : les experts de la défense ne prennent part au constat
îl aux actes d'instruction nécessaires que si leur présence ne
^êne en rien l'instruction. Mais si les experts nommés par le
uge sont en désaccord, ou si le cas lui paraît suffisamment
^ravé, ou encore si l'avocat conteste le rapport des experts,
eurs conclusions sont soumises à l'examen d'autorités qui
lont officiellement constituées pour s'occuper de ces matières
ipéciales. Ce sont des tribunaux de superarbitres'.
§ LXIV. ' (^ell»^ étude companilive a ol<^ faite,* particuliôrcmont par
)rioux : Etudes sur les expertises mcdico-lèyales [Bull, de la Société de
égisL comp,, 1886, p. 485); André Dehesdin, op. ci^, p. iîiOà 2i">; Léon
leslier, op. cit., p. 217 à 280.
* Le Code espagnol du 14 déc. 1882 (art. 459 et suiv.) organise cependant
n système d'expertise contradictoire qui se rapproche du projet voté par la
ihambre française en 1899.
3 La législation allemande contient une réglementation spéciale et complfite
G. P. P. — I. 42
658 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
368. En France, le projet de réforme du Code d'instruc-
tion criminelle de 1879, organisait deu\ institutions^ : 4** Tout
d'abord, la contradiction de Texpertise, par la surveillance et
dos opérations médico-l^'gales. C'est la Prusse qui, la première, a adopté
cette réglementation; et depuis 1875, ellea été étendue à tous les États alle-
mands. Chaque alTaire médico-légale est d'abord soumise à l'examen d'uo
docteur assermenté, remplissant les fonctions de médecin légiste pour tuutes
les aiïaircs qui se présentent devant le tribunal auquel il est attaché. Ce
fonctionnaire est assisté habituellement de l'officier de santé du district
L'expertise doit être faite, à moins d'impossibilité, en présence des m«^dedns
ou élèves en médecine qui veulent se former à la pratique. Le procès-verbtl
est dressé par le juge d'instruction : l'expert y ajoute les conclusions som-
maires de ce qu'il a observé. Si le ministère public ou la défense n'admet-
tent pas ce rapport et, même s'ils l'acceptent, dans certains cas graves spé-
cifiés par la loi, on l'envoie, avec le procès- verbal de l'expertise et toutes
les pièces, à une deuxième juridiction médicale, le Medecinal CoUegium, in-
stitué dans chaque province de l'Empire. Ce comité médical, composé de six
membres, nonmie deux rapporteurs qui doivent étudier raOaire séparémeott
Puis l'aiïaire est examinée en séance, et ce comité arrête ses conclusions.
C'est, en quelque sorte, une deuxième expertise. Knfin, lorsque des récla-
mations s'élèvent encore, ou qu'il y a doute, on soumet l'afTaire à une troi-
sième juridiction qui siège à Berlin et qui est composée des sommités deli
science. Même procédure devant la Wissetischaftliche dcputation que devant
le Médicinal Côllegium. Le comité provincial, le comité supérieur sont tenus
de toujours exprimer leur avis par écrit, sans se faire jamais représenter ,
par un de leurs membres devant les tribunaux. Ce rapport est remis au mf
decin légiste officiel, qui est chargé do le défendre à l'audience. Les attribu-
tions de la commission scientifique dos superarhitres ou députation scienti-
fique pour lesaffaires médicales, sont d«^finies par le décret du 23janv. 1819:
«( Elle doit se considérer comme une réunion d'experts et il lui appartient
« notammont : 1? De déterminer les principes scientifiques sur lesquels re-
« [>osc l'administration de la médecine et (jui, au point de vue technique,
« doivent être la plus haute règle de l'expérience, sous le rapport de lenr
« intluence sur le bien général, ot, cl)a«|iie ibis que cela est utile ou lui est
« demandé, de communiquer au ministre ses conseils et ses vues scientifi-
M ques; '2** Elle doit donner son avis, quand le ministre le demande, dans
« tous les cas concernant Tadministratlun de la médecine, ou dans les atîai-
«( res criminelles, pour reconnaître les causes de mort, de maladies ou d'au-
<« très dommages, aussi bien que dans tojites les affaires de justice, de police
u nécessitant un avis médical, scioiililiquo et d'expert... >»
* Art. i8 à 5V. Voy. le texte du projet au Journ. o/Jf'., Sénat, annexes,
1882, no 03, p. 113.
D£ LA RÉFORME DES EXPEliTISES CRIMINELLES. 6o9
le contrôle. Les experts, désignés par le juge d'inslruclion,
opéraient et coDcluaienl seuls; mais le projet plaçait, à côté
d'eux, et prêtant serment comme eux, un expert de la défense^
qui, sans coopérer à Texpertise, avait pour unique mission
de la surveiller, de requérir des experts officiels certaines opé-
rations, et de consigner ses observations au bas du procès-
verbal. Cet expert de la défense avait ainsi un rôle analogue
& celui que, depuis lors, la loi du 8 décembre 1897 a donné à
l'avocat de Tinculpé dans les interrogatoires et les confronta-
Lions. Un délai de quarante-huit heures était fixé à Tinculpé
pour exercer son choix, à dater de I avis qui devait lui être no-
lifié de la désignation de Texpert officiel. Les incidents, que la
présence des experts officiels et de l'expert de la défense, fai-
saient naître, au cours de Texpertise, étaient soumis au juge
d'instruction : celui-ci statuait, sauf recours à la chambre
du conseil, que le projet rétablissait et à laquelle il conférait
une juridiction indépendante de celle du juge d'instruction;
2® Puis, la fixation dune liste annuelle d'ex/^erts, sur laquelle
rinculpé et le juge d'instruction devaient faire chacun leur
désignation, sauf à obtenir, de la chambre du conseil, en cas
de besoin, l'autorisation d'en choisir en dehors de ces listes.
Le 6 mars 1882, M. Dauphin, membre de la commission
du Sénat, chargée d'étudier le projet, déposait un rapport, au
nom de cette commission. Bien que, sur d'autres points, ce
projet de la commission du Sénat différât sensiblement du
projet gouvernemental, la section de l'expertise reproduisait,
à peu de choses près, les termes de la section correspondante
du projet*. Ce projet fut discuté dans les séances de mai et
juin 1884, et adopté, en deuxième lecture, à la séance du
6 août. La section de l'expertise* ne subit, dans la discussion,
de changements notables que sur un point : on admit que,
non seulement en cas de flagrant délit, mais même dans les
cas de simple urgence, dont la, détermination était laissée à
' Til. lî, cliap. II, sert. IH, art. 5G à 62 du projet de la commission. Voy.
Jaurn. off., Sénat, annexes, 1882, n** 63, p. H3.
• Art. 6t à 68 du projet du Sénat. Voy. le texte au Journ. off.. Chambre,
annexes, d885, p. 714.
CGO PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
ra[)préciation du juged'inslruclion, celui-ci pouTait ordonner
des e\pertises, en dehors des formes légales, c'est-à-dire sans
que rinculpé y fût présent, sans même l*en aviser^ et sans
l'obligation de choisir dans ia liste officielle. Mais, au coars
de la discussion, et à la séance du 28 juillet 1882, M. leséna-
teur Bernard proposa un système plus radical que celui do
projet : il demandait que Ton organisât l'expertise, non pu
seulement. st/re;ei7/^e, mais absolument contradictoire^ eiidoa*
nant aux deux experts les mêmes pouvoirs et en les faisant
procéder en commun à toutes les opérations de Texpertise. Ce
système, combattu par le rapporteur, ne fut pas pris encoD-'j
sidéralion. Le projet du Sénat organisait, en effet, plutôt oo
contrôlé; i\\à'\Miii contradiction de Tinstruction préparatoire, et
le système de rexpertise était adapté aux conceptions géoê
raies qui avaient prévalu pour ^ensemble des opérations de
cette phase du procès.
Transmis à la Chambre, le projet fut rapporté, le 15 no-
vembre 1883, par M. Goblet\ La commission de la Cham-
bre avait effacé, dans l'article 66, les mots dangereux^ intro-
duits par le Sénat, sans en avertir l'inculpé^ estimant, avec
quelque raison, que Ton pouvait, dans la plupart des cii
dits d'urgence, sauvegarder le principe même du contr6le,et
permettre à l'inculpé de choisir son expert, immédiatement,
cl sans retarder l'opération. Ce n'était plus alors que danslt
cas 011 l'inculpé n'avait pas exercé ce choix que l'expertise se
trouvait confiée «à l'expert du juge d'instruction, agissant seol
et sans contrôle. A part cette modification, les règles de l'ex-
pertise restaient les mêmes. Au cours de la discussion qui
eut lieu, pendant les mois d'octobre et novembre 1884, le
D' Chevandicr' déposa un amendement, d'après lequel le
juge d'instruction nommerait toujours, sauf pour les caspea
graves, deux experts, ayant le même caractère, les mêmes
droits et agissant on commun. Avec cet amendement, les trois
" V. Journ. ofl'., Chambre, annexes, 1883, n» 2377, p. 1784.
8 C'est le même D'' Chevîindier qui devait faire voter plus lard la pro-
position «le loi sur l'exercice de la médecine, qui est devenue la loi du 30 no»
vembre 1892, dite loi Clievandier.
DE LA ItÉFORMB DES EXPERTISES CRIMINELLES. 661
sternes, actuellement proposés, pour organiser la conlra-
îclion dans Texperlise, ont donc été examinés, au cours de
. discussion du projet de réTorme. du Code d'instruction cri-
linelle : surveillance par un expert nommé par Tinculpé;
pérations faites en commun par deux experts d'origine dif-
trente, désignés, l'un par le juge d'instruction, Tautre par
inculpé; opérations faites en commun, par deux experts de
lénie origine, nommés Tun et Tautre par le juge d*instruc-
on •.
A la séance du 9 novembre 1884, la Chambre décida qu'elle
asserait à une seconde délibération. Le rapporteur, M. Bo-
ier-Lapierre déposa nn rapport sur le projet voté en pre-
liëre lecture. Mais la législature prit fin sans que le projet
ûtètre adopté en deuxième délibération. Malgré le vote de
urgence, le 13 novembre 1887, et le dépôt successif de deux
nouveaux rapports par M. Bovieh^-Lapierre, le 15 juin 1891 '®
t le 3 décembre 1895**, le projet ne put aboutir. Bien ins-
piré, M. Constans, en vue d'éviter un avortement définitif,
déposait, en 1897, une proposition de loi, ayant pour but
t*introduire, dans Tinstruction préparatoire, les réformes les
Jus urgentes. Cette proposition devint la loi du 8 décembre
897 qui ne modifie pas, directement au moins, le système des
xpertises criminelles.
369. Cependant, les projets de réforme de l'expertise
'étaient pas abandonnés. Au cours même de la discussion de
I loi Constans, les sénateurs Thézard et Thévenet présen-
lient une proposition de loi, en trois articles, tendant à éta-
lir Vexperlise contradictoire^ et n'organisant ,en réalité, que
expertise surveillée. Mais le système de l'expertise contra-
ictoire qui avait été, devant le Sénat, l'objet de l'amcnde-
lent de M. le sénateur Bernard, fut repris dans une propo-
tion de loi, déposée à la Chambre des députés, le 8 décem-
• Journ. off.y Chambre, annexes, iSS"), p. li't.
«0 Journ. off,y Chambre, annexes, 1891, p. H5.
** Jotim, ofF,t Chambre, annexes, 1895, p. 1520.
662 PROCÉDURB PÉNALE. — DE LA PREUVE.
bre 1898, par M. Criippi. Celte proposilioQ contenait huit
articles et n'avait pour objet que de réglementer les expertises-
médico-légales. Renvoyée à la commission des réformes judi-
ciaires, elle en revint modifiée, et fut étendue à toutes les ei-
[)ertises. Elle a été discutée, et, après déclaration d'urgence,
adoptée, à la Chambre, le 30 juin 1899**.
370. Les réformes, dont l'expertise serait l'objet, d'après
ce projet de loi, portent sur trois points : 1° Création dwu
liste annuelle; 2"* Fonctionnement contradictoire AeVe.\pe.v{\s^t\
3" Organisation ifun arbitrage, en cas de désaccord des ex-
perts.
1. L4^ choix des experts, sur une liste annuelle de capacité,
parait être la condition même de l'expertise contradictoire ".
*■ Pnur le lexle de la proposition : Jouni. off.^ Chambre, annexes, ii%
session exlruordinairc, n» +()7, p. 310. Pour le rapport de M. Cruppi, J(mr%,
ofl'.y Chambre, annexes, 1898, n»> 484, p. 4*7. Voy. les dt^bats, à la Cham-
bre, dons Journ. off. des 29 et 30 juin <899.
'^ Les deux f>remiers articles du projet sont relatifs à la création de cette
liste. — Art. 1. « La liste des experts admis îi pratiquer les expertises enma-
« lière criminelle et correctionnelle rsl dressée, chaque année, pour Vannw
« suivante, par les cours d'appel, le procureur général entendu, sur Tavis
« des tribunaux de preniit-re instance. — Les experts sont classés par caté-
« gories sur celte liste, (|ui ne comprend pas de membres de droit, à IVxcep-
« tion de ceux qui sont institués à rarlicle 2 ». — Art. 2. « La liste des
<« mt'decinset chirugiens admis à pratiquer les expertises médico-l^^^les de-
^« vaut les tribunaux est dressée chaque année, pour Tannée suivante, par
u les cours d'appel, le procureur général entendu, sur la proposition des
u tribunaux civils, des facultés et écoles de médecine, de pharmacie et de
« scitMict's. — Los prolt'sseurs et charités de cours desdites facultés, les
« médeoiiis, chirurgiens, accoucheurs et pharmaciens des hi'tpitaux dans les
t< villes où sirgent îles facultés ou écoles «le médecine de plein exercice. \f^
« méde(îins d'hospices et d'asilfs pul)lics d'aliénés, les membres de TAcadé-
« mie de médecine feront partie do droit de cette liste; ils seront aul&ot
« que possible classés par catégorie suivant leur spécialité ». — Art 3.
« L»* juge ou la juri«licliun compétente désigne, sur la liste annuelle
« dn'ssée en conformité des articles précédents, un expert ou plusieurs, s*i]
« y :i li»'u à des reclnTches scientifiques distinctes. — I^ désignation dudil
<i ou dj'sdils expertvS est immédiatement notifiée à l'inculpé, qui a le droit
« de ciioisirsur la liste annuelle qui lui est communiquée un nombre égal
DE Là REFORME DES EXPERTISES CRIMINELLES. 663
Cette liste sera dressée, pour tout le ressort, par la cour d'ap-
pel qui statuera anauellement, le procureur général entendu,
sur la proposition des tribunaux de première instance. Le
juge et rinculpé pourront exercer leur choix sur tous les noms
retenus par la cour, et non pas seulement sur les noms des
seuls experts résidant dans le département.
Mais le projet ne prévoit pas les circonstances exceptionnel-
les dans lesquelles il peut être nécessaire que Topération d'ex-
pertise soit confiée à une sommité scientifique ne résidant pas
dans le ressort. L'institution de; membres de droit vient limiter
le [iOUYoir de la cour d'appel. Cette innovation a été introduite
dans le bnlde donner plus de garanties à Tinculpé, en lui ac-
cordant la faculté de choisir des hommes d'autant plus indé-
pendants de la justice qu'ils ne doivent leur vocation qu*à leur
situation scientifique.
II. Le fonctionnement contradictoire de l'expertise estas*
sure par le système de Isl dualité et de ïégalité des experts :
<« d'experts. — Cette dt'sigaation doit èire faite dans le délai de trois jours
'< francs à dater de la notification. — Dans le cas où Tinculpé n'a pas n'îpondu
K dans ce délai, le juge nomme un deuxième expert, comme il est dit à Tar-
« ticle 6 {Erreur malcrielie, c*€st Vart. 5 qu'il faut lire). — Dans le cas où
« une opération urgente d'expertise est prescrite par le président de la cour
« d'assises, l'accusé exerce, séance tenante, s'il le ju>^'e utile, son droit de
« choisir un expert. — S*il y a plusieurs inculpés, ils doivent se concerter
« pour faire cette désignation ». — Art. i. « Les experts, désignés au para-
« graphe 2 de l'article 2, ne peuveiît être choisis que si cotte mesure qui doit
« ^Ire justifiée par la gravité de Tatlaire est autorisée par ordonnance moti-
ve vée du président du tribunal ou du président de la juridiction saisie. —
« Lesdites ordonnances ne sont susceptibles d'aucun recours ». — ArU 5.
« Si Tauleur du crime et du délit est inconnu, ou si le prévenu est en fuite,
<c l'expertise ordonnée par le juge devra être confiée à deux experts au moins,
« choisis sur la liste annuelle >>. — Art. 6.'< Il ne peut être procédé aux oj)éra-
« lions par un seul .expert que dans le cas où l'inculpé renonce formelle-
<t ment à l'expertise contradictoire et accepte Texpert désigné par le juge ».
<c — Art, 7. « Les experts désignés par le juge d'instruction et le prévenu
« jouissent des mêmes droits et prérogatives. Ils procèdent ensemble à tou-
« tes les opi^rationsetleurs conclusions so!it prises tlans un rapport commun
Cl après avoir été disculées contradictoirement »). — Art. 10. « Les frais
<c d'expertise résultant de la présente loi seront passés en frais de justice
« crimineile ».
664 PROCÉDURE PENALE. — DE LA PREUVE.
le juge d*instruclion désigne, sur la liste annuelle, un ou plu-
sieurs experts; Tinculpé choisit, à son tour, sur la liste, un
nombre égal à celui des désignations opérées par le magistrat.
La notification obligatoire de l'ordonnance du juge qui nomme
les experts est le point de départ d'un délai de trois jours
francs pendant lequel Tincuipé exerce son droit. Les experts
ont le même rôle, les mêmes prérogatives; ils procèdent en-
semble à toutes les opérations et leurs conclusions sont prises,
dans un rapport commun, après avoir été discutées contradi-
toirement. Les frais d'expertise, sans distinction suivant lori-
gine des experts, sont entièrement compris dans les frais de
justice.
Dans un certain nombre de cas exceptionnels, le principe
de la contradiction, réalisé par deux groupes d'experts, a dà
être abandonné. Le premier est celui où l'inculpé n*a pas
répondu, dans le délai de trois jours, à la notification de ^o^
donnance. Le second est le cas où l'inculpé renonce expressé-
ment à se prévaloir de son droit. Le troisième résulte de l'im-
possibilité matérielle de faire fonctionner le système; c'est le
cas où l'auteur du crime est inconnu, où l'inculpé est en fuite.
Enfin, le dernier cas exceptionnel, le plus important de tous,
puisque, suivant la manière dont il sera compris, il appar-
tiendra aux magistrats d'élargir ou de restreindre la contra-
diction dans l'expertise, est prévu par l'article 9, ainsi conçu :
« Nonobstant les termes de l'article précédent, le procureur
« de la République et Icjuge d'instruction pourront, dans les
« cas d*extréme urgence, notamment s'ils se sont transportés
« sur les lieux pour constater un flagrant délit, ou si des io-
M diccs sont sur le point de disparaître, commettre, à titre
« provisoire, un homme de l'art non inscrit sur la liste ao-
« nuelle. L'expert provisoire procédera aux premières coo-
(( stalations, assurera, s'il y a lieu, la conservation des pièces à
« expertiser et dressera un procès-verbal sommaire qui, après
« avoir été visé par le juge d'instruction ou le procureur de
« la République, sera transmis, avec tous autres documents,
« aux experts qui seront immédiatement désignés, conformé-
« mentaux dispositions ci-dessus, à moins que ces constata^
DE LA RÉFORME DES EXPERTISES CRIMINELLES. 665
« lions soient jugées suffisantes, d'un commun accord, par le
« magistrat instructeur et l'inculpé ». ,
III. Les deux groupes d'experts, ayant les mêmes pouvoirs
pour faire les constatations et donner leur avis, il arrivera
quelquefois qu'ils déduiront de leurs opérations communes
des conclusions, opposées et contradictoires. Faut-il placer les
juges ou les jurés en présence de cette situation, en leur lais-
sant le soin d'apprécier suivant leur conscience? Faut-il faire
trancher le point en litige par un tribunal scientifique, jouis-
sant d'une autorité suffisante pour que son avis mette un
terme à toute discussion technique? Ou simplement, donner h
un tiers-expert la mission de départager les experts ?-La pre-
mière solution serait peut-être la meilleure. C'est celle qui
fait crédit à la conscience morale plus qu'à la conscience
scientifique. Elle n'a pas été examinée. Dans la proposition de
M. Cruppi, Tarticle 6 confiait la mission de solutionner le con-
flit à une commission de superarbitres dont le fonctionnement
devait être organisé par un règlement d'administration pu-
blique ^\ La commission faisait choisir un arbitre aux deux
** Broiiardel, qui uvail vu fonctionner ces commissions en Allemagne, en
demandait, dès 1884, lorganisation en France (Rapport à la Société de mé-
decine légale, Bull.j 1884, t. 8, p. 252). Le Syndicat des médecins de la
Seine, la Société de médecine de Paris, un grand nombre de médecins légis-
tes, ont préconisé cette organisation. M. Guîllot, dans Touvrage qu'il a con-
sacré au projet de 1879, sous co titre : Des principes du nouveau Code d'm-
struction crinànelle^ 1884, écrivait (p. 197) : « Nous ne connaissons rien de
w plus pernicieux, pour l'autorité des expertises, que ces audiences, où des
«< médecins qui n'ont ni participé à l'expertise, ni même examiné les pièces,
« viennent, à la dernière heure, jeter, dans le débat, des doctrines imprévues,
w comme si ce n'était pas dans le calme du laboratoire que les constatations
« scientifiques devaient être toujours discutées et non pas in extremis do^
« vaut une foule impatiente, au milieu des ardeurs de la lutte, devant un
a jury trop enclin à se laisser entraîner par des mots sans peser la valeur
« des doctrines exposées >». Kt pour mettre un terme à ces scandaleuses dis-
cussions, «t il suffirait d'instituer, dans chaque faculté de médecine, une
M commission supérieure des expertises. Ce serait devant elle que seraient
a portés Texamen et le débat des questions scientifiques soulevées soit par
i« le désaccord des experts, soit par les objections de la défense ». Et
M. Guillot, allant jusqu'au bout de sa thèse, donnait, à la décision de
666 PROCÉDURE PÉNALE. — DE LA PREUVE.
experts en désaccord; s'ils ne pouraient s*entendre sur le
choix, ils désignaient chacun deux noms, et le président du
tribunal tirait au sort parmi ces quatre noms. Puis, elle sup-
prima ce procédé bizarre et, en cas de désaccord, décida que
la désignation serait faite par le président du tribunal ou par
le président de la juridiction saisie. C'est la solution à laquelle
s'est arrêtée la Chambre*'.
371. Cette proposition de loi n'a pas eu pour objet de
réglementer Tensemble de la procédure des expertises cri-
minelles : de se prononcer, par exemple, sur la présence
obligatoire ou facultative du magistrat aux opérations, la ma-
nière de conduire ces opérations, surtout en cas d'autopsie, la
rédaction du rapport, le droit de récusation des experts, etc.
Son but a été de créer Vexpertise contradictoire y sur des bases
assez compliquées, mais que la pratique pourra éprouTer,
puisque le fonctionnement du système, voté par la Chambre
des députés, se rapproche beaucoup de celui qui a été orga-
nisé, pour certaines expertises spéciales, par la loi du l^' août
1903 et le décret du 31 juillet 1906 '\
la commission, la force de chose jugée en ce qui concerne la question scien-
tifique Iranchi^e par elle. M. Cruppi, lui, n'admet pas ce retour au système
des prouves léj^Mles. « Il est bien entendu, écrit-il dans son rapport, que
M l'avis des experts et la décision de l'arbitre ne sauraient lier les magistrats
« et le jury. Il ne nous semble pas possible d'empêcher que les conclusions
<r scientifiques soient discutées -ï Taudience... ».
** Art. 8. u Si les experts sont d'avis opposé, ils désignent un tiers ei-
a pert chargé de les départager. — A défaut d'entente, cette désignation
« est faite par le président du tribunal ou par le président de la juridiction
« saisie ».
»^ Voy. .swprà. n«« 362 à 365.
FIN DU PREMIER VOLUME.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
liNTRODUCTlON
IMWWMWWtMMMM»
S I. — De l'objet de la procédure pénale. — 1. La procédure pé-
nale a un double objet : organiser les autorités Tchargées de la répression,
leur tracer la marche à suivre dans ce but. Elle est inséparable du fond
du droit, — 2. Les lois de procédure sont destinées à régulariser la réac-
tion individuelle et sociale que provoque Taction criminelle. — 3. Dans
révolution de la procédure pénale, .il faut tenir compte de Torganisa-
tion du pouvoir politique et des croyances du groupe social. — 4. Ana-
logies apparentes et différences substantielles entre la procédure pénale
et la procédure civile. — 5. Qualités d'une bonne procédure pénale : sim-
plicité, célérité, équité. — 6. Concepts généraux autour desquels se
groupent les règles de la procédure pénale : action, preuve, ordre judi-
ciaire, rite, exécution '. 3
§ II. — Les divers types de procédure pénale. — 7. Des trois
types de procédure pénale. — 8. De la procédure accu^toire. Ses deux
caractères principaux. — 9. L'accusation. Par qui elle est exercée. —
10. Le juge est un arbitre de combat. Double conséquence. Institution des
juridictions populaires. Absence d'une procédure par défaut. — i\. L'in-
struction dans le système accusatoire. — 12. Procédés pour rechercher
l'auteur d'un crime et le convaincre. Le flagrant délit. Les cojureurs.
Les ordalies. La preuve par la bataille. — 13. Champ d'action du système
accusatoire' dans le temps (;t l'espace. L'Angleterre est restée, dans les
temps modernes, le conservatoire de cette procédure. — 14. De la pro-
cédure inquisitoire. — 15. Ses caractères principaux. — 16. Le juge est
un délégué du pouvoir, officier de justice et fonctionnaire permanent. —
17. L'inquisition. — 18. La torture. Son origine. Son extension. — 19.
Double éontrepoids aux pouvoirs du juge. L'appel. Les preuves légales.
r
i
66S TABLE ANALYTIQUE
— 20. Le système inquisitoire dans le temps et dans l'espace. — 21.
Avantages et inconvénients des deux systèmes de procédure, accusatoiri*
et inquisitoire. Système mixte. — 22, Ce qui le caractérise. — 23. Son
♦•volution 40
§ Ilf . — La procédure criminelle française actnelle. — 24. La
proci'dure criminelle franyaise, telle qu'elle est, aujourd'hui, en vigueur,
se ratlache au type mixte. Ouatre conceptions essentielles la dominent.
— 25. f'nité de la justice civile et de la justice pénale. — 26. Di\isi'.'n
des fonctions et du travail. — 27. La division des juridictions et des aut-.-
rités pénales correspond à la division des infractions. — 28. Ces juridic-
tions et ces autorités fonctionnent pour toutes les personnes et pour tous
les délits 22
§ IV. — Des origines historiques de la procédure criminelle
française. — 29. Des trois sources de la procédure criminelle française
et de son évolution. — 30. Double tendance : augmenter les garanties d».»
rinculpé; renforcer hi défense sociale. — 31. Cette double tendance cor-
responrl au mouvement scientifique des deux écoles rivales, Técole classi-
que, l'école nouvelle; — 32. Division 28
§ V. — Les Juridictions pénales dans l'ancienne France. — 33.
Phases par lesquelles a passé l'organisation judiciaire de l'ancienne
France. Unité de la justice civile et de la justice pénale. — 34. Époque
barbare. Justice pofjulaire. — 35. Dilution du pouvoir de juger à l'épo-
que féodale et durant le Moyen âge. Conflits de compétence. Division des
justices en deux groupes principaux. — 36. Juridictions laïques. Les
justices seigneuriales, royales, municipales. — 37. Juridictions ecclé-
siaslir|ues. Officiai! tés. — 38. Développement des juridictions roya-
les 32
§ VI.— La procédure criminelle dans Tancienne France. —
3y. Li*s deux phases de Tuncienne procédure. — 40. Époque barbare.
Cojureurs. Ordalies. — 41. Première pt^riode de la féodalité. Le combat
judiciaire. Le flagrant délit. La clameur de haro. — 42. Les transforma-
tions successives de la poursuite. Action populaire. Action d'office. Actiua
publique. Le ministère f»ublic. Ses origines obscures. — 43. Transforma-
lions de la procédure. Naissance de la procédure inquisitoriale. Les
f^TJuidi'S ordonnances. Le Cocle de la procédure inquisitoriale, l'Ordon-
iiance de 1670. — t't. Marche d'un procès sous ce régime. Information.
Uécnlement et cunl'rontalion. Jugement. — 45. L'ordre public, malgré les
rigueurs de cette procédure, paraît avoir été moins bien protégé qu'il ne
Test aujourd'hui. — 40. La procédure inquisitoriale ne fut pas particulière
à la France : elle fjrma le droit commun de l'Europe occidentale. —
47. L'Angleterre seule cunserve, dans sa procédure, les garanties du sys-
tème accusatoire 41
D£S MATIÈKES. 669
§ VII. — L^organisation judiciaire et la procédure dans les
lois de la Révolution jnsqu'au Code de 1808. — 48. L'état
d'esprit à la veille de la Révolution. Réformes opérées. — 49. La législa-
tion criminelle de TAssemblée nationale constituante. — 50. En matière
de crimes, laprocédure parcourait trois phases. Instruction au canton. Au
district, magistrat directeur du jury et jury d'accusation. Jugement. —
51. Qualités et vices de cette procédure. — 52. Procédure en matière de
délits, soit de police correctionnelle, soit de police municipale. — 53. Ap-
plication du système de procédure de l'Assemblée constituante. Code des
délits et des peines du 3 brumaire an IV. — 54. Los lois de l'an IX.
Reconstitution de la procédure d'instruction et du ministère public. —
55 . Les tribunaux criminels spéciaux 63
§ Vni. — Le Gode d'instruction criminelle. — 56. Les Codes du
Consulat et de l'Empire. Le Code d'instruction criminelle et le Code pénal.
— 57. La préparation de ces deux Codes. — 58. Le Code d'instruction
criminelle de i808. — 59. Institutions qui forment l'armature même de ce
Code. — 60. Les réformes. — 61. Le projet de loi sur la réforme du Code
d'instruction criminelle déposé le 17 novembre 1879. La loi du 8 décem-
bre 1897 85
§ IX. — La procédure pénale dans les législations étran-
gères. — 62. Importance de la législation comparée. Au point de vue
de la procédure, deux groupes principaux de législation : l'un, dérivant
du Code de 1808, combine le système inquisitorial et le système acctsa-
toire; l'autre, resté original, dérive du droit anglais, et consorve le sys-
tème accusatoire. — 63. Division : sources législatives; règles principalt^s.
— 64. Sources législatives, Allemagne. Autriche-Hongrie. Belgique. Prin-
cipauté de Monaco. Grand-Duché du Luxembourg. Espagne. Italie. Suisse.
Pays-Bas. Grande-Bretagne. Russie. Grand-Duché de Finlande. Pays
Balkaniques, i^ays Scandinaves. Turquie. Egypte. Amérique du Nord.
Amérique du Sud. .lapon. — 65. Les règles principales de l'action, de
l'instruction et du jugement d'après les principales législations étrangères.
Ordonnances pénales 99
S X. ^ La littérature scientifique de la procédure pénale. —
66. On dégage deux périodes dans l'histoire littéraire de la science de
la procédure pénale, dont la séparation est marquée par le Code d'ins-
truction criminelle de 1808. — 67. Les écrivains de la première période :
glossateurs, praticiens, précurseurs. — 68. Les écrivains de la seconde
période. Italie, France, Allemagne 134
670 TABLE ANALYTIQUE
LIVRE PREMIER
Des actions publique et civile.
§ XI. — De rinterdépendance des actions publique et civile.
— c/J, iJes actions puhliqueel civik-. Leurs rapports. Quatre conception?.
— 70. Confusion entre Iva deux aclion.s. — 71. Séparation. — 72. Inti»r-
dépendancf. — 73. Indépendance. — 74. Solidarité. — 75. Hé t ormes. —
76. Ktude parallèle d»'s deux actions.. 1 W
TITRE PREMIER
DKS DROITS d'actions QUI NAISSENT DE l'iNFRACIION.
ClfAPITHI-: PHKMIER
DE l'action publique.
§ XII. — Notions générales sur l'action publique. — 77. In.
répression et l*aclinn [luhlique cjui en est la conséquence. — 78. Du
minislère publie. Divers systèmes (raccusnlion. Les deux types en pré-
sence. — 79. Combinaisons du système de l'Hccusatii^n populaire et do
celui de l'accusation publique. — 80. Législations autrichienne et alie-
mande. — 81. Système anglais. — 82. Les actions populaires. Article i23
de la loi du 15 mars 1S49 101
§ XIII. — De l'ox^anisation du ministère public. — 83. Orga-
nisation identique du ministère public en matière pénale et en matière
civile. — Sk Les membres du minislère public, agents du pouvoir exécutif
auprès des tribunaux, sunt amovibles et révocables. — 85. Unité et subor-
<linalion jiiérarcirMjues. — 80. Aucune juridiction pénale n'est complète
sans mifiistère public. — 87. Corresf»ondance entre Torganisation des tri-
bimanx de répression et l'organisation du minislère public. Tribunaux de
sim|)le pr)lice. Parquet '^des tribunaux de première instance, des cours
d'apfiel, (le lu Cnur de cassation. — 88. Indivisibilité du ministère pul>lic.—
80. lt<'ni|)!a«.'emMil 171
§ XIV. — Des attributions du ministère public au point de
vue de Texercice de Taotion publique. — 90. La disposition,
r<'xercice et la mise en mouvement de l'action publique. Droits du minis-
tère public, des particuliers et des tribunaux. — 91. Fonctions, en c?
DBS MATIÈRES. 67 1
qui concerne Texercice de l'action publique, "des divers membres du
ministère public. — 92. Le ministère public ne peut ^tre r(?cus<^ e»
matière répressive. — 93. De la responsabilité du ministère public et des
conditions dans lesquelles elle peut exister et s'exercer 188
i XV. — De l'action des Administrations publiques devant
les tribunaux de répression. — 94. Conception gt^nérale du rôle
des administrations publiques qui exercent une action fiscale devant les
tribunaux de répression. Cette participation au droit de poursuite n'appar-
tient qu'à un certain nombre d'administrations. — 95.' Administration
des contributions iiidirertes. Action fiscale. Action publique ordinaire.
Transaction. — 96. Des octrois. — 97. De Tarlministration des douanes.
— 98. De l'administration des e.iux et forets. Délits forestiers. Délits
de p(*îche lluviale. — 99. Administration d»is postes, des télégraphes et
des téléphones. — KX). Des parties lésées par un délit fiscal. De leur droit
devant les tribunaux de répression 197
§ XVI. — Contre qui l'action publique peut être intentée. —
101. L'action publique ne peut être dirigée que contre un individu. Trois
corollaires résultent de colle rr*gle. — 102. L'action publique peut -elle
être dirigée contre inconnu? Distinclion. Instruction. .lugement. — 103.
L'action publique ne f)eut être dirigée <|ue contre les auteurs et les com-
plices de l'infraction, Consé<|uences. Des personnes civilement responsa-
bles quant aux frais. Des personnes morales. Des héritiers des auteurs et
des complices. — lOi. L'action publique est dirigée contre le prévenu
sans qu'il soit nécessaire de mettre en cause son représentant 221
CllAl'ITUK 11
DK l'action CIVILK.
§ XVn. — De quels faits nait l'action civile. — lo:». L'action
civile naît d'un délit pénal domraa^reable. — lOi». De l'action en domma-
ges-intérêts fondée sur un délit civil et de l'aclion en dnmniages-inl<'»réls
fondée sur un délit^pénal. Comparaison. — 107. Du caractère dommagea-
ble que doit avoir le délit pénal 23:{
§ XVIIL — De l'objet de l'action civile. — 108. L'action c\\\W étant
l'action en réparation du dommage causé par une infraction se distingue
des autres actions civiles qui dérivent de l'infraction. — 109. L>es trois
chefs d'indemnité compris dans l'action civile : restitutions, dommages-
intérêts et frais. — 110. Des restitutions. — 111. Des dommages-intéréis.
Modes de réparations. — 112. Comparaison entre ces deux premiers
chefs de Faction civile. — 113. Des frais de justice. Henvoi . . 2t2
672 tab;,e analytique
§ XIX. — A qai appartieat raction civile et c^ui peat Tezer-
cer. — UV. A qui appartient l'action civile elqui peut l'exercer. - 113.
De la disposition de l'action civile. . rtes de transaction ou de renoocia-
tion. Cession de Taclion civile. Difficultés sur la validité et TefTet de celte
cession. — 116. L'action civi!.. \h.^u\. appartenir à la victime du délit, à ses
hérili^TS. à ses ayants cause. — 117. La victime du délit peut être indi-
rectement, bien que personnellement lésne. — 118. Personnes juridiques,
victimes du délit. Corps. Diffamations et injures. Droit de plainte. Droit
de se porter piriio civile. — 119. Des groupes ou collectivités, victimes
d'un délit. Difficulté d'évaluer le préjudice. Pharmaciens. Médecins, etc.
— 120. Ouestion de la poursuite devant les tribunaux de répression par
des associations prenant la qualité de «» partie civile »». Syndicats profes-
sionnels. Autres associations formées en vue de défendre des intérfls
communs. Associations ayant un but désintéressé. Groupement d'indi-
vidus lésés. — 121. Action civile de tout électeur. — 122. Action cirile
exercée parles héritiers de la victime du délit. Les trois hypothèses pos-
sibles. L'infraction a été commise antérieurement à la mort de la victime.
Elle a entraîné sa morU L'infraction a été commise après la mort de II
victime. Diffamation envers la mémoire des morts. — 123. Action civile
exercée par les ayants cause. Créanciers. Cessionnaires. — 124. Capacité
f>oiir exercer l'action civile. I.)roit commun 252
§ XX. — Contre quelles persotines raction civile pent être
intentée. — 12">. ijualité et capacité des personnes contre qui Taction
civile peut être intentée. — 120. Trois groupes de personnes. — 127, Au-
teurs et complices. Rapports entre la responsabilité pénale etla responsabi-
lité civile. Causes de non -culpabilité. Faits justificatifs. Jeune âge et absence
de discernement. Aliénation mentale. Etat de nécessité. Exercice d'un
droit. Légitime défense. Abus de droit, — 128, Des personnes civilement
responsables. Principe et limites de la responsabilité civile. ParentR, Co/n-
mettanls. Instituteurs. — 120. Héritiers, soit des auteurs et des compli-
ces, soit des personnes civilement responsables. — 130. De raction
civile exercée contre un incapable. Distinction entre la femme mariée et
les aul res incapabliîs 278
CHAPITRE Hl
DE l/ INTERVENTION EN MATIÈRE PÉNALE.
§ XXI. — Comparaison entre l'intervention en matière pénato
et Tinter veation en matière civile. — 131. LMnterventtoa en
matien* civile est admise dans toute instance et elle est subordonnée à la
seule justification d'un intérêt légitime. Il n'en est pas de même en W8f
lière pénale. Motifs de cette diiïérence. — 132. Division 207
D£S MATIÈRES. 67^-
XXII. — De rintervention formée contre le prévenu. — 133.
La partie civile seule peut intervenir contre le prévenu ou Paccusé. —
i34. Mais cette règle admet une réserve au profit des personnes qui sont
subrogées, en totalité ou en partie, à l'action civile, par l'effet de la con-
vention, ou par Teffet de la loi 299
XXIII. — De rintervention volontaire ou forcée en faveur
du prévenu ou dacs l'intérêt du tiers. — 135. Questions à exa-
miner.-- 136. Recevabilité de rintervention volontaire des personnes
civilement responsables. — 137. Kn dehors de rintervention des per-
sonnes civilement responsables, toute autre intervention serait irrece-
vable. Intervention d'un parent, d'un ami, d'une administration, voulant
détendre son parent, son ami, son employé. Tiers ayant commis un délit
analogue. Prétendu coauteur ou complice. Tuteur. Conseil judiciaire.
Association philanthropique. — 138. Comment se forme rinlerventîon,
— 139. Mise en cause ordonnée par une juridiction répressive. — 140.
De l'appel en cause par les parties. — 141. Des demandes reconvention-
nelles devant les juridictions répressives. — 142. Exclusion de rinterven-
tion des associations formées en vue de la poursuite de certains dé-
lits. 3oa
TITRE n
»
DE L EXERCICE DES- ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
CHAPITRE PREMIER
DE l'exercice de L'ACTION PUBLIQUE
i XXIV. — De l'indépendance du ministère public en ce qui
concerne rexercice de l'action publique. — 143. L'indépen-
dance du ministère public est complète en ce qui concerne les conclu-
sions; elle ne Test pas en ce qui concerne Pexercice de l'action publique.
— 144. Observation sur Timportanco des questions à examiner... 3i5
} XXV. — Des cas où le ministère public n'a pas la faculté
de s'abstenir d'exercer l'action publique. — 14o. Surveillance
judiciaire. Surveillance administrative. Surveillance privée. — 146. Rap-
ports établis entre les fonctions d'accuser et les fondions déjuger. In-
compatibilité et indépendance des fonctions. — 147. Par exception, les
tribunaux ont un certain pouvoir de surveillance el de direction soit sur
les personnes, soit sur les fonctions du ministère public. L'article 11 de
la loi du 28 avril 1810. L'article 235 du Code d'insiruction criminelle.
Droit d'injonction de la cour. Droits de juridiction et d'évocation de la
G. P. P. — L 43
€74 TABLE ANALYTIQUE
chambre des mises en accusation.— 149. Droits que donnent à iacour
d'appel \os articles 361 et 369. — i49. De la sarveillance administratiTe
du ministère public. Procureur général près la Cour de cassation. Garda
des sceaux. Supérieurs hiérarchiques. — 450. De quelle façon et josqi'à
quel point la partie lésée participe t-elle au droit d'accusation ? Division.
— loi. Mise en mouvement et initiative. Cas où une plainte est oéces-
^re pour que le ministère public puisse agir. Citation directe. Constitu-
tion de partie civile devant le juge d'instruction. — 152. Participation des
parties lésées dans l'exercice et la direction de l'accusation. — 153. Voies
de recours 316
§ XXVI. — Des cas où le ministère public n a pas la faculté
d'exercer Taction publique. — 155. De l'action d'office. Principe.
Exceptions. Des obstacles qui s'opposent à Texercice de l'action publique.
— 156. Renvoi pour l'étude des questions préjadlcîelles. Plainte ou dé-
nonciation de la partie lésée. Autorisation préalable 3t6
§ XXVII. — Des cas où l'action publique est, quant à son
exercice, subordonnée à une plainte ou à une dénoncia-
tion préalable. — 157. Les cas où l'action publique est subordonné»,
dans son exercice, à une plainte ou à une dénonciation, sont limitative-
ment déterminés par la loi. En dehors des textes, le principe, c'est Taction
d'office. — 158. Enumération de ces cas exceptionnels. — 159. Origine
historique de ce aystème. Droit romain. Ancien droit. Droit intermédiaire.
Droit actuel. — 100. Raison d'être des exceptions au principe de l'actiOD
d'oftice. — ICI . La plainte, base de l'action, est-elle soumise à une forme
particulière ? discussion et application de l'idée que ce qui est nécessaire
et suffisant, c'est que la plainte soit écrite et manifeste l'intenlion cer-
taine du plaignant de provoquer la poursuite. — 162, Du retrait delà
plainte. Désistement. Son elTet. Exception pour le cas d'adultère ou de
certains délits de presse. — 163. Étude et classement des diven cai
où l'exercice de l'action publique est subordonné à une plainte ou déoM-
'ciation préalable. Adultère. Rapt. Délits de chasse. Délits de pôcfae. Délits
de fournisseurs. Contrefaçon industrielle. Diffamation et injures. Délits
commis en pays étranger. — 164. Appréoialion de ce syfilème. Législa-
tions étranjjères. Pratique. Réformes 3*7
•
IXXVIIL — Des cas où Taction pnbliqiie est, q[naalt à son
exercice, subordonnée à une autorisation préalalile. — iij.
Distinction entre les cas d'immunité pénale et les cas où raetion fmdli-
que est subordonnée k la nécessité d'une autorisstioa. — 466. Le préei-
dent de la République. Immunité pénale, sauf en cas 4e haute trdhisHi.
Difficultés. — 167. De Tarticle 75 de la €onstiluti<m de Tan Vllf . Garea-
lie politique. «Garantie administrative. — 168. Les ministres. Learsitai-
tion au point de vue pénal. — 169. Les sénateurs et les députés. Héeu-
{
DES MATIÈRES. 67£î
site d*une autorisation de la Chambre dont ils font partie. Portée de la
garantie. — 170. Garantie administrative. Sa suppression. Plus d'autori-
sation préalable. Mais incompétence des tribunaux répressifs pour con-
naître des actes administratifs. — i7K Renvoi en ce qui concerne la
garantie religieuse. Délits des ecclésiastiques constituant un abus. Sépa-
ration des Églises et de l'Klat 367
CHAPITRE II
DE l'exercice de L*ACTI0N CIVILE.
§ XXIX. — Notions générales. — 172. L'action civile peut être portée,
Boit devant les tribunaux ordinaires, compétents pour en connaître, soit,
accessoirement à faction publique, devant les tribunaux de répression.
— 173. Appréciation de ce système. Revision du Code français de 1808
en Belgique. Propositions repoussées. — 174. L'article 3 du Code d'in-
struction criminelle contient une règle et une exception 37 &
§ XXX. — Du droit d'option, qui appartient à la partie lésée,
entre la voie civile et la voie criminelle. — i75. Le droit d'op-
tion est général, mais il n*est pas absolu. — i76. Il est général, en ce sens
qu'il s'applique à l'action civile dirigée contre toutes les personnes qui
répondent du délit et doivent en réparer les conséquences. Les personnes
civilement responsables peuvent être assignées devant les tribunaux do
répression par la partie civile. Difficull es en ce qui concerne la citation
directe devant la cour d'assises. Conditions. — 177. Le droit d'option de
la partie lésée, quoique général, n'est pas absolu. — 178. Obstacles
de fait. — 179. Obstacles de droit. — 180. Le droit d'option n'existe pas
si l'infraction est de lu compétence pénale d'une juridiction d'exception.
Tribunaux militaires et maritimes. — 181. Restriction en ce qui concerne
les difTamations commises envers certaines personnes. Article 46 de la loi
earla presse du 29 juillet 1881. Administrateurs de sociétés financières.
Questions que soulève ce cas. Conditions de la prohibition de saisir les
tribunaux cinls. Caractère de cette prohibition. — 182. De l'action civile
en matière de banqueroute simple ou frauduleuse. Cette action peut être
exercée devant les tribunaux de répression dans certaines conditions.
Elle ne paraît pas pouvoir l'être devant les tribunaux ordinaires. — 183.
De la règle : electa una via non d^itar rccnrsuH ad altérant. Des deux hypo-
thèses qui peuvent se présenter. Le passage de la voie répressive k la voie
civile n'est pas interdit. Mais le passage de la voie civile à la voie répres-
sive doit l'être. — 18i. L'application <io la règle : electa una via..., quel-
que étendue que Ton donne à son application, exige le concours de trois
conditions. Il faut : Pque la demande successivement portée devant les
deux ordres de juridictions soit identiquement la même; 2* que l'option
C76 TABLE ANALYTIQUE
5o:l exercée en cor; naissance de cause; 3^ que la juri-iiolion «aîs'te la pre-
mière Ail eu le droit de statuer. — iSri. Caractère de la fin de non-rece-
l'oir fondée sur la maxime : el^fcta nna via 381
ï: XXXI. — DeTexercice de Taction civile devant la jaridiction
répreeive.— 186. Condition préalable d'une constitution de p<Lrtie civile
pour que les tribunaux *i^ répression puissent statuer sur les dommatçes-
intérêts prétendus p.'tr la virfime. Division. — 18T. L'action civile peut »?trè
portée devant les tribunaux de répression en même tempisque l'actioii pu-
blique. Article 3 du Code d'instruction criminelle. Groupement des consé-
quences qui résull^^nt de cette dépendance des deux actions. — ibS. nuand
le fait qui a produit le dommage ne constitue pas une iofriction, la juridic-
tion répressive est incompétente pour statuer sur l'action en dommatres-
intéréts. Application faite pour les prêts usuraires, la tenue d*une maison
de prêts sur page, etc. — i8î». La juridiction répressive est incompiét»»nle
fK;ur statuer sur l'action civile, quand l'action publique est irrecevable.—
190. L'incompétence existe également si l'inculpé est renvoyé d'instance.
— i91. Mais réserve et distinction entre les tribunaux de police simple ou
correctionnelle et les cours d'assises. La règle de l'incompétence des tri-
bunaux de répression pour ronnaitre de l'action civile* en cas d'acquitte-
ment ne s'applique pas à la cour d'assises. — 192. L'irrecevabilité devant
les tribunaux de répression de l'action civile, isolée de l'action publique
est d'ordre public. — 193. De l'effet, au cas où l'action publique et l'action
civile ont été porléos ensemble devant un tribunal de répression, d'une
cause d'extinction de l'action publique. Décès. Amnistie. — 194. Du mo-
ment et du mode de constitution d'une partie civile. Voie d'action. Voie
d'intervention. — 19!'». Forme rie la constitution de partie civile. — 196.
Etietï; d'une constitution de partie civile. — 197. Du désistement delà
partie lésée devant la jurirliction répressive. — 198. Effets du désistement.
Double hypothèse. Désistement régulier. Désistement irrégulier. . . 405
ï; XXXII. — De Texercice de raction civile devant la juridiction
civile. — 199. L'action civile peut être portée devant les juridictions ordi-
naires. Klle doit même l'être quehjuefois. De l'inlluence réciproque des deux
instances et desd<Mix jugements. — 200. Première hypothèse. Cas où l'ac-
tion civile a été détinitivemenl jugée par les tribunaux ordinaires avant
rexiTcice de l'action publi(jue. Indépendance des deux actions. 201.
Seconde hypothèse. Cas où l'action publique a été définitivement jugée
par l<'S tribunaux do répn'ssion avant l'exercice de l'action civile. Force
fie ch^se jugi'c absolu»; de la décision rendue par les tribunaux de répres-
sion. — 202. Troisième hypollièse. Cas on l'action publique est intentée
avant ou ppnflîint Im poursuite de l'action civile. Le criminel tient alors le civil
en étal. Double motif de cette règle. Principe supérieur qu'elle suppose.
hivisior. de son étude. — 203. Conditions d'application de la règle. Il
faut (|uc les deux actions naissent du même fait et que l'aclioD publique
DES MATIÈRES. 677
uit été intentée. — 204. Si le concours do ces deux conditions est néces-
saire, il est suffisant. — 205. L'action civile reprend son indépendance,
lorsqu'il a été prononcé «définitivement» sur l'action publique, c'est-à-dire
au jour où la décision criminelle a force de chose jugée. Distinction entre
la force de chose jugée et la force exécutoire. De l'effet, au point de vue
du sursis, des arrêts de contumace, des jugements ou arrêts par défaut
non signiBés, des ordonnances de non-lieu. — 200. Caractère d'ordre pu-
blic de la règle : ♦< Le criminel tient le civil en état » 443
TITRE III
DE l'extinction DES ACTIONS PUBLIQUE ET CIVILE
CHAPITRE PREMIER
DE l'extinction DE l'aCTION PUBLIQUE.
§ XXXIII. — Classement des causes d'eztinotien de Taotlon
publique. — 207. Double classement des causes d'extinction de l'ac-
tion publique. Causes naturelles. Causes politiques. Causes communes à
toutes les infractions. Causes spéciales à certaines infractions. —
208. Observation générale 4.55
§ XXXIV. — Du décès de l'inculpé. — 209. Le décès de Tinculpé éteint
faction publique. Celte règle est absolue. KUe s'applique sans exception
ni réserve. — 210. Conséquence de ce fait extinctif sur la procédure.
Trois situations. Décès avant jugement. Décès après jugement, mais dans
le délai des voies de recours. Décès pendant l'instance d'appel, d'oppo-
sition, de pourvoi en cassation. — 211. Ce décès du prévenu n'éteint
pas l'action tendant à obtenir la contiscation de choses en délit. —
212. Ce mode d'extinction est personnel et ne profite pas aux complices.
Exception en ce qui concerne l'adultère de la femme 456
§ XXXV. — De la chose jugée. — 213. Notion de la chose jugée. —
214. Questions qui se posent. — 21"). Renvoi de ces questions. ... 461
§ XXXVl. — De l'aninistie. — 210. Elïets de l'amnistie sur Taclion et
sur la condamnation 462
§ XXXVII. — De la prescription de l'action publique. — 217. Con-
ceptions diverses de la prescription. — 21 S. La prescription pénale est
d'ordre public. — 219. Renvoi à un autre uuvrage, en ce qui concerne le
délai, le point de départ de ce délai, le régime de l'interruption et de la
suspension. — 220. Preuve de l'accomplissement de la prescription. 463
678 TABLB ANALTTIQCB
CHAPITRE 11
DK L^EXTINCTION DE L*ACTION CIMLB.
i XXXVIII. - Division. — 221. Deux groupes d'hyp.jthèses 46<^
^ XXXIX. — Extinction de l'action pnbliqaé avec survie de
Faction civile. — 222. Trois séries de situations sont possil«les. —
223. Cfio.se jug^e sur l'îiclion publii^ue. — 22». Du dt^o^s et de TamnisliK
— 22o. De la survivance de Tactiun civile en cas de prescription de Tac-
lion publiï^ue. Difficulté^ 46S
g XL. — Extinction de l'action civile avec sarvie de Faction
publique. — 226. Des truis séries d'hypothèses ftù ce résultat est pos-
sible / 470
LIVRE SECOND
*I>e la preuve en matière criminelle,
TlTRh: PREMIER
DE LA PREUVE CRIMINELLE EN GÉNÉRAL.
i^ XLI. — La question de preuve dans la procédure pénale. —
227. De l'objet de toute procédure pénale au point de vui? de la preure.
— 22H. Vérité et certitudu. — 229. L'œuvre de la procédure leiid à
traiislurnaer un soupçon on certitude. Des trois règles qui domineol la
question «le preuve en matière criminelle 475
^ XLII. — La preuve incombe à Faccusateur. — 230. Dans quel
6i'u< la ciiari^'e d«j la preuve incombe à Taccusateur. De l'application res-
Irririte, en mntiéro répressive, et au point de vue de la preuve, de l'adage :
.refjus e,ccipô'iidt* fit actor. — 231. De la preuve des laits négatifs. Goofu-
SIOII.
■kil
^ XLI II. — Des devoirs du Juge de répression quand laprenvt
n*est pas rapportée. — 232. L'insuffisance de la preuve amène le
renv<ii d'instanco du prévenu. Institutions qui se rattachent à cette situa-
tion. jPeine extraordinaire. Diverses es[)èces d'absolution. Plus aiBsle-
, menl informé. — 233. Ces institutions ont disparu. — 234. De Is'rt^ :
DES UATlèSBS. 679
In duhio pro reo. Critiques faites par l'école posilivisle. Rérorau^s à re-
bours 48i
§ XLI V. — Das cas dans lesquels 11 y a lien de faire la preave
et des faits à prouver. — 235. Dans un proc«'>s civil, quatre condi-
tion? sont ntioessaires pour qu'il y ait lieu <1<^ fa'fe la preuve. Examen du
point de savoir si rhacune d<î ces conditions s'appliqiie au procî'S p(^nal.
— 236. Les faits, m<îino avoués, doiv»*nt êlre i*tahlis en matière pflnale.
En d'autres termes, Tav-u ne dispense pas <le la preuve; il nVst lui-même
qu'un élément d« conviction. — 237. La dispense de preuve en matière
de présomption lt*gale. Rôle eOace des pre'snmplions légales dans la pro-
cédure répressive. — 238. I^ preuve de certains laits peut être interdite.
Vérité des faits dilîanialoiriîs. — 230. De la pertinence des Inits dont on
demande a faire pn*uve dans la procédure pénale. — 2V0. Ew matière de
diffanaation. le prévenu uVsl pas toujours admis à faire la preuve de la
vérité des imputations. Injure. Outrage. — 2U. Distinction, au point de
vue de la dilfamation, entre les faits de la vie privée et les faits de la vie
publique. — 2W. De la preuve dt* moralité. Admissibilité 487
§ XLV. — De la loi qui doit régler l'administration de la
preuve. — 2*3. Double (juestion qui se pose. CoFiflit d'une loi ancienne
et d'une loi nouvelle. Conflit d'une loi étrang«Ve el de la loi française. —
24 K C'est à la loi en vigueur au moment du procès qu'il faut se référer
pour l'admissibilité el la procédure de la preuve. — 2'i'5. La territorialité
de la loi pénale impose aux juges l'obligation d'appliquer en matière de
preuve la loi nationale. — 2lt). liéserve aux deux p<ji'nls do vue précé-
dents, lorsque des questions civiles ou commerciales sont soumises aux
tribunaux de répression 494
TITRE !I
principes généraux sur l\ recherche,
l'administration et la force de la preuve.
§ XLVl. — Des divers systèmes historiques d'organisation
do la preuve. — 2fr7. La pn'uve doit éire considérée à trois points de
vue. — 2t8. De l'évolution historique du système des preuves. Qnatre
phases. — 2i9. Les deux [«riiuiipaux systèmes, «'elui des preuves légales
ei celui «les preuves morales se »ont succédés dans l'Kuro|>e nirnierae. En
qiàoi ils consistent. — 250- Origine du système des preuves légales. —
25i. Quatre m<»des d^» pmives. Division, sgit des preuves du corps du délit,
sott de celles de la culpahilité du délinquant. — 2"»2. Preuve par témoins.
Conditions légales pour que la preuve par témoin soit une preuve com-
plète sous ce régime. — 253. Preuve écrite. — 254. Présomptions. — 255.
680 TABLB ANALYTIQUE
Indices prochains. — 256. Indices .éloignés. — 257. Ce qui caraclérisait
le système des preuves légules dans notre ancienne jurisprudence crimi-
nelle. Nécessité de l'aveu. Interrogatoire. Torture. — 258. Origine du sys-
tènme des preuves de conviction substitué, en France, par l'Assemblée con-
stituante, au système des preuves légales. — 259. La preuve de conviction
est donc née avec le jury, et, à vrai dire, c'est la « preuve par jury».
Inconvénients de la formule qui en a été donnée. Le système des preuves
légales a, presque partout, disparu. Législations anglo -saxonnes. . . 497
§ XL VII. — De la preuve morale ou de conviction. — 26a.
Le régime de la preuve de conviction gouverne toute la procédure ré-
pressive et s*applique aux tribunaux correctionnels ou de police comme
aux cours d'assises. — 201. 11 existe, cependant, en ce qui touche l'adap-
tation de ce régime de preuve, trois diU'érences entre la procédure crimi-
nelle et la procédure correctionnelle ou de police. — 202. La première dif-
férence résulte de ce que les tribunaux correctionnels ou de police doivent
motiver la condamnation ou l'acquittement, c'est-k-dire indiquer les rai-
sons pour lesquelles ils se décident, tandis que la cour d'assises juge, à
cet égard, sans donner de motifs. — 263. La preuve ne dépend pas d*
la nature de la juridiction devant laquelle une question se pose, mais de
la nature de la question elle-même. Exemple pour Tinterdiclion de la
preuve testimoniale. Mais ce qui est vrai des juridictions composées de pro-
fessionnels, ne Test pas du jury. L'article 342 s'applique dans toute son
étendue, quelle que soit la question posée. — 264. Le régime des preuves
de conviction est limité, même en matière répressive, par un certain
nombre d'exceptions. Procès-verbàux qui font foi jusqu'à inscription de
faux ou jusqu'à preuve contraire. Preuve de l'adultère vis-à-vis du com-
plice. — 265. Mais si la preuve n'a pas une valeur morale imposée par la
lui, les règles de son administration sont réglementées. Buts que pour-
suit la loi dans cette réglementation. Pouvoir discrétionnaire du président
de la cour d'assises 515
TITRE III
DE L\ PREUVE EN MATIKRE PENALE ET DE LA PREUVE
EN MATIÈRE CIVILE.
§
XL VI II. — Comparaison entre le régime des preuves an
matière civile et le régime des preuves en matière pénale.
— 2t50. La marche de la preuve neprut pas être la même ea matière pénale
et rn matièro civile. Consé(iuences. — 207. Inadmissibilité de certaÎDes
preuves. Serment. DitVérontes espèces de serments judiciaires. Ce qui sub-
siste du sermenL — 208. Preuve préconstituée de tous faits juridiques en
DES MATIÈRES. 681
matière civile. Preuve de fait en matière pénale. — 269. La preuve est un
ÎDcicIent du procès civil. Elle est le fond môme du procès pénal. Consé-
quences S25
|XLIX. — Delà preuve dans les deoxphases de la procédure pé-
nale.— 270. Au point de vue des conditions, soit d'admission, soit-de recher-
che, soit d'administration des preuves, il faut distinguer, dans la procédure
pénale, la phase préparatoire et la phase définitive de Tinstruction. — 271.
Phase préparatoire, offlcieuse et officielle. — 272. Phase définitive. Ins-
truction orale, pubHque, contradictoire. — 273. Motifs des différences
qui existent dans les deux phases de la procédure. Principales différences.
Transport sur les lieux. Témoignage 531
TITRK IV
DES DIVERS PROCÉDÉS DE PREUVE.
CHAPITRE PREMIER
DES DIVERSES ESPÈCES DE PREUVE.
S L. — De la méthode pour arriver à la découverte de la vé-
rité.— 274. Preuve directe ou inductive. Preuve indirecte ou de raisonne-
ment.— 275. Déduction et induction. — 276. Interversion dans les idées sur
les meilleurs moyens de preuve. Importance acquise par les indices. — 277.
Ce que Ton demande aujourd'hui d'établir. D'abord, la réahto du délit.
Puis, la participation de Tagent. Enfin, satémibililé. Insuffisance, à ce der-
nier point de vue, des anciennes méthodes de preuve. Nécessité de re-
chercher l'identité des criminels. Inventions scientifiques dont ils profitent
et dont la société doit user dans sa lutte contre le crime. — 278. Dans
quelle mesure la phase scientifique de la preuve peut remplacer la phase
sentimentale. Transition 537
§ LI. — De la crixninalistique. — 278. Directions scientifiques en
matière de preuve. CriminaUslique. Police scientifique. Psychologie judi-
ciaire expérimentale. — 279. Le ju^e répressif ne doit pas seulement
connaître la loi pour l'appliquer aux faits, il doit a[)prendre à fixer
ces faits. La criminalistique. — 280. La psychologie légale et ses
deux branches : la psycholoffie du juge et la psychologie du déposant.
Double méthode. Observation. Expérimentation. — 281. La psycho-
logie du juge. Acquisition des matériaux de preuve. Jugement basé
sur ces matériaux. — 282. La psychologie du témoignage. — 283. Le té-
moignage doit être soumis à une triple critique, clinique, pénale, expéri-
mentale. Faux témoignage des aliénés et psychopathes. Faux témoignages
682 TABL& ANALYTIQUE
délictueux. Faux témoignages ioconscieots. — 284. Éléments d*où dépend
la certitude du témoignage. Nécessité pour le juge d*objectiver ces élé-
ments. Science pratique du témoignage. — 385. Caractères du témoi-
gnage. Un certain nombre de thèses à poser. — .286. Dans quelle mesure (m
peut corriger objectivement le témoignage. Conclusions. — Î87. Lapt^
lice scienlifique. Son enseignement. — 288. Identification des criminel?,
soit en rut de l'application des lois sur la récidire, soit en vue des opé-
rations de recherche ou de surveillance des individus suspects. LeBertiliu-
nage. — 289, La photographie scientifique et le portrait parlé. — i90. La
fiche internationale. Difficult»^a 5U
§ LU. — Du olassement des preuve». -* 291. Première classification
des preuves. Preuves directes ou dVvidcnce. Preuves indirectes ou de ni-
sonnemont. — 292. De Tévidence, soit interne, soit externe. — 293. Du
raisonnement et des preuves de raisonnement. — 294. Groupement des
preuves. Expérience personnelle et expertise. Foi au témoignage. Pré-
somptions et indices. — 295. Seconde classification des preuves. Preuve
générique. Preuve spécifique. Quatre catégories de preuves 561
CHAPITRE II
DE l'expérience PERSONNELLE,
i:
LUI. — Du rôle de ilexpérience personnAlle du juge comme
moyen de conviction. — 29&. Le 'juge peut avoir acquis la con-
naissance personnelle des faits du procès, soit dans ses fonctions^ soit en
dehors de ses fonctions. — 297. De la connaissance acquise par le juge en
rlehors de ses fonctions. Pourquoi le juge ne peut en tenir compte. Des
conséquences qui en rt^sultent. Déport du juge. — 298. Du juge téffloin.
Comparaison entre le jury anglais et le jury français. De la nécessitif
pour le juge moderne' de connaître la vie de Tagent, ses antëcèdentSi, son
milieu. Carie biogniphique. — 299. Le juge peut acquérir la coDuais-
sîince des faits dans rexorcico de ses fonctions 567
>; LIV. — Du transport sur les lieux dans la procédure préa-
lable. — 3<)0. Du transport sur les lieux <ians la procédure préalable.
Division. — 301. Flagrant délit et cas assimilés. Concours d'att ributifkns
entro |p procureur de la Képublique, ses auxiliaires et le juge d'instruc-
tion. — 3(12. Quand il y a flagrant d«Hit. Procédure commune au procu-
reur d«' la KéfMihlique et au juge d'instruction. En cas de concours dans
les ciis ordinaires, c*est au juge d'instruction à ordonner et exécoter un
transport. — 303. De la présence de Tinculfxî et de celle de ta partie ci-
vile. — 30». F*roj»»ts de réforme restés en route. — 305. Opérations du
transport. — 306. Des précautions qui doivent Atre prises pour garantir la
DBS MATIÈRES. 683
coDstatation, ia consen-atioD de Tidentité du corps du délit. — 307.. Com-
binaison des prescriptions du Gode d'instruction criminelle et de celles de
k loi du 8 décembre 1897 57a
i LV. — Du transport sur les lieux dans la procédure défini-
tive. — 308. Le Code d'instruction criminelle est muet sur le transport
dans la proc»^dure définitive. Cette mesure peut être ordonnée par juge-
ment et so fait en prtisencc des parties. — 309. Le tribunal peut, au lieu
de se transporter tout entier sur les lieux, commettre un de ses membres.
Tribunaux correctionnels. Cours d'assises. Pouvoirs du président de la
cour d'assises 583
§ LVL — De la technique du transport sur les lieux. ~ 310. De
l'importance des premières constatations faites et du rôle prépondérant du
magistrat instructeur dans la direction de l'affaire. — 311. De l'utilité
(d'une sorte de technique du transport. — 312. Préparation du transport.
— 313. Méthode à suivre sur les lieux. S'assurer d'abord de l'état con-
comitant au crime. — 314. Description. — 315: Recherche des objets
cachés. — 316. Applications praliqpies de cette méthode aux crimes les
plus importants. Renv^oi 587
CHAPITRE III
DE L EXPERTISE.
g LVII — Nature de l'expertise. — 317. Ce qu'est l'expertise. Son
utilité. Ses caractères. — 318. Motifs de la confiance en l'expert. Base
commune de confiance dans l'expertise et le témoipniage. Différences en
ce qui conciTuo la nature Pt le cfiamp d'application de l'expertise et du
témoignage. — 319. De la rosponsabilité de l'expert. — 320. Importance
actuelle du mudo do vériliration par expertise. Ses erreurs. La faillibilité
de l'expert implicjue l'obligation de ne pas donner à son avis le caractère
d'une «Ic'cision. — 321. Absence do réglementation de l'expertise crimi-
nelle. (Question générale de savoir si les règles de l'expertise civile sont
applicables à l'expert isc criminelle. Points communs. Difl'érenros princi-
pales ÎSDO
§ LVHI. — Nomination et choix des experts. — 322. L'expertise
est une mesure d'instruction, soit de la période préparatoire, soit de la pé-
riode définitive de la'procédure. — 323. Dans lapériode préparatoire, exper-
tise, soit en cas de flagrant délit, soit dans les cas ordinaires, soit dans
l'enquête officieuse. — 324. Dans la période définitive, l'expert est com-
mis par la juridiction; tribunaux de police, tribunaux correctionnels, cours
d'assises. Il faut un jugement ou un arrèU En cour d'assises, cependant,
681 TABLE ANALYTIQUE
le président peut commettre un expert en vertu de son pouvoir discrétion-
naire. — 325. Chambre d\iccusation. Président de la cour d'assises dans
les intersessions. ~ 326. Le choix des experts n*est pas limité. Mineurs.
Interdit. Étranger. Femme. — 327. L'ordonnance ou le juj^ement qui
nomme les experts doit préciser les questions à résoudre WS
§ LIX. — Marche de Texpartise. — 328. Absence de toute n^gle pré-
cise dans le Code d'instruction criminelle. Double conséquence qui en ré-
sulte, soit au point de vue de la nomination des experts, soit au poiil
de vue du caractère non contradictoire de l'expertise. — 329. Nombre dei
experts. Pouvoir arbitraire des tribunaux de répression. — 330. Caractère
non contradictoire de l'expertise criminelle. — 331. L'organisation conlfi-
dictoire de l'expertise criminelle est une réforme depuis longtempe demiD-
dée. Comment la réaliser. Difficultés. — 332. Choix de ou des experts.
Liste d'experts \ 6W
§ LX. — Droits et devoirs des experts. — 333. Du serment deseï*
perts. Sa formule. Elle n'est pas sacramentelle, à la différence de lafo^|
mule du serment des témoins et des jurés. — 334. La prestation du se^j
ment et sa constatation régulière sont des conditions de validité det(
(expertise. Ni les magistrats ni les parties ne peuvent dispenser l'expertàj
serment prescrit par la loi. — 335. Le serment doit être prêté araotM
rommencement des opérations et il s'étend à toutes les opérations q«|
l'expert peut avoir à reproduire et à ajouter pendant tout le cours àj
l'affaire. — 336. Le serment ne garantit que les opérations faites dansi
]»hasc de procédure pour laquelle l'expert a été commis. L'expert, appeM
à l'audience, pour rendre compte de ses opérations ou de ses conclusioitfi
[)réte le serment de témoin. — 337. Le président de la cour d'assis*
qui commet un expert, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ne petti
If dispenser du serment en tant qu'il procède comme expert. — 338. Qu*
tiens accessoires sur les droits et devoirs des experts. — 339. Refus W
concours de l'expert. Sanction générale. Sanction spéciale instituée potf]
le refus dos médecins par l'art. 23 de la loi du 30 novembre 1892 sur ^e«^
cice de la médecine. — 340. Honoraires des experts. Tarif. Décret du Si
novembre 1803 en ce qui concerne les médecins Wi|
fjLXI. — Du rapport d'experts. — 3U. Le rapport d'experts compi
dtHix séries d'opérations dont il doit être rendu compte : les constatali^
li»s ronclusions. — 342. Le rapport n'a pas lieu nécessairement par
histiiiction qu'il faut faire. — 343. Aucune règle générale n'est prescriUl
pour la rédar'tion du rapport. Mais cadre pratique. Préambule. Commén»'
rat if. Description. Discussion. Conclusions. — 344. Conseils sur la foifli
«h' rédaction. — 3*5. Les léirislations étrangères tracent quelques réglai
^•'•nérales sur la conduite des opérations et la rédaction du rapport, fia
DES MATIÈRES. 685
LXH. — Foi due à l'expert^pe. » 346. L'expertise ne lie pas le juge.
— 347. Mais si, en droit,le juge est libre de décider conlrairement à l'avis
de Texpert, en fait, il se conformera le plus souvent à son opinion. Des
règles qui conditionnent la valeur morale de l'expertise. — 348. Contrôle
des parties à Taudience. Liberté de discuter les constatations et les con-
clusions 631
LXIJL — Des règles spéciales à certaines estpertises. — 349.
Les expertises portent sur des questions de tout genre. Mais il existe des
expertises spéciales au point de vue des règles auxquelles elles sont sou-
mises. — 350. Des expertises médico-légales. — 351. Du classement de
ces expertises, quant à leur objet matériel et quant à la nature des ques-
tions posées. — 352. Règles spéciales des expertises médico-légales, de-
puis la loi du 30 novembre 1892. Kllcs ne peuvent être confiées qu'à des
docteurs en médecine français. Liste officielle d'experts médecins dressée
annuellement par chaque cour d'appel. Refus d'obtempérer aux réquisi-
tions. Tarif spécial. — 353. Des expertises en écriture. Leur valeur rela-
tive. — 354. La vérification des écritures ne furme pas l'objet d'un titre
spécial dans le Code d'instruction criminelle. C'est donc, en principe, !•*
droit commun qui s'applique. — 355. Mais le Code d'instruction crimi-
nelle s'occupe de l'expertise en matière de faux. Distinction à faire entre
l'expertise en écriture et l'expertise en matière de faux. — 350. Certaines
règles de l'expertise des pièces arguées de faux doivent, par analogie, être
appliquées à l'expertise en écriture. Pièces de comparaison. Saisie et
dépôt des pièces. — 357. Falsification des produits destinés à l'alimenta-
tion de l'homme et des animaux, ainsi qu'au besoin de l'agriculture. Ré-
glementation contradictoire du prélèvement d'échantillons et de l'analyse
chimique. — 358. Des fraudes en matière d'engrais. Origine de lu loi du
4 février 1888. Décret du 10 mai 1889 prescrivant les procédés d'analyse
à suivre pour la détermination des matières fertilisantes des engrais. Prise
d'échantillons en trois exemplaires. Expertise. Contre-expertise. — 359.
Caractères spéciaux de rir»struction dans ce cas. — 360. L'expertise étant
préjudicielle h la poursuite, double question qui se pose. — 301. Des frau-
des dans le commerce du beurre. Loi du 16 avril 1897 et décret du 9 no-
vembre de la même année. Constitution de l'expertise. — 302. Loi du 1*^
août 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises
et des falsifications des denr»»es alimentaires et des produits agricoles.
— 363. L'expertise dans ce cas est double : expertise administrative, ex-
pertise judiciaire. — 364. De la poursuite. L'intéressé renonce h cons-
tater l'expertise contradictoire. — 365. Valeur probulc^ire de l'experliso
contradictoire dans ce cas 633
LXIV. — De la forme des expertises criminelles. — 366. Com-
ment se pose en France la question de réforme des expertises criminelles.
— 367. Constatations qui se dégagent de l'étude comparative des législa-
686 TABLiS ANALYTIQCB.
lions tUmn^irrf^B. — 368. Projet de réforme du (loie d'iostruciion orimi-
nelle françnisde 1879. (Question de rexpertise. Système liè i'experiiàe sur-
veillée.— 369. Proposition Crappi de 1898. Vote de cette proposition par
la Chambre des députés le 30juiD 1899. — 370. La réforme portesuriros
l 'lints : création de listes annuelles d'experts agrét's; FonctionDemect
contradictoire de l'expertise par la dualité et l'^çalité tJes experts ; cm-
tion d'un arbitrage en cas de désaccord. — 371. Celte prop«:»sitinn dt* vi
n'a pas eu pour objet de réglementer l'ensemble des expertises crimineiics
m'«is d'introduire, dans ces expertises, 1p réjrime de la contradicti"n . . *M
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DES MATIEELES
DU PREMIER VOLUME.
BAft-LK-nUC. •-' UirailIBUi: rOHTAllT-IâA.QCXllBB.
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