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Full text of "Traité theórique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale"

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k 


TRAITÉ 

THÉORIQUE  ET  PRATIQUE 

D'INSTRUCTION  CRIMINELLE 


ET 


DE  PROCEDURE  PENALE 


TOME   PREMIER 


^,,B1T-L«,l,j,^ 


TRAITÉ 

THÉORIQUE  ET  PRATIQUE 


BT 


DE  PROGeimBË  PENALE 


PAR 


'   R.    GARRAUD     •< 

AVOCAT  A  LA  COUR  D'APPM. 
PROVX88BDB    DE    DROIT    CRIMIMSL    A    L'UNIVERSITÉ     DE    LYON 


TOME    PREMIER 


LIBRAIRIE 
DE  LA  SOQÉTÉ  DO  RECUEIL  J.-B.  SIRET  k  DO  JOURNAL  DU  PALAIS 

Anoienne  I^^aison    U.  LAROSE  et  JB'ORCEL 

22,  rue  Soufflot,  PARIS,  5*  arrdt 

L.  LAROSE   &  L.  TENIN,  Directeurs 


1907 


n" 


'-W 


THB  KI17  mm 

PUBLIC!?  T.ARy 

■       1951       L 


INTRODUCTION 


Bibliographie  générale.  —  Bouchë-Leclercq,  Manuel  des  institu- 
tions romaines  f  p.  450  et  suiv.  —  Buclière,  Étude  pratique  sur  Vinstruction 
et  la  procédure  criminelles  en  France^  et  en  Angleterre,  1860,  in-8».  —  De- 
tourhet,  La  procédure  criminelle  au  XYit*  siècle^  1881,  in-8«. —  Duboys,  His- 
toire du  droit  criminel  de  la  France,  2  vol.  in-8",  1874.  —  Kômein,  Histoire 
de  la  procédure  criminelle  en  France,  iHS2,  in-8".  —  Fauslin  Hélie,  Traité 
de  rinstruction  criminelle,  2*  éd.,  1866-67,  8  vol.  in-8®(Le  premier  volume 
est  entièrement  consacré  à  l'histoire  de  la  procédure  criminelle).  —  Lewis, 
De  la  procédure  criminelle  en  France  et  en  Angleterre,  1882,  in-8®.  —  Marcy, 
Uaccnsé  devant  la  loi  pénale  en  France,  1891,  2  vol.  in-8*.  —  Maury,  La 
législation  criminelle  sous  l'ancien  régime.  La  procédure  {Revtte  des  Deux- 
Mondes,  1877,  t.  III,  p.  241-278).  —  Mispoulet,  Les  institutions  politiques 
des  Humains,  t.  II,  p.  521  «t  suiv,  —  Mittermaier,  Traité  de  la  procédure 
criminelle,  en  Angleterre,  en  Ecosse  et  dans  VAmériquc  du  Nord,  traduit 
par  ChauiTard,  1868,  in-8®.  —  Munier-Jolain,  L'instruction  criminelle  tn- 
quisitoriale  et  secrète,  1880,  1  vol.  in-18«.  —  Holand,  De  Vesprit  du  droit 
criminel  aux  différentes  époques,  1880,  1  vol.  in-8*. 


O.  P.  P.  -  1.  1 


INTUODUCTION 


§    I.    —  DE   L  OBJET    DE    LA  PROCÉDURE  PÉNALE 

1.  La  procédure  pénale  a  un  double  objiH  :  organiser  les  autorités  cliar^é'^s  de 
la  répression,  leur  tracer  la  marche  À  suivre  dans  ce  but.  Elle  t-st  insépaniblc 
du  fond  du  droit.  —  2-  Les  lois  de  procédure  sont  deslinéps  h  régulaiiser  lu 
n-action  individuelle  et  sociale  que  provoque  iVictidn  criminelle.  —  3.  Dans 
révolulioD  de  la  procédure  pénale,  il  faut  tenir  compte  de  l'organisation  du  [nm- 
voir  politique  et  des  croyances  du  groupe  social.  —  4.  Analogies  apparentes  et 
diïT»*ri-nc»»s  substantielles  entre  la  procédure  pénale  et  la  procédure  civile.  — 
5.  «.Qualités  d'une  bohuc  procédurt^  pénale  :  simplicité,  céltrité,  é({uité.  —  6.  Con- 
c»*pLs  >;énéraux  autour  desquels  se  groupent  les  règles  de  la  procédure  pénale  : 
aeiion,  preuve,  ordre  judiciaire,  rite,  exécution. 

i .  Le  droit  social  de  punir  ne  s'exerce  régulièrement  qu'a- 
près  un  jugement  déclarant  la  culpabilité  et  prononçant  la 
peine.  D'où  la  nécessité,  pour  tout  groupe  social  autonome  : 
1*  de  créer  des  organismes,  auxquels  seront  confiées  les  di- 
verses missions  que  supposent  le  prononcé  du  jugement  et 
son    exécution;  2*  de  leur  tracer,  à  Tavance,  la  marche  à 
suivre  pour  atteindre  ces  résultats.  Par  suite,  le  double  objet 
des  lois  de  procédure  consiste  à  organiser  les  autorités  péna- 
les et  à  réglementer  leur  fonctionnement.  Dans  le  domaine 
de  la  pénalité,  les  lois  de  forme  sont  inséparables  des  lois  de 
fond,   car  toute  répression,  c'est-à-dire  toute  tnise  en  œuvre 
des  lois  pénales,  implique  un  procès  et  un  jugement  prérrla- 
blés  '.  Le  droit  pénal,  c*espt  le  droit  de  punir  à  létat  statique; 

5  I.  *   Le  droit  civil,  au  contraire,  a  une  vie   et  une  force  indépendantes 
du  procès  destiné  à  le  faire  reconnaître  et  à  le  faire  respecter  lorsqu'il  est 


4  PROCEDURE  PENALE.  —  INTRODUCTION. 

la  procédure,  c'est  ledroil  de  punira  Vétat  dynamique,  el c'est 
toujours  sous  ce  second  aspect,  que  se  présente  la  répression 
et  qu'elle  se  légitime. 

La  procédure  a  donc  ici  une  importance  égale  à  celle  du 
droil;  elle  a  même,  à  certains  points  de  vue,  plus  d'impor- 
tance, car  si  on  a  vu  des  peuples,  avec  un  bon  système  d'or- 
ganisalion  judiciaire  et  de  procédure,  corriger  les  inconvé- 
nients d'un  système  d'incrimination  défectueux,  le  phéno- 
mène inverse  ne  s'est  jamais  rencontré'.  L'idéal  que  tout  Code 
de  procédure  tend  à  réaliser,  c'est  la  conciliation  de  deux 
intérêts,  en  apparence  contraires  :  celui  de  la  collectivité^ 
exigeant  qu'aucun  coupable  ne  puisse  échapper  à  un  châti- 
ment rapide  et  presque  immédiat  [impunitum  non  relinqui 
facinus);  celui  de  Vindividu,  exigeant  un  examen  impartial 
et  approfondi  de  la  culpabilité  i^innocentem  non  condem- 
nari). 

La  conciliation  de  l'intérêt  individuel  et  de  l'intérêt  social 
est,  ici  comme  partout,  l'éternel  problème  que  toute  civilisa- 
tion juridique  s'efforce  de  résoudre.  S'il  est  vrai,  comme  l'a 
dit  Montesquieu,  que  les  règles  à  suivre,  dans  les  jugements 
criminels,  «  intéressent  le  genre  humain  plus  qu'aucune 
«  chose  qu'il  y  ait  au  monde'  »,  un  pays,  dont  la  procédure 
pénale  est  défectueuse,  doit  être  profondément  troublé  dans 
sa  vie  quotidienne;  car  si  nous  pouvons,  pour  la  plupart, être 
certains  de  ne  pas  violer  la  loi  pénale,  aucun  de  nous  ne  peut 

viole.  Le  proc»»s  civil  est  un  accident,  heureusement  rare,  dans  la  vie  juri- 
dique d'un  propriétaire,  d*un  créancier,  d'un  époux,  etc.  Dans  le  domaine 
de  la  pénalité,  au  contraire,  il  est  vrai  de  dire  que  le  droit  est  la  substance, 
la  procédure  est  la  forme,  et  on  ne  saurait  pas  plus  concevoir  une  substance 
sans  forme,  qu'une  forme  sans  substance. 

-  Voy.  Ortolan,  Éléments,  t.  2,  n®  i936.  Sur  l'importance  comparée 
du  droit  pénal  et  de  la  procédure,  Ortolan,  Cours  de  législ,  pén.  comp., 
Intr.  phil.^  p.  77  à  81  (excellents  développements',  Adde,  Carrara,  Il  diritto 
pénale  e  la  procedura  pénale  {Opuscoli  di  diritto,  t.  5,  p.  60. 

^  On  sait  ce  que  Montesquieu  a  dit  de  la  procédure  pénale  :  «  Dans  un 
pays  qui  aurait  là-dessus  les  meilleures  lois  possibles,  un  homme  à  qui  on 
ferait  son  procès,  et  qui  devrait  être  pendu  le  lendemain,  serait  plus  libre 
qu'un  pacha  ne  l'est  en  Turquie  ».  Esprit  des  lois,  liv.  XII,  chap.  II. 


OBJET    DE   LÀ    PROCÉDURE   PENALE.  5 

avoir  Tassurance  qu'il  ne  sera  pas  injustement  poursuivie 
L'idéal  qu'il  faut  poursuivre,  sans  espérer  pouvoir  Taileindre, 
mais  CQ  s'en  rapprochant  davantage  à  chaque  étape  de  la  ci  - 
vih'salion  juridique,  c'est  de  tendre  toutes  les  règles  de  la  pro- 
cédure vers  un  but  unique,  la  recherche  de  la  vérité  dans  le 
droit  et  par  le  droit. 

2.  Les  lois  de  la  procédure  ont  pour  caractère  essentiel 
de  féyulariser  les  réactions  indiciduellrs  rt  sociales  que  pro- 
voque toute  action  criminelle'.  Elles  supposent  déjà  un  état 
de  civilisation  dans  lequel  Tindividu  et  la  collectivité  ont  re- 
noncé à  se  faire  directement  et  innnêdiatonent  justice.  Le 
lynchage  du  criminel  est  un  procédé  des  sociétés  primitives, 
un  retour  à  la  barbarie  des  sociétés  civilisées'  :  les  groupes 
sociaux  régressent,  en  effet,  comme  ils  progressent  suivant  des 
lois  nécessaires,  les  mêmes  conditions  déterminant  les  mêmes 
phénomènes.  Un  Code  de  procédure  est  donc  un  fait  de  civi- 
lisation :  il  marque  une  étape  dans  la  voie  du  progrès. 

3.  Si  le  droit  pénal  reflète  les  idées  qui  donnent  à  un  état 


4 


Ferri,  Sociologia  criminale,  n"  79,  p.  777  (+«  éd.;.  Le  Code  pénal  a  été 
appelé  quelquefois  le  Code  des  malfaiteurs,  tandis  que  le  Code  de  procé- 
dure pénale  a  été  appelé  le  Code  des  honmHes  f/ens,  L*un  est  un  instru- 
ment de  défense  sociale  contre  les  criminels;  l'autre  doit  être  un  moyen  de 
garantie  individuelle  pour  les  autres.  Avant  Ferri,  Garrara,  //  diritto  pe- 
nde e  la  procedum  pénale  (Opuscoli  di  divitto^  t.  5,  p.  19),  avait  dit  : 
'•  Ui'ito  pénale  a  dunque  la  saliaynardia  dei  galantuoml  ».  Voy.  Emma- 
Dual'?  Carnavale,  Idéale  giurUlico  délia  proredura  pénale  (Rivista  pénale^ 
1903,  p.  92). 

'  Tarde^  Philosophie  pénale,  p.  420  :  «  La  vie  sociale  n'est  qu'un  entrela- 
cement et  un  tissu  de  ces  deux  ordres  de  faits  :  la  production  ou  l'échange 
de  services,  la  production  ou  l'échange  de  préjudices.  L'hommt;  est  né 
reconnaissant  et  vindicatif,  porté  à  rendr'e  don  pour  don,  coup  pour  coup, 
comme  fait  Tenfant,  et  les  progrès  de  la  civilisation  ont  consisté  non  à  déna- 
turer, mais  à  régulariser,  à  généraliser,  à  faciliter  les  manifestations  de  ces 
lieux  penchants  ». 

•  La  procédure  sommaire,  telle  que  notre  procédure  en  cas  de  llagrant 
délit,  t»st  une  régularisation,  en  même  temps  qu'une  image,  de  ces  proctdés 
des  sociétés  primitives. 


6  PROCEDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

social  sa  physionomie  et  son  caraclcre,  s'il  évolue  d'après  une 
courbe  parallèle  à  cel  état  social,  d'une  part,  Torganisalion  des 
•  juridictions  se  constitue  et  se  modèle  sur  l'organisation  du 
pouvoir  politique,  et,  d'autre  part,  les  procédés  qui  ont  pour 
objet  de  rechercher  Tauteur  d'un  crime  et  de  démontrer  sa 
culpabilité,  empruntent  leur  caraclère  aux  croyances  de  cha- 
que groupe  social  et  à  la  foi  fondamentale  qui  l'anime^. 
Comme  on  l'a  dit  très  exactement  en  effet  :  «  Les  mœurs  et 
<'  la  culture  d'un  peuple  se  lisent  dans  sa  procédure*  ». 

4.  Bien  que,  à  certains  points  de  vue,  les  formes  de  la  pro- 
cédure civile  paraissent  être  semblables  à  celles  de  la  procé- 
dure pénale,  bien  que,  à  l'origine  des  civilisations  juridiques, 
la  procédure  pénale  et  la  procédure  civile  n'aient  pas  été  plus 
distinctes  que  ne  Tétaient  le  droit  pénal  et  le  droit  civil,  les 
analogies  entre  ces  deux  procédures  ne  sont  qu'apparentes 
et  les  différences  substantielles,  a)  La  procédure  civile  est 
instituée  et  organisée  dans  un  intérêt  principalement  privé; 
la  procédure  pénale,  dans  un  intérêt  principalement  public. 
b)  Le  procès  civil  ne  peut  être  jugé  de  la  même  manière  que 
le  procès  pénal.  Le  premier  porte  sur  une  question  de  droit  et 
de  fait,  sur  une  espèce,  comme  on  dit  au  palais,  qui  peut  être 
résolue  et  qui  doit  même  l'être,  presque  toujours,  en  faisant 
abstraction  de  V individualité  Ai^%  plaideurs.  Le  procès  pénal 
impliquant  essentiellement  l'examen  de  la  culpabilité,  la 
procédure  est  dirigée  constamment  et* exclusivement  contre 
un     individu    déterminé,    Vineidpé.    Ce    côté   subjectif   du 

'  Ainsi  que  le  remarque  Ortolan,  Éléments,  t.  2,  n**  1936  :  «  La  juridic- 
tion n'est  autre  chose  qu'une  partie  de  la  puissance  sociale  organisée,  liée 
par  consr^quent  nu  droit  politique,  tournant  dans  l'orbite  des  constitutions, 
tandis  que  la  proc^^durp  tourne  à  son  tour  dans  celle  des  juridictions  ».  Mais 
il  est  un  éMmenl  dont  Ortolan  ne  tient  pas  compte,  c'est  que  la  procédure  cri- 
minelle a  pnur  objet  de  résoudre  une  double  énigme  :1a  recherche  de  l'auteur 
d'un  crime  et  la  démonstration  de  sa  culpabilité.  Or,  dans  son  rapport  avec  la 
preuve,  la  procédure  retlète  la  foi  fondamentale  qui  anime  le  groupe  social, 
sa  croyance  la  plus  universelle  et  la  plus  indiscutée.  Voy.  sur  ce  point  : 
Tarde,  Philosophie  pénale,  p.  425. 

■  Paul  Viollet,  Les  établissements  de  saint  Louis,  1881,  t,   1,  p.  179. 


OBJET   DB  LA  PROCKDURB  PENALE.  7 

procès  pénal,  par  opposition  au  côté  objectif  du  procès  civil, 
nous  paraît  être  la  diiïcrence  la  plus  caractéristique  entre  les 
deui  procédures,  celle  qui  motiverait  l'emploi  de  deux  per* 
sonoels  judiciaires  distincts,  et  la  séparation  absolue  de  la 
justice  civile  et  de  la  justice  pénale*.  Le  juge  répressif  doit 
cire  un  psychologue  et  un  sociologue  :  il  suffit,  la  plupart 
(lu  temps,  au  juge  civil,  d'être  un  légiste,  c)  L'exécution  du 
jugement  civil  appartient  à  la  partie  qui  Ta  obtenu  :  elle  se 
fait  principalement  sur  le  patrimoine^  sans  coercition  directe, 
\is-a-vis  de  la  personne.  L'exécution  du  jugement  pénal 
appartient  à  l'État  :  elle  suppose  toujours  une  astreinte  per- 
sonnelle. Le  procès  pénal  n'est  donc  qu'un  incident  préa- 
lable dans  l'exercice  du  droit  de  punir,  et  le  jugement 
qui  le  termine  n'a  son  importance  et  sa  fonction  que  dans 
l'acte  même  d'exécution.  La  peine  prononcée  ne  tire,  en  effet, 
sa  valeur  réelle  que  du  système  pénitentiaire,  organisé  pour 
la  subir.  La  question  d'exécution  pénale  domine  donc,  par  son 
importance,  toute  autre  question  :  elle  est,  au  point  de  vue 
delà  lutte  contre  le  crime  par  les  moyens  répressifs,  le  pro- 
blème vers  lequel  lout  converge  et  auquel  tout  aboutit.  Aussi 
l'eiécution  du  jugement  pénal  n'est  pas  une  question  de  pro- 
cédure, comme  l'exécution  du  jugement  civil  :  elle  fait  partie 
intégrante  du  droit  pénal,  dont  le  droit  pénitentiaire  n'est 
qu'un  des  aspects.  Et  comme  «  les  tribunaux  répressifs  et 
«  l'administration  pénitentiaire  concourent  au  même  but  et 
"  que  la  condamnation  ne  vaut  que  par  son  mode  d'exécution, 
«  la  séparation  consacrée  par  notre  droit  moderne  entre  la 
«  fonction  répressive  et  la  fonction  pénitefitiaire  est  irration- 
«  nelle  et  nuisible'^  ». 


•  L'école  positiviste  a  mis  particulièrement  en  relief  ce  point  de  vue.  Nous 
verruns  quelles  conséquences  doivent  en  résulter,  particulièrement  lorsque 
nous  critiquerons  Turiiié  de  la  justice  pénale  et  de  la  justice  civile  sur  la- 
quelle repose  notre  organisation  judiciaire.  Voy.  Ferri,  Sociologia  onmi" 
mie,  n«*  79  à  S4,  p.  777  à  826  {4«  édit.);  Garofalo,  Criminologia,  p.  387 
à  307. 

1^  C'est  la  formule  même,  d'un  article  du  premier  programme  de  V Union 
inteinationalc  du  droit  pénal,  II,  §  5.  On  sait  que  Tun  des  moyens  préco-^ 


8  PROCEDURE  PENALE.  —  INTRODUCTION. 

5.  Les  quaUtés  idéales  d'une  loi  de  procédure  sont  :  la  sim- 
plicitéj  la  rapidité,  V équité.  L'organisation  de  la  procédure 
doit  être  d'autant  plus  simple  que  sont  simples  les  règles  de 
la  logique  auxquelles  elle  correspond.  La  célérité  est  une  qua- 
lité qui  est  la  conséquence  de  la  simplicité.  En  cas  de  con- 
damnation, plus  la  peine  est  voisine  du  délit,  plus  la  répres- 
sion est  efficace  et  exemplaire.  En  cas  d'acquittement,  plus 
la  procédure  est  expéditive,  moins  le  procès  est  dommageable 
pour  l'innocent.  D'ailleurs,  les  lenleurs,  dans  la  •marche  du 
procès,  sont  une  des  causes  principales  des  insuccès  judiciai- 
res. Les  lenteurs  dépendent,  en  partie,  des  lois,  en  partie, 
des  hommes  :  à  ce  point  de  vue  même,  les  lois  peuvent  exer- 
cer une  salutaire  influence  par  leurs  prescriptions  et  leurs 
exigences.  Mais  la  simplification  et  la  célérité  ne  sauraient 
être  recherchées  ni  acquises  au  dépens  de  la  justice^  qui  est 
ici  réalisée  par  l'équilibre  entre  les  deux  intérêts  fondamen- 
taux delà  procédure,  équilibre  sans  lequel  on  ne  peut  attein- 
dre les  fins  pour  lesquelles  la  procédure  est  instituée. 

6.  La  marche  naturelle  du  procès  pénal  implique  l'étude 
de  questions  nombreuses  qu'on  peut  grouper  sous  les  idées 
ou  conceptions  suivantes  : 

a)  L'idée  de  Vaction,  c'est-à-dire  de  l'activité  qui  va  mettre 
en  mouvement  la  machine  judiciaire  et  lui  donner,  jusqu'au 
jugement,  l'impulsion  et  la  direction.  En  effet,  le  pouvoir  de 
juger  ne  s'exerce  pas  d'office  :  pour  être  appelé  à  trancher 
une  question,  il  faut  d'abord  qu'elle  vous  soit  posée.  Il  est 
donc  de  règle,  dans  l'organisation  judiciaire  moderne,  que  le 
juge  ne  soit  appelé  à  statuer  que  s'il  est  saisi  et  dans  la  mesure 
où  il  est  saisi.  Cette  nécessité  de  Texercice  d'une  action^  pour 
mettre  en   mouvement  le    mécanisme  judiciaire,   implique 

nisés  dans  ce  but  est  le  rattachement  de  rAdministration  pc^nitentiaire  au 
ministère  de  la  justice.  Voy.  sur  cette  question  :  Institutions  pénitentiaires 
de  la  France  en  1S95,  p.  461  à  463;  d'Hausson ville,  Les  établissements  pé- 
nitentiaires (le  la  France,  p.  33  et  suiv.;  Magnol,  De  rAdministration  péni- 
tentiaire dans  ses  rapports  avec  rautorité  judiciaire  et  de  son  rattache- 
ment  au  ministère  de  la  justice  (Th.  doct.,  Toulouse,  1901). 


OBJET  DE  LA  PROCÉDURE  PENALE.  9 

m 

Texislence  d'agents  et  de  procédés  de  poursuite.  Le  premier 
objet  de  la  procédure  pénale  est  d'en  régler  l'organisation  et 
le  fonctionnement. 

b)  L'idée  de  V instruction  et  de  la  pr^euve,  c'est-à-dire  des 
procédés  qui  seront  employés  pour  rechercher  les  délits  et  les 
délinquants  et  pour  convaincre  le  juge  de  la  culpabilité  de 
l'accusé.  C'est  le  fond  même  de  la  procédure  pén.ale,  dont 
toutes  les  règles  sont  dirigées  vers  ce  but  :  obtenir,  par  des 
moyens  légaux,  la  découverte  des  crimes  et  la  punition  des 
criminels.  De  la  bonne  ou  de  la  mauvaise  organisation  de  ces 
rèffles,  dépend,  avant  tout,  la  sécurité  de  la  société  comme 
celle  de  l'individu. 

c)  L'idée  de  Vordrc  judiciaire^  c'est-à-dire  de  l'organisation 
et  du  fonctionnement  des  diverses  autorités  qui  concourent 
à  la  répression.  Cet  ordre  est  partout  en  rapport  avec  Torga- 
nisation  politique  dont  la  justice  est  un  élément. 

d)  L'idée  de  la  procédure  ou  du   rite^  c'est-à-dire  de   la 
marche  à  suivre  et  des  formalités  à  remplir  pour  obtenir,  ce 
qui  est  le  dernier  mol  du   procès  pénal,  un  jugement  défi- 
nitif et  irrévocable.  La  forme ^  si  critiquée  ailleurs,  est,  ici, 
la  garantie  nécessaire  de  l'individu.  Mais  il  ne  faut  pas  que  la 
loi  sème  la  marche  du  procès  de  chausse-trapes  et  d'embû- 
ches et  permette  ainsi,  à  tout  inculpé,  de  se  réfugier  dans  le 
naaquis  de  la  procédure  pour  éviter  ou  tout  au  moins  retarder 
le  châtiment  qui  doit  le  frapper.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il 
appartient  au  législateur  de  garantir,  dans  les  formes  mêmes 
du  procès,  les  principes  de  la  libre  et  publique  défense,  sans 
oublier  l'intérêt  social  qui  exige  la  punition  de  tout  délin- 
quant. 

é)  L'idée  de  Vexécution,  c'est-à-dire  de  la  manière  dont  le 
jugement  doit  sortir  effet  en  cas  d'acquittement  comme  en 
cas  de  condamnation.  Mais  il  faut  observer  que  les  consé- 
quences de  la  chose  jugée  sont  plutôt  du  domaine  du  droit 
pénal  que  du  domaine  de  la  procédure  pénale,  soit  qu'il 
s'agisse  de  déterminer  quels  sont  les  effets  d'un  acquitte- 
ment, soit  qu'il  s'agisse  de  faire  exécuter  une  condamnation. 


10  PROCÉDURE   PÉNALE.   —   INTRODUCTION. 


§  II.  -  LES  DIVERS  TYPES  DE  PROCÉDURE  PÉNALE. 

7.  Des  trois  type?*  de  procédure  pénale.  —  8.  De  la  procédure  accuaatolre.  Ses 
deux  caractères  principaux.  —  9.  L'accusation.  Par  qui  elle  est  exercée.  —  10. 
I^  juge  est  un  arbitre  de  combat.  Double  conséquence.  Institution  des  juridictions 
populaires.  Absence  d'une  procédure  par  défaut,  —  11.  L'instruction  dans  le 
système  accgsatoire.  —  12.  Procédés  pour  rechercher  l'auteur  d'un  crime  et  le 
convaincre.  Le  llaj^rant  déli*.  Les  cojureurs.  Les  ordalies.  La  preuve  par  la  ba- 
taille. —  13.  Champ  d'action  du  système  accusatoire  dans  le  temps  et  l'espace. 
L'Angleterre  est  restée,  dans  les  temps  modernes,  le  conservatoire  de  cette,  pro- 
cédure. —  14.  De  la  procédure  inquisitoire.  ^  15.  Ses  caractères  principaux.  — 
16.  Le  juge  est  un  délégué  du  pouvoir,  officier  de  justice  et  fonctionnaire  per- 
manent. —  17.  Linquisition.  —  18.   La    torture.  Son  origine.  Son  extension. #— 

19.  Double  conlrepoids  aux   pouvoirs  du  juge.  L'appel.  Los  preuves  légales.  — 

20.  Le  système  inquisitoire  dans  le  temps  et  dans  l'espace.  —  21.  Avantages  et 
inconvénients  des  deux  systèmes  de  procédure,  accusatoire  et  inquisitoire.  Sys- 
tème mixte.  —  22.  Ce  qui  le  caractérise.  —  23.  Son  évolution. 

7.  L'histoire  de  la  civilisation  présente,  au  point  de  vue  de 
Torganisation  et  de  la  procédure  répressives,  un  nombre  li- 
mité de  combinaisons;  elles  naissent  successivement,  dans  un 
ordre  historique  qui  correspond  assez  exactement  à  Tordre 
logique  de  leur  apparition.  On  dislingue,  en  effet,  trois  types 
fondamentaux  de  procédure  :  le  type  accusatoire^  le  type 
inquisitoire,  le  type  mixte.  Chez  presque  tous  les  peuples,  le 
droit  criminel  est  parti  de  la  procédure  accusatoire  pour  abou- 
tir à  la  procédure  inquisitoire  ^  Mais  une  évolution  en  sens 
inverse  se  dessine  :  partout,  on  tend  à  rétablir,  les  garanties 
essenlielles  du  système  accusatoire,  la  publicité  et  la  contra^ 
diction,  La  seule  institution  du  système  inquisitoire  qui  ait 
défié  les  critiques  et  qui  soit  plus  puissante  et  plus  générale 
que  jamais  est  celle  du  pnnistère  public. 

§  IL  *  Les  droits  primitifs  ont  donné  à  la  procédure  la  figure  efToctive 
d'un  combat.  Comme  toujours,  ce  qui  devient  simulacre  commença  par  être 
une  réalité,  et  il  n'est  nullement  téméraire  d'affirmer  que  les  premiers  moyens 
des  plaideurs  furent  ce  que  sont  encore  aujourd'hui  les  derniers  arguments 
des  peuples,  c'est-à-dire  des  coups.  Voy.  Beaudouin,  La  participation  des 
hommes  libres  an  jugement  dans  le  droit  français  {Rcv.  histor.  du  droite 
1887-1888,  p.  246  à  279);  Ihering,  Esprit  du  droit  romain,  t.  I,  p.  122, 
noie  33. 


DIVERS   TYPES   DE   PROCÉDURE  PÉNALE.  11 

8.  Le  système  accusaloire  a  deux  caratères  priacipaux.  Il 
correspond  à  la  notion  élémentaire  du  procès  pénal  qui  n'est, 
tout  d*abord,  qu*un  combat  simulé  entre  deux  adversaires, 
combat  auquel  le  juge  met  fin  en  donnant  tort  à  Tun  ou  à 
l'autre.  Il  implique,  au  début,  la  confusion  des  deux  procé- 
dures, pénale  et  civile,  lesquelles,  engagées  Tune  et  Tautre 
par  action  privée,  se  déroulent  primitivement,  dans  les  mêmes 
formes,  devant  les  mêmes  juges  et  tendent  à  obtenir  les  mêmes 
satisfactions.  Peu  à  peu,  sans  doute,  Topposition  des  objets 
réclamés,  amène,  malgré  Tidenlité  des  parties  engagées  dans 
l'instance,  la  séparation  graduelle  entre  les  procédés  de  Tin- 
slaoce  pénale  et  ceux  de  Tinstance  civile.  Mais  dans, le  sys- 
tème accusatoire,  la  différence  entre  ces  deux  procès  n'est 
jamais  absolue  et  il  y  a  réaction  incessante  de  la  peine  sur 
Findemnité  et  deTindemnitésur  la  peine. 

Voici  quels  sont  les  principes  qui  forment  le  fond  de  ce  sys- 
tème de  procédure. 

9.  L'accusation  est  librement  exercée  partout  citoyen,  mais 
il  o'y  a  pas  de  procès  pénal  sans  un  accusateur  qui  en  prend 
riniliative  et  la  responsabilité.  A  ce  point  de  vue,  du  reste,  la 
mise  en  marche  de  la  procédure  appartient,  tout  d'abord,  h, 
la  partie  lésée;  plus  tard,  quand  le  besoin  et  Tintérêl  social  de 
la  répression  se  fontsentir  et  que  le  droit  pénal  se  détache  du 
droit  privé,  on  reconnaît,  à  tout  membre  du  groupe  dont  fait 
partie  la    victime,  la  faculté  de  commencer  la  poursuite  au 
nom  de  la  collectivité.  C'est  le  système  de  l'accusation  popu- 
laire. On  comprend  ainsi,  arrivé  à  cette  période  de  la  civilisa- 
tion juridique,  que  l'accusation  est  une  fonction  sociale;  mais 
on  ne  crée  pas,  pour  l'exercer,  des  organismes  permanents  et 
officiels.  Cette  évolution  des  conceptions  juridiques  estle  point 
de  départ  de  laséparalion  qui  ira,  grandissante,  entre  les  procé- 
dures pénale  et  civile.  Dans  les   procès  criminels,  la  société 
parait  intéressée  à  les  intenter  et  à  les  poursuivre.  Il  n'est 
pas  au  pouvoir  de  la  victime  d'un  délit  ou  de  ses  concitoyens, 
sans  le  secours  de  la  force  publique^  d'empêcher  que  le  mal- 
faiteur, enhardi  par  Timpunité,  ne  commette  bientôt  de  noa- 


12  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

Teaux  crimes.   L'exercice  de  l'action  sociale  ou  publique  se 
justifie  donc  en  matière  criminelle  :  mais  il  serait  inefficaceL 
ou  excessif  en  matière  civile.  Sans  doute,  il  peut  être  utile,  au 
point  de  vue  social,  que    la  propriété  soit  respectée,  les  con- 
trats maintenus,  les  préjudices  réparés.  Mais  le  moyen  le  plus 
sûr,  pour  atteindre  ce  résultat,  est  de  laisser  la  liberté  aux 
particuliers  en  leur  donnant  accès  devant  les  tribunaux  pour 
y  débattre  et  y  faire  reconnaître  leur  droit  *.  L'action  civile  est 
donc  exercée  au  nom  de  rinlérêt  privé;  l'action  pénale,  au 
nom  de  l'intérêt  public.  Dans  l'une,  l'initiative  du  procès  doit 
appartenir  exclusivement  à  la  partie  qui  se   plaint  d'un  tort 
personnel;  dans  l'autre,  au  représentant  de  l'intérêt  général. 
Celte  distinction  devient  fondamentale  dans  tout  système  de 
procédure.  Le  jour  où  cette  évolution  est  accomplie,  la  procé- 
dure criminelle  présente  les  caractères  suivants  :  —  Recherchi^ 
et  poursuite  des  faits  [délictueux  par  les  représentants  de  la. 
société;  —  Jugement  par  les  représentants  de  la  société;  — 
Peine  publique. 

Mais,  avant  d'aboutir  à  cette  conception,  qui  est  celle  des 
peuples  civilisés,  bien  des  étapes  sont  successivement  par- 
courues. 

10.  Les  coutumes  primitives  ont  un  minimum  d'e:!Ligence 
et  d'idéal  :  elles  se  contentent  d'éviter,  dans  la  mesure  du 
possible,  le  recours  à  la  force  brutale.  Elles  se  considèrent 
comme  ayant  remporté  une  grande  victoire  sur  l'instinct  de 
la  vengeance  individuelle,  quand  elles  ont  imposé  à  l'offensé 
l'obligation  de  respecler  certaines  formes  et  certains  délais 
dans  Texercice  de  son  droite  et  l'ont  contraint,  en  cas  de  doute, 
à  se  soumettre  à  un  arbitrage'.  C'est  que,  en  effet,  le  juge 
est,  à  l'origine,  un  arbitre  de  combat;  il  doit  être  choisi  ou, 
tout  ou  moins,  accepté  par  les  deux  parties.  Aussi,  retrouve- 
t-on,  chez  presque  tous  les  peuples  qui  pratiquent  le  système 

2  La  difTérence  entre  le  procès  pénal  et  le  procès  civil,  à  ce  point  de  vue, 
a  éié  bien  mise  en  relief  par  Tarde,  Philosophie  pénale,  p.  422  et  423. 
•  Summer  Maine,  De  la  codification  iVaprès  les  idées  antiques,  p.  13. 


DIVERS  TYPES   DE   PROCEDURE   PENALE.  13 

accusatoire,  soit  le   principe  du  jugement  par  les  pairs  de 
l'accusé,  soit  l'absence  d'une  procédure  par  défaut. 

La  première  institution,  le  jugement  par  les  pairs  de 
l'accusé,  par  les  hommes  de  sa  tribu  et  de  sa  race,  a  toujours 
élé  considérée,  dans  les  sociétés  primitives,  comme  la  meil- 
leure garantie  d'une  justice  impartiale;  elle  porte  le  procès 
devant  des  arbitres,  sans  prévention,  qui  le  jugeront  souverai- 
nement, sous  la  seule  inspiration  de  leur  raison  et  de  leur 
conscience.  Des  deu\  questions  de  fait  qui  se  posent  dans  le 
procès  pénal,  l'une,  la  question  de  savoir  si  l'accusé  est  Fau- 
teur du  crime,  a  le  caractère  d'une  question  de  conviction, 
l'autre,  celle  de  savoir  dans  quelle  mesure  Taccusé  en  est 
moralement  responsable,  est  une  question  de  dosage  de  cul- 
pabilité :  des  juges  populaires  sont  en  état  de  les  résoudre 
l'une  et  Tautre.  La  solution  de  ces  questions  n'exige  pas,  en 
effet,  des  connaissances  juridiques  spéciales. 

La  nécessité  de  la  présence  des  parlies  dérive,  à  l'origine, 
du  caractère  même  du  procès^  qui  est  une  lutte  simulée  :  tout 
combat  suppose,  en  eiïet,  la  présence  de  deux  combattants. 
Peu  importe  qu'il  n'j  ait  plus  qu'un  symbole.  La  forme  l'em- 
porte sur  le  fond.  Plus  tard,  une  autre  idée  se  mêle  à  la 
première  et  donne,  à  cette  règle  des  droits  primitifs,  une 
nou%'elIe  justification  :  le  juge  est  un  arbitre,  il  doit  être 
accepté,  tout  au  moins  tacitement^  pour  être  régulièrement 
constitué  dans  son  pouvoir.  La  grande  préoccupatiou  à  cette 
époque,  c'est  de  contraindre  l'accusé  à  subir  le  jugement  : 
la  mise  hors  la  loi  du  défendeur  récalcitrant  est  le  procédé 
énergique  dont  on  se  sert  dans  ce  but,  à  défaut  de  tout  moyen 
direct  de  contrainte,  et  vu  Ti  m  possibilité  de  rendre  le  juge- 
ment. L'accusé  qui  ne  se  présente  pas  est  traité  en  «  out- 
iatv  »  et  non  en  condamné^ 

11.  Liejuge,  dansle  système  accusaloire,  ne  peut  procéder, 
de  sa  propre  initiative,  ni  pour  se  saisir  ni  pour  s'éclairer  ;  son 

*  Voy.  Molinier,  Mort  civile^  p.  18;  Du  Boys,  UisL  du  droit  crim.  rf«» 
peuples  moderneSf  l.  i,  p.  122. 


14  PROCEDURE   PÉlfALK.    —   INTRODUCTION. 

rôle  consiste  à  répondre  au\  questions  qui  lui  sont  posées,  à 
examiner  les  preuves  produites  devant  lui,  et  à  se  décider 
sur  ces  preuves.  Il  assiste  en  témoin  à  la  lutte;  il  dirige  le 
combat  pour  qu*il  soit  et  reste  loyal;  il  dit  quel  est  le  vain- 
queur :  mais,  à  aucun  moment  de  la  procédure,  il  ne  prend 
un  rôle  actif,  soit  pour  poursuivre,  soit  pour  enquérir. 

L'instruction  a  trois  caractères  essentiels  :  elle  est  contra- 
dictoire, orale,  publique.  Les  adversaires  sont  mis  en  présence 
dans  un  débat  qui  a  lieu  au  grand  jour.  Chacun  d'eux  produit 
librement  ses  moyens  de  preuve,  et  Tinstance  ressemble  à 
un  duel  h  armes  égales  et  loyales. 

12.  Les  procédés  employés  pour  rechercher  Fauteur  d'un 
crime  et  démontrer  sa  culpabilité  sont  en  rapport  direct  avec 
les  [iréjugés  ou,  si  Ion  veut,  avec  les  croyances  de  Tépoque. 

L'olTort  principal  de  la  poursuite  porte  sur  la  constatation 
du  flagrant  délit  :  dans  les  procédures  primitives,  le  flagrant 
délit  apparaît,  en  elTel,  comme  Thypothèse  normale  de  la  ré- 
pression :  le  sentiment  de  vengeance,  qui  inspire  la  pénalité, 
est,  dans  ce  cas,  plus  ardent;  la  culpabilité,  qu'il  faut  établir, 
est  alors  moins  douteuse.  Hors  le  cas  de  flagrant  délit,  si 
Taccusé  n'avoue  pas,  c  est  à  lui,  par  un  renversement  de  la 
preuve,  qu'il  appartient  d'afArmer  son  innocence,  en  prêtant 
le  serment  juratoire,  et  en  le  faisant  appuyer  par  le  nom- 
bre de  cojureurs  que  fixe  la  coutume.  C'est  là  le  mode  de 
preuve  normal;  il  constitue  un  droit  pour  Taccusé  :  mais 
il  peut  être  écarté  dans  certains  cas,  et  alors  interviennent 
des  épreuves  par  lesquelles  on  fait  appel  au  jugement  de  la 
divinité.  Ces  épreuves  sont  de  deux  sortes.  Dans  les  unes, 
ne  figure  que  l'une  des  parties,  ordinairement  Taccusé; 
pour  citer  les  plus  répandues,  c'est  l'épreuve  du  fer  rouge, 
celle  de  Teau  bouillante,  celle  de  Teau  froide;  dans  les  autres, 
les  deux  parties  jouent  un  lôle  actif;  c'est  le  duel  judiciaire 
et  l'épreuve  de  la  croix  *.  Ce  système  n'est  point  spécial  aux 

•  Dans  |iiotn'  pays,  lt;s  ordalies  par  l'eau  bouillante,  le  fer  rouge,  l'eau 
froide,  fréquomnienl  usil»'Os  sous  les  mérovingiens,  deviennent  rares  dès  le 
commcnnement  de  la  deuxième  race». 


DITBRS  TYPES   DE    PROCEDURE   PÉNALE.  15 

coutumes  germaniques,  il  caractérise,  non  une  race  dcler- 
inioée,  mais  un  certain  degré  de  civilisation*.  Dans  la  phase 
mythologique  de  Tesprit  humain,  on  a  questionné  la  divi- 
nité sur  la  culpabilité  ou  Tinnocence,  comme  on  la  question- 
nait sur  le  sort  d*une  bataille.  Il  y  a  correspondance,  à  ce 
point  de  vue,  entre  les  idées  et  les  institutions.  Le  même  es- 
prit qui  permet  à  la  divination  parles  augures  et  les  sorciers 
de  se  répandre,  conduit  à  l'usage  et  h  la  diiïusion  de  l'instruc- 
tion criminelle  par  les  ordalies^  et  le  combat  judiciaire*. 

13.  Le  système  accusatoire,  précisément  parce  qu'il  sym- 
bolise et  régularise  le  combat  primitif,  apparaît  tout  d*abord 
dans  rhistoire  de  la  civilisation  juridi(|ne.  On  en  retrouve 
Torigine  dans  les  législations  orientales;  on  le  voit  prendre 
une  forme  précise  dans  les  législations  grecque  et  romaine; 
puis  décliner  et  disparaître  avec  la  liberté,  au  temps  du  Bas- 
Empire.  Après  la  chute  du  monde  romain,  nous  le  retrou- 
vons, avec  des  formes  grossières  et  rudes,  organisé  par  les 
coutumes  germaniques  et  féodales;  et  tandis  que,  &  Tépoque 


*  On  retrouve  le  serment  juratoire  et  les  ordalies  dans  l'antiquité  grec- 
que (Esmein,  Mélanges^  p.  240 et  suiv.  ;  Sophocle,  Antigom\  vers  204);  chez 
If 5  Indous  (Lois  de  Manou,  trad.  Loiseleur-Deslnn^rchamps,  t.  8»  109, 
113-116).  Ce  système  fonctionne  encore  aujourd'hui  chez  un  j^rand  nombre 
de  peuples  sauvages  (Kohler,  Studien  iiber  Ordalien  der  Saturviilkery  dans 
Zeitachrift  fur  verglekhemle  Rechlswissenschafi,  t.  5,  p.  36H  et  suiv.,  et 
l.  4,  p.  305  et  suiv.).  Voy.  sur  le  caractère  des  ordalies  dans  les  coutumes 
celles  :  H.  d'Arbois  de  Jubain ville,  Études  sur  le  droit  celtique^  t.  1,  p.  50. 

'  Voy.  sur  ce  point,  Tarde,  Philosophie  pénale,  p.  424;  Esmein,  Cours 
élémentaire  d'histoire  du  droit  français,  p.  98. 

•  D'Arbois  de  Jubainville  {op.eiloc.  cit.)  a  d<^monlr<^,  du  reste,  que  le  duel 
conventionnel  chez  les  Celtes,  comme  chez  les  vieux  Romains  (combat  des 
Honices},  dans  l'Iliade  (duel  d'Ajax  contre  Diomède),  et  dans  IVpopt^e  de 
Thèl»es,  est  inspiri^o  par  une  conception  tout  autre  que  le  duel  judiciaire 
du  moyen  Age.  Comme  ce  dernier,  il  intervient  en  matière  litigieuse;  mais 
(d  notion  de  justice  divine  en  est  absente.  Ni  les  Celtes,  ni  les  héros  dHo- 
mêre,  ni  les  Horaces  et  les  Curiaccs  ne  songent  h  une  intervention  de  la 
divinité  pour  faire  triompher  le  bon  droit.  Le  duel  n'est  pour  eux  (ju'une 
imitation  de  la  guerre  privée. 


16         PROCÉDDRB  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

moderne,  il  disparail  sur  le  conlinenl  européen,  il  se  con- 
serve en  Angleterre  et  aux  États-Unis*. 

C'est  en  Angleterre  que,  dès  la  fin  du  xviii*  siècle,  l'Eu- 
rope ira,  par  une  sorte  de  retour  ancestral,  rechercher  et  re- 
trouver le  modèle  de  celte  procédure  archaïque,  à  laquelle 
on  sacrifiera  quelques-unes  des  meilleures  créations  du  génie 
français,  telles  que  le  ministère  public. 

14.  Le  système  de  procédure  dit  inquisitoire  est  plus  scien- 
tifique et  plus  complexe  :  il  s*adapte,  mieux  que  le  précédent, 
aux  nécessités  de  la  répression  sociale.  Ses  deux  traits  domi- 
nants sont,  Venqiiête  secrète  pour  découvrir  le  coupable,  et 
Yemploi  de  la  question^  pour  obtenir  son  aveu.  Mais  ce  type 
de  procédure  comprend  un  ensemble  d'institutions  appro- 
priées, qu'il  ne  faut  pas  isoler,  car  elles  s'expliquent  les  unes 
par  les  autres  et  se  coordonnent  les  unes  avec  les  autres. 

15.  La  recherche  et  la  poursuite  du  coupable  ne  sont  plus 
abandonnées  à  l'initiative  des  parties  privées.  C'est  le  pou- 
voir social  qui  procède  d office  aux  actes  nécessités  par  cette 
double  fonction.  Il  crée  des  organismes  pour  enquérir,  comme 
il  en  crée  pour  accuser.  Sans  doute,  les  institutions,  qui  cor- 
respondent à  ces  phases  nécessaires  du  procès  pénal,  ne  sont 
pas  nées  en  un  jour  :  leur  origine  est  aussi  obscure  que  leur 
développement  est  incertain.  Nous  ne  prétendons  constater  ici 
que  le  point  d*arrivée  de  l'évolution  juridique  :  la  transfor- 
mation du  caractère  de  Vinstruction  et  de  celui  de  la  pour- 
suite. 


•  Cfr.  Seymour-Harris,  Principii  di  dintto  e  procédure  pénale  Inglesè 
(Traduction  de  Bertola),  Vérone,  1898  ;  Fournier,  Code  de  procédure  cri- 
minelle de  Vttat  de  New- York,  Introduction  sur  la  procédure  criminelle 
aux  États-Unis  (Paris,  Larose,  1893).  Mais,  aux  États-Unis,  il  existe  un 
ministère  public.  L'insécurité  et  Timpunité,  résultant  dans  un  pays  neuf  et 
formé  d'élé.iients  si  divers,  du  système  de  poursuite  anglais  qui  abandonne 
la  répression  à  l'initiative  des  citoyens,  ont  fait  comprendre,  aux  États- 
Unis,  la  nécessité  de  confier  à  un  fonctionnaire  spécial  le  soin  de  poursuivre 
la  répression. 


DIVERS    TYPES   DE   PROCÉDURE   PENALE.  17 

16.    Un  phénomène  intéressant  de  révolution  sociale  et 
politique  se    produit  d*abord  quant  au  fait  et  au  droit  de 
juger.  Ce  qui  était  le  droit  et  la  fonction  de  tous  devient  le 
droit  et  la  fonction  de  quelques-uns  :  le  pouvoir  de  juger 
tend  à  se  spécialiser.  Il  tend  aussi  à  s'imposer.  L'arbitre  pri- 
mitif change  de  caractère.  Le  juge,  délégué  par  le  pouvoir 
et  non  plus  choisi  par  les  parties,  s'impose  et  ne  se  propose 
plus  au  délinquant:  il  devient  le  représentant  du  chef  qui 
a  seul   le  droit  de  rendre  la  justice.  Son  caractère  change 
ainsi  à  un  double  point  de  vue.  — C'est  un  officier  de  juMice^ 
investi  d'une  fonction  sociale,  el  choisi,  à  raison  du  caractère 
scientifique  du  procès  pénal,  parmi  les  hommes  qui  ont  étu- 
dié les  lois,  les  légistes.  —  C*est  un  fonctionnaire  perrnane?it, 
chargé  de  juger  tous  les  procès  du  même  genre.  D'abord  iti- 
nérants comme  disent  les  textes,  les  juges  se  fixent  plus  tard 
dans  certaines  contrées  qui  deviennent  ainsi  des  sièges  de 
justice.  C'est  là  que  se  créent  et  se  développent,  avec  la  juris- 
prudence, les  sciences  pénales.  On  recueille  d'abord  les  cou» 
tûmes;  on  les  fixe  par  l'écriture.  Des  manuels  de  pratique 
judiciaire  sont  composés  et  servent  de  guides  aux  profession- 
nels. Puis,  la  science  se  crée,  avec  le  développement  de  l'es- 
prit d'observation  et  de  critique. 

17.  L'examen  du  juge  n'est  pas  limité  aux  preuvres  produites 
devant  lui  :  le  magistrat  procède  d'office,  et  suivant  certaines 
règles,  à  l'instruction  (î/iyw25///o),  c'est-à-dire  à  toute  recher- 
che de  preuves  admises  par  la  loi. 

Cette  instruction,  écrite  et  secrète,  n'est  pas  contradictoire  : 
le  duel  loyal  entre  l'accusateur  et  Taccusé  est  remplacé  |)ar 
lattaque  insidieuse  du  juge.  Un  nouveau  moyen  d'instruction, 
plus  atroce  peut-être  mais  plus  logique  que  les  ordalies,  la 
torture,  pénètre  et  s'infiltre,  des  cours  supérieures  de  justice, 
jusqu*aux    tribunaux    inférieurs.    L'aveu  de    l'accusé  ayant 
acquis  une  influence  prépondérante,  la  méthode  par  excel- 
lence pour  arracher  cette  preuve,  parait  être  la  question  par 
le  chevalet,  le  brodequin  ou  l'eau. 

18.  La  torture  est  une  institution  d'origine  romaine.  Sans 
G.  P.  P.  —  î.  2 


!8  PROCÉDURE   PÉNALE.    —   INTRODLCTIOîC. 

doute,  SOUS  la  République  et  au  commencement  de  TEmpire, 
les  citoyens  romains  y  échappaient.  Seuls  y  étaient  exposés  : 
Tesclave  quand  il  était  accusé***  ou  simplement  appelé  en  jus- 
tice, et  le  provincial.  Mais  l'usage  s'introduisit,  aux  premiers 
temps  de  TEmpire,  de  soumettre,  à  ce  procédé  d'instruction, 
les  citoyens  romains  accusés  de  lèse-majesté.  Puis,  la  torture 
devint  d'une  application  si  générale  que  les  textes  recomman- 
dent aux  juges  de  ne  pas  commencer  par  là  l'instruction  et  de 
recueillir  d'abord  des  indices".  Il  uVst  donc  pas  étonnant  que 
la  diffusion  de  la  torture  coïncide,  dans  l'histoire  moderne, 
avec  l'exhumation  du  droit  romain, à  demi  oublié,  par  les  crî- 
minalistes  de  l'école  de  Bologne.  C'est  à  partir  de  la  fin  du 
xii'  sièch»,  en  effet,  que  la  transformation  de  la  procédure, 
par  la  substitution  de   la   torture   aux  ordalies,  commence 
à  se  manifester.  De|)uis  lors,   aucun  pays  de  l'Europe   n'a 
échappé    h  la  contagion".  A  la  fin  du  xiv*  siècle,  la  torture 
est  devenue  d'un  usage  général.  C'est,  en  quelque  sorte,  une 
des  institutions  fondamentales  de  Tancienne  procédure  cri- 
minelle. 

19.  Deux  institutions,  destinées  à  limiter  le  pouvoir  dujuge, 
celle  de  Tappel  et  celle  des  preuves  légales,  trouvent  leur 
origine  dans  la  procédure  inquisitoire  dont  elles  forment  deux 
traits  caractéristiques. 

L'appel  est  le  droit  de  porter  à  nouveau,  devant  un  juge 
supérieur,  la  cause  déjî\  tranchée  [>ar  le  juge  inférieur.  La 
conception  dt»  Tappel  est  étrangère  à  la  justice  exercée  par 
les  |)âirs<le  l'accusé  :  elle  répugne  d'abord  î\  la  notion  popu- 
laire de  l'infaillibilité  judiciaire  ;  si  le  [iremier  juge  a  pu  se 
tromper,  pourquoi  le  second  ne  se  tromperait-il  pas?  Elle 

***  Ksmein  {Cours  rlcmentaire  iVhhioiro  du  droit  franraiSf  p.  36)  a  fait 
obscrvor  que  «  ranliquiti^  n'a  jamais  admis  le  témoignage  de  IVsclave 
«  sans  le  rontrôlor  pour  ainsi  dire  par  la  torture  ». 

"  L.  il,  C.  IX,  41. 

*^  Voy.  Tarde,  l*liilosophie  pènak^p,  430.  Cfr.  Molinier,  La  torture  (Tou- 
louse, 187i*).  Kxtrait  du  Hecueil  de  r Académie  des  sciences^  inscriptions  et 
belles-lettres  de  Toulouse. 


DIVERS    TYPES   DE   PROCEDURE   PÉNALE.  19 

suppose,  du  reste,  des  tribunaux  hiérarchisés  ;  les  juges  po- 
pulaires doivent  être  souverains,  chacun  dans  les  limites  de 
sa  compétence.  Aussi,  Tappel,  tel  que  nous  Tentendons 
aujourd'hui,  n'existait  pas  sous  la  République  romaine^  il 
fit  son  apparition  sous  TEmpire. 

La  procédure,  soit  germanique,  soit  féodale,  essentielle- 
ment coulumière,  ignora  cette  voie  de  recours *^  Mais  avec 
la  reconstitution  de  la  souveraineté  et  de  la  hiérarchie  au 
profit  de  la  royauté,  Tappel  s'introduisit  dans  les  juridictions 
séculières  sous  Tinfluence  grandissante  du  droit  romain  et  du 
droit  canonique. 

La  procédure  inquisitoire  et  secrète  conduisit,  comme  un 
contrepoids  nécessaire,  dans  rintérêl  même  de  la  défense,  à 
organiser  un  système  de  preuves  légales.  Pour  que  le  juge 
condamne,  il  faut  qu'il  réunisse  certaines  preuves  détermi- 
nées d'avance;  mais  d'autre  part,  s'il  réuuit  ces  preuves,  il 
doit  nécessairement  condamner  :  peu  importe,  dans  Tuoe  ou 
l'autre  hypothèse,  son  intime  conviction.  Ce  système,  en 
rendant  plus  difficile  la  condamnation,  amène,  par  uue  con- 
séquence fatale,  à  resserrer,  de  plus  en  plus,  les  mailles  de  la 
procédure^criminelle.  Il  y  a  là  un  double  mouvement  qui, 
à  certains  points  de  vue,  aggrave,  et  qui,  à  d'autres,  améliore 
la  situation  du  délinquant. 

20.  Le  système  inquisitoire  est  contenu,  en  germe,  dans 
les  dernières  institutions  dePempire  romain  :  il  s'accommode 
bien,  en  effet,  d'un  pouvoir  centralisateur  et  despotique. 

La  torture,  comme  [)rocédé  de  recherche  et  de  preuve,  a  été 
appliquée  notamment  à  celte  époque;  et,  plus  tard,  le  foyer 
de  la  contagion,  qui  envahira  TEurope,  sera  un  coin  de  l'Italie 
d'où,  vers  le  milieu  du  xii*^  siècle,  l'exhumation  du  droit  ro- 
main jettera  le  trouble,  en  même  temps  que  l'enthousiasme, 
dans  tous  les  tribunaux  féodaux. 


''  L'appel  de  défaut  de  droil  et  Tappcl  de  faux  jugement  sont  des  insti- 
tutions spéciales  de  la  procédure  ft^odole  qui  n^oiïrenl,  avec  Tappel  moderne, 
qu'une  analogie  de  nom. 


20         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

L'Église  a  pu  fouroir  aux  juridictions  laïques,  dans  les  con- 
ditions où  fonctionnaient  ses  tribunaux  ecclésiasliques,  une 
leçon  et  un  modèle  :  elle  a  préparé,  par  son  exemple,  la  sub- 
stitution, acbevée  au  xvi''  siècle,  dans  tous  les  pays  de  TEurope, 
de  la  procédure  inquisitoire  à  la  procédure  accusatoire^*. 
C*est  dans  la  seconde  moitié  du  xiii*  siècle,  que  Tinfluence  du 
droit  romain  et  du  droit  canonique  amène  la  formation  de 
cette  nouvelle  procédure  qui  répudie  les  tendances  germani- 
ques, pour  s'inspirer  presque  exclusivement  des  deux  législa- 
tions savantes  de  l'Europe,  le  droit  romain  et  le  droit  cano- 
nique. 

21.  Chacun  de  ces  deux  types  de  procédure,  le  type  accu- 
satoire  et  le  type  inquisitoire,  a  ses  qualités  et  ses  défauts  : 
aucun  ne  contient,  en  lui-même,  les  garanties  nécessaires  à 
l'administration  de  la  justice  criminelle.  Dans  la  procédure 
accusatoire,  la  poursuite  et  la  recherche  des  délits  sont  com- 
plètement abandonnées  à  l'initiative  des  particuliers,  initia- 
tive qui  peut  sommeiller  par  inertie,  crainte  ou  corruption. 
Les  chances  d'impunité,  conséquences  de  ce  système,  sont 
encore  accrues,  soit  par  la  publicité  qui  existe  à  toutes  les 
phases  de  la  procédure,  soit  par  la  nécessité  où  se  trouve  le 
juge  de  limiter  son  examen  aux  seules  preuves  qui  lui  sont 
fournies  par  l'accusation.  Mais,  d'un  autre  côté,  la  procédure 
inquisitoire  a  des  vices  bien  graves  :  c'est  la  poursuite  et  la 
recherche  des  délits  exclusivement  confiées  aux  agents  du 
pouvoir;  c'est  cette  atmosphère  de  secret  et,  par  suite,  de  sus- 
picion, au  milieu  de  laquelle  se  déroule  le  procès;  c'est  enfin, 
cette  absence  de  contradiction  sérieuse  entre  l'accusation  et 
la  défense. 


**  Ce  système,  employé  d'abord  pour  les  poursuites  contre  Thén'sie,  en- 
suite pour  tous  les  crimes,  est  devenu,  sous  le  nom  de  proc»îdure  à  Pextraor^ 
dinaire,  le  système  de  droit  commun  en  vigueur  devant  les  juridictions 
royales  pour  la  poursuite  des  grands  crimes  jusqu'en  1789.  Voy.  Faustin 
Hélie,  op.  cit.f  t.  1,  n"  200,  207  et  208;  L(^o,  Histoire  de  l'inquisition  au 
moyen  âge  (trad.  par  Salomon  Reinach,  Paris,  1900),  liv.  I,  cli.  IX  à  XII^ 
1. 1,  p.  399  et  suiv.  ;  Tanon,  Histoire  de  rinquisitiou,  passim. 


DIVERS   TYPES   DE   PROCÉDURE   PENALE.  21 

Aussi  le  progrès,  dans  la  voie  de  la  civilisation  juridique, 
consiste  à  emprunter  à  chacun  de  ces  typesde  procédure  leurs 
meilleurs  éléments  et  à  organiser  un  type  mixte  dont  une 
partie  de  la  procédure  est  empruntée  au  système  inquisitoire 
et  dont  Tautre  reprend  toutes  les  garanties  et  toutes  les  quali- 
tés du  système  accusatoire. 

22.  Ce  type  mixte  se  caractérise  par  les  traits  suivants  que 
l'on  retrouve  dans  la  plupart  des  systèmes  de  procédure  des 
Dations  européennes  et  que  le  Gode  d'instruction  criminelle 
français  de  4808,  dont  Tinfluence  en  Europe  a  été  si  grande, 
est  venu,  pour  la  première  fois,  systématiser  et  formuler. 

Les  juges  de  la  culpabilité  n'ont  pas  Tinitiative  du  procès, 
ils  ne  peuvent  se  saisir  d'office  :  il  faut  donc  qu*une  accusation 
se  produise  :  mais  le  droit  d'accuser  est  confié  à  des  fonction- 
naires spéciaux  qui  exercent  ainsi  un  ministère  public  et  dont 
les  parties  privées  ne  doivent  être,  en  principe,  que  les  auxi- 
liaires. 

Le  jugement  est  confié  à  des  magistrats  et  à  des  jurés.  Le 
mode  et  les  conditions  de  participation  des  uns  et  des  autres 
à  l'administration  de  la  justice  criminelle  varient,  du  reste, 
suivant  les  pays. 

La  procédure  se  dédouble  en  deux  phases  :  rinstruclion 
préliminaire,  confiée  à  des  magistrats  et  aboutissant  à  une 
décision  préparatoire;  Tinstruction  définitive  devant  la  juri- 
diction même  qui  statue  sur  le  procès.  La  première  a  un  dou- 
ble caractère  :  elle  n'est  ni  contradictoire  ni  publique.  La 
seconde  admet  les  deux  principes  de  la  contradiction  et  de  la 
publicité. 

On  ne  demande  plus  compte  au  juge  des  moyens  par  les- 
quels ils  se  sont  convaincus.  Et  si  la  recherche  et  Tadminis- 
traiion  des  preuves  sont  soumises  à  des  règles  légales,  leur 
force  probante  n'est  plus  mesurée  à  l'avance  et  la  solution  du 
procès  dépend  de  l'intime  conviction  des  juges. 

23.  Comme  tout  système  éclectique,  celte  procédure  de- 
mande, dans  l'application,  une  concentration  d'efforts  et  de 


22  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

bonne  volonté  qui  parait   lui  avoir  quelquefois  fait  défaut. 

D*un  côté,  les  magistrats,  les  professionnels,  auxquels  on  a 
donné  l'initiative  et  la  direction  du  procès,  ont  manifesté, 
pour  le  concours  des  citoyens,  un  sentiment  d'extrême  mé- 
fiance, et,  depuis  1810,  on  a  vu  s'accentuer  et  s'accélérer,  avec 
des  vitesses  qui,  depuis  quelques  années,  n'ont  fait  que  s'ac- 
croître, un  retour  à  la  conception  du  magistrat  professionnel. 
D'un  autre  côté,  au  désir  de  la  magistrature  de  reprendre  tous 
ses  pouvoirs,  a  malheureusement  correspondu,  chez  la  plupart 
des  citoyens,  l{i  dégoût  des  obligations  civiques,  la  volonté 
ferme  de  s'y  soustraire.  La  fonction  de  juré  a  été  considérée 
comme  une  corvée  par  ceux-là  mêmes  qui  étaient  le  mieux 
en  mesure  de  la  remplir. 

Cette  situation  n'est  pas  particulière  à  la  France.  Elle  se 
présente  dans  tous  les  pays  où  a  été  importé  ce  système  mixte 
de  procédure. 


§  III.  -  LA  PROCÉDURE  CRIMINELLE  FRANÇAISE  ACTUELLE. 

24.  La  procédure  criminelle  fran«:aise,  telle  qu'elle  est,  aujourd'hui,  en  vigueur, 
se  rattache  au  type  mixte.  Quuti*e  conceptions  essontiolles  la  dominent.  — 25.  Unité 
de  la  justice  civile  et  de  la  justice  pénale.  —  26.  Division  des  fonctions  et  du 
travail.  —  27.  La  division  des  juridictions  utde:>  autorités  pénales  correspond  à 
hi  division  des  infractions.  —  28.  (es  juridictions  et  ces  autorités  fonctionnent 
pour  toutes  les  personnes  et  pour  tous  les  délits. 


24.  C'est  au  type  mixte  que  se  rattache  le  système  français. 
L'organisation  judiciaire    et  la  procédure  actuelles    sont 

dominées  par  quatre  idées  fondamentales. 

25.  L'unité  de  Injustice  civile  et  de  la  justice  pénale,  unité 
qui  signifie  que  les  mêmes  tribunaux  connaissent  des  matiè- 
res civiles  et  des  matières  pénales.  Cette  unité  existe:  1*  en  ta 
personne  du  garde  des  sceaux,  chef  suprême  de  l'une  et  de 
l'autre  justice  ;  2**  du  juge  de  paix,  qui  fonctionne  avec  diver- 
ses attributions  civiles,  et  qui,  en  matière  pénale,  est,  tout  à 
la  fois,  officier  de  police  judiciaire  et  juge  de  police;  3**  du 
procureur  général  et  du  procureur  de  la  République  qui  lien- 


PROCEDURE   CRIBILNELLB   FRANÇAISE   ACTUELLE.  23 

Dent  le  siège  du  miDistcre  public  devant  Tune  et  l*autre  jus- 
tice. Cette  unité  se  réalise  :  4*  dans  le  tribunal  de  première 
instance  qui  fournit  le  juge  d'instruction  et  forme  le  tribunal 
correctionnel  du  premier  degré;  5®  dans  lacour  d'aftpel,  dont 
deux  chambres,  la  chambre  correctionnelle  et  la  chambre 
des  mises  en  accusation,  fonctionnent  en  matière  pénale,  et 
dont  les  membres  participent  au  jugement  des  crimes,  par 
la  présidence  et  la  direction  du  jury. 

Cette  unité  de  lajustice  civile  et  de  la  justice  pénale  n'im- 
plique qu'une  unité  (foryanisme  et  non  une  nnité  de  procé- 
dure, La  séparation  des  procédures  civile  et  pénale  est,  au 
contraire,  un  principe  essentiel  de  la  législation  française. 
Chacune  de  ces  procédures  a  son  code  spécial.  Cet  ouvrage 
étant  consacré  à  la  procédure  pénale,  nous  n'étudierons  les 
particularités  de  l'organisation  judiciaire  que  dans  la  mesure 
restreinte  où  elles  se  rapportent  à  cette  procédure.  Nous  sup- 
posons connue  l'organisation  judiciaire  française*. 

L'unité  de  la  justice  civile  et  pénale  est  rompue  par  l'in- 
stitution du  jury  qui  appelle  de  simples  citoyens  à  participer 
au  jugement  des  crimes.  Dans  les  procès  civils,  il  n'y  a  pas  de 
jury^,  sauf  en  matière  d'expropriation  pour  cause  d'utilité 
publique,  où  des  citoyens  sont  appelés,  en  cas  de  désaccord, 
à  fixer  l'indemnité  qui  est  due  à  l'exproprié. 

26.  Cette  organisation  est  dominée  par  leprincijje  de  la  di- 
vision du  travail.  Le  fonctionnement  de  la  justice  pénale 
implique  Torganisalion  d'autorités  distinctes  pour  exercer  les 
fonctions  de  poursuite,  d'instruction,  dt*  jugement  et  d'ejécu- 

§  III.  '  Nous  renvoyons,  sur  ce  point,  au  Traité  Ihcorique  et  pratique 
de  procédure  de  M.  Garsonnol  (2*  (^dit..  <8U8-1004-,  8  vol.  in-8°,  revue  et 
cornf;*}e  par  Charles  Cezar-Eîru\  Le  tome  F,  jusqii*à  la  pa^o  "tl'A,  est  con- 
sacré à  l'organîsalion  judiciaire. 

*  C'»'-?l  clans  la  séance  du  30  avril  1700,  après  de  longs  «iébals  et  sur 
•es  jnslances  de  Thouret  et  de  Tronchet,  que  rAssemblée  cunsliluaulH  s'est 
prononcée  contre  rétablissement  du  jury  civil  demandé  parDuporl.  I)e|»uis, 
îa  question  a  et»'  reprise  au  point  de  vue  scientifique;  mais,  auj>oint  de  vue 
pratique,  elle  peut  être  considérée  comme  enterrée.  Voy.  Garsonnet,  op.  cit., 
t.  I,  §  i3,  p. 83  à  88. 


24  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

lio?i.  Et  la  loi  décide  que,  par  voie  d'incompatibililé,  les 
agents  qui  exercent  Tune  de  ces  fonctions  ne  pourront,  sauf 
dans  des  cas  exceptionnels,  empiéter  sur  d'autres  fonctions. 
En  effet,  les  autorités,  qui  concourent  à  la  mise  en  œuvre  de 
la  loi  pénale,  sont  :  1**  les  officiers  de  police  judiciaire,  char- 
gés des  actes  de  recherche  et  d'instruction  préalables  au  pro- 
cès ;  2*  les  juridictions  d^ instruction  ,  statuant,  à  la  suite  de 
l'information,  sur  la  mise  en  prévention  ou  en  accusation  des 
inculpés  et  réglant  la  compétence  en  cas  de  poursuite;  3**  les 
juridictions  de  jugement,  statuant  sur  les  procès,  c'est-à-dire 
sur  la  culpabilité  des  prévenus  et  accusés,  et  prononçant  les 
peines;  4°  les  officiers  du  ininistère  public,  chargés  de  pro- 
voquer, par  voie  d'action  ou  de  réquisition,  le  fonctionnement 
de  ces  diverses  autorités  et  chargés  également  de  faire  exécu- 
ter leurs  décisions. 

Les  fonctions  de  Va  police  judiciaire  QiAw  ministère  public^ 
qui  consistent  principalement  à  agir^  sont  exercées  par  des 
individus,  placés  sous  les  ordres  et  la  surveillance  de  supé* 
rieurs  hiérarchiques.  Les  fonctions  de  yz/nW/c/Zo/i,  qui  consis- 
tent à  délibérer  et  à  juger,  sont,  en  général,  confiées  à  des 
corps  collectifs^  dont  les  décisions  peuvent  être  réformées  ou 
annulées,  mais  qui  n'ont  d'ordre  à  recevoir  de  personne  sur  la 
manière  de  remplir  leur  mission.  Les  officiers  de  police  judi- 
ciaire et  les  membres  du  ministère  public  dépendent  du  pou- 
voir exécutif  qui  peut  les  révoquer  ou  les  déplacer  ad  nutum. 
Lesjuges,  au  contraire,  sont,  en  principe,  inamovibles. 

La  procédure  pénale  officielle  a  trois  phases  successives  : 
elle  débute  par  Texercice  d'une  action,  elle  se  continue  par 
une  instruction,  elle  se  termine  par  \Mi  jugement. 

Mais,  pour  que  la  loi  pénale  soit  appliquée,  il  faut,  tout 
d'abord,  que  la  perpétration  du  délit  ait  été  constatée.  L'au- 
torité doit  donc  rechercher  les  crimes,  les  délits  et  les  con- 
traventions, s'assurer,  s'il  y  a  lieu,  de  la  personne  des  incul- 
pés et  les  livrer  aux  tribunaux  chargés  de  les  punir.  La 
puissance  publique,  qui  a  cette  mission,  est  la  police  judi- 
ciaire. On  l'oppose  à  la  police  administrative  qui  a  pour 
objet  de  maintenir  l'ordre  et,  particulièrement,  de  prévenir 


PROCBDURB   CRIMINELLE   FRANÇAISE   ACTUELLE.  25 

les  iofractions.  La  police  judiciaire  fait  partie  de  la  justice  : 
elle  recherche  les  délits  que  la  police  adminislralive  n'a  pu 
empêcher;  elle  prépare  et  facilite  ractioo  des  tribunaux  de 
répression.  Son  intervention  précède  le  premier  exercice  de 
Taction  publique.  La  loi  a  déterminé  et  organisé  la  police  ju- 
diciaire, mais  elle  s*est  abstenue  d'imposer  à  son  action  des 
formalités  et  une  procédure  qui  auraient  pu  la  gêner.  A  cet 
égard,  il  faut  séparer  Tenquête  préalable  et  officieuse,  con- 
duite par  la  police,  d'avec  Tinslruction  proprement  dite,  con- 
fiée à  la  justice.  Mais  comme  il  y  a  identité  dans  le  but  des 
deux  institutions  et  le  fonctionnement  des  deux  rouages,  on 
voit  la  police  faire  de  Tinslruction  et  le  juge  d'instruction  faire 
de  la  police. 

L'action  publique  est  confiée,  dans  sa  plénitude,  à  des 
agents  officiels  qui  remplissent,  auprès  des  diverses  autori- 
tés pénales,  les  fonctions  du  ministère  public.  Ils  sont  char- 
gés d'accomplir  tous  les  actes  nécessaires  pour  obtenir  la 
prononciation  d'une  peine  contre  Tauleur  d'une  infraction. 
La  victime  de  Tinfraction,  à  laquelle  est  reconnu  le  droit 
exclusif  de  demander  la  réparation  civile  du  préjudice  souf- 
fert, a  accès,  pour  obtenir  des  dommages-intérêts,  auprès 
des  tribunaux  de  répression,  soit  par  voie  d'intervention,  soit 
par  voie  d'action.  Mais  le  procès  civil  ne  peut  être  jugé  par 
ces  juridictions  qu'accessoirement  au  procès  pénal.  C'est  la 
règle  fondamentale  qui  conditionne  et  limite  le  droit  de  la 
partie  lésée, 

Du  reste,  TafiTairene  se  présente  pas  loujoursdevant  les  juri- 
dictions chargées  de  prononcer  la  peine,  sans  autre  instruction 
préliminaire  que  celle  faite  officieusement  par  les  agents  de 
la  police  judiciaire.  En  matière  criminelle,  il  y  a  toujours  lieu 
et,  en   matière  correctionnelle,  il  peut  y  avoir  lieu  à  une 
instruction  officielle,  préparatoire  au  procès  pénal,  à  laquelle 
desjuridictions  spéciales,  dites  juridictions  d'instruction,  don- 
nent une  solution,  en  autorisant  le  procès  ou  en  renipèchant. 
Celte  instruction  est  confiée  au  procureur  de  la  République  et 
au  juge  d'instruction.  Le  premier  de  ces  magistrats  a  le  droit 
de  rechercher  et  de  poursuivre  les  crimes  et  les  délits  commis 


26  PROCÉDLRE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

dans  rarrondissemenl;  mais  il  n'a  pas  le  pouvoir,  dans  les 
cas  ordinaires,  de  faire  des  actes  tendant  à  rassembler  les 
preuves,  ni  celui  d'ordonner  Tarreslation  ella  détention  des 
inculpés.  Ces  attributions  appartiennent  au  juge  d'instruc- 
tion qui,  de  soncôlé,  n'a  pas  le  droit  de  se  saisird'office,  c'est- 
à-dire  de  commencer  l'instruction  sans  en  être  requis  par  le 
procureur  de  la  République.  Toutefois,  la  règle  de  la  sépara- 
tion entre  les  fonctions  d'instruction  et  les  fonctions  de  pour- 
suite reçoit  une  exception  notable  en  cas  de  crimes  ou  délits 
flagrants,  ou  autres  qui  y  sont  assimilés.  Le  procureur  de  la 
République  peut  commencer  lui-même  l'instruction,  sans 
attendre  le  juge,  et  celui-ci  peut  l'ouvrir  sans  en  être  préala- 
blement requis  par  le  procureur  de  la  République. 

L'instruction  préalable  avait,  il  n*y  a  pas  longtemps,  trois  | 
caractères  qui  dérivaient  de  la  procédure  inquisitoire  :  elle 
èiaii  isecrète  cl  écrile,  et  el\e  néfait  pas  contradictoire,  L'uD 
de  ces  caractères,  le  plus  critiquable,  le  dernier,  a  été  profon-  ! 
dément  modifié,  par  la  loi  du  8  décembre  1897,  uniquement 
dans  la  pbasede  l'instruction  préparatoire  officielle  qui  a  lieu 
devant  le  juge  d'instruction  et  dans  les  cas  ordinaires.  Deux 
réformes  principales  ont  été  accomplies  qui  ont  com|)lètement 
changé  la  physionomie  de  la  procédure  d'instruction.  Dune 
part,  c'est  l'obligation,  pour  le  juge,  dès  son  premier  contact 
avec  l'inculpé,  d'avertir  celui-ci  du  droit  qui  lui  appartient 
de  no  faire  de  déclaration  qu'en  présence  de  son  défenseur. 
D'autre  part,  c'est  l'assistance,  aux  interrogatoires  et  aux  con- 
frontations, d'un  défenseur  auquel  doivent  être  communiqués 
les  actes  principaux  de  la  procédure  et  qui  peut  prendre  con- 
naissance du  dossier. 

L'instruction  préalable  n'est  pas  destinée  h  servir  de  base 
à  la  conviction  du  juge  qui  statue  sur  la  culpabilité.  Elle  per- 
met seulement  aux  juridictions  d'instruction  de  se  [prononcer 
sur  le  point  de  savoir  s*il  y  a  lieu  de  faire  le  procès  et,  dans 
ce  cas,  de  régler  la  compétence.  L'inculpé  n'est  pas,  en  effet, 
immédiatement  traduit  devant  la  juridiction  chargée,  de 
l'acquilter  s'il  est  innocent,  de  le  condamner  s'il  est  coupable. 
L'intérêt  de  la  société  et  celui  de  l'inculpé  exigent  que  la  com- 


PROCBDURE   CRIMINELLE   FRANÇAISE   ACTUELLE.  27 

Il^rution  eo  justice  n*aillicu  que  lorsque  Tioculpation  repose 
sur  des  charges  sufAsantes.  Aussi,  la  loi  confère  à  des  aulo- 
rités,  infermédiaires  entre  les  agents  chargés  d*instruire  et  les 
agents  chargés  de  juger,  l'examen  des  charges  et  le  règlement 
le  la  compétence.  Ces  autorités,  remplissant  les  fonctions  de 
juridictions  d^instrnction^  sont  le  juge  d'instruction  au  pre- 

Imier  degré,  et  la  chambre  des  mises  en  accusation  au  second. 
Cetle  procédure  des  mises  en  accusation,  qui  est  obligatoire 
en  matière  criminelle,  entraîne  quelques  lenteurs  qui  ne  sont 
peut-être  pas  compensées  par  les  garanties  qu'elle  donne  à 
Faccusé.  Néanmoins,  elle  a  passé  dans  un  grand  nombre  de 
codes,  et  ce  n'est  que  dans  le  dernier  tiers  du  xix"  siècle,  que 
le  principe  obligatoire  et  absolu  du  contrôle  de  Taccusation 
par  le  pouvoir  judiciaire,  a  été  battu  en  brèche  et  abandonné 
par  le  Code  de  procédure  autrichien  de  4873  et  les  législations 
qai  s'en  sont  inspirées. 

Quand  le  procès  est  engagé  devant  les  juridictions  de  juge- 
ment, la  procédure  change  de  caractère  et  emprunte  ses  traits 
essentiels  au  système  accusatoire.  Les  trois  principes  de  la 
contradiction,  Ae  Y oralité  ci  Aq  \à  publicité^  dominent  le  dé- 
bal.  Les  notes  de  police  et  le  dossier  de  l'instruction  préalable 
De  peuvent  être  consultés  qu'à  titre  de  renseignements,  car 
c'est  sur  l'instruction  orale,  contradictoire  et  publique,  que 
le  juge  forme  son  intime  conviction,  seule  base  de  sa  déci- 
sion. 


27.  La  division  des  juridictions  et  des  autorités  pénales 
correspond  à  la  division  des  infractions  en  trois  groupes  (C. 
p..  art.  1).  Il  existe,  en  effet,  trois  catégories  de  tribunaux 
eolre  lesquels  se  répartit  le  jugement  des  procès  répressifs  : 
\e^  COUPS  d'assises,  qui  jugent  les  crimes;  les  tribunaux  cor- 
rectionnels, les  délits;  les  tribunaux  de  police,  les  contraven- 
tions. Chacun  de  ces  tribunaux  est  investi  de  la  plénitude  du 
pouvoir  judiciaire  pour  la  répression  des  infractions  qui  lui 
60Dt  attribuées  :  il  exerce,  par  rapport  à  ces  infractions,  la 
juridiction  ordinaire  dans  sa  plénitude.  Les  diverses  autorités, 
concourant  à  la  répression,  évoluent  autour  de  ces  trois  ordres 


28  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

do  tribunaux  :  autorités  d'action,  d'instruction,  d'exécutioo. 

28.  Ces  autorités  fonctionnent  pour  toutes  les  personnes  û 
pour  tous  les  délits,  H  n'y  a  pas  deux  justices  :  l'une  de  droit 
commun;  l'autre  d'exception.  Une  des  plus  odieuses  institu- 
tions de  l'ancien  régime,  les  tribunaux  spéciaux,  un  monieot 
ressuscilée  par  la  loi  du  16  pluviôse  au  IX,  par  le  Code  d'in- 
struction criminelle  de  4808  et  par  Tinstitution  des  cours pré- 
vôtales  de  1815,  n'existe  plus  qu'à  l'état  de  souvenir  histori- 
que :  l'article  54  de  la  Charte  de  1830  en  a  rendu,  à  tout 
jamais,  le  retour  impossible.  Sans  doute,  les  militaires  et  ma- 
rins, tant  qu'ils  sont  soumis  aux  devoirs  de  leur  état,  ont  une 
situation  exceptionnelle,  et  leurs  crimes  et  délits  ressortisseat 
aux  tribunaux  militaires;  mais  c'est  là,  en  quelque  sorte,  le 
droit  commun  de  l'armée,  par  laquelle  passent  aujourd'hui 
tous  les  citoyens.  Il  est  même  question  de  supprimer,  ea 
temps  de  paix,  ces  juridictions  d'exception. 


§  IV.  -  DES  ORIGINES  HISTORIQUES  DE  LA  PROCÉDURE 

CRIMINELLE  FRANÇAISE. 

29.  Des  trois  sources  de  la  procédure  criminelle  frarn^aise  el  de  son  évolution.  — 
30.  Double  tendance  :  augmenter  les  garanties  de  Tinculpé;  renforcer  la  défense 
sociale.  —  31.  Cette  double  tendance  correspond  au  mouvement  scientifique  deft 
deux  écoles  rivales,  l'école  classique,  l'école  nouvelle.  —  32.  Division. 

29.  Cette  procédure,  dont  nous  venons  d'esquisser  les 
grandes  lignes,  plonge,  par  ses  racines  les  plus  profondes, 
dans  les  trois  couches  successives,  romaine,  germanique  el 
canonique,  sur  lesquelles  se  sont  développées  toutes  nos  in- 
stitutions juridiques. 

Le  premier  élément  que  lui  apporte  Thistoire,  c'est  l'élé- 
ment germanique.  Jusqu'au  xin''  siècle,  la  procédure  est  bien 
plus  uniforme  que  le  droit.  Elle  est  publique,  orale,  rigou- 
reusement formaliste,  et  elle  n'emploie  guère  que  la  preuve 
par  coj  urateurs  ou  par  bataille.  Les  anciennes  ordalies  par  l'eau 
bouillante,  le  fer  rouge,  l'eau  froide,  en  faveur  sous  les  méro- 
vingiens, sont  vite  tombées  en  désuétude.  Telle  est  la  pre- 


ORiaiNE   HISTORIQUE   DE)   LA    PROCEDURE    CRIMINELLE.         29 

inière  phase.  iMais  sous  la  pression  de^  causes  diverses,  la  pro- 
cédure accusatoire  des  peuples  de  race  germanique  devient 
inquisiioriale,  écrite  et  secrète,  en  s*inspirant  des  deui  légis- 
lalions  savantes  de  l'Europe,  le  droit  romain  et  le  droit  cano- 
nique. Une  ordonnance  de  saint  Louis,  que  l'on  date  com- 
rouoément  de  Tannée  4260,  mais  qui  est  probablement 
antérieure,  seconde  ce  mouvement,  en  substituant,  dans  les 
domaines  de  la  couronne,  la  procédure  par  enquête,  à  la  preuve 
par  gage  de  bataille.  Le  roi  ne  pouvait  mettre  «  coustumes 
ou  ban  »  en  la  terre  de  ses  barons  sans  leur  assentiment. 
Aussi,  les  justices  seigneuriales  se  montrent  réfractaires  à 
cette  substitution,  et  les  gentilshommes  persistent  à  vouloir 
être  jugés  suivant  les  anciennes  règles.  Mais  les  bourgeoiset 
les  vilains  acceptent  assez  facilement  ces  nouveautés  qui  pros- 
crivent le  duel  et  remplacent  le  combat  en  champ  clos  par  les 
plaidoiries  ou  les  écritures.  Les  justices  municipales  des  villes 
de  commune  ou  de  bourgeoisie  et  toutes  les  juridictions  du 
midi  s'empressent  d'adopter  celte  procédure  qui  fait  revivre 
des  traditions  fort  anciennes,  remontant  probablement  à  l'é- 
poque gallo-romaine. 

Les  deux  procédures,  accusatoire  et  inquisitoire,  d'origine 
et  de  caractère  si  différents,  restent  aussi  en  présence  pendant 
la  dernière  moitié  du  xiii*  siècle  et  la  première  partie  du  xiv*. 
C'est  l'époque  de  transition,  pendant  laquelle  agit  la  force 
plastique  de  la  coutume.  L'évolution,  commencée  au  xiii*  siè- 
cle, est  achevée  au  xvi*.  L'ordonnance  de  1539  rendue  par 
Prançois  I*'  à  Villers-Cotterets,  sur  la  justice  et  abrévation  des 
)rocès,  fixe  définitivement  en  France  les  règles  de  la  procé- 
lure  in(iuisitoire.  L'ordonnance  de  1670,  qui  fut  le  Gode 
l'instruction  criminelle  de  l'ancien  régime,  ne  fait  que  re- 
cueillir, en  le  précisant  dans  ses  détails,  en  l'aggravant  même 
lans  ses  rigueurs,  le  système  déjà  consacré. 

Désormais,  la  procédure  criminelle  est  cristallisée  pour 
rès  d'un  siècle.  Mais  l'esprit  nouveau  et  critique  qui  précède 
i  Révolution,  a  condamné  théoriquement  ce  système,  comme 
'offrant  aucune  garantie  pour  l'accusé.  Les  philosophes 
it  les    yeux  tournés   vers  l'Angleterre  :  ils  admirent  ses 


30         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

instilutions  judiciaires,  comme  ses  inslitulions  politiques. 
Cesi  la  procédure  criminelle  anglaise,  surtout  la  pro- 
cédure par  jurés,  que  TAssemblée  constituante  essaiera 
d'acclimater  en  France  :  c'est  cette  procédure  qu'organiseroal 
successivement  la  loi  des  16-29  septembre  1791  et  le  Code  des 
délits  et  des  peines  du  3  brumaire  an  IV.  Mais  les  causes 
mêmes  qui  avaient  amené  aux  xiii''  et  xiv*  siècles,  la  substi- 
tution d'un  système  de  procédure  à  Taulre,  agissent  de  nou- 
veau :  on  senlle  besoin  de  reconstituer  Tautorilé,  d'assurer  la 
répression,  énervée  au  milieu  des  troubles  de  l'époque,  des 
guerres  civiles  et  étrangères.  L'ordonnance  de  1670  redevient 
l'idéal  de  bien  des  esprits  :  on  veut  la  remettre  on  vigueur. 
Puis,  une  transaction  est  conclue,  et  si  lancienne  procédure 
ne  revit  pas  complètement  dans  les  lois  du  Consulat  et  de 
TRmpire,  la  portion  la  meilleure  des  dispositions  de  l'ordoD- 
nance,  et  même  quelques-unes  de  ses  rigueurs,  passent  daus 
la  première  partie  du  Code  d'instruction  criminelle,  la  se- 
conde conservant  la  procédure  accusatoire  et  l'institution  du 
jury.  Ce  Code  de  1808  est  devenu,  pour  l'Europe  entière,  un 
type  sur  lequel  se  sont  modelées  bien  des  législations.  Il 
marque  donc,  dans  révolution  historique  des  lois  de  procé- 
dure, une  phase  essentielle  et  un  moment  d'arrêt. 


30.  Depuis,  un  double  mouvement  se  dessine.  On  tend 
a  éliminer,  par  voie  de  revision,  les  riguegrs  excessives  dont 
notre  |)rocédure  a  hérité  de  l'ordonnance  de  1670,  et  à  intro- 
duire, dans  l'instruction  préliminaire,  des  garanties  qui  lui 
font  défaut.  On  veut  ouvrir  le  cabinet  du  juge  d'instruction, 
sinon  au  public,  du  moins  à  certaines  personnes  autorisées; 
admettre  la  présence  d'un  défenseur  au  cours  de  l'information; 
reconnaître  à  l'inculpé  et  h  son  défenseur,  dès  cette  première 
phase  du  procès,  le  droit  de  provoquer  et  de  contrôler  les 
mesures  prises  pour  arriver  à  la  découverte  de  la  vérité.  Les 
protestations  contre  le  secret  de  l'instruction  semblent  géné- 
rales, et  Ton  s'insurge  contre  cette  pratique  de  notre  vieille 
procédure,  aussi  dangereuse  pour  le  juge  que  pour  l'accusé, 


ORIGINE   HISTORIQUE    DE   LA   PROCEDURE    CRIMINELLE.        31 

qui,  suivant  TexpressioQ  du  juriscoasulte  anglais  Slephcn, 
«  empoisonne  la  justice  à  sa  source  ». 

Mais,  d'un  autre  côte,  la  part  faite  dans  le  jugement  à  Tin- 
tervention  du  jury,  que  Ton  considérait  autrefois  comme 
trop  restreinte,  semble  aujourd'hui  être  presque  excessive  : 
Tolontiers,  on  réclamerait  une  justice  moins  impressionniste, 
plus  scientifique,  et  on  sacrifierait  à  cet  idéal  le  respect 
invétéré  que  tout  le  monde  avait,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
pour  rînslitution  du  jury*. 

31.  Il  y  a,  dans  ce  double  mouvement,  l'expression  d'une 
lutte  toujours  ouverte  entre  les  deux  tendances  qui  se  parta- 
gent, en  ce  moment,  le  domaine  des  sciences  pénales.  Tandis 
que  l'école  classique  est  surtout  individualiste,  qu'elle  réclame 
de  nouvelles  garanties  en  faveur  de  l'accusé,  un  contrôle 
incessant  sur  les  autorités  pénales,  la  diminution  de  Tarbi- 
traire,  l'augmentation  de  la  liberté,  l'école  nouvelle,  qui  est 
avant  tout  élatisle,  veut  renforcer  la  «  défense  sociale  », 
priver  l'inculpé  de  ces  garanties  séculaires  qui  se  résument 
dans  la  a  présomption  d'innocence  »,  substituer,  à  une  pro- 
cédure humanitaire,  une  procédure  scientifique,  transformer 
le  procès  pénal  en  une  recherche  clinique  et  les  juges  en 
experts  spécialistes,  devant  recevoir  une  instruction  toute 
particulière  en  matière  de  psychologie,  d'anthropologie  et  de 
sociologie  criminellcs^ 

A  l'heure  où  nous  écrivons,  et  malgré  le  progrès  apparent 
du  socialisme  et  du  collectivisme,  il  semble  bien  que  la  ten- 
dance, en  matière  de  procédure  criminelle,  ne  soit  pas  d'ar- 
mer davantage  le  pouvoir  social,  dans  sa  lutte  contre  la  cri- 
minalité, mais  bien  plutôt  de  protéger  l'inculpé  contre  les 
abus  de  la  force  sociale. 

C'est  dans  cette  direction  qu'ont  été  aiguillées  les  réformes 

I IV.  *  Yoy.  Jean  Cruppi,  La  Cour  d'assises  de  la  Seine  {Revue  des  Deux- 
Mondes,  1895,1.4,  p.  39). 

«Ferri,  Soeiologia  criminale  (■%•  tid.),  n»«  79  à  84,  p.  777  k  826;  Garofalo, 
Criminologie ,p,  387  à  397.  Voy.  mais  dans  un  sens  un  peu  difff^rent,  Cruppi  : 
£a  Cour  d'assises,  p.  130  et  suiv.,  281  et  suiv. 


32  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

si  Dombreuses,  si  caractéiisliques,  dont  la  procédure  pénale 
a  été  l'objet,  en  France  et  à  l'étranger,  dans  ces  cinquanle 
dernières  années. 

32.  Bien  qu'il  ne  nous  appartienne  pas  de  refaire,  après 
Faustin  Hélic  et  Esmein,  Thisloire  de  notre  ancienne  procé- 
dure criminelle,  nous  croyons  nécessaire  de  relever  quelques 
traits  essentiels  de  l'organisation  judiciaire  et  de  la  procédure 
qui  ont  précédé  et  préparé  le  droit  moderne. 


§  ¥.  —  LES  JURIDICTIONS  PÉNALES  DANS  L'ANCIENNE  FRANGE. 

33.  Phases  par  lesquelles  a  passé  l'orgaDisation  judiciaire  de  Tancienne  France. 
Unité  de  la  justice  civile  et  de  la  justice  pénale.  —  34.  Epoque  barbare.  Justice 
populaire.  —  35.  Dilution  du  pouvoir  de  juger  à  Tépoque  féodale  et  durant  le 
moyen  âge.  Conflits  de  compétence.  Division  des  justices  en  deux  groupes  prio- 
cipaux.  —  36.  Juridictions  laïques.  Les  justices  seigneuriales,  royales,  maoi- 
pales.  —  37.  Juridictions  ecclésiastiques.  Offîcialités.  —  38.  Développement  des 
juridictions  royales. 


33.  Dans  Tancienne  France,  l'organisation  des  juridictions 
pénales  a  passé  par  trois  phases  successives  :  mais,  à  toute 
époque,  un  trait  commun  se  remarque  :  c'est  Tuuité  des  jus- 
tices  civile  et  criminelle,  administrées  Tune  et  l'autre  par  le: 
mêmes  tribunaux.  Cette  unité  correspond  d'abord  à  l'uniU 
des  procédures  civile  et  criminelle;  puis,  quand  se  produi 
la  ditTérenciation  des  procédures,  l'unité  résulte  de  la  substi 
tution  de  juges  professionnels  au\  juges  populaires  et  de  h 
conception  d'une  justice  unique,  dérivant  des  mêmes  source 
et  rendue  au  nom  du  roi. 

34.  Sous  l'ère  barbare,  les  peuples  de  race  germanique  on 
conservé  leur  organisation  populaire.  La  justice  est  rendu 
par  le  chef  {rex^  princeps,  (hw,  cowes,  grafio,  etc.),  avec  1 
concours  des  hommes  libres  de  la  tribu  [boîii  hoïnmes,  rc 
chiniburgi,  pageiii^eSy  etc.),  dans  des  réunions  temporaires  € 
périodiques  [inallum  ou  placitum).  Le  chef  convoque  les  as 
sises,  préside  l'assemblée  des  hommes  jugeurs,  recueille,  san 


JURIDICTIONS   PÉNALES   DANS   l'aNCIENNE   FRANCK.  33 

)  prendre  part,  la  sentence,  et  la  fait  exécuter.  Ainsi,  suivant 
uoe  règle  qui  parait  avoir  ses  racines  dans  des  coutumes  anté- 
rieures à  rinvasion  de  la  Gaule  romaine,  ce  sont  les  hommes 
qui  rendent  le  jugement  et  non  le  chef.  Quelques  rachini- 
bourgs  seulement  peuvent  composer  le  tribunal.  Néanmoins, 
les  assemblées  plénièrcs  ne  sont  pas  rares\ 

35.  Dans  la  période  féodale  et  durant  le  cours  du  moyen 
u|2:e,  la  justice  est,  en  quelque  sorte,  diluée  :  elle  est  partout; 
dans  la  famille,  à  Técole,  au  palais  du  roi,  dans  les  munici- 
{)alités,  auprès  du  chef  féodal.  D*oi]  un  double  faitqui  résume, 
àcette  époque,  Phistoire  de  l'organisation  judiciaire.  Ce  sont 
les  incessants  conflits  de  juridictions,  «  ce  pain  quotidien  des 
affaires*  »,  qui  s'élèvent  entre  toutes  ces  justices.  C'est  la  lutte 
qui  s'établit  entre  les  tribunaux  pour  l'extension  de  leur  com- 
pétence propre,  lutte  dans  laquelle  les  justices  royales  finiront 
par  absorber  toutes  les  autres  justices,  comme  la  royauté  finira 
par  absorber  la  féodalité.  Les  principales  justices  sont  :  les 
justices  royale,  seigneuriale,  municipale,  ecclésiastique.  La 
grande  division  qui  domine  cette  organisation  est  celle  des 
jundictions  laïques  et  A\i%  juridictions  ecclésiastiques, 

36.  Parmi  les  juridictions  laïques,  ily  en  a  principalement 
de  trois  sortes  :  les  justices  seigneuriales,  royales  et  munici- 
pales. 

I.  Le  droit  de  rendre  la  justice  a  été  considéré,  à  une  cer- 
taine époque  de  l'histoire,  comme  un  droit  patrimonial  :  c'est 
ià  un  des  traits  caractéristiques  du  régime  féodal.  Le  seigneur 
avait  donc  juridiction  sur  les  Gcfs  et  censives  de  son  domaine, 
à  litre  de  propriétaire  éminent  de  la  terre.  Les  nombreuses 
justices  seigneuriales  se  divisaient  d'abord,  en  justices  hautes 
et  basses  [alta^  mayna,  major  justifia;  encore  appelées  jus- 

§  V.  *  Je  ne  peux  pas  citer  les  sources.  Un  les  trouvera  analysées,  avec 
une  compétence  et  un  soin  minutieux,  dans  Vllistoire  des  institntiofis  poli- 
tique$  et  admiimtrativen  de  la  France,  par  Paul  Viollet  (1890,  in-S'», 
larose  el  Forcel),  t.  1,  p.  307  à  3i2. 

«  Viollet,  op.  cit.,  t.  2,  p.  453. 

G.  P.  l\  —  1.  3 


34         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

titia  sanguiniSy  sanguis;  en  Normandie,  justitia  en$i%  pla- 
citum  spatœ;  minor,  hassa  justitia).  Plus  tard,  apparaîtra 
un  échelon  intermédiaire,  les  moyennes  justices  {tnedia  jvs- 
titia).  Cette  classification,  qui  appartient  à  la  seconde  partie 
du  moyen  âge,  avait  surtout  de  l'importance  au  point  de  vue 
répressif.  La  haute  justice  connaissait,  en  effet,  des  crimes 
les  plus  graves;  le  meurtre,  le  rapt  ou  viol,  Vavortis  ou  encis, 
c'est-à-dire  les  coups  donnés  à  une  femme  enceinte  qui  ame- 
naient Tavortement,  Tincendie'.  L'homicide  {occisio)  sans 
préméditation  et  la  mutilation  d'un  membre  étaient  rangés, 
par  le  Parlement,  dans  les  cas  de  haute  justice.  Dans  les  pays 
qui  ne  reconnaissaient  pas  la  moyenne  justice,  la  basse  jus- 
tice avait,  dans  ses  attributions,  tout  ce  qui  n'était  pas  du  res- 
sort de  la  haute  justice.  Il  a  toujours  été  assez  diffîcile  de 
préciser  les  cas  de  moyenne  justice,  quand  celle-ci  s*est  déta- 
chée des  haute  et  basse  justices. 

Exercé  d'abord  par  le  seigneur  lui-même,  assisté,  lorsqu'il 
s'agissait  d'un  vassal,  des  pairs  de  celui-ci,  le  droit  de  rendre 
la  justice  fut  délégué  à  des  officiers  qui  prirent,  suivant  les 
lieux,  les  noms  de  haillis,  ou  de prévâts^.  Cette  évolution  ré- 
pond à  un  double  besoin  :  diminuer  le  nombre  des  juges; 
les  sélectionner  en  leur  donnant  le  caractère  de  fonction- 
naires. 

H.  Au  début  de  ^a  féodalité,  le  roi  n'exerçait  sa  juridiction 
que  sur  les  fiefs  et  ccnsives  de  son  domaine;  et  là,  il  rendait  la 
justice,  au  m^ême  titre  et  dans  les  mêmes  conditions  qu'un 
seigneur  justicier.  Comme  le  chef  féodal,  il  se  fît  remplacer, 
dans  cette  fonction,  par  des  officiers  qu'il  investissait  d'une 
délégation,  temporaire  d'abord,  permanente  ensuite.  Au  dé- 
but, ce  furent  \es  prévôts;  plus  lard,  probablement  par  suite 
d'un  besoin  de  concentration  et  de  surveillance,  des  officiers 
supérieurs  furent  créés  :  ils  prirent  le  nom  de  baillis,  dans  le 

'  Voy.  l'énumeralion  des  ras  de  haute  justice,  dans  J.  Desmares,  Dec, 
295.  Comp.  Becquet,  Traité  des  droils  de  justice,  cliap.  II,  dans  Œuvres, 
Genève,  1025,  t.  3,  p  3-7. 

*  Du  reste,  la  composition  des  cours  de  justice  a  varié  avec  les  pays  et 
suivant  les  temps.  Voy.  Viollet,  op,  cit,<,  t.  2,  p.  461-465. 


JURIDICTIONS   PENALES   DANS    l'aNCIENNE   FRANGE.  35 

nord  et  le  centre,  de  sénéchaux^  dans  le  midi  de  la  France*. 
Ces  fonctionnaires  eurent  pour  mission  de  tenir  des  assises 
solennelles  dans  les  villes  de  leur  ressort.  Ils  recevaient  tou- 
tes plaintes  contre  les  officiers  royaux,  réformaient'leurs  juge- 
ments; plus  tard  même,  les  faits  les  plus  graves,  ceux  qu'on 
appelait  les  cas  royaux^  leur  furent  réservés. 

Enfin,  au  dernier  étage  des  juridictions  royales,  était  le 
Parlement^  issu  de  deux  institutions,  distinctes  en  droit,  mais 
en  fait  confondues  :  la  Cour  du  roi  et  la  Cour  des  pairs. 

Le  Parlement,  tenu  d*abord  à  des  époques  déterminées  et 
par  sessions,  devint,  peu  à  peu^  un  corps  sédentaire.  Pendant 
longtemps,  la  royauté  n'eut  qu'un  Parlement,  celui  de  Paris; 
les  Parlements  de  province,  tous  de  création  postérieure  à 
celui  de  Paris,  apparaissent  successivement,  du  xiv"  au  xvui* 
siècle. 

111.  Les  bourgeois  des  villes  de  commune  et  des  villes 
d'échcvinage,  poursuivis  en  matière  criminelle,  devaient  être 
jugés  par  leurs  justices  municipales,  c'est-à-dire  par  leurs 
pairs.  Ces  justices  nous  sont  peu  connues®  :  d'une  part,  les 
coutumes  et  coulumiers  ne  fournissentqu*un  petit  nombre  de 
renseignements  sur  ces  juridictions  peu  sympathiques  aux  offi- 
ciers ou  jurisconsultes  royaux  et  seigneuriaux;  d'autre  part, 
si  l'organisation  de  ces  juridictions  parait  calquée  sur  un  type 
uniforme,  leur  compétence  variait  d'étendue  d'une  commune 
à  l'autre.  Le  vice  radical  de  ces  juridictions^  dans  la  plupart 
des  villes  où  elles  fonctionnaient,  c'était  la  réunion,  dans  les 
mêmes  mains,  du  pouvoir  administratif  et  du  pouvoir  judi- 
ciaire. A  Toulouse,  par  exemple, —  et  l'organisation  de  la  jus- 
tice municipale  de  cette  ville  était  de  beaucoup  la  plus  ordi- 
naire, —  les  consuls  ou  capilouls,  qui  avaient,  en  grande  partie, 
l'administration  de  la  ville,  formaient,  depuis  1283,  une  cour 
civile  et  criminelle.  Cette  cour  était  bien  présidée  par  le  viguier, 
représentant  le  comte;  mais  cette  présidence,  purement  ho- 

*  Voy.  sur  les  baillis  royaux  la  Prôlace  de  Beugnot,  t.  1,  à  l'édition  de 
•  Leff  coutumes  de  Beauvoisis  »  par  Philippe  de  Beaumanoir  (Paris,  1842). 

*  Voy.  Georges  Testaud,  Des  juridictions  municipales  en  FrancCfdrfi  ori- 
gines jusqu'à  l'ordonnance  de  Moulins,  I50r>  (in-8",  lOOi,  Paris). 


36  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

norifique,  ne  donnait  pas  même  \oix  délibcrative  à  ceux  qui 
rem[)lissaient  cette  fonction. 

37.  Les  juridictions  ecclésiastiques,  les  cours  de  chrétienté^ 
comme  on  disait  alors,  avaient  une  double  compétence,  ^^r- 
sonnelle  et  réelle.  Le  privilège  de  clergie,   qui  embrassait 
tous  les  degrés  du  clergé  régulier  et  tous  ceu\  du  clergé  sécu- 
lier jusqu'aux  chantres,  donnait,  à  ceux  qui  pouvaient  Tin- 
voquer,   le  droit  d'être  jugés    par    ces  tribunaux.   A  celte 
juridiction  appartenait  également  la  connaissance  de  certains 
crimes,  commis  par   toutes    personnes,    par 'exemple,    des 
crimes  d'hérésie,  de  sorcellerie,  d'adultère  et  d'usure.  Cepen- 
dant, si,  dans  tous  ces  cas,  ces  juridictions  jugeaient,  elles  ne 
prononçaient  pas  toujours  la  condamnation.  C'était  un  prin- 
cipe du  droit  canonique  que  Téglise  ne  pouvait  verser  le  sang 
et  prononcer,  par  conséquent,  des  peines  capitales.  Dans  le 
cas  où  le  crime  dont  elle  revendiquait  la  connaissance  entraî- 
nait Texpiation  suprême,  l'église  livrait  le  coupable  au  bras 
séculier  qui  prononçait  la  peine  et  la  faisait  exécuter. 

Le  juge  était  l'évêque,  l'ordinaire.  Comme  les  seigneurs, 
et  avant  eux  probablement,  il  délégua  son  droit  de  justice, 
d'abord  à  l'archidiacre,  puis,  à  partir  du  xiii''  siècle,  à  un  di- 
gnitaire particulier  qu'on  appelle  YofficiaL  Les  juridictions 
ecclésiastiques  prirent,  par  la  suite,  le  nom  à'officialUés.  La 
hiérarchie  savante  de  l'église  permit  d'organiser  une  série 
dappels,  de  Tofficial  à  l'archevêque,  de  celui-ci  au  primat, 
puis,  enfin,  au  pape,  chef  et  juge  suprême  de  la  chrétienté. 

38.  Toutes  ces  juridictions  ont  existé  jusqu'aux  dernières 
années  du  xvni®  siècle.  Mais  tandis  que  les  juridictions  ecclé- 
siastiques, seigneuriales  et  municipales,  perdent  peu  à  peu 
de  leur  importance,  les  juridictions  royales  grandissent,  se 
développent  et  finissent  presque  par  les  absorber.  Comment 
celte  transformation  s'accomplit-elle?  Onel  est  l'état  des  juri- 
dictions aux  xvii*  et  xviii^  siècles? 

L  Les  juridictions  royales  se  développèrent,  comme  la 
royauté  elle-même,  par  une  suite  d'entreprises  dont  les  lé- 
gistes se  firent  les  instruments  actifs  et  persévérants.  Partant 


JURIDICTIONS   PÉNALES   DANS  L  ANCIENNE   FRANCK.        '    37 

de  celle  idée  que  le  roi  représeote  Tintérèt  public,  qu*il  a  la 
•< garde  générale  du  royaume'  »,  les  officiers  et  les  juriscoD- 
suUcs  de  la  couroone  en  concluent  que  le  roi  a  un  droit  de 
justice  éminent  dans  tout  le  royaume.  Us  furent  donc  con- 
duits à  inventer  divers  procédés  pour  diminuer  peu  à  peu  la 
compétence  des  justices  laïques  et  des  justices  ecclésiastiques 
au  profit  des  justices  royales. 

Le  premier  de  ces  moyens  futTinstitution  des  ccui  royaux,  \w 
xiii'  siècle,  les  cas  dont  le  roi  prétend  connaître,  dans  les  terres 
de  ses  barons,  parce  qu'ils  le  «  touchent  »,  sont  déjà  très  nom- 
breux. Un  jurisconsulte  de  la  fin  du  xiv*  siècle  consacrera 
douze  grandes  pages  à  leur  énumérationV  La  liste  des  cas 
royaux  s*allonge  toujours  et  ne  sera  jamais  close.  Le  droit 
romain  fournit  aux  légistes  leurs  meilleures  armes  dans  cette 
lutte,  car  cette  puissance,  qu'ils  construisent  au  profit  de  la 
rovauté,  a  pour  type  le  droit  impérial  romain.  Ils  arrivent 
très  rapidement  à  poser,  comme  un  principe  de  droit  public, 
que  toute  justice  émane  du  roi.  Dès  la  fin  du  xiu"  siècle,  ils 
affirment  que  toutes  les  juridictions  séculières  sont  tenues  du 
roi  en  fief  ou  arrière-fief.  Ses  barons  reçoivent  de  lui  la  sai- 
sine des  droits  de  justice,  mais  le  roi  ne  les  tient  de  per- 
sonne. 

La  conséquence  pratique  de  cette  idée  fut  Tintroduction  de 
VappeL  La  féodalité  n'avait  jamais  eu  Tidée  de  soumettre  de 
nouveau,  à  un  juge  supérieur,  le  litige  déjà  tranché  par  le 
premier  juge;  elle  ne  connaissait  pas  des  juges  inférieurs  et 
des  juges  supérieurs;  toutes  les  cours  féodales,  dans  les  limites 
de  leur  compétence,  étaient  des  cours  souveraines.  11  n*e.\is- 


'^  Beaumanoir,  XXXIV,  41.  Voici,  du  reste,  le  concept  formulé  au  xiy« 
siècle  dans  le  Grand  Coulumier,  liv.  IV,  eh.  V,  édit.  Charondas  le  Caron, 
4598,  p.  523  :  «  A  généralement  parler,  il  n*y  a  qu'une  justice  qui  meult  de 
Dieu,  dont  le  roy  a  le  gouvernement  en  ce  royaume.  » 

*  Bouleiller,  II,  1.  Cf.  Ord.  8  octobre  1371  (Ord.  V,  428),  reproduite  dans 
Is  Grand  Coutumier  de  France,  liv.  I,  ch.  III,  p.  90  et  suiv. 

•  Voy.  Huprà,  note  7,  et  Beaumanoir,  XI,  12,  liv.  I,  p.  163  de  l'édit.  Beu- 
gnol  :  »«  Car  toute  laie  juriditions  du  roiaume  est  tenue  du  Roy  en  fief  ou 
irrière-fief  ». 


38  PROCÉDURE  PENALE.  —  INTRODUCTION. 

tait,  dans  la  procédure  féodale,'  que  deux  voies  de  recours  : 
y  appel  pour  défaille  de  droit,  dans  lequel  le  plaideur  se  plai- 
gnait d'un  déni  de  justice,  et  V  appel  de  faux  jugement^  sorte 
de  cassation  barbare,  résultant  d'une  prise  à  partie  brutale 
du  plaideur  contre  les  pairs  qui  le  jugeaient.  L'appel,  dans 
le  sens  que  nous  donnons  à  ce  mot,  est  admis  de  bonne  heure^ 
des  justices  seigneuriales  aux  justices  royales,  quand  le  juge- 
ment est  rendu  contre  la  commune  coutume  ou  quand  les  vas- 
saux ou  arrière-vassaux  ne  font  pas  ce  qu'ils  doivent*®. 

Enfin,  on  reconnaît  au  roi  un  droit  de  prévention,  dont  ses 
officiers  useront  largement;  c'est-à-dire  que  le  roi  peut  faire 
ajourner,  devant  ses  juridictions,  toutes  personnes  pour  toutes 
affaires,  sauf  aux  parties  à  réclamer  la  cour  ou  juridiction  de 
leur  seigneur.  Mais  si  la  partie  assignée  a  tacitement  accepté 
la  justice  royale^  soit  en  reconnaissant  la  légitimité  de  la  de- 
mande, soit  en  la  niant,  elle  ne  peut  plus  s'adresser  à  une 
autre  cour.  Là  où  le  plaid  est  commencé,  là  il  doit  finir. 

D'un  autre  côté,  les  jurisconsultes  de  la  couronne  employè- 
rent divers  moyens  pour  restreindre  la  compétence  des  tribu- 
naux ecclésiastiques.  Us  firent  rentrer,  dans  la  notion  vague 
et  élastique  du  crime  de  lèse-majesté  et,  par  conséquent,  dans 
les  cas  royaux,  divers  faits  qui  relevaient  auparavant  des  cours 
de  chrétienté  :  mais  surtout  ils  affaiblirent,  par  la  création 
desco^v  dits  privilégiés  y  la  portée  du  privilège  de  clergie.  Dans 
des  cas  très  graves,  qui  méritaient  une  peine  supérieure  aux 
peines  canoniques,  on  fit  juger  les  clercs  par  les  juges  royaux, 
sans  que  ceux-ci  fussent  obligés  de  les  rendre  à  Téglise.  La 
liste  de  ces  cas  privilégiés,  comme  celle  des  cas  royaux,  alla 
toujours  en  augmentant*^ 

Lesjuridictions  municipales,  au  criminel  du  moins,  survé- 
curent généralement  à  la  souveraineté  des  villes  de  commu- 
nes: elles  offraient  peu  de  dangers,  puisque  le  pouvoir  royal 
avait  mis  indirectement  la  main  sur  la  nomination  des  offi- 
ciers municipaux. 

*«  Beaumanoir,  XI,  2,  3. 

**  Voy.  Muyarl  de  Vouglans,  Inst,  crim.,  3*  part.,  p.  54  elsuiv. 


JURIDICTIONS   PÉNALES   DANS   l' ANCIENNE   FRANCE.  39 

II.  Eq  étendant  ainsi  le  cercle  de  leur  action,  les  juridic- 
lions  royales  complétèrent  leur  organisation  :  d*un  côté,  on 
\il  les  anciens  tribunaux  se  modifier  et  se  développer;  de 
l'autre,  des  tribunaux  d*exception  apparaître. 

a)  Jusqu'aux  derniers  jours  de  Tancienne  monarchie,  les 
prévôts  constituaient  les  juges  ordinaires  du  premier  degré; 
les  baillis  et  sénéchaux,  ambulants  à  Torigine,  devenus  sé- 
dentaires par  la  suite,  formaient  toujours  le  second  degré  des 
juridictions  royales.  Les  baillis,  grands  officiers  de  la  cou- 
ronne, déléguaient  leurs  pouvoirs  à  des  officiers  inférieurs 
qu'on  appelait  lieutenants  du  bailliage.  Au  lieutenant  cri- 
minelj  échut  le  jugement  des  causes  criminelles  :  il  devînt 
le  juge  en  matière  répressive  pour  toutes  les  affaires  sous- 
traites, à  raison  de  leur  gravité,  à  la  juridiction  du  prévôt. 
D abord,  il  jugea  seul;  plus  tard,  il  fut  assisté  par  des  asses- 
seurs qui  prirent  le  titre  de  conseillers.  Mais  ce  fut  toujours 
lui  qui  fit  rinstruclion  criminelle  et,  à  ce  point  de  vue,  il  a 
élé,  sous  Tancien  régime,  le  rouage  essentiel  delà  répression. 

Sous  Henri  II,  il  fut  créé  des  sièges  d'une  importance  par- 
ticulière, sous  le  nom  deprésidiaux.  Par  un  édit  de  novembre 
1551,  ce  prince  ordonna  que,  dans  les  principaux  bailliages 
et  sénéchaussées,  il  y  aurait  un  présidial,  composé  de  neuf 
magistrats  pour  le  moins,  y  compris  les  lieutenants  généraux 
et  particuliers,  civils  et  criminels.  Ces  tribunaux,  au  cri- 
minel, ne  se  distinguaient  des  autres  bailliages  qu'en  ce  qu*ils 
pouvaient  connaître  des  cas  préoôtaiix. 

Dans  le  Parlement  de  Paris,  dont  le  personnel  va  toujours 
grandissant,  une  Chambre  spéciale  est  instituée  pour  juger 
les  procès  criminels,  la  Tournelle.  L'ordonnance  du  28  oc- 
tobre i4i6  (art.  10  et  11)  est  la  première  qui  en  fasse  men- 
tion comme  distincte  des  autres  Chambres ^^.  Elle  est  formée 
par  des  conseillers  laïques,  choisis  dans  la  Grand  Chambre 
et  siégeant  dans  la  petite  tour  de  Saint-Louis,  la  Tournelle, 
qui  lui  donne  son  nom.  La  Grand  Chambre  prononce  elle- 
même  les  sentences  préparées  par  ces  conseillers.  En  1515, 

« 

^*  Pardessus,  Essai  sur  l'organisation  judiciaire,  p.  163. 


40  PROCÉDURB  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

François  P'  fit,  de  ce  groupe  déjuges,  une  Chambre  spéciale. 
Mais  sa  composition  n*a  jamais  été  autonome,  en  ce  sens 
tout  au  moins  que,  par  Teffel  du  roulement,  les  conseillers 
passèrent  d'une  Chambre  civile  à  la  Chambre  criminelle,  de 
sorte  que,  même  avec  cette  organisation,  Tunité  de  la  justice, 
civile  et  de  la  justice  pénale  était  toujours  le  principe  domi^ 
nant. 

Les  Parlements  de  province  naissaient  les  uns  après  les 
autres,  avec  le  développement  du  pouvoir  politique  de  la 
royauté  et  les  extensions  territoriales  qu'elle  réalisait.  Plu- 
sieurs de  ces  Parlements,  ne  faisaient,  en  effet,  que  continuer 
les  anciennes  cours  souveraines  des  grands  fiefs  réunis  à  la 
couronne**. 

Le  Parlement  de  Paris,  à  travers  ses  transformations  suc- 
cessives, resta,  jusqu'aux  derniers  jours,  la  Cour  des  Pairs. 
Tous  les  Pairs  de  France  avaient  le  droit  d'y  prendre  séance 
et  lous  ne  pouvaient  être  jugés  que  par  le  Parlement. 

En  dehors  de  leurs  fonctions  ordinaires,  le  Parlement  de 
Paris  et  certains  autres  Parlements  de  province,  ceux  de 
Toulouse,  Rouen  et  Bordeaux,  participaient,  à  Tadministratiou 
de  la  justice,  par  les  Grands-Jours,  sortes  d'assises  solennel- 
les et  temporaires,  tenues,  dans  une  province,  par  des  com- 
missaires choisis  par  le  roi.  Les  Grands-Jours  avaient  surtout 
pour  objet  la  répression  de  désordres  graves  et  persistants  et 
d'exactions  commises  parles  autorités  locales. 

b)  A  côté  des  juridictions  ordinaires,  des  tribunaux  d'ex- 
ception furent  créés.  Ils  étaient  de  deux  sortes:  1*  Les  uns 
ne  connaissaient  des  causes  criminelles  qu'incidemment  aux 
matières  qui  faisaient  Tobjet  particulier  de  leur  établissement: 
tels  étaient  le  prévôt  de  THôtel  des  Monnaies  et  la  Cour  des 
Monnaies,  les  juges  de  l'Amirauté;  2*"  Les  autres  avaient  une 
compétence  criminelle  principale  :  tels  étaient  les  prévôts  des 
maréchaux  et  les  juges  militaires. 

^'  L'Échiquier  de  Normandie,  devenu  «  Parlement  »,  eul,  en  1519,  uu6 
Chambre  criminelle,  Tournelle,  à  l'imitalion  de  Paris.  En  1491,  on  installe 
à  Toulouse,  une  Chambre  ou  Tournelle  criminelle,  «  afin  que  la  justice  cri- 
minelle soit  administrée  comme  à  Paris  ». 


PKOCÉDURE   CRIMINBLT.E   DANS   L  ANCIENNE   FRANCE.  4i 


^  VI.  -  LA  PROCÉDURE  CRIMINELLE  DANS  L'ANCIENNE  FRANCE. 

38.  Les  deux  pha.'îcs  de  Taocienne  procédure.  —  40.  Epoque  barbare.  Cojiireurs. 
Ordalies.  —  41.  Première  période  de  la  féodalité.  Le  combat  judiciaire.  Le  11a- 
î^rant  déliL  La  clameur  de  haro.  —  42.  Les  transformations  successives  de  la 
poursuite.  Action  populaire.  Action  d'office.  Action  publique.  Le  ministère  public. 
Ses  origines  obscures.  —  43.  Transformations  de  la  procédure.  Naissance  de  la 
procédure  inquisitoriale.  Les  grandes  ordonnances.  Le  Code  de  la  procédure  in- 
quisitoriale,  l'Ordonnance  de  1670.  —  44.  Marche  d'un  procès  sous  ce  régime. 
Information.  Hécolement  et  confrontation.  Jugement.  —  45.  L'ordre  public,  malgré 
les  rigueurs  de  cette  procédure,  paraît  avoir  été  moins  bien  protégé  qu'il  ne  l'est 
aujourd'hui.  —  46.  La  procédure  inquisitoriale  ne  fut  pas  particulière  à  la  France  : 
elle  forma  le  droit  commun  de  l'Europe  occidentale.  —  47.  L'Angleterre  seule 
cooserve,  dans  sa  procédure,  les  garanties  du  système  accusatoire. 

39.  L'ancienne  procédure  criminelle  a  passe,  dans  noire 
pays,  comme  dans  les  autres  pays  de  l'Europe  continentale, 
par  deux  phases,  la  phase  acciimtoire  et  la  phase  inquisi- 
toire. 

40.  A  l'époque  barbare,  la  procédure  criminelle  ne  se  dis- 
tingue pas  de  la  procédure  civile  :  Tune  et  l'autre  sont  fon- 
dées sur  le  même  principe.  Au  civil,  comme  au  criminel, 
deux  parties  se  trouvent  en  présence  dans  une  situation  de 
complète  égalité  :  l'une  qui  réclame,  à  l'occasion  d'un  dom- 
mage causé  par  un  crime,  et  en  poursuit  la  réparation  pécu- 
niaire; l'autre  qui  se  défend  contre  cette  réclamation.  La 
poursuite  est  donc  exercée  par  la  partie  lésée,  ou,  si  elle  est 
morte,  par  son  lignage.  C'est  le  système  de  l'accusation  privée, 
système  qui  caractérise  généralement  les  droits  primitifs. 

L'instruction  est  publique  et  orale.  Les  parties  doivent 
comparaître  au  jour  fixé  et  ne  peuvent  se  faire  représenter. 
L'aveu  est  la  meilleure  preuve,  la  plus  claire,  celle  qui  ne 
laisse  aucune  place  au  doute  et  ne  suscite  aucun  trouble  de 
conscience. 

Si  l'accusé  n'avoue  pas,  c'est  lui  qui,  par  un  singulier  ren- 
versement de  rôle,  doit  apporter  la  preuve  de  son  innocence. 
Il  l'administre  par  le  serment  purgatoire  y  c'est-à-dire  par  le 
serment  qu'il  prête,  accompagné  de  cojureurs,  qui  viennent 


42  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

solennellement  lui  donner,  par  leur  affirmation,  un  certifi- 
cat de  moralité^  Quand  le  juge  ne  peut  former  sa  conviction, 
que  Taccusé  nie  le  délit  et  que  le  serment  est  rejeté,  intervient 
le  jugement  de  Dieu,  au  moyen  des  épreuves  {ordalies)^^  par 
Teau  bouillante,  le  fer  rouge,  l'eau  froide',  etc.  L'épreuve 
qui  parait  s'èlre  maintenue  le  plus  tard,  c'est  celle  du  cer- 
cueil dont  on  trouve  des  exemples  au  xvi*  siècle.  Lorsqu'on 
n'avait  pu  découvrir  l'auteur  d'un  assassinat,  on  obligeait 
tous  ceux  qui  étaient  soupçonnés  d'y  avoir  participé,  à  venir 
toucher  le  corps  de  la  victime,  exposé  sur  un  cercueil.  Si  le 
cadavre  était  mis  en  contact  avec  le  meurtrier,  il  devait  laisser 
échapper  quelques  gouttes  de  sang.  Cette  épreuve  était  de  na- 
ture à  agir  vivement  sur  les  imaginations  :  on  comprend 
qu'elle  ait  subsisté  après  la  disparition  des  autres  procédés  \ 
En  France,  en  effet,  les  derniers  monuments  de  l'emploi  des 
ordalies  sont  des  arrêts  du  Parlement  de  Paris  du  1"  décem- 
bre 1601  et  du  10  août  1641,  annulant  des  sentences  qui 
avaient  ordonné  de  soumettre  à  l'épreuve  de  l'eau  froide  des 
personnes  accusées  de  sorcellerie.  Le  combat  ou  duel  judi- 
ciaire, autorisé  par  la  loi  ripuaire',  et  dont  il   n'est  point 

§  VI.*  Voy.  Kœnigswarter,  Bev,  de  légisL,  1849,  p.  336. 

2  Du  mot  allemand  Urtheil  jugement.  —  La  croyance  au  merveilleux  et 
au  surnaturel  était  très  prononcée  chez  les  Germains.  Tacite  nous  dit  [De 
moribns  germanorum,  X)  qu'aucun  peuple  n*a  plus  de  foi  aux  auspices  et 
à  la  divination  :  auspicia  sortesque  ut  qui  maxime  observant. 

3  Lorsque  les  coutumes  germaniques  se  furent  transformées  sous  Tin- 
fluence  du  christianisme  et  d'une  vie  plus  sédentaire,  la  pratique  des  orda- 
lies fut  régularisée.  On  posa  en  principe  qu'elles  ne  seraient  admises  qu'à 
défaut  soit  de  preuves  ordinaires,  soit  de  cojuratores,  L'Église  commença 
par  les  tolérer.  Charlemagne,  dans  un  de  ses  capitulaires,  prescrit  de  ne 
point  révoquer  en  doute  les  jugements  de  Dieu,  ut  omncs  judicio  Dci  cre- 
dont  absque  dubitatione  (Cup.  I,  ann.  809,  Cap.  XX).  Plus  tard,  l'autorité 
ecclésiastique  attaqua  les  ordalies,  jusqu'à  ce  qu'en  1215,  grâce  aux  efiforts 
d'Innocent  III,  le  quatrième  concile  de  Latran  défendit  aux  clercs  de  prêter 
leur  ministère  à  des  actes  de  cette  nature. 

^  On  peut  presque  dire  qu'elle  a  laissé  quelque  trace  dans  la  confronta- 
tion avec  le  cadavre,  opération  qui  paraît  encore  s'imposer  aujourd'hui  dans 
tous  les  cas  où  cette  confrontation  est  possible. 

'-  Tit.  LXI,  art.  V  et  VI. 


PROCÉDURE   CRIMINELLE    DANS  l' ANCIENNE   FRANCE.  43 

|uestion  daosla  ]oi  salique,  était  ea  usage  au  vi*  siècle,  ainsi 
[ue  le  rapporte  Grégoire  de  Tours,  comme  mode  d'épreuve. 
!!nfia,  l'emploi  de  la  torture,  était  réservé  aux  esclaves^ 

41.  Malgré  la  substitution,  àTépoque  féodale,  d'un  système 
it  pénalité  Bill  système  de  composition^  la  ^procédure  crimi- 
nelle conserve  d^abord  les  deux  traits  caractéristiques  déjà  si- 
|Dalés  :  droit  d'accusation  exclusivement  réservé  à  la  partie 
jUsée  par  le  délit;  identité  des  formes  de  la  procédure  civile 
ddela  procédure  criminelle. 

Le  principe  que  la  poursuite  n'appartient  qu'à  la  partie  lé- 
sée, ou,  si  elle  était  morte,  à  son  ligoage,  est  un  principe  que 
Kpètent  tous  les  textes  de  l'époque  \  On  l'applique  particu- 
lièremeiit  au  «  murtre  et  homicide  ».  La  procédure  n'étant 
linsi  qu'un  débat  entre  deux  personnes,  il  n'est  pas  besoin  de 
créer,  pour  ce  genre  de  procès,  des  formes  spéciales.  Aussi 
les  procédures  criminelle  et  civile,  sauf  quelques  différences 
fc détail,  imposées  par  la  nature  même  des  choses,  suivent 
Boe  marche  identique. 

Le  régime  des  preuves  reste  ce  qu'il  était  à  l'époque  fran- 
^oe;  mais  la  féodalité  l'adapte  à  des  mœurs  et  à  des  besoins 

fiouTeaux;  elle  fait  son  choix  parmi  les  procédés  pratiqués, 
hissant  tomber  en  désuétude,  le  serment  purgatoire  et  les  or- 
dalies ou  épreuves  unilatérales*,  donnant  la  première  place 
au  combat  judiciaire,  à  l'appel  au  jugement  de  Dieu,  soutenu 
par  le  serment  des  deux  adversaires  et  décidé  par  la  ba- 
bille. 
Avec  l'aveu,  c'est  le  mode  de  preuve  ordinaire.  Par  une 


^  Loi  galique,  lit.  XLII. 

'  Beaumanoir,  LXIII,  1,  Très  ancienne  coutume  de  Bretagne^ch,  96  :  «  Et 
aussi  Qul  ne  peut  seul  appeler  par  raison  d'aulrui  fait,  s'il  nVsl  du  lignage...  » 
Lirre  de  Jostice  et  de  Plet,  XIX,  3,  §  1,  2. 

'  Les  anciennes  ordalies  par  Teau  bouillante,  le  fer  rouge,  l'eau  froide, 
f^^^uemment  usitées  sous  les  Mérovingiens,  deviennent  rares  dès  le  corn- 
■tfocement  de  la  deuxième  race.  On  trouve  cependant  encore.au  xii*  siècle, 
<:  même  au  zui*  siècle,  quelques  exemples  des  épreuves  par  Teau  ou  par  le 
tr  r->uge.  Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Paris^  II,  324. 


44  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

singulière  combinaison  de  Tespril  guerrier  cl  de  l'esprit  lé — 
gisle,  celle  épreuve  avail  rcvélu  des  formes  régulières  et  s'ap— ^ 
pliquait  à  toutes  les  phases  comme  à  tous  les  acteurs  de  f^ 
procédure.  On  se  battait  avec  l'accusé,  on  se  battait  avec  1©» 
juges,  quand  on  se  plaignait  de  défaut  de  droit;  on  se  bal-^-' 
lait  même  avec  les  lémoins.  Toutefois,  ceux-ci  pouvaient  évî-^ 
1er  d'engager  leurs  personnes,  en  faisant  la  déclaration  suî— ^ 
vante,  que  nous  a  conservée  Beaumanoir  :  «   Je  ne   me  bé«* 
«  pas  à  combattre  pour  vostre  querele,  ne  à  entrer  en  pletai*' 
«  mien,  et  se  voz  m'en  volés  deffendre,  volontiers  dirai  m**"' 
«  vérité  ».  Contraireà  l'espritdu  christianisme,  le  combat  ja--'- 
diciaire  fut  attaqué  par  l'Eglise  plus  tôt  et  avec  beaucoup  pli 
d'énergie  que  les  ordalies*.  La  royauté,  qui  avait  tout  inl 
rêt  à  son  abolilion,  s'associa  à  ce  mouvement  de  réprobatioo— 
Mais  le  duel  judiciaire  était  trop  conforme  aux  mœurs  vio-*' 
lentes  de  l'époque,  pour  ne  pas  résister  à   tous  ces  assaul9  ^ 
aussi  est-il  resté  eu  usage  jusqu'au  xvi'  siècle. 

La  distinction  élémentaire  qu'on  retrouve  dans  toutes  \e^ 
procédures  primitives,  est  celle  du  flagrant  délit  et  du  dili^ 
non  flagrant. 

Quand  on  prend  un  coupable  sur  le  fait,  il  n'y  a  pas  d^ 
contradiction  possible;  par  conséquent,  la  procédure  peutêti 
très  sommaire.  Il  n'est  point  besoin  d'accusation  ni  d'auti 
preuves  que  le  témoignage  de  ceux  qui  ont  appréhendé  h 
malfaiteur  :  sur  leur  déclaration,  celui-ci  est  jugé  sans  retar^^ 
par  le  tribunal  du  lieu  oii  il  a  été  pris.  Tous  ceux  qui  soD^ 
présents  lors  du   méfait  doivent  poursuivre  le  délinquaat^ 
Tarrèler  et  le  livrer  à  la  justice,  «  car  c'est  le  commun  pori 


•  Le  combat  judiciaire  fut  attaqué,  dès  le  v*  sioclo,  par  Avitus,  évéqa 
de  Vienne.  Au  ix*,  Agobard,  archevêque  de  Lyon,  dédia  à  Louis  le  Débo 
Claire  un  livre  spc^cial  :   AdrcrRUR  legem  Gondobaldi  et  impia  certami 
qui€  per  eam  yeruntur.  Il  est,  du  reste,  aujourd'hui  certain  que  la  loi 
Gondebaud,  roi  des  Burgondes,  a,non  pas  introduit,  comme  Ta  pensé  Mon- 
tesquieu, mais  seulement  étendu  l'usage  du  duel  judiciaire.  Les  troisième  el 
qiiatrième  conciles  de  Latran,  en  1179  et  en  1215,  consacrèrent  solennelle* 
ment  la  réprobation  de  l'Église. 


4 

i 


PROCÉDURE   CRIMINELLE   DANS   l'aNCIENNE  FRANCE.  45 

«  que  cascuns  soit  sergans  et  ait  pooir  de  penre  et  d^arréter 
m  les  malfaiteurs  *°  ». 

La  procédure  féodale  avait  même  organisé,  dans  la  clameur 
de  haro^  une  méthode  formaliste  et  naïve  pour  conserver  au 
fait  son  caractère  de  flagrant  délit.  En  Normandie,  on  ne 
pouvait  crier  «  haro  »  que  dans  les  cas  d'incendie,  d'homi- 
cide, d'attaque  à  main  armée,  de  vol  ou  de  tout  autre  péril 
imminent.  Dans  les  cas  moins  urgents,  celui  qui  abusait  de 
la  clameur  de  haro  était  puni  d'amende.  Les  légistes  em- 
pruntèrent, à  la  Normandie,  cet  usage  de  poursuivre  à  cri  et 
haro,  à  chaude  chasse,  à  chasse  et  à  fuite  **.  Ils  étendirent  ainsi 
la  procédure  plus  sommaire  de  flagrant  délit  à  des  cas  pour 
lesquels  elle  n'avait  pas  été  faite  '*. 

Si  le  malfaiteur  n'était  pas  pris  en  flagrant  délit' ni  dans  la 
poursuite  sur  clameur  de  haro,  l'offensé  ou  ses  parents  de- 
vaient signaler  le  crime  à  la  justice  et  former  une  plainte,  en 
leur  nom,  par  voie  de  citoiement^  comme  ils  le  feraient  en  ma- 
tière civile.  C'est  Vaccusation  germanique.  Dans  cette  procé- 
dure, la  société  n'intervient,  par  ses  tribunaux,  que  pour 
juger  le  procès  ;  le  débat  s'engage  entre  l'accusé  et  l'accusa- 
teur qui  se  porte  partie.  Celui-ci  doit  avoir  la  pleine  capacité 
de  plaider  et  de  donner  ou  recevoir  des  gages  de  bataille. 
Après  l'ajournement  ou  semonce  à  larequète  de  l'accusateur, 
qui  formulait  sa  demande  en  s'oiïrant  à  prouver  les  faits  allé- 
gués, Taccusé  devait  répondre  sur  le  champ  et  mot  à  mot,  en 
oiant  ce  que  l'autre  affirmait,  et  relever  le  gage  de  bataille; 
siaon,  il  était  condamné.  En  cas  d'absolution  de  l'accusé,  l'ac- 
cusateur était  passible  de  la  peine  dont  son  adversaire  aurait 
été  frappé  dans  le  cas  de  condamnation. 

Si  la  victime  ou  son  lignage  existaient  encore  et  ne  se  plai- 
gnaient point,  le  justicier  n'avait  pas  le  droit  de  poursuivre. 

*"  Beaumanoir,  XXXI,  14.  Voy.  t^d.  Beugnot,  préface,  CLX. 

**  L.  Tanon,  Histoire  des  justices  des  anciennes  églises  et  communautés 
tuonastitjues  d^  Paris,  p.  369;  Esraein,  op.  cit.,  p.  50. 

'*  Voy.  Beaumanoir,  XXXIX,  43,  44.  —  Sur  tous  ces  points  :  Esmein, 
op.  cit.,  p.  49.  —  Le  même  besoin  de  célérité  a  porté  les  légistes  du  xix* 
siècle  à  étendre,  en  F^rance,  la  notion  du  tla^rant  délit. 


46  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

On  admit,  sans  doute,  de  tout  temps,  la  faculté,  pour  les  offi- 
ciers de  justice,  de  se  saisir  du  malfaiteur  et  de  provoquer  la 
poursuite  des  intéressés.  Mais  cette  procédure,  destinée  seule- 
ment à  stimuler  l'accusation  privée,  n'était  pas  encore  la  pour- 
suite au  nom  de  TÉtat,  l'accusation  publique. 

42.  De  bonne  heure  cependant,  la  nécessité  se  Gt  sentir  de 
donner  au  magistrat  une  initiative  qui  ne  lui  appartenait  pas 
tout  d'abord,  celle  de  poursuivre  les  crimes  que  personne  ne 
poursuivait.  La  justice  féodale  y  était  d'autant  plus  intéres- 
sée que  le  produit  des  amendes  et  confiscations,  peines  ordi- 
nairement prononcées  à  celte  époque  pour  la  pi  upartdes  délits, 
appartenait  au  fisc.  On  admit  donc  que  les  juges  pouvaient 
poursuivre  d'office  et  même  on  finit  par  créer,  auprès  des 
juridictions  importantes,  un  représentant  du  seigneur,  chargé 
de  veiller  sur  ses  intérêts  pécuniaires,  qu'on  appela,  pour  ce 
motif,  procureur  fiscal.  Ce  ne  fut  que  par  degrés  qu'on  trans- 
forma ainsi  le  caractère  de  l'action  pénale  et  de  celui  qui 
I  exerçait.  Dans  le  principe,  le  magistrat  ne  put  agir  quedans 
quelques  cas  exceptionnels,  quand  il  y  avait  •flagrant  délit, 
quand  la  victime  ne  laissait  pas  d'héritier.  Le  détenu  avait 
même  la  faculté  de  consentira  être  jugé  sans  accusateur,  d'a- 
près une  procédure  que  les  textes  appellent  «  l'enqueste  du 
païs^'  ».  Puis,  on  fit  un  pas  de  plus  et  on  reconnut  au  magis- 
trat, dans  tous  les  cas,  le,  droit  d'exercer  lui-même  la  pour- 
suite. 

A  partir  du  jour  oii  cette  évolution  fut  accomplie,  ne  cessa 
pas,  pour  les  intéressés,  la  victime  du  délit,  ou  ses  parents,  le 
droit  de  se  porter  accusateurs;  mais  Vaccusalion  se  présenta 
sous  deux  formes  :  Vaccusation  directe^  dans  laquelle  la  partie 
lésée  engage  le  procès  elle-même;  et  la  déîwnciation,  par 
laquelle  elle  fait  appel  à  l'action  du  magistrat.  La  dénoncia- 
tion était  une  forme  de  procédure  dans  la  poursuite  dont 
l'Église  avait  fourni  l'idée  et  les  premières  applications  devant 

*^  Le  Grand  Coutumier  de  Normandie  donne  une  description  délaillée  de 
cette  singulière  proc(^dure  :  cliap.  LXVIII.  Voy.  Esmein,  op,  cit,,  p.  53. 


PROCÉDURE    CROtflNELLE    DANS  L  ANCIENNE   FRANCE.  47 

ses  tribunaux.  Elle  a^ait  deux  ayaotages  sur  l'accusation  di- 
recte; elle  n'exposait  pas  son  auteur,  si  elle  était  mal  fondée, 
aux  peines  si  sévères  du  talion,  usitées  encore  vers  la  fin  du 
iiu*  siècle'^;  de  plus,  en  laissant  au  juge  le  soin  d'apprécier,  au 
préalable,  la  valeur  de  la  plainte,  le  dénonciateur  se  mettait 
à  l'abri  du  ressentiment  et  de  la  vengeance.  L'emploi  de  la 
dénonciation  fut  admis  devant  le  tribunal  de  l'Inquisition, 
dès  son  institution  dans  lo  midi  de  la  France;  il  fut  ensuite 
pratiqué  parles  officialités;  et,  de  la  procédure  ecclésiasti- 
que, il  passa  dans  la  procédure  laï(|ue. 

Mais  un  tel  système  était  sujet  à  un  inconvénient  inverse 
de  celui  auquel  il  tendait  à  se  substituer.  Les  dénonciations 
devinrent  des  délations,  et  l'on  dut  prendre  des  mesures  pour 
arrêter  les  abus.  Une  ordonnance  de  1303)  relative  à  la  juri- 
diction municipale  de  Toulouse,  prescrit  que  chaque  dénon- 
ciateur donne  son  nom  et  soit  averti  qu'il  sera  puni  s'il  est 
calomniateur.  Une  autre  ordonnance  de  la  même  année,  et 
rendue  pour  la  même  ville,  dispose  que  les  juges  doivent  eux- 
mêmes  dédommagement  à  l'inculpé,  quand,  après  son  arresta- 
lioD,  il  a  été  prouvé  que  lessoupçonsportés  contre  lui  ne  repo- 
saient sur  aucun  fondement.  En  divers  pays,  on  astreignait  le 
dénonciateur  à  prêter  le  sermentrf^  calumnia.  Mais  ces  garan- 
ties exigées  retinrent  souvent  les  dénonciateurs,  et,  dans 
l'intérêt  de  la  répression,  on  finit  par  admettre  qu'une  simple 
plainte  adressée  à  la  justice  ne  serait  pas  considérée  comme 
une  dénonciation.  Désormais,  les  individus  lésés  se  contentè- 
rent d'èire  plaif/nants,  et  c'est  ce  qui  fit  tomber  en  désuétude 
les  précautions  prises  contre  les  dénonciateurs. 

Bien  souvent,  du  reste,  personne  ne  se  présentait  comme 
accusateur,  dénonciateur  ou  plaignant.  La  rumeur  publique 
■famà)  signalait  seule  un  fait  dont  nul  ne  voulait  ou  ne  pou- 
vait fournir  la  preuve.  A  la  fin  du  xii''  siècle.  Innocent  III 

**  Le  juge  (levait  d'ailleurs  averlir  faccusatour  du  péril  auquel  il  s'expo- 
sait. L'ord.  de  1260  prescrivait  de  dire,  à  celui  qui  voulait  faire  une  «  cla- 
meur ^»,  qu'il  serait  ouï,  mais  qu'il  devait  s'obliger  à  souffrir  ce  que  son  ad- 
versaire souffrirait  s'il  était  atteint.  Ord.  I,  89;  Beaumanoir,  LXI,  2.  Préface 
le  Beugnot,  CVIII. 


48  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

institua,  dans  ce  cas  de  diffamation  ]a  poursuite  ex  officio^ 
dont  le  caractère  essentiel  consistait  à  rechercher  la  vérité  par 
Taudilion  de  témoins.  C'est  la  procédure  par  enquête,  per 
iiiquisitiotiem,  que  la  législation  carolingienne  avait  déjà 
connue.  Son  triomphe  assura,  comme  première  conséquence, 
la  substitution  de  Vaction  d'office  à  Y  accusation  par  partit 
privée. 

Ce  fut  d'abord  le  délégué  même  du  seigneur  ou  du  roi,  qui, 
sur  dénonciationou  d'office,  prit  la  direction  de  la  poursuite. 
Mais  lorsque  le  pouvoir  royal  se  développa,  il  eut  besoin,  au- 
près de  chaque  juridiction,  pour  toutes  les  affaires  qui  inté- 
ressaient la  royauté,  de  procureurs^  qui  tenaient  la  plume,  et 
d'avocats,  qui  portaient  la  parole.  Ces  procureurs  et  ces  avo- 
cats n'étaient,  à  Torigine,  que  les  agents  particuliers  du  roi, 
poursuivant  ou  défendant  enson  nom,  dans  toutes  les  affaires 
oii  il  était  intéressé.  L'ordonnance  du  25  mars  1303,  qui  fait, 
pour  la  première  fois  dans  un  document  législatif,  mention 
de  ces  officiers,  enjoint  aux  procureurs  du  roi,  de  prêter  le 
serment  de  calumnia,  comme  les  autres   plaideurs,  et  leur 
défend  de  se  mêler  des  causes  des  particuliers.  Chaque  bail- 
liage, chaque  siège  de  prévôté  eut  «  ses  gens  du  roi  »,  dout 
la  délégation,  d'abord   temporaire,   finit  par  devenir  perma- 
nente, et  dont  le  caractère  se  transforma  comme  le  caractère 
môme  de  la  royauté.  L^ordonnance  de  novembre  1533  pres- 
crit «  qu'en  chacun  siège  de  nos  |)révôtés  des  villes  de  notre 
«  dit  royaume,  ressortissant  dûment  par  devant  nos  dits  bail- 
«  lis  et  sénéchaux  et  où  y  a  siège  présidial,  sera  mis,   insti- 
«  tué,  établi  un  procureur  pour  nous,  pour  assister  aux  ex- 
«  pédilions  de  justice  civile,  politique  et  criminelle  ». 

Le  procureur  du  roi  poursuivait  les  usurpations  du  do- 
maine ou  autres  droits  régaliens  ;  il  intentait  les  procès  dans 
les  cas  royaux  ;  il  intervenait  dans  l'instruction  de  tous  les 
procès  criminels  pour  sauvegarder  les  intérêts  du  fisc  royal 
qui  s'enrichissait  des  amendes  et  des  confiscations.  Une 
ordonnance  de  4540  prescrit  aux  avocats  et  procureurs  du  roi 
de  tenir  un  registre  des  matières  criminelles  pour  en  «  pour- 
suivre la  vuidange  aux  jours  assignés,  afin  que,  par  l'intelli- 


PROCÉDURE   CRIMINELLE   DANS   l'âNCIENNB   FRANCE.  49 

gence  des  parties  privées,  les  délits  n*ea  demeurent  impunis 
et  ne  soyons  privez  de  ce  que  nous  doibt  estre  acquis  par  le 
moyen  desdits  delicts  ».  On  vit  ainsi  les  procureurs  du  roi 
prendre  Tinitiative  des  poursuites.  Leurs  entreprises,  en  se 
multipliant,  furent  acceptées  comme  un  usage,  et  cet  usage 
s'imposa  bientôt  comme  un  droit.  Aucune  loi  précise  ne  dé- 
termine ce  progrès.  Le  ministère  public,  —  ce  fut  le  nom 
collectif  donné  à  ce  corps  d'officiers  royaux,  —  se  révèle 
d'abord  par  son  action,  et,  quand  les  premières  ordonnances 
s'en  occupent,  il  est  déjà  en  exercice.  Ces  ordonnances  ne  le 
créent  pas,  elles  l'adoptent  et  l'organisent.  D'ailleurs,  le 
ministère  public  n'arriva  pas,  avant  la  fin  du  xvi*  siècle,  à  sa 
constitution  définitive**.  Les  procureurs  généraux**,  près  les 
parlements,  nommèrent  les  procureurs  du  roi  près  les  sièges 
inférieurs  jusqu'à  l'ordonnance  de  1522,  qui  érigea  les  com- 
missions de  ces  derniers  en  office  et  les  rendit  ainsi  indépen- 
dants des  procureurs  généraux.  Les  avocats  du  roi,  dont  les 
fonctions  demeurèrent  toujours  distinctes  de  celles  des  pro- 
cureurs, les  premiers  portant  la  parole,  les  seconds  tenant 
la  plume,  furent,  d'abord,  choisis,  pour  chaque  affaire, 
parmi  les  avocats.  Plus  tard,  ces  emplois  devinrent  fixes  et 
furent  convertis  en  office  *\  Bien  que  recevant  les  instructions 
générales  du  chancelier**,  les  officiers  du  ministère  public 
ont  toujours  participé,  dans  notre  ancien  droit,  à  l'indépen- 
dance des  parlements  et  n'ont  jamais  formé  un  corps  un  et 
indivisible  dont  tous  les  membres  seraient  reliés  les  uns  aux 

**  Voy.  Lebon,  Des  principaux  magistrats  du  parquet  aux  parlements^ 
1875  ;  Casieran,  Notice  historique  sur  le  ministère  public  {France  judiciaire j 
t  2, 1877,  I"  part.,  p.  468  et  s.);  Coumoul,  Précis  historique  sur  le  ministère 
public  (Nouv.  rev,  hist,,  1881,  p.  299  et  s.). 

*«  Le  titre  de  procureur  général,  donné  au  procureur  du  roi  près  le 
parlement,  apparaît,  pour  la  première  fois,  dans  [une  ordonnance  du  2  oc- 
tobre 4354  {Ord,  des  rqis  de  France,  t.  3,  p.  346). 

*^  Diaprés  Boucher  d'Argis,  Histoire  abrégée  de  Vordre  des  avocats, 
oh.  XVI,  ce  serait  en  1573  qu'un  avocat  acheta  l'otTice  d'avocat  du  roi  au 
grand  scandale  de  son  ordre. 

*•  Voy.  dans  la  correspondance  de  d'Aguesseau,  ses  lettres  aux  procureurs 
généraux  {(Euvresj  1. 10  et  suiv.,  passim). 

G.  P.  P.  —  1.  4 


50         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

autres  par  les   liens   de   la   subordination    hiérarchique  **. 

43.  Cette  transformation  du  caractère  de  la  poursuite  eut 
une  influence  successive  sur  l'organisation  et  le  caractère  de 
la  procédure.  A  partir  du  xiii''  siècle,  en  effet,  en  même  temps 
qu'apparaît  et  se  développe  la  poursuite  d'office,  les  vieux 
modes  de  preuve  font  place  aux  enquêtes.  Cette  évolution  a 
son  point  de  départ  certain  dans  la  procédure  qui,  depuis  la 
fin  du  xii"  siècle,  a  été  introduite  devant  les  tribunaux  ecclé- 
siastiques. 

L'église,  après  avoir  conquis  la  juridiction  criminelle  sur 
tous  ceux  qui  lui  appartenaient,  les  clercs^  emprunta,  d'abord, 
aux  tribunaux  du  Bas-Empire,  la  procédure  accusatoire,  avec 
ses  deux  caractères  ordinaires,  la  publicité  et  la  libre  défense. 
Mise  en  contact,  plus  tard^  avec  les  peuples  de  race  germa- 
nique, elle  introduisit,  devant  ses  tribunaux,  soit  la  pour- 
suite d'office  en  cas  de  flagrant  délit,  soit  le  mode  de  preuve 
et  de  défense  le  plus  usité,  le  serment  purgatoire  [purgatxo 
canonicà).  L'église  subissait  ainsi,  dans  sa  procédure,  l'in- 
fluence successive  du  droit  romain  et  du  droit  germanique. 
Mais,  à  la  fin  du  xii*  siècle,  Innocent  111,  en  coûslituant  la 
poursuite  d'office  sans  accusation  ni  dénonciation,  inaugura 
une    nouvelle    procédure,    celle-là    bien    ecclésiastique,  la 
procédure  d'inquisitio,  qui  consistait  essentiellement  dans 
une  enquête,  faite  par  le  juge,  contradictoirement  avec  le 
prévenu,  secrètement  et  par  écrit,   enquête  à   la  suite  de 
laquelle  le  j.uge  rendait  sa  sentence 


20 


*•  Ortolan  elLedeau,  Le  ministère  public  en  France  (1831,  2  vol.,  in-8'), 
l.  1,  p.  XXXI. 

'°  Les  témoins  n'eurent  point,  aux  yeux  de  l'église,  une  égale  valeur  :  elle 
pesa  les  dépositions,  plutôt  qu'elle  ne  les  compta,  et,  pour  éclairer  son  juge- 
ment, elle  fît  appel,  dans  les  cours  de  chrétienté^  plus  tard  désignées  sous 
le  nom  (ïofficialités,  k  divers  indices,  à  diverses  sources  d'information,  que 
les  tribunaux  séculiers  négligeaient.  Klle  rejeta  les  ordalies  et  les  cojureurs, 
abandonnant  ces  procédés  superstitieux  ou  primitifs,  pour  n'accepter  que 
les  jugements  du  bon  sens  et  de  la  raison.  Ce  qui  contribuait,  sans  doute, 
à  donner  à  l'église  cette  direction,  c'est  qu'elle  avait,  dans  le  discernement 
et  les  lumières  de  ses  juges,  une  confiance  que  le  pouvoir  laïque  n'avait  point 


PROCÉDURE    CRIMINELLE   DANS   L*ANCIENNB   FRANCE.  51 

Celle  inslilulion,  approuvée  par  le  concile  de  Lalran  de 
12*5,  se  répandit  1res  rapidemenl  dans  le  midi  de  la  France 
où  elle  ne  consliluait  pas,  du  rcsle,  une  nouveauté.  L'ordon- 
nance de  1254  constate,  enefTet,  que,  dans  les  sénéchaussées 
deCahors  ri  de  Beaucaire,  on  procédait  contre  les  crimes  par 
Toie  à'inqfnsitiOy  secundum  jura  et  terre  consnetudinem^^ . 
Cesl  qu'en  effel  cette  procédure  avait  ses  racines  dans  la  pour- 
suile  extra-ordinem  des  derniers  temps  de  TEmpire  dont  les 
traditions  s'étaient  conservées  dans  les  pays  plus  direclement 
soumis  à  l'inûuence  romaine.  La  procédure  per  inquisi- 
tiotwni  rencontra,  au  contraire,  une  vive  résistance  dans  les 
provinces  du  Nord.  Ainsi,  d'après  la  coulume  d'Artois,  «  nul 
t  rrentilhomme  ne  se  met  en  enquête  sur  un  fait  qui  touche  à 
«  son  honneur.  Toute  enquête  qui  serait  faite  sans  son  con- 
«  sentcmcnt  n'aurait  aucune  valeur"  ».  L'ancienne  procé- 
dure d'accusation  subsiste  à  la  fin  du  xin*  siècle  pour  le» 
nobles  qui  ne  veulent  pas  se  soumellre  h.  l'enquête.  Quand 
le  gentilhomme  n'esl  pas  pris  en  flagrant  délit  et  qu'il  est 
accusé  d'un  crime  capital,  la  justice  doit  lui  demander  d'abord 
s'il  nie  le  fait  dont  on  l'accuse,  ou  s'il  veut  se  mettre  en 
enquête,  '<  en  la  vérité  de  son  pays  ».  S'il  nie  le  fait  et  dé- 
clare que  l'accusateur  en  a  menti,  il  y  a  lieu  à  gages  de 
bataille^'.  Mais  la  procédure  inquisitoire  était  en  usage  pour 
les  vilains.  «  Vilain  se  met  bien  en  enquête,  et  en  la  voix  de 
son  pays,  des  faits  dont  on   l'accuse;  et  s'il  ne  voulait  s'y 


encore.  Elle  re^^ardait  sa  missKjn  comme  divine,  el  son  jugemtîiit  était  vrai- 
m^Mjt  le  jugement  de  Dieu.  Mais,  d'un  autre  cutô,  devant  la  juridiction  ec- 
clésiastique, l'inculpé  n'était  plus  un  simple  défendeur,  c'était  un  prévenu, 
dont  le  juge  avait  le  droit  de  recliproher  tous  les  actes  par  une  enquête 
attentive  et  minutieuse  (inqinsitio)^  un  prévenu  contre  lequel  le  juge  pouvait 
employer  tous  les  moyens  d'information.  Il  y  a,  dans  cette  psychologie 
ecclésiastique,  une  explication  des  transformations  de  la  procédure. 

*'  Cil.  21,  Ord.,  I,  65.  —  Voy.  sur  tous  ces  points  :  Tardif,  La  procédure 
civile  et  crimineUe^  aux  xiii*  et  xiv**  siècles,  ou  procédure  de  transition  (18So, 
iri-S*},  p.  14î». 

"  Coulumier  d'Artois,  éd.  Tardif,  art.  XLV,  4,  p.  104. 

*«  Voy.  Tardif,  op.  cil,,  p.  147. 


32         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

mettre  de  bon  gré,  la  justice  enquerra  d'office,  s'il  lui  plaît 'S>. 

La  procédure  inquisitoire  s'infiltra  donc,  peu  à  peu,  dans 
les  usages  des  juridictions  laïques,  par  l'effet  des  mœurs  bien 
plus  que  par  celui  des  lois.  Jusqu'à  la  fin  du  xv°  siècle.,  l'agent 
principal  des  transformations  profondes  qui  s'accomplissent 
dans  cette  voie,  c'est  la  jurisprudence.  Â  vrai  dire,  les  légistes 
bien  plus  que  les  lois  sont  les  facteurs  énergiques  de  ce  mou- 
vement. Cette  façon  de  procéder  que  devaient  préconiser  les 
i^lercs,  qui  commencèrent  à  figurer  dans  les  cours  laies  quand 
celles-ci  devinrent  permanentes  et  eurent  des  juges  propre- 
ment dits  au  lieu  de  jurés,  fut  adoptée  d'abord  par  les  juges 
royaux  et  seigneuriaux.  Le  pouvoir  royal  n'intervint  qu'une 
fois  l'évolution  accomplie,  pour  fixer,  dans  le  cadre  de  ses 
ordonnances,  un  système  pratiqué  depuis  longtemps  et  arrivé 
À  son  plein  développement. 

On  suit  ce  travail  de  codification  dans  trois  ordonnances 
successives,  qui  constituent  les  sources  législatives  de  notre 
ancienne  procédure  pénale  :  l'ordonnance  de  Blois,  de 
Louis  XU,  du  mois  de  mars  1498;  celle  de  Villers-Cotterets, 
préparée  par  le  chancelier  Poyet,  et  rendue,  en  août  i 535,  sous 
François  l^%  sur  le  fait  de  la  justice  et  abréviation  des  procès; 
enfin,  l'ordonnance  de  Louis  XIV,  du  mois  d'août  1670,  co- 
dification complète  et  dernière  de  la  procédure  inquisitoire, 
et  qu'on  désigne,  par  ce  motif,  sous  le  nom  de  VOrdonnance 
criminelle.  Les  deux  premières  ne  s'occupent  de  la  procédure 
criminelle  qu'incidemment;  la  troisième  est  exclusivement 
consacrée  à  en  tracer  les  règles. 

Cette  consécration  légistative  de  la  procédure  inquisitoire 
fut  acceptée  sans  résistance  par  la  nation.  Mais  elle  né  passa 
pas  sans  de  vives  protestations  de  la  part  des  juristes,  notam- 
ment de  Dumoulin  et  de  Pierre  Ayrault.  Dans  son  principal 
ouvrage,  VOrdre,  formalité  et  instruction  judiciaire^  Ayrault, 
en  montrant,  jusqu'à  l'évidence,  les  dangers  et  les  vices  du 
système  inquisitoire,  revendique,  comme  les  bases  mêmes  de 


2*  Coulumier  d'Artois,  art.  XLVI,  1,  p.  104.  Voy.  la  préface  de  Beugnot 
(p.  cxiii)  aux  coutumes  de  Beauvuisis,  de  Beaumanoir. 


PROCÉDURE    CRIMINELLE    DftNS    L'aNCIENNE    FRANCE.  TiS 

foule  procédure  criminelle,  l'oralité  des  débats,  la  publicité, 
la  liberté  de  la  défense. 

44.  Exposons,  dans  ses  grandes  lignes,  la  suite  entière 
d'uD  procès  sous  ce  régime.  La  procédure  se  divise  en  trois 
phases  :  1°  l'inrormalion;  2*  le  récolement  et  la  conTronla- 
tion;  3'  le  jugement. 

I.  Désormais,  sauf  le  cas  de  flagrant  délit,  où  on  saisit  le 
coupable  qu'on  interroge  sur-le-champ,  foute  procédure  cri- 
minelle commence  par  une  information.  Celle-ci  est  entre- 
prise, soit  sur  la  plainte  de  la  partie  lésée,  soit  sur  la  plainte 
du  procureur  du  roi,  qui,  averti  par  une  dénonciation  ou  au- 
trement, requiert  le  juge;  soit  par  un  acte  d'initiative  du  juge, 
qui  peut  toujours  se  saisir  d'office.  <>  Tout  juge  est  procureur 
général  «,  disait-on  dans  l'ancien  droit. 

L'information  a  pour  but  de  recueillir  les  preuves  et  les 
premiers  éléments  du  procès.  Les  témoins,  cités  par  la  par- 
tie civile  ou  la  partie  publique,  sont  entendus  un  à  un  et  se- 
crètement". Mais  l'information  est  d'abord  l'œuvre  des  offi- 
ciers de  justice  subalterne,  tels  que  sci^ents,  capables,  au 
dire  d'Imbert",  de  la  faire  «  grasse  ou  maigre,  selon  le  désir 
de  la  partie,  non  pas  selon  que  les  témoins  véritablement 
dient  ».  On  s'aperçoit  bientôt  qu'il  y  a  quelque  danger  à 
confier  une  mission  si  grave  à  des  hommes  dont  la  moralité 
est,  à  bon  droit,  suspecte,  et,  pour  contrôler  leurs  rapports, 
le  récolement  des  témoins,  fait  par  le  juge  même,  devient 
obligatoire.  Puis,  l'ordonnance  de  4670  abolit  entièrement 
l'usage  de  faire  informer  «  par  un  sergent  et  un  notaire  ». 
Dorénavant,  la  déposition  sera  écrite  par  un  greffier,  en  pré- 
sence du  juge".  Dans  le  but  de  découvrir  des  témoins,  lors- 

•*  Ord.  de  1670,  t.  6,  arl.  11  :  «  Les  témoins  seront  ouïs  secrtlement  et 
séparément.  •—  Défendons  aux  greffiers  de  communiquer  ies  inibrmatinns  et 
autres  pièces  secrètes  du  procès  ■>,  Le  principe  du  secret  iHail  tellement 
entré  dans  les  mœurs  et  semblait  tellement  nalurel,  qu'en  leiO,  ces  dispo- 
sitions ne  soulevèrent  plus  aucune  observation. 

!*  Imbert,  Ill.ch.  13,  n"  13  et  14. 

«  Ord.  de  1670,  tit.  VI,  art.  9. 


54  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

que  le  fait  est  d*une  certaine  gravité,  on  a  recours  aux  nioni- 
toires.  Ce  sont  des  ordres  du  juge  d'église,  affichés  aux  por- 
tes des  églises,  et  lus  au  prône,  enjoignant  à  tous  les  fidèles 
de  déclarer  au  curé  ce  qu'ils  savent  concernant  tel  crirae, 
lequel  est  spécifié  dans  le  libellé  du  monitoire,  mais  sans 
mention  de  la  personne  qui  peut  être  Tobjet  de  soupçons.  Le 
curé  transmettait  ensuite,  sous  son  sceau,  les  renseignements 
ainsi  obtenus  aux  juges  enquêteurs". 

L'usage  de  ce  moyen  d'instruction,  tout  à  fait  spécial,  était 
habituellement  réservé  pour  les  crimes  de  lèse-majesté,  de 
sacrilège  et  d'hérésie  ;  il  avait  été  introduit  par  Téglise,  et 
porle  bien  l'empreinte  de  sa  manière  de  procéder  pour  la 
recherche  du  coupable. 

Si  l'information  contient  des  charges,  il  y  a  lieu  à  décret 
contre  Taccusé.  L'ordonnance  de  1670  admet  trois  sortes  de 
décrets  :  celui  d'assigné  pour  être  ouï,  celui  d'ajournement 
personnel,  et  celui  de  prise  de  corps.  Le  choix  entre  ces  dififé- 
rents  décrets  se  détermine  d'après  la  qualité  des  crimes,  des 
preuves  et  aussi  des  «  personnes  »;  on  ne  peut  décerner  un 
décret  de  prise  de  corps  contre  un  domicilié,  «  si  ce  n'est  pour 
peine  afflictive  ou  infamante  ».  Ce  décret  constituait  l'accusé 
en  état  de  détention  préventive.  L'accusé,  cité  ou  prisonnier, 
doit  être  interrogé  par  le  juge.  Comme  dans  la  plupart  des 
cas,  sans  l'aveu  de  l'accusé,  on  ne  pouvait  pas  prononcer  les 
peines  les  plus  graves,  l'art  d'interroger  était  une  qualité 
précieuse  chez  le  juge  instructeur'^*.  On  sait  que  l'ordonnance 
de  1670  imposait  à  l'accusé  interrogé  l'obligation  de  prêter 
serment,  l'assimilant  ainsi,  en  sa  propre  cause,  à  un  témoin, 
également  tenu  de  jurer  tant  à  la  première  audition  qu'au 
récolement  ". 


2»  Ord.de  1670,  lit.  VIL 

2*  Les  observations,  dont  Jousse  a  fait  précéder  le  titre  XIV  de  TOrdon- 
nance,  constituent  une  sorte  de  manuel  du  magistrat  instructeur.  C'est  la 
«  question  intellectuelle  »  dont  Jousse  fait  la  théorie. 

30  On  sait  la  discussion  qui  intervint  sur  ce  point,  dans  la  préparation  de 
Tordonnance,  entre  le  président  de  Lamoignon  et  Pussort.  Voy.  Esmein,  op. 
cii.^  p.  229.  Le  président  de  Lamoignon  combattit  vainement  une  telle  dis- 


PROCÉDURE   CRIMINELLE   DANS   l' ANCIENNE    FRANCE.  55 

II.  Sur  le  VU  des  pièces  de  cette  première  iostruction,  a  lieu, 
par  le  magistrat  instructeur  même,  le  règlement  de  la  procé- 
dure. Deux  voies  s'ouvrent,  et  nous  trouvons  d«ux  formes 
de  procédure,  qui  bifurquent  :  V  ordinaire  et  Y  extraordinaire. 
C'est  là  une  distinction  capitale,  dont  l'importance,  depuis  le 
iiii*  siècle,  a  été  toujours  grandissante.  La  procédure  ordi- 
naire, c'est  la  procédure  civile,  sans  la  torture  comme  moyen 
de  preuve,  avec  la  publicité  de  l'audience,  et  la  libre  défense  de 
l'accusé  ^*;  Xdi  procédure  extraordinaire  y  c'est  celle  où  laques- 
lion  est  ordonnée,  avec  le  secret  de  la  procédure,  l'absence 
de  conseil,  c'est,  en  un  mot,  \di  procédure  criminelle  inquisi- 
toriale.  "   , 

Le  règlement  à  l'extraordinaire  résultait  d'un  jugement 
portant  que  les  témoins,  entendus  dans  l'information,  seraient 
«  ouïs  de  nouveau,  recelés  en  leurs  dépositions,  et^  si  besoin 
est,  confrontés  à  l'accusé"  ».  Le  récolement  est  une  nouvelle 
audition  des  témoins,  qui  comparaissent  devant  le  juge  assisté 
du  greffier,  prêtent  serment,  entendent  la  lecture  de  leur  pré- 
cédente déclaration  et  y  font  les  additions  et  réclamations 
qu*ils  jugent  nécessaires.  Le  témoin,  après  le  récolement,  ne 
peut  plus  se  rétracter  sous  peine  de  faux  témoignage'^  La 
confrontation  est  la  mise  en  présence  des  accusés,  des  témoins 
et  des  coaccusés.  Elle  est  appelée  parfois  «ccan'a^ton  ou  acca- 
rement  (du  grec  xapY),  front,  visage).  L'accariation  se  dit  plus 
spécialement  de  la  confrontation  d'un  accusé  avec  son  coac- 
cusé, et  la  confrontation,  de  la  mise  en  présence  des  accusés 
et  des  témoins. 

Lorsque  les  informations,  interrogatoires,  récolemenls  et 
confrontations  étaient  terminés,  le  procès  était  instruit  et  sor- 

position,  qui  plaçait  le  coupable  entre  le  parjure  et  un  aveu  dont  il  devenait 
victime. 

'*  Dans  le  cas  de  règlement  à  l'ordinaire,  Tinformation  était  transformée 
en  enquête  et  le  procès  était  suivi  devant  les  Juges  civils,  d'après  les  formes 
ordinaires  de  l'ordonnance  de  1667,  Tinformation  étant  maintenue  comme 
enquête. 

"  Ord.  de  1670,  tit.  XV,  art.  1. 

w  Ord.  de  1670,  tit.  XV,  art.  11. 


56         PROCEDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

tait  des  mains  du  juge  d*instrnction  pour  passer  aux  mains 
d'un  rapporteur  qui  était  chargé  d*en  exposer  les  résultats  au 
siège  asseml)lé.  Mais,  auparavant,  le  «  sac  »,  contenant  les 
pièces  de  la  procédure,  était  confié  au  procureur  du  roi  pour 
qu'il  prit  ses  conclusions  définitives.  Ces  conclusions  pou- 
vaient tendre  à  l'application  de  la  peine,  comme  elles  pou- 
vaient tendre  aussi  à  l'application  de  la  torture  ou  à  la  preuve 
des  faits  justificatifs. 

Le  rapport  qui  précédait  le  jugement  avait  une  extrême 
importance. 

Aussi  le  rapporteur  devait-il  opiner  le  premier.  Personne, 
autre  que  les  juges,  n'assistait  à  la  «  visite  du  procès  »  et  au 
rapport  :  on  excluait  même  les  «  gens  du  roi  ».  Avant  de  passer 
au  jugement,  on  faisait  comparaître  l'accusé  pour  subir  un 
dernier  interrogatoire  :  c'était  la  première  fois  qu'il  se  trou- 
vait en  présence  de  ses  juges.  Lorsque  les  conclusions  du 
ministère  public  tendaient  à  une  peine  afflictive,  le  dernier 
interrogatoire  devait  avoir  lieu  sur  la  sellette;  dans  les  autres 
cas,  il  avait  lieu  «  derrière  le  barreau  ou  parquet  de  la 
chambre...  » 

L'instruction  du  procès  n'était  pas  toujours  terminée  à  ce 
moment-là.  Si  au  lieu  de  preuves  certaines  et  péremptoires, 
il  ne  se  dégageait  qpntre  l'accusé  que  des  indices  graves,  si 
l'on  n'avait  pu  «  rien  gagner  sur  lui  »,  suivant  l'expression 
de  l'ordonnance  de  1539,  on  recourait,  pour  obtenir  un  aveu, 
objet  constant,  à  cette  époque,  des  préoccupations  de  la  jus- 
tice, à  la  torture^  cette  forme  d'interrogation  qui  paraissait 
si  naturelle,  qu'on  la  désignait  simplement,  dans  le  langage 
usuel,  sous  le  nom  de  question  judiciaire. 

Si  l'usage  de  la  torture  était  général,  les  procédés  em- 
ployés pour  l'administrer  variaient  de  pays  à  pays.  Chaque 
contrée,  presque  chaque  tribunal  avait  le  sien  :  par  exem- 
ple, le  Parlement  de  Paris  procédait  autrement  que  le  Par- 
lement de  Bretagne  et  celui  de  Toulouse;  mais  il  y  avait 
des  genres  de  tortures  plus  habituels  que  d'autres'*.  Dans 

• 

3^  Les  manières  les  plus  usitées  de  donner  la  torture  étaient  la  question 
à  Veau,  aux  brodcquina,  au  feu,  à  Vhuilc  bouillantef  à  Y  estrapade. 


PROCÉDURE   CRIMINELLE   DANS   l'aNCIÉNNB   FRANCE.  57 

le  ressort  du  Parlement  de  Paris,  on  employait,  concurrem- 
ment, la  question  à  l'eau,  consistant  à  verser,  dans  le  gosier 
du  patient,  par  un  cornet  ou  entonnoir,  un  certain  nombre 
de  pots  d'eau,  et  la  question  aux  brodequins,  qui  se  don- 
nait en  plaçant  le  patient  sur  un  siège  de  bois,  les  bras 
attachés  à  deux  grosses  boucles  de  fer  scellées  au  mur  et  lui 
serrant  fortement  les  jambes,  dans  des  espèces  de  boites  dont 
on  rétrécissait  graduellement  la  capacité  en  y  faisant  entrer 
des  coins  à  coups  de  maillet.  Les  progrès  de  Thumanité  en 
cette  matière  consistèrent  à  ne  pas  pousser  jusqu'au  bout 
Tépreuve.  Près  du  malheureux,  fut  placé  un  médecin  qui 
lui  tâtait  le  pouls,  l'examinait  et  arrêtait  l'exécution  quand 
l'homme  de  l'art  était  convaincu  que  la  torture  pouvait  com- 
promettre la  vie. 

Nos  tribunaux  distinguèrent,  dans  la  pratique,  deux  genres 
de  questions,  la  question  ordinaire  et  la  question  extraordi- 
naire :  mais  la  législation  ne  précisa  guère  les  cas  où  les 
juges  devaient  s'arrêter  à  la  question  ordioaire,  les  cas  où  ils 
pouvaient  passera  l'emploi  de  l'extraordinaire,  laquelle  con- 
sistait, moins  dans  un  mode  de  tourments  nouveaux,  que 
dans  la  réitération  de  celui  auquel  on  avait  eu  déjà  recours. 
L'ordonnance  de  1670,  codifiant  la  pratique  déjà  en  vigueur, 
voulait  que  le  prévenu  fût  interrogé  trois  fois,  avant,  pendant 
çt  après  la  torture.  Le  dernier  interrogatoire  s'appelait  in^er- 
Togatoire  sur  le  matelas^  du  nom  du  matelas  sur  lequel  on 
étendait  le  patient  après  l'épreuve  qui  lui  avait  été  infligée.  A 
côté  delà  question  ordinaire  ou  extraordinaire,  à\ie prépara- 
toire^ il  en  existait  une  autre,  dite  préalable  ou  définitive^ 
qu'on  ne  prononçait  que  contre  les  condamnés  à  mort  pour 
obtenir  des  aveux  ou  le  nom  de  leurs  complices". 

III.  Le  jugement  avait  lieu  sur  \e%  pièces  de  l'information, 
sans  que  le  tribunal,  pour  apprécier  la  culpabilité,  pût  enten- 
dre les  témoins,  et  les  confronter  soit  entre  eux,  soit  avec 


'*  Certaines  personnes,  telles  que  les  enfants,  les  malades,  les  infirmes  et 
les  vieillards,  n'étaient  pas  condamnés  à  la  question,  mais  étaient  simplement 
préaentés  à  la  question  pour  les  épouvanter  par  la  crainte  des  tourments. 


58         PROCÉDURE  PÉNALE,  —  INTRODUCTION. 

Taccusé.  Réduit  ainsi  à  la  lecture  d'un  dossier,  privé  de  ces 
impressions  d'audience  qui  déterminent  la  conviction,  le  juge, 
dans  noire  ancien  droit,  mesurait  la  force  probante  de  telle  ou 
telle  preuve  diaprés  des  règles  formulées  à  Tavance  et  non 
d'après  son  rapport  avec  les  faits  du  procès".  Avec  ce  système, 
dit  des  preuves  légales^  le  résultat  du  procès  pénal  dépendait 
de  la  question  de  savoir  si  la  preuve  tarifée  d'avance  était  ou 
non  rapportée.  L'accusation  une  fois  établie  suivant  le  pro- 
cédé légal,  il  n'était  plus  permis  à  Tinculpé  de  combattre  la 
preuve  faite  par  de  simples  dénégations.  Il  devait,  à  son  tour, 
apporter  la  preuve  de  faits  positifs,  de  nature  à  détruire  les 
faits  établis  ou  à  supprimer  leur  criminalité.  C'était  là  ce 
qu'on  appelait  des  faits  justificatifs. 

La  décision  aboutissait  à  une  condamnation^  une  absolution^ 
ou  un  plus  ample  informé.  Four  la  condamnation,  le  partage 
des  voix  profitait  à  l'accusé.  Il  y  avait  deux  sortes  de  sentences 
d'absolution  :  la  mise  hors  cour  et  le  congé  ou  décharge  de 
l'accusation.  La  différence  essentielle,  c'est  que,  dans  le  pre- 
mier cas,  la  formule  employée  faisait  obstacle  à  toute  action 
€n  dommages-intérêts  de  l'accusé  contre  la  partie  civile, 
tandis  que  le  congé,  attestant  la  complète  innocence  de  Tac- 
cusé,  était  ordinairement  accompagné  d'une  condamnation 
contre  la  partie  civile.  Entre  une  condamnation  et  une  abso* 
lution  immédiate,  se  plaçait  une  solution  intermédiaire  : 
c'était  le  plus  ample  informé.  Cet  interlocutoire,  rendu  dans 
le  cas  où  il  n*y  avait  pas  de  preuve  suffisante  pour  la  con- 
damnation de  l'accusé,  et  où  la  nature  du  crime  ou  de  la 
peine  ne  permettait  pas  de  recourir  à  la  question  préparatoire, 
était  susceptible  de  se  transformer  en  absolution  s'il  ne  sur- 
venait pas  de  nouvelles  charges  pendant  le  délai  fixé  par  le 
juge.  Dans  les  crimes  énormes,  le  plus  ample  informé  pou- 
vait même  être  indéfini  et  rendre  la  poursuite  imprescrip- 
tible. 


'*  a  Sec  cnim  a  judice  exigitur  ut  suam  sententiam  de  crimine  dicet, 
verum  ut  aententiam  leyislatoris  applicet  »,  suivant  les  expressions  de 
Krisius  (Com.  Carol.  V,  2,  p.  2C). 


PROCÉDURE    CRIMINELLE   DANS   l'aNCIENNE   FRANCE.  59 

L'ordonnance  n'exigeait  point  que  les  sentences  fussent 
motivées.  Cependant,  les  juges  inférieurs  «  devaient  exprimer 
u  la  cause  de  la  condamnation  ou  celle  de  Tabsoluiion.  Aussi 
«  toutes  les  fois  que  cela  se  rencontre  (qu'ils  ne  l'expriment 
tt  pas),  le  Parlement  ou  autre  Cour  infirme  la  sentence  ou  le 
.  «  jugement  et  prononce  néanmoins  la  même  chose  que  la  sen- 
u  tence;  mais,  à  Tégard  des  Parlements  et  Cours,  ils  ne  sont 
(c  point  astreints  à  cette  formalité,  on  met  seulement  dans  Par- 
«  rèt  que  l'accusé  est  condamné  pour  les  cas  résultant  du  pro- 
«  cès^''  ». 

Ainsi,  la  procédure  criminelle,  depuis  son  premier  acte 
jusqu*à  l'arrêt  du  Parlement,  était  secrète  et  confiée  à  des 
magistrats  de  profession.  Pas  de  public,  pas  d'avocat,  pas  de 
juges  tirés  des  rangs  du  peuple.  Les  seules  garanties  étaient 
le  système  des  preuves,  organisé  par  la  coutume,  pour  que  les 
juges  ne  se  sentissent  pas  au-dessus  de  la  loi,  et  le  droit  d'ap- 
pel, ouvert  avec  la  plus  grande  libéralité. 

L*ordonnance  de  1670  avait  substitué  deux  degrés  de  juri- 
diction aux  trois  admis  auparavant.  L'appel  du  jugement 
portant  des  peines  afflictives  et  infamantes  dut  toujours  être 
porté  au  Parlement,  tandis  que,  dans  les  autres  cas,  les  con- 
damnés avaient  l'option  entre  cette  haute  cour  et  le  bailliage 
ou  le  présidial.  Ces  principes  modérèrent,   il  faut  l'indiquer 
en  passant,  l'application  de  la  torture,  car  l'appel  fut  obliga- 
toire et  forcé  pour  la  question,  et  lors  même  que  le  condamné 
avait  acquiescé  à  la  sentence  qui  le  condamnait  à  la  torture, 
le  principe  des  deux  degrés  de  juridiction  n'en  subsistait  pas 
moins.  Telle  était  la  doctrine  que,  au  xvif  siècle,  fit  prévaloir, 
dans  l'intérêt  de  l'accusé,  Tavocat  général  Talon.  Il  en  résulta 
qu*en  fait,  la  torture  ne  put  être  désormais  ordonnée  et  appli- 
quée sur  une  simple  sentence  du  premier  juge.  Le  ministère 
public,  à  défaut  de  l'accusé,  appelait  toujours  de  cette  sen- 
tence. Ce  fut  donc  toujours,  avec  l'assentiment  du  Parlement 
que  la  question  fut  employée,  ce  qui  restreignit  notablement 
l'usage  de  cet  odieux  procédé  d'instruction. 

'^  Rousseau  de  Lacombe,  Mat,  crim,,  p.  457. 


à 


60         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

45.  Ce  redoulable  appareil  de  formalités  et  de  moyens  em- 
ployés pour  convaincre  le  coupable,  assurait-il  davantage  la 
défense  de  Tordre  et  la  sécurité  publique  que  les  mesures 
plus  discrètes  et  plus  humaines  qui  y  ont  été  substituées?  Le 
malfaiteur,  averti  qu'une  fois  arrêté  et  traduit  devant  les  tri- 
bunaux, il  ne  rencontrerait  aucune  indulgence,  aucune  possi- 
bilité de  se  soustraire  aux  redoutables  éventualités  qui  le  me- 
naçaient, était-il  plus  retenti  qu'il  ne  Test  de  nos  jours?  Le 
grand  nombre  de  condamnations  prononcées  par  nos  ancien- 
nes cours  de  justice,  les  documents  plus  ou  moins  officiels  qui 
nous  restent  sur  l'état  social  de  Tancienne  France,  permettent 
d*en  douter.  Évidemment,  on  ne  peut  dresser  qu'une  statis- 
tique très  incomplète  de  la  criminalité  dans  Tancienne  société  : 
néanmoins,  on  peut  affirmer  que  certains  crimes,  précisé- 
ment les  plus  graves,  étaient  plus  nombreux  alors,  qu'ils  ne 
le  sont  aujourd'hui  ;  et  nous  voyons,  aux  xvi"  et  xvn"  siècles,  en 
dépit  des  sévérités  outrées  de  la  législation  criminelle,  les 
larrons  pulluler  sur  les  routes,  les  brigands  remplir  les  forêts, 
les  gens  de  finances  commettre  d'insolentes  concussions,  et 
les  hommes  de  guerre,  des  violences  et  des  rapines  '•.  Il  sem- 
ble donc  que  la  société  fut,  sousl'aucien  régime,  plus  exposée 
aux  entreprises  criminelles  qu'elle  ne  Test  de  nos  jours,  mal- 
gré l'excès  de  la  défense  sociale.  Sous  un  régime  plus  mo- 
déré, nous  nous  sentons,  aujourd'hui,  mieux  protégés  et  moins 
inquiets.  Il  est  vrai  que  ce  sentiment  de  sécurité  tient  autant  à 
la  disparition  de  l'arbitraire  qu'à  la  meilleure  organisation 
de  la  police;  néanmoins,  il  faut  constater,  pour  en  tirer  parti, 
cette  déroute  de  l'ancienne  législation  criminelle. 

46.  La  procédure  criminelle  inquisitoriale  ne  fut  pas  une 
institution  particulière  à  la  France  :  elle  forma,  au  contraire, 
le  droit  commun  de  l'Europe  continentale.  En  Italie,  en  Es- 
pagne, en  Allemagne,  dans  les  Pays-Bas,  les  mêmes  causes 
substituèrent,  à  la  procédure  accusatoire  et  publique,  l'inslruc- 

'^  Voy.  Corre  et  Aubry,  Documents  de  cnminologie  rétrospective  {Arch. 
(Vanthrop.  crim.^  t.  9,  p.  181,  322,  684;  X,  p.  72,  310). 


PROCÉDURE   CRIMINELLE   DANS    l'aNCIENNE   FRANCE.  61 

lion  écrite  et  secrète.  Deux  choses  caractérisèrent  cependant 
la  procédure  française  et  la  distinguèrent  de  celle  des  nations 
voisines.  Ce  fut  Tinstitution  du  ministère  public  qui,  en 
France  seulement,  constitua  un  des  rouages  essentiels  de 
Torganisme  judiciaire.  Ce  fut  aussi  la  précision  et  la  rigueur 
avec  laquelle  la  jurisprudence  française  sut  formuler  les  rè- 
gles de  la  procédure.  L'esprit  français  s^appliqua  à  les  coor- 
donner, à  les  organiser,  à  en  faire  un  corps  de  droit,  à  en 
présenter  la  formule  définitive  dans  la  grande  ordonnance 
criminelle  de  1670. 

47.  L'Angleterre  seule  conserva,  dans  sa  procédure,  les 
garanties  qu'avaient  possédées  les  autres  nations  de  TEurope, 
à  un  moment  de  leur  histoire  :  le  système  accusatoire,  la 
publicité,  Toralité  des  débats.  De  plus,  elle  sut  donner,  à  Tin- 
slilution  du  jury,  la  forme  même  que  devaient  adopter  plus 
tard  l'Europe  et  l'Amérique.  L'Angleterre  eut  bien  à  lutter^ 
pour  défendre  sa  procédure  traditionnelle,  contre  les  mêmes 
influences  que  le  continent  européen  avait  subies  :  celles 
du  droit  romain  et  du  droit  canonique,  mises  en  œuvre  par 
la  royauté  et  pour  la  royauté.  Mais  l'Angleterre  dut  la  per- 
sistance du  système  accu^atoire,  tant  à  l'attachement  aux 
vieux  usages  et  à  l'opiniâtreté  qui  caractérisent  son  peuple, 
qu'aux  sentiments  individualistes  et  libéraux  qui  l'honorent. 

Le  droit  anglais  avait  conservé  le  principe  accusatoire,  il  se 
présentait  sous  deux  formes. 

Le  premier  était  la  reproduction  de  l'ancienne  accusation 
féodale,  Yappeal^  appel.  C'est  l'accusation  qu'un  particulier 
portait  contre  un  autre  dans  un  intérêt  privé.  Elle  n'était  ou- 
verte qu*à  la  victime  même,  dans  les  crimes  de  larcin,  rapt, 
incendie,  mutilation,  et  elle  avait  lieu  directement  devant  la 
cour  de  justice,  sans  l'intervention  du  jury  d'accusation.  Le 
duel  judiciaire  était  ouvert  à  l'accusateur  comme  moyen  de 
justification.  Mais  celui-ci  pouvait  aussi  en  appeler  au  juge- 
ment du  pays,  c'est-à-dire  au  jury. 

La  seconde  forme  d'accusation,  celle  qui  devait  servirde 
modèle  aux  législateurs  de  l'Assemblée  constituante  de  1789, 


62  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

était  ouverte  à  tous  et  devait  nécessairement  passer  par  le  dou- 
ble jury  d'accusation  et  de  jugement. 

L'accusateur  débutait  par  une  requête,  demandant  au  magis- 
trat, qui  était  devenu  le  principal  officier  de  police  judiciaire, 
au  juge  de  paix  «  Justice  of  peacc  »,  un  ordre  d'arrestation  ou 
un  mandat  de  citation  contre  celui  qu'il  voulait  accuser.  I^ 
magistrat  examinait  les  faits  allégués,  et  délivrait,  s'il  y  avait 
lieu,  le  warrant  ou  ordre  d'arrestation,  en  vertu  duquel  l'ac- 
cusé était  transféré  et  détenu  dans  la  prison  du  comté. 

L'affaire  était  alors  soumise  au  grand  jury  pour  statuer  sur 
la  mise  en  accusation.  Le  jury  f/Wr?/.svz/?V>/î  comprenait  vingt- 
trois  tenanciers  choisis  par  le  shérif.  11  se  réunissait  sous  la 
présidence  du  chef  [forman)  et  entendait  le  plaignant  (perse- 
cutor)  et  les  témoins  à  charge,  sans  appeler  les  témoins  à 
décharge  et  les  accusés.  Pour  que  la  mise  en  accusation  fût 
prononcée,  l'avis  conforme  de  douze  jurés  était  nécessaire.  La 
décision,  écrite  par  le /orwan  au  bas  de  Vindictement  (acte 
d'accusation  dressé  par  le  plaignant),  était  ainsi  formulée  : 
truc'bill  (vrai  bill)  si  l'accusé  était  mis  en  accusation,  no-biU 
(pas  de  bill)  si  l'accusé  n'était  pas  renvoyé  devant  le  jury  de 
jugement. 

L'accusé  comparaissait,  à  la  barre,  devant  le  juge  qui  prési- 
dait l'assise;  le  greffier  lisait  l'indictcment,  annonçait  qu'il 
avait  été  trouvé  fondé  par  le  grand  jury  et  demandait  à  l'ac- 
cusé s'il  voulait  plaider  guilty  ou  not  guilty  (coupable  ou  noc 
coupable).  Si  l'accusé  plaidait  coupable,  c'est-à-dire  s'i 
avouait  sa  culpabilité,  il  était  jugé,  sans  assistance  du  jury,  pai 
le  juge  qui  lui  appliquait  la  peine.  S'il  plaidait  coupable 
l'afTaire  s'engageait  devant  le  jury.  On  tirait  alors  le  non 
des  jurés  sur  une  liste  de  48  à  72  noms,  dressée  par  le  shérif 
Taccusé  et  le  plaignant  avaient  le  droit  d'exercer  un  cerlaii 
nombre  de  récusations,  les  unes  motivées,  les  autres  péremp 
loires.  Les  douze  jurés  non  récusés  prêtaient  alors  serment 
L'avocat  du  plaignant  leur  exposait  l'affaire,  produisait  cl  in 
terrogeait  les  témoins.  L'avocat  de  l'accusé  les  interrogeait  i 
son  tour,  produisait  et  interrogeait  les  témoins  à  décharge  e 
présentait  la  défense  de  l'accusé.  Après  la  clôture  des  débats. 


V--. 


-u- 


)  ^ 


1 


I 


PROCEDURE  CRIMINELLE   DE    LA   RÉVOLUTION.  63 

le  jug:e,  président  du  jury,  faisait  son  résumé.  Puis  les  jurés 
étaient  renvoyés  dans  la  chambre  de  leurs  délibérations.  Ils 
devaient  rendre  leur  verdict  à  Tunanimité,  et  étaient  gardés 
dans  leur  chambre,  sans  feu,  sans  lumière,  sans  manger  ni 
boire,  jusqu'à  ce  qu'ils  se  fussent  mis  d'accord. 
{  I       En   dehors  de  cette  organisation,    la  législation  anglaise 
assurait  à  Taccusé  une  double  garantie  pour  protéger  sa  li- 
berté et   présenter  sa  défense.  D'après  le  célèbre  bill  d'Art- 
beas  corpus^  rendu  la  trentième  année  du  règne  de  Charles  II, 
tout  prisonnier  doit  obtenir,  six  heures  après  le  commence- 
ment de  sa  détention,  une  copie  de  son  warrant  d'emprison- 
oemont.  Et,  s*il   n'est  pas  légalement  détenu,   il   doit  être 
immédiatement  relâché.   Il  peut,  de  plus,  demander  à  être 
jugé  à  la  session  qui  suit  son  emprisonnement,  et,  s'il  n*est 
jugé  à  la  seconde,  il  est  mis  en  liberté.  Quant  à  la  plénitude 
1^    I    et  à  la  liberté  de  la  défense,  l'accuse  a  toute  garantie,  non 
leulement  par  la  publicité  et  la  contradiction  qui  sont  par- 
tout organisées,  mais  encore  par  l'obligation  imposée  au  pré- 
sident d'avertir  Taccusé  qu'il  n'est  pas  tenu  d'avouer  et  de  lui 
faire  connaître  les  conséquences  graves  que  peut  avoir  son 
aveu. 

Toutes  ces  institutions  ont  persisté,  ainsi  que  nous  le  ver- 
rons, dans  la  procédure  anglaise,  qui  représente  encore  de 
DOS  jours  le  type  conservé  de  l'ancien  système  accusatoire. 

§  VII.  —  L'ORGANISATION  JUDICIAIRE  ET  LA  PROCÉDURE 
DANS  LES  LOIS  DE  LA  RÉVOLUTION  JUSQU'AU  CODE  DE    1808. 

48.  L'étal  d'esprit  à  U  veille  de  la  Révolution.  Réformes  opérées.  —  49.  1-a  légis- 
ialion  crimioellc  de  TAssemblée  nationule  constituante.  —  60.  En  matière  de 
crimes,  la  procédure  parcourait  trois  phases.  Inslruclion  au  canton.  Au  district, 
magistrat  directeur  du  jury  et  jury  d'accusation.  Jugement.  —  51.  Qualités  et 
vices  de  cette  procédure.  —  52.  Procédure  en  matière  de  délits,  soit  de  police 
correctioQDolle,  soit  de  police  municipale.  —  63.  Application  du  .système  de  pro- 
cédure de  l'Assemblée  constituante.  Code  des  délits  et  des  peines  du  3  brumaire 
an  IV.  —  64.  Les  lois  de  Tan  IX.  Reconstitution  de  la  procédure  d'instruction  et 
du  ministère  public.  —  55.  Les  tribunaux  criminels  spéciaux. 

48.  Au  xvii*  siècle,  Tesprit  public  ne  paraît  pas  hostile  à 
la  législation  criminelle  du  temps.  La  procédure  inquisitoire, 


î  - 


[- 


64         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

son  secret,  Tabseocede  contradiction,  la  torture,  ce  sont  là, 
pour  les  meilleurs  esprits,  des  rigueurs  nécessaires.  Il  sem- 
ble que  la  défense  sociale  ne  puisse  être  assurée  que  par  ces 
iniquités.  La  crainte  des  criminels,   l'horreur  d'exécrables 
forfaits  dominent,  chez  le  peuple,  tout  sentiment  de  pitié  : 
ce  qu'on  appelait  une  bonne  justice,  c'était  une  justice  sévère. 
Au  xviii'  siècle,  le  point  de  vue  change  ;  par  cette  tendance,  si 
remarquée,  qui  attribuait,  en  tout,   les  torts  h  la  société  et 
qui  la  présumait  coupable,  alors  que  l'individu  était  présumé 
innocent,  on  vit  l'opinion  publique  se  retourner  contre  lajus- 
tice  du  temps.  La  révolution,  en  transformant  la  législation, 
ne  fera  qu'accomplir  des  réformes  depuis  longtemps  récla- 
mées par  la  conscience  publique  *.  C'est  au  mouvement  philoso- 
phique, qui  signale  la  seconde  moitié  du  ivui*"  siècle,  qu'est  dû, 
en  grande  partie,  ce  résultat.  Les  philosophes,  les  publicis- 
tes  avaient  pris  po.ur  thème  la  comparaison  entre  notre  légis- 
lation et  celle  de  l'Angleterre.  Voltaire  disait  :  «  En  France, 
le  Code  criminel  parait  dirigé  pour  la  perte  des  citoyens;  en 
Angleterre,  pour  leur  sauvegarde  ».  Montesquieu,  traçant  le 
tableau  des  institutions  anglaises,  faisait  l'éloge  de  l'institu- 
tion du  jury  qu'il  recommandait  à  l'adoption  des  législateurs. 
A  l'étranger,   un  mouvement  analogue   se   produisait.  Les 
magistrats  eux-mêmes  protestaient  contre  la  législation    du 
j\nV  siècle.  Les  académies^  suivant  l'opinion,  mettaient  au 
concours  le  plan  de  réformes  à  introduire  dans  le  droit  cri- 
minel. 11  ne  faut  donc  pas  s'étonner  que  les  réformes,  dans 
cette  direction,  aient  précédé  la  révolution.  C'est  ainsi  que 
la  torture  fut  abolie  en  France,  sous  Louis  XVI,  par  la  dé- 
claration du  4  août  1780,  qui  supprima  la  question  prépara- 
toire*. 

A  la  veille  de  la  révolution,  le  gouvernement  royal  recon- 
naissait qu'une  réforme  générale  de  la  procédure  criminelle 

§  VIL  *  Voy.  sur  ce  point  :  Esmein,  op.  cit.,  p.  386  et  suiv,;  Détourbet, 
La  procédure  triminelle  au  xvit^  siècle  (Paris,  1881),  p.  161  et  suiv.: 
Albert  Desjardins,  Les  Cahiers  des  Etats  généraux  en  4789  et  la  législation 
criminelle  (Paris,  1883),  p.  xi  et  suiv. 

2  Muyart  de  Vouglans,  Les  Lois  criminelles  (Paris,  1780),  p.  59. 


PROCÉDURE    CRIMINELLE   DE   LA   RÉVOLUTION.  65 

était  oécessaire;  il  en  Iraçait  les  grandes  lignes  dans  le  préam- 
bule de  redit  du  1*'  mai  1788.  Kn  attendant,  cet  acte  abro- 
geait plusieurs  abus  auxquels  il  avait  paru  urgent  de  remédier. 
!•  L'usage  de  la  sellelte  était  aboli  (art.  l").  2*  Il  élait  dé- 
tendu de  rendre  des  sentences  non  motivées.  «  Ne  pourront 
«  nos  juges,  même  nos  cours,  prononcer  en  matière  crimi- 
•<Dt:lle  pour  les  cas  résultant  du  procès  :  voulons  que  tout 
«arrêt  ou  jugement  énonce  ou  qualifie  expressément  les 
«crimes  et  les  délits  dont  Taccusé  aura  été  convaincu... 
V  Exceptons  les  arrêts  purement  confirmatifs  de  sentence  des 
«  premiers  juges,  dans  lesquels  lesdit  crimes  etdélits  seroieht 
«  expressément  énoncés;  à  la  charge  par  les  cours  de  faire 
"  transcrire,  dans  le  vu  de  leurs  arrêts,  lesdites  sentences  des 
«  premiers  juges,  le  tout  à  peine  de  nullité  »  (art.  3).  3*  L'abo- 
lition de  la  question  préparatoire  était  confirmée,  la  question 
préalable  était  supprimée  (art.  8).  On  la  remplaçait  par  un 
interrogatoire  suprême  fait  par  le  juge-commissaire,  le  jour 
même  de  Texécution,  avec  récolement  et  confrontation  s'il 
était  besoin.  Le  condamné,  dans  cet  interrogatoire,  comme 
dans  les  autres,  devait  prêter  serment.  4°  Une  condamnation 
à  mort  ne  pouvait  être  prononcée  qu*à  une  majorité  de  trois 
Toix  (arU  4).  5"  Il  était  dit  également,  dans  le  même  article, 
qu'  «  aucune  sentence,  portant  peine  de  mort  naturelle,  ne 
«  pourra  être  exécutée  qu'un  mois  après  qu'elle  aura  été  pro- 
«  noncée...,  sauf  les  jugements  rendus  pour  des  cas  de  sédi- 
c'  tion  ou  émotion  populaire,  seront  lesdits  jugements  exécu- 
«  tés  le  jour  qu'ils  auront  été  prononcés  aux  condamnés  ». 
Ce  délai,  que  l'ordonnance  de  1670  ne  donnait  pas,  avaitpour 
objet  de  permettre  au  condamné  de  solliciter  la  clémence 
royale.  11  disparut  dans  la  législation  intermédiaire,  par  suite, 
tout  à  la  fois,  de  l'abolition  du  droit  de  grâce  et  de  refTet  su&> 
pensif  attribué  au  pourvoi  en  cassation.  Plus  tard,  bien  que 
le  droit  de  grâce  eût  été  rétabli,  le  Code  d'instruction  crimi- 
nelle, copiant,  dans  son  article  37S,  le  Code  de  brumaire  an  IV, 
ordonna  l'exécution  des  arrêts  de  mort  aussitôt  qu'ils  seraient 
devenus  définitifs*.  Mais  la  coutume  a  repris,  de  nos  jours, 

'  C'était  également  la  disposition  de  l'ordon nance  de  1 670  (til.  XXV,  art. 24  ). 
G.  P.  P.  —  I.  5 


l 


66  PROCÉDURE    PÉNALE.   INTRODUCTION. 

la  disposition  de  Tédil  de  1788,  puisqu^aucune  condamnalioa 
à  mort  n'est  exécutée  qu'après  avoir  été  autorisée  par  le  chef 
de  l*Etat  qui  est  ainsi  mis  en  demeure  d*exercer  son  droit  de 
grâce.  6®  Enfin,  on  accordait  aux  accusés  absous  une  répara- 
tion d'honneur.  «  Nos  cours  et  juges  ordonnent,  disait  Tarti- 
i<  cle  7,  que  tout  jugement  ou  arrêt  d'absolution  rendu  en 
«  dernier  ressort,  ou  dont  il  n'y  aura  appel,  sera  imprimé  et 
<(  affiché  aux  frais  delà  partie  civile,  s^il  y  en  a,  sinon  aux  frais 
«  de  notre  domaine  ». 

Cet  édit  qui  souleva,  dans  le  Parlement,  la  plus  vive  oppo- 
sition et  qui  est  le  dernier  acte  d'exercice,  par  la  royauté,  de 
son  pouvoir  législatif  indépendant,  ne  fut  pas  appliqué^.  Mais 
il  prouve  que  les  réformes  sont  rnùres.  Ce  sera  à  la  nation  à 
les  réaliser.  Sur  aucune  des  questions  qui  agitèrent  l'opinion 
publique  à  cette  époque,  on  ne  rencontre  pareille  unanimité. 
Dans  les  cahiers  des  États  généraux,  nous  retrouvons,  indi- 
quées et  réclamées,  les  réformes  mêmes  que  l'Assemblée  con- 
stituante va  accomplir*,  l"  Tout  d'abord,  c'est  la  publicité  des 
procédures  qui  est  demandée.  2°  Puis,  l'assistance  facultative 
d'un  conseil  à  Taccusé.  Sur  ce  point,  les  cahiers  des  trois 
ordres  sont  unanimes.  Certains  cahiers  demandent  même 
que  le  défenseur  soit  donné  gratuitement.  D'autres  veulent 
que  le  conseil  assiste  l'accusé  dès  le  début  de  la  procédure; 
d'autres,  seulement  après  l'interrogatoire.  3"  Le  serment  im- 
posé à  l'accusé  doit  être  aboli.  4^  On  demande  la  restriction 
des  pouvoirs  du  juge  instructeur,  soit  au  moyen  de  l'adjonction 
d'autres  magislrals,soit  parla  substitution, devant  la  juridiction 
de  jugement,  de  la  preuve  orale  à  la  preuve  écrite.  5°  D'autres 
réformes  sont  réclamées  qui  avaient  été  déjà  opérées  par 
redit  de  1788,  telles  que  l'obligation  de  motiver  toutes  les  sen- 
tences, la  suppression  de  la  torture  et  l'abolition  de  la  sellette. 

*  Sur  cet  ('dit,"  Esmein,  op,  cit.,  p.  400  et  suiv. 

*  Cnrnp.  A.  D(.'sjardins,  Les  Cahiers  des  Etats  généraux  en  H 89  et  la 
Jr/jiMation  criminelle  (Paris,  1883).  Sur  les  va^ux  émis  en  ce  qui  concerne  la 
nMorme  de  l'organisation  judiciaire  :  chap.  IX  à  XII,  p.  189  à  253.  Sur  la 
n'*lorm(î  de  la  procédure  uu,  comme  on  disait  alors,  de  Tinstruction  crimi- 
nelle :  chap.  XIII  à  XIX,  p.  253  à  439. 


PROCÉDURE   CRIMINELLE    DE  LA   REVOLUTION.  67 

Ce  qui  est  unanimement  coodamoé,  c'est  Teosemble  des 
ÎQstitulions  arbitraires  qui  jetaient  un  si  graod  trouble  dans 
Tadministration  de  la  justice.  On  veut  voir  disparaître  les 
juridictions  d'exception,  supprimer  cette  justice  retenue  et 
a^t  e&ercice  du  pouvoir  absolu  qui  se  manifestaient,  avant  tout 
jugement,  par  les  lettres  d'abolition  et,  sans  jugement,  par 
les  lettres  de  cachet*. 

Enfin,  le  tiers-état  de  58  bailliages  demande  qu'on  distin- 
gue les  juges  du  fait  et  les  juges  du  droite  «  En  matière  cri- 
«  minelle,  le  jugement  du  fait  sera  toujours  séparé  du  juge- 
u  ment  du  droit.  L'institution  des  jurés  pour  le  jugement  du 
«  fait  paraissant  plus  favorable  à  la  sûreté  personnelle  et  à  la 
«liberté  publique,  les  États  généraux  chercheront  par  quels 
(1  moyens  on  pourrait  adapter  cette  institution  à  notre  légis- 
te lation  ».  Ainsi,  pour  l'organisation  de  la  justice  criminelle, 
comme  pour  celle  des  libertés  publiques^  c'est  à  l'Angleterre 
que  Tespril  public  va  demander  ses  modèles*. 

49.  L'Assemblée  constiluante,  en  remontant  aux  origines 
nationales,  se  trouvait  en  présence  de  deux  systèmes  opposés 
d'organisation  judiciaire  et  de  procédure  pénale.  L'un,  qui 
avait  régi  la  France  depuis  les  invasions  germaniques  jusque 
vers  le  w"*  siècle,  donnait  à  la  victime  du  délit  ou  à  ses  pa- 
rents le  droit  de  se  porter  accusateurs,  organisait  le  jugement 
parjurés,  la  preuve  orale,  la  publicité  des  audiences,  admet- 
tait le  droit  de  défense  à  toutes  les  phases  de  la  procédure. 
L'autre,  qui,  depuis  trois  sièclesseulement,  avait  pris  la  place 
(lu  premier,  successivement  organisé  par  les  ordonnances  de 
1498,  de  ij39  et  de  1670,  donnait  à  des  fonctionnaires  spé- 
ciaux le  droit  d'accuser,  ne  réservant  aux  parties  que  le  droit 
de  dénoncer,  établissait  une  procédure  par  enquête,  une  in- 

«  A.  Desjardins,  op.  cit.,  p.  229,  394,  402. 

'  A.  Desjardins,  op.  cit.,  p.  240  et  245. 

•  Un  Toil,  dans  les  cahiiTS,  invoquer  deux  exemples,  pour  justifier  Tëta- 
Llissement  delà  justice  par  jurés,  ci.'lui  de  la  France  elle-même  dans  les 
temps  plus  anciens,  et  celui  de  TAngleterre  dans  tous  les  temps,  Gump. 
Desjardiijs^  op.  cit.,  p.  2r2. 


1 


68         PROCÉDURE  PÉNALK.  —  INTRODUCTION. 

slruction  écrile  et  secrète,  des  preuves  légales,  supprimait  ou 
restreignait  le  droit  de  défense,  et  donnait  aux  juges  le  carac- 
tère de  fonctionnaires  publics,  investis  de  la  mission  perma- 
nente et  exclusive  de  juger. 

Dans  ses  réformes,  l'Assemblée  constituante  n'essaya  pas 
de  conserver  Tancienne  procédure,  en  la  débarrassant  de  ses 
vices  et  de  ses  duretés  :  elle  sacrifia  les  inslitulions  françaises 
h  lu  procédure  anglaise,  dont  elle  s'est  manifestement  inspi- 
rée ;  elle  ne  sut  pas  donner  à  l'intérêt  social  de  la  répression 
des  garanties  suffisantes,  surtout  dans  l'organisation  de  la 
poursuite  et  de  l'instruction  préparatoire.  C'est  le  principal 
reproche  qu'on  peut  lui  faire.  Une  chose  frappe  tout  d'abord 
dans  son  œuvre  :  c'est  la  séparation  complète  de  la  justice  cri- 
minelle et  de  la  justice  civile;  chacune  d'elles  a  son  organisa- 
tion distincte,  son  personnel  différent.  L'Assemblée  consti- 
tuante voulut  aussi  réagir  contre  l'organisation 'judiciaire  an- 
cienne, qui  n'avait,  à  aucune  époque,  connu  cette  séparation, 
et  qui  concentrait,  en  dernier  lieu,  dans  les  parlements^ 
l'administration  des  deux  justices.  Elle  réalisa  ainsi  intuiti- 
vement une  réforme  profonde  que  la  législation  postérieure 
devait  abandonner  et  à  laquelle  il  faudra  bien  cependant 
revenir,  le  jour  où  l'on  comprendra  que  le  procès  pénal  ne 
peut  pas  être  jugé  comme  le  procès  civil,  et  que  les  qualités 
d'un  bon  magistrat  civil  ne  sont  pas  précisément  celles  d'un 
bon  magistrat  criminel. 

L'Assemblée  nationale  constituante  vota,  sur  le  droit  cri- 
miuel,  quatre  lois  d'une  importance  capitale  :  1^  la  loi  des 
8-9  octobre  1789  qui  opère,  dans  la  procédure  criminelle,  la 
réforme  immédiate  des  abus  les  plus  graves,  mais  n'établit 
qu'un  état  de  choses  provisoire*;  2*  la  loi  des  16-29  septem- 
bre 1791  qui,  sous  le  titre  de  Décret  concernant  la  police  de 

"  Cette  loi  est  très  intéressante.  Elle  maintient,  en  ofTct,  les  règles  ge'né- 
rales  de  l'ordonnance  de  1670.  «  L'ordonnance  de  1670  et  les  t'dits  et  rè- 
«  ^Hements  concernant  la  matière  criminelle  continueront  d'être  observés 
"  en  tout  ce  qui  n'est  pas  contraire  au  présent  décret,  jusqu'à  ce  qu'il  en 
<'  ait  été  autrement  ordonné  (art.  28)  ».  Mais  deux  principes  nouveaux  in- 
terviennent :  la  publicité  de  la  procédure  et  l'assistance  d'un  conseil.  Pour 


PROCÉDURE    CRIMINELLE   DE   LA   RÉVOLUTION.  69 

sûreléy  la  justice  criminelle  et  f  établissemeiit  desjurés^  adapte 
la  procédure,  en  ce  qui  concerne  les  délits  les  plus  graves,  à 
Imstilution  nouvelle  du  jury;  3""  la  loi  des  25  septemhre- 
6  octobre  1191  qui,  sous  le  titre  trop  général  de  Code  pénal, 
établit  un  système  d'incrimination  et  de  pénalité  en  ce  qui 
concerne  les  délits  de  Tordre  le  plus  grave;  i""  la  loi  des 
19  et  22  juillet  1791  qui,  sous  le  nom  de  Décret  relatif  à 
^organisation  dune  police  municipale  et  cTune  police  correc- 
iionnelley  règle  l£^  pénalité,  en  même  temps  que  la  juridiction 
et  la  procédure,  quant  aux  délits  d*un  ordre  inférieur. 

Dans  cette  œuvre  législative,  on  voit  s'établir  une  division 
tripartite  entre  les  polices  municipale,  correctionnelle  ou  de 
sûreté,  auxquelles  correspondent  trois  ordres  d'infractions, 
les  délits  de  police  municipale,  ceux  de  police  correction- 
nelle, les  délits  de  sûreté.  Superposé  sur  la  division  des  in- 
fractions, l'organisme  judiciaire  répressif  comprend  trois 
ordres  de  tribunaux  :  des  tribunaux  de  police  municipale  et 
des  tribunaux  de  police  correctionnelle,  destinés  à  remplacer 
les  basses  et  moyennes  justices  et  les  prévôtés;  des  tribu- 
naux criminels,  destinés  à  remplacer  les  hautes  justices,  les 
bailliages,  les  sénéchaussées,  les  présidiaux  et  les  parlements. 

50.  En  matière  criminelle,  la  procédure  parcourait  trois 
phases  successives  :  1°  une  instruction  sommaire  avait  lieu 
au  canton  devant  l'officier  de  police;  2^  elle  se  continuait,  au 
district,  devant  le  jury  d*accusation;  3^  enfin,  les  débats  défi- 
nitifs et  le  jugement  étaient  suivis,  au  chef-lieu  du  dépar- 
tement, devant  le  tribunal  criminel. 

I.  C'était  le  juge  de  paix,  cette  création  de  l'Assemblée 
constituante,  qui,  dans  ce  système,  concentrait,  en  ses  mains^ 
les   fonctions  de  la  police  judiciaire.  Ce  magistrat  appelait 

la  première  partie  du  procès  criminel,  l'information,  le  décret  de  1789  se 
montrait  plus  libéral  que  ne  le  seront  les  lois  postérieures.  Mais  il  n'établis- 
sait pas  le  jury.  Lors  de  la  rédaction  du  Code  d'instruction  criminelle,  cer- 
tains esprits  proposaient  de  revenir  purement  et  simplement  à  cette  première 
réforme,  accomplie,  mais  à  titre  provisoire,  par  TAssemblée  constituante.  Voy. 
sur  tous  ces  points  :  Ksmein,  op.  cit.,  p.  410  à  416. 


70         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

devant  lui  les  incalpés  de  crime  ou  de  délit  par  mandat  (Va- 
mener,  litre  analogue  au  warrant  du  justice  of  peace^  et  exé- 
cutoire, an  besoin,  par  la  force  publique.  Celait  le  magis- 
trat qui  procédait  aux  premiers  actes  de  rinformation,  inter- 
rogatoire de  rincolpé,  audition  des  témoins,  constatations 
judiciaires.  S'il  pensait  qu'il  y  eût  lieu  k  poursuite  crimi- 
nelle, W  faisait  arrêter  Tinculpé  en  vertu  A^ \àn  mandat  d arrêt. 

Le  juge  de  paix  agissait  d'office,  en  cas  de  flagrant  délit, 
ou  encore  lorsqu'il  avait  connaissance  d'une  mort  dont  la 
cause  était  inconnue  ou  suspecte  :  dans  les  autres  cas^  il  agis- 
sait sous  l'impulsion  des  particuliers.  Ceux-ci  procédaient  par 
la  voie  d'une  plainte  ou  d'une  dénonciation  civique.  La  ter- 
minologie et  les  effets  de  ces  deux  modes  d'impulsion  des 
particuliers  étaient  nettement  arrêtés.  La  plainte  émanait  de 
la  partie  lésée  :  c'était  une  «  dénonciation  de  tort  personnel  ». 
Elle  avait  pour  effet  de  saisir  le  juge  de  paix  qui  devait  pro- 
céder aux  actes  de  sa  fonction.  Cet  officier  était  obligé  de  re- 
cevoir la  déposition  des  témoins  produits  par  le  plaignant,  et 
de  dresser,  s'il  y  avait  lieu,  des  procès-verbaux  sur  sa  réqui- 
sition. Si  le  juge  de  paix  refusait  de  poursuivre,  la  partie  lésée 
avait  le  droit  de  soumettre  directement  sa  plainte  au  jury 
d'accusation.  La  dénonciation  émanait  d'une  personne  non 
intéressée  :  elle  était  un  devoir  civique  pour  tous  les  citoyens. 
Signée  et  affirmée  par  le  dénonciateur,  elle  avait  le  même 
effet  que  la  plainte.  Si  le  dénonciateur  refusait  de  signer  et 
d'affirmer  sa  dénonciation,  le  juge  de  paix  n'avait  aucune 
obligation,  mais  la  faculté  de  poursuivre  d'office  s'il  y  avait 
lieu. 

Les  officiers  de  gendarmerie  exerçaient  les  fonctions  de 
police  judiciaire  en  concours  avec  les  juges  de  paix,  sauf 
dans  les  villes  ou  il  y  avait  plusieurs  juges  de  paix. 

Les  grandes  lignes  du  système  ainsi  exposées,  il  faut  recon- 
naître que,  dans  cette  phase,  quelques  critiques  pouvaient 
être  adressées  h  la  nouvelle  procédure  •  1"  elle  confiait  à  des 
officiers,  qui  n'étaient  ni  assez  nombreux,  ni  assez  haut  placés 
dans  la  hiérarchie  judiciaire,  les  fonctions  si  importantes  et 
si  graves  de  l'instruction  préalable  ;  2''  elle  confondait,  dans  les 


PROCÉDURE    CRIMINELLE   DE    LA   REVOLUTION.  H 

mêmes  mains,  ]e  droit  de  poursuivre  et  le  droit  d'instruire  : 
le  ministère  public  n^apparaissait  pas  dans  celte  phase  de  la 
procédure  et  le  magistrat  instructeur  se  mettait  en  eni|uèle 
soit  d^office,  soit  sur  l'impulsion  des  particuliers;  3*"  enfin, 
sans  ressusciter  le  sysième  de  Taccusation  populaire,  ce  sys- 
tème reconnaissait  aux  particuliers  un  droit  qu'il  reTusait  au 
ministère  public,  celui  de  mettre  en  mouvement  l'organisme 
judiciaire. 

II.  Du  canton,  la  procédure  était  portée  au  district  :  là  de- 
Tait  siéger  le  jury  d'accusation;  là  était  la  maison  d'arrêt; 
là  était,  en  permanence,  un  magistrat  appelé  directeur  du  junj^ 
pris,  à  tour  de  rôle,  tous  les  six  mois,  parmi  les  juges  du 
tribunal  du  district.  C'était  ce  magistrat  qui  recevait  le  dos* 
sierde  l'afTaire  des  mains  du  juge  de  paix  et  qui  continuai! 
Tinstruction.  Un  des  actes  les  plus  importants  de  cette  procé- 
dure consistait  dans  Tinterrogatoire  du  prévenu.  L'instruc- 
tion d«i  21  octobre  1791,  sur  l'exécution  du  décret  fixant  la 
procédure  parjurés,  portail  :  «  Comme  la  formalité  de  l'audi- 
ft  tion  du  prévenu  dans  les  vingt-quatre  heures  est  de  rigueur, 
ff  et  comme  il  est  intéressant  de  connaître  si  elle  a  été  rem- 
«  plie,  le  directeur  du  jury  doit  en  dresser  procès-verbal,  qui 
a  contiendra  les  déclarations  et  réponses  du  prévenu,  sans 
«  qu'il  soit  besoin  d'observer  les  anciennes  formules  des  in- 
"  terrogatoires,  ni  de  prendre  le  serment  du  prévenu  qu'il  va 
«  dire  la  vérité  :  le  simple  bon  sens  suffit  pour  convaincre  de 
«  rinutilité  et  de  l'immoralité  d'un  tel  serment,  qui  place  le 
X  prévenu  entre  le  parjure  et  la  peine.  Il  répugne  également 
<(  à  la  raison  de  faire  au  prévenu  cette  question  insignifiante, 
«  s'il  entend  prendre  droit  par  les  charges...  Le  directeur  du 
«  jury  ne  doit  se  permettre  aucune  question  captieuse,  il 
«  doit  entendre  la  déclaration  libre  du  prévenu  ». 

Si  ce  magistrat  pensait  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  à  accusation, 
il  soumettait  l'afTaire,  dans  les  vingt-quatre  heures,  au  tribu- 
nal du  district  qui  prononçait,  sur  cette  question,  après  avoir 
entendu  le  commissaire  du  roi.  S'il  pensait  qu'il  y  avait  lieu 
à  accusation,  ou  si,  contrairement  à  son  avis,  le  tribunal 
l'avait  ainsi  décidé,  il  rédigeait  Vacte  d'accusation  qui  devait 


72         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

être  présenté  au  jury.  C'était  Vindictement  de  la  procédure 
anglaise  sur  laquelle  avait  été  calquée,  en  effet,  la  marche 
du  procès.  En  attendant,  le  magistrat  continuait  Tinstructioo; 
et  la  déposition  des  témoins,  s'il  était  nécessaire  d'en  appeler, 
se  faisait  secrètement,  elle  était  recueillie  par  le  greffier  du 
tribunal,  «  non  dans  la  forme  qui  s'observait  sous  l'ancien 
«  régime  judiciaire  pour  les  informations,  mais  comme  sim- 
«  pies  déclarations  destinées  seulement  à  servir  de  renseigne- 
«  menls*^  ». 

Ces  règles  étaient  modifiées,  quand  il  y  avait,  au  procès,  un 
plaignant  ou  un  dénonciateur  en  cause.  Celui-ci  devenant 
associé  à  la  poursuite,  l'acte  d'accusation  devait  être  rédigé 
d'accord,  ou,  en  cas  de  désaccord,  chacun  dressait  le  sien, 
et  le  jury  choisissait.  Mais  tous  les  actes  d'accusation  devaient 
être  soumis  au  commissaire  du  roi  qui  y  mettait  son  visa  : 
«  la  loi  autorise  »  ;  ou  son  veto  :  «  la  loi  défend  ».  Dans  ce 
dernier  cas,  c'était  le  tribunal  de  district  qui  tranchait  la  dif- 
ficulté et  départageait.  L'examen  du  commissaire  du  roi  et, 
par  conséquent,  du  tribunal  portait  seulement  sur  le  point  de 
savoir  si  le  délit  entraînait  une  peine  afflictive  ou  infamante, 
en  le  supposant  prouvé. 

Le  jury  d'accusation  était  composé  de  huit  jurés.  Tous  les 
trois  mois,  le  procureur  syndic  de  chaque  district  dressait  une 
liste  de  trente  citoyens,  pris  parmi  tous  les  citoyens  du  dis- 
trict aptes  à  remplir  les  fonctionsde  jurés.  Le  directoire  du 
district  examinait  cette  liste  et  l'arrêtait,  s'il  l'approuvait. 
Huitaine  avant  le  jour  de  l'assemblée,  le  directeur  du  jury 
faisait  mettre,  dans  une  urne,  les  noms  des  trente  citoyens 
inscrits  sur  la  liste,  et,  au  milieu  de  l'auditoire,  en  présence 
du  public  et  du  commissaire  du  roi,  il  faisait  tirer  les  noms 
des  huit  citoyens.  Le  jury  d'accusation  se  réunissait  à  huis- 
clos,  sous  la  présidence  du  directeur  du  jury,  qui  remettait 
les  pièces  de  la  procédure,  à  l'exception  des  déclarations 
écrites  des  témoins.  Ceux-ci  devaient  être  entendus  oralement 
ainsi  que  la  partie  plaignante  ou  dénonciatrice,  si  elle  était 

*®  Instruction  sur  les  jurés  du  21  octobre  1791. 


PROCÉDURB   CRIMINELLE   DE   LA    REVOLUTION.  73 

présenle.  Puis,  les  jurés  laissés  seuls  par  le  directeur  du  jury 
délibéraient  sous  la  présidence  du  plus  ancien  d'âge.  Leur 
décision,  prise  à  la  majorité,  était  inscrite  au  bas  de  l'acte 
d'accusation  sous  cette  forme  :  «  Oui,  il  y  a  lieu  »,  ou  «  Non, 
il  ny  a  pas  lieu  ».  Suivant  que  le  jury  admettait  ou  n'admet- 
tait pas  Taccusation,  le  directeur  du  jury  rendait  contre  Tac- 
cusé  une  ordonnance  de  prise  de  corps,  ou  le  mettait  en 
liberté,  s'il  avait  été  arrêté. 

III.  En  cas  d'accusation,  l'affaire  était  portée  au  tribunal 
criminel,  établi  danscbaque  département,  et  composé  de  deux 
éléments  distincts  :  trois  juges  et  un  président,  qui  devaient 
statuer  sur  la  peine;  douze  jurés,  qui  devaient  prononcer  sur 
le  fait.  Le  ministère  public  était  représenté,  auprès  du  tribu- 
nal criminel,  par  un  accusateur  public  et  un  commissaire  du 
roi.  Le  premier  était  un  fonctionnaire  électif,  chargé  «  de 
poursuivre  les  délits  sur  les  actes  d'accusation  admis  par  les 
premiers  jurés  ».  Son  rôle  consistait  à  diriger  l'instruction  à 
charge  et  à  porter  la  parole  pour  soutenir  Taccusation.  Le 
commissaire  du  roi  avait  pour  fonction  de  veiller  à  l'exécution 
de  la  loi  et  d'en  requérir  l'application.  C'était  lui  qui,  en  cas 
de  verdict  affirmatif,  formulait  les  réquisitions  légales. 

Avant  l'audience,  deux  espèces  de  formalités  devaient  être 
remplies. 

Le  président  du  tribunal  criminel  interrogeait  l'accusé, 
dans  les  vingt-quatre  heures  de  son  arrivée  à  la  maison  de 
ju<;lice,  en  présence  de  l'accusateur  public.  Il  pouvait,  d'ail- 
leurs, d'une  manière  générale,  continuer  l'instruction. 

Puis,  avait  lieu  la  formation  du  jury  de  jugement.  Tout 
citoyen,  qui  avait  la  qualité  d'électeur,  était  tenu  de  se  faire 
inscrire,  au  district,  sur  un  registre  spécial.  Ces  inscriptions, 
envoyées  au  procureur  général  syndic  du  département^ 
formaient  une  liste  générale,  sur  laquelle  ce  magistrat  choi- 
sissait deux  cents  noms,  lesquels,  après  approbation  du  direc- 
toire de  département,  formaient  les  listes  de  session.  Le 
premier  jour  de  chaque  mois,  le  président  du  tribunal  crimi- 
nel, qui  remplissait  une  fonction  permanente,  faisait  former 
le  tableau  des  jurés  de  jugement  pour  la  session  qui  devait 


74         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

s'oavrip  le  quinze.  Un  droit  de  récusations  successÎTes  et  hors 
présence  était  accordé,  dans  des  conditions  de  compljcatiofi 
bizarres,  à  l'accusateur  et  à  Taccusé.  Le  jour  de  la  formation 
du  tableau,  le  président  du  tribunal  criminel  présente  à  Tac- 
cusateurla  liste  des  deux  cents  jurés  qui  lui  a  été  remise  par 
le  procureur  syndic.  L'accusateur  public  peut  en  récuser 
TÎn^t  sans  donner  de  motifs.  S*il  le  fait,  on  met  les  cent  qna- 
tre- vingts  noms  restants  dans  Turne  el  on  en  tire  au  sort  douze. 
Cette  liste  de  douze  est  alors  présentée  à  Taccusé  qui  peut,  à 
son  tour,  opérer  des  récusations.  Au  fur  et  à  mesure^  les 
jurés  récusés  sont  remplacés  par  le  sort  :  lorsque  l'accusé 
aura  exercé  vingt  récusations  sans  motifs,  celles  qu'il  vou- 
dra exercer  ensuite  devront  être  fondées  sur  des  causes  dont 
le  tribunal  criminel  jugera  la  validité. 

Le  jury  constitué,  Taccusé  comparait  devant  le  tribunal 
criminel.  Là  se  déroule  une  procédure,  écrite  dans  les  titres 
VI,  VII  et  VIII  de  la  deuxième  partie  de  la  loi  de  479i,  dont 
les  grandes  lignes  se  retrouvent  encore  aujourd'hui.  Trois 
traits  la  caractérisent  :  4*  D'abord  le  principe  de  V or aliié  du 
débat,  principe  relevé  avec  le  plus  grand  soin  et  à  plusieurs 
reprises  :  «  L'examen  des  témoins  sera  toujours  fait  de  vive 
a  voix  et  sans  que  leurs  dépositions  soient  écrites  **  ».  Les 
jurés  ne  recevaient,  comme  pièces,  que  Tacte  d'accusation  et 
les  procès-verbaux,  s'il  y  en  avait**.  2°  Puis,  le  régime  des 
preuves  de  conviction,  substitué  à  celui  des  preuves  légales. 
Cette  réforme  profonde  résultait  de  la  formule  même  du  ser- 
ment qui  était  imposé  aux  jurés  :  «  Vous  jurez...  de  vous 
«  décider  d'après  les  charges  et  les  moyens  de  défense,  et 
«  suivant  votre  conscience  el  votre  intime  conviction,  avec 
«  l'impartialité  et  la  fermeté  qui  conviennent  à  un  homme 
(clibre  ».  Ailleurs,  il  était  dit  :  «  L'accusé  pourra  faire  en- 
«  tendre  des  témoins  pour  attester  qu'il  est  homme  d'hon- 

*i  II«  partie,  til-,  VU,  art.  5. 

^^  Instruction  sur  les  jurés  :  «  Ils  doivent  examiner  les  pièces  du  procès, 
parmi  lesquelles  il  ne  faut  pas  comprendre  les  déclarations  récrites  des  té- 
moins, mais  seulement  Pacte  d'accusation,  les  procès-verbaux  et  autres 
pièces  semblables  »>. 


PROCÉDURE   CRIMINEI.LE   DE   LA   RÉVOLUTION.  7?> 

«  neur  et  de  probilé  el  d'une  conduite  irréprochable;  les 
ff  jurés  auront  tel  égard  que  de  raison  à  ce  témoignage  ». 
3**  La  procédare  élail  essentiellement  publique  :  tons  les 
actes  de  rînslrnction  deyaient  a?oir  lieu  à  Taudience,  toutes 
portes  ouvertes,  sous  le  contrôle  du  peuple.  4**  Enfin,  on  or- 
ganisait \di  contradiction  la  plus  complète  et  la  plus  sérieuse 
entre  Taccusation  et  la  défense. 

Le  président  du  tribunal  criminel  qui  dirigeait  les  débats 
devait  les  résumer  après  leur  clôture.  Dans  l'instruction  sur 
lesjnrés,  on  donnait,  à  cet  égard,  les  plus  sages  conseils  : 
K  Le  président  du  tribunal  fait  un  résume  de  TafTaire  et  la 
'<  réduit  à  ses  points  les  plus  simples.  Il  fait  remarquer  aux 
«jurés  les  principales  preuves  produites  pour  ou  contre  Tac- 
«ciisé.  Ce  résumé  est  destiné  à  éclairer  le  jury,  à  fixer  son 
<f  attention,  à  guider  son  jugement,  mais  il  ne  doit  pas  gêner 
«sa  liberté.  Les  jurés  doivent  au  juge  respect  et  déférence..., 
«mais  ils  ne  lui  doiventpoini  le  sacrifice  de  leur  opinion  dont 
«ils  ne  sont  comptables  qu'fi  leur  propre  conscience  ». 

Après  avoir  résumé  les  débals,  le  président  posait  par  écrit 
aux  jurés  des  questions  auxquelles  il  devait  être  répondu  par 
uo  oui  ow  par  on  non  pur  et  simple.  En  Angleterre,  le  juge 
De  donne  jamais  que  des  instructions  orales,  et  c'est  au  jury  à 
composer  son  verdict.  Le  système  des  questions  écriles,  ainsi 
ioaagnré  en  France  par  l'Assemblée  constituante,  est  plus 
conforme  aux  aptitudes  des  jurés  qui  ne  sont  pas  habitués, 
comme  les  magistrats  de  profession,  k  formuler  leur  opinion. 
Mais  avec  un  outil  aussi  délicat  à  manier,  deux  écueils  sont 
à  craindre  :  la  confusion  du  fait  et  du  droit  et  la  complexité 
des  éléments  du  fait  réunis  en  une  même  interrogation.  Mon- 
tesquieo  avait  déjà  donné  le  conseil  de  ne  présenter  aux  jurés 
qu'on  fait,  un  seul  fait  à  la  fois.   Pour  se  conformer  à  cette 
idée,  la  loi  imposait  trois  séries  de  questions  sur  chaque  chef 
d'accusation  :  1*  Le  fait  est-il  constant?  2*  L'accusé  en  est-il 
Tauteùr?  y  A-t-îl  agi  avec  intention  coupable?  Cette  der- 
nière question,  la  plus  délicate  à  poser  et  h  résoudre,  puisqu'il 
s'agissait  d'une  analyse  psychologique  de  l'état  d'âme  du  cri- 
minel, devait  particulièrement  appeler  l'attention  du  prési- 


76         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

dent.  (L  Ce  sera  au  juge  qui  conduit  la  procédure  et  qui  pré- 
«  side  et  dirige  le  débat,  de  recueillir  attentivement  les  diffé- 
«  rentes  questions  relatives  à  Tintention  auxquelles  la  nature 
«  du  fait  et  des  charges  peut  donner  ouverture,  pour  lesia- 
«  diquer  au  jury  et  fixer  sur  cet  ©bjet  sa  délibération.  Après 
«  avoir  pris  Tavis  du  tribunal  sur  la  manière  déposer  les  ques- 
«  tions,  il  les  posera  en  présence  du  public,  de  Taccusé,  de  ses 
«  conseils  et  des  jurés,  auxquels  il  les  remettra  par  écrit,  et 
<c  arrangées  dans  Tord rc  dans  lequel  ils  devront  en  délibérer*'  ». 
Une  majorité  de  dix  voix  était  nécessaire  pour  la  condam- 
nation, et  trois  voix  suffisaient,  soit  pour  décider  que  le  fait 
n'était  pas  constant,  soit  pour  décider,  en  faveur  de  Taccusé, 
les  questions  relatives  à  Tintention.  On  écartait  ainsi  la  règle 
traditionnelle  en  Angleterre,  d*après  laquelle  la  décision  d'un 
jury  doit  être  prise  à  l'unanimité.  L'esprit  théâtral  de  l'épo- 
que se  manifestait  dans  la  façon  dont  les  jurés  émettaient  leur 
opinion.  Le  vote  était  reçu  par  un  membre  du  tribunal,  com- 
mis par  le  président  et  par  le  commissaire  du  roi,  en  cham- 
bre du  conseil.  Là,  chaque  juré,  successivement  et  en   com- 
mençant par  le  chef^  «  et  les  uns  en  Tabsence  des  autres  », 
devait  faire  sa  déclaration  «  en  mettant  la  main  sur  son  cœur  », 
puis  déposait,  comme  moyen  de  contrôle,   dans  une  boite 
blanche  ou  noire,  une  boule  de  couleur  semblable,   pour 
chaque  déclaration.  Le  recensement  des  boules  était  fait  en 
présence  des  jurés.  Si  la  déclaration  était  négative,  ou  si  les 
jurés  avaient  déclaré   le  fait  commis  involontairement,    ou 
sans  intention,  ou  pour  la  légitime  défense  de  soi-même  ou 
d'autrui,  le  président  ordonnait  la  mise  en  liberté  immédiate 
de  Taccusé.  Le  décret  du  16  septembre  1791  consacrait,  en 
même  temps,  le  principe  de  Tautorité  de  la  chose  jugée,  en 
déclarant  que  Taccusé,  ainsi  acquitté,  ne  peut  plus  être  repris 
ni  accusé  pour  le  même  fait.  Si  la  déclaration  du  jury  était 
affirmative  et  Taccusé  convaincu  du  crime,  le  président  faisait 
comparaître  Taccusé  en  présence  du  public  et  lui  donnait 
connaissance  de  la  déclaration  du  jury.  Le  commissaire  du 

*•  Instruction  sur  les  jurés,  II«  part.,  lit.  VII,  art.  20  et  21. 


PROCFDUHE    CRIMINELLK    DR    T,A    REVOLUTION.  i  / 

roi  prend  alors  ses  conclusions  :  l'accusé  ou  ses  conseils  ont 
ensuite  la  parole  pourTapplicalion  de  la  peine.  Ils  ne  peuvent 
plus  plaider  que  le  fait  est  faux,  mais  seulement  qu'il  n*est 
pas  défendu  ou  qualifié  crime  par  la  loi  ou  qu'il  ne  mérite 
pas  la  peine  dont  le  commissaire  du  roi  a  requis  l'application. 
Le  président   recueille  alors  les  voix,  en  commençant  par  le 
juge  le  plus  jeune.  Les  magistrats  émettent  leur  avis  publi- 
quement et  à  haute  voix.  Le  jugement  formé,  le  président  le 
prononce  et  donne  lecture  du  texte  de  loi  sur  lequel  il  s'ap- 
puie. Ce  jugement  peut  porter  une  peine  criminelle  si  le  fait 
est  reconnu  crime;  si  le  fait  ne  constitue  qu'un  délit,  une 
peine  correctionnelle.  Enfin,  si  le  fait  n'est  pas  punissable, 
l'accusé  est  absous.  En  cas  de  condamnation,  le  président 
retrace,  en  prononçant  le  jugement,  la  manière  généreuse  et 
impartiale  avec  laquelle  Taccusé  a  étéjugé  :il  pourra  l'exhor- 
ter à  la  fermeté  et  à  la  résignation,   lui  rappellera  les  voies 
de  droit  qu'il  peut  encore  employer  pour  sa  défense, 

La  décision  des  jurés  était  sans  appel.  C'est  là  un  caractère 
qui  parait  essentiel  à  toute  juridiction  populaire.  «  La  déci- 
(c  sion  des  jurés  ne  pourra  jamais  être  soumise  à  l'appel.  Si, 
<c  néanmoins,  le  tribunal  est  unanimement  convaincu  que 
«  les  jurés  se  sont  trompés,  il  ordonnera  que  trois  jurés  seront 
«  adjoints  aux  douze  premiers  pour  donne.r  une  déclaration 
<c  aux  quatre  cinquièmes  des  voix  ».  Un  pourvoi  encassation, 
au  délai  général  de  trois  jours,  était  seulement  possible,  soit 
de  la  part  du  condamné,  soit  de  la  part  du  commissaire  du 
roi.  En  cas  d'absolution,  le  commissaire  du  roi  n'avait  même 
que  vingt-quatre  heures  pour  agir. 

51.  Telle  était  cette  procédure,  dont  les  principes  géné- 
raux devaient  si  profondément  s'imprimer  dans  la  législation 
française.  Ses  qualités  et  ses  vices  nous  apparaissent  aujour- 
d'hui avec  un  relief  saisisssant. 

L  La  législation  nouvelle  sépare  finstruction  criminelle, 
préparatoire  au  procès,  de  f  instruction  définitive  qui  précède 
le  jugement.  La  première,  dans  le  système  inquisitoire,  con- 
stituait toute  la  procédure;  mais  elle  était  bien  réduite  dans 


78         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

le  système  oouveau  :  inslruclion  sommaire  par  rofGcier  de  po- 
lice, audiiioa  facultalive  de  témoins  par  le  directeur,  du  jury, 
interrogatoire  oécessaire  de  Taccusé  parle  présideot  du  tri- 
buoal  criminel;  c'était  à  ces  actes  fragmeotés  et  qui  se  fai- 
saient successivement  devant  tant  d'autorités  différenles  que 
se   ramenait   toute   la  procédure    préliminaire   au    procès. 
Aussi   laffaire  se  présentait-elle  devant  le  jury  sans  être 
suffisamment  instruite.   Le  dossier   ne  pouvait  même   pas 
être  consulté,  car  les  dépositions  écrites  n*élaienl  remises  oi 
■àu  jury  d  accusation,  ni  au  jury   de  jugement.   On   tenait, 
enefTet,  par-dessus  tout,  au  caractère  d'oralité.  Ou  peut  dire, 
que  par  une  de  ces  réactions  aveugles  qui  dépassent  toute 
mesure,  on  avait,  en  réalité,  supprimé  Tinstruction  préalable. 
II.  L'institution  du  ministère  public,  à  raison  de  ses  ori* 
gines  et  des  services  qu'elle  avait  rendus  à  la  royauté,  pa- 
rut suspecte  à  TAssemblée  constituante.   Un  moment  il  fut 
question    de  l'abolir;   puis,    frappés  surtout  des  avantages 
qu'elle  présente,   soit  au  point  de  vue  de  l'administration 
de   la  justice,   soit    au  point  de  vue  de  ta  sûreté  de  la  ré- 
pression,  les  législateurs  dealers  conservèrent,   auprès   des 
tribunaux,  des  officiers  du  ministère  public  appelés  commis- 
saires du  roi  et  nommés  par  le  roi.  Mais,  par  une  double 
contradiction  qu'expliquent  seules  leurs  préventions,  d'une 
part,  ils  les  rendirent  inamovibles  et,  par  conséquent,  indé- 
pendants du  pouvoir  dont  ils  étaient  les  organes,  et,  d'autre 
part,  ils  leur  attribuèrent  exclusivement  le  droit  d*être  enten- 
dus sur  l'accusation  en  matière  criminelle  et  de  requérir  d^a$ 
rintérèt  de  la  loi.  L'initiative  des  poursuites  criminelles  fut 
réservée  aux  fonctionnaires  de  la   police  judiciaire,  c'est-à- 
dire  aux  juges  de  paix  et,  à  leur  défaut,  aux  officiers  de  gen- 
darmerie, et,  la  charge  de  soutenir  Taccusation  fut  donnée 
à  un  officier  spécial,  élu  par  le  peuple,  Taccusateur  public. 
Dans  ce  système,  le  ministère  public  n'intervenait  en  per- 
sonne que  quand  l'accusation  était,  non  seulement  engagée, 
mais  portée  devant  le  tribunal  criminel;  le  commissaire  du 
roi  et  Taccusateur  public  n'apparaissaient,  on  l'a  dit  exacte- 
ment, que  «  comme  des  avocats  que  Ton  choisit  quand  le  pro- 


PROCÊDU&E   CRIMINELLE   DE   LA   REVOLUTION.  79 

ces  est  eog^agé  ».   Ces  officiers  o'avaieni  pas  mis  ea  mou- 

vemenl  Tactioa  publique;  ils  ne  l'avaieul  pas  instruite;  ils 

igooraient  iout  de  l'affaire,  et  le  rapporteur  du  projet  de  loi 

Duport,  se  félicitant  de  cette  organisation^  disait  :  »  Cet  offi- 

«t  cier,  qui  sera  Taccusaleur  public  ne  doit  être  aucun  de  ceux 

•«  ((ui  ont  déjà  agi...,  un  tel  homme  serait   plus   considéré^ 

«  plus  redoutable  que  la  loi...,  il  aura  la  surveillance  de  tous 

<  les  officiers  de  police;  mais  jamais  il  ne  pourra  les  sup- 

«  pléer  dans  Teiercice  de  leurs  fonctions  ». 

III.  Cette  réduction  du  pouvoir  du  ministère  public  avait 
eu  pour  conséquence  Texagération  même  du  rôle  des  plai- 
gnants et  des  dénonciateurs  civiques.  Ce  n'était  plus  dans 
leur  intérêt  privé,  mais  dans  Tintérét  public  que  ces  derniers 
agissaient.  Leur  action  se  manifestait  en  saisissant  le  juge  de 
paix  et  en  provoquant  une  instruction;  plus  tard,  ils  pouvaient, 
de  leur  propre  autorité,  saisir  le  jury  d'accusation;  dans 
tous  les  cas,  ils  participaient  à  la  rédaction  de  l'acte  d'accusa- 
tion :  en  un  mot,  leur  rôle  grandissait  de  tout  ce  dont  diminuait 
celui  du  ministère  public.  C'était  le  système  anglais,  transplanté 
dans  un  pays  dont  les  mœurs,  les  habitudes,  les  traditions 
étaient  réfractaires  à  toute  instruction  privée  et  qui  avait  vécu, 
depuis  trois  siècles,  sous  le  régime  de  laccusation  publique. 

IV.  L'absence  d'une  partie  publique  dans  la  période  d*in- 
struction  préparatoire,  le  droit  du  juge  de  paix  de  se  saisir  d'of- 
fii-e  en  cas  de  flagrant  délit  ou  de  mort  suspecte,  d'agir  même 
sur  une  dénonciation  non  affirmée,  confondaient,  en  sa  per- 
sonne, deux  qualités  qu'il  eût  été  nécessaire  de  séparer  :  celle 
d'accuser  et  celle  d'instruire.  Peut-être  ce  régime  eut-il  été 
compatible  avec  une  forte  organisation  du  ministère  public 
et  à  la  condition,  par  les  officiers  Texorcant,  de  se  pourvoir, 
devant  le  tribunal  du  district,  des  autorisations  nécessaires 
pour  pratiquer  une  arrestation  ou  une  saisie?  Mais  la  concen- 
tration, entre  les  mains  du  juge  de  paix,  de  toutes  les  fonc- 
tions était  une  déplorable  contrefaçon  du  système  anglais. 

V.  Quant  à  l'organisation  du  jury,  elle  péchait  par  quatre 
points  fondamentaux  :  le  mode  de  recrutement  des  jurés, 
qui  confondait  le  droit  électoral  et  le   pouvoir  judiciaire; 


80         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

le  mode  de  questions,  qui,  par  suite  de  la  décomposition  de 
chaque  chef  d*accusation,  entraînait  des  complications,  des 
confusions,  des  erreurs  inévitables;  la  majorité  de  dix  voix 
exigée  pour  la  condamnation,  qui  faisait  la  part  trop  forte  à 
l'accuse;  le  système  des  peines  fixes,  qui  mettait  obstacle  à 
l'appréciation  de  la  culpabilité  individuelle  et  devait  amener 
les  jurés  à  transiger  avec  leur  conscience  en  acquittant  pour 
ne  pas  trop  sévèrement  condamner. 

VI.  Sans  doute,  on  avait  voulu,  par  crainte  d'ane  justice 
trop  individuelle,*  réduire  le  rôle  du  jury  et  du  tribunal  cri- 
minel à  faire  l'application,  aux  faits  de  la  cause,  d'une  for- 
mule légale,  mais  ce  rôle  machinal,  si  contraire  à  l'exercice 
de  la  justice  pénale,  ne  put  être  supporté  par  les  jurés  qui, 
sous  prétexte  de  rechercher  Tinlention,  ce  qu'ils  avaient  le 
droit  de  faire,  se  demandèrent  quelle  serait  la  conséquence  de 
leur  verdict,  ce  qui  leur  était  interdit. 

Mais  ils  prirent  ainsi  peu  à  peu  conscience  de  leur  mission, 
et  substituèrent,  à  cette  justice  impersonnelle  et  abstraite 
qu'avait  organisée  la  révolution,  une  justice  où  le  cœur  devait 
avoir  plus  de  part  encore  que  la  raison. 

52.  Correspondant  aux  deux  autres  catégoriesd'infractions, 
il  existait  deux  ordres  de  tribunaux  de  police  : 

Les  tribunaux  de  police  municipale,  organisés  par  le  dé- 
cret du  19  juillet  1791,  étaient  composés  :  1**  de  trois  officiers 
municipaux  ;  2®  du  procureur  de  la  commune  ou  de  son  sub- 
stitut. Ils  jugeaient  en  premier  ressort  tous  les  délits  de  police 
municipale  et  les  délits  ruraux  dont  la  peine  était  purement 
pécuniaire  ou  n'excédait  pas  trois  jours  de  prison  (Gode  rurale 
28  sept.  1791). 

Les  tribunaux  de  police  correctionnelle  étaient  organisés, 
dans  chaque  chef-lieu  de  canton,  par  le  décret  du  16  septem- 
bre 1791.  lia  se  composaient  d'un  président,  nommé  par  les 
électeurs  du  département,  pour  six  années,  de  trois  juges, 
pris  parmi  les  juges  du  district,  pour  trois  mois,  et  désignés 
par  le  directoire  du  département,  d'un  accusateur  public 
nommé  à  l'élection  pour  six  ans,  d'un  commissaire  du  roi 


PROCÉDURE   CRIMINELLE    DE   LA    RÉVOLUTION.  81 

oommé  parle  roi  et  à  vie,  d'un  greffier  nommé  par  les  élec- 
teurs du  département  et  à  vie  et  enfin  da  douze  jurés  de  ju- 
gement. 

La  procédure  devant  ces  tribunaux  avait  lieu  tout  entière 
à  l'audience;  il  n'y  avait  pas  d'instruction  officielle,  prépa- 
ratoire aux  débats.  A  côté  de  l'initiative  des  citoyens,  la  loi 
des  19-22  juillet  1791  autorisait,  pour  les  débats  de  police 
municipale,  l'action  d'une  sorte  de  partie  publique,  assez 
mal  organisée.  Aux  termes  de  l'article  44  :  «  La  poursuite  de 
ces  délits  sera  faite,  soit  par  les  citoyens  lésés,  soit  par  le 
procureur  delà  commune  ou  ses  substituts  s'il  y  en  a,  soit 
par  des  hommes  de  loi  nommés  à  cet  effet  parla  municipa- 
lité ».  Quant  aux  délits  de  police  correctionnelle,  personne 
ne  parait  avoir  eu  le  droit  de  citation  directe  devant  les 
tribunaux  compétents. 

Les  poursuivants  devaient  faire  leur  dénonciation  au  juge 
de  paix,  et  cet  officier,  s'il  y  avait  lieu,  renvoyait,  devant  le 
tribunal,  le  prévenu  qu'il  avait  cité  devant  lui  par  mandat 
d'amener  (art.  45  et  57). 

Il  restait,  du  débat  devant  ,1e  tribunal  correctionnel,  un 
procès-verbal  sommaire  dressé  par  le  greffier  :  c'est  l'origine 
des  notes  d^audience.  L'appel,  en  effet,  était  ouvert  devant 
le  tribunal  du  district  (L.  16  août  1790,  tit.  XI,  art.  2  et  G). 


>.  11  est  difficile  de  juger,  par  l'application,  le  système 
de  procédure  de  l'Assemblée  constituante.  Il  dura  peu  de 
temps  et  fut  remplacé  bientôt  par  le  Code  des  délits  et  des 
peines  du  3  brumaire  an  IV.  Et,  pendant  sa  courte  existence, 
d'une  part,  le  régime  des  tribunaux  et  des  procédures  révo- 
lutionnaires vint  créer,  à  côté  du  droit  commun,  un  état 
odieux  d'exception**;   et,  d'autre  part,  le  jeu   môme  de  la 

«*  Wallon,  Histoire  du  tribunal  r ci: oUitiounaire  tic  Paris  {\'i^%\ ,  5  vol. 
în-S**);  Berriat-Saint-Prix,  La  justice  révolu tionuaire  à  Paris,  Bordeaux, 
Brest,  Lyon,   Nantes,  Orange,  Strasboury  {i    vol.  in -H*»,  1801,  cl  2'' c^d., 

1  vol.  in  8%  1870);Campardon,  Histoire  du  tribunal  rcrolntionnaire  (18ri6, 

2  vol-  in-8o);  Sarot,  Tribunaux  répressifs  do  la  Manche  en  matière  politi- 
que (*  vol.  in-H^  1881-1880). 

G.  P.  P.  —  1.  G 


82         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

procédure  ordinaire  fut  faussé  par  TiDcroyable  arbitraire  qu 
Végnait  partout'*.  Malgré  cela,  les  principes  généraux,  qui 
TAssemblée  constituante  avait  adoptés,  furent  considéréi 
comme  définitifs  et  le  Code  du  3  brumaire  an  IV  ne  fit  qu( 
les  perfectionner  et  les  systématiser.  On  sait  que  ce  Code  est 
plutôt  Tœuvre  d'un  homme  que  d'une  assemblée.  La  Con- 
vention avait  chargé  Cambacérès  et  Merlin  de  préparer  uo 
travail  sur  Tensemble  de  la  législation.  Merlin  s'occupa  sur- 
tout de  la  législation  criminelle,  et,  au  bout  de  dix-huit  mois 
il  présenta,  à  la  Convention^  le  Code  des  délits  et  des  peines 
L'Assemblée,  qui  allait  se  séparer,  le  vota  de  confiance  el 
sans  discussion.  Ainsi  que  le  disait  Merlin  dans  son  rapport, 
ce  travail  «  n'est  pas  aussi  complet  que  son  titre  semble  le 
promettre  ».  Il  contient  646  articles  distribués  dans  trou 
livres,  intitulés  :  De  la  justice^  De  la  police^  Des  peines,  11 
remplaça,  pour  la  procédure  criminelle,  le  Code  du  16  sep- 
tembre 1791,  mais  il  maintint  les  dispositions  cEu  Code  pénal 
du  25  du  même  mois,  pour  toutes  les  dispositions  auxquelles 
il  n'était  pas  dérogé  d'une  manière  expresse. 

On  peut  dire  que  l'œuvre  de  Merlin  a  consisté  surtout  à  or- 
ganiser scientifiquement  les  principales  règles  de  la  législa- 
tion en  vigueur.  A  l'application,  le  Code  de  brumaire  se  mon- 
tra défectueux,  comme  toute  loi  qui  sort  du  cabinet  d'uo 
juriste  et  n'est  pas  puisée  dans  les  conditions  mêmes  de  la 
vie  juridique.  Sur  certains  points,  il  précise;  sur  d'autres,  il 
innove. 

1^  Le  Code  de  brumaire  distingue  d'abord  plus  nettemeni 
que  ne  le  faisait  la  loi  de  1791  l'action  à  fins  pénales  qui 
n'appartient  qu'au  peuple  et  qui  est  exercée  par  les  fonction- 
naires qu'il  délègue,  et  l'action  à  fins  civiles  qui  appartient  à 
la  partie  privée  et  a  simplement  pour  but  l'allocation   de 

^'^  Voy.  comme  exemple  do  ce  qui  pouvait  se  passer  sous  ce  régime,  Ir 
toi  du  22  vendémiaire  an  IV  qui  détend  &  tous  les  officiers  de  police  d^ 
traduire  devant  le  directeur  du  jury  aucun  citoyen  pour  un  fait  non  prévi 
et  spécitlé  par  les  lois  pénales  et  déclare  nuls  tous  actes  d'accusation  dres 
ses  pour  des  faits  semblables.  Gomp.  Taine,  Les  origines  de  la  France  con 
tcmporaine;  La  Hcvolution  (t.  2  de  IVd.  in-8»),  p.  184,  2r)l,  255,  259.     . 


PROCÉDURE    CRIMINELLE    DE   LA    REVOLUTION.  83 

dommages-inlérêls  (arl.  5,  6,  8).  Ce  n'est  là  qu'une  modifica- 
tion de  surface,  car  les  droits  des  particuliers  dans  la  pour- 
suite sont  maintenus.  La  dénonciation  civique  subsiste  (art.  87 
à 93].  Les  plaignants  et  les  dénonciateurs  participent  toujours 
à  la  rédaction  de  Tacte  d'accusation  (art.  224  à  227). 

2*  Le  Code  de  brumaire  conserve  les  officiers  de  police 
judiciaire  de  la  loi  de  179i,  les  juges  de  paix  et  les  officiers 
de  gendarmerie;  mais  il  ajoute,  à  cette  liste,  les  commissaires 
de  police,  les  gardes  champêtres  et  forestiers.  Ces  officiers 
agissent  toujours,  «  ou  sur  une  dénoDciation  officielle,  ou 
sur  une  dénonciation  civique,  ou  d'après  une  plainte,  ou 
d'office  D.  C'était  le  juge  de  paix  qui  faisait  l'instruction;  et 
cette  instruction  s'imposait  au  directeur  du  jury  (art.  242). 
Mais  tandis  que  la  loi  de  1791  se  montrait  concise  sur  les 
actes  de  cette  instruction,  le  Code  de  brumaire  s'expliquait, 
avec  détails,  dans  les  articles  102  à  131,  sur  les  diverses  me- 
sures qui  s'y  rapportaient,  les  procès-verbaux^  Vaudition  des 
témoins,  la  saisie  des  pièces  à  conviction. 

S""  Tandis  que  la  législation  antérieure  ne  connaissait, 
comme  moyen  de  faire  comparaître  l'inculpé,  que  l'emploi 
des  deux  seuls  mandats  d'amener  et  d'arrêt,  le  Code  de  bru- 
maire introduisit  un  nouveau  mandat,  qui  avait  le  caractère 
d'une  citation  simple,  le  mandat  de  comparution, 

4*  Le  directeur  du  jury  restait  le  magistrat  instructeur  du 
second  degré.  Il  continuait,  pour  la  compléter,  l'instruction 
commencée;  il  interrogeait  le  prévenu  et  faisait  tenir  note  de 
ses  réponses.  Des  témoins  qui  n'avaient  pas  été  entendus 
par  le  juge  de  paix  pouvaient  Têlre  par  le  directeur  du  jury 
qui  recevait  leurs  déclarations  secrètement,  en  dehors  du 
prévenu,  et  les  faisait  écrire  parle  greffier.  C'était  le  direc- 
teur du  jury  qui  statuait  sur  les  demandes  de  mise  en  liberté 
provisoire.  A  cet  égard,  le  Code  de  brumaire  reproduisait  les 
principales  règles  de  la  loi  de  1791. 

5*  Ni  la  composition  du  jury  d'accusation  ni  celle  du  jury  de 
jugement  n'étaient  modifiées.  La  procédure  du  jugement  était 
largement  et  minutieusement  décrite.  Elle  reslail  publique 
et  contradictoire.  iMais,  tout  en  maintenant  l'oralité  des  débals, 


84  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

le  Code  de  brumaire  avait  tempéré  les  excès  du  système.  Le 
dossier  de  rioslrtiction  devait  être  communiqués  àTaccusa- 
leur  public  et  à  Taccusé,  à  peiae  de  nullité  de  toutes  procé- 
dures ultérieures  »  (art.  319).  Les  documents,  ainsi  commu- 
niqués, pouvaient  être  mis  aux  débats  dans  une  mesure 
restreinte  qui  était  précisée  par  les  articles  365,  366  et  382. 
En  résumé,  le  Gode  des  délits  et  des  peines  ne  s'écarte 
guère  du  type  adopté  en  1791.  Mais  il  intègre  de  plus  en  plus 
dans  la  procédure,  comme  préliminaire  des  débats,  une  in- 
struction  préalable^  obligatoire,  secrète  et  écrite,  qui  va  deve- 
nir, par  la  place  que  lui  donnera  la  législation  française, 
une  des  institutions  les  plus  caractéristiques  de  notre  droit. 

54.  A  Tusagc,  la  procédure  de  brumaire  ne  parait  pas 
avoir  été  un  instrument  bien  efficace  de  défense  sociale.  Les 
temps  troublés,  pendant  lesquels  elle  fonctionna,  ne  se  prê- 
taient guère  à  Tessai  d'un  système  scientifique.  Aussi  le  travail 
de  reconstitution,  que  les  Godes  du  Gonsulat  et  de  TËmpire 
devaient  achever,  commença,  en  Tan  IX,  par  des  lois  impor- 
tanles  qui  sont  la  source  immédiate  et  directe  de  notre  pro- 
cédure d'instruction.  Gelle  du  7  pluviôse  marque  un  retour 
très  net  vers  le  passé  en  relevant  des  institutions  que  la  légis- 
lation révolutionnaire  avait  laissé  tomber  :  l^G'est,  d'abord, 
la  création,  à  la  base  de  la  poursuite,  d'un  ministère  public 
et  d'un  juge  d'instruction,  avec  une  distribution  nelte  des 
fonctions;  2*"  G'est  l'introduction  du  mandat  de  dépôt,  instru- 
ment d'incarcération  provisoire,  dont  la  durée  limitée  ne 
devait  pas  dépasser  vingt-quatre  heures,  et  dont  on  remettait 
l'emploi  au  ministère  public;  3°G'est  la  procédure  secrète  qui 
reparaissait  dans  l'instruction,  puisque  les  témoins  devaient 
être  entendus  séparément  et  hors  la  présence  du  prévenu; 
4°  Enfin,  les  preuves  écrites  étaient  substituées  aux  débats 
oraux  devant  le  jury  d'accusation.  De  toutes  les  modifications 
qu'introduisait  la  loi  nouvelle,  ce  fut  même  la  plus  vivement 
discutée. 

55.  La  loi  du  18  pluviôse  an  IX,  pour   mettre  un  terme 


CODE   d'instruction    CRIMINELLE.  85 

au  brigandage  qui  avait  trouvé,  dans  la  révolution,  un  mer- 
veilleux terrain  de  culture,  vint  instituer  des  tribunaux 
spéciaux**.  En  dessaisissant  le  jury  de  certains  procès  pour 
lesquels  il  s'était  montré  trop  faible,  on  déclara  vouloir  sau- 
ver rinstitution,  et,  à  vrai  dire,  on  la  sauva.  Déjà,  des  me- 
sures exceptionnelles  avaient  été  prises  contre  le  brigandage, 
par  la  loi  du  30  prairial  an  lil,  celle  du  i"*'  vendémiaire 
an  IV,  par  la  loi  du  29  nivôse  an  VI.  Mais  la  justice  des  com- 
missions militaires  avait  donné  lieu  à  des  critiques  méritées. 
Le  gouvernement  voulut  régulariser  ces  mesures.  11  demanda 
rétablissement  de  tribunaux  criminels  spéciaux.  Ces  juridic- 
tions étaient  composées  du  président  et  des  deux  juges  du  tri- 
bunal criminel,  de  trois  militaires  ayant  au  moins  le  grade 
de  capitaine,  et  de  deux  citoyens  ayant  les  qualités  requises 
pour  être  juges.  Ces  cinq  dernières  personnes  étaient  nom- 
mées par  le  premier  consul.  Le  projet  souleva  une  opposition 
des  plus  vives.  On  sentait  bien  que  les  tribunaux  spéciaux, 
présentés  comme  transitoires,  devaient  devenir  permanents 
et  que  l'esprit  de  réaction  maintiendrait  longtemps  Tex- 
ception  à  côté  de  la  règle.  Ce. que  Ton  proposait  de  ressusci- 
ter, c'était  Tune  des  plus  odieuses  institutions  de  Tancien 
régime,  celle  des  tribunaux  prévôtaux  organisés  par  Tordon- 
nance  de  1670.  Le  système  devait  passer  dans  le  Code  d*in- 
struction  criminelle;  les  tribunaux  spéciaux  seront  ensuite, 
en  1815,  remplacés  parles  «  cours  prévôtales  »,dontrorgani- 
sation,  transitoire,  il  est  vrai,  ne  sera  définitivement  exclue 
de  nos  institutions  que  par  Tarticle  54  de  la  Charte  de  1830. 

§  VIII.  -  LE  CODE  DmSTRUCTIOll  CRIMINELLE. 

56.  Les  Codes  du  Consulat  et  de  l'Empire.  Le  Code  d'instruction  criminelle  et  le 
Code  pénat.  —  57.  La  préparation  de  ces  deux  Codes.  —  58.  Le  Code  d'in- 
struction criminelle  de  1«08.  —  59.  Institutions  qui  forment  l'armature  même  de 
ce  Gode.  —  60.  Les  réformes.  —  61.  Le  projet  de  loi  sur  la  réforme  du  Code  d'in- 
struction criminelle  déposé  le  17  novembre  1879.  La  loi  du  8  dt'cembre  1897. 

56.  C'est  au  gouvernement  consulaire,  institué  par  la  loi 

^*  Voy.  l'étude  intéressante  et  détaillée  de  cette  institution  dans  Esniein, 
op.  «•(.,  p.  470  à  480. 


86         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

du  19  brumaire  an  VIII,  ou  plutôt  à  Napoléon  Bonaparte, 
son  clief,  qu'est  due  cette  reconstruction  des  assises  sociales 
dont  l'expression  la  plus  caractéristique  fui  la  codification 
des  lois  civiles  et  pénales  françaises.  Les  tendances  centra- 
lisatrices et  unificatrices,  qui  sont  le  fond  de  Thistoire  de 
France,  facililèrent  cet  énorme  travail.  Des  cinq  Codes, 
dont  le  Consulat  et  TEmpirc  ont  doté  la  France,  si  les 
Codes  de  législation  civile  furent  les  premiers,  par  leur  date 
comme  par  leur  importance,  les  Codes  de  législation  crimi- 
nelle furent  les  derniers*.  Et  cependant,  il  s'agissait  moins  de 
créer  une  législation  déjà  codifiée,  que  d*adapter  celle  légis- 
lation à  un  état  politique  et  social  nouveau.  Le  Code* pénal 
n'avait  pas  été  remanié  depuis  1791,  et  son  application  prati- 
que avait  révélé  de  nombreuses  imperfections.  La  procédure 
criminelle,  deux  fois  codifiée,  et  par  les  lois  de  1791  et  par  le 
Code  du  3  brumaire  an  IV,  avait  été  profondément  remaniée 
par  les  lois  de  Tan  IX.  Il  fallait  donc  dégager,  parmi  les 
institutions  qui  Jonchaient  le  sol,  celles  qui  devaient  être  re- 
levées, et,  parmi  les  institutions  qui  restaient  debout,  celles 
qui  devaient  être  détruites,  Tel  était  le  double  programme 
dont  s^inspira  le  gouvernement. 

57.  Un  arrêté  consulaire  du  7  germinal  an  IX  (28  mars 
1801)  nommait  une  commission  chargée  de  présenter  un 
projet  de  Code  criminel.  Cette  commission,  composée  de 
Vieillard,  Target,  Oudard,  Treilhard  et  Blondel,Védigea,  sous 
le  nom  de  Code  criminel,  correctionnel  et  de  police^  un  pro- 
jet unique,  en  HG9  articles,  et  divisé  en  deux  parties  :  Tune 
comprenant  les  lois  de  fond,rautre,  les  lois  de  forme ^  Cette 
seconde  partie  était  subdivisée  en  deux  livres,  consacrés.  Tua 
à  la  police,  et  Tautre  à  Injustice^. 

m 

§  VIII.  '  Voy.  S»fruzier,  Précis  historique  sur  les  Coaes  français,  in-8°, 
I84r). 

2  Locré,  t.  1,  p.  20 1;  Séruïier,  op,  cit.,  n°  102,  p.  82. 

3  Ce  projet  supprimait  les  cours  criminelles  sédentaires  et  les  remplaçait 
par  un  préteur  dont  la  mission  consistait  à  se  rendre  au  cheMieu  judiciaire 
du  département  pour  tenir  les  assises.  Voy.  Projet  de  Code  criminel,  avec 


CODE   d'instruction    CRIMINELLE.  87 

Le  Tribunal  de  cassation,  les  tribunaux  criminels  et  les 
tribunaux  d'appel  furent  consultés  sur  le  travail  de  la  corn- 
mission,  et  leurs  observations,  renvoyées  à  la  section  de  légis- 
lation du  Conseil  d'État,  composée  de  MM.  Bigot-Préameneu, 
président,  Berlier,  Galli,  Real,  Siméon,  Treilhard.  Les  corps 
judiciaires  se  montrèrent,  en  général,  défavorables  à  la  légis- 
lation de  TAssemblée  constiluante\  On  lui  imputait  le  man- 
que de  sécurité  qui  avait  caractérisé  longtemps  la  situation 
sociale  delà  France',  et,  par  un  regret  des  temps  disparus,  on 
demandait  le  retour  à  l'ancienne  procédure,  au  moins  dans 
la  phase  préparatoire*.  La  défense  sociale  ne  pouvait  être 
sauvegardée,  semblait-il,  que  par  le  système  inquisitorial. 

Le  Conseil  d*État  amorça  la  discussion  du  projet  le  2  prai- 
rial an  XII  (22  mai  1804).  Cette  discussion  s'engagea  sur 
une  série  de  questions  fondamentales  que  l'Empereur  avait 
prescrit  de  poser^  et  dura  jusqu'au  29  frimaire  an  XIII  (20 

le$  observations  des  rédacteurs,  celles  du  Tribunal  de  cassation  et  le  compte 
rendu  ]Hir  le  Grand-Juge,  Paris,  an  Xlï.  Mais  la  commission  avait  con- 
é-crvé  rinslitiilion  du  jury  el  la  procéilure  du  jugi»menl  orale,  pu[»li<|U(', 
lonlradictoire.  Oudart,  dans  les  observatioîis  «|uî  prm'daienl  la  seconde 
p.irtie  du  projet,  s'exprimait  ainsi  :  <*  La  loi  du  46  septembre  1791  qui  ain- 
u  troduit  parmi  nous  rinstruclion  parjurés,  serait  Tune  des  plus  belles  pro- 
<•  ductions  du  xviii*  siècle,  si  la  législation  n'avait  pas  été  entraînt'e  en  sens 
.  conlraire,  tantôt  par  la  force  re'vululionnaire,  tantôt  par  la  Force  des  ancien- 
«•  nés  habitu'Jes.  L'instruction  parjurés,  remise  à  la  f)arlie  des  citoyens  la  plus 
•  utile  et  la  plus  éclairée,  ne  peut  jamais  être  ni  ofipressive  ni  anarchique  >•. 

•  Observations 'des  tribunaux  d'appel  sur  le  projet  du  Code  criminel, 
4  voL  in-4«,  an  Xlïf. 

•  Il  faut  convenir  qu'à  l'aurore  du  xix*  siècle,  l'heure  n'était  pas  aux 
longues  méditations  sur  la  valeur  respective  des  juridictions  et  dos  proci-- 
iJures.  L'audace  des  malfaiteurs  était  telle  qu'il  fallut  orjçaniser,  pour  faire 
ia  chasse  aux  brigands,  des  coKuines  mobiles  el  déférer  les  malfaiteurs  à 
»Jes  conseils  de  guerre.  Ce  fut,  comme  nous  l'avons  dit,  l'œuvre  des  lois 
qui  sVchelonnèrent  de  l'an  III  à  l'an  IX.  La  répression  avîiit  été  quel(|ue 
peu  irrégulière  el  singulièrement  expéditive.  C'était  p<3ur  la  réj^ulari-er  que 
la  loi  du  18  pluviôse  an  L\  organisa  des  tribunaux  criminels  spéciaux. 

•  Voy.  des  extraits  dans  Molinier,  Traité  théor,  et  prat.  du  droit  pénal, 
t.  1,  p.  187  et  188.  Adde,  Locré,  1. 1,  p.  200.  Comp.  Ksmein,  op.  cit.,  p.  fKi; 

à  4^. 

'  Cîes  questions,  au  nombre  de  quatorze,  avaient  trait,  les  huit  premières, 


88         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

déc.  1804).  Si  elle  fut  interrompue  à  cette  époque,  c'est  qu'on 
ne  parvint  pas  à  s'entendre  sur  les  principes  de  l'organisation 
judiciaire  e(  sur  le  maintien  ou  Tabolilion  du  jury.  Il  s'agis- 
sait de  savoir  si,  pour  fortifier  l'administration  de  la  justice, 
il  ne  conviendrait  pas  de  supprimer  les  tribunaux  criminels 
pour  en  confier  les  attributions  aux  tribunaux  civils  et  aux 
cours  impériales  dans  la  mesure  de  leur  juridiction.  Ce 
projet  d'unifier  la  justice  pénale  et  la  justice  civile  et  de  la 
concentrer  dans  quelques  grands  corps  judiciaires,  qui  était 
un  retour  marqué  vers  le  passé,  avait  été  émis  par  l'Empe- 
reur*. Il  trouva  des  opposants  obstinés.  Ceux-ci  craignaient 
que  la  conception  proposée  ne  fut  inconciliable  avec  la  con- 
servation du  jury  à  laquelle  ils  tenaient  beaucoup*.  On  finit, 
semble-t-il,  par  reconnaître  que  les  deux  institutions,  celle 
d'une  organisation  unique  de  la  justice  civile  et  pénale,  celle 

à  la  procédure  criminelle  :  I.  L'instiluliou  du  jury  sera-t-elle  conservée?  IL 
Y  aura-t-il  un  jury  d'accusation  et  un  jury  de  jugement?  III.  Comment 
seront  nommés  les  jurés?  dans  quelles  classes  seront-ils  nommés?  qui  les 
nommera?  IV.  Comment  s'exercera  la  récusation?  V.  L'instruction  sera- 
l-eile  orale,  ou  partie  orale  et  partie  écrite?  VI.  Présentera-t-on  plusieurs 
questions  au  jury  du*  jugement?  n'en  présentera-t-on  qu'une  :  iV...  est-il 
coupable'^  VIL  La  déclaration  du  jury  sera-t-elle  rendue  à  l'unanimité  ou  à 
un  certain  nombre  de  voix?  VIII.  Y  aura-t-il  des  magistrats  qui  pourront 
tenir  des  assises  dans  un  ou  plusieurs  tribunaux  criminels  du  départe- 
ment? 

'  Locré,  t.  i,  p.  219  et  suiv. 

•  L'Empereur  ne  se  montra  pas  d'abord  un  adversaire  irréductible  du 
jury.  11  l'admettait,  s'il  était  possible  de  bien  le  composer,  et  à  la  condition 
d'organiser  des  tribunaux  d'exception  pour  les  crimes  commis  par  des  indi- 
vidus non  domiciliés  ou  réunis  en  bande.  Plus  tard,  l'Empereur  paraît 
avoir  combattu  le  jury,  et  M.  Cruppi,  dans  un  discours  sur  «Napoléon  et 
le  jury  »,  prononcé  à  l'audience  solennelle  de  rentrée  de  la  Cour  de  cassa- 
tion, le  16  octobre  1890,  attribue,  à  cette  lutte  contre  l'opinion  libérale,  les 
retards  que  subit  la  discussion  des  Codes  criminels.  Il  y  a,  dans  cette  thèse, 
une  grande  exagération.  Voy.  Esmein,  op.  cit,y  p.  50.">  à  526,  sur  la  ques- 
tion du  jury  devant  le  Conseil  d'État  et  l'attitude  de  Napoléon.  Celui-ci  se 
montra  nettement  hostile,  il  est  vrai,  au  jury  d'accusation  et  c'est  sur  un 
exposé  très  bien  fait  des  inconvénients  de  cette  institution  que  le  jury  d'accu- 
sation fut  supprime  (Locré,  t.  XXIV,  p.  622).  Mais  en  ce  qui  concerne 
le  jury  de  jugement,  les  opinions  de  Napoléon  n'ont  jamais  été  irréductibles. 


CODB   d'instruction   CRIMINELLE.  89 

du  jury  en  matièrecrimineile,  n'étaieotpas  inconciliables.  Mais 
la  discussion  fui,  tout  à  coup,  interrompue  et  resta  inache- 
vée '•.  On  ne  la  reprit  que  quatre  ans  après,  le  8  janvier  1808. 
La  section  de  législation  était  alors  composée  de  Treilhard, 
président,  Albisson,  Berlier,  Faure  et  Real.  On  lui  adjoignit 
Muraire,  premier  président,  et  Merlin,  procureur  général 
près  le  Tribunal  de  cassation.  Mais  le  projet  primitif  fut 
modifié  dans  sa  forme  :  au  lieu  d'un  Code  unique,  Ton  en 
projeta  deux,  Tun  relatif  aux  lois  de  forme,  l'autre  consacré 
aux  lois  de  fond.  Chacun  de  ces  projets  fut  discuté  séparé- 
meol.  On  sait  que  le  Tribunat  avait  été  supprimé  par  un 
sénaius-consulte  du  19  août  1807 '^  Ce  fut  donc  une  commis- 
sion prise  dans  le  Corps  législatif  qui  reçut  la  communication 
des  deux  projets.  Le  premier,  mis  en  délibération,  fut  le  Code 
d'instruction  criminelle.  La  discussion  occupa  trente-sept 
séances,  du  30  janvier  au  30  octobre  1808.  Ce  Code  reçut 
ensuite  la  sanction  législative  :  le  dernier  titre  en  fut  décrété 
le  16  décembre.  Mais  il  ne  pouvait  être  mis  en  vigueur  sans 
le  Code  pénal;  puis,  tous  deux  étant  décrétés,  Tunification  de 
la  justice  pénale  et  de  la  justice  civile,  qui  en  était  la  base, 
exigeait  une  organisation  judiciaire  nouvelle  qui  fut  faite  par 
la  loi  du  20  avril  1810.  Aussi  un  décret  du  7  décembre  180& 
ne  fixa-t-il  la  mise  en  vigueur  de  ces  deux  Codes  qu'au  {"jan- 
vier 1811. 

58.  Le  Code  d'instruction  criniinelle^^  se  compose  de  deux 

<•  Il  est  assez  difficile,  à  travers  les  documents  de  Tëpoque,  d'apercevoir 
le  véritable  motif  de  cette  interruption.  Napoléon,  depuis  quelque  temps, 
avait  cessé  d'assister  aux  séances  du  Conseil  d'État.  On  lui  a  imputé  cepen- 
dant le  retard  que  subit  le  projet.  Il  était,  dit-on,  un  adversaire  du  jury 
que  ses  conseillers  d'État  s'obstinaient  à  défendre.  Voyez,  note  précédente. 
En  réalité,  la  difficulté  de  savoir  quelle  serait  l'organisation  judiciaire  adop- 
tée, jointe  à  d'autres  préoccupations,  suffit  pour  expliquer  ce  retard. 

"  Le  mécanisme  législatif  du  ConsuJat  et  de  l'Kmpire  est  assez  bi- 
zarre. Il  a  été  finement  analysé  par  Ortolan,  Éléments  de  droit  pénal,  t.  1, 
n*  151. 

**  Tel  est,  en  eiïet,  le  titre  officiel  de  ce  Code.  L'ordonnance  criminelle 
de  1670  était  un  Code  d'instruction  criminelle,  puisque,  dans  la  procédure 


90         PROCBDURB  PBNALB.  —  INTRODUCTION. 

livres,  précédés  de  a  Dispositions  préliminaires  »,  relatives  à 
Texercice  des  aclions  publique  et  civile.  Le  premier  livre  est 
iolilulé  :  De  la  police  judiciairey  et  des  officiers  de  police 
qui  l'exercent  ;  il  traite  de  la  procédure  préalable  à  la  pour- 
suite et  qui  consiste  à  rechercher  et  constaler  les  crimes,  délits 
et  contraventions.  Le  second  livre,  intitulé  «  De  la  justice  », 
s'occupe  de  la  procédure  de  jugement  et  des  questions  qui 
se  rattachent  à  l'exécution.  Ce  Code  contient  643  articles. 

Comme  toutes  les  autres  œuvres  législatives  du  commen- 
cement du  XIX*  siècle,  ce  Code  est  une  œuvre  de  transaction 
ou  plutôt  de  superposition  entre  les  dispositions  contraires  des 
deux  lép^islalions  antérieures  :  l'ordonnance  de  1670,  c'est-à- 
dire  le  Code  de  Louis  XIV,  les  lois  de  4791,  c'est-à-dire  le 
Code  de  la  révolution.  Il  organise,  en  effet,  un  type  mixte 
de  procédure  qui  reproduit,  dans  la  première  phase  du  procès 
pénal,  l'instruction  préalable,  écrite,  secrète,  sans  contradic- 
tion, de  l'ordonnance  de  1670,  et  qui,  dans  la  seconde,  main- 
tient la  procédure  publique,  orale,  contradictoire  des  lois 
de  1791,  et  conserve  le  jury  de  jugement,  en  supprimant  le 
jury  d'accusation. 

lia  été  de  mode,  en  France,  de  se  montrer  sévère  pour  le 
Code  d'instruction  criminelle  de  1808  et  de  dire  que,  venu 
l'avant-dernier  de  nos  Codes,  il  en  est  le  moins  parfait.  11 
marque  cependant  une  date  dans  l'histoire  de  la  législation 
criminelle.  Le  savant  rapporteur  des  projets  de  modification 
de  la  procédure  pénale  en  Belgique,  Thonissen,  s'est  montré 
plus  juste  que  ne  le  sont  d'ordinaire  les  criminalisies  fran- 
çais :  ((  Ce  Code  n'était  pas,  comme  on  l'a  dit  tant  de  fois,  une 
«  œuvre  incohérente  de  despotisme  et  de  réaction.  Succédant 

qu'elle  formulait,  l'instruction  était  tout  le  procès.  Mais  le  Code  de  1808  eût 
•été  plus  exactement  intitulé  «  Gode  de  procédure  pénale  »  :de  procédure  et 
non  iV instruction»  puisque  l'instruction  n  est  qu'une  partie  de  la  procédure  ; 
pénale  et  non  criminelle ^  puisque  la  procédure  qui  est  codifiée  n'est  pas 
seulement  celle  des  crimes,  mais  encore  celle  des  délits  et  des  contraventions. 
Ce  double  motif  a  fait  adopter,  h  l'étranger,  le  titre  de  Code  de  procédure 
pénale  (Allemagne,  Autriche,  Belgique,  Italie,  etc.), 'de  préférence  au  titre 
français,  Code  d'instruction  criminelle. 


CODB   d'instruction   CRIMINELLE.  91 

«  au  Code  du  3  brumaire  au  IV,  dont  les  six  cents  articles, 
■■'■  préparés  en  huit  jours,  avaient  été  votés  en  deux  séances,  il 
"  réalisait  un  grand  et  incontestable  progrès.  Il  n*était  pas, 
ic  dans  iou  tes  ses  parties,  Texpression  la  plus  élevée  de  la  science 
«  de  l'époque,  mais  il  simplifiait  et  améliorait  notablement 
«  la  législation  existante.  Il  n'en  faut  pas  d'autres  preuves 
<•  que  Taccueil  qu*il  a  reçu  dans  une  grande  partie  de  TKu- 
«'  rope.  Il  a  longtemps  survécu  à  la  chute  de  Napoléon  1*% 
«  dans  tous  les  pays  que  la  République  et  TEmpire  avaient 
«  annexés  à  la  France.  Il  a  servi  de  type  à  la  plupart  des 
«  Codes  modernes.  Le  Code  de  1808  était,  on  réalité,  une 
«  œuvre  de  progrès,  un  bienfait  pour  la  France,  mais,  tout 
**  en  offrant  incontestablement  ce  caractère,  il  était  loin  d'at- 
<  teindre  à  la  perfection.  L'empereur  Napoléon  qui  ne  par- 
a  tageait  pas  les  illusions  des  rapporteurs  de  son  Conseil 
i'  d'État  avait  été  le  premier  à  s'en  apercevoir.  11  s'était  em- 
('  pressé  d'attacher  son  nom  au  Code  civil  :  maisil  avaitrefusé 
V  d'accorder  la  même  faveur  au  Code  de  procédure  pénale. 
<'  Il  était  trop  éclairé  pour  ne  pas  comprendre  que  le  temps 
«  et  l'exécution  ne  manqueraient  pas  de  signaler  bien  des 
'-*  imperfections  et  bien  des  lacunes.  Il  ne  promulgua  ses  Co- 
«'  des  criminels  que  sous  la  réserve  d'un  perfectionnement 
«  graduel,  dont  il  avait  par  avance  posé  le  principe  dans  son 
«  admirable  décret  du  3  nivôse  an  X  **.  L'expérience,  disait-il, 
M  indiquera  les  modifications  nécessaires  :  elle  fera  le  reste  ^^». 

59.  Quelles  sont  les  institutions  qui  forment  l'armature 
même  du  Code  d'instruction  criminelle  de  1808? 

1.  La  première  est  celle  de  la  divisio?i  de  pouvoir  entre  le 
ministère  public  et  le  Juge  d'instruction  dans  la  procédure 
préalable.  Cette  distinction  de  la  poursuite  et  de  l'instruction 

*'  C'était,  en  elfet,  une  idi'C  bien  juste  et  qui  aurait  pu  être  féconde,  que 
celle  qui  avait  porté  le  premier  consul  à  décider,  par  ce  décret,  que,  chaque 
-innée,  le  Tribunal  de  cassation  lui  enverrait  une  dépulation  de  douze  de  ses 
membres,  chargée  de  lui  faire  connaître  l(?s  vices  de  la  législation  signalés 
par  l'expérience  de  l'année. 

'^  Thonissen,  Rapporta  Ui  Chambre  de^  représentants  de  lielfjiquc. 


92         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

fut  présentée,  dans  les  travaux  préparatoires,  comme  une 
garantie  de  la  liberté  individuelle.  Mais  la  nécessité,  pour 
le  procureur  de  la  République,  de  requérir  le  juge  était  de 
nature  à  entraîner  des  lenteurs  dangereuses.  On  admit  la 
séparation  des  pouvoirs,  avec  ce  tempérament  qu^en  cas  de 
flagrant  délit,  le  ministère  public  serait  autorisé  à  faire  les 
actes  d'instruction  urgents.  Le  flagrant  délit  reprit  ainsi, 
dans  le  Code  d'instruction  criminelle,  la  place  importante 
qu'il  a  d'ordinaire  dans  les  droits  primitifs;  et  on  s'attacha, 
pour  restaurer  le  flagrant  délit,  d'une  part,  à  en  élargir  la 
notion,  et,  d'autre  part,  à  bien  montrer,  parla  rédaction  même 
du  Code,  qu'on  voyait  presque,  dans  le  flagrant  délit,  Thypo- 
thèse  normale  de  l'instruction.  C'est,  en  effet,  dans  la  section 
qui  traite  :  «  Du  mode  de  procéder  des  procureurs  dans  l'exer- 
cice de  leurs  fonctions  »,  que  se  trouvent  insérées  les  dispo- 
sitions concernant  la  confection  des  procès- verbaux.  Les  plain- 
tes et  lesdénonciations  furent  soigneusement  distinguées  :  c'est 
au  juge  que  doit  s'adresser  le  plaignant  (art.  63),  au  procu- 
reur que  doit  s'adresser  le  dénonciateur  (art.  31).  Mais  les 
plaintes  peuvent  aussi  être  adressées  au  procureur  qui  les 
transmet  alors,  avec  ses  réquisitions,  au  juge  d'instruction 
(art.  64). 

H.  La  séparation  de  l'enquête  préalable,  conduite  par  la 
police,  d'avec  instruction  proprement  dite,  codifiée  à  la 
justice^  n'apparait  pas  nettement  dans  les  textes.  En  réa- 
lité même,  le  Gode  d'instruction  criminelle  manque  de  pré- 
face. La  phase  policière  du  procès  pénal  se  passe  en  dehors 
de  lui;  le  Code  s'est  contenté  d'indiquer  quels  officiers 
en  étaient  chargés.  Il  n*a  pas  réglementé  les  actes  de  V  «  en- 
quête officieuse  ». 

III.  L'instruction  préparatoire,  nécessaire  quand  il  s'agit 
d'un  crime,  facultative  quand  il  s'agit  d'un  délit,  c'est  la  pro- 
cédure de  l'ordonnance  de  1670  jusqu'au  règlement  à  l'ex- 
traordinaire. D'abord,  l'audition  des  témoins  a  lieu  secrète- 
ment; le  prévenu  ne  peut  y  assister.  Les  articles  71  à  86, 
qui  en  règlent  la  forme,  reproduisent  presque  textuellement  le 
titre  VI  de  l'ordonnance.  Pour  les  perquisitions  et  les  saisies, 


CODE    d'instruction   CRIMINELLE.  93 

on  n^cueille,  dans  le  Code  du  3  brumaire  (art.  i2o  à  131), 
quelques  garanties  qui  doivent  accompagner  ces  opérations. 
Elles  ont  lieu  en  présence  du  prévenu,  s'il  a  été  arrêté  (art.  39 
et  89),  et  celui-ci  peut  fournir  des  explications;  il  reconnaît 
les  objets  saisis  et  paraphe  les  scellés.  Les  expertises,  si 
importantes  en  matière  criminelle,  ne  sont  pas  réglementées. 
Le  prévenu  n'est  pas  appelé  à  les  contredire.  La  seule  ga- 
rantie de  cette  procédure,  c'est  le  serment  imposé  aux  experts 
{art.  46).  Les  quatre  mandats,  créés  successivement  par  les  lois 
de  i791,  de  Tan  IV  et  de  Tan  IX,  sont  tous  conservés  avec 
leur  ancien  caractère.  En  principe,  la  procédure  s'ouvre  par 
un  mandat  de  coercition,  le  mandat  d'amener;  ce  n'est  qu'au 
cas  011  le  prévenu  est  domicilié  et  où  il  s'agit  d'un  simple  délit, 
que  le  juge  peut  se  contenter  de  lancer  un  mandat  de  compa- 
rution (art.  91).  Le  mandat  d'arrêt  est  celui  qui  doit  établir  la 
détention  préventive.  Quant  au  mandat  de  dépôt,  il  est  main- 
tenu, mais  avec  un  caractère  provisoire.  Le  cas  ordinaire 
d*application  de  ce  mandat  est  déterminé  par  Tarticlc  100. 
Le  Code  ne  s'occupe  de  l'interrogatoire  de  l'inculpé  que 
pour  fixer  le  délai  dans  lequel  le  premier  interrogatoire  doit 
avoir  lieu  (art.  93).  Aucune  forme  spéciale  n'est  prescrite; 
aucune  garantie  n'est  donnée.  Notamment,  le  juge  n'a  pas 
H  faire  connaître  à  l'inculpé  soit  l'objet  de  l'inculpation,  soit 
les  renseignements  déjà  recueillis. 

IV.  Uimtructioa  est  nécessairement  réglée  par  une  juru 
diction  d'ifistruction,  la  chambre  du  conseil  et  la  chambre 
des  mises  en  accusation.  La  procédure  devant  ces  juridictions 
est  secrète  comme  l'information.  Le  juge  d'instruction  fait 
partie  de  la  chambre  du  conseil.  En  matière  criminelle,  il 
suffit  d'une  seule  voix,  celle  du  juge  d'instruction,  pour  que 
les  pièces  soient  transmises  au  procureur  général.  Dans  la 
chambre  des  mises  en  accusation,  le  procureur  général  a 
accès;  mais  l'inculpé  n'est  ni  présont  ni  représenlé. 

V.  Quand  on  arrive  à  la  procédure  de  jugement,  la  scène 
change.  Ce  n'est  pas  dans  l'obscurité  des cabioctsd'instruction, 
c'est  au  grand  jour  de  l'audience  que  les  débals  vont  se 
dérouler  oralement  et  contradictoirement.  Cette  procédure 


94         PROCÉDURB  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

est  enliërcment  empruntée,  quant  à  ses  principes  et  à  sa 
réglementation,  aux  lois  de  la  révolution.  Quel  que  soit  le 
tribunal  chargé  de  juger,  la  procédure  est  publique,  orale, 
contradictoire.  C'est  le  Code  de  brumaire  qui  fournit  au  légis- 
lateur de  4808  ses  principales  dispositions.  Mais  le  Code  d'in- 
struction criminelle  de  1808  simjdifiele  système  des  questions 
posées  au  jury,  et  d'un  eiccs  tombe  dans  l'autre,  en  substi- 
tuant au  régime  de  l'analyse  celui  de  la  synthèse. 

VI.  Ce  n*est  là  que  la  procédure  de  droit  commun  :  il  exis- 
tait une  procédure  d'exception  en  fnatière  criminelle.  Il  était 
institué  des  Cours  spéciales  (art.  583  à  599),  héritières  des 
tribunaux  spéciaux  organisés  par  les  lois  du  18  pluviôse  an  IX 
et  du  22  floréal  an  X.  Ces  cours  comprenaient  cinq  des  magis- 
trats qui  siégeaient  à  la  cour  d'assises  et  trois  militaires 
ayant  au  moins  le  grade  de  capitaine.  Elles  connaissaient  de 
tous  les  crimes  commis  par  les  vagabonds  ou  gens  sans  aveu 
ou  par  des  condamnés  à  des  peines  afflictives  ou  infamantes, 
ainsi  que  des  crimes  de  rébellion  à  la  force  armée,  de  contre- 
bande armée,  de  fausse  monnaie  et  d'assassinat  préparé  par 
des  attroupements  armés  (art.  553,  554).  Toute  l'instruction 
préparatoire  était  suivie  dans  les  mêmes  formes  que  pour  les 
aflaires  soumises  au  jury  :  c'était  la  chambre  d'accusation, 
qui  ordonnait,  s*il  y  avait  lieu,  le  renvoi  devant  la  cour  spé- 
ciale. Cet  arrêt  était  d'office  soumis  à  la  chambre  criminelle 
de  la  Cour  de  cassation  (art.  568  et  570),  Devant  la  cour  spé- 
ciale, le  débat  était  oral,  public,  contradictoire.  Le  jugement 
était  rendu  à  la  majorité  des  voix,  le  partage  profitant  à  Pac- 
cusé  (art.  582);  il  était  en  dernier  ressort,  mais  pouvait  être 
l'objet  d'un  pourvoi  en  cassation  (art.  597). 

60.  Près  d'un  siècle  d'application  ont  révélé  les  fai- 
blesses du  Code  d'instruction  criminelle.  Beaucoup  ont  été 
amendées,  sous  Tinflucnce  des  changements  politiques  avec 
lesquels  la  législation  criminelle  est  en  constante  corrélation. 
Durant  cette  longue  période,  et  en  un  temps  plus  favorable 
qu'aucun  autre  au  libre  examen  des  institutions  et  des  lois, 
Topinion  scientifique  n'est  restée  ni  stationnaire  ni  indifTé- 


CODE   d'instruction   CRIMINELLE.  95 

rente.  Commencée  à  la  chute  même  du  premier  empire, 
révolution  vers  une  justice  toujours  plus  éclairée  et  plus  hu- 
maine, s*est  accentuée  de  jour  en  jour,  et,  sur  notre  vieux 
Code,  rajeuni  par  des  adjonctions  ou  des  retranchements  suc- 
cessifs, s'efface  de  plus  en  plus  l'empreinte  initiale  qu'avait 
si  fortement  marquée  Tempereur  Napoléon. 

Au  point  de  vue  de  leur  forme,  les  lois  modificatives  da 
Code  d'instruction  criminelle  sont  de  deux  sortes  :  l""  Les  unes 
ont  été  incorporées  dans  son  texte.  Ainsi  une  revision  d'en- 
semble du  Code  pénal  et  du  Code  d'instruction  criminelle  a  été 
faite  parla  loi  du  28  avril  1832;  et,  à  cette  époque,  une  nou- 
velle édition  en  a  été  ofRciellemeot  donnée.  La  loi  du  14  juin 
1863a  modifié  les  articles  91,  94, 113  à  126,  206  et  613.  2'  Les 
autres  lois  sont  restées  en  dehors  de  l'œuvre  de  codification. 
Telle  est,  pour  partie,  celle  du  27  juin  1866. 

Des  deux  livres  qui  composent  le  Code  d'instruction  crimi- 
nelle, si  le  second,  qui  concerne  la  procédure  de  jugement, 
est  resté  plus  stable,  le  premier,  qui  concerne  la  procédure 
d'instruction^  a  subi  des  modifications  plus  profondes. 

Au  point  de  vue  de  la  procédure  de  jugement,  on  doit  noter  : 
la  suppression  de  la  faculté  de  créer  des  cours  prévotales, 
édictée  par  les  articles  53  et  54  de  la  Charte  de  1830,  suppres- 
sion qui  rendit  sans  objet  le  titre  sixième  du  livre  II  (art.  553 
à  599),  intitulé  :  Des  cours  spéciales:  les  modifications  appor- 
tées, soit  à  la  position  des  questions  au  jury,  soit  à  la  majo- 
rité requise  pour  former  sa  décision,  par  la  loi  du  4  mars 
1831,  sur  les  cours  d*assises,  qui  a  abrogé  les  articles  254  à  256, 
ainsi  que  Tarticle  351,  et  par  celle  du  9  septembre  1835  qui 
a  modifié  les  articles  341,  346,  347  et  352;  les  changements 
fréquents  apportés  à  la  composition  du  jury,  contrecoups  des 
courants  politiques  et  des  révolutions,  si  bien  que  chaque 
régime  a  eu  sa  loi  du  jury;  le  droit  donné  au  jury,  par  la 
loi  du  28  avril  1832,  de  déclarer  des  circonstances  allénuantes 
en  toute  matière  criminelle;  la  suppression  du  résumé  du 
président  d'assises  par  la  loi  du  19  juin  1881,  à  raison  des 
nombreux  abus  auxquels  cette  institution,  cependant  contem- 
poraine de  l'introduction  du  jury  en  France,   avait  donné 


96  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

0 

lieu;  l'extension  du  pourvoi  en  revision  par  des  lois  succes- 
sives dont  la  dernière  porte  la  date  du  o  juin  1895  ;  les  modi- 
fications aux  règles  de  Tappel  et  du  pourvoi  en  cassation  par 
les  lois  des  dO  juin  1853,  13  juin  1856,  etc. 

L'instruction  préalable  était  la  partie  la  plus  archaïque 
du  Code  d'instruction  criminelle.  Dans  ses  règles,  survivait  la 
législation  de  Louis  XIV,  Tordonnance  de  1670.  Ce  fut  donc 
à  cette  phase  de  la  procédure  que  s'attaqua  surtout  Tesprit 
de  réforme.  Trois  lois,  se  rattachant  à  la  même  inspiration, 
émanées  du  même  régime  politique,  la  loi  du  17  juillet 
1856,  la  loi  du  14  juillet  1865,  celle  du  20  mai  1863,  ont  mo- 
difié :  la  première,  l'organisation  des  juridictions  d'instruc- 
tion ;  la  seconde,  les  règles  de  la  détention  préventive  ;  la 
troisième,  l'instruction  et  le  jugement  en  cas  de  flagrant 
délit.  Ces  lois  ont  eu  pour  objet  de  diminuer,  par  un  ensem- 
ble d'institutions  appropriées,  le  nombre  et  la  durée  des  dé- 
tentions préventives.  Elles  ont  été  complétées,  mais  bien  plus 
tard,  par  la  loi  du  15  novembre  1892  qui  impute  la  détention 
préventive  sur  la  peine.  Mais  toutes  ces  réformes  ne  portent 
que  sur  des  points  spéciaux  de  l'instruction  préalable.  La 
revision  du  premier  livre  du  Code  d'instruction  criminelle 
qui  traite  de  la  police  judiciaire  et  de  l'instruction  a  été  depuis 
longtemps  entreprise  dans  des  conditions  intéressantes  à  rap- 
peler. 

61.  Le  dépôt  par  le  gouvernement  du  premier  projet  sur 
la  matière  remonte  au  17  novembre  1879*'. 

Ce  projet,  très  hardi  dans  ses  innovations,  instituait  l'in- 
formation contradictoire,  en  permettant  au  ministère  public, 
à  rinculpé,  à  la  partie  civile,  d'assister  à  tous  les  actes  de  la 
procédure  préalable.  11  fut  examiné  par  une  commission  qui 
choisit  pour  rapporteur,  le  procureur  général  à  la  Cour  de 
cassation.   Dauphin*";  puis  discuté  par  le  Sénal*\  et  voté, 

*'  S(^ntil,  session  extraordinaire  de  1879,  Doc.  pari.,  n°  7. 
'*  Rapport,  Sénat,  session  de  1882,  Doc.  pari,,  n«  63. 
*^  La  discussion   suivit  la  filière  ordinaire.  La  première  délibération  oc- 
cupa les  quinze  t^éancos  des  0,  8,  9,  13,  15,  16,  20,  22,  23,  25,  27  mai,  1", 


CODE    d'instruction   CRIMINELLE.  97 

dans  son  ensemble,  le  5  août  iS82,  mais  avec  des  modifica- 
tions qui  eo  altéraient  profondément  le  caractère  et  Tesprit. 
Plus  de  contradiction  dans  Je  cabinet  du  juge  :  la  procé- 
dure restait  inquisitoriale  et  secrète. 

Toutefois,  l'inculpé  avait  le  droit  de  réclamer  toutes  les 
mesures  d'instruction  utiles  à  sa  défense  et  celui  de  se  pour- 
voir devant  la  chambre  du  conseil  rétablie,  au  cas  où  le  magis- 
trat instructeur  refuserait  de  les  ordonner;  et  afin  que  cette 
faculté  pût  s'exercer  en  pleine  connaissance  de  cause,  on  pres- 
crivait la  communication  du  dossier  au  défenseur  avant 
chaque  interrogatoire  de  Tinculpé. 

La  commission  de  la  Chambre  des  députés,  à  laquelle  le 
projet  fut  soumis,  exprima  Tavis,  par  Torgane  de  son  rappor- 
teur M.  Goblet*%  que  le  système,  institué  par  le  Sénat,  «  ne 
0.  donnait  pas  les  mêmes  garanties  à  la  défense  et  prétait  h 
"  des  critiques  au  moins  aussi  sérieuses  que  celles  qui 
«  avaient  été  dirigées  contre  le  projet  du  gouvernement  ». 

Elle  proposa  de  revenir  au  système  du  projet  et  de  substi- 
tuer, à  rinformation  secrète  et  sans  contradiction,  une  infor- 
mation suivie  et  contrôlée,  depuis  le  premier  jusqu'au  dernier 
acte,  par  le  conseil  de  Tinculpé.  Ce  système  triompha  devant 
la  Chambre,  et  le  vote,  en  première  lecture,  eut  lieu  le  8  no- 
vembre 4884,  sans  qu'on  ait  pu  passer  à  une  seconde  lecture 
par  suite  de  Texpiration  des  pouvoirs  de  la  Chambre. 

Depuis  lors,  et  jusqu'à  Tannée  1894,  le  gouvernement,  à 
chacune  des  législatures  qui  se  sont  succédées,  en  1885,  en 
1889,  et  en  1894,  a  présenté,  à  la  Chambre,  le  projet  voté  par 
le  Sénat.  Trois  fois  aussi,  en  1887,  en  1891  et  en  1895, 
M.  Bovier-Lapierre,  au  nom  de  la  Commission,  a  déposé  des 
rapports  dont  la  discussion  n'a  jamais  été  abordée^'.  Le  sys- 
tème proposé  était,  sauf  quelques  dilTérences  de  détail,  con- 

6,  <0et  13  juin  1882.  La  seconde  délib«^raliun  a  eu  lieu  aux  (lualre  séances 
des  24  et  27  juillet,  3  çt  5  août  1882. 

*•  Rapport  do  M.  Goblct,  (Ihambre  îles  députés,  session  extraordinaire 
i:^.  1883,  Doc.  parl.y  n°  2377. 

**  Les  trois  rap{K)rts  de  M.  Bovier-Lapierre  onl  été  déposés,  le  20  janvier 
i>i87,  le  15  janvier  1891  et  le  5  décembre  ISO'i. 

G.  P.  P.  —  1.  7 


98  PROCÉDURE  PBNALB.  —  INTRODUCTION. 

forme  à  celui  qui  avait  été  accueilli  par  la  Chambre  en  1884. 
Cependant,  celle  réforme  complète  de  Tinstruction  prépara- 
toire, que  la  commission  formulait  en  236  articles,  ne  parais- 
sait pas  pouvoir  aboutir  à  un  vote  prochain.  Dans  celte 
crainte,  M.  Conslans,  et  soiiante-trois  de  ses  collègues,  saisi- 
rent le  Sénat,  à  la  date  du  iO  avril  1895,  d'une  pro])osilion  de 
lui  en  six  articles,  dont  le  caractère  essentiel  étail  de  permettre 
à  l'inculpe  de  se  faire  assister  d'un  défenseur  dès  le  premier 
acte  de  Tinformation  et  de  ne  répondre  qu'en  sa  présence 
aux  interrogatoires.  La  première  innovation  fut  admise,  sans 
difficulté,  parla  commission  du  Sénat  nommée  pour  étudier 
la  proposition.  La  seconde  lui  parut  si  grave  qu'elle  se  borna 
à  la  réserver.  Kl  le  détacha  donc  du  projet  général  de  réforme 
du  Code  d'instruction  criminelle  les  dispositions  sur  lesquelles 
l'accord  entre  le  Sénat  et  la  Chambre  paraissait  possible.  Son 
rapporteur,  M.  Thézard,  soumettait  au  Sénat,  sur  ces  bases, 
un  projet,  en  cinquante  articles,  qui  vint  en  discussion  le 
12  décembre  i895  ^^  Mais,  à  cette  séance,  M.  Conslans  fit 
observer  que  l'assistance  de  l'avocat  aux  interrogatoires,  qui 
était  la  pensée  principale  de  sa  proposition,  n'avait  pas  été 
examinée,  et  il  demanda  le  renvoi  a  la  commission  pour 
qu'elle  en  rcîprîl  Tétude.  Cet  incident  amena  la  démis- 
sion de  la  commission  et  la  nomination  d'une  commission 
nouvelle  qui  admit  la  présence  aux  interrogatoires  du  conseil 
de  l'inculpé^'.  Mais,  avant  de  soumettre  au  Sénat  le  projet 
ainsi  modifié,  le  garde  des  sceaux  saisit  les  corps  judiciaires 
de  son  cxainiMi.  Les  opinions  sur  les  mérites  de  l'innovation 
furent  très  divisées;  la  Cour  de  cassation,  notamment,  se 
montra  peu  favorabhî  à  la  présence  du  défenseur  dans  le 
cabinet  d'instruction  *-.  Malgré  son  avis,  le  Sénat  et  la  Cham- 
bre adoptèrent  une  loi,  contenant  ii  articles,  qui  a  fait  défi- 

-^  Mup|M»rl  (le  M.  Tln'/îird,  Sénal,  session  exlraorrJinaire  de  1895,  Doc, 
part.,  n"  22. 

-'  Rapport  supplômentuire  »le  M.  .leun  DufKiy,  S(*n.'il,  session  i\e  1896, 
/><)(•.  pari,  11°  90. 

'^-  Ol»sei"\'iili«mii  f»r»'senl«'os  par  la  Conr  *\o  cnss^alion  sur  le  projet.  Rap- 
p«.»rl  d«'  M.  Il*  «onsj'illcr  Kalcimai^ne  [Ctuz.  dru  Trih.y  n®«lu30iléc.  1896J. 


PROCBDLRB   PÉNALE  DANS   LBS   LÉGISLATIONS   BTR4N0ÈRBS.       99 

nilivemenl  entrer  le  principe  de  la  contradiction  dans  Tin- 
slruction  préalable.  C'est  la  loi  du  8  décembre  1897. 

Cette  loi  assure  à  rincul[)é  des  garanties  sérieuses,  en  déci- 
ilant qu'un  défenseur  pourra  assister  à  tousses  interrogatoires, 
en  permettant  h  ce  défenseur  de  prendre  connaissance  du 
dossier  et  de  communiquer  avec  son  client,  mémo  s'il  est  au 
secret.  Sans  doute,  cette  loi  n'a  pas  directement  et  expressé- 
ment organisé  la  procédure  contradictoire  dans  Tinstruction 
préalable.  Mais  la  contradiction  est  la  conséquence  môme  de 
Torganisation  nouvelle.  Le  défenseur  qu'on  introduit  dans  le 
cabinet  d'instruction  saura  se  donner  un  rôle  utile  en  signa- 
lant au  magistrat  les  témoins  à  entendre,  les  mesures  à  or- 
donner. Sans  doute,  le  juge  n'est  pas  légalement  obligé  de 
suivre  les  indications  qui  lui  sont  ainsi  proposées  parle  défen- 
seur; mais  il  y  sera  moralement  contraint  pour  qu'aucun 
reproche  ne  puisse  plus  tard  lui  être  fait.  Ënfîn,  le  défenseur, 
lorsque  Tinstruction  sera  terminée,  pourra,  utilement  bien 
qu'officieusement,  intervenir,  pour  soutenir,  soit  qu'il  n'y  a 
pas  charge  suffisante,  soit  que  le  fait  n'est  pas  puni  par  la  loi, 
soit  qu'il  ne  mérite  pas  la  qualification  proposée. 

On  peut  donc  affirmer  que,  depuis  1897,  et  grâce  à  la  loi 
Constans,  le  Code  d'instruction  criminelle  français  a  retrouvé 
sa  place  à  la  tète  des  Codes  les  plus  libéraux.  Ce  progrès 
très  récent  est  tellement  entré  dans  les  mœurs  que  si  des  pro- 
positions nouvelles  étaient  soumises  au  Parlement,  ce  ne 
senût  certes  pas  pour  revenir  en  arrière,  mais  bien  plutôt 
pour  développer  le  régime  de  la  contradiction  dans  Tinstruc* 
tion  préalable,  et  peut-être  même  pour  y  introduire  un  peu 
plus  de  lumière. 


§  IX.  -  LA  PROCÉDURE  PÉNALE  DANS  LES  LÉGISLATIONS 

ÉTRANGÈRES. 

92.  Imp^^rtiince  de  la  Iégi«laliMn  conijian'")'.  An  point  de  viir  de  h  procédure,  deux 
tiroupen  principaux  de  Icgislathm  :  rua,  dérivjinl  du  Code  de  1808,  Combine  If 
.-«yslèine  inquisitoriai  et  le  syslcine  ai;(Mi.>;iloii«- ;  l'aulns  resié  urij;iiial,  di-rivo  du 
droit  anglais,  et  conserve  Ui  systtîme  aoou.sal<»iiv.  —  63.  Pivisiiui  :  sonivc:!  !«•- 
gi»latires;  règles  principales.  —  S4.  Sourcs   législatives.    Allemagne.  Autriche- 


^00        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

Ilougrio.  Belgiqu»*.  Principauté  do.  Monuco.  Grand-huctn;  du  Luxembourg.  Espa- 
gne. Italie.  Suisse.  I*ays-Bas.  Grande-Bretagne.  Bu8sie.  Grand-Duchr*  de  Finlande. 
Pays  Balkaniques.  Pays  Scandinaves.  Turquie.  Egypte.  Ann^rique  du  Nord.  Amé- 
rique du  Sud.  Japon.  —  65.  Les  règles  principales  de  l'action,  de  rinstruction  et 
du  jugement  d'après  les  principales  higislations  étrangères.  Ordonnances  pénales. 

62.  11  n'esl  plus  possible  de  concevoir  Tétude  isolée  d'une 
législation  sans  la  rallacher  à  ses  origines,  sans  suivre  ses  évo- 
lutions, sans  la  comparer  aux  législations  des  autres  peuples. 
I^es  nations  de  TEurope,  que  les  Romains  appelaient  barbares, 
avaient  chacune,  à  Tépoque  qui  marque  ravènement  du 
.  moyen  âge,  leurs  coutumes  particulières  en  matière  de  justice 
criminelle;  mais  il  existait,  dans  leur  procédure,  bien  des 
traits  communs.  Le  système  accusatoire,  qui  était  partout  en 
vigueur,  tendait  même  à  s^uniformiser.  On  sait  que  les  lois 
répressives  sont  dans  une  dépendance  inévitable  de  Torgani- 
sation  politique.  Le  régime  féodal,  ayant  prévalu  dans  toute 
l'Europe,  il  en  résulta  que  les  institutions  judiciaires  y  pri- 
rent, presque  partout,  la  même  physionomie;  puis,  quand 
la  monarchie  absolue  tendit  à  se  substituera  la  féodalité,  elle 
s'appuya,  pour  TaiTaiblir,  sur  la  législation  des  empereurs 
romains,  et  Tinfluence  du  droit  romain  qui  n'avait  jamais 
entièrement  cessé  dans  certaines  contrées  de  TEurope,  même 
on  plein  règne  des  lois  barbares,  aida  beaucoup  au  rappro- 
chement des  législations.  Mais  les  différents  pays  ne  s'avan- 
cèrent pas  d'un  pas  égal  dans  la  voie  des  transformations  que 
leurs  procédures  devaient  subir.  Tous  cependant,  à  l'excep- 
tion de  l'Angleterre,  avaient  abandonné  le  système  accusa- 
toire et  l'avaient  remplacé  par  le  système  inquisitoire.  La  ré- 
volution française  exerça,  par  sa  législation,  une  influence 
telle  qu'elle  marque,  au  point  de  vue  de  l'organisation  et  de 
la  procédure  répressive,  une  période  dans  l'histoire  législative 
des  peuples  de  l'Europe.  Le  Code  d'instruction  criminelle 
français  de  1808,  qui  fit  une  sorte  de  transaction  entre  les 
deux  systèmes  de  procédure,  servit  de  type  et  de  modèle  à  ua 
grand  nombre  de  pays.  Son  influence,  plus  durable  que  la 
conquête,  persiste  encore  aujourd'hui. 

En   faisant   abstraction  des  diversités  de  détail  que   nous 


PROCBDURB   PÉNALE   DANS   LES   LÉGISLATIONS   ÉTRANGÈRES.       101 

signalerons  à  leur  place,  celui  qui  cherche  à  dégager  les  prin- 
cipes qui  dominent  les  lois  de  procédure  des  peuples  de  TËu- 
rope  continentale,  voit  apparaître  Tunilé  fondamentale  qui 
les  caractérise.  Partout  existent  :  l'institution  du  ministère 
public,  la  division  de  la  procédure  en  deux,  périodes,  celle 
de  rinstruction  préalable  qui  emprunte  ses  règles  au  système 
inquisitorial,  celle,  du  jugement  qui  reprend  toutes  les  garan. 
ties  du  système  accusatoire.  Peu  à  peu,  le  jury  a  fait  la  con* 
quête  des  législations  étrangères,  et  les  pays,  tels  que  TEs- 
pagae  et  l'Autriche,  qui  ont  tenté  de  le  supprimer,  se  sont 
empressés  de  le  rétablir  devant  les  impérieuses  réclamations 
de  la  conscience  populaire  qui  voit,  dans  le  jury,  la  sauve- 
garde même  de  la  liberté.  En  face  de  ce  groupe  imposant,  qui 
a  trouvé,  dans  le  Code  français  de  1808,  le  modèle  et  le  cadre 
de  ses  institutions,  se  dressent  les  législations  anglo-saxon- 
nes qui  forment  un  groupe  autonome,  obéissant,  dans  leurs 
rapports,  à  une  même  inspiration  et  animées  d'un  même  es- 
prit. Elles  ont  été  et  sont  encore,  en  Europe  et  en  Amérique, 
le  conservatoire  du  système  accusatoire.  Pas  de  ministère 
public  en  Angleterre  :  c'est  à  l'initiative  privée  que  la  pour- 
suite est  abandonnée.  L'égalité  de  la  lutte  entre  l'accusation 
et  la  défense  e$t  sauvegardée  par  une  série  d'institutions  qui, 
grâce  à  l'esprit  de  la  race,  fonctionne  sans  trop  compromettre 
rinlérêt  social.  Le  jury  est  la  garantie  du  jugement  comme 
de  l'accusation,  dans  les  législations  anglo-saxonnes. 

63.  Nous  indiquerons,  en  raccourci,  d*ime  part,  les  sour- 
ces législatives  de  la  procédure  criminelle  dans  les  principaux 
pays,  et,  d'autre  part,  les  règles  de  cette  procédure,  en  esr 
savant  d'en  dégager  les  caractères  généraux  et  typiques,  ce 
que  l'on  peut  appeler  les  «  dominantes  ». 

64.  A  l'exception  de  l'Angleterre,  où  les  idées  de  codifica- 
tion ont  cependant  fait  quelques  progrès,  tous  les  pays  de 
l'Europe  ont  aujourd'hui  codifié  leur  droit  criminel^ 

I IX.  *  Il  ne  saurait  être  question  de  rorraer  des  i^roupes  de  pjiys,  par 
«xemple  :  1*  groupe  anglo-américain;  2°  f^Ttmp*»  romain  «lu  Nord  et  du  Sud  ; 


102        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

I.  Allemagne,  —  Depuis  la  proclamation  de  TEmpire,  l'œu- 
vre (le  Tunité  té<^islative  de  rAilemagne  a  élé  Tobjel  constaul 
des  préoccupalioiis  politiques.  L*année  1877  constitue,  à  ce 
point  de  vue,  <lans  riiistoirederAlleinagne,  une  date  impor- 
tante :  elle  a  clé  mar(|uée  par  la  promulgation  de  quatre  lois 
capitales,  le  Code  d'organisation  judiciaire,  le  Code  de  pro- 
cédure pénale,  le  Code  de  procédure  civile  et  le  Code  de  la 
faillite.  Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  des  deux  premières. 

a)  La  loi  d'organisation  judiciaire^  substitue,  dans  tout 
l'Empire  d'Allemagne,  un  seul  et  même  système  de  tribu- 
naux civils  et  criminels  aux  différentes  juridictions  locales. 
La  justice  est  rendue  par  des  tribunaux  de  bailliage,  des  tri- 
bunaux régionaux,  des  tribunaux  régionaux  supérieurs  et  le 
tribimal  de  TEmpire.  Le  principe  de  Tunité  de  la  justice 
civile  et  de  la  justice  pénale  domine  cette  organisation,  sauf 
deux  restrictions.  Au  degré  inférieur  de  la  hiérarcbie,  dans 
le  bailliage,  (|ui  correspond  assez  exactement  à  notre  canton 
français,  il  y  a  deux  tribunaux,  Tun  civil,  le  tribunal  de 
bailliage  (Amisgeric/U),  l'autre  correctionnel,  le  tribunal  des 
écheMns  (Schoe/fengeric/u),  Le  juge  de  bailliage  siège  dans 
les  deux  :  seul,  dans  le  premier;  assisté  d'échevins,  dans  le 
second.  Au  degré  supérieur,  des  assises  sont  tenues  pério- 
diquement auprès  des  tribunaux  régionaux  pour  juger  les 
affaires  criminelles  qui  ne  sont  pas  de  la  compétence  des 
chambres  correctionnelles  ou  du  tribunal  suprême  de  l'Em- 
pire. L'organisation  «les  cours  d'assises  allemandes  est  iden- 

3»  groupi*  allomîiinl  :  i"  ;rrou|K'  des  autres  pays?.  Ce  serait  iHire  oiilentlre 
qu'il  existe  uiu»  [iMn'iilé  fiitrc  Icr  l»*;j^iBlalinns  par  ^M'oupus  l'Ilmiques,  w  rpii 
iri?sl  pas  «*xar!.  F«ir««;  iifnis  osl  (Inné  «li»  pr«»f'r«l4M'  [»ar  «Miumération.  Sur  ce 
ymint  :  Franz  vnii  Lis/.f,  Lr  droit  criminri  des  peuples  europrens  (Berlin  et 
l*ariiî,  IftO'f),  Inlnulin-iinn,  p.  xv  i»(  .xvi. 

•  r,(ïjlf'  (in  tî7  janvirr  ISTT.  Dubarlc,  rVWc  d'nn/tiitisfition  judiciaire  nllc^ 
nwnd.  Inlrodiicliuii  «?l  trailuHion  (Paris,  2.  vt»l.  iii-S^  18K*î).  Ce  Oodo  l'ail  partie 
df  la  collection  des  principaux  Codes  èlrun^^er'?,  puhlif^  |w)r  les  soins  du  co- 
mitt*  de  l»»j:islation  rlran^rn-  i\\\  iniiiiîîtrre  th*  la  justice.  Vuy.  éj^alemrnt  : 
Aint,  de  leffinl,  rtrnuif..  !.  7,  p.  77.  On  consultera,  pour  renscmble  de  l'or- 
f^anisation  judiciaire  :  Labatid,  Le  drnitpuhlie  de l'iim pire  allemand ,  traduit 
par  (lajidilhoii,r»  vol.  in-S",  lyOO-iOOi.  Paris. 


PROCÉDURE    PÉNALE   DANS   LES    LEGISLATIONS   ÉTRANOKUES.       103 

tique  à  l'organisation  des  cours  d'assises  françaises.  Elles  se 
com[K)$ent,  d*une  pari,  d*un  président  et  de  deux  juges,  et, 
d'autre  part,  de  douze  jures. 

b)  Iji  Code  de  procédure  pénale  allemand  de  1877  procède, 
en  ligue  directe,  du  Code  d'instruction  criminelle  ^ranc:ais^ 
Les  diiïérences  assez  importantes  que  nous  constaterons  ne 
suffisent  pas  à  en  faire,  au  point  de  vue  de  la  procédure,  na 
type  particulier.  Avant  cette  législation  unitaire,  les  législa- 
tions des  États  allemands  pouvaient  se  grouper  ainsi.  Certains 
pays,  notamment  les  deu\  Mecklemhourg  et  les  deu\  Lippe, 
suifaient  le  droit  commun  allemand,  auquel  ils  avaient  em- 
prunté  une   procédure  à   base    iuquisitoriale.    Deux   Et<its, 
Lubi^ck  et  le  duché  de  Saxe-Altenhourg,  avaient  ado|)té  le 
système  accusatoire,  mais  sans  jury  ou  échevins.  Knfin,  dans 
la  grande   majorité  des  États,  les  lois  de  procédure  conser- 
vaient, au  moins  dans  les  débats,  le  système  accusatoire,  en 
faisant  participer  au  jugement,  soit  des  jurés,  soil  des  éche- 
vins^  C'est  dans  ce  dernier  groupe  (jue  les  législateurs  de  1877 
ont  cherché  leur  type  el  puisé  leur  modèle,  en  consacrant 
celte  évolution  de  la  procédure  pénale  qui,  en   Allemagne 
comme   dans  la  plupart  des   Ktats  du   continent  européen, 
avait  suivi  les  trois  phases  successives  :  la  phase  accusatoire, 
la  [ihase  inquisitoire  et  la  phase  mixte.  Dans  ce  dernier  sys- 
tème, qui  résume  les  caractères  actuels  de  la  procédure  alle- 
mande, la  mise  en  accusation,  qui  est  le  point  de  départ  du 
procès,  est,  en  principe,  Tœuvre  de  fonctionnaires  spéciaux. 

'  IVrnand  Dnçuiii,  Co(j4*  de  firocrdtne  allrmnnd  {{"  tV>vr.  IS*"?)  triuiiiit 
et  nniii.il»'  (Paris,  l^Si-).  L'inlrodiiclion  est  tri-.-?  rcmfinnuihlo. 

*  Sur  riiistoire  fie  la  proc»Miirp  allomîitn.lr^  :  I^iisruin,  Introduclion^  p.  vu 
et  5uiv. ;  Fiiorbacli,  LvhHmck  dt's  ifPmthteu  in  hctifschlfiud  tjfdibieu  pciu- 
lichen  HechU,  MU^  par  MiU»*rmaior  (1  i"  érl,,  iii-S»,  Oicsscn,  \HV7):  Ch. 
Lfi'vita,  Pif'cis  de  l'hùdoirc  d't  droit  prnal  iillfniftnd  df*f>ttis  h  Curolin**  jus- 
qu'à nos  jo9trs,  traduit  et  annult'  par  Humn-villt*  de  M.irsaniry  (Kxlrait  de 
la  Rer,  criL  de  if^uiai,,  3i  p.  in-fi»:  Paris,  t\»lill'^!i,  IS''»:2).  l^nir  Ip  1res  aii- 
»^ien  druit  :  .I.-J.  Thoriissen,  L'or^jani^ntion  pidiriaire.  k  droit  pnwl  et  la 
procédure  pénale  de  la  loi  Sfiliiiuc  -i*  éd.  iii-S»,  Paris.  r'Ji»'vaIier-Mares«|. 
18S2).  Voy.  du  reste,  pour  laBiMio^ra[)liie  «lu  droit  eriiiiirnd  allemand  :  Le 
droit  criminel  des  États  europcetiSy  Allema^iu*,  annexe,  p.  303. 


404        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

L'inslruciion  reproduit  les  formes  de  la  procédure  inquîsî- 
ioire.  Mais,  après  que  Ja  juridiclioQ  de  jugement  a  été  saisie, 
tout  se  passe  au  grand  jour  de  Taudience  et  contradictoire- 
jnenl.  Les  preuves  sont  des  preuves  de  conviction,  et  le  juge 
n'a  plus  à  s'inspirer  que  de  sa  conscience  dans  l'appréciation 
des  faits  et  de  la  culpabilité. 

c)  Une  loi  modificative  du  Code  d'organisation  judiciaire 
et  du  Code  de  procédure  pénale,  du  27  mai  1898',  est  inter- 
venue, d'une  part,  pour  mettre  en  concordance  l'organisation 
judiciaire  avec  le  nouveau  Code  civil  allemand,  et,  d'autre 
part,  pour  remédier  à  quelques  inconvénients  de  procédure 
signalés  par  l'expérience^. 

II.  Autriche- Hongrie,  etc.  —  L'empire  austro-hongrois  est 
formé  d'un  amalgame  d'états,ide  nationalités,  de  législations. 

a)  Le  Code  de  procédure  pénale  autrichien  porte  la  date 
du  23  mai  1873\  II  est  le  quatrième  qui  ait  été  promulgué, 
en  Autriche,  depuis  le  commencement  du  xijl*  siècle.  Ce  pays 
a  été,  en  ciïet,  régi  par  les  Codes  de  1803,  de  1850,  de  1853  ; 
il  Test  aujourd'hui  par  celui  de  1873.  Le  Code  criminel  de 
1803  était  à  la  fois  un  Code  pénal  et  un  Code  de  procédure  ^ 

°  Notice,  analyse  et  traduction,  dans  Ann.  de  législ.  élr,,  1899,  t.  38,. 
p.  U2à  150. 

•  Consultez,  pour  Texposé  systématique  du  droit  criminel  allemand  :  En- 
cyclopaedie  der  Hcchhrissenschnft  de  Franz  von  Holtzendorff  (6*  éd.),  t.  II. 
Le  droit  criminel  a  été  réparti  en  trois  articles.  M.  Wachenfeld  s'est  charge 
du  droit  pénal  jçénéral;  M.  Beling  a  exposé  la  procédure  pénale  générale; 
M.  VVeiffenbach  a  traité  spécialement  le  droit  pénal  et  la  procédure  pénale 
des  militaires.  On  consultera  également  :  Ernst  Henrich  Rosenfeld,  Der 
fipichaStrafprozess  (Berlin,  Outlentag,  1903). 

'  Me  (.'ode  porte  le  titre  :  Osterrcichisrhe  Strafprocess-Ordnung  vom 
23  mai  1S73.  Il  a  été  traduit  par  MM.  Edm.  Bertrand  et  Ch.  Lyon-Caen 
sous  le  titre  inexact  de  Code  d'instniction  criminelle  annoté  (Co\L  des  Codes 
étrangers.  Imprimerie  | nationale,  1875).  Lire  l'introduction  qui  traite  des 
trois  (piestions  suivantes  :  de  la  procédure  criminelle  en  Autriche  d'après 
les  Codes  de  1803,  1850  et  1853;  de  l'historiciue  de  la  confection  du  Code 
du  23  mai  1873;  aperçu  général  sur  le  nouveau  Code. 

•  Il  avait  été  traduit  en  français  dans  la  collection  des  lois  civiles  et  cri- 
minelles des  États  modernes,  publiée  sous  la  direction  de  M.  Victor  Foucher 
(tome  I  de  la  collection). 


PROCÉDURE    PÉNALE  DANS   LBS   LÉQISLATIONS   ÉTRANGÈRES.      105 

Dans  la  procédure,  il  ne  faisait  que  reproduire  et  développer 
les  règles  du  système  inquisitoire  pur.  Le  Code  de  1850  prit 
pour  modèle  le  Code  français  :  il  introduisit  la  procédure 
orale  et  publique,  le  principe  accusatoire  et  Tinstitution  du 
jury.  Mais  il  fut  emporté  par  le  vent  de  réaction  qui  sévit  en 
1831.  Une  loi  du  31  décembre  1851  annonça  qu'il  serait  fait 
en  Code  de  procédure  pénale  pour  tout  Tempire.  Ce  fut  le 
Code  du  29  juillet  1853  qui  est  resté  en  vigueur  jusqu'au 
1"  janvier  1874.  Ce  Code  supprimait  le  jury,  ne  laissait 
subsister  la  publicité  que  d'une  manière  relative,  n*admettait 
de  défense  qu*après  la  clôture  de  Tiostruction  et  conservait 
UQ  système  de  preuves  légales. 

Le  mouvement  libéral  et  les  réformes  constitutionnelles  qui 
suivirent  1860  et  1861  attirèrent  Tattention  sur  les  vices  de  la 
procéduni  criminelle.  De  nombreux  projets  furent  successive- 
ment étudiés.  En  1872,  le  ministre  de  la  justice  Glaser  qui 
avait,  en  qualité  de  rapporteur  de  plusieurs  des  commissions 
de  réforme,  contribué,  plus  que  tout  autre,  aux  travaux  pré- 
paratoires, déposa  le  projet  qui  est  devenu  le  Code  de  1873. 

Conformément  aux  traditions  germaniques,  cette  loi  est 
appelée  règlement  (Ordnuny}  de  procédure  pénale*  :  mais  ce 
D*est  ni  plus  ni  moins  qu'un  Code.  Dans  la  législation  proces- 
suelle  du  continent  européen,  ce  Code  peut  être  signalé  comme 
Teipression  d'un  progrès,  d'autant  plus  caractéristique,  qu'il 
faut  tenir  compte,  soit  de  Tétat  antérieur  de  la  législation 
autrichienne,  soit  de  la  variété  de  races,  de  traditions  et  de 
coutumes  des  peuples  qui  sont  entrés  dans  la  formation  de 
TAutriche. 

Déjà,  les  principes  fondamentaux  en  avaient  été  fixés  par 
la  Constitution  du  2i  décembre  1867,  c'est-à-dire  Toralité  et 
la  publicité  des  débats,  le  jugement  accusatoire  et  le  jury  pour 
les  délits  les  plus  graves,  les  délits  politiques  et  les  délits  de 
presse.  Pour  ces  derniers,  le  jury  commença  à  fonctionner 
avec  la  loi  du  9  mars  1869. 


'  Et  non  d'instruction  criminelle,  comme  le  porle  lîi  traduction  de  MM. 
Bertrand  et  Ch.  Lyon-Caen. 


106        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

Le  Gode  autrichien  de  1873  a  rallie  les  suffrages  unanimes 
des  criminnlistes.  Il  s'inspire,  sans  doute,  du  Code  d*instruc- 
tion  criminelle  français,  dont  il  reproduit  le  type,  mais  com- 
bien modifié  et  amélioré!  C'est  la  pensée  scientifique  de  Glaser 
qui  s'est  fortement  marquée  dans  une  loi  de  procédure  adaptée 
aux  nécessités  de  la  vie  pratique.  Aussi  Tinfluencc  de  ce  Code 
de  1873  sur  Torientation  contemporaine  de  la  procédure  pénale 
est  un  fait  dont  il  faut  tenir  coniple,  et,  depuis  le  Code  franchis 
de  1808,  aucune  législation  particulière  à  un  peuple  n'a  été 
davantage  citée  et  imitée  au  dehors. 

i)  L'histoire  de  la  procédure  pénale  en  Hongrie  est  l'his- 
toire d'une  lutte  d'un  siècle  entre  le  système  inquisitorial  et 
le  système  accusatoire.  Le  Code  de  procédure  pénale  du 
22  décembre  189&,  qui  régit  actuellement  ce  pays,  a  unifié  la 
législation  jusque-là  si  diverse  et  a  introduit  le  jury,  non  seu- 
lement pour  les  délits  de  presse,  mais  pour  les  délits  les  plus 
graves.  11  organise  la  procédure  accusatoire  avec  le  ministère 
public^^ 

c)  La  Bosnie  et  l'Herzégovine  sont  régies  par  le  Code  du 
30  janvier  1891,  entré  en  vigueur  le  1"  janvier  1892**. 

d)  La  Croatie-Slavonie  a  un  Code  qui  lui  est  propre,  le  rè- 
glement du  17  mai  1875,  modelé  sur  le  Code  autrichien  de 
1873,  moins  le  jury  qui  n'a  pas  été  institué  dans  cette  pro- 
vince. 

III.  Belgique,  —  La  Belgique  aconservé  les  Codes  français, 
notamment  le  Code  d'instruction  criminelle  de  1808.  Mais  sa 
constitution  de  1831  prescrivait  «  de  les  reviser  dans  le  plus 
court  délai  possible  »  (art.  139).  Ce  grand  travail  n'a  abouti 
qu'on  partie,  et  c'est  seulement,  d'une  part,  le  titre  prélimi- 
naire d'un  nouveau  Code  de  procédure  pénale,  titre  adopté 
de  préférence  à  celui  de  Code  d'instruction  criminelle,  qui  a 
été  promulgué  le  17  avril  ^878*^  et,  d'autre  part,  le  titre  IX 

*p  Sur  cv  Cofl<»  :  Notice  <lo  Meyor,  rlîins  Anu,  dr  lojUL  ètr,^  t897,  p»  397 
ù  'tOO. 

^»  Vr.y.  l;i  riolic  «le  Meyer  (/i/.///.  .soc.  b'uUL  vomp.,  1891-1802,  t.  21, 
p.  3'.m;, 

'^  Annuaire  (ir  h-ffisl,  vtrainj.^  1870,  texte,  notice  et  notes  par  Georges 


PROCÉDURE   PENALE  DANS   LES   LÉGISLATIONS    ÉTRANGÈRES.       lOT 

du  livre  III,  remplaçant  les  articles  443,  444,  446  et  447  du 
Gode  d'instruction  criminelle,  c'est-à-dire  modifiant  les  rc^^ies 
de  la  révision*'. 

L'histoire  de  la  procédure  pénale  comprend  en  Belgique 
trois  périodes,  qui  correspondent  aux  périodes  de  son  hisloire 
contemporaine.  De  1795  à  1814,  la  Belgique  fut  terre  fran- 
çaise. Elle  passa  donc  successivement  sous  le  régime  du  Code 
des  délits  et  des  peioes  du  3  brumaire  an  IV  et  du  Code  d'in- 
struction criminelle  de  1808.  Après  les  événements  de  1814, 
la  Belgique,  faisant  partie  du  nouveau  royaume  des  Pays- 
Bas,  vécut,  comme  le  reste  du  pays,  sous  Tempire  de  la  légis- 
lation napoléonienne.  Mais  le  Code  de  1808  fut  presque  im- 
médiatement modifié  sur  deux  poinLs  importants  :  le  jury  fut 
aboli  et  on  supprima  «  la  publicité  des  débats  en  matière 
criminelle  et  correctionnelle  jusqu'aux  plaidoiries  »  (Arrêté, 
du  6  nov.  1814).  Après  1830,  la  Belgique,  formant  désormais 
un  royaume  autonome,  reprit  la  législation  française  qui  a 
été,  du  reste,  modifiée  et  amendée  par  une  série  de  disposi- 
tions qui  feront  Tobjet  d'un  examen  spécial  à  propos  de  cha- 
cune des  institutions  qu'elles  concernent'^ 

W.  Princi/muté  de  Manant.  —   Le  Code  d'instruction  cri- 
minelle de  la  principauté  de  Monaco,  qui  porte  la  date  du 

Louis,  p.  4t3  et  i*>7.  Tous  los  tJucrumonls  [Hirlonifiitîiires  rolalils  iiu  lilro 
préliminaire  du  nouveau  ('ode  ont  ôtô  reproduits  in  extenso  et  cMrdonn«'S 
par  Nypols  sous  le  titre  de  Commcntanv  du  OhIc  de  procédure)  p*}nule  ;llru- 
xelles,  1878). 

"  Cette  loi,  qui  porte  la  date  du  i8  juin  1894,  est  rapporl(^p  dans  VAnn» 
de  léffisL  ctr.,  1895,  t.  24,  p.  l')Ot  à  Tïii  (iNutire  et  notes  par  A.  Le  IV.itte- 
vm).  Sur  le  projet  de  r<Mbrni«'  du  Code  l»elgedans  son  ensemble  :  S.  Mayer, 
uns  Strafprozcasrccht  liehjiciis,  dans  Aixliit:  fïir  Slrtif'rrchtf  lS8<i;  Vacea, 
L*'  reformti  dol  cndin'  di  prncrdfiiti  pennir  vrl  lirh/ùt^  rjans  Hirista  poimlo.^ 
1.30,  p.  109  et  suiv. 

*'  BmiJoanAi'HrK  :  Haus,  Principes  iicnvrmi.r  de  druif  prnal  hehje^  t.  2, 
liv.  IV;  Tliiiuissen,  Tnivuux  prêpnratoircs  du  Code  de  proct'durc  pénale^ 
Rap[jorts  faits  k  la  Chambre  des  re[)résentants;  Liineiette,  Le  Code  de  j no- 
cédure  pénale  applique  et  annoté;  licvue  critique  de  droit  criminel  Vvn- 
c^dnre  pénale);  Fernand  Thiry,  Cours  de  droit  criminel  (2"  éd.,  1895), 
II* partie.  Procédure  pénale;  Pandectes  hehfeSf  [Kissim  ;  .NvfX'ls,  Lé'jislation 
criminelle  de  la  Belgique,  :\  vol.  in-8^ 


108        PROCEDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

1 

31  décembre  1873*',  est»  comme  on  peut  le  penser,  calqué  sur  i 
le  Code  français  de  1808.  Il  en  diffère  néanmoins  à  divers  ^ 
points   de    vue    et    ootammenl    par   rapport  à    Tordre    de 
distribution  des  matières.  Ce  qui  caractérise  cette  procédure, 
c'est  Texclusion  du  jury  du  jugement  des  procès  criminels**. 

V.  Grand-Duché  du  Luxenihoury.  —  La  législation  crimi- 
nelle du  Grand-Duché  du  Luxembourg  n'a  pas  le  mérite  de 
Toriginalité.  Le  Code  pénal  luxembourgeois,  promulgué  le 
18  juin  1879,  reproduit  le  Code  pénal  belge  de  1867.  La  pro- 
cédure du  Grand-Duché  est  encore  réglée  par  le  Code  d'in- 
struction criminelle  français  de  1808,  auquel  néanmoins  des 
changements  importants  ont  été  faits '\ 

VI.  Espagne,  —  Le  Code  de  procédure  pénale  espagnol 
date  du  li  septembre  1882*'.  La  réforme  capitale  de  ce  Code 
•est  la  substitution  du  débat  oral  à  la  procédure  écrite.  Le 
peuple  espagnol  avait  été  u  élevé,  durant  des  siècles,  dans  la 
procédure  écrite,  secrète  et  inquisitoriale  »;  il  a  renoncé  à  ce 
régime  pour  adopter  le  système  accusatoirc,  u  en  le  transpor* 
tant,  pour  ainsi  dire,  jusque  dans  Tinstruction  préalable, 
puisque  le  législateur  accorde  au  prévenu  les  garanties  que 
les  lois  anciennes  lui  refusaient  et  que  le  secret  de  l'instruc- 
tion est  maintenu  seulement  dans  la  limite  nécessaire  pour 
empêcher  les  indices  du  délit  de  disparaître**  )). 

*5  Kdition  officielle,  Mce,Cauvin  et  0%  1874. 

'^  Les  articles  76,  355,  358  et  Wk  du  Code  d'instruction  criminelle  ont 
été  modifiés  par  une  ordonnance  souveraine  du  16  août  1888  et  l'article 
467  par  une  ordonnance  du  22  mai  1891.  Du  reste,  un  projet  de  revision 
générale  du  Gode  était  en  préparation,  Voy.  sur  ce  projet  :  De  Rolland,  Pro- 
jet d-c  Code  de  procédure  pénale,  3  vol.  in-8°,  1899-1903.  Il  vient  d'être 
sanctionné.  Voy.  Code  de  procrdure  pénale  de  la  principauté  de  Monaco 
(in-8°,  1905). 

*■  Voy.  Jacques  Delahaye,  Bull,  de  VUuiou  intern.  de  droit  pénal,  1903, 
p.  63. 

^^  Traduit  dans  la  collection  des  Codes  étrangers  par  Gabriel  Verdier  et 
Joseph  Depeiges.I^aris, /mprimt'ne  7iaito«rt/f,  1898).  Voy.  également:  Theu- 
rault.  Notice  sur  le  Code  de  procédure  criminelle  du  /4  septembre  1S8È 
(Annuaire,  t.  XII,  p.  693).  Sur  Thistoire  :  Du  Boys,  Histoire  du  droit  cri- 
minel de  l^ Espagne  (1  vol.  in-8°,  1870). 

*•  Rapport  du  ministre  de  Grâce  et  Justice. 


PROCÉDURB  PÉNALE  DANS  LES  LÉGISLATIONS  ÉTRANGÈRES.   109^ 

Le  jury,  supprime  en  1875,  a  été  rétabli  par  la  loi  du 
20  avril  1888'^  qui  lui  a  donoé  compétence  pour  statuer  sur 
les  délits  les  plus  graves. 

La  croation  du  ministère  public  en  Espagne  parait  très  an- 
cienne; mais  c'est  à  la  législation  de  1812  que  Ton  fait  re- 
monter son  organisation  actuelle.  Les  membres  du  ministère 
public,  qu'on  appelle  aussi  représentantes  del  ministerio  fiscal,. 
ont  les  mêmes  attributions  qu'en  France  dans  la  procédure 
répressive.  Ils  exercent  Faction  publique  dans  toute  les  afTai- 
res,  excepté  dans  celles  qui,  d'après  la  loi,  ne  peuvent  être 
poursuivies  qu'à  la  requête  de  la  partie  lésée. 

VII.  Italie.  —  Le  droit  organique  répressif  est  représenté 
actuellement,  dans  Tltalie  unifiée,  par  deux  sources  principa- 
les :  l""  le  statut  fondamental  du  royaume  et  les  lois  d'ordre 
constitutionnel  et  politique;  2"*  le  Code  de  procédure  pénale 
et  les  lois  sur  Torganisalion  judiciaire. 

a)  Le  statut  du  royaume  contient  quelques  déclarations  et 
dispositions  constitutionnelles  qui  se  réfèrent  :  à  la  liberté  in- 
dividuelle (art.  26),  rinviolabilité  du  domicile  (art.  27),  Tex- 
clusion  des  tribunaux  d'exception  (art.  71),  la  publicité  des 
audiences  (art.  72),  Timmunilé  des  sénateurs  (art.  37),  la 
garantie  politique  des  députés  (art.  43),  l'institution  d'une 
haute-cour  de  justice  (art.  36).  D'autres  lois  d'ordre  constitu- 
tionnel ou  politique  se  réfèrent  à  certains  points  d'organisa- 
tion judiciaire  ou  de  procédure,  telles  que  la  loi  du  13  mai 
1871  sur  les  prérogatives  du  souverain  pontife,  l'édit  ou  loi 
sur  la  presse  du  26  mars  1848,  etc. 

b)  Le  Code  de  procédure  pénale  italien,  date  de  1865**  :  il 
doit  être  complété,  soit  par  la  loi  sur  l'organisation  judiciaire 
du  6  décembre  1865,  laquelle  est  elle-même  suivie  d'un  rè- 

^  Celle  loi  a  été  traduite  en  appendice,  après  la  traduction  du  Code,  par 
Verdier  et  Depeiges. 

*'  Marcy,  Code  de  procédure  pénale  du  royaume  d'Italie^  2  vol.  in-8°, 
1881,  Paris.  Les  deux  principaux  commentaires  de  ce  Code  sont  :  Borsariet 
Casorali,  Codice  di  procedura  pénale  commeuiato  (5  vol.,  Milan,  1885); 
Salulo,  Commenti  al  Codice  di  procedura  pénale  (8  vol.,  in-8**,  3®  éd.,  Tu- 
rin, 1884). 


ilO        PROCEDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

glemeot  ilu  44  décembre  1865,  soil  par  les  antres  lois,  trop 
nombreuses  pour  être  citées  ici,  lois  qui  se  réfèrent  à  la  ma- 
gistrature et  à  son  fonclionnemont.  Parmi  ces  lois,  il  faut 
cependant  noter  celle  du  6  décembre  1888"  qui  attribue, 
à  lu  Cour  de  cassation  de  Rome,  la  connaissance  exclusive  de 
toutes  les  affaires  pénales  du  royaume  et  qui  supprime  les 
chambres  criminelles  des  six  autres  Cours  de  cassation. 

L'organisation  judiciaire   se    rapproche    sensiblement  de 
l'organisation   française.   Les  préteurs,  sortes  de  magistrats 
analogues  à  nos  juges  de  paix,  forment  le  dernier  degré  de 
la  hiérarchie    judiciaire.    Des   cours    d'assises,    constituée» 
comme  les  cours  d'assises  françaises,  rendent  la  justice  en 
matière  criminelle-\    Le  ministère    public  est  organisé  sur 
des  bases  analogues. 

c)  Les  projets  de  réforme  du  Code  de  procédure  pénale 
italien  sont  aussi  nombreux  que  variés.  11  ne  saurait  èive 
question  ici,  de  ceux  (|ui  sont  dus  à  Tinitiative  parlementaire. 
.Mais,  parmi  les  |)rojets,  présentés  au  nom  du  gouvernement, 
je  citerai,  par  ordre  chronologique,  le  projet  de  Palco  du 
19  avril  1866,  celui  de  Filippo  de  1868,  ceux  de  Villa  du 
9  mars  1880  et  de  Taiani  du  25  novembre  1885,  etc.  Enfin, 
par  décret  du  1"*^  octobre  1898,  le  garde  des  sceaux  Aprilc  a 
institué  une  commission  chargée  d'étudier  et  de  proposer  les 
modifications  dont  le  Code  de  procédure  pénale  serait  suscep- 
tible dans  le  sens  d'une  protection  plus  efficace  de  la  liberté 
individuelle  et  d'une  rapidité  plus  grande  du  procès  pénal**. 
Les  procès-verbaux  de  celle  commission  ont  été  publiés''*.  La 


^-  Aiin.  (le  If'ijisl.  rtr„  L  17,  p.  512. 

''^'  Loi  (In  8  juin  1S74  {Aiin,  de  IthjisL  vtr.^  t.  4,  p.  357)  et  la  loi  du  10  dér. 
1880  qui  lii  mO'Jifio  (.4/r/î.,  t.  1(),  p.  31»;)). 

'*  Voy.  Fjucchini,  Gvttizia  per  tutti  {Hivista  pcnah*,  vol.  o4,  p.  489). 

-^  Larori  prrpuratori  del  Codicc  diprocedf/ra  pénale  pel  il  regtio  d'italia, 
Alli  dcllîi  o(»mmissinne  inslilulji  col  docrpto  3  otlobro  i899  del  Minislrr 
April»»,  rrm  l'incari^'o  di  slndiaro  e  proporro  h»  modiliazioni  di  introdune  n^^ 
vigontc  ro'lii't^  di  prnc(.'dura  pcnalo(3  vol.  in-'t'',  Hoina).  Les  deux  premiers 
volume?  rf-nlermerit  !«•<  [^^nc^i^-v^^l)aux  de  la  commission.  Le  Iroisiome  con- 
(iciil  des  rapports  sur  les  i»rincipaux  problèmes  de  la  procédure  criminelle.  Le 


PROCÉDURE  PÉNALE  DANS  LES  LÉGISLATIONS  ÉTRANGÈRES.   ill 

commission  a  terminé  son  travail  en  juin  4901.  Sans  modifier 
les  bases  essentielles  de  la  procédure  pénale,  elle  prépare 
une  série  de  réformes  de  détail  qui  portent  sur  toutes  les 
périodes  du  procès  pénal'*. 

YIll.  Stfisse,  —  Les  Codes  de  procédure  [lénale  des  cantons 
de  la  Suisse  peuvent  être  répartis  dans  les  trois  groupes 
elhniques  :  4"  des  cantons  de  la  Suisse  allemande;  2°  des 
cantons  de  la  Suisse  romande;  3*"  du  canton  italien  duTessin. 
(I,  Les  cantons  de  la  Suisse  allemande,  Argovie,  Saint-Gai, 
Bail*,  Bàle-Campagne,  Lucerne,  Schaffouse,  Zurich,  ïhur- 
govie,  Grisons,  Soleure,  Appenzel,  Unlerwaldcn,  Berne, 
Glaris,  Schwyz,  Zug,  ont  tous  des  Cod(\sde  procédure  pénale, 
dont  les  dispositions  varient  dans  les  détails^  mais  (fui  repro- 
duisent, dans  les  grandes  lignes,  le  système  mixte  de  procé- 
dure. Il  suffira  de  citer  Tune  des  lois  de  procédure  les 
[dus  originales,  celle  ducanton  d'Appenzel  du  23  avril  1880^'. 
ff}  \jcs  lois  de  la  Suisse  occidentale  ont  presque  toutes  subi 
riiiiluence  des  Codes  français.  Les  peuples  de  la  Suisse  ro- 
mande ont  trop  longtemps  vécu  sous  Tempire  de  ces  derniers 
pour  avoir  pu  rejeter  complètement  et  radicalement  les  tra- 
ditions et  les  habitudes  d'esprit  qu'ils  avaient  emprunt<M'sà  la 
France.  Dans  le  canton  de  Genève,  par  exemple,  le  Code  de 
1808  csl  resté  en  vigueur  jusqu'en  1881.  Le  Code  actuel  date 
da  2î)  octobre  1884,  il  a  été  pronmigué  le  4  janvier  1883  "*•. 
Le  Code  de  procédure  pénale  du  canton  de  Pribourg  date 
do  21  mai  1873  et  a  été  mis  eu  vigueur  le  1"  janvier  1874. 
Le  Code  de  procédure  pénale  du  canton  du  Valais,  du  24  no- 
\fmbre  1848,  est  entré  en  vigueur  le  V  juillet  1849.  Du 
reste,  ce  dernier  Code  [)Ourrait  être  daté  de  cent  ans  plu*^  tôt, 
car  il  offre  le  spécimen  curieux  d'une  procédure  du  xviiT  siè- 
cle. I^  système  de  la  preuve  légale  est  conservé  par  le  Code 

iT'juverncment  italien  a  mis  c*?s  vt>Iiinu*R  :iv\*c  iiiip  gracieus».'  liU^alili',  à  la 
disp<jsilion  des  criminalisles  étrangers. 

"  Voy.  le  résumé  des  discussions  di-  la  commission  dans  la  Scuola  posi- 
tiva. 1904,  p.  441. 

"  Klle  a  été  analysée  dans  VAnn.  (k  //v/i.s/.  ctr.,  t.  iO,  1881,  p.  ttl . 

^*  Voy.  Leforl,  Ann.  de  Irt/isL  ctr.,  t.  14,  1S8!'),  p.  571. 


112        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

du  canioD  du  Valais;  ou  y  parle  encore  de  demi-preuve, 
pour  établir  un  fait,  les  dépositions  uniformes  de  deux 
moins  irréprochables  sont  nécessaires.  11  y  a  bien  un  d( 
oral,  puisque  les  parties  plaident  devant  le  tribunal,  mai 
tribunal  n'entend  pas  les  témoins  etjuge  uniquement  d'a| 
les  pièces  de  la  procédure.  Dans  le  canton  de  Vaud,  le  C 
de  procédure  pénale,  du  1"  février  1830,  est  entré  en  vigu 
le  1*' juillet  1830.  Le  Code  de  procédure  pénale  de  Neuc 
tel,  Tun  des  plus  récents  et  des  plus  progressifs,  date 
25  septembre  1893;  il  est  devenu  exécutoire  le  12  ii 
1894". 

Il  serait  assez  difficile  de  faire,  entre  ces  divers  Codes, 
comparaison  utile,  car  ils  diffèrent  assez  profondément  les 
des  autres". 

c)  Dans  le  canton  du  Tessin'*,  le  décret  constitutionnel 
8  novembre  1894,  contient  les  bases  d'une  nouvelle  orge- 
sation  en  matière  pénale.  D'après  la  loi  d'organisation  ji 
ciaire  du  4  mai  1893,  promulguée  en  suite  de  ce  décret, 
jugesde  paix  connaissent  des  infractions  punies  au  maxim 
de  100  francs  d'amende  ou  de  sept  jours  de  prison  ;  les  a 
ses  de  district,  des  infractions  punies  de  plus  de  100  fra 
d'amende  ou  de  plus  de  sept  jours  de  prison  ou  de  délentii 
les  assises  cantonales,  des  infractions  qualifiées  crimes, 
cours  d'assises  —  c'est  une  innovation  intéressante  — 
composent  simultanément  de  magistrats  et  de  jurés,  statu 
en  commun  et  connaissant  du  fait,  du  droit  et  de  la  pei 
Cette  loi,  en  36  articles,  a  été  suivie,  à  la  même  date,  d 
Code  de  procédure  pénale  en  3i4  articles. 

IX.  Pays-Bas.  —  La  Hollande  possède  un  Code  de  prc 

-'  Le  Code  proctVlont  datait  du   7  avril  1875  (Ann.  de  Icgisl,  étr., 
p.  762  et  suiv.). 

'"  ()e  travail  a  iHé  fait  et  bien  fait  par  A.  Gautier,  au  point  de  vu«»  se 
ment  delà  proct^dun^  d'instruction.  V'>y.  La  réforme  de  Vir^lruction  ; 
paratoire  (Hev.  pénale  suisHC^  1904,  p.  253  à  273).  Quant  à  la  procédun 
jugement,  nous  aurons  souvent  à  citer  le  Code  de  Genève  qui  a  élab 
jury  correctionnel. 

3'  Voy.  Ann,  de  léijis.  èti\,  1800,  t.  25,  p.  560. 


PROCÉDURE   PÉNALE  DAN8   LES   LEGISLATIONS    ÉTRANGÈRES.       113 

dure  pénale  qui  est  caraclérisé,  comme  du  reste  les  lois  de 
ce  pays,  par  sa  concision  6t  sa  brièveté  (419  articles).  Il  est  di- 
Tisé  en  vingt-deux  titres,  dans  lesquels  les  matériaux  sont  dis- 
posés dans  un  ordre  assez  semblaV)le  à  Tordre  des  textes  du 
Code  français.  Il  y  a  lieu  de  remarquer  Tabsence  de  jury  et 
fin  système  de  preuves  légales  dans  un  sens  favorable  à  la 
défense.  Une  loi  du  15  janvier  1886  a  introduit,  dans  ce  Code, 
certaines  modifications  pour  le  mettre  en  concordance  avec  le 
Code  pénal  de  4881,  mais  les  principes  généraux  n*en  ont  pas 
cté  touchés'*.  Les  particuliers  ne  peuvent,  en  principe,  parti- 
ciper t^  l'exercice  de  l'action  publique  que  par  voie  de  dénon- 
ciation (art.  il).  Les  deux  actions,  publique  et  civile,  sont 
complètement  distinctes.  Ce  Code  a  interdit  l'action  civile, 
d'une  manière  absolue,  devant  la  juridiction  criminelle.  Il 
ne  l'a  maintenue,  devant  la  juridiction  correctionnelle  et  de 
police,  que  lorsque  la  demande  étant  inférieure  à  un  certain 
taux,  il  eut  été  préjudiciable  aux  parties  de  les  obliger  à  faire 
00  second  procès  (art.  231  et  253). 

X.  Grande-Bretagne.  —  Il  y  a  lieu  d'étudier  la  procédure 
en  Angleterre,  en  Ecosse  et  en  Irlande. 

à)  Pas  plus  en 'Angleterre  qu'en  Irlande  et  en  Ecosse,  la 
procédure  pénale  n'a  été  codifiée.  Les  tentatives  mêmes  qui 
ont  été  faites,  en  1878  et  1879,  pour  obtenir  du  Parlement  ati- 
glais  l'adoption  d'un  projet  de  codification  dû  à  sir  James 
Stephen,  sont  restées  limitées  au  droit  pénal.  Dans  les  trois 
Etats,  la  procédure  a  pour  base,  en  partie  le  droit  com- 
mun [common  law)^  en  partie  le  droit  statutaire  [Statut 
Jtnv). 

Le  droit  commun  est  le  droit  coutumier  qui  est  contenu 
dans  les  sentences  des  tribunaux,  ou  le  droit  qui  est  créé  à 
nouveau  par  les  juges  par  application  analogique  des  disposi- 


•**  Voy.  Van  Swinderen,  Es^iitissc  du  droit  pénal  actuel  dms  les  Pay»~ 
BûJi  et  à  i'étranger,  R  vol.  in-4®,  iH0i-i9()3.  Les  deux  dpmiers  volumos 
sont  des  suppléments.  Los  Codes  néerlandais  ont  ^[é  traduits  par  Tripds. 
Le  Code  de  procédure  pénale  a  W  modifié,  comme  nous  le  disons  au  loxt»», 
[•ar  une  loi  du  ir>  janvier  !H86  (Ann.  de  làjisL  rtr.,  1886,  p.  411). 

«i.  I».  1\  —  I.  8 


114        PROCÉDURE  PÉNAJ.E.  —  INTRODUCTION. 

t 

tions  en  vigueur".  Le  droit  statutaire,  n'est  autre  que   le 
droit  législatif. 

Ce  qui  caractérise  la  procédure  anglaise/c'est  :  1"^  le  régime 
de  l'accusation  populaire;  2®  l'absence  d'une  procédure  d'in- 
struction faite  par  un  juge;  3°  l'institution  d'un  double  jury, 
le  jury  d'accusation  et  le  jury  dejugement;  4*  l'organisation  de 
fonctionnairesjuges  de  police,  dans  certaines  villes,  qui  ont  le 
droit  de  juger  sommairement  les  infractions  légères  et  de  ren- 
voyer, dans  les  cas  graves,  devant  une  juridiction  supérieure; 
5"  Texigence  de  l'unanimité  des  voix  du  jury  de  jugement 
pour  décider  la  culpabilité;  6°  l'assistance  d'un  défenseur  à 
toutes  les  phases  de  la  procédure;  T"" l'arrestation  facilitée  par 
la  coutume,  mais  l'incarcération  rendue  difficile  et  exception- 
nelle; 8**  l'interrogatoire  et  l'examen  des  témoins  par  les 
avocats  des  deux  parties,  par  l'accusateur  et  l'accusé,- suivant 
le  procédé  croisé  [cross-examination). 

En  Angleterre,  comme  en  France,  les  infractions  sont  ré> 
parties  en  trois  classes  {ireasons^  félonies,  misdemeanors). 
Mais  ce  classement  n'est  pas  en  rapport  avec  l'organisation 
judiciaire.  Le  jury  est  le  juge  de  droit  commun.  La  seule 
division  qui  ait  un  intérêt  juridictionnel  est' celle  des  causes, 
en  sommaires  ou  indictables.  Les  premières  sont  de  la  compé- 
tence des  juridictions  inférieures  ou  sommaires  :  juges  de 
paix,  cours  de  petite  session,  cours  de  police.  Les  secondes 

'^  Voy.  comme  source  de  nos  renseignements  sur  rorganisalion  judiciaire 
et  la  procédure  anglaise  :  de  Franquevîlle,  Les  institutions  politiques,  judi- 
ciaires et  administratives  de  l'Angleterre  (2«  éd.,  1864,  1  vol.  in-S**);  i(/.. 
Le  système  judiciaire  de  la  Grande-Bretagne  (2  vol.  in-8*,  1893);  Glassoii, 
Histoire  du  droit  et  des  institutions  politiques,  civiles  et  administratives 
de  VAngleterre  [^  yo\,  iu-8^  1881-1883);  Mitlermaier,  Traite  de  la  procédure 
criminelle  en  Angleterre,  en  Ecosse  et  dans  VAmérique  du  Kord,  Irad.  par 
Chauffard  (1  vol.  in-8®,  1868)  ;  A.  Prins,  Étude  comparative  sur  la  procédure 
pénale  à  Londres  et  en  Belgique  (Bruxelles.  1879);  du  Boys,  Histoire  du 
droit  criminel  de  VAngleterre,  3"  vol.  de  l'histoire  du  droit  criminel  des 
peuples  modernes  (Paris,  1860):  Halton,  Étude  sur  la  procédure  criminelle 
en  Angleterre  et  en  France  (Thèse  duct.,  Paris,  1898);  Seymour  Harris, 
Principii  di  diritto  e  procedura  pénale  inglese,  trad.  de  Berlola  (Vérone^ 
1898). 


PROCEDURE    PENALE    DANS   LES   LEGISLATIONS  ÉTRANGÈRES.       lio 

sont  introduites  par  ces  juridictions  inférieures,  mais  portées 
devant  les  juridictions  supérieures  et  soumises  au  verdict  du 
jurv". 

b)  La  procédure  pénale  de  l'Ecosse"  est  à  mi-chemin  des 
deu\  grands  courants  historiques.  Elle  tient  le  milieu  entre  le 
système  continental  et  le  système  anglais.  Daos  certaines  par- 
ties, elle  est  strictement  inquisitoriale^^;  dans  d'autres,  elle  est 
nettement  accusatoire.  L'action  pénale,  par  exemple,  est 
confiée  à  des  fonctionnaires  spéciaux,  à  la  tète  desquels  se 
trouve  le  lord  advocaie,  niembre  du  Parlement;  mais,  à  côté 
de  Paccusation  officielle,  est  admise  Taccusation  subsidiaire 
du  particulier  lésé''.  Pour  que  le  lord  advocaie  soit  absolu- 
ment indépendant,  il  n  est  responsable  de  ses  actes  que 
devant  le  Parlement,  de  sorte  que  son  action  ne  peut  avoir 
aucune  efficacité  quand  Topinion  publique  lui  est  hostile. 

c)  La  procédure  de  l'Irlande,  est  en  partie  empruntée  au 
système  mixte,  sans  caractères  propres,  dignes  de  remar- 
ques". 

d)  Dans  les  colonies  anglaises,  les  lois  et  coutumes  indi- 
gènes sont  respectées. 

Un  Code  de  procédure  pénale  pour  les  Iodes  anglaises  a  été 
promulgué  le  22  mars  1898.  Il  remplace  les  Codes  successifs 
de  1861,  1871,  1882". 

XL  Russie.  —  Les  grandes  réformes  sociales  qui  ont  mar- 
qué,  en  Russie,  Tavcnement  de  l'Empereur  Alexandre  11, 

**  Glasson,  op,  cil,,  t.  0,  p.  501). 

**  J.  Dove  WUson,  professeur  à  rUniversilé  d'AlM'rdecn,  hr  hi  pvuvi  dure 

m 

criminelle  eu  Ecosse,  BulL  de  l'Un.  inU  de  droit  pénal,  t.  Il,  1903,  p.  71 
i  82.  V'oy.  sur  Tensemble  :  J.-H.-A.  Macdonalrl,  A  practival  trrnlise  on  Ihc 
rriminal  laws  of  Scotlaiid  (2«  t'd.,  1877),  p.  2i0  à  550. 

*•  On  croit  généralement  que  la  procédure  préliminaire  est  moilelr***  ?iir  le 
système  français  du  xvi«  siècle, auquel,  du  reste,  le  système  écossais  ressem- 
blait originairement  davantage  que  maintenant. 

"  Du  reste,  raction  privée  est  tombée  en  désuétude.  \'oy.  Mitlermait?r, 
op,  cit.f  p.  214  et  21o;  Glasson,  Histoire  du  droit  et  des  in>iHtufionfi  politi- 
ques, civiles  et  judiciaires  de  V Angleterre,  t.  7,  p.  732. 
..  ••  M^me  phénomène  qu'en  lîcosse  :  abandon  de  l'actinn  privée. 

*•  Voy.  Notice  et  an^dyse  dans  A  un.  de  h'i/isL  rtr.,  1899,  t.  2K,  p.  [m  k  970. 


H6  PROCÉDURE   PÉNALE.    —    INTRODUCTION. 

telles  que  raffranchîssement  des  serfs  en  1861,  rabolîiioD  des 
peines  corporelles  en  1863,  la  reconstitulion,  à  la  même  date, 
de  Tadminislration  provinciale  (Zemstivo),  ont  été  la  prcface 
des  lois  judiciaires  de  1864*^.  C'est  à  la  date  du  20  novem- 
bre 1864  qu'entrèrent  en  vigueur  les  lois  de  procédure  pé- 
nale qui  régissent  encore  la  Russie.  La  nouvelle  organisation 
judiciaire  repose  sur  les  principes  de  la  séparation  des  pou- 
voirs judiciaire,  administratif  et  législatif  et  de  rinamovibililé 
delà  magistrature,  sur  la  participation  du  peuple  à  l'ïidmî- 
nistratiou  de  la  justice  par  l'institution  du  jury  et  Télection 
dos  juges  de  paix.  La  procédure  civile  et  secrète  est  remplacée 
par  la  procédure  orale  et  publique,  la  théorie  des  preuves  lé- 
gales, par  celle  des  preuves  de  conviction.  Le  nombre  des 
degrés  de  juridiction^  qui  entraînait  des  lenteurs  indéfinies, 
est  limité,  et,  au  lieu  de  la  revision  d'office  des  jugements, 
c'est  aux  parties  intéressées  qu'est  remis  le  droit  de  les  attaquer. 
Knfin,  l'institution  d'un  tribunal  de  cassation,  pris  dans  le 
sein  du  Sénat  dirigeant,  permet  d'assurer  partout  l'application 
exacte  de  la  loi. 

Ce  Code  de  procédure  pénale  prend  pour  point  de  départ  le 
système  français,  mais  il  l'adapte  aux  mœurs  et  aux  traditions 
russes.  C'est  une  œuvre  nationale  et  non  une  simple  imita- 
tion des  Codes  étrangers**. 

A  la  suite  des  événements  politiques  et  sociaux  qui  ont 
marqué  la  fin  du  règne  d'Alexandre  II,  et  l'attentat  mon- 
strueux du  r'  mars  1881,  une  réaction  contre  ce  système  libé- 
ral se  produisit.  Elle  s'est  manifestée,  notamment,  par  la  loi  de 
1889  qui  supprime  l'élection  pour  la  désignation  des  juges  de 
paix  et  qui  confond,  à  nouveau,  les  pouvoirs  judiciaire  et 
administratif,  en  subordonnant  le  premier  au  second. 

*"  Kajjiiit'/,  CoiU'  d'onjaniHUtiou  judiciaire  de  V Empire  de  Russie,  édition 
de  1883-1890,  traduit  et  annoté,  in-8%  i893. 

**  J^armi  les  ouvrages  écrits  en  Russie  sur  la  procédure  pénale,  les  plus 
importants  sont  ceux  de  :  Foïnitski,  Cours  de  procédure  pénale,  iSSlj;  Tall- 
t»frg,  Cours  de  procédure  pénale,  i890;  Tshebyshew-Dmitriew,  La  pio^ 
ccdurti  pénale  russe,  iH'i'r,  Sloutshevvski,  Cours  de  procédure  pénale^ 
4S0O-1892.  Aucnn  de  ces  duvraj^es  écrits  en  russe  n'a  été  traduit  en  fran— 
cais. 


PROCÉDURE    PÉNALE  DANS   LBS   LÉGISLATIONS   ÉrKANGÈHES.        H  7 

Néanmoins,  les  lois  judiciaires  et  de  procédure  du  20  oo- 
vembre  1864  ont  exercé,  sur  le  développement  de  la  vie 
juridique  russe,  la  plus  heureuse  influence. 

En  même  temps  que  la  réforme  du  Code  pénal  qui  vient 
d'aboutir,  une  réforme  analogue  des  lois  judiciaires  est  en  voie 
d*e\éculion^^.  Lies  travaux  de  la  commission  ont  été  terminés 
en  1899.  Ils  ont  été  publiés,  et  le  projet  est  actuellement 
soumis  au  Conseil  de  TEmpire.  G^est  à  la  conception  d'une 
procédure  contradictoire,  des  le  début  de  Tinslruction,  que  se 
rattache  la  principale  innovation  du  projet*\ 

On  sait  que  le  Grand-Duché  de  Finlande,  ([ui  est  réuni  k 
la  Russie,  possède  une  législation  spéciale  et  autonome.  Son 
droit  positif  a  la  môme  origine  que  le  droit  positif  suédois, 
et  l'histoire  du  droit  des  deux  pays  a  eu  un  cours  commun 
jusqu'au  jour  où  la  séparation  politique  de  la  Finlande  et  de 
laSuëde  a  permis  à  chacun  de  ces  droits  de  se  développer  dans 
son  sens  ethnique.  Le  Code  pénal  finlandais  actuel  date  du 
19  décembre  1889.  Il  est  entré  en  vigueur  le  !•' janvier  1891**. 
1^  procédure  criminelle  n'est  pas  codifiée.  Elle  fait  l'objet  de 
lois  nombreuses  et  successives,  notamment  des  lois  du  27 
avril  1868,  des  24  février  et  3  mars  1873,  etc.,  qui  s'occupent 
aussi  de  la  procédure  civile^*. 

*-  Voy.  Margoline,  Apcrni  critique  du  )wuccau  Çoik  pénal  russe  ^ Paris, 
1005),  avec  ma  préface. 

**  Ces  réformes  ont  été  inspirées  par  Tancion  ministre  do  la  justice, 
Moiirawiëw,  qui  a  su  donner  à  toutes  les  questions  concernant  Tadministra- 
tioii  de  la  justice  pénale  une  direction  très  libérale  et  très  vigoureuse.  Voy. 
Kapnist,  Documents  relatifs  à  In  révision  îles  Codes  d'organisation  jndi- 
Claire  et  de  procédure  civile  et  criminelle  entreprise  par  ordre  de  S.  M. 
rt'tnpereur  Alexandre  III,  du  7  avril  IS9i, 

**  L.e  Code  pénal  flnlandais  a  été  traduit  en  frangais  par  Ludovic  Beauchet, 
professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Nancy  (Paris,  1800).  Voy.  les  apprécia- 
lions  très  intéressantes  sur  cette  législation  par  Henri  Joly,  A  travers  VKu- 
rope  (Paris,  Lecoffre,  1S98),  En  Finlande,  p.  0  à  4k  Sur  la  législation  finlan- 
daise, notice  de  M.  R.  Montgommery,  \nn,  de  lè'jisl.  étr,,  t.  9,  1880,  p.  727 
a  iOD. 

**  Sur  l'organisation  judiciaire:  Répertoire  (jènèral  alpli,  de  droit  fran» 
raûf,  V  Finlande,  t.  22,  p.  256. 


118         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

XII.  Pays  balkaniijues.  —  Nous  groupons,  sous  celle  éli- 
quette,  la  Bulgarie,  la  Serbie,  la  Roumanie. 

a)  Les  différentes  procédures  avaient  fait  l'objet,  en  Bul- 
garie, dès  le  temps  de  Toccupation  russe,  de  règlements  pro- 
visoires, inspirés  principalement  des  Codes  russes.  Depuis, 
ces  règlements  avaient  été  remplacés  par  des  lois  nouvelles. 
Seul,  le  règlement  relatif  à  la  procédure  criminelle  restait 
encore  en  vigueur.  Il  a  été  remplacé  par  le  Code  de  1897**, 
divisé  en  cinq  livres  :  l""  de  la  compétence;  2^  de  Tinstruction 
préliminaire  ;  3**  de  la  procédure  devant  les  tribunaux  dépar- 
tementaux (la  procédure  devant  les  justices  de  paix  est  réglée 
par  une  loi  spéciale  du  3  juin  1880)";  4**  des  manières  de  se 
pourvoir  contre  les  jugements;  5*  de  Texécution  des  juge- 
ments. Les  lois  du  17  janvier  1900,  du  26  janvier  1901,  et  du 
20  janvier  1902  ont  modifié  et  complété  ce  Code  de  procé- 
dure pénale**. 

b)  Le  Code  de  procédure  pénale  serbe  date  du  16  juin  1865. 
Il  est  la  copie  fidèle  du  Code  autrichien  de  1853  qui  lui  a 
servi  de  modèle.  Les  règlements  judiciaires  provisoires,  éla- 
borés lors  de  la  création  de  la  principauté,  ont  été  remplacés 
par  des  lois  nouvelles,  et  le  Code  de  1865  a  été  profondément 
modifié  en  1880. 

c)  Le  Code  de  procédure  pénale  roumain,  inspiré  de  la  lé- 
gislation française,  a  été  promulgué  en  1864.  L*organisation 
judiciaire  et  la  procédure  de  ce  pays  présentent  la  plus 
grande  analogie  avec  Inorganisation  judicaire  et  la  procédure 
françaises. 

XUI,  Pays  Scandinaves,  —  Nous  comprenons,  dans  ce 
groupe,  le  Danemark,  la  Suède  et  la  Norvège. 

a)  La  procédure  pénale  danoise  est  régie  par  diverses  lois 
dont  les  principales  remonlent  à  1845*'.  Le  minislère  public 

*®  Notice  et  analyse  dans  Ann,  deléyisL  étr,,  1898,  l.  27,  p.  809  à  817. 

*'  Une  loi  de  1896  a  modifié  la  procédure  pénale  devant  les  juges  de  paix 
{Ann.  de  légisL  étr.,  1896,  p.  778). 

**  On  en  trouvera  Tanalvse  dans  le  Bulletin  de  VUnion  int.  de  droit 
pénaly  l.  12,  p.  108. 

*'  C.  Goos,  Der  danske  Straffepro.  (La  procédure  pénale  danoise)  (Co- 


PROCÉDURE   PENALB  DA.NS   LBS   LÉGISIATIONS   ÉTR/lNGàRE3.         119 

a  rinitiative  des  poursuites.  Mais  le  Code  pénal  danois  de 
1866  décide  que,  pour  certaines  infractions,  la  poursuite  peul 
èive  exercée  par  ia  partie  lésée  et  dans  les  formes  de  la  procé- 
dure civile,  par  exemple  dans  les  cas  d*injures  et  violences 
légères  (§§  116,  200,  212,  215  à  222,  226,  233).  Pour  d^autres, 
l'exercice  de  l'action  publique  est  subordonné  à  la  plainte  de 
la  partie  lésée,  par  exemple  en  cas  d*adultère,  d*atténtats  aux 
mœurs,  de  vols  insigniHants,  etc.  (§§  159,  174,  235,  236,  254, 
278).  Il  n'existe  pas  de  jury.  Le  tribunal  criminel  et  de  police 
du  premier  degré,  organisé,  à  Copenhague,  par  deux  lois  des 
28  février  1845  et  24  mai  1879,  se  compose  de  onze  membres 
dont  un  président  et  dix  juges  inamovibles  et  nommés  par 
le  roi'®.  Chaque  affaire  doit  être  jugée  par  cinq  magistrats. 
Le  tribunal  connaît  de  toute  affaire  pénale  et  juge  sans  asses- 
seurs ni  jurés,  quelle  que  soit  la  gravité  de  Tinfraction.  Mais 
toute  condamnation  à  une  peine  excédant  une  amende  de 
20  couronnes,  peut  être  déférée,  en  appel,  à  la  Cour  suprême. 

6)  La  Suède  est  encore  régie  par  des  Codes  de  1734  (civi), 
pénal,  commercial),  modifiés  par  une  série  de  lois  qui  les  ont 
adaptés  aux  institutions  et  aux  mœurs  actuelles''. 

c)  Le  Code  de  procédure  pénale  norvégien  du  l'""  juillet 
1887  est  entré  en  vigueur  le  l***  janvier  1890.  Sa  principale 
innovation  consiste  dans  Tintroduction  du  jury,  inconnu  jus- 
qu^alors  en  Norvège,  et  dans  Tadaptation  de  la  procédure  à  la 
nouvelle  institution '^^ 

prMihague,  1880).  CVst  également  à  C.  Goos  qu'est  dû  l'ouvrage  le  plus  ira- 
pt'irtanl  sur  le  droit  pénal  qui  ait  paru  en  Danemark. 

5*»  P.  Dareste,  Ann.  de  législ.  étr,,  t.  9,  p.  060;  Beauchet,  Etude  sur 
r organisation  judiciaire  danO'Horvvfjicnne,  Bull,  soc.  lé'jisL  comp,,  i884^ 
l.  13,  p.  128. 

»»  Voy.  de  la  Grasserie,  Les  Codes  suédois  de  /7i^-i,  suivis  des  lois  pos- 
î»' fleures  promulguées  jusqu'à  ce  jour,  traduits  et  annotés  (1  vol.  in-8% 

I  ftar>). 

^*  P.  Daresle,  Ann,  de  législ.  étr,,  t.  17.  p.  711.  Ce  Code  a  été  traduit,  «  ii 
Maiie,  par  Brusa,  Codice  di  procedura  pénale,  twrvegcse  (ïraduzione,  note 
e  ragionamenlo,Torino,  1900).  Je  renvoie  à  ce  travail,  qui  est  précédé  d'une 
remarquable  introduction  sur  l'histoire  de  la  procédure  criminelle  en  Nor- 
Y^pe  et  les  caractères  principaux  du  nouveau  Code. 


420         PEOCÉDURK  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

XIV.  Turquie.  Égyple,  —  Le  Code  de  procédure  pénale  turc 
porte  la  dale  du  25  juin  1879.  Il  comprend  487  articles. 
L'Egypte  est  régie  par  le  Code  du  3  novembre  1883,  modifié 
en  i899'^  Ces  législations  ne  se  séparent  guère  du  type  fran* 
çais  qui  leur  a  servi  de  modèle. 

Le  Code  de  procédure  péuale  du  Soudan  porte  la  date  du 
2  octobre  1899  {The  Sudan  Code  ofcriminal  procedurey^. 

XV.  Amérique  du  Nord,  —  Les  États-Unis  de  rAniérique  du 
Nord  sont  organisés  en  république  fédérale.  11  y  a  donc  deux, 
espèces  de  législations,  comme  il  y  a  deux  espèces  de  tribu- 
naux :  la  législation  fédérale,  la  législation  spéciale  à  chaque 
État.  La  Constitution  renferme  la  disposition  suivante  :  «  Les 
«  attributions  non  déléguées  aux  États-Unis  par  la  constitu- 
«  tion  fédérale,  ni  enlevées  par  elle  aux  Étals,  sont  réservées- 
a  à  ces  derniers  respectivement  ». 

En  conséquence  de  cette  disposition,  les  tribunaux  fédé- 
raux, la  Cour  suprême  des  États-Unis,  les  Cours  de  circuit 
et  les  Cours  de  district,  ont  une  compétence  criminelle  exclu- 
sive pour  juger  certaines  infractions,  telles  que  les  crimes  de 
haute  trahison  envers  les  États-Unis,  les  infractions  commises 
sur  un  territoire  fédéral,  etc.,  et  une  compétence  concurrente, 
avec  les  tribunaux  de  TÉtat  où  Tacte  criminel  a  été  commis^ 
pour  certaines  infractions,  telles  que  les  contrefaçons  et  falsi- 
fications de  monnaies  nationales,  etc. 

La  législation  des  Etats-Unis  procède  de  la  législation  an- 
glaise^ à  laquelle  elle  a  emprunté  sa  common  lato  et  ses 
anciens  statuts,  de  sorle  que,  pendant  longtemps,  elle  fut 
exclusivement  composée,  comme  en  Angleterre,  de  disposi- 
tions coutumicres,  complétées  et  modifiées  par  des  lois  spé- 
cialement votées.  Depuis  quelques  années,  un  mouvement  de 
codification  s*est  produit  dans  la  plupart  des  États,  et,  aujourd'- 
hui, beaucoup  d*eutre  eux  possèdent,  soit  des  Codes  portant 

^3  Notice  par  Vidal-Boy,  ^\/</?.  de  IcyisLctruHu.,  188 1,  p.  782.  Modifications 
en  1899  :  Atin.  de  Icgisl.  ctrany.^  1000,  t.  29,  p.  o3*.  Le  Code  de  procédure 
pénale  turc  est  traduit  on  allemand  dans  la  cnllection  des  Codes  étrangers 
du  supplément  du  Bulletin  de  l'Union  intern,  de  droit  pénal  (Berlin,  1905). 

•»*  Notice  et  analyRu  dans  Ann,  de  lefjisLelrany.,  1900,  t.  29,  p.  572  à  075. 


PBOCÉDURE   PÉNALE    DANS   LES  LEGISLATIONS  ÉTRANGÈRES.        121 

sur  uae  braache  spéciale  du  droit,  soit  des  Codes  comprenant 
plusieurs  matières  juxtaposées.  C'est  ainsi  que  la  procédure 
pénale  a  été  codifiée  particulièremeut  dans  TËtat  de  New- 
York*'.  Le  Gode  de  1881,  qui  reproduit  assez  exactement  la 
moyenae  des  institutions  américaines,  peut  être  pris  comme 
type  du  régime  de  la  procédure  criminelle  dans  ce  pays.  A  ce 
point  de  vue,  les  législations  des  États-Unis  présentent,  avec 
la  législation  de  TAngleterre,  les  différences  suivantes  :  P  II 
existe  un  ministère  public  chargé  de  la  poursuite  des  crimes 
et  délits  dans  tous  les  États  de  TUnion  et  près  des  juridictions 
fédérales'*.  Devant  les  cours  inférieures  {not  o f  record)  seuU's^ 
son  action  est  facultative.  2°  La  composition  du  grand  et  du 
petit  Jury,  diffère  dans  les  deux  pays  :  elle  est  plus  démocra- 
tique aux  États-Unis.  Les  noms  des  jurés  sont  tirés  au  sort, 
dans  la  plupart  des  États,  sur  une  liste  dressée  par  une 
commission  de  fonctionnaires  et  de  magistrats.  Eu  Angleterre^ 
c'est  encore  le  sheriff  qui  est  chargé  de  choisir  le  jury  de 
session,  sur  une  liste  de  personnes  réunissant  certaines  con- 
ditions de  cens,  de  domicile  et  de  capacité,  liste  formée  par 
les  inarguilliers  des  paroisses  et  les  administrateurs  de  la  taxe 
des  pauvres.  3"*  La  procédure  est  moins  formaliste  aux  États- 
Unis  qu'en  Angleterre.  Les  vices  des  actes  de  procédure  sont 
inopérants  s'ils  ne  portent  pas  atteinte  aux  droits  essentiels 
de  la  défense.  Le  serment  peut  être  remplacé  par  une  affir- 
mation solennelle. 

**  Code  de  procédai e  criininrllc  (/•  rÊtat  de  ScW'Yurk,  traduit  pur  An- 
dré Fournier  (Larose,  1803). 

s^  C'est  k  ce  point  de  vue  seulement  que  se  tait  seiidr,  dans  la  législation 
criminelle  des  Etats-Unis,  rintlucnce  Tiançaise.  L'insécurité  et  l'impunité 
qui,  dans  un  pays  neuf  et  lurmé  d'éléments  ethniques  ditférents,  auraient  été 
la  conséquence  du  système  de  poursuite  anglais  qui  abandonne  la  répres- 
sion à  l'initiative  privée,  ont  amené  les  Américains,  dès  la  fin  du  xvui*  siè- 
cle, à  confier,  à  un  fonctionnaire  spécial,  le  soin  do  poursuivre  et  d'assurer 
:a  répression.  Mais  les  attributions  relatives  à  la  police  judiciaire  et  à  l'exé- 
cution des  décisions  de  justice  S()nl  restées  étran^pMvs  au  «  public  prusc- 
c'.ttor  f»  américain.  Fournier  (t»p.  a7. ,  p.  D)  t'ait  observer  que  Timitation  s'est 
faite  en  prenant. pour  modèle  le  ministère  public  tel  «luil  était  constitué 
auprès  des  juridictions  d«  Tancien  régime  français. 


122         PROCÉDURE  PÉNAI-E.  —  INTRODUCTION. 

Mais,  en  faisant  abstractioa  de  ces  différences,  et  si  on  envi- 
sage, dans  son  ensemble,  la  procédure  criminelle  des  États- 
Unis,  c'est  le  système  accusatoire  anglais  dont  cette  procédure 
reproduit  le  type  :  i"*  Dans  Tinstruction  préalable,  publique 
et  contradictoire,  Tinculpé  a  le  droit  d*être  assisté  d*un  avo- 
cat et  de  ne  pas  subir  d'interrogatoire;  2""  La  détention  préven- 
tive, réduite  à  son  minimum  de  sévérité  et  de  durée,  ne  peut 
être  aggravée  par  Tinterdiction  de  communiquer;  3""  La  mise 
en  accusation  est  ordonnée  par  un  jury  spécial  ;  4^  Toute  per- 
sonne poursuivie  en  matière  pénale  a,  si  elle  n'y  renonce  pas, 
le  droit  d'être  jugée  par  le  jury;  5"*  L'instruction  est  faite  par 
chaque  partie  et  Timpartialité  du  juge  est  assurée  par  son 
rôle  effacé  dans  Tadministration  de  la  preuve;  6**  De  nom- 
breuses garanties  sont  données  à  l'accusé,  par  l'unanimité 
exigée  pour  l'existence  du  verdict  de  culpabilité,  par  Tinter- 
diction  de  tirer  des  antécédents  de  Taccusé  une  présomption 
contre  lui,  par  le  délai  qui  doit  s'écouler  entre  le  verdict  et  la 
sentence,  par  les  délais  et  les  conditions  des  voies  de  recours. 

XVI.  Amérique  du  Sud.  —  Les  États  de  l'Amérique  du 
Sud  présentent,  dans  leur  loi  de  procédure  pénale,  des  varié- 
tés nombreuses,  mais  les  points  de  comparaison  qui  existent 
entre  elles  tiennent  à  ce  que  ces  lois  dérivent  de  la  législation 
espagnole. 

Un  Code  pénal  et  un  Gode  de  procédure  pénale  ont  été 
promulgués,  dans  le  Venezuela,  le  limai  1897,  et  sont  entrés 
en  vigueur  le  20  février  1898  '^  Le  pouvoir  législatif  des 
différents  États  et  celui  du  district  fédéral  sont  autorisés  à 
adopter  Tinstitution  du  jury  qui  fonctionnera  conformément 
aux  règles  établies  par  le  Gode  de  procédure  pénale. 

Le  Gode  de  procédure  pénale  des  États-Unis  du  Mexique  a 
été  promulgué  le  6  juillet  1894*'.  Ce  code  n*a  pas  modiGé  la 
procédure;  dans  sa  partie  relative  à  Torganisation  et  au  fonc- 
tionnement du  jury,  il  reproduit  la  loi  du  2i  janvier  1891 
{Ley  de  Jurados), 


*^  NotiL-e  el  analyse  dans  An/u  de  législ.  riv.j  i89H,  t.  27,  p.  963  à  966. 
58  \nh.  ih:  IcgisLélr.,  1895,  1.  24,  p.  946  et  947. 


I 

rfVr| 


PROCÉDL'KE    PKNAI.E    DANS    LKS    LÉ(iISI.ATI()NS    ÉTKAN^.KRES.        123 

En  Bolivie,  le  Code  actuel  date  du  G  août  1888.  H  n'est, 
^\,  .  en  réalité,  qu'une  révision  du  Code  du  8  février  1858. 
.:-j..  Cette  législation  rentre  dans  le  cadre  de  la  législation  cspa- 
bli:  i  gaole  à  laquelle  elle  a  emprunté  ses  principales  règles  ". 
u  V.  i  Le  Code  de  procédure  pénale  de  la  République  argentine, 
adopté  le  4  octobre  1888,  est  entré  en  vigueur  le  l"''  janvier 
1889  •". 
a  D>  Le  Code  de  la  République  de  TÉquateur  date  du  9  sep- 
tef^r      lembre  1890". 

ce  i-,'        XVIL  Japon.  —  Le  Code  de  procédure  criminelle  a  été  arrêté 

ite  [:     et  promulgué  en  1880  avec  le  Code  pénal".  Les  deux  Codes 

ir  V      ont  force  de  loi  depuis  le  1**' janvier  1882.  Ils  s'inspirent  plus 

n-jx-     particulièrement  Tun  et  l'autre  de  la  législation  française  *\ 

iut^...  65.  Les  trois  problèmes  principaux,  que  soulève  la  procé- 
ptj.^  dure  criminelle,  concernent  l'organisation  et  le  fonctionne- 
et  :  J  ment  soit  de  ïadion,  soit  de  Yinslruction,  soit  du  jugement. 
Liur^l  Comment  ont-ils  été  résolus  par  les  législations  européennes? 
I.  Conformément  au  vieil  adage  germanique  :  «  pas  d'accu- 
if^l  sateur,  pas  de  juge *S>,  les  tribunaux  répressifs  ne  sont  aujour- 
ter;l  d'hui  appelés  à  statuer  que  sur  les  infractions  qui  leur  sont 
icsl    soumises.  En  France,  «  l'action  pour  l'application  des  peines 

n'appartient  qu'aux  fonctionnaires  auxquels  elle  est  confiée 
etf  I  pai*  1&  ioi  »,  c'est-à-dire  au  ministère  public  (C.  instr.  cr., 
rK  I     Art.   1).  Mais  l'omnipotence  du  ministère  public  est  limitée 

par  le  droit  qui  est  reconnu  aux  parties  lésées  de  saisir  soit 

les  tribunaux  de  répression,  soit  le  juge  d'instruction. 
C'est  le  système  qui  est  admis,  presque  partout,  dans  les 

législations  européennes.  L'institution  du  ministère  public, 

••  Voy.  Tandlyse  succincto  faite  par  IT.  Pru(lliomme,ilans  UnU,  tic  l'Union 
intem.  de  droit  pénal,  t.  12,  p.  i4S  à  152. 

***  Voy.  Daireaux  et  Theuraull, .1////.  de  Icyisl,  ttr,^  1H8S,  p.  10*2. 

''•  Henri  Prudiioinme,  Ann.  de  UyisL  ètr.,  18UU,  p.  973. 

"  Une  Iraduclion  française  officielle  eu  af^lé  donii^^e  à  riinprimerie  natio- 
nale de  Tokio  au  mois  de  mars  1881. 

"*  Sur  le  Code  de  procédure  pénale  :  van  lîamel,  lier,  tir  dnnt.  int,  et  de 
Uyi^L  comp.,  1882,  t.  14,  p.  512. 

**  Wo  Kein  Kliiger  ist,  ist  Kein  Ilichter. 


424  PROCÉDURE   PÉNAIiE.    —    INTRODUCTION. 

dont  l'origine  est  bien  française,  a  fait  le  tour  du  monde. 
Elle  existe,  avec  des  différences  inévitables  d'organisation, 
dans  la  plupart  des  Étals.  Toutefois,  trois  législations  peuvent 
élre  prises,  comme  type  d'études,  au  point  de  vue  du  rôle 
qu'elles  réservent  aux  parties  privées. 

Dans  le  Code  allemand,  Taccusalion  est,  en  principe,  con- 
fiée au  ministère  public.  Mais  la  partie  lésée  n'a  pas  le  droit 
d'agir,  même  au  point  de  vue  de  ses  intérêts  civils,  devant 
les  tribunaux  de  répression.  Elle  demande  la  réparation  du 
préjudice  qui  lui  a  été  causé  aux  tribunaux,  ordinaires.  Il 
existe,  toutefois,  deux  institutions  qui  tendent  à  limiter  et 
à  expliquer  ce  caractère  particulier  de  la  procédure  germani- 
que. On  trouve,  dans  le  Gode  allemand,  un  grand  nombre 
d'infractions  pour  lesquelles  la  loi  s'en  rapporte  à  la  victime  ou 
à  ses  représentants  légaux,  relativement  à  l'opportunité  de 
la  poursuite,  le  ministère  public  n'ayant  le  droit  d'agir  qu'au- 
tant que  son  intervention  a  été  sollicitée  par  la  victime.  La 
partie  lésée  peut  aussi  joindre  son  action  à  l'action  publique 
lorsque  la  loi  lui  accorde  le  droit  de  réclamer  une  com- 
position [Busse).  La  composition  est  une  réparation  pécuniaire 
d'une  nature  spéciale  qui  diffère,  à  la  fois,  des  dommages- 
intérêts  et  de  Tameude  :  des  dommages-intérêts,  en  ce  qu'elle 
n'est  pas  égale  au  préjudice  et  ne  peut  être  réclamée  que  du 
coupable,  accessoirement  à  la  peine  et  dans  les  limites  d*un 
maximum  fixé  par  la  loi;  de  l'amende,  en  ce  qu'elPè  n'est  pas 
attribuée  au  Trésor,  mais  à  la  partie  lésée  et  ne  peut  pas,  en 
cas  de  non-paiemenl,  être  convertie  en  prison. 

lin  Autriche,  si  le  ministère  public  est  le  principal  repré- 
sentant de  Taccusation,  il  n'en  est  pas  le  représentant  exclusif. 
Deux  institutions  viennent  limiter  son  pouvoir.  L'accusation 
peut  être  soutenue  par  la  personne  lésée  dans  un  grand  nom- 
bre de  cas  (art.  4G  et  suiv.).  De  plus,  le  Code  de  1873  admet 
Vaccusaiion  privée subsiivnre^  c'est-à-dire,  en  cas  d'abandon 
de  Taclion  publi(|ue  par  le  ministère  public,  le  droit,  pour  la 
partie  lésée,  de  reprendre  cette  action  à  la  place  du  ministère 
public  et  de  conclure  à  l'application  de  la  peine  (art.  48). 
ËnTm,  le  ministère  public  ou  l'accusateur  privé  est  maître  de  son 


PROCÉDURE    PÉNALE   DANS    LES   LÉGISLATIONS   ETRANGERES.       125 

action,en  ce  double  sens  qu'il  peut  saisir  direcU>mentlui-mêiTie 
la  juridiction  de  jugement  sans  renvoi  d'une  juridiction  d'in- 
struction quelconque  (art.  207),  et  que,  après  avoir  saisi,  il  peut 
abandonner  son  accusation  el  dessaisir  le  juge.  Ce  sont  là  les 
traits  caractéristiques  de  la  procédure  autrichienne  au  point  de 
vue  de  la  participation  des  particuliers  à  l'accusation  publique. 
En  Espagne,  les  membres  du  ministère  public  ou  fiscal 
{représentantes  del  ministerio  fiscale)  ont  les  mêmes  attribu- 
tions qu'en  France  en  ce  qui  concerne  l'exercice  de  Faction 
publique.  Mais,  d'une  part,  le  Code  espagnol  admet  Y  accusa- 
tion p9it)ée  \iO\xv  certains  délits,  tels  que  la  calomnie,  l'injure, 
certains  attentats  aux  mœurs,  et  ordonne  au  ministère  public 
de  se  joindre  à  la  partie  lésée.  D'un  autre  côté,  ces  exceptions 
mises  à  part,  l'action  tendante  la  répression  des  faits  punis- 
sables est  populaire  :  il  suffit  d'être  citoyen  et  de  jouir  de  la 
plénitude  des  droits  civils  pour  l'exercer.  La  société  ne  reste 
pas  désarmée  en  présence  de  Tinertie  habituelle,  il  faut  bien 
le  reconnaître,  des  simples  particuliers.  Son  représentant,  le 
ministère  public  ou  fiscal,  est  tenu  d'intenter  des  poursuites 
toutes  les  fois  qu'un  fait  lui  paraît  en  comporter.  Les  prati- 
ciens espagnols  que  nous  avons  pu  consulter  déclarent  même 
qu'en  fait,  c'est  toujours  le  ministère  public  qui  poursuit. 

L'institution  du  ministère  public  n'existe  pas  en  Angleterre. 
••  Qaand  une  infraction  a  été  commise,  aucun  magistrat  ne 
^  se  lève  pour  prendre  en  mains  les  intérêts  de  la  société  me- 
*•  nacée.  Mais  tout  particulier,  lésé  ou  non,  a  le  droit  d'agir. 
*  Personne  ne  peut  être  contraint  de  se  porter  accusateur, 
«  sauf  de  rares  exceptions,  et,  de  leur  côté,  les  magistrats  ne 
i<  peuvent  pas  poursuivre  tant  qu'il  n'a  pas  été  formulé  d*ac- 
«  cusation  précise  »^*.  Les  tentatives  faites  pour  constituer  un 
ministère  public  en  Angleterre  ont  échoué,  et  Vattorney  ge- 
neral  et  son  auxiliaire,  le  solicitor  gênerai,  sont  des  person- 
nages plus  décoratifs  qu'utiles. 

L'organisation  du  ministère  public,  qui  existe  en  Ecosse  et 
en  Irlande,  offre  certaines  analogies  avec  l'organisation  fran- 

*•*  Olaftson,  o/>.  cit.,  t.  0,  p.  72 'k 


i 


126         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

çaise.  L'Ecosse  possède,  depuis  longtemps,  un  mioistère  public 
assez  fortement  constitué  pour  que  l'accusation  privée  n'eiiste 
qu'à  rétat  de  souvenir".  L'Irlande  a  un  attomey  gênerai, 
aidé  de  crown  solicitors^  dont  les  fonctions  sont  permanentes. 

La  plupart  des  États-Unis  d'Amérique  ont  un  ministère  pu- 
blic représenté  par  un  attorney  gênerai  et  par  des  avocats  pu- 
blics de  district  qui  ne  cessent  pas  de  faire  partie  du  barreau. 

II.  La  plupart  des  États  européens  font  une  place,  dans 
leur  législation,  à  Tinstruction  préparatoire. 

Cette  procédure  est  fondée  sur  cette  idée  qu'il  faut  ne  sou- 
mettre aux  juridictions  de  jugement  que  les  accusations  so- 
lides en  fait  et  en  droit  et  garantir  la  liberté  individuelle  des 
inculpés  en  établissant  une  barrière  avant  tout  procès.  Intro- 
duite par  le  Gode  français  de  1808,  cette  procédure  a  marqué 
un  progrès  remarquable  dans  la  législation  pénale.  Elle  a  passé 
dans  la  plupart  des  Codes  de  l'Europe  continentale  et,  durant 
plus  d'un  demi-siècle,  elle  a  été  considérée  comme  une  con- 
quête de  la  civilisation  juridique.  Depuis  quelques  années,  un 
courant  scientifique  très  intense  parait  lui  être  défavorable. 
D'une  part,  on  reproche,  au  principe  obligatoire  et  absolu  du 
contrôle  de  l'accusation  par  le  pouvoir  judiciaire,  la  lenteur 
du  système  et  l'impossibilité  pratique,  pour  les  magistrats,  de 
faire  une  étude  consciencieuse  des  dossiers.  D'autre  part,  on 
constate  que  l'accusation  est  entravée  et  que  les  responsabilités 
s'éparpillent  et  se  diluent  sans  profit  bien  réel  pour  l'accusé"* 

^^  Sur  cette  organisation  :  J.  Dove  Wilson,  huU,  de  l'Un,  int.  de  droit 
pénal,  t.  ii ,  p.  71  à  73  :  «  La  poursuite  des  crimes  en  Ecosse  est  du  ressort 
du  ministère  public  et  se  fait  aux  frais  de  TÉtat.  Lorsque  le  ministère  public 
s*est  saisi  de  Paffaire,  le  plaignant  n'a  pas  le  droit  de  porter  plainte  dans 
une  cour  criminelle.  Au  cas  où  le  ministère  public  refuserait  d'intervenir,  le 
plaignant  a  le  droit  de  poursuivre.  Il  est  extrêmement  rare,  cependant,  qu'un 
plaignant  exerce  ce  droit,  et,  durant  une  longue  expérience,  je  ne  l'ai  jamais 
vu  exercer  avec  succès  ». 

•"^  On  peut  suivre  le  développement  de  ces  critiques  dans  les  ouvrages 
suivants  :  —  Romagnosi,  Progetto  dcl  codice  di  procedura  pénale  pel  ces- 
saio  regno  d'italia,  4*  éd.,  1838;  Ultime  aggninte  e  riforme  al  progetto, 
p.  25i.  —  Glaser,  Vber  Vorsetznng  in  Anklagestand  in  Kleine  Schriften 
fjther  Strafrecht  und  Strafprozess,  2«éd.,  1883,  XVII,  p.  437  à  5-20.  —  Bar, 


PROCÉDURE    PBK&LE   DANS  LBS   LEGISLATIONS  ÉTRANGÈRES.       127 

Ed  Praace,  l'iastrucliou  est  obligatoire  en  matière  crimi- 
nelle, facultative  en  matière  correctionnelle  :  elle  n'a  pas  lieu 
pour  les  contraven lions  de  police.  Celte  distinction  entre  la 
petite  et  la  grande  criminalité  est,  en  général,  acceptée,  avec 
des  différences  de  détail  dans  l'application.  En  Allemagne, 
par  exemple,  on  ne  soumet  à  aucune  instruction  préalable  les 
affaires  du  ressort  du  tribunal  d'échevins.  La  procédure  d'in- 
struction préalable  est,  au  contraire,  obligatoire  lorsqu'il  s'agit 
de  poursuites  devant  la  cour  d'assises  ou  le  tribunal  de  l'Em- 
pire. En  matière  d'infraction  relevant  des  tribunaux  régionaux, 
une  information  peut  être  ouverte  lors(|ue  le  ministère  public 
eo  fait  la  demande  ou  lorsque  l'inculpé  réclame  une  enquête 
judiciaire  dans  l'intérêt  de  la  défense.  Le  tribunal  peut  aussi, 
ce  qui  lui  est  interdit  en  France,  ordonner  l'ouverture  d'une  ■ 
information  (art.  200).  En  Autriche,  l'instruction  préalabK^ 
n'est  obligatoire  que  s'il  s'agit  d'un  crime  dont  la  cour  d'as- 
sises doit  connaître  (art.  91). 

La  plupart  des  Codes  distinguent  et  s'efforcent  de  séparer 
l'enquête  préalable,  conduite  par  la  police,  d'avçc  l'instruction 
proprement  dite,  confiée  à  la  justice.  C'est  un  juge,  membre 
du  tribunal  de  première  instance,  qui,  dans  tous  les  pays  du 
continent  européen,  a  cette  dernière  fonction.  Le  juge  d'in- 
struction est  investi  des  pouvoirs  les  plus  étendus  pour  en- 
tendre les  témoins,  interroger  l'inculpe,  faire  les  constatations 
sur  les  lieux,  ordonner  des  visites  domiciliaires,  des  saisies, 
procéder  à  l'arrestation  de  l'inculpé  et  le  mettre  sous  la  main 
de  justice. 

Mais  par  quelles  institutions  appropriées  limitera-t-on  et 
contrôlera-t-on  l'exercice  des  pouvoirs  formidables  qu'il  est 
nécessaire  de  donner  au  juge  d'instruction  et  au  ministère 
poblic  dans  cette  phase  de  la  procédure? 

On  pourrait  songer,  d'abord,  k  la  garantie  de  la  publicité 

Rnltl  und  IleweÎK  im  OetchwoTiiengerichl,  p.  liVi.  —  IJirrara,  npiueoli. 
l.  6,  p.  MO.  —  CHSOrali,  It  pnicenso  pénale  c  te  rifoimp.  JH81,  VII;  U  gui- 
iHtiodi  accuta  c  le  rifotme,  IK81,  VII.  —  Cfsarini,  llirhlu  pruale.  1870, 
p.  300,  —  Maniiucoa  e  Vacca,  La  procediira  peutilr  >•  la  suc  evoluiione 
teUntifiea,  1888,  p.  'X  —  .Mimeiia,  HivuUi  pemiU;  I.  :n,  I89:i,  p.  125. 


128        PROCÉDURB  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

de  rîQstruclion.  Aucun  des  Codes  du  continent  ne  la  consa- 
cre. Le  Code  autricliieD  ne  parle  que  de  la  publicité  des  dé-- 
bals  (art.  228).  Le  secret  de  Tinstruction  a  été  maintenu  en 
Allemagne.  Les  Codes  de  Fribourg  et  du  Valais  déclarent,  en 
Icnnes  catégoriques,  que  les  actes  de  l'instruction  ne  seront 
point  publics.  A  Genève,  le  projet  de  Code  d'instruction  cri- 
minelle, présenté  en  1881,  introduisait  la  publicité  complète 
dans  la  procédure  d^nstruction.  Mais  cette  proposition  fot 
rejetée".  A  Ncucliâtel,  le  Code  de  1893,  laisse  au  jugé  d'in- 
struction l'option  entre  la  publicité  et  le  huis-clos,  s'en  remet- 
tant à  lui  pour  choisir,  dans  chaque  cas,  la  méthode  la  plus 
favorable  à  la  découverte  de  la  vérité*'. 

Le  moyen  le  plus  efficace,  pour  protéger  l'inculpé  contre  les 
abus  de  l'instruction,  consiste  à  lui  accorder  l'appui  d'un  dé- 
fenseur, capable  de  Téclairer  sur  ses  droits,  de  le  mettre  en 
^arde  contre  les  pièges  qui  pourraient  lui  être  tendus,  de  lui 
inspirer  les  résolutions  à  prendre  et  les  mesures  à  solliciter. 
La  loi  française  du  8  décembre  1897  a  réalisé,  à  ce  point  de 
vue,  une  réforme  depuis  longtemps  réclamée;  elle  l'a  réali- 
sée dans  des  conditions  qui  placent  notre  législation  à  l'avant- 
garde  des  législations  progressives.  Mais  nous  constaterons 
que,  depuis  1873,  en  Autriche,  Tinculpé  est,  pendant  l'instruc- 
tion même,  autorisé  à  choisir  un  défenseur,  «  soit  pour  veil- 
ler à  la  conservation  de  ses  droits  à  chaque  acte  de  la  procé- 
dure qui  intéresse  directement  rétablissement  du  fait  et  qui 
ne  peut  être  renouvelé  plus  tard,  soit  pour  suivre  son  recours 
déjà  formé  par  lui  »  (arl.  45).  Celui-ci  ne  peut  pas,  il  est  vrai, 
assister  à  Tinterrogaloire  de  l'inculpé,  ni  à  l'audition  des 
témoins,  mais  la  loi  lui  donne,  d'une  façon  expresse,  le  droit 
de  prendre  communication  des  pièces  (art.  45). 

Le  Code  allemand  autorise  l'inculpé  à  se  faire  assister  d^un 

^^  Henseignonioiits  int<Tess;mts  sur  co  point  donnés  par  A.  Gautier,  La 
rrfoime  de  l'ihshnctiou  juralabie,  lU'i.pruaie  sumi\  1904,  p.  239. 

*^'  Il  fiaraît,  du  reste,  <|u*\  depuis  la  mise  en  vigueur  du  nouveau  Code 
(1"  mars  ^804),  l'iMiqurt»*  publique,  prévue  à  litre  facultatif  par  rarlicie  286^ 
n'a  pas  une  seufi'  fois  (Ht'nrd()nn«»e  (A.  OautifT,  1m  réforme  de  finslntction 
préalable,  Uente  pcna le  suisse,  1 90 V,  p.  239). 


PROCÉDURE    PÉNALE    DANS    LES    LEGISLATIONS    ETRANciÈRES.        !2*l 

défenseur  dès  le  dcbiil  de  riuformaliou  (art,  137);  il  permet 
même  aujuged'eo  désigner  un  d'office,  lorsque  Tinculpé  a 
oégligé  d'en  choisir  un  lui-même  (art.  142).  Toutefois,  ce 
défenseur  n*a  qu*un  rôle  assez  effacé.  H  ne  peut  assister  ni  à 
l'inlerrogaloire  de  rinculi)é  (art.  190),  ni  à  Taudilion  des  té- 
moins (art.  191).  Les  droits  du  défenseur  se  résument  dans  la 
faculté  d'assister,  seul  ou  avec  Tinculpé,  à  quelques  actes 
extérieurs  de  la  procédure.  Le  dossier  complet  ne  peut  lui 
être  confié  que  si  le  juge  estime  que  cette  communication  est 
sans  inconvénient  au  point  de  vue  du  but  qu*il  se  propose 
d'atteindre  (art.  147).  En  Suisse,  les  Godes  se  divisent.  Ceux 
deFribourg  et  du  Valais  refusent  un  défenseur  au  prévenu 
tant  que  dure  l'instruction.  Les  Codes  de  Vaud,  de  Neuchà- 
lel,  de  Genève  organisent,  d'une  façon  plus  ou  moins  com- 
plète, la  défense  dans  l'instruction. 

Eq  Russie,  l'instruction  préalable  reproduit,  dans  ses  gran- 
des lignes,  la  procédure  française,  telle  qu'elle  existait  avant 
la  loi  du  9  décembre  1897.  Le  juge  d'instruction  est  obligé 
d'informer,  soit  qu'il  ait  été  avisé  par  la  police,  soit  qu'il  ait 
été  saisi  par  une  plainte  de  la  victime  ou  par  une  réquisition 
du  ministère  public.  La  procédure  de  cette  instruction  est 
secrète.  La  défense  n'est  ni  représentée,  ni  admise.  Le  projet 
de  réforme  du  statut  d'instruction  criminelle  russe  de  1864 
se  rattache,  au  point  de  vue  de  la  contradiction,  au  système  du 
Code  autrichien  de  1873  et  non  à  celui  de  la  loi  française  de 
1897. 

Un  dernier  contrepoids  aux  pouvoirs  exorbitants  du  juge 
d^insiruction  consiste  dans  l'organisation  de  juridictions  d'in- 
struction, distinctes  et  indépendantes  du  juge,  et  chargées, 
soit  de  contrôler  les  actes  de  l'instruction,  soit  d'en  apprécier 
les  résultats.  Trois  systèmes  principaux  sont  en  présence  et 
trouvent  leur  expression  dans  les  législations  actuelles.  Indé- 
pendance et  autonomie  du  juge  d'instruction,  soit  au  cours 
de  l'instruction,  soit  à  sa  clôture  :  c'est  le  système  d'examen 
de  rinformation  par  le  juge  môme  qui  Ta  dirigée.  Indépen- 
dance du  juge  au  cours  de  l'instruction,  mais  examen  de 
i'informalion  par  une  juridiction  spéciale.  C*esl  le  système 
G.  H.  P.  -  L  9 


430        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

suivi  dans  tous  les  Codes  suisses  des  cantons  romands.  Con- 
trôle du  juge  au  cours  de  Tinslruction  et  solution  de  la  procé- 
dure par  une  juridiction  indépendante.  C*est  le  système  des 
Godes  allemand  et  autrichien. 

Mais  cette  dernière  législation,  sous  Tinfluence  scientifique 
de  Glaser,  contient,  à  ce  point  de  vue,  une  formule  qui  pa- 
raît heureusement  concilier  les  diiïérents  intérêts  qui  se 
heurtent  dans  Tinstruction.  Elle  écarte  la  procédure,  obliga- 
toire chez  presque  tous  les  peuples  du  continent,  des  mises 
en  accusation  par  un  collège  judiciaire.  Cette  fonction  est 
attribuée,  en  principe,  au  ministère  public  :  le  contrôle  de  la 
mise  en  accusation  par  une  chambre  do  la  cour  d'appel  n*a 
lieu  qu'en  cas  d'opposition  de  racciisé  contre  Tacte  d'accu- 
sation du  ministère  public.  Par  suite  de  cette  nouvelle  orga- 
nisation, les  défauts  souvent  signalés  du  type  français  dispa- 
raissent. La  cour  est  réintégrée  dans  son  rôle  judiciaire  naturel 
qui  consiste  à  arbitrer  un  débat  entre  Taccusateur  et  Taccusé. 
Ce  nouveau  système  a  été  admis  par  le  Code  de  procédure 
hongrois  de  1896  et  par  le  Code  du  Tessin  de  1895. 

La  procédure  anglaise  est  toute  dififércnte  de  la  procédure 
du  continent.  Là,  point  déjuge  d'instruction,  point  de  secret. 
I^  police  devant  les  tribunaux  n'est  que  partie  plaignante; 
elle  est  mise  s!ir  le  même  pied  que  le*s  particuliers.  Tout  in- 
dividu arrêté  doit  être  conduit  devant  le  magistrat  qui,  arbi- 
tre impartial  entre  l'accusation  et  la  défense,  ne  recherche 
rien  par  lui-même  et  ne  se  met  pas  en  enquête.  Pour  com- 
prendre la  marche  du  procès,  il  faut  distinguer  les  causes 
sommaires  des  causes  indictables.  Les  premières  sont  défé- 
rées directement,  sans  autre  instruction  que  celle  qui  est  faite 
par  le  plaignant,  aux  cours  de  petites  sessions  ou,  dans  cer- 
taines villes,  aux  cours  de  police,  et  jugées,  séance  tenante, 
sans  instruction  préalable.  Les  secondes,  les  causes  indicta- 
bles, ainsi  appelées  parce  qu'elles  ne  doivent  être  jugées 
qu'après  information  (indtctement),  sont  également  portées 
devant  les  cours  de  petites  sessions  ou  les  cours  de  police,  qui 
jouent  le  rôle  de  juridiction  d'instruction.  Ces  cours  enten- 
dent les  témoins,  interrogent  laccusé,  recueillent  les  rensci- 


PROOEDURE   PÉNALE   DANS   LES    LÉGISLATIONS   ÉTRANGKRES.       131 

gnements.  Et  loiit  celascfail,  publiqucmenl,  contradictoire- 
ment.  Les  procès-verbaux  de  la  procédure  sont  rédigés  par 
les  grefCers,  ils  sodI  sigoés  par  les  témoins  et  envoyés,  a%'ec 
lacté  d'accusation,  à  la  cour  d'assises '°. 

Actuellement,  il  n*y  a  pas  de  juge  d'instruction  en  Ecosse. 
Le  mécanisme  des  poursuites  criminelles  se  compose  du  mi- 
nistère public  et  des  cours  criminelles.  Il  existe,  dans  les 
comtés  écossais,  plusieurs  fonctionnaires  connus  sous  le  nom 
de  «  procureurs  fiscaux  »  et  qui  sont,  en  réalité,  des  procu- 
reurs du  roi.  Les  membres  du  'ministère  public  au[»rès  des 
différentes  cours  sont  presque  invariablement  des  avoués; 
quelques-uns  sont  avocats.  A  la  différence  du  chef  du  minis- 
tère public,  le  «  Lord  avocate  »,  et  de  son  personnel,  qui  doi- 
vent résigner  leurs  fonctions  après  tout  changement  politique, 
les  procureurs  du  roi  sont  inamovibles  et  conservent  leur 
office  ad  vitam  aut  culpam.  C'est  au  ministère  public  qu'il 
appartient  de  rassembler  les  preuves  et  il  est  de  pratique  con- 
stante que  cette  instruction  se  fait  tant  à  charge  qu'i\  décharge. 
Le  «  Lord  avocate  »  décide,  sur  le  dossier  qui  lui  est  transmis 
par  les  officiers  du  ministère  public,  s'il  y  a  lieu  à  poursuite 
et  détermine,  en  même  temps,  d*aprés  le  maximum  de  la  peine 
qu'il  estime  pouvoir  être  infligée,  si  l'affaire  doit  être  portée 
devant  la  Cour  suprême,  devant  le  sheriff  ou  un  jury,  ou  si 
elle  doit  être  jugée  sommairement.  Il  n'y  a  pas  d'appel  pos- 
sible contre  la  d(k;ision  du  «  Lord  avocate  »  dans  une  affaire 
quelconque,  soit  pour  ou  contre  la  poursuite.  Le  seul  recours 
admis  est  un  recours  politique  devant  le  Parlement. 

III.  La  physionomie  de  la  procédure  de  jugement,  dans  les 
divers  pays  de  l'Europe,  s'accuse  plutôt  par  des  traits  com- 
muns que  par  des  différences  essentielles.  L'évolution  s'est 

"^^  Sur  louB  ces  points,  Glassnn,  op,  cil.j  t.  6,  p.  7o'i-;  Millennaicr,  np. 
cit.,  p.  8i  à  109;  Guérin,  Étud*'  ffur  Ui  procédurf  criwiueJlc  t*n  Amjh'fpriv 
eten  Écime,  iS90.  On  lira  les  inl<^ressanls  n»nseip:nements,  roiirnis  sur  la 
proc«^dure  anglaise  d'inslruction,  par  sir  Howard  Vincent  ^ancien  directeur 
des  affaires  criminelles  à  Londres  et  auteur  du  Code  de  police,  aujuuni'hui  à 
la  12*  t'dilionlt  au  Congrès  de  l'Union  internnlionale  de  Snint-Pélersliourfj: 
^BulL  de  VUn.,  <903,  p.  170  à  182,  p.  204]. 


132         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

faite  partout  dans  les  direclious  suivantes:  i""  Séparation,  en 
plusieurs  groupes,  des  tribunaux  et  des  procédures,  corres- 
pondant au\  divers  groupes  d'infractions:  mais  égalité  de  tous 
les  prévenus  devant  la  loi  et  la  procédure  pénales;  2°  Intro- 
duction et  extension  du  jury  appelé  à  siéger  à  côté  ou  avec 
les  magistrats  de  profession.  Le  jury  existe  dans  presque  tous 
les  pays  de  TEurope  et  de  TAniérique.  On  peut  citer,  comme 
faisant  exception,  les  Pays-Bas,  dans  lesquels  les  crimes  mêmes 
sont  jugés  par  des  cours  provinciales  composées  de  magistrats 
qui  n'ont  pas  siégé  dans  la  mise  en  accusation,  et  les  pays 
Scandinaves,  réfractaires  à  Tinstitution  du  jury '^  3"*  Publicité, 
contradiction,  oralité  des  débats.  En  tous  pays,  en  Allemagne, 
en  Angleterre,  en  Autriche,  en  Belgique,  en  Portugal,  etc., 
les  débats  sont  publics,  à  peine  de  nullité.  De  même,  c'est  une 
règle  universellement  admise  que  les  témoins  déposent  orale- 
ment. Enfin,  le  débat  est  contradictoire;  Taccusateur  et  Tac- 
cusé  devant  être  placés  dans  des  conditions  d'égalité,  Tassis- 
tance  d'un  défenseur  est  universellement  organisée. 

IV.  Dans  les  affaires  de  peu  d'importance,  et  notamment  en 
cas  de  délits  légers  ou  de  contraventions,  la  tendance  générale 
est  de  simplifier  la  procédure  pour  rendre  la  répression  plus 
rapide  et  moins  coùteuse'^  Les  différents  modes  de  simplifi- 
cation, adoptés  par  les  législations  actuelles,  se  ramènent 
aux  trois  systèmes  suivants  :  i°  la  procédure  sommaire  par 
voie  de  comparution  immédiate;  2^  Textinction  de  l'action  pu- 
blique moyennant  le  paiement  volontaire  de  l'amende  qui 
menace  le  délinquant  ;  3""  les  ordonnances  pénales  sans  procé- 
dure judiciaire. 

Le  premier  système  se  réalise  par  une  procédure  qui  ne  se 

"'  En  Danemark,  en  deliors  de  Copenhague,  c'est  seulement  lorsqu'il 
s'agit  de  prononcer  la  peine  de  mort  que  le  juge  doit  se  faire  assister  de 
quatre  jurt^s  ayant  voix  délibérative.  Beauchet,  Bull,  de  la  Soc,  de  législ. 
comp.,  t.  13,  p.  133.  En  Norvège,  le  Code  de  procédure  pénale  du  !•'  juillet 
1887  a  introduit,  pour  la  première  fois,  le  jury.  En  Suède,  le  jury  n'existe 
que  pour  les  alTaires  de  presse. 

"'^  Voy,  sur  ce  point  :  Tcheglowitow,  La  procédure  en  matière  de  con» 
tra  vantions  [BulL  de  l'Un,  in  ter.  du  droit  pénal,  L  iO,  1902,  p.  352  à  365). 


i 


PROCÉDURE   PÉNALE    DANS   LES   LEGISLATIONS   ETRANGERES.       433 

distingue  de  la  procédure  ordinaire  que  par  sa  rapidité  :  le 
prévenu  comparaît  sans  citation,  sur  simple  avertissement,  ou 
même  par  traduction  immédiate  à  la  barre  du  tribunal.  Le 
droit  français  connaît  et  pratique  deux  institutions  qui  ont  ce 
caractère  et  ce  but  de  simplification  :  la  procédure  des  flagrants 
délits,  et  la  comparution  devant  le  tribunal  de  police  sur  sim- 
ple avertissement. 

Les  deux  autres  procédés  dispensent  de  toute  poursuite  de- 
vant les  tribunaux,  sauf  opposition  du  prévenu,  s'il  n'acce[)te 
pas  la  décision. 

Le  paiement  volontaire  de  l'amende  n'existe  dans  le  droit 
français,  qu'en  matière  de  délits  fiscaux,  contributions  indi- 
rectes, douanes,  etc.  L'amende  légale  peut  même  être  dimi- 
nuée, par  l'Administration  intéressée,  qui  a  le  droit  de  tran- 
siger avant  jugement.  Le  Code  pénal  des  Pays-Bas  contient 
une  disposition,  l'article  74,  consacrant  l'extinction  de  l'action 
publique  moyennant  le  paiement  par  l'inculpé  du  maximum 
de  l'amende  qu'il  aurait  encourue  pour  le  fait  incriminé. 
Toute  procédure  judiciaire  devient,  en  effet,  inutile  dans 
ce  cas,  puisque  le  coupable  se  soumet  à  la  pleine  rigueur 
de  la  répression.  Mais  ce  système  ne  serait  pratique  que  s'il 
était  permis  au  ministère  public  ou  au  juge  de  transiger, 
avant  tout  jugement,  en  faisant  payer,  à  Tinculpé  qui  avoue 
sa  faute,  une  somme  arbitrée  suivant  les  circonstances. 

C'est  à  ce  concept  que  se  rattacbe  une  institution  qui  n'a 
pas  son  analogue  dans  la  législation  française,  celle  des 
ordonnances  pénales  [Mandatsverfahren)^  par  lesquelles  le 
juge  condamne  l'inculpé  sans  l'entendre  et  sans  procédure 
antérieure.  Cette  méthode  sommaire  a  été  empruntée,  par  le 
Code  autrichien  de  1873,  aux  anciens  Codes  de  plusieurs  États 
allemands.  Aux  termes  du  §  460  du  Code  de  1873,  le  juge,  à 
qui  l'on  a  dénoncé  un  inculpé  se  trouvant  en  liberté,  à  raison 
d^ine  contravention  punie  de  Temprisonnement  pendant  un 
mois  au  plus,  ou  d'une  amende  simple,  peut,  s'il  trouve  qu'il 
n'y  a  lieu  qu'à  un  emprisonnement  de  trois  jours  au  plus 
ou  h  une  amende  de  quinze  florins  au  maximum,  prononcer, 
dans  une   ordonnance    pénale    {Slrafverfûgung)^    la    peine 


134         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

encourue,  sur  la  demande  du  ministère  public,  sans  procédure 
antérieure.  Un  droild*opposilion  contre  Tordonnaiice  du  juge 
est  réservé  au  condamné,  s'il  préfère  qu'on  observe,  à  son 
égard,  les  formes  el  les  garanties  de  la  procédure  ordi- 
naire. Ce  système  a  été  généralisé,  en  Allemagne,  par  le  Code 
(le  TEmpire  de  1877,  dont  le  §  447  est  ainsi  conçu  :  «  Dans 
«  les  affaires  qui  sont  de  la  compétence  des  tribunaux  d'éche- 
«  vins,  le  juge  de  bailliage  peut,  sans  débats  préalables,  et 
«  lorsque  le  ministère  public  le  requiert  par  écrit,  prononcer 
«  une  condamnation  par  une  ordonnance  pénale  écrite.  On 
«  ne  peut,  par  ordonnance  pénale,  prononcer  d'autre  peine 
«  que  Tamende  décent  cinquante  marks  au  maximum,  lapri- 
«  vation  de  liberté  pour  six  semaines  au  plus  et  la  confiscation, 
«  s'il  y  a  lieu  ».  Le  droit  d'opposition  à  l'ordonnance  pénale, 
est  organisé  par  les  §§  449  à  452. 

Le  système  des  ordonnances  pénales  fonctionne,  dans  plu- 
sieurs cantons  de  la  Suisse,  entre  antres,  dans  ceuxdeSoleure 
(C.  de  proc.  pén.  de  1866,  art.  388),  de  Claris  (C.  de  proc. 
pén.  de  1899,  art.  171  à  186).  11  a  été  adopté  par  le  Code 
hongrois  de  1896  (art.  532  à  535)  et  par  le  Code  norvégien  de 
1887  (art.  287  à  290).  En  Norvège,  les  ordonnances  pénales 
sont  rendues  par  le  ministère  public.  Il  est  question  d'intro- 
duire le  régime  des  ordonnances  pénales  en  Italie,  en  Russie, 
en  Danemark. 

Ce  procédé,  dont  le  principal  avantage  est  de  permettre  à 
l'inculpé  d'éviter  les  débats  publics,  rend  de  grands  services 
dans  les  pays  qui  le  pratiquent.  A  la  condition  de  réserver  au 
condamné  la  faculté  de  recourir  à  la  procédure  ordinaire,  ce 
système  ne  paraît  pas  être  en  désaccord  avec  les  principes 
fondamentaux  de  la  procédure  criminelle. 

§  Z.  ~  LA  LITTÉRATURE   SCIENTIFIQUE  DE  LA  PROCËDURB  PËNAL£« 

.  On  dégage  deux  périodes  duns  Thisloire  litléraire  de  la  science  de  la  procédure 
pénale,  dont  la  séparation  est  marquée  par  le  Code  d'instracUon  criraineile  de 
iSOB.  —  67.  Les  écrivains  de  la  première  période  :  gloesateurs,  praticiens,  pré- 
curseurs. —  68.  Les  écrivains  de  la  seconde  période.  Italie.  France.  Allemagoe. 

66.  On   peut  dégager  facilement  deux  grandes  périodes 


LITTÉRATURB  SCIENTIFIQUE   DE    LA  PROCÉDURE   PÉNALE.       iSfi 

dans  rhistoire  de  la  littérature  scientifique  de  la  procédure 
pénale.  La  première  a  pour  point  d'arrivée  et  la  seconde,  pour 
point  de  départ,  le  Code  d'instruction  criitiineile  français  de 
4808,  dont  l'apparition  en  France  et  le  rayonnement  en  Europe 
marquent  une  date  décisive.  A  vrai  dire,  le  droit  criminel  n*a 
été  scientifiquement  étudié,  qu'à  partir  du  xv!!!"*  siècle.  Jus- 
que-là, le  droit  social  de  punir  paraissait  si  évident  qu'on  ne 
songeait  pas  à  en  rechercher  la  cause  et  à  le  soumettre,  dans 
son  exercice,  à  une  réglementation  rationnelle.  Les  sources 
mises  en  œuvre,  pour  le  droit  pénal  comme  pour  la  procé- 
dure criminelle  antérieures  à  la  révolution,  ont  été  la  cou- 
iunie,  le  droit  romain,  le  droit  canonique  et  les  ordonnances 
rovales.  Toutes  ces  sources  sont  venues  se  fondre  et  se  cou- 
denser  dans  la  doctrine  des  criminalistes,  et  leur  ensemble, 
qui  a  formé  le  droit  criminel  scientifique,  a  permis  et  préparé 
l'œuvre  de  la  codification. 

67.  Les  écrivains  de  la  première  période  peuvent  être 
chronologiquement  classés  en  trois  catégories:  les  fflossateurSy 
les  praticie>is  et  ïes  précurseurs, 

I.  Les  premiers  glossateurs  qui  considéraient  le  droit  cri- 
minel comme  une  branche  du  droit  civil,  se  contentèrent 
d'appliquer,  aux  parties  des  recueils  de  Justioien  relatives  aux 
matières  criminelles,  les  livres  47  et  48  des  Pandectes,  et  le 
livre  9  du  Code,  les  procédés  d'interprétation  qui  leur  ont 
valu  le  nom  de  glossateurs.  Après  un  bref  commentaire  du 
texte,  plus  ou  moins  exactement  compris,  ils  en  rapprochent 
les  édits  des  souverains,  les  coutumes  locales  et  les  règles  de 
pratique  judiciaire.  Ces  études  fragmentaires  dégagent  quel- 
ques solutioQs  dont  on  fait  remonter  l'honneur  à  la  législation 
romaine.  A  cet  égard,  d'heureuses  erreurs  furent  commises 
«t  le  progrès  de  la  civilisation  juridique  en  bénéficia. 

Il  suffit  de  citer,  parmi  les  glossateurs,  Placenlinus\  Azo', 

9  X.  ^  Placentiniu  vint  d'Italie  professer  à  Monlpetlier,  où  il  mourut  (  n 
^  Azo,  mort  au  plus  lot  vers  1230,  enseigna  à  Bologne,  puis  à  Montpellier. 


136         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

Rofredus^  et  Accursius*.  Rofredus  esl  peul-être  celui  des  roma- 
nistes dont  l'influence  fut  la  plus  décisive  sur  révolution  de 
la  procédure  criminelle.  Dans  ses  Libelli  de  jure  pontifko^ 
il  démontre  que  le  mode  de  procéder  inquisitorial  dérivait 
du  droit  romain  et  que  Innocent  III  n'avait  fait  qu^en  régler 
la  forme.  Ces  affirmations  doctrinales  contribuèrent,  dans  un 
temps  où  le  droit  romain  retrouvé  excitait  une  sorte  d'enthou- 
siasme, à  faire  adopter,  par  les  juridictions  laïques,  la  procé- 
dure inquisitoriale.  Parmi  les  canonistes  du  xiii°  siècle  qui 
s'occupèrent  du  droit  criminel,  il  suffit  de  citer  Ta'ncredus*,  el 
Guillaume  Durant^  dont  le  Speculiwi  juris,  écrit  vers  1271, 
eut  une  grande  autorité  dans  les  tribunaux  ecclésiastiques 
el  laïques.  C'est  de  cet  ouvrage,  son  principal  titre  à  la 
réputation  prodigieuse  dont  il  jouit  à  cette  époque,  que  Guil- 
laume Durant  tire  son  surnom  de  Speculator. 

II.  Dans  la  dernière  moitié  du  xiu®  siècle,  les  études  pénales 
commencent  à  prendre  une  importance  propre  et  le  droit 
criminel  devient  un  rameau  distinct  qui  se  détache  du  droit 
civil;  alors  surgit  une  génération  de  juristes  qui  recueillent^ 
sous  les  noms  de  Praxis,  Practica,  Libellus,  Swnma,  les  cou- 
tumes judiciaires  et  écrivent  des  manuels  de  pratique,  dans 
lesquels  le  droit  pénal  et  la  procédure  sont  rarement  séparés. 
Le  plus  ancien  recueil,  exclusivement  consacré  à  cette  bran- 
che de  la  pratique  judiciaire,  est  le  Libellas  de  maleficiis  d'Al- 
bert de  Gandino^ 

C'est  en  Italie,  qui  est  restée  la  terre  classique  du  droit 
criminel,  que  naît  et  se  développe  cette  littérature  spéciale. 


^  Hofredus  est  mort  en  1242. 

*  Accurse,  professeur  à  Bologne,  mort  dans  celte  vitle  en  1260,  est  l'auteur 
de  la  Glossa  ordinaria  de  tout  le  droit  de  Juslinien. 

'■•  Tancrède,  de  Bologne,  a  composé,  au  conmiencement  du  xin*,  divers 
ouvrages.  Le  principal  est  un  ouvrage  de  procédure  canonique  qui  fut  tra- 
duit, d«'S  le  xiii«  siècle,  en  français  et  en  allemand,  VOrdo  jtidiciarius. 

«  Mort  h  Rome  on  i  296. 

"^  Ce  traite^,  imprimé  pour  la  première  fois  à  Venise,  en  1491,  a  été  joint 
ensuite  au  Tractalvi^  matcficiomm  d'Aretinus.  Il  paraît  avoir  été  écrit  vers 
1262. 


LITTÉRATURE   SCIENTIFIQUE   DE    LA   PROCÉDURE   PENALE.       137 

Bieotôt,  son  influence  rayonne  sur  TEspagne,  la  France^ 
TAIIemagne,  les  Pays-Bas.  Jusqu'à  la  dernière  moitié  du 
xvi''  siècle,  les  manuels  d'Albert  de  Gandino,  de  Jacques  de 
Belvisio*,  d'Angelus  Arelinus',  d'Hippolyle  de  Marsilliis*", 
firent  autorité  devant  les  tribunaux  de  tous  ces  pays. 

Philippe  de  Beaumanoir*',  dont  Loysel  a  dit:  «  C'est  lui  qui 
a  rompu  la  glace  et  ouvert  le  chemin  x>,  représente,  au 
XIII*  siècle,  la  science  laïque.  Le  premier  de  tous  les  juristes,  il 
tente  un  exposé  de  l'ensemble  du  droit  féodal  et  coutumier. 
Beaumanoir  donne  peu  d'explications  sur  la  procédure  crimi- 
nelle, parce  que,  à  Tépoque  où  il  écrivait,  cette  procédure 
ne  différait  pas  essentiellement  de  la  procédure  civile.  Les 
mêmes  tribunaux  et  les  mêmes  juges  prononçaient  sur  tous  les 
litiges,  et  comme  le  droit  pénal  n'était  pas  arrêté,  ils  avaient 
un  pouvoir  presque  arbitraire,  non  seulement  pour  varier  la 
peine,  mais  encore  pour  adapter  les  formes  de  la  procédure 
aux  circonstances.  Les  seules  coutumes,  réglées  avec  quelque 
certitude,  étaient  les  deux  procédures  en  présence,  le  combat 
judiciaire  et  l'enquête,  Tune  qui  représentait  les  anciennes 
mœurs  et  qui  était  à  son  déclin,  l'autre  qui  exprimait^  au  con- 
traire, les  idées  et  les  mœurs  nouvelles.  Dans  cette  époque  de 
transition,  l'ouvrage  de  Beaumanoir  est  précieux  pour  nous 
faire  connaître  les  institutions  du  temps. 

Les  ouvrages  des  criminalistes  de  la  fin  du  xvi*  siècle  se 
ressentent  de  l'influence  bienfaisante  de  la  Renaissance.  L'art 
d'exposer  les  idées  et  de  les  coordonner  les  unes  avec  les 
autres  dans  un  ordre  naturel  était  presque  inconnu  jusque-là» 

*  Ce  jurisconsulte,  né  en  1270,  mort  en  i3j5,  est  l'auteur  d'une  Pratica 
judicifiria  in  materiis  criminalibus,  imprimée  à  Lyon  en  1515. 

'  Auteur  du  De  maleficiis  traclatusy  imprimé  à  Lyon  en  1551.  On  ne  sait 
♦exactement  ni  la  date  de  sa  naissance  ni  celle  de  sa  mort.  Il  vécut  dans  la 
première  moitié  du  xv*  siècle. 

***  Auteur  de  la  Practica  causarum  criminalium.  Né  en  1  ^50,  mort  en 
1529. 

'^  Les  Coutumes  du  Beauvaisis,  par  Philippe  de  Beaumanoir,  jurisconsulte 
français  du  xni«  siècle  (Nouv.  éd.  publiée  par  le  Comte  Beugnol),  2  vol, 
in-ft®,  Paris,  Renouard,  1842.  La  préface  de  Beugnot  (cxxxi  pages)  est 
encore  intéressante. 


138  PROCÉDURE   PÉNALE.    —   UiTRODUCTlON. 

Les  auteurs  préseDtaîeot  leurs  peasées  comme  elles  s'offraient 
à  leur  esprit,  sans  méthode  et  sans  lien  logique.  A  partir  de 
la  fin  du  XVI*  siècle,  ce  ne  sont  plus  de  simples  recueils  d'usage, 
des  manuels  de  pratique  judiciaire  qui  verront  le  jour,  mais 
des  traités  scientifiques,  c'est-à-dire  des  essais  de  systémati- 
sation des  sources.  Parmi  les  jurisconsultes  italiens,  qui  ont 
été  les  véritables  fondateurs  du  droit  criminel  scientifique,  il 
faut  citer  surtout  deux  noms  :  celui  de  Julius  Clarus'^,  qui  fat 
le  criminaliste  le  plus  distingué  de  son  siècle  ;  et  celui  de  Fa- 
rinaccius*',  dont  la  réputation  scientifique  a  été  peut-être  exa- 
gérée, mais  dont  rinfluence  sur  la  direction  de  la  procédure 
ne  fut  que  trop  réelle  et  trop  décisive. 

Le  premier  traité  de  droit  criminel  publié  hors  de  l'Italie, 
eut  pour  auteur  un  praticien  belge,  Josse  Damhouder.  Sa 
Praxis  rtrum  criminalium  *^,  dont  la  partie  la  plus  importante 
est  consacrée  à  la  procédure,  servit  de  guide,  pendant  long- 
temps, à  la  jurisprudence  des  tribunaux,  dans  les  Pays-Bas  et 
en  Allemagne. 

Mais,  au  xvii'siècle,  Tautoritéd^un  Allemand, Benoit  Garpzov, 
remplace  et  fait  oublier,  dans  les  pays  de  langue  germanique, 
Tautorité  de  Damhouder,  de  Parinaccius  et  même  de  Julius 
€larus.  Sa  Praciica  nova  imperialis  Saxonica  remm  crimina- 
liufH  in  partes  très  divisa,  publiée,  pour  la  première  fois,  à 
Wurtemberg  en  1635,  sert  de  guide  à  la  jurisprudence  et  à 
la  législation  allemandes  pendant  plus  d'un  siècle. 

Les  traités,  publiés,  depuis  lors,  sur  le  droit  criminel,  au 
cours  du  xviii*  siècle,  ont  été  en  progrès  constant  comme  exposé 

**  N(^  en  4525,  à  Alexandrie  (Ttalie),  mort  en  1575.  On  lui  doit  hsSenten- 
iiavam  receptarnmy  Libri  V,  ûoni  le  5*  livre,  le  plus  important  et  le  plus 
élcndu,  est  consacré  au  droit  criminel.  Cette  œu?re  a  été  souvent  réimprime'e. 

"  Les  Opéra  omnia  de  ce  jurisconsulte  ont  été  souvent  réimprimées.  Il 
naquit  en  155'»  et  mourut  on  1013.  Farinaccius  est  un  esprit  lourd,  compact. 
Les  s»»pl  volumes  in-folio  en  latin  qui  composent  ses  œuvres  sont  assez 
dit'ticiles  à  lire. 

**^  Cet  ouvrage  a  été  imprimé  [K>ur  la  première  fois  à  Bruges  en  1551, 
Mais  cette  édition  n'a  pas  laissé  de  trace.  Damhouder  l'avait  traduit  lui- 
même  en  français  sous  ce  titre  :  Pratiquer  judiciaires  es  causes  criminelles 
(Anvers,  157V,  in-12). 


LITTÉRATURB   SCIENTIFIQUE   DE   LA   PROCEDURE    PENALE.       i39 

méthodique  de  la  procédure;  mais  leurs  auteurs  n'out  cessé 
de  les  composer  eu  vue  de  la  pratique  judiciaire.  Ils  se  sont 
bornés  à  expliquer  les  lois,  les  coutumes  et  les  usages  qui 
règ-ienl  la  peine  et  les  formes  de  procédure,  à  synthétiser  le 
droit  dérivant  de  ces  sources,  sans  qu'ils  aient  songé  à  exami- 
ner, à  la  lumière  de  la  raison,  les  problèmes  que  soulevaient 
les  institutions  en  vigueur  et  à  critiquer  les  abus  de  la  procé- 
dure inquisitoriale. 

Les  criminalisles  qui  ont  eu  le  plus  de  vogue  au  xviii''  siècle 
et  dont  les  œuvres  peuvent  encore  être  consultées  avec  fruit, 
sont  :  Jousse'*  et  Muyart  de  Vouglans**,  en  France;  Renazzi 
et  Cremani,  en  Italie;  Samuel  Frédéric  Boehmer,  en  Allema- 
gne. Lesun^  et  les  autres,  magistrats  ou  professeurs,  furent  des 
bommes  tranquilles,  au  milieu  d'un  siècle  agité  :  uniquement 
préoccupés  de  la  législation  du  temps,  ils  ignorèrent  le  grand 
mouvement  d'idées  qui  se  produisait  autour  d'eux;  ils  n'exi- 
rent  aucun  pressentiment  de  la  révolution  qui  se  préparait^\ 
Mais  leurs  œuvres  étaient  nécessaires:  elles  furent  la  systé- 
matisation du  droit  en  vigueur,  et  préparèrent  la  codification 
qui  eût  été  presque  impossible,  sans  ce  travail  préliminaire. 

111.  La  procédure  criminelle  inquisitoriale  avait  été  déjà 
critiquée  au  xvi*  et  au  xv!!""  siècles.  Des  précurseurs  en  avaient 

'*  Juusse,  collaborateur  et  ami  de  Pothier,  son  collègue  au  présidial  d'Or- 
It'îans,  auteur  du  Traité  de  la  justice  criminelle  de  France,  4  vol.  in-4°, 
167 1.  Cet  ouvrage  n'est  pas  très  original,  mais  i\  est  1res  complet*  1res  mr^tho- 
4\<]ue  et  très  clair.  On  lira  la  préface  qui  donne  bien  l'idée  de  la  mentalité 
d'un  criminaliste  praticien  à  la  veille  de  la  révolution. 

'^  Muyarl  de  Vouglans,  conseiller  au  Grand  Conseil  &  Paris,  il  fit  partie 
(lu  Piarlement  Maupeou.  Ses  deux  principaux  ouvrages  sont  :  Lois  crimi- 
uelles  de  la  France  dans  leur  ordre  naturel  et  les  luiftitutes  au  droit  en- 

■ 

mineL  Le  droit  en  rigueur  lui  parait  le  dernier  mot  de  la  raison  humaine. 
Muyart  de  Vougïans  mourut  sur  Téchafaud. 

*''  Je  ne  parle  pas  de  Pothier  qui  a  publié,  parmi  ses  petits  traités,  dans 
lesquels,  avec  son  admirable  clarté,  il  a  simplifié  et  vulgarisé  le  droit  français, 
OD  Traité  de  la  procédure  criminelle  (réimprimé  dans  les  Œuvres  de  Pothier 
par  Bognet,  au  tome  X,  p.  387  à51i).  Pothier  n'a  pas  critiifué  la  procédure 
criminelle  de  son  temps.  Oo  sait  cependant  que  lorsqu'il  siégeait  au  prési- 
dial  dX)r)éans,  dans  des  affaires  criminelles,  on  évitait  de  lui  distribuer  des 
procédures  dans  lesquelles  la  question  dût  être  pos6e« 


MQ  PROCÉDURE   PÉNALE.    —    INTRODUCTION. 

proposé  Tabolition.  Il  faiil  citer  d'abord  Pierre  AyrauU'*  qui 
attaque,  avec  une  savoureuse  énergie,  le  secret  de  la  procé- 
dure'%  qui  dit  avoir  lu  renonciation  de  la  publicité  dans  les 
procès  criminels  fails  plus  de  six  vingt  ans  auparavant,  c'esl- 
à-dire  vers  1492,  par  son  bisaïeul  maternel,  Jean  Belin,  lieu- 
tenant général  d'Anjou,  et  qui  invoque,  en  témoignage  de  la 
publicité  dont  on  usait  en  France,  les  vestiges  laissés  «  aux 
portes  des  églises,  des  châteaux,  halles  et  places  publiques, 
où  les  sièges  des  juges  y  restent  encore  ».  C*est  Augustin 
Nicolas ^°,  c'est  le  jésuite  Théodore  Spée'^*,  au  xvn''  siècle,  qui 
s'élèvent  très  courageusement  et  très  publiquement  contre  la 
torture. 

Mais,  dans  la  dernière  moitié  du  xviii°  siècle,  les  réforma- 
teurs soumettent  Tantique  procédure  à  Tobscrvalion  critique 
et  tentent  de  dégager  un  idéal  de  liberté  et  de  formuler  un 
minimum  de  revendication. 

La  France  et  l'Italie  tiennent  la  tcte  du  mouvement.  Pour 
la  France,  c'est  Voltaire,  Servan  et  Brissot  de  Warvile;  pour 
l'Italie,  Filangieri,  Risi,  et,  leur  chef  à  tous,  César  Beccaria. 
Dans  ce  «  pamphlet  chaleureux"  »,  le  Traité  des  délits  et  des 
peines^  et  dans  cette  année  1764,  qui  est  une  date  à  retenir 
pour  l'histoire  du  droit  pénal,  Beccaria  s'attaque  à  cette 
monstruosité,  la  torture,  il    demande   l'abolition  du   secret 

«»  Né  en  1530;  décédé  le  24  juillet  i601. 

'*  Dans  LOrdre,  formalité  et  instruction  judiciaire,  dont  les  Grecs  et  les 
Romains  ont  mé  es  accusations  publiques,  La  meilleure  édition  est  celle  de 
Lyon,  chez  Jean  Caffin,  1042. 

^^  Augustin  Nicolas  a  publié  une  brochure  intitulée  :  •<  Si  la  toiture  est 
un  moyen  sûr  à  vérifier  les  crimes  secrets  ».  Il  était  président  au  Parlement 
(le  Dijon.  Voy.  Esmein,  Hist.  de  la  procédure  criminelle,  p.  350. 

'2*  Spée  a  publié  un  important  ouvrage  :  Cautio  criminalis  contra  sagas 
liber,  Hhurtel,  1031;  Cologne,  1032.  Cfr.  A.  du  Boys,  Hist.  du  droit  cri- 
minel de  France,  depuis  le  xri^  siècle  jusqu'au  xix^,  t.  2,  1874,  p.  147  et 
suiv. 

*^  Lerminicr  écrit  très  exactement  dans  son  Introduction  à  rhistoire  géné- 
rale du  droit  :  «  Beccaria  fit,  dans  le  Traité  des  délits  et  des  7:(?iwe«.(Naple5, 
1704),  non  un  livre  scientifique,  mais  un  pamphet  chaleureux  qui  satisfit 
h  juste  elTervescence  de  Topinion  :  ce  fut  comme  une  pétition  dont  se 
servit  l'Europe  pour  la  présenter  aux  souverains  ». 


LITTÉRATURE    SCIENTIFIQUB    DE    LA    PROCÉDURE    PENALE.       141 

daos  rinstruclioD,  il  propose  que  l'inculpé  ait  uq  défenseur. 
Ce  programme  était  si  hardi  qu'il  vaut  à  son  publicaleur  des 
persécutions  en  Italie. 

68.  Déjà,  les  derniers  criminalistes  du  xyu!""  siècle,  par  la 
tendance  systématique  de  leurs  œuvres,  pourraient  trouver 
place  parmi  les  auteurs  de  la  seconde  période  littéraire.  Mais 
c'est  à  vrai  dire  seulement  depuis  la  publication  en  France  et 
le  rayonnement  en  Europe  du  Code  d'instruction  criminelle 
de  1808  que  commence  un  nouveau  mode  de  comprendre  et 
d'exposer  les  disciplines  criminelles  en  correspondance  avec 
la  nouvelle  méthode  législative  de  codification. 

En  France,  le  premier  commentateur  du  Gode  d'instruction 
criminelle  fut  Garnot,  conseiller  à  la  Gour  de  cassation.  Son 
traité  :  De  Cinstruction  criminelle,  paru  en  1812",  contient 
une  interprétation  indépendante,  tirée  de  la  seule  raison,  du 
Gode  nouveau.  Après  lui,  un  magistrat,  J.-M.  Le  Graverend 
publie  un  Traité  de  la  législation  criminelle  en  France^^  qui 
n'est  plus  un  simple  conrjnentaire  de  textes,  c'est  un  essai 
systématique  et  conslructifde  la  procédure  criminelle  d'après 
la  nouvelle  législation. 

Mais  l'ouvrage  capital  qui,  dans  cet  ordre  de  disciplines, 
reste  encore  aujourd'hui  un  modèle  dont  la  valeur  n'a  été 
nulle  part  dépassée,  c'est  le  Traité  de  l'Instruction  criminelle 
de  Faustin  Hélie.  Le  premier  volume  de  cet  ouvrage  fut  publié 
en  18i5,  le  neuvième  ne  fut  achevé  qu'en  1860.  La  seconde 
édition,  en  huit  volumes,  a  paru  en  1866.  Aucun  ouvrage, 
n'a  eu,  au  cours  du  xix*  siècle,  une  influence  comparable  à 
celui-là  sur  la  jurisprudence  pratique  des  tribunaux  et  sur  la 
direction  scientiflque  de  la  procédure.  Son  autorité  a  dépassé 
nos  frontières  ;  et  partout  où  a  pénétré  le  type  de  procédure  que 
le  Code  d'instruction  criminelle  de  1808  avait  systématisé, 
l'œuvre  de  Faustin  Hélie  a  été  acceptée  comme  son  meilleur 
commentaire.  L'intérêt  de  la  défense,  les  garanties  de  la  liberté 

*'  Chez  Nêve,  libraire  de  !a  Cour  de  cassation,  2  vol.  petit  in-4®. 
-*  Cet  ouvrage  a  eu  trois  éditions.  La  dernière  parue  en  1830  (2  vol.  in-4') 
a  été  revue  et  corrigée  par  Duvergier. 


142        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 


\ 


individuelle  D'ont  pas  en  d^inlerprète  plus  autorisé  et  plus 
passionné  que  Fanstin  Hélie.  Dans  une  nolice  biographique, 
écrile  pour  la  sixième  édition  de  la  Théorie  du  Code  pénal^ 
M.  Faustin-Adolphe  Hélie,  constate  que  son  père  «  n'aimait 
aucune  aulorilé  jd.  Il  pensait  «  que  la  démocratie  doit  se  déve- 
lopper au  milieu  de  toutes  les  libertés  sans  le  contrepoids  de 
Tautorité».  Cette  tendance  d'esprit  se  reconnaît  au  fond  dos 
principales  doctrines  de  Faustin  Hélie  et  elles  donnent,  à  son 
traité,  un  caractère  libéral  et  individualiste  qui  n'a  pas  été 
sans  influence  sur  les  meilleures  directions  de  la  procédure 
pénale  française. 

Dans  la  première  moitié  du  xix*  siècle,  l'Italie  est  surtout 
représentée,  par  deux  crimînalistes,  Carmignani  et  Nicolini, 
le  premier,  plus  philosophe,  avec  son  ouvrage,  où  le  droit  et 
la  procédure  voisinent,  Teorica  délie  leggi  délia  sicurezza  so- 
ciale ",  l'autre,  plus  historien  et  plus  praticien,  avec  sa  Proce- 
dura  pénale  nelregno  délie  due  Sicilie. 

Moins  célèbres,  mais  non  sans  mérites,  Contolî,  avec  ses 
Considerazioni  sul  processo  e  gtiidizio  crimtnale,  Ademollo^ 
avec  //  guidizio  criminale  in  Toscane,  Armellini,  avec  son 
Corso  di  procedura  pénale.  Puis,  la  science  italienne  subit 
une  éclipse,  et  ne  présente  plus,  durant  des  années,  que 
quelques  traités  sous  forme  de  commentaires  exégétiques, 
quelques  études  et  quelques  travaux  critiques  de  réforme 
législative.  La  formation  de  l'unité  italienne  vient  donner 
un  nouvel  essor  à  l'esprit  scientifique.  François  Carrara, 
avec  son  Programma  del  corso  di  diritto  pénale  (Sect.  III,  Del 
guidizio  criminale)  ",  Tolomei,  avec  son  traité  de  Diritto 
e  procedura  pénale,  Pielro  Nocito,  avec  les  Prolegomeni 
alla  filosofia  del  diritto  guidiziario  pénale  e  civile,  Canonico, 
avec  le  Del  guidizio  pénale,  Enrico  Pessina,  avec  le  Sow- 
mario  di  lezioni  sul  procedimento  pénale  italiano,  Zuppetta, 
avec  le  Sommario  délie  lezioni  di  ordinamento  guidiziario 


"  Pise,  1831,  4  voL  m-8°.  Garmi^ani,  m»  en  1768,  est  mort  en  1847.  Il  fut 
professeur  de  droit  criminel  à  TUniversité  de  Pise. 

^'î  Oirrara  fut  lo  successeur  de  Carmignani  à  l'Université  de  Pise. 


IJTTÉRATURE   SCIENTIFIQUE  DE  LA    PROCEDURE   PENALE.       443 

pmale  e  di  codice  di  procedura  perialp^  Pescatore,  avec  sa 
Sposizione  compendiosa  di  procedura  civile  e  crimùiale,  etc., 
apportent  à  la  littéralure  italienne  des  coatribations  intéres- 
saotes.  Ces  criminalistes  apparliennenf,  à  Técole  qui  voit, 
daas  la  procédure,  la  meilleure  garantie  de  la  liberté  et  qui 
De  trouve  pas  que  les  intérêts  de  la  défense  sociale  aient  à 
souffrir  de  la  sauvegarde  des  droits  de  Tindividu.  Le  Code 
d<j  procédure  pénale  de  i86oa  donné  naissance  à  une  foule  de 
traités,  sous  forme  de  commeniaires,  parmi  lesquels  (es  plus 
complets  et  les  plus  réputés  sont  ceux  de  Saluto  et  de  Borsaoi 
eCasorati.  Nous  citerons  enfin,  comme  une  tentative  inléres- 
sanle  d'adaptation  de  la  procédure  criminelle  aux  nouvelles 
théories,  les  Principii  fondamentali  di  diritto  guidiziario 
pe7iale^\  de  Puglia. 

La  culture  allemande,  dans  le  cliamp  de  la  procédure,  s'é- 
tait exercéesur  la  Caroline  qui  régit  une  grande  partie  de  l'Eu- 
rope jusqu'au  commencement  du  xix*  siècle.  Mais  les  auteurs 
allemands  fouillèrent  bien  plus  profondément  encore  les  lois 
et  les  Codes  particuliers  qui  furent  promulgués,  dans  les  pays 
de  race  germanique,  après  cette  époque.  Nous  citerons,  parmi 
les  criminalistes  dont  les  œuvres  ont  marqué,  au  commence- 
ment du  xix'  siècle,  Stubel  -",  Henke,  Abcgg  ",  Fucrbach, 
Bauer  ",  et,  plus  tard,  Biener,  Kustlin.  Molil,  Planck,  Zacha- 
riae,  Jagemann,  Mittermaier,  Friihuald. 

Quand  les  deux  grands  Étals  de  race  germanique,  TAu- 
triche,  en  1873,  TAIIemagne,  en  1877,  codifièrent  et  uni- 
fièrent leur  procédure  pénale,  cet  événement  important  de 
leur  vie  juridique  fut  le  point  de  départ  d'une  période  de 
vie  scientifique  intense. 

En  Autriche,  il  faut  citer,  parmi  les  œuvres  marquantes, 
celles  d'Ullmann,  Mayer,  Bar,  Mitterbacher,  Ruif,  Riel,  Var- 
gba,  Glaser,  etc. 

2'  Milan,  1899. 

^'  Dos  criminalverfahren  in  dem  dtschn.  Gcriclitcn  bes.  im  Kqr.  Sachsen 
(Leipzig,  1811). 
'*  Lf*hrbuch  des  gem,  Criminal-Prozesses  (Kônigsberg,  1833). 
^<*  Anleitung  z.  Criminalpraxis  (Gott.,  1837). 


144         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  INTRODUCTION. 

Ce  dernier  criminaliste^  qui  a  élé  l'inspirateur  du  Code 
autrichien  de  1873,  fut  chargé,  par  une  élite  de  jurisconsultes 
allemands,  à  la  tête  desquels  était  le  criminaliste  Binding,  de 
collaborer,  avec^Dochow,  Schwarze,  Geyer,  Meyer,  à  la  pre- 
mière édition  de  TEncyclopédie  d'Holtzendorff  et  de  com- 
menter, dans  cet  ouvrage,  le  Code  de  procédure  pénale  alle- 
mand de  1877. 

D'autres  noms  doivent  être  ajoutés  à  cette  liste.  Les  com- 
mentaires et  manuels  de  Lowe,  de  John,  de  Dochow,  de 
Geyer  et  de  Bennecke  sont  devenus  classiques  en  Allemagne. 


PROCÉDURE    PÉNALE 


G.  P.  P.  —  I  10 


iniKMiKRi-:  PAHTii': 


DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 


Bibliographie  générale.  —  Delpon,  Essai  sur  l'histoire  de  Vac'- 
tion  publique  et  du  ministère  public^  2  vol.  in-8*,  1830.  —  Dutruc,  Mcino- 
mi  du  ministère  public,  2  vol.  iii-8*,  i871.  —  Ferlet,  Étude  sur  Vac- 
tion  civile  résultant  d'un  fait  punissable,  in-8®,  1866.  —  Hersch,  Des 
fonctions  de  l'officier  du  ministère  public  près  les  tribunaux  de  simple 
police,  in-8*,  1851.  —  G.  Leioir,  Code  des  Parquets,  2  vol.  in-i8,  1889.  — 
LePoittevin,  Dictionnaire  formulaire  des  Parquets,  3  vol.,  3«  édit.,  1901. 

—  Mangin,  Traité  de  l'action  publique  et  de  Vaetion  civile  en  matière  cri- 
minelle, 3*  éd.,  revue  par  Sorel,  2  vol.  in-8»,  1876.  —  Massabiau,  Manuel 
du  ministère  public,  4e  éd.,  3  vol.  in-8^  1876.  —  De  Molènes,  Traité  prati- 
que des  fonctions  du  procureur  du  roi,  2  vol.  in-8**,  1843.  —  Le  Sellyer, 
Traité  de  r exercice  et  de  V extinction  des  actions  publique  et  privée,  2  vol. 
in-8",  1874.  — Ortolan  et  Ledcau,  Le  ministère  public  en  France,  2  vol. 
iD-8«,  1830.  —  Schenck,  Traité  sur  le  ministère  public,  2  vol.  10-8",  1813. 

—  L.  Théiard,  Le  ministère  public,  in-8**,  1857.  —  Vallet  et  Montagnon, 
Manuel  des  magistrats  du  Parquet,  2  vol.  in-8',  1891. 


LIVRE  PREMIER 


DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 


—  DE  L'INTERDÉPENDANCE  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

es  actions  publique  et  civile,  l-eurs  rapports.  Qu:itre  cuuceplioQS.  — 70.  Coii- 
011  entre    la  deux  actions.  —  71.  Séparation.  —  72.   Interdépendance.  — 
Indépendance.  —  74.  Solidarité.  —  75.  Uéformes.  —  76.  Étude  parallèle  des 
X  actions. 


9.  L'élude  dos  actions  doit  précéder  l'étude  de  Yorganisa- 
judiciaire  et  de  la  procédure  proprement  dite,  car  le  pou- 
judiciaire  n'agit,  en  principe,  qu'après  avoir  été  mis  en 
vemenl  par  une  action  et  la  procédure  trace  précisément 
larche  à  suivre  pour  exercer  cette  action  et  la  faire  abou- 

infraction  donne  naissance,  et  au  droit  de  la  société  de 
ir  le  délinquant,  et  au  droit  de  la  personne  lésée  d'obtenir 
paration  du  dommage  que  lui  a  causé  le  fait  illicite.  On 
•Ile  action  pénale  ou  publique  \  le  recours  à  l'autorité  ju- 
lire  exercé,  au  nom  et  dans  l'intérêt  de  la  société,  pour 
ber  à  la  constatation  du  fait  punissable,  à  la  démonstration 
a  culpabilité  de  l'auteur  et  à  l'application  des  peines  éta- 
>  par  la  loi.  De  toute  infraction  naît  une  action  publique, 
est  exercée,  au  nom  de  la  société  à  laquelle  elle  appar- 
at. *  Pénale,  pour  la  dislingiier  de  ractiun  civile; publique ^  pour  mar- 
son  caractère  le  pliih^  saillant  qui  est  d'être  exercée  dans  TintérôL  do 
de  ne  pas  être  une  action  privée,  La  dénomination  leclinicpie,  dans  le 
français,  est  celle  iVaclioii  publique.  Mais,  suus  le  bénéfice  de  cette 
vation,  nous  emf>lnieri)ns  tantôt  Tune,  tantôt  l'autre  de  ces  deux  di- 
nations,  suivant,  en  cela,  rexeinplo  de  Haus,  dans  ses  Principes  yénr- 
du  droit  pénal  beUje  'X,  II,  livr.  JV),  alors  «jue  Texpression  techn1qn«*, 
la  loi  belge  du  17  avril  iS78,  <*sl  également  la  dénomination  à' action 
que  l't  i\^aclion  cirilr. 


150       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

tient,  par  un  corps  de  fonctionnaires,  remplissant,  suivant 
une  expression  consacrée  et  caractéristique,  un  ministère  pu- 
blic.  Mais  lorsque,  indépendamment  du  mal  social  qui  en  ré- 
sulte, le  fait  délictueux  a  causé  un  dommage  à  une  personne 
physique  ou  morale,  celle-ci  a  le  droit  de  poursuivre  en  jus- 
tice la  réparation  de  ce  dommage  :  on  appelle  action  privée 
ou  civile^  ce  recours  à  Tautorité  judiciaire,  qui  est  exercé  par 
la  partie  lésée  et  qui  a  pour  objet  de  procurer  la  réparation 
du  préjudice  éprouvé*. 

L'analyse  des  deux  rapports  de  droit  qui  résultent  du  délit 
et  la  distinction  des  deux  actions  qui  y  correspondent  con- 
stituent des  notions  aussi  simples  que  précises.  Mais  lorsqu'on 
examine  les  liens  qui,  à  diverses  époques  et  en  divers  pays, 
ont  été  établis  entre  Faction  publique  et  l'action  civile,  on  se 
trouve  en  présence  de  divers  régimes,  dont  les  principaux 
sont:  1*^  celui  de  la  ron/ww'ow  des  deux  actions;  2*celuîdeleur 
séparation  absolue;  3*  celui  de  ]eur  interdépendance  ;  4**  celui 
de  leur  solidarité^. 

70.  Les  législations  primitives  se  caractérisent  par  la  con- 
fusion entre  les  deux  rapports  de  droit  que  nous  distinguons 
aujourd'hui  comme  résultant  du  délit,  et  auxquels  corres- 
pondent les  deux  actions  publique  et  privée  ;  elles  synthétisent 
la  responsabilité  pénale  et  la  responsabilité  civile.  On  voit 
d'abord,  dans  la  période  présociale,  l'individu  qui  s'occupe  à 
la  fois  de  s'indemniser,  de  se  venger  et  de  se  défendre.  La 

*  L'îirlicle  1"  du  Code  de  procédure  pénale  italien  s'exprime  très  nette- 
ment sur  la  notion  des  deux  actions  :  «  Tout  délit  donne  lieu  à  une  action 
pénale.  Il  peut  aussi  donner  lieu  à  une  action  civile  pour  la  réparation  du 
dommage  ». 

^  Sur  la  question  générale  :  Nourrisson,  De  la  participation  des  particu- 
liers à  la  poursuite  des  crimes  et  des  délits  (Paris,  1894),  mémoire  récompensé 
par  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques;  Roux,  Le  ministère  public 
et  la  partie  lésée  (Th.  doct.,  Paris,  1893);  H.  Robert,  Du  droit  des  parti- 
culiers dans  l'exercice  de  l'action  publique  {Ih,  doct.,  Paris,  1895);  Gréau, 
Étude  sur  la  responsabilité  civile  en  matière  pénale  (Th.  doct.,  Lille,  1878); 
Raoul  de  la  Grasserie,  Des  principes  sociologiques  de  la  criminologie  (Paris, 
1901). 


INTERDÉPENDANCE   DES   ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE.      !54 

collectivité  nMniervient  pas.  Puis,  lorsque  le  recours  à  la  jus- 
tice remplace  le  recours  à  la  force,  c'est  toujours  la  victime 
qui  se  fait  rendre  justice.  Cette  confusion  de  Faction  publique 
et  de  l'action  civile  a  deux  conséquences  principales.  Le 
procès  met  toujours  en  présence,  d'un  côté  la  victime,  et  de 
1  autre  le  coupable,  et  sa  marche  est  la  même  que  la  marche 
de  tout  autre  procès.  Au  civil  comme  au  pénal,  c'est  un  par- 
ticulier qui  se  plaint  d'un  tort  personnel  et  en  demande  la 
réparation.  Dans  cette  conception  des  lo^slations  primitives, 
liotérét  public  et  l'intérêt  privé  doivent  être  satisfaits  par  la 
même  action.  Le  droit  de  vengeance,  qui  est  reconnu  à  la  vic- 
time, sert  de  contrepoids  à  cette  conception  barbare  du  délit. 
L'évolution  juridique  amène,  peu  à  peu,  la  substitution  de 
la  vengeance  publique  à  la  vengeance  privée  et  la  distinction 
corrélative  de  l'action  pénale  qui  en  est  l'expression,  et  de  l'ac- 
tion en  indemnité  qui  reste  réservée  à  la  victime. 

71.  Déjà,  dans  notre  ancien  droit,  la  séparation  des  deux 
rapports  est  théoriquement  réalisée.  C'est  par  allusion  au 
temps  passe'*,  et  non  pour  caractériser  la  situation  à  la  fin  du 
I VI*  siècle,  que  Pierre  Ayraulta  pu  dire  :  «  La  partie  civile, 
«que  nous  appelons,  c'est  le  vray  demandeur  et  accusateur^). 
Jean  Imbert  est  davantage  dans  la  vérité,  en  assignant  simple- 
ment, à  l'accusation  de  la  partie  lésée,  Tobjet  d'une  demande 
en  réparation  pécuniaire.  Et  le  nom  de  a  partie  civile  »  qui  est 
donné  à  la  victime  montre  bien  que  celle-ci  n'a  droit  qu'à 
une  indemnité.  Joosse,  le  principal  commentateur  de  l'or- 
donnance de  1670,  rappelle  que,  dans  chaque  crime,  il  faut 
distinguer  denx  intérêts  différents,  celui  de  la  société  et  celui 
de  la  victime;  puis  il  conclut  en  ces  termes  :  «  Ainsi,  dans 
V  notre  usage,  deux  sortes  de  personnes  concourent  à  la  pu- 
«  nition  d'un  crime  :  1**  la  partie  civile  qui  demande  la  repa- 
ît ration  de  l'offense  qui  lui  a  été  faîte  et  des  dommages-inté- 


*  LOrdre^  formalité,  cité,  liv.  II,  art.  IV,  n»  25,  p.  212.  AyrauU  insisl** 
trop  «ur  ce  point.  On  sent  qu'il  expose  un  état  de  fait  et  de  droit  en  voie  de 
disparition. 


452      PROrcÉDbRE    PÉNALE.  —  DBS   ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

a  rets;  2"*  la  parlie  publique  qui    poursuit  la  punition   du 
<^  crime  et  la  condamnation  à  la  peine  qu'il  mérite'  ». 

Cependant,  jusqu'à  ]a  fin  du  xyiii°  siècle,  l'ancienne  dis- 
tinction romaine  entre  les  délits  publics  et  les  délits  privés 
vient  obscurcir  la  notion  sociale  de  Tinfraction.  Les  délits 
publics,  frappés  de  peines  afflictives,  doivent  nécessairement 
être  Tobjet  d'une  poursuite  criminelle,  exercée  par  la  partie 
civile,  et,  en  cas  d'inaction  de  celle-ci,  par  le  ministère  public*. 
Les  délits  privés,  moins  sévèrement  punis,  ne  peuvent  être 
poursuivis  que  sur  Tinitiative  de  la  partie  lésée  \  Si  celle-ci 
garde  le  silence,  si  elle  transige,  si  ayant  formé  son  action, 
elle  s'en  désiste,  l'affaire  est  terminée,  le  ministère  public 
n'ayant  pas  qualité  pour  agir  d'office. 

Malgré  cette  confusion  des  rôles,  l'ordonnance  de  1670  dis- 
tinguait réellement  l'action  civile  de  l'action  publique.  En 
effet,  soit  que  le  ministère  public  prît  l'initiative  des  pour- 
suites, soit  qu'il  se  joignit  à  la  partie  privée,  lui  seul  pouvait 
conclure  à  l application  de  la  peine.  Sans  doute,  dans  le  second 
cas,  la  partie  civile  figurait  dans  les  actes  de  la  procédure; 
mais  elle  provoquait  l'accusation  plutôt  qu'elle  ne  la  dirigeait; 
elle  ne  représentait  pas  Tintérêt  public  et  n'avait  d'autre 
rôle  que  celui  de  demander  une  réparation  pécuniaire.  On 
peut  affirmer  que  l'histoire  de  notre  ancien  droit,  à  cet  égard, 
se  résume  dans  Taffaiblissement  continuel  des  droits  de  la 
victime  et  dans  le  développement  et  Taffranchissement  gra- 
duel de  ceux  du  ministère  public. 

La  distinction  s'obscurcit  dans  la  loi  des  16  et  29  septembre 
1791  :  les  parties  privées  gagnent  tout  ce  que  perd  le  ministère 
public,  et  l'action  des  particuliers  apparaît  comme  une  sorte 
d'accusation  subsidiaire.  C'est  qu'en  effet,  on  cherche,  dans 
une  imitation  exotique,   celle  des  coutumes  anglaises,  une 

^  Jousse,  op.  cit,,  t.  1,  p.  5C1  el  502. 

•  Ord.  de  1070,  lit.  III,  art.  8  :  <<  S'il  n'y  a  point  de  partie  civile,  les 
prooôs  seront  poursuivis  à  la  diligence,  et  sous  le  nom  de  nos  procureurs, 
ou  des  procureurs  des  justices  seigneuriales  »>. 

7  Ord.  de  1070,  lit.  XXV,  art.  19.  Comp.  Jousse,  op.  cit.^  t.  1,  p.  5,  508, 
572,  070,  t.  3,  p.  8  et  03. 


INTEaDÉPENDANCE  DSS   ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE.       153 

organisation  nouvelle  du  procès  pénal.  Cependant,  on  repousse 
Taccusalion  populaire  et  on  n'admet  pas  non  plus  pleinement 
Taccusation  privée.  La  partie  lésée  peut  mettre  en  mouve- 
ment le  procès  pénal;  mais,  Taccusation  admise,  c'est Taccu- 
saleur  public,  fonctionnaire  élu,  qui  la  soutient  devant  le 
jury  de  jugement.  Le  Gode  de  brumaire  ne  modifie  pas  sen- 
siblement ce  système.  Mais  il  supprime  la  distinction,  encore 
evislaote,  des  délits  publics  et  des  délits  privés  et  sépare,  plus 
nettement  encore  que  ne  le  faisait  Tordonnance  de  1670, 
l'action  publique  et  l'action  civile.  «  L'action  publique,  — d'a- 
c  près  l'article  5,  — a  pour  objet  de  punir  les  atteintes  portées 
«  à  Tordre  social.  Elle  appartient  essentiellement  au  peuple. 
<•  Elle  est  exercée  en  son  nom  par  des  fonctionnaires  établis 
<  à  cet  effet  ».  Et  Tarticle  6  définit  Taction  civile,  celle  qui  «  a 
<<  pour  objet  la  réparation  du  dommage  que  le  délit  a  causé. 
•'  Elle  appartient  à  ceux  qui  ont  souffert  du  dommage  ». 

Sans  doute,  les  droits  des  particuliers,  dans  la  poursuite, 
paraissent  être  les  mêmes  que  précédemment.  La  dénonciation 
cirique  de  la  loi  de  1791  subsiste,  dans  le  Code  de  brumaire, 
avec  toute  son  efficacité  ^art.  87  ù  93).  Sans  doute,  les  dénon- 
ciateurs et  les  plaignants  participent  toujours  à  la  rédaction 
de  l'acte  d'accusation  (art.  226  et  227).  Mais  on  sait  désormais 
que  la  partie  privée  n'agit  plus  qu'à  fin  de  dommages-intérêts, 
et  si  l'accès  des  tribunaux  répressifs  lui  est  ouvert,  c'est  en 
?ue  de  poursuivre  la  réparation  du  préjudice  dont  elle  a  été 
victime  et  non  en  vue  d'obtenir  la  punition  du  coupable.  Le 
principe  que  l'action  à  fins  pénales  n'appartient  qu'au  peuple 
et  aux  fonctionnaires  qu'il  a  choisis,  est  définitivement  entré 
dans  le  droit  moderne  :  il  suppose  la  reconstitution  du  minis- 
tère public  comme  agent  exclusif  de  la  poursuite.  Ce  sera 
l'œuvre  de  la  loi  du  7  pluviôse  de  l'an  IX,  qui  replace  le  mi- 
nistère public  entre  les  mains  du  gouvernement  et  lui  rend 
ses  anciennes  attributions. 

Désormais,  l'idée  fondamentale,  dont  s'inspire  le  Code  d'in- 
struction criminelle  de  1808,  qui  renoue  la  chaîne  historique, 
est  celle  de  la  séparation  et  de  r indépendance  des  deux  ac- 
lions,  civile  et  pénale,  corrélatives  à  la  séparation  des  deux  per- 


454      PROCÉDURE    PÉNALK.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

sonnifications  qui  les  exercent,  Idipariie  privée  et  ]e  ministère 
public,  ei  des  deux  intérêts  auxquels  elles  correspondent,  Tin- 
térêl  social  etriotérét  privé.  La  consécration  de  cette  idée  est 
affirmée  dès  les  premiers  articles  du  Code  d'instruction  cri- 
minelle; elle  est  répétée  par  Tarticle  10  du  Code  pénal,  dia- 
prés lequel  :  «  La  condamnation  aux  peines  établies  par  la  loi 
«  est  toujours  prononcée  sans  préjudice  des  restitutions  et 
a  dommages-intérêts  qui  peuvent  être  dus  aux  parties  ». 

Celte  conception  résulte  évidemment  de  la  nature  juridique 
des  deux  actions;  et  il  est  peu  de  principes  dont  le  législateur 
ait  poursuivi  l'application  avec  plus  de  logique,  et  dont  il  ait 
déduit  avec  plus  de  sâreté  et  affirmé  avec  plus  d'énergie  les 
conséquences.  1*  En  effet,  bien  qu'elles  résultent  du  même 
fait  matériel,  V infraction^  elles  ont  cependant  une  ca^i^/^/rf- 
dique  différente.  L'action  publique  natt  du  délit,  envisagé 
comme  apportant  un  trouble  à  Tordre  social.  L'action  civile 
naît  du  délit,  considéré,  dans  les  rapports  privés,  comme  un 
fait  dommageable.  2"^  Aussi  ces  deux  actions  n'ontpasle  même 
objet.  L'une  tend  à  l'application  d'une  peine;  l'autre,  à  la 
réparation  du  préjudice  causé.  3^  Elles  appartiennent  à  des 
personnes  différentes  :  l'action  publique,  à  la  société,  qui,  ne 
pouvant  l'intenter  elle-même,  en  délègue  simplement  l'exer- 
cice, non  pas  à  tous  les  membres  du  corps  social,  mais  à  des 
fonctionnaires  spéciaux;  l'action  civile  appartient  à  la  per- 
sonne lésée,  au  point  de  vue  de  sa  propriété  comme  de  son 
exercice.  4"  L'action  publique  peut  être  exercée  seulement 
contre  les  auteurs  ou  complices  de  l'infraction.  L'action  civile 
peut  être  exercée,  en  outre,  contre  leurs  héritiers  et  coutre  les 
personnes  que  la  loi  déclare  civilement  responsables.  5*^  Les 
deux  actions,  différentes  dans  leur  cause,  leur  objet,  leur 
exercice,  le  sont  aussi  par  leur  mode  d'extinction.  L'intérêt 
social  peut  être  satisfait  là  où  Tintérèt  privé  ne  Test  pas,  et,  à 
l'inverse,  l'intérêt  privé  peut  être  satisfait,  là  où  Tintérêt  social 
ne  Test  pas.  L'amnistie,  le  décès,  laissent  subsister  l'action 
civile  et  éteignent  l'action  publique.  Le  préjudice  privé  eût-ii 
disparu,  fût-il  compensé  et  au  delà  par  l'indemnité  offerte,  le 
trouble  social  subsiste  toujours. 


INTERDÉPENDANCE   DES   ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE.      155 

72.  Néanmoins,  I  origine  commune  de  ces  deux  actions 
exerce  ane  influence  traditionnelle  sur  leurs  relations.  A  trois 
points  de  vue  particulièrement,  Taction  publique  et  Taction 
civile  sont  unies  par  des  liens  intimes  qui  constituent  une 
sorte  A' interdépendance, 

I.  L'action  privée  n*est  pas  de  la  compétence  exclusive  des 
tribanaux  d'ordre  civil:  elle  peut  être  intentée,  en  même 
temps  et  devant  les  mêmes  juges  que  Taction  publique  (art.  *S). 
Ces!  là  vraiment  une  règle  fondamentale  du  droit  français, 
une  règle  qui  le  caractérise.  Par  suite  de  Taccès  qui  est 
ainsi  donné  à  la  partie  lésée  devant  les  tribunaux  de  répression, 
pour  faire  juger  son  procès  civil,  le  rôle  des  particuliers,  dawi 
le  procès  pénaly  a  grandi  et  s'est  transformé.  Sans  l'avoir  voulu 
et  sans  Tavoir  prévu,  on  a  ouvert,  à  la  victime  du  délit,  un 
droit  d'accusation  et  d'initiative,  non  plus  subsidiaire,  mavi 
parallèle  à  celui  du  ministère  public.  Non  seulement,  en  effet, 
la  loi  reconnaît,  à  la  partie  lésée,  le  droit  A'iniervenir,  dans  le 
procès  engagé  par  le  ministère  public,  pour  se  joindre  à  son 
action  et  se  faire  l'auxiliaire  de  l'accusateur;  mais  elle  n'a  pu 
lai  refuser,  en  cas  d'inaction  du  ministère  public,  le  droit  de 
misir  les  tribunaux  répressifs  et  de  porter,  devant  eux,  tout 
à  la  fois,  le  procès  pénal  et  le  procès  civil,  inséparables,  dans 
ce  cas,  l'un  de  l'autre;  par  conséquent,  elle  n'a  pu  lui  refuser 
ledroitd'agir.  Sans  doute,  que  la  partie  civile  intervienne  dans 
l'instance  engagée  ou  qu'elle  intente  la  poursuite  à  sa  requête^ 
elle  se  borne  théoriquement  k  demander  une  réparation  pé- 
cuniaire, la  délégation  de  l'action  publique  ne  lui  est  pas 
accordée:  mais,  en  fait,  la  partie  lésée  est   entendue   dans 
ïaccusation,  et,  malgré  l'abstention,  l'inertie  ou  la  mauvaise 
volonté  du  ministère  public,  elle  peut  et  doit  obtenir,  dans 
rintérét  social  comme  dans  son  propre  intérêt,  la  condmnna- 
tion  péfiale  du  coupable.  Deux  restrictions  viennent,  du  reste, 
limiter  le  rôle  des  particuliers  dans  le  procès  pénal  et  leur 
marquer  qu'ils  n'y  figurent  que  pour  ce  qui   regarde  leurs 
intérêts  privés.  En  effet,  si  la  partie  lésée  peut  introduire  le 
procès,  elle  ne  peut  pas  le  diriger  et  le  mener  jusqu'au  bout. 
L'exercice  des  voies  de  recours  ne  lui  est  ouvert  que  dans 


456      PROCÉDURE    PÉNALB.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE- 

la  mesure  même  de  ses  intérêts  civils  (C.  insl.  cr.,  art.  202, 
§  2).  Puis  la  condition  qui  lui  permet  d'intervenir  ou  d'agii  à 
côté  ou  à  la  place  du  ministère  publicité  passeport  qui  lui 
donne  accès  à  Taudience  des  tribunaux  de  répression,  c'est 
toujours  un  intérêt  personncL  Par  là,  se  trouve  écartée  toute 
accusation  populaire^exercée  paiV  un  citoyen  quelconque,  dans 
un  intérêt  social,  ou  par  une  association,  dans  un  intérêt  géné- 
ral. A  toute  personne,  à  toute  collectivité  qui  n'est  pas  [)erson- 
nellement  et  directement  intéressée  à  la  répression  des  délits, 
la  loi  française  n'ouvre  qu'une  faculté,  celle  de  provoquer,  par 
voie  de  dénonciation^  l'initiative. du  ministère  public.  Mais 
là  s'arrête  le  rôle  des  particuliers  ou  des  associations  qui  ne 
sont  pas  victimes  mêmes  du  délit,  et  le  droit  de  saisir  un  tri- 
bunal, pour  le  mettre  à  même  d'exercer  son  droit  et  son  devoir 
de  juger,  leur  est  absolument  refusé. 

II.  L'indépendance  des  deux  actions,  exercées  chacune 
séparément  devant  les  tribunaux  qui  doivent  en  connaître, 
ne  reste  pas  absolue.  Le  [)rocès  pénal  domine  et  absorbe  le 
procès  civil  :  en  ce  sens  d'abord  que  le  tribunal  civil  doit  sur- 
seoir à  statuer  sur  l'action  privée,  jusqu'à  ce  que  le  procès 
pénal  ait  été  jugé;  en  ce  sens  également  que  la  chose  jugée 
au  criminel  s'impose  au  civil  et  doit  être  respectée.  Ces  deux 
règles,  dont  l'une,  la  première,  est  la  conséquence  de  l'autre, 
la  dernière,  résultent  de  ce  que  la  repression  et  la  réparation 
sont  étroitement  liées,  le  délit  ne  pouvant  être  constaté  et 
apprécié,  au  point  de  vue  de  la  peine  méritée,  sans  Tètro 
également  au  point  de  vue  du  préjudice  occasionné,  de  telle 
sorte  que  nul  ne  sera  mieux  à  même  de  statuer  sur  la  réparation 
que  le  tribunal  qui  statuera  sur  la  peine  (C.  instr.  cr.,  art. 3). 
Il  y  a  là,  comme  nous  le  verrons,  l'ébauche  d'un  système  qui 
solidariserait  les  deux  intérêts  engagés  dans  la  répression. 

III.  Enfin,  le  même  temps  est  donné  à  la  partie  publique 
et  à  la  partie  privée  pour  faire  valoir  leur  action,  c'est-à-dire 
que  l'action  civile  est  soumise  à  la  même  prescription  que 
l'action  publique  ^ 

^  Voy.   sur  le   raj>port  des  actions  publique  et  civile,  la  dissertation  de 


INTERDÉPENDANCE   DES   ACTIONS   PUBLIQUE    ET    CIVILE.       157 

Ce  système  d'interdépendance  des  deux  actions  est  très 
compliqué  dans  son  fonctionnement  et  il  donne  lieu  à  de  nom- 
breuses difficultés  tant  de  législation  que  de  jurisprudence. 
Cesl  cependant  le  plus  répandu,  mais  avec  des  différences  de 
détail  dans  son  organisation.  Le  trait  commun  que  Ton  re- 
trouve dans  toutes  les  législations  qui  l'admettent,  c^estque  la 
partie  lésée  a  le  choix  entre  la  juridiction  civile  et  la  juri- 
diction répressive  pour  y  porter  son  action  civile;  le  reste 
varie  de  législation  à  législation. 

73.  A  ce  système  s^oppose  d'abord  celui  de  Tiodépen- 
daace  absolue.  Les  deux  actions  restent  sans  influence  réci-' 
proque  Tune  sur  l'autre  et  sont  intentées  devant  des  juridic- 
tions différentes.  C'est  le  procédé  en  vigueur,  soit  dans  les 
législations  d'origine  anglo-saxonne,  soit  dans  les  législations 
d  origine  germanique. 

Dans  les  Pays-Bas,  Faction  civile  est  séparée  de  l'action 
publique  et  ce  n'est  que  par  exception  que  la  partie  civile,  en 
limitant  sa  demande  à  450  florins,  peut  intervenir  dans  l'in- 
stance pénale.  En  Allemagne,  on  ne  peut  joindre  Taction 
civile  à  l'action  pénale  que  dans  des  cas  déterminés,  par 
exemple  en  cas  de  lésions  corporelles,  ou  lorsqu'on  peut  récla- 
mer la  busse,  cette  sorte  de  composition  pécuniaire  analogue 
à  la  peine  privée.  Mais  c^est  dans  le  droit  anglo-américain 
que  se  trouve  la  formule  la  pluscomplcte  de  la  séparation. 
L'action  civile  ne  peut  être  intentée  que  devant  les  tribunaux 
civils:  son  exercice  peut  précéder,  accompagner  ou  suivre  le 
procès  pénal.  Mais  l'initiative  du  procès  pénal  appartient  à 
tout  citoyen  [cuivis  e  populo), 

74.  Le  régime  français  de  l'interdépendance,  qui  lient  le 
milieu  entre  celui  de  la  confusion  absolue  et  celui  de  la  sépa- 
ration absolue  des  deux  actions,  a  été  critiqué  parles  partisans 
des  opinions  extrêmes.  Pour  les  étalistes,  cette  conception  du 

Devilleneuve  sous  Cass.,  i8  juin  1841  (S.  41.  1.  883).  Celte  dissertation  a 
été  écrite  à  propos  d'un  des  incidents  de  la  célf^bre  affaire  de  M°'*  Lafarge. 


158       PrU>CÉ:jCRB    PKNALK.  — DES    ACTIONS    PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

rôle  des  paKiculiers  ferait  eocore  une  trop  large  place  à  fac- 
tiori  inrlividuelie  :  on  consentirait  donc  volontiers  à  sacrifier 
les  droits  de  la  partie  civile  au  profit  de  l'extension  des  pou- 
voirs  du  ministère  public  et,  en  conséquence,  on  proposerait 
d*enlever,  à  la  victime  du  délit,  la  double  faculté,  soit  de  pro- 
voquer une  information,  en  saisissant  le  juge  d'instruction* 
soit  de  mettre  en  mouvement  faction  publique,  devant  les 
tribunaux  de  police  simple  ou  correctionnelle,  en  procédant 
par  voie  de  citation  directe.  Pour  d'autres,  au  contraire,  il 
faudrait  d'abord  associer  plus  intimement  la  partie  civile  à  la 
répression.  La  séparation,  dans  ce  domaine,  du  droit  civil  et 
du  droit  |icnal,    aurait  été   exagérée,  soit   par  la  substitu- 
tion, pour  tous  les  délits,  du  système  des  peines  sociales  à 
celui  des  peines  privées,  soit  par  Texlension  progressive  des 
pouvoirs  du  ministère  public.  On  conclurait  ainsi  volontiers 
à  une  solidarisalion  absolue  de  Taclion  civile  et  de  faction 
pénale,  en  exigeant  qu'elles  soient  toujours  portées  devant  le 
juge  pénal  qui  serait  exclusivement  compétent  pour  solution- 
ner, en  même  temps,  la  question  d'indemnité  et  la  question 
de  peine,  et  en  donnant  à  la  victime  un  droit  d'accusation 
parallèle  ou  subsidiaire*. 

75.  Nous  retrouverons,  au  cours  de  cet  ouvrage,  ces  con- 
ceptions si  diverses  et  si  opposées.  Il  importe,  cependant,  de 
remar(|uer  combien  «  le  droit  pénal  moderne  a  rejeté,  dans 
a  f  ombre,  la  partie  lésée  et  la  notion  de  la  réparation  du  dom- 
a  mage,  pour  laisser  apparaître  au  premier  plan  le  ministère 
«  public,  exerçant  la  justice  au  nom  de  tous;  au  rétablisse- 
«  ment  pratique  du  trouble  causé,  c'est-à-dire  à  l'obligation 
«  d'indemniser  la  victime,  a  succédé,  comme  but  essentiel,  le 
CI  rétablissement  théorique  de  fordre,  c'est-à-dire  l'exécution 
n  d'une  condamnation  à  la  prison  *°  ».  Un  tel  système  est 

*  Voy.  pour  les  développemenls  de  ce  système  :  Raoul  de  la  Grasserie, 
Des  principes  sociologiques  de  la  criminologie^  p.  221  à  227. 

*®  Prins,  Note  sur  la  théorie  de  la  réparation  dans  le  système  répressif 
{liull.  de  IWcad.  royale  de  Belgique,  3»  série,  l.  2t,  n^  6,  p.  829  à  846). 
Égiilement  :  Bull,  de  l'Union  internationale  de  droit  pénal,  1889,  p.  52, 


INTERDÉPENDANCE   DES    ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE.       159 

excessif  :  la  réparalion  civile,  lorsqu'elle  est  biea  orgaaisée, 
coûslilue  l'un  des  moyens  les  plus  énergiques  de  lutter  contre 
ia  criminalité.  Mais  si  Tinstitution  du  ministère  public  et 
l'exagération  de  ses  fonctions  ont  été  la  première  cause  ou  la 
première  occasion  d*une  altération  profonde  de  la  situation  de 
la  victime  du  délit,  si  le  droit  social  a  condamné  la  vengeance 
privée  et  la  faculté  de  réclamer  la  peine  qui  en  était  le  dérivé, 
sioQ  a  fait  de  l'ancien  accusateur  une  «  partie  civile  »,  encore 
faudrait-il  assurer  et  garantir,  par  des  institutions  appro- 
priées, la  réparation  à  laquelle  a  droit  la  victime.  C*est  sous 
cel aspect  surtout  qu  on  doit  envisager  le  problème  et  non  sous 
celui  d*une  extension  des  droits  de  la  partie  lésée  devant  les 
tribunaux  de  répression  ou  d'une  reconstitution  du  système 
des  peines  privées. 

76.  Le  régime  de  l'interdépendance  des  deux  actions, 
publique  et  civile,  et  la  nécessité  d'étudier  leurs  rapports  ré- 
ciproques, nous  oblige  à  faire  une  étude,  parallèle,  quisuivra 
chacune  de  ces  actions  depuis  sa  naissance  jusqu'à  son  extinc- 
lion.  Nous  diviserons  donc  ce  livre  en  trois  litres  :  1**  des 
acli(>ns  publique  et  civile  ;  2**  de  Texercice  de  ces  deux  actions  ; 
3'  de  leur  extinction. 


rapport  de  Garofalo,  1890,  p.  59,  rapport  de  Alimena,  1891,  p.  121,  rapport 
de  Prins;  Ferri,  La  sociologie  criminelle^  p.  503  à  511.  Voy.  Rev,  pénit., 
1895,  p.  1001  ;  Ortolan,  op,  cit.,  t.  2,  n°-  1476  et  1674,  avait  déjà  insisté, 
sur  «i  l'importance  qu'il  y  a,  pour  la  sécurité  et  pour  le  bien  être  social,  non 
"  seulement  à  ce  que  la  société  inflige  une  peine  publique  au  coupable, 
«  mais  encore  à  ce  qu'elle  contraijf^ne  ce  coupable  à  réparer  le  préjudice 
«  qu'il  a'  causé  par  son  délit  ». 


TITRE  PREMIER 

DES  DROITS  D'ACTIONS  QUI  NAISSENT  DE  L'INFRACTION 


CHAPITRE  PREMIER 


DE    l'action     PUBLIQUE. 


§  XII.  -  NOTIONS  GÉNÉRALES  SUR  L'ACTION  PUBLIQUE. 

77.  La  répression,  et  l'action  publique  qui  on  est  lu  conséquence. —  78.  Du  ministère 
public.  Divers  systèmes  d'accusation.  Les  deux  types  en  présence.  —  79.  Combi- 
naisons du  système  de  l'accusation  populaire  et  de  celui  deTaccusation  publique.  — 
80.  Lég:isiations  autrichienne  et  allemande.  — 81.  Système  anglais.  —  82.  I^s 
actions  populaires.  Article  123  de  la  loi  du  15  mars  1849. 

77.  La  répression  n'étant  exercée  par  l'Élat  qu'après  un 
jugement,  on  appelle  action  publique  la  mise  en  œuvre  du 
droit  et  du  devoir  de  l'État  de  poursuivre  en  justice  Tinculpé 
d'un  délit  pour  l'en  convaincre  et  l'en  punir*.  Cette  action  a 

g  XII.  *  Il  faut  remarquer  que  toul  ce  qui  n'est  pas  adéquat  à  la  répara- 
lion  du  préjudice  est  une  peine  vérilable,  que  cette  peine  profite  à  l'État, 
comme  une  amende,  ou  &  la  partie  lésée,  comme  une  amende  spéciale  qu'on 
prononcerait  à  son  profit,  ou  au  dénonciateur,  dans  le  cas  où  la  dénoncia- 
tion est  récompensée.  Telle  est  la  peine  lato  semu.  Mais  il  y  a  les  peines 
privées  et  les  peines  publiques.  Nous  ne  nous  occupons  que  des  secondes. 
Sur  les  premières,  consultez  :  Hugueney,  Vidée  de  peine  privée  en  droit 
contemporain  (Thèse  doct.,  Paris,  190i).  Dans  ce  travail,  l'auteur  conslate, 

G.  P.  P.  -  ï.  11 


162      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE- 

trois  caractères  essentiels  :  à)  Elle  est  la  conséquence  néces- 
saire et  irrévocable  du  délit,  en  ce  sens  que  tout  individu  qui 
commet  une  infraction  doit  être  poursuivi  et  puni,  b)  E11& 
n'est,  à  aucun  point  de  vue,  subordonnée  au  caractère  domma- 
geable du  fait  et  à  l'action  civile  qui  est  la  suite  de  ce  caractère'» 
c)  Enfin,  c'est  une  action  sociale,  exercée  dans  l'intérêt  et  au 
nom  de  la  collectivité  tout  entière.  Ces  trois  caractères  résul- 
tent d'un  seul  et  même  principe  :  à  savoir  que  TÉtat,  en  vertu 
du  devoir  qui  lui  incombe  de  pourvoir  à  la  défense  sociale,  est 
obligé,  dès  qu'un  délit  est  commis,  d'en  poursuivre  l'auteur 
pour  obtenir  contre  lui  la  prononciation  d'une  peine. 

78.  Cette  idée  est  réalisée,  dans  notre  droit,  par  l'institu- 
tion du  ministère  public,  dont  l'origine  n'est  ni  romaine  ni 
germanique,  mais  purement  française.  Le  ministère  public  a 
pour  fonction  principale  de  rechercher  et  de  poursuivre  les 
auteurs  de  délits,  c'est-à-dire  de  jouer  le  rôle  d'accusateur 
dans  le  procès  pénale 

Historiquement,  l'accusation  s'est  exercée  suivant   quatre 

d'une  parl,que  Tapplicalion  de  peines  privées,  telles  que  astreintes, déchéan- 
ces, est,  dans  nos  sociétés,  un  retour  aux  coutumes  des  peuples  primitifs; 
d'autre  part,  que  ces  peines  privées  sont  de  plus  en  plus  en  usage.  L'idée 
même  de  substituer,  au  profit  de  la  partie  lésée  par  un  délit,  une  amende  à 
la  réparation, jouit,  à  Pheure  actuelle,  d'une  certaine  faveur.  Deux  législations 
sont,  à  cet  égard,  à  noter.  Le  Code  pénal  allemand  de  1870  a  conservé,  pour 
certains  délits,  le  système  de  la  composition  {Bmse).  Voy:  §§  188  et  231. 
Inspinies  du  même  esprit,  des  lois  plus  récentes  ont  étendu  l'amende,  en 
faveur  de  la  partie  lésée,  à  des  délits  en  matière  de  propriété  littéraire, 
artistique  et  industrielle  (A/?n.  de  législ.  étr,,  1871,  p.  131  et  138).  L'amende 
en  faveur  de  la  partie  lésée  a  été  également  organisée  par  le  Code  pénal 
italien  de  1889  (art.  38).  Voy.  sur  tous  ces  points  :  Demogue,  De  la  répara- 
tion civile  des  délits  (Paris,  1898,  p.  163  à  173). 

'^  La  loi  pénale  n'attend  pas  pour  punir  que  le  donmiage  ait  été  causé. 
Klle  punit  des  actes  au  caractère  compromettant,  et  elle  est,  à  ce  point  de 
vue,  préventive. 

^  Sur  l'histoire  du  ministère  public,  siiprà,  pp.  48,  78,  79.  Voy.  Glasson^ 
Histoire  du  droit  et  des  institutions  de  la  France,  t.  6,  p.  338  ;  Félix  Auberl, 
Diuninistère  public  de  saint  Louis  à  François  !«*•  {Rev,  htst,,  1894-,  p.  487 
et  i^iiiv.). 


MOTIONS  GÉNÉIULES   SUR   L^ACTION   PUBLIQUE.  i63 

formes^  :  1^  D'abord,  la  Tictimc  du  délit  ou  sos  héritiers  ont 
poursuivi,  dans  leur  propre  intérêt,  pour  obtenir  une  répara- 
tion leur  profitant  :  c'est  le  système  de  Vaccmatiofi  privée, 
2'  Puis,  tout  citoyen  a  pu  se  porter  accusateur  dans  l'intérêt 
publie^  et  demander,  mais  au  nom  delà  collectivité,  la  puni- 
tion de  fauteur  du  délit  :  c'est  le  système  do  Vaccmation 
populaire^  qui  consiste  dans  la  représentation  de  Thtat  par  les 
citojeDS.  3*"  Plus  tard,  le  juge  s'est  saisi  lui-même  de  la  con- 
naissance des  crimes  les  plus  graves  et  les  a  poursuivis  dans 
l'intérêt  général  :  c'est  la  poursxnte  (Toffice,  4°  Enfin,  un 
corps  de  fonctionnaires  a  été  institué  par  l'État  pour  recher- 
cher les  infractions»  en  poursuivre  les  auteurs  devant  les  tri- 
bunaux et  requérir  leur  condamnation  :  c'est  te  système  de 
\  accusation  publique. 

79.  Le  premier  de  ces  procédés  de  poursuite,  Vaecumtion 
privéey  est  celui  des  peuples  barbares;  il  méconnaît  le  carac- 
tère social  de  la  répression.  Les  peuples  civilisés  l'ont  aban- 
donoé.  Quant  au  système  de  \ix  poursuite  d'officej  il  réunit  et 
confond  deux  fonctions  qui  doivent  être  et  rester  distinctes 
dans  rintérêtde  l'impartialité  judiciaire,  la  fonction  de  juger 
et  celle  d'accuser.  Aussi  n'esl-il  plus  en  vigueur.  Restent 
Vaecumtion  populaire  et  Vaccusation  publique.  Chacun  de 
ces  systèmes  a  ses  inconvénients  et  ses  avantages.  L'accusa- 
tion populaire  peut  sommeiller  par  peur,  corruption  ou  indif- 
férence*; elle  peut  devenir  un  moyen  de  chantage  entre  les 
mains  de  gens  sans  aveu  ^  Personne  ne  conteste,  à  ce  double 
point  de  vue,   les  avantages  de  l'institution  d'un  accusateur 

*  Ce  yjnt,  du  reste,  des  formes  typiques.  Mais  elles  se  pr^entenl  rare- 
menl  pures  :  les  systèmes  pratiques  h^s  ont  presque  toujfjurs  combine'es. 
Vov.  Raoul  de  la  Gnisserie,  Des  principes  sociologiques  de  la  criminologie 
fin.»»,  Paris»  1901),  p.  183. 

'  Tbourel,  disait,  dans  la  sf^ance  de  rAssembl<^e  constituante  du  4  auiU 
1790  :  «  Quand  tout  le  monde  est  char^4  de  veiller,  il  arrive  un  moment  où 
'•  personne  ne  veille  ». 

*  Notre  Ayrault  caractérisait  les  vices  du  syst^me,  quand  il  disait  que  sa 
suppression  ferait  «  cesser  cette  haine  rd'rénée  de  s'enlre-manger  les  uns 
•  les  autres  »• 


164      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBUQUE  ET  CIVILE 

public.^  L'accusalioQ  populaire,  daos  un  pays  où  tout  le  monc 
est  occupé,  deviendrait  un  métier;  mieux  vaut  certainemei 
eo  faire  une  fonction.  Mais,  soumis  au  pouvoir  executif,  c 
accusateur  public  peut  être  soupçonné  de  subordonner  Ta 
lion  publique  à  des  considérations  politiques;  magistrs 
comme  le  juge,  son  caractère  même  est  de  nature  à  détrui 
Tégalité  nécessaire  entre  Taccusation  et  la  défense. 

Les  deux  conceptions  absolues  de  Taccusation  populaire 
de  l'accusation  publique  ne  présentent  plus  guère,  aujou 
d'hui,  qu'un  intérêt  historique.  Les  systèmes  en  vigueur  i 
posent  sur  la  combinaison  du  rôle  de  TÉtat  et  de  celui  d 
particuliers.  Deux  types  d'accusation  se  partagent,  à  l'heure  a 
îuelle,  le  monde  civilisé.  Dans  le  premier,  la  poursuite  des  i 
fractions  est  exercée^  en  principe,  par  les  membres  du  mini 
tère  public, délégués  par  rÉtat;  les  particuliers  n'intervienne 
qu'exceptionnellement  et  seulement  quand  leurs  intérêts  so 
en  jeu.  G*est  le  système  français  :  il  sert  de  type  à  celui  q 
est  organisé  par  la  plupart  des  législations  en  vigueur.  Da 
le  second,  le  rôle  des  particuliers  est,  au  contraire,  prépond 
rant,  et  TÉtat  n'intervient  que  dans  des  cas  rares  et,  po 
ainsi  dire,  par  voie  subsidiaire.  C'est  le  système  anglais. 

Par  son  origine,  le  ministère  public  est  une  institution  bii 
française\  qui  a  toujours  rendu  les  plus  grands  services 
Tordre  public.  «  Nous  avons,  aujourd'hui,  dit  Montesquie 
((  une  loi  admirable  :  c'est  celle  qui  veut  que  le  prince,  étal 
«  pour  faire  exécuter  les  lois,  prépose  un  officier  dans  chaq 
«  tribunal  pour  poursuivre  en  son  nom  tous  les  crimes,  < 
a  telle  sorte  que  la  fonction  des  délateurs  est  inconnue  pan 
«  nous  :  la  partie  publique  veille  pour  les  citoyens,  elle  a; 
((  et  ils  sont  tranquilles*  ».  En  raison  même  de  l'utilité  de  ce 

'  II  ne  faut  pas,  en  elfel,  en  chercher  l'orii^ine,  même  lointaine,  clans  l* 
slilutiun  des  procuratores  cœsaris,  chargés  de  veiller  sur  le  patrimoine  < 
empereurs,  et  que  les  rois  francs  ont  conservé  dans  leurs  domaines.  V( 
Pardessus,  Essai  hiaturique  sur  l' organisation  judiciaire^  [>.  189  et  sui 
Ortolan  et  Ledeau,  o/».,  cit.^  t.  1,  p.  19  et  suiv. 

*  Esprit  des  lois,  liv.  VI,  chap.  VHI.  Ayrault  {op,  cit.,  liv.  2,  *•  pa 
11*27)  avait  déjà  dit  cent  cinquante  ans  auparavant  :  «<  Le  procureur  du  i 


NOTIONS  GÉNÉRALES   SDR   l'aCTION   PUBLIQUE.  465 

inslilution,  son  importance  devait  apparaître  aux  législateurs 
des  pays  étrangers,  surtout  à  ceux  qui  se  sont  inspirés  de  nos 
Codes.  Le  ministère  public  existe,  aujourd'hui,  avec  des  diffé- 
rences inévitables  de  détails  et  d'organisation,  dans  la  plu- 
part des  États  de  l'Europe  et  de  l'Amérique.  C'est  surtout  au 
poJDtde  vue  du  rôle  réservé  aux  particuliers  dans  la  poursuite 
que  les  législations  contemporaines  se  montrent  plus  ou  moins 
libérales. 

80.  C'est  ainsi  que,  malgré  l'admission  du  système  de  la 
poursuite  par  le  ministère  public,  les  législations  autri- 
chienne et  allemande  s'écartent  nettement  du  système  fran- 
çais. 

• 

Le  principe  qui  domine  le  Code  autrichien  de  1873,  c'est 
que  «  la  poursuite  en  justice  d'un  acte  punissable  n'a  lieu 
que  sur  la  réquisition  d'un  accusateur  »  (§  2).  Mais  le  mi- 
aislère  public  n  a  pas  le  monopole  de  l'exercice  de  l'action 
publique.  L'accusateur  peut  être,  soit  le  ministère  public^ 
soit  la  partie  lésée,  a)  Le  ministère  public  est  maître  de  son 
action.  Deux  conséquences  corrélatives  en  résultent.  Il  peut 
renoncer  à  son  action  en  tout  état  de  cause,  et,  s'il  se 
désiste,  il  dessaisit  le  tribunal  et  détermine  obligatoirement 
l'acquittement  de  l'accusé.  11  ne  suffit  donc  pas,  comme  en 
France,  que  l'action  publique  soit  mise  en  mouvement  pour 
que  le  juge  puisse  statuer;  il  faut  encore  qu'elle  ne  soit  pas 
abandonnée  (§§  109,  227,  259).  Le  ministère  public  peut  éga- 
lement se  passer,  pour  saisir  la  juridiction  de  jugement,  d'une 
décision  préalable  des  juridictions  d'instruction  :  dans  ce  cas, 
il  rédige  l'acte  d'accusation  et  saisit,  par  le  dépôt  de  cet  acte, 
le  tribunal  qui  doit  en  connaître  (§  207).  />)A  côté  du  minis- 
tère public,  la  partie  lésée  peut  agir,  soit  comme  accusateur 
privé  (Pr«t'a/a/iA/ayfr),soit  comme  accusateur  privé  subsidiaire 
[Suhidiaranklafjer],  soit  comme  partie  civile,  joignant  son 

«  a  bien  le  droit  de  la  vindicte  publique  :  et  c'a  été  sagemoiil  et  humaine- 
*'  ment  fait,  de  l*avoir  plantt^  et  subrogé  au  lieu  de  ceux,  lesquels  en  estât 
<'  populaire  se  mpsioient  d'accuser  autruy  sans  Interest  particulier  qu'ils 
«  eussent  ». 


466      PROCÉDURK    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVIU^Ï 

aclioD  privée  à  la  poursuite  du  ministère  public  [Privath^ 
ih^iliyler),  L*accusation  privée  consiste  dans  ledroit  reconn  ^ 
aux  particuliers  de  porter  directement  l'action  publique  de 
vaut  le  tribunal  de  répression  (§  46).  Ce  droit  appartient  à  l< 
partie  lésée,  seulement  pour  les  délits  qui  ne  peuvent  olrt 
poursuivis  que  sur  sa  plainte.  Dans  ce  cas,  la  partie  lésée 
procède,  «  pour  les  besoins  de  son  accusation,  de  la  même 
manière  que  le  ministère  public  »  (§  i6j.  Elle  est  maîtresse  d( 
Taccusalion,  et,  si  elle  y  renonce,  Taccusé  doit  être  acquitté. 
La  partie  lésée  a  le  droit  d'exercer  Taccusation  privée  subsi- 
diaire, dans  le  cas  où  le  ministère  public  refuse  de  poursuivre 
ou  abandonne  la  poursuite  commencée  (§  48).  Elle  conclul 
alors  à  Tapplication  de  la  peine,  à  la  place  du  ministère 
public.  Telle  est  Taccusation  privée  subsidiaire  qui  constitue 
Tune  des  innovations  caractéristiques  du  Code  de  i873.  Enfin, 
la  victime  du  délit  peut  se  porter  partie  civile,  en  joignant  son 
action  à  la  poursuite  du  ministère  public.  «  Toute  personne 
«  lésée  par  un  crime  ou  par  un  délit  qui  doit  être  poursuivi 
«  d'office  peut,  jusqu'au  commencement  des  débats,  joindr*^ 
«  son  action  civile  à  la  procédure  et  devenir  ainsi  partie  civile  m 

(§  47). 

Le  Code  de  procédure  allemand  de  1877  consacre  le  prin- 
cipe d'après  lequel  les  tribunaux  ne  peuvent  se  saisir  d'of- 
fice'. L'accusation  est  confiée  au  ministère  public  *^  Mais, 
d'une  part,  les  officiers  qui  le  représentent  n'ont  que  Texer- 
cice  de  l'action  publique  et  n'en  sont  plus  les  maîtres  dès 
qu'ils  l'ont  intentée.  D'autre  part,  un  grand  nombre  d'infrac- 
tions ne  peuvent  être  poursuivies  que  sur  plainte  de  la  par- 
tie lésée.  Ce  qui  caractérise  surtout  la  législation  allemande, 
au  point  de  vue  du  rôle  des  particuliers,  c'est  la  séparation 

•  C.  proc.  ail.,  §  151  :  «  L'ouverture  d'une  instrucliori  judiciaire  est  su- 
bordonnée à  rintroduclion  d'une  accusation  {Ktage)  ». 

'0  Le  ministère  public  se  compose  du  parquet  du  tribunal  do  TEinpire; 
qui  comprend  un  procureur  supérieur  et  plusieurs  procureurs  de  TEmpire, 
des  procureurs  d'Etat  près  des  tribunaux  r.'prionaux  supérieurs  et  dos  tribu- 
naux régionaux,  et  des  procureurs  de  bailliage  près  des  tribunaux  do  bail- 
liage. 


NOTIONS  GÉNÉRALES   SUR  l' ACTION   PUBLIQUE.  167 

de  raclioQ  pénale  et  de  l'action  civile.  La  faculté  de  porter 
la  demande  en  dommages-intérêts  devant  les  tribunaux  de 
répression  n'est  pas  ouverte  à  la  partie  lésée  ^*.  Sa  participa- 
lion  à  Teiercice  de  l'accusation  se  manifeste  de  trois  ma- 
nières, a)  Le  droit  de  plainte  lui  est  ouvert,  et  la  plainte  est 
oécessaire,  dans  certains  cas,  pour  que  le  ministère  public 
puisse  agir.  La  loi  allemande  considère,  en  effet,  certaines 
infractions  {antraf/sdelikte)  comme  revètanl  un  caractère  per- 
sonnel parce  qu'elles  lèsent  surtout  les  intérêts  privés  ou  parce 
qu'elles  portent  atteinte  à  l'honneur  ou  à  la  considération  des 
^amiIles*^  Pour  ces  délits,  le  plaignant  «  qui  est  en  même 
temps  partie  lésée  »  peut  se  pourvoir  devant  le  su[)érieur 
hiérarchique  de  l'agent  du  ministère  public  qui  refuse  de 
donner  suite  à  la  plainte.  Un  cas  de  rejet  de  ce  pourvoi,  il 
peut  alors  en  appeler  au  tribunal  régional  supérieur  ou  au 
tribunal  de  TEmpire  qui  a  le  droit  d'ordonner  la  mise  en  ac- 
cusation de  l'inculpé.  Dans  ce  cas,  le  ministère  public  est 
tenu  d'intenter  l'action,  mais  non  de  la  soutenir  :  la  partie 
lésée  qui  aura  provoqué  cette  mesure  peut  alors  intervenir. 
A)  A  côté  du  droit  de  recours,  la  partie  lésée  possède,  dans  les 
délits  d'injures  et  de  lésion  corporelle,  le  droit  d'accusation 
privée  (privatklage),  «  sans  qu'il  soit  nécessaire  pour  elle 
d'invoquer  préalablement  le  concours  du  ministère  public  » 
(§414).  c)  Enfin  l'accusation,  par  voie  d'intervention  [nehen- 
klagp)  est  accordée  à  la  partie  lésée  dans  trois  hypothèses.  Elle 
appartient  d'abord  à  toute  personne  ayant  le  droit  d'accusa- 
tion privée.  Cette  personne  peut,  «  en  tout  état  de  la  procé- 
(«  dure,  joindre  son  action  à  l'accusation  publique  en  qualité 
«  d'accusateur  par  intervention.  Cette  intervention  pourra 
«  même  se  produire  après  le  jugement  en  vue  d'user  d'une 
«  voie  de  recours  »  (§  417).  Le  droit  d'intervention  appartient, 

**  C.  de  proc.  alL,  S  433.  C'osl  une  règle  qui  existait  déjà  dans  plusieurs 
États  germaniques.  Cfr.  Daguin,  Code  de  procédure  pénale  aUemand^ 
p.  233,  note  1 . 

'^  Ces  infractions  spéciales  sont  énum^nîes  dans  le  Code  [)énal  allemand 
du  31  mai  4870.  Une  loi  du  26  février  ISTft  en  a  diminué  le  nombre  (Anvu 
legid.  éir.f  1877,  p.  135). 


468      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

en  second  lieu,  au  plaignant,  qui,  sur  le  refus  du  ministère 
public  de  poursuivre,  a  obtenu  du  tribunal  une  décision 
ordonnant  la  mise  en  accusation,  pourvu  que  Facte  punissable 
ait  été  dirigé  «  contre  sa  vie,  sa  santé,  son  état  civil  ou  ses 
biens  »  (§  435).  Enfin,  la  partie  lésée  peut  encore  se  joindre 
à  la  partie  publique,  en  qualité  d'accusateur  par  intervention, 
quand  la  loi  lui  permet  de  réclamer  une  composition  (Biisse)^^, 
En  résumé,  ce  qui  parait  caractériser  la  législation  alle- 
mande, au  point  de  vue  de  Taccusalion,  c'est  le  rôle  trop  ei- 
clusif  donné  au  ministère  public,  rôle  qui  répond  bien  aui 
tendances  centralisatrices  de  TAIIemagne  moderne. 

81.  L'Angleterre  est  le  seul  pays  de  l'Europe  où  les  parti- 
culiers ont  un  rôle  prépondérant  dans  la  poursuite.  Mais  ce 
système,  qui  est  le  trait  distinctif  de  la  procédure  pénale  an^ 
glaise,  ne  repose  pas  sur  la  confusion  de  l'intérêt  social  et  de 
l'intérêt  privé  dans  la  répression.  Non  seulement,  en  effet,  la 
législation  anglaise  repousse  l'idée  qui  ne  voit,  dans  Tinfrac- 
tion,  que  le  tort  causé  aux  particuliers,  mais  elle  n'admet  pas 
l'existence  de  délits  privés,  c'est-à-dire  de  faits  qui,  bien  que 
délictueux,  ne  peuvent  être  poursuivis  que  par  la  partie  lésée. 
La  poursuite  a  lieu,  dans  l'intérêt  public,  par  tout  citoyen  ou 

"  C.  proc.  ail.,  §  443.  La  composition  est  une  nfparation  pécuniaire  ou 
plutôt  une  sorte  d'amende,  à  laquelle  peut  être  condamné,  par  les  tribunaux 
criminels,  l'individu  coupable  de  certaines  infractions. 

D'après  le  Code  pénal  allemand  (§  188),  dans  les  cas  de  diffamation  et  de 
calomnie,  «  lorsque  l'injure  aura  porté  préjudice  à  la  fortune,  à  la  position, 
«  ou  à  l'avenir  de  l'inculpé,  le  tribunal  pourra,  en  outre  de  la  peine  privée, 
«  prononcer,  au  profit  de  ce  dernier,  sur  sa  demande,  une  amende  qui  n'ex- 
a  cédera  pas  2.000  thalers.  Dans  ce  cas,  TofTensé  ne  pourra  plus  obtenir 
"  d'autres  dommages-intérêts  ».  Le  §  231  permet  également,  en  cas  de  lésions 
corporelles,  d'attribuer  à  la  partie  lésée  une  composition  [Busse)  de  2.000 
tbalers  au  maximum.  Et  le  paiement  do  cette  composition  exclut  aussi  le 
droit  de  demander  d'autres  dommages-intérêts.  Même  système  pour  les  dé- 
lits de  contrefaçon  (Ann,  de  légisLétr.,  1871, p.  131,  138,  205;  1864,  p.  140 
4876,  p.  100,  112,  130).  Ce  système  diffère,  à  deux  points  de  vue  surtout, 
du  système  do  la  réparation  civile.  Le  juge  allemand  peut  bien  allouer  uiu 
5<jmme  d'argent  qui  n'est  pas  en  rapport  avec  le  dommage  causé.  Mais  I,? 
victime  ne  peut  cumuler  la  composition  et  les  dommages* intérêts. 


NOTIONS    GÉNÉRALFS    SUR   l' ACTION    PUBLIQUE.  109 

toute  association  créée  pour  cet  objet. C'est  la  «  popular  ac- 
tion  ».  De  tout  temps,  du  resle,  deux  officiers  de  la  couronne, 
Vattorney  gênerai ei\e  solicitor  gênerai,  qui  est  son  substitut, 
ont  pu  exercer  les  poursuites  dans  des  cas  exceptionnels  ou 
lorsque  les  intérêts  de  la  couronne  sont  directement  en  jeu**- 
Bien  que  les  inconvénients  résultant  de  Tabsence  d'un  minis- 
tère public  aient  été  atténués  parie  caractère  tout  particulier, 
en  Angleterre,  de  la  magistrature,  du  barreau,  de  la  police*', 
par  la  création  d'associations  pour  exercer  des  poursuites,  ces 
inconvénients  ont  été  vivement  ressentis  et  signalés,  notam- 
ment dans  le  rapport  publié  en  i874  par  la  commission  par- 
lementaire d'organisation  judiciaire  qui  étudia  la  question  de 
rétablissement  d*un  public  prosecutor.  La  loi  du  3  janvier 
1879,  devenue  exécutoire  le  l"**^  janvier  1880,  a  institué  un 
directeur  des  poursuites  criminelles  qui  doit,  sous  la  surveil- 
lance de  Vattorney  gênerai,  intenter  et  poursuivre  les  procé- 
dures criminelles  et  donner,  aux  officiers  de  police  et  à  toutes 
personnes,  officiers  ou  non,  engagées  dans  un  procès  crimi- 
nel, son  avis  et  son  assistance.  Mais  la  loi  maintient  expressé- 
ment le  droit  de  tout  particulier  d'intenter  ou  de  conduire 
n'importe  quelle  poursuite  criminelle.  Le  principe  de  Taccu- 
sation  populaire  n*a  donc  pas  été  entamé  par  la  réforme  timide 
de  1879. 

En  1883,  une  commission  royale  a  été  chargée  de  faire  une 
enquête  sur  le  fonctionnement  de  Toffice  du  directeur  des 
poursuites  criminelles.  Son  rapport  a  été  le  préliminaire  de  la 
loi  du  14  août  1884,  provoquée  par  cette  commission.  On 
s'était  demandé  s'il  était  opportun  d'étendre  à  PAngleterre  les 


**  M.  Prins,  chargé  par  son  gouvernement  d'aller  étudier  le  fonctionne- 
ment de  la  procédure  pénale  à  Londres  en  1879,  constate,  dans  son  rap- 
port, qu'il  y  a  sur  le  continent  un  vice  saillant  :  la  coalition  inconsciente  et, 
pour  ainsi  dire,  inévitable,  du  parquet,  du  juge  d'instruction,  de  la  police  el 
de  la  magistrature  assise  contre  l'accusé  ;  qu'en  Angleterre,  il  en  est  tout 
autrement,  les  divers  éléments,  qui  concourent  à  l'application  de  la  loi  pé- 
nale, se  contrôlant  les  uns  les  autres. 

*•  Le  public  anglais  vient  en  aide  k  la  justice,  le  public  français  lui  est 
hostile. 


170      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DBS   ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

systèmes  écossais  et  irlandais,  d'après  lesquels  des  procureurs 
fiscaux  ou  des  solicitors  de  la  couronne,  résidant  dans  chaque 
région,  font  rapport  de  chaque  délit  grave,  aussitôt  après  sa 
découverte^  respectivement  au  Lord  advocate,  en  Ecosse,  et 
à  Vattomet/  f/enpral,  en  Irlande.  La  commission  n'a  pas  mé- 
connu Inutilité  de  ce  réseau  d'agents  de  surveillance  et  de 
poursuites  ;  mais,  reculant  devant  certaines  difficultés  d*ordre 
budgétaire,  elle  s*est  bornée  à  proposer  la  modification  et  le 
développement  du  système  créé  en  1879.  Aujourd'hui,  tout 
solicitor  assistant  du  Trésor  peut  suppléer  le  soUcitor  gênerai 
dans  les  fondions  de  directeur  des  poursuites  publiques. 
L'officier  en  chef  de  tout  district  de  police  doit  fournir,  de 
temps  à  autre,  au  solicitor  gênerai,  des  renseignements  sur 
les  crimes  justiciables  des  assises  qui  auront  été  commis  dans 
son  ressort.  Mais  la  loi  de  1884,  qui  supprime  certains 
rouages,  ne  donne  pas  de  pouvoirs  nouveaux  à  ce  ministère 
public  embryonnaire  '^ 

82.  Les  actio7is  populaires  ont  été  l'une  des  institutions  les 
plus  originales  du  droit  romain.  Pour  les  caractériser  d'un 
mot,  on  peut  dire,  avec  Geib^\  qu'elles  furent  relatives  à  des 
«  actes  défendus  qui  apparaissent  en  quelque  sorte  comme 
le  chaînon  de  jonction  entre  les  infractions  proprement 
dites,  renvoyées  aux  quœtiones  perpétuas,  et  les  simples  délits 
privés  n.  Les  Romains  n'ont  jamais  eu  l'idée  de  créer  un  mi- 
nistère public.  La  protection  de  l'intérêt  général  n'étant  pas 
assurée  par  Tactivilé  de  magistrats,  ils  la  confièrent  à  tous  les 
citoyens  de  l>onne  volonté  qui  devenaient  ainsi  les  représen- 
tants de  l'État.  De  nos  jours,  l'intérêt  public  a,  dans  presque 
tous  les  pays,  son  représentant  légal,  le  ministère  public; 
aussi  le  système  des  actions  populaires  n'a  été  conservé  qu'en 
Angleterre,  pour  la  poursuite  des  infractions.  En  France,  les 
très  rares  exemples  de  fonctions  judiciaires,  appartenant  à 
tous  les  citoyens,  se  rattachent  au  droit  électoral  et  n'ont  qu'une 

**»  V(»y.  Nourrisson,  De  la  participation  des  particuliers  à  la  poursuite 
des  crimes  et  des  délits  (Paris,  1894),  p.  159  et  suiv. 
'^  Li'hrbuch  des  deulschcn  Strafrechts^  t.  i,  p.  69. 


DE   l'organisation   DU   MINISTÈRE   PUBLIC.  i71 

analogie  lointaine  avec  les  actions  populaires  romaines.  Ainsi, 
Tarticle  123  de  la  loi  du  15  mars  1849  permet,  à  tout  citoyen 
inscrit  dans  une  circonscription,  de  porter  plainte  pour  les 
délits  commis  à  l'occasion  d'une  élection;  mais  bien  qu'il  ne 
s'agisse  là  que  de  Tacte  préliminaire  de  la  poursuite,  et  non 
d'uD  véritable  droit  d'action,  la  jurisprudence  a  conclu,  du 
caractère  de  <(  plainte  »,  donne  à  cette  initiative  civique,  au 
droit,  de  tout  citoyen  inscrit,  de  mettre  en  mouvement  l'ac- 
tion publique.  En  un  mot,  les  électeurs  du  collège  qui  a  pro- 
cédé à  l'élection,  à  Toccasion  de  laquelle  des  crimes  ou  délits 
auraient  été  commis,  sontinvestis,  à  raison  de  leur  seule  qualité 
(Tëlecleurs,  et  sans  avoir  à  justifier  d'un  préjudice  personnel^ 
du  droit  de  poursuivre,  comme  parties  civiles,  ces  crimes  et 
délits'*.  Mais  le  ministère  public,  dans  ce  cas  même,  reste 
l'agent  de  la  poursuite,  comme  il  l'est  toujours  quand  il  y  a 
partie  civile  en  cause.  Ce  n'est  donc  qu'en  qualité  de  partie 
civile  que  l'électeur  figure  au  procès,   et  non  en  qualité  de 
ministère  public*',  et  il  n'y  a  pas  là  un  véritable  cas  d'arcnsa- 
tionpopulaire^'^,  car  si  l'intérêt  général  est  le  seul  mobile  de 
l'action  de  l'électeur,  cet  intérêt  général  a  toujours  pour  re- 
présentant un  fonctionnaire,  le  ministère  public. 

§  XIII.  -  DE  L'ORGANISATION  DU  MINISTÈRE  PUBLIC. 

S3.  Orgaoisalioo  ideutiquo  du  ministère  public  ea  matière  pénale  et  en  matière  civile. 
—  84.  Les  membres  du  miQi^tère  public,  agents  du  pouvoir  exécutif  auprès  des 
tribunaux,  sont  amovibles  et  révocables.  —  85.  Unité  et  subordination  hiérarchi- 
ques. —  86.  Aucune  juridiclioti  pénale  n'est  compir'te  sans  ministère  public.  — 
87.  Correspondance  entre  l'organisation  des  tribunaux  de  répression  et  l'organisa- 

'•  Voy.  Cass.,  16  mars  1878  (D.  78.  1.  iV7),  cassant  un  arr<5t  contraire 
^ela  Gourde  Montpellier  du  il  nov.  1877  (S.  77.  2.  32tî);  Montpellier, 
10  DGF.  1894  (S.  96.  2.  201)  et  les  notes  de  M.  Ville v  sous  ce  dernier  arrôt 
et  l'arrêt  de  la  Cour  de  cassation . 

*•  Une  tentative  de  n^surrection  des  actions  populaires  a  eu  lieu,  on  Italie, 
à  propos  de  Tadministralion  et  de  la  surveillance  d»'s  (établissements  de 
bienfaisance.  Loi  du  17  juilh't  1890  (Ami,  de  léfjisL  étr.,  1890,  p.  :i8j).  D'un 
autre  ciMé,  la  loi  espagnole  du  20  février  1890  décifle  que  l'action  pénale, 
naissant  des  délits  électoraux,  est  publique,  c'est-à-dire  qu'elle  peut  être 
mise  en  mouvement  par  tout  électeur  aussi  bien  que  par  le  ministère  public. 

^  Comme  )e  dit,  cepeDdanl,  Laborde,  op.  cit.,  p.  448. 


I 


172      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

tion  du  ministère  public.  Tribunaux  de  simple  police.  Parquet  des  tribunaux  de 
première  instance,  des  cours  d'appel,  de  la  Cour  de  cassation.  —  88.  Indivisibilité 
du  ministère  public.  —  89.  Remplacement. 

83.  L'orgaDisation  du  mÎDislëre  public  est  identique, 
quelles  que  soicot  ses  fonctions.  11  n'y  a  pas  un  ministère  pu- 
blic autrement  constitué  en  matière  pénale  qu'en  matière 
civile.  G*est  une  des  conséquences  les  moins  contestées  et  les 
moins  contestables  de  l'unité  de  la  justice  civile  et  de  la  jus- 
tice pénale. 

Les  règles  suivantes  résument  les  principes  qui  régissent 
rinstitution,  au  point  de  vue  de  la  poursuite  des  inculpés  de 
crimes,  de  délits  et  de  contraventions. 

84.  «  Les  officiers  du  ministère  public  sont  agents  du  pou- 
voir exécutif  auprès  des  tribunaux  »  (D.  16-24  août    1790, 
tit.  VIII,  art.  I).  On  les  appelait,  autrefois,  à  raison  de  ce  ca- 
ractère, les  «  gens  du  roi*  )>.  Sur  leur  mode  de  nomination, 
deux  systèmes  ont  été  pratiqués.  D'après  le  premier,  les  mem- 
bres du  ministère  public  sont  désignés  à  l'élection.  Mais  cVst 
un  système  qui  présente  un  double  inconvénient.  Il  fait  échap- 
per les  membres  du  ministère  public  à  Faction  du  pouvoir  qui 
n'a  plus  de  représentants  dociles  auprès  des  tribunaux.  Il  les 
faitdépendre  du  corps  électoral,  aux  intérêts  et  aux  passions  du- 
quel ces  agents  peuvent  être  tentés  de  subordonner  l'exercice 
de  Taction   publique.   Aussi  le  procédé  qui  consiste  à  leur 
donner  le  carartère  de  fonctionnaires^  institués  directement 
par  le  chef  du  pouvoir  exécutif,  est  presque  partout  suivi  et 
approuvé.  C'est  le  système  actuellement  en  vigueur  en  France. 
On  est  appelé  à  remplir  les  fonctions  du   ministère  public 
près  les  tribunaux  d'arrondissement,  les  cours  d'appel  et  la 
Cour  de  cassation,  par  un  décret  du  président  de  la  Répu- 
blique, rendu  sur  la  proposition  du  garde  des  sceaux  et  la  pré- 
sentation des  chefs  de  la  cour  où  la  vacance  se  produit  (L.  25 

§  XIII.  *  Gentcs  nostrœ  (Ord.  du  25  mars  1302,  chap.  2t,  Ord,  dea  rois  de 
France^  t.  1,  p.  361).  Les  officiers  du  ministère  public  ont  seuls  gardé  ce 
litre  (le  gens  du  roi  qu'ont  porté  primitivement  tous  les  officiers  royaux. 


DB  l'organisation   DU   MINISTÈRE   PUBLIC.  173 

révr.  4875,  art.  3)'.  Ce  mode  de  aomiaalioa  esl  tellemeDl 
:oQforme  à  la  nature  des  fonctions  du  ministère  public  que, 
ï  répoque  même  où  les  tribunaux  se  recrutaient  par  Télec- 
lion,  le  chef  de  TÉtat  avait  conservé  la  nomination  des  com- 
missaires du  gouvernement  et  de  leurs  substituts '.  L'ofGcier 
ju  ministère  public  nommé  doit  se  faire  recevoir  et  installer^. 
La  réception  consiste  dans  la  prestation  de  serment',  etTinstal- 
lation,  dans  la  cérémonie  par  laquelle  un  magistrat  est  admis 
à  siéger  pour  la  première  fois  dans  la  compagnie  où  il  est 
nommé.  Ces  règles  sont  communes  au\  juges  des  cours  et 
tribunaux  et  aux  membres  du  ministère  public  \  La  princi- 
pale différence  qui  sépare  la  magistrature  debout  de  la  magis- 
trature assise^  consiste  en  ce  que  la  première  est  amovible  et 
révocable.  C'est  la  conséquence  du  caractère  même  de  l'in- 
stitution :  agents  du  pouvoir  exécutif,  chargés  de  veiller  à 
lexécution  des  lois  et  de  requérir  au  nom  du  gouvernement, 
les  membres  du  ministère  public  ne  pourraient  être  inamo- 
vibles sans  cesser  de  dépendre  du  chef  de  TÉtat  '. 

•  Pour  les  colonies,  les  nominations  se  font  sur  la  proposition  du  garde 
des  sceaux  et  du  ministre  des  colonies  et  le  contre-seing  de  ce  dernier 
(Ord.  28  juin.  1841,  art.  1). 

3  D.  16-24  août  1790,  tit.  VIII,  art.  1  ;  D.  27  novvl"  déc.  1790,  art.  23; 
Const.  5  fruct.  an  III,  art.  216  et  261. 

•  Pour  les  détails  sur  ces  deux  formalités  :  Garsonnet,  op,  cit.y  t.  1,  §  182, 
p.  302. 

•  Aujourd'hui  que  le  serment  politique  est  aboli  (D.  5  sept.  1870),  les  offi- 
ciers du  ministère  public  ne  prêtent  qu'un  serment  professionnel. 

•  Quant  aux  conditions  d'aptitude  pour  être  appelé  aux  fonctions  du  mi- 
nistère public,  voy.  Garsonnet,  op,  cit.,  §  77,  t.  I,  p.  296. 

^  On  appelle  le  corps  du  ministère  public  la  magistrature  debout,  par 
opposition  à  la  magistrature  assise^  parce  que  ses  membres  se  lèvent  pour 
adresser  des  réquisitions  aux  membres  des  cours  et  tribunaux  (jui  jugent 
assis  sur  leurs  sièges. 

•  Les  magistrats  du  ministère  public  devraient-ils  être  inamovibles  ?  Voy. 
sur  la  question  :  Mangin,  op,  cit. y  t.  1,  n»  121  et  la  note.  M.  Larnaude,  re- 
grettant à  la  Société  des  prisons  (Rci\  pénit.y  1896),  à  propos  de  la  discus- 
sion sur  la  poursuite  des  crimes  et  délits  par  les  associations,  l'inamovibilité 
du  ministère  public  qui  faisait  en  grande  partie  sa  force  dans  notre  ancienne 
législation,  disait  :  «  Je  ne  crois  pas  cju'il  soit  bien  de  faire  dépendre  en  fait 


ni      PROCÉDURE   PÉNALl. — DES  ACTIONS   PUBLIQUE   KT  CIVILS. 

85.  On  a  donné  pour  base,  h  Torganisalion  du  ministère 
public,  un  principe  qui  en  fait  la  force,  celui  de  Vunité  et 
de  la  subordination  hiérarchiques*. 

Les  procureurs  généraux,  les  avocats  généraux,  les  substi- 
tuts du  procureur  général,  les  procureurs  de  la  République, 
leurs  substituts,  les  commissaires  de  police,  les  maires  et 
adjoints,  tous  fonctionnaires  du  ministère  public,  sont  f/nts 
entre  eux  par  un  lien  hiérarchique^  qui  aboutit  au  garde  des 
sceaux,  ministre  de  la  justice,  et  qui  permet  à  celui-ci,  à  titre 
de  représentant  direct  du  pouvoir  exécutif,  de  communiquer 
à  Tcxercicc  de  Taction  publique  en  France  la  puissance  de 
Tunité  (D.  30  mars  1808,  art.  80  et  81;  L.  20  avr.  1810, 
art.  60;  C.  inslr.  cr.,  art.  274). 

Cette  subordination,  en  ce  qui  concerne  les  membres  do 
ministère  public,  a,  pour  sanction  dernière,  la  révocation  qui 
peut  les  frapper  sans  motifs  et,  à  plus  forte  raison,  les  atteindre 
à  juste  litre  s'ils  manquent  gravement  aux  devoirs  de  leur 
charge.  C'est  la  conséquence  de  leur  amovibilité.  Mais,  de  plus, 
celte  subordination  se  manifeste  par  un  pouroir  disciplinaire 
qui  n'appartient  pas  aux  cours  et  tribunaux  près  desquels 
les  membres  du  ministère  public  exercent  leurs  fonctions, 
mais  à  leurs  supérieurs  hiérarchiques.  Il  convient,  à  ce  point 
de  vue,  de  distinguer  entre  le  procureur  de  la  République^ 
d'une   part,    le   procureur  général  et  le  garde  des  sceaux. 


"  fie  tels  ou  lels  électt^irs,  «le  tels  ou  tels  hommes  politiques,  quels  qu'ils  soient, 
«  à  quelque  opinion  qu'ils  appartiennent,  l'action  de  la  justice.  Or,  c'est  h 
«  quoi  l'on  s'expose  en  rattachant  d'une  manière  trop  étroite  (et  peut-tHre 
«  ne  peut-on  pas  faire  autrement)  le  ministère  public  à  Porgane  politique,  par 
<«  excellence,  le  Gouvernement  »>. L'influence  de  plus  en  plus  grande  décon- 
sidérations d'ordre  politique  sur  Tadminist ration  de  la  justice,  est,  en  effet, 
un  vice  tel  qu'on  a  pu  rechercher,  dans  l'inamovibilité  du  ministère  public, 
un  af»pui  pour  son  indépendance.  Mais  ne  nous  illusionnons  pas  :  l'indé- 
pendance tient  au  caractère  plus  qu'aux  institutions.  L'idée  de  confiera  des 
associations  l'exercice  de  Tact  ion  publique  en  concours  avec  le  ministère  pu- 
blic est  née  de  cet  état  de  choses-  Voy.  Paul  Nourrisson,  La%»ociatioH  con- 
tre le  crime  (Paris,  190i),  p.  7  à  22. 

•  Comp.  :  Bruneau,   Ik  la  hiérarchie  du  ministère  publie  {Revue  histo- 
riqney  1800,  t.  6,  p.  171  j. 


DE    L  ORGANISATION    DU    MINISIKRE    PUBLIC.  IT.T 

d'aulre  part.  Le  procureur  de  la  République  n'a  pas  été 
investi  d'un  pouvoir  disciplinaire.  Il  n'a,  sur  ses  substituts  et 
sur  les  officiers  du  ministère  public  près  les  tribunaux  de 
police,  qu'un  droit  de  surveillance  et  de  direction  (C.  inslr» 
cr.,  art.  289;  L.  20  avr.  1810,  art.  6  et  47;  D.  18  août  1810, 
art.  16  et  19).  Mais  le  procureur  général  a,  sur  tous  les  offi- 
ciers de  son  ressort,  un  véritable  pouvoir  disciplinaire  qui 
lui  donne  le  droit  de  les  rappeler  à  leurs  devoirs  (L.  20  avr. 
1810,  art.  60),  et  le  garde  des  sceaux,  qui  exerce  sur  tous  les 
officiers  du  ministère  public  la  plus  haute  autorité  discipli- 
naire, peut  les  mander  devant  lui  ou  leur  faire  adresser,  par 
les  procureurs  généraux,  les  injonctions  qu'il  juge  nécessaires 
(S.-C.  16  tlierm.  an  X,  art.  81  ;  L.  20  avr.  1810,  art.  60). 

La  possibilité  d'une  révocation  exclut-elle  la  possibilité 
d'une  poursuite  disciplinaire  des  membres  du  ministère  pu- 
blic devant  le  Conseil  supérieur  de  la  magistrature,  institué 
par  la  loi  du  30  août  1883  (art.  13  et  14)  ?  L'amovibilité  ne 
serait  pas  une  raison  suffisante  pour  les  soustraire  à  celte 
haute  juridiction  ;  mais  la  discipline  de  ces  officiers  a  été  orga- 
nisée, d'une  manière  spéciale,  par  voie  hiérarchique.  C'est 
qu'en  effet,  le  principe  de  l'indépendance  du  ministère  public, 
à  l'égard  des  tribunaux,  ne  permet  pas  de  le  soumettre,  même 
par  mesure  disciplinaire,  à  la  surveillance  de  la  Cour  de  cas- 
sation *•. 

86.  Aucune  juridiction  pénale  n'est  complète  sans  minis- 
tère public  et  ne  peut  valablement  tenir  audience  hors  sa  pré- 
sence. 

a)  Le  fonctionnement  de  tout  tribunal  de  répression  impli- 
que essentiellement,  en  efTet,  rexislencc  d'un  ministère  pu- 
blic qui  est  le  rouage  indispensable  de  la  poursuite.  11  n'en  est 
pas  de  même  dans  tous  les  tribunaux  rendant  la  justice  civile. 
Il  n'existe  pas,  en  effet,  de  ministère  public  près  les  tribunaux 
de  commerce,  ni  près  les  tribunaux  de  paix  ou  les  conseils 

'^  Dans  ce  sens  :  Esmein,  sous  Cass.,  Ch.  réun.  (Cons.  sup.  de  la  magis- 
trature), 27  avril  1898  (S.  99.  1.  385,  §  1). 


176      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILI. 

de  prud'hommes.  G*esl  ainsi  que  le  juge  de  paix,  siégeant 
comme  juge  de  police,  est  assiste  d'un  ministère  public,  tan- 
dis qu'il  est  privé  du  concours  de  tout  officier  du  ministère 
public  quand  il  siège  comme  juge  civil. 

b)  Le  ministère  public  devant  assister  à  tous  les  actes  de  la 
procédure  pénale  et  aucune  procédure  pénale  n'étant  valable 
sans  son  intervention  *',  il  faut  qu'il  soit  constaté,  par  les  actes 
de  la  procédure,  notes  sommaires,  jugement,  procès-verbal, 
etc.,  et  ce  à  peine  de  nullité^  que  le  ministère  public  a  assisté 
à  toutes  audiences  de  la  cause  et  donné  ses  conclusions  avant 
tout  jugement  ou  a  été  mis  en  demeure  de  les  donner '^  C'est 
une  règle  qui  se  rattache  à  la  composition  régulière  de  la  ju- 
ridiction et  qui  est,  à  ce  titre,  d'ordre  public  (C.  instr.  cr., 
art.  190  et  210). 

87.  La  loi  a  dû  établir  et  a,  en  effet,  établi  une  e\acte 
correspondance  entre  Torganisalion  du  ministère  public  et 
celle  des  tribunaux  de  répression^  autour  desquels  le  minis- 
tère public  doit  évoluer. 

Mais,  à  cet  égard,  il  importe  de  séparer,  pour  en  faire  deux 
études  distinctes,  les  juridictions  de  police  des  autres  juridic- 
tions pénales. 

1.  Près  le  tribunal  de  police,  qui  est  tenu  par  le  juge  de 
paix,  en  qualité  de  juge  de  police,  il  existe,  bien  entendu, 
un  ministère  public  dont  la  présence,  à  toutes  les  audiences 
de  la  cause,  doit  être  régulièrement  constatée,  à  peine  de 
nullité  du  jugement*'. 

••  Le  ministère  public  doit  être  entendu  ou  mis  en  demeure  de  présenter 
Ses  conclusions,  non  seulement  sur  le  lond,  mais  sur  tous  les  incidents  qui 
donnent  lieu  à  un  juj^ement.  Conf.  Cass.,  30  sept.  18*3  (S.  43.  1.  928). 
Mais,  quant  aux  conclusions  que  doit  présenter  le  ministiTe  public,  il  suffit 
qu'il  exprime  une  opiniun  et  c'est  une  opinion  que  de  s'en  rapporter  a  la 
prudence  du  tribunal.  Cass.,  0  mai  1808  (D.  A.  v°  \nstr.  crim.,  n°  887); 
Merlin,  Hêp,^  v^  Minisl.  public^  §  7,  n*»  1 4. 

''^  Jurispruilt-nco  constant»*.  Voy.  1<'S  nombreux  arrêts  cités  dans  le  Hé' 
pi'vi,  iftn,  ulph,  du  droit  franrais^  s^  Jinjernent  et  arnt  (mal.  crim.),  n"*  98 
h  117,  l'I  surtout  n°  105. 

'^  Voy.  Cass.,  23  oct.  1H«J7  (S.  98.  i:i2). 


DB   l'organisation   DU    MINISTÈRE   PCBLIC.  177 

L'orgaoisaiioQ   du   ministère    public  près  le  tribunal    de 
police  se  trouve  aujourd'hui  fixée  par  l'article  144  du  Code 
d'instruction  criminelle,   modifié  par  la  loi  du  27  janvier 
1873**.  Ce  texte  dislingue  implicitement  deux  classes  d'offi- 
ciers remplissant  ces  fonctions  :  1**  Ceux  que  la  loi  en  investit 
directement,  sans  désignation    du    procureur  général.    Ce 
sont  :  le  commissaire  de  police  du  lieu  où  siège  le  tribu- 
nal, et,  en  cas  d'empêchement  ou,  à  défaut,  le  maire,   les 
adjoints  et  les  conseillers  municipaux  dudit  lieu,  dans  Tor- 
dre du  tableau;  2°  Ceux  que  le  procureur  général  peut  dési- 
gner, qui  tiennent  directement  leur  délégation  du  chef  su- 
prême du  ressort.  Ce  sont  :  l'un  des  commissaires  de  police  du 
chef-lieu,  s'il  y  en  a  plusieurs,  et,  à  défaut  de  commissaire 
de  police  au  chef-lieu,  soit  un  commissaire  de  police  résidant 
ailleurs  qu'au  chef-lieu^  soit  un  suppléant  du  juge  de  paix, 
soit  le  maire  ou  l'adjoint  du  chef-lieu,  soit  un  des  maires  ou 
adjoints  d'une  autre  commune  du  canton,  lequel  est  désigné, 
à  cet  effet,  par  le  procureur  général  pour  une  année  entière, 
et  est,  en  cas  d'empêchement,  remplacé  parle  maire,  par  l'ad- 
joint ou  par  un  conseiller  municipal  du  chef- lieu  de  canton. 
En  supposant,  par  conséquent,  la  désignation  faite  par  le 
procureur  général,  le  ministère  public   près  le  tribunal  de 
police  est  exercé  :  1°  Par  le  commissaire  de  police,  et,  s'il 
n'y  en  a  qu'un,  c'est  cet  officier  de  police  qui  est  investi,  par 
la  loi  même  et  la  loi  seule,  du  ministère  public,  sans  que  le 
procureur  général  ait  à  lui  déléguer  ces  fonctions,  sans  qu'il 
puisse  même  les  lui  enlever;  2**  Par  Tune  des  personnes  dé- 
signée par  le  procureur  général,  parmi  celles  qui  exerc^ent, 
dam  le  canton^  les  fonctions  administratives  que  la  loi  in- 
dique. Dans  ces  limites,  mais  seulement  dans  ces  limiles^^  le 

**  Le  commentaire  de  cette  loi  se  trouve  dans  un  certain  nombre  de  cireu- 
laires  ministérielles  (Cire,  jusl.,  0  fevr.  1873,  13  avr.  1874-,  3  fiWr.  1879). 
Voy.  L.  Munsch,  Répertoire  (jcncral  des  circulnireft  et  instrurtion.'i  du  wi- 
nistèredela  justice  (1790-1890),  2  vol.  in-S^,  1900.  Comp.  Cambuzal,  Du 
ministère  public  près  les  tribunaux  de  police  [Rev,  crit.j  1879,  p.  279). 

*•  Voy.  notamment  :  Cass.,  4  noiU  1877  (D.  78.  \.  393),  et  les  conclusions 
de  M.  l'avocat  gr'^néral  Lacuinta.  il  est  hien  entendu,  que  le  procureur  génMil 
(\,  \\  [\  _  I.  12 


178      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

choix  du  procureur  général  s*exerce  librement,  sans  qu'il  soit 
astreint  h  suivre  1  ordre  de  préférence  indiqué  par  le  texte. 
Bien  que  la  délégation  n*ait  lieu,  d*après  les  termes  de  Tar- 
ticle  44i,  que  pour  un  an,  en  fait,  elle  n*est  pas  renouvelée 
chaque  année;  Tofficier  délégué  continue  Texercice  de  sps 
fonctions  tant  qu'il  conserve  la  qualité  à  laquelle  elles  sont    1 
attachées,  ou  jusqu'à  démission  ou  révocation;  3°  En  cas  d'em- 
pcchemenl  temporaire  de  Tofficier  désigné  par  la  loi  ou  par  le 
procureur  général,  c'est  le  maire,  l'adjoint,  ou,  à  leur  défaut, 
un  conseiller  municipal  du  chef-lieu,  lequel  est  pris  dans  l'or- 
dre du  tableau,  ou  désigné  par  le  conseil  dans  les  termes  de 
l'article  84  de  la  loi  du  5  avril  1884**,  qui  le  remplace  dans 
les  fonctions  de  ministère  public  près  le  tribunal  de  police^'. 
Cette* organisation,  établie  ou  plutôt  modifîée  par  la  loi  du 
27  janvier  1873,  a  eu  un  double  but  :  d'une  part,  soit  par 
l'intervention  du  procureur  général  auquel  on  a  donné  un 
droit  de  délégation  qu'il  n'avait  pas,  soit  par  l'adjonction  des 
conseillers  municipaux  du  chef-lieu  comme  remplaçant  l'of- 
ficier  absent  ou  em[)èché,  on  veut  assurer,  en  toute  éventua- 
lité, le  service  du  tribunal  de  police  qui  ne  peut  fonctionner 
sans  son  ministère  public;  d'autre  part,  on  veut  permettre  au 

ne  pouvant  (k-légucr  les  fondions  de  ministère  pul»lic  qu*à  Pun  îles  {igenls 
ay.iiit  Ifi  qualité  officielle  délerininée  par  l'arlielo  144,  la  cessation  îles  fonc- 
tions à  raison  desquelles  la  délégation  a  été  faite  met  nécessairement  fin  à 
la  dolé^r^tion. 

'«Cass.,  :<  juin  1892  (S.  92.  1.  471;  D.  93.  1.  512);  9  déc.  i893  (S.  9k 
i.  108). 

'^ 'Avant  la  loi  de  1873,  les  conseillers  municipaux  n'avaient,  en  aucun 
cas,  qualité  puur  remplir  les  fonctions  du  ministère  public  près  le  tribunal 
de  police.  Voy.  Mangin,  Act,  pnbL,  t.  1,  n«  101  ;  Cass.,  lOsepL  183î>  (S.  35. 
1.  919).  Aujourd'hui,  les  conseillers  municipaux  sont  investis  du  droit  de 
fonctionner  dans  ce  rûle,  mais  à  la  condition  absolue  d*oI»server  Tordre  dé- 
terminé par  la  loi.  Ainsi  est  nul  le  jugement  du  tribunal  do  police,  en  cas 
«rempOchemenl  des  ofliciers  app«'lés,  soit  de  plein  droit,  soit  par  la  désigna- 
tion du  pn>cureur  génénd,  lorsque  les  fonctions  du  ministère  public  ont  été 
remplies  par  un  membre  du  cimseil  muincipal  délégué  par  le  maire,  bien 
qu'il  ne  fût  pas  le  [premier  dans  l'ordre  du  tableau,  et  sans  que  le  jugement 
ait  c«>nstaté  rempéchem»Mit  de  ceux  qui  le  précédai«'nt  :  Cass.,  18  janv.  1877 
^S.  77.  1.  392);  3  juin  1892,  précité. 


DE    l'organisation    DU    MIMSTKRE    Pr:HLlC.  \1\) 

procureur  général  d'écarter  des  roiiclions  de  inii)istère  public, 
s'il  en  est  besoin,  les  maire  et  adjoints  du  chef-li(îu  qui  ont 
cessé  d'être  nommés  par  le  pouvoir  cenl^aP^ 

Quelle  que  soit,  du  reste,  l'origine  de  leur  désignation,  les 
agents  qui  exercent  Taction  publique  devant  le  tribunal  de 
police  ont  reçu  cette  mission  de  la  loi  même  et  ne  sont,  comme 
ofBciers  du  ministère  public  près  ce  tribunal,  les  délégués  de 
personne,  pas  même  du  procureur  général.  Les  actes  de  pro* 
cédure  sont  faits  en  leur  nom  :  eux  seuls  ont  qualité  i)our 
poursuivre  et  requérir^*;  et  si  leurs  supérieurs  hiérarchiques 
(procureur  général  et  procureur  de  la  République)  ont,  sur 
cesofGciers,  un  pouvoir  de  direction  et  de  surveillance,  ces 
mêmes  supérieurs  ne  pourraient  se  substituer  à  eux  pour 
exercer  Taction  publique  devant  le  tribunal  de  police. 

II.  Près  les  tribunaux  de  première  instance,  les  cours  d'ap- 
pel et  la  Cour  de  cassation,  il  existe  un  parquet,  expression  qui 
désigne,  par  voie  dérivée,  la  réunion  des  magistrats  qui  exer- 
ceotle  ministère  public  près  d'une  même  juridiction.  Autre- 
fois, les  sièges  des  membres  du  ministère  public  étaient  pla- 
cés sur  la  planche  même  de  la  sallo  d'audience,  au  pied  de 
l'estrade,  où  siégeaient  les  juges.  D'où  loriginede  l'expression 
«  parquet  "  ». 

Chacun  des  groupes  qui  composent  le  parquet  forme  une 

'•  ErI  également  nul  le  jugcmeni  rendu  en  présence  du  second  suppléant 
de  la  justice  de  paix,  qui  n'avait  pas  qualité  pour  remplacer  le  premi»!r  sup- 
pléant désigné  par  le  procureur  général  :  Cass.,  10  févr.  1888  (S.  88.  1. 
34.3);  2  mars  1804  (S.  94.  1.  25'0. 

'•  La  poursuite  à  la  recjuôle  d'un  agent  n'ayant  pas  qualité  pour  nimplir 
les  fonctions  du  minisb'Te  public  serait  incontestablement  nuMe  elle  tribunîtl 
devrait  le  déclarer  d'(»frice.  —  Comp.  Cass.,  9  mai  1801  (D.  01.  1.  393); 
10  mars  1892  (D.  93.  1.  267);  3  juin  1892  ;D.  93.  1.  :il2). 

"  Voy.  Ferrièn»,  Dict.,  w^  Parquet.  Dans  une  lettre  à  Gaillard,  du  23  janv. 
1709,  Voltiiire  écrit  :  «  Les  par(jui?ts  de  province  se  sont  mis  depuis  <|uel- 
que  temps  à  écrire  beaucoup  mieux  que  le  parquet  de  Pari?  ».  Conf.  Littré, 
Dict.,  V*  Parquet.  On  donne  indiiTéremment  le  nom  de  [janjuct,  soit  à  l'en- 
semble des  magistrats  du  ministère  public  attacbifs  à  une  juridiction,  soit  k 
la  place  que  ces  magistrats  occupent  dans  une  audience,  soit  euliri  au  local 
qui  leur  est  réservé  dans  cba(|ue  palais  de  justice. 


180      PROCFDDRE   PENALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

unifé  morale  qui  s'incarne  en  son  chef.  C'est  à  ce  dernier  seul 
qu'est  délégué,  par  la  loi,  Texercice  de  l'action  publique.  Les 
autres  membres  du  groupe,  quel  que  soit  leur  titre,  ne  sont 
qvie  ses  substituts^*.  C'est  là  une  règle  générale,  sans  exception. 

A.  Le  parquet  de  la  cour  d'appel  se  compose  du  procureur 
général  de  la  République  près  la  cour  d'appel,  des  avocats 
généraux  et  des  substituts  du  procureur  général  (L.  20  avr. 
1810,  art.  6).  Il  y  a  autant  d'avocats  généraux  que  de  cham- 
bres, moins  une  :  l'un  des  avocats  généraux  est,  en  effet,  atta- 
ché tout  à  la  fois  à  la  chambre  des  mises  en  accusation  et  à 
une  autre  chambre,  sauf  à  Paris,  où  il  y  a  sept  avocats  géné- 
raux et  neuf  chambres  (D.  6  juill.  1810,  art.  46;  D.  28  mars 
1863,  art.  2;  L.  HO  août  1883,  art.  2  et  tableau  A).  Quant  au 
nombre  des  substituts,  il  dépend  de  l'importance  de  la  cour 
(D.  6  juill.  1810,  art.  47;  0.  l'^^  août  1821,  art.  1;  D.  12  déc. 
1860,  art.  1  ;  L.  30  août  1883,  art.  2  et  tableau  A). 

Toutes  les  fonctions  du  ministère  public  sont  spécialement 
confiées  au  procureur  général.  Il  est  le  chef  du  ministère  pu- 
blic dans  tout  le  ressort  de  la  cour,  et  les  pouvoirs,  confiés  à 
cette  magistrature,  ne  sont  exercés  que  par  lui,  ou  sur  son 
ordre  et  en  son  nom  :  r  II  a,  sur  ses  subordonnés,  une  action 
disciplinaire^  2**  Il  a,  dans  le  ressort,  la  direction  de  Paction 
publique;  3*^  H  c%\.  personnellement  chargé  de  l'exercice  de 
cette  action  auprès  de  la  cour  d'appel,  et  auprès  des  cours 
d'assises  de  son  ressort;  4*  Enfin,  il  porte  la  parole  aux  assem- 
blées générales  et  aux  audiences  solennelles  de  la  cour,  et  la 
porte  aussi  aux  audiences  des  chambres  de  la  cour  ou  des 
cours  d'assises  de  son  ressort  quand  il  le  juge  utile  (L.  20  avr. 
1810,  art.  43). 

Le  procureur  général  exerce  ses  fonctions,  par  rapport  à  l'ac- 
tion publique,  de  deux  manières  :  1°  Par  voie  de  commande- 
ment à  ses  subordonnés  :  il  donne  aux  procureurs  de  la  Répu- 
blique tous  les  ordres  qu'il  juge  convenables,  relativement  à 
la  poursuite;  2**  Par  voie  d'action  directe  :  soit  en  faisant  des 
actes  qui  rentrent  dans  sa  compétence  exclusive  (par  exemple 

-*  Sur  cji  point  :  Mangin,  op,  cit.,  \,  1,  n®'  92  à  9i. 


DE  l'organisation   DU   MINISTÈRE   PUBLIC.  18f 

en  saisissaal  les  cours  d'assises  de^on  ressort),  soit  en  faisant 
des  actes  qui  rentreraient  dans  la  compétence  de  ses  subor- 
donnés et  que  ceux-ci  ont  omis  de  faire  (par  exemple,  en  inter- 
jetant appel  des  jugements  rendus  par  le  tribunal  correc- 
tionnel). 

Les  fonctions  des  avocats  généraux  consistent  à  suppléer, 
par  rang  d'ancienneté,  le  procureur  général  empêché,  à  di- 
riger, sous  son  autorité  et  sa  surveillance,  les  différents  ser- 
vices administratifs  du  parquet,  et  surtout  à  porter  la  parole 
aux  audiences  des  chambres  auxquelles  il  sont  attachés  sui- 
vant un  roulement  annuel.  On  dit,  en  effet,  que  chaque 
avocat  général  a  sa  chambre,  en  ce  sens  que,  pendant  toute 
Tannée,  il  en  fait  le  service  (D.  30  mars  1808,  art.  82; 
D.  6  juin.  1810,  art.  42, 44  et  50).  Mais  les  avocats  généraux  ne 
sont,  malgré  leur  titre,  que  les  substituts  les  plus  élevés  du 
procureur  général  :  la  loi  du  20  avril  1810  le  dit  expressé- 
ment (art.  U).  D'où  il  suit  :  l"*  Hiie  les  rapports  des  avocats 
généraux  et  du  procureur  général  ne  sont  plus  aujourd'hui 
ce  qu'ils  étaient  autrefois  :  on  admettait  généralement^',  dans 
notre  ancien  droit,  que  le  procureur  général  avait  la  plume, 
c'est-à-dire  la  direction  du  parquet,  la  surveillance  et  la  dis- 
cipline de  ses  subordonnés,  l'exercice  des  poursuites  crimi- 
nelles, mais  que  les  avocats  généraux  portaient  seuls  la  parole 
aux  audiences.  En  ce  sens  et  grâce  à  ces  attributions  distinctes, 
le  procureur  général  et  les  avocats  généraux  étaient  presque 
des  égaux.  Cette  égalité  et  cette  indépendance  des  fonctions, 
dataient  de  l'origine  du  ministère  public,  les  procureurs  du  roi 
ayant  été  institués  pour  veiller  àTexacte  distribution  de  la  jus- 
tice, les  avocats  du  roi,  pour  parler  en  son  nom  dans  les  pro- 
cès. 11  n*en  est  plus  de  même  aujourd'hui  :  les  avocats  géné- 

•*  C'était,  du  muins,  la  vb.gle  aux  parlemeiiLs  tie  Paris  et  de  Bretagne; 
mais  elle  n'était  pas  suivie  partout.  Au  parlement  de  Bordeaux,  par  exem- 
ple, le  procureur  général  avait  à  la  fois  la  [)arole  et  la  plume.  Dans  les  par- 
lements où  la  division  des  fonctions  existait,  les  avocats  généraux  n'avaient 
aucune  part  à  l'exercice  des  poursuites  criminelles  ;  en  effet,  la  procédure 
était  secrète  et  se  faisait  tout  entière  hors  de  l'audience.  Voy.  Faustin  Hélie, 
ùp.  cit.f  t.  1,  n°  325  et  suiv. 


182      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  BT   CIVILK, 

raux  n'ont  pas  de  pouvoir  propre,  ils  n'exercent  leurs  fonctioos 
que  sous  la  direction  du  procureur  générai  qui  peut  toujours 
porter  la  parole,  quand  il  le  juge  conyenable,  aux  audiences 
où  siège  d'ordinaire  un  avocat  général;  2*  Le  procureur 
général  peut  également  changer  la  destination  des  avocats 
généraux  en  vue  d'une  affaire  déterminée  ".  Par  exemple,  il 
arrive  quelquefois  que  le  procureur  général  délègue  un  de 
ses  avocats  généraux  pour  porter  la  parole  dans  une  affaire 
d'assises  qui  se  juge  ailleurs  qu'au  chef-lieu  du  ressort. 

Les  substituts  du  procureur  général  sont  placés  immédiate- 
ment au-dessous  des  avocats  généraux  dans  Tordre  hiérarchi- 
que, mais  sans  rapport  de  subordination  des  uns  aux  autres. 
11  résulte,  en  effet,  des  textes  qui  les  instituent,  qu'ils  sont 
plus  spécialement  chargés,  sous  la  surveillance  immédiate  du 
procureur  général,  du  service  intérieur  du  parquet,  de 
l'examen  et  du  rapport  des  mises  en  accusation  et  de  la  ré- 
daction des  actes  d'accusation  (L.  20  avr.  1810,  art.  6; 
D.  6  juin.  1810,  art.  48  etol). 

Les  avocats  généraux  et  les  substituts  se  remplacent  réci- 
proquement en  cas  d'empêchements  des  uns  ou  des  autres 
(D.  6  juin.  1810,  art.  32).  Du  reste,  le  procureur  général,  qui 
répartit  le  service  entre  ses  subordonnés,  peut  changer,  s'il 
le  juge  à  propos,  la  destination  qu'il  a  donnée  à  chacun  d( 
ses  agents.  11  est,  en  résumé,  le  grand  chef  dans  le  ressort. 

B.  Le  parquet  d'un  tribunal  d'arrondissement  se  corn 
pose  A\x  procureur  de  la  République  et  de  ses  ^7/65/f /z//5,  souven 
appelés,  en  style  d'audience,  les  avocats  de  la  Républiqu< 
(L.  20  avr.  1810,  art.  6  et 43).  Le  nombre  de  cesderniers  vari( 
suivant  l'importance  du  tribunal;  il  y  en  a  un,  dans  les  tri- 
bunaux d'une  chambre;  deux,  dans  ceux  de  deux  chambres 
quatre,  dans  ceux  de  trois  chambres;  vingt-huit,  à  Parii 
(D.  lOaoûtiSiO,  art.  16;  L.  21  juin.  1875,art.  3;  L.  30  aoù 
1883,  art.  5).  Quelques  tribunaux  n'en  ont  même  pas  depui 
la  réforme  judiciaire  de  1883.  Aussi,  l'article  6  de  la  loi  di 

"  Personne  n'a  mieux  exposé  celte  silualion  que  Mangin,  op.  ci7.,  i.  j 
n*»  93. 


f 


DK    l/oiî'iAMSATION    Pi;    MIMSIIIIU-:    PI  HLIC  I K.'^ 

30  août  1883  confère  au  [>rocureur  jr^'iirral  \o  dm  il  titî  di'dc- 
guor  t(Mn|)orairem(*nt  un  subslilul  ou  un  juge  suppléant  pour 
remplir,  auprès  d'un  aulre  tribunal  que  celui  de  sa  rêsi<l(»nce, 
les  fondions  du  minisière  public. 

Le  procureur  de  la  République  a  un  double  caractère,  il 
esl  le  subordonné  du  procureur  général  pour  Texercice  de 
Taclion  publique.  Mais  si,  en  celte  qualité,  il  est  tenu  d'exé- 
cuter les  ordres  de  son  chef  et  de  suivre  la  direction  qu'il  lui 
donne,  c'est  de  la  loi  ménrie  qu'il  tient  la  délégation  directe  de 
ractioQ  publique  pour  la  poursuite  des  crimes  et  délits  commis 
dans  son  arrondissement  (C.  inslr.  cr.,  art.  22);  il  l'exerce 
donc  en  son  propre  nom,  il  en  est  personnellement  investi. 
C'est  donc  exclusivement  à  sa  requête  que  sont  saisis  le  juge 
d*inslruction  et  le  tribunal  corrcctionneP\  Mais,  à  la  cour 
d'assises,  le  procureur  de  la  République  n'est  que  le  délégué 
du  procureur  général. 

Les  substituts  du  procureur  de  la  République  sont  chargés, 
sous  la  direction  immédiate  de  ce  magistrat,  de  porter  la  pa- 
role aux  audiences  civiles  et  correctionnelles  du  tribunal  d\ir- 
rondissement,  et  aux  audiences  de  la  cour  d'assises  qui  se  tient 
dans  les  lieux  où  ne  siège  pas  la  cour  d'appel,  et  d'assister 
le  procureur  de  la  République  dans  le  service  intérieur  du 
parquet. 

Leurs  attributions  sont  donc  analogues  ;i  celles  des  avocats 
généraux  et  des  substituts  du  procureur  général  (D.  30  mars 
1808,  arL  82;  L.  20  avr.  18i0,  art.  43;  D.  18  août  1810. 
art  19  à  21)". 

*♦  On  (lisait  autrefois  qiit?  les  procureurs  du  roi  [»r»'S  les  sii''jr«'>  int'«'ri«Mir5 
étaient  les  substituts  du  procureur  ^l'Héral  près  le  pîtrlein«*nl.  (Irth-  j-xpres- 
sion  a  éUS  légalement  conservée  par  la  loi  du  20  avril  ISIO  d'apn-s  lai|U(>lle 
(arL  C)  «  le  procureur  général  a  des  substituts  fiour  les  triliuii.uix  de  pre- 
mière instance  :».  L'article  43  ajoute  que  <•  les  innciions  du  ministère  [)ul)lic 
«  sonl  exercées  dans  chaque  tribunal  de  première  instance  par  un  substitut 
«  du  procureur  général  qui  a  le  titre  de  procureur  de  la  République  «.  Mais 
cette  expression  n'est  pus  rigoureusement  exacte,  puisque  l'action  puMiipie 
esl  directement  déléguée  au  procureur  de  la  Hépublique. 

'*  On  a  soutenu  que  les  substituts  avaient  un  pouvoir  propre  et  distinct 
de  celui  du  {»rocureur  de  la  Hr-publique  i»our  exercer  l'action  publique  en  ce 


rSi      PROCÉDCRB   PÉNALE.  — DES  ACTIONS   FUBLIQUB    ET    CIVILE 

C.  Le  parquet  de  la  Cour  de  cassation  se  compose  di 
procureur  gcocrai  de  la  République,  des  avocats  générau; 
et  du  secrétaire  général.  Les  avocats  géoéraux  soot  au  nom- 
bre de  s\\,  deux  attacbés  à  chaque  chambre. 

Le  secrétaire  général  remplace  les  substituts  qu'il  n*a  pai 
paru  nécessaire  d*instituer  près  la  Cour  de  cassation,  à  raisoc 
du  peu  d'importance  du  service  administratif. 

Aucun  texte  spécial  ne  prévoit  le  remplacement  de  mem- 
bres du  parquet  de  la  Cour  de  cassation  qui  se  trouveraient 
empêchés,  mais,  par  analogie  de  Tarticle  84  du  Code  de  pro 
cédure  civile,  la  Cour  commettrait  un  conseiller  à  cet  effet. 

Le  procureur  général  est  le  chef  du  parquet  de  la  Cour  de 
cassation  :  les  avocats  généraux  ne  sont  que  ses  substitut 
(0.  15  janv.  1826,  art.  45  et  46). 

Il  est  chargé  des  mêmes  fonctions  administratives  que  le 
procureurs  généraux  [)rès  les  cours  d'appel  :  il  porte,  en  ouln 
la  parole  aux  assemblées  générales  de  la  Cour  de  cassation 
aux  audiences  solennelles  et  à  celles  des  chambres  quan 
rimportance  de  rafîaire  mérite  son  intervention  personnell 
ce  qu*il  lui  appartient  exclusivement  de  juger.  En  eiïet,  1 
avocats  généraux,  qui  assistent  le  procureur  général  dans 
service  intérieur  du  parquet  et  qui  portent  la  parole,  en  se 
nom,  aux  audiences  de  la  chambre  à  laquelle  ils  sont  attaché 
peuvent  toujours  être  l'objet  d'un  changement  de  destinatic 
en  vue  d'une  affaire  déterminée  (0.  15  janv.  1826,  art.  i 
et  48).  Le  secrétaire  général  est  exclusivement  chargé  de 
correspondance  et  du  service  administratif  :  il  est  iiomir 
par  le  procureur  général  et  révocable  par  lui  (L.  17  vco 
an  VIII,  art.  99). 

qui  concerne  los  crimes  et  délits  commis  dans  Tarrondissement.  On  sVst  a 
puyé  sur  l'article  9  du  Code  d'instruction  criminelle,  et  sur  l'article  43  de 
loi  du  20  avril  1810.  Mais  ces  textes  ne  sont  pas  sufOsamment  explicites 
ils  sont,  du  reste,  contredits  par  l'article  22  du  Code  d'instruction  crin 
nelle,  qui  accurde  le  pouvoir  propre  au  procureur  de  la  République,  combi 
avec  l'article  26,  qui  l'accorde,"  en  cas  d'empêchement,  au  substitut  le  pi 
ancien  ».  Il  ne  faut  d'>nc  pas  hésiter  à  reconnaître  aux  substituts  de  premiè 
instance  le  caracb»re  même  des  substituts  d'appel.  Les  uns  et  les  autr 
sont  sans  pouvoir  propre. 


DR   l'organisation   DU   MINISTERE   PUBLIC.  185 

Ce  qu'il  importe,  avant  tout,  de  remarquer,  c*est  que,  en 
général,  le  rôle  du  parquet  de  la  Cour  de  cassation,  au  point 
de  vue  de  Taction  publique,  est  tout  différent  de  celui  des 
autres  parquets.  Sauf  dans  des  cas  exceptionnels,  le  pourvoi 
qui  saisit  la  Cour  de  cassation  n'est  ni  formé  ni  dirigé  par 
le  procureur  général  près  cette  Cour,  mais  par  les  parties  qui 
atlaquent  la  décision  des  juges  du  fait.  Le  ministère  public 
près  la  Cour  de  cassation  n'intervient  que  comme  partie 
jointe  et  pour  conclure  à  l'admission  ou  au  rejet  du  pourvoi. 

88.  Près  de  chaque  juridiction  déterminée  ^^j  le  ministère 
public  constitue  un  groupe  de  magistrats,  considéré  comme 
kdivisible^\  En  effet,  devant  quelque  tribunal,  et  par  quelque 
officier  qu*il  s*exerce,  le  ministère  public  représente  toujours 
une  seule  et  même  personne  en  instance  :  la  Société  ou 
ÏÉtat^*,  Et,  de  même  que,  dans  une  association  en  nom  col- 
lectif, chaque  associé,  qui  se  sert  de  la  signature  sociale,  en- 
gage la  personne  morale  de  la  société,  de  même  tout  acte, 
hil,  dans  la  mesure  de  ses  pouvoirs ,  par  un  des  magistrats  du 
ministère  public  qui  composent  le  parquet,  est  réputé  fait  par 

''  11  ne  faudrait  pas  conclure  de  rindivisibililé  du  ministère  public  que  les 
ofBciers  qui  Texercent  se  représentent  à  quelque  juridiction  qu'ils  appar- 
tieonenl.  En  effet,  tous  les  officiers  du  ministère  jtublic  ne  sonl  pas  indis- 
tinctement compétents  pour  exercer  l'action  publique,  puisque  chacun  ne 
peut  agir  que  dans  l'étendue  de  son  ressort.  Ainsi,  l'acte  de  poursuite  du 
procureur  de  la  République  qui  ne  serait  celui  ni  du  lieu  du  délit,  ni  du  do- 
micile du  prévenu,  ni  du  lieu  où  celui-ci  a  été  arrêté,  n'interromprait  pas 
la  prescription  de  l'action  publique,  car  Toflicier  d'un  parquet,  incompt'tent 
fHjur  poursuivre,  ne  représente  pas  les  officiers  des  autres  parquets  qui 
s<jnt  compétents. 

'^  La  maxime  de  Tindivisibilité  du  ministère  public  est  reproduite  de  l'an- 
cienne jurisprudence.  Il  ne  faut  pas  exagérer  sa  portée.  Nous  avons  dtijà 
vu,  à  la  note  précédente,  qu'elle  ne  s'appliquait  qu'aux  membres  d'un  même 
parquet  (Voy.  cependant  Garsonnet,  op.  cit..,  §  71,  p.  284).  D'un  autre 
cùié,  le  parquet  ne  saurait  être  engagé  que  par  l'acte  valable  d'un  de  «es 
membres.  Voy.  Haus,  op,  cit.^  t.  2,  n<>  1119. 

^*  Aussi,  dans  certains  pays  étrangers,  par  exemple,  en  Allemagne,  en 
Autriche,  le  fonctionnaire  du  ministère  public  est  qualifié  officiellement  do 
procureur  d'État, 


186      PROCÉDURE   PÉNaLK.  —  DBS  ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

le  parquet  entier,  car,  à  la  pluralit«)  des  membres,  correspond, 
Y  indivisibilité  de  la  fonction.  En  conséquence  :  i*  La  person- 
nalité des  individus  exerçant  le  ministère  public  disparait 
dans  l'institution,  et  il  importe  peu  que  la  poursuite  ait  été 
introduite  par  Tun,  continuée  et  soutenue  par  d'autres  :  les 
divers  membres  du  ministère  public  peuvent  donc  se  rempla- 
cer les  uns  les  autres  dans  le  cours  du  même  procès,  à  la  dif- 
férence des  magisirals  appelés  à  juger".  2*  Tout  membre  d'un 
parquet  est  apte  à  faire  tous  les  actes  que  pourrait  faire  le  cbef 
du  parquet.  Cette  aptitude  n'implique  pas,  d'ailleurs,  de  pou- 
voir propre,  car  les  avocats  généraux  et  les  substituts  ne  sont 
que  les  délégués  de  leur  cbef  et  n'agissent  qu'en  vertu  de  son 
consentement  exprès  ou  tacite.  Ce  consentement  est  supposé 
jusqu'à  désaveu  formel.  3*"  Les  membres  d'un  parquet  se  sub- 
stituant les  uns  les  autres,  il  suffit  qu'un  seul  soit  libre  pour 
qu'on  ne  soit  pas  obligé  de  pourvoir  au  remplacement  du  mi- 
nistère public,  soit  par  des  juges  suppléants  (L.  10  déc.  183(K 
art.  3),  soit,  à  défaut  de  ces  derniers,  par  un  magistrat  que 
la  cour  ou  le  tribunal  désigne  parmi  ses  membres. 

89.  Kn  effet,  lu  loi  a  dii  prévoir  le  cas  oii  les  membres  ordi- 
naires du  parquet  ne  suffiraient  pas  à  l'expédition  des  affaire: 
administratives  ou  au  service  des  audiences.  Il  v  a  lieu  alors 
de  remplacer  le  ministère  public  absent  ou  empêché.  Mais  c( 

«  Cimp.  :  Cass,,  10  mai  187.j  (S.  7o.  i.  292);  2y  jaiiv.  1879  (D.  79.  i 
76);  10  janv.  189i(S.  9!).  1.  97,  D.  94.  1.  2t7)  el  les  renvois.  Voy.  Mas- 
sabiau,  op,  cit,,  l.  1,  p.  3;  Garsonnel,  op.  ciY.,  §  173;  Pôrier,  Reçue  critique 
180.'),  L  27,  p.  507.  De  celle  iùée  que  la  personnalité  des  membres  di 
minisl«*re  public,  «lisparail,  al)Sorbt'*e  par  riiislitution,  ri^sullent  :  1®  GelU 
forme  de  lan^apro  •<  nous  concluons,  nous  requérons  .»,  dont  se  serl,  soii 
qu'il  parle,  soit  qu'il  écrive,  chaque  agent  du  ministère  public;  2**  Celte  rè 
gle  observée  soit  par  les  subslitiits  du  pnjcureur  général  soit  par  les  substi 
tulsdu  procureur  de  la  Hépubliqu»'  de  signer  chacun  de  leurs  actes  (»  pour  U 
procureur  général  ou  pour  le  procureur  de  la  Réjiublique  »  ;  3°  Cet  usage  qu 
s'observail  aux  audiences  solennelles  et  qui  paraît,  de|)iiis  quelques  années 
tomber  en  désuétude  :  lors<|u'un  membre  du  parquet  se  lt>ve  pour  donne 
des  conclusions,  tous  ceux  qui  prerinj*nt  rang  après  lui  sont  debout  coninn 
pour  allesler  <|u'il  parle  en  leur  nom. 


DE   l'organisation   DU   MINISTERE   PUBLIC.  187 

remplacemeot  ae  s'opère  pas  de  la  même  manière  deyaol  le 
tribunal  et  devant  la  cour,  a)  Si  le  procureur  de  la  République 
a  besoin  de  collaborateurs,  il  peut  demander  qu'un  ou  plu- 
sieurs juges  suppléants  soient  attachés  d'une  manière  pertna- 
Deole  à  son  parquet  (L.  10  déc.  1830,  art.  3);  c'est  à  lui  qu'il 
appartient  de  les  désigner'".  Depuis  la  loi  du  30  août  1883  qui 
a  supprimé  un  certain  nombre  de  postes  de  substituts,  le  pro- 
cureur général  a  même  le  droit  de  déléguer  temporairement, 
pour  en  remplir  les  fonctions,  un  juge  suppléant  ou  un  substi- 
tut d'un  autre  tribunal  du  ressort  (art.  6).  h)  Les  parquets  des 
cours  d'appel  sont  assez  nombreux  pour  qu'on  n'ait  pas  eu  à 
préToir  cette  éventualité  et  à  organiser  un  corps  de  magistrats 
remplissant,  d'une  manière  permanente  ou  temporaire,  mais 
subsidiaire,  les  fonctions  du  ministère  public.  Là  il  ne  peut  être 
question  que  de  remplacer,  à  l'audience  ou  ailleurs,  un  mem- 
bri"  du  parquet  momentanément  empêché.  Ce  cas  est  prévu 
parTarticle  84  du  Code  de  procédure  civile^*.  S'il  se  produit 
dans  une  cour  d'appel,  le  ministère  public  est  exercé  par  un 
conseiller  désigné  par  la  cour.  S'il  se  produit  dans  un  tribunal 
de  première  instance,  le  ministère  public  est  exercé  par  un 
juge  titulaire,  désigné  par  le  tribunal  (C.  instr.  cr.,  art.  26; 
D.  18  août  1810,  art.  20) '\  Dans  tous  les  cas,  on  appelle, 

"Cass.,  31  juin.  i837  (D.  A.,  v*^  Ministère  public,  n«  27).  Les  ju^^?s  sup- 
pl^-ants  sont  aptes,  du  rnstc,  <;ii  vertu  de  leur  «jualité  prupre,  à  remplir  les 
^■'iictiuns  du  ministère  public.  Ils  îi'uiil  duiu;  p;is  l»e?oin  d'être  dél('*gués  a 
ces  fondions  par  le  trihuiial.  Ici  ne  s'applique  pas  l'article  20  du  Code 
d'instrudion  criminelle.  Comp.  Cass.,  10  juin  1883  (S.  80.  1.  143}. 

^*  Ce  texte  abroge  l'article  20  de  la  loi  du  27  venlùse  an  VIIF.  Il  a  été  lui- 
même  temporairement  modifie  par  les  articles  51  et  o2  du  décret  du  0  juillet 
18iO,  21  et  22  du  décret  du  18  aovU  1810.  cpii  créaient  les  conseillers-audi- 
teurs et  les  juges-auditeurs  et  les  appelaient,  le  cas  échéant,  à  remplacer  les 
Dttembres  du  ministère  pulilic.  Mais  la  loi  du  10  décembre  183(»,  ayant  sup- 
primé ces  deux  classes  de  ma^^istrats,  l'art icli*  Si-  du  Code  de  procédure  ci- 
TÎie,  a  repris  vigueur.  La  jurisprudence  décide,  avec  raison,  <]ue,  bien  qu'il 
oe  soit  question,  dans  ce  texte,  (|ue  des  juges,  et  que  les  membres  de  cour 
d'appel,  portent  le  titre  de  conseillers,  la  disposiliun  est  applicable  aussi  bien 
aux  cours  d'appel  qu'aux  tribunaux  de  première  instance  (Cass.,  30  déc* 
1850,  I).  :U.  1.  83;  2:1  nov.  ISOl,  \).  02.  1.  131). 
"  La  loi  du  27  venlùse  an  Vlll  voulait  que  ce  choix  se  portât  sur  le  juge 


188      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

faute  de  conseiller,  de  juge  titulaire  ou  suppléant  dispooi- 
ble,  un  avocat,  et,  à  son  défaut,  un  avoué,  en  suivant,  pour 
l'un  comme  pour  Tautre,  Tordre  du  tableau  (L.  22  vent, 
an  XII,  art.  30)".  c)  Une  distinction  s'impose  au  point  de  vue 
de  la  régularité  du  jugement  dans  tous  ces  cas.  Si  le  siège  du 
ministère  public  est  tenu  par  un  conseiller,  un  juge  titulaire 
ou  un  suppléant,  il  n'est  pas  nécessaire  que  le  jugement  re- 
late Tempéchement,  à  peine  de  nullité;  il  s'agit,  en  effet,  d'un 
magistrat  emprunté  à  la  juridiction  même,  et  la  mission  qui 
lui  est  confiée  fait  présumer  Tempêchement  qui  Ty  a  fait 
-appeler'^  Mais  quand  un  avocat  ou  un  avoué  remplit  acci- 
dentellement les  fonctions  de  ministère  public,  il  faut  alors, 
à  peine  de  nullité,  que  le  jugement  indique  deux  choses  : 
Tempêchement  même  du  procureur  de  la  République,  de  ses 
substituts  et  des  membres  titulaires  ou  suppléants  de  la  cour 
ou  du  tribunal  ;  Tordre  suivi  parmi  les  avocats  et  les  avoués". 

§  XIV.  -  DES  ATTRIBUTIONS  DU  MINISTÈRE  PUBLIC  AU  POINT 
DE  VUE  DE  L'EXERCICE  DE  L'ACTION  PUBLIQUE. 

"90.  La  disposition,  l'exercice  et  lu  mise  en  mouvement  de  ludion  publique.  Droits 
du  ministère  public,  des  particuliers  et  des  tribunaux.  —  91.  Fonctions,  en  ce  qui 
concerne  Texercice  de  l'action  publique  des  divers  membres  du  ministèi'e  public. 
^  92.  Le  ministère  public  ne  peut  être  récusé  en  mutière  répressive.  —  93.  De 
la  responsabilité  du  ministère  public  et  des  conditions  dans  lesquelles  elle  peut 
exister  et  s'exercer. 

90.  Il  importe,   pour  se  rendre  compte  des  droits  que   le 
ministère  public,   les  particuliers  et  les  tribunaux  ont,  en 

le  dernier  nommé  (art.  26)  :  mais  l'article  84  ne  reproduit  pas  celte  prescrip- 
tion, et,  par  suite,  n'impose  pas  de  l'observer  sous  peine  de  nullité  (Cass., 
13  mai  1878,  D.  79.  1.  08).  L'article  26  du  Code  d'instruction  criminelle, 
décidant  que  le  juge  sera  commis  par  le  président,  a  été  également  modiOë 
par  rarlicle  20  du  décret  du  18  août  1810. 

*'  Ce  texte  est  ainsi  congu  :  «  A  compter  du  !•'  vendémiaire  an  XII,  les 
avocats,  selon  l'ordre  du  tableau,  et,  apri'S  eux,  les  avoués,  selon  la  date  de 
leur  réception,  seront  appelés,  en  l'absence  des  suppléants,  à  suppléer  les 
juge?,  les  commissaires  du  gouvernement  et  leurs  substituts  ».  Voy,  sur  ce 
point  :  Garsonnel,  op.  cit.j  2*  éd.,  §  180. 

"  Cass.,  28  nov.  1876  (D.  77.  1.  62);  31  juill.  1894(D.  95.  i.  142). 

•'^  Cass.,  t>  juill.  1871  (D.  71.  1.  304);  27  dén.  1893  (S.  94. 1.  128).  Comp. 
Carsonnet,  op,  cit.,  §  1*^^>  t«  1»  P-  299. 


LE  MINISTÈRE  PUBLIC  ET  l'eXERCICB  DE  l'aCTION  PUBLIQUE.       489^ 

Fraoce,  sur  Taction  publique,  de  distinguer  trois  choses  :  la 
disposition,  Vexercice  et  Yiwpuhion  de  celte  action. 

I.  Au  premier  point  de  vue,  l'action  publique  ti  appartient 
pas, comme  leditTarticie  l"du  Code  d'instruction  criminelle, 
•'aui  fonclionoaires  à  qui  elle  est  confiée  par  la  loi  ».  La  So- 
ciété seule  ayant'Ie  droit  de  punir,  c'est  à  la  Société  seule  qu'ap- 
partient Taction  qui  a  pour  objet  la  punition  du  coupable.  La 
Société  en  délègue  seulement  IVzé'rcïce  à  des  fonctionnaires  ou 
à  certaines  administrations  publiques,  qui  la  représentent  à  ce 
point  de  vue,  et  notamment,  en  règle  générale,  à  un  corps  ju- 
diciaire, institué  dans  ce  but,  et  désigné  collectivement  sous  le 
nom  de  ministère  public  \  De  ce  principe  découlent  diverses 
conséquences;  elles  se  ramènent  toutes  à  celle  idée,  que  les 
fonctionnaires  du  ministère  public  n'ont  pas  la  faculté  Aedis- 
poser  de  l'action  publique,  soit  avant  de  Tavoir  intentée,  soit 
après  ravoir  mise  en  mouvement.  Seule,  la  Société  peut 
renoncer  à  l'action  publique  :  elle  exerce  ce  droit  en  accor- 
dant une  amnistie,  ou  en  édictant,  dans  les  lois  de  prescrip^ 
tion,  qu'après  un  certain  temps,  un  délit  ne  pourra  plus  être 
poursuivi. 

En  pratique,  les  corollaires  à  tirer  de  ce  principe  se  ramè- 
nent à  trois.  P  Le  ministère  public,  à  la  différence  des  parties 
lésées  (C.  civ.,  art.  2046;  C.  instr.  cr.,  art.  4),  n'a  pas  le  droit 

§  XIV.  *  La  délégation  des  iragislrHlsdu  ministère  public  porte,  en  effel> 
sur  l'exercice  de  l'action.  Le  Code  du  3  brumîiire  an  IV,  disait,  dans  Tarti- 
cle  31,  plus  exactement  que  le  Gode  de  1808  :  «  L'action  [mbWque  appartient 
essentiellement  au  peuple.  Elle  est  exercée  en  son  nom  par  des  fonctionnai- 
res spéciaux  établis  à  cet  efTel  ».  Le  Sellyer  {Act.  piibl.  et  civ.,  t.  1,  70)  est 
le  seul  auteur  qui  soutienne  que  la  rédaction  de  l'article  1"  du  Gode  d'in- 
struction criminelle  est  intentionnelle.  Il  en  tire  celte  conséquence  que  le 
ministère  public  est  le  maître   absolu   de  l'action  publique,  et,  par  suite, 
que  les  parties  lésées  ne  peuvent  en  saisir  une  juridiction  pénale  sans  son 
assentiment.  Gelte  proposition  est  certainement  inexacte.  L'erreur  de  rédac- 
tion que  nous   signalons  a  été  corrigée  par  les  articles  1  et  3  de  la  loi  du 
17  avrill878  contenant  le  titre  préliminaire  du  Gode  de  procédure  pénale  belge. 
Voy.  sur  la  question,  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  t.  2,  n«  577  ;  Ortolan,  op,  cit,, 
i,   2,  no  1673.  Get  auteur,  comparant  la  rédaction  du  Gode   d'instruction 
criminelle  de  1808  avec  celle  du  Code  de  l'an  IV,   dit  :  «  Le  langage  de  la 
Jûi  a  changé,  mais  la  vérité  reste,  avec  ses  conséquences  juridiques  ». 


190      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  Cl\ 


de  transiger  ni  avaût  ni  après  les  poursuites  commencées 
moins  encore  après  la  condamnation  prononcée,  c'esl-à-dire 
qu'il  n'a  pas  le  droit  de  convenir  avec  le  délinquant  qu'il  ne 
le  poursuivra  pas  si  celui-ci  exécute  certaines  prestations^  s'il 
indemnise  sa  victime,  par  exemple,  s'il  fait  une  aumône,  etc.\ 
2'  Le  ministère  public  ne  peut,  par  un  désistefncfU^  arrêter 
les  suites,  soit  de  Faction  qu*il  a  intentée,  soit  du  recours 
qu'il  a  formé*.  Sans  doute,  après  avoir  commencé  les  pour- 
suites, il  peut  reconnaître,    à  la  suite  de  Tinstruction  pré- 
paratoire ou  des  débats,  que  son  action  est  sans  fondement 
et  requérir  le  renvoi  d'instance  du  prévenu  ou  de  Taccusé, 
car  il  a  le  droit  et  le  devoir  de  ne  s'inspirer,  dans  ses  réqui- 
sitions, que   de  sa  conscience  et  de  l'intérêt  de  la  vérité; 
mais.  |)ar  ses  conclusions  favorables  au  prévenu  ou  à  l'accusé, 
il  ne  dessaisit  pas  et  ne  peut  pas  dessaisir  les  juges  de  l'ac- 
tion qu'il   leur  a  soumise.    L'effet  propre  d'un  désistement 
valable  serait  d'amener  ce  résultat;  tandis  que  les  juges  ont 
le  droit  et  le  devoir  de  statuer  sur  l'action  publique  dès  qu'ils 
«n   sont  saisis,   et    par  cela  même  qu'ils  en  sont   saisis  ^. 

*  Voy.  Faust  in  flélie,  op.  cit.,  L.  2,  n«  57G. 

'  Jurisprudence  conslanto.  Voy.  par  exemple  :  Cass.,  29  (l<^c.  1872  (D.  7î. 
5.  141);  25  janv.  1873  (D.  73.  1.  108);  *  avr.  1879  (D.  81.  1.  90).  La  Cour 
(le  cassation  «lécido  même  que  le  minisli-re  public  ne  peut,  ap^^s  s*être 
pourvu  en  cassation  contre  un  jugement,  se  désister  de  son  pourvoi  :  Cass., 
21  juin  1877  (S.  78.  1.  46). 

*  Labonle  {op,  cit.,  p.  437,  note  1)  critique  notre  manière  de  voir,  a)  La 
proposition  déclarant  nul  le  désistement  du  ministère  public  n'ajouterait 
rien  d'abord  à  celle  qui  d»»clare  nulle  sa  renonciation.  —  C'est  inexact,  car 
autre  chose  f?st  la  renonciation  à  uf)  droit,  autre  chose  le  désistement  de 
l'action  basée  sur  ce  droit.  L'n  tuteur  ne  peut  pas  renoncer,  transiger  pour 
son  pupille  sans  l'accomplissement  de  certaines  formalités.  Le  désistement 
est  l'abandon  de  Finstance:  la  renonciation,  l'abandon  de  l'action,  b)  Cette 


impuissj 

pré(isém«înt  à  son  impuissance  de  disposer  de  l'action.  Les  parties  lésées 
p<Hiv«Mit,  en  eirot,se  désister  (C.  instr.  cr.,art.  67),  précisément  parce  qu'elles 
sont  maîtresses  de  leur  action,  c)  Enfin,  on  prétend  que  l'impossibilité  pour 
le  ministère  public  de  se  désister  serait  un  elTet  de  la  participation  des  juri- 


■      V. 


LE  MINISTÈRE  PUBLIC  ET  L  EXERCICE  DE  L  ACTION  PUBLIQUE.       lî)l 


I  •■. 


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3^  Earin,    le    ministère   public   n'a  pas  la  facuilé,    par   un 
acquiescement  exprès  ou  facile,   clf  renoncer  d'avance    aux 
Toies  de  recours  qui  lui  sont  ouvertes.    Kn  conséquence,  il 
peut  attaquer,  par  la  voie  de  lappel  ou  du  pourvoi  en  cassa- 
lion,  un  jugement  rendu  conrorménient  à  ses  conclusions.  La 
signiGcalion  faite  au  condamoé  du  jugement,  avec  soinina- 
lioD  de  Texccuter,  n'enlève  pas  au  ministère  public  le  droit 
de  se  pourvoir,  tant  que  les  délais  ne  sont  pas  expirés.  Eniio, 
le  procureur  général  a  le  droit  d'interjeter  appel  d'un  juge- 
oieot  correctionnel,  bien  que  le  procureur  de  la  République 
ait  laissé  passer  le  délai  qui  lui  est  donné  pour  appeler,  ou  ait 
consenti  à  l'exécution  (G.  inslr.  cr.,  art.  20;i)'. 

Cette  conception  rigoureuse  est  celle  de  la  w  Uyaittê  »,  op- 
posée à  celle  de  V  «  opportunité  «  de  l'action  publique'.  Elle 
se  résume  dans  les  deux  propositions  suivantes  :  i"*  C't^st  une 
obligation  pour  le  ministère  public  d'exercer  Faction  pénale, 
toutes  les  fois  du  moins  que,  dans  sa  conscience,  il  estime 
être  en  présence  d'un  délit;  2"  Une  l'ois  Taclion  mise  en  mou- 
vement, il  est  impossible  au  ministère  public  (Pi^ntraver  la 
marche  du  procès  par  un  retrait  de  l'accusation. 

II.  L'exercice  de  Taclion  publique  comprend  tous  les  actes 
qui  sont  nécessaires  pour  obtenir  la  prononciation  dune  peine 
contre  fauteur  d'une  infraction.  L'action  publique  n'est  délé- 
guée, dans  sa  plénitude,  en  règle  générale,  qu'au  ministère 
public  :  celui-ci  l'exerce  :  1°  En  saisissant  les  juridictions  d'in- 
struction ou  de  jugement  compétentes  pour  en  connaître; 
2*  En  dirigeant,  devant  ces  juridictions,  par  ses  réquisitions, 
les  mesures  d'instruction  qu'il  y  a  lieu  de  prendre;  3"  En  re- 


dietions  pénales  à  rexercico  de  raotiun  luibrKjuo.  —  Nous  lu'  «:(.nn|)renons 
pas  cette  objeclion.  Les  Iribuiiaux  p<'jrtici|ienl  à  rcxercico  il«'  l'-iction  publi- 
que en  ia  jurant,  comme  le  minisUTO  public  en  l*ox«.TÇfint.  Mais,  «mi  jH-in- 
cipe,  celui  qui  eierce  l'action  peut,  en  s»*  d»>sist;int,  empèojior  le  tril)unal  «le 
juger,  el  c*est  précisémeTit  cette  laculLô  «jui  n'.ipparliont  pns  ;iu  minislèni 
public 

»  Cass.,  20  ocL  1899  (S.  1901.  i.  432). 

•  Expressions  allemandes,  Holtzendorir,  Rcchtslc.rihon,  v*  opportunituts 
princip. 


192      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIYILÏ* 

quérant,  devant  elles,  Tapplication  des  peines  édictées  par  la 
loi;  4""  Enfin,  en  formant  un  appel  ou  un  pourvoi  encassalioa 
contre  lout  jugement  ou  arrêt  qui  lui  paraît  devoir  être  ré- 
formé ou  annulé. 

III.  L'action  publique,  comme  toute  autre  action,  est  ;7?t5^ 
en  mouvement  par  tout  acte  dont  TefTet  est  d'en  saisir  légale- 
ment le  juge.  D'où  il  suit  que  le  droit  d'exercer  l'action  pu- 
blique, implique  le  droit  de  la  mettre  en  mouvement.  Mais,  à 
l'inverse,  le  droit  de  la  mettre  en  mouvement  n'implique  pas 
nécessairement  le  droit  de  l'exercer.  Le  ministère  public  a  seul, 
en  principe,  l'exercice  de  l'action  publique,  c'est-à-dire  le 
droit  de  commencer  le  procès  et  de  le  conduire  jusqu'au  ju- 
gement irrévocable  :  mais  d'autres  que  lui  ont  le  droit  de  met- 
tre cette  action  en  mouvement,  c'est-à-dire  de  commencer  le 
procès,  en  saisissant  le  juge  qui  doit  en  counaitre.  Le  principe 
et  la  mesure  de  la  participation  des  particuliers  et  des  tribu- 
naux  dans  le  procès  pénal  doivent  être  ainsi  formulés  :  1**  D'un 
coté,  les  personnes  lésées  par  l'infraction  out  le  droit  de  saisir 
les  juridictions  de  répression  de  l'action  publique,  afin  de 
mettre  ces  juridictions  en  mesure  de  statuer  sur  leur  action 
civile  qu'elles  peuvent  poursuivre  «  en  même  temps  otdevant 
les    mêmes  juges  que  l'action  publique  »  (art.  3)^  2°  D'un 
autre  côté,  les  juridictions  pénales  ont  le  droit,  tantôt  de  se 
saisir   elles-mêmes   d'une   infraction  de    leur   compétence, 
comme  en  cas  de  crime  ou  de  délit  commis  à  leur  audience 
[poursuite  d'office),  tantôt  de  saisir  de  la  poursuite  une  autre 
juridiction,  comme  en  cas  d'ordonnance  ou  d'arrêt  de  renvoi 
[droit  d'impulsion). 

Mais,  dans  les  cas  mêmes  où  l'initiative  du  procès  ne  lui  ap- 
partient pas,  c'est  le  ministère  public  qui  exerce  l'action  pu- 
blique en  accomplissant  tous  les  actes,  autres  que  la  mise  en 
mouvement,  qui  seront  nécessaires  pour  la  faire  aboutir,  c'est- 
à-dire  pour  faire  juger  le  procès  pénal.  Toutes  les foisdoncque 
l'on  sépare  le  droit  de  mettre  l'action  publique  en  mouvement 

"  Kaoul  «Ida  Grasserie,  De  la  participation  d«;  la  personne  lésée  à  faction 
publique  {Her,  crit.y  1H96,  p.  629). 


J 


us  mmsTÈRB  PUBUC  ET  l'exercice  de  l'action  publique.     193 

du  droit  d'exercer  celte  action,  le  premier  se  borne  à  la  fa- 
culté de  commencer  la  poursuite  en  saisissant  le  juge,  tandis 
que  le  second  consiste  dans  le  pouvoir  de  poursuivre  l'action 
jusqu'à  ce  qu'elle  soit  épuisée  par  une  décision  passée  en 
force  de  chose  jugée. 

Le  ministère  public  agit  toujours  par  voie  d'action  en  ma- 
tière répressive;  on  dit,  par  suite,  qu'il  est  partie  principale 
dans  le  procès  pénal,  pour  exprimer  qu'il  joue,  dans  ce  pro- 
cès, le  rôle  de  demandeur.  Eu  matière  civile,  au  contraire,  le 
ministère  public  agit,  presque  toujours,  par  voie  de  réquisition ^ 
c'est-à-dire  qu'il  intervient  pour  conclure  dans  un  procès  déjà 
pendant  et  qu'il  n'a  pas  introduit;  on  dit  alors  qu'il  e^i  partie 
jointe* j  parce  qu'il  ne  se  mêle,  à  une  instance  dans  laquelle  il 
Défigure  ni  comme  demandeur  ni  comme  défendeur,  que 
pour  donner  son  avis  sur  la  solution  qu'elle  comporte. 

91.  En  ce  qui  concerne  l'exercice  de  l'action  publique,  la 
situation  et  le  rôle  de  chacun  des  membres  du  ministère  pu- 
blic doivent  être  précisés. 

I.  Le  commissaire  de  police,  ou  l'officier  qui  le  remplace,  a 
seul  qualité  pour  exercer  Taction  publique  devant  le  tribunal 
desimpie  police.  D'une  part,  le  procureur  de  la  République 
ne  saurait  poursuivre  un  contrevenant,  et  la  citation  faite  en 
son  nom  s&rait  sans  efficacité  pour  permettre  au  tribunal  de 
juger.  D'autre  part,  le  commissaire  de  police  agit  en  son  nom 
et  en  sa  qualité,  sans  être,  à  ce  point  de  vue,  le  substitut  ou 
l'auxiliaire  du  procureur  de  la  République. 

'  Cflle  expression  L'sl,du  reste, ;isst.*z  incorreclo.  Klle  porteniit  k  l'aire  croire 
que  le  niinisl»Te  public  doit  se  joindre  à  l'un  ou  à  l'autre  drs  f>laideurs,  à 
Tmin  ou  à  l'autre  des  parties.  En  réalit<^,  le  ministère  puMic  n\'st  ni  un 
plaideur,  ni  une  partie  :  il  cnnclut,en  pliMiic  liberté,  dans  lelitiiT»'  tel  <pj'il  rté 
ctinsliluépar  Ws  parties.  Du  reste,  k*  niinislèri'  pidjlic  fst  parlnisy^f/z/fV'  priu- 
cif>ale  en  malirre  civile,etil  joue  alurs  Ir  fnl<'  soit  d»^  ih'inandi'ur  suit  de  dé- 
fendeur. La  loi  du  20  avril  i8l(»  ^art.  iC)  diiterniine  ses  pouvoirs  «lans  deux 
para^^rapbes,  dont  le  ]>hMnier  est  clair, mais  1»!  secund,  très  rniijmatifiue.  D'a- 
pn>s  la  jurisprud»*nce,  Cfltt^  dernièn*  disposition  dunni'  .'hi  ministèrr.  public 
le  droit  d*a^ir  en  matifre  civile,  d'un»»  maniiMV  ;:«'rn''F'jde  r\  nial^nv  Tabsence 
<ïo  tout  texte  spécial,  toutes  les  lois  (jue  l'unir»'  public  est  iiit«n'ssé.  Voy.  i.x 
jurisprudi'iicf  dans  balluz,   A.,  Supplémml,  v°  MinisU'rn  public,  n"  î)0. 

(î.  1'.  l\  -  I.  13 


191       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVJL^- 

II.  Celui-ci  est  Tagent  de  la  poursuite  dans  son  arrondis- 
sement. Il  exerce  celte  fonction  dans  trois  ordres  de  circon- 
stances. D'abord,  en  requérant  le  juge  d'instruction  d'ouvrir 
une  information.  Puis,  en  citant  devant  le  tribunal  correc- 
tionnel, soit  directement  et  sans  instruction  préalable,  soit, 
après  une  instruction,  en  vertu  d'une  ordonnance  ou  d'un 
arrêt  de  renvoi.  Dans  ces  divers  cas,  lui  seul  a  qualité  pour 
exercer  l'action  publique  :  il  le  fait  en  vertu  d'une  délégation 
de  la  loi  et  sans  qu*on  puisse  le  qualifîer  de  substitut  du  pro-  - 
cureur  général.  Ce  haut  magistrat  n'a  pas  qualité  pour  saisir 
le  juge  d'instruction  ou  le  tribunal  correctionnel,  et  Taclioft 
exercée  directement  par  le  procureur  général  ne  serait  pas 
recevable.  Enfin,  le  procureur  de  la  République  agit,  comme 
substitut  du  procureur  général  et  au  nom  de  ce  haut  magistrat, 
devant  la  cour  d'assises  qui  siège  au  chef-lieu  de  l'arrondis- 
sement où  le  procureur  de  la  République  exerce  ses  fonctions. 

III.  Le  procureur  général,  bien  qu'étant  le  chef  de  l'action 
publique  dans  le  ressort,  n'a  qualité  pour  l'exercer  que  devant 
la  cour  d'appel  ou  les  cours  d'assises  de  son  ressort. 

IV.  Enfin,  le  procureur  général  près  la  Cour  de  cassation 
n'a  qualité  pour  former  le  pourvoi  qui  saisit  la  chambre 
criminelle  que  dans  deux  circonstances,  s'il  agit  dans  l'intérêt 
de  la  loi,  ou  s'il  agit  sur  l'ordre  du  garde  des  sceaux. 

92.  Le  ministère  public  ne  peut  être  récusé  quand  il  exerce 
l'action  publique.  Cette  règle  incontestable'  résulte,  non  du 
Code  d'instruction  criminelle,  qui  ne  s'explique  pas  sur  ce 
point,  mais  du  Code  de  procédure  civile  (art.  381),  d'après 
lequel  les  causes  de  récusation  admises  pour  les  juges  sont 
applicables  au  ministère  public,  lorsqu'il  est  partie  joiîUe^  et 
ne  le  sont  pas,  à  l'inverse,  lorsqu'il  t^si  partie  principale.  En 
effet,  partie  jointe,  le  ministère  public  est  appelé  seulement  à 
donner  un  ave.^  qui  doit  paraître  désintéressé.  Le  tribunal  peut 

»  Voy.  Cass.,30  juin.  1847  (S.  47.  1.  863);  18  août  1860  (S.  6i.  1.  400); 
2  mai  1867  (S.  67.  1.  343);  1"  août  1872  (S.  72. 1.  312),  avec  les  notes  el 
renvois.  Vov.  aussi,  Cass.,  6  juill.  <889  (S.  89.  1.  390)  ;  6  mars  1897  (S.  97. 
i.  536)  et  la  note. 


LE  MINISTERE  PUBLIC  ET  l'eXERCICE  DE  l'aCTION  PUBLIQUE.       195 

étreenclio  à  le  suivre.  Partie  principale,  le  ministère  public 
est  un  plaideur  ordinaire.  Or,  le  ministère  public  est  toujours 
partie  principale  dans  le  procès  pénal.  Et  l'un  des  plaideurs 
ne  peut  pas  récuser  son  adversaire.  Si  la  règle  est  certaine, 
elle  n'en  est  pas  moins  critiquable.  Admettre  le  droit  de  récu- 
sation du  ministère  public  en  matière  pénale,  ne  serait  pas, 
en  effet,  permettre  au  prévenu  de  récuser  le  procès,  La  récu- 
sation, ne  saurait  porter  que  sur  Vindividu  qui  remplit  les 
fonctions  de  ministère  public  :  cet  individu  pouvant  être 
remplacé  par  un  autre  membre  du  parquet  ou  par  un  juge 
délégué.  Dans  ces  limites,  admettre  la  récusation  ne  serait  pas 
permettre  au  prévenu  de  récuser  le  procès  lui-même,  mais 
de  récuser  un  des  organes  du  ministère  public  dont  il  peut 
suspecter,  à  bon  droit,  Timpartialité.  Le  droit  de  récusation  du 
ministère  public  est  une  institution  qu'il  est  regrettable  de 
ne  pas  trouver  organisée  dans  la  procédure  française. 

93.  Le  ministère  public,  s'il  succombe  dans  la  poursuite,  ne 
peutètrecondamnéniaux  dépens  ni  à  des  dommages-intérêts  : 
a]  Aux  rf^jy^'/i*^,  c'est-à-dire  que  le  prévenu  ou  Taccusé  relaxé 
ou  acquitté  et,  par  suite,  renvoyé  «  sans  dépens  »,  ne  peut 
obtenir  la  condamnation  du  ministère  public  au  rembourse- 
ment de  ses  frais  de  défense*";  b)  A  des  donmuifjes'intérf^ts^ 
c'est-à-dire  que,  quelle  que  soit  la  légèreté  de  la  poursuite. 
Je  ministère  public  ne  peut  être  condamné,  par  le  jugement 
même  qui  Ta  rejetée,  à  une  indemnité  au  profit  de  l'inculpé  ". 
Cependant,  les  officiers  du  ministère  public,  qui  commettent 
une  faute  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  et  causent  un 
dommage  aux  parties,  sont  tenus  de  le  réparer.  Mais  cette 
responsabilité  n'est  jias  absolue  :  elle  dépend  de  la  gravité  des 
faits,  et  sa  mise  en  cause  est  soumise  à  des  formalités  qui 
ont  pour  but  de  garantir  Tindépendance  des  officiers  du  mi- 
nistère public.  Une  distinction  doit  être  faite  entre  deux  si- 
tuations, a)  Si  le  fait  commis  parTofficierdu  ministère  public 

»»  Voy.  par  exemple,  Cass.,  13  mars  1896  (S.  96.  1.  îi4i-). 
»*  Voy.   sur  la  question  :  Mangio,  op,  cit.,   t.    1,    n°  118.  Arj:.  do  Tîh*- 
licie  358,  §  4  du  Code  d'instruction  criminelle. 


196      PROCÉDURE   PÉNALE.  — DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVII 

dans  rexercice  de  ses  fonctions,  constitue  un  crime  ou 
délit,  la  partie  lésée  peut  d'abord  provoquer  des  poi 
suites  par  une  plainte  adressée  au  procureur  général  ou 
garde  des  sceaux.  Lorsque  des  poursuites  sont  intentées,  ] 
suite  de  la  plainte,  ou  d'ofGce,  la  personne  lésée  a  le  droit 
se  constituer  partie  civile,  soit  devant  le  magistrat  chargé 
rinstruction,  soit  devant  la  cour  qui  doit  connaître  de  Taffci 
(C.  instr.  cr.,  art.  383  à  486)*^.  h)  Si  aucune  poursuite  n 
exercée  ou  si  le  fait  dommageable  ne  constitue  ni  crime 
délit,  la  personne  lésée  ne  peut  obtenir  de  dommages-intéi 
que  par  la  voie  de  la  prise  à  partie.  On  appelle  ainsi  Faction 
dommages-intérêts  qu'un  particulier  exerce  contre  un  ji 
ou  un  officier  du  ministère  public  dans  le  but  de  le  ren« 
responsable  des  fautes  commises  dans  Texercice  de  ses  fo 
lions.  Les  cas,  les  conditions  et  les  formes  de  la  prise  à  p 
lie  sont  déterminés  par  les  articles  503  et  suiv.  du  Code 
procédure  civile *\  Ces  dispositions  ne  désignent  que  lesjug 
mais  elles  sont  applicables,  soit  aux  officiers  du  ministère  ] 
blic  qui  sont  membres  de  la  juridiction,  soit  aux  officiers 
police  judiciaire,  même  les  plus  infimes**.  Les  officiers 
ministère  public  peuvent  être  pris  à  partie  :  1**  En  cas  d'in 
servation  des  formalités  prescrites  pour  les  mandats  de  co 
parution,  de  dépôt,  d'amener  ou  d'arrêt  (C.  instr.  < 
art.  112)  ;  2"  En  cas  d'accusation  devant  la  cour  d'assises  d'i 
personne  qui  n'y  a  pas  été  légalement  renvoyée  (C.  instr.  ( 
art.  271);  3°  En  cas  de  dénonciatiou,  jugée  calomnieuse,  d 
individu  qui  a  été,  sur  le  fait  de  celte  dénonciation,  Irad 
en  cour  d'assises  et  acquitté  (C.  instr.  cr.,  art.  338);  4°  En 
dedol,  fraude  ou  concussion  commis  dans  un  acte  quelcon»; 

*^  Il  faut  «'XcophT  lo  lait  «lo  ili-noiiciation  calnnini«*iise;  ct*  fait,  h\v\\ 
curislil Liant  un  «l«'lit  (C.  p«'n.,  art.  373),  no  donne  lion  qu'à  la  prises  à  pai 
C'ost  co  «]ui  n'sulto  do  l'articlo  3:jK,  i;  ■>,  du  Codo  d'instruotinn  crirninello, 
n«Mis  oitnns  dans  lo  texte. 
•*  Vcyi-z  sur  rc-tto  ar,linn  extraordinaire  ;  Garsunru'l,  op,  cit.,  §^  Vrl  i\ 
**  <..»n  III'  pj'ut  d<'mandor  do  dummajjros-iidiîri^tspar  la  vuio  oivilo,  aux  < 
ci'Ts  df  p«.»lioo  judiciaire,  à  raiî?«.»n  iln^.  îictesdo  lours  luiiclions,  sans  rocu 
k  l;i  [»ruerdur.>  do  prise  à  partie.  Conip.  Nancy,  25  janv.  1884  (D.  85.  2. 
V«»y.  du  roî;l(?  la  note  de  M.  Labbe  sous  Cass.,  14  juin  187G  (S.  77.  1.  1 


ACTION   DES  ADMINISTRATIONS   PUBLIQUES.  197 

deTexerdce  du  miDislère  public  (C.  proc.  civ.,arl.  505,  §  il). 
Les  trois  premiers  cas  sont  les  seuls  où  la  loi  autorise  formel- 
lement à  prendre  à  partie  le  ministère  public;  mais  il  faut 
admettre,  par  analogie,  que  ces  cas  ne  sont  pas  limitatifs  et 
doivent  être  coniplétés  parle  principe  général  de  l'article  505 
du  Code  de  procédure.  Du  reste,  les  membres  du  ministère 
public  ne  doivent  pas  plus  compte  que  les  juges  des  actes, 
même  dommageables,  qu*ils  ont  commisde  bonne  foi,  par  excès 
dezèle".  Ce  principe  d'irresponsabilité  est  écrit,  en  ce  qui  les 
coûcerne,dansrarticle  358  du  Code  d'instruction  criminelle  : 
"L*accusé  acquitté  pourra  obtenir  des  dommages-intérêts 
»  contre  ses  dénonciateurs,  pour  fait  de  calomnie;  sans  néan- 
«  moins  que  les  membres  des  autorités  constituées  puissent 
«être  ainsi  poursuivis  à  raison  des  avis  qu'ils  sont  tenus  de 
«donner,  concernant  les  délits  dont  ils  ont  cru  acquérir  la 
«  connaissance  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  et  sauf 
«<  contre  eux  la  demande  en  prise  à  partie,  s*il  y  a  lieu  ». 


§  XY.  —  DE  L'ACTION   DES  ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES  DEVANT 

LES  TRIBUNAUX  DE  RÉPRESSION. 

M-  Conception  générak>  du  rôle  des  administrations  publiques  qui  exercent  une 
action  fiscale  devant  les  tribunaux  de  répression.  Cette  participation  au  droit 
de  poursuite  n'appartient  qu'à  un  certain  nombre  d'administrations.  —  95.  Admi- 
nistration des  contributions  indirectes.  Action  fiscale.  Action  publique  ordinaire. 
Transaction.  —  96.  Des  octrois.  —  97.  De  l'administration  des  douanes.  —  98.  De 
i'administration  des  eaux  et  forêts.  Délits  forestiers.  Délits  de  pêche  fluviale.  — 
99.  Administration  des  postes,  des  télégraphes  et  des  téléphones.  —  100.  Des  par- 
ties lésées  par  un  délit  fiscal.  De  leur  droit  devant  les  tribunaux  de  répression. 

94.  Certaines  administrations  publiques  sont  investies, 
soit  d'une  manière  exclusive,  soit  en  concours  avec  le  minis- 
tère public  ordioaire,  de  la  poursuite  des  infractions  qui 
lèsent  les  intérêts  qu'elles  sont  chargées  de  sauvegarder. 

Ces  administrations  constituent  ainsi  des  ministères  publics 
ipiciaux. 

"  Voy.  Mangin,  op.  cit,^  t.  i,  n®  H8;  Faustin  Hélie,  Instr,  crim., 
DO  598. 


198       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBUQUE  ET  CIVILE. 

Leur  droit  sur  Taction  publique  est  même  plus  éteDdu  que 
celui  du  ministère  public  ordinaire,  car  elles  peuvent  dis- 
poser de  cette  action,  el,  par  suite,  y  renoncer,  se  désister, 
transiger.  De  sorte  qu*il  importe  d'examiner,  à  propos  de 
chacune  de  ces  administrations  :  i"  dans  quelle  mesure  et 
quelles  conditions  celle-ci  exerce  l'action  publique;  2*  si  son 
droit  de  poursuivre  est  exclusif  ou  parallèle  de  celui  du  mi- 
nistère public;  3""  dans  quelle  mesure  et  à  quelles  conditions 
cette  administration  peut  disposer  de  Taction  publique. 

L'idée  essentielle  qui  domine  la  matière,  c'est  qu'il  s'agit, 
la  plupart  du  temps,  par  l'exercice  de  l'action  publique, 
d'obtenir  la  condamnation  du  contrevenant  à  des  peines 
pécuniaires,  amendes  ou  confiscations,  qui  représentent, 
vis-à-vis  de  l'administration  poursuivante,  une  sorte  de  com^ 
position  fixée  à  forfait  par  la  loi. 

Le  rôle  de  l'administration  fiscale  est  aussi  complexe  que 
le  caractère  même  de  l'amende  ou  de  la  confiscation  fiscale. 
On  doit  le  rapprocher,  à  la  fois,  de  celui  de  la  partie  lésée  et 
de  celui  du  ministère  public.  C'est  une  sorte  d'action  publi- 
que fiscale  qu'exerce  l'administration  intéressée.  Mais  celte 
participation  au  droit  de  poursuite  n'appartient  qu'à  un  cer- 
tain nombre  d'administrations,  celles  des  contributions  indi- 
rectes et  octrois,  des  douanes,  des  eaux  et  forêts,  des  ponts  et 
chaussées,  des  postes.  Toute  autre  administration  serait  sans 
qualité  pour  poursuivre  la  répression  d'un  délit  dont  la  con- 
damnation lui  profiterait.  L'article  i*'  du  Code  d'instruction 
criminelle  est  un  principe  général,  auquel  il  ne  peut  être 
dérogé  que  par  des  dispositions  expresses  '. 


g  XV.  *  C*est  ainsi  que,  bien  que  le  produit  des  amendes  et  confisca- 
tions, légalement  prononcées  pour  contraventions  aux  lois  el  règlements 
maritimes,  soit  affecté  à  la  caisse  des  invalides  de  la  marine,  cet  établisse- 
ment n*a  aucun  droit  d'exercer  iaclion  publique  pour  la  répression  de  ces 
contraventions,  et,  par  exemple,  de  se  pourvoir  en  cassation  pour  fausse 
application  et  insul'fisance  de  la  peine  prononcée  :  Cass.,  13  févr.  1852  (D.  52. 
5.  376).  —  Sur  l'ensemble  de  la  question  :  Marcel  Roger,  Le  droit  pénal 
fiscal,  Étude  de  législation  financière  fiscale  (Th.  doct.,  Montpellier,  1904); 
Salva,  Les  délits  fiscaux  (Th.  doct.,  Paris,  1895). 


ACTION   DES   ADMINISTRATIONS    PUBLIQUES. 


199 


95.  \J administration  des  contributions  indirectes^  qui  forme 
aujourd'hui  une  administration  autonome,  est  dirigée,  sous 
rautorité  du  ministre  des  finances,  par  un  directeur 
général. 

I.  Le  tribunal  de  police  correctionnelle,  seul  compétent 
pour  connaître  des  infractions  aux  lois  sur  les  contributions 
iodirocles,  est  saisi  à  la  requête,  tantôt  de  l'admini-lration, 
représentée  par  le  directeur  général,  poursuites  et  diligences 
du  directeur  du  département,  tantôt  du  procureur  de  la  Ré- 
publique. 1°  L^initiative  des  poursuites,  en  matière  de  contra- 
ventions passibles  de  peines  pécuniaires,  a[)parlit'nl  a  Tad- 
ministration  (D.  I*' germ.  an  Xlll,  art.  19  et  23;  L.  fi  vent, 
an  XII,  art.  90)*.  L'action  du  ministère  public  serait  irrece- 

'^  Sans  rloute,  aucun  ti'xlo  no  «loninî  iunncllfiin'iil  à  l;i«iininihtr;i!iuii  tles 
r.'!jtrîl>u!ions  indirtfct»*?  l'expr<.:ic<^  de  l'arliun  [Mjhl'Kjuc,  niîiis  Sun  droit  ré- 
sulli?  .'isSf'Z  dirKCli'ment  do  l'arlich;  23  de  l'arrvt»'  du  îi  f.;^erniiiial  an  XII,  de 
farlicle  10  de  roplunnantv  du  3  janvier  lS21,ot  enfin  d»*  dill'érenles  dis- 
p<>sitions  du  décret  du  i''  ^'orminal  an  XIII.  L«'s  |»rfini<»rs  hxl»*s  juTniel- 
tt^.'il  à  radininislration  de  tvamujor  sur  les  conlravrntinris  f idéales  :  on 
ei\  a  conclu,  à  bon  droit,  que,  pouvant  arnMer  l'art  ion  pidilique,  l'admi- 
nisl ration  pouvait  Texercer  elle-même  :  car  le  dr^ul  d'enip«\'her  l'appliration 
df  la  peine  entraîne  !t>gi<juement  celui  de  l'exip^or.  Li*  d<'MT«*l  du  1**' frerminal 
an  XMI  cunfirm»'  celte  induction  en  donnant  aux  mniuiisi  ,|,.  Tudministra- 
ti«.-n  le  droit  de  verbaliser  (art.  23)  et  d'assi^-^ner  le  pn-viMin  ;:irt.  28),  et  en 
qualifiant,  à  diverses  reprises,  l'administration  de  partir  fumtsuiratitc  (art. 
31,  3*,  3l>;.  Enfin,  la  loi  du  21  juin  1S73  (art.  15)  ne  laiss»'  aueun  doute  sur 
le  droit  de  l'administration  de  poursuivre  h?s  ei>ntravrniions  aux  lois  sur  les 
outributions  indirecles.  Lu  jurisprudence  lie  la  rhanibre  criminelle  de  la 
Cour  de  cassation  n'a  Jamais  vari»;  sur  cette  <pi»*slit»n.  \i\U*  ne  reconnaît  pas 
au  ministère  public  le  droit  de  poursuite,  qui  a[)partient  à  la  rt^iiu'  par  d»*li*- 
gatinri  lég-ale,  à  Texclusion  du  procureur  de  la  H«''f>ubli(pie,  sauf  le  cas  où  la 
contravention  est  passible  de  l'emprisonnement,  et  quelipies  autres  cas  ex- 
ceptionnels (par  exemple,  en  mati»-re  de  garantie  :  L.  17  brumaire  an  VI, 
art.  102.'.  Faustin  Hélie  ne  cnnsid«Te  pas  cette  doctrine  connue  appuy«''e  sur 
des  textes  précis  et  formels  op,  vit.,  1. 1,  n°  503).  Mais  l'art,  l.'i  de  la  loi  du 
21  juin  1873  et  le  rapport  dv  la  commission  sur  cette  loi  S.  Luis  annotées, 
1S73,  p.  421)  font  disparaître  tout  motif  de  douter,  (^)mp.  Cass.,  il  d»'*c. 
Ih75  (S.  76.  1.  93:;  10  juin  iss2  (S.  84.  1.  2ti\\;  l't  nov.  1SS3  ;S.  85.  1. 
449);  12  déc.  1885  (S.  87. 1.  86)  ;  25  nov.  1892  (S.  93.  1.  59!)  ;  i  nov.  1898 
(S.  1900.  1.  256)  et  la  note.  Conf.  Mangin,  op,  cit.,  t.  1,  no  M  ;  Paul  Bryon, 
Journ.  des  Parq,,  1889,  p.  51. 


200      PROCÉDbRB   PÉNALE.  —  DES    ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

vable',  sauf  le  droit  général  qui  lui  appartient  de  requérir  une 
information,  sur  la  plainte  de  la  régie,  même  quand  les  faits 
paraissent  seulement  susceptibles  de  condamnations  pécuniai- 
res*. 2°  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  lorsque  infraction  est 
punie  d*emprisonnement'  :  pour  ce  cas,  il  n'existe  aucun 
texte  enlevant  au  ministère  public  la  délégation  générale 
qui  lui  est  donnée  à  l'efTet  de  poursuivre  les  délits  qui  se  com- 
mettent dans  son  arrondissement.  Il  faut  en  conclure,  —  et 
cette  solution  est  confirmée  par  Farticle  i  5  de  la  loi  du 21  juin 
1873  —  que,  dans  ce  cas,  les  procès-verbaux  doivent  être 
transmis  au  procureur  de  la  République  pour  qu'il  puisse 
saisir  les  tribunaux  compétents.  S'^Si  l'action  qui  lui  incombe 
est  mise  en  mouvement,  le  procureur  de  la  République  sai- 
sit Tadministration  du  jour  où  TafTaire  doit  être  appelée,  et 
celle-ci  assigne  ou  intervient^  pour  prendre  des  conclusions 
sur  l'application  des  peines  pécuniaires.  L'administration  a, 
dans  les  poursuites  intentées  simultanément  à  sa  requête  et  à 
la  requête  du  ministère  public  pour  le  même  fait,  le  rôle  de^ 
partie  civile,  et  il  y  a  lieu,  dès  lors,  d'appliquer  la  règle  de 

3  L.  5  vent,  an  XFI,  art.  90;  D.  1er  germ.  an  XIII;  L.  24  avr.  1806,  tit.  VU, 
art.  57. 

*  Cass.,  10  juin  1882  (S.  84.  1.  246). 

^  11  en  est  ainsi  :  1°  en  cas  de  fraude  dissimulée  sous  vêtements  ou  à 
l'aide  d'engins  disposés  pour  le  transport  ou  Tintroduclion  des  spiritueux 
à  l'entrée  des  villes  ou  dans  un  certain  rayon  (L.  11  juin  187.3,  art.  15)  ; 
2*  en  cas  de  distillation  ou  de  revivification,  à  Paris  ou  dans  les  villes  soumi- 
ses au  régime  prohibitif  (L.  28  juin  1816,  art.  46  ;  L.  21  juin  1873,  art.  15) 
3®  en  matière  de  contravention  aux  lois  relatives  à  la  surveillance  du  titn 
des  objets  ,d'or  ou  d'argent  et  à  la  perception  des  droits  de  garanti( 
(L.  19brum.  an  VI,  art.  102);  4**  en  matière  de  contravention  à  la  loi  des  14-1; 
août  1889,  «  ayant  pour  objet  d'indiquer  au  consommateur  la  nature  du  pro 
duit  livré  à  la  consommation  sous  le  nom  de  vins  et  de  prévenir  les  frauder 
dans  la  vente  de  ce  produit  »  (Cass.,  10  mai  1891,  D.  92.  1.  193);  5®  en  ma- 
tière de  contravention  à  la  loi  du  8  mars  1875  sur  la  dynamite,  qui  est  une  lo 
de  police  et  de  s*5curité  publique.  Comp.  Cass.,  12  janv.  1893  (S.  96.  1 .  63) 

•  Il  ne  faut  pas  hésiter  à  reconnaître  à  l'administration  le  droit  d'opter 
comme  toute  autre  partie  civile,  entre  ces  deux  modes  de  saisine  du  tribu 
nal  correctionnel  (C.  instr.  or.,  art.  63).  Voy.  Cass.,  16  juill.  1891  et  6  ma 
4892  (S.  92.  1.  540;  D.  92. 1.  312). 


ACTION  DBS  ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES.  20i 

Varticle  3  du  Code  d*iDstruction  criminelle  d'après  laquelle 
les  tribunaux  de  répression  ne  sont  compétents  pour  statuer 
sur  Faction  civile  qu^accessoirement  à  faction  publique''. 
Par  conséquent,  d^une  part,  il  doit  être  statué,  par  un  seul  et 
même  jugement,  sur  les  deux  actions  (C.  instr.  cr.,  art.  161 
cl  189) •,  et,  d'autre  part,  faute  d'être  intervenue  dans  les 
poursuites  exercées  par  le  ministère  public,  la  régie  n*est  plus 
recevable,  après  le  jugement  auquel  ont  donné  lieu  ces  pour- 
suites, à  réclamer,  par  action  principale,  la  condamnation 
ides  peines  pécuniaires*.  4**  Si  le  ministère  public  ne  croit 
pas  devoir  poursuivre  (car  le  principe  de  l'indépendance  de 
ton  action  s'applique  en  toute  matière),  l'administration  peut 
saisir  directement  le  tribunal  correctionnel;  mais  elle  n'a 
d'action  et  n'obtient  de  condamnation  que  relativement  aux 
amendes  et  confiscations.  Son  rôle  est  alors  plus  difficile  à 
préciser.  Elle  est,  à  la  fois,  ministère  public  et  partie  civile. 
Ainsi,  parmi  les  infractions  aux  lois  sur  les  contributions 
iodirectes,  les  unes  sont  puvemeni  fiscales,  les  autres  ont  un 
caractère  complexe^  en  ce  sens  qu'elles  intéressent,  non  seule- 
meot  le  Trésor,  mais  encore  Tordre  public  dont  le  ministère 
public  a  spécialement  la  garde.  Si,  dans  le  premier  cas,  l'ad- 
ministration a  seule  l'exercice  de  l'action  fiscale,  dans  le  se- 
cond, les  deux  intérêts  sont  parallèlement  représentés.  Tou- 
lefois,  à  la  base  de  cette  double  poursuite,  il  n'y  a  qu'un  fait 
unique.  D'où  il  suit  :  l*"  que  le  ministère  public,  en  intentant 
l'action,  soumet  au  tribunal  le  fait  tout  entier,  ce  qui  impli- 
que, pour  le  tribunal,  le  droit  de  prononcer  la  peine  d'em- 
prisonnement et  lapeine  d'amende  *®;  2"*  que  l'administration 
a  bien  le  droit  d'intervenir,  mais  sans  pouvoir,  après  que  le 

f  C'est  là  un  principe  certain  et  dont  la  jurisprudence  a  eu  roccasion  fré- 
quente de  faire  Tapplication.  Voy.  Cass.,  19  nov.  1894  (S.  92.  1.  540  ;  D.  92. 
1.342). 

•  Sic,  Cass.,  17  févr.  1888  (S.  90.  1.  138);  Paris,  19  dëc.  1888  (S.  89.  2. 
193). 

•  Cass.,  17  mars  1837  (S.  37.  1.  901). 

*«Ca8S.,  17  mars  1837,  précité;  17  avr.  1888  {Bull,  crim.,  n«  71); 
19  nov.  1891  (D.  93.  1.  193). 


202       PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

délinquant  a  été  jugé  pour  le  fait  même  qui  lui  est  reproché, 
demander  au  tribunal,  postérieurement  au  jugement  qui  a 
statué  sur  Faction  publique,  Inapplication  de  la  peine  fiscale  ''. 
Ce  serait  violer,  en  effet,  la  règle  :  îion  bis  in  idem,  que  de 
[lermeltre,  soit  au  ministère  public  de  ne  poursuivre  le  délit 
que  sous  un  de  ses  aspects  et  dans  l'intérêt  de  Tordre  public, 
soit  d'autoriser  Tadministration,  qui  n'est  pas  intervenue  et  a 
laissé  juger  le  délinquant  hors  sa  présence,  de  recommencer 
le  procès  pour  obtenir  contre  lui  une  nouvelle  condamnation. 
En  d'autres  termes,  l'administration  des  contributions  indi- 
rectes joue,  dans  la  poursuite,  tantôt  le  rôle  de  ministère 
public,  tantôt  le  rôle  départie  civile:  de  ministère  public, 
quand  Tinfraction  est  purement  fiscale  et  n'est  punie  que  de 
peines  pécuniaires  ;  de  partie  civile,  quand  l'infraction  est 
mixte  et  que  l'action,  à  raison  du  fait  qui  y  donne  ouverture, 
est  conférée  au  ministère  public. 

Dans  les  deux  cas,  du  reste,  nous  croyons  que  des  tiers 
lésés  par  le  délit  pourraient  se  porter  partie  civile,  à. la  con- 
dition de  démontrer  que  la  fraude  fiscale  leur  cause  un  pré- 
judice direct  et  personnel.  C'est  ainsi  que  nous  admettons 
l'intervention  de  syndicats  agricoles  ou  de  propriétaires,  dans 
une  poursuite  pour  fausse  déclaration  faite  à  la  régie  sur  la 
nature  et  la  qualité  du  vin  qui  est  expédié'*.  C'est  une  ques- 
tion sur  laquelle  nous  revenons  plus  loin. 

II.  Les  droits  d'action  du  ministère  public  et  de  l'adminis- 
tration sont  donc  exclusifs  l'un  de  l'autre,  c'est-à-dire  que  le 
ministère  public  ne  peut  exercer  Taction  publique  que  dans 
les  cas  où  l'administration  n'a  pas  qualité  pour  le  faire,  et  que 


*^  Mêmes  arrêts  cités  dans  la  note  précédente. 

**  Loi  du  6  avr.  1897,  art.  4.  La  question  ne  paraissait  pas  encore  s'être 
posée  en  jurisprudence  avant  raffaire  dite  des  «  acquits  fictifs  »  qui  a  été 
solutionnée  par  un  jugement  du  tribunal  correctionnel  de  Villefranche-sur- 
Saône  du  26  janvier  1905  {Monit,  jndic,  rfc  Lyon^  n»  du  3  févr.  1905). 
Avec  le  développement  des  syndicats  agricoles  et  viticoles,  il  arrivera  que 
les  syndicats  demanderont  à  intervenir  dans  les  poursuites  intentées  par  la 
régie  ou  par  le  ministère  public.  La  recevabilité  de  leur  intervention  dé- 
pendra du  point  de  savoir  si  le  délit  leur  cause  un  préjudice. 


ACTION   DES   ADMINISTRATIONS   PUBLIQUES-  203 

inislration  ne  peut,  de  son  côlé,  l'exercer  que  lorsque 
lisière  public  est  sans  qualité  pour  agir.  Chacune  des 
actions  reste  donc  soumise  aux  règles  qui  lui  sont  pro- 
cès deux  actions,  lorsqu'elles  existent  parallèlement, 
[ue  résultant  du  même  fait,  sonl  indépendantes  Tune  de 
iî,  comme  le  sont  Taclion  publique  et  faction  civile.  De 
lonception  résultent  les  conséquences  suivantes:  l""  Quant 
*ai$  :  le  ministère  public  qui  succombe  ne  peut  être  con- 
é  aux  dépens;  l'administration,  au  contraire,  est  assimi- 
une  partie  civile,  quant  aux  procès  suivis,  soit  à  sa  re- 

soit  même  d'office  ou  dans  son  intérêt  (D.  15  juin  1811, 
\1  et  158)*';  2"*  Quant  à  la  preuve  :  pour  Tadminislration, 
cès-verbal  est  la  base  et  la  condition  de  la  poursuite; 

que  le  ministère  public  peut  faire,  en  principe,  la 
e  par  tous  les  moyens  propres  à  convaincre  le  juge**; 
int  au  délai  et  aux  formes  de  rassignation  :  le  ministère 
r  poursuit  dans  les  délais  ordinaires  de  la  proscription 
t  de  trois  ans;  au  contraire,  l'assignation  à  fin  de  con- 
ation  doit  être  donnée  par  Tadministration  dans  les  trois 
lu  plus  tard  de  la  date  de  son  procès- verbal,  à  peine  de 

t:  158  :  «  Sont  assimil/'S  aux  parties  civiles  :i®  Toute  Rt^gie  ou  Ad- 
ilion  publique,  n'ialivemenl  aux  pruc^'S  suivis,  soit  à  sa  requête,  soit 
'office  et  dans  son  intérêt...  » 

pri'uve  des  contraventions  en  matière  de  contributions  indirectes  se 
»ar  des  procès-verbaux,  rc^gu  lié  rement  dressés  par  ses  agents,  sans 
•e  du  droit  de  la  n'-gie  d'user  suppltimcntairement  des  preuves  réu- 
ir  le  procureur  de  la  République  :  Cass.,  12  juill.  1878  (S.  79.  1. 
ais  la  matière  d«'S  procès-verbaux  de  régie,  au  point  de  vue  de  leur 
obante,  a  éié  sensiblement  modifiée,  par  une  Ini  du  9  décembre 
ue  nous  étudions  f»lus  loin.  Voy.  Magnol,  Ih*  la  force  probante  des 
verbaux,  Journ.  des  Purtj.,  190î,  art.  i57,  p.  «5  à  i-23.  Ct-tte  mndi- 
,  quant  au  régime  de  la  preuve,  entraîne  des  conséquences,  quant  au 
de  raction,  Kn  matière  de  contributions  indirectes,  le  procès-verbal 
^aiil  1903,  la  b.ise  nécessaire  de  la  poursuite,  le  titre  de  Taclion.  Il 

plus  de  môme  depuis  la  loi  du  9  décembre  1903.  Cette  solution  a  été 
■i  au  Sénat,  comme  une  conséquence  de  la  réforme,  par  M.  Monis, 
ses  promoteurs,  dans  la  séance  du  27  décembre  1002  [Journ,  off,  du 

Sénat,  Débats  pari,,  session  extraord.,  p.  1707  et  1708).  Nous  reve- 
r  ce  point,  à  propos  des  procès-verbaux. 


204      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIV 

déchéance;  et  lorsque  les  prévenus  sont  en  état  d'arrestat 
elle  doit  Tétre  dans  le  délai  d'un  mois  (L.  15  juin  1835, 
unique);  4*  Quant  aux  délais  et  aux  formes  de  V appel 
ministère  public  se  conforme  au  droit  commun,  mais  il 
peut  appeler  que  s'il  a  Texercice  de  Taction  publiq 
rappel  de  la  régie  ou  contre  la  régie  est  soumis  aux  rè( 
de  Tarticle  32  du  décret  du  1"  germinal  an  XIII,  qui  ve 
en  matière  de  contributions  indirectes,  que  Tappel  soit  in 
jeté  par  un  acte  notifié  dans  les  huit  jours  de  la  signifîcat 
du  jugement  et  contenant  assignation  au  délai  de  trois  jo 
francs;  5°  Quant  à  F  application  de  la  loi  du  15  févi 
i899^  sur  le  secret  des  actes  signifiés  par  les  huissiers,  laque 
modifie  l'article  68  du  Code  de  procédure  et  prescrit,  ii 
le  cas  de  remise  d*un  exploit  à  toute  autre  personne  qu  a 
partie,  ou  au  procureur  de  la  République,  de  le  délivrer  s( 
enveloppe  fermée  avec  cachet  de  Thuissier  sur  la  fermeti 
du  pli  :  cette  loi  ne  vise  que  les  huissiers  et  édicté  ainsi  i 
formalité  qui  ne  peut  être  imposée  aux  autres  personnes  ay< 
qualité  pour  notifier  des  actes.  Notamment^  cette  formai 
ne  peut  être  imposée  aux  employés  des  contributions  in 
rectes,  lorsqu*ils  donnent  des  citations  dans  le  cas  spécifié  j 
Tarticle  28  de  la  loi  du  l""*  germinal  an  XIII  et  par  Tarti 
unique  de  la  loi  du  15  juin  1835*'. 

III.  L'administration  des  contributions  indirectes  est  assii 
lée,  en  ce  qui  concerne  la  poursuite  des  contraventions  fisca 
passibles  de  peines  pécuniaires,  à  une  partie  civile^^.  E 
doit  donc  avoir,  comme  toute  partie  civile,  la  disposition 
son  action.  D  où  il  suit  :  l""  Que  l'administration  peut  renon 
à  Faction  qui  lui  appartient,  soit  ava7itde  l'avoir  intentée,  s 
aprèsïai\o\v  intentée;  2*  Qu'en  conséquence,  elle  peut  se  ' 

«»  Cass.  (Ch.  réun.),  17  juillet  1902  {Jonrn.  des  Parq.,  1004,  2'  pa 
p.  109). 

"  C'est,  en  eflet,  le  principe  dont  il  faut  s'inspirer  on  cette  matière, 
jurisprudence  en  a  conclu  que  les  amendes  et  conHscalions  prononcées  p 
contraventions  aux  lois  sur  les  contributions  indirectes  n'ont  pas  un  v 
table  caractère  pénal;  qu'elles  sont  plutôt  une  réparation  civile,  une  sort( 
composition  évaluée  à  forfait  par  la  loi. 


ACTION    DES    ADMINISTRATIONS    PUBLIQUES.  205 

sister  dans  les  conditions  de  Tarlicle  66  du  Code  d'iostruclioa 
criminelle*^;  3°  Qu'enfin,  elle  est  autorisée  à  transiger  sur  les 
amendes  et  confiscations  résultant  des  contraventions  consta- 
tées par  ses  employés.  Ce  droit  résulte,  pour  la  régie,  de  l'ar- 
ticle 23  du  décret  du  5  germinal  an  XII,  dont  les  dispositions 
ont  été  renouvelées,  avec  quelques  modifications,  par  les 
ordonnances  des  2  janvier  1817  (art.  9)  et  3  janvier  1821 
(art.  10)- 

Pour  qu'une  transaction  arrête  Taction  publique,  il  faut 
qa*elle  soit  régulière'*  et  qu'elle  ait  reçu  l'approbation  de 
laulorité  compétente'*.  Quant  à  ses  effets,  il  faut  distinguer 
suivant  qu'elle  intervient  a;>ré^  ou  avafit  condamnation. 

Avant  condamnation,  les  transactions  régulières  «éteignent 
«toute  action  pour  raison  de  contravention  ou  de  fraude,  ar- 
«  rètent  toutes  poursuites  sur  les  peines  de  confiscation  et 
«  d'amende.  La  Cour  suprême  est  allée  plus  loin  :  elle  a  décidé 
«  que  la  transaction  éteignait  même  Faction  publique,  dans 
0  le  cas  où  le  prévenu  aurait  encouru,  outre  Tamende  et  la 
«  confiscation,  la  peine  de  l'emprisonnement^^  ».  Il  existait, 

"  Le  désistement  n'a  pas  besoin  d'être  accepté  en  tant  qu'il  porte  sur 
l'action. 

*'Les  transactions,  en  cette  matière  comme  en  toute  autre  matière,  doi- 
veatôtre  rédigées  par  écrit  (C.  civ.,  art.  2044).  Le  contrevenant  doit,  pour 
transiger,  réunir  les  conditions  de  capacité  exigées  par  l'article  204r>. 

*'  En  matière  de  boissons,  de  cartes  à  jouer,  de  voitures  publiques,  de 
sels,  de  tabacs  et  de  navigation,  les  transactions  sont  définitives  :  i°  avec 
l'approbation  du  directeur  du  département,  lorsque  les  condamnations  à  la 
confiscation  et  à  l'amende  ne  s'élèvent  pas  à  plus  de  500  fiancs;  2®  avec 
l'approbation  du  directeur  général,  statuant  en  conseil  d'administration, 
lorsque  lesdites  condamnations  s'élèvent  de  îiOO  à  3.000  francs;  3»  avec  l'ap- 
probation du  ministre  des  finances,  lorsqu'il  y  a  dissentiment  entre  le  direc- 
teur général  et  le  conseil  d'administration,  et,  dans  tous  les  autres  cas, 
lorsque  le  montant  des  condamnations  excède  3.000  francs  (Arr.  5  germ. 
anXII,  art.  23;  Ord.  3  janv.  1821,  art.  6;  Ord.  4  déc.  1823,  art.  G).  — 
D'une  manière  générale,  leslransactions  sur  procès-verbaux,  passées  par  les 
agents  de  l'administration,  n'ont,  jusqu'à  leur  approbation  par  l'autorité 
compétente,  qu'une  valeur  provisoire  :  Chambéry,  7  mars  1879  (Mcm,  (les 
con«.  md.,  t.20,  p.  419). 

'^^  Rapport  de  M.  Léon  Renaud  sur  la  loi  du  21  juin  1873. 


206      PROCÉDURB    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

toutefois,  deux  exceptions  à  la  possibilité  pour  le  délinquant 
d'éviter,  par  une  transaction  intervenue  avant  condamnation, 
l'amende,  la  confiscation  et  même  l'emprisonnement.  En 
matière  de  garantie  d'or  et  d'argent,  la  régie  n'avait  pas,  aux 
termes  du  décret  du  28  Qoréal  an  XUI,  la  faculté  de  tran- 
siger. Mais  l'article  11  de  la  loi  budgétaire  du  22  avril  1905 
a  rétabli  le  droit  commun  pour  les  contraventions  et  délits 
de  garantie.  Dans  les  cas  des  articles  12  et  14  de  la  loi  du 
21  juin  1873  (fraude  dissimulée  sous  les  vêtements,  ou  au 
moyen  d'engins,  fabrication,  distillation  ou  reviviGcation  de 
spiritueux),  la  régie  ne  peut  pas  éteindre  l'action  publique. 
L'affaire  suit  son  cours  sur  les  poursuites  du  procureur  de 
la  République,  et  le  droit  de  transaction  de  la  régie  ne 
s'exerce  qu'après  le  jugement  rendu  et  la  condamnation  pro- 
noncée'*. 

Lorsqu'un  jugement  définitif  a  été  rendu,  Tadministra- 
tion  a  bien  le  droit  de  faire  remise,  en  totalité  ou  en  partie, 
des  condamnations  pécuniaires,  à  l'amende  et  à  la  confisca- 
tion, mais  le  chef  de  l'État  a  seul  le  droit,  par  voie  de  grâce, 
de  réduire  l'emprisonnement  ou  d'en  faire  remise  au  con- 
damné. 

96.  Les  octrois  sont,  en  quelque  sorte,  l'une  des  bran- 
ches des  contributions  indirectes,  ils  font  l'objet  du  titre  II 
de  la  loi  du  28  avril  1816,  et  sont  soumis  à  des  règles  identi- 


**  11  y  u  là  une  distinct  ion  judicieuse  qui  m»-^  ri  te  r<iil<  l'être  généralisée.  Voy. 
Labonle,  op.  cit.y  n^  703.  Le  droit  de  transaction  de  TAdministration  des 
contributions  indirectes  a  «He  critiqué,  du  reste,  k  un  triple  point  de  vue  : 
1®  II  paraît  incompatible  avec  Tapplicution  des  ciniunslances  atténuantes  aux 
amendes  et  confiscations  en  matière  de  contributions  indirectes  (L.  29  mars 
1897,  art.  19),  applicati-'U  étendue  aux  contraventions  en  matière  d'octrois 
(L.  25  févr.  1901,  art.  3fr);  2«  il  a  pour  elFet  de  subordonner  le  droit  d'op- 
tion, devant  les  tribunaux  de  répression,  des  parties  lésées  par  un  délit  fiscal, 
au  bon  vouloir  de  Tadministration  des  contributions  indirectes;  3«  Enfin, 
l'exercice  du  droit  de  transiger  peut  être  vicié  par  des  considérations  étran- 
gères aux  intérêts  fiscaux  et  devenir  un  moyen  de  pression  électorale  entre 
les  mains  de  l'administration. 


ACTION  DBS   ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES.  207 

ques  en  ce  qui  concerne  le  droit  de  poursuite  et  le  droit  de 
IransactioD. 

1.  Lorsque  les  procès-verbaux  dressés  constatent  unique- 
ment une  contravention  aux  règlements  de  Toctroi,  la  pour- 
suite est  exercée  exclusivement  à  la  requête  du  maire,  pour- 
suites et  diligences  du  préposé  en  chef,  dans  le  cas  où  Toctroi 
est  en  régie  simple;  au  nom  du  fermier  et  régisseur,  quand 
Toctroi  est  affermé.  Le  ministère  public  doit  rester  étranger 
à  la  poursuite.  Plus  encore  qu'en  matière  de  contributions 
indirectes,  Taraende  et  ia  confiscation,  que  le  maire  réclame^ 
ont  le  caractère  de  réparations  civiles.  En  effet,  les  condam- 
Dations  pécuniaires,  prononcées  au  profit  de  l'administration 
des  contributions  indirectes,  sont  versées  dans  la  caisse  du 
Trésor,  comme  les  autres  condamnations  correctionnelles, 
tandis  que  celles  obtenues  par  le  maire,  pour  contraventions 
aux  règlements  d'octroi,  ne  sont  pas  attribuées  à  TÉtat  :  elles 
ont  donc  le  caractère  principal  d'une  réparation  accordée  à 
un  intérêt  privé,  à  une  partie  civile  qui  a  éprouvé  un  préju- 
dice, d'une  sorte  de  composition  établie  à  forfait. 

L'article  13  de  la  loi  du  21  juin  1873  tranche  la  ([uestion 
du  droit  de  transaction  en  matière  d'octroi,  comme  en  ma- 
tière de  contributions  indirectes.  Il  prévoit  le  cas  de  l'arti- 
cle 12,  qui  dispose  expressément  en  faveur  de  l'octroi^  et  de 
l'article  46  de  la  loi  du  28  avril  1816  qui  est  applicable  éga- 
lement en  matière  d'octroi.  Or,  il  parle,  en  termes  absolus, 
du  droit  de  transaction,  qui  appartient  au  maire,  comme  à 
la  régie,  et  il  ne  prescrit  l'envoi  des  procès-verbaux,  au  mi- 
nistère public,  que  quand  il  y  a  lieu  à  poursuite  de  délits 
passibles  de  l'emprisonnement. 

Lorsque  la  contravention  est  commune  aux  contributions 
indirectes  et  à  l'octroi,  la  poursuite  appartient  exclusive- 
ment à  l'administration  des  contributions  indirectes,  à 
laquelle  les  procès-verbaux  doivent  être  remis,  qui  doit 
diriger  les  poursuites  au  nom  de  Tune  et  de  l'autre  admi- 
nistration, à  l'effet  d'obtenir  jugement,  conformément  aux 
lois  particulières  à  chacune  d'elles,  et  qui  seule  peut  tran- 
siger sur  l'une  et  sur  l'autre  contravention  (Dec.  min.  fin.  du 


208      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

10  févr.  1807).  C*est  ce  qui  résulte  implicitement  des  disposi- 
tions des  articles  164  du  décret  du  17  mai  1805  et  83  de  l'or- 
donnance du  9  décembre  1814. 

II.  Le  ministère  public  n*a  pas  d'action  à  Tégard  des  con- 
traventions d'octroi  qui  ne  sont  pas  punissables  d'cmprisoD- 
nement.  L'action  du  maire,  dans  ce  cas,  est  donc  exclusire 
de  l'action  du  procureur  de  la  République  ^^. 

III.  Les  transactions  sont  dans  les  attributions  du  maire, 
et  lui  seul  est  autorisé,  sauf  l'approbation  du  préfet,  à  ne  pas 
intenter  de  poursuites,  ou  à  faire  une  remise  partielle  ou  to- 
tale des  condamnations  prononcées  (0.  9  déc.  1814,  art.  83). 

Les  fermiers  et  régisseurs  préparent  les  transactions  : 
mais,  bien  qu'elles  les  intéressent  personnellement,  ces  trans- 
actions ne  sont  définitives  qu'après  la  ratification  du  maire 
qui  conserve  entière  la  faculté  d'en  modifier  les  clauses,  d'en 
diminuer  ou  d'en  aggraver  les  conditions. 

97.  L'administration  des  douanes  participe,  en  principe,  à 
l'exercice  de  l'action  publique  et  au  droit  de  transiger,  dans 
des  conditions  analogues  à  celles  de  l'administration  des  con- 
tributions indirectes.  Mais  certaines  différences  séparent  ces 
deux  administrations. 

I.  Les  lois  sur  les  douanes  distinguent  deux  catégories  d'in- 
fractions :  celles  qui  sont  punies  d'une  peine  corporelle  et 
d*une  peine  pécuniaire,  et  dont  la  connaissance  est  attribuée 
aux  tribunaux  correctionnels;  celles  qui  sont  punies  d'une 
simple  peine  pécuniaire,  et  dont  la  connaissance  est  attribuée 
aux  juges  de  paix.  La  constatation  des  délits,  comme  celle  des 
contraventions  de  douane,  se  fait  au  moyen  d'un  procès- ver- 
bal". La  poursuite,  en  ce  qui  concerne  l'application  des  pei- 

'^'^  Jurisprudence  constante  :  Cass.,  12  août  1853  {S.  53.  I.  788);  18  jan- 
vier 1801  (S.  fil.  1.  471);  10  juin  1882  (S.  84.  1.  240). 

*•*  Mais  il  existait  une  grandt^  dilï'erenco,  au  point  de  vue  de  la  preuve, 
enlreli'S(i(7//set  Wscontravciiiiois.  Tandisquccesderni»'^res  ne  pouvaient  être 
prouvées  que  par  le  procès- verbal,  la  preuve  des  délits  de  douane,  au  con- 
traire, pouvait  se  faire  suivant  les  règles  du  droit  commun  :  c'est  ce  que  dt^- 
cidait  l'article  1  du  décret  du  8  mars  1811  pour  la  contrebande  des  marchan- 


ACTION    DKS    ADMINISTRATIONS    PTRIIQUES.  209 

nos  pécuniaires,  a  Jieii  à  la  requête  de  l'adminislration  ;  elle  a 
lieu  à  la  requête  exclusive  du  ministère  public,  si  elle  tend  à 
la  prononciation  d'une  peine  corporelle.  La  distinction  ici, 
comme  en  matière  de  contributions  indirectes,  est  basée  sur 
la  nature  spéciale  que  la  jurisprudence  reconnaît  à  l'amende 
et  à  la  confiscation  :  ce  sont  moins  des  peines  que  des  répara- 
tions au  profit  de  TÉtat. 

L'administration,  en  poursuivant  le  délinquant,  demande, 
par  Faction  publique,  une  composition  fixée  à  forfait  et  noa 
susceptible  d*être  modifiée  par  Tapplication  des  circonstances 
atténua,ptes'^  Ce  caractère  de  la  poursuite  amène  lajurispru- 
<ience  à  autoriser  l'administration  des  douanes  à  traduire  un 
contrevenant  devant  le  juge  de  paix,  pour  demander,  dans 
les  limites  de  la  compétence  de  ce  magistrat,  d'appliquer  les 
peines  pécuniaires  des  contraventions  pour  un  délit  de  la  com- 
pétence du  tribunal  correctionnel". 

dises  prohibées.  On  avait  soutenu  que  ce  décret  était  abrogé  :  mais,  même 
en  admettant  cette  abrogation,  les  principes  généraux  seraient  suffisants 
pour  le  décider  ainsi  quand  le  ministère  public  est  partie  dans  Tinstance 
(C.  instr.  cr.,  art.  25  et  189  .  Sic,  Cass..  26  févr.  1887  (D.  88.  1.  42).  Or,  si 
l'action  publique  peut  être  mise  en  mouvement  sans  procès-verbal,  l'action 
civile  de  la  douane  le  peut  également.  Comp.  Pabon,  op,  cit  ,  n<»  942.  La 
question  est  devenue,  du  reste,  sans  intérêt  depuis  l'article  ;i7de  la  loi  de 
finances  du  25  mars  1897,  aux  termes  duquel  :  «  L(*s  délits  et  contravcntioDS 
4*  prévus  par  les  lois  sur  los  douanes  et  sur  les  sels  peuvent  être  prouvés 
«  par  toutes  les  voies  de  droit  ».  Cette  disposition,  sur  la  portiM»  de  laqut^lle 
on  peut  émettre  des  doutes  en  ce  qui  concerne  la  recev«ibilité  de  l'action  de 
la  douane,  a,  dans  tous  les  cas,  permis  à  l'administration  de  prouver  une 
infraction  douanière,  comme  toute  autre  infraction,  au  moins  dans  tous  les 
cas  où  Faction  de  la  douane  est  recevable. 

■-*  L.  6-22  août  t791,  til.  Xll,  art.  !•';  L.  15-16  août  1793,  art.  3  A  4. 
L.  4  llor.  an  H,  til.  VI,  art.  14  et  18;  L.  4  fnirt.  an  III,  art.  5  et  6  ;  L.  9  llor.* 
an  Vn,  tit.  IV,  art.  0. 

*••  Voici  comment  la  Cour  de  cassation  formule  cette  soluliondans  un  arrêt 
du  23  août  1836  S.  36.  1.  641)  :  «  Si,  dans  des  cas  parliciili«»rs,  l'arlminis- 
4*  tration  des  douanes  peut  traduin^  les  contrevenants  devant  rino  autre  ju- 
a  ridiction  et  requérir  contre  eux  des  condamnations  plus  sévèrrs,  les  juges 
u  lie  paix,  lorsque  radminislralion  n'use  pas  de  cette  faculté,  n'en  sont  pas 
41  moins  compétents  pour  connaître  «le  la  contravention  et  appliquer  les  pei- 
«4  lies  dans  les  limites  de  leur  compétence  ».  Un  en  a  conclu  que  le  minis- 

G.  P.  P.  -  I.  ti 


I 


210      PROCéDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE» 

II.  Le  droit  de  poursuivre  les  contraventions  devant  le  juge 
de  paix  appartient  à  la  douane  seule  et  non  au  ministère  pu- 
blic'*. Mais  il  n*en  est  pas  de  même  pour  les  délits  de  douane 
de  la  compétence  du   tribunal  correctionnel.   On  s*est  de- 
mandé, en  effet,  si  le  droit  de  poursuite  de  cette  administra- 
tion, en  ce  qui  concerne  Inapplication  des  peines  pécuniaires, 
était  exclusif  du  droit  du  ministère  public.  La  loi  ne  paraît 
pas  avoir  retiré  au   procureur  de  la  République  la  faculté 
d'exercer  Faction  publique,  dans  tous  les  cas,  contre  les  coo- 
trevenaots  en  matière  de  douanes  (L.  28  avr.  1816,  art.  52  et 
66;  L.  21  avr.  1818,  art.  37),  et  il  semble,  à  lire  ces  textes,  qui 
lui  prescrivent  de  faire  d'office  toutes  les  poursuites  contre  les 
délinquants,  que  le   ministère  public  ait  un  droit  exclusif 
daction  pour  saisir  le  tribunal  correctionnel  en  ce  qui  con- 
cerne les  peines  corporelles,  et  un  droit  parallèle  daction  en- 
ce  qui  concerne  les  peines  pécuniaires.  Cette  manière  de  com- 
prendre les  rôles  respectifs  du  ministère  public  et  de  l'admi- 
nistration des  douanes  ne  nous  parait  pas  exacte.  D'une  part, 
les  peines  pécuniaires  ont,  en  matière  de  douanes,  le  même 
caractère  qu'en  matière  de  contributions  indirectes,  ce  sont 
de  véritables  compositions.  D'autre  part,  le  droit  qui  appar- 
tient à  l'administration,  c'est  celui  de  poursuivre,  par  action 
publique,  le  règlement  de  cette  composition.  De  ce  double 
caractère  des  peines  et  de  la  poursuite,  il  fautconclure  :  l^Qne 
l'administration  des  douanes,  lorsqu'elle  agit  en    concours 
avec  le  ministère  public,  joue  le   rôle  d'une  partie  civile. 
Elle  seule  peut  obtenir  condamnation  à  l'amende  et  à  la  con- 
fiscation. D'où  il  suit  que,  si  l'appel  interjeté  par  le  minis- 


tère public  pouvait  poursuivre  devant  le  tribunal  correctionnel  Tapplication 
de  la  peine  d'emprisonnement  éàxcXéa  par  les  lois  de  douane»  si,  après  la 
coqslalation  d*une  infraction  tombant  sous  le  coup  de  cette  peine,  l'adminis- 
tration s'est  bornée  à  poursuivre,  devant  le  juge  de  paix,  la  condamnation 
du  prévenu  à  des  peines  pécuniaires  :  Trib.  civ.  de  Sedan,  15  janv.  1896  et 
Trib.  corr.  de  Pontarlier,  29  mai  1896  (DicU  du  contentieux  des  douanes^ 
n®»  95.329  et  90.334\  Ces  solutions  nous  paraissent  contraires  et  aux  règles 
de  la  compétence  et  au  principe  non  bis  in  idem. 
^*  Loi  du  4  germ.  an  II,  lit.  VI,  arU  i2. 


ACTION   DES   ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES.  211 

ère  public  seul  ne  peut  permettre  Tapplication  d'amendes  que 
le  premier  juge  a  omis  de  prononcer,  lorsque  d*aiileurs  Tad- 
ministralion  des  douanes  n*a  pas  usé  du  droit  d'appel  dans 
les  délais  légaux '\  1  appel  interjeté  par  Tadministration  des 
douanes  seule,  quand  le  ministère  public  ne  s'est  pas  pourvu, 
ne  permet  pas  à  la  cour  de  prononcer  la  peine  de  Tempri- 
sonnement  qui  demeure  exclusivement  dans  le  domaine  de 
Taction  publique";  2*"  Que  le  ministère  public  ne  peut,  en 
poursuivant  à  sa  requête,  et  sans  la  présence  de  Tadminis- 
tratfon  des  douanes,   partie  intervenante,  requérir  Tappli- 
cation  des  peines  pécuniaires.  €ette  seconde  conséquence  est 
précisément  contestée  et  il  semble  résulter  de  quelques  arrêts 
anciens",  queTexercice  de  Faction  publique,  concédé  à  l'ad- 
ministration des  douanes,  est,  en  quelque  sorte,  |)artiel  et 
que  son  droit  se  trouve  confondu  dans  le  droit  plus  étendu  et 
plus  complet  du  ministère  public.  Mais  ces  arrêts,  rendus 
à  une  époque  où  le  caractère  des  peines  pécuniaires  doua- 
nières  était   encore  incertain,   ne   sauraient  être  invoqués 
qu'avec  réserve;  3*  Qu'en  ce  qui  concerne  les  infractions  de 
la  compétence  du  tribunal  correctionnel  et  passibles  seule- 
ment de  peines  pécuniaires  (telles  que  l'infraction  prévue 
par  l'art.  15  de  la  loi  du  7  juin   1820),  l'administration  des 
douanes  a  seule  qualité,  à  Texclusion  du  ministère  public, 
pour  saisir  le  tribunal  correctionnel  '°. 

*'  Nancy.  27  févr.  1878  (D.  79.  2.  4()). 

"  Cass.,3  mars  1893  (D.  9i.  1.  53).  Voy.  ('^Mlement  Cass.,  6  janv.  1905 
(S.  1905.  1.  159)  :  «  Attendu  que  si  la  loi  aHmet  l'administration  des  doua- 
nes à  participer  jusqu'à  un  certain  point  à  l'exercice  de  l'action  publique,  c'est 
uniquement  pour  lai  donner  le  moyen  d'obtenir  les  condamnations  qui  doi- 
Y'-*nt,  dans  Tintérêt  public,  réparer  le  dommage  que  la  fraude  a  pu  exercer  ; 
que  tel  est  l'objet  des  confiscations  «'t  amendes  qu'il  lui  est  permis  de  requé- 
rir, mais  que  la  peine  d'emprisonnement,  peine  toute  personnelle,  reste  ex- 
clusivement dans  le  domaine  du  ministère  public  ..  >k  La  Cour  en  conclut  qu'une 
cour  d'appel  ne  peut  pas,  sur  le  seul  appel  de  l'administration  des  douanes, 
prononcerune  peine  d'emj>risonnemenl,  alors  que  les  premiers  juges  n'avaient 
prononcé  que  la  confiscation.  C'est,  du  reste,  la  jurisprudence  constante  de- 
puis l'arrêt  de  la  Cour  de  cassation  du  28  prairial  an  XI  {Hull,  crim.y  n®  162). 
'^  Cass.,  21  nov.  1828  (S.  et  P.  chr.). 
30  Cass.,  t  mars  1840  (S.  40.  1.  879). 


212      PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBl^lQUE   ET   CIVILE. 

Les  conditions  de  la  poursuite  du  ministère  publie  et  de 
l'administration  des  douanes  contre  les  simples  conducteurs 
ou  agents  directs  d'une  introduction  de  marchandises  en 
contrebande  sont,  du  reste,  subordonnées  à  la  capture  dans 
le  rayon  frontière  ou  à  une  poursuite  à  vue  et  non  interrom- 
pue hors  dudit  rayon  (Loi  du  28  avr.  1816,  art.  38,  39,  41, 
42,  51).  L^article  S7  de  la  loi  du  29  mars  1897  qui  permet  .\ 
l'administration  de  prouver  par  toutes  les  voies  de  droit  les 
contraventions  et  délits  de  douanes,  n*a,  en  rien,  modifié  la 
législation  des  douanes  en  ce  qui  concerne  le  droit  d'afction 
de  l'administration  et  les  conditions  auxquelles  elle  est  subor- 
donnée'*. 

IlL  L'administration  des  douanes  a  reçu,  de  la  loi  du  22  août 
1791  ",  le  droit  de  transiger  sur  les  peines  prononcées  à  sa  re- 
quête. Ce  tempérament  à  la  rigueur  du  système  répressif  fut 
bientôt  reconnu  insuffisant,  en  ce  qu'il  n'englobait  pas  les 
peines  corporelles  prononcées  à  la  requête  dû  ministère  pu- 
blic. Aussi,  l'arrêté  du  14  fructidor  en  X  (art.  1),  vint-il  au- 
toriser l'administration  à  transiger  sur  les  procès  de  douanes, 
soil  avant,  soit  après  le  jugement.  C'est  dans  cette  disposition 
que  l'administration  puise  son  droit  de  transaction  qui  a  été 
réglementé  par  le  décret  du  8  août  1890". 

a)  La  transaction,  antérieure  au  jugement,  éteint  l'action 
publique  dérivant  du  délit  ou  de  la  contravention  :  elle  est, 
par  suite^  opposable,  soit  au  ministère  public  qui  poursuivrait 
un  délit  de  douanes  et  demanderait  l'application  des  peines 
corporelles,  soit  à  la  douane  qui  intenterait  l'action  publique 
pour  faire  prononcer  une  condamnation  à  l'amende  et  à  la 


3*  C'est,  du  moins,  ce  que  cJôcide  la  Chamhre  criminelle  :  Cass.,  11  avr. 
i90'2{Pand.,  1902.  i.  225, et  la  nnle  de  M.  F.Thibault);  20  févr.  1903  (JPaiwf., 
1903.  1.  433  et  la  note  de  M.  F.  Thibault):  H  mars  1904  iPand,,  1904.  1. 
420).  Il  faut  avouer,  dans  tous  les  cas,  que  la  f»^»rmule  employée  par  l'arti- 
cle li7  a  trahi  la  pensée  du  législateur  qui  avait  proposé  celte  loi  en  vue  de 
supprimer  ces  conditions.  Vny.  Répert.  alph.  du  droit  fnmrais^  v«  Douane^, 
n«^  1607  à  1010. 

»-Tit.  XI!,  art.  4. 

''  On  en  trouvera  le  texte  dans  Pabon,  op.  ait.,  p.  91. 


ACTION   DES   ADMINISTRATIONS   PUBLIQUES.  2t3 

cooGscatioD.  Les  lois  de  douanes  n^ayaot  pas  réglementé  les 
transactions  de  cette  espèce,  il  faut  en  conclure  qu*elles  sont 
soumises  aux  règles  de  fond  ou  de  forme  énumérées  dans  les 
articles  20i4  et  suiv.  du  Code  civil. 

b)  ^administration  a  le  droit  de  transiger  avec  le  condamné, 
même  après  les  jugements  définitifs  :  les  testes  cités  ne  distin- 
guent pas,  à  ce  point  de  vue,  suivant  que  la  transaction  inter- 
vient avant  ou  après  la  condamnation. 

Mais  l'effet  d'une  transaction,  après  condamnation  défini- 
live.i  Temprisonnement  et  à  l'amende,  ne  porte  que  sur  cette 
dernière  peine.  Le  chef  de  TÉtat  aurait  seul,  en  vertu  du  droit 
de  grâce,  le  pouvoir  d'accorder  la  remise  de  Temprisonne- 
menl. 

98.  L'administration  des  eaux  et  forêts  a,  dans  le  domaine 
des  contraventions  et  délits  forestiers,  un  droit  de  poursuite 
et  de  traosacticm  ù  la  fois  plus  étendu  et  mieux  défini  que 
celui  des  administrations  des  contributions  indirectes  et  des 
douanes. 

1.  Le  droit  de  l'administration  des  eaux  et  forêts  est  plus 
étendu.  D'une  part,  l'article  159  du  Code  forestier  charge  cette 
administration,  «  tant  dans  l'intérêt  de  l'État  que  dans  celui 
des  autres  propriétaires  de  bois  et  forets  soumis  au  régime 
forestier,  des  poursuites  en  réparation  ^^  de  tous  délits  et  con- 
traventions commis  dans  ces  bois  et  forets  »;  et  ce  droit 
s'exerce,  quelle  que  soit  la  peine  applicable,  que  ce  soit  l'em- 
prisonnement ou  l'amende.  D'autre  part,  l'action  de  l'admi- 
ûislration  des  forêts  nVst  pas  limitée  à  la  faculté  de  saisir  le 
tribunal  et  de  mettre  ainsi  en  mouvement  le  procès  pénal  : 
elle  s'exerce  jusqu'à  ce  qu'un  jugementdéQnitifsoit  intervenu. 
L'article  t83  du  Code  forestier  donne,  en  effet,  aux  agents  de 
l'administration  des  forêts,  le  droit  d'interjeter,  en  son  nom, 
appel  des  jugements,  et  de  se  pourvoir  contre  les  arrêts  et  ju- 


'*  Le  sens  du  mol  «  réparation  »  doit  être  interprété  par  lo  texte  même,  il 
est  synonyme  ici  de  répression.  Voy.  Meaume,  Commentaire  du  Code  fo- 
restier (3  vol.  in-8o,  1844-^6),  t.  2,  n«  1116. 


214      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

gements  eo  dernier  ressort.  L*ach'on  publique  est  ainsi  exer- 
cée dans  sa  plénitude  par  [^administration  des  forêts,  mais  en 
ce  qui  concerne  seulement  les  infractions  forestières,  à  l'ex- 
clusion des  délits  de  droit  commun  ou  prévus  par  la  loi  pé- 
nale ordinaire".  Les  citations  sont  adressées  «  à  la  requête 
de  l'administration  des  forêts,  poursuites  et  diligences  de  Ta- 
gent  forestier  local  »  (généralement  Tinspecteur  des  forêts). 

II.  Le  droit  de  poursuite  de  Tadminislration  des  forêts  est 
également  mieux  défini  :  il  s'exerce,  aux  termes  de  Tarticle  159 
du  Gode  forestier,  «  sans  préjudice  du  droit  qui  appartient  au 
ministère  public  ».  Et  on  a  conclu  de  ce  texte  qu'il  existe,  au 
point  de  vue  des  délits  forestiers,  une  concurrence  d'attribu- 
tions entre  le  ministère  public  et  les  agents  forestiers.  Ce  droit 
parallèle  conduit  :  l""  à  donner  qualité  au  ministère  public 
pour  exercer  les  actions  forestières  d'une  manière  aussi  com- 
plète que  l'administration  elle-même.  Le  ministère  public 
peut  donc  conclure,  non  seulement  à  l'application  des  peines 
corporelles,  mais  encore  à  celle  des  peines  pécuniaires;  il  peut 
même,  car  on  est  allé  jusque-là,  demander  des  réparations 
civiles,  telles  que  restitutions  et  dommages-intérêts'*;  2®  à 
permettre  aux  magistrats  du  ministère  public  de  représenter 
à  Taudience  les  agents  de  l'administration,  même  quand  le 
procès  a  été  engagé  à  la  requête  de  celle-ci*^  ;  3°  à  faire  pro- 
fiter l'administration  de  l'appel  interjetépar  le  ministère  pu- 
blic»». 

III.  11  importe,  néanmoins,  de  déterminer  le  rôle  précis  que 
joue  l'administration  dans  la  poursuite  en  réparation  des  dé- 
lits forestiers. 

D'après  l'article  171  du  Code  forestier  qui  reproduit,  à  cet 


'^  La  jurisprudence  donne  le  caractère  de  délits  forestiers  à  ceux  qui 
sont  commis  dans  une  forêt  soumise  au  régime  forestier,  qui  sont  prévus  et 
punis  par  la  loi  forestière,  et  qui  portent  une  atteinte  directe  et  immédiate 
au  sol  forestier.  Voy.  Cass.,  4  janv.  1855  (S.  55.  1.  223;  D.  55.  1.  15); 
Cass.  (Ch.  r^^'un.),  12  mars  1874  (S.  74. 1.  453;  D.  75.  1.  480). 
'    •'«  Cass.,  S  mai  1835  (S.  35.  1.  730). 

5"  Cass.,  28  oct.  1892  (S.  93.  1.  168  ;  D.  93. 1.  584). 

38  Cass.,  20  mars  1837  (S.  38.  I.  922). 


ACTION   DES  ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES.  215 

^gard,rarticle  179  du  Gode  d'instruction  criminelle,  les  tribu- 
oauK  correctionnels  sont  compétents  pour  connaître  de  tous 
ks  délits  forestiers,  quelle  que  soit  la  peine  prononcée^'. 

L'administration  peut  exercer  Taclion  qui  lui  appartient 
dans  deux  ordres  de  circonstances.  Tantôt,  elle  poursuit  un 
délit  qui  ne  comporte  d'autre  réparation  que  la  condamnation 
pénale.  Tantôt^  le  délit  peut  donner  lieu  à  des  restitutions  et 
<les  dommages-intérêts. 

Dans  le  premier  cas,  Tadministration  remplit  la  fonction 
de  ministère  public  :  elle  ne  peut  être  condamnée,  si  elle 
surcombe,  soit  aux  frais  de  défense,  soit  à  des  dommages-inté- 
rêts reçu  rsoires  au  profit  du  prévenu  acquitté.  Mais,  comme 
toute  administration,  celle  des  forêts  est  assimilée  à  une  partie 
civile  relativement  aux  procès  suivis  à  sa  requête  ou  dans  son 
intérêt  (Décret  du  18  juill.  1811,  art.  157  et  158).  Et  on  sait 
que  la  partie  civile,  même  gagnante,  est  personnellement  con- 
damnée aux  frais,  sauf  son  recours  contre  le  prévenu  et  les 
personnes  civilement  responsables. 

Dans  le  second  cas,  l'administration  agit  dans  un  intérêt 
civil  :  elle  réclame  la  réparation  du  dommage  que  lui  a  causé 
le  délit.  Son  caractère  d'administration  publique  ne  fait  pas 
obstacle  à  ce  qu'elle  soit  condamnée,  si  elle  succombe,  soit 
aux  frais  de  défense,  soit  à  des  dommages-intérêts  récur- 
soires*". 

IV.  Diaprés  la  loi  du  18  juin  1859,  qui  modifie  Tarticle  159 
du  Code  forestier,  «  l'administration  des  forêts  est  autorisée 
à  transiger,  avant  jugement  définitif,  sur  la  poursuite  des  dé- 
lits et  des  contraventions  en  matière  forestière,  commis  dans 
les  bois  soumis  au  régime  forestier;  après  jugement  définitif, 
la  transaction  ne  peut  porter  que  sur  les  peines  et  réparations 
pécuniaires  ».  L'efTet  de  la  transaction  est  donc  différent,  sui- 

^'  Par  suite,  radmiiiistratiuii,  in<^me  pour  los  dommages-iiitérôls  et  resti- 
tutions, n'a  pas  l'opliun  de  Tarlicle  '\  du  Code  d'instruction  criminelle. 

**  Toutes  ces  questions  sont  délicates.  Elles  ont  élé  examinées  par  los 
spécialistes  qui  ne  se  sont  pas  mis  d'accord.  La  Cour  de  cassation,  elle- 
même,  est  ilans  l'incertitude.  Voy.  notamment  Cass.,  4  juill.  1861  (S.  61.  1» 
015; D.  61.  1.  355). 


% 
216      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILB. 

vaat  que  la  transaction  intervient,  avant  le  jugement,  auquel 
cas  elle  éteint  Taction  publique,  et  après  la  condamnation  dé- 
finitive, auquel  cas,  elle  ne  porte  que  sur  les  peines  pécu- 
niaires**. 

Avant  la  loi  de  1859,  la  seule  faculté  réservée  à  Tadminis- 
tration  était  celle  de  se  désister  (G.  for.,  art.  183).  Actuelle- 
ment, le  désistement  ne  constitue  qu*une  variété  de  la  trans- 
action *^ 

V.  Un  décret  du  29  avril  1862  a  rattaché  la  pèche  fluviale 
au  ministère  de  Tagriculture.  L'administration  forestière  n'a 
donc  plus,  relativement  à  la  poursuite  des  délits  de  pèche,  les 
pouvoirs  qu'elle  possédait  antérieurement.  Aujourd'hui,  c'est 
au  nom  de  l'administration  des  ponts  et  chaussées  que  sont 
poursuivis  les  délits  de  pèche  par  les  soins  du  ministère 
public. 

99.  Les  infractions  postales,  télégraphiques  et  téléphoni- 
ques se  divisent  en  deux  catégories  :  les  unes  constituent  des 
crimes  et  délits  ordinaires,  poursuivis,  à  la  requête  du  minis- 
tère public,  comme  tous  les  crimes  et  délits  :  ce  sera,  par 
exemple,  une  violation  du  secret  de  la  correspondance  (G.  p.^ 
art.  378),  une  contrefaçon  ou  altération  de  timbres  postes  ou 
autres  valeurs  (G.  p.,  art.  142),  etc.;  les  autres  constituent  de$ 
contraventions  aux  lois  qui  protègent  le  monopole  de  l'admi- 
nistration :  ce  sera,  par  exemple,  un  abus  de  franchise,  une 
insertion  de  valeurs  prohibées  dans  les  objets  de  correspon- 
dance, etc.  *•• 

Les  amendes,  conséquences  de  ces  dernières  infractions^ 
sont  considérées,  au  regard  de  Tadministration,  comme  des 

*^  La  fuculté  de  transiger  s'applique  aux  délits  de  chasse  dans  les  furôts 
soumises  au  régime  forestier,  comme  aux  délits  forestiers  proprement  dits  : 
Cass.,  22  déc.  1868  (D.  69.  1.  209),  et  sur  renvoi,  Caen,  7  avr.  1869  (D.  69. 
2.  216). 

,  ^'^  Les  autorités  qui  ont  qualité  pour  statuer  en  matière  de  transaction 
ont  été  déterminées  successivement  par  le  décret  du  21  déc.  1859,  puis  par 
celui  du  22  déc.  1879. 

*'  Voy.  Gabriel  Hayes,   Traité  des  infractions  postales,  in-8*,  1899  ^Th 
doct.,  Nancy). 


ACTION   DBS   ADMINISTRATIONS   PUBLIQUES.  217 

réparations  pécuniaires  ^\  Deux  conséquences  résultent  du 
caractère  de  la  peine  :  l""  Bien  que  la  répression  ait  lieu  dans 
son  intérêt  et  que  Tamende  lui  soit  attribuée,  Tadminislra- 
tioQ  n'a  pas  qualité  pour  exercer  l'action  publique,  mais  seu- 
lement pour  dresser  le  procès-verbal  qui  constate  le  délit  et 
l'adresser  au  procureur  de  la  République.  Celui-ci  a  seul 
Texercice  de  l'action  publique^'  :  il  agit  en  une  double  qua- 
lité, il  représente  Tintérêt  social  et  Tintérét  fiscal.  L'article  5 
de  farrèté  du  27  prairial  an  IX,  dont  la  disposition  a  été 
répétée  dans  les  mêmes  termes  par  des  textes  postérieurs^*, 
dispose,  en  effet,  que  «  les  procès-verbaux  seront  de  suite 
«  transmis  au  commissaire  du  gouvernement  près  le  tri- 
«  bunal  civil  et  correctionnel  de  l'arrondissement,  par  les* 
«  préposés  des  postes,  pour  poursuivre  contre  les  contreve- 
«  oants  la  condamnation  à  Tamende  ».  La  loi  reconnaît 
donc  au  ministère  public  le  droit  de  poursuivre  la  répres- 
sion des  contraventions  postales  soit  seul,  soit  concurrem- 
ment avec  Tadministration,  soit  en  son  nom  et  sur  sa  réqui- 
sition ".  Si  l'administration  est  au  procès,  elle  y  est  et  ne 
peut  y  être  que  comme  partie  civile,  avec  les  avantages  et 
les  inconvénients  de  cette  situation.  Mais  qu*on  le  remanjue 
bien,  Tadministration  est  légalement  représentée  par  le  mi- 
nistère public,  qui  a  le  droit,  en  son  absence,  de  conclure 
au  prononcé  de  l'amende,  et,  si  Tadministration  est  inter- 
Yenue,  de  faire  appel  d'un  jugement  qu'elle  accepte**.  Par 
suite  même  du  caractère  de  la  poursuite  exercée  par  le  mi- 
nistère public  qui  est,  au  procès,  en   une  double  qualité,. 

^'  Ce  point  n*a  jamais  fait  difficulté. 

*•  Jurisprudence  constante.  Voy.  Orléans,  17  nov.  1891  (S.  92.  2.  45; 
D.92.  2.  461);  Montpellier,  27  mars  1890  (S.  90.2.  116;  D.  91.  1.  141);  Be- 
sançon, 10  Févr.  1893  (D.  95.  2.  54). 

*•  Par  exemple,  article  4  de  la  loi  du  12  avril  1892. 

^"^  Cass.,  15  janv.  1865  (S.  66.  1.  36).  —  Cependant,  par  exception,  lorsqu'il 
s*agit  de  contraventions  aux  lois  sur  le  transport  par  la  poste  de  valeurs  dé* 
darées,  la  poursuite  est  directement  laite  par  l'administration  des  postes 
(L.  4  juin  1859,  art.  9j. 

♦•  Cass  ,  19  juin  1896  :S.  98.  1.  109;  D.  97.  i.  174).  Comp.  Angers,  13  août 
1866  (D.  66.  2.  156). 


218      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBUQUE   ET  CIVILE. 

TadministratioD,  qui  oe  s'est  pas  perlée  partie  civile  en  pre- 
mière instance,  pourra  le  faire  en  appel  **.  2*  L*administra- 
tion  est  autorisée  à  transiger  en  tout  état  de  cause,  avant 
comme  après  le  jugement,  et  cette  transaction,  qui  éteint  l'ac- 
tion publique  avant  condamnation,  emporte  remise  de  la 
peine  après  condamnation  '^. 

100.  L'exercice  de  Faction  fiscale  soulève  une  question 
générale,  celle  de  la  recevabilité  cTune  partie  civile  devant 
les  tribunaux  correctionnels^dans  les  procédures  où  figure 
une  administration  financière. 

S'il  s'agit  d*un  délit  mixte,  c'est-à-dire  puni,  à  la  fois,  de 
•peines  pécuniaires  et  de  peines  corporelles,  celui  qui  s'en 
prétend  victime  a  incontestablement  le  droit,  soit  d'inter- 
venir sur  la  poursuite  de  l'administration  intéressée,  soit 
même  de  citer  directement  à  sa  requête  devant  le  tribunal 
correctionnel.  Le  droit  commun  est  applicable,  puisque  le 
ministère  public  est  chargé  de  l'exercice  de  l'action  publique, 
concurremment  avec  la  régie,  et  que  la  présence  de  plusieurs 
parties  civiles  n'est  nullement  contradictoire  ou  inconcilia- 
ble»'. 

S'il  s'agit  d'un  délit  exclusivement  fiscal,  c'est-à-dire  puni 

*»  Voy.  Tarrêt  précité  d'Orléans,  17  nov.  t819.  Comp.  Caen,  i9déc.  1891 
(S.  92.  2.  45;  D.  92.  2.  457).  Mais  pourra-i-elle  le  faire  alors  que  le  ministère 
public  n'a  pas  entendu,  à  défaut  de  conclusions  prises  par  lui  en  première 
instance,  mettre  en  mouvement  l'action  de  cette  administration?  La  question 
n'est  pas  tranchée  par  les  arrêts  que  nous  citons. 

"  Ord.  du  19  févr.  «843;  L.  4  juin  1859,  art.  9;  L.  12  avr.  1892,  art.  4. 

'*  Il  existe  notamment  un  certain  nombre  de  délits  fiscaux  qui  sont  en 
même  temps,  des  délits  de  droit  commun.  Ainsi  la  loi  du  14  août  1889  qui 
interdit  de  vendre  sous  la  dénomination  de  vin  un  produit  autre  que  celui 
de  la  fermentation  des  raisins  frais,  punit  les  contrevenants  d'amende  et  d'em- 
prisonnement :  ce  délit  constitue  donc,  non  seulement  une  contravention  à 
la  loi  fiscale,  mais  un  délit  de  droit  commun.  Il  n'est  donc  pas  douteux  que  les 
victimes  de  ce  délit  (marchands  de  vin,  propriétaires  de  vignobles,  consom- 
mateurs) pourront  se  porter  parties  civiles,  soit  par  voie  d'action,  soit  par 
voie  d'intervention. Comp.  Trib.  corr.  de  Nîmes,  10  août  4904  [Gaz.  des  Trib», 
n*<lu  1*'  sept.  1904).  Les  syndicats  professionnels  pourraient  également  le 
faire  en  vue  de  la  défense  des  intérêts  collectifs  dont  ils  ont  la  charge. 


ACTION   DES   ADMINISTRATIONS  PUBLIQUES.  2i9 

de  peines  pécuniaires  (confiscalioa  ou  ameode),  une  distinc- 
tioo  s'innpose,  suivant  que  la  partie  lésée  prétend  se  substituer 
4  l'action  de  Tadminislration  fiscale,  en  citant  directement  le 
préyenu  à  sa  propre  requête,  ou  suivant  qu*elle  ne  prétend  à 
d'autre  rôle  qu'à  exercer  une  intervention  dans  la  poursuite 
intentée  par  l'administration. 

Dans  le  premier  cas,  on  peut  faire  trois  objections  à  la  pro- 
cédure suivie  par  la  partie  qui  se  prétend  lésée.  1®  La  répres- 
sion d'une  contravention  Gscale  a  été  confiée  exclusivement 
par  la  loi  à  Tadministration  intéressée  :  comment  un  citoyen, 
se  prétendant  lésé  par  une  contravention  fiscale,  pourrait-il 
avoir  la  prétention  de  mettre  en  mouvement  une  action  qui 
appartient  à  Tadministration  seule?  On  répondra,  sansdoute, 
que,  dans  la  procédure  ordinaire,  le  ministère  public  a  bien 
la  délégation  exclusive  de  l'exercice  de  l'action  publique,  ce 
qui  n'empêche  pas  la  partie  lésée  de  citer  le  prévenu  à  sa  re- 
quête devant  le  tribunal  correctionnel.  Mais,  dans  ce  cas,  la 
partie  lésée  met  en  mouvement  l'action  publique  en  même 
temps  que  l'action  civile,  puisque  le  sort  de  Tune  est  insépa- 
rable du  sort  de  Tautrc  devant  les  tribunaux  de  répression  : 
or,  ce  double  résultat  implique  la  possibilité,  pour  la  partie 
lésée,  de  donner  la  première  impulsion  à  l'action  publique- 
Comment  la  partie  lésée  mettrait-elle  l'action  fiscale  en  mou- 
vement, lorsque  cette  action  est  exclusivement  réservée  à  l'ad- 
ministration intéressée  et  que  le  ministère  public  lui-même 
est  sans  qualité  pour  en  saisir  le  juge?  2""  La  seconde  objection 
contre  la  recevabilité  de  la  citation  directe  de  la  partie  lésée 
est  puisée  dans  les  règles  spéciales  de  la  procédure  fiscale. 
Les  contraventions  fiscales  doivent,  en  principe,  être  consta- 
tées par  un  procès-verbal  régulier,  dressé  par  les  agents  de 
l'administration  intéressée,  Tassignation  doit  être  ordinaire- 
ment donnée  dans  un  certain  délai  à  peine  de  déchéance,  et 
il  n'est  pas  admissible  qu'un  simple  particulier,  prétendant 
exercer  l'action  de  l'administration,  soit  dispensé  des  con- 
ditions  de  poursuite   qui    sont  indispensables  à  celle-ci": 

"  CetU'  r»l»n'ciion  est-elle  d«*cisivf'?  D'une  part,  il  ncA  pas  certain  que  le 


220      PROCÉDURE   PENALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

3""  Enfin,  comment  le  tribunal  pou rrait-i!,  en  Tabsence  deFad* 
minîstration,  et  sur  la  seule  action  d'un  particulier,  prononcer 
des  amendes  et  confiscations  dont  la  régie  financière  va  dever 
nir  exclusivement  bénéGciaire? 

Mais  si  nous  repoussons,  en  pareil  cas,  le  droit  d'action  des 
particuliers,  nous  admettons  leur  droit  d'intervention  dans  la 
poursuite  intentée  à  la  requête  de  l'administration  intéressée* 
Les  infractions  fiscales,  punies  d'amende  et  de  confisca- 
tion, sont  des  délits.  Or,  aucun  texte  ne  limite  l'interven- 
lion  d'une  partie  civile  au  cas  seulement  bii  l'action  publique 
a  pu  être  intentée  par  le  ministère  public  ordinaire.  Il  im- 
porte peu  que  Faction,  tendant  à  l'application  de  la  peine, 
soit  engagée  à  la  seule  requête  de  l'administration,  que  la 
peine  réclamée  ait,  à  certains  égards,  un  caractère  privé,  qu€ 
l'administration  soit  assimilée  à  une  partie  civile  au  point  d^ 
vue  des  frais  :  en  eOet,  toutes  ces  particularités  de  Vactionpu 
blique  fiscale  dérivent,  soit  de  textes  formels,  soit  du  caractèn 
de  composition  pénale  forfaitaire  donnée  à  l'amende  et  à  l< 
confiscation.  Mais  les  règles  du  droit  commun,  qui  ne  son 
pas  incompatibles  avec  ce  caractère,  et  auxquelles  il  n'a  pa 
été  expressément  dérogé  par  des  textes  formels,  s'appliquent  < 
l'action  intentée  pur  l'administration  intéressée  comme  i 
l'action  intentée  par  le  ministère  public  ordinaire.  Et  cetti 
solution  s'impose  d'autant  plus  que,  parmi  les  délits  fiscaux 
il  en  est  quelques-uns  dont  la  répression  intéresse  les  parti 
culiers  encore  plus  que  l'administration.  Si  l'exercice  de  l'ac 
tion  publique  a  été  remis  à  celle-ci,  c'est  parce  que  l'admi 
nistralion  seule  a  une  organisation  qui  lui  permet  de  découvri 
et  de  surveiller  ces  délits.  Il  en  est  ainsi  notamment  de  ce 
nombreuses  dispositions  fiscales  prises  en  vue  de  rendre  plu 


procès-verbal  des  agents  de  la  régie  soit  le  litre  même  de  raction.  La  loi  d 
30  décembre  1903  (art.  24)  a  ramené  les  procès-verbaux  de  régie  au  nM 
que  devraient  avoir  tous  les  procès- verbaux  :  ce  sont  des  instruments  (i 
preuve.  D'autre  part, la  partie  civile,  en  se  soumettant  aux  conditions  H 
recevabilité  de  laction  de  la  »>^gie,  ne  [>ourrait  se  voir  opposer,  de  ce  ccM 
tout  au  moins,  de  raisons  sérieuses  d'écarter  son  action. 


CONTRE   QUI   l'action   PUBLIQUE   PEUT   ETRE   INTENTÉE.      221 

difficiles  la  fabrication  et  la  circulatioQ  des  boissons  frelatées". 

§  ZVI.  —  CONTRE  QUI  L'ACTION  PUBLIQUE  PEUT  ÊTRE  INTENTÉE. 

KH.  I/acfioD  publique  ne  peut  être  dirigée  (|iie  contre  un  iiulividu.  Tmis  oorollaires 
ré:iiilU»nt  de  cette  règle.  —  102.  L*action  publique  peut-elle  ôtre  dirigée  contre 
inconnu?  Distinction.  Instruction.  Jugement.  —  103.  L'nctiun  publique  ne  peut 
«tre  dirigée  que  contre  les  auteurs  et  les  complices  de  TinTraction.  Conséquences. 
Dps  personnes  civilement  responsables  quant  aux  fniis.  Des  personnes  morales. 
Des  héritiers  des  auteurs  et  des  complices.  —  104.  L'action  publique  est  dirigée 
contre  le  prévenu  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  mettre  en  cause  son  représentant. 

101.  L'action  publique  est  dirigée  contre  un  individu,  pé- 
mlement  responsable  de  Tinfraclion.  Cette  action  n'est  pas, 
eo  effet,  une  action  objective,  destinée  à  faire  disparaître  un 
état  de  choses  ou  à  modifier  une  situation,  c'est  une  action 
subjective,  dirigée  contre  un  individnqm  doit  être  condamné 
à  une  peine,  parce  qu*il  est  auteur,  coauteur  ou  complice 
d'aoe  infraction. 

L^  personnalité  ou  plutôt  V individuolité  des  peines  a  ainsi 
pour  conséquence,  dans  la  procédure,  la. person7ialisation  ou 
plutôt  ï individualisation  de  r action  publique.  Cette  concep- 
tioQ  a  trois  corollaires  pratiques  :  l*"  L'action  publique  ne 
peut  être  exercée  que  contre  un  individu  certain  et  déter- 
miné; 2^  L'action  publique  ne  peut  être  exercée  que  contre 
un  individu  qui  est  auteur  ou  complice  d'une  infraction; 
3*  L'action  publique  est  exclusivement  dirigée  contre  l'in- 
culpé, et  si  celui-ci  est  un  incapable,  il  n'est  pas  besoin  d'ap- 
peler en  cause  son  représentant  ou  son  conseil. 

102.  Au  point  de  vue  de  l'exercice  de  l'action  publique, 
il  V  a  lieu  de  faire  une  distinction  essentielle  entre  les  deux 

m 

phases  du  procès  pénal. 

a)  L'action  publique  peut  être  dirigée  contre  inconiiu  lors- 
qu'elle tend  à  la  découverte  de  la  vérité  par  le  moyen  d'une 

"  La  question  que  jVxaminc  ici  ne  paraît  pas  avoir  pn''i)Ci'upé  la  doctrine. 
Je  ne  connais  aucun  auteur  qui  l'ait  examinée.  La  jurisprudence  ue  paraît 
pas  non  plus  avoir  eu  de  nombreuses  occasions  do  la  résoudre. 


222      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE- 

instruction.  Le  réquisitoire  à  fin  d'infortner  ou  iniroductif^ 
qui  est  le  premier  acte  de  la  procédure  préalable,  énonce  le 
fait  matériel,  le  lieu  et  la  date  approx.imative  où  il  a  été  corn* 
mis;  il  qualifie  le  délit,  vise  Tarlicle  de  loi  qui  paraît  s*y  ap- 
pliquer et  désigne  Tiodividu  soupçonné,  mais  seulement  s'il 
est  connu  ^  L'instruction  a  pour  objet  de  déterminer  si  un 
procès  doit  être  fait  et  à  qui  il  doit  être  fait.  Aussi  la  saisine 
du  magistrat  instructeur  a  lieu  in  rem  et  contre  tous  ceui  qui 
pourraient  avoir  commis  le  fait  à  l'occasion  duquel  Tinstruc- 
tion  est  ouverte*.  1 

b)  Mais  quand  elle  tend  à  établir  la  culpabilité,  Taction    ) 
publique  doit  être  dirigée  contre  un  individu  certain  et  dé-    \ 
terminé.  Le  nom  de  cet  individu  peut  être  inconnu,  son  état 
civil  ignoré  :  qu'importe?  on  le  poursuivra  et  on  le  condam- 
nera si  ridentité  entre  l'inculpé  et  l'individu  qui  a  commis!^ 
fait  peut  être  établie^  En  un  mot,  la  saisine  devant  les  juri' 
dictions  de  jugement  a  toujours  lieu  in personam.  La  citatiot^ 
ou  l'ordonnance  de  renvoi  désigne  toujours  l'inculpé.  Ce  n'es^ 
pas  un  délit  qui  est  recherché  et  poursuivi,  c'est  un  déliîi  — 
quant. 

Du  reste,  la  capacité  juridique  du  défendeur  à  l'action  pu-^ 
blique  est  absolument  sans  influence  sur  la  procédure,  ainsi 
que  nous  le  constatons  plus  loin.  Ce  qui  est  essentiel,  c'est 
que  la  poursuite  vise  l'individu  que  le  ministère  public  pré- 
tend faire  condamner  à  une  peine,  parce  que  cet  individu  est 
coupable  du  fait  qui  lui  est  reproché. 

103.  La  responsabilité  pénale  étant  seule  mise  en  jeu  par 


§  XVI.  *  Les  instructions  ouvertes  contre  X....  n'ont  donc  rien  d'anoF- 
mal.  Elles  n'aboutissent  pas  toujours  à  dégager  Vinconiiu,  mais,  dans  tous 
les  cas,  elles  tentent  de  le  faire. 

*  Lorsqu'il  s'agit  d'un  acte  de  contrainte  individuelle,  tel  que  la  déli- 
vrance d'un  mandat,  le  magistrat  instructeur  est  bien  obligé  de  désigner  un 
individu  dont  il  peut  ignorer  le  nom,  mais  qu'il  décrit  d'une  façon  suffi- 
samment précise,  par  son  signalement,  pour  que  le  porteur  du  mandat  puisse 
l'appliquer  à  l'individu  désigné  (C.  instr.  cr.,  art.  91  à  412). 

3  Voy.  une  espèce  intéressante  dans  Cass.,  45  févr.  1849  (D.  49.  4.  135). 


I 


CONTRE  QUI    L*AGTION   PUBLIQUE  PEUT  StRE   INTET^TÉB.      223 

l'action  publique,  il  faut  que  Tioculpé  soit  auteur,  coauteur  oo 
complice  de  rinfractioQ  incriminée. 

ËQ  dehors  de  ce  cercle  bien  délimité,  Taclion  publique  est 
irrecevable.  De  cette  règle,  je  conclus  :  i*  Que  Taclion  publi- 
que ne  peut  être  dirigée,  tout  au  moins  au  point  de  vue 
de  la  peine,  contre  les  personnes  civilement  responsables; 
?  qu'elle  ne  peut  l'être  contre  les  personnes  morales;  3*"  qu'elle 
ne  peut  Tétre  contre  les  héritiers  des  auteurs  ou  des  compli- 
ces du  délit. 

I.  L'action  publique  n'est  pas  recevable,  âti  point  de  vue 
de  la  peine,  contre  les  personnes  qui,  bien  que  n'ayant  par- 
ticipé au  délit  ni  comme  auteurs,  ni  comme  complices,  sont 
cependant  civilement  responsables  du  dommage  que  le  délit 
a  causé*.  Sans  doute,  le  ministère  public  peut  actionner  ces 
personnes,  en  même  temps  que  les  auteurs  et  les  complices 
du  délit,  devant  les  tribunaux  de  répression,  pour  demander 
leur  condamnation  SiU\  frais  de  la  poursuite,  en  tant  que  civi- 
lement responsables  de  ces  frais*.  Mais  ce  n'est  pas  précisé- 


*Ca8S,,  16  nov.  18'*l  (D.  A.,  v'»  Instr,  cWm.,  n.  82).  Cet  arrOt  coq- 
lienldes  motifs  intt^ressants  sur  la  distinction  entre  l'action  publique  pour 
i'application  des  peines,  et  l'action  privée  en  réparation.  —  Comp.  Cass., 
6déc.  1861  (D.  62.  5.79);  2i  avr.  1891  (D.  93.  1.  49);  21  juin  1895  (D.  95. 
1.  438);  13  juin.  1898  (D.  96.  1.  50). 

'Le droit  du  ministère  public  de  requérir  la  condamnation  des  personnes 
civilement  responsables  aux  frais  et,  par  suite,  de   les  assigner,   en  même 
temps  et  devant  les  mômes  juges  que  les  prévenus  et  accusés,  pour  obtenir 
cette  condamnation,  paraît  consacré  par  l'article  194  du  Code  d'instruction 
criminelle  :  «  Tout  jugement  de  condamnation  rendu  contre  le  prévenu  et 
les  personnes  civilement  responsables  du  délit,   ou  contre  la  partie  civile, 
les  condamnera  aux  frais,  même  envers  la  partie  publique  ».  Acide,  arti- 
cle 156  du  décret-loi  du  18  juin  1811.  Sans  doute,  ces  textes  sont  étrangers 
aux  droits  du  ministère  public  :  mais  ils  posent  un  principe  d'où  résultent  ces 
droits.  Les  frais  occasionnés  par  la  poursuite  du  délit  sont  une  conséquence 
de  ce  délit,  et  la  partie  publique  trouve,  dans  les  frais  ainsi  exposés,  un  inté- 
rêt qui  justifie  son  action  :  elle  peut  donc,  en  exerçant  l'action  publique,  agir 
accessoirement,  et  dans  la  mesure  de  cet  intérêt,  contre  la  personne  civile- 
ment responsable.  C'est  sur  ce  terrain  que  la'  Cour  de  cassation  a  placé  très 
nettement  sa  jurisprudence  :  Cass.,  13  déc.  1856  (D.  57.  1.  78)  :  «  Attendu 
«c  qu'un  délit  ne  cause  pas  seulement  un  dommage  à  la  personne  qui  en  est 


22 i      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE 

ment  une  exception  aux  principes  généraux  que  régissent,  soi 
l'action  publique,  soit  la  responsabilité  civile,  puisque,  d*uQ( 
part,  Tobligation  de  payer  les  frais  de  justice  constitue  la  ré 
paration,  vis-à-vis  de  TElat,  d'un  préjudice  spécial  causé  pai 
le  délit,  dont  sont  tenues  les  personnes  civilement  respoosa 
blés,  et  que,  d'autre  part,  le  ministère  public,  h  titre  de  re 
présentant  de  TÉlat,  a  bien  qualité  pour  demander  et  obteoii 
contre  elles  cette  condamnation  pécuniaire.  Si  donc  le  minis 
tère  public  n'exerce  pas  l'action  civile  vis-à-vis  des  personne 
civilement  responsables,  en  poursuivant  leur  condamnalioi 
aux  frais,  il  leur  demande  cependant,  par  Vocfioîi  publique 
de  réparer  le  préjudice  causé  h  l'Ëtat  par  la  nécessité  mèm 
011  se  trouve  placé  son  représentant  d'engager  le  procès  péoa 
contre  l'auteur  de  l'infraction*. 

Du  reste,  l'action  publique  peut  être  dirigée  contre  les  pei 

M  virlime;  qu'il  occasionne  également  un  préjudice»  au  Trésor  public,  quar 
«  rolui-ci  se  Injuvi»  contraint  de  Faire  Tavance  des  frais  de  la  poursuite  c 
«  ri g<^e  contre  le  prévenu;  qu'en  ce  cas,  la  condamnation  aux  dépens  pr 
((  noncée  tant  contre  le  prévenu  déclaré  coupable  que  contre  la  partie  civ 
«  lement  responsable  aux  termes  de  l'article  19 i  du  Code  d'instrucli( 
«  criminelle,  en  devient  la  justr  réparation,  et  ne  peut  être  subordonnée 
«  l'interv<'ntion  d'une  partie  civile  en  cause,  ni  h  une  condamnation  enve 
«  elle  k  des  dommages-intérêts  ». 

•  En  sens  contraire  cependant  :  Maurice  Leven,  De  rexcrcicc  de  Vacti 
civile  par  la  mhmth'e  public  (Urr.  trimrstriellc  de  droit  civil,  I.  i,  190 
p.  r»2H  à  îi+t).  «<  Arrivé  au  terme  de  ct.'tte  étude,  écrit  l'auteur,  nous  po 
<i  vous  conclure  (jue  rien  ne  semble  justifier  les  poursuites  dirig»»es  par 
.  «  ministère  publir  contr»' l<'s  personnes  civilement  responsables.  Ell^^s  co 
«  stituenl  même  une  violation  des  articles  1  et  3  du  Code  d'instruction  ci 
«  minelle,  une  atteinte  aux  droits  de  la  partie  lésée,  à  la  faculté  qu'elle 
«  d'exercer  l'action  civile,  d'y  renoncer,  de  transiger  avec  elle  ».  Cette  di 
sertation  ne  nous  a  pas  convaincu.  Il  ne  s'agit  pas,  en  ftTet,  de  la  rép 
ration,  vis-à-vis  de  la  victime  du  ibMit,  d'une  partir  tlu  dommage  qui  1 
a  ét^  caus«'.  G'ite  n'paratiini  fst  exclusivement  rés»Tvép  à  Ja  partie  civi! 
sur  les  droits  et  les  intérêts  de  laquelle  le  ministère  public  n'a  pas  à  usu 
per.  Il  s'agit  d'un  donmia^i-  causé  à  l'Ktat,  dont  le  mini>tére  pul>lic  ei 
dans  la  rinonstance,  le  seul  rfprés»M)tanl,  par  Texerciee  même  de  Vacti 
piUilique.  La  ré[>aration  de  o»'  dommage  spécial  est  un  acees.soire  de 
poursuite,  il  peut  être  deniaiidé  .mi  même  l«Mnps  l't  «Irvaut  les  mêmes  jug 
et  j»ar  la  même  action. 


CONTRE   QUI    i/aCTION   PUBLIQUE  PEUT   KTRE  INTENTEE.      22S 

^Dnescivilcmenl  responsables,  lorsque  la  respoosabililc  cWilc 
«xpose  ceux  qui  eo  sont  tenus  à  des  peines  pécuniaires.  Ce 
résaltat  se  produit  dans  des  circonstances  assez  nombreuses. 
D'abord,  des  textes  formels  cdictent  Tamende,  sous  des  con- 
dîlioDs  déterminées,  contre  certaines  personnes  civilement 
responsables ^  En  second  lieu,  les  tribunaux  donnent  à  ces 
dispositions  une  interprétation  très  large  et,  pour  les  faits 
quelles  visent,  étendent  la  responsabilité  civile  à  Tamende, 
lors  même  que  manque  quelqu'une  des  conditions  prévues 
parla  loi*.  Enfin,  la  jurisprudence  admet  que  les  individus 
civilement  responsables  sont  parfois  tenus  de  peines  à  raison 
d'infractions  qu'aucune  loi  expresse  n'excepte  du  droit  com- 
mun. «  Les  règlements  relatifs  à  Texercice  d'une  profession, 
^disent,  depuis  longtemps,  les  arrêts,  obligent  tous  ceux  qui 

exercent  cette  profession  ;  ils  sont  donc  passibles  des  peines 
«pour  toule  infraction  fi  ces  règlements,  soit  que  Tinfraction 
*  résulte  de  leur  fait,  soit  qu'elle  ait  été  commise  par  leurs 
^■ouvriers  ou  préposés'». 

Dans  les  industries  réglementées,  le  patron  est  donc  exposé 
à  payer  l'amende  pour  les  acles  des  gens  qu'il  emploie.  Bien 
plus,  les  dernières  décisions  de  la  jurisprudi^nce  semblent  ne 
plus  limiter  à  ces  industries  la  règle  spéciale  qu'elles  établis- 
sent; leurs  formules  se  rapprochent  de  celle  du  Code  pénal 
ilalien  (art.  60)'"*  et  embrassent  toutes  les  hypothèses,  où  il 

•  Loi  6-22  août  1791,  lit.  XIII,  art.  20:  d.'cret  du  4  germ.  un  II,  lit.  HT, 
art.  8,  sur  les  douanes;  d(^cret  du  i^*"  ^orm.  an  XFFI,  art.  :r>,  sur  les  con- 
trilmlions  indirectes;  arr<?t»»  consulaire  du  27  prair.  an  IX,  sur  les  infractions 
ftostales;  C.  forest.,  art.  4"»  et  40,  concernant  les  délits  forestiers  spécifiés. 

'Cass.,  il  ocl.  1834  (S.  34.  1.  708);  30  nov.  1869  (S.  70.  1.  ÏIH).  Voy. 
mon  TraiU'  thèor,  et  prat.,  2«  éd.,  t.  2,  p.  57S,  ii»  233;  Pabon,  Traité  des 
ififr.,  du  cont.  et  des  tarifs  des  douanes,  n""  276,  p.  Ki7. 

»  V.Cass.,  4janv.  I8i2  (S.  42.  1.  885).  Comp.  Cass.,  28  janv.  i8:»9(S.r)9. 
1.364;;  26  août  1859  (S.  59.  1.  973);  30  déc.  1892  et  12  mai  1893  (S.  94. 1. 
201)  et  la  note  de  M.  Villey  ;  19  avr.  1804  (S.  9  k  1.  301)  ;  31  jiiill.  1893  (S. 
9t.  1.  202);  Paris,  23  nov.  1894  (S.  96.  2.  9). 

*"  (•  Dans  les  contraventions  commises  par  celui  qui  est  soumis  à  Taulo- 
filé,  à  la  direction  ou  à  la  surveillance  d'antrui,  la  peine,  indr^pendamment 
•Je  Ct*  qui  concerne  le  préveuu,  est  ap[>liquée  également  à  la  personne,  soit 

G.  P.  P.  —  i.  ir» 


226    nrjrit^r:n,E  pfeALE.  —  des  actions  publique  et  citile. 

ré*it\iej  «oit  dfj  teife,  ^Ai  (U^  l'esprit  de  la  loi. qu'une  personne 
doit  f;%ercer  une  action  dirrcte  sur  le  fait  d'autrut.  Cela  suffit 
pour  qufr  cette  personne  subisse  des  coodamnations  pénales, 
qnand^  n'ayant  pas  exercé  la  surveillance  qui  lui  încombail. 
elle  a  lais^^é  des  infractions  se  commett^e'^  Ce  n'e>t  pas  ici  It 
lieu  de  discuter  ce^*  extensions  successives  données  par  la  juris- 
prudence â  la  responsabilité  civile  et  la  transformation  qu 
est  en  voie  de  s'accomplir  du  civil  au  pénal.  Il  convient  seu 
lement  de  r^-marquer  que,  pour  les  faits  d'ordre  fiscal,  la 
mende  est  considérée  comme  une  réparation  et  Faction,  don 
née  ;i  Tadministration  pour  la  faire  prononcer,  comme  UQ( 
action  plulot  civile,  tandis  que,  pour  les  faits  d'ordre  noi 
fiscal,  l'amende  ne  cesse  pas  d'être  une  peine  propremen 
dite  et  Taction  qui  a  pour  but  de  la  faire  appliquer  est  biei 
Tactiori  publique  ordinaire.  Dans  le  premier  groupe  d'hypo 
thèsf'S,  Tadfninislration  fiscale  ou  le  ministère  public  qui  l 
représente,  defnaiide  la  prononciation,  par  les  tribunaux  d 
répression,  d'une  sorte  de  composition,  dont  le  bénéfice  65 
attribué  ;ï  l'administration  elle-même.  Dans  le  second,  1 
ministère  public  poursuit  l'application  de  peines  de  négl 
tjvnv.e  et  met  en  jeu  la  responsabilité  personnelle  d*un  chi 
d*indiistrie,  d'un  propriétaire,  etc.,  qui  a  manqué  A  une  obi 
gation  légale,  imposée  sous  la  sanction  d*unc  peine. 

11.  Le  défendeur  à  Taction  publique  est  toujours  un  iiui 
indu,  \\\\i\  personne  pliysique,  en  chair  et  en  os  :  ce  ne  pei 
être  une  personne  morale.  II  eslde  règle,  dans  notre  jurispri 

invi'slir  <li*  raiilnrih',  suit  i:!iîirtc«'c  <Io  la  din^clion  ou  de  la  surv^MlIance,  t 
s*ii^it  <!«•  rniilravorilii»ns  \\.  <I<*s  dispositions  (jiio  cette  personne  râlait  teni 
de  faire  nhsiTVJîp  i»l  si  la  eniitravenlii>n  pouvait  être  empêcha?  par  sa  dil 
frenei>.  ».  (loinf».  C.  [hm:.  all(>mand,  §  301. 

«»  V.  (:a>s.,:M)  ci.T.  Wyi  et  12  mai  1893,  précil.'îs;  lOavr.  189*  (U.  96. 
r>i)  :  «<  Attendu,  lit-on  dans  ce  dernier  arrêt,  (jue  si,  en  principe,  nul  n'e 
«  passihlf  df  peim's  iju'à  raison  de  son  tait  persunnel,  la  responsabilité  p 
••  nali  peut  ('(^pendant  naître  du  lait  d'aulrui,  dans  les  cas  exceptionnels  < 
«•  n'rtaines  «d^lijj^ations  U'-f^alrs  imp«)sent  le  devoir  d'exercer  une  action  dirci 
M  >ur  les  i'jjits  d'un  auxiliain*  ou  d'un  sidMirdouné  ^).  V.  aussi  Limoges,  6  ju 
IH7-2  (S.  "ri.  'l,  lSi\  C.unp.  Cliauv.MU  et  llélie,  t.  1,  n»  130,  p.  228  et  ni' 
'ÏMÙU'  thtov,  (7  piat.f  2»  éd.,  t.  0,  n^  2278  à  228 1. 


CONTRE   QDI   l'aCTION  PUBLIQUE   PEUT    ÊTRE   INTENTÉE.      227 

dence  pratique,  que  les  univenitates  penonarum  ou  bonoriim 
ne  sont  pas  pénalemcot  responsables.  La  raison  en  est  que  les 
peines  sont  personnelles,  proportionnées  à  la  culpabilité  de 
chaque  agent  du  fait  délictueux,  et  ne  peuvent  atteindre  que 
cet  agent  personnellement.   D^oii  il  suit   que  le  ministère 
public  engagerait  mal  Faction  publique  en  citant  une  fonda- 
tion ou  une  corporation  devant  les  tribunaux  répressifs  pour 
lui  faire  appliquer  une  peine.  Une  personne  morale  est  bien, 
aui  yeux  de  la  loi,  un  être  susceptible  d'accomplir  des  actes 
juridiques,  donc  de  figurer  comme  défendeur  dans  une  in- 
stance. Mais,  on  Ta  dit  avec  raison,  «  cette   fiction   légale 
cesse  précisément  là  où  la  réalité  commence  »,  c'est-à-dire 
devant  une  juridiction  pénale  qui  demande  compte  au  pré- 
venu de  ses  actes  personnels.  Un  être  moral,  simple  fiction 
delà  loi,  ne  peut  pas  agir  par  lui-même.  Son  existence  ne  se 
manifeste  que  par  Tintermédiaire  d'autrui.  Comment  punir 
un  être  fictif  qui  n'existe  et  n'a  de  volonté  que  par  son  repré- 
sentant? Comment  infliger  une  peine  à  un  autre  que  celui 
qui  a  commis  Tinfraction''?  Mais  si  les  personnes  morales  ne 
peuvent  être  poursuivies  pénalement,  elles  peuvent  être  dé- 
clarées civilement  responsables,  même  par  les  tribunaux  de 


"  La  personnalité  des  peines  a  deux  conséquences,  à  re  point  de  vue  : 
i' quant  à  la  procédure  de  racfion  publique  :  celle  nnlion  ne  peut  ^Ire 
'lirigée  contre  une  fondation  ou  corporation,  elle  doit  l'être  individuellement 
^t  distinctement  contre  chacun  des  individus  qui  la  représentent,  dans  la 
fflesure  où  ils  ont  participé  au  délit;  2^  quant  à  la  pcnalUê  :  une  peine  d'a- 
mende et  de  confiscation  ne  peut  ôtnî  prononcée  contre  une  société,  une 
corporation,  mais  individuellement  contre  chacun  des  coupables.  Cfr.  Cass., 
10  mars  4877  et  8  mars  1S83  (D.  84-.  1.  429);  Paris,  10  déc.  188"»  (S.  86.  2. 
^J);  Orléans,  8  nov.  1887  (1).  87.  2.  07)  et  ma  note.  Mais  la  jurisprudence, 
dans  les  arrêts  où  elle  affirme  ces  deux  règles,  a  soin  de  réserver  les  hypo- 
thèses où  il  en  est  iiutrement  décidé  par  la  loi.  Il  existe,  en  elfet,  quelques 
tts  de  responsabilité    pénale  collective  consacrés   par  des  textes  formels 
(V,  pfir  exemple  :  C.  for.,  art.  23  et  34,  établissant,  pour  les  cas  qu'il  prévoit, 
la  responsabilité  pénale  des  communes.  Voy.   éf^alement  L.  17  juill.  1874, 
art.  5).  On  consultera,  sur  ce  sujet,  l'excellente  thèse  de  doctoral  de  M.  r»ou- 
Tier,  De  la  responsabilité  pénale  et  civile  des  personnes  rnuinlrs  en  droit 
français,  1887. 


228       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

répression  '',  à  raisoD  des  délils  commis  par  leurs  agents,  h 
droil  commun  leur  est,  à  ce  point  de  vue,  applicable.  C'esi 
ainsi  que  1rs  compagnies  de  chemins  de  fer  sont,  tous  le$ 
jours,  citées,  devant  les  tribunaux  correctionnels,  comme  civi 
lement  responsables  des  délits  commis  par  leurs  agents  dan* 
les  fonctions  auxquelles  ceux-ci  ont  été  préposés ^^  L'arliclt 
106,  de  la  loi  municipale  du  5  avril  i88i,  rend  les  commune: 
civilement  responsables  de  certains  délits  commis  sur  Jeui 
territoire.  Nul  doute  que  les  communesne'puissent  être  citées 
à  ce  titre,  avec  les  auteurs  de  ces  délits,  devant  les  tribunaux 
de  répression,  mais  comme  civilement  responsables. 

J'ai  présenté,  jusqu'ici,  comme  une  fiction,  Texislence  de: 
personnes  morales.  Mais  on  sait  que  le  concept  de  la  person 
nalité  morale  a  été  repris,  examiné  et  retourné,  dans  ces  der 
nières  années,  soit  en  France,  soit  à  l'étranger. 

Deux  théories  ont  été  opposées  à  la  théorie  traditionneIK' 
D'après  la  première,  les  personnes  morales  seraient  no 
plus  des  fictions,  mais  des  êtres  réels,  indépendants  des  indi 
vidus  qui  les  composent,  et  agissant  comme  des  individu^ 
quoique  par  des  procédés  différents  :  elles  pourraient  dof 
faire  le  mal,  délinquer,  être  punies''.  D'après  la  seconde,  loi 
d'avoir  une  existence  distincte  des  individus  qui  la  comp< 
sent,  la  personne  morale  ne  serait  qu'une  construction  art 
ficielle,  imaginée  par  les  juristes  pour  abriter  la  proprié; 
collective  et  l'opposer  à  la  propriété  individuelle.  «  Ce 
«  une  idée  incompréhensible,  écrit  M.  PlanioP*,  qu'il  puis: 
«  y  avoir  sur  la  terre  des  titulaires  de  droits,  autres  que  h 
«  hommes  ».  Le  temps  serait  donc  venu  de  dissiper  ce  fai 

^•»  Aly:ei\  -Z'J  mars  1871)  (1).  81.  2.  03;. 

**  Je  n'ai  pas  à  examiner  ici  s'il  exisle  ou  non  une  contradiction  ent 
la  silu.ilion  laite  aux  personnes  morales  an  point  de  vue  de  la  responsal 
lile  pénale  *'[  ccdle  qui  leur  est  faite  au  point  de  vue  de  la  responsabili 
civih».  Voy.  Mestr»»,  Les  personnes  morales  et  le  problème  de  leur  respoiis 
biliié  (Tlj.''doct.,  Paris,  1800},  p.  238  à  2ii. 

^^  Voy.  A.  M<*stre,  op.  eit.,  passim.  (À*mp.  Séon,  Étude  sur  la  responsi 
bilitè  pénale  et  eiiile  des  sijndicats  professionnels  (Th.  doci.,  Dijon,  1000). 

•^  Traite  de  droit  ciril  (3*  éd.),  t.  1,  p.  0K3,  note  3.  Voy.  ëgalemenl  u 
note  de  l'ianiol,  suus  Lyon,  2  mars  1803  (D.  O'k  2.  30:)). 


CONTRE   QUI   l'action   PUBLIQUE    PEUT    ÊTRE   INTENTÉE.       229 

lôme  de  la  personnalité  civile  pour  ne  retenir  que  la  réalité 
qu'il  recouvre  :  à  savoir  une  masse  de  biens  dont  les  élé- 
ments se  rattachent  aux  individus  composant  la  collectivité. 

Je  ne  sais  s'il  est  exact. de  voir,  dans  la  personnalité  mo- 
rale, une  simple  construction  juridique  recouvrant  la  réalité, 
c'est-à-dire,  au  point  de  vue  des  biens,  une  masse  collective 
sans  indivision,  et,  au  point  de  vue  des  individus,  un  groupe- 
ment de  volontés  coordonnées  dans  un  but  commuf).  Il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  Têtre  moral  est  le  support  technique 
nécessaire  des  individus  composant  la  collectivité  et  la  raison 
même  de  leur  indétermination.  Nous  savons  bien,  en  effet, 
que  «  les  personnes  sont  des  hommes  envisagés  sous  le  rap- 
port du  droit'^  »  ;  mais  nous  savons  aussi  que  les  hommes 
peuvent  être  envisagés,  soit  comme  individus,  soit  comme 
groupes  d'individus.  Ils  agissent  individuellement  ou  collec- 
livement  et  commettent  des  délits  en  abusant  de  l'une  ou  de 
l'autre  de  ces  deux  formes  d'activité.  Or,  c'est  en  nous  pla- 
çant sous  ce  dernier  angle  que  nous  allons  examiner  deux 
questions  essentielles,  qui  mettent  en  jeu,  tout  à  la  fois,  les 
principes  du  droit  pénal  et  ceux  de  la  procédure. 

a)  La  force  des  choses  ne  permet  pas  que  les  personnes 
morales  soient  atteintes  par  les  pénalités  arfliclivescorporelles, 
telles  que  Temprisonnement*'.  Mais  rien  ne  s'opposerait,  en 
fait,àce  qu'elles  soient  frappées,  dans  leur  patrimoine,  par  des 
peines  pécuniaires,  amendes,  confiscations.  Il  est  cependant 
dérègle,  dans  notre  droit,  que  l'action  publique  ne  peut  être 
iotentéecontre  une  réunion  d*individus  formant  une  personne 


"  Demanle  et  Colmet  de  Saiilerre,  Cours  analytique  de  Code  cîtiV (3e  (?(!., 
1895),  t.  i,  nM3,  p.  63. 

*'  Voy.  sur  ce  point,  les  observations  de  Rousseaud  de  la  Combe,  3fa^té- 
Tf s  criminelles,  p.  320,  à  propos ducomnncntaire  de  l'article  4  du  titre  XXI, 
«ie  l'Ordonnance  de  1070,  sur  la  manioredo  faire  le  procès  aux  communautés 
fies  villes,  bourgs  et  villages,  corps  et  compagnies.  «  Les  condamnations  ne 
••  pourront  être  que  de  réparation  civile,  dommages  et  intérêts  envers  la  par- 
"  lie,  d  amende  envers  nous,  privation  de  leurs  privilèges,  et  de  quelque 
■  îiulre  punition  qui  marque  publiquement  la  peine  qu'elles  auront  encou- 
•  rue  par  leur  crime  ». 


230       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

civile,  telle  qu'une  société  de  commerce,  une  commune,  etc.*'. 
L'application  en  a  été  faite,  particulièrement,  en  cas  de  délit 
de  contrefaçon  commis  par  une  société  de  commerce,  et  il  a 
élésouventdécidé  qu'on  ne  pouvait  poursuivre  pénaleinenl  la 
société,  mais  que  l'action  devait  être  engagée,  à  peine  de  nul- 
lité de  la  citation,  contre  les  individus,  administrateurs,  direc- 
teurs, qui  avaient  personnellement  contrefait,  acheté,  intro- 
duit ou  exposé  des  objets  contrefaits^"*. 

Mais  il  existe  un  certain  nombre  d'exceptions  à  la  règle 
suivant  laquelle  les  personnes  morales  ne  peuvent  être  pour- 
suivies pénalement. 

Ainsi,  en  matière  forestière,  l'amende  doit  être  prononcé» 
contre  une  commune,  lorsqu'il  s*agit  d'infractions  à  des  dis 
positions  qui  sont  imposées  à  celle-ci  entant  qu'être  collectil 
propriétaire  ou  usager  de  forêts  (C.  for.,  art. 82, 132, 199). L 
loi  édicté,  en  certains  cas,  une  responsabilité  pénale  contr 
certaines  personnes  morales,  les  compagnies  de  chemins  d 
fer,  relativement  aux  amendes  de  grande  voirie  (L.  15  juil 
1816,  art.  12,  15  et  21).  Sous  l'empire  de  la  loi  du  10  vend( 
miaire  an  IV,  restée  en  vigueur  jusqu'à  la  loi  municipale  d 
5  avril  1884,  les  communes  encouraient  une  responsabilil 
pénale  en  cas  de  délits  commis  par  des  attroupements  ou  rai 
semblements.  Elles  n'encourent  plus  qu'une  responsabilil 
civile  légale  (art.  106j. 

b)  Le  ministère  public  ne  devrait-il  pas  être  armé  d'un 
action  spéciale  pour  requérir  la  nullité  ou  la  dissolution  c 
toutes  les  agrégations  d'hommes,  de  toutes  les  association 
sortant  des  bornes  de  leur  action  légale,  et  menaçant,  par  cel 
même,  l'ordre  public?  Cette  action  paraît  être  la  contre-pari 
nécessaire  de  la  liberté  d'association.  Aussi  a-t-elle  été  orgi 
nisée  par  la  loi  même  du  1"  juillet  1901,  qui  accorde  aux  a 
sociations  déclarées  la  capacité  juridique,  qui  permet  ai 

*•  Sur  les  développements  de  cette  jurisprudence  que  nous  avons  déjà  fj 
connaftredans  la  note  12  :  Mestre,  op,  ciL,  p.  231  à  233. 

'-*•  Ajoutez  aux  arrêts  cités,  note  12  :  en  matière  de  contrefaçon  artistique 
Nancy,  Il  déc.  1890  (D.  91.2.  375);  en  matière  d'infraction  à  un  arrêté 
police  :  Cass.,  8  mars  1883  (D.  84.  4.  429);  17  déc.  1891  (D.  92. 1.  365,. 


CONTRE   QUI  l'action   PUBLIQUE   PEUT   ÊTRE   INTENTÉE.        231 

associations   reconnues  d*uli]ité  publique  de  faire  tous  les 
actes  de  la  vie  civile  qui  ne  sonl  pas  interdits  par  leurs  sta- 
tuts, qui  déclare  enfin  que  les  associations  de  personnes  pour- 
ront se  former  librement,  sans  autorisation  ni  déciarutioa 
préalables  (art.  1,  2,  5  et  6).  Mais  la  loi  prévoit  deux  sortes  de 
dêlitfi  (f  association.  Celui  qui  consiste  à  former  une  associa- 
tion nulle.  i(  Toute  association  fondée  sur  une  cause  ou  en  vue 
d'un  objet  illicite,  contraire  aux  lois,  aux  bonnes  mœurs, 
<'  ou  qui  aurait  pour  but  de  porter  atteinte  à  Tintégrité  du 
'<  territoire  national  et  à  la  forme  républicaine  du  gouverne- 
«  ment  est  nulle  et  de  nul  effet  ».  La  mise  en  œuvre  de  cette 
sanction,  prononcée  par  l'article  3,  est  organisée  par  le  §  1* 
de  l'article  7,  en  ces  termes  :  «  En  cas  de  nullité  prévue  par 
'l'article  3,  la  dissolution  sera  prononcée  par  le  tribunal 
'-'  civil,  soit  à  la  requête  de  tout  intéressé,  soit  à  la  diligence 
'«  du  ministère  public  ».  Le  délit  consiste,  pour  une  associa- 
tion licite,  à  contrevenir  aux  dispositions  réglcMuentaires  qui 
lui  sont  imposées  par  l'article  5.  Le  §  2  de  l'article  3  déclare: 
<  En  cas  dlnfraction  aux  dispositions  de  l'article  5,  la  disso- 
«  lution  pourra  être  prononcée  h  la  requête  de  tout  intéressé 
^  ou  du  ministère  public  ».  Le  délit  des  individus  est  prévu 
par  l'article  8  :  il  est  poursuivi,  conformément  au  droit  com- 
mun, devant  le  tribunal  correctionnel.  Mais  le  délit  de  f  asso- 
ciation est  frappé  d'une  peine  siii  yeneris,  la  dissolution,  qui 
€St  prononcée  par  le  tribunal  civil.  Ainsi  se  trouve  restaurée, 
par  la  loi  même  qui  rétablit  la  liberté  de  Tassociation,  cette 
répression  corporative  que  l'article  292  du  Code  pénal  organi- 
sait, du  reste,  comme  l'accessoire  de  la  répression  individuelle, 
contre  les  associations  formées  sans  autorisation.  Je  remarque 
aussi  que  la  loi  du  1"  juillet  1901  est  imprégnée  de  la  concep- 
tion traditionnelle  de  la  personnalité  morale  :  Tactiou  qu'elle 
ouvre,  au  ministère  public  comme  à  tout  intéressé,  a  précisé- 
ment pour  objet  d'obtenir,  du  tribunal  civil,  la  disparition 
du  support  qui  soutient  le  patrimoine  et  le  groupement  des 
associés. 

lU.  L'action  publique,  à  la  différence  de  l'action  civile, 
Test  pas  donnée  contre  les  héritiers;  elle  «  s'éteint  par  la 


! 


232      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

mort  du  prévenu  »  (C.  instr.  cr.,  arl.  2).  11  importe  peu  que,  à 
répoque  du  décès  de  ce  dernier,  l'aclion  publique  n'ait  pas 
encore  été  intentée,  ou  que  le  ministère  public  ait  déjà  com- 
mencé des  poursuites,  et  que,  dans  ce  dernier  cas,  le  prévenu 
soit  décédé  avant  le  jugement  ou  après  la  condamnation  :  il 
suffit  que  la  condamnation  n'ait  pas  acquis  raulorité  de  la 
chose  jugée,  soit  parce  que  le  condamné  Va  attaquée  parla 
voie  de  Tappel  ou  du  pourvoi  en  cassation,  soit  même  parce 
qu'il  est  mort  dans  les  délais  de  l'appel  ou  du  pourvoi,  pour 
que  le  décès  anéantisse  l'action  publique  non  définitivement 
jugée,  et,   par  suite,  la  procédure  et  le  jugement  -*.   Nous 
'  reviendrons  sur  tous  ces  points  à  l'occasion  de  l'extinction  de 
Faction  publique. 

104.  Le  ministère  public  n'a  pas  besoin,  si  le  prévenu  est 
un  incapable,  femme  mariée,  mineur,  interdit,  prodigue, 
d'appeler  en  cause  son  représentant,  son  conseil.  D'une  part, 
laction  est  individuelle,  elle  ne  peut  être  dirigée  que  contre 
le  coupable.  D'autre  part,  l'action  est  inévitable,  et  la  présence 
.  du  représentant  ou  du  conseil  de  l'incapable  ne  lui  serait 
d'aucun  secours**. 

4 

2*  Les  frais  du  procès  engagé  restent  à  la  cliarge  du  ministère  public,  à 
moins  qu'il  y  ait  une  partie  civile  en  cause. 

*'^  Arg.  de  l'article  216  du  Code  civil  et  66  du  Code  pénal.  Comp.  Trib.  de 
la  Seine,  iO  déc.  1896  (S.  98.  2.  220);  Cass.,  27  avr.  1899  (S.  1900.  1.  535) 
et  la  note.  Nous  examinons  plus  loin  la  question  en  ce  qui  concerne  la  partie 
civile. 


235 


CHAPITRE  II 


DE     L  ACTION     CIVILE. 


§  XVII.  -  DE  QUELS  FAITS  NAIT  L'ACTION  CIVILE. 

i05.  L'action  civile  naît  d'un  délit  pénal  dommageable.  —  106.  De  Taction  en  dom> 
mages-intérôts  fondée  sur  un  délit  civil  et  de  l'action  en  dommagîs-intérêts  fondée 
sur  un  délit  pénal.  Comparaison.  —  107.  Du  caractère  dommageable  que  doit 
avoir  le  délit  pénal. 

105.  L*actioQ  civile  ne  peul  naître  que  si  le  fait,  dans  le* 
quel  elle  puise  son  origine,  réunit  deux  caractères  :  si  ce  fait 
est  une  infraction  et  si  celte  infraction  est  dommageable. 

106.  Sans  doute,  un  fait  qui  n'est  pas  prévu  par  la  loi  pé- 
nale, mais  qui,  cependant,  est  injuste  et  dommageable  (un 
délit  ou  quasi'délit  civil)^  peut  i^ngendrer  une  action  en 
dommages-intérêts  (C.  civ.,  art.  1382).  Mais  Vaction  en  dom- 
mages-intér/^tSy  naissant  d'un  délit  civil,  qui  ne  contient  pas  un 
délit  pénal,  diffère,  à  plusieurs  points  de  \ue,dcVaction  civile, 
naissant  d'un  délit  pénal,  qui  contient,  en  même  temps,  un 
délit  civil  :  i""  la  première  ne  |)eut  être  portée  que  devant  les 
tribunaux  civils  ;  la  seconde  peut  aussi,  au  choix  de  la  vic- 
time, être  portée  devant  les  tribunaux  de  répression  (C.  instr. 
or.,  art.  3);  2**  Taclion  en  dommages-intérêts  se  prescrit  par 
trente  ans  (C.  civ.,  art.  2262);  Taction  civile  est  soumise  à  la 
même  prescription  que  l'action  publique  (C.  instr.  cr.,  art.  2, 
637,  638,  640);  3""  Taction  en  dommages-intérêts  tend  à  faire 
reconnaître  et  liquider  une  créance  civile  ordinaire,  dépour- 
vue de  garanties  spéciales;  Taction  civile  aboutit  à  une  con- 
damnation garantie  par  la  solidarité  légale  et  la  contrainte 
par  corps  (C.  p.,  art.  S5  ;   L.  22  juill.  1867,  art.  1"). 

Ce  qui  motive  ces  différences  entre  ces  deux  actions,  qui 
tendent  cependant  au  même  but,  Isl  réparation  du  préjudice^ 


234   PROCÉDURE  PÉNALE. —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  BT  CIVILE.' 

qui  ont  la  môme  cause,  le  dommage  résultant  (Tun  fait  il- 
licite^  et  dont  le  caractère  indemnitaire  est  identique,  c'est 
qu'il  y  a  quelque  chose  de  plus  dans  le  délit  pénal  qu'une  lé- 
sion de  l'intérêt  privé,  il  y  a  une  lésion  de  l'intérêt  social,  et 
l'action  civile,  à  laquelle  donne  naissance  le  délit  pénale  qui 
contient  un  délit  civil,  ne  peut  être  complètement  isolée  de 
l'action  publique.  En  effet,  dans  une  action  en  dommages- 
intérêts  ordinaire,  l'intérêt  social  n'est  pas  directement  en 
cause,  et  lorsque  la  partie  lésée  agit  en  réparation,  le  débat 
s'engage  simplement  entre  un  créancier  et  un  débiteur;  tan- 
dis que,  dans  le  défendeur  à  l'action  civile,  il  y  a,  non  seule- 
ment un  débiteur,  mais  un  coupable. 

La  législation  qui  régit  l'action  civile,  est,  à  certains  points 
de  vue,  plus  favorable  à  la  victime  que  celle  qui  régit  l'action 
«n  dommages-intérêts  ordinaire.  On  donne  à  la  partie  lésée 
Taccès  des  tribunaux  de  répression  et  la  possibilité  de  vaincre 
indirectement  la  mauvaise  volonté  du  débiteur  qui,  bien  sou- 
vent, réparera  le  dommage  qu'il  a  causé,  en  vue  d'éviter  le 
procès  pénal  dont  il  est  menacé.  On  garantit  plus  énergique- 
ment  l'exécution  de  la  condamnation,  en  faisant  de  la  liberté 
du  condamné  le  gage  de  sa  dette.  Mais,  au  point  de  vue  de 
la  prescription,  la  loi  impose  à  l'intérêt  privé  certains  sacrifices 
inspirés  par  la  fausse  notion  de  l'intérêt  général.  La  victime 
d'un  délit  pénal  se  trouve,  en  effet,  souvent  désarmée  pour  ré- 
clamer la  juste  indemnité  qui  lui  est  due,  alors  que  la  vic- 
time d'un  délit  civil  est  encore  en  mesure  de  le  faire. 

107.  L'article  1"  du  Code  d'instruction  criminelle  accorde 
l'action  civile  aux  personnes  «  qui  ont  souffert  du  dommage 
causé  par  Tinfraction  ».  Or,  si  toute  infraction  produit  un 
trouble  social,  et  fait  naître  une  action  publique,  ce  serait  une 
erreur  de  croire  que  toute  infraction  cause  nécessairement 
un  dommage  proprement  dit\  En  effet,  la  loi  pénale  incri- 
mine certains  actes  qui  compromettent  l'existence  ou  l'exer- 

§  XVII.  *  Sur  cette  dislinction   entre  l'action  pénale  et   faction  civile, 
voy.  mon  Vvecis  de  droit  criminel  (8*  éd.),  n*»  43. 


DE    QUELS  FAITS   NAIT   L*ACTION   CIVILE.  235 

cice  de  certains  droits,  sans  y  porter  une  atteinte  actuelle,  et 
sans  qu'il  en  soit  résulté,  pour  une  personne  physique  ou  mo- 
rale, un  dommage  quelconque.  C*est  ainsi  qu'elle  punit  la 
simple  tentative  de  crimes  et  celle  de  certains  délits',  et  que, 
dans  un  but  de  police,  elle  frappe,  de  peines  plus  ou  moins 
graves,  de  nombreux  faits,  qui,  par  eux-mêmes  et  par  eux  seuls, 
n'ont  aucune  conséquence  immédiatement  dommageable, 
tels  que  le  portd*armes  prohibées  (C.  p.,  art.  314),  le  vaga- 
bondage (C.  p.,  art.  277),  etc. 

Quels  caractères  doit  avoir  le  préjudice  causé  par  Tinfrac- 
tion?  A  quelles  conditions  Taction  civile,  basée  sur  ce  préju- 
dice, est-elle  recevable  et  fondée? 

I.  L'infraction  peut  être  la  cause  de  différentes  sortes  de 
préjudice.  Si  elle  atteint  le  patrimoine,  le  dommage  qui  en 
résulte  est  pécuniaire  ou  écortomiqve.  Si  elle  atteint  la  vie,  la 
santé,  la  liberté,  il  est  matériel  ou  p/iz/sique.  Si  elle  atteint 
Thonneur,  la  considération,  la  réputation,  il  asi  7Horal  ou  in- 
tdlectueL  Dans  le  premier  cas  seulement,  une  réparation  en 
argent,  adéquate  au  dommage  éprouvé^  peut  être  obtenue  par 
la  victime  et  accordée  par  le  coupable. 

Dans  les  deux  autres  cas,  toute  réparation,  rigoureuse- 
ment proportionnée  au  préjudice,  est  certainement  impos- 
sible. Faut-il  donc,  pour  que  l'action  civile  puisse  être 
exercée,  que  le  délit  soit  susceptible  d'une  réparation  en 
argent,  équipollente  au  dommage  éprouvé?  Évidemment  non. 

Si  la  lésion  se  répercute  indirectement  sur  le  patrimoine, 
comme  serait  l'atteinte  au  crédit  d'un  commerçant  causée  par 
uoe  diffamation,  l'incapacité  de  travail  d'un  ouvrier  blessé 
dans  une  rixe,  le  préjudice  se  résout  en  un  dommatje  pécxi- 
mire,  et  l'action  civile  est  certainement  recevable.  Mais  on 
a  prétendu  que  le  dommage  moral  proprement  dit  ne  pouvait 

-  La  question  de  savoir  si  celui  qui  a  éir  Tobjel  d'une  tentative  de  crime 
ou  de  di^lit  restée  sans  effet,  est  recevable  à  exercer  Paction  civile,  est  une 
flii*;stion  de  fait  et  non  de  droit.  La  tentative  a  pu  produire  un  etïet  nui- 
?iMe,  un  trouble  quelconque  de  santé.  Il  y  a  là  un  préjudice  qui  se  rattache 
'nr  un  lien  direct  à  la  tentative  et  qui  en  dérive.  Voy.  D.  A.,  Supplément, 
.■*  Procédure  criminelle^  n®  { 62. 


236       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVILE. 

servir  de  base  à  une  action  civile.  Celte  thèse  est,  depuis 
longtemps,  abandonnée  en  France  comme  en  Belgique.  Nous 
n'avons,  en  effet,  dans  notre  droit,  rien  d'analogue  à  udc 
institution  qui  existe,  sous  divers  titres,  dans  certains  pa\s 
étrangers.  Elle  consiste  en  ce  que  les  délits  qui  offensent  Thon- 
neur  de  la  personne  ou  de  la  famille,  alors  même  qu'il  ne 
leur  a  été  causé  aucun  préjudice,  peuvent  motiver  une  con- 
damnation spéciale,  distincte,  à  titre  de  compensation^.  C'est 
là  une  protection  particulière,  expresse,  dont  on  retrouve  la 
trace  dans  le  droit  romain*,  le  droit  germanique,  dans  les 
statuts  du  moyen  âge,  sorte  d'amende  privée,  de  complément 
de  peine,  qui  s'ajoute  au  dédommagement  matériel.  Or,  en 
l'absence  de  cette  institution,  il  serait  peu  équitable  de  pri- 
mer la  personne  offensée  de  la  réparation  ordinaire  qui  ne 
peut  lui  être  fournie  que  sous  forme  de  domniaf/es-intér^ts. 
Et  la  loi  française  n'ayant  exigé,  nulle  part,  la  nécessité  d'un 
dommage  pécuniaire  ou  matériel  pour  donner  ouverture  à 
faction  civile,  on  en  a  conclu,  à  bon  droit,  qu'un  dommage 
moral  pouvait  lui  servir  également  de  base.  En  effet,  l'ar- 
ticle 1382  du  Code  civil  et  Tarticle  1"  du  Code  d'instruction 
criminelle,  parlent,  d'une  manière  générale,  de  <*  dommage  », 
sans  distinguer  entre  ces  différentes  espèces  de  dommages  e|, 
notamment,  sans  exclure  le  dommage  moraP.  Sans  doute,  la 

^  Comp.  C.  p.  ilal.,  arl.  37  et  38  et  G.  de  proc.  pt^ri.  ital.,  art.  760;  C.  al- 
lemand, §§  i86-l88.  La  pratique  aiiglo -américaine  est  constante.  V'oy.  Tra- 
vaglia,l/rtMoro  Codice  pénale, parle  fjenerale,  dei  reati  et  délie  pêne  (Rome, 
1889),  t.  1,  p.  i5*  et  suiv.  ;  L.  hyicchmi,  Elementi  di  proct'dura  pénale 
(Florence,  1895),  p.  125;  Bertola,  Délia  pena  pecuniaria  (Rivista  pénale, 
l.  37,  p.  438;  t.  42,  p.  5);  Dochow,  Die  Dusse  im  Strafrecht  und  Process, 
lena,  1875. 

*  C'est  ainsi  qu'en  droit  romain,  la  lésion  corporelle  n'était  pas  suscepti- 
ble d'une  réparation  en  argent  {cum  liberum  eovpus  œstimationem  non  reci- 
pial),  mais  donnait  lieu  à  une  action  pj^nale  privée. 

'^  Cette  jurisprudence  a  introduit  ainsi,  dans  notre  pratique,  sous  une  formi^ 
détournée  et  embryonnaire,  l'institution  de  la  réparation  pécuniaire  de  Tof- 
fense,  analogue  à  celle  de  la  Dnsse  germanique.  C'est  une  sorte  de  complé- 
ment de  la  répression  pour  les  délits  qui  portent  atteinte  à  l'honneur  et  à  la 
considération,  dans  lesquels,  par  conséquent,  le  côté  individuel  et  person- 
nel du  délit  est  dominant  et  réclame  une  sanction  spéciale.  Mais  l'action  qui 


DE   QUELS  FAITS   NAIT   l'aCTION   CIVILE.  237 

réparation  d'un  dommage,  inappréciable  en  argent,  se  résol- 
vant en  une  indemnité  pécuniaire,  est  forcément  arbitraire; 
mais  de  ce  que  le  juge  ne  peut  accorder  une  réparation  exacte 
du  préjudice  causé,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ne  puisse  en  ac- 
corder aucune.  La  difficulté  d'évaluer  le  préjudice  ne  saurait 
èlre  une  fin  de  non  recevoir  contre  l'action.  De  celte  règle 
résultent  les  conséquences  que  voici  :  1®  Toute  infraction  pré- 
judiciable, de  quelque  nature  que  soit  ce  préjudice,  autorise 
celui  qui  en  est  victime  à  demander  des  dommages-intérêts; 
2' Le  juge,  dan^  Findemnité  qu'il  accorde,  doit  tenir  comple 
de  ces  deux  éléments,  le  préjudice  pécuniaire  et  le  préju- 
dice moraP;  3"  Il  faut,  par  suite,  qu'il  réponde,  dans  sa  dé- 
cisioD,  à  ces  deux  chefs  de  réclamations,  s'ils  sont  distincts 
dans  la  demande  de  la  partie  lésée. 

Mais  la  notion  du  dommage  moral  ne  doit  pas  être  étendue 
au  delà  de  ses  limites  naturelles.  Nous  verrons,  en  eiïet,  que, 
pour  justifier  l'intervention  ou  l'action  d'une  partie  civile,  il 
ne  suffirait  pas  à  celle-ci  de  démontrer  qu'elle  a  été  blessée, 
dans  ses  affections,  ses  goùtSy  ses  hahitudps.  Il  faut  un  dom- 
mage sérieux,  qui  puisse  être  mesuré  et  pesé,  qui  soit  équi- 
Taleot  à  uninlérét^  puisque  l'intérêt  est  la  mesure  des  actions. 
Sans  doute,  dans  la  réparation  du  dommage  matériel  ou  mo- 
ral, il  peut  être  tenu  un  certain  compte  du  préjudice  éprouvé 
parle  plaignant  dans  ses  affections^  Mais  l'action  civile  ne 
aurait  être  exclusivement  basée  sur  un  intérêt  de  ce  genre. 

*8t  ainsi  doDnt^e  n'est  pas  Tact  ion  publique,  c*est  l'action  civile,  toute  diffé- 
rente de  Taccusation  priv<^o  allemande  (Privathlagc). 

'Sur tous  ces  points,  il  y  a  unaninnité  en  doctrine  et  on  jurisprudence. 
Voy.  notamment  Hoffman,  Questions  prvjvdicieUcs^  t.  1.  no  33;  Trt^butien, 
1.2,  n»  ^29;  Laborde,  n°  773.  Comp.  Cass.,  7  juill.  18i7  (D.  \1,  4.8); 
18  mars  «853  (D.  53.  5.  167);  Orl<^ans,  22  juin  1887  (D.  88.  2.  29);  Cass., 
^juin  1893  (S.  9*>.  1.  403).  Sur  la  question  :  Baudry-Lacanlini^rie  et  Barde, 
'traité  des  obligations,  t.  3,  n°  2871. 

"'  Sur  la  question  :  Dervillo,  De  Vintént  moral  dans  les  obliijations  (Th. 
<Joct.,  Paris,  190t),  p.  67  à  80;  D.  A.  Supplément^  v<»  Procédure  criminelle, 
n**  loi  et  155.  A  Rome,  Papinien  disait  :  Placuit  pnidentioribus  affectus 
raiionem  in  hono  fidci  judiciis  habendam  (L.  5't,  big.,  17,  1).  Mais  dans 
le  droit  moderne,  les  auteurs  et  la  jurisprudence  ont   toujours  exigé  quo 


2?8      PROCÉDURE   PENALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CITILB. 

II.  Si  la  recevabilité  de  l'action  civile  ne  dépend  pas 
de  la  nature  du  dommage,  elle  peut  dépendre  d'autres  cir- 
constances générales.  Il  faut,  en  effet:  l^que  le  dommage 
soit  le  résultat  de  l'infraction;  2^  qu*il  soit  personnel  à  celai 
qui  s'en  plaint;  3^  qu'il  soit  actuel. 

a)  Le  dommage  doit  être  causé  par  un  crime  ou  un  délit. 
La  lésion,  à  l' occasion  de  ces  mêmes  faits,  ne  serait  pas  suffi- 
sante. Celte  condition  résulte  des  termes  mêmes  de  Tarticle  1" 
du  Code  d'instruction  criminelle;  elle  est  juridique,  puis- 
que ridée  de  responsabilité  est  fondée  sur  l'idée  de  causalité 
et  que,  dans  la  chaîne  qui  soude  les  causes  et  les  effets  les 
uns  aux  autres,  il  faut  s'arrêter,  sous  peine  d'exagération  et 
d'inquisition,  aux  anneaux  les  plus  proches.  En  un  mot,  la  res- 
ponsabilité civile,  comme  la  responsabilité  pénale,  doit  être  di- 
recte :  il  faut  établir  qu'il  y  a  un  rapport  de  cause  à  effet  eotr^ 
le  délit  et  le  préjudice  (C.  civ.,  art.  H51),  car  il  est  împossl* 
ble  de  condamner  quelqu'un  à  des  dommages-intérêts  tantqu*  '^ 
n'est  pas  prouvé  que   c'est  lui  qui  di^  par  sa  faute  y  causé  ï^ 
dommage.    Par  conséquent  :  {•  Si  le  dommage  a  sa  rais9  '^ 
d'être  dans  une  circonstance  étrangère  au  délit,  alors  mé 
que,  sans  le  délit,  cette  circonstance  ne  se  serait  pas  produi 
on  ne  saurait  en  rendre  le  délinquant  responsable  ;  2''  Le  àovr^ 
mage  qui  peut  être  impujé  au  délinquant  à  ce  titre,  c'e^ 
celui  qui  est  la  conséquence  même  de  l'infraction.  Ces  deu 
propositions  doivent  être  reprises  et  appliquées. 

La  première  est  évidente.  C'est  ainsi  que  l'accusé  acquitta 
ne  serait  jamais  recevable  à  se  porter  partie  civile  sur  les^ 
poursuites  dirigées  ultérieurement  contre  le  vrai  coupable 
le  dommage  qu'il  a  éprouvé  n'a  pas,  en  effet,  sa  cause  dan<^ 
l'infraction,  mais  dans  la  fausse  direction  donnée  aux  pour — 
suites*.  Sans  doute  l'erreur  de  la  justice  a  pu  résulter  des-^ 

rinl<^rôl  losô  fût  un  intérêt  s»Tieux.  Voy.  Chausse,  L'intérêt  d*affcction 
(l\n\  ait.,  d895,  p.  430);  Lacosto,  sous  Rouen,  24  févr.  1894  (S.  97.  2.  2?»); 
Le  Poiltevin,  sous  Cass.,  9  nvr.  1891)  (S.  96.  1.  83). 

*  La  jurisprudence  ne  parait  pas  conforme  à  cette  solution.  Voy.  Cass., 
19  juin.  1S32  (S.  32.  1.  490;;  7  juill.  1847  (S.  47.  1.  877  ;  D.  47.  4.  8).  Mais 
dans  le  même  sens  que  nous    :  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  t.  1,  n®532;J>e 


DB   QUELS   FAITS    NAIT   ï/aCTION   CIVILE.  239 

manœuvres,  des  machinations  du  coupable  :  mais,  même 
dans  ce  cas,  ce  sont  ces  manœuvres  et  ces  machinations,  et 
Bon  le  délit,  qui  causent  le  préjudice  et  ouvrent  une  action 
en  dommages-intérêts  fondée  sur  le  principe  général  de  Tar- 
ticle  4382  du  Code  civil.  La  question  peut  donc  se  poser  dans 
deux  ordres  de  circonstances,  et  je  la  résoudrai  de  la  même 
manière.  D*abord,  lorsque  le  véritable  coupable  n*a  rien  fait 
pour  égarer  les  juges  :  il  est  évident,  dans  ce  cas,  qu'aucune 
action  n'appartient  à  la  victime  des  poursuites  injustes,  car  le 
Trai  coupable  n'avait  ni  le  devoir  moral  ni  le  devoir  social  de 
se  dénoncer  lui-même  .pour  épargner  à  Tionocent  les  consé- 
quences d'une  erreur  judiciaire.  Puis,  lorsque  le  véritable  cou- 
pable est  arrivé,  par  des  machinations,  à  égarer  les  soupçons 
de  la  justice  sur  un  innocent  :  celui-ci  a  bien,  dans  ce  cas, 
une  action  en  dommages-intérêts,  mais  elle  ne  nait  pas  du 
délit  et  n'autorise  pas  la  victime  à  se  porter  partie  civile  dans 
'e  procès  fait  plus  tard  au  véritable  coupable.  Le  préjudice 
direct,  le  seul  qui  autorise  l'intervention  dans  le  procès  pé- 
nal, est  celui  qui  résulte  du  vol,  de  l'assassinat,  etc. 

La  seconde  proposition  n'est  pas  relative  à  la  recevabilité 
<le  l'action  civile,  mais  à  l'étendue  et  à  l'évaluation  des  dom- 
<^ages-intérêts.  Le  délinquant  ne  doit,  en  elTet,  que  la  répa- 
i^'ation  des  dommages  qui  ont  été  une  suite  immédiate  et  di- 
**ecte  de  l'infraction  (C.  civ.,  art.  H51)'.  Par  exemple,  si  un 
iodividu,  légèrement  blessé  dans  une  rixe,  succombe,  par 
^uite  de  son  imprudence  ou  de  Timpéritie  du  chirurgien  qui 
le  soigne,  ce  préjudice  spécial,  conséquence  médiate  du  délit, 
i^e  peut  être  mis  au  compte  du  délinquant  pour  lui  en  faire 
Subir  toute  la  responsabilité. 

Cette  application  d'une  règle  incontestable  démontre  que 

lorsqu'un  fait  a  eu  des  conséquences  dommageables,  l'auteur 

ii*en  répond  pas  indistinctement  :  sa  responsabilité,  au  point 

Aevue  pénal  comme  au  point  de  vue  civil,  est  subordonnée 

Sellyer,  t.  i,  ii*  278;  IDemogue,  Du  la  reparti  lion  ci  i  île  des  (féli'is,  p.  41  et 
^2.  Voy.  pour  d'autres  exemples  :  D.  A.,  Supplément ^  vo  Procédure  criini~ 
«Wfe,  n"  53  à  50. 
'  Aubry  et  Rau,  Cours  de  droit  cicii  franeaiHy  l.  t,  §  308,  p.  lOC. 


240      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CHU 

au  concours  de  deux  conditions.  Il  faut  d'abord  que  ]*acti 
ou  rinaclion  qu'on  lui  reproche  ait  été  la  cause  détern 
nante  du  préjudice  dont  on  prétend  lui  demander  compte 
H  Faut  ensuite  que  le  dommage  causé  soit  entré  ou  ait 
entrer  dans  les  prévisions  de  Tagent  et  qu'une  faute  lui  s 
reprochable.  Que  si,  en  mettant  les  choses  au  pire,  Tage 
n'a  pu  le  prévoir,  le  résultat  de  son  action  ou  de  son  omissi 
est  un  accident,  un  de  ces  cas  fortuits  dont  nul  ne  saurait  è 
responsable**. 

6)  Il  faut  que  le  dommage  causé  soit  personnel  à  celui  ( 
s'en  plaint.  Nous  nous  occuperons  de  cette  condition  de  rc< 
vabilité  de  Taction  publique  à  propos  des  personnes  qui  p( 
vent  rintenter. 

c)  Il  faut,  enfin,  que  l'action  civile  repose  sur  un  inlé 
acttiel  ou  certain^^ .  C'est  une  règle  qu'on  trouvait  formu 
dans  l'article  96  du  Gode  du  3  brumaire  an  IV  en  ces  term 
a  Pour  être  admis  à  rendre  plainte,  il  faut  avoir  à  la  fois 
a  intérêt  actuel  et  un  droit  formé  de  constater  le  délit  Ir 
u  qu'il  existe  et  d'en  poursuivre  la  réparation  contre  le  dél 
«  quant  ».  Si  le  plaignant  peut  être  une  partie  civile,  c 
parce  que  le  dommage  causé  par  le  délit  lèse  son  int( 
né  et  actuel,  que  ce  dommage  est  certain  dans  l'ordre  nati 
des  choses,  sans  cela  le  demandeur  n'aurait  pas  qua 
pour  exercer  l'action  civile  et  devrait  se  borner  au  rôle 
dénonciateur.  C'est  par  application  de  cette  idée  que,  d 
une  poursuite  dirigée  contre  un  fabricant  de  savons  p 
tromperie  sur  la  marchandise  vendue,  les  autres  fabricant; 
la  même  localité    ne  sauraient  être  admis  à  se  constit 

*°  Voy.  cepdidnnt,  en  st^ns  contraire,  pour  Li  responsahilit^  pénale,  i 
en  vertu  d'une  présomption  [<^galo  :  C.  p.,  art.  191  et  313.  Dans  ce  dei 
texte,  la  loi  rond  les  chefs  d'une  ri^union  séditieuse  responsables  des  cr 
commis  par  leurs  subordonnés. 

**  C'est  ce  <^uo  décidait,  du  reste,  expressément  le  Code  pénal  do  17 
propos  de  l'homicide  ('2e  part.,  tit.  2,  art.  1"').  Voy.  sur  ce  point  :  H 
op.  «7.,  t.  1,  n»  297. 

*2  Sourdat,  op,  cit,,  t.  1,  n®  45,  dit  avec  raison  :  «  Il  faut  que  le  pi 
«  dice  soit  cntniu^  et  comment  serait-il  certain  s'il  nVst  pas  actuel? 
«  deux  conditions  n'en  font  qu'une;  elles  se  complètent  l'une  par  l'autr 


DB  QUELS   FAITS   NAIT   l/ ACTION   CIVILE.  2il 

parties  civiles,  sous  le  prétexte  que  toute  fabrication  fraudu- 
leuse nuit  aux  fabricants  de  produits  similaires,  soit  par  le 
discrédit  qu'elle  jette  sur  ces  produits,  soit  par  la  concurrence 
déloyale  qu'elle  facilite *^  De  même,  sur  la  poursuite  dirigée 
contre  un  garçon  laitier,  pour  avoir  additionné  d'eau  le  lait 
qui  lui  était  confié,  la  société,  dont  ce  garçon  était  Tagent,  ne 
peut  intervenir,  en  demandant  réparation  du  préjudice  résul- 
I  tant  de  ce  que  le  prévenu  avait  exposé  la  société  à  perdre  sa 
clientèle.  «  Attendu  que  le  discrédit  que  le  délit  de  falsifica- 
■  tion  aurait  pu  jeter  sur  la  compagnie  représentée  par  le 
'<  garçon  laitier  ne  constituait  qu'un  dommage  indirect  et 
«éventuel,  lequel  ne  pouvait  justiQer  son  intervention  **  ». 

Un  autre  exemple  fera  encore  mieux  comprendre  la  portée 
delà  règle.  Le  propriétaire  d'un  terrain,  sur  lequel  un  délit 
bêchasse  a  été  commis,  no  serait  pas  recevable  à  poursuivre 
la  réparation,  non  de  ce  délit,  mais  d*un  délit  d'outrage  com- 
mis envers  son  garde,  qui  a  constaté  le  délit  de  chasse*'.  C'est 
'juc,  en  effet,  le  préjudice,  subi  par  ce  propriétaire,  est  indi- 
ï*ectet  se  produit  par  l'effet  d'une  répercussion  trop  lointaine  : 
il  ne  peut  être  déduit  en  justice  et  justifier  une  constitution  de 
partie  civile.  Même  solution  pour  les  compagnies  de  chemins 
Je  fer  qui  prétendraient  intervenir  dans  les  poursuites  pour 
Outrages  commis  envers  un  de  leurs  employés  à  l'occasion 
d'un  acte  de  contrôle '^ 

Il  faut  reconnaître,  du  reste,  qu'il  existe  une  large  part 

<lVbitraire  dans  l'appréciation  de  cet  élément  ou  plutôt  de 

celte  limite  du  dommage.  Si  le  |)rincipe  est  universellement 

<3idmis,  les  applications  en  sont  souvent  contestables.  La  juris- 

{:»rudence  parait  avoir  une  tendance  de  plus  en  plus  marquée 

à  élargir  le  cercle  d'action  des  particuliers  lésés  *'. 

"Cass.,  2a  janv.  1878  (S.  78.  1.  389).  Voy.  cependant  en  sens  oonlraire  : 
Orléans,  30  avr.  i851  (S.  52.  2.  88  ;  D.  :il.  2.  35). 

'*Cass.,  20  nuv.  1886  (IL  crim.,  n»  392). 

"Cass.,  25  îiov.  1882  (S.  83.  1.  lit). 

"  Voy.  nolammenl  sur  cotte  hypotlH?sc  ;  Ki'nnes,  15  févr.  1899  [Journ, 
''«Pary.,  99.i.  131). 

''  On  trouve,  par  excmpU*,  dans  un  arrêt  de  la  Cour  de  Toulouse  du  17  mai 

G.  P.  P.  -  I.  lt> 


242      PROCiDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CCVILB. 


§  XVIII.  -  DE  LOBJET  DE  L'ACTION  CIVILE. 

108.  L'aclion  civile  étant  raction  en  réparation  du  dommage  causé  par  une  in- 
fraction se  distingue  des  autres  actions  civiles  qui  dérivent  de  l'infraction  — 
109.  Des  trois  chefs  dMndemnité  compris  dans  Taction  civile  :  restitutions,  dom- 
mages-intérêts et  frais'  —  110.  Des  restitutions.  —  111.  Des  dommages-intérêts. 
Modes  de  réparations.  —  112.  Comparaison  entre  ces  deux  premiers  chefs  de  Tac- 
tion  civile.  —  113.  Des  frais  de  justice.  Renvoi. 

108.  L'article  1*'  du  Code  d'ioslruction  criminelle  défiait 
TactioD  civile  :  «  L'action  en  réparation  du  dommage  causé 
par  un  crime,  par  un  délit,  par  une  contravention  ».  Elle 
est  donc  différente  des  autres  actions  privées  qui  se  rattachent 
à  rinfraction,  ou  qui  en  dérivent,  mais  qui  n'ont  cependant 
pas  pour  objet  direct  et  immédiat  la  réparation  du  préjudice^ 
telles  que  l'action  en  séparation  de  corps  ou  en  divorce  pour 
cause  d'adultère  (G.  civ.,  art.  306);  l'action  qui  tend  à  faire 
déclarer  indigne  de  succéder  celui  qui  a  été  condamné  pour 
avoir  donné  ou  tenté  de  donner  la  mort  au  défunt  (C.  civ., 
art.  727);  l'action  en  désaveu,  fondée  sur  l'adultère,  intentée 
par  le  mari  en  cas  de  recel  de  l'enfant  (C.  civ.,  art.  313). 
Ces  actions  ne  participent,  aux  règles  spéciales  de  l'action 
civile,  ni  au  point  de  vue  de  la  compétence  des  tribunaux 
criminels,  ni  au  point  de  vue  de  \dL  prescription. 

109.  La  réparation  du  dommage,  soit  matériel,  soit  moraU 
causé  par  une  infraction,  se  résout  en  une  indemnité,  ordi- 
nairement pécuniaire,  dont  les  trois  chefs  possibles  :  les  res- 
titutions, les  dommages-intérêts  et  les  frais j  sont  nettement 
distingués  par  les  articles  10,  51  et  52  du  Code  pénal. 

110.  Les  restitutions,  dont  est  tenu  l'auteur  d'une  infrac- 

1880  (D.  91.  2.  88).  cette  formule,  pour  justifier  la  citation  directe  d'une 
compagnie  de  chemins  de  fer,  à  Toccasion  d'une  contravention  à  la  police 
des  chemins  de  fer  :  «  Attendu  que  toute  contravention  à  la  police,  à  la  sû- 
reté et  à  l'exploitation  du  chemin  de  fer  est,  par  elle-même,  un  trouble  et 
constitue,  dès  lors,  un  dommage  dont  la  compagnie  a  le  droit  de  pour- 
suivre directement  la  réparation  >♦. 


DB  l'OBJBT  de  L  action   CIVILE.  2i3 

tioD,  consistent  dans  le  rétablissement  de  Tétat  de  choses  an- 
térieur au  délit,  par  exemple  :  dans  la  remise  au  proprié- 
taire de  la  chose  qui  a  été  volée  ou  détournée  (C.  p.,  art.  379, 
401,  405),  dans  l'annulation  des  actes  surpris  ou  extorqués 
[C.  p.,  art.  400);  dans  la  suppression  ou  la  réformation  des 
actes  déclarés  faux  (C.  p.,  art.  145  et  suiv.).  Mais,  ordinaire- 
ment, les  restitutions,  dont  s'occupe  la  loi,  et  qu'elle  oppose 
aux  dommages-intérêts,  ont  pour  cause  unique  le  droit  de 
propriété  ou  de  possession  reconnu  à  la  partie  lésée  sur  les 
choses  qui  lui  ont  été  soustraites,  alors  que  ces  choses  sont 
retrouvées  en  nature  et  mises  sous  la  main  de  la  justice. 

Le  rétablissement  de  Félat  de  choses  antérieur  au  délit  doit 
toujours  être  ordonné,  quand  il  est  possible,  comme  la  répa- 
ration la  plus  naturelle  de  .l'infraction  ;  quand  il  ne  l'est  pas, 
il  ne  reste  à  la  victime,  comme  moyen  d'indemnité,  qu'une 
réparation  par  équivalent,  celle  qui  résulte  de  dommages- 
intérêts. 

Mais,  à  raison  des  nécessités  de  la  procédure,  les  restitu- 
tions peuvent  être  dilTérées  ou  n'être  accordées  qu'à  certaines 
conditions.  Ainsi,  en  ce  qui  concerne  les  «  effets  pris  »,  c'est- 
à-dire  les  objets  saisis  sur  un  accusé  comme  pièces  à  convie- 
^iofij  la  cour  d'assises  doit  ordonner  qu'ils  seront  restitués 
îu  propriétaire.  «  Néanmoins,  dit  l'article  366,  §  3,  du  Code 
<<  dïnstruction  criminelle,  s'il  y  a  eu  condamnation^  cette 
<*  restitution  ne  sera  faite  qu'en  justifiant,  par  le  propriétaire, 
"que  le  condamné  a  laissé  passer  les  délais  sans  se  pourvoir 
"  en  cassation,  ou,  s'il  s'est  pourvu,  que  l'affaire  est  définitive- 

•  ment  terminée  ».  Ici,  la  restitution  est  différée  jusqu'à  ce 
floe  l'arrêt  qui  l'ordonne  soit  devenu  définitif,  c'est-à-dire 
jusqu'à  la  fin  du  procès.  C'est  le  président  qui,  par  ordon- 
^ince,  autorise  alors  la  restitution.  En  cas  de  contumace,  la 
loi  prend  même  quelques  précautions  spéciales.  «  La  Cour, 
'dit  Tarticle  474,  §2,  pourra  ordonner,  après  le  jugement 
"de ceux-ci  (des  accusés  présents),  la  remise  des  effets  dc- 

*  posés  au  greffe  comme  pièces  de  conviction,  lorsqu'ils  seront 
<>  réclamés  par  les  propriétaires  ou  ayants  droit.  Elle  pourra 
*'  aussi  ne  l'ordonner  qu'à  charge  de  représenter,  s'il  y  a  lieu. 


'LS'J 
-  i  i 


^.  1 


1--- 


244      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE  . 

«  —  Celle  remise  sera  précédée  d'un  proccs-verbal  de  des- 
«  criplion  dressé  par  le  greffier,  à  peine  de  cent  francs  da- 
mende  )>.  Pour  justifier  cette  parlicularilé,  il  suffit  de  rappeler 
que  les  condamnalions  prononcées  par  contumace  n*élaQl dé- 
finitives qu'après  les  délais  de  la  prescription  criminelle,  il 
eût  été  rigoureux  de  priver  de  ces  objets,  pendant  vingt  ans, 
leur  propriétaire  ou  leur  possesseur. 

111.  Les  dommages-intérêls  consistent  dans  une  répara- 
tion, accordée  ordinairement  en  argent,  et  comprenant  deux 
éléments:  la  perte  subie  par  la  partie  civile  [damnum  emer^ 
yens)  et  le  gain  dont  elle  a  élé  privée  [lucrinn  cpsa^ansy ,\jrs 
dommages-intérêls  peuvent  s'ajouter  aux  restitutions  (C.  p-* 
art.  Si),  ou  cire  dus,  sans  qu'il  y  ait  lieu  à  restitution.  Leur 
délerininalion  est  laissée  à  l'appréciation  de  la  justice*.  La 
partie  qui  les  a  obtenus  est  libre  d'en  disposer  à  son  gré;  mais    f -^  ! 
il  est  interdit  aux  juges,  par  Tarlicle  31  du  Code  pénal, d*or-  ^■-  -' 
donner,  soit  d'office,  soit  môme  sur  les  conclusions  de  la  partie   ?'— ■ 
civile,  l'application  des  sommes  dont  ils  prononcent  la  con-    4-'- ■ 
damnation  à  une  œuvre  quelconque,  d'ulililé  publique  on  '}      ' 
privée.  Si  cette  interdiction  n'eût  pas  existé,  les  parties  civiles»  V-  '^ 
obéissant  peut-être  à  un  faux  amour-propre  ou  à  une  délica*  *'  ' 
tesse  excessive,  auraient  dû  renoncer  au  bénéfice  des  répara-*  ?"  -- 
tions  qui  leur  sont  légitimement  dues;  et  les  juges,  à  raison  d^   ?  - 
la  destination  particulière  des  dommages-intérêts,  auraient  pi' 
êtrcî  tentés  d'en  exagérer  le  cbifTre.  C'est  à  ce  double  abus  qu©    '     '\ 
le  Code,  éclairé  par  l'expérience  du  passé,  a  voulu  remédier 
par  la  disposition  de  l'article  54. 

i:;  XVIII.  *  n.  civ.,  art.  4  HO.  Los  Irihunaux  ont  rappn^cialion  souveraiDei 
snii  «le  l'cxistonce  «lu  préjudice  caus<^  par  le  délit,  soit  du  chllfre  des  dom- 
ina^^^s-inlf'*r<?ls,  «juand  le  prr'ju<lici'  est  reconnu.  A  ce  deraier  puint  de  vue. 
cvpi'ndanl,  la  loi  elle-nnème  peut  fixer  ce  chillVe.  Voy.  C.  forest.,  art.  202.:.. 
Coinp.  Cass.,  22  dec.dSOi  [li.  cr.,  n'»  ',Wô), 

-  L'art i(rl«;  VA  du  Code  pénal  ajouter  lorsc^ue  la  loi  ne  les  aura  pas  réglés... »- 
<]i's  «rxpri'r^sinns  font,  sans  doute,  allusion  aux  cas  où  la  loi  prononce  une  sorte  ■ 
de  cuinpi.»sition  dans  la<iui'lle  les  dommat^es -intérêts  se  trouvent  évalués  à  .    " 
jnr fait,  comme  en  matière  di*  contributions  indirectes  ou  dans  les  cas  indi-  .      '^ 
(piés  dans  la  note  précédente.  -,      i^ 


■ 

i 


DB   l'oBJBT  de   l'action   CIVILE.  245 

Si  des  conclusions  avaient  été  prises  par  la  partie  civile,  en 
Tne  d  assurer  Tattribution  des  dommages-intérêts  qu'elle  ré- 
clame à  une  œuvre  quelconque,  le  tribunal  ou  la  cour  de- 
vraient déclarer  les  conclusions  recevables  en  ce  qui  concerne 
lesdommages-intérêts,  mais  sans  ordonner  que  la  somme  attri- 
buée à  la  partie  civile  soit  atTectée  h  la  destination  en  vue  de 
laquelle  on  l'a  réclamée'.  Dans  le  cas  où  cette  attribution  au- 
rait été  ordonnée  indûment,  la  Cour  de  cassation,  sur  pourvoi, 
devrait  casser  du  chef  de  Tallocation  de  dommages-intérêts 
et  renvoyer  la  question  devant  une  autre  cour  ou  un  autre  tri- 
bunal. Une  simple  cassation  par  voie  de  retranchement  ne 
serait  pas  suffisante,  les  juges  ayant  pu  être  impressionnés  et 
eiagérer  le  chiffre  des  dommages-intérêts  en  vue  de  l'atlribu- 
tioQ  ordonnée. 

Les  modes  de  réparation  qui  peuvent  être  prononcés  n'ont 
certes  pas  la  variété  des  moyens  employés  par  le  criminel 
pour  nuire  à  sa  victime.  En  dehors  des  indemnités  pécuniaires, 
qui  sont,  en  quelque  sorte,  le  procédé  normal  et  régulier  dé 
réparation,  il  en  est  d'autres  que  Ton  doit  écarter  et  d'autres 
que  Ton  peut  admettre. 

Les  anciens  articles  226  et  227  du  Code  pénal  décidaient 
qu'en  cas  d'outrages  adressés  à  des  magistrats  ou  à  certaines 
personnes  revêtues  d'un  caractère  public,  il  pouvait  y  avoir 
Jieu  à  une   réparation  d'honneur.  Cette  mesure,  quî  parait 
avoir  été  très  usitée  autrefois,  bien  que  restaurée,  dans  cette 
application  spéciale,  par  le  Code  pénal  de  1810,  était  rarement 
prononcée.  La  loi  du  28  décembre  1894  l'a  simplement  abro- 
gée. Quoiqu'elle  eût  le  caractère  d'une  peine,  la  réparation 
d'honneur  était  destinée  à  panser,  pour  ainsi  dire,  la  blessure 
faite  à  la  victime  de  l'outrage.  On  pourrait,  à  ce  titre,  être 
[enté  de  la  prononcer  au  profit  dc]la  victime  d'un  délit,  en  y 
ijqutant,  comme  mode  d'astreinte,  une  condamnation  pécu- 

'  Voy.  Limoges,  24  juin  1874  (D.  sous  Cuss.,  76.  i.  161).  Mais  le  jugement 
|ui  se  borne  à  énoncer  que  les  dommages-inlérôts  sont  liestines,  par  celui  à 
[ui  ils  sont  accordés,  à  des  œuvres  de  bienfaisance,  sans  ordonner  expressé- 
Qent  cet  emploi,  ne  contrevient  pas  à  la  règle  de  l'article  51  :Cass.,  25  avr. 
856  (S.  56. 1.  511).  Comp.  Blanche,  Études  sur  le  Code  pénal,  1. 1,  n»  2t9. 


246      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILB- 

niaire  pour  le  cas  où  il  ne  serait  pas  satisfait  au  jugement. 
Cette  forme  de  dommages-intérêts  serait  incontestablement 
illicite.  Le  tribunal  qui  en  ferait  usage  rétablirait,  en  réalité, 
une  peine  qui  a  été  définitivement  supprimée  et  qui  ne  pouvait 
être  prononcée,  lorsqu'elle  existait  encore,  que  dans  les  cas 
expressément  visés  par  la  loi  (C.  p.,  art.  4). 

Ce  mode  de  réparation  étant  écarté,  ainsi  que  tous  ceux  qui 
consisteraient  en  un  fait  humiliant  ou  pénible,  ou  attentatoire 
à  la  liberté  individuelles  il  en  reste  quatre  autres  possibles  : 
la  publicité  donnée  au  jugement,  la  confiscation  de  certains 
objets,  les  restitutions  et  les  indemnités  pécuniaires. 

La  publicité  donnée  au  jugement,  par  son  insertion  dans 
les  journaux  ou  son  affichage  aux  frais  du  délinquant,  consti- 
tue une  réparation  civile,  ordonnée  sur  la  demande  et  les  con- 
clusions de  la  partie  lésée  et  qui  rentre  dans  le  droit  des  tri- 
bunaux de  répression  comme  dans  celui  des  tribunaux  civils*. 
Ce  mode  de  réparation  s'emploie  naturellement  au  cas  de  délit 
contre  Thonneur  des  personnes^  diffamations  et  injures.  Mais 
les  tribunaux  Font  étendu,  peu  à  peu,  à  une  série  de  cas  aux- 
quels il  ne  semble  pas  précisément  adapté.  Ainsi,  qu'un  indi- 
vidu soit  condamné  pour  avoir  voyagé  sans  billet  sur  une  ligne 
de  chemin  de  fer,  et  le  tribunal  ordonnera,  sur  l'intervention 
de  la  Compagnie,  l'affichage  du  jugement  dans  telle  ou  telle 
gare*.  La  publicité  devient  alors,  plutôt  une  mesure  d*intimi- 
dalion  et  d'avertissement  pour  les  contrevenants  qu'un  mode 
d'indemnisation  de  la  Compagnie.  11  est  certain  néanmoins 
que  le  droit  d'ordonner  la  publication  du  jugement,  sur  la  de- 
mande de  la  partie  lésée,  rentre  dans  le  pouvoir  d'apprécia- 
tion du  tribunal  (C.  p.,  art.  Si). 

*  C'est  à  raison  de  ce  caraclèrc  que  la  pratique  des  astreintes  me  paraît 
incompatible  avec  la  situation  du  procès  criminel,  sauf  peut-être  en  cas  de 
refus  d'insertion.  Voy.  A.  Esmein,  L'origine  et  la  logique  de  lajniisprudencc 
en  matière  (Vantreintes  (J\ec.  trim»  de  droit  civil,  t.  2,  1903,  p.  i  et  suiv). 

^  Cette  solution  est  affirmi'îe  par  une  jurisprudence  constante.  Voy.  no- 
tamment: Cass.,  17  juin  1892  (S.  93.  1. 277  ;  D.  93. 1. 130).  La  doctrine  est 
également  unanime. 

6  Voy.  notamment  :  Cass.,  16  août  1800  (S.  01.  1. 192;  D.  60.  1.  520); 
Paris,  7  mai  1890  (S.  90.  2.  171  ;  D.  91.2.  33). 


DE   L  OBJET  DE   l'aCTION   CIVILE.  247 

Comme  la  publication  du  jugement,  la  confiscation  peut 
avoir  une  fonction  indemnitaire.  En   principe,  elle  consti- 
tue une  peine,  lorsqu'elle  s'applique  au  corps  ou   au  pro- 
duit du  délit  (C.  p.,  art.  il).  Parfois,  c'est  une  mesure  de 
police,  si  elle  concerne  des  objets  dangereux  ou  nuisibles. 
Mais,  dans  certains  cas,  la  confiscation  est  prononcée  à  titre 
de  réparation.  Il  en  est  ainsi  dans  les  poursuites  pour  contre- 
façon de  propriétés  littéraires  ou  artistiques  (G.  p.,  art.  427  et 
429),  de  produits  brevetés  (L.  5  juill.  1844,  art.  49),  en  cas  de 
marques  de  fabrique  frauduleusement  apposées  (L.  23  juin 
1837,  art.  7  et  8).  La  réparation  sous  cette  forme  présente  ici 
une  particularité  intéressante:  elle  est  accordée,  sans  aucune 
demande  de  la  partie  civile  et  d'office,  quel  que  soit  le  préju- 
dice et  encore  qu'aucun  préjudice  n'ait  été  causé.  Mais  cette 
attribution  des  objets  confisqués  à  la  partie  civile  n'est  pas  un 
forfait  d'indemnité.  La  partie  civile  peut,  sur  sa  demande» 
obtenir  de  plus  amples  dommages-intérêts;  la  loi  lui  réserve 
ce  droit.  Evidemment,  cette  forme  de  réparation  ne  saurait 
être  employée  en  dehors  des  cas  spéciaux  oii  elle  est  autorisée 
par  la  loi.  La  confiscation  joue,  dans  notre  droit,  le  rôle  de 
peioe  et  non  celui  d'indemnité.  Et  une  peine,  même  prononcée 
au  profit  de  la  partie  privée,  reste  une  peine. 

En  dehors  de  ces  modes  exceptionnels,  la  satisfaction  accor- 
dée à  la  partie  lésée  prend  ordinairement  la  forme  d'une 
restitution  ou  d'une  indenmité  pécuniaire.  C'est  la  réparation 
dont  parle  l'article  1382  du  Code  civil. 

112.  Au  fond,  les  dommages-intérêts  et  les  restitutions  ont 
un  objet  commun  et  ne  sont,  sous  un  double  aspect,  que  la 
mise  en  œuvre  de  \a  justice  réparatrice  :  par  ces  deux  chefs 
de  Taclion  civile,  il  s'agit  toujours  d'indenmiser  la  victime 
du  dommage  qui  lui  a  été  causé  par  le  délit.  Mais  les  restitu- 
tions et  les  dommages-intérêts  difTèrent  nettement  par  leur 
caractère^  puisque  le  rétablissement  de  l'état  de  choses  anté- 
rieur au  délit  est  la  réaction  directe,  normale  et  nécessaire  du 
droit  violé,  tandis  que  les  dommages-intérêts  en  sont  la  répa- 
ration indirecte,  exceptionnelle,  et  par  équivalent.  De  cette 


2 18      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACnOXS  PUBLIQUE  ET  CIVILK. 

différence  de  nature  résultent  quelques  conséquences  impor- 
tantes. 

I.  Toutes  les  fois  qu'il  est  possit>le  de  rétablir  l'état  de  clio- 
ses  antérieur  au  délit,  le  juge  doit  le  faire,  //i^V/i*»  (Toffhe,  et 
sans  qu'il  soit  besoin,  pour  cela^  de  répondre  au\  conclusions 
d*unc  partie  civile '.  L'application  de  cette  règle  est  faite,  par 
la  loi,  dans  un  certain  nombre  de  cas  particulièrement  inté- 
ressants.  C'est  ainsi  que  les  tribunaux  devront  ordonner  la 
restitution  au  propriétaire,  s'il  est  connu,  des  pièces  à  convic- 
tion, saisies  et  déposées  au   greff*'  sous  la  main   de  justice 
(C.  instr.  cr..  art.  366  '.  Au  cas  où  des  actes  authentiques 
auront  été  déclarés  faux  en  tout  ou  en  partie,  v  la  cour  ou  le 
i'  tribunal  qui  aura  connu  du  fau\,  ordonnera  qu'ils  soient 
<'  rétablis,  rayés  ou  réformés,  et  du  tout  il  sera  dressé  procès- 
ce  verbal  >i    C.  instr.  cr..  art.  463  .  Nous  verrons  également 
que,  en   matière  de  simple  police,  toutes  les  fois  que  la  con- 
travention consiste  dans  l'exécution  de  travaux  faits  en  infrac 
tion  aux  règles  de  la  voirie  ou  dans  l'inexécution  de  travau\ 
dont  la  charge  peut  être  légalement  imposée  à  certaines  per- 
sonnes, la  réparation  normale  du  délit  consiste  dans  la  destruc- 
tion des  uns  et  l'exécution  des  autres.  Aussi,  la  jurisprudence 
décide  que  le  jugement,  qui  prononce  une  amende,  à  raison 
de  la  contravention,  ne  peut  se  dispenser  d*en  faire  cesser 
l'effet,  en  ordonnant,  suivant  les  expressions   de    l'édit  de 
1607,  la  destruction  de  la  besoyne  mal  plantée  .'C.  instr.  cr., 
arl.  161   \ 

.Vu  contraire,  les  dommages-intérêts  ne  peuvent  être  accor- 
dé>  que  sur  la  demande  de  la  partie  lésée  et  dans  la  mesure 
011  ils  sont  demandés  :  il  faut  que  la  parlie  lésée  les  requière^ 
suivant  Texpression  de  l'article  51  du  Code  pcnal^  en  se  con- 
stituant y^^r/iV  civile  au  procès  (C.  instr.  cr.,  art.  366).  Ainsi, 
Taction  civile,  en  ce  qui  concerne  ce  chef,  esl  soumise  au  bon 

"  I).  Cod*:  d'instntctiott  criiuitieUc  anhote,  .irt.  36r^,  u^  0  et  suiv. 

'  La  juriâpruilence  appli'iuir  .ivec  r.iisun  ce  lextf,  terril  pour  la  cour  d'as- 
fcir^'ï,  au  tribunal  iMrrecliounel  :  Cas?.,  10  août  1872  {D.  A.,  Supplément 
yo  pj„r,  crim.f  ri*  »i78!« 

■*  Voy.  Cass.,  27  févr.  1877    D.  77.  t.  iSS). 


i 


DE   L  OBJET   DE  l'aCTION    CIVILE.  249 

■ 

vouloir  et  à  l'iailiative  de  la  partie  lésée.  L'inculpé  n'est  pas 
tenu,  de  plein  droit,  par  cela  seul  qu'il  estcondanriné  dans  le 
procès  pénal,  à  réparer  le  dommage  qu'il  a  causé*".  On  a  cri- 
tiqué cette  règle  et  on  a  prétendu  qu'il  serait  utile  de  la  mo- 
difier. Les  dommages-intérêts,  a-t-on  dit,  sont  d'ordre  public 
au  même  titre  que  les  restitutions,  puisque  ce  premier  chef 
d'indemnité  représente,  comme  le  second,  une  des  formes  de 
la  réparation  du  délit;  et  on  a  conclu  de  ce  caractère  que,  au 
point  de  vue  de  la  loi  à  réformer,  la  condamnation  à  des  dom- 
mages-intérêts devrait  être  prononcée  d'office  et  sans  inter- 
vention de  la  partie  lésée.  Mais  en  serait,  à  notre  avis,  un  excès 
opposé,  et  non  moins  regrettable,  à  celui  des  législations  an- 
tiques, dans  lesquelles  les  délits  contre  les  personnes  et  les  pro- 
priétés ne  donnaient  lieu  qu'à  l'action  privée.  Faire  delarépa- 
ration  intégrale  et  civile  du  délit  un  coefficient  nécessaire  de 
la  répression,  ce  serait  revenir,  sous  une  autre  forme,  à  la 
confusion  de  la  peine  et  de  Tindcmnité.  La  justice  réparatrice, 
i  la  différence  de  la  justice  répressive,  n'agit  que  si  elle  est 
provoquée  par  l'intéressé.  Lui  seul  a  qualité  pour  se  plaindre, 
parce  que  lui  seul  est  en  mesure  de  dire  s'il  a  souffert  un 
préjudice,  dans  quelles  limites  et  quelle  est  la  réparation  qui 
lui  est  due.  La  réforme  que  nous  repoussons  constitue  l'exa- 
gération et  même  la  fausse  application  d'une  idée  juste  en 
elle-même  :  ce  qu'il  faut  désirer  en  effet,  c'est  que  la  répara- 
tion, à  la  requête  de  la  partie  civile,  puisse  être  obtenue 
malgré  l'insolvabilité  probable  du  malfaiteur.  C'est  à  propos 
deFexécution  des  condamnations  civiles  que  des  réformes  né- 
cessaires devraient  intervenir.  Mais  si  la  justice  répressive 
doit  se  faire^  à  ce  point  de  vu(.%  l'auxiliaire  de  la  partie  lésée, 

'"L'article  5i  du  Code  pénal,  tel  qu'il  a  éU^  modifié  par  la  lui  du  2S  avril 
1892,  a  fait  cesser  la  conlrovorse  qui  existait  sur  la  queslioii  dr  savoir  si 
Itt  tribunaux  crimin<.'ls  devaient^  d'office^  cundaranor  h*  prévonu  à  drs  dom- 
mages-intérêts au  profit  de  la  partie  lésée.  En  olfetjo  nouvel  îirlicle  dit  :  «  Le 
coupable  pourra  être  condamné...  ».  Il  est  donc,  aujourd'hui,  de  principe, 
en  France,  que  l'action  civile  en  dommages-intérêts  ne  [teut  jnmais  être 
exercée  par  le  ministère  public  et  quV*n  ce  qui  concerne  cette  action,  celui- 
ci  est  privé  de  tout  pouvoir.  Voy.  D.  A.,  Snpplémentj  v®  Procédure  crimi» 
ndle,  n*»  150. 


250      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CHILE. 

en  assurant  et  en  garantissant  sa  créance,  il  faut,  par  coDtre, 
que  la  partie  lésée  se  fasse  Tauxiliaire  de  la  justice  répressive, 
en  la  stimulanl  et  en  Téclairant  par  l'exercice  de  raclion  ci- 
vile**. 

• 

II.  Les  tribunaux  répressifs  exceptionnels  n'ont  qu'une 
compétence  pénale  :  le  droit  qui  leur  est  accordé  par  la  loi, 
de  statuer  sur  certaines  infractions  à  raison  de  leur  nature  ou 
de  la  qualité  de  celui  qui  les  commet,  ne  s'exerce  pas  dans  le 
domaine  des  intérêts  civils.  C'est  ainsi  que  les  tribunaux  de 
justice  militaire  ou  maritime  ne  peuvent  juger  Taction  civile 
dérivant  des  infractions  qui  leur  sont  déférées  (C.  just.  mil., 
art.  55).  Ces  tribunaux,  au  contraire,  comme  toutes  les  juri- 
dictions pénales,  ont  le  droit  et  le  devoir  d'ordonner  d'office 
la  restitution  des  objets  saisis  à  titre  de  pièces  à  conviction. 

III.  La  restitution  implique  qu'un  état  de  droit  antérieur  au 
délit  a  été  violé  et  qu'il  y  a  lieu  de  le  rétablir:  le  délit  a  donc  ét( 
Voccasion  de  Taction  en  restitution,  il  n'en  a  pas  été  la  cause 

**  L'école  criminelle  moderne  s'est  occupée  beaucoup  de  celle  question 
On  a  proposé  d'abord  d'accorder  au  ministère  public  la  facullé  de  requ<'ri 
d'olïîce,  contre  le  délinquant  solvable,  la  condamnation  à  des  dommages 
intérêts  en  même  temps  que  la  condamnation  à  la  peine.  Voy.  Garofalo,  L 
criminologie  (5*  éd.,  Paris,  1905),  pp.  248  à  2W,  422  h  423,  431  à  433,  4:^ 
ii  4i9.  M.  Tarde  (La  philosophie  pénale,  p.  80)  approuve  cette  réForme  im; 
ginée  par  Garofalo  :  u  La  victime  d'un  délit,  dit-il,  ne  devrait  plus  r'tre  obi 
«  gée  de  se  constituer  coûteusement  partie  civile  pour  obtenir  une  condar 
<c  nation  à  des  dommages-intérêts;  cette  condamnation  devrait  être  reijui: 
«  par  le  ministère  public,  avant  toute  peine  ».  Voy.  Prins,  Sciences pénak 
n®*  033  à  039,  surtout  034.  Cette  réforme  aurait  le  double  inconvénient  i 
ne  pas  fournir  au  tribunal  les  éléments  nécessaires  pour  statuer  sur  la  que 
tion  et  d'encourager  le  défaut  d'initiative  de  la  partie  lésée.  C'est  dans  1 
garanties  à  donner  à  la  victime  pour  n-couvrer  la  ré[)aration  qui  lui  est  di 
que  pourraient  utilement  se  produire  certaines  réformes.  Il  faudrait  aussi  f 
ciliter  la  constitution  de  partie  civile.  L'exercice  et  l'exécution  des  droits  q 
sont  donnés,  à  ces  points  de  vue,  à  la  partie  lésée,  sont  gênés  f»ar  de  nombre 
ses  entraves.  Ce  sont  ces  entraves  i^u'il  faudrait  faire  disparaître,  notamme 
celles  qui  résultent  de  la  consignation  des  frais  de  justice  et  dt*  la  respons; 
bilité  quant  à  ces  frais.  Voy.  Jiull.  de  l'Union  intern.  de  droit  pénal,  18'J 
p.  128;  René  Demogue,  De  la  réparation  civile  des  délits,  passim,  et  notai 
ment,  p.  113,  U!),  320;  Monnevillede  iMarsangy,  Institutions  complémenta 
res,  p.  33  ;  Oarofalu,  oj).  et  loc.  cit. 


DE   L^OBJET   DE   L  ACTION   CIVILE.  251 

!esi,au  contraire,  le  dommage  dool  Tinfraction  esl  la  source, 
ue  l'action  en  dommages-intérêts  a  pour  but  de  réparer,  de 
irle  que  cette  action  puise  exclusivement  dans  le  délit  sa  rai- 
iD  (I*être  et  sa  cause  juridique.  Il  en  résulte  que  ces  deux 
lefs  de  la  réparation,  les  restitutions  et  les  dommages-inté- 
!ls,  ne  sont  liés,  ni  au  point  de  vue  de  Yexercice  des  actions 
liont  pour  but  de  les  réclamer,  ni  au  point  de  vue  de  leur 
escription  qui  a  pour  résultat  de  les  éteindre.  C'est  là  une 
(Térenoe  fondamentale,  dont  la  répercussion  se  fait  particu- 
èrement  sentir  sur  la  prescription,  la  compétence  et  la  chose 
igée. 

IV.  Si  l'existence  d'un  préjudice  actuel  et  réalisé  est  néces- 
lire  pour  que  Taction  civile  soit  recevable  du  chef  de  dom- 
lages-intérêts,  il  faut  admettre  qu'en  cas  d'inobservation  des 
ispositions  légales  qui  ont  pour  objet  de  protéger  les  fonds 
îisins  et  d'assurer  la  sécurité  de  leurs  propriétaires,  ceux-ci 
ni  une  action  pour  la  suppression  de  l'état  de  choses  illégal, 
la  charge  seulement  de  prouver  la  contravention  dont  ils  se 
laignenl,  alors  même  qu'en  fait  ils  n'auraient  éprouvé  aucun 
réjudice.  Ce  qu'ils  demandent,  en  effet,  c'est  la  restitution 
ans  leur  droit  et  leur  sécurité  dont  l'infraction  les  a  privés. 
insi,  pourrait  s'expliquer  l'intervention  d'une  partie  civile 
ins  une  poursuite  pour  contravention  h  une  loi  ou  à  un  rè- 
enaent,  prescrivant,  sous  menace  de  peines,  certaines  pré- 
lulions  à  prendre,  alors  qu'aucun  préjudice  actuel  n'est 
ialisé  et  qu*il  s'agit  d'un  droit  plutôt  compromis  que  violé. 
Une  règle  est,  du  reste,  commune  aux  restitutions  et  aux 
3mmages-intérêts,  c'est  que,  quelle  que  soit  la  juridiction 
ni  les  accorde,  elle  ne  peut  le  faire  qu'en  ne  se  mettant  pas 
1  coDtradiction  avec  ce  qui  a  été  expressément  jugé  par  le 
ibuoal  de  répression.  La  chose  jugée  au  criminel  s'impose, 
1  effet,  au  point  de  vue  des  intérêts  civils. 

113.  Les  frais  de  justice,  en  matière  criminelle,  du  moins 
s  frais  particuliers  du  procès  pénal,  constituent,  à  la  charge 
I  condamné,  la  réparation,  envers  l'État  ou  la  partie  civile, 
I  dommage  spécial  causé  par  les  poursuites  auxquelles  a 


2S2      PROCÉDURE   PÉNaLK.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVIL 

donné  lieu  rinfraction.  Le  condamné  en   doit  la  réparatio 
comme  il  doit  la  réparation  du  dommage  qui  est  la  cons 
quence  directe  du  délit.  Nous  posons,  ici,  un  principe  do 
nous  retrouverons,  plus  loin,  l'application  à  propos  de 
théorie  des  frais  de  justice. 


ii  XIX.  —  A  QUI  APPARTIENT  L'ACTION  CIVILE 
ET  QUI  PEUT  L'EXERCER. 

114.  A  qui  apparlienl  l'action  civile  et  qui  fieul  l'eiercer.  —  115.  De  la  disp' 
lion  de  l'action  civiln.  Actes  de  transaction  ou  de  renonciation.  Cession  de  l'acl 
civile.  Difficultés  sur  la  validité  et  l'efTet  d»*  cette  cession.  —  116.  L'action  ci' 
peut  app:urtenir  à  la  victime  du  délit,  à  ses  héritiers,  à  ses  ayants-cause.  —  1 
La  victime  du  délit  peut  être  indirectement  bien  que  personnellement  lésée 
118.  Personnes  juridiques,  victimes  du  délit.  Corps.  Diiïamations  et  injures.  Di 
de  plainte.  Droit  de  se  porter  partie  civile.  —  119.  Des  groupes  ou  colleclivil 
victimes  d'un  délit.  Difticulté  d'évaluer  le  préjudice.  Pharmaciens.  Médecins,  ( 
—  120.  Ou<^^tion  de  la  poursuite  devant  les  tribunaux  de  répression  par  de^ 
sociati<ins  prenant  la  qualité  de  «  partie  civile  ».  Syndicats  professionnels.  Aul 
ass,.ciations  formées  en  vue  de  défendre  des  intérêts  communs.  Association?  ay 
un  but  désintéressé.  Groupement  d'individus  lésés.  —  121.  Action  civile  de  I 
électeur.  —  122.  Action  civile  exercée  par  les  héritiers  de  la  victime  du  délit, 
trois  hypothèses  possibles.  L  infraction  a  été  commise  antérieurement  à  la  lurr' 
la  victime.  Elle  a  entraîné  sa  mort.  L'infraction  a  été  commise  après  la  ranr 
la  victime.  Diffamation  envers  la  mémoire  des  morts.  — 123.  Action  civile  exe 
par  les  ayants-cause.  Créanciers.  Cessionnaircs.  —  124.  Capacité  pour  exe 
faction  civile.  Droit  commun. 

114.*  L* action  civile  appartient  à  toute  personne,  ph> 
que  ou  morale,  qui  a  souffert  du  dommage  causé  par  V 
fraction  et  peut  se  dire  partie  lésée.  Pour  pouvoir  Tinten' 
il  faut  avoir  personnellctuent  éprouvé  le  dommage  dont 
demande  la  réparation  et  être  capable  d'ester  en  justice. 

Reprenons  l'examen  de  chacune  de  ces  trois  propositic 

115.  L'article  i*'  du  Code  d'instruction  criminelle  ne  s 
prime  pas  d'une  manière  exacte  en  disant  que  l'action  p 
l'application  des  peines  n'appartient  qu'aux  fonctionna 
auxquels  elle  est  confiée  par  la  loi,  et  que  Faction  en  rép; 
lion  peut  être  ejercée  par  tous  ceux  qui  ont  souffert  du  de 
mage.  C'est  Tinverse  qu'il  fallait  dire.  L'action  publique 


A  QUI  APPARTIENT   l'aCTION   CIVILE.  QUI   PEUT   l'eXERCER.      253 

peut  Hre  exercée  que  par  les  fonctionnaires  auxquels  elle  est 
coDÛée  par  la  loi  ;  et  Faction  civile  appartient  aux  personnes 
lésées  par  Tinfraction.  Titulaire  de  la  créance  en  réparation, 
la  victime  du  délit  Test,  en  même  temps,  de  Faction  qui  tend 
à  la  faire  reconnaître  et  liquider.  Par  suite,  elle  n*a  pas  seu- 
lement ï exercice,  mais  la  disposition  de  cette  action.  Elle 
peut  la  céder  (C.  civ.,  art.  1689  et  suiv.),  y  renoncer  (C.  civ., 
art.  1282  et  suiv.),  en  faire  l'objet  d'une  transaction  (C.  civ., 
art.  2046)  ;  après  l'avoir  intentée,  même  devant  les  tribunaux 
de  répression,  s'en  désister  {C.  inslr.  cr.,  art.  66).  Tous  ces 
acics,  qui  ont  le  caractère  d'actes  de  disposition  de  Y  instance 
mAtVavtion  et  qui  dépasseraient  les  pouvoirs  du  ministère 
public  par  rapport  à  Taccusalion,  sont  incontestablement 
permis  à  la  partie  civile.  Mais  il  y  a  lieu  de  présenter  quelques 
observations,  d'une  part,  sur  les  actes  de  transaction  ou  de 
renonciation^  d'autre  part,  sur  les  actes  de  cession  qui  peuvent 
intervenir  à  l'occasion  de  Faction  civile. 

I.  L'article  2046  du  Code  civil  et  l'article  4  du  Code  d*in- 
struction  criminelle  ont  jugé  utile  de  faire  remarquer  que  la 
transaction  sur  l'intérêt  civil  qui  résulte  d'un  délit,  pas  plus 
que  la  renonciation  de  la  partie  lésée  à  Faction  civile,  ne 
peut  empêcher  ou  suspendre  la  poursuite  du  ministère  public. 
C'eût  été  là,  en  Fabsence  de  toute  disposition  légale,  une  des 
applications  les  moins  contestées  de  l'indépendance  des  deux 
actions,  publique  et  civile,  corrélative  à  la  distinction  des 
deux  intérêts  compromis  par  le  délit,  l'intérêt  public  et  Fin- 
lérêt  privé.  Peut-être  a-l-ou  cru  qu'il  était  besoin  d'abroger 
expressément  les  principes  de  l'ancien  droit  et  notamment  de 
l'ordonnance  de  1670,  d'après  lesquels  la  transaction  entraî- 
nait Fexlinction  de  Faction  publique  pour  tous  les  délits pri- 
':h,  c'est-à-dire  qui  n'étaient  pas  passibles  de  peines  infa- 
mantes*? 

§XIX.  '  Ord.  de  1G70,   til.   XXV,  îirl.  19    :  ««  EFijiMgiioiis   à  nos  Procu- 

«  reurs,  ot  à  ceux  dtîs  S<*ijuriiinirs,  «io  poursiiivn'  iijc«'SSiiiniULMil  criix  qui  se- 

■  ront  |ir»''venus  de  crimos  c.ipilaux  ou  auxquels  il  «Vherni  peine  arilictive, 

M  nonobstant  toutes  transactions  et  ces?i(Mis  de  droit  faites  par  les  parties. 

"  Et  à  IVgard  de  tous  les  autres,  seront  les  transactions  exécutées,  sans  que 


254      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

Cette  séparation  absolue  de  l'action  civile  et  de  Tactioa  pu- 
blique, au  point  de  vue  du  droit  de  disposition  qui  appartient 
à  la  partie  lésée,  a  une  autre  conséquence  importante  :  la 
transaction  conclue  entre  la  partie  civile  et  l'inculpé  ne  peut 
être  considérée  comme  l'aveu  d'un  crime  ou  d'un  délit,  de  la 
part  de  celui  qui  y  a  consenti;  elle  suppose  bien  la  recon- 
naissance d'un  fait  dommageable^  mais  non  d'un  fait  délie- 
tneux.  Aussi  ne  fait-elle  pas  obstacle  à  ce  que  l'accusé  ou  le  | 
prévenu  soit  renvoyé  d'instance.  \ 

Par  suite  même  de  l'indépendance,  à  ce  point  de  vue,  des 
deux  intérêts  qu'a  lésés  l'infraction,  Tacquittement  ne  porte 
pas  atteinte  à  la  validité  de  la  transaction,  quel  que  soit  le 
motif  sur  lequel  cette  décision  serait  fondée'. 

La  transaction  sur  l'actionpvile,  née  d'un  faux,  nepeutètre 
exécutée  qu'après  avoir  été  honrologuée  en  justice  (C.  proc. 
civ.,  art.  249)  ;  mais  elle  est  parfaite,  comme  convention,  avant 
cette  formalité,  qui  a  seulement  pour  but  d'empêcher  que  les 
pièces  arguées  de  faux  ne  soient  soustraites  à  la  connaissance 
du  ministère  public,  et  de  mettre  le  parquet  à  même  d'in- 
tenter, s'il  y  a  lieu,  l'action  publique  contre  les  auteurs  du 
faux.  Cette  disposition  se  rattache  donc  à  Tensemble  des  pré- 
cautions prises  par  la  loi  pour  réserver  l'exercice  de  l'action 
publique  en  matière  de  faux  (C.  proc.  civ.,  art.  239,  240,  249 
et  250). 

II.  La  ccssibilité  de  l'action  civile  est  incontestable.  D'une 
part,  les  créances  les  plus  variées  peuvent  faire  l'objet  d'un 
transport  (C.  civ.,  art.  1690).  D'autre  part,  les  droits  litigieux 
ne  sont  pas  exclus  du  domaine  de  la  cessibilité  (art.  1699). 
Mais  quels  sont  les  effets  d'une  cession  de  l'action  civile?  C'est 
sur  ce  point  que  portent  les  difficultés. 

a)  En  ce  qui  concerne  le  droit,  pour  le  cessionnaire,  de 
poursuivre  le  délinquant  devant  les  tribunaux  civils,  il  n'y  a 
et  il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute.  Le  procès  aura  lieu  au  nom 

w  nos  Procureurs  ou  ceux  des  Soigneurs  puissent  en  faire   aucune  pour- 
a  suite  ». 
'^^7c,  Cîiss.,  10  mai  1^76  (D.  70.  1.  390). 


iQUI  APPARTIENT  l'aGTION  CIVILE.   QUI  PEUT  l'eXERGBR.      255 

du  cession naire,  et  le  tribunal  devra,  sans  se  préoccuper  de  la 
cession,  accorder  au  demandeur  le  dédommagement  auquel 
aurait  eu  droit  le  cédant.  Sans  doute,  les  juges  peuvent  se  lais- 
ser impressionner  parles  circonstances  dans  lesquelles  se  pré- 
sente le  procès;  mais  ce  sera  là  seulement  un  état  de  fait,  de 
nature  à  modifier  la  solution  pratique  ;  car,  au  point  de  vue  du 
droit,  la  cession  g e  peut  évidemment  avoir  une  répercussion 
quelconque  sur  l'obligation  du  délinquant  de  réparer  le  pré- 
judice qu'il  a  causé  par  sa  faute  et  le  droit  corrélatif  de  la 
victime  de  monnayer  son  indemnité.  Seulement,  si  la  cession 
a  eu  lieu  à  titre  onéreux  et  en  cours  de  procès,  le  délinquant 
béoéficiera  de  la  situation  du  débiteur  d'une  créance  litigieuse, 
il  pourra  exercer  le  retrait  (C.  civ.,  art.  4699  à  1701). 

()  Mais  la  Cour  de  cassation,  dans  un  arrêt  de  la  Chambre 
criDiinelle  du  25  février  1897  \  a  décidé  que  le  cessionnaire 
n'a  pas  qualité  pour  se  porter  partie  civile  devant  les  tribu- 
naux de  répression.  Elle  en  donne  deux  motifs.  Le  premier 
est  tiré  des  conditions  d'exercice  de  l'action  civile  devant  la 
juridiction  pénale.  On  sait  que  la  constitution  de  partie  civile 
est  subordonnée  à  la  justification  d'un  intérêt  personnel  di- 
rect à  la  réparation  du  dommage  causé  par  l'infraction.  Le 
second,  de  l'efTet  de  l'exercice  de  Inaction  civile  devant  les  tri- 
bunaux de  répression  :  cette  actioil,  mettant  en  mouvement 
l'action  publique,  ne  peut  appartenir  qu'à  ceux  auxquels  cette 
participation  à  la  poursuite  a  été  accordée,  c'est-à-dire  aux 
victimes  de  l'infraction  (C.  instr.  cr.,  art.  1).  Et  le  droit  de 
citer  devant  les  tribunaux  de  répression  ne  peut  faire  l'objet 
d*uii  trafic. 

Cette  double  considération  autorise-t-ellc  à  établir  une  dis- 
tinction arbitraire  entre  la  cessibilité  de  l'action,  par  rapport 
au  procès  civil,  et  son  incessibilité,  par  rapport  au  procès  pé- 
nal? Avec  la  doctrine  tout  entière,  nous  admettons  que  le 
cessionnaire  de  la  victime  du  délit  a  qualité  pour  se  porter 
partie  civile  devant  les  tribunaux  répressifs \  En  effet,  le  ces- 

»  S.  1898.  1.  201  et  la  note  de  M.  Roux;  PamU  1H1»7.  1.  i40. 

*  Mangin,  AcL  pubL  et  civ.,  t.  1,  n°  128;  Faustin   Hélie,  op.  cit.,  1.  2, 


256      PROCÉDURE   PENALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CITILE. 

sionnaire  peut  d*abord  agir  au  Dom  du  ccdaot,  en  vertu  d'uoe 
sorte  de  procurafio  in  rem  suam  qui  est  au  fond  de  tout  trans- 
port :  comment  lui  opposerait-on,  dans  ce  cas,  le  défaut  d^in- 
térêt  personnel?  Son  iulérêt,  c'est  celui  de  la  victime  avec  le- 
quel il  ne  fait  qu*un.  Mais,   dit-on,  la  représentation,  n*est 
pas  admise  devant  les  tribunaux  de  répression;  et  si  la  nature 
du  droit  valablement  cédé  n'est  pas  modifiée  par  la  cession, 
la  personne  qui  veut  saisir  le  tribunal  de  répression  n'est  plus  la 
même.  Ce  qui  frappe  la  cession  d'inefficacité^  c'est  que  celui 
qui  Tinvoque,  n'étant  pas  partie  lésée,  est  impuissant  à  saisir  le 
tribunal  de  répression.  Mais  où  voit-on  que  la  représentation 
ne  soit  pas  admise  devant  les  tribunaux  de  répression?  Est- 
ce  que  le  tuteur  ne  peut  pas  intenter  l'action  civile  au  nom 
de  son  pupille^? Le  père, administrateur  légal,  au  nom  de  son 
fils?  Bien  mieux,  le  cessionnaire  eùt-il  agi  en  son  nom  per- 
sonnel, la  solution  ne  changerait  pas,  car  l'article  3  du  Code 
d'instruction    criminelle    autorise    tous    ceux    qui    peuvent 
exercer  Taction  civile  à  saisir,  à  leur  choix,  la  juridiction  pé- 
nale ou  la  juridiction  civile.  A  moins  de  nier  la  cessibilité  de 
Taction  civile,  force  est  bien  d'accepter  cette  conséquence  de 
la  cession.  La  tradition  historique  est,  du  reste,  formelle  pour 
reconnaître  au  cessionnaire  la  faculté  de  poursuivre  le  délin- 
quant devant  la  justice  pénale '',  et  le  silence  du  Code  d'in- 
struction criminelle  doit  être  interprété  comme  une  adhésion 
tacite  au  maintien  d'une    règle  qui  était  incontestée    dans 
notre  ancien  droit'. 

n»  008  :  1^0  Saliver,  Act.  piibl.y  n»  277  ;  Trëbulien,  Cours  cirmentaire  de  droit 
cnmincl,  l.  2,  n<*  182.  Vuy.,  sur  la  question,  une  dissertation  de  Oardeil, 
Itev.crit.,  1890,  p.  100  et  suiv.,  ù  propos  d*un  jugement  du  14  aoiH  1889 
du  tribunal  de  la  Seino,  dont  les  motifs  sont  rapportés. 

^  Toulouse,  11  uov.  1802  (S.  03.  2.  19);  Rennes,  22  nov.  1865  (S.  00.  2. 
54);  Cass.,23  mars  1800  (S.  00.  1.  311).  Les  termes  de  l'article  1  n'excluent 
pas  l'exercice  de  Tactioii  civile  par  un  représentant  légal  :  pourquoi  IVxclu- 
r.iieiit-ils  |)Our  un  représentant  conventionnel  ? 

*  Voy.  notamment  sur  ce  puint  la  note  de  M.  Houx  (S.  98.  1.  202, 
2-  col.;. 

"  Si  nous  insistons  sur  cftle  question,  dont  l'intérêt  pratique  paraît  être 
assez  mince,  puisque  ces  cessions  sur  l'action  civile  ne  semblent  pas  encore 


A  QUI  APPARTIENT   l' ACTION    CIVILE.   QUI  PEUT  l'eXERCER.      257 

116.  L* action  civile  peut  apparleoir  à  la  \ictime  du  délit,  à 
ses  héritiers,  à  ses  ayants  cause. 

117.  La  première  personne,  naturellement  indiquée  comme 
ayant  qualité  de  partie  civile,  est  celle  qui  a  souffert  de  Tin- 
fraction^  la  viclwie  du  délit.  Toutefois,  il  n*est  pas  nécessaire 
que  rinfraction  ait  été  dirigée  contre  celui  qui  se  plaint  d'en 
avoir  soufTert  et  qui  en  demande  la  réparation  :  il  suffit  qu'en 
frappant  directement  d*autres  individus,  l'infraction  porte  at- 
teinte, en  même  temps, à  son  honneur  ou  à  sa  fortune;  car  on 
peut  être  lésé  personnellement  par  une  infraction,  sans  en  être 
directement  victime.  En  conséquence,  il  faut  autoriser  le  mari 
à  poursuivre,  en  son  nom,  la  réparation  de  la  diffamation  ou 
ilePinjure  faite  à  sa  femme, lorsque  les  propos  injurieux  ou 
diffamatoires  rejaillissent  sur  lui.  De  même,  le  dommage,  causé 
par  une  infraction  qui  atteint  la  fortune  de  la  femme,  retombe, 
presque  toujours,  sur  le  mari,  qui  a,  dans  ce  cas,  une  action 
fmonnelle.  Le  père  peut  agir,  en  son  nom,  lorsque  le  fait 
quia  lésé  ses  enfants,  mineurs  ou  majeurs,  a  porté,  à  sa  pro- 
pre fortune  ou  à  son  propre  honneur,  un  dommage  matériel 
ou  moral'.  Mais  il  faut,  dans  tous  les  cas,  justifier  que  Ton  a 
personnellement  souffert  du  délit: c'est  le  passeport  nécessaire 
pour  ouvrir  l'accès  des  tribunaux,  de  répression.  Seulement, 

^Ire  entrées  dans  nos  mœurs,  c*esl  que  cette  question  louche  à  une  autre 
•question,  celle-là  plus  grave  et  plus  large,  la  question  de  la  subrogation  con- 
f^cntionnelle  ou  léyale  aux  droits  de  la  parfie  lésée.  Voy.  infrày   n*  134 
H  les  noies.  Les  compagnies  d'assurance  contre  certains  délits,  le  vol  par 
exemple,  les  associations  en  vue  de  la  répression  de  certains  délits,  peuvent 
éire  amenées  à  se  faire  subroger  aux  droits  de  la  partie  lésée.  Il  y  aurait  là 
un  moyen  de  garantir  plusénergiquement  et  plus  efficacement,  soit  la  répa- 
ration, soit  la  répression.  Mais  l'emploi  de  ce  procédé  dépend  des  eiïets  que 
luD  reconnaîtra  à  la  cession  de  l'action  civile.  Encore  une  fois,  rien, dans  les 
principes  du  droit  criminel,  ne  fait  obstacle  à  cette  opération.  Ht  contraire- 
ment à  l'opinion  de  Demogue  {De  Ui  réparation  civile  des  d^lits^  p.  14), 
nous  pensons  que  ce  n'est  pas  là  une  question  de  législation,  mais  de  juris- 
prudence. 

*  Voy.  notaiDment  :  Cass.,  16  mars  1893  (S.  04.  t  .304  );  Cass.,  Genève, 
2Sfévr.*l899  (S.  99.  4.1  G). 

G.  P.  P.  —  l.  17 


258    paocÉDURE  pénale.  —  des  actions  publique  et  cnriLB. 

la  lésion  est  souvent  indirecte  ;  elle  se  produit  par  répercussion, 
et  elle  suffit  dans  ce  cas,  car  elle  est  personnelle  à  celui  qu'elle 
atteint,  pour  justifier  sa  demande  en  réparation. 

118.  Les  personnes  juridiques,  régulièrement  représen- 
tées, comme  les  personnes  physiques  elles-mêmes,  peuvent 
être  demanderesses  dans  le  procès  sur  l'action  civile,  quand 
elles  ont  souffert  un  dommage  dans  leur  patrimoine  ou  leur 
considération.  Une  société  commerciale,  par  exemple,  qui  est 
victime d*un  vol,  d'un  abus  de  confiance,  d*une  diffamation, a 
qualité  pour  se  porter  partie  civile,  par  l'organe  de  ses  repré- 
sentants légaux,  et  pour  demander  et  obtenir  des  dommages- 
intérèls.  Quant  aux  collectivités, corporations,  corps  constitués, 
administrations  publiques,  ces  groupements  ne  peuvent  être 
lésés  que  dans  le  cas  de  diffamations  ou  d'injures  collectives. 
Les  articles  30  et  33,  §  i  de  la  loi  du  29  juillet  1881  prévoient, 
en  effet,  la  diffamation  et  l'injure  envers  les  cours,  les  tribu- 
naux, les  armées  de  terre  ou  de  mer,  les  corps  constitués,  les 
administrations  publiques,  et  l'article  47  règle  les  formes  de  la 
plainte  nécessaire  pour  engager  l'action  publique.  Mais,  à  la 
sanction  pénale  qui  protège,  dans  ce  cas,  le  corps  constitué  et 
dont  le  ministère  public  a  qualité  pour  demander  l'applica- 
tion, ne  parait  pas  correspondre  une  sanction  civile*.  A  qui 
appartiendrait,  en  effet,  l'action  en  dommages-intérêts,  puis- 
que le  corps  diffamé  ou  injurié  n'a  pas  et  ne  peut  avoir  un 
patrimoine,  puisqu'il  ne  jouit  pas  de  la  personnalité  civile? 
Que  deviendrait  la  somme  allouée,  s'il  était  possible  qu'une 
réparation  pécuniaire  fût  prononcée  par  la  justice?  La  répar- 
tirait-on entre  les  membres  de  la  collectivité?  Mais  aucun  de 
ces  membres  n'a,  par  hypothèse,  éprouvé  de  dommage  per- 
sonnel? Du  reste,  la  qualité  substantielle  et  primordiale  pour 

•  Dans  ce  sens  :  Garraud,  De  la  reftponsabilité  civile  en  matière  de  dé- 
lits  (le  presse  (France  judiciaire ^  l.  7,  1™  part.,  p.  359):  Laborde,  op.  cit., 
n®6Sî-,  p.  4r»t).  Voy.  avec  des  restrictions  et  des  tenipéraments  :  Gustave  Le 
Puittcviii,  Traite  c//?  la  presse,  t.  3,  n"  ^285,  p.  324  k  328  ;  Barbier,  Code  de 
la  presse,  t.  2,  p.  47i.Comp.  sur  la  question  :  Faustin  Hi'li(;,  Imtr,  cr,,  t.  i, 
n«  5>2  et  p.  6:i0. 


A  QUI  APPARTIENT  L'aCTION  CIVILE.   QUI  PEUT  L*EXERCER.       259 

se  porler  partie  civile,  c'est  le  droit  même  d'ester  en  justice 
et  ce  droit  n'appartient  qu  aux  personnes  morales.  L'article  47 
permet,  il  est  vrai,  au  corps  constitué,  de  requérir  des  pour- 
suites; mais  si  toute  personne,  ayant  qualité  pour  se  porter 
partie  civile,  peut  déposer  valablement  une  plainte,  la  réci- 
proque n'est  j)as  toujours  vraie.  Et  nous  trouvons  un  exem- 
ple de  situation  de  ce  genre  dans  le  cas  qui  nous  occupe'". 

'^  Mais  si  le  corps  constitué,  qui  n'a  pas  la  personnalité  civile,  ne  peut 
intervenir,  chacun  de  ses  membres,  h  la  condition  qu'il  démontre  avoir  été 
personnellement  lésé,  a  (jualité  pour  le  faire.  La  question  s'est  prcsonlée,  en 
jurisprudence,  dans  des  circonstances  qui  ont  eu  un  grand  retentissement. 
Au  cours  des  poursuites  dirigées  contre  Zola,  devant  la  cour  d'assises  de 
Seine-et-Oise,  en  1808,  Ips  membres  du  conseil  de  guerre  se  sont  constitués 
parties  civiles,  tant  en  leur  nom  personnel  que  comme  représentants  du 
conseil  de  guerre  et  ont  notifié  la  liste  des  témoins  qu'ils  voulaient  faire 
entend/'e.  A  l'audience  du  18  juillet  1898  et  avant  l'appel  des  jurés,  en  ré- 
ponse aux  conclusions  prises  par  la  partie  civile,  le  [)révenu  déposa  des 
conclusions  d'irrecevabilité.  Sur  ces  conclusions,  la  cour  d'assises  de  Seine- 
et-Oise  a  rendu  l'arrêt  suivant  :  «  Considérant  que  s'il  est  vrai  de  dire 
w  qu'en  nrincipe,  les  corps  constitués  ne  peuvent  ester  en  justice  qu'autant 
•«  qu'ils  constituent  uno  personnalité  civile,  ce  principe  et  celte  règlo  de 
«  droit  ne  s'îippliquent  point  en  matière  de  constitution  de  partie  civile  au 
H  criminel;  qu'en  effet,  l'article  1"  du  Code  d'instruction  criminelle  donne 
a  expressément,  à  toute  partie  lésée  par  un  crime,  un  délit  ou  une  contra- 
•t  vention,  le  droit  de  poursuivre  en  justice  la  réparation  du  dommage  par 
n  elle  éprouvé;  que  ce  principe  a  été  formellement  consacré  par  les  dispo- 
.'  sitions  des  articles  03,  r»'i.,  03,  f»0  et  67  du  même  Code,  au  chapitre  :  Hcs 
«  plaùiteê,  et  spécialement  dr»s  articles  30  et  M  de  la  loi  du  29  jiiillft  1881  ; 
«  que  ces  dilTérentes  dispositions  donnent  (i  toute  partie  lésife  le  droit  de 
.«  f>«jrter  plainte  et  de  se  porter  partie  civile;  qu'aucune  «listinction  n'étant 
f<  faite,  par  ces  articles,  entre  les  particuliers  et  les  corps  constitués,  il  est 
<«  rationnel  d'en  conclure  que  les  uns  et  les  autres  ont  égalemeîit  le  droit 
t'  de  se  porter  parties  civil«^s;  (ju'on  ne  saurait,  en  eir«»t,  rîiisonn;iblt?nient 
"  conclure  que  les  corps  constitués  auraient  bien  le  droit  de  [)orter  plainte, 
<•  mais  qu'ils  no  pourraient  eux-mêmes  surveiller  et  soutenir  cett»*  plainte 
«  en  se  portant  partie  civile,  alors  surtout  que,  comm«*  dans  l'espéiv,  il  ne 
H  s'agit  pas  de  revendiquer  un  intérêt  pécuniaire,  mais  simplement  de  jiro- 
«  léger  un  intérêt  moral  gravement  compromis...  ».  Tn  pourvoi  a  été  formé 
contre  cet  arrêt;  mais  il  a  été  déclaré  non  rccevahle  par  un  arrêt  delà 
Chambre  criminelle  du  5  auiU  1898  qui  a  estimé  que  l'arrêt  qui  reçoit  une 
ftartie  intervenante,  étant  préparatoire,  le  recours  n'est  ouvert  iju'après  l'ar- 
rêt définitif.  Toutefois,  h\  conseiller  rapporteur,  M.  Chambareaud,a  examiné 


260      PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVILE. 

119.  Les  parties  lésées,  ayant  des  intérêts  similaires,  peu- 
vent s'unir  pour  exercer,  dans  un  intérêt  commun,  TaclioD 
en  dommages-intérêts,  mais  à  la  double  condition  :  i"" qu'elles 
agissent  individuellement;  2^  et  que  chacune  démontre  avoir 
été  personnellement  lésée.  La  seule  difficulté  d'évaluer  le 
préjudice,  alors,  du  reste,  que  certainement  un  préjudice  a 
été  causé,  ne  rendrait  pas  Taction  civile  irrecevable.  Cette 
idée  permet  de  ne  pas  écarter  a  priori  l'action  en  dommages- 
intérêts  dans  les  circonstances  suivantes. 

Il  existe  un  certain  nombre  de  professions,  telles  que  les 
professions  médicales  ou  pharmaceutiques,  accessibles  seule- 
ment aux  personnes  qui  justifient  de  conditions  d'aptitude  el 
de  capacité.  L'exercice  illégal  de  ces  professions  est  une  infrac- 
tion dont  les  éléments  constitutifs  et  la  peine  sont  détermi- 
nés par  les  lois  spéciales  qui  les  organisent.  La  collectivité 
des  individus,  pratiquant  légalement  ces  professions,  ne  peut 
certaiaement  agir,  en  tant  que  collectivité  pure  el  simple, 
pour  demander  des  dommages-intérêts  à  ceux  qui  s'immis- 
cent indûment  dans  Texercice  de  la  profession.  Mais  les 
médecins,  les  pharmaciens  ont-ils  qualité  pour  se  plaindre, 
individuellement^  et  chacun  dans  la  mesure  de  son  intérêt 
personnel,  d'un  détournement  de  clientèle  qui  leur  cause  ud 
préjudice?  ou  doivent-ils  se  borner  à  dénoncer  l'infractioD 
au  ministère  public  qui  poursuivra  s'il  croit  devoir  le  faire? 

La  question  a  été  présentée  comme  une  question  de  droit 
et  a  soulevé,  en  la  plaçant  sur  ce  terrain,  des  opinions  diver- 
gentes**. 1*  D'après  certains  auteurs,  l'action  serait,  dans  tous 
les  cas,  irrecevable.  On  dit,  en  effet,  qu'il  est  impossible  d'é- 
tablir l'existence  même  du  dommage,   rien  ne  prouvant  que 

la  question,  et,  s'il  a  paru  admettre  l'intervention  personnelle  des  membres 
du  conseil  de  guerre,  il  a  paru  repousser  celle  du  conseil  de  guerre  lui-même. 
Vov.  Gaz.  du  Pal.,  98.  2.  255  et  Sirev,  1900.  1.  t73  et  nete  de  M.  Roux. 
Dans  cette  note,  notre  collègue  estime  que  l'action  civile,  formée  au  noitt 
d'un  corps  constitua,  est  recevable,  mais  qu'elle  ne  peut  avoir  pour  objet 
que  les  frais  ou  une  réparation  appropriée  au  caractère  du  corps  constitué, 
telle  que  la  publicité  de  la  décision. 

**  Voy.  D.  A.,  Supplément,  v"  Procédure  criminelle,  n**  169  à  175. 


A  QUI  APPARTIENT   L*ACT10N    CIVILE.   QUI    PEUT  l'eXERCER.      261 

les  personnes  qui  se  sont  adressées  aux  concurrents  irrégu- 
liers, auraienleu  recours,  à  défaut  de  ceux-ci,  aux  membres 
de  la  corporation  qui  se  portent  plaignants;  2"*  Dans  une  se- 
conde opinion,  faction  ne  serait  recevable   que  si   tous  les 
membres  de  la  corporation,  exerçant  légalement  la  profession, 
\  dans  la  région  où  s'est  produite  la  concurrence  illicite,  se  por- 
taient parties  civiles,  car  c'est  seulement  dans  ce  cas  que  le 
préjudice  pourrait  être  démontré;  3"  Dans  une  troisième  opi- 
nion, qui  parait  aujourd'hui  consacrée  par  la  jurisprudence, 
raction  serait,  dans  tous  les  cas,  recevable,  car  s'il  est  difficile 
d'apprécier  le  dommage,  le  principe  même  de  Taction,  le  pré- 
judice, n'est  pas  contestable;  4^  Pour  nous,  la  solution  dé- 
pend des  circonstances  de  fait  :  elle  n^  relève  pas  du  droit. 
Que  Ton  suppose  la  concurrence  illicite  se  produisant  dans 
un  grand  centre,  où   le  nombre  des  membres,  exerçant  la 
même  profession,  est  presque  illimité,  l'action  sera  irreceva- 
ble, car  non  seulement  l'appréciation  du  dommage  est  diffi- 
cile, mais  l'existence  même  de  ce  dommage  est  incertaine. 
Mais  si  la  concurrence  s'établit  dans  un  village,  une  petite 
ville,  où  n'existent  que  quelques  membres  de  la  corporation, 
pourquoi  refuser  à  ceux-ci  Taclion  en  dommages-intérêts, 
alors  que  l'existence  du  préjudice  est  incontestable  et  que 
riocertitude  ne  porte  que  sur  son  évaluation?  Mais  donner, 
dans  tous  les  cas,  et  sans  distinction,  le  droit  de  poursuite  à 
tous  les  membres  de  la  corporation,  c'est  confondre  Vintérét 
général  que  tous  peuvent  avoir  à  la  répression  du  délit,  dont 
le  nninistère  public  est  le  seul  gardien,  avec  Yintrrêt.  spécial^ 
fondé  sur  un  dommage  personnel,  dont  tout  plaignant  doit 
justifier,  et  qui  est  le  seul  titre  de  son  action  civile  et  la  con- 
dition nécessaire  de  son  intervention. 

La  loi  du  21  mars  1884  sur  les  syndicats  professionnels  est 
TeDue,  tout  à  la  fois,  simplifier  et  compliquer  la  question. 
«  Les  syndicats  professionnels...  auront  le  droit  d'ester  en 
justice  )),  dit  l'article  6,  §  1  de  cette  loi.  Mais  on  n'a  pas  dé- 
terminé quelles  sont  les  actions  qu'un  syndicat  est  admis  à 
exercer.  Pour  celles  qui  intéressent  le  syndicat,  considéré 
comme  formant  une  personne  morale,  distincte  de  ses  mem- 


262       PROCÉDURE   PENALE.  — DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVILS. 

bres,  pas  de  difficulté  :  raclion  étant  née  à  son  profit,  personne 
n'aurait  qualité  pour  Texercer  en  dehors  des  représentants 
légaux  de  la  collectivité.  En  est-il  de  môme  des  actions  nées, 
au  profit  des  membres  du  syndicat,  mais  qui  intéressent  la  pro-     s 
fession?  Il  s*agit  alors  de  savoir  si  un  syndicat  a  qualité  pour    | 
exercer,  sous  une  forme  condensée,  les  actions  éparpillées  qui 
naissent  en  la  personne  des  membres  ou  de  quelques-uns  des 
membres  du  syndicat,  alors  que  ces  actions  font  partie  de  pa- 
trimoines individuels  et  non  du  patrimoine  syndical?  L'affir- 
mative n'a  pas  semblé  douteuse,  et  l'organisation  syndicale    | 
s'est  alors  présentée  comme  un  moyen  de  tourner  la  difficulté    5 
signalée  plus  haut.  Ce  sont  d'abord  les  syndicats  de  pharma-    \ 
ciens  et  de  médecins  qui,  dès  1883,  ont  exercé  des  poursuites     : 
pour  exercice  illégal  de  la  pharmacie  ou  de  la  médecine.  Les 
pharmaciens  ont   obtenu   gain  de  cause;  la  jurisprudence, 
après  avoir  reconnu  la  légalité  de  leurs  syndicats,  à  raison  du 
caractère  commercial  de  la  profession,  n'a  pas  hésité  à  les  au- 
toriser à  exercer  l'action  civile.  Les  médecins  ont,  il  est  vrai, 
échoué  tout  d'abord;  mais -parce  qu'ils  n'exerçaient  pas  de 
profession  commerciale  et  ne  pouvaient  constituer  un  syn- 
dicat valable.  Plus  tard,  ils  ont  pris  leur  revanche  :  la  loi  du 
30  novembre  1892  leur  a  oclrové  la  faveur  de  se  constituer 
en  syndicats,  conformément  à  la  loi  du  21  mars  1884  (art.  43). 
Depuis  lors,  les  médecins  sont  en  possession  du  droit  de  pour- 
suivre, par  l'intermédiaire  de  leurs  syndicats,  les  personnes 
non  diplômées  qui  s'immiscent  dans  l'exercice  de  leur  pro- 
fession. 

120.  Cette  constatation  nous  amène  à  examiner,  à  un  point 
de  vue  plus  général,  en  même  temps  que  plus  complexe,  la 
question  de  la  poursuite,  devant  les  tribunaux  de  répression, 
par  des  associations  prenant  la  qualité  de  «  partie  civile  ». 

Il  a  été  expliqué  déjà  qu'un  délit  pouvait  être  directement 
commis  au  préjudice  d'une  association:  ce  sera  un  vol,  une 
diflVimation  par  exemple.  Si  l'association  est  régulièrement 
constituée  et  jouit  de  la  capacité  juridique  (L.  du  1*'  juill. 
1901,  art.  2,  5,  6),  elle  peut  se  porter  partie  civile,  au  même 


A  QUI  APPARTIENT  l'aCTION  CIVILE.  QUI  PEUT   l'eXERCER.       263 

titre  et  dans  les  mêmes  condilions  qu'un  individu.  C'est  un 
point  certain'*. 

Mais  la  question  est  toute  autre  :  il  s'agit,  en  effet,  de  savoir 
si  des  particuliers  peuvent  se  grouper  en  associations  et  agir, 
devant  les  tribunaux,  en  vue  de  la  défense  de  leurs  intérêts 
collectifs,  à  raison  de  délits  dont  Fassociation  n'est  pas  directe- 
ment victime.  Le  système  de  la  poursuite  des  actes  criminels 
par  dos  associations  a  déjà  des  amorces  dans  notre  jurispru- 
dence. Une  double  solution  peut  être  utilisée.  D*abord,  celle 
qui  permet  aux  individus  d'agir  en  vue  de  la  réparation  d'un 
dommage  simplement  moral.  Puis,  cette  idée  qu'ils  peuvent 
Agir,  comme  membres  de  la  collectivité^  en  vue  de  la  répara- 
tion d'un  délit  qui  les  atteint  d'une  façon  indirecte.  A  ces  deux 
conceptions,  se  rattache  un  développement  intéressant  de  juris- 
prudence sur  l'intervention  des  associations  dans  les  poursuites 
criminelles.  La  question,  du  reste,  se  pose  dans  trois  situations 
qu'il  faut  bien  distinguer:  i""  pour  les  associations,  agissant 
dans  l'intérêt  de  leurs  membres;  2''pour  les  associations,  agis- 
sant dans  un  but  désintéressé;  3^  pour  les  groupements  ou  col- 
lectivités non  associes,  mais  atteints  par  un  délit. 

L  Dans  le  premier  cas,  il  y  a  lieu  de  séparer  les  syndicats 
professionnels  des  autres  associations  formées  en  vue  de  défen- 
dre des  intérêts  communs. 

a)  Les  associations  qui  se  proposent  de  contribuer  à  la  ré- 
pression des  actes  délictueux,  préjudiciables  aux  intérêts  de 
leurs  membres,  peuvent  être  constituées  sous  forme  de  syndi- 
cats professionnels,  dans  les  termes  et  les  conditions  de  la  loi 
du  21  mars  i884.  Cest  une  première  hypothèse,  la  |)lus  simple: 
il  s'agit  alors  d'un  groupement  d'individus,  exerçant  soit  la 
même  profession,  soit  des  professions  connexes.  Les  syndicats 
professionnels  peuvent  ester  en  justice  (L.  21  mars  1884,  art.  6), 
mais,  étant  constitués  en  vue  d'un  intérêt  général,  leur  activité 
judiciaire  ne  s'exercera  que  pour  la  conservation  de  leur  pa- 
trimoine ou  pour  la  défense  des  intérêts  collectifs  dont  ils  ont 


•*  Voy.  seulement  ce  que  nous  avons  dit  .sM;)rà,  n"  HO,  en  ce  qui  cun- 
cerne  les  co^ya  cofistitucs. 


i 


26i       PROCÉDURE    PÉNALE.  — DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

lii  garde.  Sur  le  premier  chef  (conservation  du  patrimoine), 
aucune  difficultc  sérieuse  ne  s'élève.  Mais  sur  le  second  chef, 
au  contraire  (défense  des  intérêts  collectifs  de  la  profession), 
deux  interprétations  sont  en  présence:  une  interprétation  res- 
trictive, d'après  laquelle  le  syndicat  n'aurait  le  droit  d'exercer 
que  les  actions  qui,  n'étant  pas  dans  le  commerce,  ne  peuvent 
être  exercées  par  aucun  de  ses  membres**;  et  une  interpréta- 
tion libérale  et  extcnsive,  d'après  laquelle  l'action  du  syndicat 
devrait  être  déclarée  recevable,  toutes  les  fois  qu'elle  serait 
justifiée  par  un  intérêt  collectif  et  qu'elle  aurait  pour  objet  la    } 
défense  des  intérêts  généraux  de  la  profession.  La  jurispru-    j 
dence,  malgré  quelques  hésitations,  semble  se  rallier  à  cette 
dernière  interprétation**.  Elle  tend,  de  plus  à  plus,  à  recon- 
naître que  les    syndicats   professionnels    peuvent  se  porter 
parties  civiles,  dans  la  poursuite  de  tout  délit  susceptible  de 
causer  aux  syndiqués  un  préjudice  moral  collectif,  distinct 
du  préjudice  matériel  et  variable  causé  par  les  mêmes  faits  à 
certains  des  individus  syndiqués,  préjudice  dont  il  leur  appar- 
tient de  poursuivre,  parallèlement  à  l'action  syndicale,  la  ré- 
paration par  voie  d'action  individuelle*'. 

La  première  application  de  cette  jurisprudence  a  été  faite 
au  profit  des  syndicats  de  pharmaciens.  On  reconnaît,  à  ces 
syndicats,  le  droit  de  poursuivre,  par  voie  de  citation  directe, 
devant  les  tribunaux  correctionnels,  les  individus  exerçant 
ilh'^galement  la  profession, bien  que  le  succès  de  telles  pour- 
suites doive  plus  spécialement  profiter  aux  pharmaciens  établis 
à  proximité  de  l'officini;  illicite,  la  profession  entière  étant  in- 

*^  Voir  Consultation  do  WiilHeck-Hoiissoiiu  (Bec, périodique  de  proccd,p 
1887,  p.  49);  Planiol.  n..tfs  sous  D.  95.  2.  1553  et  'JS.  2. 129.  Comp.  Trib.  du 
HavTo,  i7  janv.  1809,  sons  Rouen,  K  nov.  1899  (S.  1900.  2.  08)  et  les  renvois; 
Cass.,  f'  févr.  1893  (S.  96. 1. 320). 

^*  Voy.  notamment:  Pic,  Traite  éU^m,  de  lèffial.  tnc///s/.(2®  e<I.  Paris,  1903  , 
n***  425  à  433,011  la  question  est  compU>toment  traitée;  Counit, />ii  syndicat 
demandeur  en  justice  daux  VirttMt  de  sea  membres,  p.  45  et  s.  Comp.  la 
note,  sous  Cass.  1"  H-vr.  1803,  prérité. 

*^  L*inl«'TeH  c(»lloctir ainsi  compris  peut  se  cumuler  avec  l'intérêt  imlividuel 
des  m«?mores  du  syndicat  et,  l'un  et  l'autre,  loin  d'entre  exclusifs,  peuvent  se 
cumuler. 


j 


A  QUI  APPARTIENT  l'aCTION   CIVILE.  QUI    PEUT   l'eXERCER.       265 

léressée  à  la  répression  des  atteintes  au  monopole  dont  elle  est 
investie**.  Les  nnédccins  ont  profité  de  celte  jurisprudence,  le 
jour  où  ils  ont  pu  légalement  se  constituer  en  syndicats  pro- 
fessionnels'*.  Depuis,  la  jurisprudence  a  fait  un  pasde  plus:  elle 
donne,  à  des  syndicats  composés  d'individus  exerçant  des  pro- 
fessions non  monopolisées,  tels  que  les  marchands  de  vins'*, 
les  propriétaires  viticulteurs**,  les  poissonniers***,  etc.,  le  droit 
d'agir  ou  d'inlervenir  pour  la  défense  des  intérêts  de  la  pro- 
fession ou  du  groupe  professionnel  qu'ils  représentent,  dans 
la  poursuite  de  tout  délit  qui  a  causé,  à  cette  profession  ou  à  ce 
groupe  professionnel,  un  dommage  moral  collectif.  Ce  n'est 
pas  sans  quelque  appréhension  qu'on  a  vu  grandir,  grâce  à 
ce  nouveau  champ  ouvert  à  leur  activité,  la  puissance  des  syn- 
dicats professionnels.  Mais,  en  limitant  leur  action  à  la  défense 
de  leurs  intérêts  collectifs,  la  jurisprudence  donne  aux  syndi- 
cats une  arme  nécessaire,  dans  un  temps  où  le  ministère  public 
est  impuissant  à  protéger  les  intérêts  professionnels  grave- 
ment atteints  par  la  multiplication  des  fraudes  de  toute  es- 
pèce-*. Il  faut  donc  saluer  et  encourager  le  développement  de 

*^s7c.  Paris,  20  janv.  1886  (D.  80.2. 170);  Ifi  déc.  1891  (D.93.2.  WO);  Caen, 
I"  mai  1890  (S.  92. 1.  14)  ;  Lyon,  3  juin  1890  (D.  91.  2.  29);  Grenoble,  7  juill. 
1H92  {D.92.2. 582);  Cass.,  5  janv.  1894  (S.  95. 1.  382);  Douai,  29  févr.  1904 
[Li  Ioï.9niai  1904). 

••  Trib.  Sein.>,  25  mai  1805  et  Montbéliard,  30  janv.  1896  (D.  96.  2.  189  et 
168);  Grenoble,  6  mai  1002  {Munit,  jud,  de  Lyon,  1«'  juillet  1902). 

*•  Angers,  11  avr.  1890,  et  sur  pourvoi  :  Crim.  rej.,  26  juill.  1889  (S.  90. 
.  91  ;  D.  90. 1. 239)  ;  Nancy,  19  avr.  1902  (D.  1903.  2.  20). 

*'  Les  syndicats  de  viticulteurs  ont  été  dr^clarés  recevables  à  intervenir 
lans  les  poursuites  pour  fabrication  de  vin  de  sucre,  mouillage,  fausse  dé- 
lanilion  en  vue  d'enlèvement  qui  ne  doit  pas  être  rivalisé,  etc. 

**•  Amiens,  13  mars  1895  (D.  95.  2.  553),  et  sur  pourvoi  :  Civ.  cass.,  5  janv. 
897  {D.  97.1.  120). 

*'  Notamment,  les  fraudes  alimentaires.  A  cet  égard, il  ne  faut  pas  oublier 
u'un  intérêt  collectif  quelconciue  ne  suffirait  pas  à  justifier  l'action  d'un 
yndicat,  celui-ci  ne  peut  intervenir  que  pour  la  défense  des  intérêts  du 
roijpe  professionnel  rpi'il  repn'sente.  C'est  ainsi  que  le  syndicat  des  viticul- 
?urs  de  la  Gironde  a  pu  ôtre  déclaré  irrecevable  k  poursuivre  les  marcbands 
•>  vins  inculpés  de  mouillage, Mlors  qu'il  n'était  pas  démontré  que  les 
ins  mouillés  avaient  été  vendus  comme  vins  de  la  Gironde  :  Cour  de  Bor- 


266   •  PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

cette  accusation  professionnelle  et  souhaiter  que  les  syndicats 
aient  la  sagesse  d'employer,  à  cette  œuvre  d'assainissemeot, 
la  force  que  leur  donne  la  loi. 

h)  Les  associations  peuvent  résulter  d*un  groupement  formé 
entre  individus  ayant  à. défendre  les  mêmes  intérêts  et  en  vue 
de  réprimer  les  actes  coupables  de  nature  à  y  porter  atteinte. 
Les  associations  de  cette  espèce  se  sont  multipliées  depuis  quel- 
ques années.  Il  nous  suffira  d'en  citer  quelques  types.  Ainsi, il 
existe  une  «  Société  centrale  des  chasseurs  pour  aider  à  la  ré- 
pression du  braconnage  ».  Elle  a  pour  but,  aux  termes  de  ses 
statuts,  «  d'encourager  la  surveillance  des  propriétés  et  la 
constatalion  des  délits  résultant  de  faits  de  braconnage  ».  La 
«  Société  des  gens  de  lettres  »  se  propose,  aux  termes  de  ses 
statuts,  de  «  défendre  et  faire  valoir  les  intérêts  moraux  et  de 
protéger  les  droits  de  ses  membres  ».  Des  «  Ligues  ou  Unions 
de  défense  sacerdotale  »  ont  groupé  les  prêtres  d'un  diocèse, 
résolus  à  réprimer,  par  des  poursuites  judiciaires,  les  attaques 
infumes  dont  ils  sont  trop  souvent  Tobjet.  Peu  importe,  au 
point  de  vue  de  la  question,  que  le  caractère  de  personnalité 
civile  manque  ou  non  à  ces  groupements.  La  différence  entre 
ces  associations  et  les  syndicats  professionnels,  c'est  que  les 
premiers   ne   se    forment    pas,    comme    les   seconds,    entre 
individus    exerçant  la  même    profession   industrielle,  com- 
merciale, ou  agricole,  et  ne  peuvent,  par  suite,  avoir  la  pré- 
tention d'agir  en  vue  de  leurs  intérêts  professionnels.  C'est 
ce  qui  explique   la  différence  de  traitement  que  leur    fait 
subir  la  jurisprudence.  Elle  n'admet  pas,  en  effet,  que  l'asso- 
ciation, qui  n'est  pas  personnellement  lésée,  soit  recevable 
à  se  porter  partie  civile  dans  l'intérêt  général  qui  est,  en 
même  temps,  celui  de  ses  membres.  C'est  dans  les  limites 
de  Vaction  individuelle  que  les  associations  de  cette  espèce 
peuvent  intervenir  pour  prendre  la  direction  du  procès  sous 
le  nom  de   Tintéressé;  elles   n'ont  pas  qualité  pour  pour- 
suivre les  actes  délictueux  dans  un  intérêt  général  conforme 

dcaux,  i  juin  1897  [Gaz,  Pal,,  4  juill.  4897).  Voir,  cependant  une  consultation, 
rappurltkî,  à  la  suite  do  TarrcH,  par  M^"  Patissier-Banloux,  Ulrich,  Gazelles. 


A  QUI  APPARTIENT   l' ACTION  CIVILE.  QUI   PEUT  l'eXERCER.       267 

au  but  en  vue  duquel  se  sont  réunis  leurs  adhérents^'. 
II.  Il  existe  des  associations,  ayant  pour  objet  la  répression 
de  certains  actes  délictueux,  non  plus  dans  Tinlérèt  de  leurs 
membres,  mais  dans  un  but  désintéressé,  philanthropique, 
humanitaire  ou  moral.  Ainsi  la  «  Société  protectrice  des  ani- 
maux »,  comme  les  institutions  analogues  qui  existent  en  An- 
gleterre etaux  États-Unis,  a  pour  but  «  d'améliorer,  par  tous  les 
moyens  qui  sont  en  son  pouvoir,  le  sort  des  animaux,  confor- 
mément à  la  loi  du  2  juillet  I80O  ».  Ces  moyens,  au  point  de 
vue  répressif,  sont  restreints  dans  les  limites  de  la  dénonciation 
des  actes  coupables  aux  agents  de  Tautorilé.  Mais  il  n'appar- 
tient pas  à  la  Société  d'agir  en  son  nom.  Innombrables  égale- 
ment sont  les  associations  bienfaisantes  qui  ont  pour  objet  la 
protection  de  Tenfance.  Il  s'est  également  fondé  des  sociétés 
de  protestation  contre  la  licence  des  rues,  des  ligues  de  la 
moralité  publique.  Mais  pour  déférer  à  la  justice  les  auteurs 
ou  les  complices  des  délits  commis  contre  les  intérêts  généraux 
qui  rentrent  dans  le  cercle  de  leur  protection,  les  représentants 
de  ces  associations  ne  peuvent  avoir  recours  qu'à  la  voie  de  la 
dénonciation.  Elles  sont  sans  qualité  pour  se  substituer  au 

^^  Lql  Société  des  yens  de  lettres,  reconnue  d*iililité  publique,  ne  poursuit, 
fil  son  nom,  que  U'S  contrefaçons  des  œuvres  dont  l'apport  lui  est  fait  par  les 
80ci«^taires.  Quand  il  s'a-^it  d 'œuvres  restant  la  propriété  de  leur  auteur,  la 
poursuite  est  faite  au  nom  du  soci<^taire  (Statuts,  art.  36  et  38).  La  Société 
centrale  des  chasseurs  pour  la  répression  du  braconnage,  égal«.'ment  recon- 
nue d'utilité  publique,  ne  peut  poursuivre  en  son  nom.  En  1894,  émue  des 
encouragements  donnés  au  braconnage  par  un  certain  nombre  de  restaurants, 
qui  servaient  ouvertement  à  leur  clientèle  du  gibier  en  temps  de  chasse  pro- 
hibée, la  Société  chargea  des  huissiers  de  constater  le  délit,  après  quoi  elle 
se  porta  partie  civile.  Le  tribunal  correctionnel  de  la  Seine,  par  jugement  du 
5  décembre  181)5  {Gaz.  du  Palais,  16  janv.  1896),  déclara  son  intervention 
irrecevable:  «  Attendu  que  si,  aux  termes  des  articles  i  et  63  du  Code 
«  d'instruction  criminelle,  toute  personne  qui  se  prétend  lésée  par  un  crime 
«  ou  un  délit  a  qualité  pour  se  porter  partie  civile,  c'est  à  la  condition  d'ar- 
"  ticuler  et  de  demander  à  établir  qu'elle  en  a  éprouvé  un  préjudice  direct 
«et  personnel  ;  que,  dans  Tespèce,  la  Société  demanderesse  reconnaît  n*agir 
«  qu'en  vertu  de  l'intéi^èt  qu'elle  a  d'assurer  d'une  façon  générale  la  répres- 
«  sion  du  braconnage;  qu'elle  n'allègue  avoir  subi  aucun  dompiage  direct 
«  et  personnel; qu'elle  n'a  donc  pas  qualité  j)our  intervenir  dans  l'instance  ». 


268      PROCEDURE  PÉNALE.  —  DES   ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

miaislèrc  public  ou  pour  se  faire  ses  auxiliaires.  Aussi  ap- 
pellent-elles de  leurs  vœux  la  réforme  d'une  législation  qui  ae 
leur  permet  pas  d'agir  directement  devant  les  tribunaux'*. 

III.  Il  peut  se  faire  enfin  que  la  prétention  d*agir  ou  d'in- 
tervenir soit  émise  par  une  collectivité,  c'est-à-dire  par  un 
groupement  d'individus,  qui,  sans  être  tenus  les  uns  envers    j 
les  autres  par  des  engagements  constitutifs  d'une  association     | 
ou  d'une  société,  s'unissent  dans   le  but  de  poursuivre  un 
délit  qui  les  atteint.  Cette  situation,  s'est  souvent  présentée, 


i 


(* 


1 


'^'■^  Sur  la  question  générale:  Paul  Nourrisson, L'rt.s>'ocia^ïO«  contre  le  crime 
(Paris,  1901  j;  Discussion  h  la  Société  générale  des  prisons  {Rei\  pt'7a^,1896, 
p.  510  et  689);  Henri  Joly,  Les  asaociatiomi  et  VÉtat  dnns  la  lutte  contre  le 
crime  {lier,  de  Paris,  !•'  déc.  1890).  La  concession  du  droit  de  poursuite  de     i^ 
certains  délits  h  des  associations  formées  en  vue  de  leur  répression  et  auto-     j 
risées  ou  reconnues  h  cet  elT«H  par  Tautorilé  publique  est  aujourd'hui  Ma- 
mée  en  France  et  considérée  comme  une  réforme  nécessaire.  La  commission 
du  Sénat,  chargée  d'examiner  la  prop<jsition  qui  est  devenue  la  loi  du  lOavr. 
1898,  introduisit,  dans  l'article  7  du  projet,  une  disposition  ainsi  conçue  :  «  L^ 
droit  d(»  poursuivre,  soit  pjir  voie  de  citation  directe,  soit  en  se  perlant  partie 
civile,  dans  les  termes  des  articles  63  et  182  du  Code  d'instruction  criminelle'» 
peut  être  concédé,  par  décret  spi»cial,  après  avis  du  tribunal  de  première  ins- 
tance, aux  associations  protectrices  de  l'enfance,  reconnues  d'utilité  publique? 
en  ce  qui  touche  les  violences  ou  les  attentats  commis  contre  les  enfants  >>• 
C'était  le  texte  même  du  vœu  (ju'avait  adopté  le  Comité  de  défense  des  en-' 
fants  traduits  en  justice  (Voy.  Nourrisson,  Des  r^^ formes  à  apporter  au  Cod^ 
pt'nal  pour  fortifier  la  répressio7i  des  délits  et  des  crimes  contre  la  moralità 
des  wineurs  de  seize  ans,  et  de  la  participation  des  Sociétés  privées  à  lapour- 
suite  de  ces  faits,  dans  La  Loi  du  19  juill.  1897).  Cet  article,  après  avoir  été 
volé  en  première  délibénilion  (Séance  du  10  mars  1898,  Journ.  off,.  Sénat, 
p.  288),  fut  finalement  rejeté  (Séances  des  21  et  22  mars  1898,  Journ.  off.j 
Sénat,  p.  357  l't  s.,  379  et  s.).  On  trouvera  le  compte  rendu  de  cette  discus- 
sion dans  la  Uev.pénit.j  1898,  p.  557.  Pour  les  objections  soulevées  et  leur 
réfutation,  Paul  Nourrisson,  op.  cit.,  p.  152  et  s.  11  y  a  d'abord  Tobjection  de 
principe  tirée  des  droits  du  ministère  public  (RouXjKcr.  crit,  de  léyist.^  1895, 
p.  5'i:0).  Mais,  comme  récrit  .loly  (lier, polit,  et  parL^  1895,  p.  451):  «Personne 
ne  demande  de  suf>primer  ni  même  de  diminuer  le  ministère  public.  On  de- 
mande qu'il  ne  restcî  [»as  seul  ».  Il  y  a  ensuite  les  abus  îi  craindre,  le  chan- 
tage, ou  tuut  au  moins  l'excès  de  zèle.  Ces  abus  ne  sont  guère  à  redouter  de 
la  part  d  associations  autorisées  et  surveillées.  Les  avantages  et  les  résultats 
de  la  réformp,  en  l'état  actuel  des  mœurs  publiques  en  France,  nous  paraî- 
traient incontestables. 


A  QUI  APPARTIENT  l'aCTION   CIVILE.  QUI  PEUT   l'EXERCER.       269 

en  cas  de  diiTamaiion  imputée,  soit  à  un  individu  non  dé- 
nommé, mais  faisant  partie  d*un  groupement  ou  exerçant  une 
profession  déterminée  dans  telle  région,  par  exemple,  un  insti- 
tuteur ou  un  prêtre  de  tel  canton,  soit  à  une  collectivité  d'in- 
dividus, tels  que  les  instituteurs  ou  les  prêtres  d'une  com 
muoe  ou  d'un  canton.  Dans  ce  cas,  il  faut  poser  deux  règles  : 
iM'âction  est  recevable  quand  Timputation,  formulée  sans 
désignation  de  personne  ou  d'une  manière  collective,  atteint 
plusieurs  personnes  et  les  expose  à  des  soupçons;  2^  mais  elle 
doit  être  exercée  par  chaque  personne,  faisant  partie  dugroupe 
lésé,  agissant  individuellement,  à  raison  du  préjudice  person- 
nel qui  lui  a  été  causé**. 

121.  11  existe  une  exception,  d'autant  plus  remarquable 
({u'elle  est  unique,  à  ce  principe  du  droit  français  que  Faction 
civile  n'appartient  qu'à  la  personne  lésée  et  ne  peut  être  exer- 
cée qu'à  la  condition,  par  le  demandeur,  de  justifier  d'un 
préjudice  personnel. 

Exceptionnellement,  en  effet,  et  quoique  le  préjudice  ne  lui 
soit  pas  peràonnel^  tout  électeur  peut  se  porter  partie  civile, 
^n  vue  de  poursuivre  les  délits  électoraux  commis  dans  sa 
circonscription  ou  d'intervenir  dans  la  poursuite  (L.  15  mars 
1849,  art.  i23)''». 

**  Sur  ces  deux  questions  :  Gustave  La  Poittevin,  Traité  de  la  presse^ 
!•  2,  no  728,  p.  265,  et  n°  1258,  p.  299.  Voy.  égalemeut  la  jurisprudence 
qui  est  ciliée  dans  oet  ouvrage.  Adde,  Cass.,  16  juill.  1903  (D.  1904.  i. 
535).  Sur  la  diiïamation  qui  vise  des  individus  appartenant  à  une  congre- 
j?ation  religieuse  :  Cass.,  15  févr.  1901  (S.  1902.  1.  470);  Besançon,  27  juin 
1900(8.  1902.  2.  11);  Pau,  26  juill.  1900  (S.  1902.  2.  9);  Rennes.  14  juin 
1900  (S.  1902.2.  11). 

"Comp.  Cass.,  16  mars  1878  (D.  78. 1.  142).  En  effet,  bien  que  Tarticle  123 
oe  donne  à  tout  citoyen  inscrit  dans  une  circonscription  électorale  que  le 
droit  de  porter  plainte,  il  s'agit  bien  d'un  droit  d'action.  L'article  19  du  dé- 
cret organique  du  2  février  1892,  sur  l'élection  des  députés  au  Corps  législa- 
tif, porte  que,  lors  de  la  révision  annuelle  des  listes,  «  tout  électeur  inscrit 
sur  Tune  des  listes  de  la  circonscription  électorale  pourra  réclamer  lu  radia- 
tion ou  l'inscription  d^un  individu  omis  ou  indûmiMit  inscrit  ».  Mais  cette 
action  est  une  pure  instance  civile  introduite  par  Télecteur  en  vertu  du  droit 
personnel,  qu'il  a  de  voir  fîgurer  sur  la  liste  ceux,  et  ceux-là  seuls,  qui  ont 


270       PROCÉDURE  PÉNAIJS.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

122.  L'action  civile  peut-elle  appartenir  aux  héritiers  de  la 
personne  directement  lésée  par  l'infraction?  Cette  question 
n'est  pas  susceptible  d'une  réponse  absolue;  nous  devons, en 
effet,  distinguer  trois  hypothèses. 

Vinfraction  a  été  commise  antérieurement  à  la  mort  de  la 
victime.  —  Si  Tin  fraction  a  porté  atteinte  à  la  fortune  du  dé- 
funt, les  héritiers,  qui  deviennent  propriétaires  des  biens,  sont 
directement  lésés;  ils  peuvent  donc  se  porter  partie  civile,  en 
leur  qualité  d'héritiers.  Si  l'infraction  a  atteint  le  défunt  dans 
ses  biens  innés,  sa  santé,  sa  liberté,  les  héritiers  peuvent  encore 
intenter  l'action  civile,  car  Finfraction  a  causé  à  leur  auteur 
un  dommage  pécuniaire  ou  moral  dont  il  leur  est  dû  répara- 
tion, à  titre  d*héritiers.  Mais  si   l'infraction    n'a  atteint  que 
l'honneur  ou  la  considération  du  défunt,  si  c'est  une  injure, 
une  diffamation^  les  héritiers  peuvent-ils  commencer  une  in- 
stance pour  obtenir,  au  nom  du  défunt,  la  réparation  d'un 
dommage  que  lui  seul  a  éprouvé?  Je  ne  le  pense  pas:  d'une 
part,  l'action  civile  manquerait  ici  de  base,  puisque  le  fait, 
dont  se  plaignent  les  héritiers,  ne  leur  a  pas  causé  personnel- 
lement un  dommage;  d'autre  part, celui  qui  est  décédé,  sans 
avoir  intenté  l'action,  est  présumé  avoir  pardonné.  Mais  les  mo- 
tifs mêmes  de  cette  solution  traditionnelle  prouvent  qu'elle 
ne  s'appliquerait  pas  au  cas  où  l'action  civile  aurait  été  mise 
en  mouvement,  avant  le  décès,  par  le  défunt  lui-même:  les 
héritiers  pourraient  alors  continuer  l'instance,  car   l'action 
formée  et  tendant  à  des  dommages-intérêts,  quelle  qu'en  soit 

le  mômp  droit  que  lui.  Mais,  pd  outre,  la  loi  <ie  1849  (art.  123),  donne  à  tout 
électeur  le  droit  do  porter  jilainte  et  de  se  constituer  partie  civile.  Voy. 
mprà,  n*»  82.  Comp.  Montpellier,  40  nov.  1894  (S.  96.  2.  201)  et  la  note  de 
M.  Villey,  qui  conclut  ainsi  :  «  La  vraie  solution  consisterait  à  de^cider, 
«  comme  l'a  fait  la  loi  espagnole  du  26  juin  1890,  que  l'action  pénale,  nais- 
u  sant  des  délits  électoraux,  est  publique^  c/est-à-dire  qu'elle  peut  être  mise  en 
u  mouvement  par  tout  électeur  aussi  bien  que  par  le  ministère  public,  sauf 
«  à  prendre  certaines  mesures  pour  réprimer  Tabus  qui  pourrait  ôtre  tait  de 
«  ce  droit  d'action  »>.  M.  Laborde,  dans  la  Reruc.  critique^  1895,  p.  167,  sur  la 
partie  civile  sans  intérêt  personnel,  voit,  dans  la  loi  de  1849,  «  le  germe  d'une 
nouvelle  conception  do  Taction  civile  que  le  législateur  pourrait  développer  ». 
Comp.  pour  le  principe  au  moins  :  Riom,  16  déc.  1896  (S.  97.  2.  114). 


A  QUI  APPARTIENT   l' ACTION    CIVILE.  QUI  PEUT   l'eXERCER.      274 

la  base,  est  un  bien  que  les  héritiers  recueillent,  comme  tous 
les  autres  biens,  dans  le  patrimoine  du  défunt  (C.  civ., 
art.  937)". 

L'infraction  a  causé  la  mort  de  la  victime.  —  Les  héritiers 
des  personnes  tuées  instantanément,  par  exemple  dans  un 
accident  de  chemin  de  fer  causé  par  l'imprudence  d'un  agent 
de  la  compagnie,  ont-ils,  en  leur  seule  qualité  d'héritiers, 
testamentaires  ou  ab  intestat^  une  action  en  réparation  de 
la  mort  de  leur  auteur?  II  est  difficile  de  l'admettre '^  L'action 
n'a  pu  se  transmettre:  elle  est  née  par  le  fait  du  décès,  au 
profit  de  toutes  les  personnes  qui  ont  souffert  de  l'accident". 
Par  conséquent,  les  héritiers  devront  agir  en  leur  nom  et 
justifier  d'un  dommage  personnel.  D'où  il  suit  que  toute  per- 
sonne qui  aura  subi^  dans  sa  fortune,  dans  sa  situation,  un 
préjudice,  par  le  fait  du  décès,  pourra,  bien  que  n'étant  pas 
héritière,  se  porter  partie  civile.  L'action  appartiendra,  par 
exemple  :àla  veuve,  dont  le  mari  était  le  soutien;  au  mari,  qui 
profitait  des  revenus  de  sa  femme;  aux  ascendants,  qui  tou- 
chaientune  pension  alimentaire  du  défunt;  aux  créanciers,  qui 
avaient  fait  crédit  k  la  valeur  et  à  la  situation  du  défunt,  etc. 

Et  toutes  ces  personnes,  qui  ont  à  faire  valoir  un  dommage, 
moral  ou  pécuniaire,  peuvent  intenter  concurremment  l'ac- 
tion civile,  car  l'intérêt  de  Tune  n'exclut  pas  l'intérêt  de  Tau- 
Ire  ".  Mais  on  ne  saurait  admettre  les  proches  parents  ou  les 
amis  de  la  victime,  par  cela  seul  qu'ils  ont  été  frappés  dans 
leur  affection,  à  se  porter  partie  civile.  L'intérêt  de  sentiment 
peut  être  un  motif  pour  provoquer  des  poursuites,  pour  dé- 
noncer l'auteur  du  délit,  mais  il  ne  saurait  servir  de  base  à 
une  action  pécuniaire  en  rénaration,  puisque  l'article  1"  du 


»*Sic,  Mangin,  op.  cit.^  t.  1,  n*»  127;  Faiistin  Ilélie,  op.  ciL,  t.  1,  ii°  559; 
Le  Sellyer,  op,  ct7.,  l.  i,  n<>  27 ô. 

*'  On  la  trouvera  discutée  dans  D.  A.,  Supplèmenty  v®  Procédure  crimi- 
nelle, n*»«  194  à  198.  Comp.  Laborde,  Rev.  crit.,  1894  p.  25. 

^*  Comp.  dans  ce  sens  :  Besançon,  1»^  déc.  1880  (D.  81.  2.  65). 

2»  Voy.  Cass.,  20  févr.  1863  (S.  63.  1.  .521);  Lyon,  18  mars  1865  (S.  65. 
2. 259).  ' 


272      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILB. 

Code  d*instruction  criminelle  ne  la  donne  qu*à  ceux  qui  oai 
soufferl  d'un  dommage"". 

L infraction  a  été  commise aprèa  le  décès  de lapersonnequ'eU^ 
atteint,  —  11  s'agit,  ici,  des  injures,  des  diffamations  dirigées 
contre  la  mémoire  des  morts.  Donneronl-elles  ouverture  vl 
l'action  civile?  C'est  se  demander  d'abord  si  ces  injures  ou 
ces  diffamations  constituent  des  délits. 

Avant  la  loi  sur  la  presse  du  27  juillet  1881,  on  envisageai  t 
la  question  sous  deux  points  de  vue  différents'*  :  ou  la  diffama^ 
tion  ne  concernait  réellement  que  la  personne  du  défunt,  san^ 
avoir  pour  but  de  blesser  sa  famille;  ou  bien  c'était  sa  famille? 
qu'on  avait  voulu  blesser,  tout  en  paraissant  diriger  l'impu-- 
tation  contre  le  défunt.  Dans  le  second  cas,  il  y  avait  réelle- 
ment diffamation  à  Tégard  des  héritiers,  personnellement 
quoiqu'indirectement  atteints,  par  une  diffamation  qui  les 
visait  en  traversant  leur  auteur.  Dans  le  premier  cas,  la  doc- 
trine et  la  jurisprudence  se  divisaient'^.  Tandis  que  la  Cour 
de  cassation  décidait  que  la  diffamation  envers  une  personne 
décédée  constituait,  comme  la  diffamation  envers  une  per- 
sonne vivante,  un  délit,  dont  la  répression  pouvait  être  pour- 
suivie par  les  héritiers  du  défunt'',  les  cours  d'appel  jugeaient 

3^  Dans  notre  ancienne  jurisprudence,  on  admettait  rinlervenlion,  de 
})lein  droit,  jure  sanguiiiis  et  propter  causam  doloris,  de  certains  parents. 
On  a  enseigné  que  ces  règles  seraient  encore  applicables  aujourd'hui.  Sic^ 
Fauslin  Hélie,  t.  1,  n«  557;  Sourdat,  op.  cit.,  t.  1,  n"  33;  Larombière, 
op,  ait,,  t.  5,  p.  7H;  Le  Sellyer,  op,  cit.y  t.  1,  n°  263.  Mais  le  texte  même 
de  l'article  1*'  du  Code  d'instruction  criminelle,  en  ne  donnant  raction  civile 
qu'à  ceux  qui  ont  souffert  du  dommage,  ne  peut  se  concilier  avec  celte  so- 
lution. Voir  sur  la  question  :  Ilaus,  t.  1,  n**  1373;  Trébutien,  l.  2,  p.  29; 
Villey,  op.  cit.,  p.  194;  et  note  dans  S.  46.  1.  657;  Cass.  belge,  17  mars 
188l\s.  82.  4.  9)  et  la  note;  Bourges,  14  déc.  1872  (S.  74.  2.  71;  D.  73.  2. 
197).  Comp.  supràyp.  237,  note  9. 

3*  Voy.  Ghassan,  Traité  des  délits  et  contraventions  de  la  parolCyde  l'écri- 
ture et  de  la  presse  (1846,  2«  éd.,  2  vol.  in-8»),  t.  1,  n*»«  492,  494,  p.  398, 
404;  Berlin,  De  la  diffamation  encers  les  morts,  1867,  in-8°. 

3-^  G.  Le  Poittevin,  Traite  de  la  presse,  i.  2,  no  895,  p.  509  et  510.  On 
trouvera  les  références  dans  cet  ouvrage. 

33  Cass.,  24  mai  1860  (S.  00.  1.  657;  D.  60.  1.  243);  23  mars  1866  (S.  66. 
1.  750;  D.  67.  1.  46);  5  juin  1849  et  Lyon,  11  déc.  1868  (héritiers  Vaïsse 


A  QUI  APPARTIENT   L*ACTION   CIVILE.  QUI  PEUT   l'eXERCER.      273 

<iue  raction  des  héritiers  n'était  recevable  qu'autant  qu'ils 
se  trouvaient  personnellement  atteints  par  la  diffamation  di- 
rigée contre  leur  auteur. 

La  loi  du  29  juillet  1881  a  voulu  trancher  la  question'*. 
Elle  Ta  fait  dans  des  termes  qui  ont  créé  d'autres  difficultés. 
L'article  3i,  §  1,  est  ainsi  conçu  :  u  Les  articles  29,  30  et  31 
»  De  seront  applicables  aux  diffamations  ou  injures  dirigées 
«  contre  la  mémoire  des  morts,  que  dans  le  cas  où  les  auteurs 
'<  de  ces  diffamations  ou  injures  auront  eu  Tinteution  de  por- 
tier atteinte  à  Thonneur  et  a  la  considération  des  héritiers 
«vivants  ». 

Cette  disposition  a-i-elle  effacé  tout  délit  de  diffamation 
envers  la  mémoire  des  morts?  A-t-elle,  au  contraire,  créé  ce 
délit,  en  le  soumettant  à  certaines  conditions  constitutives? 
Oesdeux  manières  de  comprendre  l'article  34  onl  leurs  par- 
tisans convaincus.  D'après  la  première,  la  diffamation  envers 
Jes  morts  ne  constitue  pas  un  délit,  en  tant  qu'elle  vise  les 
morts;  mais  elle  constitue  un  délit,  en  tant  qu'elle  atteint  ou 
qu  elle  entend  atteindre  les  héritiers  vivants".  Dans  ce  der- 
nier cas,  les  héritiers  sont  personnellement,  bien  qu'indirec- 
tement diffamés,  et  ils  ont  une  action  personnelle  on  diffama- 
tion. La  loi  punit,  en  effet,  la  diffaniation  indirecte  connne  la 
diffamation  directe.  D'après  la  seconde  manière  de  voir,  l'ar- 
ticle 34  établirait  un  délit  spécial,  en  ce  sens  que  l'action, 
engagée  par  l'héritier  en  son  nom  personnel,  prendrait  sa 
source,  non  dans  la  diffamation  ou  Tinjnre  indirecte  dont  il 
est  l'objet,  mais  directement  dans  la  diffamation  ou  l'injure 

-c Labaume)  ;  24  mai  1879  (S.  80.  1.  137;  D.  79.  1.  273);  27  mai  1881  (Nar- 
Bey  c.  prince  de  Lusigiiaii). 

•*  Voy.  Cellier  et  Le  Senne,  Loi  de  iSSi  sur  la  presse  {iHS2f  in-8'*), 
f».  489  et  490.  On  trou/era,  clans  cet  ouvrage,  l'histoire  du  lexte.  Cons.  éga- 
lement, D.  81.  3.  106. 

'*  Vuy.  Barbier,  Code  expliqué  de  la  presse  avec  complément  {{SHl-iSO}i^ 

3  vol.  in-8®),  t.  2,  n°  548,  p.  80;  Fabrt^guetles,  Iraité  des  délits  politiques el 

(tes  infractions  par  la  parole^  l'écriture  et  la  presse  (2"  ^dit.,  1901,  2  vol. 

in-8**j,  t.  2,  n»  397,  p.  479.  Cette  interpn>tation  avait  «Hé  admise  par  la  Chaii- 

<?e]lerie,  dans  sa  circulaire  du  9  novembre  1881. 

C.  P.  P.  —  1.  18 


274      PROCÉDURE   PENALE.   —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CmLl 

dirigée  conlre  son  auteur".  L'intérêt  de  la  question  seprésen 
en  ce  qui  concerne  les  règles  de  compétence,  de  preuve  et  fl 
procédure.  Supposons,  eri  effel,  une  diiTamation,  dirigée  cor 
tre  la  mémoire  d'un  fonctionnaire  public,  à  l'occasion  dereici 
cicedeses  fonctions,  par  laquelle  on  veut  atteindre  le  fils  d 
ce  fonctionnaire  qui  est  un  simple  particulier.  Si  on  adopt 
le  premier  système,  la  circonstance  que  les  imputations  difTi 
matoiresont  été  adressées  au  mort,  relativement  aux  fonctioi 
par  lui  remplies  de  son  vivant,  n'aura  aucune  influence  si 
les  questions  de  preuve  et  de  compétence  que  peut  sou]ev( 
l'action  :  ce  sera  une  diffamation  envers  un  particulier,  voi 
tout.  Mais  si  on  adopte  le  second,  le  délit  se  caractérisera  par 
situation  qu'avait  de  son  vivant  le  mort  qui  a  été  diffamé  :  pc 
suite,  la  cour  d'assises  sera  compétente  et  la  preuve  de  I 
vérité  des  faits  dilTamatoires  sera  permise. 

Telle  est,  en  efîet,  la  solution  donnée  à  la  difficulté  par 
jurisprudence '\  Dans  cette  opinion,  pour  sauvegarder  les  int< 
rets  de  l'histoire,  la  loi  n'admet  le  délit  de  diffamation  d 
morts,  qu'autant  que  l'imputation  passe  à  travers  leur  m 
moire  pour  aller  atteindre  des  vivants;  mais  alors  la  diffam 
tion  contre  la  mémoire  des  morts  constitue  un  délit  spécia 
Si  tels  n'étaient  pas  le  sens  et  la  portée  de  l'article  34,  il  serf 
sans  signification  et  sans  utilité,  «  puisqu'il  n'attribuerait  ai 
«  héritiers  vivants  aucune  action  nouvelle  et  ne  leur  accord 
«  rait,  en  définitive,  que  l'action  personnelle  qui  leur  appa 

"  Sic,  (}.  Lo  Poittevin,  op.  cil.,  l.  2,  ii»  807,  p.  lil  k 

^^  C*esl  en  ce  sens  que  s'est  prononcc^e  la  Cour  de  Cassation  dans 
arrêt  du  29  avril  1887  (Fouque  et  Delcourt  contre  Weiss)  :  u  Attenjlu  qi 
M  pour  que  la  dilVamalion  dirigée  envers  la  mémoire  des  personnes  décéda 
*c  constitue  un  d^lit,  il  nest  pas  nt'cessaire  que  les  écrits  incriminés  conlit 
w  nent  l'imputation  de  Faits  précis  et  déterminés  contre  les  héritiei 
«  qu'il  suffit  que  la  dilfamation  envers  les  morts  at  été  commise  avec  int*: 
«  lion  de  nuire  aux  héritiers  ».  Voy.  éf^alement  :  Paris,  30  mars  1897  ( 
Baudy  c.  Delahaye  et  la  Libre  paroh');  Cour  d'assises  de  la  Seine,  '^  d 
iOOO  (S.  1901.  2.  lis,  V'  Henry  c.  Joseph  Heinach  et  autres).  Comp.  Héj 
Coste,  Uiffamniion  envo.ra  la  mémoire  des  morts  {La  France  judic.^  18! 
1.  321).  .le  dois  reconnaître  que  la  question  est  très  controversée.  Voy. 
note  sous  l'arrêt  de  la  Cour  d'assises  de  la  Seine  du  3  décembre  1900. 


A  Qn  APPARTIENT   i/aCTJON   CIVILE.  QUI   PEUT   l'eXERCER.       275 

«tienldcjfi  ».  Eo  effet,  les  héritiers  ont  toujours  ledroit,  quand, 
sousPapparence  et  le  prétexte  d'imputations  dirigées  contre 
leur  auteur  décédé,  ils  sont  personnellement  et  directement 
injuriés  ou  diffamés,  do  faire  abstraction  de  leur  qualité  d'hé- 
ritiers et  de  poursuivre  le  diffamateur  en  vertu  des  articles  31, 
32  et 33  de  la  loi  de  1881. 11  n'était  pas  besoin  d'un  texte  nou- 
veau pour  le  leur  conférer. 

Le  délit  de  diffamation  envers  la  mémoire  des  morts  impli- 
que, aux  termes  de  l'article  34,  la  réunion  des  éléments  spé- 
ciaux que  voici  :  l""  l'allégation  ou  l'imputation  envers  une 
personne  décédée  d'un  fait  de  nature  à  porter  atteinte  à  son 
honneur  ou  à  sa  considération  ;  2""  une  atteinte  possible  à  l'hon- 
neur ou  à  la  considération  des  héritiers  vivants;  3^  Tinten- 
tion  de  porter  atteinte  à  l'honneur  ou  à  la  considération  de 
ces  héritiers^'. 

Le  texte  do  l'article  34  parait  viser  globalement  tous  les 
héritiers  sans  distinction  ni  limitation  de  degré  de  parenté, 
mais  il  ne  paraît  viser  que  les  héritiers.  En  effet,  l'action  n'est 
accordée  aux  héritiers  que  pour  obtenir  la  réparation  d'une 
diffamation  qui,  bien  que  commise  envers  leur  auteur,  rejaillit 
sur  eux  et  est  de  nature  à  leur  nuire.  Celte  répercussion  im- 
plique bien  un  lien  de  parenté  qui  les  unit  au  défunt  et  les 
solidarise  avec  sa  mémoire. 

Mais  peu  importe  le  degré  et  la  nature  de  la  parenté,  peu 
importe  que  l'héritier  ait  renoncé  à  la  succession.  Si  le  titre 
de  parent  personnellement  lésé  est  nécessaire,  il  est,  en  même 
temps,  suffisant''. 

Au  point  de  vue  de  l'exercice  de  l'action  en  dommages-inté- 
rêts résultant  d'une  diffamation  envers  la  mémoire  des  morts, 
deux  situations  sont  possibles. 

La  première  est  celle  dans  laquelle  le  délit  existe.  Les  héri- 
tiers ont  alors  le  droit  d'exercer  l'action  civile  dans  les  condi- 
tions ordinaires.  Toutefois,  si  leur  auteur  est  un  fonctionnaire 


"  Sur  tous  ces  points  :  G.  Lft  Poittevin,  op,  cit,,  t.  2,  n«  S90,  p.  r»19. 
"  Sur  tous  ces  points,  la  jurisprudence  ne  paraît  pas  encore  fixt*e.  Il  y  a 
'Jes  arrêts  dans  tous  les  sens. 


276       PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

public  diffamé  dans  Texercice  de  ses  fonctions,  ils  sont  obligés 
de  se  conformer  à  Tarticle  46  de  la  loi  du  29  juillet  1881,  aux 
termes  duquel  l'action  civile,  résultant  des  délits  de  diffama- 
tion prévus  et  punis  par  l'article  31  de  cette  loi,  ne  peut  être 
poursuivie  séparément  de  l'action  publique*'. 

La  seconde  situation  est  celle  où  le  délit  n'existe  pas. 
Les  héritiers  peuvent  néanmoins,  s'ils  établissent  que  la 
diffamation  leur  a  causé  un  préjudice  matériel  ou  moral,  cq 
poursuivre  la  réparation  par  une  action  eu  dommages-intérêts 
ordinaire.  C'est  ce  qui  a  été  formellement  reconnu  au  cours 
de  la  discussion  de  l'article  34*'. 

123.  Les  ayants-cause  de  la  partie  lésée,  autres  que  les 
héritiers,  pourraient-ils  agir^  sous  son  nom,  pour  demander 
des  dommages-intérêts? 

La  question  se  pose  distinctement  pour  les  créanciers  et  les 
cessionnaires. 

Les  créanciers  de  la  partie  lésée  seront  certainement  rece- 
vables  à  agir,  soit  au  nom  de  leur  débiteur,  conformément  à 
l'article  1166  du  Gode  civil,  soit  de  leur  chef,  s'ils  ont  été  lésés 
personnellement.  Ce  dernier  cas,  assez  rare,  pourra  se  pré- 
senter lorsque  les  créanciers  n'auront  d'autre  sûreté  que  l'in- 
dustrie de  leur  débiteur,  et  que  l'infraction  aura  causé  la 
mort  de  ce  dernier  ou  du  moins  une  incapacité  de  travail  per- 
manente ou  temporaire". 

*°  C'est  ce  qui  résuUe  du  caraclcTC  que  nous  avons  donné  au  délit  de 
rarlicle  34. 

*'  Déclarations  du  rapporteur  M.  Lisbonne,  à  la  Chambre  des  déput«^s, 
dans  la  séance  du  21  juillet  1881  (Celliezet  Le  Senne,  op.  cit.,  j).  609). 

*-  Manj,nn,  op,  cit.y  t.  1,  n.  126;  Le  Sellyer,  op,  cit.,  t.  1,  u.  275.  Contrai- 
rement à  cette  opinion,  il  a  été  jugé,  par  le  tribunal  civil  de  la  Seine,  que  l'ac- 
tion en  dommages-intérêts  pour  la  réparation  d'un  délit  contre  une  per- 
sonne est  une  action  exclusivement  attachée  à  la  personne,  et  qu'en  con- 
séquence elle  ne  saurait  être  exercée  parles  héritiers  :  Trib.  Seine,  9  janv. 
1870  (S.  81.  2.  21).  Mais  cVst  une  simple  aflimiation  qui  aurait  besoin  d'être 
soutenue  par  un  îirgument.  Il  nous  jiaraît  ]ilus  exact  de  dire  que  l'action 
civile  est  toujours  susceptible  d'être  exercée  par  les  créanciers  pour  faire 
réparer  un  préjudice  pécuniaire^  mais  ne  l'est  pas  pour  faire  réparer  un 
dommage  moral. 


A  QUI  APPARTIBNT   L*ÂCTION  CIVILE.   QUI   PBUT  l'eXERCBR.       277 

L'action  civile^  comme  toute aulre action  endommages-inté- 
rêts^ peut  être  l'objet  d'une  cession  (C.  civ.,  art.  1249  et  1230, 
1398,  1607,  1699,  1700  et  1701).  C'est  ce  que  j'ai  démontré 
déjà,  et  je  ne  crois  pas  qu*il  y  ait  lieu  de  distinguer  entre  Inac- 
tion naissant  des  délits  qui  causent  un  préjudice  pécuniaire  et 
l'action  naissant  des  délits  qui  causent  un  préjudice  moral, 
puisque^  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  Taclion  a  toujours 
pour  objet  une  réparation  pécuniaire.  On  a  prétendu,  dans  le 
cas  d'exercice  de  laction  civile  par  un  cessionnaire,  que  les 
juges,  lorsqu'ils  admettent  le  principe  de  la  demande, 
ne  doivent  pas  dépasser,  dans  la  fixation  du  montant  des 
indemnités,  le  prix  réel  de  la  cession^'.  Mais  c'est  partir 
de  l'idée  fausse  que  la  partie  lésée  a  déterminé,  par  le  prix 
même  de  la  cession,  l'indemnité  qui  lui  est  due  :  ce  prix  re- 
présente un  forfait  et  ne  dispense  pas  les  juges  d'évaluer  le 
dommage  et  d'accorder  au  représentant  de  la  victime  toute 
l'indemnité  qui  pourrait  être  due  à  celle-ci *\ 

124.  Pour  être  admis  à  se  porter  partie  civile,  il  faut  avoir 
la  capacité  d'exercer  ses  droits  en  justice.  Or,  les  règles,  rela- 
tives à  la  capacité  d^estcr  en  justice,  sont  tracées  par  les  lois  ci- 
viles et  le  Code  d'instruction  criminelle  n'y  apporte  aucune 
dérogation.  En  conséquence,  ne  peuvent  se  porter  partie 
civile  :  le  mineur,  s'il  n'est  représenté  par  son  père  ou  par  son 
tuteur,  excepté  lorsqu'il  est  émancipé;  l'interdit  judiciaire  ou 
légal,  s'il  n'est  représenté  par  son  tuteur;  la  femme  mariée, 
sans  l'autorisation  de  son  mari  ou  de  justice;  le  pourvu  de 
conseil,  sans  Tassistance  de  ce  conseil**. 

"  Flaus,  op.  cit.,  t.  2,  q*  i:n6,  note  15;  Manfjin,  op,  cit.,  t.  l,  u^  128. 

**  Le  cessionnaire  qui  court  les  cl}ances  lïlcheuses  d'un  procès  iloit  pouvoir 
profiler  des  chances  favorables.  Voy.  Faustin  Hélie,  op,  cit.^  t.  2,  notiOy. 

"  Toutes  ces  règles  sont  certaines.  Pour  la  doctrine  et  la  jurisprudence  : 
0.  A.,  Supplément,  v®  Procédure  criminelle,  n®"  170  h  188;  Rép.  /jcn.  droit 
franraia,  v*  Action  civile,  n^  189  à  21 't.  —  Adde,  pour  la  femme  mariée  : 
Cas8.,29  juin  1893  («.  cr.,  n«  170);  10  févr.  1005  (/;.  cr.,  ji»  51).  —  Voy. 
cepenclant  pour  lo  mineur  :  Trib.  corr.  de  la  Seine,  5  nov.  1904  {Gaz.  des 
Trib.,  29  di^cembre  19()'i-).  Mais  observations  dans  lier,  pénit.,  1905, 
p.  2il. 


278       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVIU 

Un  étranger  pent  intenter  raclion  civile,  s'il  a  été  vicliii 
d'une  infraction.  Mais  il  est  tenu,  devant  quelque  tribun^ 
qu'il  agisse,  si  le  prévenu  français  le  requiert,  avant  toute  e? 
ception,  de  donner  caution  pour  le  paiement  des  frais  et  de 
dommages-intérêts  résultant  du  procès^',  à  moins  qu*il  ii 
possède,  en  France,  des  immeubles  d'une  valeur  sufGsant 
pour  assurer  ce  paiement, ou  qu*il  ne  soit  autorisé  parle  gou 
vernement  français  à  établir  un  domicile  en  France,  oi 
enfin,  que,  par  un  traité,  les  Français  ne  soient  dispensés  d 
cautionnement  dans  le  pays  auquel  appartient  Tétranger 
demandeur  (C.  civ.,  art.  16). 

ËnHn,  les  communes,  les  sociétés  commerciales,  les  établi 
sements  d'utilité  publique,  les  corporations  et  autres  personn 
juridiques  ne  pourront  intenter  Taction  civile  que  suivant  l 
règles  qui  président  à  leur  capacité,  et  par  Tintermédiaire  < 
leurs  représentants. 

Toutes  ces  solutions  ne  s'appliquent  qu'à  la  représentalii 
légale.  II  est,  en  effet,  certain  que  la  partie  civile  n'est  pas  l 
nuede  comparaître  en  personne  devant  le  tribunal  répressif 
qu'elle  peut  s'y  faire  représenter  par  un  mandataire. 


§  XX.  -  CONTRE  QUELLES  PERSONNES  L'ACTION    CIVILE 

PEUT  ÊTRE  INTENTÉE. 

125.  Qualité  et  ca|KJcité  des  personnes  contre  qui  l'action  civile  peut  être  inltnl 
—  126.  Trois   groiip<;s  de  personnes.  —  127.  Aulfurs   et  complices.    HappL 

*•  LVHranger  détendeur  ne  sauniil,  à  notre  sens,  réclamer  le  bénélîce 
la  caution  judicatum  solri^  qui  a  été  établi  comme  garantie  des  Fr( 
çaU  plaidant  contre  des  étrangers.  De  nombreux  arrêts,  rendus  eu  mali 
civile,  ont,  en  effet,  décidé  (|ue  l'étranger  défendeur  ne  peut  exiger  la  en 
lion  de  l'étranger  demandeur.  Or,  les  raisons  de  décider  sont  les  mêmes 
matière  répressive  qu'au  civil. 

*^  Sic,  Cass.,  18  févr.  1846  (S,  46.  1.  320).  Sur  la  nécessité  de  la  caut 
judicatum  snlvi,  devant  les  tribunaux  de  répression,  les  auteurs  sont  una 
mes.  Un  arrêt  de  la  Cour  de  Dijon  du  13  juill.  1881  (S.  84.  2.  3)  a  cept 
dant  jugé,  en  sens  contraire,  que  l'étianger  qui  se  porte  partie  civile  dev 
le  tribunal  correctionnel  n'est  pas  tenu  de  fournir  la  caution  7Mrficrtf»m  so 
môme  s'il  agit  par  voie  de  citation  directe.  Cet  arrêt,  assez  faiblement  moti 
ne  paraît  pas  destiné  à  faire  jurisprudence. 


CONTRB  QUI   l'action   CIVILE   PEUT   ETRE   INTENTÉE.       279 

«ntre  la  respoosabililé  pénale  et  lu  responsabilité  civile.  Causes  de  oon-culpabi- 
lil.'.  Faits  justificatifs.  Jeune  Age  et  absence  de  discernement.  Aliénation  inen- 
la!o.  État  de  nécessité.  Kxercice  d'un  droit.  Légitime  défense.  Abus  de  droit.  — 
128.  Des  personnes  civilement  responsables.  Principe  et  limites  de  la  respon- 
>jbiljté  civile.  Parents.  Commettants.  Instituteurs.  —  129.  Héritiers,  soit  des 
aut'furs  et  des  complices,  soit  des  personnes  civilement  responsables.  —  130.  De 
lalion  civile  exercée  contre  un  inciipable.  Distinction  entre  la  femme  mariée  et 
les  autres  incapables. 


125.  Direconlre  qui  l'action  civile  peut  être  intentée,  c'est 
iléterminer  :  V  d'abord,  les  personnes  qui  sont  tenues  de  répa- 
tvr  le  dommage  causé  par  l'infraction;  2°  puis,  quelle  capa- 
cilé  doivent  avoir  ces  personnes  pour  défendre    à  l'action 

civile. 

126.  L'obligation  de  réparer  le  dommage,  causé  par  un 
crime,  un  délit  ou  une  contravention,  pèse  :  l**  directement, 
sur  les  auteurs  et  complices  de  l'infraction;  2''  indirectement, 
sur  les  personnes  civilement  responsables;  3**  enfin,  sur  les 
hérilicrs  des  unes  et  des  autres. 

127.  La  responsabilité  pénale  du  délit  n'incombe  qu'aux 
nuteurs  et  aux  complices.  Si  le  délit  a  causé  un  dommage,  les 
auteurs  et  les  complices  sont  les  premiers  tenus  d'en  réparer 
Icsconséquences.  Mais  les  éléments  qui  constituent  la  respon- 
sabilité à  l'égard  du  dommage,  n'étant  pas  identiquement  de 
même  nature  que  ceux  qui  concernent  la  responsabilité  à 
regard  de  la  peine,  il  importe,  ici,  d'examiner  les  rapports  de 
dépendance  entre  la  responsabilité  pénale  et  la  responsabilité 
civile. 

Toute  personne,  pénalement  responsable  d'un  délit,  est  a 

/<!)r/wr/civilement  responsable  du  dommage  qu'il  a  causé,  car  la 

responsabilité  pénale  implique  nécessairement  la  coexistence 

des  deux  éléments  qui  servent  de  base  à  la  responsabilité 

civile  :  un  fait  illicite  à  la  cbarge  de  l'agent  et  la  culpabilité 

de  celui-ci.  H  en  résulte  que  la  décision  pénale,  qui  condamne 

un  individu  comme  auteur  ou  complice,  a  force  de  chose  jugée 

sur  le  principe  même  de  la  responsabilité  civile  :  il  ne  reste 


280      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTION^   PUBLIQUE  ET   ClVll 

plus  qu'à  déterminer  si  le  délit  a  causé  un  préjudice  et  h 
fixer  le  quantum  \ 

Ce  point  de  départ  établi,  quelle  influence  peut  avoir,  s 
la  responsabilité  civile,  l'existence,  au  profit  du  délinquai 
soit  d'une  cause  de  non-culpabilité,  soit  d'un  fait  justificali 
Ces  circonstances,  impliquant  l'absence  de  l'un  des  deux  él 
mentsdu  délit  civil,  nesont  pas,  en  général,  compatibles  av 
la  responsabilité  civile  (0.  civ.,  art.  1382).  iMuis  il  y  a  lii 
cependant  de  faire  quelques  réserves  sur  la  portée  de  cel 
proposition. 

1.  Les  causes  de  non-culpabilité  iiennenl  à  l'un  de  ces  U\ 
faits  :  le  jeune  dge,  la  démence,  la  contrainte, 

a)  Le  mineur  de  seize  ans,  qui  accomplit  sans  discerneme 
un  délit,  n'en  est  responsable  ni  au  point  de  vue  civil,  ni  i 
point  de  vue  pénal.  Mais  la  minorité  n'est  pas,  par  elle-inèm 
une  cause  d'irresponsabilité.  D'une  part,  l'article  66  du  Co( 
pénal  autorise  la  condamnation  du  mineur  à  une  peine,  s 
est  établi  qu'il  a  agi  avec  discernement.  D'autre  part,  Tari 
clc  1310  du  Code  civil  déclare  que  le  mineur  «  n'est  point  re 
tituable  contre  les  obligations  résultant  de  son  délit  ou  quas 
délit  civil  ».  Ainsi  la  responsabilité  pénale  ou  civile  dépe[ 
toujours  d'une  question  soumise  à  l'appréciation  souveraii 
des  juges  du  fait',  non  celle  de  savoir  quel  âge  a  le  mineij 
mais  la  question  de  savoir  si  le  mineur  à  agi  avec  discern 
ment'.  Au  point  de  vue  civil,  comme  au  point  de  vue  pén; 

g  XX.  *  CVst  la  consoqncnre  directe  du  principe  d'ai»n>s  lequel  le  juire 
peut  méconnaître,  au  point  de  vue  civil,  ce  qui  a  él«'î  directement  et  n»'**: 
sairement  décidé  par  le  juge  criminel. 

-  Le  Code  civil  allemaiid  restreint  la  liberté  d'appréciation  des  juges.  .^ 
termes  de  l'article  828  :  «  Celui  qui  n'a  pas  atteint  l'ùge  de  sept  ans  acci 
«(  plis  n'est  pas  responsable  du  dommage  (ju'il  cause  à  autrui.  Celui  qi 
«  atteint  Tàge  de  sept  ans,  mais  non  celui  de  dix-buit  ans,  n'est  pas  resp 
«  sable  du  dommage  qu'il  a  causé  à  autrui,  s'il  a  commis  Pacte  dommager 
«  sans  avoir  le  discernement  nécessaire  pour  avoir  conscience  de  sa  i 
«  ponsabilité...  ».  Dans  le  droit  français,  il  n'existe  de  période  d'irrespoi 
bilité  absolue  ni  xw\  point  de  vue  civil  ni  au  point  de  vue  pénal. 

'  C'est  évidenmi»*nt  le  seul  point  commun  entre  la  re^^ponsabilité  pénal 
la  responsabilité  eivilcjl'une et  l'autre  impliquant  \i^dUccrnt'mcnt,\o\\\i  pr 


CONTRE   QUI   i/aCTION  CIVILE  PEUT   ETRE  INTENTÉE.       281 

00  mineur,  quel  que  soit  son  âge,  peut  être  un  coupable,  s'il  a 
agia?ec  discernement,  mais  ne  peut  èireun  coupable  que  s*ila 
agi  avec  discernement.  Ceci  posé,  le  discernement,  au  point 
de  Yue  pénal,  doit-il  identiquement  s'apprécier  de  la  même 
manière  que  le  discernement  au  point  de  vue  civil?  Nous  ne 
le  pensons  pas,  et  il  n'y  aurait  aucune  inconciliabilité  entre  là 
décision  correction nelfe  qui,  h  défaut  de  discernement,  exo- 
nérerait le  mineur  de  l'application  de  la  peine,  et  la  décision 
fivile  qui  le  condamnerait  à  réparer  le  dommage  qu'il  a  causé 
par  sa  faute*.  On  peut  dire,  en  effet,  qu'aujourd'hui,  le  juge 
pénal  ne  prend  pas  telle  décision  parce  qu'il  a  reconnu  ou  non 
le  discernement,  mais  qu*il  reconnaît  ou  non  le  discernement 
pour  pouvoir  prendre  telle  décision.  L'existence  ou  l'absence 

quui les  tribunaux  civils,  comme  l^^s  Irihuiiaux  «Je  rtjpressioii,  doivent  recher- 
cber  si  le  mineur  a  pu  se  rendre  compte  de  ce  (ju'il  taisait.  Voy.  Cass.  civ., 
13janv.  i890  (S.  91.  i.  W;  1).  {)0.  l.  14:j). 

*  Voy.  Bordeaux,  31  mars  iK52  (D.  54.  5.  113);  Besant^on,  17  dêc.  1902 
(Pnnd.  franv.,  1903.  2.  32i).  L'espèce  sur  laquelle  a  statut^  ce  dernier  arrél 
était  intéressante.  Deux  jeunes  enfants,  Ag^^s  de  dix  et  onze  ans,  revenaient 
des  champs  où  ils  avaient  été  chercher  le  hélail  de  leurs  parents,  lorsqu'ils 
5€sont  pris  de  querelle  :  au  cours  de  la  lutte,  l'un  d'eux  a  atteint  l'autre  au 
visage,  avec  une  perche  maniée  nialadroitfincnt,  et  lui  a  crevé  un  œil.  Cet 
enfant,  ayant  été  poursuivi  devant  Ir  Irihnnal   correctionnel,   fut  atvjuitté 
comme  ayant  agi  sans  discernement.  Poursuivi  en  réparation  devant  le  tri- 
bunal civil,  il  fut  définitivement  condamné  k  des  domma^res-intéréts  par  la 
Cour  de  Besançon,  dans  l'arrôt  précité  :  «  parce  rjue  ce  défaut  de  di<cerne- 
«  ment,  n'ayant  été  apprécié  parle  juge  correctionnel  qu'au  regard  de  la  faute 
«  pénale,  laisse  entier  le  dmit  du  juge  civil  de  déterminer  si  la  responsa- 
«bililé  du  mineur  existe  au  point  de  vue  de  la  faute  civile;  parce  que  si  la 
«faute  pénale  doit  être  appréciée  strictement,  h  cause  des  conséquences  ri- 
«  goureuses  qu'elle  peut  entraîner,  la  faute  civile  doit  l'être  plus  largement 
«  puisqu'elle  ne  peut  conduire  qu'à  des  réparations  pécuniaires;  parce  qu'il 
•'  n'y  a  aucune  inconciliabilité  entre  la  décision  correctionnelle  qui,  à  défaut 
«  de  discernement,  exonère  un  mineur  de  l'application  de  la  fieine  qu'il  a 
<*  encourue  et  la  décision  civile  qui  le  condamne  à  réparer  le  donmiage  iju'il 
«  a  causé...;  que  si  on  doit  reconnaftre,  en  fait,  dans  Tespèce,  que  X...  n'a 
w  pas  eu  le  discernement  légal  pour  se  rendre  compte  qu'il  commettait  un 
w  délit,  on  doit  tenir  pour  c<Ttain  quf,  malgré  son  extrême  jeunesse,  il  avait 
«<  une  conscience  suffisante  de  ses  actes  pour  apprécier,  ne  fût-ce  que  dans 
4<  une  faible  mesure,  qu'il  commettait  une  faute,  lors(]ue,  par  maladresse,  il 
t<  a  blessé  Z...;  que  cela  suffit  pour  que  sa  responsabilité  civile  soit  établie  ». 


282       PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES   ACTlOiNS    PUBLIQUE    ET  CIVILE. 

de  discernemeat  n'est  plus  qu'un  moyen  de  colorer  ou  de  mo- 
tiver la  mesure  qu'iijugc  utile.  Quel  rapport  pourrait-on  éta- 
blir entre  cette  manière  d'envisager  le  discernement  au  point 
de  vue  pénal  et  la  manière  deTenvisager  au  pointde  vue  civil? 

A)L'aliéné  estirresponsable,  aussi  bien  ci  vilement  que  péna- 
lement  :  le  renvoyerd'instance,  au  pointde  vue  de  la  répres- 
sion, pour  cause  de  démence  ',  et  le  condamner  à  réparer  le 
préjudice  qu'il  a  causé,  serait  évidemment  contradictoire. 

Lorsqu'on  recherche  si  l'auteur  d'un  acte  illicite  jouissait 
de  ses  facultés  mentales,  il  faut  examiner  son  état  au  moment 
où  Pacte  a  été  accompli  et  par  rapport  à  cet  acte  *.  Peu  im- 
porte que  son  interdiction  ait  été  ou  non  prononcée.  A  cet 
égard,  c'est  sous  le  même  angle  qu'il  faut  considérer  la  res- 
ponsabilité pénale  et  la  responsabilité  civile  (C.  p.,  art.  64). 

Dcu\  limitations  ou  restrictions  ont  été,  du  reste,  proposées 
à  l'irresponsabilité  de  l'aliéné. 

La  première  consisterait  à  maintenir  la  règle  qu'un  fou  ne 
peut  être  responsable  au  point  de  vue  pénal,  mais  à  la  faire 
fléchir,  au  point  devuecivil,  en  le  condamnant  toujours  à  répa- 
rer, sur  son  patrimoine,  le  j^rcjudice  qu'il  acausé\  Un  cer- 

r 

*  Nous  prenons  le  mot  démence  dans  le  mr-nie  sens  que  l'article  64  du 
Code  [jénal,  comme  synonime  d*:iiién:ilion  mentale. 

«  Labbe,  De  la  déinence  au  point  de  vue  de  la  responsabilUè  et  de  /ïwi- 
putabilité  on  matière  citile  [Hev,  crit.,  t.  37,  1870,  p.  109). 

^  C'est  là  une  distinction  qui  fait  son  chemin  et  qui  se  rattache  à  la  théo- 
rie du  r/s/y/zf?  substituée  à  celle  de  la  faute.  Cette  théorie  est,  du  reste^  vive- 
ment contestée  par  des  civilistes  distingués.  Voy.  Marcel  Planiol,  Étude  sur 
la  responsabilité  cirilc  (Hev,  crit.,  1905,  p.  277).  Le  Code  civil  allemand 
(art.  829)  admet  le  principe  d'une  indemnité,  dans  les  limites  où  l'auteur  du 
dommai;e  peut  la  f»ayer,  sans  être  lui-même  [)rivé  des  ressources  dont  il  a  be- 
soin. Le  Code  rédér.il  suisse  des  obligations,  dans  l'article  58,  permet  au  juge, 
«  si,  réquilé  l'exige  »,  de  condamner  une  personne,  même  irresponsable,  à 
la  réparation  totale  ou  partielle  du  préjudice  qu'elle  a  causé.  Une  tentative 
pour  tain*  passer  cett»'  concejdion  «lans  la  loi  franf;aise  a  eu  lieu,  il  y  a 
qu»'lqijes  années.  M.  l^ourquf.'ry  de  Hoisserin  a  déposé,  en  1901,  à  la  Cham- 
hr»"  di's  députés,  une  proposition  île  lui  tendant  à  modifier  l'article  1382,  en 
substituant  au  mol  ««  faute  »  le  mot  «  l'ait  »,  et  en  déclarant  «  le  dément 
r»'Sp'»nsable  civilement  du  préjudice  par  lui  causé  ».  Voy.  Journ,  off,. 
Dit'.,  1901,  session  extraord.,  p.  7:1.  Celte  proposition  a  été  adoptée  après 


CONTRE   QQI   L*ACTION   CIVILE   PEUT    ÊTRE   INTENTÉE.       283 

iin   nombre  de  législations  se  sont  engagées  dans  cette  voie. 
lais  notre  jurisprudence  est  resiée  étrangèreà  ce  mouvement 
uridique.  Elle  considère  que  les  biens  du  fou  ne  répondent 
>a$  du  dommage  que  Tinconscieni  a  causé.  Entre  Tidée  de 
latrimoine  et  Tidée  de  réparation,   il  en   manque  une  troi- 
iicme    pour    lui   servir  de    lien   et  expliquer  comment   la 
>econdo  résulte  de  la  première.  De  ce  qu'un  individu  a  un 
patrimoine,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  doive  réparer  le  mal  dont  il 
est  l'auteur,  tant  qu'on  ne  démontre  pas  qu'il  y  est  obligé^  et 
un  individu  n'est  obligé  à  réparer  les  conséquences  d'un  fait 
dommageable  que  s'il  est  responsable  de  ce  fait.  Or  Tidée  de 
faute  est  la  base  et  la  raison  d'être  de  l'idée   de  responsabi- 
lité \ 

L'aliéné  doit  être  déclaré  resfionsablc  civilement  et  même 
|>énalement  si  le  fait  est  un  de  ceux  pour  lesquels  la  loi  punit 
l'imprudence  ou  la  négligence,  toutes  les  fois  que  sa  folie 
résulte  d'habitudes  vicieuses,  telles  que  l'alcoolisme,  le  désor- 
dre des  mœurs.  Alors,  en  effet,  une  faute  initialeest  imputable 
M'ageotet  suffit  à  justiHer  la  responsabilité'. 

LeCode  fédéral  suisse  desobligations,leCode  civil  allemand, 
etc.,  contiennent,  sur  ce  point,  des  dispositions  expresses'^, 

déclaration  d'urgence  {Journ.  off,.  Chambre  :  rapport,  Doc.  1902,  p.  117; 
•irjrence,  adoption,  séance  du  19  févr.  1902,  sess.  ord.  de  1902.  1.  770). 

'  Voy.  notamment  :  Cass.  (Ch.  des  req.),  21  oct.  1901  (S.  1902.  1.  32;  D. 
'Î^H.  1.  :i24}.  Cet  arrêt  qui  a  luit  un  très  grand  bruit,  fut  l'occasion  du  dé- 
P-'Nela  proposition  de  loi  dont  il  est  question  à  la  noie  précédente.  Voy. 
^<''.  p^mï.,  1902,  p.  1525.  Comp.  Henri  Pascaud,  La  respomabilUé  des 
'ilienéB  (Rer .  criL,  1905,  p.  277). 

•  Ce  qui  peut  faire  hésiter  sur  rettr  solution,  c'est  qu'il  n*y  a  qu'un 
^I^port éloigné  entre  la  faute  initiale  et  h'  préjudice  causé  par  le  délit. 

**C.  féd.  suisse  des  obi.,  art.  57  «  Celui  qui,  p;ir  sa  faute,  a  perdu  niomen- 
"  lanément  la  conscience  de  ses  actes,  est  lenu  du  domniîige  qu'il  a  causé 
"•  ^ans  cet  état  >».  C.  civ.  allemand,  art.  827  :  «  Celui  qui,  en  état 
•  ^'inconscience  ou  dans  un  étal  de  trouble  maladif  de  Taclivité  inlellec- 
'  hi^ïlle  excluant  la  libre  détermination  de  la  volonté,  cause  du  dommage  à 
"  une  autre  personne,  n'est  pas  responsable.  Si,  {»ar  des  boissons  alcooliques 
"  «»u  par  d'autres  moyens,  il  s'est  placé  dans  un  état  passager  de  c»»tte 
«^  espèce,  il  est  responsable  du  dommage  qu'il  cause  injustement  dans  cet 
«  étal,  de  la  même  manière  que  s'il  était  coupable  de  négligence  ;  la  respon- 


284      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

et,  dans  notre   pratique  judiciaire,  quelques  décisions  ont 
admis  cette  solution'^ 

A  plus  forte  raison,  la  faute  initiale  de  celui  qui  s* est  mis 
en  état  d*ivresse,  le  rend-elle  responsable,  au  point  de  vue 
civil  tout  au  moins,  du  délit  qu'il  a  commis.  Mais  Tacle  ne 
saurait  être  imputé  à  faute  à  Tagent  lorsque  l'ivresse  est 
absolument  involontaire,  notamment  quand  elle  résulte  de 
manœuvres  pratiquées  par  des  tiers *^. 

c)  L'irresponsabilité  pénale  existe  là  où  lagent  «  a  été 
contraint  par  une  force  à  laquelle  il  n*a  pu  résister  ».  Mais, 
dansée  cas  méme^  la  responsabilité  civile  peut  être  engagée, 
s'il  subsiste  une  faute  à  sa  charge.  Il  y  a  notamment  des  cas 
de  nécessité,  où  Tacte  accompli,  échappe  à  la  loi  pénale, 
parce  que  la  loi  pénale  ne  peut  ni  le  prohiber,  ni  le  punir, 
parce  que  la  société  n'a  aucun  intérêt  à  le  faire,  et  où  cepen- 
dant cet  acte  reste,  dans  la  mesure  du  préjudice  injuste  causé 
à  un  tiers,  imputable  à  celui  qui  Ta  commis. 

II.  La  responsabilité  civile,  comme  la  responsabilité  pénale, 
suppose  un  fait  illicite,  c'est-à-dire  non  permis  par  la  loi. 
11  s'ensuit  que  l'usage  qu'une  personne  fait  de  son  droit  ne 
saurait  être  la  base  d'une  condamnation  pénale,  pas  plus  que 
d'une  condamnation  civile.  Cette  idée  que  le  jurisconsulte 
Paul  formulait,  au  point  de  vue  du  droit  indemnitaire  : 
«  Nemo  damnum  facity  iiisi  qtiid  id  fecit^  quod  facere  jus  non 
habet  »,  a  sa  correspondance  exacte  dans  le  droit  répressif,  et 
il  a  été  décidé  que  le  prévenu  ou  l'accusé,  renvoyé  de  toute 
poursuite  comme  ayant  agi  en  état  de  légitime  défense,  ne 
peut  être  condamné  à  des  dommages-intérêts  envers  la  partie 
civile '\  La  légitime  défense  constitue  un  fait  justificatif  ;  elle 

«<  sabilité  n*a  pas  lieu  s'il  a  •Hô  mis  dans  c«.'t  t*tal  sans  sa  faute  ».  Comp. 
Code  civil  japonais,  arl.  713. 

««  Rouen,  17  mars  187 1  (S.  71.  2.  199;  D.  74.  2.  ll»0);  Caen,  9  nov.  1880 
(S.  82.  2.  118;  IJ.  82.  2.  23). 

*-   Voy.   la  note  10  et  les  dispositions  de  droit  étranger  qu'elle  rapporte. 

«5  Voy.  Limoges,  24  juin  188i  (S.  80.  2.  57);  <:ass.,  24  févr.  1886  (S. 
80.  1.  17ii).  Voy.  en  sens  contraire  de  ces  arnMs  :  Sourdat,  Traité  de  la  rcfi- 
ponmhnUê  (5*  éd.},  t.    I,  n«  368. 


CONTRE   QUI  l'action   CIVILE   PEUT   ETRE   INTENTÉE.       285 

implique  que  celui  qui  a  conimis  rhomicide  ou  causé  les 
b\essures  a  agi  dans  des  circonstances  telles  qu'il  n*a  fait 
qu'exercer  son  droit.  Or,  Kexerciced'undroitexclut,  pourcclui 
qui  se  trouve  dans  cette  situation,  l'application  de  toute  peine 
(C.  p.,  art.  328  et  329). Il  est  difficile  de  comprendre  com- 
ment celui  que  la  loi  considère  comme  ne  faisant  qu'exercer 
un  droit  serait  traité  comme  ayant  commis  une  faute  civile 
et  pourrait  encourir  une  condamnation  à  des  dommages-inté- 
rêts à  ce  titre. 

LeCode  pénal  de  1791  constatait,  à  ce  point  de  vue,  la 
correspondance  entre  le  droit  civil  et  le  droit  pénal  :  «  En  cas 
d'homicide  légitime,  il  n'existe  point  de  crime,  et  il  n'y  a  lieu 
à  prononcer  aucune  peine  ni  même  aucune  condamnation 
àvile^^  ».  Cette  disposition  n'est  pas  expressément  reproduite 
daos  notre  Code  pénal;  mais  le  principe  qui  lui  sert  de  base 
domine  le  droit  civil  comme  le  droit  pénal.  Peut-être  la  con- 
ception de  «  l'exercice  du  droit»  n'esl-elle  pas  la  même  dans 
lesdeux  disciplines  juridiques  ^'^?Mais  nnfait,  justifiéau  point 
de  Tue  du  droit  pénal, est  nécessairement  un  fait  licite  au  point 
devue  du  droit  civil. 

Lajuridiction  civile  qui  a  la  mission  de  rechercher  s'il  y  a 
faute  et  d'écarter  toute  responsabilité,  s'il  y  a  simple  exercice 
d'UR  droit  de  la  part  de  celui  qui  a  commisl'homicide,  ne  peut 
pas  faire  abstraction  des  dispositions  de  la  loi  pénale  quia  déter- 
miné les  conditions  de  létjitvnité  de  Thomicide.  Quand 
on  se  renferme  dans  les  limites  de  son  droit,  on  peut  bien 
commettre  une  faute  morale,  mais  non  une  faute  juridique, 
et  la  responsabilité  sociale,  celle  qui  est  sanctionnée,  a  néces- 
sairement pour  base  une  faute  juridique*". 

Mais,  comme  tous  les  droits,  le  droit  de  légitime  défense  a 
des  limites,  au  delà  desquelles  celui  qui  Tinvoque  ne  doit  pas 
^Ire  considéré  commcî  avant  exercé  son  droit,  mais  comme 

**  Art.  •>  du  lit.  2,  spct.  \^  (2«  partie). 

"  Voy.  notamment,  sur  ce  point,  Paul  Cuclie,  lier.  crU.,  i*.M)3,  p.  462,  à  pro- 
pos d'un  arrêt  de  la  Chambre,  des  recpuMes  du  2:i  mars  11)02  (S.  1903.  1.  3). 

**  Voy.  la  note  de  M.  Lyuii-Caen,  sou^^arrtH  de  la  Cliamhre  des  requêtes 
J"  25  mars  1902  (S.  1903.^  1.  3). 


28G       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE- 

rayant  dépassé.  Dans  ce  cas,  et  dans  ce  cas  seulement,  il 
pourra  être  question  d\ine  responsabilité  civile.  Rien  de  plus 
facile  que  de  fixer  les  limites  de  la  légitime  défense,  puisque 
le  Code  pénal  détermine  les  conditions  dans  lesquelles  elle 
existe  et  que,  en  dehors  de  ces  conditions,  ou  il  n'y  a  pas  légi- 
time défense,  ou  il  y  a  excès  de  défense  *\  (Test  l'application 
spéciale,  à  la  défense  par  Thomicidc  ou  les  coups  et  blessures, 
de  la  théorie  de  Tabus  de  droit*'. 

128.  A  côté  des  auteurs  et  des  complices,  c'est-à-dire  de 
ceux  qui  ont  participé  au  fait  incriminé,  d'autres  personnes 
sont  tenues  de  réparer  le  dommage  causé  par  une  infraction  à 
laquelle  elles  sont  restées  étrangères. 

Cette  conception  de  la  responsabilité  du  fait  crautrni  n'est 
que  la  transformation  d'une  des  institutions  les  plus  caracté- 
ristiques des  droits  primitifs.  A  une  certaine  période  de  l'his- 
toire, le  groupe  social,  famille,  clan  ou  tribu,  encadre  et 
absorbe  l'individu,  au  point  que  si  le  groupe  doit  proléger  et 
défendre  chacun  de  ses  membres,  le  groupe  est   également 

*^  Ainsi  le  propri«';taire,  qui  peut  user  «le  son  bien  à  son  gre,  a-l-il  le 
droit  cependant  de  défendre  sa  propriété,  en  y  plaçant  un  chien  de  garde 
(Voy.  Bordeaux,  6  avr.  1802,  S.  92.  2.'i83;  Alger,  5  juin  1878,  S.  80.  2. 
176),  en  y  établissant  des  pièges  à  loup,  en  disposant,  à  Tentréc  de  sa 
maison,  dans  son  cotrre-forl.  etc.,  un  appareil  qui,  en  cas  d'eiïractiun, 
tuera  ou  blessera  celui  r|ui  le  tentera  (Comp.  Cass.,  27  déc.  1898,  S.  99. 
1.  2.'U))?  (i'est  se  demander  si  Texercice  du  droit  de  propriété  permet  au 
propriétaire  d'aller  jus({u'à  protéger  ses  biens  en  tuant  ou  blessant  la 
personne  dont  il  a  à  redouter  une  atteinte  à  son  droit,  un  vol.  Or, 
la  question  est,  en  principe,  résolue  par  le  Code  pénal  qui  n*a  admis  la 
légitime  défense  qu*en  cas  de  péril  couru  par  une  personne.  Il  est  vrai 
qu'en  cas  d'acquittement  motivé  sur  la  légitime  défense,  le  propriétaire 
sera  à  Tabri  de  toute  action  en  responsabilité  par  l'efTet  de  la  chose 
jiigée  au  criminel,  même  mal  jugée.  Mais  s*il  n'y  a  pas  eu  jugement  défi- 
nitif, îa  juridiction  civile  aura  le  droit  et  le  devoir  d'examiner  la  question. 

'*  Consultez,  sur  la  questiun  générale  :  Charmont,  L'abus  du  droit 
(lien.  Irimestriellc  de  droit  civil,  1902,  p.  113  et  suiv.);  Bosc,  Essai  sur  Icx 
élêmenlH  constitutifs  du  délit  civil  (Th.  doct.  Montpellier,  1901,  p.  78  et 
suiv.);  Porclierot,  De  Vabus  de  droit  (Th.  doct.  Dijon,  1901);  Planiol, 
Traite  èlèin,  de  droit  civil,  t.  2,  n®**  909  et  suiv.  Comp.  note  Hauriou,  dans 
S.  190">.  il.   17,  avec  des  références. 


CONTRE   QUI   l'action    CIVILE    PEUT    ETKE    INTENTÉE.       287 

tenu  de  répondre,  vis-à-vis  des  autres  {groupes,  dn  délit  com- 
mis par  un  de  ses  membres.  Cette  organisation  collective  de 
la  responsabilité,  active  et  passive,  est  un  moyen  énergique 
<le  rendre  les  crimes  moins  fréquents,  en  intéressant  plus  de 
monde  à  les  empêcher.  Le  progrès  a  paru  consister  partout  à 
substituer  la  responsabilité  individuelle  à  la  responsabilité 
collective.  Aujourd'hui,  chacun  répond  de  son  propre  fait^ 
non  du  fait  d*autrui,  et,  comme  le  disait  notre  vieux  Loysel  : 
ic  En  crimes,  il  n*y  a  point  de  garants  ».  Ce  qui  a  subsisté, 
c^est  robligation  qui  pèse  sur  certains  individus,  n^ayant  pas 
pris  part  au  délit,  d'en  supporter  cependant  les  conséquences 
civiles  vis-à-vis  de  la  victime. 

rVordinaire,  en  effet,  chacun  n'est    responsable,  au  point 
de  vue  pénale  comme  au  point  de  vue  rivil^  que  de  son  propre 
tait.  Parfois  cependant  certaines  personnes  sont  tenues  de  ré- 
parer le  préjudice  causé  par  un  fait  auquel  elles  sont  restées 
étrangères.  Cette  obligation,  désignée  communément  par  le 
terme  de  «  responsabilité  civile*'  »,  a  pour  fondement  une 
faute  incombant  à  des  personnes  qui,  tenues  à  une  certaine 
surveillance,  auraient  pu  et  auraient  dii,  en  Texerçant  scru- 
puleusement, empêcher  le  délit  et  ses  conséquences.  Le  fait 
i[ autrui  vient  donc  démontrer  la  faute  de  l'individu  qui  n'a 
pas  empêché  le  délit;  et  cette /«;//<»,  qui  est  bien  personnrlle 
à  celui  auquel  on  Timpute,  justifie  la  responsabilité  et  motive 
Ve\teDsion  de  Tobligation  de  réparer  le  préjudice.  iVIais  il  est 
évident  que  le  défaut  de  surveillance,  qui  est  un  fait  de  négli- 
'gence,  ne  peut  être  l'équivalent  de  la  volonté  coupable,  et 
qu'entre  les  auteurs  et  les  complices,  d'une  part,  les  person- 
nescivilemenl  responsables,  de  l'autre,  il  existe  bien  des  dif- 
féreoces.  i*  La  première,  c'est  (|ue  la   responsabilité  du  fait 
d'autrui  est  limitée  aux  réparations  civiles,  mais  nes'étrnd  pas 
  la  peine.  Par  suite,  la  victime  du  délit  a  bien  le  droit  de  de- 
mander à  la  personne,  indirectement  responsable,  une  indein- 
nilé  qui  porte  sur  les  trois  chefs  de  l'action  civile,  les  restitu- 
/i'onSj\es  (/ommaffes-intért'ts  ei  les //y//n.  Mais  la  peiiuî,  sous 

'^  Voy.  rarticio  74  du  Cu'le  [n-nal  qui  (Miifiloio  »M*lttî  exprossiun. 


288       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

aucune  de  ses  formes,  ne  peut  frapper  le  tiers  qui  n'est  ainsi 
responsable  du  fait  d'autrui  qu'en  ce  qui  concerne  la  répara- 
tion. Les  amendes  etconfiscations  notamment  sont  pronoocée^ 
contre  les  auteurs  et  les  complices,  non  contre  les  tiers".  Et  s'il 
y  a  des  exceptions  à  cette  limitation  de  la  responsabilité  civile, 
elles  ne  peuvent  résulter  que  de  textes  formels.  lisse  rencon- 
trent surtout  dans  la  législation  fiscale.  2''  Pour  le  recouvre- 
ment des  condamnations  prononcées  contre  elles,  les  person- 
nes civilement  responsables  ne  sont  certainement  pas  exposées 
à  la  contrainte  par  corps  qui  reste  un  moyen  d'exécution 
spécial,  autorisé  contre  les  seuls  coupables.  Mais  elles  sentie- 
nues  solidairement  entre  elles  et  avec  les  auteurs  et  les  com- 
plices. D'une  part,  en  effet,  les  personnes  civilement  respon- 
sables sont  condamnées  pour  le  infime  cri?ne  ou  le  mrme  délit 
avec  les  individus  qui  ont  causé  le  dommage  dont  elles  doi 
Tent  répondre,  et  cette  condition  est  suffisante,  aux  termes  d( 
Tarticle  55  du  Code  pénal,  pour  quela  solidarité  existe.  D'auln 
part,  l'article  456  du  décret  du  18  juin  1811,  contenant  le  la 
rif  général  des  frais  en  matière  criminelle,  a  interprété  dan 
ce  sens,  du  moins  eu  ce  qui  concerne  la  condamnation  au 
/m/.s-,  l'article  55  du  Code  pénal  :  «  La  condamnation  aux  fraii 
porte  ce  texte,  sera  prononcée,  dans  toutes  les  procédure: 
solidairement  entre  les  auteurs  et  complices  du  même  fait,  « 
contre  les  personnes  cicilement  responsables  du  délit  ». 

Sur  les  cas  de  responsabilité  civile,  une  distinction  do 
cire  mise  en  relief.  Si  le  principe  que  nul  ne  doit  causer  c 
dommage  à  autrui,  principe  consacré  par  IHirticle  1382  d 
Code  civil,  commande  à  chacun  de  s'abstenir  de  tout  fait  ill 
cite  qui  pourrait  nuire  à  quelqu'un,  il  est  certain  que  nul  n'e 
tenu,  en  vertu  d'un  principe  juridique,  de  prendre  soin  di 
intérêts  d'aulrui  et  de  prévenir,  par  une  surveillance  persoi 
nelle,  le  dommage  dont  un  tiers  est  menacé  par  le  fait  d't 
autre.  S'ensuil-ilque  la  responsabilité  civile  du  fait  d'autr 
ne  ])uisse  résulter  que  de  textes  précis  l'établissant?  C'est  i 
qu'il  faut  tenir  compte  de  deux  situations  bien  différente 

'0  Chss.,  25  juin  1903  (D.  lOOiJ.  1.  03;. 


CONTRE   QUI   l'action   CIVILE  PEUT   ETRE   INTENTÉE.      28î) 

Chacun  est  responsable  du  dommage  qu'il  cause,  non  seule- 
ment par  son  fait,  «  ?nais  encore  par  sa  nétjiujeuce  ou  son  im- 
prudence »  :  ainsi  s'exprime  rarlicle  1383  du  Code  civil.  D'où 
il  suit,  que  le  fait  des  personnes  que  nous  dfcons  et  pouvons 
empêcher  de  nuire,  quand  il  constitue  une  néylifjence  ou  une 
imprudence  propre^  est  de  nature  à  ouvrir,  contre  nous,  une 
aclioo  en  responsabilité  fondée  sur  le  principe  supérieur  de 
Tarticle  1383.  Mais  cette  responsabilité,  ayant  sa  cause  dans 
QQfait  personnel  de  négligence  ou  d'imprudence,  ne  peut  être 
mise  en  œuvre  qu'à  la  charge,  par  celui  qui  en  a  souffert,  de 
prouver  que  le  défaut  de  surveillance  constitue  une  faute  per- 
sonnelle  (C.  civ.,  art.  1315).  Telle  est  la  règle.  Toutefois,  la  loi 
peut  y  faire  exception  et  créer,  par  suite  des  rapports  qu'elle 
établit  ou  constate  entre  deux  personnes,  un  fie  voir  légal  de 
surveillance  à  la  charge del'une  d'elles,  la  rendre  responsable 
de  tous  les  actes  de  l'autre,  et  dispenser  celui  qui  invoque 
celle  responsabilité  de  toute  preuve  de  négligence.  C'est  le  cas 
îisé  par  l'article  1384,  d'après  lequel  on  est  responsable,  non 
itnlement  du  dommage  que  l'on  cause  par  son  propre  faity 
fnais  encore  de  celui  qui  est  causé  par  le  fait  des  personnes 
dont  on  doit  répondre.  Ainsi,  les  articles  1383  et  1384  visent 
deuicas  bien  différents  de  responsabilité  indirecte;  et  tandis 
(jueles  applications  de  l'article  1383  sont  illimitées,  celles  de 
Tarticle  1384  sont  restreintes.  En  effet,  les  dispositions  qui 
rendent,  de  plein  droit,  une  personne  responsable  du  fait 
d'uD  autre  ont  un  caractère  exceptionnel  et,  par  cela  même, 
limitatif*'. 

On  trouve  les  principales  dans  le  Code  civil  (art.  1382  à 
1386),  auquel  renvoie  l'article  74  du  Code  pénal. 

La  responsabilité  civile,  telle  ([u'ollc  résulte  du  Code  civil, 
^'applique  à  trois  ordres  de  personnes  :  aux  parents,  pour  le 
I<^it  de  leurs  enfants  mineurs;  aux  coinmetlants,  pour  les 
^iélits  de  leurs  préposés  dans  l'exercice  do  leurs  fuiiclions; 
&ui  instituteurs  et  artisans,  pour  les  personnes  soumises  h 
leur  garde. 

"Comp.  Rouen,  ÎH  nov.  187G  (S.  80.  '2.  310);  Ch.imbery,  20  ru-l.  1S8H 
(S.  91.  2.  10). 

G.  P.  P.  —  [.  VJ 


290      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  ClVl 

La  responsabilité  des  père  et  mcrc  a  tout  d'abord  sa  rai; 
d'être  dans  un  défaut  de  surveillance  présumée.  Aussi  cei- 
t-elle  si  les  père  et  mcre  prouvent  qu'ils  n'ont  pu  empéci 
le  délit.  Mais,  îi  cette  idée  traditionnelle,  s'est  superposée,  ( 
à  peu,  une  autre  conception  plus  vraie.  Les  parents  du  jeu 
délin([uant  sont  présumés  avoir  manqué  fi  leur  devoir  d'édu 
tion*^  Et  alors  le  champ  de  Texcoption  invoquée  se  restrei 
caries  parents  doivent  répondre  de  leurs  enfants  momen 
nément  confiés  à  des  tiers  et,  à  plus  forte  raison,  abandoni 
sur  la  voie  publique.  C'est  ainsi  que  la  responsabilité  ( 
parents,  pour  les  délits  de  leurs  enfants,  mendiants  et  va 
bonds,  est  incontestable.  Malheureusement,  elle  est  presi] 
toujours  inefficace,  puisque  ces  jeunes  délinquants  se  rec 
tant  d'ordinaire  dans  des  familles  trop  pauvres  pour  être  te 
chées  par  Taclion  civile.  Plus  sérieuse  serait  la  mise  en  œu' 
de  cette  garantie,  contre  les  parents  plus  fortunés,  en  cas 
délits  commis  par  imprudence  (coups  et  blessures,  par  exe 
pie)  ou  de  délits  volontaires  de  mineurs  précocement  [i 
vers*'.  Le  pcre  ne  serait  même  pas  admis,  pour  faire  e\cu 
son  défaut  de  surveillance,  à  soutenir  que  l'enfant  a  des  vi 
tels  que  l'éducation  ne  saurait  les  corriger.  Son  devoir  n 
serait,  dans  ce  cas,  rjue  plus  strict. 

Le  second  cas  de  responsabilité,  édictée  par  le  Code  ci 
concerne  celle  des  maîtres  et  commettants,  à  raison  des  f 
de   leurs  domestiques  et  préposés  dans   l'exercice  de   le 

"  Il  y  :i  rl«'ux  (jupslinris,  dont  la  suliili'Hi  affirmîilivc  ni»  parait  pas  I 
«Joute.  La  responsabilih'  d«^s  parents  iluit  éliv  a«liniso  pour  les  M'iU 
leurs  enfants  émancipi's,  exoi'[ition  faite  Hu  cas  nù  r»'*mancipation  résull» 
mariuf;e  (Voy.  l.îaudry-Lacantinerio  et  L.  F^arile,  Des  ohlifjn fions,  2* 
t.  3,  p.  1130  et  la  unie;  r)«*mogne,  op,  cit. y  p.  <i8).  Kll»»  est  applicable 
S(Milement  aux  père  et  mère  d'un  enfant  légitime,  mais  encore  à  ceux  < 
enfant  naturel  reconnu. 

"  Il  est  évident  cpn*  si  le  père  avait  [►lacé  son  enfant  en  condition,  er: 
preutissage  ou  dans  un  ♦Mahlissement  d'instruction  comme  interne,  dt 
pensionnaire  ou  même  externe  surveill»',  la  responsabilité  passerait  alors 
moins  en  principe,  à  la  ]»ersonn«'  chez  K'Ujuelle  l'enfant  avait  été  placé, 
cette  situation  :  Pau,  2  juill.  1^98  (S.  90.  2.  137)  et  la  note  de  M. 
reuu. 


CONTRE  QUI   l'action   CIVILE   PEUT  ÊTRE   INTENTÉE.       291 

fonctions'^.  Cette  responsabilité  est  fondée,  elle  aussi,  sur  une 
présomption  de  faute;  mais  la  faute  consiste  ici,  pour  le 
maitre,  non  pas  à  avoir  mal  surveillé,  mais  à  avoir  mal  choisi 
son  préposé.  D'où  celte  conséquence  que  le  préposant  n'est 
jamais  admis  à  prouver  qu*il  ne  pouvait  empêcher  le  délit. 
Les  difficultés  qui  s'élèvent  sur  ce  cas  de  responsabilité  civile 
consistent  à  déterminer  quand  existent  et  à  quelles  conditions 
les  rapports  de  préposant  à  préposé,  de  maitre  à  domestique, 
et  dans  quels  cas  le  délit  peut  être  considéré  comme  commis 
dans  l'exercice  des  fonctions. 

Les  domestiques  sont  toutes  les  personnes  attachées  au 
service  d'une  autre,  soit  pour  les  soins  intérieurs  de  la  mai- 
son, soit  pour  ceux  d'une  exploitation  agricole.  Mais,  lorsqu'il 
sagil  de  définir  les  préposés  deux  opinions  sont  en  présence  : 
Tone,  extensive,  n'exigeant  qu'une  condition  :  le  choix  d'une 
personne  par  une  autre;  l'autre,  restrictive,  exigeant  le  droit 
poarle  commettant  de  surveiller  le  préposé  et  de  lui  donner 
desordres.  C'est  à  ce  caractère  que  la  jurisprudence  s'attache, 
elelle  place,  hors  de  la  classe  des  préposés,  ceux  sur  lescfuels 
on  n'a  aucune  direction,  aucune  surveillance  à  exercer. 
L'acte  commis  dans  l'exercice  des  fonctions^  ce  n'est  pas  seu- 
lement l'acte  qui  constitue  la  fonction,  mais  celui  qui  est 
accompli  parce  que  l'on  exerce  la  fonction. 

Au  point  de  vue  pratique,  c'est  la  responsabilité  civile  des 
^aitres  et  commettants  qui  constitue  la  garantie  la  plus  efficace 
cUaplus  sûre  des  victimes  de  délits".  D'une  part,  l'obligation 
de  réparer  est  alors  im])Osée  à  des  personnes  dont  la  condition 
'néme  est  rassurante  au  point  de  vue  de  la  solvabilité.  D'autre 
part,  l'extension  évolutive  des  rapports  de  préposant  à  préposé 
Permet  d'invoquer,  de  plus  en  plus  souvent,  la  responsabilité 
^îvile  des  maîtres  et  commettants^®.  Mais  l'application  en  sera 

**  Pour  celle  responsabilité  :  Demogue,  op.  cit.,  p.  70  à  81  ;  Cass.,  i6  avr. 
^^96  (S.  98.  1.  36);  Paris,  5  août  1807  (3.  98.  2.  39);  Cass.,  21  juill.  1898 
(^-  1900.  i.  56). 

**Sur  tous  ces  points  :  Domogue,  op.  cit.,  p.  81. 

**Voy.  pour  l'exlension  de  cette  disposition  au  concierge  d'un  immeu- 
*^^^  par  rapport  au  propriétaire  :  Cass.  req.,  22  juill.  1891  (D.  92.  1.  335). 


292      PROCÉDURE   PÉNALE.   —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVII 

presque  toujours  reslreinle  aux  délinquants  primaires,  car 
sera  rare  qu'un  récidivisle  soit  choisi  comme  préposé.  C'i 
surtout  en  cas  de  délits  d'imprudence,  el  on  sait  quel  est  le 
nombre  et  quelles  sonl  leurs  conséquences,  que  s'exerce  cel 
garantie. 

En  dehors  de  la  responsabilité  des  mailros  et  commettants 
de  celle  des  parenls,  l'article  1384  du  Code  civil  indique  i 
troisième  cas  de  responsabilité  :  «  Les  instituteurs  et  artisa 
sonl  responsables  du  dommage  causé  par  leurs  élèves 
apprentis,  pendant  le  temps  qu'ils  sont  sous  leur  surve 
lance*^  ».  Celte  responsabilité  est  de  même  nature  que  cel 
des  parents;  elle  est  également  fondée  sur  le  devoir  de  su 
veillance(|ui  incombe  aux  personnes  ayant  cette  qualité.  D'( 
deux  conséquences  corrélatives  :  1**  Elle  cesse,  lorsque  les  ins 
tuteurs  et  artisans  prouvent  qu'ils  ont  fait  tout  ce  qui  ét( 
humainement  possible  de  leur  part  pour  empêcher  le  délit 
2°  Elle  forme  le  complément  de  celle  des  parents.  A  Toccasic 
des  délits  du  mineur,  la  victime  pourra  poursuivre,  ou  s 
maîtres  ou  ses  parents,  la  responsabilité  des  uns  cessant  pvt 
que  toujours  quand  commencera  celle  des  autres,  et  récipr 
quement". 

En  dehors  de  l'article  138i,  il  existe  des  dispositions  lég 
les  nombreuses  édictant  des  cas  de  responsabilité  civile  do 
Texamen  ne  rentre  pas  dans  le  cadre  de  cet  ouvrage. 

129.  Les  héritiers,  soit  des  auteurs  et  des  com])lic( 
soit  des  personnes  civilement  responsables,  sont  tenus,  à 
titre,  et  pro|)ortionnellernout  à  la  part  qu'ils  recueillent  da 
la  successioii,des  restitutions,  dommages-intérêts  eldes  fra 
L'article  2  du  Code  d'instruction  criminelle  porte,  en  eff< 
que  l'action  civile  |»eut  être  exercée  contre  le  prévenu  et  ce 

-^  La  loi  (lu  20  juillet  1890  a  ajuult*  un  nouvel  alinéa  à  rarlicio  d3S 
«  Toulefoip  la  n'Sf»onsabilit«''  di*  l'Htat  est  subslituik^  à  celle  des  raemb 
«  de  renseignement  public  >». 

"  Comp.  Paris,  31  mai  1802  (D.  93.  2.  490). 

"  Comp.  Pau,  2  juin.  18yji(,  priorité,  el  la  nute  de  M.  Perreau;  Trib. 
Chàleauroux,  2imai  1898  (S.  99.  2.  147;  D.  98.  2.  491). 


CONTRE   QUI   l'action   CIVILE  PEUT  ETRE   INTENTEE.      293 

tre  ((  ses  représentants  ».  L'article  correspondant  du  Gode  du 
3  brumaire  an  IV,  l'article  7,  contenait  une  antithèse  entre 
Taction  publique  et  l'action  civile  au  point  de  vue  de  la  Irans- 
missibilité,  et  c'est  bien  avec  cette  même  opposition  que  le 
Code  d'instruction  criminelle,  après  avoir  dit  que  «  faction 
publique  pour  l'application  de  la  peine  s'éteint  par  la  mort  du 
prévenu  »,  déclare  que  «  Faction  civile  pour  la  réparation  du 
dommage  peut  être  exercée  contre  le  prévenu  et  contre  ses 
représentants  ».  Le  mot«  représentant  »  est  ainsi  synonyme 
d'e  héritier  »  ".  Nous  examinerons,  au  double  point  de  vue 
delà  compétence  et  de  la  procédure,  l'effet  du  décès  de  l'au- 
teur du  délit  sur  l'action  civile. 

130.  Si  le  prévenu  est  un  incapable^  la  partie  civile  est-elle 
obligée  de  mettre  en  cause  son  représentant  pu  son  conseil? 
Quand  il  s'agit  d'un  procès  civil  ordinaire,  la  nature  de  Tac- 
lion  ne  saurait  modifier  les  règles  générales  de  la  procédure. 
La  question  se  pose,  au  contraire,  devant  la  juridiction  pé- 
nale, soit  que  la  partie  lésée  joigne  son  action  à  celle  du 
ministère  public,  soit  qu'elle  agisse  seule  et  mette  ainsi  l'ac- 
tion publique  en  mouvement.  Une  distinction  entre  la /emme 
y^riée  et  les  autres  incapables,  tels  que  7nineurs,  interdits^ 
pourvus  de  conseil^  etc.,  nous  paraît  devoir  être  faite. 

I.  Par  dérogation  à  l'article  215  du  Code  civil,  qui  interdit 
ila  femme  d'ester  en  justice  sans  autorisation, l'article  216  dit 
que  celte  autorisation  «  n'est  pas  nécessaire  lorsque  la  femme 
6sl  poursuivie  ^n  matière  criminelle  ou  de  police  ».  Celle  der- 
rière expression,  écrite  sous  Tempire  du  Code  du  3  brumaire 
an  IV,  est  évidemment  générale  et  comprend  à  la  fois  la  police 
correctionnelle  et  la  simple  police.  L'action  contre  laquelle  la 
femme  se  défend  sans  îiulorisation  n'est  pas  V action  publique^ 
celle  qui  est  exercée  au  nom  de  la  société  par  le  ministère 
public  et  qui  tend  à  faire  prononcer  contre  elle  une  condam- 
ualion  répressive.  11  est  bien  évident,  en  effet,  que  le  cours  de 

*°  Sur  rorigine  de  la  règle  qui  rend  transmissible  l'action  en  dommages- 
intérêts  naissant  d'un  délit  :  Pothier,  Traite  des  obligations^  n**  639. 


29i       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVIL 

la  justice  pénale  ne  peut  être  arrêté  par  le  défaut  d'autoriî? 
tion  de  la  femme  contre  laquelle  les  poursuites  répressiv 
sont  dirigées.  La  loi  n'avait  donc  pas  besoin  de  dire  que 
ministère  publie  serait  dispensé,  f>our  poursuivre  une  femi 
mariée,  d'obtenir  Taulorisation  du  mari  ou  de  justice.  E! 
n'avait  pas  à  s'expliquer  sur  l'indépendance  de  Faction  pub 
que  à  regard  de  la  femme,  pas  plus  qu'à  l'égard  des  autr 
incapables.  II  faut  conclure  de  ces  considérations  que  la  lo 
voulu  parler  de  la  poursuite  civile  de  la  femme  mariée  deva 
les  tribunaux  de  répression  '*.  1*"  La  solution  n'est  pas  do 
teuse  en  cas  d'intervention  de  la  victime  du  délit  dans  u 
poursuite  engagée  par  le  ministère  public  contre  une  femi 
mariée.  Celle-ci,  en  se  défendant  contre  l'action  publi(]i 
se  défend  contre  l'action  civile,  et  elle  n'a  pas  plus  besoin  d'à 
torisation  dans  le  premier  cas  qu'elle  n'eu  a  besoin  dans  le  i 
cond.  2°  Mais  la  partie  lésée  use  du  droit  de  citation  direct 
elle  met  en  mouvement  l'action  publique.  La  solution  trac 
tionnelle,  c'est  qu'en  pareil  cas  la  femme  n'a  pas  besoin  d'à 
torisation  pour  se  défendre '^  Le  texte  de  l'article  210  est  g 
néral,  et  les  principes  du  droit  criminel  ne  permettraient! 
de  scinder  le  procès  qui  porte  à  la  fois  sur  l'action  publiq 
et  l'action  civile".  3"  La  femme,  poursuivie  devant  les  tril 
naux  de  répression,  oppose,  comme  moyen  de  défense,  u 
question  préjudicielle  qui  est  de  la  compélence  destribuna 
civils,  par  exemple  elle  excipe  de  sa  propriété  en  matière 
délit  forestier  (C.  forest.,  art.  182).  Certaines  décisions 
jurisprudence^*  adniellent  qu'elle  aurait  besoin,  dans  ce  c. 

•*'  Le  lexti.'  «?5t  al)S«>Uiin»Mit.  inutile  si  on  lu*  lui  tloniio  pas  celle  port 
Voy.  Tril).  civil  d'Alhi.  \'l  nnv.  1808  (Vand.  fr.,  99.  -2.  22r»);  Trih.  eorr. 
Min'courl,  i3  juill.  tOoi  (1).  1904.  2.  4fO)ot  la  noie. 

'2  Voy.  IMtliier,  Puissance  du  mari,  u°  Or>.  Cass.  crira.,  31  mai  ISIO, 

'^  Voy.  en  s«ns  conlniir».-  :  Aubry  v[  H:iu,  oj),  cit.,  ^  472,  n<»  1,  p.  1 
note  14;  Hue,  Commi'.utairc  du  Cod^'  ciril.  t.  Il,  ti*»  '2tt.  Mai?,  «lan?  ce  se 
iJennilombê,  op.  cit. ,  t.  IV,  ii*'  li^.  La  jurispru(lon(?e  os\.  cunforme  à  n« 
opinion  :  Cass.,  M  mai  1820  (S.  20.  d.  271);  Tribunal  d.-  Rouen,  22  a 
4882  {France  jud.,  1SS3,  t.  2,  p.  212):  Al^a»r,  15  mars  1902  [Journ. 
Parq.,  1902.  2.122). 

"  Cass.,  20  mai  18 iO  (D.  iO.  1.  20o). 


CONTRE   QUI   l'action   CIVILE  PEUT   ÊTRE   INTENTÉE.       295 

d'être  autorisée,  pour  plaider  sur  cette  question  au  civil. 
Mais  la  raison  qui  lui  permet  de  se  défendre  par  tous  les 
moyeos,  alors  que  sa  responsabilité  pénale  est  en  jeu,  impli- 
que, pour  elle,  la  faculté  d*opposer  une  question  préjudicielle 
sans  autorisation. 

II.  Les  considérations  mêmes  qui  ont  fait  écarter  l'assis- 
tance  du  mari  pour  la  femme  impliquée  dans  un  procès 
répressif,  doivent  imposer  une  solution  identique  pour  les 
autres  incapables.  Le  mineur,  l'interdit,  le  prodigue  pourvu 
de  conseil  ne  sont  pas  des  incapables  au  regard  de  la  loi  pé- 
nale; ils  sont  responsables  de  leurs  actes.  C'est  pourquoi  la 
femme  mariée,  soumise,  d'une  manière  générale,  à  la  puis- 
sance maritale,  est  soustraite  à  cette  puissance  en  matière 
pénale;  c'est  pourquoi  le  mineur  ou  Tiilterdit,  représenté 
en  général  par  son  tuteur  dans  les  actes  de  la  vie  civile,  est 
personnellement  |»oursuivi  et  se  défend  lui-même  dans  le 
procès  pénal.  Or,  devant  les  tribunaux  de  répression,  l'action 
publique  est  nécessairement  mise  en  jeu  par  l'action  civile, 
celle-ci  n*étant  que  l'accessoire  de  celle-là.  Pour  que  le 
droit  d'accusation  et  le  droit  de  défense  restent  intacts,  il  faut 
quaucune  entrave  ne  soit  apportée  à  l'exercice  des  actions 
publique  et  civile,  que  l'une  et  l'autre  soient  soumises  aux 
mêmes  règles". 

*' La  jurisprudence  paraît  fixée  dans  ce  sens.  Nous  citerons  particuiière- 
*û^fil  deux  arrôts.  Le  premier  est  un  arrùt  de  la  Chambre  criminelle  de  la 
tuur  de  cassation  du  22f«hTier  180r>  (S.  98.  1.  377).  11  s'agissait  d'un  i»ro- 
%ut,  poursuivi  pour  abus  de  confiance  :  non  seulement  le  conseil  n'avait 
P^été  rais  en  cause,  mais  son  intervention  volontaire  en  vue  de  la  défense 
exclusive  des  intérêts  civils  du  prodigue  l'ut  déclarée  non  ri-cevable.  Voy, 
80US  cet  arrél,  la  note  de  M.  Houx.  Le  second  est  un  arrêt  dr  la  Cliam- 
fcfe criminelle  de  la  Cour  de  cassation  du  27  avril  181)9   (S.  i900.  1.  "»35). 
Il  s'agissait  d'un  mineur.  Le  moyen  de  cassation  consistait  dans  la  viola- 
lion  de  l'articlo  450  du  Code  civil,  le  tuteur  n'ayant  pas  été  mis  en  cause 
par  la  partie  civile.  Il  a  été  rejeté  par  le  motif  suivant  :  «  Attendu  qu'il  ré- 
»  suite  de  l'ensemble  des  dispositions  du  Code  d'instruction  criminelle  que 
</ Ja  loi  ne  fait  aucune  distinction,  soit  (|uant  aux  formes  de  la  poursuite, 
Cl  soit  quant  aux  pouvoirs  des  ju^^es,  entre  l'accusé  ou  prévenu  majeur  et 
¥  l'accusé  ou  prévenu  mineur;  qu'aucune  disposition  de  ce  Code  n'impose 
i'  au  ministère  public,  dans  l'exercice  de  l'action  publique,  ou  à  la  partie 


296      PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

111.  H  est  à  remarquer,  du  reste,  que  si  la  femme  mariée 
ou  tout  autre  incapable  était  cité  devant  un  tribunal  de  répres- 
sion, non  plus  comme  prévenu,  mais  comme  civilement  res- 
ponsable, les  règles  de  la  procédure  civile  devraient  être 
suivies  au  point  de  vue  de  Tautorisation,  de  la  représentation 
ou  de  Tassistance'*.  11  ne  s'agit  pas,  en  effet,  de  la  poursuite 
pénale.  La  question  soulevée  par  la  demande  met  exclusive- 
ment en  jeu  des  intérêts  civils  qui  doivent  être  sauvegardés 
devant  les  tribunaux  de  répression  comme  ils  le  sont  devant 
les  tribunaux  civils. 

«  civile,  dans  l'exercice  de  Taclion  civile,  suivie  devant  les  tribunaux  de 
«  répression  accessoirement  à  la  première,  Tobligation  d'appeler  en  cause  le 
«  représentant  du  mineur;  que  cet  accusé  ou  ce  prévenu  trouve  des  garan- 
«  ties  suffisantes  dans  les  formes  que  le  Code  d'instruction  criminelle  a  éta- 
«  bliesidans  l'intérêt  de  la  défense  ».  La  doctrine  qui  paraît  aujourd'hui 
ralliéejà  la  solution  de  la  jurisprudence  en  ce  qui  concerne  la  femme  mariée, 
est,  au  contraire  hésitante,  en  ce  qui  concerne  les  mineurs  et  les  prodigues. 
Voy.  lissier,  Rev.  criL,  1898,  p.  416. 
'*  Cette  solution  est  incontestable. 


297 


CHAPITRE  m 


DE    l'intervention    EN    MATIERE    PENALE. 


§  ZZI.  —  COMPARAISON  ENTRE  L'INTERVENTION  EN  MATIÈRE  PÉNALE 

ET  L'INTERVENTION  EN  MATIÈRE  CIVILE. 

131.  L'intervention  en  matière  civile  est  admise  dans^toute  instance  et  elle  est  sub- 
ordonnée à  la  seule  justification  d'un  intérêt  légitime.  H  n'en  est  pas  de  même 
en  matière  pénale.  Motifs  de  cette  différence.  —  132.  Division. 

131.  Dans  l'instance  engagée  entre  le  ministère  public  et 
le  prévenu,  ces  deux  parties  principales  et  nécessaires  du  pro- 
cès pénal,  un  tiers  peut-il  intervenir?  On  sait  que  l'interven- 
tion est  l'action  de  se  placer  volontairement  ou  d'être  placé 
forcément,  dans  un  procès  auquel  on  était  d'abord  étranger, 
à  l'effet  d'y  défendre  ses  intérêts  ou  ceux  d'une  des  parties 
en  cause  dans  l'instance.  Cette  procédure  se  présente  donc, 
soit  sous  forme  d'intervention  proprement  dite,  soit  sous 
forme  d'appel  en  cause. 

L'intervention  est  organisée  en  matière  civile  (C.  pr.  civ., 
art.  339  à  341)  et  trouve,  dans  Vintérêt  seul,  son  fondement 
et  ses  limites.  En  vertu  du  principe  que  toute  personne  qui 
a  un  intérêt  légitime,  a  une  action  pour  le  faire  valoir,  la  ju- 
risprudence civile  décide  :  «  1"*  qu'il  ne  faut  pas,  pour  inter- 
c<  venir,  d'autres  conditions  que  pour  intenter  l'action  prin- 
«  cipale  :  l'intérêt,  la  qualité,  la  capacité  d'ester  en  justice; 
«  2""  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  intérêt  né  et  actuel,  mais 
<c  d'un  intérêt  simplement  éventuel,  et  que  la  seule  crainte  du 
«  préjugé  qui  pourrait  résulter  de  la  demande  principale  est 
«  un  motif  suffisant  pour  intervenir;  3°  que  l'intérêt  moral. 
«  a  la  même  valeur,  en  pareil  cas,  que  l'intérêt  pécuniaire  »*.' 
Ainsi,  la  recevabilité  d'une  intervention  est  admise,  en  ma- 

§  XXI.  <  Garsoiinet,  op.  cit.,  t.  3,  §932,  p.  213. 


i 


298      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

tièrc  civile,  dans  toute  instaDcc,  et  elle  est  subordonnée  à  la 
seule  justification  d*un  intérêt  légitime. 

En  cst-il  ainsi  en  matière  pénale?  Et  Tintervention,  soit 
d*un  nouveau  demandeur,  à  côté  du  ministère  public,  soit 
d*un  nouveau  défendeur,  à  côté  du  prévenu,  est-elle  possible 
devant  les  tribunaux  de  répression? 

II  faut  remarquer,  tout  d'abord,  que  l'expression  même 
d*  ((  intervention  »,  d*  «  intervenir  »  parait  étrangère  à  la 
langue  du  droit  pénal.  Mais  si  le  mot  ne  se  rencontre  pas 
dans  le  Code  d'instruction  criminelle,  la  chose  s'y  trouve,     ' 
puisque  tout  plaignant  peut,  aux  termes  de  l'article  67,  «se 
porter  partie  civile  en  tout  état  de  cause  jusqu'à  la  clôture    | 
des  débats  ».  Seulement,  le  fondement  et  la  limite  de  Tioter- 
vention  dans  le  procès  pénal  ne  sont  pas  les  mêmes  que  dans 
le  procès  civiP.  D'une  part,  les  tribunaux  de  répression  n'oot 
été  constitués  que  pour  connaître  de  la  culpabilité  des  pré- 
venus et  pour  leur  appliquer  la  peine  encourue.  Et,  dans  ces 
limites,  le  seul  représentant  de  Tintérèt  général,  qui  confond 
et  concentre  tous  les  intérêts  particuliers,  sauf  celui  de  la 
partie  civile,  c'est  le  ministère  public.  11  est  vrai  qu'acces- 
soirement au   procès  pénal,  les    intérêts  civils  de  la  partie 
lésée   sont   soumis  aux   tribunaux  de  répression;  mais  ces 
tribunaux  n'ont,  à  cet  égard,  qu'une  compétence  exception- 
nelle. U'autre  part,  le  seul  débat  qui  puisse  s'engager  devant 
eux,  a  pour  objet  le  délit  ou  le  crime  im])uté  au  prévenu  ou  à 
l'accusé,  dans  les  limites  de  l'action  publique  et  de  l'action 
civile.  11  suit  de  là  que  l'intervention  d'un  tiers  dans  un  pro- 
cès pénal,  doit,  en  règle  générale,  être  rejetée  comme  non 
recevable,  alors    même  qu'elle  s'appuierait  sur  l'intérêt  le 
plus  légitime  et  le  plus  certain.  A  ce  principe,  il  n'y  a  et  ne 
peut  y  avoir  d'autres  exceptions  ou  plutôt  d'autres  restric- 
tions que  celles  qui  dérivent,  soit  expressément  de  textes  for- 
mels, soit  implicitement,  au  profit  de  la  partie  lésée  ou  des 


^  Voy.  sur  rinlervention  :  Vallier-Colombier,  Étude  sur  le  droit  rfïn/er- 
vention  des  tiers  en  matière  crimiitcUe  {La  France  judiciaire ,  t.  1,  p.  510); 
Laborde,  Cours  de  droit  criminel,  '1*  i^d.,  nos  G73  à  676, 


DE    l'intervention   FORMEE   CONTRE   LE   PRÉVENU.        299 

onnes  civilement  responsables,  des  règles  mêmes  de  Tac- 
civile'. 

32.  L'application  de  cette  situation,  toute  spéciale  à  la 
édure  criminelle,  doit  êlre  recherchée  dans  trois  ordres 
pothèses  :  en  cas  d'intervention  formée  contre  le  pré- 
i;  d'intervention  formée  en  sa  faveur;  d'intervention 
lée  dans  l'intérêt  de  l'intervenant. 


ZXII.  —  DE  L'INTERVENTION  FORMÉE  CONTRE  LE  PRÉVENU. 

.a  partio  civile  seule  peut  intervenir  contre  le  prévenu  ou  l'uccusé.  —  134. 
j  cette  règle  admet  une  réserve  au  prolit  des  personnes  qui  sont  subrogées,  en 
lité  ou  en  partie,  à  l'action  civile,  par  l'efTet  de  la  convention,  ou  par  l'effet  de 

33.  Deux  choses  sont  certaines  :  1**  La  victime  de*  Tin- 
:ion  peut,  en  tout  état  de  cause,  et  jusqu*à  la  clôture  des 
its  (C.  instr.  cr.,  art.  67),  joindre  son  action  à  celle  du  mi- 
îre  public.  Cette  coîistitt/tion  de  partie  civile  a  bien  le 
ctèrc  d'une  intervention^  etd'une  intervention  volontaire, 
le  ministère  public  n'aurait  pas  intérêt  et  le  prévenu  se- 
sans  droit  pour  appeler  la  partie  civile  en  cause.  Le  mî- 
^e  public,  n'aurait  pas  intérêt  :  en  effet,  dans  un  système 
îépare  l'indemnité  delà  peine,  les  parties  lésées  ont  seu- 
ualilé  pour  demander  une  réparation.  Le  prévenu  serait 
droit  :  en  effet,  l'option,  ouverte  par  la  loi  entre  la  jurî- 
on  civile  et  la  juridiction  répressive  pour  exercer  l'ac- 
civile,  n'appartient  qu'à  la  partie  lésée  et  ne  saurait  lui 
enlevée  par  le  prévenu.  Quant  aux  conditions  et  aux 
les  de  la  constitution  de  partie  civile,  nous  nous  en  occu- 
;  plus  loin.  2**  D'un  autre  côté,  aucune  intervention,  autre 
celle  de  la  partie  civile,  n'est  recevable  contre  le  prévenu. 
quel  motif  la  baffeerail-on?  Sur  un  intérêt  particulier? 

ur  larè^Me  jurisprud<Mjlielle  :  Paris,  2  t'évr.  iSOT  (S.  07.  1.  50r>),  et,  sur 
:oi,  Cass.,  24  juill.  JS07  (S.  9S.  1.  r>r)2).  Co!is.  le  raf»port  de  M.  le  cori- 
r  Accarias,  précédant  cet  arrùl,  dans  Rev,  crit.,  1897,  t.  20,  p.  504  à  528. 


300      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  BT  CIVILB. 

mais  alors  que  Tintervenaat  se  porle  partie  civile.  Sur  un  in- 
(érèl  général?  mais  le  ministère  public  est  le  seul  gardien  de 
cet  intérêt  qui  se  confond  avec  Tintérèt  social.  En  i863,  un 
individu,  antérieurement  condamné  pour  assassinat,  demanda 
à  intervenir  dans  une  poursuite  dirigée  contre  un  autre  indi- 
vidu accusé  d'avoir  commis  le  crime  conjointement  avec  lai. 
Son  intérêt  bien  manifeste  était  de  faire  décider  que  Taccusé 
était  seul  coupable,  afin  de  s'assurer  le  succès  dans  un  pour- 
voi ultérieur  en  revision.  La  cour  d'assises  de  Sêine-et-Marne 
n*ayant  pas  admis  son  intervention,  il  se  pourvut  en  cassation, 
et  son  pourvoi  fut  rejeté.  La  Cour  de  cassation  fait  remarquer 
que  cet  individu  aura,  s'il  y  a  lieu,  la  ressource  du  pourvoi 
en  revision  conformément  à  l'article  443  du  Code  d'instruction 
criminelle,  mais  qu*on  ne  saurait  admettre  une  intervention 
tendant  à  modifier  Taccusation  contre  celui  qui  est  poursuivi 
en  cour  d'assises^ 

134.  S'il  est  vrai  de  dire  qu'aucune  intervention,  autre 
que  celle  de  la  partie  lésée,  n'est  recevable  contre  le  prévenu, 
c'est  que  la  partie  lésée  représente,  à  elle  seule,  l'un  des 
groupes  d'intérêts  que  l'on  peut  faire  valoir  devant  les  tribu- 
naux de  répression,  celui  de  la  réparation  du  préjudice  causé 
parle  délit.  Mais  lorsque  la  personne  qui  demande  à  inter- 
venir invoque  une  subrogation  totale  ou  partielle,  légale  ou 
conventionfiellcj  aux  droits  de  la  partie  lésée,  vérification 
faite  de  son  titre,  il  y  a  lieu  de  lui  donner  accès  au  procès.  Son 
intérêt  se  confond  alors  avec  l'intérêt  de  la  partie  lésée;  et, 
c'est  la  partie  lésée,  en  quelque  sorte  représentée  ou  dé- 
doublée, qui  figure  réellement  dans  l'instance  à  côté  du 
ministère  public.  Il  n'y  a  pas  là  une  exception  à  la  règle  d'a- 
près laquelle,  en  matière  criminelle,  l'intervention  est  auto- 
risée contre  le  prévenu  en  faveur  de  la  seule  partie  civile,  mais 
plutôt  une  explication  et  une  dérivation  de  cette  règle.  Deux 
exemples  nous  permettront  d'éclairer  cette  situation. 

Un  individu,  dont  l'imprudence  a  causé  un  incendie,  est 

§  XXII.  «  Cass.,  18  juin  1803  (B.  cr.,  n*  166). 


DE   l'intervention   FORMEE   CONTRE   LE   PREVENU.        301 

traduit,  devant  le  tribunal  correctionnel,  à  la  requête  du  pro- 
cureur de  la  République  (G.  p.,  art.  458).  Une  compagnie 
d'assurances,  qui  a  payé,  à  ses  assurés,  victimes  du  délit,  la 
somme  représentant  le  dommage  qu'ils  ont  éprouvé,  peut- 
elle  intervenir  pour  demander  que  le  prévenu  soit  con- 
damné à  lui  rembourser  les  sommes  qu'elle  a  ainsi  payées? 

L'ouvrier,  victime  d'un  accident  du  travail  causé  par  un 
tiers,  intente,  contre  ce  tiers,  une  action  en  dommages-inté- 
rêts devant  le  tribunal  correctionnel  pour  coups  et  blessures 
par  imprudence  (C.  p.,  art.  320)'.  Le  patron,  qui  a  payé,  à 
cet  ouvrier,  l'indemnité  forfaitaire,  due  à  raison  de  cet  acci- 
dent, en  vertu  de  la  loi  du  9  avril  1898,  sur  les  accidents  du 
travail,  et  qui  est  subrogé,  jusqu'à  due  concurrence,  aux 
droits  de  l'ouvrier  contre  le  tiers  responsable  (L.  9  avr. 
4898,  art.  7),  doit-il  être  reçu  dans  son  intervention? 

Dans  ces  deux  cas,  la  compagnie  d'assurances  et  le  patron, 
le  premier,  en  vertu  d'un  contrat  passé  avec  la  victime,  le  se- 
cond, en  vertu  d'une  disposition  légale,  se  sont  trouvés  dans 
l'obligation  de  restituer  la  victime  contre  les  conséquences 
dommageables  du  délit  :  ils  en  sont,  en  quelque  sorte,  respon- 
-sables,  mais  avec  subrogation  à  ses  droits  contre  le  tiers  dont 
ils  sont  garants.  Sans  doute,  celui  qui  est  responsable,  en  vertu 
du  contrat  ou  en  vertu  de  la  loi,  des  conséquences  dommagea- 
bles d'un  délit,  sans  avoir  lui-même  commis  de  faute  |)erson- 
nelle,  ou  sans  avoir  souffert  directement  du  fait,  n'est,  à  vrai 
dire,  ni  partie  lésée  ni  partie  civilement  responsable,  et  ne  peut 
invoquer,  en  sa  personne,  soit  Tune,  soit  l'autre  de  ces  deux 
qualités  pour  intervenir.  Mais  celui-là  est,  en  quelque  sorte, 

*  L'article  7  de  la  loi  du  9  avril  1898,  modifié  parla  lui  du  22  mars  1902, 
est  ainsi  conçu  :  w  Ind»'pendammenl  de  l'actiun  de  la  présente  loi,  la  victime 
««  ou  ses  représentants  conservent  contre  les  auteurs  de  l'accident,  autres 
«  que  le  patron,  ou  ses  ouvriers  ou  pr(?posés,  le  droit  de  réclamer  la  répa- 
¥  ration  du  préjudice  causé,  conformément  aux  règles  du  druit  cummun. 
u  L'indemnité  qui  leur  sera  allouée  exonérera  à  due  concurrence  le  chef  de 
1  l'entreprise  des  ohlij^alions  mises  à  sa  charge.  Cette  action  contre  les 
<*  tiers  responsables  pourra  mOme  être  exercée  parle  chef  d'entreprise,  à  ses 
<i  risques  et  périls,  aux  lieu  et  place  de  la  victime  ou  de  se»  ayants  «Iroit,  si 
«  ceux-ci  négligent  d'en  faire  usage  »>. 


302      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

Cf'ssionnairr  de  la  partie  lésée,  subrogé  à  ses  droits, et  ce  qu'il 
invoque,  ce  n'est  pas  un  litre  qui  lui  soil  propre,  mais  le  titre 
même  de  la  partie  lésée  à  laffuelle  il  est  substitué'. 

A  ce  point  de  vue,  une  comparaison  s'impose.  Le  droit  du 
subrogé,  compagnie  d'assurances  ou  patron,  est  identique  à 
celui  d'un  cessionnaire  de  Tindemnilc  due  à  la  partie  lésée. 
Or,  nous  admettons,  non  seulement  que  l'action  civile  est  ces- 
sible*, mais  que  cette  cessibilité  confère,  au  cessionnaire,  tous 
les  droits  de  la  partie  lésée,  c'est-à-dire,  le  droit  d'intervenir 
dans  le  procès  engagé  par  le  ministère  public  et  le  droit 
à'^agir  par  voie  de  citation  directe*. 

Mais  si  une  subrogation,  légale  ou  conventionnelle,  dans 
les  droits  do  la  partie  lésée,  est  un  titre  suffisant,  c'est,  co 
même  temps,  un  titre  nécessaire.  L'intérêt  légitime  de  la  vic- 
time du  délit  h  obtenir  une  réparation  est  le  seul  motif  qui 
puisse  permettre  à  un  tiers  de  faire  campagne  avec  le  minis- 
tère public  pour  requérir  une  condamnation  contre  le  prévenu 
ou  l'accusé.  C'est  dans  les  limites  de  l'action  civile  qu'une  in- 
tervention de  ce  genre  peut  se  produire. 

3  Le  firoil  (i'intervention,  dans  ces  deux  cas,  a  été  reconnu  par  la  cham- 
bre crimiin'lle  cl».'  la  Guur  de  cassaliun.  Pour  la  compagnie  d'assurances  : 
Crim.    n:j.,  :23  juin   i8:i9  (/?.  crinu.  n°   142,   p.  258).  L'intervention  du 
patron  nvail  élr  déclaréf  irrecevîible  par  un  arrêt  de  la  chambre  correction- 
nelle do  la  Cour  de  Paris  du  21  janvier  1903.  Cet  arrêt  a  été  cassé,  par  la 
chambre  criminelle  de  la  Cour  de  cassation,  le  13  lévrier  1904(D.  1904. 1.533). 
«  AtU-ndu  que  si,vlevanl  les  tribun.iux  de  répression,  le  droit  d'intervention 
<'  ne  peut  être  exercé  que  sous  certaines  conditions,  ce  droit  résulte  pour 
a  le  chef  d'entreprise  dt.'S  dis|)Osilions  susvisées  »,  c'est-à-dire  de  l'article 7» 
§  3  de  la  loi  du  22  mars  1902.  Voy.  la  note  sous  cet  arrêt. 

•  Dans  uii  arrêt  du  2;i  février  1807  (S.  98.  1.  201),  la  chambre  criminell& 
de  la  Cour  dit  cassation^  sans  contester  la  cessibilité  de  Tactiou  civile,  a 
décidé  que  le  cessionnaire  ne  pouvait  se  porter  partie  civile  devant  la  juri- 
diction répressive.  Mais  cette  décision  nous  paraît  critiquable.  Elle  est,  du 
reste,  en  contradiction  avec  les  deux  arrêts  précités  du  23  juin  1859  et  du 
13  février  190i. 

*  Le  droit  d'agir,  comme  partie  lésée,  par  voie  de  citation  directe  ou  par 
voie  de  constitution  de  partie  civile  devant  le  juge  d'instruction,  implique,  il 
est  vrai,  le  dr(»it  de  mettre  en  mouvement  Taction  publique.  Mais  ce  droit 
est  corrélatif  à  celui  d'intervention.  Kn  d'autres  termes,  celui  qui  peut  in- 
tervenir, peut  également  agir  comme  partie  lésée. 


\ 


DB   l'intervention   VOLONTAIRE   OU   FORCÉE.  303 

S  XXIII.  -  DE  L'INTERVENTION  VOLONTAIRE  OU  FORCÉE  EN  FAVEUR 

DU  PRÉVENU  OU  DANS  L'INTÉRÊT  DU  TIERS. 

• 

135.  Qmiations  à  examiner.  — 136.  hecovabilité  «!••  rinlf-rveiuinii  volurïtairn  (li\s  per- 
sonnes civilement  responsables.  —  137.  Kn  «li'hcus  <lo  rinferw-nfinn  Wesporsonne.*» 
civilement  responsables,  toute  autre  intervention  pera't  irrecevabli».  intiTvention 
d'un  parent,  d'un  ami,  d'une  administration  voulant  dcfi-ndr»!  son  parrul,  son  ami, 
9r»i\  employé.  Tiers  ayant  commis  un  rlélit  analogue.  I^nitiMidu  «"MauliMirou  coni- 
plic*».  Tuteur.  Conseil  judiciair»>.  .Association  pliilnnlliropique.  — 138.  Comment  se 
forme  l'intervention.  —  139.  Mise  en  cause  ordonnée  par  unn  juridiction  répres- 
sive. —  140.  De  l'appel  en  cause  par  les  parties.  —  141.  Des  denuunles  reconven- 
tionnelles devant  les  juridictions  n.'-pressivrs.  —  142.  Kxrlusion  dr  riiitervention 
de?  .-{.isociations  formées  en  vur  de  la  poursuite  de  cerlnins  <l»''lits. 

135.  Nous  devons  examiner  :  P  si  un  tiers  peut  volontai- 
rement intervenir  pour  se  placer  à  côté  du  prévenu  et  le 
défendre;  2°  si  un  tiers  peut  être  appelé  ou  mis  en  cause, 
soit  par  le  tribunal,  soit  par  les  parties;  3"  si  quelqu'une  des 
parties  au  procès  peut  prendre  des  conclusions  contre  d'au- 
Ires  parties. 

136.  L'intervention  volontaire  d'une  personne  civilement 
responsable  dans  une  poursuite  parait  être  recevable,  lors- 
qu'elle a  lieu  dans  le  but  de  prendre  fait  et  caust»  pour  le 
prévenu  et  de  se  garantir  ainsi  des  suites  de  la  condamnation 
qui  pourrait  l'atteindre  par  répercussion.  A  la  vérité,  ce 
droit  d'intervention  n'est  formellement  prévu  et  réglé  par 
aucun  te\te  du  Gode  d'instruction  criminelle,  mais  aucun 
non  plus  ne  Texclut,  et  cela  suffit  pour  l'admettre*.  En  effet, 
la  personne  qui  vient  prendre  fait  et  cause  pour  le  prévenu 
se  déclare,  par  là  même,  responsable  de  l'infraction,  en 
admettant,  du  moins  (ce  qu'elle  entend  précisément  discuter) 
que  l'infraction  ait  été  commise  et  que  le  prévenu  en  soit 
l'auteur.  Elle  ne  fait  donc  que  réunir,  en  intervenant  dans 
rinstance,  les  différents  éléments  du  procès  qu'il  est  de  l'in- 
térêt d'une  bonne  justice  de  ne  pas  scinder.  Le  tribunal  de 

§  XXIII.*  La  formule  de  la  Cour  (U*  cassation  paraît  iMn*.  de  n'adnii'tlre  en 
matière  criminelle  le  droit  d'action  et  le  droit  d'intervention  que  s'ils  sont 
fondés  sur  un  texte  formel.  Mais  elle  reconnaît  le  droit  d'intervention  du  la 
personne  responsable  en  le  fondant  sur  l'article  182.  Cass.,  2't  juill.  i89R, 
précité. 


304      PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS   PUBLIQUB   ET  CIVIL 

répression  esl  cerlainement  compéteat  pour  statuer  sur 
question  qui  lui  est  soumise,  puisqu'il  s'agit  de  juger  Vactic 
civile,  recevable,  devant  les  tribunaux  de  répression,    no 
seuJemeni  contre  les  auteurs  et  les  complices,  mais  encor 
contre  les  personnes  civilement  responsables. 

G*esl,  en  réalité,  dans  Tarlicle  182  du  Code  d'instructioi 
criminelle  qu'on  trouve,  tout  à  la  fois,  la  preuve  et  la  justi 
fication  du  droit  d'intervention  des  personnes  civileineo 
responsables.  Aux.  termes  de  cet  article,  la  partie  civile  peu 
les  citer  directement,  avec  le  prévenu,  devant  le  tribunal  cor 
rectionnel.  H  faut,  dès  lors,  les  autoriser  à  intervenir,  c'est-à- 
dire  à  faire  spontanément  ce  qi^i  pourrait  leur  être  imposé. 
<i  Attendu,  lisons-nous,  dans  un  arrêt  de  la  Cour  de  cas- 
<c  sation  du  10  mai  184o~,  qu'il  résulte  des  articles  182,  19( 
«  et  194  du  Gode  d'instruction  criminelle  que  la  personot 
«  civilement  responsable  du  prévenu  peut  être  légalemenl 
«  appelée  devant  le  tribunal  correctionnel  pour  prendn 
«  part  aux  débats  et  supporter  la  condamnation  pécuniain 
n  conjointement  avec  le  prévenu  principal;  attendu  que,  de 
«  lors,  la  personne  civilement  responsable  peut  interveoi 
<(  volontairement  dans  l'instance  où  elle  pourrait  être  appela 
u  malgré  elle  ». 

Mais  nulle  autre  intervention  ne  saurait  être  admise.  Ce 
tains  arrêts  de  jurisprudence  ont  paru  croire  cependant  qu 
dans  le  cas  où  le  prévenu  prétend  avoir  commis  le  délit  q 
lui  est  reproché  sur  Tordre  ou  l'autorisation  d'un  tiers  do 
il  n'a  fait  qu'exercer  le  droit,  il  y  aurait  place,  dans  le  proc 
pénal,  pour  l'intervention  de  ce  tiers*.  Un  chasseur,  par  exer 
pie,  trouvé  en  action  de  chasse  sur  le  terrain  d'autrui,  ( 
poursuivi  à  la  requête  du  prétendu  propriétaire  ;  celui  quil 
adonné  la  permission  de  chasser,  pourrait  intervenir,   po 

*  Bull,  crim.y  ii<»  170.  Comp.  dans  le  im^mo  sens  :  Cîiss.,  7  janv.  lî 
(Bull.  cWm.,  rio  7);  23  juin  1859  {Bull,  crim.,  n°  149);  12  janv.  1800  (B^ 
crim.y  u^  Vu);  17  mars  1874  (Bull,  crim.t  n®  77].  La  jurisprudence,  sur 
point,  est  définitivement  fixée. 

'  Voy.  Ciiss.,  1"'  sept.  1832  (D.  A.,  v«  Procédure  criminelle^  n*»  176- 
Comp.  Faustin  UéWe,  t.  0,  n°  2047;  Mangin,  op.  cit. y  t.  1,  no  217. 


DB   l'intervention   VOLONTAIRE   OU   FORCEE.  305 

faire  repousser  l'actioD,  en  invoquant  sa  qualité  d'ayant  droit 
à  la  chasse.  Mais  cette  procédure  nous  paraît  à  la  fois  impossi- 
ble et  inutile.  Sans  doute,  le  prévenu  qui  soulève  une  question 
préalable  ou  préjudicielle  doit  la  fonder  sur  un  droit  person- 
nel et  ne  peut  exciper  ni  du  droit  d'autrui,  ni  de  Tabsence 
^e  droit  en  la  personne  du  plaignant.  En  résulte-t-il  qu'il  ait 
intérêt  à  mettre  en  cause  celui  dont  il  invoque  le  droit?  ou 
quece  dernier  ait  intérêt  à  intervenir  pour  le  défendre?  Nul- 
lement. De  deux  choses  Tune,  en  effet  :  —  Ou  bien  la  pour- 
suite est  exercée  à  la  requête  du  ministère  public?  et,  dans 
ce  cas,  le  prévenu  ne  pourrait  exciper  de  ce  que  le  véritable 
propriétaire  ne  se  plaint  pas  ou  de  ce  que  le  plaignant  n'est  pas 
le  véritable  propriétaire,  puisque  l'action  publique  ne  dépend, 
en  aucune  manière,  quant  à  son  exercice,  de  la  plainte  da 
propriétaire  ;  —  Ou  bien  la  poursuite  a  lieu  à  la  requête  d'une 
partie  civile,  comme  dans  l'espèce  précitée  :  et  le  prévenu 
pourra  repousser  l'action  dirigée  contre  lui  en  excipant  du 
défaut  de  qualité  du  plaignant,  puisque  l'article  1*'  du  Gode 
d'instruction  criminelle  n'accorde  l'action  civile  en  réparation 
du  préjudice  causé  par  une  infraction  qu'à  la  partie  victime 
d'un  dommage  et  qu'aucune  réparation  ne  peut  être  due  à  la 
personne  n'ayant  aucun  droit  sur  Timmeuble  objet  de  l'infrac- 
tion. Cette  exception  que  le  prévenu  a  le  droit  de  soulever 
o'aaucun  caractère  préjudiciel  ;  elle  constitue  une  fin  de  non- 
recevoir,  tirée  de  l'absence  de  qualité  de  celui  qui  réclame 
des  réparations  civiles,  et  sur  laquelle  le  tribunal  de  répression 
^l compétent  pour  se  prononcer. 

137.  En  dehors  de  l'intervention  de  la  personne  civilement 
wsponsable,  toute  autre  intervention  serait  donc  irrecevable. 
I.Par  exemple,  on  ne  comprendrait  pas  l'intervention  d'un 
snii^d'un  parent,  qui,  pour  défendre  le  prévenu,  demanderait 
à  être  partie  au  procès.  D'une  part,  en  effet,  l'intervention, 
sous  quelque  forme  qu'elle  se  produise,  a  pour  effet  direct  de 
saisir  la  juridiction  répressive  d'une  prétention,  d'une  de- 
mande, sur  laquelle  cette  juridiction  a,  le  cas  échéant,  qualité 
pourstatuer.  Or,  le  droit  de  saisir  la  juridiction  répressive  a 

G.  P.  P.  —  i.  ») 


306      PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE- 

été  limité  aux  deux  actions,  publique  et  civile, et  ne  peut  être 
exercé,  que  par  certaines  personnes  et  contre  certaines  per- 
sonnes, le  ministère  public,  la  partie  civile,  le  prévenu  et  les 
personnes  civilement  responsables.  En  dehors  de  ces  catégo- 
ries d'intéressés,  nulle  autre  n*a  qualité  pour  figurer  au  pro- 
cès. D'un  autre  côté,  l'intervention  de  ce  parent,  de  cet  ami 
est  inutile,  car  les  moyens,  que  l'intervenant  prétend  fournir 
en  faveur  du  prévenu,  seront  présentés*,  soit  par  l'avocat, 
soit  par  Tinlervenant  lui-même,  s'il  se  fait  appeler  comme  té- 
moin à  décharge,  ou  s'il  se  fait  autoriser  par  le  président  à  dé- 
fendre son  protégé.  Soit  donc  pour  défaut  de  qualité,  soit  pour 
défaut  d'intérêt,  il  y  aurait  lieu  de  repousser  l'intervention. 

II.  Des  considérations  différentes  devraient  faire  écarter 
l'intervention  d'un  tiers  qui,  ayant  commis  un  délit  analogue 
à  celui  qui  est  poursuivi,  prétendrait  obtenir  le  renvoi  d'in- 
stance du  prévenu  etéviter ainsi  une  condamnation  dénature 
à  créer  contre  lui  un  préjugé  défavorable.  Ainsi,  le  parquet 
poursuit  un  fabricant  de  cacao  pour  falsification  de  denrées 
alimentaires  :  un  autre  fabricant  d'un  produit  identique,  per- 
sonnellement intéressé  à  l'issue  des  poursuites,  intervient 
pour  défendre  le  prévenu.  Qu'il  y  ait  intérêt,  ce  n'est  pas 
contestable.  Mais  l'intérêt  n'est  pas,  en  matière  répressive, 
la  seule  condition  de  Tintervenlion.  Or,  bien  qu'intéressé  à 
la  poursuite,  ce  fabricant  ne  peut  y  figurer  puisqu'il  n'a  pris 
aucune  part  au  fait  incriminé  ' . 

III.  On  ne  saurait  admettre,  non  plus,  Tintervention  d'un 
coauteur  ou  complice  qui  voudrait  forcer  la  main  au  ministère 

♦  En  1857,  un  préposé  des  douanes  était  poursuivi  pour  délit  de  chasse. 
Son  administration,  qui  n'était  pas  civilement  responsable,  voulut  néanmoins 
intervenir,  et  cela  en  vue  de  revendiquer  pour  lui  le  bénéfice  de  Tarticle  75 
de  la  Constitution  de  Tan  VIII.  Cette  intervention  fut  repoussée,  et,  sur  pour- 
voi, la  Cour  de  cassation  décida  '•  que  le  déclinatoire  proposé  par  Tadminis- 
«  tralion  n'avait  pour  elle  qu*u!i  intérêt  moral  qui  ne  pouvait  servir  de  base  à 
«  une  intervention  devant  la  juridiction  répressive  >».  Cass.,  16  avr.  1858  {Bull, 
crim.,  n»  153).  Comp.  Cass.,  18  févr.  1905  (deux  arrêts)  (D.  1905. 1.  257). 

*  La  Cour  de  Lyon  a  écarté,  comme  irrecevable,  l'intervention  d'un  syn- 
dicat d'herboristes  qui  voulait  défendre  un  de  ses  membres,  poursuivi  pour 
exercice  illégal  de  la  pharmacie  :  Lyon^  15  mars  1888  (D.  89.  2.  259). 


DE   l'intervention   VOLONTAIRE   OU   FORCEE.  307 

public  et  prétendrait  obliger  le  tribunal  à  le  ju^eraux  lieu  et 
place  du  pré\enu  ou  en  même  temps  que  lui.  Laction  pu- 
blique ne  peut  être  exercée  que  par  le  ministère  public  :  lui 
seul  peut  saisir  le  juge,  dans  rintérèt  général  de  la  répression  ; 
un  prévenu  est  donc  sans  qualité  pour  demander  à  être  jugé, 
quand  le  ministère  public  ne  le  poursuit  pas*.  Le  me  me  adsum 
qui  feci  n'est  pas  admissible,  devant  les  tribunaux  de  répres- 
sion, delà  partd*un  individu  qui  n'est  pas  inculpé. 

IV.  Les  personnes  qui  représentent  ou  assistent,  au  point 
de  vue  des  actes  de  la  vie  civile,  un  incapable,  poursuivi  de- 
vant les  tribunaux  de  répression,  soit  à  la  requête  du  minis- 
tère public,  soit  même  à  celle  de  la  partie  civile,  n'auraient 
pas  non  plus  qualité  pour  se  présenter  aux  lieu  et  place  de 
l'incapable  ou  à  côté  de  rincapable\  Les  deux  actions,  civile 
et  pénale,  étant  portées  en  même  temps  et  devant  les  mêmes 
juges,  la  défense  à  ces  deux  actions  est  soumise  aux  mêmes 
règles.  Or,  d*un  côté,  le  prévenu  ou  l'accusé  ne  peut  se  faire 
représenter  que  dans  certains  cas  exceptionnels,  et,  d'un  autre 
côté,  il  ne  peut  le  faire  que  par  un  mandataire  muni  d'une 
procuration  spéciale. 

V.  Une  association  philanthropique,  telle  qu'une  société  <le 
patronage,  serait  également  sans  qualité  pour  intervenir  dans 
une  poursuite  intéressant  un  mineur  de  seize  ans,  auteurou 
victime  d'un  délit,  en  vue  de  soutenir  les  intérêts  de  lenfant 
en  ce  qui  concerne  le  maintien  ou  le  rejet  du  droit  de  garde. 
Elle  y  aurait  intérêt  sans  doute.  Mais  la  loi  du  19  avril  1898, 
dont  les  articles  5  et  7  autorisent  le  juge  d'instruction  et  le 
tribunal  à  confier  la  garde  de  l'enfant  à  des  institutions  chari- 
tables, n'a  pas  ouvert,  au  profit  de  ces  institutions,  un  droit 
spécial  d'accès  devant  les  tribunaux'. 


*  Ainsi,  un  imprimeur  est  pnH'cnude  ditTamation.  L'auteur  du  livre  inter- 
vient pour  prendre  le  délit  îi  son  comfïlc.  La  Cour  de  Paris  a  ju^^é  que  cette 
intervention  n'était  pas  rccevablo  :  Paris,  14  janv.  IHOî)  (Gaz.  Pal,,  n?  du 
28  mars  1805). 

^  En  ce  (|ui  concerne  le  conseil  judiciaire  du  prodigue  :  Cass.,  22  l'évr.  1896 
(S.  98.  2.  377)  et  la  note  de  M.  Fioux. 

•  C'est  ce  qu'ont  décidé  deux  jugements  du  Tribunal  correctionnel  de  la 


308      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

138.  L'intervention  se  forme,  comme  la  constitation  de 
partie  civile,  par  une  déclaration  qui  n'est  assujettie  à  aucune 
condition  spéciale.  Des  conclusions  prises  par  Tintervenant 
sufBsent  donc  :  elles  saisissent  le  tribunal.  L'article  66  du 
Code  d'instruction  criminelle,  quali6e  cette  déclaration,  en  ce 
qui  concerne  la  partie  civile,  d'acte  subséquent  :  «  Les  plai- 
gnants ne  seront  réputés  partie  civile,  s'ils  ne  le  déclarent  for- 
mellement, soit  par  la  plainte^  soit  par  acte  subséquent,  ou 
s'ils  ne  prennent,  par  l'un  ou  par  l'autre,  des  conclusions  en 
dommages-intérêts  ».  L'article  66  suppose,  en  eGTet,  que  la 
victime  du  délit  a  commencé  par  déposer  une  plainte,  avant 
de  se  rendre  partie  au  procès  :  mais  la  plainte  n'est,  en  aucun 
cas,  le  préliminaire  obligé  de  l'intervention,  même  pour  une 
partie  civile. 

Par  sa  déclaration,  l'intervenant  devient  par/t>  au  procès, 
en  sorte  qu'il  peut  être  condamné  à  une  peine^  soit  comme 
auteur,  soit  comme  complice,  si  le  ministère  public  la  re- 
quiert, et  à  des  dommages-intérêts  envers  la  partie  civile,  si 
celle-ci  y  conclut.  D'une  part,  en  efifet,  la  déclaration  d'inter- 
vention équivaut  à  une  comparution  volontaire,  et  il  est  admis, 
par  une  jurisprudence  constante,  que  l'article  147  du  Code 
d'instruction  criminelle,  qui  prévoit  ce  mode  de  saisir  le  tri- 
bunal de  police,  est  applicable  au  tribunal  correctionnel*. 
Mais,  d'autre  part,  si  le  tribunal  peut  statuer  vis-à-vis  de  l'in- 
tervenant, il  ne  le  peut  que  dans  la  mesure  des  conclusions 
prises  par  les  parties.  Il  ne  saurait  dépendre  de  rintervenaot 
de  se  faire  poursuivre  et  condamner,  et  si  le  ministère  public 
n'accepte  pas  l'intervention  et  ne  requiert  pas  une  peine, 
l'intervenant  ne  peut  être  frappé.  Il  ne  saurait  également  dé- 
Seine,  Tun  du  30  mai  1903  (Rev.  pénit.,  1903,  p.  883),  Taulre  du  U  dëc 
1903  {Gaz,  des  Trib,^  28  déc.  1903).  Les  décisions  s'appuient  principale- 
menl  sur  ce  motif  que,  devant  les  tribunaux  répressifs,  le  droit  d'interven- 
tion comme  le  droit  d'action  ne  peut  être  fondé  que  sur  un  texte  formel. 
Or,  les  articles  4  et  5  de  la  loi  du  17  avr.  1898  ne  donnent  pas  formellement 
ce  droit  aux  sociétés  de  patronage.  Voy.  pour  la  critique,  Rei\  pénit.y  1905, 
p.  242. 

'  Mais  on  sait  que  la  cour  d'assises  ne  peut  être  saisie  que  par  le  renvoi 
de  la  chambre  des  mises  en  accusation. 


DE  l'intervention    VOLONTAIRE   OU   FORCÉE.  309 

pendre  de  lui  de  se  faire  condamoer  à  des  dommages-intérêts, 
et  le  tribanal  D*aUoue  une  iodemnité  que  si  elle  est  requise 
(C.  p.,  art.  51).  Tous  ces  points  sont  certains  :  ils  résultent 
de  l'application  même  des  principes  de  la  saisine. 

139.  Une  juridiction  répressive  peul-elle  ordonner  une 
mise  en  cause  et  étendre  ainsi  le  procès  dont  elle  est  saisie  à 
des  personnes  qui  n'y  étaient  pas  comprises?  La  question  n*est 
pas  susceptible  d'une  réponse  absolue  :  il  y  a  lieu,  en  effet, 
de  distinguer  entre  deux  ordres  de  juridictions. 

I.  Le  juge  d'instruction  et  la  chambre  des  mises  en  accu- 
sation ont  le  droit  d'étendre  la  poursuite  à  tous  les  individus 
soupçonnés  d'avoir  participé^  comme  auteurs  ou  comme  com-^ 
piices,  à  l'infraction  dont  ils  sont  saisis.  L'information  a  lieu 
inrem^  à  propos  d'un  délit,  et  non  in  personam  contre  tel  in- 
culpé :  les  individus  contre  lesquels  l'instruction  était  tout 
d'abord  dirigée,  peuvent  être  l'objet  d'un  non-lieu,  tandis  que 
d'autres,  qui  n'avaient  pas  été  d'abord  soupçonnés,  peuvent 
être  impliqués  dans  la  poursuite  (C.  instr.  cr.,  art.  8  et  47). 
Cette  extension  de  l'information  à  d'autres  que  les  inculpés 
désignés  dans  le  réquisitoire  est  une  t^iise  en  cause  doffice, 

II.  Les  juridictions  de  jugement  n'ont  pas  le  même  droit  : 
elles  ne  peuvent  statuer  sur  l'action  publique  que  vis-à-vis 
des  individus  qui  leur  sont  déférés  par  le  ministère  public 
ou  les  parties  civiles.  Par  rapport  à  ces  juridictions,  la  saisine  a. 
ÏLtxi  in  personam  et  non  in  rem  (C.  instr.  cr.,  art.  8,  145,  182^. 
271,  361,  379).  Cette  différence  tient  à  la  différence  de  fonc- 
tions entre  les  juridictions  d'instruction  et  celles  de  jugement  :. 
Jes  premières  étant  chargées  de  rechercher  les  délits,  sans 
acception  de  personnes,  et  devant,  par  suite,  impliquer,  dans^ 
la  procédure,  toutes  celles  qui  ont  participé  au  délit:  les  se- 
condes, ayant  à  statuer  sur  la  culpabilité  des  individus  qui 
leur  sont  déférés. 

140.  L'appel  eu  cause  peut-il  émaner  des  parties?  Qu'il 
puisse  être  fait  par  le  ministère  public  ou  la  partie  civile,  soit 
contre  un  nouveau  prévenu,  soit  contre  les  personnes  civile- 


310      PROCÉDURE   PÉNALE.  — DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET   CIVILE- 

méat  responsables,  c'est  ce  qui  n'est  pas  douteux.  Rien  n^ 
s'oppose,  en  effet,  à  ce  que  les  demandeurs  au  procès  éten- 
dent la  poursuite  à  des  tiers  qui  n'ont  pas  été  tout  d^abord 
cités,  à  la  condition,  bien  entendu,  de  recourir,  pour  le  faire, 
dans  les  conditions  et  les  délais   ordinaires,  aux   actes  de 
procédure  susceptibles  de  saisir  la  juridiction  contre  les  nou- 
veaux défendeurs.  La  citation  aux  délais  de  la  loi  est,  en  gé- 
néral,  nécessaire  et  suffisante.  Mais,  devant  la  cour  d'assises, 
ce  moyen  n'est  possible,  vis-à-vis  d'un  accusé,  que  pour  les 
délits  de  presse;  en  toute  autre  matière,  il  faut  un  arrêt  de 
renvoi  rendu  par  la  chambre  d'accusation.  La  mise  en  caus<ï 
ne  pourra  donc  avoir  lieu,  dans  ce  cas,  qu'en  suivant  la  filière 
ordinaire  de  l'instruction  préparatoire  à  deux  degrés.  El  après 
renvoi  devant  la  cour  d'assises,  il  appartiendra  au  procureur 
général  de  requérir  de  la  cour  d'assises  la  jonction  des  actes 
d'accusation,  conformément  à  l'article  307  du  Code  d'instruc- 
tion criminelle.  Même  devant  la  cour  d'assises,  du  reste,  l'ap- 
pel en  cause  des  personnes  civilement  responsables  aura  lieu 
par  voie  de  citation. 

Mais  un  appel  en  cause  ne  saurait  émaner  du  prévenu.  Le 
but  qu'il  poursuivrait  par  celte  procédure,  stM»ait,  en  effet,  ou 
inutile,  ou  irréalisable,  ou  illicite. 

a)  Le  prévenu  prétendrait-il  appeler  un' tiers  au  procès 
pour  se  faire  défendre?  mais  il  lui  suffit  de  l'appeler  comme 
témoin.  Nous  avons  déjà  écarté  l'exception  unique  qu'on  pré- 
tend apporter  à  cette  règle,  même  dans  le  cas  où  une  question 
préjudicielle  de  propriété  ou  de  [)Ossession  ne  pourrait  être 
soulevée  que  par  un  tiers.  Kn  dehors  de  ce  cas,  l'irrecevabi- 
lité de  la  mise  en  cause  n'a  jamais  été  douteuse. 

b)  Le  prévenu  aurait-il  qualité  pour  appeler  au  procès  un 
autre  prévenu  et  demander  que  celui-ci  subisse  la  condam- 
nation, soit  en  ses  lieu  et  place,  soit  en  ii^ême  temps  que 
lui?  Nullement*®  :  car  ce  serait  exercer  l'action  publique  et 
usurper  des  fonctions  qui  ne  lui  appartiennent  pas".  Ce  qui 

*°  Sic,  Fauslin  Hëlie,  t.  6,  ii°  2648;  HolTman,  Questions  préjudicielles^ 
t.  2,  n»  070. 

*'  11  a  été  spécial(?ment  jugé  que  le  prévenu  de  vente  ou  de  mise  en  vente 


DE    l'intervention    VOLONTAIRE    OU    FORCÉE.  311 

importe,  c'est  de  donner  au  prcvena  toute  liberté  pour  se 
défendre  :  et  il  lui  suffit,  pour  le  faire,  de  démontrer  qu'il 
o'est  pas  personnellement  coupable. 

c)  Enfin,  le  prévenu  pourrait  avoir  Tidée  de  se  faire  indem- 
niser, parun  tiers,  des  condamnations  qui  le  menacent.  L'action 
€Q  garantie  est-elle  possible  et  recevable  devant  les  tribunaux 
répressifs?  Un  premier  obstacle  s'y  oppose  :  c'est  la  compé- 
tence restreinte  et  exceptionnelle  de  ces  tribunaux.  Institués 
pour  juger  le  procès  pénal,  ils  ne  peuvent  connaître,  acces- 
soirement à  ce  procès,  que  de  l'action  en  dommages-intérêts 
résultant  de   l'infraction  et  ayant  sa   cause  juridique  dans 
l'infraction.  Admettrait-on,  au  profit  du  prévenu,  un  recours 
«n  {i^arantie,  que  ce  recours  devrait  s'exercer  devant  les  tribu- 
naux ordinaires  et  non  devant  les  tribunaux  de  répression  *'. 
3fais,  au  fond,  la  prétention  du  prévenu  de  s'exonérer,  par 
un  recours  en  garantie,  des  suites  de  l'infraction  dont  il  est 
coupable,  serait  contraire  à  l'ordre  public.  En  matière  pénale, 
la  garantie  n'est  pas  due  et,  eut-elle  été  promise,  que  la  con- 
vention intervenue  entre  les  parties  serait  entachée  de  nul- 
lité comme  contraire  à  Tordre  public*'.  «  En  crimes,  il  n'y  a 

«Tuno  substance  ou  boisson  t'îilsifiée  ou  nuisible  à  Irisante  ne  pourrait  mettre 
fn  o:iiise  les  personn«*s  dont  il  prétendrait  tenir  cette  substance  ou  cette 
b-.»issun.  Cass.,  D  di?c.  iSi3  (1).  A.,  v«>  Procédure  criminvlle ,  n°  \\\\)  ;  24  f«*vr. 
IS5S-  (D,  5i-  1.  103).  Jugé  de  même,  en  matière  de  contributions  indirectes, 
qu'ï  le  pre'venu  ne  peut  appdt;r  «mi  ^raranlie,  devant  la  juridiction  répressive, 
celui  auquel  il  fait  remonter  la  responsabilih*  du  fait  reproch»*  :  Lyon, 
l*août  188i{D.  80.  1.  79).  Jugt^  encore  en  matière  de  simple  police,  qu'un 
{•roprie^ taire,  poursuivi  pour  avoir  laissé  sans  nécessité,  pendant  plusieurs 
j'.iurs,  sur  une  place,  des  malériaux  et  objets  provenant  d'une  ilémnlition  et 
embarrassant  la  voie  publique,  nVsl  pas  ïo\n\v  à  appeler  en  ^'arantie,  tlcvant 
le  tribunal  de  police,  le  maire  et  l'buissier  aux(juels  il  impute  d'avoir  lait  pro- 
o"^der  à  tort,  suivant  lui,  et  malgré  son  oppositiun,  à  l'exécutinn  d(;s  déci- 
sions de  justice  ayant  ordonné  la  démolilion  :  Cass.,  l''''juill.  iSST  [HulL 
crim.^  n»  249). 

»-  Lyon,  14  aoiU  188j  (D.  S6.  2.  79). 

"  Sur  le  principe  et  ses  applications  :  Cass.,  l*'  juin  1874  (S.  74.  1. 190); 
±2  déc.  1880  (S.  81.  1.  210);  20  févr.  18S2  (S.  82.  i.  312);  Paris,  27  déc. 
1883  (D.  85.  2.  222).  Cass.,  20  nov.  1880  (motifs)  (D.  87.  1.  9].  Voy.  égale- 
ment :  Cass.,  9  déc.  18i3  (S.  44. 1 .  324).  Il  est  décidé,  dans  ce  dernier  arrêt. 


I 


312      PROCEDURE   PÉNAJJS.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

pas  de  garants»,  même  au  point  de  vue  des  dommages-intérêts. 

141.  L'une  des  parties  en  cause  dans  le  procès  pénal,  lors- 
qu'elle est  régulièrement  dans  Tinstance,  pourrait-elle  se 
retourner  contre  d'autres  parties,  pour  conclure,  soit  à  l'appli- 
cation d'une  peine,  soit  à  une  indemnité? 

La  question  se  pose,  aussi  bien  dans  les  rapports  du  pré- 
venu et  de  la  partie  civile,  que  dans  les  rapports  des  per- 
sonnes civilement  responsables  et  du  prévenu. 

a)  Le  prévenu  acquitté  peut  être  tenté  de  se  retourner 
contre  le  ministère  public  ou  la  partie  civile  et  de  conclure 
reconventionnellement  à  des  dommages-intérêts  pour  le  pré- 
judice que  lui  a  causé  une  poursuite  téméraire  :  nous  savons 
que  son  action  serait  irrecevable  à  l'cncontre  du  ministère 
public  qui  ne  peut  être  atteint  que  par  la  voie  de  la  prise  à 
partie;  tandis  que,  au  contraire,  le  tribunal  de  répression  est 
investi,  comme  corollaire  de  sa  compétence  pénale,  du  droit 
de  statuer  sur  les  dommages-intérêts  réclamés  par  le  pré- 
venu à  rencontre  de  la  partie  civile  (C.  instr.  cr.,  art.  358)'*. 
Cette  demande  reconventionnelle  formée  parle  prévenu  contre 
la  partie  civile  est  un  desmoyens  les  plus  efficaces  de  refréner 
les  abus  de  la  citation  directe.  Le  plaignant  s*expose,  en  etTet^ 
si  sa  poursuite  est  engagée  d'une  façon  imprudente  ou  témé- 
raire, à  une  action  récursoire  :  il  s'expose  même,  à  la  sanction 
pénale  de  la  dénonciation  calomnieuse,  s'il  est  de  mauvaise  foi. 

qu'un  trihunal  de  police,  saisi  d'une  poursuite  contre  des  Ijoulanf^^ers,  pré- 
venus d'avoir  mis  en  vente  du  pain  confectionné  avec  des  farines  gùt^'cs, 
ne  peut,  en  prononçant  la  peine  encourue,  statuer  sur  Taction  en  garantie, 
forme'e  par  les  boulangers  contre  les  meuniers  de  qui  ils  avaient  achet»'  ces 
farines. 

**  L'individu  relaxé  peut,  en  elTet,  aussi  bien  devant  le  tribunal  de  police 
correctionnelle  que  devant  la  cour  d'assises,  l'aire  condamner,  apr^s  son  ac- 
quittement, la  partie  civile  a  des  dommages-intérêts.  Cela  résulte  textuelle- 
ment de  l'article  212  du  Code  d'instruction  criminelle  qui  porte  :  «  si  le  juge- 
ment (du  tribunal  correctionnel)  est  réformé  parce  que  le  fait  n'est  réputé 
délit,  ni  contravention  de  police  par  aucune  loi,  la  cour  renverra  le  prévenu 
et  statuera,  s'il  y  a  lieu,  sur  ses  dommage  s- in  té  rets  ».  V.  Cass.,  27  mai  1840 
{Bull.  cnm.,.n'»  1S;1).  Sic,  Mangin,  Inati'.  crim.^  t.  2,  p.  419;  Faustin  Hélie^ 
op.  cit,f  t.  G,  p.  406. 


DE   l'intervention   VOLONTAIRE  OU   FORCÉE.  313 

La  personne  citée  devant  une  juridiction  de  répression 
ie  civilement  responsable  peut-elle  se  retourner  contre 
ivenu  ou  l'accusé  et  demander  au  tribunal  ou  à  la  cour 
ituer,  par  un  seul  et  même  jugement  ou  arrêt,  tant  sur 
>n  qu*on  exerce  contre  elle  que  sur  le  recours  qu'elle 
a  exercer  contre  le  prévenu  si  elle  est  obligée  de  payer 
lui?  Évidemment  non.  L'action  qu*elle  intente  dans 
lypothèse  n'est  pas  Vaction  civile^  c'est  un  recours  en 
lie.  Son  principe  n'est  pas  le  délit,  mais  l'obligation  de 
;r  le  dommage  causé  par  Tauteur  du  délit.  La  personne 
nent  responsable  est  défenderesse  à  faction  civile  et  non 
ideresse.  Or,  la  compétence  des  juridictions  de  répres- 
en  ce  qui  concerne  les  actions  privées,  est  de  droit 
(C.  inslr.  cr.,  art.  3). 

Vest  d'abord  par  ce  même  motif,  tiré  des  règles  de  la 
Hence,  qu'on  devrait  écarter  comme  irrecevable  Taction 
'S  individus,  compris  dans  une  poursuite  collective  (coups 
îssures  commis  dans  une  rixe,  par  exemple),  préten- 
it  intenter  les  uns  contre  les  autres.  Mais  nous  l'écar- 
s  également  au  fond  par  la  raison  que  Tobligalion  de 
lie,  entre  les  auteurs  ou  complices  d'infractions,  est  radi- 
ent nulle  comme  ayant  pour  cause  une  association  ou 
^opération  contraire  à  l'ordre  public**. 

2.  L'irrecevabilité  de  Tinlervenlion  en  matière  pénale 
:  Taction,  devant  les  tribunaux  répressifs,  des  associa- 
constituées  dans  le  but  de  poursuivre  certains  délits. 

associations  Wi*.  peuvent  se  réclamer  que  d'un  inté- 
oral  dont  le  ministère  public  est  le  seul  gardien  :  elles 
ionc  sans  qualité,  soit  pour  exercer,  en  leur  nom,  Taclion 
que,  soit  pour  intervenir,  à  titre  de  partie  civile,  dans 
jrsuite  engagée  [»ar  le  ministère  public**.  On  ne  sau- 

c,  Colmar,  22  avr.  i8i(»  (D.  47-  2.  i70).  V.  cepeiulant  en  sens  coii- 
Cîiss.,  3  cIl'c.  18:i0  [J.  (///  /'.,  38.  i.  37);  Tuulouse,   11  nov.   1K02 
2.  19). 

'Ue  s(»lution,  quelque  n'^rretlabU-  (|uVll«^  soit,  nous  parait  certaine, 
le  croyons  pas  qu'uinî  t-volutlun  do  la  jurisprudence  puisse,   à  cet 


314      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVII 

rait  trop  le  répéter,  en  effet,  dans  tous  les  cas  où  le  droit  ra( 
deroe  admet  les  particuliers  à  exercer  une  influence  suri  ^^ 
marche  de  faction  publique,  en  les  autorisant,  par  exemples  ^ 
à  intervenir  dans  le  procès  pénal,  c'est  à  une  condition,  tou- 
jours la  même,  qu'il  y  ail  un  préjudice  personnellement  sut>î 
et  que  l'intérêt  à  obtenir  la  réparation  de  ce  préjudice  soîl 
comme  la  raison  d'être  de  cette  intervention.  La  partie  lésé «3 
ne  participe  à  l'exercice  de  Taclion  publique  qu'incidemmen  t 
à  l'exercice  de  son  action  privée.  Mais  si  Ton  admet  la  parti- 
cipation d'un  tiers,  qui  n'a  nul  intérêt  à  obtenir  réparation , 
au  droit  de  poursuivre  la  répression,  ce  tiers  ne  se  borne  pas 
à  mettre  l'action  publique  en  mouvement  ou  à  intervenir  au 
procès,  il  exerce  lui-même  l'action,  il  agit  en  vue  d'une  peine, 
il  tient  purement  et  simplement  la  place  du  ministère  public- 
C'est  la  conception  de  l'accusation  populaire.  Elle  a  ses  avaa^ 
tages;  mais  ce  n'est  pas  la  nôtre. 

11  ne  faut  pas,  du  reste,  exagérer  cette  règle,  au  point  d'ei- 
clure  l'intervention  des  syndicats  professionnels^  toutes  les 
fois,  du  moins,  qu'ils  peuvent  figurer,  comme  parties  civileSyà^ 
raison  du  préjudice  causé  aux  intérêts  généraux  et  collectif 
qu'ils  représentent^'.  La  loi  du  13  mars  1884  donne  aux  svn-- 
dicats  professionnels  le  droit  d'ester  en  justice  pour  la  con- 
servation de  leur  patrimoine,  ou  la  défense  des  intérêts  collec- 
tifs dont  ils  ont  la  garde  (art.  6)  **. 

éganl,  moHifier  la  situation.  La  question  a  été  posée  à  l'Académie  dt*s 
sciences  morales  et  politiques  (Séance  du  14  nov.  1891),  dans  la  discussion 
qui  a  suivi  la  lecture  d'un  mémoire  de  M.  Frédéric  Pussy,  sur  la  quostioD 
<le  la  pornogniphie  (Compte  veniin  de  IWcadêmie^  1892,  t.  1,  p.  207  et  216). 
V'oyez  éj^^alement  :  F.  Nourrisson,  De  la  participation  des  particuliers  à  la 
poursuite  des  crintes  et  délits^  p.  2K0;  H.  .loly»  Les  associations  et  rÉtat 
dans  la  lutte  contre  le  crime  (Hev,  polit,  et  parlem.,  189j);  Hei\  pénit.^ 
1S94,  p.  565;  1890,  p.  112,  ;)20,  650,  689,  830;  1897,  p.  1076  et  1179; 
1898,  p.  405,  559  et  709,  et  suprà,  n°  120,  p.  266. 

'■^  Jurisprudence  constante  :  Cass.,  7  nov.  1889  en  ce  qui  concerne  les 
syndicats  de  pharmaciens  (S.  91.  1.  556);  8  janv.  1891  (S.  91.  1.  559); 
5  janv.  1894  (S.  95.1.382).  Voy.  cependant  Planiol,  note  sous  D.  95.  2. 
553  et  98.  2.  129.  Comp.  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  no  120,  p.  263. 

*"  Voy.  Pic,  Traite  èlèmenlcnre  de  législation  industrielle^  2*  éd.,  p.  281, 
n«  425. 


TITRE  II 

DE  L'EXERCICE  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 


CHAPITRE  PREMIER 


DE   L  EXERCICE     DE    L  ACTION    PUBLIQUE. 


§  XXIV.  -  DE  L'INDÉPENDANCE  DU  MINISTÈRE  PUBLIC  EN  CE  QUI 
CONCERNE  LEXERGIGE  DE  L'ACTION  PUBLIQUE. 

143.  L'indépendance  du  ministère  public  est  complète  en  ce  qui  concerne  les  con- 
clusions; elle  ne  Test  pas  en  ce  qui  concerne  Texercice  de  l'action  publique.  — 
144.  Observation  sur  l'importance  des  questions  à  examiner. 


.143.  L'exercice  de  ractiou  publique  est  confié,  dans  sa 
plénitude,  au  ministère  public  (C.  instr.  cr.,  art.  1").  Investi 
de  cette  fonction  par  délégation  de  la  loi,  le  ministère  public 
a  d*abord  la  faculté  A^agir  ou  de  ne  pas  agir^  suivant  les  in- 
spirations de  sa  conscience;  il  a,  de  plus,  le  droit  de  prendre, 
dans  toutes  les  affaires  qu'il  dirige,  les  cojiclusions  que  lui 
dicte  sa  conviction.  Sous  ce  dernier  rapport,  son  indépen- 
dance est  complète  :  il  est  maître,  en  effet,  après  avoir  pour- 
suivi, pour  obéir  aux  ordres  de  ses  chefs,  de  signaler  Tin- 
juslice  ou  le  mal  fondé  de  la  poursuite  et  de  demander 
l'acquittement.  Mais  son  indépendance  existe-t-elle  sous  le 
premier  rapport?  Le  pouvoir  d'agir  ou  de  ne  pas  agir,  c'est-à- 


316      PROCÉDURE   PÉNALE.  — DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

dire  de  poursuivre  ou  de  ne  pas  poursuivre,  serait  daugereui, 
s'il  était  absolu.  A  la  rigueur,  les  particuliers  auraient  une 
garantie  dans  la  sagesse  et  Timpartialité  du  tribunal  de  ré- 
pression, contre  la  témérité  des  poursuites;  mais  ils  n'en 
auraient  aucune  contre  Vinaction  volontaire  du  ministère  pu- 
blic, si  cette  inaction  oe  pouvait  être  vaincue  par  aucun 
moyen.  Aussi  la  loi  circonscrit,  dans -certaines  limites,  Tindé- 
pendance  soit  du  ministère  public,  soit  de  Faction  publique  ^ 
Tantôt,  le  ministère  public  est  obligé  d'agir  sous  une  im- 
pulsion étrangère;  tantôt  l'exercice  de  l'action  publique  est 
subordonné  à  certaines  conditions.    ^ 

144.  L'examen  de  cette  situation  complexe  permet  d'ap- 
précier quelles  garanties  la  loi  française  assure  aux  particu- 
liers comme  à  la  société  contre  les  abus  de  Tinstitution  du 
ministère  public.  Des  conditions  mises  à  son  action,  des 
moyens  de  vaincre  son  inaction,  dépend,  en  effet,  la  bonne 
ou  la  mauvaise  organisation  de  l'accusation  publique. 


§  ZZV.  -  DES  CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  N'A  PAS  LA  FACULTÉ 
DE  S  ABSTENIR  D'EXERCER  L'ACTION  PUBLIQUE. 

445.  Surveillance  judiciaire.  Surveillance  administrative.  Surveillance  privée.  — 
146.  Kapports  établis  entre  les  fonctions  d'accuser  et  les  fonctions  de  juger.  In- 
compatibilité et  indépendance  dt's  fonctions.  —  147.  Par  exception,  les  tribunaux 
ont  un  certain  pouvoir  de  surveillance  t-t  do  direction  soit  sur  les  personnes,  soit 
sur  les  fonctions  du  ministère  public.  L'article  11  de  la  loi  du  28  avril  1810.  L'iir- 
ticle  235  du  Code  d'instruction  criminelle.  iMoit  d'injonction  de  la  cour.  Droits  de 
juridiction  et  d'évocation  de  la  chambre  des  mises  eu  accusation.  —  148.  Droits 
que  donnent  à  la  cour  dnppel  les  articles  361  et  369.  —  149.  De  la  surveiflance 
administrative  du  ministère  public.  Procureur  général  près  la  Cour  de  cassation. 
Garde  des  sceaux.  Supérieurs  hiérarchiques.  —  150.  De  quelle  fa(;on  et  jusqu'à 
quel  point  la  partie  lésée  participe-t-elle  au  droit  d'accusation?  Division.  —  151. 
Mise  en  mouvement  et  initiative.  Cas  où  une  |)Iainte  est  nécessaire  pour  que  le  mi- 
nistère public  puisse  agir.  Citation  directe.  Constitution  de  partie  civile  devant  le 
juge  d'instruction.  —  152.  Participation  des  parties  lésées  dans  l'exercice  et  la 
direction  de  l'accusation.  —  153.  Voies  de  n-cours. 

145.  Le  ministère  public  est  obligé  d'agir,  quand  il  en  re- 
çoit Tordre  de  la  cour  d'appel^  ou  de  ses  supérieurs  hiérarchie 

S  XXIV.*  V.  Faustiii  Hclie,  op.  cit.,  t.  2,  n°  567. 


CAS  OU  LB  MINISTÈRE  PUBLIC  N*A  PAS  FACULTÉ  DE  S* ABSTENIR.  317 

qties,  ou  lorsque  l'action  publique  est  mise  en  mouvement 
par  les  parties  lésées^  de  sorte  qu'au  point  de  \ue  de  Texer- 
cice  de  Taction  publique,  le  ministère  public  est  soumis  à  une 
surveillance  judiciaire,  qui  est  exercée  parles  cours  d'appel; 
i  une  surveillance  administrative,  qui  est  exercée  parle  mi- 
nistre de  la  justice,  le  procureur  général  près  la  Cour  de  cas- 
sation, et  les  supérieurs  hiérarchiques;  à  une  surveillance 
privée,  qui  est  exercée  par  les  parties  lésées.  Il  y  a  là  une 
heureuse  combinaison  qui  fait  participer,  à  l'exercice  de  l'ac- 
tion publique,  tous  ceux  qui  sont  intéressés  à  ce  que  le  délit 
ne  reste  pas  impuni.  Mais,  en  réalité,  des  trois  espèces  de 
contrôle  exercé  sur  la  fonction  d'accuser  ou  sur  l'accusateur, 
il  y  en  a  deux  qui  sont  bien  organisés,  le  contrôle  hiérarchique 
el  le  contrôle  privé,  le  troisième  est  une  6ction  qui  subsiste 
honoris  causa  dans  notre  législation  criminelle. 

146.  Les  magistrats  chargés  d'exercer  l'action  publique, 
quoique  faisant  partie,  à  titre  d'élément  indispensable,  de  la 
juridiction  à  laquelle  ils  sont  attachés,  ne  dépendent,  en  au- 
cune manière,  de  cette  juridiction.  Leur  place  n'est  ni  au- 
dessus  ni  au-dessous  des  juges  :  ce  sont  des  fonctionnaires, 
désignés  pour  remplir,  auprès  du  tribunal,  un  office  spécial. 
Il  en  résulte  que  les  fonctions  d'action  et  les  fonctions  de 
jugement  s'exercent  dans  des  sphères  distinctes.  Ce  principe, 
qui  a  pour  corollaire  l'indépendance  respective  des  officiers 
du  ministère  public  et  des  juges,  n'existait,  dans  notre  ancien 
droit,  que  par  rapport  au  mode  d'exercice  des  fonctions  du 
ministère  public,  mais  non  par  rapport  à  l'abstention  de  ces 
mêmes  fonctions.  La  maxime:  Tout  juge  est  procureur  général, 
exprimait  cette  idée  que  si  l'action  publique  n'était  pas  mise 
60  mouvement  par  le  ministère  public,  tout  magistrat  avait  le 
droit  de  lui  donner  l'impulsion  et  de  l'exercer'.  C'était  un 

§  XXV.  '  Jousse  (op,  cit.,  t.  3,  p.  66)  enseigne  :  «  Il  n'est  pas  nécessaire 
«  que  rinformation  soit  prt^cedée  d'une  phiinte  de  la  partie  publique,  et  dès 
«  qu*un  délit  est  notoire  et  qu'il  y  en  a  une  dénonciation  faite  au  juge,  ce 
M  dernier  est  en  droit  d'en  informer  par  lui-môme...  En  effet,  si  les  juges  ne 
w  pouvaient  suppléer  aux  procureurs  du  roi  ou  fiscaux,  ceux-ci  seraient  en- 
c  tièrement  les  maîtres  de  faire  ou  non  des  poursuites  et  de  laisser  les  crimes 


318      PROCÉDURE   PÉNALE. DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

legs  de  Tancien  système  de  la  poursuite  fCoffice^  que  le  droit 
moderne  aromplclement  répudié.  Aujourd'hui,  les  tribunaux 
ne  peuvent  exercer  eux-mêmes  l'action  publique. 

D'une  part,  en  effet,  ils  sont  obligés,  pour  juger,  d'at- 
tendre d*ètre  saisis  par  une  personne  ayant  qualité  :  d'autre 
part,  c*est  le  ministère  public  seul  qui  est,  en  principe  Jovesti 
du  droit  général  de  mettre  en  mouvement  l'appareil  judiciaire 
en  ce  qui  concerne  la  recherche  et  la  poursuite  des  malfai- 
teurs (C.  instr.  cr.,  art.  1).  iSotre  organisation  judiciaire 
pénale  est,  en  effet,  dominée  par  deux  conceptions  :  celle  qui 
se  formule  dans  le  vieil  adage  germanique  :  «  pas  d'accusa- 
teur, pas  de  juge  »  et  par  suite  de  laquelle  les  tribunaux  ré- 
pressifs ne  sont  appelés  à  statuer  que  sur  les  faits  délictueux 
qui  leur  sont  expressément  déférés;  et  celle  qui  réserve  aux 
représentants  du  ministère  public  la  fonction  d'accuser,  c'est- 
à-dire  de  saisir  les  tribunaux  de  répression  des  faits  délictueux. 

147.  Cette  séparation  du  droit  de  poursuivre  et  du  droit  de 
juger  a,  comme  conséquences  indirectes,  V incompati bili ti  ^^ 
Vindépetidance  des  fonctions. 

l'î  Les  mêmes  personnes  ne  peuvent  être  investies  du  droit 
de  poursuivre  et  du  droit  déjuger  dans  la  même  affaire,  car 
on  ne  saurait  être  à  la  îois  juge  ei  partie  dans  un  procès.  Celte 
incompatibilité  de  fonctions*  a  deux  corollaires,  dont  le  pre- 

.'  impunis  ».  St^rpillon  (Code  criminel^  l.  1,  p.  il 4)  déclare  que  :  a  les  pro* 
«  cureurs  du  roi  uu  les  ju^^es,  sous  leurs  noms,  doivent  faire  la  poursuite dee 
«(  crimes  qui  m»'*ritent  peine  aniictive  ou  inlamante  ».  (Juclquefois  méme,le? 
juges  prenaient,  séiini^o  tenante,  des  conclusions  pour  le  ministère  public 
Voy.  Rousseau  de  la  Combe,  op,  cit.,  3«*  partie,  chap.  XXV,  n'  24,  p.  851» 
CVst  en  faisant  Tapplication  «le  la  règle  :  tout  juge  est  procureur  gi^néral,  que 
la  jurisprudence  avait  admis  que  les  juges  d'appel,  pouvaient  aggraver  la 
peifie,  quoique  le  ministère  public  n'eût  point  appelé  à  minima.  Voy,,  du 
reste,  sur  tous  ces  |»oinls  :  Faust  in  Ib'lie,  op.  c<7.,  t.  1,  n«»  430  à  432;  t.  2, 

*■*  Klait  déjà  admise  dans  l'ancien  droit  (Arrêts  du  Parlement  de  Paris, 
\'A  mars  i;i32,  D  juill.  153S,  2U  avr.  lliiO  cit^s  par  Brillon,  Dictionn.  des 
arrrts,  t.  1,  p.  ;n7).  L'ord.  de  1670  (lit.  XXIV,  art.  2)  avait  consacr*^  cette 
règle.  Bien  qu'elle  ne  soil  pas  formellement  consacrée  dans  notre  droit,  elle 
est  généralement  admise. 


CAS  ou  LE  MINISTERE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTÉ  DE  S' ABSTENIR.  319 

mier  seul  parait  être  admis  par  la  jurisprudence.  Les  fonctions 
du  minislère  public  étant' incompatibles  avec  celles  de  ju^^e, 
un  magistral,  qui  a  rempli  les  fonctions  de  ministère  public, 
ne  peut  siéger  comme  juge  dans  une  môme  affaire'.  Il  résulte, 
au  contraire,  d'un  certain  nombre  d'arrêts*,  que,  dans  Thy- 
pothèse  inverse,  un  magistrat,  ayant  siégé  comme  juge  dans 
une  affaire,  peut  remplir,  dans  cette  même  affaire,  les  fonctions 
dunfiinistère  public,alors  d'ailleurs  qu'il  y  aélé  régulièrement 
délégué.  Mais  cette  jurisprudence  contradictoire  méconnaît, 
dans  une  de  ses  applications,  la  règle  d'après  laquelle  les  fonc- 
tions du  ministère  public  sont,  par  leur  nature  même,  incom- 
patibles avec  celles  de  juge.  11  n'est  donc  pas  besoin  d'un 
texte  spécial  et  formel,  édiclant  l'incompatibilité*,  qui  résulte 
suffisamment  des  textes  généraux  renfermant  les  fonctions 
du  ministère  public  dans  le  cercle  de  l'exercice  de  Faction 
publique  (C.  instr.  cr.,  art.  22  et  26;  article  unique  de  la  loi 
du  24  vend,  an  111). 
2'  Les  magistrats  du  parquet  sont  indépendants,  vis-à-vis  des 

M-oy.  Cas?.,  20  nov.  i«r,4  (S.  04.  1.431);  Ifi  d.T.  187!>  (D.  77.  1.  413). 
^^est  ainsi  qu'un  mafristrat  (|ui  a  requis,  commo  officier  du  minislôn»  public, 
'■1  mise  en  accusaliuii  de  Taccusé,  n<*  peut  cuncourir  au  ju^^oment  on  cour 
ùWises  :  Cass.,  3  murs  lHo9  (S.  00.  1.  191). 

*  V.  notammenl  :  Cass.,  12  niv.  an  XII  {P,  chr.);  30  juill.  1847  (S.  47.  1. 
^•>3);  IS  juill.  18H9  (S.  80.  1.  400).  Dans  ce  derni.^r  arrêt,  la  Cour  de  cassa- 
lion,  annulant  un  arrêt  de  la  cour  d'Anp^ers,  ad<^claré  valable  un  appel  cor- 
rtclionnel  interjeté  par  un  des  juges  ayant  pris  part  au  jujjement  de  Taltaire. 
Voy.  Hennés,  7  aoiU  1878  (S.  70. 1.  111)  et  les  conclusions  de  M.  Baudoin. 
t'e  mènn',  il  a  été  décidé  qu'un  maj^nstrat  qui  a  jugé  une  allaire  en  première 
inslunce  en  (fualité  de  président  du  tribunal  correctionnel,  peut  occuper,  en 
3ppel,  dans  la  même  alTaire,  le  si^ge  du  ministère  pidilic  :  (^ass.,  22  oct.  1897 
(S.  99.  1.  109). 

'  La  jurisprudenc»?  allègue,  il  est  vrai,  l'aiisence  de  textes  :  d'une  part, 
^'article  381  du  Code  de  procédure,  disjMjse  que  les  causes  de  récusation, 
relativement  aux  juges,  sont  inapplicables  au  minislère  public  qui  est  par- 
IJe  principale,  et,  d'autre  part,  l'article  2r)7  du  Coile  d'inslruclion  criminelle, 
dictant  une  incompatibilité  spéciale,  ne  saurait  fournir  ici  un  i)rincipe 
d'exclusion  qui  n'est  pas  prévu  par  cet  article.  Mais  le  silence  de  la  loi  sur 
>tte  application  spéciale  de  l'incompatibilité  des  fonctions  d'action  et  de 
ugement  ne  suffit  pas  pour  l'exclure.  L'ancien  droit  n'bésitait  pas  sur  ce 
oint  :  Jousse,  Justice  civile ^  t.  1,  p.  072. 


: 


320      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIYILIU 

juges,  comme  ceux-ci  le  sont  vis-à-vis  des  membres  du  par- 
quel*.  Celle  règle  a  des  corollaires  nombreux. 

Les  tribunaux  ne  pourraient  critiquer,  sans  commettre  un 
excès  de  pouvoir,  Tusage  que  le  parquet  ferait  de  ces  droits. 
C'est  ainsi  qu*il  leur  est  interdit  d'enjoindre  au  ministère  pu- 
blic de  poursuivre  les  individus  contre  lesquels  il  n'avait  pas 
cru  devoir  procéder^;  que  les  tribunaux  sont  sans  qualité,  en 
cas  d'inertie  ou  même  en  cas  de  refus  du  ministère  public, 
de  commettre  un  de  leurs  membres,  soit  pour  poursuivre,  soit 
pour  conclure;  qu^ils  ne  peuvent  entraver  l'exercice  de  l'ac- 
tion publique,  en  refusant  d'instruire  ou  de  statuer  sur  les 
réquisitions  du  ministère  public,  en  ordonnant  un  sursis  sur 
une  poursuite  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  procédé  à  une  informa- 
tion sur  une  inculpation  autre  que  celle  dont  ils  sont  saisis; 
qu'ils  ne  peuvent  formuler,  par  jugement,  ni  censure,  ni  ré- 
primande, ni  blâme  contre  les  membres  du  ministère  public', 
ni  le  condamner  aux  frais'. 

Mais,  d'un  autre  côté,  si  les  tribunaux  sont  tenus  de  se  pro- 
noncer sur  les  réquisitions  du  ministère  public,  ils  peuvent 


*  Cette  indépendance  était  expressément  reconnue  dans  l'ancienne  juris- 
prudence, mais  son  application  amenait  parfois  des  conflits  entre  les  parle- 
ments et  les  gens  du  roi.  Une  ordonnance  de  1774  (Isambert,  Ord,  de»  roi^ 
de  France,  t.  23,  p.  51)  prescrivit  de  porter  ces  difficultés  aux  chambres  as- 
semblées, et,  si  le  désaccord  persistait,  d'envoyer  au  garde  des  sceaux  un 
mémoire  sur  lequel  le  roi  situerait  en  conseil. 

7  Comp.  Cass.,  20  déc.  1845  (D.  46. 1.  80);  7  mars  1857  (D.  57.  1.  181); 
14déc.  1867(0.69.  1.488);  4  juin  1892(0.93.1.  511). 

'  Oe  nombreux  arrêts  ont  été  rendus  sur  ce  point.  Nous  en  citerons  queW 
ques-uns  :  Cass.,  14  févr.  1845  (0.  46.  4.  349)  ;  13  nov.  1847  (0.  47.4.310); 

12  févr.  1848  (0.  48.  5.  263);  16  déc.  1859(0.  59.  5.  259);  24  juin  1864  (D. 
65.  5.  307);  17  févr.  1865  (0.  65.  1.  320);  19  avr.  1869  (0.  70.  1.  96); 
19  mars  1883  (S.  84.  1.  383);  13  janv.  1881  (S.  81.  1.  234).  Comp.  Fauslin 
Hélie,  op.  ciï.,  t.  2,  n»  571. 

•  On  pourrait  citer  des  pages  entières  d'arrêts  de  cassation  sur  ce  poinL 
Ces  arrêts  ont  presque  tous  été  rendus  à  propos  de  jugements  de  police.  On 
trouvera  surprenant  que  la  Cour  suprême  ait  dû  rappeler  si  souvent,  aux  tri- 
bunaux, que  le  ministère  public,  devant  aucune  juridiction,  ne  pouvait  être 
passible  des  frais  occasionnés  par  les  poursuites  qu'il  exerce.  Voy.  Cass., 

13  mars  1896  (0.  97.  207);  23  juill.  1897  (0.  99.  1.  57). 


\ 


CiS  on  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTÉ  DE  S*ABSTENIR.    321 

les  apprécier,  dans  la  pleine  liberté  de  leur  indépendance  : 
ils  ont  le  droit  de  les  admettre  ou  de  les  rejeter,  d'ordonner 
oa  de  ne  pas  ordonner  telle  mesure  d'instruction,  de  dimi- 
nuer ou  même  d*augmenter  la  peine  requise. 

Les  offîciers  du  ministère  public  doivent,  pour  respecter 
l'indépendance  des  tribunaux,  s'abstenir  d'assister  aux  déli- 
bérations qui  précèdent  les  jugements  :  ils  assistent  seule- 
ment à  celles  qui  regardent  Tordre  et  le  service  intérieur,  el 
ont  le  droit  de  faire  transcrire,  sur  les  registres,  toutes  les  ré- 
quisitions qu'ils  prennent  en  cette  matière  (D.  30  mars  1808, 
art.  88);  ils  ont  même  voix  délibérative,  dans  les  cours  et  tri- 
bunaux assemblés,  pour  donner  les  avis  qui  leur  sont  deman-: 
dés  par  le  gouvernement  sur  tin  projet  de  loi  ou  sur  quelque 
autre  objet  d'intérêt  public  (Ord.  18  avr.  1841,  art.  2).  D'ail- 
leurs, Tarticle  88  du  décret  du  30  mars  1808  n'ayant  pas  été 
reproduit  par  les  règlements  de  la  Cour  de  cassation,  les 
membres  de  son  parquet  peuvent  assistera  ses  délibérations^^. 

148.  La  ligne  de  démarcation  entre  les  deux  organismes 
elles  deux  fonctions  est  certainement  absolue.  Néanmoins, 
dans  un  intérêt  supérieur,  la  loi  a  voulu  donner  aux  tribu- 
naux un  certain  pouvoir  de  surveillance  et  de  direction,  soil 
sur  les  personnes,  soit  sur  les  fonctions. 

L'article  60  de  la  loi  du  20  avril  1810  n'attribue  qu'au  pro- 
cureur général  et  au  minisire  de  la  justice  le  droit  de  rappeler 
ileur  devoir  les  officiers  du  ministère  public  dont  la  con- 
duite est  répréhensiblc.  Mais  rarticleOl  ajoute  :  «  Les  cours 
*' d'appel  ou  d'assises  sont  tenues  d'instruire  le  grand  juge» 
«  ministre  de  la  justice,  toutes  les  fois  que  les  officiers  du  mi- 
«nistère  public,  exerçant  leurs  fonctions  près  de  ces  cours, 
«s'écartent  du  devoir  de  leur  état,  et  qu'ils  en  compromettent 
«  l'honneur,  la  délicatesse  et  la  dignité.   Les  tribunaux  de 
«  première  instance  instruisent  le  jjremier  président  et  le  pro- 
ie cureur  général  de  la  cour  d*appel  des  reproches  qu'ils  se 
(  croient  en  droit  de  faire  aux  officiers  du  ministère  public, 

*o  Sur  tous  ces  points  :  G-  Le  Fuittevin,  Dktionnmre'formnlairc  des  par- 
ue ts  (3«  éd.),  y^  Ministère  public,  n°  30. 

G.  P.  P.  —  I.  21 


322       PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILS. 

«  exerçant  dans  Télenduo  de  rarrondissement,  soit  auprès  de 
«  ces  tribunaux,  soit  auprès  des  tribunaux  de  police».  Ainsi, 
les  juges  ne  peuvent  pas  directement^  à  quelque  degré  qu'ils 
soient  placés**,  infliger  un  blâme  aux  officiers  du  ministère 
public;  mais  ils  ont  le  droit  de  transmettre  une  dénonciation, 
un  rapport,  un  procès-verbal  à  l'autorité  supérieure  :  les  cours 
d'appel  et  les  cours  d'assises,  au  ministre  de  la  justice;  les 
tribunaux  de  première  instance,  au  premier  président  et  au 
procureur  général  ;  les  tribunaux  de  police,  aux  tribunaux  de 
première  instance,  qui  sont  leurs  intermédiaires  avec  le  pro-    j 
cureur  général. 

Mais  le  Code  de  1808,  tout  en  faisant  du  ministère  public 
l'instrument  indispensable  de  la  poursuite,  a  voulu  que  la 
direction  suprême  en  appartînt  aux  cours  d'appel  (C.  instr. 
cr.,  art.  9).  Celte  intervention  des  cours  d'appel,  dans  l'exer- 
cice de  l'action  publique,  se  manifeste  de  deux  manières  bien 
différentes  :  soit  par  voie  d'injonction,  soit  par  voie  (ïévo- 
cation  et  de  juridiction, 

I.  La  loi  du  20  avril  1810  (art.  11)'%  donne,  à  toute  cour 
d'appel,  chambres  réunies,  le  droit  d'entendre  les  dénoncia- 
tions de  crimes  ou  de  délits  qui  lui  seraient  faites  par  un  de 
ses  membres,  d'enjoindre  au  procureur  général  de  poursuivre 
et  de  se  faire  rendre  compte  des  poursuites  commencées  en 
exécution  de  cet  ordjre. 

Cette  attribution  des  cours  d'appel  a  son  origine  historique 
dans  le  système  de  la  poursuite  d'office  du  juge  et  le  droit 
qui  était  reconnu  aux  parlements,  soit  de  se  substituer  auit. 
officiers  du  ministère  public  dans  l'exercice  de  l'action  pu- 

**  Notamment,  il  ne  saurait  appartenir  h  la  Cour  de  cassation,  siégeant 
comme  conseil  supérieur  de  la  magistrature,  de  se  prononcer  sur  les  actes 
d'exercice  de  l'action  publique  reprochés  à  un  magistrat  du  ministère  public  : 
Cass.,  cl),  réun.  (cons.  sup.  de  la  magistrature),  27  avr.  18'J8(S.  99.  1.  385) 
♦•t  la  note  de  M.  Esmein. 

*■-  Art.  11  :«  La  courfl'appel  pourra,  toutes  les  chambres  assemblées,  en- 
«  tendre  les  dénonciations  qui  lui  seraient  faites  par  un  de  ses  membres  de 
«  crim«^s  ou  délits,  elle  pourra  mander  le  procureur  général  pour  lui  enjoindre 
«  de  poursuivre  à  raison  de  ces  laits  et  pour  entendre  le  compte  que  le  pro- 
«  cureur  gé-néral  lui  rendra  des  poursuites  qui  seraient  commencées  ». 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTÉ  DE  s' ABSTENIR.    323 

blique,  soit  de  les  mander  dans  la  chambre  du  conseil  pour 
leur  adresser  des  injonctions *\  C'est  à  Napoléon  qu!est  dû  ce 
retour  à  une  ancienne  tradition.  C'est  lui  qui  insista,  devant 
le  Conseil  d'État,  pour  que  le  droit  de  la  cour  d*appel  fut  in- 
scrit dans  la  loi  organique  de  la  nouvelle  magistrature,  afin, 
disait-il,  de  «  donner  plus  d'intensité  à  la  justice  criminelle  »  **. 
Un  droit  d'impulsion  sur  l'action  publique  fut  ainsi  conféré 
à  la  cour  d'appel,  soit  pour  lui  permettre  de  vaincre  l'inertie 
possible  du  ministère  public,  soit  pour  lui  permettre  d'ap- 
porter au  ministère  public,  dans  les  affaires  graves  et  délicates, 
surtout  dans  les  affaires  politiques,  l'appui  et  l'énergie  qui  lui 
seraient  nécessaires". 

En  quoi  consiste  le  droit  de  la  cour  d'appel  et  comment 
î^'exerce-t-il?  1°  C'est  le  premier  président  qui  convoque,  en 
chambre  du  conseil,  l'assemblée  générale,  sur  la  demande 
du  ou  des  dénonciateurs  *®.  2°  Si  la  cour  est  d'avis  qu'il  y  a 
lieu  d'ordonner  des  poursuites,  (»llc  ne  peut  commettre  un  de 
ses  membres  pour  les  exercer,  mais  simplement  enjoindre^ 
au  procureur  général  de  les  faire  :  l'action  publique  n'est 
donc  pas  mise  en  mouvement  par  la  cour  :  elle  l'est  par  les 
officiers  du  ministère  public,  d'ordre  de  la  cour.  C'est  dire  que 
l'article  11  n'a  pas  de  sanction  effective,  car  la  poursuite,  dé- 
pendant toujours  du  procureur  général,  celui-ci, en  opposant 

''  L'idée  ancienne  «<  que  les  fonctions  du  ministère,  public  résident  dans 
'fs  juges  )ï  est  au  fnnd  de  cette  disposition. 

'*  On  peut  suivre,  dans  Locré  (t.  24,  p.  41S,4i9,  489,  494,  498,  r.06,  518, 
582,  -m  et  596,  67 i),  l'origine  de  Tarticle  11  de  la  loi  du  20  avr.  1810.  Deux 
i(l%  se  trouvent  mêlées  dans  la  discussion  :  crlletle  réunir  la  justice  civile 
*-t  la  justice  criminelle;  celle  de  former,  avec  les  cours  d'appel,  de  grands 
«îorps,  analogues  aux  anciens  parlements,  «  forts  de  leur  nombre,  au-dessus 
des  craintes  et  des  considérations  particulières  ».  Comp.  Louchet,  De  l'au- 
torité dea  cours  ijnpériaks  en  matière  criminelle^  4866. 

'*  A.  Ouillot,  Dc8  principes  du  nouveau  Code  d'instruction  criminellii 
Paris,  4884)  :  «La  vérité,  c'est  qu'en  crmsacrant  ces  droits  (des  rnurs  d'appel), 
(ans  le  Code  de  1808,  l'Empereur,  avec  ce  goût  des  grandes  choses  cpii  in- 
pirait  souvent  ses  conceptions  gouvernementales,  sut  faire  le  sacrilice  de 
es  instincts  de  domination  pour  asseoir  Tordre  judiciaire  sur  des  bases  so- 
ies •. 
»4  D.  C  juin.  1810,  art.  61,  62,  63. 


324       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

la  force  d'inertie,  peut,  s'il  est  appuyé  par  le  ministre  de  la 
justice,  paralyser  le  droit  d'impulsion  de  la  cour.  3*  Celle-ci 
a  le  droit  de  mander,  par  arrêt,  le  procureur  général  pour 
lui  faire  rendre  compte  des  poursuites  commencées  en  exécu- 
tion des  ordres  donnés  et  non  de  toutes  les  instructions  ou- 
vertes en  vertu  de  l'initiative  du  ministère  public*"^. 

La  loi  de  1810  a,  pour  elle,  une  expérience  de  près  d*uo 
siècle,  et,  pendant  ce  temps,  le  seul  reproche  qu'on  ail  pu 
adresser  aux  cours  d'appel,  ce  n'est  pas  d'avoir  abusé  de  leur 
droit  d'impulsion,  c'est  peut-être  de  l'avoir  trop  timidement 
exercé.  La  raison  en  est  d'abord  que  le  ministère  public,  en 
France,  a  eu  rarement  besoin  d'être  poussé  ou  d'être  soutenu 
dans  sa  lutte  contre  le  crime  :  l'institution  de  l'accusation  pu- 
blique a  fonctionné  avec  une  régularité  suffisante  jusqu'ici'* 
pour  rassurer  tous  les  intérêts  et  donner  satisfaction  aux  es- 
prits les  plus  répressifs.  Du  reste,  telle  qu'elle  est  organisée, 
rintervention  des  cours  d'appel  ne  se  produit  pas  par  voie 
d'exercice  de  l'action  publique,  mais  simplement  par  voie  l 
d'impulsion  :  et,  s'il  s'agit  de  garantir  les  citoyens  contre  la    ' 


^''  CVst  co  qu*a  décillé  la  Our  de  cassation  dans  une  des  rares  circonstan- 
ces où  ra|»[>Iication  de  l'article  H  ail  été  tentée.  En  1801,  le  juge  d'instruction 
de  Saverne  avait  renvoyé  en  police  correctionnelle  Edmond  About,à  lasuil*?    i 
d'un  articli^  «lillamatoire  publié  par  VOpinion  nationale  contre  le  maire  d*-'     > 
la  ville;  le  Irilmnal  était  déjà  saisi,  Inrscjuele  plaignant,  cédant  hàe  souv»^     • 
raines  sollicitations  en  faveur  de  Tincnlfié,  consentit  à  se  désister;  les  règle^ 
les  plus  simples  de  la  procédure  exigeaient  néanmoins  que  le  tribunal  st.i'^ 
luàt;  cela  ne  convenait  pas    au  procureur  général,  il  se   rendit  à  Saverne?» 
prit  le  dossier  et  l'emporta.  La  cour,  trouvant  le  procédé  incorrect,  le  li  ^ 
mander  à  sa  barre  |)Our  lui  demander  compte  des  poursuites.  Pourvoi con^ 
Ire  ce!  arrêt,  et  la  Cuur  de  cassation  décida  que  la  cour  avait  commis  ui^ 
t.'xcès  de  pouvoir  en  se  préoccupant  d'une  procédure  qui  n*avait    pas  él^ 
en^Jiagée  sur  son  initiative  :  Cass.,  12  juill.  1801  (S.  61.  1.  905;  D.  61.  1. 

*'  Ji*  dis  u. jusqu'ici  »,  car  il  n'est  pas  tout  à  fait  vrai,  depuis  quelques 
années,  qiitj  le  ministère  public  ronctioniie  au  mieux  désintérêts  sociaux. 
Mi>i^ioii  C(.»nsidérable,  làclie  tJifficile  à  remplir,  et,  par  contre,  pouvoirs  for- 
mldidjK.'S,  tel  est  le  lot  du  ministère  public,  qui  se  trouve,  bien  souvent,  dé- 
bordé ou  impuissant.  L'itilluence  politique  qui  détermine  les  nominations  et 
gène  les  initiatives  est  la  cause  évidente  de  ce  détraquement,  déjà  sensible, 
de  l'aclion  publique. 


i 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTE  DE  s'aBSTENIR.  325 

mainmise  du  pouvoir  sur  raction  publique,  la  magistrature 
sait  bien  qu'elle  perdrait  tout  au  moins  son  autorité  dans  une 
lutte  où  le  ministère  public^  appuyé  parle  garde  des  sceaux, 
aurait  toujours  le  dernier  mot. 

Ce  n^est  pas  en  vue  de  demander  la  suppression  de  Tinsti- 
tutioD  que  nous  faisonscette  remarque  :  Texistenced'un  droit, 
remisa  un  grand  corps  judiciaire,  a  son  utilité^  alors  même 
qu'il  n'est  pas  exercé.  Il  y  a,  en  effet,  dans  la  possibilité  seule 
de  l'intervention  de  la  cour,  une  inûuence  latente,  propre  à 
prévenir  des  abus.  Mais  c'est  pour  fortifier  encore  le  pouvoir 
judiciaire  contre  la  désastreuse  influence  du  pouvoir  politique 
dans  l'administration  de  la  justice.  Deux  mesures  pourraient 
être  prises  dans  ce  but  :  il  faiudrait,  d*abord,  permettre  à  la 
cour  de  déléguer  un  de  ses  membres  pour  exercer  Taction  pu- 
blique, au  cas  d*inertie  du  procureur  général  ;  il  faudrait,  en 
outre,  l'autoriser  à  demander  compte  au  procureur  général 
des  poursuites  commencées  même  sur  l'initiative  du  par- 
quet *». 

II.  I^  seconde  exception  au  principe  d'après  lequel  l'action 
publique  est  indépendante  des  tribunaux,  résulte  de  Tarti- 
cle  235  du  Code  d'instruction  criminelle,  qui  porte  :  «  Dans 
<' toutes  les  affaires,  les  cours  d'appel,  tant  qu'elles  n'auront 
"  pas  décidé  s'il  y  a  lieu  de  prononcer  la  mise  en  accusation, 
"pourront  d'office,  soit  qu'il  y  ait  ou  non  une  instruction 
«  commencée  par  les  premiers  juges,  ordonner  des  poursuites, 
"  se  faire  apporter  les  pièces,  informer  ou  faire  informer,  et 
«statuer  ensuite  ce  qu'il  appartiendra.  » 

Cette  disposition  ne  fait  pas  double  emploi  avec  l'article  11 
delà  loi  de  1810^°.  H  existe,  en  effet,  entre  ces  attributions 
des  cours  d'appel,  trois  différences  importantes. 

"  Sur  les  projets  tendant  à  modifier  Tarticle  11  de  la  loi  de  1  SIC  à  propos 
delà  revision  du  Code  d'instruction  criminelle,  on  lira  :  Gui]l«»t, op.  cit.^ 
p.  90  k  10k  La  tendance  de  ces  projets  a  t^té  de  supprimer  cette  disposi- 
tion ou  du  moins  d'en  modifier  le  caractère  en  permettant  simplement  à  la 
îour  de  saisir  la  chambre  d'accusation.  On  remarquera  une  fois  de  plus  le 
aractère  régressif  de  ces  projets  en  ce  qui  concerne  l'action  publique. 
*°  V'oy.  sur  ce  point  :  Man^àn,  op.  cit.^  t.  1,  n'»  25. 


326       PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

V  La  loi  de  1810  n'accorde  [a  faculté  dont  elle  parle  qu'aux 
chambres  asseniblées;  l'article  235  Taccorde  aux  chambres 
d' accusa tio7i.  Ce  texte,  il  est  vrai,  emploie  Texpression  :  <c  Dans 
toutes  les  atFaires,  les  cours  ».  mais  les  mots  qui  suivent  : 
«  tant  quelles  n'auront  pas  décidé  s'il  y  a  lieu  de  prononcer  la 
«  mise  en  accusation  »,  prouvent  qu'il  ne  s'agit  que  d'une  sec- 
lion  de  la  cour  d'appel,  la  chambre  d'accusation'*. 

2^  Le  droitétabli  parl'article  235 est  moinsétendu  que  celui 
résultant  de  la  loi  de  4  810.  Les  chambres  réunies  de  la  cour 
d'appel  peuvent,  sans  être  déjà  saisies,  provoquer  des  pour- 
suites  nouvelles  de  la  part  du  ministère  public;  les  chambres 
d'accusation  n'ont  d'autre  droit  que  ^'ordonner  Vextension 
des  poursuites,  dentelles  sont  saisies,  en  les  faisant  diriger, 
soit  contre  Aes  faits  connexes^  non  compris  dans  l'instruction, 
soit  contre  Aqs  personfies  (\m  n'y  figurent  pas.  C'est  ce  qui  ré- 
sulte de  l'article  235,  aux  termes  duquel  la  cour  n'a  le  pouvoir 
d'ordonner'dcs  poursuites  qu'autant  qu'elle  n'a  pas  encore 
décidé  s  il  y  a  lieu  de  prononcer  la  mise  en  accusation.  La  loi 
ajoute,  il  est  vrai,  que  la  chambre  d'accusation  peut  user  de 
la  faculté  dont  elle  parle,  qu'il  y  ait  ou  non  une  instruction 
commencée  par  les  premigrs  juges;  mais  ces  expressions  ne 
s'appliquent  certainement  qu'aux  nouveaux  faits  sur  lesquels 
la  cour  peut  ordonner  des  poursuites. 

3^  Mais  le  droit  établi  par  l'article  235  est  beaucoup  plus 
effectif  que  celui  de  l'article  10.  Les  chambres  réunies  de  la 
cour  n'ont  qu'une  faculté  de  provocation  ou  d'injonction  ;  mais 
l'action  est  exercée  par  le  procureur  général,  d'ordre  de  la 
cour;  la  chambre  d'accusation  a  un  droit  d'action.  En  réalité, 
elle  se  saisit  à^ofjice,  sans  avoir  besoin  d'y  être  provoquée  par 
des  réquisitions  du  ministère  public,  de  l'action  elle-même, 
puisqu'elle  étend  la  poursuite  à  d'autres  personnes  ou  à  d'au- 
tres faits,  tandis  que  l'impulsion  de  la  cOur  s'exerce  sur  le 
ministère  public  plutôt  que  sur  l'action  publique  elle-même. 

La  chambre  d'accusation  exerce  le  droit  que  lui  reconnaît 

î**  Voy. .  Fciustin  Hélie,  t.  1,  n*^  328  et  suiv.;  Mangin,  t.  l,n°25;  A.Faus- 
tin  Hélie,  De  rantorite  des  cours  d'appel  sur  la  police  judiciaire  {La  France 
judiciaire,  l.  8,  p.  287-201). 


CAS  OU  LE  MINISTÈRfi  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTE  DE  s' ABSTENIR.    327 

l'article  233,  dans  deux  situations  distinctes,  et  ce  n'est  pas 
saas  peine  que  la  jurisprudence  et  la  doctrine  ont  réussi  à 
dégager  de  Tarticle  235  les  deux  hypothèses  qu'il  contient. 

fl)  La  première  se  présente  lorsque  la  chambre  d'accusa- 
tion est  saisie,  soit  par  le  renvoi  du  juge  d'instruction,  soit  par 
uae  opposition  des  parties,  du  règlement  d'une  information. 
Ed  examinant  la  procédure,  elle  croit  découvrir  la  trace  d*un 
Jélit  imputable,  soit  à  l'inculpé,  soit  à  un  tiers.  Elle  peut 
alors,  par  dérogation  au  principe  d'après  lequel  une  juridic- 
tion d'instruction  ne  saurait  se  saisir  d*office,  donner  une  cer- 
taine extension  à  la  poursuite,  en  la  complétant^  soit  à  l'égard 
d'individus  qui  auraient  dû  être  inculpés,  soit  à  l'égard  d'un 
nouveau  crime  ou  délit  se  rattachant  à  l'affaire  dont  elle  est 
saisie.  En  un  mot,  la  chambre  d'accusation  a  un  droit  de 
juridiction^  non  seulement  sur  l'affairé  telle  qu'elle  se  trouve 
définie  par  le  réquisitoire  du  ministère  public  etlordonnance 
du  juge  d'instruction,  mais  sur  les  faits  nouveaux  ou  les  tiou- 
veaux  inculpés  qui  s'y  rattachent". 

ijËlle  a,  de  plus,  à  l'occasion  de  toute  instruction  ouverte, 
un  droit  d'évocation  qui  lui  permet,  soit  d'enlever,  au  juge  qui 
en  est  charge,  les  procédures  qu'il  y  aurait  quelque  inconvé- 
nient à  laisser  entre  ses  mains,  soit  d'informer  par  elle-même 
ou  d'ordonner  un  supplément  d'information  sur  de  nouveaux 
inculpés  ou  sur  des  crimes  ou  délits,  dont  l'examen  des  pièces 

'*  «  Soil  qu'il  y  ait  ou  non,  dit  la  loi,  une  instruction  commencée  par  les 
premiers  juges  »>,  c'osl -à-dire  soit  (ju'il  y  ait  ou  non  une  instruction  com- 
mencée par  rapport  aux  faits  nouvcaifx  sur  lesquels  la  <'our  ordonne  des 
poursuites.  Ce  droit  dV-vocation  est  distinct  du  rôle  (jue  Tarticlo  "231,  mo- 
diCé  par  la  loi  du  17  juillet  18!)(),  donne  à  la  cliambre  d'accusatinn,  «  à  l'égard 
des  pr«^venus  renvoy*^s  devant  elle,  sur  tous  l«»s  chefs  de  crimes,  de  délits 
et  de  cfjntraventions  résultant  de  la  proct^dure  »>.  Dans  ce  dernier  cas,  il 
s'ajçit  de  permettre  à  la  chambre  d'accusation  d'examiner,  dans  son  ensem- 
ble, l'aJraire  qui  lui  esl  déftM'ée,  sans  s'arrôttT  au  règlemeiil  di^  la  f>rocédure 
qui  a  pu  être  lait  par  le  juge  d'instruction.  Du  reste,  l'étendue  de  la  dévu- 
lutioD  de  Talfaire  à  la  ohanihre  d'îuîcusation  l'ait  l'objet  de  difQcultés  que 
lous  examinerons  k  propos  de  la  compétence  de  cette  juridiction  comme 
;hambrc  d'instruction.  Voy.  du  reste  :  Cass.,  20  janv.  1898  (S.  09.  1.  61); 
tfarcel  Fireuillac,  Des  changemnnts  de  qualification  par  les  tribunaux  de 
épression  (Th.  doct.  Lyon,  1905,  p.  16  et  suiv.). 


328       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

aurait  amené  la  révélation.  Quand  elle  évoque,  la  chambre 
d'accusation  devient  maîtresse  d*aiguiller  la  procédure  daos 
la  direction  qu'elle  indique,  par  exemple  d^ordonner  telle  ou 
telle  mesure  d*instruction,  et  de  commettre,  pour  la  faire, 
soit  un  des  juges  d'instruction  du  tribunal",  soit  un  ou  plu- 
sieurs de  ses  membres.  Il  ne  faut  pas,  en  cfiTet,  donner  à  Tar- 
ticle  236  une  portée  impérative,  c'est  une  faculté  que  la  loi 
ouvre  à  la  chambre  d'accusation,  en  lui  permettant  de  délé- 
guer un  de  ses  membres  pour  remplir  «  les  fonctions  de  juge 
instructeur^*  ». 

Ce  double  droit  de  juridiction  et  A' évocation^  la  coup 
l'exerce  de  sa  propre  initiative,  sans  avoir  besoin  d'y  être  in- 
vitée par  aucune  réquisition.  Le  législateur  de  1808  a  voulu, 
«  dans  l'espoir, suivant  ses  propres  expressions,  qu'aucun  crime 
ne  resterait  impuni  »,  faire,  de  la  chambre  d'accusation,  le 
centre  de  l'information,  élever  en  elle,  à  leur  plus  haute  expres- 
sion, tous  les  pouvoirs  du  magistrat  instructeur,  et  lui  donner, 
sur  toute  procédure,  un  droit  de  direction  pour  lui  pérmellre 
de  réparer  certaines  défaillances  ou  de  réveiller  certaines 
inerties.  Ces  droits  de  juridiction  et  d'évocation  appartiennent^ 
pour  ainsi  dire,  naturellement  aux  chambres  d'accusation: il? 
sont  une  conséquence  nécessaire  de  la  haute  surveillance  qu6 
les  cours  d'appel  exercent  sur  Tinstruction  des  affaires  crin^i- 
nelles". 


23  Aussi  Mon  un  autre  juge  que  celui  qui  a  faitrinslruction.  L'article  il' 
du  projet  de  réforme  du  Code  d'instruction  criminelle,  prévoyant  le  cas  oi' 
sur  les  réquisitions  du  procureur  général,  la  chambre  d'accusation  ordonii 
une  instruction  sur  des  faits  ou  des  personnes  non  compris  dans  rinformi 
lion,  lui  interdit  de  confier  cette  nouvelle  instruction  au  jujçe  originairemei 
saisi.  Ou  ne  voit  pas  quel  serait  le  motif  de  celte  interdiction.  La  cour  e 
seule  capable  d'apprécier  ce  qui  convient  le  mieux. 

2*  Art.  230  :  «  Dans  le  cas  du  précédent  article,  un  des  membres  de 
section  dont  il  est  parlé  en  l'article  218  (de  la  chambre  d'accusation)  ferai 
fonctions  de  juge  instructeur.  » 

"  Il  ne  faut  pas,  en  effet,  oublier  que  les  auteurs  du  Code  d'instructi 
criminelle,  l'Empereur  surtout,  qui  voulait  établir,  en  France,  «  de  gran 
systèmes  judiciaires  ayant  en  eux-mêmes  leur  principe  d'activité  et  le 
moteur  »,  ont,  en   créant,  dans  chaque  cour  d'appel,  une  chambre  d'accui 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  N'a  PAS  FACULTÉ  DE  S  ABSTENIR.    329 

149.  On  a  cru  voir  également  une  application  de  Tautorité 
exercée  par  les  cours  d'appel  sur  l'action  publique  dans  les 
articles  361  et  379  du  Code  d'instruction  criminelle.  Mais  ces 
dispositions,  dont  Tune  suppose  Tacquittement  et  Tautre  la 
i^oDdamnation  de  Taccusé,  n'ont  pas  pour  but  direct  Texercice 
d'une  surveillance  vis-à-vis  du  ministère  public:  elles  sont 
plutôt  fondées  sur  la  nécessité  de  prendre  des  mesures  immé- 
diates, relativement  à  l'état  de  détention  de  l'inculpé  dans  le 
premier  cas,  et  relativement  à  l'exécution  de  la  peine  dans  la 
seconde  hypothèse. 

150.  La  surveillance  administrative,- à  laquelle  lesoffici-ers 
du  ministère  public  sont  soumis,  est  exercée  :  1°  par  le  procu- 
reur général  près  la  Cour  de  cassation;  2*  par  le  ministre  de 
la  justice;  3"*  par  les  supérieurs  hiérarchiques. 

1.  Aux  termes  de  l'article  81  du  sénatus-consulte  du  16  ther- 
midor an  X,  le  procureur  général  près  la  Cour  de  cassation  sur- 
veille les  procureurs  généraux  près  les  cours  d'appel**.  Cette 

lioM,  investi  spécialement  les  membres  de  cette  chambre  «  de  la  direction 
supérieure  dos  alT'aires  criminelles  »>.  Dans  la  penst^e  qui  a  prc^sidé  ii  leur 
c^'Mstilution,  les  chambr(?s  d'accusation  «  devaient  avoir  la  plénitude  de  juri- 
Mion  et  d'initiative  n,  II  est  donc  tout  naturel  que  «  lorsqu'une  proc»»dure 
«^^t  sous  leur  main  »,  les  juridictions  dont  il  s'agit  aient  «  le  droit  de  lui  don- 
ri^r  tous  les  développements  qu'elle  comporte,  d'ordonner  des  informations 
rniuvelies  sur  les  crimes  ou  les  délits  qu'elle  révèle  )>.  Voy.  l'exposé  des  mo- 
tifs fJo  la  loi  du  17  avril  18*30  (S.  Lois  annoUU's,  1^50,  p.  115  et  suiv.).  Ce 
caractère  des  chambres  des  mises  en  accusation  a  été  bien  mis  en  relief 
pîir  M.  l'avocat  f^énéral  Baudoin  dans  ses  conclusions  qui  unt  précédé  Tar- 
rêt  de  la  Cour  de  cassation  du  28  mai  1892  (S.  93.  1.  320:  D.  02.  1.  582). 
U  chambre  des  mises  en  accusation  af^it  «  en  vertu  d'un  droit  qui  lui  est 
"  propre  ;  elle  examine  les  ordonnances  définitives  des  juges  d'instruction; 
'<mais  elle  n*a  ni  à  les  confirmer  ni  à  les  infirmer;  toutes  les  fonnules  qui^ 
f  à  cet  égard,  ont  été  consacrées  dans  la  pratique,  sont  surannées;  la  cham- 
'  bre  d'accusation  statue,  à  nouveau,  dans  la  plénitude  du  druit  que  la  loi  lui 
confère  >».  Voy.  également:  (^ass.,  i)  nov.  1851  [li.  cr.,  n**  U)'\),  La  cour 
'appel,  dit  cet  arrêt,  «  exerce  un  droit  d'appréciation  supérieur  des  faits, 
lorsqu'elle  juge  qu'ils  ont  été  mal  qualifiés  par  l'urdo nuance  de  prise  de 
"orps,  et  elle  trouve  ce  droit,  non  dans  les  réquisitions  du  ministère  public, 
mais  dans  sa  propre  compétence  ». 
^'  II  semble  que  cette  disposition  contemporaine  du  rétablissement  du  mi- 


330       PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CITILB. 

surveillance,  dont  lemode  et  Vétendue  ne  sont  déterminés  par 
aucune  disposition  législative  ou  réf2;lementaire,  est  évidem- 
ment renfermée,  comme  la  juridiction  de  la  Cour  de  cassa- 
tion elle-même,  dans  la  sphère  de  V application  de  la  loi-  Elle 
s'exerce  par  des  observations,  des  avis  que  le  procureur  géné- 
ral peut  adresser  aux  procureurs  généraux,  à  Toccasioa  des 
affaires  déférées  par  des  pourvois  à  la  Cour  de  cassation, 
sur  la  manière  d'entendre  et  de  pratiquer  les  prescriptions 
légales.    Mais   ce   fonctionnaire    n'aurait   pas   qualité,    soit 
pour  intimer  Tordre  aux   membres  du  ministère  public  de 
poursuivre  une    infraction,    soit  pour  demander  à  la  Cour 
de  cassation  l'annulation  d'un  arrêt  ou  d'un  jugement  en 
dernier  ressort  contraire  à  la  loi.  Au  premier  point  de  vue 
en  effet,  le  procureur    général  près   la  Cour  de   cassation, 
n'est  pas  le  chef  hiérarchique  des  procureurs  généraux  près 
les  cours  d'appel;  il  n'a  pas  un  droit  d'impulsion  sur  l'ac- 
tion publique,  analogue  à  celui  du  ministre  de  la  justice.  Au 
second  point  de  vue,  sauf  dans  des  cas  exceptionnels  où  il  pro^ 
cède  à  des  actes  directs  de  poursuite  ou  d'instruction  (C.  instr. 
cr.,  art.  441,  443,  444,  486,  491,  532,  S42),  le  procureur  gé- 
néral près  la  Cour  de  cassation  n'a  même  pas,  devant  cette 
jUTidiciion  jV  exercice  de  Vsictioïï  publique.  11  prend,  sans  doute, 
par  lui-même  ou   par  ses  avocats  généraux,  des  conclusions 
dans  toutes  les  affaires  criminelles  portées  devant  la  Cour 
suprême.  Mais,  dans  ces  affaires  mêmes,  il  n*est  entendu  que 
comme  partie  jointe  ;  carie  pourvoi, qui  saisit  la  cour,  est  formé 
et  rfeW^e  par  la  partie  qui  a  attaqué  la  décision,  c'est-à-dire 
le  condamné,  le  ministère  public ,  Itx  partie  civile.  Ainsi  limité 
dans  ces  deux  directions,  le  pouvoir  de  surveillance  du  pro- 
cureur général   près  la  Cour  de  cassation  ne  concerne  pas 
l'exercice    de  l'action    publique,   mais    plutôt   la   manière 
même  dont  les  fonctions   du  ministère   public    sont  com- 
prises dans  les  divers  ressorts  judiciaires.  L'étude  des  procé- 
dures qui  passent  sous  les  yeux  du  procureur  général  près 

nist^re  puMic,  ait  eu  pour  hul  «rimprimor  une  sorte  d'unité  à  roxorcice  de 
Taction  piihli(|ue.  Mais,  faute  d'avoir  été  organisée,  cette  surveillance  est 
restée  théorique. 


AS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a.  PAS  FACULTE  DE  s' ABSTENIR.  331 

a  Cour  de  cassation  lui  révèle-l-elle  des  pratiques  vicieuses, 
les  irrégularités,  des  abus  auxquels  il  faut  remédier  :  il 
)eut  alors,  soit  par  voie  d*avis  individuel,  soit  par  voie  de 
:irculaire  générale,  signaler  ces  habitudes  inutiles  ou  dange- 
reuses et  en  demander  la  suppression  ou  la  réforme.  Cette 
iurTeillance  a  donc  un  caractère /Mr/rfi^wc  plutôt  qu'adminis- 
Iratif:  c'est  dans  la  sphère  de  Tapplication  de  la  loi  qu'elle  se 
renferme'\  Du  reste,  elle  n'est  plus  effectivement  exercée  à 
ootre  époque.  L'abondance  des  recueils  de  jurisprudence,  où 
les  membres  du  ministère  public  peuvent  trouver  rapportées, 
non  seulement  les  décisions  de  la  Cour  de  cassation,  mais  les 
conclusions  des  avocats  généraux  ou  du  procureur  général, 
rendent  cette  surveillance  à  peu  près  inutile. 

II.  Les  offîciers  du  ministère  public  sont  tous  placés  sous 
raulorité  directe  du  garde  des  sceaux  qui  représente,  vis-à-vis 
d'eux,  le  pouvoir  exécutif  (D.  30  mars  1808,  art.  80  et  81; 
L.20avr.  1810,  art.  60;  L.  30  août  1883,  arL  17),  et  qui  est 
armé,  à  leur  égard,  d'un  droit  de  surveillance  et  d'un  pouvoir 
de  discipline,  auxquels  leur  amovibilité  donne  la  plus  éner- 
gique de  toutes  les  sanctions.  Le  garde  des  sceaux  a  certai- 
nement le  droit  d'adresser  aux  membres  du  ministère  public 
des  injonctions  aQn  qu'ils  exercent  ou  s'abstiennent  d'exercer 
l'action  publique,  et,  en  cas  de  résistance,  de  provoquer  leur 
changement  de  résidence  ou  leur  révocation;  mais  là  s'arrê- 
tent ses  pouvoirs.  Le  droit  à^exercer  l'action  publique  ne  lui 
appartient  pas.  D'où  quatre  conséquences  : 

r  Les  membres  du  ministère  public  sont  bien  tenus  d'a- 
Iresser  aux  tribunaux  les  réquisitions  qu'il  leur  est  ordonné 
le  formuler  ou  de  se  démettre  de  leurs  fonctions  (C.  instr.  cr., 
irt.  274,  441,  443,  486);  mais  ils  ont  le  droit  de  conclure  à 
'audience,  suivant  leur  opinion  personnelle,  même  au  rejet 
e  leurs  réquisitions;  car  les  conclusions,  qui  ne  sont  que 
opinion  du  magistrat  qui  les  donne,  doivent  rester  libres, 
3ur  être  consciencieuses.  Le  ministère  public  tient  à  hon- 

-"  Comp.  Faustin  H«.*lie,  op,  cit,^  t.  1,  n^  \\',V2  ;  Tarbé,  Lois  ci  règlement  de 
Cour  de  cassation^  Introduction,  {>.  100. 


332      PROCEDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  Cm 

neur  d'affirmer,  aujourd'hui  comme  autrefois,  que  si  « 
plume  est  serve,  la  parole  esl  libre  ».  La  loi  eUe-raém( 
expressément  reconnu  celle  indépendance  du  minislère  [ 
blic  dans  Tarlicle  6  de  l'ordonnance  du  !•' juin  1828  sur 
conflits". 

2"*  Le  garde  des  sceaux  ne  peut  se  substituer  au  procure 
général  ou  au  procureur  de  la  République  qui  refuserait  d 
yir,  el  assigner  à  sa  propre  requête;  il  n'exerce  pas,  en  efl 
l'action  publique  el  ne  procède,  par  lui-même,  à  aucun  a 
de  poursuite;  il  a  donc  besoin  de  l'intermédiaire  des  offici 
du  ministère  public,  puisque  la  loi  ne  lui  donne  pas  aci 
auprès  des  tribunaux.  lien  résulte  que  la  résistance,  bien 
vraisemblable,  des  officiers  du  ministère  public  qui  se  refuf 
raient  à  exécuter  les  ordres  du  garde  des  sceaux  ne  pourr 
être  vaincue  que  par  un  déplacement  ou  une  révocation. 

3*  L'action  publique,  intentée  par  un  membre  du  minislc 
public,  malgré  la  défense  du  garde  des  sceaux,  est  régulièi 
ment  introduite;  lajuridictioncompétente,  valablement  sais 
ne  peut  donc  se  refuser  à  statuer"''. 

4*  L'initiative  de  la  poursuite  appartient  aux  officiers 
ministère  public  qui  n'ont  pas  à  demander  au  gouvernemc 

*■  Il  s'ajifit,  dans  ce  toxte,  du  déclinatoire  d'incomptUence,  que  le  préfet  c 
présenter  à  Tautorité  judiciaire  avant  d'élever  le  conflit  :  «  Le  procureur 
la  République  fait  connaître,  dans  tous  les  cas,  au  tribunal,  lu  demande  \ 
mée  par  le  préfet  et  rei^uerra  le  renvoi,  si  la  revendication  lui  parait  f 
dée  >».  Comp.  sur  le  principe  :  Locré,  l.  24,  p.  406;  Faustin  Hélie,  t. 
n«  472;  Ortolan,  t.  2,  n°"  2031  et  2032;  Mangin,  op,  ci7.,  t.  1 ,  n*»  71  ;  Robi 
de  Cléry,  Les  droits  du  ministère  public  et  du  minvitrc  de  la  jujutice 
matière  de  poursuites  criminelles  (Revue  critique,  1876,  p.  424). 

5*'  Comp.  :  Alglave,  Action  du  minislère  public  (2«  éd.,  Paris,  1874),  t 
p.  195  et  suiv.  V.  Cass.,  22  déc.  1827  (S.  ColL  nouv.^  t.  8,  p.  731).  Le  C 
seil  d'Ktat  a  implicitement  reconnu  cette  règle  en  1800,  en  autorisant  en 
lionnellement  le  garde  des  sceaux  à  mettre  un  terme  aux  poursuites  du 
iiistère  public  contre  les  officiers  de  l'état  civil  qui  avaient  enfreint, 
ignorance  ou  par  négligence,  les  règles  relatives  à  la  tenue  des  acte: 
JVtat  civil  :  «  Il  pourra,  dit  l'avis  du  31  juill.  1800,  prescrire  aux  procur 
imfiériaux  de  lui  faire  connaître  les  poursuites  qu'ils  se  proposent  defuii 
arrêter  celles  qui  n'auraient  pas  pour  objet  des  négligences  vraiment  co 
iiles  par  leur  gravité.  » 


CAS  ou  LE  MINI8TÈRB  PUBLIC  n\  PAS  FACULTÉ  DE  s'aBSTENIR.    333 

une  autorisation  préalable  d'agir.  On  cite  souvcot,  comme 
résumant  la  doctrine  sur  ce  point,  une  lettre  remarquable  de 
M.  Bellart,  procureur  général  à  la  cour  de  Paris,  sous  le  mi- 
flistère  de  M.  de  Peyronnet  :  «  Quand  le  ministère  public  ne 
«doute  pas,  quand  un  délit  est  évident,  le  magistrat,  charge 
«du  triste  devoir  de  poursuivre,  doit-il,  avant  tout,  prendre 
«  ou  attendre  les  ordres  du  gouvernement?  S'il  en  était  ainsi, 
'(  le  ministère  public  qu'on  a  accusé  d*agir  sous  Pinûuence 
<'du  gouvernement  n'aurait  plus  rien  à  répondre  à  cette  im- 
«putation,  quand  on  jugerait  convenable  de  la  reproduire. 
<(  Le  ministère  public  doit  agir  spontanément,  sans  qu'il  ait 
Il  besoin  de  recevoir  l'autorisation  de  personne.  Ce  qu'il  y 
^<  aurait  de  plus  alarmant  pour  la  liberté,  c'est  que  le  gouver- 
«  nement  s'en  mêlât  jamais'^  ».  Ce  principe  n'admet  d'excep- 
tion, en  matière  répressive,  que  dans  deux  cas  :  la  demande 
d*aooulation  formée  par  le  procureur  général  près  la  Cour  de 
cassation  d'ordre  du  garde  des  sceaux  (C.  instr.  cr.,  art.  441); 
les  poursuites  dirigées  contre  les  officiers  de  l'état  civil  dans 
les  circonstances  prévues  par  l'avis  précité  du  Conseil  d'État  * 
du 31  juillet  1806^^  Mais,  en  fait,  toutes  les  fois  que  la  pour- 
suite touche  de  près  ou  de  loin  à  une  question  ou  à  un  per- 
sonnage politiques,  le  par(]uet,  avant  d'agir,  prend  les  instruc- 
tions de  la  chancellerie.  Celle  pratique  est,  du  reste,  récente; 
mais  elle  est  des  plus  critiquables,  car  elle  fausse  le  ressort 
essentiel  de  l'action  publique,  le  principe  de  son  indépendance. 
111.  Les  membres  du  ministère  public^  étant  hiérarchique- 
ment subordonnés  les  uns  aux  autres,  le  procureur  général 

'•Celle  lettre  a  vU^  ciU^c  pur  Dupin  Huns  son  riiquisiloin»  sur  l'atrairo 
jugée  par  la  Cour  de  cassalinu^  le  2*2  jaiiv.  1802  (D.  62.  \,  V\), 

"  De  nouvelles  imrurs  judiciaires,  dangereuses  pour  l'indï'pendance  des 
magistrats  et  déplorables  pour  le  service  de  la  justice,  se  sont  inlro«luiles 
dans  ces  dernières  années.  Les  bureaux  de  la  Chancellrrie  si^  sont  transfor- 
més, de  plus  en  plus,  en  bureaux  de  consultation,  les  procureurs  gén«*rîiux 
s'en  référant  au  garde  des  sceaux  dès  <|u'ils  doivent  cngù^^er  ItMir  responsa- 
bilité, et  lui  demandant  des  instructions.  Nous  ne  pouv«»ns  que  regretter  la 
mainmise  du  pouvoir  politique,  prisonnier  lui-mrnic  des  députés  et  de  leurs 
comités,  sur  Texercice  do  la  justice  pénale.  Ce  n*est  pas  la  loi  qu'il  faudrait 
réformer,  ce  sont  les  mœurs. 


334      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET    CIVILB. 

peut  donner,  relalivement  à  rexercice  de  raction  publique, 
des  ordres  aux  procureurs  de  la  République  de  son  ressort 
(L.  20  avr.  4810,  art.  45),  comme  le  procureur  de  la  Répu- 
blique, aux  commissaires  do  police.  Le  droit  de  commande- 
ment du  supérieur  hiérarchique  est,  du  reste,  limité  par  les 
trois  règles  suivantes  : 

1**  Les  liens  hiérarchiques,  qui  unissent,  entre  eux,  les  mem- 
bres du  ministère  public,  ne  donnent  pas,  de  plein  droite  à 
chaque  magistrat  supérieur,  le  droit  de  faire,  par  lui-mhne  el 
en  son  nom,  les  actes  attribués  aux  agents  immédiatement 
placés  sous  ses  ordres.  Chaque  magistrat  a  ses  attributions    1 
propres  et  sa  compélence  spéciale;  le  procureur  général  ne     ' 
peut  pas  plus  agir  aux  lieu  et  place  du  procureur  de  la  Répu- 
blique devant  le  tribunal  correctionnel,  que  celui-ci  ne  peut 
se  substituer  au  commissaire  de  police  pour  exercer  l'actioD 
publique  devant  le  tribunal  de  simple  police.  L'î/n?/^  du  mi' 
nistère  public  consiste  simplement  dans  Vunité  de  direction^ 
et  cette  unité  se  manifeste  en  ce  que  tous  les  membres  du 
ministère  public  doivent  obéir  à  Vimpulsion  de  leurs  chef? 
hiérarchiques  et  exécuter  les  ordres  qu'ils  en  reçoivent. 

2°  Mais  si  Tofficier  du  ministère  public,  auquel  il  est  enjoint 
de  poursuivre,  est  tenu,  quelle  que  soit  son  opinion  person- 
nelle, d'entamer  la  poursuite,  il  peut  prendre,  dans  toutes  les 
afîaires,  les  conclusions  que  lui  dicte  sa  conviction  personnelle. 
Le  droit  de  commandement  du  chef  hiérarchique  permet 
d'ordonner  des  poursuites,  mais  non  d'imposer  des  conclu- 
sions. 

3°  Les  règlements  tracent  la  marche  à  suivre  pour  concilier, 
dans  le  même  parquet,  cette  indépendance  de  la  conviction 
que  l'on  doit  toujours  respecter,  avec  les  exigences  de  la  disci- 
pline et  de  la  direction  qui  appartiennent  au  chef  du  parquet. 
Les  articles  48et49  du  décret  du  6  juillet  I8i0  ne  concernent 
expressément  que  le  parquet  du  procureur  général;  mais  ils 
sont,  par  identité  de  motifs,  applicables  au  parquet  du  pro- 
cureur de  la  République.  Dans  les  causes  importantes  ou  dif- 
ficiles, Tavocat  général  ou  le  substitut  de  service  à  raudience 
peut  communiquer  au  procureur  général  les  conclusions  qu'il 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTÉ  DE  S'aBSTENIR.  335 

se  propose  de  prendre;  il  est  même  tenu  de  le  faire  toutes 
les  fois  que  le  procureur  général  veut  prendre  connaissance 
de  l'affaire.  Dans  Tun  et  Tautre  cas,  si  le  procureur  général 
et  son  subordonné  ne  sont  pas  d'accord,  l'affaire  est  portée  à 
l'assemblée  générale  de  tous  les  membres  du  parquet  qui  en 
délibère  et  émet  un  avis  à  la  majorité  des  voix^  :  le  magistrat 
de  service  à  Taudience  est  tenu  de  se  conformer  à  Topinion 
qd  a  prévalu  ou  de  céder  la  parole  à  Tun  de  sçs  collègues, 
mais  le  procureur  général,  comme  chef  responsable  du  par- 
quel,  a  le  droit,  s'il  partage  Tavis  qui  a  succombé,  de  siéger 
àTaudience  et  d'y  soutenir  son  opinion  personnelle  (D.  6  juill. 
1810,  art.  48  et  49)'-. 

151.  De  quelle  façon  et  jusqu'à  quel  point  la  partie  lésée 
participe-t-elle  au  droit  d'accusation?  C'est  là  un  des  plus 
graves  problèmes  de  la  justice  répressive".  Il  s'est  trouvé  des 
réformateurs  pour  prétendre  que  le  monopole  du  ministère 
public  devait  être  absolu  et  pour  ne  pas  craindre  de  réduire 
Taction  des  particuliers  lésés  à  l'exercice  d'une  demande  en 
dommages-intérêts  devant  les  tribunaux  ordinaires.  D'autres, 
à  l'inverse,  proposeraient  un  retour  à  l'accusation  populaire  et 
feraient  volontiers  de  la  partie  lésée  une  sorte  de  ministère 
public  agissant  à  la  fois  dans  son  propre  intérêt  et  dans  l'in- 
térêt social.  Ces  conceptions  sont  excessives  :  la  première  ré- 
duit, la  seconde  exagère  le  rôle  de  la  victime  du  délit.  Ce  qu'il 
faut  c'est  que  la  loi  favorise  le  concours  du  ministère  public 
et  de  la  partie  lésée. 

Si  «  la  réalisation  du  principe  de  la  réparation  n'est  pas  une 
foDction  d'ordre  social'*  »,  elle  n'est  pas  non  plus,  tout  à  fail, 

''  Ces  dispositions  ont  un  caractère  d'ordre  inloriour  :  Cass.,"28janv.  1864 
(S.  64.  1.  374).  Comf).  Ortolan  et  Ledeau,  op.  cit,,  t.  1,  p.  27. 

'*  Voy.  Cézar-Bru,  De  Vexercice,  de  l'action  publique  par  les  simples  par- 
iieuliers  (Rev.  tjcn.  de  droit,  1892,  p.  311,  et  1803,  p.  5);  Raoul  de  la  Gras- 
serie,  Participation  de  la  partie  lésée  à  l'action  publique  {Her.  crit.^  1896, 
p.  623,  et  1897,  p.  35).  On  trouvera,  dans  ces  arlicies,  des  notions  très  com- 
plètes de  législation  comparée. 

'♦  C'est  le  congrès  d'anthropologie  criminelle  de  Rome  de  1885  (Actes  du 
premier  congrèn  d'anthropologie  criminelle  de  Rome  de  1885,  p.  3()3  et  suiv.) 


336      PROCEDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBUQUB  ET  CIVIU. 

une  foQclion  d'intérêt  privé.  L'ordre  social  ne  peut  être  satis- 
fait que  si  Tordre  privé  est  sauvegardé.  Par  suite,  aucun  ob- 
stacle ne  doit  être  opposé  à  celui  qui  est  lésé  dans  ses  droits 
par  un  délit  et  il  faut  surtout  que  cet  obstacle  ne  provieoQe 
pas  du  ministère  public  lui-même. 

On  concevrait  donc  un  système  de  rapports,  entre  le  minis- 
tère public  et  la  victime  du  délit,  suivant  lequel  Tinterventioa 
et  la  surveillance  de  celle-ci  s'exerceraient  dans  les  trois 
périodes  qui  marquent  le  point  de  départ  et  le  point  d'arrivée 
de  l'exercice  de  l'action  publique  :  l'Mise  en  mouvement  el 
initiative;  2**  Exercice  et  direction;  3**  Voies  de  recours.  iMais 
il  n*en  est  pas  tout  à  fait  ainsi  dans  notre  procédure  pénale. 

152.  Au  premier  point  de  vue,  la  partie  lésée  intervient 
dans  l'accusation  de  trois  manières  : 

I.  Dans  certains  cas,  elle  peut  empêcher  le  ministère  public 
d'agir,  car  l'exercice  de  l'action  publique  est  subordonné  à 
une  plainte  préalable  de  la  partie  lésée.  Mais  c'est  là  une  si- 
tuation exceptionnelle,  dans  laquelle^  pour  des  motifs  divers, 
la  loi  laisse  à  la  partie  lésée  l'appréciation  de  l'opportunité  des 
poursuites.  D'ordinaire,  le  ministère  public  n'a  pas  besoin 
^'attendre  pour  agir  qu'il  soit  saisi  d'une  plainte". 

II.  La  victime  du  délit  peut  obliger  le  ministère  public  à 
agir  ou  plutôt  peut  saisir  directement  la  juridiction  de  répres- 
sion, en  donnant,  à  Tinsu  et  même  à  l'encontre  du  ministère 
public,  une  impulsion  à  l'action  publique.  C'est  par  cette  porte 
que  la  partie  lésée  a  surtout  accès  devant  la  justice  répressive 
et  qu'elle  «  plaide,  en  réalité,  pour  la  peine  en  plaidant  pour 
une  réparation  pécuniaire'*  ».  Les  habitués  du  palais  ont  une 
expression  caractéristique  pour  qualifier  la  situation  que  crée, 

qui  ;i  pos»'  ootte  formule.  On  en  a  déduit  comme  conséquence,  la  plupart  des 
réformes  que  [iréconisent  les  positivistes  italiens  et  leur  chef  de  file,  Fcrri 
(Sociolotjia  cnm.,  n®  88).  Voy.  également  :  Garofalo,  La  criminologie  {^*  ed.^ 
llK);i),  {>.  374  et  siiiv. 

^*  Voy.,  sur  ce  point,  les  observations  de  Mangin,  op.  cit.,  t.  1,  n**.16, 
p.  17. 

^*  Fauslin  Hélie,  op,  ciL,  t.  2,  n"  070. 


:;as  ou  ls  ministèrb  public  n'a  pas  faculté  de  s' abstenir.  337 

dans  ce  cas,  Tinitiative  de  la  victime  du  délit  :  ils  appellent 
:es  procès,  «  les  affaires  entre  parties  ». 

11  importe  donc  de  s'expliquer  sur  ce  mode  d'intervention. 
Les  personnes  qui  ont  souffert  d'une  infraction  et  mênie  des 
tiers  à  qui  elle  n'a  causé  aucun  préjudice,  peuvent  provoquer 
L'exercice  de  l'action  publique  par  des  plaintes  ou  des  dénon- 
ciations^ adressées  au  procureur  de  la  République  ou  à  un  de 
ses  auxiliaires.  Le  ministère  public  est-il  obligé  d*y  donner 
suite  et  de  poursuivre?  Sous  l'empire  de  la  loi  du  29  septembre 
1791  et  sous  celui  du  Code  de  Tan  IV,  le  devoir  d'agir,  même 
en  cas  de  simple  plainte  ou  de  simple  dénonciation,  était  im- 
périeusement prescrit  aux  officiers  de  police  judiciaire '\  L'ar* 
ticle  47  du  Code  d'instruction  criminelle  pourrait  faire  sup- 
poser, par  sa  rédaction  impéraiive,  que,  aujourd'hui  encore, 
le  ministère  public  est  tenu  de  poursuivre  tout  crime  ou  tout 
délit  qui  lui  est  signalé.  Cependant,  il  est  certain  que  le  légis- 
lateur, en  rédigeant  ce  texte,  n'était  nullement  préoccupé  du 
droit  des  parties  privées  vis-à-vis  du  ministère  public,  mais 
bien  de  la  délimitation  des  pouvoirs  du  ministère  public  et  du 
juge  d'instruction.  Ces  expressions  sera  tenu  de  requérir  doi- 
vent s'entendre,  non  pas  de  l'obligation  pour  le  ministère  pu- 
blic de  commencer  des  poursuites  contre  tous  les  faits  délic- 
tueux qui  lui  sont  signalés,  mais  de  la  nécessité  de  faire  com* 
mencer  l'information,  lorsqu'il  la  juge  nécessaire,  par  le 
magistrat  instructeur,  et  non  de  la  commencer  lui-même". 
Il  est,  en  effet,  incontestable  que  ni  la  dénonciation  d'un  tiers, 
ni  la  plainte  de  la  victime  n'obligent  le  ministère  public  à 
agir;  et  cela  doit  être.  D'une  part,  les  plaignants  et  les  dénon- 
ciateurs se  bornent  à  signaler  des  faits,  entendant  rester  étran- 
gers à  une  poursuite  dont  ils  veulent  laisser  l'initiative  au  mi- 
nistère public.  D'autre  part,  imposer  à  celui-ci  le  devoir  de 
donner  suite  à  une  plainte  ou  à  une  dénonciation,  sans  pouvoir 

"  Voy.  Loi  ries  10-20  sept.  1791,  lit.  V,  art.  6  et  20,  tit.  Vf.  art.  3;  C. 
3  brumaire  an  IV,  art.  90  ol  97.  Coinj).  Ksmcin,  op,  cit.,  p.  422  et  442. 

^*  Ce  point  ressort  de  la  discussion  au  Consoil  d'Klat.  Coinp.  Locré,t.  25, 
p.l06<;t  suiv. ;  Manfj:in,op.  cit.,  i.\,  n?  17, p.  18  et  10.  Cet  auteur  discute 
complètement  la  (lueetion. 

G.  P.  P.  —  I.  *& 


338      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DE6  ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVILS. 

en  examiner  le  bien  fondé,  ce  serait  faire  du  ministère  public 
Tagenl  passif  des  rancunes  et  des  vengeances  des  particuliers, 
ce  serait  oublier  que  la  poursuite  s'exerce,  au  nom  de  la  so- 
ciété, par  des  fonctionnaires  auxquels  elle  est  exclusivement 
confiée  par  la  loi.  Ainsi,  en  cas  de  simple  plainte  ou  de  dénon- 
ciation, rindépendance  du  ministère  public  est  complète 
(C.  instr.  cr.,  art.  1)". 

Mais  la  victime  d'une  infraction  peut  aussi^  soit  dans  la 
plainte,  soit  par  tout  autre  acte,  se  constituer  partie  civile, 
c'est-à-dire  soumettre  à  la  juridiction  répressive  son  action  en 
réparation  du  préjudice  dont  elle  a  souffert  par  suite  du  délit. 
En  ce  cas,  la  partie  civile  ne  se  borne  pas  à  dénoncer  le  fait 
dont  elle  est  victime  :  elle  demande  à  être  indemnisée  du 
préjudice  qu'elle  a  éprouvé;  elle  poursuit  une  réparation;  et 

3*  Il  suit  de  là  que  les  officiers  du  ministère  public  peuvent  classer  sans 
suite  les  dénonciations  et  les  simples  plaintes  qu'ils  n^goivent.  C'est  une 
solution  qui  est  unanimement  admise.  Voy.  D.  A.,  Supplément,  v^  Procé- 
dure ci  iminelle^  no  1(K).  Ce  droit  a  él«^  reconnu  par  un  arrêt  do  la  Cour  de 
cassation  du  6  déc.  1826  (ii.  cr,,  p.  715),  dans  lequel  on  lit  :  «"Le  législateur 
n'a  pu  vouloir  astreindre  lesofPiciers  du  ministère  public  à  diriger  des  |>our- 
suites  d'office  et  sans  l'intervention  des  parti<?s  civiles  sur  toutes  les  plaintes, 
môme  les  plus  léfçères  et  les  plus  insignifiantes  ^>.  Le  classement  sans  suite 
par  le  parquet  des  simples  plaintes,  noraljreux  ohaqtie  année,  montre  bien 
que  le  ministère  public  est  libre  de  poursuivre  ou  do  ne  pas  poursuivre. 
Parmi  les  alfaires  classées  sans  suite  en  général,  il  en  est  qui  sont  classées 
sans  suite  parce  que  leurs  auteurs  sont  demeurés  inconnus.  Cette  rubrique 
paraît  en  voie  d'augmentation,  ce  qui  est  un  pliénomène  incjuiélant  (04.112 
en  1881-1 S85,  contre  92.064  en  1890-1900).  En  elTct,  pour  se  rendre  compte 
de  l'état  <le  la  criminalité,  il  faut  distinguer  la  criminalité  réelle ,  c'est-à-dire 
les  diîlits  réellement  commis,  qu'il  est  impossible  de  connaître  exactement, 
a  criminalité  apparente,  comprenant  I»îs  délits  découverts  ou  signalés,  et 
la  cnmma/(2e /('(/a/c,  comprenant  les  délits  punis  dans  leurs  auteurs  connus. 
La  criminalité  apparente  est  moindre  (jue  la  criminalité  réelle  et  la  cri- 
minalité léijale  est  également  moindre  que  la  criminalité  apparente.  L'im- 
punité, manifestée  par  le  classement  sans  suite,  parce  que  les  délinquants 
sont  inconnus,  montre  combien  il  faut  se  défier  des  statistiques  qui  parais- 
sent constater  un  mouvement  d'arrêt  dans  la  criminalité  réelle.  V'ov.  Tarde, 
Les  transformations  de  l'impunité  {Héfoi-me  sociale,  ^898,  p.  709  et  suîv.); 
La  statistique  criminelle  des  vinrjt  dernières  années  (Hec,  pénit.,  1903,  p.  158 
à  178).  Voy.  la  discussion  ouverte  sur  ce  dernier  rapport  :  Rev,  pénit,,  1903, 
p.  269  à  335. 


CAS  OU  LE  MINISTERE  PUBLIO  n'a  PAS  FACULTE  DB  s'aBSTENIR.  339 

comme  son  aclion  a  sa  cause  dans  le  fait  même  qui  produit 
l'action  publique,  elle  devient  tout  naturellement  Tauxiliaire 
du  ministère  public.  Si  celui-ci  a  agi,  elle  inlerviendra  ddus 
la  poursuite  et  pourra  le  faire  en  tout  état  de  cause.  S'il  s'est 
abstenu,  elle  comme?icera  elleniéme  le  procès.  Mais,  ce  qu'il 
faut  remarquer,  c'est  qu'en  saisissant  la  juridiction  répressive 
de  Faction  civile  qui  lui  appartient,  elle  inei  nécessairement 
en  mouvement  faction  publique^  qui  appartient  à  la  société, 
lorsque  cette  action  n'est  pas  intentée,  de  sorte  que  toute 
constitution  de  partie  civile,  dans  notre  système  de  législa- 
tion, a  pour  effet  de  vaincre  l'inertie  du  ministère  public  et 
de  le  forcer  à  agir. 

11  faut  reconnaître  à  la  partie  lésée  le  droit  de  donner  la 
première  impulsion  à  l'action  publique,  dans  une  première 
hypothèse  qui  ne  donne  lieu  à  aucune  difficulté  sérieuse. 

Toute  personne,  lésée  par  un  délit  ou  par  une  coîitraven- 
tioHj  peut  citer  directement  le  prévenu  devant  le  tribunal  de 
police  correctionnelle  ou  de  police  siîïiple  et  obtenir,  par  cette 
voie,  la  réparation  du  préjudice  dont  elle  a  souffert  (C.  instr. 
cr.,  art.  143  et  182).  Par  cette  citation  directe,  le  tribunal  de 
répression  est  saisi  tout  à  la  fois  de  l'action  civile  et  de  l'action 
publique,  puisque  la  première  ne  peut  être  régulièrement 
portée  devant  les  juridictions  de  répression  qu'accessoire- 
ment à  la  seconde  (C.  instr.  cr.,  art.  3)***.  Sans  doute,  \e  mi- 
nistère pubhc  aura  seul,  au  cours  des  débats,  Vexcrcice  de 
l'action  publique,  seul,  il  pourra  conclure,  au  point  de  vue 
de  rintérêt  public,  soit  au  renvoi,  soit  à  la  condamnation  du 
prévenu;  mais  le  tribunal  de  répression  aura  la  faculté  de 
prononcer  une  peine,  encore  que  le  ministère  public  ait  conclu 
au  renvoi  du  prévenu,  ou  mémen^ait  [^as  conclu  du  tout,  car 
le  tribunal  est  régulièrement  saisi^'. 

*o  Comp.  Cass.,  11  auûL  IHHl  (S.  «2.  1.  i'ti);  7  ilvc,  ISoi  (motifs  de 
Tarrêl)  (S.  Ho.  1.  73);  3  juill.  18o2  (D.52. 1.  224).  Voy.  D.  A.,  Supplément, 
V*  Procédure  criminelle^  n°  92. 

**  Ou  il  soutenu,  il  est  vrai,  «jno  la  citation  din^cte  de  la  partie  It'sée  ne 
saisissait  le  trihunid  de  ri^preifsion  que  sous  la  condition  de  conclusions  h 
prendre  par  le  ministère  public:  Le  ^ehyer.  Actions  publique  et  pricce,  t.  1, 


340      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

Pour  préciser  les  droits  et  les  devoirs  du  ministère  public 
lorsque  Taction  publique  a  été  mise  en  mouvement  par  la 
citation  de  la  partie  lésée,  il  faut  se  placer,  soit  en  face  d'une 
citation  régulière,  soit  en  face  d'une  citation  entachée  de  quel- 
que irrégularité. 

Le  premier  cas  est  simple.  Deux  règles  doivent  être  formu- 
lées :  1*  Le  ministère  public  doit  donner  ses  conclusions  ou  être 
mis  en  demeure  de  lesdonner,  et  le  jugement  doit  constater,  à 
peine  de  nullité,  soit  que  le  ministère  public  a  été  entendu, 
soit  que,  ayant  été  misendemeuredeconclure,  ils'y  est  refusé; 
2*"  Mais  il  n'est  pas  indispensable  que  les  conclusions  du  mi- 
nistère public  tendent  à  l'application  de  la  peine;  et  le  tri- 
bunal, saisi  par  la  citation  de  la  partie  civile,  peut  prononcer 
la  peine  encourue  pour  les  faits  qui  lui  sont  déférés,  alors 
même  que  le  ministère  public  aurait  conclu  à  l'acquittement, 
ou  s'en  serait  rapporté  à  la  justice.  A  plus  forte  raison,  le 
tribunal  pourrait-il  condamner  si  le  ministère  public  avait 
refusé  de  conclure**. 


n**  70  et  suiv.  Si  cette  opinion  ëlait  fondée,  il  en  résulterait,  non  seulement 
que  le  tribunal  de  répression  ne  "pourrait  prononcer  aucune  peine  contre  le 
prévenu  dans  le  silence  du  ministère  public,  mais  même  f\u{[  deviendrait 
incompétent  pour  statuer  sur  les  intérêts  civils.  Cette  conséquence,  qui  n*a 
pas  été  aperçue  par  l'auteur  dont  nous  combattons  l'opinion,  suffit  pour  con- 
damner son  système,  car  le  droit  de  la  partie  lésée  serait  illusoire,  s*il  était 
à  la  discrétion  absolue  du  ministère  public. L'erreur  dans  laquelle  est  tombé 
cet  auteur  consiste  à  confondre  deux  choses  distinctes  :  Vexcrcice  de  Vactwn 
publique,  qui  appartient  exclusivement  au  ministère  public,  et  le  droit  de  Id 
mettre  en  mouvement,  qui  appartient  à  la  partie  lésée,  comme  au  ministère 
public,  en  cas  de  délit  ou  de  contravention.  Sur  la  question  :  Faustin  Hélie, 
op.  ait,  t.  i,  n®  518;  Iloffman,  Traité  des  questions prcjudicielleSf  t.  l,n*16; 
Trébutien,  op.  ait,,  t.  2,  n®  40.  Le  droit  de  citation  directe  est  un  droit  pré- 
cieux dont  on  peut  faire  abus  comme  moyen  de  persécution  et  de  chantage. 
Faut-il  le  supprimer?  Ce  serait  un  remède  pire,  à  notre  avis,  que  le  mal.  Une 
réforme  qui  consisterait  à  dispenser,  dans  tous  les  cas,  le  prévenu  sur  cita- 
tion directe  de  partie  civile  de  l'obligation  de  comparaître  en  personne  (Cf. 
A.  Poiillo,  Des  abus  de  la  citation  directe,  in-S*»,  1880),  donnerait  satisfaction 
à  tous  les  intérêts. 

*-  Dès  son  arrêt  du  17  août  1809  (B.  cr.,  no  141),  la  Cour  de  cassation 
a  jugé  que  lorsqu'un  tribunal  de  police  met  en  demeure  roiïlcier  du  miois- 


OO  LE  MINISTÈRB  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTE  DE  S* ABSTENIR.  341 

>ans  le  secoad  cas,  Tirrecevabilité  de  la  citation  directe 
t  tenir,  soit  à  un  défaut  de  qualité  du  demandeur,  soit  à 
vice  de  la  citation  elle-même  :  1**  Pour  que  le  tribunal  soit 
iblcmeut  saisi,  il  faut  évidemment  que  le  plaignant  ait 
ilité  pour  le  faire.  Si  donc  celui-ci  est  déclaré  irreceva- 
dans  son  action,  en  l'absence  d'un  intérêt  suffisant  par 
mple,  la  citation  de  la  partie  civile  devant  le  tribunal  cor- 
lionnel  ou  le  tribunal  de  police,  inefficace  pour  saisir  la 
idiction  de  l'action  civile,  le  sera  également  pour  lui  dé- 
er  Taction  publique.  En  d'autres  termes,  pour  que  la  cita- 
)  directe  de  la  partie  poursuivante  ait  pour  effet  de  mettre 
mouvement  Faction  publique,  il  faut  qu'elle  émane  de 
îlqu'un  ayant  qualité  pour  exercer  l'action  civile".  ËtTin- 
^ention  du  ministère  public  aux  débats  ne  changerait  rien 
L  situation *\  2°  Il  faudrait  donner  la  même  solution,  dans 
:as  où  rirrecevabilité  de  l'action  de  la  partie  lésée,  au  lieu 
provenir  d'un  défaut  de  qualité,  proviendrait  d'un  vice  de 
ne  rendant  la  citation  nulle.  Le  tribunal,  irrégulièrement 
i<Ie  l'action  civile  comme  de  l'action  publique,  serait  sans 
voir  pour  statuer  sur  l'une  comme  sur  l'autre**. 
11.  Le  fait  par  le  plaignant  de  se  porter  partie  civile  et 
Trir  de  consigner  telle  somme  que  le  ministère  public 
cra  convenable,  ne  suffit  pas  pour  contraindre  ce  dernier 
)ursuivre.  Le  ministère  public  est  indépendant,  et  nul  ne 

public,  présent  k  l'audience,  de  donner  des  réquisitions  |:)Our  la  condam- 
»n  ou  pour  racquiltement,  si  ce  majj^'istrat  refuse  de  déférer  à  son  invi- 
n,  !••  tribunal  n'en  doit  pas  moins  prononcerson  jut^emenlet  sur  l'action 
ique  et  sur  Taclion  civile. 

Voy.  Cass.,  20  août  18t7  (S.  47.  1.  8:->2);  14  févr.  4852  (D.  52.5. 
25"nov.  1882  (S.  83.  1.  lVl)el  la  noie  9. 

Cependant,  certains  arrt>ls  ont  décidé  que  le  rejet,  pour  défaut  de 
lé  ou  d'inténH,  <le  l'action  oivile,  introduite  parla  partie  lésée,  ne  saurait 
pour  résultat  d'arrêter  ou  de  sus|)endre  l'exercice  de  l'action  publique 
ministère  public  s'est  appro[)rié  la  poursuite.  Vny.  par  exemple  :  Pau, 
ars  18r>4  (I).  5't.  2.  210)  ;  Alger,  7  avr.  1870  (I).  70.  2.  279).  et  surtout, 
,  7  juin  1867  (/^  cr.,  n»  IH);  Nîmes,  20  nov.  1902  [!.).  190V.  2.  127). 
Voy.  Cass:,  7  déc.  18:m  (\).  A.,  Supplément,  v°  Proc,  cvim.,  n»  2r,0, 

1). 


342       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

saurait  l'obliger  à  prendre  l'iiiilîalive  du  procès  s'il  ne  croit 
pas  devoir  le  faire.  Mais  loule  personne,  lésée  par  un  crime 
ou  par  un  délit,  peut,  aux  termes  de  l'article  63  du  Code 
d'instruction  criminelle,  en  porter  plainte  et  se  constituer, 
dans  la  plainte,  partie  civile  devant  le  juge  cTifistruction.  En 
agissant  ainsi,  elle  saisit  le  juge  de  l'action  civile,  ce  qui  ne 
peut  avoir  lieu,  qu'autant  que  l'action  publique  lui  est,  en 
même  temps,  soumise  :  car,  en  vertu  de  l'article  3  du  Code 
d'instruction  criminelle,  la  première  doit  être  exercée  simul- 
tanément avec  la  seconde  devant  les  juridictions  répressives. 
La  partie  lésée  provoque  donc  une  information  et,  par  suile, 
une  décision  du  juge  d'instruction.  A  la  vérité,  celui-ci  est 
obligé  de  communiquer  la  plainte,  dans  laquelle  la  victime 
de  l'infraction  se  constitue  partie  civile,  au  procureur  de  la 
République,  avant  de  commencer  l'instruction  (C.  instr.  cr., 
art.  70).  Le  procureur  de  la  République  peut  prendre,  en 
pleine  liberté,  les  réquisitions  qui  lui  conviennent;  conclure 
même  à  l'abstention  de  poursuites  qu'il  juge  mal  fondées.  Mais, 
quelles  que  soient  ses  réquisitions,  le  juge  d'instruction,  qui 
est  définitivement  saisi  de  Vaction  publique  par  la  partie 
civile,  doit  commencer  l'information  et  rendre  une  décision, 
alors  même  que  le  procureur  de  la  République  est  d'avis  qu'il 
n'y  a  pas  lieu  d'informer**.  Si  le  juge  d'instruction  rond  une 

*'"'  Une  i''co1l\  jalouse  des  pn.'rogativj^s  du  minist('T»?  public,  a    voulu  lui 
ré&ervfti*  le  droil  exclusir  de  rcqucrir  une  instruction.  Avec  ce  système,  on 
arrive  au  double  résullat  que  vnici  :  1®  D'une  part,  on  amoindrit  la  portée 
de  rîirtit^lc  (i7  du  Gudi;  d'instruction  criminelle,  qui  ouvre  au  plaignant  le 
droit  do  se  constilucr  partie  civile,  «  en  tnut  état  de  cause  »,  et  on  Si'  rn»'t 
en  contradiction  avec  l'article  G:^,  qui  permet  au  plaignant  de  se  constituer 
partie  civile  «  devant  le  juge  d'instruction  )».  2°  D'autre  ]>art,  on  crée  une 
véritable  impossibilité  h  la  constitution  de  partie  civile  en  nmtière  criniindkt 
puisque,  avecccttt^  solulion,  la  victime  d'un  crime,  qui  n«' peut  citer  directe- 
ment l'accusé  devant  la  cour  d'assises,  se  voit  enlever  le  droit  de  provoquer 
uni*  infr)rmati(»n.  Dans  les  actions  nombreuses  «'tdiversesauxquelles  adonné 
lieu,  en  Ixso,  l;i  dis[)ersion  aflminislrative  des    communautés  religieuses,  il 
semble  que  la  majorité  des  tribunaux  soit  revenue  aune  plus  saine  apprécia- 
tirm  d<î  In  loi.  Des  juges  d'in?truction  ont  cnmmencé  à  instruire  sur  la  plaint»* 
de  religieux  expulsées,  malgré  les  conclusions  d'abstention  des  procureurs  de 


;a8  ou  le  minist&rb  public  n'a  pas  faculté  de  s*abstenib.  343 

ordonnance  porlant  refus  d'informer,  la  partie  civile  aura  le 
droit  de  faire  opposition  à  sa  décision  devant  la  chambre  d'ac- 

la République;  sans  doute,  ils  ont  élé  dessaisis,  mais  par  des  considérations 
juridiques  qui  neportaienlpas  sur  le  fond  dudruildontils  sont  investis  parla 
k«L  Voy.  notamment  :  Cass.,  12  mai  1881  (quatre  arrêts)  (S.  53.  1.  185).  Le 
d?voir  d'un  jufje  d'instruction  de  rendre  décision  sur  une  plainte  contenant 
constitution  de  partie  civile,  sauf  le  droit  d'opposition  du  procureur  de  la 
Ri^pultrique,  ou  de  la  partie  civile  devant  la  chambre  d'accusation,  est  une 
garantie  essentielle  de  l'inténH  privé  qu'il    importe  de  conserver  intacte. 
Qu'on  le  remarque  bien,  cette  doctrine  n'egt  pas,  comme  on  Ta  dit,  une 
doctrine  de  circonstances  :  elle  «Hait  enseignée,  avant  1880,  par  d'éminents 
jurisconsultes  :  Ortolan,  t.  2,  n*»  2191;  Faustin  Ilélie,  t.  1,  n*»"  t)19  et  suiv.; 
Haus,  t.  2,  n**  1142.  Comp.  dans  ce  même  sens  :  Boullaire,  Gazette  des 
Tribwiauxy  l*'  février  1881  ;  Alb.  Desjardins,  Revue  critique^  1881,  p.  192; 
S.  82.  3.  58,  note  3;  Bordeaux,   22  déc.  1881  (S.  82.  3.  o7).  Elle   est,  du 
restp,  dans  les  traditions  et  conforme  au.v  idées  émises  dans  la  discussion 
du  Code    de   1808  (V.  Locré,  t.  25,  p.   147).    En  eOet,  sous    le  Code  de 
brumaire  an   IV,  les  plaintes  et  dénonciations   régulières  rendaient  leurs 
auteurs  parties  au  procès  pénal.  Le  juge  de  paix,  qui  remplissait  à  cette 
épwjue  les  fonctions  de  juge  d'instruction,  était  tenu  d'informer  et  de  décer- 
ner le  mandat  que  les  parties  requéraient,  sinon  celles-ci  étaient  autorisées  à 
appeler  de  son  refus  devant  la  juridiction  du  second   degré.  Le  Code  d'in- 
slruction  criminelle  a  réduit  la  dénonciation  à  la  valeur  de  simples  renseigjie- 
œents.  Et,  en  distinguant  la  i)lainte  simple  de  la  constitution  de  partie  civile, 
wCode  a  assimilé  la  plainte  à  la  dénonciation,  mais  en  donnant  à  la  consti- 
tution  de  partie  civile  Tetret  de  remlre  le  plaignant  partie  au  procès.  Il  faut 
reconnaître,  du  rost«î,  qu'en  1880,  la  question  se  compliquait  d'une  autre  diffi- 
cull»f,  relative  à  l'application  di^s  articles  479  et  suiv.  du  Code  d'instruction 
crimioelle  aux  crimes  commis  par  certains  fonctionnainîs,  le  droit  de  pour- 
suite dn  procureur  général  excluant,  dans  ce  cas  particulier,  la  mise  en  mou- 
Temtînl  de  l'action  publique  parla  partie  civile.  V.  Cass.,  !•'  mai  1881  (S.  80, 
i.  185);  4  juin.  18S4  (S.  85.  1.  393);  4juill.  1804  (S.  04.  1.  49).  La  ques- 
tion est  examinée,  d'um»  manière  complète,  par  A.  Guillot,  Des  principi's  du 
nouveau  Code  d* instruction  cviminelle  (p.  07  et  80).  fJ'après  le  texte  du  pro- 
jet de  loi  portant  revision  du  Code  d'instruction  criminelle,  tel   qu'il  avait 
*-Ié  voté  par  le  Sénat,  le  ju^^î  d'instruction  ne  pouvait  jamais  ouvrir  une 
information,  sans  avoir  été  nMjuis  par  le  jirnciireur  do  la  R'^publique.  C'était 
un  retour  défdorable  au  système  inquisitoire  pur.  Comp.  Alb.  Desjardins, 
yju'je  d'instruction  et  le  minislcrc  public  dans  le  nouveau  Code  d^instruc" 
ion  criminelle  {La  France  judiciaire,  1883,  p.  250).  Dans  le  système   du 
^énat,  le  juge  agissait,  lorsqu'il  recevait  une  plainte  contenant  constitution 
e  partie  civile,  non  comme  juge,  mais  comme  ottlcier  de  police  judiciaire, 
i>n  rôle  consistait  à  recevoir  la  plainte  et  à  la  transmettre  au  parquet.  On 


I 


344      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

cusation  qui,  saisie  de  l'affaire  par  celle  opposition,  pourra 
user  de  la  faculté  que  lui  confère  l'article  235  du  Code  d'ins- 
truction criminelle,  c'est-à-dire  ordonîier  des  poursuites^  infor- 
mer ou  faire  informer.  Si  le  juge  s'abstient  de  toute  décision, 
îl  peut  être  pris  à  partie  pour  déni  de  justice. 

En  l'état  actuel  du  droit  positif  français,  le  juge  d'instruc- 
tion peut  donc  être  saisi  de  trois  manières  :  {*"  par  un  réquisi- 
toire du  ministère  public;  2''  par  le  fait  lui-même  lorsqu'il  est 
Qagrant;  3*  par  une  plainte  contenant  constitution  de  partie 
civile.  Dans  ce  dernier  cas,  si  le  juge  d'instruction  est  obligé 
de  communiquer  la  plainte  au  i^arquet,  le  procureur  de  la  Ré- 
publique, de  son  cùté,  est  tenu  de  prendre  telles  réquisitions 
qu'il  appartiendra  :  après  quoi,  le  juge  devra  statuer  en  appré- 
ciant la  plainte.  Les  garanties  contre  les  accusations  témérai- 
res se  trouvent  —  et  elles  sont  suffisantes,  — dans  l'obligation 
de  supporter  les  frais  et  dans  le  danger  d'être  exposé  à  des 
dommages-intérêts  en  cas  d'échec  *\  Reconnaître  à  la  partie 
lésée  le  droit  de  provoquer  une  information,  ce  n'est  pas 
»  encourager  des  scandales  inutiles,  de  honteux  chantages  et 
de  basses  vengeances  »,  c'est  ouvrir  à  l'intéressé  l'accès  de  la 
justice  répressive.  Il  y  a  deux  cas,  en  etTet,  où  la  victime  est 
dans  l'impossibilité  d'agir  au  criminel,  si  on  lui  enlève  le  droit 
desaisirle  juge  d'instruction  :  c'est  le  cas,  pour  les  crimes,  qui 


a  pu  dire  qu'une  «  boîli;  aux  lettres  »  ferait  tout  aussi  bien  l'aflaire.  La 
Commission  de  la  Chambre  desd»?put<?s  (1887),  avait  adopté,  du  reste,  la  df>c- 
Irine  contraire.  Sur  cette  question  et  sur  les  etTets  de  la  plainte  en  général  et 
les  rir^formes  désirables  :  Demogue,  De  la  plainte  de  la  partie  lésée  au  juge 
d'instruction  (Hec,j)cnit.y  IIIUO,  p.  451  et  tr»")). 

*■  11  faut  évidemment  se  préoccuper  des  abus,  soit  de  la  constitution  de 
partie  civile  devant  le  juge  d'instru«'tion,  soit  de  la  citation  directe  devant 
les  tribunaux  répressifs.  Mais  il  nous  s«*mble  (jue  les  <li verses  sanctions 
civik's  cl  pénales  sont  suftisant«*s  [n)ur  les  prévenir.  Voy.  sur  la  citation 
dirt'cle  faite  de  mauvaise  f«.»i,  ou  mémi^  légèrt-nieul  :  Cass.,  lifévr.  1895(S.  07. 
4.  -ioS);  -r»  mars  1898  (S.  [)\),  1.  200).  La  pn.positicu  de  M.  Ilozérian  au  Sé- 
nat, punissant  cet  abus  d'une  ameiidedi*  KMhï  lo.oOO  fraiK's,prup(»sition  prise 
en  considération  le  K»  avril  188(>  [J.ois  noarellcs^  8(3.  4.  72  et  112),  n«.nis 
parait  »'xcessivc.  La  saïu^tion  pénale  de  la  dénonciation  calomnieuse  est 
suffisante. 


CAS  00  LE  MINlBTiRB  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTE  DE  8* ABSTENIR.    345 

ne  peuvent  être  jugés  par  la  cour  d'assises  qu'après  une  în- 
slpuclion  et  sur  renvoi  de  la  chambre  d'accusation;  c'est  le  cas, 
pour  les  poursuites  contre  inconnus,  puisqu'on  ne  peut  déli- 
vrer do  citation  et  qu'il  faut,  auparavant,  dotcrminer,  au 
moyen  d'une  instruction,  l'auteur  ou  les  auteurs  du  délit. 

153.  Devant  les  tribunaux  de  répression,  l'exercice  et  la 
direction  de  l'action  publique  appartiennent  exclusivement 
au  ministère  public  :  lui  seul  prend  des  réquisitions,  soit  en 
vue  de  Tinslruction  de  Taffaire,  soit  en  vue  du  jugement  et 
de  Tapplication  de  la  peine.  Nul  ne  peut  le  suppléer  à  cet 
égard  ;  et  toute  juridiction  doit,  avant  de  rendre  un  jugement, 
provoquer  et  attendre  ses  réquisitions  (C.  instr.  cr.,  art.  61, 
70,127, 153,  190,  210, 224, 271, 273,  276, 277,  ancien  art.  287, 
art.  333,  362)^  même  dans  le  cas  où  l'action  a  été  mise  en 
mouvement  par  d'autres  que  par  lui.  Mais  là  s'arrêtent  les 
exigences  de  la  loi.  Si  le  tribunal  ne  peut  statuer  qu'après 
avoir  pris  l'avis  du  ministère  public,  il  peut,  en  toute  indépen- 
dance, soit  ordonner  les  mesures  d'instruction  qu'il  croira  de- 
voir prendre,  soit  accepter  ou  rejeter  les  conclusions  du  minis- 
tère public.  Le  point  important  est  donc  de  savoir  qui  a  le 
droit  de  saisir  le  tribunal,  car  le  tribunal,  dès  qu*il  est  saisi  et 
par  cela  seul  qu'il  est  saisi,  est  investi  du  droit  de  recher- 
cher la  vérité  par  tous  les  moyens  que  la  loi  met  à  sa  dis- 
position. 

154.  Lorsqu'une  décision  est  intervenue  sur  l'action  civile 
PlTaction  publique  «  poursuivies  en  môme  temps  et  devant  les 
mômes  juges  »,  l'indépendance  des  deux  actions  est  complète, 
en  ce  double  sens  que  le  recours  du  ministère  public  conserve 
l'action  publique  sans  profiler  à  l'action  civile  et  que,  h  l'in- 
verse, le  recours  de  la  partie  civile  conserve  l'action  civile 
sans[iroriter  à  l'action  publique.  Nous  suivrons  plus  loin  l'ap- 
plication de  ce  régime  aux  divers  recours  :  opposition  aux 
ugements  par  défaut,  appel,  pourvoi  en  cassation. 

Celle  règle  admet  cependant  une  exception  [jour  les  recours 
fue  la  partie  civile  est  autorisée  à  exercer  contre  les  ordon- 


346      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES   ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

nances  ou  arrêts  des  juridictions  d'instruction  *'.  A  quoi  lui 
servirait,  eu  effet,  d'obtenir  la  réformation  ou  la  cassation  de 
ces  décisions,  si  la  voie  de  recours  ne  devait  pas  aboutir  à  un 
renvoi  des  deux  actions  devant  la  juridiction  de  jugement, 
puisque  cette  juridiction  ne  peut  valablement  être  saisie  de 
Faction  civile  sans  Tetre  on  même  temps  de  l'action  publique? 


§  XXVI.  —  DES  CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  N'A   PAS   LA  FACULTÉ 

D'EXERCER  L  ACTION  PUBLIQUE. 

155.  De  l'action  d'office.  Principe.  Exceptions.  Des  obstacles  qui  s'opposent  k 
Teiercice  de  l'action  publique.  —  456.  Renvoi  pour  l'étude  des  questions  préju- 
dicielles. Pliiute  ou  dénonciation  de  la  partie  lésée.  Autorisation  préalable. 

155.  Étant  données  ces  deux  choses  :  une  loi  en  vigueur, 
prévoyant  un  délit,  un  /ait  punissable  sur  le  territoire,  l'ac- 
tion pénale,  contre  les  auteurs  et  les  complices  de  ce  fait,  est 
légitime  et  doit  être  exercée  sans  autre  examen  et  sans  autre 
condition.  C'est  le  système  de  la  Irr/alitédc  l'action  publique, 
par  opposition  à  celui  de  son  opportunité.  Mais  les  contin- 
gences humaines  ou  sociales  accoutumées,  qui  attribuent  un 
certain  caractère  de  relativité  h  toutes  les  institutions  juridi- 
ques, et  qui,  à  côté  de  toute  règle,  posent  des  exceptions,  s'appli- 
quent même  en  cette  matière.  Certains  obstacles,  tenant  au 
fait  [replies]^  ou  tenant  aux  personnes  {personnelles),  s'oppo- 
sent à  l'exercice  de  l'action  pul)li([ue.  soit  d'une  manière  tem- 
poraire, soit  d'une  manière  permanente.  Dans  certaines  cir- 
constances, en  effet,  la  loi  suspend  l'action  publiqtie  ;  dans 
d'autres,  elle  la  supprime  ou  la  déclare  éteinte. 

1.  L'action  publique  rencontre  un  obstacle  temporaire,  qui 
s'oppose  à  son  exercice  :  i°  quand  elle  est  subordonnée  à  la 
nécessité  {Ywna plainte  A^.  la  partie  lésée;  2""  quand  elle  est 
subordonnée  à  une  autorisation  ou  à  une  dénonciation  préa- 
lable; 3°  (|uand  elle  est  arrêtée  par  une  rjuestion  préjudi- 

*8  Vr»y.  C-iss.,  21)  mars  1878  (S.  70.  1.  03).  Coinp.  Ciisf^.,  8  f«'vr.  iSnn  (D. 
5:1.  \.  OÔ);  9  juii.  190i.  (Oaz.  Trib..  n*»  «lu  IG  nuv.  1004).  On  lira  les  obser- 
vations faites  dans  la  lier,  pcnil.,  190o,  p.  383. 


CAS  OU  LB   MINISTÈRE   PUBLIC    n'a   PAS   FACULTE   D'AGIR.         347 

cielle  à  Taction  ;  4°  quand   elle  est  suspendue  par  l'état  de 
ihnence  de  Tinculpé. 

II.  L'action  publique  esiirreccvaùle  d'une  wanièrc  absoluCy 
lorsque  le  fait,  hieu  que  constituant  une  infraction,  ne  donne 
pas  ou  ne  donne  plus  ouverture  à  Taction  publique.  Les 
causes  d*exlinction  de  faction  publique  formant  l'objet  d'uu 
litre  particulier,  nous  nous  bornerons,  ici,  à  indiquer  les  faits 
délictueux  pourlesquels  la  loi  supprime  l'action  publique,  et, 
parsuite,  l'application  de  la  peine.  Ces  faits  sont  :  1**  les  sous- 
Iraclions  commises  entre  é|)Oux  ou  proches  parents  (G.  pén., 
art.  380);  2°  les  infractions  commises  sur  notre  territoire  par 
des  agents  diplomatiques  accrédites  auprès  du  gouvernement 
français,  ou  par  toute  autre  personne  jouissant  de  l'immunité 
de  juridiction;  3^  le  rapt,  lorsque  la  validité  du  mariage  con- 
Iradê  entre  le  ravisseur  et  la  fille  enlevée  a  été  reconnue  par 
le  tribunal  civil. 

156.  La  théorie  des  questions  préjudicielles  se  rattache  à 
celle  de  la  compétence.  C'est  en  traitant  de  l'organisation  et 
de  la  compétence  des  juridictions  répressives  que  nous  l'étu- 
dierons.  La  démence  de  Tinculpé,  survenue  depuis  linfrac- 
lion,  est  un  obstacle  de  fait  qui  s'oppose  à  toute  procédure 
kndant  à  le  convaincre  de  son  crime  et  à  le  juger.  Et  la  rai- 
son en  est  qu'un  fou  ne  peut  se  défendre.  Les  seuls  cas  où 
'action  publique  est,  ([uantà  son  exercice,  soumise  à  cerlai- 
'ïes  conditions  préalables  et  légales,  en  dehors  de  l'existence 
dequostions  préjudicielles,  sontau  nombre dedeux  :  1"  plainte 
Qu  dénonciation  de  la  partie  lésée;  2"*  autorisation  préalable. 


§UVn.  -  DES  CAS  ou  L'ACTION  PUBLIQUE  EST,  QUANT  A  SON 
CXERCIGE,  SUBORDONNÉE  A  UNE  PLAINTE  OU  A  UNE  DËNONGIATION 
PRÉALABLE. 


"7.  I,ps  cas  où  racti«.»n  j)iil)llqiH^  rst  suljordonn»-»'.  ilans  >«in  (!X«'roic:p,  à  une  plainte 
f''i  à  une  dénoncialiMn,  soDt  liinilutiviMnciil  «l'-lfrmini''^  \n\v  la  loi.  Kn  cN^hors  des 
tftxlpg.  je  principe,  c'est  l'action  tl"«.flir«\  —  158.  Kniimôrulion  de  co^  cas  exeep- 
lif'nnels.  —  159.  r>rij:ine  liisinrique  d.,»  «•(■  syslrin»'.  Droit  n»main.  Anci'Mi  dn)it. 
I^roit  interraédinin-.  Droit  actuel.  —   160.   Maisons  d'être  de  ces  exceptions  au 


348      PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

principe  de  l'action  d'office.  —  164.  La  plainte,  base  de  Taction,  est-elle  soamise 
à  une  forme  parlicii]i«;re?  discussion  et  application  de  l'idée  que  ce  qui  est  nécev 
saire  et  suflisant,  c'est  que  la  plainte  soit  écrite  et  manifeste  l'intention  cerlaioe 
du  plaignant  de  provoquer  la  poursuite.  —  162.  Du  retrait  de  la  plainte.  Dé>isle- 
ment.  Son  ell'et.  Exception  pour  le  cas  d'adultère  ou  de  certains  délits  de  pre5>:>e. 
—  163.  Étude  et  chusscraenl  des  (liv«;rs  cas  où  l'exercice  de  l'action  publique  est 
subordonné  à  une  plainte  ou  dénonciation  préalable.  Adultère.  Rapt.  Délits  de 
chasse.  Délits  de  pèche.  Délits  des  fournisseurs.  Contrefaçon  industrielle.  Diffa- 
mation et  injures.  Délits  commis  en  pays  étranger.  —  164.  Appréciation  de  ce  sys- 
tème. Législations  étrangères.  Pratique.  Réformes. 

157.  Le  droit  français  moderne  dégage  l'action  publique 
de  tous  les  intérêts  particuliers.  Cette  conception  a  deux  con- 
séquences corrélatives. 

D'abord,  les  deux  actions,  publique  et  civile,  sont  indépen- 
dantes. Les  transactions,  renonciations,  tractations,  qui  ont  pu 
intervenir  entre  la  partie  lésée  et  le  coupable,  restent  sans 
influence  pour  arrêter  ou  paralyser  l'exercice  de  TactioD  pu- 
blique ^ 

Puis,  l'action  publique /yf^^/Z^/r^  exercée  d'office^  sans  quele 
ministère  public  ait  à  attendre  d'être  saisi  d'une  plainle  ou 
d'une  dénonciation.  Ce  droit  ou  cette  prérogative  constitue 
un  principe  général  qui  ne  saurait  souffrir  d'exceptions 
qu'en  vertu  d'une  disposition  légale  ci  formelle^. 

§  XXVn.  *  Le  projet  de  l'article  4  du  Code  d'instruction  criminelle,  sou- 
mis au  Conseil  d'Étal,  était  ainsi  conçu  :  «  La  renonciation  à  l'action  civil*^ 
ne  peut  arrêter,  ni  suspendre  la  poursuite  <i'une  contravention  ou  d'un 
délit,  lorsqu'ils  sont  de  nature  à  blesser  Vordrc  public  ».  Au  cours  de  ï^* 
discussion  (Locré,  t.  2'*,  p.  109),  on  fît  remarquer,  d'une  part,  combi^" 
cette  reclrictiun  soulèverait  de  diflicultés  d'espèces,  et,  d'autre  part,  combi<^" 
elle  était  contraire  à  la  conceptinn  du  délit  qui  est  essentiellement  un  fi^*^ 
troublant  Tordre  public.  C'était  la  résurrection  des  délits  privés, 

2  u  Les  exceptions  à  ce  principe  (d'après  lequel  l'action  publiciue  peut 
Otre  exero«'*e,  sans  avoir  été  provoquée  par  la  partie  lésée),  ne  peuvent  r^' 
sulter  (jue  de  la  loi;  conmie  toute  exception,  elles  ne  peuvent  être  étendut'^^ 
à  d'autres  cas  que  ceux  pour  lesquels  elles  ont  été  formellement  établies. 
<'t  leur  etViît  ne  dc»it  pas  aller  au  delà  des  limites  que  la  lui  leur  a  fixées  '^ 
Mauii:in,  Actions^  t.  l,  n**  131.  Cfr.  Faustin  Hélie,  op,  cit.,  t.  2.  n®  73-2; 
Le  S»'llyer,  Traité  de  rcrcrrico  cl  de  V extinction,  etc.,  t.  1,  n**  2>^S;  Viclo- 
ri«'n  lJesfr«.»ix,  Drs  cas  oii  rcxcrcice  de  raction  publique  est  subordonné  (i 
la  plainte  de  la  partie  lésée  (Th.  doct.,  Paris,  1888),  p.  76;  Hoberl,  Du  droi 
des  particuliers  tlans  Vcxercice  de  l'action  publique ^  p.  78  et  suiv.  Lu  juris 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE  PUBLIC  n'a  PAS  FACULTE  d'aGIR.     349 

158.  Les  infractions,  pour  lesquelles  la  loi  laisse  à  la 
partie  lésée  l'appréciation  de  rop[)ortunité  de  la  poursuite, 
sont  au  nombre  de  huit.  Ce  sont:  i°Vadtiltcre(C.\>én.^8ivL  336 
et  339);  2°  la  diffmimtion  et  Vinjure  (L.  29  juill.  1881 
sur  la  presse,  modifiée  par  la  loi  du  16  mars  1893,  art.  47  et 
60),  sauf  en  ce  qui  concerne  le  chef  de  TÉtat  français  et  les 
ministres;  2"  le  délit  de  chasse,  consistant  à  chasser  en  temps 
non  prohibe  sur  le  terrain  d'autrui,  sans  la  permission  du 
propriétaire,  pourvu  qu'il  ne  s'agisse  pas  de  terrains  chargés 
de  récoltes  ou  d'enclos  attenant  à  une  habitation  (L.  3  mai 
1844  sur  la  chasse,  art.  26)  ;  4*  les  délits  dépêche  dans  les  cours 
d'eau  dont  la  pèche  a  été  affermée  (L.  15  avr.  ^829,  art.  65; 
L.  31  mai-8  juin  1865,  art.  14);  5*'le  délit  de  contrefaçon  en 
matière  de  brevet  d'invention  (L.  5  juill.  1844,  art.  15)  ;  6*  les 
délits  correctionnels  commis  par  un  Français  à  l'étranger 
(C.  instr.  cr.,  art.  5,  al.  4,  modifié  par  la  loi  du  27  juin  1866); 
7° le  crime  de  rapt  de  miîieur^  suivi  de  mariage;  8®  les  délits 
des  fournisseurs  prévus  par  les  articles  430  à  433  du  Gode 
pénal. 

Dans  ces  divers  cas,  nous  entendons  par  plainte,  une  décla- 
ration par  laquelle  la  victime  d'un  délit  lato  sensu  en  fait 
Texposéà  un  officier  de  police  judiciaire  pour  que  l'auteur  en 
soit  poursuivi. 

Quelle  est  l'origine  historique  de  ce  système? 

Quel  en  est  le  fondement  rationnel? 

Ce  sont  là  deux,  questions  préliminaires  qu'il  faut  examiner, 
avant  de  déterminer  les  deux  points  généraux  suivants  :  les 

prudence  est  conforme  à  Topinion  unanime  des  auteurs.  Ainsi,  il  a  été  jug6 
qu'en  matière  de  contravention  de  police,  l'absence  de  plainte,  même  attes- 
tée par  le  rédacteur  du  procès-verbal,  n'est  pas  un  obstacle  à  la  poursuite 
de  la  contravention  par  le  ministère  public  (Cass.,  31  juill.  1862,  D.  67.  5. 
476).  Il  a  été  jugé  que  le  ministère  public  a  qualité  pour  poursuivre  d'of- 
fice et  sans  plainte  préalable  le  délit  de  mise  en  circulation  en  France  d'ob- 
jets portant  une  fausse  indication  de  leur  lieu  de  fabrication  (Cass.,  27  févr. 
1880,  D.  80.  1.  43i).  Kn  matière  «  d'escroquerie,  l'action  du  ministère  n'est 
pas  subordonnée  à  une  plainte  préalable  de  la  partie  lésée  »  (Cass.,  23  nov. 
1901,  D.  1904. 1.  571).  Voy.  également  :  Cass.,  15  juin  1893  (D.  95.  1.  496). 
3  nov.  1894  (D.  96.  1.  54). 


350       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CI 

formes  cl  les  effets  de  la  plainte  ou  de  la  dénonciation 
qu'elle  est  requise. 

159.  Le  droit  romain,  dont  le  système  est  acluellei 
remis  en  lumière  et  préconisé  par  quel([ues  novateurs,  lii 
guail  et  séparait  :  1**  les  délits  puôlics,  intéressant  la  i 
publique,  pouvant  cire  poursuivis  par  tous  citoyens  el  j 
par  des  tribunaux  répressifs;  2°  les  délits  privés,  luis  q 
furtum^  Vinjuria,  poursuivis  par  les  parties  intéros 
jugés  par  les  juridictions  civiles.  C/est  à  propos  des  pren 
pour  les([uels  le  droit  <raccusalion  était  accorde  à  tou 
citoyens  aussi  bien  qu'aux  parties  intéressées,  qu'élaient 
deux  reslriclions  au  principe  général,  Tune  pour  le  crin 
supposition  de  [»arP,  Taulre  pour  Tadultère*. 

Ces  deux  restrictions  passèrent  dans  notre  ancien  c 
L'ordonnance  de  1670  (lit.  XXV,art.  19)enjoignait,  ilest 
aux  procureurs  du  roi,  et  à  ceux  des  S(Mgneurs,  k  de  | 
«  suivre  incessamment  ceux  qui  seront  prévenus  dv  c\ 
a  capitaux,  ou  auxquels  il  écherra  peine  afdictive,  nonol 
«  toutes  transactions  et  cessions  de  droits  faites  par  bs 
«  lies.  Et  à  l'égard  de  tous  les  autres,  seront  les  trans.^c 
«  exécutées,  sans  que  nos  procureurs  ou  ceux  des  seit^n 
«  puissent  en  faire  aucune  poursuite  ».  Mais  celte  distini 
admise  entre  les  infractions  graves,  donnant  lieu  à  une 
suite  d'office,  el  les  infractions  moins  graves^  laissée 
soins  des  particuliers,  conduisit  les  juristes,  en  Tab 
cependant  de  toute  disposition  restrictive  dans  les  ordoi 
ces,  à  ressusciter  les  deux  exceptions^  et  à  y  ajouter  que 
autres  cas'. 

»  Loi  30,  S  1,  Dig.,  (te  li'u>>  Cornelia  de  fahh,  XLVIII,  10  :  u    D.- 
supposilo  ^n\i  accusant  parlMJto^^  aul  hi  ad  (iii«)S  ca  rcs  perliiicat,  uoi 
bel  oxpopulu  ci^t  piiMicain  acousatirmom  iiit«.Mi«lat  »*.  lit  un  autre  Il'xI 
pie D  en  (lonnail  la  raison  (L<»i  I,  J;  3,  l)i^^,  'le  insp.  rentii,  XXV,  i) 
blico  inteivsl  parlus  non  suhjici  ul  onlinunidij^nilasrarailiarumvo  &al\ 

*  Pour  radultère  :  Ksmein,  Mt'latiifis  (h^  droit,  [>.  M.lîs. 

^  Viiy.  Miiyai-t  «le  Vou|jrIans,  Lois  criminr/Irs,  j).  2r»l». 

^  Leâ  ofliciei's  publ'u's,  «.lit  .Ious^m  [lu str,  ciiin.,  p.  198',  no  soni  [la 
à  accuî?»M'  lursqu'il  .s'a<^il  «rinjuros  el  li'aflain-s  libères. 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE   PUBUG  N'a    PAS   FACULTÉ   D  AGIR.  351 

Le  droit  intermédiaire,  en  accordant  la  faculté  de  pour- 
suivre, soit  aux  parties  lésées,  soit  aux  officiers  de  police 
judiciaire,  donnait  à  ces  derniers  la  pleine  et  entière  dispo- 
sition de  l'action  publique.  Le  Code  de  brumaire  an  IV, 
disait,  dans  son  article  4  :  «  Tout  délit  donne  essentiellement 
«^  lieu  à  une  action  publique»;  et  dans  son  article  100: 
"Toutes  les  fois  qu'un  juge  de  paix  apprend,  soit  par  une 
«dénonciation  ou  une  plainte,  502/  atUrement,  qu'il  a  été 
'(  commis  dans  son  arrondissement  un  délit  de  nature  à  être 
"  puni  soit  d'une  amende  au-dessus  de  la  valeur  de  trois 
«journées  de  travail,  soit  d'un  emprisonnement  de  plus  de 
«trois  jours,  soit  d'une  peine  afflictive  ou  infamante,  il  est 
«  tenu,  sans  attendre  aucune  réquisition^  de  faire  ses  dili- 
«geoces  pour  s'assurer  du  fait,  découvrir  le  coupable  et  le 
«faire  comparaître  devant  lui  ». 

Le  Code  d'instruction  criminelle,  tout  en  effaçant  la  dis- 
linclion  des  délits  publics  et  des  délits  privés,  est  revenu  au 
système  de  notre  ancien  droit.  Aujourd'bui,  toute  infraction 
esldemème  nature  au  point  de  vue  de  raclioii.  Et  l'action 
publique,  en  découlant,  peut  être  intentée  iVof/ice,  sous  réserve 
d'un  petit  nombre  de  cas  dans  lesquels  la  loi  exige  la  plainte 
^ela  partie  lésée  préalablement  à  sa  mise  en  mouvement. 

160.  On  peut  classer,  sous  deux  ordres  différents  d'idées, 
It's  motifs  qui  ont  fait  subordonner    Texercice    de   l'action 
publique  à  cette  condition.  Dans  certains  cas,  le   législateur 
se  préoccupe,  soit  de   rintérél,  de  la   paix  et  du   repos  des 
familles,  qu'il  ne  faut  pas  troubler  par  des  poursuites  indis- 
crètes, soit  de  l'honneur  et  de  la  considération  des  personnes^ 
lui  ont  souvent  plus  à  perdre    qu'à   gagner  à    un    procès 
j)énal.  Dans  d'autres,  il  considère  (ju'il  s'agit  d'infractions  qui 
blessent  surtout  Tinléret  privé  et  que  l'intérêt  public  est  si 
égèrement  atteint  qu'il  convient  de  ne  pas  intenter  l'action 
anl  que  la  partie  lésée  n'a  pas  provoqué  la  poursuite. 

161.   Lorsque  la  poursuite  peut  avoir  lieu  d'office,  il  est 
ms  intérêt  comme  sans  utilité  de  se  préoccuper  de  la  forme 


352      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILS. 

de  la  plainte  ou  de  la  dénonciation  qui  a  mis  en  mouYcment 
Faction  du  parquet  :  le  ministère  public,  en  effet,  aie  droit 
d'agir,  dans  ce  cas,  de  quelque  manière  et  dans  quelques  con- 
ditions qu'il  ait  acquis  la  connaissance  de  Tinfraclion.  La 
poursuite  d'office  a  pour  caractère  essentiel  de  n'être  subor- 
donnée à  aucune  condition  de  fond  ou  de  forme.  En  est-il 
de  même  lorsque  la  poursuite  ne  peut  avoir  lieu  qu'après  une 
plainte  ou  une  dénonciation?  Les  articles  31  et  63  du  Code 
d'instruction  criminelle  indiquent,  tout  à  la  fois,  les  officiers 
de  police  judiciaire  compétents  pour  recevoir  une  plainte  ou 
une  dénonciation  et  les  formes  mêmes  dans  lesquelles  ces 
actes  sont  rédigés.  On  a  soutenu  que,  dans  tous  les  cas  où 
elle  rst  exigée  pour  que  la  poursuite  puisse  avoir  lieu,  la  plainte 
ou  la  dénonciation  doit  être  régulière,  c'esl-à-dirc  adressée 
au  fonctionnaire  compétent  pour  la  recevoir,  écrite  et  signée 
conformément  aux  prescriptions  des  articles  31  et  63  :  car  la 
plainte  ou  la  dénonciation  est  alors  la  hase  même  de  Taction^ 
Mais  cette  condition  nous  semble  exagérée.  Ce  qui  esta  la  fois  . 
nécessaire  et  suffisant,  c'est  que  le  ministère  public  justifie 
qu'il  a  été  saisi,  avant  d'agir',  d'une  pièce  quelconque,  éta- 
blissant Viniention  formelle,  et  non  équivoque,  du  plaignant 
ou  du  dénonciateur  de  provoquer  des  poursuites*.  Or,  la  nia- 

"^  Voy.  Faustin  Hélie,  op,  cit.,  t.  2,  n"  751  et  suiv.;  Haus,  op,  cit.,  1.2, 
n"  lir>8  l't  1159;  LaborcJe,  n°  102,  p.  211;  Villey,  Précis  (6»  t^dit,),  p.  189. 

»  L'acliori  n*esl,  en  elTet,  recevahie  que  b'i  elle  est  précédée  d'une  plainte 
ou  'Pune  dénonciation  préalable  à  son  exercice.  Ainsi,  il  a  été  jugé  (Cass., 
18  jauv.  18G1,  D.  01.  1.  18G),  qu'il  n'est  pas  nécessaire  que  la  plainte  soil 
datée.  Mais,  dans  ce  cas,  il  laut  bien  qu'il  soit  établi,  en  fait,  que  la  plaiolf 
a  f)récédé  l'exercice  de  l'action  publitiue.  Voy.  également  :  Angers,  9  mars 

1891  (./.  dvs  Parq,,  18«1.  2.  73). 

•  La  jurisprudence  français<>  paraît  être  établie  dans  ce  sens.  Voy.  o" 
matière  «le  dilVamation  :  Cass.,  29  mai  1880  (S.  87.  1.  337);  Cass.,  8  jauv. 

1892  (D.  92.    1.   029).  Sic,    Fal)regueltes,    Traité  des    infractions  de   la 
parole j  de  récriture  et  de  la  presse,  t.  2,  ii**  1937;  Barbier,  Code  expliqué 
de  la  inrsae,  t.  2,  W*  805;  G.  Le  Poitlevin,  Traité  de  la  presse,  t.  3,  n®  1270. 
En   maiit'rc  de  d»Mit  de   chasse  :  Caen,  5  janv.  1871  (D.  71.  1.  170).  —    Il 
en  e>l  de  mr-nie  de  la  jurisprudence  belge  :  <^ass.  belge,  3  mars  1890  [Pa- 
sicrisie,  1890.  1.  103),  bien  que  Ilaus  {Principes  du  droit  pénal  belge^  t.  2, 
no  1158),  soit  d'un  avis  contraire. 


CAS  on  LE   MINISTÈRE   PUBLIC   n'a   PAS  FACULTB    d\gIR.       353 

nifestation  de  cette  volonté  n'est  soumise  à  aucune  condition 
spj'iciale,  pourvu  qu'elle  se  produise  sous  une  forme  qui  per- 
mette d'en  constater  l'existence,  ou  qui  laisse  à  la  Cour  de 
cassation  les  moyens  d'exercer  son  droit  de  contrôle. 

I.  Ct^ci  posé,  la  plainte,  qu'elle  émane  d'une  personne  pu- 
blique ou  d'un  simple  particulier,  doit  être  faite  par  écrit  ^^  et 
révéler  l'intention  de  son  auteur  de  mettre  en  mouvement 
raction  publique.  Dès  que  cette  double  condition  est  remplie, 
il  est  satisfait  à  la  loi. 

Mais,  il  y  a  lieu  de  remarquer  :  V  Qu'en  matière  de  diffa- 
mations ou  injures  adressées  aux  cours  et  autres  corps  en  umérés 
en  l'article  30  de  la  loi  du  29  juillet  1881,  l'article  47,  §  \  de 
celte  loi  exige  que  si  ce  corps  a  une  assemblée  générale,  une 
délibération  soit  prise  par  ladite  assemblée  pour  requérir  des 
poursuites;  mais  cette  délibération  n'est  pas  plus  soumise  que 
la  plainte  à  une  forme  spéciale  et  déterminée  ;  2®  Que,  dans  le 
cas  d'offense  envers  les  chefs  d'État,  ou  d'outrage  envers  les 
agents  diplomatiques  étrangers,  la  poursuite,  si  elle  n'a  pas 
lieu  à  leur  requête,  se  fait  d'office,  sur  leur  demande  adressée 
an  ministre  des  affaires  étrangères  et  par  celui-ci  au  ministre 
delà  justice  (L.  29  juin.  i881,  modifiée  par  la  loi  du  16  mars 
1893,  art.  60)  *'. 

Dans  tous  les  cas,  l'action  civile,  intentée  par  la  partie 
lésée,  dey ani]a juridiction  civile,  n'équivaut  pas  à  une  plainte 
et  ne  rend  pas  le  ministère  public  recevable  à  intenter  des 
poursuites.  En  effet,  lorsque  la  loi  subordonne  l'exercice  de 
l'action  publiqiie  à  une  plainte  ou  à  une  dénonciation,  elle 
>eulque  la  volonté  de  la  partie  lésée  de  faire  punir  le  cou- 
pable soit  constatée  d'une  manière  certaine.  Or,  par  cela  seul 
elpar  cela  mêmeque  la  partie  lésée  porte  son  action  devant  les 

*^  Il  est  (^vident  qu'une  plainle"  vorhîilo,  rlonl  on  ne  pourniit  «K'-niDnlrer 
la  rAalit.'^  que  par  des  (l»»rlîiralions  ou  des  trmniirn.iLrt'?,  serait  insiiflisanl^. 
Mais  la  Cour  d'Angers,  dans  l'arnH  prreil(^  du  0  mars  1SÎ>I,  a  d«'cid«»  que, 
pi  la  plainte  écrite  avait  éXé  détruite  par  suite  d'un  accident  ou  d'un  cas 
fortuit,  le  ministère  public  pouvait  être  admis  k  établir,  par  tous  mo«!es  de 
preuve,  qu'une  plainte  régulière  lui  avait  été  remise  en  temps  u'.ile. 
**  Sur  tous  ces  pt»inls  :  G.  Le  Puittevin,  op,  cit.,  n°  I2o0. 

G.  P.  P.  —  1.  23 


354       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILS. 

tribunaux  civils,  elle  manifeste  Tintention  de  ne  pas  user  du 
droit  d*option  devant  la  juridiction  répressive  que  lui  recon- 
nait,  dans  tous  les  cas,  l'article  3  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle**. 

II.  La  plainte  ou  la  dénonciation  qui  relève  le  ministère 
p^iblic  de  l'obstacle  paralysant  son  action,  doit  être  adressée  au 
fonctionnaire,  ayant  qualité  pour  la  recevoir,  c'est-à-dire  au 
procureur  de  la  République,  au  procureur  général,  aux  offi- 
ciers auxiliaires  de  police  judiciaire.  Les  plaintes  portées  di- 
rectement au  procureur  général  ou  aux  officiers  auxiliaires  sont 
transmises  au  procureur  de  la  République  (G.  instr.  cr.,  art. 
64  et  275).  Une  plainte,  adressée  à  un  fonctionnaire  incom- 
pétent pour  la  recevoir,  tel  qu*un  garde  champêtre,  ne  sau- 
rait prouver  une  intention  sérieuse  et  certaine  de  provoquer 
une  poursuite  *'.  La  plainte  peut  également  se  présenter  sous 
forme  de  citation  directe,  dans  le  cas  où  la  loi  autorise  cette 
manière  de  procéder.  Dans  ce  cas,  en  effet,  l'action  publique 
se  trouve  mise  en  mouvement  par  le  fait  même  de  la  partie 
lésée. 

162.  Dès  que  la  plainte  ou  la  dénonciation  existe,  le  minis- 
tère public  reprend  sa  complète  indépendance  à  l'occasion 
du  délit  même  qui  en  a  été  l'objet  :  il  demeure  donc  libre  de 
ne  pas  agir;  et,  s'il  agit,  il  peut  exercer  l'action  contre  tousceux 
qui  ont  participé  au  délit,  qu'ils  soient  ou  non  visés  dans  la 
plainte,  et  alors  même  qu'ils  en  auraient  été  exclus  par  le 
plaignant,  et  cela  sans  avoir  besoin  du  concours  ultérieur  de 
ce  dernier.  La  seule  condition  à  laquelle  était  subordonnée 
l'action  publique  se  trouve,  en  effet,  remplie  :  nous  sortons 
de  l'exception  pour  rentrer  dans  la  règle. 

En  conséquence  :  1°  Lorsqu'un  jugement  est  intervenu 
sur  l'action  publique,  le  ministère  public  peut  s'arrêter,  ou 

12  Cette  solution  n'est  contredite  que  par  Mangin,  op.  ct^,  t.  1,  n**  132. 
Mais  elle  est  adoptée  par  toute  la  doctrine.  Comp.  Faustin  Héiie,  op,  cit.y 
t.  -2,  n«  754;  Haus,  op,  cit.,  t.  2,  n*»  115». 

'3  C'est,  en  effet,  la  véritable  ra'son  pour  laquelle  la  pseudo-plainte  n'au- 
rait aucune  efficacité. 


CAS  OU   LE   MINISTÈRE   PUBLIC   N*A   PAS   FACULTÉ   d'aGIR.       355 

interjeter  appel  ou  se  pourvoir  en  cassation  sans  nouvelle 
plainte  de  la  partie  intéressée.  S1I  accepte  le  jugement  ou 
l'arrêt,  la  victime  du  délit,  à  condition  toutefois  qu'elle  se  soit 
constituée  partie  civile,  peut  bien  appeler  ou  se  pourvoir,  mais 
en  ce  qui  concerne  ses  intérêts  civils  seulement.  L'action  pu- 
blique, en  effet,  ne  lui  appartient  pas:  elle  a  pu,  en  quelque 
sorte,  la  retenir  par  cela  seul  qu'elle  s'est  abstenue  de  porter 
plainte,  mais  dès  qu'elle  s'est  adressée  au  ministère  public  et 
Ta  mis  à  même  d'agir,  le  ministère  public  a  seul  qualité  pour 
eiercer  l'action  publique,  c'esi-à-dire  pour  conduire  cette 
action  jusqu'au  jourdujugemcntdéfinitif.  Qu'on  nes'ytrompe 
pas,  en  effet,  même  dans  les  cas  où  Faction  publique  est  su- 
bordonnée à  une  plainte  ou  à  une  dénonciation,  il  n'en  résulte 
pas  que  le  ministère  public  ou  la  partie  civile  changent  de 
rôle  dans  le  procès  pénal  :  le  ministère  public  reste  toujours 
le  délégué  exclusif  de  l'accusation;  la  partie  lésée  ne  figure 
dans  l'instance  que  pour  ce  qui  regarde  ses  intérêts  civils  et 
au  même  titre  que  dans  toute  autre  instance.  C'est  une  règle 
que  nous  appliquons  en  France  dans  tous  les  cas,  même  à 
celui  du  mari  poursuivant  en  un  procès  d'adultère**.  2°  Le 
plaignant  peut  se  désister,  soit  qu'il  retire  sa  plainte,  soit  qu'il 
retire  son  action,  s'il  s'est  constitué  partie  au  procès;  mais, 
en  principe,  ce  désistement  n'arrête  pas  l'action  publique, 
lorsque  cette  action  est  engagée.  J'admets,  en  effet,  une 
restriction  qui  semble  s'imposer.  Lorsque  le  ministère  public 
n'a  pas  encore  agi,  il  semble  bien  que  le  retrait  de  la  plainte 
De  lui  permette  plus  d'agir".  3**  La  situation  créée  par  la 

**  Sur  ce  point  :  Ortolan,  op.  cit.,  t.  2,  n«  1472;  et  mon  Traité  théorique 
ft  pratique  du  droit  pénal,  t.  5,  n°  1888. 

"  Celle  solution  n'est  pas  fjfénéralement  admise.  En  sens  contraire  : 
Faustin  Hélie,  op.  c/7.,  t.  '2,  n**  758;  Le  Sellyer,  Actions  publique  et  pri- 
vée, t.  1,  !!•  242;  Floflman,  Questions  préjudicielles,  t.  1,  n**  19;  Dijon, 
i5  janv.  1873  (D.  74.  2.  92);  Cass.,  11  août  1881  (S.  82.  1.  142);  7  sept. 
1850  (J.  de  droit  crim.,  art.  4954);  Chambt^ry,  16  déc.  1880  (J.  de  droit 
crim.,  art.  10778);  Orléans,  17  mars  1891  (S.  93.  2.  49).  C'est  le  principe 
fue  pose  la  Cour  de  cassation,  dans  un  arr(^t  du  2  avril  1896  (S.  94.  1.  30 1). 
f\  sur  la  question  :  Morin,  J.  de  droit  cHm,,  art.  4938.  En  sens  contraire, 
)rsque  le   désistement  intervient   avant  toute  poursuite  :  Rauter,  p.  297. 


356       PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVIL] 

plainte  n'est  pas  modifiée  par  le  décès  du  plaignant.  Si 
héritiers  n'onl,  pas  plus  que  lui,  le  droit  d'arrêter  Taclion  d 
ministère  public  si  elle  est  engagée.  Ils  ne  le  pourraiei 
miMiic  pas  si  le  ministère  public  n'avait  pas  encore  exerc 
l'action  publique,  car  les  héritiers  n'ont  pas  la  faculté  tl 
modifier  une  situation  juridique  que  le  décès  du  plaignac 
rend  définitive. 

Dans  cette  conception  juridique,  le  pardon  de  la  victm 
d'un  des  délits  énumérés,  les  renonciations  et  transactior 
intervenues  entre  les  parties,  réfléchissent  ou  ne  réûécbiî 
sent  pas  sur  l'exercice  de  faction  publique  suivant  Tépoqu 
ou  ces  faits  sont  intervenus.  S'ils  se  produisent  antérim 
rement  au  dépôt  de  la  plainte,  ils  rendent  la  plainte  irrecevi 
ble  et  le  ministère  public  n'a  plus  en  mains  qu'un  titi 
sans  valeur  et,  pour  ainsi  dire,  inefficace^*.  S'ils  se  produ 
sent  après  la  mise  en  mouvement  de  l'action  publique,  c 
rentre  dans  la  règle  générale  posée  par  Tarlicle  4  du  Coc 
d'instruction  criminelle,  et  le  ministère  public  n'a  pas 
s'arrcler  devant  ces  tractations  et  le  désistement  de  la  plain 
qui  en  est  la  conséquence. 

En  ce  qui  concerne  le  àè\\\.d adultère  et  celui  de  diffamatit 
ou  iVinjiire^  il  y  a  lieu  de  noter  deux  dispositions  exceptioi 
nellcs. 

Le  désistementdu  mari,  en  cas  de  poursuite  pour  adultèr 


CkîXW  «It-niit'rv  «lo'^lrine  n  dW"  consiU'm?,  on  Bi'l^nqiie,  par  J*;irliol('  2  cl»:'  la 
«lu   I*  îivril    IsTS  ainsi   coiun  :  'i  Lorp.jii;»  la  Ini   siilMinlonne   I  ox«^rciot^ 
Tarlitin  inilili'ju»'  \i  la  plain  h;  rio  la  partio  l»^sé«\  h»  ♦h'sisti^niont  do  cottr  p: 
Ijp,  avani  It.ml  arti-  <lo  yunirsuil*',  arrélo  Ja  profMMluro    V.n  niatirro  (ra«iiillr 
cp  <l»''sisloin»'nl  peut   olro  t'iiil  on  tout  otat  «io  oauso  »».  .lo  lais  romarqui^r, 
reste,  qu'il  oxisto,  dans  nohv  droit,  deux  oxcoptions  (pii  ahForhont  pn-sc] 
la  n*frlp  :  1®  on  matiiTO  d'adnltt're,  où  \o  dt'*siîit»'m<MU  du  procos,  en  «pn-lq 
«MfJ.  flo  oaM<rf  qu'il  inN-rviiMin»',  arrôto  la  pourfuin-;  l'*  on  nialirro  «lo  «lit' 
niali'Mi   Mil  d'injuro  ^nviMS  un   partioulirr,  où   lo   «IrsistoiruMil  du   [»l.'iii;n; 
pn.Mliiit  !.■  mémo  oHVi,  aux  lormosflo  l'arliolorHi,  in  J'nic^  d»*  la  loi  du  -*.»jii 
Ict    iSNl  >ur  la  liitorlô  df  la  pn-sso.  Mais  pas  dans  Icsauln's  cas. 

""■  i^'lît'  s.iluti'Ui  [)oul  «Mrir  or)ntesloi\  Kilo  semMo  résullc-r  du  caracl» 
uièni'.'  di'S  i|«'»lits  pnur  losipi«îls  la  loi  suln>rdf)nno  re\t.-rcico  do  I*aot.ion  pc^n; 
à  rui'.'  p'alu!"'  jf  la  partie  lôs«''o. 


CAS  OU   LB   MINISTÈRE   PUBLIC   n'a   PAS  FACULTÉ   d\vGIR.       357 

à  quelque  époque  qu*il  intervienne,  éteint  Taction  publique 
vis-à-vis  de  la  femme  comme  vis-à-vis  du  complice  ^\  C*csl  la 
conséquence  certaine  du  droit  de  pardon  que  reconnaît  l'ar- 
ticle 337,  au  profit  du  mari.  Mais,  ce  droit  de  grâce  n'ayant 
pas  été  formellement  accordé  à  la  femme  (et  j'ai  dit  ailleurs 
({uelle  en  était  la  raison),  on  décide^  généralement,  qu'une 
fois  la  poursuite  commencée  contre  le  mari,  sur  la  plainte 
de  sa  femme,  celle-ci  ne  peut,  par  son  désistement,  éteindre 
Inaction  publique". 

Le  désislcmentdu  plaignant  arréle.la  poursuite  commencée, 
^  raison  des  délits:  1®  de  diffamation  envers  un  particulier; 
â'^d'injurespubliques envers  unparticulier;  3® d'offense  envers 
Un  chef  d'État  étranger;  4"*  d'oulrage  envers  un  agent  diplo- 
matique étranger.  Celte  solution  résulte  du  texte  de  l'article 
60  de  la  loi  du  29  juillet  1881  :  «  Le  désistementdu  plaignant 
arrêtera  la  poursuite  commencée  »,  qui  règle,  depuis  la  loi  du 
16  mars  1893,  la  poursuite,  non  seulement  au  cas  de  diffama- 
tion ou  d'injures  publiques  envers  des  particuliers,  mais  l'of- 
fense aux  chefs  d'Etats  étrangers  et  Toutrage  envers  les  agents 
diplomatiques  étrangers  accrédités  auprès  du  gouvernement 
de  la  République^'.  En  dehors  de  ces  cas,  la  règle  générale 
reprend  sa  force,  et  le  désistement  du  plaignant  ne  saurait 
arrêter  la  poursuite,  notamment  lorsqu'il  s'agit  d'un  délit  d'in- 
jure ou  de  diffamation  envers  des  corps  constitués  ou  des 
personnes  comprises  dans  l'énumération  de  l'article  31  de  la 
loidu  29  juillet  188P'. 

"  Bien  entendu,  je  me  place  avant  la  condamnation  devenue  définitive. 

»•  Voy.  notamment  :  Paris,  12  mars  4858  (S.  58.  2.  339). 

*•  Voy.  sur  ce  point  :  G.  Le  Poittevin,  Traité  de  la  presse,  t.  3,  no  1277. 

*®  C'est  ce  qu*a  décidé  la  Cour  de  cassation  dans  ralîaire  Lalou  :  Crim., 
2  avr.  1896  (S.  90.  1.  30't).  La  m^me  solution  est  donnée  par  la  doctrine. 
Comp.  G.  Le  Poittevin,  op,  cit.,  t.  3,  n"  1278;  Barbier,  Code  expliqué  de 
la  presse,  t.  2,  n*"  867,  in  finey  et  967.  V.  en  sens  contraire,  Chopin  d'Ar- 
nouville  dans  la  Gaz,  des  Trib,  du  2  mai  1896  :  «  La  Cour  de  cassation, 
dit-il,  ne  paraît  pas  avoir  voulu  céder  à  cette  idée  que  le  retrait  de  la 
plainte  doit  enrayer  l'action  du  ministère  public.  Il  est  certains  cas  cepen- 
dant oiï  ce  principe  est  vrai,  et  Thypothèse  qui  nous  occupe  paraissait 
être  UD  de  ceux-là  ». 


358       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVILE- 

163.  Avant  d*e\aminer  on  détait  chacune  des  exceptions  au 
principe  de  Findépendance  du  ministère  public,  je  constate 
que  les  cas,  limitativement  énuincrés,  peuvent  être  groupés  en 
trois  catégories:  a)  La  première  comprend  les  infractions  qui 
ne  peuvent  être  poursuivies  sans  uneplaintede  la  partie  lésée, 
telles  que  :  Tadullère;  le  rapt  par  séduction,  lorsque  le  ravis- 
seur a  épousé  la  fille  qu'il  a  enlevée;  la  diffamation  et  Tin- 
jure;  les  délits  de  chasse  ou  de  pèche  sur  le  terrain  ou  dans 
les  eaux  d'autrui;  les  délits  de  contrefaçon  industrielle.  6)  La 
seconde  classe  compreqd  les  infractions  qui  ne  peuvent 
être  poursuivies  par  le  ministère  public  que  sur  Yinitiative 
de  Tadministration  publique  qui  est  pécuniairement  intéres- 
sée à  leur  répression  ;  tels  sont  :  les  délits  des  fournisseurs 
des  armées  de  terre  ou  de  mer.  t;)  Enfîn^  dans  la  troisième 
classe,  rentrent  les  infractions  dont  la  poursuite  a  besoin 
d'être  provoquée,  soit  par  une  plainte  des  personnes  lésées, 
soit  par  une  dénonciation  émanant  du  corps  ou  du  gouverne- 
ment indirectement  atteint  par  le  délit.  A  cette  classe  ap- 
partiennent :  les  diffamations  ou  injures  contre  tous  déposi- 
taires ou  agents  de  Tautorité  publique;  les  délits  commis, 
hors  du  territoire  de  la  France,  par  des  Français,  contre  un 
particulier,  Français  ou  étranger. 

L  Le  délit  d'adultère  n'est  pas  un  délit  privé,  c'est  un 
délit  sociaP\  Mais,  parallèlement  à  l'intérêt  public  qui  en 
réclame  la  répression,  il  y  a  l'intérêt  contraire  de  la  famille  et 
des  enfants,  dont  l'époux  offensé  est  le  seul  juge.  Il  ne  faut 
donc  pas  s'étonner  que  l'exercice  de  l'action  publique,  en  cette 
matière,  soit  subordonné  à  certaines  conditions  spéciales  :  la 
loi  fait  échec  au  principe  que  le  ministère  public  est  libre 
d'agir  pour  assurer  la  répression  des  faits  punissables,  et  l'é- 
poux coupable  ne  peut  être  poursuivi  que  sur  la  plainte  de 
l'autre  époux  (G.  pcn.,  art.  336 et  339).  Mais  si  la  victime  du 
délit  a  seule  le  droit  de  mettre  l'action  en  mouvement^  le  mi- 


**  Voy.  sur  ce  point,  mon  Traité  théorique  et  pratique  du  droit  pénal^ 
2«  ddit.,  t.  a,  p.  133.  Adde  :  Jules  Gauvière,  De  la  répression  de  Vadultère 
(Kev.  pénit.,  i905,  p.  907  à  913). 


CAS  OU  LB   MINISTÈRB   PUBLIC   n'a.    PAS   FACULTB   d'aQIR.       359 

aistère  public,  après  la  plainte,  exerce  cette  action  au  nom  de 
la  société  intéressée  au  maintien  de  la  foi  conjugale,  fonde- 
ment de  la  famille  légitime.  Nous  avons  examiné  ailleurs  les 
coodttions  de  poursuite  de  Tadultère  et  nous  renvoyons  à  ce 
queoous  avons  écrit  à  ce  sujet  -^ 

II.  Dans  le  crime  de  rapt  par  séduction,  prévu  par  l'article  356 
in  Code  pénal,  lorsque  le  ravisseur  a  épousé  la  Glle  qu'il  a 
enlevée,  la  poursuite,  tant  contre  lui  que  contre  ceux  qui  ont 
participé  àTenlèvement",  est  subordonnée  à  une  double  con- 
dition, exigée  cumulativement  par  la  loi  :  Y  annulation  du  ma- 
riage prononcée  par  les  tribunaux  civils,  et  une  plainte  déposée 
parles  personnes  qui  ont  le  droit  de  demander  cette  annulation 
(C.  p.,  art.  357)**.  Ainsi  lorsque  Tenlèvement  n'a  pas  été  suivi 
de  mariage,  le  ministère  public  peut  librement  poursuivre  le 
ravisseur  et  ses  complices^*.  Mais,  si  celui-ci  a  épousé  la  per- 
sonne enlevée,  la  poursuite  ne  peut  avoir  lieu  que  sur  la  plainte 
despersonnesquiont  le  droit  de  demander  lanullité  du  mariage 
et  qu  après  que  cette  nullité  a  été  prononcée.  Cette  question 
d'annulation  suspend  non  seulement  le  jugement  de  l'action 
publique,  mais  V exercice  même  de  cette  action,  qui  ne  peut 


"  Traité  théorique  et  pratique  du  droit  pénal,  2*  ëdil.,  t.  5,  p.  152, 
n«  188i  à  4891,  el  surlonl  n<»  1888. 

"  Les  poursuites  pénales  contre  les  complices  du  ravisseur  auraient  les 
mêmes  inconvénients  que  celles  contre  le  ravisseur;  il  serait,  du  reste,  contra- 
dictoire de  permettre  la  poursuite  des  complices,  alors  qu'on  ne  permettrait 
pas  de  poursuivre  Tauteur  principal  :  aussi  l'exception  qui  couvre  le  ravis- 
seur couvre  également  les  complices.  Sic,  Cass.,  3  août  1852  (B.  cr., 
n«  235). 

*♦  Les  deux  conditions  sont  cumulativement  exigées,  c'est-à-dire  qu'après 
le  jugement  prononçant  la  nullité  du  mariage,  le  ministère  public  ne  peut 
poursuivre  que  s'il  a  en  main  une  plainte.  Contra,  Mangin,  Actions^ 
t.  1,  n®  345.  Mais  dans  le  sens  de  la  nécessité  d'une  plainte  :  Faustin 
Hélie,  op.  cit.,  t.  2,  n**  785;  Le  Sellyer,  Exercice  et  extinction,  etc.,  t.  1^ 
p.  48.  Le  texte  paraît,  du  reste,  formel. 

"  Il  n'en  est  donc  pas  de  ce  crime  comme  du  délit  d'adultère;  dès  que 
rinfraction  est  commise,  l'action  publique  prend  naissance;  le  ministère 
public  peut  agir  d'office  et  le  procès  ira  jusqu'au  bout,  si  le  ravisseur 
n'épouse  pas  la  fille  enlevée. 


360       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVII^E* 

être  intentée  par  le  ministère  public,  tant  que  la  nullité  du 
mariage  n*a  pas  été  prononcée  ^*. 

111.  L'aclion  publique^  en  cas  de  délit  déchusse,  est,enpri  n- 
cîpe,  indépendante  de  la  plainte  de  la  partie  lésée  (L.  3  m  â» 
1844,  art.  26,  §  1).  Le  ministère  public  peutTintenter  d'offic^iî; 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  délits  ne  tenant  pas  à  la  lésion  d  ^ 
droit  de  propriété,  mais  à  la  police  générale  de  la  chasse  :  t^l 
serait  le  fait  de  chasser,  soit  en  temps  prohibé  ou  sanspermis^^ 
soit  avec  emploi  de  moyens  ou  d'instruments  défendus  par  I  ^ 
loi.  Toutefois,  l'indépendance  du  ministère  public  cesse,  lor^  " 
que  le  délit  consiste  uniquement  dans  le  fait  d'avoir  chassé  su  ^ 
le  terrain  d'un  particulier"  sans  le  consentement  du  proprié  -^ 
taire  ou  de  l'ayant  droit".  Dans  ce  cas,  en  effet,  la  seule  condi  -^ 

=*•  Cependant,    le  texte  de  l'article  357  fait  naître  des  diflicuUés  sur  c< 
point.  En  décidant  que   le   ravisseur  i<  ne  pourra  être  poursuivi  que  su^ 
la  plainte,..,  ni  condamné  qu'après  que  la  nullité  du  mariage  aura  été  pro-^ 
nonc«^e  >»,  il  semble  faire  une  diirérence  entre  la  poursuite  et  le  jugement  ^ 
le  ministère  public  pourrait  poursuivre  sur  la  plainte  seule,  le  tribunal  d»^ 
répression  ne  pourrait  juger  qu'après  l'annulation  du  mariage.    Mais  la^ 
rédaction  de  ce  texte  est  évidemment  vicieuse  :  comment  comprendre,  en 
effet,  des  poursuites  provisoires,  qui  ne  pourraient  être  suivies  d'une  con- 
damnation?   Concevrait-on   que   le   ravisseur  puisse   indéfiniment    rester 
sous  le  c()U|)  de  poursuites  criminelles,  être  indéfiniment  maintenu  en  état 
de  détention  préventive,  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  aux  personnes  qui  en  ont  le 
droit,  de  demander  la  nullité  de  son  mariage?  Les  travaux  préparatoires 
démontrent,  au  surplus,  que  le  texte  ne  répond  pas  à  la  pensée  du  législa- 
teur :  «  11  ne  suflit  pas,  disait  M.  Faure,  pour  que  l'époux  puisse  être  pour- 
«  suivi  criminellement,  que  la  nullité  du  mariage  ait  été  demandée;  il  faut 
«  encore  qu'en  effet  le  mariage  soit  déclaré  nul  ».  Voir  Loerê,  t.  15, "p.  4i2; 
Hoffman,   Questions  préjudiciel IcSt  t.   3,  n<>*  086  et  suiv.;  Ortolan,  t.  2, 
n»  1713. 

2*'  Nous  disons  d'un  «  particulier  »;  car  le  ministère  public  et  l'adminis- 
tration forestière  pourraient  poursuivre  d'oflîce  les  délits  de  chasse  commis 
dans  les  bois  soumis  au  régime  forestier  (G.  for.,  art.  1"  et  159);  Cass., 
Chambres  réunies,  27  févr.  1805  (D.  67.  i.  95);  Rouen,  10  janv.  1868  (D.  68. 
1.  61).  Mais  on  sait  que  le  droit  de  chasse  dans  ces  bois  peut  être  cédé  : 
le  droit  de  porter  plainte  appartient  alors  à  l'administration  ou  au  cessiori- 
naire,  suivant  que  le  droit  cédé  est  purement  personnel  ou,  au  contraire, 
sans  réserve.  Sur  ce  dernier  point,  d'une  application  pratique  délicate  : 
Faustin  Hélie,  t.  2,  no  817;  Le  Sellyer,  Exercice  et  extinction,  t.  1,  n®  189. 

•■  L'article  26,  §  2,  de  la  loi  du  3  mai  1844  se  sert  de  cette  expression 


CAS  OU  LE  MINISTÈRE   PUBLIC  N'a   PAS   FACULTÉ    d'aOIR.       36i 

tion  à  remplir  pour  que  le  fait  soit  légitime,  c'est  de  chasser 
avec  le  consentement  du  propriétaire  ou  de  l'ayant  droit.  Or, 
l'existence  de  ce  consentement,  antérieur  au  délit,  qui  peut  être 
exprès  ou  tacite,  est  naturellement  présumée  par  la  loi,  tant 
que  la  personne  intéressée  ne  porte  pas  plainte.  Toutefois  le 
législateur,  puisant  cette  indication  dans  ce  qui  a  lieu  le  plus 
communément  {de  eo  qitod plcrnmque  fit)^  ne  présume  pas  ce 
consentement  et  permet  au  ministère  public  d*agir  d'office  : 
i*  lorsque  le  fait  de  chasse  a  eu  lieu  sur  un  terrain  clos,  atte- 
nant à  une  habitation  ";  2*"  ou  bien  lorsqu'il  a  eu  lieu  sur  des 
terres  non  dépouillées  de  leurs  fruits,  c'est-à-dire,  —  car  les 
deui  hypothèses  sont  entrées  dans  les  prévisions  du  législa- 
teur, —  sur  des  terres  simplement  ensemencées,  ou  dont  les  se- 
mences étaient  déjà  Icvées^^ 

IV.  L'action  publique  est  également  suspendue,  jusqu'à  la 
plainte  du  propriétaire  ou  de  l'ayant  droit,  à  l'égard  des  délits 
qui  consist('nt  uniquement  dans  le  fait  d'avoir  péché  dans  les 
eaux  d*autrui,  les  autres  conditions  légales  étant  d'ailleurs  rem- 
plies. Cette  décision  n'est,  il  est  vrai,  consacrée  formellement 
par  aucun  texte  :  mais  elle  résulte,  tout  à  la  fois,  du  rapport 
d'analogie  qui  unit  les  délits  de  chasse  et  les  délits  de  pêche  et 

géntfrale  «  la  partie  intéressée  »,  c'est-à-dire  la  partie  à  qui  appartient  le  droit 
de  chasse.  Or,  l'article  20  lui-même  considère  le  droit  de  chasser  comme  un 
élément  du  droit  de  proprii^lA.  CVst  donc  fe  propriétaire  qui  a  tout  d'abord 
|a  faculté  de  porter  plainte.  Les  ayants  droit,  quant  à  la  chasse,  sont  ceux 
h  qui  ce  droit  est  transféré  et  qui  l'exercent  comme  le  propriétaire.  Tels 
sont  Temphytéote  et  l'usufruitier  du  fonds,  tels  sont  également  les  cession- 
naires  du  droit  de  chasse,  à  titre  onéreux,  ou  même  à  titre  gratuit.  Le  fer- 
mier n'a  pas,  à  notre  avis,  le  droit  de  chasse  qui  est  un  élément  de  la  pro- 
priété; il  ne  peut  donc  ni  laisser  chasser  sur  les  terres  airermécs  ni  porter 
pJainte  d'un  fait  de  chasse  non  autorisé.  Comp.  sur   cette  derni«'re  ques- 
tion :  Haus,  t.  2,  n"  H77;  Le  Sellyer,  Actions  publique   et  privée,  t.  1, 
n«»  186;  Faustin  Hélie,  t.  2,  n<»  815;  Paris,  28  janv.  i8G9  (D.  01».  2.  155); 
Caen.  6  déc.  1871  (D.  72.  2.  68);  Alger,  27  déc.  1876  (S.  77.  2.  206); 
Rouen,  7  déc.  1878  (S.  79.2.  84). 

••  La  loi  exige,  cumulativement  ces  deux   conditions.  Cela  résulte  du 
texte  même  de  l'article  26  de  la  loi  de  1844. 

*•  Comp.  sur  le  sens  de  ces  mots  :  Faustin  iiélie,  t.  2,  n«  810;  Le  Sellyer, 
op,  cit.,  t.  1,  n»  182;  Ortolan,  t.  2,  n«  1733. 


362      PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILS. 

de  rintealion,  formellement  exprimée  par  le  législateur,  de 
soumettre  ces  deux  espèces  de  délits  à  une  même  règle  ^\ 

V.  Lorsque  le  service  des  armées  de  terre  et  de  mer  aura 
manqué, soit  par  la  négligence,  soit  par  la  fraude  des  fournis- 
seurs, la  poursuite  de  cps  infractions,  prévues  par  les  articles 
430  à  433  du  Gode  pénal,  ne  pourra  avoir  lieu  que  sur  la 
dénonciation  du  gouveroemént,  c*est-à-dire  sur  la  plainte  du 
ministre  que  le  service  concerne.  Cette  exception,  à  Tindépen- 
dance  du  ministère  public,  a  été  inulilemeot  formulée,  car, 
faute  de  moyens  d'investigations,  la  poursuite  n'aurait  pu 
jamais  avoir  lieu  qu'avec  le  concours  du  gouvernement'*, 

Yl.  L'action  publique  est  encore  subordonnée  à  la  nécessité 
d'une  plainte  en  matière  de  contrefaçon,  non  pas  en  ce  qui 
concerne  la  propriété  littéraire  ou  artistique  (G.  pén.,  art.  425; 

3»  La  question  est  délicate.  Avant  la  loi  du  15  avril  1829,  relative  à  la 
pêche  fluviale,  on  était  généralement  d'accord  pour  la  résoudre  dans  le 
sens  indiqué  par  nous.  Mais  la  discussion  de  cette  loi  a  jeté,  sur  cotte 
question,  beaucoup  d'incertitude.  En  etîet,  l'article  36  exige  que  les  procès- 
verbaux,  constatant  les  délits  commis  au  préjudice  des  particuliers,  soient 
transmis  au  procureur  du  roi.  Or,  le  rapporteur  à  la  Chambre  des  pairs 
avait  attiré  l'attention  sur  ce  point,  et  c'est  précisément,  après  discussion, 
et  pour  consacrer  le  droit  du  ministère  public  d'agir  d'office,  que  la  rédac- 
tion de  l'article  36  a  été  adoptée.  Aussi,  un  grand  nombre  d'auteurs  et  la 
jurisprudence  n'exigent  pas  comme  condition  préalable  de  la  poursuite  des 
délits  de  pêche  commis  dans  les  eaux  des  particuliers  une  plainte  de  l'ayant 
droit.  Sic,  Cass.,  17  oct.  1838  (S.  39.  1.  245);  3  juin  1853  (D.  53.  1.  239); 
Caen,  9  août  1871  (D.  73.  2.  156);  Trib.  de  Saint-Julien,  31  juill.  1879 
(S.  80.  2.  267);  Faustin  Hélie,  op,  ciU,  t.  2,  n"  818;  Le  Sellyer,  op,  cit., 
1.  1,  n**  191.  Mais  on  peut  répondre  que,  d'après  la  déclaration  même 
du  rapporteur,  la  rédaction  de  l'article  36  avait  été  modifiée  pour  la  mettre 
d'accord  avec  l'article  70;  or,  cet  article  70  a  été  rejeté,  et  voici  le  motii 
qu'en  donnait  le  commissaire  du  gouvernement  à  la  Chambre  des  pairs  : 
«  La  Chambre  des  députés  a  supprimé  l'article  70  de  l'ancien  projet  :  elle  a 
pensé  qu'à  l'égard  de  la  pêche,  comme  à  l'égard  de  la  chasse,  les  particu- 
liers doivent  demeurer  libres  de  dénoncer  les  délits,  pour  lesquels  la  loi 
leur  donne  action  directe.  »  Dans  ce  sens  :  Mangin,  op,  cit.,  t.  i,  n©  159; 
Villey,  Précis  (6*  éd.),  p.  188.  On  trouvera  des  renseignements  complets 
sur  la  question  dans  le  Répert,  gén,  alph,  du  droit  franraiSf  v*  Pèche  flu- 
viale, n°«  750  et  751. 

•*  Voy.  du  reste,  pour  les  détails,  mon  Traité  théorique  et  pratique  du 
droit  pénal  {2«  éd.),  U  6,  n»  2562. 


CAS  OU  LB  MINISTÈRE  PUBLIO  n\  PAS  FACULTÉ  d'aGIR.   363 

D.  S  févr.  1810,  art.  41  et  47),  mais  seulement  en  ce  qui  coq- 
cerne  la  propriété  des  inventions  brevetées^  (L.  5  juill.  1844, 
art.  45). 

YII.  La  loi  du  17  mai  1819  a  établi,  dans  une  définition  très 
précise^  que  la  loi  du  29  juillet  1881  a  simplement  répétée 
[art.  29),  la  différence  essentielle  entre  la  diffamation  et  Vin- 
jure.  La  diGTaination  est  «  toute  allégation  ou  imputation  d'un 
/au  (vrai  ou  faux)  qui  porte  atteinte  à  Thouneur  outà  la  con- 
sidération de  la  personne,  ou  du  corps  auquel  le  fait  est  im- 
puté »  ;  l'injure  est  a:  toute  expression  outrageante,  terme  de 
mépris  ou  invective,  qui  ne  renferme  Fimputation  d*aucun 
/ai/»  déterminé.  L'élément  de  gravité  prédominant  deTinjure 
et  de  la  diffamation  consiste  dans  la  publicité.  C'est  ce  qui 
eiplique  comment  ces  deux  délits  ont  été  prévus  et  définis 
dans  les  lois  relatives  à  la  presse  et  aux  autres  moyens  de  pu- 
blication. A  regard  du  chef  de  TÉtat,  de  la  personne  des  sou- 
verains ou  chefs  des  gouvernements  étrangers,  les  lois  sur  la 
presse  ne  parlent  pas  d'injure  ou  de  ditlamation,  elles  se  ser- 
vent, sans  la  définir,  de  l'expression  offense^  expression  qui 
comprend,  sans  aucun  doute,  non  seulement  l'injure  et  la  diffa- 
mation, mais  encore  tous  les  autres  faits  indéterminés  qui^  à 
l'appréciation  du  juge^  peuvent  être  considérés  comme  offen- 
sants (L.  29  juill.  1881,  art.  26,  36).  Enfin,  lorsqu'un  fait  rentre 
dans  les  prévisions  des  articles  222  etsuiv.  du  Gode  pénal,  bien 
<{u'il  puisse  contenir  une  diffamation  ou  une  injure  proprement 
dite,  il  est  qualifié  02/^ra^e  par  la  loi.  Ce  qui  caractérise  l'outrage, 
c'est  qu'il  est  adressé,  soit  à  un  magistrat  de  Tordre  administra- 
tif ou  judiciaire,  soit  à  un  juré,  soit  à  un  officier  ministériel  ou 
agent  dépositaire  de  la  force  publique,  ou  même  à  un  citoyen 
chargé  d'un  ministère  public,  dans  l'exercice  ou  à  l'occasion  de 
fexercice  de  ses  fonctions.  L'outrage  peut  se  commettre  par 
faits^  paroles,  gestes  ou  menaces.  La  publicité  n'est  point  re- 
quise, à  titre  d'élément  essentiel  du  délit. 

Pour  savoir  si  les  injures,  diffamations,  offenses  et  outrages 
peuvent  être  poursuivis  d'office,  il  y  a  lieu  de  faire  les  distinc- 
tions suivantes  :  1**  En  ce  qui  concerne  les  diffamations  ou  les 
injures  publiques  contre  les particulierSy  la  règle  est  simple  : 


364       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES   ACTIONS    PUBLIQUE  ET  CIVILE 

l'action  n'est  ouverte  au  ministère  public  que  sur  la  plainte  d 
la  partie  qui  se  prétend  lésée.  L'article  60  de  la  loi  du  29  juil 
let  1881  pose  formellement  ce  principe  au  sujet  des  diiïama 
lions  ou  injures  publiques,  qui  constituent  des  délits^\  l 
raison  d'être  de  celle  règle,  c'est  que  la  répression  de  ces  in 
fractions  intéresse  principalement  ceux  qui  ont  été  ofTcnsés.  L 
personne  lésée,  qu'elle  soit  victime  d'une  médisance  ou  d'un 
caiomnief  peut  avoir  intérêt  à  éviter  le  scandale  d'un  procès 
elle  peut  mépriser  roffense;  elle  peut  préférer  prendre  poi 
juge  l'opinion  publique.  De  quel  droit  le  ministère  public  Tei 
gagerait-il  dans  un  débat,  «  où  la  justice  même  et  le  triompi 
ne  sont  pas  toujours  exempts  d'inconvénients  »  ?  2**  En  ce  (j 
concerne  les  di/fmnntions  et  injures  envers  les  cours,  tribi 
naux  ou  autres  corps  constitués,  c'est-à-dire  les  corps  do 
l'existence  est  permanente  et  dont  les  membres  se  réunisse 
pour  délibérer,  ces  délits  ne  peuvent  être  poursuivis  (L.  : 
juin.  1881,  art.  47,  §  1),  que  sur  la  délibération  de  ces  cor| 
administratifs  ou  judiciaires,  prise  en  assemblée  générale 
requérant  les  poursuites,  ou,  si  le  corps  n'a  pas  d'assembh 
générale,  sur  la  plainte  du  chef  du  corps,  ou  du  ministre  d' 
quel  ce  corps  relève.  3"  La  loi  de  1819  subordonnait  égal 
ment  à  la  nécessité  d'une  plainte  préalable  de  la  partie  lést 
la  poursuite  des  injures  et  des  diCfamations  dirigées  cont 
tous  dépositaires  ou  agents  de  l'autorité  publique.  Avec  ce  s> 
tème  de  législation,  il  arrivait  souvent  que  des  fonclionnair 
hésitaient  à  saisir  les  tribunaux  de  leurs  griefs  personnels 
rendaient  ainsi  impossible  une  répression  à  laquelle  ils  i 
sont  pas  seuls  intéressés.  La  loi  du  29  juillet  1881  (art.  47,  § 
permet  au  ministère  public  de  poursuivre  ces  infractions,  s( 
sur  la  plainte  de  la  partie  offensée,  soit  d'office,  sur  la  demaui 
adressée  au  ministre  de  la  justice  par  le  ministre  dans 
département  duquel  se  trouve  le  fonctionnaire  diffamé  ou  i 
jurié.  4**  En  cas  d'offense  envers  la  personne  des  souverai 


33  Aucune  plainte  n'est  ni^cessaire,  au  cas  d'injure  non  publique, pour  ir 
Ire  en  mouvement  l'action  publique.  Sic,  G.  Le  Foillevin,  Traité  de 
presse,  t.  3,  n«  1278;  Barbier,  Code  de  la  presse,  t.  2,  n®  543,  p.  79. 


CAS  OU   LE   MINISTÈRE   PUBLIC   n'a.   PAS   FACULTE   D'aGIR.       365 

OU  chefs  des  gouvernements  rlrangcrs,  ou  (Fonlrage  envers 
les  agents  diplomatiques  étrangers,  la  poursuite  aura  lieu,  soit 
à  leur  requête,  soit  d'office,  sur  leur  demande  adressée  au 
ministre  des  affaires  étrangères  et  par  celui-ci  au  ministre  de 
la  justice  (art.  47,  §  5)'*.  o"*  Knfin,  en  cas  d'outrage  prévu  par 
les  articles  222  et  227  du  Gode  pénal,  la  poursuite  peut  avoir 
lieu  d  office". 

VIII.  En  cas  de  délit  commis  à  Télranger  et  punissable  ea 
France,  la  condition  d'une  plainte  n*est  requise  que  pour  les 
délits  commis  contre  les  particuliers,  et  une  dénonciation 
officielle  faite  à  Tautorité  française  par  l'autorité  du  pays  où 
le  délit  a  été  commis  équivaut  à  la  plainte  (C.  instr.  cr.,  art.  S). 

164.  Telles  sont  les  seules  exceptions,  dans  le  droit  crimi- 
nel français,  au  principe  d'après  lequel  le  ministère  public 
est  investi  d'une  action  A'ofpce,  Peut-on  les  rattacher  à  une 
même  conception?  Evidemment,  c'est  au  droit  individuel,  re- 
couvert, en  général,  par  le  droit  social,  mais  qui  afûeure  par- 
fois, et  dont  on  retrouve  les  vestiges,  même  dans  un  système, 
quoique  peu  absolu,   d'accusation  publique.   Mais  alors  on 
peut  s'étonner  que  ces  exceptions  ne  soient  pas  plus  nom- 
breuses. En  effet,  l'extension  de  ce  système  a  été  demandée,  en 
ce  qui  concerne  les  délits  légers,  moins  comme  un  moyen 
d'arrêter  les  excès  de  zèle,  aujourd'hui  peu  redoutables,  d'un 
ministère  public  trop  ardent,  que  comme  contrepartie  néces- 
saire d'une  meilleure  organisation  dans  la  réparation  du  dom- 
mage occasionné  par  le  prévenu  à  la  partie  lésée".  Quelques 
législations  sont  entrées  dans  celte  voie  :  elles  ont  allongé  la 
liste  des  cas  où  l'initiative  de  la  poursuite  dépend  de  la  partie 
lésée".  La  conséquence  de  ce  point  de  vue  est  d'assurer  Tim- 

"  La  loi  du  16  mars  1893  a  n'tal«li,  pour  cos  Hi^lits,  la  rompt^b^nco  des  tri- 
bunaux correction n«?ls  (arl.  >7  «.«t  60  combin<^s  et  mutliti»»s,  L.  2t»  juilK  1S81). 

^*  Sur  la  légfislation  di»  la  pn'ssr,  au  point  de  vu<'  des  eondilirins  de  la 
poursuite  des  dillamatinus,  injun's»  offenses,  uulra^es  :  G.  Le  Poittevin, 
TraiU'  de  la  presse,  t.  M,  n»*  12:m  et  12K6. 

-*  Voy.  notamment  :  Haoul  de  la  Orasserie,  Des  prûn-ipes  sociolofjifpwa 
de  lacriminolo'jie,  p.  17 S. 

'"  Les  législations  étrangères  sont,  en  général,  plus  extensives  que   la 


366      PROCÉDURE   PENALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

punité  à  tout  délinquaûl  qui  parvient  à  s'entendre  avec  1& 
partie  lésée,  à  prix  d'argent  ou  autrement,  et  de  l'amener  ainsi 
à  s'imposer  des  sacrifices  pour  donner  satisfaction  à  sa  victiine 
en  vue  d'éviter  le  châtiment.  Et  pour  atteindre  ce  résultat,  il 
ne  s'agit  pas  seulement  de  subordonner  l'exercice  de  l'action  à 
la  volonté  de  la  victime,  il  faut  encore  lui  accorder,  par  le  re- 
trait de  la  plainte,  le  droit  d'arrêter  la  poursuite.  Les  deu^ 
facultés  réunies  aboutissent  à  placer,  dans  les  mainsdela  par- 
tie lésée,  un  droit  de  pardoîi  qu'elle  exerce  dans  son  propï*^ 
intérêt  et  non  dans  l'intérêt  public. 

Ce  système  n'est  cependant  pas  encore  celui  des  délits  prî  — 
vés  qui  sont  punis  au  profit  de  la  victime  et  poursuivis  excliB  " 
sivement  par  celle-ci.  D'une  part,  en  effet,  le  ministère  publî  ^^ 
reste,  dans  le  système  actuel,  chargé  de  l'exercice  de  l'actio^r^ 
pénale,  et  ne  peut  requérir  une  condamnation  à  des  domma  — 
ges-intérêts.  D'autre  part,  la  victime  du  délit,  qui  a  le  droi  ^ 

notre,  en  cf*  qui  concerne  le  nombre  des  délits  qui  ne  peuvent  étro  pour ' 

suivis  d'office.  En  Allemagne,  la  liste  des  «  antragsdelicte  »  est  fort--^ 
longue.  Voy.  Daf^uin,  Ann.  de  légisL  étrang.j  1876,  p.  135  et  suiv.; 
C.  proc.  p(^n.  al!.,  art.  152,  et  loi  du  IG  févr.  1876.  En  Italie,  la  liste  des 
délits  qui  ne  pf'uvent  tUre  prjursuivis  que  sur  plainte  comprend,  en  plus  de 
la  difVamation  et  de  Tinjure,  les  coups  n'ayant  entramé  ni  maladie,  ni  inca- 
pacitt'r  de  travail  supérieure  k  dix  jours,  Toutrage  k  la  pudeur  dans  un  lieu 
privé,  rapt,  avec  ou  sans  violence,  adultère,  concubinage,  dommage  à  la 
propriété  mobiliiTC  ou  immobilière  d'autrui  ne  dépassant  pas  5(H)  livres, 
intrusion  ou  chasse  sur  la  propriété  d'autrui,  blessures  à  des  animaux, 
dégradation  à  la  propriété  d'autrui,  appropriation  de  choses  indues,  gla- 
nage et  grappillage  sur  les  terres  non  encore  récollées.  Dans  tous  ces  cas, 
le  fKirdon  de  la  victime,  surcédant  à  la  plainte,  éteint,  en  principe,  l'action 
pénale,  k  moins  (|u«'  le  prévenu  ne  refuse  de  Taecepter;  mais  il  ne  fait  pas 
cesser  l'exécution  de  la  condamnation.  Accordé  à  l'un  des  prévenus,  il  pro- 
fite aux  autres  (C.  pén.  ital.,  art.  88).  Enfin,  quand  il  est  saisi  d'une  plainte 
motivée  par  une  de  ces  infractions,  IVfficier  de  police  judiciaire  doit  avertir 
le  plaignant  de  la  faculté  (]ue  la  loi  lui  concède  de  pardonner  avant  le  juge- 
ment, et  du  délai  dans  lerpiel  il  lui  est  loisible  d'user  de  cette  faculté 
(C.  proc.  pén.,  art.  166).  Sur  les  questions  que  soulève  ce  droit  de  pardon 
et  particulièrement  sur  sa  transmissibilité  aux  héritiers,  Voy.  un  article 
d'Etton*  Padivano,  Rivista  pénale,  1905,  p.  300.  Sur  le  droit  comparé  : 
Raoul  (le  la  Grasserie,  ]>cs  principes  sociologiques  de  la  criminolouie^ 
p.  167  à  173. 


ACnON  PUBLIQUE  SUBORDONNÉE  A  AUTORISATION  PRiALABLE.    367 

négatif  de  paralyser  l'exercice  de  l'action  pénale,  ne  peut,  si 
elle  se  plaint  ou  se  porte  partie  civile,  se  substituer  au  minis- 
tère public  pour  diriger  le  procès  pénal,  le  conduire  Jusqu'au 
bout  et,  au  besoin,  Tabandonner.  Je  ne  verrai,  pour  ma  part, 
aucun  inconvénient  à  ce  que  la  loi  légalisât  des  usages  de  plus 
eu  plus  répandus  dans  la  pratique  des  parquets.  Il  est  rare, 
en  effet,  que,  pour  les  délits  légers^  ou  même  pour  les  délits 
graves  qu'il  peut  être  opportun  de  ne  pas  poursuivre,  le  mi- 
nistère public  agisse  d'ofGce  :  il  attend,  presque  toujours,  une 
plainte.  Et,  si  cette  plainte  est  retirée,  à  la  suite  d'arrange- 
ments entre  la  victime  et  le  délinquant,  il  est  rare  que  le 
ministère  public  se  montre  plus  intransigeant  que  la  victime. 
Ce  sont  là  des  procédés  de  plus  en  plus  suivis,  et  on  sait  que 
la  pratique,  toujours  mouvante,  précède  et  prépare  la  loi, 
toujours  en  retard. 


§  XXVIII.  —  DES  CAS  ou  L'ACTION  PUBLIQUE  EST,  QUANT  A  SON 
EXERCICE,  SUBORDONNÉE  A  UNE  AUTORISATION  PRÉALABLE. 


185.  DistinctioD  entre  les  cas  d'immunité  pdnalc  et  les  cas  où  Taction  publique 
est  subordonnée  à  la  nécessité  d'une  autorisation.  —  166.  Le  président  de  la 
Bépubliquc.  Immunité  pénale,  sauf  en  cas  de  haute  trahison.  Difficultés.  —  167. 
De  l'article  75  de  la  Constitution  de  Tan  VII F.  Garantie  politique.  (larantie  admi- 
nistrative. —  168.  Les  ministres  Leur  situation  au  point  de  vuf?  [)énal.  —  169. 
Les  sénateurs  et  les  députés.  Nècessilé  d'une  autorisation  de  la  Chambre  dont  ils 
font  partie.  Portée  de  la  garantie.  —  170.  (îarantie  administrative.  Sa  suppression. 
Plus  d'autorisatoin  préalable.  Mais  incompétence  des  tribunaux  répressifs  pour 
amnaître  des  actes  administratifs.  —  171.  Renvoi  en  ce  qui  concerne  la  garantie 
religieuse.  Délits  des  ecclésiastiques  constituant  un  abus.  Séparation  des  Églises 
et  de  l'État. 

165.  Dans  certains  cas,  Taclion  publique  est  subordonnée 
à  une  autorisation  préalable.  Mais  il  ne  faut  pas  confondre 
cette  situation,  dans  laquelle  la  poursuite  est  simplement 
paralysée,  avec  une  situation  voisine,  dans  laquelle,  par  suite 
d'immunités  pénales,  la  poursuite  ne  peut  avoir  lieu. 

166.  L'article  6  de  la  loi  constitutionnelle  du  25  février 
1875,  après  avoir  déclaré  :  «  Les  ministres  sont  solidairement 


368      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

«  responsables  devant  les  Chambres  de  la  politique  générale  du 
o  gouvernement  et  individuellement  de  leurs  actes  person- 
«  ncis  »,  ajoute:  «  Le  président  de  la  République  n*estrespon- 
((  sable  qu'en  cas  de  haute  trahison  ».  Une  première  consé- 
quence de  cette  disposition  c'est  que  la  responsabilité  du 
président  de  la  République  est  tout  à  fait  exceptionnelle, 
qu*clle  n'est  pas  politique  mais  pénale.  Deux  points  seule- 
ment sont  douteux. 

Le  président  de  la  République  est-il  responsable  pénale- 
ment  et  peut-il  être  poursuivi,  devant  les  tribunaux  de  répres- 
sion ordinaires,  en  dehors  du  cas  de  haute  trahison,  pour  les 
crimes,  délits  ei  contraventions  qui  lui  seraient  reprochés?  Evi- 
demment non.  L'immunité  pénale  du  président  de  la  Répu- 
blique a  paru  nécessaire  pour  sauvegarder  Texercice  de  la 
souveraineté.  Elle  est  absolue,  par  rapport  aux  tribunaux  de 
droit  commun,  et  ne  cède  qu'en  cas  de  haute  trahison,  devant 
le  Stjnat  constitué  en  Ilautc-Cour  de  justice. 

C'est  donc  exclusivement  en  cas  de  haute  trahison  qu'une 
poursuite  est  possible.  La  loi  constitutionnelle  s'est  nettement 
expliquée,  et  sur  \si  Juridiction  coinpéicnie,  qui  est  le  Sénat 
constitué  en  Haute-Cour  de  justice,  et  sur  faction  publique^ 
qui  est  exercée  parla  Chambre  des  députés,  transformée,  pour 
la  circonstance,  en  Chambre  d'accusation. 

La  seule  difficulté  sérieuse,  —  et  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de 
l'examiner,  —  est  de  savoir  ce  qu'est  ce  crime  de  haute  trahi- 
son, dont  on  ne  trouve  pas  la  définition  et  le  type  dans  le  Code 
pénal,  et  quelles  conséquences  pourrait  avoir  le  procès,  sïl 
était  (îngagé*. 

167.  L'article  75  de  la  constitution  de  Tan  VIII,  leschartes, 
constitutions  et  sénatus-consultes  postérieurs  avaient  établi 
une  double  garantie  :  une  ganiniw politique^  d'après  laquelle 
les  ministres  ne  pouvaient  être  poursuivis  sans  une  autorisa- 
tion préalable  du  Sénat;  les  sénateurs,  conseillers  d'État 
et  les  d/^putés,  sans  une  autorisation  [)réalable  du  corps  auquel 

§  XXVIIl.*  Sur  ces  questions,  cons.  mon  Tiaitr  thcov,  et  prat,  du 
droit  ;M'ïm/(2«  éd.),  t.  1,  n»  148,  p.  286  et  note  1. 


ACTION  PUBLIQUE  SUBORDONNÉE  A  AUTORISATION  PREALABLE.    369 

ils  appartenaient;  et  une  garantie  administrative,  on  vertu 
de  laquelle  les  agents  du  gouvernement  ne  pouvaient  être 
poursuivis,  pour  faits  relatifs  à  leurs  fonctions,  sans  l'autori- 
sation préalable  du  Conseil  d*État.  iNous  allons  voir  ce  qu*il 
subsiste,  dans  nos  lois  actuelles,  de  cette  double  garantie. 

168.  Les  crimes  et  délits^ y  commis  par  les  ministres,  sont, 
ou  bien  relatifs  ou  bien  étrangers  à  leurs  fonctions,  l"*  Dans 
lepremiercas',  les  lois  constitutionnelles  confèrent,  à  la  CA<7m- 
bre  des  députés^  l'exercice  de  Faction  publique,  soit  que  les 
inculpés  exercent  encore  leurs  fonctions,  soit  qu'ils  aient 
cesse  de  les  exercer  :  c'est  devant  le  Sénat,  constitué  en  Haute- 
Cour  de  justice,  qu*est  poursuivie  Taccnsation  par  un  ou  plu- 
sieurs commissaires  désignés  par  la  Chambre.  Cette  action, 
qui  est  la  sanction  dernière  de  la  responsabilité  ministérielle 
devant  le  Parlement,  est-elle  exclusive  de  l'action  ordinaire 
devant  les  juridictions  pénales?  C'est  un  point  discuté.  Pour 
soutenir,  comme  je  suis  tenté  de  l'admettre,  que  les  ministres 
sont  soumis  à  une  double  action  et  à  une  double  juridiction 
pour  les  crimes  et  délits  qu'ils  commettent  dans  l'exercice  de 
leurs  fonctions,  on  peut  invoquer  l'opposition  de  rédaction 
qui  existe  entre  le  $)  1  et  le  §  2  de  l'article  12  de  la  loi  du  16 
juillet  1875;  le  président  de  la  République  «  ne  peut  être  mis 
en  accusation  que  par  la  Chambre  »,  ce  qui  exclut  toute  action 
du  ministère  public,  tandis  que  les  ministres  «  peuvent  être 
mis  en  accusation  par  la  Chambre  »,  ce  qui  laisse  subsister 
le  droit  commun  \  2"  En  ce  qui  concerne  les  crimes  et  délits 

>  L'article  12  de  la  loi  du  16  juillet  1875  ne  parlo  que  des  «  crimes  » 
commis  par  les  ministres,  mais  cette  expression  ne  me  paraît  pas  avoir  le 
sens  technique  et  restreint  que  lui  donne  l'article  1"' du  Code  pénal.  La 
question  est,  du  reste,  discutée.  Voy.  la  note  suivante. 

•  Que  faut-il  entendre  par  crime»  commis  par  les  ministres  dans  l'exer- 
cice de  leurs  fonctions?  Voy.  mon  Traité  ihéor.  etprat,  du  droit  pénal,  t.  3, 
n*  943;  Esmein,  Élément  du  droit  cotistilutionnel,  p.  029.  L'étendue  de  la 
responsabilité  pénale  des  ministres  devant  le  Sr^nat  lait  l'objet  des  mêmes 
difficultés  que  pour  le  président  de  la  République. 

*  Sic,  Cass.,  24  févr.  1893  (S,  93.  1.  217).  La  chambre  des  mises  en 
Accusation  de  la  Cour  (rapf>el  de   Paris,  pur  arrêt  du  7  février  1893,  avait 

G.  P.  P.  —  L  24 


370      PROCÉDljRB   PÂNALB.  —  DES   ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILES 

ordinaires,  que  les  minisires  peuvent  commettre  hors  J 
l'exercice  de  leurs  fonctions,  et  les  contraventions^  la  poursuit 
de  ces  infractions  n'appartient,  à  la  Chambre  des  députés,  m 
en  vertu  des  lois  constitutionnelle^,  ni  en  vertu  des  principe 
généraux:  elle  doit  être  exercée  conformément  au  droit  coin 
m  un. 

169.  Aux  termes  de  Tarticle  14  de  la  loi  du  16  juille 
1875  :  («  Aucun  membre  de  Tune  ou  l'autre  Chambre  n< 
M  peut,  pendant  la  durée  de  la  session,  être  poursuivi  a 
«  arrêté,  en  matière  criminelle  ou  correctionnelle,  qu'avec 
«  Tautorisation  de  la  Chambre  dont  il  fait  partie,  sauf  le  ca: 
<c  de  flagrant  délit.  —  La  détention  ou  la  poursuite  d'ur 
«  membre  de  Tune  ou  de  l'autre  Chambre  est  suspendue 
«  pendant  la  session  et  pour  toute  sa  durée,  si  la  Chambre  U 
«  requiert  ». 

Cette  prérogative^  accordée  aux  membres  des  deux  Cham- 
bres^ est  moins  une  gaveiniie  personnelle  qu'une  garantie  con 
stitutionnelle,  établie  dans  l'intérêt  de  tous,  et  dont  l'objet  es 
d'assurer  la  liberté  des  mandataires  de  la  nation  dans  Tac 
complissemenl  de  leur  mandat.  Elle  est  contemporaine  di 
régime  parlementaire*. 

Une  première  distinction  est  faite  par  la  constitution  entr 
les  cas  de  flagrant  délit  et  les  cas  ordinaires. 

Le  flagrant  délits  dont  il  s'agit  ici,  est  le  délit  qui  se  com 
met  actuellement  ou  qui  vient  de  se  commettre  (C.  instr.  cr. 
art.  41)^,  situation  qui  nécessite  l'intervention  immédiate  d 

renvoyé  un  ancien  ministre  devant  la  cour  d'assises  pour  faits  de  corrup 
lion,  relatifs  à  ses  fonctions.  Cet  arrêt  a  ét^  déféré  à  la  Cour  de  cissaiioi 
qui  a  rejeté  le  pourvoi,  sans  que  la  question  mémo  que  nous  posons  ait  é\ 
considérée  comme  douteuse. 

•  Vuy.  Esmt'in  sous  Arrêts  de  la  Haute-Cour  de  justice,  20  et  26  déc.  ^8Ç 
et  20  févr.  1900    S.  1901.  2.  57),  noies  1  à  7,  p.  58,  \^  i-ol. 

*  La  notion  du  flagrant  délit  n'ayant  pas  été  déterminée  par  la  loi  const 
tutionnelle,  celte  loi  s'en  est  référée  ôvid«?mment  à  la  sij^nification  que  le  dro 
commun  donne  à  celte  nolion.  Nous  faisons  remarquer,  du  reste,  que  U 
consiilutions  antérieures,  celles  de  1791,  1793,  de  l'an  III,  de  18iS,  décid» 
rent  que  si,  le  représentant  du  peuple  pouvait,  en  cas  de  flagrant  délit,  éti 


ACTION  PUBLIQUE  SUBORDONNÉS  A  AUTORISATION  PREALABLE.    371 

la  police  judiciaire,  et^  par  conséquent,  le  droit,  pour  elle,  de 
procéder  aux  actes  de  poursuite  et  d'arrestation. 

Dans  les  cas  ordinaires,  la  nécessité  d'une  autorisation  de 
la  Chambre  n'existe  que  pendant  la  durée  de  la  session  \  Et 
le  représentant  qui,  dans  Tintervalle  de  deux  sessions  parle- 
mcDtaires,  aurait  été  Tobjet  de  poursuites  criminelles,  au  cours 
desquelles  uo  mandat  d*amener  et  une  ordonnance  de  prise 
de  corps  auraient  été  décernés  contre  lui,  sans  qu'il  ait  été 
arrêté,  peut,  s'il  se  présente  pendant  une  session  parlemen- 
taire, être  mis  en  état  d'arrestation  sans  l'autorisation  de  la 
Chambre  dont  il  fait  partie.  Mais  il  appartient  à  celle-ci  de 
suspendre  la  détention  et  la  poursuite'. 

Ceci  posé,  pour  déterminer  la  portée  de  la  garantie  consti- 
totionnelle  pendant  la  durée  de  la  session,  il  importe  d'insis- 
ter sur  sa  raison  d'être.  Elle  est  fondée  sur  celle  idée  simple 
que  le  mandataire  de  la  nation  ne  doit  pas  pouvoir  être  distrait 
de  l'accomplissement  d'un  mandat  qui  implique  sa  présence 
réelle  à  la  Chambre.  Assurer  sa  liberté  matérielle,  empêcher 
que,  par  voie  de  contrainte  physique,  il  soit  retenu  ailleurs, 
tel  est  le  but  et  telle  est  la  portée  de  la  garantie  constitu- 
tionnelle. 11  eu  résulte  :  i"*  Que  le  titre  de  député  ou  de  séna- 
teur* ne  suspend  pas  les  poursuites  civiles:  assignationsdevant 

mis  en  élat  d*arrestation,  les  poursuites,  pendant  la  durée  de  la  session,  ne 
pouvaient  avoir  lieu  qu*avec  l'autorisation  de  TAssemblée  dont  il  faisait  [)arlie. 
Aujourd'hui  encore,  on  a  soutenu,  au  Parlement,  que  m  le  Uugrant  délit  per- 
met larrestation  du  représentant;  mais  une  fois  l'arrestation  opérée,  une  auto- 
risation est  m^cessaire  pour  que  des  poursuites  puissent  être  exercées  ». 
Séance  de  la  Chambre,  8  mai  iS9i(Jour7i,  off,  du  9,  Débats  parlementaires, 
p.  735).  La  môme  doctrine  a  été  reproduite  k  propos  d'un  incident,  dans  la 
séancv»  de  la  Chambre  du  44  novembre  1905  {Joum,  off.  du  15,  Débats  parle- 
mentdires,  p.  3237).  iMais,  comme  l'a  écrit  M.  Esmein  {Éléments  de  droit  con- 
stitutionnel, p.  737)  celte  interprétation  est  aujourd'hui  insoutenable.  Voy. 
également  Esmein,  loc.  cit,,  note  précétiente. 

'  Que  faut-il  entendre  par  «  session  »?  Voy.  Cass.,  30  janv.  1903  {Pand, 
franc.,  1903.  1.  233). 

•  Voy.  sur  ce  point,  la  note  de  M.  Esmein  sous  les  arrêts  do  la  Haute-Cour 
de  justice  des 20 et  2Gdpc.  1899  et  20  févr.  1901  (S.  1901.  2.  57).  Consulter 
également  ce  que  je  dis  à  la  note  6. 

*  La  garantie  de  ne  pouvoir  être  poursuivi  sans  une  autorisation  appar- 


372      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   OIVILB. 

les  tribunaux  civils,  saisies,  elc.  ***.  Ces  actes  qui  peuvcntêtre, 
de  la  part  d'adversaires,  des  procédés  de  contrainte  morale, 
n'empêchent  pas  matériellement  le  député  ou  le  sénateur  de 
remplir  son  mandat.  Gela  suffit,  pour  qu'ils  soient  libres. 
2''  L'exception   est  personnelle,  et  le  titre  de  sénateur  ou 
député   ne   saurait  faire  obstacle  aux  poursuites  civiles  ou 
pénales  exercées  contre  des  proches,  la  femme    et  les  en- 
fants, par  exemple'*.  3*  Vis-à-vis  même  du  représentant,  ce 
titre  ne  suspend  pas  les  actes  qui  tendent  à  constater  Tinfrac- 
tion  et  à  en  recueillir  les  charges  ^^  tels  que  les  proccs-ver- 
baux,  l'audition  des  témoins,  les  vérifications,  les  expertises, 
les  perquisitions  domiciliaires  mêmes  '%  pourvu  que  ces  opé- 
rations aient  lieu,  en  quelque  sorte  in  rem^  sans  exiger  la 
présence  du  député  ou  du  sénateur.  4"*  Ce  qui  est  interdit, 
c'est  un  acte  de  poursuite  personnelle,  de  nature  à  gêner  sa 
liberté,  à  Tempccher  de  remplir  son  mandat.  Le  représentant 
ne  peut  être  soumis,  sans  une  autorisation  préalable  de  l'As- 
semblée dont  il  fait  partie,  à  un  interrogatoire  devant  le  juge 
d'instruction.  Il  ne  peut  être  l'objet  d'un  mandat  de  compa- 
rution ou  d'amener;  h  plus  forte  raison,   d*un    mandat  de 
dépôt  ou  d'arrêt.  Aucune   citation  devant  un   tribunal  de 

tient-elle  au  sénateur  ou  député  (]ui  nVsl  pas  encore  validé?  La  Cour  de  cas- 
sation, dans  un  arnH  ancien,  s'est  prononcée  pour  la  négative.  Voy.  Cass., 
10  avr.  1847  (D.  47.  !.90).  Celte  solution  nous  parait  inexacte.  En  effet,  i'é- 
lectiun  est  le  seul  titre  du  mandat.  Sans  doute,  ce  titre  doit  être  vérifié,  par 
la  Chamhre.  Mais  tant  que  l'élection  n*esl  pas  annulée,  provision  est  due  au 
titre.  Comp.  dans  ce  sens  :  Haus,  op.  cit.^  t.  2,  n"  1150.  Voy.  également  le 
rapport  de  M.  le  conseiller  Roullier  précédant  l'arrêt  du  30  janv.  1903 
(Pand.,  1903.  1.  23."i). 

^^  Ces  solutions  n'ont  jamais  été  contestées. 

**  L'Anjfleterre  pratiquait  jadis  un  système,  non  aboli  en  droit,  mais 
lomhé  en  désuétude,  dans  lequel  les  pairs  et  gens  des  communes  faisaient 
échapper  leurs  biens  aux  saisies,  et  leurs  parents,  serviteurs,  aux  poursui- 
tes. Voy.  de  Fran«jueville,  Le  gouvernement  et  le  parlement  britanniqw^i 
t.  3,  p.  334  et  suiv. 

*-  Voy.  Pierre,  Traité  de  droit  politique,  électoral  et  parlementaire ^ 
n«  1005. 

*•*  C'est  du  moins  ce  qu'admet  Fauteur  précité  (n°  1065)  qui  a,  sur  ces 
questions,  une  compétence  particulière.  Cependant,  j'hésiterai  beaucoup  ^ 


\ 


%ION  PUBLIQUE  SUBORDONNÉE  A  AUTORISATION  PREALABLE.    373 

rcpressioD  ne  peut  lui  être  délivrée,  en  matière  correction- 
nelle ou  criminelle,  même  s'il  s'agit  d'un  délit  n'entraînant 
pas  la  peine  d'emprisonnement,  car  si  le  prévenu  n'est  pas 
lenu,  dans  ce  dernier  cas,  de  comparaître  en  personne,  c'est 
pour  lui  une  simple  faculté  de  se  faire  représenter  et  on  ne 
saurait  la  lui  imposer  comme  une  obligation.  5**  Ce  n'est  pas 
seulement  contre  une  poursuite  du  minislctère  public  que 
le  représenlant  de  la  nation  est  protégé  par  la  nécessité 
d'une  autorisation  préalable,  c'est  contre  Vaction  civile  de  la 
partie  lésée  devant  le  tribunal  de  répression  en  vue  de  le 
faire  considérer  comme  prévenu.  Cetle  procédure  met  en 
mouvement  l'action  publi([ue,  et  la  liberté  du  député  ou  du 
séoateur  serait  entravée  si  celui-ci  était  obligé  de  répondre 
à  l'action  engagée  contre  lui'^  6*  Mais  il  n'en  saurait  être 
ainsi  au  cas  où  la  poursuite  aurait  lieu,  même  devant  la 
juridiction  de  répression,  pour  une  simple  responsabilité 
civile.  Le  représentant  de  la  nation  est  uniquement  exposé, 
dans  ce  cas,  à  des  condamnations  aux  restitutions,  dommages- 
intérêts  et  frais,  et  il  n'y  a  lieu  ni  à  arrestation,  ni  à  empri- 
sonnement, ni  même  h  contrainte  par  corps  en  cas  de  con- 
dannnation^'. 

Cette  garantie  s'applique  à  tous  les  crimes  ou  délits  imputés 
à  un  sénateur  ou  député,  relatifs  ou  étrangers  aux  fonctions 
que  celui-ci  remplit.  Ce  n'est  pas  la  nature  de  l'infraction  qui 

permettre  une  perquisition  domiciliaire  préalable  à  l'autorisation.  Cetle  opé- 
ration doit  se  faire  en  présence  du  prévenu  (C.  instr.  cr.,  art  35).  De  plus, 
elle  me  paraît  fort  gênante  pour  lu  liberté  du  mandataire  de  la  nation.  C'est 
bien  un  acte  personnel,  un  acte  de  contrainte  de  nature  à  entraver  l'accom- 
plissement  de  son  mandat. 

*•  Sic,  Cass  ,  5  août  1882  (D.  83.  i.  44).  Il  s'agissait  de  la  citation  d'une 
partie  civile  devant  la  cour  d'assises,  en  matière  de  presse. 

»»  Dans  ce  cas  :  Cass.,  3  août  1893  (S.  95.  i.  521).  Voy.  la  note  de 
M.  Chavegrin.  Quid  s'il  s'agissait  d'un  cas  de  responsabilité  civile  exposant 
le  député  à  des  peines  pécuniaires ,  comme  en  matière  fiscale?  Quid  en  cas 
de  responsabilité  pénale,  du  fait  d'autrui?  M.  Chavegrin  examine  ces  questions 
dans  la  note  que  nous  citons.  Nous  pensons  que  toutes  les  fois  que  la  pour- 
suite exposera  celui  qu'elle  atteint  à  une  comparution  personnelle  pouvant 
être  ordonnée  par  le  tribunal  ou  à  la  contrainte  par  corps  en  cas  de  con- 
damnation, l'autorisation  de  la  Chambre  devra  être  requise. 


374    PROcéDURâ  pénale.  —  dbs  actions  publique  et  civile. 

donne  lieu  à  la  nécessité  d'une  autorisation  préalable  à  la 
poursuite,  c'est  laqualitédu  prévenu.  Mais  la  formule  des  lois 
constitutionnelles  françaises  ne  vise  pas  toutes  les  matières  ré- 
pressives, et  c'est  seulement  «  en  matière  criminelle  oh  cor- 
rectionnelle  »  que  le  représentant  ne  peut  être  poursuivi  ou 
arrêté  sans  Tautorisation  de  la  Chambre  dont  il  fait  partie. 
La  matière  des  contraventions  n'est  donc  pas  soustraite  au 
droit  commun  de  la  liberté  de  poursuite  pour  le  minisli're 
public  et  la  partie  lésée.  En  eiïet,  les  contraventions  ne  don- 
nent lieu  ni  à  une  information  préparatoire,  ni  à  une  arres- 
tation provisoire  ou  préventive.  Le  prévenu  n'est  même  pas 
obligé  de  comparaître  en  personne  devant  le  tribunal  de 
police;  il  peut  se  faire  représenter  par  un  fondé  de  procura- 
tion spéciale.  Enfin,  les  contraventions  ne  sont  presque  jamais 
punies  d'emprisonnement;  et  quand  l'emprisonnement  est 
prononcé  par  la  loi,  comme  dans  le  cas  de  récidive,  Tempri- 
sonnement  n'est  que  facultatif  pour  le  juge.  Il  n'existe  donc 
aucun  motif  pour  entraver,  en  matière  de  contraventionsja 
poursuite  d'un  sénateur  ou  d'un  député'®. 

Toute  poursuite  personnelle,  en  l'absence  d'autorisation 
préalable,  devrait  être  annulée  d'office,  par  le  tribunal  pré- 
maturément saisi,  sans  qu'il  fut  possible  à  ce  tribunal  de 
surseoir  à  statuer  jusqu'à  la  demande  d'autorisation.  Le  con- 
sentement de  la  Chambre  doit  être  préalable  à  tout  acte  de 
poursuite.  En  consécjiience,  la  décision  sur  l'exception  pro- 
posée et  tirée  du  défaut  d'autorisation,  engage  une  question 
que  la  loi  constitutionnelle  commande  de  résoudre  sans  délai, 
et  le  pourvoi,  contre  l'arrêt  qui  aurait  statué  sur  la  question, 
pourrait  être  formé  sans  attendre  l'arrêt  définitif*^ 

*^  n  PII  est  tout  aulrement  en  Belgique.  L'article  45  de  la  Conslitotion  belge 
dispose  qu'aucun  ineml>re  de  l'une  ou  de  l'autre  Chambre  ne  peut  «  ...  être 
»  poursuivi  ni  arnHé  en  matière  de  rcprfs^ion  ...  ».  La  Cour  de  cassation  belge 
a  donc,  interprétant  ce  texte,  pu  décider  qu'il  visait  l«»s  contraventions  comme 
les  crimea  et  les  délitx,  Cass.  l>olge.  3t  doc.  1900  (S.  1904.  4.  9).  Voy.  sur  la 
question,  la  note  de  M.  Chavefçrin. 

*'  Voy.  sur  ce  point  :  Cass.,  a  aoAt  1882,  pr<^cilé,  et  les  observations  de 
M.  le  conseiller  Ruullier  qui  précèdent  l'arrôt  du  30  janv.  1903  (Pand,  franc,, 
1903.1.233). 


ACTION  PUBLIQUE  SUBORDONNES  A  AUTORISATION  PREALABLE.    37S 

170.  Indépendammeol  de  la  garantie  polilique,  accordée 
par  toutes  nos  constitutions  aux  mandataires  de  la  nation,  la 
constitution  de  Tan  Ylli  avait  établi^  dans  son  article  75,  en 
faveur  des  agents  du  gouvernement,  une  garantie  adminis- 
trative, en  ne  permettant  de  les  poursuivre,  à  raison  des  faits 
relatifs  à  leurs  fonctions,  qu*en  vertu  d'une  autorisation  pré- 
alable du  Conseil  d'État.  Si  la  garantie  politique  se  justifiait 
par  la  nécessité  de  mettre  le  pouvoir  législatif  à  Tabri  des 
eolreprises  du  pouvoir  exécutifs  la  garantie  administrative 
mpliquait  par  la  nécessité  de  sauvegarder  le  principe  de  la 
séparation  des  autorités  administrative  ei  judiciaire,  G*est,  en 
elTet,  dans  ce  but  que  TAssemblée  constituante,  en  procla- 
mant la  responsabilité  pénale  et  civile  des  fonction nuircs 
publics,  et  en  donnant  aux  tribunaux  judiciaires  le  droit  de 
juger  cette  responsabilité,  avait  décidé,  dans  la  loi  des 
7-li  octobre  1790,  qu'aucun  administrateur  ne  pouvait  être 
traduit,  devant  les  tribunaux,  pour  raison  de  ses  fonctionSj 
i  moins  qu*il  n'y  eut  été  renvoyé  par  l'autorité  supérieure, 
conrormément  aux  lois'*.  La  constitution  de  Tan  YIII  n'avait 
doue  fait  que  reproduire  et  préciser,  dans  son  article  73,  un 
priocipe  déjà  formulé  par  l'Assemblée  constituante,  principe 

**  Soug  Tancienne  monarchie,  la  responsabilité  des  fonctionnaires  puitlics, 
quand  elle  était  reconnue,  ne  pouvait  (>tre  appréciée  <]ue  par  clos  juridictions 
eiceptionnelles.  L'AssembUV.  constituante  proclama  le  principe  gén<Tal  de  la 
responsabilité  dos  fonctionnaires  publics  dcvanl  les  tribunaux  ordinaires. 
Mais,  en  même  temps,  pour  proléger  les  fonctionnaires  contre  des  poursuites 
vexaloires,  et  pour  sauvegarder  le  principe  de  la  séparation  des  fonctions 
judiciaires  et  des  fonctions  administrative?,  elle  soumit  cette  responsabilité 
à  une  garantie,  consistant  dans  le  renvoi  préalable,  par  l'autorité  administra^ 
tive  supérieure,  du  fonctionnaire  incriminé  devant  la  juridiction  ordinaire 
(L.  des  14-22  déc.  i880,  art  01  ;    L.  des  10-2*  août  1790.  art.  13;  L.  7-14 
oct.  1790,  arL  unique).  Ainsi,  se  trouvent  consacrés,  par  des  textes  se  ratta- 
chant à  la  même  période  et  inspirés  par  les  mêmes  sentiments,  —  le  prin- 
cipe de  la  séparation  des  autorités  administratives  et  judiciaires,  —  le  prin- 
cipe de  la  responsabilité  des  fonctionnaires  publics  pour  faits  relatifs  à  leurs 
fonctions,  sous  la  réserve  d'une  formalité  de  procédure,  —  et  le  principe  de 
la  compétence  des  tribunaux  judiciaires,  pour  apprécier  cette  responsabilité. 
Comp.  :  de  Saint-Girons,  Essai  sur  la  séparation  d€s  pouvoirs  Paris,  1881), 
p.  393,  et  mon  Traite  théor,  et  praL,  t.  3,  n»»  940  à  948. 


37C      PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CI\ILB. 

qui  avait  survécu  à  la  conslitution  elle-même,  cl  qui  était, 
comme  on  l'a  dit,  le  bouclier  de  f administration  contre  les 
rancunes  des  particuliers  et  les  entreprises  de  l'autorité  judi- 
ciaire. Un  décret  du  19  septembre  1870  a  formellement  abrogé 
l'article  73.  Mais,  pour  apprécier  les  conséquences  de  celle 
abrogation,  dans  le  système  des  jurisprudences  administrative 
et  judiciaire,  il  faut  poser  les  trois  règles  suivantes  :  i""  Les 
agents  du  gouvernement  peuvent  être  poursuivis,  sans  forma- 
lité, devant  les  tribunaux  d*ordre  judiciaire,  même  pour  les 
prétendus  délits  qu'ils  auraient  accomplis  dans  les  actes  de 
leurs  fonctions;  2®  Mais  ces  tribunaux  ne  peuvent  connaître 
de  la  poursuite  et  doivent  se  déclarer  incompétents  dans  tous 
les  cas  où  l'examen  de  la  responsabilité  pénale  ou  civile  impli- 
que Tappréciation  d'un  acte  administratif;  3Mls  sont,  au  con- 
traire, compétents,  toutes  les  fois  que  les  actes  reprochés  « 
l'agent  du  gouvernement  constituent  des  faits  personnel^ 
imputables  a  l'homme  et  non  à  Tadministraleur.  bln  résuma' 
si  l'on  adopte  celte  interprétation,  le  décret  de  1870  supprim 
simplement  l'autorisation  nécessaire  pour  poursuivre  làpeJ 
sonne  du  fonctionnaire,  sans  toucher  au  principe  de  la  sépara 
tion  des  pouvoirs  qui  protège  l'ac/e". 

171.  Les  faits  des  ecclésiastiques  qui  constituent  à  la  foi 
des  délits  et  des  abus  peuvent-ils  être  poursuivis  sans  con 
ditions  préalables  etdirectement  devant  les  juridictions  répres 
sives  ou,  au  contraire,  la  poursuite  en  est-elle  subordounée  i 

*•  Aujourd'hui  donc,  si  la  poursuite  des  fonctionnaires  publics  n*est  |.;i 
entravée  par  la  nécessité  d'obtenir  une  autorisation  préalable,  elle  est  pani 
lysée,  presque  toujours,  par  l'exception  d'incompétence,  exception  d'onlr 
public,  (|ui  ne  permet  pas  aux  tribunaux  judiciaires  de  connaître  des  acte 
administratifs.  Deux  propositions  ont  été  déposées,  en  vue  de  garantir  I 
liberté  individuelle,  Tune,  sur  le  bureau  du  Sénat,  le  it>  déc.  1004,  pa 
M.  Clemenceau,  l'autre,  sur  le  bureau  de  la  Chambre,  le  3  févr.  1905,  pa 
M.  Cruppi,  et  elles  s'occupent  l'une  et  l'autre  de  celle  entrave  à  la  poursuit 
des  fonctionnaires  qui  attentent  à  la  liberté.  Voy.  l'analyse  de  ces  proposi 
lions  dans  Hev,  pènit,,  1905,  p.  356  à  305,  notamment  en  ce  qui  conccrn 
la  question,  p.  361.  Conf.  Berthélemy,  Traité  élémentaire  de  droit  admiuii 
gvatif,  3»  éd.,  p.  79. 


ACTION  PUBLIQUE  SUBORDONNÉE  A  AUTORISATION  PRÉALABLE.   377 

une  déclaration  préalable  d'abus  devanl  le  Conseil  d'Élal? 
Celle  question,  déjà  examinée  ailleurs",  ne  se  poserst  même 
plus  après  la  séparation  des  Églises  et  de  TÉlat  qui  aura  pour 
coDséquence  de  faire  disparaître  la  législation  archaïque  de 
l'appel  comme  d'abus.  J'indique  seulement  ici  que,  en  Tétat 
acluel  des  jurisprudences  judiciaire  et  administrative,  l'action 
publique  et  l'action  civile  peuvent  être,  sans  distinction,  pour- 
suivies directement  devant  la  juridiction  répressive  sans  décla- 
ration préalable  d'abus^^ 

*"  Voy.  mon  Traité  théor,  et  prat.  du  droit  pénal  (2«  éd.),  t.  4,  n®  1247^ 
p.  162  ai  70. 

"  Ce  système,  depuis  longtemps  adopté  par  le  Conseil  d'État  (Gons. 
d'État,  17  mars  1881,  S.  82. 3.  54),  est  consacré  par  la  jurisprudence  actuelle 
deia  Cour  de  cassation  depuis  1888  (Cass.*  2  juin  1888  et  3  août  1888, 
S.  88.  1.  272  et  488).  La  loi  des  9-11  déc.  1905  concernant  la  séparation 
du  Églises  et  de  lÉtat  {Journ,  o/f.,  1 1  déc.  1905)  abroge,  du  reste,  dans  son 
art.  43.  «  toutes  les  dispositions  relatives  à  Torganisation  publique  des  cultes 
antérieurement  reconnus  par  TËtat  »,  et  notamment  la  loi  du  18  germinal 
an  X,  et  les  articles  organiques,  les  articles  201  à  208,  260  à  264,  294  du 
Code  pénal. 


378 


CHAPITRE  II 


» 


DK    L  EXKRCICE    DE   L  ACTION    GIVII.E 


§  XXIX.  —  NOTIONS  GÉNÉRALES. 

i72.  L'action  civile  peut  être  portée,  soit  Jevitnt  les  tribunaux   ordinaires,  coin] 
tents  prmr  «n  connaître,  soit,  aecf^^soi renient  à  l'action  publique.,  devani   It"« 
bnnaiix   de   ri''[»ri*ssion.  —  173.  Appréciation  de  ce  syst^m»?.  Revision  du  C- 
français  de  181)8  en  BtHgique.    Prop<jsilions  repoussées.  —  174.  L'article  3 
CcMle  d'instruction  criminelle  contient  une  règle  et  une  est^eption. 

172.  Le  droit  de  juger  les  conleslations  qui  rentrent  da 
la  compétence  de  rautorilé  judiciaire  est  distribué  entre  d 
tribunaux  de  justice  civile  et  des  tribunaux  de  justice  répr^ 
sive.  Or,  Tinfractiou  peut  donner  lieu  h  deux  procès  :  un  prot 
/î^;ia/cl  un  procès  civil  ;  de  même  que  les  tribunaux  de  répn 
sionsontseuiscompétents  pour  connaître  de  Vactionpubliqi 
de  même  bîS  tribunaux  civils  devraient  être  seuls  compétei 
pour  connaître  de  Vaclion  civile.  C'est  à  cette  conséquer 
que  conduiraient  les  principes  mêmes  de  l'organisation  ju 
ciaire  et  de  la  compétence.  Mais  il  est  à  remarquer  que 
preuves  de  Tinfraction  servent  le  plus  souvent  à  établir 
principe  et  à  déterminer  le  cbilTre  des  dommages-intér 
qui  sont  l'objet  de  Taction  civile;  aussi  a-t-il  paru  utile 
donner  aux  tribunaux  de  répression  le  droit  de  se  pronom 
sur  les  dommages-intérêts  dus  à  raison  de  Tin  fraction, 
même  temps  qu'ils  se  prononcent  sur  la  peine  applicable.  S< 
lement,  cette  attribution  exceptionnelle  des  tribunaux  répr 
sifs  n'a  pas  fait  disparaître  l'attribution  ordinaire  des  tribuns 
civils;  de  sorte  que  les  parties,  lésées  par  une  infractii 
peuvent,  à  leur  choix,  intenter  leur  action,  en  tnême  temps 
devant  les  mêmes  juges  (\\XQ  l'action  publique,  ou,  séparénu 
devant  les  tribunaux  civils  (C.  instr.  cr.,  art.  3). 

C'est  là  une  règle  fondamentale  de  la  procédure  criminc 


EXERCICE  DE   L'ACTrON   CIVILE.  379 

française.  Elle  a  eu  les  plus  heureuses  conséquences,  en 
permettant,  à  la  partie  lésée,  d'assurer  la  répression,  dans 
rinlérèt  social,  en  même  temps  que,  dans  son  propre  intérêt, 
elle  assure  la  réparation. 

473.  L'article  4  de  la  loi  belge  du  17  avril  1878,  conte- 
nant le  litre  préliminaire  du  Code  de  procédure  pi'^nale, 
reproduit,  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes,  la  disposition 
de  notre  Code  d'instruction  criminelle.  Cependant,  la  question 
de  savoir  s'il  ne  convenait  pas  d'admettre  la  compétence 
exclusive  des  tribunaux  civils,  ponr  statuer  sur  l'action  de 
la  partie  lésée  par  un  délit,  a  été  Tobjet  d'une  discussion 
intéressante,  dans  la  commission  de  revision  du  Code  d'in- 
struction criminelle.  Celte  commission  s'est  prononcée  pour 
le  maintien  du  système  actuel,  «  parce  qu*il  fonctionne,  sans 
(•  inconvénient  sensible,  depuis  plus  d'un  siècle  en  France 
«  et  en  Belgique  ». 

Tel  a  été  aussi  l'avis  de  la  commission  de  la  Chambre  des 
députés;  mais  celle-ci  a  pensé  que,  lout  en  maintenant  lesys- 
tème  de  Toption  pour  la  majorité  des  cas,  il  y  avait  lieu  d'in- 
troduire, après  la  première  phrase  de  l'article,  une  disposi- 
tion ainsi  conçue:  «  Toutefois,  le  tribunal  criminel  pourra 
«  ordonner  le  renvoi  devant  le  tribunal  civil,  s'il  estime  que 
«  ce  renvoi  est  molivé  par  la  nécessité  d'une  plus  longue 
«  instruction  ». 

D'après  cette  disposition,  empruntée  au  Code  de  procédure 
pénale  autrichien  de  1873  (art.  3G6)*,  le  tribunal  de  répres- 

$j  XXIX.  *  Ce  Code  conlient,  dans  le  chap.  2i,  de  nombreuses  disposi- 
tions concernant  l'action  civile  intentée  devant  le  tribunal  de  n^pression. 
V.  Code  (Timtr,  cr,  aut,  (trad.  Lyon-Caen  et  Bertrand),  p.  \H\  h  186.  Ce  qui 
est  caractéristique  du  système, c'est  que  le  ministère  public  doit  veiller,  dans 
une  large  mesure,  ;i  la  sauvegarde  des  intérêts  privf^s:  i°  en  faisant  consta- 
ter d'office  le  dommage  résultant  du  fait  punissable,  et  les  autres  circon- 
stances importantes,  relatives  à  ses  suites,  au  point  de  vue  «le  la  partie  lésée 
(art.  365,  §  1);  2<»  en  faisant  connaître  à  la  partie  lésée  la  procédure  crimi- 
nelle pendante,  afin  qu'elle  puisse  user  du  droit  de  se  joindre  à  cette  pro- 
cédure. Dans  le  système  français,  le  ministère  public  ne  se  fail,  à  aucun 
moment,  I*auxiliaire  de  la  partie  lésée;  c'est  la  partie  lésée  qui  se  fait, 
d*oifice  et  d'initiative,  l'auxiliaire  du  ministère  public. 


380      PROCÉDURE   PÉNALE.    —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVIl 

sion  aurait  pu  déclarer  d'office  que  les  éléments  fournis  f 
la  procédure  n'étaient  pas  suffisants  pour  lui  permettre 
statuer  sur  Taction  civile.  La  Chambre  belge  a  repoussé  cp 
innovation,  dont  futilité  serait  surtout  appréciable  en  co 
d'assises,  011  la  juridiction  est  souvent  embarrassée  pour  statu 
sur  le  procès  civil*.  En  droit  allemand,  l'action  civile  f 
portée  devant  les  tribunaux  ordinaires  et  ne  peut  être  port 
que  devant  ces  tribunaux'.  La  même  règle  existe  dans  I 
Pays-Bas*.  Deux  systèmes  se  partagent  donc,  en  ce  qui  coi 
cerne  cette  question  de  compétence,  les  législations  mode 
nés  :  l'un  qui  sépare  toujours  l'action  civile  et  l'action  publ 
que;  l'autre,  qui  permet  «à  la  victime  du  délit  de  les  réun 
dans  une  seule  et  même  instance.  L(î  second,  mieux  que 
premier,  est  en  rapport  avec  les  intérêts  communs  de 
société  et  de  la  victime  :  il  faut  faire,  de  la  victime,  intéressé 
personnellement  à  la  poursuite,  l'auxiliaire  de  l'accusatioi 
comme  il  faut  faire  de  l'accusateur,  intéressé  h  rétaW 
l'ordre  troublé  par  le  délit,  l'auxiliaire  de  la  victime.  Ce 
en  associant  et  non  en  séparant  le  ministère  public  et  la  pa 
lie  lésée  qu'on  arrivera  à  réaliser  ce  double  objectif*.  D'j 
autre  côté,  la  réunion  des  deux  actions,  dans  un  même  jug 
ment,  évite  le  dualisme  et  la  contradiction  des  résultats. 


'  Le  ministre  de  la  justice  a  fait  remarquer,  à  la  Chambre  des  d*^pu 
belge,  que  cette  disposition  s'écartait  complètement  des  règles  qui  di^teri 
nent  la  compétence  des  diverses  juridictions  et  que,  en  outre,  elle  ser 
sans  utilité  dans  les  instances  introduites  devant  les  tribunaux  correctic 
nels.  Il  est  vrai  que,  pour  les  demandes  en  dommages  portées  devant  lac( 
d'assises,  la  législation  actuelle  n'est  pas  absolument  satisfaisante,  et  que  P 
ticle  358  pourrait  être  amélioré.  Ce  sera  une  question  à  examiner  quand 
titre  traitant  des  cours  d'assises  viendra  en  discussion. 

*  V.  C.  proc.  pén.  allemand.  §  111,  n°  2,  qui  dispose  :  «  Les  personi 
intéressées  conserveront  la  faculté  de  faire  valoir  leurs  droits  au  mo} 
d'une  action  civile  ».  Comp.  Daguin,  Code  de  procédure  pénale  allemai 
introduction,  p.  87  et  88. 

*  Code  de  proc.  pén.  néerlandais,  art.  3 

*  Dans  cette  voie,  la  procédure  du  Code  autrichien  réalise,  bien  mie 
que  la  procédure  du  Code  français,  cette  association  du  ministère  put 
et  de  la  partie  lésée.  Voy.  note  1. 


DROIT    d'option    APPARTENANT   A    LA    PARTIE    LÉSÉE.      381 

déplorables  en  cas  de  j ugements  séparés*.  C'est  dans  son  ensem- 
ble que  le  juge  doit  examiner  le  procès,  et  il  est  désirable 
quil  y  ait  une  réaction  de  la  peine  sur  la  réparation  et  de  la 
réparation  sur  la  peine. 

174.  Il  faut  noter  Téconoraie  même  de  l'article  3,  en  vue 
de  son  application  qui  rayonne  sur  toute  la  procédure  pénale. 
En  réalité,  ce  texte  contient  une  règle  et  une  exception  de 
compétence,  La  règle,  c'est  que  l'action  civile,  mettant  en 
cause  une  demande  civile,  basée  sur  une  créance  civile,  appar- 
tient de  droit  à  la  compétence  des  juridictions  civiles  :  ces  tri- 
bunaux constituent  donc  lesi  juges  naturels  de  Taction  civile. 
L'exception,  c'est  que  la  loi  autorise  la  partie  lésée  à  soumet- 
tre son  action  aux  tribunaux  de  répression,  saisis  de  l'action 
publique.  La  limite  de  cette  interversion  de  compétence  se 
trouve  dans  la  condition  même  à  laquelle  on  la  subordonne  : 
il  faut  que  les  deux  procès  puissent  être  portés  ensemble  de- 
vant les  mêmes  juges. 


§§  XXX.  —  DU  DROIT  D'OPTION,  QUI  APPARTIENT  A  LA  PARTIE  LÉSÉE, 
ENTRE  LA  VOIE  CIVILE  ET  LA  VOIE  CRIMINELLE. 

175.  Le.  droit  d'option  est  gt^oéral,  mais  il  n'est  pas  absolu.  —  176.  Il  est  général, 
en  ce  sens  qu'il  s'applique  à  l'action  civile  dirigée  contre  toutes  les  personnes 
qui  répondent  du  d<'lit  et  doivent  en  réparer  les  conséquences.  Les  personnes 
civilement  responsables  peuvent  être  assignées  devant  les  tribunaux  de  répression 
par  la  partie  civile.  Difficultés  en  ce  qui  concerne  la  citation  directe  devant  la 
cour  d'assises.  Conditions.  —  177.  Le  droit  d'option  de  la  partie  lésée,  quoique 
génénil,  n'est  pas  absolu.  —  178.  Obstacles  de  fait.  —  179.  Obstacles  de  droit. 
—  180.  Le  droit  d'option  n'existe  pas  si  l'infraction  est  de  la  compétence  pénale 
d'une  Juridiction  d'exception.  Tribunaux  militaires  et  maritimes.  —  181.  Restric- 
tion en  ce  qui  concerne  les  «liffamations  commises  envers  certaines  personnes. 
Article  40  de  la  loi  sur  la  presse  du  29  juillet  1881.  Administrateurs  de  sociétés 
financières,  «jut-slions  que  soulève  ce  cas.  Conditions  de  la  prohibition  de  saisir 
Ipa  tribunaux  civils.  Caractère  de  celte  prohibition.  —  182.  De  l'action  civile  en 
matière  de  banqueroute  simple  ou  frauduleuse.  Cette  action  peut  être  exercée 
devant  les  tribunaux  de  répression  dans  certaines  conditions.  Elle  ne  parait  pas 
pouvoir  l'être  devant  les  tribunaux  ordinaires.  —  183.  De  la  règle  :  electa  una 

''  Sur  laqiieslioM  pr'^nôrale  :  Koux,  Le  ministère  public  et  la  partie  lésée 
(Th.  doct.,  Paris,  1803). 


382      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE. 

via  non  datur  recurgus  ad  alteram.  Des  deux  hypothèses  qui  peuvent  se 
présenter.  Le  passage  de  la  voie  répressive  à  la  voie  civile  n*est  pas  interdit.  Bkis 
le  pa.ssage  de  la  voie  civile  à  la  voie  répressive  doit  Télre.  —  184.  L'upplicatioo 
de  la  règle  :  electa  una  vta...,  quelque  étendue  que  Ton  donne  à  son  applica- 
tion, exige  le  concours  de  trois  conditions.  Il  faut  :  i^  que  la  demande  succesft- 
vemont  portée  devant  les  deux  ordres  de  juridictions  soit  identiquement  la  même; 
2»  que  l'option  soit  exercée  en  connaissance  de  cause;  S'*  que  la  juridiction  saibie 
la  première  ait  eu  le  droit  de  statuer.  —  185.  Caractère  de  la  un  de  non  recevoir 
fondée  sur  la  maxime  :  electa  una  via. 

175.  La  règle  qui  ouvre  à  la  partie  lésée  roptioa  entre  la 
voie  civile  et  la  voie  criminelle  est  générale,  mais  elle  n'est 
pas  absolue. 

176.  Elle  est  générale^  en  ce  sens  qu'elle  s'applique  à 
Inaction  civile  dirigée  contre  toutes  les  personnes  qui  répon- 
dent du  délit  et  doivent  en  réparer  les  conséquences. 

I.  Les  personnes  civilement  respomables  de  Finfraction  peu- 
vent, par  suite,  être  traduites  devant  les  tribunaux  de  répres- 
sion. L'action  civile  dirigée  contre  ces  personnes  nait,  en 
effet,  du  délit,  et  Tarticle  3  du  Code  d'instruction  criminelle, 
portant  que  Taction  civile  peut  être  poursuivie,  en  même  temps 
et  devant  les  mêmes  juges  que  Faction  publique,  ne  permet 
de  faire  aucune  distinction  entre  les  divers  défendeurs  au 
procès.  Il  est  incontestable  qu'en  vertu  même  des  dispo- 
sitions des  articles  145  et  190  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle, la  partie  lésée  a  la  faculté  de  traduire,  devant  les 
tribunaux  de  police  simple  ou  correctiofinelle,  les  personnes 
civilement  responsables  de  TinfractionMVlais  lui  est-il  permis 
de  les  citer  devant  les  cours  (Tassises?  On  Ta  contesté,  en  se 
fondant  sur  ce  que  les  cours  d'assises  ne  sont  investies  du  droit 
de  connaître  de  la  responsabilité  civile  par  aucune  disposition 


g  XXX.  *  Le  premier  de  ces  textes,  l'article  145,  à  propos  des  citations  pour 
contraventions  de  police,  dit  qu*  w  il  en  sera  laissé  copie  au  prévenu,  ou  à  la 
personne  civilement  responsable  ».  L'article  190,  à  propos  de  Tinstruction 
devant  les  tribunaux  correctionnels,  indique,  comme  défendeurs  au  proct-s, 
«  le  prévenu  et  les  personnes  civilement  responsables  du  délit  »,  qui  «  pour- 
ront répliquer  »  au  procureur  de  la  République.  Voy.  également  les  articles 
182  et  192. 


DROIT  d'option  APPARTENANT  A    LA    PARTIS  LÂSÉB.       383 

eipresse  de  la  loi*.  Mais  il  suffit  qu'aucun  lexic  ne  déroge  au 
droit  commun  pour  que  le  droit  commun  reste  applicable. 
Du  reste,  Tarticle  74  du  Code  pénal  comprend  les  cours, 
devant  lesquelles  sont  portées  les  affaires  criminelles,  au 
nombre  des  tribunaux  éventuellement  appelés  à  statuer  sur 
icff  cas  de  responsabilité  civile'. 

II.  Mais  la  partie  lésée  ne  peut  citer  la  personne  civilement 
responsable,  devant  les  tribunaux  de  répression,  qu'A  la  con- 
dition d'y  appeler  ou  d'y  trouver  l'auteur  même  de  l'infrâc- 

*  Haus,  op,  dt.f  t.  2,  n*  1358.  Les  raisons  ne  m^inquent  pas,  en  effet, 
pour  le  soutenir,  par  des  arguments  tirés  de  la  procédure.  On  peut  dire  que 
Je  droit  de  citation  directe  devant  la  cour  d'assises  n'existe  pas,  sauf  en 
matière  de  presse;  que  l'économie  tout  entière  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle proteste  contre  ce  droit,  ce  Code  ne  prévoyant  de  demandes  possibles 
qu'entre  la  partie  civile  et  les  individus  déférés  par  le  ministère  public  aux 
assises,  toute  la  procédure  devant  la  cour  étant  réglée  au  point  de  vue  de 
ces  seules  personnes  (art.  33i,  335,  362,  366,371  et  373  .  On  fait  remar- 
quer que  la  personne  citée  serait  dans  l'impossibilité  de  discuter  aucun 
témoignage,  aucune  notification  de  témoins  n'étant  délivrée,  et  qu'elle  ne 
pourrait  se  défendre;  enfin,  que  le  civilement  responsable,  non  touché  par 
la  citation  et  défaillant,  n'aurait  aucun  moyen  légal  de  faire  opposition  à 
Tarrét  rendu.  On  fait  remarquer  également  que  le  Code  d'instruction  criminelle 
n'ouvre  formellement  le  recours  en  cassation  contre  les  arrêts  de  cours  d'assi- 
ses, qu'à  l'accusé  condamné,  au  procureur  général  et  à  la  partie  civile  (arL 
373)  ;  tandis  qu'il  accorde  la  faculté  de  se  pourvoir  en  matière  correctionnelle 
et  do  police,  non  seulement  à  la  partie  civile,  au  prévenu  et  au  ministère 
public,  mais  encore  aux  personnes  civilement  responsables  du  délit  ou  de 
la  contravention. 

*  La  solution  n'est  pas  douteuse  en  jurisprudence:  Cass.,  18  juin  1647 
(S*.  48.  I.  783);  25  févr.  1848  (S.  48.  \.  415);  2  avr.  1854  (D.  59.  1.  137)  ; 
Cour  d'assises  de  la  Seine,  14  nov.  1905  (Richard,  Rey,  du  Chambon)  : 
«  Considérant  que,  quel  que  soit  l'inconvénient,  au  point  de  vue  de  la  marche 
des  débats,  de  Tappel  de  la  partie  civilement  responsable  devant  la  cour 
d'assises,  il  faut  reconnaître  qu'aucun  texte  de  loi  n'interdit,  h  la  partie 
civile,  régulièrement  constituée,  d'appeler  au  procès  criminel  la  partie  civi- 
lement responsable  et  qu'aucun  texte  du  Code  d'instruction  criminelle  ne 
l'en  exclut;  que,  spécialement,  l'article  74  du  Code  pénal  renvoie  aux  dispo- 
sitions de  droit  commun  ;  que  la  partie  civile,  au  contraire,  puise  son  droit 
dans  les  dispositions  générales  des  articles  3  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle et  74  du  Code  pénal  ».  Comp.  HolTman,  op.  cit.,  t.  1,  n°  98;  Kaustin 
Hélie,  op,  c«.,  t.  8,  n<»  3885. 


384      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVIL 

tion,  car  la  juridiction  répressive  n'est  compétente  pourco 
naître  de  l'action  civile  que  si  elle  est  saisie,  en  même  lem|: 
d&  Taction  publique,  et  cette  action  ne  peut  être  dirigée  qi 
contre  les  auteurs  ou  les  complices  du  délit\  Toutefois, 
est  admis,  en  jurisprudence,  que  lorsque  la  partie  civilemei 
responsable  a  été  seule  citée,  elle  ne  doit  pas  être  renvoy 
purement  et  simplement  de  la  demande;  mais  que  le  tribi 
nal  doit  surseoir  à  statuer,  en  ce  qui  concerne  le  prévenu, 
fixer  un  délai  dans  lequel  il  sera  ipis  en  cause'. 

La  responsabilité  civile  peut,  dans  certaines  circonstanc 
exceptionnelles,  être  étendue  jusqu'aux  condamnations  pénal 
à  l'amende  et  à  la  confiscation  :  il  en  est  ainsi,  par  exemp 
en  matière  de  contributions  indirectes  et  de  douanes.  Si 
personne  civilement  responsable  est  soumise,  par  des  lois  sj 
claies,  aux  peines  encourues  par  ses  subordonnés  ou  prépos 
la  nécessité  de  citer  concurremment  Tauteur  du  délit  n'appar 
pas,  puis(|ue  l'action  |)ublique  et  l'action  civile  se  confonden 

III.  Le  tribunal  de  répression  aurait-il  le  droit,  en  relaxc 
ou  en  acquittant  le  prévenu  ou  l'accusé,  de  prononcer  u 
condamnation  à  des  dommages-intérêts  contre  la  person 
civilement  responsable?  Sans  doute,  malgré  le  relaxe 
l'acquittement,  il  peut  rester,  à  la  charge  de  l'accusé  ou 
prévenu,  un  fait  illicite  et  dommageable,  dont  toute  par 
lésée  a  le  droit  de  poursuivre  en  justice  la  réparati( 
même  contre  les  personnes  civilement  responsables  du  I 

*  Jiirispriiflence  constante:  Cass.,  17  avr.  1878  (D.  79.  I.  234);  M<; 
pellier,  25  juin  1807  (D.  70.  2.  183).  La  doctrine  est  unanime.  Sans  le  |l 
venu,  en  elfet,  <lit  Mangin,  op,  cit.,  t.  l,n°  34,  «  le  tribunal  n'a  point  à  \ 
noncer  sur  l'application  de  la  peine,  Taction  publique  n^estpas  mise 
mouvement,  il  n'existe  qu'une  simple  action  civile  ».  Conf.  Blanche,  Etu 
sur  le  Code  pénal,  t.  i,  n**  3t8;  Cliauveau  et  Hélie,  Théorie^  t.  2,  p.  2 
Faust  in  II  «Mie,  op.  cit.^  t.  2,  n**  012. 

••  .S/c,  Cass.,  9  juin  1832  (S.  32.  1.  744);  31  janv.  1833  (U.  cr.,  n^  : 
23  nov.  1830  (S.  37.  1.  739).  Mais  cette  jurisprudence  est  contestable. 

*  C'est,  sans  doute,  oe  qu*a  voulu  dt^cider  un  arrêt  de  rejet  de  la  Chanr 
criminelle  d«'  la  Cour  de  cassation  du  31  janv.  1873  (li.  cr,,  n*>  31).  Il  s'a 
sait  d'une  personne  citée  comme  civilement  responsable  d*une  contraven 
«foetroi,  et  elle  avait  été  cmulamnée  comme  pénalemcnt  responsable. 


DROIT   d'option   APPARTENANT    A   LA   PARTIE   LESEE.  385 

d'autrui  ;  mais  elle  ae  saurait  le  faire  valablement  que  par  uue 
aclioQ  en  dommages-intérêts  ordinaire,  de  la  compétence 
des  tribunaux  civils.  Il  faut  en  conclure,  sans  difricullé,  que  les 
tribunaux  de  police  simple  ou  correctionnelle  seraient  incom- 
pétents, en  relaxant  le  prévenu,  pour  condamner  à  desdom- 
mages-intérêl-s  la  personne  civilement  responsable',  comme  ils 
seraient  incompétents  pour  prononcer  cette  même  condamna- 
tion contre  le  prévenu  relaxé.  Mais  la  cour  d'assises,  qui  a  la 
plénitude  de  juridiction,  aurait  incontestablement  le  droit  de 
statuer  sur  Taction  civile  tout  entière,  même  en  cas  d'acquit* 
tement  de  laccusé  (C.  instr.  cr.,  art.  366)'. 

IV.  La  victime  du  délit  qui  appelle  ou  trouve,  devant  la 
juridiction  répressive,  en  se  constituant  partie  civile,  tous 
ceux  qui  répondent  de  l'infraction^  a  le  droit  de  diriger  uni- 
quement ses  conclusions  contre  les  personnes  civilement 
responsables,  en  négligeant  les  auteurs  mêmes  de  l'infrac- 
tion'. 

V.  La  partie  lésée  a  le  droit  de  diviser  son  action,  et  de 
citer  l'auteur  du  délit  devant  le  tribunal  d(i  répression,  le 
responsable  civilement  devant  le  tribunal  ordinaire,  sauf, 
pour  ce  dernier  tribunal,  à  prononcer  un  sursis  par  applica- 
tion de  la  règle  :  Le  criminel  fient  le  civil  en  état,  et  à  tenir 
compte  du  jugement  que  prononce  le  tribunal  de  répression 
dans  la  mesure  où  la  chose  jugée  au  criminel  s'impose  au  juge 
civil. 

'  Sic,  Cass.,  10  avr.  1875  (S.  75.  1.  240);  12  juin  1886  (D.87.  1.  45). 

'  Il  y  aurait  loulefois  à  éviter  des  disposilious  conlradicloires  dans  Tar- 
rêt,  et,  la  plupart  du  tomps,  la  disposition,  qui  renverrait  d'instance  le  prévenu 
sur  laction  civile,  serait  incompatible  avec  celle  qui  condamnerait  la  personne 
<^iviiement  responsable  à  des  dommages -intérêts.  L'arrêt  pourrait  être  alors 
annulé,  non  pour  incompétence,  mais  pour  motifs  contradictoires  équivalant 
^  absence  de  motifs. 

•  V.  en  ce  sens  :  Cass.,  i\)  févr.  «860  (S.  66. 1.  21  i);  2  déc.  1881  (S.  82. 
^'  44),  C'est  qu'en  elîet,  par  cela  seul  que  le  prévenu  se  trouve  en  cause,  le 
tribunal  de  répression  peut  statuer  sur  l'action  civile.  Cette  présence  du 
prévenu,  suffit  donc  pour  lui  donner  compétence.  Or,  le  tribunal  compétent 
"e  doit  statuer  que  sur  les  conclusions  dont  il  est  saisi,  et  la  direction  exclu- 
sive du  procès  civil  appartenant  à  la  victime  du  délit,  celle-ci  peut  exclusi- 
vement diriger  ses  conclusions  contre  la  personne  civilement  responsable. 
G.  P.  P.  -  T,  2d 


386      PROCÉDURE   PÉNALB.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET   CIVILE. 

177.  Le  droit  d'option  de  la  partie  lésée  entre  les  deu.^ 
ordres  de  tribunaux,  quoique  général,  n  est  pas  absolu. 

178.  Il  y  a  d'abord  des  obstacles  de  fait  qui  peuvent  empê- 
cher l'exercice  régulier  de  faction  devant  les  tribunaux  de 
répression.  C'est  ce  qui  arrive  toutes  les  fois  que  Taclion 
publique  est  éteinte  par  une  circonstance  qui  laisse  subsister 
l'action  civile,  telle  (|uc  le  décès  de  Tauteur  de  rinfraclioQ, 
Tainnistie,  la  chose  jugée.  Dans  ces  cas,  la  partie  lésée  sera 
bien  obligée  de  saisir  le  juge  civil,  resté  uniquement  compé- 
tent pour  statuer  sur  son  procès. 

179.  De  plus,  il  y  a  les  obstacles  de  droit  qui  s'opposent  ï 
ce  que  la  partie  lésée  saisisse  Tune  ou  l'autre  des  deux  juri 
dictions,  ordinairement  compélenltîs,  tantôt  les  tribunaux  <^ 
répression,  tantôt  les  tribunaux  civils. 

180.  Le  caractère  du  droit  d'option  doit  d'abord  en  reslreiï 
dre  l'application  aux  cas  ordinaires.  C'est  ainsi  que  les  trib^ 
nauv    militaires  et  maritimes,  les  conseils  de  préfecture, 
Sénat  constitué  en  Ilaute-Cour  de  justice,  et,  en  général,  tft 
tes  les  juridictions,   exceptionnellement  investies  par  la  I 
d'une   compétence    pénale,   ne  peuvent  slaluer  sur   Taclir 
civile,  naissant  du  délit  dont  la  répression  leur  est  cependai 
confiée.   Ces  tribunaux  n'ont   pas  à  exercer  leur  juridiclic^ 
dans  l'ordre  des  intérêts  privés*^  :  ils  peuveni  seulement  ordoL 

*"G'fisl  qin*,  en  effet,  Icurcompôleric»?  pénale  »îsI  «l«''jà  oxc^ptioniiolle.  Pou 
fairodiTiver «leceUecumfH'tenrft  p<Miale«^xceplioi)n('ll(<,  uiiecoinpplence  civil 
il  faudrait  un  tpxle  spécial.  Sic,  Kaustin  riélit*,  njt.  cit.,  t.  5,  n°  2305.  Con 
Manfjin,  Traite  de  rinslruction  écrite  et  de  la  comprfenre,  l.  2,  n°  i  SI.  —  En  c 
qui  c'nncorricif'sjuriclictioiis  militaires, rarlicK'5tHJu(.]<Mjt.Ml»îjusticeniilitaiiv«.l 
9  juin  \HYtH  dispose  «^xpress**menl([ije  Tantion  civile  no  poiit.(}lre  poursuiviequ 
devant  Itîstrilmnaux civils. Iln'yad'exce[)tion, que pourlajusiico  prevotale  (ar 
75).  Le  Code  de  justice  militain*pourl'arm»'^edemprdu  tjnin  1858dis|x>seégalt 
mcnl,  dans  l'article  75,  «pie  l'action  civiliîne  p«îut  «Mn*  portée  devant  les  tril>u 
naux  maritimes.  ConF.  article  21  de  la  lui  du  10  mars  1801  sur  les  accid»»nts  e 
colli>ions  de  mer.  Il  y  aurait  donc  lieu  à  cassation,  puur  incompétence,  d'ui 
jugement  du  conseil  de  guerre  maritime  (lui,  st  ituanl  sur  l'action  civile 
laciueile  l'infraction  pouvait  donner  lieu,  aurait  condamné  solidairement  le 


DROIT   d'option   APPARTENANT   A   LA    PARTIE  LÉSÉE.       387 

ner,  au  profit  des  propriétaires,  la  restitution  des  objets  saisis 
ou  des  pièces  à  conviction,  lorsqu'il  n'y  a  pas  lieu  d'en  pro- 
noncer la  confiscation  (C.  just.  mil.,  art.  53  et  54  ;  C.  just. 
maril.,  art.  74  et  75). 

181.  Une  autre  exception  à  la  règle  d'après  laquelle  la  par- 
tie lésée  est  libre  de  porter  son  action,  soit  devant  les  tribu- 
naux civils,  soit  devant  les  tribunaux  de  répression,  résulte  de 
Tarticle  46  de  la  loi  sur  la  presse  du  29  juillet  1881. 

Vn  fait  de  publication  par  la  voie  de  la  presse  constitue  un 
délit  |)éual  dommageable  :  c'est  une  dilTamation  ou  une  injure: 
la  victime  de  l'infraction  a-t-elle  le  droit  d'opter  entre  la  juri- 
diction civile  et  la  juridiction  répressive  et  de  saisir  de  son 
action  l'une  ou  l'autre,  a  son  cboix?. 

Le  droit,  pour  la  victime  d'uneinfraction,dc  s'adresser,  à  son 
cboix,  aux  tribunauxcivilsou  aux  tribunaux  de  répression,  no 
saurait  être  méconnu  dans  son  application  spéciale  aux  délits 
de  [iresse.  Si  des  difficultés  se  sont  élevées  à  une  certaine  épo- 
<|U(.*,  elles  sont  aujourd'liui  h'uitï  éteintes  et  personne  ne  peut 
douter  de  la  faculté  générale,  qui  appartient  à  tout  individu, 
diffamé  ou  injurié,  de  saisir,  s'il  lui  plaît,  de  son  action  en  dom- 

iii(;u!|)és  à  la.  rrpanition  du  dommage  occ<'isi<iiin('  par  leur  faute  (Cas6«, 
\{)  avril  1H8i,  H,  ci;,  n°  132).  —  Eu  ce  qui  cunctTuc  los  conseils  de  préfec- 
ture, leur  incompétence  sur  l'actiou  civile,  lors(|u*ils  sont  coiupeli-uts  en 
inalitT»;  rt'pressive,  est  pn»clamêe  par  un  Avis  du  Conseil  d'Ktat  du  2t)  sept. 
inm  [{).  A.,  V'  Voirie  par  terre,  p.  191).  —  En  ce  qui  concerne  la  Haule- 
«ynir  de  justice,  établie  par  rarliclc  0  delà  loi  constitutionnelle  d<'s  2t  et 
•2H  fi-vriiT  IH7">  et  par  l'article  12  d(»  celle  des  H»  et  1«  juillet  tSTTi  pour  jut,'er 
1p  présid4'nt  de  la  K«'f>ul)rnju»',  les  ministres  et  les  personnes  coupaMcs  d'at- 
tiMitats  conire  hi  sùrelé  de  TKlat  iqualillcation  tjui  comprend  le  complot  : 
Haiite-Cuur  de  justice,  IH  nov.  IHOH,  S.  1901.  2.  1),  aucun  texte  ne  lui  don- 
nant le  droit  de  statuer  sur  l'a-lion  civile,  elle  serait  nalurellemenl  incom- 
pétente pour  le  faire.  Il  en  «Mait  aulrement  de  la  llaute-C(»ur  de  justice  impé- 
riale. S'aî>p»iyant  sur  Tarlicle  17  du  sénatus-consulle  <lu  27  mars  1S70,  relie- 
Cl  s'était  reconnu  le  droit  de  prononcer  des  d')mmif^es-intérôts  :  liaute-tjour, 
27  mars  1870,  atî.  Salmon  contre  prince  Pierre  Mr»naparte  (JJ.  71  2.  79). 
M.iisen  Tabsenced'un  texte  s[»«^cial,  qui  n'existe  pas  dans  nos  lois  constitu- 
tionnelles, l'application  des  rè^,des  gên^^rales  exclut  toute  intervention  de  la 
Haute-Cour  dans  l'ordre  des  intérêts  privés. 


388      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVILE. 

mages-intérêts,  les  tribunaux  civils**.  Une  exception,  relative- 
ment ancienne  dans  notre  législaton,  puisqu'elle  remonte  à 
1848,  et  que  la  loi  du  29  juillet  1881  sur  la  presse  a  respectée, 
existe  cependant  en  ce  qui  concerne  les  diffamations  commises 
«  envers  les  cours,  les  tribunaux,  les  armées  de  terre  et  de 
mer,  les  corps  constitués  et  les  administrations  publiques»,  et 
celles  adressées,  à  raison  de  leurs  fonctions  ou  de  leurs  quali- 
tés, «  envers  un  ou  plusieurs  membres  du  ministère,  un  ou  plu- 
sieurs membres  de  Tune  ou  de  Taulre  Chambre,  un  fonction- 
naire public,  un  dépositaire  ou  agent  de  l'autorité  publique, 
un  ministre  de  l'un  des  cultes  salariés  par  TÉtal,  un  citoyen 
chargé  d*uo  service  ou  d'un  mandat  public,  temporaire  ou 
permanent,  un  juré  ou  un  témoin  à  raison  de  sa  déposi« 
lion*'  ».  Ces  délits  sont  prévus  par  les  articles  30  et  31  de  la 
loi  du  29  juillet  1881,  et  Tarticle  46  de  cette  mémo  loi  décide 
que  «  Faction  civile,  résultant  des  délits  de  diffamation  prévus 
et  punis  par  les  articles  30  et  31,  ne  pourra,  sauf  le  cas  d& 
décès  de  Tautcur  du  fait  incriminé  ou  d*amnistie,  être  pour- 
suivie séparément  de  l'action  publique  ». 

Pour  comprendre  le  motif  de  cette  disposition  et,  par  consé- 
quent, sa  portée,  il  faut  remonter  à  son  origine.  Avant  1848, 
une  vive  controverse  s'était  élevée  sur  le  point  de  savoir  si  les 
fonctionnaires  publics,  attaqués  par  la  presse,  à  raison  de  faits 
relatifs  à  leurs  fonctions,  pouvaient  saisir  d'une  action  en  dom- 

•*  Cire.  min.  Just.,  9  nov.  1881  :  «  L'action  civile  pourra  toujours  être  por- 
tée devant  la  juridiction  criminelle  ou  correctionnelle  avecTaction  publique; 
mais  elle  pourra  aussi  être  exercée  séparément,  conformément  à  l'article  3 du 
Code  d'instruction  criminelle  ».  Comp.  G.  Le  Poittevin,  Traité  de  la  presse, 
l.  3,  T)0  1269. 

^^  Ainsi  l'action  civile  ne  peut  être  exercée  qu'accessoirement  à  TactioD 
publiqueaux  cas  :  i**  de  diffamation  envers  les  cours  et  tribunaux,  les  armées 
de  terre  ou  de  mer,  les  corps  constitués  et  les  administrations  publiques; 
2°  de  diflamation,  à  raison  de  leurs  fonctions  ou  de  leur  qualité,  envers  les 
ministres,  les  sénateurs,  les  députés,  les  fonctionnaires  publics,  les  déposi- 
taires ou  agents  de  l'autorité  publique,  les  ministres  du  culte,  les  citoyens 
cbargés  d'un  service  ou  d'un  mandat  public,  temporaire  ou  permanent;  3*  de 
diffamation ,  à  raison  de  leurs  fonctions,  ou  de  leur  qualité,  envers  les  jurés; 
4<*  de  diffamation,  à  raison  de  leur  déposition,  envers  les  témoins. 


DROIT   d'option   APPARTENANT   A   LA   PARTIE  LÉSÉE.        389 

mages-intérêls  les  IribuQaux  civils.  Oq  avait  contesté  d'abord 
le  droit  même  du  fonctionnaire,  atteint  dans  sa  considération 
ou  son  lionneur,  d'obtenir  une  réparation  privée.  El,  même 
en  admettant  l'existence  de  l'action  civile,  distincte  de  Taction 
publique,  on  avait  prétendu  imposer  à  la  partie  lésée  Tobliga- 
lion  d'agir  toujours  devant  les  tribunaux  de  répression.  Mais 
la  jurisprudence  des  cours  et  tribunaux,  celle  de  la  Cour  de 
cassation  notamment,  n'avait  jamais  varié  :  elle  avait  constam- 
ment jugé  que  les  fonctionnaires  pouvaient  saisir  les  tribunaux 
civils   d'une    action   privée  en  réparation*'.   11  suffit  de  se 
reporter  aux  journaux,  aux  revues,  aux  recueils  de  l'époque, 
pour  comprendre  l'émotion  qu'avait  soulevée  cette  jurispru« 
dence;  sans  doute,  elle  était  fondée  sur  le  droit  commun,  mais 
la  question  s'élevait  précisément  de  savoir  si  la  diffamation, 
dans  ce  cas,  devait  rester  sous  l'empire  du  droit  commun  : 
'<  La  vie  privée  des  fonctionnaires  n'appartient  qu'à  eux  seuls, 
disait  M,  de  Serres,   dans  l'exposé  des  motifs  de  la  loi  du 
26  mai  1819;  leur  vie  publique  appartient  a  tous.  C'est  le  droit, 
c'est  souvent  le  devoir  de  cbacun  de  leurs  concitoyens  de  leur 
reprocher  publiquement  leurs  torts  et  leurs  fautes  publiques  »• 
Aussi,  à  toutes  les  époques  de  liberté,  deux  garanties  sont  don- 
nées contre  le  fonctionnaire  :  le  droit  de  prouver  la  vérité  des 
faits  prétendus  diOaniatoires;  l'assurance  que  l'appréciation 
deces  faits  et  de  leur  preuve  sera  soumise  à  des  jurés.  Or,  ce 
qu'essayait  le  fonctionnaire  diffamé,  lorsqu'il  saisissait  le  tri- 
bunal civil  et  séparait  l'action   civile  de  l'action  publique, 
c'était  précisément  d'obtenir,  de  fonctionnaires  comme  lui, 
par  le  résultat  d'une  enquête  à  huis-clos^  sans  avoir  à  se  com- 
itiettre  au  danger  d'un  débat  public  sur  la  vérité  des  faits 
infipules,  une  répression  civile,  au  moyen  d'une  somme  d'ar- 
gent. Le  pouvait-il?  11  était  certainement  permis  d'en  douter. 
L<a  jurisprudence  lui  avait  cependant  reconnu  ce  droit  :  mais, 
sous  l'influence  de  vives  attaques,  que  cette  solution  avait  mo- 
tivées, un  décret  du  Gouvernement  provisoire,  en  date  du  22 

'^  Comp.  Cass.,  6  mai  1847  (S.  47.  1.  137),  et  les  conclusions  contraires 
du  procureur  général  Dupin  ;  Ghassan,  op.  cit.,  l.  2,  p.  202  et  suiv.,  n^  1437 
et  suiv.,  et  Si/pp/ ,  p.  15. 


390      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES    ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILK. 

mars  1848,  décida  que  les  tribunaux  civils  seraient,  à  Tavcnir, 
incoin[)étents  pour  statuer  sur  les  actions  civiles  des  fonction- 
naires diffamés.  La  loi  du  ioavril  1871  (art.  4)  reproduisit  celle 
disposition,  qui  a  été  recueillie  par  i^article  46  de  la  loi  du 
29  juillet  1881  »*. 

Ceci  posé,  une  première  question  s'élève.  On  sait  que  la 
loi  sur  la  presse  distingue,  au  point  de  vue  de  la  diffamation, 
deux  catégories  d'individus  :  d'une  part,  ceux  qui  sont  re- 
vêtus, à  un  litre  quelconque,  d'un  caractère  public;  d'autre 
part,  les  simples  particuliers.  La  preuve  des  faits  diffamatoi- 
res, qui  ne  peut  être  rapportée,  quand  il  s'agit  de  diffamatiof 
envers  les  particuliers,  est,  au  contraire,  recevable,  aux  U'i* 
mes  de  Tarlicle  35,  en  ce  qui  concerne  la  diffamation  coin 
mise  envers  les  personnes  publiques  à  raison  de  leurs  fonc 
lions.  Or,  d'une  part,  les  directeurs  et  administraient 
d'entreprises  (inancières,  faisant  publiquement  appel  à  l'épai 
gne  et  au  crédit,  sont,  au  point  de  vue  de  l'admissibilité  d 
la  preuve,  assimilés,  par  l'article  35,  aux  fonctionnaires  pu 
blics.  D'autre  part,  l'article  45  (fui,  d'une  façon  général* 
défère  à  la  cour  d'assises,  les  délits  prévus  par  la  loi  sur  I 
presse  et,  par  conséquent,  le  délit  de  diffamation  envers  U 
personnes  agissant  en  un  caractère  public  prévu  par  Tari 
cle31, défère, parexception,  au  tribunal  correctionnel,  le  dél 
de  diffamation  envers  les  particuliers  prévu  par  l'article  3: 
Les  administrateurs  d'entreprise  financière  n*étant  que  d( 
particuliers,  il  semble  que  la  diffainalion  qui  les  atteint  soi 
de  la  compétence  des  tribunaux  correctionnels.  Mais  Tari 
de  52,  qui  organise  la  procédure  relative  à  la  preuve  des  fai 
diffamatoires  prétendus  devant  la  cour  d'assises,  se  réfère,  sar 
aucune  réserve,  aux  dispositions  de  l'article  35,  dont  Tun  di 
derniers  paragraphes  est  précisément  relatif  aux  adminislr; 
teurs  d'entreprises  financières.  Enfin,  Tarticle  46,  qui  inlerd 
l'exercice  séparé  de  l'action  civile  devant  li^s  tribunaux  d 

^*  Sur  celle  disposition  :  Barluer,  Code  expliqué  de  la  presse,  n°*  853 
suiv.;  (j.  Le  Poillevin,  Traite  de  la  presse,  r»®*  1290  ot  i291  ;  Fabregue 
les.  Traité  des  délits  politiques,  et  des  infractions  par  la  parole,  rècritu 
et  la  presse,  t.  1 ,  p.  336,  436. 


DROIT   d'option    APPARTENANT  A    LA   PARTIE    LÉSÉE.         391 

répression,  vise  simplement  les  diffamations  commises  envers 
les  personnes  |)nbliqiies.  Kn  face  de  ces  textes  contradicloires, 
un  certain  nombre  de  problèmes  se  sont  posés. 

Quelle  est,  de  la  cour  d'assises  ou  du  tribunal  correction- 
ni'l,  la  juridiction  compétente  pour  connaître  delà  diffamation 
commise  envers  les  administrateurs  d'entreprises  financières? 
Pour  décider,  comme  elle  Ta  toujours  fait,  que  les  tribunaux 
copreclionnels  sont  compétents,  la  Cour  de  cassation  raisonne 
ainsi"  :  Les  administrateurs  d'entreprises  financières  ne  sont 
assurément  pas  des  fonctionnaires  publics  ni  des  personnes 
chargées  d'un  service  ou  d'un  mandat  public;  ils  ne  peuvent 
donc,  à  aucun  titre,  être  classés  au  nombre  des  personnes 
visées  par  l'article  31  et  doivent  nécessairement  être  rangés 
dans  la  catégorie  des  simples  particuliers,  pour  lesquels  l'ar- 
licle  43  établit  la  compétence  des  tribunaux  correctionnels. 
Le  raisonnement  est,  en  effet,  pressant;  il  n'est  même  pas 
susceptible  d'une  réfutation  directe;  mais  la  solution  à  la- 
quelle il  conduit  est  si  peu  conforme  à  l'esprit  et  au  but  de  la 
loi,  desarticles  32etsuivants,  qu'il  est  permis  de  douter  deson 
exactitude.  Néanmoins,  la  jurisprudence  est  depuis  longtemps 
fixée  sur  la  compétence  du  tribunal  correctionnel.  Mais  en 
admettant  la  compétence  du  tribunal  correctionnel  dans  ce 
cas,  il  reste  à  se  demander  s'il  faut,  en  ce  qui  concerne  la 
preuve  des  faits  diffamatoires  devant  cette  juridiction,  se  con- 
former aux  règles  spéciales  tracées  par  la  loi  sur  la  presse  ou 
suivre  simplement  les  règles  du  droit  commun.  C'est  la  pre- 
'ïïièpe  solution  qui  doit  être  acceptée.  L'article  52,  se  référant 
*  Tarlicle  35,  il  résulte,  en  effet,  de  la  combinaison  de  ces 
deux  textes,  que  les  garanties  spéciales,  édictées  par  la  loi  sur 
'^  presse  pour  organiser  la  preuve  en  matière  de  diffamation, 
doivent  être  observées  dans  tous  les  cas  où  la  preuve  est  ad- 
'nise  :  ces  garanties  étant  d'ailleurs  déterminées  par  la  nature 
"ïême  du  délit  et  non  par  celle  de  la  juridiction  qui  en  est 
saisie,  doivent  protéger  les  parties  devant  les  tribunaux  cor- 

*'  La  jurisprujlcMice  est  fixée  dans  ce  sens.  Comp.  Cass.,  29  juin  d882 
(S- 83.  1.  47;  D.  82.  t.  383);  Vov.  G.  Le  Pollieymjraité de  la  presse,  i.Z, 
n"  »330,  p.  335). 


392      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE 

rcctionncls  comme  devant  les  cours  d^assises.  Tel  est  le  rai 
sonnement  de  la  jurisprudence  et  il  faut  reconnaître  qu  i 
est  conforme  au  texte  ainsi  qu'à  l'esprit  de  la  loi  *^ 

Mais  une  nouvelle  difficulté  surgit  qui  nous  ramène  à  notre 
sujet.  Le  but  de  la  loi,  en  assimilant,  aux  fonctionnaires  publics, 
les  administrateurs  d'entreprises  financières,  au  point  de  vue  de 
la  preuve  (ce  qui  est  certain)  et  au  point  de  vue  de  la  compé- 
tence du  jury  (ce  qui  est  contesté),  a  été  certainement  de  don- 
ner aux  écrivains  le  privilège  de  pouvoir  dénoncer,  sans  crain- 
dre une  répression,  les  abus  des  uns  et  des  autres.  Eh  bien 
un  administrateur  d'entreprises  financières  est  diffamé  ou  s( 
prétend  diffamé  comme  tel  :  a-l-il,  pour  protéger  son  honnoui 
et  celui  de  son  entreprise,  la  faculté  de  choisir  entre  le  tribu 
oal  civil  et  le  tribunal  de  répression?  Peut-il  se  ménager,  pa 
un  détour  que  larticle  46  delà  loisur  la  presse  a  pour  objet  d 
déjouer  s'il  est  essayé  par  un  fonctionnaire,  une  victoire  sv 
l'écrivain  qu'il  n'ose  pas  accuser  devant  ses  juges  naturel 
L'esprit  de  la  loi  s'y  oppose.  Cependant,  à  défaut  de  texte, 
parait difficiled'écarter  le  droit  commun  de  l'option.  Mais 
preuve  de  la  vérité  du  fait  diffamatoire  peut  être  rapport 
devant  le  tribunal  civil  comme  devant  le  tribunal  correctio 
net  puisqu'elle  met  le  diffamateur  à  l'abri  non  seulement  c 
toute  peine,  mais  aussi  de  toute  condamnation  à  des  dommj 
ges-intérèts. 

Il  faut  en  conclure  que  les  tribunaux  civils  violeraient 
droit  de  défense  et  les  dispositions  de  l'article  33  de  la  loi  si 
la  presse,  s'ils  privaient  le  défendeur  de  ce  moyen  de  défense  ( 
fond,  en  lui  refusant  de  faire,  tant  par  titres  que  par  témoin 
et  suivant  la  forme  de  la  procédure  d'enquête,  la  preuve  d 
faits  pertinents  et  admissibles  par  lui  articulés  et  tendant  à  et 
blir  la  vérité  des  imputations  qui  lui  sont  reprochées^\ 

L'incompétence  des  tribunaux  civils,  pour  connaître  de  l'a 
tion  civile  des  personnes  diffamées  à  l'occasion  de  leurs  fon 


*'J  Voy.  l'arrêt  précité  de  la  Cour  de  cassation  du  29  juin  1882.  Coe 
G.  Le  Poitlevin,  Traite  de  la  presse,  t.  3,  n®  1549. 
«'  Sic,  Cass.,  18  mars  1889  (D.  90.  1.  160). 


DROIT   d'option    APPARTENANT   A    LA   PARTIE   LESEE.       393 

lions,  est  d'ordre  public.  Par  suite,  Taccord  du  demandeur  et 
du  défendeur  pour  soumeltre  le  procès  à  la  juridiction  civile, 
serait  impuissant  à  lui  donner  compétence,  et  le  contrat  judi- 
ciaire qui  interviendrait,  dans  ce  cas,  ne  pourrait  modifier  des 
règles  d'ordre  public**. 

Trois  conditions  sont,  du  reste,  nécessaires  pour  écarter 
l'application  du  régime  de  Toption  :  i""  Il  faut,  d'abord,  que 
Timputation  que  le  demandeur  prétend  déférer  au  tribunal 
civil  présente  les  caractères  légaux  d'un  délit  de  diffamation. 
Ainsi,  la  juridiction  civile  peut  être  valablement  saisie,  lors- 
que le  défaut  de  précision  des  imputations  est  exclusif  du 
délit  de  diffamation  ou  lorsque  l'imputation  n'a  été  accompa- 
gnée d'aucune  des  circonstances  constitutives  de  la  publicité 
exigée  pour  la  diffamation  punie  par  les  lois  sur  la  presse. 
2M1  faut  aussi  que  la  diffamation  publique  ait  été  commise 
à  raison  des  fonctions.  La  relation  entre  la  vie  publique  et 
l'allégation  diffamatoire  est  une  condition  de  l'exception 
d'incompétence  *'.  3°  Il  faut  enfin  que  l'action  publique  ne 

*' Aucun  doute  sur  ce  point  :  Cass.,  29  août  1889  (B,  cr.,  n°  29i);  H  juin 
i898  (S.  1900.  1.  435  ;  D.  98.  1.  oiO). 

'*  Il  arrive  souvent  que  les  propos  dilTamatoires  visent  un  fonctionnaire,  à 
i^  fois  dans  sa  vie  privée  et  clans  sa  vie  publique.  Il  y  a,  dans  ce  cas,  deux 
théories  qui  jouent  leur  rôle,  pour  la  solution  de  la  difficulté  de  compétence: 
celle  du  cojiconrs  d'infractions  et  celle  de  Vindirisibilité,  et  de  la  connexité. 
En  principe,  la  jurisprudence  de  la  Gourde  cassilion  juge  qu'il  y  a  un  con- 
cours matériel  d'infractions,  chaque  phrase  ou  chaque  mot  constituant  un 
délit  distinct,  soit  une  injure,  soit  une  diffamation,  et,  s*il  s'agit  d'une  dif- 
famation, soit  contre  l'homme  public,  soit  contn;  Thomme  privé.  Le  fonction- 
naire atteint,  dans  sa  vie  publique  et  dans  sa  vie  privée,  peut  donc,  à  la 
condition  de  faire  abstraction  de  toutes  les  imputations  qui  l'atteignent  dans 
8a  vie  publique,  porter  son  action  en  réparation  devant  le  tribunal  civil. 
C est  là  un  concours  matériel  d'infractions.  Mais  il  en  est  autrement,  et  il  y 
a  concours  idéal,  c'est-à-dire  un  fait  connexe  et  pluralité  de  délits,  quand 
les  imputations  se  lient  et  sont  indivisibles.  Alors  une  seule  juridiction,  la- 
cour  d'assises,  est  compétente  pour  statuer  sur  l'ensemble,  au  point  de  vue 
pénal  comme  au  point  de  vue  civil.  Voy.  Cass.,  15  mars  1894  (S.  9i.  1 .  255)  ; 
Trib.de  Montdidier,  19  avr.  1901  {La  Loi,  n*  28,  29  avr.  1901).  Comp.  mon 
"traité  théor.  et  prat.,  t.  3,  n*»»  715  et  716;  G.  Le  Poiilevin,  op.  cit,,  t.  3, 
^^  1290,  p.  335;  Emile  Larcher,  Du  concours  idéal  d'infractions  [liev»  crit., 
*^98,p.  96  à  113);  Fabreguettes,  op.  cit,  t.  1,  p.  334. 


394       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE 

soit  pas  él<>inle  et  permette  de  suivre  le  procès  pénal.  L'ar- 
ticle 46  de  la  loi  du  29  juillet  1881,  de  môme  que  Tarlicle  i 
de  la  loi  du  15  avril  1871,  fait  cesser  la  prohibition  de  saisir 
la  juridiction  civile,  lorsque  l'action  pul)]i(|ue  est  éteinte  par 
Tune  dos  deux  causes  suivantes  :  le  décès  de  Tauteur  delà 
dilTamation  ou  Tamnistie.  Ce  n'est  là  que  le  rappel  de  prin- 
cipes généraux  *°. 

182.  Une  aulre  restriction,  dont  la  portée  reste  indécise, 
résulte  des  dispositions  du  Code  de  commerce  sur  la  banque- 
route. 

La  compétence   répressive   appartient,    en  cette  malière, 
conformément  au  droit  commun,  au  tribunal  correctionnel 
ou  à  la  cour  d'assises,  selon  qu'il  s'agit  de  banqueroute  sim- 
ple ou  de  banqueroute  frauduleuse.  Qui  peut  jouer,  devant 
ces  juridictions,  le  rôle  de  partie  lésée  et,  par  suite,  agir  par 
voie  de  citation  ou  par  voie  d'intervention  ?  Soit  les  syndics, 
soit  un  ou  plusieurs  créanciers  individuellement  (C.  corn., 
art.  ;J8i).  Toutefois,  en  cas  de  banqueroute  simple,  les  syn- 
dics ne  peuvent  agir,  au  nom  de  la  masse,  qu'ai)rèsy  avoir 
été  autorisés  par  une  délibération  prise  h.  la  majorité  indi- 
viduelle    des   créanciers  (C.  com.,    art.  S84).  Cette  autori- 
sation est  exigée  à  raison  des  conséquences  dommageable^ 
que  peut  avoir,  pour   la  masse,  au   point  de  vue   des  fr3-^^ 
les  poursuites  exercées  par  le  syndic.  Au  contraire,  devr*^ 
la  cour  d'assises,  où  le  même  risque  n'est  pas  encouru, 
syndic  peut  intervenir  sans  autorisation. 

Malgré  la  condamnation  pour  banqueroute  simple  ou  fra^ 
duleuse,  le  tribunal  de  conmierce,  qui  a  rendu  le  jugemet^ 
reste  compétent  pour  connaître   d(;  tout  ce  qui  concerne 
faillite,  et  la  procédure  réglée  par  le  Code  de  commerce  su^ 
son  cours  comme  s'il  n'y  avait  pas   ban([ueroute  (C.  coni^ 

^"  Voy.  notammont  un  autre  cas  dans  un  arrèl  de  Cass.  req.,  du  22  f^ 
vrior  1875  (S.  75.  1.  164;  D.  75.  1.  324).  Lorsquo  l'action  civile  a  été  pou 
suivio  d'almnl  simultanément  avec  l'action  publifjue  rt  que  l'arrêt  vient 
être  cassé  pour  vire  de  forme,  elle  peut  être  juf^ée  séparément  par  la  juridiC 
tion  civile  devant  laquelle  elle  a  été  renvoyée  par  la  Cour  de  cassation. 


DROIT    d'option    APPARTENANT    A    LA    PARTIE   LÉSÉR.        395 

arl.  600).  Toulefois,  cela  n'est  \pui  que  sous  une  certaine 
reslriclion.  En  effel,  le  tribunal  correctionnel  ou  la  cour 
d'assises  statu(Mit  :  V  d'office,  sur  la  réintégration  à  la  masse 
des  créanciers  de  tous  biens,  droits  ou  actions  frauduleuse- 
ment soustraits;  2°  sur  les  dommages-intérêts  qui  seraient 
demandés  (C.  com.,  art.  593).  Ces  décisions  s'appliquent 
même  au  cas  d'ac(|uittement.  C'est  le  droit  commun  pour  la 
cour  d'assises,  qui  peut  statuer  sur  les  dommages-inléréls 
prélcndus  par  la  partie  civile,  même  en  cas  d'acquittement 
deTaccusc  (C.  instr.  cr.,  arl.  358).  Mais  il  y  a  là  une  déroga- 
tion au  principe  selon  le<|uel  le  tribunal  correctionnel  ne 
peut  condamner  le  |)révenii  à  des  dommages-intérêts  qu'au- 
tant qu'il  reconnaît  Texistence  de  l'infraction  au  [loint  de  vue 
pénal  (C.  instr.  cr.,  art.  191  et  212).  L'extension  de  la  com- 
pétence du  tribunal  correctionnel  est  motivée  sur  Tincom- 
péteuce  du  tribunal  civil  pour  prononcer  des  dommages- 
intérêts  en  cas  de  banqueroute  simple  ou  frauduleuse. 

Il  semble,  en  effet,  résulter  de  l'ensemble  des  textes  du 

Code  de  commerce  qu'en  dehors  de  l'action  civile  en  dom- 

fïïages-intérêts,  intentée  devant  les  tribunaux  de  répression, 

accessoirement  à  une  poursuite  répressive,  soit  par  le  syndic, 

'^it  par  les  créanciers,  les  parties  lésées  par  un  faitdebanciue- 

'^ute  ne  potirraient  pas  individuellement  demander  au  failli 

des  dommages-intérêts  devant  les  tribunaux  ordinaires.  Le 

"lotif  de  cette  exclusion  repose  sur  le  principe  d'égalité  qui 

doit  régner  entre   tous  les  créanciers  d'une  faillite  et  qui 

interdit,  comme  consé(iuence,  Taltocation  de  dummages-inté- 

^êLs  au  profit  de  l'un  d'eux  qui  i)rétendrait  être  lésé  par  un 

fait  de  banqueroute.    Devant  les  tribunaux  répressifs,   leur 

intervention  s'explique  et  a  pour  but,  à  titre  d'auxiliaires  du 

•ninistère  public,  d'obtenir  la  punition  du  coupable  (C.  com.^ 

^rl.  601)*«. 

**  Toutes  ces  dispositions  sont,  du  reste,  assez  ubscuros  dans  leurs  rela- 
tions avec  les  règles  delà  procédure  criminelle.  Voy.  pour  des  applications  : 
^ss.,  7  nov.  1840  (S.  41.1.  84),  arrôt  d<fcidant  que  les  tribunaux  ne  peu- 
^fint,  en  matière  de  banqueroute  simple  ou  frauduleuse,  accorder  de  domma- 
ges-intérêts aux  parties  civiles;  Cass.,  9  mai  1846  (B.  cr,,  n*  117),  d'après 


396       PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CI 

183.  Sauf  CCS  cas  exceptionnels,  la  partie  lésée  par 
infraction  a  la  faculté  de  |>orter  son  action,  soit  devan 
trit)unaux  civils,  soit  devant  les  tribunaux  répressif: 
mais  [ïcut-elle  varier  dans  son  choix?  Peut-elle,  après; 
porté  son  action  devant  le  tribunal  de  répression,  se  dé^i 
pour  saisir  le  tribunal  civil,  ou,  réciproquenient,  après  i 
porté  son  action  devant  le  tribunal  civil,  se  désister 
saisir  le  tribunal  de  répression?  Dans  notre  ancienne  ji 
prudence,  qui  sMnspirait  de  textes  du  droit  romain,  plu 
moins  exactement  interprétés,  cette  double  question 
résolue  négativement  et  on  formulait,  comme  une  règh 
nérale  et  absolue,  l'adage  :  una  electa  via  non  daiurn 
su.'i  ad  nUcrarn^^^,  On  se  demande,  dans  le  silence  de  I. 
moderne**,  si  cette  règle  doit  être  encore  admise.  La  ji 
prudence  parait  faire  une  distinction  entre  les  deux  ternie 
problème,  c'est-à-dire  !e  passage  de  la  voie  civile  à  la 
criminelle,  ou  celui  de  la  voie  criminelle  à  la  voie  ci 

I.  Si  la  partie  lésée  a,  tout  d*abord,  porté  son  action  de 
le   tribunal  de  répression,  soit  par  action  directe,  soit 

lequel  la  condamnation  à  des  dominages-inl(!^nHs  prononcée  par  la  cour 
sises  contre  un  failli,  en  faveur  île  quelques-uns  de  ses  créanciers  (j 
seraient  portés  parties  civiles,  dans  une  accusation  de  l>anqueroute  fr. 
leuse,  ne  créerait  pas,  en  faveur  de  ses  créanciers,  un  privilège  au  yrv] 
des  autres  créanciers. 

"  Il  ne  peut  y  avoir  qu'une  action  pour  un  droit.  E',  ici,  le  droit  à  la 
ration  est  utiique.  Mais  il  peut  y  avoir  plusieurs  manières  de  l'ex 
Comp.  GarsonneL,  Traité  théor,  et  prat.  de  proc,  (2*^  édit.),  l.  1,  n®  20 

•^  Comp.  Jousse,  De  la  justice  criminelle,  t.  3,  p.  10.  L'ordonnan 
1607 confirma  celte  réj^leen  matière  d'aclions  pos?essoires(tit.  XVIIl,  ar 
w  Celui  qui  aura  été  dépossédé  par  violence  ou  voie  de  fait  p<iurra  dr 
der  la  réinlé^rand»»  par  action  civile  et  ordinaire  ou  extraordinairemoi 
action  criminelle,  et,  s'il  a  choisi  l'une  de  ces  deux  actions,  il  ne  poui 
servir  de  l'autre.  »> 

'*  L»'  st'ul  lext«»  qui  paraisse  faire  allusion  à  celle  règle  ancieime  es 
licle  îi,  \\°  î».  «le  la  loi  du  Ho  mai  1838,  qui  a  passé  dans  l'article  6,  n® 
la  loi  du  12  t't  du  13  juilW  1905  sur  les  justices  de  paix.  Voy.  Heg 
Do  la  roie  civile  et  de  la  voie  criminelle  {Hev,  crit.  de  Itfjislaiion  et  i 
ri^prudrnce  (t.  28,  iKOn,  p.  410  et  suiv.);  Bazol,  l>e  la  maxime  :  In 
electa  {lier,  prat.,  t.  35,  1877,  p.  533  et  suiv.). 


DROIT  d'option   APPARTENANT   A    LA    PARTIE   LÉSÉE.       397 

inlervention,  elle  peut  se  désister  par  voie  d'abandon  d'in- 
stance" et  recommencer  le  même  procès  devant  le  tribunal 
civil,  car,  outre  que  la  maxime  «  una  cia  electa  »  n'est  con- 
sacrée, dans  le  droit  actuel,  par  aucun  texte,  le  défendeur 
serait  mal  venu  à  se  plaindre  de  ce  que  le  demandeur  re- 
nonce à  Taction  la  plus  rigoureuse  pour  intenter  celle  qui 
lui  est  le  plus  favorable".  Merlin*'  a  dit  excellemment  : 
«  Comme  il  m'est  permis  de  renoncer  à  mon  propre  avan- 
«  tage  et  que  mon  adversaire  ne  serait  pas  recevable  à  se 
K  plaindre  de  ce  que  je  n'use  pas  contre  lui  de  la  rigueur  de 
«  mon  droit,  je  peux,  après  avoir  rendu  plainte  d'un  délit 
K  qui  m'a  causé  dommage  et  avant  qu'il  y  ait  été  statué, 
«  renoncer  à  la  voie  criminelle  pour  prendre  la  voie  civile  ». 
On  objecterait,  en  vain,  l'article  5,  §  5,  de  la  loi  du  25  mai 
1838",  qui  détermine  la  compétence  des  juges  de  paix,  à 
l'égard  des  actions  civiles  pour  rixes,  voies  de  fait,  injures  et 
diffamations  verbales  «  lorsque  les  parties  ne  se  sont  pas 
«  pourvues  par  la  voie  criminelle  ».  Ce  texte  qui,  d'après 
certains  auteurs,  ne  serait  qu'une  application  particulière  de 
la  règle :«  î//irt  ckcta  via  »,  ne  dit  pas,  bien  qu'il. semble  le 
laisser  supposer,  qu'il  soit  interdit  de  porter  l'action  devant  le 
juge  de  paix,  quand  la  partie  a  déjà  intenté  le  procès  devant 

"  Le  désistement  de  la  partie  civile  s'impose  au  prévenu  ou  à  l'accusé 
s'il  est  fait  dans  le  délai  de  l'article  67  du  Code  d'instruction  criminelle.  En 
tleliors  de  ce  délai,  il  doit,  comme  tout  désistement,  être  accepté  (C.  proc. 
civ.,  art.  403).  C'est  ce  que  nous  expliquons  plus  loin. 

■^  C'est  le  système  de  la  jurisprudence.  Cass.,  3  mai  1846  (D.  46.  1.316); 
H  juin  1846  (D.  46.  1.  281);  18  novembre  1854  (D.  o6. 1.  348)  ;  Montpellier, 
10  mai  1875  (D.76.  2.  107;  S.  75.  2.  328).  Adde,  Cass.,  12  juin  1890  (D. 
90. 1.  489  ;  S.  92.  1.  430);  4  août  1804  (D.  97.  i.  266).  Pour  la  doctrine, 
Faustin  Hélie.  op.  cit.,  t.  2,  n"  017;  Mangin,  Actions,  t.  1,  n®35;  Berriat- 
Saint-Prix,  Tribunal  correctionnel,  n«'  410  et  suiv. 

^'  Questions  de  droit,  vo  iiption,  §  1,  n»M  et  2. 

*' Aujourd'hui  remplacé  par  l'article  6,  n®  3  de  la  loi  du  12  juillet  et  du 
13  juillet  1905  sur  les  justices  de  paix  :  «  Les  juges  de  paix  connaissent  en- 
core  3*  Des  actions  civiles  pour  diffamations  ou  pour  injures  publiques 

Ou  non  publiques  qu'elles  soient  verbales  ou  par  écrit,  autrement  que  par 
ïa  voie  de  la  presse;  des  m(}mes  actions  pour  rixes  ou  voies  de  fait,  le  tout 
lorsque  les  parties  ne  se  sont  pas  pourvues  par  la  voie  criminelle  ». 


398      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

le  tribunal  de  police  :  il  règle  simplement  une  question  de 
compétence  civile. 

Le  cumul  des  actions,  c'est-à-dire  l'exercice  simultané  ou 
successif  de  plusieurs  actions  inlentées  en  vertu  d'un  mèmt 
droit  et  dans  un  même  but,  n'est,  en  eiïet,  nullement  intcp 
dit".  I)ira-t-on  que  Texercice  d'une  action  d(»vant  un  tribuna 
entraine  renonciation  virtuelle  au  droit  de  l'exercer  devan 
un  autre  tribunal,  lorsque  la  loi  donne  une  option  entre  et 
deux  manières  de  procéder?  Mais  cette  théorie,  qu'aucn 
texte  général  ne  vient  appuyer,  est  certainement  erroné» 
El  la  maxime:  «  electa  itna  ria  non  dalur  recumis^  ad  altt 
ram  »,  (fui  en  serait  une  application,  ne  doit  cire  acceptée  qi 
«  dans  les  limites  où  les  motifs  d'utilité  et  d'équité  qui  l'ont  fa 
admettre  commandent  impérieusement  son  observation  »' 
c'esl-à-dire  lorsqu'il  s'agit,  pour  la  partie  lésée,  de  passer  ( 
la  voie  civile  à  la  voie  criminelle. 

11.  En  effet,  si  la  partie  lésée,  après  avoir  saisi  le  tribun 
civil  de  son  action,  se  désiste  pour  saisir  le  tribunal  de  répn 
sion,  elle  ne  saurait  y  être  recevable,  car  elle  rendrait,  ; 
mépris  de  toute  équité,  la  situation  du  prévenu  moins  favor 
ble  qu'auparavant.  Il  vaut  mieux,  pour  celui-ci,  avoir  à 
défendre  devant  le  tribunal  civil  que  d'avoir  à  se  défend 
devant  le  tribunal  de  répression.  C'est  dans  cette  mesure  q 
subsiste  la  règle  :<'  una  electa  via  non  dalur  recurst/s  ad  al 
ram  )).Mais,dauscette  mesure, son  application  est  indépendan 
soit  de  la  qualité  des  personnes  que  la  partie  lésée  aurait 
prétention  de  mettre  en  cause,  soil  de  la  forme  même  dfl 
laqut^lle  elle  prétendrait  procéder.  Peu  importe  qu'après  av 
assigné  l'inculpé  seul  devant  le  tribunal  civil,  elle  se  dési 
pour  le  citer  devant  le  Iribunal  de  répression  en  compagi 
de  personnoi  cicilcment  responsables.  Peu  im[)orte  qu'e 
saisisse  le  Iribunal  de  répression  par  voie  (V intervention 
par  voie  A'action  :  Téquité  ne  permet  pas  que  la  partie  ci\ 

-^  Conip.  (iarsonnet,  Traité  ttUor,  et  prat.  de  proc.  (2*"  é«l.),  t.  1,  §  î 
p.  645  ol  040. 

'^  Happorl  <lc  M.  Tanoii  précédant  l'arrèl  «Je  rejel  (h"  la  Chambre  cri 
nelU-Mle  la  Cour  de  cassation  du  17  jaiiv.  1885  (D.  90.  3.  8,  col.  2). 


DROIT  D*OPTION   APPARTENANT    A   LA   PARTIE   LESEE.       399 

décline,  au  préjudice  de  Tinculpcou  despcrsounescivilement 
respoDsables,  la  juridiclion  quVdle  a  volontairement  saisie, 
parce  qu*elle  ne  la  croit  peut-être  plus  favorable  à  sa  demande; 
et  les  principes  du  droit  impliquent  que  l*instance,  liée  devant 
la  juridiclion  civile,  forme,  en  quelque  sorte,  un  contrat  judi- 
ciaire, qui  ne  peut  plus  être  rompu  par  la  volonté  unilatérale 
de  Tune  des  parties?*. 

184.  L'application  de  la  règle:  «  una  via  rlecta^^,  quelque 
restreinte  ou  quelcfue  étendue  qu*elle  soit,  exige,  dans  l'opi- 
nion unanime,  doctrinale  et  jurisprudentielle,  le  concours  de 
trois  conditions. 

I.  11  faut,  en  premier  lieu,  que  la  demande,  successivement 
portée  devant  les  deux  ordres  de  tribunaux,  soit  identiquement 
la  même,  c'est-à-dire  qu'elle  ait  le  même  objeA,  la  même 
cause,  et  qu'elle  soit  formée  entre  les  m  nues  parties,  A  défaut 
de  Tune  de  ces  conditions,  il  y  a  deux  actions  distinctes,  et  le 
demandeur  est  libre,  après  avoir  soumis  Tune  d'elbîs  à  la 
juridiction  civile,  de  s'en  désister,  pour  porter  Taulre  à  la 
juridiction  répressive".  Il  n'y  a  même  pas,  à  ce  point  de  vue, 

3*  Sî»ns  dont»?,  la  partin  civih?  se  dt.^sislera  <lt*  sa  premit'n;  rlomanHe  en 
formant  la  seconde,  et,  K»  (l<*sisleni»Mît,  tMi  mali»M*e  civile,  doil  èlro  acroplé 
(C.  pr.  civ.,  art.  *(»i).  Mais,  il  s^ra  pri'cisonitMjl  aco'pli^,  parce  qu'il  ne  vien- 
<lra  jamais  à  l'idée  du  liéteriiltrur  «pie  1»»  d»Mn;mii»Mii'  puisse  recninmeiicer  le 
procès  dt'vanl  la  juridicrlioti  piMiaK?.  V<»V'.  IfS  (djsrrvarn'iis  faites  à  ce  sujet 
par  Labordo,  Cour^  de  droit  cnminrl  {'1^  éd.),  n°  7*2,  p.  i'»72. 

^^  Voici  ipiel«pj»'S  exemples,  [»uisés  dans  la  jurisprudpuce  :  a)  C»dui  qui 
détermine  une.  femme  marié»*  à  quitter,  avec  lui,  le  domicile  conjuf^al  peut 
être  aclionué  en  dumma^^es-inlérèLs  «levant  le  trihunal  civil,  alors  même 
qu'il  est  déjà  l'olijet  «1»^  poursuites  (.':>rrecliMin)ell»'S  pour  adultère;  car  l'ac- 
tion en  d»)mmaj.''»'s-inlérèls  est  fondée  sur  le  flt'lournrment  et  non  sur  l'adul- 
lère  :  Aix,7  juin  ISSi  (S.  S.'J.  '2.  '1\H]  ;  h)  La  maxime  »-  elcctd  una  rla  »>  est 
également  inapplicable  au  cas  où,  après  avoir  formé  devant  h*  tribunal  de 
commerce  une  demande  tendant  à  la  nullité  d'une  liquidation  sociale,  à  la 
nomination  d'un  nouveau  litpiidaleur,  et,  subsidiairemi'ut,  au  pait'ment  d'une 
somme  représentant  la  j):irt  qui  lui  aurait  été  promise  dans  la  réalisation  de 
Tnctif,  un  associé  actiomie  ses  coassociés,  devant  l«*  tribunal  correctionnel, 
en  réparation  de  certains  a;,'issements  qualifiés  abus  de  conliance  :  Paris, 
4  déc.  1874  (S.  75.  2. 109),  et  la  note  de  M.  Villey;  c)  Celui  qui  a  intenté, 


400       PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE    ET  CIVILE 

un  parallélisme  complet  entre  les  cas  où  le  passage  de  la  ji 
ridiction  civile  à  la  juridiction  répressive  est  interdit  et  It 
cas  où  la  juridiction  civile  restant  saisie,  il  y  a  lieu,   pou 
celte  juridiction,  de   surseoir  ;i  statuer,  parce  que    Tactio 
publique  est  intentée  (C.  inslr.  cr.,  art.  3). 

Nous  pensons,  en  effet,  que  les  motifs  de  la  règle  :  le  crim 
nel  tient  le  civil  en  état,  commandent,  aux  tribunaux  d'ordi' 
civil,  de  surseoir  à  statuer,  en  cas  de  poursuite  d*un  fa 
délictueux,  sur  toutes  les  actions  privées,  qui  naissent  de  c 
fait,  car  la  solution  ([ui  sera  donnée  au  procès  pénal,  devaii 
avoir  ime  influence  nécessaire  sur  la  solution  à  donnerai 
procès  civil,  la  réaction  qui  résultera  du  jugement  de  réprcs 
sion  doit  imposer,  dans  tous  les  cas,  une  attitude  passive  ai 
tribunal  civil.  Au  contraire,  Tinterdiction  qui  est  faite  < 
une  partie  lésée  de  cumuler  les  deux  instances  ne  s'appli(|U' 
et  ne  peut  s'appliquer  qu'à  Taction  civile  proprement  dilt* 
l'action  en  dommages-intérêts,  la  seule  qui  puisse  isolémeri 
être  portée,  au  choix  du  demandeur,  devant  les  deux  ordre 
de  juridiction.  Deux  exemples  cclairciront  cette  distinction 
Ainsi,  il  n'est  pas  douteux  que  le  mari,  après  avoir  form 
devant  le  tribunal  civil,  une  demande  en  séparation  de  ccrp 
ou  en  divorce,  exclusivement  fondée  sur  un  fait  d'adultère  ^' 
sa  femme,  ait  le  droit  de  se  désister.el  de  citer  celle-ci  devai 
le  tribunal  correctionnel  pour  la  faire  condanmer  à  des  don 
mages-intérêts  et  aux  peines  qui  seront  requises  par  le  ni 
nistère  public".  A  l'inverse,  une  demande  eu  séparation  ^ 
corps  ou  en  divorce,  exclusivement  fondée  sur  ce  motif,  ser^ 
suspendue  par  une  poursuite  correctionnelle  pour  adulte 
(C.  civ.,  ancien  art.  23f>).  Les  deux  actions  n'ont  ccrlaia 
ment  pas  le  même  objet,  mais  elles  sont  fondées  sur  le  méiB 

au  rivil,  une  action  en  compte,  lùjuidation  et  partage  «Tune  succession,  n'«= 
pas  irrecevalile,  en  vertu  de  la  n^gle  :  «  vkcta  una  via  .>,  à  se  porter  par 
civile  au  euurs  d'une  poursuite  rievant  le  tribunal  correctionnel  sous  la  pr 
venti'.Mi  de  vol  de  valeurs  hi-nVIitaires  :  Cass.,  19  mai  1S93  (S.  94-.  1.  42)>) 
note  de  M.  Villev.  On  trouvera,  dans  cette  dernière  nuic,  une  série  de  réf 
ren<  es  à  la  jurisprudence  antérieure. 
^^  Sic,  Cass.,  22  juin  1850  (S.  50.  l.  C29;  U.  50.  1.  208). 


DROIT   d'option   APPARTENANT   A    LA   PARTIE   LESEE.       401 

faitetia  solution  de  l'une  implique  nécessairement  la  solu- 
lion  de  l'autre.  C'est  par  la  même  raison  que  l'article  230  du 
Code  de  procédure  civile  permet  à  la  partie  lésée  par  un  faux 
d'abandonner  la  voie  civile  du  faux  incident,  quoique  prise  en 
connaissance  de  cause,  et  d'intervenir,  comme  partie  civile, 
dans  la  poursuite  en  faux  principal.  Cette  disposition  |ne  con- 
slitue  pas,  comme  quelques-uns  font  pensé,  une  exception  à  la 
règle:  «  una  via  electa  »;  car  les  deux  actions,  successive- 
menl  intentées  par  le  demandeur,  quoique  nées  du  même 
fait,  le  faux,    n'ont  pas   le  même   objet  :   Tune  tend  à   la 
suppression,    la    lacération,  .la   radiation,    la    réformation, 
ou  le  rétablissement  des  actes  déclarés  faux,  et  lautre,  à  la 
réparation  du  préjudice  que  le  faux  a  causé.  Mais  la  pour- 
suite criminelle  pour  faux  aurait  pour  effet  d'obliger  le  tri- 
bunal civil  à  surseoir  an  jugement  d'une  instance  civile  dont 
le  but  serait  de  faire  déclarer  falsifié,  tel  titre,  telle  pièce, 
^n  testament,  par  exemple.  Ici,  en  effet,  il  s'agit  de  l'un  des 
chefs  de  l'action  civile,  soumis  à  la  juridiction  civile,  celui 
<Iui  concerne  les  restitutions,  et  il  nous  parait  certain  que  la 
'^ègle  du  sursis  obligatoire  s'applique  à  l'action  civile  tout 
entière,  à  ses  deux  chefs,  les  restitutions  et  les  dommages- 
intérêts. 

II.  L'option,  qui  règle  définitivement  la  situation  du  deman- 
deur, doit  avoir  été  faite  en  connaissance  de  cause.  La  règle  : 
^^  electa  una  tna..,  »  est,  en  effet,  fondée  sur  l'acceptation,  par 
'es  deux  parties,  du  tribunal. le  premier  saisi.  Tout  contrat  sup- 
pose un  concours  de  volonté.  D'où  il  suit  que  dans  le  cas  où  les 
'^îbunaux  ordinaires  ont  été  saisis  d'une  demande,  dont  tous 
f  ^8  éléments  paraissaient  purement  civils,  si,  depuis  Tintroduc- 
^îon  de  cette  demande,  des  faits  sont  révélés,  ignorés  jusque-là, 
^1  donnant  à  cette  demande  un  caractère  délictueux,  on  doit 
^t.re  recevable  à  agir  devant  la  juridiction   répressive,  car 
^  action,  quoique  formée  pour  le  même  objet  et  engagée  entre 
^^^s  mêmes  parties,   est,  en    réalité,    fondée   sur   une  autre 
^'^^^use.  Ainsi,  le  déposant  qui,  après  avoir  demandé  la  res- 
titution des  objets  déposés  devant  le  tribunal  civil,  décou- 
vre que  le  dépositaire  les  a  détournés,  peut  agir,  en  abus  de 
G.  P.  P.  —  L  26  "■ 


i 


402       PROCÉDURE    PENALE.  — DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

confiance,  par  violation  de  dépôt,  devant  le  tribunal  correcr- 
tionnel.  L'acceptation  de  ce  point  de  vue  conduit  à  une  sok*  - 
lion,  du  reste  contestable,  qui  vient  encore  restreindre  la  porté*  ^ 
d'application  de  la  règle  :  «  electa  ima  via..,  ».  Toutes  les  foi 
que  le  ministère  public  engage  l'action  publique,  au  couk^ 
d'un  procès  civil  intenté  par  la  partie  lésée,  celle-ci  doit  poim 
voir  se  désister  d'une  instance  civile,  paralysée  par  l'instancr  « 
pénale,  pour  se  porter  partie  civile  devant  la  juridictio  «^ 
répressive.  En  effet,  l'altitude  du  ministère  public  est  un  fa^ 
nouveau,  que  le  demandeur  au  civil  n'avait  pu  prévoir,  qum 
changé  sa  siluation  et  ne  permet  pas  de  le  considérer  comm  ^ 
ayant  exercé,  ne  varietur  et  en  connaissance  de  cause,  l'optio  «^ 
que  lui  laisse  la  loi. 

111.  Il  faut,  en  troisième  lieu,  pour  que  la  règle  «  una  elect^^ 
via,..  »  soit  applicable,  que  la  juridiction,  saisie  la  première* 
ail  eu  le  droit  de  statuer  sur  l'action  civile.  Si,  pour  un  motS 
quelconque,  elle  n'a  pas  eu  ce  droit,  ou  si  elle  Ta  perdu,  la  pai^ 
lie  lésée  se  trouve  dans  la  même  siluation  qu'avant  d'avoi    ^ 
intenté  son  action.  Klle  s'est  trompée  de  porte,  voilà  tout;  ^ 
celle  erreur  ne  peut  avoir  pour  résultat  de  la  priver  de  sor 
droit  d'agir.  C'est  i\  catte  consé(iuence  cependant  qu'il  faudrai 
en  arriver  si  la  juridiction,  saisie  la  dernière,  devait  déclare^ 
l'action  civile  irrecevable  par  ce  motif  que  cette  action  aurai 
été  engagée  déjà  devant  une  autre  juridiction.  Cette  conditioi* 
ne  se  rencontrerait  pas  dans  les  trois  cas  suivants  : 

a)  D'abord,  lorsque  la  juridiction  saisie  la  première  se  sera 
déclarée  incompétente'*.  On  a,  il  est  vrai,  voulu  distinguer, 

3*  Il  est  évident  que  cette  troisième  condition  s'appliquera  surtout  en  cas 
de  passage  de  la  voie  criminelle  à  la  voie  civil»».  Nous  l'ex;iminons  néan- 
moins :  i**  parce  qu'elle  vient  limiter  les  conséquences  d'une  opinion  ,que 
nous  ne  partageons  plus  ;  2**  parce  que  la  jurisprudence  a  rendu  de  nombreu- 
ses décisions  dans  lesquelles, sans  examiner  la  question  d'étendue  de  la  règle  : 
«  electa  wta  via...  »,  elle  a  décidé  que  rincomp(ftence  du  tribunal  do  répres- 
sion saisi  nt;  pouvait  enlever,  à  la  [)arti»^  civile,  le  droit  dé  faire  le  procès 
devant  les  tribunaux  ordinaires;  3°  parce  qu'entiii,  elle  est  de  nature,  dans 
des  cas  rares,  à  limiter  la  proliibition  du  passage  de  la  voie  civile  à  la  voie 
répressive,  par  exemple  en  cas  de  dilTamation  envers  des  personnes  publi- 
ques. 


DROIT   d'option    APPARTENANT  A  LA   PARTIB   LÉSis.       403 

suivant  que  la  cause  d'incompétence  est  particulière  au  juge 
saisi  (iocompétence  ratione personœ  ou  /oci,  par  exemple)  ou 
suivant  qu'elle  s'étend  à  la  juridictioa  tout  entière  (incompé- 
tence ratione  materiœ).  Il  importe  peu,  en  effet,  a-t-on  dit'*, 
que  le  juge,  premier  saisi,  se  soit  déclaré  incompétent,  si, 
d'ailleurs,  la  juridiction  en  général  demeure  compétente;  dans 
ce  cas,  le  demandeur  qui  a,  une  première  fois,  mal  dirigé  son 
action,  demeure  libre  de  la  porter  encore  devant  le  juge  com- 
pétent :  ainsi  la  voie  civile  qu^il  avait  d'abord  choisie  lui  de- 
meurant ouverte,  il  ne  serait  pas  libre  de  l'abandonner  pour 
recourir  à  une  autre  voie.  Si  la  maxime  :  «  una  electa  via  » 
était  une  prescription  positive  de  notre  droit,  cette  distinction 
pourrait  être  accueillie.  Mais  elle  ne  doit  être  appliquée  que 
dans  les  limites  où  l'imposent  les  motifs  d'équité  qui  l'ont  fait 
(admettre  par  la  jurisprudence.  Comme  l'exposait  à  la  Gourde 
cassation  M.  le  président  Barris,  sur  les  conclusions  duquel  a 
été  rendu  l'arrêt  du  9  mai  1828",  un  des  premiers  qui  l'aient 
consacrée  :  «  Cette  règle  est  fondée  sur  l'humanité  et  la  rai- 
«.son  qui  ne  permettent  pas  que  l'on  traîne  un  accusé  d'une 
«  juridiction  devant  une  autre,  et'  qu'on  décline  à  son  pré^- 
^  judice  celle  qu'on  a  volontairement  saisie,  parce  qu'on  ne 
^  la  croira  peut-être  pas  favorable  à  la  demande  qu'on  a 
«  formulée  devant  elle  ».  Ce  motif  ne  subsiste  plus  lorsque 
la  juridiction  civile,  d'abord  saisie,  s'est  déclarée  incom- 
pétente, pour  quelque  motif  que  ce  soit.  Ce  n'est  pas  volon- 
tairement et  arbitrairement,  dans  ce  cas,  que  le  demandeur 
sibandonne  la  voie  qu'il  avait  d'abord  choisie.  La  juridic- 
lion  se  ferme  devant  lui;  l'instance  qu'il  a  d'abord  suivie 
est  comme  non  avenue.  11  reprend  donc  la  liberté  de  son 
choix,  et,  en  la  lui  laissant,  on  ne  favorise  ni  un  caprice  ni 
UQ  calcul,  mais  on  lui  laisse  le  droit  même  d'option  que  la 
loi  lui  reconnaît". 

"  Amiens,  22  août  1803  {Journ.  du  minist,  piih.,  L  7,  p.  180).  V.  Dulruc, 
Mémorial  du  min,  pub.,  v°  Action  cicile^  n»  <2. 

'*  Cass.,  9  mai  1828.  Voy.  Mangin,  op,  cit,,  1. 1,  n»  35. 

^^  ^ic^  Cas8.,  17  jariv.  1885  (S.  85. 1.  283).  L'espèce  était  intéressante. 
L^  propriétaire    d'un   établissement  thermal  avait  intenté  une  action    en 


404      PROCÉDURB   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET   ClVILl 

h)  Dans  le  cas  où  le  tribunal  de  répression,  saisi  de  radio 
civile,  a  renvoyé  le  prévenu  ou  l'accusé  de  la  poursuite,  ( 
perdu,  par  cela  même,  le  droit  de  statuer  sur  les  dommage: 
intérêts  réclamés  par  la  partie  civile,  celle-ci  peut  certain 
ment  reprendre  le  procès  devant  la  juridiction  civile,  sat 
que  le  défendeur  soit  recevable  à  lui  opposer  la  maxime 
«  tina  via  electa..,^).  Ce  n'est  là  qu'une  application,  sous  ur 
autre  forme,  des  principes  que  nous  venons  d'exposer.  Pc 
conséquent,  la  partie  civile,  qui  succombe  devant  le  tribun, 
correctionnel  ou  de  police,  parce  que  le  prévenu  bénéfic 
d'un  renvoi  d'instance  sur  l'action  publi({ue,  peut  agir  devar 
le  tribunal  civil.  Mais  la  cour  d'assises,  ayant  le  droit  et  I 
devoir  de  se  prononcer  sur  la  demande  en  dommage: 
intérêts  formée  par  Ja  partie  civile,  même  en  cas  d'acqui 
tement  de  l'accusé,  il  est  certain,  qu'ensuite  du  désisteme» 
de  la  victime,  un  procès  en  dommages-intérêts  devant  la  ji 
ridiction  civile  deviendrait  irrecevable,  au  moins  dans  l'op 
nion  qui  prohibe  le  passage  de  la  voie  criminelle  à  la  voi 
civile.  Il  en  serait  autrement  en  matière  de  délit  de  pressa 
puisque  la  cour  d'assises  perd,  en  cas  d'acquittement,  et  pa 
exception,  le  droit  de  statuer  sur  les  dommages-intérêts  ré 
clamés  contre  l'accusé  (L.  29  juill.  i88i,  art.  58).  Nous  exu 
minons  plus  loin  la  portée  de  cette  disposition,  tant  au  poii 
de  vue  de  la  compétence  de  la  cour  d'assises,  qu'en  ce  quicx)L 
cerne  le  droit  de  la  victime  d'agir,  après  acquittement,  devan 
le  tribunal  civil.  Mais,  quelque  solution  que  l'on  adopte  su 
ces  problèmes,  le  droit  de  la  victime  d'un  délit  de  presse  d 

dommages-inlér(^ts  contre  un  individu  devant  le  juge  de  paix  pour  avoir  lu 
trotter  le  cheval  qu'il  conduisait  dans  les  allées  du  parc  et  avoir  ainsi  contn 
venu  aux  dispositions  de  Tart.  475,  §  4  du  Code  pénal.  Le  juge  de  paix  s'« 
tait  déclaré  incompétent  parce  que,  s*agissant  d'une  action  personnel! 
civile,  il  n'était  pas  le  juge  du  défendeur.  Le  propriélain»  de  l'établissemei 
thermal  porta  alors  son  action  devant  le  même  magistrat,  siégeant  comn^, 
juge  de  police.  Le  juge  devenait  ainsi  compétent,  la  contravention  ayant  él 
commise  dans  le  ressort  de  son  tribunal.  Mais  le  prévenu  opposa  la  maxime 
«  clccta  tinti  via  ».  Jugement  qui  rejette  l'exception  et  condamne  le  [)r/'ven 
à  une  amende  de  6  francs.  Appel  devant  le  tribunal  correctionnel  qui  ooi 
firme.  Pourvoi  rejeté  par  l'arrêt. 


DROIT  D  OPTION  APPARTENANT-  A  LA  PARTIE  LéSEB.   40S 

saisir  les  tribunaux  civils  ne  reçoit  aucune  atteinte  par  ap- 
plication de  la  règle  :  «  una  via  electa...»,  quelque  portée 
qu  on  soit  tenté  de  donner  à  cette  maxime. 

c)  Lorsque  la  juridiction  répressive  est  dessaisie  de  Tac- 
lion  publique  par  le  décès  du  prévenu  ou  par  Tamnistie, 
la  partie  civile  reste  libre  de  porter  son  action  devant  la 
juridiction  répressive.  Nous  nous  demandons  plus  loin  si  la 
surveoance,  en  cours  d'instance,  d'une  cause  d'extinction  de 
Taction  publique  a  pour  efTet  de  dessaisir  nécessairement  de 
raction  civile  le  tribunal  de  répression.  Mais  Tincompétence 
de  ce  tribunal  étant  admise,  la  maxime  :  «  electa  una  via.,.»^ 
ne  s'applique  pas. 

185.  La  fin  de  non  recevoir,  qui  résulte  de  l'exercice 
de  l'option,  en  cas  de  passage  de  la  voie  civile  à  la  voie  cri- 
minelle, n'est  certainement  pas  d'ordre  public  :  elle  a  été 
maintenue,  parla  jurisprudence,  comme  une. conséquence  de 
l'acceptation,  par  le  défendeur,  de  la  juridiction  saisie  la 
première.  Nous  en  concluons  :•  1°  qu'elle  ne  peut  être  sou- 
levée d'office;  2°  qu'elle  doit  l'être,  par  le  défendeur,  avant 
tout  débat  sur  le  fond. 

Il  ne  faut  pas  confondre,  à  ce  point  de  vue,  la  fin  de  non 
recevoir  tirée  de  ce  que  l'option  a  été  exercée,  avec  Texcep- 
lion  tirée  du  principe  de  la  chose  jugée.  Ces  deux  moyens 
d'arrêter  le  procès  s'exercent,  en  effet,  dans  des  conditions 
différentes.  La  règle  «  electa  una  via,..»,  suppose  que  l'action 
a  déjà  été  intentée,  mais  non  jugée,  devant  Tune  des  juridic- 
tions compétentes;  Texceplion  de  chose  jugée,  qu'il  est  inter- 
venu un  jugen\jent  définitif  prononcé  par  la  juridiction  saisie". 
La  première  exception  ne  peut  être  soulevée  d'office  et  doit 
l'être  avant  tout  débat  sur  le  fond.  La  seconde,  étant  fondée 
sur  l'épuisement  de  l'action,  est  d'ordre  «public,  comme  tout 
les  modes  d'extinction  des  actions  pénales. 

"  V.  sur  la  distinction  :  Cass.,  20  déc.  1884  (S.  86.  1.  444);  27  août  1863 
(B.  Cf.,  n°  232). 


406       PROCEDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 


§  XXXI.  -  DE  L'EXERCICE  DE  L'ACTION  CIVILE 
DEVANT  LA  JURIDICTION  RÉPRESSIVE: 


186.  Condition  préalable  d'une  constitution  de  partie  civile  pour  que  les  tribuDaux 
de  répression  puissent  statuer  sur  les  doinmîiges-intérèts  prétendus  par  la  victime. 
Division.  —  187.  L'action  civile  peut  être  portée  «lovant  les  tribunaux  de  répres- 
sion en  même  temps  que  J'action  publique.  Article  3  du  Code  d'instruction 
criminelle.  Groupement  des  conséquences  qui  résultent  de  celte  dépendance  des 
deux  actions.  —  188.  Quiind  le  fait  qui  a  produit  le  dommage  ne  constitue  pas 
une  infraction,  la  juridiction  répressive  est  incompétente  pour  statuer  sur  l'action 
en  domm;iges-intérèts.  Application  faite  pour  les  prêts  usuraires,  la  tenue  d'une 
maisun  de  prêts  sur  gage,  etc.  —  189.  La  juridiction  répressive  est  incompétente 
pour  statuer  sur  l'action  civile  quand  l'action  publique  est  irrecevable.  —  190. 
L'incompétence  existe  également  si  l'inculpé  est  renvoyé  d'instance.  —  191.  Mais 
réserve  et  distinction  entre  les  tribunaux  de  police  simple  ou  correctionnelle  et 
les  cours  d'assises.  La  règle  de  l'incompétence  deis  tribunaux  de  répression  pour 
connaître  de  l'action  civile  en  cas  d'acquittement  ne  s'applique  pas  à  la  cour  d'a.s* 
sises.  —  192.  L'irrecevabilité  devant  les  tribunaux  de  répression  de  l'action  ci- 
vile, isolée  de  l'action  publique,  est  d'ordre  public.  —  193.  De  l'effft,  au  cas  où 
l'action  publique  et  l'action  civile  ont  été  portées  ensemble  devant  un  tribunal  de 
répression,  d'une  cause  d'extinction  de  l'action  publique.  Décès.  Amnistie.  — 
194.  Du  moment  et  du  mode  d'une  constitution  de  partie  civile.  Voie  d'action. 
Voie  d'intervention.  — 195.  Forme  de  lif  constitution  de  partie  civile.  —  196.  EfleU 
d'une  constitution  de  partie  civile.  —  197;  Du  désistement  de  la  partie  lésée  de- 
vant la  juridiction  répressive.  —  198.  KfTets  du  désistement.  Double  hypothèse. 
Désistement  régulier.  Désistement  irrégulier. 

186.  Les  tribunaux  de  répression,  bien  que  saisis  de 
Taclion  publique,  ne  peuvent  statuer  sur  la  réparation  civile 
du  dommage  causé  par  l'infraction,  que  si  l'action  en  répa- 
ration de  ce  dommage  leur  est  soumise  par  la  personne  lésée 
qui  doit  se  constituer,  dans  ce  but,  partie  civile  dans  Tin- 
stance.  Toutefois,  la  re5/i/w//o7i  des  objets  mobiliers,  enlevés, 
détournés  ou  obtenus  à  Taide  d*un  crime  ou  d'un  délit  et 
retrouvés  en  nature,  doit  être  ordonnée  d'of/ice,  par  la  juri- 
diction répressive,  au  moins  quand  la  propriété  n'en  est  pas 
contestée,  lors  même  que  le  propriétaire  ne  s'est  pas  con- 
stitué partie  civile. 

Ayant  ainsi  indiqué  le  but  de  là  constitution  de  partie 
civile,  nous  examinerons  :  1^  à  quelles  conditions  elle  est 
admissible;  2°  comment  et  quand  elle  peut  être  formée; 
3°  quels  en  sont  les  effets. 


DE  l'action    civile   DEVANT   LA  JURIDICTION    RÉPRESSIVE.       407 

187.  L'action,  qui  a  pour  objet  la  réparation  An  dom- 
mafife  causé  par  Tinfraclion,  ne  peut  être  portée  devant  la 
juridiction  répressive  (\\i* accessoirement  à  Taction  qui  a  pour 
objet  l'application  de  la  peine  (C.  instr.  cr.,  art.  3).  Les 
tribunaux  de  répression  n'ont  donc  le  droit  de  statuer  sur 
l'adion  civile  que  lorsqu'ils  sont,  en  même  temps,  régu- 
lièrement saisis  de  l'action  publique,  car  leur  compétence 
est  exceptionnelle  en  ce  qui  concerne  les  intérêts  civils.  La 
constitution  départie  civile,  régulière  et  recevable,  sous  quel- 
que forme  qu'elle  se  présente,  saisit  de  l'action  civile  la  juri- 
diction pénale  et  porte,  en  môme  temps,  devant  elle,  l'action 
publique,  si  cette  action  n'est  pas  déjà  intentée,  car  les  tribu- 
naux répressifs  rfoey^n/  être  saisis  de  l'action  publique  pour 
/^oMtw  statuer  sur  l'action  civile.  Le  droit  déjuger  le  procès 
civil  constitue,  pour  ces  tribunaux,  la  conséquence  même 
du  droit  de  juger  le  proies  pénal.  En  un  mot,  Faction  civile, 
isolée  de  l'action  publique,  ne  saurait  rentrer  dans  leur  com- 
péleoce.  En  suivant  les  nombreuses  applications  de  cette 
l'èglu  fondamentale,  on  peut  les  classer  toutes  sous  trois 
ordres  d'idées  corrélatives.  La  juridiction  répressive  est  in- 
compétente pour  accorder  des  dommages-intérêts  :  T  si  le 
^aitqui  est  la  cause  juridique  de  la  demande  ne  constitue 
Pcis  une  infraction;  2°  si  le  fait,  bien  que  constituant  une 
infraction,  l'action  publique  est  irrecevable  ;  3®  si  l'inculpe 
^sl  renvoyé  d'instance  sur  l'action  publique.  Dans  ces  trois 
cas,  en  efTet,  la  situation  est  la  même  :  le  procès  pénal  ne 
peut  être  intenté  ou  n'aurait  pas  du  être  intenté.  Le  tribunal 
de  répression  se  trouve,  par  suite,  en  présence  d'un  procès 
civil,  isolé  de  tout  procès  pénal,  qu'il  est  sans  droit  et  sans 
qualité  pour  juger. 

188.  Quand  le  fait  qui  a  produit  le  dommage  ne  constitue 
pas  une  infraction,  la  juridiction  répressive  est  incompétente 
pour  statuer  sur  l'action  en  dommages-intérêts*. 

§XXXI.  *  Sur  cette  règle  incontestable  :  Mangin,  op,  ci7.,  t.  1,  n®  34; 
Faustin  llélie,  op.  ciL,  1. 1,  n«  55  et  L  2,  n°  014;  Haus,  op.  cit,,  l.  2,  n<»*  1367 
et  139-2.  Conf.  D.  A.  Supplément^  v»  Procédure  criminelle,  n"*  44,  45  et  46. 


408       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIY 

Ainsi,  dans  le  délit  d'usure,  qui  est  un  délit  coUpcfif 
d'habitude,  la  personne,  lésée  par  un  prêt  particulier,  ne  f 
certainement  saisirJe  son  action,  par  voie  de  citation  dire 
le  tribunal  correctionnel,  car  le  fait  qui  lui  cause  un  pn 
dice  n'est  pas  tout  le  délil,  mais  seulement  un  des  élémt 
du  délit  d'usure*.  11  ne  faudrait  pas,  du  reste,  exagérer  c 
doctrine  et  affirmer,  comme  semble  le  faire  la  jurispruden( 
que  c*est  à  la  juridiction  civile  qu'appartient  exclusive// 
la  connaissance  des  actions  d'intérêt  privé  en  réparation 
dommage  causé  par  des  contrats  usuraires.  En  supposant 
effet,  qu'un  certain  nombre  de  faits,  suffisants  pour  conslit 
le  délit  d'habitude,  aient  été  commis,  par  le  7)ié?/ie  agr/if, 
préjudice  de  la  iiiême  personne^  celle-ci  peut  certaiuen 
saisir  de  son  action  le  tribunal  correctionnel*.  D'autre  p 
les  personnes  lésées  par  des  prêts  usuraires,  imputés  au  in( 
prévenu,  ont  indistinctement  le  droit  d'intervenir,  comme  | 
ties  civiles,  dans  la  poursuite  intentée  par  le  ministère  put 
car  tous  les  faits  d'usure,  constituant,  par  leur  réunion 
délit,  tous  ceux  à  qui  le  délit  cause  un  dommage,  doi^ 
pouvoir  en  poursuivre  la  réparation  devant  la  justice  rép 
sive*. 

'^  V.  L.  3  sopt.  1807,  art.  4.  La  jurisprudence  n'a  jamais  varié  :  t 
(ch.  n^unies),  4  nov.  1839  (S.  39. 1.  929);  Cass.,  23  mai  1868  (S.  09. 1. 1 
8  juin.  1881  (D.  82.  1.  41);  20  janv.   18H8  (S.  89.    1.  281);  Paris,  10 
1890  (S.  91.  2.  137)  et  les  notes  de  M.  Villey. 

3  La  Cour  de  cassation  affirme,  en  etfet,  que  les  actions  en  réparât  in 
tort  caus<^  par  la  perception  d'intérôts  usuraires  sont  exclusivement  i 
buées  aux  tribunaux  civils  en  vertu  de  l'article  3  de  la  loi  3  se[)t.  1807 
ditTérence  du  délit  d'IiaJntude  d'usure  et  de  l'application  de  la  peinte  qui 
réservés  aux  tribunaux  correctionnels  :  Cass.,  21  juill.  ISH  (ch.  réu 
(S.  41.  1.  842).  V.  les  arrêts  cités  à  la  note  précédente. 

*  Il  n'est  pas  nécessaire,  en  elfct,  pour  constituer  le  délit,  qu'il  y  ait  f 
lité  de  prêts  à  diverses  personnes  :  Cass.,  4  mars  1S2G  (S.  et  P.  ciir.);  \ 
21  juill.  1820  (S.  39.  1.  929). 

'^  Comf).  en  ce  sens  :  Haus,  op.  cit.,  t.  2,  n»  1392:  Villey,  Précis  de  < 
criminel  (G*  éd.),  p.  287;  Hoirman,  op,  cit.,  t.  1,  p.^8.  La  jurisprui 
citée  est  en  sens  contraire.  Elle  est  approuvée  par  plusieurs  auteurs  : 
ter,  op.  cit.,  t.   1,  p.  588;  Mangin,  Act.  pub.,  t.  3,  n°"  308  et  s.   Ces 
une  interprétation  erronée  des  articles  3  et  4  dt»  la  loi  du  3  sept.  1807 


DE  l'action   civile   DEVANT   LA  JURIDICTION   REPRESSIVE.      409 

Les  mêmes  décisions  seraientapplicables,  et  par  les  mêmes 
motifs,  au  délit  de  tenue  d'une  maison  de  prêts  sur  gage  sans 
autorisation  (C.  pén.,  art.  418).  Le  fait  punissable  ne  consiste 
pas,  en  effet,  à  prêter  sur  gage,  mais  à  créer  un  établissement 
de  prêts  sur  gage.  De  sorte  qu'un  fait  isolé  est  licite,  mais  un 
ensemble  de  faits,  une  habitude  de  prêter  dans  ces  conditions 
ne  Test  pas  *.  On  a  pu  conclure  légalement  de  ce  caractère  du 
délit  qu'un  emprunteur  ne  pourrait  citer  le  prêteur,  à  sa  re- 
quête, devant  le  tribunal  correctionnel,  le  fait  dont  il  se  plaint 
ne  constituant  pas  tout  le  délit;  mais  il  serait  excessif  de  dé- 
clarer son  action  irrecevable,  lorsque  l'emprunteur  intervient 
dans  la  poursuite  dirigée  par  le  ministère  public  \ 

Une  autre  application  de  la  même  idée  a  été  faite  en  matière 
d'injure.  On  sait  que  ce  délit  est,  non  seulement  excusé  mais 
justifié,  s'il  a  été  provoqué  •-  Le  tribunal  qui  admet,  en 
pareil  cas,  l'excuse  de  provocation,  prévue  par  l'article  33 
delà  loi  du  29  juillet  1881,  ne  peut  plus  'statuer  sur  l'action 
civile  basée  sur  cette  injure •. 

189.  La  juridiction  répressive  est  incompétente  pour  statuer 
sur  l'action  civile,  quand  l'action  publique  est  irrecevable, 
parce  que  le  fait  dommageable,  bien   que  constituant  une 

celle  du  19  déc.  1850  qu'on  arrive  à  créer  une  impossibilité  légale  à  la  con- 
stitution de  partie  civile  dans  la  poursuite  correctionnelle  pour  usure.  Voy. 
sur  la  question  :  Cuche,  ReiKpénit.,  1904,  p.  707. 

'  V.  mon  Traité  théor,  et  prat.  (2«  édit.),  t.  5,  n*»  405. 

'  V.  cependant  :  Cass.,  17  mars  1855  (S.  55.  1.  554).  Comp.  Chauveau  et 
HéIie,T/ié*or.  du  Code  pénal,  l  5,  n°  2346  ;  Blanche,  Études  sur  le  Code  pénal, 
*••  6,  n*  309.  La  jurisprudence  semble  admettre  que  dans  les  délits  d'habi- 
tude, ce  que  la  loi  punit,  c'est  une  manière  d'être,  une  habitude.  Mais,  en 
""éaiité,  ce  qu'elle  punit,  ce  sont  des  faits  qui  manifestent,  par  leur  réunion, 
'^ne  manière  d*être  et  d  agir.  Donc  quand  la  cour  de  cassation  dit  <«  le  délit 
consiste  dans  l'habitude,  fait  complexe  et  moral,  et  non  dans  les  faits  parti- 
culiers »,  elle  se  place  à  un  point  de  vue  inexact.  C'est  ce  point  de  vue  ce- 
Pendant  qui  domine  la  solution  par  laquelle  elle  écarte,  en  ce  qui  concerne 
les  délits  d'habitude,  les  articles  1  et  3  du  Code  d'instruction  criminelle. 

•  Vojr.  mon  Traité  théor.  et  prat.  (2«  éd.),  t.  2,  n°*  612  et  613. 

•  Sic,  Cass.,  19  juin  1891  (B.  cr.,  no  140). 


440       PROCÉDURE    PÉNALB.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  BT   CIVILE. 

infraction,  ne  donne  pas  ou  ne  àotiXïQ  plus  ouverture  à  une 
poursuite  pénale.  Par  Ténoncé  même  de  cette  proposition,  on 
voit  ses  deux  applications  possibles. 

I.  Dans  certaines  circonstances,  en  effet,  des  délits  ne  sont 
pas  punissables.  Il  en  est  ainsi,  par  exemple,  des  vols  entre 
certains  parents  ou  alliés  (C.  péo.,  art.  380),  des  crimes  commis 
par  un  étranger  en  pays  étranger,  même  vis-à-vis  d'un  Fran- 
çais (C.  instr.  cr.,  art.  5).  L'action  civile  qui  résulte  de  ces  faits 
ne  peut  être  portée  que  devant  les  tribunaux  civils,  puisque  les 
tribunaux  de  répression  ne  sont  compétents  pour  connaître  de 
l'action  civile  que  parce  qu'ils  le  sontpour  connaître  de  ractico 
publique. 

II.  Dans  d*autres  circonstances,  Faction  publique  est  éteinte 
par  le  décès  du  prévenu,  la  chose  jitgée,  Vabroyation  Je  l- in- 
crimination par  une  loi  nouvelle,  Vaninistie.  Ces  événements, 
qui  n'enlèvent  pas,  à  la  victime,  le  droit  d'obtenir  une  répa- 
ration, lui  enlèvent,  tout  au  moins,  le  droit  de  la  demander 
devant  les  juridictions  répressives *°.  Nous  aurons,  plus  loin,  à 
déterminer  quels  sont  les  effets,  sur  Faction  publique,  d'une 
ordonnance  de  non-lieu  passée  en  force  de  chose  jugée  :  nous 
déciderons  qu'elle  fait  obstacle  à  la  reprise  du  procès  pénal 
tant  qu'il  ne  survient  pas  de  charges  nouvelles,  qu  ainsi  l'ac- 
tion publique  est  provisoirement  suspendue  par  une  décision 
de  cette  nature.  Nous  en  concluons  qu'il  ne  saurait  être  au 
pouvoir  d'une  partie  civile  de  la  faire  revivre  à  Taide  d'une  cita- 
tion directe  et  que,  après  une  ordonnance  de  non-lieu  et 
tant  qu'elle  subsiste,  la  seule  juridiction  compétente  pour 
connaître  de  l'action  en  réparation  est  la  juridiction  ci- 
vile". 

'°  Une  application  inlf^ressanlo  de  celle  r^gle  a  éié  faite,  par  la  Cour  de 
Bourges,  dans  un  arrAt  du  3  avril  1890  (D.  9i.  2.  1%).  Celte  cour  a  d<Vidé 
qu'en  cas  d'appel,  par  la  partie  civile  seule,  d*un  jugement  correctionnel 
rendu  sur  la  poursuite  du  ministère  public,  et  prononçant  le  relaxe  du  pré- 
venu, Hi  cette  partie  civile  vient  k  (Mre  d<h?lan.^e  par  la  cour  non  recevable 
pour  défaut  de  qualité,  Texlinction  de  Taction  publique,  résultant  du  défaut 
d'appel  du  ministère  public,  rend  irrecevable  Taclion  de  la  partie  civile  qui  a 
qualité  devant  le  tribunal  correctionnel. 

**  Sic,  Douai,  40  mars  1880  (S.  82.  2.  79). 


)E   l/ ACTION   CIVILE   DEVANT  LA  JURIDICTION   RÉPRESSIVE.      411 

190.  Du  principe  de  [^article  3,  §  2,  il  faut  eofia  con- 
:lure  :  l""  que  les  tribunaux  de  répression  sont  sans  qualité 
)our  statuer  sur  l'action  civile,  s'ils  reconnaissent  que  le  fait 
l'est  prévu  par  aucune  loi  pénale  ou  que  le  prévenu  n'en  est 
)as coupable;  2^  que  ces  tribunaux,  ne  pouvant  statuer  sur 
es  intérêts  civils  qu'accessoirement  à  l'action  publique, 
épuisent  leur  juridiction  en  statuant  sur  celle-ci  et  n'ont  plus 
e  droit  de  se  prononcer,  par  jugement  séparé,  sur  l'action 
îivile. 

191.  Ces  deux  corollaires  d'un  seul  et  même  principe 
èglent  strictement  lacompétence  des  tribunaux  correctionnels 
u  de  police^  rtiais  sont  étrangers  à  celle  de  la  cour  d'assises, 
lette  distinction  résulte  de  la  combinaison  des  articles  159, 
91,  212  et  366  du  Code  d'instruction  criminelle. 

I.  Malgré  le  renvoi  d'instance  d'un  prévenu  de  délit  ou  de 
onlraventiorij  il  peut  rester,  à  sa  charge,  un  fait  domma- 
eable  et  illicite  {délit  ou  quasi-délit  civil),  dont  la  personne 
ssée  a  certainement  le  droit  de  poursuivre  en  justice  la  répa- 
ation,  mais  par  une  action  en  dommages-intérêts  ordinaire, 
e  la  compétence  exclusive  des  tribunaux  civils  (C.  civ.,  art. 
382etsuiv.).  La  juridiction  correctionnelle  et  la  juridiction 
e  police  sont  donc  sans  qualité  pour  accorder  des  dommages- 
ntéréts  à  la  partie  civile,  toutes  les  fois  qu'elle*  renvoient  le 
►revenu  de  la  poursuite".  Si  l'article  191  du  Code  d'instruc- 

>-  Jurisprudence  constante.  Cass.,  12  juill.  iSlO  (B.  cr.^  n»  91);  22  oct. 
H\H(H.  cr.,  nHai);  27  mai  iUi)(B.  cr.,  nM51);  2  mai  1857  (S.  ol.  1.  367); 
0  août  1860  (D.  60.  1.  513);  12  juin  1886  (D.  87.  1.  45):  5  juill.  J890  (D. 
H.  1.  143);  mais  il  nVst  pas  nécessaire  <}ue  lo  juge  prononce  une  peine  pour 
ivoir  compétence  sur  les  intérêts  civils;  il  suffit  qu'il  reconnaisse  la  culpa- 
lûlité,  pénale  du  prévenu  :  (^ass.,  15  avr.  1865  (S.  65.  1.  426);  Cass.,  9  juin 
11)05  (Rativeau  c.  Loup)  :  «  Attendu  que  les  réparations  civiles  auxquelles  il 
est  conclu  devant  les  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  demeurent  léga- 
lement subordonnées,  même  après  Textinction  de  l'action  publique  en  cours 
ti'instancp,  àlaconstalnlion  des  éléments  essentiels  dontla  réunion  eùtautorisé 
l'application  d'une  peine;  qu'ainsi,  dans  le  cas  où  rinlentiou  coupable  est 
'-xigéc  par  la  loi  pour  constituer  l'infraction  qui  adonné  lieu  à  la  poursuite, 
'1  juridiction  répressive,  dont  la  compétence  n*est  que  prorogée,  doit  néces- 
'^Hirement  fonder  sa  décision,  quant  aux  réparations  civiles,  sur  une  déclara- 


412       PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE   ET  ClVIIJt. 

tioQ  criminelle  est  obscur,  puisqu'il  donne  au  tribunal  de 
police  le  droit  de  statuer,  dans  ce  cas,  «  sur  les  demandes  en 
dommages-intérêts  »,  sans  indiquer  qu'il  ne  s'agit  que  des 
dommages-intérêts  réclamés  parle  prévenu  contre  la  partie 
civile,  l'article  211  est  suffisamment  clair  :  «  Si  le  jugement 
est  réformé  (par  la  cour  d'appel)  parce  que  le  fait  n'est  réputé 
ni  délit  ni  contravention  de  police  par  aucune  loi,  la  cour 
renverra  le  prévenu  et  statuera  sur  5^5  dommages-intérêts  ». 
C'est,  du  reste,  une  simple  conséquence  du  principe  posé 
par  l'article  3,  §  2  du  Code  d'instruction  criminelle,  et  les 
textes  seraient  muets,  que  cette  application  des  règles  de  la 
compétence  exceptionnelle  des  tribunaux  de  répression  en 
matière  de  procès  civils  ne  saurait  être  discutée.  Trois  choses 
sont  donc  certaines  :  1  °  Il  n'y  a  pas  à  distinguer  le  motif  pour 
lequel  les  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  rejettent 
l'action  publique  :  ces  motifs  sont  indifférents,  car  il  faut 
considérer  seulement  le  résultat;  2°  L'incompétence  des 
tribunaux  de  répression  pour  statuer  sur  l'action  civile  est 
telle  qu'ils  ne  pourraient  rejeter  cette  action  comme  mal 
fondée.  Ainsi  il  a  été  décidé  que  les  tribunaux  correctionnels 
n'étant  compétents  pour  statuer  sur  l'action  civile  qu'acces- 
soirement à  l'action  publique,  il  y  a  lieu  de  casser  la  disposi- 
tion d'un  arrêt  qui,  en  prononçant  le  relaxe  du  prévenu, 
ne   s'est  pas  borné  à   rejeter  les  conclusions    de  la    partie 

lion  de  culpabilité  qui'sous  quelque  forme  qu'elle  soit  présentée,  en  est  la 
condition  absolue;  qu'il  ne  saurait  donc  suffire  au  juge  correctionnel  ou  de 
police  de  constater  l'existence  d'une  faute  dans  les  termes  de  l'article  138Î 
du  Code  civil;  —  Attendu  que  l'infraction,  réprimée  par  l'article  475,  n*  13 
du  Code  pénal,  doit,  pour  être  constituée,  réunir  les  éléments  du  vol  onli- 
naire,  à  savoir  le  fait  et  l'intention  de  s'approprier  frauduleusement  une  chose 
appartenant  à  autrui  ;  que,  cependant,  loin  d'aflirmer  l'existence  d'une  telle 
intention,  le  juge  de  police  énonce  que  Rativeau  «  a  commis  un  préjudice  à 
Loup  )»;  que  la  bonne  foi  prétendue  par  lui  ne  pourrait  l'en  disculper  et  que, 
d'ailleurs,  aux  termes  de  l'article  1382  du  Code  civil,  tout  fait  quelconque  de 
riiomme  qui  cause  à  autrui  un  dommage  oblige  celui  par  la  faute  duquel  il 
est  arrivé  à  le  réparer;  qu'en  s'abstenant  ainsi  de  faire  porter  son  examen, 
considéré  par  lui  comme  sans  objet,  sur  un  des  éléments  de  l'infraction  visée, 
et  en  faisant  reposer  sa  décision  sur  la  seule  constatation  d'un  quasi-délit, 
le  juge  de  police  a  violé  les  textes  invoqués  au  moyen...  », 


DB   l'action   civile   DEVANT   LA   JURIDICTION    RÉPRESSIVE.        413 

civile,  mais  les  a  déclarées  mal  fondées  après  avoir  indiqué, 
dans  un  de  ces  molifs,  que  la  partie  civile  n'avait,  en  réalité, 
éprouvé  aucun  préjudice*^;  3°  Le  renvoi  d'instance  du  pré- 
venu rend  impossible  la  condamnation  d'un  tiers  comme  civi- 
lement responsable  du  délit  ou  de  la  contravention**. 

Les  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  sont  tenus  de  se 
prononcer  sur  Taction  civile  et  Taction  publique  par  un  seul 
et  même  jugement.  C'est  une  conséquence  de  procédure  qui 
résulte  de  ce  que  leur  compétence  n'est  qu'accessoire  en  ce 
qui  concerne  les  intérêts  civils.  Par  suite  :  i*  les  juges  ne 
pourraient,  en  statuant  sur  Taclion  publique,  continuer  la 
cause  à  une  autre  audience  pour  statuer  sur  l'action  civile 
(C.  instr.  cr.,  art.  3,  161,  189)  ^^]  2®  Ils  ne  pourraient  pas 
non  plus,  statuer  sur  les  dommages-intérêts,  prétendus  par 
une  partie  lésée  à  l'occasion  d'un  délit,  avant  d'avoir  préala- 
blement reconnu  l'existence  de  ce  délit  (C.  instr.  cr.,  art. 3)**. 

IL  Les  cours  d'assises  ont  la  plénitude  de  la  juridiction 
pénale  et  civile  en  ce  sens  que,  dès  qu'elles  sont  régulière- 
ment saisies,  elles  doivent  se  prononcer.  L'article  366  du  Code 
d'instruction  criminelle,  appliquant  cette  règle  à  l'action  ci- 
vile, portée  devant  ces  juridictions,  décide  expressément  que 
les  cours  d'assises  peuvent  et  doivent  statuer  sur  les  domma- 
ges-intérêts prétendus  par  la  partie  civile,  dans  tous  les  cas, 
même  dans  celui  d'absolution  ou  d'acquittement.  La  loi,  pour 
faire  ainsi  exception  au  principe  général  qui  ne  donne  aux  ju- 
ridictions répressives,  en  ce  qui  concerne  les  intérêts  civils, 
qu'une  compclence  accessoire  et  dépendante  du  procès  pénal, 
parait  s'être  fondée  suî*  une  considération  pratique  :  elle  a 

<»  Cass.,  42  juin  1886  (S.  86.  i.  470,  D.  87.  4.  45). 

«*  Sic,  Cass.,  il  mars  1893  (D.  95.  1.  326);  6  avr.  189i  (D.  96.  1.  50). 
Comp.  Cass.,  10  aoiH  1860  (D.  60.  1.  513). 

**  Cass.,  28  mars  1807  (B.  cr.,  n»  67);  5  déc.  1835  (S.  36.  1.  924).  Sic,  Le 
Sellyer,  Compct.,  t.  2,  n»  1157). 

*•  Ainsi,  un  tribunal  correctionnel  ne  peut,  sans  préjuger  le  fond  et  sous 
réserve  de  statuer  ullérieurement  sur  le  fond,  commettre,  avant  faire  droit, 
trois  médoiîins  à  l'elTet  de  rccliercher,  non  si  le  prévenu  a  commis  une  im- 
prudence, mais  de  d(Herminer  les  consoquj^nces  dommageables  du  délit  im- 
puté :  Paris,  18  d«»c.  1889  {Journ.  de  droit  crim.,  1889,  p.  287). 


414      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVI 

voulu  épargner,  à  la  partie  civile,  qui  a  déjà  engagé  dans  1 
stance  criminelle  des  frais  considérables,  la  nécessité  de 
courir  à  d'autres  juges  pour  obtenir  le  dédommagement  auq 
elle  prétend  avoir  droit.  Elle  le  pouvait,  du  reste,  sans  crain 
qu  on  abusât  de  Texception  pour  porter,  devant  la  cour  d'assi: 
des  affaires  purement  civiles,  puisqu'une  accusation  ne  \) 
être  intentée  devant  cette  juridiction  qu'en  vertu  d'un  arrêt 
la  chambre  des  mises  en  accusation.  L'instruction  prépa 
toire  et  les  débats  auront  fourni  à  la  cour  d'assises  des  ( 
ments  nombreux  et  précis,  soit  pour  lui  permettre  de  fi 
le  principe  d^une  indemnité,  s'il  en  est  du  à  la  victime, 
pour  lui  permettre  d'en  déterminer  le  chiffre.  Néannioi 
les  avantages  de  cette  disposition  sont  contestables  :  d 
côté,  en  effet,  elle  prive  l'accusé  de  la  garantie  générale 
deux  degrés  de  juridiction;  de  l'autre,  elle  fait  décic 
en  premier  et  dernier  ressort,  par  deux  conseillers  de  c 
d'appel  et  un  juge,  ou  un  conseiller  et  deux  juges  de 
bunal,  une  question  qui,  en  suivant  la  voie  régulière, 
pourrait  être  jugée,  et  en  dernier  ressort  seulement,  que 
cinq  conseillers.  Bien  entendu,  la  cour  d'assises,  en  se  pron 
çant  sur  l'action  civile,  ne  doit  pas  se  mettre  en  contradici 
avec  le  verdict  du  jury,  qui  s'imposerait,  en  vertu  des  prii 
pes  de  la  chose  jugée  au  criminel,  même  aux  tribunaux  ci 
jugeant  le  procès  en  dommages-intérêts  dans  une  insta 
distincte  et  séparée.  Mais  c'est  là  une  question  se  rattach 
à  l'influence  de  la  chose  jugée  au  criminel  sur  l'action  ci 
et  non  une  question  de  compétence. 

Les  cours  d'assises  ne  sont  pas  tenues^  ainsi  que  les  tribun 
correctionnels  et  de  simple  police,  de  statuer  sur  Tact 
publique  et  sur  l'action  civile  par  une  seule  et  même  d 
sion  et  toute  demande  en  dommages-intérêts,  formée  ré 
lièrement  par  la  partie  civile,  devant  la  cour  d'assises,  p 
être  jugée  par  cette  juridiction,  soit  dans  la  session  mêi 
soit,  lorsqu'une  instruction  est  nécessaire,  à  la  session  i 
vante,  et  les  juges  de  cette  session  ne  peuvent  se  déck 
incompétents  par  ce  motif  qu'ils  n'auraient  pas  assisté 
débats  :  à  cet  égard,  la  situation  des  parties  est  délinitiveni 


DB  l'action    civile   DBVANT   LA  JURIDICTION  REPRESSIVE.        il  5 

fixée  dès  que  la  cour  d*assises  est  saisie  et  par  cela  même 
qu'elle  est  saisie  (C.  inslr.  cr.,  art.  366  et  358)  *\ 

Une  exception  a  été  apportée,  par  la  législation  spéciale  de 
la  presse,  à  la  règle  de  compétence  de  la  cour  d^assises,  en  cas 
d'acquittement  de  Taccusé.  Supposons  un  délit  de  presse  de 
la  compétence  de  la  cour  d*assises,  par  exemple  une  dififa- 
malion  envers  un  fonctionnaire  public,  à  raison  de  sa  fonc- 
tion :  la  victime  du  délit  a  saisi  directement  la  cour  d'assises, 
mettant  ainsi,  par  sa  citation,  comme  elle  en  a  le  droit,  l'action 
;  publique  et  Faction  civile  en  mouvement  :  Taccusé  est  dé- 
claré non  coupable  par  le  jury,  et  son  acquittement  est  pro- 
noncé :  est-ce  que  la  cour,  qui  est  saisie  de  Taction  civile, 
peut  accorder  des  dommages-intérêts  à  la  partie  lésée?  Qu'on 
le  remarque  :  bien  que  le  jury  ait  écarté,  par  sa  déclaration 
négative,  la  culpabilité  pénale,  ce  n'est  pas  un  motif  pour 
quaucune  culpabilité  civile  ne  subsiste  et  ne  motive  une 
allocation  de  dommages-intérêts,  et  nous  savons  que,  d'après 
Tarlicle  338  du  Code  d'instruction  criminelle,  la  cour  d'as- 
sises est  compétente  pour  accorder  des  dommages-intérêts, 
si  elle  estime  que  l'accusé,  même  acquitté,  reste  cependant 
l'auteur  d'un  délit  ou  quasi-délit  civil.  Mais  une  disposition 
spéciale  et  expresse  de  la  loi  sur  la  presse  du  29  juillet  1881 
(art.  58),  décide  que,  «  en  cas  d'acquittement  par  le  jury, 
«  s'il  y  a  partie  civile  en  cause,  la  cour  ne  pourra  statuer  que 
«  sur  les  dommages- intérêts  réclamés  par  le  prévenu.  Ce 
«  dernier  devra  être  renvoyé  de  la  plainte  sans  dépens  ni 
»  dommages-intérêts  au  profit  du  plaignant  ». 

Cet  article,  adopté  sans  discussion,  bien  qu'il  constitue  une 
innovation  dans  notre  droit*%  soulève  des  difficultés  sérieuses. 

Paut-il,  d'abord,  donner  à  cette  disposition  une  interpréta- 
tion littérale,  et  l'appliquer,  quel  que  soit  le  motif  de  l'acquit- 
tement et  alors  même  qu'il  résulterait,  du  verdict  du  jury,  la 
preuve  de  l'existence  d'un  fait  dommageable  à  la  charge  de 

"Sic,  Gass.,  24  juin  1825  (S.  chr.). 

'•  Voy.  ce  qu*en  dit  le  rapporteur  de  la  loi  sur  la  presse,  M.  Lisbonne  : 
Cellier  et  Le  Senne,  op,  cit.^  p.  598;  Le  Poillevin,  op.  cit,,  t.  3,  n°  1536, 
p.  602. 


416      PROCÉDURE   PENALE.  DES  ACTIONS    PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

f 

raccusé?  Le  gérant  d'un  journal  est  traduit  devant  la  cou 
d'assises  pour  publication  de  pièces  mensongcrement  attri 
buées  à  uo  tiers,  publication  ayant  troublé  la  paix  publique 
ce  tiers  s'est  constitué  partie  éivile  dans  l'instance.  Or,  le  jurj 
interrogé  distinctement  sur  chacun  des  éléments  du  délit 
reconnaît  que  les  pièces  publiées  ont  été  mensongèremen 
attribuées  à  la  partie  civile,  mais  qu  elles  ne  sont  pas  de  natun 
à  troubler  la  paix  publique;  Tacquittcmenl  est  donc  prononcé 
puisqu'il  manque  un  des  éléments  du  délit.  La  cour  d'assise: 
sera-t-elle  incompétente  pour  accorder  des  dommages-intérèl: 
à  la  partie  civile?  Le  motif,  inspirateur  de  l'article  38,  a  éU 
d'empêcher  que  l'acquittement,  résultant  du  verdict  du  jury 
ne  fût  compensé  par  une  condamnation  de  la  cour.  «  De: 
journalistes  acquittés  par  le  jury,  dit  le  rapporteur,  ont  expi( 
le  délit  qu'ils  n'avaient  pas  commis  par  des  condamnations  ; 
desdommages-intérétsquiexcédaientle  maximum  des  amende: 
prononcées  par  la  loi  ».  Il  est  certain  que,  dans  le  cas  qui  oou: 
occupe  et  d'autres  cas  analogues,  la  condamnation  à  des  dom 
mages-intérêts,  loin  d'être  en  contradiction  avec  le  verdict  di 
jury,  n'en  serait,  au  contraire  que  la  confirmation.  Mais  1< 
texte  est  trop  formel  pour  qu'on  réserve  le  droit  de  la  cou 
d'assises:  ce  serait  ouvrir  la  porte  à  des  distinctions  qui  feraien 
reparaître  une  compétence  que  la  loi  de  1881  a  voulu  prc 
scrire  *'. 

Mais  la  victime  du  délit,  qui  s'est  constituée  partie  civile  e 
cour  d'assises,  perd-elle,  après  Tacquittement,  le  droit  de  sa 
si  r  de  son  action  le  tribunal  civil  ?  Évidemment  non.  Sans  dont 
il  lui  faudra  démontrer  que  le  fait,  à  raison  duquel  Tacqui 
tement  a  été  prononcé,  est  imputable  au  défe-ndeur,  que  i 
fait  lui  est  préjudiciable,  et  que  le  verdict  du  jury,  souveraî 

*•  Mais  si  le  verdict  est  affinnatif  sur  la  culpabilités  encore  qu'à  raison  < 
certaines  circonstances  le  prévenu  dût  ôtre  absous,  la  cour  peut  statut" 
tant  sur  les  dommages-intërêts  réclamés  par  la  partie  civile,  que  sur  cei 
prétendus  par  le  prévenu  (C.  instr.  cr.,  art.  30C).  Il  nVst  pas,  en  effet,  â 
rogé  à  l'article  366  du  Code  d'instruction  criminelle,  par  l'article  58  de  la  I 
sur  la  presse  ([ui  ne  vise  que  le  cas  d'ac<|uittoment  par  le  jury.  Voy.  G.  I 
Poittevin,  op.  cit.,  t.  3,  n»  1535,  p.  60*2. 


DE  l'action   civile  DEVANT   LA  JURIDICTION   REPRESSIVB.        4l7 

sar  les  points  qui  ont  été  décidés,  peut  se  concilier  avec  sa 
demande.  Mais,  en  supposant  ces  preuves  faites,  rien,  dans 
les  principes  généraux  du  droit,  rien,  dans  les  textes  de  la  loi 
de  1881,  ne  s*oppose  à  une  action  à  fins  civiles.  Il  existe 
cependant  une  exception  qui  restreint  cette  solution.  S'agit- 
il  d'une  diffamation,  commise  envers  une  personne  publique, 
àraison  de  sa  fonction,  d*uDe  part,  Tarticle  46  déclare  que 
Taction  civile,  sauf  le  cas  de  décès  ou  d'amnistie,  ne  peut 
êlre  séparée  de  Faction  publique;  d'autre  part,  Tarlicle  58 
enlève  à  la  cour  d'assises,  seule  compétente  dans  ce  cas,  le 
droit  de  prononcer  des  dommages-intérêts  au  préjudice  du 
prévenu  acquitté.  De  la  combinaison  de  cette  double  règle, 
on  doit  conclure  que  le  fonctionnaire  diffamé,  obligé  de 
saisir  la  cour  d'assises,  contrairement  au  droit  commun,  ne 
peut,  si  le  prévenu  est  acquitté,  ni  obtenir  des  dommages- 
inléréts  en  s'adressant  à  la  cour  d'assises,  ni  en  demander 
en  s'adressant  au  tribunal  civil.  Nous  comprendrions  à  la 
rigueur  qu*il  en  fût  ainsi,  dans  le  cas  où  la  loi  accorderait  au 
jury  le  droit  de  se  prononcer  sur  le  principe  des  dommages- 
intérêts,  en  obligeant  le  président  de  la  cour  d'assises  à  l'in- 
terroger distinctement  sur  la  culpabilité  pénale  et  sur  la  cul- 
pabilité civile.  Mais  enlever  à  la  cour  le  droit  de  se  prononcer 
sur  la  culpabilité  civile,  sans  l'accorder  au  jury,  c'est  consa- 
crer un  véritable  déni  de  justice,  puisque,  avec  un  tel  sys- 
tème, la  réponse  négative  du  jury  à  la  seule  question  qui  lui 
6st  posée  ne  permet  même  pas  à  la  cour  d'examiner  une  ques- 
tion qu'il  n'a  pas  été  dans  la  compétence  du  jury  de  décider. 

192.  L'irrecevabilité,  devant  les  tribunaux  de  répression, 
<Je  l'action  civile,  isolée  de  l'action  publique,  étant  fondée 
sUrTincompétence  même  delà  juridiction,  est  d'ordre  public. 
Par  suite,  elle  doit  être  soulevée  d'office  et  peut  Têlre  en  tout 
état  de  cause,  en  appel  comme  en  première  instance,  devant 
la  Cour  de  cassation  comme  devant  les  juges  du  faît'\ 

**»  V.  Cass.,  11  sept.  1818;  Douai,  10  mars  1880  (S.  82.  2.  79).  Sic,  Man- 
KÎn,  Ac^  pubL  etciv.,  t.  1,  n°  34;  Le  Sellyer,  Comp,  et  org.  des  trib, 
chargés  de  la  répr.,  t.  2,  n»  1 143  ;  Faustin  Hélie,  op,  cit.^  t.  2,  n«  617. 

G.  P.  P.  —  î.  27 


448      PROCÉDURE  PENALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIV 

193.  L'action  publique  et  l'actiou  civile  ont  été  port 
ensemble  et  régulièrement,  devant  un  tribunal  de  répressi- 
la  survenance,  en  cours  d'instance,  et  avant  qu'une  décig 
irrévocable  ait  été  rendue,  d'une  cause  d'extinction  de  l 
tion  publique  y  a-t-elle  pour  effet  de  dessaisir  de  Vaction  ci 
le  tribunal  de  répression  ? 

La  question  peut  se  présenter  dans  quatre  cas  :  lorsi 
raction  publique  est  éteinte  par  la  mort  de  Tagent;  l( 
qu*eHe  Test  par  une  amnistie;  ou  bien  par  l'abrogation 
délit  en  suited'une  loi  nouvelle;  ou  enfin  quand  Icjugem 
ayant  été  rendu,  la  partie  civile  seule  ne  Taccepte  pas  et  i 
taque  par  une  voie  de  recours,  appel,  opposition,  pourvo 
cassation. 

De  ces  quatre  cas,  laloi  n'en  a  prévu  qu'un  seul,  le  dern 
et  encore  au  point  de  vue  particulier  d'un  appel  formé  cor 
un  jugement  du  tribunal  correctionnel.  Mais  la  solul 
doit  être  identique,  par  identité  de  motif,  pour  les  autres  v< 
de  recours.  L'article  202,  §  2  du  Code  d'instruction  cri 
nelle  suppose  qu'un  jugement  en  premier  ressort  est  in 
venu  à  la  fois  sur  l'action  publique  et  l'action  civile,  r 
d'un  délit;  le  ministère  public  ne  forme  pas  appel  dans 
délais  légaux,  et  le  jugement  acquiert,  en  ce  qui  conce 
l'action  publique,  autorité  de  chose  jugée;  mais  la  pa 
civile  a  formé  appel  :  la  juridiction  d'appel  est  saisie  de  T 
lion  civile  et  doit  y  statuer,  quoique  l'action  publique 
éteinte  par  la  chose  jngée  **.  Il  en  est  de  même,  quand 
pourvoi  en  cassation  a  été  formé  exclusivement  par  la  pa 
civile  (C.  inslr.  cr.,  art.  418);  si  l'arrêt  ou  le  jugement 
annulé,  l'afTaire  est  renvoyée  devant  une  autre  cour  ou 
autre  tribunal  de  répression,  qui  doit  statuer  exclusivem 
sur  l'action  civile,  malgré  l'extinction  de  l'action  publi 
(C.  instr.  cr.,  art.  427).  La  même  solution  doit  être  don 
en  cas  d'opposition  faite  par  la  partie  civile  à  un  jugem 
ou  à  on  arrêt  rendu  par  défaut  contre  elle'-'.  Le  tribunal, 

"  Voy.  Cass.,  14  avr.  1860  (S.  60.  1.  686  ;  D.  60.  i.  375);  31  janv. 
(S.  68.  i.  192;  D.  68. 1.  96).;  Nîmes,  19  janv.  1860  (S.  60.  2.  139). 
'2  Lb  partie  civile  qui  a  fait  défaut  peut,  en  elTel,  former  oppositio 


l'action  civile  devant  la  juridiction  répressive.      419 

faisant  droit  sur  cette  opposition,  ne  pourra  réformer  le  juge- 
ment que  relativcmeotauK  intérêts  civils  ".  Ces  exceptions  au 
principe  d'après  lequel  le  procès  ci  vil  est  l'accessoire  du  procès 
pénal  devant  les  tribunaux  de  répression,  s'imposaient  dans 
notre  système  de  procédure,  car,  à  moins  d'enlever  à  la  partie 
civile  le  droit  de  former  un  recours  contre  un  jugement  ou 
un  arrêt  qui  lèse  ses  intérêts,  ou  d'obliger  le  ministère  public 
à  suivre,  malgré  lui,  la  partie  civile  devant  le  tribunal  d'appel 
ou  la  Cour  de  cassation,  il  fallait  bien  autoriser  la  juridiction 
répressive  supérieure  à  se  prononcer  sur  un  jugement  ou  un 
arrêt  qui  émane  d'une  juridiction  de  répression.  Il  résulte 
de  là  que  l'action  civile,  dès  qu'elle  est  jugée  au  fond,  vit  de 
sa  vie  propre,  qu'elle  se  sépare  complètement  de  l'action  publi- 
que et  peut  être  l'objet  d'un  débat  principal  devant  les  juri- 
dictions répressives. 

Cette  remarque  va  nous  permettre,  tout  au  moins,  de  limi^ 
ter  le  terrain  de  la  difficulté,  en  ce  qui  concerne  les  trois  autres 
hypothèses  d'extinction  de  l'action  publique. 

Il  est  bien  certain,  en  effet,  que  si  l'un  de  ces  événements, 
le  décès  du  prévenu,  l'amnistie,  l'abrogation  du  délit  par  une 
loi  nouvelle,  se  produit  après  un  jugement  sur  le  fond,  la 
partie  lésée  aura  le  droit  de  suivre  le  procès  devant  la  juridic- 
tion répressive,  malgré  l'extinction  de  l'action  publique.  La 
situation  des  parties,  au  point  de  vue  de  la  compétence,  aura 
été  ainsi  consolidée  par  l'existence  d'un  jugement  que  chacune 
d'elles  a  le  droit  de  faire  tomber  dans  les  limites  de  son  inté- 
rêt. La  jurisprudence  n*a  jamais  hésité  sur  ce  point 


tk 


jugement  ou  à  l'arrêt  par  d^^faut  qui,  statuant  contradictoirement  entre  le 
ministère  public  et  le  prévenu,  Ta  débouté  de  sa  plainte.  Ce  droit  d'opposition  ' 
lui  est  reconnu  par  une  jurisprudence  constante.  Voy.  notamment  :  Cass. 
crim.,  rejet,  26  mars  182i  (D.  A.,  v®  Jugement  par  défaut^  n°  46-1**). 

"  Voy.  Cass.,  14  janv.  1802  (D.  92. 1.  393). 

"  G*est  ainsi  qu'il  a  été  décidé:  !•  que  le  décès  du  prévenu,  pendant 
l*inslance  d*appel,  éteint  bien  l'action  publique,  mais  n'a  pas  pour  effet  de 
dessaisir  la  juridiction  correctionnelle  de  l'action  civile  sur  laquelle  a  statué 
le  jugement  de  première  instance  (Cass.,  24  août  1854,  S.  54. 1.  668;  10  mai 
1872,  S.  72.  1.  397;  D.  72.  1.  331)  ;  2^  que,  en  cas  d'amnistie,  si,  au  point 
<fe  vue  de  l'action  publique,  il  n'y  a  pas  lieu  de  statuer  sûr  le  ^omt'^qv  Iv^t- 


420      PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  C] 

Maïs  que  décider  si  le  procès  n'a  pas  été  jugé?  On  ce 
deux  opinions  opposées.  Une  thèse,  appliquant  rigoureuse 
l'article  3  du  Code  d'instruction  criminelle,  déclare  q 
tribunal  répressif  devient  incompétent".  Mais,  dans  une 
thèse,  la  coexistence  finale  des  deux  actions  ne  serait 
nécessaire  pour  maintenir  à  la  juridiction  répressive  le 
de  statuer  sur  Faction  civile,  il  suffirait  que  cette  coexis 
se  soit  produite  au  début  de  Tinstance. 

C'est  à  cette  dernière  opinion  que  la  Cour  de  cass 
paraissait  s'être  ralliée  à  une  certaine  époque".  Elle  s'e 
écartée  depuis".  Peut-être,  par  une  évolution  qui  est  tou 

mé  par  un  prévenu  condamné  à  raison  d*un  délit  amnistié  par  ladi 
il  en  est  autrement  au  point  de  vue  de  l'action  civile  résultant  de  ce 
et  que  la  Cour  de  cassation  doit  apprécier  alors  le  caractère  légal  dt 
qui  sont  l'objet  de  la  poursuite  pour  savoir  si  Tarrêt  ou  le  jugement  a 
doit  être  annulé  sous  ce  rapport  (Cass.,  2  mai  1878,  S.  79.  i.  4K,  D. 
48  ;  20  juilL  i878,  solut.  impl.,  S.  80.  1.  89);  3°  mais  il  avait  été  déci( 
le  décès  du  prévenu,  pendant  Tinstance  du  pourvoi  en  cassation,  dessai 
la  Cour  de  cassation  de  la  connaissance  de  Paction  civile.  V.  Cass., 
1883  (B.cr.,  n»  201);  3  janv.  1885  {B,cr.,  n»  10);  22  févr.  1890  ( 
n«  45).  La  Cour  de  cassation,  par  des  arrêts  postérieurs,  que  nous  ci 
la  note  27,  est  revenue  sur  cette  jurisprudence.  Il  n'est  pas  douteux,  a 
d'hui,  que  l'article  202  autorise  tous  les  tribunaux  répressifs  à  mainten 
compétence  relativement  à  l'action  civile  lorsqu'il  est  intervenu  un 
ment  sur  le  fond.  A  fortiori,  en  est-il  ainsi  quand  le  décès  se  p 
pendant  l'instance  en  cassation.  Comp.  Mangin,  Act.  pubL  et  civ.y 
n*  446;  Rauter,  op.  cit.,  t.  2,  n®  868  ;Faustin  Hélie,  op,  cit.,  t.  2,  n* 
LeSellyer,  op,  cit.,  1. 1,  n®  388. 

"  Sic,  Rouen,  !•'  févr.  1872  (S.  72.  2.  230);  Paris,  3  juin  1872  (S. 
96);Legraverend,  Traité  de  légùt.  crim.,  t.  1,  p.  67. 

'•  11  est  vrai  qu'elle  n'avait  statué  qu'en  matière  d'amnistie  : 
.27  déc.  1869  (B.  cr.,  n*  268);  22  déc.  1870  (B.  cr.,  n°   197);  j9  janv 
(motifs)  {B.  cr.,  n»  15);  16  mars  1882  (S.  83. 1.  89),  et  la  note  de  M.  ;E 
Comp.  Lyon,  25  août  1880  (S.  81.  1.  75).  .Ce  dernier  arrêt  est  trèi 
motivé. 

*'  Un  premier  arrêt  du  29  juillet  1898  (S.  1900.  1,  55)  s'explique  j. 
cas  de  décès  :  «  Attendu  qu'aux  termes  des  articles  2  et  3  du  Codf 
Ftruction  criminelle,  l'action  publique  s'éteint  par  le  décès  du  préve 
que  l'action  civile  ne  peut  être  portée  devant  les  tribunaux  de  répr 
qu'accessoirement  à  l'action  publique  et  conjointement  avec  elle;  qu 
de  là  que,  lorsque  le  décès  du  prévenu  se  produit  avant  toute  décisi 


DB  l'action   civile   DEVANT  LA  JURIDICTION   RÉPRESSIVE.        421 

possible  dans  une  question  de  procédure,  reviendra-t-eile  à 
son  opinion  première,  qqi  nous  paraît  la  plus  juridique.  L'ac* 
tioo  civile  a  été  régulièrement  introduite  en  même  temps  que 
raction  publique;  le  tribunal  peut  et  doit  statuer,  et  les  évé- 
nements ultérieurs  ne  sauraient  lui  enlever  sa  compéteucu 
originaire  au  mépris  du  droit  acquis  de  la  partie  civile  d'obte- 
nir un  jugement.  C'est  qu'en  effet,  pour  savoir  s'il  peut  juger, 
lorsqu'une  loi  ne  modifie  pas  sa  compétence,  tout  tribunal 
doit  se  reporter  au  jour  où  il  a  été  saisi;  car  ce  jour-là  il  au- 
rait dû  juger.  Il  faut  faire  abstraction,  en  effet,  pour  mesurer 
la  compétence,  des  pertes  de  temps  fatales,  dues  aux  compli- 
cations de  l'organisme  judiciaire  ". 

L'application  de  cette  solution  doit  être  faite  distincte- 
ment et  distributivement  suivant  qu'il  s'agit  de  Tune  ou  de 
Pautre  des  causes  éteignant  l'action  publique. 

le  fond,  la  juridiction  correction aeile  devient  incompétente  pour  connaître 
de  l'action  civile  ;  mais  qu'il  n'en  est  plus  de    même  lorsque  le  prévenu 
décède  après  qu'un  jugement  a  déjà  statué  tant  sur  l'action  publique  que 
sur  Taction  civile;  —  Attendu  que  l'article  202  du  Code  d'instruction  cri- 
minelle, qui  autorise  la  partie  civile  à  appeler  de  ce  jugement  quant  à 
ses  intérêts  civils,    donne  par  cela  même  compétence  à  la  cour  d'appel  pour 
statuer  sur  cet  appel,  quelle  que  soit  la  décision  intervenue  sur  l'action  publi- 
que et  alors  même  que  cette   action   échapperait   k  la  connaissance  de 
la  cour  par  suite  du  défaut  d'appel  du  ministère  public  ou  du  prévenu;  — 
Attendu  que   ce  principe  doit  être  pareillement  appliqué   lorsque  l'ac- 
lion  publique    vient  à  s'éteindre  par  le  décès    du  prévenu  au  cours   de 
l'instance  d'appel,  puisque,  aux  termes  des  articles  173  et  203,  l'appel  ne 
fait  que  suspendre  l'exécution  du  jugement  de  première  instance,  ce  qui 
rend  nécessaire  de  statuer  sur  les  intérêts  civils  ;  —  Et  attendu  qu'aux  ter- 
mes de  l'article  373  du  Gode  d'instruction  criminelle,  le  pourvoi  en  cassation 
aie  même  effet  suspensif  que  l'appel;  que,  dès  lors,  il  n'y  a  lieu  de  distm- 
guer  entre  le  cas  où  le  prévenu  meurt  au  cours  de  l'instance  d'appel  et  le 
cas  où  il  meurt  son  pourvoi  en  cassation  étant  pendant;  que,  dans  ce  der- 
nier cas,  la  Cour  de  cassation  reste  compétente  pour  statuer  sur  les  intérêts 
civils...  »  Un  arrêt  postérieur  du    I*  juill.  1899  (S.  1901.  1.  382)  peut  être 
considéré  comme  la  consécration  de  cette  évolution  de  la  jurisprudence.  Il 
se  prononce  dans  la  même  hypothèse  de  décès  et  s'appuie,  pour  l'admission 
de  l'appel  ou  du  pourvoi  de  la  partie  civile,  sur  la  généralité  des  termes  des 
articles  202  et  373  du  Code  d'instruction  criminelle. 

''  Je  motive  ainsi  cette  solution,  favorable  à  un  droit  acquis  de  la  partie 
civile,  sur  un  principe  général,  indépendant  de  l'article  202. 


422      PROCÉDURE   PÉlfALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE    BT  CIVILS. 

1^  ïla  cas  d^amnistie  comme  eo  cas  d'abrogation  du  délit 
par  uae  loi  nouvelle,  le  défeodeur  à  l'action  civile  est  tou- 
jours le  prévenu  ou  Taccusé,  et  il  n*y  a  pas  lieu  à  reprise 
d'instance.  La  seule  difficulté  qui  se  présente  tient  au  fond 
du  droit  et  non  à  la  procédure  :  on  pourrait  soutenir,  eo 
eiTet,  que,  dans  Tune  commit  dans  Tautre  circonstance,  raclioD 
publique  étant  éteinte  parce  que  le  délit  est  effacé,  le  tribu- 
nal se  trouve  donc  dans  la  même  situation  que  lorsqu'il 
acquitte  le  prévenu  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  délit  punissable. 
Mais  cette  objection  pourrait  être  faite  dans  le  cas  où  le  mi- 
nistère public  a  laissé  passer  en  force  de  chose  jugée  le  juge- 
ment du  tribunal  correctionnel  qui  acquitte  le  prévenu  : 
la  loi  ne  s'y  est  pas  arrêtée  (C.  instr.  cr.,  art.  202).  Il  suffit  de 
remarquer  qu'au  moment  de  la  saisine,  le  tribunal  était 
x^ompétent  pour  statuer  sur  l'action  civile  et  que  l'amoistie 
laisse  intacts  les  droits  des  tiers  ^V 

2**  En  cas  de  décès  du  prévenu,  cette  difficulté  n'existe 
pas,  puisque  Faction  publique  est  éteinte  par  la  disparitioa 
du  délinquant  et  non  parcelle  du  délit,  mais  il  y  a  lieu,  pour 
la  partie  civile,  de  procéder  à  une  reprise  d'instance  contre 
les  héritiers.  Cette  procédure  est  possible  toutes  les  fois  que 
l'action  civile  est  portée  devant  le  tribunal  correctionnel  ou 
le  tribunal  de  police  :  elle  se  fait  par  voie  de  citation  dans  les 

"  Dans  les  lois  d'amnistie  récentes,  la  question  a  été  tranchée  en  sens  di- 
vers. I.  Nous  citerons  d*abordla  loidu27  déc.  1900  (S.  Lois  annotées,  p.  17)- 
Dans  son  article  !•'  «  Amnistie  pleine  et  entière  est  accurdée,  à  raison  des 
«  faits  se  rattachant  à  Taffaire  Dreyfus  ».  Pour  ces  faits,  «  l'action  civile  n*? 
«  pourra  (^tre  portée  que  devant  la  juridiction  civile,  alors  même  que  la  juri^ 
«  diction  répressive  serait  déjà  saisie  ».  Mais  quant  aux  autres  faits  amnis^ 
liés  par  la  même  loi,  il  est  dit,  dans  l'article  2,  dernier  alim'îa  ;  «  Dans  au^ 
*<  cun  cas,  l'amnistie  ne  pourra  être  opposée  aux  droits  des  tiers,  qui  devront 
i<  porter  leur  action  devant  la  juridiction  civile,  alors  mi^me  que  la  juridic- 
i<  tioi)  répressive  serait  déjà  saisie...,  sauf  le  cas  où  un  jugement  contradk- 
«  ioire  aurait  été  déjà  rendu  sur  le  fond  ».  Voy.  note  56  dans  le  recueil 
précité.  II.  Ces  prévisions  sont  étrangères  à  Tarticle  unique  de  la  loi  des  30, 
31  déc.  1903,  relative  à  l'amnistie  pour  laits  de  grèves  et  faits  connexes. 
III.  La  loi  du  2  nov.  190.')  qui  accorde  une  amnistie  pour  une  série  de  délits 
et  de  contraventions  énumérés  par  Tarticle  l*»",  et  pour  les  faits  se  ratta- 
chant «  à  la  publication  d'indications  secrètes  »  (les  faits  de  délation  ,  dispose, 


D8  l'action    civile   DEVANT   LA    JURIDICTION    REPRESSIVE         423 

délais  elles  formes  ordinaires ^°.  Mais  si  l'aclioo  civile  est  pen- 
dante devant  la  cour  d'assises,  je  ne  crois  pas,  à  raison  du 
caractère  de  cette  juridiction,  qu'il  soit  possible  d'assigner 
les  héritiers  en  reprise  d'instance.  Comment  procéderait-on, 
en  effet?  Et  dans  quels  délais? 

I  La  question,  du  reste,  n'a  qu'un  intérêt  théorique,  limité 
par  une  observation  générale.  Supposons,  en  effet,  que  Tévé- 
Dement  extinctif  de  Taction  publique,  Tamnistie  ou  le  décès, 
soit  intervenu  avant   le  jour  où  Taffaire  est  appelée  devant 

I  la  cour  d'assises,  ce  qui  est  évidemment  Thypothèse  ordi- 
naire. Mais,  Tarrêt  de  renvoi  avait  été  rendu,  antérieurement, 
par  la  chambre  des  mises  en  accusation,  et  une  partie  civile 
s'était  constituée  devant  la  juridiction  d'instruction  :  la  cour 
d'assises  pourrait-elle  accueillir  la  demande  en  dommages* 
inléréts  que  celte  personne  produirait  devant  elle?  Je  ne 
le  crois  pas,  car  la  coexistence  initiale  des  deux  actions, 
aécessaire  pour  donner  compétence  à  la  juridiction  répres- 
sive, Tait  défaut  dans  celte  hypothèse.  La  constitution  de  partie 
civile  n'a  pu  se  produire  devant  la  cour  d'assises,  puisque 
l'accusation  était  éteinte  avant  que  la  juridiction  dejugement 
^itété  saisie.  La  partie  lésée  est  bien  obligée,  par  suite  du  mé* 
canismemème  delà  procédure  criminelle,  d'assigner  les  héri- 
tiers devant  la  juridiction  civile  qui  reste  exclusivement  com- 
pétente. La  seule  hypothèse  pratique,  dans  laquelle  on  pour- 
rail  envisager  la  question,  est  celle  des  délits  de  presse,  où 
1^  citation  directe  précède  de  quelques  jours  la  comparution, 
si  bien  que,  dans  l'intervalle,  le  décès  ou  l'amnistie  a  pu  se 
produire,  alors  que  lajuridiction  était  déjà  saisie. 

194.  Pour  étudier  le  moment  et  le  mode  d'une  constitu- 
lion  de  partie  civile,  il  faut  se  placer  en  face  des  hypothèses 

^ans  son  article  3  :  «  Dans  aucun  cas,  l'amnistie  ne  pourra  être  opposée  aux 
"  droits  des  tiers,  lesquels  devront  porter  leur  action  devant  la  juridiction 
"  civile  si  elle  était  du  ressort  de  la  Cour  d'assises  on  si  la  juridiction  cor- 
"  T^ctionnelle  n'avait  pas  déjà  été  saisie..,  » 

'•L'exception  du  délai  pour  faire  inventaire  et  délibérer  pourra-t-elle  être 
^ulevée  par  les  héritiers  ?  Je  l'admettrai  comme  une  conséquence  même  de 
la  nature  de  l'action  (C.  pr.  civ.,  art.  174). 


I 


424      PROCEDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIYILB. 

suivantes  :  celle  où  le  ministère  public  n*a  pas  encore  in- 
tenté l'action  publique;  celle  où  il  Ta  déjà  intentée.  Dans  le 
premier  cas,  la  victime  du  délit,  qui  prend  l'initiative,  doit 
procéder  par  voie  d'action^  dans  le  second,  par  voie  d inter- 
vention seulement,  puisque  le  ministère  public  a  engagé 
rinstance. 

l.  La  partie  lésée,  lorsque  le  procès  pénal  n'est  pas  encore 
engagé,   ne    peut   porter  son    action  devant  la  juridiction 
répressive,  que  si  elle  met  en  mouvement  le  procès  pénal,  de 
manière  à  ce  que  cette  juridiction  soit  saisie  «  en  même  temps)) 
des  deux  actions,  publique  et  civile.  En  donnant  à  la  partie 
lésée  le  droit  de  saisir,  par  voie  daction,  les  tribunaux  de 
répression,  la  loi  lui  a  donné  par  cela  même  le  droit  de  mettre 
en  mouvement  le  procès  pénal  et  de  vaincre  l'inertie  ou  la 
mauvaise  volonté  du  ministère    public.  Dans  l'opinion  que 
nous  avons  exposée,  ce  droit  daction  appartient  à  la  partie 
lésée,  tout  à  la  fois,  devant  \ejuge  dinstruction,  pour  mettre 
en  mouvement  l'information,  et  devant  le  tribunal  correc- 
tionnel ou  le  tribunal  de  police,  pour  faire  juger  la  demand^^ 

a)  Nous  avons  déjà  dit  quels  sont  les  effets  de  la  plainte 
lorsqu'elle  est  accompagnée  d'une  constitution  de  partie  civile 
Dans  notre  opinion,  le  ministère  public  reste  libre  de  ses  réqui 
sitions,  et  le  fait  que  la  victime  de  Tinfraction  s'est  constitué 
partie  civile  et  a  offert  de  consigner  somme  suffisante  pou 
couvrir  les  frais,  n'oblige  pas  le  ministère  public  à  requéri 
qu'il  soit  informé  si  le  fait  dénoncé  ne  lui  paraît  pas  prévi 
par  la  loi  pénale,  ou  si  l'insuffisance  des  charges  lui  est  déj* 
démontrée.  Mais,  en  pareil  cas,  la  plainte  saisit  par  elle-mém  ^ 
le  juge  d'instruction  qui  est  tenu  de  statuer,  et  qui  peut': 
donner  suite,  quelles  que  soient  les  réquisitions  du  procureu  i 
de  la  République'^ 

'*  Voy.  n®  152.  La  chambre  d'accusation  de  la  Cour  d'appel  de  Lyon,  con 
trairement  à  Tarlicle  63  et  à  ropinion  qui  prévaut  en  doctrine  et -en  juris 
prudence,  a  décidé,  dans  un  arrêt  du  25  oct.  1905  (Gaz,  des  Trib.,  n®  du  2r 
déc.  1905)  que  le  juge  d  instruction  n'a  pas  le  droit  d'ouvrir  une  informa 
tion  sur  une  plainte  déposée  avec  constitution  de  partie  civile,  lorsque  k 
ministère  public  a  déclaré  ne  pas  vouloir  poursuivre  le  crime  dénoncé.  Dans 


[ 


DE  L^ACTION   CIVILE   DEVANT  LA   JURIDICTION   REPRESSIVE.      425 

i)Siledommage,doQtellesepIaint,asâcausedaDsun6f^/27ou 
une  contravention,  la  partie  lésée  a  le  droit  de  citer  directement 
le  préveûu  devant  le  tribunal  correctionoel  ou  de  police,  qui 
se  trouve  ainsi  compétent,  bien  que  saisi  à  la  requête  d'un  par- 
ticulier, pour  juger,  en  même  temps,  le  procès  pénal  et  le 
procès  civil  (G.  instr.  cr.,  art.  145  et  182).  Le  droit  de  citation 
directe^  c'est-à-dire  le  droit  de  procéder  par  voie  d'action, 
n'appartient,  devant  la  cour  d'assises,  ni  au  ministère  public 
oiala partie  civile*'.  C'est  la  chambre  des  mises  en  accusation 


l'espèce,  un  sieur  R...  avait  déposé  une  plainte  devant  le  juge  d'instruction 
de  Villefrancbe-sur-Saône  contre  X..,  qui  avait  usurpé  son  nom  pour  se  faire 
déli?rer  par  la  Régie  des  acquits  fictifs.  Le  juge  d'instruction  rendit  une 
ordonnance  ainsi  conçue  :  «  Déclarons  ne  pouvoir  informer,  faute  de  réqui- 
sitoire, la  plainte  déposée  entre  nos  mains  par  le  sieur  R...,  avec  constitu- 
tion de  partie  civile  contre  X...  pour  faux  et  usage  de  faux  n'étant  pas  suffi- 
sante pour  mettre  en  mouvement  l'action  publique  ».  Le  sieur  R...  fit 
opposition  et  la  Cour  rendit,  sur  cette  opposition,  un  arrêt  ainsi  conçu  : 
«Attendu  qu'aux  termes  de  l'article  <•'  du  Code  d'instruction  criminelle, 
l'action  publique  n'appartient  qu'aux  fonctionnaires  àqui  laloi  l'aconfiée;  — 
Attendu  que  le  juge  d'instruction,  à  qui  l'action  publique  n'a  pas  été  con- 
fî<^,  n'a  pas  le  droit  d'ouvrir  une  information  lorsque  le  ministère  public  a 
déclaré  ne  pas  vouloir  poursuivre  le  crime  dénoncé;  —  que  décider  le  con- 
traire serait  certainement  porter  atteinte  à  l'indépendance  du  ministère 
public,  proclamée  par  ledit  article  !•'  du  Code  d'instruction  criminelle; 
—  Attendu  que  si,  k  la  vérité,  aux  termes  de  l'article  3  du  même  Code, 
l'&ction  civile  peut  être  poursuivie  en  même  temps  et  devant  les  mêmes 
juges  que  l'action  publique,  c'est  quand  le  juge  de  l'action  publique  a  été 
saisi  par  le  fonctionnaire  compétent;  qu'il  n'y  a  exception  à  cette  règle 
^ue  dans  les  cas  prévus  formellement  par  le  Code  et  relatés  dans  les 
articles  182  et  135  du  Code  d'instruction  criminelle,  cas  dans  lesquels 
^e  se  trouve  pas  la  requête  R....;  —  Attendu,  au  surplus,  que  l'intérêt 
de  ce  dernier  n'aura  pas  à  souffrir  du  refus  du  ministère  public  de  pour- 
suivre, puisque  ce  refus  ne  met  pas  obstacle  à  Texercicc  de  l'action 
civile,  qui  peut  toujours  être  portée  devant  les  tribunaux  compétents  ;  —  Par 
C6S  motifs,  rejette  l'opposition  formée  par  R...  à  l'ordonnance  rendue  le 
^  août  4005,  par  le  juge  d'instruction  près  le  tribunal  civil  de  Villefranche, 
sur  la  plainte  dudit  R..  .  ».  Dans  l'espèce,  le  juge  d'instruction  avait,  au 
Dioins,  rendu  une  ordonnance  d'abstention,  ce  qui  avait  permis  à  la  partie 
Civile  de  faire  opposition.  La  Cour  avait  donc  été  régulièrement  saisie. 

"  La  loi  du  46  mars  1893  a  déféré,  aux  tribunaux  de  police  correction- 
nelle, les  délits  d'offenses  et  d'outrages  envers  les  chefs  d'État  et  agents  di- 


426      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET   CIVILS. 

qui,  seule,  peut  renvoyer,  par  arrêt,  un  accusé  devant  cette 
juridiction. 

En  matière  de  presse,, cependant,  la  loi  du  29  juillet  1881 
ouvre  au  ministère  public  deux  voies  pour  l'exercice  des  pour- 
suites devant  la  cour  d'assises:  la  voie  ordinaire  de  Tinforina- 
tion  préalable  et  celle  de  la  citation  directe  (art.  50  et  51). 
Cette  option,  déjà  consacrée  par  la  législation  antérieure,  a 
été  également  donnée  —  et  sur  ce  point  la  loi  de  4881  a 
innové,  —  à  la  personne  lésée  :  1*"  en  cas  de  diffamation  ou 
(f  injure  aux  fonctionnaires  publics,  dépositaires  ou  agents  de 
Tautorité  autres  que  les  ministres,  aux  ministres  des  cultes 
salariés  par  l'État  et  aux  citoyens  chargés  d'un  service  ou 
d'un  mandat  public  (art.  47,  §§  3  et  6);  2^  en  cas  de  diffama- 
tion  seulement,  aux  jurés  et   aux  témoins  (art.  47,  §§  4 

et  6). 

IL  La  personne  lésée  peut  intervenir  dans  la  poursuite 
commencée  par  le  ministère  public  et  joindre  son  action  civile 
à  Taction  pénale  :  elle  le  peut,  alors  même  qu'elle  n'aurait  pas 
porté  plainte,  car  de  même  qu'un  plaignant  n'est  pas  réputé 
partie  civile,  alors  même  qu'il  a  déposé  une  plainte,  de  même 
une  partie  civile  n'a  pas  besoin  d'avoir  déposé  une  plainte 
préalable  pour  que  son  intervention  soit  recevable". 

La  constitution  de  partie  civile,  expression  juridique  ser- 
vant à  désigner  Tacte  par  lequel  la  victime  intervient  au  pro- 
cès pénal,  peulêtre  faite  en  tout  état  de  cause,  jusqu^à  la  clô- 
ture des  débats  (C.  inslr.  cr. ,  art.  67).  a)  Elle  peut  l'être  d'abord 
devant  \q^  juridictions  dinstruction,  juge  d'instruction,  cham- 
bre des  mises  en  accusation,  premier  président  ou  conseiller 
délégué  (C.  instr.  cr.,  art.  480  et  484),  tant  que  ces  juridic- 
tions n'ont  pas  rendu  une  ordonnance  ou  un  arrêt  de  dessai- 
sissement, b)  Elle  peut  Tètre  devant  les  juridictions  de  juge^ 
ment,  cours  d'assises,  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  ^ 
première  chambre  de  la  cour,  alors  même  que  le  plaignant 
ne  serait  pas  intervenu  dans  Tinstructiori.  Mais  pour  savoir 

plomatiques  étrangers,  précédemment  de  la   compétence  de  la  cour  d'assise^ 
(art.  GO,  nouveau). 
»3  Le  Sellyer,  Actions^  1. 1,  n»  192. 


l'action  civile  devant  la  juridiction  répressive.     427 

[fu'àquel  moment  rinterventioo  est  recevable,  unedistinc- 
1  s'impose  entre  ia  cour  d'assises  et  les  autres  juridictions. 
)evant  la  cour  d'assises,  les  débats  sont  déclarés  clos,  avant 
ugement,  par  une  ordonnance  du  président  (C.  instr.  cr., 
.  335,  §  3).  Cette  déclaration  marque  la  limite  au  delà  de 
uelle  la  qualité  de  [)artie  civile  ne  peut  être  prise.  Il  serait 
\c  trop  tard,  pour  la  victime,  d'intervenir  après  ce  mo- 
Dt,  le  fît-elle,  même  avant  la  déclaration  du  jury'*.  Tant 
3  les  débats  sont  ouverts,  en  eiîet,  la  discussion  des  préten- 
Qs  respectives  des  parties  est  possible  et  recevable;  mais 
es  qu'ils  sont  terminés,  il  serait  trop  tard  pour  introduire, 
is  le  procès,  un  élément  nouveau  de  discussion.  Toutefois^ 
clôture  des  débats  peut  être  rapportée,  soit  par  une  simple 
lonnance  du  président,  lorsqu'il  ne  s'élève  à  ce  sujet aucan 
}at  contentieux,  soit  par  arrêt  de  la  cour  dans  le  cas  con- 
ire.  La  partie  lésée  retrouve  alors  son  droit  général  de  se 
istituer  partie  civile  au  procès.  Mais  on  ne  saurait,  si  elle  est 
tce,  jusqu'à  la  clôture,  étrangère  aux  débats,  en  s'abstenant 
se  constituer,  lui  reconnaître  la  faculté  de  demander  la 
uverture  des  débats  seulement  pour  le  faire. 
)evant  les  tribunaux  de  police  simple  ou  correctionnelle, 
débats  ne  sont  clos  que  par  le  jugement  qui  admet  Tin- 
ipétcnce    ou    qui  statue    sur  le  fond^\   Les   conclusions 

Des  arrêts  décident  que  l'intervention  d'une  partie  civile  ne  serait  plus 
vable  après  la  déclaration  du  jury.  Voy.  Cass.,  4  août  i881  (S.  83.  1. 
.  Mais  cette  intervention  est-elle  recevable  jusque-là?  Oui,  tant  que  les 
ts  sont  ouverts.  Non,  après  leur  clôture.  Kt  l'article  335  du  Code 
>truction  criminelle  qui  indi<]ue  l'ordre  dans  lequel  les  parties  sont 
ndues  et  qui  s'en  réfère  au  droit  commun  pour  les  intérêts  civils  (Cass., 
anv.  189t,  D.  08.  1.  286)  déclare  que  cVst après  avoir  donné  la  parole  à 
îs  les  parties  et,  notamment,  à  la  partie  civile,  qu'aura  lieu  la  clôture  des 
Is.  Mais  la  partie  civile,  régulièrement  constituée  avant  la  clôture  des 
ts,  peut  ne  présenter  qu'ultérieurement,  et  môme  après  la  déclaration  du 

ses  conclusions  en  domma^es-int<irôts,  c'est-à-dire  ses  conclusions  rela- 
fil.'i  fixation  de  ses  dommaf^es-inlérôts.  V.  Cass.,  27  nov.  1857  (S.  58. 
58);  11  avr.  im\  (li.  cr.,  n»  70).  Comp.  note  sous  Cass.,  9  août  1900 
1901,1.59). 

Voy.    sur   le  principe   :   flass.    crim.,    iO    nov.   1905    (D.    1905.    1. 

:  «  Attendu  que,  dans  la  procédure  suivie  devant  les  tribunaux  cor- 


428      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILB. 

dans  lesquelles  la  yiclime  du  délit  ou  de  la  contraventioQ 
se  constitue  partie  civile  sont  donc  recevables  jusque-là,  et 
le  tribunal  ne  pourrait  refuser  de  les  admettre  sous  prétexte 
que  l'affaire  ayant  été  plaidée,  n'a  été  renvoyée  à  une  au- 
dience ultérieure  que  pour  être  jugée  ".  Toutefois,  la  consti- 
tution doit  avoir  lieu  devant  la  juridiction  du  premier  degré, 
car  la  partie  civile  qui  interviendrait  seulement  en  appel,  pri- 
verait le  prévenu,  si  son  intervention  était  recevable,  d'une 
garantie  judiciaire,  le  bénéfice  des  deux  degrés  de  juridiction. 
La  disposition  de  l'article  67  du  Gode  d'instruction  criminelle, 
qui  permet  au  plaignant  de  se  porter  partie  civile  jusqu'à  la 
clôture  des  débats,  doit  donc  s'entendre,  dans  les  causes  su- 
jettes à  appel,  des  débats  devant  le  juge  du  premier  degré '\ 
La  constitution  de  partie  civile  n*est  subordonnée,  ni  en  la 
forme  ni  au  fond,  à  la  présence  du  prévenu  ou  de  l'accusé; 
elle  peut  donc  être  faite,  par  voie  de  simples  conclusions,  en 
cas  de  défaut  comme  en  cas  de  contumace.  Les  intérêts  du  pré- 
venu ou  de  l'accusé  sont,  du  reste,  sauvegardés  par  le  carac- 
tère de  la  décision  :  s'il  s'agit  d'un  jugement  par  défaut, 
accueillant  les  prétentions  de  la  partie  civile,  l'dopposition  per- 
mettra de  le  faire  tomber;  s'il  s'agit  d'un  arrêt  par  contumace, 
le  condamné  pourra  toujours,  en  se  représentant  dans  les 
délais  de  la  prescription,  empêcher  qu'il  produise  effet**. 

rectionnels,  la  loi  n'a  pas  édicté  de  disposition  spéciale  sur  la  clôture  des 
débats  ;  que  le  dernier  état  du  débat  n'est  irrévocablement  fixé  que  par 
le  prononcé  du  jugement  ou  de  l'arrêt  et  que,  jusque-là,  le  prévenu,  dans 
l'intérêt  de  sa  défense,  de  même  que  le  ministère  public  au  nom  de  l'action 
publique  doivent  être  admis  à  conclure  et  à  produire  tous  documents  qu'ils 
jugent  utiles  à  la  manifestation  de  la  vérité...  »  Comp.  Cass.,  28  mai  1870 
(D.  70.  I.  373).  Il  en  est  de  même  pour  la  procédure  devant  les  tribunaux  de 
police  :Cass.,19avr.<894(S.  94.  1.301);9juin  1898  (Panrf./'ram;.,  99.  i.  424). 

»«  Jurisprudenceconstanle.  V.  Cass.,  17  janv.  1868  (D.  68.  \.  39)  ;  28  mai 
1870  (D.  70.  1.  373);  Alger,  18  févr.  1902  (Le  Droit,  12  et  13  mai  1902). 
Conf.  Cass.,  19  août  1900  (S.  1901.  1.  59)  et  les  notes  1  à  5;  i2  févr.  1904 
[Pand,,  1904.  1.  451). 

3'  Sic,  Rouen,  10  nov.  1845  (D.  45.  4.  12)  ;  Orléans,  5  juill.  1870  (D.  70. 
2.  i73);  Paris,  5  août  1893  (D.  93.  1.  516);  Alger,  16  nov.  1895  (D.  96.  2. 
95);  Cass.,  15  nov.  1883  (B.  cr.,n<»  339). 

3»  Sic,  Cass.,  3  août  1888  (D.  89.  2.  87)  et  la  note. 


DE  l'action   civile   DEVANT   LA   JURIDICTION   REPRESSIVE.        429 

Mais,  en  cas  de  condamnation  par  défaut,  si  le  prévenu 
forme  opposition  et  qull  se  désiste  ou  ne  se  présente  pas,  le 
tribunal  de  répression  est  dessaisi  vis-à-vis  de  la  partie  civile 
cfui  se  serait  constituée  seulement  sur  opposition  ". 

ni.  La  partie  lésée,  qui  a  déposé  une  plainte  contenant 
oonstitution  de  partie  civile  devant  le  juge  d^instruction,  ne 
peut,  au  cours  de  Tin  formation  ouverte  à  sa  requête,  agir,  par 
^oie  de  citation  directe,  devant  le  tribunal  correctionnel,  et, 
réciproquement,  après  avoir  saisi  le  tribunal  correctionnel, 
elle  ne  peut  porter  plainte  devant  le  juge  d'instruction  et  lui 
demander  d'ouvrir  une  information^^.  A  ce  point  de  vue,  la 
situation  de  la  victime  du  délit  est  la  même  que  celle  du 
ministère  public**.  C'est  que,  d'une  part,  il  est  contradictoire 
de  demander,  en  même  temps,  à  ce  que  l'affaire  soit  instruite 
et  à  ce  qu'elle  soit  jugée:  et  que,  d'autre  part,  un  même  pro- 
cès ne  doit  pas  être  portée  devant  deux  juridictions  à  la 
fois*'.  Mais  la  partie  plaignante  a  la  faculté  de  se  désister,  ce 
C{ue  le  ministère  public  ne  peut  faire. 

195.  Lorsque  la  partie  civile  procède  par  voie  d^actioriy  c'est 
en  adressant  une  citation  au  prévenu  qu'elle  commence 
Tinstance,  s'il  s'agit  de  la  porter  devant  les  juridictions  de 
jugement,  et  c'est  en  déposant  une  plainte^  contenant  consti- 

5»  Sic,  Lyon,  47  mars  «897  |(J.  des  Parquets,  97,  2*  parU,  p.  35).  C  est 
qu'en  effet,  Topposition  étant  considérée  comme  non  avenue  quand  le  pré- 
venu s'en  est  désisté,  le  jugement  par  défaut  devient  définitif.  Il  est  donc 
Irop  tard  pour  se  constituer,  la  qualité  de  partie  civile  ne  pouvant  être  prise 
après  la  clôture  des  débats. 

*o  Voy.  Paris,  29  nov.  1850  (D.  51.  2. 15). 

♦*  Il  a  été  jugé,  en  effet,  que,  lorsque  le  procureur  de  la  République  a  opté 
pour  la  voie  de  l'instruction  préparatoire,  il  n'a  plus  le  droit  de  traduire 
Tinculpé  directement  devant  le  tribunal  correctionnel  :  le  juge  d'instruction 
ne  peut,  en  effet,  être  dessaisi  que  par  un  acte  qui  épuise  sa  juridiction. 
Sic,  Nancy,  4  déc.  1847  (D.  48.  2.  199);  Cass.,  5  janv.  1878  (B.  cr.,  n'»  7). 
Conf.  Faustin  Hélie,  op,  cit,^  t.  6,  n*  2816. 

**  L'exception,  résultant  de  cfette  espèce  de  litispendance,  est  d'ordre  public, 
comme  toutes  les  exceptions  qui  tiennent  à  Tordre  des  juridictions  pénales. 
C'est  une  différence  avec  les  règles  de  la  litispendance  en  matière  civile. 
Voy.  Garsonnet,  Traité  thcor.  et  prat,  de  proc,  (2*  éd.),  t.  2,  n*  735,  p.  545. 


430       PROCÉDURE    PÉNALB.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE   ET  CIVILB 

iutioa  de  partie  civile,  s'il  s'agit  de  faire  ouvrir  une  informa 
tîon.  Dans  le  cas  où  elle  agit  par  voie  d'intervention,  elle  s 
constitue,  en  prenant  des  conclusions  en  dommages-intérêt 
(C.  instr.  cr.,  art.  66),  ou  en  demandant  acte  de  son  intervea 
tîon,  sauf  le  droit,  pour  elle,  de  fixer  ultérieurement,  dan 
ce  cas,  le  chiffre  des  dommages-intérêts  qu'elle  prétend  récla 
mer**.  En  un  mot,  la  constitution  de  partie  civile  est  um 
déclaration  de  volonté  en  justice.  A  la  condition  qu'elle  soi 
faite  par  une  personne  ayant  qualité,  peu  importe  la  foran 
même  par  laquelle  elle  se  manifeste ^^.  Aucune  disposition  di 
la  loi  n'oblige  même  la  partie  lésée  à  se  présenter  en  per 
sonne  ou  à  recourir  au  ministère  d'un  avoué,  lorsqu'ell» 
entend  se  constituer  partie  civile^^ 

196.  L'effet  immédiat  de  la  constitution  de  partie  civile  es 
de  donner,  à  Tinculpé,  la  victime  de  l'infraction  comme  advei 
saire  dans  le  procès  pénal.  D'où  quatre  conséquences  cor 
relatives,  qui  permettent  de  préciser  la  situation  de  celi 
qui  a  porté  l'action  civile  devant  les  juridictions  répres 
sives. 

I.  Désormais,  les  actes  importants  de  la  procédure,  tels  qu 
demande  de  mise  en  liberté  provisoire  (C.  instr.  cr.,  art.  118 
opposition  à  un  jugementde  défaut  (C.  instr.  cr.,  art.  187),  etc. 
devront  être  signifiés  à  la  partie  civile.  Aussi,  Tarticle  68  li 
impose  l'obligation,  si  elle  ne  demeure  pas  dans  l'arrondis 
sèment  où  se  fait  Tinstruction,  «  d'y  élire  domicile  par  act 
passé  au  greffe  du  tribunal  ».  L'absence  d'élection  de  domi 

♦'  Voy.  la  note  34  sur  le  droit  do  la  partie  civile,  rc^f^ulièrement  constilu»' 
avant  la  clôture  des  débats  en  cour  d'assises,  de  présenter  ullérieuremen 
même  après  la  déclaration  du  jury,  ses  conclusions  en  dommages-intt^rèts. 

^  Comp.  Douai.  16  avr.  1874  (S.  76.  2.  83). 

*•  Ainsi  l'instance  est  régulièrement  engagée,  soit  lorsque  la  persnnii 
(dans  l'espèce,  un  avocat)  qui  s'est  présentée  comme  mandataire  de  la  pai 
tie  civile  a  justifié  de  ses  pouvoirs,  soit  lorsque  la  fmrtie  adverse  a  accept 
le  débat  sans  élever  jde  contestation  sur  l'existence  du  mandai  |:  Cass 
48  avril  1901  (S.  1903.  1.55);  2  sept.  89  (S  1890.  1.  541)  et  la  note  et  k 
renvois;  Cour  d'assises  des  Landes,  7  avr.  1900,  sous  Cass.,  9  août  190 
(S.  4901.  4.  59).  Voy.  Cass.  belge,  28'févr.  1898  (S.  99.  i.  7)  et  la  note. 


DE  l'action   civile   DEVANT   LA  JURIDICTION    RÉPRESSIVB.        431 

cile  ne  frappe  pas  d'irrégularité  ou  de  auUité  la  constitution, 
mais  empêche  la  partie  civile  d'opposer  le  défaut  dé  significa- 
tion contre  les  actes  qui  auraient  dû  lui  être  signifiés  aux  ter- 
mes de  la  loi  (C.  instr.  cr.,  art.  68)**. 

II.  La  victime  de  Tinfraction,  devenant,  par  sa  constitu- 
tion, partie  civile  au  procès,  peut  former  un  recours  contre  le 
jugement,  Tordonnance  ou  Tarrétde  la  juridiction  de  répres- 
sion qui  lui  fait  grief.  La  partie  civile  a,  en  général,  et  suivant 
les  cas,  trois  voies  de  recours  :  l'opposition,  Fappel  et  le  pour- 
voi en  cassation*-.  Les  autres  voies  de  recours  extraordinaires, 
la  tierce  opposition  et  la  requête  civile,  lui  sont  fermées,  par 
ce  motif  qu'une  fois  le  jugement  rendu,  la  partie  civile  perd 
le  droit  de  s*adresser  aux  tribunaux  répressifs,  même  par  une 
voie  détournée,  et  doit  porter  son  action,  par  voie  principale, 
devant  les  tribunaux  civils  (C.  instr.  cr.,  art.  3). 

La  victime  du  délit,  qui  n'a  pas  pris  part  à  l'instance,  est 
sans  droit  pour  se  pourvoir  contre  la  décision  intervenue.  11 
iui  manque^  en  effet,  la  première  des  qualités  essentielles  pour 
attaquer  la  décision,  celle  de  partie  au  procès. 

m.  Le  témoignage  de  la  partie  civile  cesse  d'être  recevablc 
dès  que  cette  partie  s'est  constituée  et  par  cela  seul  qu'elle 
s'est  constituée.  Le  brocard  :  nullus  idoneus  tesfis  in  re  sua 
^Melligitury  est  l'expression  d'un  principe  de  bon  sens  que  la 
^oi  n'a  même  pas  besoin  de  formuler**.  Mais  il  faut  bien  se 
garder  de  Texagérer.  En  effet  deux  conceptions  en  limitent  la 
Portée.  D'une  part,  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  partie  civile, 
agissant  exclusivement  dans  un  intérêt  pécuniaire,  n'a  ni  le 
itre  ni  la  qualité  d'accusateur.  D'autre  part,  le  président  de 
^cour  d'assises,  à  raison  du  fonctionnement  de  cette  juridic- 
îoo,  est  investi  d'un  pouvoir  discrétionnaire,  en  vertu  duquel 

**  Voy.  Faustin  Hëlie,  op.  ciU,  t.  4,  n®  1734;  Mançin,  Instruction  écrite^ 
'    1,B«62. 

*^  Nous  verrons  que  la  partie  lésée  ne  peut  pas,  à  défaut  de  pourvoi  du 
'iinislère  public,  se  pourvoir  contre  un  arrêt  de  non-lieu  de  la  chambre 
t^accusatioQ  :  Cass.,  9  mai  1901  (S.  1904.  i.  207). 

*•  La- jurisprudence  est  constante  sur  ce  point.  Voy.  Cass.,  13  juill.  1861 
S.  62.  1.  445);  13  avr.  1888  (S.  90.  1.  285). 


432      PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DES    ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

il  peut  prendre  sur  lui  tout  ce  qu^il  croira  utile  pour  découvrir 
la  vérilé  et  uoiammeot  eotendre  toutes  personnes  (C.  instr 
cr.,  art.  268  et  269).  D'où  il  suit  :  1"  que  la  partie  civile  peul 
être  entendue  comme  témoin,  et  sous  la  foi  du  serment,  devan 
le  tribunal  correctionnel  comme  devant  la  cour  d  assises,  si 
n'y  a  pas  opposition  de  la  part  du  prévenu  ou  du  ministèn 
public^';  2"*  que,  devant  les  cours  d'assises,  mais  non  devao 
les  tribunaux  correctionnels  ou  de  police,  la  partie  civile  peu 
être  entendue  en  vertu  des  pouvoirs  discrétionnaires  du  pré 
sident,  à  titre  de  renseignement,  sans  que  le  ministère  publii 
ou  Taccusé  aient,  à  cet  égard,  un  droit  d'opposition  ou  de  cri 
tique". 

Il  semble  résulter,  comme  coutre-partie  de  cette  proposition 
que  la  victime  du  délit,  en  déposant  à  titre  de  témoin  et  sou: 
la  foi  du  serment,  devient  irrecevable  à  se  constituer  ensuite 
partie  au  procès  si  cette  exception  est  soulevée  par  le  prévenu 
Que  la  victime  choisisse  entre  la  qualité  de  témoin  et  o^Iit 
de  partie  :  mais  les  deux  qualités  sont  incompatibles.  La  juris 
prudence  n'a  pas  accepté  cette  manière  de  voir  :  d'une  part 
la  déposition  du  plaignant  qui  ne  s'est  pas  encore  constitue 
partie  civile,  faite  avec  prestation  de  serment,  ne  l'empêcht 
pas  de  se  porter  ultérieurement  partie  civile;  d'autre  part 
cette  déposition  ne  doit  pas  être  rejetée  et  resté  acquise  au^ 
débats,  lors  même  que  le  plaignant  se  porte  partie  civil 
après  avoir  témoigné  sous  la  foi  du  serment.  Ces  proposition 

*•  Il  y  a  un  argument  d'analogie  qui  a  permis  à  la  jurisprudence  d*appuy< 
cette  solution  sur  un  texte,  l'article  322  du  Code  d'instruction  criminen 
aux  termes  duquel  «  les  dénonciateurs,  autres  que  ceux  récompense's  péc 
niairement  par  la  loi,  peuvent  être  entendus  en  témoignage  ».  En  assimila 
la  partie  civile  à  un  dénonciateur,  récompensé  pécuniairement,  il  faut  app 
quer  à  la  partie  civile  les  règles  adoptées  pour  le  dénonciateur  dont  la  dép 
sition  peut  être  simplement  écartée  sur  la  demande  des  autres  partie 
Gomp.  Bonnier,  Traité  théor.  et  prat.  des  preuves  y  Ij*  éd.,  n**  336. 

*"  D'une  part,  le  président  du  tribunal  correctionnel  ou  de  police  n'a  p 
de  pouvoir  discrétionnaire.  Mais,  d  autre  part,  en  cour  d'assises,  l'auditi» 
de  la  partie  civile,  en  vertu  des  pouvoirs  discrétionnaires,  mais  après  presl 
tionde  serment,  n'est  pas  une  cause  de  nullité,  s'il  n'y  a  pas  eu  d'oppositio 
Cass.,  4  févr.  1887  (D.  88.  1.  46);  25  févr.  1893  (D.  94.  1.  142). 


OB  l'action  civile  devant  la  juridiction  rbpressivb.     433 

très  coateslables  ne  sont  plus  cepeadant  discutées  dans  la  ju- 
risprudence pratique'*. 

IV.  L'intervention  de  la  partie  .lésée  engage  sa  responsabi- 
lité civile  et  pénale,  et  peut  l'exposer  à  une  condamnation  à 
des  dommages-intérêts  envers  le  prévenu,  l'accusé  ou  les  per- 
sonnes civilement  responsables,  aux  frais  du  procès,  et  même 
à  lapplication  d'une  peine  pour  dénonciation  jugée  calom- 
nieuse. 

l"" Celui  qui  porte  plainte,  comme  celuiquisc constitue  partie 
civile,  ne  fait  qu'exercer  un  droit,  mais  il  le  fait  à  ses  risques  et 
périls.  Une  plainte  téméraire^  irréfléchie^  calomnieuse^  lors- 
qu'elle cause  un  préjudice,  est  de  nature  à  donner  lieu  à  une 
action  en  dommages-intérêts,  tout  comme  une  citation  directe  et 
une  intervention  de  partie  civiIe*^  La  différence  entre  les  deux 
situations^  c'est  que  le  plaignant  doit  être  actionné  devant  les 
tribunaux  civils,  tandis  que  la  partie  lésée  qui  succombe  peut 
être  condamnée  par  les  tribunaux  de  répression,  devant  les- 
quels elle  a  porté  son  action.  La  compétence  de  ces  juridic- 
tions est  motivée  par  la  qualité  de  partie  au  procès  prise  par 
la  prétendue  victime  de  Tinfraction  (C.  instr.  cr.,  art.  136, 
159, 191,  359).  Nous  aurons  à  nous  demander  si  le  droit  du 
prévenu,  de  l'accusé  ou  des  personnes  civilement  responsa- 
bles de  conclure  à  des  dommages-intérêts  devant  le  tribu- 
nal même  qui  les  a  renvoyés  d'instance,  rend  irrecevable,  quand 
il  n'est  pas  exercé,  l'action  séparée  qu^introduiraient  plus  tard 
ces  mêmes  personnes  devant  les  tribunaux  civils.  Nous  ver- 
rons qu'en  principe,  tout  au  moins,  la  compétence  du  tribunal 
de  répression  n'est  pas  exclusive  de  celle  du  tribunal  civil  et 
que  Faction  en  réparation  du  préjudici3  causé  par  une  pour- 
suite téméraire  peut  être  valablement  portée  plus  tard  devant 
la  juridiction  ordinaire.  L'article  338  du  Code  d'instruction 
criminelle,  en  vue  de  sauvegarder  le  droit  de  l'accusé  de  mettre 
60  jeu  la  responsabilité  ultérieure  du  plaignant,  impose  au  pro- 

**  Cette  jurisprudôiice  est  très  ancienne.  \^oy.  Rcpert,  génér.  alphab.  du 
droit  français,  v®  Action  civile,  n°*  253  et  suivants. 

'^  C'est  le  droit  commun  dont  l'article  1382  du  Code  civil  contient  la  formule . 
Voy.  pour  l'abus  de  citation  directe  :  Gass.,  23  mars  ^898  (S.  99.  1.  296). 

G.  P.  P.  —  I.  28 


43 i     mb.océi>t:bb  vtsxhz.  —  des  actions  publique  et  ovile. 

itut^Hv  îf^ù^rail  rohli^rsilîon  de  faire  conoaîlre,  à  raccusé 
«c/|ijillé  \*^T  la  cour  d'a^sis<f&.  Fauteur  de  la  deQoncialioo  qui 
«  motivé  le^  pourçuiles  eiercées.  Mais,  bien  entendu,  en  cas 
de  conUitution  de  partie  civile,  le  dénonciateur  se  réTèleliii- 
mèiue  i^r  ^u  attitude  et  se5  actes  publics  ^^ 

2*  Dan%  quels  cas  la  partie  civile  devra-t-elle  être  condamoée 
aux  fraii  de  l'instance?  Nous  aurons |à  combiner,  pour  résou- 
dre cette  difficile  question,  les  articles  137  et  15$  du  décret 
du  18  juin  1811  arec  l'article  368  du  Code  d'instruction  cri- 
minelle. 

3''  I/article  373  du  Code  pénal  punit  la  dénonciation  calom- 
nieuse; mais  l'expression  «  dénonciation  »  n'est  pas  prise  dans 
son  sens  technique,  et  comprend  la  dénonciation  proprement 
dite,  qui  est  l'œuvre  d'un  tiers  désintéressé,  et  \d  plainte,  qui 
est  Tœuvre  d'une  personne  avant  soufTert  du  délit.  Lsl  citation 
directe  produit,  à  ce  point  de  vue,  le  même  effet.  Mais  il  n'en 
est  pas  de  même  de  Vinlerventioa  qui  n'a  pas  été  précédée 
d'une  plainte.  Un  des  caractères  essentiels  de  la  dénonciation 
calomnieuse,  c'est  la  spontanéité,  et  ce  caractère  manque  cer- 
tainement quand  la  prétendue  victime  qui  n'a  pas  porté 
plainte  ne  fait  que  joindre  son  action  à  la  poursuite  intentée 
d'office  par  le  ministère  public*^ 

197.  La  constitution  de  partie  civile  est  un  acte  grave  qui 
expose  son  auteur  à  une  lourde  responsabilité.  La  loi  a  donc 
permis  au  plaignant  de  s'y  soustraire,  après  réflexion,  au 
moyen  d'un  désistement.  De  même,  en  effet,  que  la  partie 
civile  a  la  faculté  de  renoncer  à  l'action  civile  avant  de  l'avoir 
intentée,  de  môme  elle  à  la  faculté  de  se  désister  de  la  pour- 
suite après  l'avoir  soumise  à  la  juridiction  répressive.  Toute- 
fois, pour  éviter  qu'on  ne  fût  tenté  de  former  une  constitu- 
tion irréfléchie  dans  la  certitude  de  pouvoir  s'y  soustraire,  la 

"  Sur  un  cas  (r.ipjjlication  ou,  du  moins,  de  demande  d'application  de  cette 
disposition  :  Cour  d'assises  de  Seine-et-Oise,  21  nov.  1905  (Voy.  les  obser- 
vations du  rédacteur  de  la  Chron.  jud.  de  la  Revtie  pénitent.,  1905,  p.  609 
à  611). 

'*  Sur  tous  008  points,  V.  mon  Traité  théor.  et  prat,  (2«  éd.),  n"  34  à  51. 


DE   L* ACTION   CIVILB   DEVANT  LA  JURIDICTION   REPRESSIVE.       433 

loi  a  soumis  la  régularité  du  désistement  à  certaines  condi- 
tions restrictives  (C.  instr.  cr.,  art.  67). 

La  personne  qui  s'est  constituée  partie  civile  doit  se  désis- 
ter :  {**  avant  lejuge7nent^-,  c'est-à-dire,  en  police  correction- 
nelle et  en  police  simple,  avant  le  jugement  sur  le  fond;  en 
cour  d*assiscs,  avant  le  verdict";  2*  et  elle  ne  peut  le  faire 
que  dans  les  vingt-quatre  heures  de  sa  déclaration  de  se  porter 
partie  civile,  délai  calculé,  comme  tous  les  délais  établis  par 
heures,  de  momento  ad  7nomentîim^\  Bien  entendu,  pourcela, 
il  faut  que  la  constitution  porte  mention  de  Theure  à  laquelle 
elle  est  faite  ou  qu'on  puisse  authentiquement  en  déterminer 
rheure.  A  défaut  de  cette  précision,  que  la  loi  n'impose  pas 
pour  la  validité  de  l'acte,  la  partie  civile  a  le  jour  tout  entier 
qui  suit  la  date  de  la  déclaration,  pour  se  désister". 

Aucune  forme  spéciale  n'est  imposée  par  la  loi,  à  la  partie 
lésée,  soit  pour  se  constituer,  soit  pour  se  désister.  Une  mani- 
festation expresse  d'intention,  voilà  tout  ce  qui  est  exigé  ". 
Si  donc  Tacte  de  constitution  de  partie  civile  est  encore  entre 

''^  En  aucun  cas,  le  désistement  donné  après  le  jugement  ne  peut  être 
valable,  quoiqu'il  ait  été  donné  dans  les  vingt-quatre  heures  de  la  constitu- 
tion, et  cela  alors  môme  que  le  jugement  serait  susceptible  d*appel.  Comp. 
Le  Sellyer,  Actions  pubL  et  priv.,  t.  1,  n®  308. 

^*''  Le  verdict,  en  eiïet,  c'est  le  jugement  même,  s'il  y  a  déclaration  de  non- 
culpabilité,  la  partie  la  plus  importante  du  jugement,  s*il  y  a  déclaration  de 
culpabilité.  Il  est  vrai  que  le  verdict  ne  tranche  pas  la  question  de  domma- 
ges-intérêts, question  réservée  à  la  cour  qui  doit  rendre  arrêt  sur  ce  point. 
D'où  certains  auteurs  (Trébutien,  op.  ci7.,  p.  450  et  457  ;  Sourdat,  op.  cif ., 
t.  1,  n*  327)  ont  conclu  que  la  partie  civile  avait  le  droit  de  se  désister,  en 
cour  d'assises,  après  la  déclaration  du  jury,  et  même  après  Tordonnance 
d'acquittement,  qui  ne  sont  pas  des  jugements  au  sens  strict  du  mot.  Mais 
c'est  attacher  trop  d'importance  à  une  expression  qui  est,  ici,  prise  dans  sa 
signification  générale.  Le  but  de  la  loi,  en  n'autorisant  pas  le  désistement 
après  le  jugement,  a  été  de  ne  pas  permettre  à  la  partie  lésée  de  se  dérober 
après  la  décision  qui  lui  donne  tort.  Comment  l'autoriser,  dès  lors,  à  se  dé- 
sister après  le  verdict  du  jury? 

*'  Voy.  Carnot,  Cod,  instr.  cr.,  art.  66,  n®"  6  et  suiv. 

•*  D'autant  plus,  que  l'article  5  du  titre  III,  de  l'ordonnance  de  1670,  qui 
contenait  la  même  formule,  était  interprété  de  cette  manière.  Voy.  Rous- 
seaud  de  La  Combe,  Matières  crim.,  3*  part.,  chap.  1,  p.  242. 

*»  Cfr.  Cass.,  10  févr.  1887  (D.  87. 1.  542). 


436      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET   CIVILS. 

les  mains  de  Tofficier  de  police  qui  l'a  reçu,  sans  qu^aucuoe 
poursuite  ait  été  commencée,  le  désistement  résulte  d'une 
simple  déclaration,  soit  par  lettre,  soit  par  procès-verbal 
dressé  par  Tofficier  de  police  et  signé  par  la  partie.  Si  la 
poursuite  est  engagée,  le  désistement  doit  être  fait  par  acte 
d'huissier,  signifié  au  prévenu*^  et  au  procureur  de  la  Répu- 
blique :  l'un  et  l'autre,  en  effet,  ont  intérêt  à  le  connaître  ". 
Dans  tous  les  cas,  la  volonté  d'abandonner  l'instance  ne  se 
présumant  pas,  le  fait,  par  la  partie  civile,  de  ne  pas  se  pré- 
senter, à  l'audience,  au  jour  fixé,  ne  saurait  être  ccmsidéré 
comme  équivalent  à  un  désistement  *^.  Le  tribunal  rendra, 
dans  ce  cas,  un  jugement  de  défaut-congé.  Mais  s*il  avait 
procédé  par  un  jugement  de  radiation,  cette  décision  n'em- 
pêcherait pas  la  partie  civile  de  ressaisir  la  juridiction  répres- 
sive. 

198.  Quels  sont  les  effets  du  désistement?  Pour  examiner 
cette  difficile  question,  il  faut  séparer  le  désistement  régulier, 
celui  qui  est  intervenu  dans  les  vingt-quatre  heures,  du 
désistement  irrégulier,  intervenu,  après  ce  délai. 

C'est  là  une  distinction,  à  laquelle  la  loi  parait  s'attacher,  et 
dont  on  ne  semble  pas  tenir  un  compte  suffisant  dans  la  pra- 
tique *'. 

I.  Le  désistement  régulier,  c'est-à-dire  celui  qui  a  eu  lieu 
avant  l'expiration  du  délai  donné  par  la  loi  à  la  réflexion, 
parait  être  un  droit  pour  la  partie  civile,  ce  désistement  n'a 
donc  pas  besoin  d'être  accepté,  il  s'impose  •*.  Par  ce  carac- 

60  Au  prévenu  seulement,  si  Tinstance  n*est  pas  encore  liée  lors  du  dé- 
sistement. 

«*  Voy.  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  t.  4,  n°  1741;  Le  Sellyer,  Exercice  et 
extinction  des  actions,  t.  1,  n*  300.  Comp.  Dijon,  IS  janv.  1873  (D.  74.  2. 
92). 

62  Cass.,  6  juin.  1878  (S.  78.  1.  486);  12  mai  1893  (B.  cr.,  n«  124). 

•'  Ordinairement,  en  pratique,  lorsqu'un  tribunal  correctionnel  est  saisi 
par  voie  de  citation  directe  de  la  partie  lésée,  le  désistement  amène  une 
radiation  de  Taffaire,  après  un  donné  acte. 

<^*  Sic,  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  t.  4,  n«  1744.  Voy.  notamment  Cass., 
17  nov.  1905  (Lapierre  c.  Destruels)  :  «  Attendu  qu'en  matière  crimiaelie, 


DE  l'action   civile  DEVANT   LA    JURIDICTION   RÉPRESSIVE.        437 

tère,  cet  acte  diffère,  soit  du  désistement  ouvert  devaat  les 
juridictions  civiles  (C.  proc.  civ.,  art.  402  et  403),  soit  du 
désistement  irrégulier,  c'est-à-dire  fait  en  dehors  du  délai 
légal,  devant  les  juridictions  répressives  ". 

Oq  dit  que  le  désistement  régulier  anéantit  la  constitution 
de  partie  civile  et  efface,  par  suite,  les  effets  que  cet  acte 
avait  produits.  Mais  ceci  n'est  vrai  que  sous  certaines  réser- 
ves. Il  faut  examiner  les  conséquences  du  désistement,  quant 
aux  frais,  quant  à  la  responsabilité  civile  ou  pénale,  quant 
aux  actions  civile  et  publique. 

a)  Les  effets  du  désistement  régulier,  quant  aux  frais,  sont 
réglés  par  l'article  66,  aux  termes  duquel,  les  plaignants,  dans 
le  cas  de  désistement,  «  ne  sont  pas  tenus  des  frais  depuig 
qu'il  aura  été  signifié  ».  Ils  restent  donc  tenus  des  frais  anté- 
rieurs. J'en  conclus  :  1^  que  tout  désistement  doit,  pour  sa 
régularité,  être  accompagné  de  l'offre  de  payer  les  frais  déjà 
avancés,  et  pourrait  être  refusé,  s'il  ne  contenait  pas  cette 
offre;  2''  que,  dans  tous  les  cas,  les  frais  même  du  désiste- 
ment sont  à  la  charge  de  la  partie  qui  se  désiste,  y  compris 
le  coût  du  jugement  ou  de  l'arrêt  qui  en  donne  acte  ". 

b)  En  ce  qui  concerne  la  responsabilité  pénale  ou  civile  en- 
courue par  la  partie  lésée,  le  désistement  ne  l'effacerait  que 
s*il  effaçait  la  plainte.  Or,  tel  n'est  pas  le  caractère  du  désis- 
tement qui  ne  porte  que  sur  l'action  en  dommages-intérêts 
ioteotée  par  la  prétendue  victime  au  prévenu  ou  à  l'accusé. 
Aussi  Tarlicle  66  décide-t-il  que  les  plaignants  qui  se  désis- 
tent ne  sont  pas  tenus  des  frais  postérieurs,  «  sans  préjudice 
néanmoins  des  dommages-intérêts  s'il  y  a  lieu  ».  Cette  dispo- 
sition est  une  innovation  du  Gode  d'instruction  criminelle. 

les  articles  65  et  66  du  Code  d'instruction  criminelle,  qui  réglementent  le 
d(fsistement  de  la  partie  civile,  n'exigent  pas,  pour  la  validité  de  ce  désista- 
ssent, qu*il  soit  accepté  par  le  prévenu...  », 

^'  Mais  nous  avons  déjà  dit  (note  63),  que  la  pratique  ne  paraissait  faire 
(l'autre  distinction  entre  le  désistement  régulier  et  le  désistement  irrégu- 
iier,  qu'au  point  de  vue  fiscal  des  frais. 

««  Cass.,  4  févr.  1848  (D.  48.  5.  101).  Comp.  Faustin  Hélie,  op.  ciL,  t.  4, 
no  1743. 


438       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES   ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

Sous  rordonnaoce  de  1670  (art.  S,  lit.  III),  comme  sous  la 
loi  des  16-29  septembre  1791  (art.  5,  lit.  V),  et  sous  le  Codf 
du  3  brumaire  ao  IV  (art.  96),  la  partie  civile  pouvait  se  dé- 
partir, noQ  seulement  de  sa  constitution,  mais  encore  de  sa 
plainte,  ce  qui  effaçait  rétroactivement  cet  acte.  Le  Code  de 
1808  adopte  la  solution  contraire,  plus  logique   et  certaine- 
ment plus   équitable,  car  s'il   est  juste  de  permettre  à  la 
partie  lésée  de  renoncer  à  son  action    en  dommages-iolé- 
rets,  il  ne  le  serait  pas  de  lui  permettre  de  faire  tenir  acti- 
vement pour  non  avenu,  un  acte  qui  a  été  réellement  fail, 
et  qui,  malgré  tout  désistement,  a  pu  produire  des  résultats 
fâcheux  et  dommageables  pour  le  prévenu.  En  conséquence  : 
1*  La  loi  maintient,  au  proGt  de  celui-ci,  le  droit  éventuel 
de  réclamer  des  dommages-intérêts  à  la  partie  civile  qui  s*esi 
désistée;  mais  comme  le  plaignant  n*est  plus  au  procès,  il 
ne  peut  être  condamné  par  la  juridiction  qui  acquitte  ou 
absout  le  prévenu  ou  Taccusé*';  c'est  donc  devant  le  tri- 
bunal civil  que  devra  être  ultérieurement  formulée  la  de- 
mande; 2°  Mais  le  prévenu,  le  désistement  fût-il  régulier, 
c'est-à-dire  fait  dans  les  vingt-quatre  heures,  a  le  droit  de 
s'opposer  à  ce  qu*il  en  soit  donné  acte,  avant  que  le  tribunal 
de  répression,  encore  saisi,  ne  lui  ait  accordé  la  réparation  à 
laquelle  il  a  droit  si  la  plainte  est  téméraire^';  3°  Bien  que  la 
loi  ne  parle  pas  de  la  responsabilité  pénale,  il  est  incontestable 
qu'elle  subsiste,  malgré  le  désistement,  s'il  y  a  eu  plainte  re- 
connue calomnieuse. 

c)  Le  désisteinent  de  la  partie  lésée  a-t-il  quelque  influence 
sur  Vaction  publique?  Pour  résoudre  cette  question,  il  faut 

soigneusement  distinguer  Vaction  et  Vinstance,  1°  Sur  le  droit 
du  ministère  public  de  poursuivre,  malgré  le  désistement,  aucun 

•'  On  ne  peut,  en  effet,  comdamner,  môme  par  détaul,  une  personne  qu' 
n'a  pas  été  mise  en  demeure  de  se  défendre.  L'article  358  du  Code  d'instruc- 
tion criminelle  soulève,  du  reste,  à  ce  point  de  vue,  des  difficultés  particu- 
lières. Nous  les  examinerons  à  propos  des  demandes  formées  contre  les  d^' 
nonciateurs  après  acquittement  en  cour  d'assises. 

"  Voy.  Cass.  crim.,  5  févr.  1891  (JB.  cr,,  n»  27).  Comp.  Trib.  corr.  de 
Versailles,  30  déc.  1890  [Gaz.  des  Trib,,  n°  du  28  janv.  1891). 


DB  l'action   civile   DEVANT   LA   JURIDICTION   RÉPRBSSIVE.        439 

doute  ne  s'élève  :  Tactioa  publique  et  Taction  civile  sont,  en 
effet,  indépendantes  Tune  de  Tautre.  «  La  renonciation  à  Tac- 
tioD  civile,  porte  l'article  4  du  Code  d'instruction  criminelle, 
ne  peut  arrêter  ni  suspendre  l'exercice  de  l'action  publique  », 
d  l'article  2046  du  Code  civil   ajoute  :  «  On  peut  transiger 
sur  l'intérêt  civil  qui  résulte  d'un  délit  :  la  transaction  n'em- 
pêche pas  la  poursuite  du  ministère  public  ».  Il  en  était 
autrement  sous  l'empire  de  l'ordonnance  de  1670  (art.  19, 
tit.  XXV),  d'après  laquelle  le  désistement,  intervenu  sur  un 
délit  privé,  faisait  cesser  la  poursuite  de  la  partie  publique. 
Mais  la  même  règle  ne  devrait-elle  pas  être  admise  à  propos 
des  délits  dont  la  poursuite  est,  aujourd'hui,  subordonnée 
au  dépôt  préalable  d'une  plainte  :  le  désistement  de  la  partie 
lésée  n'a-t-il  pas  pour  effet  d'arrêter,  dans  ce  cas,  mais  dans 
ce  cas  seulement,  l'exercice  de  l'action  publique?  C'est  une 
question  que  nous  avons   déjà  examinée   et  résolue.  2®  I^ 
désistement  de  la  partie  lésée  porte  tout  au  moins  sur  l'in- 
stance, et  le  tribunal,  dès  quMl  se  produit,  est  dessaisi  de  l'ac- 
tioQ  en  dommages-intérêts  :  est-il,  en  même  temps,  dessaisi 
de  l'instance  sur  l'action  publique?  Un  point  bien  certain, 
c'est   que  la  juridiction   répressive  reste   saisie  de  Taction 
publique,  lorsque  la  partie  lésée  a  mis  en  mouvement  le 
juge  d'instruction  par  une  plainte  contenant  constitution  de 
partie  civile,  ou  qu'elle  a  cité  directement  le  prévenu  devant 
le  tribunal  correctionnel  ou  de  police,  ou  qu'elle  est  inter- 
venue devant  la  cour  d'assises".  Mais  la  situation  suivante  se 
présentera  souvent:  un  individu  aura  cité  directement   un 
prévenu  devant  le  tribunal  correctionnel  ou  le  tribunal  de 
police;  et,  le  jour  où  l'affaire  sera  appelée,  il  annoncera  qu'il 
^'est  désisté  et  en  demandera  acte.  Si  le  ministère  public, 
présent  à  l'audience,  insiste  pour  que  l'affaire  soit  jugée  au 
point  de  vue  de  l'action  publique,  mise  en  mouvement  par  la 
<^itation  directe,  le  tribunal  doit  statuer;  mais  s'il  accepte  le 
^désistement  ou  se  tait,  le  tribunal  ne  peut-il  pas  prononcer  la 
^diation  de  l'affaire?  Il  faut  remarquer  que  l'action  publique 

**  Voy.  Cass.,  11  août  1881  (S.  82.  1.  143). 


440       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  BT  CIV 

n'est  portée  devant  le  tribunal  qu'accessoirement  à  Tac 
civile,  et  parce  que  le  tribunal  ne  peut  jugerTaction  civile 
ne  juge,  en  même  temps^  Taclion  publique.  Dans  ces  co 
tions,  le  retrait  de  la  citation,  auquel  consent,  au  moins 
son  silence,  le  ministère  public,  autorise  la  radiation  de 
faire.  Ce  retrait  constitue,  en  efiTet,  un  abandon  de  la  cita 
et  sa  mise  à  néant.  Au  contraire,  si  le  désistement  se  pro 
au  cours  des  débats,  alors  que  la  citation  a  produit  son  doi 
effet  au  point  de  vue  de  la  saisine  et  a  mis  en  mouvemer 
procès  pénal  et  le  procès  civil,  il  est  trop  tard  pour  rev 
en  arrière  :  l'instance  civile  est  abandonnée,  mais  Tinsti 
pénale  subsiste  et  doit  être  nécessairement  vidée  par  un  ji 
ment.  Dans  le  cas  où  l'action  civile  survit  à  l'action  publii 
comme  dans  celui  d'une  cassation  après  pourvoi  de  la  p< 
civile  seule,  h  la  suite  d'un  arrêt  de  relaxe,  le  désistemer 
Faction  civile  dessaisit  les  juges  d'une  manière  absolue. 

d)  On  peut  se  demander  enfin  quels  sont  les  effets  du 
sistement  quant  à  l'exercice  de  Vactioii  civile.  Les  uns  le  1 
tent  à  l'extinction  de  la  procédure  et  considèrent  que  la  p; 
civile  peut,  malgré  son  désistement,  exercer  de  nouveau 
action  en  dommages-intérêts  "°.  D'autres  pensent  que  le 
sistenient  éteint  l'action  civile  d'une  manière  complèt( 
vaut  renonciation  définitive  à  cette  action,  qui  ne  peut 
être  reprise  devant  aucune  juridiction,  tant  civile  que  cr 
nelle^'.  D'autres  enfin  adoptent  une  solution  moyei 
d'après  laquelle  le  désistement  éteint  l'instance  pendant 
aussi  le  droit  de  se  porter  désormais  partie  civile  devai 
juridiction  répressive,  mais  non  celui  d'exercer  l'actior 
dommages-intérêts  devant  la  juridiction  civile  ^^  Le  poio 
départ  de  toute  discussion,  c'est  que  le  désistement  ne  f 

'°  Le  Sellyer^  op,  ciL^^i,  i,  n*"  432  et  433;  Mangin,  De  rinstrnction  t 
n*»  68;  de  Panthou,  Du  d^^nistenient  de  la  partie  civile  devant  la  ju> 
tion  répressive  {Rev.  pra^,  1859,  l.  8,  p.  367). 

'*  Carnol,  op,  ciL^  sur  rarlicle  66,  n°  18;  Boilard,  Leçons  de  droit  c 
p.  256. 

''^  Fauslin  Hdlie,  op.  oit,,  t.  4,  n^*  1743  et  suiv.  Voy.  également  :  G 
Étude  sur  la  responsabilité  civile  en  matière  pénale,  p.  356. 


DE  l'action   civile    DEVANT   LA   JURIDICTION   RÉPRESSIVE.        441 

que  sur  Yinstance,  C'est  le  caractère  même  que  donne  au  dé- 
sistement Tarticle  403  du  Code  de  procédure  civile.  Ceci  posé, 
deux  situations  sont  possibles  et  ne  doivent  pas  être  assimi- 
lées. Supposons  d'abord  que  la  partie  civile,  après  s'être  con- 
stituée devant  le  juge  d'instruction  ou  la  chambre  des  mises 
en  accusation,  se  soit  désistée  :  son  action'ne  peut  être  com- 
promise par  cet  acte,  car  elle  a  simplement  renoncé  à  suivre 
rinrormation  et  à  la  contrôler.  Mais  si  l'instruction  se  termine 
par  un  renvoi  devant  la  juridiction  de  jugement,  la  constitu- 
tioû  de  partie  civile  pourra  être  renouvelée,  dans  la  procédure 
dejugement,  soit  devant  la  cour  d'assises,  soit  devant  le  tribu- 
nal correctionnel.  Si  l'instruction  se  termine  par  une  ordon- 
nance ou  un  arrêt  de  non-lieu,  et  qu'il  y  ait,  plus  tard,  reprise 
de  instruction  sur  charges  nouvelles^  à  la  requête  du  minis- 
tère public,  la  constitution  de  partie  civile  pourra  se  renou- 
veler encore,  car  aucun  obstacle  de  droit  ou  de  fait  ne  parait 
s  opposer  à  la  reprise  de  l'action  dans  une  instance  autre  que 
celle  dans  laquelle  et  pour  laquelle  est  intervenu  le  désiste- 
ment. Supposons,  au  contraire,  que  la  partie  lésée  se  désiste 
devant  la  juridiction  dejugement  :  il  est  d'abord  certain  que 
la  partie  lésée  aura  perdu  le  droit  d'agir  au  criminel,  puisque 
l'instance  engagée  devant  la  juridiction  de  répression  à  la- 
quelle elle  a  renoncé  ne  peut  être  renouvelée,  l'action  publi- 
que étant  épuisée.  xVlais  la  partie  lésée  conservera*t-elle  le 
droit  d'agir  en  dommages-intérêts  devant  la  juridiction  civile  ? 
Certes,  on  ne  pourra  lui  opposer  son  désistement  seul  comme 
fin  de  non-recevoir,  puisque  le  désistement  n'est  pas  un 
(abandon  de  l'action^  mais  un  abandon  de  l'instance.  Seule- 
inent,  en  optant  d*abord  pour  la  juridiction  répressive,  la 
partie  lésée  ne  s'est-elle  pas  enlevé  le  droit  de  revenir  à  la 
juridiction  civile  ?  La  solution  de  la  question  dépend  du  parti 
que  l'on  prend  sur  la  portée  de  la  règle  :  una  via  electa  non 
datiir  recursus  ad  alteram.  Étant  admis,  comme  nous  l'avons 
dit,  que  cette  règle  ne  fait  pas  obstacle  au  passage  de  la  voie 
criminelle  à  la  voie  civile,  le  désistement  ne  saurait  produire 
l'extinction  de  l'action.  Et  il  n'est  pas  nécessaire  qu'on  ait, 
par  des  réserves  expresses,  limité  à  l'instance  l'effet  extinctif 


442       PROCéDURB    PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILB. 

du  désistement,  cardes  réserves  ne  peuvent  donner,  à  celui 
qui  les  a  faites,  un  droit  qu'il  n'a  point  déjà;  elles  ne  peuvent 
augmenter  les  effets  de  l'acte  qu'on  accomplit.  De  deux  choses 
l'une  :  ou  le  désistement  éteinU'action,  et  alors  des  réserves  ne 
sauraient  limiter  son  effet  à  l'instance  ;  ou  le  désistement  éteint 
l'instance,  et  des  réserves  seraient  inutiles  et  inopérantes. 

II.  Après  respiration  du  délai  de  vingt-quatre  heures,  il 
reste  à  la  partie  civile  le  droit  qui  appartient,  dans  la  procé- 
dure ordinaire,  à  tout  demandeur  :  celui  de  mettre  fia  à 
l'instance  en  y  renonçant  avec  le  consentement  du  défendeur 
(C.  proc.  civ.,  art.  402  et  403).  Mais  le  désistement  change 
alors  de  caractère  :  il  cesse  d'être  une  faveur  de  la  loi,  pour 
devenir  un  contrai  judiciaire  ^^.  D'où  il  suit  :  1°  Que  s'il 
est  accepté  sans  réserves  par  le  prévenu  ou  l'accusé,  il  pro- 
duit tous  les  effets,  mais  ne  produit  que  les  effets  du  désiste- 
ment intervenu  dans  le  délai  légal;  2""  Que  Taccuséou  le  pré- 
venu peut  mettre  à  son  acceptation  telles  réserves  ou  telleî^ 
conditions  qui  lui  conviennent,  de  sorte  que  les  effets  du 
désistement  pourraient  être  étendus  ou  restreints  par  la  libre 
volonté  des  parties.  Nous  sortons,  en  effet,  du  domaine  de  la 
loi  dont  les  dispositions  sont  inflexibles  pour  entrer  dans  le 
domaine  de  la  convention,  qui  se  prête  à  toutes  les  combinai- 
sons; 3°  Que  la  partie  civile  est  responsable  envers  l'Étal  de 
tous  les  frais,  même  de  ceux,  postérieurs  à  son  désistement, 
sauf  son  recours  contre  le  prévenu  condamné  ^*. 

III.  Le  désistement  delà  partie  civile  peut  être  subordonoc 
à  l'accomplissement  d'une  condition,  expressément  ou  impU' 
citement  exprimée,  de  telle  sorte  que  si  la  condition  à  laquelle 


'^  La  jurisprudence  et  la  doctrine  ne  font  pas  cette  distinctiun  qui  r^' 
paraît  résulter  de  l'économie  môme  de  Tarticle  66.  On  admet  généraleme^ 
que  le  désistement  en  matière  criminelle  n'a  pas  besoin  d'être  accepté.  Vo^^ 
la  note  suivante. 

'*  C'est  là  une  des  conséquences  de  l'irrégularité  du  désistement.  Poi^  ^ 
certains,  c'est  même  la  seule.  On  admet  généralement,  en  etîel,  contraire  ' 
ment  au  système  de  la  loi,  que  la  disposition  de  l'article  66,  qui  fixe  à  vingt-" 
quatre  heures  le  délai  dans  lequel  la  partie  civile  peut  se  désister,  est  purc?^ 
ment  fiscale  et  n'a  d'effet  qu'en  ce  qui  concerne  les  frais. 


DE  l'action   civile  DEVANT   LA  JURIDICTION   CIVILE.       443 

e  désistement  était  subordonné  ne  s'accomplit  pas,  la  partie 
ivile  conserve  le  droit  d'agir  devant  la  juridiction  répressive. 
lelle  règle  est  papticulière  au  désistement  devant  les  tribu- 
auJLde  répression,  car,  devant  les  tribunaux  civils,  le  désis- 
îraent  doit  être  pur  et  simple.  Elle  résulte  du. caractère  même 
e  ce  désistement  qui  est  un  droit,  s'il  est  régulier,  un  con- 
tai, s'il  est  irrégulier ^•. 

IV.  Le  désistement  est  de  nature  à  se  produire  en  tout  état 
e  cause  et  tant  qu'il  y  a  une  instance,  non  terminée  par 
jgement  définitif;  il  peut  donc  intervenir  après  l'eiercice, 
ar  la  partie  civile,  d'une  voie  de  recours  :  c'est  un  désis- 
iment  d'opposition  à  un  jugement  de  défaut,  d'appel,  de 
ourvoi  en  cassation.  Le  désistement,  qu'il  soit  régulier  ou 
u'il  soit  irrégulier,  produit,  dans  ce  cas,  tous  les  effets  d'un 
cquiescemenl  à  la  décision  rendue,  c'est-à-dire  qu'il  n'est 
lus  permis  à  la  partie  lésée,  fût-elle  encore  dans  les  délais, 
e  reprendre  ou  de  former  à  nouveau  le  recours  dont  elle 
est  désistée.  On  peut  discuter  sur  le  caractère  du  désistement 
uialieu  en  cours  d'instance;  mais  la  partie  civile  qui  se  désiste 
u  recours  qu'elle  a  formé  ne  le  fait  que  parce  qu'elle  accepte 
f  décision  contre  laquelle  elle  s'était  pourvue. 


§  XXXII.  -  DE  L'EXERCICE  DE  L'ACTION  CIVILE 
DEVANT  LA  JURIDICTION  CIVILE. 

K  L'action  civile  peut  être  portée  devant  les  juridictions  ordinaires.  Elle  doit 
iéme  Tôtre  quelquefois.  De  i'inlluence  réciproque  des  deux  instances  et  des 
eux  jugements.  —  200.  Preaiii>re  liypothèse.  Cas  où  l'action  civile  a  été  défini- 
vement  jugée  par  les  tribunaux  ordinaires  avant  l'exercice  de  l'action  publique, 
^dépendance  des  deux  actions.  — 201.  Seconde  hypothèse.  Cas  où  l'action  publi- 
ue  u  été  définitivement  jugée  par  les  tribunaux  de  répression  avant  l'exercice  de 
action  civile.  Force  de  chose  jugée  absolue  de  la  décision  rendue  par  les  tribu- 
«lux  de  répression.  —  202.  Troisième  hypothèse.  Cas  où  l'action  publique  est 
^tentée  avant  ou  pendant  la  poursuite  de  l'action  civile.  Le  criminel  tient  alors  le 

'=  Voy.  Gass.,  9  mai  1890  (S.  91.  1.  359;  D.  90.  1.  456).  Comp.  Rauter, 
aité  théor»  et  prat,  du  droit  criminel,  t.  2,  no  085.  Encore  une  fois,  la 
'isprudence  applique  cette  thëorie  à  tout  désistement  devant  les  tribunaux 
répression,  qu'il  soit  régulier  ou  irrégulier. 


i 


444        PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

civil  en  étal.  Double  motif  de  cette  règle.  Principe  supérieur  qu'elle  suppose.  Divi- 
sion de  son  étude.  —  203.  Conditions  d'application  de  la  règle.  Il  faut  que  les 
deux  actions  naissent  du  même  fait  et  que  l'action  publique  ait  été  intentée.  " 
204.  Si  le  concours  de  ces  deux  conditions  est  nécessaire,  il  est  suffisant  —206. 
L'action  civile  reprend  son  indépendance,  lorsqu'il  a  été  prononcé  «  dëûnilive- 
ment  »  sur  l'action  publique,  c'est-à-dire  au  jour  où  la  décision  criminelle  a  force 
de  chose  jugée.  Distinction  entre  la  force  de  chose  jugée  et  la  force  exécatoire. 
De  l'effet,  au  point  de  vue  du  sursis,  des  arrêts  de  contumace,  des  jugements  oa 
arrêts  par  défaut  non  signifiés,  des  ordonnances  de  non- lieu.  —  206.  Caractère 
d'ordre  public  de  la  règle  :  «  Le  criminel  tient  le  civil  en  état  ». 

199.  L*aclîon  civile  peut  toujours  et  doit  même  quelque- 
fois, par  exemple  si  Tactiou  publique  est  éteinte  par  le  décès 
ou  rarnnistie,  être  portée  devant  la  juridiction  civile,  c'est-à- 
dire  devant  lajuridiclion  normalement  compétente,  suivant 
les  cas  et  les  chiffres  réclamés,  pour  connaître  d'une  aclion 
en  dommages-intérêts*.  Pour  Vintenter,  comme  pour  Vexerctr 
jusqu'au  bout,  la  partie  lésée  se  conformera  au\  règles  tracées 
parle  Code  de  procédure  civile.  Nous  n'aurions  rien  déplus 
à  ajouter,  si  les  deux  actions  qui  naissent  de  l'infraction, 
exercées  alors  séparément,  Taclion  privée,  devant  la  juridic- 
tion civile,  Taction  publique,  devant  lajuridiclion  répressive, 
restaient  sans  influence  Tune  sur  l'autre.  Mais  il  n'en  est  pas 
toujours  ainsi.  Les  rapports  qui  existent  entre  l'action  publi- 
que et  l'action  civile,  se  font  sentir,  même  lorsque  l'action 
civile  est  exercée  devant  les  tribunaux  civils.  Pour  les  préci- 
ser, nous  avons  à  dislinguer  trois  hypothèses,  qui  compren- 
nent tous  les  cas  possibles. 

200.  L'exercice  de  l'action  civile  s'est  terminé  devant  les 
tribunaux  civils  avant  que  l'action  publique  ait  été  inteotée. 
C'est  la  première  hypothèse.  En  ce  cas,  l'action  civile  a  éle 
exercée  et  jugée  suivant  le  droit  commun  des  autres  action^ 
privées.  Le  caractère  délictueux  du  fait  dont  elle  résulte,  o^ 
pu  modifier  ni  la  compétence  ni  la  procédure;  il  n'a  eu  d'i^^' 
fluence  que  sur  le  délai  de   la  prescription.  Mais  on  pe^^^ 

§  XXXII.  *  Le  tribunal  civil,  le  tribunal  de  commerce,  le  juge  de  p^'^ 
Comp.  Cass.,  26  mai  1869  (S.  69.  1.  430);  Bordeaux,  26  févr.  1884  (S.  ^^ 
2.  142). 


DE   l'action  CIVJLE    DEVANT   LA   JURIDICTION   CIVILE.       445 

so  demander  si  les  tribunaux  de  répression  doivent  tenir 
compte  de. la  décision  des  juridictions  civiles  rendues  sur  les 
deux  questions  communes  à  Taction  publique  et  à  Taction 
civile  :  l'existence  du  délit,  Timputabililé  de  Tauteur.  A  cet 
égard,  le  jugement  sur  l'action  civile  n'a  aucune  force  légale 
et  obligatoire  de  chose  jugée  sur  le  procès  pénal.  La  juridic- 
tion répressive  reste  libre  d'apprécier  le  fait  d'une  manière 
différente,  de  condamner,  par  exemple,  à  une  peine  celui  qui 
â  été  déclaré,  par  la  juridiction  civile,  n'être  pas  l'auteur  du 
fait  dommageable.  La  seule  exception  à  cette  liberté  de  juge- 
ment résulte  de  l'existence  des  questions  ou  exceptions  préju- 
dicielles. 

201.  L'exercice  de  l'action  civile  a  commencé  devant  les 
tribunaux  civils  après  le  jugement  définitif  de  l'action  publi- 
que. C'est  la  seconde  hypothèse.  Cette  situation  ne  fait  pas 
obstacle  à  la  mise  en  mouvement  du  procès  en  dommages- 
intérêts.  Toute  la  question  est  de  savoir  si  le  jugement  pénal, 
dans  lequel  la  victime  du  délit  n'a  pas  été  partie,  a  une 
inQuence  nécessaire  sur  le  jugement  à  rendre  par  le  tribunal 
civil.  Une  jurisprudence,  aujourd'hui  séculaire,  reconnaît  i 
la  chose  jugée  au  criminel  une  autorité  absolue,  indépen- 
dante des  personnes  qui  ont  figuré  dans  Tinstance  pénale. 

202.  L'action  publique  est  intentée  avant  ou  pendant  la 
poursuite  de  l'action  civile.  C'est  la  troisième  et  dernière 
hypothèse.  Dans  le  cas  où  l'action  civile  est  poursuivie  sépa- 
rément devant  les  tribunaux  civils,  l'exercice  en  est  sus- 
pendu, tant  qu'il  n'a  pas  été  statué  définitivement  sur  l'action 
publique,  intentée,  devant  les  tribunaux  de  répression,  avant 
ou  pendant  les  poursuites  de  l'action  civile  (C.  instr.  crim., 
art.  3,  §  2).  C'est  la  règle  que  l'on  exprime  par  cette  ancienne 
formule  :  Le  criminel  tient  le  civil  en  état.  On  donne,  de  celte 
obligation,  pour  les  tribunaux  civils,  de  surseoir  au  jugement, 
deux  motifs.  D'une  part,  la  loi  veut  protéger  le  débat  crimi- 
nel contre  les  préventions  de  fait,  que  pourraient  laisser,  dans 
l'esprit  des  juges  appelés  à  statuer  sur  le  procès  pénal,  la 


446       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS   PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

décision  rendue  par  le  tribunal  civil.  Elle  veut,  d  autre  part, 
faire  réfléchir  sur  le  débat  civil  les  lumières  qui  auront  jailli 
de  Tinstruction  criminelle,  et  éviter  ainsi  que  deu.\  juridic- 
tions, saisies  de  deux  actions,  distinctes  sans  doute  par  leur 
objet,  mais  nées  cependant  du  même  fait,  ne  prononcent  des 
jugements  contradictoires.  Ce  but  ne  serait  certes  pas  atteint, 
si  la  décision  criminelle  devait  rester  sans  influence  sur  la 
juridiction  civile  :  aussi  peut-on  légitimement  conclure  de 
l'article  3  du  Code  d'instruction  criminelle  que  la  loi  n'or- 
donne au\  tribunaux  civils  de  surseoir  à  statuer  sur  l'action 
privée,  que  parce  que  le  jugement  criminel  doit  avoir,  à 
l'égard  de  cette  action,  l'autorité  de  la  chose  jugée  sur  les 
points  qui  sont  communs  à  Taction  publique  et  à  l'action 
civile.  C'est  là,  pour  nous,  le  principal  motif  de  l'article  3  :  il 
le  justifie,  en  limite  la  portée  et  en  indique  le  caractère.  En 
effet,  de  ce  que  le  jugement  de  l'action  publique  exerce  uoe 
influence  souveraine  sur  le  sort  de  l'action  civile,   née  du 
même  fait  et  non  encore  jugée,  il  en  résulte  que  la  première 
t^i  préjudicielle  à  l'autre,  toutes  les  fois  que  les  deux  actions 
sont  poursuivies  séparément.  La  loi  aurait  pu  et  aurait  dû, 
peut-être,  pour  éviter  des  contradictions  qui  ébranlent  le  res- 
pect attaché  à  la  chose  jugée,  en  tirant  la  conséquence  directe 
des  principes  qui  régissent  les  rapports  de  l'action  publique 
et  de  l'action  civile,  donner  à  la  première  un  caractère  pré- 
judiciel à  Vexercice  même  de  la  seconde.  Elle  ne  Ta  pas  fait, 
sans  doute,  pour  ne  pas  subordonner  la  réparation  du  délit  à 
la  répression,  et  l'action  de  la  partie  lésée  à  celle  du  minis- 
tère public.  Mais  elle  a,  tout  au  moins,  déclaré  Taction  publi- 
que préjudicielle  au  jugement  de  l'action  civile,  en  ce  sens 
que,  dans  le  cas  où  la  première  est  intentée,  avant  ou  pendant 
la  poursuite  de  la  seconde,  le  procès  civil  reste  en  suspens  jus- 
qu'à ce  qu'il  soit  définitivement  prononcé  sur  le  procès  pénal. 
Si  le  criminel  tient  le  civil  en  état,  c'est  donc  comme  co- 
rollaire et  conséquence  d'un  principe  primordial  que  la  loi 
n'a  pas  cru  devoir  formuler  parce  qu'il  s'imposait.  11  n'est 
autre  que  celui  «  du   règlement  des  attributions  entre  les 
divers  ordres  de  juridictions,  de  la  mission  spéciale  et  exclusive 


DE   L  ACTION   CIVILE   DEVANT   LA   JURIDfCTION    CIVILE.       447 

attribuée  à  chacune  d'elles  relalivement  à  certaines  questions, 
et  de  la  limite  qu'elles  sont  tenues,  par  conséquent,  entre  elles, 
de  respecter,  sous  peine  de  commettre  un  excès  de  pouvoir*  ». 
La  juridiction  pénale  est  subordonnée  à  la  décision  d'autres 
juridictions,  pour  toutes  les'questions  dont  la  solution  lui  est 
indispensable  avant  qu'elle  puisse  juger,  et  devant  lesquell&s 
cependant  elle  est  obligée  de  s'arrêter  pour  en  renvoyer  la 
connaissance  à  une  autre  autorité  exclusivement  compétente. 
On  dit  alors  qu'il  y  a  question  préjudicielle.  Hors  de  là,  l'action 
publique  doit  être  jugée  librement  et  indépendamment  des 
décisions  qui  auraient  pu  être  rendues  par  d'autres  juridic- 
tions à  ^occasion  des  faits  mêmes  du  procès  pénal.  Mais  la 
juridiction  civile,  indépendante,  en  règle  générale,  des  déci- 
sions de  la  justice  pénale,  doit  lui  être  subordonnée  pour  ce 
qui  regarde  le  jugement  de  la  culpabilité  ou  de  la  non-culpa- 
bilité de  Taccusé.  L*acte,  de  quelque  autorité  qu'il  émanât, 
qui  s'élèverait  en  contradicleur  du  jugement  pénal,  quant  à  la 
culpabilité  ou  la  non-culpabilité  déclarée,  constituerait  un 
excès  de  pouvoir.  C'est  la  conséquence  de  cette  idée  (\wq  les 
tribunaux  de  répression,  procédant  avec  les  formes  et  les 
garanties  particulières  aux  procès  criminels,  sont  les  seuls 
compétents  pour  rendre  de  telles  décisions.  La  règle  :  Le  cri- 
minel tient  le  civil  en  état,  s'explique  alors  tout  naturellement 
comme  ayant  pour  but  d'éviter,  à  l'avance,  une  contrariété 
de  décisions  possible  si  chaque  juridiction  se  prononçait  dis- 
tinctement et  librement. 

Ce  point  de  vue  domine,  pour  nous,  la  théorie  même  de 
l'article  3,  et  nous  devons  en  faire  remarquer  les  conséquences, 
en  précisant  :  1**  les  conditions;  2*  les  effets;  3**  les  limites; 
4*  et  le  caractère  de  la  règle  :  Le  criminel  tient  le  civil  en  état. 

203.  11  faut,  pour  que  l'exercice  de  l'action  civile  soit  sus- 
pendu jusqu'au  jugement  définitif  de  l'action  publique,  que 
les  deux  actions  naissent  du  même  fait ^  et  que  l'action  publi- 
que ait  été  intentée^. 

'^  J'emprunte  cette  formule  à  Ortolan,  op,  cit,,  t.  2,  n°  21 3i. 

3  Sur  le  principe:  Fau8tinHélie,o/).ci7.,  1.2,  n'»962;  Hoiïnian,  t.  1,  n°191. 


»*^      l'EXTEI/URB   PEXALE.  —  DES  ACTIONS  PrBUQUfi   ETT  UTILE. 

L  La  première  cooditîoa  est  é^ideote.  aussi  o*a-t-elle  pas 
été  forrnulètr  par  la  loi  :  car  si  l'actioQ  publique,  portée  deTaot 
la  juridiction  nl'pre&H\e.  et  Tactioa  prÎTée,  pendante  deTaot 
la  juridictiou  cÎTÎle,  dêrÎTeot  de  faits  distincts,  le  jugement 
de  l'action  publique  ne  peut  e&ercer,  sur  l'action  priTée,  cette 
influence  nécessaire  et  forcée  que  Ton  veut  protéger.  Ainsi 
des  [iOu^^uite5  en  faui;  témoignage,  dirigées  par  le  ministère 
public  contre  des  témoins  qui  ont  déposé  dans  une  enquête 
civile,  ne  sont  pas  de  nature  à  autoriser  un  sursis  au  jugemeoi 
du  procès  qui  a  donné  lieu  à  cette  enquête \ 

II.  La  seconde  condition  est  expressément  formulée  parle 
texte  :  il  est  donc  certain  que  les  juridictions  civiles  ne  doivent 
et  ne  peuTent  surseoir  à  statuer  sur  Faction  ciTile  que  si  Tac- 
tion  publique  est  inleniée,  ou  plutôt  mise  en  mouvement, c'est- 
à-dire  si  le  prévenu  est  traduit  directement  devant  le  tribunal 
correctionnel  ou  de  police,  ou  si  une  instruction  préparatoire 
est  provoquée  contre  lui,  soit  par  le  ministère  public,  soit  par 
la  partie  lésée*.  Mais  l'action  civile  conserve  sa  pleine  iadé- 
|>endance,  aussi  bien  dans  le  cas  où  des  démarches  auraient  été 
faites  pour  amener  des  poursuites,  par  exemple  s'il  y  avait  eu 
déf>ôt  d'une  plainte  ou  d^une  dénonciation*,  que  dans  le  cas 
oii  le  ministère  public  aurait  expressément  manifesté  l'inteD- 
lion  de  poursuivre,  par  exemple  en  faisant  des  réserves  ou  en 

*  Çîiss.,  22  MOV.  1811»  al  5  janv.  1822,  arréls  cités  par  Mangin.  op.  cii-i 
t.  1,  II*  105.  Voy.  pour  d'autres  applications  :  Cass.,  20  janv.  1877  (S.  *8. 
1.  318)  ;  9  févr."l804  (S.  04.  1.  107). 

'  La  texte  ne  distingue  pas  entre  le  cas  uù  l'action  publique  est  intenté*! 
I>fir  le  minisU're  public  et  le  cas  où  elle  est  mise  en  mouvement  par  la  parti» 
lé»6î.  Cefiendant,  cette  distinction  est  faite  par  la  jurisprudence  :  on  admet 
en  effet  que  Faction  correctionnelle  intentée  par  la  partie  civile  ne  fait  p^ 
obstacle  à  ce  que  le  procès  civil  soit  jugé.  Comp,  Bourges,  4  mars  1871 
(S.  74.  2.  311;  D.  73.  2.  51);  Mangin,  op.  cit.,  t.  1,  n»  103.  Sans  doute,  1: 
[»artie  lébée,  qui  a  saisi  de  son  action  le  tribunal  civil,  ne  peut  plus  la  porte 
devant  le  tribunal  de  r<^pression  :  electa  una  via...;  mais  c*est  au  tribuns 
de  répression  qu*il  appartient  d'examiner  la  fm  de  non  recevoir  résultant  d 
Toption  déflnitivfî  faite  par  la  partie  lésée  entre  la  voie  civile  et  la  voie  en 
minello.  Provisoirement,  et  tant  que  le  tribunal  de  répression  ne  s'est  p« 
dessaisi,  le  tribunal  civil  doit  surseoir  à  statuer. 

•i  Sic,  Cass.,  5  févr.  1808  (S.  «8.  1.  45 1;  D.  08.  1.  454). 


DE  l'action   civile   DEVANT  LA  JURIDICTION   CIVILE.      449 

donnant  un  certificat  à  la  partie  civile \  Les  articles  239  et 
240  du  Code  de  procédure  civile,  rappelés  par  Tarticle  460 
du  Gode  d^instruction  criminelle,  paraissent,  il  est  vrai, 
apporter  une  restriction  à  cette  règle  en  matière  de  faux.  Mais 
il  a  été  jugé  que,  même  en  cette  matière,  le  sursis  ne  peut 
être  prononcé  au  cas  où,  nulle  poursuite  criminelle  n'ayant 
été  intentée,  le  sursis  n'a  été  demandé,  ni  par  les  parties,  ni 
par  le  ministère  public*. 

204.  Le  concours  de  ces  deux  conditions  est  nécessaire 
mais  suffisant  :  quelles  que  soient  donc  les  personnes  contre 
lesquelles  Taction  publique  est  dirigée,  quel  que  soit  Vobjei 
de  cette  action,  le  sursis,  en  cas  de  poursuite  répressive,  doit 
être  prononcé  d^office  par  la  juridiction  civile,  à  peine  de 
nullité  de  la  procédure  qui  suivrait  le  jour  où  faction  publi- 
que aurait  été  intentée.  Il  existe,  par  conséquent,  deux  solu- 
tions qui  sont  hors  de  toute  controverse,  à  savoir  :  l"*  que  la 
règle  du  sursis  s'applique  à  l'action  civile  tout  entière,  à  ses 
deux  chefs,  les  restitutions  et  les  dommages-intérêts;  2°  qu^elle 
s'applique,  quelles  que  soient  les  personnes  contre  lesquelles 
l'action  civile  est  dirigée,  les  personnes  civilement  respon- 
sables, comme  les  auteurs  mêmes  ou  les  complices  de  l'infrac- 
tion. L'article  3  suspend,  en  effet,  l'exercice  de  V action  civile 
dans  toute  sa  plénitude,  sans  aucune  réserve  ni  restriction. 

Mais  la  règle  du  sursis  s'applique-t-elle  à  d'autres  actions 
que  l'action  civile  proprement  dite?  Le  texte,  sans  doute^  ne 
parle  que  de  celle-ci,  mais  les  motifs  mêmes  qui  ont  inspiré 
l'article  3  commandent  aux  tribunaux  civils  ou  de  commerce 

■^  Pour  le  cas  où  l'action  publique  a  e'té  simplement  réservée  :  Cass.,  9  févr. 
4864  (S.  64.  1.  107). 

•  Cass.,  3  janv.  1872  (S.  72.  1.  270),  et  les  conclusions  de  M.  Reverchon. 
Comp.  Cass.,  5  mars  1867  (S.  67.  1.  208);  29  avr.  1874  (D.  74.  1.  333). 
Voy.  Cass.  req.,  3  déc.  1900  (S.  1904. 1.  10)  :  «  Attendu  que  si  cet  article 
(art.  3,  C.  instr.  crim.)  veut  qu'il  soit  sursis  h  l'exercice  de  l'action  civile, 
tant  qu'il  n'a  pas  été  prononcé  définitivement  sur  l'action  publique  intentée 
avant  ou  pendant  la  poursuite  de  l'action  civile,  il  implique  qu'il  n'y  a  lieu 
de  prononcer  le  sursis  que  quand  il  est  établi,  par  la  personne  qui  lô 
demande,  qu'il  existe  une  action  publique  régulièrement  yitentée  ». 

G.  P.  P.  —  l.  29 


450      FBfjCtDX^RE  PÉ5ALE.  —  DBS  ACTI05S  PTBUQCE  ET  CnUK. 

de  surseoir  à  sUtaer,  eo  cas  de  poursuite  d'un  fait  délictueux, 
sur  toutes  les  actions  qui  naissent  de  ce  fait,  alors  même 
qu'elles  auraient  un  autre  objet  que  des  dommages-intérêts. 
Il  y  a^  en  réalité,  parallélisme  d'application  et  d*éteodue  entre 
deux  règles  :  celle  qui  oblige  les  tribunaux  ciTils  i  ne  pas  se 
mettre  en  contradiction  arec  ce  qui  a  été  souTerainementjagé 
par  les  tribunaux  de  répression  sur  l'existence  du  fait  et  la 
culpabilité  de  l'agent;  et  celle  qui  les  oblige  à  suspendre 
l'examen  du  procès  civil  quand  l'action  publique  est  intentée. 
La  répartition  de  la  compétence  entre  la  juridiction  civile  et 
la  juridiction  pénale  impose  à  la  première  la  nécessité  du 
sursis,  toutes  les  fois  que  le  jugement  à  rendre  par  la  seconde 
(>eut  avoir  force  de  chose  jugée  vis-à-vis  de  Tautre.  L'ancien 
article  233  du  Code  civil  servait,  à  la  fois,  de  preuve  et  d  ap- 
plication de  cette  idée,  lorsqu'il  édictait  que  «  si  quelques- 
uns  des  faits  allégués  par  l'époux  demandeur  (en  divorce) 
donnent  lieu  à  une  poursuite  criminelle  de  la  part  du  minis- 
tère public,  l'action  en  divorce  restera  suspendue  jusqu'après 
la  décision  de  la^juridiclion  répressive;  alors  elle  pourra  être 
reprise  sans  qu'il  soit  permis  d'inférer  de  cette  décision  aucune 
fin  de  non-recevoir  ou  exception  préjudicielle  contre  l'époui 
demandeur  ».  Cette  disposition,  maintenue  par  la  loi  da 
27  juillet  1884  sur  le  divorce%  a  disparu,  sans  qu'on  ait  donoé 
d'explication  à  ce  sujet,  dans  le  remaniement  qu'a  fait  subir 
i  ce  texte  la  loi  sur  la  procédure  du  divorce  du  18  avril  1886. 
Par  conséquent,  la  question  de  savoir  si  l'action  en  séparation 
de  corps  ou  en  divorce,  fondée  sur  uue  infraction  reprochée 
par  le  demandeur  à  son  conjoint,  par  exemple  sur  un  fait 
d'adultère,  sur  des  coups  ou  des  blessures,  est  arrêtée  par 
application  de  la  règle  :  Le  criminel  tient  le  civil  en  état,  dé- 
pend de  la  portée  du  principe  de  l'article  3,  combiné  avec 
l'autorité  de  la  chose  jugée  au  criminel  sur  le  civil. 
Si  Ton  admet,  avec  nous,  que  les  tribunaux  civils  doivent 

•  L'ancien  article  23I>  avait  eu  deux  rédactions  successives  :  celle  de  1804, 
celh»  de  la  loi  du  27  juillet  1886.  C'est  cette  dernière  rédaction  que  nous 
avons  rapportée  au  texte. 


DE   l/ ACTION   CIVILE   DEVANT   LA   JURIDICTION   CIVILE.       451 

tenir  pour  constants  ce  qui  a  été  décidé  par  les  tribunaux  de 
répression  sur  l'existence  du  délit  et  la  culpabilité  du  délin- 
quant, et  que,  maîtres  d'apprécier,  en  elles-mêmes,  les  ques- 
tions civiles  qui  leur  sont  dévolues,  ils  ne  peuvent  pas  le  faire 
en  se  posant  en  contradicteurs  du  juge  pénal,  il  en  résulte  que 
Tinslance  en  séparation  de  corps  ou  en  divorce,  fondée  sur 
des  faits  qui  donnent  lieu  à  une  poursuite  criminelle,  doit  être 
suspendue  en  vertu  des  principes  généraux  dont  l'article  235 
du  Code  civil  faisait  simplement  l'application  '®. 

En  résumé,  il  doit  y  avoir,  pour  justifier  le  sursis,  identité 
des  faits  servant  de  base  aux  deux  actions,  l'action  publique  et 
laction  civile^  concurremment  exercées;  mais  cette  condition 
suffit  lorsque  les  deux  juridictions  sont  saisies  à  des  fins  diffé- 
rentes, si,  à  raison  de  l'identité  des  faits,  la  décision  rendue 
par  la  juridiction  pénale  est  de  nature  ài  exercer  une  influence 
^ur  la  décision  à  rendre  par  la  juridiction  civile  ^'. 

205.  L'action  civile  reprend  son  indépendance,  lorsqu'il  a 
^té  prononcé  «  définitivemeat  sur  l'action  publique  »  ;  et  le 
jugement  ou  l'arrêt,  qui  statue  sur  le  procès  pénal,  doit  être 
considéré  comme  définitif,  lorsqu'il  a  acquis  l'autorité  de  la 
'hose  jugée,  quand  même  cette  autorité  n'est  que  provisoire. 
Ceci  a  besoin  d'explication.  Remarquons,  en  effet,  qu'une 
décision  sur  l'action  publique  peut  être  prise,  soit  par  une 
juridiction  d'instruction^  soit  par  une  juridiction  de  jugement. 
Un  jugement  ou  un  arrêt  irrévocable  des  juridictions  de  juge- 
iQent,  acquittant  ou  condamnant  le  prévenu  ou  l'accusé, 
noettra  certainement  un  terme  au  sursis.  Mais,  une  ordon- 
nance ou  un  arrêt  de  non-lieu  rendu  par  une  juridiction 
d  instruction,  un  arrêt  de  contumace  prononcé  par  une  cour 

'•*  Mais  il  n'y  a  pas  lieu  de  surseoir  à  statuer  sur  une  demande  en  divorce, 
luslifiée  en  dehors  des  témoignages  recueillis  au  cours  de  Tenquôte,  à  raison 
^^ceque  le  défendeur  aurait  porté  contre  certains  témoins  une  plainte  dont 
^  résultat,  quel  qu'il  puisse  être,  ne  doit  avoir  aucune  influence  sur  lasolu* 
'OQ  du  procès  :  Cass.,  il  juill.  1888  (S.  90.  1.  530). 

^*  Voy.  cette  formule  employée  dans  Tarrôt  de  la  Cour  de  Rennes  du 
•-juin.  1880  (S.  82.  2.  133).  Application  intéressante. 


452      PROCÉDURB   PÉNALE.   —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

d'assises,  un  jugement  ou  un  arrêt  par  défaut  non  signifiée 
personne,  auraient-ils  le  même  effet?  Ces  décisions  n'épuisent 
pas  la  poursuite,  qui  peut  toujours  être  reprise,  dans  le  pre- 
mier cas,  s'il  survient  de  nouvelles  charges,  dans  le  second, 
si  le  condamné  se  représente  ou  est  arrêté,  dans  le  troisième, 
en  cas  d'opposition  de  sa  part.  Mais  cette  possibilité  d'une 
reprise  d'action  ne  fera  pas  obstacle  à  l'exercice  de  Taction 
civile.  Une  solution  contraire  conduirait  à  prolonger  le  sursis, 
tant  que  durerait  la  menace  de  nouvelles  poursuites,  c'est-à- 
dire  pendant  tout  le  délai  de  la  prescription  de  l'action  publi- 
que :  or,  l'action  civile,  se  prescrivant  par  le  même  laps  de 
temps  que  l'action  publique,  il  en  résulterait  que  l'action 
civile  serait  éteinte,  le  jour  seulement  où  elle  pourrait  s'exe^ 
cer  utilement*^ 

Juridiquement,  du  reste,  les  sentences,  qui  produisent  pro- 
visoirement la  chose  jugée,  sont,  en  réalité,  affectées,  non 
d'une  condition  suspensive  mais  d'une  condition  résolutoire,  et, 
comme  tout  titre  subordonné  à  une  condition  de  cette  espèce, 
elles  produisent,  pendente  conditioner  tous  les  effets  d'une 
sentence  irrévocable*'. 

C'est  là  une  notion  essentielle,  que  nous  retrouverons  e^ 
développerons  plus  loin  à  propos  de  l'autorité  de  la  chos^^ 
jugée.  En  effet,  la  condition  de  V irrévocabilité  d'une  décisioi^ 
judiciaire  ne  doit  être  prise,  au  point  de  vue,  soit  de  la  cessa^ — 

*2  Ce  motif  ne  serait  peut-être  pas  déterminant.  Ne  pourrait-on  pas  dire  ^ 
en  effet,  dans  ce  cas,  que  l'action  civile,  engagée  devant  le  tribunal,  est:-  i 
par  cela  même,  conservée,  par  application  de  Tadage  :  actiones  quivtcmpor'^' 
pereunt  semel  inclusœ  judicio  saliae  permanent?  C'est  un  point  que  je  il  ^^ 
veux  pas  examiner.  Dans  tous  les  cas,  ce  serait  prolonger  indéfiniment  L  ^^■ 
sursis,  que  d'astreindre  le  tribunal  à  attendre  qu'il  nV  ait  plus  possibilité 
d'une  reprise  de  l'action  publique.  La  loi  n'a  pu  vouloir  ce  résultat.  U»-^ 
solution  contraire  aboutirait  à  un  véritable  déni  de  justice.  Dès  que  les  délais 
ordinaires  des  voies  de  recours  sont  expirés,  il  faut  considérer  le  proc^^ 
comme  terminé  et  lever  l'obstacle  opposé  à  l'action  civile.  Cependant,  la  coi»  ^ 
de  Caen,  dans  un  arrêt  du  19  déc.  1898  (S.  1900.  2.  97),  a  prolongé,  à  tort, 
le  sursis  après  l'arrêt  de  contumace. 

*3  Comp.  Bidard,  Étude  sur  t' autorité  au  civil  de  la  chose  jugée  au  cri^ 
minel  (Paris,  1865),  p.  206. 


DE   l'action   civile   DEVANT   LA   JURIDICTION    CIVILE.       453 

tion  du  sursis,  soit  de  l'autorité  de  la  chose  jugée,  que  dans 
un  sens  relatif.  Il  ne  faut  pas  confondre,  en  effet,  la  force 
exécutoire  d*une  décision  avec  son  autorité.  Si  toutes  les  déci- 
sions qui  ont  force  exécutoire  sont,  en  matière  pénale,  des 
décisions  qui  ont  force  de  chose  jugée,  la  proposition  inverse 
n'est  pas  absolument  exacte.  Il  y  a  des  décisions  qui  n'ont  pas 
force  exécutoire,  telles  que  les  arrêts  de  contumace,  et  qui 
cependant  ont  force  de  chose  jugée  tant  qu'elles  subsistent '^ 

206.  La  règle  :  Le  criminel  tient  le  civil  en  état,  a  un  carac- 
tère d'ordre  public,  puisqu'elle  a  pour  but  de  protéger  la 
compétence  respective  desjuridictions.  Les  tribunaux  d'ordre 
civil,  tribunaux  de  première  instance,  tribunaux  de  com- 
merce, justices  de  paix,  etc.,  doivent,  en  conséquence,  sur- 
seoir d'office,  dès  qu'ils  apprennent  que  l'action  publique  est 
intentée  et,  cela,  à  quelque  moment  de  la  procédure  que  ce 
soit,  et  quelle  que  soit  Tattitude  des  parties.  Leur  droit  uni- 
que est  d*examiner  si  les  éléments  spéciaux  de  cette  espèce 
de  litispendance  se  rencontrent  et  si  les  conditions  du  sursis 
existent  **. 

**  Voy.,  sur  cette  distinction,  la  note  sous  un  arrêt  de  la  Chambre  civile  de 
la  Cour  de  cassation  du  7  juill.  1890  (S.  91.  1.  25). 

*»  Cass.,  7  mai  1851  (S.  51.  1.  434);  Rennes,  22  juill.  1880  (S.  82.2.  133)  ; 
Caen,  19  déc.  1898  (S.  1900.  2.  97),  et  la  note. 


l 


3 

là 

i 


TITRE  III 

DE  L'EXTINCTION  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE 


CHAPITRE  PREMIER 

DE   l'extinction   DE   l' ACTION   PUBLIQUE. 


§  XXXIII.  -  CLASSEMENT  DES  CAUSES  D'EXTINCTION 

DE  L'ACTION  PUBLIQUE. 

207.  Double  classement  des  causes  d*extinctioa  de  Tactioa  publique.  Causes  natu- 
relles. Causes  politiques.  Causes  communes  à  toutes  les  infractions.  Causes  spé- 
ciales à  certaines  infractions.  —  208.  Observation  générale. 

207.  L'action  publique  est  éteinte  par  des  circonstances 
qui  en  font  cesser  la  vitalité  ou  la  raison  d'être. 

I.  Ces  causes  d'extinction  sont  naturelles  ou  politiques. 

On  classe,  dans  la  catégorie  des  causes  naturellesy  celles 
qui  résultent  du  concept  même  de  l'action  :  le  droit  de  pour- 
suivre cesse  d'exister,  soit  parce  que  sa  force  est  épuisée,  soit 
parce  que  Tobjet  même  de  la  poursuite  est  éteint,  soit  parce 
que  Tune  de  ses  conditions  disparait.  Trois  circonstances  pro- 
duisent cet  eCTet  :  Isl  mort  de  Vinc\x\pé;lsL  chose  jugée;  la  pardon 
de  la  partie  lésée. 

On  classe,  dans  la  catégorie  des  causes  politiques  d'extinction 
de  Taction  publique,   celles  qui  résultent  de  circonsts^nces 


456      PROCEDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE- 

'extrinsèques  à  la  nature  de  l'action,  mais  qui  tiennent  à  cer- 
taines considérations  de  politique  criminelle,  assurant,  à  un 
coupable,  l'impunité.  Ce  sont  :  la  prescription^  Vamnistiej  la 
composition  intervenue  entre  les  parties  intéressées  et  le  délin- 
quant. 

II.  Les  causes  d'extinction  de  l'action  publique  sont,  ou 
bien  communes  à  tous  les  délits  et,  par  conséquent,  générales, 
ou  h\Qïi  propres  à  certains  d'entre  eux,  et,  par  conséquent,  spé- 
ciales. 

Parmi  les  causes  particulières,  il  nous  suffit  de  mentionner 
\di  composition  ou  transaction^  intervenue  entre  Tadministra- 
Uon  et  le  prévenu,  en  matière  de  douanes,  de  contributions 
indirectes,  de  régime  postal  et  forestier,  \q  pardon  de  la  partie 
lésée,  en  matière  de  diffamation  ou  d'adultère. 

Les  causes  générales  d'extinction  de  l'action  publique  sont: 
la  mort  de  l^inctdpé,  la  chose  jugée,  Vamnistie,  la  prescrip- 
tion. 

208.  Nous  n'étudierons,  dans  cet  ouvrage,  les  causes 
d'extinction  de  l'action  publique  que  par  rapport  à  la  procé- 
dure, c'est-à-dire  quant  à  leur  mise  en  œuvre  et  à  leur 
effet». 

§  XXXIY.  -  DU  DÉCÈS  DE  L'INCULPÉ. 

209.  Le  décès  de  rinculpé  éteint  l'action  publique.  Cette  règle  est  absolue.  Elle  s'ap- 
plique sans  exception  ni  réserve.  —  210.  Conséquence  de  ce  fait  extinctif  sur  la 
procédure.  Trois  situations.  Décès  avant  jugeaient.  Décès  après  jugement,  mais 
dans  le  délai  des  voies  dé  recours.  Décès  pendant  Tinstance  d*appel,  d'opposi- 
tion, de  pourvoi  en  cassation.  «>  211.  Le  décès  du  prévenu  n'éteint  pas  faction 
tendant  à  obtenir  la  confiscation  de  choses  en  délit.  —  212.  Ce  mode  d*extinction 
est  personnel  et  ne  profite  pas  aux  complices.  -^  Exception  en  ce  qui  concerne 
Padultère  de  la  femme. 

209.  D'après  la  disposition  absolue  de  l'article  1**'  du  Gode 
d^nstruction  criminelle  :  «  L'action  publique  pour  l'applica- 
tion des  peines  s'éteint  par  la  mort  du  prévenu  ».  On  ne  fait 

§XXXIir.i  J'ai  examiné,  dans  mon  Traité  ihéor.  et  prat,  du  droit  pénale. 
ce  qui  concerne  le  fond  du  droit. 


DU   DÉCÈS   DE   l'inculpe.  457 

pas  de  procès  pénal  au  cadavre.  On  n'en  fait  pas  aux  héritiers*. 
Cette  règle  n'admet,  dans  le  droit  français,  ni  exception  ni 
réserve  :  1°  Elle  est  applicable  à  tous  les  délits  et  pour  toutes  leî^ 
peines.  Notamment,  l'action  publique,  confiée  aux  administra- 
tions fiscales^^en  vue  de  pénalités  pécuniaires,  amendes,  con- 
fiscations, est  éteinte  par  le  décès  du  prévenu  avant  toute  con- 
damnation définitive*;  2°  Elle  est  applicable  devant  tous  les 
tribunaux  de  répression,  de  droit  commun  ou  militaires'. 

210.  Les  conséquences  de  ce  fait  extinctif  de  Taction  publi- 
que doivent  être  examinées  dans  les  trois  situations  suivantes, 
qui  épuisent  tous  les  cas  de  nature  à  se  présenter. 

I.  La  première,  et  la  plus  simple,  se  présente  lorsque  le 
décès  est  antérieur  au  jugement.  Si  la  poursuite  n'est  pas 
engagée,  le  ministère  public  ne  pourrait  la  commencer,  el, 
s'il  le  faisait,  dans  l'ignorance  du  décès,  les  actes  de  procédure, 
tels  que  citation,  mandat,  seraient  considérés  comme  non 
avenus  :  les  frais  devraient  en  être  supportés^  sans  recours,  par 
l'État.  Si  la  poursuite  est  engagée,  elle  doit  s'arrêter,  à  quel- 
que moment  de  la  procédure  qu'elle  soit  arrivée,  et  le  tri- 
bunal saisi  n'a  qu'à  rayer  Taffaire,  sans  se  prononcer  sur 
l'action  ou  sur  les  frais  qui  restent  à  la  charge  de  l'État. 
A  plus  forte  raison,  le  ministère  public  ne  peut,  en  cas  de 
décès  du  prévenu  au  cours  d*une  instance,  appeler  les  héri- 
tiers en  cause  pour  les  faire  condamner  aux  frais\  Enfin,  si 
Je  jugement  a  été  rendu  dans  l'ignorance  du  décès,  survenu 
antérieurement,  il  doit  être  rapporté,  par  le  tribunal  même  qui 
Ta  rendu,  sur  la  demande  des  héritiers  ou  du  ministère  public^ 

§  XXXIV  *  Voy.  mon  Traité  théor.  et  prat,,  2e  éd.,  t.  2,  n"  522  et  523. 

*  Jurisprudence  constante  et  ancienne.  Voy.  Mangin,  op.  cit.,  t.  2,  n*279. 
Cependant  Le  Sellyer,  Act,  pub.,  t.  1,  n?  338,  fait  des  réserves. 

^  Sic,  Cass.,  4  mai  1889  (B.  cr.,  no  170). 

*  D'anciens  arrêts  ont  dû  le  décider  :  Cass.,  27  juill.  1834  (S.  35.  1.  75); 
3  mars  1836(8.36.  1.  193). 

*  Il  résulte  de  là  que  quand  une  cour  d'assises  a,  dans  Tignorance  du 
décès  de  Taccusé  fugitif,  prononcé  contre  lui  un  arrêt  de  condamnation  par 
contumace,  elle  doit  le  rapporter  dès  que  les  parties  intéressées  lui  en 
adressent  la  demande  :  Cass.,  25  oct.  1821  (D.  J.  G.,  v*  Contumace,  n'^  50). 


458       PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  aVILB. 

II.  La  seconde  situation  est  plus  délicate.  Le  décès  se  pro- 
duit après  le  jugement  ou  farrêt,  mais  avant  TeipiratioD  des 
délais  de  recours.  Si  le  jugement  prononce  TacquittemeDl,  le 
ministère  public  n*a  certainement  plus  le  droit  de  faire  appel 
ou  de  se  pourvoir.  Son  action  est  éteinte,  et  s*il  fait  appel  ou 
forme  un  pourvoi  dans  Tignorance  du  décès,  cette  procédure 
est  considérée  comme  non  avenue  par  le  juge  d*appel  ou  le  : 
juge  de  cassation.  En  cas  de  condamnation,  le  décès,  surve- 
nant avant  que  le  jugement  ait  acquis  force  de  chose  jugée, 
anéantit  la  procédure  et  le  jugement,  de  sorte  que  le  cou-' 
damné  meurt  integri  status^  s'il  meurt  alors  qu'il  était  dans 
les  délais  pour  se  pourvoir*. 

Une  première  conséquence  de  cette  situation,  c'est  que  le 
jugement  ne  peut  servir  de  tilre  pour  le  recouvrement  des 
peines  pécuniaires,  s'il  en  a  été  prononcé,  confiscations, 
amendes.  Les  héritiers,  en  cas  de  poursuites,  opposeraient, 
par  toutes  les  voies  de  droit,  notamment  en  faisant  opposi- 
tion à  la  contrainte  ou  au  commandement,  l'effet  extinctif 
du  décès  se  produisant  à  un  moment  où  Faction  publique  n'est 
pas  épuisée\  Il  en  serait  ainsi  pour  ]es  frais.  L'exécution  de  la 
décision,  même  dans  celui  de  ses  chefs  qui  prononce  la  con- 
damnation aux  frais,  n'est  pas  recevable  quand  le  titre  est  non 
avenu*. 

•  C'est  l*affirmatioQ  très  formelle  de  Mangin,  op.  cit.,  t.  2,  n"  278,  p.  54. 
«  Si  le  condamné  s*est  pourvu  par  les  voies  d'appel  ou  de  cassation,  ou 
sHl  est  mort  dans  les  délais  que  la  loi  lui  accordait  pour  se  pourvoir;  si  le 
jugement  enfin  n'avait  pas  acquis  Taulorité  de  la  chose  jugée,  son  décès  anéan- 
tit la  procédure  et  le  jugement  :  il  meurt  integri  status  ». 

'  Le  tribunal,  saisi  de  la  question  par  voie  d'opposition,  ne  réformerait  pas 
le  jugement  ou  ne  l'anéantirait  pas  :  il  constaterait  le  fait  du  décès  avant  que 
ce  jugement  ait  acquis  force  de  chose  jugée,  et  il  annulerait  le  commandemeat 
qui  procède  en  vertu  d'un  titre  sans  efficacité. 

■  La  question  a  pu  faire  doute.  Dans  sa  première  jurisprudence,  la  Cour 
de  cassation  décidait  qu'en  cas  de  décès  du  condamné. avant  qu'il  ait  été  statué, 
sur  le  pourvoi  en  cassation,  la  Cour  n'en  devait  pas  moins  statuer  sur  ce 
pourvoi.  Voy.  Mangin,  op.  cit.,'i.  2,  n»  280,  p.  62  et  la  note  du  président 
Barris  que  cite  cet  auteur.  Depuis  l'arrêt  du  2i  juillet  1834  (S.  35.  1.  75),  la 
Cour  de  cassation  est  revenue  sur  sa  première  jurisprudence.  Elle  décide, 
aujourd'hui,  qu'en  cas  de  décès  du  condamné  au  cours  de  l'instance  en  cas- 


DU   DÉCÈS  DE  L^INCULPÉ.  459 

Mais  le  jugement  ayant  été  rendu  avant  le  décès  subsiste 
omme  un  fait  juridique.  Les  héritiers  ont  un  intérêt  moral 

demander  son  annulation.  Il  s*agit  peut-être  d'effacer  la 
ache  que  ce  jugement  imprime  à  la  mémoire  du  défunt. 
)u'ilsne  puissent  faire  appelou  se  pourvoir  eux-mêmes,  pour 
û  poursuivre  la  réformation  ou  Tannulation,  c'est  ce  qui 
ious  semble  évident.  En  quelle  qualité,  en  effet,  agiraient- 
Is?  Au  nom  du  défunt?  En  leur  nom?  Qui  ne  voit  Timpos- 
ibilité  légale  d*une  telle  procédure?  Pourraient-ils,  au  moins, 
lemander,  par  voie  de  requête,  au  tribunal  qui  a  rendu  la  dé- 
ision,  de  la  rapporter?  Mais  le  tribunal  est  dessaisi  puis- 
[u'ii  a  statué  et  que,  en  Tétat,  sa  décision  a  été  régulièrement 
eadue.  Le  ministère  public  est  également  sans  qualité  et  sans 
Iroil  pour  faire  rapporter  le  jugement,  ou  pour  former  une 
oie  de  recours.  En  sorte  que,  à  la  différence  du  cas  où  le 
écès  est  antérieur  au  jugement,  rendu  dans  Tignorance  de 
et  événement,  la  condamnation  subsiste,  mais  sans  effica- 
ité,  en  cas  de  décès  du  condamné  survenu  dans  les  délais  du 
ecours*. 

lU.  La  troisième  situation  suppose  qu*une  voie  de  recours 
été  formée  par  le  ministère  public,  le  prévenu  ou  l'accusé  : 
i  décès  de  celui-ci  survient  en  cours  d*instance.  Il  n'est 
as  douteux  que  lajuridiction,  compétente  pour  statuer  sur  le 
scours,  doit  s'abstenir  de  lé  faire,  en  constatant  que  le  décès 
éteint  le  procès  pénal  sur  lequel  elle  était  appelée  à  se  pro- 
OQcer.  1°  En  cas  d'appel,  le  juge  d'appel  déclarera  que 
affaire  est  rayée  par  suite  de  l'extinction  de  l'action  publi- 
ue^^;2''  En  cas  d'opposition,  cette  voie  de  recours  anéantissant 

ilion,  il  n'y  a  lieu  de  statuer  ni  sur  le  pourvoi  ni  sur  l'intervention  des 
entiers  puisque  la  condamnation  tombe  même  du  chef  des  frais.  Cass., 
1  janv.  1860  (D.  60.  1.  200);  18  déc.  1862  (D.  63.  1.  112).  Voy.  Delraas, 
^i  frais  de  justice  criminelle,  p.  480. 

*  C'est  du  moins  la  solution  négative  à  laquelle  je  suis  conduit  faute  de 
ioyens  de  procédure  appropriés. 

"^  Voy.  Cass.,  12  juin  1886  (D.  87.1.  41).  La  Gourde  cassation  décide  que 
rsqueTun  des  prévenus  est  décédé  au  cours  de  l'instance  d'appel,  le  juge 
appel  doit  déclarer,  dans  le  dispositif  de  son  arrêt,  que  Taction  publique  est 
einte  à  l'égard  de  ce  pré  venu. 


460      PROCéDURB  PÉNALE.  —  DBS  ACTIONS  PUBLIQUE  BT   CIYILB. 

• 

par  elle-même  le  jugement,  le  juge  se  borne  à  nUracler  sa 
décision,  sans  avoir  à  statuer  sur  le  bien  fondé  de  roppositico; 
3""  L'action  publique  est  également  éteinte  si  le  décès  survient 
pendant  l'instance  devant  la  Cour  de  cassation,  soit  que  le 
recours  ait  été  formé  par  le  condamné,  soit  qu'il  ait  été 
formé  par  le  ministère  public.  La  Cour  de  cassation  doit  rap- 
porter son  arrêt,  quel  qu'il  soit,  si  elle  l'a  rendu  dans  l'igno- 
rance du  décès  ^^  Elle  doit  ordonner  la  radiation  de  Taffaire, 
si  la  preuve  du  décès  est  rapportée ^^.  C'est  que  le  décès  du 
condamné,  durant  l'instance  en  cassation,  ayant  pour  effetde 
rendre  impossible  l'exécution  de  la  décision  attaquée,  même 
dans  ceux  de  ses  chefs,  qui  prononcent  la  condamnation  à 
l'amende  et  aux  frais,  il  n'y  a  lieu  pour  la  Cour  de  cassation  de 
statuer  ni  sur  le  pourvoi  qui  avait  été  formé  ni  même  sur 
l'intervention,  inutile  parce  qu'irrecevable,  des  héritiers,  si 
ceux-ci  avaient  cru  devoir  intervenir. 

211.  Mais  le  décès  du  prévenu  n'éteint  pas  Taction  publi- 
que tendant  à  faire  prononcer,  par  le  tribunal  de  répression 
qui  a  seul  qualité  pour  le  faire,  la  confiscation  des  objets  en 
contravention,  à  titre  de  mesure  de  police.  En  effet,  la  con- 
fiscation qui  ace  caractère  peut  être  prononcée,  même  au  cas 
où  le  délinquant  est  inconnu,  à  la  condition  que  le  délit  soit 
constant. 

L'article  16,  §  4,  de  la  loi  du  3  mai  1  844,  qu'il  faut  appli- 
quer, par  analogie,  à  tous  les  cas,  où  la  co  nfiscation  est  deman- 
dée sans  condamnation  d'un  délinquant,  décide  qu'elle  sera 
prononcée  sur  le  «  vu  du  procès-verbal  ».  Le  tribunal  est  donc 
saisi  par  simple  réquisition   du  ministère  public,  visant  la 


«•  Voy.  Cass.,  15  sept.  1871  (D.  71.  5.  51).  Il  s'agissait,  dans  l'espèce, d'un 
arrôt  de  déchéance  de  pourvoi  rendu  dans  Tignorance  du  décès  du  deman- 
deur en  cassation.  Dans  une  autre  espèce,  il  s'agissait  d'un  arrêt  de  cas- 
sation rendu  sur  pourvoi  du  ministère  public  :  Cass.,  22  févr.  1890  (B.  cr., 
no  45). 

"  Voy.  les  arrêts  cités  à  la  note  8.  Adde,  Cass  ,  21  avr.  4854  (D.  54.  4. 
200);  3  août  i  883  (D.  84.  1.  382)  ;  3  janv.  1885  (B.  cr.,  n«  10); 22  févr.  1890 
(B.  cr.,  n«  45). 


DB   LA    CHOSE  JUGEE.  461 

preuve  du  délit  objectif  ou  par  requête  de  Tadminislration 
fiscale  à  laquelle  la  loi  a  délégué Texercice  de  Taction  publi- 
que*'. 

212.  Le  décès  de  Tauteur  priocipal  d'un  délit  n*éleint 
l'action  publique  que  vis-à-vis  de  ce  prévenu**.  Le  complice 
n'est  pas  fondé  à  soutenir  qu*à  son  égard  le  délit  ne  peut  être 
relevé  parce  qu'il  ne  peut  l'être  à  l'égard  de  l'auteur  princi- 
pal. La  règle  de  la  complicité,  délit  unique,  n'est  pas  en  con- 
tradiction avec  ce  résultat,  pas  plus  que  celle  de  l'extinction  de 
l'action  publique  par  le  décès.  Par  exception,  on  admet 
généralement  qu'en  matière  d'adultère,  le  décès  de  la  femme, 
survenant  au  cours  des  poursuites,  éteint  l'action  publique 
à  l'égard  du  complice**. 

§  XXXV.  -  DE  LA  CHOSE  JUGÉE. 

213.  Notion  de  la  chose  jugée.  —  214.  Questions  qui  se  posent.  — 

215.  Renvoi  de  ces  questions. 

213.  La  chose  jugée,  c'est  le  sceau  de  la  justice  imposé  sur 
une  affaire  pénale  terminée.  L'examen  de  la  question  de  savoir 
s'il  y  a  chose  jugée  comprend  :  l""  la  détermination  des  déci- 
sions qui  ont  force  de  chose  jugée;  2°  les  effets  de  la  chose 
jugée;  3*  les  conditions  nécessaires  pour  que  l'exception  de 
chose  jugée  soit  admise  en  cas  de  nouveau  procès. 

214.  Ces  notions  ne  doivent  pas  seulement  être  précisées 
<]ans  les  rapports  des  juridictions  nationales.  Il  faut  encore 
examiner  l'autorité  de  la  chose  jugée  par  les  tribunaux  répres- 
sifs étrangers,  soit  au  point  de  vue  de  l'exécution  des  jugements 
étrangers  en  France,  soit  au  point  de  vue  de  l'autorité  de  ces 

•  Voy.  mon  Traité  théor.  et  prat,  du  droit  pénal,  2©  dd.,  t.  2,  n*  455. 

*•  Jurisprudence  constante. 

"  Sic,  Cass.,  8  juin  1872  (S.  72. 1.  346);  Limoges,  23  févr.  1888  (D.  90.  2. 
124).  Telle  est  également  la  doctrine  des  auteurs,  sauf  Blanche  {Études  sur 
le  Code  pénal,  i,  5,  n?  93),  qui  est  d'un  avis  opposé. 


462      PROCEDURE  PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE  ET  CIVILE. 

jugements  comme  fin  de  noD  recevoir  à  une  nouvelle  pou^ 
suite  en  France. 

215.  Mais  ces  divers  problèmes 'supposent  déjà  résolues  les 
questions  de  procédure  et  de  voies  de  recours.  Nous  en  ferons 
l'objet  d*un  chapitre  spécial  à  la  fin  de  cet  ouvrage. 

§  XXXVI.  -  DE  L'AMNISTIE. 
216.  Effets  de  Tamnistie  sur  Taction  et  sur  la  condamnation. 

216.  L'amnistie,  consistant  dans  Toubli,  par  le  pouvoir  so- 
cial, du  fait  délictueux,  efface  rétroactivement  la  condamna- 
tion, la  poursuite  et  Tincrimination  même.  Ses  effets  doivent 
être  examinés,  soit  au  point  de  vue  de  Vaction,  si  une  condam- 
nation définitive  n*est  pas  intervenue  quand  elle  est  accordée, 
soit  au  point  de  vue  de  la  condamnation^  dans  le  cas  contraire. 

I.  Tant  que  l'action  publique  n'a  pas  été  épuisée  par  un  juge- 
ment définitif,  l^amnistie  intervenant  empêche  le  procès  pénal 
ou  l'arrête,  à  quelque  période  qu'il  soit  parvenu.  Les  consé- 
quences de  cette  mesure  sur  la  procédure  sont  identiquement 
les  mêmes  que  celles  produites  parle  décès  de  Tinculpé  *,  du 
prévenu  ou  de  l'accusé,  avec  cette  différence  toutefois  qu'au- 
cune difficulté  pratique  n'existe  dans  le  cas  où  la  loi  d'amnistie 
est  promulguée  après  la  condamnation  mais  avant  l'expira- 
tion du  délai  des  voies  de  recours.  Le  bénéficiaire  de  la  mesure 
et  le  ministère  public  ont  le  droit  de  demander  au  tribunal, 
qui  a  rendu  la  décision,  de  la  rapporter,  en  se  basant  sur  TefTet 
absolu  et,  par  suite^  rétroactif  delà  loi  d'amnistie 

IL  Lorsque  l'amnistie  intervient  après  condamnation  défini- 
tive, celle-ci  disparaît  rétroactivement  avec  tous  ses  effets  et 
toutes  ses  conséquences:  1*  Elle  est  rayée  du  casier  judiciaire, 
et  ne  compte  plus  pour  la  récidive;  2*"  Les  incapacités  qu'elle 

§  XXXVI.  *  Ainsi,  par  l'effet  de  ramnistie,  l'action  des  administrations 
fiscales  est  éteinte,  comme  l'action  publique,  au  point  de  vue  de  la  confisca- 
tion et  de  l'amende  :  Cass.,  18  janv.  1902  (S.  1902.1.  248).  Conf.  Dijon,  3  mai 
187<  (S.  71.2.  239). 


DE    LA   PRESCRIPTION   DE   l'aCTION   PUBLIQUE.  463 

întraîaées  disparaisseot,  de  plein  droit,  avec  rélroacli- 
luf  respect  des  droits  acquis  aux  tiers;  3°  Le  montant 
tendes  et  des  frais,  payés  par  le  condamné,  doit  lui  être 
é^  Mais,  à  cet  égard,  Ja  loi  d'amnistie  peut  contenir  des 
liions  ou  restrictions  contraires'. 


XXXVII.  -  DE  LA  PRESCRIPTION  DE  L'ACTION  PUBLIQUE. 

ceptions  diverses  de  la  prescription.  —  218.  Lu  prescription  pénale  est  d'or- 
blic.  —  2i9.  Renvoi  à  un  autre  ouvrage  en  ce  qui  concerne  le  délai,  le 
e  dé[>urt  de  ce  délai,  le  régime  de  Tinterruption  etde  lu  suspension. —  220- 
^  de  l'accoinplissement  de  la  prescription. 

^  La  prescription  pénale  est  un  moyen  de  se  libérer  des 

|iiestion  est  peu  étudiée  et  demande  quelques  explications.  Deux 
is  sont  possiblps  :  les  amendes  et  les  frais  n'ont  pas  été  recouvrés  au 
où  intervient  l'amnistie  jles  amendes  et  les  frais  ont  été,  au  contraire, 
•s.  Dans  les  deux  cas,  ce  qui  fait  la  difficulté,  cVst,  d^une  part,  la 
:nation  en  dettes  du  patrimoine  des  peines  pécuniaires  parle  fait  de 
noncialion,  et,  d'autre  part,  le  caractère  de  ré[)arations  civiles  des 
justice.  Cependant  l'amnistie  faisant  disparaître  le  délit  et  ses  côn- 
es en  tant  que  délit,  doit  supprimer  la  cause  de  l'amende  et  des 
;  à  l'Ktat  et  effacer  rétroactivement  le  titre  de  leur  perception.  C'est 
lotif  que  les  amendes  et  les  frais  ne  peuvent  pas  être  recouvrés  après 
e  et  que,  s'ils  ont  été  payés,  ils  peuvent  être  réclamés  par  les  inté- 
>mmo  un  paiement  fait  sans  cause.  Telle  est  la  solution  qui  nous 
.  plus  juridique.  On  admet  généralement  en  pratique  que  les  amen- 
teuvent  être  recouvrées  après  l'amnistie,  même  les  amendes  fiscales, 
de  n'serves  contraires  dans  la  loi.  Le  Conseil  d'État  a  étendu  la  même 
aux  frais  :  Conseil  d'État,  7  mai  1880  (D.  81.  3.  7).  Mais  l'Instruc- 
érale  des  Finances  du  l\  juillet  1895,  qui  consacre  celte  règle  pour 
ndes  non  recouvrées,  no  paraît  pas  l'appliquer  aux  frais  de  justice. 
3  repnisentent,  en  effet,  dit-on,  des  avances  faites  par  le  Trésor; 
est,  à  leur  égard,  considéré  comme  un  tiers,  dont  les  droits  doi- 
jours  être  respectés,  à  moins  d'une  stipulation  expresse  du  législa- 
ns  tous  les  cas,  on  soutient  que  les  règles  de  la  comptabilité  s'oppo- 
restitution  des  amendes  et  des  frais  légalement  recouvrés  à  l'origine, 
f^tention  a  été  combattue  par  M.  Batbie,  rapporteur  au  Sénat  de  la 
nistie  du  2  avril  1878  (Journ.  off.  du  26  mars  1878,  p.  3308). 
Lois  d'amnistie  du  11  juillet  1880,  article  unique  in  fine,  du  19  juil. 
1.  7,  du  27  déc.  1900,  art.  2,  n«"  1  et  4,  du  1"  avr.  1904,  art.  2. 
jurisprudence  :  Cass.,4janv.  1901  et  1"  févr.  1901  (S.  190U  1.  208) 
î;  lOjanv.  1002  (S.  1902.  1.  248). 


1 


464      PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILS - 

conséquences  d'une  infraction  ou  d'une  condamnation  pénale  r 
par  Teffet  du  temps.  Elle  constitue  ainsi  un  mode  d'exlinc  - 
lion  commun  au  droit  de  poursuite  et  au  droit  d'exécutioirr 
des  condamnations  pénales. 

Sur  le  fondement  de  la  prescription  de  l'action  publique->rr 
deux  conceptions  opposées  dominent  Thistoire  de  rinstitutioQ — 
La  première  voit  la  raison  de  la  prescription  dans  Toubli  d 
délit,  lacessation  du  trouble  causé  par  sa  perpétration,  et  auss 
dans  la  disparition  ou  Tincertitude  des  preuves.  C'est  avec  c 
caractère  que  la  prescription  fut  organisée  par  notre  ancieno 
législation  criminelle  :  elle  s'accomplissait  par  un  délai  fermera 
de  vingt  ans,  sauf  pour  certains  crimes  considérés  commet 
tellement  graves  qu'ils  furent  déclarés  imprescriptibles*.  La- 
seconde  conception  voit  dans  la  prescription  du  droit  de  pour- 
suite une  sorte  de  peine  contre  la  négligence  de  Taccusateur. 
C'est  d*après  cette  base  que   la  législation  intermédiaire  fit 
partir  la  prescription  du  jour  où  les  magistrats  avaient  eu  con- 
naissance  du  délit  et  avaient  pu  poursuivre,  et  admit,  en  même 
temps,  que  les  diligences  de  Taccusation  et  la  poursuite  avanl 
l'expiration  du  terme  assigné  à  la  prescription,  interrompaient 
sa  durée  et  donnaient  un  nouveau  délai  pour  obtenir  la  con- 
damnation'. 


§  XXXVIL  *  Sur  cette  règle  que  la  prescription  des  crimes  avait  lieu 
par  un  délai  ferme  de  vingt  ans  :  Rousseaud  de  la  Combe,  Traité  des  tMtiè' 
Tes  criminelles  (4«  éd.),  p.  301  et  303  ;  Jousee,  Traité  de  la  justice  criminelkt 
p.  580  à  586,  600  à  604.  Mais  nos  anciens  auteurs  fondaient  la  prescription, 
tout  à  la  fois,  sur  l'inquiétude  du  délinquant,  équivalente  à  la  peine,  «  l'in- 
somnie de  vingt  ans  »,  et  sur  le  dépérissement  des  preuves.  «  Les  raisons 
qui  ont  fait  adopter  ces  lois  en  France  au  sujet  do  la  prescription  du  crime, 
sont  que  celui  qui  a  porté  si  longtemps  son  crime,  et  l'inquiétude  d'être  pour- 
suivi, est  réputé  assez  puni  ;  que  pendant  ce  long  temps  les  preuves  qu'un 
accusé  pourrait  avoir  de  son  innocence,  seraient  dépéries;  qu'au  contraire 
un  accusateur  peut  se  servir  de  ce  temps  pour  pratiquer  des  preuves  ;  qu'en- 
fin on  pense  toujours  à  présumer  l'innocence  et  qu'on  regarde  comme  favo- 
rable tout  ce  qui  va  à  la  décharge.  »  Rousseaud  de  la  Combe,  op,  et  loc* 
cit. 

»  Code  des  25  sept.,  6  oct.  1791,  titre  VI,  l''^'  partie,  art.  1  et  2  et  Code 
du  3  brum.  an  IV,  art.  9  et  10. 


DE    LK  PRESCRIPTION   DE   L* ACTION    PUBLIQUE.  465 

Le  Code  d^instruction  crimiaelle  est  revenu  à  la  première 
conception  :  la  prescription  a  pour  raison  d'être  principale  Fou- 
3li  présumé  du  délit.  Aussi  son  délai  court  du  jour  de  la  perpé- 
tration du  fait  punissable,  malgré  l'ignorance  du  ministère 
Dublic.  Mais  comme  tout  acte  de  poursuite  ou  d'instruction 
I  pour  résultat  de  rappeler  le  souvenir  du  délit,  le  Code  d'in- 
truction  criminelle  a  emprunté  à  la  législation  intermédiaire 
e  système  d'interruption  de  la  prescription  par  les  actes  de 
)oursuite  ou  d'instruction  (C.  instr.  crim.,  art.  637,  638,  640, 
543)  '. 

218.  Relativement  à  l'action  publique,  la  prescription, 
;omme  tout  autre  mode  d'extinction  de  cette  action,  est  d'ordre 
)ublic,  puisqu'elle  est  admise  et  organisée,  non  dans  l'inté- 
*êt  du  criminel,  mais  dans  l'intérêt  de  la  société.  lien  résulte: 
Z"  Que  la  prescription  peut  et  doit  être  suppléée  d'office  par 
es  j  uges  ;  2**  Qu'on  ne  peut  valablement  y  renoncer  ;  3*  Qu'elle 
ist  opposable  en  tout  état  de  cause,  et,  même  pour  la  première 
ois,  devant  la  Cour  de  cassation. 

219.  Quant  au  délai  de  la  prescription,  au  point  de  départ 
le  ce  délai,  au  régime  de  l'interruption  et  de  la  suspension 
ie  prescription,  nous  renvoyons  à  notre  Traité  du  droit  pénaL 
3Ù  toutes  ces  questions  sont  examinées. 

220.  A  qui  du  ministère  public  ou  du  prévenu  incombe-t-il 
le  prouver  l'accomplissement  de  la  prescription?  On  a  sou- 


3  Je  n*ai  pas  besoin  de  rappeler  que  le  principe  de  la  prescription  pénale 
I  été  critiqué  par  Beccaria  et  Bentham  (Voy,  mon  Traité^  2»  éd.,  t.  2,  n° 
n9,  note  2).  Ces  critiques  sont  renouvelées  par  Técole  positiviste  (Voy.  par- 
.iculièrement  :  Garofalo,  La  criminologie^  5*  éd.  p.  398  à  400)  qui  propose 
le  n'accorder  la  prescription  qu'aux  criminels  démontrant  par  leur  conduite 
qu'ils  ne  sont  pas  antisociables,  «  et  que  le  délit  n'aura  plus  l'occasion  pro- 
3able  de  se  maiifesterpar  suite  d'un  changement  survenu  dans  les  conditions 
[jui  l'avaient  déterminé  ».  Addtf,Ferri,  La  sociologie  criminelle  {ira.d.  Terrier), 
n®  73,  in  fine f  p.  498;  Zerboglio,  Délia  prescrizione  pénale  (Bocca,  1893), 
cbap.  I  et  V;  de  la  Grasserie,  De  la  suppression  d'immunités  accordées  au 
coupable  (Rev.  péniL,  1898,  p.  648). 

G.  P.  P.  —  1.  30 


466      PROCÉDURB   PÉNALE.  — DBS  ACTIONS  PUBLIQUE   ET   CIVILE  • 

tenu*  que  la  prescription  étaot  un  moyen  de  libération,  Tac— 
lion  du  ministère  public  était  recevable,  sans  qu'il  eût  autr^ 
chose  à  établir  que  Texislence  du  délit  :  ce  serait,  dans  c^ 
système,  au  prévenu  poursuivi,  à  faire  la  preuve  de  la^ 
prescription,  s'il  prétendait  l'invoquer  :  reus  excipiendo  fi^ 
aetor. 

Mais  cette  opinion  ne  tient  aucun  compte,  soit  des  base^^ 
jnêmes  de  la  prescription,  soit  de  son  caractère.  La  prescriptioim 
de  l'action  publique,  étant  fondée  sur  l'oubli  présumé  de  Tin^ 
fraction,  après  qu'un  laps  de  temps  de  dix  ans,  de  trois  ans  ou 
d'un  an,  s'est  écoulé  depuis  sa  perpétration,  a  les  effets  d'une 
sorte  d'amnistie  :  de  même  que  l'amnistie,  la  prescription 
efface  le  caractère  délictueux  du  fait.  C'est  pour  cela  que  la 
prescription  est  d^ordre  public  et  n'a  pas  besoin  d'être  opposée 
par  le  prévenu  comme  une  sorte  d'exception  ou  de  fin  de  non 
recevoir.  En  conséquence^  le  ministère   public   ne  doit  pas 
poursuivre  une  infraction  prescrite;  et  le  juge,  si  la  poursuite 
a  eu  lieu,  doit  déclarer  l'action  publique  irrecevable,  sans  avoir 
même  le  droit  d'examiner  s'il  existe  des  charges  suffisantes 
vis  à-vis  d'un  inculpé  et  si  la  culpabilité  est  établie  vis-à-vis 
d'un  prévenu  ou  d'un  accusé'.  Tout  tribunal  de  répressioD» 
avant  de  passer  à  l'examen  du  fond,  est  obligé  de  s'assurer  que 
le  fait  dont  il  est  saisi  n'est  pas  couvert  par  la  prescription. 
Aussi  la  constatation  de  la  date,  au  moins  de  la  date  approxi- 
mative, est  un  des  éléments  essentiels  de  la  prévention,  et  le 
ministère  public,  dans  toute  poursuite,  n'a  pas  seulement  à. 
prouver  l'existence  du  fait  délictueux,  il  faut  encore  qu'il  éta- 
blisse que  son  action  a  été  intentée  en  temps  utile  :  «  depuis 


^  Le  Seltyer,  Traité  de  l'exercice  et  de  ^extinction  des  actes  pubL  et  pri'^*^ 
t.  2,  n»  U7-2». 

*  G*est  une  règle  générale  que  celle  qui  interdit  au  juge  de  se  pronon^^^ 
sur  la  culpabilité  lorsqu'il  admet  une  cause  d*extinction  de  Taction  publiq  «-^^ 
De  môme,  en  effet,  qu'il  ne  peut  plus  condamner  Je  prévenu  ou  Taccu^  ^' 
puisque  l'action  publique  est  éteinte,  il  n'a  pas  non  plus  à  le  déclarer  im  ^^ 
coupable.  Ces  deux  issues  du  procAs  lui  sont  interdites.  Qui  non  pot^^ 
condemnare  non  poteH  absolvere,  Gomp.  Brun  de  Villoret,  Traité  théor.  ^^ 
prat,  de  la  prescription  en  matière  criminelle,   n«  74. 


DE  LA   PRESCRIPTION   DE   l'aCTION   PUBLIQUE.  467 

moins  de  trois  ans  »,  «  depuis  moins  de  dix  ans  »...,  suivant 
là  formule  qui  est  employée  dans  tout  réquisitoire  à  fin  d'in- 
foriner  ou  dans  toute  citation*. 


*  Sic,  Paris,  19  janv.  i889  (S.  89.  2.  64);  Lyon,  30  juin  1887  (S.  89.  2. 
65).  On  lira,  sur  la  question,  la  note  qui  se  trouve  sous  ce  dernier  arrêt 
(P*    66),  avec  les  références  qui  y  sont  rapportées. 


468 


CHAPITRE   II 


DE   l'extinction   DE    l'aCTION    CIVILE. 


§  XUYIII.  -  DIVISION. 
221.   Deux  groupes  d'hypothèses. 

221.  L'action  civile  et  faction  publique  ne  sont  pas  abso- 
lument liées  au  point  de  vue  des  causes  d'extinction.  Deui 
séries  d'hypothèses  contraires  peuvent  être  distinguées  :  l""  Ex- 
tinction de  l'action  publique  avec  survie  de  l'action  civile; 
2*  Extinction  de  l'action  civile  avec  survie  de  l'action  publi- 
que. 


§  XXXIX.  —  EXTINCTION  DE  L'ACTION  VJBLIQUE  AVEC  SURVIE 

DE  L'ACTION  CIVILE. 

222.  Trois  séries  de  situalions  sont  possibles.  —  223.  Chose  jugée  sur  PactioD 
publique.  —  224.  Du  décès  et  de  l  amnistie.  —  225.  De  la  survivaDce  de 
l'action  civile  en  cas  de  prescription  de  Faction  publique.  Difficultés. 

222.  Les  cas  dans  lesquels  l'action  publique  est  seule 
éteinte,  l'action  civile  continuant  à  subsister,  peuvent  être 
groupés  ainsi  :  1^  Une  première  hypothèse  se  présente  quand 
l'action  publique  est  définitivement  jugée  sans  que  ractioo 
civile  le  soit;  2^  Une  seconde,  quand  l'action  publique  est 
éteinte  par  une  de  ces  circonstances  qui  laissent  subsister 
l'action  civile,  le  décès  et  l'amnistie;  3"*  La  troisième,  dans  les 
cas  où  l'action  civile  et  l'action  publique  sont  solidarisées  au 
point  de  vue  de  la  prescription. 

223.  Le  procès  pénal  peut  être  terminé  par  une  déci- 
sion passée  en  force  de  chose  jugée  :  Faction  publique,  daos 


»E  l'action  publique  avec  survie  de  l'action  civile.     469 

:e  cas,  est  éteinte  ou  plutôt  épuisée.  L'action  civile  qui  n'est 
:>as  jugée,  parce  qu'elle  n'a  pas  été  portée  en  même  temps  et 
ievant  les  mêmes  juges  que  l'action  publique,  subsiste,  sauf  à 
examiner  l'influence  de  la  chose  jugée  au  criminel  sur  la 
chose  à  juger  au  civil. 

224.  Il  existe  deux  circonstances  où  l'action  publique 
est  éteinte  sans  que  l'action  civile  soit  touchée  :  le  e/^c^5  du 
prévenu  et  V amnistie. 

I.  Le  décès  du  prévenu  éteint  toute  poursuite  pénale. 
Vu  contraire,  l'action  civile,  n'étant  que  l'exercice  de  la 
;réance  en  réparation  et  en  indemnité,  se  transmet  active- 
Tient  comme  passivement*. 

IL  L'amnistie  n'a  d'etTet  qu'en  ce  qui  touche  le  caractère 
lélictueux  du  fait;  mais  elle  n'etTace  pas  son  caractère  dom- 
nageable  :  aussi  n'est-elle  accordée  que  sous  réserve  du  droit 
les   tiers*. 

III.  La  question  qui  se  présente  dans  ces  deux  situations 
st  relative  au  cas  où  l'action  civile  a  été  portée  devant  le  tri- 
)unal  de  répression,  avec  l'action  publique  :  cette  dernière 
ction  venant  à  disparaître  par  le  décès  du  prévenu  ou  par 
^amnistie,  le  tribunal  de  répression  peut-il  rester  saisi  de 
*action  civile?  Nous  avons  signalé  les  évolutions  de  la  juris- 
prudence sur  ce  point'. 

225.  L'indivisibilité  de  l'action  publique  et  de  l'action 
ivile,  au  point  de  vue  de  la  prescription  pénale,  conduit  à 

§  XXXIX.  *  La  seule  question  qui  se  pose  est  de  savoir  si, après  le  décès  du 
révenu,  l'action  civile  contre  les  héritiers  est  soumise  à  la  prescription  pénale, 
l'affirmative  est  admise  par  la  jurisprudence  :  Cass.,  4  déc.  1877  (S.  78.  1. 
19).  L'article  2  du  Code  d'instruction  criminelle  indique,  en  effet,  que  la 
rescription, établie  parles  articles  637,638  et 640,  s'applique  à  l'action  civile, 
lors  même  que  celle-ci  est  intentée  après  le  décès  du  prévenu,  contre  ses 
^présentants. 

^  L'amnistie  transforme,  du  reste,  le  caractère  de  la  créance  en  réparation, 
►ésormais,  c'est  une  créance  ordinaire^  prescriptible  par  trente  ans.  La 
uestion  est,  du  reste,  controversée. 

»  Voy.  suprà,  n*  193,  et  les  notes  21  à  30. 


470      PROCEDURE   PÉNALE.  —  DES  ACTIONS  PUBLIQUE   ET  CIVILE. 

celte  coQséquence,  qui  résume  le  système  de  la  loi  française, 
que  Tactioa  publique  étaal  éteiate  par  la  prescription,  raciioQ 
civile  Test  aussi.  Mais  cette  solutioQ  n*est  vraie  que  sous  deui 
réserves. 

La  première  se  rattache  au  caractère  de  la  prescription  de 
Taction  civile.  11    n*est  pas  douteux   que  la  prescription  de 
TactioD  publique,  instituée  dans  Tintérêt  général,  doit  ètre^  à 
ce  titre,  suppléée  par  les  tribunaux,  à  défaut  d'être  invoquée 
par  les  parties.  En  est-il  de  même  de  l'action  civile,  portée, 
séparément  de  l'action  publique,  devant  les  tribunaux  civils? 
La  solution  qui  a  prévalu  dans  la  jurisprudence  permet  à  l'au- 
teur de  l'infraction,  poursuivi  devant  les  tribunaux  civils,  de 
renoncer  à  la  prescription  et  n'autorise  pas  les  juges  à  sup' 
pléer  d'office  ce  moyen \ 

La  seconde  réserve  est  relative  au  cas  où  l'action  civile  est 
seule  intentée^  séparément  devant  la  juridiction  civile  :  1^ 
prescription  est  interrompue  pour  l'action  civile,  mais  no^ 
pour  l'action  publique;  l'assignation  devant  le  tribunal  ciri 
ne  pouvant  être  considérée,  par  rapport  à  l'action  publique 
comme  un  acte  de  poursuite  ou  d'instruction*. 

§  XL.  ~  EXTIHGTION  DE  LAGTION  CIVILE  AVEC  SURVIE 

DE  L'iCnOH  PUBLIQUE. 

226.  Des  trois  séries  d'hypothèses  où  ce  résultat  est  possible. 

226.  L'action  civile  est  seule  éteinte,  l'action  publique  coq  ' 
tinuant  à  lui  survivre,  dans  trois  séries  d'hypothèses. 

D'abord  lorsqu'il  y  a  chose  jugée  sur  Taction  civile  seules 

Ensuite  lorsque  l'action  civile  s'est  éteinte  par  les  mode^ 

d'extinction  ordinaires  des  obligations,  paiement,  novation^ 

*  Cette  exception  à  riDdivisibilité  des  deux  actions,  au  point  de  vue  de  la. 
prescription,  est  admise  par  une  jurisprudence  qui  s'affirme  déplus  en  plus. 
Voy.  notamment  :  Casa.  23  janv.  1901  (S.  1901.  1.457)  et  la  note  de 
M.  lissier.  Conf.  Cass.,  19  déc.  1902  {Pand.  franc.,  1903.  1.  539). 

•  Voy.  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  t.  2,  no  1077.  Dans  ce  sens  :  Gass.,  28 
juin.  1870.  La  question  eslj  du  reste,  très  controversée. 


E  l'action  publique  avec  survie  de  l'action  civile.     471 

3misc  de  dettes,  etc.  Quant  à  la  reoonciation  de  la  partie 
isée  à  son  droit,  elle  est  ordinairement  sans  influence  sur 
action  publique.  La  loi  a  pris  soin  de  le  faire  remarquer 
I  instr.  crim.,  art.  4).  Il  en  est  autrement  toutefois  pour  les 
élits  qui  ne  peuvent  être  poursuivis  que  sur  une  plainte  de 
i  partie  lésée.  La  renonciation  de  celle-ci  rendrait,  en  efifet, 
ne  plainte  ultérieure  irrecevable. 

Enfin,  lorsqu'il  y  a  eu  transaction  sur  l'intérêt  civil  du  pro- 
^s,  l'action  civile  est  éteinte,  sans  que  l'action  publique  le 
Mt(C.  civ.,  art.  2046). 


SECONDE  PARTIE 
DE  LA  PREUVE  EN  MATIÈRE  CRIMINELLE 


)liographie  générale.  —  Bonnier,  Traité  théorique  et  pratique- 
euves  en  droit  civil  et  en  droit  criminel^  5*  édil.,  rev.  par  Fernand 
ude,  1887.  —  Benlham,  Preuves  judiciaires,  1830,  2  vol.,  in-8o.  — 
?l.  Essai  sur  la  nature  des  preuves,  revu  par  Solon,  1845.  —  Faustin. 
Étude  sur  la  preuve  en  matière  criminelle  {Rev.  crit.,  1853,  p.  396 
'.);  id..  Traité  de  l'instruction  criminelle,  2«  éd.,  1866,1.  4,  n®»  1758 
.  —  Gisbert,  Des  moyens  de  preuve  devant  les  juridictions  répressives 
oct.,  Paris,  1893).  —  Miltermaier,  De  la  preuve  en  matière  criminelle ^ 
l  de  rallcmand  sur  la  3*'  édit.,  avec  le  concours  et  les  notes  de  l'auteur, 
exandre,  1848,  in-8°.  —  Herbert  Speyer,  Les  règles  de  la  preuve  en 
jénal  anglais  {Rev,  de  droit  int.  et  de  légis.  comp»,  1898,  p.  478).  — 
La  philosophie  pénale,  Lyon  et  Paris,  1890,  p.  424  à  455. 


LIVRE  SECOND 

DE  LA  PREUVE  EN  MATIÈRE  CRIMINELLE 


TITRE   PREMIER 


DE  LA  PREUVE  CRIMINELLE  EN  GÉNÉRAL 


i  XLI.  -  LA  QUESTION  DE  PREUVE  DANS  LA  PROCÉDURE  PÉNALE. 

.  De  l'objet  de  toule  procédure  péoale  au  point  de  vue  de  la  preuve.  —  228. 
^érilë  et  certitude.  —  229.  L'œuvre  de  la  procédure  tend  à  transformer  un  sonp- 
on  en  certitude.  Des  trois  règles  qui  dominent  la  question  de  preuve  en  matière 

:riminelie. 

227.  L'objet  de  toute  procédure  est  la  découverte  de  la 
^iie\  et  la  vérité,  par  rapport  à  la  thèse  du  procès  pénal  qui 
L  Vimputation  d'wi  délits  doit  aboutir  à  la  démonstration  de 
culpabilité  de  Taccusé  ou  du  prévenu.  C'est  ainsi  que  se  pose 
question  de  preuve  en  matière  répressive.  Elle  a  un  doa- 

e  objet:  1®  Rechercher  la  preuve  dans  la  phase  préliminaire 
1  procès  pénal;  2^  L'administrer  dans  la  phase  définitive. 

228.  En  elle-même,  la  vérité  a  un  caractère  absolu^  puis- 
l'elie  est  l'équivalent  de  la  réalité.  Mais  cette  notion  prend 
i  caractère  re/a/t/*  quand  on  la  considère  au  point  de  vue 

nos  connaissances  et  de  nos  perceptions,  c'est-à-dire  quand 
met  en  rapport  les  faits  de  l'ordre  physique  ou  de  Tordre 
irai  que  l'on  veut  connaître  et  établir,  avec  les  moyens  im- 
rfaits  et  faillibles  qui  servent  à  les  découvrir.  Pour  l'homme, 
quivalent  de  la  vérité,  c'est  la  certitude  qui  résulte  de  la 
connaissance  subjective  qu'il  en  fait.  Autre  chose  est  donc 


476         PROCÉDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

ta  notion  de  la  vérité,  autre  chose,  la  notion  de  la  certitude  : 
la  première  est  objective,  la  seconde,  subjective,  La  vérité,  en 
elle-même,  est  certainement  absolue,  mais  par  rapport  i  la 
certitude  que  nous  en  avons,  elle  est  relative,  et  nous  la  dé- 
couvrons lorsqu'il  y  a  conformité  entre  nos  idées  et  les  faits 
de  l'ordre  physique  ou  de  Tordre  moral  que  nous  désirons 
connaître  ^  Prouver^  c'est  donc,  en  considérant  cette  opéralioQ 
au  sens  général  du  mot,  établir  l'existence  de  cette  confor- 
mité', et  la  preuve  n*est  autre  chose  que  la  somme  des  motifs 
producteurs  de  la  certitude'. 

229.  L'opposé  de  la  certitude,  c'est  le  doute.  Le  procès 
pénal  a,  pour  point  de  départ,  un  soupçon,  sur  lequel  se  foDde 
l'inculpation,  et  touteToeuvre  de  la  procédure  tend  à  transfor- 
mer ce  soupçon  en  certitude.  Si  ce  résultat  n'est  pas  atteint,  le 
procès  ne  peut  aboutir.  En  conséquence,  on  doit  poser  trois 
règles  préliminaires  qui  dominent  la  théorie  des  preuves  et 
qui  se  réfèrent  aux  questions  suivantes  :  i*"  A  qui  incombe  le 
fardeau  de  la  preuve?  2*  Quels  sont  les  devoirs  du  juge  si  la 
preuve  n'est  pas  rapportée?  3*  De  quels  faits  est-on  admis  à 
faire  la  preuve? 

I.  Le  fardeau  de  la  preuve  incombe  tout  entier  à  l'accusa- 
teur. 

§§  XLÏ.  *  Voy.  Faustin  Hélie,  De  la  preuve  en  matière  criminelle  {Bev* 
crit.  de  légis,,  1853,  p.  396).  «  Je  vois,  dans  la  cerlitude,  a  dit  Filangieri 
{Science  de  la  législation,  t.  t,  p.  343),  un  état  de  l'esprit  indépendant  de 
la  vérité  ou  de  la  fausseté  de  la  proposition  sur  laquelle  tombe  cette  certi- 
tude ».  En  d'autres  termes,  la  vérité  ou  la  fausseté  est  dans  la  proposition; 
la  certitude  ou  Tincertitude  est  dans  Tesprit. 

2  Miltermaier.  op.  cit.,  p.  63. 

'  Le  mot  «  preuve  »  a  trois  sens.  Dans  le  sens  le  plus  général,  la  preuve, 
c'est  le  procédé  employé  pour  arriver  à  la  connaissance  d*un  fait.  Dans  deux 
autres  significations  plus  restreintes,  c'est  tantôt  la  production  des  éléments 
de  décision  proposés  au  juge,  tantôt  la  démonstration  acquise  de  la  vérité- 
Voy.  Bonnier,  op.  cit,,  n*  2.  La  preuve,  suivant  le  Dictionnaire  de  VAcaàé' 
mie,  est  «  ce  qui  établit  la  vérité  d'une  proposition,  d'un  fait  ».  Suivant  le 
Dictionnaire  de  Littré  :  «  Ce  qui  montre  la  vérité  d'une  proposition,  la  ré*" 
lité  d'un  fait  ».  Dans  le  sens  le  plus  usité  et  le  plus  juridique,  on  entend  p&^ 
preuve  :  tout  procédé  employé  pour  convaincre  le  juge  de  la  vérité  d'un 
fait. 


,A   QUESTION  DE  PREUVE  DANS  LA  PROCEDURE  PÉNALE.   477 

l.  Si  la  preuve  n'est  pas  complètement  rapportée,  le  juge 

it  mettre  définitivement  l'inculpé  hors  du  procès. 

m.  En  principe,  les  faits  qu'il  s'agit  de  prouver  sont  tous 

.  Faits  qui  se  rapportent  à  l'existence  du  délit  et  à  la  culpa- 

lilé  de  l'agent. 

Je  reprends  Teiamen  de  chacune  de  ces  règles. 


§  XLII.  -  LA  PREUVE  INCOMBE  A  L'ACCUSATEUR. 

I.  Dans  quel  sens  la  charge  de  la  preuve  incombe  à  Taccusateur.  De  Tappli- 
ation  restreinte,  en  matière  répressive,  et  au  point  de  vue  de  la  preuve,  de 
adage  :  reus  excipiendo  fil  actor.  —  231.  De  la  preuve  des  faits  négatifs, 
ionfusion. 

230.  La  charge  de  la  preuve  incombe  entièrement  à  Tac- 
sateur  qui  doit  établir  l'existence,  aussi  bien  des  éléments 
)raux  que  des  éléments  matériels  de  Fin  fraction.  C'est 
e  règle  de  raison  et  de  sécurité  sociale  tout  à  la  fois^  que 
exiger  de  lui  la  démonstration  pleine  et  entière  de  la  culpa- 
\ié  de  Taccusé.  Si  donc  celui-ci  se  borne  à  nier  le  délit  qui 
i  est  reproché  ou  sa  culpabilité,  il  n^a  aucune  preuve  à 
iroir  de  sa  négation  :  c'est  de  sa  situation  qu^on  peut  dire  : 
incumbit  probatio  que  dicitj  non  qui  negat;  negantis,  naïu- 
Il  ratione,  nulla  est  probatio.  Le  refus  de  se  disculper  est 
1  droit  pour  l'accusé.  Mais  s*il  allègue  un  fait  justificatif, 
le  cause  de  non-culpabilité  ou  une  excuse,  doit-il,  à  son 
jr,  en  faire  la  preuve  complète,  comme  le  défendeur,  qui, 
ns  un  procès  civil,  invoque  une  exception  ou  une  cause 
libération  (C.  civ.,  art.  1315)? 

L'ancien  droit,  qui  avait  organisé  un  système  de  preuves 
^ales,  contenait,  sur  ce  point,  des  dispositions  précises  et 
roureuses.  L'ordonnance  de  1670  (tit.  XX VIII,  art.  1  et  2) 
lutorisait  la  preuve  des  faits  justificatifs  ou  des  causes  de 
n-culpabilité,  même  de  la  démence^  qu'après  la  visite  du 
ocès,  et  obligeait  l'accusé  à  les  articuler,  avec  précision, 
peine  de  déchéance*.  Aujourd'hui,  laccusé  peut  proposer 

5  XLII.  *  Voy.  Muyart  de  Vouglans,  op,  cU.y  p.  572  et  574. 


478        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

ses  moyens  de  défense  en  tout  état  de  cause':  on  ne  lui 
impose  même  pas  Tobligation  de  se  découvrir,  au  début  de 
l'instance,  et  de  déclarer  s' tV  plaide  coupable  ou  non  coupable^. 
Tous  les  obstacles  de  forme  apportés  à  sa  défense  ont  été^ 
avec  grande  raison,  supprimés. 

Au  fond  même,  il  faut  admettre  que  la  règle  :  Excipiendo 
reus  fit  actor^  n'a  qu'une  application  restreinte,  dans  la 
procédure  pénale.  D'une  part,  le  ministère  public  est  tenu 
de  faire  la  preuve  de  toutes  les  conditions  d'existence  du 
délit  et  de  culpabilité  de  l'agent  et,  par  suite,  de  Tabseoce 
de  causes  de  justification,  de  non-culpabilité,  d'excuses,  etc. 
D^autre  part^  le  caractère  social  de  ce  procès  oblige  les  juges 
à  suppléer  d'office  aux  moyens  de  défense  que  le  prévenu 
n'invoquerait  pas.  Enfin,  le  système  des  preuves  morales 
qui  a  remplacé  celui  des  preuves  légales,  fait  de  l'intime 
conviction  du  Juge  la  base  de  sa  décision. 

Cette  différence  essentielle  entre  la  réglementation  de  la 
preuve  dans  le  procès  pénal  et  dans  le  procès  civil  se  mani' 
feste  par  des  applications  intéressantes,  et  dont  nous  citons 
les  principales. 

Ainsi,  l'intention  criminelle,  lorsqu'elle  constitue  un  élé^ 
ment  de  Tincriminalion,  ne  se  présume  pas  :  elle  doit  être 
directement  établie  par  le  ministère  public\  Cependant  il 
y  a  des  cas  où  cette  intention  est  présumée,  c'est-à-dire  oii  le 
ministère  public  n'a  pas  à  l'établir.  L'exemple  classique 
d'une  situation  de  ce  genre  se  présente  en  matière  de  diffa- 
mation. Lorsque  les  allégations  ou  imputations  sont  elles- 
mêmes  diffamatoires,  l'intention*  se   présume  de   droit  et 

*  Sur  ce  point  :  Mitlermaier,  De  la  preuve  en  matière  criminelle^ 
chap.  XVII;  Bonnier,  op.  ctï.,  n»  37. 

*  C'est  là  un  trait  caractéristique  des  législations  anglo-saxonnes  basées 
sur  le  système  accusatoire,  les  règles  de  la  preuve  en  matière  civile  s'appli- 
quent en  matière  criminelle  par  suite  du  caractère  contradictoire  du  procès 
entre  l'accusateur  privé  et  l'accusé.  Voy.  Fournier^  Code  de  procédure  cri- 
minelle de  VÉtat  de  New-York,  p.  111  et  suiv. 

*  Jurisprudence  constante.  La  conséquence,  c'est  que  le  jugement  de  con- 
damnation doit  qualifier  les  faits  au  point  de  vue  de  Tintention. 

*  Mais,  pas  plus  en  matière  de  diffamation  qu'en  d'autres  matières,  il  ne 


LA   PREUVE   INCOMBE  A   l' ACCUSATEUR.  479 

c'est  à  celui  qui  est  poursuivi,  à  prouver  que,  dans  l'espèce, 
celle  intention  n'existe  pas*.  Cette  présomption  est  Tondée 
sur  ce  motif  que  toute  diffamation  implique  la  volonté  cou- 
pable et,  par  suite,  supprime  la  question  d'intention  \ 

Eo  matière  de  prescription  de  l'action  publique,  c'est  au 
ministère  public  à  établir  que  l'action  n'est  pas  prescrite  et 
que  le  procès  a  été  engagé  dans  les  délais  impartis*. 

En  cas  d'infraction  à  un  arrêté  d'expulsion,  c'est  au  minis- 
tère public  à  faire  la  preuve  que  le  prévenu  est  étranger, 
leitranéité  étant  une  des  conditions  du  délit*. 

231.  11  est  vrai  qu'on  a  souvent  prétendu  borner  l'appli- 
cation de  la  règle  :  Onus  probandi  actori  incombit^  au  cas  où 
le  demandeur  alléguerait  un  fait  positif,  la  preuve  d'un  fait 
négatif  étant  impossible.  Mais  il  n'est  pas  difficile  de  com- 
prendre que  toute  proposition  négative  se  décompose  et 
s'analyse  en  une  ou  plusieurs  propositions  affirmatives.  La 
différence  entre  une  affirmation  et  une  négation  consiste 
plutôt  dans  la  forme  et  dans  la  manière  de  poser  la  question 
que  dans  la  réalité  des  choses.  L'impossibilité  de  prouver 
un  fait  négatif  est  donc  chimérique,  car  il  suffit  de  prouver 
le  fait  positif  contraire  pour  établir  le  fait  négatif. 

Ainsi,  bien  que  l'incrimination  de  vagabondage,  soit  con- 
stituée par  la  réunion  des  trois  négations  :  le  défaut  de 
domicile  certain,  l'absence  de  moyens  d'existence  et  le  fait 

^*ut  confondre  Tintention  coupable  avec  le  mobile,  par  exemple  avec  Tin- 
^ï^tion  de  nuire.  Voy.  cependant  :  noie  de  M.  Chavegrin  sous  Cass., 
23  oct.  1886  (S.  87.  \.  441).  Mais  réfutation  exacte  dans  G.  Le  Poittevin, 
^-  cit,  t.  2,  n«  730. 

^  La  jurisprudence  est  fixée  dans  ce  sens  que  l'intention  coupable  est 
présumée  en  matière  de  diffamation.  Cass.,  12  févr.  1891  (S.  91.  1.  144); 
*S  févr.  1894  (S.  95.  1.  252).  Voy.  la  note  de  M.  Villey  sous  Cass., 
2î^  avr.  1887  (S.  8^  1.137). 

^  Cette  thèse  est  doctrinalement  contestable.  Le  fait  d*avoir  accompli 
'acte  matériel  du  délit  n'emporte  pas,  dans  tous  les  cas  et  nécessairement, 
*  intention  délictueuse. 

•  Voy.  suprà,  n»  220,  p.  465. 

•  Paris,  11  juio  1883  (S.  83.  2.  177).  SiCy  Hoffmann,  Traité  des  questions 
Préjudicielles,  t.  2,  n*»  448  bis. 


480        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

que  l*inculpé  n*exerce  habituellement  ni  métier,  ni  profes- 
sion, le  ministère  public  établira  :  le  défaut  de  domicile  cer- 
tain, en  faisant  la  preuve  de  Texislence.  nomade  du  prévenu, 
c'est-à-dire  de  son  changement  incessant  de  résidence;  son 
manque  de  moyens  de  subsistance,  en  prouvant  son  élat 
d'indigence;  son  défaut  d'exercice  habituel  de  métier  ou  de 
profession,  en  prouvant  son  oisiveté**. 

Les  faits  négatifs  à  démontrer  impliquent  donc  ici  des  faits 
positifs,  et  on  ne  comprendrait  pas  que  le  ministère  public 
fût  dispensé  de  prouver  Texistence  des  éléments  qui  consti- 
tuent rélat  de  vagabondage,  parce  que  ces  éléments  sont 
formulés  négativement  parla  loi.  La  difficulté  de  la  preuve 
d'un  fait  négatif  ne  tient  pas  à  la  forme  sous  laquelle  le  fait 
est  présenté,  mais  à  V étendue  de  l'affirmation  ou  de  la  néga- 
tion qu*il  suppose.  Toutes  les  fois  que  les  faits  invoqués  sont 
indéfinis,  la  preuve  en  est  difficile,  quelquefois  même  mora- 
lement impossible  (non  quia  negativa,  sed  quia  inde/inita)^^. 


§  XLIII.  —  DES  DEVOIRS  DU  JUGE  DE  RÉPRESSION  QUAND  LA  PREUTE 

NEST  PAS  RAPPORTÉE. 

232.  LMasuffisance  de  la  preuve  amène  le  renvoi  d'instance  du  prévenu.  InstitutioQs 
'    qui  se  mtlachent  à  cette  situation.  Peine  extraordinaire.  Diverses  espèces  d'abso- 

*°  Voy.  cependant  en  sens  contraire,  mais  par  une  fausse  appréciation 
de  la  théorie  des  preuves,  Aix,  29  déc.  1895  {Joum,  min.  pui.,  1896, 
art.  3789);  Chambéry,  23  janv.  1896  (S.  96.  2.  205).  M.  Garçon,  sous  les 
articles  269  à  273  de  son  Codé  pénal  annoté  (n®  53),  parait  commettre  la 
même  confusion  :  «  Remarquons,  écrit-il,  que  le  ministère  public  ne  peut  pas 
être  tenu  de  faire  la  preuve  du  défaut  de  domicile,  puisque  c'est  un  fait  pu* 
rement  négatif.  C'est  au  prévenu  qu'incombe  la  charge  de  la  preuve  en  éta- 
blissant qu'il  a  une  habitation  certaine.  Il  suit  de  là  que  le  fait  par  un  indi- 
vidu de  dissimuler  son  domicile  équivaut  à  n'en  point  avoir.  Riom,  22  janv. 
1862  (D.  62.  2.  201)  ».  Cette  solution,  qui  dispenserait  le  miiiislère 
public  de  toute  preuve  de  la  vie  nomade  et  vagabonde,  par  cela  seul  qu^ 
rinculpé  refuserait  de  donner  des  renseignements,  serait  vraiment  trop 
commode. 

**  Voy.  Colmet  de  Santerre,  Cours  de  Code  civil,  t.  5,  n«  276  bis;  Garsoi^' 
net,  op.  cit.,  t.  2,  n»  701,  p.  492;  Aubry  et  Rau,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  156  ; 
Bnnnier,  op.  cit.,  t.  1,  n®  39. 


PRÉSOMPTION    l/iNNOCBNCE.  481 

lution.  Plus  amplement  informé.  —  233.  Ces  institutions  ont  disparu.  —  234.  De 
la  règle  :  In  dubio  pro  reo.  Critiques  faites  par  l'école  positiviste.  Réformes  à 
rebours. 

232.  L*iDsuffisance  de  la  preuve,  de  la  part  de  celui  qui 
est  chargé  de  TadmiDistrer,  amène,  dans  tout  procès,  le 
renvoi  d'instance  du  défendeur.  Adore  non  probante,  reus 
absolvitnr.  C'est  surtout  en  nfiatière  répressive  que  ce  prin- 
cipe doit  être  respecté.  Toutes  les  fois  que  la  culpabilité 
n'est  pas  complètement  établie,  une  peine  ne  serait  pas  jus- 
tifiée. Si  telle  est,  en  effet,  la  règle,  dans  notre  législation, 
où  la  répression  a  sa  base  préalable  dans  une  déclaration  de 
culpabilité,  il  faut  constater  combien,  dans  le  développement 
historique  des  institutions,  on  a  eu  de  peine  à  y  aboutir. 
Un  double  préjugé  a  retardé  longtemps  le  triomphe  de  la 
justice  et  de  la  logique  sur  ce  point. 

I.  On  a  été  tout  d'abord  porté  à  confondre  une  culpabilité 
imparfaitement  prouvée  avec  une  culpabilité  atténuée.  De  là, 
l'usage  de  \di  peine  gracieuse  ou  extraordinaire.  «  Les  juges, 
«  dit  un  de  nos  vieux  agteurs»  n'ayant  en  main,  pour  la 
«  preuve  du  maléfice,  autre  chose,  que  des  indices  et  des 
(<  présomptions^  ores  qu'ils  soient  indubitables  et  véhéments, 
«  si  ne  doivent-ils  pas  juger  à  la  vraie  et  dernière  peine, 
«  tout  ainsi  que  s'il  y  avait  des  témoins  déposant  l'avoir  vu, 
«  ainsi  doivent  incliner  à  quelque  gracieuse  condamnation*  »» 

Ce  système  a  probablement  son  origine  dans  la  défiance 
qu'inspirait,  au  début,  la  procédure  inquisitoire,  défiance 
telle,  qu'on  ne  considérait  pas  comme  complète  la  preuve 
faite  par  ce  procédé  et  que  l'on  ne  permettait  pas  de  pronon- 
cer, lorsqu'il  avait  été  employé,  la  peine  la  plus  grave,  mais 
une  peine  inférieure.  Plus  tard,  lorsque  la  procédure  inqui- 
sitoire se  fut  substituée  à  la  procédure  accusatoire,  l'usage 

§  XLIII.  *  Papon,  Recueil  d'arrêts  (liv.  XXIV,  tit.  VII,  art.  1).  Jousse, 
Traité  de  la  just.  crim.  (t.  4,  n*  8,  p.  38),  définit  les  peines  extraordinaires, 
u  d'autres  peines  moindres,  qui  s'infligent  pour  les  mêmes  crimes,  par  des 
raisons  de  tempérament  et  d'équité  tirées  ou  des  circonstances  particulières 
qui  rendent  ces  crimes  plus  excusables,  ou  du  défaut  de  preuves  suffisan- 
tes ». 

G.  P.  P.  -  T.  31 


482        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

des  peines  extraordinaires  persiste,  comme  une  conséquence 
du  système  des  preuves  légales  qui  ne  permettait  point  de 
condamnation  capitale  en  l'absence  de  certaines  conditions*. 

11.  L'entière  certitude,  soit  de  la  culpabilité,  soit  de  la 
non-culpabilité,  ne  pouvant  pas  être  toujours  facilement 
«cquise,  Tancienne  jurisprudence  criminelle  avait  établi, 
«d'abord,  diverses  espèces  d'acquittement,  puis,  un  moyen 
4emie  entre  l'acquittement  et  la  condamnation  :  elle  graduait 
ainsi  les  solutions  du  procès  pénal  sur  les  divers  degrés  de 
la  preuve*.  Lorsque  la  condamnation  n'intervenait  pas,  trois 
solutions  étaient  possibles  :  VabsoluUon,  la  mise  hors  de  cour, 
et  le  plus  amplement  informé. 

Vabsoluiion^  était  le  rejet  pur  et  simple  de  Taccusation 
et  donnait  à  l'accusé  le  droit  d'agir  en  dommages-intérèls 
contre  la  partie  civile.  La  mise  hors  de  cour  et  de  procès  était 
une  absolution  moins  complète.  «  Quand  l'accusé  n'est  pas 
renvoyé  absous,  dit  Serpillon',  mais  seulement  mis  hors 
cour,  il  ne  peut  prétendre  à  des  dommages-intérêts,  il  n'est 

*  «  Cet  usage,  dit  d*Aguesseau  dans  une  lettre  du  4  janvier  t739,  est  ud 
abus  qu'on  ne  peut  tolérer,  et  que  j'aurai  soin  de  réprimer.  Ou  la  preuve 
d'un  crime  est  complète,  ou  elle  ne  Test  pas  :  dans  le  premier  cas,  il  n'est 
pas  douteux  qu'pn  doit  prononcer  la  peine  portée  par  les  ordonnances; 
mais,  dans  le  dernier  cas,  il  est  certain  qu'on  ne  doit  prononcer  aucune 
peine  ».  Les  juges  et  les  jurés  qui,  de  nos  jours,  en  cas  de  doute,  déclarent 
la  culpabilité  avec  circonstances  atténuantes  retombent  dans  le  même  abus. 
11  faut  toujours  se  souvenir  que  la  preuve  n*admel  point  de  moyen  terme  : 

^  imparfaite,  elle  n'existe  pas.  Comp.  Bonnier,  op.  cit.,  t.  4,  n*52.  Cependant, 
Tar(le  (La  philosophie  pénale,  p.  455)  ne  voit  pas  un  préjugé,  mais  une  vé- 
rité, dans  cette  proposition  que  «  la  force  des  preuves  doit  se  proportionoef 
à  la  gravité  du  cbùtiment,  c'est-à-dire  du  forfaiL..  ». 

'  Pour  les  détails  :  Bonnier,  op.  cit.,  n^  53  à  57;  Esmein,  Histoire  de  la 
procédure  criminelle  en  France,  p.  2i4;  Paringault,  Rev.  hist.,  t.  5,  p.  408. 
L'exposé  complet  de  l'ancienne  jurisprudence  à  cet  égard  est  fait  par  Jousse, 
op.  cit.,  t.  II,  n*-  83  à  93,  p.  556  à  560. 

*  On  ne  distinguait  pas,  dans  l'ancien  droit,  l'absolution  de  Tacquitte- 
menl.  Les  ordonnances  de  4539  et  de  4670  emploient  toujours  rejqpresBioo 
d'absolution. 

*  Code  criminel,  p.  409.  Comp.  sur  la  mise  hors  cour  :  Jousse,  op.  dt., 
part.  III,  liv.  II,  tit.  XXV,  ti«  84;  Muyart  de  Vougians,  Lois  crimineUes, 
liv.  II,  tit.  IV,  chap.  V,  no  1;  Merlin,  Répertoire,  v«  Hors  de  cour,  553. 


PRÉSOMPTION  d*innocbiiïPb:  463 

pas  eotièrement  lavé  ».  Enfin,  la  troisième  solution  coasis- 
jtait  à  tenir  T^ccu^  in  reatUy  sans  statuer  sur  son  sort.  C'était 
le  plus  ample  informé,  institution  qui  n'était  mentionnée,  ni 
dans  Tordonnance  de  1539,  ni  dans  celle  de  i670,  mais  que 
l'usage  avait  introduit,  au  cas  de  preuve  imparfaite.  Il  y 
avait  le  plus  amplement  informé  à  temps,  qui  obligeait 
l'accusé  à  garder  prison.  Ce  temps  variait  ordinairement  de 
trois  mois  à  deux  ans.  Le  plus  amplement  informé  usqueguo^ 
à  la  suite  duquel  l'accusé  était  provisoirement  élargi,  mais 
qui  laissait  indéfiniment  subsister  l'accusation.  «  On  le 
prononce  toujours  dans  les  causes  graves,  dit  Jousse,  pour 
peu  qu'il  y  ait  d'indices  contre  l'accusé^  ». 

233.  Toutes  ces  institutions  sont  étrangères  à  noire 
temps  el  à  nos  mœurs.  D'une  part,  aucune  peine  ne  peut 
être  prononcée  contre  un  accusé  non  coupable;  et  toutes  les 
fois  que  certains  retours  ataviques  aux  tendances  anciennes 
^e  sont  manifestés  par  la  condamnation,  en  totalité  ou  en 
partie,  aux  dépens,  de  l'accusé  acquitté,  notre  Cour  suprême 
a  rélabli  les  véritables  principes,  en  déclarant  que  l'accusé 
acquitté  ne  saurait  être  réputé  avoir  succombé,  aux  termes 
de  Tarticle  368  du  Code  d'instruction  criminelle,  sainement 
entendu  ^  D'autre  part,  l'accusé  acquitté  ne  peut  être  repris, 
ni  recherché  à  l'occasion  du  même  fait  (C.  instr.  cr., 
art.  360)'.  Sans  doute,  ce  principe  ne  s'applique  qu'à  la 
décision  rendue  par  une  juridiction  de  jugement. 

Un  arrêt  de  non-lieu,  prononcé  par  la  chambre  des  mises 
en  accusation,  n'empêche  pas  de  reprendre  le  prévenu,  s'il  * 
survient  de  nouvelles  charges  (C.  instr.  cr.,  art.  246),  de 

•  Voy.  notamment  sur  le  plus  ample  informé  :  Muyart  de  Vouglans.  Instr. 
crim.,  p.  362  et  363;  Jousse,  op.  cit.,  t.  2,  p.  557  et  suiv.;  Merlin,  Répert,, 
V*  Plus  amplememt  informé. 

'  Comp.  Gass.,  10  janv.  1851.  Arrêt  rapporté  par  Bonnier,  op.  cit.,  t.  1, 
n*  57.  Il  en  est  tout  autrement  en  matière  d^absolution. 

*  Le  Code  de  procédure  pénale  allemand  n*a  pas  reproduit  la  pratique, 
usitée  dans  divers  États,  du  renvoi  de  lUnstance  ou  absolutio  ab  instantia, 
institution  présentant  une  certaine  analogie  avec  lep/u«  amplement  itiforvsé . 
Voy.  sur  cette  institution  :  Mittermaier,  op.  cit.,  chap.  LXV. 


484        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DB  LA  PREOVE. 

sorte  que  celui-ci  reste  in  reatu  jusqu'à  ce  que  la  prescrip- 
tion lui  soit  acquise.  Mais  il  oe  s^agit  pas  encore  là  d'une 
solution  du  procès,  et  c'est  seulement  quand  rinstructioo  a 
suivi  toutes  ses  phases  que  Taccusé  a  droit  à  une  décision 
définitive,  qui  ne  laisse  planer  aucune  équivoque  sur  sa 
situation.  11  peut  exiger  de  la  société  une  absolution,  si  sa 
culpabilité  n'est  pas  démontrée. 

234.  La  règle  que  le  doute  profite  à  Taccusé  —  in  dubio 
pro  reo,  —  exerce  son  influence,  non  seulement  sur  la  solu- 
tion du  procès  pénal,  mais  sur  toutes  ses  phases,  et  donne 
naissance  à  une  série  de  corollaires.  C'est  ainsi  qu'on  met 
en  liberté  le  prévenu  acquitté  durant  les  délais  d'appel  et 
malgré  Tappel  du  ministère  public  (C.  instr.  cr.,  art.  206); 
que  l'on  compte,  en  faveur  de  l'accusé,  les  bulletins  blancs 
ou  les  bulletins  illisibles  des  jurés  (L.  13  mai  1S36,  art.  4): 
qu'on  l'acquitte  en  cas  de  partage  égal  des  votes;  qu'on 
donne  à  la  cour  d'assises  le  droit  de  suspendre  Texécution 
d'un  verdict  de  condamnation,  sans  lui  reconnaître  les  mêmes 
droits  en  cas  d'acquittement;  qu'on  admet  la  revision  des  juge- 
ments qui  prononcent  une  condamnation  et  qu'on  interdit  de 
reviser  les  jugements  qui  prononcent  un  acquittement,  etc. 

Toutes  ces  institutions,  protectrices  de  Taccusé,  dérivent 
de  ridée  que  le  doute  doit  s'interpréter  en  sa  faveur.  Elles  ont 
été  critiquées,  comme  des  progrès  à  rebours,  par  les  parti- 
sans de  l'école  positiviste,  qui  ne  voient,  dans  ces  garanties 
traditionnelles,  que  des  procédés  tendant  à  désarmer  la  «  dé- 
fense sociale  ». 

Les  attaques  ont  porté  sur  toutes  les  conséquences  tirées, 
par  les  législations  positives  ou  par  la  jurisprudence  qui  les 
interprète,  de  la  présomption  légale  d'innocence*. 

C'est  d'abord   l'efTet  suspensif  de  toute  voie   de  recours, 

•  Ferri,  Sociologie  criminelle^  n*  73,  p.  728  à  741.  Voy.  également  Pu- 
gliese,  Le  procès  criminel  au  point  de  vue  de  la  sociologie  (Actes  du  CongrH 
d*anthrop,  crim,  de  Rome  de  4885^  p.  30,  et  du  Congrès  d'anth,  de  ParU  de 
1889f  p.  106  et  suiv.).  Adde,  Rigot,  De  quelques  immunités  accordées  au 
coupable  (Tb.  doct.,  Lyon,  1903). 


i 


PRÉSOMPTION  d'innocence.  485 

non  seulement  au  poiol  de  vue  de  rexécution  de  la  coa* 
damnation,  mais  encore  et  surtout  au  point  de  vue  de  la 
liberté  provisoire  du  condamné  qui  est  maintenue  pendant 
rappel  et  le  pourvoi  en  cassation  (C.  instr.  cr.,  art.  203,  §2, 
art.  373,  §  4);  ce  serait  là  une  institution  qui  favoriserait  les 
malfaiteurs  et  laisserait  les  honnêtes  gens  désarmés  ^^. 

Ainsi  encore,  les  règles  qui  présument  Tinnocence,  même 
de  celui  qui  est  condamné,  constitueraient  des  garanties 
individuelles  excessives,  sans  contrepartie  suffisante  par  rap- 
port à  Tintérèt  public.  Par  exemple,  la  cour  d'assises  a  le 
droit,  quoique  la  décision  du  jury  ne  soit  susceptible  d'aucun 
recours,  de  surseoir  au  jugement  et  de  renvoyer  l'affaire 
devant  un  nouveau  jury,  lorsque  Taccusé  a  été  déclaré  coupa- 
ble et  que  la  cour  d'assises  est  convaincue  que  le  premier  s'est 
trompé  au  fond.  Au  contraire,  si  l'accusé  est  acquitté,  la 
cour  ne  peut  méconnaître  le  verdict,  fùt-elle  convaincue 
que  cet  acquittement  est  dû  à  une  erreur  du  jury  (G.  instr. 
cr.,  art.  350  et  352). 

On  critique  également  le  système  d'après  lequel  le  sort  du 
condamné  ne  peut  être  aggravé  sur  son  appel  ou  sur  son 
pourvoi  en  cassation.  Cette  solution  est  consacrée  par  la 
jurisprudence  française,  d'après  un  avis  du  Conseil  d'Etat  du 
13  novembre  1806. 

En  cas  d'acquittement  de  l'accusé  en  cour  d'assises,  le 
pourvoi  en  cassation  du  ministère  public  ne  peut  avoir  lieu 
que  dans  l'intérêt  de  la  loi,  sans  préjudicier  à  l'accusé 
(C.  instr.  cr.,  art.  409).  Il  en  est  tout  autrement  en  cas 
de  relaxe  par  la  juridiction  correctionnelle  (C.  instr.  cr., 
art.  413).  Ce  serait  là  également  une  de  ces  «  immunités  » 
des  criminels,  dont  une  législation  sentimentale  aurait  fait 
abus. 

La  revision  du  procès  n'est  possible,  dans  la  législation 
française,  qu'au  profit  du  condamné  et  non  à  son  préjudice'^ 

*®  Garofalo,  Cio  che  dovrebbe  essere  un  guidizio  pénale  (Arc/i,  dipsichia- 
triai  l.  3),  cité  par  Ferri,  op,  cit.,  p.  495. 

'<  Il  en  est  autVement  dans  les  Codes  de  procédure  pénale  de  TAllemagne, 
§  395,  de  TAutriche,  §  355,  de  la  Norvège,  §  415.  Voy.  aussi   Fournien 


486        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

Pourquoi  cette  difTérence  entre  deui  situations  qui  sont  la 
contrepartie  Tune  de  l'autre,  sinon  en  vue  de  désarmer  la 
société? 

Enfio  régalité  de  voix  dans  la  décision  du  jury  entraîne 
Tacquittement  de  Taccusé,  qui  ne  peut  plus  être  repris,  à 
raison  du  même  fait,  alors  que,  s'il  avait  bénéficié  d'une 
ordonnance  de  non-lieu,  il  se  trouverait  soumis  à  une  reprise 
d'instance,  en  cas  do  survenance  de  nouvelles  charges 
(C.  instr.  cr.,  art.  246  et  247,  347  et  350). 

A  quelles  conclusions  aboutissent  ces  critiques  ? 

D'abord,  au  renversement  de  la  présomption  d'innocence. 
L'école  positiviste  voit  un  coupable  dans  tout  individu  ijui 
est  l'objet  d'une  poursuite.  Elle  demande  qu'on  le  traite 
comme  tel.  Sans  doute,  pour  le  maintien  ou  le  rejet  de  la 
présomption  d'innocence,  Ferri  distingue  entre  la  crimina- 
lité évolutive  et  la  criminalité  atavique,  entre  le  criminel 
d'occasion  et  le  criminel-né,  la  présomption  pouvant  être 
maintenue  pour  le  premier,  devant  être  rejetée  pour  le  se- 
cond. Mais,  en  admettant  l'existence  de  cette  double  catégorie 
de  criminels,  la  distinction  aurait,  certes,  de  l'importance  pour 
Tapplication  et  le  choix  des  mesures  à  prendre,  après  preuve 
et  constatation  de  la  culpabilité  ou  de  la  nocuilé.  Mais  com- 
ment la  faire  fonctionner,  lorsqu'il  s'agit  d'établir  que  l'ac- 
cusé soupçonné  est  bien  l'auteur  du  délit? 

Puis,  au  rétablissement  des  sentences  de  plus  ample  in- 
formé, rendues  lorsqu'il  y  a  doute,  du  non  liquet.  Mais  si  cette 
institution  a  disparu,  c'est  qu'elle  avait  le  grand  vice  de 
^faire  indéfiniment  peser,  sur  un  individu,  un  soupçon  qui 
devrait  être  vidé  et  de  créer  une  catégorie  de  parias  judi- 
ciaires qui  ne  pouvaient  trouver  de  juges,  ni  pour  les  con- 
damner, ni  pour  les  acquitter  '". 

Ces  prétendues  réformes  seraient  une  régression  au  lieu 

C.  proc.  pén,  de  VÉtat  de  New-York,  p.  6,  note  3.  Gomp.  sur  la  question  • 
Majno,  Délia  revisione  dei  processi  penali  (Arch.  di  psiehkUria,  etc.,  1884, 
p.  261). 

"  Voy.  Ferri,  Sociologie  criminelle,  p.  406;  Tarde,  Philosophie  pénale, 
p.  450;  Carnevale,  Certezzaedubio,  dans  la  Rivista  pénale,  189â. 


FAITS  A  PROUVER.  487 

ua  progrès*'.  La  procédure  crimiDelle  a'a  pas  pour  seul 
unique  but  la  poursuite  des  malfaiteurs,  mais  aussi  la 
rotection  des  honnêtes  gens.  Il  ne  faut  donc  pas  supposer 
Lie  tout  inculpé  soit  un  coupable,  mais,  il  faut  admettre, 
isqu'à  preuve  contraire,  que  tout  inculpé  est  un  innocent.  Le 
inversement  de  la  présomption  d'innocence  ne  se  compreo^ 
rait  que  s'il  existait  des  signes  extérieurs,  des  stigmates 
liysiques,  permettant  de  classer  l'inculpé  dans  une  catégorie 
nthropologique  ou  sociologique**.  En  admettant  même 
existence  de  ces  stigmates,  ce  serait  donner  à  de  simples  in- 
ices  de  criminalité  une  portée  redoutable,  en  classant  a 
riori  comme  dangereux  ceux  qui  en  seraient  les  victimes. 


XLIV.  -  DES  CAS  DANS  LESQUELS  IL  T  A  LIEU  DE  FAIRE  LA  PREUVE 

ET  DES  FAITS  A  PROUVER. 

15.  Dans  un  procès  civil,  qu.itre  conditions  sont  nécessaires  pour  qu'il  y  ait  lie» 
(le  faire  la  preuve.  Examen  du  point  de  savoir  si  chacune  de  cea  conditions  s'ap> 
plique  au  procès  pénal.  —  236.  Les  fait:;,  môme  avoués,  doivent  être  établis  en 
matière  pénale.  En  d'autres  termes,  l'aveu  ne  dispense  pas  de  la  preuve;  il  n'est 
lui-même  qu'un  élément  de  conviction.  —  237.  l^a  dispense  de  preuve  en  matière 
de  présomption  légale.  Rôle  effacé  des  présomptions  légales  dans  la  procédure 
répressive.  —  238.  La  preuve  de  certains  faits  peut  être  interdite.  Vérité  des  faits 
diffamatoires.  —  239.  De  la  pertinence  des  faits  dont  on  demiinde  à  faire  preuve 
dans  la  procédure  pénale.  —  240.  En  matière  de  diffamation,  le  prévenu  n'est 
pas  toujours  admis  à  faire  la  preuve  de  ki  vérité  des  imputations.  Injure.  Ou- 
trage. —  241.  Distinction,  au  point  de  vue  de  la  difTamalioUf  entre  les  faits  de  la 
vie  privée  et  les  faits  de  la  vie  publique.  —  242.  De  la  preuve  de  moralité.  Ad- 
missibilité. 


Dans  UD  proccs  civil,  quatre  conditions  sont  néces- 
aires  pour  qu*il  y  ait  lieu  de  faire  la  preuve.  Il  faut  :  1°  que 
•s  faits  soient  contestés;  2**  qu'ils  ne  soient  pas  légalement 

'3  A  ce  point  de  vue,  lire  les  observations  de  Luccbini,  Le  droit  pénal 
l  les  nouvelles  théories  (trad.  de  Henri  Prud homme,  Paris,  1892),  p.  239  à 
45. 

**  Ces  réformes  se  rattachent  à  la  conception,  aujourd'hui  condamnée, 
u  criminel-né.  Tous  les  positivistes  ne  partaient  pas,  du  reste,  l'opinion  de 
érri.  Dans  ses  Principii  fondamentali  di  diritto  guidiziario  pénale^  le 
rofesseur  Puglia  se  montre  favorable  à  la  présomption  d'innocence  eo  cas 
e  doute  (p.  22). 


488  PEUX:ÉDUR£   PÉSIALE.  —  DE   LA   PRECTE. 

tenus  pour  Trais;  3*  que  la  preuve  n'eu  soit  pas  défendae; 
i*  qu*ils  soient  admissibles.  «  Eu  dehors  de  ces  conditions, 
la  preuve  est  interdite  ou  inutile.  Trois  d'entre  elles  sont 
prescrites  par  Tarticle  233  du  Code  de  procédure  civile  dont 
la  disfKisition  est  générale,  bien  qu'elle  n'ait  en  Tue  que  la 
preuve  testimoniale*  •>. 

Mais  ces  quatre  conditions  ne  s'appliquent  à  la  procédure 
pénale  que  sous  certaines  réserves. 

236.  Au  civil,  «  la  partie  qui  reconnaît  tes  faits  du  procès 
D*a  pas  ptus  le  droit  d'en  exiger  la  preuve,  que  la  partie  qui 
les  avance,  n'a  d'intérêt  à  la  fournir'  ».  Eq  conséquence, 
Taveu,  lorsqu'il  fait  pleine  foi,  supprime,  en  matière  civile, 
non  seulement  la  nécessité,  mais  encore  l'ulililé  de  la  preuve^ 
Il  n'en  est  pas  de  même  en  matière  pénale.  L'aveu  est  une 
preuve,  un  élément  de  conviction,  voilà  tout.  Aussi  ne  dis- 
pensc-t-il  pas  le  ministère  public  de  faire  la  preuve  de 
l'existence  du  délit  et  de  celle  de  la  culpabilité.  Le  procès 
ne  se  réduit  pas,  après  l'aveu,  à  la  seule  application  de  la 
peine. 

Nous  aurons  à  examiner,  au  surplus,  non  seulement  com- 
ment on  fait  la  preuve  de  l'aveu,  mais  encore  quelle  est  la 
foi  qui  s'y  attache.  Mais  il  importe  de  remarquer  que  lors- 
qu'il y  a  eu  aveu  de  l'accusé,  le  magistrat  français  n'est 
pas,  comme  le  magistrat  anglais,  dispensé  d'examiner  le  pro- 
cès. L'adage  «  confessus  pro  judicato  est  »  n'a  pas  d'applica- 
tion, au  sens  juridique  du  mot^dans  la  procéduri3  pénale  fran- 
çaise. 

237.  En  matière  civile,  la  preuve  des  faits,  réputés  vrais 
en  vertu  d'une  présomption  légale,  est  également  inutile. 
Mais,  dans  le  procès  pénal,  ce  qui  concerne,  soit  l'existence 
du  délit,  soit  la  culpabilité  de  l'auteur,  doit  toujours  être 
prouvé.  Il  n'existe  pas  de  présomptions  absolues  de  délits  ou 

.  cit.,  t.  2,  §  092,  p.  478. 


8  XLIV.  *  Oarsonnet,  op.  ciL,  t.  2,  §  092 
«  Oarsonnet,  op,  cit.,  t.  2,  §  693,  p.  478. 


FAITS  A  PROUVER.  489 

de  présomptions  absolues  de  culpabilité.  Le  rôle  des  présomp- 
tions légales  est  infiniment  restreint  en  matière  pénale. 

238.  11  est  des  faits  dont  la  loi  n'admet  pas  qu*on  offre  la 
preuve.  Tels  sont  les  faits  diffamatoires,  d'après  les  distinc- 
tions .empruntées,  par  là  loi  du  29  juillet  i88i,  à  celle  du 
26  mai  1819  qui  voulut,  suivant  le  mot  célèbre  de  Royer- 
Collard,  «  que  la  vie  privée  fût  murée  et  la  vie  publique 
livrée  à  tous  les  regards  ».  Celte  exclusion  de  la  preuve,  en 
ce  qui  concerne  la  vérité  des  faits  diffamatoires,  sera  étudiée 
dans  un  paragraphe  spécial. 

239.  Les  faits  clont  on  demande  à  rapporter  la  preuve 
doivent  être  concluants  (C.  proc.  civ.,  art.  254),  c'est-à-dire 
tels  que,  en  les  supposant  vrais,  ils  puissent  être  utiles  à  la 
partie  qui  les  allègue.  Cette  condition  d'admissibilité  de  la 
preuve  n'a  pas,  dans  la  procédure  civile  et  la  procédure 
criminelle,  une  égale  importance.  D'une  part,  dans  le  pro- 
cès pénal,  tous  les  faits  qui  peuvent,  de  *près  ou  de  loin, 
influer  sur  l'existence  de  la  culpabilité  et  sur  sa  mesure^ 
en  un  mot  sur  toute  la  moralité  de  l'action,  sont  concluants 
dans  le  sens  légal  du  mot'.  D'autre  part,  tous  les  modes  de 
preuve  sont  admissibles  pour  les  établir.  Cette  double  con- 
statation est  le  corollaire  du  concept  essentiel  qui  domine 
le  système  des  preuves  :  la  recherche  de  l'intime  conviction 
du  juge  (C.  instr.  cr.,  art.  342).  (ju'en  résulte-t-il?  En  matière 
civile,  l'application  de  l'adage  :  «  Frustra  admittitur  proban- 
dum  çuod probatum  nonrelevat  »,  commun  à  toutes  les  preu- 
ves, est  abandonnée  aux  tribunaux,  à  qui  il  appartient  d'ap- 
précier souverainement,  quels  faits  sont  indifférents  au  pro- 
cès, quels  autres  sont  de  nature  à  en  déterminer  la  solution  \ 
Il  en  est  tout  autrement  en  matière  pénale.  Les  tribunaux 
de  répression  ne  peuveut  refuser,  sans  motifs  juridiques,  la 
preuve  qui  est  offerte  par  les  parties,  notamment  ils  ne  peu- 

'  Millermaier,  op.  cit,^  p.  67. 

♦  Voy.  par  exemple  :  Cass.,  22  avr.  1890  (S,  92.   i.  8);  16  mars  1898 
[S.  98.  1.  3921. 


490        PROCÉDURE  PiNALB.  —  DB  LA  PRECVE. 

vent  refuser  d'entendre  le»  témoins,  régulièrement  cités,  qui 
sont  produits,  soit  par  le  ministère  public  ou  la  partie  civile, 
à  Tappui  de  i^accusation,  soit  par  le  prévenu,  à  l'appui  de  sa 
défense.  La  valeur  juridique  des  motifs  relève  de  la  Cour  de 
cassation*. 

240.  En  matière  de  diffamation,  le  prévenu  n'est  pas 
toujours  admis  à  faire  la  preuve  de  la  vérité  des  faits  de 
nature  à  nuire  à  l'honneur  ou  à  la  considération  qu'il  a 
imputés  ou  allégués.  C'est  dans  la  loi  du  29  juil4el  t88l 
sur  la  liberté  de  la  presse  que  se  trouvent  les  dispositions, 
aujourd'hui  en  vigueur,  sur  la  preuve  des  faits  diffamatoires*. 
Ell^s  diffèrent  peu  de  celles  qui  étaient  édictées  par  ht  loi 
du  26  mai  1819.  Le  législateur  a  rejeté  un  système  radical, 
aux  termes  duquel  la  vérité  du  fait  diffamatoire  aurait  tou- 
jours pu  être  établie.  Il  n'a  pas  davantage  admis  que  la 
preuve  pourrait  être  reçue  quand  le  plaignant  aurait  autorisé- 
îe  prévenu  à  la  rapporter\  Ces  deux  solutions  lui  ont  para 
également  dangereuses  ;  il  s*est  attaché,  comme  la  loi  de  1819, 
à  un  certain  nombre  de  distinctions,  déjà  consacrées  par  la 
pratique  d'un  demi-siècle.    - 

I.  La  première  est  celle  de  la  diffamalion  et  de  l'in/iire. 
Elle   est  capitale  au  point  de   vue   de  l'admissibilité  de  ta: 
preuve.  Ainsi  qu*on   Ta  fait  remarquer  dans  l'exposé    des 
motifs  du  Code  pénal,  dont  les  principes  ont  été  nrmintenus 
sous  ce  rapport,  par  toute  la  législation  postérieure,  Vinjtire 

•  Voy.  notamment  on  ce  qui  concerne  la  preuve  par  témoins-  :  Cass. 
26  avr.  1884  (fi.  cr.^  n»  149);  24  mars  1906  [Gaz.  du  PaL,  n*»  du  17  mai 
1906). 

•  Voy.  sur  cette  question  :  G.  Le  Poittevin,  Traité  de  la  presse^  L  2, 
n®  771. 

'  Bozi'rian,  au  St'nat,  reprenant  une  proposition,  d'abord  admise,  puis 
repoussée  par  la  commission  de  la  Chambre,  avait  proposé,  par  voie  d*»- 
mendement,  Tadmiseion  de  la  preuve,  quand  c'est  le  diffamé  qui  la  réclame. 
Mais  la  Commission  du  Sénat  rejeta  cet  amendement.  On  a  dit  que  la  per- 
sonne diffamée  se  trouverait  contrainte,  s'il  en  était  autrement,  d'autoriser 
la  preuve,  ou  de  reconnaître  implicitement  la  vérité  des  imputations  din> 
gées  contre  elle.  Voy.  Cellier  et  Le  Senne,  op,  cit.,  p.  467. 


FAITS    A    PROUVER.  491 

une  fois  constatée,  le  prévenu  n*a  aucun  moyen  de  s^affran- 
chir  de  la  peine.  11  ne  peut  être  admis  ni  à  prouver,  ni  à 
dénoncer  à  Tautorité  judiciaire  des  faits  qui  ne  sont  point 
précis  et  qualifiés.  Et  peu  importe,  à  cet  égard,  que  la  per- 
sonne injuriée  soit  un  fonctionnaire  public.  Cette  circons- 
tance ne  permet  pas  d'échapper  à  la  peine  par  une  preuve 
que  rend  inadmissible  le  caractère  vague  de  pareilles  invec- 
tives. Sur  ce  point,  la  loi  du  29  juillet  1881  ne  s'est  pas 
écartée  de  la  loi  de  1819.  «  L'injure  ne  renferme  de  sa  nature 
rimputation  d^aucun  fait  précis,  disait  le  rapporteur,  M.  Lis^ 
bonne.  11  n'y  a,  dans  ce  cas,  rien  à  prouver  que  Tinjure 
elle-même  ».  L'article  35,  §  2,  pourrait  toutefois  faire  croire 
le  contraire.  11  y  esl  dit,  en  eflet,  que  «  la  vérité  des  impu- 
tations diffamatoires  et  injurieuses  pourra  être  établie  contre 
les  directeurs  ou  administrateurs  de  toute  entreprise  indus- 
trielle ».  Le  législateur  admettrait-il  donc  la  preuve  de  la 
réalité  de  l'imputation  injurieuse  pour  cette  catégorie  de 
personnes,  tandis  qu'il  la  repousserait,  n'en  parlant  pas,  pour 
les  fonctionnaires?  Ce  n'est  guère  probable.  Le  paragraphe^ 
qui  forme  l'article  3o,  §  2,  a  été  ajouté  par  le  Sénat  au  texte 
du  projet  de  la  Chambre,  et  on  a  perdu  de  vue,  en  le  rédi- 
geant, la  prohibition  de  la  preuve  de  la  vérité  de  Tinjure*. 

II.  En  cas  de  diffamation^  le  système  consacré  par  la 
loi  de  1881  est  le  même  que  celui  qui  servait  de  base  à  la  loi 
de  1819.  S'agit-il  de  faits  diffamatoires,  se  rapportant  à  la 
vie  privée  d'une  personne  quelconque,  particulier  ou  fonc- 
tionnaire, jamais  la  preuve  n'en  est  possible.  D'où  il  suit  que 
la  diffamation  est  punissable,  alors  même  que  les  faits 
seraient  vrais.  La  loi  prévoit  et  réprime  la  médisance  comme 
la  calomnie.  Mais  il  en  est  autrement  si  la  diffamation  est 
dirigée  contre  un  corps  on  une  personne  exerçant  une  fonc«- 
tion,  un  service  ou  un  mandat  publics.  La  société  est  alors 
intéressée  à  connaître  tout  ce  qui  concerne  les  actes  de  ces 
détenteurs  d'une   parcelle,  quelque  petite  qu'elle    soit,   de 

•  Voy.  sur  ce  point  :  G.  Le  Poiltevîn,  op.  «X,  l.  2,  n»  784.  Conf.  Rouen, 
29^déc.  1883  (S.  85.2.141). 


492        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

l'autorité  publique,  en  tant  que  ces  actes  se  réfèrent  à  l'exer- 
cice de  la  fonction,  du  service  ou  du  mandat  publics.  La 
preuve  du  fait  diffamatoire  sera  donc  autorisée,  et  si  elle 
est  rapportée,  «  le  prévenu,  aun  termes  de  l'article  35,  §  3, 
sera  renvoyé  des  fins  de  la  plainte  ».  La  loi  de  4881  n'a  même 
pan  reproduit,  et  à  dessein,  la  disposition  finale  de  l'article  20 
de  la  loi  de  1S19  portant  que  Tindividu  qui  a  fait  la  preuve 
des  faits  diffamatoires,  quand  elle  est  permise,  et  qui,  par 
suite,  est  à  l'abri  de  toute  peine,  peut,  néanmoins,  encourir 
celles  qui  sont  prononcées  contre  toute  injure  qui  ne  serait 
pas  nécessairement  dépendante  des  mêmes  faits. 

m.  La  preuve  de  la  réalité  de  Voutrage,  qui  n'est 
qu'une  injure  ou  une  diffamation  aggravée,  quelque  chose 
qui  outrepasse  les  bornes  en  fait  d'offense,  est  aussi  inad- 
missible que  la  preuve  de  l'injure  elle-même.  L'outrage  existe 
ou  n'existe  pas,  mais  il  n'y  a  pas  à  rechercher  s'il  était^  en 
quelque  sorte,  mérité.  En  pareil  cas,  le  délit  consiste  dans  le 
terme  ou  l'acte,  dont  le  prévenu  s'est  rendu  coupable,  et  non 
dans  la  fausseté  ou  la  vérité  de  l'imputation. 

241.  Ainsi,  au  point  de  vue  de  la  preuve  de  la  vérité  des 
faits  diffamatoires,  deux  situations  bien  distinctes  sont  possi- 
bles. 

La  vérité  des  faits  diffamatoires  peut  être  établie  contre 
les  corps  constitués,  les  armées  de  terre  ou  de  mer,  les  admi- 
nistrations publiques,  les  ministres,  les  membres  des  deux 
Chambres,  les  fonctionnaires  publics,  les  dépositaires  et  les 
agents   de  l'autorité   publique*,   les  citoyens  chargés  d'un 

'  Les  ministres  des  culles  salariés  par  rÉtat  ne  rentrent  plus  dans  la  caté- 
gorie des  personnes  publiques  depuis  la  loi  des  9*11  décembre  1905,  concer- 
nant la  séparation  des  Kglises  et  de  TÉtat.  Mais  cette  loi  contient  une 
disposition  spéciale,  ainsi  conçue  :  «  Tout  ministre  d'un  culte  qui,  dans  les 
lieux  où  8*exerce  ce  culte,  aura  publiquement,  par  des  discours  prononcés, 
des  lectures  faites,  des  écrits  distribués  ou  des  affiches  apposées,  outragé 
ou  diiïamé  un  citoyen  chargé  d'un  service  public,  sera  puni  d'une  amende 
de  cinq  cents  francs  à  trois  mille  francs  (500  à  3.000  fr.),  et  d'un  emprison- 
nement de  un  mois  à  un  an,  ou  de  Tune  de  ces  deux  peines  seulement.  —  La 


FAITS  A  PROUVER.  493 

service  ou  d'un  mandai  public,  temporaire  ou  permanent*", 
les  jurés,  les  témoins,  les  directeurs  et  les  administrateurs 
d'entreprises  commerciales,  industrielles  et  Gnancières,  fai- 
sant publiquement  appel  à  l'épargne  et  au  crédit,  toute» 
les  fois  que  ces  personnes  ont  agi  dans  Teiercice  de  leur 
fonclion  ou  de  leur  mandat.  11  est  indifférent  que  Taction 
civile  en  diffamation  soit  intentée,  devant  la  cour  d'assises, 
accessoirement  à  l'action  publique^*,  ou  portée  séparément 
devant  le  tribunal  civiP^;  mais  elle  ne  peut  être  intentée 
devant  ce  dernier  que  si  l'action  publique  est  éteinte  par  le 
décès  ou  l'amnistie  du  diffamateur. 

Dans  toute  autre  circonstance,  qu'il  s'agisse  d'une  per- 
sonne non  qualifiée,  ou  qu'il  s'agisse  d'une  personne  quali- 
fiée, mais  diffamée  dans  sa  vie  privée,  la  preuve  des  faits 
diffamatoires  est  interdite,  et  cette  prohibition  s'applique, 
aussi  bien  au  cas  où  l'action  est  portée  séparément  devant  le 
tribunal  civil,  qu'au  cas  où  elle  est  portée,  avec  l'action  publi- 
que, devant  le  tribunal  correctionnel*'. 

vérité  du  fait  diffamatoire,  mais  seulement  s'il  est  relatif  aux  fonctions, 
pourra  être  établie  devant  le  tribunal  correctionnel  dans  les  formes  prévues 
par  Tarticle  52  de  la  loi  du  29  juillet  1881...  »  (art.  34). 

*®  Sur  le  sens  de  cette  formule,  voy.  G.  Le  Poittevin,  op,  cir.,  t.  2,  n®'  848^ 
et  suiv.,  p.  437. 

*^  La  cour  d^assises  est  exclusivement  compétente,  sauf  en  ce  qui  con- 
cerne les  directeurs  et  administrateurs  d'entreprises  financières.  Voy.  suprà, 
nM81, 

**  Il  n*est  pas  douteux,  en  effet,  que  la  preuve  du  fait  diffamatoire  peut  être 
faite  devant  le  tribunal  civil,  pour  écarter  la  responsabilité  civile,  comme 
devant  la  cour  d'assises,  pour  écarter  les  responsabilités  pénale  et  civile. 
Il  ne  faut  pas  oublier,  en  effet,  que  c'est  exercer  un  droit  que  d'imputer  à 
un  personnage  public  un  fait  de  nature  à  nuire  à  sa  considération  et  à  son 
honneur,  à  la  double  condition  que  ce  fait  appartienne  à  la  vie  publique  et 
qu'il  soit  exact.  La  théorie  civile  de  l'abus  du  droit  dommageable  n'a  rien  à 
voir  avec  celte  question.  Sur  cette  théorie,  suprà,  p.  286,  note  18.  Adde, 
note  de  M.  Josserand,  sous  Trib.  civil  de  Goutances,  13  août  1905  (U.  1906, 
2.  105). 

*'  Doctrine  et  jurisprudence  constantes  :  G.  Le  Poittevin,  op.  cit,,  t.  2, 
n*  777;  Barbier,  op.  cit.,  t.  2,  n®  560;  p.  102;  Fabregueltes,  op.  cit,,  t.  1, 
D*>  133,  p.  529.  Voy.  Alger,  27  févr.  1896  (S.  97.  2.  190);  Orléans,  14  nov. 
i895  (S.  96.  2.  238);  Paris,  6  déc.  1890  (S.  91.  1.  190). 


494         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

242.  L'interdiction  absolue  de  prouver  la  yérilé  des  faits 
diffamatoires  ne  s'oppose  pas  à  ce  que  les  tribunaux  de 
répression  accordent  au  diffamé  le  droit  de  faire  entendre 
des  témoins  sur  sa  moralité.  Ce  droit  était  formellement 
inscrit  dans  Tarticle  23  de  la  loi  du  26  mai  1819.  Si  la  loi  de 
1881  n  a  pas  reproduit  cette  disposition,  ce  n  est  pas  qu'elle 
ait  entendu  refuser  cette  faculté  au  diffamé.  Elle  a  pensé  seu- 
lement que  le  droit  commun  suffisait  pour  l'admettre.  Dans 
toute  affaire  correctionnelle,  la  partie  civile  peut,  par  tous 
les  moyens  de  preuve,  établir  sa  moralité  et  son  honorabi- 
lité :  pour  qu*il  en  fut  autrement  en  matière  de  diffamation, 
il  faudrait  un  texte  formel  excluant  cette  faculté.  Mais  le 
droit  de  la  partie  civile  a  une  contrepartie* nécessaire  dans 
le  droit  du  prévenu.  Celui-ci  pourra  citer  des  témoins  pour 
fournir  des  renseignements  sur  sa  moralité,  son  honorabi- 
lité et  même  sa  bonne  foi,  et  le  tribunal  ne  pourra  refuser 
de  les  entendre.  Mais,  cette  faculté  a  une  double  limite. 
D'une  part,  les  témoins  de  moralité  ne  doivent  pas,  sous  pré- 
texte de  donner  des  renseignements  sur  ce  point,  s'expliquer 
sur  les  faits  tendant  à  établir  directement  ou  indirectement 
la  vérité  ou  la  fausseté  des  faits  imputés.  Dans  ces  termes 
aucune  question  ne  peut  leur  être  posée,  et  ils  doivent  être 
arrêtés  lorsqu'ils  s'engagent  dans  cette  direction  *\  D'autre 
part,  le  prévenu,  pour  démontrer  sa  moralité,  ne  saurait  être 
admis  à  faire  entendre  des  témoins  contre  la  moralité  du  plai- 
gnant. S'il  en  était  autrement,  on  ouvrirait  la  porte  à  des 
diffamations  nouvelles. 


§  XLV.  —  DE  LA  LOI  QUI  DOIT  RÉGLER  L  ADMIiNISXRATION 

DE  LA  PREUVE. 

213.  Double  question  qui  se  pose.  Conflit  d'une  loi  ancienne  et  d'une  loi  nouvelle. 
Conflit  d'une  loi  étrangère  et  de  la  loi  française.  —  244.  C'est  à  la  loi  en  vigueur 
au  moment  du  procès  qu'il  faut  se  référer  pour  l'admissibilité  et  la  procédure  de 
la  preuve.  — ^^  246.  La  territorialité  de  la  loi  pénale  impose  aux  juges  l'obligation 
d'appliquer  en  matière  de  preuve  la  loi  nationale.  —  246.  Réserve  aux  deux  points 

»*  Voy.Riom,  16  janv.  1889  {Joum.  des  Parq.,  89.  2.  140). 


LOI  QUI   DOIT  REGLER  L'ADMINISTRATION  DE  LA  PREUVE.       495 

de  vue  précédents,  lorsque  des  questions  civiles  ou  commerciales  sont  soumises 
aux  tribunaux  de  répression. 


Les  tribunaux  répressifs  ont  à  se  demander  quelle, 
loi  est  applicable  au  procès,  soit  dans  la  circonstance  où  la 
réglementation  de  la  preuve  a  été  modifiée  par  une  loi  nou- 
velle, soit  dans  celle  où  figure,  au  procès,  un  prévenu  de 
nationalité  étrangère,  soit  dans  celle  où  un  acte  passé  en 
pays  étranger  a  été  produit. 

244.  S*il  y  a  conflit  entre  une  loi  contemporaine  de 
rinfraction  et  une  loi  nouvelle  qui  facilite  ou  paralyse  la 
démonstration  d*un  délit,  c'est  à  la  loi  en  vigueur  au 
moment  des  débals  que  le  juge  doit  se  référer. 

Cette  loi  a  le  caractère  d'une  mesure  d'intérêt  général 
^ont  l'application  immédiate  ne  saurait  léser  aucun  droit 
acquis^  11  n-y  a  pas  de  droits  acquis  contre  les  moyens 
donnés  au  prévenif  ou  au  ministère  public  pour  manifester 
la  vérité. 

C'est  cette  même  loi  qui  détermine  la  marche  à  suivre,  les 
formes  à  observer,  en  un  mot  la  procédure  de  la  preuve.  Les 
lois  qui  8-occupent  de  cette  réglementation  ont  pour  objet 
d'améliorer  le  mécanisme  de  l'instruction  et  de  déterminer 
le  procédé  qui  conduit  le  plus  sûrement  et  le  plus  simple- 
ment à  la  vérité.  Le  nouveau  mode  d'organisation  qui  est 
ainsi  décrété  dans  un  intérêt  public  devient  obligatoire,  pour 
les  juges,  dès  le  jour  où  il  est  mis  «n  vigueur^. 

245.  La  territorialité  de  la  loi  pénale  impose  aux  juges 
Tobligation  d'appliquer,  en  matière  de  preuve,  la*  loi  natio- 

§  XLV.  *  Voy.  Bonnier,  op^mL,  t.  2,  n*  927. 

*  C'est  ainsi  que  l'aTticle  12  de  la  loi  du  i"  août  4905,  en  prescrivant 
dans  l'intérêt  de  la  défense,  que  toutes  les  expertises  nécessitées  par  son 
application  seraient  contradictoires,  régit,  dès  sa  promulgation,  toutes  les 
poursuites  commencées  ou  non  commencées.  C'est  donc  cette  loi  qu'il  faut 
appliquer  aux  procès  qui  sont  postérieurs  k  sa  promulgation.  Mais  déroge- 
t-elle  aux  principes  généraux  de  la  preuve  ?  Nullement  :  Trib.  corr.  Seine, 
13déc.l905(D.  4905.2.231). 


496         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

nale,  que  le  prévenu  soit  un  étranger,  ou  que  le  délit  ait  été 
commis  à  l'étranger  et  puisse  être  poursuivi  en  France.  La 
raison  est  toujours  Ja  même.  Les  juridictions  criminelles 
ne  sauraient  appliquer  d'autre  législation  que  la  loi  actuel- 
lement en  vigueur  dans  le  pays  où  elles  fonctionnent. 

246.  Mais  lorsque,  à  l'occasion  de  questions  civiles  ou 
commerciales  que  les  tribunaux  de  répression  doivent  résou- 
dre pour  statuer  sur  la  culpabilité,  un  conflit  s'élève  cDtre 
la  loi  française  et  la  loi  étrangère,  en  ce  qui  concerne  le  mode 
et  les  conditions  de  la  preuve,  il  faut  recourir  aux  principes 
du  droit  international.  La  preuve  est  régie,  comme  la  com- 
pétence et  la  procédure,  par  la  règle  :  «  Locus  régit  actwn  ». 

La  loi  étrangère  peut  être,  suivant  les  cas,  applicable  daos 
la  mesure  seulement  où  elle  n'est  pas  contraire  à  l'ordre 
public  français.  Mais  dès  que  se  présente  une  incompatibilité 
de  cette  nature,  le  conflit  doit  se  trancher  en  faveur  de  la  loi 
française. 

En  matière  criminelle  également,  la  règle  que  la  preuve 
doit  être  celle  du  temps  où  les  faits  se  sont  passés  :  «  Tempus 
régit  actutn  »,  doit  s'appliquer  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de 
questions  civiles,  dont  la  preuve  est  rapportée  conformément 
à  leur  nature  :  par  exemple,  la  preuve  du  mandat  ou  du 
dépôts  dans  la  poursuite  de  Tabus  de  confiance'. 

•  L'Institut  de  droit  international  (session  de  Zurich,  i877)  a  pris,  àc«l 
égard,  la  résolution  suivante  :  «  L'admissibilité  des  moyens  de  preuve 
«(preuve  littérale,  preuve  testimoniale,  serment,  livres  de  commerce, etc.), 
«  et  leur  force  probante  seront  déterminées  par  ta  loi  du  lieu  où  s'est  passé 
«  l'acte  qu'il  s'agit  de  prouver;  ta  même  règle  s'applique  à  la  capacité  des 
«  témoins,  sauf  les  exceptions  que  les  Etats  contractants  jugeraient  raison- 
«  nable  de  sanctionner  dans  leur  traité  ».  Annuaire  de  l'Institut^  4*  BDoée, 
p.  451.  Voy.  sur  ce  point  :  Larnaude,  sur  Bonnier,  Des  preuves^  n»933. 


497 


TITRE    II 

PRINCIPES  GÉNÉRAUX   SUR   LA   RECHERCHE, 
L'ADMINISTRATION    ET   LA   FORCE   DE   LA   PREUVE 


â  XLVL  —  DES  DIVERS  SYSTÈMES  HISTORIQUES  D'ORGANISATION 

DE  LA  PREUVE. 

7.  La  preuve  doit  être  considérée  à  trois  points  de  vue.  —  248.  De  révolution 
historique  du  système  des  preuves.  Quatre  phases.  —  249.  Les  deyx  principaux 
systèmes,  celui  des  preuves  légales  et  celui  des  preuves  morales,  se  sont  succédés 
dans  TEurope  moderne.  En  quoi  ils  consistent.  —  250.  Origine  du  système  des 
preuves  légales.  —  251.  Quatre  modes  de  preuve.  Division,  soit  des  preuves  du 
corps  du  délit,  soit  de  celles  de  la  culpabilité  du  délinquant.  — 252.  Preuve  par 
témoins.  Conditions  légales  pour  que  la  preuve  par  témoin  soit  une  preuve  com- 
plète sous  ce  régime.  —  253.  Preuve  écrite.  —  254.  Présomptions.  —  255.  Indi- 
ces prochains.  —  256.  Indices  éloignés.  —  257.  Ce  qui  caractérisait  le  système 
des  preuves  légales  dans  notre  ancienne  jurisprudence  criminelle.  Nécesàité  de 
l'aveu.  Interrogatoire.  Torture.  —  258.  Origine  du  système  des  preuves  de  con- 
viction substitué,  en  France,  par  l'Assemblée  constituante,  au  système  des  preuves 
légales.  —  259.  La  preuve  de  conviction  est  donc  née  avec  le  jury*  et,  à  vrai 
dire,  c'est  la  «  preuve  par  jury  ».  Inconvénients  de  la  formule  qui  en  a  été  don- 
née. —  260.  Le  système  des  preuves  légales  a,  presque  partout,  disparu.  Légi.*- 
l.itions  anglo-sasonnes. 

247.  La  preuve  doit  être  considérée  à  trois  points  de  vue  : 
1"*  Dans  les  sources  d'où  elle  résulte  {éléments  de  preuve); 
2""  Dans   son    mode    de    recherche   et   de  manifestation 

noyens  de  preuve)  ; 
3*"  Dans  sa  valeur  démonstrative  {force  probante). 

248.  Historiquement,  l'évolution  du  système  des  preuYcs 
:>rrespond  assez  exactement  à  révolution  du  système  des 
eines.  On  peut  suivre  cette  évolution  dans  les  quatre  pha- 
is,  que  la  preuve  parait  avoir  parcourues,  la  phase  ethnique^ 
►  phase  religieuse^  la  phase  légale  et  la  phase  scientifique^. 

§XLVI.  *  Cest  surtout  Ferri  qui  a  signalé,  dans  révolution  du  système 
^obatoire,  les  quatro  phases  distinctes  et  caractéristiques,  à  peu  près  paral- 

G.  P.  P.  —  I.  32 


498        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

La  phase  ethnique,  —  pendant  laquelle,  dans  les  groupes 
prîmilifs,    puis  dans  la  cité  elle-même,    un   droit   criminel 
familial  vit  côle  à  côte  avec  un  droit  criminel  interfamilial. 
A  rintérienr  de  la  famille,  le  droit  de  punir  se  fonde,  à  la 
fois,  sur  la  légitimité  de  la  correction  paternelle,  sur  rulililé 
de  l'intimidation  et  sur  U  nécessité  de  la  défense  sociale. 
D'une  famille   à  l'autre,   d'un  groupe  h  un  autre  groupe, 
les  relations  se  ressentent  de  Thostilité   primitive.    Pas  de 
culpabilité  pour  les  actes  de  fraude  ou  de  violence.  On  s'expose 
seulement  et  on  expose  sa  famille  à  la  loi  du  talion^.  Dans 
ce  régime,  les  preuves  sont  abandonnées  à  «  l'empirisme  des 
impressions  personnelles  »'.  C'est  le  flagrant  délit  qui  esl 
la  forme  type  de  la  procédure.  Et  le  flagrant  délit  dispense 
de  toute  preuve.  Il  s'agit  alors  de  le  constater,  de  le  prolon- 
ger, ou  de  le  reconstituer. 

La  phase  religieuse^  —  pendant  laquelle  les  sentences  sont 
rendues  au  nom  des  dieux  :  c'est  aux  dieux  que  l'exécution 
en  est  abandonnée  dans  les  cas  les  plus  graves,  si  bien  qu'on 
fait  intervenir  la  divinité,  le  «  jugement  de  Dieu  »,  pour 
désigner  l'auteur  d'un   délit,   comme   on   fait  intervenir  la 

• 

lèles  aux  ph?ises  successives  du  systèmo  p»Miîil  :  Sociologie  criminelle  trad. 
Terrier,  1905),  n®  70,  p.  515.  Voy.  ëgalement  :  Tarde,  Philosophie  pénale^ 
p.  425,  oL  surtout,  p.  i78.  «  Il  existe  un  lien,  écrit  M.  Tarde,  à  chacune  de? 
phases  de  IVvolulion  judiciaire,  entre  la  natur<3  do  !a  prouve  qui  donne  le 
ton  aux  autres  et  les  caractères  que  la  peine  tend  à  revtMir.  J*ai  distingué 
quatre  esp(''ces  de  preuves  qui  ont  été  ou  commencent  à  être  en  honneur  :1e? 
ordalies,  la  torture,  le  jury,  Texpertise  scientifique.  Or,  à  la  première,  corres- 
pond une  pénalité  expiatoire^sx  bien  que  l'offrande  d'une  victime  aux  dieux 
dispensait  parfois  d'une  exécution  capitale.  A  la  seconde,  h  la  torture,  cor- 
respond une  pénalilt*  essentiellement  intimidante  et  exemplaire  :  roue^ 
écartellement,  bûcher,  supplices  plus  atroces  que  jamais.  A  la  troisième,  à 
la  preuve  par  la  conscience  du  jury,  correspond  une  pénalité  douce  et 
prétendument  correctionnelle.  Enfin,  à  la  quatrième,  à  la  preuve  par  la 
science  dogmatises,  par  Texpertise,  quelle  est  la  pénalité  qui  va  correspon- 
dre? N'est-ce  pas  une  pénalité,  avant  tout  sanitaire  ». 

^  Voy.  notamment  en  ce  qui  concerne  les  anciennes  coutumea  grecques  '- 
Gustave  Glotz,  Études  socialea  et  juridiques  sur  Vantiquité  grecque  (Ha- 
chette, 1900),  p.  3  à  9. 

'  Ferri,  op.  et  loc.  ait. 


DIVERS   SYSTÈMES   d'oRGANISATION    DE    LA   PREUVE.         499 

oité  pour  punir  le  délinquant.  Le  jugement  de  Dieu,  ou 
ôt  y  ordalie,  c'est-à-dire  le  jugement  par  excellence,  est 
inslitulion  universelle*.  A  un  certain  degré  de  dévelop- 
lent  social  et  religieux,  on  est  convaincu  que  le  meilleur 
en  de  terminer  un  litige  ou  de  résoudre  une  question 
culpabilité,  c'est  d'exposer  une  au  moins  des  personnes 
cause,  parfois  même  les  deux,  à  quelque  danger  très 
ve  et  de  forcer  ainsi  la  divinité  à  prendre  parti  pour  la 
ice.  <(  Les  ordalies,  d'après  Tarde",  sont,  en  quelque 
e,  les  expertises  divino-légales  du  passé  ». 
.a  phase  légale,  —  où  la  loi  fixe  elle-même  et  d'avance  les 
?rs  moyens  de  preuve,  comme  aussi  le  degré  de  preuve 
essaire  ou  suffisant  pour  décréter  une  peine,  m  C'est  dans 
e  période  que  l'aveu  du  coupable  est  considéré  comme 
^eine  des  preuves  ^^,  et  qu'on  emploie,  pour  l'obtenir,  ce 
de  d'interrogation  qui  a  paru  si  naturel  et  si  nécessaire 
on  Ta  nommé  «  la  question  ». 

ja  phase  sentimentale ,  —  dans  laquelle,  par  un  excès  opposé, 
délivre  la  conscience  du  juge  et  du  juré  de  toute  obliga- 
i  concernant  la  preuve,  en  s'en  rapportant  à  son  intime 
viction,  c'est-à-dire  à  l'appréciation  de  sa  conscience*. 

Voy.  Glotz,  0/5.  cit.,  L'Ordalie,  p.  69  à  97  :  «  De  la  France  à  la  Poly- 
»%  des  régions  Scandinaves  aux  extrémités  de  l'Afrique,  il  n'est  peut*étre 
de  pays  au  monde  où,  pour  faire  valoir  son  droit,  ou  pour  faire  recon- 
re  son  innocence,  on  ne  se  soit  soumis  à  unp  épreuve  mortelle.  Épreuve 
l'eau  chaude  ou  de  l'eau  froide,  épreuve  du  feu  ou  du  poison,  il  n'im- 
e...  L*idée  qui  se  manifeste  dans  cette  procédure  redoutable  et  sacré»* 
clairement  visible  dans  un  rite  préliminaire.  Au  moment  suprême,  ceux 

demandent  au  ciel  d'intervenir,  celui-là  surtout  dont  le  mrps  va  être 

à  l'épreuve,  font  une  prière,  appel  direct  et  formel  à  la  divine  provi- 
ce. Dans  les  sociétés  où  le  sacerdoce  appartient  à  une  caste,  c'est 
mme  de  Dieu  qui  s'avance  pour  l'invocation  solennelle...  Dans  les  socié- 
qui  n'ont  pas  de  caste  sacerdotale,  c'est  le  f»alient  ou  la  patiente  qui  se 

d'une  formule  analogue.  »  Voy.  Kovalewsky,  Coutume  contemporaine 
'oi  ancienne,  p.  397,  398.  Pour  d'autres  références  :  suprà,  p.  IT»,  note  6. 
Philosophie  pénak,  p.  426.  Tarde  ajoute  :  Les  ordalies  «  correspondent 

phase  mythologique  de  l'esprit  humain,  comme  nos  expertises  actuelles 
imencent  à  correspondre  à  sa  phase  scientifique  qui  débute  à  peine  ». 
Tarde  (op.  cit.,  p.  427)  voit,  dans  ce  système,  la  conséquence  d'une 


500  PROCÉDURE    PÉ5ALE.    —   DE   LA   PREUVE. 

La  Illicite  ycitnlifique,  —  dans  laquelle  la  preuve  par  excel- 
lence H;ra  fouruie  par  V expertise  et  aura  pour  but  la  recher- 
che et  l'appréciatioo  méthodiques  des  données  eipérimentales 
de  nature  à  établir  leiistence  des  faits  délictueux  et  des 
divers  facteurs  individuels  et  sociaux  qui  Tont  produit.  L'ex- 
pert deviendrait  le  successeur  du  juré,  et  la  direction  scien- 
tifique de  la  preuve  consisterait  à  étendre,  régulariser,  per- 
fectionner et  consacrer  les  fonctions  judiciaires  de  Texpertise.. 

C'e^t  à  la  troisième  phase  que  se  sont  arrêtées  les  législa- 
tions actuelles,  avec  une  tendance,  de  plus  en  plus  marquée 
dans  la  pratique  judiciaire,  à  utiliser  les  moyens  scientifiques 
pour  arriver  à  la  découverte  prompte  et  sûre  des  criminels 
et  à  diminuer  le  nombre  effrayant  des  crimes  impoursuivis 
et  des  criminels  ignorés'. 

a  autre  superstition,  la  foi  optimisle  à  rinfaillibilité  de  la  raison  indiW- 
ïjij'îlle,  du  -jens  commun,  de  Tinstincl  naturel..,  >».  Il  appelle  la  preuve  morale 
«  \'i  preuve  par  le  jury  >»,  «  la  révélation  présumée  du  vrai  par  la  conscience 
non  ♦M;îain'e  el  non  misonnante  d.  »  La  preuve  par  le  jury  méritait  d'élre 
pr^-conisée,  ajoute-t-il,  en  un  siècle  où  le  verdict  du  sens  commun,  regardé 
comme  la  j/u-rre  de  louche  de  la  vérité,  servait  de  fondement  non  à  la  phi" 
losoplii»'  purt-ment  écossaise  seulement,  mais  à  toute  philosophie,  et  suggé- 
rait i'U  France  le  dogme  de  la  souverain  lé  populaire  ». 

^  L'un  de  c«'S  procédés  sci»*nlifiques,  celui  qui  a  rendu  le  plus  de  ser- 
vices  à  la  découverte,  soit  de  Tidentilé  des  prévenus,  soit  de  leurs  anté- 
cédents, est  le  système  de  ranlhropométrie  criminelle.  La  prenaière  idée  de 
ce  procédé  est  due  à  Ouetelel,  directeur  de  l'Observatoire  et  secrétaire  per- 
pétu»'l  de  TAcadémie  royale    de  Belgique,  qui,    en  1871,  publia  l'ouvrage 
intitulé  :  Anthropométrie  ou  mesure  des  différentes  facultés  de  Vhamme. 
CetttM'lée  fut  appliquée  el  utilisée  par  M.  Alphonse  Bertillon  et  le  procédé 
d'identificalinn  qu'il  a  inventé  et  qui  a  eu  une   si  grande  fortune  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  son  auteur,  c'est  le  Bertillonage.  Ce  procédé  a  été 
inauguré,  au  I)«'-pôt  de  Paris,  en  1882.  Des  circulaires  ministérielles  élen- 
dinMit  la  nouvelle  méthode  d'identification  à  toutes  les  prisons  de  la  France, 
rapplif|u<Teiil  à  tous  les  individus  incarcérés  (sauf   les  personnes  arrêtées 
pour  motifs  politiques,  celles  incarcérées  à  la  requête  des  familles,  celles 
dont  la  notoriété  publique  est  incontestable,  les  condamnés  de  simple  po- 
lice, pour  délits  de  presse  ou  politiques  :  Cire,  du  23  mars  1897)  et  organi- 
sèrent  la  centralisation,  à  Paris,  de  toutes  les  fiches  signalétiques  dressées 
dans  les  diverses  prisons.  Le  système  d'identification  anthropométrique  3e 
M.  Bertillon   est  actuellement  adopté  par  tous  les  États  de  l'Europe,  à  l'ex- 
ce|»tion  d«'  la  Turquie.  L'application  de  la  photographie  et  du  portrait  parlé 


DIVERS   SYSTÈMES    d'ORGANISATION   DE   LA   PREUVE.  SOI 

249.  Les  deux  principaux  systèmes  de  preuve  :  celui  qui 
n'est  plus  qU'un  souvenir,  le  système  des  preuves  légales; 
celui  qui  est  actuellement  en  vigueur,  le  système  des  preu- 
ves morales,  se  sont  succédé  dans  l'Europe  moderne.  Ils 
s'opposent  l'un  à  l'autre  comme  deux  types  contraires. 

Le  premier  consiste,  non  seulement,  à  organiser  les  moyens 
de  rechercher  et  d'établir  la  culpabilité,  ce  qui  est  indispen- 
sable dans  toute  loi  de  procédure,  mais  à  la  tenir  pour 
démontrée  par  la  réunion  de  circonstances  dont  le  concours 
entraine  forcément  la  conviction  du  juge,  et,  en  l'absence 
desquelles  il  doit  se  déclarer  non  convaincu.  Le  second  con- 
siste à  prouver  un  fait  par  tous  les  moyens  propres  à  en 
établir  l'existence,  et  à  laisser  le  juge  entièrement  libre  de 
déclarer  que  sa  conviction  est  faite  ou  qu'elle  ne  Test  pas. 

Aucune  règle  légale  ne  pouvant  mesurer  à  J'avance  la 
valeur  de  chaque  preuve,  la  libre  impression  laissée,  dans 
la  conscience  du  juge,  par  l'instruction  orale  et  contradic- 
toire, eq  un  mot  par  Vintime  conviction^  tel  est  le  seul  critère 
qu'une  législation  doit  reconnaître  quand  elle  a  confiance 
dans  les  juges  qu'elle  institue'. 

est  un  complément  précieux  du  signalement  anthropom(^trique.  Voy.  Bertil- 
lon,  La  photographie  judiciaire  (Paris,  i890);  Gross,  Manuel  pratique 
d'instruction  judiciaire  (trad.  de  Bourcart  et  Wintzweiller,  1809),  t.  1, 
p.  280  à  316;  Reiss,  La  photographie  judiciaire  (Paris,  1903).  Voy.  égal. 
Rev.  pénit.,  1904,  p.  1243.  Ferri  a  recommandé  Tusage  du  sphymographe 
pour  connaître,  d'une  manière  positive,  par  le  tracé  de  la  circulation  du  sang, 
les  émotions  internes  du  prévenu,  malgré  son  impassibilité  apparente  (Expé- 
riences de  laboratoire  faites  p\r  Lombroso,  Uomo  delinquente,  5®  éd.,  p.  328 
et  329,  p.  601  à  610),  lemploi  de  l'hypnotisme  comme  révélateur  de  la  vé- 
rité, Tusage  de  la  sténographie  pour  recueillir  les  débats,  etc.  Sur  Tutilisa- 
lion  des  moyens  scientifiques  pour  prouver  le  délit  :  Tarde,  Philosophie 
pénale^  p.  450  et  451.  Voy.  du  reste,  infrà,  §  XL.  La  criminalistiquc,  n«  290 
et  suiv. 

•  Ferri  a  beau  qualifier  ce  régime  d'une  épithète  qui  tend  à  laisser  croire 
que  le  législateur  fait  du  «  sentiment  »  en  l'organisant  :  à  moins  de  le  rem- 
placer par  un  système  de  preuves  légales,  scientifiques,  c'est-à-dire  de 
substituer  Vexpert  au  juré,  on  ne  voit  guère  quel  système  pourrait  le  rem- 
placer. «  Il  n'y  a  pas  de  loi,  dit  Faustin  Hélie,  qui  puisse  commander  ou 
réj^ler  la  certitude;  elle  est,  comme  la  pensée,  essentiellement  libre  et  indé- 


502        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

Mais  il  est  nécessaire  de  poser  des  règles  légales  pour 
déterminer,  soit  les  procédés  de  recherche  des  preuves  dans 
rinstructioti  préparatoire,  soit  les  procédés  d'administration 
des  preuves  dans  Tinstructioa  définitive.  C'est  à  l'étude  de 
cette  double  réglementation  que  se  ramène,  aujourd'hui,  du 
moins  en  principe,  la  théorie  des  preuves  en  matière  crimi- 
nelle. 

Ainsi,  l'autorité  pénale  est  libre,  pour  former  sa  convic- 
tion, de  croire  ou  de  ne  pas  croire  à  la  preuve  fournie,  mais 
elle  est  assujettie  à  des  règles  fixes  dans  la  méthode  à  em- 
ployer pour  rechercher,  recueillir  et  administrer  la  preuve. 

Tels  sont  les  deux  principes  que  nous  allons  développer. 

250.  Le  système  qui  consiste  à  prouver  un  fait  judiciaire, 
comme  un  fait  de  toute  autre  nature,  en  recherchant,  sans 
plan  préconçu  et  sans  entrave,  tout  ce  qui  peut  l'établir,  est 
le  système  le  plus  naturel,  car  il  se  rapproche  de  la  marche 
que  nous  suivons  instinctivement  pour  découvrir  la  vérité*. 
La  procédure  romaine,  si  formaliste  sous  tant  de  rapports, 
s'adaptait,  en  ce  qui  touche  la  preuve,  à  ce  concept  naturel, 
et,  jusqu'au  Bas-Empire,  les  règles  qui,  ailleurs,  enchaînaient 
la  conviction  du  juge,  étaient  à  peu  près  inconnues *°. 

pendante  de  tout  pouvoir  extérieur  ».  Du  reste,  dans  la  question  du  rt^gim^ 
de  la  preuve,  se  trouve  engagée  la  question  du  jury,  ainsi  que  Tarde  U 
démontré  dans  sa  Philosophie  pénale  y  p.  435  et  suiv.  LVminent  crirainaliste, 
que  je  viens  de  citer,  qui  est  un  admirateur  du  jury,  est  aussi  le  dé- 
fenseur convaincu  de  ce  régime  de  preuve.  Voy.  Instr,  cr.,  t.  4,  n*"  1771 
à  i774. 

®  Voy.  Bentham,  Preuves  judiciaires,  liv.  I'"'',  chap.  III. 

*"  On  a  souvent  cité,  sur  ce  point,  un  rescrit  d'Adrien  rapporté  dans  li 
loi  7,  ^  1,  Dig.,  De  testib.  :  <*  Qux  argumenta  et  adquem  modum  probandae 
cuique  rei  sufficiant,  nullo  satis  certo  modo  definire  potest.  Sicut  non  semper, 
ita  sœpe  sine  publicis  monumentis  cxijusque  rei  veritas  deprehenditur.  Alids 
nvmerus  testium^  alias  diynitas  et  auctoritasy  alias  veluti  consentiens  fama 
confirmât  rei,  de  qua  queritur,  fidem.  Hoc  ego  sotum  tibi  rescribere  pos- 
8um  summatim,  non  utique  ad  unam  probationis  speciem  cogniti(fnem  sta- 
tim  alligan  dehere;  sed  ex  sententia  animi  tui  te  œstimare  oportere,  quid, 
aut  credas,  aut  parum  probatum  tibi  opinaris.  »  La  théorie  des  preuves 
légales  se  trouve  cependant  en  germe  dans  les  écrits  des  jurisconsultes.  Voy. 


DIVERS   SYSTÈMES   d'OROANISATION    DE   LA   PREUVE.  SOS 

lais  ce  régime  de  preuve  parait  incompatible  avec  I*esprit 
juges  de  profession.  Le  développement  du  système  con- 
ire,  a  coïncidé,  en  effet,  partout,  avec  l'apparition  et  le 
>grès  de  l'institution  de  juges  professionnels  et  perma- 
ils*'.  Aussi  le  voyons-nous  prendre  naissance  au  Bas-Em- 
e,  lorsque  l'abolition  de  l'ancien  vrdo  judiciorum  eut  atlri- 
é  au  magistrat  le  pouvoir  judiciaire  tout  entier.  H  réparait 
se  développe,  dans  l'Europe  moderne,  à  partir  du  jour  où 
juristes  remplacèrent  les  hommes  jugetirs^^.  L'ordonnance 
niinelle  de  1670  ne  contenait  point  l'e&posé  des  règles 
nutieuses  et  compliquées  du  système  des  preuves  légales  : 
théorie  en  avait  été  faite  par  la  doctrine,  et  elle  avait  fini 
's'imposer  à  l'égal  de  la  loi.  Aux  xvi''  et  xvu"  siècles,  le 
tème  était  complètement  arrêté,  et  il  subsista  tant  que  dura 
procédure  inquisitoire.  Il  importe  d'en  exposer  les  grandes 
nés,  en  prenant  pour  guide  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur 
:re  ancien  droit  criminel  dans  le  courant  du  xvm°  siècle  *'. 

251.  Les  quatre  modes  de  preuves  que  nous  distinguons 
:ore  aujourd'hui  :  ïaveu  ou  preuve  vocale,  les  témoignages 
preuve  testimoniale,  les  écrits  ou  preuve  instrumentale, 
les  présomptions  ou  preuve  conjecturale,  étaient  alors 
ssés  et  hiérarchisés  suivant  leur  importance.  On  recher- 

stin  Helie,  op.  cit.,  p.  40.'J.  Un  consultera  égalemenl  le  Happortfail  par 
ic.  comU;  ï*orlalis  à  J 'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  sur 
X  rnc'iiioires  traitant  de  la  preuve  en  matière  criminelle  (Rev.  de  légis,  et 
jnriapr,^  18  40). 

'  Voy.  sur  ce  [»oirit  :  Bonnier,  op.  cil,,  n<»  131;  Esmein,  op.  ciï.,  p.  260 
%{.  " 

■  Il  importe  de  rfmanjuer,  du  resle,  (jue,  dans  l'institution  des  cojura' 
*s  et  la  coutume  d«?5  éjireuves  judiciaires,  on  trouve  les  premiers  germes 
il  preuve  légale.  Voy.  Faustin  Hélie,  Instr,  cr,,  t.  4,  n**  1764. 
'  Nolammont,  Muyarl  de  Vouglaos  qui  a  consacré  à  la  théorie  des  preu- 
la  hixième  partie  de  ses  Institiites  au  droit  criminel j  p.  303  à  354.  Gomp. 
sse,  op.  cit.,  t.  1,  p.  or/*  h  837.  Mais  en  dehors  d'un  ex-f)Osé  des  règles 
les,  on  trouver;!, dans  les  écrits  des  légistes  des  xvii*  etxvni"  siècles,  les 
réciations  d'une  philosophie  et  d'une  psychologie  des  plus  fines  et 
plus  vraies  sur  les  aveux,  les  témoignages,  les  indices.  C'est  de  la  bonne 
:hologie  judiciaire. 


50i        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

chait,  avant  tout,  une  preuve  complète^  qui  seule  permet- 
tait de  prononcer  une  condamnation  capitale;  car  c'est  là 
le  type  de  procès  que  Ton  suppose  toujours,  les  crimes  capi- 
taux constituant,  suivant  nos  anciens  auteurs,  le  fond  même 
du  droit  pénal  *\  Pour  les  accusations  moins  graves,  on  se 
relâchait,  en  effet,  des  exigences  du  système. 

Les  crimioalistes  du  temps  avaient  finement  analysé  et 
décomposé,  la  marche  logique  qui  consistait  à  démontrer, 
pour  arriver  à  la  conviction  de  Taccusé,  ces  deux  choses  :  la 
réalilà  du  crime,  la  culpabilité  A%  Tauteur, 

I.  Établir  le  premier  point,  c'était  rechercher  et  constater 
le  corps  du  délit  ". 

On  distinguait,  à  cet  égard,  deux  sortes  d'infractions. 
Les  premières  étaient  celles  qui  laissent  des  traces  matériel- 
les, «  delicta  facti  permanenlis  »,  telles  qu'un  homicide, 
un  incendie.  Dans  ce  cas,  le  premier  devoir  du  juge  était  de 
constater  ces  traces.  Il  le  faisait,  soit  par  lui-même,  en  dres- 
sant des  procès-verbaux  de  constat,  soit  au  moyen  de  rap- 
ports de  médecins,  chirurgiens  et  experts**.  L'ordonnance  de 
1670  avait  soigneusement  réglé  cette  matière*-,  et,  ce  qui 
peut  paraître  étonnant,  c'est  que  la  jurisprudence  reconnais- 


^*  La  plupart  des  crimes  étaient  punis  ou  pouvaient  être  punis  de  la 
peine  capitale.  «  Comme  il  nV  a  aucune  loi,  disait  Poullain  du  Parc,  op,  cii., 
t.  li,  p.  112  et  113,  qui  puisse  autoriser  la  peine  de  l'innocent,  il  faut, 
sur  quelque  crime  que  ce  soit,  une  preuve  complette,  pour  prononcer  une 
peine  capitale,  et  cette  preuve  ne  peut  être  faite  que  dans  les  formes  pre- 
scrites par  la  loi...  »  El  ailleurs,  p.  116  :  «  Dans  les  accusations  qui  ne  sont 
pas  capitales,  il  est  évident  qu'il  ne  faut  pas  des  preuves  aussi  fortes... 
Mais  lorsqu'il  n'y  a  que  de  forts  indices,  leur  force  ne  peut  déterminer 
qu'à  des  peines  pécuniaires,  si  le  juge  ne  se  porte  pas  au  irenvoi  quousquc^ 
c'est-à-dire  au  plva  amplement  informé,  »  Conf.  Jousse,  op,  cit.,  t.  1» 
n»»  432  et  433,  p.  833. 

'*  Voy.  Muyart  de  Vouglans,  Jns^,  p.  508. 

*•  L'inspection  du  corps  du  délit  par  les  hommes  de  l'art  est  d'un  usage 
Ir^s  ancien.  V^oy.  Esmein,  op,  cit.,  p.  267;  Edmond  Locard,  La  médecine 
judiciaire  en  France  au  xvii«  siècle  (Th.  doct.  méd.  Lyon,  1902),  passtm. 

*'  Tit.  IV  et  V.  Le  tit.  IV,  intitulé  :  «  Des  procès-verbaux  des  juges  »; 
Je  tit.  V,  «  Des  rapports  des  médecins  et  chirurgiens  ». 


DIVERS    SYSTÈMES   d'oRGANISATION  VE   LA   PREUVE.         505 

sait  à  Taccusé  le  droit  de  demander  une  contre-expertise**. 
En  principe,  aucune  autre  preuve,  en  dehors  des  constats 
par  le  juge  ou  par  experts,  n'était  admise  pour  établir  le 
corps  du  délit,  sauf  dans  des  cas  exceptionnels  où  il  était 
impossible  de  procéder  ainsi*'.  Kt  on  en  concluait  que  Taveu 
de  l'accusé  ne  faisait  preuve  contre  lui  que  si  le  corps  du 
délit  avait  été  précédemment  établi  par  d'autres  moyens". 
Les  infractions  de  la  seconde  espèce  étaient  celles  qui  ne 
laissent  aucune  trace  durable,  «  delicta  facti  transeuntis  », 
par  exemple  les  injures  verbales.  Dans  ce  cas,  la  preuve  du 
corps  du  délit  ne  pouvait  être  séparée  de  la  preuve  de  la 
culpabilité.  Elle  ne  se  faisait  donc  pas  distinctement  et  préa- 
lablement. 

II.  Les  preuves,  dans  leur  emploi  à  la  démonstration  de 
la  culpabilité,  étaient  classées,  suivant  leur  degré  d'énergie^ 
en  preuves  complètes^  en  indices  prochains^  en  indices  éloi- 
gnés. Le  juge  devait  se  borner  à  spécifier  les  aveux,  les 
témoignages,  les  présomptions  et  les  indices,  c'est-à-dire  les 
éléments  de  preuve  qui  se  rencontraient  dans  la  cause  : 
chacun  de  ces  éléments  avait,  suivant  les  circonstances,  une 
valeur  légale;  et  cette  évaluation  s*imposait  au  juge,  quelle 
que  fut  sa  conviction  personnelle. 


La  preuve  par  témoins  était  considérée  comme  la 
preuve  par  excellence  au  criminel  ;  mais,  pour  être  complètCy 
elle  devait  remplir  certaines  conditions,  difficilement  réali- 
sables :  1*  Il  fallait  d'abord  qu'on  pût  trouver  deux  témoins 
idoines,  déposant  du  même  fait^*.  Sans  doute^  un  témoignage 

**  L'accusé  «  peut  demander  la  permission  de  faire  faire  une  contre-visite 
a  ses  frais  par  d'autres  chirurgiens,  ce  qu'il  obtient  aisément  sur  sa  requôle, 
pourvu  qu'elle  soit  présentée  peu  de  jours  après  la  première  visite  ». 
Muyart  de  Vouglans,  Inst.,  p.  226. 

*•  Voy.  Muyart  de  Vouglans,  InsL,  p.  308  et  309  et  Poullain  du  Parc^ 
op.  cit.,  l.  11,  p.  81. 

2^  Voy.  Jousse,  op,  cit.,  t.  1,  n°  20.  p.  661.  G*est  encore  le  système  du 
]]odede  procédure  pénale  de  New-York,  §395  (Trad.  Fournier,  note,  p.  218 
ît  219). 

**  C'était  une  règle  de  tradition  :  «  leatis  unus,  testis  nullus  d  ou,  comme 


S06        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

isolé  n'était  point  considéré  comme  sans  valeur,  mais  il  ne 
permettait  pas  d'asseoir  une  condamnation  capitale".  2'  Il 
fallait,  en  ouire^  que  les  deux  témoins  fussent  des  lémoios 
oculaires.  Les  témoins  par  ouï^dire  [lestes  ex  auditu  aliem\ 
ceux  qui  déclaraient  «  avoir  entendu  les  menaces  de  Taccusé 
et  les  cris  d'un  mourant  »  [testes  ex  auditu  proprio)^  ceux 
dits  testes  ex  parte  accusatif  qui  affirmaient  avoir  reçu  de 
Taccusé  Taveu  de  son  crime,  ne  pouvaient,  quel  que  fût  leur 
nombre,  former  une  preuve  complète.  3°  Les  témoins  de- 
vaient être  affirmatifs.  S'ils  s'exprimaient  sous  celte  forme 
dubitative  :  «  Si  je  ne  me  trompe...  »  «  Si  je  m'en  souviens 
bien...  »  «  11  peut  se  faire  »,  ils  étaient  dits  vacillants^  et 
leurs  déclarations  n'avaient  même  pas  la  valeur  d'un  indice. 
i""  Les  dépositions  devaient  être  identiques  dans  les  trois 
interrogatoires  subis  par  les  témoins,  au  début  de  l'informa- 
tion, au  récolement  et  à  la  confrontation.  5"^  Enfin,  lestémoios 
ne  devaient  être,  ni  reprochables^  ni  reprochés,  A  ce  point 
de  vue,  l'ancienne  procédure,  tout  en  cherchant  à  entraver 
Pusage  du  droit  de  reproche,  en  avait  multiplié  el  même 
exagéré  les  causes. 

Deux  témoignages  parfaits,  quand  ils  se  rencontraient, 
entraînaient  inévitablement  la  condamnation,  car  ils  en- 
chaînaient la  conviction  du  juge*'. 

253.  Après  la  preuve  testimoniale,  venait  la  preuve  écrite^ 
plus  rare  évidemment  que  la  première.  Les  juristes,  après 


disait  Loysel  :  u  Voit  d'un,  voix  de  nun  ».  Paul  Viollel,  dans  son  Histoire 
du  droit  ciril  français  (Paris,  1893),  p.  30,  a  démontré  que  cette  règle  qui 
c<  a  dominé  toute  la  matière  des  témoignages  et  des  enquêtes  pendant  lout  le 
moyen  iige  el  jusqu'aux  temps  modernes  »,  dérive  incontestablement  de 
rÉvangile.  Elle  est  formulée  dans  saint  Jean  et  dans  saint  Mathieu  (S. 
Jean,  vin,  17).  «  \ii  nous  pouvons  affirmer,  ajoute  Viollel,  que  cette  règle 
des  deux  témoins,  constante  au  moyen  âge,  conservée  au  xix*  siècle  dans 
quelques  législations  des  Ktats-Unis  d'Amérique,  est  d'origine  hébraïque  ». 

*^  Jousse,  op.  ciLf  t.  1,  p.  663^  et  695. 

22  Jousse,  op,  cit.f  t.  1,  p.  673.  La  preuve  <i  que  l'on  regarde  comme  la 
plus  certaine  est  celle  qui  résulte  du  lémoignage  de  deux  ou  de  plusieurs 
personnes  qui  ont  vu  commettre  le  crime  ». 


DIVERS    SYSTEMES   d'oRGANISATION   DE   LA    PREUVE.         S07 

quelques  hésitations,  avaieat  fini  par  reconoaitrc  que  ce 
mode  de  preuve  devait  être  employé  dans  certains  crimes 
qui  ne  peuvent  guère  être  établis  que  par  écrit,  «  parce 
qu'ils  consistent  principalement  dans  la  pensée,  tels  que 
l'hérésie,  la  confidence,  la  conjuration  envers  le  prince,  l'u- 
sure, la  subornation  de  témoins  »;  et  que,  pour  d'autres, 
tels -que  le  Taux,  la  preuve  testimoniale  et  la  preuve  instru- 
mentale pouvaient  concourir.  Mais,  dans  tous  les  cas  où 
récriture  était  admise,  pour  qu'elle  formât  une  preuve  com- 
plète^ il  fallait  :  l""  qu'elle  fût  précise  sur  le  fait  du  crime; 
2°  qu'elle  fût  authentique,  ou,  si  Técrit  était  sous  signature 
privée,  qu'il  fût  reconnu  par  l'accusé.  Jamais  une  vérification 
d'écriture  ne  pouvait  fournir  une  preuve  complète.  On  se 
défiait,  avec  raison,  de  Fart  si  conjectural  des  experts  en 
écritures". 

254.  La  preuve  complète  pouvait  encore  être  fournie  par 
des  présomptiom^  considérées  comme  invincibles,  pourvu, 
bien  entendu,  que  les  faits,  sur  lesquels  elles  étaient  basées, 
fussent  eux-mêmes  régulièrement  établis".  Dans  ce  cas, 
des  indices,  conduisant  à  des  conjectures,  étaient  doués  d'une 
force  de  conviction  irrésistible. 

H  était  généralement  admis  que  Vaveu  ne  formait  pas  une 
preuve  complète  :  Nemo  audilur  perire  volens.  W  fallait  que, 
à  la  confession,  s'ajoutassent  des  indices  prochains  ou  la  dépo- 
sition d*un  bon  témoin  ^\ 

-*  Au  point  de  vue  conjectural  de  l'art  des  experts  en  écritures,  nos  an- 
ciens auteurs  sont  unanimes.  Voy.  Muyart  de  Vouglans,  op,  cit.,  p.  330; 
llousseaud  de  Lacombe,  Matières  criminelles^  p.  371.  Cfr.  Poullain  du  Parc, 
t.  11,  p.  191  el  suiv.;  Jousse,  op.  ciU^  1. 1,  p.  743. 

-*  En  voici  un  exemple  qui  nous  est  fourni  par  Muyart  de  Vouglans  (op. 
cit,,  p.  346)  :  «  Lorsqu'en  fait  de  meurtre,  deux  témoins  irréprochables 
déposent  avoir  vu  l'accusé,  qui  avait  Tépée  nue  et  ensanglantée  à.la  main, 
sortir  du  lieu,  où,  quelque  temps  après,  le  corps  du  défunt  a  été  trouvé  blessé 
d'un  coup  d'épée  >'.  Toutefois,  cet  indice  est  très  [>jrochain,  très  véhément, 
mais  non  pas  manifeste,  car  on  pourrait  établir  qu'il  y  a  eu  suicide,  par 
exemple. 

^^  On  lira  dans  Hsmein,  op,  cit.,  p.  272  à  275,  les  discussions  qui  avaient 
eu  lieu,  entre  nos  anciens  auteurs,  sur  cette  question  de  l'énergie  de  l'aveu 


508        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 


.  Les  indices  prochains^  appelés,  par  quelques  juristes, 
des  demi-preuves,  ne  pouvaient,  par  eux-mêmes,  motiver 
la  condamnation  capitale  de  l'accusé.  Mais  ils  formaient,  en 
s'ajoutant  à  Taveu  volontaire  ou  forcée  une  preuve  complète. 
Le  principal  effet  des  indices  prochains,  dans  les  accusations 
graves,  était  donc  de  permettre  Tapplication  de  la  question, 
de  sorte  que  la  théorie  d'après  laquelle  une  condamnation 
capitale  ne  pouvait  être  assise  que  sur  une  preuve  complète, 
théorie,  en  apparence  si  favorable  à  Taccusé,  aboutissait  à 
rendre  la  torture  presque  inévitable  :  la  question  «  devenait, 
comme  on  Ta  dit,  le  complément  indispensable  de  ce  système 
de  preuve*^  ». 

Les  faits,  constituant  des  indices  prochains,  furent  toujours 
laissés,  par  les  ordonnances,  à  l'arbitraire  du  juge.  Cepen- 
dant, certaines  règles  avaient  été  tracées  par  la  jurispru- 
dence. Ainsi,  parmi  les  demi-preuves,  figurait  d'abord  la 
preuve  testimoniale  ou  écrite  imparfaite,  la  déposition  d'un 
témoin  oculaire  unique,  ou  une  écriture  vérifiée  par  expert, 
ou  Paveu  extrajudiciaire  de  Taccusé,  lorsque,  dénié  par  lui, 
il  était  attesté  «  par  deux  bons  témoins  ».  Puis,  les  présomp- 
tions fondées  sur  les  indices,  soit  généraux,  soit  spéciaux  à 
certains  crimes. 

256.  Tous  les  indices  prochains  permettaient,  en  principe, 
l'application  de  la  torture.  Cependant,  pour  un  assez  grand 
nombre  de  cas,  il  fallait  y  joindre  tout  au  moins  un  indice 
éloigné.  C'était  à  ce  point  de  vue  qu'intervenait,  comme  sou- 
tien du  procès,  cette  troisième  classe  d'indices,  comprise  sous 
le  nom  d'adminicules,  Muyart  de  Vouglans,  en  précurseur 

judiciaire.  Voy.  également  sur  ce  point  :  Bonnier,  op,  ait,,  n®  365.  Jousse, 
op,  ciLj  t.  1,  n°  660,  affirme  cependant  que  la  preuve  est  complète  lors- 
qu'elle est  fondée  sur  «  la  confession  pure  et  simple  de  l'accusé  ». 

2'  Certains  juristes  prétendaient  qu'on  pouvait  additionner  les  indices 
Mais  on  se  refusait  généralement  à  admettre  cette  combinaison.  «  La  semi- 
preuve,  disait  Poullain  du  Parc  {op.  cit.,  t.  H,  p.  116),  n'a  rien  de  plus 
concluant  qu'une  demi-vérilé,  et  par  la  même  raison  que  deux  incertitudes 
ne  peuvent  opérer  une  certitude,  deux  semi-preuves  ne  peuvent  pas  non 
plus  opérer  une  preuve  complète  ». 


DIVERS   SYSTÈMES   d'oRGANISATION   DE   LA   PREUVE,         509 

des  anlhropologisles  jnodernes,  donne,  comme  exemple  de 
signes  de  culpabilité  de  ce  genre,  «  la  mauvaise  physionomie 
de  Taccusé  ».  On  voit  qu'il  fallait  peu  de  choses,  pour  con- 
stituer un  indice  éloigné. 

257.  En  résumé,  ce  qui  caractérisait  théoriquement  le 
système  des  preuves  légales  dans  notre  ancien  droit,  c'est 
qu'on  ne  pouvait  condamner  à  mort  que  s'il  y  avait  une 
preuve  complète,  et  qu'uqe  preuve  n'avait  ce  caractère  qu'à 
certaines  conditions  exceptionnelles,  très  difficiles  à  réunir. 

Cette  tyrannie  de  la  preuve  obligeait  les  juges  à  se  pro- 
curer, par  tous  les  moyens,  per  fas  et  nefas^  un  aveu  du 
coupable.  Dans  ce  but,  la  coutume  organisait  deux  procé- 
dés :  Y  interrogatoire  secret,  où  l'accusé,  sans  défense,  devait 
jurer  de  révéler  la  vérité  et  par  lequel  on  obtenait  Vaveu  dit 
volontaire^  et  la  questioîi,  par  laquelle  on  obtenait  la  confes- 
sion forcée.  Ainsi,  le  système  des  preuves  légales,  d'abord 
introduit  dans  l'intérêt  de  l'accusé  et  comme  un  contrepoids 
nécessaire  à  l'absence  de  garanties  résultant,  soit  de  la  com- 
position du  tribunal  par  des  juristes  de  profession,  soit  de  la 
procédure  inquisitoire  et  secrète,  devait  aboutir  fatalement 
à  la  torture.  Et  le  maintien,  jusqu'à  la  Révolution,  de  cette 
grande  iniquité,  est  dû,  il  n'en  faut  pas  douter,  à  ce  que  la 
conviction  du  juge  ne  pouvait  presque  jamais  être  obtenue 
sans  l'aveu  du  coupable *•. 

Le  motif  certain  de  l'emploi  de  la  torlure  qui  se  répandit, 
par  une  contagion  singulière,  à  partir  du  xii*  siècle,  dans 
toute  l'Europe,  et  dont  le  foyer  primitif  a  été  ce  coin  de 
l'Italie  où  l'école  de  Bologne  exhuma  le  droit  romain,  fut 
partout  que,  «  d'un  côté,  on  ne  croyait  plus  aux  ordalies  et 
aux  cojureurs,  et  que,  d'autre  part,  on  ne  voulait  pas  pro- 
noncer une  condamnation  «ur  des  indices  seulement,  quelle 
cfue  fût  leur  force  ».  Ce  qu'il  fallait  aux  juges  d'alors,  <^st 


'*  Voy.  Despeisses,  Œuvres^  t.  2,  p.  713,  n®  10;  Aug.  Nicolas,  maître  des 
requêtes  au  Parlement  de  Bourgogne,  Si  la  théorie  de  la  torlure  est  un 
moyen  de  vérifier  les  faits,  Amsterdam,  1682. 


niO         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PRETIB. 

rav<MJ   à  fout   prix,  ou   la  preuve  de  l'impossibilité   d'avoir 
Tavi'ii  **. 

ïlu  roste,  si  Tînculpé  résistait  à  cet  effroyable  moyen  d'ar- 
racher sa  confession,  si  on  n'avait  pu  «  rien  gagner  sur  lui  », 
il  ne  faudrait  pas  croire  qu'il  en  fut  quitte  avec  la  justice  du 
temps.  On  suspendait  le  procès,  ou  on  lui  appliquait  une 
peine  extraordinaire. 

258.  L'institution  du  jury,  l'abolition  de  la  torture  de- 
vaient entraîner  la  ruine  du  système  des  preuves  légales''. 
Cependant,  par  une  combinaison,  en  apparence  excellente, 
certains  législateurs  de  TAssemblée  constituante  auraient 
désiré  joindre,  aux  avantages  des  anciens  usages,  le  bienfait 
de  principes  nouveaux.  Ils  proposèrent  de  donner  à  la  loi  la 
charge  de  déterminer  quelles  preuves  il  faudrait  réunir  pour 
asseoir  une  condamnation;  mais  ils  voulaient  ne  jamais  obli- 
ger les  juges,  quelles  que  fussent  les  charges,  à  condamner 
un  accusé  contre  leur  intime  conviction.  C'était  là  un  svstème 
ingénicMix,  qui  prétendait  réunir  «   la  confiance  qui  est  due 

••  On  lira  sur  la  torlure,  son  origine,  son  histoire,  ses  causes,  les  obser- 
vations intc^nissantes  de  Tarde,  Philosophie  pénale^  p.  5-29  à  433.  Jousse, 
op.  cit,f  t.  i,  p.  089  à  09 V,  fait  la  the'orie  <'  de  la  confession  des  accusés  à  la 
quiîstion,  on  torture  ».  Ses  premiers  mots  jugent  le  procédé  au  point  de  vue 
de  Taveu  :  «  On  peut  regarder  comme  une  règle  générale,  que  la  question 
est  un  moyen  dangereux  pour  obliger  un  témoin  de  déclarer  la  vérité.  On 
trouvo  on  pITet,  dans  Phistoire,  plusieurs  exemples  de  personnes,  qui,  par 
la  fur»'»;  lii's  t«Mjrm«*nls,  ont  confessé  des  crimes  qu'ils  n'avaient  pas  commis  «. 
En  consé(|uonc«*,  «  Taveu  fait  par  un  accusé  dans  les  tourments,  ne  faisait 
pas  uiK*  pr(Mive  suiTisante  chez  les  Romains,  non  plus  que  parmi  nous,  quand 
il  n'y  avait  point  «railleurs  d'autre  preuve  ».  Mais  «  la  confession  faite  par 
un  accus»?  à  la  (piestion  qui  est  ensuite  par  lui  ratifiée,  lorsqu'il  est  libre  et 
hors  des  tourments,  forme  contre  lui  une  preuve  complète  ».  Jousse  discute 
riiHuite  le  cas  où  Taveu  provoqué  par  la  torture  est  rétracté,  et  le  cas  où  la 
torture  est  don  n«^e  à  la  suite  d'une  procédure  nulle  :  «Si  la  procédure  est 
nulle,  la  coiïfession  faite  par  l'accusé  h  la  question  ne  la  fait  pas  valider  ». 

'^  Les  philosophes  du  xviii'"  siècle  avaient  attaqué  la  preuve  légale.  Bec- 
caria  (/Vs  délits  et  des  peines,  ch.  VII  et  VIIÏ),  démontre  que  la  certitude 
ne  peut  être  renfermée  dans  la  règle  d'une  preuve  scientifique.  Filangieri 
(Science  de  la  législation,  liv.  3,  ch.  XV)  affirme  que  la  certitude  ne  peut 
résider  que  dans  la  conscience  du  juge. 


DIVERS   SYSTÈMES   d'oRGANISATION   DE   LA   PREUVE.         511 

ux  preuves  légales  el  celle  que  mérite  la  conviction  intime 

u  juge^*  ».  Mais  combien  eût  été  illusoire,  avec  Tinstitution  du 

ury,  un  système,  déterminant,  par  des  prescriptions  légales, 

es  preuves  nécessaires  pour  condamner?  De  deux  choses  Tune 

n  effet  :  ou  bien  le  jury,  n'ayant  pas  à  motiver  sa  décision, 

urait  toujours  pu  se  soustraire  à  celte  obligation;  ou  bien, 

'il  avait  cru  devoir  la  respecter,  il  aurait  pu  y  trouver  un 

ïrélexle  commode  pour  des  acquittements  injustifiés.  Aussi 

e  législateur   déclara  formellement  qu'il   répudiait  le  sys- 

ème  des  preuves  légales  et  ne  s*en  rapportait  qu'à  Tintime 

onviction  des  jurés^^  Cela  fut  indiqué  dans  la  formule  du 

erment  qui  leur  était    imposé  :   a   Vous  jurez...  de   vous 

décider  d'après  les  charges  et  les  moyens  de  défense,  et 

suivant  \otre  conscience  et  votre   intime  conviction,  avec 

l'impartialité  et  la  fermeté  qui  conviennent  «\  un  homme 

libre"  ».  Ailleurs,  il  était  dit,  dans  la  loi  du  16  septembre 

791'*  :  «  L'accusé  pourra  faire  entendre  des  témoins  pour 

attester  qu'il  est  homme  d'honneur  et  de  probité  et  d'une 

conduite  irréprochable;  les  jurés  auront  tel  égard  que  de 

raison  à  ce  témoignage  ».  Et  l'instruction  du  29  septembre 

791  précisa  le  principe  de  la  preuve  morale  en  ces  termes  : 

C'est  particulièrement  sur  l'instruction  et  le  débat  qui  ont 

eu  lieu  en  leur  présence  que  les  jurés  doivent  asseoir  leur 

conviction  personnelle;  car  c'est  de  leur  conviction  person- 


^*  C'est  la  formule  dont  se  servit  Kobespierre  dans  la  s(^ance  du  4  janvier 
801  (Moniteur  du  5^  On  n'a  peut-<?tre  pas  assez  remarqué  que  l'idëc  de 
ette  combinaison  a  éXé  reprise  par  le  criminaliste  italien  Ellero,  dans  sa 
rochure  sur  la  Critica  criminale,  imprimée  «lans  ses  Trattati  criminalù 

^'^  L'Assemblée  constituante  fut  saisie  de  la  question  par  le  rapport  que 
t  Duport,  à  la  séance  du  26  décembre  1790,  au  nom  des  comités  de  consti- 
iilion  et  de  jurisprudence  criminelle.  Le  projet  proposait  de  supprimer, 
evant  le  jury,  toute  preuve  écrite  et  de  ne  donner  à  sa  déclaration  d'autre 
)ndement  que  sa  conviction  intime  fondée  sur  le  débat  oral.  Faustin  Hélie 
ïnstr.  cr.,  t.  4,  n*»  1768,  p.  336  à  340),  a  rapporté  les  principaux  passages 
e  la  discussion  qui  eut  lieu  à  ce  sujet.  Le  projet  du  comité  fut  adopté  dans 
.  séance  du  18  janvier  1791. 

»•'»  L.  16  septembre  1791,  2«  part.,  tit.  7,  art.  24. 

^*  2^  part.,  tit.  7,  art.  14. 


512        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

«  Qelle  qu'il  s'agit  ici;  x^'est  elle  que  la  loi  leur  dema 
«  d'énoncer,  c'est  à  elle  que  la  société,  que  Taccusé 
<(  rapportent  ».  Dans  le  Code  du  3  brumaire  an  IV  (art.  3 
la  théorie  des  preuves  morales  fut  maintenue  avec  plu< 
fermeté  encore  :  une  longue  instruction,  destinée  surtout 
rappeler  aux  jurés,  devait  leur  être  lue  par  le  présiden 
affichée  dans  leur  salle  de  délibérations. 

Cette  instruction  a  passé,  avec  le  même  caractère,  dan 
Code  d'instruction  criminelle  de  1808,  oii  elle  forme  la  • 
position  même  de  Tarticle  342  :  «  La  loi  ne  demande 
«  compte  aux  jurés  des  moyens  par  lesquels  ils  se  sont  c 
«  vaincus;  elle  ne  leur  prescrit  point  de  règles  desque 
«  ils  doivent  faire  particulièrement  dépendre  la  plénitudi 
«  la  suffisance  d'une  preuve; elle  leur  prescrit  de  s'interro 
«  eux-mêmes  dans  le  silence  et  le  recueillement,  et  de  cl 
<(  cher,  dans  la  sincérité  de  leur  conscience,  quelle  imp 
«  sion  ont  faites,  sifr  leur  raison,  les  preuves  rapportées  coi 
<c  l'accusé,  et  les  moyens  de  sa  défense.  .La  loi  ne  leur 
«  point  :  Vous  tiendrez  pour  vrai  tout  fait  attesté  par  tel 
«  tel  nombre  de  témoins;  elle  ne  leur  dit  pas  non  plus  :  I 
«  ne  regarderez  pas  comme  suffisainment  établie  toute  pn 
«  qui  ne  sera  pas  formée  de  tel  procès-verbal^  de  te 
«  pièces,  de  tant  de  témoins  ou  de  tant  d'indices;  elle  ne  1 
«  fait  que  cette  seule  question,  qui  renferme  toute  la  mes 
«  de  leurs  devoirs  :  Avez-vous  tine  intime  conviction?  » 

259.  La  preuve  de  conviction  est  donc  née  avec  le  j 
et  ellei  semble  en  être  inséparable".  Mais  la  formule,  te 

^^  l^ersûnne  ne  Ta  mieux  démontré  que  Tarde,  dans  une  page  quV.i 
permettra  de  transcrire  (Philosophie  pénale ^  p.  433)  :  «  Le  jury  ne  pro 
nullement  des  forêts  germaines;  il  est  né,  en  1211,  conmie  l'ont  démc 
Du  Boys  et  d'autres  auteurs  [HisL  du  droit  crim,  de  la  France,  t.  2,  p. 
et  suiv. ,  de  l'embarras  qu'ont  éprouvé  les  juges  itinérants  d'Angle 
pour  be  passer  des  ordalies  que  le  Concile  de  Latran  venait  d'inter 
Tandis  que,  sur  ie  continent,  l'idée  de  la  torture  est  venue  s'offrir  àprc 
les  An{^Iais  ont  imaginé,  avec  infiniment  plus  de  sagesse  sans  nul  doul 
rassembler  doi.ze  voisins  de  l'inculpe,  quand  il  n'avouait  pas  et  de  con 
rer  u  leur  comutitn  relativement  à  l'existence  et  à  l'auteur  du  crir 


DIVERS  SYSTÈMES  d'ORGANISATION   DB   LA   PREUVE.         513 

iprégnée  de  lyrisme  révolutionnaire,  qui  est  devenue  Tar- 
z\e  342  du  Code  d'instruction  criminelle,  a  donné  naissance 
bien  des  erreurs  sur  les  droits  et  les  devoirs  du  jury.  Ce 
uî  semble  s'en  dégager,  c'est  la  sensation  d*un  pouvoir  ar- 
itraire,  pour  résoudre  la  question  la  plus  redoutable  qui 
uisse  être  posée  à  des  hommes.  Le  juré  paraît  placé  au-des- 
us  de  la  loi  et  autorisé  à  juger  sur  une  impression.  C'est  à 

omme  Téquivalent  du  jugement  de  Dieu.  (]'était  d'autant  plus  naturel  que, 
iepuis  longtemps,  l'embryon  du  jury,  sous  le  nom  de  preuve  par  le  pays, 
ixistait  dans  le  système  accusaloire  des  Anglais;  et  cette  preuve  y  était 
nise  sur  le  même  rang  que  la  preuve  par  bataille.  Entre  les  deux,  l'accusé 
ivail  le  droit  de  choisir.  L'équivalence  des  ordalies  et  du  jury  est  attestée 
par  là.  Il  faut  songer  qu'à  cette  époque  on  était  porté  à  croire  le  Saint. 
Esprit  présent  dans  toute  réunion  un  peu  solennelle  de  chrétiens;  un  jury^ 
pouvait  paraître  une  espèce  de  concile,  divinement  inspiré.  Il  était  destiné  à 
procurer,  lui  aussi,  l'illusion  de  la  certitude.  Une  présomption  d'infaillibilité 
oraculaire  était  attachée,  par  la  foi  religieuse,  comme  plus  tard  par  la  foi 
philosophique  et  humanitaire,  à  des  décisions  non  motivées.  Dès  son  origine, 
^u  reste,  on  le  voit,  le  verdict  n'a  été,  comme  de  nos  jours  encore,  qu'un 
*cte  suprême  d'information,  un  constat  de  faits,  non  un  jugement  propre- 
fnent  dit...  Les  jurés  anglais  étiiient  si  bien  considérés  comme  de  simples 
t^'moins,  primitivement,  que  jusqu'à  Edouard  III,  au  xiV  siècle,  aucun 
léinoignage  ne  pouvait  être  produit  devant  eux,  et  de  nos  jours  encore,  en 
'Angleterre,  quand  l'accusé  avoue,  le  jury  est  incompétent,  parce  qu'alors  la 
preuve  est  faite.  C'est  parce  que  le  juré  est  une  espèce  de  témoin  inspiré 
iw'on  ne  lui  a  jamais  demandé  de  motiver  un  verdict  et  qu'on  repousse 
iiêrae  cette  idée  autant  qu'on  repousserait  celle  d'un  arrêt  sans  motifs...  Au 
^♦ibut  de  la  Révolution  française,  la  France  s'est  trouvée  dans  un  embarras 
inalogue  à  colle  des  justitiarii  itineranlea  do  1215;  la  torture  venant  d'étrft 
supprimée,  il  s'agissait  do  la  remplacer  ».  On  a  donc  importé  le  jury  anglais 
•t  cela  sciemment.  Les  cahiers  de  1789  avaient  réclamé  le  jugement  par 
"rés  en  matière  criminelle;  ils  recommandaient  qu'on  étudiât  les  institu- 
ions anglaises,  dans  la  discussion  devant  l'Assemblée  constituante  du 
'yslème  de  preuve  devant  le  jury,  Thouret  a  nettement  exprimé  ces  idées  : 
^  L'écriture  des  preuves  est  incompatible  avec  l'établissement  des  jurés.  La 
nécessité  de  cette  écriture  ultérieure,  la  moralité  qui  fait  rlu  jury  le  moyen 
^  plus  voisin  de  Vinfaillibilité^  et  qui  conduit,  au  milieu  des  débats  entre 
^8  témoins  et  l'accusé,  à  un  degré  de  conviction  tel  qu'il  est  impossible  à 
^  maison  humaine  d'aller  plus  loin,,.,  la  conviction  du  juré,  voilà  la  loi  que 
^juré  doit  suivre...  La  conviction  morale  subjugue  tout  quand  elle  est 
^ssentie;  elle  ne  peut  être,  ni  commandée,  ni  inspirée,  c'est  le  véritable 
'rilerium  de  la  vérité  humaine  ». 

G.  P.  P.  -  I.  33 


514        PROCEDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

cette  formule,  plus  encore  qu'au  régime  de  la  preuve  morale, 
qu'il  faut  faire  remonter  la  fausse  doctrine  de  Vomnipolence 
du  jury. 

Le  système  des  preuveslégalesy  qui  a  régi  l'Europe  moderoe 
jusqu'à  la  fin  du  xviii*  siècle,  a  disparu  partout,  et  les  quel- 
ques vestiges  qui  en  subsistent  s'effacent  peu  à  peu  '*.  C'est 
à  peine  si  Ton  peut  citer,  à  titre  de  curiosité  archéologique, 
les  dispositions  du  Code  de  procédure  pénale  du  canton  du 
Valais  du  29  novembre  1848  qui  consacrent  encore  et  régle- 
mentent minutieusement  la  preuve  légale  *\  Cette  «  législation 
fossile  )>  est  une  exception  unique!  Mais, dans  les  droits  anglo- 
saxons,  où  le  système  accusatoire  est  toujours  en  vigueur,  et 
où  la  marche  de  la  preuve  est  la  même  en  matière  civile  et  en 
matière  criminelle,  deux  traits  caractéristiques  du  régime  de 
la  preuve  doivent  être  relevés'*.  Le  premier,  déjà  signalé,  est 
la  règle  qui  oblige  Taccusé  à  prendre  parti  sur  son  système 
de  défense  au  début  même  de  sa  comparution,  et  de  plaider 
coupable  ou  non  coupable.  Et  lorsqu'il  avoue  ou  plaide  coo- 
pable,  l'accusé  doit  prouver  tous  les  moyens  qu'il  oppose  à 
l'accusation.  Car,  à  ce  second  point  de  vue,  la  procédure  con- 
tradictoire place  les  parties  sur  la  même  ligne,  et,  en  opposant 
un  moyen  de  défense,  l'accusé  devient  demandeur  au  procès: 
reus  excipiendo  fit  actor. 

§  XLVII.  —  DE  LA  PREUVE  MORALE  OU  DE  GONVIGTIOH. 

260.  Le  régime  de  la  preuve  de  conviction  gouverne  toute  ta  procédure  répres- 
sive et  s'applique  aux  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  comme  aux  eoors 
d'assises.  —  201.  Il  existe,  cependant,  en  ce  qui  touche  Tadaptation  de  ce  régisie 

««  Ainsi  rarticle  326  du  Code  de  procédure  pénale  autrichien  de  1873  repro- 
duit mot  pour  mot  notre  article  342. 

'''  Voy.  sur  ce  point  :  A.  Gautier,  Le  débat  criminel  et  le»  essai»  aetueU 
de  réforme  [Rev.  pén,  suisse,  4899,  p.  316,  note  3). 

"  Comp.  Fournier,  Corfe  de  procédure  criminelle  de  l'État  de  NeW'Yorkf 
Introduction,  p.  cxi  et  suiv.  et  Code,  §  392,  p.  209  et  suiv.  et  la  note  1.  Sur 
le  droit  anglais  on  lira  :  Herbert  Speyer,  Les  régies  de  la  preuve  en  droit 
pénal  anglais  {Law  of  évidence),  Rev.  de  droit  int,  et  de  législation  compa- 
rée, 1898,  p.  478;  Esmein,  Rev.  polit,  et  parlem.,  1898,  t.  XVIII,  p.  346. 


DE  LA  PREUVK  MORALE  OU  DE  CONVICTION.      SIS 

de  preuve,  troifi  différences  entre  la  proeédore  criminelle  et  la  procédure  correc- 
tionnolle  ou  de  police.  —  262.  La  première  différence  résulte  de  ce  que  les  tri- 
bunaux correctionnels  ou  de  police  doivent  motiver  la  condamnation  ou  Tacquit- 
temcnt,  c*est-à-dire  indiquer  les  raisons  pour  lesquelles  ils  se  décident,  tandis 
que  la  cour  d'assises  juge,  à  cet  égard,  sans  donner  de  motifs.  •»  203.  La  preuve 
ne  dépend  pas  de  la  nature  de  la  juridiction  devant  laquelle  une  question  se  pose, 
mais  de  la  nature  de  la  question  elle-même.  Exemple  pour  l'interdiction  de  la 
preuve  testimoniale.  Mais  ce  qui  est  vrai  des  juridictions  composées  de  profes- 
sionnels, ne  Test  pas  du  jury.  L*article  342  s'applique  dans  toute  son  étendue, 
quelle  que  soit  la  question  posée.  —  264.  Le  régime  des  preuves  de  conviction 
est  limité,  même  en  matière  répressive,  par  un  certain  nombre  d'exceptions.  Pro- 
cès-verbaux qui  font  foi  jusqu'à  inscription  de  faux  ou  jusqu'à  preuve  contraire. 
Preuve  de  l'adultère  vis-à-vis  du  complice.  —  265.  Mais  si  la  preuve  n'a  pas  une 
valeur  morale  imposée  par  la  loi,  les  règles  de  son  administration  sont  réglemen- 
taires. Buts  que  poursuit  la  loi  dans  cette  réglementation.  Pouvoir  disorétionnaire 
du  président  de  la  cour  d'assises. 

260.  Il  résulte  de  l'article  342  du  Coded'instruclioD  crimi- 
nelle que,  pour  les  jurés,  aucua  mode  de  preuve  a'a  par  lui- 
même  uae  force  légale  susceptible  de  déterminer  leur  con- 
viction :  les  jurés  ne  doivent  pas  nécessairement  faire  dépendre 
leur  verdict  de  telle  ou  telle  preuve  qui  a  été  rapportée;  leur 
devoir  est  d'examiner  Tensemble  de  rinstruction  qui  s'est 
déroulée  devant  eux,  et  de  se  demander  ensuite,  dans  l'inti- 
mité de  leur  conscience,  s'ils  ont  la  conviction  de  la  culpabi- 
lité de  l'accusé.  Cette  disposition,  bien  qu'écrite  pour  les  jurés, 
s'applique  à  tous  les  juges  de  répressioa.  Elle  gouverne,  en 
effet,  le  régime  et  le  système  de  la  preuve  en  matière  répres- 
sive, et  domine,  en  dehors  des  exceptions  que  nous  ferons 
connaître,  la  procédure  pénale  tout  entière.  Aussi  la  Cour  de 
cassation  a  constamment  jugé  :  1^  qu'^n  matière  correction- 
nelle ou  de  police  y  lorsque  la  preuve  du  délit  ou  de  la  contra- 
vention ne  résulte  pas  nécessairement  des  constatations  d'un 
procès-verbal,  les  juges  peuvent  puiser  leur  conviction  dans 
tous  les  éléments  de  la  cause;  2^  que  la  liberté  cT appréciation 
du  tribunal  ne  trouve  de  limite  que  dans  la  nécessité  de  sou- 
mettre les  éléments  de  preuve  à  une  discussion  orale  et  con- 
tradictoire*. 

§  XLVII.  *  Jurisprudence  constante.  Voy.  notamment  :  Cass.,  10  juilL 
i863  (D.  63.  i.  483);  5  juill.  1889  (B.  cr.,  n*  244);  18  févr.  189â  (D.  9^.  1. 
471);  9  jan?.  1904  (D.  1904.  i.  625}.  «  La  preuve  en  matière  criminelle,  dit 


516        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

261.  Il  y  a  lieu,  cepeodant,  de  constater  que  le  régime 
des  preuves  de  conscience,  bien  que  général  en  matière  pénale, 
ne  s*adapte  pas  de  la  même  manière  à  la  procédure  crimi- 
nelle et  à  la  procédure  correctionnelle  ou  de  police.  Trois 
différences  doivent  être  relevées. 

262.  Une  première  différence  résulte  de  Tobligation  qui 
incombe  au^  juridictions  de  police,  simple  ou  correction- 
nelle, de  motiver  leurs  décisions,  obligation  dont  la  cour  d'as- 
sises est  affranchie. 

I.  Le  jury  émet,  en  effet,  des  déclarations  :  il  répond,  par 
oui  ou  par  non,  aux  questions  qui  lui  sont  posées.  Quant  à  la 
cour,  elle  solutionne  le  procès  pénal  en  se  référant  au  verdict 
du  jury  qui  s'impose  à  elle  et  dont  elle  tire  simplement  les 
conséquences. 

Or,  un  jugement,  un  arrêt,  une  décision  doit  être  motivé; 
cela  est  de  son  essence;  c'est  la  garantie  la  plus  élémentaire 

«  la  Cour  de  Chambéry,  dans  un  arrêt  du  10  déc.  1875  (D.  77.  2.  14),  n'est 
«  assujettie  à  aucune  forme  systématique,  et  la  conscience  des  juges,  afTran- 
«  chie  de  toute  entrave,  peut  librement  former  sa  conviction,  en  Ja  puisant 
«  dans  tous  les  documents  de  la  cause,  pourvu  qu'ils  aient  étë  soumis  à  une 
«  discussion  orale  et  contradictoire.  Ce  principe  général  ne  cesse  pas  d*étrv 
«  applicable  aux  matières  conrectionnelles,  à  Tégard  desquelles  le  juge  con- 
«  serve,  sauf  des  exceptions  qui  confirment  la  règle,  la  même  latitude  d'ap- 
«  prédation  ».  La  formule  que  répète  Tarrêt  de  la  Cour  do  cassation  du 
9  janv.  1904  et  qui  se  trouve  déjà  dans  Tarrôt  du  5  juillet  1889,  c'est  que 
«  les  juges  correctionnels  peuvent  former  leur  conviction  sur  tous  les  élé- 
t<  menls  versés  aux  débats  et  soumis  à  la  libre  discussion  des  parties  »>.  JHec 
obstant  les  articles  154,  155,  156  et  189  du  Code  d'instruction  crimiDelle. 
L'article  189  porte  que  «<  la  preuve  des  délits  correctionnels  se  fera  de  la 
«  manière  prescrite  aux  articles  154,  155  et  156  concernant  les  contraven* 
a  tions  de  police  ».  Les  délits  et  les  contraventions  sont  donc  prouvés  : 
l'*  soit  par  procès-verbaux  et  rapports  ;  2®  soit  par  les  témoins,  à  défaut  de 
rapports  ou  procès-verbaux  ou  à  leur  appui.  Mais  si,  dans  ces  articles,  le 
législateur  a  spécifié  certains  modes  de  preuve,  il  n'en  a  exclu  aucun.  De 
plus,  il  n'a  pas  mesuré  la  valeur  de  tel  ou  tel  mode  de  preuve.  Par  consé- 
quent, devant  les  tribunaux  correctionnels  et  les  tribunaux  de  police,  la 
preuve  n'est  assujettie  à  aucune  forme  systématique  et  les  juges  peuvent 
puiser  leur  conviction  dans  tous  les  éléments  de  la  cause.  Voy.  du  reste, 
sur  la  question,  au  point  de  vue  juridique  conmie  au  point  de  vue  philoso- 
phique :  Faustin  Hélie,  Traité  de  Vinstr,  crim.,  t.  4,  n"*  1777  et  1778. 


I 


DE   LA   PREUVE   MORALE   OU   DE   CONVICTION.  517 

et  la  plus  certaine  de  la  sagesse  et  de  la  justice  des  acquitte- 
ments ou  des  condamnations,  le  minimum  des  exigences 
auxquelles  le  justiciable  a  droit.  En  dispensant  le  jury  de  s'ex- 
pliquer, pour  le  dispenser  de  raisonner,  la  loi  a  encouragé  le 
jury  à  faire  du  sentiment  au  lieu  de  faire  de  la  justice.  C'est 
une  erreur  de  croire,  en  effet,  que,  pour  former  son  intime 
conviction,  le  jury  peut  s'attachera  des  impressions  sentimen- 
tales et  superficielles  et  qu'il  n^a  pas  besoin  de  se  livrer  à  une 
analyse  attentive  et  raisonoée  des  faits  et  des  circonstances  de 
la  cause.  La  libre  conviction  ou  certitude  morale  (ce  qui  re- 
vient au  même)  signifie  une  seule  et  même  chose,  l'exclu- 
sion de  la  certitude  ou  preuve  légale,  c'est-à-dire  l'exclusion 
d'un  système  de  critères  artificiels,  destinés  à  mesurer,  à  l'a- 
vance, la  valeur  de  chaque  élément  de  preuve.  Mais  le  jury 
ne  doit  pas  juger  par  sentiment,  ou  sur  de  vagues  impressions; 
il  doit  former  sa  conviction  par  un  travail  de  réflexion  et  de 
conscience  et  se  soumettre  lui-même  aux  règles  de  la  logique 
et  de  la  dialectique  naturelles.  Son  verdict  n'est  pas  ce  juge- 
ment ex  informata  conscientia  des  anciennes  procédures,  mais 
l'affirmation  d'une  opinion  consciencieuse,  éclairée  et  moti- 
vée. Moins  la  loi  s'est  ingérée  dans  le  domaine  de  sa  con- 
science, plus  la  raison  et  la  logique  doivent  le  gouverner.  Il 
ne  se  déclare  plus  aujourd'hui  convaincu  ratione  imperii, 
mais  bien  imperio  rationis.  Si  le  jury  ne  le  comprend  pas,  s'il 
donne  à  sa  liberté  et  à  sa  souveraineté  un  autre  sens  et  subs- 
titue le  sentiment  à  la  conviction,  il  n'est  pas  digne  de  juger 
et  il  faut  le  déconstituer  ou  le  supprimer*. 

II.  L'obligation  de  motiver  les  jugements  en  matière 
répressive  n'existait  pas  dans  l'ancien  droit.  Le  juge  con- 

*  C'est  la  conclusion  à  laquelle  arrivent  aujourd'hui  bien  des  esprits.  Voy. 
particulièrement  .  Tarde,  Philosophie  pénale,  p.  435  à  449;  Emile  Bouvier, 
L'itistitution  du  jury  (Lyon,  1887).  Mais  si  les  critiques  du  jury  sont  fon- 
dées, si,  dans  tous  les  pays,  on  se  plaint  de  son  incompétence,  de  sa  faiblesse, 
de  sa  partialité,  si  on  le  qualifie,  avec  quelque  raison,  de  «  garde  nationale  » 
de  la  magistrature,  la  véritable  difficulté  consiste  à  le  remplacer.  Que  mettre 
à  sa  place,  en  effet,  pour  le  moment,  sinon  la  magistrature  actuelle?  Or, 
malgré  les  qualités  qu'on  lui  conteste  trop,  la  magistrature  n'est  pas  prépa- 
rée à  prendre  la  succession  du  jury. 


TfiH  PtLOCibVRE  PÉNALE.  —  DB   LA  PRETTE. 

damnait  ioTariablemeot  le  coapable  «  poar  le  cas  résuitaot 
du  procès  '>.  Otte  fonnale  commode  fat  proscrite  par  la  loi 
At^  8-9  octobre  1789etrarticle  13,  titre  5,  de  la  loi  orgaoiqae 
dt^  16  et  2i  août  1790.  La  CoosUtutioa  de  Tao  III  (art  208;. 
le  (jùAe  du  3  brumaire  an  I\\  consacrèreot  l'obligation  de 
motiver  les  jugemeots,  principe  régulateur  qu*ODt  adopté  les 
articl»;f  163  et  195  du  Code  d'iostructiou  crimioelle^  et  larli- 
cle  7  de  la  loi  organique  du  20  aYril  1810.  Il  est  donc  bien 
certain  que  tous  jugements  et  arrêts,  prononçant  une  con- 
damnation ou  un  acquittement,  doivent  être  motivés'.  Il  en 
est  de  même  des  ordonnances  de  règlement  du  juge  d'instruc- 
tion ou  des  arrêts  de  la  chambre  des  mises  en  accusation. 

Comment  cette  obligation  de  motiver  Tacquittement  ou  la 
condamnation  se  coocilie-t-elle  et  s*adapte-t-elie  avec  la  libre 
appréciation  des  preuves?  Est-ce  qu'on  demande  au  juge,  en 
matière  correctionnelle  et  en  matière  de  police,  de  donner 
les  raisons  mêmes  de  sa  conviction?  Le  législateur,  il  faut  le 
remarquer,  n*a  jamais  réglementé  et  n'a  pu  réglementer 
lobligation  de  motiver  les  décisions  judiciaires.  La  loi  des 
16-24  août  1790,  veut  que  le  juge  exprime  les  motifs  qui  ont 
déterminé  le  jugement.  Or,  tout  jugement  répressif  se  pro- 
nonce sur  deux  questions  :  la  question  de  culpabilité,  et,  en 
cas  de  culpabilité,  celle  d'application  de  la  loi.  11  faut  donc, 
pour  motiver  sa  décision,  que  le  juge,  en  matière  correction- 
nelle ou  de  police,  constate,  en  fait,  l'existence  de  toutes  les 
circonstances  exigées  pour  caractériser  le  délit  ou  la  contra- 
vention, et  que,  en  droit,  il  qualitie  ces  circonstances,  par  rap- 
port à  la  loi  dont  il  fait  l'application  \  Ce  sont  là  les  motifs 
nécessaires.  Mais  le  juge  est-il  obligé  dindiquer,  en  les  détail- 
lant et  en  les  analysant,  les  éléments  de  preuve,  qui  lui  ont 
permis  de  faire  les  constatations  qu'il  relève  et  d*affirmersa 

"  Lob  articlos  103  et  195,  il  est  vrai,  ne  parlent  que  des  jugements  de 
condamnation;  mais  l'article  7  de  la  loi  du  20  avril  1810  embrasse  tous  les 
jujçomonts  dans  une  disposition  gi^n^rale.  Ce  principe  reçoit  toutefois  une 
oxcoption  :  Ips  jugements  ou  arrêts  de  simple  instruction  n'ont  pas  besoin 
(f^tro  motiv(^8.  Voy.  Faustin  Ilélie,  Jnstr.  cr.,  t.  6,  n»  2948. 

*  Conf.  Faustin  \Wio,  Instr,  cr.^  i.  6,  n«  2945. 


DE  LA  PREUVE   MORALE   OU   DE   OONYIGTION.  519 

conyiction  ?  I^  jurisprudence  o'a  jamais  imposé  cette  obliga^ 
tion  aux  tribunaux.  Pourcondamneroa  pour  acquitter,  le  juge 
déclare  simplement  sa  conviction,  c*e8t-à-dire  l'impression 
qu*ont  pu  faire  sur  sa  raison  les  preuves  produites  dans  Tin- 
struction  et  les  débats.  A  la  rigueur,  il  suffit  donc  aux  juges 
de  s'exprimer  ainsi  :  Considérant  qu'il  résulte  de  l'instruction 
et  des  débats^  la  preuve  que  le  prévenu  s'est  rendu  coupable  de 
tel  fait^  lequel  constitue  tel  délit*.  En  un  mot,  si  le  juge  doit, 
à  peine  de  nullité  pour  défaut  de  motif,  constater  toutes  les 
circonstances  dont  la  réunion  caractérise  le  délit  ou  la  con* 
Iravention  qu'il  qualifie",  il  n'est  point  tenu  d'indiquer  et  de 
détailler  les  moyens  de  preuve  sur  lesquels  se  basent  ces  con- 
statations et  la  conviction  qui  en  est  résultée  pour  lui. 

Mais  ce  serait  une  erreur  de  croire  que  la  Cour  de  cassation 
soit  sans  pou  voir  et  sans  droit  de  contrôle  en  cette  matière  :  elle 
peut  et  elle  doit  vérifier,  dans  tous  les  cas  :  1^  si  la  preuve 
existe;  2''  et  si  elle  est  légalement  recherchée  et  administrée*. 

^  Voy.  les  arrêts  cités  au  Répert,  gén.  de  droit  français^  V)  Jugement 
et  arrêt  {Matières  crim.),  n'  447. 

«  Cass.,  28  févr.  1857  (D.  57.  5.  219). 

'  Cass.,  29  nov.  1877  (S.  78.  1.  230;  D  78, 1.  93);  18  f.^vp.  1802  (D.  92. 
1.  471). 

*  Telles  sont,  en  ofTet,  les  deux  limites  que  la  Cour  de  cassation  paraît 
imposer,  au  point  de  vue  de  la  preuve,  aux  pouvoirs  des  tribunaux,  a)  Il 
faut  d*abord  quMl  résulte  des  motifs  de  la  décision  qu^une  preuve  a  été  four* 
nie.  C'est  ainsi  que,  dans  une  hypothèse  où  il  était  constaté  qu'aucun 
témoin  n'avait  été  entendu  et  où  il  n'était  donné  aucun  aperçu  du  procès- 
verbal  du  garde  champêtre,  seul  document  visé,  la  Cour  de  cassation  a  déclaré 
nul,  pour  défaut  de  motifs,  un  arrêt  de  condamnation  qui,  en  matière  de 
vol,  se  bornait  à  affirmer  le  fait,  sans  indiquer  d'où  avait  pu  résulter  la 
preuve  de  la  culpabilité  du  condamné  :  Cass.,  23  sept.  1880  (S.  81.  1.  144; 
D.80.  1.  480).  Elle  a  cassé,  pour  défaut  de  motifs,  le  jugement  qui  prononce 
une  condamnation  pour  dommage  à  la  propriété  mobilière  d'autrui,  sans 
indiquer  la  source  de  la  constatation  sur  laquelle  il  repose  :  Cass.,  20  mars 
1891  {B.  cr.,  n°  71).  Elle  a  décidé  que  la  seule  énonciation  du  délit  ne  saurait 
constituer  un  motif  suffisant  :  Cass.,  8  août  1890  (B.  cr»,  n*  174).  6)  Il  faut 
ensuite  que  le  juge  ne  puise  sa  conviction  que  dans  la  preuve  légalement 
recherchée  et  administrée.  Ainsi,  doit  être  annulé  :  —  le  ju  gement  de  relaxe, 
rendu  au  mépris  des  constatations  d'un  procès-verbal  régulier,  et  fondé  sur 
des  renseignements  pris  personnellement  par  le  juge  en  46hQr8  de  l'audience 


520        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

C'esl  la  valeur  morale  et  non  la  valeur  légale  de  cette  preuve 
qui  échappe  à  sou  contrôle. 

La  Cour  de  cassation  doit  trouver,  dans  les  motifs  de  Tar- 
rèt,  les  élémeots  iodispeosables  pour  lui  permettre  d'exa- 
miner la  matérialité  et  la  légalité  d'administration  de  la 
preuve;  mais  il  ne  saurait  lui  appartenir  de  critiquer  l'appré- 
ciation que  le  juge  en  a  pu  faire.  En  effet,  la  loi  ne  deman- 
dant, à  celui-ci,  aucun  compte  des  éléments  de  sa  conviction, 
ni  de  la  manière  dont  elle  est  formée,  n'a  pn  être  violée  par 
l'usage  que  le  juge  a  cru  devoir  faire  de  son  pouvoir  souve- 
rain d'appréciation. 

263.  La  loi  civile,  dans  l'organisation  du  régime  de  la 
preuve,  se  tient  à  égale  distance  des  deux  systèmes  de  preuves 
mis  en  opposition,  celui  des  preuves  légales  et  celui  des  preuves 
de  conviction,  a)  Dans  la  théorie  de  Iql preuve  préconstituée  et 
l'interdiction  de  la  preuve  testimoniale,  la  loi  civile  se  ratta- 
che, tout  d'abord,  à  la  conception  qui  consiste  à  rechercher 
la  vérité  par  des  procédés  techniques  et  à  la  tenir  pour  dé- 
montrée par  la  réunion  de  certaines  circonstances  qui  enchaî- 
nent la  conviction  et  en  l'absence  desquelles  le  juge  doit  se 
déclarer  non  convaincu;  b)  Mais  elle  applique  le  régime  delà 
preuve  de  conviction,  lorsqu'elle  autorise  le  juge  à  apprécier, 
en  son  âme  et  conscience,  les  résultats  d'une  enquête,  à  peser 
les  témoignages  et  non  aies  compter;  lorsqu'elle  laisse  le  juge 
aussi  libre  de  rejeter  un  fait  affirmé  par  dix  témoins  que  de 
tenir  pour  certain  un  fait  affirmé  par  un  seul.  Ainsi,  les 
règles  de  la  preuve  civile  sont,  à  certains  points  de  vue,  les 
mêmes  que  celles  de  la  preuve  criminelle;  à  d'autres  points 
de  vue,  elles  sont  différentes. 

et  non  iloumis  à  un  débat  contradictoire  :  Gass.,  4  août  1893  (B,  cr.,  n^  223); 
—  le  jugement  qui  acquitte  le  prévenu  en  se  fondant  sur  la  coanaissance 
personnelle  que  le  juge  avait  des  lieux,  ou  sur  des  renseigpienients  puisés 
en  dehors  de  Taudience  et  non  soumis  à  un  débat  contradictoire  :  Gass., 
15  déc.  1894  {B.  cr.,  n^  320);  21  févr.  1890  (B.  cr.,  n»  46);  26  mars  1862(B. 
cr.,  n«  99);  —  le  jugement  qui  s*appuiesur  la  déposition  écrite  d*un  témoin 
non  entendu  :  Gass.,  28  oct.  1892  (B.  cr.,  n°  263);  sur  la  déposition  d'un  té- 
moin qui  n'a  pas  prêté  serment  :  Gass,,  17  juin  1892  (B.  cr.,  n*  103),  etc. 


] 


DB   LA  PRBUVB  MORALE   OU  DE  CONVICTION.  521 

Est-ce  à  dire  que  le  système  des  preuves  dépende  de  la  nature 
de  la  juridiction  devaut  laquelle  il  y  a  lieu  de  les  administrer? 
Évidemment  non  :  il  dépend  de  la  nature  du  fait  à  prouver. 
Par  exemple,  la  preuve  testimoniale  ne  doit  pas  être  considé- 
rée comme  exclue  ou  admise  par  cela  seul  qu'on  se  trouve 
avoir  affaire,  soit  à  la  juridiction  civile,  soit  à  la  juridiction 
criminelle.  Partout,  les  conventions  doivent  être  régulière- 
ment constatées  par  écrit.  Partout,  les  simples  faits  peuvent  être 
prouvés  par  témoins.  Il  n'y  a  donc,  à  ce  point  de  vue,  entre  les 
juridictions  civiles  et  les  juridictions  criminelles,  d'autre  dif- 
férence que  celle-ci:  le  plus  souvent  il  s'agit  de  faits  juridiques 
au  civil,  de  simples  faits  matériels  au  criminel.  Mais  une  res- 
triction s'impose.  Sans  doute,  les  dispositions  du  Code  civil, 
relatives  aux  preuves,  obligent  les  tribunaux  correctionnels 
et  de  police,  les  juridictions  d'instruction,  et  même  les  cours 
d'assises  dans  le  sens  restreint  du  mot,  c'est-à-dire  les  magis- 
trats qui  les  composent,  mais  les  jurés  peuvent  se  prononcer, 
en  toute  liberté  d'appréciation,  sur  les  questions  qui  leur  sont 
soumises.  La  loi,  en  effet,  ne  leur  pose  que  cette  seule  ques- 
tion qui  renferme  toute  la  mesure  de  leur  devoir  :  Avez-vous 
une  intime  conviction?  Par  conséquent,  dans  les  débats  cri- 
minels, tous  les  moyens  de  preuve  sont  recevables,  particu- 
lièrement la  preuve  par  témoins,  alors  même  que  la  loi  civile 
la  repousse  ou  ne  l'admet  qu*à  certaines  conditions.  D'un  autre 
c6té,  la  conscience  des  jurés  n'est  enchaînée  par  aucune 
preuve  légale,  que  cette  preuve  résulte  d'un  acte  authentique 
ou  qu'elle  soit  fondée  sur  une  présomption  considérée  comme 
irréfutable  par  la  loi  civile*. 

264.  Le  régime  des  preuves  de  conscience,  même  en  ma- 
tière répressive,  est  limité  par  un  certain  nombre  de  restric- 
tions. 

La  plus  importante  est  celle  delà  force  probante  des  procès- 
verbaux.  On  appelle  ainsi,  les  actes  par  lesquels  les  officiers 
pablics  constatent  les  crimes,  les  délits  et  les  contraventions, 
leurs  circonstances,  les  traces  qu'ils  ont  laissées  après  eux,  et 

»  Voy.  Bonnier,  op.  cit.^  t.  2,  n^  605. 


522        PROGÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

tous  les  faits  propres  à  en  signaler  les  auteurs.  Les  procës-Yer- 
baux  sont  ordiuairemoQt  le  premier  acte  de  la  procédure;  ils 
co  forment  la  base.  Mais,  en  principe,  ils  ne  sont  la  condition 
ni  de  la  poursuite  ni  de  la  condamnation.  L'affirmatioo  qai 
y  est  contenue  a  la  valeur  d*uo  renseignement  et  n*a  que  la 
valeur  d'un  renseignement.  Toutefois,  il  en  est  autremenl 
dans  certains  cas  exceptionnels  où  le  procès-verbal  fait  foi 
jusqu'à  preuve  contraire  ou  jusqu'à  inscription  de  faux.  Celte 
exception  au  régime  de  la  preuve  de  conscience  tend  à  s  af- 
faiblir. Et  la  loi  budgétaire  du  30  décembre  1903  (art.  26), 
qui  a  enlevé  aux  procès- verbaux  des  agents  des  contributions 
indirectes  la  force  probante  jusqu'à  inscription  de  faux,  est 
un  premier  pas  dans  la  voie  du  retour  au  droit  commun  et 
dans  la  suppression  des  témoins  privilégiés. 

La  preuve  de  l'adultère  ne  peut  être  faite,  à  l'égard  du 
complice,  que  de  deux  manières  :  soit  en  établissant  le /2a^ra/W 
délits  soit  en  apportant  Vaveu  écrit  du  prévenu  (G.  p.,  art.  338, 
§  2)  ^^.  Vis-à-vis  de  l'épouse,  la  preuve  n'est  soumise  à  au- 
cune  condition   ni  restriction  ^\  L'intention  manifeste  du 


<o  Voy.  mon  Traité  théor,  et  prat.  {2*  éd.),  t.  5,  n»  1891,  p.  463  à  165. 
La  question  générale  est  examinée  par  M.  Villey  en  note,  sous  Cass.,  31 
mai  1889  (S.  91.  i.  425). 

**  L'adultère  peut  être  établi  vis-à-vis  de  la  femme  et  ne  pas  Tôtre  légale- 
ment contre  son  complice.  Voy.  Cass.,  27  janv.  J900  [Le  Droit  du  15  mars 
1900);  5  janv.  1906  {Le  Droit  du  1''  juin  1906).  Sur  la  personnalité  de 
Texception  résultant  du  défaut  de  preuve,  ce  dernier  arrêt  est  ainsi  motivr-  : 
a  Attendu  que,  dans  le  cas  oCi  le  complice  de  l'adultère  de  la  femme  a 
(Hé  acquitté  sur  le  motif  que  les  seules  preuves  admises  par  l'article  338 
du  Code  pénal  font  défaut  dans  la  cause,  le  bénéfice  de  cette  exception 
est  exclusivement  personnel  au  complice,  suivant  les  termes  de  cette  dispo- 
sition légale,  et  il  ne  saurait  être  étendu  à  Tauteur  principal  à  l'égard  duquel 
le  juge  de  la  prévention  a  reconnu  des  preuves  suffisantes  de  culpabilité; 
qu'il  en  résulte  que  l'acquittement  de  ce  complice  né  fait  pas  obstacle  à  la 
condamnation  de  l'auteur  principal  :  d'où  il  suit  que  l'arrêt  attaqué  a  pu 
condamner  la  demanderesse  pour  s'être  rendue  coupable  du  délit  d'adultère, 
sans  contradiction  avec  la  décision  précédente  par  laquelle  le  prévenu  de 
complicité  a  été  acquitté  à  raison  de  l'absence  des  seuls  modes  de  preuve 
admis  par  l'article  336  du  Code  pénal  et  qu'en  statuant  ainsi,  la  Cour  d'appel 
n'a  violé  aucun  des  articles  visés  au  moyen  ».  —  Sur  ce  que  tous  les  anodes 


DB  LA  PREUVE  MORALE  OU  DE  CONVICTION.      523 

législateur  a  été  d  écarter,  en  ce  qui  coocerne  le  complice,  les 
présomptions,  si  graves  fussent-elles,  pour  s'en  tenir  à  des 
preuves  matérielles,  non  équivoques.  11  a  donc  limité  le  cercle 
les  preuves  qui  peuvent  servir  de  base  à  la  conviction  du 
juge.  Celui-ci  ne  peut  la  faire  résulter  que  du  flagrant  délit 
ou  d'écrits  émanés  du  prévenu,  c'est-à-dire  d'une  preuve 
légale.  11  en  résulte  que  le  droit  de  contrôler  l'appréciation 
des  juges,  relativement  au  point  de  savoir  si  les  faits  par  eux 
constatés  ont  ou  non  le  caractère  de  flagrant  délit,  rentre  dans 
les  pouvoirs  de  la  Cour  de  cassation  *^  Si,  en  eflet,  le  juge 
idmet  d'autres  preuves  que  celles  qu'autorise  Tarticle  338,  il 
noie  manifestement  la  loi  *^ 

265.  Le  système  des  preuves  de  tîonviction  se  réfère  à  leur 
>:al€ur  morale  que  la  loi  ne  mesure  pas  à  l'avance  et  qu'elle 
laisse  entièrement  apprécier  par  le  juge.  Mais  la  valeur  légale 
Je  la  preuve  est  réglementée^  en  ce  sens  que  le  devoir  du  juge 
i%i  de  puiser  sa  conviction  dans  des  sources  et  des  éléments  de 
preuve  légalement  recherchés  et  examinés. 

En  effet,  la  loi  qui  ne  demande  pas  compte  aux  autorités 
vénales  des  moyens  par  lesquels  elles  se  sont  convaincues^  leur 
mpose,  au  contraire,  des  règles  fixes,  dont  elles  ne  doivent 
)as  s'écarter,  dans  les  procédés,  soit  de  recherche,  soit  d'admi- 
listration  des  preuves.  La  théorie  des  preuves  se  ramène  donc, 
lujourd'hui,  en  matière  pénale,  à  des  questions  de  procédure, 

le  preuve  sont  admissibles  à  l'égarrj  de  l'auteur  principal  du  ddlit  d'adultère  : 
Attendu  que  la  preuve  de  l'adultère  à  l'égard  de  l'auteur  principal,   à 
i  différence  du  complice,  n'est  soumise  à  aucune   condition   particulière; 
|ii'elle  est  donc  régie  par  les  règles  du  droit  commun  qui  autorisent  les 
uges  à  admettre  tous  les  genres  de  preuve  et  m«^me  les  présomptions  ;  que, 
es  lors,  la  Cour  d'appel,  en  faisant  état,  comme  élément   de  sa  décision, 
e  la  correspondance  de  la  demanderesse,  antérieure  à  son  mariage,  n'a  violé 
i  l'article  337  du  Go(Ip  pénal  ni  les  règles  de  la  preuve  »>. 
*^  La  Cour  de  cassation  a  abandonné,  à  ce  point  de  vue,  sa  première  juris- 
rudence.  Voy.  27  févr.  1879  (S.  79.  \.  333);  31  mai   18^9,   précité;  Agen, 
8  juin.  1902  (S.  1904.  2.  81).  Voy.  mon  Traité,  op.  et  loc.  cit. 
«ï  Pour  rav»;u     Gass.,  7  déc.  1900  (S.  1901.  1.  252);   27  janv.  1900  (S. 
902.  1.  109). 


524        PROCBDFRB  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

qui  coQcerDeot  :  1*  la  recherche  de  la  preuve;  2*  sa  conserva- 
tion ;  S""  son  administraHon;  i""  sa  discussion. 

Ces  règles  légales  ont  pour  but*:  1*  D'assurer  la  sincérité 
des  éléments  de  preuve.  A  cette  idée  se  rattachent  :  lobliga- 
tion,  pour  les  hommes  de  Tant,  de  prêter  serment;  les  inca- 
pacités ou  incompatibilités  de  témoigner;  les  formalités  des- 
tinées à  assurer  la  vérité  des  procès-verbaux  de  constat;  la 
prestation  de  serment  imposée  aux  témoins,  etc.  2""  De  satis- 
faire les  exigences  de  la  répression.  A  cette  idée  se  rattache  : 
la  prohibition  de  la  preuve  de  la  vérité  des  faits  diffamatoires; 
la  foi  qui  s'attache  à  certains  procès-verbaux,  etc.  3"^  De 
garantir  les  bases  mêmes  de  la  conviction.  (Vest  dans  ce  but 
que  la  loi  impose  aux  juges  l'obligation  de  motiver  leur  déci- 
sion. 

Par  une  dérogation  remarquable  à  Tensemble  de  ces  règles 
de  procédure,  le  président  de  la  cour  d*assifies  a  un  pouyoir 
discrétionnaire  pour  arriver  à  la  découverte  de  la  vérité,  c'est- 
à-dire  qu'il  n*est  pas  soumis  aux  règles  ordinaires  concernant 
la  recherche  et  l'administration  des  preuves  (C.  instr.  cr., 
art.  268  et  269).  Nous  signalons  ici  cette  exception  unique, 
que  nous  retrouverons  plus  loin. 


TITRE    III 

DE  LA  PREUVE  EN  MATIÈRE  PÉNALE  ET  DE  LA  PREUVE 

EN  MATIÈRE  CIVILE 


§  XLVIIL  —  COMPARAISON   ENTRE  LE  RÉGIME  DES  PREUVES 

EN  MATIÈRE  CIVILE 
ET  LE  RÉGIME  DES  PREUVES  EN  MATIÈRE  PÉNALE. 

266.  La  marche  de  ki  preuve  ne  peut  pas  Hre  la  même  en  matière  pénale  et  en 
matière  civile.  Conséquences. — 267.  Inadmissibilité  de  certaines  preuves.  Serment. 
Différentes  espèces  de  serments  judiciaires.  Ce  qui  subsiste  du  serment.  —268. 
Preuve  préconstituée  de  tous  faits  juridiques  en  matière  civile.  Preuve  de  fait  en 
matière  pénale.  —  269.  La  preuve  est  un  incident  du  procès  civil.  Elle  est  le 
fond  même  du  procès  pénal.  Conséquences. 

266.  La  marche  de  la  preuve  ne  peut  être  la  même  en 
matière  civile  et  en  matière  crimioelle,  à  raisoa  de  la  diver- 
sité d'organisation  et  de  but  des  deux  procédures.  Puisque! 
est  admis  que,  dans  un  procès  civil,  c'est  aux  parties  qu*ap- 
parlient  la  lâche  d'établir  la  vérité  de  leurs  prétentions  res- 
pectives, le  juge  civil  n'a  pas  à  rechercher  d'o/^ce  s'il  existe  un 
droit  ou  une  créance,  ou  si,  en  supposant  que  ce  droit  ou 
celte  créance  ait  existé,  il  a  été  détruit  par  tel  événement. 
Sans  doute,  *il  appartient  au  juge  d'ordonner  ex  officio  telle 
preuve,  par  exemple  une  enquête  (C.  proc.  civ.,  art.  246),  une 
expertise,  mais  à  la  condition  que  les  parties  y  aient  conclu, 
au  moins  implicitement,  en  affirmant  ou  en  niant  les  faits 
dont  dépendent  leurs  prétentions.  En  matière  criminelle,  au 
contraire,  le  juge  va  au  devant  de  la  preuve,  il  se  met  d'office 
en  enquhe^  et,  au  lieu  d'être  dirigés  par  l'intérêt  privé,  ses 
actes  sont  dirigés  par  le  souci  de  la  vérité.  Le  principe  que  la 
procédure  pénale  est  suivie  tant  à  charge  qu'à  décharge  s'ap- 
plique à  tous  les  agents  qui  interviennent  pour  excercer  l'ac-^ 


526  PROCÉDURE   PÉNilLE.    —  DE   LA   PREUVE. 

tion  publique,  pour  Tinstruire,  ou  pour  la  juger.  Celte  diffé- 
rence essentielle  entre  la  marche  de  la  preuve  dans  les  deux 
procédures  réagit  :  i""  soit  sur  l'inadmissibilité  de  certaines 
preuves  en  matière  criminelle,  telles  que  le  serment  décisoire 
ou  supplétoire  ;  2''  soit  sur  Tadministration  de  la  preuve,  qui 
revêt  un  caractère  plus  artificiel  en  matière  civile,  plus  sim- 
ple et  plus  vrai  en  matière  criminelle;  3*  soit  sur  l'impor- 
tance prépondérante  de  la  preuve  en  matière  criminelle. 

267.  Le  serment,  tel  qu'il  a  toujours  été  compris  dans  la 
civilisation  indo-européenne,  est  l'appel  à  la  divinité,  à  l'appui 
d*une  déclaration  de  rhomme\  Ce  témoignage  de  la  croyance 
des  peuples  en  une  justice  suprême  se  retrouve  dans  tous  les 
pays  et  dans  tous  les  temps;  il  a  toujours  été  considéré  comme 
une  garantie  des  plus  efficaces  de  la  conscience  juridique.  Le 
serment  judiciaire  figure  dans  le  droit  criminel  moderne, 
sous  deux  formes  principales  :  les  jurés,  qui  sont  des  juges 
temporaires,  prêtent  un  sermeiU  professionnel;  les  témoins  et 
les  experts,  un  serment  qui  se  rattache  à  V administration  de 
la  preuve^.  Mais  les  parties  engagées  dans  l'instance,  n'ont 
jamais  à  appuyer  d*un  serment  la  sincérité  de  leurs  alléga- 
tions. On  trouve,  cependant,  en  matière  criminelle,  dans 
Thistoire  des  institutions,  trois  systèmes  de  serment  des  par- 
ties. Une  législation  peut  permettre  de  le  déférer  à  Taccusa-* 
teur,  afin  de  corroborer  son  allégation;  elle  peut  en  faire,  au 
contraire,  un  moyen  de  défense  pour  l'accusé,  qui  se  libère 
de  Taccusation  en  le  prêtant;  elle  peut  aussi  l'imposer  à  l'ac- 
cusé, comme  un  moyen  de  garantir  la  vérité  de  ses  déclara- 
tions. 

L  Le  premier  système  de  serment  appartient  à  l'enfance 
de  la  justice  criminelle.  Qu'on  s'en  rapporte  à  la  déclaration 

§  XLVIII.  *  Voy.  Gustave  Glotz  (Études  sociales  et  juridiques  sur  l'anti- 
quité grecque) j  Hachette,  i906  (Le  serment j  p.  99  à  183).  L'essence  du  ser- 
ment est  donc  religieuse.  Mais  le  serment  peut  être  laïcisé  dans  son  mode 
de  prestation  sans  perdre  son  caractère.  Les  emplois  du  serment  ont  été 
innombrables.  Voy.  Glotz,  op.  cit.,,  p.  Ji3. 

*  Je  ne  veux  pas  dire  par  là  que  les  experts  soient  des  témoins.  Nous 
constatons  plus  loin  les  différences  qui  séparent  les  experts  des  témoins. 


DU    RÉGIME   DBS  PREUVES   BN   MATIERK   CIVILS   ET   PÉNALE.     527 

du  demandeur,  lorsqu'il  s'agit  d'intérêts  pécuniaires,  cela 
est  déjà  étrange^  mais  qu'on  permette  à  l'accusateur  do  cor- 
roborer une  preuve  incomplète  par  son  affirmation,  dans  le 
but  d'amener  le  juge  à  prononcer  une  condamnation  pénale, 
c'est  ce  qui  est,  à  la  fois,  inadmissible  et  odieux. 

Et,  cependant,  les  peuples  primitifs  ont  fait  usage  du  ser- 
ment comme  moyen  de  prouver  l'accusation  :  et  l'emploi  d'un 
pareil  procédé  s'explique,  soit  qu'une  plus  grande  confiance 
pût  être  accordée  alors  à  la  parole  de  l'homme  et  à  la  crainte 
religieuse  du  serment,  soit,  qu'à  raison  d'un  état  peu  avancé 
de  civilisation,  il  fût  souvent  difQcile  d^administrer  une 
preuve  régulière'.  Chez  les  Grecs  et  les  Romains  eui-mêmes*, 
le  serment  de  l'accusateur,  sans  avoir  jamais  obtenu  une 
force  et  une  efficacité  péremptoires,  parait  être  entré,  à 
titre  d'élément,  parmi  les  moyens  de  conviction  du  juge*. 
Celte  institution  n'a  laissé  aucune  trace  dans  les  législations 
modernes,  et,  nulle  part,  quel  que  soit  le  modo  de  procé- 
dure, on  n'admet  l'accusateur  à  appuyer  ses  affirmations  par 
le  serment*. 

II.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  du  serment  purgatoire, 
dont  l'usage  s'est  plus  longtemps  conservé.  Bien  qu'on  trouve 
des  exemples  de  serment  de  cette  espèce,  dans  les  législations 
de  Tantiquité^  c'est  dans  les  coutumes  germaniques  qu'on 
suit  nettement  l'origine  de  cette  institution,  dont  l'importance 
a  été  si  grande  pendant  la  période  médiévale.  L'usage,  aux 
temps  barbares,  des  compurgaiores  ou  cojuratoreSy  qui  ve- 

^  Voy.  Bonnier,  op.  ct7.,  n"^  448.  Un  vestige  de  celle  s'mgulière  coutume  se 
rencontrait  dans  notre  ancienne  règle  :  Creditur  virgini  juranti  se  ex  Titio 
prapynantem, 

*  Voy.  le  serment  solennel  de  l'accusation  dans  le  plaidoyer  de  Démoslhène 
contre  Conun,  §  14.  On  lira  ce  que  dit  du  serment  des  parties,  Glotz,  op. 
cit.,  p.  148,  dans  les  coutumes  grecques. 

^  Glolz,  op.  cit.,  p.  158. 

®  Peut-être  faut-il  rattacher,  sinon  à  la  même  origine,  du  moins  à  la  même 
idée,  Taffirmation  sous  serment  de  la  vérité  du  procès-verbal  par  son  rédac- 
teur, devant  le  juge  de  paix  ou  son  suppléant,  le  maire  ou  son  adjoint  (Cfr. 
Code  d'instr.  cr.,  art.  189;  Gode  foreslier,  art.  165). 

^  Voy.  Glutx,  op.  et  bc,  cit. 


528  PROCÉDURE   PÉNALE.    —  DE    LA   PREUVE. 

naient  attester,  devant  le  tribunal,  TinnoceDce  de  Taccasé, 
n'était  qu'une  heureuse  transformation  du  régime  des  guerres 
privées*  :  les  membres  de  la  même  famille  et  de  la  même  tribu, 
appelés  ainsi  en  justice,  ne  rendaient  point  un  témoignage 
proprement  dit,  mais  soutenaient  la  cause  de  Taccusé  parleur 
serment,  comme  ils  l'auraient  fait  antérieurement  les  armes 
à  la  main*.  Les  cojuratores  se  portaient  donc,  en  réalité^  à  son 
aide,  ainsi  que  le  rappelle  le  nom  d'aideurs  que  leur  donnait 
le  vieux  droit  normand. 

Plus  tard,  l'Église  s'empara  de  cette  institution  *•.  Elle  l'in- 
troduisit dans  son  système  de  procédure  sous  le  nom  de  pur- 
gatio  canonica ;  mais  suivant  son  habitude,  elle  l*adapta,  en 
la  transformant,  à  son  esprit,  qui  était  de  faire  appel  à  la  con- 
science individuelle.  L'application  en  fut  restreinte  au  cas  où 
les  preuves  de  l'accusation  étaient  incertaines  et  légères.  Ce 
n'était  plus  le  serment  collectif  d'un  groupe  de  proches  ou 
d'amis,  mais  le  serment  purgatoire  déféré  à  l'accusé  seul. 
L'institution  survécut,  sous  cette  dernière  forme,  dans  les 
pays  de  langue  allemande  jusqu'à  la  fin  du  xvn*  siècle.  Puis, 
on  la  rattacha  à  Vabsolutio  ab  instantia,  en  permettant  aux 
personnes^  dont  les  antécédents  étaient  d'ailleurs  honorables 
et  qui  ne  se  trouvaient  pas  sous  le  coup  d'une  accusation  ca- 
pitale, d'obtenir,  par  le  serment  purgatoire,  un  acquittement 
complet,  au  lieu  de  rester  perpétuellement  sous  le  coup  de 
l'accusation.  Le  serment  purgatoire  a  disparu,  avec  Vabsolutio 
ab  instantia,  du  Code  de  procédure  pénale  allemand  de  1877. 
Des  traces  de  cette  institution  se  retrouvaient  également  dans 
les  anciennes  lois  anglaises,  lorsqu'il  ne  s'agissait  que  d'une 
condamnation  à  l'amende.  Blackstone*'  qui,  déjà,  de  son  temps, 


8  A  l'origine,  les  cojurantes  étaient  toujours  pris  dans  la  famille  de  Tac- 
cusé,  éventuellement  exposée  à  la  faida.  Voy.  Lcx  Bnrgundionum^  VIII,  1. 

*  Sur  les  cojurantes  sacramentalesy.  Konrad  Cosack,  Die  Eickèlfer  des 
Belakgten  nàch  altesten  deutschen  Recht,  1885. 

'®  Voy.  Esmein,  Cours  élémentaire  d'histoire  du  droit  français^  3«  éd., 
p.  167;  Histoire  de  ta  procédure  criminelle^  p.  46  et  suiv.,  324  et  suiv. 

**  Op.  cit.,  liv.  3,  ch.  XXII,  §  6.  Avant  l'abolition  de  l'esclavage  en  Amé- 
rique, le  planteur,  accusé  de  violences  envers  ses  esclaves,  était  autorisé  à  s^ 


RÉGIME   DES   PREUVES   EN   MATIERE   CIVILE   ET  PENALE.      529 

constate  la  disparilioo  de  ce  vieil  usage,  fait  cette  remarque  : 
«  La  loi,  dans  la  simplicité  des  anciens  temps,  ne  présumait 
«  pas  qu'un  homme  voulût  se  rendre  parjure  pour  tous  les 
«  biens  de  ce  monde  ». 

III.  La  troisième  forme  de  serment,  celui  qui  était  imposé 
A  l'accusé,  comme  garantie  de  sa  véracité  dans  l'interrogatoire, 
est  d'origine  beaucoup  moins  ancienne.  Cette  odieuse  institu- 
tion a  été  empruntée  à  une  source  qui  en  montre  l'esprit,  à 
un  Directoire  des  inquisiteurs j  publié  en  1360**.  Critiqué  par 
les  esprits  les  plus  éminents,  le  serment  de  l'accusé  passa 
dans  l'ordonnance  de  1670^  malgré  le  président  Lamoignon, 
«t  ne  fut  aboli  qu'en  1789*'.  Avec  lui,  disparurent,  de  notre 
législation,  les  derniers  vestiges  de  l'emploi  du  serment  des 
parties  comme  moyen  ou  garantie  de  la  preuve. 

268.  Les  différences,  au  point  de  vue  du  régime  des  preu- 
ves, entre  le  procès  civil  et  lé  procès  criminel,  tiennent  à  la 
nature  des  choses,  parce  qu'elles  résultent  de  l'objet  même 
des  recherches  que  supposent  ces  deux  situations.  Il  s'agit, 
dans  le  procès  civil,  d'obtenir  la  preuve  de  la  légitimité  d'une 
prétention,  d'une  créance,  d'une  servitude,  d'un  droit  de  pro- 
priété; dans  le  procès  pénal,  de  la  vérité  d'une  imputation, 
c'est-à-dire  de  la  culpabilité  d'un  prévenu,  à  l'occasion  d'un 
fait  illicite  qui  lui  est  reproché.  Or,  la  loi  civile  a  pu  et  a  du  as- 
sujettir à  certaines  formes  la  constatation  des  faits  juridiques, 
imposer  aux  parties  l'obligation  Aq  préconstituer ^  à  l'avance, 
pour  le  c|is  de  constestation,  telle  ou  telle  preuve,  de  manière 
à  garantir  leurs  droits  et  à  éviter  même  les  difficultés.  C'est 
donc,  en  quelque  sorte,  dans  un  but  et  avec  un  caractère  anti- 

<lisculper,  en  affirmant  par  serment  son  innocence  (Voy.  Elisée  Reclus,  Rev. 
des  DenX'Mondes,  t.  30,  p.  872). 

*'  Sur  tous  ces  points  :  Bonnîer,  op.  cit.,  n°  450;  Esmein,  Histoire  de  la 
procédure  crimiyielle^  pp.  212  à  260. 

*3  Ord.  de  1670,  tit.  14,  art.  7  :  «  L'accusé  prêtera  le  serment  avant  d'être 
interrogé,  et  en  sera  fait  mention,  à  peine  de  nullité  ».  Nous  verrons  plus  loin 
que  le  «  criminal  évidence  act  »  de  1898  a  permis,  en  Angleterre,  àTaccuse', 
de  témoigner  dans  sa  propre  cause,  mais  sous  la  foi  du  serment. 

G.  P.  P.  —  1.  34 


530       .  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

litigieux (\\ïQ  le  droit  civil  organise  des  preuves  légales.  Toute 
autre  est  la  situation  dans  le  procès  criminel  :  les  parties  n'ont 
pas  pu  prendre  leurs  précautions  à  Tavance  pour  se  procurer 
la  preuve  d*un  fait  illicite  ;  elles  doivent  donc  être  laissées  libres 
de  fournir  la  preuve  par  tous  les  procédés  propres  à  convaincre 
le  juge  de  la  vérité  de  Timputalion.  C'est  à  cette  idée  naturelle 
que  correspond,  comme  dernier  terme  dé  l'évolution,  aujour- 
d'hui presque  achevée  dans  tous  les  pays,  la  substitution  du  ré- 
gime de  la  preuve  de  conscience,  basée  sur  la  certitude  ration- 
nelle^ à  celui  de  la  preuve  factice,  basée  sur  la  certitude  légale. 

269.  En  matière  civile,  la  théorie  des  preuves  confine, 
d*un  côté,  au  droit  civil  proprement  dit,  de  l'autre,  à  la  pro- 
cédure. C'est,  en  effet,  pendant  le  procès,  que  les  preuve^? 
sont  mises  en  œuvre  :  c'est  donc  la  loi  de  procédure  qui 
régit  leur  administration,  c'est-à-dire  les  formes  dans  les- 
quelles les  preuves  doivent  être  fournies.  Mais,  d'une  part, 
les  preuves  sont  souvent  produites  dans  les  relations  civiles 
ordinaires,  sans  qu'il  y  ait  aucun  litige  entre  les  parties. 
Leur  constitution  a  précisément  pour  but  de  les  éviter. 
D'autre  part,  quelque  place  que  tienne  la  preuve  dans  un 
procès  civil,  elle  ne  donne  pas  toujours  lieu  à  une  production 
spéciale;  en  réalité  même,  elle  forme,  quand  la  nécessité  de 
la  produire  se  présente,  un  incident  du  procès**. 

En  matière  criminelle,  la  preuve  n'est  recherchée  que  pour 
faire  le  procès  ou  pour  convaincre  le  prévenu.  Elle  est  donc 
administrée  seulement  en  cours  de  poursuite  et  ses  règles  sont 
intimement  liées  aux  règles  de  la  procédure.  De  plus,  elle  ne 
se  présente  pas  comme  un  incident  du  procès  :  elle  doit  tou- 
jours être  administrée,  et  V instruction^  qui  est  la  recherche  et 
la  production  de  la  preuve,  est  le  fond  même  de  la  procédure 
criminelle,  dans  les  deux  phases  qu'elle  peut  parcourir. 

L'importance  supérieure  de  la  preuve  dans  cette  procédure 
explique  certaines  particularités,  déjà  signalées  :  1**  La  néces- 
sité, pour  le  ministère  public,  de  faire  la  preuve  de  toutes  les 

**  C'est  il  propos  des  incidents  que  le  Code  de  procédure  s'occupe  de  la 
preuve.  Voy.  du  reste,  sur  ce  point  :  Garsonnet,  op,  cit.,  t.  2,  §783,  p.  623- 


LA  PREUVE  DANS  LES  DEUX  PHASES  DE  PROCÉDURE  PENALE.   531 

conditions  de  recevabilité  de  l'action  publique,  notamment 
de  démontrer  que  son  droit  de  poursuite  n'est  pas  éteint  par 
la  prescription;  2""  L'obligation  qui  lui  incombe  d'établir 
toute  la  culpabilité,  si  bien  que  le  brocard  :  excipiendo  reus 
fit  actoTy  n'a  qu'une  application  très  limitée  au  préjudice  du 
prévenu;  3*  L'exclusion  de  ces  moyens  qui  dispensent  de 
toute  preuve  le  demandeur  en  matière  civile,  tels  que  l'aveu 
du  défendeur,  ou  l'existence  de  certaines  présomptions  légales. 


§  XLIX.  -  DE  LA  PREUVE  DANS  LES  DEUX  PHASES 
DE  LA  PROCÉDURE  PÉNALE. 

270.  Au  point  de  vue  des  conditions,  soit  d'udmission,  soit  de  recherche,  soit  d'ad- 
ministration des  preuves,  il  faut  distinguer,  dans  la  procédure  pénale,  la  phase 
préparatoire  et  la  phase  définitive  de  l'instruction.  —  271.  Phase  préparatoire, 
officieuse  et  officielle.  —  272.  Phase  définitive,  instruction  orale,  publique,  con- 
tradictoire. —  273.  Motifs  des  différences  qui  existent  dans  les  deux  phases  de  la 
procédure.  Principales  différences.  Transport  sur  les  lieux.  Témoignage. 

270.  Déterminer  par  quels  agents  et  dans  quelle  forme  la 
preuve  est  recherchée,  produite  et  appréciée,  c'est  étudier  l'or- 
gaoisation  judiciaire  et  la  procédure  tout  entière.  Le  côté 
extérieur  et  extrinsèque  de  la  preuve  n'est  pas  Tobjet  de 
ce  paragraphe. 

Mais,  au  point  de  vue  des  Conditions,  soit  d'admission,  soit 
de  recherche,  soit  d'administration  des  preuves,  quelques 
observations  générales  s'imposent  sur  les  différences  qui  exis- 
tent, dans  la  procédure  pénale,  entre  les  diverses  phases  que 
peut  parcourir  l'affaire  :  1*  la  phase  de  l instruction  policière; 
2**  celle  de  V  instruction  judiciaire  ;  3®  celle  de  l'audience  et  du 
jugement. 

271.  Dans  le  procès  civil,  chaque  partie  rassemble  ses 
preuves  et  forme  son  dossier.  Le  demandeur,  notamment, 
ne  lance  son  assignation  qu'après  avoir  préparé  ses  armes.  Il 
y  aurait,  de  sa  part,  une  certaine  témérité  à  se  présenter,  devant 
le  juge,  sans  avoir  fait  une  instruction  préalable  de  nature  à 
rendre  au  moins  vraisemblable  la  demande  qu'il  se  propose 


532        VVfyCZhMKE,    FÉNALB.  —  DE  LA  PREUVB- 

d'inlroduire.  Ce  caractère  de  la  procédure  civile,  oii  la  preuve 
est  rpchrrchée  et  administrée  par  les  parties  elles-mêmes,  est 
aiis^i  le  caractère  de  la  procédure  pénale  accusatoire.  Mais, 
dans  la  procédure  inquisitoire,  une  double  circoostaoce  :  Fac- 
cusaticn  confiée  à  des  fonctionnaires,  exerçant  ua  ministère 
public,  et  la  recherche  de  la  certitude  par  le  juge,  agissant 
d*orfice,  modifie  profondément  le  régime  de  la  preuve.  La 
con<îéqiience  essentielle  qui  en  résulte,  c'est  que  les  charges 
sont  rassemblées  par  un  organisme  officiel,  dont  Tensemble 
porte  le  nom  générique  de  «  police  judiciaire  ». 

Les  officiers,  qui  Texercent,  procèdent  à  la  recherche  des 
preuves,  par  les  modes  ordinaires  (enquêtes,  expertises,  pro- 
vocation de  Taveu,  interrogatoire  de  l'inculpé,  transport  sur 
les  lieux,  constat  des  indices,  réunion  des  pièces  à  convic- 
tion), dans  des  situations  et  dans  des  périodes  bien  différentes: 
1*^  dans  la  phase  policière^  c'est-à-dire  avant  le  premier  acte 
d'exercice  de  Taction  publique;  2**  dans  \di  phase  Judiciaire^ 
c'est-à-dire  alors  que  le  magistrat  compétent  est  régulière- 
ment saisi  de  l'action  publique,  soit  par  1^  fait  même  (fla- 
grant délit),  soit  par  la  réquisition  du  ministère  public,  soit 
par  une  plainte  contenant  constitution  de  partie  civile. 
3*  enfin,  après  l'instruction  officielle,  des  juridictions  spé- 
ciales se  prononcent  sur  le  point  de  savoir  s'il  existe  des 
cliartjes  suffisantes  pour  faire  le  procès. 

I.  La  police  judiciaire  est  exercée  par  le  procureur  de  la 
République  et  ses  auxiliaires  (juges  de  paix,  commissaires 
de  police,   maires  et  adjoints,  officiers  de  gendarmerie)  el 
elle  a  pour  mission  de  prendre  les  renseignements  de  nature 
l\  éclairer  Taccusateur  et  à  préparer  la  poursuite.  Elle  pro- 
cède à  cette  instruction  officieuse,  sans  être  assujettie  à  des 
formes  légalement  prescrites,  mais  sans  avoir,  à  sa  disposi- 
tion,  des    moyens   légaux  de  contrainte  pour   obliger  les 
témoins  ou  Tinculpé  à  se  présenter,  ou  pour  pratiquer  des 
perquisitions  et  des  saisies.  Le  procureur  de  la  République 
on  Fes  auxiliaires  entendront  les  témoins  sans  prestation  de 
serment,  commettront  des  experts  à  titre  officieux,  se  feront 
remettre  des  pièces,  livres  de  comptabilité,  billets  argués  de 


LA  PREUVE  DANS  LES  DEQX   PHASES  DE  PROCÉDURE  PENALE.    533 

faux,  etc.,  sans  avoir,  en  cas  de  refus  ou  d'opposition,  le  droit 
de  faire  saisir  ces  pièces  entre  les  mains  des  détenteurs. 

II.  L'instruction  est  confiée  au  juge  d'instruction  qui  est 
saisi  par  le  procureur  de  la  République,  ou  par  la  partie 
civile.  Mais,  en  cas  de  flagrant  délit,  le  procureur  de  la 
République  a  le  droit  de  commencer  l'instruction  sans  atten- 
dre le  juge,  et  celui-ci  peut  se  saisir  sans  avoir  besoin  de 
réquisitions  du  procureur  de  la  République.  Dans  cette 
phase,  la  loi  a  minutieusement  tracé  les  règles  de  la  constata- 
tion judiciaire  et  de  la  réunion  des  preuves.  Toute  cette 
procédure  est  formalisée.  Elle  a  donc  un  caractère  officiel 
incontestable.  G*est  la  principale  différence  qui  la  sépare  de 
la  procédure  d'instruction  officieuse.  Aussi  ses  effets  ne  sont 
pas  les  mêmes  :  seuls  les  «  actes  d'instruction  »  de  cette  pro- 
cédure méritent  cette  qualification  au  point  de  vue  interruptif 
de  la  prescription  de  l'action  publique. 

III.  Lorsque  l'instruction  est  close,  le  règlement  en  appar- 
tient, soit  au  juge  d'instruction  et  à  la  chambre  des  mises  en 
accusation,  soit  à  la  chambre  des  mises  en  accusation  seule. 
Mais,  suivant  les  cas,  pour  régler  la  procédure  et  prononcer 
un  non-lieu  ou  un  renvoi  devant  les  tribunaux  répressifs,  les 
juridictions  d'instruction  se  hyrenl  k  un  exameiiy  sur  pièces, 
des  charges  qui  ont  été  rassemblées,  et,  cela,  en  chambre 
du  conseil  et  hors  la  présence  de  l'inculpé. 

272.  Dans  la  phase  de  l'instruction  définitive,  et  devant  le 
tribunal,  il  s'agit  moins  de  rechercher  la  preuve  que  de  Vad- 
ministrer.  C'est,  avant  tout,  l'œuvre  des  parties,  ministère 
public,  prévenu,  partie  civile.  Toutefois,  le  tribunal  peuf,  d'o/- 
fice  ou  sur  la  demande  des  parties,  ordonner  telle  ou  telle  me- 
sure d'instruction.  A  Taudience,  la  preuve  est  administrée  et 
recueillie  dans  une  procédure  essentiellement  orale^  publi- 
que et  contradictoire. 

273. 11  serait  prématuré,  ces  indications  générales  données, 
de  préciser  davantage^  soit  au  point  de  vue  de  leurs  conditions 
d'admission,  soit  au  point  de  vue  de  leur  mode  d'administra- 


534        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

tion,  les  différences  nombreuses  qui  séparent  la  recherche  de 
la  preuve  dans  la  phase  préparatoire  et  son  administration 
dans  la  phase  définitive.  L'idée  essentielle  qu*il  ne  faut  jamais 
perdre  de  vue,  c'est  que,  dans  la  première,  il  s'agit  seulement 
de  réunir  des  présomptions  en  vue  d'une  solution  provisoire, 
tandis  que,  dans  la  seconde,  il  s'agit  d'arriver  à  la  certitude 
en  vue  d'une  solution  définitive. 

On  a  pu  autoriser  le  juge  d'instruction  et  le  procureur  de 
la  République  à  procéder  à  des  recherches  personnelles  et  à 
une  inquisitio  secrète,  sauf  le  contrôle  de  Tinculpé,  assisté 
de  son  défenseur,  dans  les  conditions  particulières  de  la  loi  du 
8  décembre  1897.  Mais  on  a  dû  imposer  au  tribunal,  qui  se 
prononce  sur  la  culpabilité,  l'obligation  de  ne  connaître  des 
preuves  administrées,  par  les  parties  elles-mêmes,  dans  leur 
propre  intérêt,  qu'après  une  discussion  publique  et  contradic- 
toire. 

Notons  les  principaux  traits  qui  résultent  de  ces  points  de 
vue  et  sur  lesquels  nous  insisterons  ailleurs. 

I.  Le  transport  sur  les  lieux  et  la  visite  des  lieux  peuvent 
s'opérer,  dans  l'instruction  préalable,  parle  magistrat  instruc- 
teur, en  l'absence  de  Tinculpé,  mais  en  présence  de  son  adver- 
saire, le  ministère  public  (C.  inslr.  cr.,  art.  62).  Dans  l'in- 
'  struction  définitive,  ces  actes,  lorsqu'ils  sont  accomplis  par  le 
tribunal,  tribunal  correctionnel,  tribunal  de  police,  cour  d'as- 
sises, doivent  l'être  contradictoiremeot,  et  en  présence  des 
parties*. 

n.  Relativement  à  la  recherche  et  à  l'administration  de  la 
preuve  testimoniale,  il  existe  de  nombreuses  différences  dans 
les  deux  phases  de  l'instruction. 

1*^  Dans  la  première^  la  désignation  des  témoins  à  entendre 
•appartient  exclusivement  au  juge  d'instruction  (C.  instr.  cr., 
art.  71).  C'est  lui  qui  prend  l'initiative  de  la  citation  par  une 
ordonnance  appelée  «  cédule  ».  Les  parties,  procureur  de  la 
République,  inculpé,  partie  civile,  n'ont  qu'une  faculté  d'in* 

§XLIX.  »  Voy.  Cass.,  5  sept.  1828  (S.  et  P.  chr.).;  30  avr.  1860  (D.  60. 
5.  114);  27  nov.  1875  (S.  76.  1.  385).  Conf.  Faustin  Hélie,  op.ciU,  a«  2625, 
2902,  3549. 


LA  PREUVE  DANS  LES  DEUX  PHASES  DE  PROCEDURE  PENALE.     535 

dicatioQ.  Elles  ne  peuvent,  ni  citer  les  témoins  elles-mêmes, 
ni  user  d'un  moyen  légal  quelconque  pour  contraindre  le  juge 
d'instruction  à  les  faire  citer.  Dans  la  procédure  définitive, 
les  parties  ont  un  droit  personnel  et  absolu  de  citation  de  té- 
moins (C.  instr.  cr.,  art.  153,  189,  315). 

2^*  Les  témoins,  même  entendus  sous  serment  dans  Tinstruc- 
tion,  ne  sont  pas  passibles  des  peines  du  faux  témoignage  '•  Il 
en  est  autrement  dans  Tinstruction  définitive,  lorsque  le  té- 
moignage est  consommé. 

S""  La  loi  contient,  en  ce  qui  concerne  Taudition  des  enfants 
au-dessous  de  quinze  ans,  dans  l'instruction  préparatoire,  une 
disposition  qui  n'est  pas  répétée  pour  l'instruction  définitive, 
précédant  le  jugement  :  l'article  79  décide  :  «  Les  enfants  de 
l'un  et  de  l'autre  sexe^  au-dessous  de  l'âge  de  quinze  ans, 
pourront  être  entendus,  par  forme  de  déclaration  et  sans  pres- 
tation de  serment  ».  On  avait  d'abord  tiré  de  celte  disposition 
deux  solutions  corrélatives  :  d'une  part,  que  les  enfants  au- 
dessous  de  quinze  ans  ne  pouvaient  être  entendus  sous  ser- 
ment par  le  juge  d'instruction;  d'autre  part,  que  le  serment 
devait  leur  être  imposé  devant  les  juridictions  de  jugement*. 
De  ces  deux  solutions,  si  la  première  parait  être  acceptée  par 
la  jurisprudence  actuelle,  la  seconde  est  depuis  longtemps 
abandonnée*.  La  dispense  de  serment  tient  à  ce  que  l'enfant 
ne  se  rend  pas  un  compte  suffisant  de  la  gravite  de  ce  serment. 
Ce  motif  explique  la  règle  posée  par  l'article  79  et  permet  de 
l'étendre  à  toutes  les  juridictions  pénales.  Cependant,  en  cour 
<l'assises,  si  les  témoins  de  moins  de  quinze  ans  peuvent  être 
dispensés  de  serment,  il  n'est  pas  défendu  de  le  leur  faire 
prêter,  et  il  ne  résulte  de  cette  prestation  de  serment  aucune 

«  Voy.  mon  Traité  théor.  et  prat,  du  droit  pénal  (2«  éd.),  t.  5,  n»  2018^ 
p.  303  61*304. 

>  Voy.  Cass.,  7,  20,  27,  28  févr.  5,  12,  10  mars,  2,  11,  23,  24  avr.  18<2 
(S.  chr.).  La  question  est  discutée  par  Faustin  Hélie  {op,  cit.,  t.  4, 
no  1861). 

*  Cass.  ch.  réunies,  3  déc.  1812  (S.  chr.),  pour  les  cours  d'assises;  Cass., 
2  macs  1855  (/.  du  PaL,  1855.  2.  467),  pour  les  tribunaux  correctionnels  et 
de  simple  police. 


B36        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

nullité,  au  cas  où  ni  Taccusé  ni  son  défenseur  ne  s\  soQt  op- 
posés*. 

4<*  Les  incapacités  de  témoigoer  eu  justice,  résultant  de  con- 
damnations pénales  (C.  p.,  art.  34,  q^  3  et  i2,  n*"  8],  sout 
communes  aux  deux  phases  de  la  procédure,  à  llnstruction 
et  au  jugement.  Mais  il  n*en  est  pas  de  même  des  causes  de 
récusation  qui  permettent  aux  parties  de  s'opposer,  devant 
les  tribunaux,  à  l'audition  :  des  ascendants  des  prévenus  ou 
accusés;  de  leurs  descendants;  de  leurs  frères  et  sœurs;  de 
leurs  alliés  aux  mêmes  degrés;  de  leur  mari  ou  de  leur 
femme;  des  dénonciateurs  dont  la  dénonciation  est  récompen- 
sée par  la  loi  ;  des  parties  civiles  ;  des  coaccusés,  quoique  leurs 
causes  aient  été  disjointes  (G.  instr.  cr.,  art.  156  et  322).  Ces 
motifs  de  récusation,  sur  lesquels  nous  nous  expliquons  à 
propos  du  témoignage,  sont  spéciaux  à  la  procédure  de  juge- 
ment. Et  les  diverses  personnes,  dont  le  témoignage  est  rece- 
vable  pour  permettre  au  juge  d'instruction  d'établir  qu'il  y  a 
charge  suffisante,  peuvent  être  entendues,  dans  rinslructioo 
préalable^  comme  témoins  et  sous  serment\ 

'  Jurisprudence  aujourd'hui  constante.  Voy.  notamment  :  Cass.,  7  avr. 
i898  (S.  99.  1.  208)  :  '<  Attendu,  d'ailleurs,  qu'en  admettant  que  la  cour 
d'assises  ait  entendu  ces  témoins  avec  prestation  de  serment,  alors  qu'ils 
étaient  i\gés  de  moins  de  i5  ans,  il  ne  saurait  résulter  aucune  nullité  de 
l'accomplissement  d'une  formalité  qui  offrait  à  l'accusé  une  garantie  de  plus 
de  la  sincérité  des  témoignages  reçus.  »  Dans  le  même  sens  :  Cass.,  31  déc. 
1896  (S.  1900.  i.  384)  :  «  Attendu  que  si,  aux  termes  de  l'article  79,  les 
témoins  âgés  de  moins  de  15  ans  peuvent  être  dispensés  du  serment,  il  n'est 
pas  défendu  de  le  leur  faire  prêter;  qu'à  cet  égard,  la  loi  s'en  remet  à  la  pru- 
dence de  la  cour  d'assises,  alors  que,  comme  dans  l'espèce,  ni  les  accusés 
ni  leurs  défenseurs  ne  se  sont  opposés  à  la  prestation  de  serment  du  té- 
moin ».  Mais  en  sens  contraire  ;  Desquirou  {Traité  delapreuoe  par  témoins 
en  matière  criminelle,  1811,  in-S**,  p.  169);  Bonnier  (op.  cit.,  n»  340). 

•  Voy.Cass.,  22  janv.1898  (S.  99.  1.  110)  :  «  Attendu  que  la  prohibition 
édictée  par  l'article  322  ne  doit  s'entendre  que  des  dépositions  à  recevoir  à 
l'audience,  et  qu'elle  ne  saurait  faire  obstacle  à  ce  que  le  juge  d'instruction 
recherche  tous  les  éléments  de  preuve  qui  peuvent  conduire  à  la  manifesta- 
tion de  la  vérité...  >  Conf.  la  note  sur  la  question. 


537 


TITRE  IV 

DES  DIVERS  PROCÉDÉS  DE  PREUVE 


CHAPITRE   PREMIER 

DES    DIVERSES    ESPÈCES    DE    PREUVE. 


§  L.  —  DE  LA  M£TH0DE  POUR  ARRIVER  A  LA  DËG0U7ERTE 

DE  LA  VËRITË. 

274.  Preuve  directe  ou  inductive.  Preuve  iadirecte  ou  de  raiROonemenl.  —  275. 
Déduction  et  induction.  —  276.  Interversion  dans  les  idées  sur  les  meilleurs  moyens 
de  preuve.  Importance  acquise  par  les  indices.  — 277.  Ce  que  l'on  demande  au- 
jourd'hui d'établir.  D'abord,  la  réalité  du  délit.  Puis,  la  participation  de  Tagent. 
ElnÛD,  sa  témibilité.  Insuflisance,  à  ce  dernier  point  de  vue,  des  anciennes  métho- 
des de  preuve.  Nécessité  de  rechercher  l'identité  des  criminels.  Inventions  scien- 
tifiques dont  ils  profitent  et  dont  la  société  doit  user  dans  sa  lutte  contre  le 
crime.  —  278.  Dans  quelle  mesure  la  phase  scientifique  de  la  preuve  peut  rem- 
placer la  phase  sentimentale.  Transition. 

274.  La  certitude  judiciaire  se  forme  suivaut  certaias  pro- 
cédés psychologiques,  d'ordre  et  de  caractère  divers.  Toutes 
les  méthodes  pour  y  arriver  porteot  le  aom  générique  de 
preuves.  Mais  ou  doane  souvent,  à  cette  expression,  un  sens 
plus  restreint,  en  distinguant  les  faits  dont  l'existence  est 
évidente  et  ceux  qui  ont  besoin  d*ètre  établis.  Les  premiers 
sont  perçus  immédiatement,  sans  effort  de  raisonnement;  de 
sorte  que  la  preuve  peut  en  être  dite  directe,  intuitive.  Nous 
n'arrivons  à  dégager  les  autres  que  par  un  travail  de  rai- 
sonnement, en  procédant,  dans  nos  recherches,  du  connu  à 
rinconnu  :  la  preuve  est  dite  alors  indirecte,  médiate.  Cette 


538  PROCÉDURE   PÉNALE.    —  DE   Lk   PREUVE. 

dernière  preuve,  étant  la  seule  qui  suppose  un  effort  de  Fin- 
lelligence,  est  aussi  la  seule  qui  reçoit^  dans  la  pratique,  le 
nom  de  preuve  proprement  dite. 

275.  Les  méthodes  de  preuve  se  classent  en  deux  catégo- 
ries :  celles  qui  procèdent  par  voie  de  déduction;  celles  qui 
procèdent  par  voie  d*induction.  Dans  la  déduction^  méthode 
purement  logique,  on  tire,  avec  rigueur,  les  conséquences 
d'une  proposition  supposée  connue.  Impuissante  pour  faire 
découvrir  des  faits  nouveaux,  la  déduction  est  excellente 
pour  dégager  tout  ce  que  contient  une  proposition  ou  un  fait. 
L'induction,  qui  part  de  certaines  données  observées  et  rele- 
vées avec  soin,  pour  généraliser  les  résultats  particuliers 
obtenus  par  voie  d'expérience,  est  la  véritable  méthode  de 
découverte  scientifique.  Dans  la  recherche  de  la  certitude 
judiciaire,  les  deux  méthodes  doivent  se  combiner.  Mais,  ici 
encore,  se  réalise  la  loi  sociologique,  d'après  laquelle  toute 
évolution  dans  les  idées  et  les  croyances  amène  nécessaire- 
ment une  évolution  dans  les  institutions  probatoires. 

276.  Les  procédés  que  la  justice  emploie  dans  ses  recher- 
ches ont  été,  depuis  longtemps,  élaborés  :  mais  ils  ne  se  trouvent 
plus,  tels  qu'ils  sont  réglementés,  à  la  hauteur  du  progrès  scien- 
tifique contemporain.  Uaveu  est  encore  considéré  comme  la 
preuve  par  excellence.  L'interrogatoire  de  l'inculpé,  qui  est 
le  moyen  de  l'obtenir,  a  été  dégagé,  il  est  vrai,  partout,  des 
tortures  matérielles  dont  les  anciennes  législations  croyaient 
l'emploi  nécessaire,  ha,  question  est  posée  y  elle  n'est  plus  don- 
née. Le  témoignage  d'une  tierce  personne  est,  après  l'aveu, 
la  preuve  principale  :  nous  y  ajoutons  plus  ou  moins  de  foi 
suivant  les  circonstances  dans  lesquelles  il  se  produit,  le  ser- 
ment, la  bonne  réputation  du  témoin,  son  degré  de  désinté- 
ressement, etc.  Les  causes  de  notre  confiance  dans  ce  moyen 
de  preuve  sont  ainsi,  pour  la  plupart,  étrangères  à  l'affaire 
elle-même.  L'élément  de  foi  en  la  personne  des  témoins  joue  le 
rôle  le  plus  important  et  donne  aux  preuves  judiciaires  un 
caractère  essentiellement52/6;ec/t/.  Cependant,  d'après  les  pro- 


METHODE  POUR  ARRIVER  A  DÉCOUVRIR  LA  VÉRITÉ.    539 

cédés  de  recherche  et  de  démonstratioQ  de  la  logique  actuelle, 
c'est  ï  objectivité  y  la  réalité,  pou\ant  être  vérifiée  à  Taide  des 
opératioQS  d*analyse  et  de  syathcse,  qui  constitue  le  véritable 
procédé  de  recherche  et  de  démoustration  de  la  certitude. 

Inobservation,  Tanalyse,  Tinduction,  voilà  quels  ont  été,  dans 
ce  siècle,  les  flambeaux  de  la  méthode  scientifique  ;  aussi  remar- 
que-t-on  partout  cette  tendance  à  substituer  la  connaissance 
objective  à  la  connaissance  subjective,  aussi  bien  dans  le  do- 
maine  judiciaire  que  dans  les  autres  domaines.  D*oii  une  dou- 
ble évolution  dans  les  idées  et  les  mœurs.  D'abord  les  preuves 
matérielles,  les  indices,  presque  méprisés  autrefois,  et  appe- 
lés des  semi-preuves,  acquièrent  justement  une  valeur  de  plus 
en  plus  en  grande.  Tous  ceux  qui  ont  été  mêlés  à  Tœuvre  de 
la  justice  pénale,  comme  magistrats,  avocats,  jurés,  savent 
quelle  est  souvent,  dans  un  procès  criminel,  l'importance 
d'une  trace  matérielle  imperceptible,  l'empreinte  d'un  pied, 
d'une  main,  d'un  doigt,  la  découverte  d'une  mèche  de  che- 
veux, etc.  Aussi,  dans  les  affaires  importantes,  on  s'empresse 
de  reconstituer  le  crime  devant  le  juge  dans  ses  circonstances 
extérieures,  non  seulement  d'après  les  dépositions  des  témoins, 
mais,  encore  et  surtout,  à  l'aide  des  objets  qui  ont  servi  au 
crime  ou  au  milieu  desquels  le  crime  a  été  commis.  D'un  autre 
côté,  nous  pesons  les  dépositions  des  témoins,  non  plus  d'après 
leurs  qualités  personnelles  et  leurs  actes,  mais  en  objectivant 
leurs  déclarations,  c'est-à-dire  en  les  mettant  en  rapport  avec 
les  circonstances  extérieures  du  fait  qui  les  confirment  ou  les 
infirment.  Un  jurisconsulte  éminent,  Glaser,  l'inspirateur  du 
Code  autrichien  de  1873,  a  très  heureusement  formulé  cette 
idée,  en  disant  que  les  preuves  judiciaires  et  leur  estimation 
doivent  se  trouver  dans  l'affaire  elle-même  et  non  pas  dans 
des  faits  extérieurs  qui  y  sont  étrangers. 

277.  A  un  autre  point  de  vue,  une  sorte  d'inversion  s'est 
produite  dans  la  recherche  de  la  vérité  judiciaire.  Il  n'y  a  pas 
longtemps  encore,  ce  qu'il  était  utile  au  juge  de  connaître, 
pour  se  prononcer,  c'était  la  réalité  du  délit  et  la  culpabilité 
de  l'agent,  double  problème  que  les  procédés  psychologiques 


5i0        PROCEDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

de  preuves,  maoiés  avec  prudeoce  et  habileté^  devaient  lui 
permettre  d*établir.  Aujourd*hui,  rélémeat  biologique,  psy- 
chique et  moral  du  délinquant,  sa  personnalité,  ses  hérédités, 
ses  antécédents  sont  dominants  dans  un  procès  où  il  s'agit 
moins  de  punir  le  fait  que  de  frapper  la  criminalité  de  IV 
gent  révélée  par  le  fait.  Les  anciens  procédés  de  recherche  et 
d'administration  de  la  preuve  sont  donc  devenus  insuffisaols 
et  s'adaptent  difficilement  à  la  mission  nouvelle  de  la  justice 
répressive*. 

D'un  autre  côté,  avec  les  transformations  sociales,  résultant 
de  la  facilité  des  communications,  de  l'unité  de  mœurs,  de 
costumes,  d'habitudes,  la  recherche  de  Tidentité  des  crimi- 
nels devient  plus  aléatoire  et  la  dissimulation  plus  facile. 

Enfin,  les  criminels  ont  su  profiter,  soit  pour  réussir  dans 
leurs  entreprises,  soit  pour  s'assurer  l'impunité,  de  tous  les 
progrès  et  de  toutes  les  inventions  scientifiques.  La  police  et 
la  justice,  dans  la  fonction  défensive  de  l'ordre  social,  ont  dû 
les  suivre  ou  les  précéder  dans  l'utilisation  de  ces  procédés. 
«  Ce  n'est  pas,  comme  on  l'a  écrit,  un  traité  de  la  preuve,  fût- 
il  d^  Bentham,  qui  suffirait  à  faire  mieu^i  découvrir  un  délin- 
quant. Ici,  comme  partout,  le  progrès  n'a  été  qu'une  suite 
d'inventions  grandes  ou  petites  '  ». 

Est-ce  à  dire  que  la  phase  scientifique  de  l'évolution  de  la 
preuve  soit  définitivement  ouverte?  Que  de  nouveaux  éléments 
d'information  aient  été  inventés  et  mis  au  jour?  Si  l'école 
positiviste  pouvait  sérieusement  proposer  son  signalement 
anthropologique  comme  une  présomption  grave  de  crimina- 

§  L.  *  «  Un  homme  est  accusé  de  crime,  écrit  Tarde  [La  philosophie  pé- 
nale, p.  450),  et  traduit  devant  un  tribunal  quelconque.  Il  y  a  alors  deux 
problèmes  à  résoudre  :  1"  jusqu'à  quel  point  est-il'  prouvé  que  l'accusé  ait 
commis  le  fait  qui  lui  est  imputé?  demande  qui,  au  for  intérieur  de  chaque 
juge  ou  juré,  signifie  :  «  jusqu'à  quel  poiot  suis-je  convaincu  que  l'accusé 
a  commis  ce  délit?  »  2'*  En  admettant  qu*il  en  soit  l'auteur,  dans  quelle  me- 
sure est-il  prouvé  par  là  qu'il  est  dangereux  et  punissable?  Or,  de  ces  deux 
problèmes,  le  premier  est  déjà  si  difficile  à  trancher,  et  en  général  Test  si 
imparfaitement,  qu'il  absorbe  l'attention  du  magistrat  et  de  l'avocat,  et  que  le 
second  est  assez  négligé  ». 

^  Tarde,  op.  cit.,  p.  450. 


DE   LA   CRI  MINA  LISTIQUE.  34  i 

lité,  il  serait  yrai  d'affirmer  qu'un  nouvel  élément  d'infor- 
mation, plus  précis  et  plus  scientifique,  a  été  découvert  et  que, 
désormais,  Texpert  chargé  de  diagnostiquer  les  signes  et  stig- 
mates de  la  criminalité,  doit  remplacer  le  juge.  Mais  on  sait 
que  tous  les  progrès  judiciaires  «  ont  été  accomplis  dans  le 

w 

sens  de  la  preuve  plus  facile  ou  plus  prompte,  ou  plus  com- 
plète, et  toutes  les  inventions  ou  les  perfectionnements  mo- 
dernes ont  servi  à  cela,  télégraphe,  poste,  chemin  de  fer,  pho- 
tographie^ ainsi  que  les  ingéniosités  plus  spécialement  adap- 
tées à  ce  but,  casier  judiciaire,  méthode  de  Bertillon,  appa- 
reils de  Marsh  ou  de  Mitcherlisch,  etc.,  etc.,  autant  de  puis- 
sants instruments  de  découvertes,  et,  pour  ainsi  dire,  déjuges 
d'instruction  physiques  ou  mécaniques'  ». 

La  connaissance  de  ces  procédés  de  recherche  et  d'admi- 
nistration de  la  preuve  importe  à  tous  les  agents  qui,  de  près 
ou  de  loin,  collaborent  à  l'œuvre  de  la  justice  répressive.  Aussi 
de  nombreuses  études  ont  été  faites  dans  le  sens  d'une  appli- 
cation plus  scientifique  de  la  preuve  aux  divers^  problèmes 
qui  se  présentent  dans  tout  procès  pénal,  et  des  disciplines 
nouvelles  sont  nées  de  ces  études. 


§  LI.  -  DE  LA  GRIMINALISTIQUE. 

278.  Directions  scientifiques  en  matière  de  preuve.  Crimiialistiqi'e.  Police  scientifi- 
que. Psychologie  judiciaire  expérimentale.  —  279.  Le  juge  répressif  ne  doit  pas 
seulement  connaître  la  loi  pour  l'appliquer  atix  faits,  il  doit  apprendre  à  fixer  ces 
faits.  La  criminalistiqup.  —  280.  La  psychologie  légale  et  ses  deux  branches  :  la 
psychologie  du  juge  et  la  psychologie  du  déposant.  Double  méthode.  Observation. 
Expérimentation.  —  281.  La  psychologie  du  juge.  Acquisition  des  matériaux  de 
preuve.  Jugement  basé  sur  ces  matériaux.  —  282.  La  psychologie  du  témoignage. 
283.  Le  témoignage  doit  être  soumis  k  une  triple  critique,  clinique,  pénale,  expé- 
rimentale. Faux  témoignages  des  aliénés  et  psychopathes.  Faux  témoignages  dé- 
lictueux. Faux  témoignages  inconscients.  —  284.  Eléments  d'où  dépend  la  certitude 
(lu  témoignage.  Nécessité  pour  1«  juge  d'objectiver  ces  éléments.  Science  pratique 
du  témoignage.  —  285.  Caractères  du  témoignage.  Un  certain  nombre  de  thèses  à 
poser.  —  286.  Dans  quelle  mesure  on  peut  corriger  objectivement  le  témoignage. 
Conclusions.  —  287.  La  police  scientifique.  Son  enseign  ement.  —  288.  Identifica- 
tion des  criminels,  soit  en  vue  de  l'application  des  lois  sur  la  récidive,  soit  en  vue 

'  Tardo,  Philosophie  vénale,  p.  451. 


542        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREbVE. 

des  opérations  de  recherche  on  de  surveillance  des  individus  suspects.  Le  B*»r- 
tilionnge.  —  289.  La  photographie  scientifique  et  le  portrait  parlé.  —  290.  la 
fiche  internationale.  Difficultés. 

278.  L'évolution  des  directions  scientifiques,  en  matière 
de  preuve,  se  manifeste  par  les  trois  faits  suivants  : 

l""  La  création,  pour  les  futurs  magistrats  criminalistes, 
d'une  systématisation  des  connaissances  pratiques  qui  leur 
sont  indispensables  pour  instruire  et  juger,  rassembler  les 
preuves  et  les  apprécier  :  c'est  la  criminalistique; 

2**  L'organisation  A' une  police  judiciaire  scientifique,  par  l'en- 
seignement et  la  pratique  de  certains  procédés  de  constatations, 
de  recherches,  d'identifications; 

3**  Ldi  psychologie  judiciaire  expérimentale^  qui  apprend,  par- 
ticulièrement, à  dégager  le  témoignage,  c'est-à-dire  le  procédé 
de  preuve  le  plus  ordinaire  en  matière  criminelle,  de  ses  cau- 
ses d'erreurs,  à  ne  lui  donner  une  valeur  de  certitude  que  s'il 
est  conforme  à  toutes  les  circonstances  objectives  de  l'affaire, 
avec  lesquelles  il  doit  nécessairement  être  mis  en  rapport  et 
par  lesquelles  sa  sincérité  a  besoin  d*être  confirmée. 

Je  reprends  et  j'examine  cet  ensemble  de  disciplines,  qui 
forment  autant  de  chapitres  d'une  science  complexe,  ayant 
pour  objet  l'étude  psychologique  et  biologique  des  faits  relatifs 
à  l'activité  judiciaire*. 

279.  La  mission  du  juge,  en  matière  répressive,  consistée 
prononcer,  dans  une  espèce  déterminée,  la  sanction  attachée, 
par  la  loi  positive,  à  telle  action  ou  à  telle  omission.  Pour  lui 
permettre  d'accomplir  sa  tâche,  WAoW, connaître  la  loi  et  fixer 
les  faits  qui  donnent  lieu  à  l'application  de  la  loi.  Par  exemple, 
il  faut  qu'il  sache,  en  cas  de  tentative  d'assassinat,  punie,  par 
notre  Gode  pénal,  de  la  peine  de  mort,  quel  est  le  sens  de  ces 
mots«  volontairement  »  de  l'article  295,  et  «  préméditation  )> 
des  articles  296  et  297  du  Gode  pénal,  à  quelles  conditions 

§  LI.  '  Tandis  que  la  «<  psychologie  criminelle  »  a  pour  objet  l'élude  psy- 
chologique et  biologique  des  faits  relatifs  à  ractivitë  criminelle,  la  «  psycho- 
logie judiciaire  >>  ne  s'occupe  pas  du  criminel  ni  de  Tactivité  criminelle.  Voy. 
E(\,  Clapar^de,  La  psychologie  judiciaire  (.innée  psychologique,  1906),  p,274. 


DE  LA   CRIMINâLISTIQUE.  543 

îgales  il  y  a  «  tentative  »,  c'est-à-dire  «  commeocement  d'exé- 
ilion  du  meurtre  »,  etc.  C'est  là  le  côté  juridique  du  problème 
ui  lui  est  posé.  Mais  le  juge  doit,  en  outre,  fixer  les  faits  ^  c'est- 
-dire  en  déterminer  non  seulement  la  réalité  maisla  signi- 
cation,  les  interpréter,  leur  donner  leur  vérilable  portée, 
ar  exemple  savoir,  dans  le  cas  de  mort  violente,  quel  a  été 
;  caractère  de  la  mort,  crime,  suicide,  quel  mobile  a  eu  Faç- 
on, découvrir  Tagent  qui  se  cache,  reconstituer  la  scène  du 
rime,  établir,  par  tous  les  modes  de  preuve,  et  notamment 
ar  l'interrogatoire,  les  dépositions  de  témoins,  les  indices,  la 
ulpabilité  de  celui  que  le  juge  soupçonne  d'être  Tauteur  de 
assassinat.  A  cet  égard,  la  procédure  criminelle  demande 
lus  d'initiative  et  plus  d'habileté  que  la  procédure  civile, 
l'est  au  ministère  public,  au  juge  d'instruction,  au  juge  de  la 
ulpabilité,  à  rechercher  et  recueillir  la  preuve  :  et  celte  opé- 
ation,  il  doit  l'accomplir  vis-à-vis  d'un  inculpé  qui  a  le  plus 
rand  intérêt  à  dérouter  l'instruction  et  à  égarer  la  justice, 
^our  arriver  à  cette  fixation  des  faits,  la  bonne  volonté  n'est 
as  suffisante.  Il  faut,  chez  les  professionnels  qui  ont  pour 
lission  de  poursuivre,  d'instruire  et  de  juger,  un  ensemble 
e  connaissances,  qui  ne  s'acquièrent  pas  sans  des  études  et 
es  expériences  préalables  dont  les  inculpés  ne  doivent  pas 
Ire  les  victimes.  Systématiser  toute  la  somme  de  savoir,  d'cx- 
érience  et  de  routine  qui  est  nécessaire,  tel  est  l'objet  d'une 
Tanche  d'étude,  à  laquelle,  M.  Hanns  Gross,  ancien  procu- 
eur  et  juge  d'instruction,  actuellement  professeur  de  droit 
énal  à  Graz,  a  donné  le  nom,  aujourd'hui  consacré  dans  la 
îttéralure  juridique,  de  a  crimioalistique  ». 

Son  Systeni  der  Krimmalistik^  le  premier  traité  d'ensemble 
ur  cette  branche  de  connaissances,  a  paru,  comme  3°  édition 
e  son  Handbuch  fiïr  Untersuchungesrichter^  et  a  été  traduit 
ans  un  grand  nombre  de  langues  étrangères  et  notamment  en 
anguc  française  '.  L'enseignement  de  la  criminalistique  doit 

'  D*"  Hanns  Gross,  Manuel  pratique  d'instruction  judiciaire  à  l'usage 
es  procureurs,  des  juges  d'instruction^  etc.,  traduit  de  Talleinand  par 
IM.  Bourcart,  professeurà  la  Facult»^  de  droit  de  Nancy,  Winlzweiller,  profes- 
eur  d'allemand  au  lycée  de  Nancy,  2  vol.  in-8®,  Paris,  Marchai  et  Billard,  1899. 


544        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREQ^^, 

être  commencé  à  TUniversité,  et  il  a,  comme  priDcipal  moyen 
pratique,  ces  laboratoires,  créés,  depuis  quelques  années,  en 
France  et  à  Téiranger,  sous  le  nom  de  «  musées  criminels  ». 
Là  se  trouvent  cataloguées  des  collections  d'objets  et  de  doca- 
ments,  propres  à  la  formation  pratique  des  futurs  juges  d'ins- 
truction, procureurs  et,  en  général,  des  officiers  de  police 
judiciaire,  c'est-à-dire  de  tous  les  agents,  appartenant,  soit  à 
Tordre  judiciaire,  soit  à  l'administration,  qui  par  leur  profes- 
sion, sont  en  contact  quotidien  avec  les  malfaiteurs,  et  sont 
charges  de  la  rechercfie  et  de  la  poursuite  des  crimes  et  des 
délits  '. 

280.  Dans  ce  même  but,  la  psychologie  légale  y  qui  est 
l'ensemble  des  applications  de  la  psychologie  à  la  solution  des 
problèmes  juridiques,  fournit  des  éléments  d*une  application 
pratique  immédiate. 

La  psychologie  légale  comprend  deux  branches  :  la  psy- 
chologie du  «juge  »,  la  psychologie  du  «déposant*».  J'entends 
par  «  juge  »,  en  me  plaçant  au  point  de  vue  du  procès  crimi- 
nel, tout  magistrat,  tout  juré,  tout  agent  judiciaire  qui  a  le 

Cette  traduction  est  précédée  d'une  préface  de  M.  Gardeil,  professeur  de  droit 
criminel  à  la  Faculté  de  Nancy.  Elle  a  été  faite  sur  la  2''  édition  allemande.  La 
3*  édition  allemande  porte  le  titre  nouveau  :  «  System  der  KriminalisUk  », 
Depuis  octobre  1898,  M.  Gross  fait  paraître  une  revue  spéciale,  consacrée  à 
l'anthropologie  criminelle  et  à  la  statistique,  sous  ce  titre:  Vierteljahrsschrift 
fur  Kriminalanthropoloffie  nnd  Kriminalistik^  Leipzig,  F.  C.  W.  Vogel. 
Gross  est  également  l'auteur  d'un  traité  de  psychologie  criminelle  :  Krimiml- 
pfiychologie  (2*  éd.,  Leipzig,  1905),  et  l'un  des  initiateurs,  dans  les  pays  de 
langue  germanique,  avec  W.  Stern  de  Breslau,  de  ces  expériences  sur  le  té- 
moignage dont  nous  parlons  ci-dessous,  n"*  288  et  suiv. 

'  Le  congrès  d'anthropologie  criminelle,  tenu  à  Turin  en  1906,  a  émis  le 
vœu  «  que  chaque  gouvernement  recueille  les  objets  en  confiscation  desquels 
il  peut  disposer  et  qui  à  présent  restent  inutilisés  et  souveat  sont  détruits, 
dans  un  musée  nécessaire  pour  le  progrès  des  études  légales  et  de  police 
judiciaire  ». 

*  Hanns  Gross  subdivise  la  psychologie  criminelle  en  deux  grandes  sec- 
tions qu'il  intitule,  l'une  «  subjective  »,  l'autre  «  objective  ».  Mais  voir  critique 
par  Ed.  Claparède,  Psychologie  judiciaire,  dans  VAnnce  psychologiq^ie,  pu- 
bliée par  Alfred  Binet,  1906,  p.  28r)  à  302. 


DE    LA    CRIMINALISTIQUE.  545 

voir  de  donner  une  solution  à  la  question  de  culpabilité; 

r  «  déposant  »,  tout  témoin,  plaignant,  inculpé,  prévenu, 

nt  les  actes  ou  les  dépositions  servent  de  fondement  à  Tap- 

êciation  et  au  jugement  du  magistrat  ou  du  juré. 

Pour  rechercher  et  déterminer  les  lois  psychologiques  qui 

uvernent  les  opérations  du  jugement  et  du  témoignage,  on 

ut  employer  et  combiner  deux  méthodes  ^  : 

La  ?néthode  d'observation*.  —  On  recueille,  dans  les  faits 

otidiens,  dès  observations^,  notées  avec  une  précision  scienti- 

ue,et  capables  de  fournir  des  données  certaines  su  ries  con- 

ions  et  les  résultats  du  fonctionnement  de  Tactivité  judi- 

lire. 

La  méthode  d^ expérimentation,  —  On  procède  à  des  expé- 

;nces  de  laboratoire,  dont  la  mise  en  œuvre  et  Tapplication 

nt,  dans  cette  matière,  relativement  aisées,  et  que  tout  cri- 

inulisle,  qui  en  connaît  la  technique,  peut  inaugurer  ou 

nouveler  \ 

281.  Le  juge  doit  chercher  à  éviter  les  erreurs  subjectives 
i  le  menacent,  à  chaque  pas  de  sa  route,  dans  les  deux  opé- 

Voy.  sur  ces  deux  mélliodes  :  Larguier  des  Bancels,  La  psychologie 
iiciairc,  dans  Année  psychologique^  1906,  p.  179. 

>  On  trouvera,  dans  deux  revues,  de  nombreuses  applications  de  cette 
thode.  basée  sur  des  «  espèces  »,  des  «  cas  »,  recueillis  dans  les  annales 
liciairos,  l'histoire,  la  vie  de  tous  les  jours  :  la  revue  de  Gross,  Archiv  fur 
iminalanthropologic ;  et  celle  de  Stern,  Beitrdge  zur  Psychologie  der 
issaye. 

Depuis  quelques  années,  la  psychologie  est  entrée  dans  une  voie  nou- 
le,  sous  l'influence  et  l'initiative  de  trois  hommes  dont  les  noms  sont 
liliers  k  tous  ceux  qui  s'occupent  de  questions  psychologiques  :  Wundt, 
i,  en  1878,  ouvrait,  en  Allemagne,  le  premier  laboratoire  de  psychologie 
>érimentale;  CharcoL,  qui.à  la  môme  époque,  inaugurait  ses  recherches  sur 
/pnotisme  chez  les  hystériques;  Hibot,  qui,  par  la  publication  de  ses  ou- 
.ges  et  la  fondation  de  la  Revue  philosophique,  donnait,  en  France,  une 
e  impulsion  aux  études  de  psychologie  expérimentale.  Voy.  Alfred  Binet, 
iroduclion  à  la  psychologie  expérimentale  (Paris,  Alcan,  189*);  Sanfort, 
urs  de  psychologie  expérimentale  y  trad.  de  l'anglais  par  Schinz,  1900; 
ulouse,  V'^aschide  et  Piéron,  Technique  de  psycholojie  expérimentale 
aris,  1904). 

G.  P.  P.  —  I.  .35 


546  PROCÉDURE   PENALE.  —   DE  LA  PREUVE. 

rations  qui  lui  sont  confiées  :  Vacquisition  des  matériaux  de 
preuve^  le  jugement  basé  sur  ces  matériaux^. 

I.  Au  premier  point  de  vue,  ce  qu'il  importe  au  juge  de 
connaître,  c'est  la  psychologie  de  la  perception,  la  sienne, 
comme  celle  des  témoins.  Gross*  a  donné,  à  cet  égard,  une 
foule  d'exemples  intéressants,  des  illusions  qu'il  faut  éviter, 
comme  des  faits  auxquels  il  faut  attacher  de  Timportance.  Il 
estime,  par  exemple,  que  l'attitude  extérieure  du  témoin,  les 
traits  de  son  visage,  sa  physionomie,  ses  gestes  peuvent  révé- 
ler beaucoup  plus  la  pensée  subconsciente  de  celui-ci  que  les 
paroles  qu'il  exprime *\  Mais  qu'à  Tinverse,  on  doit  s'abstenir 
de  tirer  des  déductions  de  faits  dont  la  signification  n'a  pas  été 
établie  par  une  expérience  rigoureuse,  tels  que  la  rougeur  da 
visage,  etc. 

II.  Au  second  point  de  vue,  il  est  assez  difficile  d'organiser 
une  expérimentation  sérieuse  des  facteurs  psychologiques  du 
jugement.  On  peut  néanmoins  examiner  cette  opération,  au 
double  point  de  vue  de  :  —  la  psychognostique  :  aptitude  à 
bien  juger;  influence  du  sexe,  de  l'âge,  de  la  profession  sur  la 
faculté  de  juger  correctement;  effets  de  la  fatigue,  du  type 
mental,  etc.  ;  —  Iql  psychotechnique  :  conditions  pour  élaborer 
un  jugement  correct;  types  de  jugement,  le  type  décidé  et  le 
type  hésitant,  le  type  prudent  et  le  type  insouciant,  etc. 

Mais  ce  sont  là  des  questions  qui  ne  ressortissent  pas  au 
régime  de  la  preuve. 

282.  Le  témoignage,  qui  est  la  transmission  d'un  fait  par 
celui  qui  Ta  constaté  propriis  sensibus,  est  le  principal  mode 
de  preuve  en  matière  criminelle.  Des  recherches  expérimenta- 
les, dans  le  but  de  contrôler  sa  valeur  et  sa  sincérité,  ont  per- 
mis d'établir  les  bases  d'une  «  psychologie  du  témoignage  », 
dont  les  méthodes  et  les  conclusions  sont  empruntées,  soit  à  la 

*  Ed.  Glaparède,  La  psychologie  judiciaire^  op,  cit,,  p.  278  à  288. 

»  Op.  cU,,  l.  1,  p.  140. 

*®  C'est  UQ  des  avantages  du  régime  de  Toralité  de  la  preuve  que  de  met- 
tre le  juge  en  présence  du  témoin,  de  lui  permettre  ainsi  de  tenir  compte  de 
son  attitude  extérieure. 


DE   LA    CRIMINALISTIQUB.  5i7 

osychologie  expérimentale  proprement  dite,  soit  à  la  psycho- 
logie morbide^^ 

283.  Le  témoignage  doit  être  soumis  à  une  triple  critique, 
Unique,  pénale,  expérimentale.  En  effet,  les  causes  d'erreurs 
3t  de  fauiL  témoignages  peuvent  tenir  à  trois  causes. 

1.  Il  y  en  a  qui  proviennent  d*un  état  morbide  du  témoin  : 
:elui-ci.  est  un  aliéné  ou,  tout  au  moins,  un  psycliopalhe.  A 
:et  égard,  les  principaux  types  qui  appellent  Tattention  et  dont 
il  faut  particulièrement  se  défier  au  point  de  vue  de  la  sincé- 
rité du  témoignage,  sont  :  1°  les  hallucinés  qui  croient  voir  et 
3U tendre  ce  qu'ils  n'ont  ni  vu  ni  entendu  *'*;  2*"  les  hystériques 
dont  le  caractère  dominant  est  rautosuggestibilité";  3*"  les 
débiles  mentaux,  parmi  lesquels  se  recrutent  tous  ces  faibles 
d'esprit,  avec  déficits  moraux,  dont  le  témoignage  n'offre  au- 
cune garantie  **;  4"  les  Imaginatifs  qui  exagèrent,  grossissent 
et  déforment  les  faits  ". 

**  Voy.  sur  ce  point:  Binet,  Psychologie  individuelle.  La  description  d'un 
objet  (Année  psychologique,  i897^p.  296)  ;  irf.,  La  science  du  témoignage, 
{Année  psychologique, {90^^  p.  128-137)  ;  Borstet  Claparède,  La  fidélité  et  l'édu- 
cabilité  du  témoignage  (Archives  des  sciences  physiques  et  naturelles,  7  avril 
4904).  Pour  les  articles  publiés  dans  la  revue  de  Stern  (lieitràge  zur  PsychO' 
logie  der  Aussage),  voy.  la  bibliographie  publiée  dans  Année  psychologique, 
1906,  p.  231,  à  la  suite  do  l'article  de  Larguier  des  Bancels,  La  psychologie 
judiciaire  (p.  132  à  155).  Sur  les  travaux  allemands  dans  ces  dernières  années  : 
D*^  P. Liiôiime,Arch, d'anthropologie  crim,,  1904,p.  394;  1906,  p.  256,  p.  364. 

^'  Les  illusions  ne  sont  pas  dues  seulement  à  une  hallucination  morbide. 
Cfr.  l'intéressante  observation  de  Gross  relative  à  la  main  du  pape  saint 
Sixte  dans  le  tableau  de  la  madone  sixtine  de  Raphaël.  Cette  main  a  six 
doigts,  ce  qu'aucun  critique  n'aurait  remarqué  (Beitràge  zur  Psychologie  d^r 
Aussage,  1. 1,  p.  157). 

^5  La  littérature  de  cette  question  est  déjà  considérable.  Voy.  notamment: 
Ottolenghi,  La  suggestion,  p.  278  et  s.;  621  et  s.,  625  et  s.;  Lefort,  L'hyp- 
notisme au  point  de  vue  juridique  (Rev,  gén.  du  droi7, 1888,  p.  37)  ;  Lilien- 
thaljDer  Hypnotismus  in  dus  Strafrecht  Zeitschrift  far  die  ges.  Strafrechts- 
wissenchaft.,  t.  Vil  ;  Wundt,  Hypnotisme  et  suggestion  (PolÙs,  AicGiti,  1893), 
ch.  iv;  Lefèvre,  Les  phénomènes  de  suggestion  et  d'autosuggestion  (Paris 
1903);  Binet,  La  suggestibilité  (Paris,  1900),  chap.  VI,  L'interrogatoire. 

*♦  Le  mensonge  des  dégénérés  a  fait  l'objet  de  ffotes  sur  la  psychologie 
des  arriérés  dans  Arch,  de  psychologie,  t.  2. 

"  A  ce  point  de  vue,  il  existe  un  syndrome  mental  qui  consiste  à  racon- 


548        PROCÉDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

La  démonstration  d'un  trouble  pathologique  de  la  mé- 
moire doit  suffire  pour  rendre  inutilisables  les  témoignages 
d*un  psychopathe,  sans  qu'il  soit  besoin  de  fournir  la  preuve 
que  tel  témoignage  particulier  est  erroné,  car,  dans  la  plupart 
des  cas,  cette  preuve  est  impossible.  La  législation  positive 
devrait  donc  écarter,  comme  témoin  assermenté,  tout  indi- 
vidu dont  le  témoignage  et  les  perceptions  sont  influencés 
par  une  maladie  mentale  ou  la  faiblesse  d'esprit  **. 

IL  D'autres  causes  d'erreur  afTectent  un  caractère  criminel 
et  rentrent  dans  le  domaine  des  faux  témoignages  conscients, 
dont  les  mobiles  sont  l'intérêt,  la  haine,  la  vengeance,  etc. 
Nous  ne  nous  en  occuperons  pas  davantage,  c'est  au  droit  pé- 
nal à  prévoir  et  à  punir  ce  fait  comme  délit  ^\ 

IIL  Enfin,  il  y  a  les  causes  d'erreur  ressortissant  à  la  psy- 
chologie normale  :faux  témoignages  incoofscieuts,  d'individus 
normaux,  qui  se  trompent  eux-mêmes,  sans  le  vouloir  et  sans 
s'en  douter.  A  cet  égard,  les  méthodes  d'expérimentation,  dans 
le  but  de  rechercher  les  ecreurs  et  les  illusions  des  percep- 
tions sensuelles,  de  la  mémoire,  de  l'association  des  idées,  etc., 
1,'inûuence  exercée  sur  une  personne  par  la  manière  de  poser 
les  questions,  etc.,  ont  produitdes  résultats^  tels  que  la  prati- 
que judiciaire  ne  saurait  plus  se  passer  de  certaines  données 
lui  permettant  de  rechercher  exactement  les  diverses  formes 
du  témoignage,  les  causes  qui  peuvent  le  fausser  et  la  vérita- 
ble nature  des  constatations  et  des  appréciations  qui  sont  affir- 
mées. 

284.  La  certitude  du  témoignage  dépend  de  trois  éléments  : 
la  compréhension  normale  des  perceptions;  la  capacité  de 
fixer  Talteniion;  la  faculté  de  reproduire  exactement  ce  quia 

ter  des  histoires  extraordinaires  et  impossibles,  sans  aucua  but  apparent, 
des  «  tartarinades  »,  du  nonn  du  héros  d'Alphonse  Daudet,  c  Tartarin  •». 
Delbriick,  Die  pathologische  Lwje  (Stuttgard,  1891)  qui  Ta  profondément 
décrit  et  étudié,  l'a  baptisé  <«  Pseudoloyia  phantastica  ». 

'^  Par  suite,  l'expertise  médicale  sur  la  valeur  mentale  d'un  témoio,  peut 
et  doit  être  ordonnée  toutes  les  fois  que  cela  paraît  nécessaire. 

*^  Voy.  mon  Traité  théor,  et  prat,  du  droit  pénal  (2*  éd.),  t.  5,  n^  2014 
à  2029 .  " 


DB   LA   CRIMINALTSTIQUB.  549 

été  perçu,  c'est-à-dire  une  mémoire  sûre  et  fidèle.  Or,  ces  qua- 
lités, essentielles  pour  remplir  la  fonction  de  témoin,  ne  sont 
pas  en  rapport  de  dépendance  avec  la  bonne  volonté  du  sujet. 
Ce  sont,  du  reste,  des  qualités  subjectives  que  le  juge  est  obligé 
d'objectiver  avec  les  éléments  de  fait  que  lui  fournit  le  pro- 
cès. 11  existe  donc  une  «  science  pratique  du  témoignage  », 
dont  l'objet  est  de  coordonner  et  d'assimiler  les  éléments  four- 
nis par  l'expérimentation  scientifique. 

285.  Quels  sont  les  caractères  du  témoignage?  Quelques 
thèses  doivent  être  posées. 

I.  Un  témoignage  entièrement  fidèle  nest  pas  la  règle;  il  est 
f  exception.  —  Cette  proposition,  que  Stern  a  le  premier  basée 
sur  des  recherches  expérimentales,  est  le  résultat  capital  des 
travaux  exécutés,  jusqu'ici,  sur  «  la  psychologie  du  témoi- 
gnage ».  Les  déclarations  du  témoin  peuvent  porter  sur  un 
événement  auquel  il  a  assisté,  sur  une  image  qu'il  a  observée, 
sur  une  conversation,  une  phrase,  qu*il  a  entendue  :  sponta- 
nées, elles  sont  rarement  exactes;  provoquées  par  des  ques- 
tions, elles  ne  le  sont  jamais.  D'abord,  le  témoignage  n'est  pas 
complet,  puisque  l'observation  la  plus  rapide  que  nous  faisons 
de  nos  souvenirs  révèle  «  l'aspect  lacunaire,  simplifié  des  ima- 
ges dont  nous  disposons  et  qui  fondent  le  témoignage  »  **. 
Puis,  l'étendue  même  de  nos  souvenirs  n*est  pas  une  garantie 
de  leur  fidilité.  Enfin,  l'influence  du  temps  sur  la  valeur  du 
témoignage,  celle  des  témoignages  successifs  les  uns  sur  les 
autres,  viennent  encore  s'exercer  pour  déformer  la  vérité  de 
nos  impressions  et  de  nos  souvenirs.  Voilà  une  première  série 
de  données  dont  il  faut  tenir  compte. 

II.  Ce  que  le  témoignage  gagne  en  étendue,  lorsquHl  est 
provoqué  par  des  questions,  il  le  perd  en  fidélité.  — 11  faut  donc, 
si  l'on  veut  extraire  d*une  déposition  sa  constante  de  certitude, 
bien  distinguer  entre  le  témoignage,  suivant  qu'il  est  ^pon- 

*'  Larguier  des  Bancels,   op.  cit.,  p.  205.  La  valeur  psychologique  des 
témoignages  a  été  examinée  au  Congrès  d'anthropologie  criminelle  de  Turin 
de  1906  sur  les  rapports  de  Brusa  et  Angiolini  (Voy.  Archives  d'anthropolo 
gie  crim.,  1906,  p.  459  à  461). 


550        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

tanc,  forcé,  suggéré.  Sans  doute,  Tinterrogaloire  est  de  nature 
à  étendre  le  champ  du  témoignage,  mais  ce  n*est  qu'aux  dépens 
de  son  exactitude.  Toutes  les  expériences  faites  ont  établi  que 
les  témoignages  spontanés  étaient  entachés  de  moinsd'erreurs 
que  ceux  résultant  de  questions  posées.  Quant  à  la  sugges- 
tibilité,  dans  Tinterrogatoire,  il  faut  s'en  défier  comme  d'un 
des  procédés  les  moins  surs  et  les  plus  dangereux.  Une  série 
d'erreurs  judiciaires  ont  pour  cause  des  témoignages  suggérés 
par  des  questions  captieuses. 

m.  «  Comme  le  champ  de  la  mémoire  forcée  est  plus  vaste 
que  celui  de  la  mémoire  spontanée,  la  «  mémoire  de  recon- 
naissance »  les  déborde  Tun  et  Tautre;  et  tel  qui  ne  saurait 
évoquer  Timage  d'un  accusé  ou  décrire  Taspect  d'une  «  pièce 
à  conviction  »,  les  reconnaîtra  tout  de  suite  lorsqu'il  les 
aura  sous  les  yeux  '•  ». 

La  mémoire  de  «  reconnaissance  »  est,  du  reste,  une  des 
plus  sujettes  à  erreur.  Le  résultat  d'expériences  collectives,  qui 
peuvent  se  renouveler  facilement  dans  tout  laboratoire,  dé- 
montre :  d'une  part,  combien  la  mémoire  est  fragile,  même 
quand  l'attention  a  été  appelée  sur  les  éléments  de  l'identité; 
d'autre  part,  combien  la  confrontation,  tellequ'elle  est  ordinai- 
rement pratiquée,  l'examen  des  pièces  à  conviction^  etc.,  cons- 
tituent de  a  puissantes  machines  à  suggestion  »  et  offrent  de 
dangers. 

Une  reconnaissance  d'identité  ne  doit  être  jugée  valable 
que  si  le  témoin  a  désigné  le  prétendu  coupable,  parmi  un 
certain  nombre  de  personnes  lui  ressemblant  plus  ou  moins, 
ou  son  portrait,  dans  une  série  de  photographies.  L'expéri- 
mentation a  démontré  qu'on  ne  doit  ajouter  aucune  créance 
aux  indications  données  sur  l'identité,  spécialement  à  celles 
qui  portent  sur  la  couleur  des  cheveux,  la  forme  de  la  barbe, 
les  vêtements  et  leur  couleur,  lorsque  l'attention  du  témoin 
n*a  pas  été  attirée  d'une  manière  particulière  sur  ces  détails.  La 
confrontation  «  au  choix  »  est  une  opération  qui  s'impose,  sur- 
tout au  début  de  la  procédure  et  dans  le  cabinet  d'instruction. 

*•  Larguier  des  Bancals,  op.  cit,^  p.  209. 


DE   LA  CRIMINALISTIQUE.  551 

IV.  La  fidélité  d'un  témoignage^  même  chez  un  témoin  d'une 
ejitière  bonne  foi^  est  en  raison  inverse  de  son  assurance,  — 
Ce  résuUat,  inattendu  et  paradoxal  en  apparence  d'expérien- 
ces nombreuses,  est  gros  de  conséquences  pour  la  pratique 
judiciaire.  Plus  on  arrive  à  réfléchir  sur  ce  que  l'on  a  vu, 
entendu,  et  retenu,  plus  on  devient  circonspect  dans  ses  affir- 
mations :  le  bon  témoin  sait  douter.  Les  hallucinés,  les  ima- 
ginatifs,  les  hystériques  déposent  souvent  avec  l'assurance  que 
leur  donne  la  force  de  conviction  de  leur  délire,  de  leur  ima- 
gination, de  leur  hystérie,  et  leurs  dépositions,  si  affirmatives, 
souvent  faites  avec  un  accent  impressionnant  de  sincérité,  ont 
une  action  de  conviction  décisive  sur  les  juges  et  surtout  sur 
les  jurés. 

V.  Le  ((  contenu  du  témoignage  x>,  c'est-à-dire  les  divers  élé- 
ments qui  interviennent  dans  la  déposition,  n'a  pas  la  même 
valeur  de  certitude.  A  ce  point  de  vue,  telle  catégorie,  par 
exemple  les  nombres  et  les  couleurs,  n'est  pas  conservée  et 
reproduite  avec  la  même  fidélité  que  telle  autre,  les  qualités, 
les  relations  d'espace,  les  personnes,  les  objets.  Mais  les  expé- 
riences qui  ont  été  faites  dans  cette  direction  ne  donnent  que 
des  résultats  fort  incertains  et  quelquefois  contradictoires. 

VL  La.  psychologie  individuelle  du  témoignage,  suivant  le 
^exe,  l'âge,  les  types,  les  professions,  ne  permet  pas  non  plus 
de  conclusions  bien  précises.  Le  témoignage  de  V enfant  notam- 
ment a  été,  tour  à  tour,  l'objet  des  appréciations  les  plus  oppo- 
sées. Tandis  que  la  plupart  des  criminalistes  et  des  médecins 
ne  lui  accordent  qu'une  confiance  limitée  et  posent,  comme 
une  règle  presque  absolue,  que  la  défiance  de  ce  témoignage 
€st  le  commencement  de  la  sagesse^^,  quelques  autres,  parmi 

2°  Sur  la  disposition  des  enfants  au  mensonge,  leur  impressionnabilité  et 
leur  suggestionnabilité,  et  sur  la  réserve  avec  laquelle  doit  être  accueilli  leur 
témoignage  :  D'  Motet,  Les  faux  témoignages  des  enfants  devant  la  jtistice 
(Paris,  Baillère,  1887);  D*"  Bérillon,  Rapport  au  Congrès  d'anthropologie 
criminelle  de  Genève,  1896,  p.  167,  168  et  s.;  D' Gazes,  Les  enfants  men^ 
teurs  [Revue  des  Revues,  15  nov.  1895,  p.  368);  Ottolenghi,  La  suggestione 
{Turin,  i900),p.  236  à  249,  p.  268  à  275;  Albanel  et  Legras,  Sem.  médicale^ 
i895;  Emile  Fourquet,  Les  faux  témoins.  Essai  de  psychologie  criminelle. 
Préface  par  G.  Tarde  (Chalon-sur-Saône,  1901),  notamment  p.  60  à  83. 


552        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

lesquels  il  faut  citer  Gross,  lui  recoanaissenl  une  valeur  assez 
élevée.  «  Le  témoignage  des  hommes  est  moins  étendu  que 
celui  des  femmes^  mais  il  est  plus  fidèle  ».  Cette  conclusioD, 
que  Stern  formulait  à  la  suite  de  ces  premières  recherches 
et  qu'il  a  maintenue  depuis'^  a  été  confirmée  par  certains 
psychologues^  mais  contredite  par  d'autres. 

28&  Dans  les  limites  que  nous  venons  d'indiquer,  les 
recherches  qui  ont  été  faites  sur  la  «  psychologie  du  témoi- 
gnage »  ne  permettent  pas  encore  et  ne  permettront  peut-être 
jamais  de  poser  des  règles  assez  rigoureuses  pour  qu'on  paisse 
arriver  à  corriger  objectivement^  à  leur  aide,  les  dépositions 
faites  devant  la  justice.  Il  est  néanmoins  permis  de  dégager 
certaines  données,  d'un  intérêt  pratique  évident,  et  qu'une 
psychologie  élémentaire  pourrait  formuler  en  un  petit  nom- 
bre de  propositioj[)s  *^ 

I.  L'erreur  est  un  élément  constant  du  témoignage.  Le 
témoignage  sincère  ne  mérite  pas  la  confiance  qu'on  lui 
accorde  communément. 

II.  Les  erreurs  sont  beaucoup  moins  nombreuses  dans  le 
récit  spontané  que  dans  l'interrogatoire. 

III.  La  valeur  d'une  réponse  dépend  étroitement  de  la 
forme  de  la  question  qui  l'a  provoquée.  La  réponse  forme  avec 
la  question  un  tout  indivisible. 

lY.  Toute  question,  dont  la  forme  implique  une  suggestion, 
doit  être  évitée.  Les  enfants,  en  particulier,  n'opposent  qu'une 
résistance  minime  aux  suggestions  de  l'interrogatoire. 

V.  Les  données  relatives  au  signalement  d'un  individu  ne 
méritent,  en  général,  qu'une  confiance  très  restreinte.  Les 
renseignements  qui  portent  sur  les  couleurs  n'ont  pratique* 
ment  aucune  valeur. 

**  Stern,  Beiiràge  zur  Psychologie  der  ^^ussage^  1905,  p.  73  à  81. 

*^  Je  les  emprunte  textuellement,  sauf  la  dernière  à  laquelle  je  donne  une 
formule  plus  précise,  à  Larguier  des  Bancels,  La  psychologie  judiciaire, 
{Année  psychologique,  1906),  p.  230.  Comp.  dvi  reste,  Emile  Fourquet,  les 
faux  témoins,  passim. 


DE  LA   CRIMINALISTIQUE.  55<'t 

VI.  Le  serment  n'est  qu'une  garantie  relative  de  la  sincérité 
du  témoignage  ". 

287.  Sous  une  autre  forme,  des  essais  ont  été  tentés,  dans^ 
divers  pays,  pour  donner  aun  agents  soit  judiciaires  soit  admi- 
nistratifs des  connaissances  suffisantes  et  une  préparation  pra- 
tique sur  tout  ce  qui  concerne  les  crimes  et  les  criminels". 
Cet  enseignement  de  la  «  police  scientilfique  »  porte  spéciale- 
ment sur- trois  points  :  1^  les  recherches  et  les  constatations  à 
faire  sur  les  lieuii,  dans  les  descentes  et  transports  de  police^ 
les  traces  à  relever  sur  le  cadavre  ou  le  corps  de  la  victime,  etc., 
et  la  méthode  pratique,  à  employer  pour  conserver  et  relever 
ces  traces;  2*"  le  signalement  somatique,  anthropométrique  et 
descriptif,  la  photographie  judiciaire  et  le  portrait  parlé  des 
inculpés  ou  condamnés;  3**  le  signalement  anthropométrique, 

*'  Je  ne  veux  pas  dire  qu'il  faut  le  supprimer,  mais  qu'il  ne  faut  pas  trop 
compter  sur  cette  garantie. 

**  Sur  les  progrès  à  réaliser  dans  l'organisation  de  la  police  et  les  moyens 
dont  elle  dispose  :  S.  Ottolenghi,  LHnsegnamento  universitario  délia  polizia 
gvidiziaria  scientifica  (Turin,  Bocca,  1897);  id,,  La  police  scientifique  en 
Italie  {Archives  d'anthropologie  criminelle,  1903,  p.  798  à  807)  ;  id.,  La  poli- 
zia scientifica  in  Italiay  a  proposto  del  Programma  de  «  Criminologia  »>  di 
A.  Niceforo  {La  Scuola  positiva,  1903,  p.  299);  Alongi,  Mannale  di  polizia 
scientifica  (Milan,  1898);  VirgilioRossi,  Po/izia  empirica  et  scientifica  (Aquila, 
1898).  EnricoFerri,  Sociologie  criminelle  (trad.  Terrier),  constate  que«  l'iden- 
tification anthropométrique  des  délinquants  (bertillonnage)  est  devenu  histo- 
riquement le  noyau  initial  du  cours  de  police  scientifique  institué  d'abord  par 
Ottolenghi  comme  cours  libre  à  l'Université  de  Sienne  en  1896,  puis  comme 
cours  officiel  par  un  décret  de  Zanardelli  (25  oct.  1903),  et  rendu  obligatoire 
pour  tous  les  fonctionnaires  de  police  de  tout  l'État.  C'est  un  cours  de  police 
scientifique  (avec  un  cabinet  qui  en  dépend),  dans  lequel  Ottolenghi,  trans- 
féré aussi  à  l'Université  de  Rome  pour  la  médecine  légale,  enseigne,  outre 
le  simple  bertillonnage,  de  l'anthropologie  et  de  la  psychologie  criminelles, 
toutes  choses,  qui  ont  rapport  avec  les  fonctions  de  la  police  pour  recher- 
cher et  fixer  les  traces  des  délits  et  des  délinquants  et  pour  surveiller  les 
individus  suspects  ».  Voy.  dans  Arch.  d'anth.  crim.,  1905,  p.  698  à  704,  les 
observations  de  Locard  à  propos  d'un  article  de  la  Rivista  pénale.  Voy.,  sur 
la  police  scientifique,  les  discussions  qui  ont  eu  lieu  au  Congrès  d'anthropo- 
logie criminelle  de  Turin  de  i90^  {Arch.  d'anthropologie  crim.,  1906,  p.  444 
à  449). 


Soi  PROCÉDURE   PÉNALE.    —    DE  LA   PREUVE. 

biologique,  psychologique  et  anamnestique  de  ces  mêmes  iodi- 
vidus.  Cet  enseignemcot  doit  être,  par  soa  objet  et  sa  nature, 
rattaché  à  renseignement  de  la  médecine  judiciaire  dont  il 
forme  le  complément. 

288.  De  tout  temps,  on  s'est  préoccupe  d'identifier  les  cri- 
minels, soit  en  vue  de  leurs  antécédents  judiciaires  et  pour 
permettre  aux  juges  de  faire  l'application  des  lois  sur  la  réci- 
dive, soit  en  vue  des  opérations  de  police  qui  visent  la  recher- 
che ou  la  surveillance  d'individus  en  liberté. 

La  preuve  matérielle  de  certaines  condamnations  fut  loog- 

temps  procurée  par  le   moyen  de  mutilations  ou  de  /nar- 

éjues^*.  Ce  procédé  n'a  même  disparu  de  la  législation  frau- 

vçaise  que  par  la  révision  du  Code  pénal,  le  28  avril  4832 

(art.  12). 

Les  moyens  employés,  jusqu'à  ces  derniers  temps,  pour 
reconnaître  les  malfaiteurs  et  constater  leur  identité,  tels  que 
signalements  ordinaires,  témoignages  et  attestations  de  per- 
sonnes ayant  antérieurement  connu  Tinculpé,  photographies, 
etc.,  manquaient  évidemment  de  précision  et  de  certitude. 

Un  procédé  scientifique,  l'application  de  ra/i/Aro/)om^/rie** 
à  la  prise  du  signalement  et  à  sa  recherche,  permet,  aujour- 
d'hui, d'identifier  rigoureusement  tout  individu  qui  a  passé 
par  les  prisons  et  qui  y  retourne.  C'est  à  un  savant  français, 
M.  Alphonse  Bertillon,  qu'est  dû  le  système  d'identification 
par  le  moyen  des  signalements  anthropométriques  ^',  auquel 

■**  Voy.  Muyart  de  Vouglans,  Itistitutcs  au  droit  criminel^  p.  409  ;  Jousse, 
op,  ciLy  t.  1,  p.  57  et  58. 

**  On  sait  que  le  premier  qui  ait  eu  l'idée  de  Y  anthropométrie  est  Quéte- 
let,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  qui,  en  187!, 
publia  l'ouvrage  intitulé  :  L'anthropométrie  ou  mesures  des  différentes  facul- 
tés de  l'homme.  Mais  Quételet  n'eut  pas  l'idée  d'utiliser  le  procédé  qu'il  avait 
découvert  pour  l'identification  des  criminels. 

'^''  Proposé  à  l'Administration  dès  1879,  ce  procédé  fut  inauguré  au  DépAt, 
en  1882.  Des  circulaires  du  ministre  de  l'Intérieur  du  13  novembre  1885, 
du  7  mars  1887,  du  28  aodt  1888,  du  25  août  1893,  étendirent  la  nouvelle 
méthode  d'identification  à  toutes  les  prisons  de  France,  l'appliquèrent  à 
tous  les  individus  incarcérés  et  organisèrent  la  centralisation ,  à  Paris»  de 


DE   LA   CRIMINALISTIQUE.  555 

on  donae  ordinairemeal,  par  reconnaissance  des  nombreux 
services  qu'il  a  rendus,  le  nom  de  son  auteur,  le  Bertillo- 
nage  ". 

Le  fonctionnement  du  système  anthropométrique  comprend 
deux  parties  fondamentales  et  distinctes  :  l*"  Le  relevé  du  signa- 
lement humain^  c^est-à-dire  la  description  et  la  notation,  à 
l'aide  de  méthodes  empruntées  à  Tanatomie  et  à  l'anthropo- 
logie, des  caractères  les  plus  propres  à  différencier  un  homme 
de  ses  semblables  et  à  constituer  son  individualité  physique; 
2**  La  classificatio7i  sériée  des  signalements^  permettant,  avec  la 
plus  grande  facilité,  d'isoler  un  signalement  donné,  à  travers 
des  milliers  d'autres,  et  de  conclure  rigoureusement  et  scien- 
tifiquement de  l'identité  du  signalement  à  l'identité  de  l'indi- 
vidu. 

L  Le  système  de  prise  de.  signalement  repose  sur  ces  deux 
faits  d'observatipn  :  qu'il  n'est  pas  possible  de  trouver  deux 
hommes  absolument  identiques;  que  certaines  dimensions 
anatomiques  du  corps,  certains  signes,  certaines  particulari- 
tés relevés  sur  le  corps,  ne  se  modifient  pas  chez  les  adul- 
tes et  peuvent  être  notés  dune  façon  définitive.  Ce  système 

toutes  les  fiches  signaléliques  dressées  dans  les  diverses  prisons.  Une  circu- 
laire du  23  mars  1807,  provoquée  par  un  incident  qui  a  eu  son  écho  à  la  Cham- 
bre des  députés  (abus  de  mensuration  sur  la  personne  d*un  député),  excepte 
de  la  mensuration  les  personnes  arrêtées  pour  motifs  politiques,  celles  incar- 
cérées à  la  requête  des  familles,  celles  dont  la  notoriété  publique  est  incontes- 
table, les  condamnés  de  simple  police,  et  pour  délits  de  presse  ou  politiques. 
En  cas  de  doute,  le  gardien -chef  doit  en  référer  aux  préiets,  sous-préfets  et 
procureur  de  la  République.  Toutes  ces  circulaires  sont  rapportées  au  Code 
pénitentiaire, 

"  Bertillon  a  exposé  son  système  au  Congrès  pénitentiaire  international 
et  au  Congrès  d'anthropologie  criminelle,  tenus  à  Rome  en  4885  [Acte»  du 
Congrès  pénit,  intern,  de  Rome,  t.  1,  p.  689  et  suiv.  ;  Actes  du  Congrès 
d'anth,  crim.  de  home  de  1885,  p.  151).  —  D'intéressants  renseignements 
sur  le  fonctionnement  du  système  anthropométrique,  accompagnés  de  gra- 
vures qui  illustrent  le  texte,  ont  été  donnés  :  !<>  dans  V Almanach  Hachette 
de  1896,  p.  374;  2*  dans  les  Lectures  pour  tous  (Revue  Hachette)  de  1901, 
p.  539  à  546.  Voy.  également  :  Répart,  alphabétique  du  droit  (ranimais, 
vo  Identité,  n<*  63  à  77;  Licassagne,  Précis  ds  midecine  légale  (Masson, 
1906),  p.  213  à  217. 


556  PROCÉDURE   PÉNALE.    —   DE   LA   PREUVE. 

consiste  :  1**  en  certaines  mensurations  corporelles  exprimées 
en  chiffre,  constituant  le  signalement  anthropométrique  ;  2*  en 
une  description  morphologique  exacte  de  la  personne,  coosti- 
iusinile  signalement  descriptif  ;  3**  en  une  description  détaillée 
des  signes  particuliers  :  cicatrices,  tatouages,  nœvi  (grains  de 
beauté),  etc.,  relevés  sur  diverses  parties  du  corps,  ou  signa- 
lement des  marques  particulières,  auxquelles  sont  actuelle- 
ment ajoutées  les  empreintes  digitales*^,  et  la  photographie 
scientifique,  lorsqu'elle  est  possible. 

Les  renseignements  relatifs  à  chaque  individu  et  des  photo- 
graphies de  proGl  et  de  face  sont  collées  sur  une  fiche,  en  car- 
ton mince,  d'un  modèle  uniforme.  Chaque  fiche  sîgnalétique 
est  recopiée.  La  fiche  originale  est  dite  fiche  alphabétique; 
la  copie  est  dite  fiche  anthropométrique.  La  fiche  originale  al- 
phabétique est  classée  alphabétiquement,  d*après  la  phona- 
tion du  nom  patronymique  déclaré.  La  réunion  de  ces  fiches 
forme  un  répertoire  alphabétique  qui  est  utilisé,  lorsqu'un  indi- 
vidu ne  dissimule  pas  son  nom,  pour  savoir  s'il  a  été  déjà  men- 
sure,  pour  dispenser  de  toute  nouvelle  opération  anthropomé- 
trique et  permettre  de  trouver  immédiatement  le  signalement 

.  2*  Un  médecin  anglais,  le  D*"  Galton,  ancien  pr«^sident  de  l'Institut  anthro- 
pologique de  Londres,  mettant  à  profit  une  remarque  qui  avait  été  faite  en 
1823  par  Purkinge  de  Breslau,  a  constaté  que  les  sillons  parallèles  qui  exis- 
tent sur  la  peau,  aux  extre^raités  des  doigts,  sont  toujours  les  mômes,  pour 
un  même  individu,  et  varient  toujours  d'un  individu  à  l'autre.  Il  en  a  déduit 
un  nouveau  système  d'identiûcation.  Ce  procédé  des  empreintes  digitales  & 
été  mis  en  pratique,  en  France,  depuis  1894,  et  une  place  spéciale  est  réser- 
vée, sur  les  6ches  anthropométriques,  à  l'impression  de  l'extrémité  antérieure 
des  doigts  des  deux  mains.  Voy.  Fer  ri,  Sociologie  crtm.,  (trad.  Terrier), 
p.  517,  note  2;  Lacassagne,  Précis  de  médecine  légale  (Masson,  1906),  p.  209. 
La  dactyloscopie  (c'est  le  nom  donné  à  ce  procédé  d'identification  par 
les  empreintes  des  doigts)  a  trois  avantages  :  «  i^  la  simplicité  de  confec- 
tion des  fiches  ;  2®  la  possibilité  de  l'appliquer  aux  femmes,  sur  lesquelles 
il  n'est  point  d'usage  de  pratiquer  l'anthropométrie  crânienne  à  cause  des 
cheveux;  3®  la  possibilité  de  l'appliquer  aux  jeunes  gens,  les  empreintes  étant 
immuables  depuis  le  sixième  mois  de  la  vie  fœtale  jusqu*à  la  mort.  Tandis 
que  la  longueur  des  doigts  se  modifie  avec  l'àge,  fait  important  à  une  épo- 
que où  la  délinquence  juvénile  est  considérable  ».  Lacassagne,  op,  et  toc 
cit. 


DE   Là   CRIMINALISTIQUE.  557 

de  tout  individu  arrêté,  dont  on  connaît  le  nom  et  qui  a  été  déjà 
anthropométré.  Dans  quelques  grandes  ville,  notamment  à 
Lyon,  où  existe  un  service  spécial  d'identification,  la  copie 
ou  fiche  anthropométrique  est  classée  dans  la  prison'®.  Enfin 
une  copie  de  la  fiche  alphabétique  et  une  copie  de  la  fiche 
anthropométrique  sont  dressées  et  expédiées  au  ministre  de 
rintérieur,  sous  le  couvert  du  1^^  bureau,  qui  les  fait  parvenir 
au  bureau  du  service  anthropométrique,  où  elles  sont  toutes 
centralisées. 

II.  Toutes  les  fiches  signalétiques,  prises  en  double  expédi- 
tion sur  des  cartons  de  dimensions  différentes,  sont  centralisées 
à  Paris  et  classées  dans  le  local  du  service  anthropométrique. 
Une  double  opération  est  faite  dans  ce  but. 

Une  classification  alphabétique^  qui  n'offre  aucune  diffi- 
culté d'installation  et  de  recherche,  et  qui  est  utilisée  lors- 
qu'on connaît  le  nom  d'un  individu,  pour  retrouver  son 
signalement  et  ses  antécédents.  C'est  la  classification  la  plus 
souvent  consultée  :  la  plupart  des  récidivistes  ne  dissimulant 
ni  leur  identité  ni  leurs  antécédents. 

Une  classificatioîi  anthropométrique^  qui  est  utilisée  pour 
découvrir  et  constater  Tindividualité  et  l'identité  cachées,  in- 
<:onnues  ou  douteuses  de  prévenus  arrêtés  qui  dissimulent 
leur  nom.  iVlais,  à  ce  point  de  vue,  se  posait  un  problème, 
jusque-là  presque  insoluble  :  étant  donné  un  individu,  l'iden- 
tifier à  l'aide  de  ses  longueurs  et  dimensions  osseuses.  M.  Ber- 
tillon  a  trouvé  une  solution  ingénieuse  de  ce  problème^  par 
un  classement  des  fiches  anthropométriques,  à  l'aide  de  sub- 
divisions qui  permettent,  par  des  éliminations  successives, 
de  n'avoir  à  chercher  que  dans  une  dernière  série  de  douze 
fiches  '*.  Lorsqu'on  est  arrivé  à  ce  groupe,  si  on  n'y  trouve 
pas  la  fiche  cherchée,  c'est  la  preuve  qu'il  n'y  a  pas  eu  men- 

^°  Sur  rorgariisation  du  service  anthropométrique  dans  la  prison  de  courte 
peine  de  Lyon  :  Lacassagne,  Précis  de  médecine  légale,  p.  216. 

^*  Le  procédé  de  classification  est  si  ingénieusement  établi  que  la  recherche, 
pour  un  agent  expérimenté,  se  fait  en  quelques  minutes.  H  nous  est  impos- 
sible, on  le  comprend,  d'en  entreprendre  l'exposé.  Ce  sont  choses  qu'il  faul 
voir  fonctionner,  pour  s'en  fair^  une  idée  bien  exacte. 


558        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

suration  aolérieure.  Si  on  trouve  la  fiche  cherchée,  rideotiié 
esl  établie  par  la  cooforinilé  du  signalement  et  complétée 
par  la  photographie,  dans  le  cas  où  elle  est  jointe  à  la  fiche. 

289.  Le  signalement  anthropométrique  ne  peut  être  appli- 
qué qu*en  cas  d'arrestation;  il  permet  de  retrouver,  avec  une 
précision  infaillible,  le  passé  judiciaire  de  tout  individu  qui 
entre  dans  une  prison.  Pour  les  opérations  de  police  qui  visent 
la  recherche  ou  la  surveillance  d'individus  en  liberté,  ce  signa- 
lement n'est  plus  que  d'une  utilité  restreinte.  On  a,  il  est  vrai, 
le  portrait  photographique  :  la  police  cherche  à  se  le  procurer 
et,  quand  elle  y  est  parvenue,  elle  le  fait  reproduire  et  distri- 
buer aux  agents  chargés  des  recherches.  Mais  rexpérience 
prouve,  par  de  nombreux  mécomptes,  la  difficulté  de  retrou- 
ver quelqu'un  au  moyen  de  sa  photographie.  La  ressemblance 
physionomique  d'ensemble  est  incertaine.  D'une  part,  en  très 
peu  de  temps,  la  photographie  date;  il  se  produit  des  dissem- 
blances notables  entre  l'homme  d'aujourd'hui  et  Thommede 
hier.  D'un  autre  côté,  il  existe  des  ressemblances  si  frappan- 
tes, entre  personnes  différentes,  que  des  erreurs  fâcheuses  peu- 
vent se  produire  :  chacun  de  nous  a  ses  sosies.  M.  Bertillon  a 
montré,  dans  un  livre  spécial,  consacré  à  la  photographie  judi- 
ciaire^'^ ^  que  cette  cause  d'impuissance  de  la  photographie 
était  due  à  l'absence  de  méthode  appropriée  et  qu'au  contraire 
le  portrait  photographique"  pouvait  donner  un  instrument 

^^  La  photographie  judiciaire  [Panst  Gauthier- Villars,  1890).  Comp.Reiss, 
chef  des  travaux  photographiques  de  TUniversité  de  Lausanne,  La  photogra' 
phie  judiciaire  (Paris,  Mondai,  1903);  Groos,  Manuel  pratique^  etc.,  1. 1, 
p.  280  à  314,  a  consacré  quelques  pages  intéressantes  à  ce  sujet.  Voy.  éga- 
lement :  Lacassagne,  Précis,  etc.,  p.  177. 

•^^  L'opération  doit  être  faite  suivant  des  règles  fixes  :  1»  Elle  doit  être 
prise  à  la  fois  de  face  et  de  profil  :  —  de  face,  pour  permettre  et  faciliter  la 
reconnaissance  du  sujet  par  les  personnes  qui  Tont  vu  et  ne  l'ont  générale- 
ment examiné  que  de  face  ou  des  trois  quarts  et  connaissent  surtout  sa  phy- 
sionomie que  la  photographie  »Je  face  reproduit  mieux  que  celle  de  profil  ;  — 
de  profil^  parce  que  c'est  le  profil  surtout  qui  donne  l'individualité  et  fixe  la 
figure.  2°  Tous  les  sujets  sont  photographiés  tête  nue.  Les  oreilles  doivent 
toujours  être  dégagées  de  la  chevelure,  pour  le  profil  comme  pour  la  face. 


DB  LA  CRIMINALISTIQUB.  559 

efficace  de  recherche  et  de  recooaaissance  d'idenlité,  si  Ton 
parvenaii  à  l'analyser,  à  le  décrire,  à  l'apprendre  par  cœur 
pour  ainsi  dire.  C'est  ainsi  que  fut  créé  le  signalement  des- 
criptif ou  «  portrait  parlé  w'^ 

ïuQ  portrait  parlé  estiadescription  minutieuse  et  méthodique 
de  l'extérieur  d'une  personne,  faite  au  moyen  d'un  vocabu- 
laire technique  spécial,  en  vue  de  sa  recherche  et  de  son  iden- 
tification sur  la  voie  publique. 

Les  notations  caractéristiques  s'inscrivent  sur  une  fiche  im- 
primée en  termes  convenus. 

Ce  signalement  est  destiné  à  être  appris  par  cœur,  et  il  peut, 
au  besoin,  se  transmettre  par  télégraphe,  sans  rien  perdre  de 
sa  rigueur. 

Les  caractères  physionomiques  sont  divisés  en  deux  grandes 
classes  :  chromatiques  et  morphologiques.  —  Les  premiers 
comprennent  la  couleur  des  cheveux,  de  la  barbe,  du  teint, 
et  surtout  les  nuances  si  variées  de  Tiris.  La  couleur  de  Tœil 
présente^  en  effet,  autant  de  fixité  chez  le  même  individu  que 
de  variabilité  d*un  individu  à.  un  autre.  —  Les  seconds  s'ap- 
pliquent aux  traits  du  visage  examinés  méthodiquement, 
entre  autres  à  la  description  de  l'oreille.  En  effet,  cette  partie 
du  corps  présente  une  telle  variété  de  configuration  qu'il 
parait  impossible  de  trouver  deux  oreilles  identiques  et  que, 
de  l'identité  de  cet  organe,  on  peut  conclure  à  l'identité  de 
l'individu.  Et  celte  particularité,  démontrée  par  l'expérience, 
est  d'autant  plus  utile  que,  pour  identifier  un  individu  sur  la 
voie  publique,  l'oreille  peut  être  examinée  à  loisir,  sans  attirer 
l'attention  du  sujet 


ss 


30  Les  clichés  ne  doivent  être  Tobjet  d'aucune  espèce  de  retouche,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  soit.  4®  Le  buste  seul  est  photographié  à  1/7  de 
la  grandeur  naturelle. 

"  Sur  le  portrait  parlé  :  Rev.  pénit.,  1899,  p.  1083  à  1087. 

"  Les  agents  des  brigades  de  recherche  ont  un  album  donnant  en  réduc- 
tion la  fiche  bertillonienne,  l'abrégé  du  portrait  parlé,  de  tous  les  individus 
recherchés  depuis  quinze  ans  pour  une  raison  quelconque.  Cet  album  est 
comme  un  dictionnaire  portatif,  facile  à  consulter.  On  l'appelle  D.  K.  V., 
parce  qu'il  donne  en  abrégé  les  caractères  distinclifs  du  nez  et  de  l'oreille. 


560         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

290.  L'exteQsioQ  internationale  du  système  anthropomé- 
trique  et  les  échanges  de  renseignements  qui  peuvent  être 
fournis  par  ce  procédé  entre  les  polices  et  les  justices  des  divers 
États,  serait  de  nature  à  diminuer  les  chances  d'impunités  et 
aiderait  particulièrement  à  la  répression  des  criminels  inter- 
nationaux. Actuellement,  le  système  d'identification  anthro- 
pométrique est  adopté  par  tous  les  États  de  TEurope,  à 
Texception  de  la  Turquie.  11  fonctionne  aux  États-Unis,  dans 
la  République  Argentine,  au  Japon.  Un  vœu  tendant  à  le 
rendre  international  a  été  adopté  au  congrès  pénitentiaire 
international  de  Paris,  de  1895  ".  Le  premier  moyen  d'y  par- 
venir serait  d'avoir,  dans  toutes  les  parties  du  globe,  une 
méthode  d'identification  unique,  telle  que  tout  agent  de 
police,  quelles  que  soient  sa  nationalité  et  sa  langue,  puisse 
user,  sans  autre  préparation  que  son  expérience  antérieure, 
de  la  fiche  étrangère  qui  lui  est  transmise,  ou  du  signalement 
que  le  télégraphe  lui  envoie.  Mais  un  obstacle,  qui  n'est  pas 
insurmontable,  s'y  est  opposé  jusqu'ici.  Les  modes  d'ideotili* 
cation,  adoptés  par  les  divers  États,  se  ramènent  à  trois  types: 
1*  le  système  des  fiches  bertilloniennes  (France,  Belgique, 
Suisse,  Russie,  Roumanie,  Mexique,  etc.);  2"*  le  système  des 
fiches  daclyloscopiques  Galton  (Indes,  Angleterre,  colonies 
anglaises,  Allemagne,  Autriche,  Egypte,  Portugal);  3*  le 
système  des  fiches  dactyloscopiques  Vucetich  (Amérique  du 

Sur  la  marge  de  ralbum,  oa  lit  les  syllabes  Deq  (d'équerre),  Car  (concave 
ou  n^ctiligiie),  Vp:x  (convexe),  Tkav  (traversé),  Se*»  (séparé).  Sa  (saillant). 
Voir  la  re[)roduction  d'une  demi-feuille  de  cet  album  dans  le  Précis  de  La- 
cassagne  (p.  181).  Lorsque  l'agent  a,  devant  lui,  un  individu  qui  dissimule 
son  identité  ou  qu'il  soupçonne  de  se  cacher,  il  relève,  sur  nature,  les  indi- 
cations signalétiques  très  apparentes,  puis  il  se  reporte  aux  notes  marginales 
combinées  et  arrive  bientôt  à  la  page  où  se  trouve  le  portrait  parlé  lorsque 
l'individu  suspect  figure  dans  l'album.  Si,  h  cette  page,  la  tiche  est  absente, 
Tarent  a  de  suite  la  preuve  qu*il  est  sur  une  fausse  piste. 

^*^  Actes  du  congrès  pénitentiaire  intern,  de  Rome  y  t.  1,  p.  689  et  s.  Voy. 
également  :  Actes  du  congrès  d'anthropologie  criminelle  de  Bi^xelles,  de 
1892,  p.  97  à  166,  246,  289,  443  à  448,  463,  481.  On  se  reportera  également 
à  la  communication  faite  au  congrès  de  l'Union  internationale  du  droit  pénal 
de  Lens,  en  1895  (Bull,  de  VUnion,  1896,  p.  102  à  108). 


DU  CLASSEMENT  DES  PREUVES.  561 

Sud,  ltalie)'\  Il  faudrait  les  ramener  à  Tunité,  par  une 
discussion  comparative  de  leurs  avantages  et  de  leurs  incon- 
vénients, et  créer  aussi  la  fiche  internationale  y  dont  la  qualité 
essentielle  devrait  être  la  simplicité 


98 


§  LU.  —  DU  CLASSEMENT  DES  PREUVES. 

291.  Première  classification  des  preuves.  Preuves  directes  ou  d'évidence.  Preuves 
indirectes  ou  de  raisonnement.  —  292.  De  lévidence,  soit  interne,  soit  externe.  — 
293.  Du  raisonnement  et  des  preuves  de  raisonnement.  —  294.  Groupement  des 
preuves.  Expf^riénce  personnelle  et  expertise.  Foi  au  témoignage.  Présomptions 
et  indices.  —  295.  Seconde  classification  des  (Preuves.  Preuve  générique.  Preuve 
spécifique.  —  296.  Quatre  catégories  de  preuves. 

291.  Tout  moyen  de  preuve  porte  sur  les  faits  du  procès*. 
Pcfur  connaître  ce  qui  s'est  passé,  le  juge  doit  recourir  aux 
divers  procédés  employés  pour  arriver  à  découvrir  la  vérité. 
11  est  des  faits  que  Ton  perçoit  directement  et  qui  sont  évi- 
dents. Il  en  est  d'autres  que  Ton  ne  peut  connaître  person- 
nellement et  directement.  De  cette  observation  dérive  une 
première  classification  des  moyens  de  preuve,  en  preuves  di- 
rectes ou  (Tévidence  et  preuves  indirectes  ou  de  raisonnement. 

292.  L'évidence  est  interne  ou  externe, 

1.  L'évidence  interne  ou  subjective  est  celle  qui  nous  aver- 
tit des  faits  qui  se  passent  en  nous.  C'est  la  base  de  toute  con- 
naissance, et  le  point  de  départ  des  opérations  que  l'esprit 
emploie  pour  arriver  à  la  découverte  de  la  vérité.  11  est  inutile 
de  nous  en  occuper  autrement  que  pour  constater  qu'elle  est 

*'  Dans  ce  dernier  type,  la  base  d'un  système  d'identificatron  est  une 
sorte  de  cartella  biografica  d'u  criminel.  Mais  il  est  certainement  très  com- 
pliqué. Voy.  S.  Ottolenghi,  La  nuova  cartella  biografica  dei  pregiudicati 
(Actes  de  la  société  romaine  d'anthropologie,  1905).  Comp.  Arch,  d'anthr. 
crim.,  1906,  p.  446  et  447. 

3«  Voy.  D*"  Edmond  Locard,  Les  services  actuels  d'identification  et  la 
fiche  internationale  (Arch,  d\inthr.  ciim.f  1906,  p.  145  à  206). 

8  LU.  *  Il  ne  saurait  être  question,  surtout  en  matière  pénale,  de  la  preuve 
du  droit.  Nullum  delictujn  sine  leye, 

G.  P.  P.  —  I.  36 


S62        PROCEDURB  PÂNALB.  —  DE  LA  PREUVB. 

aussi  nécessaire  à  la  certitude  judiciaire  qu'elle  Test  à  toute 
certitude  en  général. 

II.  L'évidence  externe  ou  objective  est  celle  qui  s'attache 
aux  faits  extérieurs  que  nous  percevons  par  Torgane  de  dos 
sens.  Elle  est  presque  aussi  sûre  que  Tévidence  interne.  Âiosi, 
la  vérité  des  circonstances  et  des  faits  que  le  juge  aura  vus  et 
entendus,  lui  sera  mieux  démontrée  que  si  ces  faits  et  cir- 
constances lui  étaient  mcdiatement  rapportés  par  un  tiers. 
L'expérience  personnelle  devient  ainsi,  dans  la  pratique  judi- 
ciaire, toutes  les  fois  qu'elle  est  possible,  un  excellent  moyen 
de  certitude.  C'est  pour  cela  que,  en  matière  criminelle 
particulièrement,  il  est  souvent  utile  que  le  juge  se  déplace 
lui-même  pour  aller  prendre  connaissance  des  faits  au  moyen 
d'une  descente  de  lieux.  Il  est  toutefois  certaines  données  que 
le  juge  ne  peut  apprécier  sans  l'aide  d'un  auxiliaire  plus  com- 
pétent que  lui.  «  Alors,  de  même  que  nous  nous  servons 
«  d'instruments  d'optique  pour  suppléer  à  l'imperfection  de 
«  Torgane  de  la  vue,  le  juge,  qui  ne  peut  avoir  de  connaissan- 
«  ces  encyclopédiques,  emprunte  à  la  science  de  précieux  auxi- 
«  liaires,  afin  d'obtenir  une  analyse  exacte  des  éléments  maté- 
«  riels  qu'il  a  sous  les  yeux'  ».  L'expertise  sert  ainsi  de  con- 
trôle et  de  complément  à  l'expérience  personnelle,  dont  on 
doit  la  rapprocher. 

293.  Mais  «  le  nombre  des  faits  qui  tombent  sous  la  per- 
«  ception  immédiate  de  chaque  individu  n*est  »,  suivant  ^ex- 
pression de  Bentham^  «  qu'une  goutte  d'eau  dans  le  vase, 
«  comparé  à  ceux  dont  il  ne  peut  être  informé  que  sur  le  rap- 
«  port  d'autrui  ».  Pour  ces  derniers,  la  preuve  n*est  pas  directe: 
elle  consiste  non  plus  dans  l'évidence,  mais  dans  un  travail  de 
raisonnement;  et  comme  le  raisonnement  est  double  {déduc- 
tion^ induction)^  la  méthode  de  découverte  de  la  vérité  est 
double,  selon  qu'elle  déduit  la  certitude  de  vérités  plus  géné- 
rales, ou  qu'elle  Viîiduit  de  vérités  particulières. 

'Bonnier,  op.  cit.,  n°  21. 

^  Preuves  judiciaires j  liv.  I,  chap.  vu. 


DU   CLASSEMENT   DES   PREUVES.  563 

Nous  pouvoQs,  par  voie  de  déduction^  tirer  d'un  fait  certain 
une  conséquence  logique  et  nécessaire.  C'est  un  procédé  usuel, 
:{uand  il  s'agit  d'interpréter  le  droit  et  de  rechercher  son  appli- 
cation aux  faits  de  la  cause.  Exceptionnellement,  la  déduction 
trouverait  sa  place  dans  un  procès  criminel,  s'il  y  avait  lieu, 
par  exemple,  de  procéder  à  des  opérations  de  calcul. 

Nous  pouvons  encore,  en  traduisant  sous  forme  de  règle- 
g:énérale,  les  résultats  de  plusieurs  expériences  particulières, 
employer  la  méthode  inductive.  Le  rapport  qui,  dans  Tinduc- 
lion,  rattache  le  fait  connu  au  fait  inconnu,  suppose,  suivant 
Tordre  des  faits  sur  lesquels  portent  nos  observations,  la  cons- 
tance, soit  des  lois  de  la  nature  physique,  soit  des  lois  de  la 
nature  morale.  Ainsi,  nous  avons  remarqué,  soit  par  l'exa- 
men de  notre  propre  conscience,  soit  parles  observations  que 
nous  ont  fournies  nos  semblables,  la  véracité  du  témoignage 
de  rhomme  :  nous  en  concluons  que  les  déclarations  faites 
par  l'homme  sont,  a  priori^  dignes  de  confiance.  C'est  donc, 
sur  une  induction  générale  que  repose  la  foi  au  témoignage. 
Et,  par  témoignage,  nous  entendons  toute  espèce  de  déclara- 
tion de  l'homme,  soit  orale,  soit  par  écrit,  relativement  à  des 
faits  passés.  C'est  encore  l'induction,  mais  sous  une  autre 
forme  plus  directe  et  plus  spéciale,  qui  nous  permettra  d'affir- 
mer, au  regard  des  circonstances  qui  ont  accompagné  le  fait 
incriminé,  la  réalité  de  cet  acte.  Dans  l'ordre  moral,  comme 
dans  l'ordre  physique,  il  peut  y  avoir  des  indices,  qu'on  a  qua- 
lifiés de  témoignages  muets,  par  opposition  à  la  déclaration 
de  l'homme.  La  foi  au  témoignage  n'est  plus  directement  en 
jeu  :  c'est  le  raisonnement  qui  intervient  et  qui  s'efforce,  en 
groupant  les  présomptions  ou  indices  de  la  cause,  de  recons- 
tituer le  fait  principal,  au  moyen  de  ses  manifestations  acces- 
soires, ou  de  conclure  à  la  culpabilité,  en  s' appuyant  sur  cer- 
taines observations  circonstantielles. 

294.  Ainsi  les  preuves,  susceptibles  d'être  recherchées  et 
produites  dans  un  procès  pénal,  peuvent  être  classées  sous 
trois  chefs  principaux. 

L  11  y  a,  d'abord,  V expérience  personnelle,  à  laquelle  se  rat- 


564         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

tachent  :  l''  rinspection  personnelle  du  juge;  2*  Vexpertise, 
avec  celle  réserve  que  ce  procédé  de  preuve  s'appuie  égale- 
ment, dans  une  certaine  mesure,  sur  notre  croyance  à  la  sin- 
cérité de  Texpert  et  à  la  solidité  de  ses  connaissances  spéciales. 

II.  11  y  a,  ensuite,  la  foi  au  iémoignage,  qui  s'analyse  ainsi  : 
l**  foi  aux  déclarations  destiers,  qu'elles  soient  orales  ou  écrites, 
d'où,  suivant  l'un  ou  l'autre  cas,  la  preuve  testimoniale  ou  la 
preuve  littérale;  2*"  foi  aux  déclarations  de  Tinculpé,  d'où  la 
preuve  par  Taveu;  3""  foi  aux  déclarations  du  demandeur. 
Dans  cette  catégorie  rentre  la  preuve  par  le  serment.  Mais  ce 
mode  de  preuve  répugne  à  la  solution  du  procès  pénal  ;  aussi 
est-il  étranger  à  la  procédure  criminelle. 

III.  Il  y  a,  enfin,  \e.% présomptions  ou  indices^  qui  se  subdi- 
visent, en  présomptions  simples  ou  de  Thomme,  librement 
appréciées  par  les  magistrats,  et  présomptions  légales,  dont 
les  effets  sont  fixés  par  la  loi. 

Telle  est  la  division  que  nous  suivrons  dans  l'exposé  des 
diverses  preuves. 

295.  11  s'agit  toujours^  pour  arriver  à  la  conviction  du 
juge,  d'établir  deux  ordres  de  faits  :  i"*  Irréalité  du  délit;  2"  h 
culpabilité  de  l'auteur  *.  De  cette  analyse,  résulte  une  seconde 
division  des  preuves,  en  preuves  génériques  et  en  preuves 
spécifiques.  Cette  distinction  correspond  au  double  élément 
de  l'infraction,  l'élétneîit  matériel  et  Vêlement  moral.  Dans 
toute  imputation,  eu  effet,  il  est  indispensable  d'établir  Texis- 
tence  du  fait  matériel  et  sa  qualification,  en  même  temps  que 
la  responsabilité  du  délinquant  par  rapport  aux  faits  qu'on 
lui  impute. 

*  Jo  ne  m'occupe  pas  du  point  de  vue  auquel  doit,  aujourd'hui^  se  placer 
le  juge,  pour  adapter  la  peine  à  la  mesure  du  danger  que  le  délinquant 
fait  courir  à  l'ordre  public.  La  tcmibilitc  résulte,  soit  des  éléments  de  fait 
du  délit,  dont  la  preuve  peut  être  rapportée  par  les  procédés  ordinaires,  soil 
d'éléments  extérieurs,  antécédents,  caractère,  hérédités,  etc.,  dont  la  recher- 
che et  la  constatation  ne  peuvent  être  laites  que  par  une  sorte  d'instruc- 
tion antérieure  ou  parallèle  à  TafTaire.  Voy.  suprà,  n^  275  et  suiv.,  et 
notes. 


DU   CLASSEMENT   DES   PREUVES.  565 

> 

I.  La  preuve  générique  sert  à  cooslater  le  fait  et  le  genre  du 
délit  :  elle  est  le  prélimiaaire  de  toute  poursuite,  quand  le 
délit  laisse  des  traces  matérielles,  sauf  à  recourir  à  des  équi- 
polleots,  quand  sa  réalité  ne  peut  être  directement  établie,  par 
la  production  même  du  corps  du  délit. 

L'ancienne  jurisprudence  criminelle  attachait,  avec  raison, 
une  grande  importance  à  rétablissement  de  la  preuve  généri- 
que. Elle  appelait,  délit  de  fait  permanent  {facli permanentis)^ 
le  délit  dont  il  reste  des  traces  matérielles,  comme  Thomicidc, 
Teffraction,  Tincendie;  et  délit  de  fait  passager  ou  transitoire 
{facti  transeuntis)^  celui  dont  il  ne  reste  aucune  trace  maté- 
rielle, comme  les  injures  verbales,  raduUère*.  Celte  division 
des  délits,  relative  à  la  procédure  quant  aux  moyens  de  prou- 
ver leur  existence,  n'a  plus  aujourd'hui  d'autre  importance 
que  celle  qui  résulte  de  la  nature  même  des  choses.  En  effet, 
dans  toute  instruction  criminelle,  s'il  importe  d'établir  l'exis- 
tence même  du  délit  qui  sert  de  base  à  la  poursuite,  cette 
preuve  ne  peut  être  ni  recherchée,  ni  rapportée  de  la  même 
manière,  quand  il  existe  un  corps  de  délits  c'est-à-dire  quand 
l'infraction  a  laissé  des  traces  matérielles:  dans  ce  cas,  la  véri- 
fication directe  et  préalable  s'impose.  Mais  s'il  s'agit  d'une  in- 
fraction qui  ne  laisse  pas  de  vestiges,  il  faut,  de  toute  nécessité, 
recourir  à  la  preuve  testimoniale,  pour  en  établir  rexislence.Ce 
serait,  du  reste,obéir  à  un  préjugé  assez  répandu  que  d'affirmer, 
en  Tabsence  de  vestiges  matériels,  qu'on  puisse,  même  dans 
le  premier  cas,  assurer  l'impunité  à  un  accusé  dont  la  culpa- 
bilité serait,  d'autre  part,  établie  par  des  témoignages  directs. 
La  loi  française  ne  subordonne  pas  la  poursuite  à  la  repré- 
sentation ou  à  la  constatation  matérielle  du  corps  du  délit.  Il 
suffirait,  en  efTet^  à  l'inculpé,  de  faire  disparaître  le  corps  du 
délit,  pour  échapper  à  toute  pénalité*.  Ce  qui  est  vrai,  c'est 

•  Voy.  notamment  :  Jousse,  op.  ciLt  t.  1,  p.  9,  n*  11  ;  t.  2,  p.  19  et  suiv. 

^  Mais  la  preuve  devient,  dans  ce  cas,  plus  difficile.  C'est  ce  qui  explique 
les  nombreux  cas  de  dépeçage  criminel  dont  la  police  et  la  justice  ont  eu  à 
s'occuper.  Voy.  Lacassagne,  Du  dépeçage  criminel  (Arch,  de  l^Anthr.  crim.^ 
1888,  p.  229-255),  et  surtout  son  Précis  de  médecine  légale  (Paris,  Masson, 
1906),  p.  448  à  450.  Lacassagne  distingue,  avec  le  professeur  Mina-Bodri- 


566        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

qu'on  doit  s'appliquer,  avec  le  plus  grand  soio,  à  rechercher  les 
traces  du  délit,  toutes  les  fois  que  cette  opération  est  possible. 
II.  La  preuve  spécifique  est  nécessaire  pour  obtenir  la  con- 
viction que  rinculpé  est  Fauteur  du  fait  [imputabilitê)  et  qu'il 
en  est  responsable  [culpabilité).  Tous  les  modes  de  preuves, 
employés  dans  ces  divers  buts,  peuvent  être  sériés  en  quatre 
catégories  :  la  preuve  testimoniale  (témoins);  la  preuve  vocale 
(aveu);  la  preuve  instrumentale  (écrits);  la  preuve  conjectu- 
rale (présomptions  et  indices).  Pour  arriver  à  rassembler  et  à 
administrer  ces  divers  modes  de  preuves,  l'autorité  pénale  doit 
se  livrer  à  diverses  opérations.  Les  principales  sont  :  les  inter- 
rogatoires^ les  enquêtes,  les  procès-verbaux,  les  cotistatatiom 
matérielles^  les  expertises.,.^  etc.,  dont  la  loi  a  réglé  Informe, 
mais  non  la  force  probante.  Ces  divers  modes  de  preuve  sont 
la  mise  en  œuvre  des  procédés  mêmes  dont  se  sert  rintelligence 
dans  la  recherche  de  la  vérité. 

gués,  «  un  dépeçage  offensif  ou  passionnel  (ce  sont  les  dépeçages  j  rovoqués 
par  la  colère,  ou  nés  de  la  haine,  de  la  folie,  de  Tamour)  et  un  dépeçage  défen- 
êif  (c'est  celui  que  suscite  la  peur,  la  crainte  de  rexpiation,rafTolement  devant 
un  cadavre  embarrassant).  Dans  les  deux  tiers  des  cas,  il  y  a  un  seul  dépe- 
ceur.  S'il  y  en  a  plusieurs,  c'est  un  drame  de  famille  (aff.  Vitalis  à  Marseille; 
Bamas  dans  TArdèche  ;  Monlerotondo  à  Rome).  Quand  une  femme  y  prend 
part,  c'est  un  crime  causé  par  l'adultère.  Souvent,  c'est  un  assassinat  avec 
vol.  Lorsque  le  dépeçage  est  d'origine  sexuelle,  il  y  a  manifestation  de 
sadisme  (Vacher),  de  nécrosadisme  (le  sergent  Bertrand  ;  le  vampire  de 
Muy...).  Presque  toujours  les  dépeceurs  opérant  seuls  sont  des  hommes. 
Parmi  les  victimes,  il  y  a  plus  de  femmes  que  d'hommes...  ».  Sur  l'expertise, 
dans  ce  cas,  voy.  également  Lacassagne,  op.  et  loc.  cit. 


CHAPITRE  II 


DE  l'expérience   PERSONNELLE. 


§  LUI.  -  DU  ROLE  DE  L'EXPÉRIENCE  PERSONNELLE  DU  JUGE 

GOMME  MOTEN  DE  CONVICTION. 

296.  Le  jage  peut  avoir  acquis  la  connaissance  personnelle  des  faits  du  procès, 
soit  dans  ses  fonctions,  soit  en  dehors  de  ses  fonctions.  —  297.  De  la  connais* 
sance  acquise  par  le  juge  en  dehors  de  ses  fonctions.  Pourquoi  le  juge  ne  peut 
eo  tenir  compte.  Des  conséquences  qui  en  résultent.  Déport  du  juge.  —  298.  Du 
juge  témoin.  Comparaison  entre  le  jury  anglais  et  le  jury  français.  De  la  néces- 
sité pour  le  juge  moderne  de  connaître  la  vie  de  Tagent,  ses  antécédents,  son  mi- 
lieu. Carte  biographique.  —  299.  Le  juge  peut  acquérir  la  connaissance  des  faits 
dans  Texercice  de  ses  fonctions. 

296.  Le  juge  peut  avoir  acquis  la  connaissance  personnelle 
et  directe  des  faits  du  procès,  soit  en  dehors  de  ses  fonctions ^ 
soit  dans  Vexercice  même  de  ses  fonctions, 

297.  Au  premier  cas,  il  ne  lui  est  pas  permis  de  tenir 
compte  de  ce  qu'il  sait  personnellement,  de  ce  qu'il  a  même 
TU  ou  entendu.  Il  a  pu  être  témoin  comme  homme  des  événe- 
ments qu'il  est  appelé  à  apprécier  comme  juge,  et  bien  que  le 
premier  rôle  puisse  laider  à  remplir  le  second,  il  y  a  incom- 
patibilité légale  cotre  ces  deux  qualités,  car,  s'il  en  était  autre- 
ment, son  témoignage  comme  témoin  et  son  appréciation 
comme  juge  échapperaient  à  la  discussion  publique  et  contra- 
dictoire qui  est  Tunique  moyen  d'en  contrôler  l'exactitude  et 
d'en  6xer  et  limiter  la  portée.  Cette  règle  est  très  ancienne  \ 

§  LUI.  *  Voy.  Bonnier,  o'ç.  cit.,  t.  1,  n»  101  :  «  Les  plus  grandes  autorités 
reconnaissent  que,  même  dans  le  for  intérieur,  le  juge  est  tenu  de  rendre  sa 


568         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PRECTB. 

Elle  avait  trouvé  place  dans  une  ordonnance  de  Montils-les- 
TourSjd'avriJ  1  i33,oii  il  est  prescrit  aux  juges  art.  123)  déjuger 
certainement  et  selon  les  choses  alléguées  et  prouvées  par  devant 
eux  par  les  parties.  Et,  bien  qu'elle  ne  se  trouve  expressément 
et  directement  coosacrée  par  aucun  texte  de  nos  lois  positives, 
elle  domine  la  procédure  civile' comme  la  procédure  pénale. 

En  règle  générale,  le  juge  ne  pouvantjamais  se  décider  que 
d'après  les  résultats  de  l'instruction  et  non  d*après  la  connais- 
sance personnelle  qu'il  a  de  l'affaire,  il  en  résulte  qu'il  ne  doit 
pas  puiser  sa  conviction,  soit  dans  son  expérience  personnelle 
comme  témoin  des  faits,  soit  dans  le  résultat  d'une  inspection 
officieuse  des  lieux  contentieux  qu'il  aurait  accomplie  lui- 
même. 

Cette  formule  générale  a  été  appliquée,  par  la  jurisprudence 
criminelle,  dans  une  série  de  corollaires,  spéciaux  au  moyen 
de  preuve  tirée  de  Texpérience  personnelle. 

Nous  citons  les  principaux  :  l*"  Tout  jugement,  qui  admet 
ou  repousse  un  moyen  d'accusation  ou  de  défense,  en  se  ba- 
sant sur  la  connaissance  personnelle  acquise  par  les  juges  du 
fait  en  dehors  du  procès,  doit  être  annulé  comme  contraire 
aux  principes  de  la  contradiction  des  débats  ^  2*"  Les  juges  ne 

df^cision,  non  d'après  ce  qu'il  sait  comme  homme,  mais  d'après  ce  qu'il  a 
appris  comme  juge  ».  Et  Bonnier  cite  un  texte  de  saint  Thomas  d'Aquin  qui 
donne  les  motifs  philosophiques  de  cette  règle  :  «  Quiim  judicium  ctd  judicei 
spectcty  non  seciindum  privatam^  sed  secundum  publicam potestatem  oportet 
eoê  judicare,  nec  secundum  veritatem,  quam  ipsi  ut  personœ  privais 
noveruntj  ned  secundum  quod  ipsis  ut  personis  pubUcis,per  leges^per  tesUij 
per  instrumenta  et  per  allegata  et  probata,  res  innotuit  ».  Et  Jousse,  Traité 
de  la  justice  criminelle  ^  t.  2,  p.  581  :  a  La  quatrième  règle  nécessaire  au 
juge,  est  qu'il  doit  rendre  son  jugement,  suivant  les  preuves  qui  sont  au 
procès;  ce  qui  s'appelle  juger  secundum  allegataet  probata^  et  non  suivant 
la  connaissance  particulière  qu'il  peut  avoir  par  lui-même  des  faits  ». 

2  Cette  règle  a  été  souvent  visée  par  la  jurisprudence  civile  :  Cass.,  21  janv. 
1881  (S.  81.  1.  192)  ;  2  mars  1886  (S.  86.  1.  204)  ;  26  juill.  1887  (S.  90.  I. 
175);  20  nov.  1889  (S.  90.  1.  7).  Voy.  cependant  Ci v.  rej.,  24  janv.  1893  (D. 
93.  1.  166). 

^  .lurispruilence  constante.  Voy.  notamment  :  Cass.,  13juill.et  4  août  1893 
(S.  93.  1.  536);  2  juill.  1896  et  28  janv.  1897  (S.  98.  1.  199).  Conf.  Cass., 
15  dëc.  1881  (S.  84.  1.  139).  f 


DE   l'bXPÉRIENCE   DU   JUQB    COMME   MOYEN    DE   CONVICTION.      569 

peuvent  former  leur  convictioa  ni  motiver  leur  décision  sur 
le  résultat  de  leurs  investigations  personnelles,  poursuivies  en 
dehors  de  Taudience  et  en  Tabsence  des  parties*.  3**  Leur  ju- 
gement doit  être  également  annulé,  lorsqu'il  ne  trouve  sa  base 
que  dans  une  preuve  annulée  :  cet  élément  de  conviction  dis- 
paraissant, la  conviction  du  juge  n'a  pu  se  former  que  sur  des 
renseignements  pris  en  dehors  de  l'audience  et  qui  n'ont  pas 
fait  l'objet  d'un  débat  contradicloire*.  4*  En  aucun  cas,  il  n'est 
permis  au  juge  d'infirmer  les  énonciations  d'un  procès-verbal 
faisant  foi  jusqu'à  preuve  contraire,  à  raison  de  la  connais- 
sance personnelle  des  faits,  s'il  a  puisé  cette  connaissance  en 
dehors  des  preuves  contraires  fournies  par  les  débats*. 

Et  comme  il  est  au-dessus  des  forces  et  de  la  volonté  du 
juge  de  faire  abstraction  de  ses  propres  souvenirs  et,  en  quel- 
que sorte,  de  se  dédoubler,  le  moyen  le  plus  sûr,  pour  lui  et  les 
autres,  de  se  conformera  cette  obligation,  de  ne  puiser  sa  con- 
viction que  dans  dessourceslégalementproduitesetexaminées, 
c'est  encore  de  se  récuser.  La  voie  que  j'indique  est  tracée, 
du  reste,  par  l'article  257  du  Code  d'instruction  criminelle, 
qui  défend,  au  juge  d'instruction  et  aux  conseillers  qui  ont 
voté  la  mise  en  accusation,  de  siéger  à  la  cour  d'assises.  La 
loi  du  8  décembre  1897  (art.  1")  a  étendu  cette  disposition  au 
juge  d'instruction  «  qui  ne  peut  concourir  au  jugement  des 
affaires  qu'il  a  instruites  ».  C'estainsi  encore  que  l'article  392 
du  même  Gode  ne  permet  pas,  à  celui  qui  a  été  officier  de 
police  judiciaire,  témoin^  expert  ou  partie,  de  remplir  les 
fonctions  de  juré,  à  peine  de  nullité.  Par  cet  ensemble  de 
dispositions,  la  loi  veut  sauvegarder  les  parties  contre  toute 
impression  puisée  par  le  juge  en  dehors  des  débats  et,  par 
conséquent,  contre  les  illusions  d'une  expérience  personnelle 


♦  Voy.  Cmss.,  27  mars  1905  (motifs)  (S.  1905.  1.  268). 

"  Voy.  notamment  l'arrêt  précité  de  la  Chambre  criminelle  de  la  Cour  de 
cassation  du  2  juill.  1896. 

*  Jurisprudence  constante.  Voy.  notamment  :  Cass.,  28  mars  1862  (D.  66. 
5.  259);  28  janv.  1859  (D.  60.  5.  378;.  Voy.  au  surplus  Code  (Vinstr.  crim. 
annoté  de  Dalloz,  art.  154,  n""321  et  suiv. 


570        PROCÉDURE  PÉNALB.  — DE  LA  PREUVE. 

acquise  par  l'homme,  qui  imprimerait  sur  [*esprit  du  ju^e* 
UD  préjugé  quelconque. 

Dans  un  cas  cependant,  il  y  aurait  lieu,  pour  le  ju^e,  de  faire 
appel  à  ses  souvenirs  personnels  :  c*est  quand  il  s*agit  de 
reconnaître  Tidentilé  d'un  individu  par  lui  condamné,  évadé 
et  repris  (C.  instr.  crim.,  art.  318)'.  Dans  un  autre  cas,  s'il 
s'agit  d*un  délit  qui  a  lieu  à  l'audience,  ie  juge  n*est  pas  tenu, 
malgré  le  teite  de  l'article  181  du  Gode  d*instruction  crimi- 
nelle, «  d'entendre  des  témoins  »,  lorsque,  par  suite  de  ses 
constatations  personnelles^  il  estime  inutile  de  recourir  à  la 
preuve  testimoniale  pour  former  sa  conviction'. 

298.  Est-il  ra^tionnel  d'obliger  le  juge  à  se  dégager  des 
impressions  personnelles  qu'il  a  pu  acquérir,  en  dehors  des 
débats,  par  sa  propre  expérience,  et  de  le  considérer,  comme 
d'autant  meilleur  appréciateur  du  procès,  qu'il  est  resté  plus 
étranger  aux  faits  qui  y  ont  donné  lieu  et  à  l'accusé  qui  en  est 
l'auteur?  En  Angleterre  et  dans  les  pays  anglo-saxons,  il  n'y 
a  aucune  incompatibilité  entre  le  rôle  de  juré  et  celui  de 
témoin.  Un  témoin  peut  iètre  juré.  Gela  tient;  a-t-on  dit,  à  l'ori- 
gine du  jury  anglais.  On  désirait,  dans  le  principe,  que  les 
jurés  eussent  personnellement  connaissance  des  faits  du  pro- 
cès. Aussi  les  prenait-on  parmi  les  voisins  de  l'accusé,  parmi 
ceux  qui  avaient  été  mêlés  à  sa  vie  et  qui  pouvaient  avoir  été 
témoins  des  faits  qui  lui  étaient  reprochés.  Le  jury,  c'était  la 
preuve  par  le  pays.  Les  jurés  avaient,  en  réalité,  le  caractère 
de  témoins  de  moralité.  Dans  un  passage  de  l'histoire  de  U 
Loi  commune  de  Reeves,  traduit  par  Gherbulier*,  cette  trans- 

'  Le  droit  de  statuer  sur  Tidentilé  appartient  en  efîel  à  la  juridiction  qui 
a  prononcé  la  condamnation  (C.  instr.  crim.,  art.  518).  «  C'est,  disait  l'ora- 
teur du  Gouvernement,  dans  Texposé  des  motifs,  devant  le  tribunal  qui  a 
prononcé  la  condamnation,  que  l'identité  sera  discutée.  Nul  autre  ne  pourrait 
puiser  dans  son  propre  sein  autant  de  lumières  et  de  moyens  de  discerner 
la  vérité  ».  Locré,  t  27,  p.  200. 

■  Voy.  D.  J.  G.,  vo  Témoin^  n«  197.  Sic,  Cour  super,  de  Luxembourg, 
20  février  1899  (D.  1901.  2.  125). 

•  Du  jury  envisage  comme  garantie  politique  (Rev.  Wolowski^XLly  p.  289, 
XLII,  p.  293).  Sur  ces  origines  obscures  du  jury  anglais  :  Miltermaier,  Traité 


l'expérience  du  juge  comme  moyen  de  conviction.    571 

mation  de  témoins  de  moralité  en  juges  de  la  culpabilité 
parfaitement  indiquée  :  «  le  jury,  tel  qu'il  existait  dans 
^origine,  différait  essentiellement  de  ce  qu'il  est  aujourd'hui. 
Uijourd^hui,  les  jurés  sont  juges  suprêmes  des  procès;  ils 
codent  leurs  convictions  sur  des  preuves  orales  ou  écrites, 
produites  devant  eux,  et  leur  verdict  est,  en  fait,  un  véri- 
ablc  jugement.  Les  anciens  jurés,  au  contraire,  n'étaient 
las  appelés  à  apprécier  les  faits  de  la  cause  comme  magis- 
rats  :  ces  faits  n'étaient  pas  même  débattus  devant  eux. 
[Is  n'étaient  que  témoins,  et  le  verdict  n'offrait  que  le  ré- 
;ultat  de  leur  témoignage,  régulièrement,  mais  exclusive- 
ment invoqué  pour  constater  les  faits  litigieux.  Ainsi,  un 
ugement  au  moyen  du  jury  n'était,  à  vrai  dire,  qu'une 
enquête;  les  jurés  n'étaient  distingués  des  autres  témoins 
[ue  par  le  serment  qu'ils  devaient  prêter,  par  leur  nombre 
imité,  par  le  rang  que  la  loi  leur  assignait,  par  la  qualité 
le  tenanciers  dans  les  divers  degrés  de  la  hiérarchie  territo- 
riale, et  par  l'influence  qui  en  résultait  ». 
Le  mouvement  scientifique  contemporain  a  transformé  les 
nditions  du  droit  de  punir.  Le  juge  ne  se  prononce  pas  seu- 
iientsur  les  faits  du  procès  et  sur  la  culpabilité  de  Taccusé. 
)  lui  demande  d'adapter  le  châtiment  à  l'individualité  du 
linquant.  Cette  mission,  comment  la  remplirait-il,  s'il  n'a 
lutres  éléments  d'appréciation  que  ceux  que  lui  fournissent 
>  débats  nécessairement  superficiels  de  l'audience?  Pour  le 
îttre  en  mesure  de  juger  Vagent  plutôt  que  Vacte^  on  a  pu 
ager,  tout  d'abord,  à  le  choisir  le  plus  près  possible  du  cri- 
ihel,  parmi  les  gens  de  sa  race,  de  son  pays  et  de  son  milieu. 
Le  juge  idéal,  écrit  Prins**^,  n'est-ce  pas  le  juge,  à  la  fois  pri- 
mitif et  actuel,  le  père  ou  le  chef  de  famille  qui  vit  au  milieu 
les  siens  et  les  suit  pas  à  pas,  qui  scrute  les  mobiles  de  leur 
:onduite,  étudie  leur  nature,  leur  tempérament,  leurs  ins- 
incts  et  qui,  connaissant  leurs  qualités  et  leurs  défauts 

la  preuve  dans  rinstr.  crim,  allemande  comparée  avee  la  procédure  cri- 

lelle  française,  p.  419. 

*  Science  pénale  et  droit  positifs  préface,  p.  XLVII. 


572      •   PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DR  LA  PREUVS. 

«  moraux  et  physiques,  peut,  d*uQe  façoQ  réfléchie,  suifant 
'<  les  cas,  arrêter  ou  corriger,  donner  une  éducation  réforma- 
«  trice  au\  dociles,  punir  et  essayer  de  dompter  les  rebelles, 
«  soigner  les  malades,  prendre  les  précautions  et  les  mesures 
«  de  préservation  que  réclament  les  inadaptables?  La  légis- 
'<  lation  répressive  aura  beau  faire,  elle  devra  toujours  remoD- 
tt  ter  i  ces  règles  de  bon  sens,  à  cette  source  de  justice  prati- 
«  que  et  rationnelle  ». 

Ce  retour  à  une  justice  élémentaire  et  familiale  est  un  beau 
rêve,  mais  n'est  qu'un  rêve.  La  plupart  des  criminels  sont 
des  «  déracinés  ».  Comment  les  faire  juger  dans  leur  milieu 
et  par  leur  milieu?  Ceux  qui  les  connaissent  le  mieux  ne  sont 
certainement  pas  aptes  à  les  juger?  Ce  sont  leurs  m  sembla- 
bles ».  Mais  on  peut  donner  satisfaction  à  cette  nécessité  de 
constituer  une  justice  répressive,  moins  impersonnelle  et 
moins  abstraite  que  la  justice  actuelle,  par  la  création  d*uDe 
Cartella  biografica^^  du  criminel,  carte  qui  sera  non  seule- 
ment la  base  de  la  surveillance  policière  des  classes  dange- 
reuses, mais  qui  servira  d'élément  indispensable  à  Tinstroc- 
tion  et  au  jugement  des  récidivistes.  Les  investigations  sur  la 
personnalité  du  criminel  pourront  être  faites  dans  une  di- 
rection scientifique,  dès  que  celui-ci  tombera,  par  son  premier 
délit,  dans  le  cercle  d'action  de  la  police  judiciaire.  Mais  la 
production,  dans  les  procès  ultérieurs,  de  cette  pièce  d'iden- 
tité, devra  être  soumise  à  la  discussion  libre  et  contradictoire 
des  débats.  Il  importe,  en  effet,  dans  le  but  d'assurer  la  dé- 
fense sociale,  de  ne  rien  sacrifier  des  principes  du  droit 
public  moderne,  de  garantir,  avant  tout,  la  liberté  indhi- 
duelle,  et  de  ne  pas  créer  une  classe  de  suspects^*, 

"  Voy.  supràf  n®  200,  note  37.  Corap.  Locard,  VP  Congrès  cf anthropo- 
logie criminelle,  Turin,  1906,  p.  28. 

^'^  M.  Garçon,  dans  une  préface  blux  Éléments  de  médecine  mentale,  appli- 
quas à  Te'tude  du  Droit,  du  D*"  Legrain  (Paris,  Rousseau,  1906),  n'ndmetces 
investigations  judiciaires  sur  la  personnalité  du  criminel  «  que  dans  un  but 
purement  scientifique,  et  non  par  des  inspecteurs  de  la  sûreté  ou  par  des 
gendarmes  et  comme  simple  mesure  de  police  ».  Je  suis  d'accord  avec  lui 
pour  confier  ces  prises  de  renseignements  scientifiques  à  la  police  judiciaire 
à  Toccasion  d'un  délit  reproché.  Mais,  dans  ces  conditions,  et  avec  la  possi- 


TRANSPORT   SUR   LES    LIEUX    DANS   PROCÉDURE    PREALABLE.       S73 

299.  Le  juge  peut  acquérir  la  conoaissance  personuelle 
et  directe  des  faits,  dans  Texercice  de  ses  fonctions  et  comme 
juge,  par  une  visite  des  lieux  et  une  constatation  du  corps  du 
délit. 

Ces  opérations  sont  exécutées,  soit  dans  la  phase  prépara- 
toire, par  le  juge  d'instruction  et  les  officiers  de  police  judi- 
ciaire, soit  dans  la  phase  définitive^  par  le  tribunal  ou  un  de 
ses  membres  délégués. 

Quelquefois  pratiqué  en  matière  civile,  le  transport  sur  les 
lieux  est  une  opération  courante  en  matière  criminelle.  En 
effet,  rinspection  des  lieux  peut  seule,  dans  la  plupart  des 
circonstances,  apporter  la  conviction,  mettre  sous  la  main  de 
justice  le  corps  du  délit,  ou  procurer  lâT  preuve  circonstan- 
fielle  des  faits  imputés'\ 

§  LI7.  —  DU  TRANSPORT  SUR  LES  LIEUX  DANS 
LA  PROCÉDURE  PRÉALABLE 

300.  Du  tranâport  sur  les  lieux  dans  la  procédure  préalab'e.  Division.  —  301.  Fia- 
grant  délit  et  cas  assimilés.  Concours  d'attributions  entre  le  procureur  de  la  Ré- 
publique, ses  auxiliaires  et  le  juge  d'instruction.  —  302.  Quand  il  y  a  flagrant 
délit.  Procédure  commune  au  procureur  de  la  République  et  au  juge  d'instruc- 
tion. En  cas  de  concours  dans  les  cas  ordinaires,  c'est  au  juge  d'instruction  à 
ordonner  et  exécuter  un  transport.  —  303.  De  la  présence  de  l'inculpé  et  de  celle 
de  la  partie  civile. —  304.  Projets  da  réforme  restés  en  roule.  —  305.  Opérations 
do  transport.  —  306.  Des  précautions  qui  doivent  être  prises  pour  garantir  la  con- 
statation, la  conservation  et  Tidentité  du  corps  du  délit.  —  307.  Combinaison  des 
prescriptions  du  Code  d'instruction  criminelle  et  de  celles  de  la  loi  du  8  décembre 
1897. 

300.  Dans  la  procédure  préalable,  un  transport  sur  les  lieux 

bilité  de  discuter  les  éléments  de  la  carte  biographique,  je  ne  vois  pas  qui 
pourrait  plus  utilement  les  recueillir  et  les  coordonner  qu'une  police  scien- 
tifique bien  organisée. 

"  On  consultera,  sur  la  pratique  de  l'opération,  deux  ouvrages  de  nature 
différente  :  Hanns  Gross,  Manuel  d* instruction  judiciaire,  liv.  IV,  t.  T, 
cliap.  m,  Inspection  des  lieux,  p.  i48  à  178;  G.  Abadie,  Guide  pratique 
des  magistrats  en  transport  criminel  (Marchai  et  Billard,  1894).  Ce  dernier 
manuel  n'est  pas  un  traité  sur  rinslruction,  c'est  un  examen  juridique  et 
pratique  du  rôle  qu'ont  à  remplir  ceux  qui  sont  appelés  à  instruire  sur  les 
lieux  les  affaires  les  plus  graves.  Dans  des  limites  restreintes,  ce  travail 
constitue  un  excellent  guide  pour  les  magistrats  instrucieurs. 


574  PROCÉDURE  PÉNALE.  DE   LA  PREUVE. 

peut  être  nécessaire  ou  simplemeot  utile,  soit  eo  cas  de  fla- 
grant délity  soit  dans  les  cas  ordinaires. 

301.  C'est  surtout  en  cas  de  flagrant  délit  qu'un  trans- 
port immédiat  peut  servir  à  6xer  les  traces  matérielles  et  à 
situer  Tafi'aire  dans  son  milieu.  Aussi  le  Code  d'instruction 
criminelle  (art.  32)  prescrit  au  procureur  de  la  République 
ou  à  ses  auxiliaires'  de  se  transporter,  dans  ce  cas,  sur  les 
lieux,  «  sans  aucun  retard,  pour  y  dresser  les  procès-Terbaux 
«  nécessaires  à  Tefiet  de  constater  le  corps  du  délit,  son  état, 
«  l'état  des  lieux,  et  pour  recevoir  les  déclarations  des  per- 
«  sonnes  qui  auraient  été  présentes,  ou  qui  auraient  des  ren- 
«  seignements  à  donner  ». 

A  lire  ce  texte,  il  semble,  en  cas  de  flagrant  délit,  que  le 
transport  soit  obligatoire.  Mais,  malgré  les  termes  impératifs 
de  Tarticle  32,  le  procureur  de  la  République  ne  se  trans- 
portera sur  les  lieux  que  quand  il  jugera  cette  opération  né- 
cessaire '. 

Par  dérogation  aux  règles  ordinaires,  le  juge  d'instructioa 
peut,  dans  la  matière  du  flagrant  délit,  faire  acte  d'instruc- 
tion sans  attendre  d'être  saisi  par  le  procureur  de  la  Républi- 
que (C.  instr.  crim.,  art.  59).  Son  droit  et  son  devoir  de  se 
transporter  sur  les  lieux,  sont  donc  hors  de  toute  contestation. 
En  résumé,  en  cas  de  flagrant  délit  et  dans  les  cas  assimilés, 
il  y  a  concours  d'attributions,  pour  eflectuer  un  transport  sur 
les  lieux,  entre  le  procureur  de  la  République,  ses  auxiliaires 
et  le  juge  d'instruction. 

302.  Trois  questions  doivent  être  examinées  :  1^  Dans 
quels  cas  le  flagrant  délit  donne-t-il  au  procureur  de  la  Répu- 
blique^ à  ses  auxiliaires,  au  juge  d'instruction  agissant  sans 

§  LIV.  *  Notamment  aux  officiers  de  gendarmerie  (art.  111  et  130  du  dé- 
cret du  20  mai  {^i)2  portant  règlement  sur  l'organisation  et  le  service  de 
la  gendarmerie), 

2  La  Chancellerie  reconmiande  de  ne  recourir  aux  transports  qu'en  cas  de 
nécessité,  afin  d'éviter  des  déplacements  sans  objet  et  des  dépenses  inutiles 
(CircChanc,  14  août  1842,  §  6:  23  févr.  1887). 


TRANSPORT  SUR  LBS  LIEUX  DANS  PROCÉDURE  PRÉALABLE.   S75 

être  saisi,  le  droit  de  se  transporter  sur  les  lieux?  2°  Les  règles 
de  ce  transport  sont-elles  identiques  pour  le  procureur  de  la 
République  et  le  juge  d'instruction?  3**  Que  se  passera-t-il, 
en  cas  de  concours,  sur  les  lieux,  des  divers  magistrats  qui  ont 
compétence  pour  se  saisir? 

a)  C'est  seulement  au  cas  où  le  fait  est  «  de  nature  à  entraî- 
ner une  peine  afflictive  et  infamante  »,  que  s'applique  l'arti- 
cle 32.  Mais  le  procureur  de  la  République  et  ses  auxiliaires 
sont  autorisés  à  agir,  comme  s'il  y  avait  crime  flagrant,  quand 
les  circonstances  de  fait  spnt  telles  qu'il  y  a  doute  sur  le  ca- 
ractère de  la  peine  applicable'.  La  tentative  de  crime  esit, 
à  ce  point  de  vue,  assimilée  au  crime  mcme\  Mais  faut-il 
aller  plus  loin  et  donner  au  procureur  de  la  République  et  à 
ses  auxiliaires,  les  juges  de  paix  et  les  commissaires  de  police, 
le  droit  de  constater,  par  un  transport  sur  les  lieux,  un  délit 
correctionnel  flagrant?  J'ai  toujours  pensé  que  la  loi  du 
20  mai  1863  avait  implicitement  étendu  les  attributions  excep- 
tionnelles du  procureur  de  la  République*. 

b)  Le  procureur  de  la  République  n'est  pas  touché  par  la 
loi  du  8  décembre  1897  dans  son  rôle  d'officier  de  police 
judiciaire.  Lorsque  le  juge  d'instruction  se  transporte  sur 
les  lieux  en  cas  de  flagrant  délit,  c'est-à-dire  sans  être  requis, 
il  peut  procéder  à  un  interrogatoire  immédiat  et  à  des  con- 
frontations. Il  n'a  pas  à  se  conformer  aux  dispositions  de  la 
loi  du  8  décembre  1897  (art.  7).  A  cet  égard,  la  liberté  des 
deux  magistrats  reste  la  même. 

Le  procureur  de  la  République  doit  donner  avis  de  son 
transport  au  juge  d'instruction;  mais  il  n*est  pas  obligé  de 
l'attendre.  11  a  le  droit  de  se  faire  accompagner  par  le  greffier 
ou  par  un  commis-greffler  du  tribunal.  Il  faut  décider  que  la 
même  formalité  est  prescrite  au  juge  d'instruction,  agissant, 
en  cas  de  flagrant  délit,  à  litre  d'officier  de  police  judiciaire. 

'  Sic,  Riom,  11  mai  1853  (D.  55.  2.  348). 

*  Voy.  Limoges,  18  février  1888  (D.  89.  2.  144)  et  la  note. 

^  Je  discuterai  la  question  à  propos  des  attributions  exceptionnelles  du 
procureur  de  la  République.  Mais  voy.  en  sens  contraire  :  D.  J.  G.  supplé- 
ment, v«  Procédure  criminelle,  n®  495;  Abadie,  op.  ciU,  p.  7,  note  1. 


576         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DR  Là  PREUVE. 

c,  Ce  concours  d'attributions  entre  le  procureur  de  la  Répu- 
blique, ses  officiers  auxiliaires  et  le  juge  d'instruction,  qui  est 
la  conséquence  du  flagrant  délit,  amène  parfois  plusieurs 
magistrats  sur  les  lieux  du  crime.  Qui  doit  alors  se  saisir  de 
rafraire?Si  le  concours  s*établit  entre  les  officiers  auxiliaires, 
juge  de  paix,  maire,  commissaire  de  police,  officiers  de  geo- 
darmerie,  c'est  le  premier  arrivé.  S'il  se  produit  entre  Tod 
de  ces  derniers  et  le  procureur  de  la  République,  c'est  le  chef 
de  la  police  judiciaire  dans  Tarrondissement  qui  poursuit 
rinstruclion.  Si  le  juge  d'instruction  est  sur  les  lieux,  c'est  lui 
qui  prend  alors  la  direction  de  l'information  et  qui  fait  pro- 
céder, sous  sa  responsabilité,  aux  premiers  actes  de  Finstruc- 
tion*. 

303.  En  dehors  du  cas  de  crime  flagrant,  le  transport  sur 
les  lieux  est  une  opération  régulière  mais  facultative  de  Tin- 
formation.  C'est  au  juge  d'instruction  à  l'ordonner  et  à  Texé- 
cuter',  accompagné  du  procureur  de  la  République  et  d'uD 
greffier  (C.  instr.  crim.,  art.  62).  Évidemment,  il  ne  saurait 
dépendre  du  procureur  de  la  République,  en  refusant  de  s'as- 
socier aux  actes  de  l'instruction,  pour  lesquels  son  assistance 
est  prescrite,  de  paralyser  les  pouvoirs  que  le  juge  d'instruc- 
tion tient  de  la  loi,  et  d'entraver  ou  de  suspendre  ainsi  la 
marche  de  Tinformation.  En  cas  de  refus  de  ce  magistrat,  il 
faut  décider  que  l'indépendance  des  fonctions  d'instruction  et 
de  poursuite  autorise  le  juge  à  se  transporter  seul  avec  son 
greffier". 

6  Cass.,  49  a\T.  et  29  juin  1855  (D.  55.  1.  269  et  319). 

"^  Je  ne  parle  pas,  bien  entendu,  du  droit  général  de  délégation  qui  existe 
p()ur  le  transport  sur  les  lieux  comme  pour  les  autres  opérations  de  Pin- 
struction. 

«  Montpellier,  25  juin  1840  [PaL,  40.  2.  129).  Cet  arrêt  a  jugé  que  le  pro- 
cureur, requis  par  le  juge  d'instruction  de  l'accompagner  dans  un  transport, 
commet  un  excès  de  pouvoir,  lorsqu'il  déclare,  dans  un  acte  écrit  au  pied 
de  i'ordonnîince,  après  avoir  discuté  et  nié  l'utilité  de  cette  mesure,  qu'il  ne 
requiert  pas  ce  transport  ;  qu'en  effet,  il  ne  peut  dépendre  du  procureur,  en 
refusant  de  s'associer  aux  actes  d'instruction  pour  lesquels  son  assistance 
est  nécessaire,  de  paralyser,  entre  les  mains  du  juge  d'instruction,  les  pou- 


TRANSPORT   SUR    LES  LIEUX   DANS   PROCEDURE   PRÉALABLE.       577 

La  faculté  qu'a  le  juge  d'iastruclioD,  en  cas  de  flagrant  dé- 
lit, de  suppléer  à  l'assistance  du  greffier  par  celle  d'un  ci- 
toyen quelconque,  n'est  pas  applicable  lorsque  le  transport  a 
lieu  au  cours  d'une  information.  Mais  le  juge  d'instruction 
pourrait,  en  cas  d'empêchement,  remplacer  le  greffier,  en 
commettant  une  personne  ayant  Tâge  exigé  par  la  loi,  ayant 
la  qualité  de  Français,  qui  prêterait  le  serment  requis*. 

304.  L'article  62  du  Code  d'instruction  criminelle,  qui 
prescrit  au  juge  d'instruction,  en  cas  de  transport  sur  les  lieux, 
de  se  faire  toujours  accompagner  du  procureur  de  la  Répu- 
blique, ne  parle  ni  de  la  présence  de  l'inculpé,  ni  de  celle  de 
ia  partie  civile. 

Dans  la  revision  projetée  du  Code  d'instruction  criminelle 
en  1879,  on  proposait  d'introduire,  au  point  de  vue  du  con- 
stat sur  les  lieux,  le  principe  de  la  contradiction.  Le  projet 
du  gouvernement  (art.  38)  se  bornait  à  prescrire  au  juge 
d'instruction  de  donner  avis  de  son  transport  au  conseil  de 
l'inculpé.  Le  projet  qui  a  été  voté  par  le  Sénat,  en  1881, 
disposait  que  le  transport  pouvait  avoir  lieu  sans  l'inculpé 
(art.  52).  Mais  le  rapporteur  expliquait  qu'on  n'entendait 
pas  faire  obstacle  à  la  présence  du  défenseur  qui  demeurait 
facultative.  Quant  à  la  partie  civile,  il  n'en  était  pas  question. 

La  commission  de  la  Chambre  des  députés  jugea  ce  sys- 
tème insuffisant *°.  L'article  51  du  projet,  préparé  par  elle, 
exigeait  que,  dans  tous  les  cas  où  le  transport  lui  paraîtrait 

voirs  qu'il  tient  de  la  loi,  et  d'entraver  ou  de  suspendre  ainsi  la  marche  de 
rinformation.  Sic,  Faustin  Ht^lie,  op.  ci7.,  t.  4,  n»- 1620  et  1789. 
■  •  Cass.,  5  sept.  1852  (D.  52.  5.  321).  Sic,  Faustin  liélie,  op,  ciL,  t.  4, 
n**  1790.  Les  instructions  de  la  Chancellerie  auturisenl,  du  reste,  le  juge 
d'instruction  à  se  faire  assister  du  greffier  de  la  justice  de  paix  du  canton 
où  il  se  transporte,  ou  bien  de  se  faire  accompagner  par  le  greffier  du  tri- 
bunal (Dec.  min.  just.,  23  oct.  1825,  14  avr.  1827).  En  effet,  le  juge  d'in- 
fitruction,  pouvant  déléguer  le  juge  de  paix  au  transport,  peut,  h  plus  forte 
raison,  se  faire  assister  personnellement  du  greffier  de  la  justice  de  paix. 
Sic,  Faustin  ïlélie,  op.  cit.,  t.  4,  n*  1791. 

*«  Séance  du  Sénat  du  23  mai  1882  (Journ.  off.  du  2t  mai,  p.  X37),  et 
séance  du  25  mai  [Journ.  off.  du  26  mai,  p.  549). 

G.  P.  P.  —  1.  37 


578         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUTE. 

Décessaire,  le  juge  d'instructioa  en  donnât  avis  au  procureur 
de  la  République,  à  Tinculpé,  à  la  partie  civile  et  à  leurs 
conseils.  L*inculpé  détenu  devait,  sur  sa  demande^  être 
transféré  au  lieu  où  s'effectuait  le  transport.  Le  rapporteur, 
expliquant  cette  disposition,  indiquait  que  le  procureur  de 
la  République,  Tinculpé  libre,  la  partie  civile,  les  conseils 
avaient  le  droit  d'y  assister.  Le  juge  d'instruction  pouvait 
agir  sans  eux,  mais  il  ne  pouvait  appeler  Tun  sans  l'aiitre. 

Cet  ensemble  de  dispositions  parait  être,  à  raison  de  ses 
complications,  d'une  mise  en  œuvre  à  peu  près  impossible. 
La  seule  mesure  utile  et  acceptable,  serait  d'aviser,  non  la 
partie  civile  ou  son  conseil,  niais  l'inculpé  ou  son  conseil 
qu'ils  auront  le  droit  de  se  faire  représenter  aux  constata- 
tions, sans  que  Topéralion  puisse  en  être  relardée. 

Lorsque  le  transport  a  lieu  dans  une  des  hypothèses  pré- 
vues par  l'article  7  de  la  loi  du  8  décembre  1897  (flagrant  délit, 
état  d'un  témoin  en  danger  de  mort,  nécessité  ije  constater 
des  indices  sur  le  point  de  disparaître),  les  prescriptions  de 
cette  loi,  en  ce  qui  concerne  la  rédaction  d'un  procès-verbal 
de  première  comparution,  les  avertissements  à  donner  à  Tiii- 
culpé  et  l'assistance  du  conseil,  ne  sont  pas  applicables.  Mais 
lorsque  le  transport  n'est  pas  justifié  par  une  des  trois  causes 
exceptionnelles  visées  par  l'article  7,  la  loi  du  8  décembre  1897 
doit  être  rigoureusement  appliquée,  et  l'inculpé,  à  moins 
qu'il  n'y  ait  expressément  consenti,  ne  peut  être  ni  interrogé, 
ni  confronté  sur  les  lieux,  sans  être  assisté  de  son  conseil, 
ou  du  moins  sans  que  son  conseil  ait  été  dûment  convoque. 

305.  Le  magistrat,  procureur  de  la  République  ou  juge 
d'instruction,  qui  s'est  transporté  sur  les  lieux,  doit  procéder 
aux  opérations  suivantes,  dans  la  mesure  où  elles  sont  néces- 
saires ou  utiles  à  l'établissement  de  la  preuve  :  1*  constater  le 
corps  du  délit,  son  état,  l'état  des  lieux  (C.  instr.  [cr.,  art. 
32)'^  ;  2^  recevoir  les  déclarations  des  personnes  qui  auraient 

*'  La  constatation  matérielle  du  corps  du  délit  a  une  importance  capitale. 
Elle  ne  doit  jamais  être  négligée,  même  dans  le  cas  où,  dès  les  premiers  mo- 


TRANSPORT  SUR  LES  LIEUX  DANS  PROCÉDURE  PREALABLE.    379 

été  préseates  ou  qui  auraient  des  renseignements  à  donner 
(art.  32);  3' se  saisir  des  armes  et  de  tout  ce  qui  paraîlraavoir 
servi  ou  avoir  été  destiné  à  commetlre  le  crime  ou  le  délit,  de 
tout  ce  qui  pourra  en  avoir  été  le  produit  (art.  35);  4°  si  la 
nature  du  crime  est  telle  que  la  preuve  puisse  être  acquise  par 
les  papiers  ou  autres  pièces  et  effels  en  la  possession  du  pré- 
venu, faire  la  perquisition  au  domicile  du  prévenu  des  objets 
qu'il  juge  utiles  à  la  manifestation  de  la  vérité  (art.  86  et  87)  ; 
5*  faire,  en  tous  autres  lieux,  les  perquisitions  nécessaires 
pour  découvrir  les  objets  utiles  à  la  manifestation  de  la  vérité 
(art.  88)*-. 

Ces  diverses  opérations  sont  la  mise  en  œuvre,  sur  les  lieux, 
des  principaux  procédés  que  toute  instruction  doit  employer 
pour  arriver  à  la  découverte  delà  vérité.  Le  magistrat  instruc- 
teur constate  seul  les  circonstances  qui  établissent  Texistence 
matérielle  du  crime,  si  ces  circonstances  tombent  sous  les 
sens.  C'est  Vexpérience  personnelle.  Il  les  constate,  à  Taide 
d'une  expertise,  si  leur  vérification  nécessite  le  concours  des 
hommes  de  l'art,  par  le  témoignage  de  ceux  qui  les  ont  con- 
nues, si  les  traces  en  ont  disparu  ou  sont  effacées,  par  des 
visites  domiciliaires  ou  des  saisies,  dans  les  autres  cas.  Et  cet 
ensemble  de  moyens,  employés  avec  méthode  et  perspicacité, 
est  de  nature,  aussi  bien  à  établir  le  corps  du  crime  ou  du 
délit  qu'à  démontrer  la  culpabilité  des  auteurs  et  des  com- 
plices du  fait  incriminé  *^  ^ 

ments,  le  prévenu  entre  dans  hi  voie  des  aveux.  Observations  intéressantes 
dans  Abadie,  Guide,  etc.,  p.  14  et  15. 

*2  Tout  magistrat,  qui  a  compétence  pour  instruire  un  flagrant  délit,  peut 
sintroduire  dans  le  domicile  du  prévenu^  pour  opérer  touteis  saisies  néces- 
saires; mais  au  juge  d'instruction  seul  appartient  le  droit  de  se  livrer  à  des 
perquisitions  chez  les  tiers.  Aux  termes  d'un  arrêt  de  la  Cour  de  cassation 
du  i6  janv,  1869  (D.  09.  i.  381),  le  juge  d'instruction  pourrait  aussi  faire 
procéder  à^ine  perquisition  sur  la  personne,  qui  s'emparerait,  pendant  une 
visite  domiciliaire,  d'un  objet  saisi  et  le  cacherait  sous  ses  vAtements.  Pour 
vaincre  sa  résistance,  il  serait  autorisé  à  employer  la  force. 

*'  «  Sur  les  lieux,  écrit  Abadie  {op.  cit.,  p.  16),  on  peut  ramasser  un  objet 
oublié  ou  perdu  par  le  coupable,  on  relève  les  traces  de  ses  pas,  les  emprein- 
tes de  ses  mains;  par  l'expertise,  on  découvre  sur  ses  habits  ou  surson linge 


K80        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

306.  Mais  quel  que  soit  le  but  de  l'opéralioD,  certaines 
précautions  sont  imposées  par  la  loi  pour  garantir  la  consta- 
tation, la  conservation  et  l'identité  du  corps  du  délit. 

1.  La  première  est  la  rédaction  d'un  procès-verbal  de  con- 
stat. 

Au  cas  de  transport  du  juge  d'instruction,  accompagné  d'un 
magistrat  du  parquet,  le  procès-verbal  doit  énoncer  tout 
d'abord  la  date  et  le  lieu  de  sa  rédaction,  les  nom  et  prénoms 
du  juge  d*instruction,  du  magistrat  du  ministère  public  et  du 
greffier;  il  indique  ensuite  le  nom  des  personnes  dont  le  con- 
cours a  été  requis;  puis  il  relate  toutes  les  opérations  aux- 
quelles il  a  été  procédé  et  toutes  les  constatations  faites.  Ce 
procès-verbal  doit  être  signé,  au  bas  de  chaque  page,  par  le 
juge  d'instruction,  le  magistrat  du  ministère  public  et  le  gref- 
fier. Si  le  maire  ou  le  commissaire  de  police  ou  d'autres  per- 
sonnes ont  concouru  aux.  opérations,  ils  doivent  également 
signer  au  bas  de  chaque  page  (C.  instr.  cr.,  art.  42).  Le  juge 
d'instruction  constate,  à  son  gré,  ces  opérations  dans  un  seul 
et  môme  acte,  ou  il  en  dresse  plusieurs. 

Au  cas  de  transport  du  procureur  de  la  République,  le 
procès-verbal,  qui  contient  les  mêmes  énonciations  et  les 
mêmes  constatations,  doit  être  fait  et  rédigé  en  présence  du 
commissaire  de  police  de  la  commune  dans  laquelle  le  crime 
ou  le  délit  a  été  commis,  ou  du  maire  ou  d'un  adjoint  ou,  à 
leur  défaut,  de  deux^  citoyens  domiciliés  dans  la  commune. 
Mêmes  prescriptions  que 'ci-dessus  en  ce  qui  concerne  les  si- 
gnatures (C.  instr.  cr.,  art.  42).  Plus  rigoureuse,  la  procédure 
imposée  au  procureur  de  la  République  ou  à  ses  auxiliaires 
les  astreint  à  dresser  un  acte  unique  oii  ils  consignent  toutes 
leurs  opérations. 

des  taches  de  sang  déjà  lavées,  des  taches  de  sperme  mal  nettoyées  ;  <l  «m 
domicile  y  on  saisit  Tins!  rumen  t  du  crime  ou  sa  correspondance  avec  ses 
cumplices  ;  par  le  témoignage^  on  lui  démontre  sa  participation  dans  Texé- 
culion,  on  détruit  ses  déclarations,  ses  <<  alibis  »  ;  &ut  lui  et  en  Vexaminant^ 
on  lui  montre  les  blessures  qu'il  a  reçues  en  commettant  ^son  crime  ou  les 
maniues  qui  l'accusent.  Oonc,  qu'on  recherche  la  matérialité  du  crime  ou  son 
auteur,  les  moyens  d'instruction  sont  les  mêmes...  ». 


TRANSPORT  SUR  LES  LIEUX  DANS  PROCÉDURE,  PREALABLE.    «^81 

Malgré  Texlrême  importance  du  ppocès-vôrbal  constatant 
\  délit,  il  est  certain  que  Tomission  de  la  rédaction  de  ce 
roccs-verbal  ou  les  iprégularités  qu'il  contiendrait,  s'il  en 
v^ait  été  dressé  un,  n'entraîneraient  pas  nullité  et  ne  pour- 
lient  faire  obstacle  auK  poursuites*^. 

II.  Le  magistrat  instructeur,  auK  termes  de  l'article  3o,  se 
lisit  :  l*  de  tout  ce  qui  parait  avoir  servi  ou  avoir  été  destiné 

commettre  le  délit  (bâtons,  pierres,  poisons,  fausses  clefs, 
oignards,  fusils,  pistolets,  coups  de  poing,  stylets,  couteaux, 
mes,  ciseaux  à  froid,  mèches  anglaises^  vilbrequins,  leviers, 
larteaux,  cordes^  et,  en  général,  tous  objets  qui,  rapprochés 
es  traces  qu'on  relève,  sont  de  nature  à  établir  l'infraction 
u  à  amener  la  découverte  des  coupables);  2^  de  tout  ce  qui 
arait  en  avoir  été  le  produit  (objets  volés,  monnaies  fausses, 
iux  titres,  pierres  lithographiques  pour  la  fabrication  des 
iux,  livres  de  commerce,  habits  et  linges  tachés  de  sang  ou 
e  sperme,  fœtus,  intestins  des  victimes  empoisonnées,  etc.); 
""  enfin,  de  tout  ce  qui  peut  servir  à  la  manifestation  de  la 
érité  (objets  portant  des  empreintes  de  mains,  traces  de  pieds, 
apiers,  lettres,  lambeaux  de  vêtements,  couteaux  et  toutes 
hoses,  en  général,  qui  démontrent  la  participation  de  l'agent 
lîcriminé). 

III.  La  loi  prescrit  des  précautions  propres  à  garantir  Yideii- 
lié  des  objets  saisis;  ils  doivent  être  clos  et  cachetés,  ou  du 
loins  déposés  dans  un  vase  ou  dans  un  sac  sur  lequel  le  ma- 
istrat  instructeur  met  une  bande  de  papier  scellée  de  son 
ceau  (C.  instr.  cr.,  art.  38;  Décret  du  20  mai  1903,  art.  129 

131). 

Les  opérations  de  perquisitions,  ou  de  saisies  et  de  mise  sous 
celles  doivent  être  faites  en  la  présence  de  l'inculpé,  s'il  a  été 
rrêté;  et,  s'il  ne  veut  ou  ne  peut  y  assister,  en  présence  d'un 
3ndé  de  pouvoir  qu'il  peut  nommer.  Les  objets  lui  sont  pré- 
entés à  l'eiTet  de  les  reconnaître  et  de  les  parapher,  s'il  y  a 
eu;  et,  au  cas  de  refus,  il  en  est  fait  mention  au  procès- 
erbal  (C.  instr.  cr.,  art.  38  et  39). 

»*  Cass.,  <9juin  1817  (S.chr.)  ;  14  juin  1821  (P.  chr.).  Sic,  M angin,  Traité 
?8  procès-verbaux,  p.  5  et  suiv. 


582        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  Lk   PREUVE. 

La  présence  de  l'inculpé  aux  opérations  de  perquisition  et 
de  saisie  constitue  une  garantie  dont  le  but  est  nettement  dé- 
terminé. La  minutie  des  précautions  dont  la  loi  entoure  la 
saisie  des  pièces  à  conviction  montre  bien  que  sa  préoccupation 
dominante  a  été  d'assurer  Videnlité  des  objets  saisis  avec  ceux 
qui  seront  présentés  comme  tels  au  cours  de  la  procédure.  Et 
ces  précautions  sont  devenues  d'autant  plus  nécessaires  qu'a- 
vec la  pratique  des  délégations  judiciaires,  ces  opérations 
seront  souvent  exécutées  par  des  officiers  de  police  judiciaire 
subalternes.  Cependant,  la  jurisprudence  se  refuse  à  admettre 
la  nullité  de  la  procédure,  quand  ces  règles  ont  été  mécon- 
nues^*. Il  s'agit  pourtant  d'une  formalité  d'importance  capi- 
tale qui  est  laseule  garantie  sérieuse  contre  les  abus  possibles 
des  magistrats  *^  Mais,  en  l'absence  de  toute  nullité  pronon- 
cée par  le  texte  des  articles  38  et  39,  la  Cour  de  cassation  ne 
voit,  dans  ces  précautions,  que  des  formalités  accessoires 
dont  l'omission  ne  saurait  vicier  la  procédure.  Dans  ces  con- 
ditions regrettables,  l'arbitraire  des  juges  d'instruction  et  des 
procureurs  de  la  République  n'a  plus  de  limites.  Si  l'inculpé 
n'est  pas  arrêté,  aucun  texte  n'impose  au  magistrat  l'obliga- 
tion de  pratiquer  les  saisies  en  sa  présence.  Si  l'inculpé  est 
arrêté,  le  texte  qui  impose  de  faire  les  opérations  en  sa  pré- 
sence, est  considéré  comme  une  prescription  de  conseil  et  non 
comme  une  prescription  d'ordre.  Celte  jurisprudence,  dan- 
gereuse pour  le  droit  individuel,  n'est  qu'une  des  nombreu- 
ses applications  de  la  tendance  séculaire  de  la  Cour  de  cassa- 
tion à  libérer  le  plus  possible,  dans  l'intérêt  social,  les 
magistrats  instructeurs  de  formalités  et  de  règles  qui  pour- 
raient entraver  la  marche  de  leur  instruction  si  elles  étaient 
strictement  observées. 

307.  Comment  faut-il  combiner,  si  le  prévenu  est  présent 

'*  Voy.  notamment,  Cass.,  23  novembre  1901  (S.  1905.  1.  474).  La  Cour 
de  cassation  a,  du  reste,  décidé  que  celui  qui  détient  des  pièces  saisies  chez 
lui  au  cours  d'une  perquisition,  ne  commet  pas  le  délit  prévu  par  l'article  400 
du  Code  pénal.  Voy.  Cass.,  11  nov.  1904  (S.  1905.  i.  369). 

*'•  Ces  abus  sont  surtout  possibles  en  matière  de  crimes  politiques. 


TRANSPORT   SUR  LES   LIEUX   DANS  PROCÉDURE   DEFINITIVE.        583 

à  la  perquisition  et  à  la  saisie,  les  prescriptions  du  Code 
d'instruction  criminelle  avec  celles  de  la  loi  du  8  décembre 
1897?  Trois  hypothèses  sont  possibles. 

S'il  y  a  flagrant  délit,  ou  s'il  y  a  urgence,  résultant  de  ce  que 
les  objets  à  saisir  sont  sur  le  point  de  disparaître,  le  juge 
d'instruction  pourra,  en  représentant  les  pièces  saisies,  poser 
à  l'inculpé  toutes  les  questions  nécessaires  et  même  le  confron- 
ter sans  être  tenu  d'observer  les  dispositions  de  la  loi  du  8  dé- 
cembre 1897  (art.  7). 

Il  en  est  de  même,  et  les  formalités  prévues  par  les  arti- 
cles 35,  87  et  89,  seront  remplies,  sans  difficulté,  sans  que  le 
conseil  ait  même  été  convoqué,  si  l'inculpé  y  a  formellement 
et  expressément  renoncé. 

La  seule  hypothèse  où  les  dispositions  delaloi  du  8  décem- 
bre 1897  devront  être  combinées  avec  celles  du  Code  d'ins- 
truction criminelle  se  présente,  lorsqu'il  n'y  a  ni  flagrant  délit 
ni  urgence  constatée. 

Le  juge  d'instruction  présentera,  dans  ce  cas,  les  objets 
saisis  à  l'inculpé  et  recevra  ses  déclarations  en  le  prévenant 
qu'il  est  libre  de  ne  pas  en  faire.  Il  aura  soin  de  ne  poser 
aucune  question,  de  consigner  simplement  les  déclarations 
de  l'inculpé,  en  s'abstenant  de  toute  remarque,  de  tout  ce 
qui  pourrait  ressembler  à  un  interrogatoire.  La  procédure  de 
saisie  ne  dégénérera  pas  alors  en  une  discussion  qui  pourra 
être  réservée  pour  un  interrogatoire  ultérieur  et  régulier, 
dans  le  cabinet  du  juge  d'instruction. 


§  LV.  -  DU  TRANSPORT  SUR  LES    LIEUX 
DANS  LA  PROCÉDURE  DÉFINITIVE 


308.  Le  Code  d'instruction  crimiDel lu  est  muet  sur  le  transport  dans  la  procédure 
définitive.  Celte  mesure  peut  être  ordonnée  par  jugement  et  se  fait  on  présence 
des  parties.  —  309.  l^e  tribunal  peut,  au  lieu  de  se  transporter  tout  entier  sur  les 
lieux,  commettre  un  de  ses  membres.  Tribunaux  correctionnels.  Cours  d'assises. 
Pouvoirs  du  président  de  la  cour  d'assises. 

308. 'Les  juridictions  de  jugement  trouvent,  dans  le  dos- 
sier de  Tinstruction,  les  procès-verbaux  de  constat   :  elles 


584        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

n'ont  donc  pas,  d'ordinaire,  à  procéder,  par  elles-mêmes,  à 
des  vérifications  déjà  faites  et  dont  la  matérialité  reste,  pres- 
que toujours,  incontestée.  Est-ce  le  motif  pour  lequel  le  Code 
d'instruction  criminelle  n'a  pas  tracé  de  règles,  relativementà 
la  visite  de  lieux  par  les  tribunaux  de  répression,  ainsi  que  Fa 
fait  le  Code  de  procédure  civile  (art.  i2,  295  et  suiv.)?IIest 
néanmoins  bien  certain  que  le  silence  de  la  loi  ne  suffit  pas 
pour  faire  rejeter  un  procédé  de  preuve  qui  n'est  pas  littéra- 
lement prévu,  mais  qui  n'est  pas  précisément  exclu. 

La  véritable  règle  à  cet  égard  est  tracée  par  un  arrêt  delà 
Cour  suprême  du  18  mars  1848  '  :  «  Les  tribunaux  ont,  ood 
seulement  le  droit,  mais  encore  le  devoir  de  prendre  toutes 
les  mesures,  et  d'ordonner  toutes  les  preuves,  rapports,  exper- 
tises, visites  de  lieux,  propres  à  éclairer  leur  religion  et  assu- 
rer la  justice  de  leur  décision  ». 

Il  en  résulte  que  toutes  les  fois  qu'un  mode  de  vérification 
peut  être  utile  à  la  manifestation  de  la  vérité,  on  doit  l'auto- 
riser, par  cela  seul  qu'il  n'est  pas  interdit.  C'est  par  applica- 
tion de  cette  idée  que. la  pratique  a  toujours  admis  la  possi- 
bilité, pour  un  tribunal,  d'ordonner  ou  d'opérer  une  visite  de 
lieux.  Mais  on  décide,  en  même  temps,  que,  bien  qu'aucune 
forme  n'ait  été  prescrite  pour  cette  opération,  une  double  exi- 
gence s'impose,  comme  corollaire  des  principes  de  la  publi- 
cité, de  ïoralitéei  de  la  contradiction  des  débats.  1*^  Le  trans- 
port sur  les  lieux  doit  être  ordonné  par  un  jugement  rendu  en 
audience  publique,  par  conséquent,  en  cour  d'assises,  par  un 
arrêt  de  la  cour,  prononcé  toutes  portes  ouvertes.  D'une 
part,  en  effet,  et  conformément  à  une  règle  générale,  la 
visite  que  les  juges  feraient  proprio  motu  ne  pourrait  servir 
de  base  à  une  décision  ayant  un  caractère  juridique. 
D'autre  part,  c^est  Tavis  public  et  officiel  donné^par  jugement 
qui  met  les  parties  en  demeure  d'assister  à  l'opération.  Le 
défaut  de  cet  avertissement  préalable,  lorsqu'il  a  pu  nuire  à 
Tune  des  parties,  ministère  public,  prévenu  ou  accusé,  entraî- 
nerait la  nullité  de  la  procédure  et,  par  suite,  du  jugement: 

§  LV.  *  D.  1848.1.  100. 


TRANSPORT   SUR  LES  LIBUX   DANS   PROCÉDORB    DÉFINITITB.       58S 

les  droits  de  la  défense  et  ceuK  de  la  société  exigent  que  toute 
partie  soit  mise  à  même  de  connaître,  par  elle-même,  toutes 
les  constatations  relatives  à  TafTaire  pour  les  discuter  et  en 
contredire  les  résultats*.  2**  Le  tribunal  peut  se  transporter 
tout  entier  sur  les  lieux.  Le  constat  doit  être  fait  alors,  publi- 
quement et  contradictoiremenl,  en  présence  de  Taccusé  ou  du' 
prévenu  et  du  ministère  public  :  l'audience  est,  en  quelque 
sorte,  continuée  avec  la  publicité  et  la  contradiction  des  dé- 
bats, en  dehors  de  la  salle'où  elle  se  tient  ordinairement'. 

309.  Mais  le  tribunal  peut-il,  au  lieu  de  se  transporter  tout 
entier  sur  les  lieux,  déléguer  un  de  ses  membres?  C*est  une 
question  qui  se  pose  pour  les  tribunaux  correctionnels  et  les 
cours  d^assises^,  puisque  la  procédure  criminelle  n'organise 
pas,  à  la  différence  de  la  procédure  civile,  cette  forme  de  con- 
stat. Il  est  vrai  qu'elle  n'en  organise  aucune.  Il  faut  donc 
appliquer  à  la  mesure  dont  il  s'agit  les  règles  ordinaires  de  la 
procédure  d'instruction'. 

1.  Le  tribunal  correctionnel  peut,  sans  aucun  doute,  ordon- 
ner une  information  complémentaire,  afin  de  statuer  ensuite, 
en  connaissance  de  cause.  Si  ce  procédé  lui  était  interdit,  le 
tribunal  se  trouverait  dans  l'alternative,  ou  de  condamner  sans 

• 

*  Cass.,  10  mars  1874  (D.  75.  1.  190).  La  jurisprudence  contient,  sur  tous 
ces  points,  de  nombreuses  décisions;  particulièrement  applicables  à  la  pro- 
cédure de  simple  police. 

3  Ainsi  le  tribunal  doit  être  accompagné  du  grefQer;  l'absence  de  cet  offi- 
cier suffirait  à  vicier  l'opération  :  Cass.,  8  déc.  1866  (D.  68.  5.  135).  Mais  le 
jugement  doit  être  rendu  au  lieu  ordinaire  des  séances  du  tribunal.  Voy. 
Cass.,  27  juin.  1855  (S.  55.  K  848;  D.  55.  5.  70). 

*  En  ce  qui  concerne  le  tribunal  de  police,  la  question  ne  se  pose  pas, 
puisque  le  juge  de  p^ix  est  seul  au  siège.  Mais  le  transport  doit  être  ordonné 
par  jugement.  Le  juge  doit  constater  le  résultat  de  la  descente  des  lieux,  à 
laquelle  assistent  le  prévenu  et  le  ministère  public,  par  un  procès-verbal 
spécial.  Le  jugement  doit  ensuite  être  rendu  dansla  salle  ordinaire  des  séances. 

*  Art.  296,  C.  proc.  civ.  :  «  Le  jugement  commettra  l'un  des  juges  qui  y 
auront  assisté  »>,  ce  qui  n'exclut  ni  la  faculté  d'en  commettre  plusieurs,  ni 
celle  d'en  commettre  un  qui  n'aurait  pas  siégé  au  jugement  quia  prescrit 
cette  mesure,  ni  celle  de  donner  commission  rogatoire  à  un  magistrat  étranger 
au  siège. 


586        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  I>E  LA  PREUVE. 

preuves  suffisantes,  ou  d'acquitter  malgré  des  présomptioDS 
graves  de  culpabilité.  Le  droit  du  tribunal  n*est  pas  limité  à 
prescrire  seulement  une  mesure  exécutée  à  Faudience,  mais 
aussi  à  charger  un  tiers  de  procéder  à  une  information  com- 
plémentaire, pourvu  que  la  discussion  contradictoire  el  publi- 
que de  Taudience  soit  ouverte  au  sujet  des  nouveaux  docu- 
ments apportés  par  l'information.  Mais  il  est  évident  que  le 
tribunal  ne  pourrait  requérir  le  juge  d'instruction,  comme 
juridiction,  ni  de  compléter  l'information,  si  elle  a  eu  liea, 
puisque  le  juge  d^instriiclion  s'est  dessaisi  par  Tordonnance 
de  renvoi  et  que  ses  pouvoirs  sont  épuisés,  ni  d'ouvrir  uoe 
information,  en  cas  de  saisine  par  citation  directe,  puisque  le 
tribunal  n'a  pas  l'exercice  de  l'action  publique. 

Un  tribunal  correctionnel  peut  commettre  un  de  ses  mem- 
bres pour  faire  une  information  complémentaire,  et  notam- 
ment pour  opérer  certaines  vérifications  sur  les  lieux.  Les 
conditions  auxquelles  la  jurisprudence  soumet  cette  faculté, 
sont  :  !"*  Que  l'information  soit  faite  par  l'un  des  membres  du 
tribunal  qui  a  concouru  au  jugement;  2^  que  si  délégation 
est  donnée  au  juge  d'instruction  (en  admettant,  bien  entendu, 
qu'il  ait  siégé  comme  juge  dans  l'aCfâire),  celui-ci  ne  soit  pas 
requis  en  cette  qualité,  de  telle  sorte  qu'il  procède,  non  pas 
comme  juge  d'instruction,  mais  comme  membre  du  tribunal 
qui  l'a  commis;  3°  que  les  résultats  de  l'information  soient 
communiqués  au  prévenu  et  publiquement  discutés*. 

H.  Les  pouvoirs  de  la  cour  d'assises,  pendant  les  débats, 
doivent  être  mis  en  rapport  avec  les  pouvoirs  discrétionnaires 
du  président. 

11  appartient  à  la  cour  d'ordonner,  même  d'office,  toutes 
les  mesures  d'instruction  qui  lui  semblent  nécessaires  à  la 
manifestation  de  la  vérité,  pourvu  qu'elle  ne  déroge  pas  aux 
règles  générales  de  la  procédure \  Or,  le  transport  sur  les 

^  Voy.  notamment  un  arrêt  de  rejet  de  la  Chambre  crim.  du  1*'  avr.  1892 
(S.  92.  1.  333;  D.  92. 1.  r>2j).  On  lira  le  rapport  de  M.  le  conseiller  Sallen- 
tin  dans  le  premier  de  ces  recueils. 

"  Voy.  sur  le  principe  :  Faustin  Hélie,  Instr,  cr.,  t.  7,  n*  3308.  Conf.  pour 


TECHNIQUE  DU   TRANSPORT  SUR   LES    LIEUX.  587 

lieux,  parla  cour  tout  eotière  ou  par  uq  magistrat  délégué, 
rentre  dans  les  mesures  d'instruction  qu'une  juridiction  pé- 
nale peut  ordonner.  Il  n'y  aurait  donc  pas,  dans  un  arrêt 
prescrivant  ces  mesures,  empiétement  de  la  cour  sur  les  pou- 
voirs du  président.  Celui-ci  n'en  conserve  pas  moins  le  droit 
d'ordonner,  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétionnaire,  que  la 
cour,  les  jurés  et  les  accusés  se  transporteront  sur  les  lieux 
du  crime*.  Il  peut  aussi  se  livrer  lui-même  à  une  vérification 
de  fait  en  se  transportant  sur  les  lieux.  Mais  il  est  tenu  de 
respecter  le  principe  dominant  de  la  publicité  et  de  la  con- 
tradiction des  débats,  à  l'application  duquel  le  pouvoir  dis- 
crétionnaire, qui  lui  est  donné  pour  arriver  à  la  découverte 
de  la  vérité,  ne  saurait  le  soustraire'. 


§  LVI.  -  DE  LA  TECHNIQUE  DU  TRANSPORT  SUR  LES  LIEUX 

310.  De  Timportance  des  premières  conBtatations  faites  et  on  rrMc  prépondérant  du 
magistrat  instructeur  dans  la  direction  de  l'afTaire.  —  311.  De  l'utilité  d'une  sorte 
de  technique  du  transport.  —  312.  Préparation  du  transport.  —  313.  Méthode 
à  suivre  sur  les  lieux.  S'assurer  d'abord  de  l'état  concomitant  au  crime.  —  314. 
Description.  —  315.  Recherche  des  objets  cachés.  —  316.  Applications  pratiques 
de  celte  méthode  aux  crimes  les  plus  importants.  Renvoi. 

310.  Toutes  les  opérations  de  transport  sont  l'objet  d'un 
procès-verbal.  C'est  le  magistrat  qui  le  dicte;  le  greffier  qui 
récrit.  11  s'agit  d'une  constatation  qui  doit  être  la  pierre 
angulaire  de  la  procédure.  Son  importance  est  d'autant  plus 

Tapplication  :  Crim.  rej.,  27  déc.  1860  (D.  01.  5.  127);  12  mars  1857  (D.  57. 
i.  182). 

*  Crim.  rej.  3  oct^.  1872  (B.  cr.,  n°  24'*).  Voy.  sur  la  question  :  Le  prési- 
dent d'une  cour  d'assises  peut-il  ordonner  le  transport  de  la  cour^  des 
jurés,  de  Vaccusé  et  de  ses  conseils  sur  le  lieu  du  délit?  Rev,  Wolowski, 
t.  XVIIl,  p.  215. 

^  Un  arrêt  a  décida?  que  le  président  de  la  cour  d'assises  a  le  droit  de  con- 
fier à  l'un  des  assesseurs  de  cette  cour  le  soin  de  recueillir  toutes  les  décla- 
rations qu'il  juge  utiles  à  la  manifestation  de  la  vérité  et  de  faire  lever, 
d'après  ces  déclarations,  un  plan  des  lieux.  Gass.,  24  janv.  1839,  Muglioni 
(/.  du  PaL,  39.  1.  563). 


588        PROCÉDURE  PÉNALB.  —  DE  LA  PREUVE. 

grande  que,  la  plupart  du  temps,  le  constat  ne  pourra  pas 
être  recommencé  et  qu'il  aiguillera  les  soupçons  ou  les 
preuves  dans  telle  ou  telle  direction.  Gross  a  eu  raison 
d'écrire  que  «  jamais  un  juge  d'instruction  maladroit  ne 
fournit  un  bon  procès-verbal  d'inspection  des  lieu^L  et  que 
c'est  par  ce  procès-verbal  qu'un  bon  juge  d'instruction 
révèle  toute  sa  valeur  ». 

311.  Pour  entreprendre  utilement  une  inspection  judiciaire 
des  lieux,  il  ne  suffit  pas  de  connaître  le  droit  et  les  formu- 
laires, de  prendre  pour  guide  le  Code  et  les  instructions 
administratives;  il  est  nécessaire  de  se  conformer  à  une  sorle 
de  technique  professionnelle  qui  doit  servir  d'armature  à  la 
faiblesse  du  juge  d^instruction,  s'il  en  est  besoin,  de  guide  et 
de  soutien  à  l'intelligence  et  à  l'expérience  de  celui  qui  est 
habitué  à  ces  opérations  '. 

312.  Avant  tout,  il  faut  avoir  soin  de  bien  se  préparer  et 
de  tout  organiser  comme  on  prépare  ou  organise  une  expédi- 
tion scientifique.  Les  conseils  à  cet  égard  se  trouvent  exposés 
dans  le  Manuel  pratique  cTinstruction  judiciaire  de  Gross, 
auquel  je  me  contente  de  renvoyer '. 

313.  La  méthode  à  suivre  sur  les  lieux  est  indiquée  par 
l'objet  -même  de  l'opération.  Il  faut  d'abord  observer  tran- 
quillement et  attentivement  la  situation.  Puis,  chercher  les 
personnes  en  état  de  donner  sur  l'affaire  des  renseignements 
permettant  d'orienter  l'instruction,  au  moins  approximative- 
ment. 

Le  juge  ne  commettra  jamais  d'erreur  ou  d'omission  grave, 
s'il  a  toujours  présente  à  l'esprit  la  vieille  maxime  des  juristes: 

«  QuiSj  quidf  ubi,  quibiis  auxiliis,  cur,  quomodOy  quando?  » 
«  Qui,  quoi,  où,  avec  qui,  pourquoi,  conoment  et  quand?  » 

§LVI.  *  Le  Guid^  pratique  des  magistrats  en  transport  de  G.  Abadie, 
est  un  excellent  vade-mecum. 

*  Voy.  notamment,  p.  148,  149,  172  à  178.  Comp.  G.  Abadie,  op,  cit., 
p.  6,  qui  énumère  ce  u  que  doit  emporter  un  magistrat  en  transport  ». 


TECHNIQUE   DU   TRANSPORT    SUR   LES   LIEUX.  889 

Le  point  le  plus  important,  c'est  la  vérification  préalable 
de  rétatdes  lieux,  antérieur  ou  concomitant  au  crime.  Après 
s^ètre  assuré  que  cet  état  n'a  pas  été  modifié,  le  magistrat 
instructeur  doit  veiller  à  la  conservation  des  traces  existantes. 
Mais  réiimination  de  tout  ce  qui  est  postérieur  à  Tinstant  du 
crime  est  une  des  précautions  les  plus  indispensables  pour 
arriver  à  un  constat  rigoureux. 

314.  Après  avoir  ainsi  déterminé,  par  voie  d'exclusion,  ce 
qui  fait  partie  de  l'état  des  lieux  et  ce  qui  n'en  fait  pas  partie, 
le  juge  procède  à  la  description.  Et  la  règle  qu'il  ne  faut  ja- 
mais perdre  de  vue  est  ainsi  formulée  par  Gross  :  ne  déranger, 
n'enlever  et  même  ne  loucher  aucun  objet,  avant  qu'il  n'ait 
été  minutieusement  décrit  dans  le  procès-verbal.  Quant  à 
la  méthode  à  suivre  dans  la  description,  c'est  chose  indivi- 
duelle. Il  faut  être  exact,  clair  et  précis,  donner  des  points  de 
repère  qui  puissent  être  contrôlés  après  coup,  et  joindre,  si 
possible,  au  procès-verbal,  un  plan  et  un  croquis  des  lieux. 

315.  La  recherche  des  objets  cachés  implique  une  perqui- 
sition minutieuse.  Il  faut  tout  examiner,  car  il  n'y  a  pas  d'en- 
droit 011  ne  puissent  être  dissimulés  des  objets  importants'. 

316.  Les  applications  pratiques  de  ces  règles  et  le  pro- 
gramme des  qualificalions  et  questions  à  poser  pour  lescrimes 
qui  se  commettent  le  plus  fréquemment  :  attentat  à  la  pudeur, 
attentatau  moyen  des  explosifs,  avortement,  faux,  fausse  mon- 
naie, homicides  volontaires,  incendies  criminels,  infanticides, 
viols,  vols  qualifiés,  ont  été  présentés,  d'une  manière  synthé- 
tique, dans  le  Guide  pratique  du  magistrat  en  transporta  Nous 
ne  pouvons  que  renvoyer  à  cet  excellent  ouvrage. 

■*  Voy.  les  exemples  donnés  par  Gross,  op.  cit.y  p.  166  à  171. 
*  Voy.  p.  49  à  128. 


CHAPITRE   III 


DE   L*BXPKRTISB. 


§  LVII.  -  NATURE  DE  L  EXPERTISE  >. 

817.  Ce  qu*est  l'expertise.  Son  utilité.  Ses  caractères.  — 318.  Motifs  delà  coofiaooe 
en  Texpert.  Base  commune  de  conûance  dans  Texpertise  et  le  témoignage.  Diffé- 
rences en  ce  qui  concerne  la  nature  et  le  champ  d'application  de  l'expertise  et  do 
témoignage.  —  319.  De  la  responsabilité  de  l'expert.  —  320.  Importance  actuelle 
du  mode  de  vériflcation  par  expertise.  Ses  erreurs.  La  faillibilité  de  Texpert 
implique  l'obligation  de  ne  pas  donner  à  son  avis  le  caractère  d'une  décision.  — 
321.  Absence  de  réglementation  de  l'expertise  criminelle.  Question  générale  de 
savoir  si  les  règles  de  l'expertise  civile  sont  applicables  à  l'expertise  criminelle. 
Points  communs.  Différences  principales. 

317.  Il  y  a  lieu  de  recourir  à  une  expertise,  toutes  les  fois 
qu'il  se  présente,  dans  un  procès  crinfiinel,  certaines  questions 
dont  la  solution  exige  des  connaissances  toutes  particulières 
et  pour  lesquelles  les  juges  n'auraient  pas  de  compétence 
scientifique  ou  technique  suffisante.  Il  s'agit,  par  exeufiple,  de 
déterminer  les  causes  d'un  décès,  la  composition  de  (elle  sub- 
stance prétendue  toxique  ou  falsifiée,  l'authenticité  de  tel  écrit 
dont  la  signature  est  contestée  :  l'autopsie,  l'analyse  chimique, 
la  vérification  d'écriture  seront  confiées  à  des  hommes  spé- 
ciaux, préparés,  par  leurs  études  ou  leurs  professions,  à  ces 

§  LVII.*  BiHLiooHAPHiE  :  Genesteix,  De  l'expertise  criminelle  en  France 
(Th.  (loct.,  Paris,  1900);  Léon  Meslier,  De«  expertises  en  matière  criminelle 
(Th.doct.,  Paris,  i901);AndréDehesdin,  De  V expertise  en  matière  criminelle 
(Th.  doct.,  Paris,  1901).  lia  été  beaucoup  écrit  sur  Texpertise  médicale.  Nous 
cilons  plus  loin  les  principaux  travaux  qui  ont  été  publiés  sur  cette  exper- 
tise spéciale. 


NATUKK    DE   l'EXPERTISE.  591 

opérations  scientifiques.  Telle  est  la  notion  générale  de  l'ex- 
pertise. 

Trois  caractères  en  résultent  :  1*  Toute  expertise  procède 
d'une  commise  du  juge,  et  l'expert  est,  avec  raison,  qualifiéde 
«  mandataire  de  justice  »  :  une  expertise  amiable  n'a  que  la 
valeur  d'iin  renseignement  et  ne  comporte  pas  plus  de  solen- 
nité que  l'exécution  d'un  mandat  ordinaire;  2^  L'expert  est 
commis,  soit  pour  donner  un  avis  personnel  et  motivé,  soit 
pour  faire  une  opération  matérielle  à  laquelle  le  juge  ne  peut 
procéder  lui-même  :  dresser  un  plan,  visiter  un  malade,  etc.  ^  ; 
3*  Le  magistrat  ne  peut  se  décharger  sur  l'expert  du  soin  de 
juger  le  fond  du  procès,  soit  au  point  de  vue  des  conséquen- 
ces juridiques  des  faits  constatés  ou  appréciés  par  l'expert, 
soit  au  point  de  vue  de  la  décision  qu'il  est  lui-même  appelé 
à  prendre.  L'expert  donne  un  simple  avis  sur  des  faits  qui  lui 
sont  soumis  ou  ([u*il  est  chargé  de  constater. 

318.  Les  motifs  de  la  confiance  accordée  aux  experts  sont 
de  même  nature  que  les  motifs  de  la  confiance  accordée  aux 
témoins.  Par  une  induction  puisée  dans  les  lois  de  la  nature 
morale,  nous  croyons  à  la  science  et  à  la  loyauté  deTexpert,  de 
même  que  nous  ajoutons  foi  au  témoignage  de  nos  semblables  : 
l'expertise  et  la  preuve  testimoniale  s'appuient  donc  sur  une 
base  commune;  et^  en  se  plaçant  à  ce  point  de  vue,  on  a  souvent 
rapproché,  la  preuve  par  experts  de  la  preuve  par  témoins  : 
les  experts  sont,  en  effet,  des  espèces  de  témoins^  qui  disent  ce 
qu'ils  ont  vu,  les  détails  qu'ils  ont  observés,  les  circonstances 
qui  les  ont  frappés.  Mais  cette  analogie  entre  l'expertise  et  le 
témoignage  n'est  qu'apparente. 

L'expertise  et  le  témoignage  se  séparent,  en  effet,  par  leur 

2  A  cet  égard,  l'architecte,  appelé,  en  matière  criminelle,  à  dresser  un  plan 
des  lieux,  le  médecin  commis  pour  visiter  un  blessé,  etc.,  sont  des  experts 
et  doivent,  en  cette  qualité,  prêter  le  serment  des  experts.  La  question^de 
savoir  si  l'expert  qui  se  livre  aune  vérification  matérielle,  sans  avoir  à'don- 
ner  un  avis,  est  un  expert  proprement  dit,  est  discutée.  Je^crois  plus  sûr  de 
considérer  tout  homme  de  Kart,  appelé  à  collaborer  à  l'œuvre  de  la  justice, 
comme  ayant  la  qualité  d'expert. 


592  PROCÉDURE   PÉNALB.   —  DE  LA   PREUVE. 

nature  et  leur  champ  d'application  :  1"*  L'espert  n'est  pas,  à 
proprement  parler,  un  témoin;  il  n*a  pas  à  déposer  sur  des 
faits  qu'il  a  vus  ou  entendus  propriis  sensibus;  il  répond  à  des 
questions  qui  lui  sont  faites,  sur  des  circonstances  qu'il  ne 
connaît  pas  personnellement  ;  2^  Ses  constatations  et  son  avis 
ne  constituent  pas  une  preuve  directe,  mais  Tappréciatioa, 
l'éclaircissement  ou  l'interprétation  d'une  autre  preuve  di- 
recte, d'un  indice,  d'un  témoignage,  d'un  écrit.  En  ce  sens, 
la  qualification  de  juges^  que  donnait  un  vieil  auteur  aux 
experts,  est  scientifiquement  plus  exacte  que  celle  de  témoins: 
Medici  non  sunt  proprie  lentes ^  sed  est  magis  judicium  quam 
testimonium  ;  y  Alors  que  le  témoin  nait  des  circonstances 
elles-mêmes  sur  lesquelles  il  dépose,  du  hasard  qui  W  fait 
assister  à  telle  scène,  entendre  tel  propos,  alors  que  le  témoio 
ne  peut  pas  être  remplacé  ou  suppléé,  alors  que  le  nombre  des 
témoins  est  limité  par  la  force  même  des  choses,  l'expert, 
lui,  est  l'objet  d'une  désignation  judiciaire,  d'une  commise, 
il  peut  être  remplacé  et  le  choix  du  juge  n'est  pas  matériel- 
lement entravé  par  des  obstacles  tenant  aux  circonstances  du 
fait. 

En  résumé,  l'expert  collabore  à  la  découverte  de  la  vérité, 
qui  est  rœuvre  judiciaire  par  excellence,  non  pas  en  appor- 
tant ses  propres  souvenirs,  ainsi  que  le  ferait  un  témoio, 
mais  en  donnant  une  opinion,  scientifiquement  raisonnée, 
sur  des  faits  ([ui  lui  sont  soumis.  A  ce  point  de  vue,  l'expert 
ne  se  borne  pas  à  rapporter  les  constatations  dont  on  l'a 
chargé,  ou  la  description  de  ce  qu'il  a  vu.  C'est  un  avis,  une 
sorte  de  jugement  motivé  qu'il  rend  sur  les  faits  que  le  juge 
lui  a  donné  la  mission  de  vérifier.  En  ce  sens,  il  e^iV auxiliaire 
du  juge  dans  la  découverte  de  la  vérité.  Celui-ci  l'a  appelé 
pour  l'aider  à  former  son  jugement;  il  a  eu  recours  à  la 
science  de  l'expert  pour  résoudre  des  questions  de  fait,  éclai- 
rer des  points  qui  restaient  obscurs,  et  suppléer  ainsi  aux 
connaissances  qui  lui  manquent.  Ce  rôle  est  donc  tout  dilTé- 
renl  de  celui  du  témoin.  Aussi  voyons-nous  les  textes,  qui 
s'occupent  de  ce  procédé  d'instruction,  rapprocher  l'expertise 
de  l'expérience  personnelle.  Sans  remonter  à  l'ordonnance 


NATURE   DB   l'eXPERTISB.  593 

de  1670,  qui  réunissait,  dans  deux  titres  juxtaposés,  les  des- 
centes sur  les  lieux  et  les  rapports  d'expert',  le  Code  d'ins- 
truction criminelle,  dans  l'article  43^  autorise  le  magistrat 
à  se  faire  accompagner,  lorsqu'il  se  transporte  sur  les  lieux, 
<c  au  besoin,  d'une  ou  de  deux  personnes  présumées,  par  leur 
art  ou  profession,  capables  à^apprécier  la  nature  et  les  cir- 
constances du  crime  ou  délit  ».  Ainsi  les  opérations  qui 
consistent,  pour  le  juge,  à  prendre  personnellement  connais- 
sance des  circonstances  matérielles  du  délit,  de  l'état  des 
lieux,  sont  rapprochées  de  celles  qui  consistent  à  faire  cons- 
tater et  apprécier  ces  éléments  par  un  tiers  plus  compétent 
que  le  juge,  afin  que  celui-ci  tire  de  ces  constatations  et  de 
ces  appréciations  telles  conséquences  que  de  droit. 

Il  en  résulte  que,  les  experts  ne  sont  pas  assimilés  aux  té- 
tnoins,  particulièrement  aux  trois  points  de  vue  suivants  : 

i"  La  formule  du  serment  que  prêtent  les  experts  n'est  pas 
la  même  que  celle  du  serment  que  prêtent  les  témoins.  Les 
premiers  jurent  «  de  faire  leur  rapport  et  de  donner  leur  avis 
en  leur  honneur  et  conscience»,  les  seconds,  «  de  dire  toute  la 
vérité,  rien  que  la  vérité  »  (C.  instr.  cr.,  art.  44,  75,  155,  189), 
ou  bien  «  de  parler  sans  haine  et  sans  crainte,  de  dire  toute 
la  vérité  et  rien  que  la  vérité  »  (C.  instr.  cr.,  art.  317).  Or,  en 
matière  de  serment,  par  l'effet  d'un  rigorisme  archaïque,  la 
forme  est  substantielle,  et  la  nullité  de  la  procédure  est  la 
conséquence  de  tout  changement  dans  la  formule  du  serment, 
suivant  la  qualité  en  laquelle  on  le  prête. 

Cela  est  si  vrai  que  les  experts,  qui  doivent,  en  tant  qu'ex- 
pertSj  et  à  peine  de  nullité^  prêter  le  sennent  professionnel^ 
en  tant  que  témoins^  et  lorsqu'ils  sont  appelés  devant  les  tri- 
bunaux pour  rendre  compte  de  leurs  opérations  antérieures, 

^  Le  litre  IV,  intitulé  :  «  Des  procès-verbaux  des  juges  »;  le  titre  V, 
«  Des  rapports  des  médecins  et  chirurgiens  ». 

♦  La  prestation  du  serment  des  experts  est  indispensable  pour  donner  à 
leur  rapport  Tauthenticilé  qu'il  doit  avoir.  Si  celte  formaliié  n'avait  pas  été 
remplie,  le  rapport  ne  pourrait  servir  qu'à  titre  de  simples  renseignements  : 
Cass.,  17  mars  1864  (S.  64.  1.  432);  26  juin  1863  (B.  cr.^  n©  186). 

G.  P.  P.  —  T.  38 


594        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

doivent  prêter  le  serment  imposé  aux  témoins*.  Bien  mieux, 
un  témoin  peut  être  chargé  d*une  expertise  et  un  expert  peut 
être  appelé  à  témoigner,  et,  en  ces  deux  qualités,  prêter,  sdc- 
cessivement,  les  différents  serments  sous  la  garantie  desquels 
se  placent  l'expertise  et  le  témoignage. 

Mais  entre  le  serment  de  l'expert  et  celui  du  témoin,  la  jo- 
risprudence  établit  une  différence  qui  a  été  critiquée  par  quel* 
ques  criminalistes\  La  formule  du  serment  du  témoin  a 
toujours  été  considérée  comme  sacramentelle  :  un  mot  en 
plus,  un  mot  en  moins,  un  mot  changé,  et  le  serment  est  nul. 
Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  formule  du  serment  de  TexperL 
La  jurisprudence  admet  que  les  termes  du  serment,  édictés 
par  l'article  44,  peuvent  être  remplacés  par  des  termes  analo- 
gues, pourvu  que  la  prestation  du  serment  soit  constatée.  C'est 
ainsi  que  de  nombreux  arrêts  décident  que  «  la  loi  n'ayanl 
pas  attaché,  à  l'emploi  des  expressions  a  en  leur  honneur  et 
conscience  »,  la  peine  de  nullité,  ces  expressions  peuvent  être 
remplacées  par  des  termes  équivalents^  »,  pourvu  que  les  ex- 
pressions employées  aient  le  même  sens.  Et  spécialement,  le 
serment  prêté  par  les  experts  «  de  bien  et  fidèlement  remplir, 
en  leur  âme  et  conscience,  la  mission  qui  leur  a  été  confiée  » 
satisfait  aux  vœux  de  la  loi'.  De  même,  la  constatation  qu'ua 
expert,  appelé  à  faire  un  rapport  dans  lé  cas  de  l'article  44, 
a,  préalablement  à  son  opération,  «  prêté  le  serment  requis  » 
ou  ((  voulu  par  IsC  loi  »  est  suffisante,  la  loi  ne  prescrivaut, 
en  matière  d'expertise,  d'autre  formule  de  serment  que  celle 
de  larticle  44  du  Code  d'instruction  criminelle*. 

2""  La   sincérité    du   témoin   est   sanctionnée  et  garantie 


*  Voy.  notamment  :  Cass.,  26  août  1875  (S.  75.  1.  435);  1"  mars  1877 
(S.  77.  1.  275);  27  déc.  1878  (S.  79.  1.  288);  27  janv.  1887  (S.  87.  i.  188), 
pour  les  cours  d'assises;  Cass.,  15  déc.  1892  (S.  93.  1.  110),  pour  les 
tribunaux  correctionnels. 

^  Notamment  par  Faustin  Hdlie,  histr.  crim,,  U  8,  p.  646. 

'  Cass.,  16  juiil.  1829  (S.  chr.). 

8  Cass.,  2  août  1888  (B,  cr.  n°  260). 

»  Cass.,  20  déc.  1855  (S.  56.  1.  470;  D.  56.  1.  95);  20  janv.  1893  (D.95.1. 
213). 


NATURE   DB   L  BXPERTISB.  S95 

par  les  peines  du  faux  térnoignap:e,  tandis  que,  dans  ses  ap- 
précialions,  Texpert  ne  relève  que  de  sa  conscience ''^. 

3^  Le  témoin  seul  peut  être  reproché  ou  récusé,  tandis  que 
Vexpert  s'impose  aux  parties  par  le  fait  même  de  la  délégation 
du  juge.  Dans  l'ancien  droit,  les  experts  étant  assimilés  aux 
témoins,  ils  pouvaient  être  récusés  ou  reprochés,  dans  les 
mêmes  formes,  pour  les  mêmes  causes^  et  dans  les  mêmes 
délais  que  £es  derniers.  Le  Code  de  brumaire  an  iV,  autori- 
sait le  reproche  contre  les  témoins,  dans  Tarticle  184.  qui  est 
devenu  Tarticle  190  du  Code  d'instruction  criminelle,  de 
4808.  Quant  aux  experts,  niTun  ni  Tautre  de  ces  deux  Codes, 
n'accordent,  par  un  texte  formel,  ce  moyen  de  défense  aux  in- 
culpés. Le  silence  de  la  loi  suffit-il  pour  Texclure?  Après  quel- 
ques hésitations,  la  jurisprudence  décide  qu'un  expert  ne  peut 
être,  à  ce  titre,  ni  récusé  ni  reproché".  Que,  dans  Tinstruc- 


^°  Mais  cela  n'est  vrai  que  sons  certaines  réserves  que  nous  avons  indi- 
quées ailleurs  :  Traité  théor,  et  prat,  du  droit  pénal  {2*^  édit.),  t.  5,  no  2016, 
p.  298. 

**  On  cite  le  texte  d'un  arrêt  de  la  Cour  de  cass.  du  27  avril  1832  (B.  n\, 
p.  123),  comme  ayant  admis  Je  droit  de  récusation  des  experts  en  matière 
criminelle.  Mais  cet  arrêt  rapporté  par  Meslier,  Des  expertises  criminelles^ 
p.  85,  ne  se  retrouve  pas  et  son  texte  paraît  inventé.  La  question  se  rattache 
au  problème  plus  général  de  l'application,  à  l'expertise  répressive,  des  rè^Hes 
de  l'expertise  civile.  Sur  celte  question,  la  jurisprudence  est  fixée  dans  le 
sens  de  la  néjçative  :  Crim.  rej.,  16  févr.  1855  (D.  55.  1.  350);  12  mars  1857 
(D.  57.  1.  182);  Crim.  cass.,  2  janv.  J858  (I).  58.  1.  47);  Crim.  rej.,  27  déc. 
1879  (D.  J.  G.  Supplément,  v®  Expert^  n®  185,  note  2).  Kn  conséquence  les 
causes  de  récusation  contre  les  experts  en  matière  civile  ne  sont  pas  admises 
contre  les  experts  en  matière  répressive.  Voy.  Cour  Paris  du  10  janv. 
1896  (D.  97.  1.  37)  :  c  Attendu  que  la  demande  de  L...  se  formule  en 
une  demande  en  récusation  de  l'un  des  experts  nommés  d'office,  la- 
quelle demande  ne  pourrait  trouver  sa  base  .légale  que  dans  l'article 
310  du  Code  de  procédure  civile;  que  les  règles  de  l'expertise,  en  matière 
criminelle  ou  correctionnelle,  doivent  être  recherchées,  non  dans  le  Code 
de  procédure  civile,  mais  dans  les  articles  43  et  44  du  Code  d'instruc- 
tion criminelle  lesquels  ne  prévoient  pas  et  par  suite  ne  permettent  pas 
d'admettre  aucuns  motifs  de  récusation  des  experts,  nommés  d'office  par  le 
juge;  qu'il  résulte  de  l'absence  de  toute  disposition  à  cet  égard,  dans  le 
Code  d'instruction  criminelle,  que  le  législateur,  en  n'impartissant  pas  de 


596        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

tion,  rinculpc  n'ait  aucun  droit  de  reprocher  un  eiperU  c*est 
ce  qu'il  faul  hieo  admellre,  puisque  Teipertest  un  délégué 
du  juge. Mais,  plus  lard,  à  Paudience,  lorsque  Teipert  vien- 
dra expliquer  soo  rapport,  il  pourra,  sans  doute,  le  reprocher, 
puisque  la  jurisprudcDce  considère  alors  Teipert  comme  un 
témoin. 

Mais  le  rapport  decetexpert,  reproché  comme  témoin,  n*eD 
restera  pas  inoins  au  dossier,  et  sera  placé  sous  les  veux  des 
jurés  ou  du  tribunal  correctionoeL  Ne  serait-il  pas  plus  logi- 
que de  donner  à  l'inculpé  le  droit  de  récuser  Teipert,  au 
moment  même  de  sa  nomination,  par  assimilation  de  Texpert 
au  juge?  Le  Code  d*iu8truction  criminelle  ne  prévoit,  nulle 
part,  la  récusation  desmagistratspar  l'inculpé.  Mais  une  juris- 
prudence constante  déclare  que  les  dispositions  du  Code  de 
procédure  civile,  concernant  la  récusation  individuelle  des 
magistrats,  sont  applicables  en  matière  criminelle ''.  Par 
analoffic,  pourquoi  n 'autoriserait-on  pas  la  récusation  de 
Tcxpcrl,  pour  les  mêmes  causes  qui  autorisent  la  récusation 
du  juge?  L'expert,  luiaussi,a  une  sorte  du  jugementà  rendre 

d<^lai  h  Taction  et  en  ne  limilant  pas  les  motifs  pour  lesquels  elle  pourrait 
être  exercée,  a   entendu  refuser   aux    inculpés  le  droit  de  récusation  des 
expert»,  Rominés  par  le  juge  au  criminel,  droit  qu'il  n'a  accordé   aux  par- 
lies,  »iu*en   le    réglementant,  dans    le  Ct)de  de  procédure    civile,  pour  les 
exp«;rls   nommés  dans   les  instances  civiles;  qu'en  Tabsence  de    texte   re- 
connaissant aux  inculpés  le  droit  de  récusation,  il  ne  saurait  appartenir  aux 
trihunaux  de  suppléer  au  silence  de  la  loi;  que  si,  dans  Tancien  droit  crimi- 
nel, N*   prévenu  et  la  partie  civile  pouvaient  proposer,  contre  les  experts, 
les  mêmes  causes  de  r*cusHtion  que  contre  les  juges  et  les  témoins,  celle 
faculté  était  la  conséquence  des  preuves  légales;  que,  dans  notre  droit  ac- 
tuel au  contraire,  le  juge  n'est  pas  lié  par  lopinion  des  experts  qu*il  a  nom- 
més, et,  (levant  lui,  la  partie  civile  et  le  prévenu  peuvent  discuter  librement 
l'opinion  émise  par  les  experts  et   y  opposer  toutes  les  autorités,  tous  les 
renseignements  propres  à  les  combattre,  faire  connaître  les  motifs  particu- 
liers di;  liaine  ou  d'affection  qui  auraient  pu   déterminer  leur  opinion,  que 
ce  droit  de  discussion  complète  plus  sûrement  que  toute  procédure  de  récu- 
sation et  assure,  en  tous  les  cas,  les  garanties  de  la  libre  défense  des  accusés 
et  des  prévenus...  »  Comp.  Mangin,  De  llmtruction  civile,  n"  81;  Faustin 
Hélie,  Imtr.  crtm.,  U  4,  n»  1890,  p.  526  et  527. 

««  Nîmes,  8  janv.  1880  (D.  82.    2.  96);  Cass.,  12  janv.  1884  (D.  85.  1. 
V26). 


NATURE   DE   l'EXPBRTISB.  597 

OU  plutôt  d  avis  à  donner.  Mais  biea  que  cet  avis  ne  soit  pas 
obligatoire,  il  est  d'une  importance  souvent  décisive,  et  sa 
valeur  dépend  autanl  de  Tinipartialité  de  celui  qui  Témet 
que  de  sa  compétence  scientifique  ou  technique''. 

319.  Si  les  eiperts,  dont  les  rapports  ont  été  sanctionnés 
par  jugements  passés  en  force  de  chose  jugée,  ne  peuvent 
être  recherchés,  à  raison  des  erreurs  de  fait  ou  des  inexacti- 
tudes commises  dans  leurs  rapports,  et  s'ils  sont  couverts 
par  Taulorité  qui  s'attache  à  la  décision  du  juge  auquel  ils 
n'ont  donné  qu'un  avis^\  ils  peuvent,  au  contraire,  être 
déclarés  responsables,  s'il  y  a  eu  dol  ou  fraude  de  leur  part, 
et  que  ce  dol  ou  cette  fraude  ait  causé  un  préjudice  à  autrui  ^'. 
L'article  1382  du  Code  civil  est,  en  effet,  la  base,  la  limite  et 
la  condition  de  leur  responsabilité,  car  la  faute,  qui  peut  être 
reprochée  à  l'expert,  est  celle  qui  résulte  de  sa  mauvaise  foi 
et  non  de  son  inexpérience  ou  de  son  ignorance,  puisqu'il 
est  couvert,  à  cet  égard,  par  la  commise  du  juge. 

320.  Le  mode  de  vérification  par  expertise  n'a  acquis  toute 
son  importance  que  dans  le  droit  moderne.  Ce  n'est  pas  qu'il 
ait  été  étranger  aux  législations  passées.  Dès  qu'il  a  existé  des 
juges,  ceux-ci  ont  eu  besoin  d'hommes  plus  compétents 
qu'eux-mêmes  pour  éclairer  leur  conscience.  Mais,  avec  le 
développement  scientifique  moderne  et  la  division  des  com- 
pétences qui  en  a  été  la  suite,  l'expertise  est  devenue,  dans 
un  grand  nombre  de  procès  criminels,  dans  les  plus  douteux 
surtout,  le  procédé  d'instruction  décisif.  La  médecine  légale 
notamment,  secondée  par  les  sciences  diverses  qui  lui  serveQt 

*'  Le  Code  de  procédure  criminelle  autrichien  de  1873  consacre  le  droit 
de  récuser  les  experts  ;  mais  il  n*énonce  pas  les  motifs  de  récusation  qui 
sont  laissés  à  l'appréciation  des  juges  :  c*est,  du  reste,  le  môme  régime  qui 
est  suivi  pour  les  magistrats  (§§  67  à  69,  72,  120  et  121).  Le  Code  de  pro- 
cédure allemand  de  1877  déclare  expressément  que  les  motifs  de  récusation 
sont  les  mômes  pour  les  experts  que  pour  les  juges. 

«*  Voy.  Pau,  30  déc.  1863  (S.  64. 2.  3),  la  note  et  les  renvois.  Adde,  Sour- 
dat.  Traité  de  la  respomabilitéj  t  1 ,  n<^  679  bis. 

*«  Cass.  req.,  31  janv.  1900  (S.  1900.  1.  403). 


598        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREOVB. 

d'auxiliaires,  a  Gni  par  conquérir,  devant  les  tribunaux  de 
répression,  une  place  prépondérante.  Dans  les  temps  passés, 
elle  n'était  rien  ou  presque  rien;  par  un  retour  habituel  aoi 
choses  humaines,  elle  tend  à  être  tout.  L'école  positiviste 
demande  même  qu'on  substitue,  au  jury  populaire,  un  jury 
technique,  et  que  le  jugement  pénal  soit  l'œuvre  non  de 
magistrats  ou  de  jurés,  mais  d'experts.  Y  aurait-il  chance, 
avec  cette  réforme,  d'éviter  ou  tout  au  moins  de  diminuer  les 
défaillances  de  la  justice  criminelle?  Si  l'on  parcourt  les  rela- 
tions des  cas,  plus  ou  moins  avérés,  d'erreurs  judiciaires, 
«  on  reconnaît  ordinairement,  sinon  toujours,  que  c'est  i 
l'expertise  qu'il  faut  les  imputer'*  ».  Et  ceux  qui  ont  suivi 
de  près  les  affaires  criminelles,  dans  ces  dernières  années, 
seraient  presque  tentés  de  proclamer  la  «  faillite  de  l'exper- 
tise judiciaire  ».  Il  est  certain  que  toute  réforme  qui  tendra  à 
augmenter  la  capacité  des  experts,  à  entourer  leur  choix  de 
nouvelles  et  meilleures  garanties,  à  organiser  le  contrôle  et 
la  contradiction  de  leurs  opérations,  rendra  moins  fréqueois 
les  fâcheux  accidents  qu'on  reproche  à  ce  procédé  d'instruc- 
tion. Mais  il  est  prudent  de  ne  pas  oublier  l'incertitude  des 
constatations  des  experts,  leurs  contradictions,  leurs  erreurs, 

"  Cette  observation  est  faite  par  le  D'  Lescœur,  professeur  de  toxicologie  à 
rUniversité  de  Lille  [Vexpertise  contradictoire ^  Kev,  pénit.,  1905,  p.  1216). 
Voy.  également  D'  Lacassagne,  Les  médecins  experts  et  les  erreurs  jxtdi- 
ciaires  (Rev,  scientifique,  1897,  p.  4);  Lailler  et  Vonoven,  Les  erreurs  judi- 
ciaires et  leurs  causes  (Paris,  Pedone,  ch.  III,   p.  9  et  suiv.).  Les  pro- 
cès qui  dans  ces  derniers  temps,  ont  surtout  attiré  Tattention  publique 
sur  les  erreurs  des  expertises,  sont  :  1®  Affaire  de  la  femme  Druaux.  Voy. 
Lailler  et  Vonoven,  op.  cit.,  p.  112,  114,  165,  179,  406  à  418;  Lacassagne, 
op.  cit.,  p.  5.  Pour  la  revision  de  la  condamnation  :  Cass.,  26  juin  1896 
(S.  99.  1.  425)  et  Bataille,  Causes  criminelles  etmondaines  de  1896,  p.  231  à 
247);  2*   Affaire  Danval.  Empoisonnement  par  Tarsenic;  3o  Affaire   de 
Thèrboriste  Moreau.   Double   empoisonnement  par   Tarsenic.    L'intoxica- 
tion chronique  par  le  cuivre,  qui  était  une  vérité  scientifique,  il  y  a  quelques 
années,  est,  aujourd'hui,  rayée  de  la  toxicologie.  «  L'intoxication  aiguë 
subsiste,  écrit  le  D'  Lescœur  (op.  cit.,  p.  1216,  note  2),  mais  sans  offrir  de 
gravité  particulière.  Il  est  inadmissible  que  ce  métal  occupe  le  troisième  rang 
dans  la  statistique  des  cas  d'empoisonnements  criminels.  On  peut   entre- 
voir au  sujet  du  cuivre  de  nombreuses  erreurs  judiciaires  ». 


NATURE  DE  l'eXPERTISB.  899 

en  un  mot  leur  faillibilité,  quand  on  prétend  supprimer  le 
Juge  ou  tout  au  moins  la  liberté  d'appréciation  du  juge. 
L'expertise,  comme  tout  autre  procédé  d'instruction,  a  besoin 
d'être  soumise  à  un  double  contrôle,  celui  des  parties,  dans  les 
débats,  et  celui  du  juge,  dans  la  décision.  Les  réformes  de 
l'expertise  doivent  particulièrement  porter  sur  la  compétence 
des  experts  et  sur  la  contradiction  de  leurs  opérations. 

321.  Bien  que  l'opinion  de  l'expert  ne  s'impose  pas  au  juge, 
on  s'est  demandé,  en  raison  de  Tinfluence  que  son  autorité 
morale  peut  exercer  sur  l'esprit  du  tribunal,  si  la  loi  ne  devait 
pas  réglementer,  avec  soin,  la  matière  de  l'expertise,  suivant  les 
divers  ordres  de  renseignements  qui  peuvent  intéresser  la  jus- 
tice? Nous  croyons,  contrairement  à  une  opinion  aâsez  généra- 
lement soutenue,  que  toute  réglementation,  trop  précise  et 
trop  rigoureuse,  irait  contre  le  but  même  que  Ton  se  propo- 
serait d'atteindre. 

Deux  principes  généraux  paraissent,  en  effet,  s'imposer. 

Le  premier  est  la  liberté  du  choix  laissée  aux  tribunaux, 
entre  les  divers  spécialistes  qui  peuvent  être  appelés  à  éclai- 
rer la  justice.  Il  ne  faut  pas  essayer  de  limiter,  par  des  questions 
de  nationalité,  de  sexe,  de  diplômes,  la  confiance  naturelle  et 
nécessaire  qui  s'adressera  au  plus  compétent.  Il  ne  faut  pas 
non  plus  que  la  désignation  des  experts  appartienne  à  d'autres 
que  les  magistrats  mêmes  auxquels  incombe  la  mission  d'ins- 
truire et  de  juger  la  cause". 

Le  second,  est  la  liberté  qui  doit  être  reconnue  au  juge  pour 
apprécier,  dans  sa  conscience,  les  résultats  de  l'expertise. 
On  Ta  dit,  avec  raison,  «  l'expertise  n'est  qu*un  verre  qui  gros- 
sit les  objets;  et  c'est  au  juge  qui  a  la  faculté  de  s'en  servir, 
à  examiner  en  toute  liberté  si  les  images  qu'elle  lui  présente 
sont  bien  nettes^'  ».  La  réglementation  de  l'expertise  ne  sau- 
rait donc  porter  que  sur  le  côté  extérieur. de  l'opération,  en 

*'  Voy.  les  observations  très  justes  que  fait  le  D'Lescœur  (Rev,  pénit., 
\90o,  p.  1221),  à  propos  de  la  tendance  de  certaines  lois  spéciales  à  faire  dé- 
signer les  experts  par  l'autorité  administrative.  Voy.  §  LXIII. 

*'  Bonnier,  op.  ciL,  t.  1,  no  111. 


600        PHOCiDURE  PÉNALE.  —  DB  lA  PRBUVB. 

un  mot  sur  la  procédure.  Mais,  ici,  la  procédure  se  lie  aa 
fond  du  droit,  eu  ce  seos  que,  suiraut  rorganisalion  de  Tei- 
pertise,  les  renseignements  qu*elle  fourniraà  la  justice,  seroat 
plus  ou  moins  sérieui  et  utilisables. 

Du  reste,  ce  n'est  pas  par  excèside  précision  et  de  précaution 
que  pèche  la  loi  française.  Nous  ne  trouvons  meationaée 
l'expertise  qu*en  ce  qui  touche  l'instruction  préparatoire.  Deai 
teites  seulement  du  Code  d'instruction  criminelle  s'en  occu- 
pent, les  articles  43  et  44.  Aux  termes  de  l'article  43,  le  ma- 
gistrat, chargé  de  procéder  aux  premiers  actes  d'iQstructiop,se 
fait  accompagner,  au  besoin,  d'une  ou  deux  personnes  présa- 
mécs,  par  leur  art  ou  profession,  capables  d'apprécier  la  oa- 
ture  et  les  circonstances  du  délit.  L'article  44,  reproduisant 
l'ordonnance  de  1670  (tit.  IV,  art.  1),  ainsi  qu'une  déclara- 
tion du  5  septembre  1712,  veut  que,  toutes  les  fois  qu'il  s'agit 
d'une  mort  violente,  ou  d'une  mort  dont  la  cause  est  incon- 
nue et  suspecte,  un  ou  deux  ofGciers  de  santé  fassent  leur 
rapport  sur  les  causes  de  la  mort  ou  sur  l'état  du  cadavre'*. 

La  seule  règle  de  procédure  concerne  le  serment  de  «  faire 
son  rapport  et  de  donner  son  avis  en  son  honneur  et  coQS- 
cience  »  que  l'expert  doit  prêter,  avant  ses  opérations,  devant 
les  magistrats  qui  l'ont  commis,  aux  termes  du  même  arti- 
cle 44,  serment  dont  il  doit  être  fait  mention  au  procjbs-verbal. 

Lq  silence  du  Gode  d'instruction  criminelle  sur  la  marche 
de  l'expertise  donne  lieu  à  la  question  générale  de  savoir  si  le 
juge  pénal  peut  admettre  ou  rejeter,  à  son  gré,  les  formes 
prescrites  par  le  Code  de  procédure  pour  l'expertise  civile 
(art.  303  et  suiv.). 

Ce  n'est  pas  que  l'expertise  criminelle  diffère  de  l'expertise 
civile  par  son  but  ou  par  les  circonstances  dans  lesquelles 
elle  est  employée.  L'une  et  l'autre  interviennent  à  propos 
d'une  question  qui  exige,  pour  être  examinée  et  résolue,  des 
connaissances  spéciales  :  le  juge,  qui  ne  possède  pas  ces  con- 
naissances, a  recours  à  des  auxiliaires  qu'il  commet  pourTé- 
clairer.  II  en  résulte  que  les  deux  expertises  ont  un  certain 

*•  Cet  article  est,  du  reste,  corrolwré  par  l'article  81  du  Code  civil. 


NATURE  DE   l'eXPERTISE.  601 

nombre  de  points  commuas.  G^est  ainsi  qu*au  civil  comme 
au  pénal,  le  juge  décide  souverainement  sur  Topportuoité 
d'une  expertise;  que,  dans  les  deux  cas,  il  Tordonne  par  ju- 
gement; qu'il  n*est  pas  limité  dans  son  choix;  que  Texpert 
puise  son  titre  dans  la  confiance  du  juge  et  reçoit  de  lui  seul 
sa  mission,  encore  qu'il  ait  été  proposé,  au  choix  du  juge« 
par  les  parties.  Une  règle  commune  à  l'expertise  civile  et  à 
Texpertise  criminelle  résulte  de  cette  dernière  constatation. 
Les  experts,  désignés  par  justice,  ne  pourraient  pas  déléguer,  à 
des  tiers,  tout  ou  partie  de  leurs  fonctions.  Ils  doivent  procé- 
der eux-mêmes,  et  en  collaboration,  s'ils  sont  plusieurs,  à  toutes 
les  appréciations  que  comporte  la  mission  dont  ils  sont  char- 
gés. Mais,  en  confiant,  soit  à  Tun  d'eux,  pris  isolément,  soit 
même  à  un  tiers,  une  opération  purement  matérielle,  ne  com- 
portant aucune  appréciation,  les  experts  ne  délèguent  pas 
les  pouvoirs  qu'ils  tiennent  de  leur  mandat  de  justice,  puis- 
qu'ils demeurent  libres  de  tirer  de  cette  opération  matérielle 
les  conclusions  qu'elle  peut  entraîner  pour  l'accomplissement 
de  leur  mission'^.  Au  civil  comme  au  pénal,  les  experts  entrent 
en  fonctions  par  le  serment  qu'ils  prêtent  de  bien  remplir  la 
mission  qui  leur  est  confiée.  L'autorité  du  rapport  des  experts 
et  la  foi  qui  doit  être  accordée  à  leurs  déclarations  ne  sont 
pas  différentes  dans  tes  deux  ordres  de  procès.  La  règle  com- 
mune est  l'entière  liberté  d'appréciation  pour  le  juge. 

Mais  la  procédure  criminelle  est  différente  de  la  procédure 
civile  dans  son  organisation  et  dans  son  but.  Tandis  qu'en 
matière  civile,  l'instruction  du  procès  appartient  exclusive- 
ment aux  parties  et  que  celles-ci  participent  à  la  désignation 


"  Stc,Cass.,  i5  mai  1876  (S.  76.  i.  305);  Lyon,  12  avril  1897  (S.  97. 
2.  293).  Dans  Tespècede  ce  dernier  arrêl,  il  s'agissait  d*un  médecin,  expert 
en  matière  d'accident,  chargé  d'examiner  l'état  d*un  blessé,  qui  avait  fait 
photographier  le  pied  de  ce  blessé,  au  moyen  des  rayons  X  par  un  con- 
frère. On  prétendait  qu'il  avait  ainsi  délégué  illégalement  ses  pouvoirs 
d*expert  à  un  tiers.  Mais  il  s'agissait  là  d'une  opération  matérielle,  ne  com- 
portant aucune  appréciation,  et  dont  l'auteur  ne  participait  en  rien,  par  con- 
séquent, à  la  mission  d'un  expert  Voy.  Oscar  et  Dejean,  Traité  théor.  et  praU 
des  expertises,  3**  éd.,  par  Flamand  et  Peltier,  n^  432. 


602  PROCÉDCRE   PENALE.    —  DE  UL  PRKUTB. 

des  ei[>erts  et  au  contrôle  de  leurs  opératioos,  en  matière  pé- 
nale, riastructioQ  du  procès  est  l'œuvre  de  la  justice  elle- 
même.  Aussi  la  jurisprudence  n'a  pas  cru  devoir  puiser,  à  cm 
deux  points  de  vue,  dans  le  t^ode  de  procédure  civile,  poar 
suppléer  à  Tabsence  de  réglementation  de  Texpertise  crimi- 
nelle. Ce  qui  caractérise,  en  efTet^  la  [Pratique  de  cette  mesure 
d'instruction,  c'est,  tout  à  la  fois,  le  choix  arbitraire  de  Tex* 
pert  par  le  magistrat  instructeur  ou  la  juridiction  saisie,  sans 
que  le  prévenu  ait  le  droit  de  contrôler  ce  choix  dans  une  me- 
sure quelconque,  et  le  manque  de  contradiction,  dans  les  opé- 
rations de  Texpertise,  qui  sont  faites  en  dehors  des  intéressés. 


§  LVIII.  —  NOMINATION  ET  CHOIX  DES  EXPERTS. 

322.  L'expertise  est  une  mesure  d'iostruction,  soit  de  la  période  préparatoire,  soit 
de  la  période  définitive  de  la  procédure.  —  323.  Dans  la  période  préparatoire, 
expcilise,  s^jit  en  cas  de  flat^raot  délit,  soit  dans  les  cas  ordioaires,  soit  dans  l'eiH 
qu(>t(;  officieuse.  —  324.  Dans  la  période  définitive,  l'expert  est  commis  par  la 
Juridiction  :  tribunaux  de  police,  tribunaux  correctionnels,  cours  d'assises,  llfaot 
un  Jugement  ou  un  arrêt.  En  cour  d'assises,  cependant,  le  président  peut  com- 
mettre un  export  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétionnaire.  —  325.  Chambre  d'ac* 
cusution.  Président  de  la  cour  d'assises  dans  les  intersessions.  —  326.  Le  choix 
des  experts  n'est  pas  limité.  Mineur.  Interdit.  Etranger.  Femme.  —  327.  L'o^ 
donnance  ou  le  Jugement  qui  nomme  les  experts  doit  préciser  les  questions  à  ré- 
soudre. 

322.  L'expertise  est  une  mesure  d^instruction,  employée, 
soit  dans  la  période  préparatoire^  soit  dans  la,  période  défini- 
tive  de  la  procédure  *. 

323.  Une  expertise  peut  être  ordonnée,  par  chacun  des 
pouvoirs  qui  concourent  à  Vinstriiction  de  Taffaire,  avant  soQ 
renvoi  devant  le  juge  du  crime  ou  du  délit.  En  effet,  le  droit 

%  LVIll.  *  La  réquisition  ou  commise  de  l'expert,  dans  cette  période, 
peut  être  orale  ou  écrite.  Le  premier  mode  est  naturellement  réservé  aux 
expertises  les  plus  urgentes.  Dans  tous  les  autres  cas,  la  réquisition  est  faite 
sous  la  forme  d*un  avertissement  ou  d*une  simple  lettre  remise  sans  frais 
par  un  agent  de  police,  un  garde  champêtre  ou  un  gendarme.  Le  plus  fré* 
quemment  cette  pièce  revêt  la  forme,  soit  d'un  réquisitoire,  soit  d'une 
ordonnance.  On  consultera  les  ouvrages  spéciaux,  pour  les  formules. 


NOMINATION   ET  OHOIX   DBS  EXPERTS.  603 

de  la  prescrire  est  uae  conséquence  de  celui  de  procéder  à 
rinstruction  et  en  dérive. 

Le  Gode,  ne  s'élant  occupé  de  Texpertise  que  pour  le  cas 
spécial  de  flagrant  délit,  donne  le  droit  d'ordonner  cette  me- 
mre,  dans  les  articles  43  et  44,  au  procureur  de  la  Républi- 
que, et,  dans  l'article  59,  au  juge  d'instruction.  Mais  il  faut 
autoriser  le  premier  de  ces  magistrats,  lorsqu'il  procède  à 
une  enquête  officieuse,  destinée  à  l'éclairer,  avant  tout  exer- 
oice  de  l'action  publique ^  à  commettre  un  expert,  qui  ne  prê- 
tera pas  serment,  et  dont  le  rapport  ne  sera  consulté  qu'à  titre 
de  simples  renseignements'. 

Quant  au  juge  d'instruction,  il  puise  le  droit  d'ordonner 
une  expertise,  au  cours  de  l'information  officielle,  dans  l'ar- 
ticle 6i  qui  lui  reconnaît  un  pouvoir  général  pour  faire  tous 
actes  d'instruction  qu'il  jugera  utiles,  sauf  à  communiquer 
le  dossier  de  la  procédure  au  procureur  de  la  République, 
lorsque  celui-ci  en  fera  la  demande. 

324.  En  ce  qui  concerne  la  période  du  jugement,  même 
devatil  les  cours  d'assises,  nos  Codes  sont  muets  sur  ce  mode 
dinstruction  :  l'expertise  est  cependant  d'un  fréquent  emploi. 
On  doit  y  recourir,  soit  qu'aucune  expertise  n'ait  eu  lieu  dans 
l'instruction  préparatoire,  soit  que  l'expertise  faite  paraisse 
insuffisante.  Cette  mesure  est,  en  effet,  légitimée  par  sa  néces- 
ûié  même,  et  s'impose  dès  qu'il  apparaît  que,  parce  procédé, 
on  a  quelque  chance  de  découvrir  la  vérité  '. 

L'expertise, dans  la  procédure  des  débats,  peut  êtreordonnée 
d'office  ou  sur  la  demande  des  parties.  L'expertise  doit  être 
3rdonnée  d'office,  si  elle  offre  un  moyen  d'aboutir  à  la  solution 
je  l'affaire,  en  fixant  un  des  éléments  de  la  décision.  Mais  si 
[es  juges  y  voient  une  mesure  inutile  et  frustratoire,  alors, 
nais  alors  seulement,  il  leur  est  permis  de  la  rejeter,  malgré 
les  conclusions  des  parties.  Dans  ce  cas,  ils  sont  tenus  de  moti- 

'^  La  pratique  des  enquêtes  officieuses  8*est  développée  depuis  quelques 
innées.  Voy.  G.  Le  Poittevin,  Dictionnaire  formulaire  des  Parquets^  3*  éd.» 
r*  Enquête  officieuse  et  v*  Experts, 

»  Cass.,  12  janv.  1856  (B.  cr.^  no  18). 


601        PROCÉDURK  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

ver  leur  décision,  c'est-à-dire  de  déclarer  eipressémeat,  çoit 
que  le  fait  doritTexpertise  sollicitée  aurait  pour  objet  d'établir 
la  vérité  ne  semble  ai  pertiaent  ui  coQcluaat,  soit  que  le  tri- 
bunal possède,  en  dehors  de  l'expertise,  des  éléments  de  coq- 
viction  suffisants  pour  n'avoir  pas  besoin  de  ceux  qu'elle  lai 
apporterait*. 

Par  analogie  avec  les  règles  de  la  procédure  civile  (G.  pr. 
civ.,  art.  303)  et  par  les  mêmes  raisons,  l'expertise,  en  matière 
répressive,  ne  peut  être  ordonnée  que  par  un  jugement,  nom^ 
mant  le  ou  les  experts,  et  déterminant,  avec  précision,  les 
questions  qu'ils  auront  à  résoudre.  C'est,  à  ce  double  point  de 
vue,  que  nous  devons  examiner  les  conditions  d'une  décision 
d'expertise.  Il  importe,  toutefois,  de  remarquer  que  si  la 
nomination  d'un  ou  plusieurs  experts  doit  être  faite,  en  police 
simple  ou  en  police  correctionnelle,  par  le  tribunal,  elle  peat 
l'être,  en  cour  d'assises,  soit  par  le  président^  dans  l'exercice 
de  son  pouvoir  discrétionnaire,  soit  par  la  cour,  dans  l'exercice 
de  son  pouvoir  de  juridiction.  Il  n'y  a,  en  effet,  dans  l'utilisa- 
tion des  experts  à  la  découverte  de  la  vérité,  aucune  déroga- 
tion aux  règles  ordinaires  des  preuves,  mais  seulement  l'emploi 
d'un  moyen  usuel  d'instruction,  d'où  il  suit  que  cette  mesare 
n'appartient  pas  à  la  partie  incommunicable  du  pouvoir  dis- 
crétionnaire du  président  de  la  cour  d'assises*. 

Mais  si  le  président  et  la  cour  peuvent  ordonner  la  même 

*  Voy.  Cass.,  17  avr.  1874  (D.  75.  1.  238). 

^  Le  président  de  la  cour  d'assises  peut  ordonner  une  expertise,  «puis- 
que Tarticle  269  du  Code  d'instruction  criminelle  lui  donne  le  droit  d'appeler, 
dans  le  cours  des  débats,  toutes  personnes  qui  lui  paraîtraient  pouvoir 
répandre  un  jour  utile  sur  le  fait  contesté  ».  Sic,  Cass.,  19  sept.  1839  {B,cr,, 
no  301).  Un  autre  arrêt  reconnaît  ce  droit  à  la  cour  d'assises,  u  puisqu'il 
suffit  qu'elle  juge  qu'un  acte  d'instruction  est  nécessaire  pour  pouvoir  ror- 
donner  ».  Cass.,  17  janv.1839  [B.cr.,  n'24r).  Quant  au  départ  de  la  compé- 
tence respective,  à  cet  égard,  du  président  et  de  la  cour, il  suffilde  remarquer 
que  la  cour  pourra  seule  ordonner  cette  mesure,  si  elle  est  sollicitée  par  des 
conclusions  formelles  des  parties  ;  la  demande  d'expertise  forme  alors  un 
incident  contentieux  que  la  cour  seule  a  qualité  pour  trancher.  SiCf  Cass.» 
29  nov.  1872  (B.  cr.,  n^  296;.  Dans  tous  les  autres  cas,  les  pouvoirs  du  pré- 
sident et  de  la  cour  sont  parallèles. 


VOUmJLTlGH  m  CHOIX   DBS  BXPBRTS.  605 

esore,  celle  mesure,  suivant  qu'elle  est  ordonnée  par  l'un 
\  par  Tautre^  ne  doit  pas  avoir  le  même  caractère.  Toutes  les 
esures  que  prend  le  président  en  vertu  de  son  pouvoir  dis- 
étionnaire,  sont  considérées  comme  de  simples  reoseigne- 
ents  (C.  instr.  cr.,  art.  269).  Toutes  celles  que  prend  la  cour 
!  doivent  être  produites  qu'avec  le  caractère  de  preuves.  Et 
conséquence,  c*est  que  les  experts,  nommés  par  la  cour, 
»vroat  prêter  le  serment  prescrit  par  l'article  44,  avant  de 
►mmencer  leurs  opérations,  et  le  serment  des  témoins  lors- 
j'ils  seront  entendus  à  l'audience,  tandis  que  les  experts, 
)mmés  par  le  président,  seront  entendus  à  Taudience  sans 
^estation  de  sermentV 

325.  En  dehors  du  juge  d'instruction,  du  procureur  de  la 
épublique  et  des  tribunaux  de  répression,  la  chambre  (Tac- 
isalion^  elle  aussi,  peut  ordonner  une  expertise  ou  un  supplé- 
icnt  d'expertise.  Et  il  a  même  été  décidé  que  lorsqu'en  or- 
3nnant  un  supplément  d'instruction,  pour  la  vérification, 
ir  expert,  d'une  pièce  arguée  de  faux,  la  chambre  d'accusa- 
DU  n'a  pas  nommé  les  experts;  le  conseiller,  parelle  commis 
3ut  les  nommer  et  recevoir  leur  serment,  sans  excéder  ses 
Duvoirs  et  sans  violer  aucune  loi,  par  la  raison  que  les  arti- 
es  196,  232,  305  .et  3i6  du  Code  de  procédure  civile  sont 
ins  application  à  la  procédure  criminelle  sur  un  faux  prin- 
pal. 

Le  président  de  la  cour  d'assises,  dans  la  périodequi  s'étend 
e  l'arrêt  de  la  chambre  d'accusation  à  la  comparution  de 
accusé  devant  la  cour,  est  seuIinvesti,nolammenlpar  l'article 
î6,  d'un  pouvoir  d'instruction,  lia  donc,  pendant  celle  pé- 
ode,  où  la  chambre  d'accusation  n'est  plus  saisie,  où  la 
)ur  ne  l'est  pas  encore,  le  droit  exclusif  de  commettre  des 

•  Celte  (Jislinclion,  bien  qu'acceptée  par  la  jurisprudence,  est  limitt'îe  par 
théorie  d'après  laquelle  la  prestation  de  serment  d*un  expert  nommé  parle 
ésident  ou  d'un  témoin  entendu  en  vertu  du  pouvoir  discrétionnaire  ne 
cie  pas  la  procédure,  qui  serait,  au  contraire,  viciée,  si  un  expert  nommé 
ir  la  cour  ou  un  témoin  régulièrement  cité  ne  prêtaient  pas  serment.  Voy. 
ISS.,  2  juin.  4846  (B.  cr.y  n*»  169). 


606        PROCÉDURE  PBNALB.  —  OE  LA,  PRBOVB. 

experts  :  par  exemple, à  l*eSet  d'examioer  Tétat mental  de  lac* 
casé.  Mais  lorsque  la  cour  d*assÎ8es,  pendant  sa  session,  a,  par 
arrêt,  nommé  des  experts,  le  président  n*esl  pas  compétent 
pour  remplacer  Tun  des  experts  empêché,  alor$  même  que 
la  démission  de  l'expert  se  produirait  .hors  session,  à  la  suite 
d'im  renvoi  de  TatTaire^.  C*est  que,  en  effet,  le  procès  esteotré 
dans  la  période  des  débals  contradictoires.  L'expert  ne  peut 
être  remplacé  que  lors  de  la  prochaine  session  des  assises  el 
en  présence  de  Taccusé  et  de  son  conseil.  Cet  état  de  choses, 
qui  résulte  du  mécanisme  même  de  la  procédure  et  des  pou- 
voirs respectifs  de  chacun  des  organismes  qui  concourent  au 
jugement  en  cour  d'assises,  a  des  inconvénients  sérieux 
qu^une  revision  seule  de  la  loi  pourrait  faire  disparaître. 

326.  Le  choix  des  diverses  autorités  qui  ordonnent  une  ex- 
pertise doit  porter  sur  des  personnes  capables,  mais  tonte 
personne  peut,  en  principe,  expertiser  et  aucune  n'en  aie 
monopole.  Ces  deux  règles  générales,  qui  sont  communes  à 
Texperlise  criminelle  et  à  Texpertise  civile,  ne  s'appliquent 
cependant  pas,  à  Tune  et  à  Tautre,  dans  les  mêmes  conditions. 

Toute  personne  peut,  en  règle  générale,  être  choisie 
comme  expert.  Le  principe  de  la  liberté  du  travail,  proclamé 
par  Tarlicle  7  du  décret  du  7  mars  1791,  a  entraîné  la  sup- 
pression des  experts-jurés  qui  possédaient  autrefois,  à  titre 
d'oftice  le  privilège  de  faire  les  expertises  afférentes  à  leur 
état'.  Mais  il  est  des  incapacités  d'être  expert,  qui  résultent: 
—  soit  de  la  loi,  en  cas  de  condamnation  entraînant  la  dégra- 
dation civique  (C.  pén.,  art.  34),  ou  d'interdiction  du  droit 
d'être  expert  par  application  de  l'article  42  du  Code  pénal;  — 
soit  de  l'impossibilité  de  rénnir,sur  une  même  tête,  deuxquali- 
tés  contradictoires  et  incompatibles  :  ainsi  nesauraient  être  ex- 
perts, les  juges  ou  les  jurés  faisant  partie  du  jury  de  jugement. 

"  Cass.,  19  juin.  1893  (S.  96.  1.  59).  Voy.  Faustin  Hélie,  op.  cit.,  l.  7, 
n»  3303. 

•  NotammeDt  il  y  avait  des  «  jurés  chirurgiens  en  titre  d'office  ».  Voy. 
détails  intéressants  dans  La  médecine  judiciaire  en  France  au  xvn^  stéc/f, 
par  L.  Locard  (Lyon,  Th.  méd.,  1902),  p.  70. 


NOMINATION   ET   CHOIX   DES   EXPERTS.  607 

£q  règle  géaérale,  un  étranger,  une  femme  pourraient,  sans 
illégalité,  être  chargés  d'une  expertise'-  La  loi,  en  effet,  n'é- 
dicte  aucune  prohibition,  laissant  aux  tribunaux  le  soin  de 
faire  un  choix  judicieux  et  approprié  aux  circonstances  qui 
peuvent  se  présenter.  Or,  il  y  a  des  questions  que  seul  un 
étranger  sera  capable  de  résoudre;  s*il  s'agit,  par  exemple, 
de  déterminer  et  d'apprécier  une  circonstance  de  fait  qui  a  eu 
lieu  dans  son  pays.  D'un  autre  côté,  certaines  missions  sem- 
blent devoir  incomber  tout  naturellement  à  la  femme,  soit 
à  raison  de  ses  aptitudes  spéciales,  soit  par  des  considéra- 
tions de  convenance. 

Les  motifs  qui  portent  certains  auteurs  à  exclure  du  droit 
d'être  experts  les  étrangers  et  les  femmes  sont  tirés  de  deux 
considérations  principales. 

Les  articles  34  et  42  du  Code  pénal  placent,  sur  la  même 
ligne,  l'incapacité  d'être  expert  et  celle  d'être  employé  comme 
témoin  dans  les  actes.  Cette  assimilation  du  témoin  instru- 
mentaire  à  l'expert  conduirait  à  exiger  de  ce  dernier  non  seu- 
lement la  qualité  de  Français,  mais  celle  de  citoyen  et  à 
exclure,  par  conséquent,  de  cette  mission,  les  étrangers,  les 
faillis  non  réhabilités.  Mais  ce  raisonnement,  qui  a  pour  con- 
séquence d'exiger  la  capacité  politique  pour  une  mission  qui 
né  demande  que  des  connaissances  toutes  spéciales,  et  à  écar- 
ter des  personnes  plus  aptes  que  d'autres  à  donner  des  éclair- 
cissements sur  le  point  en  litige,  exagère  la  portée  de  ces 
dispositions,  car  il  serait  téméraire  de  tirer  des  articles  34 
et  42  une  solution  générale  qui  n*a  pas  été  dans  la  pensée  du 
législateur.  Du  reste,  la  qualité  d'expert  dans  ce  texte,  n*cst 
pas  davantage  assimilée   à  celle  de   témoin  instrumentaire 

*  SauT,  cependant,  en  ce  qui  concerne  les  experts  en  médecine,  la  loi  du 
30  Dovembre  1892  exigeant  qu'ils  soient  Français  (art.  44,  §  31).  Cette 
disposition  a  fait  cesser  la  controverse,  on  ce  qui  concerne  la  nationalité  que 
doivent  avoir  les  médecins  experts.  La  Cour  de  cassation  avait  admis  qu*en 
matière  criminelle  notamment,  un  docteur  étranger  pouvait  procéder  à  une 
expertise  :  Cass.,  16  déc.  1847  (D.  47.  1.  238).  Bien  entendu,  les  médecins 
naturalisés  français,  après  avoir  fait  leurs  études  à  l'étranger,  peuvent, 
comme  les  docteurs  français,  recevoir  le  titre  d'experts. 


608         PROCÉDURE  PtNALB.  —  DB  LA  PREUVE. 


qu'à  celle  de  témoin  en  justice.  Dans  Tarticle  3i  notammeDt, 
rindÎTÎdu  frappé  de  la  dégradation  civique  ne  peut  pas  plus 
être  témoin  en  justice  qu'être  témoin  dans  les  actes.  Or,  il 
est  bien  certain  qu*un  étranger,  qu*une  femme  peuvent  dé- 
poser en  justice**. 

Il  est  Trai  que  l'expert,  régulièrement  nommé,  est  consi- 
déré, par  la  jurisprudence,  comme  un  citoyen  chaîné  d'an 
ministère  de  service  public,  protégé,  en  conséquence,  contre 
les  outrages  qu'il  reçoit  dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  par 
l'article  224  du  Code  pénal,  mais,  celte  jurisprudence  se  place 
dans  le  cas  le  plus  ordinaire,  celui  où  l'expert^  nommé  d'office, 
est  citoyen  français,  mâle  et  majeur;  elle  n'a  pas  eu  pour  ob- 
jet de  limiter  le  choix  des  experts  à  certaines  catégories  de 
personnes  :  tout  ce  qu'on  peut  légitimement  en  conclure, c^est 
que  si  l'expert  ne  réunit  pas  ces  trois  qualités,  il  ne  sera  pas 
regardé  comme  investi  d'un  service  public**. 

Il  n'y  a,  du  reste,  aucune  incompatibilité  entre  la  qualité 
d'expert  et  celle  de  témoin;  il  peut  arriver,  en  effet,  quelque- 
fois que  la  même  personne  Ggure  dans  les  débats  en  qualité 
d'expert  et  de  témoin  :  par  exemple,  si  un  témoin  est  chargé 
d'une  expertise,  ou  si  un  expert  est  appelé  en  témoignage,  il 
doit  alors  prêter,  en  chacune  de  ces  qualités,  le  serment  qui  y 
correspond**. 

327.  L'ordonnance  ou  le  jugement  qui  nomme  le  ou  les 
experts  doit  préciser  les  questions  à  résoudre.  Les  expertises 
incomplètes  ont  souvent  pour  cause  l'insuffisance  et  l'incohé- 
rence de  la  décision  qui  les  ordonne.  On  ne  saurait  donc  trop 

•0  Du  reste,  depuis  la  loi  du  "décembre  1897,  la  femme  peutsigner  comme 
l(^moin  dans  tous  les  actes  instrumentai res  (art.  1).  L'objection  s'appliquait 
donc  à  l'état  de  choses  antérieur  à  cette  loi. 

^'  Nous  ne  parlons  pas  :  i^  des  mineurs  qui,  à  raison  de  leur  âge  même, 
n'auraient  pas  l'expérience  compatible  avec  la  qualité  d'expert  (Voy.  la  note 
de  M.  Olasscn  sous  un  arr*  t  de  Nancy,  du  9  février  1886,  dans  D.  87.  2. 
20);  2"  ni  des  personnes  intirdUes  judiciairement  qui  sont  présumées  ne 
pas  jouir  de  leur  raison;  3^  ni  des  alimcs  non  interdits.  Mais  ce  sont  là  des 
incapacités  naturelles  et  non  légales. 

'»  Voy.  Cass.,  27  janv.  1887  (S.  87.  i.  188). 


NOMINATION  ET   CHOIX  DBS   EXPERTS.  609 

recommander,  soit  aux  magistrats  instrucleurs,  soit  aux  tri- 
bunaux, de  se  pénétrer  de  cette  vérité  qu'une  question  bien 
posée  est  presque  toujours  facilement  résolue.  Il  ne  faut  pas 
craindre  de  procéder  par  voie  d'analyse,  car,  la  plupart  du 
temps,  il  s'agit  d'éclairer  le  juge  sur  des  faits  qui  se  condition- 
nent les  uns  les  autres  et  dans  lesquels  le  rapport  de  cause 
à  effet  sera  d'autant  mieux  élucidé  par  l'expert  qu'il  sera 
mieux  décomposé  par  le  juge.  L'analyse  est,  du  reste,  la  mé- 
thode d'invesûgqiion  des  vérités  encore  ignorées,  et  l'expertise 
a  précisément  pour  but  de  les  découvrir.  On  trouvera,  dans  un 
certain  nombre  d'ouvrages  techniques,  des  exemples  et  des 
leçons. 

Nous  ne  nous  dissimulons  pas,  du  reste,  que,  pour  pouvoir 
tracer  nettement  la  mission  d'une  expertise,  comme  pour  pou- 
voir en  comprendre  et  en  contrôler  les  résultais,  il  est  néces- 
saire que  le  juge  ait  lui-même  certaines  connaissances 
techniques  et  des  «  clartés  de  tout  »,  sans  lesquelles  on  ne 
saurait  utilement  et  consciencieusement  exercer  le  magistère 
pénal.  Si,  dans  l'expertise,  la  solution  du  problème  scienti- 
fique incombe  au  spécialiste,  l'énoncé  doit  en  élre  fait  par  le 
magistrat  et  suppose,  de  sa  pari,  au  moins  une  connaissance 
succincte  des  objels  sur  lesquels  porte  sa  décision  ou  sa  ré- 
quisition. 

Il  importe  d'abord  de  savoir  qui  il  faut  interroger,  c'est-à- 
dire  quelle  espèce  d'expert  il  faut  choisir.  A  cet  égard,  dans 
bien  des  cas,  des  praticiens  pourront  rendre  plus  de  services 
que  des  savanls.  11  faut  également  savoir  sur  quoi  on  peut  in- 
terroger. Les  limites  du  savoir  de  rex[)ert  ne  peuvent  èlre 
indiquées  a  priori.  Mais  il  est  aussi  ridicule  de  trop  deman- 
der, qu'il  est  imprévoyant  de  ne  pas  assez  demander.  Enfin,  il 
faut  saisir  le  moment  où  l'on  doit  interroger,  c'est-à-dire 
l'époque  à  laquelle  les  matériaux,  déjà  réunis,  permettront 
d'obtenir  des  renseignements  utilisables.  On  s'imagine, 
parfois,  que  l'expert  n'a  qu'à  s'occuper  de  l'objet  limité 
de 'sa  mission,  mais  on  oublie  que  toute  question,  même 
limitée,  implique,  en  matière  d'expertise,  des  difficultés 
que  l'expert  consciencieux  ne  peut  résoudre  s'il  ne  cou- 
G.  P.  p.  —  I.  39 


610         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

natt  le  dossier  et  les  circoDstances  qui  ont  accompagné  le 


crime  ". 


§  LIX.  -  MARCHE   DE   L'EXPERTISE. 

328.  Absence  de  toute  règle  précise  dans  le  Code  d'instruction  criminelle.  Doable 
conséquence  qui  en  résulte,  soit  au  point  de  vue  de  lu  nomination  des  experts, 
soit  au  point  de  vue  du  caractère  non  contradictoire  de  Texpertise.  —  329.  Nom- 
bre des  experts.  Pouvoir  arbitraire  des  tribunaux  de  répres.sion.  —  330.  Carac- 
tère non  contradictoire  de  Texpertise  criminelle.  —  331.  L*organisation  contra- 
dictoire de  Texpcrtise  criminelle  est  une  réforme  depuis  longtemps  demandée. 
Comment  la  réaliser.  Difficultés.  —  332.  Choix  de  ou  des  experts.  Liste  d  experts. 

328.  Uabsence  de  toute  règle  précise,  dans  le  Code  d'ins- 
truction criminelle,  sur  la  marche  de  Texpertise,  a  fait  décider: 
!•  que  c'est  an  tribunal  ei  non  aux  parties  à  désigner  le  ouïes 
experts;  2*  que  Texperlise  en  matière  criminelle,  correclion- 
nelle  et  de  police,  n'a  pas  le  caractère  contradictoire  qu'elle 
doit  avoir  en  matière  civile.  Ces  deux  solutions  dérivent  de  la 
nature  même  de  la  procédure  inquisitoire,  dans  laquelle  la 
recherche  de  la  certitude  est  faite  par  le  juge  ou  au  nom  du 
juge. 

329.  Kn  cas  de  flagrant  délit^  le  Code  a  fixé  à  un  ou  deux, 
le  nombre  des  experts  que  le  magistrat  pouvait  commettre 
(art.  43).  Pour  les  autres  cas,  il  ne  contient  aucune  disposition 
sur  le  nombre  des  experts.  Faut-il,  dans  le  silence  de  la  loi 
criminelle,  recourir  aux  dispositions  de  Tarticle  303  du  Code 
de  procédure  civile,  d'après  lesquelles  :  «  L'expertise  ne  pourra 
se  faire  que  par  trois  experts,  à  moins  que  les  parties  ne  con- 
sentent qu'il  y  soit  procédé  par  un  seul  »  ?  Mais,  dans  la  pro- 
cédure criminelle,  l'expertise  est  un  moyen  d'instruction 
que  le  juge  ordonne  de  son  initiative.  Le  juge  n'a  pas,  comme 
en  matière  civile,  le  rôle  d'un  arbitre  entre  les  parties.  D'où 
il  suit  que,  à  défaut  d'un  texte  précis,  la  jurisprudence 
donne,  au  magistrat  de  répression,  le  droit  absolu,  soit  d'ordon- 
ner une  expertise,  soit  de  fixer  le  nombre  des  experts.  Sui- 

*3  Sur  tous  ces  i)oints  :  Ilanns  Gross,  op,  ci7.,  t.  1,  p.  178  à  316,  dans  le 
chap.  intitulé  :  L'expert  et  la  manière  de  l'utiliser. 


MARCHE   DE   l'bXPERTISE.  611 

int  qu'il  le  jugera  nécessaire,  il  en  prendra  un  ou  plusieurs. 
e  n'est  là  qu'une  conséquence  logique  du  type  inquisitorial 
e  notre  instruction  criminelle. 

Pendant  longtemps,  l'usage  a  été,  en  France,  de  désigner 
)ujours  deux  experts,  quelquefois  trois^  en  cas  d'expertise 
lédico-légale.  Il  suffit,  pour  s*en  assurer,  de  parcourir  les 
uvrages  de  médecine  légale,  publiés  dans  la  première  moitié 
u  XIX'  siècle,  notamment  ceux  d'Orfila  et  de  Devergié.  Mais, 
cpuis  1867,  par  des  circulaires  successives^  et  dans  le  but 
'économiser  les  frais  de  justice  criminelle,  la  Chancellerie 
rescrit  de  ne  désigner  qu'^m  seul  expert.  Sans  doute,  elle 
*a  pas  eu  la  pensée  d'ériger  ce  conseil  en  une  règle  inflexible  ; 
est  une  simple  recommandation  administrative  qu^elle  for- 
lule^  Il  y  a  des  opérations  qui  ne  peuvent  être  bien  faites 
u'avec  deux  experts  :  telles  les  autopsies.  Mais,  pour  la  plu- 
art,  un  seul  expert  est  suffisant  ^. 

330.  L'expert  procédera  à  ses  opérations,  sans  avoir  à  mettre 
3S  partiesen  demeure  de  les  contrôler  ou  de  les  contredire  par 
îurassislance.  Le  caractère  non  contradictoire  de  Texperlise, 

§  LIX.  *  Je  renvoie  à  trois  circulaires  successives  de  la  Chancollerie  :  l°La 
•emière  est  celle  du  0  février  1867.  Touleri  prolestant  contrôla  facilité  avec 
quelle  certains  magistrats  désignaient,  «  de  prime  abord  et  sans  distinction, 
usieurs  experts  »,  cette  circulaire  posait  seulement,  en  principe,  qu*  «  il 
ifGt  de  désigner  un  expert  dans  les  cas  ordinaires,  comme  ceux  de  sinif)les 
mpset  blessures,  et  deu.r  pour  les  autopsies  et  opérations  qui  ne  peuvent 
isse  renouveler  ».  .le  remarque,  en  effet,  que  toute  autopsie  médico-l<?gale 
)it  être  laite  par  deux  médecins  dans  les  paya  de  langue  allemande;  2®  La 
rculaire  du  23  février  i887  sur  les  Irais  de  justice  allait  plus  avant  dans 
tte  direction.  Elle  recommandait  aux  magistrats  de  ne  commettre  qu'un 
:pert  unique.  <«  Lps  affaires  qui  présentent  des  difficultés  particulières 
examen,  nécessitant  la  désignation  de  plusieurs  médecins  ou  experts,  sont 
lativement  rares  »;  3*  Ktifin,  la  circulaire  du  22  juillet  1900,  prescrivant  des 
lonomies  en  matière  de  frais  de  justice,  rappelle,  à  cet  égarrl,  les  instruc- 
Dns  de  la  circulaire  de  1887  :  «  Les  magistrats  perdent  trop  souvent  de  vue 
s  instructions  prescrivant  de  ne  commettre  qu'un  seul  expert  ». 
"^  Sauf  la  question,  que^nous  examinons  plus  loin,  d»'  savoir  si  chaque  par- 
e  ne  devrait  paspouroir  choisir  son  expert  sur  une  liste  de  capacités.  C'est 
ne  des  formes  sous  lesquelles  se  présente  la  question  d»*  Texpertise  conlra- 
ictoire. 


612        PROCÉDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

dans  la  procédure  préliminaire,  est  un  trait  qui  lui  est  com- 
mun avec  tous  les  autres  actes  de  l'instruction*.  Il  n'est  dooc 
pas  contestable.  Mais,  dans  la  procédure  des  débats,  où  toos 
les  éléments  de  preuve  sont  soumis  à  la  discussion  contradic- 
toire, dans  leur  source  comme  dans  leur  production,  il  sem- 
ble que  la  jurisprudence  aurait  dû  appliquer,  à  Texpertise  cri- 
minelle, les  règles  du  Code  de  procédure  civile  (art.  305), 
qui  soumet  ce  mode  de  preuve  au  contrôle  des  parties  intéres- 
sées. Elle  ne  Ta  pas  fait,  et  il  est  aujourd'hui,  de  pratique  cod- 
strinte,  que  l'expert  procède  à  toutes  ses  opérations,  sans  avoir 
à  en  aviser  les  parties.  Ainsi,  tandis  que  le  procès-verbal  de 
prestation  de  serment  des  experts,  nommés  en  matière  civile, 
indique  les  lieu,  jour  et  heure  de  la  première  opération  ;  qu'il 
est  signifié  aux  parties  qui  ne  seraient  pas  présentes;  que,  à  la 
fin  de  chaque  séance,  les  experts  indiquent  où  et  quand  aura 
lieu  la  suivante;  en  un  mot  qu'en  matière  civile,  les  parties, 
qui  ne  sont  pas  présentes  ou  représentées,  ne  peuvent  s'en 
prendre  qu'à  elles-mêmes  de  leur  ignorance  des  opérations; 
aucune  de  ces  règles  n'est  prescrite  en  matière  criminelle*: 
les  experts  procèdent,  seuls  et  sans  contrôle,  à  toutes  les  opé- 
rations extérieures  qui  servent  de  base  à  leurs  conclusioas, 
autopsie,  analyse  chimique,  visite  de  lieux,  etc.  Bien  entendu, 
l'inculpé,  le  prévenu  ou  l'accusé  a  le  droit  de  provoquer,  à 
ses  frais,  une  contre-expertise  :  mais  le  rapport  du  contre- 
expert,  simple  document  de  la  cause,  ne  sera  pas  fait  sous  la 

^  San!"  l'iiiL«Mn>;^aluirii  t'I  la  confrontai  ion,  depuis  la  loi  du  S  décembre 
1S07.  Nous  •ximi  lions,  plus  loin,  la  «jucstioti  de  savoir  si  les  ordonnances  du 
JM^^i'  d'insIriK'.iinri  par  Icsfpjf'Ilfs  ce  maprislrat  <lésif^ne  un  ou  plusieurs  ex- 
perts doivent  iMre  innnc'diateinenl  f>orlées  à  la  connaissance  du  conseil. 
Voy.  sur  r.ctte  (pieslion  :  Cass.,  22  juin  <89S  (S.  1901.  \.  V63)  et  la  note  de 
M.  HoMx;  8  d.'ceinhre  imi\[>.  ilM)2.  1.  101);  :'.  janvier  <90l  (S.  1902.  1.  103). 
Mais,  qn»?ll«'  «pjp  snit  l'opinion  adoptée  sur  c«^lle  question,  il  est  bien  cer- 
tain qui'  1«'  rap[»Mrt  d'i^xpcrt,  faisant  partie  des  pi('ces  du  dossier,  devra  être 
rominuniiju»'',  avec  \o  dossier,  au  défenseur  de  l'inculpé,  dans  les  conditions 
d<'  la  loi  du  S  déc<'rnhre  4Sy7. 

*  Cass.,  27  décembre  1870  (S.  81. 1.  487);  27  janvier  1887  (S.  87.  1.188); 
li»  novembre  189*  (S.  9**).  1.  jo).  Comp.  Faustin  Hélie,  op,  cit,^  t.  4, 
n'-  1891  »'t  1897,  t.  0,  n"  2021. 


1 

i 


MARCHE  DE   l'eXPBRTISE.  613 

01  du  serment,  n*aura  qu'une  valeur  purement  ofCcieuse,  il 
le  pourra  en  être  fait  état  qu'à  titre  de  renseignement.  De 
>lus,  le  conlre-expert  sera  obligé,  presque  toujours,  de  con- 
idérer  comme  exactes  les  opérations  qui  auront  élé  faites  par 
'expert  officiel,  puisqu'il  ne  sera  pas  appelé  à  contrôler  ces 
>péra(ions.  Son  rôle  se  bornera  à  discuter,  au  point  de  vue 
cientifique,  les  conclusions  qui  auront  été  prises  sur  des  faits 
[u'il  ne  connaîtra  que  par  le  rapport. 

331.  On  s'est  demandé  s*il  n'y  avait  pas  un  réel  danger  à 
confier  à  un  seul  expert  ce  pouvoir  considérable  de  trancher, 
sans  contrôle,  les  questions  qui  lui  sont  posées.  Aujourd'hui, 
)û  la  tendance  est  d'objectiver  la  preuve  et  de  se  fier  à  Tin- 
;erprétation  des  faits  plus  qu'à  la  déposition  des  personnes, 
l'expertise  est  souvent,  dans  un  procès  criminel,  le  mode  de 
preuve  déterminant.  Or,  la  fréquentation  forcée  des  parquets, 
l'habitude  de  se  trouver  mêlé  aux  investigations  des  magis- 
trats, influent,  àTinsu  de  l'expert  lui-même,  sur  son  indépen- 
dance d'appréciation.  Sa  qualité  d'auxiliaire  de  la  justice  se 
transforme  assez  facilement  en  la  qualité  d'auxiliaire  de  l'ac* 
L'usation.  Nous  répéterons  donc,  après  tant  d'autres  :  il  n'y  a 
de  garantie  pour  l'accusé  i\ue  da,i\sï expertise  contradictoire. 

La  difficulté,  en  réalité,  porte  moins  sur  le  principe  de  la 
réforme  que  sur  son  organisation.  En  effet,  d'où  pourrait 
résulter  la  contradiction?  Par  quel  ensemble  de  règles  fau- 
drait-il protéger  les  intérêts  des  deux  parties,  l'accusateur  et 
Taccusé?  Bien  des  syslèmtîsonlété  proposés,  ou  même  ont  été 
essayés  en  France  et  à  l'étranger.  A  vrai  dire,  aucun  ne  paruît 
absolument  satisfaisant,  et  le  problème  de  l'expertise  contra- 
dictoire est  un  des  plus  embarrassants,  un  de  ceux  qui  se 
prêtent  aux  solutions  les  plus  divergentes. 

La  première  idée  qui  vient  à  l'esprit,  c'est  un  retour  au 
système  de  l'ancienne  procédure.  Jadis,  chaque  partie  nom- 
mait son  expert*.  En  modernisant  ce  système,  on  pourrait^ 

'  Les  juj^cs  (levaient  choisir  les  experts,  dans  le  système  de  l'ordonnance 
Je  1070,  «  du  grc  et  du  consentement  des  parties,  afin  de  leur  ôter  tout 


61  i  PROCÉDURE  PÉNALE.    —   DE   LA   PREUVE. 

soit  faire  nommer,  par  le  magistrat  instructeur  ou  le  tribunal, 
cleu\  experts,  l'un  proposé  parle  ministère  public,  l'autre,  par 
Tinculpé,  soit  laisser  à  chaque  partie  le  droit  de  désigner 
son  expert,  le  rapport,  dans  tous  les  cas,  devant  être  commun. 
Mais  ce  système  a  deux  inconvénients  graves  qui  nous  rendent 
très  sceptiques  sur  les  résultats  de  la  réforme  :  le  premier, 
c*est  que  chaque  expert,  ayant  en  quelque  sorte  pour  cliente 
l'une  des  parties,  le  ministère  public  et  Tinculpé,  serait  porté 
à  se  préoccuper  plus  de  la  défense  de  ses  droits  que  de  la  re- 
cherche de  la  vérité;  le  second,  c'est  qu'il  y  aurait  presque 
toujours  lieu  à  partage  et,  dès  lors,  à  la  nomination  d'un  tiers 
expert,  laquelle  entraînerait  des  retards  et  de  nouveaux 
frais.  Ce  système  ébranlerait  donc,  sans  grande  utilité,  la 
neutralité  de  Texperlise.  Confiez  la  même  tâche  à  deux  ex- 
perts :  si  Tun  ne  devient  pas  la  doublure  de  l'autre,  il  sera 
son  adversaire  :  la  discussion  scientifique  et  technique  tour- 
nera en  lutte  d'amour-propre  où  sombrera  trop  souvent  l'im- 
partialité de  l'un  et  de  l'autre.  Il  est  vrai  qu'on  a  proposé  la 
création,  dans  chaque  centre  judiciaire  important,  d'un  con- 
seil suprême  de  médecine  légale,  chargé  de  départager  les 
experts.  Ce  conseil,  à  peu  près  inutile  pour  les  questions  de 
fait  qu'il  serait  hors  d'état  de  trancher,  offrirait,  il  est  vrai, 
de  réelles  garanties,  lorsque  le  désaccord  porterait  sur  l'ap- 
préciation et  la  portée  scientifique  de  telle  ou  telle  constata- 
tion, mais  ce  rouage  bien  compliqué  fonctionnerait  aussi 
utilement  pour  contrôler  un  expert  unique  que  pour  contrôler 
deux  experts*. 

sujet  de  «iôfianoe  et  de  soupçon  ».  Coiup.  lit.  V,  art.  2  de  Tord,  de  1670. 
Voy.  Muyarl  de  Vouglans,  Im^tr,  cr.,  p.  141.  Sur  l'origine  de  celle  règle  : 
Gcnesteix,  L'expertise  criminelle  en  France  [TU,  de  doct.,  Paris,  1900), 
p.  93. 

•  Le  doott*ur  Jiiibler  répondiiit,  a  la  proj^osition  qui  était  faite  au  Congr»?5 
international  de  nuMJecine  légale  do  1878,  d'adopter  trois  experts  en  malien? 
criminel!»*  o«»mme  an  civil  :  «  CVsl  parce  que  la  cause  est  plus  grave,  c'est 
•<  parce  que  rintér^^'t  est  majeur  que,  pour  ma  part,  je  ne  voudrais  pas  trois 
«  experts.  Si  je  ne  lignais  pas  compte  des  imperfections  humaines  et  de  la 
«  faillibilit»^  de  chacun,  je  n'en  voudrais  qu'un  seul,  mais  un  seul  choisi 
*•  parmi  les  hommes  présentant  le  plus  de  garantie,  et  aussi  compétent  que 


MARCHE   DE  l'eXPEETISE.  615 

Une  autre  coaceptioo,  plus  pratique  à  mou  seas,  et  plus 
acceptable,  serait  d'organiser  la  contradictioQ,  seulement  par 
la  surveillance  et  lecontrâle,  en  donnant  au  ministère  public, 
au  prévenu  et  à  la  partie  civile,  s*il  y  en  a  une,  le  droit  d'as- 
sister ou  de  se  faire  représenter  au^  opérations  extérieures  de 
l'expertise,  c'est-à-dire  aux  constatations.  Ce  sont  ces  opéra- 
tions qui,  bien  ou  mal  exécutées,  rendront  un  rapport  exact  ou 
inexact,  les  conclusions  n'en  étant  que  la  conséquence.  Un 
seul  expert,  si  Ton  veut,  mais  un  expert  d'une  compétence 
indispensable  et  un  expert  surveillé  et  contrôlé.  Cette  garan- 
tie serait  complétée,  par  l'autorisation  donnée  aux  parties 
de  soumettre  les  opérations  et  les  conclusions  de  l'expertise 
au  contrôle  d'une  sorte  de  juridiction  scientifique  supérieure 
exercée  par  des  commissions  spéciales,  des  corps  savants,  qui, 
à  raison  de  leur  haute  compétence,  'émettraient  un  avis  défi- 
nitif et  sans  appel.  C'est  le  système  qui  fonctionne  dans  cer- 
tains cantons  de  la  Suisse,  et  en  Allemagne,  où  on  l'appelle 
le  surarbitrage. 

332.  Far  cela  même  que  les  magistrats  instructeurs  et  les 
tribunaux  sont  autorisés  et  même  invités  à  ne  nommer  qu'un 
expert  unique,  ils  doivent  s'adresser  à  celui  qui  se  recomman- 
dera par  sa  fermeté,  son  mérite,  son  intégrité  et  surtout  son 
expérience  personnelle.  Aussi,  est-il  indispensable  de  désigner, 
par  une  sélection  rigoureuse,  les  personnes  qui  seront  ordi- 
nairement chargées  de  la  mission  d'expert  et  qui  acquerront 
ainsi  une  compétence  spéciale.  Une  circulaire  de  la  Chancel- 
lerie du  30  septembre  1826,  rappelée  dans  une.  circulaire  du  16 

«  possible.  Kn  voici  les  motifs  :  c\;st  que  plus  vous  augmeutez  le  nombre 
«  des  hommes  appol«'*s  à  rlonner  leur  avis,  plus  vous  diminuez  la  responsa- 
«  bilité  de  chacun,  alors  que,  au  contraire,  la  responsabilité  p^se  de  tout 
<c  son  poids  sur  la  tt}te  de  celui  qui  vient  affirmer  ou  nier,  par  exemple, 
«  Texistence  d'un  emp<)isonnemenl.  C'est  pour  cela  que  jf  voudrais  qu'il  fût 
«  seul  et  que  lui  seul  en  portât  la  responsabilité  ".  A  l'inverse,  le  docteur 
Lacassagne  {Les  médecins  experts  et  les  erreurs  judiciaires,  Rev,  scient,^ 
i897,  p.  10),  pense  qu'il  est  «  de  toute  nécessité  de  désigner,  pour  les  gros- 
ses affaires  criminelles,  deux  experts  ». 


616  PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE   LA   PREUVE. 

août  1842,  prescrit  de  choisir,  dans  chaque  cour  ou  tribunal, 
et  à  l'avance,  les  hommes  les  plus  expérimentés  et  d'en  dres- 
ser une  liste.  On  généralise  ainsi  la  disposition  d'un  cdit  de 
février  1692 qui  exigeait  qu'il  y  eût,  dans  toutes  les  villes,  des 
chirurgiens-jurés,  chargés,  à  l'exclusion  de  tous  autres,  de 
faire  les  rapports  et  «  visitalions  ».  L'art.  68  du  projet  de  loi 
sur  la  reforme  du  Code  d'instruction  criminelle,  aurait  rendu 
s'il  avait  été  adopté,  cette  pratique  obligatoire \  Il  disposait 
en  effet,  en  ces  termes  :  «  La  liste  des  experts  qui  exercent 
((  devant  les  tribunaux  est  dressée  chaque  année,  pour  Tan- 
a  née  courante,  par  les  cours  d'appel,  sur  l'avis  des  facultés. 
«  des  tribunaux  civils  et  des  tribunaux  et  chambres  de  com- 
«  merce  ».  Un  premier  pas,  dans  cette  voie,  et  le  plus  impor- 
tant, a  été  fait  par  un  décret  du  21  novembre  1893,  rendu 
en  exécution  de  l'article  14  de  la  loi  du  3U  novembre  1892, 
qui  a  prescrit  l'établissement,  dans  chaque  ressort  de  cour 
d'appel,  d'une  liste  annuelle  de  médecins  experts,  auxquels 
seuls  dorénavant  pourront  être  confiées  les  expertises  médico- 
légales.  Toutefois,  l'article  13  de  ce  décret  réserve  les  cas 
prévus  aux  articles  43  et  44  du  Code  d'instruction  criminelle, 
c'est-à-dire  les  expertises  ordonnées  en  cas  de  flagrant  délit 
ou  d'urgence  par  le  procureur  delà  République'. 

Malgré  la  confection  de  ce  tableau  des  experts  agréés,  les 
magistrats  sont  libres,  en  principe,  de  désigner,  comme  experts, 
des  personnes  qui  n'y  figurent  pas.  Kt  il  en  sera  toujours 
ainsi,  cette  sélection  officielle  fût-elle  prescrite  par  la  loi.  C'est 
que,  en  ofTel,  la  liste  des  experts  sera  imparfaite  et  incomplète 
dans  nombre  de  tribunaux  :  les  analyses  chimiques,  par 
exemple,  dont  la  nécessité  est  si  fréquente,  ne  pourront  être 
faites,  en  général,  que  par  un  spécialiste  de  Paris  ou  d'un 
grand  centre.  Dans  certaines  affaires,  un  praticien  ou  un 
amateur  sera  plus  utilement  consulté  qu'un  savant  ou  un  pro- 
fesseur.   D'où  il  suit,  qu'aucune  règle  ne  peut  limiter,  à 

'  Voy.  BulL  (le  la  soc,  de  Uqis,,  etc,  1886,  p.  602. 

*Led«^creL  du  21  nov.  1803  est  anaivs»?  et  cummenté  dans  un  article  «le 
Coiitagnc,  Les  jnvdecins  experts  devant  les  tribunaux  (\rchiv,  d'anthrop. 
crim.,  1.  9,  p.  90  ai 01). 


DROITS  ET  DEVOIRS  DES   EXPERTS.  617 

Vavance,  le  choix  des  tribunaux  et  que  toute  liste,  quelque 
officielle  qu'elle  soit,  n*est  destinée,  dans  la  pensée  de  ceux 
qui  Tarrêtent,  qu'à  donner  des  indications.  Nous  venons  de 
voir  cependant  que  le  décret  du  21  novembre  1893  fait  excep- 
tion à  cette  liberté  du  choix. 


§  LX.  —  DROITS  ET  DEVOIRS  DES  EXPERTS. 

333.  Du  serment  des  experts.  Sa  formule.  EIIp  n'eHt  pas  sacramentelle,  k  la  diffé- 
rence de  la  formule  du  serment  d^s  témoins  et  des  jurés.  —  334.  Lu  prestation 
de  serment  et  sa  constatation  régulière  sont  des  conditions  de  validité  de  toute 
expertise.  Ni  les  mairistrats  ni  les  parties  ne  peuvent  di^tpenser  l'expert  du  ser- 
ment prescrit  par  la  loi.  —  335.  Le  serment  doit  être  prêté  avant  le  commence- 
ment des  opérations  et  il  s'étend  à  toutes  les  (ipérations  que  l'expert  peut  avoir  à 
reproduire  et  à  ajouter  pendant  tout  le  cours  di;  l'afTaire.  —  336.  Le  serment  ne 
garantit  que  les  opérations  faites  dans  la  phase  de  procédure  pour  laquelle  l'expert 
a  été  commis.  L'expert,  appeli*  à  l'audience,  pour  rendre  compte  de  ses  opérations 
ou  de  ses  conclusions,  prête  le  serment  de  témoin.  —  337.  Le  président  de  la 
cour  d'assises  qui  commet  un  expert,  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétionnaire,  ne 
peut  le  dispenser  du  serment  en  tant  qn'il  procède  comme  expert.  —  338.  Ques- 
tions accessoires  sur  les  droits  et  devoirs  des  experts.  —  339.  Hefus  de  concours 
de  l'expert.  Sanction  générale.  Sanction  s[»éci;ilc  instituée  pour  le  rrfus  des  méde- 
cins par  l'art.  23  de  la  loi  <lu  30  novembre  IW*.?  sur  l'exerfice  de  la  médecine. 
—  340.  Honoraires  des  experts.  Tarif.  Décret  du  21  novembre  1893  en  ce  «lui 
concerne  les  médecins. 

333.  Des  qu'il  a  été  nommé,  l^expert  doit  prêter,  devant 
les  magistrats  qui  l'ont  commis,  le  serment  de  «  faire  son 
«  rapport  et  de  donner,  son  avis  en  son  honneur  et  conscience». 
Ce  sont  les  termes  de  l'article  44  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle, relatif  à  la  procédure  d'instruction  préparatoire;  et, 
que,  à  défaut  de  toute  autre  disposition,  on  étend  à  la  procé- 
dure de  jugement.  De  cette  circonstance  et  de  la  manière 
dont  Tarticlc  4i  est  rédigé,  la  jurisprudence  a  conclu  que  la 
formule  du  serment  de  Tcxpert  n*est  pas  sacramentelle  et  que 
le  changement  de  quelqu'un  de  ses  termes^  pourvu  que  Tidée 
soit  rendue  par  équivalent,  n'emporte  pas  nullité  \  Cette 
décision  raisonnable  semblerait  devoir  s'a|)pliquer  à  tout  ser- 
ment prêté  en  justice;  mais  une  distinction,  que  les  termes  de 

§  LX.  *  Voy.  suprà,  n°  318,  p.  594. 


618        PROCÉDURE  PÉNALB.  —  DB  LA  PEBUVB. 

la  loi  expliquent  seuls,  est  faite,  à  ce  point  de  vue,  entre  le 
serment  sacramentel  des  témoins  et  des  jurés  et  le  serment 
plus  libre  des  experts  '. 

334.  La  prestation  de  serment  et  la  constatation  régulière 
de  cette  formalité  sont  des  conditions  essentielles  de  la  sincé- 
rité et  par  suite  de  la  validité  de  Texpertise'.  Toute  décision 
judiciaire  qui  fait  état  d'une  expertise,  alors  que  Texpertna 
pas  prêté  serment  ou  que  la  prestation  de  serment  n'est  pas 
régulièrement  constatée,  ce  qui  revient  au  méme\  estd'uoe 
nullité  absolue.  Ni  les  magistrats  ni  les  parties  elles-mêmes 
ne  peuvent  dispenser  l'expert  du  serment  prescrit  par 
la  loi.  La  Jurisprudence  a  souvent  décidé  qu'une  cour  d'as- 
sises, pas  plus  qu'un  tribunal  correctionnel  ou  un  tribunalde 
police,  n*était  en  droit  d'ordonner  qu'un  expert  serait  entendu 
sans  prestation  de  serment,  à  titre  de  simple  renseignement'. 
De  même,  par  de  nombreux  arrêts,  elle  a  déclaré  que  la  dis- 
pense du  serment  par  les  parties,  facultative  en  matière 
civile,  était  inopérante  en  matière  criminelle*. 

*  On  s«î  reportera  au  n©  318,  p.  504,  notes  8  et  9. 

»  C'était  déjà  la  rt'^glepos<^o  parTordonnance  de  1670  (tit.  .V,  art.  2).  Cest 
toujours  la  règle  pratique.  Voy.  Cass.,  13  juin  1835  (B.  cr.^  n*238);  \1 
septembre  i8t0  (Rcr.,  n°  275). 

*  11  est  de  rèj^lequc  toutes  les  formalités  à  accomplir  dans  Tinstruction  on 
aux  débats,  sont  réputées  n'avoir  [)as  été  accomplies,  lorsqu'elles  n'ont  pas 
été  ('«jnstalées  par  le  |)rocès-v'erbal. 

»  Cass.,  28  déc.  1893  {B.cr.,  nol80).  Mais  un  rapport  d'expert,  nul  à  rai- 
son de  l'absence  de  prestation  de  serment,  peut  être  remis  aux  jurés,  aprî^s 
la  cinture  des  débats,  et  ce,  en  vertu  de  l'article  3  U  du  Code  d'instruction  cri- 
minelle modifié  par  la  loi  du  9  juin  1853.  C'est  seulement,  déclarent  les  arrêts, 
h  titre  de  renseignements,  que  les  pièces  sont  remises  au  juré,  dont  la  con- 
viction doit  se  former  essentiellement  d'après  le  débat  oriil  qui  a  eu  lieu 
devant  eux;  il  suffit,  ajoutent-ils,  pour  la  garantie  de  l'accusé,  que  cette 
remise  ne  porte  que  sur  des  pièces  faisant  partie  du  dossier,  dont  le  con- 
seil a  eu  la  libre  communication  et  qui  ont  ainsi  été  soumises  k  la  discussion 
des  débats.  Voy.  Cass.,  16  janvier  1836  (B.  cr.,n.  15);  23  septembre  1836 
(1).  3k.  I.  il9);  10  janvier  1850  (B.  cr,,  n*»  7);  25  mars  1886  (B.  cf., 
n«  125). 

^  Une  décision,  assifz  ancienne,  a  fa'«t  l'application  de  cette  règle  dans  des 


DROITS   BT   DEVOIRS   DES   EXPERTS.  619 

335.  Le  sermeat  étaat  la  seule  garantie  légale  de  la  sin- 
cérilé  de  l'experlise^  il  en  résulte  :  1°  que  le  scrmeot  doit  être 
prêté  avant  le  commencement  des  opérations  de  l'expertise; 
2''  mais  que,  prêté  à  ce  moment-là,  le  serment  s'étend  à  toutes 
les  opérations  que  l'expert  peut  avoir  à  reproduire  et  à  ajouter 
pendant  tout  le  cours  de  TalTaire. 

I.  Lapremière  proposition  est  le  corollaire  môme  du  carac- 
tère de  l'expertise.  Le  serment  de  l'expert  est  une  formalité 
•substantielle  de  ce  procédé  d'instruction.  L'expert  est  averti, 
par  la  formule  du  serment,  qu'on  ne  lui  demande  pas  une 

•circonstances  intéressantes.  Il  s'agissait  do  blessures  pur  imprudence  :  l'ex- 
perlise  ordonnée  était  étrangère  à  la  constatation  du  délit,  et,  dans  l'instance 
d*appei  où  elle  était  intervenue,  elle  n'avait  pour  objet  que  les  intérêts  pécu- 
niaires des  parties  en  cause.  Les  experts,  nommés  par  la  cour,  avaient  con- 
clu«  comme  l'avaient  fait  les  premiers  juges  sans  expertise,  a  une  incapacité 
de  travail  de  cinq  mois.  La  cour  d*appel,  sans  faire  aucune  mention  de  cette 
expertise  nulle,  mais,  il  est  vrai,  sans  Texclure  formellement,  avait  simple- 
ment adopté,  dans  son  arrêt,  les  motifs  des  premiers  juges.  La  Cour  de 
cassation,  le  26  juin  1863  {H,  cr,,  n°  100),  cassa  l'arrêt,  déclarant  que, 
puisque  Texpertise  faite  sur  Tappel  avait  justifié  l'appréciation  des  pre- 
miers juges,  l'arrêt,  pour  confirmer  le  jugement,  s'était  nécessairement 
appuyé  sur  l'expertise  :  «  Attendu  que,  bien  que  le  dél>at  sur  l'appel 
«  paraisse  être  restreint  à  cette  question,  l'instance  engagée  par  l'exer- 
«  cice  de  l'action  publique,  ,ci  laquelle  l'action  civile  est  ultérieurement 
<«  venue  s'adjoindre,  n'en  était  pas  moins  une  instance  ouverte  devant  la 
«  juridiction  correctionnelle,  l'action  civile  présupposant  l'existence  d'un 
«  délit;  que,  dès  lors,  la  procédure  suivie  était  régie  par  les  formes  propres 
«  à  la  juridiction  répressive;  qu'une  distinction  essentielle  esta  faire  entre 
«  ces  formes  elles-mêmes  et  l'action  qui  s'y  encadre;  que  si,  relativement  à 
V  l'action,  la  partie  civile  qui  l'a  formée  peut  s'en  désister,  parce  que  cette 
M  action  n'intéresse  qu'un  droit  dont  elle  a  la  libre  disposition,  il  n'en 
«  est  pas  de  même  des  formes  établies  par  la  loi  dans  un  intérêt  géné- 
«  rai  d'ordre  public,  et  comme  -garantie  d'une  justice  régulière;  —  Qu'il 
«  n'est  pas  loisible  aux  parties  de  renoncer  à  ces  formes  essentielles  de  la 
«  juridiction  léga'ement  saisie,  pour  emprunter  celles  d'une  juridiction  dif- 
«  férente;  qu'une  telle  manière  de  procéder,  en  transportant  dans  les 
«  matières  correctionnelles  des  règles  ou  pratiques  admises  dans  les  alTaires 
4<  civiles,  détruit  toute  l'homogénéité  «les  règles  et  principes  de  la  procédure 
«  criminelle;  —  Qu'il  suit  de  ce  qui  précède,  que  le  consentement  des  par- 
te lies  ne  saurait  justifier  la  dispense  du  serment  des  experts,  prononcée  par 
«  l'arrêt  »  ... 


620  PROCÉDURE  PÉNALE.   —    DE  LA   PREUTE. 

simple  coQsultatioD,  mais  une  déclaration  qui  doit  être  Texpres- 
sioQ  «  de  son  honneur  et  de  sa  conscience  ».  Il  faut  donc  qu'il 
ne  procède  à  aucune  des  opérations  d*oii  vont  dépendre  ses 
conclusions,  avant  d*avoir  prêté  le  serment  qui  le  coostitae 
dans  ses  droits  et  dans  ses  pouvoirs. 

11.  La  seconde  proposition  résulte  de  la  formule  même  du 
serment^  fomiuie  générale,  qui  ne  porte  pas  sur  ropération 
et  la  déclaration  immédiates,  mais  sur  toutes  celles  que  l'eipert 
peut  avoir  à  reproduire  ou  à  ajouter  au  cours  de  Taffaire. 
L'expert  qui  a  déjà  opéré  en  vertu  d'un  serment  et  qui  fait, 
dans  la  même  affaire,  de  nouvelles  visites  ou  de  nouveaux 
rapports,  n'a  pas  besoin,  en  principe,  de  prêter  serment  de 
nouveau  avant  de  commencer  chacune  de  ses  opérations  1. 
Peu  importe  que,  commis,  une  première  fois,  par  le  juge 
d'instruction,  il  soit  commis,  une  seconde  fois,  par  le  conseil- 
ler chargé  d'un  supplément  d'instruction  en  vertu  de  Tarticle 
236  du  Code  d'instruction  criminelle. 

336.  Mais  il  ne  faut  pas  étendre  la  vertu  du  serment  au 
delà  de  Ja  phase  de  procédure  pour  laquelle  l'expert  a  été 
commis.  Deux  règles  corrélatives  viennent  limiter  sa  portée 
et  son  étendue.  Qu'il  soit  nommé  dans  ViTisiruction  par  les 
magistrats  qui  ont  le  droit  de  le  commettre,  ou  qu'il  soit 
nommé  au  cours  des  dé/mis  par  les  tribunaux  correctionnels 
ou  de  [jolice,  ou  par  les  cours  d'assises,  l'expert  n'a  qualité, 
pour  procéder  à  ses  opérations,  qu'en  vertu  du  serment  d'ex- 
pert préalablement  prêté  dans  chacune  de  ces  deux  phases 
de   la  procédure*.  Mais,   appelé  à   l'audience  pour   rendre 

^  .lurisprudeiiL'o  constanlH.  Voy.  nulamniefit  :  Gass.,  4  sept.  1840  [B.cr.^ 
n«  301);  2 juillet  iH'kÙ{li.  cr.,  n»  3tl3);  20 janvier  1893  (1).  95.  I.  213)  et  la 
note  suiis  c<'  dernier  arrêt  :  S/c,  Faustin  Hélie,  Inslr,  cr.^  t.  4,  ii*i896. 

*  En  ci»ris«'qijeiic»?,  si  un  expert,  «Jéja  commis  lors  fie  rinslruction,  eslîip- 
ptle  à  i'audienco  pour  Taire  une  nouvelle  expertise,  il  devra  prêter  derechef 
le  serment  prescrit  par  l'art,  'k't.  Peu  importe  que  Texpert  désigne  ait  d^jà 
prêté  le  serment  de  témoin  prescrit  par  l'art.  317  (Voy.  Cass.,  17  janv.  1851, 
H.  cr.^  rj*»  27;  30  janv.  18o5,  H.  cr.f  i\^  237).  De  sorte  que  si  un  témoin  se 
trouve  chargé  d'une  expertise  à  l'audience,  il  devra  prêter  les  deux  ser- 
ments, en  sa  double  qualité  de  témoin  et  d'expert. 


DROITS  BT  DEVOIRS  DBS  EXPERTS..  621 

compte  des  opérations  auxquelles  il  a  procédé,  l'expert  est 
un  véritable  témoio,  venant  affirmer,  devant  la  justice,  les 
faits  qu*ii  a  constatés  et  les  appréciations  qu'il  en  a  déduites, 
et,  bien  qu'il  continue  à  déposer  sous  la  foi  de  son  premier 
serment,  il  doit,  à  peine  de  nullité,  rendre  compte  de  ses 
opérations  et  de  leurs  résultats,  sous  la  garantie  d'un  nouveau 
serment,  celui  que  prêtent  les  témoins  *.  Et  la  jurisprudence 
admet  que  ce  serment  est  suffisant,  sans  adjonction  du  ser- 
ment spécial  des  experts,  lorsque  les  explications  et  dévelop- 
pements donnés  en  addition  au  rapport,  ainsi  que  les  inter- 
pellations qui  les  amènent,  ont  trait  à  Tobjet  de  l'expertise 
dont  il  est  rendu  compte  à  Taudlence,  ou  encore  lorsqu'il 
s*agit  de  détails  secondaires,  d'opérations  ne  constituant  pas 
une  expertise  proprement  dite,  mais  des  explications,  des  ren- 
seignements d'ordre  scicntifîque  et  technique. 

337.  Le  président  de  la  cour  d'assises  puise,  dans  son 
pouvoir  discrétionnaire,  le  droit  d'ordonner  une  expertise. 
Lorsque  l'expert,  ainsi  nommé,  rend  compte  de  ses  opérations 
à  l'audience,  il  ne  prête  pas  le  serment  du  témoin  et  n'est 
entendu  qu*à  titre  de  renseignement.  Mais  doit-il,  même 
nommé  par  le  président,  prêter,  avant  le  commencement  de 
ses  opérations,  entre  les  mains  de  celui-ci,  le  serment  de 
Texpert?  Le  président  de  la  cour  d'assises  ne  saurait,  pas  plus 
que  tout  autre  magistrat,  dispenser  du  serment  l'expert  qu'il 
commet.  Sans  doute,  l'expertise,  ainsi  ordonnée,  n'a  que  la 
valeur  d'un  renseignement;  mais  il  n'en  résulte  pas  que  le 
président  ait,  à  l'égard  de  la  mesure  qu'il  ordonne,  un  pou- 
voir que  n'ont  ni  le  juge  d'instruction,  ni  le  procureur  de  la 
République,  ni  les  tribunaux  de  répression  '^.  La  sincérité  de 

^  .lurisjjruflcncp  roiistanle.  Cass.,  8  janv.  18i-G  (/^  c*/.,  n"  i2i;  ">  nov. 
184«>  {B,  cr.,  no  285);  20  juin  <884  [B,  cr.,  n»  2S2);  27  janr.  1887  .S.  87.  1. 
\SH  :  I).  89. 1.  219)-  'J'aprùs  le  CoH»>  autrichien,  les  experts,  déjà  assermen- 
tés comme  tels,  doivent  seulement  «?lre  nippelés  à  la  sainfet/'  du  serment 
qu'ils  ont  prôté  comme  cx[)ftrt  (C.  proc.  crim.  aulricliien,  «i  2*7). 

*°  Après  avoir  tout  d'ahord  admis  w  droit  cie  dispen!?e,  une  jurisprudenco 
plus  récente  exige  que  l'expert  prête  serment,  quand  le  pre'sident  ne  se  con- 


622        PROCÉDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

Texpertise,  dans  la  procédure  criminelle,  a  ce  caractère  essen- 
tiel d*être  uniquement  garantie  par  la  nécessité  du  serment 
préalable.  Or,  il  n*y  a  pas  deux  catégories  d'experts,  comme 
il  y  a  deux  catégories  de  témoins  :  les  experts  officifux  et 
les  experts  officieh.  Tout  expert,  régulièrement  commis  par 
Tautorité  compétente,  procède  à  ses  opérations  au  même  titre 
et  en  la  même  qualité  :  lout  expert  doit  donc  prêter  serment, 
sans  qu'il  puisse  être  dispensé  de  Taccomplissement  de  ce 
rite,  préalable  à  son  entrée  en  fonctions. 

338.  L'examen  de  deux  questions  accessoires  complète  la 
théorie  des  devoirs  et  des  droits  des  experts  commis  par  la 
justice. 

339.  Le  ministère  d'expert,  qui  est  facultatif  en  matière 
civile,  tout  expert  désigné  pouvant  se  récuser,  ne  devrait-il 
pas  être  obligatoire  en  matière  criminelle,  à  raison  de  la  gra- 
vité des  questions  à  résoudre  et  de  Tintérêt  public  qu'elles 
présentent?  Quelques  tribunaux  ont  appliqué  à  l'expert  larti- 
cle  80  du  Code  d'instruction  criminelle,  relatif  au  refus  de 
témoigner,  en  établissant  ainsi,  entre  lui  et  le  témoin,  une 
assimilation  qui  n'est  ni  dans  la  loi  ni  dans  la  nature  des 
choses".  L'ancienne  juris[irudence  était  fort  sévère  pour  les 
médecins  ou  chirurgiens  qui  désobéissaient  à  Tordre  du  juge, 
en  refusant  leur  ministère  :  ils  pouvaient  même  être  déchus 
de  leur  titre.  La  plupart  des  Codes  étrangers  portent  que  l'ex- 
pert est  tenu  d'accepter  la  mission  qui  lui  est  confiée  et  pu- 
nissent toute  abstention  de  sa  part  d*une  amende  élevée  et, 
même,  dans  certains  cas,  d'une  peine  de  prison.  Quelques- 
uns,  mais  seulement  en  cas  de  récidive,  le  frappent  d'une 


lente  pas  des  explications  données  à  l'audience  par  l'expert  déjà  assermenté 
pendant  finstruction  prt-paraloire,  et  ordonne,  en  réalité,  une  nouvelle  ex- 
pcrtis»-.  Voy.  Cass.  crim.,  U  février  1878  (0.  79.  5.  379);  14  juin  1883  (D. 
84.  \.  48).' 

*^  Mais  si,  après  avoir  accepté  sa  mission,  l'expert  refuse  de  venir  à  l'au- 
dience déposer  sur  les  constatations  qu'il  a  faites  personnellement,  il  est 
évident  qu'il  encourt  les  peines  qui  atteignent  les  témoins  récalcitrants. 


î 


DROITS  ET  DEVOIRS  DES  EXPERTS.  623 

suspension  temporaire  de  Texercice  de  son  art  *'.  En  France, 
la  Cour  de  cassation,  en  décidant  que  l'expert  commis  est, 
au  moins  dans  certains  cas,  astreint  à  prêter  son  assistance, 
trouve  la  sanction  de  cette  obligation  dans  Farticle  475,  §  12, 
du  Code  pénal  ''.  Seront  punis,  dit  ce  texte,  d'une  amende 

"  Voy. Code  de  proc.  pén.  allemand,  g§  75,  "70  et  77  ;  Code  de  procédure 
pénale  de  Neuchîilel  de  1893  (V.  l'élude  de  Leloir,  dans  Ann,  de  légwL 
étrang.t  1893,  p.  545)  ;  Code  de  procédure  criminelle  autrichien,  §  119;  Code 
de  procédure  criminel  espagnol,  art.  420  et  423. 

*•  La  Cour  de  cassation,«par  un  arrêt  du  6  août  1836  (Bull,  criin.y  n«267),a 
appliqué  cet  article  aux  experts  reijuis,  en  cas  de  flagrant  délit,  parles  ofTiciei^s 
auxiliaires  du  procureur,  en  vertu  des  articles  43  et  50  du  Code  d'instruction 
criminelle.  Il  ne  suffît 'pas  à  ces  personnes,  pour  échapper  à  la  condamna- 
tion, d'alléguer  qu'elles  n'ont  pas  pu  y  obéir,  elles  doivent  justifier  de  ce 
fait  devant  le  tribunal,  saisi  de  la  prévention.  Mais  |il  faut  ne  pas  étendre 
cet  article  en  dehors  des  cas  qu'il  prévoit,  c'est-à-dire  en  cas  d'urgence  et 
cas  de  flagrant  délit.  —  Au  premier  point  de  vue,  'Ja  Cour  de  cassation  a 
décidé,  par  arrêt  du  18  mai  1855  {Bull,  crim.,  n®  778),  que  cette  disposition 
ne  s'appliquait,  en  matière  d'acc/rfe/it,  que  dans  les  circonstances  prévues  au 
texte  et  qui  ont  pour  caractère  l'extrême  urgence  des  constatations.  Il  s'a- 
gissait, dans  l'espèce,  d'un  médecin  qui,  requis  par  un  commissaire  de  po- 
lice, de  venir  constater  le  décès  d'un  individu  qui  avait  été  tué  par  la  chute 
d'un  ballot  de  marchandises,  avait  refusé  d'obtempérer  à  cette  réquisition, 
et  qui,  poursuivi  pour  ce  fait,  avait  été  relaxé.  «  Attendu,  déclare  la  Cour 
de  cassation  pour  rejeter  le  pourvoi,  que  la  signilicalion  légale  du  mot  acci- 
dent qui  se  trouve  dans  l'article  475,  n<*  12  du  Code  pénal,  est  limitée  par  les 
autres  événements  qu'il  dénomme,  et  que  le  refus  d'nbéir  à  la  ré({uisition 
faite  à  l'occasion  de  ces  accidents,  ne  peut  dès  lors  entramer  l'apjilication  de 
la  peine  édictée  contre  les  personnes  qui  n'étaient    pas  dans  l'impossibilité 
absolue  d'y  obtempérer  incontinent,  que  dans  le   cas  où  ils  étaient,  comme 
les  tumultes,  naufrages  et  autres  événements  y   spécifiés,  susceptibles  de 
compromettre  la  paix  ou  la  sécurité  publiques^  si  les   travaux  ou  le  secours 
requis  n'étaient  pas  immédiatement  elTectués  ou    prêtés...  ».  —  Au  second 
point  de  vue,  la  Cour  de  cassation  a  eu  l'occasion  de   préciser  ce  qu'il  faut 
entendre  par  «  flagrant  délit  »,  dans  l'affaire  dite  des  «  médecins  de  Hodez  », 
qui  a  soulevé  tant  de  discussions  et  de  polémiques  et  a  motivé  l'îirticle  23  de  la 
loi  du  30  nov.  1892.  Voy.  Cass.,  15  mars  1890  (S.  91.  1.  15)  D.192.  5.  540). 
La  Cour  de  cassation  décide  que  les  réquisitions  adressées,  conformément 
à  l'article  44  du  Code  d'instruction  criminelle,  par  le  procureur  de  la  Répu- 
blique, à  des  médecins,  à  fin  de  l'accompagner  pour  constater  les  causes  de  la 
mort  d'un  individu,  pn^sumé  assassiné,  et  les  réquisitions   réitérées  trois 
jours  après,  sont  réellement  faites  en  cas  de  flagrant  tlélit,  et,  par  suite,  le 


624  PROCÉDURE  PÉNALE.   —  DE  LA  PREUVE. 

de  6  à  10  francs,  «  ceux  qui  le  pouvant,  auront  refusé  oa 
(c  négligé  de  faire  les  travaux,  le  service,  ou  de  prêter  le 
V  secours  dont  ils  auront  été  requis,  dans  les  circonslances 
u  d'accidents,  tumultes,  naufrage,  inondation,  incendie  oa 
<(  autres  calamités,  ainsi  que  dans  les  cas  de  brigandages, 
«  pillages,  flagrant  délit,  clameur  publique  ou  exécution 
«  judiciaire  ».  Mais  c'est  là  une  bien  faible  sanction  ;  de  plus, 
rarticle475  du  Code  pénal,  supposant  Turgence,  n'est  suscep- 
tible de  recevoir  son  application  que  dans  l'instruction  prépa- 
ratoire, là  où  il  est  à  craindre  que  les  traces  d'un  crime  ré- 
cent ne  viennent  à  disparaître. 

Quelques  bons  esprits  ont  même  pensé  que  le  texte  n'avait 
d'autre  portée  que  d'exiger,  de  toute  personne  requise,  une 
intervention  matérielle,  une  coopération  purement  physique, 
essentiellement  différente  du  concours  demandé  à  l'expert: 
«  11  serait,  concluent-ils,  absurde  et  essentiellement  ridicule 
de  contraindre,  par  une  pénalité,  un  jurisconsulte  à  examiner 
un  point  de  droit,  un  médecin  à  faire  uitb  autopsie'*  ».  Mais 
pourquoi   l'article  471),  §  12,  n'embrasserait-il  pas  tous  les 
genres  de  concours,  quelle  que  fût  leur  nature?  En  deman- 
dant à  quelqu'un    un  concours  qu*il  peut  prêter,  dans  les 
circonstances  urgentes  dont  il  est  question,  l'autorité  compé- 
tente doit  trouver  la  coopération  que  la  solidarité  ou  la  néces- 
sité sociale  fait  un  devoir  de  lui  donner.  En  cas  de  flagrant 
délit  notamment,  il  y  aura  donc,  pour  l'expert  régulièrement 
désigné,  l'obligation  légale  démettre,  au  service  de  la  justice, 
ses  connaissances  spéciales. 

La  question  a  été  tranchée  pour  les  médecins,  par  l'ar- 
ticle 23  de  la  loi  du  30  novembre  1892,  sur  l'exercice  de  la 
médecine.  au\  termes  duquel  :  «  Tout  docteur  en  méde- 
cine est  tenu  de  déférer  aux  réquisitions  de  la  justice  »  sous 

relus  '!<>  SMlisfiiin'  à  ces  n'Mjuisiliuns  juî^li^e  rap]»liratiùn  de  rarticle  47*i, 
n''  [2  (In  CdJe  jx-riiil.  Comj».  Poiis-l)i;vit'r,  liu  refus  des  mcdeciux  irobtem" 
pèiri  ù  une  lêquisitioH  l'cgulicrc  de  raulûiiti'  judiciaire  (La  France  jud^ 
t.  iîj,  18'.M),  [I.  S.')  »'l  suiv.,  j).  in  uL  suiv.). 

^*  (,-liîinv»MU  «M  H«Th',  Théorie  du  Code  pénal ^  t.  6,  p.  422;  Legrand  du 
Saullf,  Jurisprudeni'c  médicale,  cliup.  J. 


DROITS   ET   DEVOIRS    DES   EXPERTS.  625 

peine  d'une  aineode  de  25  à  100  francs.  Cette  disposilioo 
onct  (in  aux  difficultés  qui  se  sont  produites  sur  le  point  de 
savoir  si  le  ministère  des  docteurs  en  médecine  est  obliga- 
toire vis-à-vis  de  Tautorité  ".  La  question  reste  entière  pour 
les  experts  d'une  autre  catégorie. 

340.  Si  l'expert  a  des  devoirs,  il  a  aussi  des  droits  :  on  ne 
saurait  exiger  de  lui  un  concours  désintéressé.  Certaines  caté- 
gories d'experts,  et  spécialement  les  médecins,  ne  reçoivent 
<lue  des  honoraires  et  indemnités  dérisoires.  Les  sommes  qui 
leur  sont  allouées  par  le  décret  du  18  juin  1811  sont  devenues 
absolument  insuffisantes.  Leurs  réclamations,  dont  on  ne  sau- 
rait méconnaître  la  justesse,  ont  amené  le  législateur,  dans 
l'article  14  de  la  loi  du  30  novembre  1892,  sur  l'exercice  de 
la  médecine,  à  promettre  une  révision  des  tarifs  du  décret  de 
1811,  en  ce  qui  touche  les  honoraires  et  indemnités  à  allouer 
aux  médecins.  Cette  réforme  a  été  opérée  par  le  décret  du  11 
novembre  1893^  dont  on  trouve,  à  ce  point  de  vue,  le  commen- 
taire dans  une  circulaire  ministérielle  du  31  juillet  1894  ^*. 
Les  autres  experts  sont  toujours  réglés  sur  le  pied  du  tarif 
criminel  qui  remonte  à  1811. 


341 

compte 


§  LXI.  -  DU  RAPPORT  D  EXPERT. 

.  Le  rapport  d'experl  comprend  deux  séries  d'opérations  dont  il  doit  être  rendu 
omple  :  les  constatations,  les  conclusions.  —  342.  Le  rapport  n'a  pas  lieu  néces- 

•■  L'article  23  de  la  loi  du  30  novembre  1892  est  le  résultat  ci*un  amende- 
ment de  M.  Grousset,  pris  en  consid ('^ration  par  la  Chambre,  malgré  la  résis- 
tance de  la  commission  et  du  Gouvernement.  El  il  résulte  bien  des  travaux 
préparatoires  que  ce  n'est  plus  seulement  en  cas  de  flagrant  délit  que  le 
médecin  est  tenu  d'obéir  :  il  y  est  tenu  dans  toutes  les  circonstances  où  il 
sera  requis  par  l'autorité  judiciaire.  Bien  que  l'article  23  ne  reproduise  pas 
Texpression  de  l'article  475,  n®  12  :  «  ceux  qui  le  pouvant  auront  refusé  », 
les  médecins  ont  le  droit  de  faire  valoir  certains  empêchements  qui  seront 
souverainement  appréciés  par  les  tribunaux  correctionnels  saisis  de  la  pour- 
suite. 

•*  Voy.  notamment  sur  ce  point  :  H.  Coutagne,  Précis  de  médecine  judi- 
^ciaire  (1896,  Lyon  et  Paris),  p.  17  à  22;  Lacassagne,  Précis  de  médecine 
i^^a/e,p.  97  à  101. 

G.  P.  P.  -  1.  40 


626        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

sairement  par  écrit.  DisliDCtioo  qu'il  faut  faire.  —  343.  Aucuoe  rèfd^  g-oenle 
D'e^t  prescrite  pour  ia  ré^lactioD  du  nipport.  Mais  cadre  pratique.  Freaisbale. 
Coraiûémoralif.  Description.  Oi.>iou5>ion.  CooclusioDs.  —  344.  Conseils  ;ur  ;a 
forme  de  rédactioD.  —  345.  Les  légisiutioos  étrangères  tracent  quelques  régies 
g(!0^raks  sur  ia  cunduite  des  opérations  et  la  rédaction  du  rap(.>ort. 

341.  Toute  expertise  comprend  deux  séries  d'opérations, 
nettement  séparées,  et  dont  l'analyse  résulte  de  Tobjet  même 
de  ce  procédé  d^iostruction. 

Dans  la  première,  Texpert  vérifie  les  faits,  les  circonstances 
matérielles  qu'il  est  appelé  à  constater.  Il  a  le  rôle  d'un  témoin, 
qui  sait  voir,  entendre  et  toucher.  La  conduite  exclusive  des 
constatations  matérielles  lui  appartient  :  Texperlesl  plus  apte 
que  tout  autre,  étant  donné  le  problème  à  résoudre,  à  déci- 
der quelles  sont  les  opérations  qu'il  faut  faire,  quelles  sont 
celles  qu'il  faut  négliger.  Néanmoins,  le  rôle  du  juge,  dans 
cette  phase,  est,  sinon  de  diriger,  du  moins  de  surveiller 
l'expert,  en  appelant  son  attention  sur  les  points  qui  intéres- 
sent le  procès.  Libre  d'ordonner  ou  non  Texpertise,  le  juge  est 
libre  de  décider  s'il  doit  ou  non  v  assister*.  Tous  les  movens 
d'instruction,  scientifiques  et  autres,  de  nature  à  aider  l'expert 
dans  les  opérations  matérielles,  sont  à  sa  disposition.  C'est  à 
lui  qu'il  appartient  de  les  utiliser.  Notamment,  si  l'expert  ne 
peut  |>as  se  livrer  à  de  véritables  enquêtes,  dans  le  sens  légal 
du  mot,  il  peut  cependant,  sans  sortir  de  son  rôle  et  de  son 
mandat,  recueillir,  de  toutes  personnes,  tous  renseignements 
propres  à  l'éclairer  sur  les  points  qui  lui  sont  soumis'.  La 
seule  limite  qui  lui  soit  imposée  résulte  des  termes  mêmes  de 
sa  mission.  C'est  ainsi  que,  dans  les  expertises  de  comptabilité, 
qui  sont  les  plus  longues  et  les  plus  compliquées,  il  est  recom- 
mandé aux  magistrats,  par  les  circulaires  de  la  Chancellerie, 
de  fixer  l'époque  au  delà  de  laquelle  l'expert  ne  devra  pas 
remonter  et  même  la  nature  du  délit  qu'il  devra  rechercher. 

§  LXI.  *  Aucune  dis[)usitioi]  ré;<lemen taire  n'oblige  le  magistrat  qui  a 
ordonné  cfllo  mosiiro  d'instru(tlion  à  y  assister.  La  législation  allemande  lui 
l'ail  un  devoir  d'assister  aux  autopsies  (art.  1,  10  et  27  du  Règlement  deidu- 
topsies). 

«Cass.,  il)  mars  184:)  {B.  cr.,  n»  102). 


DU    RAPPORT    d'kXPERT.  627 

Dans  la  seconde  ptiase,  Ti^xpert  change  de  rôle  :  il  élail  un 
témoin,  il  devient  un  juge,  11  a  constaté,  maintenant  il  con- 
clut. Son  travail  est  toujours  personnel,  et  aucune  interven- 
tion du  magistrat  ne  doit  se  produire  pour  aiguiller  ses  con- 
clusions dans  telle  ou  telle  direction.  L'expert  reste  le  maître 
absolu  de  ses  convictions:  aucune  pression  ne  saurait  être 
légitimement  exercée  sur  lui.  Si  sa  conscience  scientifique  se 
refuse  à  donner  une  réponse  ferme  à  une  question  posée,  il 
faut  se  garder  de  le  solliciter  à  prendre  parti. 

342.  Les  experts  rédigent  ordinairement  un  rapport  sur 
Tensemble  de  leurs  opérations  et  des  conséquences  (|u*ils  en 
déduisent.  Tandis  que  Tarticle  317  du  Code  de   procédure 
civile  veut  que  le  rapport  des  experts  soit  écrite  aucun  texte 
du  Code   d'instruction   ne   rappelle  cette  exigence.  On  doit 
même  conclure  des  termes  de  l'article  44  :  «  Les  experts  prê- 
teront le  serment  Ag  faire  leur  rapport  ei  dtuton?ier  leur  avis  », 
que  le  législateur  a  entendu  laisser,  au  magistrat  (|ui  com- 
met un  expert,  le  choix  entre  la  forme  orale  et  la  forme  écrite, 
A  cet  égard, du  reste,  des  distinctions  s'imposent.  {"iNonimé 
dans  rinstruction,  l'expert  sera  prt;sque  totijours  tenu  de  ré- 
diger un  procès-verbal  de  ses  opérations.  Si  plusieurs  experts 
ont  été  désignés,  ils  dé|>oseront,  au  greffe,  un  rapport  com- 
mun,  s'ils  s'entendent;  autant  de  rapports  que  d'opinions, 
s'ils  ne  s'entendent  pas.  Il  est  des  cas  cependant,  même  dans 
l'instruction  préparatoire,  où  la  rédaction  du  rapport  par  écrit 
sera  matériellement  impossible.  C'est  un  homme,  plus   ou 
moins  illettré,  un  ouvrier  maçon  ou  serrurier,  qui  a  été  com- 
mis :  dans  ces  circonstances,   le   magistrat  fera  comparaître 
devant  lui  l'expert  qu'il  aura  désigné,  Tenlendra,  et  consi- 
gnera ses  observations  sur  son  procès-verbal,  que  celui-ci 
signera, si  c'est  possible,  après  lecture.  2** Nommé  dans  la  pro- 
cédure de  jugement,  si  c'est  par  les  tribimaux  correctionnels 
ou  de  police,  l'expert  aura,  presque  toujours,  à  rédiger  un 
rapport  écrit,  qui  sera  versé  aux  débats,  et  fera  l'objet  d'un»î 
discussion  contradictoire  comme  tout  autre  élémenl  de  preuve. 
Nommé  par  la  cour  d'assises,  ou,  en  cour  d'assises,  parle  pré- 


G28  PROCÉDURE    PÉNALE.   —    DR   LA   PREUVB. 

sident,  Tcxperl  se  bornera,  la  plupart  du  temps,  si  l'affaire 
n'est  pas  renvoyée  à  une  autre  session,à  rapporter,  à  l'audience, 
le  résultat  de  ses  opérations  et  à  donner  oralement  son  opi- 
nion.   Les  débats   étant  continus  devant  celte  juridiction, 
il  devra  être  immédiatement  procédé  à  l'expertise,  sans  qu'un 
rapport  écrit  puisse  en  être  dressé.  3*  Que  l'expert  ait  ou  non 
déposé  un  rapport,  il  est  appelé  et  entendu,  à  l'audience,  sous 
la  foi  du  serment  des  témoins,  en  vertu  même  du  principe 
de  Toralité  des  débats  et  de  la  preuve.  Là,  il  ditcequ*il  a  cons- 
taté et  énonce  son  opinion.  11  peut  être  appelé  à  fournir  des 
explications  complémentaires,  en  réponse  aux  questions  que 
lui  poserait  le  président,  soit  d'office,  soit  sur  la  demande  des 
parties.  Si  plusieurs  experts  ont  été  désignés,  leurs  rapports 
oraux  doivent  être  faits  séparément.  Mais  rien  ne  s'oppose  à 
ce  que  le  président  les  mette,  ainsi  que  des  témoins,  en  pré- 
sence les  uns  des  autres,  pour  expliquer  ou  contrôler  leurs 
constatations  ou  leurs  conclusions.  Cette  «  aGTrontation  »>  des 
experts  est  fréquente  en  pratique. 

343.  Aucun  plan  général  n'est  prescrit  pour  la  rédaction 
du  rapport  et  des  constatations  qu'il  doit  contenir.  Mais  la  pra- 
tique a  su  tracer  une  sorte  de  cadre  naturel  dans  lequel  toute 
expertise  peut  et  doit  être  renfermée.  Cinq  parties  composent 
le  rapport  :  le  préambule,  le  commémoraiif,  la  description 
des  faits,  la  discussiony   les  conclusions. 

1.  Le  préambule  renferme  toutes  les  formalités  :  il  est  le 
même  pour  tous  les  rapports.  Cette  partie  comprend  :  i®  nom, 
prénoms,  qualité  de  l'expert;  2°  indication  de  rautorilé  requé- 
rante (juge  d'instruction,  procureur  de  la  République,  etc.); 
S""  date  de  la  réquisition;  4""  mention  de  la  prestation  de  ser- 
ment; o**  date,  jour,  heure,  lieu  de  l'opération  ou  des  opéra- 
tions; 6°  nature  de  l'expertise.  Il  faut  reproduire,  ici,  textuel- 
lempnt  les  (fiieslions  posées  par  l'autorité  requérante;  7"  noms 
et  qualités  de«  personnes  présentes,  et  notamment  ceux  des 
magistrats  qui  ont  assisté  à  l'opération  ou  aux  opérations'. 

^  iJans  son  Précis  de  méilecinc  légale^  le  professeur  Lacassagne  donne 
deux  modèles  de  préambule  (p.  105). 


DU  RAPPORT  d'expekt.  629 

II.  Le  commémoratif  Q%i  lliistorique,  l'exposé  des  anlécé- 
denlsdes  faits ^ 

III.  La  description^  qu'on  appelle  aussi  le  visum  et  reper- 
tum,  est  la  partie  la  plus  importante  du  rapport.  Elle  ren.- 
ferme  Texposé  des  faits  et  circonstances  qui  doivent  servir  de 
base  aux  conclusions.  C'est  à  cette  place  du  rapport  que 
l'expert  a  besoin  de  faire  preuve  de  deux  qualités  essentiel- 
les :  Vexactitude  dans  les  constatations,  ïordre  dans  l'exposé. 

IV.  La  discussion  des  faits  n'est  pas  indispensable.  Mais  elle 
est  presque  toujours  utile  pour  préparer  les  conclusions.  C*est 
la  partie  critique  où  s*exerce  la  sagacité  de  l'expert. 

V.  Les  conclusions  sont  les  conséquences  logiques  qui 
découlent  des  faits  observés,  décrits  et  scientifiquement  dis- 
cutés par  experts.  Il  faut  répondre  à  toutes  les  questions 
posées  par  l'autorité  requérante.  Chaque  conclusion  a  un 
numéro  d'ordre  :  {\  2\  3%  etc. 

Autrefois,  les  rapports  se  terminaient  par  une  phrase  attes- 
tant que  le  rapport  avait  été  fait  «  en  âme  et  conscience  et 
conformément  aux  principes  de  Tart  ».  Cette  formule  parasi- 
taire a  disparu  de  la  plupart  des  rapports. 

Le  rapport  est  daté  du  jour  oii  il  est  déposé.  Cette  date  indi- 
que la  durée  des  opérations. 

En  annexe  au  rapport,  doivent  figurer  les  pièces  à  con- 
viction, dessins,  photographies,  etc.,  etc!,  qui  ont  été  utilisées 
pour  établir  les  conclusions. 

344.  La  forme  de  rédaction  du  rapport  a  une  grande 
importance,  puisque  le  procès-verbal  d'expertise  doit  être 
compris  par  les  magistrats  et  les  jurés  et  discuté  par  les 
parties,  conlradictoirement,  à  l'audience.  L'experts'inspirera, 
dans  sa  rédaction,  de  certains  conseils  qui  sont  de  tradition. 

I.  La  rapport  sera,  autant  que  possible,  conçu  et  rédigé  en 

*  Cette  partie,  qui  ne  figure  pas  dans  tout  rapport,  est  cependant  très  im- 
portante. Les  experts  ne  sauraient  trop  se  préoccuper  des  antécédents  des 
faits  sur  lesquels  ils  ont  à  donner  un  avis.  Ils  en  recueillent  les  éléments 
dans  le  dossier,  ou  dans  les  déclarations  qui  leur  sont  faites  et  qu'ils  consi- 
gnent. 


630  PROCÉDURE   PÉNALE.    —    DE   LA   PREUVE. 

langage  ordinaire  et  parfaitement  intelligible.  Suivant  le  Con- 
seil de  Denisart,  aux  experts  de  son  temps  :  a  H  faut  qu'ils 
«  fassent  attention  qu'ils  parient  à  des  juges  qui,  pourlapln- 
«  part,  ne  connaisent  pas  les  termes  scientifiques...,  et  que, 
<(  par  conséquent,  un  rapport  conçu  en  ces  termes  est  très 
«  souvent  une  œuvre  qui  n'éclairerait  pas  des  choses  dont  il 
«  faut  cependant  que  les  magistrats  soient  instruits  ».  C'est 
surtout  dans  la  formule  des  conclusions  qu'il  faut  éviter 
toute  expression  trop  technique. 

II.  Le  rapport  sera  complet,  c'est-à-dire  contiendra  le 
détail  de  tous  les  faits  recueillis,  de  toutes  les  vérificatioQs 
faites,  de  tout  ce  qui  a  été  vu  et  observé,  de  façon  à  permettre 
à  toute  personne  intéressée  d'en  contrôler,  d'en  discuter,  d'en 
attaquer  ou  d'en  défendre  les  conclusions'. 

III.  Knfîn  le  rapport  devra  être  motivé,  car  l'avis  des 
experts  est  une  sorte  de  jugement.  t<  Les  experts,  écrit 
«  Jousse^  doivenl  rendre  raison  de  leur  jugement  et  de  ce 
«  qu'ils  déclarent  dans  leurs  rapports,  surtout  si  leur  juge- 
«  menl  est  fondé  sur  les  principes  de  leurs  connaissances  et 
«  sur  les  principes  de  leur  art  ». 

345.  Les  législations  étrangères  tracent  quelques  règles 
générales  sur  la  conduite  des  opérations  et  la  rédaction  du 
rapport'.    Il  en  est  ainsi  en  Allemagne',  en  Autriche',   en 

•  «  Les  rapports,  écv'xi  .lousse  (op.  cit.^  t.  1,  p.  247)  doiv»*nt  être  rédigés 
lant  pour  iii  charge  de  l'accusé  que  pour  sa  décharge,  soil  en  constatant  le 
fait,  soit  en  estimant  la  cause  qui  y  adonné  lieu.  Ainsi,  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  les  erxperts  ne  doivent  rien  omettre  de  ce  qui  peut  aller  à  la  décharge  de 
l'accusé  ». 

®  Jousse,  op.  cit,,  t.  2,  p.  37. 

^  Voy.  sur  ce  point  :  J.  Drioux,  Étude  mr  les  expertises  médico- légales 
et  r instruction  criminelle^  d'après  les  projets  de  Code  d'instruction  crimi- 
nelle et  les  législations  étrangères  {Bull,  soc,  de  légis.  comp.,  1886,  p,  483). 

•  Règlement  pour  l'Empire  d'Allemagne  du  43  février  1875.  Ce  régle- 
tnent  confirme,  en  les  développant,  les  instructions  déjà  mises  en  vigueur, 
dans  le  n)yaume  do  Prusse,  par  une  ordonnance  du  45  novembre  4838.  Le 
Code  de  procédure  pénale  indique  aussi  certaines  données  qui  doivent 
être  fournies  par  les  experts  (S§  "">  ^l  suiv.). 

•  Code  de  procédure  pénale  autrichien  de  1873  (§§  12V  et  suiv.). 


FOI   DUE   A   L'fiXPBRTISB.  631 

ie '%  dans  certains  cantons  dn  la  Suisse**.  L*autopsie  a 
liculiërement  donne  lieu  à  des  prescriptions  réglemen- 
cs  indiquant  les  questions  auxquelles  le  procès-verbal 
t  répondre". 

§  LUI.  -  DE  LA  FOI  DUE  A  LEZPERTISE. 

l/oxperlii^e  ne  lit^  pas  le  Juge.  —  347.  Mais  si,  en  droit,  le  jin;<^  est  libre  de 
iiliT  conlrairemt'nt  à  l'avis  Oe  Texpert,  en  fait,  il  se  conformera  le  plus  sou- 

it  a  son  opinion.  I)«>s  ^è^les  qui  conditionnent  la  valeur  morale  de  l'expertise. 
3i8.  <l«)ntrôle  des  parties  à  Taudienee.  Liberté  de  discuter  les  coDstatalions 

l«;.s  conclusions. 

46.  L'expertise  ne  lie  pas  les  magistrats,  encore  moins 
urés.  Au  point  de  vue  de  la  force  probante,  il  n'y  a  aucune 
inction  à  faire  entre  les  constatations  matérielles  du  rap- 
I,  et  les  conclusions  (\\x\  en  sont  tirées.  Les  juges  restent 
'ippréciateurs  souverains  des  /WzV.v  comme  des  résultats  de 
perlise  :  ils  doivent  se  prononcer,  sur  tous  les  points  qui 
été  affirmés  par  l'expert,  d'après  leur  intime  conviction. 
n»  ancienne  jurisprudence  avait,  depuis  longtemps,  dégagé 
aractcrede  Texperlise,  et,  dès  la  fin  du  xvi'  siècle,  la  Cou- 
10  de  Paris  réformée,  édictait,  dans  son  article  l8i  :  «  Doit 

Ccnied»^  pnxvdurc  finale  italien  inrl.  130,  131,  134,  135). 
I^ar  «'xempli*  :  Canton  de  Viinii,  Loi  du  5  dt^c.  1837  (art.  0  et  10);  Can- 
I»'  B.\lc,  Cod»*  '.le  [»rocédurt;  [K^nale  du  5  mai  1862  (§S  ♦t  et  suiv.),  Loi 
K  janvier  1804,  etc. 

En  Allf*m.iirne,  ranlopsie  ne  [)eut  être  faite  par  un  mt^rtecin  seul.  Les 
menls  veulent  <|u*on  appelle  un  mfMlecin  et  un  chirurgien  :  le  m»'»decin 
d)serve,  le  chirurgien  qui  procède  à  Tautopsie.  Le  magistrat,  dont  la 
Mice  est  exigé»»,  veille  à  ce  'lue  les  descriptions  et  les  constatations 
il  faites  avec  soin.  Le  greffier  écrit  sous  la  dictée  du  médecin,  tous  les 
rleres  des  lésions,  à  mesure  quon  les  découvre.  Pour  chaque  organe, 
îrtain  nombre  dn  caractères  doivent  être  précisés.  Celle  législation  a 
de  type  à  celle  de  certains  États.  En  France  où  nous  n'avons  pas  de 
fnent  sur  les  autopsies,  le  médecin  ou  les  médecins  qui  en  sont  chargés» 
«Mil  bien  négligents  et  bien  imprudents  s'ils  ne  se  servaient  pas  de 
es  d'autopsie,  contenant  le  cadre  de  leurs  opérations,  cadre  qu'ils 
'ont  qu'à  remplir.  Voy.  notammiMit  :  Lacassagne,  Précift  de  médecine 
e,  p.  325,  609. 


632        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DB  LA  PREUVE- 

èlre  le  rapport  apporté  en  justice  pour,  eu  plaidant  ou  eo 
jugeant,  //  avoir  tels  égards  que  de  raison  ».  Le  Code  de  pro- 
cédure civile,  dans  l'article  323,  a  traduit  celte  idée,  sous  uoe 
forme  plus  nette  encore,  en  disant:  «  Les  juges  ne  soot 
point  astreints  à  suivre  l'avis  des  experts  si  leur  consciences  y 
oppose  )).  Le  Code  d'instruction  criminelle  n'avait  pas  à  répé- 
ter cette  règle.  Dans  la  procédure  répressive,  la  liberté  de  dé- 
cision du  juge  est  le  corollaire  direct  du  régime  des  preuves 
morales. 

347.  Mais  si,  au  point  de  vue  du  droit,  l'avis  de  l'expert 
ne  juge  pas  le  procès  (/)zc/wm  expertorum  nunquam  transit 
in  rem  judicatam),  en  fait,  c'est,  presque  toujours,  l'avis  d»» 
l'expert  qui  dicte  le  jugement.  Comment  le  juge  écarterait-il 
les  conclusions  d'un  rapport  qui,  tant  par  la  nature  des  consta- 
tations que  par  la  compétence  spéciale  de  celui  qui  les  a  faites, 
échappe  à  son  examen  et  même  à  son  contrôle?  Donc,  théori- 
quement, les  juges  sont  maîtres  de  leur  décision;  pratique- 
ment, ils  sont  déterminés  parcelle  de  l'expert '.  C'est  unie  rai- 
son de  plus  pour  appeler  leur  attention  sur  les  points  suivants, 
d'où  déjicnd  évidemment  la  confiance  légitime  qu'ils  doivent 
avoir  dans  l'expertise  :  1°  Les  lois  scientifiques,  que  Texperl 
a  prises  pour  base  de  ses  conclusions,  sont-elles  constantes  ou 
sujettes  H  contestation?  2"  Les  déductions,  à  l'aide  desquelles 
il  établit  son  opinion,  sont-elles  conformes  aux  règles  de  la 
logique?  3*"  Y  a-t-il  concordance  ou  divergence  entre  les  cons- 
tatations des  experts  et  lesdépositioosdes  témoins  ou  les  aveux 
de  Taccusé?  4*  S'il  y  a  plusieurs  experts,  y  a-t-il,  ou  non,  una- 
nimité dans  leur  avis?  5®  Dans  quelle  forme,  l'expert  motive- 
l-il  son  opinion?  Affirmo-t-il  formellement?  ou  se  contente- 
t-il  de  nier? 

Tels  sont  les  principes  généraux  qui  guideront  les  juges 
et  les  jurés  dans  leur  appréciation  des  résultats  de  l'expertise. 
.Mais,  pour  les  appliquer,  il  ne  suffit  pas  que  les  experts  soient 

§  LXII.*  Pussort  disait,  dans  ]c  Procès-verbal  des  conférences  tenues  povr 
Vrxamcn  de  fordonnance  de  1667  :  «  L'expert  est  beaucoup  plus  juge  qut^ 
|o  juge  lui-même  »\ 


DES  RÈGLES  SPÉCIALES  A   CERTAINES  EXPERTISES.         633 

à  la  hauteur  de  leur  mission,  il  faut  encore,  que  les  juges 
possèdent  des  clartés  suffisantes  pour  déterminer  Fexacte 
valeur  des  conclusions  du  rapport.  On  ne  peut  atteindre  ce 
but  qu'en  rendant  obligatoire,  dans  les  Facultés  de  droit,  Tas- 
sistance,  sanctionnée  par  une  note  d'examen,  à  un  cours  de 
médecine  légale.  Certaines  Facultés,  grâce  à  des  concours 
dévoués,  sont  entrées  dans  cette  voie.  Il  serait  désirable  qu'il 
en  fût  partout  ainsi  et  que  cette  branche  d^enseignement, 
donnât  lieu  à  une  interrogation  obligatoire,  ou  facultative 
tout  au  moins,  dans  un  des  examens  de  licence  ou  de  doctorat. 

348.  Les  parties  exercent  leur  contrôle  à  Taudience,  en 
discutant  librement  les  opinions  des  gens  de  Tart,  et  en  y 
opposant  tous  les  renseignements  qui  seraient  de  nature  à  les 
combattre*. 


§  LXin.  -  DES  RÈGLES  SPÉCIALES  A  CERTAINES  EXPERTISES. 


349.  Les  expertises  portent  sur  des  questions  de  tout  genre.  Mais  il  existe  des 
expertises  spéciales  au  point  de  vue  des  règles  auxquelles  elles  sont  soumises. — 
350.  Des  expertises  médico-légales. —  351. Du  classement  de  ces  expertises,  quant 
à  leur  objet  matériel  et  quant  à  la  nature  des  questions  posées.  —  352.  Règles  spé- 
ciales des  expertises  médico-légales,  depuis  la  loi  du  30  novembre  1892.  Elles  ne 
peuvent  être  confiées  qu'à  des  docteurs  en  médecine  fram^ais.  Liste  officielle  d'experts 
médecins  dressée  annuellement  par  chaque  cour  d'appel.  Refus  d'obtempérer  aux 
réquisitions.  Tarif  spécial.  —  353.  Des  expertises  en  écriture.  Leur  valeur  relative. 

—  364.  La  vérification  des  écritures  ne  forme  pas  l'objet  d'un  litre  spécial  dans  le 
Code  d'in$truction  criminelle.  C'est  donc,  en  principe,  le  droitcommun  qui  s'applique. 

—  355.  Mais  le  Code  d'instruction  criminelle  s'occupe  de  l'expertise  en  matière  de 
faux.  Distinction  à  faire  entre  l'expertise  en  écriture  et  Texperlise  en  matière  de 
faux.  —  356.  Certaines  règles  de  l'expertise  des  pièces  arguées  de  faux  doivent, 
par  analogie,  être  appliquées  à  l'expertise  en  écriture.  Pièces  de  comparaison. 
Saisie  et  dépôt  des  pièces.  —  357.  Falsification  des  produit^^  destinés  à  l'alimenta- 
tion de  l'homme  et  dos  animaux,  ainsi  qu'au  besoin  de  l'agriculture.  Réglementa- 
lion  contradictoire  du  prélèvement  d'échantillons  et  de  l'analyse  chimique.  —  358. 
Des  fraudes  en  matière  d'engrais.  Origine  de  la  loi  du  4  février  1888.  Décret  du 
10  mai  1889  prescrivant  les  procédés  d'analyse  à  suivre  pour  la  détermination  des 
matières  fertilisantes  des  engrais.  Prise  d'échantillons  en  trois  exemplaires.  Expertise. 
Contre-expertise.  —  359.  Caractères  spéciaux  de  l'instruction  dans  ce  cas.—  360. 

♦  Cass.,  I^mai  1896  (Pand,  franc.,  97.  1.  112).  Comp.  Cour  de  Grenoble, 
2f  mars  1893  (D.  93.  2.  292). 


63  f  PROCÉDURE   PÉNALE.  —  DE    LA   PREUVE. 

L'expertise  étant  préjudicielle  à  la  poursuite,  double  queï^tioD  qui  se  pose.— 361. 
Des  fraudes  dans  le  commerce  du  beurre.  Loi  du  16  avril  1897  et  décret  du  9  no- 
vembre de  I»  m^me  année.  Constitution  de  l'expertise. — 362.  Loi  du  l"aoûtl90& 
sur  la  répression  des  fraudes  dans  la  vente  des  marchandises  et  des  falsificatioos 
des  denrées  alimt>ntairos  et  des  produits  agricoles.  —363.  L^expertise  daûscecas 
est  double:  e.\()ertise  administrative,  expertise  judiciaire.  — 364.  De  la  pDursuilc. 
L'intéressé  n^nonce  h  cont<'ster  l'expertise  administrative.  11  demande  l'expertise 
contradictoire.  —  365.  Valeur  probatoire  de  l'expertise  contradictoire  dans  cecai. 

349.  Les  expertises  en  matière  criininelle  peuvent  porter 
sur  Jes  qtiestions  de  tous  genres  :  questions  de  médecine,  île 
comptabilité,  ({^attribution  d'écritures,  de  falsification,  etc. 
(Jiiel«iues-une<5  sont  soumises  à  des  règles  spéciales,  qu'il  im- 
porle  de  détacher,  en  nous  occupant  successivement  :  l'des 
expertises  ea  matière  médicale;  2"*  des  expertises  en  écriture; 
3"  eu  matière  d'eugrais;  4"  de  beurre;  y  en  matière  de  frau- 
des et  falsifîcations  concernant  les  boissons,  les  denrées  ali- 
mentaires et  tes  produits  agricoles. 

350.  Le  Code  d'instruction  criminelle  fait  mention  c&pli- 
cilc  des  expertises  médicales*  dans  son  article  44  qui  est  cor- 
roboré par  Tarticle  81  du  Code  civil.  Ce  sont  les  plus  impor- 
tantes   et  |es    plus  fréquentes  en   matière   criminelle.  Ces 

§  LXIIL  *  P.nir  Thistoir*»  «le  IVxpertise  «liins  l'ancienne  procê«iure  :  J.  Pré- 
rot,  Principes  ilt*  ii  jurisprutencr  *»/r  /t'.<  rappnrh^  Pnris,  1753:  Locard, 
Li  mt'decinc  ;m/iW'iire  en  Frince  an  xnr  siècle  [Lyon ^  Th.  d<>cl.  méd., 
1002  .  Sur  IVnsemhh*  «le  li  in^decinf»  légrale,  la  bibliocrraphie  est  innom- 
brHl>lo  et   nous   ne  pouvons  «lue  citer  les  n«">ms  il'"s  principaux  écrivains  : 
Orlîla,  Deveri:iri,  Adelon,   Taniieu,  0.    lourdes,   Brouardel,    Legrand  du 
Saulle,  Pênard,  etc.  Voy.  Coutagne,  Prt'cw  Je me£f>»ci/4e/^î/a/r. Lyon,  4896,; 
Lioassajjne,  Précis  d<'  m*:decine  leqale  ^Paris,    !v»tK>).  Sur  les  expertises 
m»'iioo-l»iirales,  au  point  dt»  vue  pratique  :  Coutairae,  Manuel  des  expertises 
m'^dicalexen  m.i(iVr«»criiniVir//e  Lyon,  1887);  Lacassajrne,  Vûde-mecum  du 
m^'iecin   expert    Lyon   et   Paris,  Sto'-ck  et  Masson^.  Sur   la   réforme  de? 
exp»rtis»»s  m^dico  l^^gales  -  !>riojx.  EtuJ-:  mr  les  expertises  mèdico-legalef 
e'  Viu^îrHction  criminelle  d'après  le<  projet^   dn  Code  d'instruction  crimi- 
«•'■;■•  fi*  le<  lêjisl'iti  ^ns   etr'in'jèrcs  [BuiL  de  h  Soc.  (/»•  lègisL  étr»,  1SS6. 
p.   •^'n'»  ;   Brouardfi.  De  il  reforme  des  experti<e<   mêdico-lcjales   .Paris, 
1^>»  :  Loreiu,  /. i  refornu*  des  expertises  mt\itC0' légales  Rev.peniL^  1899, 
p.  :»^i  ;   Penar.i,    yieiile<  redites  à  propo<  de  II  mèiecxne   Ugale  et  dei 
ex    »;>   Wrsà;.:»^<.  1390;  Leveillé,  De  la  rrform^?  dn  Code  d'instruction 
cri  ,i  .f'.'.V  ^P.l^i^,  1SS2\ 


DES    KBQLBS   SPÉCIALES   A   CERTAINES   EXPBRTISi!:S.         635 

peplises  portent  sur  la  constatation  d'un  fait  et  son  explica- 
n  au  point  de  vue  des  connaissances  médicales. 

351.  On  peut  les  classer  à  deux  points  de  vue,  qui  nous 
rmettroot  d'indiquer  les  principaux  cas  dans  lesquels  elles 
lerviennent. 

1.  Relativement  à  leur  objet  matériel,  on  les  répartit  sous 
oq  chefs  principaux  ^ 

l"*  La  justice  fait  souvent  appel  aux  médecins  ou  chirur- 
ens  à  propos  à'vidividus  vivants.  Il  s'assit,  par  exemple,  de 
ilerminer  Tétat  mental  de  Tinculpé,  et  sa  responsabilité, 
i!\aminer,  soit  un  enfant  qui  aurait  été  victime  d*un  alten- 
l  à  la  pudeur,  soit  fauteur  de  ce  crime,  d'indiquer  ladurée 
incapacité  de  travail  que  cause  une  blessurecommise  volon- 
irement  ou  par  imprudence,  etc.. 

2"  D'autres  fois,  l'expertise  porte  sur  un  cadavre.  Il  s'agit  de 
océder  à  une  levée  de  corps  ou  à  une  autopsie  pour  déter- 
iner  les  causes  d'un  décès  suspect'. 

S'^Ce  sont  des  taches  qu'il  faut  examiner,  et,  dans  ces  exper- 
es,  l'examen  chimique  est  presque  toujours  le  complément 
jn  premier  examen  médical.  Ces  taches^  se  trouvent  sur 
s  vêtements,  sur  les  instruments  qui  ont  servi  à  commettre 
crime,  sur  des  meubles,  sur  le  parquet  de  la  chambre, 
i**  L'expertise  peut  aussi  porter  sur  des  substances  ou  objets 
elconques.  En  matière  de  soupçon  d'empoisonnement,  par 
^mple,  le  magistrat  instructeur  saisit  des  drogues,  des 
quets  de  poudre  qu'il  soumet  à  l'analyse.  Dans  une  affaire 
blessures  ou  de  meurtre,  il  faut  dire  si  tel  instrument, 
iteau,  balon,  arme,  etc.,  a  servi  à  faire  telle  blessure. 


JVmprunle  cette  classification  à  Lacassagne,  Précis  de  médecine  légale^ 
Ky  et  96. 

L'autopsie  médico-légale,  qui  est  Tensemble  de  toutes  les  constatations 
lico -judiciaire s  nécessitées  par  rexarnen  d'un  cadavre,  est,  on  peut  Taf- 
ler,  l'opération  la  plus  importante  et  la  plus  délicate  de  l'expertise  judi- 
re.  L'expert  doit  y  procéder  suivant  des  principes  rigoureux  qui  ne  lais- 
t  place  à  aucune  omission  :  car,  on  l'a  dit  souvent,  une  autopsie  mal 
B  ne  se  recommence  pas.  Aussi,  l'autopsie  doit  être  complète. 


636  PROCÉDURE    PÉNALE.  —  1)B   LA   PREUVE. 

5°  Enfin,  et  plus  rarement,  Texperlise  porte  sur  des  om- 
maux.  Il  s*agit,  par  exemple,  de  savoir  si  telle  lésion  a  pu 
être  causée  par  tel  animal. 

II.  Relativement  à  la  nature  Aes questions  fo%ée%^  les  exper- 
tises médico-légales  se  réfèrent  à  un  certain  nombre  de  pro- 
blèmes qu'on  peut  grouper  sous  sept  chefs  principaux. 

1**  La  question  à'identUé,  Les  principales  opérations  de 
rinstruction  criminelle  tendant  à  réunir  les  preuves  de  Tindi- 
vidualilé  de  Tauteur  ou  de  la  victime  d*un  délit,  il  n'est 
guère  d'expertise  médicale,  dans  laquelle  la  solution  de  ce 
problème  ne  puisse  être  posée,  directement  ou  indirectement, 
et  ne  puisse  être  donnée  pardes  voies  souvent  détournées.  Mais 
la  détermination  de  l'identité  est  directement  sollicitée  de 
l'expert  dans  deux  cas  principaux  :  soit  lorsqu'il  s*agit  d'un 
cadavre  entier,  fragmenté  ou  altéré  dans  ses  caractères  par 
des  lésions  de  diverse  origine,  soit  lorsqu'il  s*agit  d'un  vi^aDt 
soupçonné.  Les  éléments  du  problème  sont  identiques  daos 
tous  les  cas,  et  la  détermination  d'identité  doit  porter  sur:  le 
sexe,  l'âge,  les  caractères  ethniques,  les  caractères  profes- 
sionnels, les  particularités  individuelles,  de  nature  aoato- 
mique,  physiologique,  pathologique. 

2*  La  question  delà  mort  et  du  cadavre.  Il  s'agira  pourl'ex- 
pert,  au  moyen  de  l'examen  du  corps  et  de  l'autopsie,  de  déter- 
miner, les  causes  judiciaires  ou  médicales  et  la  date  de  la  mort. 

S'*  La  question  des  blessures  se  présente  à  l'expert  médical 
dans  des  conditions  très  variées  :  blessures,  soit  sur  le  cada- 
vre, soit  sur  le  vivant;  causes  des  blessures  :  homicides,  sui- 
cides, accidents;  instrument  des  blessures,  blessures  par  ins- 
truments tranchants,  piquants,  contondants,  armes  naturelles, 
armes  à  feu;  graves  traumatismes,  individuels  et  collectifs; 
incapacité  de  travail;  maladies  communiquées;  tortures  et 
actes  de  barbarie,  etc.;asphyxies,  accidents  caractérisés  essen- 
tiellement par  une  gêne  portée  jusqu'à  l'abolition  des  fonc- 
tions respiratoires,  etc. 

4"*  La  question  des  enipoisonîtements ^  c'est-à-dire  les  effets 
des  substances  qui  peuvent  donner  la  mort  et  de  celles  qui  sont 
simplement  nuisibles  à  la  sauté. 


DS8   RÈGLES    SPÉCIALES   A   CERTAINES    EXPERTISES.         637 

5"*  Les  expertises  médicales,  auxquelles  donnent  lieu  les 
atlentatsaux  mœurs,  «  ont  pour  caractère  commun  de  recher- 
cher les  preuves  de  rapprochements,  normaux  ou  anormaux, 
tentés  ou  consommés,  et  de  préciser  les  conditions  physiques 
et  mentales  dans  lesquelles  ces  actes  ont  été  accomplis,  soit  du 
côté  de  rinculpé,  soit  du  côté  de  la  victime  \  »  En  efTet,  dans 
ce  cas,  Texpertise  sera  toujours  bilatérale. 

6*  En  cas  d'attentats  aux  produits  de  la  conception,  c'est- 
à-dire  en  cas  d^infanticide  et  d*avortement,  les  questions  po- 
sées seront  de  même  nature,  quelle  que  soit  Tépoquedu  déve- 
loppement auquel  est  parvenu  le  produit  de  la  gestation. 

7^  Les  questions  relatives  à  Vétat  mental  se  posent  dans 
deux  ordres  de  circonstances.  Les  expertises  de  cette  espèce 
ont  pour  but,  soit  d'apprécier  la  responsabilité  pénale  d'un 
prévenu,  soit  de  rechercher,  chez  les  témoins,  victimes  ou  non, 
entendus  dans  une  instruction,  la  présence,  ou  bien  transi- 
toirement  au  moment  de  l'acte  poursuivi,  ou  bien  en  per- 
manence, de  troubles  mentaux,  pouvant  faciliter  la  perpétra- 
tion de  Pacte  imputé,  ou  en  vicier  la  preuve. 

352.  Les  expertises  médico-légales  sont  restées  sans  régle- 
mentation, jusqu'à  la  loi  sur  l'exercice  de  la  médecine  du 
30  novembre  1892,  qui  constitue  la  charte  de  la  profession 
médicale  en  France.  Au  point  de  vue  spécial  qui  nous  occupe, 
cette  loi  contient  un  certain  nombre  de  règles,  déjàindi([uées, 
mais  qu'il  est  utile  de  grouper  ici. 

1^  Gomme  conséquence  de  la  suppression  des  officiers  de 
santé  et  des  docteurs  en  chirurgie,  «  les  fonctions  de  médecins 
experts  près  les  tribunaux   ne   peuvent  être  remplies,   aux 

*  Coutagne,  Manuel  des  expertises  médicales,  p.  191.  Cet  auteur  fait, 
du  reste,  observer  que  rintervention  médicale  peut  encore  se  produire  à 
propos  ô'outrage  public  à  la  pudeur,  «  S'il  s'agit  parfois,  dans  ces  cas,  d'at- 
tentats accomplis,  soit  devant  un  tiers,  soit  dans  des  conditions  encore  plus 
publiques,  cette  qualification  est  plus  gi^néralement  donnée  à  des  exhibi- 
tions ou  8  des  attouchements  obscènes  pratiqués  par  l'inculpé  sur  lui-même. 
Le  médecin  est  alors  appelé  moins  pour  constater  le  fait  matériel  que  pour 
en  apprécier  les  motifs  ». 


638  PROCÉDURB    PÉNALE.  —  DE   LA  PREUVE. 

termes  de  Tarlicle  14,  que  par  des  docteurs  en  médecine  fran- 
çais ».  —  Des  docteurs  en  médecine.  Le  choix  des  magistrats 
pourrait-il  se  porter  indifféremment,  comme  expert,  sur  uq 
docteur  ou  sur  un  officier  de  santé?  Deux  textes  contradictoires 
exi.^laientàcetégard.  L'article 27  delà  loi  du  13  ventôse anXI, 
réservait  les  fonctions  d'experts,  auprès  des  tribunaux,  aux 
docteurs  reçus  suivant  les  formes  qu'elle  fixait.  L'article  44  du 
Code  d'inslruclion  criminelle  décide  que,  «  s'il  s'agit  d'une 
(c  niort  violente,  le  procureur  de  la  République  se  fera  assister 
ce  de  un  on  deux  officiers  de  santé  qui  feront  leur  rapport  o. 
On  a  affirmé,  il  est  vrai,  que  le  terme  «  officier  de  santé  »  était 
générique  et  comprenait  toute  personne  légalement  reçue. 
Sans  avoir  à  examiner  si  celle  interprétation  n'est  pas  exces- 
sive,   il  semble  bien  que,  aujourd'hui,  la  question    ait  été 
tranchée  par  Tarticle  14  de  la  loi  du  23  novembre  1892.  —  De^ 
docteurs  en  médecine  français.  En  principe,  dans  les  exper- 
tises ordinaires,  le  magistrat  [>eut  désigner  comme  expert,  un 
homme  de  Tart  résidant  à  l'étranger,  ou  un  étranger  résidant 
en  France.  Toutefois,  depuis  la  loi  du  30  novembre  1892.  une 
restriction  importante  s'impose.  Les  étrangers,  même  [lourvus, 
en    France,  de  diplômes  réguliers,    ne  peuvent  jamais  être 
chargés  d'expertises  médico-légales.  L'article  16  ne  fait  excep- 
tion, à  cette  règle  impérative,  ni  en  cas  de  nécessité  ou  ur- 
gence, ni  en  cas  de  flagrant  délit. 

2"  La  loi  du  30  novembre  ^892  a  établi  une  liste  officielle 
cCex/ierts  médecins  devant  les  tribunaux^  dont  le  décret  ilu 
21  novembre  1893,  rendu  en  exécution  de  la  loi  (art.  14  w 
fine),  réglemente  la  formation.  Au  commencement  de  chaque 
année  judiciaire  et  dans  le  mois  qui  suit*  la  rentrée,  les  cours 
d*appel,  en  chambre  du  conseil,  le  procureur  général  en- 
tendu, désignent,  sur  les  listes  de  propositions  des  tribunaux 
de  première  instance  du  ressort,  les  docteurs  en  médecine  à 
qui  elles  confèrent  le  titre  d'expert  devant  les  tribuoaui 
(art.  1).  Les  propositions  du  tribunal  et  les  désignations  de  la 
cour  ne  peuvent  porter  que  sur  des  docteurs  en  médecine 
français,  avant  au  moins  cinq  ans  d'exercice  de  la  profession 
et  demeurant,  soit  dans  Tarrondissement  du  tribunal,  soit 


DBS   RÈGLhS   SPKGIALKS    A    CERTAINES   EXPERTISES.  639" 

dans  le  ressort  de  la  coup  d'appel  (art.  2).  La  condition  des 
cinq  ans  d'exercice  peut  être  remplacée,  aux  termes  de  Tar- 
licle  1"  du  décret  du  10  avril  1906,  par  l'obtention,  soit  du 
diplôme  deTUniversité  de  Paris  portant  la  mention  Médecine 
légale  et  psychiatrie,  soit  d'un  diplônie  analogue,  créé  par 
d'autres  Universités,  par  application  de  l'article  13  du  décret 
du  21  juillet  1897  portant  règlement  pour  les  conseils  des 
Universités*. 

La  création  de  cette  liste  officielle  de  médecins  experts 
devant  les  tribunaux  a,  pour  conséquence,  de  limiter  le  choix 
des  magistrats.  L'article  3  du  décret  du  21  novembre  1893, 
décide,  en  effet,  que  «  les  opérations  d'expertise  ne  peuvent 
être  confiées  à  un  docteur  en  médecine  qui  n'aurait  pas  le 
litre  d'expert  ». 

Néanmoins,  toute  latitude  de  choisir  Texpert  en  dehors  de 
la  liste,  est  donnée  au  procureur  de  la  République  et  au  juge 

»  Le  decrel  du  10  avril  1000  (J.  o/f.  du  12  avril  1900)  a  moditié  l'arliclo  1 
du  règlement  du  21  novirmbre  1893  relativeiueiiL  aux  conditions  dans  h-s- 
quellcs  peut  être  oonlor-^  le  titre  de  médecin  expnt  devant  les  tribunaux. 
L'article  !•'  de  ce  décret,  qui  rc'ir.fïlaco  Tartide  2  dudit  règlement,  <'sl  ainsi 
conçu  :  »  Les  propositions  du  tribunal  et  difsignations  de  la  cour  ne  pen- 
te vent  porter  que  sur  des  docteurs  en  médecine  français  demeurant,  snit 
<c  dans  rurrondissement  du  tribunal,  soit  dans  le  ressort  de  la  cour  d'appel. 
tt  ]\s  doivent  avoir  au  moins  cinq  ans  d  exercice  de  la  profession  médicale, 
«  ou  être  munis,  soit  du  diplôme  de  fUniversité  de  Paris  portant  la  mention, 
a  Médecine  légale  et  psychiatrie,  soit  d'un  diplôme  analogue  créé  par  d'au- 
«  très  Universités,  par  application  dys  dispositions  de  l'article  lî»  du  décret 
«<  du  21  juillet  1897  portant  règlement  pour  les  conseils  des  Universités  >♦. 
On  avait  signalé,  depuis  longtemps  (Voy.  nol animent  Coula;:ne,  Uexcrcicc 
de  la  médecine  judiciaire  en  France,  Archives  de  ranthropohgie  crimi- 
nelle, 1880),  l'absence  d'organisation  d'un  euseignement  com()let  de  méde- 
cine légale.  Kn  conséqiuînce,  la  France  était  loin  de  posséder  un  cadr»*  de 
médecins  suTlisamment  nombreux  et  compétents  pour  les  l»esoins  de  notre 
administration  judiciaire.  C'est  dans  le  but  de  combler  cette  lacune  que 
l'Université  de  Paris,  sur  l'initiative  du  regrett»»  [irolesseur  iin>uardel,a  in- 
stitué un  enseignement  oompli''mentaire,  destiné  aux  futurs  médecins 
léjisles,  enseignement  essentiellement  pratique,  que  couronne  la  possession 
d'un  diplôme  spécial.  Les  ressources  (pii  existent  dans  certains  grands  cen- 
tres, tels  que  Lyon,  permettront,  je  l'espère,  d'étendre  celle  organisation  à 
quelques  Universités  de  province. 


6i0  PROCÉDURE    PÉNALE.  —  DB   LA    PREUVE. 

d'instruction,  soit  dans  les  cas  prévus  par  les  articles  43  et  44 
{flagrant  délit  et  mort  violente  ou  suspecte),  soit  dans  ceux 
prévus  par  les  articles  235  et  266  du  Gode  d'instruction  crimi- 
nelle *. 

3*  Avant  la  loi  du  21  novembre  4892,  la  jurisprudence 
décidait  que  seuls  les  médecins,  requis  en  cas  de  flagrant 
délit,  étaient  passibles,  s'ils  refusaient  leur  ministère,  de  la 
peine  édictée  par  Tarticic  475,  n*  12,  du  Code  pénal.  Depuis 
cette  loi,  tout  médecin  est  tenu  de  déférera  cette  réquisition, 
sans  qu'il  y  ait  lieu  de  distinguer  s*il  y  a  ou  non  flagrant  délit. 
C'est  ce  qui  résulte  de  la  discussion  de  la  loi  à  la  Chambre 
des  députés  et  de  la  rédaction  de  l'article  23  qui  est  formel  sur 
ce  point.  La  peine,  en  cas  de  refus,  est  une  amende  de  25  à 
100  francs,  c'est-à-dire  une  peine  correctionnelle '. 

4°  La  revision  de  l'antique  tarif  du  18  juin  1811,  maintes 
fois  sollicitée,  a  été  réalisée,  pour  les  experts  médicaux  seuls, 
par  le  décret  du  21  novembre  1893*. 

353.  Les  expertises  eyi  écriture  ont  toujours  eu  mauvaise 
réputation,  du  moins  celles  dont  Tobjet  exclusif  est  de  déter- 
miner si  tel  corps  d'écriture  doit  ou  non  être  attribué  à  telle 
personne'.  Ce  qu'en  disait  d'Aguesseau,  sous  l'ancienne  pro- 

•  Il  s'ai^iU  <l'^"s  Tar^icle  235,  du  droit  d'évocation  de  la  chambre  d'accusa- 
tion, dans  l'article  266,  du  pouvoir  discrétionnaire  du  président  de  la  cour 
d'assises. 

^  Un  arrêt  de  la  Cour  de  Bourges  dti  4  avril  1895  (J.  des  Parq.^  95. 1 
9K)  décide  que  «  ladite  réquisition,  faite  à  un  médecin  par  un  officier  de  police 
judiciaire,  peut  être  écrite  ou  verbale,  la  loi  n'ayant  fixé  aucune  forme  par- 
ticulière. Mais  elle  doit  être  conçue  en  termes  impératifs  pour  constituer  une 
mise  en  demeure  et  pour  que  le  citoyen  à  qui  elle  est  adressée  comprenne  qu'il 
s'agit,  non  d'un  simple  désir  exprimé,  mais  de  l'usage  d'un  droit  fortifié  par 
une  sanction  pénale  ». 

•  Ce  décret  a  été  complété  par  une  circulaire  delà  Chancellerie  du  31  juillet 
189  t(R  off,  du  Ministère  de  la  Justice^  i894,  p.  180).  Il  est  à  remarquer 
que  le  décret  de  (893  ne  vise  que  les  visitps  et  opérations  de  chirurgie.  Pour 
toute  autre  opér.iiion,  par  exemple  lorsque  le  médecin  est  employé  pour  faire 
une  analyse  chimiqu  »,  une  expertise  mentale,  etc.,  le  droit  commun  s'ap- 
plique. 

•  L'expertise  sur   une   écriture   non  contestée  peut  avoir,  en  effet,  pour 


DES   RÈGLES   SPKCIALES   A    CERTAINES   EXPERTISES.         641 

cédure,  est  encore  vrai  aujourd'hui  :  «  Ce  n'esl  qu'un  argu- 
«  ment,  un  indice,  une  présomption  invraisemblable  tirée  de 
<c  la  vraisemblance  du  caractère,  sur  laquelle  rien  n'est  plus 
i*  facile,  rien  n'est  plus  commun  d'être  trompé  m*®.  Jousse 
qualifiait  la  comparaison  d'écriture,  qui  est  le  procédé  d'ex- 
pertise en  la  matière,  de  preuve  «  purement  conjecturale  ». 
Les  bases  sur  lesquelles  repose  la  graphologie'*  sont,  en 
effet,  des  plus  hypothétiques,  et,  bien  que  quelques  progrès 
aient  été  réalisés,  soit  par  l'application  de  procédés  chimi- 
ques, tendant  à  reconnaître  la  nalure  de  lencre,  la  composi- 
tion du  papier,  ou  à  faire  réapparaître  des  encres  ou  des 
taches  disparues  ou  effacées,  soit  par  l'application  de  la  pho- 
tographie, daus  le  but  de  déceler  certains  éléments  que  la 
rétine  de  l'œil,  même  aidée  des  instruments  d'optique,  ne 
permet  pas  de  constater,  il  ne  faut  admettre  les  expertises  de 
ce  genre,  en  \ue  d'une  identification  de  l'écriture  ou  de  la 
signature,  qu'avec  la  plus  grande  circonspection  et  ne  les  rete- 
nir, comme  élément  décisif  de  conviction,  que  si  elles  sont 
corroborées  et  appuyées  par  d'autres  éléments  circonstantiels 
distincts  de  l'appréciation  même  des  experts. 

364.  La  vérification  des  écritures  formait  l'objet  d'un  titre 
spécial  dans  l'ordonnance  de  juillet  1737  sur  le  faux.  Ce  titre 
n'a  pas  été  reproduit  par  le  Code  d'instruction  criminelle. 
Il  ne  faut  pas  en  conclure  que  la  législation    moderne   ait 

objet  fie  d (^terminer  Téquilibre  mental  du  sujet  étudié.  Elle  sera  nécessaire- 
ment condée  à  un  mé(iecin.  Voy.  sur  la  (jueslion  en  général  :  Lacassagne, 
Précis  de  médecine  Ironie,  p.  3r»(>  à  370;  (jarnot,  Etude  sur  récriture,  sur 
le  langage  écrit  et  sur  ses  troubles  au  point  de  vue  médico-légal  et  spécia- 
lement des  articles  901  et  970  du  Code  civil  (Tli.  méd.  Lyon,  1898);  Max 
Sxmou^  Lésée  lits  des  aliénés  (Arvh.  d'anthr.  crim,,  188H);  I^o^^ues  jp  Fursac, 
Les  écrits  et  les  dessins  d^tns  les  maladies  nerveuses  et  mentales,  232  fig., 
Masson,   4905. 

*®  D'Agucsseau,  ")!'"  p'aidoyer. 

**  La  science  de  rérnlurt»  i»'j  graphologie  ronnprend  deux  choses  distinc- 
tes :  \°  Télude  des  caractères  d'écriture  [calligraphie],  en  vue  d'une  identi- 
fication de  ce'.te  écriture;  2®  relie  do  IVcriture,  en  vue  de  dégafjer,  par  ce 
muyen,  les  traits  saillants  de  la  persnimalilé  de  r«'crivaiu.  A  ce  double  point 
de  vue,  il  s*agit  évidemnneul  d'une  science  bien  conjecturale. 

G.  \\  P.  —  I.  41 


(}42  PUOCÊDUUK   PÉNALE.  —  DE    L\    PRECVE. 

voulu  écarter,  pouria  reconnaissance  des  écritures,  les  experts 
grapholoiïues.  Klle  admet,  en  effet,  IVxperlise,  en  matière  de 
pièces  arguées  de  faux,  dans  les  articles  4i8  à  i6i  do  Gode 
d'instruction  criminelle.  On  doit  seulement  décider  :  1**  d'une 
part,  que  IVxperlise  en  écriture  <<  est  une  mesure  ordinaire 
«  de  rinslruction,  qui  apparlientau  juge,  tant  qu'elle  ne  lui 
«  a  pas  été  expressément  relirée*  par  la  toi  et  qui,  si  pile  Hoit 
«  ftf'p  fîcrueillie  avec  quoique  défiance ,  p(»ut  cependant 
«  fournir  (l«'S  indications  utiles  »;  2*"  et,  d'autre  pari,  «que 
«  les  règles  tracées  par  le  titre  X  du  Code  de  procédure  civile 
c<  intitulé,  de  la  vhificafion  des  écritures,  ne  sont  nullement 
«  ap[dical)l<»s  en  matière  criminelle;  que  les  juges  criminel? 
«  comme  les  jurés  forment  leur  conviction  sur  les  faits, 
«  d'après  le  débat  oral  et  sans  que  la  loi  leur  demande  conripte 
«  des  éléments  el  des  circonstances  qui  la  déterminent  »'^ 

355.  Ces  règles  posées,  v\  elles  ne  sont  que  Tapfdicationi 
l'expertise  en  écriture  des  principes  généraux  qui  dominent 
la  matière  des  preuves,  on  remarquera  le  rôle  diCTérent,  et  de 
Vea/tertUp  en  matière  de  pièces  arguées  de  faux^  dont  la  pro- 
cédure a  été  réglementée  par  les  articles  précités  du  Code 
d'instruction  criminelle,  el  de  V expertise  en  écriture  ordi- 
naire, dont  il  n'est  pas  directement  (|uestion  dans  ce  Code". 
Il  s'agit,  dans  la  première,  d'un  écrit  prétendu  falsifié,  quia 
été  fal)riqué  ou  dont  il  a  été  fait  usage  par  celui  auquel  OQ 
impute  riucrimination  de  faux  ou  d'usage  de  faux.  Dans  la  se- 
conde;, il  s'agit  de  vérifier  si  im  écrit,  qui  constitue  tantôt 
le  corps  du  délit,  tantôt  utie  pièce  à  conviction^  peut  être 
attrihué  à  l(;lle  personne.  C'est  une  lettre  de  dénonciation, 
anonynn;  o\\  signée;  el  sur  l'instruction  ou  la  poursuite 
pour  dénonciation  calomnieuse,  la  question  se  pose  de  sa- 
voir si  celle  dénonciation  émane  bien  de  Tincuipé.  L'écrit 
à  vérifier  constitue,  dans  ce  cas,   le  corps  même  du  délit, 

*-  Ch  sont  los  terni»»?  do  deux  arrêts  de  la  Cour  de  cassation,  l'un  du 
i*9  ventôse  an  X,  rautn.'.dn  20  juin  lS4t). 

^^  I.o  Code  d'instruction  crinninelle,  consacra,  en  efFet,  un  chapitre  entier 
à  la  procédure  <iu  faux  en  ».*crilurr?. 


DES   BÈOLBS  SPÉCIALES   A   CEBTAINES   BXPl^RTISES.  643 

Dans  d'niilres  cas,,  la  vérificalion  portera  sur  uae  pièce  à 
coTiviction'*  qui  sera  l'une  des  preuves  du  délit  poursuivi, 
mais  qui  n'en  constituera  pas  le  fir/^.f.  Le  juge  d'inslritclion, 
qui  a  ouvert  une  information  du  chef  (l'assassinat,  aura  saisi, 
par  csempli',  une  lettre  de  menaces  qu'il  attribue  à  l'inculpé 
et  qui  forme,  si  elle  est  Uien  de  son  écriture,  une  chiii^e 
grave  contre  lui.  Ëviilenimenl,  si  l'expertise  doit  toujours  être 
ordonnée,  en  cas  de  doute  lyérieiix  sur  l'identité  de  l'écriture, 
lors<]ue  le  corp^  tlii  dfilil  est  précisontent  l'écrit  tui-inèine,  . 
elle  ne  doit  i'élre,  lorsqu'il  s'agit  d'une  simple /)wr  li  innvic- 
tion.  que  lorsijue  l'écrit  constitue  «ne  preuve  indiscutable  da 
Fuit  incriminé  ou  d'un  de  ses  éléments  essentiels. 

356.  Dans  la  procédure  organisée  par  le  Code  d'instruc- 
tion criminelle  poor  la  conxtalation,  \h  couse rration  et  la  i:éri- 
fivation  fin  fau-t-  en  érriltir/',  il  y  a  particulièrement  deuK 
groupes  de  règles  qui  doivent  être  respectés,  par  analogie, 
dans  toute  expertise  en  éi-Hture  :  le  premier  concerne  le  pro- 
cédé de  léri ficalinii ;  le  second,  le  pi-océdé  de  conxlatation  et 
de  ronuf-ri-a/ ioH  de  la  pièce  contestée. 

I.  INnir  constater  les  al'ératinns  ou  falsifications  de  pièces, 
les  ex|ierls  procèdent,  le  pins  souvent,  par  la  comparaison  de 
récriture  incriminée  avec  t'écrituru,  soit  de  l'inculpé  hii- 
méme,  suit  de  la  personne  à  qui  l'acte  est  allrihuo.  Les  écrits, 
admis  dans  cette  opériàlion,  s'uppellont  les  «  pièces  de  com- 
paraisuR  n.  Dans  les  articles  l."J.">  et  i'ifi,  la  loi  limite  les  pro- 
ductions de  cet  élément  essentiel  de  l'eipertise  en  écriture  : 
faux  actes  aullicnliqiies  (art.  iîiîi);  2°  aux  écritures  privées, 
si  If"  pnrlii-s  lis  rfifi/iiiaisicnl  (art.  456).  Cette  dernière  con- 
dition ne  veut  pas  dire  que  les  [lartiesont  le  droit  de  s'op[Miser 
A  ia  production  des  picees  de  com[iaraiâon  consistant  en  des 

"  L'nrlii:li?  :iî9,  rulullf  k  Ni  |>i-»c;t^Hiin>  <-.»  cour  ij'^issisi's,  frusuril  \:i  TF.\ité- 
senution  i.  Vnccu:^*:  Al-  toulifs  li-s  pii-L'ea  rphliv':^  :iii  di'lil  et  [iniiviinl  si-rvir 
H  cuiivictiiHi  :  li;  pri-siili;iil  lioit  i>(fiili'rui'iil  iL-mundi-r  :i  ci;lui-i;i  s'il  n-ciiimalt 
le»  pi^i-*  i/m'oii  hii  rcjirm'Hd'.  n'uù  il  siiil  i]iie  Ui  v('rili";;ilioii  lii-s  pii'<cei) 

jncsuri:  d'expertise. 


64  i  l'KOCÉDUKK    l'ÉNALE.  —  DE   LA    PREUVE. 

('criluros  privées,  car  les  magistrats  seuls  ont  la  faculté  de 
décidtTsi  cette  production  est  utile.  Mais  cola  signifie  que  les 
parties  doivent  être  mises  en  demeure  de  déclarer  si  elles 
nient  ou  si  elles  rrconnai^^sent  Tauthenticité  de  la  pièce  pro- 
duite. I^'arlicle  461  indique,  du  reste,  que  le  juge  pourra  exiger 
du  prévenu  la  production  d'un  fac-similé  de  son  écriiure,sous 
ses  yeux  :  <*  Le  prévenu  ou  l'accusé  pourra  être  requis  de  pro- 
«  duire  et  de  former  un  corps  d'écriture  ;  encasde  refus  ou  de 
it  silence,  le  procès-verbal  en  fera  mention  ».  Rien  ne  s'op- 
pose à  ce  que  ce  procédé  soit  employé  vis-à-vis  de  toute  autre 
personne,  par  exemple  vis-à-vis  du  plaignant.  Il  est  évident 
queloute  cette  procédure,  qui  a  pour  Lut  de  faire  constituer, 
par  le  juge  lui-même,  les  éléments  de  l'expertise  et  d'authen- 
tiquer, pour  ainsi  dire,  les  pièces  sur  lesquelles  travailleroal 
les  graphologues,  s'étend  à  tous  les  cas  de  vérification  d'écri- 
ture. 

11.  Après  avoir  limité  strictement  le  genre  de  pièces  à  pro- 
duire pour  comparaison,  le  Gode  d'instruction  criminelle 
prescrit  des  règles  particulières  pour  la  saisie  et  le  dépôt  des 
pièces  (art.  4i8,  449,  4;;0,  462,  4o4,  435.  457),  règles  appli- 
cables, dans  la  mesure  où  elles  peuvent  être  suivies,  aux 
écrits  déniés  (|ui  sont  le  corps  du  délit  ou  qui  servent  de 
pièces  à  conviction  et  sont  soumis,  à  l'un  de  ces  titres,  à  une 
expertise  eu  écriture.  Mais  les  formalités  dont  il  est  question, 
n\Uant  pas  imposées  à  peine  de  nullité  en  matière  de  faux*', 
n(»  le  sont  pas,  à  plus  forte  raison,  lorsqu'elles  sont  étendues 
à  une  procédure  pour  la(|uelle  elles  n'ont  pas  été  directement 
édictées. 

357.  Les  falsilications  des  produits  destinés  à  l'alimenta- 
tion (le  riioinmo  et  des  animaux,  ainsi  qu*aux  besoins  de  l'a- 
griculture, doiennenl  cha(|ue  jour  plus  audacieuses  et  plus 
compliquées.  C(^  sont  surtout  les  crises  économiques,  dont  la 
fabrication  et  la  vente  de  ces  produits  ont  été  une  des  princi- 
pales causes  par  la  concurrence  faite  à  la  production   nalu- 

•'  Vi'\.  n.iî.iiiiiiu'nl  r.jrf.  rio  ilu  Codi»  d'iristruclion  criminelle. 


L 


DES   RÈGLES   SPÉCIALES    A    CERTAINES   EXPERTISES.  645 

elle  el  au  commerce  loyal,  qui  paraissent  avoir  molivé  rinter- 
enlion  législative.  Elle  s'est  manifestée,  dans  une  série  de 
ois  et  règlements,  sur  les  fraudes  :  1"*  Des  engrais  (Loi  du  4 
vril  1888  el  décret  du  10  mai  1889);  2"  Des  vins,  cidres  et 
moirés  (Lois  des  16  août  1889,  1 1  juillet  1891 ,  2i  juillet  1894, 
'  et  8  août  1905);  3°  Des  sérums  thérapeutiques  (Loi  du  25 
vril  1893);  4°  Des  beurres  (Loi  du  16  avril  1897,  décret  du 
>  novembre  1897);  5'*  De  la  saccharine  (Loi  du  30  mars  1902, 
ri.  49  et  53);  C°  Des  sucres  (Loi  du  28  avril  1903,  art.  7;  loi 
lu  31  mars  1903,  art.  32;  loi  des  6  et  8  août  1905);  V  Dans  la 
^enle  des  marchandises,  denrées  alimentaires,  produits  agri- 
îoles  (Loi  des  1"  et  5  août  1905,  décret  des  31  juillet,  2  août 
1906). 

La  constatation  et  ïn  preuve  des  diverses  fraudes,  de  nature 
i  se  produire  dans  le  commerce  de  ces  substances,  impli- 
juent  deux  opérations  qui  doivent  être  soumises  à  des  forma- 
ités  destinées  à  garantir  leur  sincérité  :  le  prélècement  des 
îchanlitlons;  leur  analyse  chimique.  Cette  double  opération, 
i  été  organisée,  sur  des  bases  contradictoires,  en  vue  de  la 
*épression  des  fraudes  dans  le  commerce  des  engrais,  des 
)eurres,  des  boissons,  denrées  alimentaires  et  produits  agri- 
coles. Il  y  a  là  un  premier  essai,  dans  la  législation  française, 
le  l'expertise  contradictoire. 

358.  On  sait  Timportance  qu'ont  prise,  en  agriculture,  les 
engrais,  et  surtout  les  engrais  chimi<|ues.  Or,  leur  valeur  dé- 
3end  du  titre  réel  en  principes  fertilisants  dont  l'acheteur  ne 
Dcutse  rendre  compte  sans  une  analyste  chimique  préalable. 
Pour  protéger  le  cultivateur  devenu  la  proie  de  négociants 
>ans  scrupule,  réprimer  les  fraudes  «[ui  se  pratiquent  dans  le 
commerce  des  engrais,  fixer  les  méthodes  d'analyse,  abréger, 
iw  cas  de  contestation,  les  délais  de  procédure,  une  loi  du 
l  février  1888  est  intervenue. 

Elle  édicté,  dans  son  article  l*'^  une  peine  sévère,  contre 

<  ceux  qui,  en  vendant  ou  mettant  en  vente  des  engrais  ou 

<  amendements,  auront  trompé  ou  tenté  de  tromper  Tache- 
c  teur,  soit  sur  leur  nature,  leur  com[)Osilion  ou  le  dosage 


646  PROCÉDURE   PéNALB.    —   DE   LA.   PREUVE. 

«  des  éléments  utiles  qu'ils  cooticnneot,  soit  sur  leur  prore- 
«  nance,  soit  par  Tcmploi,  pour  les  désigner  ou  les  qualifier, 
('  d*uD  nom  qui,  d'après  Tusage,  est  donné  à  d'autres  sub- 
«  stances  fertilisantes  ».  En  vue  de  découvrir  ces  fraudes,  ao 
règlement  d'administration  publique,  en  date  du  i  Ornai  i889, 
rendu  en  exécution  de  Tarticle  6  de  la  loi,  a  organisé  un  sys- 
tème d'expertises  officielles  et  contradictoires^  qui  comprend 
trois  séries  d'opérations. 

1.  La  première  est  \n, prise  d'échantillons^^.  S'il  y  a  doute, 
ou  contestation  sur  l'exactitude  des  indications  mentionnéei 
dans  les  contrats  de  vente,  factures  ou  commissions  destinées 
à  l'acheteur,  il  peut  être  procédé,  soit  d'office,  soit  sur  la  de- 
mande des  parties  intéressées,  à  la  prise  d'échantillon  de  l'en- 
grais ou  amendement  vendu  (Loi  du  10  mai  1889,  art.  4).  Les 
échantillons  sont  toujours  prélevés  en  trois  exemplaires,  sni- 
vant  certains  procédés  imposés  pour  en  assurer  Fidentité  :  Fan 
est  remis  ou  cnvové  au  vendeur;  Tautre  est  transmis  à  unchi- 
miste  expert  pour  servir  à  Tanalyse;  le  troisième  est  conservé 
en  dépôt  au  grotte  du  tribunal  de  Tarrondissement,  pour  être 
utilisé,  s'il  y  a  lieu,  dans  une  contre-expertise  (art.  7  et  9). 

IL  La  seconde  opération  est  la  constitution  de  Vexpertise. 
Dans  le  cas  où  la  prise  d^échantillons  a  lieu  d'un  commun 
accord  ou  à  la  requête  de  l'acheteur,  les  parties  peuvent  con- 
venir du  choix  de  l'expert.  En  cas  de  désaccord  ou  en  cas  de 
prise  d'échantillons  d'office,  l'expert  est  désigné  par  le  jngo 
de  paix  du  caulon,  sur  la  réquisition  du  magistrat  qui  a  pro- 
cédé à  l'opération,  ou,  à  son  défaut,  de  la  partie  la  plus  dili- 
gente (art.  11).  L'expertise  doit  être  faite  par  l'un  des  chimis- 
tes experts  désignés  par  le  ministre  de  rAgriculture  et  dont 

^*  Au  cas  où  la  prise  d't'chiinlilloiis  :i  lieu  à  la  demande  des  parties^  les 
écharilillonti  sont  prélevtîs  cunlradictoi riment  par  les  parties  au  lieu  de  la  li- 
Trais«)ii.  Si  le  vendeur  refuse  ifassisler  à  la  prise  d'échantillons  ou  de  sv 
faire  représenter,  il  y  est  procédé,  à  la  requ(*te  et  en  présence  de  Facheteur, 
par  le  mairr  ou  le  commiasaire  de  police  du  lieu  de  la  livraison  (art.  5). 
Quand  il  est  \^vocédf^iV office  à  la  [►rise  d'échantillons,  celle-ci  est  faite  parle 
mairr  do  la  localité  ou  son  adjoint,  ou  le  commissaire  de  police,  soit  dans 
les  magasins  ou  entrepnls,  soit  dans  les  gares  ou  ports  de  départ  ou  d'ar- 
rivée. 


DES   RÈGLES  SPÉCIALES   A    CERTAINES   EXPERTISES.  647 

la  liste  est  revisée  tous  les  ans,  liaos  le  courant  du  mois  de 
janvier  (art.  10).  Un  délai  de  dix  jours  au  plus,  à  partir  du 
jour  de  la  remise  de  l'échantillon,  est  imparti  au  chimiste  ex- 
pert pour  Tanalyse  de  Téchanlillon  (art.  ii). 

111.  La  troisième  opération,  la  contre-expertise,  n'a  lieu 
que  si  le  vendeur  contesle  les  données  de  l'analyse.  Celui-ci 
doit  faire  sa  déclaration  dans  un  délai  de  huit  jours,  à  partir 
du  jour  du  dépôt  du  rapport  au  gretrc  du  tribunal  qui  a  pro- 
cédé à  la  désignation  de  Texpert.  Dans  ce  cas,  le  troisième 
exemplaire  de  Téchantillon  prélevé  est  soumis  à  une  contre- 
expertise  par  un  chimiste  expert,  choisi  sur  la  liste  dressée 
par  le  ministre  et  désigné  par  le  président  du  tribunal  de  l'ar- 
rondissement où  il  a  été  procédé  à  la  prise  d'échantillon 
(art.  46).  Cette  opération  doit  être  achevée  dans  le  même  dé- 
lai de  huit  jours  à  partir  de  la  remise  de  Téchantillon. 

Les  rapports  des  chimistes  experts  et  les  procès- verbaux  de 
prise  d'échantillons  sout  trausmis  au  procureur  de  la  Répu- 
blique pour  y  être  donné  tt'lle  suite  que  de  droit. 

359.  Les  particularités  de  l'instruction,  ainsi  analysées, 
méritent  d'être  soulignées,  car  elles  ont  été  le  point  de  départ, 
en  France,  d'un  mouvement  législatif  intéressant  *\  i®  L'ex- 
pertise est  toujours  contradictoire,  en  ce  sens  :  que  les  inté- 
ressés sont  tenus  d'assister  à  la  prise  d^échanlillons  ou  de  s'y 
faire  représenter;  et  que  le  vendeur  a  toujours  le  droit  d'exi- 
ger une  contre-expertise  qui  ne  peut  lui  être  refusée.  2*  Les 
magistrats,  pas  plus  que  les  parties,  n'ont  le  libre  choix  de 
l'expert.  Ils  sont  tenus  de  désigner  un  des  experts  officiels 
figurant  sur  la  liste  dressée  par  le  ministre  de  l'Agriculture. 
3*  Des rf^/ais  et  des  /orw<?.s' spéciales  sont  imposées  aux  experts 
pour  la  rédaction  de  leurs  rapports.  4""  Enfin,  celte  expertise 
est  essentiellement  extrajudiciaire  ii{  préjudicielle  à  la  pour- 
suite qui  peut  être  exercée  contre  le  délinquant. 

•'  L*opporl unité  de  la  loi  du  4  l'évrijT  1888  ne  SHuniil  ôtre  contestée  et  ses 
r(^suitats  ont  été  lavorubles.  Depuis  Sîi  mise  en  vij^ueur,  les  fraudes  dans  le 
commerce  des  engrais  sont  devenues  rares. 


648  PROCÉDUKE   PÉNALE.    —     DE   LA    PREUVE. 

360.  Ce  dernier  caraclère  donne  lieu  à  une  double  ques- 
tion. 4"  La  poursuite  est-elle  recevable  dans  le  cas  où  les  for- 
malités préliminaires  n'ont  pas  été  observées?  2*  Cette  exper- 
tise préalable  est-elle  exclusive  de  toute  mesure  dlostruclioD 
de  droit  commun  en  cas  de  poursuite? 

I.  Le  procureur  de  la  République  n'exerce  Faction  publi- 
que que  si  le  prélèvement  d'échantillons  et  l'experlist?,  dont 
les  procès-verbaux  lui  sont  adressés,  paraissent  conclure  à  une 
fraude.  Cela  est  bien  évident.  Mais  il  est  possible,  la  pour- 
suit*; étant  ainsi  engagée,   qu'il  soit  démontré,  au  cours  des 
débats,  que  les  formalités  prescrites  par  le  règlement  d'admi- 
nistration publique  n'ont  pas  toutes  été  accomplies,  par  exem- 
ple, le  prélèvement  d'échantillons  n'a  pas  été  contradictoire, 
ou   bien    l'expert  a   déposé  son  rapport  plus  de  huit  jours 
après  la  remise  qui  lui  est  faite  de  l'échantillon  soumis  à  sa 
vérification  :  dans  ce  cas,  le  tribunal  peut-il,  si  la  fraude  est, 
d'autre  i)art,  démontrée  par  l'instruction  judiciaire,  statuer 
sur  l'affaire  el  condamner  le  prévenu?  Il  ne  paraît  pas  dou- 
teux qu'en  basant  sa  décision  sur  des  éléments  distincts  de 
l'expertise  extrajudiciaire,  par  exemple,  sur  l'aveu  du  pré- 
venu, le  tribunal  a*ait  le  droit  de  déclarer  la  poursuite  rece- 
vable et  fondée  *'.  L'expertise  irrégulière  pourrait  même  être 
consultée,  à  litre  de  renseignement,  puisque  la  preuve  delà 
fraude  n'a  pas  été  expressément  soumise  à    une    forme  lé- 
gale '*. 

II.  Dès  (jue,  h»  dossier  est  transmis,  cojnme  l'exige  l'article 
n  du  décret,  au  procureur  de  la  République,  ce  magistral 
est  maître  dt;  la  poursuite,  comme  dans  toute  autre  affaire 
correctionnelle.  Le  juge  d'iiislruclion  qu'il  saisit,  a  tous  les 
pouvcûrs  qu(3  lui  reconnaît  le  Code  d'instruction  criminelle 
pour  la  direction  à  donner  à  la  procédure  d'information  el 
pour  la  désignation  d«'!S  experts.  Sans  »loule,  son  choix  se 
limitera  presque  toujours  aux  experts  portés  sur  la   liste  oflî- 


"^  Dans  -■.'  s.Mis  :  r.ass.,  l".  juin  ls',):i  ;S.  9r,.  l.  -ilil);  Paris,  6  fêvr.  18% 
(J.  dt's  hiV'i.,  \H\.  2.  tr.li). 

•'■^  Mi^iih^s  îinvls  cili's  ilans  la  iioh»  préirjMl.Mile. 


DES   RÈGLES  SPÉCIALES  A    CERTAINES   E?CPERTISSS.  649 

cielle,  dressée  aiiDuelleinent  par  le  minisire  de  l'Agriculture, 
car  ce  sont  ceux-là  qui  offrenl  le  plus  de  garantie;  mais  le 
juge  d'instruction  a  toujours  le  droit  d'en  choisir  d'autres. 
Les  prescriptions  de  la  circulaire  ministérielle  du  11  mars 
1896,  qui  renvoie  les  magistrats  à  cette  liste,  n'ont  rien  d'im- 
pératif ". 

361.  La  loi  du  16  avril  1897  concernant  la  répression  de 
la  fraude  dans  le  commerce  du  beurre  et  la  fabrication  de  la 
niargarine,  et  le  règlement  d'administration  publique  du  9 
novembre  1897,  qui  statue  sur  toutes  les  mesures  à  prendre 
pour  son  exécution,  contient  un  système  analogue  ^^ 

Mais  Tintervention  administrative,  dans  la  constitution  de 
Texpertise,  est  encore  plus  accentuée  et  la  réglementation  plus 
stricte". 

La  prise  d'échantillons  est  faileen  trois  e\emplaires,  a  en- 
fermés dans  des  vases  en  verre  hermétiquement  clos,  et  im- 
médiatement scellés  »,  et  accompagnée  d'un  procès-verbal 
contenant  toutes  les  indicationsjngées  utiles  pour  établir  Tau- 
(henlicité  des  échantillons  prélevés  et  l'identité  de  la  mar- 
chandise vendue  (art.  11  et  12).  C'est  le  gouvernement  qui  dé- 
signe les  experts  agréés  (art.  13),  c'est  lui  qui  se  réserve  de 
prescrire  les  mesures  d'analyse. 

L*expertise  doit  être  elTecluée  dans  un  délai  de  huit  jours 
au  plus  à  partir  de  la  remise  de  l'échantillon  au  chimiste  ex- 
pert. Si  l'analyse  est  contestée  par  Tinléressé,   le   troisième 

"  Cire.  JusL,  H  mars  1896,  Bull.,  n»  ir,;  et  Cire.  Jusl.  2t  mars  iH97, 
Bw//.,n«  10. 

**  Voy.  le  titre  III  du  décn^.i  du  0  nov.  1897,  intitulé  «  Kxpertise  •>  (art. 
10  à  16). 

*^  Les  r^'sultats  de  cette  organisation  d'une  expertistMjrficielle  exlra-judi- 
ciaire  n*ont  pas  été  très  heureux.  L'une  des  premières  applications  du  sys- 
tème, l'affaire  dite  des  «  Beurres  de  Hollande  >»,  l'ut,  pour  les  experts  offî- 
.ciels  et  pour  les  méthodes  d'analyse  officielles,  un  échec  retentissant.  On  en 
lira  le  récit  dans  Tarticle  suivant  :  D'  Le.scoeur,  proîesseur  de  toxicologie 
à  l'Université  de  Lille,  l/expcrtisc  contradictoirr  [llev,  pénit.,  190ri,  p.  1218 
et  1222).  C'est  un  des  ehaf»ilres  les  plus  intéressants  des  erreurs  judiciaires 
dues  aux  expertises. 


630        PROCÉDURE  HÉNALB.  —  DE  LA  PREUVK. 

exemplaire  de  réclianlilion  est  soumis  à  une  contre-expertise^ 
confice  à  un  chimiste  expert,  choisi  sur  la  liste  dressée  par  le 
ministre  de  TAgriculture,  et  désigné  par  le  présidentdu  tribu- 
oal  de  Tarrondissementoi]  il  a  été  procédéà  la  prise  d'écliao- 
tillon  (art.  Ifi). 

Dans  ce  cas,  comme  dans  le  cas  précédent,  Texpertise 
doit  être  régulière^'  pour  permettre  au  tribunal  de  baser  la 
condamnation,  exclusivement  sur  cette  mesure  d*instructioa. 
Mais,  si  l'expertise,  même  irrégulicre,  peut  être  consultée,  à 
titre  de  simple  renseignement,  le  tribunal  a  le  droit,  soit  de 
bas<^r  la  condamnation  sur  d'autres  éléments  de  preuve  qae 
Texpertise,  notamment  sur  Taveu  du  prévenu^  soit  de  relaxer 
celui-ci,  malgré  les  conclusions  défavorables  ou  de  l'expertise 
ou  de  la  contre-expertise,  conclusions  qui  ne  s'imposent  pas  au 

362.  Depuis  190o,  la  France  possède  une/^j:  alimentaridy 
c'est-à-dire  un  Gode  sur  la  répression  des  fraudes  dans  la 
vente  des  marchandises  et  des  falsifications  des  denrées  ali- 
mentaires et  des  produits  agricoles*'. 

*^  Mîiis  qui'Iles  sonl  les  fumialitj^s  pn»»crites;i  (loine  de  nullité?  La  juris- 
pnidetUM;  parfiit  avoir  appnrjuoà  celte  pronôdure  la  distinction  des  formalités, 
•Ml  suhstanlirlles  et  ncjn  sulislaiitielles.  C'est  ainsi  que  les  vases  en  verre 
dans  l<»squelssont  pnHrvos(lHs*^rli;intillonsdoheurnî,oonforniéinenlà  l'article 
11  du  décret  du  *.)  uov.  1897,  doivent,  à  ptûne  de  nullité  de  la  saisie^èiK 
scolles  imnu'dial»Mn«.ml  apn-s  1»»  pri'l«*'vemonl(Oass.,  7juill.l900,  D.lOOf.49; 
Duiiiii,  2U  nov.  iHW,)^  \),  IDOi).  2.  :v>Si.  Mais  la  loi  n'oxiffe  pas  que  le  pro- 
c«'>-VL'rl)al  ri.'lalarit.  la  prise  dr^s  (*otiaiitilloris  soit  rédigé  au  moineul  nv;mede 
la«--nnslalalion  diîs  faits  fCass.,  7  juill.  i90<),  précité).  La  disposition  delV- 
tich>  11  du  décn't  du  40  mars  1>S87,  aux  termes  «Je  laquelle,  Tanalyse  «k 
ré«;liantillou  doit  élrr»  elVectui'o  dans  un  dôlaideliuil  joyirSj  n'est  fuis  prescrite 
à  peinte  dinmllitn:  il  on  osl  d«'  niniuf  "K;  li  disposition  de  rartielt*  14  de  oe 
dt'<n'l  qui  enjoint  à  IVxpi*rt  de  donner  avis  au  vendeur  du  dépôt  du  rapport 
(t-ass-,  fr»  juin  lS9!i,  I).  ilM)l.  l.  .W^).  Kn  <ens  conlniire,  sur  ce  dernier 
point  :  Ca.'u,  iijaiiv.  lHl)y(S.  09.  2.  113). 

-"•  C'est  la  loi  des  4'^»-  et  ;)  août  1905  (J.  off,  du  5  août  190:>).  Celle  loi 
ahro^e  l'article  i-2:i,  le  pani^raphe  2  de  l'article  477  du  GtxJe  pénal,  la  loi 
du  27  mars  IRI'il  tendant  à  la  répression  plus  efficace  de  certaines  fraudes 
d^ins  la  vento  des  marchandises,  la  loi  des  5  et  9  mai  1855  sur  la  répression 
des  fraudes  dans  la  vente  des  boissons  (art.  14).  Mais  elle  mainlieDt  en  vi- 


ORS    UÈOLKS  SPÉCIALEH    A    CERTAINES    EXPERTISES.  651 

Conrortiiément  li  rarticlel  t  de  celte  loi,  un  règieineiit  d'ad- 
ministration publique  des  3i  juillet  et  2  août  1906,  est  inter- 
venu, en  ce  qui  cooccrne  :  i"  les  formalités  prescrites  \\o\ir 
opérer  des  prélèvements  d'échantillons  et  procéder  contradic- 
loiremenl  an\  expertises  sur  les  marchandises  suspectes;  2*^  le 
choix  des  méthodes  d'analyse  destinées  à  établir  la  composi- 
tion, les  éléments  constitutifs  et  la  teneur  en  principes  utiles 
des  produits  ou  à  reconnaître  leur  falsification;  3®  les  auto- 
rités qualifiées  pour  recueillir  des  éléments  d'information  au- 
près des  diverses  administrations  publiques  et  des  concession- 
naires de  transport-^. 

gueur,  sauf  en  ce  qui  coiu;ornc  les  i)énalités,  remplacéos  par  cclies  de  la  loi 
nouvelle  :  1**  la  lui  du  t  février  1888,  concernanl  la  rt^pressioii  des  fraudes 
dans  le  commerce  des  en>çrais;  2"  les  lois  du  li  août  1880,  il  juillet  1891, 
et  24  juillet  18yi-,  ri^atives  aux  fraudes  commises  dans  la  vetile  des  vins  ;3°  la 
loi  du  25  avril  181)5,  relative  à  la  vente  des  sf^rums  thérapeutiques;  4'»  la 
loi  du  0  jivril  1897  concernant  les  vins,  cidres  et  poirés;  5"  la  lui  du  16  avril 
1897  concernant  la  répression  de  la  fraude  dans  le  commerce  du  beurre  et  la 
fabrication  de  la  margarine.  Kiilin,  une  lui  p(»sterieure,  celle  des  G  et  8  août 
1905,  relative  à  Ja  r«ipression  d<*  la  frau<le  sur  les  vins  et  au  régime  des 
spiritueux,  s'ajuut»*  à  la  liste  «lus  luis  auxqu«:lles  la  protection  des  vins  na- 
turels a  donné  lieu  depuis  1889. 

**  Cft  premier  rf»glement  a  éti*  promulgué  au  J,  off.  du  2  août  1906.  Il 
eofitient  trois  titres.  Le  pri-mier  est  consacré  à  l'organisation  et  au  fonc- 
tionnement du  Si'rvice  des  prélèvements.  Ce  service  est  organisé  par  l'Klat 
avec  le  concours  éventuel  des  départements  et  des  communes.  Le  fonction- 
nement de  ce  si.Tvice  est  assuré,  smus  Tauturité  du  minisln*  île  la  Justice, 
du  ministn?  de  l'Agriciiltiirc  et  du  ministre  du  Commerce,  d»'  l'Industrie  et 
du  Travail,  dans  le?  départements,  par  les  préfets,  à  Paris  et  dans  le 
ressort  de  la  préfecture  »le  pulici?,  par  !•>  préfi^t  «le  police.  Les  agents  de 
prélèv»3ment  sont  désignés  par  l'article  2.  Des  agents  spéciaux,  agréés 
et  commissionnés  |mr  le  préfet,  peuvi  nt  être  institués  p^r  les  dépar- 
tements ou  les  communes.  Une  cMininis^ion  permaneFit».'  est  instituée 
et  rattacîiée  au  ministère  du  Commerce  [)uur  l'examen  «les  questions 
d'ordre  scientifl(|ue  que  comporte  l'application  de  la  loi  du  1"'  août  1905 
(art.  3).  Les  articles  6  f^  10  prescrivent  le  mod»*  <ie  prélèvement  des 
échantillons,  le  nombre  d'échantillons  à  prélever,  etc.  Le  titre  11  est  re- 
latif au  fonctionnement  des  laboratoires.  Tous  les  laboratoires  ne  peuvent 
employer  que  les  méthoiles  indiquées  par  la  commission  permanente.  Les 
agents  de  prélèvement  n'auront  rien  de  commun  avec  le  personnel  des  laLo- 
ratoires  (art.  12  k  1(1).  Le  titre  III  s'occupe  du  l'onctionnement  de  l'expertise- 


652  I^RUCÉDLKK    rÈXALE.    —    DE    L\    PREUVE. 

363.  Ce  qui  caraclérise  rinstruclion  en  matière  de  fraude^, 
d*.iprès  celle  légi>.lalion,  c'est  rorganisation  d*une  double 
expertise  :  la  première,  adminislralice,  destinée  à  surveiller, 
ri'chercher  et  constater  les  fraudes  ;  la  seconde,  judiciaire,  de^- 
tinée  à  les  établir  en  vue  de  la  répression. 

1.  Dans  ta  première  phase  «le  la  procédure,  ta  phase  admi- 
nistrative, les  agenis,  chargés  du  service,  ont  le  droit  d'opérer 
des  prélèvemenls  d'échantillons  d'office^  dans  les  magasin^, 
boutiques,  ateliers,  voitures  servant  au  commerce,  ainsi  que 
dans  les  entrepôts,  les  abattoirs  et  leurs  dépendances,  les  halles, 
foires  et  marchés,  et  dans  les  gares  ou  ports  de  départ  ou  d'ar- 
rivée 'art.  l'.  Toutprélèvemeul  comporte  yî/^//'é? échantillons, 
l'un  destiné  an  laboratoire  pour  analyse,  les  trois  antres  éven- 
tuellement destinés  au\  experts  (art.  o).  Cette  opération  donne 
lieu,  séance  lenanLe,  à  la  rédaction,  sur  papier  libre,  d'un 
ppocès-vcrbal,  contenant  un  certain  nombre  de  mentions 
l'identité  de  l'agent  verbalisateur,  ladate,  Theureet  le  lieu  où 
le  prélèvement  a  été  effectué,  les  nom,  prénoms,  profession, 
domicile  ou  résidence  de  la  personne  chez  laquelle  le  prélè- 
vement a  été  of»éré.  Ce  procès-verbal  est  signé  par  l'agent 
verbalisateur.  Il  contient  un  exposé  succinct  des  circonstances 
dans  lesquelles  le  prélèvement  a  été  opéré,  relate  les  marques 
et  éti([uelt<îs  apposées  sur  les  enveloppes  et  récipients,  l'impor- 
tance du  lot  de  marchandise  échantilloné,  ainsi  que  toutes  les 
indications  jugées  utiles  pour  établir  raulhenticitc  des  échan- 
tillons prélevés  et  l'identité  de  la  marchandise.  Le  propriétaire 
ou  le  détenteur  de  la  marchandise,  ou,  le  cas  échéant,  le 
représentant  de  l't^ntreprise  de  transport,  peut,  en  outre,  faire 
insérer  au  procès-verbal  toutes  les  déclarations  qu'il  juge 
utiles.  11  est  invité  à  signer  le  procès-verbal  :  eu  cas  do  refus, 
mention  en  est  faite  par  Tagent  verbalisateur  (art.  6). 

i'onlrMflieloiiv  :  «li'tix  exporls,  l'un  «It'sigiiô  par  le  jugo  d'instruction,  Taulre, 
fiîir  lii  persoiiU''  CMiiire  l.npi'*llo  rir)>lriiclion  est  uuverLe;  si  les  experts  sont 
pn  •li''.s;i(:cri)nl,  ils  «l»\signent  un  tiers  (ixp«Tt  pour  los  départager.  A  d<^faul 
d'<'iil»Mit«'  pnnr  le  rhoix  do  ci.'  tiors  expcrl,  il  est  désiufné  par  le  prt'sident 
du  tribunal  civil.  Tt^lle  est  réo<.>n")inio  gi^uéralc  de  ce  premier  dt^cret  or^- 
ni<]ue. 


DES    RÈGLES   SPKCIALES   A    CERTAINES   EXPERTISES.  633 

Tout  échantillon  prélevé  est  mis  sous  scellés  (arl.  7).  L'ana- 
lyse de  l'un  des  échanlillons  esl  faite,  dans  les  huit  joursde  la 
réception,  dans  des  conditions  et  d'après  des  méthodes  indi- 
quées par  la  commission  permanente  qui  est  instituée  au  mi- 
nistère du  commerce.  Si  le  rapport  du  laboratoire  ne  révèle 
aucune  infraction  à  la  loi  du  1"  août  1905,  le  préfet  en  avise, 
sans  délai,  Tinlcressé.  Dans  ce  cas,  si  le  remboursement  dés 
échantillons  est  demandé,  il  s'opère,  d'après  leur  valeur  au 
jour  du  prélèvement,  aux  frais  de  l'Élal,  au  moyen  d'un  man- 
dat délivré  par  le  préfet  (art.  14).  Dans  le  cas  où  le  rapport  du 
laboratoire  signale  une  infraction  à  la  loi  du  1*^'  août  1905,  le 
préfet  transmet,  sans  délai,  le  rapport  du  laboratoire  au  pro- 
cureur de  la  République.  Il  y  joint  le  procès-verbal  de  pré- 
lèvement et  les  trois  échantillons  réservés  (art.  15). 

II.  C'est  alors  que  s'ouvre  la  seconde  période  de  l'instruc- 
tion, celle  de  la  poursuite  y'?///iaV//r^  en  vue  de  la  répression 
du  délit.  La  loi  du  1*'  aoiil  1905  pose,  en  principe,  dans  son 
article  12  :  «  Toutes  les  expertises  nécessitées  par  l'applica- 
c<  tion  de  la  présente  loi  seront  contradictoires  et  le  prix  des 
«  échantillons  reconnus  bons  sera  remboursé  d'après  leur 
«  valeur  le  jour  du  prélèvement  ».  C'est  ce  principe  de 
l'expertise  contradictoire  que  le  règlement  organise"*.  Le 
système  qui  a  été  adopté  est  celui  de  la  (htalilé  ei  de  Véga- 
liié  des  experts,  dont  l'un  est  désigné  par  le  juge  d'instruction 
et  l'autre,  par  la  personne  contre  laquelle  l'instruction  est 
ouverte.  A  cet  effet,  le  procureur  de  la  République  informe 
l'auteur  présumé  de  la  fraude  qu'il  esl  l'objet  d'une  pour- 
suite. H  l'avise  qu'il  peut  prendre  communication  du  rapport 
du  directeur  du  laboratoire  etqu'un  délai  de  trois  jours  francs 
lui  est  imparti  pour  faire  connaître  s'il  réclame  l'expertise 
contradictoire  prévue  par  Tarlicle  12  de  la  loi  du  1"  août 
1905. 

^*  ['ne  question,  (\iii  a  ou  un  inténM  i^impliMnenl  transitoiro,  sVst  (Mevée 
après  la  promu lf:aliun  de  la  loi  du  1'=»'  août  190"».  On  s't'st  di^mand»^  si  son 
application  était  suhordonn(^e  au  (lf'*orel  réglomenlaire  qui  devait  organiser 
l'expertise  conlradicloire.  La  jurisprudonce  ne  l'a  pas  pense.  Voy.  noie  sous 
Trib.  corr.  de  la  Seine  du  l.J  d.'condjro  lOOn,  dans  D.  1900.  2.  131. 


654         PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

364.  Deux  situations  sont  alors  possibles. 

La  première,  dont  il  nesl  question  ni  dans  la  loi  ni  dans 
le  règleinoni  :  c*est  celle  où  Tinculpé  renonce  eipressémeat 
OQ  tacitement  à  réclamer  le  bénéfice  de  l'expertise  contradic- 
toire. Dans  ce  cas,  le  droit  commun  s'applique.  Le  procureur 
de  la  République  a  le  choix  entre  la  voie  de  la  citation  directe 
et  celle  de  l'information.  La  base  de  la  préventiofi  est  le 
rapport  du  directeur  du  laboratoire.  Mais  ce  n'est  pas  là  uoe 
preuve  légale.  Ce  rapport  peut  être  discuté  en  la  forme 
comme  au  fond  :  **n  la  forme,  si  quelques-unes  des  prescrip- 
tions du  règlement,  notamment  celles  qui  énumèrent  lescoD- 
ditions  du  prélèvement,  n*ont  pas  été  suivies;  au  fond^  si  les 
appréciations  des  experts,  cl  même  les  méthodes  scientifiques 
employées,  sont  contestées.  La  loi  n'a  pas  fait  exception,  au 
point  de  vue  de  la  poursuite  des  délits  de  fraudes  et  falsifi- 
cations, au  principe  général  des  preuves  de  conviction. 

La  seconde  situation  est  celle  dans  laquelle  Tinculpé 
vècVdm^  l expertise  contradictoire.  Le  procureur  de  la  Répu- 
bli(|ue  re(|uiert  alors  Touvorture  d'une  information  :  la  voie 
de  la  citation  directe  lui  est  fermée.  C'est  que  le  mode  exclu- 
sif de  preuve  du  délit  est  l'experlise,  telle  qu'elle  est  organi- 
sée par  les  articles  17  à  24  du  décret  réglementaire  du  31 
juillet  1906,  expertise  qui  implique  Tintervention  préalable 
du  juge  d'instruction  pour  la  commise. 

Kn  effet,  il  est  procédé  à  la  nomination  de  deux  experts, 
l'un  désigné  par  le  juge  d'instruction,  l'autre,  par  la  personne 
contre  laquelle  rinstruclion  esl  ouverte.  Celle-ci  a  toutefois 
le  droit  de  renoncer  k  cette  désignation  et  de  s'en  rapporter 
aux  conclusions  de  l'expert  désigné  par  le  juge.  Les  experts 
sont  choisis  sur  les  listes  spéciales  de  chimistes  experts  dres- 
sées, dans  cha([ue  ressort,  par  les  cours  d'appel  ou  les  tri- 
bunaux civils.  L'inculpé  [>eut  toulefiûs  choisir  son  expert  s«r 
les  listes  (lressi'>es  par  la  cour  d'appel  ou  le  tribunal  civil  du 
ressort,  d'où  il  aura  déclaré  que  [)rovient  la  marchandise 
(art.  18). 

Quelles  sont  les   pièces  sur  lesquelles  opèrent  les  expert? 
Et  quelle  méthode  doivent-ils  suivre?  Chaque  expert  est  mis 


OKS    RÈGLES    ^PÉciALKiS   A   GERTAINK8   RXHBRTISES.         635 

n  possession  d'un  cch;intillon.  Le  juge  (l'instruction  donne 
HTiinunicaiion  aux  experts  des  procès-verbaux  de  prélève- 
lenl,  ainsi  que  des  factures,  lettres  de  voiture,  pièce  de 
'i!;\e  cl,  d'une  façon  générale,  de  tous  les  documents  que  la 
ersonne  mise  en  cause  a  jugé  utile  de  produire  ou  que  le 
Jge  s*esl  fait  remettre.  Aucune  méthode of/tcielle  n'est  impo- 
■e  aux  experts.  Ils  opèrent,  à  leur  gré,  ensemble  ou  séparé- 
i^Qi,  chacun  d'eux  étant  libre  d'employer  les  procédés  qui 
li  paraissent  le  mieux  appropriés.  Leurs  conclusions  sont 
rinniéesdans  le  délai  fixé  par  Tordonnance  du  juge  d'ins- 
uclion  (art.  19). 

Si  les  experts  sont  en  désaccord,  ils  désignent  un  tiers  ei- 
irt  pour  les  départager.  A  défaut  d'entente  pour  le  choix  de 
tiers  expert,  il  est  désigné  par 'le  président  du  tribunal 
vil.  Le  liers  expert  peut  être  choisi  €7i  dehors  des  listes  offi- 
filles  (arl.  20;.  Sur  la  demande  d«»s  experts  ou  sur  celle  de 
personne  mise  en  caus(%  d(;s  dégustateurs,  choisis  dans  les 
êmes  conditions  que  les  autres  experts,  sont  commis  pour 
aminer  les  échantillons  (arl.  21). 

365.  Ouelle  (^sl  la  valeur  probante  de  IVxpertise  coritra- 
ctoire  à  laquelle  il  a  été  procédé?  L<^.s  exp«*rts  émettent-ils 
î  simple  ^t'/v.'^  ou  rend(»nt-ils  une  décision  que  le  tribunal 
a  qu'à  homologuer?  Aucune  disposition  spéciale  n'écarte, 
I  matière  de  fraudes  t*l  falsification^,  l'application  du  droit 
mnuin  de  la  preuve.  Si  donc  \i\  tribunal  doit  puiser  sa  con- 
L'tion  dans  une  expertise  lér/alemejit  faite,  il  ost  maître 
ficcepter  ou  de  rejeter  les  conclusions  de  cette  expertise. 
Kn  consé(|uence  :  1"  Le  tribunal  doit,  s'il  reconnaît  ([ue  Tex- 
îrtise  n'est  pas  régulière,  parce  qu'il  y  a  été  procédé  hors 
!S  conditions  légah-is,  annuler  cette  expertise  et  en  ordonner 
le  nouvelle,  dans  l.iquelle  les  experts  se  conformeront  aux 
escriptious  des  articles  18  à  21  du  décret  réglementaire. 
1  effet,  le  tribunal  ne  |)eut  puiser  sa  conviction,  en  matière 
fraudes  et  falsifications,  que  dans  une  expertise  contradic- 
ire  régulière,  à  moins  ([ue  le  [)révenu  n'ait  expressément 
I  tacitement  renoncé  à  soulever  le  moyen  tiré  de  Tirrégula- 


(î.'itt  PivOCÊDUKE   PÉNALE.    —   DE   LA    PRErVB. 

rilê  de  l'expertise,   ce  qu'il  a  toujours  le  droit   de   faire  ": 
2'  Mais  le  tribunal  n'est  pas  tenu  d'homologuer  les  conclu- 
sions d'une  expertise  contradictoire  régulière.  Sans  doute, 
l'obligation  de  moli\er  lu  décision  viendra  limiter  le  pouvoir 
qui  lui  appartient,  soit  de  relaxer  un  prévenu  auquel  les  ex- 
perts imputent  une  falsification,  soit  de  condamner  celui  que 
les  experls  déclarent  innocenler,  et  permettra  à  la  Cour  de 
cassation  de  controIiT.  au  jioint  de  vue  de  VexistPnce  de  la 
preurf",  le  jugement  de  relaxe  ou  de  condamnation.  .Mais, 
sous  cette  réserve,  il  faut,  surtout  en  matière  d'expertise  chi- 
mique, où  les  méthodes  de  recherche  et  d'analyse  et  les  con- 
clusions prétendues  scientifiques  sont  si  discutables,  mainte- 
nir le  pouvoir  d'appréciation  des  tribunaux. 

K,  LXIV.  -  DE  LA  REFORME  DES  EXPERTISES  CRIMINELLES. 

360.  il'>\\M\*ui  -f-  f ■••*';  t-n  Fr-mc**  la  f|n»=slii'n  de  riforme  des  expertises  crimioelles. 
—  367.  ^'.*'U-i'xU\\*tU'  qui  sh  d«;::Hj;ent  de  IVtude  compardlive  des  lèpi-ilalioos 
r'rtr.-.iigHnr-.,  —  368  t'i'Oel  dr  n-forni»-  du  Codif  d'inslructlf'ii  orimin-'lle  franiaisde 
1879.  <jij«î.-hi.n  d»j  rt:xf>*:rli>e.  ^y^tt•m*;  df  l'expertise  survei  1-e.  —  369.  Pfvp'Mi- 
lion  Truppi  il«'  \h'J>^.  Votu  de  ç*:\U:  |iropo»itioD  par  \\\  Chambre  des  dépulé».  le 
:S0  Juin  189Ï.*.  —  370.  La  ivfunno  [lorl»;  sur  Irnis  point?  :  création  de  listes  annae'r 
l»:*i  d''Xp«'if-  a^'ffrt'f  ;  fonelii>nn*:mt'nt  ronlradicîMirè  (!••  Iripertiie  par  ladualtéet 
l'épililé  d »* .s  expert-»  ;  cn-aliou  d'un  arbitraju"-  i'n  cas  de  désaccofil.  —  371.  Cell? 
prof.ii-iti'iii  i|«,'  lui  n'a  pa-;  ^ii  pour  objet  de  réirîementer  l'ensemble  des  expertises 
rririiii)ell''iî,  inai-  d"intp"liiirf*,  dans  ces  expertises,  le  régime  de  la  contradic- 
tion. 

366.  lin  matière  d'expertises,  on  ne  peut  éviler  les  erreurs 
individtielli^s.  Le  problème  qui  se  pose  au  législateur  est  de 
les  rendre;  de  moins  en  moins  fréquentes,  par  une  bonne  or- 
^anisiilion  du  service  jtKJiciaire  des  expertises  criminelles. 
Kn  France;,  tout  (;st  à  l'aire,  puisque  ce  service  est  encore  à 
rél.'il  inr)r{jani(|U(;.  Aussi  la  nécessité  de  réformer  les  experti- 
ses criminelles  ne  fait  aucun  doute,  la  difficulté  ne  porte  que 
sur  le  choix  d<;s  voies  et  moyens  [)Our  y  parvenir. 


-'  L.'  [•n'?\<-tiu  [ii'iil  n'rionriT  à  l'i-xpiTliso  contradictoire  :  a  fortiori^  s\\ 
Il  n'<|iiis  i'«-.\piTli.-i'  rnnlr;L'lic!i)ire,  p»Mil-il  ronoiicer  à  se  prévaloir  des  irrê- 
^Milanti'S  «I'HjI  i^IIj-  est  «MitacliPr. 


DE   Lk   RBFOKMB   DES   EXPERTISES   CRIMINELLES.  657 

367.  Uoe  double  constatation  se  dégage  d'une  étude  corn- 
)araiiYe  des  législations  étrangères  sur  Texpertise  criminelle*, 
^resque  partout,  la  question  spéciale  d'une  organisation  de 
'expertise  médicale,  qui  est  la  plus  fréquente,  la  plus  déli* 
laie  et  la  plus  décisive  de  toutes,  a  fait  perdre  de  vue  la  ques- 
ion  générale  d'une  organisation  de  Texpcrtise.  Presque 
>artout  également,  on  s'est  préoccupé  d'établir  les  deux  ga- 
ranties indispensables  au  bon  fonctionnement  de  ce  procédé 
rinstruction  :  la  compétence  de  l'expert,  le  contrôle  de  ses 
)pérations.  Mais,  à  vrai  dire,  l'expertise  contradictoire,  par  la 
lualité  et  l'égalité  des  experts,  désignés,  l'un  par  l'accusa- 
ion,  l'autre  par  la  défense,  ayant  le  même  rôle  et  les  mêmes 
iroits,  a  paru  d'un  fonctionnement  incompatible  avec  la  pro- 
:édure  inquisitoire ^  Presque  partout,  c'est  le  juge  qui  nomme 
es  experts  et  qui  les  dirige;  et  si  on  réserve  à  Tinculpé  le 
iroit  d'intervenir,  c'est  plutôt  pour  surveiller  et  contrôler  les 
)pérations  que  pour  y  participer.  C'est  ainsi  que  l'expertise 
contradictoire  n'existe  pas  en  Allemagne  :  l'inculpé  peutseu- 
ement  demander  que  l'on  fasse  citer,  pour  assister  aux  cons- 
atations,  des  experts  qu'il  désigne;  et  si  le  juge  refuse,  il 
)eui  les  faire  citer  à  ses  frais.  Toutefois,  ce  droit  même  a  une 
imite  :  les  experts  de  la  défense  ne  prennent  part  au  constat 
îl  aux  actes  d'instruction  nécessaires  que  si  leur  présence  ne 
^êne  en  rien  l'instruction.  Mais  si  les  experts  nommés  par  le 
uge  sont  en  désaccord,  ou  si  le  cas  lui  paraît  suffisamment 
^ravé,  ou  encore  si  l'avocat  conteste  le  rapport  des  experts, 
eurs  conclusions  sont  soumises  à  l'examen  d'autorités  qui 
lont  officiellement  constituées  pour  s'occuper  de  ces  matières 
ipéciales.  Ce  sont  des  tribunaux  de  superarbitres'. 

§  LXIV.  '  (^ell»^  étude  companilive  a  ol<^  faite,*  particuliôrcmont  par 
)rioux  :  Etudes  sur  les  expertises  mcdico-lèyales  [Bull,  de  la  Société  de 
égisL  comp,,  1886,  p.  485);  André  Dehesdin,  op.  ci^,  p.  iîiOà  2i">;  Léon 
leslier,  op.  cit.,  p.  217  à  280. 

*  Le  Code  espagnol  du  14  déc.  1882  (art.  459  et  suiv.)  organise  cependant 
n  système  d'expertise  contradictoire  qui  se  rapproche  du  projet  voté  par  la 
ihambre  française  en  1899. 

3  La  législation  allemande  contient  une  réglementation  spéciale  et  complfite 

G.  P.  P.  —  I.  42 


658        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

368.  En  France,  le  projet  de  réforme  du  Code  d'instruc- 
tion criminelle  de  1879,  organisait  deu\  institutions^  :  4**  Tout 
d'abord,  la  contradiction  de  Texpertise,  par  la  surveillance  et 

dos  opérations  médico-l^'gales.  C'est  la  Prusse  qui,  la  première,  a  adopté 
cette  réglementation;  et  depuis  1875,  ellea été  étendue  à  tous  les  États  alle- 
mands. Chaque  alTaire  médico-légale  est  d'abord  soumise  à  l'examen  d'uo 
docteur  assermenté,  remplissant  les  fonctions  de  médecin  légiste  pour  tuutes 
les  aiïaircs  qui  se  présentent  devant  le  tribunal  auquel  il  est  attaché.  Ce 
fonctionnaire  est  assisté  habituellement  de  l'officier  de  santé  du  district 
L'expertise  doit  être  faite,  à  moins  d'impossibilité,  en  présence  des  m«^dedns 
ou  élèves  en  médecine  qui  veulent  se  former  à  la  pratique.  Le  procès-verbtl 
est  dressé  par  le  juge  d'instruction  :  l'expert  y  ajoute  les  conclusions  som- 
maires de  ce  qu'il  a  observé.  Si  le  ministère  public  ou  la  défense  n'admet- 
tent pas  ce  rapport  et,  même  s'ils  l'acceptent,  dans  certains  cas  graves  spé- 
cifiés par  la  loi,  on  l'envoie,  avec  le  procès- verbal  de  l'expertise  et  toutes 
les  pièces,  à  une  deuxième  juridiction  médicale,  le  Medecinal  CoUegium,  in- 
stitué dans  chaque  province  de  l'Empire.  Ce  comité  médical,  composé  de  six 
membres,  nonmie  deux  rapporteurs  qui  doivent  étudier  raOaire  séparémeott 
Puis  l'aiïaire  est  examinée  en  séance,  et  ce  comité  arrête  ses  conclusions. 
C'est,  en  quelque  sorte,  une  deuxième  expertise.  Knfin,  lorsque  des  récla- 
mations s'élèvent  encore,  ou  qu'il  y  a  doute,  on  soumet  l'afTaire  à  une  troi- 
sième juridiction  qui  siège  à  Berlin  et  qui  est  composée  des  sommités  deli 
science.  Même  procédure  devant  la  Wissetischaftliche  dcputation  que  devant 
le  Médicinal  Côllegium.  Le  comité  provincial,  le  comité  supérieur  sont  tenus 
de  toujours  exprimer  leur  avis  par  écrit,  sans  se  faire  jamais  représenter  , 
par  un  de  leurs  membres  devant  les  tribunaux.  Ce  rapport  est  remis  au  mf 
decin  légiste  officiel,  qui  est  chargé  do  le  défendre  à  l'audience.  Les  attribu- 
tions de  la  commission  scientifique  dos  superarhitres  ou  députation  scienti- 
fique pour  lesaffaires  médicales,  sont  d«^finies  par  le  décret  du  23janv.  1819: 
«(  Elle  doit  se  considérer  comme  une  réunion  d'experts  et  il  lui  appartient 
«  notammont  :  1?  De  déterminer  les  principes  scientifiques  sur  lesquels  re- 
«  [>osc  l'administration  de  la  médecine  et  (jui,  au  point  de  vue  technique, 
«  doivent  être  la  plus  haute  règle  de  l'expérience,  sous  le  rapport  de  lenr 
«  intluence  sur  le  bien  général, ot,  cl)a«|iie  ibis  que  cela  est  utile  ou  lui  est 
«  demandé,  de  communiquer  au  ministre  ses  conseils  et  ses  vues  scientifi- 
M  ques; '2**  Elle  doit  donner  son  avis,  quand  le  ministre  le  demande,  dans 
«  tous  les  cas  concernant  Tadministratlun  de  la  médecine,  ou  dans  les  atîai- 
«(  res  criminelles,  pour  reconnaître  les  causes  de  mort,  de  maladies  ou  d'au- 
<«  très  dommages,  aussi  bien  que  dans  tojites  les  affaires  de  justice,  de  police 
u  nécessitant  un  avis  médical,  scioiililiquo  et  d'expert...  >» 

*  Art.  i8  à  5V.  Voy.  le  texte  du  projet  au  Journ.  o/Jf'.,  Sénat,  annexes, 
1882,  no  03,  p.  113. 


D£   LA   RÉFORME   DES    EXPEliTISES    CRIMINELLES.  6o9 

le  contrôle.  Les  experts,  désignés  par  le  juge  d'inslruclion, 
opéraient  et  coDcluaienl  seuls;  mais  le  projet  plaçait,  à  côté 
d'eux,  et  prêtant  serment  comme  eux,  un  expert  de  la  défense^ 
qui,  sans  coopérer  à  Texpertise,  avait  pour  unique  mission 
de  la  surveiller,  de  requérir  des  experts  officiels  certaines  opé- 
rations, et  de  consigner  ses  observations  au  bas  du  procès- 
verbal.  Cet  expert  de  la  défense  avait  ainsi  un  rôle  analogue 
&  celui  que,  depuis  lors,  la  loi  du  8  décembre  1897  a  donné  à 
l'avocat  de  Tinculpé  dans  les  interrogatoires  et  les  confronta- 
Lions.  Un  délai  de  quarante-huit  heures  était  fixé  à  Tinculpé 
pour  exercer  son  choix,  à  dater  de  I  avis  qui  devait  lui  être  no- 
lifié  de  la  désignation  de  Texpert  officiel.  Les  incidents,  que  la 
présence  des  experts  officiels  et  de  l'expert  de  la  défense,  fai- 
saient naître,  au  cours  de  Texpertise,  étaient  soumis  au  juge 
d'instruction  :  celui-ci  statuait,  sauf  recours  à  la  chambre 
du  conseil,  que  le  projet  rétablissait  et  à  laquelle  il  conférait 
une  juridiction  indépendante  de  celle  du  juge  d'instruction; 
2®  Puis,  la  fixation  dune  liste  annuelle  d'ex/^erts,  sur  laquelle 
rinculpé  et  le  juge  d'instruction  devaient  faire  chacun  leur 
désignation,  sauf  à  obtenir,  de  la  chambre  du  conseil,  en  cas 
de  besoin,  l'autorisation  d'en  choisir  en  dehors  de  ces  listes. 
Le  6  mars  1882,  M.  Dauphin,  membre  de  la  commission 
du  Sénat,  chargée  d'étudier  le  projet,  déposait  un  rapport,  au 
nom  de  cette  commission.  Bien  que,  sur  d'autres  points,  ce 
projet  de  la  commission  du  Sénat  différât  sensiblement  du 
projet  gouvernemental,  la  section  de  l'expertise  reproduisait, 
à  peu  de  choses  près,  les  termes  de  la  section  correspondante 
du  projet*.  Ce  projet  fut  discuté  dans  les  séances  de  mai  et 
juin  1884,  et  adopté,  en  deuxième  lecture,  à  la  séance  du 
6  août.  La  section  de  l'expertise*  ne  subit,  dans  la  discussion, 
de  changements  notables  que  sur  un  point  :  on  admit  que, 
non  seulement  en  cas  de  flagrant  délit,  mais  même  dans  les 
cas  de  simple  urgence,  dont  la,  détermination  était  laissée  à 

'  Til.  lî,  cliap.  II,  sert.  IH,  art.  5G  à  62  du  projet  de  la  commission.  Voy. 
Jaurn.  off.,  Sénat,  annexes,  1882,  n**  63,  p.  H3. 

•  Art.  6t  à  68  du  projet  du  Sénat.  Voy.  le  texte  au  Journ.  off..  Chambre, 
annexes,  d885,  p.  714. 


CGO        PROCÉDURE  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

ra[)préciation  du  juged'inslruclion,  celui-ci  pouTait ordonner 
des  e\pertises,  en  dehors  des  formes  légales,  c'est-à-dire  sans 
que  rinculpé  y  fût  présent,  sans  même  l*en  aviser^  et  sans 
l'obligation  de  choisir  dans  ia  liste  officielle.  Mais,  au  coars 
de  la  discussion,  et  à  la  séance  du  28  juillet  1882,  M.  leséna- 
teur  Bernard  proposa  un  système  plus  radical  que  celui  do 
projet  :  il  demandait  que  Ton  organisât  l'expertise,  non  pu 
seulement. st/re;ei7/^e,  mais  absolument  contradictoire^  eiidoa* 
nant  aux  deux  experts  les  mêmes  pouvoirs  et  en  les  faisant 
procéder  en  commun  à  toutes  les  opérations  de  Texpertise.  Ce 
système,  combattu  par  le  rapporteur,  ne  fut  pas  pris  encoD-'j 
sidéralion.  Le  projet  du  Sénat  organisait,  en  effet,  plutôt  oo 
contrôlé;  i\\à'\Miii  contradiction  de  Tinstruction  préparatoire,  et 
le  système  de  rexpertise  était  adapté  aux  conceptions  géoê 
raies  qui  avaient  prévalu  pour  ^ensemble  des  opérations  de 
cette  phase  du  procès. 

Transmis  à  la  Chambre,  le  projet  fut  rapporté,  le  15  no- 
vembre 1883,  par  M.  Goblet\  La  commission  de  la  Cham- 
bre avait  effacé,  dans  l'article  66,  les  mots  dangereux^  intro- 
duits par  le  Sénat,  sans  en  avertir  l'inculpé^  estimant,  avec 
quelque  raison,  que  Ton  pouvait,  dans  la  plupart  des  cii 
dits  d'urgence,  sauvegarder  le  principe  même  du  contr6le,et 
permettre  à  l'inculpé  de  choisir  son  expert,  immédiatement, 
cl  sans  retarder  l'opération.  Ce  n'était  plus  alors  que  danslt 
cas  011  l'inculpé  n'avait  pas  exercé  ce  choix  que  l'expertise  se 
trouvait  confiée  «à  l'expert  du  juge  d'instruction,  agissant  seol 
et  sans  contrôle.  A  part  cette  modification,  les  règles  de  l'ex- 
pertise restaient  les  mêmes.  Au  cours  de  la  discussion  qui 
eut  lieu,  pendant  les  mois  d'octobre  et  novembre  1884,  le 
D'  Chevandicr'  déposa  un  amendement,  d'après  lequel  le 
juge  d'instruction  nommerait  toujours,  sauf  pour  les  caspea 
graves,  deux  experts,  ayant  le  même  caractère,  les  mêmes 
droits  et  agissant  on  commun.  Avec  cet  amendement,  les  trois 

"  V.  Journ.  ofl'.,  Chambre,  annexes,  1883,  n»  2377,  p.  1784. 

8  C'est  le  même  D''  Chevîindier  qui  devait  faire  voter  plus  lard  la  pro- 
position  «le  loi  sur  l'exercice  de  la  médecine,  qui  est  devenue  la  loi  du  30 no» 
vembre  1892,  dite  loi  Clievandier. 


DE   LA   ItÉFORMB   DES   EXPERTISES   CRIMINELLES.  661 

sternes,  actuellement  proposés,  pour  organiser  la  conlra- 
îclion  dans  Texperlise,  ont  donc  été  examinés,  au  cours  de 
.  discussion  du  projet  de  réTorme. du  Code  d'instruction  cri- 
linelle  :  surveillance  par  un  expert  nommé  par  Tinculpé; 
pérations  faites  en  commun  par  deux  experts  d'origine  dif- 
trente,  désignés,  l'un  par  le  juge  d'instruction,  Tautre  par 
inculpé;  opérations  faites  en  commun,  par  deux  experts  de 
lénie  origine,  nommés  Tun  et  Tautre  par  le  juge  d*instruc- 
on  •. 
A  la  séance  du  9  novembre  1884,  la  Chambre  décida  qu'elle 
asserait  à  une  seconde  délibération.  Le  rapporteur,  M.  Bo- 
ier-Lapierre  déposa  nn  rapport  sur  le  projet  voté  en  pre- 
liëre  lecture.  Mais  la  législature  prit  fin  sans  que  le  projet 
ûtètre  adopté  en  deuxième  délibération.  Malgré  le  vote  de 
urgence,  le  13  novembre  1887,  et  le  dépôt  successif  de  deux 
nouveaux  rapports  par  M.  Bovieh^-Lapierre,  le  15  juin  1891  '® 
t  le  3  décembre  1895**,  le  projet  ne  put  aboutir.  Bien  ins- 
piré, M.  Constans,  en  vue  d'éviter  un  avortement  définitif, 
déposait,  en  1897,  une  proposition  de  loi,  ayant  pour  but 
t*introduire,  dans  Tinstruction  préparatoire,  les  réformes  les 
Jus  urgentes.  Cette  proposition  devint  la  loi  du  8  décembre 
897  qui  ne  modifie  pas,  directement  au  moins,  le  système  des 
xpertises  criminelles. 

369.  Cependant,  les  projets  de  réforme  de  l'expertise 
'étaient  pas  abandonnés.  Au  cours  même  de  la  discussion  de 
I  loi  Constans,  les  sénateurs  Thézard  et  Thévenet  présen- 
lient  une  proposition  de  loi,  en  trois  articles,  tendant  à  éta- 
lir  Vexperlise  contradictoire^  et  n'organisant  ,en  réalité,  que 
expertise  surveillée.  Mais  le  système  de  l'expertise  contra- 
ictoire  qui  avait  été,  devant  le  Sénat,  l'objet  de  l'amcnde- 
lent  de  M.  le  sénateur  Bernard,  fut  repris  dans  une  propo- 
tion de  loi,  déposée  à  la  Chambre  des  députés,  le  8  décem- 


•  Journ.  off.y  Chambre,  annexes,  iSS"),  p.  li't. 
«0  Journ.  off,y  Chambre,  annexes,  1891,  p.  H5. 
**  Jotim,  ofF,t  Chambre,  annexes,  1895,  p.  1520. 


662        PROCÉDURB  PÉNALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

bre  1898,  par  M.  Criippi.  Celte  proposilioQ  contenait  huit 
articles  et  n'avait  pour  objet  que  de  réglementer  les  expertises- 
médico-légales.  Renvoyée  à  la  commission  des  réformes  judi- 
ciaires, elle  en  revint  modifiée,  et  fut  étendue  à  toutes  les  ei- 
[)ertises.  Elle  a  été  discutée,  et,  après  déclaration  d'urgence, 
adoptée,  à  la  Chambre,  le  30  juin  1899**. 

370.  Les  réformes,  dont  l'expertise  serait  l'objet,  d'après 
ce  projet  de  loi,  portent  sur  trois  points  :  1°  Création  dwu 
liste  annuelle;  2"*  Fonctionnement  contradictoire  AeVe.\pe.v{\s^t\ 
3"  Organisation  ifun  arbitrage,  en  cas  de  désaccord  des  ex- 
perts. 

1.  L4^  choix  des  experts,  sur  une  liste  annuelle  de  capacité, 
parait  être  la  condition  même  de  l'expertise  contradictoire  ". 

*■  Pnur  le  lexle  de  la  proposition  :  Jouni.  off.^  Chambre,  annexes,  ii% 
session  exlruordinairc,  n»  +()7,  p.  310.  Pour  le  rapport  de  M.  Cruppi,  J(mr%, 
ofl'.y  Chambre,  annexes,  1898,  n»>  484,  p.  4*7.  Voy.  les  dt^bats,  à  la  Cham- 
bre, dons  Journ.  off.  des  29  et  30  juin  <899. 

'^  Les  deux  f>remiers  articles  du  projet  sont  relatifs  à  la  création  de  cette 
liste.  —  Art.  1.  «  La  liste  des  experts  admis  îi  pratiquer  les  expertises  enma- 
«  lière  criminelle  et  correctionnelle  rsl  dressée,  chaque  année,  pour  Vannw 
«  suivante,  par  les  cours  d'appel,  le  procureur  général  entendu,  sur  Tavis 
«  des  tribunaux  de  preniit-re  instance.  —  Les  experts  sont  classés  par  caté- 
«  gories  sur  celte  liste,  (|ui  ne  comprend  pas  de  membres  de  droit,  à  IVxcep- 
«  tion  de  ceux  qui  sont  institués  à  rarlicle  2  ».  —  Art.  2.  «  La  liste  des 
<«  mt'decinset  chirugiens  admis  à  pratiquer  les  expertises  médico-l^^^les  de- 
^«  vaut  les  tribunaux  est  dressée  chaque  année,  pour  Tannée  suivante,  par 
u  les  cours  d'appel,  le  procureur  général  entendu,  sur  la  proposition  des 
u  tribunaux  civils,  des  facultés  et  écoles  de  médecine,  de  pharmacie  et  de 
«  scitMict's.  —  Los  prolt'sseurs  et  charités  de  cours  desdites  facultés,  les 
«  médeoiiis,  chirurgiens,  accoucheurs  et  pharmaciens  des  hi'tpitaux  dans  les 
t<  villes  où  sirgent  îles  facultés  ou  écoles  «le  médecine  de  plein  exercice.  \f^ 
«  méde(îins  d'hospices  et  d'asilfs  pul)lics  d'aliénés,  les  membres  de  TAcadé- 
«  mie  de  médecine  feront  partie  do  droit  de  cette  liste;  ils  seront  aul&ot 
«  que  possible  classés  par  catégorie  suivant  leur  spécialité  ».  —  Art  3. 
«  L»*  juge  ou  la  juri«licliun  compétente  désigne,  sur  la  liste  annuelle 
«  dn'ssée  en  conformité  des  articles  précédents,  un  expert  ou  plusieurs,  s*i] 
«  y  :i  li»'u  à  des  reclnTches  scientifiques  distinctes.  —  I^  désignation  dudil 
<i  ou  dj'sdils  expertvS  est  immédiatement  notifiée  à  l'inculpé,  qui  a  le  droit 
«  de  ciioisirsur  la  liste  annuelle  qui  lui  est  communiquée  un  nombre  égal 


DE   Là  REFORME  DES   EXPERTISES   CRIMINELLES.  663 

Cette  liste  sera  dressée,  pour  tout  le  ressort,  par  la  cour  d'ap- 
pel qui  statuera  anauellement,  le  procureur  général  entendu, 
sur  la  proposition  des  tribunaux  de  première  instance.  Le 
juge  et  rinculpé  pourront  exercer  leur  choix  sur  tous  les  noms 
retenus  par  la  cour,  et  non  pas  seulement  sur  les  noms  des 
seuls  experts  résidant  dans  le  département. 

Mais  le  projet  ne  prévoit  pas  les  circonstances  exceptionnel- 
les dans  lesquelles  il  peut  être  nécessaire  que  Topération  d'ex- 
pertise soit  confiée  à  une  sommité  scientifique  ne  résidant  pas 
dans  le  ressort.  L'institution  de;  membres  de  droit  vient  limiter 
le  [iOUYoir  de  la  cour  d'appel.  Cette  innovation  a  été  introduite 
dans  le  bnlde  donner  plus  de  garanties  à  Tinculpé,  en  lui  ac- 
cordant la  faculté  de  choisir  des  hommes  d'autant  plus  indé- 
pendants de  la  justice  qu'ils  ne  doivent  leur  vocation  qu*à  leur 
situation  scientifique. 

II.  Le  fonctionnement  contradictoire  de  l'expertise  estas* 
sure  par  le  système  de  Isl  dualité  et  de  ïégalité  des  experts  : 

<«  d'experts.  —  Cette  dt'sigaation  doit  èire  faite  dans  le  délai  de  trois  jours 
'<  francs  à  dater  de  la  notification.  —  Dans  le  cas  où  Tinculpé  n'a  pas  n'îpondu 
K  dans  ce  délai,  le  juge  nomme  un  deuxième  expert,  comme  il  est  dit  à  Tar- 
«  ticle  6  {Erreur  malcrielie,  c*€st  Vart.  5  qu'il  faut  lire).  —  Dans  le  cas  où 
«  une  opération  urgente  d'expertise  est  prescrite  par  le  président  de  la  cour 
«  d'assises,  l'accusé  exerce,  séance  tenante,  s'il  le  ju>^'e  utile,  son  droit  de 
«  choisir  un  expert.  —  S*il  y  a  plusieurs  inculpés,  ils  doivent  se  concerter 
«  pour  faire  cette  désignation  ».  —  Art.  i.  «  Les  experts,  désignés  au  para- 
«  graphe  2  de  l'article  2,  ne  peuveiît  être  choisis  que  si  cotte  mesure  qui  doit 
«  ^Ire  justifiée  par  la  gravité  de  Tatlaire  est  autorisée  par  ordonnance  moti- 
ve vée  du  président  du  tribunal  ou  du  président  de  la  juridiction  saisie.  — 
«  Lesdites  ordonnances  ne  sont  susceptibles  d'aucun  recours  ».  —  ArU  5. 
«  Si  Tauleur  du  crime  et  du  délit  est  inconnu,  ou  si  le  prévenu  est  en  fuite, 
<c  l'expertise  ordonnée  par  le  juge  devra  être  confiée  à  deux  experts  au  moins, 
«  choisis  sur  la  liste  annuelle  >>.  —  Art.  6.'<  Il  ne  peut  être  procédé  aux  oj)éra- 
«  lions  par  un  seul  .expert  que  dans  le  cas  où  l'inculpé  renonce  formelle- 
<t  ment  à  l'expertise  contradictoire  et  accepte  Texpert  désigné  par  le  juge  ». 
<c  —  Art,  7.  «  Les  experts  désignés  par  le  juge  d'instruction  et  le  prévenu 
«  jouissent  des  mêmes  droits  et  prérogatives.  Ils  procèdent  ensemble  à  tou- 
«  tes  les  opi^rationsetleurs  conclusions  so!it  prises  tlans  un  rapport  commun 
Cl  après  avoir  été  disculées  contradictoirement  »).  —  Art.  10.  «  Les  frais 
<c  d'expertise  résultant  de  la  présente  loi  seront  passés  en  frais  de  justice 
«  crimineile  ». 


664        PROCÉDURE  PENALE.  —  DE  LA  PREUVE. 

le  juge  d*instruclion  désigne,  sur  la  liste  annuelle,  un  ou  plu- 
sieurs experts;  Tinculpé  choisit,  à  son  tour,  sur  la  liste,  un 
nombre  égal  à  celui  des  désignations  opérées  par  le  magistrat. 
La  notification  obligatoire  de  l'ordonnance  du  juge  qui  nomme 
les  experts  est  le  point  de  départ  d'un  délai  de  trois  jours 
francs  pendant  lequel  Tincuipé  exerce  son  droit.  Les  experts 
ont  le  même  rôle,  les  mêmes  prérogatives;  ils  procèdent  en- 
semble à  toutes  les  opérations  et  leurs  conclusions  sont  prises, 
dans  un  rapport  commun,  après  avoir  été  discutées  contradi- 
toirement.  Les  frais  d'expertise,  sans  distinction  suivant lori- 
gine  des  experts,  sont  entièrement  compris  dans  les  frais  de 
justice. 

Dans  un  certain  nombre  de  cas  exceptionnels,  le  principe 
de  la  contradiction,  réalisé  par  deux  groupes  d'experts,  a  dà 
être  abandonné.  Le  premier  est  celui  où  l'inculpé  n*a  pas 
répondu,  dans  le  délai  de  trois  jours,  à  la  notification  de  ^o^ 
donnance.  Le  second  est  le  cas  où  l'inculpé  renonce  expressé- 
ment à  se  prévaloir  de  son  droit.  Le  troisième  résulte  de  l'im- 
possibilité matérielle  de  faire  fonctionner  le  système;  c'est  le 
cas  où  l'auteur  du  crime  est  inconnu,  où  l'inculpé  est  en  fuite. 
Enfin,  le  dernier  cas  exceptionnel,  le  plus  important  de  tous, 
puisque,  suivant  la  manière  dont  il  sera  compris,  il  appar- 
tiendra aux  magistrats  d'élargir  ou  de  restreindre  la  contra- 
diction dans  l'expertise,  est  prévu  par  l'article  9,  ainsi  conçu  : 
«  Nonobstant  les  termes  de  l'article  précédent,  le  procureur 
«  de  la  République  et  Icjuge  d'instruction  pourront,  dans  les 
«  cas  d*extréme  urgence,  notamment  s'ils  se  sont  transportés 
«  sur  les  lieux  pour  constater  un  flagrant  délit,  ou  si  des  io- 
M  diccs  sont  sur  le  point  de  disparaître,  commettre,  à  titre 
«  provisoire,  un  homme  de  l'art  non  inscrit  sur  la  liste  ao- 
«  nuelle.  L'expert  provisoire  procédera  aux  premières  coo- 
((  stalations,  assurera,  s'il  y  a  lieu,  la  conservation  des  pièces  à 
«  expertiser  et  dressera  un  procès-verbal  sommaire  qui,  après 
«  avoir  été  visé  par  le  juge  d'instruction  ou  le  procureur  de 
«  la  République,  sera  transmis,  avec  tous  autres  documents, 
«  aux  experts  qui  seront  immédiatement  désignés,  conformé- 
«  mentaux  dispositions  ci-dessus,  à  moins  que  ces  constata^ 


DE   LA   RÉFORME   DES    EXPERTISES   CRIMINELLES.  665 

«  lions  soient  jugées  suffisantes,  d'un  commun  accord,  par  le 
«  magistrat  instructeur  et  l'inculpé  ».  , 

III.  Les  deux  groupes  d'experts,  ayant  les  mêmes  pouvoirs 
pour  faire  les  constatations  et  donner  leur  avis,  il  arrivera 
quelquefois  qu'ils  déduiront  de  leurs  opérations  communes 
des  conclusions,  opposées  et  contradictoires.  Faut-il  placer  les 
juges  ou  les  jurés  en  présence  de  cette  situation,  en  leur  lais- 
sant le  soin  d'apprécier  suivant  leur  conscience?  Faut-il  faire 
trancher  le  point  en  litige  par  un  tribunal  scientifique,  jouis- 
sant d'une  autorité  suffisante  pour  que  son  avis  mette  un 
terme  à  toute  discussion  technique?  Ou  simplement,  donner  h 
un  tiers-expert  la  mission  de  départager  les  experts ?-La  pre- 
mière solution  serait  peut-être  la  meilleure.  C'est  celle  qui 
fait  crédit  à  la  conscience  morale  plus  qu'à  la  conscience 
scientifique.  Elle  n'a  pas  été  examinée.  Dans  la  proposition  de 
M.  Cruppi,  Tarticle  6  confiait  la  mission  de  solutionner  le  con- 
flit à  une  commission  de  superarbitres  dont  le  fonctionnement 
devait  être  organisé  par  un  règlement  d'administration  pu- 
blique ^\  La  commission  faisait  choisir  un  arbitre  aux  deux 


**  Broiiardel,  qui  uvail  vu  fonctionner  ces  commissions  en  Allemagne,  en 
demandait,  dès  1884,  lorganisation  en  France  (Rapport  à  la  Société  de  mé- 
decine légale,  Bull.j  1884,  t.  8,  p.  252).  Le  Syndicat  des  médecins  de  la 
Seine,  la  Société  de  médecine  de  Paris,  un  grand  nombre  de  médecins  légis- 
tes, ont  préconisé  cette  organisation.  M.  Guîllot,  dans  Touvrage  qu'il  a  con- 
sacré au  projet  de  1879,  sous  co  titre  :  Des  principes  du  nouveau  Code  d'm- 
struction  crinànelle^  1884,  écrivait  (p.  197)  :  «  Nous  ne  connaissons  rien  de 
w  plus  pernicieux,  pour  l'autorité  des  expertises,  que  ces  audiences,  où  des 
«<  médecins  qui  n'ont  ni  participé  à  l'expertise,  ni  même  examiné  les  pièces, 
«  viennent,  à  la  dernière  heure,  jeter,  dans  le  débat,  des  doctrines  imprévues, 
w  comme  si  ce  n'était  pas  dans  le  calme  du  laboratoire  que  les  constatations 
«  scientifiques  devaient  être  toujours  discutées  et  non  pas  in  extremis  do^ 
«  vaut  une  foule  impatiente,  au  milieu  des  ardeurs  de  la  lutte,  devant  un 
a  jury  trop  enclin  à  se  laisser  entraîner  par  des  mots  sans  peser  la  valeur 
«  des  doctrines  exposées  >».  Kt  pour  mettre  un  terme  à  ces  scandaleuses  dis- 
cussions, «t  il  suffirait  d'instituer,  dans  chaque  faculté  de  médecine,  une 
M  commission  supérieure  des  expertises.  Ce  serait  devant  elle  que  seraient 
a  portés  Texamen  et  le  débat  des  questions  scientifiques  soulevées  soit  par 
i«  le  désaccord  des  experts,  soit  par  les  objections  de  la  défense  ».  Et 
M.  Guillot,  allant  jusqu'au  bout  de  sa  thèse,  donnait,  à  la  décision  de 


666  PROCÉDURE   PÉNALE.    —  DE   LA   PREUVE. 

experts  en  désaccord;  s'ils  ne  pouraient  s*entendre  sur  le 
choix,  ils  désignaient  chacun  deux  noms,  et  le  président  du 
tribunal  tirait  au  sort  parmi  ces  quatre  noms.  Puis,  elle  sup- 
prima ce  procédé  bizarre  et,  en  cas  de  désaccord,  décida  que 
la  désignation  serait  faite  par  le  président  du  tribunal  ou  par 
le  président  de  la  juridiction  saisie.  C'est  la  solution  à  laquelle 
s'est  arrêtée  la  Chambre*'. 

371.  Cette  proposition  de  loi  n'a  pas  eu  pour  objet  de 
réglementer  Tensemble  de  la  procédure  des  expertises  cri- 
minelles :  de  se  prononcer,  par  exemple,  sur  la  présence 
obligatoire  ou  facultative  du  magistrat  aux  opérations,  la  ma- 
nière de  conduire  ces  opérations,  surtout  en  cas  d'autopsie,  la 
rédaction  du  rapport,  le  droit  de  récusation  des  experts,  etc. 
Son  but  a  été  de  créer  Vexpertise  contradictoire  y  sur  des  bases 
assez  compliquées,  mais  que  la  pratique  pourra  éprouTer, 
puisque  le  fonctionnement  du  système,  voté  par  la  Chambre 
des  députés,  se  rapproche  beaucoup  de  celui  qui  a  été  orga- 
nisé, pour  certaines  expertises  spéciales,  par  la  loi  du  l^'  août 
1903  et  le  décret  du  31  juillet  1906  '\ 

la  commission,  la  force  de  chose  jugée  en  ce  qui  concerne  la  question  scien- 
tifique Iranchi^e  par  elle.  M.  Cruppi,  lui,  n'admet  pas  ce  retour  au  système 
des  prouves  léj^Mles.  «  Il  est  bien  entendu,  écrit-il  dans  son  rapport,  que 
M  l'avis  des  experts  et  la  décision  de  l'arbitre  ne  sauraient  lier  les  magistrats 
«  et  le  jury.  Il  ne  nous  semble  pas  possible  d'empêcher  que  les  conclusions 
<r  scientifiques  soient  discutées  -ï  Taudience...  ». 

**  Art.  8.  u  Si  les  experts  sont  d'avis  opposé,  ils  désignent  un  tiers  ei- 
a  pert  chargé  de  les  départager.  —  A  défaut  d'entente,  cette  désignation 
«  est  faite  par  le  président  du  tribunal  ou  par  le  président  de  la  juridiction 
«  saisie  ». 

»^  Voy.  .swprà.  n««  362  à  365. 


FIN   DU   PREMIER   VOLUME. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


liNTRODUCTlON 


IMWWMWWtMMMM» 


S  I.  —  De  l'objet  de  la  procédure  pénale.  —  1.  La  procédure  pé- 
nale a  un  double  objet  :  organiser  les  autorités  Tchargées  de  la  répression, 
leur  tracer  la  marche  à  suivre  dans  ce  but.  Elle  est  inséparable  du  fond 
du  droit,  — 2.  Les  lois  de  procédure  sont  destinées  à  régulariser  la  réac- 
tion individuelle  et  sociale  que  provoque  Taction  criminelle.  —  3.  Dans 
révolution  de  la  procédure  pénale,  .il  faut  tenir  compte  de  Torganisa- 
tion  du  pouvoir  politique  et  des  croyances  du  groupe  social.  —  4.  Ana- 
logies apparentes  et  différences  substantielles  entre  la  procédure  pénale 
et  la  procédure  civile.  —  5.  Qualités  d'une  bonne  procédure  pénale  :  sim- 
plicité, célérité,  équité.  —  6.  Concepts  généraux  autour  desquels  se 
groupent  les  règles  de  la  procédure  pénale  :  action,  preuve,  ordre  judi- 
ciaire, rite,  exécution '. 3 

§  II.  —  Les  divers  types  de  procédure  pénale.  —  7.  Des  trois 
types  de  procédure  pénale.  —  8.  De  la  procédure  accu^toire.  Ses  deux 
caractères  principaux.  —  9.  L'accusation.  Par  qui  elle  est  exercée.  — 
10.  Le  juge  est  un  arbitre  de  combat.  Double  conséquence.  Institution  des 
juridictions  populaires.  Absence  d'une  procédure  par  défaut.  —  i\.  L'in- 
struction dans  le  système  accusatoire.  —  12.  Procédés  pour  rechercher 
l'auteur  d'un  crime  et  le  convaincre.  Le  flagrant  délit.  Les  cojureurs. 
Les  ordalies.  La  preuve  par  la  bataille.  —  13.  Champ  d'action  du  système 
accusatoire'  dans  le  temps  (;t  l'espace.  L'Angleterre  est  restée,  dans  les 
temps  modernes,  le  conservatoire  de  cette  procédure.  —  14.  De  la  pro- 
cédure inquisitoire.  —  15.  Ses  caractères  principaux.  —  16.  Le  juge  est 
un  délégué  du  pouvoir,  officier  de  justice  et  fonctionnaire  permanent.  — 
17.  L'inquisition. —  18.  La  torture.  Son  origine.  Son  extension.  —  19. 
Double  éontrepoids  aux  pouvoirs  du  juge.  L'appel.  Les  preuves  légales. 


r 

i 


66S  TABLE   ANALYTIQUE 

—  20.  Le  système  inquisitoire  dans  le  temps  et  dans  l'espace.  —  21. 
Avantages  et  inconvénients  des  deux  systèmes  de  procédure,  accusatoiri* 
et  inquisitoire.  Système  mixte.  —  22,  Ce  qui  le  caractérise.  —  23.  Son 
♦•volution 40 

§  Ilf .  —  La  procédure  criminelle  française  actnelle.  —  24.  La 

proci'dure  criminelle  franyaise,  telle  qu'elle  est,  aujourd'hui,  en  vigueur, 
se  ratlache  au  type  mixte.  Ouatre  conceptions  essentielles  la  dominent. 

—  25.  f'nité  de  la  justice  civile  et  de  la  justice  pénale.  —  26.  Di\isi'.'n 
des  fonctions  et  du  travail.  —  27.  La  division  des  juridictions  et  des  aut-.- 
rités  pénales  correspond  à  la  division  des  infractions.  —  28.  Ces  juridic- 
tions et  ces  autorités  fonctionnent  pour  toutes  les  personnes  et  pour  tous 
les  délits 22 

§  IV.  —  Des  origines  historiques  de  la  procédure  criminelle 
française.  —  29.  Des  trois  sources  de  la  procédure  criminelle  française 
et  de  son  évolution.  —  30.  Double  tendance  :  augmenter  les  garanties  d».» 
rinculpé;  renforcer  hi  défense  sociale.  —  31.  Cette  double  tendance  cor- 
responrl  au  mouvement  scientifique  des  deux  écoles  rivales,  Técole  classi- 
que, l'école  nouvelle;  —  32.  Division 28 

§  V.  —  Les  Juridictions  pénales  dans  l'ancienne  France.  —  33. 

Phases  par  lesquelles  a  passé  l'organisation  judiciaire  de  l'ancienne 
France.  Unité  de  la  justice  civile  et  de  la  justice  pénale.  —  34.  Époque 
barbare.  Justice  pofjulaire.  —  35.  Dilution  du  pouvoir  de  juger  à  l'épo- 
que féodale  et  durant  le  Moyen  âge.  Conflits  de  compétence.  Division  des 
justices  en  deux  groupes  principaux.  —  36.  Juridictions  laïques.  Les 
justices  seigneuriales,  royales,  municipales.  —  37.  Juridictions  ecclé- 
siaslir|ues.  Officiai! tés.  —  38.  Développement  des  juridictions  roya- 
les     32 

§  VI.—  La  procédure  criminelle  dans  Tancienne  France.  — 

3y.  Li*s  deux  phases  de  Tuncienne  procédure.  —  40.  Époque  barbare. 
Cojureurs.  Ordalies. —  41.  Première  pt^riode  de  la  féodalité.  Le  combat 
judiciaire.  Le  flagrant  délit.  La  clameur  de  haro.  —  42.  Les  transforma- 
tions successives  de  la  poursuite.  Action  populaire.  Action  d'office.  Actiua 
publique.  Le  ministère  f»ublic.  Ses  origines  obscures.  —  43.  Transforma- 
lions  de  la  procédure.  Naissance  de  la  procédure  inquisitoriale.  Les 
f^TJuidi'S  ordonnances.  Le  Cocle  de  la  procédure  inquisitoriale,  l'Ordon- 
iiance  de  1670.  —  t't.  Marche  d'un  procès  sous  ce  régime.  Information. 
Uécnlement  et  cunl'rontalion.  Jugement.  —  45.  L'ordre  public,  malgré  les 
rigueurs  de  cette  procédure,  paraît  avoir  été  moins  bien  protégé  qu'il  ne 
Test  aujourd'hui.  — 40.  La  procédure  inquisitoriale  ne  fut  pas  particulière 
à  la  France  :  elle  fjrma  le  droit  commun  de  l'Europe  occidentale.  — 
47.  L'Angleterre  seule  cunserve,  dans  sa  procédure,  les  garanties  du  sys- 
tème accusatoire 41 


D£S   MATIÈKES.  669 

§  VII.  —  L^organisation  judiciaire  et  la  procédure  dans  les 
lois  de  la  Révolution  jnsqu'au  Code  de  1808.  —  48.  L'état 
d'esprit  à  la  veille  de  la  Révolution.  Réformes  opérées.  —  49.  La  législa- 
tion criminelle  de  TAssemblée  nationale  constituante.  —  50.  En  matière 
de  crimes,  laprocédure  parcourait  trois  phases.  Instruction  au  canton.  Au 
district,  magistrat  directeur  du  jury  et  jury  d'accusation.  Jugement.  — 
51.  Qualités  et  vices  de  cette  procédure.  —  52.  Procédure  en  matière  de 
délits,  soit  de  police  correctionnelle,  soit  de  police  municipale.  —  53.  Ap- 
plication du  système  de  procédure  de  l'Assemblée  constituante.  Code  des 
délits  et  des  peines  du  3  brumaire  an  IV.  —  54.  Los  lois  de  l'an  IX. 
Reconstitution  de  la  procédure  d'instruction  et  du  ministère  public.  — 
55 .  Les  tribunaux  criminels  spéciaux 63 

§  Vni.  —  Le  Gode  d'instruction  criminelle.  —  56.  Les  Codes  du 
Consulat  et  de  l'Empire.  Le  Code  d'instruction  criminelle  et  le  Code  pénal. 

—  57.  La  préparation  de  ces  deux  Codes.  —  58.  Le  Code  d'instruction 
criminelle  de  i808.  —  59.  Institutions  qui  forment  l'armature  même  de  ce 
Code.  —  60.  Les  réformes.  —  61.  Le  projet  de  loi  sur  la  réforme  du  Code 
d'instruction  criminelle  déposé  le  17  novembre  1879.  La  loi  du  8  décem- 
bre 1897 85 

§  IX.  —  La  procédure  pénale  dans  les  législations  étran- 
gères. —  62.  Importance  de  la  législation  comparée.  Au  point  de  vue 
de  la  procédure,  deux  groupes  principaux  de  législation  :  l'un,  dérivant 
du  Code  de  1808,  combine  le  système  inquisitorial  et  le  système  acctsa- 
toire;  l'autre,  resté  original,  dérive  du  droit  anglais,  et  consorve  le  sys- 
tème accusatoire.  —  63.  Division  :  sources  législatives;  règles  principalt^s. 

—  64.  Sources  législatives,  Allemagne.  Autriche-Hongrie.  Belgique.  Prin- 
cipauté de  Monaco.  Grand-Duché  du  Luxembourg.  Espagne.  Italie.  Suisse. 
Pays-Bas.  Grande-Bretagne.  Russie.  Grand-Duché  de  Finlande.  Pays 
Balkaniques,  i^ays  Scandinaves.  Turquie.  Egypte.  Amérique  du  Nord. 
Amérique  du  Sud.  .lapon.  —  65.  Les  règles  principales  de  l'action,  de 
l'instruction  et  du  jugement  d'après  les  principales  législations  étrangères. 
Ordonnances  pénales 99 

S  X.  ^  La  littérature  scientifique  de  la  procédure  pénale.  — 

66.  On  dégage  deux  périodes  dans  l'histoire  littéraire  de  la  science  de 
la  procédure  pénale,  dont  la  séparation  est  marquée  par  le  Code  d'ins- 
truction criminelle  de  1808.  —  67.  Les  écrivains  de  la  première  période  : 
glossateurs,  praticiens,  précurseurs.  —  68.  Les  écrivains  de  la  seconde 
période.  Italie,  France,  Allemagne 134 


670  TABLE  ANALYTIQUE 


LIVRE  PREMIER 
Des  actions  publique  et  civile. 

§  XI.  —  De  rinterdépendance  des  actions  publique  et  civile. 

—  c/J,  iJes  actions  puhliqueel  civik-.  Leurs  rapports.  Quatre  conception?. 

—  70.  Confusion  entre  Iva  deux  aclion.s.  —  71.  Séparation.  —  72.  Inti»r- 
dépendancf.  —  73.  Indépendance.  —  74.  Solidarité.  —  75.  Hé t ormes. — 
76.  Ktude  parallèle  d»'s  deux  actions.. 1 W 

TITRE  PREMIER 

DKS   DROITS   d'actions  QUI   NAISSENT   DE    l'iNFRACIION. 

ClfAPITHI-:    PHKMIER 

DE    l'action     publique. 

§  XII. —  Notions  générales  sur  l'action  publique.    —  77.  In. 

répression  et  l*aclinn  [luhlique  cjui  en  est  la  conséquence.  —  78.  Du 
minislère  publie.  Divers  systèmes  (raccusnlion.  Les  deux  types  en  pré- 
sence. —  79.  Combinaisons  du  système  de  l'Hccusatii^n  populaire  et  do 
celui  de  l'accusation  publique.  —  80.  Législations  autrichienne  et  alie- 
mande.  —  81.  Système  anglais.  — 82.  Les  actions  populaires.  Article  i23 
de  la  loi  du  15  mars  1S49 101 

§  XIII.  —  De  l'ox^anisation  du  ministère  public.  —  83.  Orga- 
nisation identique  du  ministère  public  en  matière  pénale  et  en  matière 
civile.  —  Sk  Les  membres  du  minislère  public,  agents  du  pouvoir  exécutif 
auprès  des  tribunaux,  sunt  amovibles  et  révocables.  —  85.  Unité  et  subor- 
<linalion  jiiérarcirMjues.  —  80.  Aucune  juridiction  pénale  n'est  complète 
sans  mifiistère  public.  —  87.  Corresf»ondance  entre  Torganisation  des  tri- 
bimanx  de  répression  et  l'organisation  du  minislère  public.  Tribunaux  de 
sim|)le  pr)lice.  Parquet  '^des  tribunaux  de  première  instance,  des  cours 
d'apfiel,  (le lu  Cnur  de  cassation.  —  88.  Indivisibilité  du  ministère  pul>lic.— 
80.  lt<'ni|)!a«.'emMil 171 

§  XIV.  —  Des  attributions  du  ministère  public  au  point  de 
vue  de  Texercice  de  Taotion  publique.  —  90.  La  disposition, 
r<'xercice  et  la  mise  en  mouvement  de  l'action  publique.  Droits  du  minis- 
tère public,  des  particuliers  et  des  tribunaux.  —  91.  Fonctions,  en  c? 


DBS   MATIÈRES.  67 1 

qui    concerne  Texercice  de  l'action   publique, "des  divers  membres  du 

ministère  public.  —  92.   Le  ministère  public  ne  peut  ^tre   r(?cus<^  e» 

matière  répressive.  —  93.  De  la  responsabilité  du  ministère  public  et  des 

conditions  dans  lesquelles  elle  peut  exister  et  s'exercer 188 

i  XV.  — De  l'action  des  Administrations  publiques  devant 
les  tribunaux  de  répression.  —  94.  Conception  gt^nérale  du  rôle 
des  administrations  publiques  qui  exercent  une  action  fiscale  devant  les 
tribunaux  de  répression.  Cette  participation  au  droit  de  poursuite  n'appar- 
tient qu'à  un  certain  nombre  d'administrations.  —  95.'  Administration 
des  contributions  iiidirertes.  Action  fiscale.  Action  publique  ordinaire. 
Transaction.  —  96.  Des  octrois.  —  97.  De  Tarlministration  des  douanes. 
—  98.  De  l'administration  des  e.iux  et  forets.  Délits  forestiers.  Délits 
de  p(*îche  lluviale.  —  99.  Administration  d»is  postes,  des  télégraphes  et 
des  téléphones. —  KX).  Des  parties  lésées  par  un  délit  fiscal.  De  leur  droit 
devant  les  tribunaux  de  répression 197 

§  XVI.  —  Contre  qui  l'action  publique  peut  être  intentée.  — 
101.  L'action  publique  ne  peut  être  dirigée  que  contre  un  individu.  Trois 
corollaires  résultent  de  colle  rr*gle.  —  102.  L'action  publique  peut -elle 
être  dirigée  contre  inconnu?  Distinclion.  Instruction.  .lugement.  —  103. 
L'action  publique  ne  f)eut  être  dirigée  <|ue  contre  les  auteurs  et  les  com- 
plices de  l'infraction,  Consé<|uences.  Des  personnes  civilement  responsa- 
bles quant  aux  frais.  Des  personnes  morales.  Des  héritiers  des  auteurs  et 
des  complices.  —  lOi.  L'action  publique  est  dirigée  contre  le  prévenu 
sans  qu'il  soit  nécessaire  de  mettre  en  cause  son  représentant 221 


CllAl'ITUK  11 


DK    l'action    CIVILK. 


§  XVn.  —  De  quels  faits  nait  l'action  civile.  —  lo:».  L'action 
civile  naît  d'un  délit  pénal  domraa^reable.  —  lOi».  De  l'action  en  domma- 
ges-intérêts fondée  sur  un  délit  civil  et  de  l'aclion  en  dnmniages-inl<'»réls 
fondée  sur  un  délit^pénal.  Comparaison.  —  107.  Du  caractère  dommagea- 
ble que  doit  avoir  le  délit  pénal 23:{ 

§  XVIIL  —  De  l'objet  de  l'action  civile.  —  108.  L'action  c\\\W  étant 
l'action  en  réparation  du  dommage  causé  par  une  infraction  se  distingue 
des  autres  actions  civiles  qui  dérivent  de  l'infraction. —  109.  L>es  trois 
chefs  d'indemnité  compris  dans  l'action  civile  :  restitutions,  dommages- 
intérêts  et  frais. —  110.  Des  restitutions.  — 111.  Des  dommages-intéréis. 
Modes  de  réparations.  —  112.  Comparaison  entre  ces  deux  premiers 
chefs  de  Faction  civile.  —  113.  Des  frais  de  justice.  Henvoi . .     2t2 


672  tab;,e  analytique 

§  XIX.  —  A  qai  appartieat  raction  civile  et  c^ui  peat  Tezer- 
cer.  —  UV.  A  qui  appartient  l'action  civile  elqui  peut  l'exercer.  -  113. 
De  la  disposition  de  l'action  civile.  .  rtes  de  transaction  ou  de  renoocia- 
tion.  Cession  de  Taclion  civile.  Difficultés  sur  la  validité  et  TefTet  de  celte 
cession.  —  116.  L'action  civi!..  \h.^u\.  appartenir  à  la  victime  du  délit,  à  ses 
hérili^TS.  à  ses  ayants  cause.  —  117.  La  victime  du  délit  peut  être  indi- 
rectement, bien  que  personnellement  lésne.  —  118.  Personnes  juridiques, 
victimes  du  délit.  Corps.  Diffamations  et  injures.  Droit  de  plainte.  Droit 
de  se  porter  piriio  civile.  —  119.  Des  groupes  ou  collectivités,  victimes 
d'un  délit.  Difficulté  d'évaluer  le  préjudice.  Pharmaciens.  Médecins,  etc. 
—  120.  Ouestion  de  la  poursuite  devant  les  tribunaux  de  répression  par 
des  associations  prenant  la  qualité  de  «»  partie  civile  »».  Syndicats  profes- 
sionnels. Autres  associations  formées  en  vue  de  défendre  des  intérfls 
communs.  Associations  ayant  un  but  désintéressé.  Groupement  d'indi- 
vidus lésés.  —  121.  Action  civile  de  tout  électeur.  —  122.  Action  cirile 
exercée  parles  héritiers  de  la  victime  du  délit.  Les  trois  hypothèses  pos- 
sibles. L'infraction  a  été  commise  antérieurement  à  la  mort  de  la  victime. 
Elle  a  entraîné  sa  morU  L'infraction  a  été  commise  après  la  mort  de  II 
victime.  Diffamation  envers  la  mémoire  des  morts.  —  123.  Action  civile 
exercée  par  les  ayants  cause.  Créanciers.  Cessionnaires. —  124.  Capacité 
f>oiir  exercer  l'action  civile.  I.)roit  commun 252 

§  XX.  —  Contre  quelles  persotines  raction  civile  pent  être 
intentée.  —  12">.  ijualité  et  capacité  des  personnes  contre  qui  Taction 
civile  peut  être  intentée.  —  120.  Trois  groupes  de  personnes.  —  127,  Au- 
teurs et  complices.  Rapports  entre  la  responsabilité  pénale  etla  responsabi- 
lité civile.  Causes  de  non -culpabilité.  Faits  justificatifs.  Jeune  âge  et  absence 
de  discernement.  Aliénation  mentale.  Etat  de  nécessité.  Exercice  d'un 
droit.  Légitime  défense.  Abus  de  droit,  —  128,  Des  personnes  civilement 
responsables.  Principe  et  limites  de  la  responsabilité  civile.  ParentR,  Co/n- 
mettanls.  Instituteurs.  —  120.  Héritiers,  soit  des  auteurs  et  des  compli- 
ces, soit  des  personnes  civilement  responsables.  —  130.  De  raction 
civile  exercée  contre  un  incapable.  Distinction  entre  la  femme  mariée  et 
les  aul res  incapabliîs 278 

CHAPITRE  Hl 

DE    l/ INTERVENTION    EN    MATIÈRE   PÉNALE. 

§  XXI.  —  Comparaison  entre  l'intervention  en  matière  pénato 
et  Tinter veation  en  matière  civile. —  131.   LMnterventtoa  en 

matien*  civile  est  admise  dans  toute  instance  et  elle  est  subordonnée  à  la 
seule  justification  d'un  intérêt  légitime.  Il  n'en  est  pas  de  même  en  W8f 
lière  pénale.  Motifs  de  cette  diiïérence.  —  132.  Division 207 


D£S   MATIÈRES.  67^- 

XXII.  —  De  rintervention  formée  contre  le  prévenu.  —  133. 
La  partie  civile  seule  peut  intervenir  contre  le  prévenu  ou  Paccusé.  — 
i34.  Mais  cette  règle  admet  une  réserve  au  profit  des  personnes  qui  sont 
subrogées,  en  totalité  ou  en  partie,  à  l'action  civile,  par  l'effet  de  la  con- 
vention, ou  par  Teffet  de  la  loi 299 

XXIII.  —  De  rintervention  volontaire  ou  forcée  en  faveur 
du  prévenu  ou  dacs  l'intérêt  du  tiers.  —  135.  Questions  à  exa- 
miner.--  136.  Recevabilité  de  rintervention  volontaire  des  personnes 
civilement  responsables.  —  137.  Kn  dehors  de  rintervention  des  per- 
sonnes civilement  responsables,  toute  autre  intervention  serait  irrece- 
vable. Intervention  d'un  parent,  d'un  ami,  d'une  administration,  voulant 
détendre  son  parent,  son  ami,  son  employé.  Tiers  ayant  commis  un  délit 
analogue.  Prétendu  coauteur  ou  complice.  Tuteur.  Conseil  judiciaire. 
Association  philanthropique.  —  138.  Comment  se  forme  rinlerventîon, 
—  139.  Mise  en  cause  ordonnée  par  une  juridiction  répressive.  —  140. 
De  l'appel  en  cause  par  les  parties.  —  141.  Des  demandes  reconvention- 
nelles devant  les  juridictions  répressives.  —  142.  Exclusion  de  rinterven- 
tion des  associations  formées  en  vue  de  la  poursuite  de  certains  dé- 
lits.     3oa 


TITRE  n 


» 


DE  L  EXERCICE  DES-  ACTIONS  PUBLIQUE    ET  CIVILE 

CHAPITRE  PREMIER 

DE  l'exercice  de   L'ACTION    PUBLIQUE 

i  XXIV.  —  De  l'indépendance  du  ministère  public  en  ce  qui 
concerne  rexercice  de  l'action  publique.  —  143.  L'indépen- 
dance du  ministère  public  est  complète  en  ce  qui  concerne  les  conclu- 
sions; elle  ne  Test  pas  en  ce  qui  concerne  Pexercice  de  l'action  publique. 
—  144.  Observation  sur  Timportanco  des  questions  à  examiner...     3i5 

}  XXV.  —  Des  cas  où  le  ministère  public  n'a  pas  la  faculté 
de  s'abstenir  d'exercer  l'action  publique.  —  14o.  Surveillance 
judiciaire.  Surveillance  administrative.  Surveillance  privée.  —  146.  Rap- 
ports établis  entre  les  fonctions  d'accuser  et  les  fondions  déjuger.  In- 
compatibilité et  indépendance  des  fonctions.  —  147.  Par  exception,  les 
tribunaux  ont  un  certain  pouvoir  de  surveillance  el  de  direction  soit  sur 
les  personnes,  soit  sur  les  fonctions  du  ministère  public.  L'article  11  de 
la  loi  du  28  avril  1810.  L'article  235  du  Code  d'insiruction  criminelle. 
Droit  d'injonction  de  la  cour.  Droits  de  juridiction  et  d'évocation  de  la 

G.  P.  P.  —  L  43 


€74  TABLE    ANALYTIQUE 

chambre  des  mises  en  accusation.—  149.  Droits  que  donnent  à  iacour 
d'appel  \os  articles  361  et  369.  —  i49.  De  la  sarveillance  administratiTe 
du  ministère  public.  Procureur  général  près  la  Cour  de  cassation.  Garda 
des  sceaux.  Supérieurs  hiérarchiques.  —  450.  De  quelle  façon  et  josqi'à 
quel  point  la  partie  lésée  participe  t-elle  au  droit  d'accusation  ?  Division. 

—  loi.  Mise  en  mouvement  et  initiative.  Cas  où  une  plainte  est  oéces- 
^re  pour  que  le  ministère  public  puisse  agir.  Citation  directe.  Constitu- 
tion de  partie  civile  devant  le  juge  d'instruction.  —  152.  Participation  des 
parties  lésées  dans  l'exercice  et  la  direction  de  l'accusation.  —  153.  Voies 
de  recours 316 

§  XXVI.  —  Des  cas  où  le  ministère  public  n  a  pas  la  faculté 
d'exercer  Taction  publique.  —  155.  De  l'action  d'office.  Principe. 
Exceptions.  Des  obstacles  qui  s'opposent  à  Texercice  de  l'action  publique. 

—  156.  Renvoi  pour  l'étude  des  questions  préjadlcîelles.  Plainte  ou  dé- 
nonciation de  la  partie  lésée.  Autorisation  préalable 3t6 

§  XXVII.  —  Des  cas  où  l'action  publique  est,  quant  à  son 
exercice,  subordonnée  à  une  plainte  ou  à  une  dénoncia- 
tion préalable. —  157.  Les  cas  où  l'action  publique  est  subordonné», 
dans  son  exercice,  à  une  plainte  ou  à  une  dénonciation,  sont  limitative- 
ment  déterminés  par  la  loi.  En  dehors  des  textes,  le  principe,  c'est  Taction 
d'office.  —  158.  Enumération  de  ces  cas  exceptionnels.  —  159.  Origine 
historique  de  ce  aystème.  Droit  romain.  Ancien  droit.  Droit  intermédiaire. 
Droit  actuel.  —  100.  Raison  d'être  des  exceptions  au  principe  de  l'actiOD 
d'oftice.  —  ICI .  La  plainte,  base  de  l'action,  est-elle  soumise  à  une  forme 
particulière  ?  discussion  et  application  de  l'idée  que  ce  qui  est  nécessaire 
et  suffisant,  c'est  que  la  plainte  soit  écrite  et  manifeste  l'intenlion  cer- 
taine du  plaignant  de  provoquer  la  poursuite.  —  162,  Du  retrait  delà 
plainte.  Désistement.  Son  elTet.  Exception  pour  le  cas  d'adultère  ou  de 
certains  délits  de  presse.  —  163.  Étude  et  classement  des  diven  cai 
où  l'exercice  de  l'action  publique  est  subordonné  à  une  plainte  ou  déoM- 
'ciation  préalable.  Adultère.  Rapt.  Délits  de  chasse.  Délits  de  pôcfae.  Délits 
de  fournisseurs.  Contrefaçon  industrielle.  Diffamation  et  injures.  Délits 
commis  en  pays  étranger.  —  164.  Appréoialion  de  ce  syfilème.  Législa- 
tions étranjjères.  Pratique.  Réformes 3*7 

• 

IXXVIIL  —  Des  cas  où  Taction  pnbliqiie  est,  q[naalt  à  son 
exercice,  subordonnée  à  une  autorisation  préalalile.  —  iij. 

Distinction  entre  les  cas  d'immunité  pénale  et  les  cas  où  raetion  fmdli- 
que  est  subordonnée  k  la  nécessité  d'une  autorisstioa.  —  466.  Le  préei- 
dent  de  la  République.  Immunité  pénale,  sauf  en  cas  4e  haute  trdhisHi. 
Difficultés.  —  167.  De  Tarticle  75  de  la  €onstiluti<m  de  Tan  Vllf .  Garea- 
lie  politique.  «Garantie  administrative.  —  168.  Les  ministres.  Learsitai- 
tion  au  point  de  vue  pénal.  —  169.  Les  sénateurs  et  les  députés.  Héeu- 


{ 


DES   MATIÈRES.  67£î 

site  d*une  autorisation  de  la  Chambre  dont  ils  font  partie.  Portée  de  la 
garantie.  —  170.  Garantie  administrative.  Sa  suppression.  Plus  d'autori- 
sation préalable.  Mais  incompétence  des  tribunaux  répressifs  pour  con- 
naître des  actes  administratifs.  —  i7K  Renvoi  en  ce  qui  concerne  la 
garantie  religieuse.  Délits  des  ecclésiastiques  constituant  un  abus.  Sépa- 
ration des  Églises  et  de  l'Klat 367 


CHAPITRE  II 

DE    l'exercice   de  L*ACTI0N   CIVILE. 

§  XXIX.  —  Notions  générales.  —  172.  L'action  civile  peut  être  portée, 
Boit  devant  les  tribunaux  ordinaires,  compétents  pour  en  connaître,  soit, 
accessoirement  à  faction  publique,  devant  les  tribunaux  de  répression. 
—  173.  Appréciation  de  ce  système.  Revision  du  Code  français  de  1808 
en  Belgique.  Propositions  repoussées. —  174.  L'article  3  du  Code  d'in- 
struction criminelle  contient  une  règle  et  une  exception 37 & 

§  XXX.  —  Du  droit  d'option,  qui  appartient  à  la  partie  lésée, 
entre  la  voie  civile  et  la  voie  criminelle.  —  i75.  Le  droit  d'op- 
tion est  général,  mais  il  n*est  pas  absolu.  —  i76.  Il  est  général,  en  ce  sens 
qu'il  s'applique  à  l'action  civile  dirigée  contre  toutes  les  personnes  qui 
répondent  du  délit  et  doivent  en  réparer  les  conséquences.  Les  personnes 
civilement  responsables  peuvent  être  assignées  devant  les  tribunaux  do 
répression  par  la  partie  civile.  Difficull es  en  ce  qui  concerne  la  citation 
directe  devant  la  cour  d'assises.  Conditions.  —  177.  Le  droit  d'option  de 
la  partie  lésée,  quoique  général,  n'est  pas  absolu.  —  178.  Obstacles 
de  fait.  —  179.  Obstacles  de  droit.  —  180.  Le  droit  d'option  n'existe  pas 
si  l'infraction  est  de  lu  compétence  pénale  d'une  juridiction  d'exception. 
Tribunaux  militaires  et  maritimes.  —  181.  Restriction  en  ce  qui  concerne 
les  difTamations  commises  envers  certaines  personnes.  Article  46  de  la  loi 
earla  presse  du  29  juillet  1881.  Administrateurs  de  sociétés  financières. 
Questions  que  soulève  ce  cas.  Conditions  de  la  prohibition  de  saisir  les 
tribunaux  cinls.  Caractère  de  cette  prohibition.  —  182.  De  l'action  civile 
en  matière  de  banqueroute  simple  ou  frauduleuse.  Cette  action  peut  être 
exercée  devant  les  tribunaux  de  répression  dans  certaines  conditions. 
Elle  ne  paraît  pas  pouvoir  l'être  devant  les  tribunaux  ordinaires.  —  183. 
De  la  règle  :  electa  una  via  non  d^itar  rccnrsuH  ad  altérant.  Des  deux  hypo- 
thèses qui  peuvent  se  présenter.  Le  passage  de  la  voie  répressive  k  la  voie 
civile  n'est  pas  interdit.  Mais  le  passage  de  la  voie  civile  à  la  voie  répres- 
sive doit  l'être.  —  18i.  L'application  <io  la  règle  :  electa  una  via...,  quel- 
que étendue  que  Ton  donne  à  son  application,  exige  le  concours  de  trois 
conditions.  Il  faut  :  Pque  la  demande  successivement  portée  devant  les 
deux  ordres  de  juridictions  soit  identiquement  la  même;  2*  que  l'option 


C76  TABLE    ANALYTIQUE 

5o:l  exercée  en  cor; naissance  de  cause;  3^ que  la  juri-iiolion  «aîs'te  la  pre- 
mière Ail  eu  le  droit  de  statuer.  —  iSri.  Caractère  de  la  fin  de  non-rece- 
l'oir  fondée  sur  la  maxime  :  el^fcta  nna  via 381 

ï:  XXXI.  —  DeTexercice  de  Taction  civile  devant  la  jaridiction 
répreeive.—  186. Condition  préalable  d'une  constitution  de  p<Lrtie  civile 
pour  que  les  tribunaux  *i^  répression  puissent  statuer  sur  les  dommatçes- 
intérêts  prétendus  p.'tr  la  virfime.  Division. —  18T.  L'action  civile  peut  »?trè 
portée  devant  les  tribunaux  de  répression  en  même  tempisque  l'actioii  pu- 
blique. Article  3  du  Code  d'instruction  criminelle.  Groupement  des  consé- 
quences qui  résull^^nt  de  cette  dépendance  des  deux  actions. —  ibS.  nuand 
le  fait  qui  a  produit  le  dommage  ne  constitue  pas  une  iofriction,  la  juridic- 
tion répressive  est  incompétente  pour  statuer  sur  l'action  en   dommatres- 
intéréts.  Application  faite  pour  les  prêts  usuraires,  la  tenue  d*une  maison 
de  prêts  sur  page,  etc.  —  i8î».  La  juridiction  répressive  est  incompiét»»nle 
fK;ur  statuer  sur  l'action  civile,  quand  l'action  publique  est  irrecevable.— 
190.  L'incompétence  existe  également  si  l'inculpé  est  renvoyé  d'instance. 
—  i91.  Mais  réserve  et  distinction  entre  les  tribunaux  de  police  simple  ou 
correctionnelle  et  les  cours  d'assises.  La  règle  de  l'incompétence  des  tri- 
bunaux de  répression  pour  ronnaitre  de  l'action  civile*  en  cas  d'acquitte- 
ment ne  s'applique  pas  à  la  cour  d'assises.  —  192.  L'irrecevabilité  devant 
les  tribunaux  de  répression  de  l'action  civile,  isolée  de  l'action  publique 
est  d'ordre  public.  —  193.  De  l'effet,  au  cas  où  l'action  publique  et  l'action 
civile  ont  été  porléos  ensemble  devant  un  tribunal  de  répression,  d'une 
cause  d'extinction  de  l'action  publique.  Décès.  Amnistie.  —  194.  Du  mo- 
ment et  du  mode  de  constitution  d'une  partie  civile.  Voie  d'action.  Voie 
d'intervention.  —  19!'».  Forme  rie  la  constitution  de  partie  civile.  —  196. 
Etietï;  d'une  constitution  de  partie  civile.  —  197.  Du    désistement  delà 
partie  lésée  devant  la  jurirliction  répressive.  —  198.  Effets  du  désistement. 
Double  hypothèse.  Désistement  régulier.  Désistement  irrégulier. . .     405 

ï;  XXXII.  —  De  Texercice  de  raction  civile  devant  la  juridiction 
civile.  —  199.  L'action  civile  peut  être  portée  devant  les  juridictions  ordi- 
naires. Klle  doit  même  l'être  quehjuefois.  De  l'inlluence  réciproque  des  deux 
instances  et  desd<Mix  jugements.  —  200.  Première  hypothèse.  Cas  où  l'ac- 
tion civile  a  été  détinitivemenl  jugée  par  les  tribunaux  ordinaires  avant 

rexiTcice  de  l'action  publi(jue.    Indépendance  des  deux  actions.  201. 

Seconde  hypothèse.  Cas  où  l'action  publique  a  été  définitivement  jugée 
par  l<'S  tribunaux  do  répn'ssion  avant  l'exercice  de  l'action  civile.  Force 
fie  ch^se  jugi'c  absolu»;  de  la  décision  rendue  par  les  tribunaux  de  répres- 
sion. —  202.  Troisième  hypollièse.  Cas  on  l'action  publique  est  intentée 
avant  ou  ppnflîint  Im  poursuite  de  l'action  civile.  Le  criminel  tient  alors  le  civil 
en  étal.  Double  motif  de  cette  règle.  Principe  supérieur  qu'elle  suppose. 
hivisior.  de  son  étude.  —  203.  Conditions  d'application  de  la  règle.  Il 
faut  (|uc  les  deux  actions  naissent  du  même  fait  et  que  l'aclioD  publique 


DES  MATIÈRES.  677 

uit  été  intentée.  —  204.  Si  le  concours  do  ces  deux  conditions  est  néces- 
saire, il  est  suffisant.  —  205.  L'action  civile  reprend  son  indépendance, 
lorsqu'il  a  été  prononcé  «définitivement»  sur  l'action  publique,  c'est-à-dire 
au  jour  où  la  décision  criminelle  a  force  de  chose  jugée.  Distinction  entre 
la  force  de  chose  jugée  et  la  force  exécutoire.  De  l'effet,  au  point  de  vue 
du  sursis,  des  arrêts  de  contumace,  des  jugements  ou  arrêts  par  défaut 
non  signiBés,  des  ordonnances  de  non-lieu.  —  200.  Caractère  d'ordre  pu- 
blic de  la  règle  :  ♦<  Le  criminel  tient  le  civil  en  état  » 443 


TITRE  III 

DE  l'extinction  DES   ACTIONS   PUBLIQUE   ET   CIVILE 

CHAPITRE  PREMIER 

DE   l'extinction    DE   l'aCTION    PUBLIQUE. 

§  XXXIII.  —  Classement  des  causes  d'eztinotien  de  Taotlon 
publique.  —  207.  Double  classement  des  causes  d'extinction  de  l'ac- 
tion publique.  Causes  naturelles.  Causes  politiques.  Causes  communes  à 
toutes  les  infractions.  Causes  spéciales  à  certaines  infractions.  — 
208.  Observation  générale 4.55 

§  XXXIV.  —  Du  décès  de  l'inculpé.  —  209.  Le  décès  de  Tinculpé  éteint 
faction  publique.  Celte  règle  est  absolue.  KUe  s'applique  sans  exception 
ni  réserve.  —  210.  Conséquence  de  ce  fait  extinctif  sur  la  procédure. 
Trois  situations.  Décès  avant  jugement.  Décès  après  jugement,  mais  dans 
le  délai  des  voies  de  recours.  Décès  pendant  l'instance  d'appel,  d'oppo- 
sition, de  pourvoi  en  cassation.  —  211.  Ce  décès  du  prévenu  n'éteint 
pas  l'action  tendant  à  obtenir  la  contiscation  de  choses  en  délit.  — 
212.  Ce  mode  d'extinction  est  personnel  et  ne  profite  pas  aux  complices. 
Exception  en  ce  qui  concerne  l'adultère  de  la  femme 456 

§  XXXV.  —  De  la  chose  jugée.  —  213.  Notion  de  la  chose  jugée.  — 
214.  Questions  qui  se  posent.  —  21").  Renvoi  de  ces  questions. ...     461 

§  XXXVl.  —  De  l'aninistie.  —  210.  Elïets  de  l'amnistie  sur  Taclion  et 
sur  la  condamnation 462 

§  XXXVII.  —  De  la  prescription  de  l'action  publique.  —  217.  Con- 
ceptions diverses  de  la  prescription.  —  21  S.  La  prescription  pénale  est 
d'ordre  public.  —  219.  Renvoi  à  un  autre  uuvrage,  en  ce  qui  concerne  le 
délai,  le  point  de  départ  de  ce  délai,  le  régime  de  l'interruption  et  de  la 
suspension.  —  220.  Preuve  de  l'accomplissement  de  la  prescription.     463 


678  TABLB   ANALTTIQCB 

CHAPITRE  11 

DK  L^EXTINCTION   DE  L*ACTION   CIMLB. 

i  XXXVIII.  -  Division.  —  221.  Deux  groupes  d'hyp.jthèses 46<^ 

^  XXXIX.  —  Extinction  de  l'action  pnbliqaé  avec  survie  de 
Faction  civile.  —  222.  Trois  séries  de  situations  sont  possil«les.  — 
223.  Cfio.se  jug^e  sur  l'îiclion  publii^ue.  —  22».  Du  dt^o^s  et  de  TamnisliK 
—  22o.  De  la  survivance  de  Tactiun  civile  en  cas  de  prescription  de  Tac- 
lion  publiï^ue.  Difficulté^ 46S 

g  XL.  —  Extinction  de  l'action  civile  avec  sarvie  de  Faction 
publique.  —  226.  Des  truis  séries  d'hypothèses  ftù  ce  résultat  est  pos- 
sible  / 470 


LIVRE  SECOND 
*I>e  la  preuve  en  matière  criminelle, 

TlTRh:  PREMIER 

DE  LA  PREUVE  CRIMINELLE  EN  GÉNÉRAL. 

i^  XLI.  —  La  question  de  preuve  dans  la  procédure  pénale.  — 

227.  De  l'objet  de  toute  procédure  pénale  au  point  de  vui?  de  la  preure. 
—  22H.  Vérité  et  certitudu.  —  229.  L'œuvre  de  la  procédure  leiid  à 
traiislurnaer  un  soupçon  on  certitude.  Des  trois  règles  qui  domineol  la 
question  «le  preuve  en  matière  criminelle 475 

^  XLII.  —  La  preuve  incombe  à  Faccusateur.  —  230.  Dans  quel 

6i'u<  la  ciiari^'e  d«j  la  preuve  incombe  à  Taccusateur.  De  l'application  res- 

Irririte,  en  mntiéro  répressive,  et  au  point  de  vue  de  la  preuve,  de  l'adage  : 

.refjus  e,ccipô'iidt*  fit  actor.  —  231.  De  la  preuve  des  laits  négatifs.  Goofu- 


SIOII. 


■kil 


^  XLI II.  —  Des  devoirs  du  Juge  de  répression  quand  laprenvt 
n*est  pas  rapportée.  —  232.  L'insuffisance  de  la  preuve  amène  le 

renv<ii  d'instanco  du  prévenu.  Institutions  qui  se  rattachent  à  cette  situa- 
tion. jPeine  extraordinaire.   Diverses  es[)èces  d'absolution.   Plus  aiBsle- 
,  menl  informé.  —  233.  Ces  institutions  ont  disparu.  —  234.  De  Is'rt^  : 


DES  UATlèSBS.  679 

In  duhio  pro  reo.  Critiques  faites  par  l'école  posilivisle.  Rérorau^s  à  re- 
bours      48i 

§  XLI V.  —  Das  cas  dans  lesquels  11  y  a  lien  de  faire  la  preave 
et  des  faits  à  prouver.  —  235.  Dans  un  proc«'>s  civil,  quatre  condi- 
tion? sont  ntioessaires  pour  qu'il  y  ait  lieu  <1<^  fa'fe  la  preuve.  Examen  du 
point  de  savoir  si  rhacune  d<î  ces  conditions  s'appliqiie  au  procî'S  p(^nal. 
—  236.  Les  faits,  m<îino  avoués,  doiv»*nt  êlre  i*tahlis  en  matière  pflnale. 
En  d'autres  termes,  Tav-u  ne  dispense  pas  <le  la  preuve;  il  nVst  lui-même 
qu'un  élément  d«  conviction.  —  237.  La  dispense  de  preuve  en  matière 
de  présomption  lt*gale.  Rôle  eOace  des  pre'snmplions  légales  dans  la  pro- 
cédure répressive.  —  238.  I^  preuve  de  certains  laits  peut  être  interdite. 
Vérité  des  faits  dilîanialoiriîs.  —  230.  De  la  pertinence  des  Inits  dont  on 
demande  a  faire  pn*uve  dans  la  procédure  pénale.  — 2V0.  Ew  matière  de 
diffanaation.  le  prévenu  uVsl  pas  toujours  admis  à  faire  la  preuve  de  la 
vérité  des  imputations.  Injure.  Outrage.  —  2U.  Distinction,  au  point  de 
vue  de  la  dilfamation,  entre  les  faits  de  la  vie  privée  et  les  faits  de  la  vie 
publique.  —  2W.  De  la  preuve  dt*  moralité.  Admissibilité 487 

§  XLV.  —  De  la  loi  qui  doit  régler  l'administration  de  la 
preuve.  —  2*3.  Double  (juestion  qui  se  pose.  CoFiflit  d'une  loi  ancienne 
et  d'une  loi  nouvelle.  Conflit  d'une  loi  étrang«Ve  el  de  la  loi  française.  — 
24 K  C'est  à  la  loi  en  vigueur  au  moment  du  procès  qu'il  faut  se  référer 
pour  l'admissibilité  el  la  procédure  de  la  preuve.  —  2'i'5.  La  territorialité 
de  la  loi  pénale  impose  aux  juges  l'obligation  d'appliquer  en  matière  de 
preuve  la  loi  nationale.  —  2lt).  liéserve  aux  deux  p<ji'nls  do  vue  précé- 
dents, lorsque  des  questions  civiles  ou  commerciales  sont  soumises  aux 
tribunaux  de  répression 494 


TITRE  !I 

principes  généraux  sur  l\  recherche, 
l'administration  et  la  force  de  la  preuve. 

§  XLVl.  —  Des  divers  systèmes  historiques  d'organisation 
do  la  preuve.  —  2fr7.  La  pn'uve  doit  éire  considérée  à  trois  points  de 
vue.  —  2t8.  De  l'évolution  historique  du  système  des  preuves.  Qnatre 
phases.  —  2i9.  Les  deux  [«riiuiipaux  systèmes,  «'elui  des  preuves  légales 
ei  celui  «les  preuves  morales  se  »ont  succédés  dans  l'Kuro|>e  nirnierae.  En 
qiàoi  ils  consistent.  —  250-  Origine  du  système  des  preuves  légales.  — 
25i.  Quatre  m<»des  d^»  pmives.  Division,  sgit  des  preuves  du  corps  du  délit, 
sott  de  celles  de  la  culpahilité  du  délinquant.  —  2"»2.  Preuve  par  témoins. 
Conditions  légales  pour  que  la  preuve  par  témoin  soit  une  preuve  com- 
plète sous  ce  régime.  —  253.  Preuve  écrite.  —  254.  Présomptions.  —  255. 


680  TABLB    ANALYTIQUE 

Indices  prochains.  —  256.  Indices  .éloignés.  —  257.  Ce  qui  caraclérisait 
le  système  des  preuves  légules  dans  notre  ancienne  jurisprudence  crimi- 
nelle. Nécessité  de  l'aveu.  Interrogatoire.  Torture.  —  258.  Origine  du  sys- 
tènme  des  preuves  de  conviction  substitué,  en  France,  par  l'Assemblée  con- 
stituante, au  système  des  preuves  légales.  —  259.  La  preuve  de  conviction 
est  donc  née  avec  le  jury,  et,  à  vrai  dire,  c'est  la  «  preuve  par  jury». 
Inconvénients  de  la  formule  qui  en  a  été  donnée.  Le  système  des  preuves 
légales  a,  presque  partout,  disparu.  Législations  anglo -saxonnes. . .    497 

§  XL VII.  —  De  la  preuve  morale  ou  de  conviction.  —  26a. 
Le  régime  de  la  preuve  de  conviction  gouverne  toute  la  procédure  ré- 
pressive et  s*applique  aux  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  comme 
aux  cours  d'assises.  —  201.  11  existe,  cependant,  en  ce  qui  touche  l'adap- 
tation de  ce  régime  de  preuve,  trois  diU'érences  entre  la  procédure  crimi- 
nelle et  la  procédure  correctionnelle  ou  de  police.  —  202.  La  première  dif- 
férence résulte  de  ce  que  les  tribunaux  correctionnels  ou  de  police  doivent 
motiver  la  condamnation  ou  l'acquittement,  c'est-k-dire  indiquer  les  rai- 
sons pour  lesquelles  ils  se  décident,  tandis  que  la  cour  d'assises  juge,  à 
cet  égard,  sans  donner  de  motifs.  —  263.  La  preuve  ne  dépend  pas  d* 
la  nature  de  la  juridiction  devant  laquelle  une  question  se  pose,  mais  de 
la  nature  de  la  question  elle-même.  Exemple  pour  Tinterdiclion  de  la 
preuve  testimoniale.  Mais  ce  qui  est  vrai  des  juridictions  composées  de  pro- 
fessionnels, ne  Test  pas  du  jury.  L'article  342  s'applique  dans  toute  son 
étendue,  quelle  que  soit  la  question  posée.  —  264.  Le  régime  des  preuves 
de  conviction  est  limité,  même  en  matière  répressive,  par  un  certain 
nombre  d'exceptions.  Procès-verbàux  qui  font  foi  jusqu'à  inscription  de 
faux  ou  jusqu'à  preuve  contraire.  Preuve  de  l'adultère  vis-à-vis  du  com- 
plice. —  265.  Mais  si  la  preuve  n'a  pas  une  valeur  morale  imposée  par  la 
lui,  les  règles  de  son  administration  sont  réglementées.  Buts  que  pour- 
suit la  loi  dans  cette  réglementation.  Pouvoir  discrétionnaire  du  président 
de  la  cour  d'assises 515 


TITRE    III 

DE    L\   PREUVE    EN    MATIKRE    PENALE   ET   DE    LA    PREUVE 

EN    MATIÈRE    CIVILE. 


§ 


XL VI II.  —  Comparaison  entre  le  régime  des  preuves  an 
matière  civile  et  le  régime  des  preuves  en  matière  pénale. 

—  2t50.  La  marche  de  la  preuve  neprut  pas  être  la  même  ea  matière  pénale 
et  rn  matièro  civile.  Consé(iuences.  —  207.  Inadmissibilité  de  certaÎDes 
preuves.  Serment.  DitVérontes  espèces  de  serments  judiciaires.  Ce  qui  sub- 
siste du  sermenL  —  208.  Preuve  préconstituée  de  tous  faits  juridiques  en 


DES   MATIÈRES.  681 

matière  civile.  Preuve  de  fait  en  matière  pénale.  —  269.  La  preuve  est  un 
ÎDcicIent  du  procès  civil.  Elle  est  le  fond  môme  du  procès  pénal.  Consé- 
quences     S25 

|XLIX.  —  Delà  preuve  dans  les  deoxphases  de  la  procédure  pé- 
nale.—  270.  Au  point  de  vue  des  conditions,  soit  d'admission,  soit-de  recher- 
che, soit  d'administration  des  preuves,  il  faut  distinguer,  dans  la  procédure 
pénale,  la  phase  préparatoire  et  la  phase  définitive  de  Tinstruction.  —  271. 
Phase  préparatoire,  offlcieuse  et  officielle.  —  272.  Phase  définitive.  Ins- 
truction orale,  pubHque,  contradictoire.  —  273.  Motifs  des  différences 
qui  existent  dans  les  deux  phases  de  la  procédure.  Principales  différences. 
Transport  sur  les  lieux.  Témoignage 531 

TITRK  IV 

DES   DIVERS    PROCÉDÉS   DE   PREUVE. 
CHAPITRE  PREMIER 

DES   DIVERSES   ESPÈCES   DE   PREUVE. 

S  L.  —  De  la  méthode  pour  arriver  à  la  découverte  de  la  vé- 
rité.— 274.  Preuve  directe  ou  inductive.  Preuve  indirecte  ou  de  raisonne- 
ment.—  275.  Déduction  et  induction.  —  276.  Interversion  dans  les  idées  sur 
les  meilleurs  moyens  de  preuve.  Importance  acquise  par  les  indices.  —  277. 
Ce  que  Ton  demande  aujourd'hui  d'établir.  D'abord,  la  réahto  du  délit. 
Puis,  la  participation  de  Tagent.  Enfin,  satémibililé.  Insuffisance,  à  ce  der- 
nier point  de  vue,  des  anciennes  méthodes  de  preuve.  Nécessité  de  re- 
chercher l'identité  des  criminels.  Inventions  scientifiques  dont  ils  profitent 
et  dont  la  société  doit  user  dans  sa  lutte  contre  le  crime.  —  278.  Dans 
quelle  mesure  la  phase  scientifique  de  la  preuve  peut  remplacer  la  phase 
sentimentale.  Transition 537 

§  LI.  —  De  la  crixninalistique.  —  278.  Directions  scientifiques  en 
matière  de  preuve.  CriminaUslique.  Police  scientifique.  Psychologie  judi- 
ciaire expérimentale.  —  279.  Le  ju^e  répressif  ne  doit  pas  seulement 
connaître  la  loi  pour  l'appliquer  aux  faits,  il  doit  a[)prendre  à  fixer 
ces  faits.  La  criminalistique.  —  280.  La  psychologie  légale  et  ses 
deux  branches  :  la  psycholoffie  du  juge  et  la  psychologie  du  déposant. 
Double  méthode.  Observation.  Expérimentation.  —  281.  La  psycho- 
logie du  juge.  Acquisition  des  matériaux  de  preuve.  Jugement  basé 
sur  ces  matériaux.  —  282.  La  psychologie  du  témoignage.  —  283.  Le  té- 
moignage doit  être  soumis  à  une  triple  critique,  clinique,  pénale,  expéri- 
mentale. Faux  témoignage  des  aliénés  et  psychopathes.  Faux  témoignages 


682  TABL&  ANALYTIQUE 

délictueux.  Faux  témoignages  ioconscieots.  —  284.  Éléments  d*où dépend 
la  certitude  du  témoignage.  Nécessité  pour  le  juge  d*objectiver  ces  élé- 
ments. Science  pratique  du  témoignage.  —  385.  Caractères  du  témoi- 
gnage. Un  certain  nombre  de  thèses  à  poser.  — .286.  Dans  quelle  mesure  (m 
peut  corriger  objectivement  le  témoignage.  Conclusions.  —  Î87.  Lapt^ 
lice  scienlifique.  Son  enseignement.  —  288.  Identification  des  criminel?, 
soit  en  rut  de  l'application  des  lois  sur  la  récidire,  soit  en  vue  des  opé- 
rations de  recherche  ou  de  surveillance  des  individus  suspects.  LeBertiliu- 
nage.  —  289,  La  photographie  scientifique  et  le  portrait  parlé.  —  i90.  La 
fiche  internationale.  Difficult»^a 5U 


§  LU. —  Du  olassement  des  preuve».  -*  291.  Première  classification 
des  preuves.  Preuves  directes  ou  dVvidcnce.  Preuves  indirectes  ou  de  ni- 
sonnemont.  —  292.  De  Tévidence,  soit  interne,  soit  externe.  —  293.  Du 
raisonnement  et  des  preuves  de  raisonnement.  —  294.  Groupement  des 
preuves.  Expérience  personnelle  et  expertise.  Foi  au  témoignage.  Pré- 
somptions et  indices.  —  295.  Seconde  classification  des  preuves.  Preuve 
générique.  Preuve  spécifique.  Quatre  catégories  de  preuves 561 


CHAPITRE  II 

DE   l'expérience  PERSONNELLE, 


i: 


LUI.  —  Du  rôle  de  ilexpérience  personnAlle  du  juge  comme 
moyen  de  conviction.  —  29&.  Le  'juge  peut  avoir  acquis  la  con- 
naissance personnelle  des  faits  du  procès,  soit  dans  ses  fonctions^  soit  en 
dehors  de  ses  fonctions.  —  297.  De  la  connaissance  acquise  par  le  juge  en 
rlehors  de  ses  fonctions.  Pourquoi  le  juge  ne  peut  en  tenir  compte.  Des 
conséquences  qui  en  rt^sultent.  Déport  du  juge.  —  298.  Du  juge  téffloin. 
Comparaison  entre  le  jury  anglais  et  le  jury  français.  De  la  nécessitif 
pour  le  juge  moderne'  de  connaître  la  vie  de  Tagent,  ses  antëcèdentSi,  son 
milieu.  Carie  biogniphique.  —  299.  Le  juge  peut  acquérir  la  coDuais- 
sîince  des  faits  dans  rexorcico  de  ses  fonctions 567 

>;  LIV.  —  Du  transport  sur  les  lieux  dans  la  procédure  préa- 
lable. —  3<)0.  Du  transport  sur  les  lieux  <ians  la  procédure  préalable. 
Division.  —  301.  Flagrant  délit  et  cas  assimilés.  Concours  d'att  ributifkns 
entro  |p  procureur  de  la  Képublique,  ses  auxiliaires  et  le  juge  d'instruc- 
tion. —  3(12.  Quand  il  y  a  flagrant  d«Hit.  Procédure  commune  au  procu- 
reur d«'  la  KéfMihlique  et  au  juge  d'instruction.  En  cas  de  concours  dans 
les  ciis  ordinaires,  c*est  au  juge  d'instruction  à  ordonner  et  exécoter  un 
transport.  —  303.  De  la  présence  de  Tinculfxî  et  de  celle  de  ta  partie  ci- 
vile. —  30».  F*roj»»ts  de  réforme  restés  en  route.  —  305.  Opérations  du 
transport.  —  306.  Des  précautions  qui  doivent  Atre  prises  pour  garantir  la 


DBS   MATIÈRES.  683 

coDstatation,  ia  consen-atioD  de  Tidentité  du  corps  du  délit.  —  307..  Com- 
binaison des  prescriptions  du  Gode  d'instruction  criminelle  et  de  celles  de 
k  loi  du  8  décembre  1897 57a 

i  LV.  —  Du  transport  sur  les  lieux  dans  la  procédure  défini- 
tive. —  308.  Le  Code  d'instruction  criminelle  est  muet  sur  le  transport 
dans  la  proc»^dure  définitive.  Cette  mesure  peut  être  ordonnée  par  juge- 
ment et  so  fait  en  prtisencc  des  parties.  —  309.  Le  tribunal  peut,  au  lieu 
de  se  transporter  tout  entier  sur  les  lieux,  commettre  un  de  ses  membres. 
Tribunaux  correctionnels.  Cours  d'assises.  Pouvoirs  du  président  de  la 
cour  d'assises 583 

§  LVL  —  De  la  technique  du  transport  sur  les  lieux.  ~  310.  De 
l'importance  des  premières  constatations  faites  et  du  rôle  prépondérant  du 
magistrat  instructeur  dans  la  direction  de  l'affaire.  —  311.  De  l'utilité 

(d'une  sorte  de  technique  du  transport.  —  312.  Préparation  du  transport. 
—  313.  Méthode  à  suivre  sur  les  lieux.  S'assurer  d'abord  de  l'état  con- 
comitant au  crime.  —  314.  Description.  —  315:  Recherche  des  objets 
cachés.  —  316.  Applications  praliqpies  de  cette  méthode  aux  crimes  les 
plus  importants.  Renv^oi 587 


CHAPITRE  III 

DE  L  EXPERTISE. 

g  LVII  —  Nature  de  l'expertise.  —  317.  Ce  qu'est  l'expertise.  Son 
utilité.  Ses  caractères.  —  318.  Motifs  de  la  confiance  en  l'expert.  Base 
commune  de  confiance  dans  l'expertise  et  le  témoipniage.  Différences  en 
ce  qui  conciTuo  la  nature  Pt  le  cfiamp  d'application  de  l'expertise  et  du 
témoignage.  —  319.  De  la  rosponsabilité  de  l'expert.  —  320.  Importance 
actuelle  du  mudo  do  vériliration  par  expertise.  Ses  erreurs.  La  faillibilité 
de  l'expert  implicjue  l'obligation  de  ne  pas  donner  à  son  avis  le  caractère 
d'une  «Ic'cision.  —  321.  Absence  do  réglementation  de  l'expertise  crimi- 
nelle. (Question  générale  de  savoir  si  les  règles  de  l'expertise  civile  sont 
applicables  à  l'expert isc  criminelle.  Points  communs.  Difl'érenros  princi- 
pales       ÎSDO 

§  LVHI.  —  Nomination  et  choix  des  experts.  —  322.  L'expertise 
est  une  mesure  d'instruction,  soit  de  la  période  préparatoire,  soit  de  la  pé- 
riode définitive  de  la'procédure.  —  323.  Dans  lapériode  préparatoire,  exper- 
tise, soit  en  cas  de  flagrant  délit,  soit  dans  les  cas  ordinaires,  soit  dans 
l'enquête  officieuse.  —  324.  Dans  la  période  définitive,  l'expert  est  com- 
mis par  la  juridiction;  tribunaux  de  police,  tribunaux  correctionnels,  cours 
d'assises.  Il  faut  un  jugement  ou  un  arrèU  En  cour  d'assises,  cependant, 


681  TABLE   ANALYTIQUE 

le  président  peut  commettre  un  expert  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétion- 
naire. —  325.  Chambre  d\iccusation.  Président  de  la  cour  d'assises  dans 
les  intersessions.  ~  326.  Le  choix  des  experts  n*est  pas  limité.  Mineurs. 
Interdit.  Étranger.  Femme.  —  327.  L'ordonnance  ou  le  juj^ement  qui 
nomme  les  experts  doit  préciser  les  questions  à  résoudre WS 

§  LIX.  —  Marche  de  Texpartise.  —  328.  Absence  de  toute  n^gle  pré- 
cise dans  le  Code  d'instruction  criminelle.  Double  conséquence  qui  en  ré- 
sulte, soit  au  point  de  vue  de  la  nomination  des  experts,  soit  au  poiil 
de  vue  du  caractère  non  contradictoire  de  l'expertise.  —  329.  Nombre  dei 
experts.  Pouvoir  arbitraire  des  tribunaux  de  répression.  —  330.  Caractère 
non  contradictoire  de  l'expertise  criminelle.  —  331.  L'organisation  conlfi- 
dictoire  de  l'expertise  criminelle  est  une  réforme  depuis  longtempe  demiD- 
dée.  Comment  la  réaliser.  Difficultés.  —  332.  Choix  de  ou  des  experts. 
Liste  d'experts \ 6W 

§  LX.  —  Droits  et  devoirs  des  experts.  —  333.  Du  serment  deseï* 
perts.  Sa  formule.  Elle  n'est  pas  sacramentelle,  à  la  différence  de  lafo^| 
mule  du  serment  des  témoins  et  des  jurés.  —  334.  La  prestation  du  se^j 
ment  et  sa  constatation  régulière  sont  des  conditions  de  validité  det( 
(expertise.  Ni  les  magistrats  ni  les  parties  ne  peuvent  dispenser  l'expertàj 
serment  prescrit  par  la  loi.  —  335.  Le  serment  doit  être  prêté  araotM 
rommencement  des  opérations  et  il  s'étend  à  toutes  les  opérations  q«| 
l'expert  peut  avoir  à  reproduire  et  à  ajouter  pendant  tout  le  cours  àj 
l'affaire.  —  336.  Le  serment  ne  garantit  que  les  opérations  faites  dansi 
]»hasc  de  procédure  pour  laquelle  l'expert  a  été  commis.  L'expert,  appeM 
à  l'audience,  pour  rendre  compte  de  ses  opérations  ou  de  ses  conclusioitfi 
[)réte  le  serment  de  témoin.  —  337.  Le  président  de  la  cour  d'assis* 
qui  commet  un  expert,  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétionnaire,  ne  petti 
If  dispenser  du  serment  en  tant  qu'il  procède  comme  expert.  —  338.  Qu* 
tiens  accessoires  sur  les  droits  et  devoirs  des  experts.  —  339.  Refus  W 
concours  de  l'expert.  Sanction  générale.  Sanction  spéciale  instituée  potf] 
le  refus  dos  médecins  par  l'art.  23  de  la  loi  du  30  novembre  1892  sur  ^e«^ 
cice  de  la  médecine.  —  340.  Honoraires  des  experts.  Tarif.  Décret  du  Si 
novembre  1803  en  ce  qui  concerne  les  médecins Wi| 

fjLXI.  —  Du  rapport  d'experts.  —  3U.  Le  rapport  d'experts  compi 
dtHix  séries  d'opérations  dont  il  doit  être  rendu  compte  :  les  constatali^ 
li»s  ronclusions.  —  342.  Le  rapport  n'a  pas  lieu  nécessairement  par 
histiiiction  qu'il  faut  faire.  —  343.  Aucune  règle  générale  n'est  prescriUl 
pour  la  rédar'tion  du  rapport.  Mais  cadre  pratique.  Préambule. Commén»' 
rat  if.  Description.  Discussion.  Conclusions.  —  344.  Conseils  sur  la  foifli 
«h'  rédaction.  —  3*5.  Les  léirislations  étrangères  tracent  quelques  réglai 
^•'•nérales  sur  la  conduite  des  opérations  et  la  rédaction  du  rapport,    fia 


DES  MATIÈRES.  685 

LXH.  —  Foi  due  à  l'expert^pe.  »  346.  L'expertise  ne  lie  pas  le  juge. 

—  347.  Mais  si,  en  droit,le  juge  est  libre  de  décider  conlrairement  à  l'avis 
de  Texpert,  en  fait,  il  se  conformera  le  plus  souvent  à  son  opinion.  Des 
règles  qui  conditionnent  la  valeur  morale  de  l'expertise.  —  348.  Contrôle 
des  parties  à  Taudience.  Liberté  de  discuter  les  constatations  et  les  con- 
clusions       631 

LXIJL  —  Des  règles  spéciales  à  certaines  estpertises.  —  349. 
Les  expertises  portent  sur  des  questions  de  tout  genre.  Mais  il  existe  des 
expertises  spéciales  au  point  de  vue  des  règles  auxquelles  elles  sont  sou- 
mises. —  350.  Des  expertises  médico-légales.  —  351.  Du  classement  de 
ces  expertises,  quant  à  leur  objet  matériel  et  quant  à  la  nature  des  ques- 
tions posées.  —  352.  Règles  spéciales  des  expertises  médico-légales,  de- 
puis la  loi  du  30  novembre  1892.  Kllcs  ne  peuvent  être  confiées  qu'à  des 
docteurs  en  médecine  français.  Liste  officielle  d'experts  médecins  dressée 
annuellement  par  chaque  cour  d'appel.  Refus  d'obtempérer  aux  réquisi- 
tions. Tarif  spécial.  —  353.  Des  expertises  en  écriture.  Leur  valeur  rela- 
tive. —  354.  La  vérification  des  écritures  ne  furme  pas  l'objet  d'un  titre 
spécial  dans  le  Code  d'instruction  criminelle.  C'est  donc,  en  principe,  !•* 
droit  commun  qui  s'applique.  —  355.  Mais  le  Code  d'instruction  crimi- 
nelle s'occupe  de  l'expertise  en  matière  de  faux.  Distinction  à  faire  entre 
l'expertise  en  écriture  et  l'expertise  en  matière  de  faux. —  350.  Certaines 
règles  de  l'expertise  des  pièces  arguées  de  faux  doivent,  par  analogie,  être 
appliquées  à  l'expertise  en  écriture.  Pièces  de  comparaison.  Saisie  et 
dépôt  des  pièces.  —  357.  Falsification  des  produits  destinés  à  l'alimenta- 
tion de  l'homme  et  des  animaux,  ainsi  qu'au  besoin  de  l'agriculture.  Ré- 
glementation contradictoire  du  prélèvement  d'échantillons  et  de  l'analyse 
chimique.  —  358.  Des  fraudes  en  matière  d'engrais.  Origine  de  lu  loi  du 
4  février  1888.  Décret  du  10  mai  1889  prescrivant  les  procédés  d'analyse 
à  suivre  pour  la  détermination  des  matières  fertilisantes  des  engrais.  Prise 
d'échantillons  en  trois  exemplaires.  Expertise.  Contre-expertise.  —  359. 
Caractères  spéciaux  de  rir»struction  dans  ce  cas.  —  360.  L'expertise  étant 
préjudicielle  h  la  poursuite,  double  question  qui  se  pose.  — 301.  Des  frau- 
des dans  le  commerce  du  beurre.  Loi  du  16  avril  1897  et  décret  du  9  no- 
vembre de  la  même  année.  Constitution  de  l'expertise.  —  302.  Loi  du  1*^ 
août  1905  sur  la  répression  des  fraudes  dans  la  vente  des  marchandises 
et  des  falsifications  des  denr»»es    alimentaires  et    des  produits  agricoles. 

—  363.  L'expertise  dans  ce  cas  est  double  :  expertise  administrative,  ex- 
pertise judiciaire.  —  364.  De  la  poursuite.  L'intéressé  renonce  h  cons- 
tater l'expertise  contradictoire.  —  365.  Valeur  probulc^ire  de  l'experliso 
contradictoire  dans  ce  cas 633 

LXIV.  —  De  la  forme  des  expertises  criminelles.  —  366.  Com- 
ment se  pose  en  France  la  question  de  réforme  des  expertises  criminelles. 

—  367.  Constatations  qui  se  dégagent  de  l'étude  comparative  des  législa- 


686  TABLiS  ANALYTIQCB. 

lions  tUmn^irrf^B.  —  368.  Projet  de  réforme  du  (loie  d'iostruciion  orimi- 
nelle  françnisde  1879.  (Question  de  rexpertise.  Système  liè  i'experiiàe  sur- 
veillée.—  369.  Proposition  Crappi  de  1898.  Vote  de  cette  proposition  par 
la  Chambre  des  députés  le  30juiD  1899.  —  370.  La  réforme  portesuriros 
l 'lints  :  création  de  listes  annuelles  d'experts  agrét's;  FonctionDemect 
contradictoire  de  l'expertise  par  la  dualité  et  l'^çalité  tJes  experts  ;  cm- 
tion  d'un  arbitrage  en  cas  de  désaccord.  —  371.  Celte  prop«:»sitinn  dt*  vi 
n'a  pas  eu  pour  objet  de  réglementer  l'ensemble  des  expertises  crimineiics 
m'«is  d'introduire,  dans  ces  expertises,  1p  réjrime  de  la  contradicti"n . .    *M 


FIN   DE   LA   TABLE   ANALYTIQUE   DES   MATIEELES 
DU   PREMIER   VOLUME. 


BAft-LK-nUC.  •-'   UirailIBUi:  rOHTAllT-IâA.QCXllBB. 


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